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Full text of "Mémoires sur l'ambassade de France en Turquie et sur le commerce des Français dans le Levant"

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PUBLICATIONS 

DE    l'école   des    langues    ORIENTALES    VIVANTES^ 

VI 


MEMOIRES 


SUR 


L'AMBASSADE    DE    FRANCE 

£•0X1    TUTIQUIE 

ET     S  U  R 

LE  COMMIiRCE   DES   FRANÇAIS    DANS   LE   LEVANT 


MÉMOIRES 


SUR 


L'AMBASSADE 

DE    FRANCE 

ÊCNC     TURQUIE 

ET      SUR 

LE    COMMERCE    DES    FRANÇAIS   DANS    LE   LEVANT 

PAR 

M.  LE   COMTE   DE  SAINT-PRIEST 


Suivis  du  texte  des  traductions  originales  des  Capitulations 
et  des  Traités  conclus  avec  la  Sublime  Por'e  oromane 


PARIS 

ERNEST    LEROUX,     ÉDITEUR 

LIBRAIRE    DE    LA    SoCIÉTÉ    ASIATlc^UE 
DE  l'École  des    langues  orientales  vivantes,  des  sociétés  de  Calcutta 

DE    SHANGHAÏ,    DE    NEW-HAVEN,    DU    CAIRE,    ETC. 

28,    RUE    BONAPARTE,    28 
1877 


0  0  i  0  <'  ? 


AVANT-PROPOS 


11  était  de  règle,  sous  l'ancienne  monarchie^ 
que  les  ambassadeurs  de  France  près  la  Porte 
Ottomane  remissent  au  Roi,  à  la  fin  de  leur  mis- 
sion, un  mémoire  sur  les  négociations  qu'ils 
avaient  dirigées  et  sur  l'état  du  commerce  et  de 
la  navigation  des  sujets  français  dans  les  Échelles 
du  Levant. 

M.  le  Comte  de  Saint-Priest  est  le  dernier 
ambassadeur  à  Constantinople  qui  se  soit  con- 
formé à  cette  obligation,  son  successeur,  M.  le 
Comte  de  Choiseul  Gouffier,  ayant  été  déposé, 
en  octobre  1792,  par  une  assemblée  tumultueuse 
des  résidents  français  et  remplacé  par  le  premier 
député  de  la  nation. 


II  AVANT-I'HOI'OS. 

I*cn(l;iiit  le  (."()ii;_;c  (|u  il  ;i\;iit  obtenu  en  1776, 
.M.  de  Saini-l'i'iesi  a\;iii,  ainsi  (|u  il  le  dit  liii- 
niènie,  rasscnibié  les  niaiériaux  de  son  •'  Mémoire 
sit)- l\iinl\issjdc de  J-'i\iuceeii  Turquie  ».  11  a\ait  con- 
sulté les  tKjtunients  conserves  à  la  l>ibliothèque 
du  Uoi,  au  dépôt  des  aiH'hives  du  Ministère  des 
Aliaires  étrangères,  et  dans  la  maison  de  Noailles. 
A  son  retour  en  i^rance,  en  177H,  il  remit  à  la 
(]our  cm([  mémoires  ayant  pour  objet  :  \'  l'his- 
toire de  la  politique  SLii\ie  |)ar  la  France  depuis 
l'établissement  des  relations  politiques  avec  la 
Porte  ;  2"  un  mémoire  sur  les  ambassadeurs  et 
agents  de  France;  3"  l'histoire  du  commerce  et 
de  la  navigation  des  Français  dans  le  Levant; 
4"  un  mémoire  sur  les  établissements  religieux 
et  sur  la  protection  que  le  Roi  lein-  accorde,  et 
enfin  le  compte  rendu  de  sa  mission. 

Les  trois  premiers,  qui  ont  un  intérêt  pure- 
ment historique  et  dont  il  existe  plusieurs 
copies,  sont  les  seuls  qui  soient  insérés  dans  ce 
volume. 

L'alliance  permanente  de  la  France  avec  la 
Turquie  et  avec  les  cantons  suisses  était  au- 
trefois considérée  par  les  hommes  d'État  fran- 
çais comme   absolument   nécessaire   pour   faire 


AVANT-PROPOS.  m 

échec  à  la  puissance  de  la  maison  d'Autriche  ^ 
Malgré  l'opposition  de  l'opinion  publique  qui 
blâmait  tout  pacte  avec  les  Musulmans,  et  en 
dépit  de  dissentiments  passagers  motivés  par  les 
caprices  et  les  hauteurs  des  ministres  ottomans 
ou  les  écarts  de  conduite  de  quelques  ambassa- 
deurs, l'alliance  avec  la  Turquie  s'est  maintenue 
intacte  jusqu'cà  la  paix  de  Versailles. 

Le  mémoire  de  M.  de  Saint-Priest  est  plutôt 
un  canevas  qu'une  histoire  détaillée  de  la  diplo- 
matie française  en  Ttu-quie.  Tel  qu'il  est,  son 
travail  est,  cependant,  plus  net  et  plus  complet 
que  celui  de  M.  de  Flassan'. 

M.  de  Saint-Priest  ne  paraît  point  avoir  connu 
quelques  documents  manuscrits  ou  imprimés  qui 
auraient  pu  lui  fournir  soit  des  appréciations 
plus  justes  sur  certains  événements,  soit  des  dé- 

1.  «  J'ouys  dire  une  fois  à  M.  le  Connétable  :  que  les  roys  de 
France  avoient  deux  alliances  et  affinitez  desquelles  ne  s'en 
dévoient  jamais  distraire  et  despartir  pour  chose  du  monde  :  l'une 
celle  des  Suysses,  et  l'autre  celle  du  grand  Turc.  Brantôme,  les 
vies  des  grands  capitaines  français,  tome  V,  page  55  de  l'édition 
publiée  par  M.  Ludovic  Lalannc. 

2.  De  Flassan.  Histoire  générale  et  raisonnée  de  la  diplomatie 
française  et  de  la  politique  de  la  France  depuis  la  fondation  de  la 
monarchie,  jusqu'à  la  fin  du  règne  de  Louis  XVI  ;  par  ^L  de  Flas- 
san. Paris  1811,7  vol.  in-8". 


IV  A\  \N  r-l'HOIH)S. 

lails  sur  lies  laits  cii  :ij)j)arciicc  secondaires,  niais 
(jui  n'ont  j)as  laissé  (|ue  d'avoir  une  inlluetice 
considérable  sur  la  marche  des  allaires. 

I.cs  |)aj)iers  des  agents  français  à  (^onstanti- 
noj)le,  j)endant1e  x\  i"  siècle  ei  les  trente  premières 
années  du  wii"  siècle,  sont  conservés  à  la  P)iblio- 
thèque  nationale  où  ils  sont  entres  à  dilierents 
litres.  Ils  ont  été  en  grande  partie  publijs  par 
iM.  Cdiarrièrc  dans  les  AVi,'-ofM//o;/.s'  Je  Li  J'miicc 
dans  le  Lci'.iul,  recueil  rempli  de  documents  cu- 
rieux, mais  que  la  mort  regrettable  de  M.  Char- 
rière  a  laissé  inachevé  '.  11  s'arrête  à  la  fin  du 
règne  de  Henri  111.  Le  lecteur  curieux  de  recourir 
aux  sources  originales  trouvera  les  lettres  de 
Henri  IV  à  M.  Savari  de  Brèves,  son  ambassa- 
dein-  à  Constantinople,  dans  la  collection  des 
Lettres  missives  de  Henri  IJ^  publiée  par  les  soins 
de  M.  Berger  de  Xivrey". 

1.  Négociations  de  la  France  dans  le  Levant  ou  correspondances, 
mémoires  et  actes  diplomatiques  des  ambassadeurs  de  France  à 
Constantinoplc  et  des  ambassadeurs,  envoyés  ou  résidents  à  divers 
titres  à  Venise,  Raguse,  Rome.  Malte  et  Jérusalem,  en  Turquie, 
Perse,  Géorgie,  Crimée,  Syrie,  Egypte,  etc.,  et  dans  les  Etats  de 
Tunis,  d'Alger  et  de  Maroc,  publiés  pour  la  première  fois  par 
E.  Charrière.  Paris,  1848-1860. 

2.  Recueil  des  lettres  missives  de  Henri  IV  (1562-1610)  publié 
par  M,  Berger  de  Xivrey.  Paris  1843-1872,8  vol.  in-4''. 


AVANT-PROPOS.  V 

Déjà  au  xvr  siècle,  Ribier  avait  publié  sans 
grand  ordre  et  sans  éclaircissements  quelques 
dépêches  de  MM.  D'Aramon,  Codignac  et  de  la 
Vigne  ^ 

Camuzat  avait  également  imprimé  dans  son 
recueil  quelques  lettres  de  M.  de  Pétremol 
adressées  au  Roi  et  à  son  ambassadeur  à 
Venise  -. 

Enfin,  dans  le  second  volume  de  Vllliistre 
Oî^bandale  ou  l'histoire  de  Chaloii  -sur  -  Saône, 
P.  Cusset  a  donné  le  texte  des  instructions  de 
M.  de  Germigny,  quelques-unes  de  ses  lettres  et 
la  traduction  des  capitulations  renouvelées  à  la 
demande  de  Henri  III  ^ 

Les  pièces  diplomatiques  et  les  relations  des 

1.  Lettres  et  mémoires  d'Estatdes  Roys,  Princes,  ambassadeurs 
et  autres  ministres  sous  les  règnes  de  François  I""'',  Henri  II  et 
François  II,  contenans  les  intelligences  de  ces  Roys  avec  les  Princes 
de  l'Europe,  contre  les  menées  de  Charles-Quint;  principalement 
à  Constantinople  auprès  du  Grand  Seigneur,  etc.,  par  messire 
Guillaume  Ribier,  conseiller  d'Etat.  Imprimés  ù  Blois  et  se  ven- 
dent à  Paris  chez  François  Clouzier,  1666,  2  volumes  in-folio. 

2.  Meslanges  historiques  ou  recueil  de  plusieurs  actes,  traictez, 

lettres  missives depuis  l'an  1390  iusque  à  l'an  1580,  par  N.  C. 

T.  (Nicolas  Camuzat,  Troyen);  à  Troyes,  par  Jacques  Febvre,  1644. 
Supplément,  fol.  i  à  12. 

3.  L'illustre  Orbandale  ou  l'histoire  ancienne  et  moderne  de  la 
ville  et  cité  de  Chalon-sur-Saône.  Lyon,  1662,  2  vol.  in-4'". 


VI  AV  VNT-PROPOS. 

agcius  iVançais  ont  été  communiquées  à  .1.  A.  de 
Thou  et  sou  histoire  contient  sin-  les  afl'aircs  de 
I''r:iiue  eu  I  urcjuie  les  détails  les  plus  exacts  et 
les  ()his  précis  '. 

Les  docunienis  |)ostérieiu\s  ont  été  mis  à  pro- 
iii  par  liaudier  et  par  iMézeray '.  Les  ouvrages  de 
ces  deux  historiographes  de  France  ne  méritent 
nullement  l'oubli  et  le  discrédit  dans  lesquels  ils 
sont  tombés. 

J'ai  fait  suivre  les  trois  mémoires  de  AL  de 
Saint-Priest  des  traductions  originales  des  capi- 
tulations accordées  parla  Porte  de  1528  à  1740 
et  des  traitée  conclus  avec  la  Turquie  en  1802 
et  1839. 

1.  J.  A.  Thuani  historiariim  libri  C. XXX. VIII,  etc.  Loiidiiii, 
Sam.  Buckley,  1733,  7  vol.  in-folio.  Histoire  universelle  de  J.  A. 
de  Thou,  de  1543  à  1607,  traduite  sur  l'édition  latine  de  Londres. 
Paris,  1734,  16  volumes  in-4°. 

2.  Inventaire  de  l'histoire  générale  des  Turcs,  où  sont  descriptes 
les  guerres  des  Turcs,  leurs  conquêtes,  séditions  et  choses  remar- 
quables, etc.,  depuis  l'an  mil  trois  cens,  jusques  en  l'année  1640.  par 
le  sieur  Michel  Baudier  de  Languedoc,  Gentilhomme  de  la  maison 
du  Roy,  conseiller  et  historiographe  de  Sa  Majesté.  Rouen,  1641, 
in-4". 

Histoire  générale  des  Turcs  contenant  l'histoire  de  Chalcondyle 
traduite  par  Biaise  de  Vigenaire  et  continuée  jusque  en  l'an 
M.D.C.XII,  par  Thomas  Artus;  et  en  cette  nouvelle  édition,  par 
le  sieur  de  Mezeray  jusques  en  Tannée  1661,  etc.,  à  Paris,  Sébastien 
Cramoisy,  1662,  2  volumes  in-foHo. 


AVANT-PROPOS.  vu 

J'ajoute  à  ces  quelques  lignes  la  liste  des 
principaux  ouvrages  et  opuscules  relatifs  aux 
affaires  de  Turquie  écrits  par  des  Français 
pendant  les  x\f  et  xvii''  siècles.  Un  certain 
nombre  des  relations,  publiées  à  la  fin  du  règne 
de  Louis  XIV  et  dans  le  courant  du  xviii*  siècle, 
ne  doivent  être  consultées  qu'avec  réserve.  Je  me 
bornerai  à  recommander,  pour  les  négociations 
de  M.  de  Villeneuve,  l'Histoire  de  la  paix  de 
Belgrade  par  l'abbé  Laugier  *. 

<(  Des  coustumes  et  manières  de  vivre  des 
Turcs,  faict  premièrement  en  latin  par  Chris- 
tophe Richer,  varlet  de  chambre  du  Roy  très- 
chrestien,  François  premier  de  ce  nom,  et 
secrétaire  de  son  chancellier,  et  depuis  par 
iceluy  Richer,  traduict  en  langue  Françoise. 
Paris,  Robert  Estienne,  imprimeur  du  Roy,  1 542, 
in-8°  ^  » 


1 .  Histoire  des  négociations  pour  la  paix  conclue  à  Belgrade  le 
28   septembre  i7t,<),  par  l'abbé    Laugier.    Paris,   veuve    Duchesne, 

2    vol.    ill-T2. 

2.  Christophe  Richer,  secrétaire  du  cardinal  Du  Prat,  avait  été, 
par  François  I'"",  chargé  d'une  mission  à  Constantinople.  Il  fut 
ensuite  envoyé  en  Suède  et  en  Danemark.  Camuzat  a  publié  le 
texte  de  ses  instructions, du  traité  qu'il  conclut,  et  quelques-unes 
de  ses  dépêches.  Richer  mourut  le  24  mars  1552,  à  l'âge  de  trente- 
neuf  ans. 


vm  A\\\r  PROPOS. 

((  Le  (liscoiii's  du  voy:i[(c  de  (](jiistaiiiinobIc, 
envoyé  diidict  lieu  ;i  une  demoyselle  fraucoisc  à 
j^yuii.  (liiez  l'ieire  de    1  om-s,   i  S42  '.» 

<(  Hrielve  descnpiioii  de  la  court  du  Cirant 
'l'urc  et  lin  sommaire  du  rè^ne  des  Ottmans,  avec 
un  abrej^é  de  leurs  lolles  superstitions,  ensemble 
l'origine  de  cinq  empires  yssuz  de  la  secte  de 
Meliemet  par  i\  Antoine  (jeullroy,  chevalier  de 
Tordre  de  S.  Jehan  de  Jérusalem.  Paris,  Chres- 
tien  W  echel^  M4^'  ''i-4'-  '> 

(i  Voyage  de  l^aris  en  Constantinople,  celuy  de 
Perse,  avec  le  camp  du  Grand  Turc,  de  Judée, 
Surie,  Egypte  et  de  la  Grèce,  etc.  j  fait  par  Noble 
homme  Jehan  Chesneau  et  par  luy  mis  et  rédigé 
par  escrit,  1547-1555  -.  » 

((  Le  discours  du  voyage  de  Venise  à  Con- 
stantinople, contenant  la  querele  du  Grand  Sei- 
gneur contre  le  Sophi  :  avec  élégante  descrip- 
tion de  plusieurs  lieus,  villes  et  citez  de  la 
Grèce  et  chose  admirable  en  icelle.  Par  maistre 


1.  L'auteur  de  cette  relation  en  vers  était  embarqué  à  bord  de 
l'escadre  commandée  par  .M.  de  Saint-Blaiicart  qui  se  rendit  dans 
les  mers  du  Levant  en  1537. 

2.  Jean  Chesneau  était  secrétaire  de  M.  d'.Aramon  qu'il  suivit 
en  Turquie.  Il  passa  en  ij^j  au  service  de  Renée  de  France, 
duchesse  de  Ferrare. 


AVANT-PROPOS.  ix 

Jacques   Gassot.   Paris,   Ant.    Leclerc,  1550*.  .. 

((  Les  navigations,  pérégrinations  et  voyages 
faicts  en  la  Turquie  par  Nicolas  de  Nicolay, 
Daulphinoys,  seigneur  d'Arfeville,  valet  de  cham- 
bre et  géographe  du  Roy.  Anvers,  Guillaume 
Sylvius,  imprimeiu'  du  Roy,  1576-.  » 

«  Apologie  faicte  par  un  serviteur  du  Roy 
contre  les  calomnies  des  Impériaulx  sur  la  des- 
cente du  Turc.  Paris,  Charles  Estienne,  impri- 
meur du  Roy,  i$$2,  in-4°.    »   ■   • 

H  Articles  accordez  par  le  Grand  Seigneur 
en  faveur  du  Roy  et  de  ses  subjets,  à  Messire 
Claude  du  Bourg,  chevalier,  seigneur  de  Gué- 
rine,  pour  la  liberté  et  seurté  du  traffiq,  commerce 
et  passage  es  pays  et  mers  de  Levant.  Lyon, 
François  Didier,  1^70,  in-4%  8  ff'\  d 

((  Histoire  des  Ottomans,  grands  seigneurs  de 
Turquie,  où  est  amplement  représentée  la  nais- 
sance de  leur  monarchie,  la  grandeiu*  de  leur  em- 
pire, etc.,  avec  un  indice  géographique  des  noms, 
par  T.  Pelletier.  Paris,  Marc  Orry,  1600,  in-8^  » 

1.  Ce  voyage  a  été  réimprimé  en  1606  par  Fr.  Jacquin. 

2.  N.  de  Nicolay  accompagnait  M.  d'Aranioii  en  1550  et  1551 
Dans  sa  préface,  il  donne  des  détails  sur  les  ambassadeurs  et  les 
savants  français  qui  ont  visité  la  Turquie  dans  la  première  moitié 
du  XVI*  siècle. 


X  AVANT- PROPOS. 

'(  Discoiifs  abrcgc  des  asscurcz  moyens  d'a- 
iicaniir  et  ruiner  la  monarchie  des  princes  Otto- 
mans, laict  par  le  sieur  de  I^rèvcs.  S.  1.  n.  d.  4", 
4H  p.  .. 

((  Articles  du  traité  fait  en  1604  entre  Henry 
le  (jrand  et  le  sultan  Amat,  cmperetir  des  Turcs, 
j)ar  l'entremise  de  messire  François  Savary, 
seigneur  de  Brèves,  conseiller  du  Hoi  en  ses 
conseils  d'État  et  privé.  » 

«  Capitulation  accordée  par  Amat,  empereur 
des  Turcs,  aux  princes  et  potentats  d'Allemagne, 
d'Italie,  Hollande  et  amis  de  l'Empereur  de 
France.  Paris,  s.  d.  4  feuillets.  » 

«  Discours  sur  l'alliance  qu'a  le  Roy  avec  le 
Grand  Seigneur  et  de  l'utilité  qu'elle  apporte  à 
la  chrestienté.  S.  1.  1605,  in-4%  22  pages.  » 

«  Relation  des  voyages  de  M.  de  Brèves,  tant 
en  Grèce,  en  Terre  Sainte  et  Egypte,  etc.; 
ensemble  un  traicté  faict  l'an  1604,  entre  le  Roy 
Henri  le  Grand  et  l'empereur  des  Turcs,  le  tout 
recueilli  par  J.  D.  C.  (.Jacques  Du  Castel).  Paris, 
Gasse,  1628,  2  parties,  in-4'\  » 

«  Discours  parénétique  sur  les  chosesturques, 
divisé  en  trois  livres,  où  est  proposé  s'il  est 
expédient  et  utile  à  la  République  chrestienne 


AVANT-PROPOS.  xi 

de  prendre  les  armes  par  communes  forces  et 
les  porter  jusqu'en  Grèce  et  Thrace  contre  ce 
juré  et  pernicieux  ennemi;  par  J.  A.  D.  G.  B.  (de 
Ghavigny.)  Lyon,  Pierre  Rigaud,  1606,  in-8^  » 

«  Advis  et  relation  de  Turquie  envoyée  au  Roy 
par  M.  de  Salig-nac,  de  toiu  ce  qui  s'est  passé  en 
cet  empire  depuis  Tavénement  de  l'empereur 
Amat.  Paris,  Pierre  Ménier,  1608,  in-4''.  » 

«  Lettre  de  sultan  Osseman,  empereiu*  des 
Turcs,  au  Roy,  traduict  du  tiu'C  en  François  sur 
l'original.  Paris,  Nicolas  Rousset,  16 18,  in-4''.  » 

«  Lettre  d'un  des  secrétaires  de  M.  le  comte 
de  Césy,  ambassadeur  pour  le  Roy  en  Levant, 
sur  Testât  présent  des  affaires  de  Turquie  et  le 
grand  embrazement  arrivé  à  Gonstantinople  en 
1628.  Paris,  Adrien Toupinart,  1628,  petit  in-4".  » 

u  Alliances  du  Roy  avec  le  Turc  et  autres  :  jus- 
tifiées contre  les  calomnies  des  Espagnols  et  de 
leurs  partisans,  par  G.  Le  Guay.  Paris,  Toussainct 
Du  Bray,  1625.  » 

«  Les  capitulations  renouvelées  entre 
Louis  XIV,  Empereur  de  France,  et  Mehe- 
met  IV,  Empereur  des  Turcs,  par  l'entremise 
de  M.  Gharles  Olier,  marquis  de  Nointel,  con- 
seiller  du    Roy   en  tous  ses   conseils   et  en  sa 


XII  AVANT- PROPOS. 

cour  (le  l*;irlcincni  de  Paris  et  son  ambassadeur 
en  Levant.   Paris,  l'\  Léonard,  in-4".  d 

'I  Rcmcrcîment  lait  au  Roi  au  sujet  de  la  resti- 
tution des  saints  lieux  de  la  Terre  Sainte  que  Sa 
Majesté  a  procurée  aux  Religieux  de  l'ordre  de 
Saint-François,  présenté  à  Sa  Majesté  par  les 
gardiens  de  la  Terre  Sainte.  Paris,  1691,  in-12.  » 

((  Histoire  des  grands  vizirs  Mahomet  Coprogli 
pacha  et  Achmet  Coprogli  pacha;  celle  des 
trois  derniers  Grands  Seigneurs,  de  leurs  sultanes 
et  principales  favorites,  etc.  (par  de  Chassepol)  ; 
Amsterdam,  Abraham  Wolfgank,  1676,  in-12.  » 

((  Mémoires  du  sieur  de  la  Croix,  cy  devant 
secrétaire  de  l'ambassade  de  Constantinople, 
contenans  diverses  relations  très-curieuses  de 
TEmpire  othoman.  Paris,  Claude  Barbin,  1684. 
2  vol.  in-12.  » 

((  Journal  de  Galland  en  l'année  1673  (publié 
dans  le  12''  volume  de  la  licnic  rétrospective, 
2« série).  Paris,  1837.  » 

«  Les  mémoires  du  chevalier  d'Arvieux, 
envoyé  extraordinaire  du  Roi  à  la  Porte,  consul 
d'Alep,  d'Alger,  de  Tripoli  et  autres  échelles 
du  Levant,  etc.,  pubHés  par  le  P.  Labat.  Paris, 
1735,  6  vol.  in-12.  » 


AVANT-PROPOS.  xill 


((  Ambassades  de  M.  le  comte  de  Guilleragues 
et  de  M.  de  Girardin  auprès  du  Grand  Seigneur, 
avec  plusieurs  pièces  curieuses,  tirées  des  mé- 
moires de  tous  les  ambassadeurs  à  la  Porte,  qui 
font  connoistre  les  advantages  que  la  religion  et 
tous  les  princes  de  l'Europe  ont  tirés  des  alliances 
faites  par  les  François  avec  Sa  Hautesse.  Paris, 
G.  de  Luines,  i687,in-8'\  » 

<(  Substance  d'une  lettre  écrite  par  un  officier 
du  Grand  Vizir  à  un  Pacha,  touchant  l'expédition 
de  M.  du  Quesne  à  Chio  et  la  négotiation  de 
M.  de  Guilleragues  avec  la  Porte.  A  Ville- 
Franche,  Pierre  Marteau,  1683.  » 

«  Nouveau  voyage  du  Levant  parle  sieur D.  M. 
(Du  Mont),  etc.,  où  l'on  voit  aussi  les  brigues 
secrètes  de  M.  de  Chateauneuf,  ambassadeur  de 
France  à  la  Cour  ottomane.  La  Haye,  Etienne 
Foulque,  1694,  in- 12.  » 

«  Voyage  de  M.  Du  Mont  en  France,  en  Itahe, 
en  Allemagne,  à  Malthe  et  en  Turquie.  La  Haye, 
1699,  4  vol.  in-i2.  ') 

<(  Relation  d'un  voyage  du  Levant  fait  par  ordre 
du  Roy,  contenant  l'histoire  ancienne  et  moderne 
de  plusieurs  isles  de  l'Archipel,  de  Constanti- 
nople,  etc.,  par  M.  Pitton  de  Tournefort,  con- 


XIV  AVANT-FHOPOS. 

scillcr  du   Uoy.  Paris,  liiiprimcric  Koyalc,  171  7, 
2  vol.  in-4".  » 

Enfin,  pour  clore  cette  liste,  je  citerai  pour  le 
lecteur  qui  voudrait  avoir  quelques  détails  sur 
le  commerce  de  la  France  dans  le  Levant  au 
xv!!!"^  siècle,  Touvrage  de  Flachat  qui  a  pour 
titre  : 

((  Observations  sur  le  commerce  et  sur  les  arts 
d'une  partie  de  l'Europe,  de  l'Asie,  de  l'Afrique 
et  même  des  Indes  orientales,  par  Jean  Claude 
Flachat,  directeur  des  établissements  Levan- 
tins et  de  la  manufactiu*e  royale  de  Saint-Cha- 
mond,  etc.  Lyon,  1766,  2  vol.  in-12.  » 

C.  S. 


MÉMOIRE 

SUR    l'ambassade 

DE   FRANCE 

EN     TURQUIE 


L'ambassade  de  France  à  la  Porte  Otto- 
mane réunit,  pour  celui  qui  en  est  charg-é,  au 
travail  de  la  politique ,  le  devoir  d'une  vigilance 
éclairée  sur  le  commerce  et  la  navigation  des 
sujets  du  Roi  au  Levant,  et  le  soin  d'y  protéger 
les  missionnaires,  autant  que  cela  se  peut  sans 
se  compromettre;  cette  midtitude  d'objets  d'oc- 
cupation dont  le  marquis  de  Bonac,  qui  a  rem- 
pli cette  place  depuis  1716  jusqu'en  1724,  ne 
négligeait  aucun,  ne  l'a  pas  empêché  de  com- 
poser sur  les  temps  antérieurs  à  sa  mission, 
im  ouvrage  ayant  pour  titre  :  Mémoire  pour 
scri'ir  à  dresser  une  histoire  de  l'Ambassade  et 
des  Ambassadeurs  de  hl\7uee ,  auprès  des  G)-aiids 
Seii>-}ieu)'s. 

On  peut  dire  à  la  vérité,   que  M.   de   Bonac 


2  MF.  MOIIU: 

ainsi  {|ii'il  raiiiioncc  liii-iiiùmc,  n'a  (jiic  désigne 
la  tai"rici-c  •  sa  diligence  à  faire,  a\aru  son  départ 
lie  l 'rancc,  des  recherches  à  la  BibHothèque  du 
Koi  n'avait  pas  été  rructiieuse  :  le  Dépôt  des 
Affaires  Étrang-ères  n'existait  point  encore  en 
ce  temps,  et  les  Archives  de  Constantinople, 
incendiées  soixante  ans  auparavant,  ne  conte- 
naient depuis  cette  époque  aucune  suite  de 
documents;  quelques  pièces  détachées  en  fai- 
saient tout  le  fond.  Aussi  les  transactions  poli- 
tiques des  premiers  temps  des  liaisons  de  la 
France  avec  l'empire  ottoman  n'ont-elles  pas 
été  bien  connues  à  M.  de  Bonac  ;  il  n'a  même 
su  qu'imparfaitement  les  noms  de  ses  prédé- 
cesseurs d'après  une  liste  fautive  qu'il  a  trouvée 
à  la  Bibliothèque  du  Roi.  L'essai  de  cet  ambas- 
sadeiu*  ne  contient  jusqu'au  commencement  du 
règne  de  Louis  XIII  que  cette  même  liste  :  il  y 
a  joint,  à  compter  de  cette  dernière  époque, 
quelques  anecdotes  sur  les  subséquents  ambas- 
sadeurs, qu'il  avait  recueillies  çà  et  là.  Sentant 
bien  ce  qui  manquait  à  son  ouvrage,  M.  de 
Bonac  se  proposait,  à  son  retour  en  France, 
de  faire  de  nouvelles  recherches  propres  à 
l'enrichir  ;  mais  s'il  s'en  est  effectivement 
occupé  ,  leur  résultat  n'est  pas  venu  jusqu'à 
nous. 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  3 

On  a  quelque  droit  de  s'étonner  que  cet 
ambassadeur,  qui  s'est  plaint  avec  raison  de  la 
négligence  de  ses  prédécesseurs  à  déposer  aux 
archives  du  palais  de  F'rance  la  correspondance 
de  leur  mission,  ait  lui-même  omis  d'y  laisser  la 
sienne  ;  il  est  vrai  qu'il  a  enrichi  ce  dépôt  de 
différents  mémoires  qu'il  a  composés  sur  les 
affaires  et  événements  de  son  temps ,  et  on  y 
trouve  plus  d'instructions  sur  l'ambassade  de 
Constantinople  que  dans  tout  le  reste  de  la 
collection  faite  jusqu'à  lui  ;  ce  n'est  qu'à  l'an- 
née 1747,  date  de  l'arrivée  de  M.  le  comte 
Desalleurs  qu'elle  commence  à  être  complète. 
Il  mourut  dans  son  ambassade  où  ses  papiers 
sont  restés,  et  les  comtes  de  Vergennes  et  de 
Saint -Priest,  qui  sont  venus  après  lui,  ont 
déposé  l'un  et  l'autre  leurs  minutes  dans  les 
archives. 

Ce  dernier  a  pris  de  la  lecture  de  M.  de 
Bonac,  l'idée  de  suivre  les  plans  de  cet  ambas- 
sadeur et  d'y  donner  l'étendue  qu'il  s'était  pro- 
posée. Le  comte  de  Saint-Priest,  dans  un  voyage 
qu'il  a  fait  en  France,  par  congé  en  1777,  s'est 
conséquemment  occupé  à  rassembler  des  maté- 
riaux; il  a  trouvé  à  la  Bibliothèque  du  Roi  des 
documents  échappés  à  M.  de  Bonac,  et  notam- 
ment un  journal  de  l'anibassadc  à  Clonstaïuinopie 


4  Mr.MOIRK. 

du  S'  cry\rani()ii,  aiicjucl  clniciit  jointes  les  copies 
(les  tfois  plus  niuieiis  (r;iités  de  l:i  I  rance  avec 
la  l\)i-(e,  et  dont  la  trace  était  perdue:  la  bil)li(j- 
thèquc  de  la  maison  de  Noailles  a  fourni  un  inté- 
ressant extrait  des  nég'ociations  de  François  et 
de  Gilles  de  Noailles  à  la  Porte,  par  l'abbé  de 
Vertot,  ainsi  que  leurs  correspondances  particu- 
lières; enfin  M.  de  Semonin,  charg;é  du  dépôt 
des  Affaires  Etrangères  établi  pendant  la  minorité 
de  Louis  XV  et  confié  constamment  en  d'habiles 
et  vigilantes  mains,  a  procuré  au  comte  de 
Saint-Priest  un  grand  nombre  de  pièces  an- 
ciennes et  intéressantes  qui  y  ont  été  suc- 
cessivement réunies.  Le  catalogue  en  est 
déposé  dans  les  Archives  de  Constantinople. 
Cet  ambassadeur  s'est  aussi  prévalu  des  ouvrages, 
tant  imprimés  que  manuscrits,  propres  à  son 
sujet;  il  ne  s'astreindra  pas  à  en  alléguer  les 
autorités  à  chaque  occasion,  afin  d'éviter  l'ennui 
de  ces  citations  fréquentes  ;  ses  successeurs 
auxquels  son  mémoire  est  destiné,  aiu'ont  sous 
les  yeux  les  sources  où  il  aura  puisé  et  n'en 
pourront  révoquer  en  doute  l'existence. 

Pour  traiter  l'histoire  de  l'ambassade  et  des 
ambassadeurs  de  France  à  la  Porte,  il  a  paru 
convenable  d'en  diviser  les  objets.  Un  mélange 
d'anecdotes,  particulières  à  ces  ministres,  ne  pou- 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  5 

vant  être  amalg-amé  heureusement  avec  le  cours 
politique  des  affaires  qu'ils  ont  eu  à  traiter,  ni 
cette  dernière  partie  s'unir  à  ce  qui  concerne 
le  commerce  et  la  navigation  de  la  France  au 
Levant,  ainsi  qu'atix  progrès  de  la  religion  catho- 
lique, à  laquelle  nos  Rois  ont  toujours  recom- 
mandé à  leiu-s  ambassadeurs  une  attention  spé- 
ciale ;  le  comte  de  Saint-Priest  a  jugé  à  propos 
de  former  son  ouvrage  en  cinq  parties  :  La  pre- 
mière sur  la  politique  de  la  France  à  la  Porte, 
objet  auquel  est  lié  nécessairement  le  précis 
historique  des  affaires  de  Turquie,  depuis  le 
commencement  du  xvi"  siècle  jusqu'à  la  guerre 
de  1768,  et  qui  doit  être  précédé  par  tme  expo- 
sition succincte  du  commencement  et  des  progrès 
de  la  monarchie  ottomane ,  la  seconde  sera 
purement  anecdotique  sur  les  ambassadeurs  de 
la  France  en  Turquie  depuis  qu'il  y  en  a  eu  de 
permanents  ;  la  troisième  rassemblera  quelques 
notions  sur  le  commerce  ancien  du  Levant  et 
s'étendra  sur  celui  que  les  Français  y  font 
atijourd'hui  ;  la  quatrième  présentera  l'état  de 
la  religion  catholique  en  Turquie  relativement  à 
l'influence  que  les  ambassadeurs  de  France  peu- 
vent y  avoir;  la  cinquième,  enfin,  en  résimiant 
toutes  les  autres,  rendra  compte  de  l'ambassade 
du  comte  de  Saint-Priest  dans  toutes  ses  parties 


6       .MF.MOIKK   SUR    1   A  M  H  A  S  S  A  D  1 .   1)1,    Il  HOLIt. 

Cl  odVira  les  poiiiis  de  vue  sous  Icscjucls  il  pense 
cjiie  cx's  (lifréreiits  objets  (loi\eni  être  sui\is  à 
1  époque  où  il  écrit;  c'est  le  résultat  de  ses 
observations  pendant  une  mission  de  seize 
années,  de  1 76H  à    i7i>4- 


INTRODUCTION. 


La  nation  turque  est   sans  contredit  celle  de 
toute  l'Europe  dont  l'histoire  a  été  écrite  avec  le 
plus   d'ignorance   et   d'inattention.    Les   auteurs 
chrétiens  qui  l'ont  traitée  n'ont  pas  puisé  dans 
les  vraies  sources  et  s'en  sont  tenus  à  rassembler 
des  fragments  d'historiens  des  nations  voismes, 
ainsi  que  des  rapports  des  voyageurs  ordinaire- 
ment crédides  ou  trompeurs  et  que  l'ignorance 
de  la  langue  et  des  usages  locaux  a  mis  hors  de 
portée  d'être  informés  avec  exactitude.    U  faiu 
encore    convenir    que    les    historiens    de    cette 
nation  n'offrent  au  lecteur  rien  de  bien  satisfai- 
sant. Le  comte  de  Saint-Priest  a  vu  une  grande 
partie  des  règnes  des  princes  ottomans  traduits 
des  auteurs  turcs  les  plus  estimés  par  M.  Mou- 
radgea,  premier  interprète  de  Suède,  et  l'homme 
le    plus   instruit   à    cet    égard    qui    ait   peut-être 
existé;  on  n'y  voit  guère  que  des  récits  sans  cri- 


8  M  INKJlin 

tique,  tli;ir^cs  (riiivr;iiscmblancc.s  et  dictés  par  le 
(aïKitisnie  reli^neiix  et  Tor^aieil  national.  Le 
chanij)  (le  l'histoire  tiirc|iie  est  ouvert  :  si  lO/i  y 
a  ^lané,  nul  n'y  a  moissonné  juscju'à  présent. 
Deux  auteurs  grecs,  à  portée  d'être  plus  éclai- 
rés et  mieux  informés,  ont  aussi  tenté  cette  car- 
rière :  le  premier  est  Chalcondile,  traduit  en 
langue  française.  11  a  conduit  son  histoire  jus- 
qu'à la  conquête  de  la  Morée  par  Méhémet  II, 
en  1462;  mais  il  y  a  porté  les  mêmes  préjugés 
que  les  écrivains  turcs,  et  d'ailleurs,  les  faits  y 
sont  placés  avec  peu  d'exactitude.  Démétrius 
Cantemir  a  écrit  au  commencement  de  ce  siècle 
une  prétendue  Histoire  ottomane  qui  n'offre  au 
vrai  qtie  des  annales  très-sèches  et  remplies 
d'erreurs  ;  ses  notes  présentent  quelquefois  des 
faits  intéressants,  mais  tout  l'ouvrage  montre 
dans  l'auteur  un  fond  d'attachement  stupide  pour 
les  Turcs,  ses  anciens  maîtres,  dont  il  regrettait 
le  joug  et  le  pays;  il  fait  remonter  à  Gengiz- 
Khan  l'origine  de  la  famille  Ottomane  et  la  lie 
dans  sa  tige  avec  la  maison  tartare  de  Gueray, 
réellement  issue  de  ce  conquérant;  c'est  une 
fausseté  que  les  auteurs  turcs  eux-mêmes  ne  se 
sont  pas  permise  ;  le  Muphti  Saad-Kddin  Effendy, 
qui  vivait  à  la  fin  du  xvi''  siècle,  sous  le  règne  du 
sultan    Méhémet    111.   ne   rejuonte   qu'à  Soliman 


SUR    L'AMBASSADE    DR   TURQUIE.  9 

Chah,  grand-père  d'Osman,  que  les  Turcs 
comptent  pour  leur  premier  empereur;  ce  Soli- 
man était  chef  d'une  horde  nomade  de  Turco- 
mans,  nation  errante  entre  la  mer  Caspienne  et 
l'Euphrate;  il  se  noya  dans  ce  fleuve;  son  fils 
Ertog-rul  s'attacha  au  service  d'Ala-Eddin,  Sultan 
d'Iconium,  aujourd'hui  Co.nia,  ville  de  Natolie, 
lequel  établit  Ertogrul  auprès  d'Angora  ;  à  sa 
mort  Osman,  son  fils,  le  remplaça;  mais  Ala-Eddin 
étant  décédé  sans  postérité,  ses  États  se  démem- 
brèrent et  il  s'en  forma  plusieurs  indépendants 
les  tins  des  autres  ;  Osman  demeiu-a  maître  du 
district  qu'il  g-ouvernait  auparavant  et  ne  tarda 
pas  à  l'ag-randir  par  des  conquêtes.  On  place  à 
Tan  1300  de  Jéstis-Christ,  et  environ  700  de 
l'hégire,  le  commencement  du  règne  d'Osman. 
C'est  surtout  aux  dépens  des  Grecs  que  ce  prince 
accrut  son  Etat,  leiu-  empire  n'avait  pu  se  re- 
mettre de  la  division  des  forces  qu'avait  opérée 
la  courte  domination  des  Latins  à  Constantinople, 
quoique  finie  depuis  quarante  ans.  Osman,  de- 
venu trop  vieux  pour  faire  la  g"uerre  en  per- 
sonne, fit  assiég-er  Brousse  par  son  fils  Orchan, 
qticChalcondile  prétend  avoir  supplanté  les  aînés, 
ce  dont  Saad-Eddin  ne  fait  aucune  mention. 
(]e  prince  prit  la  ville  au  moment  de  la  mort  de 
son  père  qui  y  fut   inhumé.    1/abbé   de   Vertot. 


lo  MIM(Jll{|. 

(Intis  son  Histoire  de  Malle,  jîlacc  au  rc^oc  d  (  )^- 
j7Km  ,  un  premier  sié^c  de  Kliodes  par  les  Turcs 
et  fait  |)erdre  à  son  (ils  ()rchaii  une  bataille 
navale,  (juoic|ue,  au  dire  des  auteurs  nuisulnians, 
l'un  et  Tautix'  n  aient  jamais  eu  ni  g"alères  ni 
vaisseaux. 

On  ne  peut  en  avoir  une  meilleure  preuve  que 
l'usage  que  ce  dernier  (It  de  quelques  radeaux 
pour  traverser  i'Hellespont,  lorsqu'il  surprit  (jal- 
lipoli  et  s'en  empara;  ce  fut  le  premier  pas  des 
Ottomans  en  Etirope  où  ils  acquirent  ensuite  un 
État  si  considérable. 

C'est  à  l'institution  des  Janissaires  (en  turc 
Jéni  Ic/icj-y,  ce  qui  signifie  :  nouveau  soldat),  que 
ce  Sultan  dut  principalement  ses  conquêtes.  Ce 
génie  guerrier  reconnut  le  manque  absolu  de 
tactique  et  de  discipline  militaire  dans  la  manière 
de  faire  la  guerre  usitée  par  les  Turkomans, 
ses  ancêtres,  qui  ne  savaient,  ainsi  que  les  Scythes, 
combattre  qu'à  cheval;  il  jugea  que  cet  antique 
usage  serait  trop  difficile  à  changer  dans  sa 
nation  et  imagina  en  1329  de  former  une  milice 
nouvelle  des  captifs  chrétiens  faits  à  la  guerre  et 
devenus  musulmans,  laquelle  serait  toujours  re- 
crutée de  la  même  manière,  ou  du  moins,  par 
des  enfants  de  tributs  que  ces  sujets  chrétiens 
seraient  obligés  de   fournir.    Les  Janissaires  ne 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  ii 

connaissaient  ainsi  de  patrie  et  de  famille  que  leur 
corps  ;  ils  y  étaient  attachés  toute  leur  vie  et  ne 
pouvaient  se  marier  ni  entrer  dans  aucune  classe 
de  citoyens.  Il  serait  difficile  de  trouver  im  régime 
plus  parfait  poiiF  créer  une  milice  valeureuse. 

Le  nombre  des  Janissaires  fut  d'abord  peu 
considérable  :  le  Sultan  Méhémet  II  le  porta 
à  12,000  hommes,  et  il  était  encore  tel  sous 
le  règne  de  son  arrière -petit-fils ,  le  grand 
Soliman;  ses  successeurs  en  augmentèrent  le 
nombre,  et  ne  pouvant  plus,  sans  exercer  sur 
leurs  sujets  chrétiens  ime  tyrannie  qui  les  aurait 
portés  à  la  révolte ,  en  exiger  d'enfants  pour  les 
recrues,  ils  se  déterminèrent,  vers  la  fin  du 
XVI''  siècle,  à  y  admettre  des  musulmans  natifs. 
La  discipline  dès  lors  déclina,  et  cette  milice 
fameuse  est  de  nos  jours  devenue  la  plus  mépri- 
sable de  l'Europe.  Ce  qui  mérite  d'être  observé, 
est  que  la  plupart  des  grands  empires  qui  se 
sont  formés,  ont  dii  leiu's  progrès  à  ime  institu- 
tion militaire  inconnue  chez  leiu'S  voisins  :  c'est 
ainsi  que  Cyrus  triompha  des  Assyriens  par 
Feffet  de  l'éducation  guerrière  des  Perses  ;  que 
la  phalange  macédonienne  vainquit  ces  derniers 
et  fut  elle-même  vaincue  par  les  légions  romaines  : 
de  semblables  causes  produisent  dans  tous  les 
temps  à  peu  près  les  mêmes  effets. 


12  MI.MOIKJ. 

.\imii;it  I  ,  lils  et  successeur  (!"(  )rclian,  liérita 
d'im  \a:\{  (léj;i  loi-nié.  Nicéc  et  Nicomédie  avaient 
suIji  le  joii^'  ottoman ,  et  les  (jrecs  n'avaient 
pres(|iie  plus  rien  en  Asie.  I  ,e  nouveau  Sultan  s'y 
arroiuht  encore  aux  (lé|)ens  de  cjuelc|ues  princes 
musulmans,  ses  voisins,  et  bientôt  d  sontrea  à 
étendre  son  empire  en  Europe.  Les  faibles  empe- 
reurs yrecs  se  virent  cernés  de  tous  cùtés.  De 
Gallipoli ,  Amurat  marcha  de  proche  en  proche 
à  la  conquête  d'Héraclée,  Kodosto,  Andrinople 
et  Philippopolis;  il  poussa  ses  conquêtes  en  Ma- 
cédoine, dans  l'Albanie  et  jusqu'en  Servie,  où  il 
trouva  le  terme  de  ses  victoires  en  13B9.  Ce 
Sultan  après  avoir  gagné  une  bataille  contre  le 
souverain  de  ce  pays,  qu'il  ût  prisonnier,  fur 
assassiné  par  un  des  sujets  de  ce  prince. 

Bajazet,  fils  et  successeur  d'Amurat,  acquit  le 
surnom  d'Ildirim ,  à  cause  de  la  rapidité  de  ses 
conquêtes.  Ce  barbare  commença  son  règne  par 
faire  étrangler  son  frère  Jacoub.  C'est  le  pre- 
mier fratricide  dans  la  dynastie  ottomane  qui 
en  a.  tant  produit  depuis.  Orchan  avait  non- 
seulement  ménagé  le  sang  fraternel ,  mais  encore 
il  créa  pour  son  frère  la  place  de  grand  visir 
qui  a  toujours  subsisté  depuis.  La  férocité 
s'accroît  dans  les  nations  guerrières  avec  leur 
puissance;  elle  n'est  pas  le  partage  des  peuples 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  15 

simples  dans  leur  énergie  et  que  l'avidité  n'a  pas 
encore  corrompus.  Bajazet  est  le  premier  empe- 
reur ottoman  qui  ait  eu  des  rapports  avec  les 
souverams  de  l'Europe.  Sigismond  de  Luxem- 
bourg-, roi  de  Hongrie  par  sa  femme  Marie 
d'Anjou,  alarmé  des  progrès  des  Turcs  vers  le 
Danube,  eut  recours  aux  princes  chrétiens  pour 
en  obtenir  des  secours  et  arrêter  ces  conqué- 
rants. Charles  VI  régnait  alors  en  France  5  mal- 
gré les  dissensions  intestines  qui  agitaient  ce 
royaume,  l'esprit  des  croisades,  non  encore 
éteint,  s'y  ralluma  à  cette  occasion;  le  conné- 
table partit  avec  six  mille  hommes  pour  renfor- 
cer le  roi  de  Hongrie  pendant  la  campagne 
de  139),  mais  Bajazet,  occupé  d'un  autre  côté, 
ne  s'étant  point  montré,  Sigismond  n'osa  s'avan- 
cer en  pays  ennemi.  L'année  suivante,  Jean , 
comte  de  Nevers,  fils  aîné  du  duc  de  Bourgogne, 
prit  le  commandement  du  corps  auxiliaire  fran- 
çais et  fut  suivi  par  un  grand  nombre  de  guer- 
riers distingués  :  on  y  comptait  le  connétable,  le 
maréchal  de  Boucicaut,  l'amiral  Jean  de  Vienne, 
les  sires  de  Couci ,  de  Bar,  de  La  Trémoïlle  et 
mille  chevaliers.  Le  comte  de  Nevers,  qui  fai- 
sait ses  premières  armes,  avait  la  confiance  ci 
la  témérité  qu'inspirent  trop  souveiu  la  jeunesse 
et    l'inexpérience;    il    taxait    d'infamie   |)our    les 


,4  M  f.  MO  lin. 

armes  chrciicuiics  l'iiKHlion  tic  la  [îréccdcnic 
campag'nc,  ci  il  se  promit  bien  de  la  réparer. 
L'armée  hongroise  assiégea  Nieopolis  sans  se 
concerter  avec  Sigismond.  Ncvers  animé  par  un 
léger  avantage  qu'avait  remporté  sur  les  'Jures 
le  sire  de  Couci  à  la  tète  d'un  détachement, 
marcha  avec  le  corps  français  contre  Bajazet 
dont  Tannée  était  de  cent  mille  hommes.  Le  Sul- 
tan prit  avantage  du  nombre  pour  envelopper 
les  Français  et  parvint  après  une  assez  grande 
résistance  à  les  défaire;  les  Hongrois  ne  tinrent 
pas  si  longtemps;  trois  cents  chevaliers  français, 
prisonniers  échappés  au  carnage,  furent  mis  à 
mort  en  vengeance  de  la  même  cruauté  exercée 
peu  avant  par  le  sire  de  Couci.  Les  comtes  de 
Nevers,  de  La  Trémoïlle,  de  Bar,  Boucicaut  et 
le  connétable  furent  épargnés  dans  f  espoir  d'en 
tii-er  une  grosse  rançon;  celle  de  Nevers  fut  de 
cent  mille  ducats  :  c'est  à  ce  haut  prix  que  fut 
racheté  un  prince  qui  mit  ensuite  la  Lrance  à 
deux  doigts  de  sa  ruine. 

Charles  VI  envoya,  à  l'occasion  de  ces  pri- 
sonniers, le  sire  de  Château-Morand  en  ambas- 
sade au  Sultan  avec  des  présents  qui  consistaient 
en  une  tapisserie  de  Flandre  et  quelques  toiles 
de  Rheims  ;  on  était  bien  loin  alors  de  supposer 
qu'il  put   un   jour  exister  des  relations  de  poli- 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  15 

tique   et   de   commerce    entre    les    deux    États. 

L'abbé  de  Vertot,  dans  son  Histoire  de  Malte, 
rapporte  la  disposition  des  deux  armées  sur 
laquelle  les  écrivains  turcs  ne  donnent  aucune 
lumière  ;  il  fait  faire  par  Bajazet,  après  la  bataille, 
une  réprimande  au  comte  de  Nevers  sur  sa  folle 
témérité  :  probablement  elle  est  de  l'invention  de 
cet  écrivain.  Bajazet  n'aurait  pu  être  entendu 
du  jeime  prince  que  par  interprète,  et  il  n'est 
guère  vraisemblable  qu'il  eiit  voidu  prendre  la 
peine  de  lui  donner  cette  leçon.  Selon  Vertot, 
Sigismond  et  le  Grand-Maître  de  Rhodes  s'enfui- 
rent à  Constantinople  par  le  Danube  et  la  mer 
Noire  siu-  une  galère  qui  avait  conduit  ce  dernier 
à  Nicopolis.  Chalcondile  ne  fait  mention  à  cet 
égard  que  de  Sigismond.  L'historien  Turc  Saad- 
Eddin  ne  dit  rien  des  Français,  il  parle  seidement 
d'une  bataille  gagnée  siu-  le  roi  de  Hongrie  par 
Bajazet  qui  coiu*ut  grand  risque  dans  la  mêlée. 

Cet  événement  ayant  des  rapports  à  la 
France,  on  s'est  permis  d'en  parler  avec  plus 
de  détails  qu'im  précis  aussi  abrégé  ne  semblait 
le  comporter.  On  ajoutera  encore  que  (]hà- 
teau-Morand  retournant  en  France  avec  Bouci- 
caut,  qu'il  avait  racheté,  prit  son  chemin  par 
Constantinople.  L'un  et  l'autre  y  furent  bien 
accueillis    par  l'empereur    Manuel    Paléologue  ; 


,6  MIM(JIHI. 

ce  premier,  mciKii'j  |);ir  liaJM/ci  ,  rcdciiKiiida  les 
deux  ^aicrricrs  à  (lh;irlcs  \  I,  r:iiincc  siiiv.'iiiic,  et 
ils  lui  anienèreiH  doii/e  cents  hommes;  mais 
Haja/.et  (|iii  se  vit  alors  menacé  par  Tamcrlan, 
s'accommoda  avec  renipereur  ^rec.  (lelui-ci 
profita  de  ce  ré|)it  pour  venir  en  personne  solli- 
citer les  secours  des  princes  chrétiens  et  il  arriva 
à  Paris  en  1400  avec  Boucicaiit  cpiil  ramena. 
(>harles  VI  fit  rendre  beaucoup  d'honneurs  à 
Manuel,  niais  il  ne  put  lui  accorder  aucun  ren- 
fort; quant  au  connétable  pris  avec  le  comte 
de  Nevers,  il  ne  revit  pas  sa  patrie.  Le  président 
Hénaut  place  la  mort  de  ce  guerrier  à  l'an- 
née 1397.  Une  pierre  sépulcrale  de  marbre  vert 
fut  trouvée  en  1636  au  faubourg  de  Galata  dans 
une  église  que  desservaient  alors  les  Francis- 
cains ;  elle  portait  l'épitaphe  d'un  connétable  de 
France,  comte  d'Artois,  mort  à  une  bataille  de 
Nich,  en  1384.  Malgré  les  méprises  de  plus  d'un 
genre  qui  se  trouvent  dans  cette  inscription,  on 
ne  peut  en  méconnaître  l'objet. 

Tamerlan,  qu'on  fait  naître  dans  la  Sogdiane^, 
s'était  formé  un  grand  Etat  en  envahissant  l'In- 
doustan ,  la  Perse ,  les  bords  du  Tigre  et  de 
l'Euphrate  ;  des  princes  musulmans,  dépouillés 
par  Bajazet,  eurent  recours  à  la  protection  de 
Tamerlan  qui  envoya  une  ambassade  à  ce  Sultan 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  17 

pour  lui  demander  de  les  rétablir  dans  leurs 
États.  Il  traita  cette  dépiitation  avec  le  plus 
grand  mépris,  et  Tamerlan  outragé  eut  recours 
à  la  voie  des  armes. 

L'auteiu*  de  la  nouvelle  Histoire  de  France 
cite  une  lettre  de  ce  prince  à  Charles  VI  pour 
lui  proposer  une  alliance  contre  Bajazet;  il  faut 
croire  que  l'idée  en  était  venue  à  l'empereur 
Manuel,  lequel  était  en  correspondance  avec  le 
prince  tartare;  la  réponse  du  Roi  n'arriva  qu'a- 
près la  mort  de  Tamerlan ,  qui  dans  l'intervalle 
défit  Bajazet  et  le  fit  prisonnier  à  une  bataille 
qui  se  donna  entre  eux  sous  les  murs  d'Angora, 
en  1401 .  Le  Sidtan  mourut  dans  les  fers  peu  avant 
son  vainqueur.  C'est,  selon  Cantemir,  le  pre- 
mier empereur  ottoman  qui  ait  eu  une  flotte.  Il 
mit  en  mer  trois  cents  bâtiments  qui  n'étaient 
probablement  que  des  galères.  La  défaite  et  la 
mort  de  Bajazet  Ildirim  ne  firent  que  suspendre 
.  les  progrès  de  la  monarchie  ottomane.  Tamer- 
lan, si  on  en  croit  les  historiens  turcs,  se  repro- 
cha d'avoir  abattu  dans  ce  Sidtaii  un  des  plus 
fermes  appuis  du  musidmanismc  ;  il  voulait  le 
rétablir  dans  ses  Etats  et  n'en  conserva  pas  la 
conquête. 

Les    quatre    (ils    de    Inajazet   se    disputèrent 
l'héritage    de    Iciu-   père  ;  trois  périrent   les    uns 


,8  MF.MOIRK 

après  les  aiiti'cs.  cl  Méhcinci  I".  le  |)liis  jciinc 
dcniciira  seul  possesseur  de  l'Ijupire:  te  (m 
l)eauc()up  pour  sa  ^Hoire  de  préparer  le  rè^Mie  de 
son  (ils  Anuirai  11,  eu  lui  iaissam  un  laai  réuni. 
Cl  en  paix  avec  ses  voisins.  Canteiiiir  traite  Anui- 
rat  de  prince  philosophe,  sans  dotite  parce  ([u'il 
descendit  du  trône  après  l'avoir  occupé  quelque 
temps  avec  gloire  5  mais  il  parait  que  cette  réso- 
lution était  plutôt  l'effet  d'ime  dévotion  outrée; 
est-il  philosophique  et  raisonnable  de  céder  le 
sceptre  d'une  monarchie  à  peine  formée,  fi  im 
cniant  de  quatorze  ans,  tel  qu'était  alors  Méhé- 
met,  son  fils?  On  vit  bientôt  l'effet  de  cette  im- 
prudence :  les  princes  voisins  criu'ent  devoir 
profiter  de  la  circonstance  et  formèrent  une  puis- 
sante ligue  dont  Ladislas  Jagellon,  Roi  de  Pologne 
ainsi  que  de  Hongrie,  fut  le  chef.  Il  marcha  à  la 
tète  d'une  puissante  armée  sur  le  Danidie.  A  cette 
nouvelle,  les  grands  officiers  et  les  corps  de  mi- 
lice de  l'empire  ottoman  redemandèrent  Amu- 
rat  retiré  à  Magnésie  ;  il  sortit  de  sa  retraite,  as- 
sembla ses  troupes  et  marcha  à  Ladislas  qui  fut 
vaincu  et  tué  à  la  bataille  de  Varna  en  1444. 
Cantemir  prétend  que  le  Sultan  victorieux  vou- 
lait de  nouveau  quitter  le  sceptre  et  qu'il  fut  forcé 
de  le  garder  par  le  vœu  de  ses  sujets;  mais 
Aaly-Effendi,  auteur  turc    très-estimé.  rapporte 


SUR    L'AMBASSADE    DF:    TURQUIE.  19 

que  le  grand  visir  Khalil-Pacha,  très-attaché  au 
vieux  Amurat,  eut  l'adresse  d'engager  le  jeune 
Méhémet  à  presser  son  père  de  demeurer  sur  le 
trône,  ce  qu'il  fits'attendant  à  un  refus.  Le  Sidtan 
d'accord  avec  son  ministre  parut  se  rendre  aux 
instances  de  son  fils  qui,  plein  d'un  dépit  qu'il 
fallut  étouffer,  alla  occuper  la  demeure  d'Amurat 
à  Magnésie.  C^était  et  ce  fut  longtemps  encore 
l'usage  des  Sultans,  de  donner  à  leiu-s  fils  des 
gouvernements  de  provinces;  ils  s'y  exerçaient  à 
l'administration  et  à  la  guerre  siu'  les  frontières; 
tous  les  grands  hommes  de  la  dynastie  otto- 
mane se  sont  formés  à  cette  école  et  depuis 
qu'elle  a  cessé,  nid  Sultan  n'a  plus  été  digne  du 
trône. 

Amurat  eut  à  combattre  deux  héros,  les  rem- 
parts de  la  chrétienté,  Huniade  et  Scanderbeg, 
qui  mirent  obstacle  à  ses  conquêtes.  C'est  ce  Sul- 
tan qui,  selon  la  tradition  ottomane,  épousa  la  fille 
d'un  Roi  de  France,  enlevée  sur  mer  par  des  cor- 
saires et  conduite  à  Constantinople  où  elle  devint 
mère  de  Méhémet  II.  Cette  fable  que  quelques 
auteiu's  ont  mis  sur  le  compte  de  Roxelane, 
femme  du  grand  Soliman,  est  absin-de,  aucune 
princesse  de  F'rance  n'étant  disparue  ni  à  l'une 
ni  à  l'autre  époque  :  les  Tiu-cs  n'en  croient  pas 
moins  le  fait  authentique,  et  on  voie  dans  les  dé- 


\1  I   M(n  H  K 


pcchcs  (le  M.  tic  (jirarditi  :i  l.ouis  Xl\  .  (jiic  le 
iiHipliti  (le  ce  reni|)s  le  doniKi  connue  consiuni 
à  cet  ambassndeiir:  le  ^rand  \i/ir  l-^niin-l\uha 
tint  le  même  langage  au  comte  de  Saint-Priest  à 
sa  première  audience. 

Méhémct  II,  que  les  Turcs  appellent  Fatih 
ou  le  (^oncfuérant,  succéda  à  son  père  en 
l'an  1451-  II  eut  le  bonhctir  et  la  gloire,  deux  ans 
après,  de  s'emparer  de  Constantinople  après  un 
siège  de  cinquante  jours,  l'ous  les  auteurs  par- 
lent d'un  prodige,  du  transport  de  la  flotte  du 
Bosphore  dans  le  port  de  la  ville,  par-dessus 
les  collines  qui  sont  entre  deux  ;  on  y  compte 
une  grande  lieue.  Mais  Ahmed-EfFendi,  écrivain 
tiu-c  de  réputation  ,  dit  que  le  Sidtan  bâtit  une 
flotte  sur  les  hauteurs  en  question  et  la  fît 
ensuite  glisser  dans  le  port,  dont  l'entrée  était 
fermée  par  une  chaîne  j  ce  récit  n'offre  rien  d'in- 
vraisemblable. 

Tous  les  petits  Etats,  formés  en  différents 
temps  des  démembrements  de  l'empire  grec, 
succombèrent  l'un  après  l'autre  sous  le  glaive 
du  vainqueur.  L'empire  de  Trébizonde  en  Asie, 
les  établissements  génois  en  Crimée,  la  Macé- 
doine, le  Péloponèse  et  l'Albanie  en  Europe, 
après  la  mort  de  Scanderbeg,  furent  conquis  et 
réimis  à  la  monarchie  ottomane.   Méhémet  dé- 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  21 

clara  ensuite  la  guerre  aux  Vénitiens  et  au  roi 
des  Deux-Siciles  ;  il  s'empara  d'Otrante,  regar- 
dant cette  place  comme  le  premier  pas  à  la 
conquête  de  l'Italie  qu'il  méditait;  enfin  il  ne  vit 
ses  progrès  arrêtés  qu'aux  siég"es  de  Belgrade  et 
de  Rhodes,  qu'il  ne  put  prendre.  La  première 
de  ces  places  fut  défendue  par  Huniade,  et  la 
seconde  par  le  grand  maître  d'Aubusson.  Le 
Sultan  survéctit  peu  à  ce  dernier  échec  et  mou- 
rut en  1481.  C'est  de  tous  les  princes  ottomans 
celui  qui  a  le  plus  agrandi  leiu'  empire.  On 
doit  observer  que  jusqifà  lui  le  trône  n'avait 
été  occupé  que  par  des  héros  guerriers. 

Bajazet  II,  fils  et  successeur  de  Méhémet  le 
Conquérant,  fut  le  premier  prince  faible  de  sa 
race.  Son  frère  Gem,  que  nos  historiens  appellent 
Zizim,  lui  disputa  le  sceptre  qu'il  était  plus  dig-ne 
de  porter;  mais  il  fut  vaincu  en  deux  batailles 
par  les  talents  supérieiu-s  du  vizir  de  Bajazet,  et 
fut  obligé  d'aller  chercher  un  asile  à  Rhodes  où 
le  grand  maître  d'Aubusson  le  reçut.  On  accuse 
ce  dernier  d'avoir  fait  un  accord  avec  le  Sultan, 
pour  détenir  son  frère,  par  l'appât  d'ime  forte 
pension;  ce  qui  donne  quelque  probabilité  à  hi 
chose,  est  que  Zizim  fut  peu  après  transféré  en 
France;  on  peut  aussi  attribuer  l'éloignement  de 
ce  précieux  gage  à  la  crainte  qu'eut  d'Aubusson, 


32  M  (    MOI  IM 

cr.imrcr  sur  son  ilc  les  ai'mcs  du  Siilt;in.  (hins 
l'objet  (le  se  rentli-e  iiiaiire  de  la  personne  du 
(  ii^iiil .  (ioniiiiines  i-apporie  (|iie  l>aja/et  eM\()va. 
eu  14?^,  utie  ambassade  a  i.ouis  Xi  avec  un  pvc- 
sent  de  reli(|ues  et  iOiîi-e  d'une  somme  considé- 
lable  pour  en^'-ag'er  ce  monarque  à  retenir  Zizim 
dans  ses  Ktats;  l'ambassadeur  turc  était  déjà  à 
Kié/  en  Provence,  lorsqu'il  reçut  l'ordre  de 
s'y  arrêter  et  de  s'en  retourner.  Louis,  alors 
mourant  et  toujouis  bi/arre  dans  sa  dévo- 
tion, se  fit,  dit  cet  écrivain,  un  scrupide 
d'entrer  en  correspondance  avec  l'ennemi  du 
nom  chrétien. 

Cette  ambassade  rapportée  par  le  seul  Com- 
mines,  paraît  être  la  première  que  les  empereurs 
ottomans  aient  envoyée  à  nos  rois.  La  politique 
qui  commençait  à  peine  alors  à  lier  les  intérêts 
des  princes  de  l'Europe,  ne  s'était  pas  étendue 
jusqu'à  la  Turquie. 

Madame  de  Beaujeu  ,  sœur  de  Charles  \'I11. 
fils  de  Lotus  XI,  et  régente  pendant  sa  minorité, 
ne  put  refuser  au  pape,  qu'elle  avait  besoin  de 
ménager,  l'extradition  de  Zizim,  qui  lut  .en  con- 
séquence, conduit  à  Rome.  La  venue  de  ce  prince 
ottoman  en  France,  qui  avait  frappé  l'esprit 
encore  enfant  de  Charles,  ne  contribua  peut-être 
pas  peu  dans  la  siute  au  projet  gigantesque  qif  il 


SLR    ['AMBASSADE    DK    TURQUIE.  21, 

forma  pour  la  conquête  de  Constantinople.  Il 
crut  s'y  donner  un  droit  légitime  en  transigeant, 
avec  André  Paléologue,  de  ses  droits  à  l'empire 
grec.  La  copie  de  cet  acte  passé  le  6  sep- 
tembre 1474,  est  au  dépôt  des  Affaires  étrangères. 
La  conquête  du  royaume  des  Deux-Siciles. 
comme  héritier  de  la  maison  d'Anjou,  devait 
être  le  premier  échelon  de  l'entreprise  de 
Charles  VllI.  «  Quand  vous  voudrez  me  croire, 
disait  à  ce  roi  Ludovic  Sforce,  selon  Commines, 
je  vous  aiderai  à  vous  faire  plus  grand  que  n'a 
été  Charlemagne,  et  lorsque  vous  aurez  le 
royaume  de  Naples ,  nous  chasserons  aisément 
les  Turcs  alors  de  cet  empire  de  Constantinople.  » 
Le  jeune  monarque  pour  rassurer  les  différents 
Etats  de  l'Italie ,  et  notamment  la  république  de 
Venise,  siu-  les  soupçons  et  les  craintes  que  son 
invasion  y  répandait,  faisait  déclarer  par  ses  am- 
bassadeurs qu'il  ne  voidait  posséder  le  royaume 
de  Naples  que  pour  s'en  servir  à  faire  la  guerre 
aux  Turcs;  au  reste,  Commines,  ce  ministre 
habile  et  judicieux,  regardait  la  conquête  de  la 
Turquie  européenne,  comme  très-facile.  Dans 
ses  Mcmoires ,  il  calcule  la  largeur  du  golfe 
Adriatique  entre  Oiraïuc  et  la  \'alone  à  vingt 
lieues;  et  de  cette  dernière  ville  à  Constanii- 
nople ,    il     compte     dix-huii     jours    de     marche. 


J4  M  I    MOI  i;  I 

;i)i  )iii.iiii  (|iu-  !(,•  |);i\s  ;i  ir:i\crscr  est  oiixcrt,  siiiis 
()I:kcs  (ortcs  et  peuplé  de  chrélieiis  a  la  dévotiod 
(In  Uoi,  lescpiels  n  atteiulaieiu  pour  se  ré\()iter 
cpie  rapparitioii  des  ir()iij)es  françaises.  C^om- 
miiies  se  trompait  assurément,  an  moins  (piant  a 
la  nature  du  pays  très-mont ueu\  et  j)ropre  a  la 
chicane:  il  ne  put  enf^ager  la  république  de 
\'enise  à  entrer  dans  le  plan,  elle  se  fit  même  un 
mérite  de  son  relus  auprès  de  I-)aja/et,  et  a  la 
récpiisition  dun  ministre  que  ce  sultan  envoya  a 
Venise,  elle  lit  arrêter  l'archevêque  de  Din-azzo, 
déjà  embarqué  pour  se  rendre  dans  son  diocèse  où 
il  devait,  de  concert  avec  Constantin  Comnène, 
marquis  de  Monferrat,  ménager  un  soulèvement 
en  faveur  de  la  F'rance.  Le  marquis  averti  à 
temps,  et  peut-être  par  les  Vénitiens  mêmes, 
eut  le  moyen  de  s'évader. 

Charles  VIII  ne  comptait  pas  tellement  sin-  le 
succès  de  cette  intrigue  qu'il  négligeât  de  faire 
usage  de  Zizim,  lequel  était  toujotirs  à  Rome. 
Lorsque  le  Roi  y  passa  pour  aller  à  Naples,  il 
força  le  pape  Alexandre  W  de  remettre  entre 
ses  mains  le  prince  ottoman,  ('harles  espérait 
probablement  lui  former  un  parti  parmi  les 
Turcs  et  défaire  les  deux  frères  l'un  par 
l'autre.  La  mort  de  Zizim  à  son  arrivée  à  Naples. 
priva  le  Roi  de  cette  ressotu-ce.  On  a  accusé  le 


SUR    L'AMBASSADE    UE    TURQUIE.  25 

pape  Alexandre  VI  de  n'avoir  livré  ce  malheureux 
prince  qu'après  l'avoir  fait  empoisonner;  les 
auteurs  turcs  prétendent  que  son  barbier,  gagné 
par  Bajazet,  lui  coupa  la  gorge.  Charles  obligé  de 
quitter  Naples  et  de  s'ouvrir  im  passage  l'épée  à 
la  main  pour  s'en  retourner  en  France,  y  mou- 
rut peu  après. 

Louis  XII,  son  successeur,  entra  à  la  soUici- 
tation  du  pape,  dans  une  ligue  contre  les  Turcs. 
Le  continuateur  de  Chalcondile  assure  que  ce 
monarque  envoya  préalablement  ime  ambas- 
sade à  Bajazet  pour  lui  reprocher  l'infraction  de 
la  paix  avec  la  république  de  Venise;  il  ajoute 
que  le  Sultan  expédia  au  Roi  im  ambassadeur 
poiu'  s'en  justifier  et  lui  offrir  son  amitié  et  son 
alliance. 

II  est  probable  que  cette  mission  fut  mal 
reçue  ;  Louis  fit  partir  ses  galères  commandées 
par  Philippe  de  Clèves,  Ravestein,  pour  s'unir 
aux  forces  navales  des  Espagnols  et  des  Véni- 
tiens :  la  flotte  combinée  mit  le  siège  devant  Mé- 
telin,  capitale  de  l'île  de  ce  nom,  et  ne  put 
prendre  cette  place.  Tout  le  fruit  de  la  ligue  se 
rédiusit  à  la  conquête  de  l'île  Sainte-Maure  au 
profit  des  Vénitiens.  Louis  XII  n'eiureprit  rien 
contre  les  'i  lu-cs  le  reste  de  s(m  règne;  il  cin 
pour  successeur  François  I". 


M  I  \I(;lh  I. 


.Iiis(|ir:iii  rc^/ic  i\c  ce  ii)(Mi:ir(jiiL'  l;i  poliiKjiic 
(le  la  Iraïue  n'avait  envisat^'^é  les  i  lires  que  datis 
l'esprii  (les  ei-oisades ,  cest-à-dire ,  comiiie  les 
cnueiiiis  né's  du  nom  chrétien,  (/é'tait.  ainsi  (ju^on 
l'a  dit,  le  langage  de  l.ouis  XI,  (|ii{)i([ue  le  plus 
é'clairé  (les  princes  de  son  tenij)s. 

Il  est  vrai  (|ue  la  conduite  des  j-^iiipereurs 
ottomans  jus([u'à  celte  époque  justifiait  ce  pré- 
jugé ;  on  a\ait  vu  Bajazet  I"',  Aniurai  II  et  Mé- 
hémet  II  menacer  t(^ur  à  tour  la  Hongrie,  la 
Polog^nc  et  l'Italie  avec  des  forces  redoutables; 
si  le  règne  du  faible  Bajazet  avait  été  pacifique, 
il  avait  eu  pour  successeur,  en  1512,  SélimP', 
son  second  fils,  qui  se  fit  un  chemin  au  sceptre 
en  l'citant  à  son  père,  qu'il  empoisonna,  et  en 
faisant  mourir  ses  frères.  On  retrouva  en  lui  les 
héros  guerriers  ses  ancêtres  ;  dans  un  court 
règne  de  huit  années,  il  battit  Ismaïl,  Roi  de 
Perse,  vainquit  et  prit  le  Soudan  d'Egypte,  qu'il 
ht  pendre  à  une  porte  du  ("aire.  Ce  fertile 
royaume  et  la  Syrie  qui  en  dépendait,  devinrent 
des  provinces  de  l'empire  ottoman.  Il  est  remar- 
quable que  le  titre  de  calife  que  prirent  depuis 
lors  les  Sultans  ottomans,  procède  de  la  cession 
prétendue  qu'en  fit  à  Sélim,  le  dernier  des  ca- 
lifes titulaires  qu'il  trouva  en  Egypte.  Ce  Sidtan 
songeait  à  d'autres  conquêtes,  lorsque  la  mort  le 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  27 

surprit  dans  la  vigueur  de  lïige.  Le  continuateur 
de  Chalcondile  prétend  que  Tempereur  Maximi- 
lien  proposa  à  Sélini  d'entrer  dans  la  ligue  de 
Cambrai  et  d'agir  contre  les  Vénitiens,  mais  que 
ses  projets  contre  la  Perse  l'en  empêchèrent. 
Soliman  le  Grand ,  que  les  Turcs  appellent 
Canouny  ou  législateiu%  fils  unique  de  Sélim,  lui 
succéda  en  1520.  Le  nouveau  Sultan,  après  avoir 
apaisé  quelques  troubles  en  Asie,  assiégea,  la 
seconde  année  de  son  règne,  Belgrade,  qu'il  prit 
en  i<fi2.  Rhodes  succomba  aussi  sous  ses  armes, 
et  ces  deux  boulevards  de  la  chrétienté,  qui 
avaient  résisté  à  Méhémet  II,  ouvrirent  le  cours 
des  conquêtes  de  Soliman.  Le  pape  Adrien  VI 
avait  adressé  des  brefs  à  tous  les  princes  de  l'Eu- 
rope pour  leur  demander  des  secours;  chacun 
d'eux  trouva  des  prétextes  pour  s'en  dispenser,  et 
François  T'  se  servit  de  celui  de  la  guerre  dans 
laquelle  il  était  engagé  contre  Charles-Quint. 
L'histoire  de  Malte  dit  cependant  que  le  roi 
permit  au  chevalier  d'Ansoyville,  qui  lui  avait  été 
député  par  le  grand  maître  L'IsIe-Adam,  d'armer 
tous  les  vaisseaux  qu'il  trouverait  en  Provence 
et  de  les  conduire  à  Rhodes;  mais  les  comman- 
dants de  la  province  apportèrent  des  délais  à 
l'exécution  de  cet  ordre  et  il  en  i'allut  demandei- 
de   nouveaux;   en   attendaiu,  la   saison  Tavorai^Ic 


,H    MiMoiin,  SI  H   r\M  i;  \ss  \  1)1.  \)\.   iinniii 

pour  iiictirc  lmi  mci-  s'ccouhi  ,  et  l'ilc  (.le  Kliodcs 
lui  prise.  Ici  finit  celte  iiit foductioii  tomme  ét;iiit 
l'é|)()C|iie  il  hicpielle  commeiicèrem  les  r:ip|)()rts 
politiciues  entre  l:i  l'rance  et  Tempire  oiioman  , 
sujet   principal  (le  cet  ouvrage. 


PREMIÈRE    PARTIE 


La  puissance  de  la  maison  d'Autriche  avait 
été  portée  par  Charles-Quint,  au  point  d'alarmer 
l'Europe  :  il  possédait  outre  la   couronne  impé- 
riale, l'Espagne,  les  Pays-Bas,  Naples ,  la  Sicile 
et  la  partie   de  l'Amérique,  récemment  décou- 
verte,  qui   lui    fournissait   beaucoup    de  riches 
métaux.  Ce  prince  ambitieux  venait  de  chasser 
les  Français  de  l'Italie,  et  le  connétable  de  Bour- 
bon qui  commandait  les  troupes  impériales  avait 
entrepris  en   1524  le  siège  de   Marseille.    Fran- 
çois I" .  privé  d'alliés  et  attaqué  dans  ses  propres 
États,   conçut   alors   l'heureuse   idée   d'entamer 
une  négociation  avec  la  Porte  ottomane;   mais, 
comme  cette  démarche  ne  pouvait  manquer  de 
le   rendre    odieux  aux   autres  princes  chrétiens, 
et   surtout  au   Saint-Père,  qu'il    importait  beau- 
coup alors  de   ménager,  le  Roi  dépêcha   a    Soh- 


M  I  \i( H  in 


iiKiii  im  cmiss:iirc  secret  noiiiiné  .leaii  riaiif^i- 
|);iiii,  (loDi  le  nom  semble  iii(lic[iier  c|iie  c'était  im 
scigiieiii*  I  longTois,  réfugié  en  Iraïue:  il  avait 
paru  sans  doute  plus  propre  qu'im  autre  à  dégui- 
ser sa  commission.  Frangipani  était  auprès  du 
Sultan  lorsque  se  donna  la  bataille  de  l-'avie,  où 
l^rancois  1"  lut  lait  prisonnier;  événement  qui 
amena  le  traité  de  Madrid,  entre  le  Roi  et  l'I^m- 
j)ereur,  et  empêcha  probablement  le  cours  de  la 
négociation  commencée.  Soliman  était  devenu 
l'ennemi  naturel  de  la  maison  d'Autriche  :  il 
avait  vaincu  Louis  Jagellon,  Roi  de  Hongrie  à  la 
bataille  de  Mohacz,  où  ce  prince  fut  tué.  Les 
états  de  Hongrie  voulurent  lui  donner  pour 
successeur  un  seigneur  du  pays,  nommé  Jean 
Zapolya  ;  mais  Ferdinand  d'Autriche,  frère  de 
Charles-Quint  et  beau-frère  de  Louis,  prétendit 
à  sa  couronne.  Le  Roi  Jean  eut  recours  à  la 
protection  du  Sultan  qui  saisit  avec  empresse- 
ment- l'occasion  de  profiter  des  troubles  de  ce 
royaume.  Il  ouvrit  la  campagne  par  le  siège  et 
la  prise  de  Bude,  la  capitale,  et  vint  attaquer 
Vienne  qu'il  battit  vivement  pendant  quarante 
jours,  mais  sans  pouvoir  la  forcer.  Sa  retraite  se 
fit  en  bon  ordre  et  il  demeura  maître  de  la  pliîs 
grande  partie  de  la  Hongrie.  Ferdinand  tenta 
vainement,  deux  ans  après,  de  reprendre  Bude  ; 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  31 

il  perdit   une  grande  bataille  dont  l'effet  fut  la 
levée  du  siège. 

François  I''  ne  revint  qu'en  1531,  à  son  pro- 
jet d'alliance  avec  les  Turcs,  il  expédia  à  Soli- 
man,  pour  cet  objet,  un  nouvel  émissaire, 
nommé  le  capitaine  Rinçon ,  avec  des  instruc- 
tions secrètes.  Le  Roi  prit  poiu-  cacher  ses 
vues,  relativement  aux  préjugés  du  temps,  le 
singulier  parti  de  publier  qu'il  n'avait  envoyé  cet 
agent  au  Sultan  que  pour  le  menacer  de  toutes 
les  forces  de  la  France  s'il  passait  les  limites 
de  la  Hongrie,  il  se  fit  lui-même  accorder  par 
le  pape,  à  la  faveur  de  cette  supposition,  une 
levée  de  décimes  sur  le  clergé  de  France  ;  mais 
lorsque  Charles-Quint ,  d'après  une  promesse 
positive  qu'il  devait  avoir  eue  de  François,  ré- 
clama son  secours,  celui-ci  se  contenta  de  lui 
répondre,  »  qu'exposer  les  enseignes  françaises 
à  être  jDendues  à  la  porte  d'une  mosquée  est  un 
arrangement  si  étrange  qu'on  aurait  pu  se  dis- 
penser de  le  proposer.   » 

Cependant  pour  continuera  donner  le  change, 
le  Roi  conclut  le  28  octobre  i5p,avec  HeiH-i\TII, 
Roi  d'Angleterre,  un  traité  d'alliance  contre  les 
Turcs.  La  clause  que  les  contingents  respectifs 
ne  seraient  levés  que  dans  le  cas  de  la  jonction 
des  forces  des  autres  princes  chrétiens,  moiure 


M  fMOlH  I 


3-î 

iissc/  rintcni  loii  des  c(>i)ir;Ki:ints  de  iic  j):is 
iii-ir.  Leur  véritable  l)iii  éi:iit  de  (:iire  illusion  au 
pa|)e  (lléniem  \  il.  atiu  de  le  rendi-e  |)ius  fatale 
au  divorce  de  Henri  avec  (>atherine  d'Aragon. 
Dès  que  le  poiuile  eut  prononcé,  il  ne  ù\{  plus 
question  de  la  prétendue  ligue. 

Soliman,  prince  politique  autant  que  légis- 
lateur et  guerrier,  avait  aperçu  que  le  véritable 
intérêt  de  son  empire,  le  liait  avec  François  1". 
Ces  princes  se  voyaient  en  butte  à  l'avidité  de  la 
maison  d'Autriche  dont  les  États  les  confinaient 
également,  et  leurs  monarchies  étaient  trop  dis- 
tantes pour  pouvoir  être  suspectes  l'une  à  l'autre, 
ou  jalouses  des  progrès  respectifs  qu'elles  pour- 
raient faire.  Cependant  ime  sorte  de  honte 
empêchait  encore  F'rançois  I"  de  s'allier  avec  im 
prince  réputé  l'ennemi  du  nom  chrétien.  Quant 
au  Sultan,  plus  au-dessus  des  préjugés,  il  se 
prêtait  à  ceux  du  Roi,  avec  lequel  il  s'entendait, 
soit  par  des  messages  directs  et  secrets,  soit 
par  le  canal  de  Khaïr-Eddin  Piarberousse.  roi 
d'Alger. 

Enliu,  en  1534,  la  correspondance  des  deux 
monarques  prit  une  forme  publique  ;  François 
pressé  par  les  circonstances  envoya  en  am- 
bassade à  Constantinople  le  sieur  Jean  de  la 
Forest,   chevalier   de    Saint-Jean-de-Jérusalem. 


SUR    l'AMBASSADK    DF.   TURQUIK.  53 

La  copie  de  son  instruction  se  trouve  an  dépôt 
des  Affaires  étrang-ères  ;  le  plan  tracé  an  cheva- 
lier de  la  Forest  était  de  proposer  à  Soliman  de 
faire  la  paix  avec  tons  les  princes  chrétiens,  dti 
consentement  desqtiels  le  roi  se  faisait  fort  ; 
mais  de  n'y  comprendre  Charles-Qiiint  qu'à  con- 
dition de  rendre  à  François  le  duché  de  Milan 
et  de  reconnaître  la  suzeraineté  de  la  France 
sur  les  Pays-Ras.  En  cas  de  refus  de  l'Empereur, 
il  s'agissait  de  l'attaquer  de  concert  et  de  com- 
mencer par  la  conquête  des  îles  de  Sicile  et  de 
Sardaig-ne,  qui  seraient  données  à  un  personnage 
que  la  Forest  était  autorisé  à  désig'ner  an  Sultan, 
mais  que  les  instructions  de  cet  ambassadeur 
ne  nomment  point.  H  y  a  lieu  de  croire  qu'il 
s'agissait  d'un  des  deux  fils  cadets  du  Roi;  l'aîné 
François  dauphin  vivait  encore.  On  demandait 
à  Soliman  de  fournir  une  armée  navale  et  un 
million  d'or,  le  Roi  promettait  de  joindre  ses  forces 
de  mer  à  la  flotte  ottomane,  et  se  chargeait  en 
outre  d'opérer  une  puissante  diversion,  par  terre, 
contre  les  États  de  l'Empereur,  avec  lequel  il 
entra  effectivement  en  guerre  à  cette  époque. 
L'ambassadeur  auquel  il  était  prescrit  de  ména- 
ger le  grand  vizir  Ibrahim-Pacha,  devait  tâcher 
de  persuader  à  la  Porte  que  ce  plan  lui  serait 
pfus  avantageux  que  celui  d'agir  contre  la  Hon- 


^v\c  cloDt  la  dclciisc  iillircraii  Kniics  les  lurccsdc 
l'Allcnia^Mic. 

dette  né^oeiatioii  pi-ésenie  deux  vérités  évi- 
dentes :  l'iitie,  (|iie  I  laïK.ois  I"  ne  mettait  en 
avant  la  paix  a\ee  tons  les  princes  chrétiens, 
([lie  pour  couvrir  d'une  ap|)arence  pacifique  aux 
yeux  de  l'iùirope,  l'intention  de  se  ligner  avec 
Soliman  contre  (]harles-(^)iiint  :  l'autre,  que  le 
Roi  ne  songeait  qu'à  tirer  parti  pour  ses  propres 
vues,  de  l'alliance  ottomane.  Mais  la  circonstance 
n'était  guère  favorable.  (>harles-(^uint,  avec  une 
puissante  armée,  menaçait  alors  Tunis,  et  cet 
armement  pouvait  regarder  Constantinople.  Le 
Sultan  en  eut  assez  d'inquiétude  pour  accepter 
une  trêve  en  Hongrie,  que  lui  offrit  Ferdinand. 
L'auteur  de  la  nouvelle  histoire  de  France  dit 
que  le  chevalier  de  la  Forest  parvint  à  signer 
avec  la  Porte  un  traité  de  ligue  défensive  et  de 
commerce.  11  en  sera  fait  une  mention  plus 
détaillée  dans  la  partie  de  cet  ouvrage  relative  à 
cet  objet.  On  n'y  voit,  d'appartenant  à  la  politique, 
que  la  liberté  d'accéder  à  cet  acte  réservée  par 
l'article  i8  au  pape  et  au  Roi  d'Angleterre  et 
d'Ecosse.  François  I''"  n'avait  point  par  là  rempli 
son  but  ;  résolu  à  tout  prix  d'engager  les  Turcs 
dans  sa  querelle  contre  l'Empereur,  il  lit  partir 
pour   Constantinople    le    protonotaire    Montluc, 


SUR    l/AMBASSADt:    D  t:    lURQL'lE.  35 

depiiis  évêqiie  de  Valence  et  fameux  dans  l'his- 
toire de  ce  temps.  L'atitetir  déjà  cité  dit  sur  cette 
négociation,  que  Montluc  convint  avec  la  Porte 
d'un  nouveau  traité  sous  le  nom  de  trêve,  et 
qu'un  ambassadetir  turc  vint  en  France  à  l'occa- 
sion de  cet  accord.  Or.  comment  nommer  trêve 
un  nouveau  traité  lorsque  le  précédent  n'a  été 
suivi  d'aucune  rtipture.  L'histoire  ajoute  que 
les  deux  contractants  s'engagèrent  à  attaquer 
Charles-Quint  en  Italie.  Le  Roi  en  y  entrant  avec 
cinquante  mille  hommes  et  le  Sidtan  en  en  faisant 
transporter  cent  mille  dans  le  royaume  de  Na- 
ples^  les  conquêtes  respectives  furent  garanties. 
Barberousse^  en  conséquence,  se  mit  en  mer 
avec  la  flotte  ottomane,  mais  sans  armée  de 
débarquement.  François  I"  n'y  insista  pas  parce 
que  l'Emperetu-,  battu  en  Picardie  et  en  Pro- 
vence, accepta,  en  1537,  une  trêve  de  trois  mois, 
qui  fut  l'année  suivante  portée  au  terme  de  dix 
années  et  prit  le  nom  de  la  ville  de  Nice  011  on 
la  négocia. 

Quant  à  Soliman,  des  intérêts  duquel  il 
paraît  que  François  ne  s'était  guère  occupé  dans 
cet  accord,  il  fit  face  en  Hongrie  à  Ferdinand, 
lequel  avait  rompu  la  trêve  qu'ils  avaient  en- 
semble. La  flotte  ottomane  se  montra  deux 
années   consécutives  sur  hi  cote  d'Italie,  et  Bar- 


,,  M  (    \1(JI  I'.  I 

bcroussc  r;iv:i|^r:i  l.'i  l 'ouille;  une  ;iuirc  division 
ii:iv:ilc  i()uvi-i(  le  sic^^c  de  (lorlou  enire|)ris  |):ir 
SoliiiKin  pour  vcn^^er  (|uel(|ues  insultes  faites  par 
les  Vénitiens  au  pavillon  ottoman.  Dans  le  même 
temps  une  puissante  escadre,  partie  de  la  mer 
Kougc,  prit  en  j)assain  Aden,  et  servit  d'auxi- 
liaire au  roi  de  C^ambayc  qiu  assié^^eait,  dans  le 
golfe  de  ce  nom,  la  Ibrteresse  de  Diu,  occupée 
par  les  Portugais. 

On  voit  quel  était  ce  Sultan  qui  ne  démentit 
jamais  pendant  son  règne,  long  et  glorieux,  les 
principes  de  sa  politique  à  l'égard  des  puissances 
chrétiennes.  11  fut  toujours  ami  des  Français  et 
ennemi  de  la  maison  d'Autriche,  ainsi  que  son 
intérêt  de  situation  le  comportait;  au  lieu  que 
François  V%  dans  une  position  à  peu  près  pareille 
se  montra,  tantôt  l'adversaire  le  plus  emporté  de 
Charles-Quint,  tantôt  son  ami  et  presque  son 
partisan.  Ce  Roi  donna  une  preuve  de  sa  poli- 
tique versatile  à  l'occasion  du  raccommodement 
des  Vénitiens  avec  les  Turcs  dont  ses  ministres 
à  Constantinople,  le  capitaine  Rinçon  et  César 
Cantelmo,  seigneur  napolitain  attaché  à  la 
France,  étaient  occupés.  Notre  histoire  dit  que 
Charles-Quint,  informé  que  la  négociation  allait 
réussir  malgré  les  obstacles  qu'il  y  avait  suscités, 
s'adressa  au  connétable    de    Montmorency  pour 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  37 

qu'il  engageât  le  Roi  à  ordonner  à  ses  ambassa- 
deurs à  la  Porte  de  faire  comprendre  la  maison 
d'Autriche  dans  la  même  trêve.  François,  gagné 
par  son  favori,  en  écrivit  à  Soliman  dont  la 
réponse  rapportée  par  l'historien  est  remar- 
quable. La  substance  en  est,  que  pour  faire 
plaisir  au  Roi,  il  accordera  une  trêve  à  l'Empereur 
dès  qu'il  aiu-a  restitué  toutes  les  possessions 
qu'il  retient  à  la  France.  C'est  ainsi  que  le  Sul- 
tan se  vengea  de  n'avoir  pas  été  compris  dans 
la  trêve  de  Nice. 

Paruta,  historien  vénitien,  raconte  que  Louis 
Barbaro,  ambassadeur  de  la  République  à  la 
Porte,  chargé  de  suivre  la  négociation  entamée 
par  Contarini,  son  prédécesseur,  et  par  les  agents 
du  Roi  de  France,  fut  très-étonné  lorsque  in- 
troduit devant  Soliman  et  développant  graduelle- 
ment les  conditions  que  la  République  offrait 
pour  obtenir  une  trêve,  il  se  vit  apostrophé  par 
ce  prince  qui,  le  regardant  d'un  visage  sévère, 
demanda  pourquoi  il  ne  déployait  pas  ses  ordres 
en  entier.  «  Je  sais,  dit-il,  que  vous  êtes  auto- 
risé d'aller  plus  loin  que  vous  ne  dites.  »  Bar- 
baro fut  forcé  d'en  convenir  et  il  conclut  la  trêve 
sur  ce  pied.  Paruta  insinue  que  les  Français 
avaient  trahi  le  secret  de  la  République. 

Charles-(^uint,  à  son  passage  en  France  poui- 


]H  MIMOIin. 

;illcr  rccliiiic  les  (jaiKois  révoltes,  ;i\;iii  |)r()niis  ;i 
rr;in(<)is  I"  rmvcstit iirc  du  Milanais  pour  sofi 
scfoiul  (ils;  mais  rayaiil  dcclmc  des  (luil  lui  en 
riandie,  le  Koi  s'occiijîa  dès  lors  des  moyens  de 
le  ibrccr  a  lemr  parole  ;  cepciulant.  il  eut  encore 
la  faiblesse  de  lui  promettre  de  ne  j)as  le  trou- 
bler pendant  .son  ex|)édiii()n  contre  Al^^er,  où  il 
échoua.  Pour  reconnaître  ce  procédé,  l'Empe- 
reiu"  c|iii  avait  eu  connaissance  du  renvt^i  du 
capitaine  Uinçon  à  (]onstantin()i)le  et  de  b  rég'osc 
à  Venise  comme  ambassadeiu-  de  brance,  donna 
ordre  au  marquis  Du  (ùiast  g-ouverneur  du  .Mila- 
nais, de  se  rendre  maître  de  leurs  personnes  et 
de  leurs  papiers;  ce  dont  celui-ci  s'acquitta  en 
les  faisant  assassiner  sur  le  Po  qu'ils  descendaient 
ensemble  en  bateau.  Leurs  papiers  avaient  été 
dirigés  par  une  autre  voie  et  ce  fut  un  crime  inu- 
tile. PVançois  b',  déjà  prjparé  à  la  g"uerre,  prit 
cette  occasion  pour  la  déclarer  à  Charles-Quint 
en   1542. 

Soliman  avait  profité  de  sa  trêve  avec  les 
Vénitiens  pour  agir  avec  plus  de  vigueur  en 
bdongrie;  il  était  irrité  contre  Ferdinand  qui, 
dans  le  temps  qu'il  sollicitait  de  lui  une  trêve  et 
son  influence  pour  succéder  à  la  couronne  de 
Hongrie,  vacante  par  la  mort  de  Jean  Zapolya, 
était  entré  en  armes  dans  ce  royaume.  Les  prin- 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  39 

cipaux  seigneurs  du  pays,  ayant  élu  le  iïls  de  Jean 
Zapolya  réclamèrent  avec  sa  veuve  la  protec- 
tion du  Sultan ,  qui  n'eut  garde  de  la  refuser,  et, 
sous  ce  prétexte ,  il  s'empara  de  la  plus  grande 
partie  du  pays.  F'rançois  1"'  substitua  à  Rinçon 
pour  la  mission  de  Constantinople,  le  capitaine 
Polin,  nommé  depuis  le  baron  de  la  Garde,  avec 
ordre  de  s'y  rendre  par  Venise  et  de  tâcher  en 
passant  d'engager  la  République  à  rompre  avec 
l'Empereur  ;  mais  elle  se  fixa  à  demeurer  neutre 
et  permit  simplement  à  Polin  de  traverser  le 
golfe  Adriatique  pour  débarquer  à  Raguse  et 
poursuivre  son  voyage.  Cet  ambassadeur  arrivé 
auprès  du  Sidtan  en  obtint  des  ordres  à  Younis- 
Bey  son  ministre  à  Venise,  de  presser  le  sénat 
pour  contracter  une  alliance  avec  les  Français. 
Cette  assemblée  répondit  »  que  la  République 
était  en  bonne  amitié  avec  la  France  et  résolue 
de  s'y  maintenir  5  mais  qu'elle  n'était  pas  pour 
le  présent  en  situation  de  faire  des  démarches 
qui  pussent  la  conduire  à  une  guerre,  et  qu'elle 
espérait  que  la  sagesse  et  l'équité  de  Soliman  lui 
feraient  agréer  ces  raisons.  » 

Paruta  prétend  qu'en  effet  il  les  approuva;  ce 
qui  ne  l'empéclia  pas  de  promettre  à  l'ambassa- 
deur Polin  d'unir  ses  forces  navales  à  celles  de  la 
France  pour  l'année  suivante  (i'>4^). 


4u  M  I    MOI  H  I 

1,'atiiicc    oiioinaiic    njiiiniaïKlée    pur    liarbc- 
roussc  cl  loiic  de  ccol  galères,  lit  noiIc  au  prin- 
temps,  ayant  ii  bord   l'anibassadeiir    de    l'rance. 
\A\c  sacca^^ea,  chemin  faisant,  la  ville  de  Keggio 
en  (lalabrc  sur  le  phare  de  Messine  et  nnt  Kome 
dans  la   consicitKition.   l'ohn   i-assin^a    le  paj)e   en 
prenant  ren^a^cnieni    cjn'il    ne   serait    (ait  aucun 
ravage    sur    les    phi^es    romaines.    De   la    Inirbe- 
ruusse  alla  jeter  l'atici-e  dans  le  pcjrt  de    I  oulon: 
il  y  fut   joint    par    l'escadre    française    que   lau- 
teur  de  V Histoire  de    l'^i\iiicc  dit,    composée    de 
soixante    galères,  mal   équipées,  aux   ordres    du 
comte  d'Enghien,  généralissime,  et  à  qui  l'amiral 
turc  avait  ordre  d'obéir.  L'ai'mée  combinée  bloqua 
Nice  :  assiégée  en  même  temps  par  terre;  la  ville 
se  rendit  au  bout  de  deux  jours;  mais  le  château 
résista  à  tous  les  efforts  des  assaillants.  On  leva 
le  siège  après  avoir  brûlé   la  ville.   Barberousse 
hiverna  en  France  et  repartit  au  printemps  pour 
le  Levant,  côtoyant  l'Italie  et  exerçant  de  grands 
ravages  dans  le  royainne  de  Naples  et  particuliè- 
rement aux  lies  d'ischia  et  de  Lipari.  Polin,  avec 
cinq    galères,    l'accompagna    jusqu'à    Lépante. 
L'amiral  turc,  dit-on,  fut  mécontent  des  Français 
qui  se  plaignaient  de  leur  côté  que  la  flotte  otto- 
mane avait  coiité  fort  cher  au  Roi,  sans  lui  rendre 
aucun  service   réel  ;  mais    ;i    qui  devait-on   attri- 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  41 

biier  la   mauvaise  direction  des  opérations   mili- 
taires qu'un  généralissime  commandait? 

Les  ambassadeurs  de  François  P'  à  la  diète 
de  l'Empire,  dans  un  discours  qu'ils  y  pronon- 
cèrent et  qui  fut  ensuite  imprimé,  dirent  que 
l'amiral  turc  n'était  venu  avec  la  flotte  ottomane 
dans  les  mers  d'Italie  que  par  vengeance  per- 
sonnelle contre  André  Doria,  amiral  de  Charles- 
Quint,  et  que  le  général  français  dans  l'impossi- 
bilité de  détourner  Barberousse  d'assiéger  Nice, 
avait  cru  devoir  se  joindre  à  lui  pom*  s'emparer 
de  la  place  et  empêcher  les  Turcs  de  s'y  établir. 
Ce  subterfuge  ne  fit  comme  de  raison  aucun  bon 
effet  dans  l'assemblée,  et  François  V'  y  fut 
déclaré  ennemi  de  l'Empire  et  du  nom  chrétien. 

C'est  à  regret  qu'on  rapporte  des  traits  d'une 
politique  aussi  basse  et  aussi  absurde  ;  on  croyait 
encore  alors  devoir,  au  mépris  même  de  la 
vérité,  nier  un  concert  avec  les  infidèles. 

Letraité  de  Crespy  termina,  en  i  544,  la  guerre 
entre  François  P'  et  Charles-Quint.  Paruta  pré- 
tend que  le  premier  s'engagea  de  fournir  un 
secours  de  cavalerie  et  d'infanterie  à  l'Empereur 
et  à  l'Empire  si  la  trêve,  que  ce  dernier  conclut 
alors  avec  Soliman,  venait  à  se  rompre.  Le  Sultan 
y  comprit  le  iloi,  qu'il  nomma  son  très-cher  ami 
et   allié.   MoiuIik,  ,   évoque  de  Valence,  accom- 


42  M  (   MOIK  I 

pagn:i  a  (  lonstaniiiioplc  les  ambassadeurs  de 
(>hailcs-(^)iiitit  et  de  !•  erduiaiid.  Au  départ  de 
Vetiise,  ce  prélat,  aiuioiK  aut  au  sénat  I  objet  de 
sou  voyaj^e  ,  du  cpie  le  Koi  soti  maître  ne  eulti- 
vail  l'amitié  des  Turcs  (|ue  pour  la  (aire  servir 
au  bien  de  la  chrétienté.  (Jn  retrouva  le  même 
ton  dans  le  langage  de  T'rancois  I"  sur  ce  sujet 
pendant  tout  son  rè^ne  qui  finit  en  iS47- 

Henri  II  son  siiccesscin-  ne  manqua  pas  de 
reconnaître  l'importance  de  la  liaison  de  sa  cou- 
ronne avec  la  l\)rte.  Le  sieur  d'Aramon,  ambas- 
sadeur de  France  en  lurquie,  reçut  ordre  du 
nouveau  Roi  d'engager  Soliman  à  comprendre  la 
France  dans  la  trêve  de  cinq  ans  que  le  Sidtan 
renouvelait  alors  avec  la  maison  d'Autriche  :  il 
écrivit  en  effet  à  Charles-Quint  et  Ferdinand  qu'il 
avait  accepté  la  trêve  dans  la  supposition  qu'ils 
n'attaqueraient  pas  les  puissances  ses  amies; 
mais  que  ses  armes  aideraient  celle  qui  viendrait 
à  être  assaillie. 

Ce  prince  partait  alors  poin-  faire  la  guerre 
en  Perse.  D'Aramon  l'accompagna  dans  cette 
expédition  qui  diu-a  deux  ans  et  n'eut  aucun 
succès.  Charles-Quint  profita  de  cet  intervalle 
pour  attaquer  en  Allemagne  les  princes  de  la 
ligue  de  Smalcade  dont  il  vint  à  bout  par  le  gain 
de  la  bataille  de  Mûhlberg  ;  mais,  ayant  abusé  de 


SUR    L'AMBASSADK    DE    TURQUIE.  4', 

ses  avantag-es,  les  protestants  s'adressèrent  au 
Roi,  qui  conclut  avec  eux,  en  1551,  un  traité  pour 
la  défense  de  la  liberté  germanique  et  s'empara 
de  Metz,  Toul  et  Verdun. 

Henri  avait  préventivement  donné  ordre  à 
d'Aramon  d'exciter  Soliman  à  rompre  la  trêve 
qu'il  avait  avec  Charles-Quint  et  Ferdinand.  La 
circonstance  était  favorable;  le  Sultan  était  indi- 
gné des  troubles  que  ce  dernier  venait  d'exciter 
en  Hongrie  contre  la  reine  rég^ente  et  son  fils. 
L'armée  turque  attaqua  Temeswar  et  s'en 
empara,  ainsi  que  de  toute  la  province  de  ce  nom. 
Une  flotte  ottomane  partit  en  même  temps  aux 
ordres  de  Sinan-Pacha  pour  porter  la  guerre  en 
Afrique,  où  André  Doria  avait  enlevé  à  Dragut, 
élève  et  ensuite  successeur  de  Barberousse,  les 
places  de  Soussa,  Monastir  et  Africa  qu'il  venait 
de  conquérir  sur  les  Maintes.  Sinan-Pacha  ayant 
vainement  tenté  de  s'emparer  en  passant  de  l'île 
de  Malte,  s'attacha  au  siège  de  Tripoli  de  Bar- 
barie, possédée  et  défendue  par  les  chevaliers  du 
même  ordre  à  qui  Charles-Quint  en  avait  fait 
cession.  D'Aramon,  qui  revenait  de  France  où  il 
avait  été  rendre  compte  au  Roi  du  plan  d'opéra- 
tions militaires  de  Soliman,  relâcha  par  hasard  à 
Malte.  Le  grand  maître,  nommé  Jean  d'Omedes, 
Espagnol,  engag^ea    Tambassadcur   de    passer  à 


44  MIMOIKI. 

rrij)()li  (hiiis  l'cspuii-  qu'il  poiirijii  dcKnirucr 
r:imM;il  ii\rc  de  cette  ati:i(|iic  cjui  ,  sans  d<niic, 
n'ctaii  pas  dans  le  piojei  conimimiqiiL-  an  Koi  pur 
d'Aramon.  I.'al)l>éde  V'eriot  dans  son  Ilistoifc  ic 
Ahld'  prétend  cpie  Sinan-I 'aelia  ,  non-seulement 
refusa  à  cet  and)assadeur  de  lever  le  sié^e,  mais 
môme  qu'il  le  retint  jusqu'à  ce  que  la  place  fut 
rendue,  de  peur,  cprarrivant  auparavant  à  Con- 
stantinople,  il  ne  lui  attirât  des  ordres  du  Sultan 
de  se  désister  de  son  entreprise. 

Charles-Qmnt  ne  manqua  pas  de  profiter  de 
la  présence  de  d'Aramon  au  siège  de  l'ripoli, 
pour  répandre  qu'il  n'avait  été  décidé  au  divan 
de  le  faire  que  sur  la  proposition  de  Henri  II  ; 
imputation  sans  vraisemblance,  le  but  de  la  France 
ne  pouvant  être  que  d'opérer  une  diversion  directe 
contre  l'Empereur  son  ennemi. 

Drag-ut,  de  son  coté,  battit  André  Doria,  lui 
enleva  cinq  à  six  galères  :  et  la  perte  de  la  flotte 
impériale  eût  été  totale,  si  l'escadre  française, 
sous  les  ordres  du  baron  de  la  Garde,  eût  joint 
les  Turcs  à  temps.  La  Garde  les  suivit  avec  ses 
galères  et  alla  hiverner  à  Scio  pour  être  plus  à. 
portée,  au  printemps  suivant,  de  s'unir  à  la  flotte 
ottomane. 

L'armée  combinée  fit  voile  à  l'ouverture  de 
la  saison,  et  mouilla  sur  la  cote  de    Toscane,  où 


SUR    L'AMBASSADF:    DK    TURQUIE.  45 

Paul  de  Termes  avec  un  corps  de  troupes  fran- 
çaises, s'embarqua  sur  l'escadre  de  sa  nation. 
Après  avoir  pillé  l'île  d'Elbe,  les  troupes  de  terre 
furent  débarquées  en  Corse  pour  faire  le  siège 
de  Bonifacio.  Cette  place,  pressée,  préféra  se 
rendre  au  général  français  plutôt  qu'à  Dragut 
qui  en  fut  furieux.  On  l'apaisa,  dit  V Histoire  de 
France,  par  une  somme  de  trente  mille  écus  et  il 
repartit  avec  la  flotte  ottomane.  De  Termes, 
continuant  d'agir  avec  les  Français,  s'empara  du 
reste  de  l'île,  hors  la  place  de  Calvi  que  les  Génois 
conservèrent.  On  voit  que  la  France  en  cette 
occasion  se  conduisit  comme  au  siège  de  Nice. 
Elle  employa  à  des  conquêtes  pour  elle  le  secours 
des  Turcs  sans  songer  à  leur  en  faire  part.  La 
magnanimité  de  Soliman  fut  toujours  la  même 
malgré  ces  procédés.  Henri  lui  avait  envoyé  un 
de  ses  valets  de  chambre,  nommé  Codignac, 
solliciter  pour  la  campagne  de  1554,  ime  nouvelle 
jonction  des  forces  navales  des  deux  puissances. 
Le  Sultan,  quoique  en  route  pour  la  frontière  de 
la  Perse,  y  consentit  encore.  Malheureux  père,  il 
fit  moiu'ir  pendant  le  voyage,  sur  des  soupçons 
insinués  par  Roxelane,  sa  favorite  et  non  son 
épouse,  comme  le  disent  faussement  les  auteurs 
chrétiens,  démentis  par  les  Turcs,  Mustapha 
l'aîné  de  ses  fils,  et  perdit  Djihanguir.    qui  suc- 


46  M  I   MOI  H  I 

c{)iiil):>    à    s:«    doiilciir  de    l:i    inoii   i\c    son    frère. 

I  ,;i  lloitc  ottonumc  se  poiM.i  coiiiniL'  l";mncc 
prcccdcnic,  sur  l:i  cùic  (Tlcilic  ou  clic  lit  de 
^iMuds  i-;iv:i^cs.  Il  est  fastidieux,  satis  doute,  (le 
lire  cette  répétition  des  mêmes  campa^^nes  et  des 
mêmes  efFeis  ;  mais  elle  est  nécessaire  pour  tenir 
le  fil  des  négociations  de  la  France  en  Turcfuie. 
On  ne  voit  point  (|iie  l'escadre  trancaise  ait  joint 
cette  année-là  i  le  président  Hénaut  observe  que 
de  1  ermes  sut  se  maintenir  en  (lorse,  sans  doute 
à  la  faveur  de  l'approche  des    Turcs. 

Ils  firent  de  nouveaux  cfiorts  en  i^)).  ('odi- 
gnac,  successeur  de  d'Aramon  à  l'ambassade  de 
^1  iirquic,  partit  du  Levant  avec  la  flotte  ottomane 
commandée  par  Piali-Pacha;  cette  fois,  les 
galères  françaises  s'y  réunirent  ;  mais  les  opéra- 
tions se  bornèrent  à  de  grands  ravages  en 
C.alabre,  en  Sicile  et  dans  les  îles  Baléares. 

Henri  II  et  Soliman  ne  firent  que  changer 
d'ennemi  |)ar  l'abdication  de  C^harles-Quint , 
auquel  Philippe  11  succéda  en  Espagne,  comme 
Ferdinand  à  la  dignité  impériale,  La  trêve  de 
Vaucelles  qui  avait  précédé  cet  événement,  fut 
presque  aussitôt  rompue  que  conclue,  et  le  roi 
envoya,  en  1557,  le  sieur  de  la  Vigne  ati  Sultan, 
pour  lui  proposer  le  même  concert  que  les  années 
précédentes.    Laugier   dit  dans    son    Histoire  de 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  47 

Venise,  que  la  campagne  navale  des  Turcs,  en 
15 158,  sur  la  côte  de  Naples  où  ils  prirent  Sorenzo, 
fut  l'effet  des  arrangements  de  la  Porte  avec  la 
France.  Celle-ci  n'en  conclut  pas  moins,  en 
1 5 1)9,  à  Càteau-Cambrésis,  la  paix  avec  l'Espagne 
sans  y  comprendre  Soliman,  lequel  ne  s'en  res- 
sentit, selon  Busbecq,  qu'en  disant  à  l'ambassa- 
deur Lavigne  :  «  Écrivez  à  votre  maître  que,  s'il  est 
difficile  à  d'anciens  amis  de  devenir  ennemis,  il 
ne  l'est  pas  moins  à  d'anciens  ennemis  de  deve- 
nir amis  fidèles  »  ;  sentence  admirable  dans  un 
prince  de  l'amitié  duquel  la  France  avait  si  sou- 
vent abusé  et  dont  la  conduite  politique  envers 
elle  eut  toujoiu's  un  grand  caractère. 

Henri  II  mourut  la  même  année  et  avec  lui 
finirent  les  beaux  jours  de  l'union  entre  la  France 
et  la  Porte.  Le  règne  de  ses  fils,  agité  de  troubles 
intestins  et  souvent  guidé  par  l'influence  de  la 
cour  d'Espagne,  n'était  guère  propre  au  main- 
tien d'une  intelligence  si  luile,  mais  trop  distante 
pour  la  politique  de  ces  malheureux  temps.  A  la 
renaissance  de  la  France,  sous  Henri  W,  le  grand 
Soliman  n'était  plus,  et  avec  lui  s'était  éteint  le 
flambeau  de  la  monarchie  ottomane  qui  ne  s'est 
jamais  bien  rallumé  sous  aucim  de  ses  successeurs. 

Pour  revenir  au  règne  des  enfants  de  Henri  11, 
l'ambassadeur  Lavigne  était  retourné  en  France 


48  Ml   MOI  1^  K 

à  Li  mort  (le  ic  pniuc.  (  )n  :i  :iii  dépôt  des  Affaires 
ctrim^'^crcs  une  lettre  de  IV'treiiiol,  thar^é  des 
ad'aires  de  (Charles  IX  à  (  ^Jiisianiiiiople ,  en  date 
du  H  décembre  iS^')'^,()ii  \\  inaiulaii  (|u"il  ne  j)()U- 
vait  venir  à  bout  de  rien  et  c[ue  la  l^orte  se  plai- 
^mait  de  ce  qu'on  lui  annonçait  depuis  quatre  ans 
un  ambassadeur  de  France  sans  qu'il  parut.  A 
cette  occasion  Pétremol ,  discute  s'il  vaut  la 
peine  ou  non  de  se  maintenir  en  liaison  avec  les 
Turcs  :  il  fait  envisager  d'un  coté  les  secours 
qu'on  peut  en  espérer  au  besoin,  mais  il  remarque 
de  l'autre  que  les  grandes  armées  qu'ils  ont 
fournies  à  la  France,  lui  ont  rapporté  plus  de 
dommages  que  d'avantag^es  et  que  si  l'argent  qu'il 
en  a  coûté  avait  été  employé  à  bâtir  des  galères 
françaises,  elles  eussent  rendu  plus  de  services 
que  des  alliés  comme  les  Turcs,  dont  l'avi- 
dité et  l'insolence  étaient  si  redoutées  que  le 
désespoir  seul  de  tomber  dans  leurs  chaînes 
avait  donné  aux  peuples  de  Corse,  du  royaume 
de  Naples  et  de  la  rivière  de  Gènes,  le  courage 
de  résister. 

On  voit  dans  l'extrait  qu'on  vient  de  faire  de 
cette  dépêche,  l'oubli  des  principes  de  la  saine 
politique  et  d'une  observation  éclairée.  Impor- 
tait-il que  les  forces  ottomanes  fissent  des  con- 
quêtes en  Italie,  et  le  seul  véritable  intérêt  de  la 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  49 

France  n'était-il  pas  d'obliger  la  maison  d'Au- 
triche à  y  tenir  des  troupes  qu'elle  ne  pouvait 
conséquemment  employer  ailleiu's?  Faut-il  ne 
compter  pour  rien  l'occupation  que  Soliman  lui 
donnait  en  Hongrie?  Le  poids  du  mouvement 
d'un  aussi  puissant  Empire  ne  pouvait  sûrement 
être  compensé  par  la  construction  et  l'usage  de 
quelques  galères  de  plus. 

Il  n'est  que  trop  ordinaire  que  les  divisions 
intestines  dans  un  Etat  en  rétrécissent  la  politique 
au  dehors.  Les  passions  de  ceux  qui  gouvernent, 
les  pressent  d'employer  toute  leur  attention  et 
leur  énergie  pour  vaincre  les  obstacles  qui  les 
entourent.  L'ennemi  naturel  est  ménagé,  cultivé, 
appelé  même  au  sein  des  troubles  qu'il  fomente. 
Ainsi  le  fut,  en  France  à  cette  époque,  Philippe  II  ; 
ainsi  le  furent  les  Perses,  en  Grèce,  lorsque  la 
division  se  mit  entre  Sparte  et  Athènes  et  causa 
la  guerre  du  Péloponèse.  Les  Romains  donnèrent 
un  exemple  bien  différent,  lorsque  dans  les 
guerres  civiles  entre  Sylla  et  Marins,  entre 
Pompée  et  César,  le  premier  et  le  dernier  pous- 
saient aussi  vivement  Mithridate  et  les  Gaulois, 
que  si  la  République  eût  été  dans  l'harmonie  inté- 
rieure la  plus  parfaite. 

On   trouve   dans  le  Dictionnaire  Historique,  à 
l'article  du  capitaine    corse  San-Pietro  qu'il  alla 

4 


ç,j  \i  t  \u;ii<  I 


:i  (  loiistimimoplc  et  lut  rcroniinaiulc  |):ir  (>ailic- 
ridc  (le  .Mctlicis  aux  iiiiiiisircs  qu'y  avait  alors  le 
Koi  son  fils  |)()iii-apj)iiycr,sa  proposition  fi  la  Porte, 
d'envoyer  sin-  la  cote  de  (!orse  une  escadre  otto- 
mane, afin  d'y  favoriser  la  révolution  qu'il  y  avait 
tramée  et  qui  réussit  peu  après  sans  le  secours 
de  personne,  n'ayant  rien  pu  obtenir  des  Turcs. 
Il  est  aisé  de  comprendre  que  Soliman  se  refusa 
à  faire  agir  ses  forces  navales  en  faveur  d'un 
aventurier  que  la  cour  de  France  lui  recomman- 
dait sans  oser  elle-même  le  secourir.  Ce  Sultan 
qui  ne  perdait  pas  de  vue  les  intérêts  communs 
aux  deux  États,  fit  partir,  en  1565,  un  chiaoux 
pour  complimenter  Charles  IX,  devenu  majeur, 
et  lui  témoigner  ses  dispositions  à  continuer  avec 
lui  la  bonne  intelligence  qu'il  avait  maintenue 
avec  ses  prédécesseurs.  Il  est  probable  que  cet 
agent  avait  une  instruction  secrète  relative  à  la 
guerre  que  Soliman  méditait  de  porter  en  Hon- 
grie. 11  y  commença  la  campagne  suivante  par  le 
siège  de  Sighet;  mais  sa  vieillesse  ne  put  en  sup- 
porter la  fatigue  et  il  mourut  à  l'àgc  de  soixante- 
douze  ans.  La  ville  fut  emportée  d'assaut  après 
sa  mort.  Ce  succès  compensa  l'échec  qu'avaient 
reçu  la  même  année,  au  siège  de  Malte,  les  ar- 
mées ottomanes  commandées  par  Dragut  qui  y 
périt  avec  trente  mille  hommes. 


SUR    I    AMBASSADE    DE    TURQUIE.  51 

Telle  fut  la  lin  d'un  règne  de  quarante-six  ans 
et  de  la  plus  brillante  époque  de  l'empire  turc. 
Soliman  n^était  pas  aussi  grand  homme  de  g'uerre 
que  son  père  •  Sélim  et  que  son  bisaïeul  Méhé- 
met  11  ;  mais  il  fut  un  sag^e  législateur  et  un  grand 
politique.  La  dynastie  ottomane  n'a  pas  produit 
depuis  un  seul  prince  de  son  mérite,  et  c'est  la 
vraie  cause  du  déplorable  état  où  cet  empire  est 
tombé.  Cette  pénurie  de  talents  dans  ime  si  longue 
liste  de  Sultans  serait  incroyable  si  elle  n'était 
expliquée  par  les  défauts  de  leur  éducation.  On  a 
dit  que  jusqu'à  Soliman,  les  fils  des  empereurs 
ottomans  étaient  employés  aux  commandements 
des  provinces.  Depuis  Sélim  II,  son  iils  et  son 
successeur,  cet  usage  cessa.  Les  jeunes  princes 
furent  soigneusement  renfermés  jusqu'à  la  va- 
cance du  trône,  et  longtemps  encore  les  cadets 
furent  mis  à  mort  à  l'avènement  de  l'aîné.  Cette 
barbarie  ne  cessa  que  pour  faire  place  à  une 
coutume  moins  cruelle,  mais  plus  funeste  pour 
l'Empire,  celle  de  faire  succéder  le  plus  âgé  des 
princes  existants;  en  sorte  que,  tels  sont  montés 
au  trône  à  l'âge  de  cinquante  ans,  comme  les  sul- 
tans Osman  et  Abdul  Hamid  aujourd'hui  régnant, 
après  avoir  passé  toute  leur  vie  en  prison  et  sans 
aucune  instruction  quelconque,  hors  de  savoir 
lire  et  écrire. 


\1  I    MOI  H  I 


I  .;i  prciiiici'c  démarche  de  Séliiii  II.  piince 
de  peu  de  talents  et  (oin  adotiné  au  \iii,  lut  de 
s'accoiiimoder  avec  Tenipereur  !•  erditiaud  ,  ce 
ciui  procura  à  la  i\)rte  un  repos  de  quatre 
années,  (^ctte  iréve  lut  l'ouvra^^e  de  Ijiisbecq, 
ambassadeur  de  i'I'Jnpereur,  cpn  a  écrit  quatre 
lettres  latines,  si  instructives  et  d'une  si  belle 
diction. 

Un  lon[;"  repos  ne  convenait  pas  alors  aux 
milices  ottomanes.  Des  nun-miux's  annoncèrent 
au  Sultan  ce  cjuil  avait  à  craindre,  (^est  alors 
que  sur  les  insinuations  de  Sigismond,  Roi  de  Po- 
logne, Sélim  forma  le  projet  de  porter  ses  armes 
jusqu'à  la  mer  Caspienne  et  de  l'unir  à  la  mer 
Noire  par  un  canal,  aisé  à  pratiquer  et  entamé 
depuis  par  Pierre  le  Grand.  Le  Sultan  fit  partir 
pour  Azof  trois  mille  janissaires  et  vingt  mille 
hommes  de  cavalerie,  destinés  à  faire  le  siège 
d'Astrakan.  On  embarqua,  sur  quinze  galères, 
cinq  mille  janissaires  et  trois  mille  travailleurs 
pour  creuser  le  canal:  elles  portèrent  aussi  les 
munitions  de  l'armée  assiégeante  qui,  après  la 
jonction  de  l'armée  tartare,  devait  être  de  quatre- 
vingt  mille  hommes.  On  remonta  le  Don  jusqu'à 
l'endroit  où  ce  fleuve  se  rapproche  à  sept  à  huit 
lieues  du  Volga,  et  les  travailleurs  se  mirent  à  l'ou- 
vrage.   Mais   le  czar  Jean  Bazilowitz   était  trop 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  ,3 

vigilant  pour  se  laisser  surprendre.  11  envoya  le 
prince  Sérébianow  à  la  tète  de  quinze  mille 
hommes  fondre  sur  les  janissaires  qui  furent 
défaits.  L'armée  qui  assiégeait  Astrakan  ne  put 
prendre  la  place,  et  une  sortie  de  la  garnison,  qui 
réussit,  obligea  les  Turcs  de  se  retirer.  De  toutes 
ces  troupes,  il  n'en  revint  que  bien  peu  à  Con- 
stantinople. 

Charles  IX  et  son  conseil  semblaient  avoir 
oublié  la  Turquie.  Sélim  II,  en  paix  avec  la  mai- 
son d'Autriche  et  inactif  par  caractère,  ne  son- 
geait pas  à  réveiller  la  correspondance  entre  la 
Porte  et  la  France.  Elle  se  renoua  par  un  événe- 
ment assez  singulier.  Un  juif  nommé  Joseph 
Miques,  se  prétendant  créancier  du  Roi,  qui  ne 
s'acquittait  pas,  requit  de  la  Porte  et  en  obtint 
des  lettres  de  représailles  pour  se  payer  siu'  les 
effets  des  bâtiments  français  qui  faisaient  le  com- 
merce à  Alexandrie.  Les  intéressés  jetèrent  les 
hauts  cris  à  la  cour,  et  on  se  détermina  à  envoyer 
en  ambassade  àConstantinople, Claude  DuBoiu-g, 
sieur  de  Guerines,  sans  autre  commission  que  celle 
de  solliciter  le  redressement  des  griefs  et  le  re- 
nouvellement du  traité  de  153 5.  Cet  ambassa- 
deur y  réussit  au  mois  d'octobre  1569,  comme  il 
en  sera  parlé  ailleurs. 

C'est  à  la  même  époque  que  le  Sultan  tourna 


54  MIM(;lin 

SCS  vues  (le  i onqiiùtcs  sur  l'ilc  de  (iliypre,  :i|)|);ir- 
teiKiiH  alors  aux  Vénitiens.  (!eite  ré|)iihli(|iie  en- 
voya (les  ambassadeurs  à  toutes  les  puissances 
de  riiurope  pour  demander  des  sccoiu-s.  I  .a 
l^'rance  n'eut  à  offrir  qu'une  vaine  entremise. 
Philippe  II  fit  partir  André  Doria  avec  une  armée 
navale  pour  défendre  cette  île  :  il  ne  put  y  réus- 
sir et  elle  tomba  aux  mains  des  Turcs.  La  répu- 
blique, désabusée  de  l'espoir  de  la  conserver, 
demanda  à  Charles  IX  les  bons  offices  qu'il  lui 
avait  offerts  auprès  de  la  Porte,  et  le  Roi  s'y  prêta 
volontiers.  11  fit  choix,  pour  exercer  cette  com- 
mission, de  François  de  Noailles,  évoque  d'Acqs, 
ministre  déjà  éprouvé  dans  d'autres  ambassades 
importantes.  Le  prélat  eut  ordre  de  se  hâter 
pour  se  rendre  par  Venise  à  sa  destination.  Dans 
l'intervalle,  s'était  formée  contre  les  Turcs  une 
puissante  ligue  qui  semblait  devoir  opérer  la 
ruine  de  leur  empire.  Philippe  II  y  était  entré,  et 
Don  Juan  remporta,  en  1571,  sur  l'armée  navale 
ottomane,  la  fameuse  victoire  de  Lépante  ;  s'il 
avait  poursuivi  son  avantage,  il  pouvait,  avec  ses 
forces,  remonter  les  Dardanelles  et  paraître  à 
la  vue  de  Gonstantinople.  On  s'y  attendait,  et 
plusieurs  riches  habitants  étaient  déjà  passés  en 
Asie  pour  échapper  aux  vainqueurs.  Les  lau- 
riers de  Don  ,Iuan  se  ternirent  par  l'inconcevable 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  55 

inaction  dans  laquelle  il  perdit  le  reste  de  la 
campagne,  après  laquelle  l'armée  combinée  se 
sépara. 

L'évèqiie  d'Acqs  étant  arrivé  à  Venise  avant 
la  nouvelle  de  la  bataille,  le  sénat  lui  témoignait 
de  l'empressement  pour  son  départ,  quand  l'avis 
de  la  victoire  changea  en  un  moment  ses  dispo- 
sitions. Il  écrivit  même  à  Charles  IX  pour  le 
prier  de  rappeler  en  France  le  prélat.  Mais  l'inu- 
tilité de  l'affaire  de  Lépante  ramena  une  troi- 
tième  fois  la  république  à  ses  premiers  désirs 
de  paix.  Elle  fournit  en  hâte  à  l'évêque  d'Acqs 
deux  felouques  pour  son  transport  à  Raguse,  au 
travers  du  golfe  Adriatique  ;  il  se  rendit  de  là 
par  terre  à  Constantinople  et  il  y  arriva  le  1 3 
mars  1572. 

Les  instructions  de  Charles  IX  à  son  ambas- 
sadeur portaient,  outre  l'objet  de  la  paix  des  Vé- 
nitiens, de  viser  à  détourner  les  armes  ottomanes 
de  la  Hongrie  et  du  Frioul,  c'est-à-dire  des  do- 
maines de  l'empereur  Maximilien  dont  le  Roi 
avait  épousé  récemment  la  fille.  Le  prélat  y  trou- 
va de  la  facilité  à  la  Porte  qui  craignait  la  jonc- 
tion de  ce  prince  à  la  hgue  chrétienne.  Le  vizir, 
de  son  coté,  chargea  l'ambassadeur  de  proposer 
à  sa  cour  d'agir  contre  l'Espagne,  afin  que  cette 
diversion    obligeât    Philippe   11     à    rappeler    ses 


j6  M  ÉMOI  RI 

forces  navales  dans  ses  Ktats.  Soii  que  ce  mo- 
narque l'eùi  craint,  soit  lent  cm-  naturelle  a  la 
nation,  Don  Juan  d'Autriche  joignit  si  tard  les 
forces  alliées  pendant  cette  campag"ne,  il  eut  de 
si  vives  altercations  avec  l'amiral  vénitien,  que 
toutes  les  opérations  se  réduisirent  au  sié^e  de 
Navarin  qu'il  fallut  enstiite  lever. 

La  régence  d'Alger  s'était  crue  menacée 
par  l'armée  de  la  ligue  et  elle  avait  écrit  à 
Charles  IX,  poiu-  lui  demander  des  secours 
contre  l'invasion  qu'elle  appréhendait.  Cette  dé- 
marche ût  naître  dans  l'esprit  de  Catherine  de 
Médicis  l'idée  de  profiter  de  l'occasion  pour  for- 
mer un  établissement  au  duc  d'Anjou,  son  fils 
bien-aimé;  idée  que  le  roi,  jaloux  de  son  frère. 
adopta  volontiers  dans  le  but  de  l'éloigner.  L'é- 
vêque  d'Acqs  reçut  ordre  d'en  faire  la  matière 
d'une  négociation  à  la  Porte  et  d'y  demander  en 
même  temps  un  prêt  de  trois  millions  d'or.  Il 
obéit,  après  avoir  fait  observer  à  sa  cour 
l'inadmissibilité  de  la  chose  par  les  Turcs.  Cet 
ambassadeur  manda  ensuite  que  le  vizir  avait 
pris  la  première  ouvertiu'e  sur  Alger  comme 
l'annonce  d'une  rupture,  tant  il  eut  de  peine  à 
croire  que  la  France  se  fût  sérieusement  flattée 
d'obtenir  à  l'amiable  le  concours  de  la  Porte  pour 
ce  projet;  qu'enfin,  détrompé  par  la  suite   de  la 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  57 

conversation,  il  se  borna  à  répondre  que  toute  la 
bonne  volonté  du  Grand  Seigneur  ne  suffirait  pas 
pour  en  venir  à  bout  ^  que  le  corps  des  gens  de 
lois,  ministres  à  la  fois  de  la  religion  et  de  la  jus- 
tice, dont  l'influence  est  grande  dans  le  gouver- 
nement ottoman,  y  ferait  une  opposition  insur- 
montable. Mais,  en  compensation  du  royaume 
d'Alger,  ajoutait  le  vizir,  Sa  Hautesse  offrait  au 
duc  d'Anjou  la  cession  des  conquêtes  que  les 
forces  françaises  et  ottomanes  réunies  pourraient 
faire  sur  la  monarchie  Espagnole,  soit  en  atta- 
quant, de  concert,  les  îles  de  Sicile  et  de  Sar- 
daigne,  soit  en  facilitant  à  la  France  l'invasion 
des  Pays-Bas  par  ime  diversion  qu'opérerait  la 
flotte  turque  dans  la  Méditerranée.  Le  Sultan 
demandait  simplement  qu'on  fournît  à  son  armée 
de  mer  les  rafraîchissements  dont  elle  aurait 
besoin.  L'évêque  d'Acqs  connaissait  trop  bien  la 
situation  de  la  France,  à  peine  alors  sortie  d'une 
guerre  intestine  et  à  la  veille  de  recommencer, 
poiu-  adopter  ce  plan.  Il  se  réduisit  à  tâcher  d'in- 
téresser les  Turcs  aux  efîbrts  du  prince  d'Orange, 
chef  des  révoltés  des  Pays-Bas,  demandant  pour 
lui  un  prêt  d'argent  dont  le  roi  offrait  de  se 
rendre  caution.  Le  grand  vizir  s'y  refusa  absolu- 
ment, à  plus  forte  raison,  dit  le  prélat,  dans  sa 
dépêche,    ne    m'aurait-il    pas    accordé    les    trois 


<)«  MK  MOIIU 

millions  (|iic  Sa  Majesté  ni'avaii  prescrit  de 
(ieiiiander  pom*  elle-même. 

L'absurde  idée  de  mettre  le  duc  d'Anjou  sur 
le  trône  d'Al^r^r,  fit  bientôt  j)lace  au  projet  de 
lui  procurer  la  couronne  de  Polo^me  qui  vint  à 
vaquer  sur  ces  entrefaites.  L'évèque  d'yVcqs  eut 
ordre  d'exciter  la  Porte  à  témoigner  par  des 
offices  à  la  diète  qui  allait  s'assembler,  quelle 
s'intéressait  à  l'élection  de  ce  prince;  mais,  il 
ne  rencontra  pas  des  dispositions  favorables  :  le 
grand  vizir  lui  soutint  que  cette  couronne  tribu- 
taire, en  quelque  sorte,  des  Tartares  dans  ce 
temps-là,  était  par  là  même  indigne  du  duc  d'An- 
jou. Le  fait  est  que  ce  ministre  croyait  plus 
avantageux  pour  l'empire  ottoman  qu'elle  fût 
portée  par  un  seigneur  polonais,  dont  l'impor- 
tance serait  moindre  pour  ses  voisins.  Mais  la 
diète  s'étant  déclarée  contre  le  choix  d  un  Piast, 
la  Porte  se  décida  eniïn,  sur  les  instances  de 
l'ambassadeur,  à  expédier  en  Pologne  un  chiaoux 
pour  y  recommander  le  duc  d'Anjou  dont  l'élec- 
tion se  trouva  faite  avant  l'arrivée  de  cet  émis- 
saire. 

Le  président  Hénault  place  à  l'année  1572, 
la  paix  entre  les  Turcs  et  les  Vénitiens,  et  en 
donne  l'honneur  à  l'évèque  d'Acqs  qui,  parla,  dit 
l'historien,  sauva  l'île  de  Candie  assiégée  par  les 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  59 

Turcs.  11  y  a  plus  d'une  faute  dans  ce  passage  : 
premièrement,  on  n'assiège  point  une  aussi 
grande  île  que  celle  de  Candie;  en  second  lieu, 
les  auteurs  du  temps,  turcs  et  chrétiens  ne  par- 
lent pas  de  ce  siège;  troisièmement,  la  paix  ne 
se  fit  qu'en  1573;  quatrièmement  enfin,  on  en 
disputa  la  gloire  au  prélat.  Il  était,  dit  le  Vénitien 
Paruta,  entré  en  conférence  sur  cette  matière 
avec  le  grand  vizir,  et  celui-ci ,  s'apercevant  que 
l'ambassadeur  n'avait  pas  reçu  de  la  République 
des  pouvoirs  plus  étendus  que  le  baile,  en 
revint  à  traiter  avec  ce  dernier  par  le  ministère 
des  agents  précédemment  employés  dans  cette 
négociation.  Il  est  cependant  vrai  que  l'évoque 
d'Acqs,  dans  sa  correspondance,  se  donne  pour 
avoir  eu  la  plus  grande  part  à  la  conclusion  de 
cet  accord;  il  convient  toutefois  de  s'être  dis- 
pensé de  se  mêler  du  taux  de  la  somme  que  la 
République  eut  à  payer  à  la  Porte,  regardant 
cette  clause  comme  déshonorante  pour  elle. 

La  paix  des  Vénitiens  était  de  leur  part  une 
infraction  et  ime  désertion  de  la  Sainte  Ligue. 
Le  Roi  d'Espagne  ne  s'en  mit  guère  en  peine  ; 
il  était  dégoûté  de  ses  vains  et  dispendieux 
efforts,  et  il  songea  à  suivre  leiu-  exemple  en 
traitant  directement  avec  la  Porte ,  ce  qui 
n'avait  pas  encore  eu  heu   pour  l'Lspagtie.    Les 


M  I .  M  O  I  K  K 


I  lires  iriivaicnt  jusqu'alors  ucf^ocié  avec  la  mai- 
son (r.\utriihc  c|uc  collccti\  cmcr)t  cl  par  relation 
à  la  c-ouronnc  de  lion^rie.  (]ctte  iniiovaiion  ne 
convenait  pas  :i  la  politicjue  de  la  Iratue  (|ui 
voulait  être  la  seule  amie  avouée  de  l'empire 
ottoman.  Sur  les  insinuations  de  l'évèque  d'Acqs, 
le  grand  vizir  déclara  à  l'agent  de  Philippe  11 
que  la  paix  existante  avec  l'Empereur  Maximilien 
suffisait  pourtotis  les  princes  de  sa  maison. 

Henri  111,  devenu  Roi  de  l'rance  par  la  mort 
de  Charles  IX,  chargea  Gilles  de  Noailles,  abbé 
de  risle,  successeur  de  son  frère  à  l'ambassade 
de  Turquie,  de  faire  part  de  son  avènement  à 
Amurat  III,  qui  venait  de  succéder  à  Sélim  II, 
son  père.  Henri,  qui  prétendait  conserver  la 
couronne  de  Pologne,  prescrivit  à  son  ambas- 
sadeur de  détourner  la  Porte  de  reconnaître 
Etienne  Bathory  à  qui  les  Polonais  l'avait  défé- 
rée, après  avoir  déclaré  le  trône  vacant.  Mais 
Noailles  ne  put  y  réussir,  et  les  ambassadeurs  du 
nouveau  roi  de  Pologne  à  la  Porte  furent  admis. 
Henri  III  en  fut  offensé,  et  il  paraît  que  ce  fut  le 
motif  du  prompt  rappel  de  l'abbé  de  l'Isle,  qui 
ne  fut  pas  immédiatement  remplacé.  Pendant 
cette  lacune  d'ambassade,  l'Espagne  parvint 
enlin  à  conclure  avec  l'empire  ottoman  une 
trêve  directe. 


SUR    L'A.MBASSADK    DE    TURQUIE.  6i 

Ce  fut  aussi  Tépoque  du  premier  traité  entre 
la  Porte  et  l'Angleterre  j  l'historien  Hume  dit 
qu'on  avait  cru  jusqu'alors  en  Turquie  que  ce 
royaimie  dépendait  de  la  France,  mais  que  la 
renommée  d'Elisabeth  et  de  sa  puissance  s'y 
étant  fait  entendre,  le  Grand  Seigneur  admit  à 
son  am.itié  cette  Reine  et  reçut  son  pavillon  dans 
les  ports  ottomans.  L'ignorance  des  Tiu-cs  était, 
et  est  encore  bien  grande;  mais  le  traité  de  la 
France  de  iS3)?  portant  la  réserve  au  roi  d'An- 
gleterre d'y  accéder,  prouve  que  l'existence  de 
cette  puissance  était  connue  de  la  Porte.  Il  est 
vrai  de  dire  qtie  les  Anglais  n'avaient  navigué 
jusqu'alors  en  Levant  que  sous  le  pavillon 
français. 

Le  sieur  de  Germigny,  baron  de  Germoles, 
fut  nommé  ambassadeiu"  de  France  à  la  Porte, 
en  1^79.  Son  instruction  porte  de  s'opposer,  s'il 
est  encore  temps,  à  la  trêve  de  l'Espagne,  sinon 
de  veiller  à  ce  que  les  anciennes  liaisons  entre 
la  France  et  l'empire  ottoman  n'en  souffrent  pas. 
Ses  ordres  lui  prescrivaient  aussi  de  ménager, 
s'il  se  pouvait,  une  nouvelle  trêve  avec  l'Empereur 
Maximilien  et  de  préserver  l'Etat  ecclésiastique 
des  ravages  des  Turcs.  Il  négocia  sur  ces  diffé- 
rents objets  et  il  conclut,  en  1581,  un  nouveau 
traité  de  commerce  où  l'Angleterre  fut  comprise 


M  [   \I(Jl  K  I 


(hitis  le  nombre  des  jinissanccs  doni  les  vaisscMiix 
ne  (levaient  paraître  en  Levant  que  sons  la  ban- 
nière française.  Cette  stipulation,  contraire  a 
l'engagement  pris  avec  la  Reitie  Klisabeth,  ne 
manqua  pas  d'être  enfreinte,  et  l.ancosme,  suc- 
cesseiu*  de  Germigny  en  i^H^,  s'en  plaignit  en 
vain.  Il  n'est  peut-être  pas  inutile  d'observer 
à  cette  occasion  que  l'opinion  de  la  fidélité  des 
Turcs  dans  l'exécution  de  leurs  traités,  quoique 
généralement  admise,  ircn  est  pas  plus  vraie  5  ils 
y  sont  pour  le  moins  aussi  peu  ponctuels  que 
d'autres  lorsque  leur  avantage  s'y  trouve. 

Busbecq,  alors  ambassadeur  de  l'empereur 
Maximilien  en  France,  dit  dans  ses  dépêches  que 
la  mission  de  Lancosme  avait  pour  objet  de  sus- 
citer les  Turcs  contre  la  Hongrie,  afin  que  la 
défense  de  ce  royaume  y  attirât  les  princes  alle- 
mands, et  qu'ils  ne  pussent  venir  au  secours  des 
protestants  de  France.  Mais  les  instructions  de 
cet  ambassadeiu'  n'en  font  aucune  mention.  Elles 
lui  prescrivent  de  représenter  au  ministre  otto- 
man que  la  guerre  qui  existait  entre  la  Porte  et 
la  Perse  donnait  trop  beau  jeu  à  V Emulateur 
commun,  ce  qui  peut  s'entendre  de  la  maison 
d'Autriche  collectivement  ou  de  l'Empereiu*  et 
du  Roi  d'Espagne  séparément.  On  voit  que  le 
faible  Henri  111  n'osait  prononcer  leiu-  nom  :  cette 


SUR    L'AMBASSADE    D  t.    TURQUIE.  65 

même  année  il  venait  de  signer  la  ligue  et  il 
avait  refusé,  malgré  les  conseils  de  l'Evéque 
d'Acqs,  la  souveraineté  des  Pays-Bas  que  les 
révoltés  lui  avaient  offerte;  Lancosme,  son 
ambassadeur  à  la  Porte  était  lui-même  un  déter- 
miné ligueur  ;  aussi  l'un  des  premiers  soins  de 
Henri  IV,  parvenu  à  la  couronne,  fut-il  de  le 
révoquer  et  de  le  remplacer  par  le  comte  de 
Brèves. 

Sous  ce  règne,  on  voit  briller  une  lueur  de 
la  politique  de  François  1"  et  de  Henri  II  relati- 
vement  à     l'empire     ottoman.    De  Brèves,    dit 
M.  de  Thou,  pressa   les  pachas   d'envoyer  une 
flotte  dans  les  mers  de  Toscane  pour  croiser  de 
là  jusqu'en  Espagne,  dans  la  vue  d'obliger  Phi- 
lippe à  en  garder  les  côtes  avec  celles  d'Italie  et 
des   îles  voisines,  et  à  rappeler,  pour  cet   effet, 
les  troupes  qu'il  envoyait  en  France  au  secours 
des  ligueurs.   L'ambassadeur  engagea  même   le 
Sultan  à  écrire  au  Roi  pour  l'assurer  qu'il  ne  man- 
querait pas  d'armer  l'année  suivante  ime   flotte 
pour  le  secourir.  De  Brèves,  dans  ses  mémoires, 
dit  encore  qu'il  était  parvenu  à  décider  le  Grand 
Seigneur  à  entretenir  pendant   quatre    ou    cinq 
années   de    grandes    armées    navales  :   en  efîet 
elles  tinrent  en  échec  celles   d'Espagne  et  elles 
opérèrent  pour  Henri  W    une  heiu-euse  diversion. 


(,4  MF.MOIIU 

Amiir;ii  iic  se  boiMia  pas  à  cela:  il  porta  ses  aniics 
en  Hongrie  où  ils  s'empara  de  cjiiel(|ues  places 
et,  en  MyS,  .lavarin  se  rendit  à  lui.  (let  exploit 
fut  le  dernier  du  rè^ne  et  de  la  vie  de  ce  Sultan 
qui  mourut  la  iTième  année. 

Henri  IV  venait  de  déclarer  la  guerre  à  l'Es- 
pagne ;    le    sieur    de    l^rôves    eut    ordre    d'offrir 
à  Méhémet  111,  fils  et   successeur  d'Amurat,  la 
jonction  des  forces  navales   de  la  France   à  la 
flotte  ottomane,    ainsi  que   de   proposer  que  la 
première  place    conquise   sur  l'Espagne   devînt 
pour   les  Maures  de  ce  royaume  un  lieu  d'asile 
et  de  sûreté.   11  parait  que  ce  plan  émanait  du 
fameux  Antoine  Pérez,  confident  de  Philippe  II 
et  ensuite  tombé   dans  sa   disgrâce.    Fugitif  et 
retiré  en  France,  il  avait  un  émissaire  à  la  Porte 
pour  y  représenter  la  facilité  et  l'avantage  d'atta- 
quer l'Espagne,    promettant   d'y   faire    livrer   à 
l'année  turque  lorsqu'elle  paraîtrait,  deux  postes 
importants.  Ces  propositions,  dit  le  Tarikhi  Sela- 
niky,  éblouirent  d'abord  la  Porte  ottomane  ;  mais 
le  manque  de  confiance  empêcha  de  les  accep- 
ter. Ce  fut  peu  d'années  après  sur  le  motif  de 
ces  intrigues  à  Paris  et  à  Constantinople,  attri- 
buées  aux  Maïu-es,  que   Philippe    111    fonda    le 
décret  de  leur  expulsion  d'P^spagne. 

Méhémet  111  commanda  son   armée  de  Hon- 


SUR    L'AMBASSADE     D  F.    TURQUIE.  65 

grie  en  personne  pendant  la  campagne  de  i  ^96. 
De  Brèves  et  Richard,  ambassadeur  d'Angleterre, 
l'avaient  suivi  ;  ils  se  trouvèrent  à  la  bataille 
d'Agria  et  ils  accompagnèrent  dans  sa  fuite  le  Sul- 
tan vainqueur  qui  s'était  cru  battu.  C'est  sous  son 
règne  que  s'introduisit  le  changement  fatal  au 
corps  des  janissaires  dont  on  a  déjà  parlé.  On 
cessa  de  les  recruter  parmi  les  captifs  ou  enfants 
de  tribut,  et  dès  lors,  ils  perdirent  cette  énergie 
et  ce  dévouement  guerrier  qui  caractérisaient 
cette  milice ,  conformément  aux  vues  de  son 
instituteur. 

La  flotte  ottomane,  commandée  par  le  pacha 
Cicala,  infesta  la  côte  de  Naples  pendant  la 
campagne  de  1597-  De  Brèves  accusa  l'amiral 
turc,  né  sujet  vénitien,  d'avoir  ménagé  le  pays, 
imputation  dont  ce  dernier  trouva  moyen  de  se 
laver. 

Henri  IV  chargea  son  ambassadeur  de  pro- 
poser à  la  Porte,  cette  même  année,  un  traité 
d'alliance  entre  la  France  et  l'empire  ottoman 
contre  l'Espagne;  mais  il  ne  put  obtenir  que  le 
renouvellement  des  traités  précédents;  encore 
les  Anglais  et  les  Vénitiens  f\u"etu-ils  exceptés, 
cette  fois,  de  l'obligation  de  naviguer  en  Levant 
sous  la  bannière  de  France. 

La  paix'^  de  Vervins,   en    1^98,  rétablit  l'Iiar- 


66  M  f-  M  O  I  K  h 

nioiiic  ctitrc  hi  Irancc  et  ri']spa^nc;  iiiais  la 
^(lierre  (le  la  l^)rte  avec  la  maison  (rAiitnche 
continuait  en  Hongrie.  Les  historiens  turcs 
placent  à  l'année  suivante  une  anecdote  dont  les 
auteurs  chrétiens  ne  (ont  pas  une  mention  bien 
distincte,  (^cs  derniers  rapportent  que  l'archiduc 
Mathias  ayant  pris  siu-  les  Turcs  en  Hongrie  le 
château  de  Papa,  en  1597,1a  garnison  qu'il  y 
avait  mise  se  révolta;  mais  Hassan-Beyzadé  dit, 
en  termes  précis,  que  les  Allemands  avaient,  en 
I  599,  des  troupes  françaises  à  leur  solde  ;  qu'une 
division  de  3,000  hommes  de  ce  corps  était  en 
garnison  à  Papa;  que  ces  Français,  mal  traités  et 
mal  payés,  formèrent  le  projet  de  hvrer  la  place 
aux  Turcs  et  trouvèrent  le  moyen  de  le  faire 
savoir  au  vizir,  demandant  qu'un  détachement 
se  présentât  pour  faciliter  l'opération  et  qu'on 
leur  assurât  d'acquitter  la  paye  qui  leur  était  due 
par  l'Empereiu-  ainsi  que  de  les  incorporer  dans 
l'armée  ottomane.  Tout  cela  fut  accordé.  A  l'ap- 
parition des  Turcs,  les  Français  se  soulevèrent, 
firent  main  basse  sur  les  Allemands  et  ouvrirent 
les  portes  du  château  comme  ils  en  étaient  con- 
venus; mais  le  grand  vizir,  au  lieu  de  hâter  l'en- 
voi d'un  renfort,  se  laissa  prévenir  par  le  général 
allemand.  Ce  dernier  fit  attaquer  Papa  si  vive- 
vement   que   les  Français,  après  l'avoir  détendu 


SUR     L'AMBASSADK    DK    TLRQLIK.  67 

lin  mois  de  suite  avec  beaiicou})  de  courage,  se 
virent  forcés  de  l'abandonner  de  nuit  et  de  tâcher 
de  gagner  les  hauteurs  pour  se  sauver  à  Belgrade. 
Les  ennemis  en  iirent  un  horrible  carnage,  et 
six  cents  de  ces  malheureux  purent  à  peine  y 
arriver;  on  en  prit  grand  soin,  on  leur  fit  de 
fortes  largesses  et  ils  furent  mis  à  la  solde  du 
Grand  Seigneur.  Ces  Français,  dit  l'historien  turc, 
servirent  avec  le  plus  grand  zèle.  L'année  sui- 
vante ils  ouvrirent  la  première  tranchée  au  siège 
de  Canise  ;  Hassan-Beyzadé  ajoute  que  ceux 
d'entre  eux  qui  vivaient  encore  sous  le  règne 
d'Osman  II  le  suivirent  en  Pologne  et  se  signa- 
lèrent à  l'expédition  de  Chotin. 

On  poiuTait  croire  que  ces  Français  avaient 
été  conduits  en  Hongrie  par  le  duc  de  Mercœur, 
lequel,  après  son  accommodement  avec  Henri  IV 
passa  au  service  de  l'Empereiu^  Adolphe  II.  On 
trouve  en  effet  dans  le  Journal  de  VEstoilc,  à 
l'année  1600,  que  MéhémetlII,  sensible  au  revers 
qu'avaient  éprouvé  ses  armes  depuis  que  le  duc 
de  Mercœiu-  commandait  les  Impériaux,  envoya 
en  France  \u\  médecin  renégat,  nommé  Barthé- 
lémy de  Cuociu-,  poiu-  se  plaindre  à  Henri  de  ce 
qif  il  avait  permis  à  un  de  ses  sujets  de  se  mettre 
à  la  tète  des  ennemis  de  la  Porte.  La  réponse  du 
Roi  lut  que  le  duc  de  Mercn.Hir  était    un    prince 


68  MfMOIin. 

(le  l;i  iiKiisoi)  (le  I  .oiTainc  siii-  lc(|ucl  il  iiaNan 
aïKimc  :iiii()i-ité'.  Henri  se  plaignit  à  son  tour  des 
déprcjdations  que  les  Ikirbaresques  exerçaient 
sur  ses  sujets,  (^e  ^ricF  parvint  à  la  l-*orte  dans 
un  temps  où  elle  sut  le  refus  du  Roi  d'entrer 
dans  une  li^aie  contre  elle,  ménagée  par  le  Pape 
Clément  VIII,  comme  on  le  voit  dans  les  lettres 
du  cardinal  d'Ossat.  iMéhéniet,  qui  en  fut  recon- 
naissant, châtia  sévèrement  les  excès  des  pachas 
de  Tunis  et  d'Alger. 

On  peut  juger  de  l'attention  de  Henri  IV^  à 
maintenir  sa  considération  et  son  crédit  à  la  Porte 
par  ce  que  mandait  le  comte  de  Cézy,  ambassa- 
deur de  l^-ance  en  Turquie,  dans  une  lettre  datée 
de  Constantinople  le  12  juillet  1626:  «  J'ai,  dit-il, 
des  mémoires  de  M.  de  Villeroy  et  des  actes  de 
chancellerie  par  lesquels  il  se  voit  qu'un  homme, 
en  qualité  de  trésorier  ou  contr(jleur,  était  ici  au- 
près de  l'ambassadeur  avec  pouvoir  d'y  dépenser 
jusqu'à  cent  mille  écus  par  an.  Aussi  étions-nous 
très-puissants  à  la  Porte  et  dans  tout  le  Le- 
vant.   » 

De  Brèves  renouvela  encore,  en  1604,  avec 
Ahmed  I",  fils  et  successeur  de  Méhémet  III, 
les  traités  entre  la  France  et  l'empire  ottoman. 
(]et  acte  est  le  plus  ancien  des  trois  qui  for- 
ment aujourd'hui  le  corps   de  nos  capitulations. 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  69 

Cet    ambassadeur   fut    relevé    par    le    baron  de 
Salignac,     qui     moiu-ut,     ainsi    que    Henri    IV, 

en  1610. 

Le  baron  de  La  Mole,  successeiu-  de  Salignac, 
arriva  à  Constantinople  l'année  suivante.  On  ne 
voit  point  sur  quel  fondement  Dumont,  dans  son 
Recueil  diplomatique,  attribue  aux  bons  offices 
de  l'ambassadeur  de  France  la  conclusion  du 
premier  traité  des  États  généraux  avec  la  Porte 
qui  fut  signé  en  161 2.  Rien  n'indique  que  La 
Mole  ait  eu  ou  dû  avoir  de  pareils  ordres. 

La  mort  prématurée  d'Ahmed  I"',  en  1617, 
fut  pour  la  monarchie  turque  un  événement  fu- 
neste. Osman,  son  fils  aîné,  n'avait  que  treize 
ans  et  les  grands  de  l'empire  jugèrent  à  propos 
de  lui  préférer  Mustapha,  son  oncle,  qu'Ahmed, 
plus  humain  que  ses  prédécesseiu-s,  avait  laissé 
vivre  peut-être  à  cause  de  son  imbécilhté.  C'est 
le  premier  exemple  de  succession  collatérale 
dans  la  dynastie  ottomane.  Le  nouveau  Sultan 
montra  bientôt  son  incapacité.  11  en  résuka  des 
troubles  et  des  intrigues  qui  relâchèrent  lesrouages 
du  gouvernement,  lequel  n'a  jamais  pu,  depuis, 
regagner  sa  première  énergie.  Le  baron  de  La 
Mole  éprouva  sous  le  règne  de  ce  Sultan  une 
violence,  jusque-là  sans  exemple,  dont  on  donne 
ailleurs  le  détail.  L'imbécile  Mustapha   ne  tarda 


70  \ii.M(jiin 

pas  à  être  j)rcci|)itc  du  inMic.  On  le  uni  ci)  pri- 
son, cl  h»  couronne  passa  sur  la  ictc  (r()smaii.  son 
neveu. 

( -e  prime,  mal^n'é  sa  jeunesse,  annonçait  de 
grands  talents;  déterminé  à  (aire  la  guerre  à  la 
l^ologne,  il  s'allia  avec  Gustave-Adolphe  contre 
cette  République,  combinaison  ((ui  fait  honneur 
à  la  poHtique  d'Osman  •  il  commanda  lui-même 
son  armée,  eut  des  succès  et  des  revers,  et  ter- 
mina cette  guerre  en  conservant  la  place  de  (^ho- 
tin  qu'il  avait  prise. 

La  mauvaise  conduite  que  tinrent  sous  ses 
ordres  les  troupes  ottomanes  lui  fit  voir  la  néces- 
sité d'y  rétablir  la  discipline  que  les  successeurs 
de  Soliman  avaient  laissé  relâcher.  Malheureu- 
sement ce  pi"Ojet  fut  pénétré;  les  corps  de  milice 
se  soulevèrent,  forcèrent  le  sérail  et  tirèrent  de 
prison  Mustapha  pour  le  remettre  sur  le  trône. 
L'infortuné  Osman,  accablé  d'injures  et  de  coups, 
fut  conduit  sur  un  méchant  cheval  aux  Sept-Tours 
(  outrage  que  Cantémir  dit  faussement  avoir  été 
éprouvé  par  Mustapha  1"),  et  peu  de  jours  après 
étranglé.  Ainsi  périt  ce  jeune  prince  de  grande 
espérance  et  qui  aurait  pu  rendre  son  ancien 
lustre  à  l'empire  ottoman.  Il  avait,  selon  les  his- 
toriens turcs,  épousé  la  fille  d'un  muphti  ;  les 
Sultans    ne    contractent    pas    ce  lien    avec   des 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  71 

femmes  esclaves  nées  dans  une  religion  diffé- 
rente :  mais  le  mariage  est  de  devoir  lorsqu'il 
s'agit  d'une  musulmane  d'origine,  qu'on  ne  peut 
posséder  qu'à  ce  titre.  Mustapha  III  a  été,  de  nos 
jours,  plusieurs  fois  dans  ce  cas  et  la  célébration 
s'est  faite  sans  aucune  cérémonie  par  le  muphti. 

Il  est  étonnant  que  Cantémir,  qui  avait  l'his- 
toire turque  sous  les  yeux,  fasse  monter  Osman 
sur  le  trône  à  huit  ans  et  périr  à  douze.  On  ne 
peut,  à  cet  âge,  ni  commander,  ni  mécontenter 
son  armée  et  son  peuple.  Ce  Sultan,  dans  son 
court  règne,  répara  l'outrage  fait  au  baron  de 
La  Mole  et  écrivit  à  Louis  XIII  à  cette  occasion. 

Le  second  règne  de  Mustapha  fut  de  quinze 
mois.  Il  ût  tant  d'extravagances  que  les  grands 
de  rÉtat  préférèrent  d'être  gouvernés  par  le  jeune 
Murad,  frère  cadet  d'Osman,  ayant  à  peine 
quinze  ans,  plutôt  que  par  cet  insensé,  qui  fut  re- 
mis en  prison. 

Pendant  la  minorité  de  Louis  XIII,  l'Espagne 
avait  pris  de  l'influence  en  France  et  la  liaison 
avec  les  Turcs  y  fut  un  peu  négligée  ;  mais  le 
ministère  du  cardinal  de  Richelieu  la  remit  bien- 
tôt en  activité.  C'était  une  partie  essentielle  de 
son  plan  d'abaissement  de  la  maison  d'Autriche; 
on  connaît  le  mot  fameux  de  la  première  dépèche 
de  ministre  aux  ambassadeurs   de  France  dans 


7.,  MI.MOIIM. 

les  lours  ctniM^èrcs  :  "  I  ,c  conseil  du  Uoi  :i 
chauffé  de  ni;txiines,  etc.   » 

Le  comte  de  (lé/y,  successeur  (.lu  biiron  de 
La  Alole,  eui  ordi-e  de  tenter  i  iethleiii -(  J:d}or, 
prince  de  1  ransvlvaiiie,  alors  leudataire  et  tri- 
butaire des  liircs,  par  Tollre  d'un  subside  pour 
c|u"il  armât  et  attaquât  les  Ltacs  de  l'Empereur, 
(jabor  en  demanda  la  permission  à  la  Porte,  qm 
y  donna  les  mains  comme  une  suite  du  traité 
d'Osman  avec  Gustave-Adolphe,  lequel  avait 
alors  lin  ministre  à  Constantinople.  (.'était  l'é- 
poque de  ses  premières  liaisons  avec  la  France. 

Miirad  prescrivit  aussi  au  prince  de  Transyl- 
vanie de  protester  contre  l'élection  qui  devait  se 
faire  d'un  roi  de  Hongrie  dans  la  personne  duiils 
de  Ferdinand  U;  elle  n'en  eut  pas  moins  lieu, 
et,  l'année  d'après,  le  Sultan  s'accommoda  avec 
l'Empereur.  Le  Roi  d'Espagne  tenta  de  son  côté 
de  conclure  une  trêve  avec  la  Porte,  mais  il  y 
rencontra  les  mêmes  obstacles  que  son  père 
Philippe  II;  l'historien  vénitien  Sagredo  dit  que 
l'ambassadeur  de  France  répandit  l'argent  à 
pleines  mains  pour  empêcher  que  le  vice-roi  de 
Naples  ne  réussît  dans  cette  négociation,  dont  il 
était  l'organe.  C'est  toujours  la  ressource  des 
écrivains  mal  instruits  d'attribuer  à  la  corruption 
des  ministres  de  la  Porte   toutes  ses  opérations 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  73 

politiques.  On  aurait  peine  à  citer  avec  vérité 
qtielques  événements  d'importance  produits  par 
cette  cause  en  ce  temps  ;  on  voit  dans  les 
dépêches  du  comte  de  Cézy  que,  loin  d'avoir  des 
fonds  à  y  employer,  il  était  dans  la  péntu-ie  la 
plus  extrême.  Cet  ambassadein-  écrivait  le  8  mars 
1626,  que  ceux  d'Angleterre  et  des  républiques 
de  Hollande  et  de  Venise  s'étaient  réimis  à  lui 
pour  mettre  obstacle  à  cette  trêve  et  qu'ils 
s'étaient  servis  utilement,  pour  contrecarrer  le 
Vice-Roi,  de  la  découverte  des  menées  espagnoles 
chez  les  Polonais  et  les  Cosaques  engagés  à 
continuer  leurs  incursions  dans  la  mer  Noire.  De 
tels  moyens,  mis  en  œtivre,  suffisaient  bien  potir 
empêcher  la  négociation  d'Espagne  de  réussir. 

Des  barques  cosaques  s'introduisirent,  en 
effet,  cette  même  année,  dans  le  canal  de 
Constantinople  pour  y  saccager  des  villages  à 
deux  lieues  de  la  capitale.  On  y  pourvut  pour 
l'avenir,  en  construisant  des  châteaux  qui  en 
défendaient  l'entrée,  mais  qui,  depuis  les  pro- 
grès de  l'art  de  la  fortification,  ne  remplissent 
plus  leur  objet.  Les  (Cosaques  ne  bornèrent  pas 
là  leurs  exploits:  ils  s'emparèrent  d'Azof,  située 
au  fond  de  la  mer  de  Zabache  à  l'embouchin-e  du 
Don  et  en  firent  leur  place  d'armes  pour  continuer 
ieiu\s    ravages    sur    les   cotes    de    la    mer  Noire. 


74  M  IM(;l  in. 

Ahir;i(l  s'en  ncii^lm  par  imc  loiursion  des  1  ;i)"- 
l:ii-es  en  Kiissie.  1  .e  c/.ar  Mu  liel  1  'rdeiowitth  en 
(ni  ii-ès-e(ir;iyé  et  il  envoya  un  ambassadeur  à 
la  Porte  |)our  donner  l'assurance  ([u'd  n'a\aii 
point  de  paiM  a  la  surprise  d'Azol,  (aite  j)ar  des 
Cosaques  indéj)eiulaiits. 

Le  Siilran  était  !)ien  moins  occupé  de  ce  qui 
se  passait  en  lùirope  que  de  sa  guerre  avec  la 
Perse.  Richelieu,  qui  le  vo3^ait  absorbé  par  cette 
diversion,  s'occupa  delà  faire  cesser.  Il  dépêcha 
en  Ttu-quie  un  sieur  Deshayes  (|ui  devait  olîrir  à 
la  Porte  la  médiation  du  Roi  entre  elle  et  la  cour 
d'Ispahan,  où  il  devait  passer  ensuite.  Deshayes 
vint  à  (^onstantinople;  mais  il  parait  que  des 
obstacles  l'empêchèrent  de  suivre  sa  mission  jus- 
qu'au bout. 

Probablement  Murad  lier  de  la  conquête 
de  Bagdad  refusa  de  se  prêter  à  la  médiation  de 
la  France. 

Richeheu  ne  perdit  pas  pour  cela  de  vue  son 
objet  d'inquiéter  la  cour  de  Vienne  de  ce  coté 
dans  les  instructions  qu'il  donna  en  1639  à  M.  de 
la  Haye,  successeur  de  M.  de  Gézy.  On  voit  qu'il 
lui  était  prescrit  d'engager,  s'il  le  pouvait, 
Ragotzki,  successeur  de  Bethlem-Gabor  dans  la 
principauté  de  Transylvanie,  par  l'offre  de 
200,000  rixdalers  la  première  année  et   i  >o.ooo 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  75 

les  suivantes,  à  faire  des  hostilités  contre  les 
Etats  impériaux,  avec  promesse,  au  cas  qu'il  vînt 
à  succomber,  d'une  pension  de  50,000  rixdalers 
par  an.  Cette  convention  fut  ménagée  par 
Torstenson,  agent  de  Suède  auprès  de  Ragotzki. 
L'auteiu'  de  VHistoù'c  du  cardinal  Mayarin  dit 
que  ce  Suédois  stipula  poiu'  les  deux  couronnes, 
et  que,  dans  l'acte,  la  Reine,  sa  maîtresse,  fut 
constamment  nommée  avant  Louis  Xlll,  ce  qui 
piqua  Richelieu  et  l'engagea  à  dépécher  en 
Transylvanie  le  sieur  de  Croissy-Fouquet  pour 
y  traiter  directement  les  affaires  du  Roi. 

Il  était,  en  outre,  prescrit  à  M.  de  la  Haye  de 
détourner  Murad  du  projet  d'attaquer  les  Véni- 
tiens, et  même  de  chercher  à  lui  inspirer  l'idée 
d'une  alliance  avec  eux  pour  assaillir  de  concert 
les  Espagnols  dans  les  deux  Siciles  et  d'en  faire 
avec  la  République,  après  la  conqtiéte,  un 
échange  pour  l'île  de  Candie,  qui  était  plus  à  la 
convenance  de  la  Porte. 

Richelieu  observait  à  l'ambassadeur  que  l'in- 
térêt du  roi  n'était  pas  que  Candie,  plus  que  Naples 
et  la  Sicile,  tombât  aux  mains  des  Turcs,  mais 
qu'il  s'agissait  d'opérer  une  diversion  pour  forcer 
la  maison  d'Autriche  à  la  paix.  On  retrouve  dans 
cette  dernière  partie  de  l'instruction  hi  manière 
de  François    I"  et  de  Hciui    II,  ([ui   se   sorvaicni 


(les  I  iiri-s  s;ii)s  iroj)  s'ciiih:irr;issci-  de  iciiii-  leurs 
cnf^n^'-cnicuis  :ivcc  eux.  il  s'en  t';ill:ii(  l)c:nu()ii() 
(|ii  on  eût  alors  des  |)nii(i[)es  de  s;nne  ()olnit|ue 
a  regard  des  infidèles,  il  snlîit.  pour  en  jii^er. 
de  lire  rinseription  (|ni  est  au-dessous  de  la  sta- 
tue de  i.ouis  XIII  a  la  place  Koyale  de  Pans.  Oti 
y  voit  ces  deu.x  vers  : 

J'eusse  accaijuc  l'Asie  ec,  d'un  pieux  eliort, 
.l'eusse  du  saint  tombeau  venu,é  le  long  servage. 

Le  cardinal  de  Kichelieu,  (|ue  le  total  de  lin- 
scription  reg-ardc  encore  plus  que  son  iiiaitre.  ne 
pensait  sûrement  pas  à  renouveler  les  croisades; 
mais  ce  lang-age,  sous  son  ministère,  montre 
quel  était  l'esprit  du  temps. 

Sagrcdo  rapporte,  à  cette  époque  de  16^9, 
ime  conversation  entre  le  caïmakan  ou  vice- 
gérant  du  grand  vizir,  alors  absent  et  Tambas- 
sadeiir  de  Venise,  où  l'on  voit  des  lumières 
politiques  qu'on  ne  trotiverait  pas  chez  les  Tiu-cs 
d'aujourd'hui.  L'ambassadeur,  qui  cherchait  à 
accommoder  un  différend  de  sa  République  avec 
l'empire  ottoman,  laissait  entrevoir  à  ce  ministre 
qu'au  besoin  elle  serait  puissamment  secourue 
parles  princes  chrétiens  :  u  Vous  me  faites  rire, 
lui  dit  le  caïmakan.  lorsque  vous  tâchez  de  m 'ef- 
frayer des  forces  de  la  chrétienté,  ('/est  une  chi- 


SUR    l.AMBASSADt:    DE    TURQUIK.  77 

mère  qui  n'a  rien  de  terrible  que  le  nom.  Je  sais 
que  l'Empereur  n'a  point  d'argent,  qu'il  a  en 
môme  temps  sur  les  bras  les  Français  et  les 
Suédois,  auxquels  il  peut  à  peine  faire  tête  ;  que 
la  France  ne  se  déclarera  jamais  contre  nous,  si 
elle  ne  veut  agir  contre  ses  véritables  intérêts; 
que  les  Espagnols  sont  si  pressés  par  les  Français 
et  ont  tant  d'affaires  chez  eux  qu'ils  n'ont  pas  le 
temps  de  songer  à  celles  de  leurs  voisins;  à 
l'égard  du  Pape  et  des  autres  princes  d'Italie, 
ils  voudraient  bien  nous  faire  du  mal,  mais  ils 
n'en  ont  pas  la  force  ;  pour  les  Anglais  et  les 
Hollandais,  ils  seront  bien  aises  que  vous  nous 
déclariez  la  guerre,  parce  qu'il  feront  votre  com- 
merce. ') 

On  ne  peut  nier  que  ce  tableau  de  l'Eiu-ope, 
à  cette  époque,  ne  soit  parfaitement  bien  vu.  Les 
Vénitiens  le  sentirent  et  arrangèrent  lein-s  affaires 
en  donnant  au  Sultan  2^0,000  sequins. 

M.  de  la  Haye  arrivait  à  peine  à  Constanti- 
nople  que  Murad  IV  mourut.  Ce  Sultan  a  été  le 
seid  descendant  de  Soliman,  digne  à  quelques 
égards  de  ce  grand  prince.  C'est  le  dernier 
Empereiu'  guerrier  qu'aietit  eu  les  Turcs,  et  sa 
mémoire  est  encore  parmi  eux  en  vénération  à 
cet  égard;  mais  c'était  un  barbare  :  dans  le  cours 
de    son    règne,  il  lit   périr  Mustapha,  son  oncle. 


7M  M  I    \I(Jl  l{  f. 

deux  (le  SCS  (rèrc's  ci  l;i  pliipiiri  de  ses  nimisircs 
et  de  ses  f^criér:iii\.  Il  ()s;i  melti-e  :i  nioii  iiii 
l\h;iii  des  I  ;irl:ircs  cl  un  iiuiphti,  doiii  les  per- 
sonnes oni  toujours  été  réj)iiiécs  m\  i(jlai)lcs. 
I):nis  lin  cnipn'c  s:ifis  lois  (on(l:inicnt:tles,  le  des- 
potisme sous  un  prince  ii-rit:il)le  cl  eiurepi"en:int 
n'a  point  de  Irein,  comme  aussi  dans  les  mains 
d'un  prince  faible,  il  est  sans  énergie. 

La  mon  de  Louis  Xlll,  en  164^,  avait  suivi  de 
près  celle  de  Kichelieu:  mais  le  système  de  ce 
dei'nier  rutadopté  par  ALi/arin,  principal  ministre 
pendant  la  minorité  de  Louis  XIV.  (le  cardinal 
confirma  les  ordres  qu'avait  reçus  M.  de  la  Haye 
de  tâcher  de  faire  agir  contre  LEmpereur  le 
prince  de  Transylvanie  Ragotzki.  Celui-ci  déter- 
miné par  les  avantages  qu'on  lui  offrait,  demanda 
à  la  Porte,  en  1644,  la  permission  d'attaquer  la 
Hongrie  et  l'obtint.  Le  ministère  ottoman  donna 
même  des  ordres  au  Pacha  de  Mude  d'envoyer 
au  besoin  un  secours  de  six  mille  hommes  à  Ra- 
gotzki.  C>c  prince  passa  le  Libisque,  s'empara 
de  Cassovie,  s'avança  à  Presbourg,  et  ayant  pris 
ensuite  une  bonne  position  auprès  de  Vienne,  il 
conclut  à  son  très-grand  avantage  et  sans  s'occu- 
per de  ses  alliés  un  accommodement  avec  l'Lm- 
pcreur. 

('ette  même  aiuiée  ^•it  conunenccr  une  guerre 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  79 

qui  dura  vingt-cinq  ans  entre  la  Porte  et  la  Ré- 
publique de  Venise.  Les  galères  de  Malte  prirent 
alors  dans  les  eaux  de  Candie  un  gros  bâtiment 
turc  allant  de  Constantinople  en  Egypte,  où  était 
embarqué  le  Kizlar  Aga  (chef  des  eunuques  noirs 
du  sérail)  et  plusieiu-s  autres  grands  officiers 
avec  des  effets  précieux.  Ibrahim  qui  ne  s'enten- 
dait pas  mieux  à  la  politique  qu'au  droit  des  gens, 
força  les  ambassadeurs  de  France,  d'Angleterre, 
de  Venise  et  des  États  généraux,  c'est-à-dire 
tous  les  ministres  étrangers  qui  résidaient  alors 
à  la  Porte,  de  comparaître  devant  le  Kadilesker 
de  Natolie  ou  grand  juge  d'Asie,  lequel  leur 
témoigna  l'indignation  qu'éprouvait  Sa  Hautesse 
de  la  prise  du  galion.  Il  les  requit  de  l'informer 
qui  avait  averti  les  galères  de  Malte  du  départ 
de  ce  bâtiment.  M.  de  la  Haye,  sans  répondre  à 
cette  interrogation  qui  n'était  qu'une  imputation 
indirecte,  se  contenta  d'observer  au  Kadilesker 
que  Malte  était  un  Etat  indépendant  où  le  Roi 
n'avait  point  d'ordre  à  donner.  Cette  démarche 
ridicule  n'eut  point  d'autres  suites;  mais  le  Sul- 
tan voulait  porter  ses  armes  contre  cette  ile.  (^n 
le  fit  revenir  au  projet  de  s'emparer  de  (Candie, 
la  clci' de  l'Archipel,  sous  prétexte  que  le  vais- 
seau avait  été  pris  dans  ces  parages,  l.a  tlorte 
ottomane  partir  de  (>onsiantinoplc  le  ^o  avril  164^. 


Hi,  Ml    MO  I  I!  I 

IciMii.  i  lii-miii  l.iisaiii.  r;ii-nicc  vciiiiicniic  et  all.i 
iiRMiic  le  sic^c  (l(jv:inl  l:i  (!:incc.  (|iii  lui  cmporiéc 
L'ii  deux  mois.  Les  Vénitiens,  consternes,  s'adres- 
sèretit  :\  l:i  Keioe  réf^ente  pour  oI)teiiir  In  paix 
|)ar  son  enireiiiise  ;i  la  Porte.  Il  était  dans  Tinté- 
rét  (le  la  l*ranee  d'arrêter  une  guerre  (|ui  ei7ipè- 
cliair  tome  {li\ersion  des  (orces  ottomanes  contre 
les  deux  branches  autrichiennes.  Ma/arin  exj)é- 
dia  à  (  Constant inople  le  sieur  de  \  ai'ennes  poiw 
aj^puyer  l'odre  cpie  faisait  la  Répul)li(|ue  d'une 
forte  somme  d'argent  en  indemnité  du  vaisseau 
enlevé,  à  condition  que  les  Turcs  évacuassent 
-  Candie;  mais  le  ministère  ottoman  tint  ferme  à 
exiger  cession  de  l'île,  en  tout  ou  en  partie:  on 
insinua  même  à  MM.  de  \'arennes  et  de  la  Haye 
que  leur  insistance  en  faveur  des  \  énitiens 
déplaisait  au  Sultan. 

La  vigueur  de  la  j^remière  campagne  des 
Turcs  en  (landie  ne  s'y  soutint  point  dans  les  sui- 
vantes. La  discorde  intestine  était  toute  énergie 
aux  opérations  militaires.  Kn  1648.  la  révolte 
générale  des  milices  précipita  Ibrahim  du  trùne. 
(]e  prince  fut  étranglé  dix  joiu-s  après.  L'aîné  de 
ses  enfants,  qui  le  remplaça  sous  le  nom  de  Mé- 
hémet  1\  .,  n'avait  que  sept  ans.  Cette  minorité, 
sans  exemple  jusqu'alors,  et  depuis,  dans  la  mo- 
narchie   ottomane,    enti'aîna    une    administration 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  8i 

d'un  nouveau  genre,  dans  laquelle  la  Sultane  Kieu- 
cem,  mère  d'Ibrahim,  eut  d'abord  la  prépondé- 
rance. Mais  une  conspiration  ôta  la  vie  à  cette 
femme  intrigante.  L'autorité  demeura  entre  les 
mains  des  grands  de  l'État  comme  une  proie  qu'ils 
s'arrachaient  tour  à  tour.  Les  affaires  de  la  guerre 
s'en  ressentirent.  On  entama  à  la  vérité  le  siège 
de  la  ville  de  Candie,  capitale  de  l'île,  mais  comme 
on  ne  pouvait  y  envoyer  des  renforts  sans  com- 
battre la  flotte  vénitienne  en  croisière  aux  Dar- 
danelles et  maîtresse  de  la  mer,  le  siège  ne  fai- 
sait pas  de  progrès.  L'escadre  ottomane  ayant  été, 
peu  après,  battue  à  plate  couture  par  celle  de  la 
République,  la  conquête  de  l'île  de  Lemnos  et 
de  Ténèdos  fut  le  fruit  de  cette  victoire. 

Heureusement  pour  les  Turcs  la  fortime 
plaça  au  poste  de  grand  vizir  le  vieux  Méhémet 
Kupruly.  Loin  d'être  abattu  par  ces  revers,  il  mit 
en  mer  une  nouvelle  flotte,  reprit  les  deux  îles 
et  fit  continuer  le  siège  de  Candie.  Le  Sénat, 
découragé,  offrit  alors,  par  le  canal  de  M.  de  la 
Haye,  de  céder  la  moitié  de  l'île  à  la  Porte;  mais 
elle  ne  s'en  contenta  plus.  Le  Vénitien  Nani,  qui 
a  écrit  l'histoire  de  ce  temps,  accuse  l'ambassadeur 
de  France  d'avoir  amusé  le  Sénat  par  de  vaines 
espérances,  (''était  mal  payer  iM.  de  la  Haye  de 
ses  peines  et  des  affronts  sanglants  qu'il  éprouva 


83  MF..MUII{K 

(les  Iiiixs  à  cette  occwsioti  ,  comme  on  le  nij)- 
porte  ailleurs,  kiipriily  se  cvui  dans  le  cas 
d'entrer,  à  cet  égard,  en  justification  vis-à-vis  de 
I  .ouis  X I  \'  aucjuel  il  ccn\  it  ;  mais,  cette  démarche 
ne  .satislit  point  le  Koi,  dont  on  peur  dire  cpie  le 
ressentiment  réj^la  quelque  leiiips  la  politique. 
Ne  doit-on  pas  en  elî'et  cpialificr  ainsi  les  secours 
que  ce  monarc|ue  donna  dans  les  années  qui  sui- 
virent aux  Vénitiens  en  (landie,  et  à  ri'.mpereur 
en  Hongrie?  (>eux  cpren  reçut  cette  Hépublicpie 
ne  lui  profitèrent  guère.  Dès  1660,  le  prince 
Alméric  d'Esté,  commandant  ime  escadre  fran- 
çaise ayant  à  bord  quatre  mille  hommes  de 
débarquement,  joignit  à  Cérigo  l'armée  véni- 
tienne potir  tenter  Tescalade  de  la  ('anée,  entre- 
prise qui  échoua  avec  quelques  pertes,  par  la 
précipitation  des  troupes. 

Les  troubles  de  Iransylvanie  renouvelèrent 
la  guerre  entre  la  Porte  et  la  cour  de  \'ienne  à 
la  mort  de  Rakoczy;  Tune  et  l'ature  puissance 
prétendirent  au  droit  de  lui  nommer  un  succes- 
seur. Méhémet  Ktipruly,  qui  entama  cette  affaire, 
fut  remplacé  à  son  décès  par  son  iîls  aine  Ahmed, 
lequel  attaqua  en  personne  la  ville  de  Neuh^usel, 
qu'il  prit.  Ses  progrès  effrayèrent  l'Empereur 
Léopold,  qui  eut  recours  à  Louis  XiV,  sous  pré- 
texte dti  danger   que  coiu-ait   la   chrétienté.  Le 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  83 

monarque  envoya  à  l'armée  impériale  en  Hongrie 
un  secours  de  six  mille  hommes  commandés  par 
le  comte  de  Coligny,  lequel  ne  put  se  trouver  en 
personne  à  la  bataille  de  Saint-Gothard,  gagnée 
par  le  comte  de  MontecucuUi  sur  les  Turcs,  le 
i"  août  1664.  Les  Français,  sous  les  ordres  de  la 
Feuillade,  s'y  distinguèrent.  L'Empereur  profita 
de  cet  avantage  pour  conclure  le  17  septembre 
suivant  une  trêve  de  vingt  ans.  Cet  intervalle  de 
repos  fut  occupé  tout  entier  par  la  cour  de 
Vienne  en  intrigues  ou  en  guerres  contre  la 
France;  c'est  tout  le  prix  que  celle-ci  retira  de 
la  part  qu'elle  avait  prise  au  succès  des  troupes 
impériales. 

La  même  année,  Louis  XIV,  ayant  résolu  de 
punir  les  Algériens  des  violences  qu'ils  commet- 
taient siu-  le  pavillon  français,  donna  le  premier 
essor  à  sa  marine,  qu'il  venait  de  créer  :  il 
fit  attaquer  par  ses  forces  navales  comman- 
dées par  le  duc  de  Beaufort,  son  amiral,  la  place 
de  Gigeri,  en  Afrique;  elle  se  rendit,  mais  les 
Maures  la  reprirent  quelque  temps  après. 

Ce  monarque,  revenant  au  véritable  système 
de  son  Etat,  tenta  de  renouer  avec  la  Porte.  Il 
écrivit  au  Sidtan  pour  justifier  les  secours  qu'il 
avait  donnés  à  la  cour  impériale,  l'aimée  précé- 
cédente,    sur    l'obligation    où    il    était,    comme 


84  MfNKMRK 

Prince  de  l'Ijupire,  d'en  :iider  le  chef.  Il  en 
veiKHt  ensuite  :i  l;i  juste  ven^eiinee  {|ird  ;iv;ni  été 
forcé  de  prendre  de  la  régence  d'Aller  par  le 
sié^e  de  (îi^eri,  et  il  annonçait  lintention  de  C(;n- 
server  cette  |)lace  pour  la  sûreté  du  commerce  de 
ses  sujets,  i'^nfin,  il  finissait  par  prévenir  qu'il 
nommait  son  ambassadeur  a  la  Porte  le  sieur  de 
la  Haye  lils,  dans  le  cas  où  levi/ii-  promettrait  de 
réparer  dans  la  personne  de  ce  ministre  les 
outrages  qu'avait  éprouvés  son  |)jre  en    I  iirquie. 

Ahmed  Kupridy  répondit  que  l'ambassadeur 
serait  le  bienvenu  et  qu'on  concerterait  avec  lui 
les  mesures  nécessaires  pour  réprimer  les 
régences,  mais  que  la  Porte  ne  consentirait 
jamais  à  ce  que  la  France  possédât  un  pouce  de 
terre  sur  la  cote  de  Barbarie.  11  ne  manqua  pas 
d'observer  que  le  Roi  ne  s'était  occupé  depuis 
trois  ans  qu'à  fournir  des  secours  contre  l'empire 
ottoman  :  «  Les  F^rançais,  dit-il,  sont  nos  amis, 
mais  je  les  trouve  toujoiu's  avec  nos  ennemis.  » 

La  réponse  du  grand  vizir,  sans  être  satisfai- 
sante, décida  Louis  XIV  à  faire  partir  M.  de  la 
Haye  Vantelec.  Ses  instructions  sont  datées  du 
22  août  1665  :  on  n'y  voit  rien  qui  ait  trait  à  la 
politique  générale  de  l'Europe.  Le  Roi  tenait  à 
son  projet  de  faire  agréer  à  la  Porte  qu'il  conser- 
vât une  place  forte  sur  la  côte   d'Afrique  où  le 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  85 

duc  de  Beaufort  avait  battu,  cette  même  année, 
deux  fois  les  Algériens.  Louis  ne  considérait 
alors  la  Turquie  qu'au  point  de  vue  du  commerce 
que  le  ministre  Colbert  commençait  à  faire  fleurir 
dans  le  royamne.  C'est  ce  motif  qui  fit  prescrire  à 
M.  de  la  Haye  de  barrer  les  démarches  que  la 
république  de  Gènes  faisait  alors  à  la  Porte,  avec 
l'appui  des  bons  offices  de  Tempereiu-,  pour  con- 
clure avec  l'Empire  ottoman  un  traité  d'amitié  et 
de  commerce.  On  craignait  en  France  d'avoir,  à  cet 
égard,  les  Génois  pour  concurrents  dans  le  Levant. 

Chardin  rapporte  que  le  résident  de  Gènes, 
ayant  fait  part  à  Louis  XIV  de  l'envoi  du  marquis 
de  Durazzo  à  Constantinople  :  d  Je  souhaite  bon 
voyage,  dit  le  Roi,  à  l'ambassadeur  de  la  Répu- 
blique en  Turquie,  mais  je  ne  sais  ce  que  le 
nôtre  aura  fait  à  ce  sujet.  » 

Ce  fut  inutilement  que  M.  de  la  Haye  repré- 
senta au  grand  vizir  l'admission  des  Génois  comme 
une  nouvelle  brèche  au  privilège  du  pavillon  fran- 
çais sous  lequel  toutes  les  autres  nations  devaient 
naviguer  dans  le  Levant;  en  vain  menaça-t-il  de 
se  retirer  s'ils  étaient  reçus;  Kupruly  n'en  tint 
compte  et  répondit  que  la  Porte  était  ouverte 
pour  y  entrer  comme  pour  en  sortir,  et  que  le 
Roi  ne  pouvait  empêcher  le  (jraiid  Seigneur 
d'admettre    chez    hii    (|ui    hii     plairait.    I^iirazzo 


8^)  M  I  M  ()  f  n  \. 

;irriv:i  :i  Clonstaiitiiicplc  sur  un  vaisseau  de  guerre 
génois;  il  y  (it  uiil'  ciiircc  piii)lic|iic,  cl  en  j)ariam, 
il  y  laissa  un  rcsidcni  de  la  République. 

I  >e  ^rand  vi/.ii-,  tranquille  du  cùté  delà  Hon- 
grie, prit  alors  son  parti  d'attaquer  sérieusement 
Candie;  il  s'etiibarqua  pour  cette  île  à  la  lin  de 
1666  avec  un  transport  considérable  de  troupes 
et  de  munitions,  (^e  ministre  passa  l'hiver  à  la 
Canée  et,  le  22  mai,  il  ouvrit  le  siège  devant  la 
capitale  de  l'île,  entreprise  qtii  fixa  l'attention  de 
l'Europe,  alors  en  paix  de  tous  côtés.  Louis  XIV, 
sollicité  par  les  Vénitiens,  ne  put  se  défendre 
d'armer,  pour  le  secours  de  la  place,  une  escadre 
sous  les  ordres  du  duc  de  Beaiifort,  ayant  à  bord 
tui  corps  de  troupes  commandé  par  le  duc  de 
Noailles.  Cependant,  ahn  de  ménager  la  Porte, 
on  prit  l'expédient  d'arborer  sur  le  vaisseau 
amiral  le  pavillon  de  Sa  Sainteté.  Ce  renfort 
arriva  à  Candie  le  24  juin  1669.  Dès  le  len- 
demain, le  duc  de  Beaufort  fit  une  sortie  qui  ne 
réussit  pas  et  oii  il  dispartit.  Noailles,  découragé 
par  ce  début,  voulut  absolument  se  rembarquer, 
quelque  représentation  qu'on  put  lui  faire.  Le 
président  Hénault  dit  qtie  les  Français  retar- 
dèrent plus  de  trois  mois  la  prise  de  la  ville,  mais 
d'autres  auteurs  prétendent  qu'ils  ne  servirent 
qu'à  la  précipiter.  Elle  se  rendit  le   5  septembre 


SLR    L'AMBASSADE    DE    TL'RQUIE.  87 

suivant  après  une  guerre  de  vingt-quatre  ans. 
Chardin  rapporte  que  le  grand  vizir  ayant 
demandé  au  chevalier  Molino,  plénipotentiaire 
vénitien  qui  négocia  avec  ce  ministre  la  capi- 
tulation de  la  place,  pourquoi  Candie  avait  résisté 
si  longtemps,  celui-ci  répondit  que  c'était  à  l'in- 
stigation du  Roi  de  France  qui  avait  promis  à  la 
République  de  déclarer  la  guerre  aux  Tiuxs.  Il 
est  certain  du  moins  que  Louis  XIV  prit  le  parti 
de  retirer  de  Constantinople  M.  de  la  Haye,  Son 
rappel  qu'on  lui  annonçait  fut  motivé  sur  Fenvoi 
des  troupes  françaises  en  Candie.  Kupruly,  à  qui 
cette  démarche  fit  jDrévoir  la  possibilité  d'une 
rupture  avec  la  France,  expédia  en  Espagne  un 
renégat  portugais  pour  faire  à  cette  cour  des 
ouvertures  d'alliance,  et  celle-ci,  de  son  côté, 
envoya  à  Constantinople  pour  le  même  objet,  un 
prêtre  portugais  nommé  Allegretti  ;  mais  Nani, 
qui  rapporte  ce  fait,  ajoute  que  l'ambassadeur  de 
France,  lequel  n'était  point  parti  malgré  l'ordre 
du  Roi,  se  démena  de  manière  à  faire  congédier 
Allegretti  sans  conclure.  11  est  probable  que 
Kupruly,  couvert  de  gloire  par  hi  prise  de  Can- 
die, ne  s'occupa  plus  à  suivre  son  premier  projet; 
mais  cette  retenue  n'éteignit  pas  la  ranciuie  chi 
vizir  qui  saisit,  peu  après,  l'occasion  de  la  mani- 
fester. 


«8  M  I    WOl  H  I 

M.  (le  Noinlcl,  Micccsscui' (le  M .  tic  hi  I  lave, 
cul  |)()iir  insiructions  de  ira\a)llcr  au  rciiouvcl- 
Icmciii  (les  capii  ulaiions  cnti'c  la  |- raiicc  cl  II  .in- 
pirc  oitomaii.  I  .c  Koi  exi^eail  de  iH^iivelles 
prd'ro^aiivcs;  mais  Kiipruly  tint  Icrme  cl  n'en 
accorda  aiicimc,  oiirant  .seulement  le  renoiiNcl- 
lemeni  des  anciens  |)iivi]égcs.  La  né-^ociation 
traîna,  et  l'on  ne  sait  quelle  en  eOit  ùtc  l'issue, 
si,  d'un  C(jté,  le  brillant  dé'biit  de  la  guerre  que 
Louis  XIV  entreprit  en  1672  contre  les  l;!tats 
généraux,  et  de  l'autre  les  succès  di\ers  qu'é- 
prouvèrent les  armes  ottomanes  contre  la  Pologne 
n'eussent  pas  ramené  ce  \izirà  des  ménagements 
envers  la  France.  Le  traité  fut  signé  l'année 
suivante. 

La  guerre  de  Pologne  se  termina  par  la  ces- 
sion qu'elle  fît  à  l'empire  ottoman  de  Kaminiec, 
regardée  comme  la  clef  de  ce  royaume.  Le  sys- 
tème personnel  d'Ahmed  Kupruly  était  de  se 
rendre  nécessaire  à  son  maître,  et  il  songea  dès 
lors  à  rompre  la  trêve  subsistant  entre  la  Porte 
et  la  cour  impériale.  11  chargea  M.  de  Nointel 
de  transmettre  à  Louis  XIV  une  proposition 
d'alliance  par  laquelle  le  Roi  promettrait  de  ne 
pas  faire  la  paix  avec  l'Empereur  sans  en  prévenir 
Sa  Hautesse  qui  occuperait  ce  prince  par  ime 
diversion.  Rien  n'aurait  convenu  davantage  aux 


SUR    L'AMBASSADE     DE    TURQUIE.  89 

intérêts  de  la  France;  mais  la  paix  se  négociait 
alors  dans  un  congrès  assemblé  à  Nimègiie,  et  le 
Roi  craignit  de  prendre  des  engagements  qui 
pourraient  en  retarder  la  conclusion.  La  guerre 
dura  encore  trois  ans  ;  mais  les  armes  de  la 
France  étaient  si  triomphantes  partout,  qti'on  ne 
crut  pas  avoir  besoin  de  faire  agir  les  Turcs. 
Ahmed  Kupruly^  affaissé  par  la  débauche,  était 
mort  en  1677,  et  avec  lui  finit  tout  l'éclat  du  règne 
de  Méhémet  IV. 

Les  instructions  de  M.  de  Guilleragues,  suc- 
cesseur de  M.  de  Nointel  à  l'ambassade  de 
Tiu-quie,  en  date  du  10. juin  1679,  disent  que, 
«  depuis  la  paix  de  Nimègue,  Sa  Majesté  ne  peut 
prendre  que  peu  d'intérêt  à  ce  qui  se  passe  à  la 
Porte  relativement  atix  affaires  générales  de 
l'Europe.  »  Il  est  prescrit  à  l'ambassadeur  de  se 
borner  à  assurer  les  députés  des  Hongrois  révoltés, 
que  le  Roi  leur  conserve  toujours  de  l'affection. 
Quant  à  la  guerre  dans  laquelle  l'empire"  ottoman 
était  entré  avec  la  Russie  depuis  deux  ans,  le  Roi 
n'y  voyait  d'intérêt  pour  lui,  qu'au  cas  où  la 
Pologne  ferait  mine  de  se  joindre  à  cette  der- 
nière puissance,  ce  qui  contrarierait  l'intention 
où  il  était  de  faire  agir  la  République  en 
faveur  de  la  Suède ,  dont  l'acconmiodement 
avec  le  Danemark  et  l'électeur  de  Brandebourg 


yo  Ml    M  (  ) I  in 

n'ctait  pas  encore  (.oiulii  ,  mais  le  lui  tr(jis 
mois    après. 

dette  guerre  des  Kusses  avec  les  I  lires  linit 
en  16H2  par  une  trêve.  Il  esta  rcriiarcpier  (|ue  le 
f/ar  Alexis  ne  la  eonelut  (|ue  siu-  le  refus  de 
ri!mpereiir  i.éopold  d'enti'er  avec  lui  (hins  une 
li^iie  oliensive  et  défensive  contre  remjîire  otto- 
man. Alontecuculli  pressa  vainement  son  maître 
d'accepter  celte  |)roposition  si  convenable  au 
moment  où  la  trêve  de  ving^t  ans  était  expirée. 
Ce  prince  risqua  peu  après  de  payer  cher  cette 
imprévoyance. 

A  cette  époque,  la  plus  brillante  du  rèyne  de 
Louis  X\\\  et  peut-être  de  la  monarchie  fran- 
çaise depuis  (]harlema^ne,  tout  se  ressentait  de 
l'énergie  du  gouvernement. 

Les  corsaires  tripolins  ayant  exercé  quelques 
violences  sur  la  navigation  française,  on  résolut 
de  leur  donner  la  chasse  et  de  les  poursuivre 
jusque  dans  les  ports  du  Grand  Seigneur,  qui  ne 
se  mettait  point  en  peine  de  les  réprimer;  M.  de 
Guilleragues  eut  ordre  de  prévenir  la  Porte.  L'ef- 
fet suivit  de  près  la  menace.  Duquesne,  comman- 
dant une  escadre  française,  ayant  rencontré  cinq 
armements  tripolins  les  rencogna  dans  le  port 
de  Scio,  et  sur  le  refus  du  gouverneur  de  les  livrer, 
il  mit  ces  bâtiments  en  pièces  par  le  feu  de  son 


SUR    L'AMBASSADE    D  F.    TURQUIE.  91 

artillerie,  non  sans  quelques  dommag-es  à  la  ville 
et  aux  habitants. 

La  nouvelle  de  cet  événement  fit  grand  bruit 
à  Constantinople  et  mit  le  ministère  ottoman 
dans  une  grande  perplexité.  La  signification  faite 
par  l'ambassadeur  de  France  que  les  vaisseaux 
du  Roi  poursuivraient  les  Tripolins  jusque  dans 
les  ports  ottomans  n'avait  été  regardée  que 
comme  purement  comminatoire,  et  il  est  dans  le 
génie  des  Turcs  d'attendre  les  événements.  Le 
grand  vizir,  dans  l'embarras  du  moment,  chercha 
à  gagner  du  temps.  Il  prétendit  qu'il  fallait  avant 
tout  prendre  une  information  exacte  de  la  chose 
et  il  fit  passer  à  Scio,  pour  ceteftet,  le  pacha  de 
Smyrne,  en  même  temps  qu'il  donna  ordre  au 
Capitan  Pacha  de  préparer  en  hâte  luie  escadre 
de  g"alères  pour  s'y  transporter.  M.  Duquesne, 
qui  bloquait  le  port,  força  le  premier  de  venir  à 
son  bord  et  lui  déclara  qu'il  coulerait  à  fond  les 
galères  turques  si  elles  osaient  prendre  à  la 
remorque  les  carcasses  des  vaisseaux  tripolins. 
Lorsque  le  Capitan  Pacha  parut  avec  son  escadre, 
le  g-énéral  français  lui  fit  la  même  intimation,  avec 
addition  de  hi  menace  de  se  rendre  ensuite  aux 
Dardanelles.  L'amiral  turc  n'eut  garde  de  se 
compromettre,  d'après  ce  (pi'il  vit  de  la  fbrce  et 
de  la  contenance  des  vaisseaux  de  M.  nuc|uesne; 


92  MrNKJllU 

il  ccrivii  ;ni  \i/ir  (lu'il  n'y  :i\;iit  |);is  (r.iiitrc  prirti 
à  prendre  i|iic  de  Mrlici-  d'iiniiiif^'^cr  celle  allaire 
vis-:'i-vis  de  rambassadeur.  (]eliii-ci  avait  fait 
dcmandei"  une  audience  an  Kiahia  liey  ])our.se 
plaindre  de  ce  que  le  château  de  Scio  avait  tiré 
sur  l'escadre  française  en  proiéf^'^eant  des  j)irates 
cjui  ne  niéniaieni  aucun  asile.  1  .e  niimstre  turc, 
sans  répondre  sur  ce  ^rief.  dit  à  M.  de  (juille- 
ragues  que  le  vizir  avaii  bien  de  la  peine  à  arrê- 
ter les  premiers  effets  de  la  colère  du  (irand 
vSeig'neur,  qui  voulait  tirer  une  vengeance  terrible 
du  sang-  musulman  répandu ,  des  mosquées 
dégradées,  de  la  forteresse  et  de  plusieurs  mai- 
sons de  la  ville  endommagées  ;  qu'il  lui  conseillait, 
en  ami.  d'offrir  une  grande  somme  pour  réparer 
le  mal.  afin  d^essayer  de  sauver  sa  vie  et  celle  de 
tous  les  Français  du  Levant. 

L'ambassadeur  n'en  prit  pas  l'alarme,  assu- 
rant qu'il  croyait  ne  courir  aucun  danger  à  Con- 
stantinople,  le  Grand  Seigneur  étant  juste,  le 
vizir  prudent  et  la  puissance  du  Roi,  son  maitre, 
trop  formidable  pour  qu'on  osât  l'offenser;  qu'au 
reste,  s'il  y  avait  des  dommages  à  payer  à  Scio, 
cela  regardait  les  Tripolins. 

Cependant  M.  Duquesne  continuait  de  blo- 
quer l'île,  et  cette  situation  inquiétait  beaucoup 
Cara-Mustapha.  11  voulut  tenterlui-méme  d'intimi- 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TL:R(^)U1E.  9-5 

derAl.  deGuilleragues  etilTinvita  aune  audience 
à  la  Porte.  Ce  ministre  turc,  ayant  débuté  de  la 
même  manière  que  le  Kiahia  Bey,  reçut  de  l'am- 
bassadeur la  même  réponse,  ce  qui  le  mit  en 
fiireiu-.  11  maltraita  de  paroles  AI.  de  Guilleragues 
et  le  menaça  des  Sept-Tours;  puis  il  le  mit  aux 
arrêts  dans  ime  chambre  voisine,  et  cette  détention 
dura  trois  jours,  intervalle  qui  fut  employé  à  négo- 
cier. Enfin  il  lui  arracha  la  promesse  d'un  présent, 
sur  la  valeur  duquel  on  se  débattit  longtemps. 
L'ambassadeiu-  huit  par  le  promettre  d'environ 
200,000  livres,  et  Louis  XIV  l'approuva  par  égard 
pour  le  commerce  de  ses  sujets.  AI.  de  Bonac, 
qui  l'écrit,  y  applaudit  sur  le  motif  que  Louis  XIV 
demeurait  libre  d'avouer  ou  non  son  ambassadeur; 
au  lieu  qu'engagé  par  la  résistance  de  ce  ministre, 
ce  monarque  n'aurait  pu  reculer.  Tirer  vengeance 
n'eût  pas  été  bien  difficile.  M.  Duquesne  qui  était 
piqué  au  jeu,  ne  demandait  que  dix  vaisseaux 
de  ligne  pour  forcer  les  Dardanelles  et  faire 
avoir  à  Al.  de  Guilleragues  pleine  et  entière 
satisfaction.  11  est  d'ailleurs  très-probable  que 
Gara  Mustapha  n'aurait  osé  commettre  des  vio- 
lences qui  auraient  justihé  les  voies  de  fait  aux- 
quelles M.  Duquesne  pouvait  se  porter  contre  les 
sujets  ottomans,  et  que  la  fermeté  de  l'ambassa- 
deur aurait  triomphé  de  la  férocité  du  vizir. 


^4  M  I  M<H|{| 

Ce  premier  iiiiiiisti-e  :iv;iit  :ippris  (rXhmed 
Iviipiiili,  son  pr-édéccssciir,  l:i  maxime  tie  (aiie 
siieeécler  une  guerre  à  une  auire. 

La  trè\  e  (le  \ini_;(  ans  eotu  lue  après  la  bataille 
de  >aint-(  joihard  allait  limr,  et  la  cour  de  Vienne 
demandait  a  la  renouveler:  mais  le  vizir  s'y  refusa. 
H  ne  voulut  pas  même  en  attendre  re\|)iration.  ei 
il  eommeiK.a  à  renlreindre  en  tourmssani  lui 
corps  de  six  mille  hommes  au  comte  de  1  ékéli, 
chef  des  rebelles  de  Hongrie.  I, 'année  suivante, 
i6}^,  jetant  tout  à  fait  le  masque,  il  marcha  lui- 
mcMiie  à  Ikdgrade  à  la  tète  d'une  armée  de  deux 
cent  mille  hommes. 

L'Empereur  Léopokl  ne  s'était  pas  attendu  à 
cette  brusque  rupture  et  il  l'ut  pris  au  dépour\u. 
Le  duc  de  Lorraine,  son  général,  rassembla 
quelques  troupes  à  la  hâte,  se  bornant,  à  la  tète 
d'un  corps  volant  à  observer  et  à  retarder  l'enne- 
mi devant  lequel  il  recula  jusqu'à  Vienne,  où  le 
vizir  mit  enfin  le  siège. 

On  convient  généralement  que  cette  capitale 
de  LAumche  aurait  succombé,  si  les  attaques 
avaient  été  poussées  vivement  ;  leur  mollesse 
occasionna  dans  l'armée  musulmane  des  mur- 
mures dont  Cara  Mustapha  ne  s'émut  pas.  Can- 
témir  prétend  que  ce  ministre  ambitieux,  aveuglé 
par  la  bonne  fortune,   avait  formé  l'extravagant 


SUR    LAMBASSADE    DE    TURQUIE.  95 

projet  de  se  réserver  la  souveraineté  de  FAlle- 
magne,  dont  il  ne  croyait  pas  la  conquête  dou- 
teuse, et  qu'il  voulut  ménag-er  Vienne  comme 
destinée  à  sa  résidence.  Quoiqu'il  en  soit,  le  Roi 
de  Pologne  Jean  Sobieski  eut  le  temps  d'arriver 
avec  ime  armée  au  secours  de  la  place  assiégée, 
et  il  eut  la  gloire  de  la  délivrer,  après  avoir  battu 
les  Turcs  à  plate  couture.  Cette  défaite  fut  poiu- 
eux  le  commencement  de  seize  ans  de  désastres. 

La  levée  du  siège  de  Vienne  décida  la  Répu- 
blique de  Venise  à  se  liguer  avec  Léopold  qui  la 
sollicitait  d'entrer  dans  sa  querelle;  elle  accéda, 
en  1684,  à  l'alliance  des  cours  de  Vienne  et  de 
Varsovie. 

Louis  XIV  regardait  la  continuation  de  la 
guerre  de  Turquie  comme  le  fondement  le  plus 
sûr  de  la  trêve  de  vingt  ans  qu'il  venait  de  con- 
clure avec  l'Empereur  et  le  Roi  d'Espagne  ;  aussi 
voit-on  dans  les  instructions  qu'il  donna  à  M.  de 
Girardin,  successeur  de  M.  de  Guilleragues  à 
Gonstantinople,  en  date  du  22  juillet  168^,  qu'il 
ne  songeait  qu'à  les  amuser  pour  les  empêcher  de 
précipiter  leur  paix.  Il  ne  voidait  même  pas  accep- 
ter le  rôle  de  médiateur  dans  cette  querelle  que 
dans  le  cas  où  cela  aurait  pu  arrêter  la  paci- 
fication ;  mais  il  aurait  souhaité  voir  diminué  le 
nombre    des   ennemis  de   la  Porte  et  l'engager 


^6  M  f  M  (  )  I  in 

;i  lin  îKCord  :ivcf  les  l'olnti.iis:  I:i  cession  (le 
l\:iminicc  devait  en  être  le  prix:  mais  elle  ne  se 
trouva  pas  dis|;osée  à  ce  sacrihcc  en  faveur  d'iin 
ennemi  cpii  n'ot'ciipait  ([ii'iine  bien  petite  partie 
de  ses  I orées. 

II  tren  était  pas  de  même  en  Hongrie,  où  le 
duc  de  Lorraine  venait  de  f^agncr  la  bataille  de 
(iraii  :  la  prise  de  Neulueusel,  avait  été  le  fruit 
de  la  victoire.  D'un  autre  enté,  les  \  énitiens, 
sous  la  conduite  de  Morosini,  entamèrent  la  Mo- 
rée  dont  la  conquête  valtit  à  ce  général  le  titre 
de  Pcloponcsiaqiic. 

La  triple  alliance  s'accrut  d'une  nouvelle 
puissance,  en  1686,  par  l'accession  de  la  Russie. 
Elle  fit  marcher  une  armée  en  Crimée;  mais  ses 
mesures  pour  les  subsistances  furent  si  mal  prises 
qu'il  fallut  rebrousser  chemin  avant  d'avoir  atteint 
la  presqu'île.  Cet  échec  encouragea  les  Tartares 
qui  firent,  l'année  suivante,  une  incursion  en 
Ukraine  ;  à  la  vérité  ils  y  furent  battus,  et  cette 
province  se  trouva  préservée  de  leurs  ravages. 

L'armée  se  mutina  au  camp  de  Belgrade  et  se 
dirigea  sur  Constantinople.  Cantémir  prétend  que 
le  Sultan,  dans  l'espoir  de  se  maintenir  par  l'ex- 
tinction de  tous  les  rejetons  de  la  maison  otto- 
mane, voulait  sacrifier  ses  frères  et  ses  enfants,  et 
que  le  Kizlar  Agassi  en  avertit  le  muphti ,  qui  empé- 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  97 

cha  ce  forfait.  Il  fut  détrôné  et  remplacé  par  son 
frère  Soliman,  second  du  nom.  Ce  prince  avait 
vécu  étroitement  renfermé,  pendant  quarante  ans 
qu'avait  duré  le  règne  de  son  aîné,  et  c'était  trop 
tard  pour  apprendre  à  gouverner.  Sous  im  tel 
règne  la  chute  de  l'empire  ottoman  semblait  iné- 
vitable,  lorsque  la  guerre  éclata  en  Europe  par 
la  ligue  d'Augsbourg,  conclue  contre  la  France, 
l'année  précédente. 

Le  comte  Tékéli,  seigneur  hongrois,  avait 
épousé  la  veuve  de  Rakoczy,  lequel  était  mort 
prince  de  Transylvanie.  Ce  comte,  luthérien  de 
religion,  vexé  par  le  gouvernement  intolérant  de 
l'Empereur  Léopold,  s'était  mis  à  la  tète  de  ceux 
de  ses  compatriotes  qui  s'étaient  armés  pour  la 
même  cause.  On  a  vu  que  la  Porte  l'avait  secouru 
d'un  corps  de  troupes  en  1682.  Depuis  lors  il 
avait  suivi  le  sort  des  armes  ottomanes,  tantôt 
favorisé  des  vizirs,  tantôt  opprimé  par  eux,  au 
point  d'être  mis  aux  fers.  Il  soutenait  son  parti 
au  travers  de  ces  vicissitudes.  Louis  XIV  crut 
avoir  en  lui  l'instrument  d'une  diversion  qui  occu- 
perait la  cour  de  Vienne,  et  il  lui  fit  passer  à 
divers  temps  des  secours  pécuniaires.  Ricaut, 
écrivain  contemporain,  prétend  qu'un  marquis 
de  Persan,  Français,  commandait  un  corps  de 
six   mille   hommes   de  sa  nation   au  service  de 

7 


,jH  M  KM  (J  IKK 

1  ckcli.  ^ 'C  fait  n'ot  (  onlirnic  par  aïKiin  docii- 
incnt  de  ce  icnips;  en  supposant  l'existence  de  ce 
corps,  Louis  XI\'  en  supportait  sans  doute  les 
Irais;  bientôt  ce  prime  n'eut  plus  de  mesure  à 
^artler,  et  'lékéli  tut  plus  ouvertement  assisté. 
M.  de  (jirardm  i-eçui  en  même  temps  l'ordre  de 
représenter  vivement  au  ministre  ottoman  tout 
l'avantage  qu'il  pourrait  retirer  de  la  diversion  de 
la  France,  s'il  Taisait  contre  rennei7ii  commim 
des  efforts  de  courage  et  d'activité.  Mais  le  vizir 
abattu  par  la  victoire  que  le  prince  Louis  de  Pjade 
venait  de  remporter  sur  im  corps  de  quinze  mille 
Turcs,  était  bien  loin  d'avoir  l'énergie  nécessaire 
à  sa  position.  On  lit  dans  une  dépêche  de  l'am- 
bassadeur, du  28  août  1688,  que  ce  ministre  otto- 
man ne  lui  dissimula  pas  qu'il  profiterait  de  la 
circonstance  pour  tâcher  d'obtenir  la  paix.  Il  fit 
partir  en  effet  deux  plénipotentiaires  pour  aller 
la  demander  à  Vienne.  Us  traversèrent  le  camp 
de  l'Électeur  de  Bavière,  qui  venait  d'emporter 
Belgrade  l'épée  à  la  main  et  avec  lequel  ils  vou- 
lurent entrer  en  matière,  u  Adressez-vous,  leur 
dit-il,  aux  ministres  de  l'Empereur  dont  je  suis 
le  général.  » 

Les  instructions  de  Louis  XIV  à  M.  de  Chà- 
teauneuf,  successeur  de  M.  de  Girardin,  en  date 
du  20  mai  1689,  offrent  le  tableau  des  dispositions 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  99 

militaires  de  la  France.  L'ambassadeur  avait 
ordre  de  l'exposer  à  la  Porte  et  d'y  démontrer 
que  les  Impériaux  seraient  trop  occupés  par  les 
armées  françaises  pour  employer  de  grandes 
forces  en  Hongrie,  où  les  généraux  turcs  pour^- 
raient  aisément  secourir  Temeswar,  Canise  et 
Varadin,  et  reconquérir  une  partie  des  places 
qu'ils  avaient  perdues  dans  le  royaume.  M.  de 
Châteauneuf  devait  aussi  présenter  la  convenance 
d'un  accommodement  séparé  entre  la  Porte  et  la 
Pologne,  ainsi  que  la  nécessité  d'encourager  le 
comte  Tékéli,  ce  dont  la  circonstance  de  la  mort 
d'Apafy,  prince  de  Transylvanie,  offrait  le  moyen, 
en  élevant  le  comte  à  cette  dignité. 

Dans  le  cas  où  le  grand  vizir  promettrait  de 
suspendre  la  négociation  de  la  paix,  à  la  condi- 
tion que  la  France  prendrait  l'engagement  de 
continuer  la  guerre,  l'ambassadeur  était  autorisé 
à  assurer  que  le  Roi  ne  s'accommoderait  point 
avec  ses  ennemis,  sans  donner  le  temps  à  la  Porte 
de  le  faire  de  son  côté  avec  avantage. 

Jacques  II ,  Roi  d'Angleterre ,  venait  d'être 
détrôné  parle  prince  d'Orange,  son  gendre,  élevé 
à  cette  couronne,  sous  le  nom  de  Guillaume  111. 
Louis  XIV  qui  soutenait  Jacques  prescrivit  à 
M.  de  Châteauneuf  de  détourner  la  Porte  de 
reconnaître  son  rival.  Elle  balança  quelque  temps, 


,oo  ^1  I  M  'J  I  H  I . 

niiiis    suivit    le   lorrcnt    lorscjircllc  vit    (  1  iiill:iiinic 

solidcinciu  assis. 

I  ,cs  (Icf'aircs  (les  liircs  se  siiiv:iicnt  rapide- 
ment :  rarniée  ottoniinie  lut  battue  ()rès  de  Nissa, 
|)end:mt  l;i  e;iin|):i<;iie  de  16M9,  et  M.  de  (Ihàleau- 
neuT  qui  ;irrivait  pour  prendre  audience  du 
^n-and  vizir,  le  trouxa  cjui  reculait  sur  Sofia.  Les 
troupes  étaient  si  eirarouchées,  que  ce  ministre 
fit  recommander  aux  interprètes  de  l'ambassadeur 
de  ne  parler  qu'en  turc  dans  le  camp,  de  peur 
d'y  porter  l'effroi,  si  leur  langag'e  étranger  les  y 
faisait  prendre  pour  des  Impériaux.  Heureuse- 
ment ceux-ci  s'arrêtèrent  d'eux-mêmes  et  ne 
poussèrent  pas  plus  loin  leurs  progrès  cette 
année-là.  11  est  certain  qu'ils  n'avaient  qu'à  mar- 
cher en  avant  pour  faire  des  conquêtes. 

Malgré  la  diversion  de  la  France,  l'empire 
ottoman  semblait  toucher  à  sa  fin,  lorsque  Mus- 
tapha Kupruly,  frère  d'Ahmed  et  fils  de  Méhémet 
du  même  nom,  fut  élevé  au  vizirat.  C'était  un 
homme  ferme,  animé,  peut-être  même  fanatique, 
mais  dont  l'énergie  ou  si  l'on  veut  l'enthousiasme, 
pouvait  seul  sauver  son  pays.  Tout  changea  sous 
ce  nouveau  guide  ;  il  releva  le  courage  abattu  de 
la  milice  et  employa  en  préparatifs  de  guerre  ce 
qu'il  fit  rentrer  dans  le  trésor  de  l'État  des 
extorsions  de  ses  prédécesseurs.  En  même  temps 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  lor 

il  rappela  de  Vienne  les  plénipotentiaires  turcs 
qui  y  sollicitaient  la  paix,  taxant  hautement  cette 
démarche  de  lâcheté  et  de  trahison.  Il  commença 
la  campagne  de  1690  avec  une  armée  puissante 
et  pleine,  pour  son  chef,  d'une  confiance  qu'il 
justifia  en  prenant  d'emblée  plusieurs  places  en 
Servie  et  en  remportant  une  victoire  sur  le  géné- 
ral Heusler,  qui  fut  fait  prisonnier.  Le  vizir  pro- 
fita de  cet  avantage  pour  nommer  et  établir 
Tékéh  prince  de  Transylvanie.  On  a  vu  que 
c'était  le  vœu  de  Louis  XIV  ;  dès  qu'il  fut  informé 
de  cette  disposition,  il  fit  partir  M.  de  Ferriol, 
pour  résider  auprès  du  nouveati  souverain.  Mais 
son  règne  fut  de  courte  durée.  Le  prince  de 
Bade  marcha  contre  lui  et  le  chassa  de  la  pro- 
vince. 

Malgré  cet  échec,  les  trophées  de  la  campagne 
furent  pour  les  Turcs,  en  Hongrie,  ainsi  qifen 
Pologne.  Les  Vénitiens  reperdirent  Janina  et  la 
Valone  en  Albanie;  mais  ils  se  soutinrent  en 
Morée,  et  ils  eurent  l'avantage  dans  une  action 
navale. 

Soliman  II  mourut  au  commencement  de 
1691.  On  voit  dans  C^antémir  combien  peu  les 
principes  sur  la  succession  au  tronc  ottoman  sont 
fixés.  Selon  cet  auteur  contemporain ,  le  plus 
grand  nombre    des  gens   en   place    désiraient  lu 


102  MI.MUIHK 

rétablissement  de  Méliéinei  IV,  ou  l'élévation  de 
son  lils  aîné;  niais  Kupnilv  (|ni  a\ait  pris  part  au 
détrùnenieni  de  Méhémet ,  ne  voulait  m  de  luini 
de  son  (lis,  et  il  porta  au  trùne  Ahmed,  frère 
cadet  de  Soliman. 

I  ,a  cam|Kij^'^ne  de  1691  annonçait  autant  de 
succès  cjue  la  précédente  pour  les  Turcs:  Kupruly 
avait  pris  Ijclgrade,  et  ayant  donné  bataille  le 
19  août,  à  SlankaiTien,  il  paraissait  sûr  de  la  vic- 
toire, lorsqu'un  coup  de  fusil  l'atteignit  à  la  tempe 
et  le  tua  roide.  Sa  mort  découragea  les  troupes 
et  leur  arracha  la  palme  des  mains.  On  peut 
dire  de  ce  vizir  qu'il  est  le  dernier  des  Turcs, 
comme  Brutus  le  fut  des  Romains. 

L'impression  que  sa  bonne  conduite  avait 
donnée  des  ressources  de  l'empire  ottoman  lui 
survécut.  L'Empereur  Léopold,  inquiet  des  suc- 
cès de  la  France  contre  les  alliés,  chercha  à  se 
débarrasser  de  la  guerre  de  Turquie  pour  porter 
toutes  ses  forces  contre  Louis  XI\'.  Cet  Empe- 
reur fit  passer  pour  cet  objet  à  Constantinople, 
le  comte  de  Marsigli,  lequel  offrit  à  la  Porte  de  la 
part  de  son  maître  de  renoncer  à  la  Transyl- 
vanie et  d'abandonner  les  Vénitiens.  M.  de  Chà- 
teauneuf  en  faisant  ce  rapport  ajoute  que  le 
muphti  et  l'aga  des  Janissaires,  qu'il  avait  gagnés, 
firent  refuser  cette  proposition  avantageuse.  Elle 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  103 

montre,  dirent-ils,  l'embarras  de  la  cour  de 
Vienne  et  c^est  le  cas  de  faire  contre  elle  de 
nouveaux  efforts.  Au  lieu  de  cela,  le  successeur 
de  Kupruly  se  tint  en  repos  pendant  la  camjDagne 
de  1692,  qui  fut  inactive,  l'Empereur  n'ayant 
adopté  qu'un  plan  de  défensive  de  ce  côté. 

L'Angleterre  et  les  États  généraux  ses  alliés 
le  confirmèrent  dans  cette  disposition  par  l'offre 
qu'ils  firent  à  la  Porte,  l'année  suivante,  de  leur 
médiation  entre  elle  et  la  cour  de  Vienne  à  des 
conditions  modérées.  On  en  attribua  en  Europe 
le  refus  aux  intrigues  de  M.  de  Châteauneuf,  et, 
dans  le  mémoire  qu'il  remit  au  Roi  quelques 
années  après,  il  prétend  en  effet  avoir  réussi  à 
intéresser  l'orgueil  ottoman,  à  rejeter  les  propo- 
sitions susdites. 

Il  est  tout  simple  que  Louis  XIV  prît  pour  la 
continuation  de  la  guerre  turque,  les  mêmes  soins 
que  les  alliés  pour  la  terminer.  Malgré  le  peu 
d'effet  des  armes  ottomanes,  elles  ne  laissaient 
pas  de  retenir  en  Hongrie  une  partie  des  forces 
de  l'Empereur,  et  c'était  autant  de  moins  en 
Flandre,  sur  le  Rhin  et  en  Italie. 

Le  parti  de  continuer  la  guerre  ayant  ainsi 
prévalu,  le  grand  vizir  Mustapha  l\icha  qui  com- 
manda l'armée  ottomane  en  Hongrie  pcndaiu  la 
campagne  de   1694,  força  les  Impériaux  à  lever 


I04  MIMOIRK 

le  siège  (le  l'el^T.'icle  :  c'est  tour  ce  qui  s'y  pass:i 
(le  considérable.  I  ,a  inoct  du  Siilian  Ahmed  II,  en 
i6y5,  plaça  swr  le  tiNiiu-,  Mustapha  II,  his  aine 
de  Méhéniet  l\  ,  mort  récemment  dans  sa  prison. 

I  .a  conduite  du  nouveau  Sidtan  dans  l'à^e  de 
la  viyiieui'  parut  d'aboixl  annoncer  qu'il  en  a\ait 
dans  le  caractère.  Il  déclai'a  c|u'n  commantlei'aii 
lui-même  son  armée,  et  cette  résolution  contri- 
bua à  la  rendre  plus  nombreuse  et  phis  animée; 
mais  soit  impéritie,  soit  fond  de  mollesse  que 
iVlustapha  ne  développa  que  trop  dans  la  suite, 
il  n'entreprit  rien  d'important  en  1695  et  en  1696, 
se  contentant  de  quelques  légers  avantages  que 
les  Impériaux  ne  lui  disputèrentguère.  Ils  avaient 
adopté  un  système  de  guerre  défensive  en  Hon- 
grie et  ils  ne  s'en  écartaient  que  malgré  eux. 

Le  grand  effort  des  \'énitiens  en  1696,  s'exé- 
cuta par  mer.  Ils  firent  tm  armement  considérable 
et  attaquèrent  file  de  Scio,  dont  ils  s'emparèrent. 
Après  ce  succès,  leur  amiral  se  présenta  devant 
Smyrne,  d'où  les  représentations  des  consuls  des 
nations  européennes,  et  surtout  de  celui  de 
France,  parvinrent  à  l'éloigner  en  lui  montrant  le 
danger  et  le  dommage  que  les  Francs  éprouve- 
raient dans  cette  ville  s'il  en  faisait  l'attaque,  et 
ils  Itii  signifièrent  qu'il  en  répondrait  à  qui  de 
droit.  Le  général  vénitien  céda,  sans  trop  savoir 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  105 

pourquoi,  à  ces  remontrances,  et  ramena  sa  flotte 
à  Corfou.  Trois  mois  après  les  1  urcs  reprirent 
Scio,  mais  ils  perdirent  la  ville  d'AzoF,  conquise 
par  Pierre  le  Grand.  Cette  même  année,  mourut 
le  Roi  de  Pologne,  Jean  Sobieski,  dont  la  mort 
ouvrit  la  lice  à  la  concurrence  des  candidats  à  sa 
couronne.  Louis  XIV  avait  dessein  de  la  procurer 
au  prince  de  (]onti  et  M.  de  Châteauneuf  eut 
ordre  de  demander  pour  lui  des  secours  à  la 
Porte.  Cet  ambassadeur  prétend  dans  son  mé- 
moire que  le  ministre  ottoman  lui  offrit  vingt 
mille  Tartares.  Ce  n'était  pas  assez  pour  contre- 
balancer les  moyens  d'Auguste,  Électeur  de 
Saxe.  Le  plus  grand  nombre  des  voix  et  le  Primat 
furent,  à  la  vérité,  pour  le  prince  français  qu'on 
proclama  le  16  juin  1697,  mais  deux  heures 
après  l'Electeur  fut  aussi  proclamé  par  son  parti 
que  présidait  l'évèque  de  Cujavie.  Des  courriers 
furent  expédiés  aux  deux  élus.  Auguste,  qui  était 
le  plus  près,  arriva  le  premier,  signa  les  Pacta 
convcnta  et  se  fît  couronner  à  Cracovie  le  i  ^  sep- 
tembre. Le  prince  de  (^onti  ne  parut  que  le  26  du 
même  mois  siu-  la  rade  de  Dantzick,  et  voyant 
que  son  parti  s'aflaiblissait,  il  revint  en  France 
six  semaines  après. 

Mustapha   11,    qui     n'avait    presque    pas    vu 
d'ennemis   pendant    ces    deux    premières    cam- 


lo6  M  f  MOIR  l-, 

j);if4iics,  L'u  (Ic\iiit  plus  li;ii-(li  l:i  iioisièmc.  Mal- 
hcurciiscniciit  pour  lui  l:i  piiix  (|ui  se  traitait  à 
Kyswick  ht  cni|)l()yci"  eu  licjiigric  le  prince 
I^u^ène  pour  y  coiiiniatulci-  l'armée  impériale, 
(^cst  ce  général  (pie  le  Sultan  eut  en  lète  à  la 
bataille  de  Zetiia,  le  i  i  septembre  1^97.  L'armée 
otlomatie  voului  repasser  la  ri\iôre  devant 
reiinemi,  cpn  l'attaqua  lorscpie  le  mouvement  dit 
lait  à  demi.  1-a  |)ariie  de  l'armée  cpii  demeurait 
exposée,  se  souleva  contre  ses  chefs  et  massacra 
tous  les  pachas,  à  commencer  par  le  g^rand  vizir. 
Les  Impériaux  eurent  bon  marché  des  soldats 
dont  la  plus  grande  partie  fut  tuée,  noyée  ou 
prise.  Mtistapha  abandonna  le  reste  de  l'armée 
qui  n'avait  pas  combattu  et  alla  à  toute  bride  se 
réfugier  à  Temeswar.  Les  troupes  ottomanes  se 
replièrent  en  désordre  sur  cette  place  et  ne 
furent  pas  potirsuivies. 

Le  Sultan,  las  de  cette  guerre  désastreuse, 
donna  le  sceau  de  l'empire  à  Hussein  Kupruly, 
fils  du  vizir  de  ce  nom,  conquérant  de  Candie. 
Hussein  n'avait  pas  hérité  de  l'énergie  de  son 
père,  et  il  ne  s'occupa  que  du  rétablissement  de  la 
paix.  C'était  le  temps  d'y  songer 5  en  effet,  la 
France  ayant  fait  la  sienne,  ce  que  le  vizir 
regarda  comme  ime  défection.  M.  de  Château- 
neuf  écrivit  à  Louis  X\\   qifil  trouva  Kupruly 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  107 

persuadé  que  la  France  avait  un  engagement 
avec  la  Porte  de  ne  point  finir  la  guerre  avant  elle 
et  qu'elle  l'avait  violé. 

Les  raisons  qui  avaient  engagé  les  puissances 
maritimes  à  se  rendre  médiatrices  entre  l'empire 
ottoman  et  ses  ennemis,  subsistaient  malgré  la 
pacification  de  R3S\vick,  parce  qu'on  prévoyait 
que  le  décès  prochain  du  roi  d'Espagne,  Charles  II, 
ferait  bientôt  reprendre  les  armes  qu'on  venait 
de  quitter.  Les  alliés,  et  siu-tout  l'Empereur, 
voulaient  être  libres  d'autres  soins  lors  de  cet 
événement.  Cantémir  a  écrit  que  l'ambassadeur 
de  France  fit  de  vains  efforts  pour  croiser  la 
négociation  de  paix  que  mylord  Paget,  ambassa- 
deur delà  Grande-Bretagne,  et  le  comte  Collier, 
ministre  des  Fltats  généraux,  terminèrent  heu- 
reusement à  Carlowitz,  au  commencement  de 
1699.  La  Porte  y  obtint  des  conditions  tolérables 
pour  sa  situation,  malgré  le  sacrifice  qu'elle  dut 
faire  aux  Polonais,  de  Kaminiec  avec  laPodolie; 
aux  Russes,  d'Azof  ;  aux  Vénitiens,  de  la  Morée 
et  aux  Impériaux,  de  la  Transylvanie.  Pierre  F' 
voulut  avoir  le  port  de  Kerch  en  Crimée,  sur  le 
détroit  de  Taman,  entre  la  mer  Noire  et  les 
Palus  Méotides,  mais  les  Tiuts  tinrent  ferme  à 
refuser  cette  cession.  Cette  demande  dut  dès  lors 
leur  faire  pressentir  ce  qu'ils  auraient  à  craindre 


io8  M  I   M(Jl  li  K 

Cil  lui  (l()tiii;mt  |)ic(l  sur  l:i  mer  Noire.  (  !c  prince 
:i\:iii  [)i -piirc,  ;i  Xoioneiy,  réialjlissemeni  d'une 
iiKinne  militaire  :  une  frégate  de  ti"enie-huil 
canons  parut  d'A/ol,  en  16^9,  jîour  condinre  à 
(  !o,istantinople  un  envoyé  de  Russie.  La  Porte, 
|)ré\eniiede  cette  e\j)édition,  eiuoya  une  escadre 
de  cpiatre  vaisseaux  au  détroit  de  1  aman  pour  v 
attendre  la  I  régate.  Le  commandant  turc  pr(jposa 
an  ministre  de  le  pi*endre  à  son  bord,  mais  il  s'en 
excusa  sur  l'ordre  qu'il  avait  de  son  maître  de 
poursuivre  sa  route  sur  le  bâtiment  oli  il  était 
embarqué.  Le  commandant  turc  prit  alors  le 
parti  de  le  suivre  à  vue  jusqu'au  canal  de  (^on- 
stantinople.  La  mer  de  Zabache  avait  alors,  sans 
doute,  plus  de  profondeur  qu'aujourd'hui,  puis- 
qu'une frégate  de  trente-huit  canons  pouvait  y 
naviguer.  Les  sondes  ne  donnent  à  présent  au 
détroit  de  Taman  que  quatorze  pieds  de  fond  et 
dix  près  de  Taganrock  avant  d'être  à  Azof  :  ce 
qui  n^'est  pas  suffisant  pour  un  navire  de  cette 
force. 

Charles  II  mourut  en  i  -00  et  appela  à  sa  suc- 
cession le  duc  d'Anjou,  qui  prit  le  nom  de  Phi- 
lippe V.  On  sait  que  LEmpereur  Léopold  la  pré- 
tendit pour  ses  enfants,  du  chef  de  sa  mère, 
sœur  du  feu  Roi  d'Lspagne,  en  vertu  de  la  renon- 
ciation de  Louis  XIV  en  épousant  l'infante  aînée; 


SLR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  109 

mais  ce  qu'on  ignore  et  qu'on  ne  trouve  que 
dans  les  dépêches  de  M.  de  Châteauneuf,  c'est 
que  le  Roi  de  Maroc  se  mit  aussi  sur  les  rangs  et 
demanda  au  Grand  Seigneur  des  vaisseaux  et  des 
troupes  pour  l'aider  à  s'emparer  de  l'Espagne. 
C'était  sans  doute  à  titre  d'héritier  des  princes 
maures  qui  y  avaient  régné  jadis.  On  juge  bien 
que  la  Porte  n'y  fît  aucune  attention.  La  gtierre 
recommença  entre  la  France  et  les  alliés  qui 
venaient  de  poser  les  armes  à  Ryswick  :  le  Roi  de 
F^ortugal  se  joignit  bientôt  à  eux.  M.  de  Ferriol, 
successeur  de  M.  de  Chàteaimeuf,  eut  ordre 
alors  d'exciter  les  Turcs  à  rompre  avec  la  cour 
de  Vienne  en  portant  leurs  armes  en  Hongrie; 
mais  le  Sultan  était  dégoûté  de  la  guerre  dont  il 
avait  fait  un  fâcheux  essai.  D'ailleurs,  ime  rébel- 
lion le  précipita  du  trône  au  mois  de  septembre 
1702,  événement  rapporté,  mal  à  propos,  par  le 
président  Hénault  à  l'année  1703. 

Mustapha  eut  pour  successeur  son  frère 
Ahmed,  troisième  du  nom.  Le  commencement  de 
ce  règne  ne  fut  occupé  qifà  punir  les  rebelles 
qui  avaient  détrôné  le  précédent  Sidtan  :  poli- 
tique constante  des  princes  ottomans,  qui  sert  à 
rendre  les  séditions  très-rares  en  effrayant  d'un 
sort  funeste  ceux  qui  les  entreprennetu,  quel 
qu'en  soit  le  succès. 


Il,,  M  I    MOI  |{  K 

Le  f;i";iii(l  \i/ir  I  thorly  .Ali  l 'aclia  clan  cruel 
sans  être  l)elli(|ii<;ux  :  il  éviia  soif^ncuscmcnt  la 
l^iierre  pendant  les  riiu|  années  (jue  dura  son 
niniisière,  ei  les  insinuations  de  la  irance  furent 
eonsiaiument  munies. 

On  In  dans  une  lettre  de  M.  de  Fcrriol  à 
Louis  XIV,  que  cet  ambassadeur  s'était  efforcé 
de  démontrer  au  g-rand  vizir  que  les  progrès  des 
alliés  contre  la  maison  de  Bourbon  méritaient 
toute  son  attention  :  que  l'Lmpereur  tomberait  sur 
l'empire  ottoman  dès  qu'il  serait  débarrassé  de 
ses  ennemis,  et  qu'il  serait  prudent  à  la  Porte  de 
le  prévenir,  ou  du  moins  de  donner  des  secours 
secrets  au  |)rince  Rakoczy  poiu*  soutenir  le  parti 
qu'il  avait  en  Hongrie  5  mais  qu'Ali-Pacha,  se 
parant  d'une  exactitude  à  l'observation  des  trai- 
tés, que  les  ministres  turcs  adoptent  ou  mécon- 
naissent selon  qu'il  convient  à  l'intérêt  du  mo- 
ment, se  défendit  de  toute  démarche,  même 
indirecte,  qui  porterait  atteinte  à  la  paix  de  Car- 
lowitz.  On  voit  dans  une  belle  et  sage  réponse  de 
Louis  XIV  à  M.  de  Ferriol,  comment  cet  ambas- 
sadeur avait  combattu  la  prétendue  délicatesse 
du  ministre. 

0  Quoique  vous  connaissiez,  écrit  le  mo- 
narque, l'utilité  de  cette  diversion  et  ce  qu'elle 
pourrait  pour  le  bien  de  mon  service,  vous  devez 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  m 

prendre  garde  aux  maximes  que  vous  employez 
pour  engager  les  Turcs  à  recommencer  la 
guerre.  Il  ne  convient  guère  que  les  infidèles 
soutiennent  que  leiu'  loi  ne  permet  point  de  man- 
quer à  leurs  engagements  sans  une  cause  légi- 
time, et  que  mon  ambassadeur  dise  que  les 
prétextes  suffisent  et  qu'il  faut  être  homme  avant 
de  remplir  les  obligations  de  la  loi.  Outre  l'avan- 
tage que  l'on  donne  par  de  tels  principes  à  une 
nation  barbare,  on  ne  persuade  guère  des  gens 
qui  se  piquent  d'exactitude  dans  l'observation  de 
leur  parole  et  qui  d'ailleurs  sont  bien  aises 
d'avoir  un  prétexte  pour  excuser  le  désir  qu'ils 
ont  de  rester  en  repos.  » 

Le  refus  de  la  Porte  d'aider  Rakoczy  n'em- 
pêcha pas  le  Roi  de  faire  quelques  efforts  pour  le 
soutenir.  M.  de  Ferriol  prétend  qu'on  s'y  prit 
mal  et  que  le  prince  lui-même  se  dirigea  sur  un 
mauvais  plan.  Il  aurait  dû,  écrit  cet  ambassadeur, 
commencer  par  offrir  à  la  Porte  la  suzeraineté 
de  la  Transylvanie  et  le  même  tribut  que  lui  aurait 
payé  Apafy  :  «  Les  hommes,  ajoute-t-il,  ne 
manquent  pas  à  Rakoczy;  il  en  eut  jusqu'à 
quatre-vingt  mille  sous  ses  drapeaux;  mais  ils 
n'étaient  pas  soldats,  et  ayant  demandé  au  Roi 
un  officier  général,  M.  le  comte  Des  Alleurs  fut 
choisi  pour  cette  commission.  Au  lieu  de  llatter 


112  M  fMOlK  K 

les  Hon^M-ois  et  (le  les  hiisscr  conihrittrc  à  leur 
nKinièie,  selon  l'ancien  iis:i^^e  de  leurs  pères,  il 
s'()l)siin:i  :i  les  réclmre  :i  une  {liscipline  dont  ils 
n'étiiient  pas  capables,  (le  n'était  pas  connaître 
les  intérêts  (In  Uoi  et  du  prince  Kakoc/v.  J'ai  vu 
avec  douleur  tomber  le  parti  ([u'on  avait  formé 
et  soutenu  avec  tani  de  dépenses,  dans  le  temps 
qu'on  devait  en  retirer  le  plus  d'avantages.  » 

Les  armées  de  l^Vance  et  d'Mspagne  étant 
battues  partout,  on  devait  s'attendre  que  les 
Hongrois  mécontenls  seraient  écrasés  :  l'Em- 
pereur ayant  de  quoi  v  employer  des  forces 
suffisantes.  Mais  la  Porte,  en  bonne  politique, 
aurait  dii  entretenir  ce  levain,  et  le  grand  Soli- 
man n'y  aurait  probablement  pas  manqué  en 
pareil  cas.  Il  était  au-dessus  de  sa  nation,  et  il  se 
trouve  peu  d'hommes  en  Turquie  qui  surmontent 
les  préjugés  fanatiques  qui  font  regarder  tous  les 
chrétiens  comme  ennemis. 

Un  événement  inattendu  vint  enfin  déranger 
le  système  pacifique  d'Ali  Pacha.  Charles  XII, 
Roi  de  Suède,  après  la  bataille  de  Pultawa 
en  1709,  où  Pierre  le  Grand  demeura  vainqueur, 
vint  chercher  un  asile  en  Turquie.  On  crut 
d'abord  que  ce  prince  ne  ferait  qu'y  passer  pour 
se  rendre  ensuite  dans  ses  Etats,  et  M,  de  Fer- 
riol  eut  ordre  de  lui  offrir  un  million  comptant  et 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  113 

une  escadre  de  six  vaisseaux  de  ligne  pour  le 
transporter  en  France.  Charles,  quoique  pressé 
d'argent  et  en  tirant  des  Turcs  tant  qu'il  pouvait, 
n'accepta  point  cette  offre  généreuse  et  écrivit 
en  réponse  à  l'ambassadeur,  le  7  janvier  171 1, 
«  d'assurer  Sa  Majesté  très-chrétienne  de  la  par- 
faite estime  et  amitié  qu'il  lui  porte  et  du  désir 
qu'il  a  de  pouvoir  lui  en  donner  des  preuves 
certaines.  " 

Le  but  du  Roi  de  Suède  était  d'armer  l'em- 
pire ottoman  contre  celui  de  la  Russie  et  d'aller 
à  la  tête  des  Turcs  combattre  son  ennemi  ;  pro- 
jet auquel  le  vizir  était  fort  contraire.  Dans  lem- 
barras  où  le  mettait  ce  prince,  on  assure  qu'il  tenta 
de  le  faire  empoisonner.  Les  agents  suédois  l'ac- 
cusèrent hautement  de  s'être  laissé  corrompre 
par  Tolstoy,  ambassadeur  de  Russie,  et  ces  cla- 
meurs secondées  par  les  ennemis  nombreux  et 
puissants  d'Ali  Pacha  eurent  assez  d'effet  pour 
provoquer  sa  destitution. 

Nouman  Kupruly,  cinquième  de  ce  nom  dans 
le  vizirat,  lui  succéda,  mais  pour  soixante  jours 
seulement,  et  le  sceau  de  l'Empire  passa  pour  la 
seconde  fois  à  Baltadgi  Méhémet  Pacha.  Le  nou- 
veau vizir  débuta  par  déclarer  la  guerre  à  la 
Russie.  11  savait  que  c'était  l'intciniou  de  son 
maître  et  que  Nouman  n'avait  perdu  sa  place  que 


114  Mr.Moirn: 

pour  s'y  être  ccdisc.  I  ,cs  nf^cnts  de  I;i  Clour  de 
Suède  avaient  l:;it  niouvoïc  plus  de  ressorts  a  la 
(]()ur  ottoniaue  (pic  ce  iliéatre  n'en  semble  sus- 
ccj)tible,  sans  cej)endanl  que  Tor  lui  de  la  partie: 
car  ils  en  niancpiaienr,  et  l'ambassadeur  du  O-ar, 
dit-on,  ne  réj)ar^nait  pas. 

(.domine  ni  I  iiti  m  l'autre  de  ces  princes  n'était 
entré  dans  la  grande  cpierelle  de  la  succession 
d'Kspagne  qui  agitait  encore  l'Huropc,  on  ne  voit 
pas  distincrcnient  quels  motifs  avait  Louis  XI\' 
de  s'intéresser  au  monarque  suédois.  11  est 
cependant  certain  que  M.  de  Ferriol  agit  en  sa 
faveur  à  la  Porte  et  que  le  comte  Des  Alleurs,  son 
successeur,  venant  de  Pologne  à  Constantinople, 
se  détourna  pour  aller  visiter  Charles  XII  à  Ben- 
der.  Le  mémoire  de  M.  de  Bonac  dit  que  M.  Des 
Alleurs,  séduit  par  l'affabilité  de  ce  prince,  devint 
son  zélé  partisan;  mais  les  affections  d'un  am- 
bassadeur ne  régissent  pas  ses  démarches,  et  il 
faut  conclure  de  celles  de  AL  Des  Alleurs  qu'il 
suivait  ses  instructions. 

Theils,  interprète  de  l'ambassade  des  Ltats- 
Géméraux  à  la  Porte,  qui  a  écrit  les  mémoires  de 
ce  temps,  prétend  avoir  eu  entre  ses  mains  la 
copie  d'un  traité  d'alliance  conclu  à  Bender  en 
1710,  entre  Charles  Xll  et  Louis  XIV,  confirmé 
depuis  en  171 2.  Il  attribue  à  l'effet  des  intrigues 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  115 

de  l'ambassadeur  de  France  la  première  rupture 
qui  survint  en  171 1  entre  l'empire  ottoman  et  la 
Russie,  et  celle  qui  suivit  en  171 3.  Mais  il  n'est 
pas  croyable  que  ce  traité,  s'il  avait  existé,  eût  été 
inconnu  au  marquis  de  Bonac,  qui  n'en  fait  aucune 
mention,  et  on  n'en  trouve  le  texte  nulle  part. 

Lorsque  l'armée  ottomane  partit  pour  la  cam- 
pagne de  171 1,  un  drogman  de  France,  nommé 
La  Périère,  accompagna  le  grand  vizir.  On  voit 
aux  archives  de  Constantinople,  dans  la  corres- 
pondance de  cet  officier,  im  plan  de  l'affaire  du 
Pruth  avec  des  détails  intéressants  qui  ont 
échappé  à  M.  de  Voltaire.  Mais  rien  n'indique 
que  Baltadgi  Méhémet  Pacha  ait  été  gagné  par 
les  dons  du  Czar.  Ce  prince  n'obtint  la  paix  que 
parce  qu'im  grand  vizir  est  toujoin-s  pressé  de 
finir  la  guerre,  lorsqu'il  le  peut  avec  avantage  : 
sa  fortune  et  sa  vie  dépendent  constamment  des 
événements  militaires.  La  cession  d'Azof  à  la 
Porte  lui  parut  assurer  l'un  et  l'autre.  11  est  vrai 
qu'il  s'y  méprit  et  que,  d'im  côté  le  retard  de  la 
remise  de  cette  place,  de  l'autre  les  intrigues  des 
Suédois,  causèrent  bientôt  sa  déposition.  Pelles 
occasionnèrent  encore  celle  des  deux  vizirs  qui 
le  suivirent.  (Cependant  Charles  XII  ne  réussit  pas 
à  renouveler  la  guerre  entre  les  deux  Empires. 
Sans  son  obstination  à  refuser  de  se  trouver  en 


i,r,  M  I  MOIK  K 

lieu  tiers  nvcc  le  grand  vi/.ir  Ismiul  Pacha  bien 
imciitioiiiic  pour  sa  cause,  et  duquel  il  exigeait 
de  venir  à  Dé-niotica,  où  il  gardait  le  lit  par  pure 
siniagrée,  pciit-ôtrc  serait-il  parvenu  à  son  but. 
Le  comte  Des  Alleurs  s'y  rendit  j)our  engager  le 
monarque  à  se  d  jsister  de  cette  vaine  prétention, 
mais  sans  aucun  succès.  M.  de  P)onac  dit  cjne  cet 
ambassadeur  en  fut  assez,  piqué  pour  se  détacher 
des  intérêts  du  Hoi  de  Suède,  cpii  ne  tarda  pas  de 
partir  incognito  pour  retourner  dans  ses  I:tats. 
La  France  par  les  traités  d'Ltrecht  et  de  Ras- 
tadt  se  trouvait  alors  en  paix  avec  toute  l'iùirope. 

On  trouve  dans  les  mémoires  du  marquis  de 
Saint-Philippe  une  anecdote  de  ce  temps  assez 
singulière.  Lorsque  l'Empereur  Charles  W  eut 
abandonné  les  Catalans  révoltés,  et  qu'ils  se 
virent  près  d'être  forcés  à  rentrer  sous  l'obéis- 
sance de  Philippe  V,  ils  offrirent  au  Grand  Sei- 
gneur la  suzeraineté  de  leur  province  pour  être 
maintenue  sous  sa  protection  en  forme  de  Répu- 
blique :  idée  chimérique  qui  siirement  ne  fixa  pas 
l'attention  du  ministre  ottonian,  mais  qui  prouve 
l'obstination  de  ce  peuple  rebelle. 

La  Porte  s'occupait  alors  de  reprendre  la 
Morée  aux  Vénitiens.  M.  de  Chàteauneuf  avait 
écrit  dans  son  mémoire  au  Roi  que  tôt  ou  tard  les 
Turcs  reviendraient  contre  la  cession  de  cette  pro- 


SUR    L'AMBASSADE    DK    TURQUIE.  117 

vince  dont  la  perte  leur  tenait  à  cœur,  tant  pour 
l'injustice  de  l'invasion  qui  en  avait  été  faite  par  la 
République,  en  1684,  que  parce  qu'elle  est  un 
point  central  entre  l'Archipel^  l'Albanie  et  la 
Macédoine.  L'exemple  de  cette  infraction  au 
traité  de  Carlowitz  sert  de  preuve  à  ce  qifon  a 
dit  plus  haut  contre  la  prétendue  fidélité  des 
Turcs  à  leurs  engagements. 

Lorsque  la  rupture  éclata,  l'humanité  du 
comte  Des  Alleurs  l'intéressa  au  sort  du  Baile  de 
Venise,  mis  en  prison  aux  Sept-Tours,  et  à  celui 
de  quelques  nobles  Vénitiens  faits  esclaves  en 
Morée.  Ses  offres  en  leur  faveur  lui  attirèrent 
du  vizir  des  reproches  de  partialité  pour  les 
ennemis  de  la  Porte.  «  Quelle  apparence,  répon- 
dit cet  ambassadeur  au  sieiu-  Brué,  son  drogman, 
qui  suivait  le  camp  ottoman,  que  j'aie  de  pareils 
sentiments  pour  une  République  brouillée  avec 
nous,  depuis  quinze  ans.  » 

En  effet,  sa  neutralité  dans  l'affaire  de  la  suc- 
cession avait  perdu  les  affaires  des  deux  cou- 
ronnes en  Italie. 

L'alliance  de  1684  l'avait  dévouée  à  l'Empe- 
reur; c'est  en  exécution  de  cet  engagement  que 
ce  prince,  ayant  tenté  vainement  de  ménager  un 
accommodement,  déclara  la  guerre  à  la  Porte. 
Le  prince    Eugène  battit  sous   l^etervaraditi,   en 


n  «  M  F".  M  O  I  R  F. 

iyi6.  le  ^r:m(l  \i/ir  Ali  l'iiclia,  (jiii  y  fut  tiij. 
Dans  le  iiicinc  icnips  une  autre  armée  turque 
échoua  au  sic^^etle  (lorlou,  défendue  par  le  géné- 
ral Scluilembour^.  L'année  sui\ante,  le  nouveau 
vizir  lut  défait  sous  Belgrade  qu'il  venait  secourir 
et  qui  succoiidKi.  1  ant  de  désastres  ramenèrent 
la  paix  qui  se  lit  en  i^iH,  à  Passarowit/,  par  la 
médiation  de  l'ambassadeur  de  la  ( jrande-i>re- 
tagne  et  de  l'ambassadeur  des  Ktats-Généraux. 
Il  en  coûta  à  la  Porte  le  banat  de  Temeswar  et 
une  partie  de  la  Servie  et  de  la  \'alachie,  mais 
elle  conserva  la  M  orée. 

Les  instructions  du  marquis  de  Bonac,  succes- 
seur du  comte  Des  Alleurs,  en  1716,  lui  prescri- 
vaient de  tendre  à  la  continuation  de  la  guerre 
entre  la  Porte  et  l'Empereur,  de  crainte,  disent- 
elles,  que  le  retour  de  la  paix  ne  mît  ce  prince  à 
même  de  troubler  le  repos  de  la  France. 

Le  grand  vizir  Ibrahim  Pacha  répondit  à  cette 
insinuation  par  la  proposition  d'un  concert  de 
mesures  entre  la  Porte  et  la  France  ;  mais  l'am- 
bassadeur objecta  que  les  embarras  de  la  mino- 
rité de  Louis  XV  ne  permettaient  pas  de  se  livrer 
à  des  entreprises  hors  de  l'État. 

Pendant  le  cours  de  la  négociation  de  Passa- 
rowitz,  le  cardinal  Albéroni,  devenu  premier  mi- 
nistre de  la  ("our  d'Lspagne,  avait  formé  le  pro- 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  119 

jet  de  réunir  à  cette  couronne  tout  ce  qu'elle 
avait  cédé  en  Italie  par  le  traité  d'Utrecht.  En 
même  temps  qu'il  iît  attaquer  les  îles  de  Sar- 
daigne  et  de  Sicile,  il  chercha  à  causer  de  l'em- 
barras à  l'Empereur  en  Hongrie  en  y  relevant  le 
parti  de  Rakoczy. 

Ce  dernier  avait  assuré  la  Cour  de  Madrid  que 
la  Porte  lui  donnerait  trente  mille  hommes  pour 
son  rétablissement  dans  la  principauté  de  Tran- 
sylvanie. On  ne  sait  si  les  promesses  du  grand 
vizir  en  attirant  à  Constantinople  Rakoczy,  réfu- 
gié en  France,  avaient  été  réellement  jusque-là. 
Quoi  qu'il  en  soit,  Albéroni  le  crut,  et  expédia  le 
sieur  de  Boissimène,  colonel  au  service  d'Espagne, 
que  le  prince  hongrois  présenta  au  grand  vizir. 
Cet  officier  lui  dit  être  autorisé  à  faire  à  la  Porte 
l'offre  de  la  médiation  de  sa  Cour,  pour  une  paix 
séparée  entre  la  République  de  Venise  et  l'empire 
ottoman,  ainsi  qu'à  proposer  un  concert  de  me- 
sures pour  le  secours  des  mécontents  de  Hon- 
grie, à  qui  l'Espagne  s'engageait  à  faire  passer 
des  armes  et  de  l'argent. 

Ibrahim  Pacha  réphqua  sommairement  qu'il 
ne  refusait  point  une  réconciliation  avec  les  Vé- 
nitiens sur  un  pied  raisonnable;  quant  aux  Hon- 
grois, qu'il  s'en  expliquerait  dans  la  réponse  qu'il 
ferait  à  la  (]our  de  Madrid;  Boissimène  la  reçut 


I20  Ml,  MOIUK 

et  paiiit.  La  paix  s'ciaiu  laiic  peu  après  à  Passa- 
rowit/,  cette  ouverture  n'eut  aucune  suite  et 
Kakoc/y,  abandonné  par  la  Porte,  en  obtitit  seu- 
lement (le  quoi  subsister  juscpTa  sa  inorr,  arrivée 
en  173  5.  I -c  marquis  de  lionac.  qui  s'en  tenait  à 
ses  instructions  et  qui,  pendant  le  ministère  du 
cardinal  Dubois,  ne  recevait  presque  jamais 
réponse  à  ses  lettres,  paraît  n'avoir  pas  saisi  ce 
que  la  mission  de  Boissimène  avait  alors  de  con- 
traire aux  vues  de  la  France,  qui  entra  l'année 
d'après  en  guerre  avec  l'Espagne. 

Cet  ambassadeur  dit,  dans  ses  mémoires,  avoir 
longtemps,  avant  son  ambassade  de  Turquie, 
conçu  l'idée  de  l'utilité  d'une  étroite  alliance 
entre  la  France  et  la  Russie;  mais  il  ajoute  qu'il 
y  trouva  de  la  répugnance  dans  le  ministère  de 
Louis  XV,  qui  suivait  les  errements  de  son  pré- 
décesseur en  faveur  de  la  Suède,  et  que  le  duc 
d'Orléans  lui  prescrivit,  en  cas  de  conflit  d'intérêt 
entre  ces  deux  puissances,  de  s'attacher  de  pré- 
férence à  ceux  de  cette  dernière  auprès  des 
l\n-cs.  Mais  la  conduite  de  Charles  Xll,  chez 
eux.  leur  avait  laissé  une  opinion  désavantageuse 
de  ce  prince,  et  le  vizir  regardait  avec  tant  d'in- 
différence politique  la  continuation  de  la  guerre 
des  Suédois  et  des  Russes,  qu'il  aurait  proposé 
d'en  rendre  médiateur  le  Sidtan,  si  le  marquis  de 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  121 

Bonac  ne  lui  eût  observé  combien  il  était  dange- 
reux que  Pierre  I''^,  débarrassé  de  Charles  XII,  ne 
revînt  sur  l'empire  ottoman.  «  Ce  ne  fut,  dit 
xM.  de  Bonac,  que  par  une  espèce  de  complai- 
sance qu'on  me  permit  en  France  de  m'occuper 
de  notre  réunion  avec  la  Russie,  d  Cet  ambassa- 
deur en  trouva  bientôt  l'occasion.  La  révolte  des 
Agwans  contre  la  Perse  ayant  été  suivie  de  la 
subversion  de  cette  monarchie,  le  czar  voulut  en 
profiter  pour  s'approprier  les  provinces  persanes 
le  plus  à  sa  convenance.  Il  entra  pour  cet  effet 
dans  celles  de  Chirvan  et  de  Guilan,  où  il  fit  plu- 
sieurs conquêtes. 

On  fit  g-rand  bruit  à  Constantinople  de  cette 
usurpation  sur  une  puissance  musulmane,  et  le 
grand  vizir  se  vit  obligé  par  le  cri  public  de 
s'opposer  aux  progrès  ultérieurs  de  la  Russie 
dans  cette  partie  de  l'Asie.  11  y  fit  marcher  des 
troupes  qui  agirent  de  leur  côté  en  Perse  et  se 
saisirent  de  quelques  villes.  Ibrahim  Pacha  répan- 
dit même  le  bruit  qu'elles  avaient  eu  de  l'avan- 
tage contre  les  Russes. 

Pierre  le  Grand,  au  premier  avis  de  la  fermen- 
tation que  sa  levée  de  boucliers  avait  excitée  à 
(Constantinople,  craignit  que  son  résident  n'eut 
été  envoyé  aux  Sept-Toiu-s.  Il  remit  ses  dépêches 
pour  ce  ministre  à  M.  de  Campredon,  envoyé  de 


M  I   MOI  R  K 


l'raïKC  à  Pcicrsboiiry",  qui  les  adressa  au  iiiar- 
cjiiis  (le  l)()nac.  (>ei  ambassadeur  profita  de  \\)l- 
casioii  pour  s'insérer  dans  felLe  afîaire  de  Perse, 
et  en  poiiant  paroles  aux  deux  parties  tour  à 
tour,  il  parvint  à  établir  une  nég^ociation  dont  il 
se  rendit  le  médiatein-.  (le  cpi'il  y  eut  de  plus  sin- 
gulier, c'est  qti'il  exerça  cette  fonction  sans  pleins 
potivoirs  de  sa  Cour  et  qu'on  ne  lui  en  demanda 
jamais  l'exhibition.  On  sait  comment  le  cardinal 
Dubois,  alors  premier  ministre,  répondait  aux 
lettres  qu'il  recevait.  Le  marquis  de  Ronac  n'eut 
de  réponse  (pie  lorsque  la  convention  était 
prête  à  être  signée  5  il  fut  enfin  autorisé  à 
négocier,  ainsi  qti'à  prendre  la  qualité  de  mé- 
diateur. 

Cet  acte  consacrait  l'agrandissement  propor- 
tionnel de  deux  puissances,  aux  dépens  des  par- 
ties de  la  Perse,  les  plus  à  letir  bienséance 
respective,  et  il  fut  dimient  ratifié,  mais  il  n'eut 
pas  son  exécution  complète.  La  mort  de  Pierre  1'"^, 
qui  survint,  dérangea  tout  et  chacun  garda  ce 
dont  il  s'était  emparé.  Catherine  1'%  qui  succéda 
à  son  époux,  était  plus  occtipée  de  faire  restituer 
par  le  Danemark  le  Sleswig  au  dtic  d'Holstein,  son 
gendre,  que  de  suivre  les  projets  de  Pierre  5  sur  les 
représentations  qu'on  lui  fit,  sur  l'insalubrité  des 
provinces  nouvellement  acquises,  où  une  grande 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  123 

partie  des  troupes  qui  les  occupaient  périrent, 
elle  se  décida  à  les  abandonner. 

Le  vicomte  d'Andrezel,  successeur  du  mar- 
quis de  Bonac,  qui  avait  eu  ordre  de  continuer 
l'office  de  médiateur  jusqu'à  ce  que  le  partage  de 
la  Perse  eût  eu  son  entier  effet,  reçut  bientôt 
celui,  non-seidement  de  retirer  ses  bons  offices, 
mais  encore  d'apporter  tout  ce  qu'il  pourrait 
d'obstacles  à  son  exécution.  Ce  fut  l'effet  de 
l'adhésion  de  la  cour  de  Pétersbourg-  au  traité  de 
Vienne,  en  opposition  duquel  s'était  formée,  entre 
la  France  et  l'Angleterre,  l'alliance  de  Hanovre. 

Malgré  l'autorité  du  marquis  de  Bonac  en 
faveur  d'ime  étroite  union  entre  la  France  et  la 
Russie,  on  ne  peut  se  dissimuler  que  l'opposition 
des  vues  des  deux  puissances  relativement  aux 
Turcs,  à  l'affaiblissement  desquels  la  seconde 
tend  constamment,  pendant  que  la  première 
regarde  leur  conservation  comme  un  de  ses  inté- 
rêts essentiels,  rend  impraticable  le  maintien 
constant  de  l'harmonie  entre  elles.  Cet  ambas- 
sadeur avait  tout  à  cœur  de  la  fixer,  et  elle  n'a 
jamais  existé  que  par  moments.  S'il  y  a  des 
alliances  naturelles,  nulle  ne  l'est  davantage  pour 
la  Russie  que  celle  de  la  cour  de  Vienne  et  vice 
versa;  les  deux  Ftats  se  trouvant  séparés  l'un  de 
l'autre  par  des  voisins  puissants. 


I  24  M  I  -  M  O  I  l{  K 

L:i  Porte  n'était  pas  aussi  indi<rcrc/uc  que  les 
l< lisses  sur  ses  acquisitions  en  Perse.  \A\c  aurait 
bien  voulu  conserver  Ardebil,  lauri/,  liamadan, 
et  (Tauires  |)laces  moins  considérables  dont  elle 
s'était  emparée.  (>'est  ce  qu'elle  obtint  aisément 
de  Mir  h^chref,  chef  des  Ag-\vans,  en  lui  promet- 
tant des  secours  pour  achever  la  conquête  de  la 
Perse.  (>'était  le  successeur  de  Mir-Mahmoud, 
usurpateur  du  trône  des  Sophis  et  destructeur  de 
leur  dynastie.  Il  s'en  était  cependant  sauvé  un 
rejeton  dans  la  personne  de  Chah  Thamasp,  fils  de 
Chah  Hussein,  dernier  roi  de  cette  famille.  Le 
parti  de  ce  jeune  prince  prenait  de  la  consistance 
par  les  talents  de  Tahmas  Koidi  Khan,  son  géné- 
ral, et  inquiétait  Mir  Echref;  il  en  vint  à  une 
action  où  Chah  Thamaspprit  tout  à  fait  le  dessus 
dans  son  royaume.  Il  ne  tarda  guère  d'envoyer 
un  ambassadeur  à  Constantinople  y  réclamer  de 
sa  part  ce  qu'elle  retenait  à  la  Perse;  s'étant  en 
même  temps  approché  de  Hamadan,  les  habitants 
de  la  ville  chassèrent  la  garnison  turque.  Celle 
de  Tauriz  évacua  la  place  d'elle-même  :  les  Per- 
sans, qui  la  poursuivirent,  en  passèrent  une  par- 
tie au  fil  de  l'épée  et  renvoyèrent  le  reste  des 
soldats,  après  leur  avoir  coupé  le  nez  et  les 
oreilles.  La  vue  de  ces  malheureux,  qui  repa- 
rurent  en  cet' état  à  Constantinople,  excita  des 


SUR    L'AiMBASSADE    DE    TURQUIE.  125 

murmures  contre  la  négligence  du  gouvernement 
à  envoyer  des  secours  de  ce  côté.  Pour  les  apai- 
ser, le  grand  vizir  crut  devoir  faire  des  dispositions 
militaires.  11  forma  un  camp  en  Asie  vis-à-vis  de 
la  capitale  et  y  conduisit  le  Grand  Seigneur.  En 
leur  absence ,  im  soldat  de  marine ,  nommé 
Patrona,  excita  un  soulèvement  qui  s'accrut  en 
peu  d'heures,  au  point  de  forcer  le  Sultan  à  livrer 
ses  ministres  aux  rebelles  et  ensuite  à  descendre 
du  trône  où  fût  placé  son  neveu  Sultan  Mahmoud, 
fils  aîné  de  Mustapha  IL  Cet  événement  survint 
en  1730. 

Le  nouveau  souverain  avait  besoin  de  la  paix 
pour  étouffer  la  révolte  qui  lui  avait  donné  le 
sceptre  et  qui  continua  après  qu'd  fut  entre  ses 
mains.  11  fît  faire  à  Chah  Thamasp  des  propositions 
d'accommodement;  mais  Tahmas  Kouli  Khan  ne 
voulait  pas  une  pacification  qui  aurait  diminué 
son  influence  sur  son  maître.  11  méditait  dès  lors 
de  le  renverser  du  trône  et  de  se  mettre  à  sa 
place.  La  guerre  continua.  Les  1  urcs,  sous  les 
ordres  de  Topai  Osman  Pacha ,  remportèrent 
d'abord  une  grande  victoire  contre  les  Persans, 
mais  dans  un  second  combat,  ce  général  1  ut  défait 
et  tué.  Peu  après  ce  succès,  Tahmas  Kouli  Khan, 
jetant  le  masque,  s'assit  sur  le  trône  sous  le  nom 
de  Nadir  Chah.  Une  de  ses  premières  démarches 


126  MI.MOIRK 

fut  cic  rcclcmnndcr  à  la  Russie  les  provinces 
persanes,  il  obtint  cette  remise  sans  (lifîiciilté  ; 
cependant  elle  ne  s'exécuta  que  deux  ans  après, 
ce  prince  ayant  préféré  ce  délai  cjui  lui  évitait  de 
diviser  ses  forces  dont  il  se  servit  poin- agir  avec 
plus  d'efficacité  contre  les  Turcs.  Il  assiégea 
Ardebil,  et  le  général  Levirschert  lui  fournit  des 
ingéniein-s.  (>et  officier  russe  employa  ensuite 
ses  bons  offices  pour  obtenir  une  capitulation  à 
la  garnison  ottomane,  ce  qui  lui  valut  des  rcmer- 
cîments  des  deux  côtés. 

Nadir  Chah  ayant  chassé  les  Turcs  de  la 
Perse  voulut  les  attaquer  dans  leur  propre  pays 
et  mit  le  siège  devant  Bagdad,  en  1732.  La  Porte 
y  envoya  des  secours  et,  entre  autres,  un  corps 
tartare  qui  prit  son  chemin  au  travers  des  pro- 
vinces persanes,  occupées  par  les  Russes.  Le 
prince  de  Hesse-Hombourg,  qui  y  commandait, 
fit  dire  aux  Tartares  qui  n'avaient  point  demandé 
la  liberté  de  passage,  d'éviter  le  district  de  son 
gouvernement,  à  défaut  de  quoi  il  leur  barrerait 
le  chemin.  Manstein  accuse  le  Sultan,  leur  chef, 
d'avoir  tâché,  mais  en  vain,  de  faire  soulever 
plusieurs  hordes  de  la  même  nation,  soumises  à 
la  Russie,  qui  se  trouvaient  sur  sa  route. 

11  s'agissait  de  passer  deux  défilés  où  les 
Russes  attendaient  l'ennemi.   Ce  prince  ne  put 


SUR    L'AMBASSADL.   DE   TURQUIE.  127 

les  entamer,  et  après  avoir  tenté  une  attaque,  où 
il  perdit  mille  hommes,  il  se  vit  forcé  de  rebrous- 
ser chemin  et  de  prendre  une  autre  route  pour 
parvenir  à  Bagdad  qui  fut  délivrée.  Cette  viola- 
tion du  territoire  par  les  Tartares  servit  peu 
après  de  prétexte  à  une  déclaration  de  guerre  de 
la  Russie  contre  la  Porte. 

On  aurait  peine  à  suivre  la  marche  politique 
de  la  France  pendant  les  dernières  années  du 
règne  d'Ahmed  III  et  les  deux  premières  de  celui 
de  Sultan  Mahmoud.  On  voit  seidement  la  Porte 
se  ressentir  en  1729  vis-à-vis  du  marquis  de  Vil- 
leneuve, successeur  du  comte  d'Andrezel,  du 
bombardement  de  Tripoli  de  Barbarie  par  une 
escadre  française.  Cet  ambassadeur  y  répondit 
par  l'exposé  des  griefs  de  sa  Cour  contre  les  Bar- 
baresques  et  de  la  nécessité  où  on  s'était  trouvé 
d'en  tirer  raison,  la  Porte  s'étant  si  souvent 
déclarée  impuissante  à  les  réprimer.  Elle  offrit 
alors  de  procurer  le  redressement  des  griefs, 
mais  dans  l'intervalle  les  Tripolins  avaient 
demandé  et  obtenu  la  paix. 

La  mort  du  Roi  de  Pologne,  au  mois  de 
février  1733,  mit  toute  l'Europe  en  fermentation 
pour  l'élection  de  son  successeur.  Eouis  XV 
tâcha  de  faire  tomber  le  choix  de  la  nation  polo- 
naise  siu*   son   beau-père,    Stanislas    Leczinski, 


,28  MF.MOIKK 

déjà  cicvc  à  ce  tronc  p:ir  •( 'h:irlcs  Xli,  qui  en 
avait  chassé  Auguste  11,  lcc|ucl  y  remonta  sans 
grandes  didiculiés  après  la  déiaite  du  roi  de 
Suède  à  Pultawa.  On  regarda  en  IVance,  comme 
iiiiporiant  à  cet  objet,  que  la  i'orte  donnât  une 
déclaration  pcnir  garantir  à  la  Diète  de  l-*ologne 
la  liberté  de  choisir  im  prince,  hberté  qui  devait 
tourner  au  profit  de  Stanislas.  Le  parti  français 
était  déjà  parvenu  dans  la  diète  de  convocation 
à  y  faire  prononcer  l'exclusion  de  tout  candidat 
étranger-  on  avait  eu  spécialement  en  vue 
l'Électeur  de  Saxe,  fils  du  roi  défunt. 

Le  marquis  de  Villeneuve  fit  les  offices  les 
plus  pressants  pour  porter  les  Turcs  à  cette 
démarche;  il  insinua  en  même  temps  qu'il  con- 
viendrait de  l'appuyer  d'un  corps  de  Tartares 
qui  s'avancerait  en  même  temps  en  Pologne,  afin 
d'arrêter  les  troupes  rtisses  qui  se  préparaient  à 
s'y  introduire  pour  soutenir  le  parti  de  l'Electeur 
au  mépris  manifeste  du  traité  du  Priith.  La 
cour  de  Pétersbourg  s'était  engagée  par  ce  traité 
à  ne  plus  se  mêler  des  affaires  de  la  République. 
Mais  cet  ambassadeur  trouva  le  ministère  pré- 
venu par  le  comte  de  Bonneval,  qui  avait  pris  le 
turban  depuis  quelques  années.  11  avait  suggéré 
au  grand  vizir  Ali  Pacha  Hekiin  Ouglou  un  plan 
d'alliance  entre  la  France,  la  Suède  et  la  Porte, 


SUR    L'AMBASSADE   DE   TURQUIE.  129 

selon  lequel  la  première  devait  s'engager  à  ne 
point  faire  la  paix  avec  la  Cour  de  Vienne  sans 
exiger  de  celle-ci  de  ne  donner  aucun  secours  à 
la  Russie,  contre  laquelle  la  Suède  et  la  Porte 
agiraient  directement.  Le  ministère  de  Versailles 
se  refusa  à  ce  concert,  et  les  Turcs  laissèrent 
faire  les  Cours  impériales  en  Pologne  sans  vouloir 
s'en  mêler.  11  en  résulta  que  malgré  la  légitimité 
de  l'élection  de  Stanislas,  il  fut  obligé  de  céder  la 
place  à  l'Electeur  de  Saxe  qui  prit  le  nom 
d'Auguste  111. 

Sur  les  indices  qu'eut  la  Cour  de  Pétersbourg 
de  ce  projet  de  ligue,  elle  crut  devoir  prévenir 
les  intentions  hostiles  de  la  Porte.  Dès  que  les 
troubles  de  Pologne  furent  apaisés,  elle  traita 
d'une  alliance  avec  Nadir  Chah,  Les  deux  puis- 
sances s'engagèrent  à  n'entrer  dans  aucun  accord 
avec  l'empire  ottoman  sans  y  comprendre  réci- 
proquement leurs  intérêts  respectifs.  Mais  le 
Persan,  peu  scrupuleux  sur  ses  promesses,  ayant 
remporté  l'année  suivante,  en  Géorgie,  une 
victoire  contre  les  Turcs,  il  profita  de  ce  succès 
pour  conclure  avec  eux  une  paix  avantageuse, 
sans  égard  pour  son  allié. 

La  Russie  n'en  commença  pas  moins  la 
guerre  en  1735.  A  la  vérité,  ses  premières  hosti- 
lités ne  parurent  regarder  que  les    1  artares.  Le 

9 


no 


M  l..\l  i)l\{  K 


^cncr;il  Lcoiiticw,  ch;ii"|^c  de  hiirc  une  iticiirsKHi 
en  (Irinije,  partit  (Il  kr.iine  au  ctjmniencenient 
cfociobre  à  la  lète  de  trente  nnlle  hommes.  I  .a 
saison  trop  avancée  l'empèeha  de  parvenir  jus- 
qu'aux lignes  de  Pérécop,  et  il  en  était  encore 
à  dix  marches  lorsque  la  fatigue  et  les  maladies, 
qui  lui  avaient  fait  perdre  le  tiers  de  ses  troupes, 
l'obligèrent  de  rebrousser  chemin.  (]e  désastre 
ne  changea  rien  au  parti  pris  par  l'Impératrice 
Anne,  qui  régnait  alors  en  Russie,  de  rompre 
avec  la  Porte.  Les  puissances  maritimes  firent  de 
vains  efforts  pour  l'en  dissuader.  Elle  résista  à 
leurs  représentations  et  à  celles  de  ses  plus 
éclairés  ministres.  Le  comte  Ostermann,  contre 
son  propre  avis,  reçut  ordre  d'écrire  au  grand 
vizir  une  lettre  pour  tenir  lieu  de  manifeste.  11  y 
fit  la  déduction  des  infractions  aux  traités,  com- 
mises par  les  Turcs  et  les  Tartares,  ajoutant  que 
sa  souveraine  s'était  vue  forcée  à  prendre  les 
armes  pour  la  sûreté  de  ses  sujets  et  pour  leur 
procurer  une  paix  solide,  mais,  si  la  Porte  était 
dans  des  dispositions  pacifiques,  elle  n'avait 
qu'à  envoyer  des  ministres  sur  les  frontières, 
avec  plein  pouvoir  d'entrer  sans  délai  en  négocia- 
tions. Le  grand  vizir,  informé,  lorsque  la  lettre  du 
comte  d'Ostermann  lui  parvint,  qu'Azof  était 
déjà    investi  ,    fit   pour    toute    réponse    publier 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE,  131 

une  déclaration  de  guerre  contre  la  Russie. 
Le  maréchal,  comte  de  Munich,  commanda 
les  troupes  russes  pendant  la  campagne  de  1736 
et  laissa  leg-énéral  Lascy  chargé  du  siège  d'Azof; 
il  y  ouvrit  la  tranchée  le  17  mai,  et  le  4  juillet  la 
place  se  rendit.  Munich,  de  son  côté,  entra  en 
Crimée  et  parcourut  la  presqu'île,  où  rien  ne  lui 
résista.  Le  manque  de  vivres  Tobhg-ea  ensuite 
de  ramener  son  armée  en  Ukraine. 

L'alliance  des  deux  Cours  impériales,    con- 
tractée entre  Charles  VI  et  Catherine  1'%  portait 
pour  clause  expresse  que  dans  le  cas  où  Tune  des 
deux  se  verrait  obhg-ée  de  rompre  avec  la  Porte, 
elle  serait  assistée  de  trente  mille  hommes  par 
l'autre  puissance,  qui  déclarerait  même  la  guerre, 
si  la  situation  le  permettait.  Le  casies  fœdcn's' étant 
clair  et  réclamé,  l'Empereur  s'occupa  de  prépa- 
ratifs mihtaires.  Au  préalable,  il  tenta  de  ména- 
ger un    accommodement   entre  la    Porte    et    la 
Russie.  On    tint  un  congrès    pour    cet    effet    à 
Niemirow,    mais  il   fut   reconnu    impossible    de 
rapprocher  les  parties,  et  Charles  VI,  en  consé- 
quence de  ses  engagements,  fit  sa  déclaration  de 
guerre  contre  les  Turcs  pendant   le    cours    de 
l'année  1737. 

On  a  vu  que  les  puissances  maritimes  avaient 
tâché  de  détoiu-ner  l'Impératrice  Anne  d'entrer 


,5  2  .Mr-..MiJiin 

en  guerre.  IJIes  agirent  dans  le  même  esprit 
auprès  de  la  l^orte  qui,  elîrayée  du  début  des 
hostilités,  ne  demandait  pas  mieux  que  d'v 
mettre  fin.  La  Kussie  parut  s'y  prêter  de  son 
côté,  et  l'ambassadeur  de  la  (  ji-ande-l Bretagne 
avec  celui  des  lùats  généraux  fiu-ent  admis  à  la 
médiation  qu'une  mésinteUigence  qui  survint 
entre  ces  deux  ministres  les  empêcha  d'exercer. 

Dix  mille  Russes  avaient  marché  sur  le  Rhin, 
en  173  5,  comme  auxiliaires  de  Tarmée  autri- 
chienne contre  la  France.  Celle-ci,  en  revanche, 
attisa  le  ieu  entre  les  Cours  impériales  et  les 
Turcs,  mais  la  pacification  de  Vienne  ayant 
raccommodé  Louis  XV  et  Charles  VI,  le  marquis 
de  Villeneuve  eut  ordre  de  tendre  à  la  paix  de 
Lurquie  et  à  s'en  attirer  la  médiation. 

Le  sieur  de  lott  fut  envoyé  pour  cet  objet 
par  cet  ambassadeur  au  camp  ottoman.  Lors- 
qu'il développa  sa  commission,  le  grand  vizir 
affecta  d'être  surpris  du  changement  subit  de 
langage  de  la  France  qui,  disait-il,  depuis  deux 
ou  trois  ans,  n'avait  cessé  d'exciter  la  Porte  aux 
hostilités.  Le  sieur  de  Tott  répondit  que,  lorsque 
les  armes  ottomanes  pouvaient  avoir  l'avantage, 
sa  Cour  s'intéressait  à  la  guerre  pour  leur  gloire, 
mais  que  l'Empereur  étant  libre,  désormais, 
d'employer   toutes   ses    forces   contre    l'Empire 


SUR    L'AMBASSADE   DE    TURQUIE.  133 

Ottoman,  les  choses  avaient  chang-é  de  face  et 
demandaient  de  nouvelles  combinaisons.  Cette 
semence  g-erma,  et  le  vizir  réexpédia  le  sieur  de 
'1  ott  avec  une  lettre  pour  le  cardinal  de  Fleury, 
en  date  du  17  juillet  1737,  portant  la  réquisition 
formelle  de  la  médiation  de  la  France  entre  la 
Porte  et  les  Cours  impériales.  Le  marquis  de 
Villeneuve  reçut  en  réponse,  le  i"  décembî-e,  un 
courrier  qui  lui  apporta  des  lettres  du  Roi  pour 
le  Grand  Seigneur  et  du  cardinal  pour  le  grand 
vizir,  avec  de  nouvelles  créances  pour  n'en  faire 
usage  que  lorsque  la  médiation  du  Roi  aurait  été 
admise  par  la  Cour  de  Pétersbourg.  En  même 
temps  une  lettre  du  comte  de  Sinzendorf  lui 
apporta  l'acceptation  qu'en  avait  faite  la  Cour  de 
Vienne  et  son  ultimatiun  pour  la  paix. 

Pendant  la  campagne  de  1 738,  le  maréchal  de 
Munich  s'était  emparé  d'Oczakow,  que  les  Turcs 
tentèrent  en  vain  de  reprendre  à  la  lin  de  la 
même  année.  Lascy,  avec  une  autre  armée,  entra 
en  Crimée  et  en  ressortit  comme  avait  fait 
Munich.  En  Servie,  les  Autrichiens  avaient  pris 
Nissa  et  manqué  Widdin. 

Telle  était  la  situation  des  affaires  des  puis- 
sances en  g-uerre,  lorsque  le  marquis  de  Ville- 
neuve entama  sa  négociation.  11  avait  ordre,  en 
même  temps,  d'appuyer  celle  que  la  Suède  avait 


1,4  M  K  MO  IKK 

entamée  avec  la  Porte,  dette  dernière  aflairc 
alioiiiit,  la  même  année,  à  un  traité  de  commerce 
et  d'amitié  entre  la  (lour  de  Stockholm  et  l'empire 
ottoman,  ainsi  qu'à  un  arrangement  j)()iir  l'extinc- 
tion des  dettes  de  (Iharles  XI 1  envers  le  (irand 
Seigneur.  Sa  Hautesse  se  contenta.  |)oin-  tout 
payement,  du  don  d'un  vaisseau  de  guerre  de 
70  canons,  qui  périt  ensuite  en  chemin,  et  d'une 
certaine  quantité  d'armes  de  Suède. 

L'ambassadeur  avait  à  remplir  une  tache  bien 
difficile.  Suspect,  comme  il  l'était,  aux  deux 
Cours  impériales,  qui  soupçonnaient  la  France  de 
désirer  la  continuation  de  la  guerre  et  de  préfé- 
rer les  avantages  de  la  Porte  aux  leurs,  il  ne 
trouvait  pas  plus  dans  celle-ci  la  confiance  que 
méritaient  ses  conseils.  Elle  venait  d'attirer  à 
Constantinople,  sur  l'insinuation  du  comte  de 
Bonneval,  le  fils  du  feu  prince  Rakoczy  pour 
l'employer  à  exciter  des  trotibles  en  Hongrie  et 
en  Transylvanie. 

Le  marquis  de  Villeneuve  fit  observer  ati 
grand  vizir  qu'il  conviendrait  d'abord  de  faire 
sonder  les  dispositions  de  ses  prétendus  adhé- 
rents, mais  on  alla  en  avant  sans  ce  préalable,  et 
le  25  janvier  1738  Rakoczy  fut  reconnu,  en 
forme  publique,  prince  de  Transylvanie  et  chef 
des  Hongrois.  11  n'en  fut  guère  plus  avancé.  On 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  135 

l'envoya  avec  Bonne  val  sur  la  frontière  autri- 
chienne où  personne  ne  remua  en  sa  faveur,  et 
ce  jeune  prince  devenait  fort  embarrassant, 
lorsqu'une  maladie  aiguë  l'emporta  très  à  propos. 

Le  nouveau  grand  vizir,  Yeghen  Pacha  ne 
désirait  point  la  paix;  il  n'avait  voulu  qu'amuser 
par  une  vaine  négociation.  Le  cardinal  de  Fleury, 
qui  le  pressentit,  lui  écrivit  le  10  avril  1738, 
pour  lui  inspirer  des  intentions  plus  conciliantes. 
Quoique  la  lettre  contînt  l'offre  de  la  garantie 
de  la  France  pour  le  traité  à  conclure,  elle  fit 
peu  d'impression;  le  ministre  turc  voulait  courir 
le  sort  des  événements,  et  ils  le  justifièrent. 

La  campagne  des  Russes  sur  le  Dniester  n'eut 
aucun  eftet.  Le  maréchal  Lascy  entra  ime  seconde 
fois  en  Crimée  et  en  ressortit  de  même.  La  peste 
fit  un  tel  ravage  dans  les  garnisons  russes  d'Oc- 
zakow  et  de  Kinburn,  que  le  parti  fut  pris  et 
exécuté  de  les  évacuer.  De  son  coté  le  vizir  en 
personne  prit  Orsova  et  reprit  Nissa;  Semendria 
et  leni  Palanka  se  rendirent,  et  les  Turcs  n'avaient 
plus  devant  eux,  jusqu'à  la  Save,  entre  les  mains 
de  l'ennemi,  que  la  seide  place  de  Belgrade  lorsque 
finit  l'année  1738. 

Au  retour  du  grand  vizir  à  Constant! nople 
pour  y  passer  l'hiver,  la  négociation  du  marquis 
de  Villeneuve  recommença,  mais  Yeghen  Pacha, 


136  MKMOIHK 

enflé  des  succès  de  l:i  prcccdcnte  campagne, 
voulut  en  faire  une  seconde.  Ses  envieux  ne  lui 
en  donnèrent  pas  le  temps:  il  f\ir  déposé  le 
22  mai   1739. 

Aïvaz  Méhémet  Pacha,  son  successeur,  entra 
dans  le  ministère  avec  des  vues  plus  pacifiques. 
11  appela  à  l'armée  le  marcpiis  de  \  illeneuve,  qui 
la  joignit  devant  Belgrade  peu  après  l'avantage 
que  les  J  iircs  avaient  remporté  sur  les  Impériaux 
à  Krozka  et  la  défaite  du  prince  de  Hildburghau- 
sen  à  Bagnalouca.  Belgrade  était  en  état  de 
faire  une  longue  défense.  On  voit  par  les 
mémoires  du  général  Schmettau,  qui  commanda 
quelque  temps  dans  la  place,  que  le  vizir  s'y 
prenait  si  mal  pour  l'attaquer  qu'il  aurait  dû 
bientôt  être  forcé  d'en  lever  le  siège.  Mais  cet 
auteur  nous  apprend,  en  même  temps,  que  la 
plupart  des  généraux  impériaux  étaient  saisis 
d'une  espèce  de  terreur  panique  qui  les  faisait 
désespérer  de  tenir  devant  les  Turcs.  Le  prince 
Eugène  n'était  plus  et  n'avait  pas  été  remplacé. 
Seckendorf,  Wallis  et  Neipperg  étaient  des 
généraux  faibles  de  talents  et  d'énergie,  et  l'Em- 
pereur eut  lieu  alors  de  regretter  le  comte  de 
Bonneval  qui  était  meilleur  militaire  qu'eux , 
mais  dont  les  Turcs  ne  se  servaient  jamais  à  la 
guerre. 


SUR    L'AMBASSADE   DE   TURQUIE.  137 

On  a  dit  que  le  marquis  de  Villeneuve  avait 
à  lutter  contre  la  défiance  des  deux  Coin-s  impé- 
riales ;  outre  qu'il  lui  était  aisé  de  s'en  aperce- 
voir, il  en  reçut  de  France  l'avertissement  du 
ministre.  L'Empereur  cherchait  à  négocier  sans 
sa  participation.  Le  colonel  Gross,  d'abord,  et 
ensuite  le  comte  de  Neipperg-,  plénipotentiaire 
impérial,  se  rendirent  pour  cet  effet  au  camp 
ottoman;  mais  ils  reconnurent  bientôt  que  le 
vizir  tenait  fortement  à  la  garantie  de  la  France, 
qui  ne  devait  avoir  lieu  qu'à  la  faveur  de  sa 
médiation.  11  fallut  donc  passer  par  son  ambas- 
sadeur, lequel  arrangea  et  signa  les  préliminaires 
le  i'''  septembre  1739.  ^^  Valachie  autrichienne 
et  la  Servie  y  compris  Belgrade,  réduite  à  ses 
anciennes  fortifications,  furent  cédées  à  la  Porte. 
Dix-sept  joiu's  après,  on  convint  des  préliminaires 
entre  elle  et  la  Russie,  qui  restitua  la  Moldavie, 
dont  le  maréchal  de  Munich,  après  avoir  gagné 
une  bataille  contre  les  Turcs  près  de  Kottin, 
s'était  emparé.  Azof,  démoli,  demeura  à  la 
Russie;  le  titre  Impérial  fut  reconnu  à  sa  sou- 
veraine ;  tout  le  reste  fut  remis  dans  le  même  état 
qu'avant  la  rupture. 

Ainsi  finit  cette  guerre  qui  pouvait  et  devait 
ruiner  de  fond  en  comble  l'empire  ottoman,  si 
elle    eût  été  bien    conduite  par  les  (lours  impé- 


1 38  M  f  M  0  I  lî  \. 

finies.  (Jii():([iK-  Miiiiicli  eût  remporté  bien  des 
tr()|)hées  pendiiiit  tn^is  cnnipag^iies,  il  n'était  par- 
venu (|ir:i  l;i  (leniiL-re  :i  p;isser  le  Dniester  et  à 
venir  au  hanubc,  ce  ciu'ij  aurait  pu  faire  dès  la 
première.  In  ce  cas,  l'empu-e  ottoman  aurait 
cornai  ^rancl  risque,  (juani  aux  g-jnéraux  autri- 
chiens, leur  conduite  (ut  toujours  pitoyable. 

A  considji'er,  au  premier  coup  d'(uil,  le  rùle 
que  joua  la  Irance  dans  cette  affaire,  il  semble 
qu'en  aidant  au  rétablissement  de  la  pai.x,  elle 
avait,  pour  la  i'rivole  gloire  de  la  médiation, 
sacrifié  le  solide  intérêt  politique  que  lui  offrait 
la  continuation  d'une  guerre  désastreuse  pour  la 
maison  d'Autriche  et  propre  à  l'afîaiblir.  Mais, 
par  un  examen  plus  attentif,  on  troti\era,  dans 
la  paix  de  Ikdgrade,  le  chef-d'œuvre  de  la  poli- 
tique (rançaise.  Saisissant  le  hasard  d'un  triomphe 
remporté  par  le  vizir  à  Krozka.  et  de  la  frayeur 
des  généraux  autrichiens,  le  marquis  de  \  ille- 
neuve  préserva  les  1  urcs,  dont  l'mtérèt  occupait 
sa  Cour  de  préférence,  du  danger  imminent 
d'échouer  devant  Belgrade  et  d'être  ramenés  par 
l'ennemi  bien  avant  dans  leur  propre  pays.  11 
faut  encore  y  ajouter  que  la  gloire  de  ce  traite 
a  fait  illusion  à  l'Europe,  pendant  trente  ans.  sur 
le  véritable  état  de  l'empire  ottoman,  dès  lors  en 
décadence,  et  dont  la  faiblesse  n'a  été  que  trop 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  139 

manifestée  depuis.  Par  là  s'est  maintenue  pen- 
dant ce  long-  intervalle  la  considération  de  cette 
puissance,  dont  l'existence  importait  beaucoup  à 
la  politique  de  la  Frar.ce,  vu  le  contre-poids 
qu'elle  formait  à  l'union  des  deux  Cours  impé- 
riales. On  a  éprouvé  depuis,  par  une  funeste 
expérience,  combien  il  eût  été  à  désirer  que  la 
Porte  eiit  continué  d'être  en  état  de  leur  en 
imposer. 

Le  marquis  de  Villeneuve  profita  du  crédit 
que  la  médiation  de  Belgrade  lui  avait  acquis 
pour  renouveler  les  capitulations  de  la  France, 
qui  ne  l'avaient  pas  été  depuis  1673.  H  obtint 
l'addition  de  plusieurs  articles  importants,  comme 
on  le  rapportera  ailleurs. 

Cet  ambassadeur  avait  fait  quelque  temps 
auparavant  des  insinuations  à  la  Porte  pour  un 
traité  de  paix  et  d'amitié  entre  elle  et  la  Cour  des 
Deux-Siciles.  11  semblait  être  le  canal  naturel  de 
cette  négociation  5  mais,  soit  par  une  suite  de  la 
vieille  opinion  qu'on  a  à  Naples  et  en  Espagne 
que  la  France  cherche  à  éloigner  du  Levant  les 
autres  puissances  chrétiennes ,  soit  par  les 
intrigues  du  comte  de  lionneval,  ce  fut  à  Un  que 
fut  adressé  le  comte  Finochetti,  choisi  à  Naples 
pour  cette  affaire,  qu'il  termina  par  un  traité 
signé  le  16  avril  1740. 


1 4<.  M  P.  M  o  I  H  y 

Il   se    négociait    depuis    j)lu.siciirs    années,     à 
(  ;()iisi:miiiiO|)ic.  imc  autre  all'aire  doni  la  conclu- 
sion eut  (les  cliets  plus  iinj)(jrtants.  On  a  du  plus 
haut  c|ue   la  Suède  a\ait   (ait  avec  l'empire  (Jiio- 
iiiau,  en  i~3~,iin  traité  d'amitié  et  de  C(Mnmerce, 
lequel  n'était  à  la  vérité  t|u"uiie  introduction,  aux 
vues  de  la  (^oiir  de  Stockholm,  pour  se  lier  avec  la 
Porte  d'une  manière  j)lus  étrvjiie.  La  position  des 
deux    laats,   séparés   par    une   grande   distance, 
mais  ayant   l'un   et  l'autre,  cependant,  la  Russie 
pour  limitrophe,    offrait    la     convenance     d'une 
alliance    entre    eux.    Pendant    que    le  comte  de 
Bonneval  suivait  cet  objet  avec  sa  vivacité  accou- 
tumée,   le  marquis    de    \'illeneu\e,    déjà    avancé 
dans    sa    médiation,    craignit   que    lintroduction 
d'un   nouvel   interlocuteur   tel   que   la  Suède   sur 
la   scène    guerrière   n'arrêtât  sa    négociation.    11 
détourna   alors  le   grand    vizir   des   avances    de 
cette  couronne,  et  ce  riu  à  cette  occasion  que 
Bonneval  fut  exilé.   La  cour  de  Pétersbourg,   à 
en  croire  les  Mémoires  de  ALanstein,  aurait  été 
bien  embarrassée  si  celle  de  Stockholm  se   fut 
déclarée  contre    elle,     en    1738,     pendant    que 
l'armée  russe  était  occupée  avec  les  Turcs.  Elle 
le  craignit  au  pomt  de  vouloir  être  informée  à 
tout    prix    des   mesures  que  tramaient  ceè  deux 
puissances.    Pour  y  parvenir,   elle  fit  guetter  le 


SUR    L'AMBASSADR    DE   TURQUIE.  141 

major  Sinclair,  g-entilliomme  suédois,  qui  partait 
de  Constantinople  et  que  Ton  savait  chargé  de 
dépèches.  Il  fut  atteint  en  Silésie  par  des  officiers 
russes  qui  l'assassinèrent  lâchement  et  lui  prirent 
ses  paquets;  mais,  ainsi  qtie  dans  l'assassinat  du 
capitaine  Rinçon  sous  François  V'\  les  papiers 
essentiels  avaient  été  expédiés  par  une  autre 
voie,  et  cette  atrocité  ne  remplit  pas  le  but  qui 
l'avait  fait  commettre. 

Le  parti  français  avait  acquis  la  supériorité  en 
Suède  depuis  la  mort  de  la  Reine  Ulrique- 
Eléonore,  en  1739.  Le  Roi  Frédéric  de  Hesse,  son 
époux,  était  demeuré  seul  sur  le  trône.  Ses  par^ 
tisans.  qu'on  nommait  les  Bonnets,  répugnaient  à 
la  guerre  contre  la  Russie  que  l'autre  parti,  dit 
des  Chapeaux, Y oiûâ'it  à  toute  force.  La  France, 
sans  incliner  pour  une  rupture  entre  les  deux 
puissances,  se  borna  à  tâcher  de  procurer  à  la 
Suède  l'appui  de  la  Porte.  En  conséquence,  le 
marquis  de  Villeneuve  reçut  ordre  de  seconder 
les  ministres  de  cette  cour  à  Constantinople,  ce 
qu'il  fit  avec  efficacité.  Le  19  juillet  1740  fut 
signé  un  traité  de  confédération  et  d'alliance 
défensive  entre  la  Suède  et  l'empire  ottoman. 
C'est  le  seul  que  cette  puissance  ait  avec  les 
puissances  chrétiennes. 

On  voit  dans  les  Mémoires  de  Manstein  qu'en 


14^  Mf.MOIMK 

ce  temps,  Louis  X  \'  ollrit  su  médiation  pour 
accommoder  les  dilléreiits  survenus  entre  les 
(>()ui\s  de  Stockholm  et  de  I  *éters|}()urg.  «  Mais, 
dit  le  même  auteur,  lanimosité  des  Suédois  ne 
put  être  apaisée;  ds  voulaient  la  guerre  à  toute 
iorce,  sans  prendre  néanmoins  les  mesures  con- 
venables pour  la  faire.  »  |-^lle  l'ut  déclarée,  à 
Stockholm,  le  i  "  août  1741 ,  et  eut  le  succès  qu'on 
pouvait  en  attendre.  Les  Suédois  lurent  bien 
battus  dés  la  première  campagne. 

Le  changement  de  souverain  en  Kiissie,  par 
la  déposition  de  l'empereur  Ivan  et  l'intronisation 
d'Elisabeth,  semblait  un  événement  propice  au 
rétablissement  de  la  paix,  en  s'appuyant  sur 
l'influence  que  le  marquis  de  la  (>hétardie, 
ambassadeur  de  France,  avait  acquise  sur 
l'esprit  de  cette  Impératrice,  à  l'élévation  de 
laquelle  il  avait  eu  grande  part.  Il  obtint,  en 
effet,  pour  les  Suédois  une  trêve;  mais  ils  éle- 
vèrent de  si  grandes  prétentions  dans  la  négocia- 
tion qui  suivit  que  la  guerre  ne  tarda  pas  à 
recommencer. 

Le  marquis  de  la  Chétardie  faisait  ombrage  au 
chancelier  de  Bestucheff,  qui  profita  d'un  voyage 
que  cet  ambassadeur  fit  en  France  poiu*  ruiner 
le  crédit  de  sa  Cour  dans  l'esprit  d'Elisabeth,  et 
y  faire  prévaloir  celle  de  Vienne,  avec  laquelle  la 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  143 

P'rance  était  entrée  en  g-uerre  à  l'occasion  de  la 
succession  de  l'empereur  Charles  VI.  Une  lettre 
de  M.  Amelot  an  comte  de  Castellane,  succes- 
seur du  marquis  de  Villeneuve  en  Turquie,  fut 
interceptée  à  Vienne  et  communiquée  à  Saint- 
Pétersbourg-.  Dans  cette  lettre,  ce  sçcrétaire 
d'État  prescrivait  à  l'ambassadeur  de  continuer 
ses  bons  offices  aux  envoyés  de  Suède  à  la 
Porte;  elle  contribua  beaucoup  à  un  refroidisse- 
ment sans  que  les  démarches  de  M.  de  C>astel- 
lane  pussent  opérer  l'effet  désiré.  Au  lieu  d'une 
déclaration  conforme  au  Casiis  fœderis  du  traité 
de  1740,  il  ne  put  obtenir  du  ministère  ottoman, 
en  faveur' de  la  Suède,  qu'une  somme  de  cinq 
cent  mille  piastres,  laquelle  fut  remise  entre  ses 
mains.  Sa  Cour,  qui  voulait  encore  g-arder  des 
ménag-ements  vis-à-vis  de  la  Russie,  le  blâma  de 
s'en  être  chargé.  Au  reste,  ce  mince  secours  ne 
pouvait  tirer  les  Suédois  du  mauvais  pas  où  ils 
s'étaient  mis.  La  paix  d'Abo,  qu'Elisabeth  vou- 
lait bien  leur  accorder,  en  1743,  en  faveur  de 
l'élection  à  la  couronne  dti  duc  d'Holstein  auquel 
elle  s'intéressait  pour  rég-ner  après  le  roi  P^rédé- 
ric,  mit  fin  à  cette  guerre. 

L'année  précédente,  le  Grand  Seigneiu-  avait 
envoyé  un  ambassadeur  en  France  remercier  le 
Roi  de  la  médiation   qu'il  avait  exercée  à  Bel- 


144  "^i  '  MOI  m 

^Tiiclc.  (Ictlc  inissioti  n':i\;iit  :iiiciin  nbJL-t  poli- 
li(|iic,  lion  plus  (|iic  celle  (le  i"22,  dont  on 
n':!  liiii,  pour  c:eite  iMison,  aucune  mention.  Les 
1  lires  ne  donnent  ordinairement  aucune  con- 
(lanee  à  leurs  ministres  an  dehors,  (les  eoin- 
niissions  ne  sont,  :i  proprement  parler,  qu'une 
aubaine  qui  s'accorde  à  la  laveur  et  dont  les 
présents  à  recevoir  loni  l'objet. 

I  /lillecteur  de  Ikivière  avait  été  élu  h^mpereur. 
sous  le  nom  de  (!harles  \'II,  par  l'appui  cpie  lui 
donna  la  r'rance.  IJIe  prescrivit  à  son  ambassa- 
deur à  la  l^orte  d'obtenir  d'elle  de  reconnaître  ce 
prince  en  sa  qualité  impériale.  Les  insinuations 
des  autres  puissances  engagèrent  d'atitant  plus 
aisément  le  ministère  ottoman  à  suspendre  cette 
démarche  que  le  nouvel  empereur  n^intéressait 
guère  la  politique  des  Turcs,  ses  prédécesseurs 
n'ayant  eu  de  rapports  avec  la  Porte  qu'à  raison 
de  leurs  domaines  de  Hongrie  et  de  1  ransyl- 
vanie,  où  Charles  Vil  ne  possédait  rien.  Le 
reconnaître  était  prendre  parti  dans  la  querelle 
des  Cours  chrétiennes,  et  la  Porte  voulait  réser- 
ver ses  forces  contre  Nadir  Chah,  qui  la  menaçait 
et  lui  déclara  effectivement  la  guerre  en  1744. 

(^et  événement  ne  pouvait  venir  plus  mal  à 
propos  pour  le  but  qu'avait  la  France  d'enga- 
ger les    Turcs  à   faire    une    diversion    dans    les 


SUR    L-AMBaSSADE    de    TURQUIE.  145 

États  de  Marie-Thérèse,  alors  reine  de  Hongrie, 
héritière  de  son  père  Charles  VI  et  bientôt  après 
Impératrice  par  l'élection  du  duc  de  Lorraine, 
son  mari,  à  la  couronne  impériale  après  la  mort 
de  Charles  VII.  Le  ministère  de  Versailles  s'oc- 
cupa alors  à  lever  l'obstacle  de  la  guerre  de  Perse, 
en  travaillant  à  cette  pacification.  Elle  charg^ea 
de  ce  soin  le  comte  de  Bonneval.  Il  plut  à  cet 
homme  romanesque  de  substituer  à  cette  vue 
si  simple  le  projet  de  l'entremise  du  roi  pour 
ménager  une  alliance  entre  la  Porte  et  le  Grand- 
Mogol  contre  le  roi  de  Perse  ;  mais  d'un  côté  le 
Mogol  déjà  anéanti  par  l'invasion  précédente  des 
Persans,  dont  la  plaie  était  encore  fraîche,  ne 
pouvait  leur  faire  tète,  et  de  l'autre  il  s'agissait 
spécialement  de  ne  laisser  aucune  affaire  aux 
Turcs  de  ce  côté,  afin  qu'ils  demeiu-assent  libres 
d'agir  en  Hongrie.  Au  reste,  cette  paix  entre  la 
Perse  et  la  Porte  se  conclut  peu  après  une  vic- 
toire que  remporta  Nadir  C>hàh.  Le  règne  de  ce 
prince  finit  avec  sa  vie  en  1747.  Il  fut  assassiné 
par  son  neveu  et  par  le  capitaine  de  ses  gardes. 
Loin  d'être  en  mesure  de  donner  de  la  con- 
sistance à  son  projet,  le  comte  de  i^onneval  ne 
put  pas  seidement  arrêter  la  Porte  sur  la  recon- 
naissance du  nouvel  Empereur,  lille  avait  redouté 
son   élection    au     point    que    le    grand    vizir    en 


,.j6  MF.  MO  lin-. 

ccnvit  ;iii  ministre  de  l'nmce.  lui  rappehint  l.i 
^Uùrc  (|ir:iv;iit  eue  Louis  W  de  donner  un  \.m- 
pcreur  à  l'Allenia^aie ,  et  l'exhortani  a  donner 
encore  ses  soins  pour  le  même  objet.  Mais  ee 
eomplunent  n'était  aeeompa^Mié  d'aucune  offre  de 
concert,  et  le  j^'^rand-duc  de  1  oscane  ti'eut  pas 
été  plus  tôt  élu  (]uc  la  1  *orte  chanf^ea  de  langaf^e 
au  j)()int  d'admettre  les  États  d'Italie  de  ce  prince 
à  participer  :i  la  trêve  existant  avec  la  maison 
d'Autriche,  qui  reçut  alors  une  prolongation  non 
définie  par  un  acte  échang-é  entre  les  deux  puis- 
sances, en  date  du  17  mars  1747.  Ainsi  la  trêve 
de  Belgrade  ayant  changé  de  nature  sans  la 
participation  de  Ja  1  rance,  celle-ci  demeura 
déchargée  de  sa  garantie. 

Le  ministère  ottoman,  honteux,  en  quelque 
sorte,  de  la  conduite  versatile  qu'il  avait  tenue 
en  cette  occasion,  crut  la  couvrir  en  otirant  sa 
médiation  aux  puissances  chrétiennes  belligé- 
rantes, (tétait  encore  une  suggestion  de  Bonne- 
val,  qui  voulait,  à  la  vérité,  qu'on  y  ajoutât  l'en- 
voi d'un  corps  de  troupes  sur  la  frontière  de 
Hongrie  poiu-  appuyer  l'offre  de  la  médiation. 
Il  se  flattait  probablement  que  l'indiscipline 
ordinaire  aux  Turcs  amènerait  quelque  querelle, 
et  ensuite  des  hostilités  de  ce  côté  ;  mais  cette 
seconde  partie  de  son  plan  ne  fut  pas  agréée,  et 


SUR    LAMBASSADE    DE   TURQUIE.  147 

la  simple  proposition  d'entremise  fut  acheminée. 
La  France  seule  l'accepta  sous  condition  qu'elle 
serait  acceptée  des  puissances  ses  ennemies. 
Celles-ci  ne  daignèrent  pas  répondre. 

Le  comte  Des  Alleurs ,  fils  de  celui  qui  avait 
déjà  rempli  la  place  d'ambassadeur  à  Constanti- 
nople,  ayant  succédé    au    comte  de  Castellane, 
on  lui  recommanda  d'exciter    les   Turcs    <à    ag-ir 
contre  les  cours   de  Vienne  et  de  Pétersbourg-  à 
la  fois,  afin  d'arrêter  un  corps  de  trente  mille 
hommes    que    cette    dernière    puissance    faisait 
passer  à  travers  la  Pologne  pour  aller  rejoindre 
les  Autrichiens  sur  le  Rhin.  L'ambassadeur  devait 
tendre   en  même  temps  à  renouveler,    entre  la 
Porte  et  la  France,  un  traité  d'amitié  auquel  accé- 
derait la  cour  de  Stockholm;  elle  voyait  la  Fin- 
lande envahie  par  les  troupes  de  la  Russie,  pour 
le  soutien  du  parti  que  cette  puissance  avait  en 
Suède,   en  opposition  au  parti  français.  Sur  les 
instances    du    comte   Des   Alleurs,    la   Porte  se 
détermina  k  requjrir  la  cour  de  Pétersbourg  par 
son  résident  à  Constantinople,  de  faire  évacuer 
la  Finlande  par  ses   troupes,  lui  signifiant,   en 
cas  de  refus,  qu'elle  prendrait  fait  et  cause  pour 
la  Suède.    Le    ministère   russe  reçut   cet   office 
ad  rcfcroidiun    et,    quelque    temps   après,  il    eut 
ordre  de  répondre  par  l'assurance  des  intentions 


148  .vn;.MC)iH  I 

pacifiques  de  sa  cour  envers  les  Suédois,  pourvu 
qu'ils  iniiintinssent  la  forme  de  leur  gouverne- 
jiient,  proposant  à  la  l'orie  d'agir  avec  elle  de 
concert  poin*  leur  en  laire  prendre  rengagement. 
Cette  affaire  traîna  jusqu'à  la  mort  du  roi  l'ré- 
déric  en  17^0.  Le  nouveau  monarc]ue,  son  suc- 
cesseur, ayant  donné  une  déclaration  conforme 
à  la  demande  de  la  cour  de  Pétersbourg-,  celle-ci 
rappela  ses  troupes.  La  négociation  du  traité 
d'amitié  dont  on  a  parlé  plus  haut  ne  prit  pas 
faveur,  et  la  France  ne  s'en  mit  guère  en  peine. 

La  paix  d'Aix-la-Chapelle,  conclue  en  1748, 
dispensa  le  comte  Des  Alleurs  d'inviter  les  Turcs 
à  rompre  avec  les  deux  cours  impériales.  Ses 
premières  démarches  à  cet  égard  n'avaient  eu 
aucun  succès  auprès  de  la  Porte,  qui  s'était  dé- 
fendue sur  son  cheval  de  bataille  ordinaire  :  sa 
fidélité  aux  traités.  Selon  lui,  le  traité  du  Pruth 
n'ayant  pas  été  rappelé  dans  la  trêve  de  Belgrade, 
la  stipulation  par  laquelle  il  avait  été  interdit  à 
la  Russie  de  faire  entrer  ses  troupes  en  Pologne 
était  annulée,  comme  si,  pour  s'opposer  à  l'in- 
juste violation  du  territoire  d'une  puissance  voi- 
sine, il  ne  suffisait  pas  du  droit  naturel. 

il  restait  au  comte  Des  Alleurs  de  donner  ses 
soins  à  préparer  la  Porte  en  faveiu-  de  l'élection 
du  prince   de  C^onti  à    la  couronne  de  Pologne, 


SUR    L'AMBASSADE    D  F.    TURQUIE.  149 

lorsqu'elle  viendrait  à  vaquer.  Ce  plan  n'avait 
pas  été  communiqué  par  Louis  XV  à  son  minis- 
tère. Son  ambassadeur  à  Constantinople  reçut  à 
ce  sujet  une  instruction  secrète  et  l'ordre  de  rendre 
compte  directement  au  prince  de  Conti  du  pro- 
grès de  ses  démarches.  On  craignait  que  les  deux 
cours  impériales  n'eussent  en  vue  de  procurer 
ce  trône  au  prince  Charles  de  Lorraine,  ce  que 
M.  Des  Alleurs  fît  envisager  à  la  Porte  comme 
un  plan  d'entourer  de  tous  côté  l'empire  otto- 
man ;  mais  les  ministres  turcs,  imprévoyants  par 
paresse  autant  que  par  ignorance,  répondirent 
que  l'âge  et  la  santé  du  roi  de  Pologne  devaient 
lui  faire  espérer  une  longue  vie  ;  qu'il  était  préma- 
turé de  s'occuper  de  son  successeur  5  qu'au  reste 
il  y  avait  plus  d'apparence  que  la  cour  de  Péters- 
bourg  préférait  l'Llecteiu'  de  Saxe,  en  cas  de 
vacance,  aiïn  de  ne  pas  donner  trop  d'influence 
en  Pologne  à  celle  de  Vienne. 

Un  objet  plus  direct  occupait  de  temps  à  autre 
la  Porte  ottomane  ;  le  traité  de  Belgrade  avait 
fixé  les  frontières  de  la  Russie  à  la  rive  droite 
du  Borysthène,  d'après  les  limites  tracées  en  170^. 
Il  était  resté,  entre  la  rivière  Jugal  et  le  fleuve 
Bug,  un  espace  vacant  qui  devait  demeurer  désert 
sans  appartenir  à  l'une  ou  à  l'autre  puissance. 
La  cour  de   Pétersboiirg  s'appropria  successive- 


i>o  Ml    \H)!I{K 

ment  plusieurs  parties  de  ce  j^ays,  aiicjuel  elle 
(loiHia  le  nom  de  Nouvelle-^ervie.  IJIe  y  lit 
construire  des  forts  et  étal)lir  des  colonies.  Les 
1  artares,  (|iii  s'en  trouvaient  ^'^ènés  pour  le  pâtu- 
rage de  leurs  troupeaux  et  leurs  commumca 
tions  au  travers  du  liorysthène,  en  firent  de 
iréqiientes  plaintes  à  (jonstantinople.  ()n  s'en 
prenait  au  résident  de  Kussie;  celui-ci  niait  les 
faits  et  proposait  l'envoi  sur  les  lieux  de  commis- 
saires qui,  gagnés  par  sa  cour,  rapportaient  ce 
qu'on  lein-  avait  dicté.  (>ette  puissance,  de  son 
coté,  récriminait,  se  plaignant  d'excès  commis 
par  les   1  artares  contre  les  (^osaques. 

Sultan  Mahmoud  fit  voir  pendant  tout  son 
règne  qifil  craignait  la  guerre  ;  mais  la  terreur 
qu'il  en  avait  augmenta  lorsque  sa  santé  vint  à 
s'affaiblir,  et  totis  les  griefs  étaient  dissimulés  ; 
il  mourut  à  la  fin  de  1754  et  eut  pour  successeur 
son  frère  cadet  Osman. 

Le  comte  de  Vergennes,  qui  remplaça  en 
Turquie  le  comte  Des  Alleurs ,  mort  dans  ce 
même  temps,  i-eçut  en  partant  les  mêmes  instruc- 
tions que  son  prédécesseur  relativement  à  la 
vacance  du  trône  de  Pologne.  11  eut  aussi  Tordre 
d'exciter  la  vigilance  de  la  Porte  sur  les  deux 
cours  impériales. 

Cet  ambassadeur  arriva  en  17^5  au  commen- 


SUR    L'AMBASSADK    DE   TURQUIE.  151 

cernent  de  la  guerre  pour  les  limites  de  l'Acadie 
entre  la  France  et  l'Ang-leterre.  Cette  dernière 
puissance,  cherchant  à  tout  prix  d'occuper  les 
forces  de  la  première  sur  le  continent,  conclut 
avec  la  cour  de  Pétersboiu-g-  un  traité,  qui 
Feng-ageait  à  foin-nir  soixante  mille  hommes 
à  la  Grande-Bretagne  sur  sa  réquisition ,  au 
moyen  d'un  subside  convenu.  La  France  n'y 
fut  pas  nommée,  mais  il  était  clair  que  ces 
troupes  étaient  destinées  contre  elle.  Son  am- 
bassadeur à  la  Porte  eut  ordre  de  faire  tous  ses 
efforts  pour  engager  les  Turcs  à  s'opposer  au 
passage  des  Russes  au  travers  de  la  Pologne  ;  il 
fut  aiuorisé  à  répandre  lui  million,  s'il  le  fallait, 
poiu'  parvenir  à  son  but.  Mais  les  dépêches  de 
M.  de  Vergennes  sont  lui  nouveati  témoignage  de 
ce  qui  a  été  dit  plus  haut,  que  les  affaires  impor- 
tantes ne  réussissent  pas  totijours  en  Turquie 
avec  de  l'argent,  comme  on  veut  bien  le  croire. 
Le  comte  de  Bonneval,  peti  avant  sa  mort, 
avait  formé  le  projet  d'une  alliance  entre  le  roi 
de  Prusse  et  l'empire  ottoman.  11  avait  été  auto- 
risé par  la  Porte  à  en  faire  l'ouverture  au  comte 
de  Podewitz,  ministre  de  Sa  Majesté  prussienne. 
Le  décès  de  Bonneval  prévint  la  réponse  de 
la  cour  de  Berlin.  Elle  n'embrassa  pas  moins  ce 
plan  approuvé  par  la  France,  et  le  comte  Des  Al- 


J52  Mf.  M(Jll'.  K 

leurs  (m  ;iiii()ris-,  en  i  74H ,  :i  faire  usa^ie  d  un 
plein  pouNoir,  que  lui  :i(lres.s;i  le  roi  de  l-'russc, 
poui"  ncf^ocier  sur  rei  objet  a\ec  la  l'orte:  mais 
le  Sultan  Mahmoud,  et  ensuite  son  lils  Osman, 
ou  plut(')i  leurs  ministres,  s'éloif^naient  de  tout 
ce  qui  pouvait  les  tirer  de  leui"  apathie  léthar- 
gique. 

Bientôt  après,  toute  la  politique  de  l'iùn-opc 
changea  de  face  par  le  parti  que  prit  le  roi  de 
Prusse  de  conclin-e  avec  le  roi  d'Angleterre  un 
traité  portant  garantie  respective  de  letirs  États 
d'Allemagne  ;  sur  cette  défection  de  la  cour  de 
Berlin,  celle  de  Versailles  changea  la  direction 
de  sa  politique.  Le  prince  de  Kaunitz,  devenu 
ministre  principal  de  iVlarie- Thérèse,  avait  conçu 
depuis  longtemps  le  plan  d'une  alliance  entre 
la  France  et  la  maison  d'Autriche.  L'ouverture 
en  fut  faite  dans  ces  circonstances ,  et  le  traité 
se  conclut  à  Versailles,  le  i^'^mai  1756;  la  Rtissie 
y  accéda  peu  après. 

Le  comte  de  Vergennes  reçut  ordre  d'en 
faire  part  à  la  Porte.  LUe  fut  très-étonnée  d'un 
renversement  de  système  qui  lui  otait  pour 
l'avenir  tout  espoir  de  diversion  de  la  part  de  la 
France  contre  la  cour  de  Vienne  j  mais  ce  qui 
choqua  véritablement  les  Turcs  fut  de  n'avoir 
pas  été  exceptés  des  cas  de  l'alliance  ;  omission 


SUR    L'AMBASS\DR    DE    TURQUIR.  153 

reprochable,  en  effet,  et  qui  fut  d'autant  plus 
sentie  à  Constantinople  qu'elle  n'avait  pas  été 
faite  dans  le  traité  précédent  de  la  Grande-Bre- 
tagne avec  la  Russie.  On  fit  ce  qu'on  put  pour 
la  réparer  en  déclarant  à  Vienne  qu'on  ne 
reconnaissait  pas  le  casiis  fœdej^is  dans  une  rup- 
ture entre  la  Porte  et  la  maison  d'Autriche.  La 
même  déclaration  fut  remise  à  Constantinople  et 
servit  à  y  apaiser  les  esprits.  On  eut  soin  dans 
l'acte  d'accession  de  la  cour  de  Saint-Pétersbourg 
à  l'alliance  de  Versailles,  que  l'empire  ottoman  y 
fiit  excepté. 

Ainsi  fut  ébranlée,  au  bout  de  deux  cent 
vingt  ans  d'immobilité ,  la  base  de  l'union  intime 
de  la  France  avec  la  Porte,  cimentée  par  leur 
jalousie  réciproque  contre  la  maison  d'Autriche, 
événement  qui  a  dérouté  entièrement  la  politique 
des  Turcs.  On  peut  regarder  l'inaction  dans 
laquelle  ils  sont  restés  pendant  la  guerre  qui  a 
agité  l'Europe,  depuis  1755  jusqu'en  1763,  comme 
le  premier  effet  de  leur  étourdissement.  Sultan 
Osman  était  bien  peu  propre  à  créer  un  nou- 
veau système  pour  son  empire.  D'ailleiu's  son 
règne  fut  court  et  finit  avec  sa  vie  au  mois  d'oc- 
tobre 1757.  11  eut  pour  successeur  son  cousin 
Mustapha  III,  l'aîné  des  fils  qui  restaient  d'Ah- 
med m. 


,<j.}  MINKJllM-: 

Le  iioiivciiu  Siilf:m  niinoncnir  plus  d'cncr^ic 
(tue  sot)  pféclécesseiii".  Il  :i\:iii  joui  de  s;i  liberté 
jusqu'il  r;"i^'"C  de  14  atis  :  il  eu  (ut  |)rivé  lors  de  hi 
déposition  de  son  jière.  Au  moyeu  de  cet  essor 
de  ses  pretiiières  antiées,  ses  facultés  morales 
étaient  moins  engourdies  que  celles  de  ses  deux 
prédécesseurs.  Il  trou\a  dans  Ua<;hil)  l'acha,  son 
vi/.ir,  riiomme  le  plus  éclairé  de  l'empire,  spé- 
cialemetit  pour  les  affaires  étrangères,  ('e  mi- 
nistre avait  été  longtemps  Reïs  KfFendi,  et  il  avait 
rempli  les  fonctions  de  plénipotentiaire  au  con- 
g-rès  de  Niemirow,  ainsi  qtfà  celui  de  Belgrade. 

Il  était  embarrassant  pour  le  comte  de  Ver- 
gennes  d'avoir  à  tranquilliser  la  Porte  sur  l'entrée 
et  la  demeure  en  Pologne  des  armées  russes,  auxi- 
liaires des  Autrichiens.  (7était  le  sujet  constant 
des  réclamations  de  ses  prédécesseurs.  Heureu- 
sement le  ministère  ottoman  ne  prit  aucun  parti 
dans  les  affaires  de  l'Europe,  malgré  les  instances 
du  roi  de  Prusse  en  guerre  avec  les  deux  cours 
impériales.  Sa  iMajesté  prussienne  ne  put  obtenir 
qu'un  traité  d'amitié  et  de  commerce,  lequel 
n'eut  ni  plus  de  suite,  ni  plus  d'efficacité  que 
celui  qu'avait  fait  le  Danemark  avec  Fempire 
ottoman,  deux  ans  auparavant. 

S'il  est  vrai  que  la  guerre  est  un  mal  néces- 
saire aux  Ktats  pour  les  préserver  du  danger  de 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  155 

tomber  dans  l'inertie,  la  Porte  avait  inconstesta- 
blement  un  besoin  urgent  de  ce  remède  violent. 
La    nation    turque    était    étonnamment    déchue 
depuis    la    mort    de    Mustapha  Kupruly,    tué    à 
Slankamen.    Le  règne  d'Ahmed  III  avait  énervé 
les  courages,   et  son  successeur,  poiu'  punir  la 
rébellion   de   1730,   avait    fait  une  boucherie  de 
tout  ce  qui  restait  de  militaires  des  règnes  pré- 
cédents.   Il    s'en    était    peu   formé    pendant    la 
guerre  de  1736,  et  la  longue  paix  qui  suivit  avait 
donné  à  ce  petit  nombre  le  temps  de  s'éteindre. 
Le  moment  où  les  deux  cours  impériales  étaient 
occupées  par  le  roi  de  Prusse,  était  beau  à  saisir, 
et  la  Porte  aurait  pu  profiter,  dans  son  alliance 
avec   ce   prince,    des   savantes  leçons  mihtaires 
qu'il  donnait  alors  à  toute  l'Europe.  La   neutra- 
lité  à  laquelle  Mustapha  se  fixa ,  lors  de  cette 
époque ,  est  le   premier  coup  que   l'alliance  de 
Versailles  a  porté  à  l'empire  ottoman.  Le  grand 
vizir,  Raghib  Pacha,  ne  pouvait  en  entendre  parler. 
(]e  vizir  donna  au  comte  de  Vergennes,  en  1761, 
une    marque    assez    sensible     de    sa    mauvaise 
humeur.    IHusieurs   esclaves    chrétiens,    à    bord 
d'un  vaisseau  de  guerre  ottoman,  se  révoltèrent 
pendant  l'absence  d'une  partie  de  l'équipage  et 
se  rendirent  maîtres  des    Turcs  demeurés  à  bord 
qu'ils     conduisirent    à    Malte    avec    le    navire. 


156  MK.NKJlKK 

l<;iyhilj  l*;irha,  inlormj  de  cet  événement,  en- 
voya le  clrof^'maii  de  la  Porte  elle/,  le  comte  de 
Ver^^eiuies  le  sommer  de  procurer  la  restitution 
de  ce  bàumeni  ,  menaçant  en  cas  de  refus  de 
ren\oyer  en  Irance  l'ambassadeur  et  tous  ses 
nationaux,  (le  procédé  violent  pai'vint  à  la  con- 
naissance de  la  coin-,  lorsqu'elle  était  le  plus 
occupée  à  sa  guerre  d'Allemagne  et  ([u'elle  crai- 
gnait davantage  que  les  lurcs  n'attaquassent  la 
Hongrie  :  cette  considération  la  força  à  dissimu- 
ler. Elle  fit  acheter  le  vaisseau  à  Alalte  et  le  ren- 
voya à  Constantinople.  On  ly  reçut  avec  plus  de 
hauteur  que  de  reconnaissance. 

M.  de  Vergennes  ncu  fut  pas  quitte  pour  ne 
changer  qu'une  ibis  de  langage.  A  la  mort  de 
l'impératrice  de  Russie  Elisabeth,  on  vit  Pierre  111, 
son  successeur,  abandonner  l'alliance  autri- 
chienne pour  se  livrer  en  fanatique  à  celle  du 
roi  de  Prusse.  L'ambassadeur  eut  ordre  alors 
d'exciter  la  Porte  à  se  défier  de  la  cour  de 
Pétersbourg,  dont  l'envoyé  de  Prusse  faisait 
valoir,  de  son  côté,  ati  ministère  ottoman,  la 
réimion  à  son  maître  pour  montrer  aux  Turcs 
qu'en  se  liant  avec  lui,  ils  n'auraient  qu'uti 
ennemi  à  combattre.  Sa  Majesté  prussienne  leur 
offrit  même,  ati  nom  de  son  nouvel  allié,  une 
satisfaction    complète    relativement    à    tous    les 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  157 

griefs  de  la  Porte  sur  les  colonies  et  les  fortifi- 
cations de  la  Noiivelle-Servie.  La  déposition  de 
Pierre  III  et  sa  mort,  en  1762,  arrêtèrent  la 
nég-ociation,  et  la  paix  d'Hiibertsbourg-,  qui  suivit 
de  près,  suspendit  alors  tout  l'intérêt  de  ce  pro- 
jet d'alliance. 

Catherine  II,  qui  succéda  àson  époux  Pierre  III, 
ne  tarda  pas  à  déployer  son  caractère  entrepre- 
nant, malgré  l'illégalité  de  son  titre  au  trône.  Elle 
saisit  l'occasion  du  décès  d'Auguste  III ,  roi  de 
Pologne,  pour  exercer  sur  cette  république,  dans 
l'élection  du  nouveau  roi,  une  prépondérance 
encore  plus  grande  que  ne  l'avaient  fait,  en 
pareil  cas,  ses  prédécesseurs.  Louis  XV  avait 
renoncé  depuis  de  longues  années  au  projet  de 
procurer  cette  couronne  au  prince  de  Conti, 
lequel  avait  encouru  sa  disgrâce.  L'intérêt  de  la 
maison  de  Saxe,  inspiré  par  la  dauphine,  sa 
belle-iîlle,  s'y  était  substitué  tout  natiu-ellement, 
et  c'était  potir  im  des  frères  de  cette  princesse 
qu'il  aurait  voté.  En  conséquence,  le  comte  de 
Vergennes  eut  ordre  de  remettre  un  office  à  la 
Porte  pour  lui  proposer  d'agir  de  concert  relati- 
vement à  l'élection  d'un  roi  de  Pologne,  y  ajou- 
tant l'insinuation  que  la  France  verrait  avec  plai- 
sir cette  couronne  conservée  dans  la  maison  de 
Saxe.   La  cour  de  Vienne  prescrivit  à  son   rési- 


158  Nn.MOlKK 

(Iciit  ;i  (  !()iisi;intm()j)lc  de  coiu-ounr  :iii  mcmc  but. 
IJIc  avait,  (le  son  cote,  abaiidoiiné  sa  première 
idée  en  laveur  du  priiicr  (  liai-les  de  Lorraine. 
I  ,e  roi  de  Pi'iisse  entra  dans  le  projet  que  l'nn- 
pd'ratrice  de  Kussie  avait  conçu  de  placer  sur  le 
tronc  Stanislas  i'oniatowski,  son  ancien  favori, 
non  sans  doute,  coniine  la  suite  l'a  fait  voir,  par 
l'effet  de  la  continuation  de  ses  premiers  senti- 
ments pour  lui,  mais  pour  établir  l'influence 
absolue  que  l'élection  de  ce  gentilhomme,  sans 
autre  appui  que  le  sien,  lui  conservait  en  Pologne. 
Les  ministres  des  cours  de  Berlin  et  de  Péters- 
bourg-  à  la  Porte,  agirent  vivement  pour  cfu'elle 
favorisât  le  choix  d'un  Piast.  Telle  était  alors  la 
brillante  position  de  cette  puissance,  recherchée 
par  les  plus  grandes  cours  de  l'Europe.  L'occa- 
sion d'établir  son  importance  était  belle,  mais 
elle  ne  sut  pas  la  saisir. 

On  a  vu,  lors  de  l'élection  du  duc  d'Anjou  à 
la  couronne  de  Pologne,  que  le  système  ottoman 
était  de  préférer  un  candidat  Piast  sans  aucime 
adhérence  étrangère.  Cela  potivait  être  alors 
bien  vu;  mais  cette  république,  dont  l'anarchie 
avait  détruit  depuis  tous  les  ressorts,  n'était  plus 
redoutable  au  dehors  et  avait  besoin  d'appui.  La 
politique  turqtie  ne  saisit  guère  les  variations  de 
cette  espèce;  elle  voit  comme  elle  a  toujours  vu, 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  159 

et  sa  marche,  s'il  en  est  une,  ne  varie  point.  De 
plus,  tant  que  la  Porte  put  croire  que  ce  débat  se 
concentrerait  entre  les  Polonais,  elle  s'en  occupa 
peu  ;  mais  l'entrée  des  Russes  en  Pologne,  com- 
mença à  l'inquiéter.  Le  comte  de  Vergennes  la 
sollicitait  de  signifier,  par  une  déclaration, 
qu'elle  regardait  comme  une  violation  des  liber- 
tés publiques  toute  introduction  de  troupes  dans 
son  territoire.  Avant  de  s'y  décider,  le  grand 
vizir  voulut  savoir  sur  quoi  il  pouvait  compter  de 
la  part  de  la  cour  de  Versailles  et  de  celle  de 
Vienne,  en  cas  de  rupture  avec  celle  de  Péters- 
bourg.  Le  ministère  aiurichien,  qui  ne  se  prêtait 
aux  démarches  que  la  France  l'engageait  à  faire 
à  la  Porte  que  par  une  sorte  de  complaisance, 
n'avait  muni  Tinternonce  impérial  d'aucune  in- 
struction à  cet  égard.  Le  comte  de  Vergennes, 
demeuré  seul  dans  la  lice,  déchna  toute  explica- 
tion sur  la  demande  du  vizir.  Celui-ci  prit  le  tem- 
pérament d'écrire  au  grand  général  de  Pologne 
pour  l'exhorter  à  soutenir  les  droits  de  sa  nation 
et  à  ne  pas  élever  à  cette  couronne  Stanislas 
Poniatowski  qu'il  en  disait  indigne.  Cette  mesiu-e 
fut  appuyée  de  la  marche  de  quelques  troupes 
turques  sur  le  Dniester,  mais  elles  n'allèrent  pas 
plus  avant.  Les  forces  russes  n'en  disposèrent 
pas  moins  du  trône,  et  Stanislas  11  fut  élu  en  1764. 


,6o  M  I   MOI  l<  I 

Ce  lut  le  inomphc  de  (  inihcrmc  II  ci  la  honte 
(le  la  Porte,  c|iii  a\ait  e\clii  le  candidat.  I  ,a  chose 
laite,  \\  tallait  prendre  un  pai'ii  sur  cette  élection. 
M.  de  \  er^etities  (ui  in\it''  à  une  conlérence 
avec  le  Keis  l.liendi  pour  trauer  la  matière.  I  .e 
ministre  ottoman  In  ce  (|u'il  put  pour  aiiiener 
l'ambassadeur  à  conseiller  des  partis  violents, 
à  le  mettre  au  pied  du  mur,  pour  le  requé- 
rir d'une  coopération  avec  la  l\)rte;  niais  n'étant 
pas  autorisé  à  aller  si  loin,  il  sut  se  défendre  du 
piège  et  se  concentrer  dans  un  cercle  de  simples 
réflexions,  l-.a  France,  récemment  sortie  d'une 
guerre  désastreuse,  évitait  tout  ce  qui  pouvait  la 
plonger  dans  de  nouveaux  embarras.  Aussi,  mal- 
gré l'irrégularité  de  l'élection  de  Stanislas  Au- 
guste à  la  couronne  de  Pologne,  et  une  insulte 
faite  à  l'ambassadeur  de  France  à  Varsovie  pen- 
dant l'interrègne,  par  le  primat,  Louis  XV 
acquiesçait-il  à  reconnaître  le  prince  élu,  sous 
trois  conditions  :  la  première,  que  le  primat 
lui  écrirait  une  lettre  d'excuse;  la  seconde, 
qu'on  satisferait  aux  prétentions  de  la  maison 
de  Saxe;  la  troisième  enfin,  qu'il  y  aurait  am- 
nistie pour  tous  les  magnats  du  parti  contraire 
à  Stanislas. 

Le  comte  de  Verge  unes  eut  ordre  de  faire 
part  à  la  Porte  de  ces  dispositions  de  la  France 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  i6i 

et  d'offrir  d'agir  de  concert  avec  elle  relativement 
à  la  reconnaissance  du  Roi  élu. 

Ce  plan  ne  fut  pas  du  goiit  du  ministère  otto- 
man; il  craignit  de  s'engager  dans  les  demandes 
de  la  France  qui  ne  l'intéressaient  point  du  tout  : 
il  n'était  affecté  que  du  séjour  des  troupes  russes 
en  Pologne,  par  la  crainte  que  leurs  déporte- 
ments ne  finissent  par  l'embarquer  dans  une 
guerre.  Leur  sortie  des  terres  de  la  République 
était  tout  ce  que  la  Porte  désirait  des  cours  de 
Varsovie  et  de  Pétersboiu-g,  et  elle  en  faisait  de 
fréquentes  réquisitions  au  résident  de  Russie 
auprès  d'elle.  Mais  Catherine  II  voyait  son  pro- 
tégé trop  mal  afî^ermi  pour  l'abandonner  à  lui- 
même,  et  d'ailleurs  ses  projets  sur  la  Pologne  ne 
se  bornaient  pas  à  lui  donner  un  Roi.  Elle  pres- 
crivit à  son  résident  de  prétexter  la  prolongation 
du  séjour  des  troupes  russes  sur  le  besoin  d'em- 
pêcher les  troubles  intérieurs  dans  le  pays,  et  elle 
l'autorisa  à  s'engager,  par  écrit,  que  leur  nombre 
ne  dépasserait  point  sept  mille  hommes,  sans 
artillerie.  La  mollesse  du  gouvernement  ottoman 
ne  lui  permit  point  d'exiger  davantage  ;  ses  niinis- 
tres  ne  demandaient  qu'à  pouvoir  s'aveugler  sur 
l'avenir. 

Lorsqu'on  vit  en  France  la  manière  de  pro- 
céder de  la  Porte  en  cette  affaire,  le  Roi  prit  le 


lôa  MK.M(Jll{l. 

puni  d'ouvrir  une  nc^^ociation  scpiircc  avcf  l:i 
cour  (le  Varsovie.  Celle-ci  accorda  les  satisfac- 
tions préalables,  exigées  jiar  Louis  W  cpii,  de 
sou  coté,  reconnut  à  Statiislas  le  litre  de  l<oi.  (  )n 
ne  tarda  guère  à  suivre  cet  exemple  à  (lonstan- 
tinople,  en  y  admettant  un  ininistre  polonais  pour 
faire  la  notification  it  Sa  llautesse  de  l'élection 
du  nouveau  roi. 

Le  duc  de  CJioiseiil  rentra  au  mois  d'avril  i  -66 
dans  le  département  des  Affaires  étrangères  de 
France  dont  se  démit  le  duc  de  IVaslin.  Cette 
époque  est  remarquable  en  ce  qu'on  peut  dire 
qu'elle  prépara  la  rupture  qui  éclata  deux  ans 
après  entre  la  Russie  et  l'empire  ottoman.  (]e 
ministre,  dès  son  début,  expédia  un  courrier  à 
Constantinople  avec  une  lettre  de  sa  main  pour 
le  comte  de  Verg-ennes  où,  sans  articuler,  comme 
le  cardinal  de  Richelieu,  «  le  Conseil  a  changé 
de  maximes,  »  il  le  montrait  en  effet. 

La  dépèche  commence  par  le  tableau  de 
l'Europe  et  représente  les  puissances  du  Nord 
attachées  au  char  de  Catherine, II.  La  Suède,  par 
les  succès  des  cabales  fomentées  par  cette  prin- 
cesse dans  l'intérieur  de  son  gouvernement  5  le 
Danemark,  par  le  leurre  de  la  cession  du 
Sleswig  qu'elle  lui  faisait  espérer  5  la  cour  de 
Berlin,   par  l'intérêt  de  diviser  les  deux  cours; 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  lô^ 

celle  de  Londres,  enfin,  par  système  d'opposition 
aux  vues  de  la  France  et  par  l'espoir  de  se 
ménager  dans  l'avenir  des  moyens  de  lui  susciter 
une  g"uerre  de  terre.  «  11  faut  tout  tenter,  écrivait 
le  duc  de  Choiseul,  pour  rompre  cette  chaîne 
dont  la  Russie  tient  le  bout,  et  pour  renverser  le 
colosse  de  considération,  acquis  et  maintenu  par 
Catherine  II,  à  la  faveur  de  mille  circonstances 
impossibles  et  qui  pourraient  en  outre  lui  coûter 
son  trône  usurpé.  L'empire  ottoman,  seul  à  por- 
tée d'opérer  cet  effet,  est  en  même  temps  le  plus 
intéressé  à  l'entreprendre.  A  la  vérité,  la  dégé- 
nération des  Turcs  en  tous  genres,  peut  leiu* 
rendre  funeste  cet  essai  de  leurs  forces  ;  peu 
nous  importerait,  ajoute  M.  de  Choiseul,  pourvu 
que  l'objet  d'une  explosion  immédiate  fut  rem- 
pli. 1) 

C'est  à  la  procurer  que  le  comte  de  Vergennes 
reçut  ordre  de  tendre  tous  ses  moyens.  Il  était 
autorisé  à  y  encourager  la  Porte  par  l'offre  de  la 
CQur  de  lui  garantir  la  neutralité  de  la  cour  de 
Vienne,  en  cas  de  guerre  de  l'empire  ottoman 
avec  la  Russie,  et  comme  celle-ci,  ainsi  qu'on  le 
supposait,  corromprait  les  ministres  ottomans  par 
ses  dons,  l'ambassadeur  avait  carte  blanche  pour 
employer  au  même  usage  tout  l'argent  qu'il  juge- 
rait nécessaire;  mais,  outre  qu'il  n'est  pas  certain 


i64  MK.MOIHK. 

(|tic  !:i  cour  de  Pcicrsbour^  cùi  mis  en  iisa^c  c:c 
moyen,  il  y  a  une  ^v:\nâc  dilicrcnce  de  facilité  à 
séduire  les  l  lires  j)our  le  repos  qu'ils  chérissent, 
ou  à  les  exciter  à  l'activité  qu'ils  redoutent;  ils 
reçoivent  volontiers  des  présents  lorsqui^n  lem- 
propose  le  chemin  c|u'ils  prendraient,  sans  cela, 
d'eux-mêmes. 

(Jn  a  de  la  peine  à  refuser  de  TadmiratiGn  à 
la  vivacité,  à  la  vérité,  et  au  tranchant  du  tableau 
politique  du  duc  de  Choiseul,  mais  le  dernier 
traie  en  est  trop  prononcé.  L'événement  a  prouvé 
que  les  échecs  des  Turcs  n'étaient  pas  indifférents 
à  la  politique  de  la  France  et  que.  leur  dégéné- 
ration  mise  en  fait,  il  ne  convenait  pas  de  les 
compromettre  vis-à-vis  d'une  puissance  qui, 
depuis  cent  ans,  avait  presque  toujours  eu  les 
armes  à  la  main.  Le  même  ministre  dans  une 
dépêche  suivante  avance  que  le  hasard  fait  seul 
le  bonheur  ou  le  malheur  des  armes,  et  que,  des 
deux  côtés  est  une  chance  égale  :  mais  c'est  un 
trait  échappé  à  sa  plume  ;  il  savait  mieux  que 
personne  qu'à  la  guerre,  il  y  a  toujours  beaucoup 
à  parier  pour  les  habiles. 

Au  lieu  de  faire  agir  les  Turcs  il  fallait,  en 
conservant  le  secret  de  lem-  faiblesse,  les  garder 
comme  un  épouvantail.  Ils  jouissaient  d'une  con- 
sidération, mal  fondée,  à  la  vérité,  mais  qui  pou- 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  165 

vait  durer  encore  long-temps,  et  cette  masse 
inerte,  à  l'orient  de  l'iiiirope,  contenait  ses  voi- 
sins et  assurait  par  là  le  repos  de  cette  partie  du 
monde. 

Il  était  difficile,  sans  doute,  de  prévoir  alors 
le  progrès  rapide  qu'a  fait  depuis  la  décadence 
ottomane,  et  le  duc  de  Choiseul  ne  pouvait  l'aper- 
cevoir. Ses  yeux  étaient  toin-nés  sur  la  situation 
critique  de  la  Polog^ne,  que  la  cour  de  Russie, 
par  une  marche  insidieuse  et  violente,  envelop- 
pait successivement  de  brassières  qui  se  resser- 
raient toujours  davantage.  Elle  avait  fait  espérer 
aux  patriotes  polonais  que  le  roi  Piast  qu'elle 
leur  donnait  relèverait  la  force  et  la  dignité  de 
leur  g-ouvernement.  Pour  rendre  ce  leiu're  plus 
efficace,  elle  attaqua  le  Liberum  veto,  source  de 
l'anarchie  qui  désolait  depuis  tant  d'années  la 
Pologne,  et  par  son  influence,  elle  fit  statuer  dans 
la  diète  de  convocation  que  la  pluralité  des  voix 
déciderait  à  l'avenir  dans  les  votations  ;  mais 
l'élection  faite,  cette  puissance  s'étant  aperçue 
que  la  République,  à  la  faveur  de  cette  disposition 
pourrait  remonter  à  lui  état  de  vigueur  qui  la 
rendrait  indépendante,  donna  ordre  à  son  ambas- 
sadeur à  Varsovie  de  s'occuper  à  former  une 
confédération  générale.  Elle  produisit  une  diète 
OLi   le    Liberum   veto    fut  rétabli   dans   les   points 


i(>(,  .MI.M()I1{|. 

essentiels  (les  fitianccs  et  du  militaire,  et  où  lu 
garantie  (lu  nouveau  ré^nine  i\it  d  -fcrcc  à  la  cour 
(le  Pétersbour^-.  IJIe  exi^i^ea  de  plus  (ju'on  éta- 
blit une  coniinissioii  pour  tracer  entre  les  deux 
l'^tats  une  nouvelle  déniarcarion  de  limites,  pre- 
nant ]M)ur  hase  un  traité  de  Moscou,  négocié  en 
1686,  et  c[ue  la  l^)lo^iie  n'avait  jamais  ratifié: 
enfin  l'Impératrice  recevant  sous  sa  protection 
les  prétentions  des  dissidents  de  la  religion  domi- 
nante, requit  la  diète  de  leur  accorder  tous  les 
effets  civils  dont  ils  étaient  privés  par  de  précé- 
dentes lois. 

M.  de  N'ergennes  eut  ordre  de  mettre  sous 
les  yeux  de  la  Porte,  le  tableau  de  la  conduite 
russe  en  Pologne,  et  les  fatales  conséquences 
qui  devaient  en  résulter.  Il  devait  démontrer  que 
la  nouvelle  démarcation  qui  rendrait  la  Russie 
maîtresse  de  la  rive  droite  du  Boristhène  au- 
dessous  de  Kiew,  lui  donnerait  ime  facilité  de 
plus  pour  attaquer  l'empire  ottoman  et  de  s'ap- 
procher de  la  mer  Noire  dont  elle  avait  envie  de 
partager  la  domination  avec  la  Porte.  Ces  consi- 
dérations, présentées  sous  cet  aspect,  avaient 
pour  objet  d'engager  celle-ci  à  des  mesures  pré- 
ventives. 

L'ambassadeur  ne  négligea  rien  pour  rendre 
son  exposé  énergique  et  persuasif,  et  cette  pièce 


SUR    L'AiMBASSADE    DE   TURQUIE.  167 

fut  rédigée  de  main  de  maître;  mais  le  ministre 
ottoman  craignait  la  guerre  et  tout  ce  qui  pou- 
vait y  conduire.  «  Nous  ne  voyons  dans  toutes 
ces  querelles  de  Pologne,  répondit  sur  ce  sujet 
le  Reïs  Effendi,  que  des  disputes  de  religion 
entre  les  catholiques  et  les  dissidents,  dont  il  ne 
nous  convient  pas  de  nous  mêler,  »  Toutefois 
sans  qu'il  voulut  en  convenir,  l'affaire  de  la 
démarcation  avait  fait  de  l'impression  à  la  Porte. 
Sur  l'insinuation  de  M.  de  Vergennes,  elle  requit 
l'envoyé  que  le  Roi  de  Pologne  avait  alors  à 
Constantinople  d'obvier  à  ce  qu'il  n'y  fût  pas 
procédé  sans  l'assistance  des  commissaires  turcs 
qu'on  enverrait  sur  tes  lieux,  comme  s'agissant 
d'un  objet  intéressant  poiu'  les  frontières  otto- 
manes. La  réponse  du  ministre  de  Varsovie  fut 
qu'il  n'était  pas  question  de  cette  opération  et  la 
démarche  de  la  Porte  en  occasionna  la  suspen- 
sion. 

Le  duc  de  Choiseid  que  la  mollesse  du  minis- 
tère turc  impatientait  beaucoup  voidut  essayer 
de  l'entraîner  par  l'influence  du  khan  des  Tartares 
Arslan  Gueraï,  prince  actif  et  entreprenant  qui 
venait  d'être  rétabli  dans  cette  dignité.  L'usage 
était  que  l'ambassadeur  du  Roi  à  la  Porte  envoyât 
résider  auprès  des  khans,  im  de  ses  interprètes 
sous  le  titre  de  consul  de  Grimée.  Le  sieur  For- 


l68  MI.NKJlKK 

nctii,  (jui  rciii[)liss:iit  celle  commission,  iiy:ini 
(IciiKiiiclc  son  iM|)|)cl,  le  (.lue  (le  (>hoiseul  saisit 
ce  joint  pour  expédier  a  Arslaii  (jiierai  le  baron 
(Je  I  oit.  lils  (le  celui  dont  il  a  é-té  nienlK^n  dans 
la  fuj^f^ociation  de  liel^rade.  Afin  de  donner  a  sa 
mission  plus  de  consistance,  on  lui  remit  une 
lettre  du  Uoi  pour  le  prince  tariare.  Le  baron 
eut  ordre  de  passer  à  X'arsovie  sans  y  manifester 
sa  commission,  et  de  s'y  mettre  bien  au  lait  de 
l'état  des  choses,  pour  en  tracer  ensuite  au  khan 
une  esquisse  aussi  vraie  qu'énerg-ique. 

(]e  plan  de  voyage  s'accomplit;  mais  en  arri- 
vant en  Crimée,  le  baron  trouva  Arslan  Gueraï, 
mort  et  remplacé  par  Macsoud  Gueraï,  prince 
d'un  caractère  aussi  pacifique  et  mesuré  que 
son  prédécesseur  était  animé  et  entreprenant. 
Le  nouveau  consul  fit  usage  auprès  de  lui  de  ses 
instructions  dont  le  but  était,  non-seulement 
d'engager  le  khan  à  faire  à  Constantinople  des 
rapports  propres  à  échauffer  les  esprits  contre  la 
conduite  des  Russes  en  Pologne,  mais  encore 
d'ameuter  les  chefs  des  hordes  tartares  à  y  con- 
courir avec  leur  souverain, 

M.  de  Tott  se  permit  d'aller  plus  loin;  il  y 
ajouta  l'insinuation  de  rassembler  et  de  porter 
des  troupes  vers  la  frontière  de  la  Pologne;  mais 
M.  de  Choiseul  n'approuva  pas  cette  exagération 


SUR    L'AMBASSADE    UE    TURQUIE.  169 

de  zèle  «  ne  convenant  pas,  écrit-il  à  ce  baron, 
à  une  puissance  aussi  amie  de  la  Porte  que  l'est 
la  France,  de  soulever  un  prince  feudataire 
contre  l'autorité  du  (jrand  Seigneiu-.  » 

Mais  ce  que  la  ferveur  du  consul,  l'éloquence 
du  comte  de  Verg^ennes  et  l'activité  ministérielle 
du  duc  de  Choiseul  ne  pouvaient  effectuer,  la 
violence  russe  l'opéra.  Le  prince  Repnin,  ambas- 
sadeur de  cette  nation  lit  enlever  et  conduire  en 
Russie  quatre  magnats,  opposants  aux  intentions 
de  sa  cour  dans  la  diète.  Dès  lors  cette  assem- 
blée ne  fut  plus  qu'un  vain  fantôme  dont  il  dis- 
posa à  son  gré.  Elle  ratilia  sans  examen  ce  que 
des  commissaires  vendus  à  la  Russie  détermi- 
nèrent et,  après  cet  acte  de  servitude,  on  se 
sépara.  11  fut  aisé  de  sentir  combien  la  Pologne 
entière  dut  être  révoltée  d'une  telle  tyrannie. 
Vainement,  pour  adoucir  la  nation,  le  prince 
Repnin  promit  publiquement  l'évacuation  des 
troupes  russes,  personne  n'y  prit  confiance. 

Le  29  janvier  1768,  luie  confédération  se 
forma  dans  la  ville  de  Bar,  en  Podolie,  pour 
s'opposer  à  tous  les  actes  de  la  dernière  diète. 
On  prévit  en  France  que  cette  association  récla- 
merait l'assistance  des  1  artares  ,  et  comme  on 
se  défiait  de  la  légèreté  polonaise,  il  fut  prescrit 
à   M.   de     fott,  à  cet  égard,  beaucoup  de    cir- 


'7- 


M  I.  MOIIM. 


Cdiispcctioii  :  rcpctuliini  coiiinic  ce  recours  etnit 
s:iliit:iirc,  le  iliic  de  (llioiseul  expédia  le  sieur  de 
1  îiulès  îiiiprès  des  nouveaux  confédérés,  pour 
juger  de  leur  consistance  et  leur  inspii'er,  sil  y 
a\ait  lieu,  de  s'adressera  la  Porte  et  au  kli.in. 
(]et  émissaire  et. lit  chargé  et  autorisé  fi  marquer 
aux  chefs  riniérèi  (|ue  prenait  le  Koi  fi  leurs  suc- 
cès, et  mèi7ie  à  leur  donner  quelques  secours 
pécuniaires  dont  il  avait  la  libre  disposition.  Le 
sieur  de  Taules,  muni  de  ces  ordres,  parvint 
jusqu'au  foyer  de  la  confédération,  mais  dég-oiité 
de  son  inconsistance,  ou  peut-être  effrayé  de 
l'approche  des  troupes  russes,  qui  marchaient 
pour  la  dissiper,  il  jugea  à  propos  de  faire 
retraite  et  revint  en  France  après  s'être  abouché 
avec  l'évêque  de  Kaminiec,  frère  du  chef  des 
confédérés,  et  leur  fauteur. 

Ce  prélat  expédia  en  (Crimée  le  sieur  iMakoxvit- 
ski,  trésorier  de  la  ville  de  Cewgorod,  avec  une  let- 
tre pour  le  khan  dont  il  réclamait  la  protection  et 
il  le  fit  bientôt  suivre  par  un  courrier  portant  à 
cet  émissaire  polonais  des  lettres  de  créance  de 
la  confédération  avec  ordre,  dans  le  cas  où  il  ne 
trouverait  pas  le  sieur  Makowitski  en  Crimée,  de 
les  remettre  au  baron  de  Tott.  (]elui-ci  prévenu 
par  le  duc  de  Choiseul  ne  voulut  pas  prendre 
couleur  dans  la  commission  du  sieur Makoxvitski, 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  171 

lequel  eut  audience  du  khan  et  fut  congédié  avec 
une  réponse  amicale  mais  peu  concluante. 

Enfin  le  moment  de  l'explosion  arriva  :  il  était 
marqué  dans  l'ordre  des  destinées,  qu'une  échauf- 
fourée  entre  un  détachement  russe  et  des  con- 
fédérés polonais,  amènerait  une  rupture  entre  la 
Porte  et  la  Russie,  et  à  la  suite,  les  plus  grands 
événements.  Quelques  confédérés,  poiu*suivis 
par  des  Cosaques,  se  réfugièrent  à  Balta,  ville 
double  dont  l'une  appartient  à  la  Pologne  et 
l'autre  à  la  province  tartare  du  Yedzan.  Le 
nommé  Yacoub  Aga.  pratiqué  depuis  longtemps 
par  le  baron  de  Tott,  commandait  dans  ce  poste 
et  y  donna  asile  aux  fuyards.  Les  Cosaques  le 
sommèrent  de  les  lein-  livrer  sous  le  terme  de 
trois  jours  avec  menace,  en  cas  de  refus,  de 
mettre  tout  à  feu  et  à  sang.  Yacoub  Aga,  hors 
d'état  de  se  défendre,  fit  passer  les  confé- 
dérés en  Moldavie  et  se  disposa  à  la  retraite 
en  cas  d'attaque.  Le  canon  tira  à  l'expiration 
des  trois  jours.  La  ville  fut  saccagée  et  les  Cosa- 
ques se  répandirent  dans  le  pays,  faisant  main 
basse  siu'  tout  ce  qu'ils  rencontraient  dans  ce 
désert. 

Yacoub  Aga  manda  sur-le-champ  au  seras- 
kier  du  Yedzan  ce  qui  venait  de  s'y  passer,  et 
celui-ci  en  rendit  compte  au  khan,  lequel  à  son 


1-2  M  I   MOIH  I. 

loiir  c\|)c(li:i  :'i  r^onst.im  in()j)lc,  pour  cii  (ioruKr 
part  à  la  Porto.  La  nouvelle  mit  loin  le  monde 
en  moii\ement.  I  .e  (jraïul  Seij^neiir  \\i  tenir-  une 
assemblée  ^Jnérale  des  mmistres,  des  ^'^ens  de 
loi  el  des  chefs  des  milices.  Le  fait  de  luiha  y 
iut  décidj  une  inlraciion  formelle  de  la  pai>: 
dont  il  y  a\'ait  lieu  tie  se  faire  raison  par  la  \(jie 
des  armes. 

Les  ordres  furent  immédiatement  donn.s  aux 
troupes  de  se  mettre  en  marche.  Le  grand  vizir 
iMuhsin -Oglou ,  soupçonné  d'être  trop  enclin  à 
la  tranquillité  publique,  fut  déposé  et  remplacé 
par  Hamzah  Pacha,  précédemment  silihdar  de 
Sa  Hautesse  et  d'un  caractère  à  ne  garder  aucun 
ménagement.  11  fut  prescrit  au  khan  de  se  tenir 
en  mesure  de  secourir  la  Aloldavie,  où  Ton  crai- 
gnait que  la  retraite  des  confédérés  de  Bar  n'at- 
tirât les  Russes.  Les  premiers  avaient  été  battus 
et  forcés  de  se  retirer  sous  Chotin. 

Pour  procéder  avec  une  sorte  de  méthode, 
Macsoud  Gueraï  eut  ordre  de  demander  au  gou- 
verneur de  la  frontière  russe,  satisfaction  de 
Linsulte  de  Balta  5  celui-ci  la  promit  sans  diffi- 
culté, ne  demandant  que  le  temps  de  reconnaître 
les  coupables.  La  Porte  de  son  côté  lit  une  som- 
mation ministérielle  au  résident  de  Russie  de 
procurer  une  juste  réparation  de  ce  qui  venait  de 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  17:; 

se  passer  et  d'écrire  à  sa  cour  d'opter  entre 
révaciiation  de  ses  troupes  de  la  Polog-ne,  ou  la 
guerre. 

Le  comte  de  Vergennes  ne  manqua  pas  de 
profiter  de  cette  première  efferv'escence  pour 
animer  les  ministres  ottomans.  Afin  de  les  em- 
barquer de  plus  en  plus,  il  leur  suggéra  de  don- 
ner aux  cours  de  l'Europe  ime  notification  des 
griefs  de  la  Porte  contre  la  cour  de  Pétersbourg. 
Cet  ambassadeur,  jtigeant  que  rien  n'était  plus 
fait  pour  encourager  les  Furcs  à  luie  rupture 
avec  la  Russie,  qtie  la  certitude  que  la  maison 
d'Autriche  n'entrerait  pas  dans  cette  querelle, 
insinua  de  requérir  celle-ci  d'une  explication 
amicale  sur  ce  sujet,  soit  directement,  soit  par 
l'organe  d'un  tiers  :  cette  commission  ne  pouvait 
regarder  que  lui  5  mais  l'espoir  de  l'évacuation 
des  troupes  russes  de  la  Pologne  fit  encore  sus- 
pendre cette  mesiu-e. 

L'époque  à  laquelle  avait  été  fixée  l'attente 
des  réponses  de  la  Russie  étant  arrivée  au  com- 
mencement d'octobre,  un  Miicharcrc  nombreux 
fut  assemblé  le  3  dudit  mois  pour  régler  la  con- 
duite du  grand  vizir.  Le  6,  ce  premier  ministre 
fit  appeler  à  son  audience  le  résident  de  Russie 
qui,  débutant,  suivant  l'usage,  avec  un  compli- 
ment,  fut  interrompu  par  le  vizir  et  apostrophé 


,74  Ml.  MOIKK 

(l'cpitlictcs  nssc/  ^rossiLTCs.  Sans  se  dciiinmcr, 
le  iiiiiiistre  russe  se  borna  à  protester  du  désu- 
de  sa  cour  d'entretenu-  la  |)aix  a\ee  la  l'oi'te, 
propos  sur  lecjuel  il  tut  soninié  durement  de 
donner  une  assin-anee  par  écrit,  [garantie  par  les 
ministres  des  cours  alliées  de  la  sienne  ce  qui 
ne  pouvait  s'entendre  que  de  celles  de  Londres 
et  de  Berlin),  que  les  troupes  de  sa  nation  sorti- 
raient de  Pologne  sur  l'avis  qu'il  leur  en  ferait  par- 
venir. On  lui  produisit  à  cette  occasion  l'enga- 
gement  par  écrit  qu'il  avait  remis  quelques 
années  auparavant  et  dont  il  a  été  fait  mention. 
Le  résident  répondit  que  ses  pouvoirs  n'allaient 
pas  jusque-là;  sur  quoi  le  vizir  d'un  ton  furieux 
lui  déclara  que  la  cour  de  Pétersbourg-,  rompant 
les  liens  d'amitié  et  des  traités,  allait  être  respon- 
sable du  sang  qui  serait  répandu  dans  le  cours 
de  la  guerre  qu'il  lui  dénonçait.  Il  rit  ensuite 
retirer  le  ministre  russe  dans  ime  pièce  voisine, 
et  peu  après,  on  le  conduisit  à  la  prison  des  Sept 
Tours. 

Ce  fut  le  signal  de  la  rupture  ;  et  cette  dé- 
marche fut  suivie  d'un  mémoire  communiqué 
à  tous  les  ministres  étrangers  contenant  l'exposé 
des  motifs  de  la  Porte.  Le  grand  vizir  revint 
alors  à  l'insinuation  que  lui  avait  faite  peu  aupa- 
ravant le  comte  de  Vergennes,  sur  la  convenance 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  175 

de  faire  sonder  les  dispositions  de  la  cour  de 
Vienne,  et  cet  ambassadeur,  ainsi  qu'il  s'y  atten- 
dait, fut  requis  de  cet  office. 

L'internonce  impérial,  qu'il  interpella  sur  ce 
sujet,  le  mit  en  état  d'assurer  la  Porte  que  la 
cour  de  Vienne  n'avait  rien  de  plus  à  cœur  que 
d'entretenir  inviolablement  la  paix  avec  l'empire 
ottoman  sur  le  fondement  des  traités  existants; 
déclaration  qu'il  donna  ensuite  par  écrit  et  qui 
fut  changée  avec  une  reversale  des  Turcs. 

Hamzah  Pacha  ne  conserva  sa  place  que 
quatre  semaines.  Sa  santé  devint  si  mauvaise 
qu'il  fallut  le  déposer,  et  le  sceau  de  l'empire  fut 
donné  à  Emin  Méhémet  Pacha,  gendre  de 
Sa  Hautesse.  Il  avait  été  dans  sa  jeunesse  occtipé 
au  commerce  des  Indes  et  il  y  avait  passé  quelque 
temps.  Il  s'était  rendu  ensuite  à  Constantinople 
en  continuant  la  même  profession.  Il  y  trouva  le 
moyen  de  s'introduire  dans  les  bureaux  et  il 
devint  en  peu  d'année  Reïs  Effendi,  place  qui  le 
conduisit  au  premier  ministère.  C'était  im  Jionime 
d'esprit,  mais  sans  autre  acquit  des  affaires 
publiques  qu'iuie  sorte  de  rouiine.  Il  les  condui- 
sit avec  une  prétendue  finesse  qui  rarement 
réussit  en  grand.  C'était  bien  une  autre  difficulté 
que  d'avoir  à  commander  une  armée  sans  avoir 
les  moindres  éléments  de  l'art  militaire  ;  mais  les 


176  NUMOIHK 

Turfs  soiipçoiiticiit  à  pcitic  (in'il  v  en  :iii  un.  l'.ir 
le  (;n;ilisnie,  ils  utiendeiit  tout  de  la  Providence, 
et  ds  ne  s'()ceii|)ent  (|ne  p:ii'  ni:itiière  d';K(|nii  des 
moyens  c]u'()n  emploie  ordinnii'enient  pour  le 
succès.  I /îihondance  de  troupes  et  de  munitions 
ne  manque  ^uère  aux  armées  turques,  mais  on 
ne  prête  pas  attention  :i  la  bonne  qualité,  le  reste 
va  au  hasard. 

Il  est  bon  d'observer  que  la  déclaration  de 
guerre  s'étant  faite  au  mois  d'octobre,  on  donna 
aux  Russes  trois  mois  pour  se  préparer  aux  hos- 
tilités. A  la  vérité  il  n'en  fallait  pas  moins  pour 
rassembler  les  milices  turques  éparses  sur  le 
vaste  empire. 

Le  Grand  Seigneur  s'attacha  de  préférence  à 
vme  levée  de  volontaires  pour  le  seul  motif  que 
la  réforme  de  cette  sorte  de  troupes  suivait 
immédiatement  la  paix.  Le  trésor  public  ne 
demeurait  pas  chargé  de  payes  surnuméraires 
comme  il  serait  arrivé  en  augmentant  les  vieux 
corps  ;  mais  aussi  ne  ramassa-t-on  que  des  vaga- 
bonds, et  ces  prétendus  gens  de  guerre  n'étaient 
pas  plutôt  rendus  à  l'armée  qu'ils  désertaient 
impunément. 

L'Europe,  à  cette  époque,  jouissait  d'une  paix 
générale.  La  Pologne  était  seule  déchirée  par  des 
dissensions  intestines,  fomentées  par  les  cours  de 


SUR   L'AMBASSADE   DE  TURQUIE.  177 

Pétersboiirg  et  de  Berlin.  Les  maisons  de  Bour- 
bon et  d'Autriche,  fermes  dans  Talliance  qui  les 
unissait,  tenaient  en  respect  l'Angleterre,  trop 
occupée,  d'ailleurs,  vis-à-vis  des  colonies  pour 
prendre  une  part  active  aux  affaires  du  dehors. 

Le  comte  de  Saint-Priest,  nommé  depuis 
quelques  mois  successeur  du  comte  de  Vergennes 
à  l'ambassade  de  Constanrinople,  était  déjà  entré 
en  Turquie  par  la  voie  de  Hongrie;  il  arriva 
à  Constantinople  le  13  novembre  1768;  c'est  à 
cette  date  que  finit  le  précis  politique  qu'il 
a  entrepris  ;  la  suite  se  trouve  dans  le  mémoire 
où  il  rend  compte  au  Roi  de  son  ambassade. 


LISTE 

D  ES 

AMBASSADEURS,    MINISTRES 

E  T 

AGENTS    POLITIQUES    DES    ROIS    DE    FRANCE 
A     LA     PORTE     OTTOMANE, 

DEPUIS   FRANÇOIS  I  <' ■'  JUSauV   LOUIS   XVI 


JEAN    FRANGIPANI. 

La  Nouvelle  Histoire  de  France  rapporte  qu'à 
l'occasion  de  la  guerre  que  soutint  François  P' 
contre  Charles-Quint,  ce  Roi  pressé  par  les 
armes  de  l'Empereur,  écrivit  au  Sultan  Soliman 
pour  entrer  en  liaison  avec  lui,  une  lettre  dont 
Jean  Frang-ipani  fut  porteur;  l'histoire  ne  dit 
rien  sur  sa  personne.  Il  se  trouvait  en  Hongrie 
auprès  de  ce  prince  ottoman  lors  de  la  funeste 
journée  de  Pavie  en  152^,  comme  on  le  voit  dans 
la  réponse  de  Soliman  qui  fait  mention  au  Roi  de 
sa  prison.  François,  revenu  dans  ses  Etats, 
répliqua  au  Sultan  par  un  autre  messager  qui 
n'est  pas  nommé. 


l8o  M  KM  ()  IKK 

A^^()l.^l.  di.  kincon. 

Il  est  appelé  le  capiciinc  Uiiuoii  dans  les 
dépêches  de  l'a'iT,  aiiibassadeiir  de  I  raiicc  à 
Venise,  recueillies  pai-  Nicolas  (lajiuisai.  Ne 
sujet  de  (Jiarles-(^iiint ,  il  était  entré  au  service 
de  François  1",  et  il  prenait  la  qualité  de  gentil- 
homme de  la  chambre.  1  .e  Roi  l'expédia  à  Soli- 
man, auprès  duquel  il  ne  demeura  que  huit  jours, 
ce  qui  est  établi  par  l'instruction  donnée  par 
François  1'''  aux  cardinaux  de  Tournon  et  de 
Grammont,  que  rapporte  le  môme  Camusat,  sous 
la  date  du  13  novembre  1532.  Hassan  Beyzadé, 
auteur  turc  de  réputation,  dit  que  Soliman, 
allant  en  Hongrie,  reçut  à  Belgrade,  au  mois  de 
juillet  1532,  un  ambasseur  du  roi  de  France, 
auquel  il  rendit  de  grands  honneurs  ;  l'Empereur, 
dit  Baïf,  dans  une  de  ses  lettres ,  tâcha  de  faire 
enlever  Rincon,  à  son  retour  par  \  enise,  mais 
il  sut  éviter  les  embûches  qu'on  lui  avait  tendues. 
On  verra  plus  bas  qu'il  n'eut  pas  toujours  le 
même  bonheur. 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  i8r 

JEAN    DE   LA   FOREST, 

chevalier  de   Saint-Jean    de    Jérusalem. 

C'est  le  premier  ambassadeur  de  France  de 
résidence  à  la  Porte.  Son  instruction,  dont  la 
copie  existe  au  dépôt  des  Affaires  étrangères, 
est  datée  du  ii  février  1534.  11  conclut  un  traité 
d'amitié  entre  François  I"  et  Soliman,  au  mois  de 
février  de  l'année  suivante,  153^;  cet  acte  s'est 
trouvé  à  la  Bibliothèque  du  Roi  dans  un  journal 
sur  l'ambassade  de  D'Aramon.  De  Thou  dit, 
dans  son  Histoire,  que  la  Forest  mourut  à 
Constantinople  en  i^iy- 

JEAN   DE   MONTLUC. 

On  doit  d'autant  plus  balancer  à  le  nommer 
ambassadeur  que  sa  commission  eut  lieu  pendant 
l'ambassade  de  la  Forest,  en  1536.  Comme  on 
le  voit  dans  la  Noiwellc  Ili'stoire  de  Finance,  où  il 
est  nommé  protonotaire  Montluc,  il  s'en  retourna 
après  l'avoir  remplie.  Aiontluc  fit  encore  un 
voyag-e  à  Constantinople,  en  1 545,  pour  y  accom- 
pagner un  plénipotentiaire  de  Charles-Quint, 
auquel  f  rancois  1"  voulait  alors  ménager  une 
trêve  avec  les   lurcs. 


i«2  MIMOIKI. 

I>'cvC((iic  d'Ac(|s  cwc  t:c  protonotairc,  depuis 
6v<}c|iic  cic  \':ilcncc,  comme  ay:ini  servi  la  l'VarK  e 
avec  beaiicouj)  de  distinction  en  liirqiiie;  \\ 
acquit  encore  plus  d'éclat  par  l'élection  de 
llenn  il!  au  inuic  ilc  l'()lo<4iie,  (.\u'\\  sut  pi-ocu- 
rer  par  ses  intrig^ues  en  ce  royaume,  où  il  était 
le  premier  des  trois  ambassadeuivs  de  l' rance 
assistant  à  la  diète,  (let  évèqiie  mourut  suspect 
de  calvinisme,  l  ii  bâtard  qu'il  laissa  témoigne 
contre  ses  moeurs.  Il  se  nommait  lialagny,  et  par 
une  destinée  singtilière,  cet  homme  sans  nais- 
sance et  sans  talents  distingués  devint  maréchal 
de  France  et  pendant  quelque  temps  prince  sou- 
verain de  Cambrai. 


MARILLAC. 

M.  de  Thou,  en  rapportant  la  mort  de  la  Fo- 
rest,  dit  que  Alarillac,  son  cousin,  qui  l'avait  suivi 
à  C>onstantinople,  y  fut,  à  l'occasion  de  ce  décès, 
chargé  par  intérim  des  affaires  de  l'ambassade  et 
qu'il  s'en  acquitta  avec  honneur.  De  retoiu-  en 
France,  il  devint  archevêque  de  Vienne,  et  il 
jouit  d'une  grande  réputation  dans  le  clergé.  11 
mourut  le  3  novembre  1 560,  peu  après  avoir  pro- 
noncé  un   admirable    discours   à  l'assemblée   de 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  183 

Fontainebleau,  sous  le  règne  de  François  II.  Le 
capitaine  Rincon  le  releva  en  1538. 

CÉSAR    CANTELMO. 

C'était  un  seigneur  napolitain  banni  de  son 
pays  pour  avoir  suivi  le  parti  de  la  France.  Le 
Roi  l'expédia  en  poste  à  la  Porte,  en  1539,  dans 
l'objet  de  ménager  un  accommodement  entre 
elle  et  les  Vénitiens,  ce  qui  lui  fit  faire  ime 
course,  aller  et  venir,  à  Venise.  C'est  probable- 
ment lui  qui  demanda  pour  l'exercice  de  la  reli- 
gion catholique  à  Soliman  et  qui  obtint  de  ce 
prince,  en  1540,  l'église  de  Saint-Benoît  de  Ga- 
lata,  destinée  à  être  convertie  en  mosquée.  On 
ne  voit  pas  comment  finit  la  mission  de  Cantelmo. 
Rinyon,  parti  pour  la  France,  revenait  à  Constan- 
tinople  par  l'Italie,  en  1542,  lorsqu'il  fut  assas- 
siné, sur  le  Pô,  avec  Frégose,  autre  envoyé  du 
Roi,  par  ordre  du  marquis  du  Guast,  gouverneur 
du  Milanais. 

ANTOINE    POLIN,    Baron   dh    la  Garoh. 

On  le  nomma  le  capitaine  Polin,  puis  le  baron 
de  la  Garde,  du  nom  du  village,  où  il  était  né 
paysan;  il  prit  de  bonne  heure  le  parti  des  ai-mes 


i84  MKMOIRE 

et  il  s'y  disiin^iKi.  A  l:i  i)()ii\cllc  de  l'ussassinnr  de 
Kiiicon,  François  I"  lui  siibstii  u:i  l 'olm  (|ui  |)rit  p:ii- 
Venise,  tr:ivers;i  la  mer  .\(lriati(|iie  sur  ses  j^ro- 
pres  galères,  et  débarqua  en  Albanie,  d'où  il  se 
rendit  par  terre  à  (^onstantinopie.  Il  revint,  en 
1543,  sur  la  cote  de  Provence  avec  une  armée 
navale  ottomane,  commandée  par  Piarberoussc. 
Après  le  siège  de  Nice,  la  Garde,  pour  lequel  on 
créa  la  charge  de  général  des  galères  de  France, 
en  prit  cinq  avec  lesquelles  il  reconduisit  la 
flotte  turque  jusqu'à  Fépante,  d'où  il  rebroussa 
chemin.  Ce  baron  eut  encore  l'occasion  de  faire 
un  voyage  à  Constantinople,  en  i)")!,  après 
avoir  été  déchargé  de  l'accusation  intentée  contre 
lui  pour  le  massacre  de  Cabrières  et  de  Mérindol. 
Brantôme  qui  a  écrit  la  vie  du  baron  de  la  Garde 
parmi  les  hommes  illustres,  dit  que  ce  baron 
mena  avec  ses  galères  le  duc  d'Alençon  à  Lon- 
dres, lorsqu'il  s'agissait  du  mariage  de  ce  prince 
avec  la  reine  Elisabeth,  et  il  ajoute  que  la  Garde 
les  arma  avec  une  grande  magnificence.  11  mou- 
rut ensuite,  peu  riche,  ayant  dépassé  l'âge  de 
quatre-vingts  ans. 


•'sur    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  185 

GABRIEL   D'ARAMON. 

On  a  trouvé  à  la  Bibliothèque  du  Roi  un 
journal  de  son  ambassade  à  la  Porte  composé 
par  un  sieur  Ghesneau,  son  maître  d'hôtel.  Fran- 
çois l"  ût  partir  cet  ambassadeur  pour  la  Tur- 
quie, en  1S47.  -^  peine  arrivé  à  Constantinople,  il 
y  apprit  la  mort  du  Roi.  Son  successeur,  Henri  II, 
dépécha  consécutivement  à  D'Aramon  le  secré- 
taire Valenciennes  et  les  sieurs  de  Fumet  et 
Luscon  avec  de  nouvelles  lettres  de  créance 
et  des  instructions.  D'Aramon  les  ayant  reçues 
prit  ses  premières  audiences  de  Soliman  auquel  il 
baisa  la  main,  suivant  l'usage  de  ce  temps,  qu'on 
voit  continuer  sous  plusieurs  de  ses  successeurs. 
Cet  ambassadeur  suivit  le  Sultan  en  Perse  et  il 
fut  rejoint,  à  moitié  chemin,  par  un  valet  de 
chambre  du  Roi,  nommé  Codignac,  qui  lui  apporta 
des  dépêches  dont  le  rédacteur  du  journal  ne 
connut  pas  l'objet.  Sohman  profita,  au  siég-e  de 
Van,  des  conseils  de  D'Aramon,  lequel  à  son 
retour  de  Perse,  visita  les  Saints  Lieux  etl'Égypte. 
Il  ne  fut  de  retour  à  Constantinople  qu'en  i^'jo. 
Les  affaires  de  France  y  étaient  restées  entre  les 
mains  d'un  sieur  de  Cambrai,  chanoine  de  Saint- 
Etienne  de  Bourges,  dont  l'évêque  d'Acqs  fait 


i8o  \n.  MOllU. 

l'clog'c.  I.()rs(|iic  S()li?n;ii)  cn^'^a^ca  D'Aninion  à 
passer  en  !■  rancc,  en  i^^i  ,  il  laissa,  pfjiir  Tm- 
térini,  son  maître  d'iK^iel  (Ihesneaii;  disposition 
qui  paraîtrait  sin^ailière  partout  ailleurs,  mais 
qui  ne  le  serait  pas,  aujourd'hui  môme,  à  i'c^^ard 
des  1  urcs.  Le  voyage  de  l'ambassadeur  dura 
huit  mois.  En  revenant  à  son  poste,  il  se  trouva 
dans  le  cas  de  mouiller  à  Malte,  et  le  grand 
maître  nommé  d'Omédès,  Espagnol  de  nation, 
l'engagea  à  se  rendre  à  Tripoli  défendu  par  les 
chevaliers  de  cet  ordre  et  attaqué  par  les  1  urcs, 
dans  l'espoir  qu'il  les  déterminerait  à  lever  le 
siège.  En  arrivant,  il  fut  témoin  de  la  reddition 
de  la  place  et  il  obtint  du  général  ottoman,  sous 
promesse  d'échange,  la  liberté  des  chevaliers  qui 
s'étaient  rendus  prisonniers  de  guerre.  Le  prix 
de  ce  service  fut  que  d'Omédès  refusa  de  lui 
remettre  les  esclaves  turcs  en  compensation  et 
lui  imputa  hautement  la  perte  de  7  ri  poli  5  mais 
le  Roi  força  dans  la  suite  le  grand  maître  à  ré- 
tracter cette  calomnie  de  laquelle  le  brave  che- 
valier de  Villegagnon  défendit  vivement  l'ambas- 
sadeur. D'Aramon  de  retour  à  Constantinople  y 
vit  arriver,  en  1552,  le  chevalier  de  Sèvres  qui 
lui  apporta  des  instructions  dans  le  but  de  fixer 
avec  les  Turcs  un  concert  d'opérations  pour  la 
campagne  suivante.  La  jonction  des  flottes  fran- 


SUR    L'AMBASSADK    DE   TURQUIE.  187 

çaise  et  ottomane  eut  lieu  en  effet  en  15  53.  Ce 
fut  la  dernière  année  de  l'ambassade  de  D'Ara- 
mon,  il  revint  en  France  avec  ses  trois  galères 
qui  étaient  entretenues  par  le  Roi;  à  cette  épo- 
que, les  forces  navales  de  la  France  étaient  entre 
les  mains  de  différents  particuliers. 

CHESNEAU. 

Il  fut  pour  la  seconde  fois  chargé  des  affaires 
de  France  au  départ  de  son  maître,  et  il  revint 
après  l'arrivée  du  successeur  de  D'Aramon.  Le 
journal  dit  que  Chesneau  entra  depuis  au  service 
de  la  duchesse  de  Ferrare. 

CODIGNAC. 

Codignac,  le  même  valet  de  chambre  du  Roi 
dont  on  a  déjà  parlé  succéda  à  D'Aramon  en  î)')4- 
Soliman  était  alors  en  Asie,  où  le  nouvel  ambas- 
sadeur alla  le  joindre  pour  prendre  ses  premières 
audiences  et  traiter  de  la  jonction  des  forces  res- 
pectives ;  quelque  temps  après  le  Roi  expédia  en 
Turquie  le  sieur  de  Ville-Monte,  le  même,  selon 
toute  apparence,  que  Brantôme  nomme  Villecuin, 
chargé  de  proposer  au  Sultan  un  plan  d'opéra- 
tions qui  fut  admis.  Codignac  s'embarqua  sur  la 


l88  NUNKJIIU. 

flotte  turque  pour  la  campagne  de  i')')')  ^^  revint 
avec  elle  à  Corstantinoplc.  d'est  la  dernière  lois 
que  les  forces  des  deux  puissances  aient  a^i  de 
concert.  On  ne  voit  pas  à  quelle  époque  la  con- 
duite de  cet  ambassadeur  devint  suspecte  à 
Henri  11  (|ui  le  rappela,  (^odi^'^nac  loin  d'obcir. 
entra  au  service  de  Pliilippe  II  qui  venait  de 
monter  sur  le  trône  d'Espagne.  Il  servit  son  nou- 
veau maître  à  la  Porte  en  exagérant  auprès 
d'elle  la  détresse  où  se  trouva  la  France  à  la  fin 
dti  règne  de  Henri  II.  Busbecq,  alors  ambassa- 
deur de  Fempereur  Ferdinand  en  Turquie,  dit 
que  le  drogman  de  la  Porte  était  à  la  dévotion 
de  Codignac.  Celui-ci  avait  épousé  une  demoi- 
selle grecque,  propriétaire  de  deux  îles  de  l'Ar- 
chipel; on  ne  sait  comment  il  rinit. 

LA  VIGNE. 

Il  est  probable  que  le  sietir  de  La  Vigne,  suc- 
cesseur de  Codignac,  est  le  personnage  du  même 
nom  qui,  selon  Paruta,  fut  expédié  à  Constanti- 
nople,  en  1543,  par  François  I"'.  Il  eut  à  y  com- 
battre les  menées  de  son  prédécesseur  Codignac 
contre  la  France  :  il  parvint  à  faire  déposer 
son  ami,  le  drogman  de  la  Porte,  qui  fut  ensuite 
rétabli  dans  ses  fonctions  parle  crédit  de  Busbecq. 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  189 

Ce  dernier  parle  dans  ses  lettres  de  la  rudesse 
du  caractère  de  La  Vigne  avec  lequel,  dit-il,  le 
fameux  Rustem  Pacha  évitait  de  se  commettre; 
mais,  un  jour,  provoqué  par  l'ambassadeur  qui 
lui  soutenait  en  face  que  toute  l'importance  de  la 
puissance  ottomane  ne  consistait  que  dans  la 
division  des  princes  chrétiens,  le  vizir  apostro- 
pha La  Vigne,  en  le  déiîant  de  les  réunir  tous 
contre  son  maître  qui  en  viendrait  aisément  à 
bout.  La  paix  de  Câteau-Cambrésis  remit  La  Vigne 
en  si  bonne  intelligence  avec  Busbecq,  que  la 
délivrance  de  quelques  prisonniers  italiens  et 
allemands  ayant  été  refusée  à  ce  dernier,  l'am- 
bassadeur de  France,  à  son  audience  de  congé, 
obtint  de  Soliman  leur  liberté.  La  mort  de  Henri  II 
décida  le  retour  de  La  Vigne  dans  sa  patrie. 
Brantôme  dit  de  lui  qu'il  mourut  en  chemin, 
riche  de  plus  de  60,000  écus,  outre  de  très-beaux 
meubles,  et  qifil  fit  la  duchesse  de  Savoie,  qui 
avait  été  la  cause  de  sa  fortune,  sa  seule  héri- 
tière au  détriment  de  ses  parents.  Il  laissa  chargé 
des  affaires  de  France  à  la  Porte ,  un  sieur 
Pétremol.  Celui-ci  eut  bientôt  à  les  remettre 
à  un  nommé  Dolu,  expédié  par  François  II  à 
Constantinople.  Cet  agent  y  mourut  au  mois 
de  juillet  1  $6j  . 


190 


M  \.  M  <  J I  H  I . 


l'I    IKI  MOL. 


Pctrcmol  reprit  par  ordre  du  Uni  rimérim  de 
l'ambassade   à    la    mort  de    Dolii  ;  c'est    ce    quil 
écrit  dans  une  lettre  qu'on  a  de  lui  au  dépôt  des 
Affaires^  étrangères,  en  date  du  H  décembre  i')63. 
On  lit  dans  la  liste  des  ambassadeurs  de  France, 
qui    se    trouve    à   la   bibliothèque   du    Roi,    que 
La   Vigne    à    son    départ  de   (^onstantinople.   y 
laissa  le  soin  des  affaires,  avec  qualité  de  lieute- 
nant de  l'ambassade  et  trois  écus  par  jour  d'ap- 
pointements,   au    nommé    Vincent    Giustiniani  ; 
mais  il  paraît,  par  une  autre  lettre  de  l'an  1564, 
existant  au  dépôt   des  Affaires  étrangères,  que 
Catherine  de  Médicis  écrit  à  cet  agent,  qualifié 
de  conseiller  et  maître  d'hôtel  du  Roi,   son  fils, 
qu'il  avait  été  envoyé  à  Constantinople  pour  sol- 
liciter de  Soliman  la  liberté  du  vicomte  de  Cicala  ; 
cela  se  confirme   par  une  lettre  de  Pétremol  où 
on  lit  :   «  il  y  a  cinq  mois  que  le  sieur  Vincent 
Giustiniani  est   ici    dans  l'attente   de    la  liberté 
du  vicomte  de  Cicala.  »  Catherine  avait  précé- 
demment expédié  en  Turquie  un  nommé  Salviati 
pour  demander  la  délivrance   de    Don   Alvarès 
de  Sande,   général   espagnol  pris   a  l'affaire  de 
Gerbe.    Busbecq   obtint    son    élargissement.   On 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  191 

ne  sait  pas  à   quelle  époque  prit  un  la  mission 
de  Pétremol. 

DU    BOURG. 

Claude    Du    Bourg,    seigneur   de    Guerines. 

Le  compte  que  Pétremol  rendait  en  France 
des  reproches  de  la  Porte  au  Roi  sur  ce  qu'il  ne 
lui  envoyait  pas  d'ambassadeur,  décida  enfin 
Charles  IX  à  nommer  à  cet  emploi  en  Turquie 
Claude  Du  Bourg-,  trésorier  de  France.  Peu  après 
son  arrivée  à  Constantinople,  il  conclut  le  renou- 
vellement du  traité  d'amitié  de  1^35  entre  la 
France  et  l'empire  ottoman.  Cet  acte  en  18  articles 
(octobre  1569),  s'est  retrouvé  avec  le  joiu-nal 
de  D'Aramon,  Ce  qu'on  sait  de  la  conduite  idté- 
rieure  de  Du  Bourg  répond  mal  au  début  de  son 
ambassade.  L'évéque  d'Acqs,  son  successeur,  le 
taxe  de  fripon  dans  ses  lettres  et  l'accuse  d'être 
l'espion  de  la  maison  d'Autriche.  Le  prélat  fait 
même  entendre  que  cet  ambassadeur  iinit  par 
s'évader  de  Constantinople.  Charles  IX  étant 
mort,  Du  Bourg  s'attacha  au  duc  d'Alençon  à  la 
Porte  ottomane  et  entra  dans  les  troubles  qu'oc- 
casionna ce  prince.  Lorsqifil  se  raccommoda 
avec  le  Roi,  Du  Bourg  s'enfuit  avec  l'intention 
de  se  rendre  à  Constantinople  par  Venise,  oi^i  il 


,^2  '^l  I    MOI  R  K 

eut  r;iii(l:nc  i\c  |)rciKlrc  le  liirc  d  anibiissadcur 
du  duc  (r.\lci)(.()ii  ;i  la  Porte  ottoi^iane.  On  écrivit 
à  Venise  pour  c|ue  le  séuai  le  li\rài,  ee  qu'd  tit. 
A  (  ■oiisianiinople  le  bruit  se  répandu  (|ue  la 
Képublique  avait  lait  arrêter  u\\  ambassadeur  du 
Koi  allant  au|)rL's  du  (irand  Seigneur,  <.e  (|ui  mit 
ce  pniue  dans  une  grande  colère. 

Henri  111  prit  soin  de  justifier  la  Képublique 
par  le  sieiu'  Ju^é,  a^^ent  de  France. 

GRA.NDCHAMP. 

Du    liourg  laissa   les    affaires   de  France  en 
Turquie   au    sieur  de  Grandchamp,   qui  y  était 
depuis  quelques  années  et  peut-être  y  avait-il  été 
amené  par  le  précédent  ambassadeur.  L'évéque 
d'Acqs  accuse  Grandchamp  d'avoir  été  le  complice 
de  Du  Bourg-  dans  un  vol  de  cinquante  mille  écus 
fait  à  des  marchands  marseillais.   C^et  homme, 
dans  le  but   de   se  faire  nommer  ambassadeur, 
intrigua  pour  avoir  du  grand  vizir  la  commission 
d'aller  en  France  solliciter  rinteryention  du  Roi, 
à  Venise,  pour  la  délivrance  d'un  chiaoux,  expé- 
dié à  Charles   IX,  et  qui  avait  été  arrêté   dans 
cette  ville,  chemin  faisant.  Grandchamp  dans  cette 
course,  sut  si  bien  se  faire  valoir  auprès  de  ce 
prince   qu'il   le   déclara   son    ambassadeur  à   la 


SUR    L'AMBASSADE   DE    TURQUIE.  193 

Porte  en  révoquant  le  sieur  du  Sausai,  déjà  choisi 
poiu-  cette  commission.  Profitant  du  moment,  il 
partit  après  avoir  reçu  12,000  livres  pour  une 
année  d'appointements.  Mais  les  Vénitiens  ayant 
alors  réclamé  l'entremise  du  Roi  auprès  de  la 
Porte,  avec  laquelle  ils  étaient  en  guerre,  et 
l'ayant  obtenue,  leur  ambassadeur  fit  observer 
qu'il  convenait  de  confier  cette  médiation  à  un 
tout  autre  personnage  que  Grandchamp.  On  cou- 
rut après  lui  ;  il  fut  ramené,  et  sa  lettre  de 
créance  retirée  :  mais  il  trouva  moyen  de  garder 
l'argent. 

LA    TRIQUERIE. 

C'est  le  nommé  La  Triquerie  que  l'évêque 
d'Acqs  trouva  à  Constantinople ,  chargé  des 
affaires  du  Roi.  11  en  partit  après  les  premières 
audiences  du  prélat. 

FRANÇOIS    DE    XOAILLES, 

Kvèque     d'Acqs. 

L'évêque  d'Acqs  avait  eu,  ainsi  que  Mont- 
luc,  le  titre  de  protonotaire.  Il  avait  servi  en 
Angleterre  avec  beaucoup  de  réputation,  conjoin- 
tement avec   son  frère,  Antoine  de  Noailles,  qui 


194  NUMOIKI 

y  était  ambassadeur  de  Iraiice.  (^e  prélat  avait 
rempli  lui-même  eu  (bel  et  avec  ^Hoire  d'im- 
portautes  :imbassades  en  Italie,  (l'est  ptnir  ce 
molli  c|ii On  jeta  les  yeux  sur  lui  pour  renvoyer 
à  la  i'orte  dans  la  circonstance  d'une  médiation 
à  exercer.  Il  |)iii  par  I  urui,  \  enise  et  Ka^use, 
où  on  lui  donna  séance  au  sénat.  (!e  prélat 
arrivait  (lonstaiitinople  le  13  mars  1572.  Sa  cor- 
respondance la  plus  suivie  se  ti*oiivc  à  la  biblio- 
thèque du  Roi  et  à  celle  de  l'hôtel  de  Noailles, 
OLi  sont,  en  outre,  les  lettres  particulières  de 
cet  ambassadeur.  (>'est  par  elles  qu'on  voit  qu'il 
avait  reçu  en  partant  trente  mille  irancs  pour 
appointements  d'ime  année  et  qu'il  en  demanda 
dans  une  de  ses  lettres  la  continuation,  allég-uant 
que  ceux  de  ses  prédécesseurs  étaient  de  douze 
mille  francs,  outre  six  mille  francs  pour  leur 
secrétaire,  et  l'allocation  des  frais  extraordinaires 
qui  dépassaient  vingt  mille  francs.  Il  paraît  cepen- 
dant parla  mention  qu'il  fait  dans  une  dépèche 
subséquente,  d'une  assignation  de  12,500  francs, 
comme  moitié  de  son  traitement  annuel,  qu'il 
fut  réduit  à  25,000  francs.  Le  Grand  Seigneur 
lui  donnait  d'abord  un  taïn  de  huit  éctis  par 
jour  qui  fut  ensuite  diminué  de  moitié.  On  lui 
fournissait  en  outre,  chaque  année,  trois  cents 
charges  de  bois,  deux   cent  trente   kilès  d'orge 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  195 

et  cent  quatorze  charretées  de  foin.  Il  faisait  part 
de  ces  provisions  à  ses  drogrnans,  dont  le  pre- 
mier, Domenico  Olivieri,  avait  trois  cents  écus  de 
cinquante  aspres  d'appointements  annuels,  vingt 
écus  pour  les  frais  de  bateaux,  deux  robes  d  ecar- 
late  et  deux  de  soie.  On  a  cru  devoir  rapporter 
ces  détails  que  leur  ancienneté  rend  ciu-ieux  en 
les  comparant  au  temps  présent.  L'évèque  d'Acqs 
écrit  qu'à  la  première  audience  qu'il  reçut  de 
Sa  Hautesse  il  se  débarrassa  des  capigi  hachis 
qui,  selon  l'usage,  le  soutenaient  sous  les  bras  et 
il  s'approcha  seid  du  Sidtan  pour  baiser,  suivant 
la  coutume,  d'abord  sa  robe,  puis  sa  main.  Cet 
ambassadeur,  à  l'occasion  de  ce  rapport,  se 
récriait  siu-  les  insolences  qu'enduraient  les 
ambassadeurs  de  l'Empereiu-,  de  Venise  et  de 
Pologne.  Il  était  lui-même  très-mécontent  en 
Turquie,  et  il  sollicitait  instamment  M.  de  Sauves, 
alors  secrétaire  d'État,  de  lui  obtenir  son  rappel. 
Une  des  lettres  de  ce  prélat  en  date  du  10  juin 
1572  finissait  ainsi  :  «  La  coutume  de  la  cour  est 
de  ne  rien  faire  que  pour  ceux  qui  sont  présents, 
pressants  et  importuns.  Le  roi  d'Espagne  en  use 
autrement,  et  j'espère  que  le  nôtre  en  fera  de 
même  un  jour;  mais,  mon  temps  sera  passé.  » 
Le  dégoût  de  son  ambassade  joint  à  la  crainte  de 
quelque  violence  delà  part  des  Tiu-cs,  si  FanTiéc 


(le  la  li^iic  (lirciiciinc  i-cniporiait  (|iiclc(iic  avan- 
tage si^nialc,  ou  si  la  Irancc  laisaii  (jiichjiic 
entreprise  surAlg^er,  comme  on  en  avait  en  l'ulée, 
déterminèrent  l\jvè(|iie  d  .\c(js  à  partir  de  (>ofi- 
siantinople  sans  en  avoir  la  permission  dn  Koi. 
Mais  à  peine  était-il  à  Kaj^use,  (pi'nn  courrier  lui 
apporta  l'ordre  de  travailler  à  obtenir  le  concours 
de  la  Porte  pour  l'élection  de  Monsieur  (depuis 
Henri  111;  au  trône  de  Pologne.  L'ambassadeur 
retourna  à  la  hâte  à  Constantinople,  mali^ré  la 
rigueur  de  la  saison.  S'il  ne  put  déterminer  les 
Tin-cs  à  des  démarches  bien  significatives  pour 
Monsieur,  il  eut  au  moins  la  satisfaction  de  voir 
conclure  par  ses  bons  offices  la  paix  entre  la 
Porte  et  la  République  de  Venise,  ce  qui  avait 
été  l'objet  primitif  de  sa  mission  en  Turquie.  11 
en  partit  définitivement  en  1 574,  et  se  retira  dans 
son  évèché.  Il  mourut  à  Bayoïine,  en  1585.  âgé 
de  66  ans. 

GILLES    DE    EGAILLES,    Abbh   nt    l'Islh. 

Avant  de  songer  à  Tévèque  d'Acqs  pour 
l'ambassade  de  Constantinople,  il  avait  été  ques- 
tion d'y  nommer  son  frère,  Gilles  de  Noailles, 
abbé  de  l'Isle,  qui  lui  succéda,  après  avoir  été 
l'un  des  trois  ambassadeurs  de  France  à  la  diète 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  197 

de  Pologne,  où  le  duc  d'Anjou,  depuis  Roi  de 
France  sous  le  nom  de  Henri  III,  fut  élu.  L'abbé 
de  risle  y  vécut  en  mauvaise  intelligence  avec 
ses  confrères,  comme  on  le  voit  par  une  lettre 
de  l'évêque  d'Acqs.  Gilles  de  Noailles  reçut  de 
nouvelles  créances  et  instructions  de  Henri  111  à 
son  avènement  à  la  couronne  de  France  et  les 
présenta  au  nouveau  Sultan,  Murad  III.  On  ne 
sait  aucune  particidarité  concernant  cet  ambas- 
sadeur qui  revint  dans  sa  patrie  en  i^yy.  H  eut 
l'évéché  d'Acqs  à  la  mort  de  son  frère,  et  il  mou- 
rut en  1606.  Le  président  Hénault  le  place  au 
rang  des  savants  illustres  de  ce  temps. 

JUGÉ. 

On  lit  dans  un  discours  joint  au  journal  de 
l'ambassade  de  D'Aramon,  ainsi  que  dans  le  con- 
tinuateur de  Chalcondile,  qu'en  1578,  im  nommé 
Jugé  remplissait  l'intérim  de  l'ambassade  de 
France  à  la  Porte.  C'était,  selon  les  apparences, 
un  secrétaire  que  l'abbé  de  l'isle  y  avait  laissé 
en  partant. 

GERMIGNY,   Baron   dk   Glrmolks. 

Dans  ses  instructions,  en  date  du  i  ^  décembre 
i>79,  qu'on  a   au   dépôt  des  Affaires  étrangères. 


KyH  Ml.  MOI  Kl, 


(icrmi^iiy  cm  (iiialific  de  chevalier  maiire  dliùtel 
ordinaire  du  \<()'\.  I /historien  de  l'hoii  le  ravale 
sur  son  peu  de  naissance  et  sur  ce  qu'il  avait  été 
domestique  du  cardinal  de  Hoiirhon.  Il  est  pro- 
bable (|ue  t'est  le  même  dont  i'évécjue  d'Acqs 
lait  souvent  mention,  et  (|u'il  croyait  incapable 
d'être  son  successeur  par  le  mant|ue  de  fermeté 
dans  le  caractère.  Kien  ne  prouve  que  (  jermigny 
en  ait  manqué.  Il  renouvela  les  traités  entre  la 
France  et  la  Porte  en  juillet  1581.  (^et  acte  joint 
ail  journal  de  l'ambassade  de  D'Aramon  est  en 
vingt-trois  articles.  Sainte-Foix,  dans  son  histoire 
de  Tordre  du  Saint-Esprit,  rapporte  à  l'article  du 
comte  de  Torcy,  que  Miirad  III  avait  expédié 
un  envoyé  au  lloi  pour  le  convier  d'assister  par 
un  ambassadeur  à  une  fête  que  ce  Sultan  devait 
donner  à  l'occasion  de  la  circoncision  de  son  fils; 
mais  de  Thou  dit  que  Germigny  s'en  dispensa 
parce  que  les  ambassadeurs  d'Etienne  Bathori, 
roi  de  Pologne,  que  Henri  111  n'avait  jamais  voulu 
reconnaître  pour  tel,  y  avaient  été  invités  et  s'y 
trouvèrent.  C'est  par  Germigny  que  les  jésuites 
furent  établis  dans  l'église  de  Saint-Benoit  de 
Galata.  La  copie  de  l'acte  existe,  datée  des  Vignes 
de  Péra,  le  25  aoiit  i  )84.  On  est  étonné  d'y  voir 
figurer  avec  l'ambassadeur  de  France  le  bayle  de 
Venise  au  même  titre  de  donataire.  L'ambassade 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  199 

de  Germigny  iînit  peu  après,  et  il  n'est  fait  de  lui 
aucune  mention  ultérieure;  son  traitement  était 
de  huit  mille  quatre  cents  écus  par  an. 

BERTHIER. 

C'est  dans  les  instructions  du  sieur  de  Lan- 
cosme  qu'on  voit  qu'il  trouva  à  Constantinople 
les  affaires  du  Roi  à  la  Porte,  entre  les  mains  du 
nommé  Berthier  que  probablement  Germigny  en 
avait  laissé  chargé  à  son  départ. 

JACQUES    SAVARI,    Seigneur   de    Lakcosme. 

Ses  instructions  datées  du  23  septembre  1585 
sont  au  dépôt  des  Affaires  Étrangères;  elles 
débutent  ainsi  :  «  Le  ministre  lui  recommande  : 
d'être  bien  avisé,  secret  et  pénétrant  le  plus  qu'il 
pourra ,  véritable  et  de  bon  exemple  dans  ses 
mœurs  ;  car  la  vertu  ne  perd  jamais  de  son  lustre, 
en  quelque  lieu  qu'elle  soit  exercée.  Les  ministres 
bien  conditionnés  en  leur  personne  facilitent  et 
•avancent  les  affaires  de  leurs  maîtres  plus  que 
les  autres.  »  Il  semble  que  le  personnage  qui  a 
besoin  d'une  pareille  leçon  n'est  pas  celui  qu'il 
faut  choisir  poiu-  un  tel  emploi.  Biisbecq 
alors  ambassadeur  de  l'empereur  Maximilien  en 


200  \1  I   MOI  H  f 

IV.'ituc,  ccTii  sur  l:i  Domination  de  I.:incosnic  :i 
r;in)b;iss;i(lc  (le  l.i  l'orie.  (|iie  c'étMit  un  homme 
(l';incienne  n;iis,s;inre;  il  débuta  à  (^onsiantinoplc 
par  refiiseï-  de  voir  Tambassadeur  d'Angleterre, 
les  traités  de  la  l'rance  stipulant  que  toutes  les 
nations  de  l'Iùirope  ne  pouvaient  paraître  en 
Levanique  sous  pavillon  français,  Lancosme  pré- 
tendait ne  devoii"  reconnaître  le  représentant 
d'aucune  autre  puissance.  Il  devint  partisan  de  la 
ligue  cjui  déchirait  encore  la  France.  Aussi  fut-il 
révoqué,  lorsque  Heiu-j  l\  parvint  au  trône.  Dans 
une  note  datée  de  1S92,  Lancosme  parle  ainsi  de 
lui-même  : 

((  Jacques  Savari.  seig^neiir  de  Lancosme  qui, 
pour  servir  la  foi  et  la  religion  catholique,  et 
fidèlement  la  couronne  de  France  de  laquelle  il 
a  été  sept  ans  ambassadeur  au  Levant,  est  tombé 
au  pouvoir  des  ennemis  de  l'État  et  a  supporté 
toutes  sortes  de  peines  et  d'indignités.  » 

Ces  mots  ont  rapport  sans  doute  au  traitement 
que  lui  ût  éprouver,  de  la  part  des  Turcs,  son 
successeur.  Les  sept  ans  iraient  à  l'année  1592, 
et  cependant  de  Brèves  s'installa  en  1589;  mais 
Lancosme  s'en  tenait  à  l'illégallité  prétendue  de 
sa  révocation  par  Henri  W  qu'il  ne  voulait  pas 
reconnaître. 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  201 

FRANÇOIS   SAVARÎ,    Seigneur  de   Brèves. 

De  Brèves  était  cousin  de  son  prédécesseur 
qui,  probablement  Tavait  amené  en  Tiu-quie  ; 
cela  n'empêcha  pas  que  le  choix  de  Henri  IV  ne 
tombât  siu-  lui.  Il  eut  grand'peine  à  déposséder 
son  parent,  et  il  fallut  avoir  recoiu-s  au  gouver- 
nement turc  qui  fît  saisir  et  enfermer  Lancosme 
aux  Sept-Tours.  De  Thou  dit  que  de  Brèves  se 
chargea  des  meubles  et  effets  du  prisonnier,  et 
qu'il  fit  de  son  mieux  pour  éviter,  s'il  était  pos- 
sible en  cette  occasion,  l'inculpation  de  jalousie 
ou  d'avarice.  L'ambassade  de  de  Brèves  dut  com- 
mencer, en  l'année  1)89.  Dans  un  discours 
imprimé  qu'on  a  de  lui,  il  dit  qu'en  i')90,  peu  de 
temps  après  avoir  été  établi  ambassadeur,  il  prit 
à  l'audience  du  grand  vizir  préséance  sur  ceux 
de  l'Empereiu-,  L'évèque  d'Acqs  avait  fait  de 
même,  prétendant  que  ce  prince  n'était  considéré 
à  la  Porte  que  comme  roi  de  Hongrie.  On  verra 
à  l'article  de  M.  deGirardin  cette  conduite  désap- 
prouvée par  hi  (^oiir.  De  Brèves  suivit  le  Siihan 
Méhémet  111  à  la  guerre.  L'historien  Sagredo 
raconte  qu'à  la  bataille  d'Agria,  les  ambassadeiu"s 
qui  accompagnaient  le  Sidtan  s'enfuirent  comme 
lui  à  toute  l)ridc.  (Ichn  d'Angleterre  se  nommait 


Kieliard.  Un  iiiitciir  liii'c  t()i)tcmj)()r;iin,  |);irl;inl 
(le  cette  eiiiiipag^iie,  écrit  c|iic  rambassndeiir  (le 
l'raïue  était  d'ime  naissance  distinyiiéc  cl  s'cx- 
prmiait  bien  dans  la  langue  du  pays;  c'est  ce  que 
de  Brèves  du  de  Ini-menie  a  cet  éf(ai"d.  La  tinte 
de  Méhéniei  n'enipetlia  pas  les  Turcs  de  j^a^ner 
la  bataille.  Le  Sultan  s'en  j)i-évalut  pour  taire  a 
son  i-eiour  dans  sa  capitale  une  entrée  de  vain- 
c|ueur.  On  voit  (pie  de  Brèves  en  prit  occasion 
pour  le  félicitei-  sur  ses  lauriers.  Il  fut  admis  à 
l'audience  avec  une  suite  de  vingt-cinq  personnes, 
et  il  recitt  de  grandes  distinctions.  Cet  ambassa- 
deur renouvela  les  traités  d'amitié  entre  la  France 
et  la  Porte  en  1)97.  Méhémet  111  offrit  alors, 
dit-on 7  des  secours  à  Henri  IV  contre  la  ligue. 
L'abbé  de  Saint-Réal,  dans  son  premier  discours 
sur  l'usage  de  l'histoire,  prétend  que  de  Brèves 
manda  au  Roi  que  le  motif  principal  qui  avait 
poussé  le  Sultan  à  cette  offre,  est  qu'il  avait  pris  le 
mot  de  ligue  en  aversion.  11  est  difficile  de  croire 
que  cet  ambassadetir  ait  écrit  telle  chose,  Méhé- 
met ne  savait  certainement  pas  le  français,  et  si 
l'idée  du  mot  ligue  dans  la  traduction  l'avait 
frappé,  ce  n'était  pas  merveille  qu'un  despote 
l'eiit  en  horreur.  Méhémet  III  étant  mort  en 
1604,  les  capitulations  furent  encore  renouvelées 
cette  même  année,  sous  le  règne  d'Ahmed  I",  fils 


SUR    L'AMBASSADt    DE    TURQUIE.  203 

aîné  de  Méhémet,  qui  lui  succéda.  Selon  Méze- 
rai,  de  Brèves  acheta  pour  les  ambassadeurs  de 
France  le  palais  qu'ils  habitent  à  Péra;  ils  en 
occupaient  donc  un  autre  du  temps  de  Germigny. 
Tournefort  dit  que  de  Brèves  le  fit  bâtir;  en  ce 
caSj  il  fut  reconstruit  par  le  comte  de  Marche- 
ville.  De  Brèves  fut  rappelé  en  1606.  En  retour- 
nant en  France  il  visita  les  Lieux  saints,  passa 
en  Egypte,  à  Tunis,  à  Alger,  et  n'arriva  dans  sa 
patrie  qu'après  dix  mois  de  voyage.  En  1607,  il  fut 
nommé  ambassadeur  à  Rome,  d'où  il  revint,  en 
161^,  pour  être  gouverneur  de  Gaston,  frère  de 
Louis  XIII,  alors  régnant.  Deux  ans  après,  il  fut 
privé  de  cette  charge  et  il  mourut  en  1629. 
Henri  IV,  dans  la  pénurie  de  ses  finances,  lui 
avait  accordé  poiu'  son  entretien  en  Levant  lui 
droit  de  2  "/o  sur  tout  le  commerce  de  France  en 
Turquie,  mais  cela  fut  ensuite  supprimé.  On 
voit  au  dépôt  des  Affaires  étrangères,  en  161 5, 
un  brevet  de  consul  général  de  la  nation  fran- 
çaise en  Egypte  pour  le  sieur  de  Brèves,  qualifié 
de  ci-devant  ambassadeur  à  la  Porte;  il  faisait 
sans  doute  exercer  cette  place  à  son  profit  par 
un  substitut.  Il  était  chevalier  des  ordres  du  Roi 
et  premier  écuyer  de  la  Reine  mère. 


204  Mf.  MCJlin. 

IKAN(,(;iS    01.    (.ON  TA  UT    HIKO.N, 
Hakov    r)  I     SaikjSai. 

Il  arriva  à  (  ioiisiantinoplc  en  160-.  (^ct  aui- 
bassaclciir,  cloni  le  nom  iiulicjuc  la  haute  nais- 
sance, était  (hi  iionibi-e  des  parents  de  l'inlortinié 
maréchal  de  i)ii-()n  c|in  se  jetèrent  aux  pieds  de 
Hem-i  !\'  pour  solliciter  sa  grâce;  le  refus  qu'ils 
éj^rouvèrent  n'empêcha  pas  Salignac  d'avoir  pour 
ce  prince  un  vil' attachement.  II  fut  frappé  de  sa 
mort  (iineste  au  point  qu'on  croit  que  ses  jours 
en  fin-ent  abrégés.  S'étant  transporté  à  l'église 
de  Saint-Benoît  de  Galata,  il  y  passa  deux  jours 
pour  assister  à  la  pompe  funèbre  de  ce  grand 
roi.  De  retour  chez  lui ,  la  fièvre  le  prit  et  le  con- 
duisit au  tombeau.  Son  épitaphe  dans  l'église  des 
Jésuites  se  trouvant  effacée  par  le  temps,  le  comte 
de  Saint-Priest,  l'un  des  successeiu-s  de  Sali- 
gnac,  la  fit  rétablir  en  1772.  Il  ne  faut  pas 
omettre  que  dans  un  acte  de  1609  pour  la  resti- 
tution de  la  même  église  aux  jésuites,  qui  en 
avaient  été  chassés,  on  voit  la  signature  de 
Dominique  Fornetti.  premier  drogman  de  France. 
Cette  famille  a  constamment  fourni  depuis  de 
bons  interprètes  au  service  de  la  France  en 
Levant. 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUE.  205 

ACHILLE   DE    HARLAY   SANCY, 

Baro.v    de    la    MÛLt. 

Mézerai,  dans  son  histoire  des  Turcs,  dit  que 
le  baron  de  la  Môle  était  iils  de  Sancy,  ministre 
de  Henri  IV,  et  que  ce  fut  à  la  considération  de 
son  père,  ainsi  qu'à  son  mérite  prématuré  qu'il 
dut  d'être  nommé  à  tme  charge  si  importante  et 
si  difficile,  à  l'âge  de  2^  ans.  Cet  ambassadeur 
arriva  à  Constantinople  en  161 1.  On  lit  dans  le 
même  auteiuTe  récit  de  sa  première  audience  du 
Sultan  dont  il  baisa  la  robe  ;  il  dîna  avec  le  vizir. 
On  mangeait  alors,  au  Divan,  assis  parterre  siu'  le 
plancher  cotivert  d'un  ta23is.  Cet  ambassadeur  et 
sa  suite  étaient  vêtus  à  la  tiu-que  d'une  longue 
robe  de  drap  d'or,  fourrée  de  martres  zibelines. 
M.  de  Bonac  prétend  dans  son  mémoire  que 
l'ambassade  du  baron  de  la  Mole  fut  tranquille. 
Il  eut  cependant  en  1616  une  assez  vive  alerte 
pour  sauver  les  jésuites  qu'on  avait  rendus  sus- 
pects à  la  Porte.  Un  cordelier,  vicaire  patriarchal 
de  Constantinople,  fut  pendu  à  cette  occasion. 
En  outre,  sous  le  premier  règne  de  Mustapha 
qui  succéda  à  son  frère  Ahmed  1'',  mort  en  16 17, 
le  baron  de  la  Môle  éprouva  ime  violence  per- 
sonnelle,   jusqu'alors   sans   exemple  envers    ses 


prédccessciirs.  (ti  maniiscnt  de  ce  [cinj)s,  trouvé 
:iii.\  .Icsiiitcs  (lu  (j;il;iia,  du  cju'un  uoniiné  M.'irtin, 
sccrérairc  de  l'anibassadeiir,  prit  de  l'amour  pour 
uue  l'oloiiaise  {|u'il  railieta  de  l'esclava^^^e  sur  la 
parole  {lu'elle  lui  donna  de  l'épouser.    De  retour 
eu    Pologne  elle  ne  voulut  |)as   la    tenir,    l'n  pia- 
sonnier    polonais,    nonuué  (loreski,  enfermé  aux 
Scpt-'l'oin-s,  persuada  Martin  qui  avait  la  permis- 
sion de  le  voir  que,  s'il  devenait  libre,  il  f'orceraitsa 
compatriote  à  accomplir  la  promesse  qu'elle  avait 
faite.  Martin  trouva  le  moyen  de  faire   tenir  des 
cordes   à   (^oreski   dans  un  pâté,  et  celui-ci  s'en 
servit   pour  s'évader.  Malheureuseinent,  il  laissa 
sur  luie  table   de  sa  prison  la  lettre  de  ce  secré- 
taire. On   découvrit  ainsi  la  part  qu'il  avait  à  la 
chose.  La  Porte  somma  le  baron  de  la  Mole  de 
représentei-  le    Polonais    fugitif.    Le    manuscrit 
ajoute    qu'à    cette    occasion    l'ambassadeur   fut 
outragé  en  sa  personne  et  en  celle  de   ses  gens 
et  qu'il  lui  en  coûta  vingt  mille  piastres.  Mézerai 
observe   que    le  vizir   l'envoya  chercher  par  des 
chiaou.x  et  le  donna  en  garde  au  chiaoux  bachi, 
lequel  lui  annonça  qu'on  allait  lui  donner  la  ques- 
tion dans  l'après-midi.    Le  secrétaire  qui  avait 
remplacé  Martin  la   souffrit  et  le  cuisinier  reçut 
cent  coups    de   bâton    pour   avoir  fait   le    pâté. 
Sagredo   fait  mettre   aussi   le   baron  au. \  arrêts, 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  207 

chez  le  chiaoïix  bachi  et,  selon  lui,  le  bayle  de 
Venise  obtint  que  le  baron  de  la  Môle  fût  relâ- 
ché. Le  Roi  informé  de  cette  aventure  expédia  le 
sieur  Denant  et  un  secrétaire  nommé  Angussa  à 
Constantinople  pour  s'en  plaindre  ;  mais  ils  trou- 
vèrent le  baron  de  la  Môle  mis  en  liberté  dès 
Tavénement  du  jeune  Osman,  neveu  de  Musta- 
pha, qui  fut  déposé  au  mois  d'avril  161 8.  Un 
chiaoux  fut  envoyé  en  France  porter  les  excuses 
du  Sultan.  Ce  Turc  y  demeiu-a  deux  ans  envi- 
ron et  revint  avec  le  successeur  du  baron  de  la 
Môle  qui  revint  en  France  en  1620.  Il  embrassa 
l'état  ecclésiastique  et  devint  par  la  suite  évèque 
de  Saint-Malo. 

PHILIPPE    DE    HARLAy,   Comte   de    Cezy. 

Le  comte  de  Cézy  arriva  à  Constantinople  au 
mois  de  février  1620.  Le  mémoire  historique  de 
M.  de  Bonac,  qui  ne  die  rien  sur  la  personnalité 
des  prédécesseurs  de  cet  ambassadeur,  s'est 
étendu  sur  son  compte  et  sur  celtii  de  ses  succes- 
seurs. On  se  borne  à  y  puiser  les  anecdotes  per- 
sonnelles les  plus  intéressantes  pour  ne  pas  trop 
surcharger  cette  liste  historique  déjà  augmentée 
de  personnages  et  de  faits  inconnus  au  marquis 
de  Bonac.   La  plupart  des   accidents  arrivés   au 


2(j«  M  I    \I()1  l<  I 

lomic  (le  1  c/y,  |)cii(l;ini  soti  ;mil)a.s.v:Kic  il  h»  l\)rtc, 
curciii  pour    cause  sa   j)r()di{4alitc  qui  l'exposa  à 
rechercher  des  ressources  d'argent  :  ses  revenus 
et    ses    appoinicnients    ne    suinsaieui    pas    à    sa 
dépense,  li  paraît,  à  la  vérité,  par  ses  dépêches, 
(|uc  la  ville  de  Marseille  était  en  arrière  vis-à-vis 
de  lui.   Il  avait   sans  doute,  fait    des  avances,  car 
la   pension    de    seize    nulle    livres    (ju'elle    payait 
alors  à  l'ambassadeur  du  Roi  pour  compenser  les 
droits  de  consulat  à  (^onstantinople,  atixquels  il 
avait    renoncé,    ne    pouvait   jamais    former   des 
arrérages  approchant  de  la  somme  que  le  comte 
deCézy  réclamait  de  cette  chambre.  La  suspen- 
sion de  payement  le  mit  dans  le  plus  grand  em- 
barras ;  il  s'était  malheureusement,  pour  la  ferme 
de  la   douane   d'Alep ,    rendu   caution    d'un   juif 
nommé  Meleby.  Cet  homme  ayant  fait  banque- 
route,  on    revint    siu'    l'ambassadeur   que    cette 
affaire  mit   aux   abois.    <*   Je   suis  si    accablé  de 
misères  et   d'importunités  pour  l'affaire   d'Alep, 
écrivait-il,  que  je  souhaiterais  tous  les  jours  cent 
fois  la  mort,  si   je  n'avais  ici  ma  femme   et  mon 
fis  qui  ne  sont  déjà  que  trop  exposés  à  la  violence 
des  Turcs.  Je  suis  réduit  à  ime  si  grande  extré- 
mité que  j'engageai  ces  jours  derniers  une  tapis- 
serie poiu-  envoyer  im  homme  au  dehors  pour  le 
service  du  Roi.   »  On  peut  observer  que  c'est  la 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  209 

première  mention  qui  a  été  faite  d'une  ambassa- 
drice de  France  en  Turquie.  Le  comte  de  Cézy 
reçut  de  très-mauvais  offices  du  sieur  Deshayes 
de  Cormenin,  venu  en  1626  àConstantinople  pour 
passer  en  Perse.  Il  rendit  compte  à  la  cour  des 
insultes  journalières  que  les  dettes  de  l'ambassa- 
deur lui  attiraient  de  la  part  des  gens  du  pays, 
des  exactions  qu'il  exerçait  sur  les  effets  des 
sujets  du  Roi  pour  se  procurer  de  l'argent,  et  de 
la  misère  où  étaient  réduits  ses  interprètes,  pri- 
vés de  leurs  appointements.  L'ambassadeur,  de 
son  côté,  se  plaignit  des  procédés  de  Deshayes 
auquel  il  n'épargnait  pas  les  invectives,  et  qu'il 
soupçonnait  vouloir  le  supplanter.  Il  prétendit 
même  que  lorsque  le  comte  de  Marcheville  fut 
nommé  à  l'ambassade  de  la  Porte,  Deshayes  avait 
cherché  à  mettre  les  Turcs  en  défiance  de  ce 
comte,  sous  prétexte  qu'il  était  né  sujet  du  duc 
de  Lorraine,  et  comme  tel  étranger  à  la  France. 
Ce  qui  maintint  M.  de  Cézy  encore  quelques 
années,  fut  la  déclaration  que  ût  la  Porte  qu'elle 
ne  le  laisserait  partir  que  si  ses  dettes  étaient 
payées.  Il  fallut  envoyer  de  France  pour  cet 
objet  un  commissaire,  nommé  la  Picardière,  qui 
les  régla  à  248,238  piastres  payables  en  14  ans 
par  une  imposition  de  3  "/„  sur  le  commerce  de 
France  en  Levant. 

H 


.1,,  MiM<jiin, 

I  ,c  (.•ointe  (k-   .Nhirclicvilli,'  n':iiTi\;i  ,i  (  .oiisuiti- 

tmoplc    (jii'cii    1631.   On    verni    plus  bas  le  sort 

([n'eut  son  ambassade.  Après  son  départ,  la  l*orte 

remit  le  comte  de  ^  >ézy  en  activité,  et  i.ouis  XIII 

l'y   mamtMii.    (le   lut    contre    ra\is   du    comte  de 

Mai'ciievdle  (|ui,  dans  le  mémoire   (iiTil  donna  fi 

la  cour  à  son   retour  de  'i"i!r(|iiie,  nomme  parmi 

les  instig'atcurs  de  sa  disgrâce,  le  comte  de  C>ézy. 

On  le  voit^  dans  inic  ordonnance  de  1800  iVancs 

poiu-  un  semestre  de  ses  appointements  datée  de 

1635,   nommé  «  ci-devant  ambassadeur,  faisant 

à  présent  les  affaires  de  ladite  ambassade.   »   Il 

eut,    au   rapport  de    Sagredo ,   à  l'occasion  des 

réjouissances   qu'il    célébrait    en    1638    pour   la 

naissance  de  Louis  XIV,  le  désagrément   d'être 

obligé  de  courir  nu -tète  hors  de  son  palais  pour 

se  faire  rendre,  avec  gi-and'peine,  son  iïls  que  le 

Bostandji  bachi  menait  en    prison  ,  sur  le  motif 

que  ce  jeune  homme  avait  répondu  avec  hauteur 

aux  interrogations  que  cet  officier  tiu-c,  passant 

devant  le  palais,  lui  fit  sur  la  cause  du  bruit  qu'il 

entendait. 

Le  premier  arrangement  pour  le  payement 
des  dettes  du  comte  de  Cézy  ne  fut  pas  exécuté  : 
il  se  vit  forcé  d'en  ajouter  de  nouvelles  aux 
anciennes.  Enfin  M.  de  la  Haye,  son  successeur 
à  l'ambassade,  reçut  un  ordre  positif  de  les  acquit- 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  211 

ter  jusqu'à  la  concurrence  de  330,000  piastres, 
valeur  en  draps  de  France  qui  furent  fournis  par 
un  négociant  nommé  Luquet.  La  cour  se  défiait 
de  l'obéissance  du  comte  de  Gézy,  relativement 
à  son  retour  en  France  qui  lui  était  formellement 
prescrit.  Son  successeiu-  eut  ordre  de  l'y  enga- 
ger par  de  bonnes  manières,  et  même  de  l'y 
forcer,  s'il  le  fallait,  en  s'adressant  aux  ministres 
turcs  pour  lesquels  on  lui  donna  des  lettres  ad  hoc. 
Cette  précaution  paraît  avoir  donné  lieu  à  la 
méprise  de  M.  de  Bonac  qui  dit  que  le  comte  de 
Cézy  avait  été  enlevé  dans  son  lit  et  conduit  à 
bord  des  vaisseaux  du  Roi,  avant  que  son  succes- 
seur mît  pied  à  terre.  Un  joiu'nal  tenu  par  les 
capucins  de  Péra  place  positivement  à  la  date  du 
13  juillet  1640,  le  départ  du  comte  de  Cézy  poiu' 
la  France  :  or  M.  de  la  Haye  était  arrivé  à 
Constantinople  dès  le  mois  d'octobre  1639.  L'ar- 
rangement des  dettes  de  son  prédécesseiu-  exi- 
gea, sans  doute,  pendant  quelques  mois  la  pré- 
sence de  ce  dernier. 

HENRI   DE   GOUllNAY,  Comtk  de  Marcheville 

On  a  déjà  dit  dans  l'article  précédent  que  le 
comte  de  Marcbcville  était  arrivé  par  mer  à 
Constantinople  à  la  fin    de    1639.  ^^  ^'^^^  passage 


jij  MIMOII'.  t 

(IcvaiiL  Sci<j,  l'escadre  des  {^''alères  du  (jraïul 
Sei^neiii-  coinmandée  pai*  le  ("apitaii  l'acha  s'y 
trouvait  au  inoiiilla^^e.  (iei  amiral  eiivova  à  bord 
(lu  vaisseau  de  l'ambassadeur  pour  lairc  baisser 
le  |ia\illoii  français  ei  pour  percevoir  un  droit 
(ju'il  prenait  de  tout  bâtiment  franc  cju'il  trouvait 
à  la  mei- :  il  exig'ea  nième  cpie  l'ambassadeur  lui 
fît  visite  et,  après  cpielcpic  résistance,  il  l:illiit  en 
passer  |)ar  là.  Marcheville,  à  son  arrivée  a  C^on- 
stantinople,  en  porta  des  plaintes  fi  la  Porte  ;  mais 
comme  cet  amiral  était  alors  en  grand  crédit,  il 
ncn  résulta  qu'une  grande  inimitié  entre  eux,  et 
l'ambassadeur  ne  tarda  pas  à  en  ressentir  les 
effets.  Laluite  d'un  esclave  à  bord  d'un  bâtiment 
français,  où  le  rils  de  l'ambassadeur,  partant 
pour  la  Fi-ancc,  s'était  embarqué,  y  donna  lieu. 
Cette  évasion  lui  fut  imptitée.  11  i\it  mis  en  pri- 
son et  il  n'en  sortit,  selon  Ricaut,  que  parce  que 
les  ambassadeurs  d'Angleterre  et  de  \''enise  uni- 
rent en  sa  faveur  letu-s  démarches  à  celles  dti 
comte  de  Marcheville  qu'ils  accompagnèrent  chez 
les  ministres  de  la  Porte.  La  réédification  du 
palais  de  France  occasionna  peu  après  un  autre 
incident  :  «  A  mon  arrivée,  écrit  M.  de  Marche- 
ville,  le  logis  de  l'ambassadeur  était  si  infâme, 
qu'on  ne  se  pouvait  imaginer  qu'un  ambassadeur 
effectif  pi'it   y   demeurer.     >    Il   jugea    à    propos 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQ'JIE.  213 

d'ajouter  dans  le  nouveau  bâtiment,  deux  cha- 
pelles, l'une  publique,  l'autre  intérieure.  Le  Capi- 
tan  Pacha,  en  étant  informé,  profita  du  temps 
d'une  conférence  qu'il  tint  à  l'arsenal,  le  24  jan- 
vier 1634,  avec  les  ambassadeiu's  de  France, 
d'Angleterre,  de  Venise  et  le  résident  de  Hol- 
lande pour  envoyer  démolir  la  chapelle  publique, 
sous  prétexte  qu'elle  avait  vue  sur  le  sérail.  Des 
domestiques  qui  s'échappèrent  de  cette  bagarre 
vinrent  en  avertir  Marcheville  au  moment  de  la 
sortie  de  la  conférence.  Il  rentra  chez  le  Capi- 
tan  Pacha,  faisant  de  vives  plaintes  sur  cette  vio- 
lence à  laquelle  l'amiral  nia  effrontément  d'avoir 
pris  part.  11  fit  accompagner  l'ambassadeur  par 
un  officier  de  l'arsenal  qui  arrêta  la  démohtion. 
Ce  répit  vint  à  propos  pom*  donner  le  temps 
d'abattre  pendant  la  nuit,  la  chapelle  intérieure, 
car,  dès  le  lendemain,  le  Grand  Seigneur  envoya 
reconnaître,  si  elle  existait  encore.  Le  journal 
des  jésuites  dit  que  les  scellés  furent  mis  alors 
sur  toutes  les  églises;  il  ajoute  qu'on  enleva  les 
armes  qui  se  trouvaient  dans  les  maisons  des 
étrangers,  sans  excepter  celles  des  ambassa- 
deurs, qu'en  outre,  il  fut  imposé  sur  les  Francs 
une  avanie  générale  de  quarante  mille  écus 
d'Espagne,  et  que  trois  d'entre  eux  furent  saisis 
comme  otages  pour  répoiuh-c  au   pavement  total 


j,4  \i  I, mon;  1. 

ail    pcnl    (le    Iciii"   vie.    I.cs    lialjit.inis   {.\c    (jal.iia 
rcclanièrcnt,  à  celte  occiisioii,  auprès  de  la  l'orie, 
les    |)rivilé{4"es  de  la    capiiiilaiioii  (pravaiem  laite 
leurs  ancêtres,  lorscpi'ils  rendirent  ce  laubourf^à 
Malioniet  II.  dette  démarche  secondée  d'un  ()ré- 
seiit  de  4, ()()()   piastres  calma    la   jiersécution,  et 
les  églises  furent  rouvertes;  ce  tut  la  iin  de  cette 
étrange  scène.  !  .e  comte  de  Marcheville  éprouva 
un    nouvel   accident  à  l'occasion  des    démarches 
pressantes  cpi'il  fit  à  la  Porte,  conformément  aux 
ordres  que  le  père  Joseph   du  'Iremhlay  lui  fai- 
sait envoyer  de  la  coin-  pour  solliciter  la  délivrance 
du  bagne  de  cinq  capucins  que  le  Capitan  Pacha 
y  avait  amenés  de  Saïda,  où   ils  avaient  commis 
quelques  désordres.  Cet  amiral,  plus  que  jamais 
en  faveur,  à  cause  d'une  victoire  qu'il  avait  rem- 
portée contre   les   Druzes,  se  voyant  inculpé  par 
le  comte   de    Marcheville   sur  la   détention    des 
capucins,  s'en  prit  au  drogman  de  l'ambassadeur, 
nommé  Balthazar  Motto,  de  nation  arménienne. 
nie  dénonça  au  Grand  Seigneur  comme  un  intri- 
gant et  un  brouillon  et  il  manœuvra  de  telle  sorte 
que  le  Sultan  fit  pendre  cet  interprète,  ayant  sur 
la  tète  son  bonnet  de  velours  rouge  qui  était  alors 
la   coiffure  distinctive  de  ces  ofHcicrs.   L'amiral 
turc  ne  borna  pas  là  sa  rancune  ;  ayant  fait  pré- 
venir, le  2  mai   1634,   le   comte  de  Marcheville 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  215 

de  se  rendre  à  l'arsenal,  il  lui  fut  signifié  que  le 
Grand  Seigneur,  alors  à  Andrinople,  avait  envoyé 
un  commandement  pour  le  faire  sortir  de  sa 
capitale  et  de  son  empire.  Sans  vouloir  lui 
communiquer  cette  pièce,  on  le  fit  monter 
sur-le-champ  dans  une  galère,  n'ayant  d'autre 
suite  que  trois  de  ses  pages,  et  il  fut  conduit 
à  bord  d'un  bâtiment  français  que  la  galère 
remorqua  hors  du  port.  Ses  gens  eiu-ent  trois 
jours  poiu'  évacuer  le  palais,  avec  défense  sous 
peine  de  la  vie  de  rester  à  Constantinople.  Le 
Grand  Seigneur  écrivit  au  Roi,  sur  le  renvoi  du 
comte  de  Marcheville ,  disant  qu'il  avait  été 
nécessité  par  les  plaintes  que  les  voisins  du 
palais,  lésés  lors  de  sa  réédification  ,  avaient 
faites  contre  cet  ambassadeur. 

JEAN    DE    LA    HAYE,    Shigkeur  de   V'antelec. 

M.  de  la  Haye  est  le  premier  homme  de 
robe  qui  ait  été  ambassadeur  à  ("onstantinople. 
II  termina,  ainsi  qu'il  lui  était  prescrit,  l'affaire 
des  dettes  de  son  prédécesseur.  Les  premières 
années  de  son  ambassade  furent  tranquilles,  mais 
l'enlèvement  d'un  vaisseau  turc  par  les  galères 
de  Malte,  en  1644,  ayant  occasionné  la  guerre 
de  Candie,  sous  prétexte  que  la  prise  y  avait  été 


2i(,  M  f,  M(JlH  1 

d'iiboiil  coiuluilc,  l'imércl  que  le  [iui  j)rii  pour 
la  l<c|)ul)li([uc  de  Venise,  el  les  diliérents  secours 
qu'il  lui  lit  |)asser  dans  cette  guerre,  inireul 
M.  de  la  I  laye  d'autani  |)lus  dans  le  cas  de  se 
compromettre  vis-à-vis  de  la  Porte  que,  dans  le 
même  temps,  il  suivait  avec  elle  une  négociation 
presque  continuelle  |)()ur  le  rétablissement  de  la 
paix,  (^est  pour  cela  que  le  sieur  de  Vantelec 
son  i\\s,  et  le  sieur  de  Varenncs  lui  i  urent,  à  divers 
temps,  expédiés  par  la  cour  avec  des  proposi- 
tions d'accommodement. 

Ces  démarches  avaient  nécessairement  mis 
l'ambassadeur  dans  une  correspondance  coiu-ante 
avec  la  République.  Le  chevalier  de  Gremonville, 
amiral  de  Venise,  profuant  de  l'occasion  d'un 
Français,  nommé  Vertamon,  qui  allait  à  Con- 
stantinople  lui  confia  une  lettre  pour  M.  de  la 
Haye. 

Vertamon  crut  faire  sa  fortune  en  la  remettant 
au  grand  vizir  et  en  prenant  le  turban.  C'était  le 
fameux  Méhémet  Pacha,  le  premier  des  Kupruly. 
11  en  voulait,  dit-on,  à  M.  de  la  Haye  parce  qu'il 
avait  néglig-é  de  lui  faire,  à  son  avènement  au 
vizirat ,  les  présents  alors  en  usage.  Kupruly 
trouvant  que  la  lettre  était  chiffrée,  fit  chercher 
le  secrétaire  de  l'ambassadeur  qui  avait  ses  tables. 
Cet  homme  se  cacha  et  le  secrétaire  d'ambassade 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  217 

fut,  à  son  défaut,  amené  an  Caïmakan  auquel  il 
déclara  que  M.  de  la  Haye  le  fils  pouvait  seul 
suppléer  au  fugitif.  En  conséquence,  ce  jeune 
homme  fut  conduit  de  force  à  Andrinople  où 
était  le  Sultan.  Kupruly  lui  demanda  le  déchif- 
frement de  la  lettre,  mais  il  en  reçut  une  réponse 
si  peu  mesiu'ée,  qu'elle  lui  valut  quelques  gour- 
mades  et  la  prison.  Le  père,  qui  sortait  d'ime 
attaque  de  goutte,  partit  à  la  hâte  poiu-  venir  au 
secoiu's  de  son  fils.  Lorsque  cet  ambassadeur 
parut  devant  le  vizir  il  fut  apostrophé  de  Tépi- 
thète  de  traître  et  mis  aux  arrêts  dans  sa  maison. 
La  détention  de  M.  de  la  Haye  dura  pendant 
toute  la  campagne  que  le  grand  vizir  alla  faire  en 
Hongrie.  A  son  retour  lorsqu'on  lui  parla  d'eux, 
Ah!  ces  messieurs  sont  encore  ici!  dit-il  d'un  ton 
ironique,  et  il  les  fit  relâcher.  Il  voulait  absolu- 
ment les  renvoyer  droit  en  France  par  la  Hongrie, 
et  ce  ne  fut  pas  sans  peine  qu'ils  obtinrent  de 
retourner  à  Constantinople  où  le  Caïmakan  leiu- 
signifia  de  s'apprêter  au  départ,  et  chargea  un 
chiaoux  d'y  veiller.  Les  négociants  français 
allèrent  en  corps  déclarer  au  Caïmakan  qu'ils 
désiraient  suivre  en  France  l'ambassadeur  ;  mais 
il  leur  fut  enjoint  de  continuer  leur  négoce  et  de 
proposer  quelque  bonne  tète  parmi  eux  pour  solli- 
citer à  la  Porte  ce  qui  concernerait  les  affaires 


3iH  MI.MiJllil, 

(le  leur  coiniiicrfc.  Il  v  a  lieu  de  croire  que  le 
gnind  vi/ir  ne  voulait  plus  du  secrétaire  de 
M.  de  la  I  iaye,  nommé  la  l'orest,  (jue  cet  aml)a.s- 
sadeur  pendant  sa  détention  à  Andrinople  avait 
chargé  desaihures  de  l'ambassade.  Sur  ces  entre- 
laites  aiTiva  le  sieur  Hlondel,  mai'échal  de  camp, 
envoyé  de  I.ouis  XI \'  auprès  de  Télectem-  de 
Brandebourg,  et  expédié  en  poste  jKir  ce  mo- 
narque siH-  la  nouvelle  des  arrêts  de  M.  de  la 
Haye. 

Le  vizir  revenu  à  Constantinople  donna  au- 
dience au  sieur  Blondel  qu'il  reçut  bien  et  pressa, 
dans  l'envie  de  se  débarrasser  tout  à  fait  de  l'am- 
bassadeur, d'en  prendre  le  caractère.  Sa  résis- 
tance irrita  Kiipruly  qui,  changeant  de  ton  à  son 
égard,  l'empêcha  d'avoir  du  (irand  Seigneur  l'au- 
dience qu'il  demandait  pour  remettre  à  Sa  Hau- 
tesse  une  lettre  du  Roi.  Blondel  ne  put  pas  même 
obtenir  des  chevaux  de  poste  pour  son  départ. 
Il  fallut  qu'il  s'en  retournât  par  mer,  non  sans 
éprouver  encore  de  ce  cùté  des  difficultés  pois- 
son embarquement.  Peti  après  M.  de  la  Haye 
qui  différait  toujours  pour  avoir  le  temps  de  rece- 
voir son  rappel  dti  Roi,  fut  pris  à  partie  par  le 
grand  vizir  pour  le  payement  de  36,000  piastres  de 
marchandises  d'Egypte,  destinées  au  sérail,  et 
que  les  capitaines  des  bâtiments  français  qui  les 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  219 

avaient  chargées  à  Alexandrie,  avaient  été  vendre 
en  Italie.  L'ambassadeur,  faute  d'y  satisfaire  sur- 
le-champ,  fut  conduit  aux  Sept-Tours  par  le 
Chiaoux  bachi  le  19  octobre  1660,  après  avoir 
consenti  au  choix  que  fit  la  nation  française  d'un 
nég"Ociant,  nommé  Roboly,  poursuivre  à  la  Porte 
les  aifaires  courantes.  La  prison  de  M.  de  la 
Haye  dura  trois  mois  ;  il  en  sortit  lorsque  la 
somme  eut  été  payée  avec  des  fonds  qu'on  fit 
venir  de  Smyrne.  Eniîn,  ayant  reçu  son  rappel  de 
la  Cour,  il  s'embarqua  avec  son  iils  le  21  juillet, 
sans  prendre  d'audience  de  congé,  et  il  mourut 
peu  de  temps  après  à  son  arrivée  à  Paris. 

JEAN    FRANÇOIS    ROBOLY. 

On  a  vu  que  le  sieur  Roboly,  négociant,  avait 
été  choisi  par  ses  confrères  de  l'aveu  de  AL  de 
la  Haye,  pour  son  substitut.  Il  eut  audience  du 
grand  vizir  le  24  octobre  1660,  cinq  jours  après 
l'emprisonnement  de  l'ambassadeur  et  le  départ. 
11  reçut,  pendant  son  intérim,  deux  lettres  du 
Roi  dont  l'adresse  le  qualifiait  de  résident. 
Kupridy  avait  écrit  à  Louis  Xl\'  pour  se  jus- 
tifier du  renvoi  de  M.  de  la  Haye,  demandant 
au  Roi  un  nouvel  ambassadeur.  Deux  courriers 
de    cabinet,    nonnnés    Fontaine    et    l^upressoir. 


M  I.  MOI  Kl 


aj)|)ortci'ciii  une  icj)()iisc  du  i<ni  au  vi/.ir  :  et 
les  letti'es  (urciit  présemés  par  le  résulcnt  Kob'jlv- 
La  corresj)()n(lat)ce  se  serait  prolKibleinem  réta- 
blie dès  lors,  sans  la  mort  de  J\upridv  ([ui  sni\it 
de  pi'ès.  Son  (ils  lui  ayaiu  succédé,  le  Koi  lui 
e\|:)édia,  eu  1664.  le  même  i'cjiitaiue  cpii  lut  pris 
à  son  retour  |)ar  les  liarbarescjues.  I^nlin  en  1665, 
Diipressoir  vint  annoncer  à  la  l^orte  que  le  sieur 
de  Ja  Haye  le  llls,  avait  été  noninij  à  l'anibassadc 
de  son  père,  il  était  temps  de  relever  Koboly. 
Les  Français  se  plaignaient,  au  sujet  de  leur  com- 
merce, qu'il  ne  manquait  de  sacrifier  leurs  inté- 
rêts quand  il  y  trouvait  la  convenance  des  siens 
propres.  On  cite  aussi  c|uc  la  justice  turque  se 
vit  une  fois  dans  le  cas  de  forcer  ses  magasins, 
probablement  pour  affaire  de  contrebande.  Enfin, 
il  y  etit  des  accusations  contre  lui,  et  faute  de 
pouvoir  les  signifier  dans  la  chancellerie  de 
France,  celle  d'Angleterre  en  reçut  les  actes. 
Tout  cela  était  fort  indécent  et  servit  à  hâter 
l'arrivée  du  nouvel  ambassadeur.  Roboly  sortit 
du  palais  selon  l'ordre  qu'il  en  avait  reçu  dtiRoi, 
et  il  continua  son  commerce  en  Levant  avec  peu 
de  bonheiu-.  Sa  postérité  y  existe  encore  en  plu- 
sieurs branches,  toutes  dans  la  pauvreté.  C'est 
au  temps  de  cette  agence  qtie  le  marquis  de  Bo- 
nac    rapporte    l'incendie   de    la    chancellerie    du 


SUR    L'AMBASSADE    D  t.    TURQUIt.  221 

palais  de  France  et  la  perte  de  tous  les  papiers 
qui  s'y  trouvaient. 

DENIS    DE   LA    HAYE,   sikur   dh  Vaxtelec. 

M.  de  Vantelec  arriva  à  Constantinople  sur 
le  vaisseau  du  Roi,  le  César,  le  i"  décembre  1665. 
Il  dut  cette  ambassade  à  l'idée,  mal  fondée,  qu'il 
sut  faire  inspirer  à  Louis  XIV  que  sa  gloire  était 
intéressée  à  ce  que  les  affronts  que  Messieurs 
de  la  Haye  père  et  fils  avaient  éprouvés  en  Tur- 
quie, y  fussent  réparés  dans  la  personne  de  ce 
dernier  ;  les  circonstances  n'y  étaient  guère  favo- 
rables. Ahmed  Kupruly  avait  été  battu  l'année 
précédente  à  la  bataille  de  Saint-Gotthard  par  le 
comte  de  Montecucidli,  commandant  l'armée 
impériale  fortifiée  d'ini  corps  auxiliaire  de  Fran- 
çais. Ce  secours  avait  ulcéré  les  Tiu*cs  contre 
la  France,  sans  inspirer  grande  reconnaissance 
à  l'Empereiu*.  Le  comte  de  Lesly,  que  ce  prince 
avait  envoyé  en  ambassade  à  la  Porte  après  la 
trêve  qui  s'était  conclue  ,  ne  marqua  à  l'ambas- 
sadeiu-  du  Roi  auciuie  sorte  d'égards,  et  il  partit 
sans  le  voir.  M.  de  Vantelec  fut  accueilli  assez 
froidement  par  le  grand  vi/ir.  A  la  première  au- 
dience qui  Un'  fut  accordée,  il  ne  l'ut  pas  question 
d'affaires.    Mais   dans    une  seconde  ([ui   eut  lieu 


222  MI.MOIHI 

peu  (le  jdiiis  ;i|)ies,  r;mil):issa(lciir  :iy:iiit  entamé 
la  (Icniaïule  d'iiiie  ré()aration  des  oiitra^'-es  faits 
à  son  père  el  à  iui-mèiiie:  •  .le  sais,  répondit  \)n\- 
talenient  le  vizir,  comment  on  doit  a^nr  avec'  les 
infidèles.  »  M.  de  X'anieJec  se  contint  el  repiàt, 
(pfenvoyé  pai-  un  <;rand  prince,  d  ne  venait  pas 
mendier  faiiiitié  de  la  l^^rte,  mais  aliérmir  celle 
(pii  unissait  depms  longtemps  les  deux  empires. 
Voyant  cpie  le  vizir  gardait  le  silence,  il  ajouta 
que  si  ses  avances  n'étaient  pas  correspondiics, 
il  avait  ordre  de  remettre  à  la  Porte  les  instru- 
ments des  traités  entre  les  deux  puissances  et  de 
s'en  retourner.  En  conséquence,  il  tira  les  papiers 
de  sa  poche,  les  jeta  sur  le  sopha  et  sortit.  Ku- 
pruly  irrité  ordonna  au  Chiaoux  bachi  de  retenir 
l'ambassadeur  qu'on  conduisit  dans  une  chambre 
voisine,  où  il  passa  trois  jours,  ayant  la  liberté  de 
faire  venir  du  palais  de  France  tout  ce  dont  il 
avait  besoin.  Ce  temps  fut  employé  à  négocier 
entre  le  vizir  et  M.  de  Vantelec  par  l'entremise 
du  Capitan  Pacha.  La  supposition  que  le  paquet 
de  papiers  jeté  sur  le  sopha  avait  rebondi  jusqu'cà 
son  estomac  fut  un  grief  que  le  vizir  mit  en  avant. 
Il  déclara,  au  reste,  qu'il  n'avait  pas  prétendu 
apostropher  l'ambassadeur,  mais  seulement  ses 
interprètes;  enfin,  que  M.  de  Vantelec  n'avait 
jamais  dû  se  regarder  comme  détenu,  la  maison 


SUR    I.AMHASSADK    DE    l'URQUlK.  223 

du  grand  vizir  n'étant  pas  une  prison.  Il  fut  con- 
venu que  le  passé  serait  regardé  comme  non 
avenu  et  que  l'ambassadeur  prendrait  ime  autre 
audience  sur  nouveaux  fiais,  ce  qui  s'exécuta 
peu  de  jours  après.  Kupruly  le  vit  d'abord  en  par- 
ticulier et  le  traita  à  merveille  ;  ensuite  il  le  reçut 
en  public  avec  des  distinctions  plus  qu'ordinaires, 
et  il  le  congédia  en  l'assiu-ant  qifil  pouvait  s'a- 
dresser à  lui  en  tous  temps,  désirant  prouver  par 
des  effets  combien  il  faisait  cas  de  l'amitié  du 
Roi.  La  puissance  de  Louis  XIV  s'élevait  alors  et 
avait  fait  faire  des  réflexions  au  grand  vizir,  et 
modéré  sa  fierté  naturelle.  Sans  lui,  M.  d'Apre- 
mont,  commandant  le  vaisseau  du  Roi,  eût  été  la 
victime  de  la  ciu-iosité  qu'il  avait  eue  de  s'appro- 
procher  dans  sa  felouque  du  bateau  du  Grand 
Seigneur  qui  traversait  le  port,  afin  de  le  voir  de 
près,  ce  que  ce  prince  regarda  comme  un  manque 
de  respect.  Cet  ofiicier,  saisi  par  ordre  de  Sa 
Hautesse,  coiu-ait  risque  de  perdre  la  vie  sur 
l'heure,  si  le  Bostandji  bachi  n'eut  proposé  et 
obtenu  de  l'envoyer  au  grand  vizir.  Kupruly  prit 
la  chose  comme  il  convenait  et  remit  M.  d'Apre- 
inont  à  l'ambassadeiu'  avec  intimation  de  le  châ- 
tier; ce  qu'on  jug-e  bien  qui  n'eut  pas  lieu. 

Madame  de  Vantelec  avait  suivi  son  mari  en 
Turquie.  Cette  dame  eut  la  fatuaisie  de  voir  les 


M  IMOI  U  I 


224 

cércmonics  de  l'I^^lisc  grecque  a  la  pali-iarcliale  ; 
mais  au  /\7.v  Icciiin,  les  dames  f^rccques  venant 
l'une  après  l'autre  lui  donner  laccolade,  elle 
s'enfuit  à  la  moitié  de  cette  cérémonie  sans  assis- 
ter à  une  belle  collation  (|iie  le  j)atriai-che  lin  avait 
Tait  préparer. 

Loins     Xl\'    avait    spécialement    ordonné    à 
M.  de  Vantelcc  de  tâcher  d'cmpèchcr  l'admission 
d'un  ministre  génois  à  la  Porte,  (^ette  république 
ayant  fait  part   au  Roi  de  l'envoi   qu'elle  faisait 
en  Turquie  de  M.  Durazzo  :   «   Je  souhaite  bon 
voyage,  répondit   ce  monarque  à  l'ambassadeur 
de  la  République,  mais  je  ne  sais  ce  que  le  notre 
aura  fait  à  son  sujet.  »  Le  vizir  n'eut  aucim  égard 
aux  représentations   de  iM.  de   Vantelcc  sur  cet 
objetj  il  lui  en  marqua  encore  moins   dans  une 
affaire   qui  survint  en   1667.   Des  corsaires  mal- 
tais pillèrent  en  Levant  un  navire  français  chargé 
d'effets  turcs;  l'ambassadeur  sommé  d'en  acquit- 
ter sous  trois  jours,  la  valeur  montant  à  10,000  pias- 
tres, jugea  à  propos  d'en  conférer  avec  les  négo- 
ciants de  sa  nation.  11  fur  délibéré  de  payer  et  de 
se  remplir  de  la  somme  aux  dépens  du  premier 
navire  qui  arriverait  de  France.  On  s'y  décida; 
M.  de  Vantelec  craignait  sans  doute  d'être  traité 
comme  l'avait  été  son  père,  en  pareil  cas,  quelques 
années  auparavant.  U  fut  lui-même  remettre  cet 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  225 

argent  au  Caïmakan,  et  l'engagea  à  signer  la 
relation  de  cette  audience  qui  fut  envoyée  au 
Roi. 

Cette  avanie  piqua  Louis  XIV,  que  l'ambassa- 
deur, de  son  côté,  excita  à  mettre  de  la  vigueur 
en  cette  occasion.  Quatre  vaisseaux  de  guerre 
furent  expédiés  à  Constantinople  pour  en  rame- 
ner M.  de  Vantelec  auquel  Louis  XIV  écrivit 
qu'il  ne  le  rappelait  pas  pour  cause  de  mécon- 
tentement, mais  que  ce  parti  était  nécessaire, 
vu  le  secours  d'un  corps  de  troupes  qu'il  envoyait 
en  Candie  en  faveiu-  des  Vénitiens.  L'escadre 
arriva  à  Constantinople  le  2  janvier  1669.  Char- 
din prétend  que  les  Turcs,  auxquels  elle  fit 
quelque  impression  de  crainte,  ne  se  rassurèrent 
que  siu*  la  demande  que  le  commandant  fit  à  la 
Porte  de  l'approvisionner  de  biscuit,  voyant  par 
ce  besoin-là  qu'ils  pouvaient  l'affamer.  Le  Grand 
Seigneur  était  alors  à  Larissa,  en  Thessalie,  et 
le  vizir  au  siège  de  Candie.  Ce  fut  au  Caïmakan 
de  Constantinople  que  l'ambassadeur  signifia  son 
rappel.  Comme  il  n'était  pas  remplacé,  le  ministre 
tiux  déclara  qu'il  ne  pouvait  laisser  embarquer 
M.  de  Vantelec  avant  d'en  avoir  rendu  compte 
au  Sultan.  La  réponse  de  Sa  Hautesse  fut  que 
l'ambassadeur  vînt  le  trouver  à  Larissa;  il  partit, 
bien  décidé,  disait-il,  à  persister  sur  la  liberté  de 

'5 


J26  Mf  M(Jll{l 

son  clcjjarL,  mais  C.'liardm  cl  M.  de  lionai  dou- 
tent (le  sa  sincérité  à  cet  é^ard.  (>omnic  on  chcr- 
cliait  à  raniiiser,  on  fennt  sin-  le  tapis,  lorscju'il 
lut  à  Larissa,  une  négociation  pour  le  renouvelle- 
ment des  caj)itulaiions  cpie  M.  de  Vantcicc  solli- 
citait vainement  depuis  soti  arrivée.  I.e  |)rojet  en 
fut  cotnnuiniqué  au  ^rand  vizir;  mais  il  répondit 
qu'il  n'y  avait  pas  de  fond  à  faire  sin-  un  ambas- 
sadeur rappelé  par  son  maître  et  qu'il  fallait, 
avant  tout,  envoyer  en  France  savoir  les  vraies 
intentions  dti  Roi.  M.  de  Vantelec  se  prêta  à  cet 
expédient  et  fit  embarquer  à  sa  place  sur  les 
vaisseatix  du  Roi  un  muteferrica  nommé  Sulei- 
man  Aga ,  désigné  par  Kupruly  pour  cette  com- 
mission. Après  son  départ  l'ambassadeur  retourna 
à  Constantinople. 

M.  de  Vantelec  avait  donné  ce  Turc  à  sa  cour 
comme  ministre  public.  On  n'en  fut  désabusé 
qu'à  l'audience  qu'il  eut  dti  Roi.  Ce  prince  remit 
la  lettre  de  Sa  Hautesse  au  chevalier  d'Arvieux, 
qui  faisait  fonctions  d'interprète,  et  qui  ne  trouva 
pas  qtie  Suleiman  y  fut  qualifié  du  mot  Eltchi  ou 
ambassadeur;  les  frais  de  sa  réception  étaient 
faits,  et  M.  de  Lionne,  alors  secrétaire  d'État 
des  affaires  étrangères,  avait  affecté  toutes  les 
formes  des  vizirs.  Le  Turc  le  prit  pour  tel;  mais 
Lionne  se  mit  en  devoir  de  le  désabuser.    <i  Je 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  227 

ne  suis  pas  venu  ici,  répliqua  Suleiman,  pour 
apprendre  le  degré  d'autorité  que  le  Roi  vous 
confie;  il  me  suffit  de  savoir  que  je  dois  m'adres- 
ser  à  vous.  »  La  résolution  de  rappeler  M.  de 
Vantelec  fut  confirmée.  Louis  XIV  penchait 
à  ne  le  remplacer  que  par  im  simple  agent;  le 
chevalier  d'Arvieux  fut  désigné  pour  remplir  cet 
emploi  ;  mais  MM.  de  Louvois  et  Colbert,  désirant 
cette  ambassade  pour  M.  de  Nointel  qui  avait 
été  à  Constantinople  du  temps  de  M.  delà  Haye 
le  père,  firent  valoir  le  vœu  des  Marseillais  pour 
l'envoi  d'un  ministre  du  premier  rang,  et  ils  déci- 
dèrent en  faveur  de  leur  protégé  le  choix  du  Roi. 
M.  de  Vantelec  repartit  en  décembre  1670  sur 
les  vaisseaux  qui  avaient  amené  son  successeur. 
Il  devint,  dans  la  suite,  ambassadeur  de  France 
à  Venise. 

CHARLES    FRANÇOIS    OLIER    DE    NOINTEL. 

Le  chevalier  d'Arvieux  raconte  avec  beaucoup 
de  détails,  dans  ses  mémoires,  ce  qui  a  rapport 
au  début  de  M.  de  Nointel  :  cet  auteur  dit  que 
M.  de  Lionne  ayant  présenté  à  Suleiman  Aga  le 
nouvel  ambassadeur,  revêtu  de  sa  robe  de  con- 
seiller au  Parlement,  ce  Turc  le  prit  pour  un 
prêtre  ;  Thabit  des  Popes  grecs  y  ayant  assez  de 


22H  M  I.VKJIH  K 

rapport.  Al.  de  Nointcl  iic  larda  j)a.s  à  se  rendre 
à  Marseille  avec  Sulciman  .\^:i  dans  un  équipage 
pompeux,  lis  s'embarc|uèrent  sur  une  escadre  de 
quatre  vaisseaux  de  guerre,  commandée  par 
M.  d'Apremoiit.  ([ui  arriva  devant  (^onstantinople 
le  22  octobre  1670.  (^e  commandant  ne  salua  pas 
le  sérail,  n'ayant  pu  obtenir  préalablement  |)ro- 
messe  de  restitution  du  salut  qu'il  exigeait  et 
qu'on  n'était  pas  dans  l'usage  de  rendre.  M.  de 
Nointel  vint  immédiatement  au  palais  et  y 
demeura  quelques  jours  pour  les  préparatifs  de 
son  entrée,  cérémonie  qui  n'a  pas  été  pratiquée 
depuis  par  aucun  autre  de  ses  successeurs, 
excepté  par  le  marquis  de  Villeneuve,  à  son 
retour  de  Belgrade.  La  description  de  cette 
entrée  que  donne  d'Arvieux  manque  à  certains 
égards  d'exactitude.  11  est  à  observer  que  MM.  de 
Nointel  et  de  Vantelec  marchaient  à  cheval  sur 
la  même  ligne,  le  dernier  ayant  la  droite,  et 
qu'ils  étaient  précédés  par  le  Chiaoux  bachi  et  le 
voïvode  de  Galata.  Le  Grand  Seigneur  se  trou- 
vant à  Andrinople,  le  nouvel  ambassadeur  s'y 
rendit.  Il  avait  ordre,  ainsi  que  c'était  alors  le  ton 
en  France,  de  faire  grand  étalage  de  la  puissance 
du  Roi,  à  quoi  il  ne  manqua  pas  à  la  première 
audience  que  lui  donna  le  grand  vizir.  Ce  minis- 
tre, selon  Chardin,   en  fut  impatienté.   «Votre 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  229 

maître,  reprit-il ,  est  un  puissant  prince,  mais 
son  épée  est  encore  neuve.  »  Kupruly  fut  encore 
plus  aigri  par  la  mention  que  £t  l'ambassadeur  de 
l'amitié  sincère  de  la  France  pour  l'Empire  otto- 
man. ((  Les  Français,  répliqua  le  ministre  turc, 
sont  nos  amis  sans  doute,  mais  je  les  ai  trouvés 
partout  avec  nos  ennemis.  »  Cela  n'offrait  pas  de 
favorables  dispositions  au  renouvellement  des 
traités ,  d'autant  plus  que  M.  de  Nointel  avait  à 
proposer  une  addition  d'articles  importants;  il 
crut  bien  faire  d'en  parler  à  l'audience  qu'il  eut  de 
Sa  Hautesse,  mais  elle  le  renvoya  au  grand  vizir 
qui  ne  voidut  entendre  à  rien  innover  dans  l'ancien 
texte.  Ce  ministre  partit  pour  l'armée  en  fixant 
à  M.  de  Nointel  le  terme  de  six  mois  dans  lequel 
le  Roi  aurait  à  s'expliquer  par  oui  ou  par  non,  ce 
dont  il  rendit  compte  à  sa  cour.  Le  chevalier 
d'Arvieux  auquel  on  donna  dans  son  passe-port 
la  qualité  d'envoyé  extraordinaire,  fut  expédié  à 
cette  occasion  à  Constantinople  et  conduit  par  un 
vaisseau  du  Roi,  commandé  par  M.  de  Reuilly. 
Kupruly,  qui  partait  pour  porter  la  guerre  en 
Pologne,  ne  tint  pas  grand  compte  de  l'insistance 
du  Roi  sur  ses  demandes  et  ne  voulut  pas  démordre 
de  son  premier  mot,  quoique  M.  de  Nointel  lui 
eût  signifié,  qu'en  cas  de  refus,  il  avait  l'ordre 
précis    de    s'embarquer.    Cet    ambassadeur    prit 


ajo  MK.MOIHK 

toutefois  le  |):irti  de  (lenieiii-er,  et  d'Arvieux  s'en 
retourna  seul  sur  le  vaisseiiu  du  Koi.  Le  succès  de 
la  guerre  que  Louis  XIV  entreprit  contre  les  Hol- 
landais et  la  défaite  qui  suivit  les  premières  vic- 
toires des  Turcs  contre  les  Polonais,  firent  reve- 
nir le  gfand  vi/ir  sur  la  négociation  delà  France. 
11  reprit  cette  affaire  en  1673,  ^^  ayant  appelé 
Tambassadeur  à  Andrinople,  il  conclut  le  renou- 
vellement des  capitulations.  Cet  événement  fut 
fort  célébré  en  France.  Le  chevalier  d'Arvieux 
rapporte  qu'on  cria  dans  les  rues  de  Paris  des 
relations  imprimées  ayant  pour  titre  :  '<  le  renou- 
vellement et  la  nouvelle  alliance  du  Grand  Sei- 
gneur avec  le  Roi  et  le  rétablissement  de  la  foi 
catholique,  par  M.  de  Nointel,  dans  l'empire  otto- 
man. ))  Cette  partie  du  texte  était  entièrement 
controuvée.  On  lit  dans  un  voyageur  nommé 
Carlo  Magni ,  que  M.  de  Nointel,  qui  s'était  fait 
donner  im  commandement  de  la  Porte  pour  visi- 
ter quelques  îles  de  l'Archipel,  sut  engager  le 
chiaoux  qui  l'accompagnait  à  le  suivre  en  Syrie, 
où  il  avait  envie  daller,  sous  prétexte  d'y  faire 
mettre  en  vigueur  les  nouvelles  capitulations. 
Après  avoir  parcouru  les  Échelles  de  ce  coté,  il 
visita  les  Saints  lieux  de  Jérusalem,  et  il  voulait 
passer  en  Egypte  lorsqu'il  reçut  un  courrier  du 
grand  vizir   qui  lui   signifiait  de   revenir  à  Con- 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  231 

stantinople  pour  aifaire  importante.  Ce  n'était 
probablement  qu'un  prétexte  pour  le  forcer  au 
retour.  M.  de  Nointel  fit  supporter  les  frais  de 
son  voyage  aux  Echelles  du  Levant.  Il  employa 
même  l'autorité  de  la  Porte  pour  exiger  la  quote- 
part  de  celle  de  Smyrne,  qui  s'y  refusait.  Il 
s'était  mis  à  dos  M.  Colbert  pour  avoir  eu  le 
mauvais  procédé  de  lui  enlever  ime  pierre  gravée 
que  ce  ministre  savait  entre  les  mains  du  consul 
de  France  en  Chypre  et  qu'il  lui  avait  deman- 
dée. 

M.  de  Nointel  sut  s'en  emparer,  et  l'adressa 
à  M.  de  Pomponne,  qui  en  fit  sa  coiu*  au  Roi. 
Colbert,  pour  s'en  venger,  retarda  le  payement 
des  appointements  de  l'ambassadeur,  ce  qui  le 
réduisit  bientôt  aux  expédients.  Dans  son  embar- 
ras, il  saisit  sur  un  vaisseau  venant  de  France 
pour  la  valeur  de  la  somme  dont  il  avait  besoin,  et 
il  en  fournit  la  contre-valeur  en  lettres  de  change 
sur  le  trésor  royal.  Cela  ne  plut  pas  à  la  Cour; 
mais  ce  qui  perdit  M.  de  Nointel,  c'est  d'avoir, 
contre  l'usage,  pris  audience  du  vizir  ayant  son 
tabouret  au  bas  de  l'estrade.  L'obstination  de 
Cara  Mustapha,  successeur  d'Ahmed  Kupruly, 
qui  se  prévalut  de  ce  que  M.  de  Nointel  avait  eu 
pour  lui  cette  déférence  étant  Caïmakan,  l'avait 
emporté  sur  M.  de  Noituel.  Louis  Xl\'  le  trouva 


2p  MI..M(;IHK 

si  mauvais,  (|iril  rappela  siir-lc-chanip  son  am- 
hassadciif,  ci  il  cessa  de  lui  cciarc  j)endanl  plus 
d'un  au  que  M.  de  Guillcragiics  tarda  à  se  rendre 
à  Constantinople.  Le  mécontentement  du  Koi  lut 
au  |)()int  d'ordonner  c|u  à  son  retour. M.  de  Noin- 
tel  ne  iVii  pas  traité  en  anibassadcui-  sur  le  \ais- 
seau  (|in  devait  le  i-ainener.  Son  successeur, 
imbu  de  cette  disposition  défavorable  du  Roi,  en 
usa  fort  durement  à  Constantinople  avec  M.  de 
Nointel  qui  se  plaig-nit  qu'on  le  laissait  manquer 
de  pain.  Ses  dettes  furent  acquittées  en  draps 
défectueux,  dont  il  fallut  que  ses  créanciers  se 
contentassent.  11  était  menacé  à  son  retour  en 
France  d'être  mis  en  prison,  mais  on  l'en  tint 
quitte  poin-  un  exil  sans  doute  assez  court, 
puisqu'on  lit  dans  la  vie  de  Job  Ludolf,  que  ce 
savant,  passant  à  Paris  en  1683,  y  vit  M.  de  Noin- 
tel qui  mourut  l'année  suivante. 

GABRIEL   JOSEPH    DE    LA    VŒRGNE 
DE    GUILLERAGUES. 

Il  fut  connu  de  Louis  XIV  par  un  projet  de 
comédie  de  l'exécution  de  laquelle  le  Roi  l'avait 
chargé,  et  qui  n'eut  pas  lieu.  M.  de  Guilleragues 
passait  sa  vie  à  Paris  dans  la  bonne  compagnie  et 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  233 

avec  les  gens  de  lettres.  Boileaii  lui  adressant  sa 
septième  épître  commence  ainsi  : 

((  Esprit  né  pour  la  cour  ec  maîcre  en  Tare  de  plaire, 
<(  Guilleragues,  etc.  » 

11  avait  été  d'abord  premier  président  à  la 
cour  des  aides  de  Bordeaux,  puis  secrétaire  du 
prince  de  Conti,  eniita  secrétaire  du  cabinet  du 
Roi,  qui  imagina  de  l'envoyer  à  Constantinople 
pour  que  sa  fortime  dérangée  pût  s'y  rétablir. 
«  Je  compte,  lui  dit  Louis  XIV  lorsqu'il  en  prit 
congé,  que  vous  vous  conduirez  mieux  en  Tur- 
quie que  votre  prédécesseur.  »  —  <(  Sire,  répondit 
Guilleragues,  j'espère  que  Votre  Majesté  n'en 
dira  pas  autant  à  mon  successeur.  »  On  prescri- 
vit à  cet  ambassadeur,  comme  une  affaire  essen- 
tielle, le  rétablissement  de  l'ancien  cérémonial 
du  sopha,  mais  Gara  Mustapha  n'était  pas 
homme  à  céder.  Son  obstination  mit  M.  de 
Guilleragues  dans  l'impossibilité  de  prendre  ses 
premières  audiences,  ce  qui  n'empêcha  pas  les 
affaires  de  l'ambassade  d'avoir  leiu'  cours  ordi- 
naire. Deux  ans  après,  la  France  étant  entrée  en 
guerre  avec  les  Tripolins,  M.  Duquesne,  lieu- 
tenant général  des  années  navales ,  eut  ordre 
de  les  attaquer  jusque  dans  les  ports  du  Grand 
Seignein-.   Cinq  de  leurs  bâtiments  s'étant  réfîi- 


3J4  Ml   MOI  H  K 

gics  à  Scio,  M.  I)ii(|iic.snc  requit  le  ^^oiivcrnciir 
de  l'cxtraditioti  des  vai.ssc:iux  tripoiins,  et,  sur 
son  refus,  il  les  canoniia  (iniis  le  port  nicinie  et  les 
mit  en  pièces;  ce  c|ui  causa  du  dé^àt  clans  la 
ville  et  coùia  la  vie  fi  plusieurs  habitants.  Au 
premier  avis  (prcii  reçut  le  ^rand  vi/ir,  il  fit 
partir  pour  Scio  une  escadre  de  ^^alères,  com- 
mandée par  le  (!a|)itan  pacha,  avec  ordre  de 
rendre  compte  des  laits.  Al.  Duqtiesne  le  laissa 
passer,  mais  le  menaça  de  ramener  ses  vaisseaux 
à  Constantinoplc.  L'amiral  turc,  qui  en  connais- 
sait la  possibilité,  écrivit  au  vizir  d'accommoder 
à  tout  prix  cette  affaire  avec  l'ambassadeur.  Au 
lieu  d'attendre  qu'on  l'interpellât,  celui-ci  fit 
demander  luie  entrevue  au  Kiahia  bey  et  lui 
porta  plainte  de  l'asile  donné  aux  Tripoiins.  Le 
ministre  turc,  sans  daigner  y  répondre,  chercha 
à  effrayer  l'ambassadeur  de  la  veny;eance  de  Sa 
Hautesse,  s'il  ne  parvenait  à  l'apaiser  par  l'offre 
d'une  grande  somme.  11  n'en  tint  compte  et 
assura  qu'il  ne  donnerait  pas  un  sou;  dans  l'es- 
poir de  taire  plus  d'impression,  Cara  Mustapha 
fit  avertir  M.  de  Guilleragues  de  se  rendre  chez 
lui.  On  ne  peut  comprendre  pourquoi  il  n'y  nut 
pas  pour  condition  que  le  cérémonial  du  sopha 
serait  rétabli  sur  l'ancien  pied;  il  s'en  tint  au 
ridicule  expédient  de  haranguer  debout  le  vizir 


SUR    L'AMBASSADE   DE   TURQUIE.  235 

en  lui  présentant  la  lettre  du  Roi  5  gaucherie  qui 
encouragea  Cara  Mustapha  à  renchérir  sur  les 
menaces  que  le  Kiahia  bey  avaient  faites  à  l'em- 
bassadeur  de  l'envoyer  aux  Sept-Tours  s'il  ne 
promettait  un  don  de  sept  cent  cinquante  bourses 
à  Sa  Hautesse.  M.  de  Guilleragues  ayant  réph- 
qué  que  le  Roi  saurait  venger  avec  des  torrents 
de  sang  Tmjure  qui  lui  serait  faite,  le  vizir 
observa  froidement  que  M.  de  la  Haye  avait  été 
mis  dans  cette  prison  sans  que  le  Roi  s'en  ressen- 
tît. M.  de  Guilleragues  soutint  assez  bien  le  ton 
de  la  fermeté  :  sous  prétexte  de  suivre  la  négo- 
ciation, on  le  retint  la  nuit  chez  le  vizir  et  le  len- 
demain, il  eut  la  faiblesse  de  promettre  un  pré- 
sent. Cara  Mustapha,  qui  ne  demandait  qu'à 
sortir  d'embarras,  accepta  l'offre.  M.  Duquesne 
proposa  au  Roi  de  conduire  son  escadre  à  Con- 
stantinople  et  de  s'y  faire  rendre  raison  de  tous 
les  griefs  de  la  France,  ne  demandant,  pour  cette 
entreprise,  que  dix  vaisseaux  de  guerre;  projet 
qui  n'eût  pas  manqué  de  lui  réussir. 

M.  de  Bonac,  qui  excuse  la  conduite  de  M.  de 
Guilleragues,  dit  qu'elle  eut  Tapprobation  du 
Roi.  Tout  au  plus  méritait-elle  de  l'indidgence. 

Cara  Mustapha  paya  de  sa  tète  la  levée  du 
siège  de  Vienne  et  les  revers  c|ui  suivirent.  Son 
successeur,  qui  craignait  que  la  b'r:incc  tfaccédàt 


2^'  .MT.MOIKK 

:i  hi  lif;iic  j)rcst|iic  j^ciiériilc  cjiic  les  j)ni.ssancc*s 
chiciiciiiics  (ii"cnl  ;il()i\s  fontrc  I;i  l'ortc,  crut 
(lii'il  ctaii  prudent  de  donner  s;iiistaction  à 
Louis  Xl\'  sur  riirticle  du  soj)lia.  Au  mois  de 
scj)tenil)i-e  16H4,  M.  de  C iuillerîif^aies,  sur  l'iiivi- 
lation  de  ce  ministre,  et  avec  la  promesse  du 
rétablissement  entier  de  raïuien  cérémonial,  se 
rendit  à  Andrinople,  où  on  lui  tint  parole.  Le 
président  Hénauh  dit,  ddus  sou  Ab?\'i^'-é  de  l'IIis- 
tuirc  de  France,  c|iie  M.  de  Nointel  obtint  les 
lionneurs  du  soplia  en  1682,  c'est-à-dire  plus  de 
deux  ans  api*ès  la  lin  de  son  ambassade.  Cet 
auteur  avance  avec  aussi  peu  de  fondement  que 
les  intrigues  et  l'argent  des  puissances  maritimes 
suscitèrent  cette  querelle.  Il  suffisait  bien  de 
l'orgueil  de  Cara  Mustapha  pour  la  faire  naître. 
Le  sopha  ou  l'estrade  de  la  chambre  d'audience 
du  vizir  ayant  été  depuis  lors  fort  allongée,  il 
serait  aujourd'hui  impossible  qu'on  pût  s'entendre 
à  la  distance  qui  se  trotivait  entre  le  bas  du  sopha 
où  serait  le  tabouret  de  l'ambassadeur  et  le  coin 
de  la  salle  où  s'assoit  le  grand  vizir.  M.  de 
Guilleragues  venait  à  peine  de  remporter  cette 
frivole  victoire,  qu'il  eut,  à  son  retour  à  Constan- 
tinople,  une  attaque  d'apoplexie  dont  il  mourut  le 
7  mars  1685. 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  237 

JEAN-BAPTISTE    FABRE. 

Le  sieur  Noguez,  chancelier  de  l'ambassade, 
voulut  s'emparer  de  la  g-estion  des  affaires  après 
la  mort  de  l'ambassadeur  précédent;  mais  ma- 
dame de  Guilleragues  l'en  fit  exclure  et  embar- 
quer de  force,  ce  que  M.  de  Bonac  dit  que  la 
Cour  approuva.  Peu  après  M.  de  Seignelay  char- 
gea un  nommé  Fabre  de  réclamer  à  la  Porte  lui 
bâtiment  français  saisi  par  les  Tripolins  dans  un 
port  ottoman.  Il  sut  se  prévaloir  de  l'occasion 
pour  prendre  en  l'absence  du  Grand  Seigneur  et 
du  vizir,  sous  le  titre  d'agent,  une  audience 
publique  du  Caïmakan  et  il  s'empara  au  grand 
déplaisir  de  madame  de  Guilleragues  de  l'intérieur 
de  l'ambassade.  On  ht  en  effet  dans  les  instruc- 
tions de  M.  de  Girardin  :  <(  que  Sa  Majesté  a 
commis  Fabre  depuis  la  mort  de  M.  de  Guille- 
ragues pour,  en  quahté  d'agent,  faire  auprès  du 
grand  vizir  et  autres  ministres  de  la  Porte  tout 
ce  qu'il  croira  le  plus  convenable  au  service  de 
Sa  Majesté  et  à  l'avantage  du  commerce  de  ses 
sujets.  »  Si  l'on  en  croit  M.  de  Bonac,  il  con- 
serva le  titre  d'agent  du  commerce  à  l'arrivée  de 
M.  de  Castagnères,  qui  l'en  dépouilla,  en  1692, 
et  l'envoya   à  la  suite  du  grand  vizir  à  l'armée 


2}8  MINKHHI 

tiir(|nc.  (Jnclcjucs  ;iimccs  :iprcs  le  \(ni  lui    tl(j(iii:i 
une  mission  eu  l'erse,  et  il  mourut  en  chemin. 

IM  I:K  Kl.    1)1,    (;iK  AKDIN. 

(]et  ambassadeur,  (|ui  avait  été  licutenanr  civil 
au  Chàtclet  de  Paris,  avait  voyagé  en  'l"ur(|uie 
dans  sa  jeunesse,  et  il  en  avait  appris  la  lau^aie, 
ce  qui  .Servit  j)rincipalement  à  fixer  sur  lui  le 
choix  de  Louis  XIV.  M.  de  Bonac,  dans  son  mé- 
moire, fait  là-dessus  une  observationqui  n'est  pas 
digne  de  sa  justesse  ordinaire.  11  prétend,  d'après 
un  chevalier  Fulton,  ambassadeur  d'Angleterre, 
qu'il  est  avantageux  pour  un  ministre  étranger  à 
la  Porte  d'ignorer  la  langue  du  pays  parce  que 
les  Turcs  usent  d'ordinaire  envers  les  chrétiens 
de  termes  de  mépris,  que  les  interprètes  adou- 
cissent; comme  s'il  ne  valait  pas  mieux  qu'un 
ambassadeur  put  les  comprendre  et  s'en  ressen- 
tir, que  de  paraître  satisfait  d'être  vilipendé  aux 
yeux  d'une  nombreuse  audience  qui  n'entend  pas 
l'interprétation  et  la  croit  exacte.  D'ailleurs  que 
d'avantages  n'a-t-on  pas  de  posséder  la  langue 
employée  dans  les  affaires  qu'on  traite!  M.  de 
Vauvré,  frère  de  M.  de  Girardin,  était  intendant 
de  la  marine  à  Toulon.  Ils  avaient  compté  lier 
ensemble  un  commerce  lucratif,  mais  cette  ten- 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  ly) 

tative  n'aboutit  qu'à  occasionner  <à  l'ambassadeur 
beaucoup  de  tracasseries  avec  les  négociants  de 
Marseille.  11  fut  conduit  à  Constantinople  par 
deux  vaisseaux  du  Roi,  et  il  y  arriva  le  ii  jan- 
vier 1686.  L'un  des  deux  était  destiné  pour 
M.  d'Ortières,  chargé  d'inspecter  les  Échelles  du 
Levant.  On  lit  dans  l'instruction  de  M.  de  Girar- 
din  que  M.M.  de  Brèves  et  de  Marcheville,  qui 
avaient  disputé  le  pas  à  l'ambassadeur  de  l'Em- 
pereur, sous  coidem-  que  ce  prince  ne  devait 
être  regardé  à  la  Porte  que  comme  roi  de  Hon- 
grie, n'avaient  pas  été  approuvés.  Le  Roi  autorise 
M.  de  Girardin  à  se  désister  de  cette  prétention, 
si  elle  se  présente;  mais  il  lui  est  prescrit  d'éviter 
les  occasions  de  préséance,  ajoutant  même  que 
s'il  pouvait  la  prendre,  le  Roi  ne  le  trouverait  pas 
mauvais. 

L'ambassadem*  ne  fut  pas  dans  cet  embarras, 
la  guerre  entre  la  Porte  et  la  Cour  de  Vienne 
ayant  existé  pendant  toute  sa  mission.  Dans  le 
rapport  qu'il  fit  à  la  Cour  de  l'audience  que  le 
Grand  Seigneiu*  lui  donna  à  Andrinople,  il  fit 
observer  l'indécence  du  cérémonial  d'usage  et 
notamment  de  ce  que,  après  avoir  vu  Sa  Hau- 
tesse,  il  fallait  attendre  à  cheval  contre  le  mur  de 
la  première  cour  du  sérail  que  le  grand  vizir  et 
son  cortège  fussent  passés.  M.   de  Girardin   s'y 


240  MF  MOI  H  h 

refusa  (.ommc  a  un  rciard  aussi  inutile  qu'indé- 
cctit.  On  voit  dans  la  correspondance  de  M.  de 
l-'erriol  (|u'il  pensait  de  môme  à  cet  égard;  ce 
c|ui  n'a  pas  empêché  leurs  successeurs  de  suivre 
la  vieille  routine.  M.  de  (jirardin  se  prévalant  des 
circonstances,  ne  se  prêtait  pas  à  l'insolence  des 
Ibrmes  turques  etivers  les  ministres  étrangers. 
Le  C^aïmakan  chez  lecpiel  il  s'était  rendu,  tardant 
trop  à  paraître,  rambassadein-  prenait  le  parti  de 
s'en  retourner,  et  ce  ne  fut  que  siu-  les  instances 
que  lui  fit  faire  ce  ministre  par  les  principaux 
officiers,  qu'il  revint  sur  ses  pas,  et  il  trouva  le 
Caïmakan  qui  venait  lui-même  au-devant  de  lui. 
La  correspondance  de  M.  de  Girardin  fournit  un 
détail  curieux  sur  l'état  de  maison  de  Sultan  Mé- 
hémet  IV.  Il  avait  dix-huit  cent  quarante-quatre 
femmes,  cinq  cents  eunuques,  quinze  cents  pages 
ou  officiers  de  l'intérieur,  quinze  cents  chevaux 
d'écurie  et  des  domestiques  inférieurs  en  pro- 
portion de  tout  cela.  Cet  ambassadeur  a  laissé 
aussi  un  mémoire  fort  exact  sur  l'état  d'alors  des 
milices  ottomanes.  La  maison  de  M.  de  Girar- 
din consistait  en  un  intendant,  deux  secrétaires, 
deux  écuyers,  deux  pages,  quatre  valets  de 
chambre,  vingt-quatre  laquais  et  des  gens  de 
cuisine,  d'office  et  d'écurie  à  l'avenant.  Ses 
appointements  étaient  de  36,000  francs,  et  il  en 


SUR    L'AMF3ASSADE    DE    TURQUIE.  241 

recevait  seize  de  la  chambre  de  commerce.  Le 
Roi  lui  donna  quarante-cinq  mille  livres  pour 
son  ameublement  et  les  présents  à  faire  avec 
dix-huit  mille  livres  de  gratification. 

Le  temps  de  l'ambassade  de  M.  de  Girardin 
fut  pour  la  Porte  un  tissu  de  désastres.  La  capi- 
tale parut  menacée,  et  l'ambassadeur  crut  devoir 
demander  au  Roi  s'il  accompagnerait  en  Asie  le 
Grand  Seigneur  en  cas  que  Sa  Hautesse  eiit  à  s'y 
réfugier,  ou  s'il  passerait  à  Smyrne  ou  dans 
l'Archipel.  La  réponse  fut  de  suivre  le  Sultan. 

La  conduite  deM.de  Girardin  plut  à  Louis  XIV, 
qui  aurait  accordé  à  cet  ambassadeur  ime  place 
de  conseiller  d'État,  qu'd  désirait,  mais  sa  mort 
prévint  cette  grâce,  le  15  janvier  1689. 

■  L'ABRÉ   DE   GIRARDIN. 

11  était  frère  de  l'ambassadeur  de  ce  nom,  et 
il  se  chargea  de  l'ambassade  dont  madame  de 
Girardin  refusa  le  soin  5  cette  dame  repartit  avec 
son  beau-frère  à  l'arrivée  du  nouvel  ambassadeur. 

PIERRE    ANTOINE    DE    CASTAGNÈRES 
DE    CHATEAUNEUE. 

Né  sujet  du  duc  de  Savoie,  il  s'était  établi  en 
P^rance  avec  son   frère,   l'abbé  de  Châteauneuf. 

16 


242  \1  IMOl  K  K 

Les  liaibotis  c|iic  l'cspril  :uiiialjlc  de  tel  abbé  lui 
fiL  lonner  avec  des  personnes  en  crédit,  procu- 
rèrent à  son  frère,  alors  conseillei"  an  parlenieni. 
l'ambassade  de  (  !onsiantniople.  On  voit  au  dépùt 
des  Ail'aires  étrangères,  dans  la  minute  de  son 
instruction  le  nom  de  M.  de  C^asta^mère.s  substi- 
tué au  nom  raturé  d'un  sieur  Lel)lanc,  maître  des 
requêtes,  probablement  celin  cpii  devint  ensuite 
ministre  de  la  guerre,  en  1716.  M.  de  (>asta- 
gnères  arriva  à  Constantinople  dans  l'automne 
de  1689.  11  se  rendit  pour  prendre  audience  du 
vizir  à  l'armée  turque  qu'il  trouva  sous  Nissa, 
venant  d'essuyer  un  échec  considérable,  et  si 
effarouchée,  que  le  grand  vizir  fît  recommander 
aux  drogmans  de  l'ambassadeur  de  ne  parler  que 
turc  par  la  peur  que  le  peu  de  troupes  ottomanes 
qui  restaient  ne  s'effrayassent,  en  les  prenant 
poiu'  des  Impériaux.  M.  de  Castagnères  trouva 
au  camp  ottoman  un  sieur  Varner  qui  avait  la 
confiance  de  M.  de  Girardin  et  lui  servait  de 
correspondant  à  l'armée  ottomane.  Cet  homme, 
peu  après,  se  croyant  devenu  suspect  à  M.  de  Cas- 
tagnères, se  tua. 

Mustapha  Kupridy  succéda  à  ce  vizir  timide 
et  rétablit  les  affaires  de  la  Porte  par  son  cou- 
rage. M.  de  Castagnères  parait  s'être  un  peu 
prévalu  de  l'occasion  pour  se  donner  auprès  du 


SUR    L'AMBASSADE   DE   TURQUIE.  245 

Roi,  le  mérite  de  l'énergie  de  Kupruly,  qu'il  fut 
blâmé  de  n'avoir  pas  accompag-né  en  Hongrie. 
L'année  suivante,  le  Roi  ût  partir  par  une  tartane 
M.  de  Ferriol,  colonel  de  dragons,  pour  suivre  le 
camp  ottoman.  Ce  dernier  trouva  l'ambassadeur  à 
Andrinople,  et  il  fit  le  plus  grand  éloge  à  Louis  XIV 
de  sa  personne  et  de  son  crédit  à  la  Porte,  obser- 
vant que  des  Turcs  de  considération  venaient 
familièrement  lui  demander  à  dîner.  M.  de  Bonac 
ajoute  dans  son  mémoire  que  M.  de  Castagnères 
allait  lui-même  fréqtiemment  manger  chez  le 
Muphti  :  ce  qui  paraît  à  peine  croyable  aujour- 
d'hui. 

Dans  l'embarras  où  la  guerre  avec  la  cour  de 
Vienne  mettait  M.  de  Castagnères  pour  trans- 
mettre en  France  ses  dépêches  ,  il  imagina  d'éta- 
blir un  consul  à  Gabella,  près  de  Castelnuovo, 
place  des  Vénitiens  siu-  l'Adriatique ,  d'où  un 
brigantin  portait  les  paquets  à  Venise.  Il  fallut 
renoncer  dans  la  suite  à  cet  établissement  sur 
les  plaintes  que  cette  République  en  fit  à  la  cour. 
On  le  transporta  à  Durazzo,  où  un  consid  de 
France,  nommé  Conte,  entretenait  sur  ses 
appointements  deux  felouques,  l'une  pour  Brin- 
disi ,  l'autre  pour  Ancone.  Cela  existait  encore 
sous  l'ambassade  suivante  et  dura  jusqu'à  la  paix 
d'Utrecht.    M.    de    l^'erriol    continua    de    suivre 


244  Ml.  MOI  in. 

l'.'irnicc  iiir([nc,  cl  (m  siij)|)lccj  en  i'^94,  (lu'il  fit 
un  voyage  en  !■  rance,  par  le  père  lirilly,  et  celle 
d'après  pai-  M.  Pellerin,  l'iiii  et  rautrc  secré- 
taires (le  l'anibassadeiir.  Il  a\ait  demandé,  sans 
p()ii\()ir  l'obtenir,  (rarc()nipa^'"ner  lui-niènie  à  la 
guerre  Sultan  Mustapha  11  à  sa  première  cam- 
pagTic.  l^eiix  ans  après,  \\  dit  plus  heureux.  Il 
s'était  mis  en  chemin  ,  lorscpiil  reçut  du  Roi 
l'ordre  de  rétrograder.  M.  de  Ferriol  revint  jxjur 
la  campagne  de  1696,  et  M.  de  Castag"nères,  qui 
lui  donna  pour  drog-man  le  sieur  Fonton.  se  plai- 
gnit que  ce  dernier  le  trahissait.  Cet  ambassa- 
deur eut  encore  plus  à  se  plaindre  de  son 
chancelier,  nommé  Beauqucsne,  qui  envoya  un 
mémoire  contre  lui  à  M.  de  Croissy;  ce  ministre 
le  communiqua  à  M.  de  ChateauneuF,  et  son  frère 
y  répondit.  L'une  et  l'autre  pièce  existent  aux 
archives  de  Constantinople.  Quoique  le  senti- 
ment de  M.  de  Bonac  soit  favorable  à  la  défense 
que  iit  M.  de  Chateauneuf,  il  semble  qu'elle  est 
plus  faible  que  l'attaque.  La  machination  d'anti- 
datés dont  est  accusé  cet  ambassadeiir  pour  se 
donner  le  mérite  des  événements,  est  trop  subtile 
pour  être  purement  imag-inée  par  Beauquesne. 
11  y  a  lieu  de  croire  qu'on  le  sentît  à  la  cour,  mais 
que  le  besoin  et  l'utilité  des  services  de  .M.  de 
Chàteauneuf  firent  passer  là-dessus.  Quoi  qu'il  en 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  245 

soit,  il  suffit  de  connaître  la  Porte  ottomane, 
pour  juger  que  des  intrigues  n'y  peuvent  être 
menées  de  suite  par  des  ministres  étrangers  : 
s'il  y  a  quelques  exemples  contraires,  ils  sont 
isolés,  et  ne  présentent  pas  l'effet  d'un  système 
suivi. 

Au  reste,  Beauquesne  ne  fut  pas  puni  comme 
Faïu-ait  été  im  calomniateur,  et,  dans  la  suite,  le 
comte  des  Alleurs  le  mena  avec  lui  à  sa  com- 
mission de  Berlin.  M.  de  Bonac  dit  que  le  drog- 
man  Fonton,  que  M.  de  Castagnères  avait 
maltraité,  obtint  un  congé  de  la  Cour,  et  qu'il 
aida  M.  de  Ferriol  dans  les  mauvais  offices  qu'il 
rendit  à  M.  de  Castagnères.  On  le  noircit  auprès 
de  Louis  XIV  potu'  avoir  pris  l'habit  levantin, 
chose  assurément  sans  inconvénient,  et  qui 
pouvait  même  lui  être  utile  à  Andrinople,  pour 
contracter,  avec  les  ministres  ottomans,  une 
plus  grande  intimité.  M.  de  Castagnères  eut 
certainement  auprès  d'eux  plus  d'accès  et  de 
crédit  que  ses  prédécesseurs.  Sa  répiuatioii  se 
soutenait  encore  à  Constantinople  du  temps  de 
M.  de  Bonac,  qui  fait  avec  grande  raison  l'éloge 
du  mémoire  par  lequel  M.  de  Castagnères,  à  son 
retour,  rendit  compte  au  Roi  de  son  ambassade 
à  la  Porte  ;  cependant  il  est  plus  remarquable  par 
le  style  de  l'auteur  et  le  compte  qu'il  rend  de  sa 


246  Ml.  MUII{I 

conduite  (jiic  par  les  vues  ultérieures  (ju'il    pro- 
pose. 

M.  de  (>asia^nières  lut  rappelé  en  1699  ei 
partit  le  7  lévrier  1700  sur  les  vaisseaux  (]ui 
amenèrent  son  successeur.  Il  eut  depuis  une  com- 
mission en  Espagne,  une  autre  en  Portugal;  il 
fut  ambassadeur  à  liu-in  ,  ensuite  en  Hollande  où 
il  signa  en  1717,  avec  l'ambassadeur  de  Pierre  le 
Grand,  im  traité  entre  la  France  et  la  Russie. 
Enfin,  devenu  conseiller  d'Etat  et  prévôt  des 
marchands  de  Paris,  il  mourut  dans  cette  ville  le 
14  mars  1728. 

CHARLES    DE    FERRIOL,    Baron    d'Arghntal. 

Il  arriva  à  Constantinoplc  le  1 1  novembre 
1699.  On  trouve  dans  sa  correspondance  le  détail 
qu'il  fait  au  Roi  de  ses  services,  en  ces  termes  : 
«  J'entrai  dans  les  mousquetaires  en  1669,  poiu* 
aller  en  Candie,  où  je  reçus  deux  blessures; 
en  1672,  Votre  Majesté  me  donna  une  compagnie 
de  cavalerie  et,  en  167^,  elle  m'envoya  en  Hon- 
grie commander  un  régiment  de  Tartares  et  de 
dragons.  J'avais  en  même  temps  l'honneur  de 
rendre  compte  à  Votre  Majesté  des  affaires  de 
Hongrie;  enfin,  j'ai  fait  sept  campagnes  avec  les 
grands  vizirs  ou  les  Sidtans  avant  d'être  ambassa- 


SUR    L'AMBASSADE    DE  TURQUIE.  247 

deur.  ))  On  voit  qu'il  omit  ce  que  M.  de  Ronac 
dit  de  la  nécessité  où  M.  de  Ferriol  fut  de 
prendre  asile  en  Pologne  à  la  suite  d'une  aventure 
galante  et  de  sa  querelle  avec  un  magnat  pour 
laquelle  M.  de  Béthune,  ambassadeur  de  France 
à  cette  cour,  se  décida  à  faire  passer  M.  de  Fer- 
riol en  Hongrie.  Sa  nomination  à  l'ambassade  est 
attribuée,  par  M.  de  Bonac,  au  crédit  que  cet 
ambassadeiu-  et  madame  de  Ferriol ,  belle-sœur 
de  ce  dernier,  avaient  sur  M.  de  Torcy  et  à  celui 
de  M.  Blondel,  alors  premier  commis  des  Affaires 
étrangères,  avec  lequel  madame  de  Ferriol  avait 
des  rapports  de  parenté.  M.  deCastagnères  avait 
mandé  au  Roi,  lorsqu'il  eut  ses  premières 
audiences,  qu'on  l'avait  admis  avec  son  épée  chez 
le  Sultan,  ce  qui  était  contre  l'usage  constant. 
Cet  ambassadeur  en  portait  sans  doute  une  fort 
courte  qui  avait  échappé  à  l'attention  des  Turcs. 
M.  de  Ferriol  avait  ordre  de  maintenir  le  précé- 
dent. Sa  longue  épée  militaire  n'échappa  pas  à  la 
vue  des  capidgi  hachis  qui  le  prévinrent  de  la 
quitter.  11  s'y  refusa  avec  beaucoup  de  fermeté.  11 
ne  résista  pas  moins  vivement  à  l'essai  qu'ils  firent 
delà  lui  enlever  par  surprise,  et  il  sortit  du  sérail 
sans  paraître  devant  le  Sultan.  Ce  début  disposa 
mal  pour  lui  les  ministres  ottomans.  11  éprouva 
d'étranges  scènes  pendant  onze  ans  que  dura  son 


24«  M  F-  M  O  I  K  I 

ainbassiidc.  On  peut  dire  a  la  vérité  que  le  carac- 
tère vain  et  emporté  de  M.  de  l"'erri(j|  en  fournit 
presque  toujours  le  canevas.  Il  Im  prit  fantaisie 
d'avoir  un  tendelet  à  son  bateau,  ce  qui  est 
réservé  au  Sultan  et  au  ^n-and  vizir.  Le  bostandji 
bachi,  (|ui  a  rmtendance  de  la  mer,  Favant  su, 
fit  donner  une  rude  bastonnade  aux  bateliers  de 
ranibassadeiu-  poiu-  avoir  c^sé  le  mener  avec  ce 
tendelet,  et  il  ne  put  en  trouver  d'autres.  De  dépit, 
M.  de  Ferriol  renvoya  son  bateau  à  Smyrne  et 
ne  traversa  plus  le  port,  aimant  mieux,  par  une 
puérile  affectation,  en  faire  le  tour  par  terre  lors- 
qti 'il  allait  à  Constantinople.  Démétrius  Cantémir 
écrit  qu'étant  persécuté  par  ses  ennemis,  il  se 
réfugia  chez  M.  de  Ferriol,  et  que  le  grand  vizir 
ayant  réclamé  de  cet  ambassadeur  Textradition, 
celui-ci  répondit  en  niant  que  ce  Grec  fût  au  palais 
de  France,  mais  ajoutant  que  s'il  y  eût  été,  on  ne 
l'aïu'ait  pas  remis,  ce  que  la  Porte  ne  releva  pas. 
A  la  naissance  du  duc  de  Bretagne,  l'ambas- 
sadeur avait  fait  prévenir  le  grand  vizir  de  son 
intention  d'illinniner  le  palais  de  France;  mais 
ce  ministre  fut  déposé  le  soir  même.  Son  succes- 
seur, ignorant  le  motif  d'une  aussi  grande 
clarté  à  Péra,  envoya  voir  ce  que  c'était,  et  sur 
le  rapport  qu'il  en  reçut,  il  ordonna  de  l'éteindre. 
M.  de  Ferriol  s'y  refusa  et  arma  ce  qifil  a\ait  de 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  249 

monde  chez  lui  pour  repousser,  au  besoin ,  la 
force  par  la  force.  Dans  le  cours  des  pourparlers 
l'illumination  s'éteignit  en  partie  d'elle-même  ou 
fut  éteinte  par  les  gens  du  palais  à  l'insu  de  l'am- 
bassadeur, ce  qui  finit  la  querelle  sans  voies  de 
fait.  11  n'en  fut  pas  de  même  d'une  tracasserie 
qu'eut  M.  de  Ferriol  avec  le  comte  d'Octinguen, 
ambassadeur  de  l'Empereur.  Deux  Français, 
déserteurs  des  troupes  impériales,  réfugiés  au 
palais  de  France,  eurent  l'insolence  de  se  présen- 
ter chez  le  comte  d'Octinguen.  Il  les  fit  détenir 
dans  l'intention  de  les  ramener  avec  lui  à  Vienne 
pour  être  punis.  M.  de  Ferriol  les  réclama  comme 
sujets  du  Roi  et,  sur  le  refus  de  les  rendre,  il  fît 
arrêter  dans  la  rue  et  conduire  chez  lui  deux 
officiers  allemands  qui  passaient  devant  sa  porte. 
L'ambassadeur  menaçait  de  venir  les  y  réclamer 
à  main  armée;  mais  celui  de  Hollande  s'étant 
entremis,  les  prisonniers  furent  échangés  chez 
lui,  et  l'affaire  terminée. 

La  Porte  envoyait  en  exil  le  patriarche  armé- 
nien Avedik.  La  crainte  que  ce  dangereux  ennemi 
des  cathohques  ne  rentrât  en  phice,  engagea  les 
Jésuites  à  proposer  en  France  de  Tcnlevcr  en 
chemin.  La  chose  s'exécuta  avec  succès,  et  le 
prélat  fut  conduit  à  la  P>astille,  où  il  mourut.  Le 
grand  vizir    le     réclama     en    vaiu    à      |)lusicurs 


2ÇO  M  IM(H  H  I. 

rc|)nsL'.s.  I  .'ciiK'n  cmctii  ii'avaii  j)as  laisse  (le 
liMccs  et  le  peu  (riiitéi-èl  des  i'iircs  pour-  ces 
cliet  s  d'I^f^lises  clii-étieiiiies  lit  ([iie  la  chose  tomba 
dans  la  suite,  ('epeiidant  le  Capital)  pacha  lit 
|)a.sser  en  li-ance  un  Tui-c  tiomnié  l)ekir  A{^a 
poiii"  porter  a  la  cour  des  plaintes  contre  M.  de 
l'"erri()l,  dans  le  but  de  le  (aire  rappeler.  M.  de 
Pontchartrain  reçut  fort  bien  l'etnové  turc,  et 
raiiibassadeur  eût  probablement  succombé,  si 
M.  de  Toi-cv  no  l'avait  soutenu:  par  la  laveur  de 
ce  ministre,  la  justification  de  M.  de  Ferriol  lut 
admise,  «i  J'avouerai,  disait-il  an  Roi  en  la  ter- 
minant, que  j'ai  un  ^rand  défaut  par  devers  moi; 
je  n'ai  jamais  pu  plaire  à  un  des  ministres  de 
Votre  Majesté  (M.  de  Pontchartrain),  quoi  que 
j'aie  fait  pour  y  parvenir.  J'en  tairai  les  raisons 
par  respect.  » 

La  véhémence  de  M.  de  Ferriol  était  catisée 
sans  doute  par  un  principe  de  maladie.  Sa 
tète  finit  par  s'altérer.  La  Mottraye,  qui  pas- 
sait à  Constantinople  au  commencement  de  1709, 
rapporte  un  trait  de  folie  de  cet  ambassadeur. 
Il  fut  pris  d'une  fièvre  chaude  au  mois  de  mai 
suivant  et,  à  la  suite  de  son  délire,  ses  gens 
le  lièrent  et  le  gardèrent  à  vue  dans  sa  chambre. 
Le  sieur  Belin,  chancelier,  ayant  assemblé 
la    nation  ,    sur    une    consultation   des    médecins 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  2^1 

d'après  laquelle  l'état  de  démence  fut  con- 
staté, on  dépécha  en  France  le  sieur  Brue, 
drogman,  pour  en  donner  la  nouvelle.  Sur  cet 
avis,  le  Roi  envoya  ordre  à  M.  de  Fontenu,  con- 
sul de  Smyrne,  de  se  rendre  promptement  à 
Constantinople  pour  y  prendre  la  conduite  des 
affaires  de  l'ambassade  ;  mais  il  répondit  qu'il  s'en 
dispensait  ayant  des  preuves  certaines  du  bon 
état  de  santé  de  M.  de  Ferriol  depuis  le  9  août. 
En  effet,  sa  tète  était  revenue,  quoiqu'il  restât 
toujours  lié  parla  malice  des  gens  de  sa  maison. 
Au  bout  d'un  mois,  le  fauteuil  sur  lequel  il  était 
attaché  ayant  été  approché  de  la  fenêtre,  il  aper- 
çut l'ambassadeur  de  Hollande  à  la  sienne  et  il 
lui  demanda  du  secours;  ému  de  ses  cris,  celui- 
ci  força  la  porte,  et  il  fit  tant  qu'on  délia  M.  de 
Ferriol,  qui  reprit  le  soin  des  affaires,  mais  avec 
assez  de  marques  de  rancune  contre  les  officiers 
de  l'ambassade  pour  qu'on  crût  à  la  coiu*  son  réta- 
blissement imparfait.  Le  comte  des  Alleurs,  alors 
en  Hongrie,  fut  nommé  pour  lui  succéder;  il  se 
rendit  directement  à  Constantinople  avant  que 
ses  lettres  de  créance  y  arrivassent,  et  il  demeura 
longtemps  à  les  attendre,  vivant  en  très-mauvaise 
intelligence  avec  son  prédécesseur.  Si  l'on  en 
croit  une  lettre  de  M""'  des  Alleurs,  alors  à 
Paris,  adressée  a  M.  de  'rorcv,M.  de  Ferriol  en 


252  Ml  MOI  Kl. 

\ini  ;ni  poini  d ';i|)|)clcr  son  nuiri  en  duel,  ce  (jui 
ne  doit  pus  étonner  de  l;i  p:irt  de  cet  :iml)a.ss;i- 
deur  (jiii,  dans  un  nionient  de  t  ureur,  a\  :iit  un 
jour  chargé  l'ornciii ,  son  dro^nian,  de  présenter 
un  farte!  au  ^-rand  \izn-  Ali  Pacha.  lOnfîn  les 
lettres  de  créance  de  M.  des  .\lleui-s  arrivèrent, 
et  M.  de  Fcrriol  s'enil)ar(|iia  le  4  avrd  1711.  La 
.Mottraye  et  Tournelort  \anieni  la  nia^^nificcnce 
du  train  de  M.  de  l-'erriol.  Il  avait  une  iai)le  fort 
bien  servie,  une  vaisselle  superbe,  ti'ente-six 
valets  de  pied  et  d'autres  domestiques  à  l'ave- 
nant, et  des  musiciens  à  ses  gages.  On  représen- 
tait chez  lui  des  spectacles  français  et  italiens. 
Al.  de  Ferriol  avait  vivement  sollicité  une  place 
de  conseiller  d'épée  qu'il  n'obtint  pas.  Il  con- 
serva toujours,  à  en  croire  Al.  de  lionac.  le  désir 
de  revenir  ambassadeur  à  Constantinople,  ce  qu'il 
disait  nécessaire  potu-  se  laver  de  l'imputation  de 
folie  qui  l'avait  fait  rappeler.  Il  mourut  en  1-22. 

PIERRE   PUCHOT,    SEIGNEUR  de   Clinchamp, 

COMTE    DES    AlLEURS. 

On  voit  dans  le  mémoire  de  M.  de  Bonac  que 

Al.  des  Alleurs,  qui  avait  été  page  de  Al"'  de 
Alontpensier,  entra  dans  le  régiment  des  gardes, 
y  devint  capitaine  et  maréchal  de  camp.  Il  vendit 


SUR    LAMBASSADK    DE   TURQUIE.  253 

sa  compagnie  et  en  perdit  le  prix  par  l'infidélité 
d'un  de  ses  amis.  Ensuite  il  obtint  la  commission 
d'envoyé  extraordinaire  à  la  cour  de  Berlin  :  mais 
l'Electeur  ayant  pris  le  titre  de  roi,  Louis  XIV 
refusa  de  le  reconnaître,  et  retira  son  ministre 
qu'il  employa  auprès  de  l'Electeiu'  de  Colog-ne  et 
ensuite  dans  ses  armées.  En  1704,  M.  des 
AUeiu-s  passa  à  Dtu-azzo  avec  deux  frégates  du 
Roi  qui  l'y  débarquèrent  poiu- joindre  en  Hongrie 
le  prince  Ragoczy  qui  y  avait  im  puissant  parti. 
Mais  ce  dernier,  après  s'être  soutenu  pendant 
quatre  campagnes,  fut  obligé  finalement  de  s'en- 
fuir en  Pologne  où  M.  des  AUeurs  le  stiivit. 
Il  y  apprit  sa  nomination  à  l'ambassade  de  la 
Porte.  On  voit  dans  ses  instructions  que  Louis  XIV 
l'autorisa  à  se  relâcher  siu-  la  prétention  de  garder 
son  épée  à  l'audience  du  Grand  Seigneiu-,  ce  qui 
le  mit  en  état  de  la  recevoir.  M.  des  Alleiu-s 
s'était  fort  affectionné  à  Charles  XII,  roi  de 
Suède,  qir'il  avait  vu  en  passant  à  Bender.  Il  le 
servit  de  son  mieux  à  la  Porte  et  chargea  le  sieur 
de  la  Perière,  qui  suivit  à  l'armée  le  grand  vizir 
Baltadgi  Méhémed  Pacha  de  veiller  aux  intérêts 
de  Sa  Majesté  suédoise.  On  a  des  lettres  de  ce 
drogman  à  M.  des  AUeurs  où  l'affiiire  du  Pruth 
est  rapportée  en  grand  détail.  Après  que 
Charles  Xll  eut  été  arrêté  à  Bender  et  conduit  à 


M  IMOl  Hl 


254 

I  )cni()in:i,     M.     (les    Allcurs    :ill:i     le    voir    pour 
l'ciiLiuLicr    II   s'aboucher    eu     lieu    tiers    axcc    le 
nr:mcl  \i/ir,  (|ui  le  propos;ii(.  Mais   ce    inon;ii-(|ue 
relusa      r;inib:iss;i(leur    avec"     tant      crojîiiiiàtrcté 
c|ue    telui-ei   abaiulonna    la     partie     i/luinianité 
cpTil    inoiitra   pour   les    N'énitiens    ne    lui     réussit 
pas  mieux.  La  Porte  leur  avait  déclaré  itiopiné- 
ineiit  la    guerre   par   raltaque   de  la    Morce.     Le 
baylc  André  iMemmo  fut    mis    aux    Sept-Tours. 
AL  des  Alleurs  retira  chez  Itii  tout  ce  qu'il  put  de 
SCS  effets  et  de  ses  papiers,  et  s'employa  vive- 
ment pour  sa  délivrance  qu'il  obtint  au  bout  de 
huit  mois.  11  fit  aussi  racheter  plusieurs  nobles 
Vénitiens  pris  en  Morée.  Ces  rançons  ne  furent 
remboursées   que    plusieurs    années   après.   Par 
surcroît,  cet  ambassadeiu-  fut  accusé  injustement 
de  n'avoir  pas  fait  restitution  entière  des  papiers. 
Le  dérangement   de  sa  santé  et  sa  vieillesse  le 
dégoûtèrent  du  Levant.  11  demanda  son  rappel  et 
le  marquis  de  Bonac  fut  nommé,  dès  1 7 1 3 ,  pour  le 
remplacer,    mais   il    n'arriva  qu'au   mois   d'aoïit 
1716,  après  la  mort    de    Louis    XIW    sur  deux 
vaisseaux  du  Roi  qui  ramenèrent  son  prédéces- 
seur. M.  des  Alleurs  vécut  jusqu'en  1725,  étant 
parvenu   au    grade   de    lieutenant    général    des 
armées  du  Roi ,  et  à  la  décoration  de  la  grand'- 
croix  de  l'ordre  de  Saint-Louis.   Il  ordonna  que 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  255 

son  cœur  fût  rapporté  aux  Capucins  de  Saint 
Louis  à  Péra,  ce  qui  a  été  exécuté.  On  lui  a  élevé 
un  mausolée  dans  leur  église. 

JEAN   LOUIS    D'USSON,    marquis   dk   Bo.vac, 

Brigadier  des  années  du  Roi. 

Le  marquis  de  Bonac  termine  ses  mémoires 
à  son  ambassade  ;  mais  il  a  laissé  à  la  chancellerie 
de  Constantinople  un  assez  grand  nombre  d'écrits 
pour  pouvoir  y  recueillir  les  faits  qui  y  appar- 
tiennent. Louis  XIV  l'avait  employé  auprès  des 
ducs  de    Wolfenbutel ,    des   rois    de  Suède,    de 
Pologne  et  d'Espagne.  11  resta  peu  à  la  cour  de 
Madrid,  où  les  mémoires  de  Noailles  disent  qu'il 
réussit,  ce   qui  était  fort  difficile  alors.   M.    de 
Bonac  avait  épousé  Mademoiselle  de  Biron,  fille 
du  marquis  de  Biron,  depuis  maréchal  de  France 
et  premier  gentilhomme  du  duc  d'Orléans,  régent. 
Cette  dame   suivit  son  mari  en  Levant.  Milady 
Montague  parle  avec  éloge  dans  ses  lettres  de  ma- 
dame de  Bonac.  Elle  lui  reproche  cependant  de 
trop  tenir  à  son  cérémonial.  Ces  dames  vécurent 
ensemble  à  Andrinople,  où  était  alors  Sa  Hautesse. 
Pendant  le  séjour  du  marquis  de  Bonac  en  cette 
ville,  le  Mimar  aga,  ou  intendant  des  bâtiments  de 
la  capitale,  s'émancipa  an    point  d'entrer  dans  le 


256  ''l  I   MfH|{  I. 

p;il:iis  (le  !■  r;iii(c,  où  011  t:iis:iit  des  rc|);ir:iti()ns  et 
(le  les  siispendrj.  I  .';imbassadeiir  denianda  el 
obtint  satisf'actioti.  (-ette  habitation,  ([ii'on  croit 
avoir  été  bàtie  du  temps  de  I  iemi  l\',  ac'eriie 
ensuite  pai- messieurs  de  Marchevilleet  de  Nointel 
était  devenue  si  dé^'^radée  (jue  M.  de  iV)nac  de- 
manda u\)  architecte  du  K.01  pour  la  visiter  et  pro- 
noncer sur  l'état  où  elle  se  trouvait.  Un  sieur  de 
Vigny,  envoyé  à  cet  effet,  décida  (|u'elle  ne  jjouvait 
guère  passer  trois  ans.  lOlle  en  a  duré  cinquante 
encore,  au  moyen  de  qtielques  réparations  qu'on 
y  a  faites.  M.  de  Ik)nac  avait  de  fréquents  entre- 
tiens avec  le  grand  vizir  Ibrahim  Pacha  duquel  il 
obtint  le  rétablissement  de  la  voiite  du  Saint 
Sépidcre  à  Jérusalem,  faveiu'  sollicitée  en  vain 
depuis  soixante  ans  et  dont  le  vizir  fît  tant  d'état, 
qti'il  en  prit  occasion  d'envoyer  im  ambassadeur 
en  France  dans  l'espoir  que  la  reconnaissance  et 
la  générosité  du  Roi  lui  prociu-eraient  de  riches 
présents.  M.  de  Bonac  prévit  l'embarras  que 
donnerait  cette  mission  tiu-que,  et  il  écrivit  à  sa 
Cour  sur  ce  sujet  pour  en  savoir  les  intentions. 
Les  réponses  n'arrivèrent  qu'après  le  départ  de 
Méhémet  Effendi  pour  Toulon.  On  sait  que  le 
cardinal  Dubois,  qui  gouvernait  sous  la  régence, 
se  mettait  quelquefois  au  coin-ant  de  ses  corres- 
pondances en  jetant  au  feu  les  lettres  qu'il  avait 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  257 

sur   son  bureau.  M.  de  Bonac  fut  une   fois  dix- 
huit  mois  sans  réponse  de  la  Cour.   L'ambassa- 
deur turc  a  fait  une  relation  intéressante  de  sa 
commission  qui  se  trouve  aux  archives  de  l'am- 
bassade. Il  recevait  du  Roi  750  livres  par  jour. 
Dans  ce  même  temps,  le  comte  de  Berchini,  sei- 
gneur hongrois,    partisan    du   prince   Ragoczy, 
obtint  en  France  l'ag-rément  de  former  parmi  les 
Hongrois  réfugiés  en    Turquie   un  régiment  de 
hussards  dont  il  fut  nommé  colonel.  M.  de  Bonac 
facihta  la  levée  à  laquelle  les  Tiu'cs  se  prêtèrent 
volontiers  pour  se  débarrasser  des  payes  qu'ils 
donnaient  à  ces  réfugiés.  Cet  ambassadeur  eut 
quelques  désagréments  au  sujet  de  sa  maison  de 
campagne  de  Saint-Stéphano,  mais  il  s'en  tira  à 
son  honneur  mêlant  la  prudence  à  la  fermeté.  Il 
demanda  son  rappel  en  1722  et  il  fut  relevé,  deux 
ans  après,   par  M.  le  vicomte  d'Andrezel  avec 
lequel  il  eut  des  démêlés  assez  désagréables  pour 
tous  deux  et  oii  le  premier  paraît  avoir  eu  le  plus 
de  torts.  Pierre  I"  envoya  cà  M.  de  Bonac  à  Con- 
stantinople,  avant  son  départ,  l'ordre  de  Saint- 
André  en   reconnaissance  de  la  médiation  qu'il 
avait  exercée  au  nom  du  Roi  entre  la  Porte  et  la 
Russie  pour  le  partage  des  provinces  de  Perse. 
M.   de  Pionac  s'embarqua  le   26  février   1725,  il 
obtint,  en    1727,  une  place  de  conseiller  d'État 


17 


258  MI.MOIItK 

(l'cpcc.  Il  lut  ciisiiiic  :iml):iss:i(lciir  du  Koi  en 
Suisse  où  il  ni()Ui-iii  en  17^''''.  I  -  niipératrice  de 
Russie,  alors  régnante,  conféra  le  cordon  de  Saint- 
yXndré  de  M.  de  lionac  à  Taîné  de  ses  enfants. 

.IK AN-RAPTISTI,   I.OLIS    PICOX, 

VlCOMTt     d'AnDREZEL. 

11  avait  été  secrétaire  des  commandcnients  de 
Monseigneur,  puis  intendant  du  Houssillon  et  de 
l'armée  au  siège  de  Fontarabie,  en  1719.  Sa 
femme  ne  raccompagna  pas  à  Constantinopie 
oh  il  conduisit  ses  deux  iils.  11  s'embarqua  à 
Toulon,  le  17  avril  1724,  et  fut  chargé  de  visiter 
en  passant  les  régences  de  Barbarie,  notamm.ent 
celle  de  Tunis,  où  il  avait  la  commission  secrète 
de  contrarier  sous  apparence  de  bons  offices,  la 
négociation  qu'y  suivaient  alors  les  Ktats  géné- 
raux. M.  d'Andrezel  y  réussit  au  point  qu'elle  fut 
rompue  et  que  la  République  lit  remercier  le 
Roi,  des  démarches  de  son  ambassadeur.  M.  Dail- 
lon,  neveu  du  înarquis  de  Bonac,  était  resté  à 
Constantinopie  en  qualité  de  commissaire  pour 
les  limites  de  la  Perse.  Le  caractère  inquiet  et 
ambitieux  de  ce  jeune  homme  donna  bien  des 
tracas  à  M.  d'Andrezel,  et  contribua  peut-être  à 
abréger  ses  jours.  Cet  ambassadeur,  la  seconde 


SUR    L'AMBASSADE   DE    TURQUIE.  259 

année  de  son  ambassade,  fut  atteint  d'une  attaque 
de  paralysie  dont  il  ne  put  se  rétablir.  Dans  cet 
état  il  proposa  à  la  Cour  de  le  faire  suppléer  par 
M.  de  Fontenu,  consul  de  France  à  Smyrne  qui 
avait  déjà  été  destiné  à  pareille  commission  pen- 
dant la  maladie  de  M.  de  Ferriol.  Ce  consul,  ami 
de  l'ambassadeur,  vint  le  voir  à  Constantinople, 
et  l'approbation  du  Roi  pour  l'arrangement  pro- 
posé arriva  précisément  la  veille  de  la  mort  de 
M.  d'Andrezel,  survenue  le  26  mars  1727;  il 
laissa  à  peine  de  quoi  payer  ses  dettes,  et  ses 
enfants  ont  vécu  dans  la  pauvreté. 

GASPARD    DE    FONTENU. 

M.  Daillon  avait  cqbalé  avant  la  mort  de 
M.  d'Andrezel  pour  être  choisi  par  la  nation  de 
Constantinople,  comme  chargé  des  affaires  de 
l'ambassade^  mais  l'ordre  du  Roi,  que  M.  de  Fon- 
tenu  produisit  en  sa  faveur,  ferma  la  bouche  à 
l'assemblée  et  il  entra  en  exercice.  Il  était  né 
gentilhomme  et  il  aspirait  à  l'ambassade,  tant  par 
sa  naissance  que  par  ses  services;  on  a  soup- 
çonné qu'il  avait  mendié  une  lettre  de  reconunan- 
dation  ad  hoc  du  grand  vizir  Ibrahim  l\icha  à 
M.  de  Morville,  alors  secrétaire  des  affaires 
étrangères.  Quoi  qu'il  en  soit,  on   n  y  eut  aucun 


j6o  m  K  m  <  h  |{  h. 

c^ard,  et  M.  de  Villciicii\c.  tiommc  a  I  ;«mbassadc 
de  (  ionstantinople,  y  arriva  avec  deux  vaisseaux 
du  Koi,  le  "^  décembre  i  jiH.  M.  de  b'onienu 
attribue  le  l'elus  (|uOn  lui  (ii  de  cette  place  à 
M.  de  Bonac  (ju'd  soupçonna  d'avoir  agi  contre 
lui.  Après  la  venue  du  nouvel  ambassadeur,  ce 
consul  se  retira  à  Smyrne  d'où  il  rentra  en  f^rance  ; 
il  y  mourut. 

LOUIS  SAUVEUR    DE    VILLENEUVE. 

Il  avait  été  lieutenant  civil  de  la  ville  de  Mar- 
seille et  député  à  Paris  pour  une  affaire  de  son 
tribunal  contre  le  parlement  d'Aix.  11  acquit  dans 
ce  voyage  la  bienveillance  du  chancelier  d'Agues- 
seau,  et  c'est  à  lui  qu'il  dut  sa  nomination  à  l'am- 
bassade de  France  à  la  Porte. 

Les  commencements  de  sa  mission  furent 
aussi  désagréables  que  la  fin  en  fut  brillante.  Le 
grand  vizir  Ibrahim  Pacha,  enorgueilli  d'un  long 
ministère,  se  permit  un  ton  très-altier  vis-à-vis 
de  M.  de  Villeneuve  relativement  au  bombarde- 
ment de  Tripoli  de  Barbarie  par  une  escadre 
française;  peu  après,  ayant  reçu  des  plaintes 
contre  un  consul  de  France  à  l'île  de  Milo, 
nommé  Castanier,  il  le  fit  enlever  et  mettre  au 
bagne    de  Constantinople;   ce    ne   fut  qu'à  force 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  261 

d'arg-ent  et  en  intrig-uant  auprès  d'une  sœur  du 
Grand  Seigneur  qu'on  obtint  la  liberté  de  ce  con- 
sul, le   29  juin  1729.  Le  fameux  comte  de  Bon- 
neval  écrivit  à  M.   de  Villeneuve  pour  lui  faire 
part  de  son  arrivée  en  Turquie  et  de  ses  projets 
de  vengeance  contre  la  cour  impériale.  Le  drog- 
man  de  la  Porte  fiu  chargé  de  demander  à  l'am- 
bassadeur s'il  serait  agréable  à  la  France  que  ce 
comte  vînt  à  Constantinople.  M.  de  Villeneuve 
répondit    qu'il    demanderait    des     ordres,    et    il 
témoigna  désirer  qu'on  retînt  Bonneval  en  Bosnie 
jusqu'à  la  réponse  de  sa  Cour.  Elle  fut  que  le 
Roi  ne  voulait  plus  entendre  parler  du  comte  de 
Bonneval  :  qu'il  ne   fallait  avoir  avec  lui  aucune 
communication,  mais  sans  chercher  à  lui  nuire; 
qu'au  reste,  Sa  Majesté  ne  serait  pas  fâchée  qu'il 
résidât  à  Constantinople  et  qu'il  y  acquît  la  con- 
fiance des  Turcs.  Cette  lettre  du  15  octobre  1729 
est  la  clef  de  la  conduite  de  M.  de  Villeneuve 
avec   le   comte   de  Bonneval,  lequel  s'est  plaint 
alors  de  cet  ambassadeur  qu'il  regardait  comme 
étant   cause    de    son    apostasie   pour    ne    l'avoir 
pas  réclamé  lorsque  le  résident  de  FLuipereur 
demanda  à  la  Porte  son  extradition.  C^e  ne  l'ut  que 
sous  le  vizir  Topai  Osman  ([ue  lioniieval  depuis, 
Ahmed   Pacha,  vint  à  (Constantinople.  Il  Un  <ait 
pacha  à  deux  queues  et  chef  des   bombaiilicrs; 


262  Ml.  MiniM. 

ni;iis  il  lie  lut  ^uèrc  employé  le  reste  de  s:i  vie  que 
(l;in.s  les  aliaires  |)()liti(|iies  de  la  Porte. 

Le  (]apitaii  l'atha,  Djaiiiiiii  H(jdja,  qui  joua 
un  si  {^raïul  f(')le  poui"  éteiiuli'e  la  rél)eliioii 
de  1730,  était  ion  lié  avec  ^\.  de  Villeneuve, 
(let  amiral  vint  im  jour  au  palais  de  France 
rendre  visite  à  l'ambassadrice,  il  passa  par  la 
petite  porte  et  M.  de  Villeneuve  qui  avait  été  le 
recevoir  d\\n  autre  coté,  le  trouva  avec  sa 
femme, 

«  Je  n'ai  pas  oublié  mon  ancien  métier  de 
corsaire,  dit  Djanum,  en  riant,  j'arrive  où  Ton  ne 
m'attend  pas.  »  L'histoire  imprimée  du  traité  de 
Belgrade  a  informé  suffisamment  le  ptiblic  de 
ce  qui  concerne  cet  ambassadeur  dans  le  cours 
de  cette  négociation.  Il  devint  conseiller  d'État 
de  robe  et  ce  fut  le  ridicule  motif  qu'allégua 
le  cardinal  de  Fleury  poiu-  décider  que  M.  de 
Villeneuve,  comme  magistrat,  ne  pouvait  recevoir 
l'ordre  de  Saint-André  de  Russie  que  l'impé- 
ratrice Anne  lui  envoya.  11  faut  observer  qu'il 
n'est  pas  nécessaire  en  Russie  d'être  militaire 
pour  avoir  cette  décoration.  M.  de  Villeneuve 
eut  le  mérite  de  prociu'er  à  la  Porte  une  paix 
glorieuse  et  de  jeter  sur  sa  faiblesse  intérieure 
un  voile  qui  s'est  soutenu  trente  ans,  en  faisant 
illusion  à  toute  l'Europe.   A  son   retoiu-  de  Bel- 


SUR    L'AMBASSADE   DE    TURQUIE.  263 

grade,  il  fit  une  entrée  publique  à  Constantinople, 
et  il  y  jouit  d'une  grande  considération.  Peu 
après,  il  demanda  son  rappel,  l'obtint,  et  partit 
le  9  mars  1741.  Louis  XV  après  le  renvoi  de 
M.  Amelot,  secrétaire  d'Etat  des  affaires  étran- 
gères, nomma  M.  de  Villeneuve  à  sa  place, 
mais  il  la  refusa.  On  assm-e  qu'il  dit  alors  qu'il 
aurait  accepté  le  département  de  la  marine, 
quoiqu'il  ne  soit  pas  aisé  de  comprendre  sur 
quel  fondement  il  s'y  croyait  plus  propre  qu'à 
celui  de  la  politique  :  il  se  retira  à  Marseille,  sa 
patrie,  où  il  mourut  en  1747. 

MICHEL  ANGE,    comte   de   Castellane. 

Il  s'embarqua  sur  les  vaisseaux  du  Roi,  qui 
ramenèrent  son  prédécesseiu-.  En  passant  à 
Malte,  il  refusa,  à  l'exemple  de  MM.  de  Ferriol 
et  de  Bonac,  qui  ne  suivirent  pas  celui  de  M.  de 
Girardin,  de  voir  le  grand  maître  de  l'ordre,  à 
moins  de  prendre  la  droite  sur  lui ,  ce  qui  ne  fut 
pas  accordé  à  cet  ambassadeur.  Le  cardinal  de 
Fleury,  auquel  M.  de  Castellane  en  rendit 
compte,  lui  répondit  qu'étant  sans  instructions 
à  cet  égard,  il  avait  bien  fait  d'imiter  ses  prédé- 
cesseurs ;  mais  cette  Éminence,  observa  sur  ce 
sujet  que  <(  du  temps  de  Louis  XIV,  on  mettait 


264  Mr.MOIHK 

(juel(|iiefois  en    ;ivimi  des   |)rcletiti()iis   sans   trop 
savoir  sur  c|ii()i    les  l'ondcr.    >■   M.  de   (>astcllane 
appartenait  par  alliance  à  ce  premier  ininistrc. 
La   fortune  orif^inairc  du   comte  était  médiocre 
et  on   lui  donna    l'ambassade   de  C'onstantinople 
comme  un   moyen  de  l'au^rmentcr  ;    il    v   réussit 
par  une  économie  peut-être  outrée:  au  moins  en 
lut-il  accusé.  I)'aillein-s,  il  avait  \endu  en  partant 
de  France  son  emploi  dans  les  mousquetaires,  et 
il    en   plaça  les  fonds  à   (>onstantinople    :   il   les 
accrut   en    peu  de  temps  à  un   point    singulier. 
La    protection    dti    cardinal    faisait    espérer    à 
M.  de  Castellane  d'obtenir  le  cordon  bleu  lorsque 
la    Porte    envoya    un    ambassadeur  en    France 
pour  remercier  le  Roi   de   la    médiation  de  Bel- 
grade.   Le    drogman    Laria,    qui   accompagnait 
Saïd  Pacha,  fit  pour  cela  des  démarches  qui  ne 
réussirent    pas.    Le    taïn    de    cet    ambassadeur 
turc  fut  double  de  celui  qu'avait  eu  son  père  ; 
il  fut  ramené   en  Turquie  par   deux  vaisseaux 
du  Roi  aux  ordres  du  chevalier  de  Caylus  dont 
la  conduite   envers  M.    de  Castellane  fut  très- 
désagréable     à    ce    dernier;    il   eut   aussi    pour 
ennemi  secret  le  comte  de  Bonneval  qui  écrivait 
contre  lui  à  M.  d'Argenson,  ministre  des  affaires 
étrangères  de  France.  Bonneval  voulait  l'ambas- 
sade de  Constantinople  pour  son  neveu  qui  ne  se 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  265 

trouva  pas  y  être  propre.  Le  rappel  du  comte 
de  Castellane  ne  fut  pas  moins  résolu,  et  il  ne 
l'apprit  que  par  le  pacha  de  Chotin  qui  donna 
avis  à  la  Porte  que  le  nouvel  ambassadeiu-  était 
déjà  à  Varsovie.  M.  de  Castellane  sortit  du 
palais  à  l'arrivée  de  son  successem-.  11  passa 
l'hiver  chez  le  chevalier  Déniais,  ministre  des 
Deux-Siciles,  aux  dépens  duquel  il  vécut  jusqu'à 
son  départ.  Ce  comte  partit  au  printemps  de 
1748  pour  retoiu'ner  en  France  j^ar  la  voie  de 
Spalatro  et  de  Venise;  il  n'est  mort  qu'en  1782, 
àg-é  de  plus  de  quatre-vingts  ans. 

ROLDAND  PUCHOT,    comte   des  Alleurs. 

Il  était  fils  de  l'ambassadeur  de  ce  nom,  et. 
comme  lui,  il  avait  servi  dans  le  régiment  des 
gardes,  qu'il  quitta  poiu-  suivre  la  carrière  des 
négociations.  11  fut  d'abord  envoyé  extraordinaire 
de  France  à  Dresde,  où  il  épousa  une  princesse 
Lubormiska,  ce  qui  lui  procura  la  protection  de 
madame  la  Dauphinc,  princesse  de  Saxe,  mère 
de  Louis  XVI  ;  sa  fortune  pécuniaire  était  en 
assez  mauvais  ordre,  et  comme  le  comte  de  (Cas- 
tellane passait  pour  s'être  enrichi  à  CCc^nsianti- 
nople,  on  donna  cette  ambassade  à  M.  des 
AUeiu-s  poiu'  s'y  refaire.  La  guerre  qui  sid)sistait 


266  MINKjIKK 

ciiifc  l:i  li;iiK'c  et  l:i  cour  de  \  iciiiic,  l'obligea  à 
|)i-cn(ii"c  son  tlieiiiiii  |);ii- l;i  l 'ologne,  d'oLi  il  se  ren- 
dit il  (^hotiii,  sur  le  Dniester.  Son  père  avait  pris 
à  peu  |irès  la  même  l'oiite.  (^est  à  la  première 
audience  du  comte  des  Alleurs  cpie  ("ui  constaté 
le  cérémonial  relatif  au  chiaoïix  bachi  qui  avait 
toujours  prétendu  ,  lors  des  premières  audiences, 
la  droite  sur  l'ambassadeur  ([ii'il  était  cbargé 
d'accompagner.  11  fut  décidé  ([ue  l'officier  qui 
avait  amené  .M.  des  Alleurs  de  la  iVontièrc  mar- 
cberait  à  sa  gauche,  ce  cpii  mettait  l'ambassadeur 
au  milieu.  Depuis  lors,  on  a  toujours  nommé  un 
officier  turc  pour  cette  fonction.  Cet  expédient, 
aussi  honorable  qu'avantageux,  fut  cependant 
désapprouvé  par  le  marquis  de  Puysieux,  mi- 
nistre des  affaires  étrangères,  auquel  d'ailleurs 
M.  des  Alleurs  ne  plaisait  pas.  C'est  au  moins 
ce  que  donne  lieu  de  penser  une  dépèche  de  ce 
ministre  à  l'ambassadeur,  où  il  lui  signifie  d'être 
plus  concis  dans  ses  rapports.  M.  Des  Alleurs 
faisait  une  dépense  au-dessus  de  ses  moyens, 
voulant,  disait-il,  faire  oublier  la  lésinerie  de  son 
prédécesseur.  L'argent  du  Roi  n'était  pas  plus 
épargné.  On  l'employait  à  se  ménager  de  pré- 
tendues intelligences  chez  les  gens  en  place. 
C'est  par  ce  moyen  que  l'ambassadrice  parvint  à 
s'introduire  chez  la  femme  du  grand  vizir  où  elle 


SUR    LAMBASSADE    DE    TURQUIE.  267 

dîna.  Cette  dame  turque  la  reçut  du  haut  de  sa 
g-randeur  et  la  renvoya  fort  mécontente.  Les 
dettes  de  l'ambassadeur  aug-mentant,  ses  créan- 
ciers lui  devinrent  fort  importims  :  le  chagrin  le 
mina  et  il  eut,  dans  l'automne  de  l'année  1754 
une  attaque  d'apoplexie  à  la  suite  de  laquelle  il 
moiu-ut  le  21  novembre  suivant,  laissant  plus  de 
cent  mille  écus  de  dettes.  Le  Roi  les  paya  en  fai- 
sant perdre  cependant  aux  créanciers  environ 
trente  pour  cent.  Le  sieur  Perote,  chancelier  de 
l'ambassade,  demeura  chargé  des  affaires  jusqti'à 
ce  que  la  Coin-  eiit  fait  passer  à  Constantinople, 
pour  l'intérim,  le  sieur  de  Peyssonnel,  consid  de 
France  à  Smyrne,  et  connu  pour  la  part  qu'il  a 
eue  dans  la  négociation  de  Belgrade,  où  il  était 
secrétaire  d'ambassade  de  M.  de  Villeneuve. 

CHARLES   GRAVIER,   comte   de  Vergennes. 

Il  était  ministre  de  France  aiq^rès  de  l'Elec- 
teur de  Trêves ,  et  il  avait  été  formé  à  la  carrière 
des  négociations  par  M.  de  Chairgny,  oncle  de 
sa  belle-sœur.  C>e  dernier  était  ambassadeur  en 
Suisse  :  se  trouvant  à  Paris  à  la  nouvelle  de  la 
mort  du  comte  des  Alleurs;  il  prollta  de  l'em- 
barras relativement  aux  papiers  d'une  correspon- 
dance secrète  de  Louis  XV^  avec  M.  des  AUeurs, 


2GH     MIMOlin     SUR    l.'A.MH  ASS  U)l.   1)1,     Il  H  (,H  I  h. 

(•()i-rc.sj)()n(laii(;c  diri^cc  |):if  \\.  le  pi'iiuc  de 
(^oiiti,  et  dont  les  j^apiers  se  ti-()iivèi-em  a  l'am- 
bassade, pour  proposer  au  Koi  M.  de  Vcrgcnncs 
{|iii  lui  areepié.  On  l'envoya  en  dili^'-ence  à  (loii- 
siantinople  sur  un  vaisseau  marchand,  et  ily  arriva 
au  mois  de  mai  ijSS^  il  lui  nvait  été  laissé  la 
liberté  de  dévelopj^er  le  caractère  d'envoyé  extra- 
ordinaire on  celui  du  ministre  plénipotentiaire.  La 
Porte  admit  le  second.  Un  an  après,  M.  de  Ver- 
^^ennes  eut  le  caractère  d'ambassadeur.  11  l'ut 
rappelé  en  1768  et  nommé,  deux  ans  après, 
ambassadeur  en  Suède,  et  enfin  secrétaire 
d'État  des  affaires  étrangères  à  l'avènement  de 
Louis  XVI.  La  personnalité  de  ce  ministre  illustre 
est  connue  et  dès  lors  elle  n'entre  pas  dans 
l'objet  de  cet  ouvrage.  La  frégate  du  Roi  envoyée 
pour  le  ramener  de  C^onstantinoplc,  mit  à  la 
voile  le  7  janvier  1769.  Le  comte  de  Saint-Priest, 
son  successeur  à  l'ambassade  de  la  Porte,  était 
arrivé  par  la  route  de  Hongrie  deux  mois  aupa- 
ravant. 


MÉMOIRE 

SUR    LE   COMMERCE 

ET 

LA    NAVIGATION    DE    LA    FRANCE 

EN     LEVANT 


Si  l'ambassade  de  France  à  la  Porte  ottomane 
est  intéressante  relativement  à  la  politique,  on 
doit  convenir  que  son  activité  à  cet  égard  nest 
pas  continue.  Les  Turcs  n'entrent  guère  dans 
les  mesiu-es  qui  occupent  les  cabinets  de  l'Eu- 
rope que  lorsqu'ils  y  sont  directement  intéressés. 
Mais  l'objet  du  commerce  de  la  France  en  Le- 
vant ne  laisse  point  de  relâche  à  l'ambassadeur 
du  Roi  sur  la  vigilance  constante  qu'il  doit  y 
apporter. 

On  ne  se  propose  pas  dans  ce  mémoire  d'em- 
brasser les  détails  de  ce  négoce  et  ses  variations 
relativement  à  la  France;  la  matière,  quoique 
intéressante,  est  trop  étendue  pour  entrer  dans 
le  plan  qu'on  s'est  formé.  On  s'attachera  davan- 


270 


M  IMOII'>  I 


tagc  à  riiistoirc  de  son  online  et  de  ses  progrès, 
et  :'i  rendre  C{jm|)te  des  ti^iités  existiiins  entre  l:i 
l^orte  ottomane  et  la  l^rancc,  d(jnt  les  siij)uhi- 
tions  ont  le  coinmercc  pour  objet. 

M.  Hiiet,  dans  son  Histoire  du  commerce  el  de 
la  iijrii^\ilio}i  des  anciens,  nous  apprend  que,  du 
temps  de  (]ésar,  époque  à  laquelle  les  Européens 
ne  iraliciuaient  guère  cjue  dans  la  Méditerranée, 
celui  des  Gaules  se  faisait  essentiellement  à 
Marseille.  Cette  ville  fondée  par  les  Phocéens, 
peuple  de  l'Asie  mineure,  vers  les  commence- 
ments de  Rome  et  du  temps  de  ses  rois,  con- 
serva longtemps  les  mœurs  grecques  et  en  donna 
le  goût  aux  Gaulois,  nation,  comme  on  l'a  observé 
dans  tous  les  temps,  avide  de  nouveautés.  Mar- 
seille qui  fit  des  lois  maritimes,  établit  par  la 
navigation  la  communication  des  Gaules  avec  le 
Levant,  et  un  échange  de  denrées  qui  n'a  jamais 
cessé  depuis  et  se  perpétuera  probablement  dans 
l'avenir  par  la  convenance  mutuelle. 

Marins  donna  aux  Marseillais  le  canal  qu'il 
avait  fait  creuser  pour  diviser  les  eaux  du  Rhône. 
Pompée,  et  César,  lui-même,  qui  prit  leur  ville, 
en  agrandirent  considérablement  le  territoire  ; 
elle  devint  aussi  maîtresse  des  ports  jusqu'à 
l'Italie,  et  toute  la  côte  maritime  se  couvrit  de 
ses   colonies.  Les  villes  d'Arles  et  de  Narbonnc 


SUR    L'A.MBASSADK    DE    TLRQLlt.  271 

prirent  bientôt  part  au  négoce  et  à  la  navigation 
du  Levant;  des  petits  bâtiments  plats  y  remon- 
taient par  remboiichure  des  rivières  d'Aude  et 
du  Rhône  qui  n'étaient  pas  aussi  ensablées 
qu'aujourd'hui.  La  plus  ancienne  anecdote 
qu'offre  siu-ce  commerce  l'histoire  de  France  est 
dti  Vf  siècle,  sous  ,1e  règne  de  Dagobert  \". 
«  Saint  Éloi,  dit  le  président  Hénatdt,  fit  lui- 
même  pour  le  monarque ,  un  siège  d'or  mas- 
sif. »  Ces  richesses  provenaient  du  commerce 
du  Levant.  On  voit,  sous  la  seconde  race  de  nos 
rois,  Charlemagne  occupé  de  faire  creuser  im 
canal  pour  joindre  le  Rhin  au  Danube;  outre  le 
but  de  faciliter  ses  expéditions  militaires  contre 
les  Hongrois,  ce  vaste  génie  avait  eu  en  vue  la 
communication  du  commerce  de  ses  Etats  du 
Rhin  avec  le  Levant  par  la  mer  Noire  ;  mais  ce 
projet  n'a  pas  eu  son  accomplissement. 

Le  déchirement  de  la  monarchie  française 
sous  les  successeurs  de  ce  héros  iit  décliner 
considérablement  le  commerce  des  provinces 
méridionales  de  la  France.  11  faut  lire  sur  cette 
matière  le  savant  mémoire,  lu  en  1768,  à  l'Aca- 
démie des  belles-lettres  par  M.  Guignes,  sur 
l'état  du  commerce  du  Levant  avant  les  croi- 
sades et  sur  rinlluence  réciproque  que  le  com- 
merce eut  sur  les  croisades  et  les  croisades  sur 


aya  M  IMO  I  in 

le  coiiimci'tx'.  I /Italie,  seule  entre  les  Ktats  cliré- 
liens,  eut  alors  une  manne  militaire  dans  l:i 
Méditerranée.  Louis  \ll,  dit  le  jeune,  sixième 
roi  de  la  race  régnante,  revenant  par  mer  de  la 
'lerre  sainte^  lut  pris  jKir  des  vaisseaux  sarrasins 
et  délivré  de  ieiu-s  mains  par  la  flotte  de  Kogcr, 
roi  de  Sicile.  Outre  les  \  énitiens  ([ui  devaient  à 
la  mer  leur  existence,  Pise  et  (jènes  devenues 
libres  ainsi  (|ue  les  antres  villes  de  Lombardic, 
sous  Frédéric  liarberousse,  s'appliquèrent  au 
commerce  et  à  la  navigation  du  Levant.  C'est  à 
Gênes  que  Philippe-Auguste,  partant  pour  la 
troisième  croisade,  alla  s'embarquer,  pendant  que 
Richard,  roi  d'Angleterre,  ût  voile  de  Marseille, 
qui  s'était  séparée  de  la  monarchie  française,  en 
même  temps  qu'Arles.  Aigues-iMortes  était  le  seul 
port  sur  la  Méditerranée  dont  nos  rois  fussent 
alors  en  possession  immédiate.  Saint  Louis  y 
rassembla  une  nombreuse  flotte,  composée  en 
grande  partie  de  vaisseaux  génois  et  pisans,  sur 
laquelle  il  partit  pour  l'Egypte  et  la  Terre  sainte. 
On  lit  dans  les  dépèches  de  l'évèque  d'Acqs, 
ambassadeur  de  France  à  la  Porte,  en  1572,  que 
ce  monarque  obtint  des  Soiidans  la  liberté  d'éta- 
blir un  consul  à  Alexandrie  et  un  autre  à  Tripoli 
de  Syrie  pour  le  commerce  des  Français  qui 
tiraient  alors  du   Levant,  dit  ce  prélat,  des  dro- 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  273 

guéries,  des  cotons,  des  cuirs,  des  tapis,  de  la 
porcelaine,  et  y  apportaient  des  draps,  du  cane- 
vas, du  vert-de-gris  et  du  papier.  Cet  envoi  de 
draps  est  remarquable,  et  montre  l'ancienneté  de 
cette  branche  de  commerce  de  la  France  en 
Levant. 

Le  comté  de  Provence  rentra  dans  la  maison 
de  P^rance  par  le  mariage  de  Charles  d'Anjou, 
frère  de  saint  Louis  avec  Béatrix,  héritière  de 
ce  pays.  Charles  ne  tarda  pas  à  soumettre  à  sa 
domination  la  ville  de  Marseille  qui  s'était  ren- 
due indépendante,  comme  on  l'a  dit  plus  haut; 
il  y  établit  l'arsenal  de  ses  forces  navales,  et  il 
en  partit,  en  1265,  avec  quatre-vingts  vaisseaux 
ou  galères,  pour  la  conquête  des  Deux  Siciles. 
Cette  marine  provençale  se  maintint  sous  ses 
successeurs.  Philippe  le  Hardi,  son  neveu,  revint 
de  la  cinquième  et  dernière  croisade  sur  la  flotte 
sicilienne,  et  il  s'en  servit  ensuite  contre  le  Roi 
d'Aragon.  La  charge  d'amiral  de  France  fut 
créée  alors  en  faveiu-  de  Florent  de  Varennes. 

Saint  Louis  promulgua  dans  son  royaume  des 
lois  sur  le  commerce,  et  Philippe  le  i^el,  son 
pctit-fds,  renchérit  sur  ces  règlements.  Il  déten- 
dit la  sortie  des  laines  de  France  et  lixa  par  des 
statuts  la  largeur,  l'apprct  cl  la  c|iialHé  des  di-aps. 
11  eut  soin  (raiigmcnici"  le  nombre  des   niannlac- 


turcs  dans  le  i  .im^aicdoc,  cjiii  venait  d'être  réuni 
à  sa  couronne  j)ar  la  mort,  sans  enfants,  d".\I- 
j)honse,  comte  de  Poitiers,  et  de  sa  femme,  héri- 
tière du  lomté  de    Touloiise. 

On  ne  peut  suivre  le  pro^'-rès  du  commerce 
pendant  les  ^^ucrres  qui  commencèrent  sous 
Philippe  de  Valois,  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre, et  ne  finirent  que  sous  le  règ"ne  de  son 
quatrième  successeur.  Il  est  certain  que  les 
princes  de  la  première  et  de  la  seconde  maison 
d'Anjou  tirèrent  constamment  de  Provence  leurs 
forces  navales,  ce  qui  donne  droit  d'y  supposer 
une  navigation  marchande  considérable. 

L'heureux  Charles  VII,  après  avoir  chassé 
l'étranger  de  son  royaume,  le  vit  bientôt  fleurir 
par  le  cominerce  ;  tels  sont,  en  effet,  sa  merveil- 
leuse situation  et  le  naturel  de  ses  habitants  qu'il 
suffit  de  lever  les  obstacles  qui  s'opposent  au 
négoce  pour  qu'il  prenne  en  France  un  cours 
aussi  brillant  que  rapide.  Parmi  ceux  qui  s'y 
distinguaient,  le  monarque  choisit  Jacques  Cœur 
pour  le  mettre  à  la  tète  de  ses  finances;  il  s'était 
enrichi  par  le  commerce  maritime,  ses  vaisseaux 
portaient  au  Levant  des  draps,  de  la  toile,  du 
papier,  et  en  rapportaient  de  la  soie  et  des  épi- 
ceries. Lorsque  la  calomnie  parvint  à  perdre  ce 
grand  homme  dans  l'esprit  de  son  maître,  la  sen- 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  275 

tence  de  son  bannissement  porta  principalement 
sur  ce  qu'il  avait  fourni  une  armure  complète  au 
Soudan  d'É^ypte.  Obligé  de  répondre  sérieuse- 
ment   à    cette   accusation,    il    allégua    pour    sa 
défense   qu'il  en  avait  reçu  l'agrément  du  Roi, 
et  ce  prince,  qui  permit  qu'on  l'interpellât  sur  ce 
chef,  répondit  ne  pas  s'en  souvenir.  11  était  bien 
simple    que   Jacques   Cœur,  dont  le   commerce 
principal  était  en  Egypte,  eût  tâché  de  se  ména- 
ger la  bienveillance  du  Soudan;  mais  la  racine  du 
préjugé  des  croisades  était  alors  si  profonde  que 
la  sentence   contre  cet   infortuné  porta   siu-   le 
chef  d'avoir  fourni  des  armes   aux   infidèles.  Il 
avait  si  bien  su  se  ménager  la  bienveillance  du 
Soudan  qu'il  en  obtint  une  trêve,  en  faveur  des 
chevahers  de  Rhodes,  sous  le  magistère  de  Jean 
de    Lastic.    Trois    cents    facteurs    faisaient   les 
affaires  de  ce  négociant  dans  les  différents  ports 
du  Levant,  et  y  remplissaient  les  fonctions   de 
consuls    de   France.  Ses  navires  couvraient  les 
mers,    et  leur  retour   lui   apportait  d'immenses 
richesses.  Son  nom  suffisait  pour  leiu-  sûreté. 

C'est  dans  l'île  de  Chypre  que  cet  homme 
célèbre,  banni  de  sa  patrie  et  dépouillé  de  ses 
biens,  alla  se  retirer.  Soixante  de  ses  commis, 
enrichis  par  son  commerce,  lui  /ireiit  présent  de 
mille    éciis    chacnn,    cr    le    mirent    en    état    de 


276  M  I  M  <  )  I  1^  1 

reprendre  son  négoce  iivcc  succès.  Il  épousa  une 
("enmie  iMche  de  Tile,  el  il  y  niourui  laissani  à 
chacune  de  ses  deux  Idies  une  dot  de  ceni  cin- 
ciuatite  nulle  écus.  Sa  mémoire  fui  honorablemeni 
réhabilitée  sous  le  récrie  suivant.  La  NoitvclU- 
Ilistoire  de  France  révocjue  en  doute  la  retraite 
de  Jacques  (]œur  à  (>hypi"c  :  elle  le  lait  se  réfu- 
gier et  mourir  à  Chio. 

On  s'est  étendu  siu-  l'histoire  de  ce  fameux 
négociant  parce  qu'il  paraît  avoir  le  premier 
ranimé  le  commerce  direct  de  la  France  dans  le 
Levant. 

La  Provence  faisant  partie  de  la  succession 
du  comte  du  Maine,  dernier  rejeton  de  la  branche 
d'Anjou,  dont  Louis  XI  hérita,  l'intérêt  du  gou- 
vernement de  la  France  au  commerce  du  Levant 
augmenta  par  la  possession  de  cette  province  et 
par  celle  du  port  de  Marseille,  si  propre  à  y 
négocier  en  droiture,  et  rempli  de  navigateiu-s  et 
de  commerçants.  C'est  pour  les  favoriser  que 
Doriole,  général  des  finances,  et  ensuite  chance- 
lier sous  ce  règne,  écrivait  à  son  maître,  qu'à 
empêcher  les  Vénitiens  de  vendre  en  France  des 
épiceries,  le  royaiune  gagnerait  trois  ou  quatre 
cent  mille  écus  par  an.  Sa  représentation  pro- 
duisit une  loi  prohibitive  de  l'entrée  des  mar- 
chandises du  Levant  en  P^rance,   autrement  que 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  277 

par  les  navires  de  la  nation.  Cette  anecdote 
montre  que  la  réserve  de  ce  commerce  à  la  navi- 
gation française  est  d'ancienne  date. 

L'empire  grec  avait  totalement  succombé  sous 
les  armes  ottomanes,  en  14)3,  par  la  prise  de 
Constantinople.  On  a  parlé  ailleurs  du  projet 
fantasque  qu'eut  Charles  VIII,  d'en  chasser  les 
Turcs.  Il  est  aisé,  par  là,  de  juger  que  ce  prince 
ne  s'occupa  guère  du  commerce  du  Levant. 
Louis  XII,  son  successeur,  entra  dans  une  ligue 
des  princes  chrétiens  contre  la  Porte,  et  celle-ci, 
de  son  côté,  si  on  en  croit  les  historiens,  offrit  à 
la  république  de  Venise  des  secours,  qu'elle  n'ac- 
cepta pas,  contre  les  princes  de  la  ligue  de 
Cambrai.  Les  Turcs  ne  possédaient  pas  encore 
l'Egypte  et  la  Syrie  ;  l'une  et  l'autre  étaient  sous 
la  domination  de  Soudans  mamelucks  qui  y  fai- 
saient jouir  les  Français  de  grands  privilèges.  Ce 
fut  au  commencement  du  règne  de  François  I" 
que  Sélim  1''',  en  15 17,  annexa  ces  riches  posses- 
sions à  l'empire  ottoman;  sa  mort  arrivée,  trois 
ans  après,  en  rendit  maître  le  grand  Soliman, 
son  fils  et  son  successeur.  Ce  Sultan,  à  la  requête 
des  marchands  français  et  catalans,  établis  à 
Alexandrie  et  ayant  le  même  consul,  leur  accorda 
par  un  privilège,  en  date  de  1^28,  les  préroga- 
tives dont  ils  jouissaient   sous  la  domination  des 


2jS  M  I .  MOI  U  \. 

Soiidaiis.  I  .;i  tradiKtioii  liaiH.aisc  de  cet  acte 
s'est  retrouvée  :t  la  l)d)li()tliè(|iie  du  Koi  dans  uti 
niaruiscrit  iruilulé  :  Voj'agc  en  Lcrjiit  .ic  M.  ,i'A}\i- 
mun;  l'article  dix-huit  est  relaiii  aux  épiceries 
que  la  France  tirait  pour  sa  cousoniniarion  par  la 
voie  de  l'I^^ypte. 

Quoique,  dans  la  suite,  les  coiujuètes  des 
Portugais  eussent  détourné,  en  grande  jîartie,  ce 
genre  de  marchq^ndises  par  la  route  du  cap  de 
Bonne-ÏLspérance,  les  Français  avaient  encore 
longtemps  à  Suez,  port  de  la  nier  Rouge,  où 
abondaient  les  vaisseaux  de  l'Inde,  des  magasins 
d'entrepôt. 

Des  motifs  politiques  produisirent,  en  1535, 
entre  François  I"  et  Sultan  Soliman,  un  traité  de 
paix  et  d'alliance  qui  devrait  plutôt  être  qualifié 
de  traité  de  commerce.  11  était,  ainsi  que  les 
deux  suivants,  compris  dans  le  manuscrit  déjà 
cité  et  il  n'existait  ni  aux  archives  de  Constanti- 
nople  ni  au  dépôt  des  Affaires  étrangères.  Cet 
instrument,  en  dix-neuf  articles,  contient  à  peu 
près  le  fond  de  tous  les  traités  de  commerce  que 
la  Porte  a  faits  depuis  avec  les  princes  chrétiens. 

Le  premier  article  assure  la  paix  entre  les 
deux  puissances  contractantes  pendant  la  vie  des 
deux  souverains  et  la  liberté  de  commerce  à  leurs 
sujets  respectifs. 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  279 

Le  second  statue  qu'on  n'exigera,  en  France 
et  en  Turquie,  aucuns  nouveaux  droits  sur 
les  ventes  et  achats  de  marchandises  non  pro- 
hibées. 

Le  Iroisième  autorise  le  Roi  à  établir  à  Con- 
stantinople,  Péra  et  autres  lieux  de  l'empire  otto- 
man, des  bayles  ou  consuls  pour  juger  les  causes 
entre  Français,  sans  que  les  tribunaux  du  pays 
puissent  en  connaître,  et,  en  cas  de  besoin,  pro- 
met main-forte  au  consul  pour  se  faire  obéir  de 
ses  dépendants. 

Par  le  quatrième,  tout  procès  entre  un  Fran- 
çais et  un  sujet  du  Grand  Seigneur  ne  peut  être 
écouté  et  jugé  par  le  tribunal  turc  sans  la  pré- 
sence d'un  interprète  et  sans  titre  écrit. 

Le  cinquième  prescrit  l'évocation  de  ces 
causes  à  la  Sublime  Porte.  Le  sixième  assure  aux 
Français  le  libre  exercice  de  leur  religion. 

Le  septième  défend  de  rendre  aucun  Français 
responsable  d'un  autre  Français  absent,  le  Roi 
promettant,  si  cet  absent  réfugié  dans  ses  États, 
se  trouvait  coupable,  d'en  faire  bonne  justice. 
Le  huitième  exempte  de  toutes  corvées  les 
Français  et  ce  qui  leur  appartient. 

Le  neuvième  assure  leur  libre  retour  en 
France  et  leur  héritage  en  cas  de  mort  aux 
parents. 


^Hn  Ml.  MO  nu. 

Ixs  .iixii'i/ic  cl  oii-icinc,  soril  relatifs  a  la 
(K'.'livi'aïu-c  (les  esclaves  respectifs,  a  la  délivrance 
(les  eliets  (lé[)r(;dés  et  à  l'.i  jîiitiition  des  ccnipables 
(le  ces  \i()leiices,  établissant  en  faveiw  des  plai- 
^niants  français  le  recours,  en  1  urcjuie.  an  ^n-and 
vi/ir,  et  celui  des  plai^'^nanis  tin-cs,en  l'rance,  au 
ifrand  niailre  de  la  maison  du  Koi. 

Le  .i()!i:;icnic  statue  (ju'en  cas  de  rencontre 
de  l'année  navale  ottomane  ou  française,  les 
navires  marchands  caréneront  leurs  voiles  et  his- 
seront pavillon,  au  moyen  de  cjuoi  ils  ne  pourront 
être  molestés,  à  peine  à  l'amiral  de  répondre  des 
dommages. 

Le  trciyicinc  prescrit  aux  navires  mai'chands 
des  deu.K  nations,  lorsqu'ils  se  rencontreront,  de 
mettre  pavillon  et  de  se  saluer  sans  aucune  vio- 
lence. 

Le  qiiatorzicmc  veut  qu'il  soit  fourni  des  vivres 
et  antres  secours  aux  bâtiments  iVançais  qui  en 
auront  besoin,  et  qu'après  avoir  été  visités  a 
Constantinople,  à  leur  départ,  il  ne  puissent  plus 
l'être  qu'aux  Dardanelles. 

Le  quiii-icnic  ordonne  que,  survenant  des 
naufrages,  les  personnes  et  effets  seront  soigneu- 
sement recueillis  et  restitués  sans  en  rien  exiger. 

Le  sciyiùiuc  défend  qu'en  cas  de  fuite  d'un 
esclave,  on  prétende   autre  chose    des  l'rancais 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  281 

que  sa  liberté  et  recherche  dans  les  maisons  ou 
navires;  et  si  le  fugitif  s'y  trouve,  on  attribue  au 
bayle  ou  consul  d'infliger  une  sévère  punition  au 
receleur. 

Le  dix-septième  affranchit  d'impôts  et  corvées 
les  Français  qui  n'auront  pas  résidé  dix  ans  dans 
le  pays. 

Le  dix-huitième  admet  au  traité  le  Pape  et 
les  Rois  d'Angleterre  et  d'Ecosse,  pourvu  qu'ils 
envoient  leur  ratification  dans  le  terme  de  huit 
mois. 

Le  dix-neuvième  fixe  à  dix  mois  la  ratification 
des  deux  contractants  au  traité  et  sa  publication 
à  Constantinople,  Alexandrie,  Marseille,  Nar- 
bonne ,  et  autres  lieux  principaux  des  deux 
Etats. 

On  voit  dans  cette  dernière  clause  que  le  port 
de  Narbonne  était  encore  alors  en  activité  de 
commerce  et  de  navigation  avec  le  Levant.  Il 
paraît  aussi,  par  la  réciprocité  mentionnée  dans 
presque  tous  les  articles,  que  les  Turcs  et  leurs 
navires  allaient  dans  les  ports  de  France  et  y 
commerçaient  habituelienient. 

Le  huitième  et  le  dix-septième  sont  dans  luic 
espèce  de  contradiction  :  le  premier  aiîraiichis- 
santles  Français  de  toute  corvée,  et  le  second  les 
y  assujettissant  au  bout  de  dix  ans. 


2H2  Nn.MOIHI. 

A  i;i  f;i\ciii"  (ic  ce  traité,  le  tomnicrcc  de  la 
l'iaïu'e  lie  tarda  j">a.s  à  s'étendre  en  I  iircjiiie  dans 
les  diliérentes  c'c/icllcs ,  expression  traduite  du 
mot  turc  Iskeiè  qui  sif^nide  Hck  .in  dcharqucmcnt 
des  )}iarcJuindis('s.  Dès  Tannée  1557,  on  com- 
mença à  établir  des  consuls  français.  Jean  Rci- 
nier  le  devint  à  Alep,  trois  ans  après.  François  I" 
était  mort  eti  1 54-,  et  le  ^rand  Soliman  finit  ses 
jours  en  1566,  ce  qui,  aux  termes  du  premier  ar- 
ticle, mettait  fin  au  traité. 

On  ne  s'empressa  pas  de  le  renouveler,  et  il 
fallut  une  circonstance  qui  rendait  la  chose 
nécessaire  pour  qu'on  vînt  à  s'en  occuper. 

Un  juif,  nommé  Joseph  Aliques,  se  qualifiant 
seigneur  de  l'île  de  Naxie,  se  trouva  être,  on  ne 
sait  à  quel  titre,  créancier  du  Roi. 

Le  dérangement  des  finances,  pendant  la  mi- 
norité de  Charles  IX,  ayant  sans  doute  retardé  le 
payement  de  cette  dette,  Miques ,  par  ses  intri- 
gues à  la  Porte  dont  il  était  sujet,  en  obtint  un 
commandement  qui  Tautorisa  à  faire  sur  les 
navires  français  qui  se  trouvaient  à  Alexandrie 
une  saisie  de  marchandises  jusqu'à  concurrence 
de  sa  créance.  Les  propriétaires  de  ces  effets 
jetèrent  les  hauts  cris  en  France,  et  cela  déter- 
mina l'envoi  de  Claude  Du  Bourg,  seigneur  de 
Guérines,  trésorier  du  Roi,  en  ambassade  à  Con- 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE,  283 

stantinople  auprès  du  Sultan  Sélim  II,  successeur 
de  son  père  Soliman. 

Cet  ambassadeur,  outre  ses  instructions  sur 
l'affaire  de  Miques,  en  reçut  pour  le  renouvelle- 
ment des  traités  entre  les  deux  puissances,  et  il 
parvint,  au  mois  d'octobre  1 569,  à  en  conclure  un 
nouveau  en  dix-huit  articles. 

Le  préambide  rapporte  la  plainte  de  l'ambas- 
sadeur Claude  Du  Bourg-  sur  la  saisie  de  mar- 
chandises françaises  à  Alexandrie,  où  elles 
avaient  été  vendues  au  profit  de  Joseph  Miques, 
en  raison  d'une  dette  du  Roi,  non  hquidée  ni 
reconnue;  en  quoi  Sa  Hautesse  dit  avoir  été 
abusée.  L'assertion  lui  ayant  été  faite  que  ce 
prince  l'agréerait  avec  intention  d'indemniser 
ensuite  les  marchands  et  navigateurs  intéressés, 
mais  que  l'ambassadeur  ayant  affirmé  qu'il  n'en 
était  rien,  elle  révoqua  ce  commandement  et 
procura  la  restitution  des  effets.  Une  lettre  de 
l'évéque  d'Acqs  à  son  frère,  l'abbé  de  l'Isle,  en 
date  du  6  juin  1571,  prouve  que  cet  engagement 
ne  fut  pas  accompli. 

Le  même  préambule  fait  mention  pour  la  pre- 
mière fois  du  privilège  de  la  France  d'accorder 
son  pavillon  en  Levant  aux  navires  des  étrangers; 
les  Génois,  Siciliens  et  Anconitains  sont  cités. 
Ce  droit  a  été  longtemps  exercé  par   la  France 


2H.\  NUMOIItl 

avec  vi^'iliiiH'c  et  juloiisic.  (^)iicl(|iics  ;iiiii  jcs  iiprcs 
rcpo(|iic  dont  il  s;i;^i(,  les  Ka^^usais  en  leur  (|iia- 
lilé  (le  |)r()té^é.s  inniié(li;its  de  la  l'ortc,  ayant 
voulu  se  sousti-aire  à  l'usage  de  la  bannière  fran- 
çaise, lurent  contraints  de  la  i-e|)rendre  sur  la 
réquisition  qu'en  lit  à  la  l'orte  ranibassadeiir  de 
1^'rance. 

(>eti'ailé  de  i  ^^^y  n'est  ^iière  ([ue  la  répétition 
de  celui  de  i^^^  avec  cjuelciiie  extension  de  ses 
stipulations.  (Cependant,  on  y  trouve  rexemj)tion 
de  tout  inipùt  en  laveur  des  Français  sans 
excepter  ceux  qui  auraient  dix  ans  de  résidence 
en  l'iirquie.  11  est  à  remarquer  que  la  loi  musul- 
mane soumet  tous  les  étrangers  à  la  capitation 
au  bout  d'un  an  de  séjoiu*  dans  le  pays  de  sa 
domination;  on  ne  borna  ])lus  la  din-ée  du  traité 
à  la  vie  des  deux  souverains,  et  il  n'y  est  plus 
mention  de  l'accession  d'autres  princes  comme 
dans  le  précédent. 

La  république  de  Venise  avait  fait  sa  paix 
avec  les  Turcs  dans  l'intervalle  de  ces  deux 
traités,  et  elle  avait  obtenti  quelques  privilèges 
que  l'article  seize  de  celui  de  1 569  rend  communs 
aux  Français. 

Claude  Du  Bourg,  si  on  en  croit  l'évèque 
d'Acqs  se  conduisit  en  brigand.  Les  Marseillais 
tirent  contre  lui  les  ])laintes  les  plus  graves,  et  ils 


SUR    L'AMBASSADE    DK   TURQUIE.  285 

obtinrent  son  rappel.  Il  paraît  qu'elles  portaient 
sur  les  extorsions  qu'en  avait  éprouvées  leiu-  com- 
merce en  Levant.  On  a  vu  ailleurs  le  motif  qui 
fît  choisir  l'évéque  d'Acqs  pour  lui  succéder.  Ce 
prélat  écrivait  de  Gonstantinople,  en  157^,  que  le 
négoce  de  la  France  en  Turquie  était  peu  consi- 
dérable; que  la  navigation  apportait  quelques 
profits  ;  il  est  aisé  de  comprendre  que  les  dissen- 
sions intestines  dti  royaume  et  la  part  que  la  ville 
de  Marseille  prit  à  la  ligue  diu'ent  déranger  le 
commerce  de  la  France  dans  le  Levant. 

Gilles  de  Noailles,  successeiu*  de  l'évéque 
d'Acqs,  ayant  obtenu  son  rappel  de  Turquie,  cette 
ambassade  demeura  vacante  quelque  temps.  La 
reine  Elisabeth,  dans  cette  occurrence,  conclut 
avec  l'empire  ottoman  im  traité  d'amitié  et  de 
commerce  où  l'admission  du  pavillon  anglais 
dans  le  Levant  fut  stipulée.  Dumontdit,  dans  son 
recueil  diplomatique,  que  la  Porte  y  mit  la  con- 
dition que  l'Angleterre  conserverait  la  paix  avec 
la  France,  dont  l'ambassadeur,  selon  cet  auteur, 
contribua  beaucoup  à  la  conclusion  de  soti  traité  ; 
mais  on  a  vu  que  l'ambassade  était  alors  vacante 
et  il  n'est  guère  probable  que  dans  un  temps  où 
l'Angleterre  favorisait  les  réformés  en  France, 
Henri  III  s'occupât  des  intérêts  de  cette  puissance 
en     Levant.    Il    vaut    mieux    croire     l'historien 


^«6  Ml   NU)!  H  K 

llumc  (|iii  <lii  (|tK'  l:i  rL-pui.'itiMii  (l'Kiisal)clli 
ciign^ca  Miirad  III,  alors  régnant,  ci  fils  de 
Sclini  II,  :i  s'allier  avec  clic. 

Henri  III  envoya  peu  après  en  ambassade  à 
ce  Sultan,  .laecpies  de  (iermoles,  baron  de 
(ierniignv,  i)()ur  renouveler  les  traités  entre 
les  deux  nations,  (let  ambassadeur  en  signa 
un  nouveau  en  vingt-sept  articles,  an  mois  de 
juillet   1581. 

On  voit  au  pronicr,  les  \'énitiens,  Génois, 
Anglais,  Portugais,  Catalans,  Siciliens,  Anconi- 
tains,  Ragusais  et  autres,  assujettis  à  naviguer 
en  Levant  sous  la  bannière  française.  Chose 
étrange  après  l'admission  du  pavillon  anglais  près 
la  Porte  deux  ans  auparavant. 

Le  troisième  article  assure  aux  ambassadeurs 
de  France  la  préséance  sur  ceux  de  tous  les 
Rois  et  princes  chrétiens,  citant  à  l'appui  de  ce 
privilège,  l'amitié  ancienne  et  spéciale  des  deux 
États  et  l'antique  usage.  Cette  préséance  n'avait 
pas  cependant  été  statuée  dans  les  deux  traités 
précédents. 

L'article  quatorze  exempte  de  tous  impots  per- 
sonnels les  Français,  ceux  même  mariés,  ce  qui 
est  une  autre  dérogation  à  la  loi  musulmane  qui 
assujettit  à  la  capitation  les  étrangers  mariés  dans 
le  pays. 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  287 

Le  reste  du  traité  n'oftre  rien  d'innové  sur  les 
deux  précédents. 

L'apparition  d'un  navire  anglais  en  Levant 
fournit  à  Jacques  de  Lancosme,  successeur  de 
Germigny,  l'occasion  de  s'en  plaindre  à  la  Porte 
comme  d'une  violation  du  privilège  du  pavillon 
français.  Cet  ambassadeur  refusa  de  communi- 
quer avec  celui  que  l'Angleterre  avait  alors  à 
Constantinople,  prétendant,  sans  qu'on  voie  sur 
quel  fondement  il  s'appuie,  que  la  France  seule 
pouvait  conserver  des  ministres  résidents  en 
Turquie.  S'il  ne  parvint  pas  à  en  exclure  les 
navires  anglais,  au  moins  réussit-il  à  empêcher 
les  autres  nations  commerçant  en  Levant  d'y 
venir  sous  ce  pavillon  :  il  obtint  à  deux  reprises 
la  détention  d'un  nommé  Paid  Mariani,  accusé 
de  contravention  à  cet  égard,  et  qui  servait  à 
Constantinople  d'agent  aux  Florentins. 

Quoique  le  traité  de  i  ^81  n'eût  pas  son  terme 
au  décès  des  Souverains  contractants,  Henri  IV 
s'occupa  de  renouveler  les  traités  de  sa  couronne 
avec  l'empire  ottoman  dès  que  la  France  fut 
délivrée  des  troubles  intestins  par  ses  victoires. 
Le  comte  de  Brèves,  son  ambassadeiu' auprès  de 
Méhéinet  111,  fils  et  successeur  de  Murad,  con- 
clut avec  la  Porte,  au  mois  de  février  1 597,  un 
nouveau  traité  de  commerce,  qualifié  impropre- 


2HH  M  I  M  (  )  I  H  K 


iiicni  (le  li;iuc  d  ;illi;iiuc.  (I:ms  l:i  copie  (jiii  en 
existe  :iii  (lc|)i")(  des  Aliiures  étrangères.  (]et 
acte  contient  trente-deux  para^i'aplies  non  nu- 
mérotés. 

dette  (ois  les  Anglais  ei  les  Vénitiens  sont 
exccj)lés  de  lassujettisseinent  à  rusa^'^e  de  la 
bannière  (rançaise,  mais  il  leiu"  est  interdit  de 
donner  la  leur  aux  autres  nations. 

On  y  voit  la  liberté  accordée  aux  l-rancais 
d'exporter  du  Levant  des  cuirs  cordoiians  et 
des  cotons  lilés  :  iiiarchandises  dont  l'exportation 
était  précédemment  interdite. 

Un  autre  paragraphe  défend  à  l'hôtel  des 
monnaies  de  l'empire  de  forcer  les  Français  à 
lui  livrer  des  espèces  venues  du  dehors,  et  à  payer 
des  droits  sur  cet  objet. 

Enfin  le  Sultan  prometpar  une  clause  expresse, 
d'obliger  les  corsaires  de  Barbarie  à  restituer  le 
fruit  de  leurs  déprédations  et  à  destituer  les 
Beys  qui  les  auraient  permises. 

Tout  le  reste  n'est  qu'une  répétition  des  trois 
précédents  traités. 

La  pénurie  des  iinances  au  commencement 
du  règne  d'Henri  IV,  obligea  ce  prince  d'impo- 
ser sur  le  commerce  du  Levant  un  droit  de  2  "/o 
pour  l'entretien  de  son  ambassade  et  de  ses  con- 
stils  en    'i'iir([uie,   sur  quoi  ils    étaient  teiuis   de 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  289 

tous  les  frais  du  service.  A  ce  droit  fut  substitué 
en  162O;,  un  abonnement  de  Ja  ville  de  Mar- 
seille, avec  l'ambassadeur  et  ses  successeurs, 
pour  faire  face  à  ces  dépenses.  Elle  en  a  été 
soulagée  en  1766,  cette  somme  ayant  été  ajou- 
tée aux  appointements  ordinaires  de  l'ambas- 
sade. 

Quant  aux  consids,  ils  jouirent  long-temps 
encore  de  cette  attribution.  On  voit,  dans  un 
mémoire  d'un  sieur  Maillet,  que  ce  fut  sous  le 
règne  de  Henri  IV,  que  les  secrétaires  d'État 
commencèrent  à  disposer  des  consulats  du  Le- 
vant qui  probablement  étaient  demeurés  jus- 
qu'alors à  la  nomination  des  ambassadeurs  du  Roi. 
Les  nouveaux  titulaires  firent  exercer  leur  em- 
ploi par  des  substituts.  On  a,  au  dépôt  des  Affaires 
étrangères,  un  brevet  de  consid  d'Ég-ypte  daté 
de  1615,  en  faveur  du  comte  de  Brèves  revenu 
de  son  ambassade  en  Turquie  depuis  plusieurs 
années.  Louis  XIII  érigea  les  consulats  en  titre 
d'office  en  161 7,  ce  qui  diu-a  environ  soixante 
ans.  Louis  XIV  supprima  ces  charges  et  fit  don 
des  considats  du  Levant,  comme  simples  com- 
missions, au  marquis  de  Seignelai,  lequel  afferma 
quarante  mille  francs  par  an  les  droits  consulaires 
qui  y  étaient  attachés.  On  les  attribua,  en  1719, 
à  la  chambre  de  commerce,  en  la  chargeant  de 

'9 


39'.  M  F.  M  (J  lin 

payer  aux  consuls  ci  interprètes  des  échelles,  des 
appointements  réglés. 

Méhéniet  111,  cpii  mourut  en  1604,  eut  pour 
successeur,  son  fils,  Ahmed  1  ".  Le  comte  de 
i>rèves  s'occupa  du  renouvellement  des  capitula- 
tions sous  le  nouveau  règne  comme  cela  s'était 
pratiqué  à  l'avènement  de  chaque  Sultan  depuis 
Soliman.  L'acte  en  l'ut  rédigé  en  quarante  huit 
articles.  On  parlera  ailleurs,  de  ceux  qui 
regardent  la  religion  catholique  et  le  pèlerinage 
à  Jérusalem  dont  il  lut  fait  alors  mention  pour  la 
première  fois. 

Le  dix-septième  défend  d'exiger  aucun  droit 
des  Français  pour  des  marchandises  qu'ils  n'au- 
raient pas  vendues  et  qu'ils  voudraient  envoyer 
ailleurs. 

Le  dix-huitième,  dit  que  les  Français  seront 
exempts  de  quatre  sortes  d'impôts  :  c'était  pro- 
bablement alors  les  seuls  existants,  mais  cela  n'a 
pu  faire  loi  pour  ceux  qui  ont  été  créés  depuis. 

Par  le  jnngtième,  le  Sultan  consent  que,  sans 
être  censé  rompre  la  bonne  intelligence  entre 
les  deux  puissances,  le  Roi  châtie  les  corsaires 
barbaresques  s'ils  commettent  des  excès  contre 
le  pavillon  français.  Cette  clause  prouve  que  dès 
lors  ces  régences  avaient,  en  partie,  secoué  le 
joug  ottoman.  Par  l'article  suivant,  on  accorde 


SUR    L'AMBASSADE   DE   TURQUIE.  291 

aux  Français  le  droit  de  pêcher  du  poisson  et 
du  corail  sur  la  côte  d'Alger. 

Le  vingt-huitième  porte  franchise  des  droits 
pour  les  effets  de  l'ambassadeur  de  France,  et  le 
suivant  étend  ce  privilège  aux  consuls.  Il  leur 
assure  en  même  temps  la  préséance  sur  ceux  des 
autres  nations. 

Ce  traité  de  1604  ne  contient  aucune  autre 
innovation  sur  les  précédents. 

Le  commerce  de  la  France  n'était  pas  floris- 
sant à  cette  époque.  Le  comte  de  Brèves  a  laissé 
des  mémoires  imprimés  oli  il  dit,  que  de  son 
temps,  les  Français  avaient  cessé  d'envoyer  des 
draps  en  Turquie  et  qu'ils  trouvaient  mieux  leur 
compte  à  y  faire  passer  des  espèces  pour  leurs 
achats  de  marchandises  de  Turquie  et  des  Indes. 
On  doit  en  conclure  que  les  manufactures  du 
royaume  ne  s'étaient  pas  encore  alors  relevées 
depuis  les  troubles  de  la  ligue.  Le  même  ambas- 
sadeur observe,  en  revanche,  que  la  navigation 
française  florissait  au  Levant,  et  que  mille  bâti- 
ments des  côtes  de  Provence  étaient  employés 
au  cabotage,  nombre  qui  paraît  excessif,  et  n'a 
pu  être  égalé  en  aucun  temps. 

Malgré  l'engagement  pris  dans  le  traité  de 
1604  d'empêcher  l'usage  du  pavillon  anglais  en 
Levant,   à    d'autres  nations,  ime   lettre  (ju'on  a 


Ml  MOI  in. 


292 

d'AhniccI  1"  à  Henri  IV,  poriam  dcsavcu  (Je  cci 
abus,  prouve  qu'il  avait  subsisté,  (lela  n'cmpècba 
pas  ce  Sultan  de  cuticlure  en  1612,  un  traité 
d'amitié  avec  les  l^^ats  généraux  des  Provinces- 
Unies  et  d'admettre  leur  pavillon  dans  ses  ports, 
ce  qui  fbrma  une  troisième  exception  au  privi- 
lège exclusif  de  la  France  à  cet  égard. 

Ce  prince  mourut  en  1617,  et  sous  les  règnes 
de  ses  enfants  Osman  11,  Miu-ad  I\^  et  Ibrahim, 
ainsi  que  pendant  les  deux  courts  règnes  de  son 
frère  xMustapha  1"',  les  capitulations  précédentes 
furent  confirmées  sans  aucune  addition.  Le  com- 
merce de  la  France  ne  s'était  guère  étendu  jus- 
qu'alors à  Constantinople.  Le  comte  de  Cézy. 
qui  y  était  ambassadeur  de  Louis  XIII,  écrivait, 
en  1626,  qu'il  n'y  avait  que  deux  négociants  fran- 
çais en  cette  capitale,  et  qu'il  n'y  venait  que  peu 
de  bâtiments  de  sa  nation.  Le  fort  de  ce  négoce 
devait  alors  être  à  Alep,  puisqu'en  1630,  dans 
un  accord  que  firent  entre  eux  les  Français,  les 
Anglais,  les  Hollandais  et  les  Vénitiens  pour  y 
payer  en  commun  les  frais  de  l'échelle,  les  pre- 
miers en  supportèrent  les  deux  cinquièmes. 

Les  droits  du  Grand  Seigneur,  au  mépris  des 
capitulations,  s'y  exigeaient  alors  presque  arbi- 
trairement. Pour  tacher  de  les  rendre  moins 
onéreux,  le  comte  de  Cézy  eut  l'imprudence  de 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  293 

se  rendre  caution  d'un  juif,  nommé  Meleby  Ba- 
diey,  lequel  avait  affermé  la  douane  d'Alep.  11  fit 
banqueroute,  on  revint  sur  l'ambassadeur  :  il 
satisfît  au  payement  par  un  emprunt  pour  l'in- 
térêt et  l'amortissement  du  capital  duquel  on 
imposa  3''/o  sur  tout  l'argent  monnayé  que  le 
commerce  de  France  portait  à  Alep;  cet  impôt 
dura  cinquante  ans. 

Le  comte  de  Cézy  avait  fait  d'aiures  dettes 
personnelles,  et  le  Roi  les  paya,  en  1639,  par  un 
envoi  à  Constantinople  de  draps  fournis  par  un 
négociant  nommé  Lagau,  pour  la  valeur  de 
100,000  écus.  Il  fallut  que  les  créanciers  s'en 
contentassent  bon  gré.  mal  gré.  Ces  draps  n'étaient 
pas  en  faveur  dans  la  capitale,  où  le  commerce 
français  était  encore  tel  que  l'avait  laissé  le  comte 
de  Brèves,  trente  ans  auparavant.  La  longue 
ambassade  de  M.  de  la  Haye,  le  père,  ne  lui  fut 
pas  plus  favorable  et  elle  finit  j^ar  la  détention 
de  cet  ambassadeur  aux  Sept-Tours  pour  avoir 
refusé  de  payer  la  valeur  d'un  chargement  de 
marchandises  turques,  sur  un  navire  français,  que 
le  capitaine  avait  été  vendre  en  Italie.  AL  de  la 
Haye  ne  sortit  de  prison  qu'après  y  avoir  satisfait. 

M.  de  Vantelec,  son  fils  et  son  successeur, 
trouva  le  connuerce  du  Levant  dans  le  même  état 
qu'en   1663.   (xnte  langueur    était    attribuée   en 


294  Ml.  M(JIin-. 

France  ù  riiicxccuiioii  des  capitiil.itions ,  et 
l'ainl):issM(lciir  dit  ordre,  dans  ses  instructions,  de 
solliciter  leur  renouvellement.  Les  pachas  exer- 
çaient en  effet  beaucoup  d'avanies.  Chardin  fait 
nionter  à  deux  cent  nulle  Iratics,  celle  qui  était 
en  rcclaniation  à  répoque  où  il  écrivait;  il  ajoute 
(|iie  les  Français  payaient  la  douane  sur  le  pied 
de  5  '  „  pciulanr  (|u'on  n'exigeait  (|iie  "^  " /"  des 
Anglais  et  des  Hollandais,  (^ette  différence,  au 
désavantage  de  ses  sujets,  mortifiait  Louis  XIV 
qui  voulait  partout  des  préférences.  Entre  les 
motifs  à  alléguer  à  la  Porte  pour  obtenir  des 
conditions  plus  avantageuses,  il  fut  recommandé 
à  Tambassadeur  de  faire  valoir  spécialement  le 
profit  des  douançs  turques  sur  les  marchandises 
des  Indes  que  les  Français  tiraient  encore  du 
Levant,  pendant  que  les  puissances  en  question 
les  recevaient  du  Cap  de  Bonne-Espérance,  sans 
profit  pour  la  Porte.  Colbert  établissait  alors  en 
France  la  compagnie  des  Indes,  dont  les  envois 
par  cette  route  firent  tomber  en  partie  l'impor- 
tation des  marchandises  de  ce  pays  en  France  par 
l'Egypte  et  par  le  golfe  Persique.  Dans  la  suite, 
les  navires  français  vinrent  à  Bassora,  et  le  mar- 
quis de  Villeneuve  y  obtint  de  la  Porte,  avec 
beaucoup  de  peine,  en  17^8,  l'établissement  d'un 
consul. 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  295 

Les  négociants  français  avaient  introduit  en 
Turquie  une  monnaie  d'argent  de  la  valeur  de 
cinq  sols,  nommée  Témin;  elle  est  encore  mon- 
naie de  Constantinople  en  certaines  échelles, 
quoique  devenue  idéale.  Dès  qu'elle  parut,  son 
cours  fut  prodigieux.  Ce  succès  en  £t  fabriquer 
en  contrefaçon  pour  le  Levant  dans  plusieurs 
pays  de  l'Europe  et  spécialement  à  Gènes,  où  on 
les  altéra  au  point  que  les  Turcs  ayant  ouvert  les 
yeux  sur  leur  bas  aloi,  l'introduction  des  témins 
en  Turquie  fut  prohibée,  l'an  1670,  ce  qui  força 
les  Français  d'y  substituer,  pour  les  achats  de 
leur  commerce,  des  piastres  espagnoles. 

Des  corsaires  maltais  ayant  pris  sur  un  navire 
français  des  marchandises  appartenant  à  des 
Turcs,  Louis  XIV,  à  la  réquisition  de  la  Porte, 
en  exigea  la  restitution  ;  mais  elle  fut  incomplète 
par  la  difficulté  ou  la  négligence  à  rassembler  ce 
qui  avait  été  d'abord  pillé.  Le  grand  vizir  Ahmed 
Kupruly  n'entendit  pas  raison  sur  ce  sujet,  et  il 
somma  M.  de  la  Haye  de  payer  le  déficit. 
L'exemple  de  son  père  mis  aux  Sept-Tours  l'in- 
duisit à  y  satisfaire. 

Colbert,  devenu  ministre  des  finances  de 
Louis  XIV,  s'occupa  de  vivifier  le  commerce  du 
Levant;  convaincu  de  l'inconvénient  qu'il  y 
avait  pour  les   Français  à  se  servir  de  Forgane 


296  M  IMOI  H  I 

des  juifs  et  ;mtrcs  interprètes  du  pays,  ce  mi- 
tiisirc  y  lit  passer  avec  M.  de  la  Haye  le  fîls, 
douze  enfants  français  pour  y  apprendre  les 
langues  orientales  et  ùtre  ensuite  employés  à 
servir  d'interprètes  à  leurs  compatriotes;  ce  qui 
s'exécuta  dans  la  suite.  C'est  l'origine  de  nos 
drogmans  nationaux. 

En  1669,  ^^  ^'"^  ^'-'  Miit'îïtiill^  <Lit  déclarée 
port  franc  dans  le  but  spécial  d'y  attirer  le  con- 
cours des  marchandises  de  tous  les  pays  et  d'en 
faire  l'entrepôt  de  celles  du  Levant,  qui  devaient 
repasser  ensuite  à  l'étranger.  Ce  ministre  forma 
deux  ans  après  ime  compagnie  pour  le  commerce 
de  Turquie,  dans  laquelle  il  intéressa  des  riches 
financiers.  Un  sieur  Rélimanie  la  présida  sous  le 
titre  d'intendant  général.  Cette  première  asso- 
ciation réussit  mal  ;  elle  avait  tablé  sin-  des  pro- 
fits dès  le  début  des  opérations,  et  elle  n'avait  pas 
fait  de  fonds  pour  les  premiers  frais.  L'entretien 
des  employés  dévora  en  peu  de  temps  une  bonne 
partie  du  capital,  il  aurait  fini  par  l'être  en  entier, 
si  on  n'eût  pris  le  parti  de  dissoudre  la  com- 
pagnie. 

Le  chevalier  d'Arvicux  dit,  dans  ses  mémoires 
imprimés,  qu'à  cette  époque,  les  draps  anglais  et 
hollandais  avaient  en  Levant  toute  la  faveur  du 
débit.  11  ajoute  que  ces   deux  nations  y  fournis- 


SUR    LAMBASSADH    DE    TURQUIE.  297 

saient  aussi  le  plomb,  l'étain  et  les  épiceries  et 
que  les  étoffes  d'or,  les  soieries  et  le  papier 
venaient  de  Venise  et  de  Gênes. 

Cette  dernière  république  avait,  par  les  bons 
offices  de  l'Empereur,  obtenu,  quelques  années 
auparavant,  à  son  pavillon,  l'accès  du  Levant. 
M.  de  la  Haye  avait  fait  de  vains  efforts  pour 
y  mettre  obstacle.  Le  g-rand  vizir  ne  voulut  pas 
reconnaître  à  la  France  le  privilège  d'exclure  du 
Levant  les  pavillons  des  autres  nations,  et  le 
Génois  y  fut  admis.  Le  marquis  Durazzo  déve- 
loppa à  Constantinople  le  caractère  d'ambassa- 
deur extraordinaire  et  retourna  heureusement 
clans  son  pays  au  bout  de  quelques  mois,  quoique 
guetté  sur  la  route  par  une  escadre  française 
qtii  avait  ordre  de  l'enlever.  Louis  XIV  y  avait 
mis  d'autant  plus  d'humeur  que,  quelques  années 
auparavant,  ayant  favorisé  auprès  de  la  Porte  la 
demande  d'admission  des  Génois,  il  avait  essuyé 
im  refus. 

Le  Roi,  voyant  que  M.  de  la  Haye  ne  pou- 
vait parvenir  au  renouvellement  des  capitulations, 
résolut  de  le  retirer  de  Constantinople;  il  envoya 
une  escadre  poiu'  le  ramener.  Le  Grand  Seigneur 
se  trouvait  alors  en  Epire.  ce  qui  força  l'ambas- 
sadeur de  s'y  rendre  pour  prendre  congé.  Le 
ministère  ottoman,  à  qui  la  puissance  de  LouisXlV 


398  M  f  MOI  K  K 

cominciiçait  ;i  im|)().scr,  voyant  ciu'il  ne  rcmj)hi- 
caii  pas  son  aml)assadcnf,  chercha  à  retenir 
M.  de  la  Haye  ei  à  l'anuiser  par  l'ouverture  de 
la  négociation;  ensuite,  sous  prétexte  de  con- 
naître plus  (lirectenieni  les  intentions  du  Roi  sur 
cet  objet,  le  (j ranci  Seigneur  lui  écrivit  une 
lettre  dont  un  olh'cier  turc,  nommé  Soliman  Aga, 
lut  le  porteiM-.  (lomme  elle  était  conçue  en 
termes  généraux,  on  ne  la  regarda  qtie  comme 
im  leurre  et  on  se  décida  à  prendre  un  parti  sur 
les  affaires  du  Levant. 

Le  chevalier  d'Arvieux  dit  avoir  été  consulté, 
et  il  rapporte  le  mémoire  qu'il  présenta  sur  ce 
sujet.  Le  conclnsum  était  qu'il  fallait  suspendre 
la  nomination  d'un  autre  ambassadeur  et  se  con- 
tenter d'accréditer  à  Constantinople  un  agent, 
qui  rendît  compte  de  l'état  des  choses  et  pik 
prévenir  du  moment  où  leiu-  aspect  pourrait 
devenir  plus  favorable  aux  vues  du  Roi.  Les 
motifs  de  d'Arvieux  furent  trouvés  solides,  et  il 
fut  lui-même  destiné  à  cette  commission  d'agent, 
mais  il  ajoute  que  MM.  de  Louvois  et  Colbert, 
qui  songeaient  à  l'ambassade  de  Turquie  pour 
M.  de  Nointel,  représentèrent  au  Roi  qu'il 
fallait  consulter  le  commerce  de  Marseille;  il  ne 
leur  fut  pas  difficile  de  le  faire  insister  sur  la 
nécessité  de  la   présence   d'un  ambassadeur  de 


SUR    L'AMBASSADK    DE    TURQUIE.  299 

Sa  Majesté  à  Constantinople,  et  en  conséquence 
M.  de  Nointel  fut  nommé  à  cette  place. 

Chardin  raconte  que,  dans  la  prévention  où 
l'on  était  en  France  qu'Ahmed  Kupruly  ne  pouvait 
souffrir  les  Français,  il  fut  prescrit  à  M.  de  Noin- 
tel dans  ses  instructions  de  ne  parler  d'affaires  à 
ce  vizir  qu'au  divan  et  de  s'adresser  directement 
au  Grand  Seigneur.  L'ambassadeur,  en  confor- 
mité de  ces  ordres,  demanda  audience  au  grand 
vizir  ;  mais  ce  ministre  exigea  préalablement  par 
écrit  une  communication  des  points  qu'il  s'agis- 
sait de  traiter.  L'ambassadeur  ne  pouvant  reculer, 
exposa  dans  un  mémoire  les  additions  que  le  Roi 
demandait    aux    anciennes    capitulations.    Elles 
parurent    exorbitantes  au  grand  vizir  qui,  pour 
gagnerdu  temps,  prétexta  que  ces  objets  auraient 
du  être  mentionnés  dans  la  lettre  du  Roi.  11  fallut 
consentir  à   suspendre  la  négociation  jusqu'aux 
réponses  de  France.  A  cette  condition,  l'ambas- 
sadeur obtint  l'audience   demandée   et  celle  du 
Grand  Seigneur    pour  la     présentation    de    ses 
lettres  de  créance.  Mais  M.  de  Nointel  y  tenta, 
contre  sa  parole   et  l'usage  reçu,  d'entrer  avec 
Sa  Hautesse  dans  le  détail  des  affaires,  ce  qui  ne 
l'avança   guère;    il  n'eut  d'autre  réponse  de  ce 
prince  que   celle    de   s'adresser   au   grand   vizir 
qui  prit  de  l'huniciii-  et  refusa  d'aller  en  avant. 


300  M  rMOIIi  I 

I  11  propos  (|iic  litii  (C  ministre  montre  l;i 
m:inièi-e  dont  les  1  iii-es  envisa^'^ent  le  commerce; 
"  Vous  me  vantez  beaucoup  la  grandeur  de  voire 
roi,  dir-il,  à  M.  de  Noiiuel,  comment  un  prince, 
aussi  puissant  que  nous  le  dites,  pourrait-il 
mettre  tant  de  chaleur  à  de  vils  intérêts  de  mar- 
chands!   " 

M.  de  Nointel  rendit  compte  de  sa  conduite 
à  Louis  XIV,  et  l'on  voit  dans  une  dépêche  de 
ce  prince,  du  ^  juin  i6-i,  cju'il  mil  en  délibéra- 
tion de  rompre  avec  la  Porte,  et  que  ce  fut  Favis 
de  tous  les  commerçants  de  Marseille  qui  furent 
consultés  encore  cette  fois;  mais  le  parti  de 
temporiser  prévalut;  on  fît  partir  pour  Constan- 
tinople  le  chevalier  d'Arvieiix  avec  une  lettre  du 
ministre  du  Roi  pour  le  grand  vizir.  Elle  disait 
qu'il  était  inouï  qu'on  refusât  créance  à  l'ambas- 
sadeur de  Sa  Majesté  ;  qu'elle  ne  s'expliquerait 
que  par  son  propre  organe  et,  qu'en  cas  de 
refus,  il  n'avait  qu'à  lui  donner  congé  pour  s'en 
retourner.  Cela  fit  effet;  M.  de  Nointel  fut 
mandé  à  Andrinople  et  produisit  de  nouveau  les 
conditions  que  le  Roi  exigeait  dans  le  renouvel- 
lement des  capitidations  :  il  abandonna  bientôt 
celle  de  la  liberté  de  navigation  dans  la  mer 
Rouge,  sur  laquelle  le  vizir  fut  inflexible,  mais 
ayant  tenu   ferme   sur  l'exclusion   de  tout  pavil- 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  :;oi 

Ion,  dans  le  Levant,  autre  que  celui  de  la 
France,  exig-ence  tout  à  fait  déraisonnable  depuis 
la  conclusion  de  traités  formels  avec  quatre 
autres  nations,  la  négociation  se  rompit;  elle  se 
renoua  en  1673,  et  le  17  août  les  nouvelles  capi- 
tulations furent  signées  avec  l'addition  de  1 7  ar- 
ticles. 

On  n'y  trouve  d'essentiel  relativement  au 
commerce  que  la  réduction  de  cinq  à  trois  pour 
cent  SLU'  les  douanes  des  marchandises. 

M.  de  Nointel  avait  charg-é  un  négociant 
nommé  Bary  de  jDorter  dans  les  échelles  du 
Levant  les  nouvelles  capitulations.  Cet  homme 
mourut  en  chemin,  et  l'ambassadeur  s'y  substitua 
en  personne.  Il  passa  en  Syrie  et  notamment  à 
Alep,  où  sa  présence  fut  efficace  pour  l'abolition 
de  plusieurs  vexations  onéreuses  au  commerce 
de  la  France  :  elles  continuèrent  encore  longtemps 
en  Egypte  où  l'autorité  de  la  Porte  manquait  de 
ressort, 

La  dépense  du  voyage  de  M.  de  Nointel  fut 
à  la  charge  des  échelles  du  Levant  qui  en 
payèrent  les  frais.  Cet  ambassadeur  avait  d'autres 
dettes  et  Louis  XIV  les  ht  acquitter  lorsqu'il  le 
rappela.  Le  marquis  de  Bonac  observe  que  ce 
ne  fut  pas  en  argent,  mais  en  draps  défectueux. 
Les  essais  des  manufactures  de  France,  encoii- 


302  MI.MOIin-, 

ra^^cs  p:ir  (lolbcrt,  ir;iv:iic;u  |);is  encore  aueiiit 
la  perleitioii  nécessaire  an  ^ont  ei  ii  l'usage  des 
Levantins. 

Malgré  rinsuccès  de  la  |)i-eniièi"e  compagtjie, 
le  ministre  en  loi-ina  une  seconde  sj)écialeniefit 
pour  procurer  le  débit  aux  inanuracturcs  de 
Saptes  et  de  Cdermoni  en  Languedoc:  cette  pro- 
vince avait  accordé  un  prêt  de  60,000  francs  à 
l'une  et  10,000  francs  à  l'autre,  avec  une  pistole 
de  gratification  pour  chaque  pièce  de  drap 
fabriquée.  Le  Roi  y  ajouta  une  autre  pistole;  on 
eut  soin  de  donner  à  ces  draps  la  dénomination 
de  Londrins  seconds  qui  avaient  le  plus  de  faveur 
en  Levant;  des  mémoires  de  ce  temps  disent, 
en  effet,  que  les  Anglais  en  débitaient  alors  qua- 
rante mille  pièces;  le  débit  des  Hollandais  était 
presque  aussi  florissant. 

Il  existe,  aux  archives  de  l'ambassade,  un 
mémoire  de  l'an  1682,  pendant  l'ambassade  de 
M.  de  Guilleragues,  successeur  de  M.  de  Noin- 
tel,  d'un  sieur  le  Fèvre  François,  d'abord  négo- 
ciant à  Constantinople,  ensuite  échevin  à  Mar- 
seille. Il  y  dit  qu'à  l'époque  citée,  il  n'y  avait  en 
cette  capitale  que  quatre  maisons  françaises; 
que  la  masse  de  leur  commerce  n'excédait  pas 
la  valeur  de  600,000  piastres  et  consistait  en 
sucre,  poivre,  gingembre,  cochenilles  et  quelques 


SUR    L'AMBASSADE    D  b.    TURQUIK.  303 

draps  grossiers,  dits  de  Paris-,  quoique  fabriqués 
en  Normandie,  et  d'autres  nommés  Pinchinas  ; 
que  les  retoiu-s  en  cuirs,  laines  et  camelots  d'An- 
gora n'allaient  pas  au  tiers  de  cette  somme,  et 
qu'à  peine  y  venait-il  de  France  huit  ou  neuf 
navires  par  an. 

Mais  à  Smyrne,  à  Alep ,  en  Syrie  et  en 
Egypte,  le  commerce  français  l'emportait  sur 
celui  des  autres  nations  étrangères.  M.  le  mar- 
quis de  Bonac  dit  quelque  part,  qu'en  1685  ^^ 
totalité  pour  le  Levant  montait  à  la  valeur  de 
quatre  millions.  La  même  année,  à  la  mort  de 
M.  de  Guilleragues,  à  Constantinople,  le  Roi 
nomma  consul  pour  cette  capitale,  pendant  la 
vacance  de  l'ambassade,  le  sieiu-  Jean-Baptiste 
Fabre,  qui  eut  ensuite  le  titre  d'agent  du  com- 
merce et  fut  admis  à  la  Porte  en  cette  qualité  ; 
il  la  conserva  jusqu'à  l'arrivée  de  M.  de  Girardin, 
en  1685.  Cet  ambassadem-  eut  ordre  dans  ses 
instructions  de  faire  tous  ses  efforts  pour  ouvrir 
au  pavillon  français  l'entrée  de  la  mer  Rouge. 
Le  consul  de  France  en  Egypte  agit  de  son  côté 
poin^  engager  les  Turcs  à  donner  une  réponse 
favorable,  mais  elle  y  fut  très-contraire.  L'oppo- 
sition porta  en  apparence  siu*  l'inconvénient 
qu'il  y  aurait  d'admettre  des  chrétiens  dans  une 
mer  si  à   portée  du  tombeau  du  prophète  Maho- 


^o4  .MF.M(Jlin- 

inci.  I):ms  la  rcalitc.  le  pacha  trai^'^iiit  de  voir 
réduire  les  droits  de  douane  sur  les  marchandises, 
de  dix  poui-  eeiu  c|ue  lui  payaient  les  sujets  de 
la  l\)rte  à  trois,  (|ui  était  le  taux  lixé  pour  les 
l^rancais.  De  leur  cùté,  les  marchands  du  Caire 
craignaient  c]ue  les  branches  de  ce  commerce 
immense  ne  sortissent  par  là  de  leurs  mains, 
(hiant  à  l'introduction  du  pavillon  français  dans 
la  mer  Noire,  le  relus  fut  plus  net.  La  Porte  la 
regardait  alors  comme  ime  propriété  sacrée  dont 
il  ne  fallait  pas  partager  la  jouissance.  IJle  eut 
la  complaisance  de  permettre  à  M.  de  Girardin 
de  charger  pour  Toulon  deux  navires  de  bois 
de  construction  coupés  sur  les  cotes  de  cette 
mer,  mais  à  condition  d'en  faire  l'achat  à  Gon- 
stantinople.  Le  gouvernement  se  prêta  aussi  à 
accorder  des  iîrmans  à  un  commissaire  français, 
nommé  D'Ortières,  qui  fut  envoyé  avec  deux 
vaisseaux  de  guerre  pour  inspecter  les  Français 
des  échelles  du  Levant.  11  était  accompagné  d'un 
commissaire  turc  porteur  de  Tordre  d  y  mettre 
en  vigueur  les  dernières  capitulations.  Ge  fut 
l'époque  oit  elles  eurent  pour  la  première  fois 
leur  exécution  en  Egypte. 

Les  malheurs  des  Turcs  dans  la  guerre  où 
ils  étaient  engagés  contre  les  cours  de  ^'ienne  et 
de  Berlin,  la  Russie  et  la  République  de  Venise, 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  305 

en  même  temps,  furent  pour  le  commerce  et  la 
navigation  de  la  France  une  époque  de  prospé- 
rité. Le  pavillon  français  suppléa  celui  des  Véni- 
tiens pour  le  cabotage  turc  et  pour  le  transport 
du  riz  et  du  café  d'Egypte  dans  la  capitale  et  les 
autres  ports  de  l'empire  ottoman.  Ce  fut  alors 
que  l'échelle  de  Salonique,  devenue  aujourd'hui 
l'une  des  plus  considérables  du  Levant,  com- 
mença d'être  fréquentée  par  les  navires  français. 
Ricaut  rapporte  que  quatorze  de  ces  bâtiments, 
arrivant  à  Constantinople  en  1686,  préservèrent 
cette  ville  d'une  famine  menaçante.  Pour  assurer 
cette  navigation,  Louis  XIV  signifia  aux  Vénitiens 
qu'il  les  forcerait  à  restituer  tout  effet  de  l'en- 
nemi pris  sous  pavillon  français ,  la  poudre  et  le 
plomb  exceptés.  Ces  progrès  ne  pouvaient 
qu'augmenter  encore  lorsque  la  guerre  de  1689 
entre  la  France  et  presque  toute  l'Europe  com- 
mença. Pendant  son  cours ,  les  corsaires  des 
puissances  maritimes  firent  beaucoup  de  mal  à  la 
caravane  française  dans  l'Archipel,  et  les  appro- 
visionnements des  Tiu-cs  en  souffraient.  Le 
capitan  pacha,  Mezzo-Morto,  fameux  par  la 
reprise  de  Scio  sur  les  Vénitiens,  imagina  alors 
de  supposer  une  ligne  entre  la  côte  d'Afrique  et 
l'ile  de  (Candie  à  l'est  de  laquelle  les  corsaires  des 
puissances  chrétieimes  belligérantes  ne  poiuTaicnt 


)o6 


M  I    MOI){  1. 


pciictrcr,  sous  peine  du  |)iinitK)ii  cl  cl  illegaliic 
(les  jîiises.  !  ,;i  (lénuircatioii  lut  signifiée  aux  cours 
européennes;  mais  les  ennemis  delà  Irance  n'en 
tinrent  compte,  et  la  l'orte  élan  trop  accablée 
de  ses  revers  pour  mettre  à  cet  objet  de  l'éner- 
gie ;  elle  a  renouvelé  cette  proposition  dans 
presque  toutes  les  guerres  survenues  depuis,  et 
toujours  avec  aussi  peu  de  succès. 

On  voit  dans  les  instructions  de  .M.  de  (^as- 
tagnères  de  (^hàteauneuf,  successeur  de  M.  de 
Girardin,  qu'à  cette  époque  de  16B9.  la  seconde 
compagnie  de  commerce  subsistait  encore  sous  . 
le  nom  général  de  la  Méditerranée:  c'est  pour 
son  compte  que  l'ambassadeur  eut  ordre  d'offrir 
à  la  Porte  l'engagement  de  fournir  à  ses  États 
toutes  les  marchandises  dont  ils  auraient  besoin, 
en  draps  et  étoffes,  en  pelleteries  et  autres 
articles,  ainsi  qu'à  exporter  du  Levant  tous  les 
objets  qu'il  offrait  au  commerce.  M.  de  Chàteau- 
neuf  a  démenti  à  la  marge  de  ses  instructions 
l'assertion  qu'elles  contenaient  que  les  draps  de 
France  pour  le  Levant  étaient  devenus  meilleurs 
que  ceux  d'Angleterre  et  de  Hollande.  11  y  est 
fait  mention  de  nouveaux  règlements  dans  les 
manufactures  de  draps  en  France,  de  l'ordre  d'y 
renvoyer  les  pièces  trop  défectueuses  et  d'accor- 
der  des   dédommagements  aux   consommateurs 


SUR    L'AMBASSADE    D  t    FLRQUIt.  307 

levantins  sur  les  tares  moins  considérables;  on 
défend  aux  navigateurs  d'y  vendre  leurs  pacotilles 
autrement  que  par  le  canal  des  négociants  fran- 
çais établis  dans  les  Échelles,  lesquels  ne  pou- 
vaient plus  y  être  admis  que  sur  des  certificats 
de  la  chambre  de  commerce.  Enfin,  ces  instruc- 
tions montrent  le  but  d'exclure  du  Levant  tous 
les  pavillons  des  étrangers,  non  plus  pour  les 
obliger  à  y  arborer  celui  de  France,  mais  pour 
les  forcer  à  se  servir  uniquement  pour  le  com- 
merce de  navires  français. 

La  compagnie  de  la  Méditerranée  ne  put 
résister  aux  pertes  que  les  corsaires  ennemis  lui 
firent  essuyer  en  cette  guerre.  On  prit,  en  1697, 
un  milieu  entre  le  privilège  exclusif  et  la  liberté 
absolue  :  les  armateurs  qui  destinaient  des  navires 
pour  le  Levant  devaient  se  faire  inscrire  à  la 
(chambre  de  commerce  qui  délivrait  les  expédi- 
tions suivant  Tordre  de  date  et  selon  les  besoins 
des  marchandises  dans  les  Échelles.  Déjà  on 
s'était  aperçu  que  leur  affluence  y  occasionnait 
des  méventes  au  grand  dommage  des  commer- 
çants et  fabricants  du  royaume. 

La  paix  de  Uyswick,  en  1697,  donna  un  répit 
favorable  au  commerce;  les  espèces  monnayées 
étaient  alors  d'un  si  bon  aloi  en  Turquie  que 
lorsque  les  articles  d'exportation  n'étaient  pas  à 


un  |)ii\  liivoralilc,  les  l'r.incnis  kiisaiciit  leur 
rcioiir  cil  |)Kistics  du  pays  (jui  se  Nctulaient  à 
Marseille  cjuaiie  Iraucs  :  elles  n'en  valent  ^aière 
aujourd'hui  (|iie  la  nioiiié. 

Mallieureusenient  la  guerre  de  la  succession 
d'iLspag'ne  commença  en  i  700.  La  l'Vance,  dont 
la  marine  ne  se  montra  {^uère  depuis  le  combat 
de  Malaga,  en  1704,  y  fut  accablée.  La  Chambre 
de  Marseille,  sur  laquelle  l'ut  rejeté  le  soin  de 
Iburnir  des  escortes  aux  vaisscatix  marchands 
pour  le  Levant,  se  trouva  bientôt  surchargée  de 
dettes,  éprouvant  à  la  fois  la  dimintition  de  ses 
droits  et  l'augmentation  de  ses  dépenses.  Le 
commerce,  presque  abandonné  à  lui-même,  s'en 
ressentit  au  point  qtie  les  négociants  emprun- 
taient à  Constantinople  au  taux  de  18  "'o.  Le  suc- 
cès de  quelques  armateiu-s  français  qui  inquié- 
taient assez  les  Anglais  pour  les  engager  à 
envoyer  leurs  draps  en  Levant  par  voie  de 
terre,  ne  dédommagèrent  pas  de  tant  de  pertes 
directes. 

Louis  XIV  ne  cessa  point  de  s'occuper  des 
mantifactures  malgré  les  malheurs  du  temps.  Une 
ordonnance  de  1708  porta  de  nouvelles  règles 
dans  la  fabrication,  et  elle  en  profita.  Les  draps 
français  prirent  tm  appui  là-dessus  sur  les  draps 
hollandais  et  les  anglais  de  seconde  qualité.  Ceux 


SUR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  309 

des    premiers  ayant  toujours  conservé  la  préfé- 
rence auprès  des  Levantins,  mais  n'y  servant,  vu 
leur  cherté,  qu'à  l'usage  des  riches.  Lorsque  les 
traités  d'Utrecht  et  de  Rastadt  eurent  établi  le 
calme  dans  l'Europe,  le  commerce  de  France  en 
Turquie  reprit  son  cours,  mais  im  édit  de  1714 
ayant  ordonné  de  porter  aux  monnaies  de  France 
l'argent    monnayé    et    ouvré,    la    plupart    des 
Marseillais   préférèrent   employer  leurs   deniers 
en    marchandises    qu'ils    expédièrent    dans    les 
Echelles,  où  il  en  arriva  à  la  fois  une  immense 
quantité  qui   demeura  invendue  en  partie.    Les 
révolutions  du  système  de  Law  pendant  la  mino- 
rité de  Louis  XV  opérèrent  un  effet  semblable. 
On  compta,  en   1720,  à  Constantinople  jusqu'à 
huit  cents  ballots  de  drap  et  beaucoup  plus   à 
Smyrne  :  ce  qui  était  regardé  alors  comme  une 
immense  accumulation.  Les  autres  articles  sui- 
virent la  mémo  progression  :  celle  des  sucres  fut 
telle,  que  M.  le  marquis  de  Bonac  obtint  qu'il  fût 
défendu  à  Marseille  d'en  envoyer  à  Constanti- 
nople jusqu'à  l'écoulement  de  ce  qu'il  y  en  avait 
dans  la  capitale.  Ce  même  ambassadeur  engagea 
les  négociants  à  se  liguer  pour  l'achat  de  mar- 
chandises de  retour  que  leur  concurrence  faisait 
monter  précédemment  à  des  prix  excessifs.  Mal- 
gré ces  mesures,  il  fallut  renvoyer  beaucoup  de 


Ml    MOI  H  I 


3"' 

m:ir(l);m(lisc.s  iiuciulucs  et  (jui  cssiiycrcni   [);ii"  l;i 

une  perte  île  ino'tié  diins  leur  valeur  priiTiilivc. 

In  luéiiioire  ciu'a  laissé  le  inar(|nis  de  P>()nac 
évalue  l'objet  du  eoniineiTe  ilu  i.cvant  pour  la 
i'rancc  à  douze  nnllions  de  (raïus.  ('et  ambassa- 
deur porte  à  quatre  cents  le  nombre  des  bâti- 
ments français  occupés  à  la  mémo  époque  dans 
le  Levant,  c'est  trois  ciiKjuièmes  de  moins  cjue 
n'en  comptait  le  conite  de  lirèves  du  temps 
d'Henri  IV,  mais  il  faut  croire  que  cet  ambassa- 
deur y  comprenait  des  navires  étrangers  usant  du 
pavillon  français. 

C'est  à  ce  temps  de  la  régence  du  duc  d'Or- 
léans qu'on  destina  aux  enfants  de  langtie  les 
bourses  précédemment  fondées  au  collège  de 
Louis-le-Grand  à  Paris  poiu-  des  Grecs  et  Armé- 
niens; il  en  a  résulté  que  ces  élèves  interprètes 
ont  mieux  su  le  latin  et  beaucoup  moins  bien  les 
langues  orientales,  qui  sont  cependant  l'essentiel 
en  l'état  de  drogman.  Dans  l'enfance,  on  les 
apprend  presque  sans  peine  pendant  qti'il  en  faut 
beaucoup  dans  l'adolescence  pour  y  réussir;  il 
est  vrai  qu'il  faudrait  y  destiner  des  Français 
natifs  potu'  être  bien  assuré  du  patriotisme  des 
interprètes,  qu'affaiblit  souvent  la  naissance  en 
pays  étranger;  mais  il  serait  juste  aussi  de 
prendre  soin  des  enfants  qui  naissent  en  Levant 


SUR    L'AMBASSADK    DE    TURQUIE.  ^ii 

des  mariages  de  ces  officiers,   en  leur  donnant 
une  autre  destination. 

Le    marquis   de  Villeneuve,    successeur   de 
M.  d'Andrezel  qui  ne  fut  ambassadeur  à  Constan- 
tinople  que  pendant  deux  ans,  eut  une  mission 
brillante  dans  tous  les  genres.  Le  début  en  fut 
cependant  orageux,   ayant   eu  à  lutter  avec  le 
ministère  ottoman  qui  avait  fait  enlever  et  con- 
duire au  bagne  de  la  capitale,  le  consul  de  France 
à  l'île  de  Milo,  nommé  Castanier.  11  fallut  beau- 
coup de  peine  et  de  temps  pour  en  obtenir  la 
délivrance.  Le  marquis  de  Villeneuve  était  dans 
la  crise  de  cette  affaire  lorsque  le  chevalier  Sut- 
ton,  ambassadeur  d'Angleterre,  lui  proposa  un 
plan   dont  le   succès,  selon   lui,  était  infaillible 
pour  mettre  les  Turcs  à  la  raison.  11  consistait  à 
faire  cesser  à  la  fois  tous  les  envois  de  draps  de 
France,  d'Angleterre  et  de  Hollande  en  Turquie, 
et  il  se  faisait  fort  d'y  engager  les  États  géné- 
raux. Malgré  la  gravité  du  personnage,  il  semble 
qu'on  ne  doit  regarder  ce  projet  que  comme  un 
propos  en  l'air  et  qu'il  n'aurait  été  goûté,  m  en 
Hollande,  ni  en  Angleterre.  Son  effet  n'eût  §ervi 
qu'à  faire  prévaloir  en  Levant  les  draps  d'Italie 
et  d'Allemagne;  l'habitude  de  cette  consomma- 
tion une  fois  prise,  le  consommateur  n'aurait  pas 
été  aisément  ramené  à  d'autres  draps  qu'il  aurait 


]I2  MIMOIMI 

perdus  (le  vue  pendant  luni^t  eiiips  ,  et  les 
ral)ri(jiies  (jui  auraient  aceiiniidé  leurs  produits 
sans   débouchés  se  seraient  absolument  ruinées. 

Le  marquis  de  Villeneuve  )ug"ea  plus  saine- 
ment c|iie  le  meilleur  remède  à  appliquer  au  mal 
serait  le  renouvellement  des  capitulations  ([ui  ne 
l'avaient  pas  été  depuis  167^.  11  était  d'autant 
plus  important  d'v  parvenir  que,  depuis  cette 
époque,  le  commerce  de  la  1^'rance  en  Levant 
avait  fait  des  progrès  qui  en  avaient  augmenté 
l'importance  et  les  embarras.  Cet  ambassadetir 
travailla,  en  conséquence,  à  un  projet  d'articles 
à  ajouter  aitx  capitulations  précédentes,  et  y 
comprit  tous  les  points  qui  lui  parurent  à  désirer 
pour  l'avantage  national.  La  révoltition  qui  pré- 
cipita du  trône  le  sultan  Ahmed,  en  1730,  et  la 
guerre  qui  survint  immédiatement  avec  les  Per- 
sans, celle  que  la  Porte  eut  ensuite  à  soutenir 
avec  les  cours  impériales,  l'empêchèrent  pendant 
plusieurs  années  d'entamer  la  négociation  dont 
il  s'agit.  Mais  enfin,  le  marquis  de  Villenetive 
ayant,  par  une  glorieuse  médiation,  rendu  en 
1739,  la  paix  à  l'empire  ottoman,  il  parvint, 
l'année  suivante ,  à  renouveler  les  capitula- 
tions avec  addition  de  quarante-detix  nouveaux 
articles. 

C'est    à    cette    occasion   que   le  recueil    des 


SUR    L'AMBASSADK    DE     TURgUIE.  3^ 

traités  de  la  France  avec  la  Porte  prit  la  forme 
actuelle.    Le  second  ai^ticle  statue  un  privilège 
accordé  aux  Français  par  Sultan  Sélim,  second 
fils  du  grand  Soliman.  Les  quatorze  suivants  sont 
extraits    des   quatre    plus   anciens    traités  de  la 
France  ou  des  concessions  spéciales  des  anciens 
Sultans  en  faveur  des  Français.  Il  n'a  été  con- 
servé que  quinze  articles  du  traité  de  1604.  Quoique 
de  quarante -huit  à  sa  conclusion,  il  n'en  a  été 
pris  que  onze  de  celui  de  167^,  le   seul  rappelé 
dans  le  préambule  et  qui  en  avait  originairement 
cinquante-trois  :  réduction  faite    pour  éviter  les 
répétitions,  sans  cependant  qu'on  soit  parvenu  a 
les  supprimer  toutes.  11  faut  observer  que  dans 
l'original  turc,  les  articles  ne  sont  point  numéro- 
tés, mais  seulement  indiqués  par  des  étoiles  d'or. 
Le  sieur  Deval,  secrétaire  interprète  du  Roi   et 
premier  drogman  de  l'ambassade  de  France  à  la 
Porte,   depuis    1756    jusqu'en    1771,   a  fait  une 
savante    traduction  française   des  capitulations, 
précédée  d'une  préface  instructive  et  d'un  index 
fort  commode   et  bien   divisé.    On  ne   peut   lui 
reprocher  que  d'avoir  rendu  le  mot  turc  Pj.iic/u/i 
par  celui  d'empereur,  il  n'y  avait  qu'à  ne  pas  le 
traduire.   Pour  plus   de  clarté,   les  paragraphes 
sont  numérotés  et  môme  séparés  par  des  alinéa 
lorsqu'il  y  a  mélange  de  matières. 


M  \:\\i)\  H  I 


)'  t 

(ictic  tr:i(lii(ti()ti  (les  (■:j|)iiiiI;iii(mi.s,  en  (|uatre- 
vin^t-fituj  iirlicle;.  a  été  inipninée  au  Louvre 
et)    I  770. 

I  .e  dou-ii-tnc  article  (\\.\  traité  lait  par  le  niar- 
(|ui.s  (le  \  illeneuve  ou  le  ciii.jiiL7ntc- cinquième 
des  capitulations  continue  l'exemption  du  droit 
de  Mézetcrie,  mais  avec  le  désavantage  que 
le  mot  seulement  (jui  l'accompagne  est  un 
préjugé  contre  l'exemption  d'autres  impositions. 
Le  même  défaut  se  trouve  dans  l'article  dixicnic, 
au  lieu  que,  si  l'on  avait  exprimé  que  les  3  ",„ 
de  douane  fixés  par  l'article  trcnlc- septième 
devaient  tenir  lieu  de  tous  droits  quelconques, 
cela  fermerait  la  porte  à  toute  exigence.  On 
n'avait  pas  fait  cette  faute  dans  le  traité  de 
Passarowitz  entre  la  cour  de  Vienne  et  la  Porte 
ottomane. 

Cet  avantage  de  généraliser  les  objets  se 
trouve  dans  l'article  Irei-ièiiie  du  traité  de  AL  de 
Villeneuve  sur  la  liberté  en  faveur  des  Français 
d'exporter  et  d'importer  des  marchandises  du 
Levant.  Sa  dernière  disposition  est  faite  pour 
obvier  à  ce  que  les  corporations  établies  dans  les 
villes  turques  n'empêchent  les  ventes  des  mar- 
chandises aux  particidiers. 

L'article  sei:;ième  oiiciiujiijiile-iieiii'icme  qui  per- 
met aux  Français  le  commerce  par  terre    et  par 


SUR    L'AMBASSADt     DE    TURQUIE.  115 

mer,  au  Danube  et  au  Tanaïs  '  est  bien  aussi 
expressif  que  le  oniième  du  traité  de  Belgrade, 
duquel  les  Autrichiens  ont  inféré  depuis,  en 
leur  faveur,  la  liberté  de  navigation  dans  la 
mer   Noire. 

L'article  dix-septicnie  ou  soixaulicinc  assiu^e 
l'état  des  censaux  employés  au  commerce  des 
Français  et  la  liberté  de  les  choisir. 

Le  l'ingt-septième  ou  soixante-dixième  défend 
aux  gens  de  justice  d'entrer  dans  les  maisons  des 
Français  sans  en  prévenir  l'ambassadeur  ou  les 
consuls,  disposition  de  piu'e  précaution  pour  évi- 
ter les  malentendus  et  que  quelques-uns  pren- 
nent mal  à  propos  pour  inviolabilité  de  leiu- 
domicile. 

L'article  quarantième  ou  quatre-rinLi't-lroisième 
assure  aux  Français  en  Turquie  les  privilèges 
des  nations  les  plus  favorisées ,  mais  lorsqif  on 
les  réclame,  la  Porte  prétend  qu'il  n'exprime 
cette  concession  que  poiu-  ceux  qui  existaient 
alors. 

Le  total  des  articles  que  le  marquis  de  \'ille- 
ncuve   a  ajouté    aux  anciennes   capitulations  est 


I,  Il  faut  observer  que  le  texte  tun  ne  parle  point  de  i.e  derniei 
llcuve  dont  la  mention  est  une  liberté  que  s'est  donné  le  traduc- 
teur; il  n'est    mention  que  de  la  l^ussic. 


3i6  MF.MOIRK 

(le  (|ii:ir:inic-trois  et  I:i  collcctioi)  tot.ilc  est  jioi- 
rcc  :i  qiiatrc-vin^a-rinq.  On  poiiiTiiit  l:i  réduire 
(le  (|iiel(|iies-iiiis  (|iii  se  répètent  et  d'autres  (jui 
se  contredisent. 

Telle  est  la  loi  que  les  Français  ont  droit 
d'invoquer  en  Turquie  et  à  l'exécution  de  laquelle 
l'ambassadeur  du  Koi  est  chargé  de  tenir  la  main 
autant  du  moins  que  le  comporte  la  mauvaise 
administration  du  pays. 

Les  jug-es  turcs  prétendent  que  tout  ce  qui 
est  dérogatoire  aux  préceptes  de  l'Alcoran  et 
à  ses  interprétations  n'est  pas  légal  et  ne  peut 
servir  de  règle  dans  les  procès  de  Français  5  la 
théocratie,  principe  de  ce  gouvernement,  n'ad- 
mettant pas  de  modification  dans  son  exertion. 

Pour  revenir  à  l'état  du  commerce  de  la 
France  en  Levant,  lorsque  M.  de  Villeneuve  y 
arriva,  on  continuait  à  se  plaindre  de  l'accimiu- 
latioii  des  marchandises  de  France  dans  les 
Echelles.  On  compte  qu'il  y  avait  été  envoyé  en 
1728  dix-huit  cents  balles  de  drap  à  deux  ballots 
chacune.  Les  négociants  en  expédiant  les  draps 
en  tiraient  aussitôt  la  contre-valeur  par  lettres 
de  change,  ce  qui  forçait  les  régisseurs  du  Levant 
à  vendre  à  tous  prix  pour  faire  honneiu-  au 
papier  qu'on  leur  présentait.  Il  en  résulta  plus 
d'une  fois  que  les  draps  se  donnèrent  à  Constan- 


SUR    L'AMBASSADK   DE    TURQUIE.  317 

tinople  à  meilleur  marché  qu'ils  n'avaient  coûté 
à  Marseille. 

Le    marquis    de   Villeneuve,   frappé    de    ces 
inconvénients  imagina,  en   1731,  une  ligue  entre 
les  négociants  français  des  échelles  de  Constan- 
tinople,  de  Smyrne  et  de  Salonique  pour  fixer  le 
taux   auxquels   les   draps   français  devraient   se 
débiter,  avec  prohibition  de  les  livrer  à  plus  bas 
prix  ;    chacun    vendait  à    son  tour  et  au  moyen 
d'une  prime  :  le  bureau  national  garantissait  la 
sohdité  de  l'acheteur  du  pays  dont  on  mesurait  le 
crédit  sur  les  notions  qu'on  se   procurait  de  ses 
facultés  5  à  la  lin  de  l'année,  on  faisait  le  compte 
des  primes  et  des  pertes,  et  le  reste  était  distri- 
bué  aux   négociants  nationaux.   Un  comité  pris 
entre  eux  veillait  particulièrement  à  cette  manu- 
tention et  s'occupait  de  vues  et  d'opérations  ulté- 
rieures sur  lesquelles  l'assemblée  générale  pro- 
nonçait selon  le  vœu  de  la  plurahté.  Il  s'éleva  des 
murmures  en  Levant  sur  ce  que  ces  arrangements 
bornaient  l'industrie  française  en  ne  permettant 
pas  aux  spéculateurs  de  s'étendre  à  volonté.  Pour 
y  remédier,  on  arrêta,  en  17^6,  que  les  ventes 
se  feraient  désormais  sur  le  pied  d'une  réparti- 
tion proportionnelle   à   ce  que  chacun  aurait  à 
vendre   :   forme  qui  cependant   avait  l'inconvé- 
nient d'induire  un  négociant  à  une  accumulation 


j,H  \ll   \1(J1KK 

(l;iiis  les    iii:il;;isiiis,  d'où    résilient    un  f^ros  louds 
niori    chiiis  son   roiniiicrcc.    I  .es  autres  échelles, 
rclati\  eiiieiii  aux    (.ireonstaïues   hjcales,   prireni 
(les  mesures  uti  peu  (lilîereiues.  Les  manufactures 
se  plaif^nirent    de  leur  coté  des  arrangements  du 
Levant  qui  ùtaieiit,  disaient-elles,  au   travail   de 
leurs  labricpies  l'écoulement  nécessaire;  mais  cet 
inconvénient  ne  naissait  que  de  la  surabondance 
de  fabrication,  et   les  envois  multipliés  nuisaient 
au  bon  prix  en  Levant;  cela  fit  prendre,  en  1740, 
le  parti   de  réduire  les  fabrications  annuelles  du 
Languedoc  pour  la  Turquie  à  la  quantité  estimée 
nécessaire  à  la  consommation  des  Levantins.  11 
Fut  prescrit  à  la  chambre  de  commerce  d'en  dres- 
ser des  états  et  de  les  envoyer  à  l'intendance  de 
la  province   pour    répartir   ce   travail  entre  les 
différentes  manufactures.  Les   pièces  de    drap, 
une  fois  fabriquées,  durent  être  inspectées  en 
blanc  à  la  fabrique  et  ensuite  examinées  à  Mont- 
pellier et  à  Marseille.  Toute  contravention   aux 
règlements  occasionnait  la  coupe   des  draps  en 
morceaux  et  la  radiation  du  manufacturier  de  la 
liste  du  travail  de  l'année  suivante. 

Au  moyen  de  ces  mesures  la  quantité  de  drap 
fut  à  souhait.  Les  prix  s'établirent  en  Levant  à 
un  taux  convenable,  et  cette  époque  fut  celle  de 
la  véritable  prospérité   du  commerce  des  draps. 


SUR    L'AMBASSADK    D  K    TURQUIE.  31^ 

Mais  le  profit  qu'y  trouvaient  les  manufacturiers 
et  les  négociants  les  excita  à  demander  sans  cesse 
de  plus  forts  contingents;  par  de  faux  exposés, 
ils  tâchaient  de  capter  et  de  corrompre  les  secré- 
taires de  l'intendance  j  bref,  la  fabrication  aug- 
menta successivement  au  point  qu'en  1750,  pen- 
dant l'ambassade  du  comte  Des  Alleurs  fils, 
lequel  avait  relevé  le  comte  de  Castellane,  suc- 
cesseur du  marquis  de  Villeneuve,  il  se  trouvait 
à  Constantinople  trois  mille  ballots  de  drap  inven- 
dus. Pour  y  mettre  ordre  à  l'avenir,  on  rétablit 
le  contingent,  c'est-à-dire  que  chaque  négociant 
ne  put  vendre  qu'à  égalité  avec  ses  confrères, 
ce  qui  ôtait  tout  intérêt  aux  accumulations  des 
draps.  En  même  temps,  on  en  réduisit  en  Lan- 
g-uedoc  la  fabrication,  en  l'année  1751,  à  douze 
cents  ballots  Londrins  seconds  et  quinze  cents 
Londres  larg-es. 

Cette  réduction  lit  jeter  les  hauts  cris  aux 
partisans  de  l'absolue  liberté  dont  le  fameux 
de  Goiu-nay,  alors  intendant  du  commerce,  était 
le  chef;  selon  lui,  chacun  devait  vendre  et  fabri- 
quer à  sa  g-uise,  à  ses  risques  et  périls.  Le  Carcat 
emptor  composait  sa  doctrine  à  fégard  des 
acheteurs.  11  est  certain  que  le  principe  de 
liberté  est  simple  ainsi  que  fécond;  mais  il  en  est 
peut-être  de  la  liberté  du   commerce   comme   de 


po  MIMOIKI. 

I:i  liberté  civile,  (iiTil  coiuicnt  (|iicl(|iiclois  d'cn- 
clKiIncr  pour  le  bien  coniimm.  (^uoi  (|iril  en  soit, 
tous  les  rc^lciiiciils  en  l'rance  el  en  Levant  sur 
le  commerce  des  draps  furent,  à  la  ibis,  abolis 
en  1756  ail  commencement  de  l'ambassade  du 
comte  de  Vcr^cnnes.  On  s'applaudit  du  nouveau 
système,  lorsqu'on  reconnut,  l'année  suivante, 
que  les  envois  de  draps  en  Levant  avaient 
doublé;  mais  ce  succès  ne  i\n  qu'apparent  et  il 
devint  en  dernier  résultat  un  vrai  dommage.  La 
concurrence  des  ventes  en  affaiblit  le  prix,  et 
on  perdit  sur  la  valeur  dans  la  plupart  des 
Échelles. 

Le  comte  de  Vergennes  iit  de  son  mieux  à 
Constantinoplc  pour  rallier  les  négociants  divi- 
sés, mais  il  n'y  réussit  pleinement  et  par  leur 
vœu  unanime  qu'en  1765.  L'association  imaginée 
par  le  marquis  de  Villeneuve  s'y  rétablit  alors 
avec  avantage,  moins  à  la  vérité  que  lorsque  la 
fabrication  en  F'rance  était  bornée  et  surveillée, 
mais  cependant  avec  un  prolit  réel  sur  les  draps. 
Cet  ambassadeur  laissa  les  choses  en  cet  état 
dans  la  capitale  lorsqu'il  fut  rappelé  en  1768. 

L'autorité  n'entrait  plus  dans  les  arrange- 
ments du  Levant  que  pour  y  mettre  en  viguein- 
le  vœu  de  la  pluralité  des  négociants  dans  les 
Échelles  i    il    tendit    successivement    à    lier    et 


SUR    L'AMBASSADt:    DE    TURQUIK,  pi 

rompre  et  Ton    se  lassa  enfin  de  renouer  pour 
trop  peu  de  temps.  Les  négociants  de  Smyrne 
en  particulier  ne   se    désistèrent   jamais   de    ce 
qu'on  appelle  u  trocs  anticipés  »  ;  ce  qui  rend  les 
arrangements  impossibles  dans  cette  Échelle  et 
nuit  infiniment  à  celle  de  Constantinople.  Le  troc 
anticipé  est  la  livraison  de  la  marchandise  à  un 
prix   dont  le  vendeur  convient   avec  l'acheteur 
qui  s'eng-age  à  fournir  des  cotons  en  payement 
lors  de  la  récolte,  en  proportion  relative  aux  taux 
courants  à  cette  époque.  Le  taux  s'établit  sur  le 
résultat  de  trois  marchés  consécutifs.  L'homme 
du  pays  ne  manque  pas  de  moyens  de  faire  haus- 
ser le  prix  au  détriment  des  troqueurs  français; 
de  plus,  celui  qui  se  trouve  avoir  acquis  des  draps 
au-dessus  de  leur  valeur,  les  vend  dans  le  pays  à 
meilleur  marché   qu'ils   n'ont  été  payés  à  Mar- 
seille,  ou  il  les  transmet  à  Constantinople.    Le 
négociant  de  cette  capitale  qui  ne  troque  pas, 
se  trouve  par  là  forcé  de  livrer  sa  marchandise 
à  perte  pour  ne  pas  la  laisser  vieillir  dans  ses 
magasins.  Plusieurs  autres  Échelles  ont  adopté 
la  pratique  des  trocs  pour  les  divers  genres  qui 
s'en  exportent.  L'Egypte  foiu-nit  les  drogues;  la 
Syrie  les  cotons  filés  et  les  soies;  Candie  et  la 
Morée  les  huiles  ;  Salonique  les  cotons  en  laine. 
Partout  oii  il  y  a  eu  à  troquer,  on  l'a  fait,  parce 


322  MKMOIHI, 

que  l'avidité  des  nc^a:)ci.'mts  et  la  coneiirrence 
entre  eux  ne  ni.ni(|iieiit  j)as  de  (aire  disparaître 
tout  enijîressemetii  de  la  part  des  Levantins  ([iii 
se  voient  recherchés  et  s'en  prévalent  pour  faire 
la  loi. 

Il  a  fallu  abandonner  l'ordre  des  faits  pour 
siiivi'e  sans  interruption  l'article  du  commerce 
des  draps,  sur  lequel  il  reste  à  ajouter  qu'il  en 
fut  expédié  de  France  en  Levant,  en  l'année  1767, 
au  delà  de  neuf'  mille  ballots. 

Ce  fut,  en  1727.  qu'on  commença  à  introduire 
à  Constantinople  des  soieries  et  des  dorures  de 
Lyon.  Le  premier  envoi  fut  de  la  valeur  de 
^,400  livres.  Cette  branche  de  commerce  s'y 
étendit  malgré  une  manufacture  de  galons  qui 
s'établit  peu  après  dans  la  capitale.  La  beauté  de 
ceux  de  Lyon  les  a  fait  préférer,  quoique  plus 
chers,  par  les  consommateurs  recherchés. 

Le  café  des  colonies  françaises  d'Amérique 
parut  aussi  dans  ce  temps  au  Levant.  Son  prix 
moindre  que  celui  du  café  de  Moka,  le  mit  plus 
à  la  portée  du  commun  des  consommateurs  qui 
s'en  contentèrent  malgré  l'infériorité  de  la  qua- 
lité. Le  marquis  de  Villeneuve  obtint  la  liberté 
d'en  envoyer  sur  les  côtes  de  la  mer  Noire  et 
dans  la  Turquie  d'Europe,  où  on  s'y  est  si  bien 
accoutumé,  que  le  prix  en  est  presque  aussi  haut 


SUR    L'AMBASSADE    DL    TURQUIE.  323 

que  celui  du  moka.  Cette  consommation  est 
devenue  l'objet  d'un  débouché  considérable. 

Les  sucres  des  îles  françaises  n'ont  pour  con- 
ciu-rents,  en  somme,  que  ceux  d'Eg-ypte  dont  la 
quantité  est  si  peu  considérable  et  la  qualité  si 
basse,  qu'elle  mérite  peu  d'attention. 

Tel  était  l'état  du  commerce  de  la  France  en 
Levant  à  la  fin  de  l'ambassade  du  comte  de  Ver- 
gennes.  Elle  avait  débuté  par  sept  ans  d'une 
g-uerre  malheureuse,  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre, pendant  laquelle  cette  puissance  fut  maî- 
tresse de  la  mer  Méditerranée  et  causa  de  grandes 
pertes  à  la  navigation  marchande  et  au  commerce 
de  la  France.  Mais  l'invasion  d'une  liberté  indé- 
finie sur  des  arrang-ements  sages  et  dictés  par 
des  circonstances  locales ,  fut  plus  nuisible 
encore  \ 

La  paix  de  1763  ayant  ranimé  l'industrie  et 
l'activité,  le  commerce  de  la  France  en  Levant 
se  trouvait  en  1768  dans  une  situation  passable- 
blement  bonne.  On  verra  dans  le  mémoire  que 

I.  Un  long  intervalle  de  paix  avait  rendu  la  Forte  plus  altièrc 
et  plus  épineuse  qu'elle  n'aurait  dû  l'être,  et  les  privilèges  des  capi- 
tulations étaient  quelquefois  réclamés  en  vain.  C'est  ainsi  que  le 
comte  de  \'ergennes  l'éprouva  dans  l'injuste  détention  au  bagne 
d'un  drogman  de  France,  nommé  Roboly,  qui,  malgré  les  réclama- 
tions de  l'ambassadeur,  y  mourut  dans  les  Fers. 


^24  Mf.  MOIHI 

Je  comte  (le  Saitu-I  *iiest,  suceesseur  de  M.  de 
Vcrg"eniies,  présente  an  roi  pom-lui  rendre  compte 
de  son  aml)assade  de  sei/.e  années,  cpudles  varia- 
tions cet  intervalle  de  temps  a  produites  à  cet 
égard. 


Le  mémoire  de  M.  le  comte  de  Saint-Priest  ne  me  paraît 
pas  donner  une  idée  précise  du  mouvement  du  commerce  fran- 
çais, dans  l'Empire  ottoman,  pendant  une  partie  du  dernier  siècle. 
Cet  ambassadeur  s'écant  attaché  pliis  particulièrement  à  faire 
connaître  les  vicissitudes  de  notre  négoce  à  Constantinople,  j'ai 
cru  qu'il  serait  utile  de  donner  un  aperçu  des  transactions  qui  se 
faisaient  au  xvm'^'  siècle  dans  les  différentes  Echelles  du  Levant. 

Je  joins  donc  ici,  comme  appendice  au  travail  de  M.  de 
Saint-Priest,  un  tableau  des  relations  commerciales  de  la  France 
avec  la  Turquie.  Ce  morceau  est  extrait  d'un  mémoire  manu- 
scrit rédigé  sur  les  documents  officiels  du  bureau  du  ci^mmerce 
et  portant  pour  titre  :  Détails  sur  le  commerce  du  Levant. 


TABLEAU    GENERAL 

DU 

COMMERCE    FRANÇAIS 

DANS     LE     LEVANT 

ET     DE 

L'EXPLOITATION    GENERALE    DE    CE    COMMERCE, 

DANS       C  H  A   Q_U   E       ÉCHELLE. 


Les  draps  de  Languedoc  forment  Farticle  le 
plus  considérable  de  notre  commerce  d'entrée 
en  Levant.  On  les  distingue  en  diverses  qualités 
principales^  savoir  :  les  mahous  premiers,  les 
mahous  seconds,  les  londres  premiers,  leslondres 
seconds,  les  londres  larges  et  les  londres  ordi- 
naires. Suivant  les  états  des  différentes  Echelles, 
il  paraît  que  la  totalité  de  la  consommation 
annuelle  monte  à  environ  six  mille  trois  cents  bal- 
lots dont  les  deux  tiers  en  londres  seconds,  près 
d'un  quart  en  londres  larges,  et  le  restant  en 
mahous,  londres  premiers  et  londres  ordinaires  \ 

I.  Dans  les  mémoires  donnes  par  les  états  de  Languedoc, 
en  1769,  ils  portent  à  huit  mille  trois  cent  quarante  neut  ballots, 
l'objet  des  exportations  de   draps  pour  le  Levant. 


}28  Ml.  M(JIIU. 

I /miportaïuc  de  ces  ;iriiclcs  de  noti^e  eoiii- 
merce  :iii  l,ev:iru  est  sedsiijie  :  il  présente  une 
valeiii"  (le  j)liis  de  y  iiidiions  de  j)remier  .'kIkii 
à  Marseille,  et  il  est  aisé  de  se  convaincre  qu'il 
est  encore  susceptible  d'une  aiig"mentation  con- 
sidérable, surtout  si  nous  pouvons  parvenir  à 
partager  d'abord  et  à  nous  emparer  ensuite 
successivement  de  la  consommation  qui  se  lait 
en  différentes  Échelles,  en  draps  hollandais 
supérieurs,  en  sayes  de  Venise,  en  nims  et  en 
londres  anglais. 

La  lisière  des  sayes  de  Venise  n'a  pu  encore 
être  imitée  en  France  :  on  n'a  pas  même  bien 
attrapé  cette  fabrication,  et  peut-être  le  privi- 
lège exclusif  qui  a  été  accordé  aux  frères  Martin 
de  Clermont  de  Lodève,  pour  l'imitation  de  ces 
draps,  a-t-il  été  un  des  principaux  obstacles  à 
nos  progrès  en  ce  genre.  On  attribue  au  bon 
marché  des  laines  du  pays  en  Angleterre  et  à 
la  cherté  des  londres  les  obstacles  que  nous 
avons  trouvés  potu-  introduire  nos  londres  en 
concurrence  avec  les  londres  anglais  ;  on  a  cru 
nécessaire  de  supprimer  les  nims  que  nous 
fabriquons  à  l'imitation  des  leiu's.  Cette  fabrique 
était  tombée  en  discrédit  :  elle  prenait  sur  la 
consommation  de  nos, londres  seconds  et  de  nos 
londres  larges,  sans  prendre  sur  celle  des  nims 


SLR    L'AMBASSADE    DE    TURQUIE.  329 

anglais,  et  il  sera  peut-être  assez  facile  de  faire 
voir  les  causes  des  abus  qui  s'y  étaient  intro- 
duits, et  de  représenter  la  nécessité  d'y  remé- 
dier; mais  il  est  plus  difficile  d'imaginer  poiu-- 
quoi  nous  n'avons  pu  parvenir,  jusqu'à  présent,  à 
attaquer  la  consommation  des  draps  hollandais 
supérieiu-s.  Les  Hollandais  n'ont  pas  la  matière 
première  à  meilleiu-  marché  que  nous,  la  main- 
d'œuvre  est  plus  chère  chez  eux,  et  l'exportation 
de  leurs  draps  au  Levant  est  plus  difficile.  On  le 
sentit  en  1749,  et  il  fut  convenu  alors  d'envoyer 
les  échantillons  de  ces  draps  au  sieur  Gaza, 
inspecteiu'  de  Montpellier,  poiu*  en  raisonner 
avec  les  meilleurs  fabricants.  11  convint  avec 
eux  qu'on  pourrait  réduire  ces  draps  d'essai  à 
quatre  qualités  dont  ils  présentèrent  le  plan  de 
la  fabrication,  et  le  sieur  Pascal,  excellent  fabri- 
cant, se  proposait  de  travailler  aux  essais.  Mal- 
heiu-eusement,  par  la  comparaison  qu'on  f  t  des 
qualités  proposées  avec  celles  permises  par  le 
règlement  de  1708,  on  trouva  qu'il  y  avait  peu 
de  différence  de  ces  nouveaux  draps  aux 
mahoiis,  londres  premiers  et  londres  seconds, 
et  on  craignit  de  tomber  dans  la  confusion,  si 
on  admettait  cette  nouvelle  fabrication.  Il  est 
fâcheux  c[ue  cette  seide  crainte  ait  fait  aban- 
donner le  projet,  et  on  ne  peut  s'cmpèchei-  de  le 


330  MIMOIKK 

rct;rct(ci*  l)(j:inroii|),  surtout  si  on  (ait  aticiitioii 
c|iic  les  I  lollandais,  dont  nous  ain-ions  pu  espérer 
de  partaj^er  par  ce  moyen  la  concurrence, 
débitent  annuellement,  dans  la  seule  échelle  de 
Smyrne,  six  cents  ballots  de  ces  draps,  cpi'on 
évalue  à  jîIus  de  2  millions,  (^uoi  qiril  en  soit, 
dans  l'état  des  choses,  (^onstantinopic  consomme 
de  dix-huit  cents  à  deux  mille  ballots  de  nos 
draps,  et  Smyrne  en  consomme  mille  ;  Saloniqiie 
cinq  cents;  la  Morée  quatre  cents;  l'Kgypte 
douze  cents;  Alep  sept  à  huit  cents;  Seyde , 
Acre,  Tripoly,  laCanée,  l'Albanie  et  la  Barbarie 
environ  six  cents,  ce  qui  forme  comme  on  Ta 
déjà  dit,  une  totalité  de  six  mille  trois  cents 
ballots. 

Après  les  draps,  l'article  d'envoi  le  plus 
intéressant  est  l'indig-o.  Il  s'en  débite  annuelle- 
ment pour  environ  1,800,000  livres.  C'ei^t  à 
Smyrne,  à  Alep,  et  surtout  dans  la  première  de 
ces  deux  Echelles  que  s'en  fait  la  principale 
consommation.  11  s'en  consomme  aussi  à  Con- 
stantinople,  à  Salonique,  à  Seyde  et  dans  quelques 
autres  Échelles.  Ce  commerce  que  nous  devrions 
faire  exclusivement  aux  autres  nations  paraît 
avoir  essuyé  de  la  diminution.  11  y  a  eu  des 
années  où  nos  négociants  à  Smyrne  en  ont  vendu 
pour  180,000  livres,  et    on   voit   avec    surprise 


SUR    L'AMBASSADH    DE    TURQUIE.  '331 

dans  leurs  mémoires,  que,  depuis  plusieurs  années 
les  étrangers  fournissent  au  moins  le  tiers  de 
l'indig-o  qui  se  vend  dans    cette  Echelle. 

Le  sucre  en  poudre  et  en  pain  forme  le 
troisième  article  un  peu  important.  C'est  aujoiu*- 
d'hui  un  objet  de  8  à  900,000  livres,  et  il  devien- 
drait infiniment  plus  considérable,  si  on  pouvait 
habituer  peu  à  peu  les  Levantins  à  mettre 
du  sticre  dans  leur  café.  Constantinople  est  le 
principal  lieu  de  la  consommation  :  en  1750,  on 
en  vendit  dans  cette  Echelle  pour  près  de  5  50,000 
livres  :  les  deux  autres  Echelles  où  on  en  con- 
somma le  plus  dans  la  même  année,  furent  celles 
de  Smyrne  et  d'Alep. 

La  cochenille  forme  un  objet  à  peu  près 
pareil  à  celui  du  sucre,  mais  avec  cette  diffé- 
rence qu'il  n'est  pas  susceptible  de  la  même 
aug-mentation,  d'autant  plus  que  nous  sommes 
en  concurrence  pour  cet  article  avec  les  autres 
nations  qui  peuvent  le  donner  à  aussi  bon 
marché,  au  moins,  que  nous.  Les  Échelles  où  il 
s'en  vend  davantage  sont  celles  de  Smyrne  et 
d'Alep,  les  envois  qui  y  fiu-ent  faits  en  1750 
montent  à  plus  de  550,000  livres.  On  en  con- 
somma aussi  des  parties  considérables  à  Constan- 
tinople, Salonicpie,    Tripoly  et  Scyde. 

Le  café    des  îles  ne  parait  être  aujourd'hui. 


332  M  I  MOI  H  I 

suivant  les  cl;iis  (les  IaIicHcs.  (|ii  un  oIjjci  (le 
i^oo, ()()()  li\rcs  :  la  chcftc  de  toutes  les  iiiar- 
ehaiulises  ei  denrées  de  r.\niéii(|ue,  depins  la 
guerre,  en  inlluaiu  sur  cet  article,  a  sans  doute 
été  cause  c|u'()n  en  a  diminué  les  envois  en 
Levant,  et  il  y  a  lieu  d'espérei\  que  ces  envois 
aug-mcnteront  successivement,  dès  cfue  le  com- 
merce de  l'Amérique  aura  repris  son  niveau.  On 
a  vu  des  années  où  la  seule  échelle  de  Smyrnc  a 
consommé  pour  plus  de  600,000  livres  de  café 
de  nos  iles  ;  on  en  vendit  aussi  beaucoup  à  (]on- 
stantinople,  à  Salonique  et  au  Caire.  Après  les 
articles  dont  on  vient  de  parler,  les  deux  plus 
importants  sont  les  bonnets,  façon  de  Tunis,  et 
les  étoiFes  de  Lyon. 

L^objet  des  bonnets  est  d'environ  500,000 
livres.  On  en  débite  à  Constantinople.  pour  près 
de  50,000  livres.  On  en  débite  aussi  quelques 
parties  dans  plusieurs  autres  Echelles;  mais 
c'est  dans  celle  de  Smyrne  qu'on  en  trouve  le 
principal  débouché.  Les  envois  qui  y  furent  faits, 
en  1750,  excèdent  400,000  livres.  An  surplus,  on 
ne  peut  regarder  le  commerce  que  nous  avons 
fait  jusqifà  présent  en  bonnets,  façon  de  Timis, 
que  comme  un  simple  essai.  Celui  des  bonnets  de 
Tunis  est  ijmnense.  On  prétend  qu'il  en  faut 
annuellement  pour  la  consommation   des  princi- 


SUR    L'AMBASSADE    DF.    TURQUIE.  355 

pales  villes  de  Turquie  où  nous  commerçons,  plus 
de  vingt  millions  de  différentes  grandeiu-s  et  qua- 
lités. Peut-être  parviendrons  nous  peu  à  peu  à  les 
remplacer.  Les  progrès  de  la  manufacture  établie 
en  Béarn  dans  cet  objet  donnent  d'autant  plus 
lieu  d'espérer  que,  si  les  Timisiens  peuvent 
avoir  quelques  avantages  sur  nous  du  côté  de  la 
main-d'œuvre,  ils  ont  d'ailleurs  plusieurs  désa- 
vantages ,  étant  obligés  de  tirer  de  nous  les 
laines  d'Espagne  et  les  ingrédients  nécessaires 
à  la  fabrication  et  à  la  teinture  de  ces  bonnets. 

Les  dorures  et  les  étoffes  de  Lyon  ne  forment 
pas  pour  le  moment  un  objet  plus  considérable 
que  les  bonnets.  11  ne  s'en  débite  annuellement 
que  pour  environ  400,000  ou  4^0,000  livres,  dont 
Constantinople  en  consomme  près  de  100,000 
écus,  et  la  Morée  autour  de  40,000  livres.  Mais 
cet  article  peut  devenir  très-important,  si  nous 
parvenons  à  imiter  les  damasquettes  et  à  les  éta- 
blir à  un  prix  convenable.  Les  Vénitiens  en  ven- 
dent pour  plus  de  100,000  écus  dans  la  seule 
échelle  de  Constantinople.  et  il  n'est  presque 
point  d'Échelle  011  il  ne  s'en  consomme  des 
quantités  considérables.  Nous  avons»  pour  con- 
currents dans  les  autres  étoffes  ces  mêmes 
Vénitiens,  les  Livoiirnois,  les  Messinois  et  les 
Chiotes.    Ceux-ci  sont  d'autant  plus  dangereux 


334  MIMOIKI. 

(iiic.  dans  plusieurs  Ix'iicllcs,  ils  vciulctii  en  détail 
nos  soieries  et  dorures,  ainsi  cjue  celles  des  autres 
nations,  et  ils  en<^ag-eni  tant  (|irils  peuvent  les 
consommateurs  à  donner  la  préférence  a  celles 
de  leur  pays. 

Les  autres  articles  un  peu  considérables  de 
nos  envois  sont  les  bijoux,  surtout  pour  (^onstan- 
tinople  :  on  ne  i^eiit  en  fixer  exactement  la  con- 
sommation annuelle;  elle  a  excédé  ciuel(|uefois 
1 00,000  éciis  et  peut  beaucoup  augmenter:  les  épi- 
ceries dont  nous  vendons,  année  commime,  pour 
250,000  livres  ;  les  papiers  dont  le  principal  débit 
se  fait  en  Kg"yptc,  et  dont  il  se  vend  en  totalité 
pour  200,000  livres  5  enfin  le  plomb  et  l'étain  en 
verge  :  chacun  de  ces  deux  articles  peut  monter 
à  environ  100,000  livres.  On  ne  voit  pas  qu'ils 
aient  jamais  été  plus  considérables;  mais  il  n'en 
est  pas  de  même  des  papiers;  on  en  consommait 
autrefois  beaucoup  plus  qu'aujourd'hui;  l'échelle 
d'Alep  n'en  passe  dans  ses  états  que  deux  cent 
cinquante  à  trois  cents  ballots,  elle  en  débitait 
plus  de  huit  cents,  en  1723  et  en  1737.  Constan- 
tinople  et  Smyrne  en  vendaient  aussi  dans  ces 
mêmes  temps  plus  du  double  de  ce  qu'elles  en 
vendent  à  présent. 

Telles  sont  les  principales  marchandises  qui 
composent  notre  commerce  d'entrée  en  Levant. 


SUR    L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  335 

Nous  y  envoyons  quantité  d'autres  articles,  mais 
dont  chacun  en  particidier  est  d'un  très-petit 
objet  et  qui  ne  paraissent  pas  mériter  d'observa- 
tions particidières.  On  se  contentera  de  les  ran- 
ger ici  par  ordre  alphabétique. 


Acier. 

Aiguilles. 

Ambre  gris. 

Amandes. 

Arquison. 

Bois  de  ccincLirc. 

Camelocs. 

Camphre. 

Cérusc. 

Cimbriauc. 

Confitures. 

Coconines. 

Corail  ouvre. 

Ecaille  de  torcuc. 

Fayence. 

Feuilles  de  fer-blanc 

Fil  de  fer. 

Fil  de  laicon. 


Fleur  d'aspic. 

Grenailles. 

Indiennes  peintes  à  Marseille. 

Liège. 

Liqueurs. 

Pelleteries. 

Pierres  à  fusil. 

Prunes. 

Quinquina, 

Salsepareille. 

Serge  impériale. 

Sirop. 

Soufre  en  canon. 

Toileries. 

Tutie. 

Tartre  rougj. 

Verdet. 

Vif-argent. 


Le  total  de  ce  commerce  d'entrée  monte  en 
marchandises  à  environ  18  à  19  millions  dont  les 
draps  font  plus  de  la  moitié  ;  passons  à  celui  de 
sortie. 


jj6  M  I    Mf)l  U  I. 

(  )ii  peut  r;in^ci-  cii  (|imtrc  classes  (lilicrcnics 
les  niarcliaiuiises  ([iii  f()ni|)()setu  les  retours  pro- 
venaiii  (ic  notre  comnicrce  en  Levant. 

r  Les  niarières  premières;  2"  les  denrées, 
•^  les  (lr()<^iics  ei  clro^neries;  4"  les  toiles  et  toi- 
leries et  antres  fabriques  et  manufactures  du 
pays. 

La  première  classe,  la  plus  intéressante  par 
son  utilité  ])our  nos  manuiactures  et  en  même 
temps  la  plus  considérable  par  son  objet,  consiste 
dans  les  matières  premières  que  nous  tirons  du 
Levant  et  qtii  sont  les  cotons  en  laine,  les  cotons 
filés  et  cotons  teints  en  rouge,  le  fil  et  le  poil 
de  chèvre,  la  soie,  la  laine  de  chevron,  la  cire, 
les  cuirs  et  peaux,  les  noix  de  galle  et  le  safra- 
non  nécessaires  poiu-  la  teinture,  le  lin  et  les 
huiles,  cendres  et  bourde  :  tous  ces  articles  réunis 
ont  formé,  en  1750.  tm  objet  déplus  de  16,000,000. 
Il  vint  entre  autres  poin-  6,!)00,ooo  livres  de  coton 
dont  4,400,000  livres  en  laine,  2,400,000  livres 
en  soie,  1,200,000  livres  en  laine  et  1,000,000 
en  laine  de  chevron. 

On  ne  s'arrêtera  point  à  faire  sentir  l'impor- 
tance des  retoin-s  de  cette  espèce  et  à  détailler 
les  différentes  fabriques  dans  lesquelles  on  les 
emploie  si  avantageusement.  On  se  contentera 
d'observer  que  les  cotons  et  laines  viennent  prin- 


SUR    L'AMBASS\DE    DE    TURQUIE.  -537 

cipalement  de  Smyrne,  de  Salonique  et  d'Acre, 
et  qu'on  en  tire  aussi  quelques  parties  d'Alep  et 
de  l'Archipel,  que  c'est  de  Seyde  que  l'on  tire 
la  plus  grande  partie  des  cotons  filés,  qu'il  en 
vient  aussi  d'Egypte,  de  Smyrne,  de  Salonique  et 
d'Alep,  mais  très-peu  de  ces  trois  dernières 
échelles,  et  qu'à  l'égard  du  coton  filé  rouge,  c'est 
à  Constantinople  et  surtout  à  Smyrne  qu'on  en 
fait  les  chargements  pour  Marseille. 

C'est  aussi  dans  ces  deux  échelles  et  princi- 
palement dans  la  dernière  qu'on  charge  les  fils 
de  chèvre  :  ce  qui  en  vient  quelquefois  par 
Salonique  ne  fait  pas  un  objet. 

On  tire  des  soies  de  presque  toutes  les 
échelles,  mais  surtout  de  Tripoli,  de  Chypre,  de 
Smyrne,  de  la  Morée  et  d'Alep  ;  cette  dernière 
échelle  en  fournit  en  très-grande  quantité  que 
les  Anglais  prennent  en  troc  de  leurs  draps, 
et  il  est  fâcheux  que  ces  soies  n'aient  pu  encore 
convenir  à  nos  manufactiu-es.  Outre  que  ce 
serait  pour  elles  un  surcroît  de  matière  pre- 
mière, nous  y  trouverions  un  second  avantage 
plus  intéressant  encore  dans  le  débouché  con- 
sidérable des  draps  que  nous  pourrions  faire 
par  ce  moyen  dans  cette  échelle,  au  préjudice 
des  Anglais,  qui  y  conservent  de  la  supériorité 
sur  nous. 


338  MKMOIin 

I  ,:i  (lance  nous  l'oiirnii  les  huiles  :  il  en  vient 
aussi  de  la  Aloree,  de  l'Archipel  et  de  la  Ikirba- 
rie,  mais  en  beaucoup  moindre  quantité. 

C^'est  de  la  liarbarie  cpron  tire  le  plus  de 
laine;  Salonique  est,  de  toutes  les  échelles  du 
Levant,  celle  qui  en  fournit  ensuite  davantage. 
Constantinople  envoie  aussi  presque  toutes  les 
pellades  et  partie  des  panormcs  de  Panderma, 
Mealik,  Balikesscr,  et  des  laines  d'Andrinople. 
Partie  de  celles-ci,  ainsi  que  celles  des  environs 
de  Smyrne,  sont  chargées  dans  cette  dernière 
échelle  5  il  en  vient  enfin  quelques  chargements 
de  Chypre,  de  Seyde  et  de  l'Archipel. 

C'est  l'échelle  de  Smyrne  qui  fournit  la 
plus  grande  partie  des  laines  de  chevron  :  on 
en  tu'erait  beaucoup  plus  d'Alep  sans  les  trou- 
bles de  la  Perse;  mais,  aujourd'hui,  il  n'en 
vient  guère  que  pour  200  à  250,000  livres; 
il  en  vient  aussi  un  peu  de  Salonique  et  de 
Constantinople. 

C'est  aussi  de  Smyrne  que  l'on  tire  le 
plus  de  cire,  quoiqu'il  en  vienne  de  presque 
toutes  les  échelles.  L'Egypte  et  la  Barbarie, 
Constantinople  et  Smyrne  fournissent  les  cuirs; 
mais  ce  qui  vient  de  ces  deux  dernières  échelles 
n'est  rien  en  comparaison  de  ce  qu'on  tire  des 
autres. 


SUR   L'AMBASSADE    DE   TURQUIE.  339 

La  plus  grande  partie  des  galles  vient  d'Alep  ; 
il  en  vient  aussi  de  Smyrne  et  de  Tripoli  :  c'est 
un  article  d'environ  cent  mille  écus. 

Enfin,  l'Egypte  seule  fournit  le  safranum 
et  le  lin,  Seyde  les  cendres  et  la  Barbarie  la 
bourde. 

On  comprend  sous  la  dénomination  de  den- 
rées qui  forment  la  seconde  classe  de  nos 
retours  du  Levant,  les  blés,  riz,  orges,  fèves, 
pois,  cafés,  fromages,  raisins  secs,  etc. 

Les  blés  et  les  riz  sont  les  deux  articles  les 
plus  importants,  et  celui  des  blés  peut  devenir 
très-considérable,  si  on  vient  à  bout  d'obtenir  la 
libre  extraction  moyennant  im  bédéat  tel  qu'il 
était  autrefois  imposé.  M.  le  comte  Des  Alleurs 
a  eu  le  crédit  d'y  parvenir  pour  des  parties  assez 
considérables.  Au  surplus,  les  retraits  en  blé 
montèrent  en  1750  à  près  de  900,000  livres,  et 
ceux  en  riz  à  à  peu  près  autant. 

On  tire  les  riz  de  Damiette,  et  les  charge- 
ments de  blés  se  font  dans  l'Archipel,  en  Morce, 
dans  le  golfe  de  Salonique,  à  Volo,  à  Zeilum  de 
la  dépendance  de  Négrepont,  à  Salonique  même 
et  dans  divers  autres  endroits. 

Après  ces  deux  articles,  le  plus  considérable 
est  celui  du  café  Moka  qu'on  tire  du  Caire. 
En  1750  il  en  vint  pour  environ  400,000  livres; 


340  M  r  M  0 1 1{  K 

l'anncc  prcccdcnlc,  il  en  ciaii  venu  pour  plus 
de  750,000  livres.  Le  privilég^e  de  la  (^oinpa^^iiie 
des  Indes  a  ejiipèehé  les  pro^n-cs  de  ce  retrait. 
Les  raisins  secs  qu'on  tire  de  Morée  et  de 
Smyrne  montent,  année  commune,  à  90  ou 
100,000  livres  ;  les  autres  articles  sont  peu 
considérables;  en  tout,  il  vient  annuellement  en 
denrées  pour  2,300,000  livres. 

Les  drogues  et  drogueries  ne  forment  pas  un 
si  fort  objet  de  retrait  que  les  denrées  et  on  ne 
peut  guère  les  évaluer  qu'à  7  ou  800,000  livres. 

Le  principal  article  est  celui  du  séné.  On  le 
tire  d'Egypte,  et  il  en  vint  en  1750  pour  près  de 
100,000  écus.  Les  autres  articles  de  quelque 
considération  sont  l'encens,  les  gommes,  le 
storax ,  la  rhubarbe ,  la  scammonée  et  le  sel 
ammoniac.  Le  reste  est  de  peu  d'importance, 
et  on  croit  d'autant  plus  inutile  de  détailler  ici 
les  différentes  drogues  et  drogueries  qui  viennent 
du  Levant,  qu'elles  sont  presque  toutes  rap- 
pelées dans  l'état  estimatif  des  marchandises 
du  Levant  et  de  Barbarie  qui  est  à  la  suite 
de  l'arrêt  du  conseil  du  22  décembre  i7$o.  Elles 
viennent  presque  toutes  d'Egypte,  d'Alep  et 
de  Smyrne. 

La  quatrième  et  dernière  classe  de  nos 
retraits  consiste,    comme  on  l'a    dit,    dans    les 


SUR   L'AMBASSADE   DE   TURQUIE.  341 

toiles    et    toileries    et   autres    manufactures    et 
fabriques  du  Levant. 

Les  toiles  et  toileries  en  font  l'objet  prin- 
cipal. On  tire  d'Egypte  celles  de  lin;  suivant 
l'état  de  1750,  il  en  vint  pour  40,000  écus;  la 
plus  g-rande  partie  de  celles  de  coton  vient 
d'Alep  ;  on  en  tira  dans  la  même  année  pour 
près  de  1,350,000  livres.  Les  autres  échelles 
dont  on  en  tire,  mais  infiniment  moins,  sont 
celles  de  Seyde,  de  Smyrne  et  de  Chypre.  Les 
noms  des  toiles  et  des  toileries  se  trouvent  dans 
l'état  particulier  des  marchandises  dont  l'entrée 
et  la  consommation  ne  sont  permises  qu'à  Mar- 
seille ,  lequel  état  est  pareillement  à  la  suite  de 
l'arrêt  du  conseil  du  22  décembre  1750. 

Les  autres  manufactures  du  Levant  sont 
les  abas  et  capots  qui  viennent  de  Salonique , 
les  couvertures  et  tapis  qu'on  tire  de  Smyrne,  les 
satins  et  kermassons  qu'on  envoie  d'Alep ,  les 
bourres  et  mouchoirs  de  soie  et  quelques  autres 
articles  qu'on  tire  en  partie  de  Constantinople,  de 
Smyrne,  d'Alep  et  de  Chypre.  Ces  retraits  sont 
peu  importants;  il  n'y  a  de  considérable  que  les 
toiles  et  toileries  d'Alep  et  d'Egypte,  et  surtout 
de  la  première  de  ces  échelles  d'où  on  est  forcé 
de  les  tirer,  faute  de  trouver  d'autres  articles 
pour  l'emploi  des  fonds  d'entrée. 


342  M I^.  MO  un. 

I.a    totîilitc   (In    prodiiii    de    cette    quatrième 
clnssc  de  retraits  peut  être  évaluée  :iniuieilemcnt 
à  deux  milliotis.  On  a  vu  que  celui  de  la  première 
excédait  seize;  que  celui  de  la  seconde  montait 
à  environ    2,400,000    livres    et  que   celui    de    la 
troisième    allait  à  environ    7    à    800,000   livres. 
Ainsi,  il  paraît  que  notre  commerce  de  sortie  du 
Levant  est  un  objet,  année  commune,  de  vingt 
et  un  millions.  Celui  d'entrée  en  marchandises 
ne    montant    qu'à   dix-huit   ou   dix-neuf,    il   est 
sensible  qu'il  faut  faire  le  solde  d'une  partie  au 
moins   de  l'excédant  de  la  sortie  ^  en  piastres  et 
autres  espèces.  Il  serait  sans   doute  plus  avan- 
tageux,  à   tous    égards ,    d'y    suppléer   par    des 
envois  de  marchandises,  surtout  de  celles  de  nos 
manufactures ,  et  nous  pouvons  espérer  d'y  par- 
venir; mais,  dans  l'état  des  choses,  il   n'en  est 
pas  moins  vrai  de  dire  que  notre  commerce  au 
Levant    nous     est    extrêmement    avantageux, 
puisque  plus  des  trois  quarts  de  celui   d'entrée 
se  fait,  ou  avec  nos  manufactures,  ou  avec  les 
denrées    de    nos   colonies,  et    que,    si    l'on    en 
excepte  les  deux  millions,  ou  environ,  que  nous 
en  retirons  en  toileries,  le  reste  du  commerce  de 

I.  Partie  de  cet  excédant  provient  de  la  plus-value  des  retours 
du  Levant  à  leur  arrivée  à  .Marseille,  et  n'a  pas  besoin,  par  con- 
séquent, d'être  soldée  par  des  envois. 


SUR    L'AMBASSADE   DE   TURQUIE.  343 

sortie  est  entièrement  composé  de  marchan- 
dises, denrées  et  drogues  presque  toutes  de 
première  nécessité  pour  les  besoins  de  la  vie 
ou  pour  l'aliment  de  nos  manufactures.  Nous  y 
trouvons  d'ailleurs  un  très-grand  avantage  en  ce 
que  toute  la  navigation,  tant  d'entrée  que  de 
sortie,  se  fait  en  entier  par  nos  bâtiments. 

Ce  commerce  est  sujet  à  des  règles  générales 
dont  plusieurs  sont  très-anciennes.  On  ne  peut 
faire  les  envois  en  Levant  que  par  le  seul  port 
de  Marseille,  et  ce  n'est  aussi  que  dans  ce  port 
qu'on  en  peut  faire  les  retours.  Ce  n'est  que  sur 
les  bâtiments  français  qu'on  peut  faire  les  char- 
gements de  draps;  il  est  défendu  expressément 
de  prêter  le  nom  aux  étrangers  et  de  faire 
aucunes  adresses,  directement  ou  indirectement, 
aux  étrangers  établis  dans  les  échelles.  Les  mar- 
chandises du  Levant  qui  ne  viennent  pas  direc- 
tement sont  sujettes,  à  leur  entrée  en  France, 
à  un  droit  de  20  pour  100  sur  une  évaluation 
dont  le  dernier  tarif  est  celui  de  1750.  La  rési- 
dence des  Français  dans  les  échelles  est  fixée 
à  dix  ans,  et  le  nombre  des  établissements  ou 
maisons  est  déterminé  dans  chaque  échelle. 
Outre  ces  derniers  arrangements,  il  y  a  quantité 
de  règlements  de  police  auxquels  sont  sujets  les 
négociants  français  résidant  dans  les  échelles,  et 


v}4    MiMoiHi    srn  ixMrnssADK  dk  tlrqlik. 

dont  le  détail  serait  ici  inutile.  11  y  a  enfin  des 
règlements  et  arrangements  particuliers  qui 
concernent  l'exploitation  des  diverses  marchan- 
dises d'entrée  et  de  sortie. 


APPENDICE 


I. 


Confirmation  par  Soliman  II  du  traite  fait 

ANTÉRIEUREMENT    SOUS    LA    DOMINATION    DES 
SULTANS     MaMELUCKS     d'EgYPTE,     AVEC      LES 

CONSULS  DE  France  a  Alexandrie^ 

Longtemps  avant  le  Roy  François  premier,  et  mesme 
du  règne  des  Mamelucs  Soldans  d'Egypte,  les  marchans 

I.  Cet  acte  contirme  purement  et  simplement  les  privilèges  renouvelés 
par  Sultan  Cansou  Goury  en  faveur  des  Français  et  des  Catalans  établis 
en  Egypte.  La  paix  entre  la  chrétienté  et  l'Egypte,  rompue  en  i$io,  avait 
été  rétablie  a  la  suite  de  l'ambassade  d'André  Le  Roy,  secrétaire  du  roi 
Louis  XII. 

Jehan  Thenaud,  gardien  des  frères  mineurs  d'Angoulême  qui  accom- 
pagnait André  Le  Roy,  a  écrit  une  relation  du  voyage  de  cet  ambassa- 
deur. Elle  a  été  publiée  à  Paris  chez  la  veuve  de  Jean  Saind-Denis,  vers 
1525  sous  le  titre  suivant  :  Le  voyage  et  itinéraire  de  oultre-mer,  faict 
far  Jehan  Thenaud,  maistre  es  ars,  docteur  en  Théologie  et  gardien  des 
frères  mineurs  d'Angoulesme  et  premièrement  dudict  lieu  d'Angoulesme 
iusques  au  Cayre.  Petit  in-8,  de  64  feuillets. 

J.  Lemaire  de  Belges  a  rendu  compte  d'une  manière  très-succincte  de 
l'ambassade  d'André  Le  Roy  et  de  la  teneur  du  traité  conclu  au  nom  de 
Louis  XII  dans  un  des  derniers  chapitres  de  son  Traictié  de  la  différence 
des  scismes  et  des  concilies  de  l'Église.  —  Paris,  Englebert  et  Jehan  de 
Marnef,  1517- 

Ce  chapitre  est  intitulé  :  s'ensuit  l'occasion  et  manière   du  récent  et 


346     MÉMOIRF.   SUR    [,'A  M  MA  SS  A  D  K    DK   TURQUIK. 

Frant;oys  navigoiciilel  trafTicquoiciu  scuremcnt  en  Alcxan- 
drjc,  au  Cayre  et  par  tout  ledit  B'gypte  et  y  a\ oient  ung 
consul  pour  culv  et  les  Cathelans.  Dcspuys,  Sultan 
Sclim,  père  dudit  Sultan  Soliman,  après  a\oir  subjugue 
à  soy  toute  l'Egypte,  leur  confirma  ce  privilège  et 
seurté  de  trafïïcq  audit  pays,  tout  ainsin  qu'ils  avoient  et 
usoient  du  temps  des  Soldans,  avec  ampliation  d'articles 
concédés  audit  consul  ainsin  qu'il  s  ensuit  : 

Le  royal  et  très  hault  commandement  de  l'ordre 
libéral  : 

l>e  grand  Dieu  l'exalte  et  luy  doint  toute  grâce  et 
le  passe  à  tous  ceulx  qui  luy  viendront  au  devant 
des  cadis,  emins',  escrivains  et  parleurs  et  ministres  et 
présidentz  de  l'ordre  en  Alexandrie,  leur  faisons  sça\oir 
que  l'honoré  consul  et  de  bonne  créance,  Jehan  Benoist 
de  Pierre  Benoist,  consul  des  Cathelans  et  Françoys,  est 
comparu  en  nostre  présence  et  nous  a  présenté  ung  com- 
mandement pour  lesdits  Françoys  et  Cathelans  avec 
aucune  condition  et  pactes  qui  s'observent,  et  nous  a 
demandé  ung  commandement  en  confirmation  dicelles 
avec  les  articles  et  conditions  qui  sont  contenues  en 
icelluy,  assavoir  : 

Que  les  Cathelans  et  Françoys  et  autres  nations  qui 
sont  soubz  leur  consulat  en  Alexandrye,  et  qui  arriveront 


nouveau  sauf-conduit  donné  de  flain  vouloir  par  le  Souldan  aux  sub- 
ject^  du  Roy  très  chrestien  :  tant  pour  aller  en  pèlerinage  au  Sainct- 
Sépulcre  :  comme  trafiquer  marchandement  en  ses  terres  et  seigneuries 
d'oultre-mer. 

I.  Directeurs  et  agents  des  douanes. 


APPENDICE.  34y 

aux  ports  et  plages,  ou  en  Alexandrye  ou  ailleurs,  qu'ilz 
soient  seurs  en  toutes  noz  contrées ,  en  terre  et  en  mer, 
de  tous  noz  ministres,  comme  il  est  bien  convenable  en 
temps  de  paix  avec  semblable  sorte  de  gens  et  autres 
nations  en  noz  terres,  et  voulons  qu'ilz  aillent  et  viennent 
et  demeurent  seurement  de  bon  gré,  tant  qu'il  leur  plaira, 
sans  qu'aucun  leur  donne  ennuy  ou  empêchement.  Si 
aulcun  d'eulx  vouloit  achepter  marchandises  qui  ne 
soient  prohibées,  qu'ilz  les  puyssent  achetter  et  qu'aul- 
cun  soit  si  hardj  de  les  en  empêcher. 

Qu'ils  puyssent  descharger  leurs  navires  à  la  cous- 
tume,  sans  aulcune  difficulté  :  si  à  aulcun  d'eulx  avoit 
esté  faict  tort  et  leurs  consuls  voulussent  qu'ilz  montras- 
sent comme  T affaire  avoit  passé,  avec  quelqu'un  des 
siens  et  ses  lettres,  luy  soit  baillé  compaignie  d'officiers 
qui  l'accompaigne  à  l'excelse  Porte  et  le  rameyne  à  son 
consul.  Que,  à  toutes  les  robes  qui  seront  chargées  dans 
la  barque  soit  faicte  la  garde  d'un  de  la  part  de  Cathe- 
lans  et  un  de  la  douane,  et  luy  seront  aprestés  les  som- 
miers et  les  barques,  quand  se  commencera  à  deschar- 
ger quelque  leur  navire. 

S'il  se  rompoit  aucun  vaysseau  de  Cathclans  ou 
Frant;oys  auprès  Alexandrye  ou  ailleurs,  noz  présidens 
fassent  assembler  des  hommes  pour  faire  la  garde  aux 
marchandises  qui  estoient  chargées  audit  vaysseau,  et 
icelles  ayent  à  tenir  bien  gardées  en  Alexandrye  ou 
ailleurs. 

Touttc  na\  ire  qui  sera  gettée  des  vents  au  bort  ou 
rive  de  la  terre  des  Mores,  soit  saulve,  et  nul  luy  donne 


^4^      MKMOIjîK    SLR    l'AMHASSADK    DK   TUHgUIK. 

aucun  lra\ail.  V.l  si  la  na\ire  scnfonsoit  et  toute  la  gcnt 
se  noyât,  hormis  les  robes  desja  chargées  en  icelles  aux 
plages  et  rives  de  la  mer,  que  la  marchandise  se  df)y\e 
prendre  et  soit  donnée  au  consul  des  Calhelans  et  P'ran- 
ç;oys  :  et,  si  le  consul  ne  se  trouve  là  où  se  rompit  le  na- 
vire, que  les  robes  retrouvées  soycnt  portées  à  reccelse 
Porte,  et  soit  le  tout  consené  jusque  à  tant  que  compa- 
roisse  le  commis  du  consul  des  Cathelans  pour  les 
recevoir. 

Si  aulcun  des  Cathelans  acheptoitou  vendoit  aucune 
sorte  de  marchandise,  que  le  contract  soit  passé  sellon 
que  sera  tesmoigné  semblable  tesmoignage,  et  que  le 
Cathelan  ou  Françoys  ne  donne  ou  preygne  sinon  tant 
qu'il  luy  sera  comode,  et  puyssent  achepter  de  quel  lieu 
que  ce  soit  que  bon  leur  semblera. 

S'il  survenoit  quelque  différant  entre  les  Cathelans 
ou  Françoys,  le  consul  aye  à  le  juger,  exceptant  toutes- 
foys  s'il  y  inter\enoit  sang;  que  en  ce  cas,  noz  présidens 
l'auront  à  juger;  et,  si  aulcun  deulx  estoit  débiteur  à  la 
douane  et  partît  sans  avoir  satisfaict,  la  douane  ne  doyve 
demander  à  aucun  autre  pour  celluy-là. 

Des  marchandises  qui  se  contractent  et  après  se 
rompt  le  contract,  pour  ce,  si  aulcun  acheptera  marchan- 
dises, qu'il  aye  à  les  voir  et  revoir  et  descouvrir  bien  le 
tout  suffizemment,  affin  qu'après  n'y  aye  débat  ny  autres 
paroles  contantieuses. 

Que  aulcun  des  Cathelans  ou  Françoys,  ou  qui 
s'appellera  Cathelan  ou  Françoys,  ne  soit  empêché  a\  ec 
demandes  appartenans  à  aultres.  et  ne  soit  molesté  ny 


'APPENDICE.  349 

touché,  en  terre  ou  en  mer,  si  toutesfoys  il  n'estoit  plaige, 
autrement  ne  soit  molesté  seulement  pour  conte  de  soy- 
mesme  et  propre  personne. 

Si  aulcun  des  Cathelans  ou  Françoys  passoit  de  ceste 
vie  et  fist  son  testament,  soit  faict  de  son  bien  sellon 
qu'il  sera  ordoné  par  ledit  testament,  et  s'il  mouroit  ab 
intestat,  que  le  consul  ordonne  de  ses  robes;  et  si  le 
consul  n'estoit  présent  ou  aultre  de  ses  Francs,  que  noz 
présidens  envoyent  les  robes  jusques  au  lieu  où  sera  le 
consul. 

Si  les  corsaires  faisoient  domaige  aux  Mores  ou 
chrestiens,  ou  aultres  diverses  nations  de  terre  ou  de  mer, 
qu'il  ne  soit  donné  fascherie  à  aulcun  des  Françoys  ou 
Cathelans,  ou  en  la  personne  ou  en  ses  biens,  si  toutes- 
fois  il  n'estoit  pleige  ou  respondent.  Qui  sera  Cathelan 
ou  Françoys  ou  dira  estre  des  grandz  d'entre  les  Cathe- 
lans ou  Françoys,  personne  lui  donne  empêchement 
avec  demandes  appartenantes  à  autres  qu'à  luy-mesmes, 
pourveu  qu'il  ne  soit  pleige;  et  ne  soit  tenu  ou  condemné 
aucun  desdits  Françoys  ou  Cathelans  ou  leur  consul  par 
commandement  deMagarbigny^  et  ses  nations,  s'il  n'es- 
toit pleige,  et  aulcun  ne  doyve  rendre  compte  seullement 
de  soy-mesme  et  non  d'autres  meschantes  personnes  de 
sa  nation. 


I.  Maghraby.  Les  Moghrebins,  musulmans  des  Etats  barbaresques  du 
Maroc  et  de  l'Espagne,  formaient  au  moyen  âge,  en  Egypte  et  en  Syrie, 
un  corps  de  nation  qui  avait  ses  magistrats  et  ses  règlements  particu- 
liers. Les  Français,  en  Egypte,  ne  pouvaient  donc  être  condamnes  par 
une  sentence  arbitraire  rendue  par  les  notables  moghrebins. 


)5o     MÉMOIRK   SUR    I.'AMBASSADK    l)K   TURQUIE. 

Qu'ils  piiyssciil  rucoiistrcr  leurs  csgliscs  congncucs 
en  Alexandrie,  sellon  (|u"il  sera  esclaircy  en  la  justice, 
et  que  d'icelles  soit  confessé  aultant  qu'il  est  notoire  à 
ladite  justice,  et  ainsin  des  bains,  pour  entrer  leurs  per- 
sonnes. 

Qu'ils  ayent  à  achepter  et  vendre  leurs  marchandises 
qui  se  tirent  de  la  douane,  avec  le  sceu  du  consul,  dans 
le  fondigo  '  des  Fran<^o_ys  et  y  feront  garder  leurs  mar- 
chandises quand  elles  se  deschargeront  des  na\ires,  et 
qu'ilz  puyssent  gabeller  ce  qui  leur  appartient  des  mar- 
chandises qu'ilz  acheptent  en  la  présence  du  sansal  ou 
corretier,  sellon  la  coustume. 

Silz  venoient  aux  portz  ou  plages  des  Mores,  qu'ilz 
les  acceptent  et  leur  soient  recommandés  et  leur  aydent, 
et  ne  leur  donnent  travail  en  mer  ny  en  terre,  et  que 
noz  ministres  y  pregnént  garde;  et  s'ilz  vouloient  venir 
au  Cayre,  leur  soit  permis  sans  leur  estre  donné  empê- 
chement aucun. 

Ceux  que  fairont  la  cherche  ne  leur  preignent 
aucune  chose,  et  ne  chargeront  ni  deschargeront  de 
leurs  marchandises,  sinon  à  leur  volonté ,  et  ce  que  les 
bastasis  '  leur  gasteront  seront  tenuz  le  leur  payer. 

S'il  se  conclurra  marché  en  la  présence  de  tesmoins, 
que  les  tesmoins  soyent  escritz  le  Franc  a\  ec  le  Franc, 


1.  Le  bâtiment  qui  sert  de  demeure  aux  négociants  et  de  lieu 
de  dépôt  pour  leurs  marchandises  ;  on  l'appelle  en  Egypte  OuehaUh 
(Okel),  en  Syrie  et  en  Turquie  Khan,  dans  les  États  barbaresques 
houndouk. 

2.  Bektchi,  gardiens  de  la  douane. 


APPENDICE.  351 

comme  il  s'escrit,  et  le  More  avec  le  More  et  avec  le 
Franc,  et  s'ilz  voudront  que  les  tesmoins  se  soubzcri- 
vent,  qu'ilz  ne  le  pujssent  refuser  et  ne  leur  soit  empê- 
ché comme  aussi  de  la  police  de  recevoir. 

Si  aulcuns  des  Cathelans  ou  Françoys  acheptoit 
espices  ou  aultre  chose  semblable  et  que  le  vendeur  se 
repentit,  qu'on  ne  laisse  en  aucune  sorte  anuller  ou 
rompre  la  vente. 

S'il  venoit  aux  consuls  choses  à  manger  ou  à  boyre, 
qu'il  ne  luy  soit  rien  touché,  ne  luy  soit  ousté  hors  de 
la  coustume,  et  de  mesme,  s'il  luy  venoit  choses  pour 
soy  vestir,  de  drap  ou  de  soye,  ou  aultre  chose  pour  son 
usaige. 

Si  le  consul  avoit  besoin  de  deniers  pour  la  despence 
de  sa  mayson  et  de  ses  gens,  et  voulût  vendre  de  la 
marchandise  au  contant  pour  tel  etfect,  qu'aucun  ne  luy 
donne  empêchement. 

Qu'il  ne  soit  donné  travail  au  consul  et  à  ses  mar- 
chans  sans  voye  de  justice,  et  ne  soit  demandé  au  père 
pour  le  tilz  ne  au  iilz  pour  le  père,  ne  au  frère  pour  le 
frère,  pourveu  qu'il  ne  soit  son  pleige  ou  respondcnt,  et 
ne  soit  demandé  à  aulcun,  sinon  pour  soy-mesme,  et  si 
aulcun  d'eulx  vouloit  partir  pour  son  pays,  qu'il  le 
puysse  faire,  n'estant  toutesfois  débiteur  d'aulcuns  par 
voye  de  justice;  et,  s'ilz  vouloient  vendre  aucune  de 
leurs  marchandises  en  contant  pour  payer  fraiz,  qu'ilz 
ne  soient  empêchés  et  ne  leur  soit  prins  pour  cella  dace, 
et  cella  s'entende  jusques  à  la  somme  de  cent  ducatz 
d'or  pour  chasque  marchand  comme  est  la  coustume, 


3Î2     MK.MUIKK   SUR    1.' A  M  B  A  SS  A  D  K    CF.    rURQUIK. 

st-IIoti  qu'a  esté  \cu  par  ung  comiiiandcmciil  de  Gaurc 
Serisi  '  à  culx  concédé. 

Que  leur  marchandise  ne  soit  pf)int  prinse  sans 
leur  volonté,  et  ne  soient  tenuz  de  prester  aux  daciers  - 
contre  leur  gré,  et  que  le  salaire  du  consul  luy  soit 
payé  ordinairement  de  la  doane ,  moys  par  moys, 
et  ne  soit  chargé  en  aucune  chose,  et  les  naves  qui  sont 
soubz  son  consulat  ne  soient  prinses  par  force,  comme 
veult  le  commandement  serif  Gaurie  qu'ilz  ont  en 
main. 

Si  le  marchand  franc  avoit  pour  suspect  le  poyseur 
qui  poyse  sa  marchandise,  et  la  voulût  faire  repoyser 
une  aultre  fois,  qu'il  puysse  prendre  tel  poyseur  que 
luy  plaira. 

Si  aulcun  avoit  quelque  demande  ou  prétention 
contre  le  consul  des  Cathelans  et  Françoys,  qu'il  ne  luy 
puisse  estre  rien  demandé  si  n'est  à  leccelse  Porte,  et 
qu'il  ne  puisse  estre  restreint  ne  luy  soit  baillé  garde 
pendant  qu'il  sera  consul. 

Qu'il  ne  leur  soit  vendu  espiceries  sans  leur  volonté, 
comme  est  l'antienne  coustume,  et  ne  soit  faicte  foule 
ne  oppression  aux  marchands  sans  voye  de  justice. 

Et  en  conclusion,  en  toutes  leurs  actions  et  négoces, 
qu'ilz  ayent  à  procéder  par  la  voye  antienne  sans  inno- 
vation   d'aucune    chose,   sellon  le   susdit   commande- 

1.  Melik  el  Echref  Sultan  Cansou  Goury,  l'avant-riernier  Sultan  de  la 
dynastie  des  Mamelouks  circassiens  (1501-1517). 

2.  Percepteurs. 

3.  Cherif.  Emri  Cherif,  le  noble  commandement. 


APPENDICE.  353 

ment  serif  qu'ils  ont  en  main  du  XIIII  rabich  leasher^ 
l'an  pi8.  En  conformité  duquel  nous  commandons  qu'il 
soit  concédé  tout  ce  qui  est  cj  dessus  escrit,  aux  nations 
des  Françoys  et  des  Cathelans,  et  autres  nations  soubz  le 
consulat  de  leur  consul,  et  soit  faicte  la  crie  et  procla- 
mation de  toute  seurté  et  foy;  et  qu'ilz  puyssent  vendre 
et  achepter,  prendre  et  recevoir  sans  opression  et  travail 
aucun,  et  qu'ilz  aillent  et  vienent  avec  seureté  de  leurs 
personnes  et  biens,  et  qu'il  ne  leur  soit  faict  desplaisir. 
Et  tel  nostre  commandement  soit  obéy  en  tout  et  par- 
tout, et  mis  à  exécution  de  tous  ceulx  avant  lesquels  il 
viendra. 

De  la  résidence  impériale,  écrit  le  VI  moharrem  de 
l'an  935  (21  septembre  1528). 


II. 


Traite   concll^   entre   Sultan   Sui.eyivian 
ET   François   I"'". 

Au  nom  de  Dieu  tout  puissant  soit  manifeste  à  un 
chascun,  comme  en  l'an  de  Jésus-Christ  mil  V'^  trente 
et  cinq,  au  moys  de  Febvricr  et  de  Mahomet  neuf  cens 

quarante  ung  en  la  lune  de'- se  retrouvant  en  lin- 

clite  cité  de  Constantinople,  le  sieur  Jehan  de  La  Forest 

1.  Rebi'ouLikhir.  Le  14  de  Rebruulakhir  de  l'an  91 H  de  rHigiro  cor- 
respond au  30  juin  1512. 

2.  Redjeb. 

2; 


354     MKMOIKK   SUR    L'AMBASSADE   DK   TURQUIK. 

sccrclairc  cl  amlxissadcur  tic  très  excellent  et  très  puis- 
sant prince  Frant;oys,  par  la  grâce  de  Dieu  Roy  de 
France  très-chrestien,  mandé  au  très-puissant  et  invin- 
sible  G.  S.  Sultan  Soliman  Empereur  des  Turcqs,  et 
raysonant  avec  le  puyssant  et  magniricque  Seign'  Ybra- 
hini  clierlesquier  Soltan  (c'est  lieutenant  général  d'exer- 
cite)  (.lu  grand  Seigneur,  des  calamités  et  inconvénians 
qui  adviennent  de  la  guerre,  et  au  contraire,  du  bien, 
repos  et  seureté  qui  procèdent  de  la  paix ,  et  par  ce 
cognoissant  combien  lun  est  de  préférer  à  l'autre,  se 
faist  chacun  d'eulx  fort  des  susdits  Seigneurs  leurs  supé- 
rieurs au  nom  et  honneur  desdits  seign",  seureté  des 
estats  et  bénirice  de  leurs  subgets,  ont  traité  et  conclud 
les  chapitres  et  acordz  qui  s'cnsuyvent. 

Premièrement  :  ont  traitté,  faict  et  conclud,  traittent 
font  et  concluent,  bonne  et  seure  paix  et  sincère  con- 
corde au  nom  des  susdits  grand  Seigneur  et  Roy  de 
F'rance,  durant  la  vie  de  chascun  d'eulx,  et  pour  les 
royaulmes,  seigneuries,  provinces,  chasteaulx,  cités, 
portz,  eschelles,  mers,  isles  et  tous  les  lieux  qu'ils  tien- 
nent et  possèdent  à  présent  et  posséderont  à  Tadvenir, 
de  manière  que  tous  les  subgetz  et  tributaires  des  dicts 
Seign"  qui  voudront,  puyssent  librement  et  seurement, 
avec  leurs  robes  et  gens,  naviguer  avec  na\  ires  armés  et 
désarmés,  chevaucher,  venir,  demeurer,  converser  et 
retourner  aux  portz,  citez  et  quelconques  pays  les  ungs 
des  autres,  pour  leur  négoce,  mesmement  pour  faict  et 
compte  de  marchandise. 

Item.  Que  lesdits  subgets  et  tributaires  desdits  Seign""' 


APPENDICE.  355 

pourront  respectivement  achepter,  vendre,  changer, 
conduyre  et  transporter  par  mer  et  par  terre  d'un  pays 
à  l'autre  toutes  sortes  de  marchandises  non  prohibées  en 
payant  les  accoustumées  et  antiques  daces  et  gabelles 
ordinaires  seulement,  assavoir  :  les  Turcqs  au  pays  du 
Roy  comme  payent  les  François,  et  lesdits  François  au 
pays  du  G.  S.  comme  payent  les  Turcqs,  sans  qu'ils 
puyssent  estre  contraintz  à  payer  aucun  autre  nou- 
veau tribut,  imposition  ou  angarie^ 

Item.  Que  toutes  fois  que  le  Roy  mandera  à  Cons- 
tantinople  ou  Péra  et  aultres  lieux  de  cest  empire  ung 
baille,  comme  de  présent  il  tient  un  consul  en  Alexan- 
drie, que  lesdits  bailles  et  consuls  soient  acceptés  et 
entretenuz  en  authorité  convenante,  en  manière  que 
chascun  d'eulx  en  son  lieu ,  et  sellon  leur  foy  et  loy, 
sans  qu'aucun  juge  caddi,  sousbassy-,  ou  autre  en 
empêche,  doibve  et  puysse  ouyir,  juger  et  terminer  tant 
en  civil  qu'en  criminel  toutes  les  causes,  procès  et  diffé- 
rants que  naistront  entre  marchans  et  autres  subgets  du 
Roy.  Seullement,  et  au  cas  que  les  ordonnances  et  sen- 
tences desdits  bailles  et  consulz  ne  fussent  obéyes,  et  que 
pour  les  faire  exécuter  ils  requissent  les  sousbassy  ou 
autres  olHciers  du  G.  S.,  les  dits  sousbassy  et  autres 
requis  devront  donner  leur  ayde  et  main  forte  nécessaire, 
non  que  les  caddis  ou  autres  officiers  du  G.  S.  puyssent 
juger  aulcuns  différans  desdicts  marchans  et  subgets  du 
Roy,  encores  que  les  dicts  marchands  le  requissent,  et  si 

I.  Aiigarie,  taxe  arbitraire. 
a.  Soubachy,  officier  de  police. 


jjr.    .Mr..M()iin-.  sur  l'amhassadk  dk  TungtiK. 

cr;i\(.iiUirc  les  dicts  cacidis  jugcoicnt,  que  leur  sentence 
soit  de  nul  eOect. 

Item.  Que  en  cause  civ  ille  contre  les  Turcqs,  carra- 
chiers*  ou  autres  subgets  du  G.  S.  les  marchans  et  sub- 
jectz  du  Roy  ne  puyssenl  estre  demandez,  molestez  ne 
jugez  si  lesdicts  Turcqs,  carrachiers  et  subgetz  du  G.  S. 
ne  monstrent  escrilures  de  la  main  de  l'adversaire  ou 
coget  (c'est  instrument)  du  caddi,  baille  ou  consul,  hors 
de  laquelle  escriture  ou  coget,  ne  sera  ^allable  ne  receu 
aucun  tesmoignage  de  Turcq,  carrachiers  ne  autre  en 
quelque  part  que  ce  soit  de  Testât  et  seigneurie  dudict 
G.  S.  et  les  caddi,  sousbassy  ne  aultres  ne  pourront 
ouyir  ne  juger  lesdicts  subgetz  du  Roy  sans  la  présence 
de  leur  dragoman. 

Item.  Que  en  causes  criminelles,  lesdits  marchans  et 
autres  subgetz  du  Roy  ne  puyssent  estre  appelles  des 
Turcqs,  carrachiers  ne  autres  devant  les  caddis  ne  autres 
officiers  du  G.  S.  et.  que  lesdits  caddis  ne  officiers  ne  les 
puyssent  juger  :  ains  sur  Theure,  les  doyvent  mander  à 
Texcelse  Porte,  et  en  l'absence  d'icelle  Porte,  au  princi- 
pal lieutenant  du  grand  Seign^,  là  où  vaudra  le  tesmoi- 
gnage du  subget  du  Roy  et  du  carrachier  du  G.  S.  l'un 
contre  l'aultre. 

Item.  Quant  à  ce  qui  touche  la  religion,  a  esté 
expressément  promis,  accordé  et  conclud  que  lesdits 
marchantz,  leurs  agentz  et  serviteurs  et  tous  aultres  sub- 
getz du  Roy  ne  puyssent  jamays  estre  molestez  ne  jugez 

I.  Sujets    nm    musalmans    du    Grand    Seigneur    payant    i'impôt    du 
Kharadj. 


APPENDICE.  35y 

par  caddis,  sangiacbeys%  soiisbassy  ne  autres  que  par 
l'excelse  Porte  seulement,  et  qu'ilz  ne  puyssent  estre 
faictz  ne  tenuz  pour  Turcqs,  si  eulx-mêmes  ne  le  veul- 
lent  et  le  confessent  de  bouche  sans  viollence,  ains  leur 
soit  licite  observer  leur  religion. 

Item.  Que  lesdicts  marchantz,  leurs  agentz  et  servi- 
teurs ne  autres  subgetz  du  Roj,  ne  leurs  navires,  barques 
ne  aultres  arméniens  d'iceulx,  ne  aussi  l'artillerie  et 
munition,  ne  leurs  mariniers,  ne  puyssent  estre  prins, 
contraintz  ne  miz  en  œuvre  contre  leur  gré  et  volonté  en 
aucun  service,  ne  engarie  ^,  soit  de  mer,  soit  de  terre, 
pour  le  G.  S.  ou  pour  autre. 

Item.  Si  ung  ou  plusieurs  subgetz  du  Roy  ayant 
faict  contract  avec  quelque  subget  du  G.  S.  prins  de  luy 
marchandise  ou  faict  debte,  et  puis  sans  avoir  satisfaict, 
s'absente  de  l'estat  dudit  Seig"",  que  le  dit  baille,  consul, 
parens,  facteurs  ne  autre  personne  subgete  du  Roy  ne 
puysse,  pour  telle  cause,  estre  aucunement  contraincte 
ne  molestée  ;  ne  scmblablement  le  Roy  ne  soit  tenu  en 
cella,  mais  seulement  doyve  sa  Mg'^  faire  administrer 
bonne  justice  au  demandeur  sur  la  personne  et  biens 
dudict  débiteur,  s'ils  se  retrouvent  en  son  royaume  ou 
seigneurie. 

Item.  Tous  marchantz  et  subgetz  du  Roy  en  toute 
part  de  la  seigneurie  du  G.  S.  puissent  librement  tester, 
et  mourant  de  mort  naturelle  ou  \  iohmte,  cjue  toute  leur 
robe,  tant  en  deniers  comme  en  toute  autre  chose,  soit 

1.  Gouverneur  militaire. 

2.  Corvée. 


35X     MF.Molin-,   SLH    I.A  M  M  A  SS  A  I)  K    IJ  K    TL'KgLIK. 

distriliiK'c  siloii  le  tistriiK'nl  ;  ri  nioiiiaiil  ab  inlcstat, 
ladite  robe  soit  rt-s'iuiéc  a  l'héritier  ou  a  son  commis  par 
les  mains  ou  auctoritc  dudit  baille  ou  consul,  au  lieu 
où  sera  l'un  ou  l'autre,  et  là  où  il  n'y  aurait  ne  baille 
ny  consul,  soit  ladite  robe  mise  en  sauveté  par  le  cady 
du  lieu,  soubz  l'aucthorilc  dudit  G.  S.,  laisanl  d'icelle 
premièrement  inventaire  en  présence  de  tesmoins;  mais 
où  seront  lesdits  baille  et  consul,  qu'aucun  caddy,  bat- 
telmagy*  ne  autre  se  puysse  empescher  de  ladite  robe, 
ains  si  elle  cstoit  en  mains  d'aucuns  d'eulx  ou  d'autre  et 
que  lesdits  baille  ou  consul  la  requissent  premier  que 
ledit  héritier  ou  son  commis,  qu'incontinant,  et  sans 
contradiction,  elle  soit  entièrement  consignée  audit  baille 
ou  consul  ou  à  leurs  commis,  pour  puys  après  estre  resti- 
tuée à  qui  elle  appartient. 

Item.  Que,  à  l'instant  que  le  présent  traitté  sera  con- 
fermé  par  le  dit  G.  S.  et  Roy,  à  l'heure  soient  hors  de 
captivité  et  miz  en  pleine  liberté  toutes  les  persones  et 
leurs  subgetz  qui  se  trouveront  respectivement  esclaves 
acheptés,  prisonniers  de  guerre  ou  autrement  détenuz, 
tant  èz  mains  des  susdits  Seigneurs  comme  de  tous  leurs 
subgetz,  en  gallères,  navires,  et  tous  aultres  lieux  et 
pays  de  l'obéissance  desdits  deux  Seign"  à  la  requestc 
et  affirmation  de  l'ambassadeur,  baille  ou  consul  du  Roy 
ou  des  leurs  à  ce  commis;  et  si  aucun  desdits  esclaves 
a\oit  changé  de  ioj  et  de  religion  que  ce  néantmoins 
la  personne  soit  libre;  et  espécialement.  que  d'icy  en 

I.  Beitul  Maldji,  receveur  du  fisc. 


APPENDICE.  359 

avant,  aucun  desdits  grand  Seig""  et  Roy  ni  des  cappi- 
taines,  hommes  de  guerre  ne  d'autres  subgetz  tributaires 
ne  leurs  mercenaires  en  aucune  manière,  ne  doyvent,  ne 
pujssent,  tant  en  mer  comme  en  terre,  prendre,  achep- 
ter,  vendre  ny  retenir  pour  esclave  ne  prisonnier  de 
guerre  l'un  l'autre;  ains,  si  aucun  corsaire  ou  autre 
homme  des  pays  de  l'un  des  susdits  Seigneurs  attentoit 
de  faire  prinse  ou  violence  sur  la  robe  ou  les  personnes 
de  l'obéyssance  de  l'autre  Seig"",  puisse  et  soit  tenu  le  Seig"" 
du  lieu  où  à  l'instant  sera  trouvé  le  malfacteur,  le  punir 
comme  infracteur  de  paix,  à  l'exemple  des  autres,  et 
néantmoins  restituer  à  l'offencé  ce  que  en  la  puyssance 
du  malfacteur  se  trouvera  luy  avoir  esté  prins  et  ousté  ; 
et,  si  ledict  malfacteur  eschapoit  tellement  qu'il  ne  fut 
prins  et  puny  à  l'heure,  soit  et  s'entende  avec  tous  ses 
complices,  bany  de  son  pays,  et  toute  leur  robe  contis- 
quée  à  son  Seigneur  souverain,  lequel  néantmoins  faira 
punir  le  malfacteur  et  ses  compaignons ,  si  jamays  se 
trouvent  en  son  pouvoir,  et  de  ladite  confiscation  sera 
réparé  le  domaige  de  l'offencé,  son  recours  (estant)  pour 
cest  effect  au  protecteur  de  la  présente  paix,  qui  seront 
lesdits  charlesquier  Soltan,  de  la  part  du  G.  S.  et  le 
grand  Maistre  de  France  pour  la  part  du  Roy. 

Item.  Que,  quand  l'armée  de  mer  de  l'un  desdits 
G.  S.  et  Roy  rencontreront  aucun  navire  des  subgetz  de 
l'autre  Seig'",  seront  tenuz  de  baisser  les  voyles  et  lever 
les  banières  de  leurs  Seig''%  affins  que  estans  par  là 
cognuz,  ne  soient  prins,  relenuz  ne  aucunement  molestez 
de  ladite  armée  ne  d'aucuns  particuliers  d'icelle,  ains  si 


360     MfVKJlKK   SUK     l'A  MBASS  AIJK    1)  K    1' U  H  ^  L  1  K. 

toii  ou  (lomaigc  liur  fui  liiicl  (\uc  \v  sci^'  de  l'armce 
soil  ItiHi  soulKhiir.cnifnl  de  k-  réparer,  et  si  les  na\ires 
particuliers  des  subgels  desdits  Seigneurs  se  rencontreront 
l'un  l'autre,  chascun  doybve  haulser  la  banière  de  son 
seigneur  et  se  salluer  d'un  coup  dartilherie,  et  respondre 
au  vray,  s'ilz  sont  demandes  qui  ilz  sont,  sans  toutcsfois 
que  despuys  les  parolles  et  recognoissance,  lun  entre 
par  force  ne  \isite  le  na\  ire  de  l'autre  ny  lui  donne 
aucun  empeschement  soubz  quelque  coleur  que  ce  soit. 

Item.  Que  arrivant  cz  portz  et  bord  de  mer  du  G.  S., 
aucun  navire  des  subgetz  du  Roy,  par  fortune  ou  autre- 
ment, leur  soit  administré  vivres  et  autres  choses  néces- 
saires en  payant  raisonablement  sans  les  contraindre  à 
descharger  pour  payer  le  comerce  ^  :  ains  soient  laissés 
aller  où  il  leur  plaira;  et  venant  à  Constantinople, 
quand  sera  pour  s'en  partir,  ayant  prins  et  payé  le  coget  ^ 
de  l'emin'  et  estant  cherché  et  visité  de  la  part  dudict 
emin,  qu'il  ne  doyve  ny  puysse  estre  visité  en  aucun 
lieu,  sinon  aux  chasteaulxdu  desdroit  deGallipoly,  sans 
pouvoir  payer  plus  là  ne  ailleurs  aucune  chose  pour  la 
sortye  au  nom  du  G.  S.  ny  de  ses  ofliciers. 

Item.  Que,  si  quelque  navire  des  subgetz  desdits 
Seig*%  par  fortune  ou  autrement,  se  rompoit  ou  fit  nau- 
frage aux  lieux  et  juridiction  de  l'autre  Seigneur,  que 
les  personnes  qui  échapperoient  de  tel  péril  restent 
libres  et  puyssent  recueilir  toute  leur  robe  entièrement  : 

1.  Droits  de  douane. 

2.  Certificat. 

j.  Directeur  de  la  douane. 


APPENDICE.  361 

et  estans  tous  mortz  au  naufrage,  toute  la  robe  qui  se 
sauvera  soit  consignée  audit  baille  et  consul,  ou  aux 
leurs  à  ce  commis,  pour  la  rendre  à  qui  elle  appartiendra, 
sans  que  le  cappitaine  général  de  la  mer,  sangiacbey, 
sousbassy,  ou  caddy  ne  autres  subgetz  ne  officiers  des- 
dits Seigneurs  n'y  puissent,  sous  peyne  d'estre  punis, 
prendre  ou  prétendre  part  aucune,  ains  debvront  donner 
faveur  et  ayde  à  ceulx  que  touchera  de  recouvrer  ladite 
robe. 

Item.  Si  quelque  subget  du  G.  S.  avoit  perdu  ung 
esclave  qui  luy  fust  fouy,  tel  subget,  soubz  prétexte  de 
dire  que  l'esclave  eust  parlé  ou  practiqué  en  la  nave  ou 
la  mayson  d'ung  subget  du  Roy,  ne  puisse  contraindre 
le  subget  du  Roy  à  autre  que  à  chercher  au  navire  et  en 
sa  maison,  et  si  l'esclave  y  estoit  trou^'é,  que  le  receleur 
soit  débitement  puny  par  son  baille  ou  consul,  et  l'es- 
clave rendu  à  son  maistre,  et  si  l'esclave  ne  se  trouvoit 
au  navire  ny  en  la  maison,  lesdits  subgetz  du  Roy  ne 
doyvent  ny  puyssent  estre  tenuz  ne  molestez  pour  ccst 
efFect  et  conte. 

Item.  Qu'aucun  des  subgetz  du  Roy  qui  nauroit 
habité  dix  ans  entiers  et  continuelz  es  pays  diidict  G.  S. 
ne  doyve  ne  puysse  estre  contraint  à  payer  tribut,  car- 
rach,  avanie,  taxe,  asaps\  vogueurs,  ne  à  faire  garde  aux 
terres  voisines,  magasins  du  G.  S.,  travailler  à  l'arsenal 
ne  à  d'autre  quelconque  angarie-,  et  que  es  pays  du  Roy 
soit  faict  le  semblable  et  réciproque  aux  subgels  du  G.  S. 

1.  Réquisition  militaire  pour  la  garde  des  portes  d'une  ville. 

2.  Corvée  ou  taxe  arbitraire. 


362     .Mf^.MOIHK   SI  H    I'A.MK\SS\DK    l)K   TURgUlK. 

Item.  Le  Roy  de  France  a  nommé  la  sainteté  du  Pape, 
le  Roy  d'Angleterre  son  frère  et  perpétuel  confédéré,  et 
le  Roy  d'Escosse,  ausquels  se  laisse  en  eiilx  d'entrer  au 
présent  traité  de  paix,  si  bon  leur  semble,  avec  condiiif)n 
que,  y  \oulans  entrer,  soient  tenuz  dans  huict  moys 
envoyer  au  G.  S.  leur  ratification  et  prendre  la  sienne. 

Item.  Que  les  grand  Seigneur  et  Roy  de  France 
einoyeront  l'un  à  l'autre,  dans  six  moys,  les  confirma- 
tions du  présent  traitté  en  bonne  et  due  forme  de  l'ob- 
server, et  commandement  à  tous  leurs  lieutenens,  juges, 
officiers  et  subgets  de  l'observer  entièrement,  et  le  faire 
observer  sans  fraude  de  point  en  point,  et  affin  qu'aucun 
n'en  prétende  cause  d'ignorencc  despuys  que  les  con- 
firmations auront  esté  données  d'une  part  et  d'autre, 
ceste  paix  sera  publiée  à  Constantinople,  Alexandrie, 
Marseille,  Narbonne  et  aultres  lieux  principaulx,  ter- 
restres et  maritimes,  de  la  juridiction,  royaulmcs  et 
estatz  desdits  Seigneurs. 


III. 


Articles  accordez  par  le  Grand  Seigneur  en  faveur  du  Roy  et 
de  ses  subjecs,  à  Messire  Claude  du  Bourg,  Chevalier, 
sieur  de  Guerine,  Conseiller  du  Roy  et  Trésorier  de  France  : 
pour  la  liberté  et  seurté  du  trafïïq,  commerce  et  passage  es 
pays  et  mers  de  Levant  : 

De  par  le  Roy,  cher  et  bien  aymé,  d'autant  qu'il  est 
besoin  faire  savoir  et  entendre  en  plusieurs  endroicts  de 


APPENDICE.  363 

nostre  Royaume,  la  capitulation  puis  n'agueres  faicte 
par  le  sieur  de  Guerinè  entre  nous  et  le  Grand  Seigneur 
concernant  le  traffiq  et  commerce  de  Levant  et  en  faire 
plusieurs  et  diverses  coppies  :  nous  avons  advisé  que 
pour  éviter  aux  fraiz  et  aussi  à  la  longueur  du  temps 
qu'il  conviendroit  employer,  vous  commander  par  la 
présente  signée  de  nostre  main,  que  vous  ayez  au  plus 
tôt  qu'il  vous  sera  possible  à  faire  imprimer  ladicte 
capitulation,  selon  la  traduction  cy  en  close,  qui  en  a 
esté  faicte  d'icelle.  Ce  que  nous  vous  mandons  et  ordon- 
nons faire,  et  en  sorte  que  ce  que  vous  ferez  imprimer 
pour  la  première  fois,  puisse  suffire  partout  où  l'on  en 
aura  besoin.  Si  gardez  d'y  faire  faute  :  car  tel  est  nostre 
plaisir.  Donné  à  Argentan,  le  dix  septiesme  jour  de 
juin,  mil  cinq  cens  soixante-dix. 

Signé  :  Charles. 
Et  au  déssoubz  : 

DE    L'AUBESPINE. 


Articles  accordez  par  le  Grand  Seigneur  en  faveur  du  Roy  et 
de  ses  subjets,  à  Messire  Claude  du  Bourg,  Ciievalier, 
sieur  de  Guerine,  Conseiller  du  Roy  et  Trésorier  de  France  : 
pour  la  liberté  et  seurté  du  traffiq,  commerce  et  passage  es 
pays  et  mers  de  Levant*  : 

Sultan  Selin,  fils  de  Sultan  Soliman,  Roy. 

Seing  sacré,    nom  très-hault,   habitation   des   Rois, 

I.  La  traduction  de  ces  capitulations  est  loin  d'être  exacte,  surtout 


364     MF.MOIRK   SUR    l.'AMMASSADK    IJK    TURgUIK. 

seing  Inaii  cks  Kois  du  moiult-,  cl  puis  a\c'c  l'ajcJc  de 
Dieu,  ce  commaiuleinent  est  tel  (jui  s'ensuit. 

Est  à  noter,  qiCcn  V original  et  au  milieu  du 
précédent  et  subséquent  article,  le  seing  du  Grand 
Seigneur  est  faict  et  escrit  en  lettres  d'or. 

Je,  qui  suis  Roy  des  Roys,  seing  du  peuple  et  des 
Princes  de  la  face  de  la  terre,  donateur  des  couronnes  de 
la  mer  Blanche  et  Noire,  des  pays  de  la  Grèce,  Asie, 
Arabie  et  d'autres  pays  qui  avec  nostre  trenchante  et 
victorieuse  espce  sont  conquis  et  renduz.  Avecla grâce  de 
Dieu,  Empereur  et  Roy,  Sultan  Selin,  rilz  de  Soliman, 
Roy,  la  court  de  notre  résidence,  qui  est  lappuy  des 
justes,  et  le  très  grand  ordre  qui  est  soubz  nos  mains, 
lequel  est  lieu  de  seureté  pour  les  Roys  du  mf)nde 
et  des  autres  peuples  qui  cheminent  à  lentour 
d'iceluy. 

Entre  les  très  grands  Princes  de  la  religion  de  Jésus 
le  plus  grand,  et  des  plus  grands  princes  chrcsticns  le 
majeur,  l'Empereur  de  France,  Charles,  la  lin  duquel 
soit  avec  tout  bien  et  prospérité,  par  l'un  d'entre  ses 
conseilliers  et  honorez  Seigneurs  qui  est  le  Seigneur  de 
Guerine,  Trésorier  de  France  et  grand  Seigneur  de  la 
nation  de  Nazaret,  Claude  Du  Bourg,  son  homme. 
Nous  a  euAoyé  ses  lettres,  et  par  iceluy,  entre  autres 


pour  le  préambule  et  la  conclusion.  L'original  est  rédige  en  turc  et  non 
en  arabe,  comme  le  certifie  Olivery. 

Cette  pièce  a  été  imprimée  à  Paris  le  27  novembre  1570;  a  Lyon, 
chez  François  Didier,  à  la  fin  de  la  même  année.  Enfin  il  en  a  paru  une 
nouvelle  édition  en  1578  :  Lyon,  Melchior  Arnouillet. 


APPENDICE.  365 

choses,  nous  a  encores  faict  entendre  que  l'Empereur  de 
France  son  maistre  trouvoit  merveilleusement  dur  et 
estrange,  que  contre  les  debvoirs  d'amitié  et  au  par- 
dessus d'un  commerce  et  .trafficq  franc  et  libre,  institué 
de  temps  en  temps  et  de  père  en  fils,  soubz  la  bonne 
foy,  soubz  la  paroUe,  soubz  les  escrits,  soubz  la  par- 
faite amitié  et  mutuelle  intelligence  de  deux  si  grands 
Empereurs,  aurions  faict  prendre  en  nostre  port  et  havre 
d'Alexandrie,  des  subjects  dudict  Empereur  de  France 
certaines  marchandises  et  icelles  faict  illec  vendre  au 
proffit  du  Seigneur  de  l'isle  Naxie ,  nommé  Joseph , 
autrement  dit  Miques  %  pour  raison  d'une  debte  (non 
liquide,  ne  recogneuë)  qu'il  prétendoit  lui  estre  deuë 
par  ledict  Empereur  de  France.  Et  pour  que  ceste 
seuUe  occasion  les  grands  galions  et  autres  vaisseaux 
dudict  Empereur  de  France  ont  coustume  venir   par 

I.  Joseph  Miquez,  Portugais,  était  arrivé  a  Constantinople  en  1547, 
porteur  de  lettres  de  recommandation  de  M.  de  Lansac,  ambassadeur 
du  Roi  à  Rome,  pour  M.  d'Aramon. 

Pendant  son  séjour  à  Constantinople,  il  embrassa  la  religion  judaïque 
pour  épouser  la  fille  d'une  femme  juive  fort  riche,  Béatrix  de  Luna.  Il 
renonça  à  son  nom  de  Jean  pour  prendre  celui  de  Joseph.  Il  devint  le 
favori  et  le  commensal  de  Sultan  Selim  II,  qui  lui  promit,  dans  un 
moment  d'ivresse,  le  royaume  de  Chypre,  dont  Miquez  lui  avait  repré- 
senté la  conquête  comme  facile. 

Le  grand  vizir  Thavil  Méhémed  Pacha  fit  revenir  le  Sultan  sur  cette 
promesse  inconsidérée,  et  Miquez  dut  se  contenter  de  la  souveraineté 
des  îles  de  Naxos,  Parcs,  Antiparos  et  Tinos. 

Joseph  Miquez  mourut  en  1578.  On  trouve  quelques  détails  sur  ce 
personnage  dans  le  Voyage  de  M,  d'Aramon,  publié  par  le  marquis 
d'Aubais,  dans  le  F""  volume  des  Pièces  fugitives,  pour  servir  à  l'histoire  de 
France.  Paris,  1759,  in-*",  et  dans  l'Histoire  nouvelle  des  anciens  ducs  et 
autres  souverains  de  l'  trcliipet    (par  le   P.  Saulger).   Paris,  1699,  in-i::. 


366     MKMOIHK   SLM    I    AMMASSADK    D\.    ILUgUlK. 

clc'ç;a,  soiibz  son  nom  tl  baniiicrc,  cf)mmc  GfMc\()is, 
Siciliens,  Anconn'-tois  cl  autres.  Sur  (juoy  nous  disons 
()u"il  nous  dcsplaist  grandement  que  lalFaire  ail  ainsi 
passé,  et  que  ledict  Empereur  de  France  et  nous,  ainsi 
(jue  nous  luy  avons  bien  parliculièremenl  escripl  el 
fuict  entendre,  ayons  esté  en  cela  circonvenu/,  el  abusez. 
Car,  de  nostre  part,  nous  a\ons  jusques  \cy  tousjfnirs 
creu  et  pensé  que  telle  estoit  son  intention  (comme  à  la 
vérité  Ton  nous  en  avoit  asseurez),  voire  que  par  après 
il  salisferoit  les  marchands  intéressez  selon  le  priz  el 
valeur  des  marchandises  prinses  et  si  des  lors,  nous  eussions 
sceu  que  ledict  Empereur  de  France  n'eust  eu  aucune 
cognoissance  de  cecy  et  ne  leust  consenty,  il  est  bien 
certain  que  pour  chose  de  ce  monde  ne  l'eussions  jamais 
permis,  ne  en  aucune  manière  eust  esté  faict  ou  donné 
ausdicts  marchans  et  à  leurs  vaisseaux  aucun  empesche- 
ment  ou  fascherie.  Et  maintenant  que  ledict  sieur  de 
Guerine  nous  a  asseurez  que  le  Roy  son  maistre  ne 
sçait  rien  de  tout  cecy  et  n'y  a  onques  consenty,  nous 
avons  des  aussitost  révoqué  ladicte  concession  et  avec 
cela  ont  esté  envoyez  et  mandez  aux  Seigneurs  mes 
esclaves  et  aux  Juges  et  Daissiers*  qui  sont  en  noz  pays 
et  citez  et  semblablement  en  tous  noz  ports  et  havres, 
noz  Irez  hauts  commandements,  contenant  que  aux  sub- 
jcctz  de  France  ne  autres  qui  cheminent  soubz  son  nom 
et  bannière,  qu'à  nul  soit  donné  aucune  fascherie  ou 
empeschement,  requérant  iceluy  sieur  de  Guerine   la 

I.  Agents  des  finances. 


APPENDICE.  367 

restitution  desdictes  marchandises  prinses  et  par  mesme 
moyen,  que  les  très  hautes  capitulations  et  comman- 
demens  tant  vieux  que  nouveaux ,  qui  auparavant 
et  du  temps  de  feu  mon  père  Sultan  Soliman  Roy,  à 
qui  Dieu  pardonne,  face  miséricorde  et  colloque  en 
paradis,  ont  esté  concédez  aux  ambassadeurs  des 
Empereurs  de  France,  à  leurs  consuls,  interprètes,  mar- 
chans  et  autres  personnes,  soyent  pour  ceste  cause 
observez.  Et  nous  estant  tout  cela  notifié  en  nostre  très 
heureux  Siège  et  grandissime  nostre  Empire  (comme 
chose  à  nous  encores  très  agréable)  les  avons  acceptez  : 
et,  en  oultre,  concédé  et  accordé  par  ceste  présente  nostre 
capitulation  prochaine  de  justice.  Et  si  avons  protesté  et 
ordonné,  que  tant  en  Alger,  comme  en  autres  nos  dictz 
pays  et  citez,  que  si  quelque  chose  a  été  prinse  des  dictz 
marchands  de  France ,  soit  pour  le  regard  du  dict 
Joseph,  que  pour  autre  occasion  (réservé  seulement 
la  dicte  première  prinse)  le  tout  soit  restitué  à  leurs 
patrons  et  maistres.  Et  qui  contreviendra  à  nostre  dict 
commandement  (estant  du  degré  très  haut)  certainement 
sera  chastié.  Et  pour  s'estre,  lors  de  la  prinse  des  dictes 
marchandises,  le  dict  Joseph  trouvé  grandement  débi- 
teur en  divers  lieux,  de  ceste  heure  là,  ses  créditeurs  se 
sont  saisiz  et  emparez  des  dictes  marchandises ,  au 
moyen  de  quoy  ne  nous  a  esté  possible  les  faire  rendre 
et  restituer  à  leurs  dicts  maistres.  Et  sans  cela  n'y  eust 
aucune  dilation  ny  difficulté,  mais  en  estoit  la  restitu- 
tion très  certaine  aux  dictz  marchands.  Par  ainsi  peu- 
vent venir  en  tout  temps,  en  toute  liberté  et  seureté,  par 


}68     MRMOIRK   SUR    L'AMBASSAUK    D  K  TURgUIK. 

tous  nos  pays  cl  cilcz  ports  et  ha\rcs,  les  dessus  dictz 
gidions  et  autres  vaisseaux.  Car  tant  et  si  longuement, 
que  les  pactes  d'amitié  ont  esté  par  eux  observez  :  de 
nostre  pari,  encore  leurs  personnes  deniers,  vaisseaux, 
robbes  et  marchandises,  qui  pour  raison  dudict  com- 
merce, ou  pour  autre  occasion  en\()yent  en  nos  dictz 
pays  et  citez,  n'ont  esté  empêchez,  ne  molestez  ny  par- 
venuz  en  aucun  dommage.  Et  tout  de  mesmes  promec- 
tons  que  d'icy  en  hors  et  sans  aucun  doubte,  ne  seront- 
ils  empeschez  ne  offensez. 


Si  par  adventure,  la  mer,  la  fortune  leur  apportoit 
quelque  nécessité,  ou  aultrement  en  aultrebesoing,  \ou- 
lons  que  ceulx  qui  se  trouveront  lors  presens,  comme 
gens  de  noz  vaisseaux  impériaux  que  aultres  leurs  don- 
nent tout  secours  et  ayde.  Et  que  le  chef  et  lieutenant 
desdicts  galions  soit  pour  cause  de  l'honneur  de  capi- 
taine observé  et  honnoré,  leur  faisant  avec  leurs  deniers 
administrer  toutes  provisions  et  choses  nécessaires  sans 
permettre  ou  laisser  permettre  que  à  aucun  d'eux  soit 
faict  aulcun  empeschement. 

TI. 

« 

Si  la  dicte  mer  boutait  en  terre  leurs  dicts  vaisseaux, 
nos  juges  ordinaires  et  autres  leur  porteront  tout  aide  : 
et  les  marchandises  et  deniers  qui  se  sauveront  leur 
seront  justement   renduz    sans    aulcun    destourbier   ne 


APPENDICE.  369 

fascherie.  Et  que  cela  soit  observé  tant  par  mer  que  par 
terre  en  l'endroit  des  dicts  François  qui  cheminent  pour 
leurs  affaires  en  nos  dicts  pays,  se  contenant  pacifique- 
ment en  leurs  termes. 

III. 

Par  ainsi,  les  marchans  et  hommes  de  ce  pays  là, 
leurs  interprètes,  peuvent  venir  tant  par  mer  que  par 
terre  en  nos  pays  et  citez  pour  vendre,  achepter,  faire 
trahcq  de  marchandises  :  Et  après  avoir  payé  par  eux 
tant  à  l'aller  que  venir  les  daces  ordinaires,  selon  les 
coustumes  d'entre  nous,  voulons  que  des  capitaines  et 
patrons  qui  cheminent  en  nos  mers,  ne  aussi  des  autres 
peuples  de  nos  armées,  tant  à  eux,  leurs  hommes, 
robbes  et  deniers  ne  soient  donné  aucun  trouble  ,  ne 
fascherie. 

IV. 

Au  cas  que  aucun  des  dicts  François  se  trouve 
débiteur,  ou  en  quelque  autre  sorte,  feust  coupable  et 
s'enfuist,  a  esté  accordé  que  la  debte  sera  demandée 
au  propre  débiteur  et  que  nul  autre  sera  prins,  ne 
demandé  pour  luy,  ne  pour  le  délinquant,  prins 
autre    innocent. 

V. 

Advenant  le  décès  d'aucun  d'eux ,  nul  ne  fera 
empeschement  à  ses  biens  et  deniers,  mais  seront  baillez 


370     .M  f:  M  O  I  K  K    SU  l{    L'A  M  B  A  S  S  A  I J  I .    D  K   T  L  H  g  U  I  E. 

à  celui  u  (|ui  il/.  scToiii  dclaissc/  par  testament.  I",t  s'il 
nioinioil  sans  tester,  lestlicts  biens  et  deniers,  du  consen- 
teiiunt  des  consul/.,  seront  baillez  a  un  compagnon 
du  déccdc,  estant  du  jKiys  de  l'rance  ou  des  lieux  sub- 
mis  à  la  France. 

VI. 

Lesdicts  consuls,  interprètes  et  marchans  faisant 
achapt  ou  \ente  de  marchandises  en  nos  dicts  pays  et 
citez,  advenant  qu'en  cela  soit  question  de  seureté,  pleige, 
recognaissance  ou  d'autre  chose  raisonnable,  voulons 
que  les  dictes  seuretez,  promesses  et  recognaissances 
soient  escriptes  et  enregistrées  au  registre  du  juge  ordi- 
naire du  lieu,  ou  bien  qui  s'en  prenne  instance  ou  obli- 
gation. A  ce  que,  quand  il  entre\  iendra  quelque  diffé- 
rend, l'on  puisse  auoir  recours  aux  dicts  registres  ou 
instrumens,  et  que  à  cela  soit  distinctement  cru  et 
adjousté  foy.  Et  ne  se  trouvant  l'un  ou  l'autre  de  ces 
deux  là,  mais  seulement  une  demande  pour  examiner 
tesmoings,  a  este  arresté,  que  pour  le  temps  qui  ne  se 
trouvera  (comme  disent)  instrument  passé  par  les  juges 
ordinaires  ou  aucune  chose  enregistrée  en  leurs  dicts 
registres,  semblables  causes  ne  seront  escoutées.  ne 
contre  la  raison  permis  faire  faute. 

VII. 

Et  par  ce  que  bien  souvent  aucun  font  des  cavilla- 
tions  ou  faulses  accusations  contre  les  dictz  marchans 


APPENDICE.  371 

françois,  disans  qu'ils  ont  vitupéré  les  dictz,  produisant 
faux  tesmoings  pour  tirer  seulement  argent  des  ditz 
accusez,  dorénavant,  les  dictz  accusateurs  seront  rebu- 
tez et  chassez  sans  permettre  molester  ny  fascher  les 
dictz  François  contre  la  noble  raison. 

viir. 

Advenant  qu'il  se  trouve  esclaues  François  ou  qui 
se  soyent  submis  à  la  France  et  que  leurs  consuls  certi- 
fient estre  François,  voulons  que  semblables  esclaves 
et  leurs  maistres  ou  du  moins  leurs  procureurs,  soyent 
incontinent  mandez  et  envoyez  à  nostre  très  haulte  cour 
et  suitte,  à  ce  que  en  icelle  leurs  causes  soyent  vues  et 
entendues. 

IX. 

De  France  et  des  lieux  à  elle  submis,  les  hommes 
qui  habiteront  nos  dits  pays  et  citez,  mariez  ou  non 
mariez,  faisans  traficz  de  marchandise  ou  autre  exercice, 
de  ceux-là  ne  sera  demandé  tribut. 


X. 


Es  portz  et  havres  d'Alexandrie,  Tripoly  de  Sirie, 
Alger  et  autres  lieux  où  sont  establis  leurs  dicts  con- 
suls, advenant  quMls  les  veuillent  changer  et  mettre  en 
leurs  places  personnes  dignes  de  tels  offices,  nul  y  fera 
empeschement. 


172      Mr.MOIin-.    SUR    I.'AMHASSADK    Dt   TURQUIE. 

XI. 

El  quand  il  s'intentera  quelque  procès  ou  débat 
avec  les  dicts  f>ant;ois  et  que  pour  la  dccisif)n  d'iceluy, 
ils  yront  dt\ant  le  juge  ordinaire  et  que  lors  le  propre 
intcrprLtc  des  dits  l'ranc^ois  ne  se  trouvera  présent, 
iceluy  juge  n'escoutera  les  dicts  differens.  Mais  estant 
le  dict  interprète  et  truchement  en  service  d'importance, 
sera  attendu  jusqucs  à  son  retour.  Aussi  ne  faut-il  qu'ils 
faccnt  cavillation,  disans  ledit  interprète  n'estre  présent 
et  ne  l'entretiendront,  ains  le  prépareront. 

XTI. 

Si  les  dicts  Frantjois  ont  desbat  et  dilTerend  l'un 
auec  l'autre,  leurs  ambassadeurs  et  consuls,  selon  leur 
conscience,  décideront  les  differens  sans  que  nul  aye  a 
les  empescher. 

XIII. 

Si  les  fustes  des  coursaires  tbnt  esclaves  les  dicts 
Français  ou  les  portent  vendre  bien  au  loing.  comme  en 
la  Grèce  ou  Natolie,  voulons  que  quand  les  dicts 
esclaves  seront  retrouvez,  qu'avec  toute  instance  se  face 
diligence  de  sçavoir  en  quelle  main  ils  sont,  de  qui 
l'on  les  a  euz  et  qu'ils  soient  contraints  de  les  trou^"er 
et  représenter.  Et  tout  de  mesme,  celuy  qui  les  aura 
venduz.  Et  si  c'est  sous  le  nom  de  coursaire  et  que  le 
dict  coursaire  est  trouvé   et  prins,  qu'il  soit  chastié  au 


APPENDICE.  373 

cas  que  le  dict  esclave  soit  trouvé  véritablement  Fran- 
çois. Et  si  ledict  esclave  s'est  faict  Turc,  qu'il  soit 
libre,  le  laissant  aller,  et  s'il  est  encore  soubz  sa 
foy  chrestienne,  qu'il  soit  de  nouveau  consigné  aux 
François. 

Xllll. 

Les  vaisseaux  de  France,  selon  la  coustume  et  les 
canons  %  après  la  recherche  faicte  à  Constantinople,  par- 
tent et  s'en  vont  au  destroit  des  Chasteaux,  et  là,  devant 
iceux  se  tait  une  autre  recherche,  et  cela  faict,  l'on  leur 
donne  licence  de  partir.  Mais  maintenant  qu'avons  esté 
advertis  que,  contre  les  dictes  observances  et  anciens 
canons,  les  dicts  vaisseaux  se  recherchent  encore  en 
Galipolj,  partant,  voulons  que  selon  les  dictes  anciennes 
coustumes  lesdits  vaisseaux  soyent  seulement  recherchez 
audict  destroit  des  Chateaulx  et  que  de  là  en  hors,  ilz 
continuent  leur  voyage. 


XV. 


Quand  nos  armées ,  vaisseaux  et  galères  qui 
marchent  sur  la  face  de  la  mer  en  nos  dictz  pays 
et  citez ,  trouveront  en  mer  les  vaisseaux  et  navires 
de  France,  voulons  que  les  uns  avec  les  autres  fassent 
caresses  et  amitié,  et  ne  se  fucent  aucun  dommaige 
ne  offence. 

I.  Règlements. 


}74      MIMClin.    SUM    l'AMMASSADK    1)1.   TURQUIE. 

X  \'  1 . 

Voulons  aussi  que  touks  les  choses  contenues  et 
cscriptes  en  la  nostre  très  haute  Capitulation  accordée  et 
baillée  aux  \^énitiens,  (juelles  sojent  et  demeurent 
cncores  certifiées  en  fa\eur  des  Franç;ois.  Ta  que  contre 
nostre  puissante  raison  et  très  haute  Capitulation,  nul  ne 
l'einpesche  et  donne  moleste. 

X\I  I. 

Qui^  les  dessudicts  galions  et  autres  vaisseaux,  des 
lors  qu'ilz  seront  venuz  en  nos  dicts  pays  et  citez,  soyent 
gardez  et  conservez,  et  s'en  retournent  avec  toute 
liberté  et  seuretè.  Et  advenant  que  leurs  robbes  ou 
deniers  se  trouvent  depredez,  soit  faicte  toute  instance 
et  diligence  à  ce  que  cela  \ienne  en  lumière  et  que  les 
delinquans  (  quelz  qu'ils  puissent  ou  \euillent  estre  ), 
soyent  chastiez  comme  il  se  requiert. 

X\lll. 

Noz  lieutenans  généraux  de  noz  provinces,  gouver- 
neurs, capitaines  non  esclaves,  les  juges  ordinaires  des 
lieux,  dassiers,  maistres  et  capitaines  de  noz  vaisseaux 
impériaux  et  d'autres  vaisseaux  ^oluntaires,  croyront  la 
présente  nostre  très  haute  Capitulation,  et  au  contraire 
d'icelle  n'iront  ne  monstrcront  le  visage.  Et  de  nostre 
part,  cependant  que  les  dicts   François  auront  le  pied 


APPENDICE.  37) 

ferme  à  la  droite  voye  et  à  nostre  amitié,  nous  encores 
sur  la  promesse  des  choses  cy  dessus  narrées  acceptons 
la  dicte  amitié  et  jurons  que  par  le  yra.-y  Nutriteur  et 
Créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  et  par  les  âmes  de  mes 
anciens  et  grands  ayeuls  et  de  mondict  père,  que 
encores  de  ceste  nostre  part  et  contre  nostre  dicte 
promesse,  ne  sera  faicte  aucune  chose.  Et  cecy  saiche 
tout  le  monde.  Et  à  ce  très-grand  et  sacré  Seing  doibt 
prester  foy  et  créance. 

Escript  en  la  ville  et  cité  de  Constantinople  au  com- 
mencement de  la  luné  de  Kuinàmayel  (Rebi'ul  evvel) 
l'an  neuf  cens  soixante  et  dix-sept. 

Et  de  Christ  1569  au  mois  d'octobre. 

Traduction  faicte  à  l'original  estant  en  langue  ara- 
bicque,  signée  dudict  Grand  Seigneur,  par  Dominico 
Olivery,  soussigné,  truchement  et  interprète  du  Roy  en 
ladicte  langue. 

Ainsy  signé. 

Dominico  Olivery. 


IV. 

Lettre   du  Roy  au  Grand  Seigneur 

Du  6  janvier    1581.     Receue   le    10  rie  May  par  le  S''  Berthicr. 

Très  hault,  très  excellent,  très  puissant,  très  invin- 
cible   et   magnanime  prince,    le    grand    l'.mpereur  des 


376     MFMOIRK   SLH    I     \MMASSAI)l.    l)h.    lURgLIK. 

Monsiiliiiaiis,  .Sult;iii  Aimirai,  in  ([ui  loin  honneur  c-î 
\cTtu  ;iI)ontli',  nostrc  tics  cliir  it  parfiiict  amy.  Dieu 
veuille  augmenter  vostre  grandeur  et  liautesse  avec  tin 
très  heureuse. 

Nous  avons  eu  les  Kllres  tjue  nous  a  \oulu  escrirc 
Vostre  Hautesse,  du  15  de  juillet  dernier  passé, 
escjuelles  en  nous  faisant  nsponce  sur  j")Iusieurs  des 
noslres  (|ue  luy  a\  ions  aupara\ant  escrit,  elle  nous 
donne  un  excellent  et  remarquable  tesmoignage  de  la 
continuation  de  son  amitié  parfaitte  et  sincère  en  ce  qu'a 
la  première  réquisition  qui  luy  a  esté  l'aicte  de  nostre 
part  sur  le  renou\elIement  des  capitulations  qui  ont 
esté  entre  nostre  couronne  et  vos  prédécesseurs  d'heu- 
reuse et  louable  mémoire,  Vostre  Hautesse  a  incontinent 
commandé  qu'il  y  fût  salisfaict,  nous  faisant  en  cela  une 
claire  ouverture  de  son  entière  affection,  laquelle  nous 
recevons  à  grand  plaisir.  Toutcsfois,  nous  avons  sceu  par 
le  sieur  de  Germigny  nostre  ambassadeur  résident  prez 
de  Vostre  Hautesse  qif il  nen  est  cncores  réussi  aucun 
effect,  quelque  instance  quil  ayt  faict  un  an  en  ça,  et 
causant  cela  beaucoup  de  dommages  et  inconvénients 
pour  le  traffic  de  noz  subjects,  selon  les  plaintes  que 
nous  en  recevons  ordinairement.  Nous  sommes  contraints 
de  vous  prier  de  \ouloir  faire  efectucr  le  renou\ellement 
des  dictes  capitulations  lesquelles,  à  cette  tin,  il  nous 
plaira  commander  estre  recherchéez  parmy  les  registres 
de  Vostre  Hautesse  en  cas  que  dicelle  ne  s'en  treuvast 
un  original  es  mains  de  nostre  ambassadeur;  cependant 
nous  vous  promettons  que,  suivant  le  contenu  en  icelles. 


APPENDICE.  777 

et  les  commandements  quavez  par  plusieurs  fois  accor- 
dez en  faveur  du  seur  et  libre  trafficde  nosdits  subjects. 
ils  recevront  tousjours  de  vostre  grâce  Imperialle  toute 
faveur,  bon  et  honnorable  traictement  et  seront  garantis 
es  pays  de  vostre  obeyssance  d'injures  et  dommages, 
tant  en  leurs  biens,  marchandises  qu'en  leurs  propres 
personnes  :  de  quoy,  derechef,  nous  vous  prions  autant 
affectueusement  qu'il  nous  est  possible,  mesmement  pour 
ceux  qui  pouvoient  estre  détenus  esclaves,  sur  la  déli- 
vrance desquels  nous  desvions  intenenir  vostre  prompt 
commandement  a  ce  que  la  renommée  de  la  sincère 
observation  de  toutes  choses  qui  conviennent  à  nostre 
commune  et  inviolable  amitié  soit  tant  plus  espanduë 
par  tout  le  monde  et  que  vous  soyez  connu  juste  ven- 
geur des  torts  et  injures  qui  sont  faictes  à  ceux  qui 
appartiennent  à  vos  alliez. 

Nous  ne  pouvons  aussi  celer  à  Vostre  Hautesse  le 
grand  contentement  qu'elle  nous  a  donné  en  la  décla- 
ration qu'elle  a  faicte,  selon  son  équitable  justice,  sur 
la  précédence  que  nos  ambassadeurs  ont  tousjours  eue 
en  toutes  assemblées  et  congrégations  avant  tous  autres 
Roys  chrestiens.  Nous  nous  sentons  semblablement  fort 
obligez  à  elle  de  l'offre  qu'elle  nous  fait  de  son  aymable 
secours,  en  cas  que  nous  en  eussions  besoing,  desirans 
qu'elle  nous  veuille  perpétuellement  conserver  ceste 
bonne  \'olonté,  véritablement  digne  diin  si  haut  et  si 
magnanime  courage  que  le  vostre,  avec  asseurance  que 
de  nostre  part,  nous  luy  rendrons  en  toutes  occasions 
une  pareille  et  réciproque  correspondance  qui  fera  con- 


378     MIMOIKK   SI  H    IAMMASS\I)1     1)1.    I' L  K  n  l  I  K. 

noislic  ;i  img  cliasciin  ()ik-  nous  ne-  ciélaillons  en  rien 
lie  I  amitié  et  bie'i-\ciiillaiu;e  (jiie  nons  cleNons  a  la 
\()sire,  mais  (|iie  nous  la  méritons  avec  tous  bons  et 
louables  ofHces,  ausquels  nf)us  sommes  bien  délibère/, 
de  ne  manquer  en  sorte  du  monde,  y  estant  conviez, 
parce  que  nous  voyons  qu'en  toutes  les  réquisitions  que 
nous  faisons  à  Voslre  llautisse.  elle  se  montre  fort 
favorable,  comme  elle  a  faicl  recentemmenl  au  sauf 
conduit  qu'elle  nous  a  voulu  envoyer  pour  le  regard  du 
prince  de  Vallaquie,  afin  de  pouvoir  soubs  une  protec- 
tion, entrer  en  possession  de  la  dicte  province  :  de  quoy 
nous  vous  prions  autant  affectueusement  quil  nous  est 
possible  par  la  présente,  oultre  ce  que  nous  luy  escrivons 
d'ailleurs  et  ne  l'estendrons  pas  plus  a\ant  que  pour  la 
prier  qu'elle  veuille  croire  nostre  dict  ambassadeur  de 
toutes  aultres  choses  qu'il  luy  pourra  dire  de  nostre  part, 
et  luy  adjouster  sa  mesme  foy  qu'elle  feroit  à  nostre 
propre  personne.  Ayant,  oultre  cela,  à  la  supplier, 
comme  nous  faisons  bien  affectueusement  qu'elle  veuille, 
pour  l'amour  de  nous  honnorer,  Aly  Cheleby  l'ung  de 
voz  escrivains,  fort  afîectionné  à  nostre  service,  de  la 
charge  de  Mustaferaga^,  avec  quarante  aspres  le  jour, 
lequel  nous  luy  recommandons  d'autant  plus  volontiers 
qu'il  est  trez  hdel  à  l'entremise  des  affaires  d'entre 
"Vostre  Hautesse  et  nous  ausquellcs  il  a  esté  député,  et 
sur  ce,   nous  supplierons  le  Créateur,  très  hault,  très 


I.  Muteferrika,  cavalier  pourvu  d'un  fief.   Les  Muteferrika  étaient 
souvent  charges  de  missions  par  le  Sultan. 


APPENDICE.  379 

excellent,  très  puissant,  très  invincible  et  magnanime 
Prince  nostre  très  cher  et  parfaict  amj,  qu'il  vous  ayt 
en  sa  très  saincle  et  digne  garde. 

Escript  à  Bloys  le  15*  jour  du  mois  de  janvier  1581 . 

Et  au  dessoubs  ;  Vostre  bon  et  parfaict  amj. 

HENRY. 

Et  plus  bas  : 

De  Neufville. 


V. 


Lettre  du  Roy  a  Sinan  Bassa,  premier  Vizir  de 
LA  Porte  ;  sur  le  renouvellement  des  Capi- 
tulations ACCORDEES  ENTRE  LES  RoYS  SES  PRE- 
DECESSEURS,  ET  LE  Grand  Seigneur. 

Très  Illustre  et  Magnifique  Seigneur,  le  Sieur  de 
Germignv  nostre  Conseiller,  et  ambassadeur,  résident 
prés  du  grand  Empereur  des  Monsulmans,  nostre  très- 
cher  et  parfaict  amy,  nous  a  bien  informé  par  plusieurs 
de  ses  lettres  du  grand  lieu  et  rang  que  vous  tenez 
près  de  Sa  Hautesse,  à  cause  de  vos  louables  vertus  et 
mérites,  qui  est  cause  que,  conjecturant  par  là  que 
vous  sç^aurez  mieux  juger  que  nul  autre,  de  combien 
il  importe  que  l'amitié  et  bien-vueillance  qui  a  esté 
dés  long-temps  entre  ses  prédécesseurs  et  les  nostres, 
soit  conservée  et  maintenue  :  Nous  vous  prierons   que 


}Ho     MKMOIKK    SL  K    l.'AMHASSADK    I)  K   T  L' R  Q  U  I  F. 

VOUS  \«)iis  (.'niployc'/.  Nolontiers,  selon  (\uc  les  occasions 
s'en  pourront  présenter,  pour  le  renouvellement  des 
anciennes  Capitulations  qui  ont  esté  sur  ce  faites;  à  ce 
qu'au  plùtost  il  se  puisse  effectuer,  en  quoy  outre  que 
vous  ferez  chose  qui  servira  inHniment  a  la  conserva- 
tion de  nostre  dite  amitié,  nous  le  recevrons  a  singulier 
plaisir,  et  nous  nous  en  scaurons  infiniment  bon  gré. 
Nous  vous  prierons  aussi,  qu'ayant  ja  Sa  Hautcsse 
eslargy  sa  grâce  et  bonté  envers  le  Prince  de  la  Grande 
Vallaquie  en  luy  accordant  sauf-conduit  pour  se  trans- 
porter de  delà,  vous  \  ueillez  ayder  qu'il  l'accomplisse 
entier,  et  en  le  faisant  mettre  en  la  possession  et  jouys- 
sance  de  la  susdite  Province;  ainsi  que  de  toutes  ces 
choses,  il  vous  sera  plus  amplement  parlé  de  nostre 
part,  par  nostre  dit  ambassadeur,  qu'il  vous  plaira  de 
croire  comme  nous  mesmcs. 

Priant   Dieu,   très   illustre   et  magnifique   seigneur 
qu'il  vous  ayt  en  sa  très  saincte  et  digne  garde. 

Escrit  à  Bloys. 

Henri. 

Et  plus  bas  :  Brulart. 


APPENDICE.  381 


VI. 


Capitulations   du  Roy   avec   le   Grand  Sei- 
gneur,    CONFIRMEES     ET     RENOUVELEES      DE 

Monsieur  de  Germigny,  Conseiller  et 
Ambassadeur,  résident  pour  sa  Majesté 
A  LA  Porte  de  sa  Hautesse,  du  mois  de 
j  uillet    i  581. 

Iddio   solo. 
Dieu   seul. 

Seing  Sacré  :  Miirad  Sciah,  Roy,  Fils  de  Selim 
Sciach  Hhan,  Empereur  tousiours  victorieux. 

Par  la  grâce  et  la  divine  Majesté,  qui  n'a  commen- 
cement ny  tin,  et  de  ce  miraculeux  chef  des  Prophètes, 
que  le  regard  de  Dieu  soit  sur  luy  et  sa  famille,  les 
miracles  duquel  sont  intinis  :  Je,  qui  suis  Sultan,  Roy  ou 
Prince  des  Sultans,  le  premier  et  plus  puissant  de  tous, 
seing  des  princes,  donnateur  des  couronnes  aux  princes 
de  la  face  de  la  terre;  serviteur  des  deux  très  sacrez  et 
augustes  lieux,  lesquels  sont  les  suprêmes  lieux  de 
toutes  les  citez  de  l'Empire,  assavoir,  la  Mecque  et 
Mcdine,  Gardien  et  Ministre  de  Jérusalem  saincle  ;  de  la 
Grèce,  et  Temisvar  (Province  en  Hongrie)  ;  et  du  pays  de 
Bossena*  et  de  Bude,  et  Seghituar  (Seghet),  du  pavs  de 

I.   La  Bosnie. 


383      Mf:M()IIU-:    SLI{    I    AMI{  ASS  AlJf.    DK    ILH^LIK. 

la  Natolic,  v{  Caraiiianic-  et  de  l'hoirie  et  succession 
d'Imadie  '  et  \'an;  du  puys  d'Arabie  et  gcnérallemcnt 
de  Curdistan.  (Parthes)  et  de  Cara'-,  et  la  Georgianie*,  et 
Deniir  C^oppi  ■'  el  'rKîlis;  el  partie  du  pays  de  Siruan  '\ 
et  Crim''cl  DeschtiCupeiac'',  pays  nouvcllemcnl  conquis 
avec  nostrc  foudroyante  espce  pointée  aux  cœurs  de 
toutes  les  susdites  parties,  et  de  Cypre,  et  du  pays  de 
Zulcader"  et  CerczuP,  et  de  Arbechir'"  (Mésopotamie), 
et  de  Alep  et  Derum  ",  et  Cilder '"et  Arzeruni  et  Sciam  '\ 
et  Damas,  et  Baydat''*  (FJabiloine)  et  Chiofc  '^  et  Basra, 
et  Pacha*'',  et  Seuahim'',  et  Sanha'"  et  Misir  (F.gypte  et 
Caire),  et  lemenet  Habes'%etAdcn,etde  tous  ces  pays; 
et  de  Tunis  et  la  Goulette,  et  de  Tripoly  de  Barbarie 
et  d'autres  pays    estrangers;   lesquels,  a\ec  layde  de 


1.  Amadiyé,  dans  la  province  de  Van. 

2.  Cars,  dans  la  province  d'Erzroum. 
j.  La  Géorgie. 

4.  Demir  Capou.   La  province  de  Derbend. 

5.  Le  Chirvan. 

6.  La  Crimée. 

7.  Dechti   Kiptchak. 

8.  La  province  de  Zouldakir  en  Anatolie. 

9.  Chehirzor,  province  du  Curdistan. 

10.  La  province  de  Diar  Bekr  ou  Diarbekir. 

11.  Daroum. 

12.  Tchildir.  dans  la  province  d'Erzroum. 
ij.  Châm.  La  Syrie. 

J4.  Bagdad. 

15.  Coufa. 

16.  Lahssa,  port  sur  la  mer  Rouge,  province  du  Nedjd. 

17.  Sawakin,  sur  la  côte  occidentale  de  la  mer  Rouge. 

18.  Sanaà,  dans  le  Yemen. 

19.  Habech.  L'Abyssinie. 


APPENDICE.  383 

Dieu,  sont  soubmis  à  la  force  de  nostre  vertu  bellique  : 
De  tous  ces  pays  Chef  et  principal  Ministre;  Dominateur 
de  tous  les  Princes  des  Couronnes,  et  suprême  Monarque 
de  la  mer  Blanche  et  de  la  mer  Noire,  et  des  autres 
divers  pays,  isles  et  confins  et  passages,  et  casais  et 
d'infinis  centenaires,  de  milliers  d'exercices,  victorieux, 
conservateur,  dominateur  et  Empereur  suprême,  Sultan 
Murad  Hhan,  fils  de  Sultan  Selim  Hhan,  fils  de  Sultan 
Soleyman  Hhan,  fils  de  Sultan  Selim  Hhan,  fils  de 
Sultan  Bayazith  Hhan,  fils  de  Sultan  Mehemet  Hhan, 
fils  de  Sultan  Murad  Hhan ,  qui  ie  suis  par  le 
bénifice  de  ce  grand  Créateur,  soubs  lequel  tous 
sont,  lequel  est  in\isible,  et  divine  Majesté,  et  don- 
nateur  à  toutes  les  couronnes  du  monde,  la  grâce 
duquel  est  manifeste,  et  ses  grâces  sont  innombrables  et 
infinies.  A  nostre  très  fameuse  et  Imperialle  heureuse 
Porte,  laquelle  est  appuyée  des  lignées  et  maisons 
nobles  des  Princes  :  Le  plus  glorieux  Seigneur  des 
grands  Princes  des  Jesuins,  eleu  entre  les  plus  puissans 
des  fidels  du  Messie;  compositeur  des  différends  de 
l'universelle  génération  des  Nozariens  ;  distillateur  des 
continuelles  pluyes  de  majesté  et  gravité;  possesseur  des 
preuves  et  marques  de  grandeur  et  gloire.  Empereur 
de  France  Henry,  la  fin  duquel  soit  avec  tout  bien  et 
prospérité;  de  ses  honorez  et  plus  estimez  de  la  généra- 
tion du  Messie,  Baron  du  chasteau  de  Germoleà,  Jacques 
de  Germigny,  Conseiller  et  Ambassadeur,  Nous  avons 
receu  une  sienne  kltre  signée  et  escritc,  ]nirc  et  sincère, 
lacjuelic  t'St  1res  Nraye  et  très  ccrtaiiu-  IcWvc  sienne  :  que 


3«4     Mf'.MOlKK    SLK    l.' A  M  MA  SS  A  IJ  K    \)i.    ILIiyLIK. 

(J'ancicniietc  iusqucs  à  prcscnt,  de  nos  très  gracieux 
devanciers,  ayeiil^  et  Ijisuyeiils,  (jue  le  Ïoul-Puissanl 
Dieu  fasse  reluire  les  remarques  de  leurs  preuves,  ayant 
este  avec  eux,  et  de  la  part  des  Empereurs  de  France, 
entre  eux  ancienne  amitié  colleguée  et  alFectionnée 
de  bonne  intention  et  intelligence  ;  désirant  de  sa 
Majesté  qu'icelle  ait  à  continuer,  et  estre  confirmée, 
comme  par  le  passé,  à  ce  que  aux  ambassadeurs  de 
l'Empereur  de  France  et  aux  consuls,  truchements 
et  marchands,  et  autres  vos  subjets,  ne  soit  donne  fasche- 
rie  ne  empeschement ,  et  pour  demeurer  en  repos  sous 
l'ombre  et  iustice  nostre  :  qu'en  l'heureux  temps  de 
nostre  père  Sultan  Selim  Hhan,  que  Dieu  luy  doint  paix 
à  Tame,  ont  esté  donnez  les  haults  et  heureux  articles 
du  traitté,  après  la  mort  duquel,  Dieu  m'ayant  octroyé 
le  siège  Impérial,  a  esté  derechef  requis  qu'ils  soient 
renouveliez  selon  la  teneur  d'iceux.  Dont  selon  qu'ils 
avoient  esté  accordez  du  temps  de  l'heureuse  mémoire  de 
mon  père,  je  les  reconfirme  aussi  en  la  mesme  manière, 
que  cette  Impériale  Capitulation  jurée  laquelle  est 
irrévocable,  et  en  cette  fac^on  se  publie  : 

Que  des  Vénitiens  en  hors,  les  Geneuois  et  Anglois, 
et  Portugais  et  Espagnols,  et  marchands  Catellans  et 
Siciliens,  et  Anconitains,  et  Ragusois  et  entièrement 
tous  ceux  qui  ont  chemine  soubs  le  nom  et  bannière 
de  France  d'ancienneté  iusques  à  ce  jourd'huy,  et  en 
la  condition  qu'ils  ont  chemine,  que  d'ici  en  avant,  il 
ayent  à  y  cheminer  en  la  mesme  manière. 

Que  les  galbons  et  leurs  nefs  venans  et  retournans. 


APPENDICE.  38? 

cheminans  en  Texercice  de  leurs  affaires,  toutefois  et 
quand  que,  de  leur  part,  ils  ne  feront  démonstration 
contre  l'amitié,  que  semblablement  de  nostre  part,  les 
pactions  et  articles  iurez,  selon  qu'il  a  esté  cy  devant 
iusques  à  ce  iourd'huy,  ayent  a  estre  honorez  et 
maintenus. 

'  Que  pour  le  surnommé  Empereur  de  France  duquel 
toute  la  race  et  lignée  est  suprême  et  renommée  sur 
tous.les  Princes  du  monde  qui  sont  soubs  la  génération 
du  Messie,  et  lequel  est  le  plus  ancien  et  la  clef  de  tous 
les  Princes  du  monde  et,  outre  de  ce,  de  nos  très  hauts 
prédécesseurs  pères  et  ayeuls  de  leurs  temps  iusques  à 
ce  iourd'huy,  n'ayant  esté  le  plus  grand,  ny  plus  ancien, 
en  la  haute  et   heureuse  Imperialle    nostre   Porte,    ny 
plus  cordial  et  affectionné  que  luy,  de  ceux  qui  y  ont 
fait  amitié,  laquelle,  de  ce  temps  en  ça,  n'a  jamais  esté 
violée  ny  est  suivy  aucun  manquement,  ny  s'est  veu 
contrariété  entre  nos  deux  Majestez,  ains,  s'est  tous- 
jours  icelle  monstrée  très  affectionnement,  et  avec  con- 
fédération   cstablie    et   confirmée   en    nostre  heureuse 
Porte,  en  tout  ce  qui  a  esté  traicté  et  convenu  à  nostre 
heureuse   et    Imperialle    Porte    et   nid    nostre,    où    les 
Ambassadeurs  de   France   résident,    et  eux  venans  en 
nostre  Impérial  Divan  (Conseil),  et  quand  ils  iront  aux 
Serrails  et  Palais  de  nos  grands  et  honorez  Vizirs,  que 
au  dessus  des  Ambassadeurs  d'Espagne  et  autres  princes 
des  chrestiens,  selon  qu'il  a  esté  d'ancienneté,  ainsi  soit 
à  tousjours,  et  que  les  susdicts  ambassadeurs  de  France 
ayent  la  prccedence. 


}86     .MI.  MO  lin:    s  un    1 '.A.MBASSADK    1)1.     ILK^UIK. 

r,l  ks  l'ruiic^ois  a\x'C  toutes  leurs  faculté/,  <.[  autres 
biens  et  marchandises  qui  Nienclront  ci  retourneront 
avec  leurs  gai  lions  et  autres  leurs  nefs  et  vaisseaux  en 
tout  temps  aux  eschelles,  ports,  et  autres  lieux  soubs 
mon  Empire  et  Kstat,  cheminants  sur  la  foy  et  asseu- 
rance  promise,  qu'ils  puissent,  suivant  icelle,  aller  et 
retourner  scuremcnt.  Et,  si  par  accident,  pour  la  fortune 
de  mer,  et  autres  semblables  causes,  ils  se  retrouvoient 
avoir  besoing  et  nécessité  de  quelques  secours,  et  qu'aux 
contours  et  environs  se  trouvassent  galleres  eslevées  du 
Seigneur  ou  gens,  ou  autres  Gouverneurs  de  ces  lieux 
là,  qu'ils  ayent  à  les  favoriser,  ayder  et  secourir;  et  le 
Chef  ou  General  de  leurs  gallions,à  sçavoir,  de  France, 
et  Lieutenans  des  Capitaines,  en  cause  de  l'honneur, 
qu'aucun  ne  leur  donne  nulle  fascherie  et  s'ils  avoient 
besoin  pour  leurs  deniers  d'aucunes  choses  nécessaires 
pour  eux,  ils  les  feront  accommoder  diligemment  de  toutes 
choses. 

Et  si  par  accident  et  combat  de  vents,  leurs  vaisseaux 
et  navires  alloient  à  travers  en  terre,  que  les  Seigneurs 
Sangiacz  et  Cadis  et  autres  leur  ayent  à  ayder  et  favo- 
riser, et  qu'ils  ayent  à  leur  rendre  en  leurs  navires  toute 
la  faculté,  marchandise  et  deniers  qu'ils  sauveront,  ne 
leur  donnant  empeschement  aucun,  et  en  toutes  autres 
choses  et  particularité,  tant  par  terre  comme  par  mer.  les 
François  cheminans  sincèrement  à  leurs  affaires,  qu'il 
ne  leur  soit  donné  aucune  fascherie  ny  ennuy. 

Et  les  marchands  de  ces  pays  de  France  et  truche- 
mens  et  autres  étrangers  qui  sont  en  leur  protection  et  à 


APPENDICE.  387 

eux  appartenans ,  tant  par  mer  que  par  terre,  venans  et 
retournans  en  nos  pays,  acheptans,  vendans,  et  traffi- 
quans,  et  payans  les  daces  ordinaires,  selon  les  usances 
et  le  droict  du  Consul,  après  qu'ils  auront  payé,  tant  en 
l'aller  qu'au  retour,  que  des  Capitaines,  Reys  des  Gal- 
leres  du  Seigneur,  coursaires  et  volontaires,  patrons  et 
autres,  qui  cheminent  sur  la  mer,  et  des  gens  de  nos 
heureux  exercites,  aucun  ne  leur  ait  à  donner  fascherie 
ny  empeschement,  tant  à  eux  comme  à  leurs  marchan- 
dises, facultez   et  deniers,  et  aux   hommes  et  à  leurs 
montures,  qu'il  ne  leur  soit  donné  aucun  empeschement. 
Et  si  un  François  estoit  débiteur  à  quelqu'un,  que 
l'on  ait  à  demander  la  debte  au  propre  débiteur   et, 
n'étant  son  pleige,  qu'aucun  ne  soit  pris  ni  demandé 
pour  iceluy.    Et  si    un  estoit  mort,   qu'aucun    n'em- 
pesche  ses    biens  et  deniers,    mais    qu'il   soit    donné, 
à  qui  il  les    laissera  par  testament;  et,  si  par  accident 
il  mouroit  ab  intestat  et  sans  faire  testament,  qu'avec 
le    consentement   du   Consul    ils  soient  donnez    à  un 
de  ceux  de    son  pays,  et  que   les  Petebnagi^  commis 
au  recouvrement  des  biens  de  la  Seigneurie,  mourant 
un  estranger  sans   héritiers,  ne  les  ayent  à  empescher, 
tant  aux  Françoys  comme  à  tous  les  lieux  à  eux  soumis. 
Les   marchands,  truchemens,  et  Consuls  qui   trait- 
teront  et  feront  trafic  de  marchandises  es  terres  de  mon 
obéissance  et  pour  cause  de  pleigerie  et  autres  diverses 
qui   pourront  survenir,  qu'ils  ayent  à  aller  d'un  con- 
sentement au   Cady,  Juge,  en  écrire  le  sigillet,  et  le 

I.  Beit  ul  maldji,  agent  du  iisc. 


j88      MI.MOIKI.    S[   n    l'AMlMSSVnK    I)K    TL'KQUIF. 

rcgislixr  au  registre  ci  iciliiy  Catly,  ou  lùcn  eu  jireudre 
hhogct,  c'est  a  dire  iustruiiienl,  et  s'il  esloit  ou  advint 
(juelcjue  tlill'erend  entre  eu\.  et  (ju'ils  ayent  a  regartier 
au  sigillet,  ou  au  registre  du  Cadj,  ou  bien  au  Iihogcl 
et  selon  le  contenu  d'iceluy  qu'il  en  soit  jugé.  Et  s'il 
ne  se  treu\e  un  de  ces  deu\  instruments  et  voulant 
produire  des  lau.v  lesmoings  et  l'aire  intenter  quelques 
procez  et  garbuges  contre  la  justice,  toutesfois  et  quantcs 
que  ne  se  verront  hhogets  ou  qu'il  ne  sera  enregistre 
dans  le  registre  du  Cady,  à  semblables  hommes  vous 
ne  leur  laisserez  faire  fausseté  et  ne  leurs  presterez 
l'oreille  contre  la  raison  et  justice. 

Et  si  aucuns  font  certaines  avanies,  c'est  à  dire, 
faulscs  accusations,  disans  que  ceux  la  ont  blasphème 
la  foy,  produisans  faux  témoins  seulement  pour  avoir 
deniers  :  partant  contre  la  noble  raison  et  droict  vous 
ne  permettrez  qu'ils  soient  molestez  et  les  susdits  seront 
rebouttez  et  dechassez. 

Et  si  un  d'eux  faisoit  debte  et  auroit  fait  quelques 
delicts,  et  s'enfuit,  que  pour  ce,  autres  qui  ne  soient 
pleiges  ou  bien  coupables  ne  soient  pris  pour  luy. 

Et  tous  les  esclaves  qui  sont  soumis  à  la  France, 
les  Ambassadeurs  et  les  Consuls  certitians  et  attestans 
comme  ils  sont  François,  les  maistres  ou  bien  les  procu- 
reurs de  semblables  esclaves  soient  en^■oyés  icy  à  mon 
heureuse  Porte  pour  y  estre  veues  et  descidées  leurs 
causes. 

Et  tous  les  François  et  autres  soummis  à  eux.  mariez 
et  non  mariez  tratiquans,  contractans  et  negotians  que 


APPENDICE.  389 

Ton  n'ait  à  leur  demander  carasse  ^  ne  tribut,  tant  en 
Alexandrie  comme  en  Trypoly  de  Sorie  et  à  Alger; 
et  en  toutes  les  autres  eschelles  où  sont  députez  et  con- 
£rmez  les  Consuls,  quand  ils  seront  changez,  tous 
ceux  qui  viendront  en  leurs  lieux  dignes  de  tels  grades 
et  offices,  qu'aucun  ne  les  ait  à  empescher. 

Et  si  quelqu'un  auoit  procès  et  différent  avec  les 
François  et  qu'ils  allassent  au  Cady,  et  ne  se  trouvast  le 
propre  truchement  des  François  présent  et  en  ordre, 
que  le  Cadj  n'ait  à  écouter  ledit  différent.  Et,  si  par 
accident,  le  truchement  estoit  en  service  d'importance, 
qu'ils  ayent  à  l'attendre  jusques  à  ce  qu'il  soit  venu.  Tou- 
tefois qu'eux  aussi  n'ayent  à  user  de  cautelles,  disans 
que  le  truchement  n'est  présent,  et  n'usent  de  dila- 
tions; mais,  qu'ils  ayent  à  préparer  leurs  truchements. 
Et  si  les  François  avoient  l'un  avec  l'autre  quelque 
procès  et  différent,  que  leurs  Ambassadeurs  et  Consuls 
ayent  à  voir  et  décider  selon  leurs  usances  leurs  procès 
et  différents,  et  qu'aucun  ne  les  ait  à  empêcher. 

Et  si  les  fustes  des  coursaires  alloient  par  mer 
faisans  les  François  esclaves  et  les  portant  vendre  en 
Grèce  ou  en  Natolie,  que  l'on  ait  à  faire  diligemment 
recherche  generalle  pour  tels  esclaves  avec  grande 
instance,  et  en  toutes  mains  où  ils  se  trouveront  que 
l'on  leur  fasse  prouver  de  qui  ils  les  auront  eu;  et  ainsi, 
celuy  qui  les  aura  \endus  s'il  sera  en  nom  de  coursaire, 
et  si   ledit  coursaire   sera  trou\c  ou   pris  et  tombé  en 

I.  Kharadj,  l'impôt  prélevé  sur  les  sujets  non  musulmans. 


39<'     .MIM(HI«I     SIH    1   AMH  ASS  \  1)1.    1)1.   TURgUlE. 

mains,  et  si  rusclavc  bcra  irouvc  pour  certain  François, 
le  coiirsuire  soit  cliaslic  ;  et,  si  ledit  esclaue  se  sera  fait 
Turc,  qu'il  soit  libre  et  laissé  aller  et  s'il  est  cncoressur  sa 
foy  et  loy,  qu'il  soit  de  nou\eau  consigné  aux  François. 

r,l  les  nefs  Trançoises,  selon  la  coustume  et  les 
canons,  après  la  recherche  l'aile  en  Constanlinople,  et 
estant  pallies  depuis  jiour  s'en  aller  selon  les  anciens 
canons,  (|uaiul  elles  seront  aux  Cliasleauv  du  destroit, 
la  recherche  de  nouveau  faite,  que  l'on  ait  à  leur  don- 
ner la  licence  pour  puis  continuer  leur  voyage.  A  pré- 
sent, contre  les  anciens  canons  et  usances,  se  laisoit 
encore  la  recherche  en  Galipoli  ;  partant,  d'icy  en  avant, 
que  selon  la  coustume  ancienne,  ils  soient  seulement 
recherchez  aux  Chasleaux  du  destroit,  et  qu'ils  s'en 
aillent  leur  voyage. 

Et  toutes  les  armées  et  galleres  et  nefs  qui  sortent 
hors  en  la  mer  de  mon  Estât  et  Empire,  quand  ils  trou- 
veront en  mer  les  nefs  et  vaisseaux  François,  qu'ils  se 
fassent  amitié  l'un  avec  l'autre,  et  ne  se  fassent  dom- 
mages ny  ofFences  aucunes. 

Et  toutes  les  choses  qui  sont  contenues  et  escrites 
aux  hauts  et  heureux  Chapitres  donnez  aux  Vénitiens, 
quelles  soient  encore  certi liées  en  faveur  des  François 
et  qu'aucun  ne  les  empesche ,  ny  fasse  aucun  ennuy 
contre  la  sévère  justice  et  la  puissante  raison  et  nostre 
haute  Capitulation. 

Les  susdits  gallions  et  autres  vaisseaux  venans,  et 
quand  ils  seront  venus  en  mon  pays  et  Estât,  qu'ils 
soient  conservez  et   gardez   et  que  librement,  saufs  et 


APPENDICE.  391 

avec  seureté,  ils  s'en  aillent;  et  si  leurs  facultez,  mar- 
chandises ou  deniers  seront  trouvez  depredez,  que 
pour  cette  cause  il  soit  l'ait  toute  instance  et  diligence, 
à  ce  que  lesdites  marchandises,  et  deniers,  et  vais- 
seaux, et  hommes  qui  seront  depredez,  viennent  en 
lumière  et  soient  recouverts,  et  les  delinquans,  qui- 
conques  ils  soient,  ayent  à  estre  chastiez  à  bon  droict 
et  comme  il  est  requis.  Et  les  beglierbeys  et  capitaines 
et  sangiaczbejs  (gouverneurs  de  provinces,)  mes  esclaves, 
et  les  cadjs  (juges)  et  emins  (daciers)  et  les  heureux 
Reys  (capitaines  des  galleres)  et  coursaires  et  capitaines, 
et  patrons  volontaires  de  fustes,  que  voyant  ces  miennes 
hautes  et  heureuses  Capitulations  jurées,  ils  y  croyent 
et  ayent  à  obeyr  avec  les  causes  contenues  en  icelles. 
et  au  contraire  d'icellcs,  ils  ne  monstrcnt  la  face  :  et  sur 
tout,  l'heureuse  mémoire  de  mon  ayeul  Sultan  Soley- 
man  Hhan,  les  hautes  Capitulations  qui  ont  esté  don- 
nées en  son  temps,  selon  la  teneur  d'icelles,  en  la 
mesme  forme,  je  les  confirme;  que  l'on  ait  à  y  obéir,  et 
ne  se  fasse  contrariété  aucune  contre  icelles.  Et  suivant 
la  promesse  des  susdits  chapitres  et  articles  jurez,  toutes 
et  quantefois  qu'en  nostre  haute  et  heureuse  Porte,  de 
leur  part  de  France,  la  confédération  et  la  pure  vérité, 
et  la  fermesse,  et  toutes  les  paroles  qui  se  diront  et  dis- 
coureront  seront  en  l'amitié,  et  qu'ils  tiendront  le  pied 
ferme  en  icelles.  Je  aussi,  acceptant  l'amitié,  promets  et 
jure  par  le  Tout-puissant  Dieu,  Créateur  du  Ciel  et  de 
la  Terre,  et  par  les  âmes  de  mes  grands  ayeuls  et 
bisaveuls,  et  grands  progeni leurs,  et  de  mon  père,  nous 


392     Mf'.MOIin.    SUR     I.'\MI'.ASSAI)Î.    DK   TURQUIK. 

conliiiiKinl  fil  riiiiinii  île  nfjstrc  amitié,  confirme  et 
niiiinticiis,  (|iie  de  iiosiie  pari,  il  ne  sera  jamais  fait 
chose  au  contrairi-  d'icelle.  Ainsi  ayez,  à  sçavoir,  et 
adjoustcrez  enticre  foy  au  cy -dessus  sacré  seing. 
Donné  au  commencement  des  Calendes  de  l'-Augusle 
lame  de  Giemasiel  Acliir  989,  à  scavoir.  en  l'an  de 
Jesus-Christ,  au  mois  de  Juilk't.  en  X"  iiij",  à  l'Im- 
périale résidence  de  Constant! nople. 

En  la  suscription  :    1, es  Capitulations ,  à  l'Empereur 
de  France. 


VII. 

Lettre    du  Grand    Seigneur    au    Roy,    sur 
le   renouvellement    des    capitulations 

FAITES     PAR    LES    SOINS     DU     SIEUR     DE     GeR- 
MIGN  Y. 

Seing  sacré.  Murad  Schiah ,  Roy,  fils  de  Selim 
Schiah  Hhan,  Empereur  tousjours  victorieux. 

Le  plus  glorieux  des  grands  princes  des  Jesuins, 
esleu  entre  les  plus  puissans  des  lidelles  du  Messie; 
compositeur  des  différcns  de  l'universelle  génération 
des  Nazariens;  distillateur  des  continuelles  pluyes  de 
majesté  et  gravité;  possesseur  des  preu^es  et  marques  de 
grandeur  et  gloire,  l'Empereur  de  France,  Henry  : 
que  ses  desseins  s'accomplissent  en  bien.  Après  le  receu 
de   nostre  sacré    et   impérial  seing,    vous    soit   notoire 


APPENDICE.  393 

comme  en  nostre  haute,  impériale  et  heureuse  Porte,  en 
laquelle  réside  Fhonnoré  entre  les  honnorez  Seigneurs 
de  la  génération  du  Messie,  nommé  le  Seigneur  de 
Germigny,  très  digne  ambassadeur  de  Vostre  Majesté; 
nous  avons  receu  vos  affectionnées  et  considérées  lettres 
portées  par  le  secrétaire  dudict  ambassadeur,  le  contenu 
desquelles  en  tout  ce  que  nous  avez  fait  entendre  de 
toutes  particularités  et  en  tout  ce  qui  y  est  écrit,  le  tout 
est  vray,  tant  pour  le  renouvellement  de  la  capitulation 
Impérialle,  comme  aussy  du  fils  de  Petrasque  Pierre 
Vayvode,  pour  le  mettre  en  la  possession  de  son  estât. 
Et  encore  pour  conte  de  la  Reyne  d'Angleterre,  laquelle 
recherche  nostre  amitié,  que  ce  soit  avec  nostre  moyen 
et  intercession,  ainsi  que  nous  avez  fait  entendre,  et 
semblablement  que  tous  les  marchands  Anglois  qui 
viendront  à  contracter,  faire  marchandise  et  trafriquer 
soubs  mon  Empire  et  Estât,  comme  d'ancienneté  jusques 
à  présent,  ils  venoient  et  viennent  soubs  le  nom  et  ban- 
nière de  Vostre  Majesté,  ayent  de  nouveau  à  venir  en 
la  mesme  manière.  En  outre  ce,  toutes  les  autres  parti- 
cularitez  que  le  susdict  ^■ostre  ambassadeur  nous  a  fait 
savoir  à  bouche,  à  nostre  siège  Impérial  et  heureuse 
Porte  et  nous  en  a  faict  arz  '-  particulièrement,  le  tout 
par  nostre  très  noble  et  très  heureux  entendement,  nous 
avons  très  bien  entendu  et  comprins.  Partant  les  heu- 
reuses mémoires  de  nos  pères  et  ayeulx  et  bisayeulx 
(que  le   Seigneur  Dieu    fasse  reluire    les  remarques  de 

I.  Exposition  :  nous  en  a  fait  .h",  nous  les  a  exposées. 


394     .MfMOIRK    SLK    f.' A  M  HASS  A  DK    l)K    rtUgLIK. 

kiirs  preuves)  el  de  leur  temps  heureux  jusqucs  à  pré- 
sent, la  sincère  an.itié  qui  a  régné  el  règne  entre  nous, 
cil  toute  sorte  (|u'elle  a  esté,  a  présent  encor,  soit  stal)lc 
et  perpétuelle,  selon  que  tousjours  elle  a  este  maintenue 
lionorablement  et  avec  confédération  et  afieclionnement. 
El  pour  celle  cause,  de  nouveau,  nous  avons  reconfirmé 
les  hautes  el  heureuses  Capitulations,  el  selon  \os 
riequestes,  a\'ons  confirmé  en  son  estai  Pierre  Vayvode; 
mais  à  présent  pour  y  avoir  un  peu  de  différend  a\ec  le 
Vayvode,  qui  est  en  Vallaquie,  ledit  rétablissement 
s'est  un  peu  prolongé,  et  plaisant  au  Tout-puissant 
Dieu,  le  susdit  Pierre,  en  ce  temps  de  nos  heureux  jours, 
c'est  à  dire  plaisant  à  Dieu  de  nous  continuer  la  ^  ie  et 
félicité  de  nos  jours,  aura  l'efîect  de  son  désir  et  con- 
tentement el  encor  Voslre  Majesté  du  sien,  selon  que 
vous  nous  en  avez  requis,  et  cela  sera  pour  certain,  et 
en  cecy  Voslre  Majesté  n'ayt  aucun  doute  :  el  à  toutes 
occasions  que  le  Roy  d'Espagne  avec  quelque  fraude 
et  tromperie,  voulant  retourner  de  l'amitié,  et  voulant 
faire  guerre,  s'il  sera  besoin,  toute  bonne  faveur  et 
secours  de  noslre  Impériale  el  heureuse  Porte,  ou  par 
les  autres  miennes  que  je  vous  ay  escril,  ou  par  la  pré- 
sente, tout  ce  que  nous  ^'ous  avons  notifié  ou  escrit,  nous 
le  confirmons  et  monstrerons  avec  les  efFects,  et  tousjours 
selon  que  d'ancienneté  entre  nous  a  couru  el  court,  el  a 
tousjours  esté  confirmée  noslre  amitié  el  sincère  intelli- 
gence, ce  qui  convient  à  nos  Grandeurs,  assavoir  de 
nos  deux  Majestez,  et  qu'il  convient  aux  Empereurs  de 
faire,  ou  par  voye  d'armées,  ou  par  autres  moyens  qu'il 


APPENDICE.  395 

sera  possible  de  faire,  nous  ne  manquerons,  en  tout  et 
par  tout,  a  Vostre  Majesté  de  toutes  ces  faveurs  et  assis- 
tances possibles.  Et  ainsi  en  l'inimitié  que  feront  en 
nostre  heureuse  Porte  les  malins  et  fraudulents  qui 
voudront  s'attaquer  avec  nous,  il  sera  pourveu,  avec 
l'ajde  de  Dieu,  de  tout  ce  qui  sera  nécessaire  et  tout 
ce  qui  sera  de  besoin  en  faveur  de  Vostre  Majesté,  vous 
le  ferez  sçavoir  à  nostre  heureuse  et  haute  Porte,  mes- 
mement  qu'à  présent  nous  avons  envoyé  hors  en  la 
mer  avec  une  petite  partie  de  nos  Aictorieuses  galleres, 
le  généreux  entre  les  Seigneurs  le  Beglierbey  d'Algers 
et  Capitaine  gênerai  de  nostre  heureuse  armée,  appelé 
dis  i  Allj,  qui  veut  dire  Aly  belliqueux  (que  Dieu 
augmente  son  heur),  lui  ayant  commis,  qu'il  ayt  à  aller 
en  Barbarie  à  Algers;  et  s'il  sera  besoin  de  quelque 
chose,  V.  M.  écrira  et  advisera  ledit  Capitaine  mon 
gênerai,  et  d'ancienneté  jusques  aujourd'huy,  tousjours 
tous  ces  marchands  qui  sont  venus  sous  vostre  nom  et 
bannière  tant  d'Angleterre,  Geneuois,  Anconitains  et 
Siciliens,  et  des  Vénitiens  en  hors,  tous  ceux  qui  n'ont  eu 
des  Consuls  comme  ils  ont  cheminé  sous  vostre  nom  et 
bannière,  à  présent  encor  en  la  mesme  manière  ils  aycnt 
à  venir  et  aller  en  mon  Estât  et  Empire.  Et  tous  vos 
Ambassadeurs  qui  ^■iendront  en  nostre  très-haute  et 
heureuse  Porte,  et  à  nostre  heureux  Diuan  (c'est  à  dire 
Conseil),  ou  bien  aux  Serrails  et  Palais  de  nos  grands 
Vizirs,  comme  il  a  esté  de  toujours,  ainsi  soit.  Et  que 

I.  Kilidj  Aly  (le  Sabre  dAly). 


39^     M  (.  M  (  )  I  R  K    S  L  1^    I  .'A  M  H  A  S  S  A  I)  V.    D  F.   T  L'  R  Q  L  I  K. 

VOS  susdits  Amljassadcurs  aycnl  la  prcccdcncc  cl  prccini- 
ncncc"  sur  les  Ambassadeurs  à\\  Roy  d'Espagne,  ou 
autres  Ambassadeurs  Royaulx,  et  en  la  concession  des 
heureuses  et  autres  Capitulations  que  nous  a\()nsrenou- 
vellées  avec  vous,  particulièrement  se  lait  mention  de 
toutes  CCS  choses  :  et  en  toutes  autres  causes  du  temps 
de  nos  prédécesseurs,  ayeuls  et  bisayeuls,  celle  pure, 
sincère,  et  in\iolable  colleguee  amitié  et  bf)nne  intelli- 
gence qui  a  régné  et  règne  entre  nous,  a^■ec  les 
anciennes  auctorilez  et  prééminences  qui  vous  ont  este 
accordées,  ainsi  encores  vous  les  ayez  à  avoir,  et  les 
maintenir  honorablement,  ayant  esgard  de  garder  vostre 
honneur  et  grandeur.  Et  à  toutes  les  fois  que  de  la  part 
de  Vostre  Majesté,  il  n'y  aura  diminution  aucune  de 
celle  nostre  amitié,  et  pure  intelligence,  avec  l'ayde 
de  Dieu  aussi  de  nostre  part,  il  n'y  aura  aucun  man- 
quement et  ne  se  donnera  auctorité  au  préjudice  dicelle. 
Et  toujours  les  pactions  et  Promesses  et  Chapitres  jurez 
qui  sont  entre  nous,  seront  maintenus  et  honorez  :  Et 
pour  cette  occasion,  generallement,  à  tous  les  Beglierbeys, 
et  Sangiacbeys  et  autres  Ministres  nos  esclaves,  se  sont 
écrits  très  torts  et  heureux  commandcmens  que  tous 
ceux  qui  à  icelles  voudront  mettre  garbuge,  et  faire 
faulseté,  soient  rigoureusement  chastiez  et  semblables 
malfaicteurs.  Il  con\ient  qu"a\ec  nostre  honorée  et 
heureuse  lettre,  des  honorez  Mustaferaga  de  nostre 
haute  et  heureuse  Porte,  l'illustre,  et  estimé,  et  loiiable 
entre  iceux  truchement  et  secrétaire  Aly  (la  félicité 
duquel  soit  avec  accroissement)  comme  il  sera  arrivé, 


APPENDICE.  397 

VOUS  debuiez  conserver  la  confirmation  de  la  foy,  et 
traictez  suivis  entre  nous,  et  les  maintenir  et  honorer.  Et 
toutes  les  nouvelles  qui  seront  de  vos  quartiers,  tant  de 
vostre  santé,  comme  de  vos  progrez,  et  agréables  et 
plaisantes  nouvelles,  continuellement  nous  les  faire 
sçavoir,  selon  qu'il  convient  à  nostre  commune  amitié. 
Ce  qui  sera  cause  de  l'accroissement  d'icelle,  et  de  cecy 
nous  ne  faisons  doute  aucune  ;  Et  touchant  au  faict  de 
la  Reyne  d'Angleterre,  dont  cy-devant  nous  avions 
escript  en  nostre  heureuse  lettre,  que  nous  vous 
envoyâmes,  selon  la  forme  qu'il  vous  a  esté  escrit  de 
nouveau  en  la  mesme  teneur,  nous  vous  le  confirmons; 
Et  pour  le  susnommé  Mustaferaga  Aly  (la  félicité 
duquel  soit  toujours  perpétuelle)  tout  ce  qu'il  dira  à 
bouche  pour  les  choses  appartenantes  à  nostre  pure  et 
sincère  amitié,  vous  luy  aurez  à  adjouster  foy,  lequel 
en  brief,  vous  renvoyerez  sain  et  sauf,  en  nostre  heureuse 
Porte,  et  par  la  grâce  de  Vostre  Majesté  à  l'accoustu- 
mée ,  gracieusement  le  renvoyerez  en  ça.  Donnée  en 
l'auguste  Lune  de  Giemaziel  Achir  en  l'an  du  Pro- 
phète 989.  Assavoir,  en  l'an  de  Jesus-Christ  1581  du 
15  de  juillet.  A  l'Impérial  siège  de  protection,  de  Con- 
stantinople.  Et  en  la  subscription  de  la  lettre  :  A  l'Em- 
pereur de  France  ^ . 

I.  Le  texte  des  capitulations  accordées  à  M.deGermigny  et  les 
lettres  qui  y  sont  annexées  sont  tirés  du  Recueil  des  pièces  choisies j 
extfiiites  sur  les  originaux  de  la  négociation  de  Monsieur  de  Germignyj 
ambassadeur  en  Turquie.  Ce  recueil  a  été  inséré  par  P.  Cusset  dans 
le  premier  volume  de  l'illustre  Orbandale  ou  l'histoire  ancienne  et  mo- 
derne de  la  ville  et  cité  de  Chalon-sur-Saône.  Lyon,  1662.  2  vol.  in-4". 


Î9H     MF:M0IRK   SLK    I'AMMASSADK   I)  K    1LH(,)LIK 


VIII. 

Confirmation     d'allianck    avkc    lf.    Grand 
Sf.ignkur    par    Hknry    quatre,    1597. 

(Bibliothèque  nationale,  fonds  français,  n"  3653, 
f*  I   recto  à  6  verso.) 

Les  capitulations  d'entre  les  Majestez  de  Henry 
quatrième,  Empereur  de  France  et  Sultan  Mehemet, 
Empereur  des  Mousolmans,  à  présent  régnant,  renou- 
velées en  l'année  1597,  augmentées  de  plusieurs  pointz 
très  utilles  et  importans  aux  subjectz  du  Roy  traffic- 
quant  par  cest  Empire,  par  le  soing  et  diligence  du 
S'"  de  Brèves,  gentilhomme  ordinaire  de  la  Chambre  du 
Roy,  Conseiller  en  son  conseil  d'Estat  et  son  ambas- 
sadeur pour  lors  près  le  Grand  Seigneur*. 

Au  NOM   DE  Dieu. 

Très  haute,  très  sacrée  et  très  excelse  marque  des 
Empereurs  Ottomans  avec  la  beauté  de  laquelle  tant  de 

I.  Le  texte  original  de  ces  capitulations  a  été  inséré  par  Feri- 
doun  bey  dans  son  recueil  de  lettres  et  de  pièces  diplomatiques 
intitulé  :  Munche^d  Feridoun.  tome  II,  page  400.  Ce  recueil  a  été 
publié  en  l'année  1265  de  l'Hégyre  (1848),  à  Constantinople,  en 
2  volumes  in-folio,  aux  frais  du  Grand  conseil  ;  l'édition  a  été 
tirée  à  petit  nombre,  et  les  exemplaires  n'ont  poins  été  mis  dans 
le  commerce. 


APPENDICE.  399 

païs  sont  conquis  et  gouvernez  de  par  la  volonté  et 
permission  de  l'Eternel.  Nostre  vouloir  et  commande- 
ment est  tel  : 

Moy,  qui  suis  par  les  infinies  grâces  du  Juste,  Grand 
et  Omnipotent  Créateur  et  par  l'abondance  des  plus 
grands  de  ses  prophètes,  Empereur  des  Empereurs,  don- 
nateur  des  Couronnes  aux  plus  grandz  Princes  de  la 
terre,  serviteur  des  deux  très  sacrées  et  très  augustes 
villes  belles  en  toutes  celles  du  monde,  assavoir  :  la 
Mecque  et  Médine,  Protecteur  de  la  S"=  Ihierousalem, 
Seigneur  de  la  plus  grande  partye  de  l'Europpe,  Azie 
et  AfFricque,  de  la  Grèce,  de  la  Natolie  et  Caramanie, 
de  l'héritage  et  succession  de  Imadie  et  Van,  des  païs 
d'Arabye,  Curdistan  (Parthes  et  Curdes)  de  la  Georgia- 
nie,  Damir  Cappi  et  Tifliz  d'une  partye  des  païs  de 
Silvan^,  Qrym  et  Destyciptsac  nouvellement  concquis 
avec  nostre  foudroyante  espée,  fichée  aux  cœurs  de  toutes 
les  parties  susdites,  de  Chypre,  des  païs  de  Zoulcadriè, 
Arzelon  -^  Cérézul  ',  Ciam  et  Damas,  Bagdat  (Babil- 
lonne),  CafFa^,  Basra,  Gasa,  Sanha,  Missir  (Egipte), 
Caire,  lemem,  Abs  et  Adam  %  des  païs  de  Thunes,  la 
Goulete  etTripoly,  Souverain  Monarque  des  mers  blan- 
che et  noire  et  de  tant  d'autres  divers  païs,  isles,  des- 
troictz,  passages,  peuples,  générations  et  familles  et  de 

1.  Chirvan. 

2.  Erzi'oum. 
-?.  Chehirzor. 
4.  Koufa. 

5     L'Abyssiiiic  et  AJeii. 


400     MF.MOIHK   SLK    l'AMMASSAUK    UK    IlRgLIK. 

tant  de  centenaires,  de  milliers  victorieux  a  l'cspéc, 
possesseur  des  champs  nommés  Papa,  PeluteelVisprian 
etJavarin,  et  des  inexpugnables  forteresses  de  Egrie 
prins  par  l'assistance  de  ma  personne  Impérialle  et  de 
tant  d  autres  pais  qui  reposent  soubz  l'obéissance  et 
justice  de  moy  qui  suis  Sultan  Mehemet,  prince  et  tilz 
de  rt^mpereur  Amourat,  hls  de  l'Empereur  Selim,  tilz 
de  l'Empereur  Soliman,  fils  de  l'Empereur  Selim,  fils 
de  l'Empereur  Bayazet,  fils  de  lEmpereur  Mehemet, 
filz  de  l'Empereur  Amourat,  par  la  grâce  de  Dieu, 
durant  leurs  vyes  recours  des  grandz  Princes  du  monde 
et  refuge  des  honorables  Empereurs  de  la  terre. 

Au  plus  glorieux,  magnanime  et  grand  Seigneur  de 
la  création  de  Jésus,  esleu  entre  les  princes  de  la  nation 
du  Messie,  Terminateur  des  différends  qui  surviennent 
entre  le  peuple  chrestien,  Seigneur  de  grandeur,  majesté 
et  richesse  et  glorieux  guyde  des  plus  grandz, 
Henri  IlIP,  Empereur  de  France,  que  la  fin  de  ses  jours 
soit  heureuse  ! 

Soubz  la  rellation  qui  nous  a  esté  faicte  d'Icelluy 
Empereur  de  France  par  l'un  de  ses  plus  honnorables  et 
estimés  Seigneurs  de  la  créance  de  Jésus,  nommé  Fran- 
çois Savary  S""  de  Brèves,  l'un  de  ses  conseillers  et  gen- 
tilshommes, maintenant  son  ambassadeur  à  notre  grande 
Porte,  lequel,  au  nom  de  Sa  dite  Majesté,  a  faict  entendre 
à  notre  Hautesse  le  désir  qu'elle  a  de  l'antienne  amitié 
que  les  defîunctz  Empereurs,  ses  prédécesseurs,  ont  eue 
avec  les  invincibles  Hottomans,  nos  ayeulz,  que  la  grâce 
et  miséricorde  de  Dieu  soit  sur  eux  ! 


APPENDICE.  401 

Nous  voulions  que  les  ambassadeurs  d'Icelluy  Roy 
de  France,  ses  Consulz,  Interprètes  et  autres  qui  mar- 
chent soubz  sa  banière  et  protection  puissent  venir, 
aller,  retourner  et  sesjourner  par  les  lieux  de  notre 
Empire  seùerment  et  sans  qu'il  leur  soit  donné  fascherie 
ou  empeschement  et  que  ce  qui  est  porté  par  les  capi- 
tulations antiennes  soit  inviolablement  gardé  et  princi- 
pallement  celle  qui  fut  du  defFunct  Empereur,  notre 
père  Sultan  Amourat,  prince  heureux  en  sa  vye  et  mar- 
tire  en  sa  mort,  que  la  lumière  céleste  luyse  éternelle- 
ment sur  son  tombeau  ;  et  avons  commandé  avec  notre 
sacrée  main  que  cette  capitulation  soit  escrite  de  la 
teneur  qui  ensuit  : 

Que  des  Vénitiens  et  Anglois  en  là,  les  Espagnols 
Portugais,  Ragusois,  Genevois  (Génois),  Anconitans, 
Florentins  et  généralement  tous  les  autres  qui  chemi- 
nent soubz  la  bannière  de  France  parmi  noz  pais, 
terres  et  Seigneuries  puissent  cy  après  y  cheminer  et 
venir  de  la  mesme  façon  qu'elles  ont  faict  par  le  passé, 
sans  qu'à  leurs  vaisseaux  puisse  estre  faict  ou  donné 
aucun  empeschement  en  cas  qu'ils  se  comportent 
selon  l'honnesté,  et  ne  facent  chose  contraire  à  ce  qui 
est  contenu  en  ceste  suivante  capitullation,  asseurant 
que  de  notre  part,  noz  conventions  et  promesses  seront 
inviolablement  gardées. 

De  nouveau.  Nous  commandons  que  les  Vénitiens 
et  Anglois  en  là,  toutes  les  autres  nations  ennemyes 
de  nostre  grande  Porte  lesquelles  n'ont  ambassadeur  à 
icelle,  voullant  trafficquer  par  nos  pais,  elles  ayent  d'y 

26 


402     MF.MOIRK   SUI{    l'A  M  15  A  SS  A  I)  H   I)  K    TtRyLIK. 

inaithcr  soiib/  la  hannicrc  de  France  el  \(nill()ns  que 
pour  jamais,  l' Ambassadeur  d'Angleterre  ou  autre 
n'ayent  de  l'empescher  ou  contrarier  a  ce  nostre  vf>ul- 
loir,  soubz  coulleur  d'alléguer  qu'icelles  nations  ont  esté 
incérées  aux  capitulations  dernières  depuis  avoir  esté 
escrites  et,  en  cas  qu'il  se  feust  donné  par  cy  devant 
ou  qu'il  se  donnast  par  cy  après  commandement  con- 
traire k  cet  article,  nous  commandons  que  nonobstant, 
ceste  capitulation  soit  vallable  et  observée. 

En  considération  de  la  bonne  et  parfaictc  amytié 
qu'iceux  Empereurs  de  France  ont  eue  avec  les  deflunctz 
Empereurs  noz  pères  et  celles  qui  est  maintenant  entre 
noz  Majestez,nous  voulions  que  les  François  qui  traffic- 
quenl  par  nostre  Empire  puissent  avec  leur  argent  enle- 
ver robes  de  contrebande,  assavoir  :  Cuirs,  cordouans, 
cottons,  iilz,  sans  que  aucun  leur  en  puissent  donner 
fascherie  ou  empeschement. 

Que  les  monnoyes  qu'ilz  aportent  de  leurs  pays  par 
les  lieux  de  nostre  Empire  ne  puissent  estre  prises  de 
noz  trésoriers  ni  de  nos  monnoyeurs  soubz  prétexte  d'en 
voulloir  faire  de  la  monnoye  ottomane,  ny  voulons  qu'il 
s'en  prenne  aucun  droict  pour  n'estre  ainsy  l'usaige. 

El  parce  qu'aucuns  subjectz  de  France  navigans  sur 
vaisseaux  estrangers  pour  exercer  la  marchandise,  sont 
faictz  le  plus  souvent  esclaves  et  leurs  marchandises 
prises,  par  ce,  Nous  commandons  que  d'icy  en  avant 
ilz  ne  puissent  estre  faictz  esclaves  sinon  qu'ilz  soient 
pris  sur  vaisseaux  de  course,  et  commandons  que  ceux 
qui  ont  esté  pris   autrement   soient  faictz  libres,  leurs 


APPENDICE.  •  403 

marchandises  et  robes   restituées  sans  aucune  contra- 
diction. 

Que  les  marchandises  qui  seront  chargées  à  nolîis 
sur  les  vaisseaux  François  apartenantes  aux  ennemis  de 
nostre  grande  Porte  ne  puissent  estre  prises  soubz  cou- 
leur de  dire  qu'elles  sont  d'ennemys,  puisqu'ainsy  est 
nostre  vouloir. 

Que  les  marchandises  qui  sont  apportées  des  mar- 
chands François  en  noz  eschelles,  havres  et  portz  ou 
celles  qu'ilz  enlèvent  d'iceux  ne  puissent  paier,  avoir 
commerce  ny  estre  estimées  à  plus  haut  qu'à  celles  de 
l'antienne  coustume. 

Et  d'autant  que  les  corsaires  de  Barbarie  allant  par 
les  portz  et  havres  de  la  France  y  sont  caressés,  secouruz 
et  aydez  à  leur  besoing  comme  de  poudres,  plomb  et 
autres  choses  nécessaires  à  leur  navigation  et  que, 
néantmoins,  ilz  ne  laissent,  trouvant  des  vaisseaux  Fran- 
çois à  leur  advantage,  de  les  piller  et  saccager  en  faisant 
les  personnes  esclaves  contre  nostre  vouloir  et  celluy  de 
l'Empereur  Amourat  nostre  père ,  lequel  pour  faire 
cesser  leurs  vioUances  et  déprédations  avoit  diverses 
fois  envoyé  les  puissans  ordres  et  commandé  par  iceux 
de  mètre  en  liberté  les  François  détenuz  et  restituer 
leurs  ficultcz  sans  que  pour  cela  ils  ayent  discontinué 
leurs  actes  d'hostilitez,  Nous,  pour  y  remédier,  voul- 
ions et  commandons  avec  ccste  nostre  capitulation 
Impérialle  que  les  François  pris  sur  la  foy  publicque 
soient  Aiictz  libres  et  leurs  facultés  restituées  :  déclarant 
qu'en  cas  que  lesdits  corsaires  continuent  leurs  brigan- 


404     M  (^..MOIIU.  SLK    l'A  M  Fi  A  S  «^  A  I)  I.    DKTLRQUIE. 

dagcs,  (ju'au  premier  ressentiment  qui  n^iis  en  sera 
r-iict  de  rF.mpcrciir  de  l'rancc,  les  vice  Rois  Gouver- 
neurs des  jKiis  desquel/,  les  voleurs  et  corsaires  dépen- 
dront, seront  obligez  de  paier  les  dommaigcs  et  pertes 
qu'auront  faict  les  Fran^-ois,  et  seront  privés  de  leurs 
charges,  promettans  de  donner  croyance  et  adjouster  foy 
aux  lettres  qui  nous  en  seront  envoyées  dudit  Empereur. 

Que  les  interprètes  qui  servent  les  ambassadeurs 
d'Icelluy  Empereur  soient  libres  de  tous  subsides  et 
impostz. 

Que  tous  ceux  qui  chargent  les  vaisseaux  François 
qui  trafHcquent  soubz  la  bannière  de  France  aycnt  de 
paier  le  droict  des  ambassadeurs  et  consulz  sans  se  pou- 
voir opposer  au  contraire. 

Que  survenant  quelque  mcnotre  ou  autre  inconvé- 
nient parmy  les  François,  les  Ambassadeurs  et  Consuls 
puissent,  suivant  leurs  loys  et  coustumes,  y  faire  justice 
sans  qu'aucun  de  nos  officiers  en  prenne  cognoissance 
et  l'en  empesche.  Que,  quels  consuls  François  qui  sont 
establis  par  les  lieux  de  nostre  Empire  pour  avoir  soing 
du  repos  et  seureté  des  François  ne  puissent  estre  faictz 
prisonniers  ny  leurs  maisons  baillées,  voullans  que  s'il 
s'en  prétend  quelque  chose  d'eux,  la  cognoissance  en 
soit  renvoyée  à  nostre  grande  Porte  et  Divan  publicq. 

Nous  entendons,  voulions  et  commandons  que  tous 
les  poîntz  cy  dessus  cotez  et  escritz  soient  in\iolable- 
ment  observez,  et  que  les  commandemens  qui,  par  cy 
devant,  ont  esté  donnez  ou  se  donneront  pour  l'advenir, 
au  contraire  d'iceux  ne  soit  vallables  ny  observez. 


APPENDICE.  40J 

Et  parce  qu'Icelluy  Empereur  de  France  est,  entre 
tous  les  autres  Roys  et  princes,  le  plus  noble  et  de  plus 
haute  famille,  le  plus  parfaict  amy  que  noz  ayeulz 
ayent  jamais  eu,  comme  il  est  veu  par  les  efFectz  de  sa 
fermeté  et  persévérance,  nous  voulions  et  commandons 
que  son  Ambassadeur  qui  réside  à  nostre  heureuse 
Porte,  venant  à  nostre  grand  et  superbe  Divan  ou  allant 
au  pallais  de  noz  grandz  Vice  Roys  ou  autres  de  noz 
conseillers,  chemine  devant  et  précedde  l'Ambassadeur 
du  Roy  d'Espaigne  et  ceux  des  autres  Roys  et  Princes, 
conformément  à  la  coustume  antienne. 

Que  les  François  qui  viennent  avec  leurs  vaisseaux 
et  marchandises  par  les  eschelles,  havres  et  portz  de  nos 
païs  puissent,  durant  nostre  vye,  venir  seurement  et  soubz 
la  foy  publicque,  et,  arrivant  que  la  fortune  ou  tempeste 
jetast  aucun  d'iceux  ayant  besoing  de  noz  gallaires  ou 
de  quelques  autres  de  noz  vaisseaux,  nous  voulions  et 
commandons  qu'ilz  soient  incontinant  aydez  et  que  les 
cappitaines  et  lieutenantz  d'iceux  vaisseaux  soyent  res- 
pectez et  caressés,  et  soient  pourveus  avec  leur  argent  de 
toutes  commoditez  nécessaires  à  leur  vivre. 

Et  en  cas  que  lesdicts  vaisseaux  François  donnent 
contre  quelque  escueuilz  ou  en  terre  et  souffrent  bris, 
nous  voulions  que  tout  ce  qui  s'en  pourra  recouvrer  leur 
soit  restitué  es  mains  et  mis  en  pouvoir  des  marchans, 
sans  que  noz  Vice  Rois,  Gouverneurs,  Cadis  ou  autres 
s'opposent,  mais,  bien  au  contraire,  ayent  de  les  secourir 
à  leur  besoing,  vouUans  ([u'ilz  puissent  par  nostre 
Empire  aller,  venir,  retourner  et  sesjourner  librement 


4or,    M  F-,  M  f  )  I  lî  I    S  l' n  l 'A  M  n  \  s  s  \  r  )  i ,  i  >  i .  tu  r  o  1 1  f .. 

s'ilz  ne  commcctcnt  quelque  chose  contre    l'Iionnestc. 

Que  d'iceux  François,  interprctte  ou  autres  ;i  eux 
appartenans  venant  en  noz  pais  soit  par  mer,  soit  par 
terre,  pour  vendre,  acliepler  ou  faire  marchandise  paiant 
les  droictz  de  nos  commerces*  suivant  la  coustume  et 
celuy  des  Consulz  ne  soient  molestés  eux,  leurs  vais- 
seaux et  marchandises  par  noz  cappitaines  des  gallaircs, 
patrons  et  autres  volontaires  en  \enant,  séjournant  et 
retournant. 

En  cas  qu'un  François  se  trouve  redevable,  la  dcbtc 
ne  puisse  estre  demandé  à  autre  qu'à  luy  ou  autre  qu'a 
celluy  qui  se  sera  rendu  pleige  pour  luy. 

Et  arrivant  qu'un  François  meure,  nous  voulions  et 
commandons  qu'aucun  de  nos  officiers  et  commissaires 
n'ayent  de  veoir  à  ses  robes  et  facultez,  ains  qu'elles 
soient  consignéez  sans  aucune  difficulté  à  celluy  à  qui  il 
les  aura  laissées  par  sa  dernière  volonté,  et  mourant  ab 
intestat,  que  avec  l'entreprise  des  Consulz,  les  facultez 
du  mort  soient  consignées  au  pouvoir  d'un  de  ses 
compatriez  sans  que  nos  commissaires  ou  autres  s"y 
opposent. 

Que  les  François,  leurs  Consulz  et  interprettcs  ou 
ceux  des  lieux  qui  deppendent  d'eux  ayent  en  leurs 
ventes  et  achaptz  pleigcries  et  tous  autres  pointz  d'en 
faire  acte  devant  le  Cady,  au  dcffaut  de  quoy,  ceux  qui 
auront  quelque  prétention  contre  eux  ne  le  faisant 
apparoir  par  constract  publicq  enregistré  au  lieu  de  nos 

I.  Douanes 5  en  turc:  Giimruk.  du  grec  xouuipxi  (commercium). 


APPENDICE.  407 

juges  voullans  prendre  tesmoings,  voulions  et  comman- 
dons qu'ils  ne  soient  escoutez,  ains  soit  donné  foy  aux 
contracts  passés  devant  noz  juges  ou,  n'y  en  ayant 
d'enregistré,  que  les  demandes  ne  soient  adjugées;  et 
se  tienne  la  main  qu'il  n'arrive  chose  contre  la  sacrée 
justice. 

Qu'estant  dressé  quelque  embusche  contre  les  Fran- 
çois pour  les  accuser  d'avoir  injurié  et  blasphémé  contre 
nostre  S'®  Religion  et  produisant  des  tesmoings  faux 
pour  trouver  moien  de  les  travailler,  nous  ordonons 
qu'il  se  garde  mesmement  en  semblables  occasions  que 
les  François  ne  soient  molestez  et  que  rien  ne  se  passe 
plus  avant. 

Et  estant  qu'aucun  François  soit  redevable  ou  ayant 
faict  quelque  mauvais  acte  s'absente  et  s'enfuye,  nous 
voulions  que  les  autres  François,  qui  ne  seront  nulle- 
ment pleigéz  pour  luy,  n'en  puissent  estre  molestez  ny 
recherchez. 

Que  se  trouvant  par  nostre  Empire  des  esclaves 
François  estant  recongnuz  des  Ambassadeurs  ou  Consulz, 
que  les  maistres  d'iceux  ayent  à  les  amener  à  nostre 
grande  Porte  ou  les  renvoyer  a\ec  papiers,  affin  que 
justice  en  prenne  cognoissance. 

Que  les  François  ou  ceux  qui  deppendent  d'eux,  ma- 
riez en  noz  pays  ou  non,  exerçant  la  marchandise  ou 
travaillant  de  leur  art  ou  autres  ne  payent  aucunes 
tailles  ou  subcide. 

Qu'au  changement  et  eslablissemcnt  des  Consulz 
François    en    noz    eschelles   d'Alexandrie,   Tripoly    de 


4o8     .MI.MOIHK    SLI{    I  '  \  M  H  A  SS  \  I)  I.    l)\.   TLHQUIF'.. 

Suryc,  Argcr  cl  autres,  personne  des  noslres  ne  s'y 
oppose. 

Et,  arrivant  que  quelqu'un  cust  quelque  dilTércnd 
avec  les  François,  nous  voulons  qu  il  se  termine  par  la 
justice,  mais  que  le  juge  nen  prenne  cognoissance 
qu'un  interprète  de  France  ne  soit  présent  et  estant 
riiilcrprctc  empcschc  en  allaires  importans,  quelacause 
soit  entrcknue  justjues  cjuil/  comparoissent;  toutes  fois, 
que  les  François  ne  se  rendent  difficiles,  disant  que 
l'interprette  ne  se  trouve,  et  ne  prolongent  l'effect  de  la 
justice,  ains  à  faire  comparoitrc  ledit  interprète. 

S'il  naist  quelque  contention  ou  dilTérend  entre 
deux  François,  que  l'Ambassadeur  ou  les  Consulz  ayent 
de  terminer  telle  controverse  sans  qu'aucun  de  noz  offi- 
ciers s'y  oppose. 

Et,  arrivant  que  quelques  frégates  de  corsaires  ou 
autres  vaisseaux  allant  par  la  mer  facent  des  François 
esclaves  et  les  apportent  et  vendent  au  pais  d'Europpe, 
Asye,  et  autres  lieux,  quiceux  François  trouvés,  il  se  face 
une  gaillarde  recherche  pour  sçavoir  de  qui  ilz  ont  esté 
venduz,  et  que  celluy  qui  les  aura  achcptéz  soit  obligé 
de  trouver  le  vendeur  afin  qu'estant  recongnus  les 
esclaves  François  pour  mal  pris,  ils  soient  faictz  libres 
et  les  corsaires  chastiez  :  et,  sy  les  François  esclaves  se 
sontfaictzMousulmans,  nous  voulions  aussy  qu'ils  soient 
faictz  libres,  mais  percistant  en  leur  créance,  qu'avec  la 
main  de  la  justice,  ils  soient  mis  hors  d'esclavitude. 

Que  les  vaisseaux  François  qui  auront  faict  la 
recherche  en  Constantinoble  ne  soient  recherchez  autre 


APPENDICE.  409 

part  qu'aux  chasteaux,  ne  voullant  qu'il  se  face  la 
recherche  à  Tripoly,  comme  maintenant  il  se  recherche 
de  faire. 

Que  les  gallaires,  vaisseaux  et  armées  qui  sortent  de 
nos  pays,  se  rencontrant  en  mer  avec  ceux  de  France, 
ayent  de  s'entrecaresser  et  faire  amitié  sans  s'y  procurer 
dommaige  les  uns  aux  autres. 

Que  tout  ce  qui  est  accordé  aux  Vénitiens  par  leurs 
capitulations  soit  ensemble  accordé  et  confirmé  au 
bénéiice  des  François,  sans  que  personne  y  contredie. 

Que  les  vaisseaux  François  venant  en  nostre  Empire 
y  soient  protégez,  defFendus,  caressez  et  y  puissent  avec 
toute  seurté,  et  soubz  la  foy  publicque,  venir,  aller, 
séjourner  et  retourner;  et,  arrivant  que  les  marchandises 
ou  robes  peussent  estre  saccagées,  qu'il  se  face  une 
recherche  très  exacte  et,  se  trouvant,  leur  soient  rendues, 
et  ceux  qui  auront  commis  telles  méchancetés,  cluistiez. 

Voulions  et  commandons  à  tous  noz  csclaA'cs  Vice 
Rois,  Gouverneurs,  Lieutenants,  Cadis,  Cappitaines  de 
gallaires  et  autres  vaisseaux  et  générallement  à  tous  noz 
autres  officiers,  qu'ils  aient  d'observer  le  contenu  de 
cesle  capitulation  sans  contredire  à  aucun  d'icclle  ny 
moings  à  ceux  qui  sont  portez  par  la  capitulation  qui  en 
a  esté  traictée  et  accordée  par  nostre  dclFunct  et  bien- 
heureux ayeul  Soltan  Soliman  (que  la  miséricorde  de 
Dieu  soit  pour  jamais  sur  luy!)  protestant  qu'en  cas  que 
de  la  part  de  l'Empereur  de  France  ne  soit  contrevenu 
aux  poinctz  cy  dessus  escritz,  et  qu'il  demeure  ferme  et 
constant  en    l'observance   d'iceux,   ou    semblablement 


4IO     MI.MOIHF.    SUR    l'AMHASSADK    f)KTLnnLIK. 

acceptant  son  amityc,  je  jure  par  l'Htcrncl  Dieu  qui  a 
(a ici  le  ciel  et  la  terre,  et  par  les  âmes  de  nos  ayeux  et 
par  celle  du  deliunct  Empereur  nostrc  ayeul  (ju"il  n'y 
aura  jamais  de  nostre  part  aucun  manquement  et  ainsy 
se  sçachc  et  se  preste  foy  à  nostre  sacrée  marque. 

Fscript  en  nostre  ville  Impériale  de  Constantinople 
au  commencement  de  la  Lune  de  (Redjeb),  en  l'an- 
née I0C5  qui  est  1597,  environ  le  xxv'  febvricr. 


IX. 

Lkttrf.    du   Sultan   Mfhemet   III 

A    H  EX  RI     IV. 

Au  plus  glorieux,  magnanime,  et  grand  seigneur  de 
la  croyance  de  Jésus-Christ,  élevé  entre  les  princes  de 
la  nation  du  Messie,  terminateur  des  difFérens  qui 
surviennent  entre  les  peuples  chrestiens.  Seigneur  de 
Majesté,  grandeur  et  richesses  et  clair  Guide  des  plus 
grands,  Henry  IIII  Empereur  de  France,  que  la  tîn  de 
ses  jours  soit  heureuse  et  tranquille  ! 

Depuis  l'arrivée  de  nostre  Impériale  marque,  il  sera 
pour  avis  à  vostre  Majesté,  que  par  cy  devant,  vostre 
ambassadeur  qui  réside  en  nostre  Souveraine  Porte 
nous  fit  entendre  que  les  Anglois  sous  prétexte  d'estre 
nos  confederez  viennent  par  les  mers  de  nostre  Empire 


APPENDICE.  411 

y  prenans  et  dépredans  vos  subjects,  ceux  de  la  Répu- 
blique de  Venise  et  autre  marchans  qui  navigent  sous 
vostre  bannière. 

S'estant  aussi  plaint  que  les  coursaires  de  nostre 
pays  de  Barbarie  font  le  semblable,  sans  avoir  égard  à 
l'ancienne  amitié  qui  se  conserve  entre  nos  Majestez. 
Pour  cette  cause,  nous  écrivimes  une  lettre  à  la  Reyne 
d'Angleterre,  de  laquelle  nous  vous  fismes  part,  comme 
aussi  des  commandemens  que  nous  avions  faict  à  nos 
esclaves  de  Barbarie.  Depuis,  est  arrivé  à  nostre  Sublime 
Porte,  un  des  vostres  avec  vos  lettres,  par  les  quelles  nous 
avons  recogneu  que  les  nostres  ne  vous  avoient  encore 
esté  rendues,  et  la  continuation  des  coursaires  Anglois 
et  de  Barbarie  sur  vos  subjects.  Ayant  bien  considéré  le 
contenu  :  nous  désirons  que  vous  né  doutiez  nullement 
que  c'est  contre  nostre  intention  que  ceux  qui  dépen- 
dent de  nostre  obeyssance,  molestent  les  subjects  de  vostre 
Majesté,  en  s'unissant  avec  les  pirates  Anglois  pour 
participer  à  leurs  butins  et  larcins. 

Aussi  ayant  appris  par  vos  lettres  que  nostre  vice- 
Roi  de  Thunis,  Mustapha-Bassa  estoit  de  ceux  qui  s'en- 
tendoient  avec  lesdits  Anglois,  nous  l'avons  priué  de 
son  gouvernement,  avec  commandement  exprès  de 
venir  rendre  compte  de  ses  actions,  et  nous  avons  éta- 
bly  en  son  lieu  un  autre  vice-roy,  auquel  nous  avons 
expressément  commandé  d'empêcher  qu'en  aucune 
façon  vos  subjects  traiiquans  par  les  lieux  de  nostre 
obeyssance  soient  molestez.  Nous  avons  aussi  privé 
Solyman-Bassa  nostre  vicc-Roy  d'Alger  de   son  office, 


412     .MI.MOIKK    SUR    I.'AMHASSADK    DK   TURQUIE. 

pour  les  mccontcntcmcns  qu'il  a  donnez  à  vostrc 
Majesté  et  commandé  qu'il  ayt  aussi  a  venir  rendre 
compte  de  ses  déportemens,  ayant  mis  en  son  lieu  un 
autre  vice-Roy  fort  practic  qui  scait  et  recognoit  le  res- 
pect qui  se  doit  à  l'ancienne  amitié  de  nos  Majestez, 
nommé  l'Albanois  Moussy,  duquel  Dieu  augmente  la 
dignité  ! 

Nous  avons  aussi  ordonné  que  Cerdan-Bassa  cy 
devant  nostre  vice-Roy,  ayt  à  venir  devant  le  tribunal 
de  nostre  Justice,  pour  s'en  estre  plaint  il  y  a  quelque 
temps  vostre  ambassadeur,  et  très  expressément  com- 
mandé à  l'amiral  de  nos  mers  Sinan-Bassa  de  nous 
faire  amener  les  uns  et  les  autres. 

Quant  à  ce  qui  regarde  le  particulier  des  Anglois,  il 
ne  nous  a  pas  semblé  honneste  devoir  écrire  au  nou- 
veau Roy  d'Angleterre  avant  qu'il  nous  ayt  écrit  et 
envoyé  un  ambassadeur  au  serrail  de  nostre  heureuse 
Porte,  pour  renouveller  les  capitulations  que  la  Reyne 
defuncte  avoit  avec  nostre  Hautesse.  Nous  nous  sommes 
contentez  de  commander  à  nostre  prudent  et  valeureux 
vesir  Assan-Bassa,  décrire  audit  Roy  d'Angleterre  en 
nostre  nom,  qu'en  cas  qu'il  désire  nostre  amitié,  il  est 
nécessaire  qu'il  retienne  et  empêche  que  ses  subjects  ne 
fassent  plus  de  courses  sur  nos  mers  ;  après  la  protesta- 
tion qui  luy  sera  faicte,  s'il  entend  qu'aucuns  de  ses 
subjects  commettent  acte  d'hostilité  sur  ceux  qui  se 
trouveront  par  les  lieux  de  nostre  Empire,  seront  rete- 
nus avec  leurs  vaisseaux  et  facultez  qui  seront  distri- 
buées à  ceux  qui  auront  receu  quelque  dommage  d'eux. 


APPENDICE.  413 

et  seront  chastiez  pour  retenir  les  autres  de  mal  faire, 
nous  estant  plus  aisé  d'en  user  ainsi.  Toutesfois  ayant 
remis  l'efFect  de  ceste  nostre  résolution  aux  réponses 
qui  nous  seront  faictes  par  les  attendans.  Accompai- 
gnez,  si  vous  le  considérez  à  propos,  celle  de  nostre 
grand  Vizir  au  Roy  d'Angleterre  de  l'une  des  vostres. 

Nous  vous  envoyons  aussi  nostre  lettre  Impériale 
pour  le  Roy  de  Fez,  afin  qu'en  considération  de  nostre 
amitié,  il  empêche  que  ses  subjects  n'achètent  les  Fran- 
çois, et  dé  mettre  en  liberté  ceux  qui  se  trouveront  par 
les  lieux  de  son  obeyssance,  atin  qu'il  soit  cogneu  à 
chacun  le  cas  que  nous  faisons  de  l'amitié  de  vostre 
Majesté. 

Nous  avons,  de  plus,  selon  vostre  prière,  pour  arrester 
le  cours  des  voleries  et  pyrateries  des  Anglois,  renvoyé 
exprès  commandement  à  tous  les  Gouverneurs  de  nos 
havres  et  ports,  pour  faire  exacte  recherche  de  tous  les . 
vaisseaux  et  des  nations  chrestiennes  qui  arrivoient  es 
lieux  de  leurs  Gouvernemens,  de  voir  notamment  quelles 
marchandises  ils  apportent,  et  en  quels  lieux  ils  auront 
chargé,  les  obligeans  de  faire  paroistre  par  tesmoins  quel 
est  leur  déportement  et  au  cas  qu'il  soit  contraire  à  la 
preuve  qu'ils  produiront,  se  trouvans  malfaicteurs,  et 
que  les  marchandises  qu'ils  portent  ayent  esté  prises  es 
courses,  qu'ils  soient  retenus  avec  leurs  vaisseaux  et  de 
ce  qui  se  trouvera  dedans  qu'il  en  soit  donne  avis  à 
nostre  grande  Porte.  Nous  avons  commandé  à  nosdits 
Gouverneurs  ce  qu'ils  doivent  faire  pour  faire  chastier 
ceux  qui,  sous  ombre  de  marchandise,  font  les  Cour- 


414     MP.MOIKK    SI  R    l'A  M  H  ASS  A  F)  I.    I)t,    TU  H  g  Lit. 

sairc'S.  Nous  avons  aussi  ordonné  a  nos  Vicc-Roys  de  Bar- 
barie, et  autres  nos  subjccls  et  oindcrs  qu'ils  se  gardent 
de  pcrmctlrc  à  qui  que  ce  soil  d'aller  en  course,  sans 
prendre  bonnes  et  suffisantes  cautions  d'eux,  afin  qu'ils 
ne  commettent  acte  contre  la  foy  publique,  au  dom- 
mage de  vos  subjccts  et,  pour  plus  de  facilité,  que  les 
pleiges  ayent  à  estre  responsables  et  tenus  de  représen- 
ter leurs  malfaicteurs. 

Prenez  donc  croyance  que  c  est  contre  nostre  volonté 
que  vos  subjects  sont  maltraictez  par  les  lieux  de  nostre 
obeyssance.  Quant  à  ce  que  desirez  qu'il  se  fasse  une 
repressaille  sur  les  marchans  Anglois  pour  payer  les 
dommages  que  vos  subjccts  ont  receu  de  cette  nation,  il 
m'a  semblé  nécessaire  d'attendre  la  response  du  Roy 
d'Angleterre,  lequel  tardant  d'envoyer-un  Ambassadeur 
au  seuil  de  nostre  heureuse  Porte  pour  rcnouveller 
l'amitié  commune  avec  son  Royaume,  et  manquant  au 
semblable  de  se  rendre  soigneux  d'empescher  que  ses 
subjects  ne  commettent  plus  tant  de  méfaicts,  et  ne 
fassent  des  courses  par  les  lieux  de  nostre  obeyssance, 
selon  la  promesse  que  nous  avons  cydevant  faicte  à 
vostre  Majesté,  nous  ferons  retenir  tous  les  Anglois  qui 
se  trouveront  par  nostre  Empire,  faisans  rcpresaille  sur 
eux  pour  l'entière  valeur  de  ce  qui  aura  esté  voilé  et 
dépredé  à  vos  subjects,  les  faisans  chastier  comme  sépa- 
rez du  nombre  de  ceux  qui  sont  confederez  auec  nostre 
Hautesse, 

Vostre  Majesté,  de  sa  part,  trouvera  bon  à  l'imitation 
des  Empereurs  ses  ayeuls  de  faire  cas  de  nostre  amitié, 


APPENDICE.  415 

et  la  conserver  chèrement,  empêchant  qu'aucun  de  vos 
subjects  n'ait  à  servir  nos  communs  ennemis,  ayans  appris 
que  beaucoup  d'iceux,  contre  le  devoir  qui  se  doit  à 
nostre  ditte  amitié,  vont  au  service  du  Roy  de  Vienne. 
Tels  ne  me  font  pas  seulement  deservice,  mais  si  vous 
le  considérez,  vont  au  service  des  ennemis  de  vostre 
Grandeur.  C'est  pourquoy  vous  vous  devez  peiner  d'em- 
pêcher leurs  allées,  et  arrivant  que  quelqu'un  y  aille 
contre  vostre  commandement,  vous  devez  faire  confis- 
quer ses  biens,  et  retournant  au  lieu  de  vostre  obeys- 
sance,  le  faire  chastier  afin  de  faire  servir  d'exemple  aux 
autres  desobeyssans. 

Escrit  au  commencement  de  la  lune  Reboulevel. 

C'est  le  quinziesme  d'Aoust  (1603). 


X. 

Capitulations   de   1^04. 

Au  nom  de  Dieu. 

L'Empereur  Amat,  fils  de  l'Empereur  Mehemet, 
toujours  victorieux. 

Marque  de  la  haute  famille  des  Monarques  Ottho- 
mans,  avec  la  beauté  grandeur  et  splendeur  de  laquelle 
tant  de  pays  sont  conquis  et  gouvernez. 

Moy,  qui  suis  par  les  infinies  grâces  du  Juste,  Grand 


4i6     MIMOIIU-:   SUR    I 'A  M  15  A  SS  A  DK    IJK   TLHVLIK. 

et  loul-puissuiU  Crcatcur  cl  pur  l'abondance  des 
miracles  du  chef  de  ses  prophètes,  Empereur  des  vic- 
torieux Empereurs,  distributeur  des  couronnes  aux  plus 
grands  Princes  de  la  terre,  serviteur  des  deux  tres-sacrées 
villes,  la  Mecque  et  Médine,  PrcMecteur  et  Gouverneur 
de  la  Saincte  Hierusalem,  Seigneur  de  la  plus  grande 
partie  de  l'Europe,  Asie  et  AIrique,  conquise  avec 
nostre  victorieuse  espée,  et  espouvantable  lance,  à  sça- 
voir  des  pais  et  royaumes  de  la  Grèce,  de  Themiswar,  de 
Bosnie,  de  Seghevar,  et  des  païs  et  Royaumes  de  l'Asie 
et  de  la  Natolie,  de  Caramanie,  d'Egypte,  et  de  tous 
les  pais  des  Parthes,  des  Curdes ,  Géorgiens,  de  la 
Porte  de  Ter,  deTitlis,  du  Seruan,  et  du  pais  du  Prince 
des  Tartares,  nommé  Qerim,  et  de  la  campagne  nommée 
Cipulac  \  de  Cypre,  de  Diarbekr,  d'Alep,  d'Erzerum, 
de  Damas,  de  Babylone  demeure  des  Princes  des 
croyants,  de  Basera,  d'Egypte,  de  l'Arabie  heureuse, 
d'Abes,  d'Aden,  de  Thunis,  la  Goulette,  Tripoly  de 
Barbarie,  et  de  tant  d'autres  païs,  isles,  destroits,  pas- 
sages, peuples,  familles,  générations,  et  de  tant  de  cent 
millions  de  victorieux  gens  de  guerre  qui  reposent  sous 
l'obéissance  et  justice  de  Aloy  qui  suis  l'Empereur 
Amurat,  fils  de  l'Empereur  Selim,  tils  de  l'Empereur 
Solyman,  tils  de  l'empereur  Selim  :  Et  ce,  par  la  grâce 
de  Dieu,  Recours  des  grands  Princes  du  monde, 
Refuge  des  honorables  Empereurs. 

Au  plus  glorieux,  magnanime,  et  grand  Seigneur  de 

I.  Kiptchak. 


APPENDICE.  417 

la  croyance  de  Jesus-Christ,  esleu  entre  les  Princes  de 
la  nation  du  Messie,  Médiateur  des  différents  qui  sur- 
viennent entre  le  peuple  Chrestien,  Seigneur  de  Gran- 
deur, Majesté  et  Richesse,  glorieuse  Guide  des  plus 
grands,  Henry  IIII,  Empereur  de  France,  que  la  fin  de 
ses  jours  soit  heureuse. 

Ayant  nostre  Hautesse  esté  priée  du  sieur  de  Brèves, 
au  nom  de  l'Empereur  de  France  son  Seigneur  comme 
son  Conseiller  d'Estat  et  son  Ambassadeur  ordinaire  en 
nostre  Porte,  de  trou\er  bon  que  nos  traitez  de  paix  et 
Capitulations  qui  sont  de  longue  mémoire  entre  nostre 
Empire  et  celuy  de  son  Seigneur  fussent  renouvellées 
et  jurées  de  nostre  Hautesse  :  sous  cette  considération, 
et  pour  l'inclination  que  nous  avons  à  la  conservation 
d'icelle  ancienne  amitié,  avons  commandé  que  cette 
Capitulation  soit  escrite  de  la  teneur  qui  s'ensuit  : 

I.  Que  les  Ambassadeurs  qui  seront  envoyez  de  la 
part  de  Sa  Majesté  à  nostre  Porte,  les  marchans  ses 
subjects  qui  vont  et  viennent  par  iceux  havres,  les 
Consuls  qui  sont  nommez  d'elle  pour  résider  à  nos 
havres  et  autres  lieux  de  nostre  Empire,  et  ses  Inter- 
prètes ne  soient  inquiétez  en  quelque  façon  que  ce  soit  : 
mais,  au  contraire,  receus  et  honorez  avec  tout  le  soin 
qui  se  doit  à  la  foy  publique. 

II.  Voulons  de  plus  qu'outre  l'observation  de  cette 
nostre  Capitulation,  que  celle  qui  fut  donnée  et  accordée 
de  nostre  dei'unct  père  l'Empereur  Mahomet,  heureux 
en  sa  vie  et  martyre  en  sa  mort,  soit  in\iolablcnK'iit 
accordée,  et  de  bonne  foy. 


4iH     .MfMOIlM.   SI   R    I  'VMFÎ  ASSADK    DF.    TLRQIIF.. 

III.  Ont-  les  Vcniticns  cl  Anglais  en  la  leur,  les 
espagnols,  Portugais,  Catalans,  Ragousins,  Genevois, 
Napolitains,  Florentins,  cl  généralement  loulcs  autres 
nations,  telles  qu'elles  soient,  puissent  librement  venir 
tralicjuer  par  nos  pays  sous  l'advcu  et  scureté  de  la 
bannière  de  France,  laquelle  ils  porteront  comme 
leur  sauvegarde;  et,  de  cette  façon,  ils  pourront  aller  et 
\enir  trafiquer  par  les  lieux  de  nostre  Empire,  comme 
ils  y  sont  venus  d'ancienneté,  obéyssans  aux  Consuls 
François,  qui  demeurent  et  résident  en  nos  havres  et 
cstapes;  voulons  et  entendons  qu'en  usant  ainsi,  ils  puis- 
sent irafujue'r  a\ec  leuis  Aaisseaux  et  galions  sans  estre 
incjuietez,  seulement  tant  que  ledit  Empereur  de  France 
conservera  nostre  amitié,  et  ne  contreviendra  à  celle 
qu'il  nous  a  promise. 

IV.  Voulons  et  commandons  aussi  que  les  subjects 
dudii  Empereur  de  France  et  ceux  des  Princes  ses  amis 
alliez,  puissent  visiter  les  saincts  lieux  de  Hierusalem 
sans  qu'il  leur  soit  mis  ou  donné  aucun  empeschement, 
ny  faict  tort. 

V.  De  plus ,  pour  l'honneur  et  amitié  d'iceluy 
Empereur,  nous  voulons  que  les  Religieux  qui  demeu- 
rent en  Hierusalem  et  servent  l'Eglise  ^  de  Comame  y 
puissent  demeurer,  aller  et  venir  sans  aucun  trouble  et 
empêchement,  ains  soient  bien  receus,  protégez,  aydez, 
et  secourus  en  la  considération  susdite. 

I.  Kllissiaï  kyâmcli  ^  l'Eglise  de  la  Résurrection  ou  du 
Saint- Sépulcre.  Les  Turcs  ont  substitué  au  mot  Kyâmèh  (résur- 
rection) celui  de  koumàmèh  (ordures,  immondices"). 


APPENDICE.  419 

VI.  Derechef,  nous  voulons  et  commandons  que  les 
Vénitiens  et  Anglois  en  cela,  et  toutes  les  autres  nations 
aliénées  de  l'amitié  de  nostre  grande  Porte,  lesquelles 
n'y  tiennent  Ambassadeur,  voulans  traiiquer  par  nos 
pays,  ayent  à  y  venir  sous  la  bannière  et  protection  de 
France,  sans  que  l'Ambassadeur  d'Angleterre,  ou  autres 
ayent  à  les  empescher  sous  couleur  que  cette  capitula- 
tion a  esté  insérée  dans  les  capitulations  données  de  nos 
pères  après  avoir  esté  escrites. 

VII.  Ordonnons  et  voulons  que  tous  commandemens 
qui  se  sont  donnez  ou  qui  se  pourroient  donner  par 
mesgarde  contre  cet  article  susdit,  ne  soient  observez, 
ains  que  cette  capitulation  le  soit  inviolablement. 

VIII.  Qu'il  soit  permis  aux  marchans  François,  en 
considération  de  la  bonne  et  parfaite  amitié  que  leur 
Prince  conserve  avec  nostre  Porte,  d'enlever  des  cuirs, 
cordouans,  cires,  cottons,  cottons  filez,  jaçoit  (bien  que) 
qu'ils  soient  marchandise  prohibée  et  défendue  d'en- 
lever :  ratifians  la  permission  que  nostre  bisayeul  Sultan 
Selim  et  nostre  défunct  Père  Sultan  Mahomet  en  ont 
donné. 

IX.  Nous  voulons  aussi  que  ce  qui  est  porté  par 
cette  nostre  capitulation,  pour  la  seureté  des  François, 
soit  dit  et  entendu  en  faveur  dès  nations  estrangères  qui 
viennent  par  nos  pays,  estats  et  seigneuries  sous  la  ban- 
nière de  France,  laquelle  bannière  elles  porteront  et 
arboreront  pour  leur  seureté,  et  marque  de  leur  protec- 
tion, comme  dit  est  cy  dessus. 

X.  Que  les  monnoyes  qu'ils  apportent  par  les  lieux 


42()     .MF.  MDIIU,   SLH    [•AMmSS\OK   F)  I.  Tf  H  Q  U  I  F. 

de  noslrc  Empire,  ne  puissent  estre  prises  de  nos  thré- 
soriers,  sous  prétexte  et  couleur  de  les  \ouloir  con\ertir 
en  monnoye  ottliomane,  ny  moins  \oiilons  qu'il  s'en 
})uisse  prétendre  aucun  droict. 

XI.  Et  parce  qu'aucuns  subjecls  de  la  France  navi- 
gent  sur  vaisseaux  appartenans  à  nos  ennemis,  y  char- 
gent de  leurs  marchandises,  estans  rencontrez  sont  iaicts 
le  plus  souvent  eschucs  el  leur  marchandise  prise  : 
Nous  commandons  et  voulons  que,  d'icy  en  avant,  ils  ne 
puissent  de  semblable  fac-on  estre  pris,  ny  leurs  facultez 
confisquées,  s'ils  ne  sont  trouvez  sur  vaisseaux  de  course  : 
Voulons  et  commandons  que  ceux  qui  l'ont  esté,  soient 
faits  libres  et  leur  marchandise  restituée  sans  aucune 
réplique, 

XII.  Défendons  que  les  vaisseaux  François,  qui 
seront  rencontrez  chargez  de  victuailles  prises  es  pays 
et  seigneuries  de  nos  ennemis  puissent  estre  retenus  et 
confisquez,  ny  leurs  marchans  et  mariniers  faicts 
esclaves. 

XIII.  Défendons  qu'aux  François  qui  se  trouveront 
sur  ^  aisseaux  de  nos  subjects  pris,  portans  des  vivres  à 
nos  ennemis,  encores  que  nos  dits  subjects  et  vassaux  en 
soient  en  peine,  il  ne  leur  soit  ce  neantmoins  faict  et 
donne  aucune  fascheric,  ains  soient  relaschez  et  mis  en 
liberté,  sans  aucune  punition. 

XIV.  Détendons  que  les  vaisseaux  François,  mar- 
chans et  mariniers  qui  se  trouveront  chargez  de  blé 
acheté  de  nosdits  subjects,  puissent  estre  faicts  esclaves 
el  leurs  vaisseaux  confisquez,  encore  que  ce  soit  chose 


APPENDICE.  42T 

prohibée;  mais  bien  le  blé.  Voulons  et  comman- 
dons que  ceux  qui  se  trouveront  par  nostre  Empire 
esclaves  de  cette  façon  soient  faits  libres,  et  leurs 
vaisseaux  restituez. 

XV.  Que  les  marchandises  qui  seront  chargées  en 
nos  mers  sur  vaisseaux  François,  appartenans  aux  enne- 
mis de  nostre  Porte  ne  puissent  estre  prises  sous  couleur 
qu'elles  sont  de  nosdits  ennemis,  puis  qu'ainsi  est  nostre 
vouloir. 

XVI.  Que  les  marchandises  qui  seront  apportées 
des  marchans  François  en  nos  eschelles,  havres  et  ports, 
ou  celles  qu'ils  auront  enlevées  d'iceux,  ne  puissent 
payer  autre  commerce,  ny  estre  estimées  à  plus  haut 
prix  que'Celuy  de  Tancienne  coustume. 

XVII.  Nous  voulons  et  commandons  que  les  mar- 
chans François  et  leurs  vaisseaux  qui  viennent  par  nos 
ports  et  havres,  ne  soient  obligez  de  payer  autre  droict 
que  celuy  des  marchandises  qu'ils  débarqueront,  et 
puissent  les  aller  vendre  en  quelle  eschelle  qu'ils  vou- 
dront et  où  bon  leur  semblera,  sans  aucun  empesche- 
ment. 

XVIII.  Que  lesdits  François  soient  exempts  de 
l'imposition  de  l'ayde  des  chairs. 

XIX.  Qu'ils  ne  soient  recherchez  de  payer  celui  des 
cuirs. 

XX.  Ny  aussi  celuy  des  buffles. 

XXI.  Qu'ils  soient  aussi  exempts  de  payer  aucune 
chose  aux  gardes  de  nos  ports  et  péages. 

XXII.  Qu  à  la  sortie  de  leurs  vaisseaux  ils  ne  puis- 


422      Ml. MO  lin,    SLK    l'AMinSSADI     l)K   TLROLIK. 

sent   cstrc  lorccz  ck-  payer  plus  âv   trois  csciis  sous  le 
nom  de  bon  cl  liein\ux  voyage. 

XXIII.  Et  d'autant  rpie  les  coursaires  de  Barbarie 
allans  par  les  ports  et  ha\res  de  la  France,  sont  cares- 
sez, secourus  et  aydez  à  leur  besoin,  comme  de  poudre, 
plomb,  et  autres  choses  nécessaires  à  leur  navigation;  et 
que,  neantmoins,  ils  ne  laissent,  trouvans  les  vaisseaux 
François  à  leur  avantage,  de  les  piller  et  saccager,  en 
faisant  les  personnes  esclaves  contre  nostre  vouloir  et 
celuy  du  defunct  Empereur  Mahomet,  nostre  Père, 
lequel  pour  faire  cesser  les  violences  et  prédations,  avoit 
diverses  fois  envoyé  ses  puissances,  ordres,  et  comman- 
demens,  et  commandé  par  iceux  de  mettre  en  liberté 
les  François  détenus  et  restituer  leurs  facuHez,  sans 
que  pour  cela  ils  ayent  discontinué  leurs  actes  d'hosti- 
lité :  Nous,  pour  y  remédier,  voulons  et  commandons 
avec  cette  nostre  Capitulation  Impériale,  que  les  Fran- 
çois pris  contre  la  foy  publique,  soient  faits  libres  et 
leurs  facultez  restituées.  Desclarons,  qu'en  cas  que  Ics- 
dits  coursaires  continuent  leurs  brigandages,  qu'au  pre- 
mier ressentiment  qui  nous  en  sera  faict  de  l'Empereur 
de  France,  les  vice-Roys  et  Gouverneurs  du  pays  de 
l'obéyssance  desquels  les  voleurs  et  coursaires  dépen- 
dront, seront  obligez  de  payer  les  dommages  et  pertes 
qu'auront  faict  les  François  et  seront  pri\ez  de  leurs 
charges,  promettant  de  donner  croyance  et  adjouster 
foy  aux  lettres  qui  nous  en  seront  envoyées  dudit 
Empereur. 

XXIV.  Nous   nous   contentons    aussi ,  si  les    cour- 


APPENDICE.  423 

saires  d'Alger  et  Thunis  n'observent  ce  qui  est  porté  par 
cette  nostre  Capitulation,  que  l'Empereur  de  France  les 
face  courir  pour  les  chastier  et  les  pri\e  de  ses  ports. 
Déclarons  de  n'abandonner  pour  cela  l'amitié  qui  est 
entre  nos-Majestez  Impériales  :  Approuvons  et  contir- 
mons  les  commandemens  qui  en  ont  esté  donnez  de 
nostre  défunct  Père  à  ce  sujet. 

XXV.  Voulons  et  commandons  que  les  François 
nommez  et  advouëz  de  leur  Prince  puissent  venir  pes- 
clier  du  corail  et  poisson  au  golplie  de  Stora  Courcouri 
dépendant  d'Alger,  et  par  tous  les  autres  lieux  de  nos 
costes  de  Barbarie,  et  en  particulier  sur  les  lieux  de  la 
juridiction  de  nos  Royaumes  d'Alger  et  de  Thunis,  sans 
qu'il  leur  soit  donné  aucun  trouble  et  empeschement, 
coniirmans  tous  les  commandemens  qui  en  ont  esté 
donnez  de  nos  Ayeuls,  et  singulièrement  de  nostre 
defunct  père  pour  cette  pescheric,  sans  estre  assubjectis 
à  aucune  cognoissance  que  celle  qui  est  iaitte  d'an- 
cienneté. 

XXVI.  Que  les  interprètes  qui  servent  les  Ambas- 
sadeurs diceluy  Empereur  soient  libres  de  payer  tailles, 
aydes  des  chairs,  et  toutes  autres  sortes  de  droicts  quels 
qu'ils  soient. 

XXVII.  Que  les  marchans  François  et  ceux  qui 
trafiquent  sous  leur  bannière,  ayent  à  payer  les  droicts 
de  l'Ambassadeur  et  Consuls  sans  aucune  difficulté. 

XXVIII.  Que  nos  sul:)jecls  qui  tratiqueni  es  lieux 
de  nos  ennemis  soient  ol)ligez  de  payer  les  droicts 
de    l'Ambassadeur   et    Consuls    François    sans    contra- 


424     M  f:  M  O  I  H  K    SLK    I     \  M  li  \  ss  \  I)  i:    I)  K    PL  H  (^)  L' I  K 

tliciioii  jac'oii  qu'ils  lr;i.ll'|urnl  a\cc  kiirs  vaisseaux   ou 
autrement. 

XXIX.  Que  survenant  quelque  meurtre  ou  autre 
inconvénient  des  marchans  Franç^ois  et  négocians,  les 
Aml)assadeurs  et  Consuls  d'icelle  nation  puissent  selon 
leurs  loix  et  coustumes  en  faire  justice,  sans  qu'aucuns 
de  nos  Ollkiers  en  prennent  cognoissance  et  s'en 
empeschent. 

XXX.  Que  les  Consuls  François  qui  sont  establis 
par  les  lieux  de  nostre  Empire  pour  prendre  soin  du 
repos  et  seuretc  d'iceux  tratiquans,  ne  puissent,  pour 
quelque  raison  que  ce  soit,  estre  faits  prisonniers  ny 
leurs  maisons  serrées  et  huilées  :  ains,  commandons 
que  ceux  qui  auront  prétension  conlr'eux  soient  ren- 
voyez à  nostre  Porte,  où  il  leur  sera  faict  justice. 

XXXI.  Que  les  commandemens  qui  sont  donnez  ou 
pourront  estre  donnez  contre  celte  nostre  promesse  et  capi- 
tulation, ne  soient  valables  ni  observez  en  aucune  façon. 

XXXII.  Et  pour  autant  qu'iceluy  Empereur  de 
France,  est  de  tous  les  Roys  le  plus  noble  et  de  la  plus 
haute  famille,  et  le  plus  parfait  amy  que  nos  Ayeuls 
ayent  acquis  entre  lesdits  Roys  et  Princes  de  la  créance 
de  Jesus-Christ,  comme  il  nous  a  témoigne  par  les 
effets  de  sa  saincte  amitié  :  sous  ces  considérations,  nous 
voulons  et  commandons  que  ses  Ambassadeurs  qui 
résident  à  nostre  heureuse  Porte  ayent  la  préséance  sur 
l'Ambassadeur  d'Espagne  et  sur  ceux  des  Roys  et 
Princes,  soit  en  nostre  Di\an  ])ublic  ou  autres  lieux  où 
ils  se  pourront  rencontrer. 


APPENDICE.  425 

XXXIII.  Que  les  étoffes  que  les  Ambassadeurs 
d'iceluy  Empereur  résidans  en  nostre  Porte  feront 
venir  pour  leur  usage  à  présent,  ne  soient  obligées  de 
payer  aucuns  droicts  de  commerce. 

XXXIV.  Que  lesdits  Ambassadeurs  ne  payent 
aucuns  droicts  de  leurs  victuailles,  soit  pour  leur  boire, 
soit  pour  leur  manger. 

XXXV.  Que  les  Consuls  François  jouissent  de  ces 
mesmes  privilèges  où  ils  résideront,  et  qu'il  leur  soit 
donné  la  mesme  préséance  sur  tous  les  autres  consuls  de 
quelque  nation  qu'ils  soient. 

XXXVI.  Que  les  François  qui  viennent  avec  leurs 
vaisseaux  et  marchandises  par  les  échelles,  havres  et 
ports  de  nos  seigneuries  et  pays,  y  puissent  venir  seure- 
ment  sur  la  foy  publique,  et,  en  cas  que  la  fortune  et 
orage  jettat  aucuns  de  leurs  vaisseaux  aux  lieux  cir- 
convoisins,  Nous  commandons  très-expressément  aux 
capitaines  d'iceux  de  les  secourir,  portans  honneur  et 
respect  aux  Patrons  et  Capitaines  d'iceux  vaisseaux 
François,  les  faisans  pourvoir  avec  leur  argent  de  ce  qui 
leur  sera  nécessaire  pour  leur  vie  et  besoin. 

XXXVII.  Et  en  cas  qu'aucuns  desdits  vaisseaux  fa- 
cent  naufrage.  Nous  voulons  que  tout  ce  qui  se  retrou- 
vera, soit  remis  au  pouvoir  des  marchans  à  qui  les 
facultez  appartiendront,  sans  que  nos  Vice-Roys,  Gou- 
verneurs, Juges  et  autres  Officiers  y  contrarient  :  ains 
roulons  qu'ils  les  secourent  à  leur  besoin,  leur  permet- 
tant qu'ils  puissent  aller,  venir,  retourner  et  séjourner 
par    tout    nostre  Empire,   sans    qu'il    leur   soit    donné 


426     MKMOFIU-:    SU»    F'A  M  B  A  SS  \  I)  I.    131.   TUROLIK. 

aucun  c'in|")csclu'i"n{nt,  s'ils  ne  commellcnl  cliosc  contre 
riionncstttc  et  la  Toy  publique. 

XXXVIII.  Nous  ordonnons  et  commandons  aussi 
aux  Capitaines  de  nos  mers,  et  leurs  Lieutenans,  et  à 
tous  ceux  qui  dépendent  de  nostrc  obcyssancc,  de  ne 
violenter,  ny  par  mer,  ny  par  terre  les  dits  marchans 
François,  ny  moins  les  cstrangers  qui  viennent  sur  la 
seurelé  de  leur  bannière  :  voulons  toutesfois  qu'ils 
ayent  à  payer  les  droicts  ordinaires  de  nos  échelles. 

XXXIX.  Qu'iccux  marchans  ne  puissent  cstre  con- 
traincts  d'acheter  autres  marchandises  que  celles  qu'ils 
voudront  et  leur  seront  duisibles. 

XL.  En  cas  qu'aucun  d'eux  se  trouve  redevable,  la 
debte  ne  puisse  estrc  demandée  qu'au  redevable  ou  à 
celuy  qui  se  sera  rendu  pleige  pour  luy. 

XLI.  Et  en  cas  qu'aucun  d'iceux  marchans  ou 
autres  d'icelle  nation  meurent  par  nos  pays,  que  les 
facultez  qui  leur  seront  trouvées,  soient  remises  au 
pouvoir  de  celuy  qu'il  aura  nommé  pour  exécuteur  de 
son  testament,  pour  en  tenir  compte  à  ses  héritiers  : 
mais  s'il  arrive  qu'il  meure  sans  tester,  que  les  Ambas- 
sadeurs ou  Consuls  qui  seront  par  nos  échelles,  se  sai- 
sissent de  leurs  facultez  pour  les  envoyer  aux  héritiers , 
comme  il  est  raisonnable,  sans  que  nos  Gouverneurs , 
Juges  et  autres  qui  dépendent  de  nostre  obeyssance, 
puissent  s'en  empêcher. 

XLII.  Que  les  François,  Consuls,  ou  interprètes,  ou 
ceux  des  lieux  qui  dépendent  d'eux,  ayent  en  leurs 
ventes,  achapts,  pleigeries,  et   tous  autres  points,  d  en 


APPENDICE.  427 

passer  acte  devant  le  Juge  ou  Cadi  des  lieux  où  ils  se 
trouveront,  au  défaut  de  quoy,  Nous  voulons  et  com- 
mandons que  ceux  qui  auront  quelque  prétension  con- 
tr'eux,  ne  soient  escoutez  ni  receus  en  leurs  demandes, 
s'ils  ne  font  apparoir  par  contract  public  leur  prétension 
et  droict.  Voulons  que  les  tesmoins  qui  seront  produicts 
contr'eux  et  à  leur  dommage,  ne  soient  receus  et  escou- 
tez que  premièrement  ils  n'ayent  suivy  acte  public  de 
leurs  ventes,  achapts,  ou  pleigeries. 

XLIII.  Qu'estant  dressée  quelque  embuscade  contre 
les  marchans  ou  autres  d'iceîle  nation,  les  accusans 
d'injurié  ou  blasphème  contre  nostre  saincte  Religion 
produisant  de  faux  tesmoins  pour  les  travailler,  nous 
ordonnons,  qu'en  semblables  occasions,  nos  Gouver- 
neurs et  Juges  ayent  à  se  porter  prudemment,  empes- 
chans  que  les  choses  ne  passent  plus  avant,  et  qu'iceux 
François  ne  soient  aucunement  molestez. 

XLIV,  Si  aucun  d'eux  se  trouve  redevable,  ou  ayant 
commis  quelque  mauvais  acte,  s'absente  et  fuit,  nous 
voulons  et  commandons  que  les  autres  dicelle  nation 
ne  puissent  estre  responsables  pour  luy,  s'ils  ne  sont 
obligez  par  contract  public. 

XLV.  Que  se  trouvant  par  nostre  Empire  des 
esclaves  François  recogneus  pour  tels  des  Ambassadeurs 
et  Consuls,  ceux  au  pouvoir  desquels  ils  se  trouveront, 
faisans  refus  de  les  délivrer  soient  obligez  de  les  enme- 
ner,  pu  les  envoyer  à  nostre  Porte,  atin  qu'il  soit  faict 
justice  à  qui  il  ap})artiendra. 

XLVI.   Qu'à    aucun  changement  et  establissement 


42S     M  F.  M  f  )  I  n  l.   SIW    r  \  M  IM  S  S  W  )  I .    I)  I .   T  U  R  Q  U  I  K. 

des  Consuls  François  en  nos  cschcUcs  d'Alexandrie,  de 
Tripoli  de  Syrie,  d'Alger  et  autres  pays  de  nostre  obeys- 
sancc ,  nos  Gouverneurs  et  autr.'S  ne  s'y  puissent 
opposer. 

Xl.VII.  Si  aucun  de  nos  subjccts  a  différent  avec 
un  François,  la  justice  ayant  deu  prendre  cognoissance. 
Nous  voulons  que  le  Juge  ne  puisse  escouterla  demande 
(|u'un  interprète  de  la  nation  ne  soit  présent  :  et,  si  pf)ur 
lors,  il  ne  se  trouve  aucun  interprète  pour  cognoistre  et 
défendre  la  cause  du  François,  que  le  juge  remette  la 
cause  à  un  autre  temps,  jusques  à  ce  que  l'interprète  se 
trouve  :  toutesfois  qu'iceluy  François  soit  obligé  de 
trouver  l'interprète,  afin  que  l'eflecl  de  la  justice  ne  soit 
différé. 

XLVIIl.  S'il  naist  quelque  dispute  ou  différent 
entre  deux  François,  que  l'Ambassadeur  ou  les  Consuls 
ayent  de  terminer  ledit  différent  sans  que  nos  officiers 
s'en  empêchent. 

XLIX.  Que  les  vaisseaux  François  qui  auront  faict 
leur  charge  à  Constantinople,  ne  soient  recherchez  en 
autre  part,  qu'au  sortir  qu'ils  feront  des  Dardanelles  : 
défendons  qu'ils  ne  soient  forcez  de  le  faire  à  Gallipoli, 
comme  ils  ont  été  recherchez  par  le  passé. 

L.  Que  les  galères,  vaisseaux,  et  armées  navales 
appartenans  à  nostre  Hautesse  se  rencontrans  avec  ceux 
de  France,  que  les  capitaines  d'une  part  et  d'autre, 
ayent  de  s'aider  et  servir  sans  se  procurer  les  uns  les 
autres  aucun  dommage. 

LI.    Que    tout    ce  qui   est  porté  par   les   capitula- 


APPENDICE.  429 

tions  accordées  aux  Vénitiens  soit  valable  et  accordé 
aux  François. 

LU.  Que  les  marclians  François,  leurs  facultez  et 
vaisseaux  \enans  pariny  nos  mers  et  terres  de  nostre 
Empire,  y  soient  en  toute  seureté,  protégez,  défendus  et 
caressez,  conforme  au  devoir  qui  se  doit  à  la  foy 
publique.  Ordonnons  qu'ils  puissent  y  venir,  aller, 
retourner  et  séjourner  sans  aucune  contrainte,  et  si 
quelqu'un  est  volé,  qu'il  se  face  une  recherche  très 
exacte  pour  le  recouvrement  de  sa  perte  et  du  chasti- 
ment  de  celuy  qui  aura  commis  le  méfait. 

LUI.  Que  les  zA.dmiraux  de  nos  armées  navales,  nos 
Vice-Roys,  Gouverneurs  de  nos  provinces.  Juges,  Capi- 
taines, Chastelains,  Daciers  et  autres  qui  dépendent  de 
nostre  obeyssance,  ayent  de  se  rendre  soigneux  d'obser- 
ver ce  mesme  traitté  de  paix  et  capitulation,  puis- 
qu'ainsi  est  nostre  plaisir  et  commandement. 

LIV.  Déclarons  que  ceux  qui  contreviendront  et 
contrarieront  à  cettuy-ci  nostre  vouloir,  seront  tenus 
pour  rebelles,  desobeyssans,  et  perturbateurs  du  repos 
public,  et  pour  ce  condamnez  à  un  grief  chastiment, 
estans  appréhendez  sans  aucun  delay,  qu'ils  servent 
d'exemple  à  ceux  qui  auront  en\  ic  de  les  imiter  à  mal 
faire.  Et  outre  la  promesse  que  nous  faisons  de  cette 
nostre  capitulation,  nous  entendons  que  celles  qui  ont 
esté  données  de  nostre  bisayeul  Sultan  Solyman  et  con- 
seculi\'ement  celles  qui  ont  esté  en\oyces  de  temps  en 
temps  de  nos  Ayeuls  et  Percs  (à  qui  Dieu  face  miséri- 
corde; soient  observées  de  bonne  foy. 


4^o     M  r-.MOlKK    SI  H    l'\Mli\SS\I)l      I)  I .   TU  II  g  T  i  K. 

LV.  Nous  promettons  et  jurons  par  la  vcritc  du 
grand  Tout-puissant  Dieu,  Créateur  du  ciel  et  de  la 
terre,  et  par  l'àme  de  mes  Ayeuls  et  Bisayeuls,  de  ne 
contrarier,  ni  contrevenir  à  ce  qui  est  porté  par  ce 
Traittc  de  paix  et  Capitulation,  tant  que  l'Rmpereurdc 
France  sera  constant  et  ferme  en  la  considération  de 
nostre  amitié,  acceptant  des  à  présent  la  sienne,  avec 
volonté  d'en  faire  cas  et  de  la  chérir,  car  ainsi  est 
nostre  intenlion  et  promesse  impériale. 

Escript  environ  le  20  may  1604.  *• 


XL 

Notes  sur  quelques  articles 

DU     PRECEDENT    TrAICTE. 

Povr  plus  grande  intelligence  delà  capitulation  qu'a 
le  Roy  auec  le  Grand  Seigneur ,  il  est  nécessaire  de 
sçauoir  les  causes  qui  m'ont  obligé  d'y  faire  adjouster 

I.  Ces  capitulations  ont  été  publiées  en  16 15  à  Paris,  en  turc 
et  en  français  (Articles  du  traicté  faict  en  iGo^entre  Henri  le  Gr^nd. . . 
et  Sultan  Amat...  pur  l'entremise  de  messire  François  Savary,  Sei- 
gneur de  Breues.  De  l'imprimerie  des  langues  orientales,  arah'ique^ 
turquesque.  etc.^  par  E.  Paulin).  Le  texte  français  a  été  donné  par 
Faret,  à  la  suite  de  l'Histoire  de  Georges  Cas tr lot.  par  J.  de  Lavar- 
din  (Paris,  1621),  et  se  trouve  encore  dans  la  Relation  des  Voyages 
de  M.  de  Brèves  (Paris,  1630).  Nous  avons  suivi  le  texte  de  Faret, 
en  le  complétant  en  quelques  endroits  d'après  l'édition  de  1615. 


APPENDICE.  431 

tout  plein  de  nouueaux  articles,  lorsque  ie  la  fis  re- 
nouueller,  qui  a  esté  durant  les  règnes  des  Empereurs 
Amurat,  Mehemet,  et  Amat. 

Du  viuant  du  feu  Roy  Henry  troisiesme,les  Anglais 
n'auoient  seureté  en  leur  commerce  dans  le  pays  du 
Turc,  que  celuy  que  la  bannière  et  protection  du  Roy 
leur  donnoit.  Ils  voulurent  agir  d'eux  mesme,  et  ne 
plus  auoir  ceste  obligation  à  la  France  :  ils  suppliè- 
rent le  sultan  Amurat,  qui  regnoit  pour  lors,  d'agréer 
que  leur  Roy  tint  à  sa  Porte,  vn  Ambassadeur  ordinaire, 
luy  iigurant  vn  grand  auantage  de  leur  trafic,  et  vne 
gloire  de  leur  soumission.  L'Ambassadeur  du  Roy,  qui 
y  estoit  pour  lors,  nommé  le  sieur  de  Germiny,  n"eut 
pas  assez  d'industrie,  pour  empescher  et  rompre  ce 
coup  :  ainsi  l'amitié  desdits  Anglois  fut  acceptée,  et 
leur  ambassadeur  introduit.  Ils  se  sont  conseruez  cest 
auantage,  jusques  à  présent;  et  depuis  s'estre  establis, 
ont  soigneusement  cherché  les  moyens  de  raualler 
l'honneur  de  la  bannière  Françoise,  faisant  aggréer  au 
Grand  Seigneur;  que  les  nations  estrangeres  qui  n'ont 
point  d'Ambassadeur  à  sa  Porte,  et  qui  ont  liberté  de 
traffiqiier  par  ses  pays,  sous  l'estendart  de  France, 
peussent  y  venir  sous  la  bannière  angloise,  et  leur  fust 
loisible  de  recourir  à  leur  protection.  Cette  grâce  leur 
fut  accordée,  au  preiudice  des  traitez  qu'a  la  France 
auec  eux.  De  mon  temps,  par  le  moyen  de  lintelli- 
gence  que  j'auois  avec  les  principaux  ministres  du 
Grand  Seigneur,  ie  fis  révoquer  tout  ce  qui  auoit  esté 
concédé  contre  l'honneur  de  nostre  estendart,  comme 


4^2    Mr,.NH)iin.  SIR  l 'A.MnASS  \j)i;  ni.   riHonr. 

il  se  verra  par   ks  .j..   5.^1  6.  articles   de    la  capitula- 
tion. 

Les  Religieux  qui  demeurent  à  la  garde  du  sainct 
Sepulchre,  et  les  Pèlerins  qui  le  vont  visiter,  estoient 
molestez  par  les  luges  et  Gouucrncurs  de  Icrusalem, 
pour  en  profiter  :  iay  fait  insérer  dans  les  Traictez  et 
Capitulations  cy-dessus,  article  5.  qu'ils  ne  le  seront 
plus  à  l'auenir,  mais  bien  receus  et  protégez  par  les 
luges  et  Gouuerneurs. 

Il  est  défendu  aux  marchands  qui  trariquent  par  les 
pays  de  ce  grand  Prince,  de  ne  charger  sur  leurs 
vaisseaux,  ny  cuirs,  ny  cires,  ny  cordouans,  ny 
cottons  liiez,  pour  ne  causer  disette  ,  ny  cherté  en 
yceux.  Nonobstant  cesle  défense,  i'ay  fait  insérer  dans 
nos  dites  capitulations,  article  8.  qu'il  leur  sera  per- 
mis d'en  achepter  et  cnleuer,  en  considération  de  lan- 
cienne  amitié  de  leur  Prince.  Geste  grâce  cause  vn  no- 
table auantage  aux  traiiquans,  pour  l'utilité  qu'ils  en 
peuuent  retirer. 

Anciennement  les  marchands  François  qui  alloient 
trafiquer  par  les  pays  du  Leuant,  au  lieu  d'y  porter  de 
l'argent  monnoyé,  ils  y  conduisoient  des  draps  et  autres 
sortes  de  marchandises,  et  payoient  cinq  pour  cent,  de 
ce  qu'ils  y  apportoient  et  vendoient  :  Pour  s'exempter, 
tant  de  ce  droit,  que  pour  l'avantage  qu'ils  trouuentsur 
le  prix  de  leurs  monnoyes,  qui  est  grand,  que  pour 
n'estre  sujets  à  vne  longue  demeure  pour  vendre  leurs 
marchandises,  ils  n'y  en  apportent  plus,  et  font  entiè- 
rement leur  négoce  auec  de  l'argent  comptant.  Les  fer- 


I 


APPENDICE.  433 

miers  des  haures  du  Grand  Seigneur  se  trouuans  lezez, 
les  ont  assujettis  d'en  payer  vn  certain  droit.  D  autre 
part,  les  officiers  des  monnoyes  auoient  pris  vn  vsage, 
de  conuertir  au  coin  et  marque  de  leur  Prince,  celles 
qu'apportoient  lesdils  marchands,  lesquels  pour  se 
redimer,  s'estoient  soumis  à  en  payer  quelque  droit. 
Pour  empescher  ce  désordre  et  dommage,  j'ay  fait  or- 
donner et  commander  par  la  susdicte  capitulation,  ar- 
ticle 9,  que  les  sujets  de  la  France,  qui  apporteront  de 
la  monnoye  par  lesdils  pays,  ne  seront  obligez  d'en 
payer  aucun  droict  :  ce  qui  a  esté  obserué  durant 
le  séjour  que  j'ay  fait  en  Leuant. 

Et  parce  qu'il  arriue  que  quelques  sujets  du  Roy, 
par  commodité  de  passage,  s'embarquent  sur  des  vais- 
seaux qui  appartiennent  aux  ennemis  du  Grand  Sei- 
gneur, qui  par  rencontre  sont  pris  par  les  Turcs,  jay 
fait  ordonner  par  la  capitulation,  article  10,  qu'ils  ne 
le  soient  pour  laduenir,  ny  leurs  marchandises  rete- 
niies,  et  que  s'il  s'en  trouve  de  ceste  façon  faits  esclaues, 
qu'ils  soient  faits  libres. 

En  la  coste  de  Prouence,  il  y  a  vn  nombre  intiny  de 
vaisseaux,  ceux  qui  en  sont  propriétaires  les  loiient  à 
tant  le  mois,  ou  à  tant  pour  voyage;  ainsi  ils  sont  gui- 
dez çà  et  là.  Les  Espagnols,  Gcneuois,  Napolitains,  et 
Siciliens,  s'en  seruent  ordinairement  pour  le  port  de 
leurs  bleds,  vins,  et  autres  victuailles  :  s'ils  sont  ren- 
contrez des  galères  du  Turc,  il  sont  pris  et  sont  faits 
esclaues  :  J'ay  fait  déclarer  par  nos  Traittez,  que  dé- 
sormais il   ne  sera  licite  de  les  inquiéter  en  leur  trafic; 

28 


4}4     MIMCnin;   SIR    I '\MI}  ASSADI,    I)J,   TLHgUIf.. 

Cl  coiniîuiiKicr,  s'il  s'en    trouuc  d'csclaiics  de  ceslc  fa- 
çon, (ju'ils  soient  mis  vn  libcrtii. 

Il  se  trouuc  des  iiiariiiiers  François  vagabonds,  qui 
se  donnent  au  jireniier  capitaine  de  vaisseau  qui  s'en 
veut  scruir,  ou  se  louent  a  des  Grecs,  sujects  du  Grand 
Seigneur,  pour  l'auantage  quils  ont  à  transporter  les 
bleds  hors  des  pays  de  l'obeïssancc  de  leur  Prince,  pour 
en  faire  tratîc  aux  lieux  et  terres  de  ses  aduersaires  :  il 
arriuc  qu'ils  sont  reneonlrez  par  les  galères  qui  seruent 
pour  la  garde  des  mers  de  sa  Hautcsse,  sont  pris  el 
chastiez,  et  leurs  vaisseaux  et  ce  qui  est  dedans,  appli- 
qués au  bénéfice  du  Prince.  Et  par  ce  que  cest  vsagc 
est  dommageable  aux  sujects  du  Roy,  de  ceste  condition  : 
l'ay  fait  ordonner,  article  13  de  ceste  capitulation, 
qu'ils  ne  seront  faits  esclaues,  attendu  que  ce  sont 
panures  gens,  qui  gaignent  leur  \ie  de  ceste  façon,  ou 
qui  sont  passagers  sur  ces  vaisseaux. 

Il  arriue  aussi  que  les  marchands  François  (conuiez 
par  ce  mesme  interesl)  font  charger  leurs  vaisseaux  de 
bled,  pour  le  porter  à  Gennes,  ou  à  Majorque,  où  or- 
dinairement il  est  cher  :  pour  cest  effet,  ils  s'accordent 
auec  des  Grecs,  et  mesmcs  auec  des  Turcs,  qui  leur 
vendent  ce  qu'ils  en  ont  pour  porter  en  Constantinople. 
ou  autre  lieu  de  l'obéissance  de  l'Empire  Ottoman  ;  et 
lors  qu'ils  sont  trouuez  dans  les  pays  du  Grand  Sei- 
gneur, ainsi  chargez  de  bled,  ils  sont  faits  esclaues,  et 
leurs  vaisseaux  confisquez,  coinme  contreuenans  aux 
reiglements  faits  pour  ce  regard.  Pour  àquoy  remédier, 
j'ay  fait  mettre  en  la  susdite  capitulation,  article  14.  que 


APPENDICE.  435 

ceux  qui  ont  este  pris  de  ceste  façon,  seront  deliurez,  et 
que  par  cy  après,  ceux  qui  seront  trouuez  en  semblable 
delict,  ne  seront  inquiétez  en  leurs  personnes,  ny  leurs 
vaisseaux  confisquez;  mais  bien  le  bled  qui  se  trou- 
uera  sur  iceux,  aiin  que  cela  les  oblige  à  s'en  abstenir. 

Les  Corsaires  de  Barbarie  ont  accoustumé  de  con- 
traindre les  capitaines  des  vaisseaux  François  qu'ils 
rencontrent  en  mer,  d'auoUer  que  les  marchandises 
dont  leurs  vaisseaux  sont  chargez,  sont  et  appar- 
tiennent à  leurs  ennemis  :  iay  aussi  fait  insérer  dans 
le  Traicté,  article  15,  qu'encores  qu'il  fust  véritable 
que  les  dictes  marchandises  qui  se  trouveront,  comme 
dit  est,  dans  les  vaisseaux  François,  fussent  et  appar- 
tinsent  aux  ennemis  du  Grand  Seigneur,  que  nonobstant 
il  veut  et  commande  qu'elles  ne  puissent  estre  prises. 
Ce  point  est  de  très-grande  conséquence,  pourueu  que 
les  Ambassadeurs  du  Roy,  qui  résident  en  Constan- 
tinople,  le  facent  religieusement  obseruer  :  car  sous  ce 
prétexte,  il  n'y  a  année  que  le  négoce  de  Prouence  ne 
perde  cinq  ou  six  cens  mil  escus. 

Le  Grand  Seigneur  a  d'ordinaire  pour  sa  garde, 
quarante  mil  Janissaires,  ausquels  il  est  obligé  de  faire 
donner  la  liure  de  chair  à  vn  pris  bas  ;  et  par  ce  qu'à 
la  grande  quantité  qu'il  en  faut  à  ce  nombre  d'hommes, 
ceux  qui  ont  le  manimcnt  de  ses  finances,  pour  eni- 
pescher  que  ceste  perte  ne  les  incommode,  ils  la  l'ont 
supporter  aux  trafiquans  :  (ils  nomment  cesl  impost, 
l'aide  des  cjiairs).  Pour  en  exempter  les  sujects  du 
Roy,  i'ay  aussi  fait  insérer  dans  le  Traicté,  article  dix- 


43^)  Ml  M()  lin.    SUK    I     \MIJ\sSAI)l.    1)1,    TLHnilK. 

Iiiiict,  (|u'ilb  en  seront   e.vcnipts,  et    ncii  jxiycront  ncn. 

Jl  y  a  aussi  trois  autres  imposts,  nomme/.  Reft,  Bascli. 
et  Siilaniellic,  cjui  se  paseiil  p;ir  les  nureliands  (jui  \eu- 
Iciit  enlever  des  cuirs  de  bulles,  des  cottons  liiez,  des 
cuirs  et  autres  marchandises  semblables,  qui  sont  dc- 
lendues  par  l'article  dix-huict  :  i'ay  fait  exempter  de 
cest  impost  les  sujects  de  sa  Majesté  qui  tratîqucnl  de 
ces  marchandises. 

Les  marchands  qui  tratiquent  par  les  haurcs,  villes 
et  ports  des  pays  (.\u  Grand  Seigneur,  ayant  fait  leurs 
achapts  et  charge  leurs  marchandises,  comme  ils  sont 
sur  les  termes  de  faire  voile,  et  payé  les  droicts  du 
Grand  Seigneur,  les  officiers  de  ses  doiiannes  les  ran- 
çonnent de  deux  ou  trois  cens  cscus,  sous  le  nom  de  bon 
voyage  :  i'ay  remédié  à  ce  desordre  par  ce  mesmc 
article  i8.  ayant  fait  ordonner  qu'ils  ne  se  pren- 
dra, sous  ce  prétexte,  que  trois  escus  de  chacun 
vaisseau. 

Les  Corsaires  de  Barbarie  n'obscruent  les  Traictez  et 
Capitulations,  qu'entant  qu'il  leur  plaist  .  I'ay  taict 
consentir  le  Grand  Seigneur,  qu'il  sera  licite  au  Roy  de 
les  priuer  du  bénéfice  de  ses  ports,  et  leur  faire  courir 
sus,  comme  contre  des  perturbateurs  du  repos  public. 
El  par  ce  qu'après  qu'iccux  Corsaires  ont  volé  le 
sujects  de  la  France  ;  comme  l'Ambassadeur  du  Roy 
en  faict  des  plainctes  et  en  demande  raison  ,  l'on  le 
renuoye  à  la  luslice,  laquelle  ne  peut  condamner  les 
malfaicteurs,  s'il  n'y  a  des  preuues  tres-fbrtes ,  le  té- 
moignage   des    chrestiens  n'est   pas   valable  contre   les 


APPENDICE.  437 

Mahometans,  qui  ne  se  veulent  accuser  les  vns  les 
autres  ;  ainsi  l'on  ne  peut  auoir  raison  du  mal-faict. 
Pour  à  quoy  remédier,  i'ay  faict  insérer  dans  la  dicte 
capitulation,  article  19,  que  les  plainctes  qui  seront 
faittes  au  nom  du  Roy,  authorisées  de  ses  lettres 
Royales,  suffiront,  et  y  sera  adjousté  foy  :  et  que  les 
Viceroys  des  lieux  d'où  les  Corsaires  seront  partis , 
demeureront  responsables  en  leur  propre  et  priué  nom, 
de  tous  les  dommages  et  priuez  de  leurs  charges,  pour 
seruir  d'exemple  aux  desobeissans. 

Les  Sujects  du  Roy  font  vn  notable  profit  à  la  pesche 
du  corail,  en  la  coste  de  Barbarie  :  ie  leur  ay  fait  per- 
mettre par  la  dite  Capitulation,  article  21.  qu'ils  y 
puissent  continuer  ladite  pesche,  mesmement  en  vn 
golfe  nommé  Stora  Courcouri. 

Et  par  ce  qu'il  peut  arriver  entre  les  marchands,  des 
querelles  et  des  meurtres,  i'ay  fait  ordonner  par  l'ar- 
ticle vingt- quatriesme  que  la  Justice  du  Grand  Seigneur 
n'en  prendra  point  de  cognoissance,  et  que  le  iugement 
et  punition  sera  remis  à  l'Ambassadeur  du  Roy,  ou  à 
ses  Consuls,  pour  en  vser  selon  leurs  loix. 

En  considération  du  mauuais  traittement  que  les 
Consuls  François  qui  résident  par  It  haures  et  ports 
du  Grand  Seigneur,  reçoiuent  soiiuent  des  Gou\er- 
neurs  des  lieux  de  leur  demeure,  i'ay  creu  à  propos  de 
faire  éuoquer  toutes  leurs  causes,  deuant  le  tribunal 
de  iusticc  ordinaire  du  Grand  Seigneur,  qui  se  tient 
dans  son  Palais,  par  les  luges  et  Presidens  de  sa  milice, 
en  présence  de  son  premier  Bassa  et  de  l'Ambassadeur 


43»     MfMOIKK   SL'K    l'AMFMSSADK    DK   TURgLIK. 

du  Roy  :  CM  ccstc  coiisidcratioii,  ceux  qui  les  veulent 
molester,  s'en  retiennent. 

l'ay  aussi  Kiit  clechiier  par  ce  Traicté,  article  vingt 
sept,  que  les  Ambassadeurs  du  Rf)v  auront  la  préséance 
sur  ceux  d'Espagne,  et  sur  tous  ceux  des  autres  Princes 
cl  Roys  qui  se  trouucront  résider  près  de  sa  personne  : 
le  mesme  est  ordonné  en  faneur  des  Consuls  François. 

Bien  souuent,  il  arriue  que  quelques  marchands 
François  Ibnt  banqueroute  de  grandes  sommes  aux 
sujects  du  Grand  Seigneur,  qui  pour  se  récompenser  de 
telles  pertes,  s'en  prennent  aux  autres  marchands  de  la 
nation,  et  leur  veulent  faire  payer  leur  perte,  comme 
s'ils  estoient  obligez  de  ce  faire,  se  seruants,  pour  cest 
effet,  de  faux  tesmoins.  Pour  à  quoy  remédier,  il  est 
dit  en  l'article  trente  quatre,  que  s'il  n'apparoist  que 
ces  marchands  ainsi  poursuiuis,  soient  cautions  par 
contracts  authentiques ,  qu'ils  ne  soient  molestez,  ny 
tenus  des  debtes  des  fuïards.  De  mon  temps,  pendant 
que  i'estois  en  Constantinople,  il  y  eut  en  Alep,  quatre 
Facteurs  des  marchands  de  Marseille,  qui  tirent  ban- 
queroute et  emportèrent  aux  marchands  Turcs  et 
Mores,  trente  ou  quarante  mil  escus  que  l'on  rît  payer 
aux  François  qui  se  trouuerent  dans  le  pass  :  mais 
linjure  ny  la  perte  ne  leur  en  demeura  pas,  par  ce  que 
i'eus  assez  de  faueur  et  pouuoir  pour  leur  faire  rendre 
le  tout'. 


I.  Publié  comme  appendice  a  la  Relation  des  voyages  de  M.  de  Brèves 
faits  en  Hierusalem,  etc.  Paris.  P.   RocoUet,   i6}o,  in-^". 


APPENDICE.  439 


XII 

LETTRES    DE    HENRI    IV    A    M.     DE    BRÈVES 

De  Sainct  Germain,  du  8  may  1597. 

Monsieur  de  Brèves,  voz  depesches  du  14  et  28  jan- 
vier, 13  et  28  febvrier  et  premier  mars  ausquelles  j'ay 
à  respondre  par  cellecy,  font  particullicrement  mention, 
après  les  advis  que  vous  me  donnez  de  par  delà,  des 
difficultez  qui  s'y  sont  rencontrez  à  vaincre  et  surmon- 
ter l'instance  qui  a  esté  faicte  par  l'agent  d'Angleterre 
que  au  renouvellement  des  Cappitulations,  il  fust  in- 
séré que  les  nations  estrangères  n'eussent  plus  à  recon- 
gnoistre  la  bannière  de  France;  en  quoyvous  vous  estes 
non  seullement  conduit  selon  mon  intention,  mais  m'a- 
vez faict  service  très  agréable  d'avoir  opposé  la  vérité 
des  choses  aux  fausses  propositions  que  ledit  agent  a 
mis  en  a\ant,  pour  authoriser  la  poursuitte  que  je  n'a- 
vais d'acquis  en  ce  royaume  que  ce  que  la  Royne  d'An- 
gleterre m'avoit  facilité  avec  l'assistance  de  ses  armes. 
Car  tant  s'en  fault  que  cela  soit  comme  je  m'assure 
aussy  qu'elle  ne  voudroit  pas  advouer  ledit  agent  en  ce 
propos,  qu'au  contraire  la  correspondance  que  j'ay  eu 
avec  elle,  elle  pour  cstre  de  diverse  religion,  a  bien 
sou\ ent  tra\ersé  et  faict  préjudice  à  mes  affaires  ;  ce  que 


44"     M  I   M  O  I  H  K   S  U  K    1,'  A  M  H  A  S  S  \  I)  1 ,    I)  t      1  U  R  (,)  L  I  K. 

jf  \()iis  cly  utiin  (|ik-  vous  S(^uchic/.  les  impostures  des 
miiiislrcs  el  non  peur  en  publier  ;iiicime  eliosi- j)ar  delà  ; 
j'ay  aiissy  esté  tres-aise  «pie  \(nis  a\e/.  gaignc  ce  poincl 
sur  l'opiniastrelc  du  grand  Chancellier  et  du  premier 
secrétaire  d'Eslat  de  ce  Seigneur,  que  ce  qu  a\ez  désiré 
estre  adjoinct  ausdites  Cappitulations  y  ail  esté  inséré, 
car  je  S(^a)-  qu'en  ceste  Porte  1  a\arice  et  la  corruption 
emportent  biensou\ent  la  raison;  et  parce  que  lesjirinci- 
paux  poinctz  de  vos  dictes  depesches  se  terminent  en 
ces  deux  poinct/,  je  n'auray  autre  chose  mander  sur 
iceux  et  attandu  que  le  renou\ellement  des  CapituUa- 
tions  que  vous  me  promettez  de  m'envoyer  bien  tost.  ne 
me  pouvant  assez  émerveiller  du  procedder  ou  plustost 
de  l'imprudence  dudit  agent  d'Angleterre  qui  voulloit 
ranger  les  nations  estrangeres  sous  la  bannière  angloise, 
seullement  depuis  trois  jours  en  l'empire  d'Orient  et 
authoriser  par  delà  la  conhrmation  d'une  longue  cor- 
respondance entre  mes  prédécesseurs  et  ceux  de  ce  Sei- 
gneur ;  et  cependant  je  \ous  diray  que  j'ay  ache\é  la 
diette  que  j'estois  venu  faire  en  ce  lieu  pour  faire  pro- 
vision de  santé,  de  manière  que  je  me  trouve  très  bien, 
Dieu  mercy,  en  intention  de  me  rendre  dans  huict 
jours  pour  aller  en  mon  armée,  sur  l 'ad vis  qui  m'a  esté 
donné  que  le  cardinal  d'Austriche  se  doibt  trouver  a  la 
frontière  d'Artois,  le  15"  de  ce  mois,  pour  essayer  de 
desgaiger  ma  ville  d'Amiens  qui  est  grandement  incom- 
modée et  aux  environs  de  laquelle  j'ai  tousjours  tenu 
une  armée  pour  empescher  qu'il  entrast  du  secours;  et 
vous  asseurez  que  j'ay  sy  grande  envie  d'atfronter  mon 


APPENDICE.  44^ 

ennemy  et  me  revancher  de  ce  qu'il  a  faict  en  la  sur- 
prise de  la  dicte  ville  que  j'y  serois  dcsjà  sy  je  nestois 
allé  à  Paris,  pour  trois  ou  quatre  jours,  pour  facilliter  le 
recouvrement  de  l'argent  qui  est  nécessaire  pour  le 
payement  de  ma  dicte  armée,  avec  laquelle  j'espère 
entreprendre  quelque  faict  d'importance  duquel  vous 
serez  adverty;  vous  priant  aussy  continuer  à  me  faire 
sçavoir  ce  que  vous  apprendrez  de  la  délibération  de  ce 
Seigneur  pour  la  guerre  d'Ongrie  et  s'il  persistera  au 
désir  quil  monstre  d'y  voulloir  passer  en  personne, 
comme  de  toutes  autres  occurances,  priant  Dieu,  Mon- 
sieur de  Brèves,  etc. 

Fontainebleau,  du  4""^  aoust  160^. 

Monsieur  de  Brèves,  vous  m'a\ez  faict  service4rès 
agréable  d'avoir  faict  renouveller  et  augmenter  noz 
Capitullations  avec  ce  Seigneur  ainsy  que  vous  m"a\ez 
escript  par  vostre  lettre  du  5  juing  que  j'ay  reçue  le 
28^  de  juillet  et  ay  veu  par  les  articles  d'icelles  dont 
m'avez  envoyé  ung  double;  mesmes  m'ont  esté  très 
agréables  celuy  de  la  seureté  du  Saint  Sépulchre  et 
l'autre  du  désadveu  des  corsaires  d'Algier  et  suis  content 
ainsy  que  vous  ay  escript  que  \'ous  \isittiez  les  Saints 
Lieux  en  revenant,  affin  que  vous  donniez  ordre  c[ue  les 
pellerins  et  relligieux  qui  y  habitent  et  abordent  jouis- 
sent par  effect  de  la  grâce  et  protection  que  vous  a\ez 
obtenue  pour  eux  à  ma  réquisition  et  contemplacion. 
Vous  avez  sceu  aussi,  par  mes  dernières,  combien  il  est 
nécessaire  de  réprimer  et  chasiier  l'audace  des  corsaireî 


442     MF-MOIIU-.   SLR    l'\MM\SSAI)J     F)}     TLR(^LIK. 

d'Algicr,  lesquels  conlrc  lu  Noulioir  du  bassa  dudict  pais 
ont  rom|iu  les  conclusions  nccordées  par  les  prédéces- 
seurs de  ce  Seigneur  ;iu\  niitns.  d'une  jiossesbion  el 
jouissance  paisible  de  plus  de  soixante  et  tant  d'années, 
et,  sans  raison  et  subject  quelconque,  ont  desmoly  le  bas- 
tion de  France,  pillé  et  saccagé  tout  ce  qui  estoit  enicel- 
luy  appartenant  au  cappitainc  dudict  lieu,  mon  subject 
ser\iteur  et  par  telle  insolence  et  action,  ofîéncc  telle- 
ment madignitcen  l"amil\éque  j'aya\ecla  maison  Otto- 
mane que,  sy  ce  Seigneur  ne  m'en  fliict  raison  et  reppa- 
ration  telle  qu'il  con\icnt,  je  \  eux  que  vous  luy  déclariez 
et  à  ses  ministres,  que  je  nobtiendray  rien  à  faire  pour 
la  prendre  entière  et  telle  que  mon  honneur  m'oblige 
de  la  reclierclier. 

Le  baron  de  Salignac  sera  chargé  par  son  instruc- 
tion de  leur  en  parler  vifvement  et  comme  de  chose 
que  j'ay  très  à  cœur.  Toutefibis  d'aultant  quil  est 
encore  icy  et  qu'il  demeurera  long  temps  en  chemin ^ 
entreprenez  ceste  poursuite  et  me  faictes  encore  ce  service 
d'a\ant  que  de  partir,  l'adjoustant  à  ceux  que  aous  m'a- 
vez faict  depuis  que  vous  en  estes  chargé  par  delà  et  je 
le  recognoistray  à  vostre  retour  selon  qu'ilz  méritent. 
Jauray  aussy  bon  esgard  aux  advances  que  vous 
m'avez  représentées  par  Aostre  susdicte  lettre  avoir  faict 
pour  mon  service,  et  désire  que  vous  continuiez  à  m  ad- 
vertir  du  progrez  des  guerres  d'Hongrie  et  de  Perse 
comme  des  révolutions  de  l'Asye,  et  de  toutes  autres 
occurences,  jusques  à  ce  que  ledict  sieur  de  Salignac 
soit  arrivé  par  delà,  lequel  sera  chargé  de  rendre  grâces  à 


APPENDICE.  443 

ce  Seigneur  de  Toctroy  des  dictes  Cappitulations  comme 
den  demander  l'observation  et  exécution,  à  faulte  de 
ce,  faire  les  protestations  et  déclarations  requises  à  ma 
dignité  et  au  bien  de  mes  subjectz,  lesquelz  doibvent 
s'abstenir  d'aller  trafficquer  en  son  Empire,  comme  je 
dois  faire  de  demeurer  chargé  par  les  autres  princes  de 
la  chrétienté  de  l'amityé  et  alliance  de  sa  Hautesse,  s'il 
faut  que  lesdictes  Capitullations  continuent  d'estre  vio- 
lées par  l'avarice  et  désobéissance  de  ses  esclaves  et 
officiers  ainsy  que  vous  remonstrez,  en  attendant  la 
venue  dudict  Salignac  auquel  j'ay  commandé  de  partir 
et  se  rendre  par  delà  au  plus  tost.  Au  reste  vous  sçaurez 
que  le  Roy  d'Angleterre  a  traictceluy  d'Espagne,  et  que 
ce  dernier  a  faict  ce  qu'il  peut  pour  se  descharger  de 
toutes  sortes  de  despences  et  querelles  en  la  chré- 
tienté, pour  pouvoir  mieux  et  plus  fortement  entre- 
prendre et  s'accroistre  contre  ce  Seigneur,  sur  les  occu- 
rences  qui  s'en  présenteront,  chose  qui  luy  scroit  facille 
s'il  n'estoit  rellevé  de  la  craincte  des  armes  et  de  la 
prospérité  de  mon  royaume,  ce  que  vous  ferez  valloir 
par  delà  autant  que  vous  jugerez  estre  bien  scéant  et 
utile  de  le  faire.  Les  peuples  d'Hollande  et  Zélande 
continuent  à  faire  la  guerre  courageusement  audict  Roy 
d'Espagne,  ayant  assailly  les  archiducz  de  Flandres 
dedans  leurs  pais,  où  ilz  ont  naguères  assiégé  une  place 
très  importante  pour  prendre  revanche  de  celle  d'Hos- 
tande,  qu'ilz  ont  defFandue  trois  ans  entiers  et  gardent 
encore  contre  la  puissance desdicts  princes.  Je  prie  Dieu, 
monsieur  de  Brèves,  etc. 


444     MF.MOIHK    SLK    I    A  M  l{  A  SS  A  I)  l.    UI.    1"  L  I',  o  L  1  I. 


XIII. 
LeTTRK     1)1'     RoV     AU     GRAND     S  K  I  G  N  K  U  R . 

Trcs-Haiit,  trcs-Excellent,  trcs-Piiissant,  ires-Ma- 
gnanime et  hnincible  Prince,  le  grand  l.mpereur  des 
Musulmans  Sultan  Mkhemf.t,  en  qui  tout  honneur 
et  \'ertu  abonde,  nostre  trcs-cher  et  parfait  amy. 

La  rcponfc  que  nous  avons  faite  le  24.  C-'^lvril  dcr- 
7iicr  à  la  lettre  qu'elle  nous  avait  écrite  au  niois  de 
Juin  de  l'année  précédente^  laquelle  nous  avons  niife 
entre  les  mains  de  vojîre  ferviteur  Soliman  Q-iga,  dont 
le  retour  foit  heureux,  aura  informé  voJlre  Hautcjfe 
de  nos  bonnes  intentions,  tant  fur  le  fujet  de  la  venue 
dudit  <yiga  dans  nojlre  Cour  Impériale  /gloire  du 
monde,  et  ajfuré  refuge  et  proteâion  de  tous  les  Rois 
et  Potentats  qui  recourent  à  fon  puiJJ'ant  et  clouent 
appuy)  que  pour  le  maintien  inviolable  de  l'union  tt 
étroite  amitié  entre  nos  Impériales  Perfonnes,  et  leurs 
vajîes  Empires  que  Dieu,  Q/luteur  de  tout  bien,  a  foihnis 
à  nojlre  obéi [fance .  Et  d'autant  que  rappellant  auprès 
de  Nous,  pour  les  confiderations  qui  font  marquées 
dans  ladite  réponfe.  le  Sieur  de  la  Haj'c  Vantelet . 
nojtre  Q/lmbaffadeur  ordinaire  à  la  célèbre  Porte,  pour 
V employer   icy  en  d'autres   emplois  honorables.  Nous 


APPENDICE.  445 

avons  pris,  en  me/me  temps,  la  rej'olution  d'envoyer  en 
fa  place  un  autre  de  nos  Minijîres  avec  le  me/me  carac- 
tère, fuivant  le  defir  que  vojlre  Hauteffe  nous  a  témoi- 
gné par  fa  Lettre  que  J'on  ferviteur  Soljnnan  Q/îga 
nous  a  rendue'.  Nous  avons  jette  les  yeux  pour  ce 
fublime  Emploi  fur  la  Perfonne  de  no/lre  très-cher  et 
féal  Confeiller  en  tous  nos  Confeils  et  en  nojlre  Cour 
de  Parlement,  le  fieur  de  Nointel .  Magijlrat  de  grande 
vertu,  mérite .  probité  el  fuffifance.,  et  en  qui  nous  avons 
toute  confiance.  Nous  écrivons  maintenant  cette  Lettre 
à  vofîre  Hauteffe.  afin  de  la  requérir  de  confidérer  et 
traiter  à  l'avenir  ledit  Sieur  de  Nointel  dans  cette 
qualité  de  no/lre  (yîmbajfadeur  ordinaire  à  ladite  Porte. 
chargé  de  toutes  nos  affaires  et  de  celles  de  nos  Su- 
jets, et  Nous  nous  promettons  cependant  de  l'e-Jinitié 
de  vojlre  Hautejfe  qu'elle  l'accueillera^  agréera,  et  lui 
fera  toute  J'orte  de  bon  traitement.  lui  donnant  la 
mej'me  créance  qu'elle  pourroit  donner  à  Nous  mefme. 
fur  tout  ce  qu'il  lui  pourra  reprefcnter  au.x  occafions 
touchant  les  inlere/îs  de  nos  Sujets,  et  nommémoit 
pour  faire  ceffer  les  vexations  et  avanies  que  l'on  a 
exercé  fi  longtemps  fur  eu.x  dans  les  Efchelles  de 
Levant,  et  ailleurs  dans  son  vajle  Empire,  comme  aujji 
fur  le  renouvellement  des  anciennes  capitulations,  et 
Nous  nous  remettons  du  furplus  à  la  vive  voix  de 
nojlredit  (l4mbajfadeur.  Sur  ce  Nous  prions  Dieu  qu'il 
augmente  les  jours  de  vojlre  Hautejfe  avec  fin  tres- 
heureuj'e.  Ecrit  à  faint  Gei-niain  en  Laj'c  le  ii  luil- 
let  ilijo. 


44^)     Mf.MOIRh.    S  LU    I."AMHASSADK   DK  TURQUIE. 
iMeMOIHI.       DKS       PRKT  entions      I)  K      MONSIEIR 

l'Ambassade  LR   pour   le   r  enoi- v  i  llemf  nt 

DES    capitulations. 

Monsieur  1  Ambassadeur  employa  ces  trois  jours  de 
festes  à  dresser  ses  mémoires,  et  à  les  faire  mettre  en 
Turc  ;  ils  contenoient  les  points  qui  cstoient  demandez 
dans  le  rcnou\ellement  des  capitulations,  sçavoir  : 

Premièrement,  qu'en  considération  de  l'ancienne 
amitié,  et  de  ce  que  l'Empereur  de  France  est  le  pro- 
tecteur du  Christianisme  auprès  de  sa  Hautesse,la  Reli- 
gion Chrcstienne  sera  toujours  exercée  dans  les  lieux 
de  l'Empire  Othoman,  où  elle  l'a  esté  jusques  à  pré- 
sent. 

Que  les  Evêques  Chresliens  Romains  sujets  du 
grand  Seigneur  et  autres,  seront  en  la  mesme  considé- 
ration maintenus  et  gardez  dans  leur  dignité,  et  exer- 
cice de  leur  Religion. 

Que  les  Religieux  Franchis  et  autres  desser\ans 
l'Eglise  du  saint  Sepulchre  et  de  saint  Sauveur,  et 
autres  Saints  lieux,  seront  conservez  dans  la  possession 
et  garde  desdits  Saints  lieux,  qu'ils  gardent  depuis 
tant  de  siècles,  sous  la  protection  dudit  Empereur  de 
France. 

Que  les  lieux  usurpez  par  les  Grecs,  et  particulière- 
ment la  grotte  où  est  né  Jésus- Christ  ,  et  le  Mont 
de  Calvaire,  ensemble  toutes  les  appartenances,  leur 
seront  rendus. 


APPENDICE.  447 

Qu'il  sera  permis  a  tous  les  François,  et  autres,  de 
visiter  lesdits  Saints  lieux,  sans  qu'il  leur  soit  fait  aucun 
trouble  ny  empêchement. 

Que  defFenses  seront  faites  aux  Pachas,  Gouver- 
neurs, et  autres  Officiers,  de  molester  lesdits  Religieux 
desservans  lesdits  Saints  lieux,  et  que  où  il  intervien- 
droit  quelque  condamnation  contre  eux,  l'appel  qu'ils 
interjetteront  des  Jugemens,  en  suspendra  l'exécution, 
jusqu'à  temps  qu'ils  soient  confirmez  par  la  Porte. 

Que  les  Capucins,  Jesuittes,  et  autres  Religieux 
François,  comme  ayant  esté  admis  dans  l'Empire  Otho- 
man,  à  la  considération  de  sa  Majesté,  y  seront  main- 
tenus et  conservez  dans  l'exercice  de  leur  Religion,  et 
dans  la  permission  d'enseigner  les  enfans  Chrestiens. 

Que  l'Eglise  de  saint  Georges  de  Galata,  accordée 
ausdits  Capucins,  sur  la  prière  du  défunt  Empereur  de 
France,  et  qui  a  esté  brûlée,  sera  rétablie,  et  que  le 
Juif  qui  en  occupe  une  partie,  sera  tenu  de  l'aban- 
donner. 

Que  ledit  rétablissement  fait,  les  Capucins  y  pour- 
ront demeurer,  et  faire  l'exercice  de  leur  Religion 
comme  auparavannt. 

Que  ladite  Eglise  de  saint  Georges,  ensemble  celle 
de  saint  Benoist,  seront  conservées  aux  Capucins,  et  aux 
Jesuittes,  qu'en  cas  de  feu,  ou  autre  accident,  elles 
pourront  estre  par  eux  reparées,  afin  que  tant  l'Ambas- 
sadeur que  les  François  ayent  ces  Églises  pour  faire 
leurs  prières. 

Que  les  François  estant  dans  les  eschelles  de  l'Em- 


44^      M  r  .\IOIin.   SL  |{    l'AMIMSSADK    DKTURQLIK. 

pire  CJilionian,  coiiiinc  ;i  SmiriK-,  Alexandrie,  et  autres 
lieux,  y  pounoni  lliire  libreiiunt  I  exercice  de  leur 
Religion  dans  les  l'.glises  rju  ils  y  ont  eu  jusques  à  pré- 
sent, sans  estre  contraints  de  rien  payer  à  ce  sujet. 

Que  les  François  de  Seyde  ne  payeront  aucune 
somme  d  argent  |)oui"  I  l'-glise  dans  hujuelle  ils  lont 
leurs  prières,  et  que  défenses  seront  faites  auv  Pachas, 
et  autres  de  rien  prendre  à  ce  sujet. 

Que  tous  lesdits  Religieux,  en  quelque  endroit 
qu'ils  résident  de  l'Rmpire  Othoman,  seront  exempts  de 
Carachc  et  de  toutes  les  autres  impositions  publiques, 
tant  ordinaires  qu'extraordinaires. 

Que  les  Eglises  prises  dans  l'isle  de  Cliio.  sur  les 
Chrestiens  Romains  par  les  Grecs,  leur  seront  rendues. 

Qu'il  sera  permis  de  lire  l'Evangile  dans  l'Hôpital 
de  saint  Jean  à  Galata. 

Que  laCoiTipagnie  du  Commerce  de  Levant  formée  a 
Paris,  sous  l'autorité  de  l'Empereur  de  France,  ensemble 
tous  les  Frant;ois  negotians  dans  l'Empire  Othoman, 
estant  recommandez  à  sa  Hautesse  par  l'Empereur  de 
France,  son  plus  ancien  et  puissant  ami,  sadite  Hau- 
tesse les  prend  en  sa  protection,  et  commande  qu'ils 
soient  traitiez  avec  amitié  et  honneur,  suivant  qu'il  est 
contenu  aux  présentes  capitulations. 

Que  les  Nations  estrangeres  qui  n'ont  point  d'Ambas- 
sadeurs, Residans,  ou  Consuls  à  la  Porte,  seront  tenues 
de  navijrersous  la  bannière  de  France,  d'en  reconnoistre 
l'Ambassadeur  et  les  Consuls,  et  de  leur  payer  les 
droits. 


APPENDICE.  449 

Que  deffences  seront  faites  aux  Pachas  et  autres, 
d'empêcher  les  Consuls  François  de  jouir  du  Consulat 
des  Nations  estrangeres. 

Que  le  droit  de  cinq  pour  cent  de  Douane  de  toutes 
les  Marchandises,  sera  réduit  à  trois  dans  toutes  les 
Eschelles  et  autres  lieux  de  lEmpire  Othoman,  même 
en  Egypte. 

Que  les  François,  et  Eslrangers  trahquans  sous  leur 
bannière,  ne  seront  tenus  de  payer  un  plus  grand  droit 
que  trois  pour  cent,  pour  toutes  les  marchandises  qu'ils 
apporteront,  ou  pour  celles  qu'ils  voudront  emporter. 

Qu'après  l'estimation  faite  au  juste  des  marchan- 
dises en  piastres,  il  soit  au  choix  des  Marchands  de 
payer  ledit  droit  de  trois  pour  cent  en  marchandises  ou 
en  argent. 

Que  le  payement  se  faisant  en  argent,  les  Douaniers 
seront  tenus  de  recevoir  toutes  les  monnoyes  ayant 
cours  dans  l'Empire. 

Qu'il  ne  se  payera  aucun  droit  de  Douanne  des 
soyes  que  l'on  emporte  sui\ant  qu'il  est  accoutumé. 

Qu'on  ne  payera  rien  non  plus  pour  les  Indiennes 
et  autres  toilleries  venans  de  Perse. 

Qu'à  ce  sujet,  il  en  sera  donné  des  Tesquerets, 
comme  de  la  soye  jiour  les  monstrer  au  Douanier  en 
les  embarquant. 

Que  deffences  seront  faites  aux  Douaniers  de  taire 
aucunevisite  dans  lesbastimensaprés  leurdéchargement. 

Qu'on  ne  payera  le  droit  de  Douanne  pour  les 
mêmes  marchandises  qu  une  seule  fois. 

39 


4JO     MF.MOIRK    SUR   I.' A  M  IM  ^S  \  D  I.   DK    TLRQUIE. 

Que  le  Douanier  (jui  en  aura  receu  le  droit,  sera 
tenu  de  donner  un  TeSfjueret,  afin  qu  elles  puissent  cstre 
transportées  dans  les  autres  lieux  de  l'Empire,  sans 
payer  d'autre  droit. 

Que  les  Pachas,  et  autres  O/Ticiers,  ne  pourront 
contraindre  les  François  de  prendre  de  la  soye  et  autres 
marchandises,  qu  il  leur  sera  permis  de  prendre  celles 
qu  ils  \oudront,  de  bon  aloy,  et  au  prix  ordinaire. 

Que  defl'ences  seront  faites  aux  Pachas  et  autres 
Officiers,  d'emprunter  aucune  somme  d'argent  des 
François,  n'estant  pas  possible  d'en  obtenir  la  restitution, 
et  qu'il  leur  soit  defîendu  de  contraindre  lesdits  Fran- 
çois de  leur  faire  des  presens. 

Que  les  droits  d'or  et  de  garde  de  l'argent  apporté 
par  les  voiles,  seront  supprimez  :  et  qu'à  cet  effet,  def- 
fences  seront  faites  à  tous  Malen  *  ou  Douanier,  de  se 
saisir  dudit  argent,  et  aux  Pachas,  de  rien  exiger  à  ce 
sujet. 

Qu'il  sera  defFendu  à  tous  les  Officiers  de  la  Porte, 
d'empêcher  ou  retarder  les  départs  des  vaisseaux  Fran- 
çois sous  tel  prétexte  que  ce  puisse  estre. 

Qu'on  ne  prendra  aucun  droit  d'ancrage  que  celuy 
qui  sera  convenu. 

Que  les  vaisseaux  ne  seront  plus  tenus  de  prendre 
des  commandemens  de  la  Porte  pour  leur  départ^  et  que 
l'on  les  laissera  passer  aux  Châteaux  sur  le  tesqueret  du 
Douanier. 

ï.  Moallem,  employés  de  la  douane. 


APPENDICE.  451 

Qu'il  sera  permis  aux  Capitaines  d'emporter  les  pro- 
visions nécessaires  à  leurs  vaisseaux,  personnes  et  équi- 
pages pour  leur  argent,  sans  qu'on  les  puisse  empêcher 
de  s'en  pourvoir,  ny  qu'il  leur  soit  besoin  pour  cela 
d'aucune  autre  permission,  que  celle  contenue  au  pré- 
sent article. 

Que  defFences  seront  faites  à  tous  Capitaines  de  mer, 
leurs  Lieutenans,  et  autres  Officiers,  de  rien  exiger  des 
Capitaines,  sous  quelque  prétexte  que  ce  puisse  estre, 
de  présent  ou  autrement. 

Que  les  Consuls  seront  traittez  en  la  manière  portée 
par  les  anciennes  capitulations,  que  les  Pachas  seront 
tenus  de  leur  bailler  Audiance  à  l'ordinaire,  sans  les 
renvoyer  à  leur  kehaias  ;  que  leurs  maisons  ne  pourront 
estre  scellées  ny  bullées,  quelques  prétentions  qu'on 
aye  contre  eux  ;  qu'elles  seront  portées  à  la  Porte,  sans 
que  les  Pachas  et  Cadis  s'en  puissent  mesler,  à  peine 
de  nullité  de  leurs  jugemens,  qu'ils  ne  seront  point 
troublez  dans  la  presceance  sur  tous  les  Consuls,  et  qu'il 
sera  enjoint  aux  Pachas  et  Gouverneurs  de  les  y  main- 
tenir ;  que  les  provisions  qu'ils  feront  venir  pour  leur 
nourriture  et  celle  de  leurs  maisons  seront  exemptes 
de  tous  droits. 

Que  pour  la  dette  ou  forfait  d'un  particulier  Consul, 
Marchand  ou  autre,  on  ne  pourra  contraindre  que  les 
cautions  établies  par  écrit,  ou  par  contract  passé  parde- 
vant  personnes  publiques. 

Que  les  Ambassadeurs  et  Consuls  jugeront  les  diffé- 
rends tant  civils  que  criminels  qui  sur\iendront  entre 


452     MÉMOIRK   SUR    L'A  M  H  \  *^S  \  DK    DF.   TURQUIK. 

la  Nation  Françoise,  sans  que  les  Pachas  ny  autres  s'en 
puissent  mêler  en  aucune  fac^on  rjue  ce  soit. 

Que  les  ^'ran(^ois,  et  autres  qui  sont  sous  la  protec- 
tion de  France,  mariez  et  non  mariez,  leurs  enfans  et 
serviteurs  seront  exempts  de  Carache,  et  de  toutes  les 
autres  impositions  que  payent  les  sujets  du  grand  Sei- 
gneur. 

Qu'aucun  vaisseau  François  ny  mariniers  ne  pour- 
ront estre  contraints  ny  obligez  d'aller  pour  le  service 
du  trésor,  ny  d'aucuns  Officiers  ou  sujets  du  grand  Sei- 
gneur, et  qu'en  cas  que  de  leur  bon  gré  ils  y  consen- 
tissent, s'il  arri\()it  que  les  ^■aisscaux  et  mariniers 
vinssent  à  se  perdre,  à  estre  pris  par  les  Corsaires,  ou 
ceux  de  l'équipage  à  faire  quelque  chose  de  mal  à  pro- 
pos, que  l'Ambassadeur  de  France,  les  Consuls,  et 
Marchands  François  n'en  seront  point  responsables  en 
quelque  façon  que  ce  puisse  estre. 

Que  tous  les  Pachas,  Cadis,  Douaniers,  et  autres 
Officiers  du  grand  Seigneur  recevront  et  seront  tenus 
d'exécuter  et  de  faire  exécuter  les  commandemens,  qui 
seront  donnez  par  la  Porte  en  faveur  des  François,  et 
de  ceux  qui  trafiqueront,  et  negotieront  sous  la  Bannière 
de  France. 

Qu'il  sera  permis  aux  François  d'appeler  des  juge- 
mens  des  Pachas,  Cadis,  et  autres  à  la  Porte,  et  que 
ledit  appel  suspendra  toute  condamnation,  jusques  à 
tant  qu'il  en  ait  esté  autrement  ordonné  par  la  Porte. 

Que  les  François  pourront  negotier  dans  l'Empire 
Othoman,  et  porter  des  marchandises  de  port  en  port 


APPENDICE.  453 

de  telle  manière  qu'il  leur  plaira,  pour  les  vendre  aux 
sujets  du  grand  Seigneur  ou  à  tel  autre  qui  leur  con- 
viendra. 

Que  les  Agas  et  Pachas  seront  'tenus  de  changer 
les  Janissaires  des  Consuls,  lorsqu'ils  leur  en  demande- 
ront d'autres. 

Que  nul  commandement  ne  pourra  estre  exécuté 
par  les  Cadis  et  Juges  ausquels  il  sera  adressé,  au  pré- 
judice de  ce  qui  est  porté  par  les  capitulations. 

Que  l'Ambassadeur  de  France  et  les  François  ne 
seront  point  responsables  des  prises  faites  par  les  Mal- 
thois. 

Que  les  causes  et  affaires  des  Ambassadeurs  de  France 
ne  seront  veuës  que  pardevant  le  grand  Visir  pour 
quelque  procez  ou  prétention  que  ce  puisse  eftre. 

Que  les  Consuls  et  Marchands,  qui  sont  aux  Eschelles, 
pourront  en  sortir  et  s'en  aller  quand  bon  leur  sem- 
blera, sans  qu'on  leur  puisse  donner  aucun  empesche- 
ment. 

Qu'aucun  François  ne  demeurera  dans  les  Eschelles 
que  par  la  permission  de  l'Ambassadeur,  et  qu'ils  seront 
contraints  d'exécuter  les  ordres  qu'il  leur  pourra  donner 
de  repasser  en  France. 

Qu'il  sera  défendu  à  tous  les  Pachas  et  autres 
Officiers  de  contraindre  la  Nation  Françoife  dans  les 
Eschelles  à  leur  payer  ou  donner  aucune  somme  d'ar- 
gent, et  que,  où  ils  auront  quelque  prétention  contr'elle, 
ils  seront  tenus  de  se  pourvoir  à  la  Porte. 

Que  les   Truchemens  et  Interprètes  de  l'Ambassa- 


454     -"^ï  f  "^î  ^^  '  '^  ' ■   ^  ^'  '^    '  ' -^  ^^  ^-^^^  ^  '^  '■•   '^  ^-   T  U R  Q U I  E. 
dciir  de  (iucli|uc  Nalioii  (ju'ils  soient,  seront  considérez 
comme  François,  sans  ([ue  l'on  puisse  leur  faire  aucun 
tort  en  (|uel()ue  m;iiiiere  (jue  ce  puisse  estre. 

Que  l'Ambassadeur,  Consuls,  Religieux,  et  Mar- 
chands François,  et  autres  negotians  fous  la  Bannière  de 
France,  auront  la  liberté  d'avoir  du  vin  chez  eux, 
autant  qu'il  leur  sera  nécessaire  pour  leur  provision, 
qu'il  leur  sera  mcsme  jxrmis  d'en  faire  ^■enir  de  France 
ou  d'ailleurs,  sans  qu'il  leur  soit  besoin  d'aucune  autre 
permission. 

Le  mémoire  traduit  en  Turc  fut  donné  au  grand 
Visir.  qui  promit  de  l'examiner  et  d'y  faire  réponse. 


XIV. 

CAPITULATIONS     DE     1673^ 

Enfin  les  Capitulations  furent  renouvellées  le  cin- 
quième Juin.  Le  Chiaoux  Bachi  et  trente  de  ses 
Chiaoux,  allèrent  prendre  Monsieur  l'Ambassadeur  au 
Village  de  Bosnakkeiii",  où  il  estoit  logé,  pour  le  con- 
duire à  l'Audiance  du  grand  Visir,  des  mains  duquel 


1.  Le  texte  de  ces  capitulations  et  les  détails  qui  le  précédent  sont 
extraits  des  Mémoires  du  sieur  de  La  Croix,  cy-devunt  secrétaire  de 
l'ambassade  de  Constantinople.  Paris,  Claude  Barbin,  1684.;  2  vol.  in-12. 

2.  Village  des  environs  d'Andrliiople. 


APPENDICE.  455 

il  a  receu  ce  traitté,  et  le  fruit  de  ses  travaux,  après 
une  longue  negotiation,  et  beaucoup  de  patience  qui 
est  une  vertu  fort  connue  en  ce  pais  et  par  laquelle 
l'on  vient  à  bout  de  tout. 

Le  Ministre  François  témoigna  au  grand  Visir  son 
espérance  de  la  durée  de  cette  amitié  qu'il  fondoit  sur 
la  grande  jeunesse  et  les  mérites  extraordinaires  des 
deux  Empereurs  qui  l'avoient  contractée  et  sur  la  pru- 
dence de  ce  premier  Ministre.  Toutes  ces  civilitez  furent 
faites  à  diverses  reprises,  et  nonobstant  la  gravité  du 
Visir,  il  ne  laissoit  pas  de  faire  paroistre  qu'il  en  estoit 
tres-content.  Il  voulut  môme  se  disculper  du  retar- 
dement de  la  conclusion,  en  disant  qu'il  n'avoit  pas 
tenu  à  luy  qu'elle  ne  se  fût  faite  plûtost  ;  quoyque 
Monsieur  de  Nointel  connût  bien  la  fausseté  de  ce  dis- 
cours, il  le  laissa  sans  réplique,  n'étant  plus  saison 
d'entrer  dans  des  discussions  consommées.  Le  régal 
ordinaire  du  Païs  suivit  la  conversation,  et  l'Audience 
tinit  par  la  consignation  des  Lettres  du  grand  Seigneur 
et  du  premier  'Visir  au  Roy  qui  accompagnoient  le 
traitté. 

Cette  lettre  est  enfermée  dans  une  bourse  de  drap 
d'or,  longue  d'un  quartier,  dont  l'entrée  est  fermée 
avec  un  ruban,  cachetée  du  sceau  de  sa  Hautesse 
appliqué  sur  le  ruban  et  couvert  d'une  petite  pièce 
d'or  en  coquille;  l'adresse  est  dans  une  longue  queue 
de  papier  de  soye  attachée  sous  le  même  sceau,  avec  le 
titre  de  Padicha,  Empereur,  que  les  Turcs  donnent 
seulement    à    sa   Majesté    entre    tous    les    Monarques 


4'j6     M  l-..\l(Jlin.    SLR    I  'AMHASS  Al)l.    Ut.     TLKOL'It. 

('Iircsticns,  aussi  hini  ([u'iui  gr.iiul  Mogol,  i-iilie  les 
IiUicIcics. 

Les  Capitulations  sont  dans  un  ctuy  couvert  de 
velours  rouge;  Monsieur  l'Ambassadeur  m'a  fait  l'hon- 
neur de  me  choisir  pour  les  porter  au  Ro\-. 

La  Religion  irouxe  dans  ce  Traité  une  {protection 
aussi  lorte  (jue  spéciale  au  nom  de  sa  Majesté;  car, 
non  seuKnunl  tous  les  Religieu.v  Francs  de  Jérusalem 
y  sont  maintenus  dans  la  possession  de  l'Eglise  du 
saint  Sepulchre  et  de  tous  les  saints  lieux,  qu'ils  ont 
dedans  et  dehors  la  \ille,  mais  encore  les  Evèques  et 
tous  les  Religieux  qui  sont  dans  l'Empire  Ottoman, 
sont  conservez  dans  la  joiiissance  de  leurs  biens,  et 
l'exercice  de  leurs  cérémonies;  les  Eglises  sur  lesquelles 
les  Turcs  avoient  imposé  quelque  tribut  pour  en  per- 
mettre l'entrée,  en  sont  déchargées  :  le  rétablissement 
de  celle  de  saint  Georges  en  Galata  est  permis,  et  la 
liberté  accordée  de  dire  la  Messe  dans  l'Hôpital  du 
même  lieu,  les  Jesuittes  et  les  Capucins  Fran^M)is  y  sont 
dénommez,  et  les  autres  en  gênerai,  atin  qu'il  ne  leur 
soit  fait  aucun  tort,  et  qu'on  ne  puisse  leur  faire  aucune 
avanie. 

Le  commerce  n'est  pas  traitté  moins  fa\orablement, 
puisqu'outre  les  avantages  que  les  marchands  ne  soient 
pas  jugez  dans  les  échelles,  lors  qu'ils  auront  démêlé 
avec  des  Turcs,  s'il  s'agit  de  plus  de  cent  francs,  qu'ils 
ne  soient  pas  soumis  à  payer  le  sang  de  ceux  tuez  dans 
leur  quartier,  qu'ils  ne  payent  point  la  douanne  des 
indiennes,  non  plus  que  des  soyes,  l'on  accorde  par  le 


APPENDICE.  457 

même  Traitté  la  réduction  de' la  douane  de  cinq  à  trois 
pour  cent,  de  toutes  sortes  de  marchandises  d'entrée  et 
de  sortie. 

Voilà  ce  que  la  grande  réputation  du  Roy  a  fait 
obtenir  pour  le  bien  de  ses  sujets,  et  lutilité  de  leur 
commerce  dans  lEmpire  Ottoman;  il  ne  faut  point 
douter  que  ce  ne  soit  l'ouvrage  du  bruit  de  ses  grandes 
conquestes,  dont  la  Porte  a  esté  tres-informée  par  les 
avis  de  Monsieur  l'Ambassadeur,  et  cette  considération 
n'a  pas  peu  contribué  à  déterminer  le  Visir  à  la  con- 
clusion de  ce  traitté. 

Je  ne  vous  en  diray  pas  davantage,  devant  avoir 
l'honneur  de  vous  voir  dans  quelques  mois  à  Paris,  o  i 
je  vous  assureray  de  vive  voix  que  je  suis,   etc. 

De  CoHStantinople  ce  -25  Aoust  167^. 

L^Autheur  a  crû  ne  pouvoir  mieux  finir  ce  premier 
volume,  qu'en  y  ajoutant  l'interprétation  du  traitté 
des  Capitulations  faite  par  Monsieur  de  la  Croix,  Secré- 
taire Interprète  du  Roy  pour  les  Langues  Orientales, 
laquelle  estant  très-bien  et  tres-tidelement  interprétée, 
donnera  tout  l'embellissement  à  son  ou\rage  qu'il  pou- 
voit  attendre  de  celuy  d'un  aussi  habile  homme,  uni- 
versellement sçavant  dans  toutes  les  Langues  du  le- 
vant, et  son  tres-bon  ami. 


45«     MÉMOIRE   Sin    L'A  M  B  ASS  A  DF.    DF.  TURQLIF. 

Les  Capiti'l\tions  rf.noin  kllf.f.s  fntrk  Loris  XI\', 
Empkrm'r  uk  Lrancf,  ft  MFHFMhT  IV,  Lmpp- 
RFUR  uKs  Turcs,  par  l'fntrfmisf  de  Monsifur 
Charlf.s  F'rançois  Olifr,  Marquis  de  Nointel, 
Conseiller  du  Roy  en  tous  ses  Conseils  et 
EN  sa  Cour  de  Parlement  de  Paris  et  son 
Ambassadeur  en  Levant. 

Voicy  ce  qu'ordonne  ce  noble  signe  dont  la  réputa- 
tion est  si  grande,  qui  vient  d'un  lieu  si  relevé,  qui 
est  vrayment  royal,  et  le  conquérant  du  monde, 
qui  est  Impérial,  et  qui  par  le  secours  divin,  la  protec- 
tion d'en  haut  et  les  grâces  du  Libérateur  vient  à  bout 
de  toutes  sortes  d'entreprises. 

Les  qualitez  du  Grand-Seigneur. 

Moj^  qui  suis  par  les  infinies  grâces  du  luste.  grand 
et  tout-puissant  Créateur.  Empereur  des  Empereurs, 
Distributeur  des  Couronnes.  Serviteur  des  deux  tres- 
(ylugustes  et  sacrées  villes  de  la  cMecque  et  cMedine, 
Protecteur  et  Gouverneur  de  la  sainte  Hierusalem, 
Seigneur  de  la  plus  grande  partie  de  l'oâsie  et  de 
Vo/lfrîque.  de  Themisvar,  de  VEsclavonie,  de  Segu- 
tuar.  et  de  la  forteresse  inexpugnable  d'o/lgria.  de  la 
Caramanie,  de  l'Arabie,  et  toute  la  Sirie,  de  Rhodes 
et  de  Chipres.  de  Diarbequir,   d'cllep:   du   Caire,    de 


APPENDICE.  459 

Van^  d'Er^erum.  de  Damas  lieu  de  seuretê  et  de  plai- 
sance, Pais  de  Salut,  de  Babylone  Paradis  terrestre, 
et  le  séjour  des  Princes,  de  Balsora.  d'QA:[ac.  d'Egypte 
rare  en  son  temps  et  puissante,  des  villes  de  Tunis, 
de  la  Goulette,  de  Tripoli  de  Barbarie,  de  la  ville  de 
Constantinople,  lieu  de  seureté,  et  le  désir  des  Roys, 
et  de  plusieurs  autres  Pays,  Villes  et  Seigneuries,  des 
Mers  blanche  et  noire.,  Isles,  Destroits,  Passages, 
Peuples,  Familles,  Générations,  et  d'un  nombre  infini 
de  victorieux  hommes  de  guerre,  qui  reposent  sous 
V obéissance  et  justice  de  l Empereur  Mehemet,  fils  de 
l'Empereur  Ibrahim,  neveu  de  Sultan  Murât,  Succes- 
seur des  Empereurs  Selim  et  Baja^et,  et  de  l'Empe- 
reur Mehemet,  par  la  grâce  de  Dieu,  recours  des 
grands  Princes,  et  refuge  des  honorables  Em- 
pereurs. 

Les  qualite.z  que  donne  le  Grand-Seigneur 
AU   Roy. 

La  gloire  des  plus  grands  Monarques  de  la  terre, 
de  la  croyance  de  lesus,  choisi  entre  les  Princes  glo- 
rieux de  la  religion  du  Messie,  la  Victoire  de  toutes 
les  Nations  Chrestiennes,  Seigneur  de  Majesté  et 
d'Honneur,  Patron  de  Loiîange  et  de  gloire^  Louis 
Empereur  de  France,  que  sa  fin  soit  heureuse. 

Nous,  ayant  receu  une  lettre  sincère  par  la  main  du 
sieur  Charles  François  Olier  Marquis  de  Nointel, 
de  la  part  dudit  Empereur  de  France  son  Seigneur, 


46o     M  F  M  OHM     SUR    F.'A  M  B  A  SS  A  F)  I     1)1      TLHnUIK. 

connue  son  (Jons^'ilU'i-  en  tons  ses  Conseils,  et  son  Q/lm- 
bdssadeur  à  nosl)e  porte  Ottonicjnne.  choisi  entre  les 
Gentils-} Ii)mmes  de  son  l\o)'aimie.  soustien  de  la  pros- 
périté du  plus  grand  de  tous  les  grands  de  la  croyance 
du  Messie,  et  son  c4mbassadeur  ordinaire  à  nostre 
Porte,  de  trouver  bon,  que  les  Capitulations  qui  ont 
long-temps  duré  entre  nos  ayeuls  et  les  I-'.nipercurs  de 
France,  fussent  renouvelées  sous  cette  considération, 
et  par  l'inclination  que  nous  a]'ons  à  conserver  cette 
ancienne  amitié  ;  Nous  avons  accordé  ce  qui  s'ensuit. 

Que  les  Ambassadeurs  qui  seront  envoyez  de  l'Em- 
pereur de  France  a  nostre  Porte,  que  les  Consuls  qui 
résident  dans  nos  Ports,  les  marchands  et  les  truche- 
mens  ne  soient  point  inquiétiez  en  aucune  façon  que  ce 
soit,  mais  au  contraire,  receus  et  honorez  avec  le  soin 
qui  se  doit  à  la  foy  publique  :  Voulons  de  plus,  qu'outre 
l'observation  de  nostre  Capitulation,  celle  qui  fut  faite 
et  accordée  par  nôtre  feu  Père  glorieux  en  sa  vie  et 
martyr  en  sa  mort,  soit  inviolablement  observée  et  de 
bonne  foy,  et  pour  l'honneur  et  l'amitié  que  ledit  Em- 
pereur de  France  a  toiijours  eus  avec  nôtre  Porte,  Nous 
luy  avons  accordé  de  renouveller  les  Capitulations  qui 
luy  avoient  esté  données  du  temps  de  l'Empereur 
Mehemet  nostre  bisayeul,,et  d'y  ajouter  quelques 
articles  sur  la  demande  qui  nous  en  a  esté  faite,  que 
nous  avons  accordée,  et  ordonné  que  elle  y  fut  insérée. 

Que  les  François  qui  vont  et  viennent  pour  visiter 
les  saints  lieux,  ne  soient  point  mal-traittez,  et  que  les 


APPENDICE.  461 

Religieux  qui  sont  dans  l'Eglise  du  Kamam.  le  saint 
Sepulchre,  n"y  soient  point  inquiettez,  à  cause  de  l'an- 
cienne amitié  que  les  Empereurs  de  France  ont  eue 
avec  nostre  Porte. 

Permettons  aux  marchands  François  en  considera- 
ion  de  la  parfaite  amitié  que  leur  Prince  conserve  avec 
nostre  Porte,  d'enlever  des  cuirs,  cordoiians,  cire,  cot- 
ons en  laine,  cottons  filez,  soit  que  ce  soient  marchan- 
dises défendues  d'enlever;  ratifions  la  permission  que 
nostre  bisayeul  en  a  donné,  sans  que  personne  puisse 
les  en  empêcher. 

Que  les  monnoyes  qu'ils  apportent  de  leurs  pais 
dans  le  nostre,  ne  puissent  estre  prises  de  nos  Tréso- 
riers ny  de  nos  Monnoyeurs,  sous  prétexte  de  la  vouloir 
convertir  en  monnoye  Ottomane  ;  et  nous  ^  oulons 
pareillement  qu'ils  ne  puissent  prendre  aucun  droit 
à  cause  d'icellcs.  Et  d'autant  que  aucuns  sujets  de 
France  navigent  sur  des  vaisseaux  appartenans  à  nos 
ennemis,  y  chargeant  de  leurs  marchandises,  et  lesdits 
vaisseaux  estant  rencontrez  et  pris  des  nostres,  ils  sont 
faits  le  plus  souvent  escla\'es,  et  leurs  marchandises 
confisquées  ;  pour  empêcher  cela,  nous  commandons  et 
voulons,  que  doresnavant  ils  ne  puissent  estre  pris 
esclaves  sous  tel  prétexte,  ny  leurs  facultez  confisquées. 
Nous  déclarons  que  ceux  qui  seront  trouvez  sur  des 
vaisseaux  corsaires,  seront  esclaves  de  jjonne  foy. 

Nous  voulons  aussi  que  les  François  qui  se  trouve- 
ront pris  par  les  vaisseaux  de  nos  sujets,  portans 
vendre  des  vivres  a  nos  ennemis,  ne  puissent  être  mal- 


462     MÎMOIin.    SI  H    r\MI{\SSADI     HK   TLRQLIK. 

tiaitc/  ny  retenue  esclaves,  attendu  (ju  ils  seront  mari- 
niers gagnans  lei'r  vie. 

Nous  défendons  que  les  vaisseaux  Iranç;ois,  qu\ 
seront  rencontrez  par  les  nostres,  chargez  de  victuailles 
prises  des  pais  de  nos  ennemis,  puissent  estre  retenus 
ny  confisquez,  ny  les  gens  faits  esclaves,  sous  prétexte 
qu'ils  les  portent  a  nos  ennemis. 

Nous  ordonnons  que  les  François  r|ui  achètent  des 
victuailles  de  nos  vaisseaux  pour  porter  dans  leur  pais, 
quand  ils  sont  rencontrez  de  nos  vaisseaux,  ne  puissent 
estre  retenus  esclaves,  ny  leurs  facultez  confisquées,  et 
en  cas  qu'il  y  en  ait  de  cette  façon,  Nous  voulons  quils 
soient  mis  en  liberté,  et  que  leurs  facultez  leur  soient 
rendues. 

Que  les  marchandises  qui  seront  apportées  par  les 
marchands  François  en  nos  ports,  et  celles  qu'ils  y 
achèteront,  ne  soient  sujettes  à  payer  d'autres  droits, 
que  ceux  qui  se  payent  d'ancienneté. 

Nous  voulons  et  déclarons,  que  lors  que  les  mar- 
chands François  qui  sont  dans  nos  ha\res  et  ports,  ne 
pourront  point  vendre  leurs  marchandises  a\antageuse- 
ment,  et  qu'ils  les  veuillent  conduire  à  d'autres  ports, 
qu'ils  le  puissent  faire  sans  aucun  empêchement,  ny 
estre  forcez  de  payer  aucun  droit  que  de  ce  qu'ils 
auront  vendu. 

Que  lesdits  François  soient  exempts  de  l'impost 
nommé  Cassable,  autrement  l'aide  de  chair,  comme 
aussi  de  celuy  des  cuirs  appelé  Reft.  qu'ils  ne  soient 
non  plus  recherchez  de  payer  celuy  des  bufles,  BadJ. 


APPENDICE.  463 

et  yasacouli  ;   qu'ils    soient   aussi   exempts    de    payer' 
aucune  autre  chose   aux  gardes  de  nos  ports  et  pas- 
sages, que  trois  cens   aspres,   sous  le   nom   de  bon  et 
heureux  voyage. 

Les  corsaires  de  Barbarie  allans  par  les  ports  et 
havres  de  la  France,  y  sont  receus,  secourus  même 
de  poudre,  plomb,  voiles  et  autres  choses  nécessaires. 
Néanmoins,  si  sans  avoir  égard  à  nos  promesses,  ren- 
contrant les  vaisseaux  François  en  mer  à  leur  avantage, 
ils  les  prennent,  et  font  esclaves  les  marchands  et 
mariniers  qui  se  trouvent  sur  iceux,  contre  nostre  vou- 
loir et  celuy  de  feu  l'Empereur  nostre  Père,  lequel 
pour  faire  cesser  leur  violence,  les  a  souventes  fois 
menacez,  sans  que  pour  cela  ils  ayent  discontinué  leurs 
actes  dhostilité,  s'il  y  a  des  esclaves  pris  de  cette  sorte. 
Nous  ordonnons  qu'ils  soient  en  liberté,  et  que  leurs 
facultez  leur  soient  rendues,  et  déclarons  qu'en  cas 
que  lesdits  corsaires  fassent  demeure,  qu'ils  seront 
tenus  des  dommages  et  pertes  que  lesdits  François 
auront  faites,  et  seront  privez  de  leurs  charges,  sans 
qu'il  soit  besoin  d'autres  preuves  du  malfait  que  la 
plainte  qui  nous  en  sera  faite  de  la  part  de  l'Empe- 
reur de  France  avec  des  lettres  royallcs.  Nous  consen- 
tons aussi  qu'en  cas  qu'ils  n'observent  ce  qui  est  porté 
par  cette  nostre  Capitulation,  que  l'empereur  de  France 
les  chastie  en  les  privant  de  ses  ports,  et  protestant  de 
n'abandonner  pour  cela  l'amitié  qui  est  entre  nos 
Majestez  Imperialles,  approuvons  et  contirmons  les 
Commandemens  qui  ont  esté  donnez  de  nostre  feu  Père. 


4^     MK.MOIKK    SUH    l.'AMBASSADK    DK   TURQLIf 

Nous  pcrnnttoiis  aussi  que  Ils  rrant;f)is  puissent 
venir  pcscher  (lu  poisson,  et  du  corail  au  golfe  et  lieux 
(le  la  juridiction  de  Thunis,  sans  (ju'il  leur  soit  fait  ny 
donn(:  aucun  trouble  ny  cmp(JcheiTient,  contîrmant 
toutes  permissions  qui  ont  este  donnc-es  par  nos  ayculs, 
et  singulièrement  par  noslre  feu  Père,  louchant  cette 
pesche. 

Voulons  et  nous  plaist,  que  les  interprètes  et  tru- 
chemens  qui  servent  les  Ambassadeurs,  soient  francs  et 
exempts  de  payer  le  Karatche .  taille  personelle.  et 
tous  autres  imposts  tels  qu'ils  soient. 

Que  nos  sujets  qui  trafiquent  aux  pais  de  nos  enne- 
mis, soient  obligez  de  payer  le  droit  de  l'Ambassadeur 
et  Consuls  François  sans  contradiction,  jaçoit  qu'ils 
trafiquent  avec  leurs  vaisseaux  ou  autrement. 

Que  survenant  quelque  meurtre  et  inconvénient 
entre  les  François,  les  Ambassadeurs  et  Consuls  dicelle 
Nation  puissent  selon  leurs  loix  et  coutume  faire  jus- 
tice, sans  qu'aucun  de  nos  officiers  en  prenne  aucune 
connoissance  ny  juridiction. 

Que  les  Consuls  François  qui  sont  establis  dans  les 
lieux  de  nostre  Empire,  pour  avoir  soin  de  ceux  qui 
trafiquent,  ne  puissent  pour  quelque  cause  que  ce  soit. 
estre  faits  prisonniers,  ny  leurs  maisons  scellées  et  bul- 
lées  ;  mais  commandons  que  ceux  qui  auront  préten- 
tion contre  eux,  soient  renvoyées  a  nostre  Porte  où  il 
leur  sera  fait  justice. 

Que  tous  Commandemens  qui  ont  este  cy-devant 
obtenus,  ou  qui  le  seront  cy-aprés  par  mégarde  ou  sur- 


APPENDICE.  465 

prise  contre  cette  nostre  promesse  et  capitulations 
soient  de  nul  effet  et  valeur,  et  qu'il  n'y  soit  ajousté 
aucune  foy. 

Et  parce  que  ledit  Empereur  de  France  est  entre 
tous  les  Rois  et  les  Princes  Chrestiens,  le  plus  noble  de 
la  haute  famille,  et  le  parfait  amy  que  nos  ayeuls  ayent 
acquis  entre  lesdits  Rois  et  Princes  de  la  croyance  de 
Jésus,  comme  il  a  esté  dit  cy-dessus,  et  comme  le 
témoignent  les  etfets  de  la  sincère  amitié  ;  en  cette 
considération ,  Nous  voulons  et  commandons  que  son 
oAmbassadeur  qui  réside  à  nôtre  heureuse  Porte  ait  la 
préséance  sur  les  oAmbassadeurs  des  autres  Roys  et 
Princes,  soit  à  nostre  Divan  public,  ou  autres  lieux  oii 
ils  se  pourront  trouver. 

Que  les  étoffes  que  les  Ambassadeurs  de  France 
residans  à  nostre  Porte,  feront  venir  pour  leur  usage 
et  presens,  ne  soient  sujets  à  aucun  dace  ou  impost. 

Que  les  victuailles  et  provisions  qui  seront  achetées 
pour  la  maison  de  l'Ambassadeur  ne  payent  point  de 
droit  ny  d'impost. 

Que  les  Consuls  Frant;ois  jouissent  du  même  pri- 
vilège aux  lieux  où  ils  résideront,  et  qu'ils  ayent  la 
préséance    sur  les  autres  Consuls  quels  qu'ils  soient. 

Que  les  François  qui  viennent  avec  leurs  \aisseaux 
et  marchandises  dans  les  ports  de  nostre  Seigneurie  et 
pais,  y  puissent  venir  sûrement  sur  la  foy  publique, 
et  en  cas  que  la  fortune  ou  orage  jeltàt  quelqu  un  de 
leurs  vaisseaux  à  terre,  rencontrant  de  nos  gallcres  ou 
vaisseaux,  Nous  leur  ordonnons  de  les  aider  et  secou- 

30 


466     MEMOIKt:    SUR    I 'AMBASSADE    DK  TURQUIE. 

lir,  j:)()i-taiit  Iicjniicur  et  respect  aux  patrons  ou  capi- 
taines desdits  vaisseaux  François,  leur  faisant  donner 
]-)our  leur  argent,  tout  ce  qui  leur  sera  nécessaire,  pour 
leur  vie  et  autres  nécessitez. 

En  cas  qu'aucuns  d'iccux  vaisseaux  viennent  a  taire 
naufrage,  Nous  voulons  que  tout  ce  qui  se  recouvrera 
soit  remis  entre  les  mains  des  marehands  a  qui  leurs 
facultez  appartiendront,  sans  que  nos  Vice-Rois.  Gou- 
verneurs, Juges,  et  autres  Officiers  y  contreviennerit  ; 
mais  au  contraire,  Nous  voulons  qu'ils  les  secourent  à 
retourner  par  tout  nostre  Empire,  sans  qu'il  leur  soif 
donné  aucun  empêchement. 

Nous  ordonnons  et  recommandons  aux  Capitaines 
de  mer,  Lieutenans  et  tous  autres  qui  dépendent  de 
nostre  obéissance,  de  ne  violenter  ny  par  mer  ny  par 
terre,  lesdits  marchands  François,  ny  pareillement  les 
interprètes  et  truchemens,  non  plus  que  les  étran- 
gers qui  viennent  sous  la  seureté  de  leur  bannniere  : 
Voulons  toutesfois  qu'ils  soient  tenus  de  payer  les 
droits  ordinaires  des  ports  et  havres. 

Qu'iceux  Marchands  ne  puissent  estre  contraints 
d'acheter  autres  marchandises  que  celles  qu'ils  vou- 
dront, et  qui  leur  seront  propres  et  convenables. 

Et,  en  cas  qu'aucun  d'iceux  se  trouve  redevable. 
Nous  voulons  que  les  dettes,  ne  puissent  estre  deman- 
dées qu'au  débiteur,  ou  à  celuy  qui  se  sera  rendu  cau- 
tion pour  luy. 

Et  si  aucuns  marchands  ou  autres  d'icelle  nation 
meurent  en  nos  pais,  que  les  facultez  qui  se  trouveront 


APPENDICE.  467 

leur  appartenir,  soient  remises  au  pouvoir  de  celuy 
qu'ils  auront  nommé  dans  leur  testament;  mais  s'il 
arrive  qu'ils  meurent  ab  intestat,  nous  voulons  que  les 
Consuls  qui  sont  dans  nos  païs  prennent  le  soin  des 
facultez  du  mort  pour  les  envoyer  à  leurs  héritiers, 
sans  que  nos  Gouverneurs  ou  Juges,  en  puissent  prendre 
aucune  connoissance. 

Que  les  Consuls  François,  les  marchands,  les 
interprètes  et  leur  dépendans  ayent  en  leurs  ventes  et 
achats,  et  responses,  à  passer  actes  devant  les  Juges  du 
lieu  où  il  seront  ;  au  défaut  de  quoy.  Nous  voulons  et 
commandons,  que  ceux  qui  auront  quelques  prétentions 
contre  eux,  ne  soient  écoutez,  s'ils  ne  font  paroistre, 
comme  dit  est,  par  contract  public,  leurs  prétentions 
ou  droits. 

Voulons  que  tous  les  témoins  qui  seront  oiiis  à  leur 
dommage,  ne  soient  receus  ny  écoutez,  si  première- 
ment, comme  on  dit,  il  n'apparoist  d'actes  publics  de 
leurs  ventes  et  achats. 

Que  l'on  ne  moleste  point  lesdits  François  en  leur 
imputant  qu'ils  les  ont  injuriez,  afin  de  pouvoir  tirer 
quelque  argent  d'eux,  puisque  c'est  contre  la  noble 
justice,  et  que  nos  Gouverneurs,  et  Juges  l'empeschent. 

Et,  si  aucun  d'eux  pour  dettes,  ou  pour  a\oir  commis 
quelque  mauvais  acte  faisoit  faute  de  nos  pais.  Nous 
voulons,  et  commandons  que  ceux  d'icelle  nation  ne 
puissent  estrc  responsables  pour  celuy  ou  ceux  qui  se 
seront  absentez,  s'ils  n'y  sont  obligez,  comme  dit  est. 
par  contract  authentique. 


468     MÉ.VIOIKK   SUR    L'AMBASSADK    DK   TLRQLIK. 

Fa  s'il  se  tromc  par  iiostre  Ij-nj)ire  des  esclaves 
P'rançois  estant  reconnus  pour  tels  de  1  Ambassadeur  ou 
Consuls,  ceux  au  pouvoir  de  qui  ils  se  trou\cronr  fai- 
sant refus  de  les  livrer,  soient  obligez  de  les  envoyer  a 
nostre  Porte,  alin  d'estre  jugé  à  qui  ils  appartiendront. 

Que  les  François  qui  demeurent  dans  le  pais  de 
nostre  Empire  soient  francs  et  exempts  de  Karatclie. 
c'est-à-dire  de  tailles. 

Qu'au  changement  et  établissement  des  Consuls 
François  en  nos  havres  d'Alexandrie,  Tripoli  de  Sirie, 
Arger  et  autres  écheles  de  nôtre  pais,  nos  Gouverneurs, 
et  Officiers  ne  puissent  empescher  qu'ils  soient  établis 
en  charge. 

Nous  voulons  qu'ils  soient  exempts  de  l'impost 
appelle  Hurfié.  Si  quelqu'un  de  nos  sujets  a  différend 
avec  un  François,  dont  la  connoissance  appartienne 
à  nos  Juges,  ils  ne  puissent  écouter  la  demande  du 
demandeur  qu'un  interprète  de  la  nation  ne  soit  pré- 
sent, et  si  pour  lors  il  ne  se  trouve  aucun  truchement 
pour  comparoistre  devant  le  Juge  et  défendre  la  cause 
du  François,  que  les  juges  remettent  la  cause  à  une 
autre  fois,  jusques  à  ce  que  l'on  trouve  l'interprète;  le 
François  sera  toutefois  obligé  de  le  faire  trou\er,  afin 
que  l'effet  et  prompte  expédition  de  la  justice  ne  soient 
point  différez. 

Et  s'il  naist  quelque  contention  ou  différend  entre 
deux  François,  que  l'Ambassadeur  ou  Consuls  ayent  à 
les  terminer  sans  que  nos  Juges,  et  Officiers  les  em- 
peschent,  et  en  piennent  connoissance. 


APPENDICE.'  469 

Nous  ordonnons  aussi  après  que  la  recherche  aura 
esté  faite  à  Constantinople,  que  les  vaisseaux  François 
ne  soient  plus  obligez  d'estre  foUillez,  si  ce  n'est  au 
sortir  des  Dardanelles,  ou  auxchasteaux  du  détroit,  nous 
défendons  qu'ils  le  soient  à  Galipoli,  comme  ils  y  ont 
esté  contraints  par  le  passé. 

Nos  armées  navalles ,  nos  galleres  se  rencontrant 
avec  celles  de  la  France,  nous  exhortons  les  Capitaines 
d'une  part  et  d'autre,  qu'ils  ayent  à  s'aider  et  servir, 
sans  se  porter  les  uns  aux  autres  aucun  dommage,  mais 
au  contraire  secours  et  confort.  Nous  voulons  aussi 
qu'ils  ne  puissent  point  prendre  par  force  des  jeunes 
enfans,  et  autres  choses  semblables  sous  prétexte  de 
présent. 

Nous  voulons,  et  nous  plaist  que  tout  ce  qui  est 
porté  par  les  Capitulations  accordées  aux  'Vénitiens  ait 
lieu  pour  les  François,  et  qu'iceux  avec  leurs  vaisseaux, 
et  marchandises  trouvent  seureté  par  nos  mers,  et  par 
tous  les  lieux  de  nostre  Empire,  et  de  nôtre  obéissance, 
et  puissent  venir,  aller,  retourner,  et  séjourner  sans 
aucun  empeschement. 

Que  les  Admiraux  de  nos  armées  navalles,  et  nos 
Vice- Rois,  Gouverneurs  de  nos  provinces.  Juges, 
Capitaines,  Châtelains,  et  autres  qui  dépendront  de 
nostre  obéissance,  soient  soigneux  d'observer  cette  nôtre 
Capitulation,  puisque  tel  est  nostre  plaisir  et  comman- 
dement. 

Déclarons  que  ceux  qui  contreviendront  à  cette 
noble   Capitulation    seront   dcclarei    desobe'issans ,    et 


470     MÉMOIRF.   SUR    l'AMBASSADK    Dl.  TLRQUIF. 

perturbateurs  du  repos  public,  en  cette  considération . 
que  sans  aucune  remise,  ils  soient  condamne^  à  un 
grief  chastimcnt .  afin  qu'ils  servent  d'exemple  à  ceux 
qui  auront  envie  de  les  imiter  à  mal-faire,  et  outre  les 
promesses  que  nous  faisons  de  l'observation  de  cette 
nostre  Capitulation,  Nous  entendons  que  celles  qui  ont 
esté  faites  par  iiostre  prédécesseur  Sultan  Sulcïman . 
auquel  Dieu  fasse  miséricorde,  soient  observées,  et 
entretenues  de  bonne  foy. 

Il  fut  accorde  à  l'Empereur  de  France  par  les 
Capitulations  qui  furent  faites  avec  nos  bisayeuls,  à 
qui  Dieu  fasse  miséricorde,  que  toutes  les  nations  qui 
n'ont  point  leur  Ambassadeur  ordinaire  à  nostre  Porte 
de  félicité,  pussent  trafiquer  sous  la  bannière  de  France, 
et  visiter  les  Saints  lieux,  et  puis  après  pour  quelque 
sujet  ils  en  furent  privez,  et  cet  article  qui  estoit  dans 
les  Capitulations  fut  rayé,  et  effacé;  mais  quelque 
temps  après  ledit  Ambassadeur  de  France  envoya  une 
lettre  à  nostre  Porte  de  félicité,  par  laquelle  il  prioit 
que  puisque  l'on  avoit  interdit  lesdites  nations  de 
trafiquer  sous  la  bannière  de  France,  que  du  moins  il 
leur  fut  permis  de  pouvoir  aller  visiter  les  Saints  lieux 
de  Jérusalem,  comme  ils  faisoient  auparavant ,  sans 
que  personne  leur  donne  aucun  trouble  ny  empesche- 
ment,  et  que,  si  à  l'avenir,  il  leur  permettoit  de  tra- 
fiquer dans  les  lieux  de  son  Empire,  que  ce  fut  encore 
sous  la  bannière  de  France,  parce  que  l'Empereur  de 
France  a  toujours  conservé  l'ancienne  amitié  qu'il 
avoit  avec  nos  bisayeuls  jusqu'à  présent;  sa  demande 


APPENDICE.  471 

luy  fut  accordée,  en  commandant  que  les  nations  Chré- 
tiennes qui  n'ont  point  leurs  Ambassadeurs  à  nostre 
Porte,  et  qui  sont  amis  dudit  Empereur  de  France, 
puissent  visiter  les  Saints  lieux,  comme  ils  faisoient 
auparavant  avec  assurance,  et  liberté,  sans  que  per- 
sonne les  en  empeschàt  ni  les  molestât,  et  puis  après 
que  si  nous  donnons  la  permission  aux  susdites  Nations 
de  trafiquer  par  les  lieux  de  nostre  Empire,  que  ce  soit 
sous  la  bannière  de  France,  comme  auparavant,  et  non 
pas  sous  celle  d'un  autre,  comme  il  a  esté  déclaré  par 
les  Capitulations  qui  ont  esté  d'ancienneté  jusqu'à  pré- 
sent présentement  de  nouveau.  Nous  voulons  et  com- 
mandons que  les  Q^rticles  mentionne:^  soient  ajoute^ 
aux  nobles  Capitulations.  Et  premièrement. 


Articles   nouveaux. 

Que  les  Evcsques  ou  autres  religieux  de  secte 
Latine,  qui  sont  sujets  à  la  France,  de  quelque  sorte 
qu'ils  puissent  cstre,  soient  dans  tous  les  lieux  de  nostre 
Empire,  comme  ils  estoient  auparavant,  et  y  làire  leurs 
fonctions,  sans  que  personne  les  trouble  ni  les  empesche, 
que  les  religieux  François  qui  sont  en  Jérusalem ,  et 
qui  ont  depuis  long-temps  les  Lieux  saints  tant  dehors 
que  dedans,  comme  aussi  ceux  qui  sont  dans  le  saint 
Sepulchre  en  jouissent,  et  le  possèdent  comme  aupa- 
ravant, sans  que  personne  les  moleste,  en  leur  deman- 
dant des  imposts   ou  autrement,  et  s'ils   ont  quelque 


472     MKMOIRK    SUR    I.'AMBASSADK    Di:    T  L  H  Q  L  I  K. 

procès,   ils   soient  envoyez    a  nostre  Porte   de   telicité. 

Que  tous  les  François,  et  tous  ceux  cjui  sont  sous 
leur  protection  de  fjuelque  sorte  (\u\\  puissent  estrc 
qui  vont  et  vicMinent  en  Jérusalem,  ne  soient  point 
tourmentez  ni  molestez. 

Nous  voulons  que  les  Pères  Jésuites  et  Capucins 
qui  sont  en  Galata,  jouissent  toujours  de  leurs  églises. 
Et  celle  des  Capucins  ayant  esté  bruslée,  Nous  donnons 
permission  qu'elle  soit  rebastie.  Nous  voulons  aussi 
que  Ton  ne  moleste  point  les  églises  des  François  <jui 
sont  à  Smirne,  à  Seyde  et  à  Alexandrie  et  dans  toutes 
les  autres  escheles  de  nostre  Empire,  ni  qu'on  leur 
demande  aucun  argent  pour  cellc-cy. 

Nous  permettons  qu'ils  puissent  exercer  l'office 
divin  dans  l'hospital  qui  est  à  Galata,  sans  que  per^ 
sonne  les  moleste. 

Et  comme  les  marchands «f^ançois  avoient  toujours 
payé  cinq  pour  cent  jusques  à  présent  de  toutes  les 
marchandises  qu'ils  apportoient,  ou  de  celles  qu'ils 
emportoient,  l'Empereur  des  François  nous  a  demandé 
qu'ils  ne  payassent  que  trois  pour  cent,  ce  que  nous 
luy  avons  accordé  à  cause  de  l'ancienne  amitié  qu'il  a 
toujours  eue  avec  nostre  Porte;  et  Nous  avons  ajouté 
aux  nobles  Capitulations  que  les  doûanniers  ne  les 
molestassent  point  en  leur  demandant  davantage  que 
trois  pour  cent,  Nous  voulons  que  les  marchands  Fran- 
çois payent  nos  douannes  avec  la  mesme  monnoye, 
comme  la  prennent  nos  Trésoriers,  et  qu'ils  ne  soient 
point  molestez  en  leur  demandant  plus  ou  moins. 


APPENDICE.  473 

Nous  permettons  que  ceux  qui  n'ont  point  leurs 
Ambassadeurs  ou  Résidants  à  nostre  Porte  de  félicité, 
comme  Portugal,  Sicile,  Castillans,  Messinois  et  autres 
Nations  ennemies  puissent  venir  sous  la  bannière  de 
l'Empereur  de  France,  comme  ils  faisoient  au  temps 
passé,  et  qu'ils  payent  la  doUanne  comme  les  autres 
François,  sans  que  personne  les  moleste,  tant  qu'ils  ne 
feront  choses  qui  soient  contraires  à  l'accord  que  Nous 
avons  fait. 

Nous  voulons  qu'ils  payent  la  me\eterie  de  Cons- 
tantinople  et  de  Galata  de  la  mesme  façon  que  font  les 
Anglois. 

Et  si  les  doUanniers  estiment  plus  les  marchandises 
qu'elles  ne  valent  pour  leur  protit,  Nous  ordonnons 
sans  contredit  qu'au  lieu  de  l'argent,  ils  prennent  des 
marchandises. 

Que  quand  une  fois  ils  auront  payé  la  douanne  de 
soye  et  autres  marchandises ,  on  ne  leur  demande  de 
rechef. 

Que  quand  les  doUanniers  auront  esté  payez  de 
leurs  doUannes,  qu'ils  leur  donnent  le  teskeret  de 
leur  payement,  et  qu'ils  ne  les  empeschent  point  de  les 
porter  à  d'autres  escheles,  et  que  l'on  ne  les  moleste 
point  derechef  dans  une  autre  cschele  en  leur  deman- 
dant la  doilanne. 

Nous  ordonnons  que  les  Consuls  François,  et  les 
religieux  qui  leur  sont  sujets,  les  marchands,  et  les 
droguemans  puissent  faire  du  vin  dans  leurs  maisons 
pour   leurs    provisions ,    et    en    puissent    apporter    de 


474     M^.MOIRE   SUR    I  AMBASSADE    DE   TURQUIE. 

dehors,  sans  que  personne  les  moleste,  ni  les  cm- 
pesche. 

Si  quelqu'un  de  nos  sujets  a  quelque  procès  contre 
quelque  François,  dont  la  somme  soit  plus  de  quatre 
mille  aspres.  Nous  défendons  qu'il  soit  fait  justice 
autre  part  que  dans  notre  divan. 

Et  s'il  arrive  qu'on  tuë  quelqu'un  dans  des  quar- 
tiers où  sont  les  François,  nous  défendons  quils  soient 
molestez  en  leur  demandant  le  prix  du  sang,  si  ce 
n'est  qu'on  prouve  en  justice  que  ce  sont  eux  qui  ont 
fait  le  mal. 

Nous  accordons  aux  truchemens  qui  servent  les 
Ambassadeurs,  les  mêmes  privilèges  qu'aux  François. 

Nous  promettons  par  la  vérité  du  puissant  Créateur 
du  ciel  et  de  la  terre,  et  par  les  âmes  de  nos  ayeuls, 
et  bisayeuls  de  ne  contrarier,  ny  contrevenir  à  ce  qui 
est  porté  par  les  nobles  Capitulations,  tant  que  l'Em- 
pereur de  France  sera  constant  et  ferme  à  la  conser- 
vation de  nostre  amitié;  acceptons  dés  à  présent  la 
tienne  avec  volonté  de  la  tenir  chère  et  en  faire 
estime,   telle  est  nostre  promesse   Impériale. 

Fait  a  Andrinople  le  s  Juin  1673. 


APPENDICE.  475 


XV. 

Traite  entre  la  France 
ET  LA  Porte  Ottomane. 


L    EMPEREUR     SULTAN     MAHMOUD, 

FILS     DU     SULTAN      MOUSTAPHA, 
TOUJOURS     VICTORIEUX    *. 

Voici  ce  qu'ordonne  ce  signe  glorieux  et  impérial, 
conquérant  du  monde,  cette  marque  noble  et  sublime, 
dont  l'efficacité  procède  de  l'assistance  divine. 

Moi,  qui  par  l'excellence  des  faveurs  infinies  du 
Très -Haut,  et  par  l'éminence  des  miracles  remplis 
de  bénédiction  du  chef  des  prophètes  (à  qui  soient  les 
saluts  les  plus  amples,  de  môme  qu'à  sa  famille  et  à 
ses  compagnons),  suis  le  Sultan  des  glorieux  Sultans, 
l'Empereur  des  puissants  Empereurs,  le  distributeur 
des  couronnes  aux  Cosroès  qui  sont  assis  sur  les  trônes, 
l'ombre  de  Dieu  sur  la  terre,  le  serviteur  des  deux 
illustres  et  nobles  villes  de  la  Mecque  et  de  Médine, 
lieux  augustes  et  sacrés  où  tous  les  Musulmans  adressent 
leurs  vœux,  le  protecteur  et  le  maître  de  la  sainte  Jéru- 

•  Mots  entrelacés  dans  le  chiffre  du  Grand  Seigneur. 


476     M  (■,  M  O  1  n  \:    S  i;  l{    r  A  Mli  A  s  s  A  I)  K    I  )  \     T  L  H  O  L  i  K. 

suleiii  ;  le  souverain  des  trois  grandes  \illcs  de  Coiistan- 
tinopli',  Aiulrinoplc  cl  Brousse  de  même  (jue  de 
Damas,  odeur  de  Paradis,  de  Tripoli,  de  Syrie;  de 
l'Kgypte,  la  rareté  du  siècle  et  renommée  pour  ses 
délices;  de  toute  l'Arabie;  de  l'Afrique,  de  Barca,  de 
Cairovan,  d'Alep,  des  Irak  Arab  et  Adgcn  ';  de  Bassora, 
de  Lahsa,  de  Dilem,  et  particulièrement  de  Bagdad, 
capitale  des  khalifes;  de  Rakka,  de  Mossoul,  de  Cheh- 
rezour,  de  Diarbekir,  de  Zulkadrie,  d'Erzerum  la  déli- 
cieuse; de  Sébaste,  d'Adana,  de  la  Caramanie,  de  Kars, 
de  Tchildir,  de  Van;  des  îles  de  Morée,  de  Candie, 
Chypre,  Chio  et  Rhodes;  de  la  Barbarie,  de  l'Ethio- 
pie; des  places  de  guerre  d'Alger,  de  Tripoli  et  de 
Tunis  ;  des  îles  et  des  côtes  de  la  mer  Blanche  et  de  la 
mer  Noire  ;  des  pays  de  Natolie  et  des  royaumes  de 
Romélie  ;  de  tout  le  Kurdistan,  de  la  Grèce,  de  la  Tur- 
comanie,  de  la  Tartarie,  de  la  Circassie,  du  Cabarta 
et  de  la  Géorgie  ;  des  nobles  tribus  des  Tartares  et  de 
toutes  les  hordes  qui  en  dépendent;  de  Caffa  et  autres 
lieux  circonvoisins  ;  de  toute  la  Bosnie  et  dépendances  ; 
de  la  forteresse  de  Belgrade,  place  de  guerre  ;  de  la 
Servie,  de  même  que  des  forteresses  et  châteaux  qui  s'y 
trouvent  ;  des  pays  d'Albanie,  de  toute  la  \'alachie,  de 
la  Moldavie,  et  des  forts  et  fortins  qui  se  trouvent  dans 
ces  cantons  ;  possesseur  enlin  de  nombre  de  villes  et  de 
forteresses,  dont  il  est  superflu  de  rapporter  et  de  vanter 
ici  les  noms  :  moi  qui  suis  l'Empereur,  l'asile  de  la  jus- 

1.  Adjem. 


APPENDICE.  477 

tice  et  le  roi  des  rois,  le  centre  de  la  victoire,  le  Sultan 
fils  de  Sultans,  lEmpereur  Mahmoud  le  conquérant, 
iils  de  Sultan  Mustafa,  lils  de  Sultan  Muhammed  ; 
moi,  qui  par  ma  puissance,  origine  de  la  félicité,  suis 
orné  du  titre  d'Empereur  des  deux  Terres,  et,  pour 
comble  de  la  grandeur  de  mon  khalifat,  suis  illustré 
du  titre  dEmpereur  des  deux  Mers. 

La  gloire  des   grands   princes   de    la    croyance  de 
Jésus,  l'élite  des  grands  et  magnifiques  de  la  religion 
du  Messie,   l'arbitre   et  le  médiateur  des   affaires  des 
nations  chrétiennes,  revêtu  des  vraies  marques  d'hon- 
neur et  de  dignité,  rempli  de  grandeur,   de  gloire  et 
de  majesté,   lEmpereur   de   France  et  d'autres   vastes 
royaumes  qui   en   dépendent,    notre  très-magnifique, 
très-honoré,  sincère  et  ancien  ami,  LOUIS  XV,  auquel 
Dieu  accorde   tout  succès  et  félicité,   ayant  envoyé   à 
notre  auguste  cour,  qui  est  le  siège  du  khalifat,   une 
lettre,  contenant  des  témoignages  de   la  plus  parfaite 
sincérité  et  de  la  plus  particulière   affection,  candeur 
et  droiture,   et  ladite  lettre  étant  destinée  pour  notre 
Sublime  Porte  de  félicité,  qui,  par  la  bonté  infinie  de 
l'Être  Suprême  incontestablement  majestueux,  est  l'asile 
des  Sultans  les  plus  magnifiques  et  des  Empereurs  les 
plus  respectables;   le  modèle   des  seigneurs  chrétiens, 
habile,  prudent,  estimé  et  honoré  ministre,  Louis-Sau- 
veur   marquis    de    Villeneuve,    son   conseiller    d'Etat 
actuel,  et   son    ambassadeur  à   notre  Porte   de  félicité 
(dortt  la  fin  soit  comblée  de  bonheur),  aurait  demandé 
la  permission  de  présenter  et  de  remettre  ladite  lettre. 


47«     MEMOIRK   SUR    f.AMBASSADK    DE   TURQUIE. 

ce  qui  lui  aurait  ctc  accorde  par  notre  Cf)nsenlement 
impérial,  conformcment  a  1  ancien  usage  de  notre  cour; 
et  conséquemment  ledit  ambassadeur  ayant  été  admis 
jusque  devant  notre  trône  impérial,  environné  de 
lumière  et  de  gloire,  il  y  aurait  remis  la  susdite  lettre, 
et  aurait  été  témoin  de  notre  majesté,  en  participant  à 
notre  faveur  et  grâce  impériale;  ensuite  la  traduction 
de  sa  teneur  affectueuse  aurait  été  présentée  et  rappor- 
tée, selon  l'ancienne  coutume  des  Ottomans,  au  pied 
de  notre  sublime  trône,  par  le  canal  du  très-honoré 
Elhadj  Mehemmed  pacha,  notre  premier  ministre, 
l'interprète  absolu  de  nos  ordonnances,  l'ornement  du 
monde,  le  maintien  du  bon  ordre  des  peuples,  l'ordon- 
nateur des  grades  de  notre  empire,  l'instrument  de  la 
gloire  de  notre  couronne,  le  canal  des  grâces  de  la 
majesté  royale,  le  très-vertueux  grand  visir,  mon  véné- 
rable et  fortuné  ministre  lieutenant  général,  dont  Dieu 
fasse  perpétuer  et  triompher  le  pouvoir  et  la  prospérité. 
Et  comme  les  expressions  de  cette  lettre  amicale 
font  connaître  le  désir  et  l'empressement  de  Sa  Majesté 
à  faire,  comme  par  ci-devant,  tous  honneurs  et  ancienne 
amitié  jusqu'à  présent  maintenus  depuis  un  temps 
immémorial  entre  nos  glorieux  ancêtres  (sur  qui  soit  la 
lumière  de  Dieu)  et  les  très-magnitiques  Empereurs  de 
France;  et  que  dans  ladite  lettre  il  est  question,  en 
considération  de  la  sincère  amitié  et  de  l'attachement 
particulier  que  la  France  a  toujours  témoignés  à  notre 
maison  impériale,  de  renouveler  encore,  pendant  Iheu- 
reux  ternps  de  notre  glorieux  règne,  et  de  fortitier  et 


APPENDICE.  479 

éclaircir,  par  laddition  de  quelques  articles,  les  capi- 
tulations impériales,  déjà  renouvelées  l'an  de  l'hé- 
gire 1084,  sous  le  règne  de  feu  Sultan  Mehemmed, 
notre  auguste  aïeul,  noble  et  généreux  pendant  sa 
vie,  et  bienheureux  à  sa  mort,  lesquelles  capitulations 
avaient  pour  but^  que  les  ambassadeurs,  consuls,  inter- 
prètes, négociants  et  autres  sujets  de  la  France,  soient 
protégés  et  maintenus  en  tout  repos  et  tranquillité,  et 
qu'eniin  il  est  parvenu  à  notre  connaissance  impériale 
qu'il  a  été  conféré  sur  ces  points  entre  ledit  ambassa- 
deur et  les  ministres  de  notre  Sublime  Porte  :  les  fon- 
dements de  l'amitié  qui,  depuis  un  temps  immémorial, 
subsiste  avec  solidité  entre  la  cour  de  France  et  notre 
Sublime  Porte,  et  les  preuves  convaincantes  que  Sa 
Majesté  en  a  données  particulièrement  du  temps  de 
notre  glorieux  règne,  faisant  espérer  que  les  liens  d'une 
pareille  amitié  ne  peuvent  que  se  resserrer  et  se  forti- 
fier de  jour  en  jour,  ces  motifs  nous  ont  inspiré  des 
sentiments  conformes  à  ses  désirs  :  et  voulant  procurer 
au  commerce  une  activité,  et  aux  allants  et  venants  une 
sûreté,  qui  sont  les  fruits  que  doit  produire  lamitié, 
non-seulement  nous  avons  confirmé  par  ces  présentes 
dans  toute  leur  étendue,  les  capitulations  anciennes  et 
renouvelées,  de  même  que  les  articles  insérés  lors  de  la 
susdite  date;  mais  pour  procurer  encore  plus  de  repos 
aux  négociants  et  de  vigueur  au  commerce,   nous  leur 

1.  Ce  passage  étant  la  base  de  tous  les  privilèges  des  Français  en 
Turquie,  il  sert  souvent  de  motif  dans  les  requêtes  des  ambassadeurs  et 
de  fondement  aux  tirmans  du  Grand    Seigneur. 


480     MF;M01RK   sur   I.'A.MB  ASSADK    F)K   tl  rqiir. 

avons  accordé  l'cxemptif)!!  au  droit  de  mé\eterie  f)u'ils 
ont  payé  de  tout  temps,  de  même  que  plusieurs  autres 
points  concernant  le  commerce  et  la  sûreté  des  allants  et 
venants,  lesquels  ayant  été  discutés,  traités  et  réglés  en 
bonne  et  duc  forme  dans  les  di\erses  conférences  qui  se 
sont  tenues  à  ce  sujet  entre  le  susdit  ambassadeur, 
muni  d'un  pouvoir  suffisant,  et  les  personnes  préposées 
de  la  part  de  notre  Sublime  Porte  :  après  l'entière 
conclusion  de  tout,  mon  suprême  et  absolu  grand  visir 
en  aurait  rendu  compte  à  notre  étrier  impérial,  et 
notre  volonté  étant  de  témoigner  spécialement  en  cette 
occasion  le  cas  et  l'estime  que  nous  faisons  de  l'an- 
cienne et  constante  amitié  de  l'Empereur  de  France, 
qui  vient  de  nous  donner  des  marques  particulières  de 
la  sincérité  de  son  cœur,  nous  avons  accordé  notre  signe 
impérial  pour  l'exécution  des  articles  nouvellement 
conclus;  et  conséquemment  les  capitulations  anciennes 
et  renouvelées,  ayant  été  transcrites  et  rapportées  exac- 
tement, mot  pour  mot  au  commencement,  et  suivies 
des  articles  nouvellement  réglés  et  accordés,  ces  pré- 
sentes capitulations  impériales  auraient  été  remises  et 
consignées  dans  l'ordre  susdit,  entre  les  mains  dudit 
ambassadeur  :  et  pour  l'exécution  d'icelles,  le  présent 
commandement  impérial  serait  émané  dans  les  termes 
suivants,  savoir  : 

I. 

L'on    n'inquiétera   point   les   Français  qui  vont  et 
viendront  pour  visiter  Jérusalem,    de    même  que   les 


APPENDICE.  48r 

religieux  qui  sont  dans  l'église  du  Saint-Sépulcre,  dite 
Kamama. 

2. 

Les  Empereurs  de  France  n'ayant  eu  aucun  procédé 
qui  pût  porter  atteinte  à  l'ancienne  amitié  qui  les  unit 
avec  notre  Sublime  Porte,  sous  le  règne  de  feu  l'em- 
pereur Sultan  Selim,  d'heureuse  mémoire,  il  aurait  été 
accordé  aux  Franc^ais  un  commandement  impérial  pour 
la  levée  ci-devant  prohibée  des  cotons  en  laine,  cotons 
filés  et  cordouans  ;  maintenant,  en  considération  de 
cette  parfaite  amitié,  comme  il  a  déjà  été  inséré  dans 
les  capitulations,  que  personne  ne  puisse  les  empêcher 
d'acheter  des  cires  et  des  cuirs,  dont  la  sortie  était 
défendue  du  temps  de  nos  magnitîques  aïeux,  ce  pri- 
vilège leur  est  confirmé  comme  par  le  passé. 

3- 

Et  comme,  par  ci-devant,  les  marchands  et  autres 
Français  n'ont  point  payé  de  droits  sur  les  piastres 
qu'ils  ont  apportées  de  leur  pays  dans  nos  Etats,  on 
n'en  exigera  pas  non  plus  présentement;  et  nos  tréso- 
riers et  officiers  de  la  monnaie  ne  les  in({uiéteront 
point,  sous  prétexte  de  fal^riqucr  des  monnaies  du  pays 
avec  leurs  piastres. 

4- 

Si  des  marchands  français  étaient  em])arqués  sur  un 
bâtiment  ennemi,  pour  trafiquer  (comme  il  serait  con- 


482     MÉMOIRK   SUR    I.'A.M  liASS  A  DK    DK    rLRQLlK. 

traire  aii.v  Inis  de  \uuloir  les  dcpoiiillcr  et  les  lliirc 
esclaves,  parce  qu'ils  se  seraient  trouvés  dans  un  navire 
ennemi  '),  Ion  ne  pourra,  sous  ce  prétexte,  confisquer 
leurs  biens,  ni  faire  esclave  leur  personne,  pourvu  qu'ils 
ne  soient  point  en  acte  d'hostilité  sur  un  bâtiment  cor- 
saire, et  qu'ils  soient  dans  leur  état  de  marchand. 

Si  un  Français,  ayant  charge  des  provisions  de 
bouche  en  pays  ennemi,  sur  son  propre  vaisseau,  pour 
les  transporter  en  pays  ennemi,  était  rencontré  par  des 
bâtiments  musulmans,  on  ne  pourra  prendre  le  \ais- 
scau,  ni  faire  esclaves  les  personnes,  sous  prétexte  qu  ils 
transportent  des  provisions  a  l'ennemi. 


6. 


Si  quelqu'un  de  nos  sujets  emportait  des  pro\isions 
de  bouche,  chargées  dans  les  Etats  musulmans,  et  qu'il 
fut  pris  en  chemin,  les  Français  qui  se  trouveraient  à 
la  solde  dans  le  vaisseau,  ne  seront  point  faits  esclaves. 


I.  Le  mot  de  /ur/'v.  employé  ici  et  dans  plusieurs  autres  endroits  des 
capitulations,  ne  veut  pas  dn-e  tout  a  fait  ennemi,  et  signifie  littérale- 
ment militaire  ou  relatif  a  la  guerre  ;  il  s'entend  particulièrement  des 
nations  chrétiennes  qui  ne  sont  point  en  traite  avec  la  Porte,  et  géné- 
ralement de  toutes  les  nations  ennemies  ou  amies,  chez  lesquelles  le 
musulmanisme  n'est  pas  professe  ouvertement.  Il  reviendrait  assez  au 
titre  de  barbare  que  les  Grecs  et  les  Romains  donnaient  à  toutes  les 
nations  étrangères.  (Note  de  M.  Duval.) 


APPENDICE. 


7- 


Lorsque  des  Français  auront  acheté,  de  plein  gré,  des 
provisions  de  bouche  des  navires  turcs,  et  qu'ils  seront 
rencontrés  par  nos  vaisseaux,  tandis  qu'ils  s'en  vont 
dans  leur  pays,  et  non  en  pays  ennemi,  ces  vaisseaux 
français  ne  pourront  être  confisqués,  ni  ceux  qui  seront 
dedans  faits  esclaves  ;  et  s'il  se  trouve  quelque  Français 
pris  de  cette  manière,  il  sera  élargi,  et  ses  effets  resti- 
tués. 

8. 

Les  marchandises  qui,  sous  le  bon  plaisir  de  l'Em- 
pereur de  France,  seront  apportées  de  ses  Etats  dans 
les  nôtres  par  leurs  marchands,  de  même  que  celles 
qu'ils  emporteront,  seront  estimées  au  même  prix 
qu'elles  l'ont  été  anciennement  pour  l'exaction  de 
douane,  qui  se  percevra  de  la  même  façon,  sans  qu'il 
soit  fait  aucune  augmentation  sur  l'estime  desdites 
marchandises. 


On  n'exigera  la  douane  que  des  marchandises 
débarquées  pour  être  vendues,  et  non  de  celles  qu'on 
voudra  transporter  dans  d'autres  échelles,  à  quoi  il  ne 
sera  mis  aucun  empêchement. 

10. 

On  n'exigera  d'eux,  ni  le  nouvel  impôt  de  kassabié^ 


4^4     ^ï  I--  M  O  I  R  K    S  L' FI    1"  A  M  hA  S  s  A  I)  K    D  h    f  U  R  Q  L"  I  K. 

;r//.  ni  bûiij.  ni  j'a.s.sak  kouly.  cl  pas  plus  de  trois 
cents  aspres  pour  ie  droit  de  bon  voyage,  dit  sclametlik 
rcsmy  ' . 

II. 

Quoique  les  corsaires  d'Alger  soient  traités  favora- 
blement, lorsqu'ils  abordent  dans  les  ports  de  France, 
où  on  leur  donne  de  la  poudre,  du  plomb^  des  voiles. 
et  autres  agrès;  néanmoins,  ils  ne  laissent  pas  de  faire 
escla\es  les  Français  qu'ils  rencontrent,  et  de  piller  le 
bien  des  marchands,  ce  qui  leur  avant  été  plusieurs 
lois  défendu  sous  le  règne  de  notre  aïeul,  de  glorieuse 
mémoire,  ils  ne  se  seraient  point  amendés;  bien  loin 
de  donner  mon  consentement  impérial  à  une  pareille 
conduite,  nous  voulons  que,  s'il  se  trouve  quelque 
Français  fait  esclave  de  cette  façon,  il  soit  mis  en 
liberté,  et  que  ses  etîéts  lui  soient  entièrement  restitués  : 
et  si,  dans  la  suite,  ces  corsaires  persistent  dans  leur 
désobéissance,  sur  les  informations  par  lettre  qui  nous 
en  seront  données  par  Sa  Majesté,  le  beglerbey  qui  se 
trouvera  en  place  sera  dépossédé,  et  l'on  fera  dédom- 
mager les  Français  des  agrès  qui  auront  été  déprédés. 
Et  comme  jusqu'à  présent  ils  ne  se  sont  pas  beaucoup 
souciés  des  défenses  réitérées  qui  leur  ont  été  faites  à 


1.  D'anciennes  traductions,  sans  autorité  du  texte,  ont  attribue  ces 
droits  a  la  boucherie,  aux  cuirs,  aux  buffles  et  a  la  garde  des  ports. 
Cependant  l'expérience  a3ant  fait  voir  que  ces  droits  ne  sont  pas  restreints 
a  ces  articles  seulement,  et  que  les  Français  ont  joui  de  ces  immunités 
indistinctement,  il  est  bien  plus  naturel  et  plus  avantageux  d'expliquer 
l'article  littéralement,  et  consequemment  sans  restriction. 


APPENDICE.  485 

ce  sujet,  au  cas  que  dorénavant  ils  n'agissent  pas  con- 
formément à  mon  ordre  impérial,  l'Empereur  de 
France  ne  les  souffrira  point  sous  ses  forteresses,  leur 
refusera  l'entrée  de  ses  ports;  et  les  moyens  qu'il  prendra 
pour  réprimer  leurs  brigandages  ne  donneront  aucune 
atteinte  à  notre  traité,  conformément  au  commande- 
ment impérial  émané  du  temps  de  nos  ancêtres,  dont 
nous  conrîrmons  ici  la  teneur,  promettant  encore 
d'agréer  les  plaintes,  de  même  que  les  bons  témoi- 
gnages de  Sa  Majesté,  sur  cette  matière. 

12. 

Nos  augustes  aïeux,  de  glorieuse  mémoire,  ayant 
accordé  aux  Français  des  commandements  pour  pêcher 
du  corail  et  du  poisson  dans  le  golfe  d'Usturgha, 
dépendant  d'Alger  et  de  Tunis,  nous  leur  permettons 
pareillement  de  pêcher  du  corail  et  du  poisson  dans 
lesdits  endroits,  suivant  l'ancienne  coutume,  et  on  ne 
les  laissera  inquiéter  par  personne  à  ce  sujet. 

M- 

Leurs  interprètes,  qui  sont  au  service  de  leurs 
ambassadeurs,  seront  exempts  du  tribut  dit  kharatch, 
du  droit  du  kassabié^  et  des  autres  impots  arbitraires 
dits  tckialif-iirfié. 

14. 

Les  marchands  français  qui  auront  chargé  des  effets 


486     MKMOIRK   SUR   I.'AMBASSADK    Dt  TURQUIE. 

sur  leurs  bùlimcnls,  et  ceux  de  nos  sujets  qui  iratique- 
ront  avec  leurs  navires,  en  pays  ennemi,  payeront  exac- 
tement aux  ambassadeurs  et  aux  consuls  le  droit  de 
consulat  et  leurs  autres  droits,  sans  opposition  ni  con- 
travention quelconque. 

M- 

S'il  arrivait  quelque  meurtre  ou  quelque  autre 
désordre  entre  les  Français,  leurs  ambassadeurs  et 
leurs  consuls  en  décideront  selon  leurs  us  et  coutumes, 
sans  qu'aucun  de  nos  officiers  puisse  les  inquiéter  à 
cet  égard. 

i6. 

En  cas  que  quelque  personne  intente  un  procès  aux 
consuls  établis  pour  les  affaires  de  leurs  marchands,  ils 
ne  pourront  être  mis  en  prison,  ni  leur  maison  scellée, 
et  leur  cause  sera  écoutée  à  notre  Porte  de  félicité  ;  et  si 
l'on  produisait  des  commandements  antérieurs  ou  pos- 
térieurs, contraires  à  ces  articles,  ils  seront  de  nulle 
valeur,  et  il  sera  fait  en  conformité  des  capitulations 
impériales. 


Et,  outre  que  la  famille  des  Empereurs  de  France  * 
est  en  possession    des    rênes    de    l'autorité   souveraine 

I.  Renouvellements  et  additions  accordes  par  sultan  Ahmed  F'' a  M.  de 
Brèves,  ambassadeur  de  Henri  IV,  en  160.^. 


APPENDICE.  487 

avant  les  rois  et  les  princes  les  plus  renommés  parmi 
les  nations  chrétiennes,  comme  depuis  le  temps  de  nos 
augustes  pères  et  de  nos  glorieux  ancêtres  elle  a  con- 
servé a\ec  notre  Sublime  Porte  une  amitié  plus  con- 
stante et  plus  sincère  que  tous  les  autres  rois,  sans  que 
depuis  lors  il  soit  rien  survenu  entre  nous  de  contraire 
à  la  foi  des  traités,  et  qu'elle  a  témoigné  à  cet  égard 
toute  la  constance  et  la  fermeté  possibles,  nous  voulons 
que,  lorsque  les  ambassadeurs  de  France,  résidant  à 
notre  Porte  de  félicité  viendront  à  notre  suprême  divan, 
et  qu'ils  iront  chez  nos  visirs  et  nos  três-honorés  con- 
seillers, ils  aient,  suivant  l'ancienne  coutume,  le  pas  et 
la  préséance  sur  les  ambassadeurs  d'Espagne  et  des 
autres  rois. 

18. 

On  n'exigera  d'eux  ni  douane  ni  droit  de  badj.  sur 
ce  qu'ils  feront  venir  à  leur  dépens  pour  leurs  présents 
et  habillements,  et  pour  leurs  besoins  et  provisions  de 
boire  et  de  manger;  et  les  consuls  de  France,  qui  sont 
dans  les  villes  de  commerce,  auront  pareillement  la 
préséance  sur  les  consuls  dEspagne  et  des  autres  Rois, 
ainsi  qu'il  se  pratique  à  notre  Porte  de  félicité. 

19. 

Comme  les  Franojais  qui  commercent  en  tout  temps 
avec  leurs  biens,  effets  et  navires,  dans  les  échelles  et 
dans  les  ports  de  nos  Etats,  y  vont   et  viennent  sur  la 


488     M  F,  \T  O  I  Fî  i:   SUR    I  '  \  M  m  S  S  \  I)  I-,    I)  W  T  T  F{  Q  L'  I F . 

Ijoniic  foi  cl  sur  riissuruncc  de  la  paix;  I(»im|iic  Kurs 
l;àtiim'nts  seront  exposes  aux  accidents  tle  la  nier,  cl 
qu'ils  auront  besoin  de  secours,  nous  ordonnons  (juc 
nos  vaisseaux  de  guerre  et  autres  qui  se  trouveront  a 
portée  aient  à  leur  donner  toute  l'assistance  nécessaire, 
et  (jue  les  commandants,  chefs,  capitaines  ou  lieute- 
nantj,  ne  manquent  pas  envers  eux  aux  moindres 
égards,  donnant  tous  leurs  soins  et  leur  attention  a  leur 
faire  fournir,  pour  leur  argent,  les  provisions  dont  ils 
auront  besoin;  et  si,  par  la  violence  du  vent,  la  mer 
jetait  à  terre  leurs  bâtiments,  les  gouverneurs,  juges 
et  autres  les  secourront,  et  tous  les  effets  et  marchan- 
dises sau\és  du  naufrage  leur  seront  restitués  sans  dit- 
liculté. 

20. 

Nous  voulons  que  les  Francjais,  marchands,  drog- 
mans  et  autres,  pourvu  qu'ils  soient  dans  les  bornes  de 
leur  état,  aillent  et  viennent  librement  par  mer  et  par 
terre,  pour  vendre,  acheter  et  commercer  dans  nos 
Etats  ;  et  qu'après  avoir  payé  les  droits  d'usage  et  de 
consulat,  selon  qu'il  s'est  toujours  pratiqué,  ils  ne 
puissent  être  inquiétés  ni  molestés  en  allant  et  \enant, 
par  nos  amiraux,  capitaines  de  nos  bâtiments  et  autres, 
non  plus  que  par  nos  troupes. 

21. 

On  ne  pourra  forcer  les  marchands  français  à 
prendre,  contre  leur  gré,  certaines  marchandises,  et  ils 
ne  seront  point  inquiétés  à  cet  égard. 


APPENDICE.  4S9 

22. 

Si  quelque  Franc;ais  se  trouve  endette,  on  attaquera 
le  débiteur,  et  l'on  ne  pourra  rechercher  ni  prendre 
à  partie  aucun  autre,  à  moins  qu'il  ne  soit  sa  cau- 
tion. 

Si  un  Français  vient  à  mourir,  ses  biens  et  effets, 
sans  que  personne  puisse  s'y  ingérer,  seront  remis  à  ses 
exécuteurs  testamentaires;  et  sil  meurt  sans  testament, 
ses  biens  seront  donnés  à  ses  compatriotes,  par  l'entre- 
mise de  leur  consul,  sans  que  les  officiers  du  fisc  et 
du  droit  d'aubaine,  comme  bcit-iilmaldjy  et  cassam. 
puissent  les  inquiéter. 

23. 

Les  marchands,  les  drogmans  et  les  consuls  fran- 
çais, dans  leurs  achats,  ventes,  commerce,  cautionne- 
ments et  autres  affaires  de  justice,  se  rendront  chez  le 
cadi,  011  il  feront  dresser  un  acte  de  leurs  accords,  et  le 
feront  enregistrer,  afin  que  si  dans  la  suite  il  survenait 
quelque  différend,  on  ait  recours  à  l'acte  et  aux 
registres,  et  qu'on  juge  en  conformité;  et  si,  sans  s'être 
muni  de  l'une  ou  de  l'autre  de  ces  Ibrmalités,  1  on  veut 
intenter  quelque  procès  contre  les  règles  de  la  justice, 
en  ne  produisant  que  des  faux  témoins,  on  ne  permettra 
point  de  pareilles  supercheries,  et  leur  demande  con- 
traire à  la  justice  ne  sera  point  écoutée;  et  si,  par  pure 
avidité,  quelqu'un  accusait  un  Français  de  lui  a\()ir  dit 
des   injures,   on    empêchera   que    le    l'rançais    ne   soit 


490     .MF..MOIRI.   SUR    L'AMBASSADE    DR  TLHQUIK. 

iiHjiiictc  contre  les  \u\\  de  lu  justice;  et  si  un  français 
\enait  à  s'absenter  pour  cause  de  dette  ou  de  f(uelque 
faute,  on  ne  j)ourra  saisir  ni  inquiéter  a  ce  sujet  aucun 
autre  Français  qui  serait  innocent,  et  qui  n'aurait  point 
été'  sa  caution. 

M- 

S'il  se  trouve  dans  nos  Etats  quelque  esclave  dépen- 
dant de  la  France,  et  qu'il  soit  réclamé  comme  Fran- 
çais par  les  ambassadeurs  ou  leurs  consuls,  il  sera 
amené  avec  son  maître  ou  son  procureur  à  ma  Porte  de 
félicité,  pour  que  lafiliire  y  soit  décidée.  On  n'exi- 
gera point  de  kharatch.  ou  tribut,  des  Français  établis 
dans  mes  Etats. 

Lorsqu'ils  enverront  de  leurs  gens  capables,  pour 
remplacer  leurs  consuls  établis  à  Alexandrie,  à  Tri- 
poli de  Syrie  et  dans  les  autres  échelles,  personne  ne 
s'y  opposera,  et  ils  seront  exempts  des  impôts  arbitraires 
dits  tekialif-iirjîé. 

26. 

Si  quelqu'un  avait  un  différend  a^ec  un  marchand 
français,  et  qu'ils  se  portassent  chez  le  cadi.  ce  juge 
n'écoutera  point  leur  procès,  si  le  drogman  français  ne 
se  trouve  présent;  et,  si  cet  interprète  est  occupé  pour 
lors  à  quelque  affaire  pressante,  on  différera  jusqu'à  ce 
qu'il  vienne  :  mais  aussi  les  Français  s'empresseront  de 
le  représenter,  sans  abuser  du  prétexte  de  l'absence  de 


APPENDICE.  491 

leur  drogman.  Et  s'il  arrive  quelque  contestation  entre 
les  Français,  les  ambassadeurs  et  les  consuls  en  pren- 
dront connaissance,  et  en  décideront  selon  leurs  us  et 
coutume,  sans  que  personne  puisse  s'y  opposer. 

Il  était  d'un  usage  ancien  que  les  bâtiments  qui 
partaient  de  Constantinople,  après  y  avoir  été  visités, 
l'étaient  encore  aux  châteaux  des  Dardanelles,  après 
quoi  on  leur  permettait  de  partir  :  on  a  introduit  depuis, 
contre  l'ancienne  coutume,  une  autre  visite  à  Gallipoli  ; 
dorénavant,  conformément  à  l'ancien  usage,  ils  pour- 
suivront leur  route  après  qu'on  les  aura  visités  aux 
Dardanelles. 


Quand  nos  vaisseaux,  nos  galères  et  nos  armées 
navales  se  rencontreront  en  mer  avec  les  vaisseaux 
français,  ils  ne  feront  aucun  mal  ni  dommage;  mais  au 
contraire  ils  se  donneront  réciproquement  toutes  sortes 
de  témoignages  d'amitié  :  et  si  de  leur  plein  gré  ils  ne 
font  aucun  présent,  on  ne  les  inquiétera  point,  et  on  ne 
leur  prendra  par  force  ni  agrès,  ni  bardes,  ni  jeunes 
garçons,  ni  aucune  autre  chose  qui  leur  appartienne. 


Nous  contirmons  aussi  pour  les  Français  tout  ce  qui 
est  contenu  dans  les  capitulations  impériales  accordées 


4y2     Mf.MUlRK    S  L' R  ^L' A  M  B  A  SS  A  1)  K    I)  l     1' L  K  (^  L  I  K. 

auv  N'cniticiis  ;  et  clcfciulons  a  toutes  sortes  de  ju-r- 
sonnes  de  s'opposer  jiar  aucun  enijKchenn  iit.  conles- 
lation  ni  cliicane,  au  cours  tle  la  justice,  et  a  l'exécu- 
tion de  mes  capitulations  impériales. 

30. 

Nous  voulons  que  lés  navires  et  autres  ]:)àtiments 
français,  qui  viendront  dans  nos  Etats,  y  soient  bien 
gardés  et  soutenus,  et  qu'ils  puissent  s'en  retourner  en 
toute  sûreté;  et  si  l'on  pillait  quelque  chose  de  leurs 
hardes  et  de  leurs  effets,  non-seulement  on  se  donnera 
toutes  sortes  de  mouvements  pour  le  rccoii\Tement.  tant 
des  biens  que  des  hommes,  mais  même  on  punira 
rigoureusement  les  malfaiteurs,  quels  qu'ils  puissent 
être. 

Commandons  à  nos  gouverneurs,  amiraux,  Nice- 
rois,  cadis,  douaniers,  capitaines  de  nos  na\ires,  et 
généralement  tous  autres  habitants  de  nos  États,  d'exé- 
cuter ponctuellement  tout  ce  qui  est  contenu  dans  cette 
capitulation  impériale,  symbole  de  la  justice,  sans  y 
apporter  la  moindre  contravention  ;  de  sorte  que,  si 
quelqu'un  ose  s'opposer  et  s'opiniâtrer  contre  l'exécu- 
tion de  mon  commandement  impérial,  nous  Nouions 
qu'il  soit  regardé  comme  criminel  et  rebelle,  et  que 
comme  tel  il  soit  châtié  sans  aucune  rémission  ni  délai, 
pour  servir  d'exemple  aux  autres.  Enfin,  notre  volonté 


APPENDICE.  "493 

est  qu'on  ne  permette  jamais  rien  de  contraire  a  la 
bonne  foi  et  aux  accords  conclus  par  les  capitulations 
accordées  sous  les  augustes  règnes  de  nos  magniriques 
aïeux  de  glorieuse  mémoire. 

32. 

^  Comme  les  nations  ennemies  qui  n'ont  point  d'am- 
bassadeurs décidés  à  ma  Porte  de  félicité,  allaient  et 
venaient  ci-devant  dans  nos  Etats,  sous  la  bannière  de 
l'Empereur  de  France,  soit  pour  commerce,  soit  pour 
pèlerinage,  suivant  la  permission  impériale  qu'ils  en 
avaient  eue  sous  le  règne  de  nos  aïeux  de  glorieuse 
mémoire,  de  même  qu'il  est  aussi  porté  par  les 
anciennes  capitulations  accordées  aux  Français  :  et 
comme  ensuite,  pour  certaines  raisons,  l'entrée  de  nos 
Etats  avaient  été  absolument  prohibée  à  ces  mêmes 
nations,  et  qu'elles  a\aient  même  été  retranchées  des- 
dites capitulations  ;  néanmoins,  l'Empereur  de  France 
aj/ant  témoigné  par  une  lettre  qu'il  a  envoyée  à  notre 
Porte  de  félicité,  qu'il  désirait  que  les  nations  enne- 
mies, auxquelles  il  était  défendu  de  commercer  dans 
nos  Etats,  eussent  la  liberté  d'aller  et  venir  à  Jérusalem, 
de  même  quelles  avaient  coutume  d'y  allei"  et  \enir, 
sans  être  aucunement  inquiétées;  et  que,  si  par  la  suite 
il  leur  était  permis  daller  et  venir  trafiquer  dans  nos 
Etats,  ce  tût  encore  sous  la  bannière  de  France,  comme 


I.  Renouvellement  et   .idditions    accordas  par   sultan   Mehenict   I\'  a 
M.  de  Nomtel,  ambassadeur  de  Louis  XIV,  en  1673. 


494     MKMOIRK   SUR    I,'A  M  B  A  SS  A  D  K    DK  TURQUIE. 

par  ci-de\aiU,  la  (kinaïuic  âc  1  1  jnpcrciir  cic  France 
aurait  ctc  agrccc  en  considération  de  l'ancienne  amitié 
qui,  depuis  nos  glorieux  ancêtres,  subsiste  de  père  en 
tils  entre  Sa  Majesté  et  ma  Sublime  Porte,  et  il  serait 
émané  un  commandement  impérial  dont  suit  la  teneur, 
savoir  :  Quv  les  nations  clirétiennes  et  ennemies,  f|ui 
sont  en  paix  a\ec  l'I^mpereur  de  France  et  qui  dési- 
reront visiter  Jérusalem,  puissent  y  aller  et  venir, 
dans  les  bornes  de  leur  état,  en  la  manière  accou- 
tumée, en  toute  liberté  et  sûreté,  sans  que  personne 
leur  cause  aucun  trouble  ni  empêchement;  et  si, 
dans  la  suite,  il  convient  d'accorder  auxdites  nations 
la  liberté  de  commercer  dans  nos  Etats,  elles  iront 
et  viendront  pour  lors  sous  la  bannière  de  l'Empe- 
reur de  France,  comme  auparavant,  sans  qu'il  leur 
soit  permis  d'aller  et  de  venir  sous  aucune  autre 
bannière. 

Les  anciennes  capitulations  impériales  qui  sont 
entre  les  mains  des  Français  depuis  les  règnes  de  mes 
magnifiques  aïeux  jusqu'aujourd'hui,  et  qui  viennent 
d'être  rapportées  en  détail  ci-dessus,  ayant  été  mainte- 
nant renouvelées  avec  une  addition  de  quelques  nou- 
veaux articles,  conformément  au  commandement  impé- 
rial, émané  en  vertu  de  mon  khatti-cherit^  le  premier 
de  ces  articles  porte,  que  les  évêques  dépendants  de  la 
France,  et  les  autres  religieux  qui  professent  la  religion 
franque,  de  quelque  nation  ou  espèce  qu'ils  soient, 
lorsqu'ils  se  tiendront  dans  les  bornes  de  leur  état,  ne 
seront  point  troublés  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions, 


APPENDICE.  495 

dans  les  endroits  de  notre  empire  où  ils  sont  depuis 
longtemps. 

33- 

Les  religieux  francs  qui ,  suivant  l'ancienne  cou- 
tume, sont  établis  dedans  et  dehors  de  la  ville  de  Jéru- 
salem, dans  l'église  du  Saint-Sépulcre,  appelée  Kamama. 
ne  seront  point  inquiétés  pour  les  lieux  de  Visitation 
qu'ils  habitent,  et  qui  sont  entre  leurs  mains,  lesquels 
resteront  entre  leurs  mains  comme  par  ci-devant,  sans 
qu'ils  puissent  être  inquiétés  à  cet  égard,  non  plus  que 
par  des  prétentions  d'impositions;  et  s'il  leur  surve- 
nait quelque  procès  qui  ne  pût  être  décidé  sur  les 
lieux,  il  sera  renvoyé  à  ma  Sublime  Porte. 

34- 

Les  Français,  ou  ceux  qui  dépendent  d'eux,  de 
quelque  nation  ou  qualité  qu'ils  soient,  qui  iront  à 
Jérusalem,  ne  seront  point  inquiétés  en  allant  et  venant. 

Les  deux  ordres  de  religieux  français  qui  sont  à 
Galata,  savoir,  les  jésuites  et  les  capucins,  y  ayant  deux 
églises  qu'ils  ont  entre  leurs  mains  ab  antiqno .  elles 
resteront  encore  entre  leurs  mains,  et  ils  en  auront  la 
possession  et  jouissance  ;  et  comme  1  wn^i  de  ces  églises  a 
été  brûlée,  elle  sera  rebâtie  avec  permission  de  la  jus- 
tice, et  elle  restera  comme  par  ci-devant  entre  les  mains 


496      Mf.MOIHI     SUR    l'AMBASSADl      DKTLRQUIK. 

des  ca|)uciMs,  sans  rju  ils  piiisseiii  ètir  iiujiiictcs  a  cet 
ëgarii.  On  n  in<|iiiitcra  pas  non  plus  les  églises  que  la 
nation  iranç^aise  a  a  Smyrne.  a  Seyde,  à  Alexandrie  et 
dans  les  autres  cclielles.  et  l'on  n'exigera  d'eux  aucun 
argent  sous  ce  prétexte. 

36. 

On  n  inf{uiclera  pas  les  f"raiK;ais,  quand,  dans  les 
bornes  de  leur  état,  ils  liront  l'Kvangile  dans  leur 
hôpital  de  Galata. 

Quoique  les  marchands  tVanç;ais  aient,  de  tout 
temps,  payé  cinq  pour  cent  de  douane  sur  les  mar- 
chandises qu  ils  apportaient  dans  nos  Etats  et  qu  ils  en 
emportaient;  comme  ils  ont  prié  de  réduire  ce  droit  à 
trois  pour  cent,  en  considération  de  l'ancienne  amitié 
qu'ils  ont  avec  notre  Sublime  Porte,  et  de  le  faire  insé- 
rer dans  ces  nouvelles  capitulations,  nous  aurions  agréé 
leur  demande,  et  nous  ordonnons  qu'en  conformité  on 
ne  puisse  exiger  d'eux  plus  de  trois  pour  cent;  et 
lorsqu'ils  payeront  leur  douane,  on  la  recevra  en  mon- 
naie courante  dans  nos  États,  pour  la  même  valeur 
quelle  est  reçue  au  trésor  inépuisable,  sans  pouvoir 
être  inquiétés  sur  la  plus  ou  moins  \alue  d'icelle. 

Les  Portugais,  Siciliens,  Catalans,  Messinois,  Anco- 


APPENDICE.  497 

nois  et  autres  nations  ennemies,  qui  n'ont  ni  ambassa- 
deurs ni  consuls  ni  agens  à  ma  Sublime  Porte,  et  qui 
de  leur  plein  gré,  comme  ils  faisaient  anciennement, 
viendront  dans  nos  Etats  sous  la  bannière  de  l'Empe- 
reur de  France,  payeront  la  douane  comme  les  Fran- 
çais, sans  que  personne  puisse  les  inquiéter,  pourvu 
qu'ils  se  tiennent  dans  les  bornes  de  leur  état,  et  qu'ils 
ne  commettent  rien  de  contraire  à  la  paix  et  à  la  bonne 
intelligence. 

39- 

Les  Français  payeront  le  droit  de  mé:[eterie;  sur  le 
pied  que  le  payent  les  marchands  anglais  ;  et  les  rece- 
veurs de  ce  droit,  qui  seront  à  Constantinople  et  à 
Galata,  ne  pourront  les  molester  pour  en  exiger  davan- 
tage. Et  si  les  receveurs  de  la  douane,  pour  augmen- 
ter leurs  droits,  veulent  estimer  les  marcTiandises  à  plus 
haut  prix,  ils  ne  pourront  refuser  de  la  même  marchan- 
dise au  lieu  d'argent;  et  quand  ils  auront  été  payés  de 
la  douane  sur  les  soies  et  les  indiennes,  ils  ne  pourront 
l'exiger  une  seconde  fois  ;  et  lorsque  les  douaniers 
auront  reçu  leur  douane,  ils  en  donneront  l'acquit,  et 
n'empêcheront  point  les  Français  de  porter  leurs  mar- 
chandises dans  une  autre  échelle,  où  l'on  ne  pourra 
non  plus  les  inquiéter  par  la  prétention  d'une  seconde 
douane. 

40. 

Les  consuls  de  France  et  ceux  qui  en  dépendent, 
comme  religieux,   marchands  et   interprètes,   pourront 

32 


49«      MF-.MOIKK  SLR    L'AMHASSADK    l)K    ILHQL  Jl.. 

id'ivv  luire  du  \in  ihiiis  leurs  niais(jns.  cl  un  l'aire  \enir 
de  dehors  pour  leur  pr()\  isioii  ordinaire,  sans  qu'on 
puisse  les  infjuiéter  a  ce  sujet. 

41- 

Les  procès  excédant  (juatre  mille  aspres,  seront 
écoutes    a    mon  divan   impérial  et   nulle  part  ailleurs. 

.42. 

S  il  arrivait  quelque  meurtre  dans  les  endroits  oîi  il 
y  a  des  Françjais,  tant  qu'il  ne  sera  point  donné  de 
preuves  contre  eux,  on  ne  pourra  désormais  les  inquié- 
ter ni  leur  imposer  aucune  amende,  dite  djérimé. 

43- 

Les  privilèges  ou  immunités  accordés  aux  Français 
auront  aussi  lieu  pour  les  interprètes  qui  sont  au  ser- 
vice de  leurs  ambassadeurs. 

*  Non-seulement  j'accepte  et  confirme  les  présentes 
capitulations  anciennes  et  renouvelées,  ainsi  qu'il  a  été 
rapporté  ci-dessus,  sous  le  règne  de  mon  auguste  aïeul 
de  glorieuse  mémoire  ;  mais  encore  les  articles  deman- 
dés et  nouvellement  réglés  et  accordés  ont  été  joints  à 
ces  anciennes  capitulations  dans  la  forme  et  teneur 
ci-après,  savoir  : 

I.  Renouvellement  et  additions    accordés    par    sultan    Mahmoud   a 
M.  de  Villeneuve,  ambassadeur  de  Louis  XV,  en  1740. 


APPENDICE.  499 


44. 


Outre  le  pas  et  la  préséance  portés  par  le  sens  des 
précédents  articles,  en  faveur  des  ambassadeurs  et  des 
consuls  du  très-magnirique  Empereur  de  France:  comme 
le  titre  d'Empereur  a  été  attribué  ab  antiqiio  par  ma 
Sublime  Porte  à  Sadite  Majesté,  ses  ambassadeurs  et 
ses  consuls  seront  aussi  traités  et  considérés  par  ma  Porte 
de  félicité  avec  les  honneurs  convenables  à  ce  titre. 


45- 

Les  ambassadeurs  du  trés-magnitique  Empereur  de 
France,  de  même  que  ses  consuls,  se  serviront  de  tels 
drogmans  qu'ils  voudront,  et  emploieront  tels  janis- 
saires qu'il  leur  plaira,  sans  que  personne  puisse  les 
obliger  de  se  servir  de  ceux  qui  ne  leur  convien- 
draient pas. 

46. 

Les  drogmans  véritablement  français  étant  les  repré- 
sentants des  ambassadeurs  et  des  consuls,  lorsqu'ils 
interpréteront  au  juste  leur  commission  et  qu'ils  s'ac- 
quitteront de  leurs  l'onctions,  ils  ne  pourront  être  ni 
réprimandés  ni  emprisonnés;  et,  s'ils  AÏenncnl  a  maii(|uer 
en  quelque  chose,  ils  seront  corrigés  jiar  leurs  ambassa- 
deurs ou  leurs  consuls,  sans  (jue  personne  autre  puisse 
les  molester. 


joo     .MI..MU1IIL    bLW    l.'A.MJiASSAIJl.    D  1.    I' L  R  g  L  Ih. 

47- 

Des  donusticjucs,  raï'as  ou  sujets  de  ma  Sublime 
Porte  (jui  sont  au  ser\ice  de  l'ambassadeur  dans  son 
jialais,  quinze  seulement  sercjnt  exempts  des  impositions 
et  ne  seront  point  inquiètes  a  ce  sujet. 

48. 

Ceux  qui  sont  sous  la  domination  de  ma  Sublime 
Porte,  Musulmans  ou  raïas,  tels  qu'ils  soient,  ne  pour- 
ront forcer  les  consuls  de  France,  véritablement  français, 
à  comparaître  personnellement  en  justice,  lorsqu'ils 
auront  des  drogmans,  et  en  cas  de  besoin,  ces  Musul- 
mans ou  raïas  plaideront  avec  les  drogmans  qui  auront 
été  commis  à  cet  effet  par  leurs  consuls. 

49- 

Les  pachas,  cadis  et  antres  commandants,  ne  pour- 
ront empêcher  les  consuls,  ni  leurs  substituts  par  com- 
mandement, d  arborer  leur  pavillon  suivant  l'étiquette, 
dans  les  endroits  où  ils  ont  coutume  d'habiter  depuis 
longtemps. 

50. 

Il  sera  permis  d'employer,  pour  la  sûreté  des  mai- 
sons des  consuls,  tels  janissaires  qu'ils  demanderont,  et 
ces  sortes  de  janissaires  seront  protégés  par  les  odaba- 


APPENDICE.  joj 

chis  et  par  les  autres  officiers,  sans  que  pour  cela  on 
puisse  exiger  desdits  janissaires  aucun  droit  ni  recon- 
naissance. 

Lorsque  les  consuls,  les  drogmans  et  les  autres 
dépendants  de  la  France,  feront  venir  du  raisin  pour 
leur  usage,  dans  les  maisons  où  ils  habitent,  pour  en 
faire  du  vin,  ou  qu'il  leur  viendra  du  vin  pour  leur 
provision,  nous  voulons  que,  tant  a  l'entrée  que  lors 
du  transport,  les  janissaires  aga,  bostandgy-bachy, 
toptchy-bachj,  vaivodes  et  autres  ofticiers,  ne  puissent 
demander  aucun  droit  ni  donative,  et  qu'on  se  conforme 
à  cet  égard  au  contenu  des  commandements  qui  ont  été 
donnés  à  ce  sujet  par  les  Empereurs  nos  prédécesseurs, 
et  qu'on  a  été  dans  l'usage  de  donner  jusqu'à  présent. 

52. 

S'il  arrive  que  les  consuls  et  les  négociants  français 
aient  quelques  contestations  avec  les  consuls  et  les  négo- 
ciants d'une  autre  nation  chrétienne,  il  leur  sera  per- 
mis, du  consentement  et  à  la  réquisition  des  parties,  de 
se  pourvoir  par-devant  leurs  ambassadeurs  qui  résident 
à  ma  Sublime  Porte;  et  tant  que  le  demandeur  et  le 
défendeur  ne  consentiront  pas  à  porter  ces  sortes  de 
procès  par-devant  les  pachas,  cadis,  ofticiers  ou  doua- 
niers, ceux-ci  ne  pourront  pas  les  y  forcer,  ni  prétendre 
en  prendre  connaissance. 


502      MF.MOIIU.    SLR    L'AMHASSAUK    D  F-.    TURQ^-'IE- 

Lorsque  quelque  marchand  français,  ou  dépendant 
de  la  France,  fera  une  banqueroute  avérée  et  manifeste, 
ses  créanciers  seront  payés  sur  ce  qui  restera  de  ses 
effets,  et  pour\  u  qu'ils  ne  soient  pas  munis  de  quelque 
titre  \alablc  de  cautionnement,  soit  de  l'ambassadeur, 
des  consuls,  des  drogmans  ou  de  quelqu'autre  Français, 
on  ne  pourra  rechercher  à  ce  sujet  lesdits  ambassa- 
deurs, consuls,  drogmans  ni  autres  Français,  et  l'on  ne 
pourra  les  arrêter  en  prétendant  de  les  en  rendre  res- 
ponsables. 

54- 

Lorsque  les  corsaires  et  autres  ennemis  de  ma 
Sublime  Porte  auront  commis  quelque  déprédation  sur 
les  côtes  de  notre  empire,  les  consuls  et  les  négociants 
français  ne  seront  point  inquiétés  ni  molestés,  confor- 
mément au  contenu  des  commandements  ci-devant 
accordés  ;  et  comme,  pour  la  sûreté  réciproque,  il  est 
nécessaire  de  reconnaître  les  scélérats  appelés /or^^w^. 
afin  qu'ils  soient  tous  connus  doréna^•ant,  lorsque  les 
bâtiments  barbaresques  ou  autres  corsaires  viendront 
dans  les  échelles  de  notre  empire,  nos  commandants  et 
autres  officiers  examineront  leurs  passe-ports  avec  atten- 
tion, et  les  commandements  ci-devant  accordés  à  ce  sujet 
seront  exécutés  comme  par  le  passé  ;  à  condition  néan- 
moins que  les  consuls  français  examineront  avec  soin, 
et  feront  savoir  si  les  bâtiments  qui  \  iendront  dans  nos 


APPENDICE.  503 

ports  avec  le  pavillon  de  France  sont  véritablement 
français;  et,  après  les  perquisitions  dûment  faites  de  la 
manière  ci-dessus  spécifiée,  tant  nos  officiers  que  les 
consuls  de  France  s'en  doni?eront  réciproquement  des 
avis  de  bouche  et  même  par  écrit,  si  le  cas  requiert 
pour  la  sûreté  réciproque  des  parties. 

5^   - 

La  cour  de  France  étant  depuis  un  temps  immé- 
morial en  amitié  et  en  bonne  intelligence  avec  ma 
Sublime  Porte,  et  le  très-magnitique  Empereur  de 
de  France,  de  même  que  sa  cour,  ayant  particulière- 
ment donné  ses  soins  dans  les  traités  de  paix  qui  sont 
survenus  depuis  peu,  il  a  paru  que  quelque  fa\eur 
dans  certaines  affaires  de  convenances  était  un  moyen 
de  fortifier  Pamitié,  et  un  sujet  d'en  multiplier  de  plus 
en  plus  les  témoignages  ;  c'est  pourquoi  nous  voulons 
que  dorénavant  les  marchandises  qui  seront  embarquées 
dans  les  ports  de  France,  et  qui  viendront  à  notre  capi- 
tale chargées  sur  des  bâtiments  véritablement  français, 
avec  manifeste  et  pavillon  de  France,  de  même  que 
celles  qui  seront  chargées  dans  notre  capitale  sur  des 
bâtiments  véritablement  français,  pour  être  portées  en 
France,  après  qu'elles  auront  payé  le  droit  de  douane 
et  celui  de  bon  xoyage,  dit  sclamctlik-rcsmy ,  confor- 
mément aux  capitulations  antérieures,  lorsque  les  Fran- 
çais négocieront  ces  sortes  de  marchandises  avec  quel- 
qu'un,   l'on    ne    puisse    exiger    d'eux,    sous    quelque 


J04     M  f .  MOI  R  K   S  U  Fi    I ,'  A  M  Fi  A  S  S  A  F)  F!    D  F-,  T  T  R  Q  L' F  F.. 

prclcvlc  que  ce  soit,  Irilroii  tic  mc^^cteric.  doiii  l'cxcnip- 
tioii  leur  (.'Si  pleinement  accordée  pour  l'article  de  la 
méietcric  tant  seulement. 

56. 

Comme  il  a  été  accordé  aux  marchands  français  et 
aux  dépendants  de  la  France  de  ne  payer  que  3  p.  0/0, 
de  douane  sur  les  marchandises  qu'ils  apporteront  de 
leur  propre  pays  dans  les  Etats  de  notre  domination, 
non  plus  que  sur  celles  qu'ils  emportent  d'ici  dans  leur 
pays  ;  quoique  dans  les  précédentes  capitulations  on 
n'ait  compris  que  les  cotons  en  laine,  cotons  HIés, 
maroquins,  cires,  cuirs  et  soieries,  nous  voulons  qu'in- 
dépendamment de  ces  marchandises  ils  puissent,  en 
payant  la  douane  suivant  les  capitulations  impériales, 
charger  sans  opposition  toutes  celles  qu'ils  ont  coutume 
de  charger  pour  leur  pays,  et  qui  pour  cet  effet  sont  spé- 
cifiées dans  le  tarif  bulle  du  douanier,  à  l'exception 
toutefois  de  celles  qui  sont  prohibées. 

Les  marchands  français,  après  avoir  payé  la  douane 
aux  douaniers,  à  raison  de  3  p.  0/0,  conformément  aux 
capitulations,  et  après  en  avoir  pris,  suivant  l'usage, 
l'acquit  dit  eda  te\keressy,  lorsqu'ils  le  produiront,  il  y 
sera  fait  honneur,  et  l'on 'ne  pourra  leur  demander  une 
seconde  douane.  Et  attendu  qu'il  nous  aurait  été  repré- 
senté  que   certains    douaniers,  portés   par  leur  esprit 


APPENDICE.  505 

d'avidiré,  n'exigent  en  apparence  que  3  p.  0/0,  tandis 
qu'ils  en  perçoivent  réellement  davantage,  et  que,  par 
la  différence  qui  existe  dans  l'appréciation  des  mar- 
chandises, il  se  trouve  que,  sur  les  diverses  qualités  de 
drap,  insérées  dans  le  tarif  de  la  douane  de  Constanti- 
nople,  de  même  que  dans  les  tarifs  de  quelques  échelles, 
et  notamment  dans  celle  d'Alep,  la  douane  excède  les 
3  p.  0/0;  pour  faire  cesser  toute  discussion  à  cet  égard, 
il  sera  permis  de  redresser  les  tarifs,  de  façon  que  la 
douane  des  draps  que  Ion  apportera  à  l'avenir  ne  puisse 
excéder  les  3  p.  0/0,  conformément  aux  capitulations 
impériales  ;  et  lorsqu'ils  voudront  vendre  les  marchan- 
dises qu'ils  auront  apportées,  à  tels  de  nos  sujets  et 
marchands  de  notre  empire  qu'ils  jugeront  à  propos, 
personne  autre  ne  pourra  les  inquiéter  ni  quereller,  sous 
prétexte  de  vouloir  les  acheter  de  préférence. 

58. 

Lorsque  les  fess  ou  bonnets  que  les  négociants  fran- 
çais apportent  de  France  ou  de  Tunis,  arrivent  à  Smyrne, 
le  douanier  de  la  douane  des  fruits  de  Smyrne,  forme 
toujours  des  contestations  à  ce  sujet,  prétendant  que 
c'est  lui  qui  est  l'exacteur  de  la  douane  des  fess  :  étant 
donc  nécessaire  de  mettre  cet  article  dans  une  bonne 
forme,  nous  voulons  qu'à  l'avenir  ledit  douanier  ne 
puisse  exiger  la  douane  des  fess  que  les  négociants 
français  apporteront,  lorsqu'ils  ne  se  vendront  pas  à 
Smyrne;  et,    en  cas  qu'ils  s'y  vendissent,    le  droit  de 


5o6     MKMOIRK  SUK    LA.MHASSADK    DKTUKVUn.. 

douane  sur  ers  bf)niK(s  sera,  selon  l'usage,  exigé  par 
ledit  douaniiT  :  et  s  ils  viennent  à  Cf)ns(antinople,  le 
tlroil  de  douane  en  sera  paye,  selon  l'usage,  au  grand 
douanier. 

59- 

Si  les  marchands  français  veulent  porter  en  temps  de 
paix  des  marchandises  non  [iioliibées,  des  Ktats  de  mon 
empire,  par  terre  ou  par  mer.  de  même  que  par  les 
rivières  du  Danube  et  du  Tanaïs,  dans  les  Ktats  de 
Moscovie,  Russie  et  autres  pays,  et  en  apporter  dans 
mes  Ktats,  dès  cjuils  auront  payé  la  douane  et  les  autres 
droits,  quels  qu'ils  soient,  comme  le  payent  les  autres 
nations  franques,  lorsqu'ils  feront  ce  commerce,  il  ne 
leur  sera  fait  sans  raison  aucune  opposition. 

60. 

Ayant  été  représenté  que  certains  envieux  et  vindi- 
catifs, voulant  molester  les  négociants  français  contre 
les  capitulations,  et  ne  pouvant  pas  exécuter  leur  des- 
sein, ils  attaquent  de  temps  en  temps  sans  raison,  et 
inquiètent  leurs  censaux,  pour  troubler  le  commerce 
desdits  négociants,  nous  Aoulons  qu'à  l'avenir  les  cen- 
saux qui  vont  et  viennent  parmi  les  marchands,  pour 
les  affaires  desdits  négociants,  ne  soient  inquiétés  en 
aucune  façon,  et  que,  de  quelque  nation  que  soient  les. 
censaux  dont  ils  se  servent,  on  ne  puisse  leur  faire 
violence  ni  les  empêcher  de  servir.  Si  certains  de  la 
nation  juive  et  autres  prétendent  d'hériter  de  l'emploi 


APPENDICE.  J07 

de  censal,  les  marchands  français  se  serviront  de  telles 
■personnes  qu'ils  voudront;  et  lorsque  ceux  qui  se  trou- 
veront à  leur  service  seront  chassés,  ou  viendront  à 
mourir,  on  ne  pourra  rien  exiger  ni  prétendre  de  ceux 
qui  leur  succéderont,  sous  prétexte  d'un  droit  de  retenue 
nommé  ghédik,  ou  d'une  portion  dans  les  censeries, 
et  l'on  châtiera  ceux  qui  agiront  contre  la  teneur  de 
cette  disposition, 

61. 

Bien  qu'il  soit  expressément  porté  par  les  articles 
précédents  que  les  droits  de  consulat  et  de  bailliage 
seront  payés  aux  ambassadeurs  et  aux  consuls  de  France, 
sur  les  marchandises  qui  seront  chargées  sur  les  bâti- 
ments français  :  cependant,  comme  il  a  été  représenté 
que  ce  point  rencontre  des  difficultés  de  la  part  des 
marchands  et  des  ratas  sujets  de  notre  empire,  nous 
ordonnons  que  lorsque  les  marchands  et  raias  sujets  de 
notre  Sublime  Porte  chargeront  sur  des  bâtiments  fran- 
çais des  marchandises  sujettes  à  la  douane,  il  soit  donné 
des  ordres  rigoureux  pour  que  les  marchandises  dont  le 
droit  de  consulat  n'aura  pas  été  compris  dans  le  nolis, 
lors  du  nolissement,  ne  soient  point  retirées  de  la 
douane,  à  moins  qu'au  préalable  ledit  droit  de  consu- 
lat n'ait  été  payé  conformément  aux  capitulations. 

62. 

Comme  l'empire  ottoman  abonde  en  fruits,  il  pourra 
venir   de   France    une    fois    raiince,    dans    les    années 


5<)8     M  F  M  O  1  R  F.   SUR    [.'  A  M  B  A  S  S  \  F)  K    D  K  T  U  R  O  U  I  K. 

d'abondance  des  fruits  secs,  deux  ou  trois  bâtiments, 
pf)ur  acheter  cl  charger  de  ces  fruits,  comme  tîgues, 
raisins  secs,  noisettes  et  autres  fruits  semblabk-s  quel- 
conques; et  après  que  hi  tlouane  en  aura  été  payée, 
conformément  aux  capitulations  impériales,  on  ne  met- 
tra aucune  opposition  au  chargement  ni  a  lexportation 
de  cette  marchandise. 

Il  sera  aussi  permis  aux  bâtiments  français  d'ache- 
ter et  de  cliarger  du  sel  dans  l'ile  de  Chypre  et  dans  les 
autres  échelles  de  notre  empire,  de  la  même  manière 
que  les  Musulmans  y  en  prennent,  sans  que  nos 
commandants,  gouverneurs,  cadis  et  autres  officiers, 
puissent  les  en  empêcher,  voulant  qu'ils  soient  protégés 
conformément  à  mes  anciennes  capitulations,  à  présent 
renouvelées. 

Les  marchands  français  et  autres  dépendants  de  la 
France  pourront  voyager  avec  les  passe-ports  qu'ils 
auront  pris,  sur  les  attestations  des  ambassadeurs  ou  des 
consuls  de  France;  et,  pour  leur  sûreté  et  commodité, 
ils  pourront  s'habiller  suivant  l'usage  du  pays,  et  faire 
leurs  affaires  dans  mes  États,  sans  que  ces  sortes  de 
voyageurs,  se  tenant  dans  les  bornes  de  leur  devoir, 
puissent  être  inquiétés  pour  le  tribut  kharatch.  ni  pour 
aucun  autre  impôt;  et  lorsque,  conformément  aux  capi- 
tulations impériales,  ils  auront  des  effets  sujets  à  la 
douane,  après  en  avoir  payé  le  droit,  suivant  l'usage, 
les  pachas,  cadis  et  autres  officiers  ne  s'opposeront  point 


APPENDICE.  J09 

à  leur  passage;  et,  de  la  façon  ci-dessus  mentionnée, 
il  leur  sera  fourni  des  passe-ports  en  conformité 
des  attestations  dont  ils  seront  munis ,  leur  accor- 
dant toute  l'assistance  possible  par  rapport  à  leur 
sûreté, 

64. 

Les  négociants  français  et  les  protégés  de  France  ne 
payeront  ni  droit  ni  douane  sur  les  monnaies  dor  et 
d'argent  qu'ils  apporteront  dans  nos  Etats,  de  même 
que  pour  celles  qu  ils  emporteront;  et  on  ne  les  forcera 
point  de  convertir  leurs  monnaies  en  monnaie  de  mon 
empire. 

65. 

Si  un  Français  ou  un  protégé  de  France  commettait 
quelque  meurtre  ou  quelque  autre  crime,  et  qu'on  \ou- 
lùt  que  la  justice  en  prît  connaissance,  les  juges  de 
mon  empire  et  les  officiers  ne  pourront  y  procéder  qu'en 
présence  de.  l'ambassadeur  et  des  consuls  ou  de  leurs 
substituts,  dans  les  endroits  où  ils  se  trouveront;  et, 
atin  qu'il  ne  fassent  rien  de  contraire  a  la  noble  justice 
ni  aux  capitulations  impériales,  il  sera  procédé  de  part 
et  d'autre,  avec  attention,  aux  perquisitions  et  recherches 
nécessaires. 

66. 

Lorsque  notre  miry  ou  quelqu'un  de  nos  sujets, 
marchand  ou  autre,  sera  porteur  de  lettres  de  change 
sur  les  Français,  si  ceux  sur  qui  elles  sont  tirées  ou  les 


jio     MF.MOlUi:   ?L  l{    I  •  VMHASSADK   r:)K   TLRQLIK. 

jK-rsomus  (|ui  en  clc|xiulciit  nv  \vs  accejncnl  pus,  on 
ne  pourra,  sans  cause  légitime,  les  contraindre  au  paye- 
ment de  ces  lettres,  et  ïon  en  exigera  seulement  une 
letlie  de  refus,  pour  agir  en  conséquence  contre  le 
tireur,  et  l'ambassadeur  de  même  que  les  consuls  se 
donneront  tous  les  mouvements  possibles  pour  en  pro- 
curer le  remboursement. 

67. 

Les  Fr  ancrai  s  qui  sont  établis  dans  mes  États,  soit 
mariés,  soit  non  mariés,  quels  qu'ils  soient,  ne  seront 
point  inquiétés  par  la  demande  du  tribut  nommé 
kharatch. 

68. 

Si  un  Français,  marchand,  artisan,  officier  ou  mate- 
lot, embrasse  la  religion  musulmane,  et  qu'il  soit  véri- 
tié  et  prouvé  qu'outre  ses  propres  marchandises  il  a  des 
effets  appartenants  à  des  dépendants  des  Français,  ces 
sortes  d'effets  seront  consignés  à  l'ambassadeur  ou  aux 
consuls,  dans  les  endroits  où  il  y  en  aura,  pour  être 
ensuite  remis  aux  propriétaires  ;  et,  dans  les  endroits  où 
il  n'y  aura  ni  consuls  ni  ambassadeur,  ces  efîets  seront 
consignés  aux  personnes  qu'ils  enverront  de  leur  part 
avec  des  pièces  justificatives. 

69. 

Si  un  marchand  français  voulant  partir  pour  quelque 
endroit,    l'ambassadeur  ou   les    consuls   se   rendent  sa 


APPENDICE.  yii 

caution,  on  ne  pourra  retarder  son  voyage,  sous  pré- 
texte de  lui  faire  payer  ses  dettes;  et  les  procès  qui  les 
concernent,  excédant  quatre  mille  aspres,  seront  ren- 
voyés a  ma  Sublime  Porte,  selon  l'usage  et  conformé- 
ment aux  capitulations  impériales. 

70. 

Les  gens  de  justice  et  les  officiers  de  ma  Sublime 
Porte,  de  même  que  les  gens  d'épée,  ne  pourront  sans 
nécessité  entrer  par  force  dans  une  maison  habitée  par 
un  Franc;ais  ;  et,  lorsque  le  cas  requerra  d'y  entrer,  on 
en  avertira  l'ambassadeur  ou  le  consul,  dans  les  endroits 
où  il  y  en  aura,  et  l'on  se  transportera  dans  l'endroit 
en  question,  a\ec  les  personnes  qui  auront  été  commises 
de  leur  part;  et  si  quelqu'un  contrevient  à  cette  dispo- 
sition il  sera  châtié. 

71. 

Comme  il  aurait  été  représenté  que  les  pachas,  cadis 
et  autres  officiers  voulaient  quelquefois  re\oir  et  juger 
de  nouveau  des  affaires  survenues  entre  les  négociants 
français  et  d'autres  personnes,  quoique  ces  affaires 
eussent  déjà  été  jugées  et  terminées  juridiquement  et 
par  hudjet.  et  même  que  le  cas  était  souvent  arri\e;  de 
sorte  que  non-seulement  il  n'y  avait  point  pour  eux  de 
sûreté  dans  un  procès  déjà  décidé,  mais  même  qu  il 
intervenait  dans  un  même  lieu  des  jugements  contra- 
dictoires à  des  sentences  déjà  rendues;  nous   voulons 


512      M  f  MOI  RI.    SLH    i;  A.MliASSA  DK    DKTUKQLIK. 

que,  daiib  le  cas  spécilic  ci-ticssus,  les  procès  (|ui  sur- 
vieiulronl  entre  des  l'ranç;ais  et  d  autres  personnes,  ayant 
été  une  fois  vus  et  terminés  juridi()nciiirnt  et  par  hiuijct, 
ils  ne  puissent  plus  être  revus;  et  fjue,  si  I  on  requiert 
une  révision  de  ces  procès,  on  ne  puisse  donner  de 
eominandcment  pour  faire  comparaître  les  parties,  ni 
expédier  commissaire  ou  huissier,  qu'au  préalable  il 
n'en  ait  été  donné  connaissance  a  l'ambassadeur  de 
France,  et  qu'il  ne  soit  \enu  de  la  part  au  consul  et 
i\u  défendeur,  une  réponse  a\ec  des  informations  exactes 
sur  le  fait,  et  il  sera  permis  d'accorder  un  temps  suffi- 
sant pour  faire  venir  des  informations  sur  ces  sortes 
d'affaires  ;  enfin,  s'il  émane  quelque  commandement 
pour  revoir  un  procès  de  cette  nature,  on  aura  soin 
qu'il  soit  vu,  décidé  et  terminé  a  ma  Sublime  Porte, 
et  dans  ce  cas,  il  sera  libre  à  ceux  qui  sont  dépendants 
de  la  France,  de  comparaître  en  personne,  ou  de  con- 
stituer à  leur  place  un  procureur  juridiquement  auto- 
risé, et  lorsque  les  dépendants  de  ma  Sublime  Porte 
\oudront  intenter  procès  à  quelque  Français,  si  le 
demandeur  n'est  muni  de  titres  juridiques  ou  de  billets, 
leur  procès  ne  sera  point  écouté. 

On  nous  aurait  aussi  représenté  que,  dans  les  pro- 
cès qui  surviennent,  les  dépenses  qui  se  font  pour  faire 
comparaître  les  parties,  et  pour  les  épices  ordinaires, 
étant  supportées  par  celui  qui   a  le   bon   droit,  et  les 


APPENDICE.  513 

avanistes  qui  intentent  injustement  des  procès,  n'étant 
soumis  à  aucun  frais,  ils  sont  invités  par  là  à  faire  tou- 
jours de  nouvelles  avanies;  sur  quoi,  nous  voulons  quà 
l'avenir,  il  soit  permis  de  faire  supporter  les  susdits 
dépens  et  frais  par  ceux  qui  oseront  intenter  contre  la 
justice  un  procès  dans  lequel  ils  n'auront  aucun  droit  : 
mais  lorsque  les  Français  ou  les  dépendants  de  la 
France  poursuivront  juridiquement  des  sujets  ou  des 
dépendants  de  ma  Sublime  Porte,  en  recouvrement  de 
quelque  somme  due,  on  n'exigera  deux  pour  droits  de 
justice  ou  mahkemé.  de  commissaire  ou  mubachirié, 
d'assignations  ou  ih^arié.  que  deux  pour  cent  sur  le 
montant  de  la  somme  recouvrée  par  sentence,  confor- 
mément aux  anciennes  capitulations,  et  on  ne  les  moles- 
tera point  par  des  prétentions  plus  considérables. 

Les  bâtiments  français  qui,  selon  l'usage,  aborde- 
ront dans  les  ports  de  mon  empire,  seront  traités  ami- 
calement ;  ils  y  achèteront,  avec  leur  argent,  leur 
simple  nécessaire  pour  leur  boire  et  leur  manger,  et  l'on 
n'empêchera  ni  l'achat  et  la  vente,  ni  le  transport  des- 
dites provisions,  tant  de  bouche  que  pour  la  cuisine, 
sur  lesquelles  on  n'exigera  ni  droits  ni  donatives. 

74- 

Dans  toutes  les  échelles,  ports  et  côtes  de  mon 
empire,  lorsque  les  capitaines  ou  patrons  des  bâtiments 

3} 


514     MÉMOIRK   SUR    I    A  M  H  ASSA  I)  I     1)1.    ILKC^LIK 

liMiicais  auioni  hisoln  de  laiic  callaUr,  cIoiiiht  II-  sui) 
et  racloiihcr  leurs  bàtiniciils,  les  coiniiiaïKlanis  n'cnipë- 
clicroiil  poiiii  (ju'il  kiir  soit  Iniinii  pour  leur  urgent  la 
quantilc  de  suif,  goudron,  pf)ix  et  ouvriers  qui  leur 
seront  nécessaires;  et,  s'il  arrive  que,  par  quelque  mal- 
lieur,  un  bâtiment  français  vienne  à  manquer  d'agrès,  il 
sera  permis,  seulement  pour  ce  bâtiment,  d'acheter 
mâts,  ancres,  \()iles  et  matériaux  pour  les  mats,  sans 
(|ue  pour  ces  articles  il  soit  exigé  aucune  donative  ; 
et  lorsque  les  bâtiments  français  se  trouveront  dans 
quelque  échelle,  les  fermiers,  miissclems,  et  autres 
officiers,  de  même  que  les  kliaratclii.  ne  pourront  les 
retenir  sous  prétexte  de  \ouIoir  exiger  le  kharatch  de 
leurs  passagers  qu'il  leur  sera  libre  de  conduire  à  leur 
destination  ;  et  s'il  se  trouve  dans  It  bâtiment  des  ra'ias. 
sujets  au  kharatch.  ils  le  payeront  audit  lieu,  ainsi  qu'il 
est  de  droit,  afin  qu'à  cette  occasion  il  ne  soit  point  fait 
de  tort  au  lise. 

Lorsque  les  Musulmans  ou  les  raïas.  sujets  de  ma 
Sublime  Porte,  chargeront  des  marchandises  sur  des 
bâtiments  français,  pour  les  transporter  d'une  échelle 
de  mon  empire  à  une  autre,  il  n'y  sera  porté  aucun 
empêchement;  et  comme  il  nous  a  été  représenté  que 
les  sujets  de  notre  Sublime  Porte,  qui  nolisent  de  ces 
bâtiments,  les  quittent  quelquefois  pendant  la  route,  et 
font  difficulté  de  payer  le  nolis  dont  ils  sont  convenus  ; 
si,  sans  aucune  raison  légitime,  ces  sortes   de  nolisa- 


APPENDICE.     .  '  jxj 

taires  viennent  à  quitter  en  route  les  bâtiments  nolisés, 
il  sera  ordonné  et  prescrit  au  cadi  et  autres  comman- 
dants de  faire  payer  en  entier  le  nolis  desdits  bâtiments, 
ainsi  qu'il  en  aura  été  convenu  par  le  temcssiik  ou  con- 
trat, comme  faisant  un  loyer  formel. 

76, 

Les  gouverneurs,  commandants,  cadis,  douaniers, 
vaivodes,  miisselenis.  officiers,  gens  notables  du  pays, 
gens  d'affaires  et  autres,  ne  contreviendront  en  aucune 
façon  aux  capitulations  impériales  :  et  si,  de  part  et 
d'autre,  on  y  contrevient  en  molestant  quelqu'un,  soit 
par  paroles,  soit  par  voie  de  fait  :  de  même  que  les 
Français  seront  châtiés  par  leur  consul  ou  supérieur, 
conformément  aux  capitulations,  il  sera  aussi  donné 
des  ordres,  suivant  l'exigence  des  cas,  pour  punir  les 
sujets  de  notre  Sublime  Porte  des  vexations  qu'ils 
auraient  commises,  sur  les  représentations  qui  en 
seraient  faites  par  l'ambassadeur  et  les  consuls,  après 
que  le  fait  aura  été  bien  avéré. 

77- 

Si  par  un  malheur,  quelques  bâtiments  français 
venaient  à  échouer  sur  les  côtes  de  notre  empire,  il  leur 
sera  donné  toutes  sortes  de  secours  pour  le  rocou\re- 
ment  de  leurs  effets;  et  si  le  bâtiment  naufragé  peut 
être  réparé,  ou  que  la  marchandise  sauvée  soit  cliargée 
sur  un  autre  l)âtiment,  pour  être  transportée  au  lieu  de 


y  1 6     M  r  \1  ()  1  H  \.   S  U  l{    I  ■  \  M  15  A  S  S  A  I)  I .    I)  l.    V  L  H  Q  L  I  K. 

sa  ck'stination,  poiiiMi  fjiic  ces  marchundises  ne  soiL-iit 
pas  négociées  sur  les  lieux,  on  ne  pourra  exiger 
sur  lesdites  marchandises  ni  douane  ni  aucun  autre 
droit. 

78. 

Outre  (jue  le  capilan-pacha.  les  capitaines  de  nos 
\aisscaux  de  guerre,  les  beys  de  galère,  les  comman- 
dants de  galiotes  et  les  autres  bâtiments  de  notre 
Sublime  Porte,  et  notamment  ceux  qui  font  le  com- 
merce d'Alexandrie,  ne  pourront  détenir  ni  inquiéter 
les  bâtiments  français  contre  la  teneur  des  capitulations 
impériales,  ni  en  exiger  par  force  des  présents,  sous 
quelque  prétexte  que  ce  soit;  lorsqu'ils  rencontreront 
en  mer  des  bâtiments  français,  soit  de  guerre,  soit  mar- 
chands, ils  se  donneront  réciproquement,  suivant  l'an- 
cien usage,  des  marques  d  amitié. 

79- 

Lorsque  les  bâtiments  marchands  français  voient  nos 
vaisseaux  de  guerre,  galères,  sultanes  et  autres  bâti- 
ments du  Sultan,  il  arrive  que,  quoiqu'ils  soient  dans 
l'intention  de  leur  faire  les  politesses  Usitées  depuis 
longtemps,  ils  sont  cependant  inquiétés  pour  n'être 
pas  venus  sur-le-champ  à  leur  bord,  par  l'impossibilité 
où  ils  sont  quelquefois  de  mettre  avec  promptitude  leur 
chaloupe  à  la  mer;  ainsi,  pourvu  qu'on  voie  qu'ils  se 
mettent  en  état  de  remplir  les  usages  pratiqués,  on  ne 


APPENDICE.  "  ^17 

pourra  les  molester,  sous  prétexte  qu'ils  auront  tardé 
de  venir  à  bord. 

Les  bâtiments  français  ne  pourront  être  détenus 
sans  raison  dans  nos  ports,  et  on  ne  leur  prendra  par 
force  ni  leur  chaloupe,  ni  leurs  matelots;  et  la  déten- 
tion surtout  des  bâtiments  chargés  de  marchandises, 
occasionnant  un  préjudice  considérable,  il  ne  sera  plus 
permis  à  l'avenir  de  rien  commettre  de  semblable. 
Lorsque  les  commandants  des  bâtiments  de  guerre  sus- 
dits, iront  dans  les  échelles  où  il  y  a  des  Français  éta- 
blis, pour  empêcher  leurs  Levantis  et  leurs  gens  de 
faire  aucun  tort  aux  Français  et  de  les  inquiéter,  ils  ne 
les  laisseront  aller  à  terre  qu'avec  un  nombre  suffisant 
d'officiers,  et  ils  établiront  une  garde  pour  la  sûreté  des 
Français  et  de  leur  commerce  ;  et,  lorsque  les  Français 
iront  à  terre,  les  commandants  des  places  ou  des 
échelles,  et  les  autres  officiers  de  terre,  ne  les  moleste- 
ront en  aucune  façon  contre  la  justice  et  les  usages; 
de  sorte  que,  si  l'on  se  plaint  qu'à  ces  égards  il  ait  été 
commis  quelque  action  contraire  aux  capitulations 
impériales,  ceux  qui  seront  en  faute  seront  sévèrement 
punis,  après  la  vérification  des  faits  ;  et  pareillement, 
de  la  part  des  Français,  il  ne  sera  nullement  permis 
aucune  démarche  peu  modérée  contraire  à  l'amitié. 

80.  .  '  . 

Lorsque,  pour  cause  de  nécessité,   on  sera  dans  un 
cas  urgent  de  noliser  quelque  bâtiment   français  de  la 


«ji»      Mr.MOliU:    SLI{    1  '  \  MH  ASSADF.    I)  K  T  U  f^  Q  f  I  F.. 

part  (lu  iiiirj-.  les  tommaiulants  ou  autres  «•)fricicrs  qui 
srioni  iliaigcs  de  cette  omiTiission  en  avertiront  l'am- 
bassadeur ou  les  consuls  dans  les  endroits  ou  il  y  en 
aura,  et  ceux-ci  destineront  les  bâtiments  qu'ils  trf)uve- 
ront  convenables;  et,  dans  :les  endroits  ou  il  n'y  aura 
ni  ambassadeur  ni  consul,  ces  bâtiments  seront  nolisés 
de  leur  bon  gré  ;  et  1  on  ne  pourra,  sous  ce  prétexte, 
détenir  les  bâtiments  français;  et  ceux  qui  seront  char- 
gés ne  seront  ni  molestés,  ni  forcés  de  décharger  leurs 
marchandises. 

8i. 

Comme  il  a  été  représenté  que  malgré  l'assistance 
souvent  accordée  aux  Français ,  conséquemment  à 
l'exacte  observation  des  articles  des  précédentes  capitu- 
lations concernant  les  corsaires  de  Barbarie,  ceux-ci, 
non  contents  de  molester  les  bâtiments  français  qu'ils 
rencontrent  en  mer,  insultent  et  vexent  encore  les  con- 
suls et  les  négociants  français  qui  se  trouvent  dans  les 
échelles  où  ils  abordent  ;  lorsqu'à  l'avenir  il  arrivera 
des  procédés  irréguliers  de  cette  nature,  les  pachas, 
commandants  et  autres  officiers  de  notre  empire,  proté- 
geront et  défendront  les  consuls  et  les  marchands  fran- 
çais, et  sur  les  témoignages  que  rendront  les  ambassa- 
deurs et  les  consuls,  que  les  bâtiments  qui  viendront 
sous  les  forteresses  et  dans  les  échelles  de  nos  Etats 
sont  véritablements  français,  on  empêchera  de  toutes 
manières  que  ces  corsaires  ne  les  prennent,  et  l'on  ne 
prendra  aucun  bâtiment  sous  le  canon  ;  et  si  ces  cor- 


APPENDICE.  ^19 

saires  causent  quelque  dommage  aux  Français,  dans  les 
endroits  de  notre  empire  011  il  y  aura  des  pachas  et  des 
commandants,  il  sera  permis,  pour  intimider,  de  donner 
des  ordres  rigoureux  pour  leur  faire  supporter  les  pertes 
et  les  dommages  qui  seront  survenus. 


il. 


Lorsque  les  endroits,  dont  les  religieux  dépendants 
de  la  France  ont  la  possession  et  la  jouissance  à  Jéru- 
salem, ainsi  qu'il  en  est  fait  mention  dans  les  articles 
précédemment  accordés  et  actuellement  renouvelés, 
auront  besoin  d'être  réparés,  pour  prévenir  la  ruine  à 
laquelle  ils  seraient  exposés  par  fia  suite  des  temps,  il 
sera  permis  d'accorder,  à  la  réquisition  de  l'ambassa- 
deur de  France  résidant  à  ma  Porte  de  félicité,  des 
commandements,  pour  que  ces  réparations  soient  faites 
d'une  façon  conforme  aux  tolérances  de  la  justice  ;  et 
les  cadis,  commandants  et  autres  otiiciers,  ne  pourront 
mettre  aucune  sorte  d'empêchement  aux  choses  accor- 
dées par  commandement.  Et  comme  il  est  arrivé  que 
nos  officiers,  sous  prétexte  que  l'on  avait  fait  des  répa- 
rations secrètes  dans  les  susdits  lieux  y  faisaient  plu- 
sieurs visites  dans  l'année,  et  rançonnaient  les  religieux, 
nous  voulons  que  de  la  part  des  pachas,  cadis,  com- 
mandants et  autres  officiers  qui  s'y  trouvent,  il  ne  soit 
fait  qu'une  visite  par  an  dans  l'église  de  l'cndioil  qu'ils 
nomment  le  Sépulcre  de  Jésus,  de  même  que  dans 
leurs  autres  églises  et  lieux  de  visitalions.  Les  évêques 


S20     \1  r.  M  O I  K  I-.   s  U  |{    I  •  \  M  H  \  S  S  A  I)  I .    D  I ,  T  l  H  (^  U  I  K. 

cl  rcligieiiv  clcpciulanls  d.'  I  l'.nijKTcur  de  l'ruiKL-,  (|ui  si- 
trouvent  thms  mon  tiiipirc,  seront  protégés,  tant  qu'ils 
se  ticiulioiii  chins  les  bornes  de  leur  état,  et  pers(jnnc  ne 
pourra  les  empêcher  devercer  Kur  rit  suivant  leur 
usage,  dans  les  églises  qui  sont  entre  leurs  mains,  de 
même  que  dans  les  autres  lieux  ou  ils  habitent  :  et 
lorsque  nos  sujets  tributaires  et  les  I'ranç;ais  iront  et 
viendront  les  uns  chez  les  autres,  pour  ventes,  achats  et 
autres  aliaires,  on  ne  pourra  les  molester  contre  les  lois 
sucrées  pour  cause  de  cette  fréquentation;  et  comme  il 
est  porté  par  les  articles  précédemment  stipulés,  qu'ils 
pourront  lire  l'Evangile  dans  les  bornes  de  leur  devoir, 
dans  leur  hôpital  de  Galata;  cependant,  cela  n'ayant  pas 
été  exécuté,  nous  voulons  que  dans  tel  endroit  où  cet 
hôpital  pourra  se  trouver  à  l'avenir,  dans  une  forme 
juridique,  ils  puissent,  conformément  aux  anciennes 
capitulations,  y  lire  l'Evangile  dans  les  bornes  du  devoir, 
sans  être  inquiétés  à  ce  sujet. 

85. 

Comme  l'amitié  de  la  cour  de  France  avec  ma 
Sublime  Porte  est  plus  ancienne  que  celle  des  autres 
cours,  nous  ordonnons,  pour  qu'il  soit  traité  avec  elle 
de  la  manière  la  plus  digne,  que  les  privilèges  et  les 
honneurs  pratiqués  envers  les  autres  nations  franques 
aient  aussi  lieu  à  l'égard  des  sujets  de  l'Empereur  de 
France. 


APPENDICE.  521 

( 

84. 

L'ambassadeur,  les  consuls  et  les  drogmans  de 
France,  ainsi  que  les  négociants  et  artisans  qui  en 
dépendent;  plus,  les  capitaines  des  bâtiments  français 
et  leurs  gens  de  mer,  enfin  leurs  religieux  et  leurs 
évêques,  tant  qu'ils  seront  dans  les  bornes  de  leur  état 
et  qu'ils  s'abstiendront  de  toutes  démarches  qui  pour- 
raient porter  atteinte  aux  devoirs  de  lamitié  et  aux 
droits  de  la  sincérité,  jouiront  dorénavant  de  ces  anciens 
et  nouveaux  articles  ci-présentement  stipulés,  lesquels 
seront  exécutés  en  faveur  des  quatre  états  ci-dessus 
mentionnés  ;  et  si  l'on  venait  à  produire  môme  quelque 
commandement  d'une  date  antérieure  ou  postérieure, 
contraire  à  la  teneur  de  ces  articles,  il  restera  sans  exé- 
cution, et  sera  supprimé  et  bitîé,  conformément  aux 
capitulations  impériales. 

8^ 

Ma  généreuse  et  Sublime  Porte  ayant  à  présent 
renouvelé  la  paix  ci-de\'ant  conclue  a\ec  les  Français, 
et  pour  donner  de  plus  en  plus  des  témoignages  d'une 
sincère  amitié,  y  ayant  à  cet  effet  ajouté  et  fortifié  cer- 
tains articles  convenables  et  nécessaires,  il  sera  expédié 
des  commandements  rigoureux  à  tous  les  comman- 
dants et  officiers  des  principales  cclielles  et  autres 
endroits  où  besoin   sera,  aux   lins   qu'à  l'aNcnir  il  soit 


<;  2  2     M  l'.  M  ()  m  F.   S  l'  l{    I  •  \  M  H  \  S  S  ^  I)  I .    [)  K  T  L'  W  Q  L  I  V. . 

fait  hniinciir  aiiY  articles  ck-  ma  capitulation  impériale, 
et  (|u  on  ail  a   s'abstenir  de  tonte  démarche  contraire  à 
son  contenu,  et    il  sera   permis  d"en   taire   l'enregistre- 
ment dans  les  mahkcmcs,  ou   tribunaux   publics.    Con- 
séquemment.  tant  (jue  de  la  part  de  Sa  Majesté  le  tres- 
magnitique  Empereur  de  France  et  de  ses  successeurs  il 
sera  constamment  donné  des  témoignages  de  sincérité  et 
de  bonne  amitié  envers  notre  glorieux  empire  le  siège 
du  khalifat  :  Pareillement  de  la  part  de  Notre  Majesté 
impériale,  je  m'engage,  sous  notre  auguste  serment  le 
plus  sacré  et  le  plus  inviolable,  soit  pour  notre  sacrée 
personne  impériale,  soit  pour  nos  augustes  successeurs, 
de  môme  que  pour   nos  suprêmes  visirs,   nos   honorés 
pachas,  et  généralement  tous  nos  illustres  serviteurs  qui 
ont  l'honneur  et  le  bonheur  d'être  dans  notre  esclavage, 
que  jamais  il  ne  sera  rien  permis  de  contraire  aux  pré- 
sents articles  :  Et  atin  que  de  part  et  d'autre  on  soit  tou- 
jours attentif  à  fortitier  et  cimenter  les  fondements  de  la 
sincère  amitié  et  de  la  bonne  correspondance  réciproque, 
nous   voulons  que  ces  gracieuses   capitulations  impé- 
riales soient  exécutées  selon  leur  noble  teneur. 

Écrit  le  quatre  de  la  lune  de  Rebiul-ewel.  l'an  de 
l'hégire  onze  cent  cinquante-trois. 

Dans  la  résidence  impériale  de  Constantinople 
la  bien  gardée. 


APPENDICE  523 


XVI. 


Traité  de  paix  entre  la  République  fran- 
çaise ET  LA  Sublime  Porte  ottomane, 
signe  a  Paris  le  6  messidor  an  x  [25  juin 
1802].. 

Le  premier  consul  de  la  République  française,  au 
nom  du  peuple  français,  et  le  sublime  Empereur  otto- 
man, voulant  rétablir  les  rapports  primitifs  de  paix  et 
d'amitié  qui  ont  existé  de  tout  temps  entre  la  France  et 
la  Sublime  Porte,  ont  nommé,  dans  cette  vue,  pour 
ministres  plénipotentiaires,  savoir  : 

Le  premier  consul,  au  nom  du  peuple  français,  le 
citoyen  Charles-Maurice  Talleyrand,  ministre  des  rela- 
tions extérieures  de  la  République  française; 

Et  la  Sublime  Porte  ottomane,  Esseid-Mohamed- 
Said-Ghalib  EfFendi ,  rapporteur  actuel,  secrétaire 
intime  et  directeur  des  affaires  étrangères. 

Lesquels,  après  avoir  échangé  leurs  pleins  pouvoirs, 
sont  convenus  des  articles  suivants  : 


art. 


Il  y  aura  à  l'avenir  paix  et  amitié  perpétuelles  entre 
la  République  française  et  la  Sublime  Porte  ottomane. 


5  24     M  F .  M  O I  II  l.   S  L  R    I .'  A  M  B  \  S  S  A  D  l    D  \.    V  L  R  Q  L  I  K. 

Les  hostilités  cesseront  désormais  et  pour  toujours  entre 
les  deux  Etals. 

ART.     2. 

Les  traités  ou  capitulations  qui,  avant  l'époque  de 
la  guerre,  déterminaient  respectivement  les  rapports  de 
route  espèce  qui  existaient  entre  les  deux  puissances, 
sont  entièrement  renouvelés.  Kn  conséquence  de  ce 
renouvellement  et  en  exécution  des  articles  des  anciennes 
capitulations,  en  vertu  desquels  les  Fran^-ais  ont  le  droit 
de  jouir,  dans  les  Etats  de  la  Sublime  Porte,  de  tous 
les  avantages  qui  sont  accordés  à  d'autres  puissances,  la 
Sublime  Porte  consent  à  ce  que  les  vaisseaux  du  com- 
merce français,  portant  pavillon  français,  jouissent 
désormais  sans  aucune  contestation  du  droit  d'entrer  et 
de  naviguer  librement  dans  la  mer  Noire. 

La  Sublime  Porte  consent  de  plus  à  ce  que  lesdits 
vaisseaux  français,  à  leur  entrée  et  à  leur  sortie  de  cette 
mer,  et  pour  tout  ce  qui  peut  favoriser  leur  libre  navi- 
gation, soient  entièrement  assimilés  aux  vaisseaux  mar- 
chands des  nations  qui  naviguent  dans  la  mer  Noire. 

La  Sublime  Porte  et  le  gouvernement  de  la  Répu- 
blique prendront  de  concert  des  mesures  efficaces  pour 
purger  de  toute  espèce  de  forbans  les  mers  qui  servent  à 
la  navigation  des  vaisseaux  marchands  des  deux  Etats. 
La  Sublime  Porte  promet  de  protéger  contre  toute 
espèce  de  piraterie  le  commerce  des  Français  qui 
naviguent  dans  la  mer  Noire. 

Il  est  entendu  que  les  avantages  assurés  aux  Fran- 


APPENDICE.  J25 

çais,  par  le  présent  article,  dans  l'empire  ottoman,  sont 
également  assurés  aux  sujets  et  au  pavillon  de  la 
Sublime  Porte,  dans  les  mers  et  sur  le  territoire  de  la 
République  française. 

ART.     3. 

La  République  française  jouira,  dans  les  pays  otto- 
mans qui  bordent  ou  avoisinent  la  mer  Noire,  tant  pour 
son  commerce  que  pour  les  agents  et  commissaires  des 
relations  commerciales,  qui  pourront  être  établis  dans 
les  lieux  où  les  besoins  du  commerce  français  rendront 
cet  établissement  nécessaire,  des  mêmes  droits,  privi- 
lèges et  prérogatives  dont  la  France  jouissait  avant  la 
guerre,  dans  les  autres  parties  des  Etats  de  la  Sublime 
Porte,  en  vertu  des  anciennes  capitulations. 

ART.     4. 

La  Sublime  Porte  accepte,  en  ce  qui  la  concerne,  le 
traité  conclu  à  Amiens  entre  la  France  et  l'Angleterre, 
le  4  germinal  an  x  {22  zilhidjé  1216).  Tous  les  articles 
de  ce  traité,  qui  sont  relatifs  à  la  Sublime  Porte,  sont 
formellement  renouvelés  dans  le  présent  traité. 

ART.    5 . 

La  République  française  et  la  Sublime  Porte  se 
garantissent  mutuellement  l'intégrité  de  leurs  posses- 
sions. 


526     MEMUIKK    SIR    l'AMHASSADI.    D  K    I' L  R  g  L  1  F. 


A  R  r" .     6 . 

I,cs  resliuitions  et  compensations  dues  aux  agents 
ck'S  deux  puissances,  ainsi  f|u  aux  citoyens  et  sujets 
dont  les  biens  ont  été  confisqués  ou  séquestrés  pendant 
la  guerre,  seront  réglées  avec  équité,  par  un  arrange- 
ment particulier,  qui  sera  fait  a  Constantinopk-  entre 
les  dijux  gouvernements. 

ART.    7 . 

En  attendant  qu'il  soit  pris  de  concert  de  nouveaux 
arrangements  sur  les  discussions  qui  ont  pu  s'élever 
relativement  aux  droits  de  douanes,  on  se  conformera, 
à  cet  égard,  dans  les  deux  pays,  aux  anciennes  capitu- 
lations. 

ART.     8. 

S'il  existe  encore  des  prisonniers  qui  soient  détenus 
par  suite  de  la  guerre  dans  les  deux  Etats,  ils  seront 
immédiatement  mis  en  liberté  sans  rançon. 

ART.     p. 

La  République  française  et  la  Sublime  Porte  ayant 
voulu,  par  le  présent  traité,  se  placer  dans  les  Etats 
l'une  de  l'autre,  sur  le  pied  de  la  puissance  la  plus 
favorisée,  il  est  entendu  qu'elles  s'accordent  respecti- 
vement, dans  les  deux  États,  tous   les   avantages  qui 


APPENDICE.  P7 

pourraient  être  ou  avoir  été  accordés  à  d'autres  puis- 
sances, comme  si  lesdits  avantages  étaient  expressément 
stipulés  dans  le  présent  traité. 


ART.     lO. 


Les  ratifications  du  présent  traité  seront  échangées 
à  Paris,  dans  l'espace  de  quatre-vingts  jours,  ou  plus 
tôt,  si  faire  se  peut. 

Fait  à  Paris,  le  6  messidor  an  x  de  la  République 
française  (25  juin  1802),  et  le  24  Safer  Ulhaïr  12 17. 

Sig-né  Ch.    Maur.    Talleyrand. 
Esseid-Mohamed-Said-Ghalib   Effendi. 


XVII. 

Traite   de  commerce   conclu 

entre  la  France  et  la  Porte  ottomane 

LE   25   novembre    1838. 

Pendant  la  longue  alliance  qui  a  heureusement 
subsisté  entre  la  France  et  hi  Sublime  Porte,  des  capi- 
tulations obtenues  de  la  Porte  et  des  traités  conclus 
entre  les  deux  puissances  ont  réglé  le  taux  des  droits 
payables  sur  les  marchandises  exportées  de  Turquie, 
comme  sur  celles  importées  dans  les  domaines  du  Grand 


528      M  F  M  O  I  n  K    S  r  H    I  '  k  M  I',  \  s  s  \  D  I.    I)  \:    V  L  R  O  U  I  F.. 

Seigneur,  et  ont  ti;ibli  tt  consacre  les  droits,  privilèges, 
imimmités  et  obligations  des  marchands  rranç;ais  trati- 
(jiiant  ou  résidant  dans  1  étendue  de  l'empire  Ottoman. 
Cependant,  depuis  l'époque  ou  les  capitulations  on 
été  revisées  pour  la  dernière  fois,  des  changements  de 
différente  nature  sont  survenus,  tant  dans  l'administra- 
tion intérieure  de  I  emjiire  lurc,  (jue  dans  ses  relations 
extérieures  a\ec  les  autres  puissances,  et  Sa  Alajcslé 
l'Kmpereur  des  Français  et  Sa  Hautesse  le  Sultan  sont 
convenus  de  régler  de  nouveau,  par  un  acte  spécial  et 
additionnel,  les  rapports  commerciaux  de  leurs  sujets, 
le  tout  dans  le  but  d'augmenter  le  commerce  entre 
leurs  Etats  respectifs,  comme  dans  celui  de  faciliter 
davantage  l'échange  des  produits  de  l'un  des  deux  pays 
avec  ceux  de  l'autre  :  à  cet  effet,  ils  ont  nommé  pour 
leurs  plénipotentiaires  : 

Sa  Majesté  l'Empereur  des  Français,  M.  Albin- 
Reine,  baron  Roussin,  vice-amiral,  pair  de  France, 
membre  de  l'Académie  des  sciences,  grand-croix  de 
Tordre  impérial  de  la  Légion  d'honneur,  décoré  du 
grand  ordre  de  Nichani-lftihar,  grand-croix  de  Tordre 
grec  du  Sauveur,  commandeur  de  l'Ordre  de  la  Croix 
du  Sud  du  Brésil,  son  ambassadeur  près  la  Sublime 
Porte, 

Et  Sa  Hautesse  le  Sultan,  le  très-excellent  et  très- 
distingué  Méhémed  Noury  Effendi,  conseiller  d'Etat 
au  département  des  affaires  étrangères,  tenant  le  porte- 
feuille de  ce  ministère  par  intérim,  décoré  de  l'ordre 
du  Nichani-lftihar  de  première  classe,  grand-croix  de 


APPENDICE.  529 

l'ordre  belge  de  Léopold,  —  et  le  très-excellent  et 
très-distingué  Mustapha  Kiani  bey,  membre  du  conseil 
suprême  d'État,  président  du  conseil  d'utilité  publique 
et  du  commerce,  ministre  d'Etat  de  première  classe, 
revêtu  des  décorations  affectées  à  ces  deux  emplois. 

Lesquels,  après  s'être  donné  réciproquement  com- 
munication de  leurs  pleins  pouvoirs  trouvés  dans  la 
bonne  et  due  forme,  sont  tombés  d'accord  sur  les  articles 
suivants  : 

ARTICLE     PREMIER. 

Tous  les  droits,  privilèges  et  immunités  qui  ont  été 
conférés  aux  sujets  ou  aux  bâtiments  français  par  les 
capitulations  et  les  traités  existants  sont  contirmés 
aujourd'hui  et  pour  toujours,  à  l'exception  de  ceux  qui 
vont  être  spécialement  moditiés  par  la  présente  conven- 
tion, et  il  est,  en  outre,  expressément  entendu  que  tous 
les  droits,  privilèges  et  immunités  que  la  Sublime  Porte 
accorde  aujourd'hui  ou  pourrait  accorder  à  l'aNcnir  aux 
bâtiments  et  aux  sujets  de  toute  autre  puissance  étran- 
gère, seront  également  accordés  aux  sujets  ou  aux  bâti- 
ments franç^ais,  qui  en  auront  de  droit  l'exercice  et  la 
jouissance. 

A  R  T .    2 . 

Les  sujets  de  Sa  Majesté  l'Empereur  des  Fran<^-ais 
ou  leurs  ayants  cause  pourront  acheter,  dans  toutes  les 
parties  de  l'empire  Ottoman,  soit  qu'ils  veuillent  en 
faire  le  commerce  à  l'intérieur,  soit  qu'ils  se  proposent 

34 


y  V      M  I    MOI  l;  I     s  M!     I  '  \  Ml{  Xs'^  \  1)1.    1)1      ri  Hnri  I  . 

de  les  exporter,  loiis  les  articles  sans  exception  prove- 
nant (In  soi  ou  de  I  iiulusliie  de  ce  pa\s.  1  ,a  SubliiTH: 
Porte  s'engage  (orniellmunl  ;i  ;ibolir  ions  K-,  monopoles 
cpii  frappent  les  jirodnits  de  l'agriciilf.ire  it  les  autres 
productions  quelconques  de  son  territf)ire.  comme  aussi 
elle  renonce  a  l'usage  des  te^kércs  demandés  aux  auto- 
rités locales  pour  l'achat  de  ces  marchandises  ou  pour 
les  transporter  iVun  lieu  a  un  autre  quand  elles 
étaient  achetées;  toute  tentati\e  cjui  serait  laite  par  une 
autorité  quelconque  pour  forcer  les  sujets  franç^ais  a  se 
pourvoir  de  semblables  permis  ou  tc:^kércs.  sera  consi- 
dérée comme  une  infraction  aux  traités,  et  la  Sublime 
Porte  punira  imniLdiatement  avec  sé\érité  tous  vézirs 
ou  autres  lonctionnaires  auxquels  on  aurait  une  pareille 
infraction  à  reprocher,  et  elle  indemnisera  les  sujets 
irant;ais  des  pertes  ou  vexations  dont  ils  pourront  pnni- 
ver  qu'ils  ont  eu  à  souffrir. 

ART.    3 . 

Les  marchands  français  ou  leurs  ayants  cause  qui 
achèteront  un  objet  quelconque  produit  du  sol  ou  de 
l'industrie  de  la  Turquie,  dans  le  Init  de  le  revendre 
pour  la  consommation  dans  l'intérieur  de  l'empire 
Ottoman,  payeront,  lors  de  l'achat  ou  de  la  vente,  les 
mêmes  droits  qui  sont  payés  dans  des  circonstances 
analogues  par  les  sujets  musulmans  ou  par  les  raïas 
les  plus  favorisés  parmi  ceux  qui  se  livrent  au  com- 
merce intérieur. 


APPENDICE.  531 

ART.     4. 

Tout  article  produit  du  sol  ou  de  l'industrie  de  la 
Turquie,  acheté  pour  l'exportation,  sera  transporté  libre 
de  toute  espèce  de  charge  et  de  droits  à  un  lieu  conve- 
nable d'embarquement  par  les  négociants  franc;ais  ou 
leurs  ayants  cause.  Arrivé  là,  il  pa)'era  a  son  entrée  un 
droit  fixe  de  9  pour  100  de  sa  valeur,  en  remplacement 
des  anciens  droits  de  commerce  intérieur  supprimés  par 
la  présente  convention.  A  sa  sortie,  il  payera  le  droit 
de  3  pour  100  anciennement  établi,  et  qui  demeure  sub- 
sistant. Il  est  toutefois  bien  entendu  que  tout  article 
acheté  au  lieu  d'embarquement  pour  l'exportation,  et 
qui  aura  déjà  payé  à  son  entrée  le  droit  intérieur,  ne 
sera  plus  soumis  qu'au  seul  droit  primitif  de  3  pour  100. 

ART.      5. 

Tout  article  produit  du  sol  ou  de  l'industrie  de  la 
France  et  de  ses  dépendances,  et  toutes  marchandises, 
de  quelque  espèce  qu'elles  soient,  embarquées  sur  des 
bâtiments  frant;ais  et  étant  la  propriété  de  sujets  fran- 
^•ais,  ou  apportées  par  terre  ou  par  mer,  d'autres  pays 
par  des  sujets  franç;ais,  seront  admis  comme  antérieure- 
ment dans  toutes  les  parties  de  l'empire  OtKMnan,  sans 
aucune  exception,  moyennant  un  droit  de  3  pour  100 
calculé  sur  la  valeur  de  ces  articles. 

En  remplacement  de  tous  les  droits  de  commerce 
intérieur  qui  se  ])ei\;oivenl  aujourdluii  sur  lesdites  mar- 


jp      MF-,M()II{|.    SIK     I     \MIMsS\l)l.    I)  I     l' l   H  O  f  I  K. 

cliantiisc-s,  le  négociant  li'.m(;ais  fini  Ic^  iniporlcTu.  soit 
(|ii'il  les  \eiule  au  l'eu  craiiivcc,  soit  (ju  il  les  evjK-die 
clans  rinljiieur  pour  les  y  \eiulre,  jiayeru  un  droit 
additionnel  de  2  j-jour  1  ..  Si  ensuite  ces  marchandises 
sont  i"e\enducs  a  l'intciieur  ou  a  l'extérieur,  il  ne  sera 
])lus  exigé  aucun  droit  ni  du  \endeiir  ni  de  l'acheteur, 
ni  de  celui  (jui,  les  a)ant  achetées,  désirera  les  expédier 
au  dehors. 

Les  marchandises  qui  auront  payé  l'ancien  droit 
d'importation  de  3  jiour  100  dans  un  port  pourront  être 
en\oyées  dans  un  autre  port,  tranches  de  tous  droits,  et 
ce  n'est  que  lorsqu'elles  y  seront  vendues  ou  transpor- 
tées de  celui-ci  dans  1  intérieur  au  pavs  (jue  le  droit 
additionnel  de  2  pour   100  de\ra  être  acquitté. 

Il  demeure  entendu  (jue  le  gou\ernement  de  Sa 
Majesté  l'Empereur  des  Frant;ais  ne  prétend  pas,  soit 
par  cet  article,  soit  par  aucun  autre  du  présent  traité, 
stipuler  au  delà  du  sens  naturel  et  précis  des  termes 
employés,  ni  pri\er  en  aucune  manière  le  gouverne- 
ment de  Sa  Hautessc  de  l'exercice  de  ses  droits  d'admi- 
nistration intérieure,  en  tant,  toutefois,  que  ces  droits 
ne  porteront  pas  une  atteinte  manifeste  aux  stipulations 
des  anciens  traités  et  aux  pri\iléges  accordés  par  la  pré- 
sente convention  aux  sujets  frant;ais  et  à  leurs  propriétés. 

ART.     6. 

Les  sujets  franç;ais  ou  leurs  avants  cause  pourront 
librement  trafiquer  dans  toutes  les  parties  de  l'empire 


APPENDICE.  533 

Ottoman  des  marchandises  apportées  des  pays  étrangers; 
et  si  ces  marchandises  n'ont  payé  à  leur  entrée  que  le 
droit  d'importation,  le  négociant  français  ou  son  ayant 
cause  aura  la  faculté  d'en  tratîquer,  en  payant  le  droit 
additionnel  de  2  pour  I GO  auquel  il  serait  soumis  pour  la 
vente  des  propres  marchandises  qu'il  aurait  lui-même 
importées,  ou  pour  leur  transmission  faite  dans  l'inté- 
rieur avec  l'intention  de  les  y  vendre.  Ce  payement 
une  fois  acquitté,  ces  marchandises  seront  libres  de  tous 
autres  droits,  quelle  que  soit  la  destination  ultérieure 
qui  sera  donnée  à  ces  marchandises. 

ART.    7. 

Aucun  droit  quelconque  ne  sera  préle\é  sur  les 
marcliandises  franç;aises  produit  du  sol  ou  de  l'indus- 
trie de  la  France  et  de  ses  dépendances,  ni  sur  les  mar- 
chandises provenant  du  sol  ou  de  l'industrie  de  tout 
autre  pays  étranger,  quand  ces  deux  sortes  de  marchan- 
dises, embarquées  sur  des  bâtiments  franç;ais  apparte- 
nant à  des  sujets  français,  passeront  par  les  détroits  des 
Dardanelles,  du  Bosphore  ou  de  la  mer  Noire,  soit  que 
ces  marchandises  traversent  ces  détroits  sur  les  bâti- 
ments qui  les  ont  apportées,  ou  qu'elles  soient  transpor- 
tées sur  d'autres  bâtiments,  ou  que,  devant  être  \endues 
ailleurs,  elles  soient,  pour  un  temps  limité,  déposées  à 
terre  pour  être  mises  à  bord  d'autres  bâtiments  et  con- 
tinuer leur  voyage. 

Toutes  les  marchandises  importées  en  Turquie  poui- 


534  M  f '  "^I  f ^  '  'î  ' '■  ^ '-■  '^  '  '  -^  "^1 15  \  S  S  \  I )  I .  I)  I-:  l' L  i{  Q  L  I  !.. 
être  li.iiisportLCS  cii  d'autivs  j);i)s.  ou  qui,  restant  entre 
les  iiKiins  de  l'importateur,  seront  exjiédiées  par  lui 
dans  d'autres  pays  pour  y  être  vendues,  ne  payer<jnt 
que  le  premier  droit  d'iniportatioii  dr  3  pour  100,  sans 
que,  sous  aueun  prétexte,  on  jniisse  les  assujettir  a 
d'autres  droits. 

ART.      8. 

Les  fermans  exigés  des  bâtiments  marchands  fran- 
çais à  leur  passage  dans  les  Dardanelles  et  dans  le  Bos- 
phore leur  seront  toujours  délivrés  de  manière  à  leur 
occasionner  le  moins  de  retard  possible. 

ART.     9. 

La  Sublime  Porte  consent  à  ce  que  la  législation 
créée  par  la  présente  convention  soit  exécutable  dans 
toutes  les  provinces  de  l'empire  Ottoman,  c'est-à-dire 
dans  les  possessions  de  Sa  Hautesse  situées  en  Europe 
et  en  Asie,  en  Egypte  et  dans  les  autres  parties  de 
l'Afrique  appartenant  à  la  Sublime  Porte,  et  quelle 
soit  applicable  à  toutes  les  classes  de  sujets  ottomans. 

La  Sublime  Porte  déclare  aussi  ne  point  s'opposer 
à  ce  que  les  autres  puissances  étrangères  cherchent  à 
faire  jouir  leur  commerce  des  stipulations  contenues 
dans  la  présente  convention. 

ART.     10. 
Suivant  la  coutume  établie  entre   la  France  et  la 


APPENDICE.  535 

Sublime  Porte,  et  afin  de  prévenir  toute  difficulté  et 
tout  retard  dans  l'estimation  de  la  valeur  des  articles 
importés  en  Turquie  ou  exportés  des  Etats  Ottomans 
par  les  sujets  français,  des  commissaires  versés  dans  la 
connaissance  du  commerce  des  deux  pays  ont  été  nom- 
més, tous  les  quatorze  ans,  pour  fixer  par  un  tarif  la 
somme  d'argent  en  monnaie  du  Grand  Seigneur  qui 
devra  être  payée  sur  chaque  article  Or  le  terme  de 
quatorze  ans,  pendant  lequel  le  dernier  tarif  devait  res- 
ter en  vigueur,  étant  expiré,  les  hautes  parties  contrac- 
tantes sont  convenues  de  nommer  conjointement  de 
nouveaux  commissaires  pour  fixer  et  déterminer  le  mon- 
tant en  argent  qui  doit  être  payé  par  les  sujets  français 
comme  droitde  3  pour  loosurla  valeur  de  tous  les  articles 
de  commerce  importés  et  exportés  par  eux.  Lesdits  com- 
missaires s'occuperont  de  régler  avec  équité  le  mode  de 
payement  des  nouveaux  droits  auxquels  la  présente 
convention  soumet  les  produits  turcs  destinés  à  Texpor- 
tation,  et  détermineront  les  lieux  d'embarquement  dans 
lesquels  l'acquittement  de  ces  droits  sera  le  plus  iacile. 
Le  nouveau  tarif  établi  restera  en  \igueur  pendant 
sept  années,  à  dater  de  sa  tixation.  Après  ce  terme, 
chacune  des  hautes  parties  contractantes  aura  droit  d'en 
demander  la  révision.  Mais  si,  pendant  les  six  mois  qui 
suivront  l'expiration  des  sept  premières  années,  ni  l'une 
ni  l'autie  n'use  de  celte  iacullé,  le  tarif  continuera 
d'avoir  force  de  loi  pour  sept  autres  années,  à  dater  du 
jour  où  les  premières  seront  expirées,  et  il  en  sera  de 
même  à  la  tin  de  cha(|ue  période  successive  de  sept  années. 


536     MK.MOIHI-;    SLH    l'\MliASSADK    DK    TlRgLIK 


CONCF.USION. 

I,a  présente  con\cnii()n  sera  ratitiée;  les  ratifications 
en  seront  échangées  a  Constanlinoi^le.  clans  l'espace  de 
trois  mois  ou  plus  tôt  si  faire  se  peut,  et  elle  ne  com- 
mencera toutefois  a  être  mise  a  exécution  rjuau  mf)is 
de  mars  mil  huit  cent  trente-neuf. 

Les  dix  articles  qui  précèdent  ayant  été  arrêtés  et 
conclus,  le  présent  acte  a  été  signé  par  nous,  et  il  est 
remis  à  Leurs  Excellences  les  plénipotentiaires  de  la 
Sublime  Porte,  en  échange  de  celui  qu'ils  nous  remettent 
eux-mêmes. 

Fait  à  Constantinople  le  25  novembre  1838. 

Le  Vice-Q/lmiral.  Pair  de  France,  d-lmbassadeur 
de  l Empereur. 

Baron    R  c  u  s  s  i  n  . 


Nous,  ayant  agréable  ladite  convention,  toutes  et 
chacune  des  dispositions  qui  y  sont  contenues,  décla- 
rons, tant  pour  nos  héritiers  et  successeurs,  qu'elle  est 
acceptée,  approuvée,  ratitiée  et  confirmée,  et  par  ces 
présentes,  signées  de  notre  main,  nous  l'acceptons, 
approuvons,  ratifions  et  confirmons,  promettant  en  foi 
et  en  parole  d'Empereur,  de  l'observer  et  de  la  faire 
observer  inviolablement.   sans  v  jamais  contre\enir  ni 


APPENDICE. 


537 


permettre  qu'il  y  soit  contrevenu  directement  ni  indirec- 
tement, en  quelque  manière  et  sous  quelque  prétexte 
que  ce  soit.  En  foi  de  quoi  nous  avons  apposé  notre 
sceau  impérial  à  ces  présentes. 

Donné  en  notre  palais  impérial  des  Tuileries,  le 
dix-neuvième  jour  du  mois  de  janvier  de  l'an  de  grâce 
mil  huit  cent  trente-neuf. 

Signé  Lo  uis-Philippf. 
Par  Sa  Majesté  l'Empereur, 

Signé  Mole. 


TABLE    DES    MATIÈRES 


Avant-propos i 

Mémoire  sur  l'ambassade  de  France  en  Turquie i 

Introduction 7 

Première  partie 29 

Deuxième  partie i-^^ 

Liste    des   ambassadeurs,    ministres    et    agents    politiques 
des    Rois    de    France     à     la    Porte  Ottomane     depuis 

François  I"^''  jusqu'à  Louis  XVI 179 

Jean  Frangipani .  170 

Antoine  de  Rincon 180 

Jean  de  la    Forest 181 

Jean  de  Montluc .    .    .  i8r 

Marillac 182 

César   Cantelmo 183 

Antoine   Polin,  baron  de  la  Garde 185 

Gabriel  d'Aramon 185 

Chesneau " 187 


J40  VWiLl.    DES    MATII.RKS 

Codigimc ]H-f 

F.a   Vipiic iXH 

Pcticniol 150 

Du   HoLirg 191 

GraïKlchanip 192 

I.a   Triqucric 19^ 

François  de  Noaillcs,  évcquc  d'Acqs 19^ 

Gilles  de  Noaillcs 196 

Jugé- 197 

Gcrmigiiy,    baron  de  Gcrmolles jc^j 

Berthier 199 

Jacques  Savari,  seigneur  de  Lancosme 199 

François   Savari,  seigneur  de  Brèves 201 

François  de  Gontaut  Biron,  baron   de  Salignac.    .    .    .  204 

Achille  de  Harlay  S'ancy,  baron  de  la  Mô'e 205 

Philippe  de  Harlay,  comte  de  Cézv 207 

Henry  de  Gournay,  comte  de  Marcheville 211 

Jean  de  la  Haye,  seigneur  de  Vantelec 215 

Jean  François  Roboly 219 

Denis  de  la  Haye,  sieur  de  Vantelec 221 

Charles-François  Olier  de  Nointel 227 

Gabriel-Joseph  de  la  Vergue  de  Guilleragues    ....  232 

Jean-Baptiste  Fabre 237 

Pierre  de  Girardin 238 

L'abbé   de  Girardin 241 

Pierre-Antoine  de  Castagnères  de  Châtéauneuf  .    .    .    .  241 

Charles  de  Ferriol,  baron  d'Argental 246 

Pierre    Puchot,    seigneur    de    Clinchamp,    comte    des 

Alleurs 252 


TABLE    DES    MATIERES.  541 

Jean-Louis  d'Ussoii,  marquis  de  Boaac 255 

Jeaii-Baptiste-Louis  Picon,  vicomte   d'Andrezeh    .    .    .        258 

Gaspard  de  Fontenu ^59 

Louis-Sauveur  de   Villeneuve 260 

Michel-Ange,  comte  de  Castellane 263 

Roland  Puchot,  comte  des  Alleurs 265 

Charles  Gravier,  comte  de  Vergennes 267 

Troisième   partie 269 

Mémoire   sur  le  commerce   et  la  navigation  de   la  France 

en  Levant 269 

Tableau  général  du   commerce  français  dans  le   Levant  et 
de  l'exploitation  générale  de  ce  commerce  dans  chaque 

échelle 327 

Appendice 345 

L  Confirmation  par  Soliman  II  du  Traité  fait  anté- 
rieurement, sous  la  domination  des  Sultans  ma- 
melucks  d'Egypte,  avec  les  consuls  de  France  i\ 
Alexandrie 345 

II.  Traité  conclu  entre  Sultan  Suleyman  et  François  ^■'■.  .        353 

III.  Articles   accordez  par  le  Grand  Seigneur,  en  faveur 

du  Roy  et  de  ses  subjects,  à  Messire  Claude  du 
Bourg,  pour  la  liberté  et  seurté  du  traifiq,  com- 
merce et  passage  es  pays  et  mers  de  Levant  .    .    .        362 

IV.  Lettre  du  Roy  au  Grand  Seigneur  (6  janv.    15H1)    .        375 

V.  Lettre  du  Roy  à  Sinan  Bassa,  sur  le  renouvellement 

des  capitulations 379 

VI.  Capitulations    du    Roy    avec    le     Grand    Seigneur  , 

confirmées  et  renouvelées  de  M.  de  Germigny 
(juil.  1581) 381 


J43 


I\  \'.l  \:    DF-.S    \I  \  Il  I.KKS. 


\  il.      1  Litre  (lu   Graïul  Scipiiciir  nu  Roy,  sur  le  rciiouvci- 
lumciit    lies  capitulations  hiitcs   par    les   soins  du 

sieur  Je  ricnnijTiiy 392 

VIII.  Confirmation  d'alliance  avec  le  Grand   Seigneur  par 

Henry  IV  (1597) 398 

IX.  Lettre  du  sultan  Mclienict  III  à  Henry  IV 410 

X.  Capitulations  de  1604 415 

XI.  Notes  sur  quelques  articles  du  précédent  Traitté  .    .  430 

XII.  Lettres  de  Henri  IV  à  M.  de  Brèves 439 

XIII.  Lettre  du  Roy  au  Grand  Seigneur 4^4 

Mémoire  des  prétentions  de  M.  l'Ambassadeur  pour 

le  renouvellement  des  capitulations 446 

XIV.  Capitulations  de  1673 454 

XV.  Traité  entre  la  France  et  la  Porte  Ottomane  (1740).  47Î 

XVI.  Traité  de  Paix   entre   la  République    française   et  la 

Sublime  Porte  ottomane  (Paris,  25  juin  1802).    .  523 

XVII.  Traité   de   commerce  conclu  entre  la  France  et   la 

Porte  Ottomane  (25   novembre  1838) 527 


FIN    DE    LA    TABLE. 


DC  Sainli-Friest,   François 

59  Emmanuel  Guignard,   comte  de 

,8  Mémoires  sur  l'ambassade  de 

T8û35  France  en  Turquie 


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