PUBLICATIONS
DE l'école des langues ORIENTALES VIVANTES^
VI
MEMOIRES
SUR
L'AMBASSADE DE FRANCE
£•0X1 TUTIQUIE
ET S U R
LE COMMIiRCE DES FRANÇAIS DANS LE LEVANT
MÉMOIRES
SUR
L'AMBASSADE
DE FRANCE
ÊCNC TURQUIE
ET SUR
LE COMMERCE DES FRANÇAIS DANS LE LEVANT
PAR
M. LE COMTE DE SAINT-PRIEST
Suivis du texte des traductions originales des Capitulations
et des Traités conclus avec la Sublime Por'e oromane
PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
LIBRAIRE DE LA SoCIÉTÉ ASIATlc^UE
DE l'École des langues orientales vivantes, des sociétés de Calcutta
DE SHANGHAÏ, DE NEW-HAVEN, DU CAIRE, ETC.
28, RUE BONAPARTE, 28
1877
0 0 i 0 <' ?
AVANT-PROPOS
11 était de règle, sous l'ancienne monarchie^
que les ambassadeurs de France près la Porte
Ottomane remissent au Roi, à la fin de leur mis-
sion, un mémoire sur les négociations qu'ils
avaient dirigées et sur l'état du commerce et de
la navigation des sujets français dans les Échelles
du Levant.
M. le Comte de Saint-Priest est le dernier
ambassadeur à Constantinople qui se soit con-
formé à cette obligation, son successeur, M. le
Comte de Choiseul Gouffier, ayant été déposé,
en octobre 1792, par une assemblée tumultueuse
des résidents français et remplacé par le premier
député de la nation.
II AVANT-I'HOI'OS.
I*cn(l;iiit le (."()ii;_;c (|u il ;i\;iit obtenu en 1776,
.M. de Saini-l'i'iesi a\;iii, ainsi (|u il le dit liii-
niènie, rasscnibié les niaiériaux de son •' Mémoire
sit)- l\iinl\issjdc de J-'i\iuceeii Turquie ». 11 a\ait con-
sulté les tKjtunients conserves à la l>ibliothèque
du Uoi, au dépôt des aiH'hives du Ministère des
Aliaires étrangères, et dans la maison de Noailles.
A son retour en i^rance, en 177H, il remit à la
(]our cm([ mémoires ayant pour objet : \' l'his-
toire de la politique SLii\ie |)ar la France depuis
l'établissement des relations politiques avec la
Porte ; 2" un mémoire sur les ambassadeurs et
agents de France; 3" l'histoire du commerce et
de la navigation des Français dans le Levant;
4" un mémoire sur les établissements religieux
et sur la protection que le Roi lein- accorde, et
enfin le compte rendu de sa mission.
Les trois premiers, qui ont un intérêt pure-
ment historique et dont il existe plusieurs
copies, sont les seuls qui soient insérés dans ce
volume.
L'alliance permanente de la France avec la
Turquie et avec les cantons suisses était au-
trefois considérée par les hommes d'État fran-
çais comme absolument nécessaire pour faire
AVANT-PROPOS. m
échec à la puissance de la maison d'Autriche ^
Malgré l'opposition de l'opinion publique qui
blâmait tout pacte avec les Musulmans, et en
dépit de dissentiments passagers motivés par les
caprices et les hauteurs des ministres ottomans
ou les écarts de conduite de quelques ambassa-
deurs, l'alliance avec la Turquie s'est maintenue
intacte jusqu'cà la paix de Versailles.
Le mémoire de M. de Saint-Priest est plutôt
un canevas qu'une histoire détaillée de la diplo-
matie française en Ttu-quie. Tel qu'il est, son
travail est, cependant, plus net et plus complet
que celui de M. de Flassan'.
M. de Saint-Priest ne paraît point avoir connu
quelques documents manuscrits ou imprimés qui
auraient pu lui fournir soit des appréciations
plus justes sur certains événements, soit des dé-
1. « J'ouys dire une fois à M. le Connétable : que les roys de
France avoient deux alliances et affinitez desquelles ne s'en
dévoient jamais distraire et despartir pour chose du monde : l'une
celle des Suysses, et l'autre celle du grand Turc. Brantôme, les
vies des grands capitaines français, tome V, page 55 de l'édition
publiée par M. Ludovic Lalannc.
2. De Flassan. Histoire générale et raisonnée de la diplomatie
française et de la politique de la France depuis la fondation de la
monarchie, jusqu'à la fin du règne de Louis XVI ; par ^L de Flas-
san. Paris 1811,7 vol. in-8".
IV A\ \N r-l'HOIH)S.
lails sur lies laits cii :ij)j)arciicc secondaires, niais
(jui n'ont j)as laissé (|ue d'avoir une inlluetice
considérable sur la marche des allaires.
I.cs |)aj)iers des agents français à (^onstanti-
noj)le, j)endant1e x\ i" siècle ei les trente premières
années du wii" siècle, sont conservés à la P)iblio-
thèque nationale où ils sont entres à dilierents
litres. Ils ont été en grande partie publijs par
iM. Cdiarrièrc dans les AVi,'-ofM//o;/.s' Je Li J'miicc
dans le Lci'.iul, recueil rempli de documents cu-
rieux, mais que la mort regrettable de M. Char-
rière a laissé inachevé '. 11 s'arrête à la fin du
règne de Henri 111. Le lecteur curieux de recourir
aux sources originales trouvera les lettres de
Henri IV à M. Savari de Brèves, son ambassa-
dein- à Constantinople, dans la collection des
Lettres missives de Henri IJ^ publiée par les soins
de M. Berger de Xivrey".
1. Négociations de la France dans le Levant ou correspondances,
mémoires et actes diplomatiques des ambassadeurs de France à
Constantinoplc et des ambassadeurs, envoyés ou résidents à divers
titres à Venise, Raguse, Rome. Malte et Jérusalem, en Turquie,
Perse, Géorgie, Crimée, Syrie, Egypte, etc., et dans les Etats de
Tunis, d'Alger et de Maroc, publiés pour la première fois par
E. Charrière. Paris, 1848-1860.
2. Recueil des lettres missives de Henri IV (1562-1610) publié
par M, Berger de Xivrey. Paris 1843-1872,8 vol. in-4''.
AVANT-PROPOS. V
Déjà au xvr siècle, Ribier avait publié sans
grand ordre et sans éclaircissements quelques
dépêches de MM. D'Aramon, Codignac et de la
Vigne ^
Camuzat avait également imprimé dans son
recueil quelques lettres de M. de Pétremol
adressées au Roi et à son ambassadeur à
Venise -.
Enfin, dans le second volume de Vllliistre
Oî^bandale ou l'histoire de Chaloii -sur - Saône,
P. Cusset a donné le texte des instructions de
M. de Germigny, quelques-unes de ses lettres et
la traduction des capitulations renouvelées à la
demande de Henri III ^
Les pièces diplomatiques et les relations des
1. Lettres et mémoires d'Estatdes Roys, Princes, ambassadeurs
et autres ministres sous les règnes de François I""'', Henri II et
François II, contenans les intelligences de ces Roys avec les Princes
de l'Europe, contre les menées de Charles-Quint; principalement
à Constantinople auprès du Grand Seigneur, etc., par messire
Guillaume Ribier, conseiller d'Etat. Imprimés ù Blois et se ven-
dent à Paris chez François Clouzier, 1666, 2 volumes in-folio.
2. Meslanges historiques ou recueil de plusieurs actes, traictez,
lettres missives depuis l'an 1390 iusque à l'an 1580, par N. C.
T. (Nicolas Camuzat, Troyen); à Troyes, par Jacques Febvre, 1644.
Supplément, fol. i à 12.
3. L'illustre Orbandale ou l'histoire ancienne et moderne de la
ville et cité de Chalon-sur-Saône. Lyon, 1662, 2 vol. in-4'".
VI AV VNT-PROPOS.
agcius iVançais ont été communiquées à .1. A. de
Thou et sou histoire contient sin- les afl'aircs de
I''r:iiue eu I urcjuie les détails les plus exacts et
les ()his précis '.
Les docunienis |)ostérieiu\s ont été mis à pro-
iii par liaudier et par iMézeray '. Les ouvrages de
ces deux historiographes de France ne méritent
nullement l'oubli et le discrédit dans lesquels ils
sont tombés.
J'ai fait suivre les trois mémoires de AL de
Saint-Priest des traductions originales des capi-
tulations accordées parla Porte de 1528 à 1740
et des traitée conclus avec la Turquie en 1802
et 1839.
1. J. A. Thuani historiariim libri C. XXX. VIII, etc. Loiidiiii,
Sam. Buckley, 1733, 7 vol. in-folio. Histoire universelle de J. A.
de Thou, de 1543 à 1607, traduite sur l'édition latine de Londres.
Paris, 1734, 16 volumes in-4°.
2. Inventaire de l'histoire générale des Turcs, où sont descriptes
les guerres des Turcs, leurs conquêtes, séditions et choses remar-
quables, etc., depuis l'an mil trois cens, jusques en l'année 1640. par
le sieur Michel Baudier de Languedoc, Gentilhomme de la maison
du Roy, conseiller et historiographe de Sa Majesté. Rouen, 1641,
in-4".
Histoire générale des Turcs contenant l'histoire de Chalcondyle
traduite par Biaise de Vigenaire et continuée jusque en l'an
M.D.C.XII, par Thomas Artus; et en cette nouvelle édition, par
le sieur de Mezeray jusques en Tannée 1661, etc., à Paris, Sébastien
Cramoisy, 1662, 2 volumes in-foHo.
AVANT-PROPOS. vu
J'ajoute à ces quelques lignes la liste des
principaux ouvrages et opuscules relatifs aux
affaires de Turquie écrits par des Français
pendant les x\f et xvii'' siècles. Un certain
nombre des relations, publiées à la fin du règne
de Louis XIV et dans le courant du xviii* siècle,
ne doivent être consultées qu'avec réserve. Je me
bornerai à recommander, pour les négociations
de M. de Villeneuve, l'Histoire de la paix de
Belgrade par l'abbé Laugier *.
<( Des coustumes et manières de vivre des
Turcs, faict premièrement en latin par Chris-
tophe Richer, varlet de chambre du Roy très-
chrestien, François premier de ce nom, et
secrétaire de son chancellier, et depuis par
iceluy Richer, traduict en langue Françoise.
Paris, Robert Estienne, imprimeur du Roy, 1 542,
in-8° ^ »
1 . Histoire des négociations pour la paix conclue à Belgrade le
28 septembre i7t,<), par l'abbé Laugier. Paris, veuve Duchesne,
2 vol. ill-T2.
2. Christophe Richer, secrétaire du cardinal Du Prat, avait été,
par François I'"", chargé d'une mission à Constantinople. Il fut
ensuite envoyé en Suède et en Danemark. Camuzat a publié le
texte de ses instructions, du traité qu'il conclut, et quelques-unes
de ses dépêches. Richer mourut le 24 mars 1552, à l'âge de trente-
neuf ans.
vm A\\\r PROPOS.
(( Le (liscoiii's du voy:i[(c de (](jiistaiiiinobIc,
envoyé diidict lieu ;i une demoyselle fraucoisc à
j^yuii. (liiez l'ieire de 1 om-s, i S42 '.»
<( Hrielve descnpiioii de la court du Cirant
'l'urc et lin sommaire du rè^ne des Ottmans, avec
un abrej^é de leurs lolles superstitions, ensemble
l'origine de cinq empires yssuz de la secte de
Meliemet par i\ Antoine (jeullroy, chevalier de
Tordre de S. Jehan de Jérusalem. Paris, Chres-
tien W echel^ M4^' ''i-4'- '>
(i Voyage de l^aris en Constantinople, celuy de
Perse, avec le camp du Grand Turc, de Judée,
Surie, Egypte et de la Grèce, etc. j fait par Noble
homme Jehan Chesneau et par luy mis et rédigé
par escrit, 1547-1555 -. »
(( Le discours du voyage de Venise à Con-
stantinople, contenant la querele du Grand Sei-
gneur contre le Sophi : avec élégante descrip-
tion de plusieurs lieus, villes et citez de la
Grèce et chose admirable en icelle. Par maistre
1. L'auteur de cette relation en vers était embarqué à bord de
l'escadre commandée par .M. de Saint-Blaiicart qui se rendit dans
les mers du Levant en 1537.
2. Jean Chesneau était secrétaire de M. d'.Aramon qu'il suivit
en Turquie. Il passa en ij^j au service de Renée de France,
duchesse de Ferrare.
AVANT-PROPOS. ix
Jacques Gassot. Paris, Ant. Leclerc, 1550*. ..
(( Les navigations, pérégrinations et voyages
faicts en la Turquie par Nicolas de Nicolay,
Daulphinoys, seigneur d'Arfeville, valet de cham-
bre et géographe du Roy. Anvers, Guillaume
Sylvius, imprimeiu' du Roy, 1576-. »
« Apologie faicte par un serviteur du Roy
contre les calomnies des Impériaulx sur la des-
cente du Turc. Paris, Charles Estienne, impri-
meur du Roy, i$$2, in-4°. » ■ •
H Articles accordez par le Grand Seigneur
en faveur du Roy et de ses subjets, à Messire
Claude du Bourg, chevalier, seigneur de Gué-
rine, pour la liberté et seurté du traffiq, commerce
et passage es pays et mers de Levant. Lyon,
François Didier, 1^70, in-4% 8 ff'\ d
(( Histoire des Ottomans, grands seigneurs de
Turquie, où est amplement représentée la nais-
sance de leur monarchie, la grandeiu* de leur em-
pire, etc., avec un indice géographique des noms,
par T. Pelletier. Paris, Marc Orry, 1600, in-8^ »
1. Ce voyage a été réimprimé en 1606 par Fr. Jacquin.
2. N. de Nicolay accompagnait M. d'Aranioii en 1550 et 1551
Dans sa préface, il donne des détails sur les ambassadeurs et les
savants français qui ont visité la Turquie dans la première moitié
du XVI* siècle.
X AVANT- PROPOS.
'( Discoiifs abrcgc des asscurcz moyens d'a-
iicaniir et ruiner la monarchie des princes Otto-
mans, laict par le sieur de I^rèvcs. S. 1. n. d. 4",
4H p. ..
(( Articles du traité fait en 1604 entre Henry
le (jrand et le sultan Amat, cmperetir des Turcs,
j)ar l'entremise de messire François Savary,
seigneur de Brèves, conseiller du Hoi en ses
conseils d'État et privé. »
« Capitulation accordée par Amat, empereur
des Turcs, aux princes et potentats d'Allemagne,
d'Italie, Hollande et amis de l'Empereur de
France. Paris, s. d. 4 feuillets. »
« Discours sur l'alliance qu'a le Roy avec le
Grand Seigneur et de l'utilité qu'elle apporte à
la chrestienté. S. 1. 1605, in-4% 22 pages. »
« Relation des voyages de M. de Brèves, tant
en Grèce, en Terre Sainte et Egypte, etc.;
ensemble un traicté faict l'an 1604, entre le Roy
Henri le Grand et l'empereur des Turcs, le tout
recueilli par J. D. C. (.Jacques Du Castel). Paris,
Gasse, 1628, 2 parties, in-4'\ »
« Discours parénétique sur les chosesturques,
divisé en trois livres, où est proposé s'il est
expédient et utile à la République chrestienne
AVANT-PROPOS. xi
de prendre les armes par communes forces et
les porter jusqu'en Grèce et Thrace contre ce
juré et pernicieux ennemi; par J. A. D. G. B. (de
Ghavigny.) Lyon, Pierre Rigaud, 1606, in-8^ »
« Advis et relation de Turquie envoyée au Roy
par M. de Salig-nac, de toiu ce qui s'est passé en
cet empire depuis Tavénement de l'empereur
Amat. Paris, Pierre Ménier, 1608, in-4''. »
« Lettre de sultan Osseman, empereiu* des
Turcs, au Roy, traduict du tiu'C en François sur
l'original. Paris, Nicolas Rousset, 16 18, in-4''. »
« Lettre d'un des secrétaires de M. le comte
de Césy, ambassadeur pour le Roy en Levant,
sur Testât présent des affaires de Turquie et le
grand embrazement arrivé à Gonstantinople en
1628. Paris, Adrien Toupinart, 1628, petit in-4". »
u Alliances du Roy avec le Turc et autres : jus-
tifiées contre les calomnies des Espagnols et de
leurs partisans, par G. Le Guay. Paris, Toussainct
Du Bray, 1625. »
« Les capitulations renouvelées entre
Louis XIV, Empereur de France, et Mehe-
met IV, Empereur des Turcs, par l'entremise
de M. Gharles Olier, marquis de Nointel, con-
seiller du Roy en tous ses conseils et en sa
XII AVANT- PROPOS.
cour (le l*;irlcincni de Paris et son ambassadeur
en Levant. Paris, l'\ Léonard, in-4". d
'I Rcmcrcîment lait au Roi au sujet de la resti-
tution des saints lieux de la Terre Sainte que Sa
Majesté a procurée aux Religieux de l'ordre de
Saint-François, présenté à Sa Majesté par les
gardiens de la Terre Sainte. Paris, 1691, in-12. »
(( Histoire des grands vizirs Mahomet Coprogli
pacha et Achmet Coprogli pacha; celle des
trois derniers Grands Seigneurs, de leurs sultanes
et principales favorites, etc. (par de Chassepol) ;
Amsterdam, Abraham Wolfgank, 1676, in-12. »
(( Mémoires du sieur de la Croix, cy devant
secrétaire de l'ambassade de Constantinople,
contenans diverses relations très-curieuses de
TEmpire othoman. Paris, Claude Barbin, 1684.
2 vol. in-12. »
(( Journal de Galland en l'année 1673 (publié
dans le 12'' volume de la licnic rétrospective,
2« série). Paris, 1837. »
« Les mémoires du chevalier d'Arvieux,
envoyé extraordinaire du Roi à la Porte, consul
d'Alep, d'Alger, de Tripoli et autres échelles
du Levant, etc., pubHés par le P. Labat. Paris,
1735, 6 vol. in-12. »
AVANT-PROPOS. xill
(( Ambassades de M. le comte de Guilleragues
et de M. de Girardin auprès du Grand Seigneur,
avec plusieurs pièces curieuses, tirées des mé-
moires de tous les ambassadeurs à la Porte, qui
font connoistre les advantages que la religion et
tous les princes de l'Europe ont tirés des alliances
faites par les François avec Sa Hautesse. Paris,
G. de Luines, i687,in-8'\ »
<( Substance d'une lettre écrite par un officier
du Grand Vizir à un Pacha, touchant l'expédition
de M. du Quesne à Chio et la négotiation de
M. de Guilleragues avec la Porte. A Ville-
Franche, Pierre Marteau, 1683. »
« Nouveau voyage du Levant parle sieur D. M.
(Du Mont), etc., où l'on voit aussi les brigues
secrètes de M. de Chateauneuf, ambassadeur de
France à la Cour ottomane. La Haye, Etienne
Foulque, 1694, in- 12. »
« Voyage de M. Du Mont en France, en Itahe,
en Allemagne, à Malthe et en Turquie. La Haye,
1699, 4 vol. in-i2. ')
<( Relation d'un voyage du Levant fait par ordre
du Roy, contenant l'histoire ancienne et moderne
de plusieurs isles de l'Archipel, de Constanti-
nople, etc., par M. Pitton de Tournefort, con-
XIV AVANT-FHOPOS.
scillcr du Uoy. Paris, liiiprimcric Koyalc, 171 7,
2 vol. in-4". »
Enfin, pour clore cette liste, je citerai pour le
lecteur qui voudrait avoir quelques détails sur
le commerce de la France dans le Levant au
xv!!!"^ siècle, Touvrage de Flachat qui a pour
titre :
(( Observations sur le commerce et sur les arts
d'une partie de l'Europe, de l'Asie, de l'Afrique
et même des Indes orientales, par Jean Claude
Flachat, directeur des établissements Levan-
tins et de la manufactiu*e royale de Saint-Cha-
mond, etc. Lyon, 1766, 2 vol. in-12. »
C. S.
MÉMOIRE
SUR l'ambassade
DE FRANCE
EN TURQUIE
L'ambassade de France à la Porte Otto-
mane réunit, pour celui qui en est charg-é, au
travail de la politique , le devoir d'une vigilance
éclairée sur le commerce et la navigation des
sujets du Roi au Levant, et le soin d'y protéger
les missionnaires, autant que cela se peut sans
se compromettre; cette midtitude d'objets d'oc-
cupation dont le marquis de Bonac, qui a rem-
pli cette place depuis 1716 jusqu'en 1724, ne
négligeait aucun, ne l'a pas empêché de com-
poser sur les temps antérieurs à sa mission,
im ouvrage ayant pour titre : Mémoire pour
scri'ir à dresser une histoire de l'Ambassade et
des Ambassadeurs de hl\7uee , auprès des G)-aiids
Seii>-}ieu)'s.
On peut dire à la vérité, que M. de Bonac
2 MF. MOIIU:
ainsi {|ii'il raiiiioncc liii-iiiùmc, n'a (jiic désigne
la tai"rici-c • sa diligence à faire, a\aru son départ
lie l 'rancc, des recherches à la BibHothèque du
Koi n'avait pas été rructiieuse : le Dépôt des
Affaires Étrang-ères n'existait point encore en
ce temps, et les Archives de Constantinople,
incendiées soixante ans auparavant, ne conte-
naient depuis cette époque aucune suite de
documents; quelques pièces détachées en fai-
saient tout le fond. Aussi les transactions poli-
tiques des premiers temps des liaisons de la
France avec l'empire ottoman n'ont-elles pas
été bien connues à M. de Bonac ; il n'a même
su qu'imparfaitement les noms de ses prédé-
cesseurs d'après une liste fautive qu'il a trouvée
à la Bibliothèque du Roi. L'essai de cet ambas-
sadeiu* ne contient jusqu'au commencement du
règne de Louis XIII que cette même liste : il y
a joint, à compter de cette dernière époque,
quelques anecdotes sur les subséquents ambas-
sadeurs, qu'il avait recueillies çà et là. Sentant
bien ce qui manquait à son ouvrage, M. de
Bonac se proposait, à son retour en France,
de faire de nouvelles recherches propres à
l'enrichir ; mais s'il s'en est effectivement
occupé , leur résultat n'est pas venu jusqu'à
nous.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 3
On a quelque droit de s'étonner que cet
ambassadeur, qui s'est plaint avec raison de la
négligence de ses prédécesseurs à déposer aux
archives du palais de F'rance la correspondance
de leur mission, ait lui-même omis d'y laisser la
sienne ; il est vrai qu'il a enrichi ce dépôt de
différents mémoires qu'il a composés sur les
affaires et événements de son temps , et on y
trouve plus d'instructions sur l'ambassade de
Constantinople que dans tout le reste de la
collection faite jusqu'à lui ; ce n'est qu'à l'an-
née 1747, date de l'arrivée de M. le comte
Desalleurs qu'elle commence à être complète.
Il mourut dans son ambassade où ses papiers
sont restés, et les comtes de Vergennes et de
Saint -Priest, qui sont venus après lui, ont
déposé l'un et l'autre leurs minutes dans les
archives.
Ce dernier a pris de la lecture de M. de
Bonac, l'idée de suivre les plans de cet ambas-
sadeur et d'y donner l'étendue qu'il s'était pro-
posée. Le comte de Saint-Priest, dans un voyage
qu'il a fait en France, par congé en 1777, s'est
conséquemment occupé à rassembler des maté-
riaux; il a trouvé à la Bibliothèque du Roi des
documents échappés à M. de Bonac, et notam-
ment un journal de l'anibassadc à Clonstaïuinopie
4 Mr.MOIRK.
du S' cry\rani()ii, aiicjucl clniciit jointes les copies
(les tfois plus niuieiis (r;iités de l:i I rance avec
la l\)i-(e, et dont la trace était perdue: la bil)li(j-
thèquc de la maison de Noailles a fourni un inté-
ressant extrait des nég'ociations de François et
de Gilles de Noailles à la Porte, par l'abbé de
Vertot, ainsi que leurs correspondances particu-
lières; enfin M. de Semonin, charg;é du dépôt
des Affaires Etrangères établi pendant la minorité
de Louis XV et confié constamment en d'habiles
et vigilantes mains, a procuré au comte de
Saint-Priest un grand nombre de pièces an-
ciennes et intéressantes qui y ont été suc-
cessivement réunies. Le catalogue en est
déposé dans les Archives de Constantinople.
Cet ambassadeur s'est aussi prévalu des ouvrages,
tant imprimés que manuscrits, propres à son
sujet; il ne s'astreindra pas à en alléguer les
autorités à chaque occasion, afin d'éviter l'ennui
de ces citations fréquentes ; ses successeurs
auxquels son mémoire est destiné, aiu'ont sous
les yeux les sources où il aura puisé et n'en
pourront révoquer en doute l'existence.
Pour traiter l'histoire de l'ambassade et des
ambassadeurs de France à la Porte, il a paru
convenable d'en diviser les objets. Un mélange
d'anecdotes, particulières à ces ministres, ne pou-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 5
vant être amalg-amé heureusement avec le cours
politique des affaires qu'ils ont eu à traiter, ni
cette dernière partie s'unir à ce qui concerne
le commerce et la navigation de la France au
Levant, ainsi qu'atix progrès de la religion catho-
lique, à laquelle nos Rois ont toujours recom-
mandé à leiu-s ambassadeurs une attention spé-
ciale ; le comte de Saint-Priest a jugé à propos
de former son ouvrage en cinq parties : La pre-
mière sur la politique de la France à la Porte,
objet auquel est lié nécessairement le précis
historique des affaires de Turquie, depuis le
commencement du xvi" siècle jusqu'à la guerre
de 1768, et qui doit être précédé par tme expo-
sition succincte du commencement et des progrès
de la monarchie ottomane , la seconde sera
purement anecdotique sur les ambassadeurs de
la France en Turquie depuis qu'il y en a eu de
permanents ; la troisième rassemblera quelques
notions sur le commerce ancien du Levant et
s'étendra sur celui que les Français y font
atijourd'hui ; la quatrième présentera l'état de
la religion catholique en Turquie relativement à
l'influence que les ambassadeurs de France peu-
vent y avoir; la cinquième, enfin, en résimiant
toutes les autres, rendra compte de l'ambassade
du comte de Saint-Priest dans toutes ses parties
6 .MF.MOIKK SUR 1 A M H A S S A D 1 . 1)1, Il HOLIt.
Cl odVira les poiiiis de vue sous Icscjucls il pense
cjiie cx's (lifréreiits objets (loi\eni être sui\is à
1 époque où il écrit; c'est le résultat de ses
observations pendant une mission de seize
années, de 1 76H à i7i>4-
INTRODUCTION.
La nation turque est sans contredit celle de
toute l'Europe dont l'histoire a été écrite avec le
plus d'ignorance et d'inattention. Les auteurs
chrétiens qui l'ont traitée n'ont pas puisé dans
les vraies sources et s'en sont tenus à rassembler
des fragments d'historiens des nations voismes,
ainsi que des rapports des voyageurs ordinaire-
ment crédides ou trompeurs et que l'ignorance
de la langue et des usages locaux a mis hors de
portée d'être informés avec exactitude. U faiu
encore convenir que les historiens de cette
nation n'offrent au lecteur rien de bien satisfai-
sant. Le comte de Saint-Priest a vu une grande
partie des règnes des princes ottomans traduits
des auteurs turcs les plus estimés par M. Mou-
radgea, premier interprète de Suède, et l'homme
le plus instruit à cet égard qui ait peut-être
existé; on n'y voit guère que des récits sans cri-
8 M INKJlin
tique, tli;ir^cs (riiivr;iiscmblancc.s et dictés par le
(aïKitisnie reli^neiix et Tor^aieil national. Le
chanij) (le l'histoire tiirc|iie est ouvert : si lO/i y
a ^lané, nul n'y a moissonné juscju'à présent.
Deux auteurs grecs, à portée d'être plus éclai-
rés et mieux informés, ont aussi tenté cette car-
rière : le premier est Chalcondile, traduit en
langue française. 11 a conduit son histoire jus-
qu'à la conquête de la Morée par Méhémet II,
en 1462; mais il y a porté les mêmes préjugés
que les écrivains turcs, et d'ailleurs, les faits y
sont placés avec peu d'exactitude. Démétrius
Cantemir a écrit au commencement de ce siècle
une prétendue Histoire ottomane qui n'offre au
vrai qtie des annales très-sèches et remplies
d'erreurs ; ses notes présentent quelquefois des
faits intéressants, mais tout l'ouvrage montre
dans l'auteur un fond d'attachement stupide pour
les Turcs, ses anciens maîtres, dont il regrettait
le joug et le pays; il fait remonter à Gengiz-
Khan l'origine de la famille Ottomane et la lie
dans sa tige avec la maison tartare de Gueray,
réellement issue de ce conquérant; c'est une
fausseté que les auteurs turcs eux-mêmes ne se
sont pas permise ; le Muphti Saad-Kddin Effendy,
qui vivait à la fin du xvi'' siècle, sous le règne du
sultan Méhémet 111. ne rejuonte qu'à Soliman
SUR L'AMBASSADE DR TURQUIE. 9
Chah, grand-père d'Osman, que les Turcs
comptent pour leur premier empereur; ce Soli-
man était chef d'une horde nomade de Turco-
mans, nation errante entre la mer Caspienne et
l'Euphrate; il se noya dans ce fleuve; son fils
Ertog-rul s'attacha au service d'Ala-Eddin, Sultan
d'Iconium, aujourd'hui Co.nia, ville de Natolie,
lequel établit Ertogrul auprès d'Angora ; à sa
mort Osman, son fils, le remplaça; mais Ala-Eddin
étant décédé sans postérité, ses États se démem-
brèrent et il s'en forma plusieurs indépendants
les tins des autres ; Osman demeiu-a maître du
district qu'il g-ouvernait auparavant et ne tarda
pas à l'ag-randir par des conquêtes. On place à
Tan 1300 de Jéstis-Christ, et environ 700 de
l'hégire, le commencement du règne d'Osman.
C'est surtout aux dépens des Grecs que ce prince
accrut son Etat, leiu- empire n'avait pu se re-
mettre de la division des forces qu'avait opérée
la courte domination des Latins à Constantinople,
quoique finie depuis quarante ans. Osman, de-
venu trop vieux pour faire la g"uerre en per-
sonne, fit assiég-er Brousse par son fils Orchan,
qticChalcondile prétend avoir supplanté les aînés,
ce dont Saad-Eddin ne fait aucune mention.
(]e prince prit la ville au moment de la mort de
son père qui y fut inhumé. 1/abbé de Vertot.
lo MIM(Jll{|.
(Intis son Histoire de Malle, jîlacc au rc^oc d ( )^-
j7Km , un premier sié^c de Kliodes par les Turcs
et fait |)erdre à son (ils ()rchaii une bataille
navale, (juoic|ue, au dire des auteurs nuisulnians,
l'un et Tautix' n aient jamais eu ni g"alères ni
vaisseaux.
On ne peut en avoir une meilleure preuve que
l'usage que ce dernier (It de quelques radeaux
pour traverser i'Hellespont, lorsqu'il surprit (jal-
lipoli et s'en empara; ce fut le premier pas des
Ottomans en Etirope où ils acquirent ensuite un
État si considérable.
C'est à l'institution des Janissaires (en turc
Jéni Ic/icj-y, ce qui signifie : nouveau soldat), que
ce Sultan dut principalement ses conquêtes. Ce
génie guerrier reconnut le manque absolu de
tactique et de discipline militaire dans la manière
de faire la guerre usitée par les Turkomans,
ses ancêtres, qui ne savaient, ainsi que les Scythes,
combattre qu'à cheval; il jugea que cet antique
usage serait trop difficile à changer dans sa
nation et imagina en 1329 de former une milice
nouvelle des captifs chrétiens faits à la guerre et
devenus musulmans, laquelle serait toujours re-
crutée de la même manière, ou du moins, par
des enfants de tributs que ces sujets chrétiens
seraient obligés de fournir. Les Janissaires ne
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. ii
connaissaient ainsi de patrie et de famille que leur
corps ; ils y étaient attachés toute leur vie et ne
pouvaient se marier ni entrer dans aucune classe
de citoyens. Il serait difficile de trouver im régime
plus parfait poiiF créer une milice valeureuse.
Le nombre des Janissaires fut d'abord peu
considérable : le Sultan Méhémet II le porta
à 12,000 hommes, et il était encore tel sous
le règne de son arrière -petit-fils , le grand
Soliman; ses successeurs en augmentèrent le
nombre, et ne pouvant plus, sans exercer sur
leurs sujets chrétiens ime tyrannie qui les aurait
portés à la révolte , en exiger d'enfants pour les
recrues, ils se déterminèrent, vers la fin du
XVI'' siècle, à y admettre des musulmans natifs.
La discipline dès lors déclina, et cette milice
fameuse est de nos jours devenue la plus mépri-
sable de l'Europe. Ce qui mérite d'être observé,
est que la plupart des grands empires qui se
sont formés, ont dii leiu's progrès à ime institu-
tion militaire inconnue chez leiu'S voisins : c'est
ainsi que Cyrus triompha des Assyriens par
Feffet de l'éducation guerrière des Perses ; que
la phalange macédonienne vainquit ces derniers
et fut elle-même vaincue par les légions romaines :
de semblables causes produisent dans tous les
temps à peu près les mêmes effets.
12 MI.MOIKJ.
.\imii;it I , lils et successeur (!"( )rclian, liérita
d'im \a:\{ (léj;i loi-nié. Nicéc et Nicomédie avaient
suIji le joii^' ottoman , et les (jrecs n'avaient
pres(|iie plus rien en Asie. I ,e nouveau Sultan s'y
arroiuht encore aux (lé|)ens de cjuelc|ues princes
musulmans, ses voisins, et bientôt d sontrea à
étendre son empire en Europe. Les faibles empe-
reurs yrecs se virent cernés de tous cùtés. De
Gallipoli , Amurat marcha de proche en proche
à la conquête d'Héraclée, Kodosto, Andrinople
et Philippopolis; il poussa ses conquêtes en Ma-
cédoine, dans l'Albanie et jusqu'en Servie, où il
trouva le terme de ses victoires en 13B9. Ce
Sultan après avoir gagné une bataille contre le
souverain de ce pays, qu'il ût prisonnier, fur
assassiné par un des sujets de ce prince.
Bajazet, fils et successeur d'Amurat, acquit le
surnom d'Ildirim , à cause de la rapidité de ses
conquêtes. Ce barbare commença son règne par
faire étrangler son frère Jacoub. C'est le pre-
mier fratricide dans la dynastie ottomane qui
en a. tant produit depuis. Orchan avait non-
seulement ménagé le sang fraternel , mais encore
il créa pour son frère la place de grand visir
qui a toujours subsisté depuis. La férocité
s'accroît dans les nations guerrières avec leur
puissance; elle n'est pas le partage des peuples
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 15
simples dans leur énergie et que l'avidité n'a pas
encore corrompus. Bajazet est le premier empe-
reur ottoman qui ait eu des rapports avec les
souverams de l'Europe. Sigismond de Luxem-
bourg-, roi de Hongrie par sa femme Marie
d'Anjou, alarmé des progrès des Turcs vers le
Danube, eut recours aux princes chrétiens pour
en obtenir des secours et arrêter ces conqué-
rants. Charles VI régnait alors en France 5 mal-
gré les dissensions intestines qui agitaient ce
royaume, l'esprit des croisades, non encore
éteint, s'y ralluma à cette occasion; le conné-
table partit avec six mille hommes pour renfor-
cer le roi de Hongrie pendant la campagne
de 139), mais Bajazet, occupé d'un autre côté,
ne s'étant point montré, Sigismond n'osa s'avan-
cer en pays ennemi. L'année suivante, Jean ,
comte de Nevers, fils aîné du duc de Bourgogne,
prit le commandement du corps auxiliaire fran-
çais et fut suivi par un grand nombre de guer-
riers distingués : on y comptait le connétable, le
maréchal de Boucicaut, l'amiral Jean de Vienne,
les sires de Couci , de Bar, de La Trémoïlle et
mille chevaliers. Le comte de Nevers, qui fai-
sait ses premières armes, avait la confiance ci
la témérité qu'inspirent trop souveiu la jeunesse
et l'inexpérience; il taxait d'infamie |)our les
,4 M f. MO lin.
armes chrciicuiics l'iiKHlion tic la [îréccdcnic
campag'nc, ci il se promit bien de la réparer.
L'armée hongroise assiégea Nieopolis sans se
concerter avec Sigismond. Ncvers animé par un
léger avantage qu'avait remporté sur les 'Jures
le sire de Couci à la tète d'un détachement,
marcha avec le corps français contre Bajazet
dont Tannée était de cent mille hommes. Le Sul-
tan prit avantage du nombre pour envelopper
les Français et parvint après une assez grande
résistance à les défaire; les Hongrois ne tinrent
pas si longtemps; trois cents chevaliers français,
prisonniers échappés au carnage, furent mis à
mort en vengeance de la même cruauté exercée
peu avant par le sire de Couci. Les comtes de
Nevers, de La Trémoïlle, de Bar, Boucicaut et
le connétable furent épargnés dans f espoir d'en
tii-er une grosse rançon; celle de Nevers fut de
cent mille ducats : c'est à ce haut prix que fut
racheté un prince qui mit ensuite la Lrance à
deux doigts de sa ruine.
Charles VI envoya, à l'occasion de ces pri-
sonniers, le sire de Château-Morand en ambas-
sade au Sultan avec des présents qui consistaient
en une tapisserie de Flandre et quelques toiles
de Rheims ; on était bien loin alors de supposer
qu'il put un jour exister des relations de poli-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 15
tique et de commerce entre les deux États.
L'abbé de Vertot, dans son Histoire de Malte,
rapporte la disposition des deux armées sur
laquelle les écrivains turcs ne donnent aucune
lumière ; il fait faire par Bajazet, après la bataille,
une réprimande au comte de Nevers sur sa folle
témérité : probablement elle est de l'invention de
cet écrivain. Bajazet n'aurait pu être entendu
du jeime prince que par interprète, et il n'est
guère vraisemblable qu'il eiit voidu prendre la
peine de lui donner cette leçon. Selon Vertot,
Sigismond et le Grand-Maître de Rhodes s'enfui-
rent à Constantinople par le Danube et la mer
Noire siu- une galère qui avait conduit ce dernier
à Nicopolis. Chalcondile ne fait mention à cet
égard que de Sigismond. L'historien Turc Saad-
Eddin ne dit rien des Français, il parle seidement
d'une bataille gagnée siu- le roi de Hongrie par
Bajazet qui coiu*ut grand risque dans la mêlée.
Cet événement ayant des rapports à la
France, on s'est permis d'en parler avec plus
de détails qu'im précis aussi abrégé ne semblait
le comporter. On ajoutera encore que (]hà-
teau-Morand retournant en France avec Bouci-
caut, qu'il avait racheté, prit son chemin par
Constantinople. L'un et l'autre y furent bien
accueillis par l'empereur Manuel Paléologue ;
,6 MIM(JIHI.
ce premier, mciKii'j |);ir liaJM/ci , rcdciiKiiida les
deux ^aicrricrs à (lh;irlcs \ I, r:iiincc siiiv.'iiiic, et
ils lui anienèreiH doii/e cents hommes; mais
Haja/.et (|iii se vit alors menacé par Tamcrlan,
s'accommoda avec renipereur ^rec. (lelui-ci
profita de ce ré|)it pour venir en personne solli-
citer les secours des princes chrétiens et il arriva
à Paris en 1400 avec Boucicaiit cpiil ramena.
(>harles VI fit rendre beaucoup d'honneurs à
Manuel, niais il ne put lui accorder aucun ren-
fort; quant au connétable pris avec le comte
de Nevers, il ne revit pas sa patrie. Le président
Hénaut place la mort de ce guerrier à l'an-
née 1397. Une pierre sépulcrale de marbre vert
fut trouvée en 1636 au faubourg de Galata dans
une église que desservaient alors les Francis-
cains ; elle portait l'épitaphe d'un connétable de
France, comte d'Artois, mort à une bataille de
Nich, en 1384. Malgré les méprises de plus d'un
genre qui se trouvent dans cette inscription, on
ne peut en méconnaître l'objet.
Tamerlan, qu'on fait naître dans la Sogdiane^,
s'était formé un grand Etat en envahissant l'In-
doustan , la Perse , les bords du Tigre et de
l'Euphrate ; des princes musulmans, dépouillés
par Bajazet, eurent recours à la protection de
Tamerlan qui envoya une ambassade à ce Sultan
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 17
pour lui demander de les rétablir dans leurs
États. Il traita cette dépiitation avec le plus
grand mépris, et Tamerlan outragé eut recours
à la voie des armes.
L'auteiu* de la nouvelle Histoire de France
cite une lettre de ce prince à Charles VI pour
lui proposer une alliance contre Bajazet; il faut
croire que l'idée en était venue à l'empereur
Manuel, lequel était en correspondance avec le
prince tartare; la réponse du Roi n'arriva qu'a-
près la mort de Tamerlan , qui dans l'intervalle
défit Bajazet et le fit prisonnier à une bataille
qui se donna entre eux sous les murs d'Angora,
en 1401 . Le Sidtan mourut dans les fers peu avant
son vainqueur. C'est, selon Cantemir, le pre-
mier empereur ottoman qui ait eu une flotte. Il
mit en mer trois cents bâtiments qui n'étaient
probablement que des galères. La défaite et la
mort de Bajazet Ildirim ne firent que suspendre
. les progrès de la monarchie ottomane. Tamer-
lan, si on en croit les historiens turcs, se repro-
cha d'avoir abattu dans ce Sidtaii un des plus
fermes appuis du musidmanismc ; il voulait le
rétablir dans ses Etats et n'en conserva pas la
conquête.
Les quatre (ils de Inajazet se disputèrent
l'héritage de Iciu- père ; trois périrent les uns
,8 MF.MOIRK
après les aiiti'cs. cl Méhcinci I". le |)liis jciinc
dcniciira seul possesseur de l'Ijupire: te (m
l)eauc()up pour sa ^Hoire de préparer le rè^Mie de
son (ils Anuirai 11, eu lui iaissam un laai réuni.
Cl en paix avec ses voisins. Canteiiiir traite Anui-
rat de prince philosophe, sans dotite parce ([u'il
descendit du trône après l'avoir occupé quelque
temps avec gloire 5 mais il parait que cette réso-
lution était plutôt l'effet d'ime dévotion outrée;
est-il philosophique et raisonnable de céder le
sceptre d'une monarchie à peine formée, fi im
cniant de quatorze ans, tel qu'était alors Méhé-
met, son fils? On vit bientôt l'effet de cette im-
prudence : les princes voisins criu'ent devoir
profiter de la circonstance et formèrent une puis-
sante ligue dont Ladislas Jagellon, Roi de Pologne
ainsi que de Hongrie, fut le chef. Il marcha à la
tète d'une puissante armée sur le Danidie. A cette
nouvelle, les grands officiers et les corps de mi-
lice de l'empire ottoman redemandèrent Amu-
rat retiré à Magnésie ; il sortit de sa retraite, as-
sembla ses troupes et marcha à Ladislas qui fut
vaincu et tué à la bataille de Varna en 1444.
Cantemir prétend que le Sultan victorieux vou-
lait de nouveau quitter le sceptre et qu'il fut forcé
de le garder par le vœu de ses sujets; mais
Aaly-Effendi, auteur turc très-estimé. rapporte
SUR L'AMBASSADE DF: TURQUIE. 19
que le grand visir Khalil-Pacha, très-attaché au
vieux Amurat, eut l'adresse d'engager le jeune
Méhémet à presser son père de demeurer sur le
trône, ce qu'il fits'attendant à un refus. Le Sidtan
d'accord avec son ministre parut se rendre aux
instances de son fils qui, plein d'un dépit qu'il
fallut étouffer, alla occuper la demeure d'Amurat
à Magnésie. C^était et ce fut longtemps encore
l'usage des Sultans, de donner à leiu-s fils des
gouvernements de provinces; ils s'y exerçaient à
l'administration et à la guerre siu' les frontières;
tous les grands hommes de la dynastie otto-
mane se sont formés à cette école et depuis
qu'elle a cessé, nid Sultan n'a plus été digne du
trône.
Amurat eut à combattre deux héros, les rem-
parts de la chrétienté, Huniade et Scanderbeg,
qui mirent obstacle à ses conquêtes. C'est ce Sul-
tan qui, selon la tradition ottomane, épousa la fille
d'un Roi de France, enlevée sur mer par des cor-
saires et conduite à Constantinople où elle devint
mère de Méhémet II. Cette fable que quelques
auteiu's ont mis sur le compte de Roxelane,
femme du grand Soliman, est absin-de, aucune
princesse de F'rance n'étant disparue ni à l'une
ni à l'autre époque : les Tiu-cs n'en croient pas
moins le fait authentique, et on voie dans les dé-
\1 I M(n H K
pcchcs (le M. tic (jirarditi :i l.ouis Xl\ . (jiic le
iiHipliti (le ce reni|)s le doniKi connue consiuni
à cet ambassndeiir: le ^rand \i/ir l-^niin-l\uha
tint le même langage au comte de Saint-Priest à
sa première audience.
Méhémct II, que les Turcs appellent Fatih
ou le (^oncfuérant, succéda à son père en
l'an 1451- II eut le bonhctir et la gloire, deux ans
après, de s'emparer de Constantinople après un
siège de cinquante jours, l'ous les auteurs par-
lent d'un prodige, du transport de la flotte du
Bosphore dans le port de la ville, par-dessus
les collines qui sont entre deux ; on y compte
une grande lieue. Mais Ahmed-EfFendi, écrivain
tiu-c de réputation , dit que le Sidtan bâtit une
flotte sur les hauteurs en question et la fît
ensuite glisser dans le port, dont l'entrée était
fermée par une chaîne j ce récit n'offre rien d'in-
vraisemblable.
Tous les petits Etats, formés en différents
temps des démembrements de l'empire grec,
succombèrent l'un après l'autre sous le glaive
du vainqueur. L'empire de Trébizonde en Asie,
les établissements génois en Crimée, la Macé-
doine, le Péloponèse et l'Albanie en Europe,
après la mort de Scanderbeg, furent conquis et
réimis à la monarchie ottomane. Méhémet dé-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 21
clara ensuite la guerre aux Vénitiens et au roi
des Deux-Siciles ; il s'empara d'Otrante, regar-
dant cette place comme le premier pas à la
conquête de l'Italie qu'il méditait; enfin il ne vit
ses progrès arrêtés qu'aux siég"es de Belgrade et
de Rhodes, qu'il ne put prendre. La première
de ces places fut défendue par Huniade, et la
seconde par le grand maître d'Aubusson. Le
Sultan survéctit peu à ce dernier échec et mou-
rut en 1481. C'est de tous les princes ottomans
celui qui a le plus agrandi leiu' empire. On
doit observer que jusqifà lui le trône n'avait
été occupé que par des héros guerriers.
Bajazet II, fils et successeur de Méhémet le
Conquérant, fut le premier prince faible de sa
race. Son frère Gem, que nos historiens appellent
Zizim, lui disputa le sceptre qu'il était plus dig-ne
de porter; mais il fut vaincu en deux batailles
par les talents supérieiu-s du vizir de Bajazet, et
fut obligé d'aller chercher un asile à Rhodes où
le grand maître d'Aubusson le reçut. On accuse
ce dernier d'avoir fait un accord avec le Sultan,
pour détenir son frère, par l'appât d'ime forte
pension; ce qui donne quelque probabilité à hi
chose, est que Zizim fut peu après transféré en
France; on peut aussi attribuer l'éloignement de
ce précieux gage à la crainte qu'eut d'Aubusson,
32 M ( MOI IM
cr.imrcr sur son ilc les ai'mcs du Siilt;in. (hins
l'objet (le se rentli-e iiiaiire de la personne du
( ii^iiil . (ioniiiiines i-apporie (|iie l>aja/et eM\()va.
eu 14?^, utie ambassade a i.ouis Xi avec un pvc-
sent de reli(|ues et iOiîi-e d'une somme considé-
lable pour en^'-ag'er ce monarque à retenir Zizim
dans ses Ktats; l'ambassadeur turc était déjà à
Kié/ en Provence, lorsqu'il reçut l'ordre de
s'y arrêter et de s'en retourner. Louis, alors
mourant et toujouis bi/arre dans sa dévo-
tion, se fit, dit cet écrivain, un scrupide
d'entrer en correspondance avec l'ennemi du
nom chrétien.
Cette ambassade rapportée par le seul Com-
mines, paraît être la première que les empereurs
ottomans aient envoyée à nos rois. La politique
qui commençait à peine alors à lier les intérêts
des princes de l'Europe, ne s'était pas étendue
jusqu'à la Turquie.
Madame de Beaujeu , sœur de Charles \'I11.
fils de Lotus XI, et régente pendant sa minorité,
ne put refuser au pape, qu'elle avait besoin de
ménager, l'extradition de Zizim, qui lut .en con-
séquence, conduit à Rome. La venue de ce prince
ottoman en France, qui avait frappé l'esprit
encore enfant de Charles, ne contribua peut-être
pas peu dans la siute au projet gigantesque qif il
SLR ['AMBASSADE DK TURQUIE. 21,
forma pour la conquête de Constantinople. Il
crut s'y donner un droit légitime en transigeant,
avec André Paléologue, de ses droits à l'empire
grec. La copie de cet acte passé le 6 sep-
tembre 1474, est au dépôt des Affaires étrangères.
La conquête du royaume des Deux-Siciles.
comme héritier de la maison d'Anjou, devait
être le premier échelon de l'entreprise de
Charles VllI. « Quand vous voudrez me croire,
disait à ce roi Ludovic Sforce, selon Commines,
je vous aiderai à vous faire plus grand que n'a
été Charlemagne, et lorsque vous aurez le
royaume de Naples , nous chasserons aisément
les Turcs alors de cet empire de Constantinople. »
Le jeune monarque pour rassurer les différents
Etats de l'Italie , et notamment la république de
Venise, siu- les soupçons et les craintes que son
invasion y répandait, faisait déclarer par ses am-
bassadeurs qu'il ne voidait posséder le royaume
de Naples que pour s'en servir à faire la guerre
aux Turcs; au reste, Commines, ce ministre
habile et judicieux, regardait la conquête de la
Turquie européenne, comme très-facile. Dans
ses Mcmoires , il calcule la largeur du golfe
Adriatique entre Oiraïuc et la \'alone à vingt
lieues; et de cette dernière ville à Constanii-
nople , il compte dix-huii jours de marche.
J4 M I MOI i; I
;i)i )iii.iiii (|iu- !(,• |);i\s ;i ir:i\crscr est oiixcrt, siiiis
()I:kcs (ortcs et peuplé de chrélieiis a la dévotiod
(In Uoi, lescpiels n atteiulaieiu pour se ré\()iter
cpie rapparitioii des ir()iij)es françaises. C^om-
miiies se trompait assurément, an moins (piant a
la nature du pays très-mont ueu\ et j)ropre a la
chicane: il ne put enf^ager la république de
\'enise à entrer dans le plan, elle se fit même un
mérite de son relus auprès de I-)aja/et, et a la
récpiisition dun ministre que ce sultan envoya a
Venise, elle lit arrêter l'archevêque de Din-azzo,
déjà embarqué pour se rendre dans son diocèse où
il devait, de concert avec Constantin Comnène,
marquis de Monferrat, ménager un soulèvement
en faveur de la F'rance. Le marquis averti à
temps, et peut-être par les Vénitiens mêmes,
eut le moyen de s'évader.
Charles VIII ne comptait pas tellement sin- le
succès de cette intrigue qu'il négligeât de faire
usage de Zizim, lequel était toujotirs à Rome.
Lorsque le Roi y passa pour aller à Naples, il
força le pape Alexandre W de remettre entre
ses mains le prince ottoman, ('harles espérait
probablement lui former un parti parmi les
Turcs et défaire les deux frères l'un par
l'autre. La mort de Zizim à son arrivée à Naples.
priva le Roi de cette ressotu-ce. On a accusé le
SUR L'AMBASSADE UE TURQUIE. 25
pape Alexandre VI de n'avoir livré ce malheureux
prince qu'après l'avoir fait empoisonner; les
auteurs turcs prétendent que son barbier, gagné
par Bajazet, lui coupa la gorge. Charles obligé de
quitter Naples et de s'ouvrir im passage l'épée à
la main pour s'en retourner en France, y mou-
rut peu après.
Louis XII, son successeur, entra à la soUici-
tation du pape, dans une ligue contre les Turcs.
Le continuateur de Chalcondile assure que ce
monarque envoya préalablement ime ambas-
sade à Bajazet pour lui reprocher l'infraction de
la paix avec la république de Venise; il ajoute
que le Sultan expédia au Roi im ambassadeur
poiu' s'en justifier et lui offrir son amitié et son
alliance.
II est probable que cette mission fut mal
reçue ; Louis fit partir ses galères commandées
par Philippe de Clèves, Ravestein, pour s'unir
aux forces navales des Espagnols et des Véni-
tiens : la flotte combinée mit le siège devant Mé-
telin, capitale de l'île de ce nom, et ne put
prendre cette place. Tout le fruit de la ligue se
rédiusit à la conquête de l'île Sainte-Maure au
profit des Vénitiens. Louis XII n'eiureprit rien
contre les 'i lu-cs le reste de s(m règne; il cin
pour successeur François I".
M I \I(;lh I.
.Iiis(|ir:iii rc^/ic i\c ce ii)(Mi:ir(jiiL' l;i poliiKjiic
(le la Iraïue n'avait envisat^'^é les i lires que datis
l'esprii (les ei-oisades , cest-à-dire , comiiie les
cnueiiiis né's du nom chrétien, (/é'tait. ainsi (ju^on
l'a dit, le langage de l.ouis XI, (|ii{)i([ue le plus
é'clairé (les princes de son tenij)s.
Il est vrai (|ue la conduite des j-^iiipereurs
ottomans jus([u'à celte époque justifiait ce pré-
jugé ; on a\ait vu Bajazet I"', Aniurai II et Mé-
hémet II menacer t(^ur à tour la Hongrie, la
Polog^nc et l'Italie avec des forces redoutables;
si le règne du faible Bajazet avait été pacifique,
il avait eu pour successeur, en 1512, SélimP',
son second fils, qui se fit un chemin au sceptre
en l'citant à son père, qu'il empoisonna, et en
faisant mourir ses frères. On retrouva en lui les
héros guerriers ses ancêtres ; dans un court
règne de huit années, il battit Ismaïl, Roi de
Perse, vainquit et prit le Soudan d'Egypte, qu'il
ht pendre à une porte du ("aire. Ce fertile
royaume et la Syrie qui en dépendait, devinrent
des provinces de l'empire ottoman. Il est remar-
quable que le titre de calife que prirent depuis
lors les Sultans ottomans, procède de la cession
prétendue qu'en fit à Sélim, le dernier des ca-
lifes titulaires qu'il trouva en Egypte. Ce Sidtan
songeait à d'autres conquêtes, lorsque la mort le
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 27
surprit dans la vigueur de lïige. Le continuateur
de Chalcondile prétend que Tempereur Maximi-
lien proposa à Sélini d'entrer dans la ligue de
Cambrai et d'agir contre les Vénitiens, mais que
ses projets contre la Perse l'en empêchèrent.
Soliman le Grand , que les Turcs appellent
Canouny ou législateiu% fils unique de Sélim, lui
succéda en 1520. Le nouveau Sultan, après avoir
apaisé quelques troubles en Asie, assiégea, la
seconde année de son règne, Belgrade, qu'il prit
en i<fi2. Rhodes succomba aussi sous ses armes,
et ces deux boulevards de la chrétienté, qui
avaient résisté à Méhémet II, ouvrirent le cours
des conquêtes de Soliman. Le pape Adrien VI
avait adressé des brefs à tous les princes de l'Eu-
rope pour leur demander des secours; chacun
d'eux trouva des prétextes pour s'en dispenser, et
François T' se servit de celui de la guerre dans
laquelle il était engagé contre Charles-Quint.
L'histoire de Malte dit cependant que le roi
permit au chevalier d'Ansoyville, qui lui avait été
député par le grand maître L'IsIe-Adam, d'armer
tous les vaisseaux qu'il trouverait en Provence
et de les conduire à Rhodes; mais les comman-
dants de la province apportèrent des délais à
l'exécution de cet ordre et il en i'allut demandei-
de nouveaux; en attendaiu, la saison Tavorai^Ic
,H MiMoiin, SI H r\M i; \ss \ 1)1. \)\. iinniii
pour iiictirc lmi mci- s'ccouhi , et l'ilc (.le Kliodcs
lui prise. Ici finit celte iiit foductioii tomme ét;iiit
l'é|)()C|iie il hicpielle commeiicèrem les r:ip|)()rts
politiciues entre l:i l'rance et Tempire oiioman ,
sujet principal (le cet ouvrage.
PREMIÈRE PARTIE
La puissance de la maison d'Autriche avait
été portée par Charles-Quint, au point d'alarmer
l'Europe : il possédait outre la couronne impé-
riale, l'Espagne, les Pays-Bas, Naples , la Sicile
et la partie de l'Amérique, récemment décou-
verte, qui lui fournissait beaucoup de riches
métaux. Ce prince ambitieux venait de chasser
les Français de l'Italie, et le connétable de Bour-
bon qui commandait les troupes impériales avait
entrepris en 1524 le siège de Marseille. Fran-
çois I" . privé d'alliés et attaqué dans ses propres
États, conçut alors l'heureuse idée d'entamer
une négociation avec la Porte ottomane; mais,
comme cette démarche ne pouvait manquer de
le rendre odieux aux autres princes chrétiens,
et surtout au Saint-Père, qu'il importait beau-
coup alors de ménager, le Roi dépêcha a Soh-
M I \i( H in
iiKiii im cmiss:iirc secret noiiiiné .leaii riaiif^i-
|);iiii, (loDi le nom semble iii(lic[iier c|iie c'était im
scigiieiii* I longTois, réfugié en Iraïue: il avait
paru sans doute plus propre qu'im autre à dégui-
ser sa commission. Frangipani était auprès du
Sultan lorsque se donna la bataille de l-'avie, où
l^rancois 1" lut lait prisonnier; événement qui
amena le traité de Madrid, entre le Roi et l'I^m-
j)ereur, et empêcha probablement le cours de la
négociation commencée. Soliman était devenu
l'ennemi naturel de la maison d'Autriche : il
avait vaincu Louis Jagellon, Roi de Hongrie à la
bataille de Mohacz, où ce prince fut tué. Les
états de Hongrie voulurent lui donner pour
successeur un seigneur du pays, nommé Jean
Zapolya ; mais Ferdinand d'Autriche, frère de
Charles-Quint et beau-frère de Louis, prétendit
à sa couronne. Le Roi Jean eut recours à la
protection du Sultan qui saisit avec empresse-
ment- l'occasion de profiter des troubles de ce
royaume. Il ouvrit la campagne par le siège et
la prise de Bude, la capitale, et vint attaquer
Vienne qu'il battit vivement pendant quarante
jours, mais sans pouvoir la forcer. Sa retraite se
fit en bon ordre et il demeura maître de la pliîs
grande partie de la Hongrie. Ferdinand tenta
vainement, deux ans après, de reprendre Bude ;
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 31
il perdit une grande bataille dont l'effet fut la
levée du siège.
François I'' ne revint qu'en 1531, à son pro-
jet d'alliance avec les Turcs, il expédia à Soli-
man, pour cet objet, un nouvel émissaire,
nommé le capitaine Rinçon , avec des instruc-
tions secrètes. Le Roi prit poiu- cacher ses
vues, relativement aux préjugés du temps, le
singulier parti de publier qu'il n'avait envoyé cet
agent au Sultan que pour le menacer de toutes
les forces de la France s'il passait les limites
de la Hongrie, il se fit lui-même accorder par
le pape, à la faveur de cette supposition, une
levée de décimes sur le clergé de France ; mais
lorsque Charles-Quint , d'après une promesse
positive qu'il devait avoir eue de François, ré-
clama son secours, celui-ci se contenta de lui
répondre, » qu'exposer les enseignes françaises
à être jDendues à la porte d'une mosquée est un
arrangement si étrange qu'on aurait pu se dis-
penser de le proposer. »
Cependant pour continuera donner le change,
le Roi conclut le 28 octobre i5p,avec HeiH-i\TII,
Roi d'Angleterre, un traité d'alliance contre les
Turcs. La clause que les contingents respectifs
ne seraient levés que dans le cas de la jonction
des forces des autres princes chrétiens, moiure
M fMOlH I
3-î
iissc/ rintcni loii des c(>i)ir;Ki:ints de iic j):is
iii-ir. Leur véritable l)iii éi:iit de (:iire illusion au
pa|)e (lléniem \ il. atiu de le rendi-e |)ius fatale
au divorce de Henri avec (>atherine d'Aragon.
Dès que le poiuile eut prononcé, il ne ù\{ plus
question de la prétendue ligue.
Soliman, prince politique autant que légis-
lateur et guerrier, avait aperçu que le véritable
intérêt de son empire, le liait avec François 1".
Ces princes se voyaient en butte à l'avidité de la
maison d'Autriche dont les États les confinaient
également, et leurs monarchies étaient trop dis-
tantes pour pouvoir être suspectes l'une à l'autre,
ou jalouses des progrès respectifs qu'elles pour-
raient faire. Cependant ime sorte de honte
empêchait encore F'rançois I" de s'allier avec im
prince réputé l'ennemi du nom chrétien. Quant
au Sultan, plus au-dessus des préjugés, il se
prêtait à ceux du Roi, avec lequel il s'entendait,
soit par des messages directs et secrets, soit
par le canal de Khaïr-Eddin Piarberousse. roi
d'Alger.
Enliu, en 1534, la correspondance des deux
monarques prit une forme publique ; François
pressé par les circonstances envoya en am-
bassade à Constantinople le sieur Jean de la
Forest, chevalier de Saint-Jean-de-Jérusalem.
SUR l'AMBASSADK DF. TURQUIK. 53
La copie de son instruction se trouve an dépôt
des Affaires étrang-ères ; le plan tracé an cheva-
lier de la Forest était de proposer à Soliman de
faire la paix avec tons les princes chrétiens, dti
consentement desqtiels le roi se faisait fort ;
mais de n'y comprendre Charles-Qiiint qu'à con-
dition de rendre à François le duché de Milan
et de reconnaître la suzeraineté de la France
sur les Pays-Ras. En cas de refus de l'Empereur,
il s'agissait de l'attaquer de concert et de com-
mencer par la conquête des îles de Sicile et de
Sardaig-ne, qui seraient données à un personnage
que la Forest était autorisé à désig'ner an Sultan,
mais que les instructions de cet ambassadeur
ne nomment point. H y a lieu de croire qu'il
s'agissait d'un des deux fils cadets du Roi; l'aîné
François dauphin vivait encore. On demandait
à Soliman de fournir une armée navale et un
million d'or, le Roi promettait de joindre ses forces
de mer à la flotte ottomane, et se chargeait en
outre d'opérer une puissante diversion, par terre,
contre les États de l'Empereur, avec lequel il
entra effectivement en guerre à cette époque.
L'ambassadeur auquel il était prescrit de ména-
ger le grand vizir Ibrahim-Pacha, devait tâcher
de persuader à la Porte que ce plan lui serait
pfus avantageux que celui d'agir contre la Hon-
^v\c cloDt la dclciisc iillircraii Kniics les lurccsdc
l'Allcnia^Mic.
dette né^oeiatioii pi-ésenie deux vérités évi-
dentes : l'iitie, (|iie I laïK.ois I" ne mettait en
avant la paix a\ee tons les princes chrétiens,
([lie pour couvrir d'une ap|)arence pacifique aux
yeux de l'iùirope, l'intention de se ligner avec
Soliman contre (]harles-(^)iiint : l'autre, que le
Roi ne songeait qu'à tirer parti pour ses propres
vues, de l'alliance ottomane. Mais la circonstance
n'était guère favorable. (>harles-(^uint, avec une
puissante armée, menaçait alors Tunis, et cet
armement pouvait regarder Constantinople. Le
Sultan en eut assez d'inquiétude pour accepter
une trêve en Hongrie, que lui offrit Ferdinand.
L'auteur de la nouvelle histoire de France dit
que le chevalier de la Forest parvint à signer
avec la Porte un traité de ligue défensive et de
commerce. 11 en sera fait une mention plus
détaillée dans la partie de cet ouvrage relative à
cet objet. On n'y voit, d'appartenant à la politique,
que la liberté d'accéder à cet acte réservée par
l'article i8 au pape et au Roi d'Angleterre et
d'Ecosse. François I''" n'avait point par là rempli
son but ; résolu à tout prix d'engager les Turcs
dans sa querelle contre l'Empereur, il lit partir
pour Constantinople le protonotaire Montluc,
SUR l/AMBASSADt: D t: lURQL'lE. 35
depiiis évêqiie de Valence et fameux dans l'his-
toire de ce temps. L'atitetir déjà cité dit sur cette
négociation, que Montluc convint avec la Porte
d'un nouveau traité sous le nom de trêve, et
qu'un ambassadetir turc vint en France à l'occa-
sion de cet accord. Or. comment nommer trêve
un nouveau traité lorsque le précédent n'a été
suivi d'aucune rtipture. L'histoire ajoute que
les deux contractants s'engagèrent à attaquer
Charles-Quint en Italie. Le Roi en y entrant avec
cinquante mille hommes et le Sidtan en en faisant
transporter cent mille dans le royaume de Na-
ples^ les conquêtes respectives furent garanties.
Barberousse^ en conséquence, se mit en mer
avec la flotte ottomane, mais sans armée de
débarquement. François I" n'y insista pas parce
que l'Emperetu-, battu en Picardie et en Pro-
vence, accepta, en 1537, une trêve de trois mois,
qui fut l'année suivante portée au terme de dix
années et prit le nom de la ville de Nice 011 on
la négocia.
Quant à Soliman, des intérêts duquel il
paraît que François ne s'était guère occupé dans
cet accord, il fit face en Hongrie à Ferdinand,
lequel avait rompu la trêve qu'ils avaient en-
semble. La flotte ottomane se montra deux
années consécutives sur hi cote d'Italie, et Bar-
,, M ( \1(JI I'. I
bcroussc r;iv:i|^r:i l.'i l 'ouille; une ;iuirc division
ii:iv:ilc i()uvi-i( le sic^^c de (lorlou enire|)ris |):ir
SoliiiKin pour vcn^^er (|uel(|ues insultes faites par
les Vénitiens au pavillon ottoman. Dans le même
temps une puissante escadre, partie de la mer
Kougc, prit en j)assain Aden, et servit d'auxi-
liaire au roi de C^ambayc qiu assié^^eait, dans le
golfe de ce nom, la Ibrteresse de Diu, occupée
par les Portugais.
On voit quel était ce Sultan qui ne démentit
jamais pendant son règne, long et glorieux, les
principes de sa politique à l'égard des puissances
chrétiennes. 11 fut toujours ami des Français et
ennemi de la maison d'Autriche, ainsi que son
intérêt de situation le comportait; au lieu que
François V% dans une position à peu près pareille
se montra, tantôt l'adversaire le plus emporté de
Charles-Quint, tantôt son ami et presque son
partisan. Ce Roi donna une preuve de sa poli-
tique versatile à l'occasion du raccommodement
des Vénitiens avec les Turcs dont ses ministres
à Constantinople, le capitaine Rinçon et César
Cantelmo, seigneur napolitain attaché à la
France, étaient occupés. Notre histoire dit que
Charles-Quint, informé que la négociation allait
réussir malgré les obstacles qu'il y avait suscités,
s'adressa au connétable de Montmorency pour
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 37
qu'il engageât le Roi à ordonner à ses ambassa-
deurs à la Porte de faire comprendre la maison
d'Autriche dans la même trêve. François, gagné
par son favori, en écrivit à Soliman dont la
réponse rapportée par l'historien est remar-
quable. La substance en est, que pour faire
plaisir au Roi, il accordera une trêve à l'Empereur
dès qu'il aiu-a restitué toutes les possessions
qu'il retient à la France. C'est ainsi que le Sul-
tan se vengea de n'avoir pas été compris dans
la trêve de Nice.
Paruta, historien vénitien, raconte que Louis
Barbaro, ambassadeur de la République à la
Porte, chargé de suivre la négociation entamée
par Contarini, son prédécesseur, et par les agents
du Roi de France, fut très-étonné lorsque in-
troduit devant Soliman et développant graduelle-
ment les conditions que la République offrait
pour obtenir une trêve, il se vit apostrophé par
ce prince qui, le regardant d'un visage sévère,
demanda pourquoi il ne déployait pas ses ordres
en entier. « Je sais, dit-il, que vous êtes auto-
risé d'aller plus loin que vous ne dites. » Bar-
baro fut forcé d'en convenir et il conclut la trêve
sur ce pied. Paruta insinue que les Français
avaient trahi le secret de la République.
Charles-(^uint, à son passage en France poui-
]H MIMOIin.
;illcr rccliiiic les (jaiKois révoltes, ;i\;iii |)r()niis ;i
rr;in(<)is I" rmvcstit iirc du Milanais pour sofi
scfoiul (ils; mais rayaiil dcclmc des (luil lui en
riandie, le Koi s'occiijîa dès lors des moyens de
le ibrccr a lemr parole ; cepciulant. il eut encore
la faiblesse de lui promettre de ne j)as le trou-
bler pendant .son ex|)édiii()n contre Al^^er, où il
échoua. Pour reconnaître ce procédé, l'Empe-
reiu" c|iii avait eu connaissance du renvt^i du
capitaine Uinçon à (]onstantin()i)le et de b rég'osc
à Venise comme ambassadeiu- de brance, donna
ordre au marquis Du (ùiast g-ouverneur du .Mila-
nais, de se rendre maître de leurs personnes et
de leurs papiers; ce dont celui-ci s'acquitta en
les faisant assassiner sur le Po qu'ils descendaient
ensemble en bateau. Leurs papiers avaient été
dirigés par une autre voie et ce fut un crime inu-
tile. PVançois b', déjà prjparé à la g"uerre, prit
cette occasion pour la déclarer à Charles-Quint
en 1542.
Soliman avait profité de sa trêve avec les
Vénitiens pour agir avec plus de vigueur en
bdongrie; il était irrité contre Ferdinand qui,
dans le temps qu'il sollicitait de lui une trêve et
son influence pour succéder à la couronne de
Hongrie, vacante par la mort de Jean Zapolya,
était entré en armes dans ce royaume. Les prin-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 39
cipaux seigneurs du pays, ayant élu le iïls de Jean
Zapolya réclamèrent avec sa veuve la protec-
tion du Sultan , qui n'eut garde de la refuser, et,
sous ce prétexte , il s'empara de la plus grande
partie du pays. F'rançois 1"' substitua à Rinçon
pour la mission de Constantinople, le capitaine
Polin, nommé depuis le baron de la Garde, avec
ordre de s'y rendre par Venise et de tâcher en
passant d'engager la République à rompre avec
l'Empereur ; mais elle se fixa à demeurer neutre
et permit simplement à Polin de traverser le
golfe Adriatique pour débarquer à Raguse et
poursuivre son voyage. Cet ambassadeur arrivé
auprès du Sidtan en obtint des ordres à Younis-
Bey son ministre à Venise, de presser le sénat
pour contracter une alliance avec les Français.
Cette assemblée répondit » que la République
était en bonne amitié avec la France et résolue
de s'y maintenir 5 mais qu'elle n'était pas pour
le présent en situation de faire des démarches
qui pussent la conduire à une guerre, et qu'elle
espérait que la sagesse et l'équité de Soliman lui
feraient agréer ces raisons. »
Paruta prétend qu'en effet il les approuva; ce
qui ne l'empéclia pas de promettre à l'ambassa-
deur Polin d'unir ses forces navales à celles de la
France pour l'année suivante (i'>4^).
4u M I MOI H I
1,'atiiicc oiioinaiic njiiiniaïKlée pur liarbc-
roussc cl loiic de ccol galères, lit noiIc au prin-
temps, ayant ii bord l'anibassadeiir de l'rance.
\A\c sacca^^ea, chemin faisant, la ville de Keggio
en (lalabrc sur le phare de Messine et nnt Kome
dans la consicitKition. l'ohn i-assin^a le paj)e en
prenant ren^a^cnieni cjn'il ne serait (ait aucun
ravage sur les phi^es romaines. De la Inirbe-
ruusse alla jeter l'atici-e dans le pcjrt de I oulon:
il y fut joint par l'escadre française que lau-
teur de V Histoire de l'^i\iiicc dit, composée de
soixante galères, mal équipées, aux ordres du
comte d'Enghien, généralissime, et à qui l'amiral
turc avait ordre d'obéir. L'ai'mée combinée bloqua
Nice : assiégée en même temps par terre; la ville
se rendit au bout de deux jours; mais le château
résista à tous les efforts des assaillants. On leva
le siège après avoir brûlé la ville. Barberousse
hiverna en France et repartit au printemps pour
le Levant, côtoyant l'Italie et exerçant de grands
ravages dans le royainne de Naples et particuliè-
rement aux lies d'ischia et de Lipari. Polin, avec
cinq galères, l'accompagna jusqu'à Lépante.
L'amiral turc, dit-on, fut mécontent des Français
qui se plaignaient de leur côté que la flotte otto-
mane avait coiité fort cher au Roi, sans lui rendre
aucun service réel ; mais ;i qui devait-on attri-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 41
biier la mauvaise direction des opérations mili-
taires qu'un généralissime commandait?
Les ambassadeurs de François P' à la diète
de l'Empire, dans un discours qu'ils y pronon-
cèrent et qui fut ensuite imprimé, dirent que
l'amiral turc n'était venu avec la flotte ottomane
dans les mers d'Italie que par vengeance per-
sonnelle contre André Doria, amiral de Charles-
Quint, et que le général français dans l'impossi-
bilité de détourner Barberousse d'assiéger Nice,
avait cru devoir se joindre à lui pom* s'emparer
de la place et empêcher les Turcs de s'y établir.
Ce subterfuge ne fit comme de raison aucun bon
effet dans l'assemblée, et François V' y fut
déclaré ennemi de l'Empire et du nom chrétien.
C'est à regret qu'on rapporte des traits d'une
politique aussi basse et aussi absurde ; on croyait
encore alors devoir, au mépris même de la
vérité, nier un concert avec les infidèles.
Letraité de Crespy termina, en i 544, la guerre
entre François P' et Charles-Quint. Paruta pré-
tend que le premier s'engagea de fournir un
secours de cavalerie et d'infanterie à l'Empereur
et à l'Empire si la trêve, que ce dernier conclut
alors avec Soliman, venait à se rompre. Le Sultan
y comprit le iloi, qu'il nomma son très-cher ami
et allié. MoiuIik, , évoque de Valence, accom-
42 M ( MOIK I
pagn:i a ( lonstaniiiioplc les ambassadeurs de
(>hailcs-(^)iiitit et de !• erduiaiid. Au départ de
Vetiise, ce prélat, aiuioiK aut au sénat I objet de
sou voyaj^e , du cpie le Koi soti maître ne eulti-
vail l'amitié des Turcs (|ue pour la (aire servir
au bien de la chrétienté. (Jn retrouva le même
ton dans le langage de T'rancois I" sur ce sujet
pendant tout son rè^ne qui finit en iS47-
Henri II son siiccesscin- ne manqua pas de
reconnaître l'importance de la liaison de sa cou-
ronne avec la l\)rte. Le sieur d'Aramon, ambas-
sadeur de France en lurquie, reçut ordre du
nouveau Roi d'engager Soliman à comprendre la
France dans la trêve de cinq ans que le Sidtan
renouvelait alors avec la maison d'Autriche : il
écrivit en effet à Charles-Quint et Ferdinand qu'il
avait accepté la trêve dans la supposition qu'ils
n'attaqueraient pas les puissances ses amies;
mais que ses armes aideraient celle qui viendrait
à être assaillie.
Ce prince partait alors poin- faire la guerre
en Perse. D'Aramon l'accompagna dans cette
expédition qui diu-a deux ans et n'eut aucun
succès. Charles-Quint profita de cet intervalle
pour attaquer en Allemagne les princes de la
ligue de Smalcade dont il vint à bout par le gain
de la bataille de Mûhlberg ; mais, ayant abusé de
SUR L'AMBASSADK DE TURQUIE. 4',
ses avantag-es, les protestants s'adressèrent au
Roi, qui conclut avec eux, en 1551, un traité pour
la défense de la liberté germanique et s'empara
de Metz, Toul et Verdun.
Henri avait préventivement donné ordre à
d'Aramon d'exciter Soliman à rompre la trêve
qu'il avait avec Charles-Quint et Ferdinand. La
circonstance était favorable; le Sultan était indi-
gné des troubles que ce dernier venait d'exciter
en Hongrie contre la reine rég^ente et son fils.
L'armée turque attaqua Temeswar et s'en
empara, ainsi que de toute la province de ce nom.
Une flotte ottomane partit en même temps aux
ordres de Sinan-Pacha pour porter la guerre en
Afrique, où André Doria avait enlevé à Dragut,
élève et ensuite successeur de Barberousse, les
places de Soussa, Monastir et Africa qu'il venait
de conquérir sur les Maintes. Sinan-Pacha ayant
vainement tenté de s'emparer en passant de l'île
de Malte, s'attacha au siège de Tripoli de Bar-
barie, possédée et défendue par les chevaliers du
même ordre à qui Charles-Quint en avait fait
cession. D'Aramon, qui revenait de France où il
avait été rendre compte au Roi du plan d'opéra-
tions militaires de Soliman, relâcha par hasard à
Malte. Le grand maître, nommé Jean d'Omedes,
Espagnol, engag^ea Tambassadcur de passer à
44 MIMOIKI.
rrij)()li (hiiis l'cspuii- qu'il poiirijii dcKnirucr
r:imM;il ii\rc de cette ati:i(|iic cjui , sans d<niic,
n'ctaii pas dans le piojei conimimiqiiL- an Koi pur
d'Aramon. I.'al)l>éde V'eriot dans son Ilistoifc ic
Ahld' prétend cpie Sinan-I 'aelia , non-seulement
refusa à cet and)assadeur de lever le sié^e, mais
môme qu'il le retint jusqu'à ce que la place fut
rendue, de peur, cprarrivant auparavant à Con-
stantinople, il ne lui attirât des ordres du Sultan
de se désister de son entreprise.
Charles-Qmnt ne manqua pas de profiter de
la présence de d'Aramon au siège de l'ripoli,
pour répandre qu'il n'avait été décidé au divan
de le faire que sur la proposition de Henri II ;
imputation sans vraisemblance, le but de la France
ne pouvant être que d'opérer une diversion directe
contre l'Empereur son ennemi.
Drag-ut, de son coté, battit André Doria, lui
enleva cinq à six galères : et la perte de la flotte
impériale eût été totale, si l'escadre française,
sous les ordres du baron de la Garde, eût joint
les Turcs à temps. La Garde les suivit avec ses
galères et alla hiverner à Scio pour être plus à.
portée, au printemps suivant, de s'unir à la flotte
ottomane.
L'armée combinée fit voile à l'ouverture de
la saison, et mouilla sur la cote de Toscane, où
SUR L'AMBASSADF: DK TURQUIE. 45
Paul de Termes avec un corps de troupes fran-
çaises, s'embarqua sur l'escadre de sa nation.
Après avoir pillé l'île d'Elbe, les troupes de terre
furent débarquées en Corse pour faire le siège
de Bonifacio. Cette place, pressée, préféra se
rendre au général français plutôt qu'à Dragut
qui en fut furieux. On l'apaisa, dit V Histoire de
France, par une somme de trente mille écus et il
repartit avec la flotte ottomane. De Termes,
continuant d'agir avec les Français, s'empara du
reste de l'île, hors la place de Calvi que les Génois
conservèrent. On voit que la France en cette
occasion se conduisit comme au siège de Nice.
Elle employa à des conquêtes pour elle le secours
des Turcs sans songer à leur en faire part. La
magnanimité de Soliman fut toujours la même
malgré ces procédés. Henri lui avait envoyé un
de ses valets de chambre, nommé Codignac,
solliciter pour la campagne de 1554, ime nouvelle
jonction des forces navales des deux puissances.
Le Sultan, quoique en route pour la frontière de
la Perse, y consentit encore. Malheureux père, il
fit moiu'ir pendant le voyage, sur des soupçons
insinués par Roxelane, sa favorite et non son
épouse, comme le disent faussement les auteurs
chrétiens, démentis par les Turcs, Mustapha
l'aîné de ses fils, et perdit Djihanguir. qui suc-
46 M I MOI H I
c{)iiil):> à s:« doiilciir de l:i inoii i\c son frère.
I ,;i lloitc ottonumc se poiM.i coiiiniL' l";mncc
prcccdcnic, sur l:i cùic (Tlcilic ou clic lit de
^iMuds i-;iv:i^cs. Il est fastidieux, satis doute, (le
lire cette répétition des mêmes campa^^nes et des
mêmes efFeis ; mais elle est nécessaire pour tenir
le fil des négociations de la France en Turcfuie.
On ne voit point (|iie l'escadre trancaise ait joint
cette année-là i le président Hénaut observe que
de 1 ermes sut se maintenir en (lorse, sans doute
à la faveur de l'approche des Turcs.
Ils firent de nouveaux cfiorts en i^)). ('odi-
gnac, successeur de d'Aramon à l'ambassade de
^1 iirquic, partit du Levant avec la flotte ottomane
commandée par Piali-Pacha; cette fois, les
galères françaises s'y réunirent ; mais les opéra-
tions se bornèrent à de grands ravages en
C.alabre, en Sicile et dans les îles Baléares.
Henri II et Soliman ne firent que changer
d'ennemi |)ar l'abdication de C^harles-Quint ,
auquel Philippe 11 succéda en Espagne, comme
Ferdinand à la dignité impériale, La trêve de
Vaucelles qui avait précédé cet événement, fut
presque aussitôt rompue que conclue, et le roi
envoya, en 1557, le sieur de la Vigne ati Sultan,
pour lui proposer le même concert que les années
précédentes. Laugier dit dans son Histoire de
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 47
Venise, que la campagne navale des Turcs, en
15 158, sur la côte de Naples où ils prirent Sorenzo,
fut l'effet des arrangements de la Porte avec la
France. Celle-ci n'en conclut pas moins, en
1 5 1)9, à Càteau-Cambrésis, la paix avec l'Espagne
sans y comprendre Soliman, lequel ne s'en res-
sentit, selon Busbecq, qu'en disant à l'ambassa-
deur Lavigne : « Écrivez à votre maître que, s'il est
difficile à d'anciens amis de devenir ennemis, il
ne l'est pas moins à d'anciens ennemis de deve-
nir amis fidèles » ; sentence admirable dans un
prince de l'amitié duquel la France avait si sou-
vent abusé et dont la conduite politique envers
elle eut toujoiu's un grand caractère.
Henri II mourut la même année et avec lui
finirent les beaux jours de l'union entre la France
et la Porte. Le règne de ses fils, agité de troubles
intestins et souvent guidé par l'influence de la
cour d'Espagne, n'était guère propre au main-
tien d'une intelligence si luile, mais trop distante
pour la politique de ces malheureux temps. A la
renaissance de la France, sous Henri W, le grand
Soliman n'était plus, et avec lui s'était éteint le
flambeau de la monarchie ottomane qui ne s'est
jamais bien rallumé sous aucim de ses successeurs.
Pour revenir au règne des enfants de Henri 11,
l'ambassadeur Lavigne était retourné en France
48 Ml MOI 1^ K
à Li mort (le ic pniuc. ( )n :i :iii dépôt des Affaires
ctrim^'^crcs une lettre de IV'treiiiol, thar^é des
ad'aires de (Charles IX à ( ^Jiisianiiiiople , en date
du H décembre iS^')'^,()ii \\ inaiulaii (|u"il ne j)()U-
vait venir à bout de rien et c[ue la l^orte se plai-
^mait de ce qu'on lui annonçait depuis quatre ans
un ambassadeur de France sans qu'il parut. A
cette occasion Pétremol , discute s'il vaut la
peine ou non de se maintenir en liaison avec les
Turcs : il fait envisager d'un coté les secours
qu'on peut en espérer au besoin, mais il remarque
de l'autre que les grandes armées qu'ils ont
fournies à la France, lui ont rapporté plus de
dommages que d'avantag^es et que si l'argent qu'il
en a coûté avait été employé à bâtir des galères
françaises, elles eussent rendu plus de services
que des alliés comme les Turcs, dont l'avi-
dité et l'insolence étaient si redoutées que le
désespoir seul de tomber dans leurs chaînes
avait donné aux peuples de Corse, du royaume
de Naples et de la rivière de Gènes, le courage
de résister.
On voit dans l'extrait qu'on vient de faire de
cette dépêche, l'oubli des principes de la saine
politique et d'une observation éclairée. Impor-
tait-il que les forces ottomanes fissent des con-
quêtes en Italie, et le seul véritable intérêt de la
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 49
France n'était-il pas d'obliger la maison d'Au-
triche à y tenir des troupes qu'elle ne pouvait
conséquemment employer ailleiu's? Faut-il ne
compter pour rien l'occupation que Soliman lui
donnait en Hongrie? Le poids du mouvement
d'un aussi puissant Empire ne pouvait sûrement
être compensé par la construction et l'usage de
quelques galères de plus.
Il n'est que trop ordinaire que les divisions
intestines dans un Etat en rétrécissent la politique
au dehors. Les passions de ceux qui gouvernent,
les pressent d'employer toute leur attention et
leur énergie pour vaincre les obstacles qui les
entourent. L'ennemi naturel est ménagé, cultivé,
appelé même au sein des troubles qu'il fomente.
Ainsi le fut, en France à cette époque, Philippe II ;
ainsi le furent les Perses, en Grèce, lorsque la
division se mit entre Sparte et Athènes et causa
la guerre du Péloponèse. Les Romains donnèrent
un exemple bien différent, lorsque dans les
guerres civiles entre Sylla et Marins, entre
Pompée et César, le premier et le dernier pous-
saient aussi vivement Mithridate et les Gaulois,
que si la République eût été dans l'harmonie inté-
rieure la plus parfaite.
On trouve dans le Dictionnaire Historique, à
l'article du capitaine corse San-Pietro qu'il alla
4
ç,j \i t \u;ii< I
:i ( loiistimimoplc et lut rcroniinaiulc |):ir (>ailic-
ridc (le .Mctlicis aux iiiiiiisircs qu'y avait alors le
Koi son fils |)()iii-apj)iiycr,sa proposition fi la Porte,
d'envoyer sin- la cote de (!orse une escadre otto-
mane, afin d'y favoriser la révolution qu'il y avait
tramée et qui réussit peu après sans le secours
de personne, n'ayant rien pu obtenir des Turcs.
Il est aisé de comprendre que Soliman se refusa
à faire agir ses forces navales en faveur d'un
aventurier que la cour de France lui recomman-
dait sans oser elle-même le secourir. Ce Sultan
qui ne perdait pas de vue les intérêts communs
aux deux États, fit partir, en 1565, un chiaoux
pour complimenter Charles IX, devenu majeur,
et lui témoigner ses dispositions à continuer avec
lui la bonne intelligence qu'il avait maintenue
avec ses prédécesseurs. Il est probable que cet
agent avait une instruction secrète relative à la
guerre que Soliman méditait de porter en Hon-
grie. 11 y commença la campagne suivante par le
siège de Sighet; mais sa vieillesse ne put en sup-
porter la fatigue et il mourut à l'àgc de soixante-
douze ans. La ville fut emportée d'assaut après
sa mort. Ce succès compensa l'échec qu'avaient
reçu la même année, au siège de Malte, les ar-
mées ottomanes commandées par Dragut qui y
périt avec trente mille hommes.
SUR I AMBASSADE DE TURQUIE. 51
Telle fut la lin d'un règne de quarante-six ans
et de la plus brillante époque de l'empire turc.
Soliman n^était pas aussi grand homme de g'uerre
que son père • Sélim et que son bisaïeul Méhé-
met 11 ; mais il fut un sag^e législateur et un grand
politique. La dynastie ottomane n'a pas produit
depuis un seul prince de son mérite, et c'est la
vraie cause du déplorable état où cet empire est
tombé. Cette pénurie de talents dans ime si longue
liste de Sultans serait incroyable si elle n'était
expliquée par les défauts de leur éducation. On a
dit que jusqu'à Soliman, les fils des empereurs
ottomans étaient employés aux commandements
des provinces. Depuis Sélim II, son iils et son
successeur, cet usage cessa. Les jeunes princes
furent soigneusement renfermés jusqu'à la va-
cance du trône, et longtemps encore les cadets
furent mis à mort à l'avènement de l'aîné. Cette
barbarie ne cessa que pour faire place à une
coutume moins cruelle, mais plus funeste pour
l'Empire, celle de faire succéder le plus âgé des
princes existants; en sorte que, tels sont montés
au trône à l'âge de cinquante ans, comme les sul-
tans Osman et Abdul Hamid aujourd'hui régnant,
après avoir passé toute leur vie en prison et sans
aucune instruction quelconque, hors de savoir
lire et écrire.
\1 I MOI H I
I .;i prciiiici'c démarche de Séliiii II. piince
de peu de talents et (oin adotiné au \iii, lut de
s'accoiiimoder avec Tenipereur !• erditiaud , ce
ciui procura à la i\)rte un repos de quatre
années, (^ctte iréve lut l'ouvra^^e de Ijiisbecq,
ambassadeur de i'I'Jnpereur, cpn a écrit quatre
lettres latines, si instructives et d'une si belle
diction.
Un lon[;" repos ne convenait pas alors aux
milices ottomanes. Des nun-miux's annoncèrent
au Sultan ce cjuil avait à craindre, (^est alors
que sur les insinuations de Sigismond, Roi de Po-
logne, Sélim forma le projet de porter ses armes
jusqu'à la mer Caspienne et de l'unir à la mer
Noire par un canal, aisé à pratiquer et entamé
depuis par Pierre le Grand. Le Sultan fit partir
pour Azof trois mille janissaires et vingt mille
hommes de cavalerie, destinés à faire le siège
d'Astrakan. On embarqua, sur quinze galères,
cinq mille janissaires et trois mille travailleurs
pour creuser le canal: elles portèrent aussi les
munitions de l'armée assiégeante qui, après la
jonction de l'armée tartare, devait être de quatre-
vingt mille hommes. On remonta le Don jusqu'à
l'endroit où ce fleuve se rapproche à sept à huit
lieues du Volga, et les travailleurs se mirent à l'ou-
vrage. Mais le czar Jean Bazilowitz était trop
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. ,3
vigilant pour se laisser surprendre. 11 envoya le
prince Sérébianow à la tète de quinze mille
hommes fondre sur les janissaires qui furent
défaits. L'armée qui assiégeait Astrakan ne put
prendre la place, et une sortie de la garnison, qui
réussit, obligea les Turcs de se retirer. De toutes
ces troupes, il n'en revint que bien peu à Con-
stantinople.
Charles IX et son conseil semblaient avoir
oublié la Turquie. Sélim II, en paix avec la mai-
son d'Autriche et inactif par caractère, ne son-
geait pas à réveiller la correspondance entre la
Porte et la France. Elle se renoua par un événe-
ment assez singulier. Un juif nommé Joseph
Miques, se prétendant créancier du Roi, qui ne
s'acquittait pas, requit de la Porte et en obtint
des lettres de représailles pour se payer siu' les
effets des bâtiments français qui faisaient le com-
merce à Alexandrie. Les intéressés jetèrent les
hauts cris à la cour, et on se détermina à envoyer
en ambassade àConstantinople, Claude DuBoiu-g,
sieur de Guerines, sans autre commission que celle
de solliciter le redressement des griefs et le re-
nouvellement du traité de 153 5. Cet ambassa-
deur y réussit au mois d'octobre 1569, comme il
en sera parlé ailleurs.
C'est à la même époque que le Sultan tourna
54 MIM(;lin
SCS vues (le i onqiiùtcs sur l'ilc de (iliypre, :i|)|);ir-
teiKiiH alors aux Vénitiens. (!eite ré|)iihli(|iie en-
voya (les ambassadeurs à toutes les puissances
de riiurope pour demander des sccoiu-s. I .a
l^'rance n'eut à offrir qu'une vaine entremise.
Philippe II fit partir André Doria avec une armée
navale pour défendre cette île : il ne put y réus-
sir et elle tomba aux mains des Turcs. La répu-
blique, désabusée de l'espoir de la conserver,
demanda à Charles IX les bons offices qu'il lui
avait offerts auprès de la Porte, et le Roi s'y prêta
volontiers. 11 fit choix, pour exercer cette com-
mission, de François de Noailles, évoque d'Acqs,
ministre déjà éprouvé dans d'autres ambassades
importantes. Le prélat eut ordre de se hâter
pour se rendre par Venise à sa destination. Dans
l'intervalle, s'était formée contre les Turcs une
puissante ligue qui semblait devoir opérer la
ruine de leur empire. Philippe II y était entré, et
Don Juan remporta, en 1571, sur l'armée navale
ottomane, la fameuse victoire de Lépante ; s'il
avait poursuivi son avantage, il pouvait, avec ses
forces, remonter les Dardanelles et paraître à
la vue de Gonstantinople. On s'y attendait, et
plusieurs riches habitants étaient déjà passés en
Asie pour échapper aux vainqueurs. Les lau-
riers de Don ,Iuan se ternirent par l'inconcevable
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 55
inaction dans laquelle il perdit le reste de la
campagne, après laquelle l'armée combinée se
sépara.
L'évèqiie d'Acqs étant arrivé à Venise avant
la nouvelle de la bataille, le sénat lui témoignait
de l'empressement pour son départ, quand l'avis
de la victoire changea en un moment ses dispo-
sitions. Il écrivit même à Charles IX pour le
prier de rappeler en France le prélat. Mais l'inu-
tilité de l'affaire de Lépante ramena une troi-
tième fois la république à ses premiers désirs
de paix. Elle fournit en hâte à l'évêque d'Acqs
deux felouques pour son transport à Raguse, au
travers du golfe Adriatique ; il se rendit de là
par terre à Constantinople et il y arriva le 1 3
mars 1572.
Les instructions de Charles IX à son ambas-
sadeur portaient, outre l'objet de la paix des Vé-
nitiens, de viser à détourner les armes ottomanes
de la Hongrie et du Frioul, c'est-à-dire des do-
maines de l'empereur Maximilien dont le Roi
avait épousé récemment la fille. Le prélat y trou-
va de la facilité à la Porte qui craignait la jonc-
tion de ce prince à la hgue chrétienne. Le vizir,
de son coté, chargea l'ambassadeur de proposer
à sa cour d'agir contre l'Espagne, afin que cette
diversion obligeât Philippe 11 à rappeler ses
j6 M ÉMOI RI
forces navales dans ses Ktats. Soii que ce mo-
narque l'eùi craint, soit lent cm- naturelle a la
nation, Don Juan d'Autriche joignit si tard les
forces alliées pendant cette campag"ne, il eut de
si vives altercations avec l'amiral vénitien, que
toutes les opérations se réduisirent au sié^e de
Navarin qu'il fallut enstiite lever.
La régence d'Alger s'était crue menacée
par l'armée de la ligue et elle avait écrit à
Charles IX, poiu- lui demander des secours
contre l'invasion qu'elle appréhendait. Cette dé-
marche ût naître dans l'esprit de Catherine de
Médicis l'idée de profiter de l'occasion pour for-
mer un établissement au duc d'Anjou, son fils
bien-aimé; idée que le roi, jaloux de son frère.
adopta volontiers dans le but de l'éloigner. L'é-
vêque d'Acqs reçut ordre d'en faire la matière
d'une négociation à la Porte et d'y demander en
même temps un prêt de trois millions d'or. Il
obéit, après avoir fait observer à sa cour
l'inadmissibilité de la chose par les Turcs. Cet
ambassadeur manda ensuite que le vizir avait
pris la première ouvertiu'e sur Alger comme
l'annonce d'une rupture, tant il eut de peine à
croire que la France se fût sérieusement flattée
d'obtenir à l'amiable le concours de la Porte pour
ce projet; qu'enfin, détrompé par la suite de la
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 57
conversation, il se borna à répondre que toute la
bonne volonté du Grand Seigneur ne suffirait pas
pour en venir à bout ^ que le corps des gens de
lois, ministres à la fois de la religion et de la jus-
tice, dont l'influence est grande dans le gouver-
nement ottoman, y ferait une opposition insur-
montable. Mais, en compensation du royaume
d'Alger, ajoutait le vizir, Sa Hautesse offrait au
duc d'Anjou la cession des conquêtes que les
forces françaises et ottomanes réunies pourraient
faire sur la monarchie Espagnole, soit en atta-
quant, de concert, les îles de Sicile et de Sar-
daigne, soit en facilitant à la France l'invasion
des Pays-Bas par ime diversion qu'opérerait la
flotte turque dans la Méditerranée. Le Sultan
demandait simplement qu'on fournît à son armée
de mer les rafraîchissements dont elle aurait
besoin. L'évêque d'Acqs connaissait trop bien la
situation de la France, à peine alors sortie d'une
guerre intestine et à la veille de recommencer,
poiu- adopter ce plan. Il se réduisit à tâcher d'in-
téresser les Turcs aux efîbrts du prince d'Orange,
chef des révoltés des Pays-Bas, demandant pour
lui un prêt d'argent dont le roi offrait de se
rendre caution. Le grand vizir s'y refusa absolu-
ment, à plus forte raison, dit le prélat, dans sa
dépêche, ne m'aurait-il pas accordé les trois
<)« MK MOIIU
millions (|iic Sa Majesté ni'avaii prescrit de
(ieiiiander pom* elle-même.
L'absurde idée de mettre le duc d'Anjou sur
le trône d'Al^r^r, fit bientôt j)lace au projet de
lui procurer la couronne de Polo^me qui vint à
vaquer sur ces entrefaites. L'évèque d'yVcqs eut
ordre d'exciter la Porte à témoigner par des
offices à la diète qui allait s'assembler, quelle
s'intéressait à l'élection de ce prince; mais, il
ne rencontra pas des dispositions favorables : le
grand vizir lui soutint que cette couronne tribu-
taire, en quelque sorte, des Tartares dans ce
temps-là, était par là même indigne du duc d'An-
jou. Le fait est que ce ministre croyait plus
avantageux pour l'empire ottoman qu'elle fût
portée par un seigneur polonais, dont l'impor-
tance serait moindre pour ses voisins. Mais la
diète s'étant déclarée contre le choix d un Piast,
la Porte se décida eniïn, sur les instances de
l'ambassadeur, à expédier en Pologne un chiaoux
pour y recommander le duc d'Anjou dont l'élec-
tion se trouva faite avant l'arrivée de cet émis-
saire.
Le président Hénault place à l'année 1572,
la paix entre les Turcs et les Vénitiens, et en
donne l'honneur à l'évèque d'Acqs qui, parla, dit
l'historien, sauva l'île de Candie assiégée par les
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 59
Turcs. 11 y a plus d'une faute dans ce passage :
premièrement, on n'assiège point une aussi
grande île que celle de Candie; en second lieu,
les auteurs du temps, turcs et chrétiens ne par-
lent pas de ce siège; troisièmement, la paix ne
se fit qu'en 1573; quatrièmement enfin, on en
disputa la gloire au prélat. Il était, dit le Vénitien
Paruta, entré en conférence sur cette matière
avec le grand vizir, et celui-ci , s'apercevant que
l'ambassadeur n'avait pas reçu de la République
des pouvoirs plus étendus que le baile, en
revint à traiter avec ce dernier par le ministère
des agents précédemment employés dans cette
négociation. Il est cependant vrai que l'évoque
d'Acqs, dans sa correspondance, se donne pour
avoir eu la plus grande part à la conclusion de
cet accord; il convient toutefois de s'être dis-
pensé de se mêler du taux de la somme que la
République eut à payer à la Porte, regardant
cette clause comme déshonorante pour elle.
La paix des Vénitiens était de leur part une
infraction et ime désertion de la Sainte Ligue.
Le Roi d'Espagne ne s'en mit guère en peine ;
il était dégoûté de ses vains et dispendieux
efforts, et il songea à suivre leiu- exemple en
traitant directement avec la Porte , ce qui
n'avait pas encore eu heu pour l'Lspagtie. Les
M I . M O I K K
I lires iriivaicnt jusqu'alors ucf^ocié avec la mai-
son (r.\utriihc c|uc collccti\ cmcr)t cl par relation
à la c-ouronnc de lion^rie. (]ctte iniiovaiion ne
convenait pas :i la politicjue de la Iratue (|ui
voulait être la seule amie avouée de l'empire
ottoman. Sur les insinuations de l'évèque d'Acqs,
le grand vizir déclara à l'agent de Philippe 11
que la paix existante avec l'Empereur Maximilien
suffisait pourtotis les princes de sa maison.
Henri 111, devenu Roi de l'rance par la mort
de Charles IX, chargea Gilles de Noailles, abbé
de risle, successeur de son frère à l'ambassade
de Turquie, de faire part de son avènement à
Amurat III, qui venait de succéder à Sélim II,
son père. Henri, qui prétendait conserver la
couronne de Pologne, prescrivit à son ambas-
sadeur de détourner la Porte de reconnaître
Etienne Bathory à qui les Polonais l'avait défé-
rée, après avoir déclaré le trône vacant. Mais
Noailles ne put y réussir, et les ambassadeurs du
nouveau roi de Pologne à la Porte furent admis.
Henri III en fut offensé, et il paraît que ce fut le
motif du prompt rappel de l'abbé de l'Isle, qui
ne fut pas immédiatement remplacé. Pendant
cette lacune d'ambassade, l'Espagne parvint
enlin à conclure avec l'empire ottoman une
trêve directe.
SUR L'A.MBASSADK DE TURQUIE. 6i
Ce fut aussi Tépoque du premier traité entre
la Porte et l'Angleterre j l'historien Hume dit
qu'on avait cru jusqu'alors en Turquie que ce
royaimie dépendait de la France, mais que la
renommée d'Elisabeth et de sa puissance s'y
étant fait entendre, le Grand Seigneur admit à
son am.itié cette Reine et reçut son pavillon dans
les ports ottomans. L'ignorance des Tiu-cs était,
et est encore bien grande; mais le traité de la
France de iS3)? portant la réserve au roi d'An-
gleterre d'y accéder, prouve que l'existence de
cette puissance était connue de la Porte. Il est
vrai de dire qtie les Anglais n'avaient navigué
jusqu'alors en Levant que sous le pavillon
français.
Le sieur de Germigny, baron de Germoles,
fut nommé ambassadeiu" de France à la Porte,
en 1^79. Son instruction porte de s'opposer, s'il
est encore temps, à la trêve de l'Espagne, sinon
de veiller à ce que les anciennes liaisons entre
la France et l'empire ottoman n'en souffrent pas.
Ses ordres lui prescrivaient aussi de ménager,
s'il se pouvait, une nouvelle trêve avec l'Empereur
Maximilien et de préserver l'Etat ecclésiastique
des ravages des Turcs. Il négocia sur ces diffé-
rents objets et il conclut, en 1581, un nouveau
traité de commerce où l'Angleterre fut comprise
M [ \I(Jl K I
(hitis le nombre des jinissanccs doni les vaisscMiix
ne (levaient paraître en Levant que sons la ban-
nière française. Cette stipulation, contraire a
l'engagement pris avec la Reitie Klisabeth, ne
manqua pas d'être enfreinte, et l.ancosme, suc-
cesseiu* de Germigny en i^H^, s'en plaignit en
vain. Il n'est peut-être pas inutile d'observer
à cette occasion que l'opinion de la fidélité des
Turcs dans l'exécution de leurs traités, quoique
généralement admise, ircn est pas plus vraie 5 ils
y sont pour le moins aussi peu ponctuels que
d'autres lorsque leur avantage s'y trouve.
Busbecq, alors ambassadeur de l'empereur
Maximilien en France, dit dans ses dépêches que
la mission de Lancosme avait pour objet de sus-
citer les Turcs contre la Hongrie, afin que la
défense de ce royaume y attirât les princes alle-
mands, et qu'ils ne pussent venir au secours des
protestants de France. Mais les instructions de
cet ambassadeiu' n'en font aucune mention. Elles
lui prescrivent de représenter au ministre otto-
man que la guerre qui existait entre la Porte et
la Perse donnait trop beau jeu à V Emulateur
commun, ce qui peut s'entendre de la maison
d'Autriche collectivement ou de l'Empereiu* et
du Roi d'Espagne séparément. On voit que le
faible Henri 111 n'osait prononcer leiu- nom : cette
SUR L'AMBASSADE D t. TURQUIE. 65
même année il venait de signer la ligue et il
avait refusé, malgré les conseils de l'Evéque
d'Acqs, la souveraineté des Pays-Bas que les
révoltés lui avaient offerte; Lancosme, son
ambassadeur à la Porte était lui-même un déter-
miné ligueur ; aussi l'un des premiers soins de
Henri IV, parvenu à la couronne, fut-il de le
révoquer et de le remplacer par le comte de
Brèves.
Sous ce règne, on voit briller une lueur de
la politique de François 1" et de Henri II relati-
vement à l'empire ottoman. De Brèves, dit
M. de Thou, pressa les pachas d'envoyer une
flotte dans les mers de Toscane pour croiser de
là jusqu'en Espagne, dans la vue d'obliger Phi-
lippe à en garder les côtes avec celles d'Italie et
des îles voisines, et à rappeler, pour cet effet,
les troupes qu'il envoyait en France au secours
des ligueurs. L'ambassadeur engagea même le
Sultan à écrire au Roi pour l'assurer qu'il ne man-
querait pas d'armer l'année suivante ime flotte
pour le secourir. De Brèves, dans ses mémoires,
dit encore qu'il était parvenu à décider le Grand
Seigneur à entretenir pendant quatre ou cinq
années de grandes armées navales : en efîet
elles tinrent en échec celles d'Espagne et elles
opérèrent pour Henri W une heiu-euse diversion.
(,4 MF.MOIIU
Amiir;ii iic se boiMia pas à cela: il porta ses aniics
en Hongrie où ils s'empara de cjiiel(|ues places
et, en MyS, .lavarin se rendit à lui. (let exploit
fut le dernier du rè^ne et de la vie de ce Sultan
qui mourut la iTième année.
Henri IV venait de déclarer la guerre à l'Es-
pagne ; le sieur de l^rôves eut ordre d'offrir
à Méhémet 111, fils et successeur d'Amurat, la
jonction des forces navales de la France à la
flotte ottomane, ainsi que de proposer que la
première place conquise sur l'Espagne devînt
pour les Maures de ce royaume un lieu d'asile
et de sûreté. 11 parait que ce plan émanait du
fameux Antoine Pérez, confident de Philippe II
et ensuite tombé dans sa disgrâce. Fugitif et
retiré en France, il avait un émissaire à la Porte
pour y représenter la facilité et l'avantage d'atta-
quer l'Espagne, promettant d'y faire livrer à
l'année turque lorsqu'elle paraîtrait, deux postes
importants. Ces propositions, dit le Tarikhi Sela-
niky, éblouirent d'abord la Porte ottomane ; mais
le manque de confiance empêcha de les accep-
ter. Ce fut peu d'années après sur le motif de
ces intrigues à Paris et à Constantinople, attri-
buées aux Maïu-es, que Philippe 111 fonda le
décret de leur expulsion d'P^spagne.
Méhémet 111 commanda son armée de Hon-
SUR L'AMBASSADE D F. TURQUIE. 65
grie en personne pendant la campagne de i ^96.
De Brèves et Richard, ambassadeur d'Angleterre,
l'avaient suivi ; ils se trouvèrent à la bataille
d'Agria et ils accompagnèrent dans sa fuite le Sul-
tan vainqueur qui s'était cru battu. C'est sous son
règne que s'introduisit le changement fatal au
corps des janissaires dont on a déjà parlé. On
cessa de les recruter parmi les captifs ou enfants
de tribut, et dès lors, ils perdirent cette énergie
et ce dévouement guerrier qui caractérisaient
cette milice , conformément aux vues de son
instituteur.
La flotte ottomane, commandée par le pacha
Cicala, infesta la côte de Naples pendant la
campagne de 1597- De Brèves accusa l'amiral
turc, né sujet vénitien, d'avoir ménagé le pays,
imputation dont ce dernier trouva moyen de se
laver.
Henri IV chargea son ambassadeur de pro-
poser à la Porte, cette même année, un traité
d'alliance entre la France et l'empire ottoman
contre l'Espagne; mais il ne put obtenir que le
renouvellement des traités précédents; encore
les Anglais et les Vénitiens f\u"etu-ils exceptés,
cette fois, de l'obligation de naviguer en Levant
sous la bannière de France.
La paix'^ de Vervins, en 1^98, rétablit l'Iiar-
66 M f- M O I K h
nioiiic ctitrc hi Irancc et ri']spa^nc; iiiais la
^(lierre (le la l^)rte avec la maison (rAiitnche
continuait en Hongrie. Les historiens turcs
placent à l'année suivante une anecdote dont les
auteurs chrétiens ne (ont pas une mention bien
distincte, (^cs derniers rapportent que l'archiduc
Mathias ayant pris siu- les Turcs en Hongrie le
château de Papa, en 1597,1a garnison qu'il y
avait mise se révolta; mais Hassan-Beyzadé dit,
en termes précis, que les Allemands avaient, en
I 599, des troupes françaises à leur solde ; qu'une
division de 3,000 hommes de ce corps était en
garnison à Papa; que ces Français, mal traités et
mal payés, formèrent le projet de hvrer la place
aux Turcs et trouvèrent le moyen de le faire
savoir au vizir, demandant qu'un détachement
se présentât pour faciliter l'opération et qu'on
leur assurât d'acquitter la paye qui leur était due
par l'Empereiu- ainsi que de les incorporer dans
l'armée ottomane. Tout cela fut accordé. A l'ap-
parition des Turcs, les Français se soulevèrent,
firent main basse sur les Allemands et ouvrirent
les portes du château comme ils en étaient con-
venus; mais le grand vizir, au lieu de hâter l'en-
voi d'un renfort, se laissa prévenir par le général
allemand. Ce dernier fit attaquer Papa si vive-
vement que les Français, après l'avoir détendu
SUR L'AMBASSADK DK TLRQLIK. 67
lin mois de suite avec beaiicou}) de courage, se
virent forcés de l'abandonner de nuit et de tâcher
de gagner les hauteurs pour se sauver à Belgrade.
Les ennemis en iirent un horrible carnage, et
six cents de ces malheureux purent à peine y
arriver; on en prit grand soin, on leur fit de
fortes largesses et ils furent mis à la solde du
Grand Seigneur. Ces Français, dit l'historien turc,
servirent avec le plus grand zèle. L'année sui-
vante ils ouvrirent la première tranchée au siège
de Canise ; Hassan-Beyzadé ajoute que ceux
d'entre eux qui vivaient encore sous le règne
d'Osman II le suivirent en Pologne et se signa-
lèrent à l'expédition de Chotin.
On poiuTait croire que ces Français avaient
été conduits en Hongrie par le duc de Mercœur,
lequel, après son accommodement avec Henri IV
passa au service de l'Empereiu^ Adolphe II. On
trouve en effet dans le Journal de VEstoilc, à
l'année 1600, que MéhémetlII, sensible au revers
qu'avaient éprouvé ses armes depuis que le duc
de Mercœiu- commandait les Impériaux, envoya
en France \u\ médecin renégat, nommé Barthé-
lémy de Cuociu-, poiu- se plaindre à Henri de ce
qif il avait permis à un de ses sujets de se mettre
à la tète des ennemis de la Porte. La réponse du
Roi lut que le duc de Mercn.Hir était un prince
68 MfMOIin.
(le l;i iiKiisoi) (le I .oiTainc siii- lc(|ucl il iiaNan
aïKimc :iiii()i-ité'. Henri se plaignit à son tour des
déprcjdations que les Ikirbaresques exerçaient
sur ses sujets, (^e ^ricF parvint à la l-*orte dans
un temps où elle sut le refus du Roi d'entrer
dans une li^aie contre elle, ménagée par le Pape
Clément VIII, comme on le voit dans les lettres
du cardinal d'Ossat. iMéhéniet, qui en fut recon-
naissant, châtia sévèrement les excès des pachas
de Tunis et d'Alger.
On peut juger de l'attention de Henri IV^ à
maintenir sa considération et son crédit à la Porte
par ce que mandait le comte de Cézy, ambassa-
deur de l^-ance en Turquie, dans une lettre datée
de Constantinople le 12 juillet 1626: « J'ai, dit-il,
des mémoires de M. de Villeroy et des actes de
chancellerie par lesquels il se voit qu'un homme,
en qualité de trésorier ou contr(jleur, était ici au-
près de l'ambassadeur avec pouvoir d'y dépenser
jusqu'à cent mille écus par an. Aussi étions-nous
très-puissants à la Porte et dans tout le Le-
vant. »
De Brèves renouvela encore, en 1604, avec
Ahmed I", fils et successeur de Méhémet III,
les traités entre la France et l'empire ottoman.
(]et acte est le plus ancien des trois qui for-
ment aujourd'hui le corps de nos capitulations.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 69
Cet ambassadeur fut relevé par le baron de
Salignac, qui moiu-ut, ainsi que Henri IV,
en 1610.
Le baron de La Mole, successeiu- de Salignac,
arriva à Constantinople l'année suivante. On ne
voit point sur quel fondement Dumont, dans son
Recueil diplomatique, attribue aux bons offices
de l'ambassadeur de France la conclusion du
premier traité des États généraux avec la Porte
qui fut signé en 161 2. Rien n'indique que La
Mole ait eu ou dû avoir de pareils ordres.
La mort prématurée d'Ahmed I"', en 1617,
fut pour la monarchie turque un événement fu-
neste. Osman, son fils aîné, n'avait que treize
ans et les grands de l'empire jugèrent à propos
de lui préférer Mustapha, son oncle, qu'Ahmed,
plus humain que ses prédécesseiu-s, avait laissé
vivre peut-être à cause de son imbécilhté. C'est
le premier exemple de succession collatérale
dans la dynastie ottomane. Le nouveau Sultan
montra bientôt son incapacité. 11 en résuka des
troubles et des intrigues qui relâchèrent lesrouages
du gouvernement, lequel n'a jamais pu, depuis,
regagner sa première énergie. Le baron de La
Mole éprouva sous le règne de ce Sultan une
violence, jusque-là sans exemple, dont on donne
ailleurs le détail. L'imbécile Mustapha ne tarda
70 \ii.M(jiin
pas à être j)rcci|)itc du inMic. On le uni ci) pri-
son, cl h» couronne passa sur la ictc (r()smaii. son
neveu.
( -e prime, mal^n'é sa jeunesse, annonçait de
grands talents; déterminé à (aire la guerre à la
l^ologne, il s'allia avec Gustave-Adolphe contre
cette République, combinaison ((ui fait honneur
à la poHtique d'Osman • il commanda lui-même
son armée, eut des succès et des revers, et ter-
mina cette guerre en conservant la place de (^ho-
tin qu'il avait prise.
La mauvaise conduite que tinrent sous ses
ordres les troupes ottomanes lui fit voir la néces-
sité d'y rétablir la discipline que les successeurs
de Soliman avaient laissé relâcher. Malheureu-
sement ce pi"Ojet fut pénétré; les corps de milice
se soulevèrent, forcèrent le sérail et tirèrent de
prison Mustapha pour le remettre sur le trône.
L'infortuné Osman, accablé d'injures et de coups,
fut conduit sur un méchant cheval aux Sept-Tours
( outrage que Cantémir dit faussement avoir été
éprouvé par Mustapha 1"), et peu de jours après
étranglé. Ainsi périt ce jeune prince de grande
espérance et qui aurait pu rendre son ancien
lustre à l'empire ottoman. Il avait, selon les his-
toriens turcs, épousé la fille d'un muphti ; les
Sultans ne contractent pas ce lien avec des
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 71
femmes esclaves nées dans une religion diffé-
rente : mais le mariage est de devoir lorsqu'il
s'agit d'une musulmane d'origine, qu'on ne peut
posséder qu'à ce titre. Mustapha III a été, de nos
jours, plusieurs fois dans ce cas et la célébration
s'est faite sans aucune cérémonie par le muphti.
Il est étonnant que Cantémir, qui avait l'his-
toire turque sous les yeux, fasse monter Osman
sur le trône à huit ans et périr à douze. On ne
peut, à cet âge, ni commander, ni mécontenter
son armée et son peuple. Ce Sultan, dans son
court règne, répara l'outrage fait au baron de
La Mole et écrivit à Louis XIII à cette occasion.
Le second règne de Mustapha fut de quinze
mois. Il ût tant d'extravagances que les grands
de rÉtat préférèrent d'être gouvernés par le jeune
Murad, frère cadet d'Osman, ayant à peine
quinze ans, plutôt que par cet insensé, qui fut re-
mis en prison.
Pendant la minorité de Louis XIII, l'Espagne
avait pris de l'influence en France et la liaison
avec les Turcs y fut un peu négligée ; mais le
ministère du cardinal de Richelieu la remit bien-
tôt en activité. C'était une partie essentielle de
son plan d'abaissement de la maison d'Autriche;
on connaît le mot fameux de la première dépèche
de ministre aux ambassadeurs de France dans
7., MI.MOIIM.
les lours ctniM^èrcs : " I ,c conseil du Uoi :i
chauffé de ni;txiines, etc. »
Le comte de (lé/y, successeur (.lu biiron de
La Alole, eui ordi-e de tenter i iethleiii -( J:d}or,
prince de 1 ransvlvaiiie, alors leudataire et tri-
butaire des liircs, par Tollre d'un subside pour
c|u"il armât et attaquât les Ltacs de l'Empereur,
(jabor en demanda la permission à la Porte, qm
y donna les mains comme une suite du traité
d'Osman avec Gustave-Adolphe, lequel avait
alors lin ministre à Constantinople. (.'était l'é-
poque de ses premières liaisons avec la France.
Miirad prescrivit aussi au prince de Transyl-
vanie de protester contre l'élection qui devait se
faire d'un roi de Hongrie dans la personne duiils
de Ferdinand U; elle n'en eut pas moins lieu,
et, l'année d'après, le Sultan s'accommoda avec
l'Empereur. Le Roi d'Espagne tenta de son côté
de conclure une trêve avec la Porte, mais il y
rencontra les mêmes obstacles que son père
Philippe II; l'historien vénitien Sagredo dit que
l'ambassadeur de France répandit l'argent à
pleines mains pour empêcher que le vice-roi de
Naples ne réussît dans cette négociation, dont il
était l'organe. C'est toujours la ressource des
écrivains mal instruits d'attribuer à la corruption
des ministres de la Porte toutes ses opérations
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 73
politiques. On aurait peine à citer avec vérité
qtielques événements d'importance produits par
cette cause en ce temps ; on voit dans les
dépêches du comte de Cézy que, loin d'avoir des
fonds à y employer, il était dans la péntu-ie la
plus extrême. Cet ambassadein- écrivait le 8 mars
1626, que ceux d'Angleterre et des républiques
de Hollande et de Venise s'étaient réimis à lui
pour mettre obstacle à cette trêve et qu'ils
s'étaient servis utilement, pour contrecarrer le
Vice-Roi, de la découverte des menées espagnoles
chez les Polonais et les Cosaques engagés à
continuer leurs incursions dans la mer Noire. De
tels moyens, mis en œtivre, suffisaient bien potir
empêcher la négociation d'Espagne de réussir.
Des barques cosaques s'introduisirent, en
effet, cette même année, dans le canal de
Constantinople pour y saccager des villages à
deux lieues de la capitale. On y pourvut pour
l'avenir, en construisant des châteaux qui en
défendaient l'entrée, mais qui, depuis les pro-
grès de l'art de la fortification, ne remplissent
plus leur objet. Les (Cosaques ne bornèrent pas
là leurs exploits: ils s'emparèrent d'Azof, située
au fond de la mer de Zabache à l'embouchin-e du
Don et en firent leur place d'armes pour continuer
ieiu\s ravages sur les cotes de la mer Noire.
74 M IM(;l in.
Ahir;i(l s'en ncii^lm par imc loiursion des 1 ;i)"-
l:ii-es en Kiissie. 1 .e c/.ar Mu liel 1 'rdeiowitth en
(ni ii-ès-e(ir;iyé et il envoya un ambassadeur à
la Porte |)our donner l'assurance ([u'd n'a\aii
point de paiM a la surprise d'Azol, (aite j)ar des
Cosaques indéj)eiulaiits.
Le Siilran était !)ien moins occupé de ce qui
se passait en lùirope que de sa guerre avec la
Perse. Richelieu, qui le vo3^ait absorbé par cette
diversion, s'occupa delà faire cesser. Il dépêcha
en Ttu-quie un sieur Deshayes (|ui devait olîrir à
la Porte la médiation du Roi entre elle et la cour
d'Ispahan, où il devait passer ensuite. Deshayes
vint à (^onstantinople; mais il parait que des
obstacles l'empêchèrent de suivre sa mission jus-
qu'au bout.
Probablement Murad lier de la conquête
de Bagdad refusa de se prêter à la médiation de
la France.
Richeheu ne perdit pas pour cela de vue son
objet d'inquiéter la cour de Vienne de ce coté
dans les instructions qu'il donna en 1639 à M. de
la Haye, successeur de M. de Gézy. On voit qu'il
lui était prescrit d'engager, s'il le pouvait,
Ragotzki, successeur de Bethlem-Gabor dans la
principauté de Transylvanie, par l'offre de
200,000 rixdalers la première année et i >o.ooo
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 75
les suivantes, à faire des hostilités contre les
Etats impériaux, avec promesse, au cas qu'il vînt
à succomber, d'une pension de 50,000 rixdalers
par an. Cette convention fut ménagée par
Torstenson, agent de Suède auprès de Ragotzki.
L'auteiu' de VHistoù'c du cardinal Mayarin dit
que ce Suédois stipula poiu' les deux couronnes,
et que, dans l'acte, la Reine, sa maîtresse, fut
constamment nommée avant Louis Xlll, ce qui
piqua Richelieu et l'engagea à dépécher en
Transylvanie le sieur de Croissy-Fouquet pour
y traiter directement les affaires du Roi.
Il était, en outre, prescrit à M. de la Haye de
détourner Murad du projet d'attaquer les Véni-
tiens, et même de chercher à lui inspirer l'idée
d'une alliance avec eux pour assaillir de concert
les Espagnols dans les deux Siciles et d'en faire
avec la République, après la conqtiéte, un
échange pour l'île de Candie, qui était plus à la
convenance de la Porte.
Richelieu observait à l'ambassadeur que l'in-
térêt du roi n'était pas que Candie, plus que Naples
et la Sicile, tombât aux mains des Turcs, mais
qu'il s'agissait d'opérer une diversion pour forcer
la maison d'Autriche à la paix. On retrouve dans
cette dernière partie de l'instruction hi manière
de François I" et de Hciui II, ([ui se sorvaicni
(les I iiri-s s;ii)s iroj) s'ciiih:irr;issci- de iciiii- leurs
cnf^n^'-cnicuis :ivcc eux. il s'en t';ill:ii( l)c:nu()ii()
(|ii on eût alors des |)nii(i[)es de s;nne ()olnit|ue
a regard des infidèles, il snlîit. pour en jii^er.
de lire rinseription (|ni est au-dessous de la sta-
tue de i.ouis XIII a la place Koyale de Pans. Oti
y voit ces deu.x vers :
J'eusse accaijuc l'Asie ec, d'un pieux eliort,
.l'eusse du saint tombeau venu,é le long servage.
Le cardinal de Kichelieu, (|ue le total de lin-
scription reg-ardc encore plus que son iiiaitre. ne
pensait sûrement pas à renouveler les croisades;
mais ce lang-age, sous son ministère, montre
quel était l'esprit du temps.
Sagrcdo rapporte, à cette époque de 16^9,
ime conversation entre le caïmakan ou vice-
gérant du grand vizir, alors absent et Tambas-
sadeiir de Venise, où l'on voit des lumières
politiques qu'on ne trotiverait pas chez les Tiu-cs
d'aujourd'hui. L'ambassadeur, qui cherchait à
accommoder un différend de sa République avec
l'empire ottoman, laissait entrevoir à ce ministre
qu'au besoin elle serait puissamment secourue
parles princes chrétiens : u Vous me faites rire,
lui dit le caïmakan. lorsque vous tâchez de m 'ef-
frayer des forces de la chrétienté, ('/est une chi-
SUR l.AMBASSADt: DE TURQUIK. 77
mère qui n'a rien de terrible que le nom. Je sais
que l'Empereur n'a point d'argent, qu'il a en
môme temps sur les bras les Français et les
Suédois, auxquels il peut à peine faire tête ; que
la France ne se déclarera jamais contre nous, si
elle ne veut agir contre ses véritables intérêts;
que les Espagnols sont si pressés par les Français
et ont tant d'affaires chez eux qu'ils n'ont pas le
temps de songer à celles de leurs voisins; à
l'égard du Pape et des autres princes d'Italie,
ils voudraient bien nous faire du mal, mais ils
n'en ont pas la force ; pour les Anglais et les
Hollandais, ils seront bien aises que vous nous
déclariez la guerre, parce qu'il feront votre com-
merce. ')
On ne peut nier que ce tableau de l'Eiu-ope,
à cette époque, ne soit parfaitement bien vu. Les
Vénitiens le sentirent et arrangèrent lein-s affaires
en donnant au Sultan 2^0,000 sequins.
M. de la Haye arrivait à peine à Constanti-
nople que Murad IV mourut. Ce Sultan a été le
seid descendant de Soliman, digne à quelques
égards de ce grand prince. C'est le dernier
Empereiu' guerrier qu'aietit eu les Turcs, et sa
mémoire est encore parmi eux en vénération à
cet égard; mais c'était un barbare : dans le cours
de son règne, il lit périr Mustapha, son oncle.
7M M I \I(Jl l{ f.
deux (le SCS (rèrc's ci l;i pliipiiri de ses nimisircs
et de ses f^criér:iii\. Il ()s;i melti-e :i nioii iiii
l\h;iii des I ;irl:ircs cl un iiuiphti, doiii les per-
sonnes oni toujours été réj)iiiécs m\ i(jlai)lcs.
I):nis lin cnipn'c s:ifis lois (on(l:inicnt:tles, le des-
potisme sous un prince ii-rit:il)le cl eiurepi"en:int
n'a point de Irein, comme aussi dans les mains
d'un prince faible, il est sans énergie.
La mon de Louis Xlll, en 164^, avait suivi de
près celle de Kichelieu: mais le système de ce
dei'nier rutadopté par ALi/arin, principal ministre
pendant la minorité de Louis XIV. (le cardinal
confirma les ordres qu'avait reçus M. de la Haye
de tâcher de faire agir contre LEmpereur le
prince de Transylvanie Ragotzki. Celui-ci déter-
miné par les avantages qu'on lui offrait, demanda
à la Porte, en 1644, la permission d'attaquer la
Hongrie et l'obtint. Le ministère ottoman donna
même des ordres au Pacha de Mude d'envoyer
au besoin un secours de six mille hommes à Ra-
gotzki. C>c prince passa le Libisque, s'empara
de Cassovie, s'avança à Presbourg, et ayant pris
ensuite une bonne position auprès de Vienne, il
conclut à son très-grand avantage et sans s'occu-
per de ses alliés un accommodement avec l'Lm-
pcreur.
('ette même aiuiée ^•it conunenccr une guerre
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 79
qui dura vingt-cinq ans entre la Porte et la Ré-
publique de Venise. Les galères de Malte prirent
alors dans les eaux de Candie un gros bâtiment
turc allant de Constantinople en Egypte, où était
embarqué le Kizlar Aga (chef des eunuques noirs
du sérail) et plusieiu-s autres grands officiers
avec des effets précieux. Ibrahim qui ne s'enten-
dait pas mieux à la politique qu'au droit des gens,
força les ambassadeurs de France, d'Angleterre,
de Venise et des États généraux, c'est-à-dire
tous les ministres étrangers qui résidaient alors
à la Porte, de comparaître devant le Kadilesker
de Natolie ou grand juge d'Asie, lequel leur
témoigna l'indignation qu'éprouvait Sa Hautesse
de la prise du galion. Il les requit de l'informer
qui avait averti les galères de Malte du départ
de ce bâtiment. M. de la Haye, sans répondre à
cette interrogation qui n'était qu'une imputation
indirecte, se contenta d'observer au Kadilesker
que Malte était un Etat indépendant où le Roi
n'avait point d'ordre à donner. Cette démarche
ridicule n'eut point d'autres suites; mais le Sul-
tan voulait porter ses armes contre cette ile. (^n
le fit revenir au projet de s'emparer de (Candie,
la clci' de l'Archipel, sous prétexte que le vais-
seau avait été pris dans ces parages, l.a tlorte
ottomane partir de (>onsiantinoplc le ^o avril 164^.
Hi, Ml MO I I! I
IciMii. i lii-miii l.iisaiii. r;ii-nicc vciiiiicniic et all.i
iiRMiic le sic^c (l(jv:inl l:i (!:incc. (|iii lui cmporiéc
L'ii deux mois. Les Vénitiens, consternes, s'adres-
sèretit :\ l:i Keioe réf^ente pour oI)teiiir In paix
|)ar son enireiiiise ;i la Porte. Il était dans Tinté-
rét (le la l*ranee d'arrêter une guerre (|ui ei7ipè-
cliair tome {li\ersion des (orces ottomanes contre
les deux branches autrichiennes. Ma/arin exj)é-
dia à ( Constant inople le sieur de \ ai'ennes poiw
aj^puyer l'odre cpie faisait la Répul)li(|ue d'une
forte somme d'argent en indemnité du vaisseau
enlevé, à condition que les Turcs évacuassent
- Candie; mais le ministère ottoman tint ferme à
exiger cession de l'île, en tout ou en partie: on
insinua même à MM. de \'arennes et de la Haye
que leur insistance en faveur des \ énitiens
déplaisait au Sultan.
La vigueur de la j^remière campagne des
Turcs en (landie ne s'y soutint point dans les sui-
vantes. La discorde intestine était toute énergie
aux opérations militaires. Kn 1648. la révolte
générale des milices précipita Ibrahim du trùne.
(]e prince fut étranglé dix joiu-s après. L'aîné de
ses enfants, qui le remplaça sous le nom de Mé-
hémet 1\ ., n'avait que sept ans. Cette minorité,
sans exemple jusqu'alors, et depuis, dans la mo-
narchie ottomane, enti'aîna une administration
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 8i
d'un nouveau genre, dans laquelle la Sultane Kieu-
cem, mère d'Ibrahim, eut d'abord la prépondé-
rance. Mais une conspiration ôta la vie à cette
femme intrigante. L'autorité demeura entre les
mains des grands de l'État comme une proie qu'ils
s'arrachaient tour à tour. Les affaires de la guerre
s'en ressentirent. On entama à la vérité le siège
de la ville de Candie, capitale de l'île, mais comme
on ne pouvait y envoyer des renforts sans com-
battre la flotte vénitienne en croisière aux Dar-
danelles et maîtresse de la mer, le siège ne fai-
sait pas de progrès. L'escadre ottomane ayant été,
peu après, battue à plate couture par celle de la
République, la conquête de l'île de Lemnos et
de Ténèdos fut le fruit de cette victoire.
Heureusement pour les Turcs la fortime
plaça au poste de grand vizir le vieux Méhémet
Kupruly. Loin d'être abattu par ces revers, il mit
en mer une nouvelle flotte, reprit les deux îles
et fit continuer le siège de Candie. Le Sénat,
découragé, offrit alors, par le canal de M. de la
Haye, de céder la moitié de l'île à la Porte; mais
elle ne s'en contenta plus. Le Vénitien Nani, qui
a écrit l'histoire de ce temps, accuse l'ambassadeur
de France d'avoir amusé le Sénat par de vaines
espérances, (''était mal payer iM. de la Haye de
ses peines et des affronts sanglants qu'il éprouva
83 MF..MUII{K
(les Iiiixs à cette occwsioti , comme on le nij)-
porte ailleurs, kiipriily se cvui dans le cas
d'entrer, à cet égard, en justification vis-à-vis de
I .ouis X I \' aucjuel il ccn\ it ; mais, cette démarche
ne .satislit point le Koi, dont on peur dire cpie le
ressentiment réj^la quelque leiiips la politique.
Ne doit-on pas en elî'et cpialificr ainsi les secours
que ce monarc|ue donna dans les années qui sui-
virent aux Vénitiens en (landie, et à ri'.mpereur
en Hongrie? (>eux cpren reçut cette Hépublicpie
ne lui profitèrent guère. Dès 1660, le prince
Alméric d'Esté, commandant ime escadre fran-
çaise ayant à bord quatre mille hommes de
débarquement, joignit à Cérigo l'armée véni-
tienne potir tenter Tescalade de la ('anée, entre-
prise qui échoua avec quelques pertes, par la
précipitation des troupes.
Les troubles de Iransylvanie renouvelèrent
la guerre entre la Porte et la cour de \'ienne à
la mort de Rakoczy; Tune et l'ature puissance
prétendirent au droit de lui nommer un succes-
seur. Méhémet Ktipruly, qui entama cette affaire,
fut remplacé à son décès par son iîls aine Ahmed,
lequel attaqua en personne la ville de Neuh^usel,
qu'il prit. Ses progrès effrayèrent l'Empereur
Léopold, qui eut recours à Louis XiV, sous pré-
texte dti danger que coiu-ait la chrétienté. Le
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 83
monarque envoya à l'armée impériale en Hongrie
un secours de six mille hommes commandés par
le comte de Coligny, lequel ne put se trouver en
personne à la bataille de Saint-Gothard, gagnée
par le comte de MontecucuUi sur les Turcs, le
i" août 1664. Les Français, sous les ordres de la
Feuillade, s'y distinguèrent. L'Empereur profita
de cet avantage pour conclure le 17 septembre
suivant une trêve de vingt ans. Cet intervalle de
repos fut occupé tout entier par la cour de
Vienne en intrigues ou en guerres contre la
France; c'est tout le prix que celle-ci retira de
la part qu'elle avait prise au succès des troupes
impériales.
La même année, Louis XIV, ayant résolu de
punir les Algériens des violences qu'ils commet-
taient siu- le pavillon français, donna le premier
essor à sa marine, qu'il venait de créer : il
fit attaquer par ses forces navales comman-
dées par le duc de Beaufort, son amiral, la place
de Gigeri, en Afrique; elle se rendit, mais les
Maures la reprirent quelque temps après.
Ce monarque, revenant au véritable système
de son Etat, tenta de renouer avec la Porte. Il
écrivit au Sidtan pour justifier les secours qu'il
avait donnés à la cour impériale, l'aimée précé-
cédente, sur l'obligation où il était, comme
84 MfNKMRK
Prince de l'Ijupire, d'en :iider le chef. Il en
veiKHt ensuite :i l;i juste ven^eiinee {|ird ;iv;ni été
forcé de prendre de la régence d'Aller par le
sié^e de (îi^eri, et il annonçait lintention de C(;n-
server cette |)lace pour la sûreté du commerce de
ses sujets, i'^nfin, il finissait par prévenir qu'il
nommait son ambassadeur a la Porte le sieur de
la Haye lils, dans le cas où levi/ii- promettrait de
réparer dans la personne de ce ministre les
outrages qu'avait éprouvés son |)jre en I iirquie.
Ahmed Kupridy répondit que l'ambassadeur
serait le bienvenu et qu'on concerterait avec lui
les mesures nécessaires pour réprimer les
régences, mais que la Porte ne consentirait
jamais à ce que la France possédât un pouce de
terre sur la cote de Barbarie. 11 ne manqua pas
d'observer que le Roi ne s'était occupé depuis
trois ans qu'à fournir des secours contre l'empire
ottoman : « Les F^rançais, dit-il, sont nos amis,
mais je les trouve toujoiu's avec nos ennemis. »
La réponse du grand vizir, sans être satisfai-
sante, décida Louis XIV à faire partir M. de la
Haye Vantelec. Ses instructions sont datées du
22 août 1665 : on n'y voit rien qui ait trait à la
politique générale de l'Europe. Le Roi tenait à
son projet de faire agréer à la Porte qu'il conser-
vât une place forte sur la côte d'Afrique où le
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 85
duc de Beaufort avait battu, cette même année,
deux fois les Algériens. Louis ne considérait
alors la Turquie qu'au point de vue du commerce
que le ministre Colbert commençait à faire fleurir
dans le royamne. C'est ce motif qui fit prescrire à
M. de la Haye de barrer les démarches que la
république de Gènes faisait alors à la Porte, avec
l'appui des bons offices de Tempereiu-, pour con-
clure avec l'Empire ottoman un traité d'amitié et
de commerce. On craignait en France d'avoir, à cet
égard, les Génois pour concurrents dans le Levant.
Chardin rapporte que le résident de Gènes,
ayant fait part à Louis XIV de l'envoi du marquis
de Durazzo à Constantinople : d Je souhaite bon
voyage, dit le Roi, à l'ambassadeur de la Répu-
blique en Turquie, mais je ne sais ce que le
nôtre aura fait à ce sujet. »
Ce fut inutilement que M. de la Haye repré-
senta au grand vizir l'admission des Génois comme
une nouvelle brèche au privilège du pavillon fran-
çais sous lequel toutes les autres nations devaient
naviguer dans le Levant; en vain menaça-t-il de
se retirer s'ils étaient reçus; Kupruly n'en tint
compte et répondit que la Porte était ouverte
pour y entrer comme pour en sortir, et que le
Roi ne pouvait empêcher le (jraiid Seigneur
d'admettre chez hii (|ui hii plairait. I^iirazzo
8^) M I M () f n \.
;irriv:i :i Clonstaiitiiicplc sur un vaisseau de guerre
génois; il y (it uiil' ciiircc piii)lic|iic, cl en j)ariam,
il y laissa un rcsidcni de la République.
I >e ^rand vi/.ii-, tranquille du cùté delà Hon-
grie, prit alors son parti d'attaquer sérieusement
Candie; il s'etiibarqua pour cette île à la lin de
1666 avec un transport considérable de troupes
et de munitions, (^e ministre passa l'hiver à la
Canée et, le 22 mai, il ouvrit le siège devant la
capitale de l'île, entreprise qtii fixa l'attention de
l'Europe, alors en paix de tous côtés. Louis XIV,
sollicité par les Vénitiens, ne put se défendre
d'armer, pour le secours de la place, une escadre
sous les ordres du duc de Beaiifort, ayant à bord
tui corps de troupes commandé par le duc de
Noailles. Cependant, ahn de ménager la Porte,
on prit l'expédient d'arborer sur le vaisseau
amiral le pavillon de Sa Sainteté. Ce renfort
arriva à Candie le 24 juin 1669. Dès le len-
demain, le duc de Beaufort fit une sortie qui ne
réussit pas et oii il dispartit. Noailles, découragé
par ce début, voulut absolument se rembarquer,
quelque représentation qu'on put lui faire. Le
président Hénault dit qtie les Français retar-
dèrent plus de trois mois la prise de la ville, mais
d'autres auteurs prétendent qu'ils ne servirent
qu'à la précipiter. Elle se rendit le 5 septembre
SLR L'AMBASSADE DE TL'RQUIE. 87
suivant après une guerre de vingt-quatre ans.
Chardin rapporte que le grand vizir ayant
demandé au chevalier Molino, plénipotentiaire
vénitien qui négocia avec ce ministre la capi-
tulation de la place, pourquoi Candie avait résisté
si longtemps, celui-ci répondit que c'était à l'in-
stigation du Roi de France qui avait promis à la
République de déclarer la guerre aux Tiuxs. Il
est certain du moins que Louis XIV prit le parti
de retirer de Constantinople M. de la Haye, Son
rappel qu'on lui annonçait fut motivé sur Fenvoi
des troupes françaises en Candie. Kupruly, à qui
cette démarche fit jDrévoir la possibilité d'une
rupture avec la France, expédia en Espagne un
renégat portugais pour faire à cette cour des
ouvertures d'alliance, et celle-ci, de son côté,
envoya à Constantinople pour le même objet, un
prêtre portugais nommé Allegretti ; mais Nani,
qui rapporte ce fait, ajoute que l'ambassadeur de
France, lequel n'était point parti malgré l'ordre
du Roi, se démena de manière à faire congédier
Allegretti sans conclure. 11 est probable que
Kupruly, couvert de gloire par hi prise de Can-
die, ne s'occupa plus à suivre son premier projet;
mais cette retenue n'éteignit pas la ranciuie chi
vizir qui saisit, peu après, l'occasion de la mani-
fester.
«8 M I WOl H I
M. (le Noinlcl, Micccsscui' (le M . tic hi I lave,
cul |)()iir insiructions de ira\a)llcr au rciiouvcl-
Icmciii (les capii ulaiions cnti'c la |- raiicc cl II .in-
pirc oitomaii. I .c Koi exi^eail de iH^iivelles
prd'ro^aiivcs; mais Kiipruly tint Icrme cl n'en
accorda aiicimc, oiirant .seulement le renoiiNcl-
lemeni des anciens |)iivi]égcs. La né-^ociation
traîna, et l'on ne sait quelle en eOit ùtc l'issue,
si, d'un C(jté, le brillant dé'biit de la guerre que
Louis XIV entreprit en 1672 contre les l;!tats
généraux, et de l'autre les succès di\ers qu'é-
prouvèrent les armes ottomanes contre la Pologne
n'eussent pas ramené ce \izirà des ménagements
envers la France. Le traité fut signé l'année
suivante.
La guerre de Pologne se termina par la ces-
sion qu'elle fît à l'empire ottoman de Kaminiec,
regardée comme la clef de ce royaume. Le sys-
tème personnel d'Ahmed Kupruly était de se
rendre nécessaire à son maître, et il songea dès
lors à rompre la trêve subsistant entre la Porte
et la cour impériale. 11 chargea M. de Nointel
de transmettre à Louis XIV une proposition
d'alliance par laquelle le Roi promettrait de ne
pas faire la paix avec l'Empereur sans en prévenir
Sa Hautesse qui occuperait ce prince par ime
diversion. Rien n'aurait convenu davantage aux
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 89
intérêts de la France; mais la paix se négociait
alors dans un congrès assemblé à Nimègiie, et le
Roi craignit de prendre des engagements qui
pourraient en retarder la conclusion. La guerre
dura encore trois ans ; mais les armes de la
France étaient si triomphantes partout, qti'on ne
crut pas avoir besoin de faire agir les Turcs.
Ahmed Kupruly^ affaissé par la débauche, était
mort en 1677, et avec lui finit tout l'éclat du règne
de Méhémet IV.
Les instructions de M. de Guilleragues, suc-
cesseur de M. de Nointel à l'ambassade de
Tiu-quie, en date du 10. juin 1679, disent que,
« depuis la paix de Nimègue, Sa Majesté ne peut
prendre que peu d'intérêt à ce qui se passe à la
Porte relativement atix affaires générales de
l'Europe. » Il est prescrit à l'ambassadeur de se
borner à assurer les députés des Hongrois révoltés,
que le Roi leur conserve toujours de l'affection.
Quant à la guerre dans laquelle l'empire" ottoman
était entré avec la Russie depuis deux ans, le Roi
n'y voyait d'intérêt pour lui, qu'au cas où la
Pologne ferait mine de se joindre à cette der-
nière puissance, ce qui contrarierait l'intention
où il était de faire agir la République en
faveur de la Suède , dont l'acconmiodement
avec le Danemark et l'électeur de Brandebourg
yo Ml M ( ) I in
n'ctait pas encore (.oiulii , mais le lui tr(jis
mois après.
dette guerre des Kusses avec les I lires linit
en 16H2 par une trêve. Il esta rcriiarcpier (|ue le
f/ar Alexis ne la eonelut (|ue siu- le refus de
ri!mpereiir i.éopold d'enti'er avec lui (hins une
li^iie oliensive et défensive contre remjîire otto-
man. Alontecuculli pressa vainement son maître
d'accepter celte |)roposition si convenable au
moment où la trêve de ving^t ans était expirée.
Ce prince risqua peu après de payer cher cette
imprévoyance.
A cette époque, la plus brillante du rèyne de
Louis X\\\ et peut-être de la monarchie fran-
çaise depuis (]harlema^ne, tout se ressentait de
l'énergie du gouvernement.
Les corsaires tripolins ayant exercé quelques
violences sur la navigation française, on résolut
de leur donner la chasse et de les poursuivre
jusque dans les ports du Grand Seigneur, qui ne
se mettait point en peine de les réprimer; M. de
Guilleragues eut ordre de prévenir la Porte. L'ef-
fet suivit de près la menace. Duquesne, comman-
dant une escadre française, ayant rencontré cinq
armements tripolins les rencogna dans le port
de Scio, et sur le refus du gouverneur de les livrer,
il mit ces bâtiments en pièces par le feu de son
SUR L'AMBASSADE D F. TURQUIE. 91
artillerie, non sans quelques dommag-es à la ville
et aux habitants.
La nouvelle de cet événement fit grand bruit
à Constantinople et mit le ministère ottoman
dans une grande perplexité. La signification faite
par l'ambassadeur de France que les vaisseaux
du Roi poursuivraient les Tripolins jusque dans
les ports ottomans n'avait été regardée que
comme purement comminatoire, et il est dans le
génie des Turcs d'attendre les événements. Le
grand vizir, dans l'embarras du moment, chercha
à gagner du temps. Il prétendit qu'il fallait avant
tout prendre une information exacte de la chose
et il fit passer à Scio, pour ceteftet, le pacha de
Smyrne, en même temps qu'il donna ordre au
Capitan Pacha de préparer en hâte luie escadre
de g"alères pour s'y transporter. M. Duquesne,
qui bloquait le port, força le premier de venir à
son bord et lui déclara qu'il coulerait à fond les
galères turques si elles osaient prendre à la
remorque les carcasses des vaisseaux tripolins.
Lorsque le Capitan Pacha parut avec son escadre,
le g-énéral français lui fit la même intimation, avec
addition de hi menace de se rendre ensuite aux
Dardanelles. L'amiral turc n'eut garde de se
compromettre, d'après ce (pi'il vit de la fbrce et
de la contenance des vaisseaux de M. nuc|uesne;
92 MrNKJllU
il ccrivii ;ni \i/ir (lu'il n'y :i\;iit |);is (r.iiitrc prirti
à prendre i|iic de Mrlici- d'iiniiiif^'^cr celle allaire
vis-:'i-vis de rambassadeur. (]eliii-ci avait fait
dcmandei" une audience an Kiahia liey ])our.se
plaindre de ce que le château de Scio avait tiré
sur l'escadre française en proiéf^'^eant des j)irates
cjui ne niéniaieni aucun asile. 1 .e niimstre turc,
sans répondre sur ce ^rief. dit à M. de (juille-
ragues que le vizir avaii bien de la peine à arrê-
ter les premiers effets de la colère du (irand
vSeig'neur, qui voulait tirer une vengeance terrible
du sang- musulman répandu , des mosquées
dégradées, de la forteresse et de plusieurs mai-
sons de la ville endommagées ; qu'il lui conseillait,
en ami. d'offrir une grande somme pour réparer
le mal. afin d^essayer de sauver sa vie et celle de
tous les Français du Levant.
L'ambassadeur n'en prit pas l'alarme, assu-
rant qu'il croyait ne courir aucun danger à Con-
stantinople, le Grand Seigneur étant juste, le
vizir prudent et la puissance du Roi, son maitre,
trop formidable pour qu'on osât l'offenser; qu'au
reste, s'il y avait des dommages à payer à Scio,
cela regardait les Tripolins.
Cependant M. Duquesne continuait de blo-
quer l'île, et cette situation inquiétait beaucoup
Cara-Mustapha. 11 voulut tenterlui-méme d'intimi-
SUR L'AMBASSADE DE TL:R(^)U1E. 9-5
derAl. deGuilleragues etilTinvita aune audience
à la Porte. Ce ministre turc, ayant débuté de la
même manière que le Kiahia Bey, reçut de l'am-
bassadeur la même réponse, ce qui le mit en
fiireiu-. 11 maltraita de paroles AI. de Guilleragues
et le menaça des Sept-Tours; puis il le mit aux
arrêts dans ime chambre voisine, et cette détention
dura trois jours, intervalle qui fut employé à négo-
cier. Enfin il lui arracha la promesse d'un présent,
sur la valeur duquel on se débattit longtemps.
L'ambassadeiu- huit par le promettre d'environ
200,000 livres, et Louis XIV l'approuva par égard
pour le commerce de ses sujets. AI. de Bonac,
qui l'écrit, y applaudit sur le motif que Louis XIV
demeurait libre d'avouer ou non son ambassadeur;
au lieu qu'engagé par la résistance de ce ministre,
ce monarque n'aurait pu reculer. Tirer vengeance
n'eût pas été bien difficile. M. Duquesne qui était
piqué au jeu, ne demandait que dix vaisseaux
de ligne pour forcer les Dardanelles et faire
avoir à Al. de Guilleragues pleine et entière
satisfaction. 11 est d'ailleurs très-probable que
Gara Mustapha n'aurait osé commettre des vio-
lences qui auraient justihé les voies de fait aux-
quelles M. Duquesne pouvait se porter contre les
sujets ottomans, et que la fermeté de l'ambassa-
deur aurait triomphé de la férocité du vizir.
^4 M I M<H|{|
Ce premier iiiiiiisti-e :iv;iit :ippris (rXhmed
Iviipiiili, son pr-édéccssciir, l:i maxime tie (aiie
siieeécler une guerre à une auire.
La trè\ e (le \ini_;( ans eotu lue après la bataille
de >aint-( joihard allait limr, et la cour de Vienne
demandait a la renouveler: mais le vizir s'y refusa.
H ne voulut pas même en attendre re\|)iration. ei
il eommeiK.a à renlreindre en tourmssani lui
corps de six mille hommes au comte de 1 ékéli,
chef des rebelles de Hongrie. I, 'année suivante,
i6}^, jetant tout à fait le masque, il marcha lui-
mcMiie à Ikdgrade à la tète d'une armée de deux
cent mille hommes.
L'Empereur Léopokl ne s'était pas attendu à
cette brusque rupture et il l'ut pris au dépour\u.
Le duc de Lorraine, son général, rassembla
quelques troupes à la hâte, se bornant, à la tète
d'un corps volant à observer et à retarder l'enne-
mi devant lequel il recula jusqu'à Vienne, où le
vizir mit enfin le siège.
On convient généralement que cette capitale
de LAumche aurait succombé, si les attaques
avaient été poussées vivement ; leur mollesse
occasionna dans l'armée musulmane des mur-
mures dont Cara Mustapha ne s'émut pas. Can-
témir prétend que ce ministre ambitieux, aveuglé
par la bonne fortune, avait formé l'extravagant
SUR LAMBASSADE DE TURQUIE. 95
projet de se réserver la souveraineté de FAlle-
magne, dont il ne croyait pas la conquête dou-
teuse, et qu'il voulut ménag-er Vienne comme
destinée à sa résidence. Quoiqu'il en soit, le Roi
de Pologne Jean Sobieski eut le temps d'arriver
avec ime armée au secours de la place assiégée,
et il eut la gloire de la délivrer, après avoir battu
les Turcs à plate couture. Cette défaite fut poiu-
eux le commencement de seize ans de désastres.
La levée du siège de Vienne décida la Répu-
blique de Venise à se liguer avec Léopold qui la
sollicitait d'entrer dans sa querelle; elle accéda,
en 1684, à l'alliance des cours de Vienne et de
Varsovie.
Louis XIV regardait la continuation de la
guerre de Turquie comme le fondement le plus
sûr de la trêve de vingt ans qu'il venait de con-
clure avec l'Empereur et le Roi d'Espagne ; aussi
voit-on dans les instructions qu'il donna à M. de
Girardin, successeur de M. de Guilleragues à
Gonstantinople, en date du 22 juillet 168^, qu'il
ne songeait qu'à les amuser pour les empêcher de
précipiter leur paix. Il ne voidait même pas accep-
ter le rôle de médiateur dans cette querelle que
dans le cas où cela aurait pu arrêter la paci-
fication ; mais il aurait souhaité voir diminué le
nombre des ennemis de la Porte et l'engager
^6 M f M ( ) I in
;i lin îKCord :ivcf les l'olnti.iis: I:i cession (le
l\:iminicc devait en être le prix: mais elle ne se
trouva pas dis|;osée à ce sacrihcc en faveur d'iin
ennemi cpii n'ot'ciipait ([ii'iine bien petite partie
de ses I orées.
II tren était pas de même en Hongrie, où le
duc de Lorraine venait de f^agncr la bataille de
(iraii : la prise de Neulueusel, avait été le fruit
de la victoire. D'un autre enté, les \ énitiens,
sous la conduite de Morosini, entamèrent la Mo-
rée dont la conquête valtit à ce général le titre
de Pcloponcsiaqiic.
La triple alliance s'accrut d'une nouvelle
puissance, en 1686, par l'accession de la Russie.
Elle fit marcher une armée en Crimée; mais ses
mesures pour les subsistances furent si mal prises
qu'il fallut rebrousser chemin avant d'avoir atteint
la presqu'île. Cet échec encouragea les Tartares
qui firent, l'année suivante, une incursion en
Ukraine ; à la vérité ils y furent battus, et cette
province se trouva préservée de leurs ravages.
L'armée se mutina au camp de Belgrade et se
dirigea sur Constantinople. Cantémir prétend que
le Sultan, dans l'espoir de se maintenir par l'ex-
tinction de tous les rejetons de la maison otto-
mane, voulait sacrifier ses frères et ses enfants, et
que le Kizlar Agassi en avertit le muphti , qui empé-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 97
cha ce forfait. Il fut détrôné et remplacé par son
frère Soliman, second du nom. Ce prince avait
vécu étroitement renfermé, pendant quarante ans
qu'avait duré le règne de son aîné, et c'était trop
tard pour apprendre à gouverner. Sous im tel
règne la chute de l'empire ottoman semblait iné-
vitable, lorsque la guerre éclata en Europe par
la ligue d'Augsbourg, conclue contre la France,
l'année précédente.
Le comte Tékéli, seigneur hongrois, avait
épousé la veuve de Rakoczy, lequel était mort
prince de Transylvanie. Ce comte, luthérien de
religion, vexé par le gouvernement intolérant de
l'Empereur Léopold, s'était mis à la tète de ceux
de ses compatriotes qui s'étaient armés pour la
même cause. On a vu que la Porte l'avait secouru
d'un corps de troupes en 1682. Depuis lors il
avait suivi le sort des armes ottomanes, tantôt
favorisé des vizirs, tantôt opprimé par eux, au
point d'être mis aux fers. Il soutenait son parti
au travers de ces vicissitudes. Louis XIV crut
avoir en lui l'instrument d'une diversion qui occu-
perait la cour de Vienne, et il lui fit passer à
divers temps des secours pécuniaires. Ricaut,
écrivain contemporain, prétend qu'un marquis
de Persan, Français, commandait un corps de
six mille hommes de sa nation au service de
7
,jH M KM (J IKK
1 ckcli. ^ 'C fait n'ot ( onlirnic par aïKiin docii-
incnt de ce icnips; en supposant l'existence de ce
corps, Louis XI\' en supportait sans doute les
Irais; bientôt ce prime n'eut plus de mesure à
^artler, et 'lékéli tut plus ouvertement assisté.
M. de (jirardm i-eçui en même temps l'ordre de
représenter vivement au ministre ottoman tout
l'avantage qu'il pourrait retirer de la diversion de
la France, s'il Taisait contre rennei7ii commim
des efforts de courage et d'activité. Mais le vizir
abattu par la victoire que le prince Louis de Pjade
venait de remporter sur im corps de quinze mille
Turcs, était bien loin d'avoir l'énergie nécessaire
à sa position. On lit dans une dépêche de l'am-
bassadeur, du 28 août 1688, que ce ministre otto-
man ne lui dissimula pas qu'il profiterait de la
circonstance pour tâcher d'obtenir la paix. Il fit
partir en effet deux plénipotentiaires pour aller
la demander à Vienne. Us traversèrent le camp
de l'Électeur de Bavière, qui venait d'emporter
Belgrade l'épée à la main et avec lequel ils vou-
lurent entrer en matière, u Adressez-vous, leur
dit-il, aux ministres de l'Empereur dont je suis
le général. »
Les instructions de Louis XIV à M. de Chà-
teauneuf, successeur de M. de Girardin, en date
du 20 mai 1689, offrent le tableau des dispositions
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 99
militaires de la France. L'ambassadeur avait
ordre de l'exposer à la Porte et d'y démontrer
que les Impériaux seraient trop occupés par les
armées françaises pour employer de grandes
forces en Hongrie, où les généraux turcs pour^-
raient aisément secourir Temeswar, Canise et
Varadin, et reconquérir une partie des places
qu'ils avaient perdues dans le royaume. M. de
Châteauneuf devait aussi présenter la convenance
d'un accommodement séparé entre la Porte et la
Pologne, ainsi que la nécessité d'encourager le
comte Tékéli, ce dont la circonstance de la mort
d'Apafy, prince de Transylvanie, offrait le moyen,
en élevant le comte à cette dignité.
Dans le cas où le grand vizir promettrait de
suspendre la négociation de la paix, à la condi-
tion que la France prendrait l'engagement de
continuer la guerre, l'ambassadeur était autorisé
à assurer que le Roi ne s'accommoderait point
avec ses ennemis, sans donner le temps à la Porte
de le faire de son côté avec avantage.
Jacques II , Roi d'Angleterre , venait d'être
détrôné parle prince d'Orange, son gendre, élevé
à cette couronne, sous le nom de Guillaume 111.
Louis XIV qui soutenait Jacques prescrivit à
M. de Châteauneuf de détourner la Porte de
reconnaître son rival. Elle balança quelque temps,
,oo ^1 I M 'J I H I .
niiiis suivit le lorrcnt lorscjircllc vit ( 1 iiill:iiinic
solidcinciu assis.
I ,cs (Icf'aircs (les liircs se siiiv:iicnt rapide-
ment : rarniée ottoniinie lut battue ()rès de Nissa,
|)end:mt l;i e;iin|):i<;iie de 16M9, et M. de (Ihàleau-
neuT qui ;irrivait pour prendre audience du
^n-and vizir, le trouxa cjui reculait sur Sofia. Les
troupes étaient si eirarouchées, que ce ministre
fit recommander aux interprètes de l'ambassadeur
de ne parler qu'en turc dans le camp, de peur
d'y porter l'effroi, si leur langag'e étranger les y
faisait prendre pour des Impériaux. Heureuse-
ment ceux-ci s'arrêtèrent d'eux-mêmes et ne
poussèrent pas plus loin leurs progrès cette
année-là. 11 est certain qu'ils n'avaient qu'à mar-
cher en avant pour faire des conquêtes.
Malgré la diversion de la France, l'empire
ottoman semblait toucher à sa fin, lorsque Mus-
tapha Kupruly, frère d'Ahmed et fils de Méhémet
du même nom, fut élevé au vizirat. C'était un
homme ferme, animé, peut-être même fanatique,
mais dont l'énergie ou si l'on veut l'enthousiasme,
pouvait seul sauver son pays. Tout changea sous
ce nouveau guide ; il releva le courage abattu de
la milice et employa en préparatifs de guerre ce
qu'il fit rentrer dans le trésor de l'État des
extorsions de ses prédécesseurs. En même temps
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. lor
il rappela de Vienne les plénipotentiaires turcs
qui y sollicitaient la paix, taxant hautement cette
démarche de lâcheté et de trahison. Il commença
la campagne de 1690 avec une armée puissante
et pleine, pour son chef, d'une confiance qu'il
justifia en prenant d'emblée plusieurs places en
Servie et en remportant une victoire sur le géné-
ral Heusler, qui fut fait prisonnier. Le vizir pro-
fita de cet avantage pour nommer et établir
Tékéh prince de Transylvanie. On a vu que
c'était le vœu de Louis XIV ; dès qu'il fut informé
de cette disposition, il fit partir M. de Ferriol,
pour résider auprès du nouveati souverain. Mais
son règne fut de courte durée. Le prince de
Bade marcha contre lui et le chassa de la pro-
vince.
Malgré cet échec, les trophées de la campagne
furent pour les Turcs, en Hongrie, ainsi qifen
Pologne. Les Vénitiens reperdirent Janina et la
Valone en Albanie; mais ils se soutinrent en
Morée, et ils eurent l'avantage dans une action
navale.
Soliman II mourut au commencement de
1691. On voit dans C^antémir combien peu les
principes sur la succession au tronc ottoman sont
fixés. Selon cet auteur contemporain , le plus
grand nombre des gens en place désiraient lu
102 MI.MUIHK
rétablissement de Méliéinei IV, ou l'élévation de
son lils aîné; niais Kupnilv (|ni a\ait pris part au
détrùnenieni de Méhémet , ne voulait m de luini
de son (lis, et il porta au trùne Ahmed, frère
cadet de Soliman.
I ,a cam|Kij^'^ne de 1691 annonçait autant de
succès cjue la précédente pour les Turcs: Kupruly
avait pris Ijclgrade, et ayant donné bataille le
19 août, à SlankaiTien, il paraissait sûr de la vic-
toire, lorsqu'un coup de fusil l'atteignit à la tempe
et le tua roide. Sa mort découragea les troupes
et leur arracha la palme des mains. On peut
dire de ce vizir qu'il est le dernier des Turcs,
comme Brutus le fut des Romains.
L'impression que sa bonne conduite avait
donnée des ressources de l'empire ottoman lui
survécut. L'Empereur Léopold, inquiet des suc-
cès de la France contre les alliés, chercha à se
débarrasser de la guerre de Turquie pour porter
toutes ses forces contre Louis XI\'. Cet Empe-
reur fit passer pour cet objet à Constantinople,
le comte de Marsigli, lequel offrit à la Porte de la
part de son maître de renoncer à la Transyl-
vanie et d'abandonner les Vénitiens. M. de Chà-
teauneuf en faisant ce rapport ajoute que le
muphti et l'aga des Janissaires, qu'il avait gagnés,
firent refuser cette proposition avantageuse. Elle
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 103
montre, dirent-ils, l'embarras de la cour de
Vienne et c^est le cas de faire contre elle de
nouveaux efforts. Au lieu de cela, le successeur
de Kupruly se tint en repos pendant la camjDagne
de 1692, qui fut inactive, l'Empereur n'ayant
adopté qu'un plan de défensive de ce côté.
L'Angleterre et les États généraux ses alliés
le confirmèrent dans cette disposition par l'offre
qu'ils firent à la Porte, l'année suivante, de leur
médiation entre elle et la cour de Vienne à des
conditions modérées. On en attribua en Europe
le refus aux intrigues de M. de Châteauneuf, et,
dans le mémoire qu'il remit au Roi quelques
années après, il prétend en effet avoir réussi à
intéresser l'orgueil ottoman, à rejeter les propo-
sitions susdites.
Il est tout simple que Louis XIV prît pour la
continuation de la guerre turque, les mêmes soins
que les alliés pour la terminer. Malgré le peu
d'effet des armes ottomanes, elles ne laissaient
pas de retenir en Hongrie une partie des forces
de l'Empereur, et c'était autant de moins en
Flandre, sur le Rhin et en Italie.
Le parti de continuer la guerre ayant ainsi
prévalu, le grand vizir Mustapha l\icha qui com-
manda l'armée ottomane en Hongrie pcndaiu la
campagne de 1694, força les Impériaux à lever
I04 MIMOIRK
le siège (le l'el^T.'icle : c'est tour ce qui s'y pass:i
(le considérable. I ,a inoct du Siilian Ahmed II, en
i6y5, plaça swr le tiNiiu-, Mustapha II, his aine
de Méhéniet l\ , mort récemment dans sa prison.
I .a conduite du nouveau Sidtan dans l'à^e de
la viyiieui' parut d'aboixl annoncer qu'il en a\ait
dans le caractère. Il déclai'a c|u'n commantlei'aii
lui-même son armée, et cette résolution contri-
bua à la rendre plus nombreuse et phis animée;
mais soit impéritie, soit fond de mollesse que
iVlustapha ne développa que trop dans la suite,
il n'entreprit rien d'important en 1695 et en 1696,
se contentant de quelques légers avantages que
les Impériaux ne lui disputèrentguère. Ils avaient
adopté un système de guerre défensive en Hon-
grie et ils ne s'en écartaient que malgré eux.
Le grand effort des \'énitiens en 1696, s'exé-
cuta par mer. Ils firent tm armement considérable
et attaquèrent file de Scio, dont ils s'emparèrent.
Après ce succès, leur amiral se présenta devant
Smyrne, d'où les représentations des consuls des
nations européennes, et surtout de celui de
France, parvinrent à l'éloigner en lui montrant le
danger et le dommage que les Francs éprouve-
raient dans cette ville s'il en faisait l'attaque, et
ils Itii signifièrent qu'il en répondrait à qui de
droit. Le général vénitien céda, sans trop savoir
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 105
pourquoi, à ces remontrances, et ramena sa flotte
à Corfou. Trois mois après les 1 urcs reprirent
Scio, mais ils perdirent la ville d'AzoF, conquise
par Pierre le Grand. Cette même année, mourut
le Roi de Pologne, Jean Sobieski, dont la mort
ouvrit la lice à la concurrence des candidats à sa
couronne. Louis XIV avait dessein de la procurer
au prince de (]onti et M. de Châteauneuf eut
ordre de demander pour lui des secours à la
Porte. Cet ambassadeur prétend dans son mé-
moire que le ministre ottoman lui offrit vingt
mille Tartares. Ce n'était pas assez pour contre-
balancer les moyens d'Auguste, Électeur de
Saxe. Le plus grand nombre des voix et le Primat
furent, à la vérité, pour le prince français qu'on
proclama le 16 juin 1697, mais deux heures
après l'Electeur fut aussi proclamé par son parti
que présidait l'évèque de Cujavie. Des courriers
furent expédiés aux deux élus. Auguste, qui était
le plus près, arriva le premier, signa les Pacta
convcnta et se fît couronner à Cracovie le i ^ sep-
tembre. Le prince de (^onti ne parut que le 26 du
même mois siu- la rade de Dantzick, et voyant
que son parti s'aflaiblissait, il revint en France
six semaines après.
Mustapha 11, qui n'avait presque pas vu
d'ennemis pendant ces deux premières cam-
lo6 M f MOIR l-,
j);if4iics, L'u (Ic\iiit plus li;ii-(li l:i iioisièmc. Mal-
hcurciiscniciit pour lui l:i piiix (|ui se traitait à
Kyswick ht cni|)l()yci" eu licjiigric le prince
I^u^ène pour y coiiiniatulci- l'armée impériale,
(^cst ce général (pie le Sultan eut en lète à la
bataille de Zetiia, le i i septembre 1^97. L'armée
otlomatie voului repasser la ri\iôre devant
reiinemi, cpn l'attaqua lorscpie le mouvement dit
lait à demi. 1-a |)ariie de l'armée cpii demeurait
exposée, se souleva contre ses chefs et massacra
tous les pachas, à commencer par le g^rand vizir.
Les Impériaux eurent bon marché des soldats
dont la plus grande partie fut tuée, noyée ou
prise. Mtistapha abandonna le reste de l'armée
qui n'avait pas combattu et alla à toute bride se
réfugier à Temeswar. Les troupes ottomanes se
replièrent en désordre sur cette place et ne
furent pas potirsuivies.
Le Sultan, las de cette guerre désastreuse,
donna le sceau de l'empire à Hussein Kupruly,
fils du vizir de ce nom, conquérant de Candie.
Hussein n'avait pas hérité de l'énergie de son
père, et il ne s'occupa que du rétablissement de la
paix. C'était le temps d'y songer 5 en effet, la
France ayant fait la sienne, ce que le vizir
regarda comme ime défection. M. de Château-
neuf écrivit à Louis X\\ qifil trouva Kupruly
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 107
persuadé que la France avait un engagement
avec la Porte de ne point finir la guerre avant elle
et qu'elle l'avait violé.
Les raisons qui avaient engagé les puissances
maritimes à se rendre médiatrices entre l'empire
ottoman et ses ennemis, subsistaient malgré la
pacification de R3S\vick, parce qu'on prévoyait
que le décès prochain du roi d'Espagne, Charles II,
ferait bientôt reprendre les armes qu'on venait
de quitter. Les alliés, et siu-tout l'Empereur,
voulaient être libres d'autres soins lors de cet
événement. Cantémir a écrit que l'ambassadeur
de France fit de vains efforts pour croiser la
négociation de paix que mylord Paget, ambassa-
deur delà Grande-Bretagne, et le comte Collier,
ministre des Fltats généraux, terminèrent heu-
reusement à Carlowitz, au commencement de
1699. La Porte y obtint des conditions tolérables
pour sa situation, malgré le sacrifice qu'elle dut
faire aux Polonais, de Kaminiec avec laPodolie;
aux Russes, d'Azof ; aux Vénitiens, de la Morée
et aux Impériaux, de la Transylvanie. Pierre F'
voulut avoir le port de Kerch en Crimée, sur le
détroit de Taman, entre la mer Noire et les
Palus Méotides, mais les Tiuts tinrent ferme à
refuser cette cession. Cette demande dut dès lors
leur faire pressentir ce qu'ils auraient à craindre
io8 M I M(Jl li K
Cil lui (l()tiii;mt |)ic(l sur l:i mer Noire. ( !c prince
:i\:iii [)i -piirc, ;i Xoioneiy, réialjlissemeni d'une
iiKinne militaire : une frégate de ti"enie-huil
canons parut d'A/ol, en 16^9, jîour condinre à
( !o,istantinople un envoyé de Russie. La Porte,
|)ré\eniiede cette e\j)édition, eiuoya une escadre
de cpiatre vaisseaux au détroit de 1 aman pour v
attendre la I régate. Le commandant turc pr(jposa
an ministre de le pi*endre à son bord, mais il s'en
excusa sur l'ordre qu'il avait de son maître de
poursuivre sa route sur le bâtiment oli il était
embarqué. Le commandant turc prit alors le
parti de le suivre à vue jusqu'au canal de (^on-
stantinople. La mer de Zabache avait alors, sans
doute, plus de profondeur qu'aujourd'hui, puis-
qu'une frégate de trente-huit canons pouvait y
naviguer. Les sondes ne donnent à présent au
détroit de Taman que quatorze pieds de fond et
dix près de Taganrock avant d'être à Azof : ce
qui n^'est pas suffisant pour un navire de cette
force.
Charles II mourut en i -00 et appela à sa suc-
cession le duc d'Anjou, qui prit le nom de Phi-
lippe V. On sait que LEmpereur Léopold la pré-
tendit pour ses enfants, du chef de sa mère,
sœur du feu Roi d'Lspagne, en vertu de la renon-
ciation de Louis XIV en épousant l'infante aînée;
SLR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 109
mais ce qu'on ignore et qu'on ne trouve que
dans les dépêches de M. de Châteauneuf, c'est
que le Roi de Maroc se mit aussi sur les rangs et
demanda au Grand Seigneur des vaisseaux et des
troupes pour l'aider à s'emparer de l'Espagne.
C'était sans doute à titre d'héritier des princes
maures qui y avaient régné jadis. On juge bien
que la Porte n'y fît aucune attention. La gtierre
recommença entre la France et les alliés qui
venaient de poser les armes à Ryswick : le Roi de
F^ortugal se joignit bientôt à eux. M. de Ferriol,
successeur de M. de Chàteaimeuf, eut ordre
alors d'exciter les Turcs à rompre avec la cour
de Vienne en portant leurs armes en Hongrie;
mais le Sultan était dégoûté de la guerre dont il
avait fait un fâcheux essai. D'ailleurs, ime rébel-
lion le précipita du trône au mois de septembre
1702, événement rapporté, mal à propos, par le
président Hénault à l'année 1703.
Mustapha eut pour successeur son frère
Ahmed, troisième du nom. Le commencement de
ce règne ne fut occupé qifà punir les rebelles
qui avaient détrôné le précédent Sidtan : poli-
tique constante des princes ottomans, qui sert à
rendre les séditions très-rares en effrayant d'un
sort funeste ceux qui les entreprennetu, quel
qu'en soit le succès.
Il,, M I MOI |{ K
Le f;i";iii(l \i/ir I thorly .Ali l 'aclia clan cruel
sans être l)elli(|ii<;ux : il éviia soif^ncuscmcnt la
l^iierre pendant les riiu| années (jue dura son
niniisière, ei les insinuations de la irance furent
eonsiaiument munies.
On In dans une lettre de M. de Fcrriol à
Louis XIV, que cet ambassadeur s'était efforcé
de démontrer au g-rand vizir que les progrès des
alliés contre la maison de Bourbon méritaient
toute son attention : que l'Lmpereur tomberait sur
l'empire ottoman dès qu'il serait débarrassé de
ses ennemis, et qu'il serait prudent à la Porte de
le prévenir, ou du moins de donner des secours
secrets au |)rince Rakoczy poiu* soutenir le parti
qu'il avait en Hongrie 5 mais qu'Ali-Pacha, se
parant d'une exactitude à l'observation des trai-
tés, que les ministres turcs adoptent ou mécon-
naissent selon qu'il convient à l'intérêt du mo-
ment, se défendit de toute démarche, même
indirecte, qui porterait atteinte à la paix de Car-
lowitz. On voit dans une belle et sage réponse de
Louis XIV à M. de Ferriol, comment cet ambas-
sadeur avait combattu la prétendue délicatesse
du ministre.
0 Quoique vous connaissiez, écrit le mo-
narque, l'utilité de cette diversion et ce qu'elle
pourrait pour le bien de mon service, vous devez
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. m
prendre garde aux maximes que vous employez
pour engager les Turcs à recommencer la
guerre. Il ne convient guère que les infidèles
soutiennent que leiu' loi ne permet point de man-
quer à leurs engagements sans une cause légi-
time, et que mon ambassadeur dise que les
prétextes suffisent et qu'il faut être homme avant
de remplir les obligations de la loi. Outre l'avan-
tage que l'on donne par de tels principes à une
nation barbare, on ne persuade guère des gens
qui se piquent d'exactitude dans l'observation de
leur parole et qui d'ailleurs sont bien aises
d'avoir un prétexte pour excuser le désir qu'ils
ont de rester en repos. »
Le refus de la Porte d'aider Rakoczy n'em-
pêcha pas le Roi de faire quelques efforts pour le
soutenir. M. de Ferriol prétend qu'on s'y prit
mal et que le prince lui-même se dirigea sur un
mauvais plan. Il aurait dû, écrit cet ambassadeur,
commencer par offrir à la Porte la suzeraineté
de la Transylvanie et le même tribut que lui aurait
payé Apafy : « Les hommes, ajoute-t-il, ne
manquent pas à Rakoczy; il en eut jusqu'à
quatre-vingt mille sous ses drapeaux; mais ils
n'étaient pas soldats, et ayant demandé au Roi
un officier général, M. le comte Des Alleurs fut
choisi pour cette commission. Au lieu de llatter
112 M fMOlK K
les Hon^M-ois et (le les hiisscr conihrittrc à leur
nKinièie, selon l'ancien iis:i^^e de leurs pères, il
s'()l)siin:i :i les réclmre :i une {liscipline dont ils
n'étiiient pas capables, (le n'était pas connaître
les intérêts (In Uoi et du prince Kakoc/v. J'ai vu
avec douleur tomber le parti ([u'on avait formé
et soutenu avec tani de dépenses, dans le temps
qu'on devait en retirer le plus d'avantages. »
Les armées de l^Vance et d'Mspagne étant
battues partout, on devait s'attendre que les
Hongrois mécontenls seraient écrasés : l'Em-
pereur ayant de quoi v employer des forces
suffisantes. Mais la Porte, en bonne politique,
aurait dii entretenir ce levain, et le grand Soli-
man n'y aurait probablement pas manqué en
pareil cas. Il était au-dessus de sa nation, et il se
trouve peu d'hommes en Turquie qui surmontent
les préjugés fanatiques qui font regarder tous les
chrétiens comme ennemis.
Un événement inattendu vint enfin déranger
le système pacifique d'Ali Pacha. Charles XII,
Roi de Suède, après la bataille de Pultawa
en 1709, où Pierre le Grand demeura vainqueur,
vint chercher un asile en Turquie. On crut
d'abord que ce prince ne ferait qu'y passer pour
se rendre ensuite dans ses Etats, et M, de Fer-
riol eut ordre de lui offrir un million comptant et
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 113
une escadre de six vaisseaux de ligne pour le
transporter en France. Charles, quoique pressé
d'argent et en tirant des Turcs tant qu'il pouvait,
n'accepta point cette offre généreuse et écrivit
en réponse à l'ambassadeur, le 7 janvier 171 1,
« d'assurer Sa Majesté très-chrétienne de la par-
faite estime et amitié qu'il lui porte et du désir
qu'il a de pouvoir lui en donner des preuves
certaines. "
Le but du Roi de Suède était d'armer l'em-
pire ottoman contre celui de la Russie et d'aller
à la tête des Turcs combattre son ennemi ; pro-
jet auquel le vizir était fort contraire. Dans lem-
barras où le mettait ce prince, on assure qu'il tenta
de le faire empoisonner. Les agents suédois l'ac-
cusèrent hautement de s'être laissé corrompre
par Tolstoy, ambassadeur de Russie, et ces cla-
meurs secondées par les ennemis nombreux et
puissants d'Ali Pacha eurent assez d'effet pour
provoquer sa destitution.
Nouman Kupruly, cinquième de ce nom dans
le vizirat, lui succéda, mais pour soixante jours
seulement, et le sceau de l'Empire passa pour la
seconde fois à Baltadgi Méhémet Pacha. Le nou-
veau vizir débuta par déclarer la guerre à la
Russie. 11 savait que c'était l'intciniou de son
maître et que Nouman n'avait perdu sa place que
114 Mr.Moirn:
pour s'y être ccdisc. I ,cs nf^cnts de I;i Clour de
Suède avaient l:;it niouvoïc plus de ressorts a la
(]()ur ottoniaue (pic ce iliéatre n'en semble sus-
ccj)tible, sans cej)endanl que Tor lui de la partie:
car ils en niancpiaienr, et l'ambassadeur du O-ar,
dit-on, ne réj)ar^nait pas.
(.domine ni I iiti m l'autre de ces princes n'était
entré dans la grande cpierelle de la succession
d'Kspagne qui agitait encore l'Huropc, on ne voit
pas distincrcnient quels motifs avait Louis XI\'
de s'intéresser au monarque suédois. 11 est
cependant certain que M. de Ferriol agit en sa
faveur à la Porte et que le comte Des Alleurs, son
successeur, venant de Pologne à Constantinople,
se détourna pour aller visiter Charles XII à Ben-
der. Le mémoire de M. de Bonac dit que M. Des
Alleurs, séduit par l'affabilité de ce prince, devint
son zélé partisan; mais les affections d'un am-
bassadeur ne régissent pas ses démarches, et il
faut conclure de celles de AL Des Alleurs qu'il
suivait ses instructions.
Theils, interprète de l'ambassade des Ltats-
Géméraux à la Porte, qui a écrit les mémoires de
ce temps, prétend avoir eu entre ses mains la
copie d'un traité d'alliance conclu à Bender en
1710, entre Charles Xll et Louis XIV, confirmé
depuis en 171 2. Il attribue à l'effet des intrigues
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 115
de l'ambassadeur de France la première rupture
qui survint en 171 1 entre l'empire ottoman et la
Russie, et celle qui suivit en 171 3. Mais il n'est
pas croyable que ce traité, s'il avait existé, eût été
inconnu au marquis de Bonac, qui n'en fait aucune
mention, et on n'en trouve le texte nulle part.
Lorsque l'armée ottomane partit pour la cam-
pagne de 171 1, un drogman de France, nommé
La Périère, accompagna le grand vizir. On voit
aux archives de Constantinople, dans la corres-
pondance de cet officier, im plan de l'affaire du
Pruth avec des détails intéressants qui ont
échappé à M. de Voltaire. Mais rien n'indique
que Baltadgi Méhémet Pacha ait été gagné par
les dons du Czar. Ce prince n'obtint la paix que
parce qu'im grand vizir est toujoin-s pressé de
finir la guerre, lorsqu'il le peut avec avantage :
sa fortune et sa vie dépendent constamment des
événements militaires. La cession d'Azof à la
Porte lui parut assurer l'un et l'autre. 11 est vrai
qu'il s'y méprit et que, d'im côté le retard de la
remise de cette place, de l'autre les intrigues des
Suédois, causèrent bientôt sa déposition. Pelles
occasionnèrent encore celle des deux vizirs qui
le suivirent. (Cependant Charles XII ne réussit pas
à renouveler la guerre entre les deux Empires.
Sans son obstination à refuser de se trouver en
i,r, M I MOIK K
lieu tiers nvcc le grand vi/.ir Ismiul Pacha bien
imciitioiiiic pour sa cause, et duquel il exigeait
de venir à Dé-niotica, où il gardait le lit par pure
siniagrée, pciit-ôtrc serait-il parvenu à son but.
Le comte Des Alleurs s'y rendit j)our engager le
monarque à se d jsister de cette vaine prétention,
mais sans aucun succès. M. de P)onac dit cjne cet
ambassadeur en fut assez, piqué pour se détacher
des intérêts du Hoi de Suède, cpii ne tarda pas de
partir incognito pour retourner dans ses I:tats.
La France par les traités d'Ltrecht et de Ras-
tadt se trouvait alors en paix avec toute l'iùirope.
On trouve dans les mémoires du marquis de
Saint-Philippe une anecdote de ce temps assez
singulière. Lorsque l'Empereur Charles W eut
abandonné les Catalans révoltés, et qu'ils se
virent près d'être forcés à rentrer sous l'obéis-
sance de Philippe V, ils offrirent au Grand Sei-
gneur la suzeraineté de leur province pour être
maintenue sous sa protection en forme de Répu-
blique : idée chimérique qui siirement ne fixa pas
l'attention du ministre ottonian, mais qui prouve
l'obstination de ce peuple rebelle.
La Porte s'occupait alors de reprendre la
Morée aux Vénitiens. M. de Chàteauneuf avait
écrit dans son mémoire au Roi que tôt ou tard les
Turcs reviendraient contre la cession de cette pro-
SUR L'AMBASSADE DK TURQUIE. 117
vince dont la perte leur tenait à cœur, tant pour
l'injustice de l'invasion qui en avait été faite par la
République, en 1684, que parce qu'elle est un
point central entre l'Archipel^ l'Albanie et la
Macédoine. L'exemple de cette infraction au
traité de Carlowitz sert de preuve à ce qifon a
dit plus haut contre la prétendue fidélité des
Turcs à leurs engagements.
Lorsque la rupture éclata, l'humanité du
comte Des Alleurs l'intéressa au sort du Baile de
Venise, mis en prison aux Sept-Tours, et à celui
de quelques nobles Vénitiens faits esclaves en
Morée. Ses offres en leur faveur lui attirèrent
du vizir des reproches de partialité pour les
ennemis de la Porte. « Quelle apparence, répon-
dit cet ambassadeur au sieiu- Brué, son drogman,
qui suivait le camp ottoman, que j'aie de pareils
sentiments pour une République brouillée avec
nous, depuis quinze ans. »
En effet, sa neutralité dans l'affaire de la suc-
cession avait perdu les affaires des deux cou-
ronnes en Italie.
L'alliance de 1684 l'avait dévouée à l'Empe-
reur; c'est en exécution de cet engagement que
ce prince, ayant tenté vainement de ménager un
accommodement, déclara la guerre à la Porte.
Le prince Eugène battit sous l^etervaraditi, en
n « M F". M O I R F.
iyi6. le ^r:m(l \i/ir Ali l'iiclia, (jiii y fut tiij.
Dans le iiicinc icnips une autre armée turque
échoua au sic^^etle (lorlou, défendue par le géné-
ral Scluilembour^. L'année sui\ante, le nouveau
vizir lut défait sous Belgrade qu'il venait secourir
et qui succoiidKi. 1 ant de désastres ramenèrent
la paix qui se lit en i^iH, à Passarowit/, par la
médiation de l'ambassadeur de la ( jrande-i>re-
tagne et de l'ambassadeur des Ktats-Généraux.
Il en coûta à la Porte le banat de Temeswar et
une partie de la Servie et de la \'alachie, mais
elle conserva la M orée.
Les instructions du marquis de Bonac, succes-
seur du comte Des Alleurs, en 1716, lui prescri-
vaient de tendre à la continuation de la guerre
entre la Porte et l'Empereur, de crainte, disent-
elles, que le retour de la paix ne mît ce prince à
même de troubler le repos de la France.
Le grand vizir Ibrahim Pacha répondit à cette
insinuation par la proposition d'un concert de
mesures entre la Porte et la France ; mais l'am-
bassadeur objecta que les embarras de la mino-
rité de Louis XV ne permettaient pas de se livrer
à des entreprises hors de l'État.
Pendant le cours de la négociation de Passa-
rowitz, le cardinal Albéroni, devenu premier mi-
nistre de la ("our d'Lspagne, avait formé le pro-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 119
jet de réunir à cette couronne tout ce qu'elle
avait cédé en Italie par le traité d'Utrecht. En
même temps qu'il iît attaquer les îles de Sar-
daigne et de Sicile, il chercha à causer de l'em-
barras à l'Empereur en Hongrie en y relevant le
parti de Rakoczy.
Ce dernier avait assuré la Cour de Madrid que
la Porte lui donnerait trente mille hommes pour
son rétablissement dans la principauté de Tran-
sylvanie. On ne sait si les promesses du grand
vizir en attirant à Constantinople Rakoczy, réfu-
gié en France, avaient été réellement jusque-là.
Quoi qu'il en soit, Albéroni le crut, et expédia le
sieur de Boissimène, colonel au service d'Espagne,
que le prince hongrois présenta au grand vizir.
Cet officier lui dit être autorisé à faire à la Porte
l'offre de la médiation de sa Cour, pour une paix
séparée entre la République de Venise et l'empire
ottoman, ainsi qu'à proposer un concert de me-
sures pour le secours des mécontents de Hon-
grie, à qui l'Espagne s'engageait à faire passer
des armes et de l'argent.
Ibrahim Pacha réphqua sommairement qu'il
ne refusait point une réconciliation avec les Vé-
nitiens sur un pied raisonnable; quant aux Hon-
grois, qu'il s'en expliquerait dans la réponse qu'il
ferait à la (]our de Madrid; Boissimène la reçut
I20 Ml, MOIUK
et paiiit. La paix s'ciaiu laiic peu après à Passa-
rowit/, cette ouverture n'eut aucune suite et
Kakoc/y, abandonné par la Porte, en obtitit seu-
lement (le quoi subsister juscpTa sa inorr, arrivée
en 173 5. I -c marquis de lionac. qui s'en tenait à
ses instructions et qui, pendant le ministère du
cardinal Dubois, ne recevait presque jamais
réponse à ses lettres, paraît n'avoir pas saisi ce
que la mission de Boissimène avait alors de con-
traire aux vues de la France, qui entra l'année
d'après en guerre avec l'Espagne.
Cet ambassadeur dit, dans ses mémoires, avoir
longtemps, avant son ambassade de Turquie,
conçu l'idée de l'utilité d'une étroite alliance
entre la France et la Russie; mais il ajoute qu'il
y trouva de la répugnance dans le ministère de
Louis XV, qui suivait les errements de son pré-
décesseur en faveur de la Suède, et que le duc
d'Orléans lui prescrivit, en cas de conflit d'intérêt
entre ces deux puissances, de s'attacher de pré-
férence à ceux de cette dernière auprès des
l\n-cs. Mais la conduite de Charles Xll, chez
eux. leur avait laissé une opinion désavantageuse
de ce prince, et le vizir regardait avec tant d'in-
différence politique la continuation de la guerre
des Suédois et des Russes, qu'il aurait proposé
d'en rendre médiateur le Sidtan, si le marquis de
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 121
Bonac ne lui eût observé combien il était dange-
reux que Pierre I''^, débarrassé de Charles XII, ne
revînt sur l'empire ottoman. « Ce ne fut, dit
xM. de Bonac, que par une espèce de complai-
sance qu'on me permit en France de m'occuper
de notre réunion avec la Russie, d Cet ambassa-
deur en trouva bientôt l'occasion. La révolte des
Agwans contre la Perse ayant été suivie de la
subversion de cette monarchie, le czar voulut en
profiter pour s'approprier les provinces persanes
le plus à sa convenance. Il entra pour cet effet
dans celles de Chirvan et de Guilan, où il fit plu-
sieurs conquêtes.
On fit g-rand bruit à Constantinople de cette
usurpation sur une puissance musulmane, et le
grand vizir se vit obligé par le cri public de
s'opposer aux progrès ultérieurs de la Russie
dans cette partie de l'Asie. 11 y fit marcher des
troupes qui agirent de leur côté en Perse et se
saisirent de quelques villes. Ibrahim Pacha répan-
dit même le bruit qu'elles avaient eu de l'avan-
tage contre les Russes.
Pierre le Grand, au premier avis de la fermen-
tation que sa levée de boucliers avait excitée à
(Constantinople, craignit que son résident n'eut
été envoyé aux Sept-Toiu-s. Il remit ses dépêches
pour ce ministre à M. de Campredon, envoyé de
M I MOI R K
l'raïKC à Pcicrsboiiry", qui les adressa au iiiar-
cjiiis (le l)()nac. (>ei ambassadeur profita de \\)l-
casioii pour s'insérer dans felLe afîaire de Perse,
et en poiiant paroles aux deux parties tour à
tour, il parvint à établir une nég^ociation dont il
se rendit le médiatein-. (le cpi'il y eut de plus sin-
gulier, c'est qti'il exerça cette fonction sans pleins
potivoirs de sa Cour et qu'on ne lui en demanda
jamais l'exhibition. On sait comment le cardinal
Dubois, alors premier ministre, répondait aux
lettres qu'il recevait. Le marquis de Ronac n'eut
de réponse (pie lorsque la convention était
prête à être signée 5 il fut enfin autorisé à
négocier, ainsi qti'à prendre la qualité de mé-
diateur.
Cet acte consacrait l'agrandissement propor-
tionnel de deux puissances, aux dépens des par-
ties de la Perse, les plus à letir bienséance
respective, et il fut dimient ratifié, mais il n'eut
pas son exécution complète. La mort de Pierre 1'"^,
qui survint, dérangea tout et chacun garda ce
dont il s'était emparé. Catherine 1'% qui succéda
à son époux, était plus occtipée de faire restituer
par le Danemark le Sleswig au dtic d'Holstein, son
gendre, que de suivre les projets de Pierre 5 sur les
représentations qu'on lui fit, sur l'insalubrité des
provinces nouvellement acquises, où une grande
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 123
partie des troupes qui les occupaient périrent,
elle se décida à les abandonner.
Le vicomte d'Andrezel, successeur du mar-
quis de Bonac, qui avait eu ordre de continuer
l'office de médiateur jusqu'à ce que le partage de
la Perse eût eu son entier effet, reçut bientôt
celui, non-seidement de retirer ses bons offices,
mais encore d'apporter tout ce qu'il pourrait
d'obstacles à son exécution. Ce fut l'effet de
l'adhésion de la cour de Pétersbourg- au traité de
Vienne, en opposition duquel s'était formée, entre
la France et l'Angleterre, l'alliance de Hanovre.
Malgré l'autorité du marquis de Bonac en
faveur d'ime étroite union entre la France et la
Russie, on ne peut se dissimuler que l'opposition
des vues des deux puissances relativement aux
Turcs, à l'affaiblissement desquels la seconde
tend constamment, pendant que la première
regarde leur conservation comme un de ses inté-
rêts essentiels, rend impraticable le maintien
constant de l'harmonie entre elles. Cet ambas-
sadeur avait tout à cœur de la fixer, et elle n'a
jamais existé que par moments. S'il y a des
alliances naturelles, nulle ne l'est davantage pour
la Russie que celle de la cour de Vienne et vice
versa; les deux Ftats se trouvant séparés l'un de
l'autre par des voisins puissants.
I 24 M I - M O I l{ K
L:i Porte n'était pas aussi indi<rcrc/uc que les
l< lisses sur ses acquisitions en Perse. \A\c aurait
bien voulu conserver Ardebil, lauri/, liamadan,
et (Tauires |)laces moins considérables dont elle
s'était emparée. (>'est ce qu'elle obtint aisément
de Mir h^chref, chef des Ag-\vans, en lui promet-
tant des secours pour achever la conquête de la
Perse. (>'était le successeur de Mir-Mahmoud,
usurpateur du trône des Sophis et destructeur de
leur dynastie. Il s'en était cependant sauvé un
rejeton dans la personne de Chah Thamasp, fils de
Chah Hussein, dernier roi de cette famille. Le
parti de ce jeune prince prenait de la consistance
par les talents de Tahmas Koidi Khan, son géné-
ral, et inquiétait Mir Echref; il en vint à une
action où Chah Thamaspprit tout à fait le dessus
dans son royaume. Il ne tarda guère d'envoyer
un ambassadeur à Constantinople y réclamer de
sa part ce qu'elle retenait à la Perse; s'étant en
même temps approché de Hamadan, les habitants
de la ville chassèrent la garnison turque. Celle
de Tauriz évacua la place d'elle-même : les Per-
sans, qui la poursuivirent, en passèrent une par-
tie au fil de l'épée et renvoyèrent le reste des
soldats, après leur avoir coupé le nez et les
oreilles. La vue de ces malheureux, qui repa-
rurent en cet' état à Constantinople, excita des
SUR L'AiMBASSADE DE TURQUIE. 125
murmures contre la négligence du gouvernement
à envoyer des secours de ce côté. Pour les apai-
ser, le grand vizir crut devoir faire des dispositions
militaires. 11 forma un camp en Asie vis-à-vis de
la capitale et y conduisit le Grand Seigneur. En
leur absence , im soldat de marine , nommé
Patrona, excita un soulèvement qui s'accrut en
peu d'heures, au point de forcer le Sultan à livrer
ses ministres aux rebelles et ensuite à descendre
du trône où fût placé son neveu Sultan Mahmoud,
fils aîné de Mustapha IL Cet événement survint
en 1730.
Le nouveau souverain avait besoin de la paix
pour étouffer la révolte qui lui avait donné le
sceptre et qui continua après qu'd fut entre ses
mains. 11 fît faire à Chah Thamasp des propositions
d'accommodement; mais Tahmas Kouli Khan ne
voulait pas une pacification qui aurait diminué
son influence sur son maître. 11 méditait dès lors
de le renverser du trône et de se mettre à sa
place. La guerre continua. Les 1 urcs, sous les
ordres de Topai Osman Pacha , remportèrent
d'abord une grande victoire contre les Persans,
mais dans un second combat, ce général 1 ut défait
et tué. Peu après ce succès, Tahmas Kouli Khan,
jetant le masque, s'assit sur le trône sous le nom
de Nadir Chah. Une de ses premières démarches
126 MI.MOIRK
fut cic rcclcmnndcr à la Russie les provinces
persanes, il obtint cette remise sans (lifîiciilté ;
cependant elle ne s'exécuta que deux ans après,
ce prince ayant préféré ce délai cjui lui évitait de
diviser ses forces dont il se servit poin- agir avec
plus d'efficacité contre les Turcs. Il assiégea
Ardebil, et le général Levirschert lui fournit des
ingéniein-s. (>et officier russe employa ensuite
ses bons offices pour obtenir une capitulation à
la garnison ottomane, ce qui lui valut des rcmer-
cîments des deux côtés.
Nadir Chah ayant chassé les Turcs de la
Perse voulut les attaquer dans leur propre pays
et mit le siège devant Bagdad, en 1732. La Porte
y envoya des secours et, entre autres, un corps
tartare qui prit son chemin au travers des pro-
vinces persanes, occupées par les Russes. Le
prince de Hesse-Hombourg, qui y commandait,
fit dire aux Tartares qui n'avaient point demandé
la liberté de passage, d'éviter le district de son
gouvernement, à défaut de quoi il leur barrerait
le chemin. Manstein accuse le Sultan, leur chef,
d'avoir tâché, mais en vain, de faire soulever
plusieurs hordes de la même nation, soumises à
la Russie, qui se trouvaient sur sa route.
11 s'agissait de passer deux défilés où les
Russes attendaient l'ennemi. Ce prince ne put
SUR L'AMBASSADL. DE TURQUIE. 127
les entamer, et après avoir tenté une attaque, où
il perdit mille hommes, il se vit forcé de rebrous-
ser chemin et de prendre une autre route pour
parvenir à Bagdad qui fut délivrée. Cette viola-
tion du territoire par les Tartares servit peu
après de prétexte à une déclaration de guerre de
la Russie contre la Porte.
On aurait peine à suivre la marche politique
de la France pendant les dernières années du
règne d'Ahmed III et les deux premières de celui
de Sultan Mahmoud. On voit seidement la Porte
se ressentir en 1729 vis-à-vis du marquis de Vil-
leneuve, successeur du comte d'Andrezel, du
bombardement de Tripoli de Barbarie par une
escadre française. Cet ambassadeur y répondit
par l'exposé des griefs de sa Cour contre les Bar-
baresques et de la nécessité où on s'était trouvé
d'en tirer raison, la Porte s'étant si souvent
déclarée impuissante à les réprimer. Elle offrit
alors de procurer le redressement des griefs,
mais dans l'intervalle les Tripolins avaient
demandé et obtenu la paix.
La mort du Roi de Pologne, au mois de
février 1733, mit toute l'Europe en fermentation
pour l'élection de son successeur. Eouis XV
tâcha de faire tomber le choix de la nation polo-
naise siu* son beau-père, Stanislas Leczinski,
,28 MF.MOIKK
déjà cicvc à ce tronc p:ir •( 'h:irlcs Xli, qui en
avait chassé Auguste 11, lcc|ucl y remonta sans
grandes didiculiés après la déiaite du roi de
Suède à Pultawa. On regarda en IVance, comme
iiiiporiant à cet objet, que la i'orte donnât une
déclaration pcnir garantir à la Diète de l-*ologne
la liberté de choisir im prince, hberté qui devait
tourner au profit de Stanislas. Le parti français
était déjà parvenu dans la diète de convocation
à y faire prononcer l'exclusion de tout candidat
étranger- on avait eu spécialement en vue
l'Électeur de Saxe, fils du roi défunt.
Le marquis de Villeneuve fit les offices les
plus pressants pour porter les Turcs à cette
démarche; il insinua en même temps qu'il con-
viendrait de l'appuyer d'un corps de Tartares
qui s'avancerait en même temps en Pologne, afin
d'arrêter les troupes rtisses qui se préparaient à
s'y introduire pour soutenir le parti de l'Electeur
au mépris manifeste du traité du Priith. La
cour de Pétersbourg s'était engagée par ce traité
à ne plus se mêler des affaires de la République.
Mais cet ambassadeur trouva le ministère pré-
venu par le comte de Bonneval, qui avait pris le
turban depuis quelques années. 11 avait suggéré
au grand vizir Ali Pacha Hekiin Ouglou un plan
d'alliance entre la France, la Suède et la Porte,
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 129
selon lequel la première devait s'engager à ne
point faire la paix avec la Cour de Vienne sans
exiger de celle-ci de ne donner aucun secours à
la Russie, contre laquelle la Suède et la Porte
agiraient directement. Le ministère de Versailles
se refusa à ce concert, et les Turcs laissèrent
faire les Cours impériales en Pologne sans vouloir
s'en mêler. 11 en résulta que malgré la légitimité
de l'élection de Stanislas, il fut obligé de céder la
place à l'Electeur de Saxe qui prit le nom
d'Auguste 111.
Sur les indices qu'eut la Cour de Pétersbourg
de ce projet de ligue, elle crut devoir prévenir
les intentions hostiles de la Porte. Dès que les
troubles de Pologne furent apaisés, elle traita
d'une alliance avec Nadir Chah, Les deux puis-
sances s'engagèrent à n'entrer dans aucun accord
avec l'empire ottoman sans y comprendre réci-
proquement leurs intérêts respectifs. Mais le
Persan, peu scrupuleux sur ses promesses, ayant
remporté l'année suivante, en Géorgie, une
victoire contre les Turcs, il profita de ce succès
pour conclure avec eux une paix avantageuse,
sans égard pour son allié.
La Russie n'en commença pas moins la
guerre en 1735. A la vérité, ses premières hosti-
lités ne parurent regarder que les 1 artares. Le
9
no
M l..\l i)l\{ K
^cncr;il Lcoiiticw, ch;ii"|^c de hiirc une iticiirsKHi
en (Irinije, partit (Il kr.iine au ctjmniencenient
cfociobre à la lète de trente nnlle hommes. I .a
saison trop avancée l'empèeha de parvenir jus-
qu'aux lignes de Pérécop, et il en était encore
à dix marches lorsque la fatigue et les maladies,
qui lui avaient fait perdre le tiers de ses troupes,
l'obligèrent de rebrousser chemin. (]e désastre
ne changea rien au parti pris par l'Impératrice
Anne, qui régnait alors en Russie, de rompre
avec la Porte. Les puissances maritimes firent de
vains efforts pour l'en dissuader. Elle résista à
leurs représentations et à celles de ses plus
éclairés ministres. Le comte Ostermann, contre
son propre avis, reçut ordre d'écrire au grand
vizir une lettre pour tenir lieu de manifeste. 11 y
fit la déduction des infractions aux traités, com-
mises par les Turcs et les Tartares, ajoutant que
sa souveraine s'était vue forcée à prendre les
armes pour la sûreté de ses sujets et pour leur
procurer une paix solide, mais, si la Porte était
dans des dispositions pacifiques, elle n'avait
qu'à envoyer des ministres sur les frontières,
avec plein pouvoir d'entrer sans délai en négocia-
tions. Le grand vizir, informé, lorsque la lettre du
comte d'Ostermann lui parvint, qu'Azof était
déjà investi , fit pour toute réponse publier
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE, 131
une déclaration de guerre contre la Russie.
Le maréchal, comte de Munich, commanda
les troupes russes pendant la campagne de 1736
et laissa leg-énéral Lascy chargé du siège d'Azof;
il y ouvrit la tranchée le 17 mai, et le 4 juillet la
place se rendit. Munich, de son côté, entra en
Crimée et parcourut la presqu'île, où rien ne lui
résista. Le manque de vivres Tobhg-ea ensuite
de ramener son armée en Ukraine.
L'alliance des deux Cours impériales, con-
tractée entre Charles VI et Catherine 1'% portait
pour clause expresse que dans le cas où Tune des
deux se verrait obhg-ée de rompre avec la Porte,
elle serait assistée de trente mille hommes par
l'autre puissance, qui déclarerait même la guerre,
si la situation le permettait. Le casies fœdcn's' étant
clair et réclamé, l'Empereur s'occupa de prépa-
ratifs mihtaires. Au préalable, il tenta de ména-
ger un accommodement entre la Porte et la
Russie. On tint un congrès pour cet effet à
Niemirow, mais il fut reconnu impossible de
rapprocher les parties, et Charles VI, en consé-
quence de ses engagements, fit sa déclaration de
guerre contre les Turcs pendant le cours de
l'année 1737.
On a vu que les puissances maritimes avaient
tâché de détoiu-ner l'Impératrice Anne d'entrer
,5 2 .Mr-..MiJiin
en guerre. IJIes agirent dans le même esprit
auprès de la l^orte qui, elîrayée du début des
hostilités, ne demandait pas mieux que d'v
mettre fin. La Kussie parut s'y prêter de son
côté, et l'ambassadeur de la ( ji-ande-l Bretagne
avec celui des lùats généraux fiu-ent admis à la
médiation qu'une mésinteUigence qui survint
entre ces deux ministres les empêcha d'exercer.
Dix mille Russes avaient marché sur le Rhin,
en 173 5, comme auxiliaires de Tarmée autri-
chienne contre la France. Celle-ci, en revanche,
attisa le ieu entre les Cours impériales et les
Turcs, mais la pacification de Vienne ayant
raccommodé Louis XV et Charles VI, le marquis
de Villeneuve eut ordre de tendre à la paix de
Lurquie et à s'en attirer la médiation.
Le sieur de lott fut envoyé pour cet objet
par cet ambassadeur au camp ottoman. Lors-
qu'il développa sa commission, le grand vizir
affecta d'être surpris du changement subit de
langage de la France qui, disait-il, depuis deux
ou trois ans, n'avait cessé d'exciter la Porte aux
hostilités. Le sieur de Tott répondit que, lorsque
les armes ottomanes pouvaient avoir l'avantage,
sa Cour s'intéressait à la guerre pour leur gloire,
mais que l'Empereur étant libre, désormais,
d'employer toutes ses forces contre l'Empire
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 133
Ottoman, les choses avaient chang-é de face et
demandaient de nouvelles combinaisons. Cette
semence g-erma, et le vizir réexpédia le sieur de
'1 ott avec une lettre pour le cardinal de Fleury,
en date du 17 juillet 1737, portant la réquisition
formelle de la médiation de la France entre la
Porte et les Cours impériales. Le marquis de
Villeneuve reçut en réponse, le i" décembî-e, un
courrier qui lui apporta des lettres du Roi pour
le Grand Seigneur et du cardinal pour le grand
vizir, avec de nouvelles créances pour n'en faire
usage que lorsque la médiation du Roi aurait été
admise par la Cour de Pétersbourg. En même
temps une lettre du comte de Sinzendorf lui
apporta l'acceptation qu'en avait faite la Cour de
Vienne et son ultimatiun pour la paix.
Pendant la campagne de 1 738, le maréchal de
Munich s'était emparé d'Oczakow, que les Turcs
tentèrent en vain de reprendre à la lin de la
même année. Lascy, avec une autre armée, entra
en Crimée et en ressortit comme avait fait
Munich. En Servie, les Autrichiens avaient pris
Nissa et manqué Widdin.
Telle était la situation des affaires des puis-
sances en g-uerre, lorsque le marquis de Ville-
neuve entama sa négociation. 11 avait ordre, en
même temps, d'appuyer celle que la Suède avait
1,4 M K MO IKK
entamée avec la Porte, dette dernière aflairc
alioiiiit, la même année, à un traité de commerce
et d'amitié entre la (lour de Stockholm et l'empire
ottoman, ainsi qu'à un arrangement j)()iir l'extinc-
tion des dettes de (Iharles XI 1 envers le (irand
Seigneur. Sa Hautesse se contenta. |)oin- tout
payement, du don d'un vaisseau de guerre de
70 canons, qui périt ensuite en chemin, et d'une
certaine quantité d'armes de Suède.
L'ambassadeur avait à remplir une tache bien
difficile. Suspect, comme il l'était, aux deux
Cours impériales, qui soupçonnaient la France de
désirer la continuation de la guerre et de préfé-
rer les avantages de la Porte aux leurs, il ne
trouvait pas plus dans celle-ci la confiance que
méritaient ses conseils. Elle venait d'attirer à
Constantinople, sur l'insinuation du comte de
Bonneval, le fils du feu prince Rakoczy pour
l'employer à exciter des trotibles en Hongrie et
en Transylvanie.
Le marquis de Villeneuve fit observer ati
grand vizir qu'il conviendrait d'abord de faire
sonder les dispositions de ses prétendus adhé-
rents, mais on alla en avant sans ce préalable, et
le 25 janvier 1738 Rakoczy fut reconnu, en
forme publique, prince de Transylvanie et chef
des Hongrois. 11 n'en fut guère plus avancé. On
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 135
l'envoya avec Bonne val sur la frontière autri-
chienne où personne ne remua en sa faveur, et
ce jeune prince devenait fort embarrassant,
lorsqu'une maladie aiguë l'emporta très à propos.
Le nouveau grand vizir, Yeghen Pacha ne
désirait point la paix; il n'avait voulu qu'amuser
par une vaine négociation. Le cardinal de Fleury,
qui le pressentit, lui écrivit le 10 avril 1738,
pour lui inspirer des intentions plus conciliantes.
Quoique la lettre contînt l'offre de la garantie
de la France pour le traité à conclure, elle fit
peu d'impression; le ministre turc voulait courir
le sort des événements, et ils le justifièrent.
La campagne des Russes sur le Dniester n'eut
aucun eftet. Le maréchal Lascy entra ime seconde
fois en Crimée et en ressortit de même. La peste
fit un tel ravage dans les garnisons russes d'Oc-
zakow et de Kinburn, que le parti fut pris et
exécuté de les évacuer. De son coté le vizir en
personne prit Orsova et reprit Nissa; Semendria
et leni Palanka se rendirent, et les Turcs n'avaient
plus devant eux, jusqu'à la Save, entre les mains
de l'ennemi, que la seide place de Belgrade lorsque
finit l'année 1738.
Au retour du grand vizir à Constant! nople
pour y passer l'hiver, la négociation du marquis
de Villeneuve recommença, mais Yeghen Pacha,
136 MKMOIHK
enflé des succès de l:i prcccdcnte campagne,
voulut en faire une seconde. Ses envieux ne lui
en donnèrent pas le temps: il f\ir déposé le
22 mai 1739.
Aïvaz Méhémet Pacha, son successeur, entra
dans le ministère avec des vues plus pacifiques.
11 appela à l'armée le marcpiis de \ illeneuve, qui
la joignit devant Belgrade peu après l'avantage
que les J iircs avaient remporté sur les Impériaux
à Krozka et la défaite du prince de Hildburghau-
sen à Bagnalouca. Belgrade était en état de
faire une longue défense. On voit par les
mémoires du général Schmettau, qui commanda
quelque temps dans la place, que le vizir s'y
prenait si mal pour l'attaquer qu'il aurait dû
bientôt être forcé d'en lever le siège. Mais cet
auteur nous apprend, en même temps, que la
plupart des généraux impériaux étaient saisis
d'une espèce de terreur panique qui les faisait
désespérer de tenir devant les Turcs. Le prince
Eugène n'était plus et n'avait pas été remplacé.
Seckendorf, Wallis et Neipperg étaient des
généraux faibles de talents et d'énergie, et l'Em-
pereur eut lieu alors de regretter le comte de
Bonneval qui était meilleur militaire qu'eux ,
mais dont les Turcs ne se servaient jamais à la
guerre.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 137
On a dit que le marquis de Villeneuve avait
à lutter contre la défiance des deux Coin-s impé-
riales ; outre qu'il lui était aisé de s'en aperce-
voir, il en reçut de France l'avertissement du
ministre. L'Empereur cherchait à négocier sans
sa participation. Le colonel Gross, d'abord, et
ensuite le comte de Neipperg-, plénipotentiaire
impérial, se rendirent pour cet effet au camp
ottoman; mais ils reconnurent bientôt que le
vizir tenait fortement à la garantie de la France,
qui ne devait avoir lieu qu'à la faveur de sa
médiation. 11 fallut donc passer par son ambas-
sadeur, lequel arrangea et signa les préliminaires
le i''' septembre 1739. ^^ Valachie autrichienne
et la Servie y compris Belgrade, réduite à ses
anciennes fortifications, furent cédées à la Porte.
Dix-sept joiu's après, on convint des préliminaires
entre elle et la Russie, qui restitua la Moldavie,
dont le maréchal de Munich, après avoir gagné
une bataille contre les Turcs près de Kottin,
s'était emparé. Azof, démoli, demeura à la
Russie; le titre Impérial fut reconnu à sa sou-
veraine ; tout le reste fut remis dans le même état
qu'avant la rupture.
Ainsi finit cette guerre qui pouvait et devait
ruiner de fond en comble l'empire ottoman, si
elle eût été bien conduite par les (lours impé-
1 38 M f M 0 I lî \.
finies. (Jii():([iK- Miiiiicli eût remporté bien des
tr()|)hées pendiiiit tn^is cnnipag^iies, il n'était par-
venu (|ir:i l;i (leniiL-re :i p;isser le Dniester et à
venir au hanubc, ce ciu'ij aurait pu faire dès la
première. In ce cas, l'empu-e ottoman aurait
cornai ^rancl risque, (juani aux g-jnéraux autri-
chiens, leur conduite (ut toujours pitoyable.
A considji'er, au premier coup d'(uil, le rùle
que joua la Irance dans cette affaire, il semble
qu'en aidant au rétablissement de la pai.x, elle
avait, pour la i'rivole gloire de la médiation,
sacrifié le solide intérêt politique que lui offrait
la continuation d'une guerre désastreuse pour la
maison d'Autriche et propre à l'afîaiblir. Mais,
par un examen plus attentif, on troti\era, dans
la paix de Ikdgrade, le chef-d'œuvre de la poli-
tique (rançaise. Saisissant le hasard d'un triomphe
remporté par le vizir à Krozka. et de la frayeur
des généraux autrichiens, le marquis de \ ille-
neuve préserva les 1 urcs, dont l'mtérèt occupait
sa Cour de préférence, du danger imminent
d'échouer devant Belgrade et d'être ramenés par
l'ennemi bien avant dans leur propre pays. 11
faut encore y ajouter que la gloire de ce traite
a fait illusion à l'Europe, pendant trente ans. sur
le véritable état de l'empire ottoman, dès lors en
décadence, et dont la faiblesse n'a été que trop
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 139
manifestée depuis. Par là s'est maintenue pen-
dant ce long- intervalle la considération de cette
puissance, dont l'existence importait beaucoup à
la politique de la Frar.ce, vu le contre-poids
qu'elle formait à l'union des deux Cours impé-
riales. On a éprouvé depuis, par une funeste
expérience, combien il eût été à désirer que la
Porte eiit continué d'être en état de leur en
imposer.
Le marquis de Villeneuve profita du crédit
que la médiation de Belgrade lui avait acquis
pour renouveler les capitulations de la France,
qui ne l'avaient pas été depuis 1673. H obtint
l'addition de plusieurs articles importants, comme
on le rapportera ailleurs.
Cet ambassadeur avait fait quelque temps
auparavant des insinuations à la Porte pour un
traité de paix et d'amitié entre elle et la Cour des
Deux-Siciles. 11 semblait être le canal naturel de
cette négociation 5 mais, soit par une suite de la
vieille opinion qu'on a à Naples et en Espagne
que la France cherche à éloigner du Levant les
autres puissances chrétiennes , soit par les
intrigues du comte de lionneval, ce fut à Un que
fut adressé le comte Finochetti, choisi à Naples
pour cette affaire, qu'il termina par un traité
signé le 16 avril 1740.
1 4<. M P. M o I H y
Il se négociait depuis j)lu.siciirs années, à
( ;()iisi:miiiiO|)ic. imc autre all'aire doni la conclu-
sion eut (les cliets plus iinj)(jrtants. On a du plus
haut c|ue la Suède a\ait (ait avec l'empire (Jiio-
iiiau, en i~3~,iin traité d'amitié et de C(Mnmerce,
lequel n'était à la vérité t|u"uiie introduction, aux
vues de la (^oiir de Stockholm, pour se lier avec la
Porte d'une manière j)lus étrvjiie. La position des
deux laats, séparés par une grande distance,
mais ayant l'un et l'autre, cependant, la Russie
pour limitrophe, offrait la convenance d'une
alliance entre eux. Pendant que le comte de
Bonneval suivait cet objet avec sa vivacité accou-
tumée, le marquis de \'illeneu\e, déjà avancé
dans sa médiation, craignit que lintroduction
d'un nouvel interlocuteur tel que la Suède sur
la scène guerrière n'arrêtât sa négociation. 11
détourna alors le grand vizir des avances de
cette couronne, et ce riu à cette occasion que
Bonneval fut exilé. La cour de Pétersbourg, à
en croire les Mémoires de ALanstein, aurait été
bien embarrassée si celle de Stockholm se fut
déclarée contre elle, en 1738, pendant que
l'armée russe était occupée avec les Turcs. Elle
le craignit au pomt de vouloir être informée à
tout prix des mesures que tramaient ceè deux
puissances. Pour y parvenir, elle fit guetter le
SUR L'AMBASSADR DE TURQUIE. 141
major Sinclair, g-entilliomme suédois, qui partait
de Constantinople et que Ton savait chargé de
dépèches. Il fut atteint en Silésie par des officiers
russes qui l'assassinèrent lâchement et lui prirent
ses paquets; mais, ainsi qtie dans l'assassinat du
capitaine Rinçon sous François V'\ les papiers
essentiels avaient été expédiés par une autre
voie, et cette atrocité ne remplit pas le but qui
l'avait fait commettre.
Le parti français avait acquis la supériorité en
Suède depuis la mort de la Reine Ulrique-
Eléonore, en 1739. Le Roi Frédéric de Hesse, son
époux, était demeuré seul sur le trône. Ses par^
tisans. qu'on nommait les Bonnets, répugnaient à
la guerre contre la Russie que l'autre parti, dit
des Chapeaux, Y oiûâ'it à toute force. La France,
sans incliner pour une rupture entre les deux
puissances, se borna à tâcher de procurer à la
Suède l'appui de la Porte. En conséquence, le
marquis de Villeneuve reçut ordre de seconder
les ministres de cette cour à Constantinople, ce
qu'il fit avec efficacité. Le 19 juillet 1740 fut
signé un traité de confédération et d'alliance
défensive entre la Suède et l'empire ottoman.
C'est le seul que cette puissance ait avec les
puissances chrétiennes.
On voit dans les Mémoires de Manstein qu'en
14^ Mf.MOIMK
ce temps, Louis X \' ollrit su médiation pour
accommoder les dilléreiits survenus entre les
(>()ui\s de Stockholm et de I *éters|}()urg. « Mais,
dit le même auteur, lanimosité des Suédois ne
put être apaisée; ds voulaient la guerre à toute
iorce, sans prendre néanmoins les mesures con-
venables pour la faire. » |-^lle l'ut déclarée, à
Stockholm, le i " août 1741 , et eut le succès qu'on
pouvait en attendre. Les Suédois lurent bien
battus dés la première campagne.
Le changement de souverain en Kiissie, par
la déposition de l'empereur Ivan et l'intronisation
d'Elisabeth, semblait un événement propice au
rétablissement de la paix, en s'appuyant sur
l'influence que le marquis de la (>hétardie,
ambassadeur de France, avait acquise sur
l'esprit de cette Impératrice, à l'élévation de
laquelle il avait eu grande part. Il obtint, en
effet, pour les Suédois une trêve; mais ils éle-
vèrent de si grandes prétentions dans la négocia-
tion qui suivit que la guerre ne tarda pas à
recommencer.
Le marquis de la Chétardie faisait ombrage au
chancelier de Bestucheff, qui profita d'un voyage
que cet ambassadeur fit en France poiu* ruiner
le crédit de sa Cour dans l'esprit d'Elisabeth, et
y faire prévaloir celle de Vienne, avec laquelle la
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 143
P'rance était entrée en g-uerre à l'occasion de la
succession de l'empereur Charles VI. Une lettre
de M. Amelot an comte de Castellane, succes-
seur du marquis de Villeneuve en Turquie, fut
interceptée à Vienne et communiquée à Saint-
Pétersbourg-. Dans cette lettre, ce sçcrétaire
d'État prescrivait à l'ambassadeur de continuer
ses bons offices aux envoyés de Suède à la
Porte; elle contribua beaucoup à un refroidisse-
ment sans que les démarches de M. de C>astel-
lane pussent opérer l'effet désiré. Au lieu d'une
déclaration conforme au Casiis fœderis du traité
de 1740, il ne put obtenir du ministère ottoman,
en faveur' de la Suède, qu'une somme de cinq
cent mille piastres, laquelle fut remise entre ses
mains. Sa Cour, qui voulait encore g-arder des
ménag-ements vis-à-vis de la Russie, le blâma de
s'en être chargé. Au reste, ce mince secours ne
pouvait tirer les Suédois du mauvais pas où ils
s'étaient mis. La paix d'Abo, qu'Elisabeth vou-
lait bien leur accorder, en 1743, en faveur de
l'élection à la couronne dti duc d'Holstein auquel
elle s'intéressait pour rég-ner après le roi P^rédé-
ric, mit fin à cette guerre.
L'année précédente, le Grand Seigneiu- avait
envoyé un ambassadeur en France remercier le
Roi de la médiation qu'il avait exercée à Bel-
144 "^i ' MOI m
^Tiiclc. (Ictlc inissioti n':i\;iit :iiiciin nbJL-t poli-
li(|iic, lion plus (|iic celle (le i"22, dont on
n':! liiii, pour c:eite iMison, aucune mention. Les
1 lires ne donnent ordinairement aucune con-
(lanee à leurs ministres an dehors, (les eoin-
niissions ne sont, :i proprement parler, qu'une
aubaine qui s'accorde à la laveur et dont les
présents à recevoir loni l'objet.
I /lillecteur de Ikivière avait été élu h^mpereur.
sous le nom de (!harles \'II, par l'appui cpie lui
donna la r'rance. IJIe prescrivit à son ambassa-
deur à la l^orte d'obtenir d'elle de reconnaître ce
prince en sa qualité impériale. Les insinuations
des autres puissances engagèrent d'atitant plus
aisément le ministère ottoman à suspendre cette
démarche que le nouvel empereur n^intéressait
guère la politique des Turcs, ses prédécesseurs
n'ayant eu de rapports avec la Porte qu'à raison
de leurs domaines de Hongrie et de 1 ransyl-
vanie, où Charles Vil ne possédait rien. Le
reconnaître était prendre parti dans la querelle
des Cours chrétiennes, et la Porte voulait réser-
ver ses forces contre Nadir Chah, qui la menaçait
et lui déclara effectivement la guerre en 1744.
(^et événement ne pouvait venir plus mal à
propos pour le but qu'avait la France d'enga-
ger les Turcs à faire une diversion dans les
SUR L-AMBaSSADE de TURQUIE. 145
États de Marie-Thérèse, alors reine de Hongrie,
héritière de son père Charles VI et bientôt après
Impératrice par l'élection du duc de Lorraine,
son mari, à la couronne impériale après la mort
de Charles VII. Le ministère de Versailles s'oc-
cupa alors à lever l'obstacle de la guerre de Perse,
en travaillant à cette pacification. Elle charg^ea
de ce soin le comte de Bonneval. Il plut à cet
homme romanesque de substituer à cette vue
si simple le projet de l'entremise du roi pour
ménager une alliance entre la Porte et le Grand-
Mogol contre le roi de Perse ; mais d'un côté le
Mogol déjà anéanti par l'invasion précédente des
Persans, dont la plaie était encore fraîche, ne
pouvait leur faire tète, et de l'autre il s'agissait
spécialement de ne laisser aucune affaire aux
Turcs de ce côté, afin qu'ils demeiu-assent libres
d'agir en Hongrie. Au reste, cette paix entre la
Perse et la Porte se conclut peu après une vic-
toire que remporta Nadir C>hàh. Le règne de ce
prince finit avec sa vie en 1747. Il fut assassiné
par son neveu et par le capitaine de ses gardes.
Loin d'être en mesure de donner de la con-
sistance à son projet, le comte de i^onneval ne
put pas seidement arrêter la Porte sur la recon-
naissance du nouvel Empereur, lille avait redouté
son élection au point que le grand vizir en
,.j6 MF. MO lin-.
ccnvit ;iii ministre de l'nmce. lui rappehint l.i
^Uùrc (|ir:iv;iit eue Louis W de donner un \.m-
pcreur à l'Allenia^aie , et l'exhortani a donner
encore ses soins pour le même objet. Mais ee
eomplunent n'était aeeompa^Mié d'aucune offre de
concert, et le j^'^rand-duc de 1 oscane ti'eut pas
été plus tôt élu (]uc la 1 *orte chanf^ea de langaf^e
au j)()int d'admettre les États d'Italie de ce prince
à participer :i la trêve existant avec la maison
d'Autriche, qui reçut alors une prolongation non
définie par un acte échang-é entre les deux puis-
sances, en date du 17 mars 1747. Ainsi la trêve
de Belgrade ayant changé de nature sans la
participation de Ja 1 rance, celle-ci demeura
déchargée de sa garantie.
Le ministère ottoman, honteux, en quelque
sorte, de la conduite versatile qu'il avait tenue
en cette occasion, crut la couvrir en otirant sa
médiation aux puissances chrétiennes belligé-
rantes, (tétait encore une suggestion de Bonne-
val, qui voulait, à la vérité, qu'on y ajoutât l'en-
voi d'un corps de troupes sur la frontière de
Hongrie poiu- appuyer l'offre de la médiation.
Il se flattait probablement que l'indiscipline
ordinaire aux Turcs amènerait quelque querelle,
et ensuite des hostilités de ce côté ; mais cette
seconde partie de son plan ne fut pas agréée, et
SUR LAMBASSADE DE TURQUIE. 147
la simple proposition d'entremise fut acheminée.
La France seule l'accepta sous condition qu'elle
serait acceptée des puissances ses ennemies.
Celles-ci ne daignèrent pas répondre.
Le comte Des Alleurs , fils de celui qui avait
déjà rempli la place d'ambassadeur à Constanti-
nople, ayant succédé au comte de Castellane,
on lui recommanda d'exciter les Turcs <à ag-ir
contre les cours de Vienne et de Pétersbourg- à
la fois, afin d'arrêter un corps de trente mille
hommes que cette dernière puissance faisait
passer à travers la Pologne pour aller rejoindre
les Autrichiens sur le Rhin. L'ambassadeur devait
tendre en même temps à renouveler, entre la
Porte et la France, un traité d'amitié auquel accé-
derait la cour de Stockholm; elle voyait la Fin-
lande envahie par les troupes de la Russie, pour
le soutien du parti que cette puissance avait en
Suède, en opposition au parti français. Sur les
instances du comte Des Alleurs, la Porte se
détermina k requjrir la cour de Pétersbourg par
son résident à Constantinople, de faire évacuer
la Finlande par ses troupes, lui signifiant, en
cas de refus, qu'elle prendrait fait et cause pour
la Suède. Le ministère russe reçut cet office
ad rcfcroidiun et, quelque temps après, il eut
ordre de répondre par l'assurance des intentions
148 .vn;.MC)iH I
pacifiques de sa cour envers les Suédois, pourvu
qu'ils iniiintinssent la forme de leur gouverne-
jiient, proposant à la l'orie d'agir avec elle de
concert poin* leur en laire prendre rengagement.
Cette affaire traîna jusqu'à la mort du roi l'ré-
déric en 17^0. Le nouveau monarc]ue, son suc-
cesseur, ayant donné une déclaration conforme
à la demande de la cour de Pétersbourg-, celle-ci
rappela ses troupes. La négociation du traité
d'amitié dont on a parlé plus haut ne prit pas
faveur, et la France ne s'en mit guère en peine.
La paix d'Aix-la-Chapelle, conclue en 1748,
dispensa le comte Des Alleurs d'inviter les Turcs
à rompre avec les deux cours impériales. Ses
premières démarches à cet égard n'avaient eu
aucun succès auprès de la Porte, qui s'était dé-
fendue sur son cheval de bataille ordinaire : sa
fidélité aux traités. Selon lui, le traité du Pruth
n'ayant pas été rappelé dans la trêve de Belgrade,
la stipulation par laquelle il avait été interdit à
la Russie de faire entrer ses troupes en Pologne
était annulée, comme si, pour s'opposer à l'in-
juste violation du territoire d'une puissance voi-
sine, il ne suffisait pas du droit naturel.
il restait au comte Des Alleurs de donner ses
soins à préparer la Porte en faveiu- de l'élection
du prince de C^onti à la couronne de Pologne,
SUR L'AMBASSADE D F. TURQUIE. 149
lorsqu'elle viendrait à vaquer. Ce plan n'avait
pas été communiqué par Louis XV à son minis-
tère. Son ambassadeur à Constantinople reçut à
ce sujet une instruction secrète et l'ordre de rendre
compte directement au prince de Conti du pro-
grès de ses démarches. On craignait que les deux
cours impériales n'eussent en vue de procurer
ce trône au prince Charles de Lorraine, ce que
M. Des Alleurs fît envisager à la Porte comme
un plan d'entourer de tous côté l'empire otto-
man ; mais les ministres turcs, imprévoyants par
paresse autant que par ignorance, répondirent
que l'âge et la santé du roi de Pologne devaient
lui faire espérer une longue vie ; qu'il était préma-
turé de s'occuper de son successeur 5 qu'au reste
il y avait plus d'apparence que la cour de Péters-
bourg préférait l'Llecteiu' de Saxe, en cas de
vacance, aiïn de ne pas donner trop d'influence
en Pologne à celle de Vienne.
Un objet plus direct occupait de temps à autre
la Porte ottomane ; le traité de Belgrade avait
fixé les frontières de la Russie à la rive droite
du Borysthène, d'après les limites tracées en 170^.
Il était resté, entre la rivière Jugal et le fleuve
Bug, un espace vacant qui devait demeurer désert
sans appartenir à l'une ou à l'autre puissance.
La cour de Pétersboiirg s'appropria successive-
i>o Ml \H)!I{K
ment plusieurs parties de ce j^ays, aiicjuel elle
(loiHia le nom de Nouvelle-^ervie. IJIe y lit
construire des forts et étal)lir des colonies. Les
1 artares, (|iii s'en trouvaient ^'^ènés pour le pâtu-
rage de leurs troupeaux et leurs commumca
tions au travers du liorysthène, en firent de
iréqiientes plaintes à (jonstantinople. ()n s'en
prenait au résident de Kussie; celui-ci niait les
faits et proposait l'envoi sur les lieux de commis-
saires qui, gagnés par sa cour, rapportaient ce
qu'on lein- avait dicté. (>ette puissance, de son
coté, récriminait, se plaignant d'excès commis
par les 1 artares contre les (^osaques.
Sultan Mahmoud fit voir pendant tout son
règne qifil craignait la guerre ; mais la terreur
qu'il en avait augmenta lorsque sa santé vint à
s'affaiblir, et totis les griefs étaient dissimulés ;
il mourut à la fin de 1754 et eut pour successeur
son frère cadet Osman.
Le comte de Vergennes, qui remplaça en
Turquie le comte Des Alleurs , mort dans ce
même temps, i-eçut en partant les mêmes instruc-
tions que son prédécesseur relativement à la
vacance du trône de Pologne. 11 eut aussi Tordre
d'exciter la vigilance de la Porte sur les deux
cours impériales.
Cet ambassadeur arriva en 17^5 au commen-
SUR L'AMBASSADK DE TURQUIE. 151
cernent de la guerre pour les limites de l'Acadie
entre la France et l'Ang-leterre. Cette dernière
puissance, cherchant à tout prix d'occuper les
forces de la première sur le continent, conclut
avec la cour de Pétersboiu-g- un traité, qui
Feng-ageait à foin-nir soixante mille hommes
à la Grande-Bretagne sur sa réquisition , au
moyen d'un subside convenu. La France n'y
fut pas nommée, mais il était clair que ces
troupes étaient destinées contre elle. Son am-
bassadeur à la Porte eut ordre de faire tous ses
efforts pour engager les Turcs à s'opposer au
passage des Russes au travers de la Pologne ; il
fut aiuorisé à répandre lui million, s'il le fallait,
poiu' parvenir à son but. Mais les dépêches de
M. de Vergennes sont lui nouveati témoignage de
ce qui a été dit plus haut, que les affaires impor-
tantes ne réussissent pas totijours en Turquie
avec de l'argent, comme on veut bien le croire.
Le comte de Bonneval, peti avant sa mort,
avait formé le projet d'une alliance entre le roi
de Prusse et l'empire ottoman. 11 avait été auto-
risé par la Porte à en faire l'ouverture au comte
de Podewitz, ministre de Sa Majesté prussienne.
Le décès de Bonneval prévint la réponse de
la cour de Berlin. Elle n'embrassa pas moins ce
plan approuvé par la France, et le comte Des Al-
J52 Mf. M(Jll'. K
leurs (m ;iiii()ris-, en i 74H , :i faire usa^ie d un
plein pouNoir, que lui :i(lres.s;i le roi de l-'russc,
poui" ncf^ocier sur rei objet a\ec la l'orte: mais
le Sultan Mahmoud, et ensuite son lils Osman,
ou plut(')i leurs ministres, s'éloif^naient de tout
ce qui pouvait les tirer de leui" apathie léthar-
gique.
Bientôt après, toute la politique de l'iùn-opc
changea de face par le parti que prit le roi de
Prusse de conclin-e avec le roi d'Angleterre un
traité portant garantie respective de letirs États
d'Allemagne ; sur cette défection de la cour de
Berlin, celle de Versailles changea la direction
de sa politique. Le prince de Kaunitz, devenu
ministre principal de iVlarie- Thérèse, avait conçu
depuis longtemps le plan d'une alliance entre
la France et la maison d'Autriche. L'ouverture
en fut faite dans ces circonstances , et le traité
se conclut à Versailles, le i^'^mai 1756; la Rtissie
y accéda peu après.
Le comte de Vergennes reçut ordre d'en
faire part à la Porte. LUe fut très-étonnée d'un
renversement de système qui lui otait pour
l'avenir tout espoir de diversion de la part de la
France contre la cour de Vienne j mais ce qui
choqua véritablement les Turcs fut de n'avoir
pas été exceptés des cas de l'alliance ; omission
SUR L'AMBASS\DR DE TURQUIR. 153
reprochable, en effet, et qui fut d'autant plus
sentie à Constantinople qu'elle n'avait pas été
faite dans le traité précédent de la Grande-Bre-
tagne avec la Russie. On fit ce qu'on put pour
la réparer en déclarant à Vienne qu'on ne
reconnaissait pas le casiis fœdej^is dans une rup-
ture entre la Porte et la maison d'Autriche. La
même déclaration fut remise à Constantinople et
servit à y apaiser les esprits. On eut soin dans
l'acte d'accession de la cour de Saint-Pétersbourg
à l'alliance de Versailles, que l'empire ottoman y
fiit excepté.
Ainsi fut ébranlée, au bout de deux cent
vingt ans d'immobilité , la base de l'union intime
de la France avec la Porte, cimentée par leur
jalousie réciproque contre la maison d'Autriche,
événement qui a dérouté entièrement la politique
des Turcs. On peut regarder l'inaction dans
laquelle ils sont restés pendant la guerre qui a
agité l'Europe, depuis 1755 jusqu'en 1763, comme
le premier effet de leur étourdissement. Sultan
Osman était bien peu propre à créer un nou-
veau système pour son empire. D'ailleiu's son
règne fut court et finit avec sa vie au mois d'oc-
tobre 1757. 11 eut pour successeur son cousin
Mustapha III, l'aîné des fils qui restaient d'Ah-
med m.
,<j.} MINKJllM-:
Le iioiivciiu Siilf:m niinoncnir plus d'cncr^ic
(tue sot) pféclécesseiii". Il :i\:iii joui de s;i liberté
jusqu'il r;"i^'"C de 14 atis : il eu (ut |)rivé lors de hi
déposition de son jière. Au moyeu de cet essor
de ses pretiiières antiées, ses facultés morales
étaient moins engourdies que celles de ses deux
prédécesseurs. Il trou\a dans Ua<;hil) l'acha, son
vi/.ir, riiomme le plus éclairé de l'empire, spé-
cialemetit pour les affaires étrangères, ('e mi-
nistre avait été longtemps Reïs KfFendi, et il avait
rempli les fonctions de plénipotentiaire au con-
g-rès de Niemirow, ainsi qtfà celui de Belgrade.
Il était embarrassant pour le comte de Ver-
gennes d'avoir à tranquilliser la Porte sur l'entrée
et la demeure en Pologne des armées russes, auxi-
liaires des Autrichiens. (7était le sujet constant
des réclamations de ses prédécesseurs. Heureu-
sement le ministère ottoman ne prit aucun parti
dans les affaires de l'Europe, malgré les instances
du roi de Prusse en guerre avec les deux cours
impériales. Sa iMajesté prussienne ne put obtenir
qu'un traité d'amitié et de commerce, lequel
n'eut ni plus de suite, ni plus d'efficacité que
celui qu'avait fait le Danemark avec Fempire
ottoman, deux ans auparavant.
S'il est vrai que la guerre est un mal néces-
saire aux Ktats pour les préserver du danger de
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 155
tomber dans l'inertie, la Porte avait inconstesta-
blement un besoin urgent de ce remède violent.
La nation turque était étonnamment déchue
depuis la mort de Mustapha Kupruly, tué à
Slankamen. Le règne d'Ahmed III avait énervé
les courages, et son successeur, poiu' punir la
rébellion de 1730, avait fait une boucherie de
tout ce qui restait de militaires des règnes pré-
cédents. Il s'en était peu formé pendant la
guerre de 1736, et la longue paix qui suivit avait
donné à ce petit nombre le temps de s'éteindre.
Le moment où les deux cours impériales étaient
occupées par le roi de Prusse, était beau à saisir,
et la Porte aurait pu profiter, dans son alliance
avec ce prince, des savantes leçons mihtaires
qu'il donnait alors à toute l'Europe. La neutra-
lité à laquelle Mustapha se fixa , lors de cette
époque , est le premier coup que l'alliance de
Versailles a porté à l'empire ottoman. Le grand
vizir, Raghib Pacha, ne pouvait en entendre parler.
(]e vizir donna au comte de Vergennes, en 1761,
une marque assez sensible de sa mauvaise
humeur. IHusieurs esclaves chrétiens, à bord
d'un vaisseau de guerre ottoman, se révoltèrent
pendant l'absence d'une partie de l'équipage et
se rendirent maîtres des Turcs demeurés à bord
qu'ils conduisirent à Malte avec le navire.
156 MK.NKJlKK
l<;iyhilj l*;irha, inlormj de cet événement, en-
voya le clrof^'maii de la Porte elle/, le comte de
Ver^^eiuies le sommer de procurer la restitution
de ce bàumeni , menaçant en cas de refus de
ren\oyer en Irance l'ambassadeur et tous ses
nationaux, (le procédé violent pai'vint à la con-
naissance de la coin-, lorsqu'elle était le plus
occupée à sa guerre d'Allemagne et ([u'elle crai-
gnait davantage que les lurcs n'attaquassent la
Hongrie : cette considération la força à dissimu-
ler. Elle fit acheter le vaisseau à Alalte et le ren-
voya à Constantinople. On ly reçut avec plus de
hauteur que de reconnaissance.
M. de Vergennes ncu fut pas quitte pour ne
changer qu'une ibis de langage. A la mort de
l'impératrice de Russie Elisabeth, on vit Pierre 111,
son successeur, abandonner l'alliance autri-
chienne pour se livrer en fanatique à celle du
roi de Prusse. L'ambassadeur eut ordre alors
d'exciter la Porte à se défier de la cour de
Pétersbourg, dont l'envoyé de Prusse faisait
valoir, de son côté, ati ministère ottoman, la
réimion à son maître pour montrer aux Turcs
qu'en se liant avec lui, ils n'auraient qu'uti
ennemi à combattre. Sa Majesté prussienne leur
offrit même, ati nom de son nouvel allié, une
satisfaction complète relativement à tous les
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 157
griefs de la Porte sur les colonies et les fortifi-
cations de la Noiivelle-Servie. La déposition de
Pierre III et sa mort, en 1762, arrêtèrent la
nég-ociation, et la paix d'Hiibertsbourg-, qui suivit
de près, suspendit alors tout l'intérêt de ce pro-
jet d'alliance.
Catherine II, qui succéda àson époux Pierre III,
ne tarda pas à déployer son caractère entrepre-
nant, malgré l'illégalité de son titre au trône. Elle
saisit l'occasion du décès d'Auguste III , roi de
Pologne, pour exercer sur cette république, dans
l'élection du nouveau roi, une prépondérance
encore plus grande que ne l'avaient fait, en
pareil cas, ses prédécesseurs. Louis XV avait
renoncé depuis de longues années au projet de
procurer cette couronne au prince de Conti,
lequel avait encouru sa disgrâce. L'intérêt de la
maison de Saxe, inspiré par la dauphine, sa
belle-iîlle, s'y était substitué tout natiu-ellement,
et c'était potir im des frères de cette princesse
qu'il aurait voté. En conséquence, le comte de
Vergennes eut ordre de remettre un office à la
Porte pour lui proposer d'agir de concert relati-
vement à l'élection d'un roi de Pologne, y ajou-
tant l'insinuation que la France verrait avec plai-
sir cette couronne conservée dans la maison de
Saxe. La cour de Vienne prescrivit à son rési-
158 Nn.MOlKK
(Iciit ;i ( !()iisi;intm()j)lc de coiu-ounr :iii mcmc but.
IJIc avait, (le son cote, abaiidoiiné sa première
idée en laveur du priiicr ( liai-les de Lorraine.
I ,e roi de Pi'iisse entra dans le projet que l'nn-
pd'ratrice de Kussie avait conçu de placer sur le
tronc Stanislas i'oniatowski, son ancien favori,
non sans doute, coniine la suite l'a fait voir, par
l'effet de la continuation de ses premiers senti-
ments pour lui, mais pour établir l'influence
absolue que l'élection de ce gentilhomme, sans
autre appui que le sien, lui conservait en Pologne.
Les ministres des cours de Berlin et de Péters-
bourg- à la Porte, agirent vivement pour cfu'elle
favorisât le choix d'un Piast. Telle était alors la
brillante position de cette puissance, recherchée
par les plus grandes cours de l'Europe. L'occa-
sion d'établir son importance était belle, mais
elle ne sut pas la saisir.
On a vu, lors de l'élection du duc d'Anjou à
la couronne de Pologne, que le système ottoman
était de préférer un candidat Piast sans aucime
adhérence étrangère. Cela potivait être alors
bien vu; mais cette république, dont l'anarchie
avait détruit depuis tous les ressorts, n'était plus
redoutable au dehors et avait besoin d'appui. La
politique turqtie ne saisit guère les variations de
cette espèce; elle voit comme elle a toujours vu,
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 159
et sa marche, s'il en est une, ne varie point. De
plus, tant que la Porte put croire que ce débat se
concentrerait entre les Polonais, elle s'en occupa
peu ; mais l'entrée des Russes en Pologne, com-
mença à l'inquiéter. Le comte de Vergennes la
sollicitait de signifier, par une déclaration,
qu'elle regardait comme une violation des liber-
tés publiques toute introduction de troupes dans
son territoire. Avant de s'y décider, le grand
vizir voulut savoir sur quoi il pouvait compter de
la part de la cour de Versailles et de celle de
Vienne, en cas de rupture avec celle de Péters-
bourg. Le ministère aiurichien, qui ne se prêtait
aux démarches que la France l'engageait à faire
à la Porte que par une sorte de complaisance,
n'avait muni Tinternonce impérial d'aucune in-
struction à cet égard. Le comte de Vergennes,
demeuré seul dans la lice, déchna toute explica-
tion sur la demande du vizir. Celui-ci prit le tem-
pérament d'écrire au grand général de Pologne
pour l'exhorter à soutenir les droits de sa nation
et à ne pas élever à cette couronne Stanislas
Poniatowski qu'il en disait indigne. Cette mesiu-e
fut appuyée de la marche de quelques troupes
turques sur le Dniester, mais elles n'allèrent pas
plus avant. Les forces russes n'en disposèrent
pas moins du trône, et Stanislas 11 fut élu en 1764.
,6o M I MOI l< I
Ce lut le inomphc de ( inihcrmc II ci la honte
(le la Porte, c|iii a\ait e\clii le candidat. I ,a chose
laite, \\ tallait prendre un pai'ii sur cette élection.
M. de \ er^etities (ui in\it'' à une conlérence
avec le Keis l.liendi pour trauer la matière. I .e
ministre ottoman In ce (|u'il put pour aiiiener
l'ambassadeur à conseiller des partis violents,
à le mettre au pied du mur, pour le requé-
rir d'une coopération avec la l\)rte; niais n'étant
pas autorisé à aller si loin, il sut se défendre du
piège et se concentrer dans un cercle de simples
réflexions, l-.a France, récemment sortie d'une
guerre désastreuse, évitait tout ce qui pouvait la
plonger dans de nouveaux embarras. Aussi, mal-
gré l'irrégularité de l'élection de Stanislas Au-
guste à la couronne de Pologne, et une insulte
faite à l'ambassadeur de France à Varsovie pen-
dant l'interrègne, par le primat, Louis XV
acquiesçait-il à reconnaître le prince élu, sous
trois conditions : la première, que le primat
lui écrirait une lettre d'excuse; la seconde,
qu'on satisferait aux prétentions de la maison
de Saxe; la troisième enfin, qu'il y aurait am-
nistie pour tous les magnats du parti contraire
à Stanislas.
Le comte de Verge unes eut ordre de faire
part à la Porte de ces dispositions de la France
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. i6i
et d'offrir d'agir de concert avec elle relativement
à la reconnaissance du Roi élu.
Ce plan ne fut pas du goiit du ministère otto-
man; il craignit de s'engager dans les demandes
de la France qui ne l'intéressaient point du tout :
il n'était affecté que du séjour des troupes russes
en Pologne, par la crainte que leurs déporte-
ments ne finissent par l'embarquer dans une
guerre. Leur sortie des terres de la République
était tout ce que la Porte désirait des cours de
Varsovie et de Pétersboiu-g, et elle en faisait de
fréquentes réquisitions au résident de Russie
auprès d'elle. Mais Catherine II voyait son pro-
tégé trop mal afî^ermi pour l'abandonner à lui-
même, et d'ailleurs ses projets sur la Pologne ne
se bornaient pas à lui donner un Roi. Elle pres-
crivit à son résident de prétexter la prolongation
du séjour des troupes russes sur le besoin d'em-
pêcher les troubles intérieurs dans le pays, et elle
l'autorisa à s'engager, par écrit, que leur nombre
ne dépasserait point sept mille hommes, sans
artillerie. La mollesse du gouvernement ottoman
ne lui permit point d'exiger davantage ; ses niinis-
tres ne demandaient qu'à pouvoir s'aveugler sur
l'avenir.
Lorsqu'on vit en France la manière de pro-
céder de la Porte en cette affaire, le Roi prit le
lôa MK.M(Jll{l.
puni d'ouvrir une nc^^ociation scpiircc avcf l:i
cour (le Varsovie. Celle-ci accorda les satisfac-
tions préalables, exigées jiar Louis W cpii, de
sou coté, reconnut à Statiislas le litre de l<oi. ( )n
ne tarda guère à suivre cet exemple à (lonstan-
tinople, en y admettant un ininistre polonais pour
faire la notification it Sa llautesse de l'élection
du nouveau roi.
Le duc de CJioiseiil rentra au mois d'avril i -66
dans le département des Affaires étrangères de
France dont se démit le duc de IVaslin. Cette
époque est remarquable en ce qu'on peut dire
qu'elle prépara la rupture qui éclata deux ans
après entre la Russie et l'empire ottoman. (]e
ministre, dès son début, expédia un courrier à
Constantinople avec une lettre de sa main pour
le comte de Verg-ennes où, sans articuler, comme
le cardinal de Richelieu, « le Conseil a changé
de maximes, » il le montrait en effet.
La dépèche commence par le tableau de
l'Europe et représente les puissances du Nord
attachées au char de Catherine, II. La Suède, par
les succès des cabales fomentées par cette prin-
cesse dans l'intérieur de son gouvernement 5 le
Danemark, par le leurre de la cession du
Sleswig qu'elle lui faisait espérer 5 la cour de
Berlin, par l'intérêt de diviser les deux cours;
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. lô^
celle de Londres, enfin, par système d'opposition
aux vues de la France et par l'espoir de se
ménager dans l'avenir des moyens de lui susciter
une g"uerre de terre. « 11 faut tout tenter, écrivait
le duc de Choiseul, pour rompre cette chaîne
dont la Russie tient le bout, et pour renverser le
colosse de considération, acquis et maintenu par
Catherine II, à la faveur de mille circonstances
impossibles et qui pourraient en outre lui coûter
son trône usurpé. L'empire ottoman, seul à por-
tée d'opérer cet effet, est en même temps le plus
intéressé à l'entreprendre. A la vérité, la dégé-
nération des Turcs en tous genres, peut leiu*
rendre funeste cet essai de leurs forces ; peu
nous importerait, ajoute M. de Choiseul, pourvu
que l'objet d'une explosion immédiate fut rem-
pli. 1)
C'est à la procurer que le comte de Vergennes
reçut ordre de tendre tous ses moyens. Il était
autorisé à y encourager la Porte par l'offre de la
CQur de lui garantir la neutralité de la cour de
Vienne, en cas de guerre de l'empire ottoman
avec la Russie, et comme celle-ci, ainsi qu'on le
supposait, corromprait les ministres ottomans par
ses dons, l'ambassadeur avait carte blanche pour
employer au même usage tout l'argent qu'il juge-
rait nécessaire; mais, outre qu'il n'est pas certain
i64 MK.MOIHK.
(|tic !:i cour de Pcicrsbour^ cùi mis en iisa^c c:c
moyen, il y a une ^v:\nâc dilicrcnce de facilité à
séduire les l lires j)our le repos qu'ils chérissent,
ou à les exciter à l'activité qu'ils redoutent; ils
reçoivent volontiers des présents lorsqui^n lem-
propose le chemin c|u'ils prendraient, sans cela,
d'eux-mêmes.
(Jn a de la peine à refuser de TadmiratiGn à
la vivacité, à la vérité, et au tranchant du tableau
politique du duc de Choiseul, mais le dernier
traie en est trop prononcé. L'événement a prouvé
que les échecs des Turcs n'étaient pas indifférents
à la politique de la France et que. leur dégéné-
ration mise en fait, il ne convenait pas de les
compromettre vis-à-vis d'une puissance qui,
depuis cent ans, avait presque toujours eu les
armes à la main. Le même ministre dans une
dépêche suivante avance que le hasard fait seul
le bonheur ou le malheur des armes, et que, des
deux côtés est une chance égale : mais c'est un
trait échappé à sa plume ; il savait mieux que
personne qu'à la guerre, il y a toujours beaucoup
à parier pour les habiles.
Au lieu de faire agir les Turcs il fallait, en
conservant le secret de lem- faiblesse, les garder
comme un épouvantail. Ils jouissaient d'une con-
sidération, mal fondée, à la vérité, mais qui pou-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 165
vait durer encore long-temps, et cette masse
inerte, à l'orient de l'iiiirope, contenait ses voi-
sins et assurait par là le repos de cette partie du
monde.
Il était difficile, sans doute, de prévoir alors
le progrès rapide qu'a fait depuis la décadence
ottomane, et le duc de Choiseul ne pouvait l'aper-
cevoir. Ses yeux étaient toin-nés sur la situation
critique de la Polog^ne, que la cour de Russie,
par une marche insidieuse et violente, envelop-
pait successivement de brassières qui se resser-
raient toujours davantage. Elle avait fait espérer
aux patriotes polonais que le roi Piast qu'elle
leur donnait relèverait la force et la dignité de
leur g-ouvernement. Pour rendre ce leiu're plus
efficace, elle attaqua le Liberum veto, source de
l'anarchie qui désolait depuis tant d'années la
Pologne, et par son influence, elle fit statuer dans
la diète de convocation que la pluralité des voix
déciderait à l'avenir dans les votations ; mais
l'élection faite, cette puissance s'étant aperçue
que la République, à la faveur de cette disposition
pourrait remonter à lui état de vigueur qui la
rendrait indépendante, donna ordre à son ambas-
sadeur à Varsovie de s'occuper à former une
confédération générale. Elle produisit une diète
OLi le Liberum veto fut rétabli dans les points
i(>(, .MI.M()I1{|.
essentiels (les fitianccs et du militaire, et où lu
garantie (lu nouveau ré^nine i\it d -fcrcc à la cour
(le Pétersbour^-. IJIe exi^i^ea de plus (ju'on éta-
blit une coniinissioii pour tracer entre les deux
l'^tats une nouvelle déniarcarion de limites, pre-
nant ]M)ur hase un traité de Moscou, négocié en
1686, et c[ue la l^)lo^iie n'avait jamais ratifié:
enfin l'Impératrice recevant sous sa protection
les prétentions des dissidents de la religion domi-
nante, requit la diète de leur accorder tous les
effets civils dont ils étaient privés par de précé-
dentes lois.
M. de N'ergennes eut ordre de mettre sous
les yeux de la Porte, le tableau de la conduite
russe en Pologne, et les fatales conséquences
qui devaient en résulter. Il devait démontrer que
la nouvelle démarcation qui rendrait la Russie
maîtresse de la rive droite du Boristhène au-
dessous de Kiew, lui donnerait ime facilité de
plus pour attaquer l'empire ottoman et de s'ap-
procher de la mer Noire dont elle avait envie de
partager la domination avec la Porte. Ces consi-
dérations, présentées sous cet aspect, avaient
pour objet d'engager celle-ci à des mesures pré-
ventives.
L'ambassadeur ne négligea rien pour rendre
son exposé énergique et persuasif, et cette pièce
SUR L'AiMBASSADE DE TURQUIE. 167
fut rédigée de main de maître; mais le ministre
ottoman craignait la guerre et tout ce qui pou-
vait y conduire. « Nous ne voyons dans toutes
ces querelles de Pologne, répondit sur ce sujet
le Reïs Effendi, que des disputes de religion
entre les catholiques et les dissidents, dont il ne
nous convient pas de nous mêler, » Toutefois
sans qu'il voulut en convenir, l'affaire de la
démarcation avait fait de l'impression à la Porte.
Sur l'insinuation de M. de Vergennes, elle requit
l'envoyé que le Roi de Pologne avait alors à
Constantinople d'obvier à ce qu'il n'y fût pas
procédé sans l'assistance des commissaires turcs
qu'on enverrait sur tes lieux, comme s'agissant
d'un objet intéressant poiu' les frontières otto-
manes. La réponse du ministre de Varsovie fut
qu'il n'était pas question de cette opération et la
démarche de la Porte en occasionna la suspen-
sion.
Le duc de Choiseid que la mollesse du minis-
tère turc impatientait beaucoup voidut essayer
de l'entraîner par l'influence du khan des Tartares
Arslan Gueraï, prince actif et entreprenant qui
venait d'être rétabli dans cette dignité. L'usage
était que l'ambassadeur du Roi à la Porte envoyât
résider auprès des khans, im de ses interprètes
sous le titre de consul de Grimée. Le sieur For-
l68 MI.NKJlKK
nctii, (jui rciii[)liss:iit celle commission, iiy:ini
(IciiKiiiclc son iM|)|)cl, le (.lue (le (>hoiseul saisit
ce joint pour expédier a Arslaii (jiierai le baron
(Je I oit. lils (le celui dont il a é-té nienlK^n dans
la fuj^f^ociation de liel^rade. Afin de donner a sa
mission plus de consistance, on lui remit une
lettre du Uoi pour le prince tariare. Le baron
eut ordre de passer à X'arsovie sans y manifester
sa commission, et de s'y mettre bien au lait de
l'état des choses, pour en tracer ensuite au khan
une esquisse aussi vraie qu'énerg-ique.
(]e plan de voyage s'accomplit; mais en arri-
vant en Crimée, le baron trouva Arslan Gueraï,
mort et remplacé par Macsoud Gueraï, prince
d'un caractère aussi pacifique et mesuré que
son prédécesseur était animé et entreprenant.
Le nouveau consul fit usage auprès de lui de ses
instructions dont le but était, non-seulement
d'engager le khan à faire à Constantinople des
rapports propres à échauffer les esprits contre la
conduite des Russes en Pologne, mais encore
d'ameuter les chefs des hordes tartares à y con-
courir avec leur souverain,
M. de Tott se permit d'aller plus loin; il y
ajouta l'insinuation de rassembler et de porter
des troupes vers la frontière de la Pologne; mais
M. de Choiseul n'approuva pas cette exagération
SUR L'AMBASSADE UE TURQUIE. 169
de zèle « ne convenant pas, écrit-il à ce baron,
à une puissance aussi amie de la Porte que l'est
la France, de soulever un prince feudataire
contre l'autorité du (jrand Seigneiu-. »
Mais ce que la ferveur du consul, l'éloquence
du comte de Verg^ennes et l'activité ministérielle
du duc de Choiseul ne pouvaient effectuer, la
violence russe l'opéra. Le prince Repnin, ambas-
sadeur de cette nation lit enlever et conduire en
Russie quatre magnats, opposants aux intentions
de sa cour dans la diète. Dès lors cette assem-
blée ne fut plus qu'un vain fantôme dont il dis-
posa à son gré. Elle ratilia sans examen ce que
des commissaires vendus à la Russie détermi-
nèrent et, après cet acte de servitude, on se
sépara. 11 fut aisé de sentir combien la Pologne
entière dut être révoltée d'une telle tyrannie.
Vainement, pour adoucir la nation, le prince
Repnin promit publiquement l'évacuation des
troupes russes, personne n'y prit confiance.
Le 29 janvier 1768, luie confédération se
forma dans la ville de Bar, en Podolie, pour
s'opposer à tous les actes de la dernière diète.
On prévit en France que cette association récla-
merait l'assistance des 1 artares , et comme on
se défiait de la légèreté polonaise, il fut prescrit
à M. de fott, à cet égard, beaucoup de cir-
'7-
M I. MOIIM.
Cdiispcctioii : rcpctuliini coiiinic ce recours etnit
s:iliit:iirc, le iliic de (llioiseul expédia le sieur de
1 îiulès îiiiprès des nouveaux confédérés, pour
juger de leur consistance et leur inspii'er, sil y
a\ait lieu, de s'adressera la Porte et au kli.in.
(]et émissaire et. lit chargé et autorisé fi marquer
aux chefs riniérèi (|ue prenait le Koi fi leurs suc-
cès, et mèi7ie à leur donner quelques secours
pécuniaires dont il avait la libre disposition. Le
sieur de Taules, muni de ces ordres, parvint
jusqu'au foyer de la confédération, mais dég-oiité
de son inconsistance, ou peut-être effrayé de
l'approche des troupes russes, qui marchaient
pour la dissiper, il jugea à propos de faire
retraite et revint en France après s'être abouché
avec l'évêque de Kaminiec, frère du chef des
confédérés, et leur fauteur.
Ce prélat expédia en (Crimée le sieur iMakoxvit-
ski, trésorier de la ville de Cewgorod, avec une let-
tre pour le khan dont il réclamait la protection et
il le fit bientôt suivre par un courrier portant à
cet émissaire polonais des lettres de créance de
la confédération avec ordre, dans le cas où il ne
trouverait pas le sieur Makowitski en Crimée, de
les remettre au baron de Tott. (]elui-ci prévenu
par le duc de Choiseul ne voulut pas prendre
couleur dans la commission du sieur Makoxvitski,
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 171
lequel eut audience du khan et fut congédié avec
une réponse amicale mais peu concluante.
Enfin le moment de l'explosion arriva : il était
marqué dans l'ordre des destinées, qu'une échauf-
fourée entre un détachement russe et des con-
fédérés polonais, amènerait une rupture entre la
Porte et la Russie, et à la suite, les plus grands
événements. Quelques confédérés, poiu*suivis
par des Cosaques, se réfugièrent à Balta, ville
double dont l'une appartient à la Pologne et
l'autre à la province tartare du Yedzan. Le
nommé Yacoub Aga. pratiqué depuis longtemps
par le baron de Tott, commandait dans ce poste
et y donna asile aux fuyards. Les Cosaques le
sommèrent de les lein- livrer sous le terme de
trois jours avec menace, en cas de refus, de
mettre tout à feu et à sang. Yacoub Aga, hors
d'état de se défendre, fit passer les confé-
dérés en Moldavie et se disposa à la retraite
en cas d'attaque. Le canon tira à l'expiration
des trois jours. La ville fut saccagée et les Cosa-
ques se répandirent dans le pays, faisant main
basse siu' tout ce qu'ils rencontraient dans ce
désert.
Yacoub Aga manda sur-le-champ au seras-
kier du Yedzan ce qui venait de s'y passer, et
celui-ci en rendit compte au khan, lequel à son
1-2 M I MOIH I.
loiir c\|)c(li:i :'i r^onst.im in()j)lc, pour cii (ioruKr
part à la Porto. La nouvelle mit loin le monde
en moii\ement. I .e (jraïul Seij^neiir \\i tenir- une
assemblée ^Jnérale des mmistres, des ^'^ens de
loi el des chefs des milices. Le fait de luiha y
iut décidj une inlraciion formelle de la pai>:
dont il y a\'ait lieu tie se faire raison par la \(jie
des armes.
Les ordres furent immédiatement donn.s aux
troupes de se mettre en marche. Le grand vizir
iMuhsin -Oglou , soupçonné d'être trop enclin à
la tranquillité publique, fut déposé et remplacé
par Hamzah Pacha, précédemment silihdar de
Sa Hautesse et d'un caractère à ne garder aucun
ménagement. 11 fut prescrit au khan de se tenir
en mesure de secourir la Aloldavie, où Ton crai-
gnait que la retraite des confédérés de Bar n'at-
tirât les Russes. Les premiers avaient été battus
et forcés de se retirer sous Chotin.
Pour procéder avec une sorte de méthode,
Macsoud Gueraï eut ordre de demander au gou-
verneur de la frontière russe, satisfaction de
Linsulte de Balta 5 celui-ci la promit sans diffi-
culté, ne demandant que le temps de reconnaître
les coupables. La Porte de son côté lit une som-
mation ministérielle au résident de Russie de
procurer une juste réparation de ce qui venait de
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 17:;
se passer et d'écrire à sa cour d'opter entre
révaciiation de ses troupes de la Polog-ne, ou la
guerre.
Le comte de Vergennes ne manqua pas de
profiter de cette première efferv'escence pour
animer les ministres ottomans. Afin de les em-
barquer de plus en plus, il leur suggéra de don-
ner aux cours de l'Europe ime notification des
griefs de la Porte contre la cour de Pétersbourg.
Cet ambassadeur, jtigeant que rien n'était plus
fait pour encourager les Furcs à luie rupture
avec la Russie, qtie la certitude que la maison
d'Autriche n'entrerait pas dans cette querelle,
insinua de requérir celle-ci d'une explication
amicale sur ce sujet, soit directement, soit par
l'organe d'un tiers : cette commission ne pouvait
regarder que lui 5 mais l'espoir de l'évacuation
des troupes russes de la Pologne fit encore sus-
pendre cette mesiu-e.
L'époque à laquelle avait été fixée l'attente
des réponses de la Russie étant arrivée au com-
mencement d'octobre, un Miicharcrc nombreux
fut assemblé le 3 dudit mois pour régler la con-
duite du grand vizir. Le 6, ce premier ministre
fit appeler à son audience le résident de Russie
qui, débutant, suivant l'usage, avec un compli-
ment, fut interrompu par le vizir et apostrophé
,74 Ml. MOIKK
(l'cpitlictcs nssc/ ^rossiLTCs. Sans se dciiinmcr,
le iiiiiiistre russe se borna à protester du désu-
de sa cour d'entretenu- la |)aix a\ee la l'oi'te,
propos sur lecjuel il tut soninié durement de
donner une assin-anee par écrit, [garantie par les
ministres des cours alliées de la sienne ce qui
ne pouvait s'entendre que de celles de Londres
et de Berlin), que les troupes de sa nation sorti-
raient de Pologne sur l'avis qu'il leur en ferait par-
venir. On lui produisit à cette occasion l'enga-
gement par écrit qu'il avait remis quelques
années auparavant et dont il a été fait mention.
Le résident répondit que ses pouvoirs n'allaient
pas jusque-là; sur quoi le vizir d'un ton furieux
lui déclara que la cour de Pétersbourg-, rompant
les liens d'amitié et des traités, allait être respon-
sable du sang qui serait répandu dans le cours
de la guerre qu'il lui dénonçait. Il rit ensuite
retirer le ministre russe dans ime pièce voisine,
et peu après, on le conduisit à la prison des Sept
Tours.
Ce fut le signal de la rupture ; et cette dé-
marche fut suivie d'un mémoire communiqué
à tous les ministres étrangers contenant l'exposé
des motifs de la Porte. Le grand vizir revint
alors à l'insinuation que lui avait faite peu aupa-
ravant le comte de Vergennes, sur la convenance
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 175
de faire sonder les dispositions de la cour de
Vienne, et cet ambassadeur, ainsi qu'il s'y atten-
dait, fut requis de cet office.
L'internonce impérial, qu'il interpella sur ce
sujet, le mit en état d'assurer la Porte que la
cour de Vienne n'avait rien de plus à cœur que
d'entretenir inviolablement la paix avec l'empire
ottoman sur le fondement des traités existants;
déclaration qu'il donna ensuite par écrit et qui
fut changée avec une reversale des Turcs.
Hamzah Pacha ne conserva sa place que
quatre semaines. Sa santé devint si mauvaise
qu'il fallut le déposer, et le sceau de l'empire fut
donné à Emin Méhémet Pacha, gendre de
Sa Hautesse. Il avait été dans sa jeunesse occtipé
au commerce des Indes et il y avait passé quelque
temps. Il s'était rendu ensuite à Constantinople
en continuant la même profession. Il y trouva le
moyen de s'introduire dans les bureaux et il
devint en peu d'année Reïs Effendi, place qui le
conduisit au premier ministère. C'était im Jionime
d'esprit, mais sans autre acquit des affaires
publiques qu'iuie sorte de rouiine. Il les condui-
sit avec une prétendue finesse qui rarement
réussit en grand. C'était bien une autre difficulté
que d'avoir à commander une armée sans avoir
les moindres éléments de l'art militaire ; mais les
176 NUMOIHK
Turfs soiipçoiiticiit à pcitic (in'il v en :iii un. l'.ir
le (;n;ilisnie, ils utiendeiit tout de la Providence,
et ds ne s'()ceii|)ent (|ne p:ii' ni:itiière d';K(|nii des
moyens c]u'()n emploie ordinnii'enient pour le
succès. I /îihondance de troupes et de munitions
ne manque ^uère aux armées turques, mais on
ne prête pas attention :i la bonne qualité, le reste
va au hasard.
Il est bon d'observer que la déclaration de
guerre s'étant faite au mois d'octobre, on donna
aux Russes trois mois pour se préparer aux hos-
tilités. A la vérité il n'en fallait pas moins pour
rassembler les milices turques éparses sur le
vaste empire.
Le Grand Seigneur s'attacha de préférence à
vme levée de volontaires pour le seul motif que
la réforme de cette sorte de troupes suivait
immédiatement la paix. Le trésor public ne
demeurait pas chargé de payes surnuméraires
comme il serait arrivé en augmentant les vieux
corps ; mais aussi ne ramassa-t-on que des vaga-
bonds, et ces prétendus gens de guerre n'étaient
pas plutôt rendus à l'armée qu'ils désertaient
impunément.
L'Europe, à cette époque, jouissait d'une paix
générale. La Pologne était seule déchirée par des
dissensions intestines, fomentées par les cours de
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 177
Pétersboiirg et de Berlin. Les maisons de Bour-
bon et d'Autriche, fermes dans Talliance qui les
unissait, tenaient en respect l'Angleterre, trop
occupée, d'ailleurs, vis-à-vis des colonies pour
prendre une part active aux affaires du dehors.
Le comte de Saint-Priest, nommé depuis
quelques mois successeur du comte de Vergennes
à l'ambassade de Constanrinople, était déjà entré
en Turquie par la voie de Hongrie; il arriva
à Constantinople le 13 novembre 1768; c'est à
cette date que finit le précis politique qu'il
a entrepris ; la suite se trouve dans le mémoire
où il rend compte au Roi de son ambassade.
LISTE
D ES
AMBASSADEURS, MINISTRES
E T
AGENTS POLITIQUES DES ROIS DE FRANCE
A LA PORTE OTTOMANE,
DEPUIS FRANÇOIS I <' ■' JUSauV LOUIS XVI
JEAN FRANGIPANI.
La Nouvelle Histoire de France rapporte qu'à
l'occasion de la guerre que soutint François P'
contre Charles-Quint, ce Roi pressé par les
armes de l'Empereur, écrivit au Sultan Soliman
pour entrer en liaison avec lui, une lettre dont
Jean Frang-ipani fut porteur; l'histoire ne dit
rien sur sa personne. Il se trouvait en Hongrie
auprès de ce prince ottoman lors de la funeste
journée de Pavie en 152^, comme on le voit dans
la réponse de Soliman qui fait mention au Roi de
sa prison. François, revenu dans ses Etats,
répliqua au Sultan par un autre messager qui
n'est pas nommé.
l8o M KM () IKK
A^^()l.^l. di. kincon.
Il est appelé le capiciinc Uiiuoii dans les
dépêches de l'a'iT, aiiibassadeiir de I raiicc à
Venise, recueillies pai- Nicolas (lajiuisai. Ne
sujet de (Jiarles-(^iiint , il était entré au service
de François 1", et il prenait la qualité de gentil-
homme de la chambre. 1 .e Roi l'expédia à Soli-
man, auprès duquel il ne demeura que huit jours,
ce qui est établi par l'instruction donnée par
François 1''' aux cardinaux de Tournon et de
Grammont, que rapporte le môme Camusat, sous
la date du 13 novembre 1532. Hassan Beyzadé,
auteur turc de réputation, dit que Soliman,
allant en Hongrie, reçut à Belgrade, au mois de
juillet 1532, un ambasseur du roi de France,
auquel il rendit de grands honneurs ; l'Empereur,
dit Baïf, dans une de ses lettres , tâcha de faire
enlever Rincon, à son retour par \ enise, mais
il sut éviter les embûches qu'on lui avait tendues.
On verra plus bas qu'il n'eut pas toujours le
même bonheur.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. i8r
JEAN DE LA FOREST,
chevalier de Saint-Jean de Jérusalem.
C'est le premier ambassadeur de France de
résidence à la Porte. Son instruction, dont la
copie existe au dépôt des Affaires étrangères,
est datée du ii février 1534. 11 conclut un traité
d'amitié entre François I" et Soliman, au mois de
février de l'année suivante, 153^; cet acte s'est
trouvé à la Bibliothèque du Roi dans un journal
sur l'ambassade de D'Aramon. De Thou dit,
dans son Histoire, que la Forest mourut à
Constantinople en i^iy-
JEAN DE MONTLUC.
On doit d'autant plus balancer à le nommer
ambassadeur que sa commission eut lieu pendant
l'ambassade de la Forest, en 1536. Comme on
le voit dans la Noiwellc Ili'stoire de Finance, où il
est nommé protonotaire Montluc, il s'en retourna
après l'avoir remplie. Aiontluc fit encore un
voyag-e à Constantinople, en 1 545, pour y accom-
pagner un plénipotentiaire de Charles-Quint,
auquel f rancois 1" voulait alors ménager une
trêve avec les lurcs.
i«2 MIMOIKI.
I>'cvC((iic d'Ac(|s cwc t:c protonotairc, depuis
6v<}c|iic cic \':ilcncc, comme ay:ini servi la l'VarK e
avec beaiicouj) de distinction en liirqiiie; \\
acquit encore plus d'éclat par l'élection de
llenn il! au inuic ilc l'()lo<4iie, (.\u'\\ sut pi-ocu-
rer par ses intrig^ues en ce royaume, où il était
le premier des trois ambassadeuivs de l' rance
assistant à la diète, (let évèqiie mourut suspect
de calvinisme, l ii bâtard qu'il laissa témoigne
contre ses moeurs. Il se nommait lialagny, et par
une destinée singtilière, cet homme sans nais-
sance et sans talents distingués devint maréchal
de France et pendant quelque temps prince sou-
verain de Cambrai.
MARILLAC.
M. de Thou, en rapportant la mort de la Fo-
rest, dit que Alarillac, son cousin, qui l'avait suivi
à C>onstantinople, y fut, à l'occasion de ce décès,
chargé par intérim des affaires de l'ambassade et
qu'il s'en acquitta avec honneur. De retoiu- en
France, il devint archevêque de Vienne, et il
jouit d'une grande réputation dans le clergé. 11
mourut le 3 novembre 1 560, peu après avoir pro-
noncé un admirable discours à l'assemblée de
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 183
Fontainebleau, sous le règne de François II. Le
capitaine Rincon le releva en 1538.
CÉSAR CANTELMO.
C'était un seigneur napolitain banni de son
pays pour avoir suivi le parti de la France. Le
Roi l'expédia en poste à la Porte, en 1539, dans
l'objet de ménager un accommodement entre
elle et les Vénitiens, ce qui lui fit faire ime
course, aller et venir, à Venise. C'est probable-
ment lui qui demanda pour l'exercice de la reli-
gion catholique à Soliman et qui obtint de ce
prince, en 1540, l'église de Saint-Benoît de Ga-
lata, destinée à être convertie en mosquée. On
ne voit pas comment finit la mission de Cantelmo.
Rinyon, parti pour la France, revenait à Constan-
tinople par l'Italie, en 1542, lorsqu'il fut assas-
siné, sur le Pô, avec Frégose, autre envoyé du
Roi, par ordre du marquis du Guast, gouverneur
du Milanais.
ANTOINE POLIN, Baron dh la Garoh.
On le nomma le capitaine Polin, puis le baron
de la Garde, du nom du village, où il était né
paysan; il prit de bonne heure le parti des ai-mes
i84 MKMOIRE
et il s'y disiin^iKi. A l:i i)()ii\cllc de l'ussassinnr de
Kiiicon, François I" lui siibstii u:i l 'olm (|ui |)rit p:ii-
Venise, tr:ivers;i la mer .\(lriati(|iie sur ses j^ro-
pres galères, et débarqua en Albanie, d'où il se
rendit par terre à (^onstantinopie. Il revint, en
1543, sur la cote de Provence avec une armée
navale ottomane, commandée par Piarberoussc.
Après le siège de Nice, la Garde, pour lequel on
créa la charge de général des galères de France,
en prit cinq avec lesquelles il reconduisit la
flotte turque jusqu'à Fépante, d'où il rebroussa
chemin. Ce baron eut encore l'occasion de faire
un voyage à Constantinople, en i)")!, après
avoir été déchargé de l'accusation intentée contre
lui pour le massacre de Cabrières et de Mérindol.
Brantôme qui a écrit la vie du baron de la Garde
parmi les hommes illustres, dit que ce baron
mena avec ses galères le duc d'Alençon à Lon-
dres, lorsqu'il s'agissait du mariage de ce prince
avec la reine Elisabeth, et il ajoute que la Garde
les arma avec une grande magnificence. 11 mou-
rut ensuite, peu riche, ayant dépassé l'âge de
quatre-vingts ans.
•'sur L'AMBASSADE DE TURQUIE. 185
GABRIEL D'ARAMON.
On a trouvé à la Bibliothèque du Roi un
journal de son ambassade à la Porte composé
par un sieur Ghesneau, son maître d'hôtel. Fran-
çois l" ût partir cet ambassadeur pour la Tur-
quie, en 1S47. -^ peine arrivé à Constantinople, il
y apprit la mort du Roi. Son successeur, Henri II,
dépécha consécutivement à D'Aramon le secré-
taire Valenciennes et les sieurs de Fumet et
Luscon avec de nouvelles lettres de créance
et des instructions. D'Aramon les ayant reçues
prit ses premières audiences de Soliman auquel il
baisa la main, suivant l'usage de ce temps, qu'on
voit continuer sous plusieurs de ses successeurs.
Cet ambassadeur suivit le Sultan en Perse et il
fut rejoint, à moitié chemin, par un valet de
chambre du Roi, nommé Codignac, qui lui apporta
des dépêches dont le rédacteur du journal ne
connut pas l'objet. Sohman profita, au siég-e de
Van, des conseils de D'Aramon, lequel à son
retour de Perse, visita les Saints Lieux etl'Égypte.
Il ne fut de retour à Constantinople qu'en i^'jo.
Les affaires de France y étaient restées entre les
mains d'un sieur de Cambrai, chanoine de Saint-
Etienne de Bourges, dont l'évêque d'Acqs fait
i8o \n. MOllU.
l'clog'c. I.()rs(|iic S()li?n;ii) cn^'^a^ca D'Aninion à
passer en !■ rancc, en i^^i , il laissa, pfjiir Tm-
térini, son maître d'iK^iel (Ihesneaii; disposition
qui paraîtrait sin^ailière partout ailleurs, mais
qui ne le serait pas, aujourd'hui môme, à i'c^^ard
des 1 urcs. Le voyage de l'ambassadeur dura
huit mois. En revenant à son poste, il se trouva
dans le cas de mouiller à Malte, et le grand
maître nommé d'Omédès, Espagnol de nation,
l'engagea à se rendre à Tripoli défendu par les
chevaliers de cet ordre et attaqué par les 1 urcs,
dans l'espoir qu'il les déterminerait à lever le
siège. En arrivant, il fut témoin de la reddition
de la place et il obtint du général ottoman, sous
promesse d'échange, la liberté des chevaliers qui
s'étaient rendus prisonniers de guerre. Le prix
de ce service fut que d'Omédès refusa de lui
remettre les esclaves turcs en compensation et
lui imputa hautement la perte de 7 ri poli 5 mais
le Roi força dans la suite le grand maître à ré-
tracter cette calomnie de laquelle le brave che-
valier de Villegagnon défendit vivement l'ambas-
sadeur. D'Aramon de retour à Constantinople y
vit arriver, en 1552, le chevalier de Sèvres qui
lui apporta des instructions dans le but de fixer
avec les Turcs un concert d'opérations pour la
campagne suivante. La jonction des flottes fran-
SUR L'AMBASSADK DE TURQUIE. 187
çaise et ottomane eut lieu en effet en 15 53. Ce
fut la dernière année de l'ambassade de D'Ara-
mon, il revint en France avec ses trois galères
qui étaient entretenues par le Roi; à cette épo-
que, les forces navales de la France étaient entre
les mains de différents particuliers.
CHESNEAU.
Il fut pour la seconde fois chargé des affaires
de France au départ de son maître, et il revint
après l'arrivée du successeur de D'Aramon. Le
journal dit que Chesneau entra depuis au service
de la duchesse de Ferrare.
CODIGNAC.
Codignac, le même valet de chambre du Roi
dont on a déjà parlé succéda à D'Aramon en î)')4-
Soliman était alors en Asie, où le nouvel ambas-
sadeur alla le joindre pour prendre ses premières
audiences et traiter de la jonction des forces res-
pectives ; quelque temps après le Roi expédia en
Turquie le sieur de Ville-Monte, le même, selon
toute apparence, que Brantôme nomme Villecuin,
chargé de proposer au Sultan un plan d'opéra-
tions qui fut admis. Codignac s'embarqua sur la
l88 NUNKJIIU.
flotte turque pour la campagne de i')')') ^^ revint
avec elle à Corstantinoplc. d'est la dernière lois
que les forces des deux puissances aient a^i de
concert. On ne voit pas à quelle époque la con-
duite de cet ambassadeur devint suspecte à
Henri 11 (|ui le rappela, (^odi^'^nac loin d'obcir.
entra au service de Pliilippe II qui venait de
monter sur le trône d'Espagne. Il servit son nou-
veau maître à la Porte en exagérant auprès
d'elle la détresse où se trouva la France à la fin
dti règne de Henri II. Busbecq, alors ambassa-
deur de Fempereur Ferdinand en Turquie, dit
que le drogman de la Porte était à la dévotion
de Codignac. Celui-ci avait épousé une demoi-
selle grecque, propriétaire de deux îles de l'Ar-
chipel; on ne sait comment il rinit.
LA VIGNE.
Il est probable que le sietir de La Vigne, suc-
cesseur de Codignac, est le personnage du même
nom qui, selon Paruta, fut expédié à Constanti-
nople, en 1543, par François I"'. Il eut à y com-
battre les menées de son prédécesseur Codignac
contre la France : il parvint à faire déposer
son ami, le drogman de la Porte, qui fut ensuite
rétabli dans ses fonctions parle crédit de Busbecq.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 189
Ce dernier parle dans ses lettres de la rudesse
du caractère de La Vigne avec lequel, dit-il, le
fameux Rustem Pacha évitait de se commettre;
mais, un jour, provoqué par l'ambassadeur qui
lui soutenait en face que toute l'importance de la
puissance ottomane ne consistait que dans la
division des princes chrétiens, le vizir apostro-
pha La Vigne, en le déiîant de les réunir tous
contre son maître qui en viendrait aisément à
bout. La paix de Câteau-Cambrésis remit La Vigne
en si bonne intelligence avec Busbecq, que la
délivrance de quelques prisonniers italiens et
allemands ayant été refusée à ce dernier, l'am-
bassadeur de France, à son audience de congé,
obtint de Soliman leur liberté. La mort de Henri II
décida le retour de La Vigne dans sa patrie.
Brantôme dit de lui qu'il mourut en chemin,
riche de plus de 60,000 écus, outre de très-beaux
meubles, et qifil fit la duchesse de Savoie, qui
avait été la cause de sa fortune, sa seule héri-
tière au détriment de ses parents. Il laissa chargé
des affaires de France à la Porte , un sieur
Pétremol. Celui-ci eut bientôt à les remettre
à un nommé Dolu, expédié par François II à
Constantinople. Cet agent y mourut au mois
de juillet 1 $6j .
190
M \. M < J I H I .
l'I IKI MOL.
Pctrcmol reprit par ordre du Uni rimérim de
l'ambassade à la mort de Dolii ; c'est ce quil
écrit dans une lettre qu'on a de lui au dépôt des
Affaires^ étrangères, en date du H décembre i')63.
On lit dans la liste des ambassadeurs de France,
qui se trouve à la bibliothèque du Roi, que
La Vigne à son départ de (^onstantinople. y
laissa le soin des affaires, avec qualité de lieute-
nant de l'ambassade et trois écus par jour d'ap-
pointements, au nommé Vincent Giustiniani ;
mais il paraît, par une autre lettre de l'an 1564,
existant au dépôt des Affaires étrangères, que
Catherine de Médicis écrit à cet agent, qualifié
de conseiller et maître d'hôtel du Roi, son fils,
qu'il avait été envoyé à Constantinople pour sol-
liciter de Soliman la liberté du vicomte de Cicala ;
cela se confirme par une lettre de Pétremol où
on lit : « il y a cinq mois que le sieur Vincent
Giustiniani est ici dans l'attente de la liberté
du vicomte de Cicala. » Catherine avait précé-
demment expédié en Turquie un nommé Salviati
pour demander la délivrance de Don Alvarès
de Sande, général espagnol pris a l'affaire de
Gerbe. Busbecq obtint son élargissement. On
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 191
ne sait pas à quelle époque prit un la mission
de Pétremol.
DU BOURG.
Claude Du Bourg, seigneur de Guerines.
Le compte que Pétremol rendait en France
des reproches de la Porte au Roi sur ce qu'il ne
lui envoyait pas d'ambassadeur, décida enfin
Charles IX à nommer à cet emploi en Turquie
Claude Du Bourg-, trésorier de France. Peu après
son arrivée à Constantinople, il conclut le renou-
vellement du traité d'amitié de 1^35 entre la
France et l'empire ottoman. Cet acte en 18 articles
(octobre 1569), s'est retrouvé avec le joiu-nal
de D'Aramon, Ce qu'on sait de la conduite idté-
rieure de Du Bourg répond mal au début de son
ambassade. L'évéque d'Acqs, son successeur, le
taxe de fripon dans ses lettres et l'accuse d'être
l'espion de la maison d'Autriche. Le prélat fait
même entendre que cet ambassadeur iinit par
s'évader de Constantinople. Charles IX étant
mort, Du Bourg s'attacha au duc d'Alençon à la
Porte ottomane et entra dans les troubles qu'oc-
casionna ce prince. Lorsqifil se raccommoda
avec le Roi, Du Bourg s'enfuit avec l'intention
de se rendre à Constantinople par Venise, oi^i il
,^2 '^l I MOI R K
eut r;iii(l:nc i\c |)rciKlrc le liirc d anibiissadcur
du duc (r.\lci)(.()ii ;i la Porte ottoi^iane. On écrivit
à Venise pour c|ue le séuai le li\rài, ee qu'd tit.
A ( ■oiisianiinople le bruit se répandu (|ue la
Képublique avait lait arrêter u\\ ambassadeur du
Koi allant au|)rL's du (irand Seigneur, <.e (|ui mit
ce pniue dans une grande colère.
Henri 111 prit soin de justifier la Képublique
par le sieiu' Ju^é, a^^ent de France.
GRA.NDCHAMP.
Du liourg laissa les affaires de France en
Turquie au sieur de Grandchamp, qui y était
depuis quelques années et peut-être y avait-il été
amené par le précédent ambassadeur. L'évéque
d'Acqs accuse Grandchamp d'avoir été le complice
de Du Bourg- dans un vol de cinquante mille écus
fait à des marchands marseillais. C^et homme,
dans le but de se faire nommer ambassadeur,
intrigua pour avoir du grand vizir la commission
d'aller en France solliciter rinteryention du Roi,
à Venise, pour la délivrance d'un chiaoux, expé-
dié à Charles IX, et qui avait été arrêté dans
cette ville, chemin faisant. Grandchamp dans cette
course, sut si bien se faire valoir auprès de ce
prince qu'il le déclara son ambassadeur à la
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 193
Porte en révoquant le sieur du Sausai, déjà choisi
poiu- cette commission. Profitant du moment, il
partit après avoir reçu 12,000 livres pour une
année d'appointements. Mais les Vénitiens ayant
alors réclamé l'entremise du Roi auprès de la
Porte, avec laquelle ils étaient en guerre, et
l'ayant obtenue, leur ambassadeur fit observer
qu'il convenait de confier cette médiation à un
tout autre personnage que Grandchamp. On cou-
rut après lui ; il fut ramené, et sa lettre de
créance retirée : mais il trouva moyen de garder
l'argent.
LA TRIQUERIE.
C'est le nommé La Triquerie que l'évêque
d'Acqs trouva à Constantinople , chargé des
affaires du Roi. 11 en partit après les premières
audiences du prélat.
FRANÇOIS DE XOAILLES,
Kvèque d'Acqs.
L'évêque d'Acqs avait eu, ainsi que Mont-
luc, le titre de protonotaire. Il avait servi en
Angleterre avec beaucoup de réputation, conjoin-
tement avec son frère, Antoine de Noailles, qui
194 NUMOIKI
y était ambassadeur de Iraiice. (^e prélat avait
rempli lui-même eu (bel et avec ^Hoire d'im-
portautes :imbassades en Italie, (l'est ptnir ce
molli c|ii On jeta les yeux sur lui pour renvoyer
à la i'orte dans la circonstance d'une médiation
à exercer. Il |)iii par I urui, \ enise et Ka^use,
où on lui donna séance au sénat. (!e prélat
arrivait (lonstaiitinople le 13 mars 1572. Sa cor-
respondance la plus suivie se ti*oiivc à la biblio-
thèque du Roi et à celle de l'hôtel de Noailles,
OLi sont, en outre, les lettres particulières de
cet ambassadeur. (>'est par elles qu'on voit qu'il
avait reçu en partant trente mille irancs pour
appointements d'ime année et qu'il en demanda
dans une de ses lettres la continuation, allég-uant
que ceux de ses prédécesseurs étaient de douze
mille francs, outre six mille francs pour leur
secrétaire, et l'allocation des frais extraordinaires
qui dépassaient vingt mille francs. Il paraît cepen-
dant parla mention qu'il fait dans une dépèche
subséquente, d'une assignation de 12,500 francs,
comme moitié de son traitement annuel, qu'il
fut réduit à 25,000 francs. Le Grand Seigneur
lui donnait d'abord un taïn de huit éctis par
jour qui fut ensuite diminué de moitié. On lui
fournissait en outre, chaque année, trois cents
charges de bois, deux cent trente kilès d'orge
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 195
et cent quatorze charretées de foin. Il faisait part
de ces provisions à ses drogrnans, dont le pre-
mier, Domenico Olivieri, avait trois cents écus de
cinquante aspres d'appointements annuels, vingt
écus pour les frais de bateaux, deux robes d ecar-
late et deux de soie. On a cru devoir rapporter
ces détails que leur ancienneté rend ciu-ieux en
les comparant au temps présent. L'évèque d'Acqs
écrit qu'à la première audience qu'il reçut de
Sa Hautesse il se débarrassa des capigi hachis
qui, selon l'usage, le soutenaient sous les bras et
il s'approcha seid du Sidtan pour baiser, suivant
la coutume, d'abord sa robe, puis sa main. Cet
ambassadeur, à l'occasion de ce rapport, se
récriait siu- les insolences qu'enduraient les
ambassadeurs de l'Empereiu-, de Venise et de
Pologne. Il était lui-même très-mécontent en
Turquie, et il sollicitait instamment M. de Sauves,
alors secrétaire d'État, de lui obtenir son rappel.
Une des lettres de ce prélat en date du 10 juin
1572 finissait ainsi : « La coutume de la cour est
de ne rien faire que pour ceux qui sont présents,
pressants et importuns. Le roi d'Espagne en use
autrement, et j'espère que le nôtre en fera de
même un jour; mais, mon temps sera passé. »
Le dégoût de son ambassade joint à la crainte de
quelque violence delà part des Tiu-cs, si FanTiéc
(le la li^iic (lirciiciinc i-cniporiait (|iiclc(iic avan-
tage si^nialc, ou si la Irancc laisaii (jiichjiic
entreprise surAlg^er, comme on en avait en l'ulée,
déterminèrent l\jvè(|iie d .\c(js à partir de (>ofi-
siantinople sans en avoir la permission dn Koi.
Mais à peine était-il à Kaj^use, (pi'nn courrier lui
apporta l'ordre de travailler à obtenir le concours
de la Porte pour l'élection de Monsieur (depuis
Henri 111; au trône de Pologne. L'ambassadeur
retourna à la hâte à Constantinople, mali^ré la
rigueur de la saison. S'il ne put déterminer les
Tin-cs à des démarches bien significatives pour
Monsieur, il eut au moins la satisfaction de voir
conclure par ses bons offices la paix entre la
Porte et la République de Venise, ce qui avait
été l'objet primitif de sa mission en Turquie. 11
en partit définitivement en 1 574, et se retira dans
son évèché. Il mourut à Bayoïine, en 1585. âgé
de 66 ans.
GILLES DE EGAILLES, Abbh nt l'Islh.
Avant de songer à Tévèque d'Acqs pour
l'ambassade de Constantinople, il avait été ques-
tion d'y nommer son frère, Gilles de Noailles,
abbé de l'Isle, qui lui succéda, après avoir été
l'un des trois ambassadeurs de France à la diète
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 197
de Pologne, où le duc d'Anjou, depuis Roi de
France sous le nom de Henri III, fut élu. L'abbé
de risle y vécut en mauvaise intelligence avec
ses confrères, comme on le voit par une lettre
de l'évêque d'Acqs. Gilles de Noailles reçut de
nouvelles créances et instructions de Henri 111 à
son avènement à la couronne de France et les
présenta au nouveau Sultan, Murad III. On ne
sait aucune particidarité concernant cet ambas-
sadeur qui revint dans sa patrie en i^yy. H eut
l'évéché d'Acqs à la mort de son frère, et il mou-
rut en 1606. Le président Hénault le place au
rang des savants illustres de ce temps.
JUGÉ.
On lit dans un discours joint au journal de
l'ambassade de D'Aramon, ainsi que dans le con-
tinuateur de Chalcondile, qu'en 1578, im nommé
Jugé remplissait l'intérim de l'ambassade de
France à la Porte. C'était, selon les apparences,
un secrétaire que l'abbé de l'isle y avait laissé
en partant.
GERMIGNY, Baron dk Glrmolks.
Dans ses instructions, en date du i ^ décembre
i>79, qu'on a au dépôt des Affaires étrangères.
KyH Ml. MOI Kl,
(icrmi^iiy cm (iiialific de chevalier maiire dliùtel
ordinaire du \<()'\. I /historien de l'hoii le ravale
sur son peu de naissance et sur ce qu'il avait été
domestique du cardinal de Hoiirhon. Il est pro-
bable (|ue t'est le même dont i'évécjue d'Acqs
lait souvent mention, et (|u'il croyait incapable
d'être son successeur par le mant|ue de fermeté
dans le caractère. Kien ne prouve que ( jermigny
en ait manqué. Il renouvela les traités entre la
France et la Porte en juillet 1581. (^et acte joint
ail journal de l'ambassade de D'Aramon est en
vingt-trois articles. Sainte-Foix, dans son histoire
de Tordre du Saint-Esprit, rapporte à l'article du
comte de Torcy, que Miirad III avait expédié
un envoyé au lloi pour le convier d'assister par
un ambassadeur à une fête que ce Sultan devait
donner à l'occasion de la circoncision de son fils;
mais de Thou dit que Germigny s'en dispensa
parce que les ambassadeurs d'Etienne Bathori,
roi de Pologne, que Henri 111 n'avait jamais voulu
reconnaître pour tel, y avaient été invités et s'y
trouvèrent. C'est par Germigny que les jésuites
furent établis dans l'église de Saint-Benoit de
Galata. La copie de l'acte existe, datée des Vignes
de Péra, le 25 aoiit i )84. On est étonné d'y voir
figurer avec l'ambassadeur de France le bayle de
Venise au même titre de donataire. L'ambassade
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 199
de Germigny iînit peu après, et il n'est fait de lui
aucune mention ultérieure; son traitement était
de huit mille quatre cents écus par an.
BERTHIER.
C'est dans les instructions du sieur de Lan-
cosme qu'on voit qu'il trouva à Constantinople
les affaires du Roi à la Porte, entre les mains du
nommé Berthier que probablement Germigny en
avait laissé chargé à son départ.
JACQUES SAVARI, Seigneur de Lakcosme.
Ses instructions datées du 23 septembre 1585
sont au dépôt des Affaires Étrangères; elles
débutent ainsi : « Le ministre lui recommande :
d'être bien avisé, secret et pénétrant le plus qu'il
pourra , véritable et de bon exemple dans ses
mœurs ; car la vertu ne perd jamais de son lustre,
en quelque lieu qu'elle soit exercée. Les ministres
bien conditionnés en leur personne facilitent et
•avancent les affaires de leurs maîtres plus que
les autres. » Il semble que le personnage qui a
besoin d'une pareille leçon n'est pas celui qu'il
faut choisir poiu- un tel emploi. Biisbecq
alors ambassadeur de l'empereur Maximilien en
200 \1 I MOI H f
IV.'ituc, ccTii sur l:i Domination de I.:incosnic :i
r;in)b;iss;i(lc (le l.i l'orie. (|iie c'étMit un homme
(l';incienne n;iis,s;inre; il débuta à (^onsiantinoplc
par refiiseï- de voir Tambassadeur d'Angleterre,
les traités de la l'rance stipulant que toutes les
nations de l'Iùirope ne pouvaient paraître en
Levanique sous pavillon français, Lancosme pré-
tendait ne devoii" reconnaître le représentant
d'aucune autre puissance. Il devint partisan de la
ligue cjui déchirait encore la France. Aussi fut-il
révoqué, lorsque Heiu-j l\ parvint au trône. Dans
une note datée de 1S92, Lancosme parle ainsi de
lui-même :
(( Jacques Savari. seig^neiir de Lancosme qui,
pour servir la foi et la religion catholique, et
fidèlement la couronne de France de laquelle il
a été sept ans ambassadeur au Levant, est tombé
au pouvoir des ennemis de l'État et a supporté
toutes sortes de peines et d'indignités. »
Ces mots ont rapport sans doute au traitement
que lui ût éprouver, de la part des Turcs, son
successeur. Les sept ans iraient à l'année 1592,
et cependant de Brèves s'installa en 1589; mais
Lancosme s'en tenait à l'illégallité prétendue de
sa révocation par Henri W qu'il ne voulait pas
reconnaître.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 201
FRANÇOIS SAVARÎ, Seigneur de Brèves.
De Brèves était cousin de son prédécesseur
qui, probablement Tavait amené en Tiu-quie ;
cela n'empêcha pas que le choix de Henri IV ne
tombât siu- lui. Il eut grand'peine à déposséder
son parent, et il fallut avoir recoiu-s au gouver-
nement turc qui fît saisir et enfermer Lancosme
aux Sept-Tours. De Thou dit que de Brèves se
chargea des meubles et effets du prisonnier, et
qu'il fit de son mieux pour éviter, s'il était pos-
sible en cette occasion, l'inculpation de jalousie
ou d'avarice. L'ambassade de de Brèves dut com-
mencer, en l'année 1)89. Dans un discours
imprimé qu'on a de lui, il dit qu'en i')90, peu de
temps après avoir été établi ambassadeur, il prit
à l'audience du grand vizir préséance sur ceux
de l'Empereiu-, L'évèque d'Acqs avait fait de
même, prétendant que ce prince n'était considéré
à la Porte que comme roi de Hongrie. On verra
à l'article de M. deGirardin cette conduite désap-
prouvée par hi (^oiir. De Brèves suivit le Siihan
Méhémet 111 à la guerre. L'historien Sagredo
raconte qu'à la bataille d'Agria, les ambassadeiu"s
qui accompagnaient le Sidtan s'enfuirent comme
lui à toute l)ridc. (Ichn d'Angleterre se nommait
Kieliard. Un iiiitciir liii'c t()i)tcmj)()r;iin, |);irl;inl
(le cette eiiiiipag^iie, écrit c|iic rambassndeiir (le
l'raïue était d'ime naissance distinyiiéc cl s'cx-
prmiait bien dans la langue du pays; c'est ce que
de Brèves du de Ini-menie a cet éf(ai"d. La tinte
de Méhéniei n'enipetlia pas les Turcs de j^a^ner
la bataille. Le Sultan s'en j)i-évalut pour taire a
son i-eiour dans sa capitale une entrée de vain-
c|ueur. On voit (pie de Brèves en prit occasion
pour le félicitei- sur ses lauriers. Il fut admis à
l'audience avec une suite de vingt-cinq personnes,
et il recitt de grandes distinctions. Cet ambassa-
deur renouvela les traités d'amitié entre la France
et la Porte en 1)97. Méhémet 111 offrit alors,
dit-on 7 des secours à Henri IV contre la ligue.
L'abbé de Saint-Réal, dans son premier discours
sur l'usage de l'histoire, prétend que de Brèves
manda au Roi que le motif principal qui avait
poussé le Sultan à cette offre, est qu'il avait pris le
mot de ligue en aversion. 11 est difficile de croire
que cet ambassadetir ait écrit telle chose, Méhé-
met ne savait certainement pas le français, et si
l'idée du mot ligue dans la traduction l'avait
frappé, ce n'était pas merveille qu'un despote
l'eiit en horreur. Méhémet III étant mort en
1604, les capitulations furent encore renouvelées
cette même année, sous le règne d'Ahmed I", fils
SUR L'AMBASSADt DE TURQUIE. 203
aîné de Méhémet, qui lui succéda. Selon Méze-
rai, de Brèves acheta pour les ambassadeurs de
France le palais qu'ils habitent à Péra; ils en
occupaient donc un autre du temps de Germigny.
Tournefort dit que de Brèves le fit bâtir; en ce
caSj il fut reconstruit par le comte de Marche-
ville. De Brèves fut rappelé en 1606. En retour-
nant en France il visita les Lieux saints, passa
en Egypte, à Tunis, à Alger, et n'arriva dans sa
patrie qu'après dix mois de voyage. En 1607, il fut
nommé ambassadeur à Rome, d'où il revint, en
161^, pour être gouverneur de Gaston, frère de
Louis XIII, alors régnant. Deux ans après, il fut
privé de cette charge et il mourut en 1629.
Henri IV, dans la pénurie de ses finances, lui
avait accordé poiu' son entretien en Levant lui
droit de 2 "/o sur tout le commerce de France en
Turquie, mais cela fut ensuite supprimé. On
voit au dépôt des Affaires étrangères, en 161 5,
un brevet de consul général de la nation fran-
çaise en Egypte pour le sieur de Brèves, qualifié
de ci-devant ambassadeur à la Porte; il faisait
sans doute exercer cette place à son profit par
un substitut. Il était chevalier des ordres du Roi
et premier écuyer de la Reine mère.
204 Mf. MCJlin.
IKAN(,(;iS 01. (.ON TA UT HIKO.N,
Hakov r) I SaikjSai.
Il arriva à ( ioiisiantinoplc en 160-. (^ct aui-
bassaclciir, cloni le nom iiulicjuc la haute nais-
sance, était (hi iionibi-e des parents de l'inlortinié
maréchal de i)ii-()n c|in se jetèrent aux pieds de
Hem-i !\' pour solliciter sa grâce; le refus qu'ils
éj^rouvèrent n'empêcha pas Salignac d'avoir pour
ce prince un vil' attachement. II fut frappé de sa
mort (iineste au point qu'on croit que ses jours
en fin-ent abrégés. S'étant transporté à l'église
de Saint-Benoît de Galata, il y passa deux jours
pour assister à la pompe funèbre de ce grand
roi. De retour chez lui , la fièvre le prit et le con-
duisit au tombeau. Son épitaphe dans l'église des
Jésuites se trouvant effacée par le temps, le comte
de Saint-Priest, l'un des successeiu-s de Sali-
gnac, la fit rétablir en 1772. Il ne faut pas
omettre que dans un acte de 1609 pour la resti-
tution de la même église aux jésuites, qui en
avaient été chassés, on voit la signature de
Dominique Fornetti. premier drogman de France.
Cette famille a constamment fourni depuis de
bons interprètes au service de la France en
Levant.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUE. 205
ACHILLE DE HARLAY SANCY,
Baro.v de la MÛLt.
Mézerai, dans son histoire des Turcs, dit que
le baron de la Môle était iils de Sancy, ministre
de Henri IV, et que ce fut à la considération de
son père, ainsi qu'à son mérite prématuré qu'il
dut d'être nommé à tme charge si importante et
si difficile, à l'âge de 2^ ans. Cet ambassadeur
arriva à Constantinople en 161 1. On lit dans le
même auteiuTe récit de sa première audience du
Sultan dont il baisa la robe ; il dîna avec le vizir.
On mangeait alors, au Divan, assis parterre siu' le
plancher cotivert d'un ta23is. Cet ambassadeur et
sa suite étaient vêtus à la tiu-que d'une longue
robe de drap d'or, fourrée de martres zibelines.
M. de Bonac prétend dans son mémoire que
l'ambassade du baron de la Mole fut tranquille.
Il eut cependant en 1616 une assez vive alerte
pour sauver les jésuites qu'on avait rendus sus-
pects à la Porte. Un cordelier, vicaire patriarchal
de Constantinople, fut pendu à cette occasion.
En outre, sous le premier règne de Mustapha
qui succéda à son frère Ahmed 1'', mort en 16 17,
le baron de la Môle éprouva ime violence per-
sonnelle, jusqu'alors sans exemple envers ses
prédccessciirs. (ti maniiscnt de ce [cinj)s, trouvé
:iii.\ .Icsiiitcs (lu (j;il;iia, du cju'un uoniiné M.'irtin,
sccrérairc de l'anibassadeiir, prit de l'amour pour
uue l'oloiiaise {|u'il railieta de l'esclava^^^e sur la
parole {lu'elle lui donna de l'épouser. De retour
eu Pologne elle ne voulut |)as la tenir, l'n pia-
sonnier polonais, nonuué (loreski, enfermé aux
Scpt-'l'oin-s, persuada Martin qui avait la permis-
sion de le voir que, s'il devenait libre, il f'orceraitsa
compatriote à accomplir la promesse qu'elle avait
faite. Martin trouva le moyen de faire tenir des
cordes à (^oreski dans un pâté, et celui-ci s'en
servit pour s'évader. Malheureuseinent, il laissa
sur luie table de sa prison la lettre de ce secré-
taire. On découvrit ainsi la part qu'il avait à la
chose. La Porte somma le baron de la Mole de
représentei- le Polonais fugitif. Le manuscrit
ajoute qu'à cette occasion l'ambassadeur fut
outragé en sa personne et en celle de ses gens
et qu'il lui en coûta vingt mille piastres. Mézerai
observe que le vizir l'envoya chercher par des
chiaou.x et le donna en garde au chiaoux bachi,
lequel lui annonça qu'on allait lui donner la ques-
tion dans l'après-midi. Le secrétaire qui avait
remplacé Martin la souffrit et le cuisinier reçut
cent coups de bâton pour avoir fait le pâté.
Sagredo fait mettre aussi le baron au. \ arrêts,
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 207
chez le chiaoïix bachi et, selon lui, le bayle de
Venise obtint que le baron de la Môle fût relâ-
ché. Le Roi informé de cette aventure expédia le
sieur Denant et un secrétaire nommé Angussa à
Constantinople pour s'en plaindre ; mais ils trou-
vèrent le baron de la Môle mis en liberté dès
Tavénement du jeune Osman, neveu de Musta-
pha, qui fut déposé au mois d'avril 161 8. Un
chiaoux fut envoyé en France porter les excuses
du Sultan. Ce Turc y demeiu-a deux ans envi-
ron et revint avec le successeur du baron de la
Môle qui revint en France en 1620. Il embrassa
l'état ecclésiastique et devint par la suite évèque
de Saint-Malo.
PHILIPPE DE HARLAy, Comte de Cezy.
Le comte de Cézy arriva à Constantinople au
mois de février 1620. Le mémoire historique de
M. de Bonac, qui ne die rien sur la personnalité
des prédécesseurs de cet ambassadeur, s'est
étendu sur son compte et sur celtii de ses succes-
seurs. On se borne à y puiser les anecdotes per-
sonnelles les plus intéressantes pour ne pas trop
surcharger cette liste historique déjà augmentée
de personnages et de faits inconnus au marquis
de Bonac. La plupart des accidents arrivés au
2(j« M I \I()1 l< I
lomic (le 1 c/y, |)cii(l;ini soti ;mil)a.s.v:Kic il h» l\)rtc,
curciii pour cause sa j)r()di{4alitc qui l'exposa à
rechercher des ressources d'argent : ses revenus
et ses appoinicnients ne suinsaieui pas à sa
dépense, li paraît, à la vérité, par ses dépêches,
(|uc la ville de Marseille était en arrière vis-à-vis
de lui. Il avait sans doute, fait des avances, car
la pension de seize nulle livres (ju'elle payait
alors à l'ambassadeur du Roi pour compenser les
droits de consulat à (^onstantinople, atixquels il
avait renoncé, ne pouvait jamais former des
arrérages approchant de la somme que le comte
deCézy réclamait de cette chambre. La suspen-
sion de payement le mit dans le plus grand em-
barras ; il s'était malheureusement, pour la ferme
de la douane d'Alep , rendu caution d'un juif
nommé Meleby. Cet homme ayant fait banque-
route, on revint siu' l'ambassadeur que cette
affaire mit aux abois. <* Je suis si accablé de
misères et d'importunités pour l'affaire d'Alep,
écrivait-il, que je souhaiterais tous les jours cent
fois la mort, si je n'avais ici ma femme et mon
fis qui ne sont déjà que trop exposés à la violence
des Turcs. Je suis réduit à ime si grande extré-
mité que j'engageai ces jours derniers une tapis-
serie poiu- envoyer im homme au dehors pour le
service du Roi. » On peut observer que c'est la
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 209
première mention qui a été faite d'une ambassa-
drice de France en Turquie. Le comte de Cézy
reçut de très-mauvais offices du sieur Deshayes
de Cormenin, venu en 1626 àConstantinople pour
passer en Perse. Il rendit compte à la cour des
insultes journalières que les dettes de l'ambassa-
deur lui attiraient de la part des gens du pays,
des exactions qu'il exerçait sur les effets des
sujets du Roi pour se procurer de l'argent, et de
la misère où étaient réduits ses interprètes, pri-
vés de leurs appointements. L'ambassadeur, de
son côté, se plaignit des procédés de Deshayes
auquel il n'épargnait pas les invectives, et qu'il
soupçonnait vouloir le supplanter. Il prétendit
même que lorsque le comte de Marcheville fut
nommé à l'ambassade de la Porte, Deshayes avait
cherché à mettre les Turcs en défiance de ce
comte, sous prétexte qu'il était né sujet du duc
de Lorraine, et comme tel étranger à la France.
Ce qui maintint M. de Cézy encore quelques
années, fut la déclaration que ût la Porte qu'elle
ne le laisserait partir que si ses dettes étaient
payées. Il fallut envoyer de France pour cet
objet un commissaire, nommé la Picardière, qui
les régla à 248,238 piastres payables en 14 ans
par une imposition de 3 "/„ sur le commerce de
France en Levant.
H
.1,, MiM<jiin,
I ,c (.•ointe (k- .Nhirclicvilli,' n':iiTi\;i ,i ( .oiisuiti-
tmoplc (jii'cii 1631. On verni plus bas le sort
([n'eut son ambassade. Après son départ, la l*orte
remit le comte de ^ >ézy en activité, et i.ouis XIII
l'y mamtMii. (le lut contre ra\is du comte de
Mai'ciievdle (|ui, dans le mémoire (iiTil donna fi
la cour à son retour de 'i"i!r(|iiie, nomme parmi
les instig'atcurs de sa disgrâce, le comte de C>ézy.
On le voit^ dans inic ordonnance de 1800 iVancs
poiu- un semestre de ses appointements datée de
1635, nommé « ci-devant ambassadeur, faisant
à présent les affaires de ladite ambassade. » Il
eut, au rapport de Sagredo , à l'occasion des
réjouissances qu'il célébrait en 1638 pour la
naissance de Louis XIV, le désagrément d'être
obligé de courir nu -tète hors de son palais pour
se faire rendre, avec gi-and'peine, son iïls que le
Bostandji bachi menait en prison , sur le motif
que ce jeune homme avait répondu avec hauteur
aux interrogations que cet officier tiu-c, passant
devant le palais, lui fit sur la cause du bruit qu'il
entendait.
Le premier arrangement pour le payement
des dettes du comte de Cézy ne fut pas exécuté :
il se vit forcé d'en ajouter de nouvelles aux
anciennes. Enfin M. de la Haye, son successeur
à l'ambassade, reçut un ordre positif de les acquit-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 211
ter jusqu'à la concurrence de 330,000 piastres,
valeur en draps de France qui furent fournis par
un négociant nommé Luquet. La cour se défiait
de l'obéissance du comte de Gézy, relativement
à son retour en France qui lui était formellement
prescrit. Son successeiu- eut ordre de l'y enga-
ger par de bonnes manières, et même de l'y
forcer, s'il le fallait, en s'adressant aux ministres
turcs pour lesquels on lui donna des lettres ad hoc.
Cette précaution paraît avoir donné lieu à la
méprise de M. de Bonac qui dit que le comte de
Cézy avait été enlevé dans son lit et conduit à
bord des vaisseaux du Roi, avant que son succes-
seur mît pied à terre. Un joiu'nal tenu par les
capucins de Péra place positivement à la date du
13 juillet 1640, le départ du comte de Cézy poiu'
la France : or M. de la Haye était arrivé à
Constantinople dès le mois d'octobre 1639. L'ar-
rangement des dettes de son prédécesseiu- exi-
gea, sans doute, pendant quelques mois la pré-
sence de ce dernier.
HENRI DE GOUllNAY, Comtk de Marcheville
On a déjà dit dans l'article précédent que le
comte de Marcbcville était arrivé par mer à
Constantinople à la fin de 1639. ^^ ^'^^^ passage
jij MIMOII'. t
(IcvaiiL Sci<j, l'escadre des {^''alères du (jraïul
Sei^neiii- coinmandée pai* le ("apitaii l'acha s'y
trouvait au inoiiilla^^e. (iei amiral eiivova à bord
(lu vaisseau de l'ambassadeur pour lairc baisser
le |ia\illoii français ei pour percevoir un droit
(ju'il prenait de tout bâtiment franc cju'il trouvait
à la mei- : il exig'ea nième cpie l'ambassadeur lui
fît visite et, après cpielcpic résistance, il l:illiit en
passer |)ar là. Marcheville, à son arrivée a C^on-
stantinople, en porta des plaintes fi la Porte ; mais
comme cet amiral était alors en grand crédit, il
ncn résulta qu'une grande inimitié entre eux, et
l'ambassadeur ne tarda pas à en ressentir les
effets. Laluite d'un esclave à bord d'un bâtiment
français, où le rils de l'ambassadeur, partant
pour la Fi-ancc, s'était embarqué, y donna lieu.
Cette évasion lui fut imptitée. 11 i\it mis en pri-
son et il n'en sortit, selon Ricaut, que parce que
les ambassadeurs d'Angleterre et de \''enise uni-
rent en sa faveur letu-s démarches à celles dti
comte de Marcheville qu'ils accompagnèrent chez
les ministres de la Porte. La réédification du
palais de France occasionna peu après un autre
incident : « A mon arrivée, écrit M. de Marche-
ville, le logis de l'ambassadeur était si infâme,
qu'on ne se pouvait imaginer qu'un ambassadeur
effectif pi'it y demeurer. > Il jugea à propos
SUR L'AMBASSADE DE TURQ'JIE. 213
d'ajouter dans le nouveau bâtiment, deux cha-
pelles, l'une publique, l'autre intérieure. Le Capi-
tan Pacha, en étant informé, profita du temps
d'une conférence qu'il tint à l'arsenal, le 24 jan-
vier 1634, avec les ambassadeiu's de France,
d'Angleterre, de Venise et le résident de Hol-
lande pour envoyer démolir la chapelle publique,
sous prétexte qu'elle avait vue sur le sérail. Des
domestiques qui s'échappèrent de cette bagarre
vinrent en avertir Marcheville au moment de la
sortie de la conférence. Il rentra chez le Capi-
tan Pacha, faisant de vives plaintes sur cette vio-
lence à laquelle l'amiral nia effrontément d'avoir
pris part. 11 fit accompagner l'ambassadeur par
un officier de l'arsenal qui arrêta la démohtion.
Ce répit vint à propos pom* donner le temps
d'abattre pendant la nuit, la chapelle intérieure,
car, dès le lendemain, le Grand Seigneur envoya
reconnaître, si elle existait encore. Le journal
des jésuites dit que les scellés furent mis alors
sur toutes les églises; il ajoute qu'on enleva les
armes qui se trouvaient dans les maisons des
étrangers, sans excepter celles des ambassa-
deurs, qu'en outre, il fut imposé sur les Francs
une avanie générale de quarante mille écus
d'Espagne, et que trois d'entre eux furent saisis
comme otages pour répoiuh-c au pavement total
j,4 \i I, mon; 1.
ail pcnl (le Iciii" vie. I.cs lialjit.inis {.\c (jal.iia
rcclanièrcnt, à celte occiisioii, auprès de la l'orie,
les |)rivilé{4"es de la capiiiilaiioii (pravaiem laite
leurs ancêtres, lorscpi'ils rendirent ce laubourf^à
Malioniet II. dette démarche secondée d'un ()ré-
seiit de 4, ()()() piastres calma la jiersécution, et
les églises furent rouvertes; ce tut la iin de cette
étrange scène. ! .e comte de Marcheville éprouva
un nouvel accident à l'occasion des démarches
pressantes cpi'il fit à la Porte, conformément aux
ordres que le père Joseph du 'Iremhlay lui fai-
sait envoyer de la coin- pour solliciter la délivrance
du bagne de cinq capucins que le Capitan Pacha
y avait amenés de Saïda, où ils avaient commis
quelques désordres. Cet amiral, plus que jamais
en faveur, à cause d'une victoire qu'il avait rem-
portée contre les Druzes, se voyant inculpé par
le comte de Marcheville sur la détention des
capucins, s'en prit au drogman de l'ambassadeur,
nommé Balthazar Motto, de nation arménienne.
nie dénonça au Grand Seigneur comme un intri-
gant et un brouillon et il manœuvra de telle sorte
que le Sultan fit pendre cet interprète, ayant sur
la tète son bonnet de velours rouge qui était alors
la coiffure distinctive de ces ofHcicrs. L'amiral
turc ne borna pas là sa rancune ; ayant fait pré-
venir, le 2 mai 1634, le comte de Marcheville
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 215
de se rendre à l'arsenal, il lui fut signifié que le
Grand Seigneur, alors à Andrinople, avait envoyé
un commandement pour le faire sortir de sa
capitale et de son empire. Sans vouloir lui
communiquer cette pièce, on le fit monter
sur-le-champ dans une galère, n'ayant d'autre
suite que trois de ses pages, et il fut conduit
à bord d'un bâtiment français que la galère
remorqua hors du port. Ses gens eiu-ent trois
jours poiu' évacuer le palais, avec défense sous
peine de la vie de rester à Constantinople. Le
Grand Seigneur écrivit au Roi, sur le renvoi du
comte de Marcheville , disant qu'il avait été
nécessité par les plaintes que les voisins du
palais, lésés lors de sa réédification , avaient
faites contre cet ambassadeur.
JEAN DE LA HAYE, Shigkeur de V'antelec.
M. de la Haye est le premier homme de
robe qui ait été ambassadeur à ("onstantinople.
II termina, ainsi qu'il lui était prescrit, l'affaire
des dettes de son prédécesseur. Les premières
années de son ambassade furent tranquilles, mais
l'enlèvement d'un vaisseau turc par les galères
de Malte, en 1644, ayant occasionné la guerre
de Candie, sous prétexte que la prise y avait été
2i(, M f, M(JlH 1
d'iiboiil coiuluilc, l'imércl que le [iui j)rii pour
la l<c|)ul)li([uc de Venise, el les diliérents secours
qu'il lui lit |)asser dans cette guerre, inireul
M. de la I laye d'autani |)lus dans le cas de se
compromettre vis-à-vis de la Porte que, dans le
même temps, il suivait avec elle une négociation
presque continuelle |)()ur le rétablissement de la
paix, (^est pour cela que le sieur de Vantelec
son i\\s, et le sieur de Varenncs lui i urent, à divers
temps, expédiés par la cour avec des proposi-
tions d'accommodement.
Ces démarches avaient nécessairement mis
l'ambassadeur dans une correspondance coiu-ante
avec la République. Le chevalier de Gremonville,
amiral de Venise, profuant de l'occasion d'un
Français, nommé Vertamon, qui allait à Con-
stantinople lui confia une lettre pour M. de la
Haye.
Vertamon crut faire sa fortune en la remettant
au grand vizir et en prenant le turban. C'était le
fameux Méhémet Pacha, le premier des Kupruly.
11 en voulait, dit-on, à M. de la Haye parce qu'il
avait néglig-é de lui faire, à son avènement au
vizirat , les présents alors en usage. Kupruly
trouvant que la lettre était chiffrée, fit chercher
le secrétaire de l'ambassadeur qui avait ses tables.
Cet homme se cacha et le secrétaire d'ambassade
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 217
fut, à son défaut, amené an Caïmakan auquel il
déclara que M. de la Haye le fils pouvait seul
suppléer au fugitif. En conséquence, ce jeune
homme fut conduit de force à Andrinople où
était le Sultan. Kupruly lui demanda le déchif-
frement de la lettre, mais il en reçut une réponse
si peu mesiu'ée, qu'elle lui valut quelques gour-
mades et la prison. Le père, qui sortait d'ime
attaque de goutte, partit à la hâte poiu- venir au
secoiu's de son fils. Lorsque cet ambassadeur
parut devant le vizir il fut apostrophé de Tépi-
thète de traître et mis aux arrêts dans sa maison.
La détention de M. de la Haye dura pendant
toute la campagne que le grand vizir alla faire en
Hongrie. A son retour lorsqu'on lui parla d'eux,
Ah! ces messieurs sont encore ici! dit-il d'un ton
ironique, et il les fit relâcher. Il voulait absolu-
ment les renvoyer droit en France par la Hongrie,
et ce ne fut pas sans peine qu'ils obtinrent de
retourner à Constantinople où le Caïmakan leiu-
signifia de s'apprêter au départ, et chargea un
chiaoux d'y veiller. Les négociants français
allèrent en corps déclarer au Caïmakan qu'ils
désiraient suivre en France l'ambassadeur ; mais
il leur fut enjoint de continuer leur négoce et de
proposer quelque bonne tète parmi eux pour solli-
citer à la Porte ce qui concernerait les affaires
3iH MI.MiJllil,
(le leur coiniiicrfc. Il v a lieu de croire que le
gnind vi/ir ne voulait plus du secrétaire de
M. de la I iaye, nommé la l'orest, (jue cet aml)a.s-
sadeur pendant sa détention à Andrinople avait
chargé desaihures de l'ambassade. Sur ces entre-
laites aiTiva le sieur Hlondel, mai'échal de camp,
envoyé de I.ouis XI \' auprès de Télectem- de
Brandebourg, et expédié en poste jKir ce mo-
narque siH- la nouvelle des arrêts de M. de la
Haye.
Le vizir revenu à Constantinople donna au-
dience au sieur Blondel qu'il reçut bien et pressa,
dans l'envie de se débarrasser tout à fait de l'am-
bassadeur, d'en prendre le caractère. Sa résis-
tance irrita Kiipruly qui, changeant de ton à son
égard, l'empêcha d'avoir du (irand Seigneur l'au-
dience qu'il demandait pour remettre à Sa Hau-
tesse une lettre du Roi. Blondel ne put pas même
obtenir des chevaux de poste pour son départ.
Il fallut qu'il s'en retournât par mer, non sans
éprouver encore de ce cùté des difficultés pois-
son embarquement. Peti après M. de la Haye
qui différait toujours pour avoir le temps de rece-
voir son rappel dti Roi, fut pris à partie par le
grand vizir pour le payement de 36,000 piastres de
marchandises d'Egypte, destinées au sérail, et
que les capitaines des bâtiments français qui les
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 219
avaient chargées à Alexandrie, avaient été vendre
en Italie. L'ambassadeur, faute d'y satisfaire sur-
le-champ, fut conduit aux Sept-Tours par le
Chiaoux bachi le 19 octobre 1660, après avoir
consenti au choix que fit la nation française d'un
nég"Ociant, nommé Roboly, poursuivre à la Porte
les aifaires courantes. La prison de M. de la
Haye dura trois mois ; il en sortit lorsque la
somme eut été payée avec des fonds qu'on fit
venir de Smyrne. Eniîn, ayant reçu son rappel de
la Cour, il s'embarqua avec son iils le 21 juillet,
sans prendre d'audience de congé, et il mourut
peu de temps après à son arrivée à Paris.
JEAN FRANÇOIS ROBOLY.
On a vu que le sieur Roboly, négociant, avait
été choisi par ses confrères de l'aveu de AL de
la Haye, pour son substitut. Il eut audience du
grand vizir le 24 octobre 1660, cinq jours après
l'emprisonnement de l'ambassadeur et le départ.
11 reçut, pendant son intérim, deux lettres du
Roi dont l'adresse le qualifiait de résident.
Kupridy avait écrit à Louis Xl\' pour se jus-
tifier du renvoi de M. de la Haye, demandant
au Roi un nouvel ambassadeur. Deux courriers
de cabinet, nonnnés Fontaine et l^upressoir.
M I. MOI Kl
aj)|)ortci'ciii une icj)()iisc du i<ni au vi/.ir : et
les letti'es (urciit présemés par le résulcnt Kob'jlv-
La corresj)()n(lat)ce se serait prolKibleinem réta-
blie dès lors, sans la mort de J\upridv ([ui sni\it
de pi'ès. Son (ils lui ayaiu succédé, le Koi lui
e\|:)édia, eu 1664. le même i'cjiitaiue cpii lut pris
à son retour |)ar les liarbarescjues. I^nlin en 1665,
Diipressoir vint annoncer à la l^orte que le sieur
de Ja Haye le llls, avait été noninij à l'anibassadc
de son père, il était temps de relever Koboly.
Les Français se plaignaient, au sujet de leur com-
merce, qu'il ne manquait de sacrifier leurs inté-
rêts quand il y trouvait la convenance des siens
propres. On cite aussi c|uc la justice turque se
vit une fois dans le cas de forcer ses magasins,
probablement pour affaire de contrebande. Enfin,
il y etit des accusations contre lui, et faute de
pouvoir les signifier dans la chancellerie de
France, celle d'Angleterre en reçut les actes.
Tout cela était fort indécent et servit à hâter
l'arrivée du nouvel ambassadeur. Roboly sortit
du palais selon l'ordre qu'il en avait reçu dtiRoi,
et il continua son commerce en Levant avec peu
de bonheiu-. Sa postérité y existe encore en plu-
sieurs branches, toutes dans la pauvreté. C'est
au temps de cette agence qtie le marquis de Bo-
nac rapporte l'incendie de la chancellerie du
SUR L'AMBASSADE D t. TURQUIt. 221
palais de France et la perte de tous les papiers
qui s'y trouvaient.
DENIS DE LA HAYE, sikur dh Vaxtelec.
M. de Vantelec arriva à Constantinople sur
le vaisseau du Roi, le César, le i" décembre 1665.
Il dut cette ambassade à l'idée, mal fondée, qu'il
sut faire inspirer à Louis XIV que sa gloire était
intéressée à ce que les affronts que Messieurs
de la Haye père et fils avaient éprouvés en Tur-
quie, y fussent réparés dans la personne de ce
dernier ; les circonstances n'y étaient guère favo-
rables. Ahmed Kupruly avait été battu l'année
précédente à la bataille de Saint-Gotthard par le
comte de Montecucidli, commandant l'armée
impériale fortifiée d'ini corps auxiliaire de Fran-
çais. Ce secours avait ulcéré les Tiu*cs contre
la France, sans inspirer grande reconnaissance
à l'Empereiu*. Le comte de Lesly, que ce prince
avait envoyé en ambassade à la Porte après la
trêve qui s'était conclue , ne marqua à l'ambas-
sadeiu- du Roi auciuie sorte d'égards, et il partit
sans le voir. M. de Vantelec fut accueilli assez
froidement par le grand vi/ir. A la première au-
dience qui Un' fut accordée, il ne l'ut pas question
d'affaires. Mais dans une seconde ([ui eut lieu
222 MI.MOIHI
peu (le jdiiis ;i|)ies, r;mil):issa(lciir :iy:iiit entamé
la (Icniaïule d'iiiie ré()aration des oiitra^'-es faits
à son père el à iui-mèiiie: • .le sais, répondit \)n\-
talenient le vizir, comment on doit a^nr avec' les
infidèles. » M. de X'anieJec se contint el repiàt,
(pfenvoyé pai- un <;rand prince, d ne venait pas
mendier faiiiitié de la l^^rte, mais aliérmir celle
(pii unissait depms longtemps les deux empires.
Voyant cpie le vizir gardait le silence, il ajouta
que si ses avances n'étaient pas correspondiics,
il avait ordre de remettre à la Porte les instru-
ments des traités entre les deux puissances et de
s'en retourner. En conséquence, il tira les papiers
de sa poche, les jeta sur le sopha et sortit. Ku-
pruly irrité ordonna au Chiaoux bachi de retenir
l'ambassadeur qu'on conduisit dans une chambre
voisine, où il passa trois jours, ayant la liberté de
faire venir du palais de France tout ce dont il
avait besoin. Ce temps fut employé à négocier
entre le vizir et M. de Vantelec par l'entremise
du Capitan Pacha. La supposition que le paquet
de papiers jeté sur le sopha avait rebondi jusqu'cà
son estomac fut un grief que le vizir mit en avant.
Il déclara, au reste, qu'il n'avait pas prétendu
apostropher l'ambassadeur, mais seulement ses
interprètes; enfin, que M. de Vantelec n'avait
jamais dû se regarder comme détenu, la maison
SUR I.AMHASSADK DE l'URQUlK. 223
du grand vizir n'étant pas une prison. Il fut con-
venu que le passé serait regardé comme non
avenu et que l'ambassadeur prendrait ime autre
audience sur nouveaux fiais, ce qui s'exécuta
peu de jours après. Kupruly le vit d'abord en par-
ticulier et le traita à merveille ; ensuite il le reçut
en public avec des distinctions plus qu'ordinaires,
et il le congédia en l'assiu-ant qifil pouvait s'a-
dresser à lui en tous temps, désirant prouver par
des effets combien il faisait cas de l'amitié du
Roi. La puissance de Louis XIV s'élevait alors et
avait fait faire des réflexions au grand vizir, et
modéré sa fierté naturelle. Sans lui, M. d'Apre-
mont, commandant le vaisseau du Roi, eût été la
victime de la ciu-iosité qu'il avait eue de s'appro-
procher dans sa felouque du bateau du Grand
Seigneur qui traversait le port, afin de le voir de
près, ce que ce prince regarda comme un manque
de respect. Cet ofiicier, saisi par ordre de Sa
Hautesse, coiu-ait risque de perdre la vie sur
l'heure, si le Bostandji bachi n'eut proposé et
obtenu de l'envoyer au grand vizir. Kupruly prit
la chose comme il convenait et remit M. d'Apre-
inont à l'ambassadeiu' avec intimation de le châ-
tier; ce qu'on jug-e bien qui n'eut pas lieu.
Madame de Vantelec avait suivi son mari en
Turquie. Cette dame eut la fatuaisie de voir les
M IMOI U I
224
cércmonics de l'I^^lisc grecque a la pali-iarcliale ;
mais au /\7.v Icciiin, les dames f^rccques venant
l'une après l'autre lui donner laccolade, elle
s'enfuit à la moitié de cette cérémonie sans assis-
ter à une belle collation (|iie le j)atriai-che lin avait
Tait préparer.
Loins Xl\' avait spécialement ordonné à
M. de Vantelcc de tâcher d'cmpèchcr l'admission
d'un ministre génois à la Porte, (^ette république
ayant fait part au Roi de l'envoi qu'elle faisait
en Turquie de M. Durazzo : « Je souhaite bon
voyage, répondit ce monarque à l'ambassadeur
de la République, mais je ne sais ce que le notre
aura fait à son sujet. » Le vizir n'eut aucim égard
aux représentations de iM. de Vantelcc sur cet
objetj il lui en marqua encore moins dans une
affaire qui survint en 1667. Des corsaires mal-
tais pillèrent en Levant un navire français chargé
d'effets turcs; l'ambassadeur sommé d'en acquit-
ter sous trois jours, la valeur montant à 10,000 pias-
tres, jugea à propos d'en conférer avec les négo-
ciants de sa nation. 11 fur délibéré de payer et de
se remplir de la somme aux dépens du premier
navire qui arriverait de France. On s'y décida;
M. de Vantelec craignait sans doute d'être traité
comme l'avait été son père, en pareil cas, quelques
années auparavant. U fut lui-même remettre cet
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 225
argent au Caïmakan, et l'engagea à signer la
relation de cette audience qui fut envoyée au
Roi.
Cette avanie piqua Louis XIV, que l'ambassa-
deur, de son côté, excita à mettre de la vigueur
en cette occasion. Quatre vaisseaux de guerre
furent expédiés à Constantinople pour en rame-
ner M. de Vantelec auquel Louis XIV écrivit
qu'il ne le rappelait pas pour cause de mécon-
tentement, mais que ce parti était nécessaire,
vu le secours d'un corps de troupes qu'il envoyait
en Candie en faveiu- des Vénitiens. L'escadre
arriva à Constantinople le 2 janvier 1669. Char-
din prétend que les Turcs, auxquels elle fit
quelque impression de crainte, ne se rassurèrent
que siu* la demande que le commandant fit à la
Porte de l'approvisionner de biscuit, voyant par
ce besoin-là qu'ils pouvaient l'affamer. Le Grand
Seigneur était alors à Larissa, en Thessalie, et
le vizir au siège de Candie. Ce fut au Caïmakan
de Constantinople que l'ambassadeur signifia son
rappel. Comme il n'était pas remplacé, le ministre
tiux déclara qu'il ne pouvait laisser embarquer
M. de Vantelec avant d'en avoir rendu compte
au Sultan. La réponse de Sa Hautesse fut que
l'ambassadeur vînt le trouver à Larissa; il partit,
bien décidé, disait-il, à persister sur la liberté de
'5
J26 Mf M(Jll{l
son clcjjarL, mais C.'liardm cl M. de lionai dou-
tent (le sa sincérité à cet é^ard. (>omnic on chcr-
cliait à raniiiser, on fennt sin- le tapis, lorscju'il
lut à Larissa, une négociation pour le renouvelle-
ment des caj)itulaiions cpie M. de Vantcicc solli-
citait vainement depuis soti arrivée. I.e |)rojet en
fut cotnnuiniqué au ^rand vizir; mais il répondit
qu'il n'y avait pas de fond à faire sin- un ambas-
sadeur rappelé par son maître et qu'il fallait,
avant tout, envoyer en France savoir les vraies
intentions dti Roi. M. de Vantelec se prêta à cet
expédient et fit embarquer à sa place sur les
vaisseatix du Roi un muteferrica nommé Sulei-
man Aga , désigné par Kupruly pour cette com-
mission. Après son départ l'ambassadeur retourna
à Constantinople.
M. de Vantelec avait donné ce Turc à sa cour
comme ministre public. On n'en fut désabusé
qu'à l'audience qu'il eut dti Roi. Ce prince remit
la lettre de Sa Hautesse au chevalier d'Arvieux,
qui faisait fonctions d'interprète, et qui ne trouva
pas qtie Suleiman y fut qualifié du mot Eltchi ou
ambassadeur; les frais de sa réception étaient
faits, et M. de Lionne, alors secrétaire d'État
des affaires étrangères, avait affecté toutes les
formes des vizirs. Le Turc le prit pour tel; mais
Lionne se mit en devoir de le désabuser. <i Je
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 227
ne suis pas venu ici, répliqua Suleiman, pour
apprendre le degré d'autorité que le Roi vous
confie; il me suffit de savoir que je dois m'adres-
ser à vous. » La résolution de rappeler M. de
Vantelec fut confirmée. Louis XIV penchait
à ne le remplacer que par im simple agent; le
chevalier d'Arvieux fut désigné pour remplir cet
emploi ; mais MM. de Louvois et Colbert, désirant
cette ambassade pour M. de Nointel qui avait
été à Constantinople du temps de M. delà Haye
le père, firent valoir le vœu des Marseillais pour
l'envoi d'un ministre du premier rang, et ils déci-
dèrent en faveur de leur protégé le choix du Roi.
M. de Vantelec repartit en décembre 1670 sur
les vaisseaux qui avaient amené son successeur.
Il devint, dans la suite, ambassadeur de France
à Venise.
CHARLES FRANÇOIS OLIER DE NOINTEL.
Le chevalier d'Arvieux raconte avec beaucoup
de détails, dans ses mémoires, ce qui a rapport
au début de M. de Nointel : cet auteur dit que
M. de Lionne ayant présenté à Suleiman Aga le
nouvel ambassadeur, revêtu de sa robe de con-
seiller au Parlement, ce Turc le prit pour un
prêtre ; Thabit des Popes grecs y ayant assez de
22H M I.VKJIH K
rapport. Al. de Nointcl iic larda j)a.s à se rendre
à Marseille avec Sulciman .\^:i dans un équipage
pompeux, lis s'embarc|uèrent sur une escadre de
quatre vaisseaux de guerre, commandée par
M. d'Apremoiit. ([ui arriva devant (^onstantinople
le 22 octobre 1670. (^e commandant ne salua pas
le sérail, n'ayant pu obtenir préalablement |)ro-
messe de restitution du salut qu'il exigeait et
qu'on n'était pas dans l'usage de rendre. M. de
Nointel vint immédiatement au palais et y
demeura quelques jours pour les préparatifs de
son entrée, cérémonie qui n'a pas été pratiquée
depuis par aucun autre de ses successeurs,
excepté par le marquis de Villeneuve, à son
retour de Belgrade. La description de cette
entrée que donne d'Arvieux manque à certains
égards d'exactitude. 11 est à observer que MM. de
Nointel et de Vantelec marchaient à cheval sur
la même ligne, le dernier ayant la droite, et
qu'ils étaient précédés par le Chiaoux bachi et le
voïvode de Galata. Le Grand Seigneur se trou-
vant à Andrinople, le nouvel ambassadeur s'y
rendit. Il avait ordre, ainsi que c'était alors le ton
en France, de faire grand étalage de la puissance
du Roi, à quoi il ne manqua pas à la première
audience que lui donna le grand vizir. Ce minis-
tre, selon Chardin, en fut impatienté. «Votre
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 229
maître, reprit-il , est un puissant prince, mais
son épée est encore neuve. » Kupruly fut encore
plus aigri par la mention que £t l'ambassadeur de
l'amitié sincère de la France pour l'Empire otto-
man. (( Les Français, répliqua le ministre turc,
sont nos amis sans doute, mais je les ai trouvés
partout avec nos ennemis. » Cela n'offrait pas de
favorables dispositions au renouvellement des
traités , d'autant plus que M. de Nointel avait à
proposer une addition d'articles importants; il
crut bien faire d'en parler à l'audience qu'il eut de
Sa Hautesse, mais elle le renvoya au grand vizir
qui ne voidut entendre à rien innover dans l'ancien
texte. Ce ministre partit pour l'armée en fixant
à M. de Nointel le terme de six mois dans lequel
le Roi aurait à s'expliquer par oui ou par non, ce
dont il rendit compte à sa cour. Le chevalier
d'Arvieux auquel on donna dans son passe-port
la qualité d'envoyé extraordinaire, fut expédié à
cette occasion à Constantinople et conduit par un
vaisseau du Roi, commandé par M. de Reuilly.
Kupruly, qui partait pour porter la guerre en
Pologne, ne tint pas grand compte de l'insistance
du Roi sur ses demandes et ne voulut pas démordre
de son premier mot, quoique M. de Nointel lui
eût signifié, qu'en cas de refus, il avait l'ordre
précis de s'embarquer. Cet ambassadeur prit
ajo MK.MOIHK
toutefois le |):irti de (lenieiii-er, et d'Arvieux s'en
retourna seul sur le vaisseiiu du Koi. Le succès de
la guerre que Louis XIV entreprit contre les Hol-
landais et la défaite qui suivit les premières vic-
toires des Turcs contre les Polonais, firent reve-
nir le gfand vi/ir sur la négociation delà France.
11 reprit cette affaire en 1673, ^^ ayant appelé
Tambassadeur à Andrinople, il conclut le renou-
vellement des capitulations. Cet événement fut
fort célébré en France. Le chevalier d'Arvieux
rapporte qu'on cria dans les rues de Paris des
relations imprimées ayant pour titre : '< le renou-
vellement et la nouvelle alliance du Grand Sei-
gneur avec le Roi et le rétablissement de la foi
catholique, par M. de Nointel, dans l'empire otto-
man. )) Cette partie du texte était entièrement
controuvée. On lit dans un voyageur nommé
Carlo Magni , que M. de Nointel, qui s'était fait
donner im commandement de la Porte pour visi-
ter quelques îles de l'Archipel, sut engager le
chiaoux qui l'accompagnait à le suivre en Syrie,
où il avait envie daller, sous prétexte d'y faire
mettre en vigueur les nouvelles capitulations.
Après avoir parcouru les Échelles de ce coté, il
visita les Saints lieux de Jérusalem, et il voulait
passer en Egypte lorsqu'il reçut un courrier du
grand vizir qui lui signifiait de revenir à Con-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 231
stantinople pour aifaire importante. Ce n'était
probablement qu'un prétexte pour le forcer au
retour. M. de Nointel fit supporter les frais de
son voyage aux Echelles du Levant. Il employa
même l'autorité de la Porte pour exiger la quote-
part de celle de Smyrne, qui s'y refusait. Il
s'était mis à dos M. Colbert pour avoir eu le
mauvais procédé de lui enlever ime pierre gravée
que ce ministre savait entre les mains du consul
de France en Chypre et qu'il lui avait deman-
dée.
M. de Nointel sut s'en emparer, et l'adressa
à M. de Pomponne, qui en fit sa coiu* au Roi.
Colbert, pour s'en venger, retarda le payement
des appointements de l'ambassadeur, ce qui le
réduisit bientôt aux expédients. Dans son embar-
ras, il saisit sur un vaisseau venant de France
pour la valeur de la somme dont il avait besoin, et
il en fournit la contre-valeur en lettres de change
sur le trésor royal. Cela ne plut pas à la Cour;
mais ce qui perdit M. de Nointel, c'est d'avoir,
contre l'usage, pris audience du vizir ayant son
tabouret au bas de l'estrade. L'obstination de
Cara Mustapha, successeur d'Ahmed Kupruly,
qui se prévalut de ce que M. de Nointel avait eu
pour lui cette déférence étant Caïmakan, l'avait
emporté sur M. de Noituel. Louis Xl\' le trouva
2p MI..M(;IHK
si mauvais, (|iril rappela siir-lc-chanip son am-
hassadciif, ci il cessa de lui cciarc j)endanl plus
d'un au que M. de Guillcragiics tarda à se rendre
à Constantinople. Le mécontentement du Koi lut
au |)()int d'ordonner c|u à son retour. M. de Noin-
tel ne iVii pas traité en anibassadcui- sur le \ais-
seau (|in devait le i-ainener. Son successeur,
imbu de cette disposition défavorable du Roi, en
usa fort durement à Constantinople avec M. de
Nointel qui se plaig-nit qu'on le laissait manquer
de pain. Ses dettes furent acquittées en draps
défectueux, dont il fallut que ses créanciers se
contentassent. 11 était menacé à son retour en
France d'être mis en prison, mais on l'en tint
quitte poin- un exil sans doute assez court,
puisqu'on lit dans la vie de Job Ludolf, que ce
savant, passant à Paris en 1683, y vit M. de Noin-
tel qui mourut l'année suivante.
GABRIEL JOSEPH DE LA VŒRGNE
DE GUILLERAGUES.
Il fut connu de Louis XIV par un projet de
comédie de l'exécution de laquelle le Roi l'avait
chargé, et qui n'eut pas lieu. M. de Guilleragues
passait sa vie à Paris dans la bonne compagnie et
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 233
avec les gens de lettres. Boileaii lui adressant sa
septième épître commence ainsi :
(( Esprit né pour la cour ec maîcre en Tare de plaire,
<( Guilleragues, etc. »
11 avait été d'abord premier président à la
cour des aides de Bordeaux, puis secrétaire du
prince de Conti, eniita secrétaire du cabinet du
Roi, qui imagina de l'envoyer à Constantinople
pour que sa fortime dérangée pût s'y rétablir.
« Je compte, lui dit Louis XIV lorsqu'il en prit
congé, que vous vous conduirez mieux en Tur-
quie que votre prédécesseur. » — <( Sire, répondit
Guilleragues, j'espère que Votre Majesté n'en
dira pas autant à mon successeur. » On prescri-
vit à cet ambassadeur, comme une affaire essen-
tielle, le rétablissement de l'ancien cérémonial
du sopha, mais Gara Mustapha n'était pas
homme à céder. Son obstination mit M. de
Guilleragues dans l'impossibilité de prendre ses
premières audiences, ce qui n'empêcha pas les
affaires de l'ambassade d'avoir leiu' cours ordi-
naire. Deux ans après, la France étant entrée en
guerre avec les Tripolins, M. Duquesne, lieu-
tenant général des années navales , eut ordre
de les attaquer jusque dans les ports du Grand
Seignein-. Cinq de leurs bâtiments s'étant réfîi-
3J4 Ml MOI H K
gics à Scio, M. I)ii(|iic.snc requit le ^^oiivcrnciir
de l'cxtraditioti des vai.ssc:iux tripoiins, et, sur
son refus, il les canoniia (iniis le port nicinie et les
mit en pièces; ce c|ui causa du dé^àt clans la
ville et coùia la vie fi plusieurs habitants. Au
premier avis (prcii reçut le ^rand vi/ir, il fit
partir pour Scio une escadre de ^^alères, com-
mandée par le (!a|)itan pacha, avec ordre de
rendre compte des laits. Al. Duqtiesne le laissa
passer, mais le menaça de ramener ses vaisseaux
à Constantinoplc. L'amiral turc, qui en connais-
sait la possibilité, écrivit au vizir d'accommoder
à tout prix cette affaire avec l'ambassadeur. Au
lieu d'attendre qu'on l'interpellât, celui-ci fit
demander luie entrevue au Kiahia bey et lui
porta plainte de l'asile donné aux Tripoiins. Le
ministre turc, sans daigner y répondre, chercha
à effrayer l'ambassadeur de la veny;eance de Sa
Hautesse, s'il ne parvenait à l'apaiser par l'offre
d'une grande somme. 11 n'en tint compte et
assura qu'il ne donnerait pas un sou; dans l'es-
poir de taire plus d'impression, Cara Mustapha
fit avertir M. de Guilleragues de se rendre chez
lui. On ne peut comprendre pourquoi il n'y nut
pas pour condition que le cérémonial du sopha
serait rétabli sur l'ancien pied; il s'en tint au
ridicule expédient de haranguer debout le vizir
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 235
en lui présentant la lettre du Roi 5 gaucherie qui
encouragea Cara Mustapha à renchérir sur les
menaces que le Kiahia bey avaient faites à l'em-
bassadeur de l'envoyer aux Sept-Tours s'il ne
promettait un don de sept cent cinquante bourses
à Sa Hautesse. M. de Guilleragues ayant réph-
qué que le Roi saurait venger avec des torrents
de sang Tmjure qui lui serait faite, le vizir
observa froidement que M. de la Haye avait été
mis dans cette prison sans que le Roi s'en ressen-
tît. M. de Guilleragues soutint assez bien le ton
de la fermeté : sous prétexte de suivre la négo-
ciation, on le retint la nuit chez le vizir et le len-
demain, il eut la faiblesse de promettre un pré-
sent. Cara Mustapha, qui ne demandait qu'à
sortir d'embarras, accepta l'offre. M. Duquesne
proposa au Roi de conduire son escadre à Con-
stantinople et de s'y faire rendre raison de tous
les griefs de la France, ne demandant, pour cette
entreprise, que dix vaisseaux de guerre; projet
qui n'eût pas manqué de lui réussir.
M. de Bonac, qui excuse la conduite de M. de
Guilleragues, dit qu'elle eut Tapprobation du
Roi. Tout au plus méritait-elle de l'indidgence.
Cara Mustapha paya de sa tète la levée du
siège de Vienne et les revers c|ui suivirent. Son
successeur, qui craignait que la b'r:incc tfaccédàt
2^' .MT.MOIKK
:i hi lif;iic j)rcst|iic j^ciiériilc cjiic les j)ni.ssancc*s
chiciiciiiics (ii"cnl ;il()i\s fontrc I;i l'ortc, crut
(lii'il ctaii prudent de donner s;iiistaction à
Louis Xl\' sur riirticle du soj)lia. Au mois de
scj)tenil)i-e 16H4, M. de C iuillerîif^aies, sur l'iiivi-
lation de ce ministre, et avec la promesse du
rétablissement entier de raïuien cérémonial, se
rendit à Andrinople, où on lui tint parole. Le
président Hénauh dit, ddus sou Ab?\'i^'-é de l'IIis-
tuirc de France, c|iie M. de Nointel obtint les
lionneurs du soplia en 1682, c'est-à-dire plus de
deux ans api*ès la lin de son ambassade. Cet
auteur avance avec aussi peu de fondement que
les intrigues et l'argent des puissances maritimes
suscitèrent cette querelle. Il suffisait bien de
l'orgueil de Cara Mustapha pour la faire naître.
Le sopha ou l'estrade de la chambre d'audience
du vizir ayant été depuis lors fort allongée, il
serait aujourd'hui impossible qu'on pût s'entendre
à la distance qui se trotivait entre le bas du sopha
où serait le tabouret de l'ambassadeur et le coin
de la salle où s'assoit le grand vizir. M. de
Guilleragues venait à peine de remporter cette
frivole victoire, qu'il eut, à son retour à Constan-
tinople, une attaque d'apoplexie dont il mourut le
7 mars 1685.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 237
JEAN-BAPTISTE FABRE.
Le sieur Noguez, chancelier de l'ambassade,
voulut s'emparer de la g-estion des affaires après
la mort de l'ambassadeur précédent; mais ma-
dame de Guilleragues l'en fit exclure et embar-
quer de force, ce que M. de Bonac dit que la
Cour approuva. Peu après M. de Seignelay char-
gea un nommé Fabre de réclamer à la Porte lui
bâtiment français saisi par les Tripolins dans un
port ottoman. Il sut se prévaloir de l'occasion
pour prendre en l'absence du Grand Seigneur et
du vizir, sous le titre d'agent, une audience
publique du Caïmakan et il s'empara au grand
déplaisir de madame de Guilleragues de l'intérieur
de l'ambassade. On ht en effet dans les instruc-
tions de M. de Girardin : <( que Sa Majesté a
commis Fabre depuis la mort de M. de Guille-
ragues pour, en quahté d'agent, faire auprès du
grand vizir et autres ministres de la Porte tout
ce qu'il croira le plus convenable au service de
Sa Majesté et à l'avantage du commerce de ses
sujets. » Si l'on en croit M. de Bonac, il con-
serva le titre d'agent du commerce à l'arrivée de
M. de Castagnères, qui l'en dépouilla, en 1692,
et l'envoya à la suite du grand vizir à l'armée
2}8 MINKHHI
tiir(|nc. (Jnclcjucs ;iimccs :iprcs le \(ni lui tl(j(iii:i
une mission eu l'erse, et il mourut en chemin.
IM I:K Kl. 1)1, (;iK AKDIN.
(]et ambassadeur, (|ui avait été licutenanr civil
au Chàtclet de Paris, avait voyagé en 'l"ur(|uie
dans sa jeunesse, et il en avait appris la lau^aie,
ce qui .Servit j)rincipalement à fixer sur lui le
choix de Louis XIV. M. de Bonac, dans son mé-
moire, fait là-dessus une observationqui n'est pas
digne de sa justesse ordinaire. 11 prétend, d'après
un chevalier Fulton, ambassadeur d'Angleterre,
qu'il est avantageux pour un ministre étranger à
la Porte d'ignorer la langue du pays parce que
les Turcs usent d'ordinaire envers les chrétiens
de termes de mépris, que les interprètes adou-
cissent; comme s'il ne valait pas mieux qu'un
ambassadeur put les comprendre et s'en ressen-
tir, que de paraître satisfait d'être vilipendé aux
yeux d'une nombreuse audience qui n'entend pas
l'interprétation et la croit exacte. D'ailleurs que
d'avantages n'a-t-on pas de posséder la langue
employée dans les affaires qu'on traite! M. de
Vauvré, frère de M. de Girardin, était intendant
de la marine à Toulon. Ils avaient compté lier
ensemble un commerce lucratif, mais cette ten-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. ly)
tative n'aboutit qu'à occasionner <à l'ambassadeur
beaucoup de tracasseries avec les négociants de
Marseille. 11 fut conduit à Constantinople par
deux vaisseaux du Roi, et il y arriva le ii jan-
vier 1686. L'un des deux était destiné pour
M. d'Ortières, chargé d'inspecter les Échelles du
Levant. On lit dans l'instruction de M. de Girar-
din que M.M. de Brèves et de Marcheville, qui
avaient disputé le pas à l'ambassadeur de l'Em-
pereur, sous coidem- que ce prince ne devait
être regardé à la Porte que comme roi de Hon-
grie, n'avaient pas été approuvés. Le Roi autorise
M. de Girardin à se désister de cette prétention,
si elle se présente; mais il lui est prescrit d'éviter
les occasions de préséance, ajoutant même que
s'il pouvait la prendre, le Roi ne le trouverait pas
mauvais.
L'ambassadem* ne fut pas dans cet embarras,
la guerre entre la Porte et la Cour de Vienne
ayant existé pendant toute sa mission. Dans le
rapport qu'il fit à la Cour de l'audience que le
Grand Seigneiu* lui donna à Andrinople, il fit
observer l'indécence du cérémonial d'usage et
notamment de ce que, après avoir vu Sa Hau-
tesse, il fallait attendre à cheval contre le mur de
la première cour du sérail que le grand vizir et
son cortège fussent passés. M. de Girardin s'y
240 MF MOI H h
refusa (.ommc a un rciard aussi inutile qu'indé-
cctit. On voit dans la correspondance de M. de
l-'erriol (|u'il pensait de môme à cet égard; ce
c|ui n'a pas empêché leurs successeurs de suivre
la vieille routine. M. de (jirardin se prévalant des
circonstances, ne se prêtait pas à l'insolence des
Ibrmes turques etivers les ministres étrangers.
Le C^aïmakan chez lecpiel il s'était rendu, tardant
trop à paraître, rambassadein- prenait le parti de
s'en retourner, et ce ne fut que siu- les instances
que lui fit faire ce ministre par les principaux
officiers, qu'il revint sur ses pas, et il trouva le
Caïmakan qui venait lui-même au-devant de lui.
La correspondance de M. de Girardin fournit un
détail curieux sur l'état de maison de Sultan Mé-
hémet IV. Il avait dix-huit cent quarante-quatre
femmes, cinq cents eunuques, quinze cents pages
ou officiers de l'intérieur, quinze cents chevaux
d'écurie et des domestiques inférieurs en pro-
portion de tout cela. Cet ambassadeur a laissé
aussi un mémoire fort exact sur l'état d'alors des
milices ottomanes. La maison de M. de Girar-
din consistait en un intendant, deux secrétaires,
deux écuyers, deux pages, quatre valets de
chambre, vingt-quatre laquais et des gens de
cuisine, d'office et d'écurie à l'avenant. Ses
appointements étaient de 36,000 francs, et il en
SUR L'AMF3ASSADE DE TURQUIE. 241
recevait seize de la chambre de commerce. Le
Roi lui donna quarante-cinq mille livres pour
son ameublement et les présents à faire avec
dix-huit mille livres de gratification.
Le temps de l'ambassade de M. de Girardin
fut pour la Porte un tissu de désastres. La capi-
tale parut menacée, et l'ambassadeur crut devoir
demander au Roi s'il accompagnerait en Asie le
Grand Seigneur en cas que Sa Hautesse eiit à s'y
réfugier, ou s'il passerait à Smyrne ou dans
l'Archipel. La réponse fut de suivre le Sultan.
La conduite deM.de Girardin plut à Louis XIV,
qui aurait accordé à cet ambassadeur ime place
de conseiller d'État, qu'd désirait, mais sa mort
prévint cette grâce, le 15 janvier 1689.
■ L'ABRÉ DE GIRARDIN.
11 était frère de l'ambassadeur de ce nom, et
il se chargea de l'ambassade dont madame de
Girardin refusa le soin 5 cette dame repartit avec
son beau-frère à l'arrivée du nouvel ambassadeur.
PIERRE ANTOINE DE CASTAGNÈRES
DE CHATEAUNEUE.
Né sujet du duc de Savoie, il s'était établi en
P^rance avec son frère, l'abbé de Châteauneuf.
16
242 \1 IMOl K K
Les liaibotis c|iic l'cspril :uiiialjlc de tel abbé lui
fiL lonner avec des personnes en crédit, procu-
rèrent à son frère, alors conseillei" an parlenieni.
l'ambassade de ( !onsiantniople. On voit au dépùt
des Ail'aires étrangères, dans la minute de son
instruction le nom de M. de C^asta^mère.s substi-
tué au nom raturé d'un sieur Lel)lanc, maître des
requêtes, probablement celin cpii devint ensuite
ministre de la guerre, en 1716. M. de (>asta-
gnères arriva à Constantinople dans l'automne
de 1689. 11 se rendit pour prendre audience du
vizir à l'armée turque qu'il trouva sous Nissa,
venant d'essuyer un échec considérable, et si
effarouchée, que le grand vizir fît recommander
aux drogmans de l'ambassadeur de ne parler que
turc par la peur que le peu de troupes ottomanes
qui restaient ne s'effrayassent, en les prenant
poiu' des Impériaux. M. de Castagnères trouva
au camp ottoman un sieur Varner qui avait la
confiance de M. de Girardin et lui servait de
correspondant à l'armée ottomane. Cet homme,
peu après, se croyant devenu suspect à M. de Cas-
tagnères, se tua.
Mustapha Kupridy succéda à ce vizir timide
et rétablit les affaires de la Porte par son cou-
rage. M. de Castagnères parait s'être un peu
prévalu de l'occasion pour se donner auprès du
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 245
Roi, le mérite de l'énergie de Kupruly, qu'il fut
blâmé de n'avoir pas accompag-né en Hongrie.
L'année suivante, le Roi ût partir par une tartane
M. de Ferriol, colonel de dragons, pour suivre le
camp ottoman. Ce dernier trouva l'ambassadeur à
Andrinople, et il fit le plus grand éloge à Louis XIV
de sa personne et de son crédit à la Porte, obser-
vant que des Turcs de considération venaient
familièrement lui demander à dîner. M. de Bonac
ajoute dans son mémoire que M. de Castagnères
allait lui-même fréqtiemment manger chez le
Muphti : ce qui paraît à peine croyable aujour-
d'hui.
Dans l'embarras où la guerre avec la cour de
Vienne mettait M. de Castagnères pour trans-
mettre en France ses dépêches , il imagina d'éta-
blir un consul à Gabella, près de Castelnuovo,
place des Vénitiens siu- l'Adriatique , d'où un
brigantin portait les paquets à Venise. Il fallut
renoncer dans la suite à cet établissement sur
les plaintes que cette République en fit à la cour.
On le transporta à Durazzo, où un consid de
France, nommé Conte, entretenait sur ses
appointements deux felouques, l'une pour Brin-
disi , l'autre pour Ancone. Cela existait encore
sous l'ambassade suivante et dura jusqu'à la paix
d'Utrecht. M. de l^'erriol continua de suivre
244 Ml. MOI in.
l'.'irnicc iiir([nc, cl (m siij)|)lccj en i'^94, (lu'il fit
un voyage en !■ rance, par le père lirilly, et celle
d'après pai- M. Pellerin, l'iiii et rautrc secré-
taires (le l'anibassadeiir. Il a\ait demandé, sans
p()ii\()ir l'obtenir, (rarc()nipa^'"ner lui-niènie à la
guerre Sultan Mustapha 11 à sa première cam-
pagTic. l^eiix ans après, \\ dit plus heureux. Il
s'était mis en chemin , lorscpiil reçut du Roi
l'ordre de rétrograder. M. de Ferriol revint jxjur
la campagne de 1696, et M. de Castag"nères, qui
lui donna pour drog-man le sieur Fonton. se plai-
gnit que ce dernier le trahissait. Cet ambassa-
deur eut encore plus à se plaindre de son
chancelier, nommé Beauqucsne, qui envoya un
mémoire contre lui à M. de Croissy; ce ministre
le communiqua à M. de ChateauneuF, et son frère
y répondit. L'une et l'autre pièce existent aux
archives de Constantinople. Quoique le senti-
ment de M. de Bonac soit favorable à la défense
que iit M. de Chateauneuf, il semble qu'elle est
plus faible que l'attaque. La machination d'anti-
datés dont est accusé cet ambassadeiir pour se
donner le mérite des événements, est trop subtile
pour être purement imag-inée par Beauquesne.
11 y a lieu de croire qu'on le sentît à la cour, mais
que le besoin et l'utilité des services de .M. de
Chàteauneuf firent passer là-dessus. Quoi qu'il en
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 245
soit, il suffit de connaître la Porte ottomane,
pour juger que des intrigues n'y peuvent être
menées de suite par des ministres étrangers :
s'il y a quelques exemples contraires, ils sont
isolés, et ne présentent pas l'effet d'un système
suivi.
Au reste, Beauquesne ne fut pas puni comme
Faïu-ait été im calomniateur, et, dans la suite, le
comte des Alleurs le mena avec lui à sa com-
mission de Berlin. M. de Bonac dit que le drog-
man Fonton, que M. de Castagnères avait
maltraité, obtint un congé de la Cour, et qu'il
aida M. de Ferriol dans les mauvais offices qu'il
rendit à M. de Castagnères. On le noircit auprès
de Louis XIV potu' avoir pris l'habit levantin,
chose assurément sans inconvénient, et qui
pouvait même lui être utile à Andrinople, pour
contracter, avec les ministres ottomans, une
plus grande intimité. M. de Castagnères eut
certainement auprès d'eux plus d'accès et de
crédit que ses prédécesseurs. Sa répiuatioii se
soutenait encore à Constantinople du temps de
M. de Bonac, qui fait avec grande raison l'éloge
du mémoire par lequel M. de Castagnères, à son
retour, rendit compte au Roi de son ambassade
à la Porte ; cependant il est plus remarquable par
le style de l'auteur et le compte qu'il rend de sa
246 Ml. MUII{I
conduite (jiic par les vues ultérieures (ju'il pro-
pose.
M. de (>asia^nières lut rappelé en 1699 ei
partit le 7 lévrier 1700 sur les vaisseaux (]ui
amenèrent son successeur. Il eut depuis une com-
mission en Espagne, une autre en Portugal; il
fut ambassadeur à liu-in , ensuite en Hollande où
il signa en 1717, avec l'ambassadeur de Pierre le
Grand, im traité entre la France et la Russie.
Enfin, devenu conseiller d'Etat et prévôt des
marchands de Paris, il mourut dans cette ville le
14 mars 1728.
CHARLES DE FERRIOL, Baron d'Arghntal.
Il arriva à Constantinoplc le 1 1 novembre
1699. On trouve dans sa correspondance le détail
qu'il fait au Roi de ses services, en ces termes :
« J'entrai dans les mousquetaires en 1669, poiu*
aller en Candie, où je reçus deux blessures;
en 1672, Votre Majesté me donna une compagnie
de cavalerie et, en 167^, elle m'envoya en Hon-
grie commander un régiment de Tartares et de
dragons. J'avais en même temps l'honneur de
rendre compte à Votre Majesté des affaires de
Hongrie; enfin, j'ai fait sept campagnes avec les
grands vizirs ou les Sidtans avant d'être ambassa-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 247
deur. )) On voit qu'il omit ce que M. de Ronac
dit de la nécessité où M. de Ferriol fut de
prendre asile en Pologne à la suite d'une aventure
galante et de sa querelle avec un magnat pour
laquelle M. de Béthune, ambassadeur de France
à cette cour, se décida à faire passer M. de Fer-
riol en Hongrie. Sa nomination à l'ambassade est
attribuée, par M. de Bonac, au crédit que cet
ambassadeiu- et madame de Ferriol , belle-sœur
de ce dernier, avaient sur M. de Torcy et à celui
de M. Blondel, alors premier commis des Affaires
étrangères, avec lequel madame de Ferriol avait
des rapports de parenté. M. deCastagnères avait
mandé au Roi, lorsqu'il eut ses premières
audiences, qu'on l'avait admis avec son épée chez
le Sultan, ce qui était contre l'usage constant.
Cet ambassadeur en portait sans doute une fort
courte qui avait échappé à l'attention des Turcs.
M. de Ferriol avait ordre de maintenir le précé-
dent. Sa longue épée militaire n'échappa pas à la
vue des capidgi hachis qui le prévinrent de la
quitter. 11 s'y refusa avec beaucoup de fermeté. 11
ne résista pas moins vivement à l'essai qu'ils firent
delà lui enlever par surprise, et il sortit du sérail
sans paraître devant le Sultan. Ce début disposa
mal pour lui les ministres ottomans. 11 éprouva
d'étranges scènes pendant onze ans que dura son
24« M F- M O I K I
ainbassiidc. On peut dire a la vérité que le carac-
tère vain et emporté de M. de l"'erri(j| en fournit
presque toujours le canevas. Il Im prit fantaisie
d'avoir un tendelet à son bateau, ce qui est
réservé au Sultan et au ^n-and vizir. Le bostandji
bachi, (|ui a rmtendance de la mer, Favant su,
fit donner une rude bastonnade aux bateliers de
ranibassadeiu- poiu- avoir c^sé le mener avec ce
tendelet, et il ne put en trouver d'autres. De dépit,
M. de Ferriol renvoya son bateau à Smyrne et
ne traversa plus le port, aimant mieux, par une
puérile affectation, en faire le tour par terre lors-
qti 'il allait à Constantinople. Démétrius Cantémir
écrit qu'étant persécuté par ses ennemis, il se
réfugia chez M. de Ferriol, et que le grand vizir
ayant réclamé de cet ambassadeur Textradition,
celui-ci répondit en niant que ce Grec fût au palais
de France, mais ajoutant que s'il y eût été, on ne
l'aïu'ait pas remis, ce que la Porte ne releva pas.
A la naissance du duc de Bretagne, l'ambas-
sadeur avait fait prévenir le grand vizir de son
intention d'illinniner le palais de France; mais
ce ministre fut déposé le soir même. Son succes-
seur, ignorant le motif d'une aussi grande
clarté à Péra, envoya voir ce que c'était, et sur
le rapport qu'il en reçut, il ordonna de l'éteindre.
M. de Ferriol s'y refusa et arma ce qifil a\ait de
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 249
monde chez lui pour repousser, au besoin , la
force par la force. Dans le cours des pourparlers
l'illumination s'éteignit en partie d'elle-même ou
fut éteinte par les gens du palais à l'insu de l'am-
bassadeur, ce qui finit la querelle sans voies de
fait. 11 n'en fut pas de même d'une tracasserie
qu'eut M. de Ferriol avec le comte d'Octinguen,
ambassadeur de l'Empereur. Deux Français,
déserteurs des troupes impériales, réfugiés au
palais de France, eurent l'insolence de se présen-
ter chez le comte d'Octinguen. Il les fit détenir
dans l'intention de les ramener avec lui à Vienne
pour être punis. M. de Ferriol les réclama comme
sujets du Roi et, sur le refus de les rendre, il fît
arrêter dans la rue et conduire chez lui deux
officiers allemands qui passaient devant sa porte.
L'ambassadeur menaçait de venir les y réclamer
à main armée; mais celui de Hollande s'étant
entremis, les prisonniers furent échangés chez
lui, et l'affaire terminée.
La Porte envoyait en exil le patriarche armé-
nien Avedik. La crainte que ce dangereux ennemi
des cathohques ne rentrât en phice, engagea les
Jésuites à proposer en France de Tcnlevcr en
chemin. La chose s'exécuta avec succès, et le
prélat fut conduit à la P>astille, où il mourut. Le
grand vizir le réclama en vaiu à |)lusicurs
2ÇO M IM(H H I.
rc|)nsL'.s. I .'ciiK'n cmctii ii'avaii j)as laisse (le
liMccs et le peu (riiitéi-èl des i'iircs pour- ces
cliet s d'I^f^lises clii-étieiiiies lit ([iie la chose tomba
dans la suite, ('epeiidant le Capital) pacha lit
|)a.sser en li-ance un Tui-c tiomnié l)ekir A{^a
poiii" porter a la cour des plaintes contre M. de
l'"erri()l, dans le but de le (aire rappeler. M. de
Pontchartrain reçut fort bien l'etnové turc, et
raiiibassadeur eût probablement succombé, si
M. de Toi-cv no l'avait soutenu: par la laveur de
ce ministre, la justification de M. de Ferriol lut
admise, «i J'avouerai, disait-il an Roi en la ter-
minant, que j'ai un ^rand défaut par devers moi;
je n'ai jamais pu plaire à un des ministres de
Votre Majesté (M. de Pontchartrain), quoi que
j'aie fait pour y parvenir. J'en tairai les raisons
par respect. »
La véhémence de M. de Ferriol était catisée
sans doute par un principe de maladie. Sa
tète finit par s'altérer. La Mottraye, qui pas-
sait à Constantinople au commencement de 1709,
rapporte un trait de folie de cet ambassadeur.
Il fut pris d'une fièvre chaude au mois de mai
suivant et, à la suite de son délire, ses gens
le lièrent et le gardèrent à vue dans sa chambre.
Le sieur Belin, chancelier, ayant assemblé
la nation , sur une consultation des médecins
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 2^1
d'après laquelle l'état de démence fut con-
staté, on dépécha en France le sieur Brue,
drogman, pour en donner la nouvelle. Sur cet
avis, le Roi envoya ordre à M. de Fontenu, con-
sul de Smyrne, de se rendre promptement à
Constantinople pour y prendre la conduite des
affaires de l'ambassade ; mais il répondit qu'il s'en
dispensait ayant des preuves certaines du bon
état de santé de M. de Ferriol depuis le 9 août.
En effet, sa tète était revenue, quoiqu'il restât
toujours lié parla malice des gens de sa maison.
Au bout d'un mois, le fauteuil sur lequel il était
attaché ayant été approché de la fenêtre, il aper-
çut l'ambassadeur de Hollande à la sienne et il
lui demanda du secours; ému de ses cris, celui-
ci força la porte, et il fit tant qu'on délia M. de
Ferriol, qui reprit le soin des affaires, mais avec
assez de marques de rancune contre les officiers
de l'ambassade pour qu'on crût à la coiu* son réta-
blissement imparfait. Le comte des Alleurs, alors
en Hongrie, fut nommé pour lui succéder; il se
rendit directement à Constantinople avant que
ses lettres de créance y arrivassent, et il demeura
longtemps à les attendre, vivant en très-mauvaise
intelligence avec son prédécesseur. Si l'on en
croit une lettre de M""' des Alleurs, alors à
Paris, adressée a M. de 'rorcv,M. de Ferriol en
252 Ml MOI Kl.
\ini ;ni poini d ';i|)|)clcr son nuiri en duel, ce (jui
ne doit pus étonner de l;i p:irt de cet :iml)a.ss;i-
deur (jiii, dans un nionient de t ureur, a\ :iit un
jour chargé l'ornciii , son dro^nian, de présenter
un farte! au ^-rand \izn- Ali Pacha. lOnfîn les
lettres de créance de M. des .\lleui-s arrivèrent,
et M. de Fcrriol s'enil)ar(|iia le 4 avrd 1711. La
.Mottraye et Tournelort \anieni la nia^^nificcnce
du train de M. de l-'erriol. Il avait une iai)le fort
bien servie, une vaisselle superbe, ti'ente-six
valets de pied et d'autres domestiques à l'ave-
nant, et des musiciens à ses gages. On représen-
tait chez lui des spectacles français et italiens.
Al. de Ferriol avait vivement sollicité une place
de conseiller d'épée qu'il n'obtint pas. Il con-
serva toujours, à en croire Al. de lionac. le désir
de revenir ambassadeur à Constantinople, ce qu'il
disait nécessaire potu- se laver de l'imputation de
folie qui l'avait fait rappeler. Il mourut en 1-22.
PIERRE PUCHOT, SEIGNEUR de Clinchamp,
COMTE DES AlLEURS.
On voit dans le mémoire de M. de Bonac que
Al. des Alleurs, qui avait été page de Al"' de
Alontpensier, entra dans le régiment des gardes,
y devint capitaine et maréchal de camp. Il vendit
SUR LAMBASSADK DE TURQUIE. 253
sa compagnie et en perdit le prix par l'infidélité
d'un de ses amis. Ensuite il obtint la commission
d'envoyé extraordinaire à la cour de Berlin : mais
l'Electeur ayant pris le titre de roi, Louis XIV
refusa de le reconnaître, et retira son ministre
qu'il employa auprès de l'Electeiu' de Colog-ne et
ensuite dans ses armées. En 1704, M. des
AUeiu-s passa à Dtu-azzo avec deux frégates du
Roi qui l'y débarquèrent poiu- joindre en Hongrie
le prince Ragoczy qui y avait im puissant parti.
Mais ce dernier, après s'être soutenu pendant
quatre campagnes, fut obligé finalement de s'en-
fuir en Pologne où M. des AUeurs le stiivit.
Il y apprit sa nomination à l'ambassade de la
Porte. On voit dans ses instructions que Louis XIV
l'autorisa à se relâcher siu- la prétention de garder
son épée à l'audience du Grand Seigneiu-, ce qui
le mit en état de la recevoir. M. des Alleiu-s
s'était fort affectionné à Charles XII, roi de
Suède, qir'il avait vu en passant à Bender. Il le
servit de son mieux à la Porte et chargea le sieur
de la Perière, qui suivit à l'armée le grand vizir
Baltadgi Méhémed Pacha de veiller aux intérêts
de Sa Majesté suédoise. On a des lettres de ce
drogman à M. des AUeurs où l'affiiire du Pruth
est rapportée en grand détail. Après que
Charles Xll eut été arrêté à Bender et conduit à
M IMOl Hl
254
I )cni()in:i, M. (les Allcurs :ill:i le voir pour
l'ciiLiuLicr II s'aboucher eu lieu tiers axcc le
nr:mcl \i/ir, (|ui le propos;ii(. Mais ce inon;ii-(|ue
relusa r;inib:iss;i(leur avec" tant crojîiiiiàtrcté
c|ue telui-ei abaiulonna la partie i/luinianité
cpTil inoiitra pour les N'énitiens ne lui réussit
pas mieux. La Porte leur avait déclaré itiopiné-
ineiit la guerre par raltaque de la Morce. Le
baylc André iMemmo fut mis aux Sept-Tours.
AL des Alleurs retira chez Itii tout ce qu'il put de
SCS effets et de ses papiers, et s'employa vive-
ment pour sa délivrance qu'il obtint au bout de
huit mois. 11 fit aussi racheter plusieurs nobles
Vénitiens pris en Morée. Ces rançons ne furent
remboursées que plusieurs années après. Par
surcroît, cet ambassadeiu- fut accusé injustement
de n'avoir pas fait restitution entière des papiers.
Le dérangement de sa santé et sa vieillesse le
dégoûtèrent du Levant. 11 demanda son rappel et
le marquis de Bonac fut nommé, dès 1 7 1 3 , pour le
remplacer, mais il n'arriva qu'au mois d'aoïit
1716, après la mort de Louis XIW sur deux
vaisseaux du Roi qui ramenèrent son prédéces-
seur. M. des Alleurs vécut jusqu'en 1725, étant
parvenu au grade de lieutenant général des
armées du Roi , et à la décoration de la grand'-
croix de l'ordre de Saint-Louis. Il ordonna que
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 255
son cœur fût rapporté aux Capucins de Saint
Louis à Péra, ce qui a été exécuté. On lui a élevé
un mausolée dans leur église.
JEAN LOUIS D'USSON, marquis dk Bo.vac,
Brigadier des années du Roi.
Le marquis de Bonac termine ses mémoires
à son ambassade ; mais il a laissé à la chancellerie
de Constantinople un assez grand nombre d'écrits
pour pouvoir y recueillir les faits qui y appar-
tiennent. Louis XIV l'avait employé auprès des
ducs de Wolfenbutel , des rois de Suède, de
Pologne et d'Espagne. 11 resta peu à la cour de
Madrid, où les mémoires de Noailles disent qu'il
réussit, ce qui était fort difficile alors. M. de
Bonac avait épousé Mademoiselle de Biron, fille
du marquis de Biron, depuis maréchal de France
et premier gentilhomme du duc d'Orléans, régent.
Cette dame suivit son mari en Levant. Milady
Montague parle avec éloge dans ses lettres de ma-
dame de Bonac. Elle lui reproche cependant de
trop tenir à son cérémonial. Ces dames vécurent
ensemble à Andrinople, où était alors Sa Hautesse.
Pendant le séjour du marquis de Bonac en cette
ville, le Mimar aga, ou intendant des bâtiments de
la capitale, s'émancipa an point d'entrer dans le
256 ''l I MfH|{ I.
p;il:iis (le !■ r;iii(c, où 011 t:iis:iit des rc|);ir:iti()ns et
(le les siispendrj. I .';imbassadeiir denianda el
obtint satisf'actioti. (-ette habitation, ([ii'on croit
avoir été bàtie du temps de I iemi l\', ac'eriie
ensuite pai- messieurs de Marchevilleet de Nointel
était devenue si dé^'^radée (jue M. de iV)nac de-
manda u\) architecte du K.01 pour la visiter et pro-
noncer sur l'état où elle se trouvait. Un sieur de
Vigny, envoyé à cet effet, décida (|u'elle ne jjouvait
guère passer trois ans. lOlle en a duré cinquante
encore, au moyen de qtielques réparations qu'on
y a faites. M. de Ik)nac avait de fréquents entre-
tiens avec le grand vizir Ibrahim Pacha duquel il
obtint le rétablissement de la voiite du Saint
Sépidcre à Jérusalem, faveiu' sollicitée en vain
depuis soixante ans et dont le vizir fît tant d'état,
qti'il en prit occasion d'envoyer im ambassadeur
en France dans l'espoir que la reconnaissance et
la générosité du Roi lui prociu-eraient de riches
présents. M. de Bonac prévit l'embarras que
donnerait cette mission tiu-que, et il écrivit à sa
Cour sur ce sujet pour en savoir les intentions.
Les réponses n'arrivèrent qu'après le départ de
Méhémet Effendi pour Toulon. On sait que le
cardinal Dubois, qui gouvernait sous la régence,
se mettait quelquefois au coin-ant de ses corres-
pondances en jetant au feu les lettres qu'il avait
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 257
sur son bureau. M. de Bonac fut une fois dix-
huit mois sans réponse de la Cour. L'ambassa-
deur turc a fait une relation intéressante de sa
commission qui se trouve aux archives de l'am-
bassade. Il recevait du Roi 750 livres par jour.
Dans ce même temps, le comte de Berchini, sei-
gneur hongrois, partisan du prince Ragoczy,
obtint en France l'ag-rément de former parmi les
Hongrois réfugiés en Turquie un régiment de
hussards dont il fut nommé colonel. M. de Bonac
facihta la levée à laquelle les Tiu'cs se prêtèrent
volontiers pour se débarrasser des payes qu'ils
donnaient à ces réfugiés. Cet ambassadeur eut
quelques désagréments au sujet de sa maison de
campagne de Saint-Stéphano, mais il s'en tira à
son honneur mêlant la prudence à la fermeté. Il
demanda son rappel en 1722 et il fut relevé, deux
ans après, par M. le vicomte d'Andrezel avec
lequel il eut des démêlés assez désagréables pour
tous deux et oii le premier paraît avoir eu le plus
de torts. Pierre I" envoya cà M. de Bonac à Con-
stantinople, avant son départ, l'ordre de Saint-
André en reconnaissance de la médiation qu'il
avait exercée au nom du Roi entre la Porte et la
Russie pour le partage des provinces de Perse.
M. de Pionac s'embarqua le 26 février 1725, il
obtint, en 1727, une place de conseiller d'État
17
258 MI.MOIItK
(l'cpcc. Il lut ciisiiiic :iml):iss:i(lciir du Koi en
Suisse où il ni()Ui-iii en 17^''''. I - niipératrice de
Russie, alors régnante, conféra le cordon de Saint-
yXndré de M. de lionac à Taîné de ses enfants.
.IK AN-RAPTISTI, I.OLIS PICOX,
VlCOMTt d'AnDREZEL.
11 avait été secrétaire des commandcnients de
Monseigneur, puis intendant du Houssillon et de
l'armée au siège de Fontarabie, en 1719. Sa
femme ne raccompagna pas à Constantinopie
oh il conduisit ses deux iils. 11 s'embarqua à
Toulon, le 17 avril 1724, et fut chargé de visiter
en passant les régences de Barbarie, notamm.ent
celle de Tunis, où il avait la commission secrète
de contrarier sous apparence de bons offices, la
négociation qu'y suivaient alors les Ktats géné-
raux. M. d'Andrezel y réussit au point qu'elle fut
rompue et que la République lit remercier le
Roi, des démarches de son ambassadeur. M. Dail-
lon, neveu du înarquis de Bonac, était resté à
Constantinopie en qualité de commissaire pour
les limites de la Perse. Le caractère inquiet et
ambitieux de ce jeune homme donna bien des
tracas à M. d'Andrezel, et contribua peut-être à
abréger ses jours. Cet ambassadeur, la seconde
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 259
année de son ambassade, fut atteint d'une attaque
de paralysie dont il ne put se rétablir. Dans cet
état il proposa à la Cour de le faire suppléer par
M. de Fontenu, consul de France à Smyrne qui
avait déjà été destiné à pareille commission pen-
dant la maladie de M. de Ferriol. Ce consul, ami
de l'ambassadeur, vint le voir à Constantinople,
et l'approbation du Roi pour l'arrangement pro-
posé arriva précisément la veille de la mort de
M. d'Andrezel, survenue le 26 mars 1727; il
laissa à peine de quoi payer ses dettes, et ses
enfants ont vécu dans la pauvreté.
GASPARD DE FONTENU.
M. Daillon avait cqbalé avant la mort de
M. d'Andrezel pour être choisi par la nation de
Constantinople, comme chargé des affaires de
l'ambassade^ mais l'ordre du Roi, que M. de Fon-
tenu produisit en sa faveur, ferma la bouche à
l'assemblée et il entra en exercice. Il était né
gentilhomme et il aspirait à l'ambassade, tant par
sa naissance que par ses services; on a soup-
çonné qu'il avait mendié une lettre de reconunan-
dation ad hoc du grand vizir Ibrahim l\icha à
M. de Morville, alors secrétaire des affaires
étrangères. Quoi qu'il en soit, on n y eut aucun
j6o m K m < h |{ h.
c^ard, et M. de Villciicii\c. tiommc a I ;«mbassadc
de ( ionstantinople, y arriva avec deux vaisseaux
du Koi, le "^ décembre i jiH. M. de b'onienu
attribue le l'elus (|uOn lui (ii de cette place à
M. de Bonac (ju'd soupçonna d'avoir agi contre
lui. Après la venue du nouvel ambassadeur, ce
consul se retira à Smyrne d'où il rentra en f^rance ;
il y mourut.
LOUIS SAUVEUR DE VILLENEUVE.
Il avait été lieutenant civil de la ville de Mar-
seille et député à Paris pour une affaire de son
tribunal contre le parlement d'Aix. 11 acquit dans
ce voyage la bienveillance du chancelier d'Agues-
seau, et c'est à lui qu'il dut sa nomination à l'am-
bassade de France à la Porte.
Les commencements de sa mission furent
aussi désagréables que la fin en fut brillante. Le
grand vizir Ibrahim Pacha, enorgueilli d'un long
ministère, se permit un ton très-altier vis-à-vis
de M. de Villeneuve relativement au bombarde-
ment de Tripoli de Barbarie par une escadre
française; peu après, ayant reçu des plaintes
contre un consul de France à l'île de Milo,
nommé Castanier, il le fit enlever et mettre au
bagne de Constantinople; ce ne fut qu'à force
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 261
d'arg-ent et en intrig-uant auprès d'une sœur du
Grand Seigneur qu'on obtint la liberté de ce con-
sul, le 29 juin 1729. Le fameux comte de Bon-
neval écrivit à M. de Villeneuve pour lui faire
part de son arrivée en Turquie et de ses projets
de vengeance contre la cour impériale. Le drog-
man de la Porte fiu chargé de demander à l'am-
bassadeur s'il serait agréable à la France que ce
comte vînt à Constantinople. M. de Villeneuve
répondit qu'il demanderait des ordres, et il
témoigna désirer qu'on retînt Bonneval en Bosnie
jusqu'à la réponse de sa Cour. Elle fut que le
Roi ne voulait plus entendre parler du comte de
Bonneval : qu'il ne fallait avoir avec lui aucune
communication, mais sans chercher à lui nuire;
qu'au reste, Sa Majesté ne serait pas fâchée qu'il
résidât à Constantinople et qu'il y acquît la con-
fiance des Turcs. Cette lettre du 15 octobre 1729
est la clef de la conduite de M. de Villeneuve
avec le comte de Bonneval, lequel s'est plaint
alors de cet ambassadeur qu'il regardait comme
étant cause de son apostasie pour ne l'avoir
pas réclamé lorsque le résident de FLuipereur
demanda à la Porte son extradition. C^e ne l'ut que
sous le vizir Topai Osman ([ue lioniieval depuis,
Ahmed Pacha, vint à (Constantinople. Il Un <ait
pacha à deux queues et chef des bombaiilicrs;
262 Ml. MiniM.
ni;iis il lie lut ^uèrc employé le reste de s:i vie que
(l;in.s les aliaires |)()liti(|iies de la Porte.
Le (]apitaii l'atha, Djaiiiiiii H(jdja, qui joua
un si {^raïul f(')le poui" éteiiuli'e la rél)eliioii
de 1730, était ion lié avec ^\. de Villeneuve,
(let amiral vint im jour au palais de France
rendre visite à l'ambassadrice, il passa par la
petite porte et M. de Villeneuve qui avait été le
recevoir d\\n autre coté, le trouva avec sa
femme,
« Je n'ai pas oublié mon ancien métier de
corsaire, dit Djanum, en riant, j'arrive où Ton ne
m'attend pas. » L'histoire imprimée du traité de
Belgrade a informé suffisamment le ptiblic de
ce qui concerne cet ambassadeur dans le cours
de cette négociation. Il devint conseiller d'État
de robe et ce fut le ridicule motif qu'allégua
le cardinal de Fleury poiu- décider que M. de
Villeneuve, comme magistrat, ne pouvait recevoir
l'ordre de Saint-André de Russie que l'impé-
ratrice Anne lui envoya. 11 faut observer qu'il
n'est pas nécessaire en Russie d'être militaire
pour avoir cette décoration. M. de Villeneuve
eut le mérite de prociu'er à la Porte une paix
glorieuse et de jeter sur sa faiblesse intérieure
un voile qui s'est soutenu trente ans, en faisant
illusion à toute l'Europe. A son retoiu- de Bel-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 263
grade, il fit une entrée publique à Constantinople,
et il y jouit d'une grande considération. Peu
après, il demanda son rappel, l'obtint, et partit
le 9 mars 1741. Louis XV après le renvoi de
M. Amelot, secrétaire d'Etat des affaires étran-
gères, nomma M. de Villeneuve à sa place,
mais il la refusa. On assm-e qu'il dit alors qu'il
aurait accepté le département de la marine,
quoiqu'il ne soit pas aisé de comprendre sur
quel fondement il s'y croyait plus propre qu'à
celui de la politique : il se retira à Marseille, sa
patrie, où il mourut en 1747.
MICHEL ANGE, comte de Castellane.
Il s'embarqua sur les vaisseaux du Roi, qui
ramenèrent son prédécesseiu-. En passant à
Malte, il refusa, à l'exemple de MM. de Ferriol
et de Bonac, qui ne suivirent pas celui de M. de
Girardin, de voir le grand maître de l'ordre, à
moins de prendre la droite sur lui , ce qui ne fut
pas accordé à cet ambassadeur. Le cardinal de
Fleury, auquel M. de Castellane en rendit
compte, lui répondit qu'étant sans instructions
à cet égard, il avait bien fait d'imiter ses prédé-
cesseurs ; mais cette Éminence, observa sur ce
sujet que <( du temps de Louis XIV, on mettait
264 Mr.MOIHK
(juel(|iiefois en ;ivimi des |)rcletiti()iis sans trop
savoir sur c|ii()i les l'ondcr. >■ M. de (>astcllane
appartenait par alliance à ce premier ininistrc.
La fortune orif^inairc du comte était médiocre
et on lui donna l'ambassade de C'onstantinople
comme un moyen de l'au^rmentcr ; il v réussit
par une économie peut-être outrée: au moins en
lut-il accusé. I)'aillein-s, il avait \endu en partant
de France son emploi dans les mousquetaires, et
il en plaça les fonds à (>onstantinople : il les
accrut en peu de temps à un point singulier.
La protection dti cardinal faisait espérer à
M. de Castellane d'obtenir le cordon bleu lorsque
la Porte envoya un ambassadeur en France
pour remercier le Roi de la médiation de Bel-
grade. Le drogman Laria, qui accompagnait
Saïd Pacha, fit pour cela des démarches qui ne
réussirent pas. Le taïn de cet ambassadeur
turc fut double de celui qu'avait eu son père ;
il fut ramené en Turquie par deux vaisseaux
du Roi aux ordres du chevalier de Caylus dont
la conduite envers M. de Castellane fut très-
désagréable à ce dernier; il eut aussi pour
ennemi secret le comte de Bonneval qui écrivait
contre lui à M. d'Argenson, ministre des affaires
étrangères de France. Bonneval voulait l'ambas-
sade de Constantinople pour son neveu qui ne se
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 265
trouva pas y être propre. Le rappel du comte
de Castellane ne fut pas moins résolu, et il ne
l'apprit que par le pacha de Chotin qui donna
avis à la Porte que le nouvel ambassadeiu- était
déjà à Varsovie. M. de Castellane sortit du
palais à l'arrivée de son successem-. 11 passa
l'hiver chez le chevalier Déniais, ministre des
Deux-Siciles, aux dépens duquel il vécut jusqu'à
son départ. Ce comte partit au printemps de
1748 pour retoiu'ner en France j^ar la voie de
Spalatro et de Venise; il n'est mort qu'en 1782,
àg-é de plus de quatre-vingts ans.
ROLDAND PUCHOT, comte des Alleurs.
Il était fils de l'ambassadeur de ce nom, et.
comme lui, il avait servi dans le régiment des
gardes, qu'il quitta poiu- suivre la carrière des
négociations. 11 fut d'abord envoyé extraordinaire
de France à Dresde, où il épousa une princesse
Lubormiska, ce qui lui procura la protection de
madame la Dauphinc, princesse de Saxe, mère
de Louis XVI ; sa fortune pécuniaire était en
assez mauvais ordre, et comme le comte de (Cas-
tellane passait pour s'être enrichi à CCc^nsianti-
nople, on donna cette ambassade à M. des
AUeiu-s poiu' s'y refaire. La guerre qui sid)sistait
266 MINKjIKK
ciiifc l:i li;iiK'c et l:i cour de \ iciiiic, l'obligea à
|)i-cn(ii"c son tlieiiiiii |);ii- l;i l 'ologne, d'oLi il se ren-
dit il (^hotiii, sur le Dniester. Son père avait pris
à peu |irès la même l'oiite. (^est à la première
audience du comte des Alleurs cpie ("ui constaté
le cérémonial relatif au chiaoïix bachi qui avait
toujours prétendu , lors des premières audiences,
la droite sur l'ambassadeur ([ii'il était cbargé
d'accompagner. 11 fut décidé ([ue l'officier qui
avait amené .M. des Alleurs de la iVontièrc mar-
cberait à sa gauche, ce cpii mettait l'ambassadeur
au milieu. Depuis lors, on a toujours nommé un
officier turc pour cette fonction. Cet expédient,
aussi honorable qu'avantageux, fut cependant
désapprouvé par le marquis de Puysieux, mi-
nistre des affaires étrangères, auquel d'ailleurs
M. des Alleurs ne plaisait pas. C'est au moins
ce que donne lieu de penser une dépèche de ce
ministre à l'ambassadeur, où il lui signifie d'être
plus concis dans ses rapports. M. Des Alleurs
faisait une dépense au-dessus de ses moyens,
voulant, disait-il, faire oublier la lésinerie de son
prédécesseur. L'argent du Roi n'était pas plus
épargné. On l'employait à se ménager de pré-
tendues intelligences chez les gens en place.
C'est par ce moyen que l'ambassadrice parvint à
s'introduire chez la femme du grand vizir où elle
SUR LAMBASSADE DE TURQUIE. 267
dîna. Cette dame turque la reçut du haut de sa
g-randeur et la renvoya fort mécontente. Les
dettes de l'ambassadeur aug-mentant, ses créan-
ciers lui devinrent fort importims : le chagrin le
mina et il eut, dans l'automne de l'année 1754
une attaque d'apoplexie à la suite de laquelle il
moiu-ut le 21 novembre suivant, laissant plus de
cent mille écus de dettes. Le Roi les paya en fai-
sant perdre cependant aux créanciers environ
trente pour cent. Le sieur Perote, chancelier de
l'ambassade, demeura chargé des affaires jusqti'à
ce que la Coin- eiit fait passer à Constantinople,
pour l'intérim, le sieur de Peyssonnel, consid de
France à Smyrne, et connu pour la part qu'il a
eue dans la négociation de Belgrade, où il était
secrétaire d'ambassade de M. de Villeneuve.
CHARLES GRAVIER, comte de Vergennes.
Il était ministre de France aiq^rès de l'Elec-
teur de Trêves , et il avait été formé à la carrière
des négociations par M. de Chairgny, oncle de
sa belle-sœur. C>e dernier était ambassadeur en
Suisse : se trouvant à Paris à la nouvelle de la
mort du comte des Alleurs; il prollta de l'em-
barras relativement aux papiers d'une correspon-
dance secrète de Louis XV^ avec M. des AUeurs,
2GH MIMOlin SUR l.'A.MH ASS U)l. 1)1, Il H (,H I h.
(•()i-rc.sj)()n(laii(;c diri^cc |):if \\. le pi'iiuc de
(^oiiti, et dont les j^apiers se ti-()iivèi-em a l'am-
bassade, pour proposer au Koi M. de Vcrgcnncs
{|iii lui areepié. On l'envoya en dili^'-ence à (loii-
siantinople sur un vaisseau marchand, et ily arriva
au mois de mai ijSS^ il lui nvait été laissé la
liberté de dévelopj^er le caractère d'envoyé extra-
ordinaire on celui du ministre plénipotentiaire. La
Porte admit le second. Un an après, M. de Ver-
^^ennes eut le caractère d'ambassadeur. 11 l'ut
rappelé en 1768 et nommé, deux ans après,
ambassadeur en Suède, et enfin secrétaire
d'État des affaires étrangères à l'avènement de
Louis XVI. La personnalité de ce ministre illustre
est connue et dès lors elle n'entre pas dans
l'objet de cet ouvrage. La frégate du Roi envoyée
pour le ramener de C^onstantinoplc, mit à la
voile le 7 janvier 1769. Le comte de Saint-Priest,
son successeur à l'ambassade de la Porte, était
arrivé par la route de Hongrie deux mois aupa-
ravant.
MÉMOIRE
SUR LE COMMERCE
ET
LA NAVIGATION DE LA FRANCE
EN LEVANT
Si l'ambassade de France à la Porte ottomane
est intéressante relativement à la politique, on
doit convenir que son activité à cet égard nest
pas continue. Les Turcs n'entrent guère dans
les mesiu-es qui occupent les cabinets de l'Eu-
rope que lorsqu'ils y sont directement intéressés.
Mais l'objet du commerce de la France en Le-
vant ne laisse point de relâche à l'ambassadeur
du Roi sur la vigilance constante qu'il doit y
apporter.
On ne se propose pas dans ce mémoire d'em-
brasser les détails de ce négoce et ses variations
relativement à la France; la matière, quoique
intéressante, est trop étendue pour entrer dans
le plan qu'on s'est formé. On s'attachera davan-
270
M IMOII'> I
tagc à riiistoirc de son online et de ses progrès,
et :'i rendre C{jm|)te des ti^iités existiiins entre l:i
l^orte ottomane et la l^rancc, d(jnt les siij)uhi-
tions ont le coinmercc pour objet.
M. Hiiet, dans son Histoire du commerce el de
la iijrii^\ilio}i des anciens, nous apprend que, du
temps de (]ésar, époque à laquelle les Européens
ne iraliciuaient guère cjue dans la Méditerranée,
celui des Gaules se faisait essentiellement à
Marseille. Cette ville fondée par les Phocéens,
peuple de l'Asie mineure, vers les commence-
ments de Rome et du temps de ses rois, con-
serva longtemps les mœurs grecques et en donna
le goût aux Gaulois, nation, comme on l'a observé
dans tous les temps, avide de nouveautés. Mar-
seille qui fit des lois maritimes, établit par la
navigation la communication des Gaules avec le
Levant, et un échange de denrées qui n'a jamais
cessé depuis et se perpétuera probablement dans
l'avenir par la convenance mutuelle.
Marins donna aux Marseillais le canal qu'il
avait fait creuser pour diviser les eaux du Rhône.
Pompée, et César, lui-même, qui prit leur ville,
en agrandirent considérablement le territoire ;
elle devint aussi maîtresse des ports jusqu'à
l'Italie, et toute la côte maritime se couvrit de
ses colonies. Les villes d'Arles et de Narbonnc
SUR L'A.MBASSADK DE TLRQLlt. 271
prirent bientôt part au négoce et à la navigation
du Levant; des petits bâtiments plats y remon-
taient par remboiichure des rivières d'Aude et
du Rhône qui n'étaient pas aussi ensablées
qu'aujourd'hui. La plus ancienne anecdote
qu'offre siu-ce commerce l'histoire de France est
dti Vf siècle, sous ,1e règne de Dagobert \".
« Saint Éloi, dit le président Hénatdt, fit lui-
même pour le monarque , un siège d'or mas-
sif. » Ces richesses provenaient du commerce
du Levant. On voit, sous la seconde race de nos
rois, Charlemagne occupé de faire creuser im
canal pour joindre le Rhin au Danube; outre le
but de faciliter ses expéditions militaires contre
les Hongrois, ce vaste génie avait eu en vue la
communication du commerce de ses Etats du
Rhin avec le Levant par la mer Noire ; mais ce
projet n'a pas eu son accomplissement.
Le déchirement de la monarchie française
sous les successeurs de ce héros iit décliner
considérablement le commerce des provinces
méridionales de la France. 11 faut lire sur cette
matière le savant mémoire, lu en 1768, à l'Aca-
démie des belles-lettres par M. Guignes, sur
l'état du commerce du Levant avant les croi-
sades et sur rinlluence réciproque que le com-
merce eut sur les croisades et les croisades sur
aya M IMO I in
le coiiimci'tx'. I /Italie, seule entre les Ktats cliré-
liens, eut alors une manne militaire dans l:i
Méditerranée. Louis \ll, dit le jeune, sixième
roi de la race régnante, revenant par mer de la
'lerre sainte^ lut pris jKir des vaisseaux sarrasins
et délivré de ieiu-s mains par la flotte de Kogcr,
roi de Sicile. Outre les \ énitiens ([ui devaient à
la mer leur existence, Pise et (jènes devenues
libres ainsi (|ue les antres villes de Lombardic,
sous Frédéric liarberousse, s'appliquèrent au
commerce et à la navigation du Levant. C'est à
Gênes que Philippe-Auguste, partant pour la
troisième croisade, alla s'embarquer, pendant que
Richard, roi d'Angleterre, ût voile de Marseille,
qui s'était séparée de la monarchie française, en
même temps qu'Arles. Aigues-iMortes était le seul
port sur la Méditerranée dont nos rois fussent
alors en possession immédiate. Saint Louis y
rassembla une nombreuse flotte, composée en
grande partie de vaisseaux génois et pisans, sur
laquelle il partit pour l'Egypte et la Terre sainte.
On lit dans les dépèches de l'évèque d'Acqs,
ambassadeur de France à la Porte, en 1572, que
ce monarque obtint des Soiidans la liberté d'éta-
blir un consul à Alexandrie et un autre à Tripoli
de Syrie pour le commerce des Français qui
tiraient alors du Levant, dit ce prélat, des dro-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 273
guéries, des cotons, des cuirs, des tapis, de la
porcelaine, et y apportaient des draps, du cane-
vas, du vert-de-gris et du papier. Cet envoi de
draps est remarquable, et montre l'ancienneté de
cette branche de commerce de la France en
Levant.
Le comté de Provence rentra dans la maison
de P^rance par le mariage de Charles d'Anjou,
frère de saint Louis avec Béatrix, héritière de
ce pays. Charles ne tarda pas à soumettre à sa
domination la ville de Marseille qui s'était ren-
due indépendante, comme on l'a dit plus haut;
il y établit l'arsenal de ses forces navales, et il
en partit, en 1265, avec quatre-vingts vaisseaux
ou galères, pour la conquête des Deux Siciles.
Cette marine provençale se maintint sous ses
successeurs. Philippe le Hardi, son neveu, revint
de la cinquième et dernière croisade sur la flotte
sicilienne, et il s'en servit ensuite contre le Roi
d'Aragon. La charge d'amiral de France fut
créée alors en faveiu- de Florent de Varennes.
Saint Louis promulgua dans son royaume des
lois sur le commerce, et Philippe le i^el, son
pctit-fds, renchérit sur ces règlements. Il déten-
dit la sortie des laines de France et lixa par des
statuts la largeur, l'apprct cl la c|iialHé des di-aps.
11 eut soin (raiigmcnici" le nombre des niannlac-
turcs dans le i .im^aicdoc, cjiii venait d'être réuni
à sa couronne j)ar la mort, sans enfants, d".\I-
j)honse, comte de Poitiers, et de sa femme, héri-
tière du lomté de Touloiise.
On ne peut suivre le pro^'-rès du commerce
pendant les ^^ucrres qui commencèrent sous
Philippe de Valois, entre la France et l'Angle-
terre, et ne finirent que sous le règ"ne de son
quatrième successeur. Il est certain que les
princes de la première et de la seconde maison
d'Anjou tirèrent constamment de Provence leurs
forces navales, ce qui donne droit d'y supposer
une navigation marchande considérable.
L'heureux Charles VII, après avoir chassé
l'étranger de son royaume, le vit bientôt fleurir
par le cominerce ; tels sont, en effet, sa merveil-
leuse situation et le naturel de ses habitants qu'il
suffit de lever les obstacles qui s'opposent au
négoce pour qu'il prenne en France un cours
aussi brillant que rapide. Parmi ceux qui s'y
distinguaient, le monarque choisit Jacques Cœur
pour le mettre à la tète de ses finances; il s'était
enrichi par le commerce maritime, ses vaisseaux
portaient au Levant des draps, de la toile, du
papier, et en rapportaient de la soie et des épi-
ceries. Lorsque la calomnie parvint à perdre ce
grand homme dans l'esprit de son maître, la sen-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 275
tence de son bannissement porta principalement
sur ce qu'il avait fourni une armure complète au
Soudan d'É^ypte. Obligé de répondre sérieuse-
ment à cette accusation, il allégua pour sa
défense qu'il en avait reçu l'agrément du Roi,
et ce prince, qui permit qu'on l'interpellât sur ce
chef, répondit ne pas s'en souvenir. 11 était bien
simple que Jacques Cœur, dont le commerce
principal était en Egypte, eût tâché de se ména-
ger la bienveillance du Soudan; mais la racine du
préjugé des croisades était alors si profonde que
la sentence contre cet infortuné porta siu- le
chef d'avoir fourni des armes aux infidèles. Il
avait si bien su se ménager la bienveillance du
Soudan qu'il en obtint une trêve, en faveur des
chevahers de Rhodes, sous le magistère de Jean
de Lastic. Trois cents facteurs faisaient les
affaires de ce négociant dans les différents ports
du Levant, et y remplissaient les fonctions de
consuls de France. Ses navires couvraient les
mers, et leur retour lui apportait d'immenses
richesses. Son nom suffisait pour leiu- sûreté.
C'est dans l'île de Chypre que cet homme
célèbre, banni de sa patrie et dépouillé de ses
biens, alla se retirer. Soixante de ses commis,
enrichis par son commerce, lui /ireiit présent de
mille éciis chacnn, cr le mirent en état de
276 M I M < ) I 1^ 1
reprendre son négoce iivcc succès. Il épousa une
("enmie iMche de Tile, el il y niourui laissani à
chacune de ses deux Idies une dot de ceni cin-
ciuatite nulle écus. Sa mémoire fui honorablemeni
réhabilitée sous le récrie suivant. La NoitvclU-
Ilistoire de France révocjue en doute la retraite
de Jacques (]œur à (>hypi"c : elle le lait se réfu-
gier et mourir à Chio.
On s'est étendu siu- l'histoire de ce fameux
négociant parce qu'il paraît avoir le premier
ranimé le commerce direct de la France dans le
Levant.
La Provence faisant partie de la succession
du comte du Maine, dernier rejeton de la branche
d'Anjou, dont Louis XI hérita, l'intérêt du gou-
vernement de la France au commerce du Levant
augmenta par la possession de cette province et
par celle du port de Marseille, si propre à y
négocier en droiture, et rempli de navigateiu-s et
de commerçants. C'est pour les favoriser que
Doriole, général des finances, et ensuite chance-
lier sous ce règne, écrivait à son maître, qu'à
empêcher les Vénitiens de vendre en France des
épiceries, le royaiune gagnerait trois ou quatre
cent mille écus par an. Sa représentation pro-
duisit une loi prohibitive de l'entrée des mar-
chandises du Levant en P^rance, autrement que
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 277
par les navires de la nation. Cette anecdote
montre que la réserve de ce commerce à la navi-
gation française est d'ancienne date.
L'empire grec avait totalement succombé sous
les armes ottomanes, en 14)3, par la prise de
Constantinople. On a parlé ailleurs du projet
fantasque qu'eut Charles VIII, d'en chasser les
Turcs. Il est aisé, par là, de juger que ce prince
ne s'occupa guère du commerce du Levant.
Louis XII, son successeur, entra dans une ligue
des princes chrétiens contre la Porte, et celle-ci,
de son côté, si on en croit les historiens, offrit à
la république de Venise des secours, qu'elle n'ac-
cepta pas, contre les princes de la ligue de
Cambrai. Les Turcs ne possédaient pas encore
l'Egypte et la Syrie ; l'une et l'autre étaient sous
la domination de Soudans mamelucks qui y fai-
saient jouir les Français de grands privilèges. Ce
fut au commencement du règne de François I"
que Sélim 1''', en 15 17, annexa ces riches posses-
sions à l'empire ottoman; sa mort arrivée, trois
ans après, en rendit maître le grand Soliman,
son fils et son successeur. Ce Sultan, à la requête
des marchands français et catalans, établis à
Alexandrie et ayant le même consul, leur accorda
par un privilège, en date de 1^28, les préroga-
tives dont ils jouissaient sous la domination des
2jS M I . MOI U \.
Soiidaiis. I .;i tradiKtioii liaiH.aisc de cet acte
s'est retrouvée :t la l)d)li()tliè(|iie du Koi dans uti
niaruiscrit iruilulé : Voj'agc en Lcrjiit .ic M. ,i'A}\i-
mun; l'article dix-huit est relaiii aux épiceries
que la France tirait pour sa cousoniniarion par la
voie de l'I^^ypte.
Quoique, dans la suite, les coiujuètes des
Portugais eussent détourné, en grande jîartie, ce
genre de marchq^ndises par la route du cap de
Bonne-ÏLspérance, les Français avaient encore
longtemps à Suez, port de la nier Rouge, où
abondaient les vaisseaux de l'Inde, des magasins
d'entrepôt.
Des motifs politiques produisirent, en 1535,
entre François I" et Sultan Soliman, un traité de
paix et d'alliance qui devrait plutôt être qualifié
de traité de commerce. 11 était, ainsi que les
deux suivants, compris dans le manuscrit déjà
cité et il n'existait ni aux archives de Constanti-
nople ni au dépôt des Affaires étrangères. Cet
instrument, en dix-neuf articles, contient à peu
près le fond de tous les traités de commerce que
la Porte a faits depuis avec les princes chrétiens.
Le premier article assure la paix entre les
deux puissances contractantes pendant la vie des
deux souverains et la liberté de commerce à leurs
sujets respectifs.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 279
Le second statue qu'on n'exigera, en France
et en Turquie, aucuns nouveaux droits sur
les ventes et achats de marchandises non pro-
hibées.
Le Iroisième autorise le Roi à établir à Con-
stantinople, Péra et autres lieux de l'empire otto-
man, des bayles ou consuls pour juger les causes
entre Français, sans que les tribunaux du pays
puissent en connaître, et, en cas de besoin, pro-
met main-forte au consul pour se faire obéir de
ses dépendants.
Par le quatrième, tout procès entre un Fran-
çais et un sujet du Grand Seigneur ne peut être
écouté et jugé par le tribunal turc sans la pré-
sence d'un interprète et sans titre écrit.
Le cinquième prescrit l'évocation de ces
causes à la Sublime Porte. Le sixième assure aux
Français le libre exercice de leur religion.
Le septième défend de rendre aucun Français
responsable d'un autre Français absent, le Roi
promettant, si cet absent réfugié dans ses États,
se trouvait coupable, d'en faire bonne justice.
Le huitième exempte de toutes corvées les
Français et ce qui leur appartient.
Le neuvième assure leur libre retour en
France et leur héritage en cas de mort aux
parents.
^Hn Ml. MO nu.
Ixs .iixii'i/ic cl oii-icinc, soril relatifs a la
(K'.'livi'aïu-c (les esclaves respectifs, a la délivrance
(les eliets (lé[)r(;dés et à l'.i jîiitiition des ccnipables
(le ces \i()leiices, établissant en faveiw des plai-
^niants français le recours, en 1 urcjuie. an ^n-and
vi/ir, et celui des plai^'^nanis tin-cs,en l'rance, au
ifrand niailre de la maison du Koi.
Le .i()!i:;icnic statue (ju'en cas de rencontre
de l'année navale ottomane ou française, les
navires marchands caréneront leurs voiles et his-
seront pavillon, au moyen de cjuoi ils ne pourront
être molestés, à peine à l'amiral de répondre des
dommages.
Le trciyicinc prescrit aux navires mai'chands
des deu.K nations, lorsqu'ils se rencontreront, de
mettre pavillon et de se saluer sans aucune vio-
lence.
Le qiiatorzicmc veut qu'il soit fourni des vivres
et antres secours aux bâtiments iVançais qui en
auront besoin, et qu'après avoir été visités a
Constantinople, à leur départ, il ne puissent plus
l'être qu'aux Dardanelles.
Le quiii-icnic ordonne que, survenant des
naufrages, les personnes et effets seront soigneu-
sement recueillis et restitués sans en rien exiger.
Le sciyiùiuc défend qu'en cas de fuite d'un
esclave, on prétende autre chose des l'rancais
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 281
que sa liberté et recherche dans les maisons ou
navires; et si le fugitif s'y trouve, on attribue au
bayle ou consul d'infliger une sévère punition au
receleur.
Le dix-septième affranchit d'impôts et corvées
les Français qui n'auront pas résidé dix ans dans
le pays.
Le dix-huitième admet au traité le Pape et
les Rois d'Angleterre et d'Ecosse, pourvu qu'ils
envoient leur ratification dans le terme de huit
mois.
Le dix-neuvième fixe à dix mois la ratification
des deux contractants au traité et sa publication
à Constantinople, Alexandrie, Marseille, Nar-
bonne , et autres lieux principaux des deux
Etats.
On voit dans cette dernière clause que le port
de Narbonne était encore alors en activité de
commerce et de navigation avec le Levant. Il
paraît aussi, par la réciprocité mentionnée dans
presque tous les articles, que les Turcs et leurs
navires allaient dans les ports de France et y
commerçaient habituelienient.
Le huitième et le dix-septième sont dans luic
espèce de contradiction : le premier aiîraiichis-
santles Français de toute corvée, et le second les
y assujettissant au bout de dix ans.
2H2 Nn.MOIHI.
A i;i f;i\ciii" (ic ce traité, le tomnicrcc de la
l'iaïu'e lie tarda j">a.s à s'étendre en I iircjiiie dans
les diliérentes c'c/icllcs , expression traduite du
mot turc Iskeiè qui sif^nide Hck .in dcharqucmcnt
des )}iarcJuindis('s. Dès Tannée 1557, on com-
mença à établir des consuls français. Jean Rci-
nier le devint à Alep, trois ans après. François I"
était mort eti 1 54-, et le ^rand Soliman finit ses
jours en 1566, ce qui, aux termes du premier ar-
ticle, mettait fin au traité.
On ne s'empressa pas de le renouveler, et il
fallut une circonstance qui rendait la chose
nécessaire pour qu'on vînt à s'en occuper.
Un juif, nommé Joseph Aliques, se qualifiant
seigneur de l'île de Naxie, se trouva être, on ne
sait à quel titre, créancier du Roi.
Le dérangement des finances, pendant la mi-
norité de Charles IX, ayant sans doute retardé le
payement de cette dette, Miques , par ses intri-
gues à la Porte dont il était sujet, en obtint un
commandement qui Tautorisa à faire sur les
navires français qui se trouvaient à Alexandrie
une saisie de marchandises jusqu'à concurrence
de sa créance. Les propriétaires de ces effets
jetèrent les hauts cris en France, et cela déter-
mina l'envoi de Claude Du Bourg, seigneur de
Guérines, trésorier du Roi, en ambassade à Con-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE, 283
stantinople auprès du Sultan Sélim II, successeur
de son père Soliman.
Cet ambassadeur, outre ses instructions sur
l'affaire de Miques, en reçut pour le renouvelle-
ment des traités entre les deux puissances, et il
parvint, au mois d'octobre 1 569, à en conclure un
nouveau en dix-huit articles.
Le préambide rapporte la plainte de l'ambas-
sadeur Claude Du Bourg- sur la saisie de mar-
chandises françaises à Alexandrie, où elles
avaient été vendues au profit de Joseph Miques,
en raison d'une dette du Roi, non hquidée ni
reconnue; en quoi Sa Hautesse dit avoir été
abusée. L'assertion lui ayant été faite que ce
prince l'agréerait avec intention d'indemniser
ensuite les marchands et navigateurs intéressés,
mais que l'ambassadeur ayant affirmé qu'il n'en
était rien, elle révoqua ce commandement et
procura la restitution des effets. Une lettre de
l'évéque d'Acqs à son frère, l'abbé de l'Isle, en
date du 6 juin 1571, prouve que cet engagement
ne fut pas accompli.
Le même préambule fait mention pour la pre-
mière fois du privilège de la France d'accorder
son pavillon en Levant aux navires des étrangers;
les Génois, Siciliens et Anconitains sont cités.
Ce droit a été longtemps exercé par la France
2H.\ NUMOIItl
avec vi^'iliiiH'c et juloiisic. (^)iicl(|iics ;iiiii jcs iiprcs
rcpo(|iic dont il s;i;^i(, les Ka^^usais en leur (|iia-
lilé (le |)r()té^é.s inniié(li;its de la l'ortc, ayant
voulu se sousti-aire à l'usage de la bannière fran-
çaise, lurent contraints de la i-e|)rendre sur la
réquisition qu'en lit à la l'orte ranibassadeiir de
1^'rance.
(>eti'ailé de i ^^^y n'est ^iière ([ue la répétition
de celui de i^^^ avec cjuelciiie extension de ses
stipulations. (Cependant, on y trouve rexemj)tion
de tout inipùt en laveur des Français sans
excepter ceux qui auraient dix ans de résidence
en l'iirquie. 11 est à remarquer que la loi musul-
mane soumet tous les étrangers à la capitation
au bout d'un an de séjoiu* dans le pays de sa
domination; on ne borna ])lus la din-ée du traité
à la vie des deux souverains, et il n'y est plus
mention de l'accession d'autres princes comme
dans le précédent.
La république de Venise avait fait sa paix
avec les Turcs dans l'intervalle de ces deux
traités, et elle avait obtenti quelques privilèges
que l'article seize de celui de 1 569 rend communs
aux Français.
Claude Du Bourg, si on en croit l'évèque
d'Acqs se conduisit en brigand. Les Marseillais
tirent contre lui les ])laintes les plus graves, et ils
SUR L'AMBASSADE DK TURQUIE. 285
obtinrent son rappel. Il paraît qu'elles portaient
sur les extorsions qu'en avait éprouvées leiu- com-
merce en Levant. On a vu ailleurs le motif qui
fît choisir l'évéque d'Acqs pour lui succéder. Ce
prélat écrivait de Gonstantinople, en 157^, que le
négoce de la France en Turquie était peu consi-
dérable; que la navigation apportait quelques
profits ; il est aisé de comprendre que les dissen-
sions intestines dti royaume et la part que la ville
de Marseille prit à la ligue diu'ent déranger le
commerce de la France dans le Levant.
Gilles de Noailles, successeiu* de l'évéque
d'Acqs, ayant obtenu son rappel de Turquie, cette
ambassade demeura vacante quelque temps. La
reine Elisabeth, dans cette occurrence, conclut
avec l'empire ottoman im traité d'amitié et de
commerce où l'admission du pavillon anglais
dans le Levant fut stipulée. Dumontdit, dans son
recueil diplomatique, que la Porte y mit la con-
dition que l'Angleterre conserverait la paix avec
la France, dont l'ambassadeur, selon cet auteur,
contribua beaucoup à la conclusion de soti traité ;
mais on a vu que l'ambassade était alors vacante
et il n'est guère probable que dans un temps où
l'Angleterre favorisait les réformés en France,
Henri III s'occupât des intérêts de cette puissance
en Levant. Il vaut mieux croire l'historien
^«6 Ml NU)! H K
llumc (|iii <lii (|tK' l:i rL-pui.'itiMii (l'Kiisal)clli
ciign^ca Miirad III, alors régnant, ci fils de
Sclini II, :i s'allier avec clic.
Henri III envoya peu après en ambassade à
ce Sultan, .laecpies de (iermoles, baron de
(ierniignv, i)()ur renouveler les traités entre
les deux nations, (let ambassadeur en signa
un nouveau en vingt-sept articles, an mois de
juillet 1581.
On voit au pronicr, les \'énitiens, Génois,
Anglais, Portugais, Catalans, Siciliens, Anconi-
tains, Ragusais et autres, assujettis à naviguer
en Levant sous la bannière française. Chose
étrange après l'admission du pavillon anglais près
la Porte deux ans auparavant.
Le troisième article assure aux ambassadeurs
de France la préséance sur ceux de tous les
Rois et princes chrétiens, citant à l'appui de ce
privilège, l'amitié ancienne et spéciale des deux
États et l'antique usage. Cette préséance n'avait
pas cependant été statuée dans les deux traités
précédents.
L'article quatorze exempte de tous impots per-
sonnels les Français, ceux même mariés, ce qui
est une autre dérogation à la loi musulmane qui
assujettit à la capitation les étrangers mariés dans
le pays.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 287
Le reste du traité n'oftre rien d'innové sur les
deux précédents.
L'apparition d'un navire anglais en Levant
fournit à Jacques de Lancosme, successeur de
Germigny, l'occasion de s'en plaindre à la Porte
comme d'une violation du privilège du pavillon
français. Cet ambassadeur refusa de communi-
quer avec celui que l'Angleterre avait alors à
Constantinople, prétendant, sans qu'on voie sur
quel fondement il s'appuie, que la France seule
pouvait conserver des ministres résidents en
Turquie. S'il ne parvint pas à en exclure les
navires anglais, au moins réussit-il à empêcher
les autres nations commerçant en Levant d'y
venir sous ce pavillon : il obtint à deux reprises
la détention d'un nommé Paid Mariani, accusé
de contravention à cet égard, et qui servait à
Constantinople d'agent aux Florentins.
Quoique le traité de i ^81 n'eût pas son terme
au décès des Souverains contractants, Henri IV
s'occupa de renouveler les traités de sa couronne
avec l'empire ottoman dès que la France fut
délivrée des troubles intestins par ses victoires.
Le comte de Brèves, son ambassadeiu' auprès de
Méhéinet 111, fils et successeur de Murad, con-
clut avec la Porte, au mois de février 1 597, un
nouveau traité de commerce, qualifié impropre-
2HH M I M ( ) I H K
iiicni (le li;iuc d ;illi;iiuc. (I:ms l:i copie (jiii en
existe :iii (lc|)i")( des Aliiures étrangères. (]et
acte contient trente-deux para^i'aplies non nu-
mérotés.
dette (ois les Anglais ei les Vénitiens sont
exccj)lés de lassujettisseinent à rusa^'^e de la
bannière (rançaise, mais il leiu" est interdit de
donner la leur aux autres nations.
On y voit la liberté accordée aux l-rancais
d'exporter du Levant des cuirs cordoiians et
des cotons lilés : iiiarchandises dont l'exportation
était précédemment interdite.
Un autre paragraphe défend à l'hôtel des
monnaies de l'empire de forcer les Français à
lui livrer des espèces venues du dehors, et à payer
des droits sur cet objet.
Enfin le Sultan prometpar une clause expresse,
d'obliger les corsaires de Barbarie à restituer le
fruit de leurs déprédations et à destituer les
Beys qui les auraient permises.
Tout le reste n'est qu'une répétition des trois
précédents traités.
La pénurie des iinances au commencement
du règne d'Henri IV, obligea ce prince d'impo-
ser sur le commerce du Levant un droit de 2 "/o
pour l'entretien de son ambassade et de ses con-
stils en 'i'iir([uie, sur quoi ils étaient teiuis de
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 289
tous les frais du service. A ce droit fut substitué
en 162O;, un abonnement de Ja ville de Mar-
seille, avec l'ambassadeur et ses successeurs,
pour faire face à ces dépenses. Elle en a été
soulagée en 1766, cette somme ayant été ajou-
tée aux appointements ordinaires de l'ambas-
sade.
Quant aux consids, ils jouirent long-temps
encore de cette attribution. On voit, dans un
mémoire d'un sieur Maillet, que ce fut sous le
règne de Henri IV, que les secrétaires d'État
commencèrent à disposer des consulats du Le-
vant qui probablement étaient demeurés jus-
qu'alors à la nomination des ambassadeurs du Roi.
Les nouveaux titulaires firent exercer leur em-
ploi par des substituts. On a, au dépôt des Affaires
étrangères, un brevet de consid d'Ég-ypte daté
de 1615, en faveur du comte de Brèves revenu
de son ambassade en Turquie depuis plusieurs
années. Louis XIII érigea les consulats en titre
d'office en 161 7, ce qui diu-a environ soixante
ans. Louis XIV supprima ces charges et fit don
des considats du Levant, comme simples com-
missions, au marquis de Seignelai, lequel afferma
quarante mille francs par an les droits consulaires
qui y étaient attachés. On les attribua, en 1719,
à la chambre de commerce, en la chargeant de
'9
39'. M F. M (J lin
payer aux consuls ci interprètes des échelles, des
appointements réglés.
Méhéniet 111, cpii mourut en 1604, eut pour
successeur, son fils, Ahmed 1 ". Le comte de
i>rèves s'occupa du renouvellement des capitula-
tions sous le nouveau règne comme cela s'était
pratiqué à l'avènement de chaque Sultan depuis
Soliman. L'acte en l'ut rédigé en quarante huit
articles. On parlera ailleurs, de ceux qui
regardent la religion catholique et le pèlerinage
à Jérusalem dont il lut fait alors mention pour la
première fois.
Le dix-septième défend d'exiger aucun droit
des Français pour des marchandises qu'ils n'au-
raient pas vendues et qu'ils voudraient envoyer
ailleurs.
Le dix-huitième, dit que les Français seront
exempts de quatre sortes d'impôts : c'était pro-
bablement alors les seuls existants, mais cela n'a
pu faire loi pour ceux qui ont été créés depuis.
Par le jnngtième, le Sultan consent que, sans
être censé rompre la bonne intelligence entre
les deux puissances, le Roi châtie les corsaires
barbaresques s'ils commettent des excès contre
le pavillon français. Cette clause prouve que dès
lors ces régences avaient, en partie, secoué le
joug ottoman. Par l'article suivant, on accorde
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 291
aux Français le droit de pêcher du poisson et
du corail sur la côte d'Alger.
Le vingt-huitième porte franchise des droits
pour les effets de l'ambassadeur de France, et le
suivant étend ce privilège aux consuls. Il leur
assure en même temps la préséance sur ceux des
autres nations.
Ce traité de 1604 ne contient aucune autre
innovation sur les précédents.
Le commerce de la France n'était pas floris-
sant à cette époque. Le comte de Brèves a laissé
des mémoires imprimés oli il dit, que de son
temps, les Français avaient cessé d'envoyer des
draps en Turquie et qu'ils trouvaient mieux leur
compte à y faire passer des espèces pour leurs
achats de marchandises de Turquie et des Indes.
On doit en conclure que les manufactures du
royaume ne s'étaient pas encore alors relevées
depuis les troubles de la ligue. Le même ambas-
sadeur observe, en revanche, que la navigation
française florissait au Levant, et que mille bâti-
ments des côtes de Provence étaient employés
au cabotage, nombre qui paraît excessif, et n'a
pu être égalé en aucun temps.
Malgré l'engagement pris dans le traité de
1604 d'empêcher l'usage du pavillon anglais en
Levant, à d'autres nations, ime lettre (ju'on a
Ml MOI in.
292
d'AhniccI 1" à Henri IV, poriam dcsavcu (Je cci
abus, prouve qu'il avait subsisté, (lela n'cmpècba
pas ce Sultan de cuticlure en 1612, un traité
d'amitié avec les l^^ats généraux des Provinces-
Unies et d'admettre leur pavillon dans ses ports,
ce qui fbrma une troisième exception au privi-
lège exclusif de la France à cet égard.
Ce prince mourut en 1617, et sous les règnes
de ses enfants Osman 11, Miu-ad I\^ et Ibrahim,
ainsi que pendant les deux courts règnes de son
frère xMustapha 1"', les capitulations précédentes
furent confirmées sans aucune addition. Le com-
merce de la France ne s'était guère étendu jus-
qu'alors à Constantinople. Le comte de Cézy.
qui y était ambassadeur de Louis XIII, écrivait,
en 1626, qu'il n'y avait que deux négociants fran-
çais en cette capitale, et qu'il n'y venait que peu
de bâtiments de sa nation. Le fort de ce négoce
devait alors être à Alep, puisqu'en 1630, dans
un accord que firent entre eux les Français, les
Anglais, les Hollandais et les Vénitiens pour y
payer en commun les frais de l'échelle, les pre-
miers en supportèrent les deux cinquièmes.
Les droits du Grand Seigneur, au mépris des
capitulations, s'y exigeaient alors presque arbi-
trairement. Pour tacher de les rendre moins
onéreux, le comte de Cézy eut l'imprudence de
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 293
se rendre caution d'un juif, nommé Meleby Ba-
diey, lequel avait affermé la douane d'Alep. 11 fit
banqueroute, on revint sur l'ambassadeur : il
satisfît au payement par un emprunt pour l'in-
térêt et l'amortissement du capital duquel on
imposa 3''/o sur tout l'argent monnayé que le
commerce de France portait à Alep; cet impôt
dura cinquante ans.
Le comte de Cézy avait fait d'aiures dettes
personnelles, et le Roi les paya, en 1639, par un
envoi à Constantinople de draps fournis par un
négociant nommé Lagau, pour la valeur de
100,000 écus. Il fallut que les créanciers s'en
contentassent bon gré. mal gré. Ces draps n'étaient
pas en faveur dans la capitale, où le commerce
français était encore tel que l'avait laissé le comte
de Brèves, trente ans auparavant. La longue
ambassade de M. de la Haye, le père, ne lui fut
pas plus favorable et elle finit j^ar la détention
de cet ambassadeur aux Sept-Tours pour avoir
refusé de payer la valeur d'un chargement de
marchandises turques, sur un navire français, que
le capitaine avait été vendre en Italie. AL de la
Haye ne sortit de prison qu'après y avoir satisfait.
M. de Vantelec, son fils et son successeur,
trouva le connuerce du Levant dans le même état
qu'en 1663. (xnte langueur était attribuée en
294 Ml. M(JIin-.
France ù riiicxccuiioii des capitiil.itions , et
l'ainl):issM(lciir dit ordre, dans ses instructions, de
solliciter leur renouvellement. Les pachas exer-
çaient en effet beaucoup d'avanies. Chardin fait
nionter à deux cent nulle Iratics, celle qui était
en rcclaniation à répoque où il écrivait; il ajoute
(|iie les Français payaient la douane sur le pied
de 5 ' „ pciulanr (|u'on n'exigeait (|iie "^ " /" des
Anglais et des Hollandais, (^ette différence, au
désavantage de ses sujets, mortifiait Louis XIV
qui voulait partout des préférences. Entre les
motifs à alléguer à la Porte pour obtenir des
conditions plus avantageuses, il fut recommandé
à Tambassadeur de faire valoir spécialement le
profit des douançs turques sur les marchandises
des Indes que les Français tiraient encore du
Levant, pendant que les puissances en question
les recevaient du Cap de Bonne-Espérance, sans
profit pour la Porte. Colbert établissait alors en
France la compagnie des Indes, dont les envois
par cette route firent tomber en partie l'impor-
tation des marchandises de ce pays en France par
l'Egypte et par le golfe Persique. Dans la suite,
les navires français vinrent à Bassora, et le mar-
quis de Villeneuve y obtint de la Porte, avec
beaucoup de peine, en 17^8, l'établissement d'un
consul.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 295
Les négociants français avaient introduit en
Turquie une monnaie d'argent de la valeur de
cinq sols, nommée Témin; elle est encore mon-
naie de Constantinople en certaines échelles,
quoique devenue idéale. Dès qu'elle parut, son
cours fut prodigieux. Ce succès en £t fabriquer
en contrefaçon pour le Levant dans plusieurs
pays de l'Europe et spécialement à Gènes, où on
les altéra au point que les Turcs ayant ouvert les
yeux sur leur bas aloi, l'introduction des témins
en Turquie fut prohibée, l'an 1670, ce qui força
les Français d'y substituer, pour les achats de
leur commerce, des piastres espagnoles.
Des corsaires maltais ayant pris sur un navire
français des marchandises appartenant à des
Turcs, Louis XIV, à la réquisition de la Porte,
en exigea la restitution ; mais elle fut incomplète
par la difficulté ou la négligence à rassembler ce
qui avait été d'abord pillé. Le grand vizir Ahmed
Kupruly n'entendit pas raison sur ce sujet, et il
somma M. de la Haye de payer le déficit.
L'exemple de son père mis aux Sept-Tours l'in-
duisit à y satisfaire.
Colbert, devenu ministre des finances de
Louis XIV, s'occupa de vivifier le commerce du
Levant; convaincu de l'inconvénient qu'il y
avait pour les Français à se servir de Forgane
296 M IMOI H I
des juifs et ;mtrcs interprètes du pays, ce mi-
tiisirc y lit passer avec M. de la Haye le fîls,
douze enfants français pour y apprendre les
langues orientales et ùtre ensuite employés à
servir d'interprètes à leurs compatriotes; ce qui
s'exécuta dans la suite. C'est l'origine de nos
drogmans nationaux.
En 1669, ^^ ^'"^ ^'-' Miit'îïtiill^ <Lit déclarée
port franc dans le but spécial d'y attirer le con-
cours des marchandises de tous les pays et d'en
faire l'entrepôt de celles du Levant, qui devaient
repasser ensuite à l'étranger. Ce ministre forma
deux ans après ime compagnie pour le commerce
de Turquie, dans laquelle il intéressa des riches
financiers. Un sieur Rélimanie la présida sous le
titre d'intendant général. Cette première asso-
ciation réussit mal ; elle avait tablé sin- des pro-
fits dès le début des opérations, et elle n'avait pas
fait de fonds pour les premiers frais. L'entretien
des employés dévora en peu de temps une bonne
partie du capital, il aurait fini par l'être en entier,
si on n'eût pris le parti de dissoudre la com-
pagnie.
Le chevalier d'Arvicux dit, dans ses mémoires
imprimés, qu'à cette époque, les draps anglais et
hollandais avaient en Levant toute la faveur du
débit. 11 ajoute que ces deux nations y fournis-
SUR LAMBASSADH DE TURQUIE. 297
saient aussi le plomb, l'étain et les épiceries et
que les étoffes d'or, les soieries et le papier
venaient de Venise et de Gênes.
Cette dernière république avait, par les bons
offices de l'Empereur, obtenu, quelques années
auparavant, à son pavillon, l'accès du Levant.
M. de la Haye avait fait de vains efforts pour
y mettre obstacle. Le g-rand vizir ne voulut pas
reconnaître à la France le privilège d'exclure du
Levant les pavillons des autres nations, et le
Génois y fut admis. Le marquis Durazzo déve-
loppa à Constantinople le caractère d'ambassa-
deur extraordinaire et retourna heureusement
clans son pays au bout de quelques mois, quoique
guetté sur la route par une escadre française
qtii avait ordre de l'enlever. Louis XIV y avait
mis d'autant plus d'humeur que, quelques années
auparavant, ayant favorisé auprès de la Porte la
demande d'admission des Génois, il avait essuyé
im refus.
Le Roi, voyant que M. de la Haye ne pou-
vait parvenir au renouvellement des capitulations,
résolut de le retirer de Constantinople; il envoya
une escadre poiu' le ramener. Le Grand Seigneur
se trouvait alors en Epire. ce qui força l'ambas-
sadeur de s'y rendre pour prendre congé. Le
ministère ottoman, à qui la puissance de LouisXlV
398 M f MOI K K
cominciiçait ;i im|)().scr, voyant ciu'il ne rcmj)hi-
caii pas son aml)assadcnf, chercha à retenir
M. de la Haye ei à l'anuiser par l'ouverture de
la négociation; ensuite, sous prétexte de con-
naître plus (lirectenieni les intentions du Roi sur
cet objet, le (j ranci Seigneur lui écrivit une
lettre dont un olh'cier turc, nommé Soliman Aga,
lut le porteiM-. (lomme elle était conçue en
termes généraux, on ne la regarda qtie comme
im leurre et on se décida à prendre un parti sur
les affaires du Levant.
Le chevalier d'Arvieux dit avoir été consulté,
et il rapporte le mémoire qu'il présenta sur ce
sujet. Le conclnsum était qu'il fallait suspendre
la nomination d'un autre ambassadeur et se con-
tenter d'accréditer à Constantinople un agent,
qui rendît compte de l'état des choses et pik
prévenir du moment où leiu- aspect pourrait
devenir plus favorable aux vues du Roi. Les
motifs de d'Arvieux furent trouvés solides, et il
fut lui-même destiné à cette commission d'agent,
mais il ajoute que MM. de Louvois et Colbert,
qui songeaient à l'ambassade de Turquie pour
M. de Nointel, représentèrent au Roi qu'il
fallait consulter le commerce de Marseille; il ne
leur fut pas difficile de le faire insister sur la
nécessité de la présence d'un ambassadeur de
SUR L'AMBASSADK DE TURQUIE. 299
Sa Majesté à Constantinople, et en conséquence
M. de Nointel fut nommé à cette place.
Chardin raconte que, dans la prévention où
l'on était en France qu'Ahmed Kupruly ne pouvait
souffrir les Français, il fut prescrit à M. de Noin-
tel dans ses instructions de ne parler d'affaires à
ce vizir qu'au divan et de s'adresser directement
au Grand Seigneur. L'ambassadeur, en confor-
mité de ces ordres, demanda audience au grand
vizir ; mais ce ministre exigea préalablement par
écrit une communication des points qu'il s'agis-
sait de traiter. L'ambassadeur ne pouvant reculer,
exposa dans un mémoire les additions que le Roi
demandait aux anciennes capitulations. Elles
parurent exorbitantes au grand vizir qui, pour
gagnerdu temps, prétexta que ces objets auraient
du être mentionnés dans la lettre du Roi. 11 fallut
consentir à suspendre la négociation jusqu'aux
réponses de France. A cette condition, l'ambas-
sadeur obtint l'audience demandée et celle du
Grand Seigneur pour la présentation de ses
lettres de créance. Mais M. de Nointel y tenta,
contre sa parole et l'usage reçu, d'entrer avec
Sa Hautesse dans le détail des affaires, ce qui ne
l'avança guère; il n'eut d'autre réponse de ce
prince que celle de s'adresser au grand vizir
qui prit de l'huniciii- et refusa d'aller en avant.
300 M rMOIIi I
I 11 propos (|iic litii (C ministre montre l;i
m:inièi-e dont les 1 iii-es envisa^'^ent le commerce;
" Vous me vantez beaucoup la grandeur de voire
roi, dir-il, à M. de Noiiuel, comment un prince,
aussi puissant que nous le dites, pourrait-il
mettre tant de chaleur à de vils intérêts de mar-
chands! "
M. de Nointel rendit compte de sa conduite
à Louis XIV, et l'on voit dans une dépêche de
ce prince, du ^ juin i6-i, cju'il mil en délibéra-
tion de rompre avec la Porte, et que ce fut Favis
de tous les commerçants de Marseille qui furent
consultés encore cette fois; mais le parti de
temporiser prévalut; on fît partir pour Constan-
tinople le chevalier d'Arvieiix avec une lettre du
ministre du Roi pour le grand vizir. Elle disait
qu'il était inouï qu'on refusât créance à l'ambas-
sadeur de Sa Majesté ; qu'elle ne s'expliquerait
que par son propre organe et, qu'en cas de
refus, il n'avait qu'à lui donner congé pour s'en
retourner. Cela fit effet; M. de Nointel fut
mandé à Andrinople et produisit de nouveau les
conditions que le Roi exigeait dans le renouvel-
lement des capitidations : il abandonna bientôt
celle de la liberté de navigation dans la mer
Rouge, sur laquelle le vizir fut inflexible, mais
ayant tenu ferme sur l'exclusion de tout pavil-
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. :;oi
Ion, dans le Levant, autre que celui de la
France, exig-ence tout à fait déraisonnable depuis
la conclusion de traités formels avec quatre
autres nations, la négociation se rompit; elle se
renoua en 1673, et le 17 août les nouvelles capi-
tulations furent signées avec l'addition de 1 7 ar-
ticles.
On n'y trouve d'essentiel relativement au
commerce que la réduction de cinq à trois pour
cent SLU' les douanes des marchandises.
M. de Nointel avait charg-é un négociant
nommé Bary de jDorter dans les échelles du
Levant les nouvelles capitulations. Cet homme
mourut en chemin, et l'ambassadeur s'y substitua
en personne. Il passa en Syrie et notamment à
Alep, où sa présence fut efficace pour l'abolition
de plusieurs vexations onéreuses au commerce
de la France : elles continuèrent encore longtemps
en Egypte où l'autorité de la Porte manquait de
ressort,
La dépense du voyage de M. de Nointel fut
à la charge des échelles du Levant qui en
payèrent les frais. Cet ambassadeur avait d'autres
dettes et Louis XIV les ht acquitter lorsqu'il le
rappela. Le marquis de Bonac observe que ce
ne fut pas en argent, mais en draps défectueux.
Les essais des manufactures de France, encoii-
302 MI.MOIin-,
ra^^cs p:ir (lolbcrt, ir;iv:iic;u |);is encore aueiiit
la perleitioii nécessaire an ^ont ei ii l'usage des
Levantins.
Malgré rinsuccès de la |)i-eniièi"e compagtjie,
le ministre en loi-ina une seconde sj)écialeniefit
pour procurer le débit aux inanuracturcs de
Saptes et de Cdermoni en Languedoc: cette pro-
vince avait accordé un prêt de 60,000 francs à
l'une et 10,000 francs à l'autre, avec une pistole
de gratification pour chaque pièce de drap
fabriquée. Le Roi y ajouta une autre pistole; on
eut soin de donner à ces draps la dénomination
de Londrins seconds qui avaient le plus de faveur
en Levant; des mémoires de ce temps disent,
en effet, que les Anglais en débitaient alors qua-
rante mille pièces; le débit des Hollandais était
presque aussi florissant.
Il existe, aux archives de l'ambassade, un
mémoire de l'an 1682, pendant l'ambassade de
M. de Guilleragues, successeur de M. de Noin-
tel, d'un sieur le Fèvre François, d'abord négo-
ciant à Constantinople, ensuite échevin à Mar-
seille. Il y dit qu'à l'époque citée, il n'y avait en
cette capitale que quatre maisons françaises;
que la masse de leur commerce n'excédait pas
la valeur de 600,000 piastres et consistait en
sucre, poivre, gingembre, cochenilles et quelques
SUR L'AMBASSADE D b. TURQUIK. 303
draps grossiers, dits de Paris-, quoique fabriqués
en Normandie, et d'autres nommés Pinchinas ;
que les retoiu-s en cuirs, laines et camelots d'An-
gora n'allaient pas au tiers de cette somme, et
qu'à peine y venait-il de France huit ou neuf
navires par an.
Mais à Smyrne, à Alep , en Syrie et en
Egypte, le commerce français l'emportait sur
celui des autres nations étrangères. M. le mar-
quis de Bonac dit quelque part, qu'en 1685 ^^
totalité pour le Levant montait à la valeur de
quatre millions. La même année, à la mort de
M. de Guilleragues, à Constantinople, le Roi
nomma consul pour cette capitale, pendant la
vacance de l'ambassade, le sieiu- Jean-Baptiste
Fabre, qui eut ensuite le titre d'agent du com-
merce et fut admis à la Porte en cette qualité ;
il la conserva jusqu'à l'arrivée de M. de Girardin,
en 1685. Cet ambassadem- eut ordre dans ses
instructions de faire tous ses efforts pour ouvrir
au pavillon français l'entrée de la mer Rouge.
Le consul de France en Egypte agit de son côté
poin^ engager les Turcs à donner une réponse
favorable, mais elle y fut très-contraire. L'oppo-
sition porta en apparence siu* l'inconvénient
qu'il y aurait d'admettre des chrétiens dans une
mer si à portée du tombeau du prophète Maho-
^o4 .MF.M(Jlin-
inci. I):ms la rcalitc. le pacha trai^'^iiit de voir
réduire les droits de douane sur les marchandises,
de dix poui- eeiu c|ue lui payaient les sujets de
la l\)rte à trois, (|ui était le taux lixé pour les
l^rancais. De leur cùté, les marchands du Caire
craignaient c]ue les branches de ce commerce
immense ne sortissent par là de leurs mains,
(hiant à l'introduction du pavillon français dans
la mer Noire, le relus fut plus net. La Porte la
regardait alors comme ime propriété sacrée dont
il ne fallait pas partager la jouissance. IJle eut
la complaisance de permettre à M. de Girardin
de charger pour Toulon deux navires de bois
de construction coupés sur les cotes de cette
mer, mais à condition d'en faire l'achat à Gon-
stantinople. Le gouvernement se prêta aussi à
accorder des iîrmans à un commissaire français,
nommé D'Ortières, qui fut envoyé avec deux
vaisseaux de guerre pour inspecter les Français
des échelles du Levant. 11 était accompagné d'un
commissaire turc porteur de Tordre d y mettre
en vigueur les dernières capitulations. Ge fut
l'époque oit elles eurent pour la première fois
leur exécution en Egypte.
Les malheurs des Turcs dans la guerre où
ils étaient engagés contre les cours de ^'ienne et
de Berlin, la Russie et la République de Venise,
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 305
en même temps, furent pour le commerce et la
navigation de la France une époque de prospé-
rité. Le pavillon français suppléa celui des Véni-
tiens pour le cabotage turc et pour le transport
du riz et du café d'Egypte dans la capitale et les
autres ports de l'empire ottoman. Ce fut alors
que l'échelle de Salonique, devenue aujourd'hui
l'une des plus considérables du Levant, com-
mença d'être fréquentée par les navires français.
Ricaut rapporte que quatorze de ces bâtiments,
arrivant à Constantinople en 1686, préservèrent
cette ville d'une famine menaçante. Pour assurer
cette navigation, Louis XIV signifia aux Vénitiens
qu'il les forcerait à restituer tout effet de l'en-
nemi pris sous pavillon français , la poudre et le
plomb exceptés. Ces progrès ne pouvaient
qu'augmenter encore lorsque la guerre de 1689
entre la France et presque toute l'Europe com-
mença. Pendant son cours , les corsaires des
puissances maritimes firent beaucoup de mal à la
caravane française dans l'Archipel, et les appro-
visionnements des Tiu-cs en souffraient. Le
capitan pacha, Mezzo-Morto, fameux par la
reprise de Scio sur les Vénitiens, imagina alors
de supposer une ligne entre la côte d'Afrique et
l'ile de (Candie à l'est de laquelle les corsaires des
puissances chrétieimes belligérantes ne poiuTaicnt
)o6
M I MOI){ 1.
pciictrcr, sous peine du |)iinitK)ii cl cl illegaliic
(les jîiises. ! ,;i (lénuircatioii lut signifiée aux cours
européennes; mais les ennemis delà Irance n'en
tinrent compte, et la l'orte élan trop accablée
de ses revers pour mettre à cet objet de l'éner-
gie ; elle a renouvelé cette proposition dans
presque toutes les guerres survenues depuis, et
toujours avec aussi peu de succès.
On voit dans les instructions de .M. de (^as-
tagnères de (^hàteauneuf, successeur de M. de
Girardin, qu'à cette époque de 16B9. la seconde
compagnie de commerce subsistait encore sous .
le nom général de la Méditerranée: c'est pour
son compte que l'ambassadeur eut ordre d'offrir
à la Porte l'engagement de fournir à ses États
toutes les marchandises dont ils auraient besoin,
en draps et étoffes, en pelleteries et autres
articles, ainsi qu'à exporter du Levant tous les
objets qu'il offrait au commerce. M. de Chàteau-
neuf a démenti à la marge de ses instructions
l'assertion qu'elles contenaient que les draps de
France pour le Levant étaient devenus meilleurs
que ceux d'Angleterre et de Hollande. 11 y est
fait mention de nouveaux règlements dans les
manufactures de draps en France, de l'ordre d'y
renvoyer les pièces trop défectueuses et d'accor-
der des dédommagements aux consommateurs
SUR L'AMBASSADE D t FLRQUIt. 307
levantins sur les tares moins considérables; on
défend aux navigateurs d'y vendre leurs pacotilles
autrement que par le canal des négociants fran-
çais établis dans les Échelles, lesquels ne pou-
vaient plus y être admis que sur des certificats
de la chambre de commerce. Enfin, ces instruc-
tions montrent le but d'exclure du Levant tous
les pavillons des étrangers, non plus pour les
obliger à y arborer celui de France, mais pour
les forcer à se servir uniquement pour le com-
merce de navires français.
La compagnie de la Méditerranée ne put
résister aux pertes que les corsaires ennemis lui
firent essuyer en cette guerre. On prit, en 1697,
un milieu entre le privilège exclusif et la liberté
absolue : les armateurs qui destinaient des navires
pour le Levant devaient se faire inscrire à la
(chambre de commerce qui délivrait les expédi-
tions suivant Tordre de date et selon les besoins
des marchandises dans les Échelles. Déjà on
s'était aperçu que leur affluence y occasionnait
des méventes au grand dommage des commer-
çants et fabricants du royaume.
La paix de Uyswick, en 1697, donna un répit
favorable au commerce; les espèces monnayées
étaient alors d'un si bon aloi en Turquie que
lorsque les articles d'exportation n'étaient pas à
un |)ii\ liivoralilc, les l'r.incnis kiisaiciit leur
rcioiir cil |)Kistics du pays (jui se Nctulaient à
Marseille cjuaiie Iraucs : elles n'en valent ^aière
aujourd'hui (|iie la nioiiié.
Mallieureusenient la guerre de la succession
d'iLspag'ne commença en i 700. La l'Vance, dont
la marine ne se montra {^uère depuis le combat
de Malaga, en 1704, y fut accablée. La Chambre
de Marseille, sur laquelle l'ut rejeté le soin de
Iburnir des escortes aux vaisscatix marchands
pour le Levant, se trouva bientôt surchargée de
dettes, éprouvant à la fois la dimintition de ses
droits et l'augmentation de ses dépenses. Le
commerce, presque abandonné à lui-même, s'en
ressentit au point qtie les négociants emprun-
taient à Constantinople au taux de 18 "'o. Le suc-
cès de quelques armateiu-s français qui inquié-
taient assez les Anglais pour les engager à
envoyer leurs draps en Levant par voie de
terre, ne dédommagèrent pas de tant de pertes
directes.
Louis XIV ne cessa point de s'occuper des
mantifactures malgré les malheurs du temps. Une
ordonnance de 1708 porta de nouvelles règles
dans la fabrication, et elle en profita. Les draps
français prirent tm appui là-dessus sur les draps
hollandais et les anglais de seconde qualité. Ceux
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 309
des premiers ayant toujours conservé la préfé-
rence auprès des Levantins, mais n'y servant, vu
leur cherté, qu'à l'usage des riches. Lorsque les
traités d'Utrecht et de Rastadt eurent établi le
calme dans l'Europe, le commerce de France en
Turquie reprit son cours, mais im édit de 1714
ayant ordonné de porter aux monnaies de France
l'argent monnayé et ouvré, la plupart des
Marseillais préférèrent employer leurs deniers
en marchandises qu'ils expédièrent dans les
Echelles, où il en arriva à la fois une immense
quantité qui demeura invendue en partie. Les
révolutions du système de Law pendant la mino-
rité de Louis XV opérèrent un effet semblable.
On compta, en 1720, à Constantinople jusqu'à
huit cents ballots de drap et beaucoup plus à
Smyrne : ce qui était regardé alors comme une
immense accumulation. Les autres articles sui-
virent la mémo progression : celle des sucres fut
telle, que M. le marquis de Bonac obtint qu'il fût
défendu à Marseille d'en envoyer à Constanti-
nople jusqu'à l'écoulement de ce qu'il y en avait
dans la capitale. Ce même ambassadeur engagea
les négociants à se liguer pour l'achat de mar-
chandises de retour que leur concurrence faisait
monter précédemment à des prix excessifs. Mal-
gré ces mesures, il fallut renvoyer beaucoup de
Ml MOI H I
3"'
m:ir(l);m(lisc.s iiuciulucs et (jui cssiiycrcni [);ii" l;i
une perte île ino'tié diins leur valeur priiTiilivc.
In luéiiioire ciu'a laissé le inar(|nis de P>()nac
évalue l'objet du eoniineiTe ilu i.cvant pour la
i'rancc à douze nnllions de (raïus. ('et ambassa-
deur porte à quatre cents le nombre des bâti-
ments français occupés à la mémo époque dans
le Levant, c'est trois ciiKjuièmes de moins cjue
n'en comptait le conite de lirèves du temps
d'Henri IV, mais il faut croire que cet ambassa-
deur y comprenait des navires étrangers usant du
pavillon français.
C'est à ce temps de la régence du duc d'Or-
léans qu'on destina aux enfants de langtie les
bourses précédemment fondées au collège de
Louis-le-Grand à Paris poiu- des Grecs et Armé-
niens; il en a résulté que ces élèves interprètes
ont mieux su le latin et beaucoup moins bien les
langues orientales, qui sont cependant l'essentiel
en l'état de drogman. Dans l'enfance, on les
apprend presque sans peine pendant qti'il en faut
beaucoup dans l'adolescence pour y réussir; il
est vrai qu'il faudrait y destiner des Français
natifs potu' être bien assuré du patriotisme des
interprètes, qu'affaiblit souvent la naissance en
pays étranger; mais il serait juste aussi de
prendre soin des enfants qui naissent en Levant
SUR L'AMBASSADK DE TURQUIE. ^ii
des mariages de ces officiers, en leur donnant
une autre destination.
Le marquis de Villeneuve, successeur de
M. d'Andrezel qui ne fut ambassadeur à Constan-
tinople que pendant deux ans, eut une mission
brillante dans tous les genres. Le début en fut
cependant orageux, ayant eu à lutter avec le
ministère ottoman qui avait fait enlever et con-
duire au bagne de la capitale, le consul de France
à l'île de Milo, nommé Castanier. 11 fallut beau-
coup de peine et de temps pour en obtenir la
délivrance. Le marquis de Villeneuve était dans
la crise de cette affaire lorsque le chevalier Sut-
ton, ambassadeur d'Angleterre, lui proposa un
plan dont le succès, selon lui, était infaillible
pour mettre les Turcs à la raison. 11 consistait à
faire cesser à la fois tous les envois de draps de
France, d'Angleterre et de Hollande en Turquie,
et il se faisait fort d'y engager les États géné-
raux. Malgré la gravité du personnage, il semble
qu'on ne doit regarder ce projet que comme un
propos en l'air et qu'il n'aurait été goûté, m en
Hollande, ni en Angleterre. Son effet n'eût §ervi
qu'à faire prévaloir en Levant les draps d'Italie
et d'Allemagne; l'habitude de cette consomma-
tion une fois prise, le consommateur n'aurait pas
été aisément ramené à d'autres draps qu'il aurait
]I2 MIMOIMI
perdus (le vue pendant luni^t eiiips , et les
ral)ri(jiies (jui auraient aceiiniidé leurs produits
sans débouchés se seraient absolument ruinées.
Le marquis de Villeneuve )ug"ea plus saine-
ment c|iie le meilleur remède à appliquer au mal
serait le renouvellement des capitulations ([ui ne
l'avaient pas été depuis 167^. 11 était d'autant
plus important d'v parvenir que, depuis cette
époque, le commerce de la 1^'rance en Levant
avait fait des progrès qui en avaient augmenté
l'importance et les embarras. Cet ambassadetir
travailla, en conséquence, à un projet d'articles
à ajouter aitx capitulations précédentes, et y
comprit tous les points qui lui parurent à désirer
pour l'avantage national. La révoltition qui pré-
cipita du trône le sultan Ahmed, en 1730, et la
guerre qui survint immédiatement avec les Per-
sans, celle que la Porte eut ensuite à soutenir
avec les cours impériales, l'empêchèrent pendant
plusieurs années d'entamer la négociation dont
il s'agit. Mais enfin, le marquis de Villenetive
ayant, par une glorieuse médiation, rendu en
1739, la paix à l'empire ottoman, il parvint,
l'année suivante , à renouveler les capitula-
tions avec addition de quarante-detix nouveaux
articles.
C'est à cette occasion que le recueil des
SUR L'AMBASSADK DE TURgUIE. 3^
traités de la France avec la Porte prit la forme
actuelle. Le second ai^ticle statue un privilège
accordé aux Français par Sultan Sélim, second
fils du grand Soliman. Les quatorze suivants sont
extraits des quatre plus anciens traités de la
France ou des concessions spéciales des anciens
Sultans en faveur des Français. Il n'a été con-
servé que quinze articles du traité de 1604. Quoique
de quarante -huit à sa conclusion, il n'en a été
pris que onze de celui de 167^, le seul rappelé
dans le préambule et qui en avait originairement
cinquante-trois : réduction faite pour éviter les
répétitions, sans cependant qu'on soit parvenu a
les supprimer toutes. 11 faut observer que dans
l'original turc, les articles ne sont point numéro-
tés, mais seulement indiqués par des étoiles d'or.
Le sieur Deval, secrétaire interprète du Roi et
premier drogman de l'ambassade de France à la
Porte, depuis 1756 jusqu'en 1771, a fait une
savante traduction française des capitulations,
précédée d'une préface instructive et d'un index
fort commode et bien divisé. On ne peut lui
reprocher que d'avoir rendu le mot turc Pj.iic/u/i
par celui d'empereur, il n'y avait qu'à ne pas le
traduire. Pour plus de clarté, les paragraphes
sont numérotés et môme séparés par des alinéa
lorsqu'il y a mélange de matières.
M \:\\i)\ H I
)' t
(ictic tr:i(lii(ti()ti (les (■:j|)iiiiI;iii(mi.s, en (|uatre-
vin^t-fituj iirlicle;. a été inipninée au Louvre
et) I 770.
I .e dou-ii-tnc article (\\.\ traité lait par le niar-
(|ui.s (le \ illeneuve ou le ciii.jiiL7ntc- cinquième
des capitulations continue l'exemption du droit
de Mézetcrie, mais avec le désavantage que
le mot seulement (jui l'accompagne est un
préjugé contre l'exemption d'autres impositions.
Le même défaut se trouve dans l'article dixicnic,
au lieu que, si l'on avait exprimé que les 3 ",„
de douane fixés par l'article trcnlc- septième
devaient tenir lieu de tous droits quelconques,
cela fermerait la porte à toute exigence. On
n'avait pas fait cette faute dans le traité de
Passarowitz entre la cour de Vienne et la Porte
ottomane.
Cet avantage de généraliser les objets se
trouve dans l'article Irei-ièiiie du traité de AL de
Villeneuve sur la liberté en faveur des Français
d'exporter et d'importer des marchandises du
Levant. Sa dernière disposition est faite pour
obvier à ce que les corporations établies dans les
villes turques n'empêchent les ventes des mar-
chandises aux particidiers.
L'article sei:;ième oiiciiujiijiile-iieiii'icme qui per-
met aux Français le commerce par terre et par
SUR L'AMBASSADt DE TURQUIE. 115
mer, au Danube et au Tanaïs ' est bien aussi
expressif que le oniième du traité de Belgrade,
duquel les Autrichiens ont inféré depuis, en
leur faveur, la liberté de navigation dans la
mer Noire.
L'article dix-septicnie ou soixaulicinc assiu^e
l'état des censaux employés au commerce des
Français et la liberté de les choisir.
Le l'ingt-septième ou soixante-dixième défend
aux gens de justice d'entrer dans les maisons des
Français sans en prévenir l'ambassadeur ou les
consuls, disposition de piu'e précaution pour évi-
ter les malentendus et que quelques-uns pren-
nent mal à propos pour inviolabilité de leiu-
domicile.
L'article quarantième ou quatre-rinLi't-lroisième
assure aux Français en Turquie les privilèges
des nations les plus favorisées , mais lorsqif on
les réclame, la Porte prétend qu'il n'exprime
cette concession que poiu- ceux qui existaient
alors.
Le total des articles que le marquis de \'ille-
ncuve a ajouté aux anciennes capitulations est
I, Il faut observer que le texte tun ne parle point de i.e derniei
llcuve dont la mention est une liberté que s'est donné le traduc-
teur; il n'est mention que de la l^ussic.
3i6 MF.MOIRK
(le (|ii:ir:inic-trois et I:i collcctioi) tot.ilc est jioi-
rcc :i qiiatrc-vin^a-rinq. On poiiiTiiit l:i réduire
(le (|iiel(|iies-iiiis (|iii se répètent et d'autres (jui
se contredisent.
Telle est la loi que les Français ont droit
d'invoquer en Turquie et à l'exécution de laquelle
l'ambassadeur du Koi est chargé de tenir la main
autant du moins que le comporte la mauvaise
administration du pays.
Les jug-es turcs prétendent que tout ce qui
est dérogatoire aux préceptes de l'Alcoran et
à ses interprétations n'est pas légal et ne peut
servir de règle dans les procès de Français 5 la
théocratie, principe de ce gouvernement, n'ad-
mettant pas de modification dans son exertion.
Pour revenir à l'état du commerce de la
France en Levant, lorsque M. de Villeneuve y
arriva, on continuait à se plaindre de l'accimiu-
latioii des marchandises de France dans les
Echelles. On compte qu'il y avait été envoyé en
1728 dix-huit cents balles de drap à deux ballots
chacune. Les négociants en expédiant les draps
en tiraient aussitôt la contre-valeur par lettres
de change, ce qui forçait les régisseurs du Levant
à vendre à tous prix pour faire honneiu- au
papier qu'on leur présentait. Il en résulta plus
d'une fois que les draps se donnèrent à Constan-
SUR L'AMBASSADK DE TURQUIE. 317
tinople à meilleur marché qu'ils n'avaient coûté
à Marseille.
Le marquis de Villeneuve, frappé de ces
inconvénients imagina, en 1731, une ligue entre
les négociants français des échelles de Constan-
tinople, de Smyrne et de Salonique pour fixer le
taux auxquels les draps français devraient se
débiter, avec prohibition de les livrer à plus bas
prix ; chacun vendait à son tour et au moyen
d'une prime : le bureau national garantissait la
sohdité de l'acheteur du pays dont on mesurait le
crédit sur les notions qu'on se procurait de ses
facultés 5 à la lin de l'année, on faisait le compte
des primes et des pertes, et le reste était distri-
bué aux négociants nationaux. Un comité pris
entre eux veillait particulièrement à cette manu-
tention et s'occupait de vues et d'opérations ulté-
rieures sur lesquelles l'assemblée générale pro-
nonçait selon le vœu de la plurahté. Il s'éleva des
murmures en Levant sur ce que ces arrangements
bornaient l'industrie française en ne permettant
pas aux spéculateurs de s'étendre à volonté. Pour
y remédier, on arrêta, en 17^6, que les ventes
se feraient désormais sur le pied d'une réparti-
tion proportionnelle à ce que chacun aurait à
vendre : forme qui cependant avait l'inconvé-
nient d'induire un négociant à une accumulation
j,H \ll \1(J1KK
(l;iiis les iii:il;;isiiis, d'où résilient un f^ros louds
niori chiiis son roiniiicrcc. I .es autres échelles,
rclati\ eiiieiii aux (.ireonstaïues hjcales, prireni
(les mesures uti peu (lilîereiues. Les manufactures
se plaif^nirent de leur coté des arrangements du
Levant qui ùtaieiit, disaient-elles, au travail de
leurs labricpies l'écoulement nécessaire; mais cet
inconvénient ne naissait que de la surabondance
de fabrication, et les envois multipliés nuisaient
au bon prix en Levant; cela fit prendre, en 1740,
le parti de réduire les fabrications annuelles du
Languedoc pour la Turquie à la quantité estimée
nécessaire à la consommation des Levantins. 11
Fut prescrit à la chambre de commerce d'en dres-
ser des états et de les envoyer à l'intendance de
la province pour répartir ce travail entre les
différentes manufactures. Les pièces de drap,
une fois fabriquées, durent être inspectées en
blanc à la fabrique et ensuite examinées à Mont-
pellier et à Marseille. Toute contravention aux
règlements occasionnait la coupe des draps en
morceaux et la radiation du manufacturier de la
liste du travail de l'année suivante.
Au moyen de ces mesures la quantité de drap
fut à souhait. Les prix s'établirent en Levant à
un taux convenable, et cette époque fut celle de
la véritable prospérité du commerce des draps.
SUR L'AMBASSADK D K TURQUIE. 31^
Mais le profit qu'y trouvaient les manufacturiers
et les négociants les excita à demander sans cesse
de plus forts contingents; par de faux exposés,
ils tâchaient de capter et de corrompre les secré-
taires de l'intendance j bref, la fabrication aug-
menta successivement au point qu'en 1750, pen-
dant l'ambassade du comte Des Alleurs fils,
lequel avait relevé le comte de Castellane, suc-
cesseur du marquis de Villeneuve, il se trouvait
à Constantinople trois mille ballots de drap inven-
dus. Pour y mettre ordre à l'avenir, on rétablit
le contingent, c'est-à-dire que chaque négociant
ne put vendre qu'à égalité avec ses confrères,
ce qui ôtait tout intérêt aux accumulations des
draps. En même temps, on en réduisit en Lan-
g-uedoc la fabrication, en l'année 1751, à douze
cents ballots Londrins seconds et quinze cents
Londres larg-es.
Cette réduction lit jeter les hauts cris aux
partisans de l'absolue liberté dont le fameux
de Goiu-nay, alors intendant du commerce, était
le chef; selon lui, chacun devait vendre et fabri-
quer à sa g-uise, à ses risques et périls. Le Carcat
emptor composait sa doctrine à fégard des
acheteurs. 11 est certain que le principe de
liberté est simple ainsi que fécond; mais il en est
peut-être de la liberté du commerce comme de
po MIMOIKI.
I:i liberté civile, (iiTil coiuicnt (|iicl(|iiclois d'cn-
clKiIncr pour le bien coniimm. (^uoi (|iril en soit,
tous les rc^lciiiciils en l'rance el en Levant sur
le commerce des draps furent, à la ibis, abolis
en 1756 ail commencement de l'ambassade du
comte de Vcr^cnnes. On s'applaudit du nouveau
système, lorsqu'on reconnut, l'année suivante,
que les envois de draps en Levant avaient
doublé; mais ce succès ne i\n qu'apparent et il
devint en dernier résultat un vrai dommage. La
concurrence des ventes en affaiblit le prix, et
on perdit sur la valeur dans la plupart des
Échelles.
Le comte de Vergennes iit de son mieux à
Constantinoplc pour rallier les négociants divi-
sés, mais il n'y réussit pleinement et par leur
vœu unanime qu'en 1765. L'association imaginée
par le marquis de Villeneuve s'y rétablit alors
avec avantage, moins à la vérité que lorsque la
fabrication en F'rance était bornée et surveillée,
mais cependant avec un prolit réel sur les draps.
Cet ambassadeur laissa les choses en cet état
dans la capitale lorsqu'il fut rappelé en 1768.
L'autorité n'entrait plus dans les arrange-
ments du Levant que pour y mettre en viguein-
le vœu de la pluralité des négociants dans les
Échelles i il tendit successivement à lier et
SUR L'AMBASSADt: DE TURQUIK, pi
rompre et Ton se lassa enfin de renouer pour
trop peu de temps. Les négociants de Smyrne
en particulier ne se désistèrent jamais de ce
qu'on appelle u trocs anticipés » ; ce qui rend les
arrangements impossibles dans cette Échelle et
nuit infiniment à celle de Constantinople. Le troc
anticipé est la livraison de la marchandise à un
prix dont le vendeur convient avec l'acheteur
qui s'eng-age à fournir des cotons en payement
lors de la récolte, en proportion relative aux taux
courants à cette époque. Le taux s'établit sur le
résultat de trois marchés consécutifs. L'homme
du pays ne manque pas de moyens de faire haus-
ser le prix au détriment des troqueurs français;
de plus, celui qui se trouve avoir acquis des draps
au-dessus de leur valeur, les vend dans le pays à
meilleur marché qu'ils n'ont été payés à Mar-
seille, ou il les transmet à Constantinople. Le
négociant de cette capitale qui ne troque pas,
se trouve par là forcé de livrer sa marchandise
à perte pour ne pas la laisser vieillir dans ses
magasins. Plusieurs autres Échelles ont adopté
la pratique des trocs pour les divers genres qui
s'en exportent. L'Egypte foiu-nit les drogues; la
Syrie les cotons filés et les soies; Candie et la
Morée les huiles ; Salonique les cotons en laine.
Partout oii il y a eu à troquer, on l'a fait, parce
322 MKMOIHI,
que l'avidité des nc^a:)ci.'mts et la coneiirrence
entre eux ne ni.ni(|iieiit j)as de (aire disparaître
tout enijîressemetii de la part des Levantins ([iii
se voient recherchés et s'en prévalent pour faire
la loi.
Il a fallu abandonner l'ordre des faits pour
siiivi'e sans interruption l'article du commerce
des draps, sur lequel il reste à ajouter qu'il en
fut expédié de France en Levant, en l'année 1767,
au delà de neuf' mille ballots.
Ce fut, en 1727. qu'on commença à introduire
à Constantinople des soieries et des dorures de
Lyon. Le premier envoi fut de la valeur de
^,400 livres. Cette branche de commerce s'y
étendit malgré une manufacture de galons qui
s'établit peu après dans la capitale. La beauté de
ceux de Lyon les a fait préférer, quoique plus
chers, par les consommateurs recherchés.
Le café des colonies françaises d'Amérique
parut aussi dans ce temps au Levant. Son prix
moindre que celui du café de Moka, le mit plus
à la portée du commun des consommateurs qui
s'en contentèrent malgré l'infériorité de la qua-
lité. Le marquis de Villeneuve obtint la liberté
d'en envoyer sur les côtes de la mer Noire et
dans la Turquie d'Europe, où on s'y est si bien
accoutumé, que le prix en est presque aussi haut
SUR L'AMBASSADE DL TURQUIE. 323
que celui du moka. Cette consommation est
devenue l'objet d'un débouché considérable.
Les sucres des îles françaises n'ont pour con-
ciu-rents, en somme, que ceux d'Eg-ypte dont la
quantité est si peu considérable et la qualité si
basse, qu'elle mérite peu d'attention.
Tel était l'état du commerce de la France en
Levant à la fin de l'ambassade du comte de Ver-
gennes. Elle avait débuté par sept ans d'une
g-uerre malheureuse, entre la France et l'Angle-
terre, pendant laquelle cette puissance fut maî-
tresse de la mer Méditerranée et causa de grandes
pertes à la navigation marchande et au commerce
de la France. Mais l'invasion d'une liberté indé-
finie sur des arrang-ements sages et dictés par
des circonstances locales , fut plus nuisible
encore \
La paix de 1763 ayant ranimé l'industrie et
l'activité, le commerce de la France en Levant
se trouvait en 1768 dans une situation passable-
blement bonne. On verra dans le mémoire que
I. Un long intervalle de paix avait rendu la Forte plus altièrc
et plus épineuse qu'elle n'aurait dû l'être, et les privilèges des capi-
tulations étaient quelquefois réclamés en vain. C'est ainsi que le
comte de \'ergennes l'éprouva dans l'injuste détention au bagne
d'un drogman de France, nommé Roboly, qui, malgré les réclama-
tions de l'ambassadeur, y mourut dans les Fers.
^24 Mf. MOIHI
Je comte (le Saitu-I *iiest, suceesseur de M. de
Vcrg"eniies, présente an roi pom-lui rendre compte
de son aml)assade de sei/.e années, cpudles varia-
tions cet intervalle de temps a produites à cet
égard.
Le mémoire de M. le comte de Saint-Priest ne me paraît
pas donner une idée précise du mouvement du commerce fran-
çais, dans l'Empire ottoman, pendant une partie du dernier siècle.
Cet ambassadeur s'écant attaché pliis particulièrement à faire
connaître les vicissitudes de notre négoce à Constantinople, j'ai
cru qu'il serait utile de donner un aperçu des transactions qui se
faisaient au xvm'^' siècle dans les différentes Echelles du Levant.
Je joins donc ici, comme appendice au travail de M. de
Saint-Priest, un tableau des relations commerciales de la France
avec la Turquie. Ce morceau est extrait d'un mémoire manu-
scrit rédigé sur les documents officiels du bureau du ci^mmerce
et portant pour titre : Détails sur le commerce du Levant.
TABLEAU GENERAL
DU
COMMERCE FRANÇAIS
DANS LE LEVANT
ET DE
L'EXPLOITATION GENERALE DE CE COMMERCE,
DANS C H A Q_U E ÉCHELLE.
Les draps de Languedoc forment Farticle le
plus considérable de notre commerce d'entrée
en Levant. On les distingue en diverses qualités
principales^ savoir : les mahous premiers, les
mahous seconds, les londres premiers, leslondres
seconds, les londres larges et les londres ordi-
naires. Suivant les états des différentes Echelles,
il paraît que la totalité de la consommation
annuelle monte à environ six mille trois cents bal-
lots dont les deux tiers en londres seconds, près
d'un quart en londres larges, et le restant en
mahous, londres premiers et londres ordinaires \
I. Dans les mémoires donnes par les états de Languedoc,
en 1769, ils portent à huit mille trois cent quarante neut ballots,
l'objet des exportations de draps pour le Levant.
}28 Ml. M(JIIU.
I /miportaïuc de ces ;iriiclcs de noti^e eoiii-
merce :iii l,ev:iru est sedsiijie : il présente une
valeiii" (le j)liis de y iiidiions de j)remier .'kIkii
à Marseille, et il est aisé de se convaincre qu'il
est encore susceptible d'une aiig"mentation con-
sidérable, surtout si nous pouvons parvenir à
partager d'abord et à nous emparer ensuite
successivement de la consommation qui se lait
en différentes Échelles, en draps hollandais
supérieurs, en sayes de Venise, en nims et en
londres anglais.
La lisière des sayes de Venise n'a pu encore
être imitée en France : on n'a pas même bien
attrapé cette fabrication, et peut-être le privi-
lège exclusif qui a été accordé aux frères Martin
de Clermont de Lodève, pour l'imitation de ces
draps, a-t-il été un des principaux obstacles à
nos progrès en ce genre. On attribue au bon
marché des laines du pays en Angleterre et à
la cherté des londres les obstacles que nous
avons trouvés potu- introduire nos londres en
concurrence avec les londres anglais ; on a cru
nécessaire de supprimer les nims que nous
fabriquons à l'imitation des leiu's. Cette fabrique
était tombée en discrédit : elle prenait sur la
consommation de nos, londres seconds et de nos
londres larges, sans prendre sur celle des nims
SLR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 329
anglais, et il sera peut-être assez facile de faire
voir les causes des abus qui s'y étaient intro-
duits, et de représenter la nécessité d'y remé-
dier; mais il est plus difficile d'imaginer poiu--
quoi nous n'avons pu parvenir, jusqu'à présent, à
attaquer la consommation des draps hollandais
supérieiu-s. Les Hollandais n'ont pas la matière
première à meilleiu- marché que nous, la main-
d'œuvre est plus chère chez eux, et l'exportation
de leurs draps au Levant est plus difficile. On le
sentit en 1749, et il fut convenu alors d'envoyer
les échantillons de ces draps au sieur Gaza,
inspecteiu' de Montpellier, poiu* en raisonner
avec les meilleurs fabricants. 11 convint avec
eux qu'on pourrait réduire ces draps d'essai à
quatre qualités dont ils présentèrent le plan de
la fabrication, et le sieur Pascal, excellent fabri-
cant, se proposait de travailler aux essais. Mal-
heiu-eusement, par la comparaison qu'on f t des
qualités proposées avec celles permises par le
règlement de 1708, on trouva qu'il y avait peu
de différence de ces nouveaux draps aux
mahoiis, londres premiers et londres seconds,
et on craignit de tomber dans la confusion, si
on admettait cette nouvelle fabrication. Il est
fâcheux c[ue cette seide crainte ait fait aban-
donner le projet, et on ne peut s'cmpèchei- de le
330 MIMOIKK
rct;rct(ci* l)(j:inroii|), surtout si on (ait aticiitioii
c|iic les I lollandais, dont nous ain-ions pu espérer
de partaj^er par ce moyen la concurrence,
débitent annuellement, dans la seule échelle de
Smyrne, six cents ballots de ces draps, cpi'on
évalue à jîIus de 2 millions, (^uoi qiril en soit,
dans l'état des choses, (^onstantinopic consomme
de dix-huit cents à deux mille ballots de nos
draps, et Smyrne en consomme mille ; Saloniqiie
cinq cents; la Morée quatre cents; l'Kgypte
douze cents; Alep sept à huit cents; Seyde ,
Acre, Tripoly, laCanée, l'Albanie et la Barbarie
environ six cents, ce qui forme comme on Ta
déjà dit, une totalité de six mille trois cents
ballots.
Après les draps, l'article d'envoi le plus
intéressant est l'indig-o. Il s'en débite annuelle-
ment pour environ 1,800,000 livres. C'ei^t à
Smyrne, à Alep, et surtout dans la première de
ces deux Echelles que s'en fait la principale
consommation. 11 s'en consomme aussi à Con-
stantinople, à Salonique, à Seyde et dans quelques
autres Échelles. Ce commerce que nous devrions
faire exclusivement aux autres nations paraît
avoir essuyé de la diminution. 11 y a eu des
années où nos négociants à Smyrne en ont vendu
pour 180,000 livres, et on voit avec surprise
SUR L'AMBASSADH DE TURQUIE. '331
dans leurs mémoires, que, depuis plusieurs années
les étrangers fournissent au moins le tiers de
l'indig-o qui se vend dans cette Echelle.
Le sucre en poudre et en pain forme le
troisième article un peu important. C'est aujoiu*-
d'hui un objet de 8 à 900,000 livres, et il devien-
drait infiniment plus considérable, si on pouvait
habituer peu à peu les Levantins à mettre
du sticre dans leur café. Constantinople est le
principal lieu de la consommation : en 1750, on
en vendit dans cette Echelle pour près de 5 50,000
livres : les deux autres Echelles où on en con-
somma le plus dans la même année, furent celles
de Smyrne et d'Alep.
La cochenille forme un objet à peu près
pareil à celui du sucre, mais avec cette diffé-
rence qu'il n'est pas susceptible de la même
aug-mentation, d'autant plus que nous sommes
en concurrence pour cet article avec les autres
nations qui peuvent le donner à aussi bon
marché, au moins, que nous. Les Échelles où il
s'en vend davantage sont celles de Smyrne et
d'Alep, les envois qui y fiu-ent faits en 1750
montent à plus de 550,000 livres. On en con-
somma aussi des parties considérables à Constan-
tinople, Salonicpie, Tripoly et Scyde.
Le café des îles ne parait être aujourd'hui.
332 M I MOI H I
suivant les cl;iis (les IaIicHcs. (|ii un oIjjci (le
i^oo, ()()() li\rcs : la chcftc de toutes les iiiar-
ehaiulises ei denrées de r.\niéii(|ue, depins la
guerre, en inlluaiu sur cet article, a sans doute
été cause c|u'()n en a diminué les envois en
Levant, et il y a lieu d'espérei\ que ces envois
aug-mcnteront successivement, dès cfue le com-
merce de l'Amérique aura repris son niveau. On
a vu des années où la seule échelle de Smyrnc a
consommé pour plus de 600,000 livres de café
de nos iles ; on en vendit aussi beaucoup à (]on-
stantinople, à Salonique et au Caire. Après les
articles dont on vient de parler, les deux plus
importants sont les bonnets, façon de Tunis, et
les étoiFes de Lyon.
L^objet des bonnets est d'environ 500,000
livres. On en débite à Constantinople. pour près
de 50,000 livres. On en débite aussi quelques
parties dans plusieurs autres Echelles; mais
c'est dans celle de Smyrne qu'on en trouve le
principal débouché. Les envois qui y furent faits,
en 1750, excèdent 400,000 livres. An surplus, on
ne peut regarder le commerce que nous avons
fait jusqifà présent en bonnets, façon de Timis,
que comme un simple essai. Celui des bonnets de
Tunis est ijmnense. On prétend qu'il en faut
annuellement pour la consommation des princi-
SUR L'AMBASSADE DF. TURQUIE. 355
pales villes de Turquie où nous commerçons, plus
de vingt millions de différentes grandeiu-s et qua-
lités. Peut-être parviendrons nous peu à peu à les
remplacer. Les progrès de la manufacture établie
en Béarn dans cet objet donnent d'autant plus
lieu d'espérer que, si les Timisiens peuvent
avoir quelques avantages sur nous du côté de la
main-d'œuvre, ils ont d'ailleurs plusieurs désa-
vantages , étant obligés de tirer de nous les
laines d'Espagne et les ingrédients nécessaires
à la fabrication et à la teinture de ces bonnets.
Les dorures et les étoffes de Lyon ne forment
pas pour le moment un objet plus considérable
que les bonnets. 11 ne s'en débite annuellement
que pour environ 400,000 ou 4^0,000 livres, dont
Constantinople en consomme près de 100,000
écus, et la Morée autour de 40,000 livres. Mais
cet article peut devenir très-important, si nous
parvenons à imiter les damasquettes et à les éta-
blir à un prix convenable. Les Vénitiens en ven-
dent pour plus de 100,000 écus dans la seule
échelle de Constantinople. et il n'est presque
point d'Échelle 011 il ne s'en consomme des
quantités considérables. Nous avons» pour con-
currents dans les autres étoffes ces mêmes
Vénitiens, les Livoiirnois, les Messinois et les
Chiotes. Ceux-ci sont d'autant plus dangereux
334 MIMOIKI.
(iiic. dans plusieurs Ix'iicllcs, ils vciulctii en détail
nos soieries et dorures, ainsi cjue celles des autres
nations, et ils en<^ag-eni tant (|irils peuvent les
consommateurs à donner la préférence a celles
de leur pays.
Les autres articles un peu considérables de
nos envois sont les bijoux, surtout pour (^onstan-
tinople : on ne i^eiit en fixer exactement la con-
sommation annuelle; elle a excédé ciuel(|uefois
1 00,000 éciis et peut beaucoup augmenter: les épi-
ceries dont nous vendons, année commime, pour
250,000 livres ; les papiers dont le principal débit
se fait en Kg"yptc, et dont il se vend en totalité
pour 200,000 livres 5 enfin le plomb et l'étain en
verge : chacun de ces deux articles peut monter
à environ 100,000 livres. On ne voit pas qu'ils
aient jamais été plus considérables; mais il n'en
est pas de même des papiers; on en consommait
autrefois beaucoup plus qu'aujourd'hui; l'échelle
d'Alep n'en passe dans ses états que deux cent
cinquante à trois cents ballots, elle en débitait
plus de huit cents, en 1723 et en 1737. Constan-
tinople et Smyrne en vendaient aussi dans ces
mêmes temps plus du double de ce qu'elles en
vendent à présent.
Telles sont les principales marchandises qui
composent notre commerce d'entrée en Levant.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 335
Nous y envoyons quantité d'autres articles, mais
dont chacun en particidier est d'un très-petit
objet et qui ne paraissent pas mériter d'observa-
tions particidières. On se contentera de les ran-
ger ici par ordre alphabétique.
Acier.
Aiguilles.
Ambre gris.
Amandes.
Arquison.
Bois de ccincLirc.
Camelocs.
Camphre.
Cérusc.
Cimbriauc.
Confitures.
Coconines.
Corail ouvre.
Ecaille de torcuc.
Fayence.
Feuilles de fer-blanc
Fil de fer.
Fil de laicon.
Fleur d'aspic.
Grenailles.
Indiennes peintes à Marseille.
Liège.
Liqueurs.
Pelleteries.
Pierres à fusil.
Prunes.
Quinquina,
Salsepareille.
Serge impériale.
Sirop.
Soufre en canon.
Toileries.
Tutie.
Tartre rougj.
Verdet.
Vif-argent.
Le total de ce commerce d'entrée monte en
marchandises à environ 18 à 19 millions dont les
draps font plus de la moitié ; passons à celui de
sortie.
jj6 M I Mf)l U I.
( )ii peut r;in^ci- cii (|imtrc classes (lilicrcnics
les niarcliaiuiises ([iii f()ni|)()setu les retours pro-
venaiii (ic notre comnicrce en Levant.
r Les niarières premières; 2" les denrées,
•^ les (lr()<^iics ei clro^neries; 4" les toiles et toi-
leries et antres fabriques et manufactures du
pays.
La première classe, la plus intéressante par
son utilité ])our nos manuiactures et en même
temps la plus considérable par son objet, consiste
dans les matières premières que nous tirons du
Levant et qtii sont les cotons en laine, les cotons
filés et cotons teints en rouge, le fil et le poil
de chèvre, la soie, la laine de chevron, la cire,
les cuirs et peaux, les noix de galle et le safra-
non nécessaires poiu- la teinture, le lin et les
huiles, cendres et bourde : tous ces articles réunis
ont formé, en 1750. tm objet déplus de 16,000,000.
Il vint entre autres poin- 6,!)00,ooo livres de coton
dont 4,400,000 livres en laine, 2,400,000 livres
en soie, 1,200,000 livres en laine et 1,000,000
en laine de chevron.
On ne s'arrêtera point à faire sentir l'impor-
tance des retoin-s de cette espèce et à détailler
les différentes fabriques dans lesquelles on les
emploie si avantageusement. On se contentera
d'observer que les cotons et laines viennent prin-
SUR L'AMBASS\DE DE TURQUIE. -537
cipalement de Smyrne, de Salonique et d'Acre,
et qu'on en tire aussi quelques parties d'Alep et
de l'Archipel, que c'est de Seyde que l'on tire
la plus grande partie des cotons filés, qu'il en
vient aussi d'Egypte, de Smyrne, de Salonique et
d'Alep, mais très-peu de ces trois dernières
échelles, et qu'à l'égard du coton filé rouge, c'est
à Constantinople et surtout à Smyrne qu'on en
fait les chargements pour Marseille.
C'est aussi dans ces deux échelles et princi-
palement dans la dernière qu'on charge les fils
de chèvre : ce qui en vient quelquefois par
Salonique ne fait pas un objet.
On tire des soies de presque toutes les
échelles, mais surtout de Tripoli, de Chypre, de
Smyrne, de la Morée et d'Alep ; cette dernière
échelle en fournit en très-grande quantité que
les Anglais prennent en troc de leurs draps,
et il est fâcheux que ces soies n'aient pu encore
convenir à nos manufactiu-es. Outre que ce
serait pour elles un surcroît de matière pre-
mière, nous y trouverions un second avantage
plus intéressant encore dans le débouché con-
sidérable des draps que nous pourrions faire
par ce moyen dans cette échelle, au préjudice
des Anglais, qui y conservent de la supériorité
sur nous.
338 MKMOIin
I ,:i (lance nous l'oiirnii les huiles : il en vient
aussi de la Aloree, de l'Archipel et de la Ikirba-
rie, mais en beaucoup moindre quantité.
C^'est de la liarbarie cpron tire le plus de
laine; Salonique est, de toutes les échelles du
Levant, celle qui en fournit ensuite davantage.
Constantinople envoie aussi presque toutes les
pellades et partie des panormcs de Panderma,
Mealik, Balikesscr, et des laines d'Andrinople.
Partie de celles-ci, ainsi que celles des environs
de Smyrne, sont chargées dans cette dernière
échelle 5 il en vient enfin quelques chargements
de Chypre, de Seyde et de l'Archipel.
C'est l'échelle de Smyrne qui fournit la
plus grande partie des laines de chevron : on
en tu'erait beaucoup plus d'Alep sans les trou-
bles de la Perse; mais, aujourd'hui, il n'en
vient guère que pour 200 à 250,000 livres;
il en vient aussi un peu de Salonique et de
Constantinople.
C'est aussi de Smyrne que l'on tire le
plus de cire, quoiqu'il en vienne de presque
toutes les échelles. L'Egypte et la Barbarie,
Constantinople et Smyrne fournissent les cuirs;
mais ce qui vient de ces deux dernières échelles
n'est rien en comparaison de ce qu'on tire des
autres.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 339
La plus grande partie des galles vient d'Alep ;
il en vient aussi de Smyrne et de Tripoli : c'est
un article d'environ cent mille écus.
Enfin, l'Egypte seule fournit le safranum
et le lin, Seyde les cendres et la Barbarie la
bourde.
On comprend sous la dénomination de den-
rées qui forment la seconde classe de nos
retours du Levant, les blés, riz, orges, fèves,
pois, cafés, fromages, raisins secs, etc.
Les blés et les riz sont les deux articles les
plus importants, et celui des blés peut devenir
très-considérable, si on vient à bout d'obtenir la
libre extraction moyennant im bédéat tel qu'il
était autrefois imposé. M. le comte Des Alleurs
a eu le crédit d'y parvenir pour des parties assez
considérables. Au surplus, les retraits en blé
montèrent en 1750 à près de 900,000 livres, et
ceux en riz à à peu près autant.
On tire les riz de Damiette, et les charge-
ments de blés se font dans l'Archipel, en Morce,
dans le golfe de Salonique, à Volo, à Zeilum de
la dépendance de Négrepont, à Salonique même
et dans divers autres endroits.
Après ces deux articles, le plus considérable
est celui du café Moka qu'on tire du Caire.
En 1750 il en vint pour environ 400,000 livres;
340 M r M 0 1 1{ K
l'anncc prcccdcnlc, il en ciaii venu pour plus
de 750,000 livres. Le privilég^e de la (^oinpa^^iiie
des Indes a ejiipèehé les pro^n-cs de ce retrait.
Les raisins secs qu'on tire de Morée et de
Smyrne montent, année commune, à 90 ou
100,000 livres ; les autres articles sont peu
considérables; en tout, il vient annuellement en
denrées pour 2,300,000 livres.
Les drogues et drogueries ne forment pas un
si fort objet de retrait que les denrées et on ne
peut guère les évaluer qu'à 7 ou 800,000 livres.
Le principal article est celui du séné. On le
tire d'Egypte, et il en vint en 1750 pour près de
100,000 écus. Les autres articles de quelque
considération sont l'encens, les gommes, le
storax , la rhubarbe , la scammonée et le sel
ammoniac. Le reste est de peu d'importance,
et on croit d'autant plus inutile de détailler ici
les différentes drogues et drogueries qui viennent
du Levant, qu'elles sont presque toutes rap-
pelées dans l'état estimatif des marchandises
du Levant et de Barbarie qui est à la suite
de l'arrêt du conseil du 22 décembre i7$o. Elles
viennent presque toutes d'Egypte, d'Alep et
de Smyrne.
La quatrième et dernière classe de nos
retraits consiste, comme on l'a dit, dans les
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 341
toiles et toileries et autres manufactures et
fabriques du Levant.
Les toiles et toileries en font l'objet prin-
cipal. On tire d'Egypte celles de lin; suivant
l'état de 1750, il en vint pour 40,000 écus; la
plus g-rande partie de celles de coton vient
d'Alep ; on en tira dans la même année pour
près de 1,350,000 livres. Les autres échelles
dont on en tire, mais infiniment moins, sont
celles de Seyde, de Smyrne et de Chypre. Les
noms des toiles et des toileries se trouvent dans
l'état particulier des marchandises dont l'entrée
et la consommation ne sont permises qu'à Mar-
seille , lequel état est pareillement à la suite de
l'arrêt du conseil du 22 décembre 1750.
Les autres manufactures du Levant sont
les abas et capots qui viennent de Salonique ,
les couvertures et tapis qu'on tire de Smyrne, les
satins et kermassons qu'on envoie d'Alep , les
bourres et mouchoirs de soie et quelques autres
articles qu'on tire en partie de Constantinople, de
Smyrne, d'Alep et de Chypre. Ces retraits sont
peu importants; il n'y a de considérable que les
toiles et toileries d'Alep et d'Egypte, et surtout
de la première de ces échelles d'où on est forcé
de les tirer, faute de trouver d'autres articles
pour l'emploi des fonds d'entrée.
342 M I^. MO un.
I.a totîilitc (In prodiiii de cette quatrième
clnssc de retraits peut être évaluée :iniuieilemcnt
à deux milliotis. On a vu que celui de la première
excédait seize; que celui de la seconde montait
à environ 2,400,000 livres et que celui de la
troisième allait à environ 7 à 800,000 livres.
Ainsi, il paraît que notre commerce de sortie du
Levant est un objet, année commune, de vingt
et un millions. Celui d'entrée en marchandises
ne montant qu'à dix-huit ou dix-neuf, il est
sensible qu'il faut faire le solde d'une partie au
moins de l'excédant de la sortie ^ en piastres et
autres espèces. Il serait sans doute plus avan-
tageux, à tous égards , d'y suppléer par des
envois de marchandises, surtout de celles de nos
manufactures , et nous pouvons espérer d'y par-
venir; mais, dans l'état des choses, il n'en est
pas moins vrai de dire que notre commerce au
Levant nous est extrêmement avantageux,
puisque plus des trois quarts de celui d'entrée
se fait, ou avec nos manufactures, ou avec les
denrées de nos colonies, et que, si l'on en
excepte les deux millions, ou environ, que nous
en retirons en toileries, le reste du commerce de
I. Partie de cet excédant provient de la plus-value des retours
du Levant à leur arrivée à .Marseille, et n'a pas besoin, par con-
séquent, d'être soldée par des envois.
SUR L'AMBASSADE DE TURQUIE. 343
sortie est entièrement composé de marchan-
dises, denrées et drogues presque toutes de
première nécessité pour les besoins de la vie
ou pour l'aliment de nos manufactures. Nous y
trouvons d'ailleurs un très-grand avantage en ce
que toute la navigation, tant d'entrée que de
sortie, se fait en entier par nos bâtiments.
Ce commerce est sujet à des règles générales
dont plusieurs sont très-anciennes. On ne peut
faire les envois en Levant que par le seul port
de Marseille, et ce n'est aussi que dans ce port
qu'on en peut faire les retours. Ce n'est que sur
les bâtiments français qu'on peut faire les char-
gements de draps; il est défendu expressément
de prêter le nom aux étrangers et de faire
aucunes adresses, directement ou indirectement,
aux étrangers établis dans les échelles. Les mar-
chandises du Levant qui ne viennent pas direc-
tement sont sujettes, à leur entrée en France,
à un droit de 20 pour 100 sur une évaluation
dont le dernier tarif est celui de 1750. La rési-
dence des Français dans les échelles est fixée
à dix ans, et le nombre des établissements ou
maisons est déterminé dans chaque échelle.
Outre ces derniers arrangements, il y a quantité
de règlements de police auxquels sont sujets les
négociants français résidant dans les échelles, et
v}4 MiMoiHi srn ixMrnssADK dk tlrqlik.
dont le détail serait ici inutile. 11 y a enfin des
règlements et arrangements particuliers qui
concernent l'exploitation des diverses marchan-
dises d'entrée et de sortie.
APPENDICE
I.
Confirmation par Soliman II du traite fait
ANTÉRIEUREMENT SOUS LA DOMINATION DES
SULTANS MaMELUCKS d'EgYPTE, AVEC LES
CONSULS DE France a Alexandrie^
Longtemps avant le Roy François premier, et mesme
du règne des Mamelucs Soldans d'Egypte, les marchans
I. Cet acte contirme purement et simplement les privilèges renouvelés
par Sultan Cansou Goury en faveur des Français et des Catalans établis
en Egypte. La paix entre la chrétienté et l'Egypte, rompue en i$io, avait
été rétablie a la suite de l'ambassade d'André Le Roy, secrétaire du roi
Louis XII.
Jehan Thenaud, gardien des frères mineurs d'Angoulême qui accom-
pagnait André Le Roy, a écrit une relation du voyage de cet ambassa-
deur. Elle a été publiée à Paris chez la veuve de Jean Saind-Denis, vers
1525 sous le titre suivant : Le voyage et itinéraire de oultre-mer, faict
far Jehan Thenaud, maistre es ars, docteur en Théologie et gardien des
frères mineurs d'Angoulesme et premièrement dudict lieu d'Angoulesme
iusques au Cayre. Petit in-8, de 64 feuillets.
J. Lemaire de Belges a rendu compte d'une manière très-succincte de
l'ambassade d'André Le Roy et de la teneur du traité conclu au nom de
Louis XII dans un des derniers chapitres de son Traictié de la différence
des scismes et des concilies de l'Église. — Paris, Englebert et Jehan de
Marnef, 1517-
Ce chapitre est intitulé : s'ensuit l'occasion et manière du récent et
346 MÉMOIRF. SUR [,'A M MA SS A D K DK TURQUIK.
Frant;oys navigoiciilel trafTicquoiciu scuremcnt en Alcxan-
drjc, au Cayre et par tout ledit B'gypte et y a\ oient ung
consul pour culv et les Cathelans. Dcspuys, Sultan
Sclim, père dudit Sultan Soliman, après a\oir subjugue
à soy toute l'Egypte, leur confirma ce privilège et
seurté de trafïïcq audit pays, tout ainsin qu'ils avoient et
usoient du temps des Soldans, avec ampliation d'articles
concédés audit consul ainsin qu'il s ensuit :
Le royal et très hault commandement de l'ordre
libéral :
l>e grand Dieu l'exalte et luy doint toute grâce et
le passe à tous ceulx qui luy viendront au devant
des cadis, emins', escrivains et parleurs et ministres et
présidentz de l'ordre en Alexandrie, leur faisons sça\oir
que l'honoré consul et de bonne créance, Jehan Benoist
de Pierre Benoist, consul des Cathelans et Françoys, est
comparu en nostre présence et nous a présenté ung com-
mandement pour lesdits Françoys et Cathelans avec
aucune condition et pactes qui s'observent, et nous a
demandé ung commandement en confirmation dicelles
avec les articles et conditions qui sont contenues en
icelluy, assavoir :
Que les Cathelans et Françoys et autres nations qui
sont soubz leur consulat en Alexandrye, et qui arriveront
nouveau sauf-conduit donné de flain vouloir par le Souldan aux sub-
ject^ du Roy très chrestien : tant pour aller en pèlerinage au Sainct-
Sépulcre : comme trafiquer marchandement en ses terres et seigneuries
d'oultre-mer.
I. Directeurs et agents des douanes.
APPENDICE. 34y
aux ports et plages, ou en Alexandrye ou ailleurs, qu'ilz
soient seurs en toutes noz contrées , en terre et en mer,
de tous noz ministres, comme il est bien convenable en
temps de paix avec semblable sorte de gens et autres
nations en noz terres, et voulons qu'ilz aillent et viennent
et demeurent seurement de bon gré, tant qu'il leur plaira,
sans qu'aucun leur donne ennuy ou empêchement. Si
aulcun d'eulx vouloit achepter marchandises qui ne
soient prohibées, qu'ilz les puyssent achetter et qu'aul-
cun soit si hardj de les en empêcher.
Qu'ils puyssent descharger leurs navires à la cous-
tume, sans aulcune difficulté : si à aulcun d'eulx avoit
esté faict tort et leurs consuls voulussent qu'ilz montras-
sent comme T affaire avoit passé, avec quelqu'un des
siens et ses lettres, luy soit baillé compaignie d'officiers
qui l'accompaigne à l'excelse Porte et le rameyne à son
consul. Que, à toutes les robes qui seront chargées dans
la barque soit faicte la garde d'un de la part de Cathe-
lans et un de la douane, et luy seront aprestés les som-
miers et les barques, quand se commencera à deschar-
ger quelque leur navire.
S'il se rompoit aucun vaysseau de Cathclans ou
Frant;oys auprès Alexandrye ou ailleurs, noz présidens
fassent assembler des hommes pour faire la garde aux
marchandises qui estoient chargées audit vaysseau, et
icelles ayent à tenir bien gardées en Alexandrye ou
ailleurs.
Touttc na\ ire qui sera gettée des vents au bort ou
rive de la terre des Mores, soit saulve, et nul luy donne
^4^ MKMOIjîK SLR l'AMHASSADK DK TUHgUIK.
aucun lra\ail. V.l si la na\ire scnfonsoit et toute la gcnt
se noyât, hormis les robes desja chargées en icelles aux
plages et rives de la mer, que la marchandise se df)y\e
prendre et soit donnée au consul des Calhelans et P'ran-
ç;oys : et, si le consul ne se trouve là où se rompit le na-
vire, que les robes retrouvées soycnt portées à reccelse
Porte, et soit le tout consené jusque à tant que compa-
roisse le commis du consul des Cathelans pour les
recevoir.
Si aulcun des Cathelans acheptoitou vendoit aucune
sorte de marchandise, que le contract soit passé sellon
que sera tesmoigné semblable tesmoignage, et que le
Cathelan ou Françoys ne donne ou preygne sinon tant
qu'il luy sera comode, et puyssent achepter de quel lieu
que ce soit que bon leur semblera.
S'il survenoit quelque différant entre les Cathelans
ou Françoys, le consul aye à le juger, exceptant toutes-
foys s'il y inter\enoit sang; que en ce cas, noz présidens
l'auront à juger; et, si aulcun deulx estoit débiteur à la
douane et partît sans avoir satisfaict, la douane ne doyve
demander à aucun autre pour celluy-là.
Des marchandises qui se contractent et après se
rompt le contract, pour ce, si aulcun acheptera marchan-
dises, qu'il aye à les voir et revoir et descouvrir bien le
tout suffizemment, affin qu'après n'y aye débat ny autres
paroles contantieuses.
Que aulcun des Cathelans ou Françoys, ou qui
s'appellera Cathelan ou Françoys, ne soit empêché a\ ec
demandes appartenans à aultres. et ne soit molesté ny
'APPENDICE. 349
touché, en terre ou en mer, si toutesfoys il n'estoit plaige,
autrement ne soit molesté seulement pour conte de soy-
mesme et propre personne.
Si aulcun des Cathelans ou Françoys passoit de ceste
vie et fist son testament, soit faict de son bien sellon
qu'il sera ordoné par ledit testament, et s'il mouroit ab
intestat, que le consul ordonne de ses robes; et si le
consul n'estoit présent ou aultre de ses Francs, que noz
présidens envoyent les robes jusques au lieu où sera le
consul.
Si les corsaires faisoient domaige aux Mores ou
chrestiens, ou aultres diverses nations de terre ou de mer,
qu'il ne soit donné fascherie à aulcun des Françoys ou
Cathelans, ou en la personne ou en ses biens, si toutes-
fois il n'estoit pleige ou respondent. Qui sera Cathelan
ou Françoys ou dira estre des grandz d'entre les Cathe-
lans ou Françoys, personne lui donne empêchement
avec demandes appartenantes à autres qu'à luy-mesmes,
pourveu qu'il ne soit pleige; et ne soit tenu ou condemné
aucun desdits Françoys ou Cathelans ou leur consul par
commandement deMagarbigny^ et ses nations, s'il n'es-
toit pleige, et aulcun ne doyve rendre compte seullement
de soy-mesme et non d'autres meschantes personnes de
sa nation.
I. Maghraby. Les Moghrebins, musulmans des Etats barbaresques du
Maroc et de l'Espagne, formaient au moyen âge, en Egypte et en Syrie,
un corps de nation qui avait ses magistrats et ses règlements particu-
liers. Les Français, en Egypte, ne pouvaient donc être condamnes par
une sentence arbitraire rendue par les notables moghrebins.
)5o MÉMOIRK SUR I.'AMBASSADK l)K TURQUIE.
Qu'ils piiyssciil rucoiistrcr leurs csgliscs congncucs
en Alexandrie, sellon (|u"il sera esclaircy en la justice,
et que d'icelles soit confessé aultant qu'il est notoire à
ladite justice, et ainsin des bains, pour entrer leurs per-
sonnes.
Qu'ils ayent à achepter et vendre leurs marchandises
qui se tirent de la douane, avec le sceu du consul, dans
le fondigo ' des Fran<^o_ys et y feront garder leurs mar-
chandises quand elles se deschargeront des na\ires, et
qu'ilz puyssent gabeller ce qui leur appartient des mar-
chandises qu'ilz acheptent en la présence du sansal ou
corretier, sellon la coustume.
Silz venoient aux portz ou plages des Mores, qu'ilz
les acceptent et leur soient recommandés et leur aydent,
et ne leur donnent travail en mer ny en terre, et que
noz ministres y pregnént garde; et s'ilz vouloient venir
au Cayre, leur soit permis sans leur estre donné empê-
chement aucun.
Ceux que fairont la cherche ne leur preignent
aucune chose, et ne chargeront ni deschargeront de
leurs marchandises, sinon à leur volonté , et ce que les
bastasis ' leur gasteront seront tenuz le leur payer.
S'il se conclurra marché en la présence de tesmoins,
que les tesmoins soyent escritz le Franc a\ ec le Franc,
1. Le bâtiment qui sert de demeure aux négociants et de lieu
de dépôt pour leurs marchandises ; on l'appelle en Egypte OuehaUh
(Okel), en Syrie et en Turquie Khan, dans les États barbaresques
houndouk.
2. Bektchi, gardiens de la douane.
APPENDICE. 351
comme il s'escrit, et le More avec le More et avec le
Franc, et s'ilz voudront que les tesmoins se soubzcri-
vent, qu'ilz ne le pujssent refuser et ne leur soit empê-
ché comme aussi de la police de recevoir.
Si aulcuns des Cathelans ou Françoys acheptoit
espices ou aultre chose semblable et que le vendeur se
repentit, qu'on ne laisse en aucune sorte anuller ou
rompre la vente.
S'il venoit aux consuls choses à manger ou à boyre,
qu'il ne luy soit rien touché, ne luy soit ousté hors de
la coustume, et de mesme, s'il luy venoit choses pour
soy vestir, de drap ou de soye, ou aultre chose pour son
usaige.
Si le consul avoit besoin de deniers pour la despence
de sa mayson et de ses gens, et voulût vendre de la
marchandise au contant pour tel etfect, qu'aucun ne luy
donne empêchement.
Qu'il ne soit donné travail au consul et à ses mar-
chans sans voye de justice, et ne soit demandé au père
pour le tilz ne au iilz pour le père, ne au frère pour le
frère, pourveu qu'il ne soit son pleige ou respondcnt, et
ne soit demandé à aulcun, sinon pour soy-mesme, et si
aulcun d'eulx vouloit partir pour son pays, qu'il le
puysse faire, n'estant toutesfois débiteur d'aulcuns par
voye de justice; et, s'ilz vouloient vendre aucune de
leurs marchandises en contant pour payer fraiz, qu'ilz
ne soient empêchés et ne leur soit prins pour cella dace,
et cella s'entende jusques à la somme de cent ducatz
d'or pour chasque marchand comme est la coustume,
3Î2 MK.MUIKK SUR 1.' A M B A SS A D K CF. rURQUIK.
st-IIoti qu'a esté \cu par ung comiiiandcmciil de Gaurc
Serisi ' à culx concédé.
Que leur marchandise ne soit pf)int prinse sans
leur volonté, et ne soient tenuz de prester aux daciers -
contre leur gré, et que le salaire du consul luy soit
payé ordinairement de la doane , moys par moys,
et ne soit chargé en aucune chose, et les naves qui sont
soubz son consulat ne soient prinses par force, comme
veult le commandement serif Gaurie qu'ilz ont en
main.
Si le marchand franc avoit pour suspect le poyseur
qui poyse sa marchandise, et la voulût faire repoyser
une aultre fois, qu'il puysse prendre tel poyseur que
luy plaira.
Si aulcun avoit quelque demande ou prétention
contre le consul des Cathelans et Françoys, qu'il ne luy
puisse estre rien demandé si n'est à leccelse Porte, et
qu'il ne puisse estre restreint ne luy soit baillé garde
pendant qu'il sera consul.
Qu'il ne leur soit vendu espiceries sans leur volonté,
comme est l'antienne coustume, et ne soit faicte foule
ne oppression aux marchands sans voye de justice.
Et en conclusion, en toutes leurs actions et négoces,
qu'ilz ayent à procéder par la voye antienne sans inno-
vation d'aucune chose, sellon le susdit commande-
1. Melik el Echref Sultan Cansou Goury, l'avant-riernier Sultan de la
dynastie des Mamelouks circassiens (1501-1517).
2. Percepteurs.
3. Cherif. Emri Cherif, le noble commandement.
APPENDICE. 353
ment serif qu'ils ont en main du XIIII rabich leasher^
l'an pi8. En conformité duquel nous commandons qu'il
soit concédé tout ce qui est cj dessus escrit, aux nations
des Françoys et des Cathelans, et autres nations soubz le
consulat de leur consul, et soit faicte la crie et procla-
mation de toute seurté et foy; et qu'ilz puyssent vendre
et achepter, prendre et recevoir sans opression et travail
aucun, et qu'ilz aillent et vienent avec seureté de leurs
personnes et biens, et qu'il ne leur soit faict desplaisir.
Et tel nostre commandement soit obéy en tout et par-
tout, et mis à exécution de tous ceulx avant lesquels il
viendra.
De la résidence impériale, écrit le VI moharrem de
l'an 935 (21 septembre 1528).
II.
Traite concll^ entre Sultan Sui.eyivian
ET François I"'".
Au nom de Dieu tout puissant soit manifeste à un
chascun, comme en l'an de Jésus-Christ mil V'^ trente
et cinq, au moys de Febvricr et de Mahomet neuf cens
quarante ung en la lune de'- se retrouvant en lin-
clite cité de Constantinople, le sieur Jehan de La Forest
1. Rebi'ouLikhir. Le 14 de Rebruulakhir de l'an 91 H de rHigiro cor-
respond au 30 juin 1512.
2. Redjeb.
2;
354 MKMOIKK SUR L'AMBASSADE DK TURQUIK.
sccrclairc cl amlxissadcur tic très excellent et très puis-
sant prince Frant;oys, par la grâce de Dieu Roy de
France très-chrestien, mandé au très-puissant et invin-
sible G. S. Sultan Soliman Empereur des Turcqs, et
raysonant avec le puyssant et magniricque Seign' Ybra-
hini clierlesquier Soltan (c'est lieutenant général d'exer-
cite) (.lu grand Seigneur, des calamités et inconvénians
qui adviennent de la guerre, et au contraire, du bien,
repos et seureté qui procèdent de la paix , et par ce
cognoissant combien lun est de préférer à l'autre, se
faist chacun d'eulx fort des susdits Seigneurs leurs supé-
rieurs au nom et honneur desdits seign", seureté des
estats et bénirice de leurs subgets, ont traité et conclud
les chapitres et acordz qui s'cnsuyvent.
Premièrement : ont traitté, faict et conclud, traittent
font et concluent, bonne et seure paix et sincère con-
corde au nom des susdits grand Seigneur et Roy de
F'rance, durant la vie de chascun d'eulx, et pour les
royaulmes, seigneuries, provinces, chasteaulx, cités,
portz, eschelles, mers, isles et tous les lieux qu'ils tien-
nent et possèdent à présent et posséderont à Tadvenir,
de manière que tous les subgetz et tributaires des dicts
Seign" qui voudront, puyssent librement et seurement,
avec leurs robes et gens, naviguer avec na\ ires armés et
désarmés, chevaucher, venir, demeurer, converser et
retourner aux portz, citez et quelconques pays les ungs
des autres, pour leur négoce, mesmement pour faict et
compte de marchandise.
Item. Que lesdits subgets et tributaires desdits Seign""'
APPENDICE. 355
pourront respectivement achepter, vendre, changer,
conduyre et transporter par mer et par terre d'un pays
à l'autre toutes sortes de marchandises non prohibées en
payant les accoustumées et antiques daces et gabelles
ordinaires seulement, assavoir : les Turcqs au pays du
Roy comme payent les François, et lesdits François au
pays du G. S. comme payent les Turcqs, sans qu'ils
puyssent estre contraintz à payer aucun autre nou-
veau tribut, imposition ou angarie^
Item. Que toutes fois que le Roy mandera à Cons-
tantinople ou Péra et aultres lieux de cest empire ung
baille, comme de présent il tient un consul en Alexan-
drie, que lesdits bailles et consuls soient acceptés et
entretenuz en authorité convenante, en manière que
chascun d'eulx en son lieu , et sellon leur foy et loy,
sans qu'aucun juge caddi, sousbassy-, ou autre en
empêche, doibve et puysse ouyir, juger et terminer tant
en civil qu'en criminel toutes les causes, procès et diffé-
rants que naistront entre marchans et autres subgets du
Roy. Seullement, et au cas que les ordonnances et sen-
tences desdits bailles et consulz ne fussent obéyes, et que
pour les faire exécuter ils requissent les sousbassy ou
autres olHciers du G. S., les dits sousbassy et autres
requis devront donner leur ayde et main forte nécessaire,
non que les caddis ou autres officiers du G. S. puyssent
juger aulcuns différans desdicts marchans et subgets du
Roy, encores que les dicts marchands le requissent, et si
I. Aiigarie, taxe arbitraire.
a. Soubachy, officier de police.
jjr. .Mr..M()iin-. sur l'amhassadk dk TungtiK.
cr;i\(.iiUirc les dicts cacidis jugcoicnt, que leur sentence
soit de nul eOect.
Item. Que en cause civ ille contre les Turcqs, carra-
chiers* ou autres subgets du G. S. les marchans et sub-
jectz du Roy ne puyssenl estre demandez, molestez ne
jugez si lesdicts Turcqs, carrachiers et subgetz du G. S.
ne monstrent escrilures de la main de l'adversaire ou
coget (c'est instrument) du caddi, baille ou consul, hors
de laquelle escriture ou coget, ne sera ^allable ne receu
aucun tesmoignage de Turcq, carrachiers ne autre en
quelque part que ce soit de Testât et seigneurie dudict
G. S. et les caddi, sousbassy ne aultres ne pourront
ouyir ne juger lesdicts subgetz du Roy sans la présence
de leur dragoman.
Item. Que en causes criminelles, lesdits marchans et
autres subgetz du Roy ne puyssent estre appelles des
Turcqs, carrachiers ne autres devant les caddis ne autres
officiers du G. S. et. que lesdits caddis ne officiers ne les
puyssent juger : ains sur Theure, les doyvent mander à
Texcelse Porte, et en l'absence d'icelle Porte, au princi-
pal lieutenant du grand Seign^, là où vaudra le tesmoi-
gnage du subget du Roy et du carrachier du G. S. l'un
contre l'aultre.
Item. Quant à ce qui touche la religion, a esté
expressément promis, accordé et conclud que lesdits
marchantz, leurs agentz et serviteurs et tous aultres sub-
getz du Roy ne puyssent jamays estre molestez ne jugez
I. Sujets nm musalmans du Grand Seigneur payant i'impôt du
Kharadj.
APPENDICE. 35y
par caddis, sangiacbeys% soiisbassy ne autres que par
l'excelse Porte seulement, et qu'ilz ne puyssent estre
faictz ne tenuz pour Turcqs, si eulx-mêmes ne le veul-
lent et le confessent de bouche sans viollence, ains leur
soit licite observer leur religion.
Item. Que lesdicts marchantz, leurs agentz et servi-
teurs ne autres subgetz du Roj, ne leurs navires, barques
ne aultres arméniens d'iceulx, ne aussi l'artillerie et
munition, ne leurs mariniers, ne puyssent estre prins,
contraintz ne miz en œuvre contre leur gré et volonté en
aucun service, ne engarie ^, soit de mer, soit de terre,
pour le G. S. ou pour autre.
Item. Si ung ou plusieurs subgetz du Roy ayant
faict contract avec quelque subget du G. S. prins de luy
marchandise ou faict debte, et puis sans avoir satisfaict,
s'absente de l'estat dudit Seig"", que le dit baille, consul,
parens, facteurs ne autre personne subgete du Roy ne
puysse, pour telle cause, estre aucunement contraincte
ne molestée ; ne scmblablement le Roy ne soit tenu en
cella, mais seulement doyve sa Mg'^ faire administrer
bonne justice au demandeur sur la personne et biens
dudict débiteur, s'ils se retrouvent en son royaume ou
seigneurie.
Item. Tous marchantz et subgetz du Roy en toute
part de la seigneurie du G. S. puissent librement tester,
et mourant de mort naturelle ou \ iohmte, cjue toute leur
robe, tant en deniers comme en toute autre chose, soit
1. Gouverneur militaire.
2. Corvée.
35X MF.Molin-, SLH I.A M M A SS A I) K IJ K TL'KgLIK.
distriliiK'c siloii le tistriiK'nl ; ri nioiiiaiil ab inlcstat,
ladite robe soit rt-s'iuiéc a l'héritier ou a son commis par
les mains ou auctoritc dudit baille ou consul, au lieu
où sera l'un ou l'autre, et là où il n'y aurait ne baille
ny consul, soit ladite robe mise en sauveté par le cady
du lieu, soubz l'aucthorilc dudit G. S., laisanl d'icelle
premièrement inventaire en présence de tesmoins; mais
où seront lesdits baille et consul, qu'aucun caddy, bat-
telmagy* ne autre se puysse empescher de ladite robe,
ains si elle cstoit en mains d'aucuns d'eulx ou d'autre et
que lesdits baille ou consul la requissent premier que
ledit héritier ou son commis, qu'incontinant, et sans
contradiction, elle soit entièrement consignée audit baille
ou consul ou à leurs commis, pour puys après estre resti-
tuée à qui elle appartient.
Item. Que, à l'instant que le présent traitté sera con-
fermé par le dit G. S. et Roy, à l'heure soient hors de
captivité et miz en pleine liberté toutes les persones et
leurs subgetz qui se trouveront respectivement esclaves
acheptés, prisonniers de guerre ou autrement détenuz,
tant èz mains des susdits Seigneurs comme de tous leurs
subgetz, en gallères, navires, et tous aultres lieux et
pays de l'obéissance desdits deux Seign" à la requestc
et affirmation de l'ambassadeur, baille ou consul du Roy
ou des leurs à ce commis; et si aucun desdits esclaves
a\oit changé de ioj et de religion que ce néantmoins
la personne soit libre; et espécialement. que d'icy en
I. Beitul Maldji, receveur du fisc.
APPENDICE. 359
avant, aucun desdits grand Seig"" et Roy ni des cappi-
taines, hommes de guerre ne d'autres subgetz tributaires
ne leurs mercenaires en aucune manière, ne doyvent, ne
pujssent, tant en mer comme en terre, prendre, achep-
ter, vendre ny retenir pour esclave ne prisonnier de
guerre l'un l'autre; ains, si aucun corsaire ou autre
homme des pays de l'un des susdits Seigneurs attentoit
de faire prinse ou violence sur la robe ou les personnes
de l'obéyssance de l'autre Seig"", puisse et soit tenu le Seig""
du lieu où à l'instant sera trouvé le malfacteur, le punir
comme infracteur de paix, à l'exemple des autres, et
néantmoins restituer à l'offencé ce que en la puyssance
du malfacteur se trouvera luy avoir esté prins et ousté ;
et, si ledict malfacteur eschapoit tellement qu'il ne fut
prins et puny à l'heure, soit et s'entende avec tous ses
complices, bany de son pays, et toute leur robe contis-
quée à son Seigneur souverain, lequel néantmoins faira
punir le malfacteur et ses compaignons , si jamays se
trouvent en son pouvoir, et de ladite confiscation sera
réparé le domaige de l'offencé, son recours (estant) pour
cest effect au protecteur de la présente paix, qui seront
lesdits charlesquier Soltan, de la part du G. S. et le
grand Maistre de France pour la part du Roy.
Item. Que, quand l'armée de mer de l'un desdits
G. S. et Roy rencontreront aucun navire des subgetz de
l'autre Seig'", seront tenuz de baisser les voyles et lever
les banières de leurs Seig''% affins que estans par là
cognuz, ne soient prins, relenuz ne aucunement molestez
de ladite armée ne d'aucuns particuliers d'icelle, ains si
360 MfVKJlKK SUK l'A MBASS AIJK 1) K 1' U H ^ L 1 K.
toii ou (lomaigc liur fui liiicl (\uc \v sci^' de l'armce
soil ItiHi soulKhiir.cnifnl de k- réparer, et si les na\ires
particuliers des subgels desdits Seigneurs se rencontreront
l'un l'autre, chascun doybve haulser la banière de son
seigneur et se salluer d'un coup dartilherie, et respondre
au vray, s'ilz sont demandes qui ilz sont, sans toutcsfois
que despuys les parolles et recognoissance, lun entre
par force ne \isite le na\ ire de l'autre ny lui donne
aucun empeschement soubz quelque coleur que ce soit.
Item. Que arrivant cz portz et bord de mer du G. S.,
aucun navire des subgetz du Roy, par fortune ou autre-
ment, leur soit administré vivres et autres choses néces-
saires en payant raisonablement sans les contraindre à
descharger pour payer le comerce ^ : ains soient laissés
aller où il leur plaira; et venant à Constantinople,
quand sera pour s'en partir, ayant prins et payé le coget ^
de l'emin' et estant cherché et visité de la part dudict
emin, qu'il ne doyve ny puysse estre visité en aucun
lieu, sinon aux chasteaulxdu desdroit deGallipoly, sans
pouvoir payer plus là ne ailleurs aucune chose pour la
sortye au nom du G. S. ny de ses ofliciers.
Item. Que, si quelque navire des subgetz desdits
Seig*% par fortune ou autrement, se rompoit ou fit nau-
frage aux lieux et juridiction de l'autre Seigneur, que
les personnes qui échapperoient de tel péril restent
libres et puyssent recueilir toute leur robe entièrement :
1. Droits de douane.
2. Certificat.
j. Directeur de la douane.
APPENDICE. 361
et estans tous mortz au naufrage, toute la robe qui se
sauvera soit consignée audit baille et consul, ou aux
leurs à ce commis, pour la rendre à qui elle appartiendra,
sans que le cappitaine général de la mer, sangiacbey,
sousbassy, ou caddy ne autres subgetz ne officiers des-
dits Seigneurs n'y puissent, sous peyne d'estre punis,
prendre ou prétendre part aucune, ains debvront donner
faveur et ayde à ceulx que touchera de recouvrer ladite
robe.
Item. Si quelque subget du G. S. avoit perdu ung
esclave qui luy fust fouy, tel subget, soubz prétexte de
dire que l'esclave eust parlé ou practiqué en la nave ou
la mayson d'ung subget du Roy, ne puisse contraindre
le subget du Roy à autre que à chercher au navire et en
sa maison, et si l'esclave y estoit trou^'é, que le receleur
soit débitement puny par son baille ou consul, et l'es-
clave rendu à son maistre, et si l'esclave ne se trouvoit
au navire ny en la maison, lesdits subgetz du Roy ne
doyvent ny puyssent estre tenuz ne molestez pour ccst
efFect et conte.
Item. Qu'aucun des subgetz du Roy qui nauroit
habité dix ans entiers et continuelz es pays diidict G. S.
ne doyve ne puysse estre contraint à payer tribut, car-
rach, avanie, taxe, asaps\ vogueurs, ne à faire garde aux
terres voisines, magasins du G. S., travailler à l'arsenal
ne à d'autre quelconque angarie-, et que es pays du Roy
soit faict le semblable et réciproque aux subgels du G. S.
1. Réquisition militaire pour la garde des portes d'une ville.
2. Corvée ou taxe arbitraire.
362 .Mf^.MOIHK SI H I'A.MK\SS\DK l)K TURgUlK.
Item. Le Roy de France a nommé la sainteté du Pape,
le Roy d'Angleterre son frère et perpétuel confédéré, et
le Roy d'Escosse, ausquels se laisse en eiilx d'entrer au
présent traité de paix, si bon leur semble, avec condiiif)n
que, y \oulans entrer, soient tenuz dans huict moys
envoyer au G. S. leur ratification et prendre la sienne.
Item. Que les grand Seigneur et Roy de France
einoyeront l'un à l'autre, dans six moys, les confirma-
tions du présent traitté en bonne et due forme de l'ob-
server, et commandement à tous leurs lieutenens, juges,
officiers et subgets de l'observer entièrement, et le faire
observer sans fraude de point en point, et affin qu'aucun
n'en prétende cause d'ignorencc despuys que les con-
firmations auront esté données d'une part et d'autre,
ceste paix sera publiée à Constantinople, Alexandrie,
Marseille, Narbonne et aultres lieux principaulx, ter-
restres et maritimes, de la juridiction, royaulmcs et
estatz desdits Seigneurs.
III.
Articles accordez par le Grand Seigneur en faveur du Roy et
de ses subjecs, à Messire Claude du Bourg, Chevalier,
sieur de Guerine, Conseiller du Roy et Trésorier de France :
pour la liberté et seurté du trafïïq, commerce et passage es
pays et mers de Levant :
De par le Roy, cher et bien aymé, d'autant qu'il est
besoin faire savoir et entendre en plusieurs endroicts de
APPENDICE. 363
nostre Royaume, la capitulation puis n'agueres faicte
par le sieur de Guerinè entre nous et le Grand Seigneur
concernant le traffiq et commerce de Levant et en faire
plusieurs et diverses coppies : nous avons advisé que
pour éviter aux fraiz et aussi à la longueur du temps
qu'il conviendroit employer, vous commander par la
présente signée de nostre main, que vous ayez au plus
tôt qu'il vous sera possible à faire imprimer ladicte
capitulation, selon la traduction cy en close, qui en a
esté faicte d'icelle. Ce que nous vous mandons et ordon-
nons faire, et en sorte que ce que vous ferez imprimer
pour la première fois, puisse suffire partout où l'on en
aura besoin. Si gardez d'y faire faute : car tel est nostre
plaisir. Donné à Argentan, le dix septiesme jour de
juin, mil cinq cens soixante-dix.
Signé : Charles.
Et au déssoubz :
DE L'AUBESPINE.
Articles accordez par le Grand Seigneur en faveur du Roy et
de ses subjets, à Messire Claude du Bourg, Ciievalier,
sieur de Guerine, Conseiller du Roy et Trésorier de France :
pour la liberté et seurté du traffiq, commerce et passage es
pays et mers de Levant* :
Sultan Selin, fils de Sultan Soliman, Roy.
Seing sacré, nom très-hault, habitation des Rois,
I. La traduction de ces capitulations est loin d'être exacte, surtout
364 MF.MOIRK SUR l.'AMMASSADK IJK TURgUIK.
seing Inaii cks Kois du moiult-, cl puis a\c'c l'ajcJc de
Dieu, ce commaiuleinent est tel (jui s'ensuit.
Est à noter, qiCcn V original et au milieu du
précédent et subséquent article, le seing du Grand
Seigneur est faict et escrit en lettres d'or.
Je, qui suis Roy des Roys, seing du peuple et des
Princes de la face de la terre, donateur des couronnes de
la mer Blanche et Noire, des pays de la Grèce, Asie,
Arabie et d'autres pays qui avec nostre trenchante et
victorieuse espce sont conquis et renduz. Avecla grâce de
Dieu, Empereur et Roy, Sultan Selin, rilz de Soliman,
Roy, la court de notre résidence, qui est lappuy des
justes, et le très grand ordre qui est soubz nos mains,
lequel est lieu de seureté pour les Roys du mf)nde
et des autres peuples qui cheminent à lentour
d'iceluy.
Entre les très grands Princes de la religion de Jésus
le plus grand, et des plus grands princes chrcsticns le
majeur, l'Empereur de France, Charles, la lin duquel
soit avec tout bien et prospérité, par l'un d'entre ses
conseilliers et honorez Seigneurs qui est le Seigneur de
Guerine, Trésorier de France et grand Seigneur de la
nation de Nazaret, Claude Du Bourg, son homme.
Nous a euAoyé ses lettres, et par iceluy, entre autres
pour le préambule et la conclusion. L'original est rédige en turc et non
en arabe, comme le certifie Olivery.
Cette pièce a été imprimée à Paris le 27 novembre 1570; a Lyon,
chez François Didier, à la fin de la même année. Enfin il en a paru une
nouvelle édition en 1578 : Lyon, Melchior Arnouillet.
APPENDICE. 365
choses, nous a encores faict entendre que l'Empereur de
France son maistre trouvoit merveilleusement dur et
estrange, que contre les debvoirs d'amitié et au par-
dessus d'un commerce et .trafficq franc et libre, institué
de temps en temps et de père en fils, soubz la bonne
foy, soubz la paroUe, soubz les escrits, soubz la par-
faite amitié et mutuelle intelligence de deux si grands
Empereurs, aurions faict prendre en nostre port et havre
d'Alexandrie, des subjects dudict Empereur de France
certaines marchandises et icelles faict illec vendre au
proffit du Seigneur de l'isle Naxie , nommé Joseph ,
autrement dit Miques % pour raison d'une debte (non
liquide, ne recogneuë) qu'il prétendoit lui estre deuë
par ledict Empereur de France. Et pour que ceste
seuUe occasion les grands galions et autres vaisseaux
dudict Empereur de France ont coustume venir par
I. Joseph Miquez, Portugais, était arrivé a Constantinople en 1547,
porteur de lettres de recommandation de M. de Lansac, ambassadeur
du Roi à Rome, pour M. d'Aramon.
Pendant son séjour à Constantinople, il embrassa la religion judaïque
pour épouser la fille d'une femme juive fort riche, Béatrix de Luna. Il
renonça à son nom de Jean pour prendre celui de Joseph. Il devint le
favori et le commensal de Sultan Selim II, qui lui promit, dans un
moment d'ivresse, le royaume de Chypre, dont Miquez lui avait repré-
senté la conquête comme facile.
Le grand vizir Thavil Méhémed Pacha fit revenir le Sultan sur cette
promesse inconsidérée, et Miquez dut se contenter de la souveraineté
des îles de Naxos, Parcs, Antiparos et Tinos.
Joseph Miquez mourut en 1578. On trouve quelques détails sur ce
personnage dans le Voyage de M, d'Aramon, publié par le marquis
d'Aubais, dans le F"" volume des Pièces fugitives, pour servir à l'histoire de
France. Paris, 1759, in-*", et dans l'Histoire nouvelle des anciens ducs et
autres souverains de l' trcliipet (par le P. Saulger). Paris, 1699, in-i::.
366 MKMOIHK SLM I AMMASSADK D\. ILUgUlK.
clc'ç;a, soiibz son nom tl baniiicrc, cf)mmc GfMc\()is,
Siciliens, Anconn'-tois cl autres. Sur (juoy nous disons
()u"il nous dcsplaist grandement que lalFaire ail ainsi
passé, et que ledict Empereur de France et nous, ainsi
(jue nous luy avons bien parliculièremenl escripl el
fuict entendre, ayons esté en cela circonvenu/, el abusez.
Car, de nostre part, nous a\ons jusques \cy tousjfnirs
creu et pensé que telle estoit son intention (comme à la
vérité Ton nous en avoit asseurez), voire que par après
il salisferoit les marchands intéressez selon le priz el
valeur des marchandises prinses et si des lors, nous eussions
sceu que ledict Empereur de France n'eust eu aucune
cognoissance de cecy et ne leust consenty, il est bien
certain que pour chose de ce monde ne l'eussions jamais
permis, ne en aucune manière eust esté faict ou donné
ausdicts marchans et à leurs vaisseaux aucun empesche-
ment ou fascherie. Et maintenant que ledict sieur de
Guerine nous a asseurez que le Roy son maistre ne
sçait rien de tout cecy et n'y a onques consenty, nous
avons des aussitost révoqué ladicte concession et avec
cela ont esté envoyez et mandez aux Seigneurs mes
esclaves et aux Juges et Daissiers* qui sont en noz pays
et citez et semblablement en tous noz ports et havres,
noz Irez hauts commandements, contenant que aux sub-
jcctz de France ne autres qui cheminent soubz son nom
et bannière, qu'à nul soit donné aucune fascherie ou
empeschement, requérant iceluy sieur de Guerine la
I. Agents des finances.
APPENDICE. 367
restitution desdictes marchandises prinses et par mesme
moyen, que les très hautes capitulations et comman-
demens tant vieux que nouveaux , qui auparavant
et du temps de feu mon père Sultan Soliman Roy, à
qui Dieu pardonne, face miséricorde et colloque en
paradis, ont esté concédez aux ambassadeurs des
Empereurs de France, à leurs consuls, interprètes, mar-
chans et autres personnes, soyent pour ceste cause
observez. Et nous estant tout cela notifié en nostre très
heureux Siège et grandissime nostre Empire (comme
chose à nous encores très agréable) les avons acceptez :
et, en oultre, concédé et accordé par ceste présente nostre
capitulation prochaine de justice. Et si avons protesté et
ordonné, que tant en Alger, comme en autres nos dictz
pays et citez, que si quelque chose a été prinse des dictz
marchands de France , soit pour le regard du dict
Joseph, que pour autre occasion (réservé seulement
la dicte première prinse) le tout soit restitué à leurs
patrons et maistres. Et qui contreviendra à nostre dict
commandement (estant du degré très haut) certainement
sera chastié. Et pour s'estre, lors de la prinse des dictes
marchandises, le dict Joseph trouvé grandement débi-
teur en divers lieux, de ceste heure là, ses créditeurs se
sont saisiz et emparez des dictes marchandises , au
moyen de quoy ne nous a esté possible les faire rendre
et restituer à leurs dicts maistres. Et sans cela n'y eust
aucune dilation ny difficulté, mais en estoit la restitu-
tion très certaine aux dictz marchands. Par ainsi peu-
vent venir en tout temps, en toute liberté et seureté, par
}68 MRMOIRK SUR L'AMBASSAUK D K TURgUIK.
tous nos pays cl cilcz ports et ha\rcs, les dessus dictz
gidions et autres vaisseaux. Car tant et si longuement,
que les pactes d'amitié ont esté par eux observez : de
nostre pari, encore leurs personnes deniers, vaisseaux,
robbes et marchandises, qui pour raison dudict com-
merce, ou pour autre occasion en\()yent en nos dictz
pays et citez, n'ont esté empêchez, ne molestez ny par-
venuz en aucun dommage. Et tout de mesmes promec-
tons que d'icy en hors et sans aucun doubte, ne seront-
ils empeschez ne offensez.
Si par adventure, la mer, la fortune leur apportoit
quelque nécessité, ou aultrement en aultrebesoing, \ou-
lons que ceulx qui se trouveront lors presens, comme
gens de noz vaisseaux impériaux que aultres leurs don-
nent tout secours et ayde. Et que le chef et lieutenant
desdicts galions soit pour cause de l'honneur de capi-
taine observé et honnoré, leur faisant avec leurs deniers
administrer toutes provisions et choses nécessaires sans
permettre ou laisser permettre que à aucun d'eux soit
faict aulcun empeschement.
TI.
«
Si la dicte mer boutait en terre leurs dicts vaisseaux,
nos juges ordinaires et autres leur porteront tout aide :
et les marchandises et deniers qui se sauveront leur
seront justement renduz sans aulcun destourbier ne
APPENDICE. 369
fascherie. Et que cela soit observé tant par mer que par
terre en l'endroit des dicts François qui cheminent pour
leurs affaires en nos dicts pays, se contenant pacifique-
ment en leurs termes.
III.
Par ainsi, les marchans et hommes de ce pays là,
leurs interprètes, peuvent venir tant par mer que par
terre en nos pays et citez pour vendre, achepter, faire
trahcq de marchandises : Et après avoir payé par eux
tant à l'aller que venir les daces ordinaires, selon les
coustumes d'entre nous, voulons que des capitaines et
patrons qui cheminent en nos mers, ne aussi des autres
peuples de nos armées, tant à eux, leurs hommes,
robbes et deniers ne soient donné aucun trouble , ne
fascherie.
IV.
Au cas que aucun des dicts François se trouve
débiteur, ou en quelque autre sorte, feust coupable et
s'enfuist, a esté accordé que la debte sera demandée
au propre débiteur et que nul autre sera prins, ne
demandé pour luy, ne pour le délinquant, prins
autre innocent.
V.
Advenant le décès d'aucun d'eux , nul ne fera
empeschement à ses biens et deniers, mais seront baillez
370 .M f: M O I K K SU l{ L'A M B A S S A I J I . D K T L H g U I E.
à celui u (|ui il/. scToiii dclaissc/ par testament. I",t s'il
nioinioil sans tester, lestlicts biens et deniers, du consen-
teiiunt des consul/., seront baillez a un compagnon
du déccdc, estant du jKiys de l'rance ou des lieux sub-
mis à la France.
VI.
Lesdicts consuls, interprètes et marchans faisant
achapt ou \ente de marchandises en nos dicts pays et
citez, advenant qu'en cela soit question de seureté, pleige,
recognaissance ou d'autre chose raisonnable, voulons
que les dictes seuretez, promesses et recognaissances
soient escriptes et enregistrées au registre du juge ordi-
naire du lieu, ou bien qui s'en prenne instance ou obli-
gation. A ce que, quand il entre\ iendra quelque diffé-
rend, l'on puisse auoir recours aux dicts registres ou
instrumens, et que à cela soit distinctement cru et
adjousté foy. Et ne se trouvant l'un ou l'autre de ces
deux là, mais seulement une demande pour examiner
tesmoings, a este arresté, que pour le temps qui ne se
trouvera (comme disent) instrument passé par les juges
ordinaires ou aucune chose enregistrée en leurs dicts
registres, semblables causes ne seront escoutées. ne
contre la raison permis faire faute.
VII.
Et par ce que bien souvent aucun font des cavilla-
tions ou faulses accusations contre les dictz marchans
APPENDICE. 371
françois, disans qu'ils ont vitupéré les dictz, produisant
faux tesmoings pour tirer seulement argent des ditz
accusez, dorénavant, les dictz accusateurs seront rebu-
tez et chassez sans permettre molester ny fascher les
dictz François contre la noble raison.
viir.
Advenant qu'il se trouve esclaues François ou qui
se soyent submis à la France et que leurs consuls certi-
fient estre François, voulons que semblables esclaves
et leurs maistres ou du moins leurs procureurs, soyent
incontinent mandez et envoyez à nostre très haulte cour
et suitte, à ce que en icelle leurs causes soyent vues et
entendues.
IX.
De France et des lieux à elle submis, les hommes
qui habiteront nos dits pays et citez, mariez ou non
mariez, faisans traficz de marchandise ou autre exercice,
de ceux-là ne sera demandé tribut.
X.
Es portz et havres d'Alexandrie, Tripoly de Sirie,
Alger et autres lieux où sont establis leurs dicts con-
suls, advenant quMls les veuillent changer et mettre en
leurs places personnes dignes de tels offices, nul y fera
empeschement.
172 Mr.MOIin-. SUR I.'AMHASSADK Dt TURQUIE.
XI.
El quand il s'intentera quelque procès ou débat
avec les dicts f>ant;ois et que pour la dccisif)n d'iceluy,
ils yront dt\ant le juge ordinaire et que lors le propre
intcrprLtc des dits l'ranc^ois ne se trouvera présent,
iceluy juge n'escoutera les dicts differens. Mais estant
le dict interprète et truchement en service d'importance,
sera attendu jusqucs à son retour. Aussi ne faut-il qu'ils
faccnt cavillation, disans ledit interprète n'estre présent
et ne l'entretiendront, ains le prépareront.
XTI.
Si les dicts Frantjois ont desbat et dilTerend l'un
auec l'autre, leurs ambassadeurs et consuls, selon leur
conscience, décideront les differens sans que nul aye a
les empescher.
XIII.
Si les fustes des coursaires tbnt esclaves les dicts
Français ou les portent vendre bien au loing. comme en
la Grèce ou Natolie, voulons que quand les dicts
esclaves seront retrouvez, qu'avec toute instance se face
diligence de sçavoir en quelle main ils sont, de qui
l'on les a euz et qu'ils soient contraints de les trou^"er
et représenter. Et tout de mesme, celuy qui les aura
venduz. Et si c'est sous le nom de coursaire et que le
dict coursaire est trouvé et prins, qu'il soit chastié au
APPENDICE. 373
cas que le dict esclave soit trouvé véritablement Fran-
çois. Et si ledict esclave s'est faict Turc, qu'il soit
libre, le laissant aller, et s'il est encore soubz sa
foy chrestienne, qu'il soit de nouveau consigné aux
François.
Xllll.
Les vaisseaux de France, selon la coustume et les
canons % après la recherche faicte à Constantinople, par-
tent et s'en vont au destroit des Chasteaux, et là, devant
iceux se tait une autre recherche, et cela faict, l'on leur
donne licence de partir. Mais maintenant qu'avons esté
advertis que, contre les dictes observances et anciens
canons, les dicts vaisseaux se recherchent encore en
Galipolj, partant, voulons que selon les dictes anciennes
coustumes lesdits vaisseaux soyent seulement recherchez
audict destroit des Chateaulx et que de là en hors, ilz
continuent leur voyage.
XV.
Quand nos armées , vaisseaux et galères qui
marchent sur la face de la mer en nos dictz pays
et citez , trouveront en mer les vaisseaux et navires
de France, voulons que les uns avec les autres fassent
caresses et amitié, et ne se fucent aucun dommaige
ne offence.
I. Règlements.
}74 MIMClin. SUM l'AMMASSADK 1)1. TURQUIE.
X \' 1 .
Voulons aussi que touks les choses contenues et
cscriptes en la nostre très haute Capitulation accordée et
baillée aux \^énitiens, (juelles sojent et demeurent
cncores certifiées en fa\eur des Franç;ois. Ta que contre
nostre puissante raison et très haute Capitulation, nul ne
l'einpesche et donne moleste.
X\I I.
Qui^ les dessudicts galions et autres vaisseaux, des
lors qu'ilz seront venuz en nos dicts pays et citez, soyent
gardez et conservez, et s'en retournent avec toute
liberté et seuretè. Et advenant que leurs robbes ou
deniers se trouvent depredez, soit faicte toute instance
et diligence à ce que cela \ienne en lumière et que les
delinquans ( quelz qu'ils puissent ou \euillent estre ),
soyent chastiez comme il se requiert.
X\lll.
Noz lieutenans généraux de noz provinces, gouver-
neurs, capitaines non esclaves, les juges ordinaires des
lieux, dassiers, maistres et capitaines de noz vaisseaux
impériaux et d'autres vaisseaux ^oluntaires, croyront la
présente nostre très haute Capitulation, et au contraire
d'icelle n'iront ne monstrcront le visage. Et de nostre
part, cependant que les dicts François auront le pied
APPENDICE. 37)
ferme à la droite voye et à nostre amitié, nous encores
sur la promesse des choses cy dessus narrées acceptons
la dicte amitié et jurons que par le yra.-y Nutriteur et
Créateur du ciel et de la terre, et par les âmes de mes
anciens et grands ayeuls et de mondict père, que
encores de ceste nostre part et contre nostre dicte
promesse, ne sera faicte aucune chose. Et cecy saiche
tout le monde. Et à ce très-grand et sacré Seing doibt
prester foy et créance.
Escript en la ville et cité de Constantinople au com-
mencement de la luné de Kuinàmayel (Rebi'ul evvel)
l'an neuf cens soixante et dix-sept.
Et de Christ 1569 au mois d'octobre.
Traduction faicte à l'original estant en langue ara-
bicque, signée dudict Grand Seigneur, par Dominico
Olivery, soussigné, truchement et interprète du Roy en
ladicte langue.
Ainsy signé.
Dominico Olivery.
IV.
Lettre du Roy au Grand Seigneur
Du 6 janvier 1581. Receue le 10 rie May par le S'' Berthicr.
Très hault, très excellent, très puissant, très invin-
cible et magnanime prince, le grand l'.mpereur des
376 MFMOIRK SLH I \MMASSAI)l. l)h. lURgLIK.
Monsiiliiiaiis, .Sult;iii Aimirai, in ([ui loin honneur c-î
\cTtu ;iI)ontli', nostrc tics cliir it parfiiict amy. Dieu
veuille augmenter vostre grandeur et liautesse avec tin
très heureuse.
Nous avons eu les Kllres tjue nous a \oulu escrirc
Vostre Hautesse, du 15 de juillet dernier passé,
escjuelles en nous faisant nsponce sur j")Iusieurs des
noslres (|ue luy a\ ions aupara\ant escrit, elle nous
donne un excellent et remarquable tesmoignage de la
continuation de son amitié parfaitte et sincère en ce qu'a
la première réquisition qui luy a esté l'aicte de nostre
part sur le renou\elIement des capitulations qui ont
esté entre nostre couronne et vos prédécesseurs d'heu-
reuse et louable mémoire, Vostre Hautesse a incontinent
commandé qu'il y fût salisfaict, nous faisant en cela une
claire ouverture de son entière affection, laquelle nous
recevons à grand plaisir. Toutcsfois, nous avons sceu par
le sieur de Germigny nostre ambassadeur résident prez
de Vostre Hautesse qif il nen est cncores réussi aucun
effect, quelque instance quil ayt faict un an en ça, et
causant cela beaucoup de dommages et inconvénients
pour le traffic de noz subjects, selon les plaintes que
nous en recevons ordinairement. Nous sommes contraints
de vous prier de \ouloir faire efectucr le renou\ellement
des dictes capitulations lesquelles, à cette tin, il nous
plaira commander estre recherchéez parmy les registres
de Vostre Hautesse en cas que dicelle ne s'en treuvast
un original es mains de nostre ambassadeur; cependant
nous vous promettons que, suivant le contenu en icelles.
APPENDICE. 777
et les commandements quavez par plusieurs fois accor-
dez en faveur du seur et libre trafficde nosdits subjects.
ils recevront tousjours de vostre grâce Imperialle toute
faveur, bon et honnorable traictement et seront garantis
es pays de vostre obeyssance d'injures et dommages,
tant en leurs biens, marchandises qu'en leurs propres
personnes : de quoy, derechef, nous vous prions autant
affectueusement qu'il nous est possible, mesmement pour
ceux qui pouvoient estre détenus esclaves, sur la déli-
vrance desquels nous desvions intenenir vostre prompt
commandement a ce que la renommée de la sincère
observation de toutes choses qui conviennent à nostre
commune et inviolable amitié soit tant plus espanduë
par tout le monde et que vous soyez connu juste ven-
geur des torts et injures qui sont faictes à ceux qui
appartiennent à vos alliez.
Nous ne pouvons aussi celer à Vostre Hautesse le
grand contentement qu'elle nous a donné en la décla-
ration qu'elle a faicte, selon son équitable justice, sur
la précédence que nos ambassadeurs ont tousjours eue
en toutes assemblées et congrégations avant tous autres
Roys chrestiens. Nous nous sentons semblablement fort
obligez à elle de l'offre qu'elle nous fait de son aymable
secours, en cas que nous en eussions besoing, desirans
qu'elle nous veuille perpétuellement conserver ceste
bonne \'olonté, véritablement digne diin si haut et si
magnanime courage que le vostre, avec asseurance que
de nostre part, nous luy rendrons en toutes occasions
une pareille et réciproque correspondance qui fera con-
378 MIMOIKK SI H IAMMASS\I)1 1)1. I' L K n l I K.
noislic ;i img cliasciin ()ik- nous ne- ciélaillons en rien
lie I amitié et bie'i-\ciiillaiu;e (jiie nons cleNons a la
\()sire, mais (|iie nous la méritons avec tous bons et
louables ofHces, ausquels nf)us sommes bien délibère/,
de ne manquer en sorte du monde, y estant conviez,
parce que nous voyons qu'en toutes les réquisitions que
nous faisons à Voslre llautisse. elle se montre fort
favorable, comme elle a faicl recentemmenl au sauf
conduit qu'elle nous a voulu envoyer pour le regard du
prince de Vallaquie, afin de pouvoir soubs une protec-
tion, entrer en possession de la dicte province : de quoy
nous vous prions autant affectueusement quil nous est
possible par la présente, oultre ce que nous luy escrivons
d'ailleurs et ne l'estendrons pas plus a\ant que pour la
prier qu'elle veuille croire nostre dict ambassadeur de
toutes aultres choses qu'il luy pourra dire de nostre part,
et luy adjouster sa mesme foy qu'elle feroit à nostre
propre personne. Ayant, oultre cela, à la supplier,
comme nous faisons bien affectueusement qu'elle veuille,
pour l'amour de nous honnorer, Aly Cheleby l'ung de
voz escrivains, fort afîectionné à nostre service, de la
charge de Mustaferaga^, avec quarante aspres le jour,
lequel nous luy recommandons d'autant plus volontiers
qu'il est trez hdel à l'entremise des affaires d'entre
"Vostre Hautesse et nous ausquellcs il a esté député, et
sur ce, nous supplierons le Créateur, très hault, très
I. Muteferrika, cavalier pourvu d'un fief. Les Muteferrika étaient
souvent charges de missions par le Sultan.
APPENDICE. 379
excellent, très puissant, très invincible et magnanime
Prince nostre très cher et parfaict amj, qu'il vous ayt
en sa très saincle et digne garde.
Escript à Bloys le 15* jour du mois de janvier 1581 .
Et au dessoubs ; Vostre bon et parfaict amj.
HENRY.
Et plus bas :
De Neufville.
V.
Lettre du Roy a Sinan Bassa, premier Vizir de
LA Porte ; sur le renouvellement des Capi-
tulations ACCORDEES ENTRE LES RoYS SES PRE-
DECESSEURS, ET LE Grand Seigneur.
Très Illustre et Magnifique Seigneur, le Sieur de
Germignv nostre Conseiller, et ambassadeur, résident
prés du grand Empereur des Monsulmans, nostre très-
cher et parfaict amy, nous a bien informé par plusieurs
de ses lettres du grand lieu et rang que vous tenez
près de Sa Hautesse, à cause de vos louables vertus et
mérites, qui est cause que, conjecturant par là que
vous sç^aurez mieux juger que nul autre, de combien
il importe que l'amitié et bien-vueillance qui a esté
dés long-temps entre ses prédécesseurs et les nostres,
soit conservée et maintenue : Nous vous prierons que
}Ho MKMOIKK SL K l.'AMHASSADK I) K T L' R Q U I F.
VOUS \«)iis (.'niployc'/. Nolontiers, selon (\uc les occasions
s'en pourront présenter, pour le renouvellement des
anciennes Capitulations qui ont esté sur ce faites; à ce
qu'au plùtost il se puisse effectuer, en quoy outre que
vous ferez chose qui servira inHniment a la conserva-
tion de nostre dite amitié, nous le recevrons a singulier
plaisir, et nous nous en scaurons infiniment bon gré.
Nous vous prierons aussi, qu'ayant ja Sa Hautcsse
eslargy sa grâce et bonté envers le Prince de la Grande
Vallaquie en luy accordant sauf-conduit pour se trans-
porter de delà, vous \ ueillez ayder qu'il l'accomplisse
entier, et en le faisant mettre en la possession et jouys-
sance de la susdite Province; ainsi que de toutes ces
choses, il vous sera plus amplement parlé de nostre
part, par nostre dit ambassadeur, qu'il vous plaira de
croire comme nous mesmcs.
Priant Dieu, très illustre et magnifique seigneur
qu'il vous ayt en sa très saincte et digne garde.
Escrit à Bloys.
Henri.
Et plus bas : Brulart.
APPENDICE. 381
VI.
Capitulations du Roy avec le Grand Sei-
gneur, CONFIRMEES ET RENOUVELEES DE
Monsieur de Germigny, Conseiller et
Ambassadeur, résident pour sa Majesté
A LA Porte de sa Hautesse, du mois de
j uillet i 581.
Iddio solo.
Dieu seul.
Seing Sacré : Miirad Sciah, Roy, Fils de Selim
Sciach Hhan, Empereur tousiours victorieux.
Par la grâce et la divine Majesté, qui n'a commen-
cement ny tin, et de ce miraculeux chef des Prophètes,
que le regard de Dieu soit sur luy et sa famille, les
miracles duquel sont intinis : Je, qui suis Sultan, Roy ou
Prince des Sultans, le premier et plus puissant de tous,
seing des princes, donnateur des couronnes aux princes
de la face de la terre; serviteur des deux très sacrez et
augustes lieux, lesquels sont les suprêmes lieux de
toutes les citez de l'Empire, assavoir, la Mecque et
Mcdine, Gardien et Ministre de Jérusalem saincle ; de la
Grèce, et Temisvar (Province en Hongrie) ; et du pays de
Bossena* et de Bude, et Seghituar (Seghet), du pavs de
I. La Bosnie.
383 Mf:M()IIU-: SLI{ I AMI{ ASS AlJf. DK ILH^LIK.
la Natolic, v{ Caraiiianic- et de l'hoirie et succession
d'Imadie ' et \'an; du puys d'Arabie et gcnérallemcnt
de Curdistan. (Parthes) et de Cara'-, et la Georgianie*, et
Deniir C^oppi ■' el 'rKîlis; el partie du pays de Siruan '\
et Crim''cl DeschtiCupeiac'', pays nouvcllemcnl conquis
avec nostrc foudroyante espce pointée aux cœurs de
toutes les susdites parties, et de Cypre, et du pays de
Zulcader" et CerczuP, et de Arbechir'" (Mésopotamie),
et de Alep et Derum ", et Cilder '"et Arzeruni et Sciam '\
et Damas, et Baydat''* (FJabiloine) et Chiofc '^ et Basra,
et Pacha*'', et Seuahim'', et Sanha'" et Misir (F.gypte et
Caire), et lemenet Habes'%etAdcn,etde tous ces pays;
et de Tunis et la Goulette, et de Tripoly de Barbarie
et d'autres pays estrangers; lesquels, a\ec layde de
1. Amadiyé, dans la province de Van.
2. Cars, dans la province d'Erzroum.
j. La Géorgie.
4. Demir Capou. La province de Derbend.
5. Le Chirvan.
6. La Crimée.
7. Dechti Kiptchak.
8. La province de Zouldakir en Anatolie.
9. Chehirzor, province du Curdistan.
10. La province de Diar Bekr ou Diarbekir.
11. Daroum.
12. Tchildir. dans la province d'Erzroum.
ij. Châm. La Syrie.
J4. Bagdad.
15. Coufa.
16. Lahssa, port sur la mer Rouge, province du Nedjd.
17. Sawakin, sur la côte occidentale de la mer Rouge.
18. Sanaà, dans le Yemen.
19. Habech. L'Abyssinie.
APPENDICE. 383
Dieu, sont soubmis à la force de nostre vertu bellique :
De tous ces pays Chef et principal Ministre; Dominateur
de tous les Princes des Couronnes, et suprême Monarque
de la mer Blanche et de la mer Noire, et des autres
divers pays, isles et confins et passages, et casais et
d'infinis centenaires, de milliers d'exercices, victorieux,
conservateur, dominateur et Empereur suprême, Sultan
Murad Hhan, fils de Sultan Selim Hhan, fils de Sultan
Soleyman Hhan, fils de Sultan Selim Hhan, fils de
Sultan Bayazith Hhan, fils de Sultan Mehemet Hhan,
fils de Sultan Murad Hhan , qui ie suis par le
bénifice de ce grand Créateur, soubs lequel tous
sont, lequel est in\isible, et divine Majesté, et don-
nateur à toutes les couronnes du monde, la grâce
duquel est manifeste, et ses grâces sont innombrables et
infinies. A nostre très fameuse et Imperialle heureuse
Porte, laquelle est appuyée des lignées et maisons
nobles des Princes : Le plus glorieux Seigneur des
grands Princes des Jesuins, eleu entre les plus puissans
des fidels du Messie; compositeur des différends de
l'universelle génération des Nozariens ; distillateur des
continuelles pluyes de majesté et gravité; possesseur des
preuves et marques de grandeur et gloire. Empereur
de France Henry, la fin duquel soit avec tout bien et
prospérité; de ses honorez et plus estimez de la généra-
tion du Messie, Baron du chasteau de Germoleà, Jacques
de Germigny, Conseiller et Ambassadeur, Nous avons
receu une sienne kltre signée et escritc, ]nirc et sincère,
lacjuelic t'St 1res Nraye et très ccrtaiiu- IcWvc sienne : que
3«4 Mf'.MOlKK SLK l.' A M MA SS A IJ K \)i. ILIiyLIK.
(J'ancicniietc iusqucs à prcscnt, de nos très gracieux
devanciers, ayeiil^ et Ijisuyeiils, (jue le Ïoul-Puissanl
Dieu fasse reluire les remarques de leurs preuves, ayant
este avec eux, et de la part des Empereurs de France,
entre eux ancienne amitié colleguée et alFectionnée
de bonne intention et intelligence ; désirant de sa
Majesté qu'icelle ait à continuer, et estre confirmée,
comme par le passé, à ce que aux ambassadeurs de
l'Empereur de France et aux consuls, truchements
et marchands, et autres vos subjets, ne soit donne fasche-
rie ne empeschement , et pour demeurer en repos sous
l'ombre et iustice nostre : qu'en l'heureux temps de
nostre père Sultan Selim Hhan, que Dieu luy doint paix
à Tame, ont esté donnez les haults et heureux articles
du traitté, après la mort duquel, Dieu m'ayant octroyé
le siège Impérial, a esté derechef requis qu'ils soient
renouveliez selon la teneur d'iceux. Dont selon qu'ils
avoient esté accordez du temps de l'heureuse mémoire de
mon père, je les reconfirme aussi en la mesme manière,
que cette Impériale Capitulation jurée laquelle est
irrévocable, et en cette fac^on se publie :
Que des Vénitiens en hors, les Geneuois et Anglois,
et Portugais et Espagnols, et marchands Catellans et
Siciliens, et Anconitains, et Ragusois et entièrement
tous ceux qui ont chemine soubs le nom et bannière
de France d'ancienneté iusques à ce jourd'huy, et en
la condition qu'ils ont chemine, que d'ici en avant, il
ayent à y cheminer en la mesme manière.
Que les galbons et leurs nefs venans et retournans.
APPENDICE. 38?
cheminans en Texercice de leurs affaires, toutefois et
quand que, de leur part, ils ne feront démonstration
contre l'amitié, que semblablement de nostre part, les
pactions et articles iurez, selon qu'il a esté cy devant
iusques à ce iourd'huy, ayent a estre honorez et
maintenus.
' Que pour le surnommé Empereur de France duquel
toute la race et lignée est suprême et renommée sur
tous.les Princes du monde qui sont soubs la génération
du Messie, et lequel est le plus ancien et la clef de tous
les Princes du monde et, outre de ce, de nos très hauts
prédécesseurs pères et ayeuls de leurs temps iusques à
ce iourd'huy, n'ayant esté le plus grand, ny plus ancien,
en la haute et heureuse Imperialle nostre Porte, ny
plus cordial et affectionné que luy, de ceux qui y ont
fait amitié, laquelle, de ce temps en ça, n'a jamais esté
violée ny est suivy aucun manquement, ny s'est veu
contrariété entre nos deux Majestez, ains, s'est tous-
jours icelle monstrée très affectionnement, et avec con-
fédération cstablie et confirmée en nostre heureuse
Porte, en tout ce qui a esté traicté et convenu à nostre
heureuse et Imperialle Porte et nid nostre, où les
Ambassadeurs de France résident, et eux venans en
nostre Impérial Divan (Conseil), et quand ils iront aux
Serrails et Palais de nos grands et honorez Vizirs, que
au dessus des Ambassadeurs d'Espagne et autres princes
des chrestiens, selon qu'il a esté d'ancienneté, ainsi soit
à tousjours, et que les susdicts ambassadeurs de France
ayent la prccedence.
}86 .MI. MO lin: s un 1 '.A.MBASSADK 1)1. ILK^UIK.
r,l ks l'ruiic^ois a\x'C toutes leurs faculté/, <.[ autres
biens et marchandises qui Nienclront ci retourneront
avec leurs gai lions et autres leurs nefs et vaisseaux en
tout temps aux eschelles, ports, et autres lieux soubs
mon Empire et Kstat, cheminants sur la foy et asseu-
rance promise, qu'ils puissent, suivant icelle, aller et
retourner scuremcnt. Et, si par accident, pour la fortune
de mer, et autres semblables causes, ils se retrouvoient
avoir besoing et nécessité de quelques secours, et qu'aux
contours et environs se trouvassent galleres eslevées du
Seigneur ou gens, ou autres Gouverneurs de ces lieux
là, qu'ils ayent à les favoriser, ayder et secourir; et le
Chef ou General de leurs gallions,à sçavoir, de France,
et Lieutenans des Capitaines, en cause de l'honneur,
qu'aucun ne leur donne nulle fascherie et s'ils avoient
besoin pour leurs deniers d'aucunes choses nécessaires
pour eux, ils les feront accommoder diligemment de toutes
choses.
Et si par accident et combat de vents, leurs vaisseaux
et navires alloient à travers en terre, que les Seigneurs
Sangiacz et Cadis et autres leur ayent à ayder et favo-
riser, et qu'ils ayent à leur rendre en leurs navires toute
la faculté, marchandise et deniers qu'ils sauveront, ne
leur donnant empeschement aucun, et en toutes autres
choses et particularité, tant par terre comme par mer. les
François cheminans sincèrement à leurs affaires, qu'il
ne leur soit donné aucune fascherie ny ennuy.
Et les marchands de ces pays de France et truche-
mens et autres étrangers qui sont en leur protection et à
APPENDICE. 387
eux appartenans , tant par mer que par terre, venans et
retournans en nos pays, acheptans, vendans, et traffi-
quans, et payans les daces ordinaires, selon les usances
et le droict du Consul, après qu'ils auront payé, tant en
l'aller qu'au retour, que des Capitaines, Reys des Gal-
leres du Seigneur, coursaires et volontaires, patrons et
autres, qui cheminent sur la mer, et des gens de nos
heureux exercites, aucun ne leur ait à donner fascherie
ny empeschement, tant à eux comme à leurs marchan-
dises, facultez et deniers, et aux hommes et à leurs
montures, qu'il ne leur soit donné aucun empeschement.
Et si un François estoit débiteur à quelqu'un, que
l'on ait à demander la debte au propre débiteur et,
n'étant son pleige, qu'aucun ne soit pris ni demandé
pour iceluy. Et si un estoit mort, qu'aucun n'em-
pesche ses biens et deniers, mais qu'il soit donné,
à qui il les laissera par testament; et, si par accident
il mouroit ab intestat et sans faire testament, qu'avec
le consentement du Consul ils soient donnez à un
de ceux de son pays, et que les Petebnagi^ commis
au recouvrement des biens de la Seigneurie, mourant
un estranger sans héritiers, ne les ayent à empescher,
tant aux Françoys comme à tous les lieux à eux soumis.
Les marchands, truchemens, et Consuls qui trait-
teront et feront trafic de marchandises es terres de mon
obéissance et pour cause de pleigerie et autres diverses
qui pourront survenir, qu'ils ayent à aller d'un con-
sentement au Cady, Juge, en écrire le sigillet, et le
I. Beit ul maldji, agent du iisc.
j88 MI.MOIKI. S[ n l'AMlMSSVnK I)K TL'KQUIF.
rcgislixr au registre ci iciliiy Catly, ou lùcn eu jireudre
hhogct, c'est a dire iustruiiienl, et s'il esloit ou advint
(juelcjue tlill'erend entre eu\. et (ju'ils ayent a regartier
au sigillet, ou au registre du Cadj, ou bien au Iihogcl
et selon le contenu d'iceluy qu'il en soit jugé. Et s'il
ne se treu\e un de ces deu\ instruments et voulant
produire des lau.v lesmoings et l'aire intenter quelques
procez et garbuges contre la justice, toutesfois et quantcs
que ne se verront hhogets ou qu'il ne sera enregistre
dans le registre du Cady, à semblables hommes vous
ne leur laisserez faire fausseté et ne leurs presterez
l'oreille contre la raison et justice.
Et si aucuns font certaines avanies, c'est à dire,
faulscs accusations, disans que ceux la ont blasphème
la foy, produisans faux témoins seulement pour avoir
deniers : partant contre la noble raison et droict vous
ne permettrez qu'ils soient molestez et les susdits seront
rebouttez et dechassez.
Et si un d'eux faisoit debte et auroit fait quelques
delicts, et s'enfuit, que pour ce, autres qui ne soient
pleiges ou bien coupables ne soient pris pour luy.
Et tous les esclaves qui sont soumis à la France,
les Ambassadeurs et les Consuls certitians et attestans
comme ils sont François, les maistres ou bien les procu-
reurs de semblables esclaves soient en^■oyés icy à mon
heureuse Porte pour y estre veues et descidées leurs
causes.
Et tous les François et autres soummis à eux. mariez
et non mariez tratiquans, contractans et negotians que
APPENDICE. 389
Ton n'ait à leur demander carasse ^ ne tribut, tant en
Alexandrie comme en Trypoly de Sorie et à Alger;
et en toutes les autres eschelles où sont députez et con-
£rmez les Consuls, quand ils seront changez, tous
ceux qui viendront en leurs lieux dignes de tels grades
et offices, qu'aucun ne les ait à empescher.
Et si quelqu'un auoit procès et différent avec les
François et qu'ils allassent au Cady, et ne se trouvast le
propre truchement des François présent et en ordre,
que le Cadj n'ait à écouter ledit différent. Et, si par
accident, le truchement estoit en service d'importance,
qu'ils ayent à l'attendre jusques à ce qu'il soit venu. Tou-
tefois qu'eux aussi n'ayent à user de cautelles, disans
que le truchement n'est présent, et n'usent de dila-
tions; mais, qu'ils ayent à préparer leurs truchements.
Et si les François avoient l'un avec l'autre quelque
procès et différent, que leurs Ambassadeurs et Consuls
ayent à voir et décider selon leurs usances leurs procès
et différents, et qu'aucun ne les ait à empêcher.
Et si les fustes des coursaires alloient par mer
faisans les François esclaves et les portant vendre en
Grèce ou en Natolie, que l'on ait à faire diligemment
recherche generalle pour tels esclaves avec grande
instance, et en toutes mains où ils se trouveront que
l'on leur fasse prouver de qui ils les auront eu; et ainsi,
celuy qui les aura \endus s'il sera en nom de coursaire,
et si ledit coursaire sera trou\c ou pris et tombé en
I. Kharadj, l'impôt prélevé sur les sujets non musulmans.
39<' .MIM(HI«I SIH 1 AMH ASS \ 1)1. 1)1. TURgUlE.
mains, et si rusclavc bcra irouvc pour certain François,
le coiirsuire soit cliaslic ; et, si ledit esclaue se sera fait
Turc, qu'il soit libre et laissé aller et s'il est cncoressur sa
foy et loy, qu'il soit de nou\eau consigné aux François.
r,l les nefs Trançoises, selon la coustume et les
canons, après la recherche l'aile en Constanlinople, et
estant pallies depuis jiour s'en aller selon les anciens
canons, (|uaiul elles seront aux Cliasleauv du destroit,
la recherche de nouveau faite, que l'on ait à leur don-
ner la licence pour puis continuer leur voyage. A pré-
sent, contre les anciens canons et usances, se laisoit
encore la recherche en Galipoli ; partant, d'icy en avant,
que selon la coustume ancienne, ils soient seulement
recherchez aux Chasleaux du destroit, et qu'ils s'en
aillent leur voyage.
Et toutes les armées et galleres et nefs qui sortent
hors en la mer de mon Estât et Empire, quand ils trou-
veront en mer les nefs et vaisseaux François, qu'ils se
fassent amitié l'un avec l'autre, et ne se fassent dom-
mages ny ofFences aucunes.
Et toutes les choses qui sont contenues et escrites
aux hauts et heureux Chapitres donnez aux Vénitiens,
quelles soient encore certi liées en faveur des François
et qu'aucun ne les empesche , ny fasse aucun ennuy
contre la sévère justice et la puissante raison et nostre
haute Capitulation.
Les susdits gallions et autres vaisseaux venans, et
quand ils seront venus en mon pays et Estât, qu'ils
soient conservez et gardez et que librement, saufs et
APPENDICE. 391
avec seureté, ils s'en aillent; et si leurs facultez, mar-
chandises ou deniers seront trouvez depredez, que
pour cette cause il soit l'ait toute instance et diligence,
à ce que lesdites marchandises, et deniers, et vais-
seaux, et hommes qui seront depredez, viennent en
lumière et soient recouverts, et les delinquans, qui-
conques ils soient, ayent à estre chastiez à bon droict
et comme il est requis. Et les beglierbeys et capitaines
et sangiaczbejs (gouverneurs de provinces,) mes esclaves,
et les cadjs (juges) et emins (daciers) et les heureux
Reys (capitaines des galleres) et coursaires et capitaines,
et patrons volontaires de fustes, que voyant ces miennes
hautes et heureuses Capitulations jurées, ils y croyent
et ayent à obeyr avec les causes contenues en icelles.
et au contraire d'icellcs, ils ne monstrcnt la face : et sur
tout, l'heureuse mémoire de mon ayeul Sultan Soley-
man Hhan, les hautes Capitulations qui ont esté don-
nées en son temps, selon la teneur d'icelles, en la
mesme forme, je les confirme; que l'on ait à y obéir, et
ne se fasse contrariété aucune contre icelles. Et suivant
la promesse des susdits chapitres et articles jurez, toutes
et quantefois qu'en nostre haute et heureuse Porte, de
leur part de France, la confédération et la pure vérité,
et la fermesse, et toutes les paroles qui se diront et dis-
coureront seront en l'amitié, et qu'ils tiendront le pied
ferme en icelles. Je aussi, acceptant l'amitié, promets et
jure par le Tout-puissant Dieu, Créateur du Ciel et de
la Terre, et par les âmes de mes grands ayeuls et
bisaveuls, et grands progeni leurs, et de mon père, nous
392 Mf'.MOIin. SUR I.'\MI'.ASSAI)Î. DK TURQUIK.
conliiiiKinl fil riiiiinii île nfjstrc amitié, confirme et
niiiinticiis, (|iie de iiosiie pari, il ne sera jamais fait
chose au contrairi- d'icelle. Ainsi ayez, à sçavoir, et
adjoustcrez enticre foy au cy -dessus sacré seing.
Donné au commencement des Calendes de l'-Augusle
lame de Giemasiel Acliir 989, à scavoir. en l'an de
Jesus-Christ, au mois de Juilk't. en X" iiij", à l'Im-
périale résidence de Constant! nople.
En la suscription : 1, es Capitulations , à l'Empereur
de France.
VII.
Lettre du Grand Seigneur au Roy, sur
le renouvellement des capitulations
FAITES PAR LES SOINS DU SIEUR DE GeR-
MIGN Y.
Seing sacré. Murad Schiah , Roy, fils de Selim
Schiah Hhan, Empereur tousjours victorieux.
Le plus glorieux des grands princes des Jesuins,
esleu entre les plus puissans des lidelles du Messie;
compositeur des différcns de l'universelle génération
des Nazariens; distillateur des continuelles pluyes de
majesté et gravité; possesseur des preu^es et marques de
grandeur et gloire, l'Empereur de France, Henry :
que ses desseins s'accomplissent en bien. Après le receu
de nostre sacré et impérial seing, vous soit notoire
APPENDICE. 393
comme en nostre haute, impériale et heureuse Porte, en
laquelle réside Fhonnoré entre les honnorez Seigneurs
de la génération du Messie, nommé le Seigneur de
Germigny, très digne ambassadeur de Vostre Majesté;
nous avons receu vos affectionnées et considérées lettres
portées par le secrétaire dudict ambassadeur, le contenu
desquelles en tout ce que nous avez fait entendre de
toutes particularités et en tout ce qui y est écrit, le tout
est vray, tant pour le renouvellement de la capitulation
Impérialle, comme aussy du fils de Petrasque Pierre
Vayvode, pour le mettre en la possession de son estât.
Et encore pour conte de la Reyne d'Angleterre, laquelle
recherche nostre amitié, que ce soit avec nostre moyen
et intercession, ainsi que nous avez fait entendre, et
semblablement que tous les marchands Anglois qui
viendront à contracter, faire marchandise et trafriquer
soubs mon Empire et Estât, comme d'ancienneté jusques
à présent, ils venoient et viennent soubs le nom et ban-
nière de Vostre Majesté, ayent de nouveau à venir en
la mesme manière. En outre ce, toutes les autres parti-
cularitez que le susdict ^■ostre ambassadeur nous a fait
savoir à bouche, à nostre siège Impérial et heureuse
Porte et nous en a faict arz '- particulièrement, le tout
par nostre très noble et très heureux entendement, nous
avons très bien entendu et comprins. Partant les heu-
reuses mémoires de nos pères et ayeulx et bisayeulx
(que le Seigneur Dieu fasse reluire les remarques de
I. Exposition : nous en a fait .h", nous les a exposées.
394 .MfMOIRK SLK f.' A M HASS A DK l)K rtUgLIK.
kiirs preuves) el de leur temps heureux jusqucs à pré-
sent, la sincère an.itié qui a régné el règne entre nous,
cil toute sorte (|u'elle a esté, a présent encor, soit stal)lc
et perpétuelle, selon que tousjours elle a este maintenue
lionorablement et avec confédération et afieclionnement.
El pour celle cause, de nouveau, nous avons reconfirmé
les hautes el heureuses Capitulations, el selon \os
riequestes, a\'ons confirmé en son estai Pierre Vayvode;
mais à présent pour y avoir un peu de différend a\ec le
Vayvode, qui est en Vallaquie, ledit rétablissement
s'est un peu prolongé, et plaisant au Tout-puissant
Dieu, le susdit Pierre, en ce temps de nos heureux jours,
c'est à dire plaisant à Dieu de nous continuer la ^ ie et
félicité de nos jours, aura l'efîect de son désir et con-
tentement el encor Voslre Majesté du sien, selon que
vous nous en avez requis, et cela sera pour certain, et
en cecy Voslre Majesté n'ayt aucun doute : el à toutes
occasions que le Roy d'Espagne avec quelque fraude
et tromperie, voulant retourner de l'amitié, et voulant
faire guerre, s'il sera besoin, toute bonne faveur et
secours de noslre Impériale el heureuse Porte, ou par
les autres miennes que je vous ay escril, ou par la pré-
sente, tout ce que nous ^'ous avons notifié ou escrit, nous
le confirmons et monstrerons avec les efFects, et tousjours
selon que d'ancienneté entre nous a couru el court, el a
tousjours esté confirmée noslre amitié el sincère intelli-
gence, ce qui convient à nos Grandeurs, assavoir de
nos deux Majestez, et qu'il convient aux Empereurs de
faire, ou par voye d'armées, ou par autres moyens qu'il
APPENDICE. 395
sera possible de faire, nous ne manquerons, en tout et
par tout, a Vostre Majesté de toutes ces faveurs et assis-
tances possibles. Et ainsi en l'inimitié que feront en
nostre heureuse Porte les malins et fraudulents qui
voudront s'attaquer avec nous, il sera pourveu, avec
l'ajde de Dieu, de tout ce qui sera nécessaire et tout
ce qui sera de besoin en faveur de Vostre Majesté, vous
le ferez sçavoir à nostre heureuse et haute Porte, mes-
mement qu'à présent nous avons envoyé hors en la
mer avec une petite partie de nos Aictorieuses galleres,
le généreux entre les Seigneurs le Beglierbey d'Algers
et Capitaine gênerai de nostre heureuse armée, appelé
dis i Allj, qui veut dire Aly belliqueux (que Dieu
augmente son heur), lui ayant commis, qu'il ayt à aller
en Barbarie à Algers; et s'il sera besoin de quelque
chose, V. M. écrira et advisera ledit Capitaine mon
gênerai, et d'ancienneté jusques aujourd'huy, tousjours
tous ces marchands qui sont venus sous vostre nom et
bannière tant d'Angleterre, Geneuois, Anconitains et
Siciliens, et des Vénitiens en hors, tous ceux qui n'ont eu
des Consuls comme ils ont cheminé sous vostre nom et
bannière, à présent encor en la mesme manière ils aycnt
à venir et aller en mon Estât et Empire. Et tous vos
Ambassadeurs qui ^■iendront en nostre très-haute et
heureuse Porte, et à nostre heureux Diuan (c'est à dire
Conseil), ou bien aux Serrails et Palais de nos grands
Vizirs, comme il a esté de toujours, ainsi soit. Et que
I. Kilidj Aly (le Sabre dAly).
39^ M (. M ( ) I R K S L 1^ I .'A M H A S S A I) V. D F. T L' R Q L I K.
VOS susdits Amljassadcurs aycnl la prcccdcncc cl prccini-
ncncc" sur les Ambassadeurs à\\ Roy d'Espagne, ou
autres Ambassadeurs Royaulx, et en la concession des
heureuses et autres Capitulations que nous a\()nsrenou-
vellées avec vous, particulièrement se lait mention de
toutes CCS choses : et en toutes autres causes du temps
de nos prédécesseurs, ayeuls et bisayeuls, celle pure,
sincère, et in\iolable colleguee amitié et bf)nne intelli-
gence qui a régné et règne entre nous, a^■ec les
anciennes auctorilez et prééminences qui vous ont este
accordées, ainsi encores vous les ayez à avoir, et les
maintenir honorablement, ayant esgard de garder vostre
honneur et grandeur. Et à toutes les fois que de la part
de Vostre Majesté, il n'y aura diminution aucune de
celle nostre amitié, et pure intelligence, avec l'ayde
de Dieu aussi de nostre part, il n'y aura aucun man-
quement et ne se donnera auctorité au préjudice dicelle.
Et toujours les pactions et Promesses et Chapitres jurez
qui sont entre nous, seront maintenus et honorez : Et
pour cette occasion, generallement, à tous les Beglierbeys,
et Sangiacbeys et autres Ministres nos esclaves, se sont
écrits très torts et heureux commandcmens que tous
ceux qui à icelles voudront mettre garbuge, et faire
faulseté, soient rigoureusement chastiez et semblables
malfaicteurs. Il con\ient qu"a\ec nostre honorée et
heureuse lettre, des honorez Mustaferaga de nostre
haute et heureuse Porte, l'illustre, et estimé, et loiiable
entre iceux truchement et secrétaire Aly (la félicité
duquel soit avec accroissement) comme il sera arrivé,
APPENDICE. 397
VOUS debuiez conserver la confirmation de la foy, et
traictez suivis entre nous, et les maintenir et honorer. Et
toutes les nouvelles qui seront de vos quartiers, tant de
vostre santé, comme de vos progrez, et agréables et
plaisantes nouvelles, continuellement nous les faire
sçavoir, selon qu'il convient à nostre commune amitié.
Ce qui sera cause de l'accroissement d'icelle, et de cecy
nous ne faisons doute aucune ; Et touchant au faict de
la Reyne d'Angleterre, dont cy-devant nous avions
escript en nostre heureuse lettre, que nous vous
envoyâmes, selon la forme qu'il vous a esté escrit de
nouveau en la mesme teneur, nous vous le confirmons;
Et pour le susnommé Mustaferaga Aly (la félicité
duquel soit toujours perpétuelle) tout ce qu'il dira à
bouche pour les choses appartenantes à nostre pure et
sincère amitié, vous luy aurez à adjouster foy, lequel
en brief, vous renvoyerez sain et sauf, en nostre heureuse
Porte, et par la grâce de Vostre Majesté à l'accoustu-
mée , gracieusement le renvoyerez en ça. Donnée en
l'auguste Lune de Giemaziel Achir en l'an du Pro-
phète 989. Assavoir, en l'an de Jesus-Christ 1581 du
15 de juillet. A l'Impérial siège de protection, de Con-
stantinople. Et en la subscription de la lettre : A l'Em-
pereur de France ^ .
I. Le texte des capitulations accordées à M.deGermigny et les
lettres qui y sont annexées sont tirés du Recueil des pièces choisies j
extfiiites sur les originaux de la négociation de Monsieur de Germignyj
ambassadeur en Turquie. Ce recueil a été inséré par P. Cusset dans
le premier volume de l'illustre Orbandale ou l'histoire ancienne et mo-
derne de la ville et cité de Chalon-sur-Saône. Lyon, 1662. 2 vol. in-4".
Î9H MF:M0IRK SLK I'AMMASSADK I) K 1LH(,)LIK
VIII.
Confirmation d'allianck avkc lf. Grand
Sf.ignkur par Hknry quatre, 1597.
(Bibliothèque nationale, fonds français, n" 3653,
f* I recto à 6 verso.)
Les capitulations d'entre les Majestez de Henry
quatrième, Empereur de France et Sultan Mehemet,
Empereur des Mousolmans, à présent régnant, renou-
velées en l'année 1597, augmentées de plusieurs pointz
très utilles et importans aux subjectz du Roy traffic-
quant par cest Empire, par le soing et diligence du
S'" de Brèves, gentilhomme ordinaire de la Chambre du
Roy, Conseiller en son conseil d'Estat et son ambas-
sadeur pour lors près le Grand Seigneur*.
Au NOM DE Dieu.
Très haute, très sacrée et très excelse marque des
Empereurs Ottomans avec la beauté de laquelle tant de
I. Le texte original de ces capitulations a été inséré par Feri-
doun bey dans son recueil de lettres et de pièces diplomatiques
intitulé : Munche^d Feridoun. tome II, page 400. Ce recueil a été
publié en l'année 1265 de l'Hégyre (1848), à Constantinople, en
2 volumes in-folio, aux frais du Grand conseil ; l'édition a été
tirée à petit nombre, et les exemplaires n'ont poins été mis dans
le commerce.
APPENDICE. 399
païs sont conquis et gouvernez de par la volonté et
permission de l'Eternel. Nostre vouloir et commande-
ment est tel :
Moy, qui suis par les infinies grâces du Juste, Grand
et Omnipotent Créateur et par l'abondance des plus
grands de ses prophètes, Empereur des Empereurs, don-
nateur des Couronnes aux plus grandz Princes de la
terre, serviteur des deux très sacrées et très augustes
villes belles en toutes celles du monde, assavoir : la
Mecque et Médine, Protecteur de la S"= Ihierousalem,
Seigneur de la plus grande partye de l'Europpe, Azie
et AfFricque, de la Grèce, de la Natolie et Caramanie,
de l'héritage et succession de Imadie et Van, des païs
d'Arabye, Curdistan (Parthes et Curdes) de la Georgia-
nie, Damir Cappi et Tifliz d'une partye des païs de
Silvan^, Qrym et Destyciptsac nouvellement concquis
avec nostre foudroyante espée, fichée aux cœurs de toutes
les parties susdites, de Chypre, des païs de Zoulcadriè,
Arzelon -^ Cérézul ', Ciam et Damas, Bagdat (Babil-
lonne), CafFa^, Basra, Gasa, Sanha, Missir (Egipte),
Caire, lemem, Abs et Adam % des païs de Thunes, la
Goulete etTripoly, Souverain Monarque des mers blan-
che et noire et de tant d'autres divers païs, isles, des-
troictz, passages, peuples, générations et familles et de
1. Chirvan.
2. Erzi'oum.
-?. Chehirzor.
4. Koufa.
5 L'Abyssiiiic et AJeii.
400 MF.MOIHK SLK l'AMMASSAUK UK IlRgLIK.
tant de centenaires, de milliers victorieux a l'cspéc,
possesseur des champs nommés Papa, PeluteelVisprian
etJavarin, et des inexpugnables forteresses de Egrie
prins par l'assistance de ma personne Impérialle et de
tant d autres pais qui reposent soubz l'obéissance et
justice de moy qui suis Sultan Mehemet, prince et tilz
de rt^mpereur Amourat, hls de l'Empereur Selim, tilz
de l'Empereur Soliman, fils de l'Empereur Selim, fils
de l'Empereur Bayazet, fils de lEmpereur Mehemet,
filz de l'Empereur Amourat, par la grâce de Dieu,
durant leurs vyes recours des grandz Princes du monde
et refuge des honorables Empereurs de la terre.
Au plus glorieux, magnanime et grand Seigneur de
la création de Jésus, esleu entre les princes de la nation
du Messie, Terminateur des différends qui surviennent
entre le peuple chrestien, Seigneur de grandeur, majesté
et richesse et glorieux guyde des plus grandz,
Henri IlIP, Empereur de France, que la fin de ses jours
soit heureuse !
Soubz la rellation qui nous a esté faicte d'Icelluy
Empereur de France par l'un de ses plus honnorables et
estimés Seigneurs de la créance de Jésus, nommé Fran-
çois Savary S"" de Brèves, l'un de ses conseillers et gen-
tilshommes, maintenant son ambassadeur à notre grande
Porte, lequel, au nom de Sa dite Majesté, a faict entendre
à notre Hautesse le désir qu'elle a de l'antienne amitié
que les defîunctz Empereurs, ses prédécesseurs, ont eue
avec les invincibles Hottomans, nos ayeulz, que la grâce
et miséricorde de Dieu soit sur eux !
APPENDICE. 401
Nous voulions que les ambassadeurs d'Icelluy Roy
de France, ses Consulz, Interprètes et autres qui mar-
chent soubz sa banière et protection puissent venir,
aller, retourner et sesjourner par les lieux de notre
Empire seùerment et sans qu'il leur soit donné fascherie
ou empeschement et que ce qui est porté par les capi-
tulations antiennes soit inviolablement gardé et princi-
pallement celle qui fut du defFunct Empereur, notre
père Sultan Amourat, prince heureux en sa vye et mar-
tire en sa mort, que la lumière céleste luyse éternelle-
ment sur son tombeau ; et avons commandé avec notre
sacrée main que cette capitulation soit escrite de la
teneur qui ensuit :
Que des Vénitiens et Anglois en là, les Espagnols
Portugais, Ragusois, Genevois (Génois), Anconitans,
Florentins et généralement tous les autres qui chemi-
nent soubz la bannière de France parmi noz pais,
terres et Seigneuries puissent cy après y cheminer et
venir de la mesme façon qu'elles ont faict par le passé,
sans qu'à leurs vaisseaux puisse estre faict ou donné
aucun empeschement en cas qu'ils se comportent
selon l'honnesté, et ne facent chose contraire à ce qui
est contenu en ceste suivante capitullation, asseurant
que de notre part, noz conventions et promesses seront
inviolablement gardées.
De nouveau. Nous commandons que les Vénitiens
et Anglois en là, toutes les autres nations ennemyes
de nostre grande Porte lesquelles n'ont ambassadeur à
icelle, voullant trafficquer par nos pais, elles ayent d'y
26
402 MF.MOIRK SUI{ l'A M 15 A SS A I) H I) K TtRyLIK.
inaithcr soiib/ la hannicrc de France el \(nill()ns que
pour jamais, l' Ambassadeur d'Angleterre ou autre
n'ayent de l'empescher ou contrarier a ce nostre vf>ul-
loir, soubz coulleur d'alléguer qu'icelles nations ont esté
incérées aux capitulations dernières depuis avoir esté
escrites et, en cas qu'il se feust donné par cy devant
ou qu'il se donnast par cy après commandement con-
traire k cet article, nous commandons que nonobstant,
ceste capitulation soit vallable et observée.
En considération de la bonne et parfaictc amytié
qu'iceux Empereurs de France ont eue avec les deflunctz
Empereurs noz pères et celles qui est maintenant entre
noz Majestez,nous voulions que les François qui traffic-
quenl par nostre Empire puissent avec leur argent enle-
ver robes de contrebande, assavoir : Cuirs, cordouans,
cottons, iilz, sans que aucun leur en puissent donner
fascherie ou empeschement.
Que les monnoyes qu'ilz aportent de leurs pays par
les lieux de nostre Empire ne puissent estre prises de
noz trésoriers ni de nos monnoyeurs soubz prétexte d'en
voulloir faire de la monnoye ottomane, ny voulons qu'il
s'en prenne aucun droict pour n'estre ainsy l'usaige.
El parce qu'aucuns subjectz de France navigans sur
vaisseaux estrangers pour exercer la marchandise, sont
faictz le plus souvent esclaves et leurs marchandises
prises, par ce, Nous commandons que d'icy en avant
ilz ne puissent estre faictz esclaves sinon qu'ilz soient
pris sur vaisseaux de course, et commandons que ceux
qui ont esté pris autrement soient faictz libres, leurs
APPENDICE. • 403
marchandises et robes restituées sans aucune contra-
diction.
Que les marchandises qui seront chargées à nolîis
sur les vaisseaux François apartenantes aux ennemis de
nostre grande Porte ne puissent estre prises soubz cou-
leur de dire qu'elles sont d'ennemys, puisqu'ainsy est
nostre vouloir.
Que les marchandises qui sont apportées des mar-
chands François en noz eschelles, havres et portz ou
celles qu'ilz enlèvent d'iceux ne puissent paier, avoir
commerce ny estre estimées à plus haut qu'à celles de
l'antienne coustume.
Et d'autant que les corsaires de Barbarie allant par
les portz et havres de la France y sont caressés, secouruz
et aydez à leur besoing comme de poudres, plomb et
autres choses nécessaires à leur navigation et que,
néantmoins, ilz ne laissent, trouvant des vaisseaux Fran-
çois à leur advantage, de les piller et saccager en faisant
les personnes esclaves contre nostre vouloir et celluy de
l'Empereur Amourat nostre père , lequel pour faire
cesser leurs vioUances et déprédations avoit diverses
fois envoyé les puissans ordres et commandé par iceux
de mètre en liberté les François détenuz et restituer
leurs ficultcz sans que pour cela ils ayent discontinué
leurs actes d'hostilitez, Nous, pour y remédier, voul-
ions et commandons avec ccste nostre capitulation
Impérialle que les François pris sur la foy publicque
soient Aiictz libres et leurs facultés restituées : déclarant
qu'en cas que lesdits corsaires continuent leurs brigan-
404 M (^..MOIIU. SLK l'A M Fi A S «^ A I) I. DKTLRQUIE.
dagcs, (ju'au premier ressentiment qui n^iis en sera
r-iict de rF.mpcrciir de l'rancc, les vice Rois Gouver-
neurs des jKiis desquel/, les voleurs et corsaires dépen-
dront, seront obligez de paier les dommaigcs et pertes
qu'auront faict les Fran^-ois, et seront privés de leurs
charges, promettans de donner croyance et adjouster foy
aux lettres qui nous en seront envoyées dudit Empereur.
Que les interprètes qui servent les ambassadeurs
d'Icelluy Empereur soient libres de tous subsides et
impostz.
Que tous ceux qui chargent les vaisseaux François
qui trafHcquent soubz la bannière de France aycnt de
paier le droict des ambassadeurs et consulz sans se pou-
voir opposer au contraire.
Que survenant quelque mcnotre ou autre inconvé-
nient parmy les François, les Ambassadeurs et Consuls
puissent, suivant leurs loys et coustumes, y faire justice
sans qu'aucun de nos officiers en prenne cognoissance
et l'en empesche. Que, quels consuls François qui sont
establis par les lieux de nostre Empire pour avoir soing
du repos et seureté des François ne puissent estre faictz
prisonniers ny leurs maisons baillées, voullans que s'il
s'en prétend quelque chose d'eux, la cognoissance en
soit renvoyée à nostre grande Porte et Divan publicq.
Nous entendons, voulions et commandons que tous
les poîntz cy dessus cotez et escritz soient in\iolable-
ment observez, et que les commandemens qui, par cy
devant, ont esté donnez ou se donneront pour l'advenir,
au contraire d'iceux ne soit vallables ny observez.
APPENDICE. 40J
Et parce qu'Icelluy Empereur de France est, entre
tous les autres Roys et princes, le plus noble et de plus
haute famille, le plus parfaict amy que noz ayeulz
ayent jamais eu, comme il est veu par les efFectz de sa
fermeté et persévérance, nous voulions et commandons
que son Ambassadeur qui réside à nostre heureuse
Porte, venant à nostre grand et superbe Divan ou allant
au pallais de noz grandz Vice Roys ou autres de noz
conseillers, chemine devant et précedde l'Ambassadeur
du Roy d'Espaigne et ceux des autres Roys et Princes,
conformément à la coustume antienne.
Que les François qui viennent avec leurs vaisseaux
et marchandises par les eschelles, havres et portz de nos
païs puissent, durant nostre vye, venir seurement et soubz
la foy publicque, et, arrivant que la fortune ou tempeste
jetast aucun d'iceux ayant besoing de noz gallaires ou
de quelques autres de noz vaisseaux, nous voulions et
commandons qu'ilz soient incontinant aydez et que les
cappitaines et lieutenantz d'iceux vaisseaux soyent res-
pectez et caressés, et soient pourveus avec leur argent de
toutes commoditez nécessaires à leur vivre.
Et en cas que lesdicts vaisseaux François donnent
contre quelque escueuilz ou en terre et souffrent bris,
nous voulions que tout ce qui s'en pourra recouvrer leur
soit restitué es mains et mis en pouvoir des marchans,
sans que noz Vice Rois, Gouverneurs, Cadis ou autres
s'opposent, mais, bien au contraire, ayent de les secourir
à leur besoing, vouUans ([u'ilz puissent par nostre
Empire aller, venir, retourner et sesjourner librement
4or, M F-, M f ) I lî I S l' n l 'A M n \ s s \ r ) i , i > i . tu r o 1 1 f ..
s'ilz ne commcctcnt quelque chose contre l'Iionnestc.
Que d'iceux François, interprctte ou autres ;i eux
appartenans venant en noz pais soit par mer, soit par
terre, pour vendre, acliepler ou faire marchandise paiant
les droictz de nos commerces* suivant la coustume et
celuy des Consulz ne soient molestés eux, leurs vais-
seaux et marchandises par noz cappitaines des gallaircs,
patrons et autres volontaires en \enant, séjournant et
retournant.
En cas qu'un François se trouve redevable, la dcbtc
ne puisse estre demandé à autre qu'à luy ou autre qu'a
celluy qui se sera rendu pleige pour luy.
Et arrivant qu'un François meure, nous voulions et
commandons qu'aucun de nos officiers et commissaires
n'ayent de veoir à ses robes et facultez, ains qu'elles
soient consignéez sans aucune difficulté à celluy à qui il
les aura laissées par sa dernière volonté, et mourant ab
intestat, que avec l'entreprise des Consulz, les facultez
du mort soient consignées au pouvoir d'un de ses
compatriez sans que nos commissaires ou autres s"y
opposent.
Que les François, leurs Consulz et interprettcs ou
ceux des lieux qui deppendent d'eux ayent en leurs
ventes et achaptz pleigcries et tous autres pointz d'en
faire acte devant le Cady, au dcffaut de quoy, ceux qui
auront quelque prétention contre eux ne le faisant
apparoir par constract publicq enregistré au lieu de nos
I. Douanes 5 en turc: Giimruk. du grec xouuipxi (commercium).
APPENDICE. 407
juges voullans prendre tesmoings, voulions et comman-
dons qu'ils ne soient escoutez, ains soit donné foy aux
contracts passés devant noz juges ou, n'y en ayant
d'enregistré, que les demandes ne soient adjugées; et
se tienne la main qu'il n'arrive chose contre la sacrée
justice.
Qu'estant dressé quelque embusche contre les Fran-
çois pour les accuser d'avoir injurié et blasphémé contre
nostre S'® Religion et produisant des tesmoings faux
pour trouver moien de les travailler, nous ordonons
qu'il se garde mesmement en semblables occasions que
les François ne soient molestez et que rien ne se passe
plus avant.
Et estant qu'aucun François soit redevable ou ayant
faict quelque mauvais acte s'absente et s'enfuye, nous
voulions que les autres François, qui ne seront nulle-
ment pleigéz pour luy, n'en puissent estre molestez ny
recherchez.
Que se trouvant par nostre Empire des esclaves
François estant recongnuz des Ambassadeurs ou Consulz,
que les maistres d'iceux ayent à les amener à nostre
grande Porte ou les renvoyer a\ec papiers, affin que
justice en prenne cognoissance.
Que les François ou ceux qui deppendent d'eux, ma-
riez en noz pays ou non, exerçant la marchandise ou
travaillant de leur art ou autres ne payent aucunes
tailles ou subcide.
Qu'au changement et eslablissemcnt des Consulz
François en noz eschelles d'Alexandrie, Tripoly de
4o8 .MI.MOIHK SLI{ I ' \ M H A SS \ I) I. l)\. TLHQUIF'..
Suryc, Argcr cl autres, personne des noslres ne s'y
oppose.
Et, arrivant que quelqu'un cust quelque dilTércnd
avec les François, nous voulons qu il se termine par la
justice, mais que le juge nen prenne cognoissance
qu'un interprète de France ne soit présent et estant
riiilcrprctc empcschc en allaires importans, quelacause
soit entrcknue justjues cjuil/ comparoissent; toutes fois,
que les François ne se rendent difficiles, disant que
l'interprette ne se trouve, et ne prolongent l'effect de la
justice, ains à faire comparoitrc ledit interprète.
S'il naist quelque contention ou dilTérend entre
deux François, que l'Ambassadeur ou les Consulz ayent
de terminer telle controverse sans qu'aucun de noz offi-
ciers s'y oppose.
Et, arrivant que quelques frégates de corsaires ou
autres vaisseaux allant par la mer facent des François
esclaves et les apportent et vendent au pais d'Europpe,
Asye, et autres lieux, quiceux François trouvés, il se face
une gaillarde recherche pour sçavoir de qui ilz ont esté
venduz, et que celluy qui les aura achcptéz soit obligé
de trouver le vendeur afin qu'estant recongnus les
esclaves François pour mal pris, ils soient faictz libres
et les corsaires chastiez : et, sy les François esclaves se
sontfaictzMousulmans, nous voulions aussy qu'ils soient
faictz libres, mais percistant en leur créance, qu'avec la
main de la justice, ils soient mis hors d'esclavitude.
Que les vaisseaux François qui auront faict la
recherche en Constantinoble ne soient recherchez autre
APPENDICE. 409
part qu'aux chasteaux, ne voullant qu'il se face la
recherche à Tripoly, comme maintenant il se recherche
de faire.
Que les gallaires, vaisseaux et armées qui sortent de
nos pays, se rencontrant en mer avec ceux de France,
ayent de s'entrecaresser et faire amitié sans s'y procurer
dommaige les uns aux autres.
Que tout ce qui est accordé aux Vénitiens par leurs
capitulations soit ensemble accordé et confirmé au
bénéiice des François, sans que personne y contredie.
Que les vaisseaux François venant en nostre Empire
y soient protégez, defFendus, caressez et y puissent avec
toute seurté, et soubz la foy publicque, venir, aller,
séjourner et retourner; et, arrivant que les marchandises
ou robes peussent estre saccagées, qu'il se face une
recherche très exacte et, se trouvant, leur soient rendues,
et ceux qui auront commis telles méchancetés, cluistiez.
Voulions et commandons à tous noz csclaA'cs Vice
Rois, Gouverneurs, Lieutenants, Cadis, Cappitaines de
gallaires et autres vaisseaux et générallement à tous noz
autres officiers, qu'ils aient d'observer le contenu de
cesle capitulation sans contredire à aucun d'icclle ny
moings à ceux qui sont portez par la capitulation qui en
a esté traictée et accordée par nostre dclFunct et bien-
heureux ayeul Soltan Soliman (que la miséricorde de
Dieu soit pour jamais sur luy!) protestant qu'en cas que
de la part de l'Empereur de France ne soit contrevenu
aux poinctz cy dessus escritz, et qu'il demeure ferme et
constant en l'observance d'iceux, ou semblablement
4IO MI.MOIHF. SUR l'AMHASSADK f)KTLnnLIK.
acceptant son amityc, je jure par l'Htcrncl Dieu qui a
(a ici le ciel et la terre, et par les âmes de nos ayeux et
par celle du deliunct Empereur nostrc ayeul (ju"il n'y
aura jamais de nostre part aucun manquement et ainsy
se sçachc et se preste foy à nostre sacrée marque.
Fscript en nostre ville Impériale de Constantinople
au commencement de la Lune de (Redjeb), en l'an-
née I0C5 qui est 1597, environ le xxv' febvricr.
IX.
Lkttrf. du Sultan Mfhemet III
A H EX RI IV.
Au plus glorieux, magnanime, et grand seigneur de
la croyance de Jésus-Christ, élevé entre les princes de
la nation du Messie, terminateur des difFérens qui
surviennent entre les peuples chrestiens. Seigneur de
Majesté, grandeur et richesses et clair Guide des plus
grands, Henry IIII Empereur de France, que la tîn de
ses jours soit heureuse et tranquille !
Depuis l'arrivée de nostre Impériale marque, il sera
pour avis à vostre Majesté, que par cy devant, vostre
ambassadeur qui réside en nostre Souveraine Porte
nous fit entendre que les Anglois sous prétexte d'estre
nos confederez viennent par les mers de nostre Empire
APPENDICE. 411
y prenans et dépredans vos subjects, ceux de la Répu-
blique de Venise et autre marchans qui navigent sous
vostre bannière.
S'estant aussi plaint que les coursaires de nostre
pays de Barbarie font le semblable, sans avoir égard à
l'ancienne amitié qui se conserve entre nos Majestez.
Pour cette cause, nous écrivimes une lettre à la Reyne
d'Angleterre, de laquelle nous vous fismes part, comme
aussi des commandemens que nous avions faict à nos
esclaves de Barbarie. Depuis, est arrivé à nostre Sublime
Porte, un des vostres avec vos lettres, par les quelles nous
avons recogneu que les nostres ne vous avoient encore
esté rendues, et la continuation des coursaires Anglois
et de Barbarie sur vos subjects. Ayant bien considéré le
contenu : nous désirons que vous né doutiez nullement
que c'est contre nostre intention que ceux qui dépen-
dent de nostre obeyssance, molestent les subjects de vostre
Majesté, en s'unissant avec les pirates Anglois pour
participer à leurs butins et larcins.
Aussi ayant appris par vos lettres que nostre vice-
Roi de Thunis, Mustapha-Bassa estoit de ceux qui s'en-
tendoient avec lesdits Anglois, nous l'avons priué de
son gouvernement, avec commandement exprès de
venir rendre compte de ses actions, et nous avons éta-
bly en son lieu un autre vice-roy, auquel nous avons
expressément commandé d'empêcher qu'en aucune
façon vos subjects traiiquans par les lieux de nostre
obeyssance soient molestez. Nous avons aussi privé
Solyman-Bassa nostre vicc-Roy d'Alger de son office,
412 .MI.MOIKK SUR I.'AMHASSADK DK TURQUIE.
pour les mccontcntcmcns qu'il a donnez à vostrc
Majesté et commandé qu'il ayt aussi a venir rendre
compte de ses déportemens, ayant mis en son lieu un
autre vice-Roy fort practic qui scait et recognoit le res-
pect qui se doit à l'ancienne amitié de nos Majestez,
nommé l'Albanois Moussy, duquel Dieu augmente la
dignité !
Nous avons aussi ordonné que Cerdan-Bassa cy
devant nostre vice-Roy, ayt à venir devant le tribunal
de nostre Justice, pour s'en estre plaint il y a quelque
temps vostre ambassadeur, et très expressément com-
mandé à l'amiral de nos mers Sinan-Bassa de nous
faire amener les uns et les autres.
Quant à ce qui regarde le particulier des Anglois, il
ne nous a pas semblé honneste devoir écrire au nou-
veau Roy d'Angleterre avant qu'il nous ayt écrit et
envoyé un ambassadeur au serrail de nostre heureuse
Porte, pour renouveller les capitulations que la Reyne
defuncte avoit avec nostre Hautesse. Nous nous sommes
contentez de commander à nostre prudent et valeureux
vesir Assan-Bassa, décrire audit Roy d'Angleterre en
nostre nom, qu'en cas qu'il désire nostre amitié, il est
nécessaire qu'il retienne et empêche que ses subjects ne
fassent plus de courses sur nos mers ; après la protesta-
tion qui luy sera faicte, s'il entend qu'aucuns de ses
subjects commettent acte d'hostilité sur ceux qui se
trouveront par les lieux de nostre Empire, seront rete-
nus avec leurs vaisseaux et facultez qui seront distri-
buées à ceux qui auront receu quelque dommage d'eux.
APPENDICE. 413
et seront chastiez pour retenir les autres de mal faire,
nous estant plus aisé d'en user ainsi. Toutesfois ayant
remis l'efFect de ceste nostre résolution aux réponses
qui nous seront faictes par les attendans. Accompai-
gnez, si vous le considérez à propos, celle de nostre
grand Vizir au Roy d'Angleterre de l'une des vostres.
Nous vous envoyons aussi nostre lettre Impériale
pour le Roy de Fez, afin qu'en considération de nostre
amitié, il empêche que ses subjects n'achètent les Fran-
çois, et dé mettre en liberté ceux qui se trouveront par
les lieux de son obeyssance, atin qu'il soit cogneu à
chacun le cas que nous faisons de l'amitié de vostre
Majesté.
Nous avons, de plus, selon vostre prière, pour arrester
le cours des voleries et pyrateries des Anglois, renvoyé
exprès commandement à tous les Gouverneurs de nos
havres et ports, pour faire exacte recherche de tous les .
vaisseaux et des nations chrestiennes qui arrivoient es
lieux de leurs Gouvernemens, de voir notamment quelles
marchandises ils apportent, et en quels lieux ils auront
chargé, les obligeans de faire paroistre par tesmoins quel
est leur déportement et au cas qu'il soit contraire à la
preuve qu'ils produiront, se trouvans malfaicteurs, et
que les marchandises qu'ils portent ayent esté prises es
courses, qu'ils soient retenus avec leurs vaisseaux et de
ce qui se trouvera dedans qu'il en soit donne avis à
nostre grande Porte. Nous avons commandé à nosdits
Gouverneurs ce qu'ils doivent faire pour faire chastier
ceux qui, sous ombre de marchandise, font les Cour-
414 MP.MOIKK SI R l'A M H ASS A F) I. I)t, TU H g Lit.
sairc'S. Nous avons aussi ordonné a nos Vicc-Roys de Bar-
barie, et autres nos subjccls et oindcrs qu'ils se gardent
de pcrmctlrc à qui que ce soil d'aller en course, sans
prendre bonnes et suffisantes cautions d'eux, afin qu'ils
ne commettent acte contre la foy publique, au dom-
mage de vos subjccts et, pour plus de facilité, que les
pleiges ayent à estre responsables et tenus de représen-
ter leurs malfaicteurs.
Prenez donc croyance que c est contre nostre volonté
que vos subjects sont maltraictez par les lieux de nostre
obeyssance. Quant à ce que desirez qu'il se fasse une
repressaille sur les marchans Anglois pour payer les
dommages que vos subjccts ont receu de cette nation, il
m'a semblé nécessaire d'attendre la response du Roy
d'Angleterre, lequel tardant d'envoyer-un Ambassadeur
au seuil de nostre heureuse Porte pour rcnouveller
l'amitié commune avec son Royaume, et manquant au
semblable de se rendre soigneux d'empescher que ses
subjects ne commettent plus tant de méfaicts, et ne
fassent des courses par les lieux de nostre obeyssance,
selon la promesse que nous avons cydevant faicte à
vostre Majesté, nous ferons retenir tous les Anglois qui
se trouveront par nostre Empire, faisans rcpresaille sur
eux pour l'entière valeur de ce qui aura esté voilé et
dépredé à vos subjects, les faisans chastier comme sépa-
rez du nombre de ceux qui sont confederez auec nostre
Hautesse,
Vostre Majesté, de sa part, trouvera bon à l'imitation
des Empereurs ses ayeuls de faire cas de nostre amitié,
APPENDICE. 415
et la conserver chèrement, empêchant qu'aucun de vos
subjects n'ait à servir nos communs ennemis, ayans appris
que beaucoup d'iceux, contre le devoir qui se doit à
nostre ditte amitié, vont au service du Roy de Vienne.
Tels ne me font pas seulement deservice, mais si vous
le considérez, vont au service des ennemis de vostre
Grandeur. C'est pourquoy vous vous devez peiner d'em-
pêcher leurs allées, et arrivant que quelqu'un y aille
contre vostre commandement, vous devez faire confis-
quer ses biens, et retournant au lieu de vostre obeys-
sance, le faire chastier afin de faire servir d'exemple aux
autres desobeyssans.
Escrit au commencement de la lune Reboulevel.
C'est le quinziesme d'Aoust (1603).
X.
Capitulations de 1^04.
Au nom de Dieu.
L'Empereur Amat, fils de l'Empereur Mehemet,
toujours victorieux.
Marque de la haute famille des Monarques Ottho-
mans, avec la beauté grandeur et splendeur de laquelle
tant de pays sont conquis et gouvernez.
Moy, qui suis par les infinies grâces du Juste, Grand
4i6 MIMOIIU-: SUR I 'A M 15 A SS A DK IJK TLHVLIK.
et loul-puissuiU Crcatcur cl pur l'abondance des
miracles du chef de ses prophètes, Empereur des vic-
torieux Empereurs, distributeur des couronnes aux plus
grands Princes de la terre, serviteur des deux tres-sacrées
villes, la Mecque et Médine, PrcMecteur et Gouverneur
de la Saincte Hierusalem, Seigneur de la plus grande
partie de l'Europe, Asie et AIrique, conquise avec
nostre victorieuse espée, et espouvantable lance, à sça-
voir des pais et royaumes de la Grèce, de Themiswar, de
Bosnie, de Seghevar, et des païs et Royaumes de l'Asie
et de la Natolie, de Caramanie, d'Egypte, et de tous
les pais des Parthes, des Curdes , Géorgiens, de la
Porte de Ter, deTitlis, du Seruan, et du pais du Prince
des Tartares, nommé Qerim, et de la campagne nommée
Cipulac \ de Cypre, de Diarbekr, d'Alep, d'Erzerum,
de Damas, de Babylone demeure des Princes des
croyants, de Basera, d'Egypte, de l'Arabie heureuse,
d'Abes, d'Aden, de Thunis, la Goulette, Tripoly de
Barbarie, et de tant d'autres païs, isles, destroits, pas-
sages, peuples, familles, générations, et de tant de cent
millions de victorieux gens de guerre qui reposent sous
l'obéissance et justice de Aloy qui suis l'Empereur
Amurat, fils de l'Empereur Selim, tils de l'Empereur
Solyman, tils de l'empereur Selim : Et ce, par la grâce
de Dieu, Recours des grands Princes du monde,
Refuge des honorables Empereurs.
Au plus glorieux, magnanime, et grand Seigneur de
I. Kiptchak.
APPENDICE. 417
la croyance de Jesus-Christ, esleu entre les Princes de
la nation du Messie, Médiateur des différents qui sur-
viennent entre le peuple Chrestien, Seigneur de Gran-
deur, Majesté et Richesse, glorieuse Guide des plus
grands, Henry IIII, Empereur de France, que la fin de
ses jours soit heureuse.
Ayant nostre Hautesse esté priée du sieur de Brèves,
au nom de l'Empereur de France son Seigneur comme
son Conseiller d'Estat et son Ambassadeur ordinaire en
nostre Porte, de trou\er bon que nos traitez de paix et
Capitulations qui sont de longue mémoire entre nostre
Empire et celuy de son Seigneur fussent renouvellées
et jurées de nostre Hautesse : sous cette considération,
et pour l'inclination que nous avons à la conservation
d'icelle ancienne amitié, avons commandé que cette
Capitulation soit escrite de la teneur qui s'ensuit :
I. Que les Ambassadeurs qui seront envoyez de la
part de Sa Majesté à nostre Porte, les marchans ses
subjects qui vont et viennent par iceux havres, les
Consuls qui sont nommez d'elle pour résider à nos
havres et autres lieux de nostre Empire, et ses Inter-
prètes ne soient inquiétez en quelque façon que ce soit :
mais, au contraire, receus et honorez avec tout le soin
qui se doit à la foy publique.
II. Voulons de plus qu'outre l'observation de cette
nostre Capitulation, que celle qui fut donnée et accordée
de nostre dei'unct père l'Empereur Mahomet, heureux
en sa vie et martyre en sa mort, soit in\iolablcnK'iit
accordée, et de bonne foy.
4iH .MfMOIlM. SI R I 'VMFÎ ASSADK DF. TLRQIIF..
III. Ont- les Vcniticns cl Anglais en la leur, les
espagnols, Portugais, Catalans, Ragousins, Genevois,
Napolitains, Florentins, cl généralement loulcs autres
nations, telles qu'elles soient, puissent librement venir
tralicjuer par nos pays sous l'advcu et scureté de la
bannière de France, laquelle ils porteront comme
leur sauvegarde; et, de cette façon, ils pourront aller et
\enir trafiquer par les lieux de nostre Empire, comme
ils y sont venus d'ancienneté, obéyssans aux Consuls
François, qui demeurent et résident en nos havres et
cstapes; voulons et entendons qu'en usant ainsi, ils puis-
sent irafujue'r a\ec leuis Aaisseaux et galions sans estre
incjuietez, seulement tant que ledit Empereur de France
conservera nostre amitié, et ne contreviendra à celle
qu'il nous a promise.
IV. Voulons et commandons aussi que les subjects
dudii Empereur de France et ceux des Princes ses amis
alliez, puissent visiter les saincts lieux de Hierusalem
sans qu'il leur soit mis ou donné aucun empeschement,
ny faict tort.
V. De plus , pour l'honneur et amitié d'iceluy
Empereur, nous voulons que les Religieux qui demeu-
rent en Hierusalem et servent l'Eglise ^ de Comame y
puissent demeurer, aller et venir sans aucun trouble et
empêchement, ains soient bien receus, protégez, aydez,
et secourus en la considération susdite.
I. Kllissiaï kyâmcli ^ l'Eglise de la Résurrection ou du
Saint- Sépulcre. Les Turcs ont substitué au mot Kyâmèh (résur-
rection) celui de koumàmèh (ordures, immondices").
APPENDICE. 419
VI. Derechef, nous voulons et commandons que les
Vénitiens et Anglois en cela, et toutes les autres nations
aliénées de l'amitié de nostre grande Porte, lesquelles
n'y tiennent Ambassadeur, voulans traiiquer par nos
pays, ayent à y venir sous la bannière et protection de
France, sans que l'Ambassadeur d'Angleterre, ou autres
ayent à les empescher sous couleur que cette capitula-
tion a esté insérée dans les capitulations données de nos
pères après avoir esté escrites.
VII. Ordonnons et voulons que tous commandemens
qui se sont donnez ou qui se pourroient donner par
mesgarde contre cet article susdit, ne soient observez,
ains que cette capitulation le soit inviolablement.
VIII. Qu'il soit permis aux marchans François, en
considération de la bonne et parfaite amitié que leur
Prince conserve avec nostre Porte, d'enlever des cuirs,
cordouans, cires, cottons, cottons filez, jaçoit (bien que)
qu'ils soient marchandise prohibée et défendue d'en-
lever : ratifians la permission que nostre bisayeul Sultan
Selim et nostre défunct Père Sultan Mahomet en ont
donné.
IX. Nous voulons aussi que ce qui est porté par
cette nostre capitulation, pour la seureté des François,
soit dit et entendu en faveur dès nations estrangères qui
viennent par nos pays, estats et seigneuries sous la ban-
nière de France, laquelle bannière elles porteront et
arboreront pour leur seureté, et marque de leur protec-
tion, comme dit est cy dessus.
X. Que les monnoyes qu'ils apportent par les lieux
42() .MF. MDIIU, SLH [•AMmSS\OK F) I. Tf H Q U I F.
de noslrc Empire, ne puissent estre prises de nos thré-
soriers, sous prétexte et couleur de les \ouloir con\ertir
en monnoye ottliomane, ny moins \oiilons qu'il s'en
})uisse prétendre aucun droict.
XI. Et parce qu'aucuns subjecls de la France navi-
gent sur vaisseaux appartenans à nos ennemis, y char-
gent de leurs marchandises, estans rencontrez sont iaicts
le plus souvent eschucs el leur marchandise prise :
Nous commandons et voulons que, d'icy en avant, ils ne
puissent de semblable fac-on estre pris, ny leurs facultez
confisquées, s'ils ne sont trouvez sur vaisseaux de course :
Voulons et commandons que ceux qui l'ont esté, soient
faits libres et leur marchandise restituée sans aucune
réplique,
XII. Défendons que les vaisseaux François, qui
seront rencontrez chargez de victuailles prises es pays
et seigneuries de nos ennemis puissent estre retenus et
confisquez, ny leurs marchans et mariniers faicts
esclaves.
XIII. Défendons qu'aux François qui se trouveront
sur ^ aisseaux de nos subjects pris, portans des vivres à
nos ennemis, encores que nos dits subjects et vassaux en
soient en peine, il ne leur soit ce neantmoins faict et
donne aucune fascheric, ains soient relaschez et mis en
liberté, sans aucune punition.
XIV. Détendons que les vaisseaux François, mar-
chans et mariniers qui se trouveront chargez de blé
acheté de nosdits subjects, puissent estre faicts esclaves
el leurs vaisseaux confisquez, encore que ce soit chose
APPENDICE. 42T
prohibée; mais bien le blé. Voulons et comman-
dons que ceux qui se trouveront par nostre Empire
esclaves de cette façon soient faits libres, et leurs
vaisseaux restituez.
XV. Que les marchandises qui seront chargées en
nos mers sur vaisseaux François, appartenans aux enne-
mis de nostre Porte ne puissent estre prises sous couleur
qu'elles sont de nosdits ennemis, puis qu'ainsi est nostre
vouloir.
XVI. Que les marchandises qui seront apportées
des marchans François en nos eschelles, havres et ports,
ou celles qu'ils auront enlevées d'iceux, ne puissent
payer autre commerce, ny estre estimées à plus haut
prix que'Celuy de Tancienne coustume.
XVII. Nous voulons et commandons que les mar-
chans François et leurs vaisseaux qui viennent par nos
ports et havres, ne soient obligez de payer autre droict
que celuy des marchandises qu'ils débarqueront, et
puissent les aller vendre en quelle eschelle qu'ils vou-
dront et où bon leur semblera, sans aucun empesche-
ment.
XVIII. Que lesdits François soient exempts de
l'imposition de l'ayde des chairs.
XIX. Qu'ils ne soient recherchez de payer celui des
cuirs.
XX. Ny aussi celuy des buffles.
XXI. Qu'ils soient aussi exempts de payer aucune
chose aux gardes de nos ports et péages.
XXII. Qu à la sortie de leurs vaisseaux ils ne puis-
422 Ml. MO lin, SLK l'AMinSSADI l)K TLROLIK.
sent cstrc lorccz ck- payer plus âv trois csciis sous le
nom de bon cl liein\ux voyage.
XXIII. Et d'autant rpie les coursaires de Barbarie
allans par les ports et ha\res de la France, sont cares-
sez, secourus et aydez à leur besoin, comme de poudre,
plomb, et autres choses nécessaires à leur navigation; et
que, neantmoins, ils ne laissent, trouvans les vaisseaux
François à leur avantage, de les piller et saccager, en
faisant les personnes esclaves contre nostre vouloir et
celuy du defunct Empereur Mahomet, nostre Père,
lequel pour faire cesser les violences et prédations, avoit
diverses fois envoyé ses puissances, ordres, et comman-
demens, et commandé par iceux de mettre en liberté
les François détenus et restituer leurs facuHez, sans
que pour cela ils ayent discontinué leurs actes d'hosti-
lité : Nous, pour y remédier, voulons et commandons
avec cette nostre Capitulation Impériale, que les Fran-
çois pris contre la foy publique, soient faits libres et
leurs facultez restituées. Desclarons, qu'en cas que Ics-
dits coursaires continuent leurs brigandages, qu'au pre-
mier ressentiment qui nous en sera faict de l'Empereur
de France, les vice-Roys et Gouverneurs du pays de
l'obéyssance desquels les voleurs et coursaires dépen-
dront, seront obligez de payer les dommages et pertes
qu'auront faict les François et seront pri\ez de leurs
charges, promettant de donner croyance et adjouster
foy aux lettres qui nous en seront envoyées dudit
Empereur.
XXIV. Nous nous contentons aussi , si les cour-
APPENDICE. 423
saires d'Alger et Thunis n'observent ce qui est porté par
cette nostre Capitulation, que l'Empereur de France les
face courir pour les chastier et les pri\e de ses ports.
Déclarons de n'abandonner pour cela l'amitié qui est
entre nos-Majestez Impériales : Approuvons et contir-
mons les commandemens qui en ont esté donnez de
nostre défunct Père à ce sujet.
XXV. Voulons et commandons que les François
nommez et advouëz de leur Prince puissent venir pes-
clier du corail et poisson au golplie de Stora Courcouri
dépendant d'Alger, et par tous les autres lieux de nos
costes de Barbarie, et en particulier sur les lieux de la
juridiction de nos Royaumes d'Alger et de Thunis, sans
qu'il leur soit donné aucun trouble et empeschement,
coniirmans tous les commandemens qui en ont esté
donnez de nos Ayeuls, et singulièrement de nostre
defunct père pour cette pescheric, sans estre assubjectis
à aucune cognoissance que celle qui est iaitte d'an-
cienneté.
XXVI. Que les interprètes qui servent les Ambas-
sadeurs diceluy Empereur soient libres de payer tailles,
aydes des chairs, et toutes autres sortes de droicts quels
qu'ils soient.
XXVII. Que les marchans François et ceux qui
trafiquent sous leur bannière, ayent à payer les droicts
de l'Ambassadeur et Consuls sans aucune difficulté.
XXVIII. Que nos sul:)jecls qui tratiqueni es lieux
de nos ennemis soient ol)ligez de payer les droicts
de l'Ambassadeur et Consuls François sans contra-
424 M f: M O I H K SLK I \ M li \ ss \ I) i: I) K PL H (^) L' I K
tliciioii jac'oii qu'ils lr;i.ll'|urnl a\cc kiirs vaisseaux ou
autrement.
XXIX. Que survenant quelque meurtre ou autre
inconvénient des marchans Franç^ois et négocians, les
Aml)assadeurs et Consuls d'icelle nation puissent selon
leurs loix et coustumes en faire justice, sans qu'aucuns
de nos Ollkiers en prennent cognoissance et s'en
empeschent.
XXX. Que les Consuls François qui sont establis
par les lieux de nostre Empire pour prendre soin du
repos et seuretc d'iceux tratiquans, ne puissent, pour
quelque raison que ce soit, estre faits prisonniers ny
leurs maisons serrées et huilées : ains, commandons
que ceux qui auront prétension conlr'eux soient ren-
voyez à nostre Porte, où il leur sera faict justice.
XXXI. Que les commandemens qui sont donnez ou
pourront estre donnez contre celte nostre promesse et capi-
tulation, ne soient valables ni observez en aucune façon.
XXXII. Et pour autant qu'iceluy Empereur de
France, est de tous les Roys le plus noble et de la plus
haute famille, et le plus parfait amy que nos Ayeuls
ayent acquis entre lesdits Roys et Princes de la créance
de Jesus-Christ, comme il nous a témoigne par les
effets de sa saincte amitié : sous ces considérations, nous
voulons et commandons que ses Ambassadeurs qui
résident à nostre heureuse Porte ayent la préséance sur
l'Ambassadeur d'Espagne et sur ceux des Roys et
Princes, soit en nostre Di\an ])ublic ou autres lieux où
ils se pourront rencontrer.
APPENDICE. 425
XXXIII. Que les étoffes que les Ambassadeurs
d'iceluy Empereur résidans en nostre Porte feront
venir pour leur usage à présent, ne soient obligées de
payer aucuns droicts de commerce.
XXXIV. Que lesdits Ambassadeurs ne payent
aucuns droicts de leurs victuailles, soit pour leur boire,
soit pour leur manger.
XXXV. Que les Consuls François jouissent de ces
mesmes privilèges où ils résideront, et qu'il leur soit
donné la mesme préséance sur tous les autres consuls de
quelque nation qu'ils soient.
XXXVI. Que les François qui viennent avec leurs
vaisseaux et marchandises par les échelles, havres et
ports de nos seigneuries et pays, y puissent venir seure-
ment sur la foy publique, et, en cas que la fortune et
orage jettat aucuns de leurs vaisseaux aux lieux cir-
convoisins, Nous commandons très-expressément aux
capitaines d'iceux de les secourir, portans honneur et
respect aux Patrons et Capitaines d'iceux vaisseaux
François, les faisans pourvoir avec leur argent de ce qui
leur sera nécessaire pour leur vie et besoin.
XXXVII. Et en cas qu'aucuns desdits vaisseaux fa-
cent naufrage. Nous voulons que tout ce qui se retrou-
vera, soit remis au pouvoir des marchans à qui les
facultez appartiendront, sans que nos Vice-Roys, Gou-
verneurs, Juges et autres Officiers y contrarient : ains
roulons qu'ils les secourent à leur besoin, leur permet-
tant qu'ils puissent aller, venir, retourner et séjourner
par tout nostre Empire, sans qu'il leur soit donné
426 MKMOFIU-: SU» F'A M B A SS \ I) I. 131. TUROLIK.
aucun c'in|")csclu'i"n{nt, s'ils ne commellcnl cliosc contre
riionncstttc et la Toy publique.
XXXVIII. Nous ordonnons et commandons aussi
aux Capitaines de nos mers, et leurs Lieutenans, et à
tous ceux qui dépendent de nostrc obcyssancc, de ne
violenter, ny par mer, ny par terre les dits marchans
François, ny moins les cstrangers qui viennent sur la
seurelé de leur bannière : voulons toutesfois qu'ils
ayent à payer les droicts ordinaires de nos échelles.
XXXIX. Qu'iccux marchans ne puissent cstre con-
traincts d'acheter autres marchandises que celles qu'ils
voudront et leur seront duisibles.
XL. En cas qu'aucun d'eux se trouve redevable, la
debte ne puisse estrc demandée qu'au redevable ou à
celuy qui se sera rendu pleige pour luy.
XLI. Et en cas qu'aucun d'iceux marchans ou
autres d'icelle nation meurent par nos pays, que les
facultez qui leur seront trouvées, soient remises au
pouvoir de celuy qu'il aura nommé pour exécuteur de
son testament, pour en tenir compte à ses héritiers :
mais s'il arrive qu'il meure sans tester, que les Ambas-
sadeurs ou Consuls qui seront par nos échelles, se sai-
sissent de leurs facultez pour les envoyer aux héritiers ,
comme il est raisonnable, sans que nos Gouverneurs ,
Juges et autres qui dépendent de nostre obeyssance,
puissent s'en empêcher.
XLII. Que les François, Consuls, ou interprètes, ou
ceux des lieux qui dépendent d'eux, ayent en leurs
ventes, achapts, pleigeries, et tous autres points, d en
APPENDICE. 427
passer acte devant le Juge ou Cadi des lieux où ils se
trouveront, au défaut de quoy, Nous voulons et com-
mandons que ceux qui auront quelque prétension con-
tr'eux, ne soient escoutez ni receus en leurs demandes,
s'ils ne font apparoir par contract public leur prétension
et droict. Voulons que les tesmoins qui seront produicts
contr'eux et à leur dommage, ne soient receus et escou-
tez que premièrement ils n'ayent suivy acte public de
leurs ventes, achapts, ou pleigeries.
XLIII. Qu'estant dressée quelque embuscade contre
les marchans ou autres d'iceîle nation, les accusans
d'injurié ou blasphème contre nostre saincte Religion
produisant de faux tesmoins pour les travailler, nous
ordonnons, qu'en semblables occasions, nos Gouver-
neurs et Juges ayent à se porter prudemment, empes-
chans que les choses ne passent plus avant, et qu'iceux
François ne soient aucunement molestez.
XLIV, Si aucun d'eux se trouve redevable, ou ayant
commis quelque mauvais acte, s'absente et fuit, nous
voulons et commandons que les autres dicelle nation
ne puissent estre responsables pour luy, s'ils ne sont
obligez par contract public.
XLV. Que se trouvant par nostre Empire des
esclaves François recogneus pour tels des Ambassadeurs
et Consuls, ceux au pouvoir desquels ils se trouveront,
faisans refus de les délivrer soient obligez de les enme-
ner, pu les envoyer à nostre Porte, atin qu'il soit faict
justice à qui il ap})artiendra.
XLVI. Qu'à aucun changement et establissement
42S M F. M f ) I n l. SIW r \ M IM S S W ) I . I) I . T U R Q U I K.
des Consuls François en nos cschcUcs d'Alexandrie, de
Tripoli de Syrie, d'Alger et autres pays de nostre obeys-
sancc , nos Gouverneurs et autr.'S ne s'y puissent
opposer.
Xl.VII. Si aucun de nos subjccts a différent avec
un François, la justice ayant deu prendre cognoissance.
Nous voulons que le Juge ne puisse escouterla demande
(|u'un interprète de la nation ne soit présent : et, si pf)ur
lors, il ne se trouve aucun interprète pour cognoistre et
défendre la cause du François, que le juge remette la
cause à un autre temps, jusques à ce que l'interprète se
trouve : toutesfois qu'iceluy François soit obligé de
trouver l'interprète, afin que l'eflecl de la justice ne soit
différé.
XLVIIl. S'il naist quelque dispute ou différent
entre deux François, que l'Ambassadeur ou les Consuls
ayent de terminer ledit différent sans que nos officiers
s'en empêchent.
XLIX. Que les vaisseaux François qui auront faict
leur charge à Constantinople, ne soient recherchez en
autre part, qu'au sortir qu'ils feront des Dardanelles :
défendons qu'ils ne soient forcez de le faire à Gallipoli,
comme ils ont été recherchez par le passé.
L. Que les galères, vaisseaux, et armées navales
appartenans à nostre Hautesse se rencontrans avec ceux
de France, que les capitaines d'une part et d'autre,
ayent de s'aider et servir sans se procurer les uns les
autres aucun dommage.
LI. Que tout ce qui est porté par les capitula-
APPENDICE. 429
tions accordées aux Vénitiens soit valable et accordé
aux François.
LU. Que les marclians François, leurs facultez et
vaisseaux \enans pariny nos mers et terres de nostre
Empire, y soient en toute seureté, protégez, défendus et
caressez, conforme au devoir qui se doit à la foy
publique. Ordonnons qu'ils puissent y venir, aller,
retourner et séjourner sans aucune contrainte, et si
quelqu'un est volé, qu'il se face une recherche très
exacte pour le recouvrement de sa perte et du chasti-
ment de celuy qui aura commis le méfait.
LUI. Que les zA.dmiraux de nos armées navales, nos
Vice-Roys, Gouverneurs de nos provinces. Juges, Capi-
taines, Chastelains, Daciers et autres qui dépendent de
nostre obeyssance, ayent de se rendre soigneux d'obser-
ver ce mesme traitté de paix et capitulation, puis-
qu'ainsi est nostre plaisir et commandement.
LIV. Déclarons que ceux qui contreviendront et
contrarieront à cettuy-ci nostre vouloir, seront tenus
pour rebelles, desobeyssans, et perturbateurs du repos
public, et pour ce condamnez à un grief chastiment,
estans appréhendez sans aucun delay, qu'ils servent
d'exemple à ceux qui auront en\ ic de les imiter à mal
faire. Et outre la promesse que nous faisons de cette
nostre capitulation, nous entendons que celles qui ont
esté données de nostre bisayeul Sultan Solyman et con-
seculi\'ement celles qui ont esté en\oyces de temps en
temps de nos Ayeuls et Percs (à qui Dieu face miséri-
corde; soient observées de bonne foy.
4^o M r-.MOlKK SI H l'\Mli\SS\I)l I) I . TU II g T i K.
LV. Nous promettons et jurons par la vcritc du
grand Tout-puissant Dieu, Créateur du ciel et de la
terre, et par l'àme de mes Ayeuls et Bisayeuls, de ne
contrarier, ni contrevenir à ce qui est porté par ce
Traittc de paix et Capitulation, tant que l'Rmpereurdc
France sera constant et ferme en la considération de
nostre amitié, acceptant des à présent la sienne, avec
volonté d'en faire cas et de la chérir, car ainsi est
nostre intenlion et promesse impériale.
Escript environ le 20 may 1604. *•
XL
Notes sur quelques articles
DU PRECEDENT TrAICTE.
Povr plus grande intelligence delà capitulation qu'a
le Roy auec le Grand Seigneur , il est nécessaire de
sçauoir les causes qui m'ont obligé d'y faire adjouster
I. Ces capitulations ont été publiées en 16 15 à Paris, en turc
et en français (Articles du traicté faict en iGo^entre Henri le Gr^nd. . .
et Sultan Amat... pur l'entremise de messire François Savary, Sei-
gneur de Breues. De l'imprimerie des langues orientales, arah'ique^
turquesque. etc.^ par E. Paulin). Le texte français a été donné par
Faret, à la suite de l'Histoire de Georges Cas tr lot. par J. de Lavar-
din (Paris, 1621), et se trouve encore dans la Relation des Voyages
de M. de Brèves (Paris, 1630). Nous avons suivi le texte de Faret,
en le complétant en quelques endroits d'après l'édition de 1615.
APPENDICE. 431
tout plein de nouueaux articles, lorsque ie la fis re-
nouueller, qui a esté durant les règnes des Empereurs
Amurat, Mehemet, et Amat.
Du viuant du feu Roy Henry troisiesme,les Anglais
n'auoient seureté en leur commerce dans le pays du
Turc, que celuy que la bannière et protection du Roy
leur donnoit. Ils voulurent agir d'eux mesme, et ne
plus auoir ceste obligation à la France : ils suppliè-
rent le sultan Amurat, qui regnoit pour lors, d'agréer
que leur Roy tint à sa Porte, vn Ambassadeur ordinaire,
luy iigurant vn grand auantage de leur trafic, et vne
gloire de leur soumission. L'Ambassadeur du Roy, qui
y estoit pour lors, nommé le sieur de Germiny, n"eut
pas assez d'industrie, pour empescher et rompre ce
coup : ainsi l'amitié desdits Anglois fut acceptée, et
leur ambassadeur introduit. Ils se sont conseruez cest
auantage, jusques à présent; et depuis s'estre establis,
ont soigneusement cherché les moyens de raualler
l'honneur de la bannière Françoise, faisant aggréer au
Grand Seigneur; que les nations estrangeres qui n'ont
point d'Ambassadeur à sa Porte, et qui ont liberté de
traffiqiier par ses pays, sous l'estendart de France,
peussent y venir sous la bannière angloise, et leur fust
loisible de recourir à leur protection. Cette grâce leur
fut accordée, au preiudice des traitez qu'a la France
auec eux. De mon temps, par le moyen de lintelli-
gence que j'auois avec les principaux ministres du
Grand Seigneur, ie fis révoquer tout ce qui auoit esté
concédé contre l'honneur de nostre estendart, comme
4^2 Mr,.NH)iin. SIR l 'A.MnASS \j)i; ni. riHonr.
il se verra par ks .j.. 5.^1 6. articles de la capitula-
tion.
Les Religieux qui demeurent à la garde du sainct
Sepulchre, et les Pèlerins qui le vont visiter, estoient
molestez par les luges et Gouucrncurs de Icrusalem,
pour en profiter : iay fait insérer dans les Traictez et
Capitulations cy-dessus, article 5. qu'ils ne le seront
plus à l'auenir, mais bien receus et protégez par les
luges et Gouuerneurs.
Il est défendu aux marchands qui trariquent par les
pays de ce grand Prince, de ne charger sur leurs
vaisseaux, ny cuirs, ny cires, ny cordouans, ny
cottons liiez, pour ne causer disette , ny cherté en
yceux. Nonobstant cesle défense, i'ay fait insérer dans
nos dites capitulations, article 8. qu'il leur sera per-
mis d'en achepter et cnleuer, en considération de lan-
cienne amitié de leur Prince. Geste grâce cause vn no-
table auantage aux traiiquans, pour l'utilité qu'ils en
peuuent retirer.
Anciennement les marchands François qui alloient
trafiquer par les pays du Leuant, au lieu d'y porter de
l'argent monnoyé, ils y conduisoient des draps et autres
sortes de marchandises, et payoient cinq pour cent, de
ce qu'ils y apportoient et vendoient : Pour s'exempter,
tant de ce droit, que pour l'avantage qu'ils trouuentsur
le prix de leurs monnoyes, qui est grand, que pour
n'estre sujets à vne longue demeure pour vendre leurs
marchandises, ils n'y en apportent plus, et font entiè-
rement leur négoce auec de l'argent comptant. Les fer-
I
APPENDICE. 433
miers des haures du Grand Seigneur se trouuans lezez,
les ont assujettis d'en payer vn certain droit. D autre
part, les officiers des monnoyes auoient pris vn vsage,
de conuertir au coin et marque de leur Prince, celles
qu'apportoient lesdils marchands, lesquels pour se
redimer, s'estoient soumis à en payer quelque droit.
Pour empescher ce désordre et dommage, j'ay fait or-
donner et commander par la susdicte capitulation, ar-
ticle 9, que les sujets de la France, qui apporteront de
la monnoye par lesdils pays, ne seront obligez d'en
payer aucun droict : ce qui a esté obserué durant
le séjour que j'ay fait en Leuant.
Et parce qu'il arriue que quelques sujets du Roy,
par commodité de passage, s'embarquent sur des vais-
seaux qui appartiennent aux ennemis du Grand Sei-
gneur, qui par rencontre sont pris par les Turcs, jay
fait ordonner par la capitulation, article 10, qu'ils ne
le soient pour laduenir, ny leurs marchandises rete-
niies, et que s'il s'en trouve de ceste façon faits esclaues,
qu'ils soient faits libres.
En la coste de Prouence, il y a vn nombre intiny de
vaisseaux, ceux qui en sont propriétaires les loiient à
tant le mois, ou à tant pour voyage; ainsi ils sont gui-
dez çà et là. Les Espagnols, Gcneuois, Napolitains, et
Siciliens, s'en seruent ordinairement pour le port de
leurs bleds, vins, et autres victuailles : s'ils sont ren-
contrez des galères du Turc, il sont pris et sont faits
esclaues : J'ay fait déclarer par nos Traittez, que dé-
sormais il ne sera licite de les inquiéter en leur trafic;
28
4}4 MIMCnin; SIR I '\MI} ASSADI, I)J, TLHgUIf..
Cl coiniîuiiKicr, s'il s'en trouuc d'csclaiics de ceslc fa-
çon, (ju'ils soient mis vn libcrtii.
Il se trouuc des iiiariiiiers François vagabonds, qui
se donnent au jireniier capitaine de vaisseau qui s'en
veut scruir, ou se louent a des Grecs, sujects du Grand
Seigneur, pour l'auantage quils ont à transporter les
bleds hors des pays de l'obeïssancc de leur Prince, pour
en faire tratîc aux lieux et terres de ses aduersaires : il
arriuc qu'ils sont reneonlrez par les galères qui seruent
pour la garde des mers de sa Hautcsse, sont pris el
chastiez, et leurs vaisseaux et ce qui est dedans, appli-
qués au bénéfice du Prince. Et par ce que cest vsagc
est dommageable aux sujects du Roy, de ceste condition :
l'ay fait ordonner, article 13 de ceste capitulation,
qu'ils ne seront faits esclaues, attendu que ce sont
panures gens, qui gaignent leur \ie de ceste façon, ou
qui sont passagers sur ces vaisseaux.
Il arriue aussi que les marchands François (conuiez
par ce mesme interesl) font charger leurs vaisseaux de
bled, pour le porter à Gennes, ou à Majorque, où or-
dinairement il est cher : pour cest effet, ils s'accordent
auec des Grecs, et mesmcs auec des Turcs, qui leur
vendent ce qu'ils en ont pour porter en Constantinople.
ou autre lieu de l'obéissance de l'Empire Ottoman ; et
lors qu'ils sont trouuez dans les pays du Grand Sei-
gneur, ainsi chargez de bled, ils sont faits esclaues, et
leurs vaisseaux confisquez, coinme contreuenans aux
reiglements faits pour ce regard. Pour àquoy remédier,
j'ay fait mettre en la susdite capitulation, article 14. que
APPENDICE. 435
ceux qui ont este pris de ceste façon, seront deliurez, et
que par cy après, ceux qui seront trouuez en semblable
delict, ne seront inquiétez en leurs personnes, ny leurs
vaisseaux confisquez; mais bien le bled qui se trou-
uera sur iceux, aiin que cela les oblige à s'en abstenir.
Les Corsaires de Barbarie ont accoustumé de con-
traindre les capitaines des vaisseaux François qu'ils
rencontrent en mer, d'auoUer que les marchandises
dont leurs vaisseaux sont chargez, sont et appar-
tiennent à leurs ennemis : iay aussi fait insérer dans
le Traicté, article 15, qu'encores qu'il fust véritable
que les dictes marchandises qui se trouveront, comme
dit est, dans les vaisseaux François, fussent et appar-
tinsent aux ennemis du Grand Seigneur, que nonobstant
il veut et commande qu'elles ne puissent estre prises.
Ce point est de très-grande conséquence, pourueu que
les Ambassadeurs du Roy, qui résident en Constan-
tinople, le facent religieusement obseruer : car sous ce
prétexte, il n'y a année que le négoce de Prouence ne
perde cinq ou six cens mil escus.
Le Grand Seigneur a d'ordinaire pour sa garde,
quarante mil Janissaires, ausquels il est obligé de faire
donner la liure de chair à vn pris bas ; et par ce qu'à
la grande quantité qu'il en faut à ce nombre d'hommes,
ceux qui ont le manimcnt de ses finances, pour eni-
pescher que ceste perte ne les incommode, ils la l'ont
supporter aux trafiquans : (ils nomment cesl impost,
l'aide des cjiairs). Pour en exempter les sujects du
Roy, i'ay aussi fait insérer dans le Traicté, article dix-
43^) Ml M() lin. SUK I \MIJ\sSAI)l. 1)1, TLHnilK.
Iiiiict, (|u'ilb en seront e.vcnipts, et ncii jxiycront ncn.
Jl y a aussi trois autres imposts, nomme/. Reft, Bascli.
et Siilaniellic, cjui se paseiil p;ir les nureliands (jui \eu-
Iciit enlever des cuirs de bulles, des cottons liiez, des
cuirs et autres marchandises semblables, qui sont dc-
lendues par l'article dix-huict : i'ay fait exempter de
cest impost les sujects de sa Majesté qui tratîqucnl de
ces marchandises.
Les marchands qui tratiquent par les haurcs, villes
et ports des pays (.\u Grand Seigneur, ayant fait leurs
achapts et charge leurs marchandises, comme ils sont
sur les termes de faire voile, et payé les droicts du
Grand Seigneur, les officiers de ses doiiannes les ran-
çonnent de deux ou trois cens cscus, sous le nom de bon
voyage : i'ay remédié à ce desordre par ce mesmc
article i8. ayant fait ordonner qu'ils ne se pren-
dra, sous ce prétexte, que trois escus de chacun
vaisseau.
Les Corsaires de Barbarie n'obscruent les Traictez et
Capitulations, qu'entant qu'il leur plaist . I'ay taict
consentir le Grand Seigneur, qu'il sera licite au Roy de
les priuer du bénéfice de ses ports, et leur faire courir
sus, comme contre des perturbateurs du repos public.
El par ce qu'après qu'iccux Corsaires ont volé le
sujects de la France ; comme l'Ambassadeur du Roy
en faict des plainctes et en demande raison , l'on le
renuoye à la luslice, laquelle ne peut condamner les
malfaicteurs, s'il n'y a des preuues tres-fbrtes , le té-
moignage des chrestiens n'est pas valable contre les
APPENDICE. 437
Mahometans, qui ne se veulent accuser les vns les
autres ; ainsi l'on ne peut auoir raison du mal-faict.
Pour à quoy remédier, i'ay faict insérer dans la dicte
capitulation, article 19, que les plainctes qui seront
faittes au nom du Roy, authorisées de ses lettres
Royales, suffiront, et y sera adjousté foy : et que les
Viceroys des lieux d'où les Corsaires seront partis ,
demeureront responsables en leur propre et priué nom,
de tous les dommages et priuez de leurs charges, pour
seruir d'exemple aux desobeissans.
Les Sujects du Roy font vn notable profit à la pesche
du corail, en la coste de Barbarie : ie leur ay fait per-
mettre par la dite Capitulation, article 21. qu'ils y
puissent continuer ladite pesche, mesmement en vn
golfe nommé Stora Courcouri.
Et par ce qu'il peut arriver entre les marchands, des
querelles et des meurtres, i'ay fait ordonner par l'ar-
ticle vingt- quatriesme que la Justice du Grand Seigneur
n'en prendra point de cognoissance, et que le iugement
et punition sera remis à l'Ambassadeur du Roy, ou à
ses Consuls, pour en vser selon leurs loix.
En considération du mauuais traittement que les
Consuls François qui résident par It haures et ports
du Grand Seigneur, reçoiuent soiiuent des Gou\er-
neurs des lieux de leur demeure, i'ay creu à propos de
faire éuoquer toutes leurs causes, deuant le tribunal
de iusticc ordinaire du Grand Seigneur, qui se tient
dans son Palais, par les luges et Presidens de sa milice,
en présence de son premier Bassa et de l'Ambassadeur
43» MfMOIKK SL'K l'AMFMSSADK DK TURgLIK.
du Roy : CM ccstc coiisidcratioii, ceux qui les veulent
molester, s'en retiennent.
l'ay aussi Kiit clechiier par ce Traicté, article vingt
sept, que les Ambassadeurs du Rf)v auront la préséance
sur ceux d'Espagne, et sur tous ceux des autres Princes
cl Roys qui se trouucront résider près de sa personne :
le mesme est ordonné en faneur des Consuls François.
Bien souuent, il arriue que quelques marchands
François Ibnt banqueroute de grandes sommes aux
sujects du Grand Seigneur, qui pour se récompenser de
telles pertes, s'en prennent aux autres marchands de la
nation, et leur veulent faire payer leur perte, comme
s'ils estoient obligez de ce faire, se seruants, pour cest
effet, de faux tesmoins. Pour à quoy remédier, il est
dit en l'article trente quatre, que s'il n'apparoist que
ces marchands ainsi poursuiuis, soient cautions par
contracts authentiques , qu'ils ne soient molestez, ny
tenus des debtes des fuïards. De mon temps, pendant
que i'estois en Constantinople, il y eut en Alep, quatre
Facteurs des marchands de Marseille, qui tirent ban-
queroute et emportèrent aux marchands Turcs et
Mores, trente ou quarante mil escus que l'on rît payer
aux François qui se trouuerent dans le pass : mais
linjure ny la perte ne leur en demeura pas, par ce que
i'eus assez de faueur et pouuoir pour leur faire rendre
le tout'.
I. Publié comme appendice a la Relation des voyages de M. de Brèves
faits en Hierusalem, etc. Paris. P. RocoUet, i6}o, in-^".
APPENDICE. 439
XII
LETTRES DE HENRI IV A M. DE BRÈVES
De Sainct Germain, du 8 may 1597.
Monsieur de Brèves, voz depesches du 14 et 28 jan-
vier, 13 et 28 febvrier et premier mars ausquelles j'ay
à respondre par cellecy, font particullicrement mention,
après les advis que vous me donnez de par delà, des
difficultez qui s'y sont rencontrez à vaincre et surmon-
ter l'instance qui a esté faicte par l'agent d'Angleterre
que au renouvellement des Cappitulations, il fust in-
séré que les nations estrangères n'eussent plus à recon-
gnoistre la bannière de France; en quoyvous vous estes
non seullement conduit selon mon intention, mais m'a-
vez faict service très agréable d'avoir opposé la vérité
des choses aux fausses propositions que ledit agent a
mis en a\ant, pour authoriser la poursuitte que je n'a-
vais d'acquis en ce royaume que ce que la Royne d'An-
gleterre m'avoit facilité avec l'assistance de ses armes.
Car tant s'en fault que cela soit comme je m'assure
aussy qu'elle ne voudroit pas advouer ledit agent en ce
propos, qu'au contraire la correspondance que j'ay eu
avec elle, elle pour cstre de diverse religion, a bien
sou\ ent tra\ersé et faict préjudice à mes affaires ; ce que
44" M I M O I H K S U K 1,' A M H A S S \ I) 1 , I) t 1 U R (,) L I K.
jf \()iis cly utiin (|ik- vous S(^uchic/. les impostures des
miiiislrcs el non peur en publier ;iiicime eliosi- j)ar delà ;
j'ay aiissy esté tres-aise «pie \(nis a\e/. gaignc ce poincl
sur l'opiniastrelc du grand Chancellier et du premier
secrétaire d'Eslat de ce Seigneur, que ce qu a\ez désiré
estre adjoinct ausdites Cappitulations y ail esté inséré,
car je S(^a)- qu'en ceste Porte 1 a\arice et la corruption
emportent biensou\ent la raison; et parce que lesjirinci-
paux poinctz de vos dictes depesches se terminent en
ces deux poinct/, je n'auray autre chose mander sur
iceux et attandu que le renou\ellement des CapituUa-
tions que vous me promettez de m'envoyer bien tost. ne
me pouvant assez émerveiller du procedder ou plustost
de l'imprudence dudit agent d'Angleterre qui voulloit
ranger les nations estrangeres sous la bannière angloise,
seullement depuis trois jours en l'empire d'Orient et
authoriser par delà la conhrmation d'une longue cor-
respondance entre mes prédécesseurs et ceux de ce Sei-
gneur ; et cependant je \ous diray que j'ay ache\é la
diette que j'estois venu faire en ce lieu pour faire pro-
vision de santé, de manière que je me trouve très bien,
Dieu mercy, en intention de me rendre dans huict
jours pour aller en mon armée, sur l 'ad vis qui m'a esté
donné que le cardinal d'Austriche se doibt trouver a la
frontière d'Artois, le 15" de ce mois, pour essayer de
desgaiger ma ville d'Amiens qui est grandement incom-
modée et aux environs de laquelle j'ai tousjours tenu
une armée pour empescher qu'il entrast du secours; et
vous asseurez que j'ay sy grande envie d'atfronter mon
APPENDICE. 44^
ennemy et me revancher de ce qu'il a faict en la sur-
prise de la dicte ville que j'y serois dcsjà sy je nestois
allé à Paris, pour trois ou quatre jours, pour facilliter le
recouvrement de l'argent qui est nécessaire pour le
payement de ma dicte armée, avec laquelle j'espère
entreprendre quelque faict d'importance duquel vous
serez adverty; vous priant aussy continuer à me faire
sçavoir ce que vous apprendrez de la délibération de ce
Seigneur pour la guerre d'Ongrie et s'il persistera au
désir quil monstre d'y voulloir passer en personne,
comme de toutes autres occurances, priant Dieu, Mon-
sieur de Brèves, etc.
Fontainebleau, du 4""^ aoust 160^.
Monsieur de Brèves, vous m'a\ez faict service4rès
agréable d'avoir faict renouveller et augmenter noz
Capitullations avec ce Seigneur ainsy que vous m"a\ez
escript par vostre lettre du 5 juing que j'ay reçue le
28^ de juillet et ay veu par les articles d'icelles dont
m'avez envoyé ung double; mesmes m'ont esté très
agréables celuy de la seureté du Saint Sépulchre et
l'autre du désadveu des corsaires d'Algier et suis content
ainsy que vous ay escript que \'ous \isittiez les Saints
Lieux en revenant, affin que vous donniez ordre c[ue les
pellerins et relligieux qui y habitent et abordent jouis-
sent par effect de la grâce et protection que vous a\ez
obtenue pour eux à ma réquisition et contemplacion.
Vous avez sceu aussi, par mes dernières, combien il est
nécessaire de réprimer et chasiier l'audace des corsaireî
442 MF-MOIIU-. SLR l'\MM\SSAI)J F)} TLR(^LIK.
d'Algicr, lesquels conlrc lu Noulioir du bassa dudict pais
ont rom|iu les conclusions nccordées par les prédéces-
seurs de ce Seigneur ;iu\ niitns. d'une jiossesbion el
jouissance paisible de plus de soixante et tant d'années,
et, sans raison et subject quelconque, ont desmoly le bas-
tion de France, pillé et saccagé tout ce qui estoit enicel-
luy appartenant au cappitainc dudict lieu, mon subject
ser\iteur et par telle insolence et action, ofîéncc telle-
ment madignitcen l"amil\éque j'aya\ecla maison Otto-
mane que, sy ce Seigneur ne m'en fliict raison et reppa-
ration telle qu'il con\icnt, je \ eux que vous luy déclariez
et à ses ministres, que je nobtiendray rien à faire pour
la prendre entière et telle que mon honneur m'oblige
de la reclierclier.
Le baron de Salignac sera chargé par son instruc-
tion de leur en parler vifvement et comme de chose
que j'ay très à cœur. Toutefibis d'aultant quil est
encore icy et qu'il demeurera long temps en chemin ^
entreprenez ceste poursuite et me faictes encore ce service
d'a\ant que de partir, l'adjoustant à ceux que aous m'a-
vez faict depuis que vous en estes chargé par delà et je
le recognoistray à vostre retour selon qu'ilz méritent.
Jauray aussy bon esgard aux advances que vous
m'avez représentées par Aostre susdicte lettre avoir faict
pour mon service, et désire que vous continuiez à m ad-
vertir du progrez des guerres d'Hongrie et de Perse
comme des révolutions de l'Asye, et de toutes autres
occurences, jusques à ce que ledict sieur de Salignac
soit arrivé par delà, lequel sera chargé de rendre grâces à
APPENDICE. 443
ce Seigneur de Toctroy des dictes Cappitulations comme
den demander l'observation et exécution, à faulte de
ce, faire les protestations et déclarations requises à ma
dignité et au bien de mes subjectz, lesquelz doibvent
s'abstenir d'aller trafficquer en son Empire, comme je
dois faire de demeurer chargé par les autres princes de
la chrétienté de l'amityé et alliance de sa Hautesse, s'il
faut que lesdictes Capitullations continuent d'estre vio-
lées par l'avarice et désobéissance de ses esclaves et
officiers ainsy que vous remonstrez, en attendant la
venue dudict Salignac auquel j'ay commandé de partir
et se rendre par delà au plus tost. Au reste vous sçaurez
que le Roy d'Angleterre a traictceluy d'Espagne, et que
ce dernier a faict ce qu'il peut pour se descharger de
toutes sortes de despences et querelles en la chré-
tienté, pour pouvoir mieux et plus fortement entre-
prendre et s'accroistre contre ce Seigneur, sur les occu-
rences qui s'en présenteront, chose qui luy scroit facille
s'il n'estoit rellevé de la craincte des armes et de la
prospérité de mon royaume, ce que vous ferez valloir
par delà autant que vous jugerez estre bien scéant et
utile de le faire. Les peuples d'Hollande et Zélande
continuent à faire la guerre courageusement audict Roy
d'Espagne, ayant assailly les archiducz de Flandres
dedans leurs pais, où ilz ont naguères assiégé une place
très importante pour prendre revanche de celle d'Hos-
tande, qu'ilz ont defFandue trois ans entiers et gardent
encore contre la puissance desdicts princes. Je prie Dieu,
monsieur de Brèves, etc.
444 MF.MOIHK SLK I A M l{ A SS A I) l. UI. 1" L I', o L 1 I.
XIII.
LeTTRK 1)1' RoV AU GRAND S K I G N K U R .
Trcs-Haiit, trcs-Excellent, trcs-Piiissant, ires-Ma-
gnanime et hnincible Prince, le grand l.mpereur des
Musulmans Sultan Mkhemf.t, en qui tout honneur
et \'ertu abonde, nostre trcs-cher et parfait amy.
La rcponfc que nous avons faite le 24. C-'^lvril dcr-
7iicr à la lettre qu'elle nous avait écrite au niois de
Juin de l'année précédente^ laquelle nous avons niife
entre les mains de vojîre ferviteur Soliman Q-iga, dont
le retour foit heureux, aura informé voJlre Hautcjfe
de nos bonnes intentions, tant fur le fujet de la venue
dudit <yiga dans nojlre Cour Impériale /gloire du
monde, et ajfuré refuge et proteâion de tous les Rois
et Potentats qui recourent à fon puiJJ'ant et clouent
appuy) que pour le maintien inviolable de l'union tt
étroite amitié entre nos Impériales Perfonnes, et leurs
vajîes Empires que Dieu, Q/luteur de tout bien, a foihnis
à nojlre obéi [fance . Et d'autant que rappellant auprès
de Nous, pour les confiderations qui font marquées
dans ladite réponfe. le Sieur de la Haj'c Vantelet .
nojtre Q/lmbaffadeur ordinaire à la célèbre Porte, pour
V employer icy en d'autres emplois honorables. Nous
APPENDICE. 445
avons pris, en me/me temps, la rej'olution d'envoyer en
fa place un autre de nos Minijîres avec le me/me carac-
tère, fuivant le defir que vojlre Hauteffe nous a témoi-
gné par fa Lettre que J'on ferviteur Soljnnan Q/îga
nous a rendue'. Nous avons jette les yeux pour ce
fublime Emploi fur la Perfonne de no/lre très-cher et
féal Confeiller en tous nos Confeils et en nojlre Cour
de Parlement, le fieur de Nointel . Magijlrat de grande
vertu, mérite . probité el fuffifance., et en qui nous avons
toute confiance. Nous écrivons maintenant cette Lettre
à vofîre Hauteffe. afin de la requérir de confidérer et
traiter à l'avenir ledit Sieur de Nointel dans cette
qualité de no/lre (yîmbajfadeur ordinaire à ladite Porte.
chargé de toutes nos affaires et de celles de nos Su-
jets, et Nous nous promettons cependant de l'e-Jinitié
de vojlre Hautejfe qu'elle l'accueillera^ agréera, et lui
fera toute J'orte de bon traitement. lui donnant la
mej'me créance qu'elle pourroit donner à Nous mefme.
fur tout ce qu'il lui pourra reprefcnter au.x occafions
touchant les inlere/îs de nos Sujets, et nommémoit
pour faire ceffer les vexations et avanies que l'on a
exercé fi longtemps fur eu.x dans les Efchelles de
Levant, et ailleurs dans son vajle Empire, comme aujji
fur le renouvellement des anciennes capitulations, et
Nous nous remettons du furplus à la vive voix de
nojlredit (l4mbajfadeur. Sur ce Nous prions Dieu qu'il
augmente les jours de vojlre Hautejfe avec fin tres-
heureuj'e. Ecrit à faint Gei-niain en Laj'c le ii luil-
let ilijo.
44^) Mf.MOIRh. S LU I."AMHASSADK DK TURQUIE.
iMeMOIHI. DKS PRKT entions I) K MONSIEIR
l'Ambassade LR pour le r enoi- v i llemf nt
DES capitulations.
Monsieur 1 Ambassadeur employa ces trois jours de
festes à dresser ses mémoires, et à les faire mettre en
Turc ; ils contenoient les points qui cstoient demandez
dans le rcnou\ellement des capitulations, sçavoir :
Premièrement, qu'en considération de l'ancienne
amitié, et de ce que l'Empereur de France est le pro-
tecteur du Christianisme auprès de sa Hautesse,la Reli-
gion Chrcstienne sera toujours exercée dans les lieux
de l'Empire Othoman, où elle l'a esté jusques à pré-
sent.
Que les Evêques Chresliens Romains sujets du
grand Seigneur et autres, seront en la mesme considé-
ration maintenus et gardez dans leur dignité, et exer-
cice de leur Religion.
Que les Religieux Franchis et autres desser\ans
l'Eglise du saint Sepulchre et de saint Sauveur, et
autres Saints lieux, seront conservez dans la possession
et garde desdits Saints lieux, qu'ils gardent depuis
tant de siècles, sous la protection dudit Empereur de
France.
Que les lieux usurpez par les Grecs, et particulière-
ment la grotte où est né Jésus- Christ , et le Mont
de Calvaire, ensemble toutes les appartenances, leur
seront rendus.
APPENDICE. 447
Qu'il sera permis a tous les François, et autres, de
visiter lesdits Saints lieux, sans qu'il leur soit fait aucun
trouble ny empêchement.
Que defFenses seront faites aux Pachas, Gouver-
neurs, et autres Officiers, de molester lesdits Religieux
desservans lesdits Saints lieux, et que où il intervien-
droit quelque condamnation contre eux, l'appel qu'ils
interjetteront des Jugemens, en suspendra l'exécution,
jusqu'à temps qu'ils soient confirmez par la Porte.
Que les Capucins, Jesuittes, et autres Religieux
François, comme ayant esté admis dans l'Empire Otho-
man, à la considération de sa Majesté, y seront main-
tenus et conservez dans l'exercice de leur Religion, et
dans la permission d'enseigner les enfans Chrestiens.
Que l'Eglise de saint Georges de Galata, accordée
ausdits Capucins, sur la prière du défunt Empereur de
France, et qui a esté brûlée, sera rétablie, et que le
Juif qui en occupe une partie, sera tenu de l'aban-
donner.
Que ledit rétablissement fait, les Capucins y pour-
ront demeurer, et faire l'exercice de leur Religion
comme auparavannt.
Que ladite Eglise de saint Georges, ensemble celle
de saint Benoist, seront conservées aux Capucins, et aux
Jesuittes, qu'en cas de feu, ou autre accident, elles
pourront estre par eux reparées, afin que tant l'Ambas-
sadeur que les François ayent ces Églises pour faire
leurs prières.
Que les François estant dans les eschelles de l'Em-
44^ M r .\IOIin. SL |{ l'AMIMSSADK DKTURQLIK.
pire CJilionian, coiiiinc ;i SmiriK-, Alexandrie, et autres
lieux, y pounoni lliire libreiiunt I exercice de leur
Religion dans les l'.glises rju ils y ont eu jusques à pré-
sent, sans estre contraints de rien payer à ce sujet.
Que les François de Seyde ne payeront aucune
somme d argent |)oui" I l'-glise dans hujuelle ils lont
leurs prières, et que défenses seront faites auv Pachas,
et autres de rien prendre à ce sujet.
Que tous lesdits Religieux, en quelque endroit
qu'ils résident de l'Rmpire Othoman, seront exempts de
Carachc et de toutes les autres impositions publiques,
tant ordinaires qu'extraordinaires.
Que les Eglises prises dans l'isle de Cliio. sur les
Chrestiens Romains par les Grecs, leur seront rendues.
Qu'il sera permis de lire l'Evangile dans l'Hôpital
de saint Jean à Galata.
Que laCoiTipagnie du Commerce de Levant formée a
Paris, sous l'autorité de l'Empereur de France, ensemble
tous les Frant;ois negotians dans l'Empire Othoman,
estant recommandez à sa Hautesse par l'Empereur de
France, son plus ancien et puissant ami, sadite Hau-
tesse les prend en sa protection, et commande qu'ils
soient traitiez avec amitié et honneur, suivant qu'il est
contenu aux présentes capitulations.
Que les Nations estrangeres qui n'ont point d'Ambas-
sadeurs, Residans, ou Consuls à la Porte, seront tenues
de navijrersous la bannière de France, d'en reconnoistre
l'Ambassadeur et les Consuls, et de leur payer les
droits.
APPENDICE. 449
Que deffences seront faites aux Pachas et autres,
d'empêcher les Consuls François de jouir du Consulat
des Nations estrangeres.
Que le droit de cinq pour cent de Douane de toutes
les Marchandises, sera réduit à trois dans toutes les
Eschelles et autres lieux de lEmpire Othoman, même
en Egypte.
Que les François, et Eslrangers trahquans sous leur
bannière, ne seront tenus de payer un plus grand droit
que trois pour cent, pour toutes les marchandises qu'ils
apporteront, ou pour celles qu'ils voudront emporter.
Qu'après l'estimation faite au juste des marchan-
dises en piastres, il soit au choix des Marchands de
payer ledit droit de trois pour cent en marchandises ou
en argent.
Que le payement se faisant en argent, les Douaniers
seront tenus de recevoir toutes les monnoyes ayant
cours dans l'Empire.
Qu'il ne se payera aucun droit de Douanne des
soyes que l'on emporte sui\ant qu'il est accoutumé.
Qu'on ne payera rien non plus pour les Indiennes
et autres toilleries venans de Perse.
Qu'à ce sujet, il en sera donné des Tesquerets,
comme de la soye jiour les monstrer au Douanier en
les embarquant.
Que deffences seront faites aux Douaniers de taire
aucunevisite dans lesbastimensaprés leurdéchargement.
Qu'on ne payera le droit de Douanne pour les
mêmes marchandises qu une seule fois.
39
4JO MF.MOIRK SUR I.' A M IM ^S \ D I. DK TLRQUIE.
Que le Douanier (jui en aura receu le droit, sera
tenu de donner un TeSfjueret, afin qu elles puissent cstre
transportées dans les autres lieux de l'Empire, sans
payer d'autre droit.
Que les Pachas, et autres O/Ticiers, ne pourront
contraindre les François de prendre de la soye et autres
marchandises, qu il leur sera permis de prendre celles
qu ils \oudront, de bon aloy, et au prix ordinaire.
Que defl'ences seront faites aux Pachas et autres
Officiers, d'emprunter aucune somme d'argent des
François, n'estant pas possible d'en obtenir la restitution,
et qu'il leur soit defîendu de contraindre lesdits Fran-
çois de leur faire des presens.
Que les droits d'or et de garde de l'argent apporté
par les voiles, seront supprimez : et qu'à cet effet, def-
fences seront faites à tous Malen * ou Douanier, de se
saisir dudit argent, et aux Pachas, de rien exiger à ce
sujet.
Qu'il sera defFendu à tous les Officiers de la Porte,
d'empêcher ou retarder les départs des vaisseaux Fran-
çois sous tel prétexte que ce puisse estre.
Qu'on ne prendra aucun droit d'ancrage que celuy
qui sera convenu.
Que les vaisseaux ne seront plus tenus de prendre
des commandemens de la Porte pour leur départ^ et que
l'on les laissera passer aux Châteaux sur le tesqueret du
Douanier.
ï. Moallem, employés de la douane.
APPENDICE. 451
Qu'il sera permis aux Capitaines d'emporter les pro-
visions nécessaires à leurs vaisseaux, personnes et équi-
pages pour leur argent, sans qu'on les puisse empêcher
de s'en pourvoir, ny qu'il leur soit besoin pour cela
d'aucune autre permission, que celle contenue au pré-
sent article.
Que defFences seront faites à tous Capitaines de mer,
leurs Lieutenans, et autres Officiers, de rien exiger des
Capitaines, sous quelque prétexte que ce puisse estre,
de présent ou autrement.
Que les Consuls seront traittez en la manière portée
par les anciennes capitulations, que les Pachas seront
tenus de leur bailler Audiance à l'ordinaire, sans les
renvoyer à leur kehaias ; que leurs maisons ne pourront
estre scellées ny bullées, quelques prétentions qu'on
aye contre eux ; qu'elles seront portées à la Porte, sans
que les Pachas et Cadis s'en puissent mesler, à peine
de nullité de leurs jugemens, qu'ils ne seront point
troublez dans la presceance sur tous les Consuls, et qu'il
sera enjoint aux Pachas et Gouverneurs de les y main-
tenir ; que les provisions qu'ils feront venir pour leur
nourriture et celle de leurs maisons seront exemptes
de tous droits.
Que pour la dette ou forfait d'un particulier Consul,
Marchand ou autre, on ne pourra contraindre que les
cautions établies par écrit, ou par contract passé parde-
vant personnes publiques.
Que les Ambassadeurs et Consuls jugeront les diffé-
rends tant civils que criminels qui sur\iendront entre
452 MÉMOIRK SUR L'A M H \ *^S \ DK DF. TURQUIK.
la Nation Françoise, sans que les Pachas ny autres s'en
puissent mêler en aucune fac^on rjue ce soit.
Que les ^'ran(^ois, et autres qui sont sous la protec-
tion de France, mariez et non mariez, leurs enfans et
serviteurs seront exempts de Carache, et de toutes les
autres impositions que payent les sujets du grand Sei-
gneur.
Qu'aucun vaisseau François ny mariniers ne pour-
ront estre contraints ny obligez d'aller pour le service
du trésor, ny d'aucuns Officiers ou sujets du grand Sei-
gneur, et qu'en cas que de leur bon gré ils y consen-
tissent, s'il arri\()it que les ^■aisscaux et mariniers
vinssent à se perdre, à estre pris par les Corsaires, ou
ceux de l'équipage à faire quelque chose de mal à pro-
pos, que l'Ambassadeur de France, les Consuls, et
Marchands François n'en seront point responsables en
quelque façon que ce puisse estre.
Que tous les Pachas, Cadis, Douaniers, et autres
Officiers du grand Seigneur recevront et seront tenus
d'exécuter et de faire exécuter les commandemens, qui
seront donnez par la Porte en faveur des François, et
de ceux qui trafiqueront, et negotieront sous la Bannière
de France.
Qu'il sera permis aux François d'appeler des juge-
mens des Pachas, Cadis, et autres à la Porte, et que
ledit appel suspendra toute condamnation, jusques à
tant qu'il en ait esté autrement ordonné par la Porte.
Que les François pourront negotier dans l'Empire
Othoman, et porter des marchandises de port en port
APPENDICE. 453
de telle manière qu'il leur plaira, pour les vendre aux
sujets du grand Seigneur ou à tel autre qui leur con-
viendra.
Que les Agas et Pachas seront 'tenus de changer
les Janissaires des Consuls, lorsqu'ils leur en demande-
ront d'autres.
Que nul commandement ne pourra estre exécuté
par les Cadis et Juges ausquels il sera adressé, au pré-
judice de ce qui est porté par les capitulations.
Que l'Ambassadeur de France et les François ne
seront point responsables des prises faites par les Mal-
thois.
Que les causes et affaires des Ambassadeurs de France
ne seront veuës que pardevant le grand Visir pour
quelque procez ou prétention que ce puisse eftre.
Que les Consuls et Marchands, qui sont aux Eschelles,
pourront en sortir et s'en aller quand bon leur sem-
blera, sans qu'on leur puisse donner aucun empesche-
ment.
Qu'aucun François ne demeurera dans les Eschelles
que par la permission de l'Ambassadeur, et qu'ils seront
contraints d'exécuter les ordres qu'il leur pourra donner
de repasser en France.
Qu'il sera défendu à tous les Pachas et autres
Officiers de contraindre la Nation Françoife dans les
Eschelles à leur payer ou donner aucune somme d'ar-
gent, et que, où ils auront quelque prétention contr'elle,
ils seront tenus de se pourvoir à la Porte.
Que les Truchemens et Interprètes de l'Ambassa-
454 -"^ï f "^î ^^ ' '^ ' ■ ^ ^' '^ ' ' -^ ^^ ^-^^^ ^ '^ '■• '^ ^- T U R Q U I E.
dciir de (iucli|uc Nalioii (ju'ils soient, seront considérez
comme François, sans ([ue l'on puisse leur faire aucun
tort en (|uel()ue m;iiiiere (jue ce puisse estre.
Que l'Ambassadeur, Consuls, Religieux, et Mar-
chands François, et autres negotians fous la Bannière de
France, auront la liberté d'avoir du vin chez eux,
autant qu'il leur sera nécessaire pour leur provision,
qu'il leur sera mcsme jxrmis d'en faire ^■enir de France
ou d'ailleurs, sans qu'il leur soit besoin d'aucune autre
permission.
Le mémoire traduit en Turc fut donné au grand
Visir. qui promit de l'examiner et d'y faire réponse.
XIV.
CAPITULATIONS DE 1673^
Enfin les Capitulations furent renouvellées le cin-
quième Juin. Le Chiaoux Bachi et trente de ses
Chiaoux, allèrent prendre Monsieur l'Ambassadeur au
Village de Bosnakkeiii", où il estoit logé, pour le con-
duire à l'Audiance du grand Visir, des mains duquel
1. Le texte de ces capitulations et les détails qui le précédent sont
extraits des Mémoires du sieur de La Croix, cy-devunt secrétaire de
l'ambassade de Constantinople. Paris, Claude Barbin, 1684.; 2 vol. in-12.
2. Village des environs d'Andrliiople.
APPENDICE. 455
il a receu ce traitté, et le fruit de ses travaux, après
une longue negotiation, et beaucoup de patience qui
est une vertu fort connue en ce pais et par laquelle
l'on vient à bout de tout.
Le Ministre François témoigna au grand Visir son
espérance de la durée de cette amitié qu'il fondoit sur
la grande jeunesse et les mérites extraordinaires des
deux Empereurs qui l'avoient contractée et sur la pru-
dence de ce premier Ministre. Toutes ces civilitez furent
faites à diverses reprises, et nonobstant la gravité du
Visir, il ne laissoit pas de faire paroistre qu'il en estoit
tres-content. Il voulut môme se disculper du retar-
dement de la conclusion, en disant qu'il n'avoit pas
tenu à luy qu'elle ne se fût faite plûtost ; quoyque
Monsieur de Nointel connût bien la fausseté de ce dis-
cours, il le laissa sans réplique, n'étant plus saison
d'entrer dans des discussions consommées. Le régal
ordinaire du Païs suivit la conversation, et l'Audience
tinit par la consignation des Lettres du grand Seigneur
et du premier 'Visir au Roy qui accompagnoient le
traitté.
Cette lettre est enfermée dans une bourse de drap
d'or, longue d'un quartier, dont l'entrée est fermée
avec un ruban, cachetée du sceau de sa Hautesse
appliqué sur le ruban et couvert d'une petite pièce
d'or en coquille; l'adresse est dans une longue queue
de papier de soye attachée sous le même sceau, avec le
titre de Padicha, Empereur, que les Turcs donnent
seulement à sa Majesté entre tous les Monarques
4'j6 M l-..\l(Jlin. SLR I 'AMHASS Al)l. Ut. TLKOL'It.
('Iircsticns, aussi hini ([u'iui gr.iiul Mogol, i-iilie les
IiUicIcics.
Les Capitulations sont dans un ctuy couvert de
velours rouge; Monsieur l'Ambassadeur m'a fait l'hon-
neur de me choisir pour les porter au Ro\-.
La Religion irouxe dans ce Traité une {protection
aussi lorte (jue spéciale au nom de sa Majesté; car,
non seuKnunl tous les Religieu.v Francs de Jérusalem
y sont maintenus dans la possession de l'Eglise du
saint Sepulchre et de tous les saints lieux, qu'ils ont
dedans et dehors la \ille, mais encore les Evèques et
tous les Religieux qui sont dans l'Empire Ottoman,
sont conservez dans la joiiissance de leurs biens, et
l'exercice de leurs cérémonies; les Eglises sur lesquelles
les Turcs avoient imposé quelque tribut pour en per-
mettre l'entrée, en sont déchargées : le rétablissement
de celle de saint Georges en Galata est permis, et la
liberté accordée de dire la Messe dans l'Hôpital du
même lieu, les Jesuittes et les Capucins Fran^M)is y sont
dénommez, et les autres en gênerai, atin qu'il ne leur
soit fait aucun tort, et qu'on ne puisse leur faire aucune
avanie.
Le commerce n'est pas traitté moins fa\orablement,
puisqu'outre les avantages que les marchands ne soient
pas jugez dans les échelles, lors qu'ils auront démêlé
avec des Turcs, s'il s'agit de plus de cent francs, qu'ils
ne soient pas soumis à payer le sang de ceux tuez dans
leur quartier, qu'ils ne payent point la douanne des
indiennes, non plus que des soyes, l'on accorde par le
APPENDICE. 457
même Traitté la réduction de' la douane de cinq à trois
pour cent, de toutes sortes de marchandises d'entrée et
de sortie.
Voilà ce que la grande réputation du Roy a fait
obtenir pour le bien de ses sujets, et lutilité de leur
commerce dans lEmpire Ottoman; il ne faut point
douter que ce ne soit l'ouvrage du bruit de ses grandes
conquestes, dont la Porte a esté tres-informée par les
avis de Monsieur l'Ambassadeur, et cette considération
n'a pas peu contribué à déterminer le Visir à la con-
clusion de ce traitté.
Je ne vous en diray pas davantage, devant avoir
l'honneur de vous voir dans quelques mois à Paris, o i
je vous assureray de vive voix que je suis, etc.
De CoHStantinople ce -25 Aoust 167^.
L^Autheur a crû ne pouvoir mieux finir ce premier
volume, qu'en y ajoutant l'interprétation du traitté
des Capitulations faite par Monsieur de la Croix, Secré-
taire Interprète du Roy pour les Langues Orientales,
laquelle estant très-bien et tres-tidelement interprétée,
donnera tout l'embellissement à son ou\rage qu'il pou-
voit attendre de celuy d'un aussi habile homme, uni-
versellement sçavant dans toutes les Langues du le-
vant, et son tres-bon ami.
45« MÉMOIRE Sin L'A M B ASS A DF. DF. TURQLIF.
Les Capiti'l\tions rf.noin kllf.f.s fntrk Loris XI\',
Empkrm'r uk Lrancf, ft MFHFMhT IV, Lmpp-
RFUR uKs Turcs, par l'fntrfmisf de Monsifur
Charlf.s F'rançois Olifr, Marquis de Nointel,
Conseiller du Roy en tous ses Conseils et
EN sa Cour de Parlement de Paris et son
Ambassadeur en Levant.
Voicy ce qu'ordonne ce noble signe dont la réputa-
tion est si grande, qui vient d'un lieu si relevé, qui
est vrayment royal, et le conquérant du monde,
qui est Impérial, et qui par le secours divin, la protec-
tion d'en haut et les grâces du Libérateur vient à bout
de toutes sortes d'entreprises.
Les qualitez du Grand-Seigneur.
Moj^ qui suis par les infinies grâces du luste. grand
et tout-puissant Créateur. Empereur des Empereurs,
Distributeur des Couronnes. Serviteur des deux tres-
(ylugustes et sacrées villes de la cMecque et cMedine,
Protecteur et Gouverneur de la sainte Hierusalem,
Seigneur de la plus grande partie de l'oâsie et de
Vo/lfrîque. de Themisvar, de VEsclavonie, de Segu-
tuar. et de la forteresse inexpugnable d'o/lgria. de la
Caramanie, de l'Arabie, et toute la Sirie, de Rhodes
et de Chipres. de Diarbequir, d'cllep: du Caire, de
APPENDICE. 459
Van^ d'Er^erum. de Damas lieu de seuretê et de plai-
sance, Pais de Salut, de Babylone Paradis terrestre,
et le séjour des Princes, de Balsora. d'QA:[ac. d'Egypte
rare en son temps et puissante, des villes de Tunis,
de la Goulette, de Tripoli de Barbarie, de la ville de
Constantinople, lieu de seureté, et le désir des Roys,
et de plusieurs autres Pays, Villes et Seigneuries, des
Mers blanche et noire., Isles, Destroits, Passages,
Peuples, Familles, Générations, et d'un nombre infini
de victorieux hommes de guerre, qui reposent sous
V obéissance et justice de l Empereur Mehemet, fils de
l'Empereur Ibrahim, neveu de Sultan Murât, Succes-
seur des Empereurs Selim et Baja^et, et de l'Empe-
reur Mehemet, par la grâce de Dieu, recours des
grands Princes, et refuge des honorables Em-
pereurs.
Les qualite.z que donne le Grand-Seigneur
AU Roy.
La gloire des plus grands Monarques de la terre,
de la croyance de lesus, choisi entre les Princes glo-
rieux de la religion du Messie, la Victoire de toutes
les Nations Chrestiennes, Seigneur de Majesté et
d'Honneur, Patron de Loiîange et de gloire^ Louis
Empereur de France, que sa fin soit heureuse.
Nous, ayant receu une lettre sincère par la main du
sieur Charles François Olier Marquis de Nointel,
de la part dudit Empereur de France son Seigneur,
46o M F M OHM SUR F.'A M B A SS A F) I 1)1 TLHnUIK.
connue son (Jons^'ilU'i- en tons ses Conseils, et son Q/lm-
bdssadeur à nosl)e porte Ottonicjnne. choisi entre les
Gentils-} Ii)mmes de son l\o)'aimie. soustien de la pros-
périté du plus grand de tous les grands de la croyance
du Messie, et son c4mbassadeur ordinaire à nostre
Porte, de trouver bon, que les Capitulations qui ont
long-temps duré entre nos ayeuls et les I-'.nipercurs de
France, fussent renouvelées sous cette considération,
et par l'inclination que nous a]'ons à conserver cette
ancienne amitié ; Nous avons accordé ce qui s'ensuit.
Que les Ambassadeurs qui seront envoyez de l'Em-
pereur de France a nostre Porte, que les Consuls qui
résident dans nos Ports, les marchands et les truche-
mens ne soient point inquiétiez en aucune façon que ce
soit, mais au contraire, receus et honorez avec le soin
qui se doit à la foy publique : Voulons de plus, qu'outre
l'observation de nostre Capitulation, celle qui fut faite
et accordée par nôtre feu Père glorieux en sa vie et
martyr en sa mort, soit inviolablement observée et de
bonne foy, et pour l'honneur et l'amitié que ledit Em-
pereur de France a toiijours eus avec nôtre Porte, Nous
luy avons accordé de renouveller les Capitulations qui
luy avoient esté données du temps de l'Empereur
Mehemet nostre bisayeul,,et d'y ajouter quelques
articles sur la demande qui nous en a esté faite, que
nous avons accordée, et ordonné que elle y fut insérée.
Que les François qui vont et viennent pour visiter
les saints lieux, ne soient point mal-traittez, et que les
APPENDICE. 461
Religieux qui sont dans l'Eglise du Kamam. le saint
Sepulchre, n"y soient point inquiettez, à cause de l'an-
cienne amitié que les Empereurs de France ont eue
avec nostre Porte.
Permettons aux marchands François en considera-
ion de la parfaite amitié que leur Prince conserve avec
nostre Porte, d'enlever des cuirs, cordoiians, cire, cot-
ons en laine, cottons filez, soit que ce soient marchan-
dises défendues d'enlever; ratifions la permission que
nostre bisayeul en a donné, sans que personne puisse
les en empêcher.
Que les monnoyes qu'ils apportent de leurs pais
dans le nostre, ne puissent estre prises de nos Tréso-
riers ny de nos Monnoyeurs, sous prétexte de la vouloir
convertir en monnoye Ottomane ; et nous ^ oulons
pareillement qu'ils ne puissent prendre aucun droit
à cause d'icellcs. Et d'autant que aucuns sujets de
France navigent sur des vaisseaux appartenans à nos
ennemis, y chargeant de leurs marchandises, et lesdits
vaisseaux estant rencontrez et pris des nostres, ils sont
faits le plus souvent escla\'es, et leurs marchandises
confisquées ; pour empêcher cela, nous commandons et
voulons, que doresnavant ils ne puissent estre pris
esclaves sous tel prétexte, ny leurs facultez confisquées.
Nous déclarons que ceux qui seront trouvez sur des
vaisseaux corsaires, seront esclaves de jjonne foy.
Nous voulons aussi que les François qui se trouve-
ront pris par les vaisseaux de nos sujets, portans
vendre des vivres a nos ennemis, ne puissent être mal-
462 MÎMOIin. SI H r\MI{\SSADI HK TLRQLIK.
tiaitc/ ny retenue esclaves, attendu (ju ils seront mari-
niers gagnans lei'r vie.
Nous défendons que les vaisseaux Iranç;ois, qu\
seront rencontrez par les nostres, chargez de victuailles
prises des pais de nos ennemis, puissent estre retenus
ny confisquez, ny les gens faits esclaves, sous prétexte
qu'ils les portent a nos ennemis.
Nous ordonnons que les François r|ui achètent des
victuailles de nos vaisseaux pour porter dans leur pais,
quand ils sont rencontrez de nos vaisseaux, ne puissent
estre retenus esclaves, ny leurs facultez confisquées, et
en cas qu'il y en ait de cette façon, Nous voulons quils
soient mis en liberté, et que leurs facultez leur soient
rendues.
Que les marchandises qui seront apportées par les
marchands François en nos ports, et celles qu'ils y
achèteront, ne soient sujettes à payer d'autres droits,
que ceux qui se payent d'ancienneté.
Nous voulons et déclarons, que lors que les mar-
chands François qui sont dans nos ha\res et ports, ne
pourront point vendre leurs marchandises a\antageuse-
ment, et qu'ils les veuillent conduire à d'autres ports,
qu'ils le puissent faire sans aucun empêchement, ny
estre forcez de payer aucun droit que de ce qu'ils
auront vendu.
Que lesdits François soient exempts de l'impost
nommé Cassable, autrement l'aide de chair, comme
aussi de celuy des cuirs appelé Reft. qu'ils ne soient
non plus recherchez de payer celuy des bufles, BadJ.
APPENDICE. 463
et yasacouli ; qu'ils soient aussi exempts de payer'
aucune autre chose aux gardes de nos ports et pas-
sages, que trois cens aspres, sous le nom de bon et
heureux voyage.
Les corsaires de Barbarie allans par les ports et
havres de la France, y sont receus, secourus même
de poudre, plomb, voiles et autres choses nécessaires.
Néanmoins, si sans avoir égard à nos promesses, ren-
contrant les vaisseaux François en mer à leur avantage,
ils les prennent, et font esclaves les marchands et
mariniers qui se trouvent sur iceux, contre nostre vou-
loir et celuy de feu l'Empereur nostre Père, lequel
pour faire cesser leur violence, les a souventes fois
menacez, sans que pour cela ils ayent discontinué leurs
actes dhostilité, s'il y a des esclaves pris de cette sorte.
Nous ordonnons qu'ils soient en liberté, et que leurs
facultez leur soient rendues, et déclarons qu'en cas
que lesdits corsaires fassent demeure, qu'ils seront
tenus des dommages et pertes que lesdits François
auront faites, et seront privez de leurs charges, sans
qu'il soit besoin d'autres preuves du malfait que la
plainte qui nous en sera faite de la part de l'Empe-
reur de France avec des lettres royallcs. Nous consen-
tons aussi qu'en cas qu'ils n'observent ce qui est porté
par cette nostre Capitulation, que l'empereur de France
les chastie en les privant de ses ports, et protestant de
n'abandonner pour cela l'amitié qui est entre nos
Majestez Imperialles, approuvons et contirmons les
Commandemens qui ont esté donnez de nostre feu Père.
4^ MK.MOIKK SUH l.'AMBASSADK DK TURQLIf
Nous pcrnnttoiis aussi que Ils rrant;f)is puissent
venir pcscher (lu poisson, et du corail au golfe et lieux
(le la juridiction de Thunis, sans (ju'il leur soit fait ny
donn(: aucun trouble ny cmp(JcheiTient, contîrmant
toutes permissions qui ont este donnc-es par nos ayculs,
et singulièrement par noslre feu Père, louchant cette
pesche.
Voulons et nous plaist, que les interprètes et tru-
chemens qui servent les Ambassadeurs, soient francs et
exempts de payer le Karatche . taille personelle. et
tous autres imposts tels qu'ils soient.
Que nos sujets qui trafiquent aux pais de nos enne-
mis, soient obligez de payer le droit de l'Ambassadeur
et Consuls François sans contradiction, jaçoit qu'ils
trafiquent avec leurs vaisseaux ou autrement.
Que survenant quelque meurtre et inconvénient
entre les François, les Ambassadeurs et Consuls dicelle
Nation puissent selon leurs loix et coutume faire jus-
tice, sans qu'aucun de nos officiers en prenne aucune
connoissance ny juridiction.
Que les Consuls François qui sont establis dans les
lieux de nostre Empire, pour avoir soin de ceux qui
trafiquent, ne puissent pour quelque cause que ce soit.
estre faits prisonniers, ny leurs maisons scellées et bul-
lées ; mais commandons que ceux qui auront préten-
tion contre eux, soient renvoyées a nostre Porte où il
leur sera fait justice.
Que tous Commandemens qui ont este cy-devant
obtenus, ou qui le seront cy-aprés par mégarde ou sur-
APPENDICE. 465
prise contre cette nostre promesse et capitulations
soient de nul effet et valeur, et qu'il n'y soit ajousté
aucune foy.
Et parce que ledit Empereur de France est entre
tous les Rois et les Princes Chrestiens, le plus noble de
la haute famille, et le parfait amy que nos ayeuls ayent
acquis entre lesdits Rois et Princes de la croyance de
Jésus, comme il a esté dit cy-dessus, et comme le
témoignent les etfets de la sincère amitié ; en cette
considération , Nous voulons et commandons que son
oAmbassadeur qui réside à nôtre heureuse Porte ait la
préséance sur les oAmbassadeurs des autres Roys et
Princes, soit à nostre Divan public, ou autres lieux oii
ils se pourront trouver.
Que les étoffes que les Ambassadeurs de France
residans à nostre Porte, feront venir pour leur usage
et presens, ne soient sujets à aucun dace ou impost.
Que les victuailles et provisions qui seront achetées
pour la maison de l'Ambassadeur ne payent point de
droit ny d'impost.
Que les Consuls Frant;ois jouissent du même pri-
vilège aux lieux où ils résideront, et qu'ils ayent la
préséance sur les autres Consuls quels qu'ils soient.
Que les François qui viennent avec leurs \aisseaux
et marchandises dans les ports de nostre Seigneurie et
pais, y puissent venir sûrement sur la foy publique,
et en cas que la fortune ou orage jeltàt quelqu un de
leurs vaisseaux à terre, rencontrant de nos gallcres ou
vaisseaux, Nous leur ordonnons de les aider et secou-
30
466 MEMOIKt: SUR I 'AMBASSADE DK TURQUIE.
lir, j:)()i-taiit Iicjniicur et respect aux patrons ou capi-
taines desdits vaisseaux François, leur faisant donner
]-)our leur argent, tout ce qui leur sera nécessaire, pour
leur vie et autres nécessitez.
En cas qu'aucuns d'iccux vaisseaux viennent a taire
naufrage, Nous voulons que tout ce qui se recouvrera
soit remis entre les mains des marehands a qui leurs
facultez appartiendront, sans que nos Vice-Rois. Gou-
verneurs, Juges, et autres Officiers y contreviennerit ;
mais au contraire, Nous voulons qu'ils les secourent à
retourner par tout nostre Empire, sans qu'il leur soif
donné aucun empêchement.
Nous ordonnons et recommandons aux Capitaines
de mer, Lieutenans et tous autres qui dépendent de
nostre obéissance, de ne violenter ny par mer ny par
terre, lesdits marchands François, ny pareillement les
interprètes et truchemens, non plus que les étran-
gers qui viennent sous la seureté de leur bannniere :
Voulons toutesfois qu'ils soient tenus de payer les
droits ordinaires des ports et havres.
Qu'iceux Marchands ne puissent estre contraints
d'acheter autres marchandises que celles qu'ils vou-
dront, et qui leur seront propres et convenables.
Et, en cas qu'aucun d'iceux se trouve redevable.
Nous voulons que les dettes, ne puissent estre deman-
dées qu'au débiteur, ou à celuy qui se sera rendu cau-
tion pour luy.
Et si aucuns marchands ou autres d'icelle nation
meurent en nos pais, que les facultez qui se trouveront
APPENDICE. 467
leur appartenir, soient remises au pouvoir de celuy
qu'ils auront nommé dans leur testament; mais s'il
arrive qu'ils meurent ab intestat, nous voulons que les
Consuls qui sont dans nos païs prennent le soin des
facultez du mort pour les envoyer à leurs héritiers,
sans que nos Gouverneurs ou Juges, en puissent prendre
aucune connoissance.
Que les Consuls François, les marchands, les
interprètes et leur dépendans ayent en leurs ventes et
achats, et responses, à passer actes devant les Juges du
lieu où il seront ; au défaut de quoy. Nous voulons et
commandons, que ceux qui auront quelques prétentions
contre eux, ne soient écoutez, s'ils ne font paroistre,
comme dit est, par contract public, leurs prétentions
ou droits.
Voulons que tous les témoins qui seront oiiis à leur
dommage, ne soient receus ny écoutez, si première-
ment, comme on dit, il n'apparoist d'actes publics de
leurs ventes et achats.
Que l'on ne moleste point lesdits François en leur
imputant qu'ils les ont injuriez, afin de pouvoir tirer
quelque argent d'eux, puisque c'est contre la noble
justice, et que nos Gouverneurs, et Juges l'empeschent.
Et, si aucun d'eux pour dettes, ou pour a\oir commis
quelque mauvais acte faisoit faute de nos pais. Nous
voulons, et commandons que ceux d'icelle nation ne
puissent estrc responsables pour celuy ou ceux qui se
seront absentez, s'ils n'y sont obligez, comme dit est.
par contract authentique.
468 MÉ.VIOIKK SUR L'AMBASSADK DK TLRQLIK.
Fa s'il se tromc par iiostre Ij-nj)ire des esclaves
P'rançois estant reconnus pour tels de 1 Ambassadeur ou
Consuls, ceux au pouvoir de qui ils se trou\cronr fai-
sant refus de les livrer, soient obligez de les envoyer a
nostre Porte, alin d'estre jugé à qui ils appartiendront.
Que les François qui demeurent dans le pais de
nostre Empire soient francs et exempts de Karatclie.
c'est-à-dire de tailles.
Qu'au changement et établissement des Consuls
François en nos havres d'Alexandrie, Tripoli de Sirie,
Arger et autres écheles de nôtre pais, nos Gouverneurs,
et Officiers ne puissent empescher qu'ils soient établis
en charge.
Nous voulons qu'ils soient exempts de l'impost
appelle Hurfié. Si quelqu'un de nos sujets a différend
avec un François, dont la connoissance appartienne
à nos Juges, ils ne puissent écouter la demande du
demandeur qu'un interprète de la nation ne soit pré-
sent, et si pour lors il ne se trouve aucun truchement
pour comparoistre devant le Juge et défendre la cause
du François, que les juges remettent la cause à une
autre fois, jusques à ce que l'on trouve l'interprète; le
François sera toutefois obligé de le faire trou\er, afin
que l'effet et prompte expédition de la justice ne soient
point différez.
Et s'il naist quelque contention ou différend entre
deux François, que l'Ambassadeur ou Consuls ayent à
les terminer sans que nos Juges, et Officiers les em-
peschent, et en piennent connoissance.
APPENDICE.' 469
Nous ordonnons aussi après que la recherche aura
esté faite à Constantinople, que les vaisseaux François
ne soient plus obligez d'estre foUillez, si ce n'est au
sortir des Dardanelles, ou auxchasteaux du détroit, nous
défendons qu'ils le soient à Galipoli, comme ils y ont
esté contraints par le passé.
Nos armées navalles , nos galleres se rencontrant
avec celles de la France, nous exhortons les Capitaines
d'une part et d'autre, qu'ils ayent à s'aider et servir,
sans se porter les uns aux autres aucun dommage, mais
au contraire secours et confort. Nous voulons aussi
qu'ils ne puissent point prendre par force des jeunes
enfans, et autres choses semblables sous prétexte de
présent.
Nous voulons, et nous plaist que tout ce qui est
porté par les Capitulations accordées aux 'Vénitiens ait
lieu pour les François, et qu'iceux avec leurs vaisseaux,
et marchandises trouvent seureté par nos mers, et par
tous les lieux de nostre Empire, et de nôtre obéissance,
et puissent venir, aller, retourner, et séjourner sans
aucun empeschement.
Que les Admiraux de nos armées navalles, et nos
Vice- Rois, Gouverneurs de nos provinces. Juges,
Capitaines, Châtelains, et autres qui dépendront de
nostre obéissance, soient soigneux d'observer cette nôtre
Capitulation, puisque tel est nostre plaisir et comman-
dement.
Déclarons que ceux qui contreviendront à cette
noble Capitulation seront dcclarei desobe'issans , et
470 MÉMOIRF. SUR l'AMBASSADK Dl. TLRQUIF.
perturbateurs du repos public, en cette considération .
que sans aucune remise, ils soient condamne^ à un
grief chastimcnt . afin qu'ils servent d'exemple à ceux
qui auront envie de les imiter à mal-faire, et outre les
promesses que nous faisons de l'observation de cette
nostre Capitulation, Nous entendons que celles qui ont
esté faites par iiostre prédécesseur Sultan Sulcïman .
auquel Dieu fasse miséricorde, soient observées, et
entretenues de bonne foy.
Il fut accorde à l'Empereur de France par les
Capitulations qui furent faites avec nos bisayeuls, à
qui Dieu fasse miséricorde, que toutes les nations qui
n'ont point leur Ambassadeur ordinaire à nostre Porte
de félicité, pussent trafiquer sous la bannière de France,
et visiter les Saints lieux, et puis après pour quelque
sujet ils en furent privez, et cet article qui estoit dans
les Capitulations fut rayé, et effacé; mais quelque
temps après ledit Ambassadeur de France envoya une
lettre à nostre Porte de félicité, par laquelle il prioit
que puisque l'on avoit interdit lesdites nations de
trafiquer sous la bannière de France, que du moins il
leur fut permis de pouvoir aller visiter les Saints lieux
de Jérusalem, comme ils faisoient auparavant , sans
que personne leur donne aucun trouble ny empesche-
ment, et que, si à l'avenir, il leur permettoit de tra-
fiquer dans les lieux de son Empire, que ce fut encore
sous la bannière de France, parce que l'Empereur de
France a toujours conservé l'ancienne amitié qu'il
avoit avec nos bisayeuls jusqu'à présent; sa demande
APPENDICE. 471
luy fut accordée, en commandant que les nations Chré-
tiennes qui n'ont point leurs Ambassadeurs à nostre
Porte, et qui sont amis dudit Empereur de France,
puissent visiter les Saints lieux, comme ils faisoient
auparavant avec assurance, et liberté, sans que per-
sonne les en empeschàt ni les molestât, et puis après
que si nous donnons la permission aux susdites Nations
de trafiquer par les lieux de nostre Empire, que ce soit
sous la bannière de France, comme auparavant, et non
pas sous celle d'un autre, comme il a esté déclaré par
les Capitulations qui ont esté d'ancienneté jusqu'à pré-
sent présentement de nouveau. Nous voulons et com-
mandons que les Q^rticles mentionne:^ soient ajoute^
aux nobles Capitulations. Et premièrement.
Articles nouveaux.
Que les Evcsques ou autres religieux de secte
Latine, qui sont sujets à la France, de quelque sorte
qu'ils puissent cstre, soient dans tous les lieux de nostre
Empire, comme ils estoient auparavant, et y làire leurs
fonctions, sans que personne les trouble ni les empesche,
que les religieux François qui sont en Jérusalem , et
qui ont depuis long-temps les Lieux saints tant dehors
que dedans, comme aussi ceux qui sont dans le saint
Sepulchre en jouissent, et le possèdent comme aupa-
ravant, sans que personne les moleste, en leur deman-
dant des imposts ou autrement, et s'ils ont quelque
472 MKMOIRK SUR I.'AMBASSADK Di: T L H Q L I K.
procès, ils soient envoyez a nostre Porte de telicité.
Que tous les François, et tous ceux cjui sont sous
leur protection de fjuelque sorte (\u\\ puissent estrc
qui vont et vicMinent en Jérusalem, ne soient point
tourmentez ni molestez.
Nous voulons que les Pères Jésuites et Capucins
qui sont en Galata, jouissent toujours de leurs églises.
Et celle des Capucins ayant esté bruslée, Nous donnons
permission qu'elle soit rebastie. Nous voulons aussi
que Ton ne moleste point les églises des François <jui
sont à Smirne, à Seyde et à Alexandrie et dans toutes
les autres escheles de nostre Empire, ni qu'on leur
demande aucun argent pour cellc-cy.
Nous permettons qu'ils puissent exercer l'office
divin dans l'hospital qui est à Galata, sans que per^
sonne les moleste.
Et comme les marchands «f^ançois avoient toujours
payé cinq pour cent jusques à présent de toutes les
marchandises qu'ils apportoient, ou de celles qu'ils
emportoient, l'Empereur des François nous a demandé
qu'ils ne payassent que trois pour cent, ce que nous
luy avons accordé à cause de l'ancienne amitié qu'il a
toujours eue avec nostre Porte; et Nous avons ajouté
aux nobles Capitulations que les doûanniers ne les
molestassent point en leur demandant davantage que
trois pour cent, Nous voulons que les marchands Fran-
çois payent nos douannes avec la mesme monnoye,
comme la prennent nos Trésoriers, et qu'ils ne soient
point molestez en leur demandant plus ou moins.
APPENDICE. 473
Nous permettons que ceux qui n'ont point leurs
Ambassadeurs ou Résidants à nostre Porte de félicité,
comme Portugal, Sicile, Castillans, Messinois et autres
Nations ennemies puissent venir sous la bannière de
l'Empereur de France, comme ils faisoient au temps
passé, et qu'ils payent la doUanne comme les autres
François, sans que personne les moleste, tant qu'ils ne
feront choses qui soient contraires à l'accord que Nous
avons fait.
Nous voulons qu'ils payent la me\eterie de Cons-
tantinople et de Galata de la mesme façon que font les
Anglois.
Et si les doUanniers estiment plus les marchandises
qu'elles ne valent pour leur protit, Nous ordonnons
sans contredit qu'au lieu de l'argent, ils prennent des
marchandises.
Que quand une fois ils auront payé la douanne de
soye et autres marchandises , on ne leur demande de
rechef.
Que quand les doUanniers auront esté payez de
leurs doUannes, qu'ils leur donnent le teskeret de
leur payement, et qu'ils ne les empeschent point de les
porter à d'autres escheles, et que l'on ne les moleste
point derechef dans une autre cschele en leur deman-
dant la doilanne.
Nous ordonnons que les Consuls François, et les
religieux qui leur sont sujets, les marchands, et les
droguemans puissent faire du vin dans leurs maisons
pour leurs provisions , et en puissent apporter de
474 M^.MOIRE SUR I AMBASSADE DE TURQUIE.
dehors, sans que personne les moleste, ni les cm-
pesche.
Si quelqu'un de nos sujets a quelque procès contre
quelque François, dont la somme soit plus de quatre
mille aspres. Nous défendons qu'il soit fait justice
autre part que dans notre divan.
Et s'il arrive qu'on tuë quelqu'un dans des quar-
tiers où sont les François, nous défendons quils soient
molestez en leur demandant le prix du sang, si ce
n'est qu'on prouve en justice que ce sont eux qui ont
fait le mal.
Nous accordons aux truchemens qui servent les
Ambassadeurs, les mêmes privilèges qu'aux François.
Nous promettons par la vérité du puissant Créateur
du ciel et de la terre, et par les âmes de nos ayeuls,
et bisayeuls de ne contrarier, ny contrevenir à ce qui
est porté par les nobles Capitulations, tant que l'Em-
pereur de France sera constant et ferme à la conser-
vation de nostre amitié; acceptons dés à présent la
tienne avec volonté de la tenir chère et en faire
estime, telle est nostre promesse Impériale.
Fait a Andrinople le s Juin 1673.
APPENDICE. 475
XV.
Traite entre la France
ET LA Porte Ottomane.
L EMPEREUR SULTAN MAHMOUD,
FILS DU SULTAN MOUSTAPHA,
TOUJOURS VICTORIEUX *.
Voici ce qu'ordonne ce signe glorieux et impérial,
conquérant du monde, cette marque noble et sublime,
dont l'efficacité procède de l'assistance divine.
Moi, qui par l'excellence des faveurs infinies du
Très -Haut, et par l'éminence des miracles remplis
de bénédiction du chef des prophètes (à qui soient les
saluts les plus amples, de môme qu'à sa famille et à
ses compagnons), suis le Sultan des glorieux Sultans,
l'Empereur des puissants Empereurs, le distributeur
des couronnes aux Cosroès qui sont assis sur les trônes,
l'ombre de Dieu sur la terre, le serviteur des deux
illustres et nobles villes de la Mecque et de Médine,
lieux augustes et sacrés où tous les Musulmans adressent
leurs vœux, le protecteur et le maître de la sainte Jéru-
• Mots entrelacés dans le chiffre du Grand Seigneur.
476 M (■, M O 1 n \: S i; l{ r A Mli A s s A I) K I ) \ T L H O L i K.
suleiii ; le souverain des trois grandes \illcs de Coiistan-
tinopli', Aiulrinoplc cl Brousse de même (jue de
Damas, odeur de Paradis, de Tripoli, de Syrie; de
l'Kgypte, la rareté du siècle et renommée pour ses
délices; de toute l'Arabie; de l'Afrique, de Barca, de
Cairovan, d'Alep, des Irak Arab et Adgcn '; de Bassora,
de Lahsa, de Dilem, et particulièrement de Bagdad,
capitale des khalifes; de Rakka, de Mossoul, de Cheh-
rezour, de Diarbekir, de Zulkadrie, d'Erzerum la déli-
cieuse; de Sébaste, d'Adana, de la Caramanie, de Kars,
de Tchildir, de Van; des îles de Morée, de Candie,
Chypre, Chio et Rhodes; de la Barbarie, de l'Ethio-
pie; des places de guerre d'Alger, de Tripoli et de
Tunis ; des îles et des côtes de la mer Blanche et de la
mer Noire ; des pays de Natolie et des royaumes de
Romélie ; de tout le Kurdistan, de la Grèce, de la Tur-
comanie, de la Tartarie, de la Circassie, du Cabarta
et de la Géorgie ; des nobles tribus des Tartares et de
toutes les hordes qui en dépendent; de Caffa et autres
lieux circonvoisins ; de toute la Bosnie et dépendances ;
de la forteresse de Belgrade, place de guerre ; de la
Servie, de même que des forteresses et châteaux qui s'y
trouvent ; des pays d'Albanie, de toute la \'alachie, de
la Moldavie, et des forts et fortins qui se trouvent dans
ces cantons ; possesseur enlin de nombre de villes et de
forteresses, dont il est superflu de rapporter et de vanter
ici les noms : moi qui suis l'Empereur, l'asile de la jus-
1. Adjem.
APPENDICE. 477
tice et le roi des rois, le centre de la victoire, le Sultan
fils de Sultans, lEmpereur Mahmoud le conquérant,
iils de Sultan Mustafa, lils de Sultan Muhammed ;
moi, qui par ma puissance, origine de la félicité, suis
orné du titre d'Empereur des deux Terres, et, pour
comble de la grandeur de mon khalifat, suis illustré
du titre dEmpereur des deux Mers.
La gloire des grands princes de la croyance de
Jésus, l'élite des grands et magnifiques de la religion
du Messie, l'arbitre et le médiateur des affaires des
nations chrétiennes, revêtu des vraies marques d'hon-
neur et de dignité, rempli de grandeur, de gloire et
de majesté, lEmpereur de France et d'autres vastes
royaumes qui en dépendent, notre très-magnifique,
très-honoré, sincère et ancien ami, LOUIS XV, auquel
Dieu accorde tout succès et félicité, ayant envoyé à
notre auguste cour, qui est le siège du khalifat, une
lettre, contenant des témoignages de la plus parfaite
sincérité et de la plus particulière affection, candeur
et droiture, et ladite lettre étant destinée pour notre
Sublime Porte de félicité, qui, par la bonté infinie de
l'Être Suprême incontestablement majestueux, est l'asile
des Sultans les plus magnifiques et des Empereurs les
plus respectables; le modèle des seigneurs chrétiens,
habile, prudent, estimé et honoré ministre, Louis-Sau-
veur marquis de Villeneuve, son conseiller d'Etat
actuel, et son ambassadeur à notre Porte de félicité
(dortt la fin soit comblée de bonheur), aurait demandé
la permission de présenter et de remettre ladite lettre.
47« MEMOIRK SUR f.AMBASSADK DE TURQUIE.
ce qui lui aurait ctc accorde par notre Cf)nsenlement
impérial, conformcment a 1 ancien usage de notre cour;
et conséquemment ledit ambassadeur ayant été admis
jusque devant notre trône impérial, environné de
lumière et de gloire, il y aurait remis la susdite lettre,
et aurait été témoin de notre majesté, en participant à
notre faveur et grâce impériale; ensuite la traduction
de sa teneur affectueuse aurait été présentée et rappor-
tée, selon l'ancienne coutume des Ottomans, au pied
de notre sublime trône, par le canal du très-honoré
Elhadj Mehemmed pacha, notre premier ministre,
l'interprète absolu de nos ordonnances, l'ornement du
monde, le maintien du bon ordre des peuples, l'ordon-
nateur des grades de notre empire, l'instrument de la
gloire de notre couronne, le canal des grâces de la
majesté royale, le très-vertueux grand visir, mon véné-
rable et fortuné ministre lieutenant général, dont Dieu
fasse perpétuer et triompher le pouvoir et la prospérité.
Et comme les expressions de cette lettre amicale
font connaître le désir et l'empressement de Sa Majesté
à faire, comme par ci-devant, tous honneurs et ancienne
amitié jusqu'à présent maintenus depuis un temps
immémorial entre nos glorieux ancêtres (sur qui soit la
lumière de Dieu) et les très-magnitiques Empereurs de
France; et que dans ladite lettre il est question, en
considération de la sincère amitié et de l'attachement
particulier que la France a toujours témoignés à notre
maison impériale, de renouveler encore, pendant Iheu-
reux ternps de notre glorieux règne, et de fortitier et
APPENDICE. 479
éclaircir, par laddition de quelques articles, les capi-
tulations impériales, déjà renouvelées l'an de l'hé-
gire 1084, sous le règne de feu Sultan Mehemmed,
notre auguste aïeul, noble et généreux pendant sa
vie, et bienheureux à sa mort, lesquelles capitulations
avaient pour but^ que les ambassadeurs, consuls, inter-
prètes, négociants et autres sujets de la France, soient
protégés et maintenus en tout repos et tranquillité, et
qu'eniin il est parvenu à notre connaissance impériale
qu'il a été conféré sur ces points entre ledit ambassa-
deur et les ministres de notre Sublime Porte : les fon-
dements de l'amitié qui, depuis un temps immémorial,
subsiste avec solidité entre la cour de France et notre
Sublime Porte, et les preuves convaincantes que Sa
Majesté en a données particulièrement du temps de
notre glorieux règne, faisant espérer que les liens d'une
pareille amitié ne peuvent que se resserrer et se forti-
fier de jour en jour, ces motifs nous ont inspiré des
sentiments conformes à ses désirs : et voulant procurer
au commerce une activité, et aux allants et venants une
sûreté, qui sont les fruits que doit produire lamitié,
non-seulement nous avons confirmé par ces présentes
dans toute leur étendue, les capitulations anciennes et
renouvelées, de même que les articles insérés lors de la
susdite date; mais pour procurer encore plus de repos
aux négociants et de vigueur au commerce, nous leur
1. Ce passage étant la base de tous les privilèges des Français en
Turquie, il sert souvent de motif dans les requêtes des ambassadeurs et
de fondement aux tirmans du Grand Seigneur.
480 MF;M01RK sur I.'A.MB ASSADK F)K tl rqiir.
avons accordé l'cxemptif)!! au droit de mé\eterie f)u'ils
ont payé de tout temps, de même que plusieurs autres
points concernant le commerce et la sûreté des allants et
venants, lesquels ayant été discutés, traités et réglés en
bonne et duc forme dans les di\erses conférences qui se
sont tenues à ce sujet entre le susdit ambassadeur,
muni d'un pouvoir suffisant, et les personnes préposées
de la part de notre Sublime Porte : après l'entière
conclusion de tout, mon suprême et absolu grand visir
en aurait rendu compte à notre étrier impérial, et
notre volonté étant de témoigner spécialement en cette
occasion le cas et l'estime que nous faisons de l'an-
cienne et constante amitié de l'Empereur de France,
qui vient de nous donner des marques particulières de
la sincérité de son cœur, nous avons accordé notre signe
impérial pour l'exécution des articles nouvellement
conclus; et conséquemment les capitulations anciennes
et renouvelées, ayant été transcrites et rapportées exac-
tement, mot pour mot au commencement, et suivies
des articles nouvellement réglés et accordés, ces pré-
sentes capitulations impériales auraient été remises et
consignées dans l'ordre susdit, entre les mains dudit
ambassadeur : et pour l'exécution d'icelles, le présent
commandement impérial serait émané dans les termes
suivants, savoir :
I.
L'on n'inquiétera point les Français qui vont et
viendront pour visiter Jérusalem, de même que les
APPENDICE. 48r
religieux qui sont dans l'église du Saint-Sépulcre, dite
Kamama.
2.
Les Empereurs de France n'ayant eu aucun procédé
qui pût porter atteinte à l'ancienne amitié qui les unit
avec notre Sublime Porte, sous le règne de feu l'em-
pereur Sultan Selim, d'heureuse mémoire, il aurait été
accordé aux Franc^ais un commandement impérial pour
la levée ci-devant prohibée des cotons en laine, cotons
filés et cordouans ; maintenant, en considération de
cette parfaite amitié, comme il a déjà été inséré dans
les capitulations, que personne ne puisse les empêcher
d'acheter des cires et des cuirs, dont la sortie était
défendue du temps de nos magnitîques aïeux, ce pri-
vilège leur est confirmé comme par le passé.
3-
Et comme, par ci-devant, les marchands et autres
Français n'ont point payé de droits sur les piastres
qu'ils ont apportées de leur pays dans nos Etats, on
n'en exigera pas non plus présentement; et nos tréso-
riers et officiers de la monnaie ne les in({uiéteront
point, sous prétexte de fal^riqucr des monnaies du pays
avec leurs piastres.
4-
Si des marchands français étaient em])arqués sur un
bâtiment ennemi, pour trafiquer (comme il serait con-
482 MÉMOIRK SUR I.'A.M liASS A DK DK rLRQLlK.
traire aii.v Inis de \uuloir les dcpoiiillcr et les lliirc
esclaves, parce qu'ils se seraient trouvés dans un navire
ennemi '), Ion ne pourra, sous ce prétexte, confisquer
leurs biens, ni faire esclave leur personne, pourvu qu'ils
ne soient point en acte d'hostilité sur un bâtiment cor-
saire, et qu'ils soient dans leur état de marchand.
Si un Français, ayant charge des provisions de
bouche en pays ennemi, sur son propre vaisseau, pour
les transporter en pays ennemi, était rencontré par des
bâtiments musulmans, on ne pourra prendre le \ais-
scau, ni faire esclaves les personnes, sous prétexte qu ils
transportent des provisions a l'ennemi.
6.
Si quelqu'un de nos sujets emportait des pro\isions
de bouche, chargées dans les Etats musulmans, et qu'il
fut pris en chemin, les Français qui se trouveraient à
la solde dans le vaisseau, ne seront point faits esclaves.
I. Le mot de /ur/'v. employé ici et dans plusieurs autres endroits des
capitulations, ne veut pas dn-e tout a fait ennemi, et signifie littérale-
ment militaire ou relatif a la guerre ; il s'entend particulièrement des
nations chrétiennes qui ne sont point en traite avec la Porte, et géné-
ralement de toutes les nations ennemies ou amies, chez lesquelles le
musulmanisme n'est pas professe ouvertement. Il reviendrait assez au
titre de barbare que les Grecs et les Romains donnaient à toutes les
nations étrangères. (Note de M. Duval.)
APPENDICE.
7-
Lorsque des Français auront acheté, de plein gré, des
provisions de bouche des navires turcs, et qu'ils seront
rencontrés par nos vaisseaux, tandis qu'ils s'en vont
dans leur pays, et non en pays ennemi, ces vaisseaux
français ne pourront être confisqués, ni ceux qui seront
dedans faits esclaves ; et s'il se trouve quelque Français
pris de cette manière, il sera élargi, et ses effets resti-
tués.
8.
Les marchandises qui, sous le bon plaisir de l'Em-
pereur de France, seront apportées de ses Etats dans
les nôtres par leurs marchands, de même que celles
qu'ils emporteront, seront estimées au même prix
qu'elles l'ont été anciennement pour l'exaction de
douane, qui se percevra de la même façon, sans qu'il
soit fait aucune augmentation sur l'estime desdites
marchandises.
On n'exigera la douane que des marchandises
débarquées pour être vendues, et non de celles qu'on
voudra transporter dans d'autres échelles, à quoi il ne
sera mis aucun empêchement.
10.
On n'exigera d'eux, ni le nouvel impôt de kassabié^
4^4 ^ï I-- M O I R K S L' FI 1" A M hA S s A I) K D h f U R Q L" I K.
;r//. ni bûiij. ni j'a.s.sak kouly. cl pas plus de trois
cents aspres pour ie droit de bon voyage, dit sclametlik
rcsmy ' .
II.
Quoique les corsaires d'Alger soient traités favora-
blement, lorsqu'ils abordent dans les ports de France,
où on leur donne de la poudre, du plomb^ des voiles.
et autres agrès; néanmoins, ils ne laissent pas de faire
escla\es les Français qu'ils rencontrent, et de piller le
bien des marchands, ce qui leur avant été plusieurs
lois défendu sous le règne de notre aïeul, de glorieuse
mémoire, ils ne se seraient point amendés; bien loin
de donner mon consentement impérial à une pareille
conduite, nous voulons que, s'il se trouve quelque
Français fait esclave de cette façon, il soit mis en
liberté, et que ses etîéts lui soient entièrement restitués :
et si, dans la suite, ces corsaires persistent dans leur
désobéissance, sur les informations par lettre qui nous
en seront données par Sa Majesté, le beglerbey qui se
trouvera en place sera dépossédé, et l'on fera dédom-
mager les Français des agrès qui auront été déprédés.
Et comme jusqu'à présent ils ne se sont pas beaucoup
souciés des défenses réitérées qui leur ont été faites à
1. D'anciennes traductions, sans autorité du texte, ont attribue ces
droits a la boucherie, aux cuirs, aux buffles et a la garde des ports.
Cependant l'expérience a3ant fait voir que ces droits ne sont pas restreints
a ces articles seulement, et que les Français ont joui de ces immunités
indistinctement, il est bien plus naturel et plus avantageux d'expliquer
l'article littéralement, et consequemment sans restriction.
APPENDICE. 485
ce sujet, au cas que dorénavant ils n'agissent pas con-
formément à mon ordre impérial, l'Empereur de
France ne les souffrira point sous ses forteresses, leur
refusera l'entrée de ses ports; et les moyens qu'il prendra
pour réprimer leurs brigandages ne donneront aucune
atteinte à notre traité, conformément au commande-
ment impérial émané du temps de nos ancêtres, dont
nous conrîrmons ici la teneur, promettant encore
d'agréer les plaintes, de même que les bons témoi-
gnages de Sa Majesté, sur cette matière.
12.
Nos augustes aïeux, de glorieuse mémoire, ayant
accordé aux Français des commandements pour pêcher
du corail et du poisson dans le golfe d'Usturgha,
dépendant d'Alger et de Tunis, nous leur permettons
pareillement de pêcher du corail et du poisson dans
lesdits endroits, suivant l'ancienne coutume, et on ne
les laissera inquiéter par personne à ce sujet.
M-
Leurs interprètes, qui sont au service de leurs
ambassadeurs, seront exempts du tribut dit kharatch,
du droit du kassabié^ et des autres impots arbitraires
dits tckialif-iirfié.
14.
Les marchands français qui auront chargé des effets
486 MKMOIRK SUR I.'AMBASSADK Dt TURQUIE.
sur leurs bùlimcnls, et ceux de nos sujets qui iratique-
ront avec leurs navires, en pays ennemi, payeront exac-
tement aux ambassadeurs et aux consuls le droit de
consulat et leurs autres droits, sans opposition ni con-
travention quelconque.
M-
S'il arrivait quelque meurtre ou quelque autre
désordre entre les Français, leurs ambassadeurs et
leurs consuls en décideront selon leurs us et coutumes,
sans qu'aucun de nos officiers puisse les inquiéter à
cet égard.
i6.
En cas que quelque personne intente un procès aux
consuls établis pour les affaires de leurs marchands, ils
ne pourront être mis en prison, ni leur maison scellée,
et leur cause sera écoutée à notre Porte de félicité ; et si
l'on produisait des commandements antérieurs ou pos-
térieurs, contraires à ces articles, ils seront de nulle
valeur, et il sera fait en conformité des capitulations
impériales.
Et, outre que la famille des Empereurs de France *
est en possession des rênes de l'autorité souveraine
I. Renouvellements et additions accordes par sultan Ahmed F'' a M. de
Brèves, ambassadeur de Henri IV, en 160.^.
APPENDICE. 487
avant les rois et les princes les plus renommés parmi
les nations chrétiennes, comme depuis le temps de nos
augustes pères et de nos glorieux ancêtres elle a con-
servé a\ec notre Sublime Porte une amitié plus con-
stante et plus sincère que tous les autres rois, sans que
depuis lors il soit rien survenu entre nous de contraire
à la foi des traités, et qu'elle a témoigné à cet égard
toute la constance et la fermeté possibles, nous voulons
que, lorsque les ambassadeurs de France, résidant à
notre Porte de félicité viendront à notre suprême divan,
et qu'ils iront chez nos visirs et nos três-honorés con-
seillers, ils aient, suivant l'ancienne coutume, le pas et
la préséance sur les ambassadeurs d'Espagne et des
autres rois.
18.
On n'exigera d'eux ni douane ni droit de badj. sur
ce qu'ils feront venir à leur dépens pour leurs présents
et habillements, et pour leurs besoins et provisions de
boire et de manger; et les consuls de France, qui sont
dans les villes de commerce, auront pareillement la
préséance sur les consuls dEspagne et des autres Rois,
ainsi qu'il se pratique à notre Porte de félicité.
19.
Comme les Franojais qui commercent en tout temps
avec leurs biens, effets et navires, dans les échelles et
dans les ports de nos Etats, y vont et viennent sur la
488 M F, \T O I Fî i: SUR I ' \ M m S S \ I) I-, I) W T T F{ Q L' I F .
Ijoniic foi cl sur riissuruncc de la paix; I(»im|iic Kurs
l;àtiim'nts seront exposes aux accidents tle la nier, cl
qu'ils auront besoin de secours, nous ordonnons (juc
nos vaisseaux de guerre et autres qui se trouveront a
portée aient à leur donner toute l'assistance nécessaire,
et (jue les commandants, chefs, capitaines ou lieute-
nantj, ne manquent pas envers eux aux moindres
égards, donnant tous leurs soins et leur attention a leur
faire fournir, pour leur argent, les provisions dont ils
auront besoin; et si, par la violence du vent, la mer
jetait à terre leurs bâtiments, les gouverneurs, juges
et autres les secourront, et tous les effets et marchan-
dises sau\és du naufrage leur seront restitués sans dit-
liculté.
20.
Nous voulons que les Francjais, marchands, drog-
mans et autres, pourvu qu'ils soient dans les bornes de
leur état, aillent et viennent librement par mer et par
terre, pour vendre, acheter et commercer dans nos
Etats ; et qu'après avoir payé les droits d'usage et de
consulat, selon qu'il s'est toujours pratiqué, ils ne
puissent être inquiétés ni molestés en allant et \enant,
par nos amiraux, capitaines de nos bâtiments et autres,
non plus que par nos troupes.
21.
On ne pourra forcer les marchands français à
prendre, contre leur gré, certaines marchandises, et ils
ne seront point inquiétés à cet égard.
APPENDICE. 4S9
22.
Si quelque Franc;ais se trouve endette, on attaquera
le débiteur, et l'on ne pourra rechercher ni prendre
à partie aucun autre, à moins qu'il ne soit sa cau-
tion.
Si un Français vient à mourir, ses biens et effets,
sans que personne puisse s'y ingérer, seront remis à ses
exécuteurs testamentaires; et sil meurt sans testament,
ses biens seront donnés à ses compatriotes, par l'entre-
mise de leur consul, sans que les officiers du fisc et
du droit d'aubaine, comme bcit-iilmaldjy et cassam.
puissent les inquiéter.
23.
Les marchands, les drogmans et les consuls fran-
çais, dans leurs achats, ventes, commerce, cautionne-
ments et autres affaires de justice, se rendront chez le
cadi, 011 il feront dresser un acte de leurs accords, et le
feront enregistrer, afin que si dans la suite il survenait
quelque différend, on ait recours à l'acte et aux
registres, et qu'on juge en conformité; et si, sans s'être
muni de l'une ou de l'autre de ces Ibrmalités, 1 on veut
intenter quelque procès contre les règles de la justice,
en ne produisant que des faux témoins, on ne permettra
point de pareilles supercheries, et leur demande con-
traire à la justice ne sera point écoutée; et si, par pure
avidité, quelqu'un accusait un Français de lui a\()ir dit
des injures, on empêchera que le l'rançais ne soit
490 .MF..MOIRI. SUR L'AMBASSADE DR TLHQUIK.
iiHjiiictc contre les \u\\ de lu justice; et si un français
\enait à s'absenter pour cause de dette ou de f(uelque
faute, on ne j)ourra saisir ni inquiéter a ce sujet aucun
autre Français qui serait innocent, et qui n'aurait point
été' sa caution.
M-
S'il se trouve dans nos Etats quelque esclave dépen-
dant de la France, et qu'il soit réclamé comme Fran-
çais par les ambassadeurs ou leurs consuls, il sera
amené avec son maître ou son procureur à ma Porte de
félicité, pour que lafiliire y soit décidée. On n'exi-
gera point de kharatch. ou tribut, des Français établis
dans mes Etats.
Lorsqu'ils enverront de leurs gens capables, pour
remplacer leurs consuls établis à Alexandrie, à Tri-
poli de Syrie et dans les autres échelles, personne ne
s'y opposera, et ils seront exempts des impôts arbitraires
dits tekialif-iirjîé.
26.
Si quelqu'un avait un différend a^ec un marchand
français, et qu'ils se portassent chez le cadi. ce juge
n'écoutera point leur procès, si le drogman français ne
se trouve présent; et, si cet interprète est occupé pour
lors à quelque affaire pressante, on différera jusqu'à ce
qu'il vienne : mais aussi les Français s'empresseront de
le représenter, sans abuser du prétexte de l'absence de
APPENDICE. 491
leur drogman. Et s'il arrive quelque contestation entre
les Français, les ambassadeurs et les consuls en pren-
dront connaissance, et en décideront selon leurs us et
coutume, sans que personne puisse s'y opposer.
Il était d'un usage ancien que les bâtiments qui
partaient de Constantinople, après y avoir été visités,
l'étaient encore aux châteaux des Dardanelles, après
quoi on leur permettait de partir : on a introduit depuis,
contre l'ancienne coutume, une autre visite à Gallipoli ;
dorénavant, conformément à l'ancien usage, ils pour-
suivront leur route après qu'on les aura visités aux
Dardanelles.
Quand nos vaisseaux, nos galères et nos armées
navales se rencontreront en mer avec les vaisseaux
français, ils ne feront aucun mal ni dommage; mais au
contraire ils se donneront réciproquement toutes sortes
de témoignages d'amitié : et si de leur plein gré ils ne
font aucun présent, on ne les inquiétera point, et on ne
leur prendra par force ni agrès, ni bardes, ni jeunes
garçons, ni aucune autre chose qui leur appartienne.
Nous contirmons aussi pour les Français tout ce qui
est contenu dans les capitulations impériales accordées
4y2 Mf.MUlRK S L' R ^L' A M B A SS A 1) K I) l 1' L K (^ L I K.
auv N'cniticiis ; et clcfciulons a toutes sortes de ju-r-
sonnes de s'opposer jiar aucun enijKchenn iit. conles-
lation ni cliicane, au cours tle la justice, et a l'exécu-
tion de mes capitulations impériales.
30.
Nous voulons que lés navires et autres ]:)àtiments
français, qui viendront dans nos Etats, y soient bien
gardés et soutenus, et qu'ils puissent s'en retourner en
toute sûreté; et si l'on pillait quelque chose de leurs
hardes et de leurs effets, non-seulement on se donnera
toutes sortes de mouvements pour le rccoii\Tement. tant
des biens que des hommes, mais même on punira
rigoureusement les malfaiteurs, quels qu'ils puissent
être.
Commandons à nos gouverneurs, amiraux, Nice-
rois, cadis, douaniers, capitaines de nos na\ires, et
généralement tous autres habitants de nos États, d'exé-
cuter ponctuellement tout ce qui est contenu dans cette
capitulation impériale, symbole de la justice, sans y
apporter la moindre contravention ; de sorte que, si
quelqu'un ose s'opposer et s'opiniâtrer contre l'exécu-
tion de mon commandement impérial, nous Nouions
qu'il soit regardé comme criminel et rebelle, et que
comme tel il soit châtié sans aucune rémission ni délai,
pour servir d'exemple aux autres. Enfin, notre volonté
APPENDICE. "493
est qu'on ne permette jamais rien de contraire a la
bonne foi et aux accords conclus par les capitulations
accordées sous les augustes règnes de nos magniriques
aïeux de glorieuse mémoire.
32.
^ Comme les nations ennemies qui n'ont point d'am-
bassadeurs décidés à ma Porte de félicité, allaient et
venaient ci-devant dans nos Etats, sous la bannière de
l'Empereur de France, soit pour commerce, soit pour
pèlerinage, suivant la permission impériale qu'ils en
avaient eue sous le règne de nos aïeux de glorieuse
mémoire, de même qu'il est aussi porté par les
anciennes capitulations accordées aux Français : et
comme ensuite, pour certaines raisons, l'entrée de nos
Etats avaient été absolument prohibée à ces mêmes
nations, et qu'elles a\aient même été retranchées des-
dites capitulations ; néanmoins, l'Empereur de France
aj/ant témoigné par une lettre qu'il a envoyée à notre
Porte de félicité, qu'il désirait que les nations enne-
mies, auxquelles il était défendu de commercer dans
nos Etats, eussent la liberté d'aller et venir à Jérusalem,
de même quelles avaient coutume d'y allei" et \enir,
sans être aucunement inquiétées; et que, si par la suite
il leur était permis daller et venir trafiquer dans nos
Etats, ce tût encore sous la bannière de France, comme
I. Renouvellement et .idditions accordas par sultan Mehenict I\' a
M. de Nomtel, ambassadeur de Louis XIV, en 1673.
494 MKMOIRK SUR I,'A M B A SS A D K DK TURQUIE.
par ci-de\aiU, la (kinaïuic âc 1 1 jnpcrciir cic France
aurait ctc agrccc en considération de l'ancienne amitié
qui, depuis nos glorieux ancêtres, subsiste de père en
tils entre Sa Majesté et ma Sublime Porte, et il serait
émané un commandement impérial dont suit la teneur,
savoir : Quv les nations clirétiennes et ennemies, f|ui
sont en paix a\ec l'I^mpereur de France et qui dési-
reront visiter Jérusalem, puissent y aller et venir,
dans les bornes de leur état, en la manière accou-
tumée, en toute liberté et sûreté, sans que personne
leur cause aucun trouble ni empêchement; et si,
dans la suite, il convient d'accorder auxdites nations
la liberté de commercer dans nos Etats, elles iront
et viendront pour lors sous la bannière de l'Empe-
reur de France, comme auparavant, sans qu'il leur
soit permis d'aller et de venir sous aucune autre
bannière.
Les anciennes capitulations impériales qui sont
entre les mains des Français depuis les règnes de mes
magnifiques aïeux jusqu'aujourd'hui, et qui viennent
d'être rapportées en détail ci-dessus, ayant été mainte-
nant renouvelées avec une addition de quelques nou-
veaux articles, conformément au commandement impé-
rial, émané en vertu de mon khatti-cherit^ le premier
de ces articles porte, que les évêques dépendants de la
France, et les autres religieux qui professent la religion
franque, de quelque nation ou espèce qu'ils soient,
lorsqu'ils se tiendront dans les bornes de leur état, ne
seront point troublés dans l'exercice de leurs fonctions,
APPENDICE. 495
dans les endroits de notre empire où ils sont depuis
longtemps.
33-
Les religieux francs qui , suivant l'ancienne cou-
tume, sont établis dedans et dehors de la ville de Jéru-
salem, dans l'église du Saint-Sépulcre, appelée Kamama.
ne seront point inquiétés pour les lieux de Visitation
qu'ils habitent, et qui sont entre leurs mains, lesquels
resteront entre leurs mains comme par ci-devant, sans
qu'ils puissent être inquiétés à cet égard, non plus que
par des prétentions d'impositions; et s'il leur surve-
nait quelque procès qui ne pût être décidé sur les
lieux, il sera renvoyé à ma Sublime Porte.
34-
Les Français, ou ceux qui dépendent d'eux, de
quelque nation ou qualité qu'ils soient, qui iront à
Jérusalem, ne seront point inquiétés en allant et venant.
Les deux ordres de religieux français qui sont à
Galata, savoir, les jésuites et les capucins, y ayant deux
églises qu'ils ont entre leurs mains ab antiqno . elles
resteront encore entre leurs mains, et ils en auront la
possession et jouissance ; et comme 1 wn^i de ces églises a
été brûlée, elle sera rebâtie avec permission de la jus-
tice, et elle restera comme par ci-devant entre les mains
496 Mf.MOIHI SUR l'AMBASSADl DKTLRQUIK.
des ca|)uciMs, sans rju ils piiisseiii ètir iiujiiictcs a cet
ëgarii. On n in<|iiiitcra pas non plus les églises que la
nation iranç^aise a a Smyrne. a Seyde, à Alexandrie et
dans les autres cclielles. et l'on n'exigera d'eux aucun
argent sous ce prétexte.
36.
On n inf{uiclera pas les f"raiK;ais, quand, dans les
bornes de leur état, ils liront l'Kvangile dans leur
hôpital de Galata.
Quoique les marchands tVanç;ais aient, de tout
temps, payé cinq pour cent de douane sur les mar-
chandises qu ils apportaient dans nos Etats et qu ils en
emportaient; comme ils ont prié de réduire ce droit à
trois pour cent, en considération de l'ancienne amitié
qu'ils ont avec notre Sublime Porte, et de le faire insé-
rer dans ces nouvelles capitulations, nous aurions agréé
leur demande, et nous ordonnons qu'en conformité on
ne puisse exiger d'eux plus de trois pour cent; et
lorsqu'ils payeront leur douane, on la recevra en mon-
naie courante dans nos États, pour la même valeur
quelle est reçue au trésor inépuisable, sans pouvoir
être inquiétés sur la plus ou moins \alue d'icelle.
Les Portugais, Siciliens, Catalans, Messinois, Anco-
APPENDICE. 497
nois et autres nations ennemies, qui n'ont ni ambassa-
deurs ni consuls ni agens à ma Sublime Porte, et qui
de leur plein gré, comme ils faisaient anciennement,
viendront dans nos Etats sous la bannière de l'Empe-
reur de France, payeront la douane comme les Fran-
çais, sans que personne puisse les inquiéter, pourvu
qu'ils se tiennent dans les bornes de leur état, et qu'ils
ne commettent rien de contraire à la paix et à la bonne
intelligence.
39-
Les Français payeront le droit de mé:[eterie; sur le
pied que le payent les marchands anglais ; et les rece-
veurs de ce droit, qui seront à Constantinople et à
Galata, ne pourront les molester pour en exiger davan-
tage. Et si les receveurs de la douane, pour augmen-
ter leurs droits, veulent estimer les marcTiandises à plus
haut prix, ils ne pourront refuser de la même marchan-
dise au lieu d'argent; et quand ils auront été payés de
la douane sur les soies et les indiennes, ils ne pourront
l'exiger une seconde fois ; et lorsque les douaniers
auront reçu leur douane, ils en donneront l'acquit, et
n'empêcheront point les Français de porter leurs mar-
chandises dans une autre échelle, où l'on ne pourra
non plus les inquiéter par la prétention d'une seconde
douane.
40.
Les consuls de France et ceux qui en dépendent,
comme religieux, marchands et interprètes, pourront
32
49« MF-.MOIKK SLR L'AMHASSADK l)K ILHQL Jl..
id'ivv luire du \in ihiiis leurs niais(jns. cl un l'aire \enir
de dehors pour leur pr()\ isioii ordinaire, sans qu'on
puisse les infjuiéter a ce sujet.
41-
Les procès excédant (juatre mille aspres, seront
écoutes a mon divan impérial et nulle part ailleurs.
.42.
S il arrivait quelque meurtre dans les endroits oîi il
y a des Françjais, tant qu'il ne sera point donné de
preuves contre eux, on ne pourra désormais les inquié-
ter ni leur imposer aucune amende, dite djérimé.
43-
Les privilèges ou immunités accordés aux Français
auront aussi lieu pour les interprètes qui sont au ser-
vice de leurs ambassadeurs.
* Non-seulement j'accepte et confirme les présentes
capitulations anciennes et renouvelées, ainsi qu'il a été
rapporté ci-dessus, sous le règne de mon auguste aïeul
de glorieuse mémoire ; mais encore les articles deman-
dés et nouvellement réglés et accordés ont été joints à
ces anciennes capitulations dans la forme et teneur
ci-après, savoir :
I. Renouvellement et additions accordés par sultan Mahmoud a
M. de Villeneuve, ambassadeur de Louis XV, en 1740.
APPENDICE. 499
44.
Outre le pas et la préséance portés par le sens des
précédents articles, en faveur des ambassadeurs et des
consuls du très-magnirique Empereur de France: comme
le titre d'Empereur a été attribué ab antiqiio par ma
Sublime Porte à Sadite Majesté, ses ambassadeurs et
ses consuls seront aussi traités et considérés par ma Porte
de félicité avec les honneurs convenables à ce titre.
45-
Les ambassadeurs du trés-magnitique Empereur de
France, de même que ses consuls, se serviront de tels
drogmans qu'ils voudront, et emploieront tels janis-
saires qu'il leur plaira, sans que personne puisse les
obliger de se servir de ceux qui ne leur convien-
draient pas.
46.
Les drogmans véritablement français étant les repré-
sentants des ambassadeurs et des consuls, lorsqu'ils
interpréteront au juste leur commission et qu'ils s'ac-
quitteront de leurs l'onctions, ils ne pourront être ni
réprimandés ni emprisonnés; et, s'ils AÏenncnl a maii(|uer
en quelque chose, ils seront corrigés jiar leurs ambassa-
deurs ou leurs consuls, sans (jue personne autre puisse
les molester.
joo .MI..MU1IIL bLW l.'A.MJiASSAIJl. D 1. I' L R g L Ih.
47-
Des donusticjucs, raï'as ou sujets de ma Sublime
Porte (jui sont au ser\ice de l'ambassadeur dans son
jialais, quinze seulement sercjnt exempts des impositions
et ne seront point inquiètes a ce sujet.
48.
Ceux qui sont sous la domination de ma Sublime
Porte, Musulmans ou raïas, tels qu'ils soient, ne pour-
ront forcer les consuls de France, véritablement français,
à comparaître personnellement en justice, lorsqu'ils
auront des drogmans, et en cas de besoin, ces Musul-
mans ou raïas plaideront avec les drogmans qui auront
été commis à cet effet par leurs consuls.
49-
Les pachas, cadis et antres commandants, ne pour-
ront empêcher les consuls, ni leurs substituts par com-
mandement, d arborer leur pavillon suivant l'étiquette,
dans les endroits où ils ont coutume d'habiter depuis
longtemps.
50.
Il sera permis d'employer, pour la sûreté des mai-
sons des consuls, tels janissaires qu'ils demanderont, et
ces sortes de janissaires seront protégés par les odaba-
APPENDICE. joj
chis et par les autres officiers, sans que pour cela on
puisse exiger desdits janissaires aucun droit ni recon-
naissance.
Lorsque les consuls, les drogmans et les autres
dépendants de la France, feront venir du raisin pour
leur usage, dans les maisons où ils habitent, pour en
faire du vin, ou qu'il leur viendra du vin pour leur
provision, nous voulons que, tant a l'entrée que lors
du transport, les janissaires aga, bostandgy-bachy,
toptchy-bachj, vaivodes et autres ofticiers, ne puissent
demander aucun droit ni donative, et qu'on se conforme
à cet égard au contenu des commandements qui ont été
donnés à ce sujet par les Empereurs nos prédécesseurs,
et qu'on a été dans l'usage de donner jusqu'à présent.
52.
S'il arrive que les consuls et les négociants français
aient quelques contestations avec les consuls et les négo-
ciants d'une autre nation chrétienne, il leur sera per-
mis, du consentement et à la réquisition des parties, de
se pourvoir par-devant leurs ambassadeurs qui résident
à ma Sublime Porte; et tant que le demandeur et le
défendeur ne consentiront pas à porter ces sortes de
procès par-devant les pachas, cadis, ofticiers ou doua-
niers, ceux-ci ne pourront pas les y forcer, ni prétendre
en prendre connaissance.
502 MF.MOIIU. SLR L'AMHASSAUK D F-. TURQ^-'IE-
Lorsque quelque marchand français, ou dépendant
de la France, fera une banqueroute avérée et manifeste,
ses créanciers seront payés sur ce qui restera de ses
effets, et pour\ u qu'ils ne soient pas munis de quelque
titre \alablc de cautionnement, soit de l'ambassadeur,
des consuls, des drogmans ou de quelqu'autre Français,
on ne pourra rechercher à ce sujet lesdits ambassa-
deurs, consuls, drogmans ni autres Français, et l'on ne
pourra les arrêter en prétendant de les en rendre res-
ponsables.
54-
Lorsque les corsaires et autres ennemis de ma
Sublime Porte auront commis quelque déprédation sur
les côtes de notre empire, les consuls et les négociants
français ne seront point inquiétés ni molestés, confor-
mément au contenu des commandements ci-devant
accordés ; et comme, pour la sûreté réciproque, il est
nécessaire de reconnaître les scélérats appelés /or^^w^.
afin qu'ils soient tous connus doréna^•ant, lorsque les
bâtiments barbaresques ou autres corsaires viendront
dans les échelles de notre empire, nos commandants et
autres officiers examineront leurs passe-ports avec atten-
tion, et les commandements ci-devant accordés à ce sujet
seront exécutés comme par le passé ; à condition néan-
moins que les consuls français examineront avec soin,
et feront savoir si les bâtiments qui \ iendront dans nos
APPENDICE. 503
ports avec le pavillon de France sont véritablement
français; et, après les perquisitions dûment faites de la
manière ci-dessus spécifiée, tant nos officiers que les
consuls de France s'en doni?eront réciproquement des
avis de bouche et même par écrit, si le cas requiert
pour la sûreté réciproque des parties.
5^ -
La cour de France étant depuis un temps immé-
morial en amitié et en bonne intelligence avec ma
Sublime Porte, et le très-magnitique Empereur de
de France, de même que sa cour, ayant particulière-
ment donné ses soins dans les traités de paix qui sont
survenus depuis peu, il a paru que quelque fa\eur
dans certaines affaires de convenances était un moyen
de fortifier Pamitié, et un sujet d'en multiplier de plus
en plus les témoignages ; c'est pourquoi nous voulons
que dorénavant les marchandises qui seront embarquées
dans les ports de France, et qui viendront à notre capi-
tale chargées sur des bâtiments véritablement français,
avec manifeste et pavillon de France, de même que
celles qui seront chargées dans notre capitale sur des
bâtiments véritablement français, pour être portées en
France, après qu'elles auront payé le droit de douane
et celui de bon xoyage, dit sclamctlik-rcsmy , confor-
mément aux capitulations antérieures, lorsque les Fran-
çais négocieront ces sortes de marchandises avec quel-
qu'un, l'on ne puisse exiger d'eux, sous quelque
J04 M f . MOI R K S U Fi I ,' A M Fi A S S A F) F! D F-, T T R Q L' F F..
prclcvlc que ce soit, Irilroii tic mc^^cteric. doiii l'cxcnip-
tioii leur (.'Si pleinement accordée pour l'article de la
méietcric tant seulement.
56.
Comme il a été accordé aux marchands français et
aux dépendants de la France de ne payer que 3 p. 0/0,
de douane sur les marchandises qu'ils apporteront de
leur propre pays dans les Etats de notre domination,
non plus que sur celles qu'ils emportent d'ici dans leur
pays ; quoique dans les précédentes capitulations on
n'ait compris que les cotons en laine, cotons HIés,
maroquins, cires, cuirs et soieries, nous voulons qu'in-
dépendamment de ces marchandises ils puissent, en
payant la douane suivant les capitulations impériales,
charger sans opposition toutes celles qu'ils ont coutume
de charger pour leur pays, et qui pour cet effet sont spé-
cifiées dans le tarif bulle du douanier, à l'exception
toutefois de celles qui sont prohibées.
Les marchands français, après avoir payé la douane
aux douaniers, à raison de 3 p. 0/0, conformément aux
capitulations, et après en avoir pris, suivant l'usage,
l'acquit dit eda te\keressy, lorsqu'ils le produiront, il y
sera fait honneur, et l'on 'ne pourra leur demander une
seconde douane. Et attendu qu'il nous aurait été repré-
senté que certains douaniers, portés par leur esprit
APPENDICE. 505
d'avidiré, n'exigent en apparence que 3 p. 0/0, tandis
qu'ils en perçoivent réellement davantage, et que, par
la différence qui existe dans l'appréciation des mar-
chandises, il se trouve que, sur les diverses qualités de
drap, insérées dans le tarif de la douane de Constanti-
nople, de même que dans les tarifs de quelques échelles,
et notamment dans celle d'Alep, la douane excède les
3 p. 0/0; pour faire cesser toute discussion à cet égard,
il sera permis de redresser les tarifs, de façon que la
douane des draps que Ion apportera à l'avenir ne puisse
excéder les 3 p. 0/0, conformément aux capitulations
impériales ; et lorsqu'ils voudront vendre les marchan-
dises qu'ils auront apportées, à tels de nos sujets et
marchands de notre empire qu'ils jugeront à propos,
personne autre ne pourra les inquiéter ni quereller, sous
prétexte de vouloir les acheter de préférence.
58.
Lorsque les fess ou bonnets que les négociants fran-
çais apportent de France ou de Tunis, arrivent à Smyrne,
le douanier de la douane des fruits de Smyrne, forme
toujours des contestations à ce sujet, prétendant que
c'est lui qui est l'exacteur de la douane des fess : étant
donc nécessaire de mettre cet article dans une bonne
forme, nous voulons qu'à l'avenir ledit douanier ne
puisse exiger la douane des fess que les négociants
français apporteront, lorsqu'ils ne se vendront pas à
Smyrne; et, en cas qu'ils s'y vendissent, le droit de
5o6 MKMOIRK SUK LA.MHASSADK DKTUKVUn..
douane sur ers bf)niK(s sera, selon l'usage, exigé par
ledit douaniiT : et s ils viennent à Cf)ns(antinople, le
tlroil de douane en sera paye, selon l'usage, au grand
douanier.
59-
Si les marchands français veulent porter en temps de
paix des marchandises non [iioliibées, des Ktats de mon
empire, par terre ou par mer. de même que par les
rivières du Danube et du Tanaïs, dans les Ktats de
Moscovie, Russie et autres pays, et en apporter dans
mes Ktats, dès cjuils auront payé la douane et les autres
droits, quels qu'ils soient, comme le payent les autres
nations franques, lorsqu'ils feront ce commerce, il ne
leur sera fait sans raison aucune opposition.
60.
Ayant été représenté que certains envieux et vindi-
catifs, voulant molester les négociants français contre
les capitulations, et ne pouvant pas exécuter leur des-
sein, ils attaquent de temps en temps sans raison, et
inquiètent leurs censaux, pour troubler le commerce
desdits négociants, nous Aoulons qu'à l'avenir les cen-
saux qui vont et viennent parmi les marchands, pour
les affaires desdits négociants, ne soient inquiétés en
aucune façon, et que, de quelque nation que soient les.
censaux dont ils se servent, on ne puisse leur faire
violence ni les empêcher de servir. Si certains de la
nation juive et autres prétendent d'hériter de l'emploi
APPENDICE. J07
de censal, les marchands français se serviront de telles
■personnes qu'ils voudront; et lorsque ceux qui se trou-
veront à leur service seront chassés, ou viendront à
mourir, on ne pourra rien exiger ni prétendre de ceux
qui leur succéderont, sous prétexte d'un droit de retenue
nommé ghédik, ou d'une portion dans les censeries,
et l'on châtiera ceux qui agiront contre la teneur de
cette disposition,
61.
Bien qu'il soit expressément porté par les articles
précédents que les droits de consulat et de bailliage
seront payés aux ambassadeurs et aux consuls de France,
sur les marchandises qui seront chargées sur les bâti-
ments français : cependant, comme il a été représenté
que ce point rencontre des difficultés de la part des
marchands et des ratas sujets de notre empire, nous
ordonnons que lorsque les marchands et raias sujets de
notre Sublime Porte chargeront sur des bâtiments fran-
çais des marchandises sujettes à la douane, il soit donné
des ordres rigoureux pour que les marchandises dont le
droit de consulat n'aura pas été compris dans le nolis,
lors du nolissement, ne soient point retirées de la
douane, à moins qu'au préalable ledit droit de consu-
lat n'ait été payé conformément aux capitulations.
62.
Comme l'empire ottoman abonde en fruits, il pourra
venir de France une fois raiince, dans les années
5<)8 M F M O 1 R F. SUR [.' A M B A S S \ F) K D K T U R O U I K.
d'abondance des fruits secs, deux ou trois bâtiments,
pf)ur acheter cl charger de ces fruits, comme tîgues,
raisins secs, noisettes et autres fruits semblabk-s quel-
conques; et après que hi tlouane en aura été payée,
conformément aux capitulations impériales, on ne met-
tra aucune opposition au chargement ni a lexportation
de cette marchandise.
Il sera aussi permis aux bâtiments français d'ache-
ter et de cliarger du sel dans l'ile de Chypre et dans les
autres échelles de notre empire, de la même manière
que les Musulmans y en prennent, sans que nos
commandants, gouverneurs, cadis et autres officiers,
puissent les en empêcher, voulant qu'ils soient protégés
conformément à mes anciennes capitulations, à présent
renouvelées.
Les marchands français et autres dépendants de la
France pourront voyager avec les passe-ports qu'ils
auront pris, sur les attestations des ambassadeurs ou des
consuls de France; et, pour leur sûreté et commodité,
ils pourront s'habiller suivant l'usage du pays, et faire
leurs affaires dans mes États, sans que ces sortes de
voyageurs, se tenant dans les bornes de leur devoir,
puissent être inquiétés pour le tribut kharatch. ni pour
aucun autre impôt; et lorsque, conformément aux capi-
tulations impériales, ils auront des effets sujets à la
douane, après en avoir payé le droit, suivant l'usage,
les pachas, cadis et autres officiers ne s'opposeront point
APPENDICE. J09
à leur passage; et, de la façon ci-dessus mentionnée,
il leur sera fourni des passe-ports en conformité
des attestations dont ils seront munis , leur accor-
dant toute l'assistance possible par rapport à leur
sûreté,
64.
Les négociants français et les protégés de France ne
payeront ni droit ni douane sur les monnaies dor et
d'argent qu'ils apporteront dans nos Etats, de même
que pour celles qu ils emporteront; et on ne les forcera
point de convertir leurs monnaies en monnaie de mon
empire.
65.
Si un Français ou un protégé de France commettait
quelque meurtre ou quelque autre crime, et qu'on \ou-
lùt que la justice en prît connaissance, les juges de
mon empire et les officiers ne pourront y procéder qu'en
présence de. l'ambassadeur et des consuls ou de leurs
substituts, dans les endroits où ils se trouveront; et,
atin qu'il ne fassent rien de contraire a la noble justice
ni aux capitulations impériales, il sera procédé de part
et d'autre, avec attention, aux perquisitions et recherches
nécessaires.
66.
Lorsque notre miry ou quelqu'un de nos sujets,
marchand ou autre, sera porteur de lettres de change
sur les Français, si ceux sur qui elles sont tirées ou les
jio MF.MOlUi: ?L l{ I • VMHASSADK r:)K TLRQLIK.
jK-rsomus (|ui en clc|xiulciit nv \vs accejncnl pus, on
ne pourra, sans cause légitime, les contraindre au paye-
ment de ces lettres, et ïon en exigera seulement une
letlie de refus, pour agir en conséquence contre le
tireur, et l'ambassadeur de même que les consuls se
donneront tous les mouvements possibles pour en pro-
curer le remboursement.
67.
Les Fr ancrai s qui sont établis dans mes États, soit
mariés, soit non mariés, quels qu'ils soient, ne seront
point inquiétés par la demande du tribut nommé
kharatch.
68.
Si un Français, marchand, artisan, officier ou mate-
lot, embrasse la religion musulmane, et qu'il soit véri-
tié et prouvé qu'outre ses propres marchandises il a des
effets appartenants à des dépendants des Français, ces
sortes d'effets seront consignés à l'ambassadeur ou aux
consuls, dans les endroits où il y en aura, pour être
ensuite remis aux propriétaires ; et, dans les endroits où
il n'y aura ni consuls ni ambassadeur, ces efîets seront
consignés aux personnes qu'ils enverront de leur part
avec des pièces justificatives.
69.
Si un marchand français voulant partir pour quelque
endroit, l'ambassadeur ou les consuls se rendent sa
APPENDICE. yii
caution, on ne pourra retarder son voyage, sous pré-
texte de lui faire payer ses dettes; et les procès qui les
concernent, excédant quatre mille aspres, seront ren-
voyés a ma Sublime Porte, selon l'usage et conformé-
ment aux capitulations impériales.
70.
Les gens de justice et les officiers de ma Sublime
Porte, de même que les gens d'épée, ne pourront sans
nécessité entrer par force dans une maison habitée par
un Franc;ais ; et, lorsque le cas requerra d'y entrer, on
en avertira l'ambassadeur ou le consul, dans les endroits
où il y en aura, et l'on se transportera dans l'endroit
en question, a\ec les personnes qui auront été commises
de leur part; et si quelqu'un contrevient à cette dispo-
sition il sera châtié.
71.
Comme il aurait été représenté que les pachas, cadis
et autres officiers voulaient quelquefois re\oir et juger
de nouveau des affaires survenues entre les négociants
français et d'autres personnes, quoique ces affaires
eussent déjà été jugées et terminées juridiquement et
par hudjet. et même que le cas était souvent arri\e; de
sorte que non-seulement il n'y avait point pour eux de
sûreté dans un procès déjà décidé, mais même qu il
intervenait dans un même lieu des jugements contra-
dictoires à des sentences déjà rendues; nous voulons
512 M f MOI RI. SLH i; A.MliASSA DK DKTUKQLIK.
que, daiib le cas spécilic ci-ticssus, les procès (|ui sur-
vieiulronl entre des l'ranç;ais et d autres personnes, ayant
été une fois vus et terminés juridi()nciiirnt et par hiuijct,
ils ne puissent plus être revus; et fjue, si I on requiert
une révision de ces procès, on ne puisse donner de
eominandcment pour faire comparaître les parties, ni
expédier commissaire ou huissier, qu'au préalable il
n'en ait été donné connaissance a l'ambassadeur de
France, et qu'il ne soit \enu de la part au consul et
i\u défendeur, une réponse a\ec des informations exactes
sur le fait, et il sera permis d'accorder un temps suffi-
sant pour faire venir des informations sur ces sortes
d'affaires ; enfin, s'il émane quelque commandement
pour revoir un procès de cette nature, on aura soin
qu'il soit vu, décidé et terminé a ma Sublime Porte,
et dans ce cas, il sera libre à ceux qui sont dépendants
de la France, de comparaître en personne, ou de con-
stituer à leur place un procureur juridiquement auto-
risé, et lorsque les dépendants de ma Sublime Porte
\oudront intenter procès à quelque Français, si le
demandeur n'est muni de titres juridiques ou de billets,
leur procès ne sera point écouté.
On nous aurait aussi représenté que, dans les pro-
cès qui surviennent, les dépenses qui se font pour faire
comparaître les parties, et pour les épices ordinaires,
étant supportées par celui qui a le bon droit, et les
APPENDICE. 513
avanistes qui intentent injustement des procès, n'étant
soumis à aucun frais, ils sont invités par là à faire tou-
jours de nouvelles avanies; sur quoi, nous voulons quà
l'avenir, il soit permis de faire supporter les susdits
dépens et frais par ceux qui oseront intenter contre la
justice un procès dans lequel ils n'auront aucun droit :
mais lorsque les Français ou les dépendants de la
France poursuivront juridiquement des sujets ou des
dépendants de ma Sublime Porte, en recouvrement de
quelque somme due, on n'exigera deux pour droits de
justice ou mahkemé. de commissaire ou mubachirié,
d'assignations ou ih^arié. que deux pour cent sur le
montant de la somme recouvrée par sentence, confor-
mément aux anciennes capitulations, et on ne les moles-
tera point par des prétentions plus considérables.
Les bâtiments français qui, selon l'usage, aborde-
ront dans les ports de mon empire, seront traités ami-
calement ; ils y achèteront, avec leur argent, leur
simple nécessaire pour leur boire et leur manger, et l'on
n'empêchera ni l'achat et la vente, ni le transport des-
dites provisions, tant de bouche que pour la cuisine,
sur lesquelles on n'exigera ni droits ni donatives.
74-
Dans toutes les échelles, ports et côtes de mon
empire, lorsque les capitaines ou patrons des bâtiments
3}
514 MÉMOIRK SUR I A M H ASSA I) I 1)1. ILKC^LIK
liMiicais auioni hisoln de laiic callaUr, cIoiiiht II- sui)
et racloiihcr leurs bàtiniciils, les coiniiiaïKlanis n'cnipë-
clicroiil poiiii (ju'il kiir soit Iniinii pour leur urgent la
quantilc de suif, goudron, pf)ix et ouvriers qui leur
seront nécessaires; et, s'il arrive que, par quelque mal-
lieur, un bâtiment français vienne à manquer d'agrès, il
sera permis, seulement pour ce bâtiment, d'acheter
mâts, ancres, \()iles et matériaux pour les mats, sans
(|ue pour ces articles il soit exigé aucune donative ;
et lorsque les bâtiments français se trouveront dans
quelque échelle, les fermiers, miissclems, et autres
officiers, de même que les kliaratclii. ne pourront les
retenir sous prétexte de \ouIoir exiger le kharatch de
leurs passagers qu'il leur sera libre de conduire à leur
destination ; et s'il se trouve dans It bâtiment des ra'ias.
sujets au kharatch. ils le payeront audit lieu, ainsi qu'il
est de droit, afin qu'à cette occasion il ne soit point fait
de tort au lise.
Lorsque les Musulmans ou les raïas. sujets de ma
Sublime Porte, chargeront des marchandises sur des
bâtiments français, pour les transporter d'une échelle
de mon empire à une autre, il n'y sera porté aucun
empêchement; et comme il nous a été représenté que
les sujets de notre Sublime Porte, qui nolisent de ces
bâtiments, les quittent quelquefois pendant la route, et
font difficulté de payer le nolis dont ils sont convenus ;
si, sans aucune raison légitime, ces sortes de nolisa-
APPENDICE. . ' jxj
taires viennent à quitter en route les bâtiments nolisés,
il sera ordonné et prescrit au cadi et autres comman-
dants de faire payer en entier le nolis desdits bâtiments,
ainsi qu'il en aura été convenu par le temcssiik ou con-
trat, comme faisant un loyer formel.
76,
Les gouverneurs, commandants, cadis, douaniers,
vaivodes, miisselenis. officiers, gens notables du pays,
gens d'affaires et autres, ne contreviendront en aucune
façon aux capitulations impériales : et si, de part et
d'autre, on y contrevient en molestant quelqu'un, soit
par paroles, soit par voie de fait : de même que les
Français seront châtiés par leur consul ou supérieur,
conformément aux capitulations, il sera aussi donné
des ordres, suivant l'exigence des cas, pour punir les
sujets de notre Sublime Porte des vexations qu'ils
auraient commises, sur les représentations qui en
seraient faites par l'ambassadeur et les consuls, après
que le fait aura été bien avéré.
77-
Si par un malheur, quelques bâtiments français
venaient à échouer sur les côtes de notre empire, il leur
sera donné toutes sortes de secours pour le rocou\re-
ment de leurs effets; et si le bâtiment naufragé peut
être réparé, ou que la marchandise sauvée soit cliargée
sur un autre l)âtiment, pour être transportée au lieu de
y 1 6 M r \1 () 1 H \. S U l{ I ■ \ M 15 A S S A I) I . I) l. V L H Q L I K.
sa ck'stination, poiiiMi fjiic ces marchundises ne soiL-iit
pas négociées sur les lieux, on ne pourra exiger
sur lesdites marchandises ni douane ni aucun autre
droit.
78.
Outre (jue le capilan-pacha. les capitaines de nos
\aisscaux de guerre, les beys de galère, les comman-
dants de galiotes et les autres bâtiments de notre
Sublime Porte, et notamment ceux qui font le com-
merce d'Alexandrie, ne pourront détenir ni inquiéter
les bâtiments français contre la teneur des capitulations
impériales, ni en exiger par force des présents, sous
quelque prétexte que ce soit; lorsqu'ils rencontreront
en mer des bâtiments français, soit de guerre, soit mar-
chands, ils se donneront réciproquement, suivant l'an-
cien usage, des marques d amitié.
79-
Lorsque les bâtiments marchands français voient nos
vaisseaux de guerre, galères, sultanes et autres bâti-
ments du Sultan, il arrive que, quoiqu'ils soient dans
l'intention de leur faire les politesses Usitées depuis
longtemps, ils sont cependant inquiétés pour n'être
pas venus sur-le-champ à leur bord, par l'impossibilité
où ils sont quelquefois de mettre avec promptitude leur
chaloupe à la mer; ainsi, pourvu qu'on voie qu'ils se
mettent en état de remplir les usages pratiqués, on ne
APPENDICE. " ^17
pourra les molester, sous prétexte qu'ils auront tardé
de venir à bord.
Les bâtiments français ne pourront être détenus
sans raison dans nos ports, et on ne leur prendra par
force ni leur chaloupe, ni leurs matelots; et la déten-
tion surtout des bâtiments chargés de marchandises,
occasionnant un préjudice considérable, il ne sera plus
permis à l'avenir de rien commettre de semblable.
Lorsque les commandants des bâtiments de guerre sus-
dits, iront dans les échelles où il y a des Français éta-
blis, pour empêcher leurs Levantis et leurs gens de
faire aucun tort aux Français et de les inquiéter, ils ne
les laisseront aller à terre qu'avec un nombre suffisant
d'officiers, et ils établiront une garde pour la sûreté des
Français et de leur commerce ; et, lorsque les Français
iront à terre, les commandants des places ou des
échelles, et les autres officiers de terre, ne les moleste-
ront en aucune façon contre la justice et les usages;
de sorte que, si l'on se plaint qu'à ces égards il ait été
commis quelque action contraire aux capitulations
impériales, ceux qui seront en faute seront sévèrement
punis, après la vérification des faits ; et pareillement,
de la part des Français, il ne sera nullement permis
aucune démarche peu modérée contraire à l'amitié.
80. . ' .
Lorsque, pour cause de nécessité, on sera dans un
cas urgent de noliser quelque bâtiment français de la
«ji» Mr.MOliU: SLI{ 1 ' \ MH ASSADF. I) K T U f^ Q f I F..
part (lu iiiirj-. les tommaiulants ou autres «•)fricicrs qui
srioni iliaigcs de cette omiTiission en avertiront l'am-
bassadeur ou les consuls dans les endroits ou il y en
aura, et ceux-ci destineront les bâtiments qu'ils trf)uve-
ront convenables; et, dans :les endroits ou il n'y aura
ni ambassadeur ni consul, ces bâtiments seront nolisés
de leur bon gré ; et 1 on ne pourra, sous ce prétexte,
détenir les bâtiments français; et ceux qui seront char-
gés ne seront ni molestés, ni forcés de décharger leurs
marchandises.
8i.
Comme il a été représenté que malgré l'assistance
souvent accordée aux Français , conséquemment à
l'exacte observation des articles des précédentes capitu-
lations concernant les corsaires de Barbarie, ceux-ci,
non contents de molester les bâtiments français qu'ils
rencontrent en mer, insultent et vexent encore les con-
suls et les négociants français qui se trouvent dans les
échelles où ils abordent ; lorsqu'à l'avenir il arrivera
des procédés irréguliers de cette nature, les pachas,
commandants et autres officiers de notre empire, proté-
geront et défendront les consuls et les marchands fran-
çais, et sur les témoignages que rendront les ambassa-
deurs et les consuls, que les bâtiments qui viendront
sous les forteresses et dans les échelles de nos Etats
sont véritablements français, on empêchera de toutes
manières que ces corsaires ne les prennent, et l'on ne
prendra aucun bâtiment sous le canon ; et si ces cor-
APPENDICE. ^19
saires causent quelque dommage aux Français, dans les
endroits de notre empire 011 il y aura des pachas et des
commandants, il sera permis, pour intimider, de donner
des ordres rigoureux pour leur faire supporter les pertes
et les dommages qui seront survenus.
il.
Lorsque les endroits, dont les religieux dépendants
de la France ont la possession et la jouissance à Jéru-
salem, ainsi qu'il en est fait mention dans les articles
précédemment accordés et actuellement renouvelés,
auront besoin d'être réparés, pour prévenir la ruine à
laquelle ils seraient exposés par fia suite des temps, il
sera permis d'accorder, à la réquisition de l'ambassa-
deur de France résidant à ma Porte de félicité, des
commandements, pour que ces réparations soient faites
d'une façon conforme aux tolérances de la justice ; et
les cadis, commandants et autres otiiciers, ne pourront
mettre aucune sorte d'empêchement aux choses accor-
dées par commandement. Et comme il est arrivé que
nos officiers, sous prétexte que l'on avait fait des répa-
rations secrètes dans les susdits lieux y faisaient plu-
sieurs visites dans l'année, et rançonnaient les religieux,
nous voulons que de la part des pachas, cadis, com-
mandants et autres officiers qui s'y trouvent, il ne soit
fait qu'une visite par an dans l'église de l'cndioil qu'ils
nomment le Sépulcre de Jésus, de même que dans
leurs autres églises et lieux de visitalions. Les évêques
S20 \1 r. M O I K I-. s U |{ I • \ M H \ S S A I) I . D I , T l H (^ U I K.
cl rcligieiiv clcpciulanls d.' I l'.nijKTcur de l'ruiKL-, (|ui si-
trouvent thms mon tiiipirc, seront protégés, tant qu'ils
se ticiulioiii chins les bornes de leur état, et pers(jnnc ne
pourra les empêcher devercer Kur rit suivant leur
usage, dans les églises qui sont entre leurs mains, de
même que dans les autres lieux ou ils habitent : et
lorsque nos sujets tributaires et les I'ranç;ais iront et
viendront les uns chez les autres, pour ventes, achats et
autres aliaires, on ne pourra les molester contre les lois
sucrées pour cause de cette fréquentation; et comme il
est porté par les articles précédemment stipulés, qu'ils
pourront lire l'Evangile dans les bornes de leur devoir,
dans leur hôpital de Galata; cependant, cela n'ayant pas
été exécuté, nous voulons que dans tel endroit où cet
hôpital pourra se trouver à l'avenir, dans une forme
juridique, ils puissent, conformément aux anciennes
capitulations, y lire l'Evangile dans les bornes du devoir,
sans être inquiétés à ce sujet.
85.
Comme l'amitié de la cour de France avec ma
Sublime Porte est plus ancienne que celle des autres
cours, nous ordonnons, pour qu'il soit traité avec elle
de la manière la plus digne, que les privilèges et les
honneurs pratiqués envers les autres nations franques
aient aussi lieu à l'égard des sujets de l'Empereur de
France.
APPENDICE. 521
(
84.
L'ambassadeur, les consuls et les drogmans de
France, ainsi que les négociants et artisans qui en
dépendent; plus, les capitaines des bâtiments français
et leurs gens de mer, enfin leurs religieux et leurs
évêques, tant qu'ils seront dans les bornes de leur état
et qu'ils s'abstiendront de toutes démarches qui pour-
raient porter atteinte aux devoirs de lamitié et aux
droits de la sincérité, jouiront dorénavant de ces anciens
et nouveaux articles ci-présentement stipulés, lesquels
seront exécutés en faveur des quatre états ci-dessus
mentionnés ; et si l'on venait à produire môme quelque
commandement d'une date antérieure ou postérieure,
contraire à la teneur de ces articles, il restera sans exé-
cution, et sera supprimé et bitîé, conformément aux
capitulations impériales.
8^
Ma généreuse et Sublime Porte ayant à présent
renouvelé la paix ci-de\'ant conclue a\ec les Français,
et pour donner de plus en plus des témoignages d'une
sincère amitié, y ayant à cet effet ajouté et fortifié cer-
tains articles convenables et nécessaires, il sera expédié
des commandements rigoureux à tous les comman-
dants et officiers des principales cclielles et autres
endroits où besoin sera, aux lins qu'à l'aNcnir il soit
<; 2 2 M l'. M () m F. S l' l{ I • \ M H \ S S ^ I) I . [) K T L' W Q L I V. .
fait hniinciir aiiY articles ck- ma capitulation impériale,
et (|u on ail a s'abstenir de tonte démarche contraire à
son contenu, et il sera permis d"en taire l'enregistre-
ment dans les mahkcmcs, ou tribunaux publics. Con-
séquemment. tant (jue de la part de Sa Majesté le tres-
magnitique Empereur de France et de ses successeurs il
sera constamment donné des témoignages de sincérité et
de bonne amitié envers notre glorieux empire le siège
du khalifat : Pareillement de la part de Notre Majesté
impériale, je m'engage, sous notre auguste serment le
plus sacré et le plus inviolable, soit pour notre sacrée
personne impériale, soit pour nos augustes successeurs,
de môme que pour nos suprêmes visirs, nos honorés
pachas, et généralement tous nos illustres serviteurs qui
ont l'honneur et le bonheur d'être dans notre esclavage,
que jamais il ne sera rien permis de contraire aux pré-
sents articles : Et atin que de part et d'autre on soit tou-
jours attentif à fortitier et cimenter les fondements de la
sincère amitié et de la bonne correspondance réciproque,
nous voulons que ces gracieuses capitulations impé-
riales soient exécutées selon leur noble teneur.
Écrit le quatre de la lune de Rebiul-ewel. l'an de
l'hégire onze cent cinquante-trois.
Dans la résidence impériale de Constantinople
la bien gardée.
APPENDICE 523
XVI.
Traité de paix entre la République fran-
çaise ET LA Sublime Porte ottomane,
signe a Paris le 6 messidor an x [25 juin
1802]..
Le premier consul de la République française, au
nom du peuple français, et le sublime Empereur otto-
man, voulant rétablir les rapports primitifs de paix et
d'amitié qui ont existé de tout temps entre la France et
la Sublime Porte, ont nommé, dans cette vue, pour
ministres plénipotentiaires, savoir :
Le premier consul, au nom du peuple français, le
citoyen Charles-Maurice Talleyrand, ministre des rela-
tions extérieures de la République française;
Et la Sublime Porte ottomane, Esseid-Mohamed-
Said-Ghalib EfFendi , rapporteur actuel, secrétaire
intime et directeur des affaires étrangères.
Lesquels, après avoir échangé leurs pleins pouvoirs,
sont convenus des articles suivants :
art.
Il y aura à l'avenir paix et amitié perpétuelles entre
la République française et la Sublime Porte ottomane.
5 24 M F . M O I II l. S L R I .' A M B \ S S A D l D \. V L R Q L I K.
Les hostilités cesseront désormais et pour toujours entre
les deux Etals.
ART. 2.
Les traités ou capitulations qui, avant l'époque de
la guerre, déterminaient respectivement les rapports de
route espèce qui existaient entre les deux puissances,
sont entièrement renouvelés. Kn conséquence de ce
renouvellement et en exécution des articles des anciennes
capitulations, en vertu desquels les Fran^-ais ont le droit
de jouir, dans les Etats de la Sublime Porte, de tous
les avantages qui sont accordés à d'autres puissances, la
Sublime Porte consent à ce que les vaisseaux du com-
merce français, portant pavillon français, jouissent
désormais sans aucune contestation du droit d'entrer et
de naviguer librement dans la mer Noire.
La Sublime Porte consent de plus à ce que lesdits
vaisseaux français, à leur entrée et à leur sortie de cette
mer, et pour tout ce qui peut favoriser leur libre navi-
gation, soient entièrement assimilés aux vaisseaux mar-
chands des nations qui naviguent dans la mer Noire.
La Sublime Porte et le gouvernement de la Répu-
blique prendront de concert des mesures efficaces pour
purger de toute espèce de forbans les mers qui servent à
la navigation des vaisseaux marchands des deux Etats.
La Sublime Porte promet de protéger contre toute
espèce de piraterie le commerce des Français qui
naviguent dans la mer Noire.
Il est entendu que les avantages assurés aux Fran-
APPENDICE. J25
çais, par le présent article, dans l'empire ottoman, sont
également assurés aux sujets et au pavillon de la
Sublime Porte, dans les mers et sur le territoire de la
République française.
ART. 3.
La République française jouira, dans les pays otto-
mans qui bordent ou avoisinent la mer Noire, tant pour
son commerce que pour les agents et commissaires des
relations commerciales, qui pourront être établis dans
les lieux où les besoins du commerce français rendront
cet établissement nécessaire, des mêmes droits, privi-
lèges et prérogatives dont la France jouissait avant la
guerre, dans les autres parties des Etats de la Sublime
Porte, en vertu des anciennes capitulations.
ART. 4.
La Sublime Porte accepte, en ce qui la concerne, le
traité conclu à Amiens entre la France et l'Angleterre,
le 4 germinal an x {22 zilhidjé 1216). Tous les articles
de ce traité, qui sont relatifs à la Sublime Porte, sont
formellement renouvelés dans le présent traité.
ART. 5 .
La République française et la Sublime Porte se
garantissent mutuellement l'intégrité de leurs posses-
sions.
526 MEMUIKK SIR l'AMHASSADI. D K I' L R g L 1 F.
A R r" . 6 .
I,cs resliuitions et compensations dues aux agents
ck'S deux puissances, ainsi f|u aux citoyens et sujets
dont les biens ont été confisqués ou séquestrés pendant
la guerre, seront réglées avec équité, par un arrange-
ment particulier, qui sera fait a Constantinopk- entre
les dijux gouvernements.
ART. 7 .
En attendant qu'il soit pris de concert de nouveaux
arrangements sur les discussions qui ont pu s'élever
relativement aux droits de douanes, on se conformera,
à cet égard, dans les deux pays, aux anciennes capitu-
lations.
ART. 8.
S'il existe encore des prisonniers qui soient détenus
par suite de la guerre dans les deux Etats, ils seront
immédiatement mis en liberté sans rançon.
ART. p.
La République française et la Sublime Porte ayant
voulu, par le présent traité, se placer dans les Etats
l'une de l'autre, sur le pied de la puissance la plus
favorisée, il est entendu qu'elles s'accordent respecti-
vement, dans les deux États, tous les avantages qui
APPENDICE. P7
pourraient être ou avoir été accordés à d'autres puis-
sances, comme si lesdits avantages étaient expressément
stipulés dans le présent traité.
ART. lO.
Les ratifications du présent traité seront échangées
à Paris, dans l'espace de quatre-vingts jours, ou plus
tôt, si faire se peut.
Fait à Paris, le 6 messidor an x de la République
française (25 juin 1802), et le 24 Safer Ulhaïr 12 17.
Sig-né Ch. Maur. Talleyrand.
Esseid-Mohamed-Said-Ghalib Effendi.
XVII.
Traite de commerce conclu
entre la France et la Porte ottomane
LE 25 novembre 1838.
Pendant la longue alliance qui a heureusement
subsisté entre la France et hi Sublime Porte, des capi-
tulations obtenues de la Porte et des traités conclus
entre les deux puissances ont réglé le taux des droits
payables sur les marchandises exportées de Turquie,
comme sur celles importées dans les domaines du Grand
528 M F M O I n K S r H I ' k M I', \ s s \ D I. I) \: V L R O U I F..
Seigneur, et ont ti;ibli tt consacre les droits, privilèges,
imimmités et obligations des marchands rranç;ais trati-
(jiiant ou résidant dans 1 étendue de l'empire Ottoman.
Cependant, depuis l'époque ou les capitulations on
été revisées pour la dernière fois, des changements de
différente nature sont survenus, tant dans l'administra-
tion intérieure de I emjiire lurc, (jue dans ses relations
extérieures a\ec les autres puissances, et Sa Alajcslé
l'Kmpereur des Français et Sa Hautesse le Sultan sont
convenus de régler de nouveau, par un acte spécial et
additionnel, les rapports commerciaux de leurs sujets,
le tout dans le but d'augmenter le commerce entre
leurs Etats respectifs, comme dans celui de faciliter
davantage l'échange des produits de l'un des deux pays
avec ceux de l'autre : à cet effet, ils ont nommé pour
leurs plénipotentiaires :
Sa Majesté l'Empereur des Français, M. Albin-
Reine, baron Roussin, vice-amiral, pair de France,
membre de l'Académie des sciences, grand-croix de
Tordre impérial de la Légion d'honneur, décoré du
grand ordre de Nichani-lftihar, grand-croix de Tordre
grec du Sauveur, commandeur de l'Ordre de la Croix
du Sud du Brésil, son ambassadeur près la Sublime
Porte,
Et Sa Hautesse le Sultan, le très-excellent et très-
distingué Méhémed Noury Effendi, conseiller d'Etat
au département des affaires étrangères, tenant le porte-
feuille de ce ministère par intérim, décoré de l'ordre
du Nichani-lftihar de première classe, grand-croix de
APPENDICE. 529
l'ordre belge de Léopold, — et le très-excellent et
très-distingué Mustapha Kiani bey, membre du conseil
suprême d'État, président du conseil d'utilité publique
et du commerce, ministre d'Etat de première classe,
revêtu des décorations affectées à ces deux emplois.
Lesquels, après s'être donné réciproquement com-
munication de leurs pleins pouvoirs trouvés dans la
bonne et due forme, sont tombés d'accord sur les articles
suivants :
ARTICLE PREMIER.
Tous les droits, privilèges et immunités qui ont été
conférés aux sujets ou aux bâtiments français par les
capitulations et les traités existants sont contirmés
aujourd'hui et pour toujours, à l'exception de ceux qui
vont être spécialement moditiés par la présente conven-
tion, et il est, en outre, expressément entendu que tous
les droits, privilèges et immunités que la Sublime Porte
accorde aujourd'hui ou pourrait accorder à l'aNcnir aux
bâtiments et aux sujets de toute autre puissance étran-
gère, seront également accordés aux sujets ou aux bâti-
ments franç^ais, qui en auront de droit l'exercice et la
jouissance.
A R T . 2 .
Les sujets de Sa Majesté l'Empereur des Fran<^-ais
ou leurs ayants cause pourront acheter, dans toutes les
parties de l'empire Ottoman, soit qu'ils veuillent en
faire le commerce à l'intérieur, soit qu'ils se proposent
34
y V M I MOI l; I s M! I ' \ Ml{ Xs'^ \ 1)1. 1)1 ri Hnri I .
de les exporter, loiis les articles sans exception prove-
nant (In soi ou de I iiulusliie de ce pa\s. 1 ,a SubliiTH:
Porte s'engage (orniellmunl ;i ;ibolir ions K-, monopoles
cpii frappent les jirodnits de l'agriciilf.ire it les autres
productions quelconques de son territf)ire. comme aussi
elle renonce a l'usage des te^kércs demandés aux auto-
rités locales pour l'achat de ces marchandises ou pour
les transporter iVun lieu a un autre quand elles
étaient achetées; toute tentati\e cjui serait laite par une
autorité quelconque pour forcer les sujets franç^ais a se
pourvoir de semblables permis ou tc:^kércs. sera consi-
dérée comme une infraction aux traités, et la Sublime
Porte punira imniLdiatement avec sé\érité tous vézirs
ou autres lonctionnaires auxquels on aurait une pareille
infraction à reprocher, et elle indemnisera les sujets
irant;ais des pertes ou vexations dont ils pourront pnni-
ver qu'ils ont eu à souffrir.
ART. 3 .
Les marchands français ou leurs ayants cause qui
achèteront un objet quelconque produit du sol ou de
l'industrie de la Turquie, dans le Init de le revendre
pour la consommation dans l'intérieur de l'empire
Ottoman, payeront, lors de l'achat ou de la vente, les
mêmes droits qui sont payés dans des circonstances
analogues par les sujets musulmans ou par les raïas
les plus favorisés parmi ceux qui se livrent au com-
merce intérieur.
APPENDICE. 531
ART. 4.
Tout article produit du sol ou de l'industrie de la
Turquie, acheté pour l'exportation, sera transporté libre
de toute espèce de charge et de droits à un lieu conve-
nable d'embarquement par les négociants franc;ais ou
leurs ayants cause. Arrivé là, il pa)'era a son entrée un
droit fixe de 9 pour 100 de sa valeur, en remplacement
des anciens droits de commerce intérieur supprimés par
la présente convention. A sa sortie, il payera le droit
de 3 pour 100 anciennement établi, et qui demeure sub-
sistant. Il est toutefois bien entendu que tout article
acheté au lieu d'embarquement pour l'exportation, et
qui aura déjà payé à son entrée le droit intérieur, ne
sera plus soumis qu'au seul droit primitif de 3 pour 100.
ART. 5.
Tout article produit du sol ou de l'industrie de la
France et de ses dépendances, et toutes marchandises,
de quelque espèce qu'elles soient, embarquées sur des
bâtiments frant;ais et étant la propriété de sujets fran-
^•ais, ou apportées par terre ou par mer, d'autres pays
par des sujets franç;ais, seront admis comme antérieure-
ment dans toutes les parties de l'empire OtKMnan, sans
aucune exception, moyennant un droit de 3 pour 100
calculé sur la valeur de ces articles.
En remplacement de tous les droits de commerce
intérieur qui se ])ei\;oivenl aujourdluii sur lesdites mar-
jp MF-,M()II{|. SIK I \MIMsS\l)l. I) I l' l H O f I K.
cliantiisc-s, le négociant li'.m(;ais fini Ic^ iniporlcTu. soit
(|ii'il les \eiule au l'eu craiiivcc, soit (ju il les evjK-die
clans rinljiieur pour les y \eiulre, jiayeru un droit
additionnel de 2 j-jour 1 .. Si ensuite ces marchandises
sont i"e\enducs a l'intciieur ou a l'extérieur, il ne sera
])lus exigé aucun droit ni du \endeiir ni de l'acheteur,
ni de celui (jui, les a)ant achetées, désirera les expédier
au dehors.
Les marchandises qui auront payé l'ancien droit
d'importation de 3 jiour 100 dans un port pourront être
en\oyées dans un autre port, tranches de tous droits, et
ce n'est que lorsqu'elles y seront vendues ou transpor-
tées de celui-ci dans 1 intérieur au pavs (jue le droit
additionnel de 2 pour 100 de\ra être acquitté.
Il demeure entendu (jue le gou\ernement de Sa
Majesté l'Empereur des Frant;ais ne prétend pas, soit
par cet article, soit par aucun autre du présent traité,
stipuler au delà du sens naturel et précis des termes
employés, ni pri\er en aucune manière le gouverne-
ment de Sa Hautessc de l'exercice de ses droits d'admi-
nistration intérieure, en tant, toutefois, que ces droits
ne porteront pas une atteinte manifeste aux stipulations
des anciens traités et aux pri\iléges accordés par la pré-
sente convention aux sujets frant;ais et à leurs propriétés.
ART. 6.
Les sujets franç;ais ou leurs avants cause pourront
librement trafiquer dans toutes les parties de l'empire
APPENDICE. 533
Ottoman des marchandises apportées des pays étrangers;
et si ces marchandises n'ont payé à leur entrée que le
droit d'importation, le négociant français ou son ayant
cause aura la faculté d'en tratîquer, en payant le droit
additionnel de 2 pour I GO auquel il serait soumis pour la
vente des propres marchandises qu'il aurait lui-même
importées, ou pour leur transmission faite dans l'inté-
rieur avec l'intention de les y vendre. Ce payement
une fois acquitté, ces marchandises seront libres de tous
autres droits, quelle que soit la destination ultérieure
qui sera donnée à ces marchandises.
ART. 7.
Aucun droit quelconque ne sera préle\é sur les
marcliandises franç;aises produit du sol ou de l'indus-
trie de la France et de ses dépendances, ni sur les mar-
chandises provenant du sol ou de l'industrie de tout
autre pays étranger, quand ces deux sortes de marchan-
dises, embarquées sur des bâtiments franç;ais apparte-
nant à des sujets français, passeront par les détroits des
Dardanelles, du Bosphore ou de la mer Noire, soit que
ces marchandises traversent ces détroits sur les bâti-
ments qui les ont apportées, ou qu'elles soient transpor-
tées sur d'autres bâtiments, ou que, devant être \endues
ailleurs, elles soient, pour un temps limité, déposées à
terre pour être mises à bord d'autres bâtiments et con-
tinuer leur voyage.
Toutes les marchandises importées en Turquie poui-
534 M f ' "^I f ^ ' 'î ' '■ ^ '-■ '^ ' ' -^ "^1 15 \ S S \ I ) I . I) I-: l' L i{ Q L I !..
être li.iiisportLCS cii d'autivs j);i)s. ou qui, restant entre
les iiKiins de l'importateur, seront exjiédiées par lui
dans d'autres pays pour y être vendues, ne payer<jnt
que le premier droit d'iniportatioii dr 3 pour 100, sans
que, sous aueun prétexte, on jniisse les assujettir a
d'autres droits.
ART. 8.
Les fermans exigés des bâtiments marchands fran-
çais à leur passage dans les Dardanelles et dans le Bos-
phore leur seront toujours délivrés de manière à leur
occasionner le moins de retard possible.
ART. 9.
La Sublime Porte consent à ce que la législation
créée par la présente convention soit exécutable dans
toutes les provinces de l'empire Ottoman, c'est-à-dire
dans les possessions de Sa Hautesse situées en Europe
et en Asie, en Egypte et dans les autres parties de
l'Afrique appartenant à la Sublime Porte, et quelle
soit applicable à toutes les classes de sujets ottomans.
La Sublime Porte déclare aussi ne point s'opposer
à ce que les autres puissances étrangères cherchent à
faire jouir leur commerce des stipulations contenues
dans la présente convention.
ART. 10.
Suivant la coutume établie entre la France et la
APPENDICE. 535
Sublime Porte, et afin de prévenir toute difficulté et
tout retard dans l'estimation de la valeur des articles
importés en Turquie ou exportés des Etats Ottomans
par les sujets français, des commissaires versés dans la
connaissance du commerce des deux pays ont été nom-
més, tous les quatorze ans, pour fixer par un tarif la
somme d'argent en monnaie du Grand Seigneur qui
devra être payée sur chaque article Or le terme de
quatorze ans, pendant lequel le dernier tarif devait res-
ter en vigueur, étant expiré, les hautes parties contrac-
tantes sont convenues de nommer conjointement de
nouveaux commissaires pour fixer et déterminer le mon-
tant en argent qui doit être payé par les sujets français
comme droitde 3 pour loosurla valeur de tous les articles
de commerce importés et exportés par eux. Lesdits com-
missaires s'occuperont de régler avec équité le mode de
payement des nouveaux droits auxquels la présente
convention soumet les produits turcs destinés à Texpor-
tation, et détermineront les lieux d'embarquement dans
lesquels l'acquittement de ces droits sera le plus iacile.
Le nouveau tarif établi restera en \igueur pendant
sept années, à dater de sa tixation. Après ce terme,
chacune des hautes parties contractantes aura droit d'en
demander la révision. Mais si, pendant les six mois qui
suivront l'expiration des sept premières années, ni l'une
ni l'autie n'use de celte iacullé, le tarif continuera
d'avoir force de loi pour sept autres années, à dater du
jour où les premières seront expirées, et il en sera de
même à la tin de cha(|ue période successive de sept années.
536 MK.MOIHI-; SLH l'\MliASSADK DK TlRgLIK
CONCF.USION.
I,a présente con\cnii()n sera ratitiée; les ratifications
en seront échangées a Constanlinoi^le. clans l'espace de
trois mois ou plus tôt si faire se peut, et elle ne com-
mencera toutefois a être mise a exécution rjuau mf)is
de mars mil huit cent trente-neuf.
Les dix articles qui précèdent ayant été arrêtés et
conclus, le présent acte a été signé par nous, et il est
remis à Leurs Excellences les plénipotentiaires de la
Sublime Porte, en échange de celui qu'ils nous remettent
eux-mêmes.
Fait à Constantinople le 25 novembre 1838.
Le Vice-Q/lmiral. Pair de France, d-lmbassadeur
de l Empereur.
Baron R c u s s i n .
Nous, ayant agréable ladite convention, toutes et
chacune des dispositions qui y sont contenues, décla-
rons, tant pour nos héritiers et successeurs, qu'elle est
acceptée, approuvée, ratitiée et confirmée, et par ces
présentes, signées de notre main, nous l'acceptons,
approuvons, ratifions et confirmons, promettant en foi
et en parole d'Empereur, de l'observer et de la faire
observer inviolablement. sans v jamais contre\enir ni
APPENDICE.
537
permettre qu'il y soit contrevenu directement ni indirec-
tement, en quelque manière et sous quelque prétexte
que ce soit. En foi de quoi nous avons apposé notre
sceau impérial à ces présentes.
Donné en notre palais impérial des Tuileries, le
dix-neuvième jour du mois de janvier de l'an de grâce
mil huit cent trente-neuf.
Signé Lo uis-Philippf.
Par Sa Majesté l'Empereur,
Signé Mole.
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos i
Mémoire sur l'ambassade de France en Turquie i
Introduction 7
Première partie 29
Deuxième partie i-^^
Liste des ambassadeurs, ministres et agents politiques
des Rois de France à la Porte Ottomane depuis
François I"^'' jusqu'à Louis XVI 179
Jean Frangipani . 170
Antoine de Rincon 180
Jean de la Forest 181
Jean de Montluc . . . i8r
Marillac 182
César Cantelmo 183
Antoine Polin, baron de la Garde 185
Gabriel d'Aramon 185
Chesneau " 187
J40 VWiLl. DES MATII.RKS
Codigimc ]H-f
F.a Vipiic iXH
Pcticniol 150
Du HoLirg 191
GraïKlchanip 192
I.a Triqucric 19^
François de Noaillcs, évcquc d'Acqs 19^
Gilles de Noaillcs 196
Jugé- 197
Gcrmigiiy, baron de Gcrmolles jc^j
Berthier 199
Jacques Savari, seigneur de Lancosme 199
François Savari, seigneur de Brèves 201
François de Gontaut Biron, baron de Salignac. . . . 204
Achille de Harlay S'ancy, baron de la Mô'e 205
Philippe de Harlay, comte de Cézv 207
Henry de Gournay, comte de Marcheville 211
Jean de la Haye, seigneur de Vantelec 215
Jean François Roboly 219
Denis de la Haye, sieur de Vantelec 221
Charles-François Olier de Nointel 227
Gabriel-Joseph de la Vergue de Guilleragues .... 232
Jean-Baptiste Fabre 237
Pierre de Girardin 238
L'abbé de Girardin 241
Pierre-Antoine de Castagnères de Châtéauneuf . . . . 241
Charles de Ferriol, baron d'Argental 246
Pierre Puchot, seigneur de Clinchamp, comte des
Alleurs 252
TABLE DES MATIERES. 541
Jean-Louis d'Ussoii, marquis de Boaac 255
Jeaii-Baptiste-Louis Picon, vicomte d'Andrezeh . . . 258
Gaspard de Fontenu ^59
Louis-Sauveur de Villeneuve 260
Michel-Ange, comte de Castellane 263
Roland Puchot, comte des Alleurs 265
Charles Gravier, comte de Vergennes 267
Troisième partie 269
Mémoire sur le commerce et la navigation de la France
en Levant 269
Tableau général du commerce français dans le Levant et
de l'exploitation générale de ce commerce dans chaque
échelle 327
Appendice 345
L Confirmation par Soliman II du Traité fait anté-
rieurement, sous la domination des Sultans ma-
melucks d'Egypte, avec les consuls de France i\
Alexandrie 345
II. Traité conclu entre Sultan Suleyman et François ^■'■. . 353
III. Articles accordez par le Grand Seigneur, en faveur
du Roy et de ses subjects, à Messire Claude du
Bourg, pour la liberté et seurté du traifiq, com-
merce et passage es pays et mers de Levant . . . 362
IV. Lettre du Roy au Grand Seigneur (6 janv. 15H1) . 375
V. Lettre du Roy à Sinan Bassa, sur le renouvellement
des capitulations 379
VI. Capitulations du Roy avec le Grand Seigneur ,
confirmées et renouvelées de M. de Germigny
(juil. 1581) 381
J43
I\ \'.l \: DF-.S \I \ Il I.KKS.
\ il. 1 Litre (lu Graïul Scipiiciir nu Roy, sur le rciiouvci-
lumciit lies capitulations hiitcs par les soins du
sieur Je ricnnijTiiy 392
VIII. Confirmation d'alliance avec le Grand Seigneur par
Henry IV (1597) 398
IX. Lettre du sultan Mclienict III à Henry IV 410
X. Capitulations de 1604 415
XI. Notes sur quelques articles du précédent Traitté . . 430
XII. Lettres de Henri IV à M. de Brèves 439
XIII. Lettre du Roy au Grand Seigneur 4^4
Mémoire des prétentions de M. l'Ambassadeur pour
le renouvellement des capitulations 446
XIV. Capitulations de 1673 454
XV. Traité entre la France et la Porte Ottomane (1740). 47Î
XVI. Traité de Paix entre la République française et la
Sublime Porte ottomane (Paris, 25 juin 1802). . 523
XVII. Traité de commerce conclu entre la France et la
Porte Ottomane (25 novembre 1838) 527
FIN DE LA TABLE.
DC Sainli-Friest, François
59 Emmanuel Guignard, comte de
,8 Mémoires sur l'ambassade de
T8û35 France en Turquie
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