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Full text of "Mémoire sur les établissements romains du Rhin et du Danube, principalement dans le sud-ouest de l'Allemagne"

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pCA-t^^-vn 


WBLIOTHECA 


MÉMOIRE 


ÉTABLISSEMENTS 

ROMAINS 

DU  RHIN  ET  DU  DAiNUBE, 


•      PRINCIPALEMENT 


DANS  LE  SUD-OUEST  DE  L'ALLEMAGNE, 


MAXIMILIEN  DE  RING, 

r.hc\iilic'i'  du  Lion  Je  Zsbiiogi'n  ,  membiK  Je  plusieurs  suciétcs  savantes,  cuirisponJanl  du  iiiiui>tè 
de  l'insIrucliuD  publique'  pour  les  sciences  historiques. 


TOME  PREMIER 


PARIS, 

CHEZ  A.  LELELX ,  ÉDITEUR  DE  LA  REVUE  ARCHEOLOGIQUE 

RLE    OES    POITEVI>S ,    11. 

TREUTTEL  ET  V\  iÏRTZ ,  LIBRAIRES ,  RUE  DE  LILLE ,   1 9. 

STRASROURG , 

MÊME   MAISON,    GRAND'rIE  ,    15 

1852. 

Ooiversitas" 

BiBLiaiHZCA 

OttavIensJ» 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/mmoiresurles01ring 


PRÉFACE. 


Nommé,  en  1844,  |)ar  M.  Viilemaiii  corres- 
pondant du  ministère  de  l'instruclion  [)nl)lique, 
pour  la  préparation  du  Recuptl  d'cpùjraphie  lalme , 
je  fus  chargé  par  le  comité  spécial,  que  prési- 
dait alors  M.  Ch.  Giraud,  de  rassembler  toutes 
les  inscriptions  de  l'époque  romaine  trouvées 
dans  les  pays  d'au  delà  du  Rhin  qui  avaient  fait 
partie  du  gouvernement  de  la  Gaule. 

Ce  fut  en  m'occupant  de  ce  travail  que,  frappé 
de  l'intérêt  que  le  plus  grand  nombre  de  ces 
inscriptions  offraient,  non-seulement  pour  l'his- 
toire des  quatre  premiers  siècles  de  l'ère  chré- 
tienne, mais  encore  pour  la  géographie  antique 
et  pour  le  droit  municipal  chez  les  Romains, 
j'écrivis  les  diverses  notes  que  j'ai  réunies  dans 


MU  •  l>nÉI'ACK. 

le  Mémoire  que  j'ofifre  ici  au  inonde  savanl. 
Elles  serviront  à  rectifier  plusieurs  points  d'his 
toire  mal  interprétés,  à  en  expliquer  d'autres, 
et  à  donner  sur  le  eouvernement  de  la  Gaule 
des  notions  qui  amèneront  une  nouvelle  dé- 
marcation des  frontières  de  cette  antique  con- 
trée du  coté  de  là  Germanie.  C'est  ce  dernier 
but  que  je  me  suis  particulièrement  proposé  en 
dressant  la  carte  qui  accompagne  ce  Mémoire. 
Mes  recherches  n'auront  point  aux  yeux  du 
public  le  même  prestige  que  celles  des  savants 
qui,  traversant  les  mers,  vont  fouiller  les  sables 
de  l'Afrique  ou  les  déserts  de  l'Asie.  Je  n'ai  fait 
que  suivre  les  bords  plus  hospitaliers  du  Rhin 
et  ceux  si  fertiles  du  Danube.  Mais  en  les  par- 
courant, en  exhumant  leurs  vieux  souvenirs, 
en  fouillant  leurs  tombeaux,  leurs  décombres, 
j'ai  vu  qu'il  existait  encore  là  une  page  à  écrire. 
En  la  déroulant  sans  faste,  mais  avec  la  con- 
viction que  je  n'aurai  point  fait  un  travail  inu- 
tile, j'ose,  moi  aussi,  espérer  quelque  recon- 
naissance de  la  part  de  tous  les  hommes  qui 
s'intéressent  à  l'histoire  de  leur  pays. 

Strasbourg,  1852. 


ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

DU  RHIN  ET  DU  DANUBE, 


PRINCIPALEMENT 


DANS  LE  SUD-OUEST  DE  L'ALLEMAGNE 


'^^•^^^^*»= — — 


PREMIÈRE  PARTIE. 

PKÉCIS  HISTORIQUE   DES  GUERRES  ROMAINES    SUR    LE    RHIN, 

DEPUIS  l'an  de  ROME  696  jusqu'en  407  DE  l'ère  CIIRÉ- 

TIEISNE. 

Arioviste,  depuis  quinze  ans,  tenait  en  son  pou-  *»' <•"««"'« 
voir  les  plus  belles  provinces  des  Gaules,  lorsque 
l'apparition  de  César  dans  cetle  contrée  vint  lui  en 
arracher  la  conquête.  Il  ne  fallut  au  proconsul  qu'une 
seule  campagne,  pour  anéantir  tous  les  projets  de  1  in- 
trépide chef  des  Suèves^  et  pour  refouler  dans  leurs 
forêts  toute  cette  nuée  d'étrangers  que  la  douceur 
du  climat  et  les  richesses  desGaules  y  avaient  attirés. 
Rome,  qui  ne  connaissait  encore  de  la  Germanie 
1.  * 


\ns  Je  Ruuit'. 


2  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

que  la  partie  la  plus  rapprochée  de  ses  provinces 
italiennes,  planta  alors  ses  étendards  sur  le  Rhin. 

Ce  fleuve  qui,  dans  les  siècles  éloignés,  avait  vu 
sur  ses  deux  bords  le  Celte  agriculteur,  et  qui,  plus 
tard  encore^  servit  de  barrière  entre  les  Gaulois  et 
les  Germains  ' ,  n'était  plus  alors  habité  sur  ses  deux 
rives  que  par  des  tribus  germaines,  devant  lesquelles 
le  Celle  primitif  avait  reculé. 

Les  peuples  de  la  Grande-Germanie,  au  delà  du 
Rhin,  se  partageaient  eux-mêmes  en  trois  grandes 
familles ,  connues  sous  les  noms  dinguevones , 
d'Istevones  et  d'Hermiones,  noms  qui  leur  venaient 
de  la  position  respective  du  territoire  qu'elles 
occupaient.  La  première  de  ces  familles  comprenait 
les  Cimbres  et  les  Teutons,  les  Chauques,  les  Frisons 
et  les  Saxons.  Ces  nations  habitaient  le  nord;  et  c'est 
des  confins  des  terres  que  borde  lOcéan  que  les  deux 
premières  tribus  vinrent,  comme  un  torrent,  fondre 
sur  l'Italie  et  sur  la  Gaule. 

Depuis  l'embouchure  du  Rhin  jusqu'au  Mein , 
étaient  échelonnées  sur  le  fleuve  les  tribus  de  la 
seconde  famille,  connues  sous  les  noms  d'Usipètes, 
deTenchtères,  de  Sicambres  et  de  Bructères;  c'est  à 
elles  qu'appartenaient  en  majeure  partie  les  colonies 
qui  recouvraient  la  Gaule-Belgique.  Le  reste  de  la 
Germanie  était  au  pouvoir  des  Hermiones  ouSuèves, 
la  plus  puissante  de  ces  trois  grandes  familles ,  et 
dont  faisaient  partie  les  Marcoinans  et  les  Hermon- 
dures,  sur  les  Alpes  souabes  et  dans  l'Hyrcinie;  les 

'  Dion.,  XXXIX. 


\llS  Je   liulU.' 


DU  RHIN  ET  DU  DAÎSUBK.  3 

Semnones,  les  Lombards  et  les  Angles,  trois  peuples 
qui  étaient  échelonnés  sur  l'Elbe;  les  Chérusques, 
les  Cattes,  les  Mattiaques,  assis,  les  deux  derniers, 
sur  le  Taunus  et  sur  le  Mein,  et  enfin  les  Quades  et 
les  Norisques,  sur  la  rive  gauche  du  Danube. 

César,  en  faisant  la  conquête  des  Gaules,  mit  bien 
sous  le  joug  les  colonies  germaines  qui  continuèrent 
d'y  habiter;  mais  il  ne  tenta  pas  de  faire  la  conquête 
de  la  Germanie  proprement  dite.  Les  deux  passages 
qu'il  fit  du  Rhin,  les  premiers  qu'ait  jamais  faits  un 
général  romain',  n'eurent  pour  but  que  d'effrayer 
les  tribus  germaines  qui  avaient  porté  secours  aux 
Tréviriens,  et  de  les  maintenir  ensuite,  lorsque  lui- 
même  se  préparait  à  traverser  le  détroit  gallique 
pour  aller  porter  la  guerre  aux  Bretons.  Les  Ger- 
mains, partagés  d'intérêts,  se  mirent  en  partie  dans 
ses  rangs;  plus  d'une  fois  leur  valeur  fit  pencher  de 
son  côté  la  fortune  des  armes.  Les  Gaules  et  jusqu'aux 
champs  de  Pharsale  virent  ces  fiers  enfants  du  Nord 
combattre  et  vaincre  sous  ses  yeux.  Lorsqu'il  revint  à 
Rome  triomphant,  le  Rhin  figura  parmi  les  trophées 
de  ses  campagnes  ^  et  ce  fut  le  signal  des  préten- 
tions que  Rome,  depuis  cette  époque,  ne  cessa  d'a- 
voir sur  la  domination  de  ce  fleuve. 

Munacius  Plancus,  après  la  mort  du  dictateur,        711. 
sut  contenir  la  province  des  Gaules,  pour  la  tran- 
quilHté  de  laquelle  on  avait  d'abord  eu  à  Rome  quel- 
que crainte.  Il  la  transmit  au  triumvirat  dont  il  prit        714 


'  Appien,  Hist.  rom.^  I.  iv:  De  rébus  yallicis,  i,  5. 
-  Floriis,  1,  IV.  c.  2. 
I. 


1. 


Ans  Je  Rome 

714. 


i-  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

le  parti.  Antoine,  à  qui  elle  tomba  en  partage,  y 
nomma  pour  gouverneur  Fusius  Galenus^  Ce  géné- 
ral mourut  bientôt  après.  Octave  passa  alors  lui- 
même  clans  la  Gaule,  et  attira  à  lui  toutes  les  troupes 
qu'Antoine  y  avait  laissées^.  Sûr  de  leur  fidélité,  il 

710.  mit  à  la  tête  de  ce  gouvernement  Vipsanius  Agrippa. 
Ce  général,  le  second  après  César,  traversa  le  Rhin, 
appelé  dans  la  Grande -Germanie  par  les  querelles 
des  Suèves  et  des  Ubiens.  Ces  derniers,  trop  faibles 
pour  résister  à  leurs  adversaires,  et  d'ailleurs  alliés 
du  peuple  romain,  avaient  réclamé  sa  protection. 
Il  les  transplanta  sur  l'autre  rive  du  fleuve,  où  ijs 
bâtirent  leur  ville ^  là  même  où  l'épouse  de  Claude, 
la  fière  Agrippine,  fonda  plus  tard  la  colonie  romaine 
qui  prit  son  nom.  Tandis  que  cette  ville  se  dévelop- 
pait sous  le  régime  romain,  se  fondait  sur  le  haut 
Rhin  une  autre  colonie  que  Munacius  Plancus,  qui 
succéda  à  Agrippa,  et  qui  déjà  avait  mené  dans  la 
Gaule  la  colonie  de  Lyon ,  installait  dans  la  cité  des 

719.        Rauraques. 

Les  commotions  politiques  qui  remuaient  le  centre 
de  l'Empire  ne  pouvaient  manquer  toutefois  de  se 
faire  ressentir  jusque  dans  ces  provinces  éloignées. 
Les  querelles  qui  s'élevèrent  entre  Octave  et  Antoine, 
et  qui  mirent  en  piésence  toutes  les  forces  romaines 
à  Actium,  réveillèrent  l'assoupissement  des  peuples 
gaulois,  et  surtout  des  habitants  de  la  Morinie  et 


1  Dion.,  Hist.,  I.  XLVi. 

2  Dion.,  Hist.,  1.  XLvi.  —  Appien ,  De  hello  Chili ,  1.  v. 
^  Oppidum  IJbiorum. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  5 

d'autres  parties  de  la  Belgique,  qui  appelèrent  ces  A"^ J^ R»'»'- 
mêmes  Suèves  à  leur  secours.  Ces  derniers  peuples  -20. 
n'avaient  pas  oublié  le  rôle  qu'ils  avaient  joué,  lors- 
que, appelés  aussi  dans  les  Gaules  sous  Arioviste,  ils 
avaient  été  sur  le  point  de  mettre  sous  le  joug  tout 
le  pays.  Ils  crurent  le  moment  venu  de  reprendre 
l'avantage,  et  passèrent  le  Rhin  pour  voler  où  le 
sort  des  armes  les  appelait.  Carénas  sut  toutefois  les 
contenir;  il  pacifia  le  soulèvement  des  Belges  en 
même  temps  qu'il  refoula  au  delà  du  fleuve  les  Ger- 
mains. Les  honneurs  du  triomphe  qui ,  à  cette  occa- 
sion, furent  rendus  à  ce  général,  conjointement 
avec  Octave,  prouvent  quelle  importance  on  atta- 
chait à  Rome  h  ce  double  service  ^  72-.. 

Le  soulèvement  de  Trêves  qwi  succéda  à  cette  ten- 
tative de  liberté,  et  auquel  prirent  encore  part  quel- 
ques tribus  germaines,  n'eut  pas  plus  de  succès.  Il 
fut  bientôt  apaisé  par  Nonnius  Gallus*^. 

Octave,  maître  de  l'Empire,  et  nommé  empereur  727. 
avec  le  titre  d'Auguste,  fit  bientôt  après  le  partage 
des  provinces.  Il  laissa  au  sénat  et  au  peuple  romain 
celles  de  l'intérieur  où  régnait  la  paix ,  et  se  réserva 
celles  qui  étaient  aux  frontières,  et  où  l'esprit  re- 
muant des  habitants  exigeait  sans  cesse  la  présence 
des  armées  ^.  Il  vint  la  même  année  dans  les  Gaules, 
avec  l'intention  de  passer  dans  l'île  des  Bretons  ,  et 
d'en  achever  la  conquête  que  le  grand  César  avait 
commencée.  Mais  ayant  reçu  les  députés  bretons  à 

•  Dion. ,  ad.  a.  v.  dccxxv. 
-  Dion.,  I.  LU. 
^  Dion.,  1.  LUI. 


Ans  Je  Itomc. 

7:27. 


6  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Narbonne,  il  y  resta  pour  constituer  les  Gaules,  et 
pour  mettre  en  ordre  les  affaires  de  cette  province. 
Ce  fut  alors  que  la  partie  habitée  par  les  Nerviens, 
les  Atrébates  et  d'autres  peuples  belges ,  reçut  le 
nom  de  province  Belgique  proprement  dite,  et  que 
le  reste  des  terres  situées  vers  le  Rhin,  là  où  les 
peuplades  germaines  avaient  pénétré,  reçut  le  nom 
de  Petite-Germanie,  et  fut  partagé  en  provinces  Ger- 
maine inférieure  et  supérieure ,  ou  première  et 
seconde.  Huit  légions,  sous  Auguste,  tenaient  pres- 
que constamment  garnison  dans  ces  deux  dernières 
provinces. 

Cependant,  malgré  ces  forces  imposantes,  la  paix 
n'y  fut  jamais  stable. 

Auguste  avait  à  peine  quitté  les  Gaules  pour  passer 
en  Espagne, que  les  Sicambres,  peuple  d'outre-Rhin, 
levèrent  l'étendard;  se  coalisant  avec  les  Usipètes  et 
les  Tenchlères,  ils  vinrent  inquiéter  les  Romains. 

728.  Battus  par  Vinicius,ils  rentrèrent  dans  leurs  forêts; 
mais  cependant  ils  n'en  continuèrent  pas  moins  d'être 
dangereux'.  Chaque  nouvel  événement,  capable  de 
réveiller  leur  amour  pour  l'indépendance,  leur  mit 
le  glaive  à  la  main.  Auguste  n'eut  pas  plutôt  refermé 
le  temple  de  Janus,  et  pris  le  chemin  de  lOrient, 
pour  visiter  ces  provinces  éloignées,  qu'à  l'Occident 
les  Gaules  remuèrent  de  nouveau ,  et  que  ces  mêmes 
Germains,  de  leur  côté,  reparurent  en. armes  sur  le 
Rhin. 

755.  Auguste,  à  son  retour,  envoya  dans  les  Gaules  son 

gendre  Agrippa,  et  plus  tard  Tibère,  jeune  homme 

»  VcU.  II,  1,4. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  7 

qui  alors  n'avait  que  vingt-quatre  ans,  et  qui  toute- 
fois, l'année  précédente,  avait  déjà  reçu  les  hon- 
neurs du  prétoire. 

Ces  deux  généraux  parvinrent  à  rétablir  momen- 
tanément l'ordre  et  la  tranquillité. 

Mais  le  feu  couvait  en  dessous. 

Le  dernier  n'eut  pas  plutôt,  un  an  après,  cédé  la 
place  h  Lollius,  que  ces  mêmes  Sicambres,  Usipètes 
et  Tenchtères,  se  soulevant  tout  h  coup  de  nouveau, 
refusèrent  de  payer  le  tribut  auquel  ils  s'étaient  sou- 
mis par  nécessité,  et  attachèrent  en  croix  les  pré- 
posés romains  chargés  de  le  percevoir.  Passant  alors 
le  Rhin,  ils  pillèrent  et  désolèrent  la  seconde  Ger- 
manie, et  enlevèrent  son  aigle  à  la  cinquième  légion^ 
Lollius  fut  lui-même  mis  en  déroute^.  «Quoique, 
«comme  le  dit  Suétone \  la  honte  de  Rome  fût  en 
«  cette  occasion  plus  forte  que  ces  pertes  ne  furent 
«grandes,  Auguste  crut  devoir  lui-même  venir  sur 
«les  lieux.» 

Son  premier  soin  fut  d'accorder  la  paix  aux  Si- 
cambres qui,  au  bruit  de  son  approche,  s'étaient 
retirés. 

Pour  les  contenir,  et  pour  donner  ensuite  aux 
pays  frontières  plus  de  force,  pour  mieux  les  assu- 
jétir  à  la  forme  romaine,  il  établit  dans  les  princi- 
pales villes  des  colonies  qui  reçurent  toutes  les  ins- 
titutions de  Rome,  et  qui  devinrent  bientôt  des  villes 
riches  et  des  places  de  guerre  importantes.  Trêves 

'  Vell.  Pat.  I,  c.  in  not. 

^Dion.,  T,  I. 

•^  Suct.,  In  ./ug.,  xxiii. 


\ns  (le  Rome 
735. 


7Ô7. 


Ans  de  Rome. 

757^ 


8  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

prit  le  nom  d'Auguste',  que  la  métropole  des  Ne- 
mètes  et  celle  desVangiones,  sur  les  bords  du  Rhin, 
semblent  avoir  pris  aussi.  Ces  villes,  en  recevant 
des  vétérans  italiens,  devinrent,  comme  les  cités  des 
Gaules,  des  lieux  essentiellement  romains,  oîi  la 
langue  de  Rome,  ses  mœurs,  ses  lois,  sa  religion, 
finirent  par  dominer^. 

Il  en  fut  de  même  sur  le  Danube ,  dont  les  légions 
avaient  aussi  atteint  les  bords.  Le  Norique  et  la  Vin- 
délicie,  que  ce  fleuve  touche  au  nord,  devenaient 
presque  en  même  temps  deux  provinces  romaines. 
Le  premier  de  ces  pays  s'étendait  depuis  le  mont 
Célius  jusqu'à  llnn,  le  second,  depuis  cette  rivière 
jusqu'au  Rhin  helvétique.  Les  peuples  du  Norique 
s'étaient  joints  à  ceux  de  la  Pannonie  qu'Auguste 
avait  soumis,  mais  qui  venaient  de  se  révolter,  et  ils 
étaient  avec  eux  tombés  sur  l'Istrie.  Vaincus  par 
Silius  et  par  ses  lieutenants,  ils  payèrent  de  leur 
liberté  cette  levée  de  boucliers.  Tibère  et  Drusus  sou- 
mirent h  leur  tour  ceux  de  la  Rhétie  qui,  joints  aux 
Vindéliciens,  peuple  assis  sur  la  Wertach  et  le  Lech  ^ 
voulaient,  par  les  Alpes  penniques,  pénétrer  en 
Italie.  Le  Danube  devenait  donc  au  nord  fleuve  fron- 
tière comme  le  Rhin  l'était  à  l'ouest,  et  dans  ces  ré- 
gions s'élevèrent  bientôt,  comme  sur  l'autre  fleuve, 
diverses  colonies,  dont  la  principale  prit,  comme 

^  Augusla  Trevirorum. 

2  Voy.  Siiabon,  1.  iv,  p.  186. 

■^  f  indu  cil  icits.  —  f  indu  esl  laWindiscIi  des  Allouinns,  laWertaeli 
(les  (cnips  modernes;  elle  se  jelle  dans  le  Lecli  au-dessus  d'Augs- 
bourg. 


iiis  Je  Rome 
740. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  9 

celles  du  Rhin,  le  nom  d'Augusta',  qu'elle  conserve 
encore  aujourd'hui. 

Mais  plus  Rome  se  fortifiait  à  ses  frontières,  plus 
les  peuples  d'outre-Rhin,  jaloux  de  leur  liberté,  et 
que  la  force  avait  bien  pu  un  moment  retenir  sous 
le  joug,  se  montraient  ardents  à  le  secouer.  Tandis 
que  dans  les  Gaules  la  flatterie  élevait  partout  à  Cé- 
sar des  temples  et  des  autels,  eux,  à  la  voix  de  ces 
Sicambres,  si  souvent  vaincus,  mais  jamais  domptés,  741. 
recommençaient  une  guerre  qui  devenait  pUis  achar- 
née que  toutes  celles  qui  l'avaient  précédée.  Auguste, 
loin  de  vouloir  reculer  les  limites  de  l'Empire,  sen- 
tait, au  contrai re_,  la  nécessité  de  consolider  ce  co- 
losse déjà  trop  étendu.  Ce  qu'il  venait  de  faire  pour 
la  sûreté  des  frontières  semble  du  moins  le  prouver. 
Il  eut  sans  doute  résisté  aux  instances  de  Drusus  et 
de  ses  autres  conseillers,  si  ces  nouvelles  irruptions 
des  barbares  sur  les  terres  romaines  ne  l'eussent  en 
quelque  sorte  contraint  de  se  rendre  à  leurs  jaisons. 
Drusus,  jeune  et  entreprenant,  et  qu'il  avait  laissé 
dans  les  Gaules  après  son  départ,  sut  profiler  de 
cette  nouvelle  levée  de  boucliers  pour  faire  entendre 
à  son  beau-père  tout  ce  que  la  conquête  de  la  Ger- 
manie, que  les  événements  nécessitaient  en  quelque 
sorte,  pourrait  ofl'rir  d'avantage,  et  quelle  gloire 
rejaillirait  sur  l'empereur  lui-même,  s'il  ajoutait  au 
vaste  Empire  cette  contrée  qui,  gouvernée  à  l'instar 
des  Gaules,  deviendrait  un  des  plus  beaux  fleurons 
de  sa  couronne.  Ces  raisons  plausibles  en  présence 

'  Augusla  Viudclicorum  (Augsbourg). 


Ans  de  Uomc. 
741. 


10  ÉTABLISSEMENTS  R031AINS 

d'un  ennemi  dont  il  importait  dans  tous  les  cas  de 
repousser  l'agression,  et  auquel  il  était  nécessaire 
d'infliger  la  punition  de  son  manque  de  foi,  portèrent 
Auguste  à  consentir  à  ce  qu'exigeait  de  lui  son  beau- 
fils.  La  conquête  de  la  Grande-Germanie  fut  dès  lors 
résolue.  Drusus  porta  ses  légions  [vers  le  nord  et  tra- 
versa le  Rhin  près  de  lile  qu'habitaient  les  Bataves. 

11  tomba  comme  un  foudre  sur  les Usipètes,  lun  des 
trois  peuples  coalisés.  Le  succès  de  ses  armes  répon- 
dit à  la  célérité  de  sa  marche.  Remontant  le  cours 
du  fleuve,  et  traversant  la  Lippe,  il  atteignit  la  ré- 
gion des  Bructères  et  s'avança  même  sur  le  Mein 
jusqu'au  pays  des  Cattes  et  des  Marcomans'.  En 
même  temps  qu'il  portait  ainsi  l'épouvante  au  sein 
même  du  pays  ennemi,  il  faisait  au  nord,  dans  cette 
même  île  des  Bataves,  construire  une  flotte  pour 
aller  par  merattaquer  dans  leurs  marais  les  Frisons, 
qui  habitaient  la  contrée  qui  s'étend  depuis  le  Rhin 
jusqu'à  l'embouchure  de  l'Ems.  Car,  quoique  ces 
peuples ,  ainsi  que  les  Bataves  eux-mêmes ,  eussent 
déjà  eu  des  rapports  d'alliance  avec  les  Romains, 
plusieurs  de  leurs  tribus  étaient  cependant  encore 
insoumises,  et  il  importait  à  la  politique  du  général 
qu'elles  apprissent  que  leur  localité,  au  bord  de  la 
mer,  ne  pouvait  pas  davantage  les  préserver  de 
l'atteinte  de  ses  armes  que  le  Rhin  n'avait  pu  pré- 
server de  sa  vengeance  les  Sicambres  et  leurs  alliés. 
Pour  porter  avec  plus  de  facilité  ses  vaisseaux  sur 
l'Océan,  il  fit  creuser  le  fameux  canal,  qui  alors  fut 

'  NOv    Florus,  c.  i^■^  —  Orosc,  1.  vi. 


Ans  de  Romr. 

741. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  1  1 

nommé  de  son  nom\  et  qui  joignit  le  Rhin  au  Zuyder- 
sée.  Sa  flotte  s'empara  des  îles  qui  avoisinent  la  côte, 
et,  entrant  dans  1  Ems,  remonta  le  cours  du  fleuve. 
Drusus,  après  une  campagne  que  rendirent  surtout 
favorables  aux  armes  romaines  les  querelles  que  les 
peuples  germains,  loin  de  s'unir  contre  l'ennemi 
commun,  avaient  eux-mêmes  entre  eux,  fit  cons- 
truire à  son  embouchure  un  fort  qui  devait  à  la  fois 
servir  à  contenir  les  Bructères  et  les  Chauques,  qui 
habitaient  la  rive  droite  et  s  étendaient  jusqu'à  l'Elbe, 
et  à  servir  postérieurement  de  relâche  aux  flottes 
qui  reviendraient  dans  ces  parages. 

Les  armes  romaines  qui,  dans  cette  campagne, 
furent  portées  jusqu'au  delà  de  l'Ems,  furent,  l'an- 
née suivante,  portées  sur  le  Weser.  74^2 

Après  avoir  passé  l'hiver  à  Rome ,  Drusus,  au  prin- 
temps suivant,  traversa  de  nouveau  le  Rhin.  Il  trouva 
sans  défense  le  pays  des  Sicambres  qui,  avec  les 
Chérusques,  les  Tenchtères,  les  Bructères  et  les 
Suèves^  s'étaient  eux-mêmes  portés  contre  les  Ro- 
mains; il  passa  sur  le  territoire  des  seconds,  d'où  il 
s'avança  sans  coup  férir  jusqu'au  Weser.  Là  il  s'ar- 
rêta, dans  la  crainte  que  les  vivres  ne  vinssent  à  lui 
manquer.  Entouré  d'ennemis,  rien  ne  le  sauva  en 
effet  alors  que  la  témérité  même  de  ses  adversaires, 
qui,  en  foule  innombrable,  mais  sans  ordre  et  sans 
discipline,  vinrent  assaillir  ses  légions.  Sa  savante 
tactique  triompha  deleurnombre.  Ce  fut  alors  qu'en 
se  retirant  il  fit  construire  sur  la  Lippe'^,  pour  con- 

'  Fossa  Drusi. 

-  Dion.,  1.  IV,  ('.  33. 


Ans  de  lioine 

742. 


12  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

tenir  les  Sicambres,  le  fort  le  plus  avancé  que  Rome 
eût  encore  au  delà  du  Rhin,  en  même  temps  que 
pour  contenir  les  Cattes,'qui  s'étaient  vus  contraints 
par  les  autres  tribus  germaines  de  se  joindre  à  elles, 
il  fonda  aussi,  sur  les  rives  du  Rhin  et  sur  le  Tau- 
nus,  deux  autres  forts  qui  portèrent  son  nom. 

Cette  guerre  des  Cattes  se  prolongea  toute  la  cam- 
pagne suivante,  et  même  au  commencement  de  la 
quatrième  année  que  Drusus  combattait  en  Germa- 
nie ,  ces  peuples  étaient  encore  en  présence  de  ses 
légions.  Il  en  transplanta  une  partie  sur  les  bords  du 
Rhin,  vis-à-vis  Mayence,  et  après  s'être  avancé  jus- 
qu'au 3Iein  contre  les  Suèves,  et  être  ensuite  entré 
plus  au  nord  dans  le  pays  des  Chérusques,  il  tra- 
versa de  nouveau  le  Weser  et  alla  planter  ses  aigles 
sur  l'Elbe  ^ 
745.  C'est  sur  les  bords  de  ce  fleuve  que,  pour  perpé- 

tuer le'souvenir  de  ses  victoires,  et  comme  s'il  pres- 
sentait sa  fin  prochaine,  il  éleva  un  monument  qui 
devait  instruire  la  postérité  de  ce  qu'il  avait  fait.  Il 
mourut  peu  après  d'une  chute  de  cheval,  lorsqu'il 
ramenait  sur  le  Rhin  ses  légions  victorieuses.  Toute 
l'armée  prit  le  deuil,  et  elle  lui  éleva  un  autel  sous 
les  murs  de  Mayence,  celte  ville  qu'il  avait  aussi 
fait  fortifier,  et  qui  fut  presque  toujours  le  centre 
de  ses  opérations.  C'est  de  là  que  trois  fois  il  avait 
exécuté  son  passage  au  delà  du  Rhin.  Un  pont  joignait 
la  ville  à  la  rive  droite  du  fleuve,  qui  partout  dans 
son  cours  avait  vu  élever  sur  les  monts  les  plus 

I  Dion.,  l.  V. 


DU  RniN  ET  DU  DANUBE.  13 

avantageusement  placés  des  castels  protecteurs.  La 
Meuse ,  l'Elbe ,  le  Weser ,  s'étaient  de  même  par  les 
soins  de  Drusus  hérissés  de  tours  fortes  ^  Tout  le 
pays  depuis  le  Mein  jusqu'à  lOcéan,  depuis  le  Rhin 
jusqu'à  l'Elbe,  se  trouvait,  à  la  mort  du  héros,  si- 
non réduit  en  province ,  du  moins  assujéti  et  con- 
tenu. 

Tibère ,  mis  par  Auguste  à  la  tête  de  l'armée , 
passa  le  Rhin  l'année  suivante.  Tant  d'attaques  réité- 
rées contre  les  Germains,  tant  de  revers  supportés 
par  eux ,  avaient  enfin  abattu  le  courage  de  ces 
peuples  ;  dans  limpuissance  de  résister  plus  long- 
temps, ils  se  décidèrent  à  demander  la  paix.  Tibère 
l'accorda  à  beaucoup  d'entre  eux.  Les  Sicambres 
qui,  dans  toutes  ces  guerres,  avaient  toujours  été  les 
premiers  à  lever  l'étendard,  et  qui,  malgré  les  otages 
qu'ils  avaient  donnés  à  plusieurs  reprises,  avaient 
toujours  été  les  premiers  à  violer  les  traités,  ne 
furent  plus  toutefois  reçus  comme  alliés.  Leurs  ser- 
ments de  fidélité  future  ne  furent  plus  écoutés.  Ti- 
bère employa  à  leur  égard  les  mêmes  moyens  qu'il 
avait  quelques  années  auparavant  employés  contre 
les  Rhétiens;  il  les  transplanta  tous  hors  de  leurs 
forêts,  et  leur  assigna  des  terres  à  cultiver  sur  la 
rive  gauche  du  Rhin,  au  milieu  même  des  colonies 
romaines  ^.  Beaucoup  d'entre  eux  préférèrent  la 
mort  à  ce  dur  esclavage  ^  Les  Ubiens  et  les  Tench- 
tères  se  répandirent  après  leur  départ  sur  leur  terri- 

<  Florus,  1.  IV,  c.  ail. 
-Suet.,  In  Aug.y  c.  "IX. 
'^  Dion. ,  1.  I. 


Ans  Je  Rome. 

745. 


de  Komc.   chrct 


1  4  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

toire,  où  ces  nouveaux  habitants  continuèrent  eux- 
mêmes  à  porter  le  nom  de  Sicambres.  Le  sort  de 
celte  tribu  épouvanta  tous  les  antres  peuples  de  la 
rive  droite  du  Rhin,  et  surtout  les  Marcomans  qui, 
par  la  position  que  Rome  avait  prise  au  nord  sur  le 
Mein  et  au  sud  sur  le  Danube,  se  trouvaient  pour 
ainsi  dire  à  sa  merci. 

Les  légions  n'avaient  encore  jamais  louché  les 
hauts  sommets  couverts  de  bois  sombres  que  ces 
peuples  habitaient.  Lorsqu'à  la  voix  de  Marbod ,  le 
chef  de  cette  tribu,  toute  la  nation,  dans  la  crainte 
du  joug  romain  ,  prit  le  parti  de  quitter  en  masse  le 
sol  natal ,  et  d'aller  dans  le  cœur  de  la  Germanie 
chercher  une  terre  qui  pût  la  sauver  de  l'esclavage, 
presque  toutes  les  vallées  se  trouvèrent  désertes,  et 
la  Forêt-Noire  et  l'Albe  furent  en  grande  partie  dé- 
nuées d'habitants. 
755-754.  1.  Rome  protégea  alors  la  migration  des  colons  qui, 
de  toutes  les  parties  des  Gaules,  vinrent  sous  sa 
protection  repeupler  le  pays.  Sans  le  mettre  encore 
au  nombre  de  ses  provinces ,  puisqu'il  ne  fut  réuni 
à  l'Empire  que  sous  le  règne  de  Trajan,  il  est  per- 

'  J'ai  suivi  pour  la  chronologie  chrétienne  l'opinion  la  plus  généra- 
lement admise ,  que  le  Christ  naquit  le  25  décembre  de  l'an  de  Rome 
753,  sous  le  consulat  de  Cornélius  Lentulus  et  de  L.  Calpurnius  Pison. 
Celte  date  répond  le  mieux  aux  observations  astronomiques.  C'est  la 
première  année  du  cycle  de  532,  établi  par  Denys-le-Petit,  quoique 
l'Église  n'ait  commencé  que  l'année  suivante  les  années  de  Jésus- 
Christ  que  nous  nommons  l'ère  chrétienne.  C'est  la  4G«  depuis  le  ca- 
lendrier fait  par  ordre  de  Jules-César,  et  la  47I4«  de  la  grande  pé- 
riode, ou  de  la  période  Julienne.  C'est  donc  l'espace  compris  entre 
le  25  décembre  753  et  le  25  décembre  754  de  liome  qui  forme  la  pre- 
mière année  de  l'ère  chrétienne. 


DU  UIIIN  ET  DU  DANUBE.  15 

mis  de  croire  qu'elle  en  prit  dès  lors  déjà  militaire-  i^êilL.  je*"c. 
ment  possession.  753-754.   1. 

Tibère,  après  avoir  porté  ses  légions  jusque  sur 
l'Elbe,  revint  à  Rome  recevoir  les  honneurs  du 
triomphe. 

La  paix  cependant  ne  fut  que  momentanée. 

Les  Bructères  remuèrent  de  nouveau ,  entraînant 
dans  leur  parti  les  Altuares  et  les  Canifates'.  Pen- 
dant trois  ans ,  et  malgré  les  efforts  de  Vinicius  et 
de  Domitius  ^nobarde,  l'ordre  ne  put  être  rétabli. 
Auguste  envoya  de  nouveau  Tibère  sur  le  Rhin,  et  757.  4 
lui  adjoignit,  pour  commander  la  cavalerie,  Velle- 
jus  Paterculus,  qui  écrivit  plus  tard  si  éloquemment 
les  opérations  de  cette  campagne.  Ce  qui  intéresse 
le  plus  dans  l'histoire  de  cette  guerre,  c'est  de  voir 
combattre  dans  les  rangs  des  Romains  Flavius  et 
son  frère  Hermann,  tous  deux  fds  de  Ségimer, 
prince  des  Chérusques,  dont  le  second,  quelques 
années  après,  concevant  la  grande  pensée  de  dé- 
livrer sa  patrie,  devint  si  redoutable  aux  Romains. 
Les  Chauques,  les  Lombards  virent  l'aigle  planer  758  5. 
au-dessus  de  leurs  marais,  et  ils  furent  surtout 
saisis  de  terreur,  lorsqu'ils  virent  remonter  l'Elbe 
par  la  flotte  romaine,  venue  par  mer  pour  soutenir 
les  légions,  eux  qui  ne  connaissaient  encore  que 
leurs  simples  pirogues ,  composées  d'un  tronc  d'arbre 
que  le  feu  ou  la  hache  avait  creusé.  Tibère  n'eut  à 

^  Peuple  allié  par  son  origine  et  ses  mœurs  aux  Bataves.On  le  trouve 
cité  aussi  par  les  historiens  latins  sous  le  nom  de  Cannanefafes ,  et 
sur  une  inscription  copiée  par  Gruier,  sous  celui  de  L  anninefales.  Il 
habitait  le  Rhynland,  le  Delfiland  et  le  Schieland. 


16  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Ans 
àe  Rome.     J 


Ans      Ars^  jgg  combaltre  qu'une  seule  fois;  sans  passer  l'Elbe, 


758.  5.  soit  qu'il  redoutât  de  s'enfoncer  dans  ces  pays  in- 
cultes, soit  que  la  saison  lui  parût  trop  avancée,  il 
ramena  l'armée  dans  ses  quartiers  d  hiver,  et  laissa 
à  Sentius  Saturninus  la  préfecture  de  ces  provinces\ 

750.  G.  Cependant  Marbod  avait  conduit  ses  Marcomans 
jusque  dans  les  champs  de  la  Bohême.  Il  avait  sou- 
mis ou  chassé  les  peuples  qui  habitaient  cette  con- 
trée, et  il  avait  réduit  les  nations  voisines  par  l'épée, 
ou  en  avait  fait  ses  alliés  à  force  de  persuasion 2.  Les 
circonstances  de  sa  jeunesse  l'avaient  conduit  à 
Rome,  et  il  avait  dans  cette  capitale  du  monde  beau- 
coup appris  et  beaucoup  observé.  Il  mit  son  armée 
sur  le  pied  de  celle  des  Romains,  et  il  se  vit  bientôt 
à  la  tète  de  soixante-dix  mille  hommes  d'infanterie 
et  de  quatre  mille  cavaliers.  Le  pays  qu'il  s'était  ar- 
rogé touchait  à  la  fois  à  la  Pannonie  et  au  Norique. 
Quoique  ses  ambassadeurs  à  Rome  témoignassent 
de  ses  intentions  pacifiques,  il  y  avait  dans  leur 
langage  une  fierté  qu'on  n'était  plus  depuis  long- 
temps habitué  h  souffrir  dans  cette  ville.  Tous  ceux 
qui  avaient  à  se  plaindre  des  Romains  étaient  d'ail- 
leurs sûrs  de  trouver  auprès  de  lui  un  refuge.  Tibère 
résolut  de  terrasser  un  ennemi  qui  menaçait  de  de- 
venir dangereux.  L'ordre  fut  donné  aux  légions  du 
Rhin  de  traverser  le  pays  des  Cattes  en  abattant  les 
forêts  de  l'Eîyrcinie,  tandis  que  lui-même ,  à  la  tête  de 
l'armée  qui  occupait  l'Illyrie,  devait  s'avancer  par 


'  r)ioii..  <■.  I . 

^  l'iilnciiliis  ,  c.  MIS,  .'i. 


nu  RHIN  ET  nu  nANUBE.  17 

Carnuntimi,  la  place  de  guerre  la  plus  rapprochée  des  i,  «"1.  a^Tc. 
États  de  Marbod,  et  lentersa  jonction  avec  Saturninus.  ~^^-  ^^ 
Ce  plan  de  campagne, qui  ,s'il  eût  réussi,  eût  donné 
à  Rome  l'empire  de  la  Germanie,  fut  anéanti  par  le 
soulèvement  des  provinces  pannoniennes  et  illy- 
riennes  qui,  non  plus  contenues  par  la  présence  des 
garnisons  romaines,  cherchèrent  à  secouer  un  joug 
qui  leur  pesait.  Tibère,  qui  sentait  l'importance  de 
conserver  ces  provinces  et  qui,  pour  les  pacifier,  avait 
besoin  de  toutes  ses  troupes,  se  vit  contraint  d'arrê- 
ter sa  marche,  et  consentit  à  donner  la  paix  à  son 
ennemi. 

Marbod ,  loin  de  profiter  des  embarras  de  Rome, 
crut  en  effet  alors  assurer  sa  puissance  en  traitant 
d'égal  avec  elle.  Il  accepta  les  conditions  qu'on  lui  igo.  7. 
proposait.  Tibère  envoya  l'ordre  à  Sentius  Saturninus 
de  retourner  avec  ses  légions  sur  le  Rhin,  où,  deux 
ans  après,  il  fut  remplacé  dans  son  poste  par  Quin- 
tihus  Varus. 

Varus  était  loin  d'être  l'homme  capable  de  con- 
server intacte  la  dignité  du  pouvoir,  et  de  maintenir 
l'union  parmi  des  peuples  aussi  rudes  que  l'étaient 
encore  alors  les  Germains.  Quoique  les  armées  ro- 
maines occupassent  militairement  tout  le  nord  de  la 
Germanie,  celte  contrée  n'avait  pas  cependant  en- 
core été  réduite  en  province  romaine.  Les  peuples 
germains  n'étaient  que  tributaires  ;  Rome  ne  possé- 
dait elle-même  sur  cet  immense  territoire  que  quel- 
ques camps  et  quelques  forts,  construits,  comme 
nous  l'avons  vu,  par  Drusus  et  par  ses  successeurs, 
dans  les  lieux  les  plus  favorables  à  la  défense,  et 
I.  2 


18  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

deiurâe  a.*rc.  destinés  à  servir  de  quartiers  aux  troupes,  en  même 
760.  7.  temps  qu'à  contenir  les  tribus  alliées.  Les  lois  de  ces 
nations,  leurs  usages  avaient  jusqu'alors  été  res- 
pectés \  Les  établissements  romains  étaient  pure- 
ment militaires;  aucune  colonisation  n'avait  encore 
été  tentée.  Au  lieu  de  laisser,  comme  se§  prédé- 
cesseurs, à  ces  peuples  le  temps  de  s'habituer  aux 
formes  romaines ,  et  de  n'en  exiger  que  de  faibles 
tributs,  Varus  parut  tout  à  coup  au  milieu  d'eux, 
avec  l'intention  de  faire  partout  adopter  les  lois  ro- 
maines ;  bientôt  il  les  écrasa  d'impôts.  Il  voulut  intro- 
duire de  force  parmi  eux  le  Code  romain  ;  juge  de 
leurs  différends,  et  traînant  à  sa  suite  une  foule 
d'avocats  et  d'archers,  il  se  faisait  un  jeu  de  pronon- 
cer sa  sentence  dans  tous  les  litiges,  soit  de  ces 
peuples  entre  eux ,  soit  dans  leurs  querelles  avec  les 
soldats  romains.  La  hache  ou  la  corde  étaient  pres- 
que toujours  l'instrument  de  ces  barbares  sentences. 
Bientôt  le  mécontentement  fut  au  comble;  le  joug 
romain  parut  insupportable.  Mais  cependant  les 
chefs  qui  entouraient  Varus,  tout  en  conspirant  en 
secret,  cherchèrent  à  l'endormir  dans  sa  sécurité. 
Ils  tramaient  les  desseins  les  plus  perfides,  et  cepen- 
dant, sous  l'apparence  du  respect  et  de  la  soumission, 
ils  faisaient  semblant  d'approuver  la  conduite  du 
général  qui,  plein  de  confiance  en  eux,  n'en  pour- 
suivit que  plus  ostensiblement  ses  desseins. 
Le  feu  couvait  en  dessous. 
762.     9.        Hermann,  fils  de  Ségimer,  jeune  guerrier  aussi 

1  Voy.  Dion.,  1.  lvi  ,  p.  582.  —  Flonis,  I.  vi ,  c.  12. 


me       diJ.C. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  19 

distingué  par  son  illustre  naissance  que  par  son  cou-  j,  ,*"', 
rage,  audacieux  et  aussi  hardi  dans  ses  piojets  qu'a-  '^--  ^ 
droit  dans  sa  conduite,  se  mit  à  la  tête  de  la  conspi- 
ration; honteux  de  se  voirie  jouet  dun  homme  qui, 
sous  prétexte  d'apporter  à  sa  nation  la  civilisation 
de  Rome,  lui  apporlait  l'esclavage,  il  prépara  sous 
main  la  révolution  qui  devait  anéantir  toute  l'aimée 
romaine.  Il  comprit  qu'attaquer  cette  armée,  com- 
posée de  cinquante  mille  hommes  des  meilleui'es 
troupes,  dans  des  camps  fortifiés,  c'eût  été  exposer 
les  siens  à  leur  perte,  quelque  braves  qu'ils  fussent. 
il  avait,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  servi  sous  Tibère, 
et  il  connaissait  tout  ce  qu'il  avait  à  craindre  de  la 
valeur  et  de  la  tactique  des  Romains.  Pour  les  affai- 
blir, et  pour  mieux  attirer  Varusdans  le  piège,  il  fit 
par  ses  émissaires  fomenter  des  soulèvements  par- 
tiels, et  il  persuada  au  proconsul  de  séparer  son  ar- 
mée en  plusieurs  corps  et  de  la  disséminer  en  petits 
pelotons  dans  toute  la  contrée,  afin  de  pouvoir 
mieux  en  assurer  la  soumission.  En  vain  Ségeste, 
autre  prince  des  Chérusques,  avertit  Varus  de  se 
tenir  sur  ses  gardes ^  Trompé  par  les  apparences  de  * 
soumission  des  autres  chefs,  Varus  méprisa  ses  avis. 
Bientôt  cependant  il  apprit  que  les  Germains  restés 
en  possession  de  leurs  armes  avaient  surpris  diffé- 
rents postes  et  les  avaient  égorgés.  Ce  qu'Hermann 
avait  espéré,  arriva.  Ébloui  parles  discours  du  jeune 
homme,  Varus  prit  le  parti  de  lever  son  camp.  Il 
n'avait  gardé  près  de  lui  que  trois  légions,  et  il  se 

'  Tacite,  Annal. ^  1.  i,  c.  55. 

I.  2. 


20  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

de  Rome.  de^"!c.  ^1^  ^  ^^"^  t^^^  '  coDcluit  poi'  Heimaiin ,  qui ,  guidant 
762.  9.  sa  marche,  pril,  pour  parvenir  au  pays  des  Bruc- 
tères ,  où  le  soulèvement  avait  eu  lieu  ,  les  chemins 
les  plus  difficiles  au  sein  des  bois  les  plus  sombres 
et  au  milieu  des  marais.  Hermann  ne  quitta  le  pro- 
consul que  lorsqu'il  le  vit  enfoncé  dans  les  gorges 
du  Teutobourg,  vaste  forêt  sacrée,  où  les  Germains 
célébraient  les  mystères  de  leurs  dieux.  Le  ciel 
lui-même  sembla  conspirer  la  perte  des  Romains. 
Des  pluies  torrentielles  délayèrent  le  terrain,  et  c'est 
à  peine  si  le  soldat,  pesamment  armé,  pouvait  avancer 
au  milieu  des  défilés  où  larmée s'était  engagée. Tout 
à  coup  on  vient  dire  à  Varus  que  l'arrière-garde  est 
attaquée  et  qu'Hermânn  lui-même  est  à  la  tête  de 
l'ennemi.  Trop  tard  Varus  comprit  la  trahison. 

Cependant  de  chaque  sommet  des  montagnes  des 
cris  de  guerre  se  font  entendre  et  une  grêle  de  pierres 
et  de  flèches  assaillit  les  légions.  Varus,  dans  ce 
danger,  fait  les  dispositions  nécessaires  pour  pro- 
téger la  retraite.  Tout  le  jour  on  marche  en  combat- 
tant ,  et  enfin ,  vers  le  soir^  on  arrive  à  un  lieu  dé- 
couvert, où  l'armée  peut  prendre  position  et  former 
son  camp.  Mais,  sans  vivres,  et  entouré  d'ennemis, 
on  ne  pouvait  espérer  de  se  soutenir.  Varus,  dès 
l'aube  du  jour,  ordonne  que  la  retraite  se  poursuive. 
Mais  l'armée  a  de  nouveau  de  sombres  forêts  à  tra- 
verser, et  pour  alléger  sa  marche  on  brûle  avant  de 
partir  tout  le  bagage  et  tous  les  chariots.  Les  Ro- 
mains s'avancèrent  alors  en  meilleur  ordre,  quoique 
toujours  harcelés.  Mais,vers  le  soir,  ils  voient  les  mon- 
tagnes se  rapprocher,  et  devant  eux  s'ouvre  une  val- 


DU  HHIN  ET  DU  DANUBE.  21 

lée  sombre  et  encaissée  que  domine  le  Teutobourg. 
La  pluie  recommence.  Chassée  par  un  vent  glacial,  "'^- 
elle  fouettait  la  figure  du  soldat,  qui  à  peine  pouvait 
manier  sa  lance  et  son  bouclier.  Attaquée  par  les 
Germains,  l'armée  romaine  essuie  un  nouvel  échec^ 
Après  une  nuit  plus  effroyable  encore  que  la  pre- 
mière, les  légions  décimées  s'approchaient  de  la 
Lippe,  lorsque  de  nouvelles  tribus  leur  barrèi^nt  le 
passage.  Le  carnage  alors  devient  épouvantable.  Tout 
ce  qui  avait  échappé  aux  deux  journées  précédentes 
est  anéanti;  les  aigles  sont  prises;  chaque  Germain 
veut  assouvir  sa  rage  et  laver  la  honte  de  la  patrie 
dans  le  sang  d'un  ennemi.  Varus,  blessé,  ne  veut 
point  survivre  h  sa  honte  et  se  perce  lui-même  de 
son  épée;  ses  principaux  officiers  imitent  son 
exemple.  Vala  Numonius,  à  la  tête  de  la  cavalerie 
romaine,  cherche  en  vain  à  se  frayer  un  passage;  il 
est  lui-même  arrêté  dans  sa  marche  et  massacré. 
Ceux  qui  déposent  les  armes  ne  sont  pas  épargnés- 
Les  uns  sont  offerts  comme  victimes  aux  dieux; 
d'autres  sont  mutilés;  d'autres  trouvent  une  mort 
plus  épouvantable  encore.  Leurs  têtes  et  leurs  osse- 
ments sont  suspendus  comme  trophées  aux  arbres 
des  forêts.  Les  Romains  avaient,  dans  leur  fuite,  voulu 
rendre  les  honneurs  à  leur  général  et  brûler  son 
corps.  Mais  n'en  ayant  pas  eu  le  temps,  ils  l'avaient 
du  moins  enterré.  Les  Germains  le  déterrent  et  in- 
sultent encore  à  ses  ossements^.  Sa  tête  fut  envovée 


'  Tacite,  Ann.^  1.  i,  c.  Gi, 
^  Florus,  1.  IV,  c.  1:2. 


Ans  Ans 

(le  Rome.    Je  J.  C. 


AiH  Ans 

Je  Uoinc      de  J.  C 


22  ÉTABLI SSEaiENTS  HOMAINS 

comme  trophée  h  Mnrbod,  qui  l'expédia  à  Rome 
62.  9.  pour  être  déposée  dans  la  tombe  de  sa  famille.  Le 
peu  d'hommes  que  la  rage  du  vainqueur  épargna, 
furent  entraînés  comme  esclaves  dans  les  forêts  ^ 

La  perte  de  celle  bataille  entraîna  la  ruine  de  tous 
les  forts  que  Drusus  et  Tibère  avaient  élevés  sur 
l'Ems,  sur  l'Elbe  et  sur  le  Weser.  Toutes  les  troupes 
qui  ytenaient  garnison  furent  réduites  en  esclavage. 
Le  château  d'Alison,  sur  la  Lippe,  fut  celui  qui  se  sou- 
tint le  plus  longtemps.  Ce  qui  échappa  de  la  bataille 
du  Teulobourg  s'y  réfugia.  Les  Germains,  dans  l'ini- 
puissance  d'en  faire  le  siège,  se  contentèrent  de  le 
cerner  et  de  forcer  par  la  disette  ceux  qui  le  défen- 
daient h  se  rendre.  Cœditius,  qui  y  commandait, 
résolut  de  se  frayer  un  passage ,  et,  pendant  une  nuit 
sombre,  il  parvint,  non  sans  peine,  à  exécuter  son 
projet  et  à  rejoindre  avec  le  reste  de  sa  garnison 
les  deux  légions  que  Varus  avait  laissées  en  arrière 
sous  les  ordres  d'Asprenas^ 

Ce  général ,  en  apprenant  la  défaite  et  la  mort  du 
proconsul ,  se  retira  sur  la  rive  gauche  du  Rhin,  où 
par  sa  présence  et  par  sa  fermeté  il  contint  les  pro- 
vinces gauloises. 

Rome  fut  terrifiée  en  apprenant  cette  catastrophe. 
On  craignit  dans  cette  ville  que  les  bandes  de  bar- 
bares ne  refluassent  jusque  sur  l'Italie.  Mais  les  Ger- 
mains ne  surent  pas  profiter  de  leur  victoire;  au 
lieu  d'attaquer  le  colosse  sur  son  propre  terrain,  ils 
se  contentèrent  de  lavoir  abattu,  et  d'avoir  purgé 

*  Senè(iiic,  Èp.  -il. 

2  Volk'j.  I»;iiorcul.,  l.ii,  c.  120. 


Ans  Ans 

de  lîuiDe.     Je  J,  C. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  23 

leurs  forets  de  toutes  ces  armées  qui  depuis  quatre 

ans  les  parcouraient  en  tout  sens.  Le  Rhin  redevint   ~^--      9. 

au   nord  la   frontière  de  l'Empire,  et  dès  ce  jour, 

Caltes,  Tenchlères,  Bructères,  Chauques  et   Ché- 

rusques,  quoique  attaqués  plus  tard  par  Germanicus, 

se  virent  libres  du  joug  romain  ^ 

Cependant  Tibère  avait  pacifié  les  provinces  dal- 
mates  et  pannoniennes.  A  la  nouvelle  de  ces  événe- 
ments il  se  rendit  précipitamment  à  Rome,  et  avec 
une  nouvelle  levée  de  vétérans,  il  reparut  bientôt 
dans  la  Gaule,  d'où,  Tannée  suivante,  il  repassa  le  700.  10. 
Rhin.  76  i.     Il 

Celte  démonstration  servit  à  contenir  les  Ger- 
mains. 

Une  seconde  campagne  qu'il  fit  avec  Germanicus, 
fils  de  Drusus,  qu'il  avait  adopté  par  l'ordre  d'Au- 
guste, n'eut,  comme  la  première,  d'autre  résultat 
que  la  dévastation  du  territoire  le  plus  rapproché 
du  Rhin,  et  de  fortifier  la  discipline  militaire  de  l'ar- 
mée. Les  Germains  savaient  les  fortifications  du 
Rhin  dans  un  état  de  défense  trop  redoutable  pour 
oser  les  attaquer;  et  les  Romains,  de  leur  côté, 
avaient  encore  trop  présente  à  l'esprit  leur  dernière 
perte  pour  oser  s'aventurer  dans  les  forêts  germa- 
niques. On  s'observait  des  deux  côtés. 

La  mort  d'Auguste  rompit  cette  suspension  d'armes   707.     u. 
momentanée. 

Huit  légions  étaient  dispersées  dans  la  première 
et  dans  la  seconde  Germanie.  Les  deuxième,  trei- 

'  Hac  ctadefactumut  vnperium  quod  in  Utiore  Oceani  non  sfe 
leral^  in  rvpe  lihenifluminis  staret.  Floiiis,  l.  v,  f.5o. 


Ans  A  as 

Je  r.ouie.     deJ.C 


767. 


24  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

zième,  quatorzième  et  seizième  tenaient  les  garni- 
^^-  sons  du  Haut-Rhin.  Les  quatre  légions  du  Bas-Rhin 
n'étaient  composées  que  de  troupes  nouvellement 
levées,  sorties  des  provinces  italiennes  et  non  encore 
formées  à  la  discipline  sévère  des  camps.  Ces  troupes, 
mécontentes  de  Tibère, se  soulevèrent;  dans  leur  ré- 
bellion, elles  voulurent  proclamer  empereur  Germa- 
nicus.Ce  grand  homme  recevait  au  nom  de  son  père 
adoptif  le  serment  de  fidélité  des  Séquaniens  et  des 
Belges,  lorsqu'il  reçut  la  nouvelle  de  cette  révolte. 
Aussitôt  il  vole  au  devant  des  mutins,  et  emploie  la 
persuasion  pour  les  faire  rentrer  dans  le  devoir.  Il 
fait  fondre  tout  l'argent  au  type  d'Auguste  qu'il  peut 
rassembler  de  ses  propres  deniers  et  qu'il  emprunte 
à  ses  amis;  il  le  fait  mettre  au  type  de  Tibère,  pour 
payer  aux  révoltés  la  solde  qu'ils  réclamaient.  Il  dé- 
tache ensuite  une  partie  de  ces  troupes  pour  les  en- 
voyer dans  la  province  de  Vindélicie,  afin  de  con- 
tenir les  Suèves;  et  pour  faire  disparaître  le  dernier 
germe  de  la  révolte,  en  occupant  le  soldat,  il  passe 
lui-même  le  Rhin  à  la  tête  du  reste  de  l'armée.  Il 
traverse  la  forêt  de  Caesie  entre  la  Lippe  et  l'Aa,  et 
rétablit  les  lignes  retranchées  que  Tibère  avait  déjà 
élevées  au  delà  du  fleuve,  mais  qui  avaient  été  depuis 
ruinées  lors  du  massacre  de  Varus.  Il  y  établit  son 
camp  qu'elles  devaient  proléger. 

Là,  il  apprit  par  ses  coureurs  que  les  JMaises,  dont 
il  touchait  les  terres,  étaient  occupés  à  la  célébration 
d'une  fête  publique,  et  que  toute  la  nation  était  en 
ce  moment  rassemblée.  Voulant  jeter  la  terreur 
j)armi  les  Germains,  il  s'avança  contre  eux   par  les 


DU  RHIN  ET  DU  DANUDE.  25 

chemins  les  plus  détournés.  Il  les  surprit  de  nuit,aeR"me.  <le^?c. 
fatigués  de  sommeil  et  d'orgie,  et  en  fit  un  épouvan-  "67.  i4. 
table  massacre;  après  quoi,  partageant  son  armée 
en  quatre  divisions ,  il  dévasta  tout  le  pays  à  cin- 
quante milles  à  la  ronde.  Le  souvenir  du  désastre 
de  Varus  animait  la  fureur  du  soldat;  et  tout  ce  qui 
tomba  sous  sa  main  fut  tué,  sans  que  ni  1  âge  ni  le 
sexe  trouvassent  de  pitié.  Toutes  les  demeures  furent 
incendiées;  le  lieu  saint,  où  les  sacrifices  à  la  grande 
divinité  de  la  nation  avaient  coutume  de  se  faire,  fut 
saccagé;  il  semblait  que  Rome  voulût  mettre  entre 
elle  et  ses  ennemis  un  désert  qui  pût  assurer  sa  sé- 
curité. 

Les  Bructères,  les  Tubantes,  les  Usipètes,  toutes 
nations  voisines,  accoururent  en  armes  au  bruit  de 
cette  guerre  d'extermination.  Ils  laissèrent  les  Ro- 
mains se  perdre  dans  les  forêts,  et  alors  ils  commen- 
cèrent de  toutes  parts  à  fondre  sur  eux.  La  cavalerie 
légère,  composée  d'étrangers,  fut  même  un  moment 
mise  en  désordre ,  et  ne  reprit  ses  rangs  que  lorsque 
Germanicus,  à  la  tête  de  la  vingtième  légion,  à  la- 
quelle il  rappela  son  devoir,  l'eut  dégagée.  Il  repoussa 
l'ennemi  et  ramena  ses  troupes  au  delà  du  fleuve, 
content  à  la  fois  d'avoir  calmé  la  sédition  et  d'avoir 
trouvé  l'occasion  de  venger  en  partie  la  défaite  de 
Varus. 

Cependant  les  Germains  étaient  eux-mêmes  par- 
tagés d'intérêts. 

Ségeslequi,  quoique  allié  fidèle  des  Romains,  avait 
été  forcé  par  les  événements  de  se  lier  aux  siens 
contre  eux,  lors  du  massacre  des  légions  de  Varus, 


26  ÉTABLISSEMEINTS  ROMAINS 

0.  ùo'L  d.^Tc.  n'avait  pas  lardé  à  se  lever  contre  le  libérateur  de 
7tj-.  14  la  Germanie,  avec  d'autant  plus  de  violence  qu'Her- 
mann,  sur  le  refus  de  Ségeste  de  lui  accorder  sa  fille 
Tlîusnelda,  l'avait  de  force  enlevée  à  son  père. 
768.  15  Germanicus  ne  laissa  pas  échapper  l'occasion  que 
l'ennemi  lui  offrit  lui-même  de  profiter  de  ses  dis- 
cordes. Faisant  donc  repasser  le  Rhin,  après  avoir 
hiverné,  aux  quatre 'légions  qui  étaient  répandues 
dans  la  Basse-Germanie,  sous  les  ordres  de  Cae- 
cina,  et  auxquelles  se  joignirent  quatre  mille  hommes 
de  troupes  alliées  et  quelques  autres  tribus  de  Ger- 
mains, habitant  la  rive  gauche  du  fleuve,  il  le  passa 
lui-même  à  la  lêle  des  quatre  autres  légions  de  la 
Germanie  supérieure,  auxquelles  dix  mille  hommes 
d'alliés  s'étaient  joints.  Dans  I  impuissance  où  il 
savait  que  les  dissensions  qui  existaient  parmi  les 
Chérusques  mettaient  ces  peuples  de  s'opposer  à 
ses  projets  contre  les  autres  tribus,  il  s'avança  dans 
le  pays  des  Cattes,  et  commença  par  faire  relever  les 
fortifications  que  son  père  avait  construites  sur  le 
Taunus  et  que  la  défaite  de  Varus  avait  fait  écrouler. 
H  laissa  quelques  troupes  en  arrière  sous  les  ordres 
de  L.  Apronius,  l'un  de  ses  lieutenants,  afin  de  cou- 
vrir, s'il  était  besoin,  sa  retraite,  et  se  répandant 
comme  un  torrent  dévastateur  sur  les  terres  qu'ha- 
bitaient les  3Iattiaques,  tribu  qui  faisait  partie  de  la 
coalition  des  Cattes,  il  commença  contre  eux  la  même 
guerre  d'extermination  qu'il  avait  naguère  faite  contre 
les  Marses.  Sa  marche  fut  si  précipitée  qu'il  arriva 
sur  1  Eder  avant  que  les  hommes  en  état  de  porter 
les  armes,  et  qui  se  sauvèrent  à  la  nage  do  l'autre 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  27 

côté  de  la  rivière,  eussent  pu  sauver  les  femmes,  les  jeRoL.  je*rc 
vieillards  et  les  enfants,  qui  restèrent  exposés  aux  "^s-  is- 
injures  du  vainqueur.  Les  Romains  jetèrent  un  pont 
sur  lEder  et  brûlèrent  toutes  les  habitations  du  prin- 
cipal établissement  des  Maniaques  ^  Toute  la  con- 
trée fut  le  théfitre  de  pareilles  scènes  de  carnage  et 
de  feu.  Caecina,  pendant  ce  temps,  contenait  les 
Chérusques,  tandis  que  les  Marses,  qui  brûlaient  de 
venger  les  atrocités  commises  contre  eux  par  les 
Romains,  étaient  repoussés  avec  perte. 

Germanicus  ramenait  son  armée  sur  les  bords  du 
Rhin,  lorsque  Ségeste,  que  la  faction  qui  lui  était 
opposée  avait  forcé  de  fuir,  lui  envoya  une  ambas- 
sade, afin  d'implorer  son  secours.  Parmi  ceux  qui  la 
composaient, se  trouvait  Sigismond,  fils  de  ce  prince, 
qui  avait  été  prêtre  de  l'autel  desL'biens.etqui ,  lors 
du  soulèvement  d'Hermann,  avait  quitté  son  poste 
pour  s'unir  aux  révoltés;  il  craignait  le  ressentiment 
du  proconsul  et  n'osait  presque  pas  l'aborder.  Mais 
Germanicus,  qui  désirait  en  celte  occasion  faire 
preuve  de  clémence  et  faire  voir  qu'il  savait  pardon- 
ner h  ceux  qui  1  imploraient,  aussi  bien  que  punir 
ceux  qui  dédaignaient  l'alliance  du  peuple  romain  » 
lui  fit  dire  de  venir  sans  crainte.  Il  lui  fit  donner 
une  forte  escorte  pour  le  conduire  sur  le  Rhin,  lui  et 
les  siens.  Ensuite,  il  reçut  Ségeste,  qui  se  remit  à  lui 
avec  tous  ceux  qui  tenaient  son  parti.  Thusnelda  était 
de  ce  nombre.  Cette  princesse,  enceinte  d'Hermann, 
et  pleurant  son  époux,  accoucha  pendant  sa  capti- 

'  Mailium.  Tacile,    Inn.,  1.  i,  c.  54-5(3. 


28  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

de  Rome  i.^ï' c.  ^'^^  ^'uii  fils,  quî  plus  tard  fut  envoyé  à  Ravenne,  et 

768.     15    dont  le  sort  est  resté  inconnu.  Ségeste  pria  pour  ses 

enfants  et  reçut  pour  asile  dans  la  Basse-Germanie 

la  ville  deVetera,  où  il  fut  traité  avec  tous  les  égards 

dus  à  ses  anciens  services  et  à  ses  malheurs. 

Cependant  Hermannélait  toujours  encore  sous  les 
armes,  aidé  de  son  cousin  Inguiomar,  prince  sage 
et  expérimenté,  dont  les  Romains  avaient  plus  d'une 
fois  aussi  eu  l'occasion  de  reconnaître  la  valeur.  H 
remuait  ciel  et  terre  pour  leur  susciter  des  ennemis. 
Germanicus  résolut  de  prévenir  son  agression,  et  mit 
en  mouvement  toute  son  armée.  Une  nouvelle  cam- 
pagne s'ouvrit  donc  sur  les  rives  de  rEms,qui  fut 
donné  pour  rendez-vous  à  toutes  les  troupes.  Cae- 
cina,  à  la  tête  de  ses  quatre  légions,  entra  sur  le  ter- 
ritoire des  Bruclères,  qui  brûlèrent  et  détruisirent 
tout  pour  ôter  tout  moyen  de  subsistance  aux  Ro- 
mains. Depuis  la  Lippe  jusqu'à  l'Ems,  tout  le  pays, 
théâtre  depuis  six  ans  de  la  guerre,  n'était  plus 
qu'un  désert.  Cœcina  atteignit  cependant  le  fleuve 
assigné  comme  rendez-vous,  et  où  arrivèrent  aussi 
par  la  Frise  le  général  Pédon,  qui  commandait  la 
cavalerie,  et  Germanicus  lui-même  qui,  avec  ses 
quatre  légions,avait  suivi  le  Rhin  et  les  rives  du  Zuy- 
dersée.  Les  Chauques,  dans  l'impuissance  de  se  dé- 
fendre, s'allièrent  aux  Romains  et  leur  offrirent  leur 
secours.  Germanicus  fit  attaquer  les  Bructères  par 
Stertinius,  qui  fut  assez  heureux  pour  les  atteindre 
et  les  défaire,  et  qui  leur  enleva  l'aigle  de  la  dix- 
neuvième  légion  dont  ils  s'étaient  précédemment 
emparés.  Comme  l'armée  n'était  qu'à  quelques  jour- 


Ans 
(le  J.  C. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  29 

nées  de  marche  du  champ  de  bataille  qu'avait  arrosé  ,,^  *", 
le  sang  de  Varus,  Germanicus  résolut  de  le  visiter  "/es.  ib. 
et  de  rendre  les  derniers  honneurs  au  général  et  à 
tous  ceux  qui  étaient  tombés  avec  lui.  Cîccina  forma 
l'avant-garde,  chargé  de  mettre  les  chemins  en  état 
et  de  jeter  des  ponts  partout  où  l'armée  devait  pas- 
ser. 

Lorsque  les  Romains  parurent  sur  ce  lieu  de  car- 
nage, tout  le  sol  était  encore  jonché  d'ossements; 
Germanicus  fit  creuser  une  tombe  immense  où  furent 
déposés  tous  ces  restes  mortels,  et,  après  avoir  offert 
aux  dieux  un  sacrifice  expiatoire,  plaça  sur  le  mon- 
ticule la  première  touffe  de  gazon. 

Hermann  épiait  ses  mouvements. 

Caché  dans  les  mêmes  défilés  où  il  avait  battu  Va- 
rus, il  y  attendit  les  Romains,  et  pour  mieux  les 
attirer,  fit  fuir  devant  eux  un  petit  corps  d'armée 
qu'ils  poursuivirent.  Mais  alors  ses  forces  se  déve- 
loppèrent, et  il  s'ensuivit  un  combat  dont  les  résul- 
tats, du  côté  des  Germains,  furent  assez  considé- 
rables pour  provoquer  la  retraite  de  l'ennemi. 

Tout  le  pays,  en  effet,  dans  l'état  de  dévastation  où  il 
était,  ne  pouvait  permettre  aux  légions  d'y  hiverner; 
et  trop  de  dangers  les  eussent  entourées  au  milieu  de 
toutes  ces  populations,  animées  par  la  haine  et  par 
l'esprit  de  vengeance.  Il  fallut  donc  songer  h  revenir 
sur  le  Rhin.  Germanicus  donna  l'ordre  à  Caecina  de 
traverser  avec  sa  division  le  pnys  des  Bruclères  ,  et 
avec  le  reste  de  l'armée^,  qu'il  rallia  sur  les  bords  de 
TEms,  il  regagna  lui-même  ses  vaisseaux,  qui  le 
ramenèrent  dans  les  Gaules. 


30  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

.le  Rome  .\.^i!c.  CaBciiia ,  datts  Sa  iiiarche ,  Gut  à  supporter  les  plus 
768.  13.  grandes  fatigues.  Les  chaussées  élevées  que  L.  Do- 
mitius,  pendant  les  guerres  de  Tibère,  avait  cons- 
truites à  travers  les  marais,  pour  faciliter  les  trans- 
ports des  armées,  s'étaient  partout  écroulées'.  Il 
était  presque  impossible  au  soldat  pesamment  armé 
d'avancer;  il  fallut,  pour  que  les  bagages  pussent 
suivre,  que  ces  chemins  fussent  d'abord  partout 
réparés.  Hermann  profita  de  ces  embarras  des 
Romains  pour  les  harceler  ;  les  légions  eussent  pu 
avoir  le  sort  de  celles  de  Varus ,  si  les  Germains  , 
avides  de  pillage,  n'eussent  pas,  pour  s'y  livrer, 
laissé  échapper  l'occasion  de  les  écraser  dans  les 
marais  mêmes.  Us  donnèrent  à  Ciiecina  le  temps  de 
se  l'elirer  sur  un  sol  plus  solide  où  il  forma  son 
camp.  Les  Chérusques,  contre  l'avis  d  Hermann  , 
vinrent  les  y  attaquer  et  furent  repoussés  avec  perte. 
Csecina  poursuivit  alors  sa  retraite  ,  et  il  arriva 
sur  le  Rhin  sans  avoir  eu  à  combattre  de  nouveau, 
Germanicus,  pendant  ce  temps,  avait  lui-même, 
après  des  chances  diverses,  remis  le  pied  dans  les 
Gaules.  Il  s'était  embarqué  sur  l'Ems  avec  deux 
légions,  et  il  avait  remis  le  commandement  de  la 
seconde  et  de  la  quatorzième  h  P.  Vitelhus,  avec 
l'ordre  de  suivre  les  côtes  de  l'Océan.  G  était  pendant 
l'automne,  saison  où  les  marées  sont  souvent  si  re- 
doutables dans  ces  parages,  et  où,  en  effet,  alors  les 
flots  soulevés  par  un  vent  furieux  inondèrent  au 
loin   tout  le    pays.  La   fortune    voulut  que,  pour 

*  Tac,  Annal.,  1. 1,  c.  63. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  3i 

échapper  au  fléau,  Vitellius  put  avec  son  corps  d'ar-  j^îi^le  Je^"^. 
niée  atteindre  une  hauteur,  où  il  attendit  la  fin  du  '^^'  ^^^ 
débordement.  Il  gagna  ensuite  l'embouchure  du 
Wecht  ,  où  la  flotte  de  Germanicus  l'attendait. 
L'illustre  Ségimer,  père  dHermann,  qui ,  avec  son 
fils  Sesitach ,  s'élait,  pendant  cette  retraite,  rendu 
aux  Romains,  fut  conduit  dans  la  colonie  des  Ubiens, 
qu'on  lui  assigna  pour  résidence  ^ 

Celte  campagne  avait  été  si  onéreuse,  et  elle  avait  "69.  i6. 
cependant  eu  des  résultats  si  peu  satisfaisants  que, 
pour  porter  les  légions  dans  le  cœur  de  la  Germanie, 
où  l'ennemi  se  tenait  en  force,  sans  avoir  besoin  de 
se  perdre  chaque  fois  au  milieu  des  forets  et  des 
marécages ,  par  des  chemins  devenus  chaque  année 
inabordables,  et  après  chaque  retraite  endommagés 
de  nouveau  par  les  habitants,  Germanicus  résolut 
de  faire  construire  sur  toutes  les  rivières  navigables 
des  bateaux  de  transport ,  qui  devaient  suivre  le 
cours  de  ces  eauxetse rallier  sur  l'Océan,  pour  porter 
ensuite  sans  fatigues  ses  troupes  en  présence  de 
l'ennemi.  Le  Rhin,  la  Meuse,  lEscaut,  se  couvrirent 
bientôt  de  ces  embarcations,  parles  soins  de  Silius, 
d'Antée  et  de  Cœcina.  L'île  des  Bataves  devait  être 
le  lieu  de  rendez-Aousdela  flotte,  comme  elle  l'avait 
été  pourcelle  équipée  par  Drusus.  Silius  fut  pendant  ce 
temps  envoyé  contre  les  Cattes,  tandis  que  Ger- 
manicus avec  six  légions  passa  le  Rhin,  pour  aller 
secourir  le  château  d'Alison,  que  l'ennemi  tenait 
de   nouveau  assiégé.  Les  pluies  continuelles,   qui 

'  Voy.  Strabon,  1.  vu. 


32  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

jeUo"n,e.  de^rc  délayèrent  le  terrain,  ne  permirent  pas  toutefois  à 
769.  16.  silius  de  beaucoup  entreprendre,  et  Germanicus  ne 
put  lui-même  joindre  l'ennemi,  qui  à  son  approche 
se  retira ,  après  avoir  rasé  de  nouveau  le  tombeau 
qui  avait  été  élevé  sur  les  dépouilles  de  ceux  qui 
avaient  péri  avec  Varus,  et  renversé  l'autel  qui  avait 
été  construit  en  l'honneur  de  Driisus.  L'autel  fut 
relevé  ,  et  tout  le  pays,  depuis  le  château  d'Alison 
jusqu'au  Rhin,  fut  renfermé  par  une  ligne  retran- 
chée ' ,  flanquée  de  plusieurs  forts. 

Les  bâtiments  s'étaient  pendant  ce  temps  équipés, 
et  toute  la  flotte,  au  retour  de  l'expédition,  appa- 
reilla, là  même  oii  neuf  ans  auparavant  avait  appa- 
reillé celle  de  Drusus.  Toute  l'armée  romaine  s'y 
embarqua,  et  elle  traversa,  comme  alors,  le  canal 
que  Drusus  avait  fait  creuser,  pour  aller  par  la  haute 
mer  joindre  l'embouchure  de  l'Ems. 

Germanicus  choisit  pour  débarquer  la  rive  gauche 
du  fleuve ,  où  il  crut  sans  doute  être  en  plus  grande 
sûreté;  il  y  fit  jeter  des  ponts,  dont  la  construction 
le  retint  plusieurs  jours  en  ce  lieu.  La  saison  était 
déjà  avancée.  Il  traversa  le  pays  des  Chauques  qui 
se  joignirent  aux  Romains,  et  il  s'avança  jusqu'au 
Weser,  au  delà  duquel  sélevait  le  camp  des  Ché- 
rusques.  Ayant  appris  dans  sa  route  que  les  An- 
grivares,  peuplade  qui  habitait  entre  ce  fleuve  et 
l'Ems,  s'étaient  soulevés  contre  lui,  il  envoya  contre 
eux  quelque  cavalerie  et  quelques  mille  hommes 
d'infanterie,  sous  les  ordres  de  Stertinius ,  qui  bien- 

*  Tacite,  Ànn.,  1.  ii,  c.  5,  G.  Cuncta  inter  Castellum  Jtisonem 
ac  Jihenum,  novla  limiflhus  aggeribuaque  permunita . 


DU  imiN  ET   DU  DANUBE.  33 

tôt  les  fit  rentrer  dans  le  devoir,  et  qui  put  même  jeîlôL  .loV'c. 
rejoindre  le  gros  de  l'armée  avant  qu'elle  ne  fût  en  "s^-  le. 
présence  des  Chérusques.  Ces  derniers  se  tenaient 
toujours  sur  la  rive  opposée  du  fleuve,  d'où  ils  ob- 
servaient tous  les  mouvements  de  larmée  romaine, 
occupée  de  la  construction  de  ses  ponts.  Plusieurs 
escarmouches  eurent  lieu.  Les  Bataves,  à  la  solde 
de  l'Empire,  qui,  dans  une  de  ces  circonstances, 
jaloux  de  montrer  leur  habileté  à  traverser  le  cou- 
rant de  l'eau,  s'étaient  trop  aventurés,  furent  défaits; 
ils  perdirent  leur  chef  Cariowald.  Mais  enfin  toute 
l'armée  passa  le  fleuve  et  se  retrancha  sur  la  rive 
droite,  où  elle  forma  son  camp. 

La  bataille  qui  se  donna  sur  ces  bords ,  et  d'où 
allait  dépendre  le  sort  de  la  campagne,  fut  une  des 
plus  chaudes  que  les  Romains  livrèrent  pendant  leurs 
longues  guerres  de  Germanie.  L'armée  ennemie  était 
postée  dans  une  plaine  baignée  par  le  Weser  et 
entourée  de  collines  légèrement  boisées.  Les  peuples 
alliés  des  Chérusques  occupaient  le  terrain  plat,  tan- 
dis qu'eux-mêmes,  cachés  dans  le  défilé  des  hau- 
teurs, étaient  hors  de  la  vue  des  Romains  et  devaient 
les  cerner  lorsqu'ils  seraient  aux  prises  dans  la  plaine. 
Germanicus,  de  son  côté,  avait  disposé  son  armée 
de  manière  que  les  Gaulois  et  les  troupes  germaines 
auxiliaires  formaient  lavant-garde,  suivis  des  tiiail- 
leurs  à  pied ,  derrière  lesquels  se  tenaient  quatre 
légions  et  la  cavalerie,  commandée  par  Germanicus 
en  personne.  Venaient  ensuite  quatre  autres  légions 
soutenues  par  la  cavalerie  légère  et  les  tirailleurs 
à  cheval ,  que  suivaient  encore  quelques  autres 
I.  3 


4us  Ans 

Je  Komc.    de  J.  C 


34  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

peuplades  alliées  '.  Le  trop  de  précipilation  des 
769.  16  Chérusques  à  débusquer  hors  des  bois  qui  les  rece- 
laient fit  leur  malheur  dans  cette  journée.  Car  déjà 
l'on  combattait  dans  la  plaine,  et  leur  dessein  de 
surprise  eût  pu  réussir,  si,  trop  avides  de  donner, 
ils  n'eussent  pas  été  prévenus  par  les  Romains,  dont 
le  général ,  détachant  quelques  escadrons  pour  les 
contenir,  fit  en  même  temps  avancer  sur  leur  der- 
rière une  colonne  sous  les  ordres  de  Stertinius , 
afin  de  leur  couper  la  retraite.  Cette  marche,  qui 
réussit  entièrement ,  ôta  aux  Germains  tout  l'avan- 
tage qu'ils  s'étaient  promis  dans  cette  journée.  Leur 
valeur  fut  inutile  devant  cette  tactique  hardie  qui , 
les  plaçant  entre  deux  corps  d'armée,  également 
redoutables ,  leur  ôta  même  tout  moyen  de  retraite 
et  de  fuite.  Ceux  qui  avaient  dû  former  la  réserve, 
furent  défaits  les  premiers,  et  leur  défaite  amena 
celle  du  reste  de  l'armée.  Hermann,  quoique  blessé, 
fit  de  vains  efforts  pour  lallier  ses  troupes  décou- 
ragées. Entraîné  lui-même  dans  la  bagarre,  il  ne  dut 
son  salut  qu'à  l'excellence  de  son  cheval ,  et  au  sang 
qui  recouvrait  sa  figure  et  qui  le  rendait  mécon- 
naissable. Le  carnage  ne  cessa  qu'avec  la  nuit.  La 
plaine,  les  collines  étaient  jonchées  de  cadavres  et 
d'armes  brisées.  Le  Weser,  que  beaucoup  cher- 
chèrent à  passer  à  la  nage,  entraînait  les  corps  des 
mourants  que  la  flèche  du  Romain  avait  atteints  dans 
les  flots,  ou  que  les  vagues  trop  puissantes  englou- 
tissaient. Parmi    le  butin  qui  se  fit  se  trouva  une 

*  Voy.  Tacito,  ^??n.,  1.  n ,  c.  IG. 


DU  lUIIN  ET  nu  DANUBE.  35 

quantité  déchaînes  et  de  cordes,  que  les  Germains  ^i^;;^^  ^*;\ 
avaient  préparées  pour  les  Romains,  et  que  ces  der-  769.  i6. 
niers  employèrent  pour  mettre  aux  fers  le  peu 
d'entre  ces  malheureux  qu'ils  épargnèrent.  L'armée 
donna  sur  le  champ  de  bataille  même  le  titre  d'em- 
pereur à  Tibère,  et  éleva  sur  une  colline  un  trophée 
de  toutes  les  armes  conquises  dans  celte  journée; 
elle  y  consacra  un  monument  où  furent  inscrits  les 
noms  de  tous  les  peuples  qu'elle  venait  de  vaincre  et 
de  subjuguer. 

Ce  monument  excita,  plus  que  leur  défaite,  la 
fureur  des  Germains.  Inguiomar,  qui  avait  réussi  à 
se  sauver,  rallia  tout  ce  qu  il  put  trouver  de  nou- 
veaux défenseurs;  en  l'absence  .d'Hermann,  que 
ses  blessures  forçaient  à  l'inaction,  il  revint  quel- 
ques temps  après  pour  venger  cette  injure.  Mais  son 
courage  échoua  de  nouveau  en  celte  occasion  contre 
la  tactique  romaine  '.  Les  Germains  firent  des  pro- 
diges de  valeur,  mais  furent  vaincus.  Un  nouveau 
monument  attesta  aussi  sur  cet  autre  champ  de 
bataille  cette  nouvelle  victoire,  et  par  une  inscription 
qui  fut  gravée  sur  l'autel  élevé  à  Mars,  à  Jupiter  et 
à  Auguste,  il  fut  dit  à  la  postérité  que  tous  les 
peuples  qui  habitaient  entre  lElbe  etleRhin  avaient 
été  de  nouveau  subjugués^. 

Mais ,  malgré  toutes  ces  victoires ,  il  fallut,  pour 
hiverner,  quitter  ces  contrées  inhospitalières.  L'ordre 
de  la  retraite  fut  donc  donné;  larmée  se  rabattit 


*  Taciie,  Ann.,  V.  ii ,  r.  2l. 
^  Idem,  c.  22. 
1. 


36  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

uôme.  d*rc.  sur  l'Ems,  où  elle  rentra  dans  les  embarcations  qui 
769.  16.  recouvraient  le  fleuve.  Une  afl*reuse  tempête  assaillit 
son  retour  dans  les  Gaules.  A  peine  la  flotte  eut 
gagné  la  haute  mer,  que  l'ouragan  la  dispersa.  La 
moitié  des  vaisseaux ,  construits  d'une  manière  trop 
plate  pour  soutenir  le  ballottement  des  flots,  cha- 
vira. La  plupart  des  soldats  qui  les  montaient  furent 
noyés ,  ou  s'ils  purent  joindre  à  la  nage  les  bancs  de 
sable,  les  îles  ou  les  récifs  déserts,  furent  bientôt 
décimés  par  la  faim.  La  galère  que  montait  Germa- 
nicus,  après  avoir  longtemps  été  le  jouet  des  vagues, 
parvint  enfin  à  atteindre  le  rivage  habité  par  les 
Chauques. 

Lorsque  le  calme  eut  enfin  succédé  à  cette  tem- 
pête, les  autres  embarcations  échappées  au  danger 
vinrent  se  rallier  sur  le  même  bord.  Le  premier 
soin  de  Germanicus  fut  de  faire  vite  réparer  quel- 
ques bâtiments,  pour  aller  explorer  toutes  les  îles, 
tous  les  récifs  de  la  côte,  afin  de  recueillir  ceux 
que  la  mort  avait  épargnés.  Beaucoup  de  soldats 
furent  ainsi  sauvés.  D'autres,  qui  avaient  été  obligés 
de  mettre  pied  sur  le  territoire  germain  et  qui  étaient 
tombés  au  pouvoir  des  Angrivares,  furent  délivrés 
moyennant  une  rançon.  Quelques-uns  avaient  été 
jetés  jusque  sur  les  côtes  de  l'île  qu'habitaient  les 
Bretons,  d'où  ils  furent  plus  tard  rendus  à  leur 
pays. 

Dans  la  crainte  que  la  nouvelle  de  cette  catastrophe 
ne  soulevât  les  peuples  du  Rhin,  Silius,  malgré  la 
saison  avancée,  fut  envoyé  par  terre  avec  trente 
mille  hommes  d'infanterie  et  trois  mille  chevaux, 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  37 

afin  de  contenir  les  Cattes  qui  remuaient.  L'aigle  j,  ,'|"'^^  ^^\"'^ 
d'une  légion,  qui  avait  été  prise  lors  du  massacre  de  ^69  le. 
Varus,  fut  reconquise  dans  cette  circonstance. 

Cette  marche  hardie,  alors  que  chacun  croyait 
déjà  le  colosse  abattu ,  raffermit  la  barrière  du  Rhin , 
qui  s'était  vue  un  moment  menacée. 

Rome  fêta  les  exploits  de  ses  armées  en  élevant  770.  17. 
un  arc  triomphal  devant  le  temple  de  Saturne,  et  en 
préparant  au  général  un  triomphe  des  plus  splen- 
dides.  Elle  avait  payé  cher  cependant  le  spectacle 
dont  elle  rassasiait  les  yeux  de  sa  populace ,  et  les 
avantages  qu'elle  retirait  de  ses  victoires  ne  com- 
pensaient pas  les  pertes  qu'elle  avait  eues  à  supporter. 
Elle  avait  dévasté  la  Germanie;  elle  avait,  il  est  vrai, 
écrasé  ses  peuples;  mais  toutes  ces  nations  auxquelles 
elle  avait  fait  sentir  le  poids  de  ses  armes,  dont  elle 
montrait  avec  ostentation  les  princes  derrière  le  char 
du  proconsul  \  et  dont  elle  inscrivait  avec  fierté  les 
noms  sur  les  insignes  qui  le  suivaient,  étaient,  dans 
leurs  forets,  libres  cependant  encore  des  chaînes 
qu'elle  avait  prétendu  leur  imposer,  et  que  la  défaite 
de  Varus  avait  pour  jamais  rompues.  Depuis  le  Rhin 
jusqu'à  l'Elbe,  nulle  colonie  romaine  n'avait  pu  être 
fondée. 

Tibère  sentit  combien  cet  état  de  guerre  conti- 
nuelle était  onéreux  pour  l'Empire.  N'ayant  pu  domp- 
ter la  Germanie  par  la  force,  il  essaya  de  la  dompter 
par  elle-même.  Marbod  avait  jusqu'alors  suivi  la  lutte 
du  regard,  sans  y  prendre  une  part  active.  Tibère 

1  Voy.  Slrabon ,  1.  c. 


38  ÉTABLISSEMENTS  HOMAINS 

^'"       Te.  connaissait  toute  la  jalousie  qu'il  portait  à  Herinann. 


Kum 


770.  17.  H  lie  douta  pas  que  si  Rome  laissait  ces  peuples  en 
repos,  ils  ne  fussent  bientôt  partagés  d'intérêts  entre 
ces  deux  hommes  également  ambitieux.  Leurs  dis- 
sensions devaient  être  plus  favorables  à  la  cause  ro- 
maine que  la  continuation  dune  guerre  qui  avait 
déjà  tant  coûté.  Hermann  était  l'homme  de  la  liberté. 
C'était  au  nom  de  cette  liberté,  si  chère  au  Germain, 
qu  il  avait  réuni  sous  ses  drapeaux  toutes  les  peu- 
plades de  l'Elbe  et  du  Weser.  Marbod,  au  contraire, 
non  moins  courageux  que  despote,  la  redoutait  pour 
ceux  qu'il  avait  soumis  à  son  pouvoir.  Le  nom  du 
premier  se  répétait  avec  enthousiasme  et  amour 
dans  chaque  chaumière,  tandis  que  celui  du  second 
ne  se  prononçait  qu'avec  crainte.  Ce  que  Tibère  avait 
prévu  arriva. Bientôt  les  Semnones  et  les  Lombards, 
qui  faisaient  partie  de  la  coalition  marcomane,  la 
quittèrent  pour  prendre  le  parti  d'Iîermann.Inguio- 
mar,  d'un  autre  côté,  rougit  de  se  trouver  plus  long- 
temps sous  les  ordres  de  son  neveu  et  s'en  sépara. 
La  gloire  était  tout  pour  ces  peuples,  et  la  plus  grande 
qu'ils  connussent  était  surtout  la  force  et  le  courage. 
De  district  en  district  le  feu  se  communiqua,  jus- 
qu'à ce  qu'enfln  les  deux  partis  se  trouvassent  en  pré- 
senc6,etque  Marbod, aprèsunebatailledontlegainfut 
douteux ,  réclamât  lui-même  le  secours  des  Romains. 
Tibère  le  lui  refusa  d  abord,  en  lui  reprochant  sa 
neutralité  lors  des  guerres  romaines  en  Germanie; 
mais  se  rendant  ensuite  à  ses  désirs,  il  envoya  en 
Illyrie  son  fils  Drusus,  qui  se  fit  le  médiateur  des 
deux  princes  et  qui  parvint  à  les  réconcilier. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  39 

Les  émissaires  de  Rome  à  la  cour  de  Marbod  n'y  deiloL.  deV/c. 
furent  pas  longtemps  sans  attirer  en  secret  à  eux  '"-  ^^^ 
tous  ceux  qui  étaient  mécontents  du  prince,  et  sans 
jouer  un  rôle  dans  toutes  les  intrigues  qui  s'y  tra- 
maient. Catualda,  seigueur  puissant  parmi  les  Goths, 
qui  précédemment  avait  été  banni,  sut  profiter  de 
ce  concours  de  circonstances  pour  s'assurer  de  l'a- 
mitié des  Romains.  Certain  de  leur  aveu,  il  leva  des 
troupes,  avec  lesquelles,  s'avançant  à  limproviste  jus- 
qu'à la  capitale  des  États  de  Marbod,  où  il  avait  su 
se  faire  un  parti,  il  s'en  empara  sans  coup  férir,  et 
se  saisit  de  tous  les  trésors  que  le  chef  des  Marco- 
mans  avait  formés  des  dépouilles  de  tous  les  peuples 
qu'il  avait  soumis.  Marbod,  obligé  de  fuir,  alla  en 
Norique,  et  implora  de  là  le  secours  de  Tibère,  sans 
se  douter  que  l'empereur  avait  lui-même  tramé  le 
complot  qui  le  découronnait.  Tibère  lui  offrit  une 
retraite  en  Italie,  retraite  que  ce  malheureux  prince , 
abandonné  de  tous  les  siens,  et  après  avoir  renoncé 
à  l'espoir  de  se  voir  secouru,  se  vit,  après  quelque 
hésitation,  dans  la  triste  nécessité  d'accepter.  Pendant 
dix-huit  ans  il  vécut  à  Ravenne. 

Tandis  que  Rome  le  recevait  sur  ses  terres,  ses 
mêmes  intrigues  continuaient  aux  lieux  d'où  elle  l'a- 
vait exilé.  Vibillius  chassa  à  son  tour  Catualda,  avec 
l'aide  des  Hermondures.  Catualda  vint  comme  le 
chef  des  Marcomans  chercher  un  refuge  auprès  des 
Romains,  qui  lui  assignèrent  pour  séjour  le  Forum 
Julium,  dans  la  Gaule  Narbonnaise.  Du  reste,  ils  ne 
prirent  parti  ni  pour  l'un  ni  pour  l'autre  de  ces  deux 
rivaux,  et  tout  ce  que  l'empereur  crut  devoir  faire 


40  ÉTABLISSEMENTS  KOMAINS 

le  Rome   <i*r( .  pouF  cBux  quc  cellG   double  révolution  avait  à  la 

772.  19.  suite  de  leurs  princes  conduits  sur  les  terres  de 
l'Empire,  fut  d'en  former  sur  la  rive  droite  du  Da- 
nube une  colonie,  à  la  tête  de  laquelle  il  mit  nn  cer- 
tain Ivan  ou  Vannius,  Quade  de  naissance,  auquel 
il  accorda  le  litre  de  roi. 

Le  meurtre  d'Hermann,qui  suivit  de  près  ces  évé- 
nements et  qui  fut  provoqué  par  la  haine  des  princes 
ses  rivaux,  servit  d'un  autre  côté  les  intérêts  de 
Rome.  Cette  mort  réveilla  parmi  les  Germains  la 
haine  des  différents  partis,  et  relâcha  les  nœuds  de 
cette  coalition  compacte  contre  laquelle  les  Romains 
avaient  en  vain  dirigé  tous  leurs  efforts.  Elle  eut  pour 
résultat  de  provoquer  chez  les  Chérusques  des  guerres 

781.  28.  civiles  non  moins  désastreuses  que  celles  que  la 
chute  de  Marbod  avait  provoquées  parmi  les  Marco- 
mans.  Les  Frisons  tentèrent  aussi  de  secouer  le  joug 
des  Romains.  Du  reste,  à  l'exception  de  la  guerre 
passagère  que  cette  défection  provoqua ,  la  paix  ne 
fut  plus  troublée  pendant  toutes  les  dernières  années 

790.  57.  du  règne  de  Tibère;  lorsque  ce  prince  mourut  à 
Caprée,  l'Empire  était  tranquille  sur  le  Rhin  et  sur 
le  Danube. 

Caligula,  son  successeur, ne  possédait  pas  le  génie 
nécessaire  aux  conquêtes. 

794.  41.  Lorsqu'il  mourut  assassiné,  après  une  vie  oiseuse 
et  futile,  Galba  était  à  la  tête  des  légions  de  la  Haute- 
Germanie;  Gabinius  commandait  celles  de  la  Ger- 
manie inférieure.  Ces  deux  provinces,  depuis  la  re- 
traite de  Germanicus,  avaient,  en  effet,  toujouis 
formé  deux  gouvernements  séparés. 


Ans  Ans 

de  liomc.      (le  J.  C. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  41 

Galba,  malgré  les  exhortations  de  son  armée,  qui 
l'engageait  à  se  saisir  de  l'autorité  impériale,  res-  794.  41 
pecta  le  choix  que  le  sénat  fit  de  Claude,  frère  de 
Germanicus.  Pour  prévenir  toute  conspiration,  il 
marcha  la  même  année  contre  les  Cattes.  Les  Marses_, 
qui  remuaient,  furent,  de  leur  côté,  châtiés  par  Ga- 
binius,  qui  recouvrit  une  aigle  qui  était  restée  en  leur 
pouvoir  depuis  la  défaite  de  Varus.  Claude,  sur  ces 
deux  champs  de  bataille,  fut  proclamé  empereur 
par  les  soldats. 

Il  ne  restait  à  cette  époque  chez  les  Chérusques 
qu'un  seul  rejeton  de  toute  la  famille  d'Hermann , 
tant  leurs  querelles  domestiques  l'avaient  décimée. 
C'était  le  fils  de  Flavius,  qui,  né  en  Italie,  avait  en 
naissant  reçu  le  nom  dltalus.  Ainsi,  les  Chérusques, 
qui  pendant  tant  d'années  avaient  avec  tant  d'acharne- 
ment combattu  les  Romains,  et  qni  n'avaient  recouvré 
leur  liberté  qu'au  prix  de  tant  de  sacrifices  et  de  sang, 
n'en  avaientsu  jouir,  comme  l'avait  prévu  Tibère,  que 
pour  se  combattre  eux-mêmes  et  s'entre-déchirer. 
Leur  position  politique,  au  commencement  du  règne 
de  Claude,  était  si  précaire  qu'ils  se  virent  forcés 
d'envoyer  à  Rome  une  députation,  pour  réclamer 
de  l'empereur  ce  jeune  prince,  dernier  héritier  de 
leur  famille  royale.  Rome,  qui  n'avait  pu  réduire  ces 
peuples  par  la  force,  leur  donna  alors  un  souverain 
qui,  né  dans  ses  murs,  n'avait  rien  de  germanique 
ni  dans  ses  mœurs  ni  dans  sa  manière  de  penser. 
Aussi,  à  peine  fut-il  sur  le  trône,  où  on  l'avait  appelé, 
qu'une  nouvelle  faction  l'en  chassa.  Il  se  réfugia  chez 
les  Lombards,   et  ce  ne   fut  qu'après  une  guerre 


42  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

deiioL.  d.^j.'c.  sanglante  qii  il  parvint  à  reconquérir  ses  droits. 

794.  41.  Le  Rhin  continuait  de  former  la  frontière  de 
l'Empire,  depuis  son  embouchure  jusqu'au  Mein,  ri- 
vière sur  laquelle  les  Romains  commençaient  aussi 
déjà  à  s'asseoir,  ainsi  que  sur  le  Neckar  et  sur  ses  con- 
fluents. On  sentait  si  bien  alors  à  Rome  le  besoin  de 
consolider  cette  frontière  du  nord  que,  lorsque 
Corbulon,  qui  avait  succédé  à  Galba,  porta  ses  légions 

800.  .'ti.  contre  les  Chauques,  qui  s'étaient  avancés  jusque 
dans  la  Basse-Germanie,  et  détruisit  leur  flotte  qu'il 
poursuivit  sur  l'Océan,  la  cour,  dans  la  crainte  que 
ce  succès  ne  réveillât  l'esprit  de  conquête  de  ses 
généraux ,  lui  ordonna  de  rentrer  avec  ses  troupes 
et  de  reprendre  la  limite  qu'elle  s'était  prescrite. 

Cette  paix,  du  reste,  influait  sur  la  prospérité  des 
villes  baignées  par  le  fleuve.  La  métropole  des  Ubiens, 
fondée  par  Agrippa,  et  l'une  des  mieux  situées  sur 
le  Rhin,  reçut  dans  son  sein  une  colonie  de  vétérans 

803.  30.  qu'Agrippine ,  en  mémoire  de  son  grand-père  ,  et 
pour  consacrer  un  monument  à  Germanicus,  son 
père  ,  et  à  Drusus ,  y  appela  d  Italie.  Cette  colonie 
reçut  toutes  les  libertés ,  tous  les  privilèges  des  villes 
italiennes. 

Cependant  les  Cattes  remuèrent  encore.  Ils  furent 
toutefois  bientôt  réduits  par  Lucius  Pomponius, 
qui  avait  pris  le  commandement  de  la  Germanie 
supéiieure ,  et  contraints  d'envoyer  à  Rome  des 
otages  afin  d'obtenir  la  paix  que  leur  esprit  remuant 
venait  de  troubler  momentanément.  Les  légions  du 
Nord ,  pendant  ce  temps,  eflèctuaient  les  plus  grands 
travaux,  et  élevaient  tout  le  long  du  Rhin  une  digue 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  43 

immense  pour  contenir  le  cours  du  lleuve  du  côtédeRÔ'L.  i.^Tc 
des  Gaules.  ^"^-      ^^• 

Au  delà  de  cette  frontière,  et  au  haut  du  canal  que  sot.  54. 
Drusus  avait  fait  creuser  pour  mener  les  eaux  du 
Rhin'dans  l'Issel,  s'étendait  un  immense  territoire 
où  avaient  successivement  habité  les  Chamaves,  les 
Tubantes  et  les  Usipètes,  et  qui,  devenu  désert  par 
suite  des  ravages  que  la  guerre  y  avait  causés ,  ne 
s'était  que  faiblement  repeuplé  des  habitants  des 
nations  voisines.  Rome  tenait  à  ce  que  de  telles  soli- 
tudes se  trouvassent  h  ses  frontières.  Elle  refusa  donc 
aux  Frisons  la  permission  de  s'y  établir,  malgré 
l'ambassade  que  ces  peuples  envoyèrent  jusqu'à  la 
cour  de  Néron.  Les  Amsibares,  peuples  de  la  rive  sos.  55. 
droite  de  l'Ems,  que  les  Chauques  avaient  chassés  de 
leurs  terres  et  qui  erraient  cherchant  de  nouvelles 
demeures,  ne  purent  de  même  y  trouver  un  abri.  Ils 
s'adressèrent  aux  Tenchtères,  aux  Bructères  et  aux 
autres  nations  voisines,  pour  en  être  secourus.  Cette 
coalition  eût  pu  devenir  dangereuse,  si  Avitus  ne 
l'eut  prévenue,  et  si,  sur  son  avis,  Curtilius  Mancia, 
qui  commandait  dans  le  Haut-Rhin,  n'eut,  de  son 
côté,  fait  une  excursion  dans  le  pays  des  Tenchtères, 
afin  de  jeter  la  terreur  parmi  ces  nations.  Repoussée 
dès  lors  de  tous  côtés,  cette  malheureuse  tribu  des 
Amsibares  ne  put  ni  avancer  ni  reculer;  elle  se  vit 
obligée  d'errer  les  armes  à  la  main,  jusqu'à  ce  qu'enfin 
tous  ceux  que  la  mort  avait  épargnés,  devinssent 
esclaves  des  peuples  voisins. 

Ce  fut  quelques  années  après  qu'éclata  la  révolte  de 
Vindex,  Gaulois  distingué,  qui ,  outre  de  la  basse 


Ans  An'i 

Je  Rome,      il 


44  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

j"c  tyrannie  de  Néron  ,  résolut  d'en  délivrer  sa  patrie. 
821.  68.  Il  avait  pour  lui  les  peuples  de  la  Gaule  Narbonnaise 
et  de  la  province  Viennoise ,  ainsi  que  bon  nombre 
d'affidés  parmi  les  Aeduens  et  parmi  les  Séquaniens. 
Galba,  qui  commandait  en  Espagne,  favorisai  ses 
projets.  D'autres  peuples  gaulois  au  contraire  ,  et 
principalement  les  Belges,  les  Lingones  et  ceux  de 
Trêves,  lui  étaient  opposés.  Tout  dépendait  donc  de 
la  conduite  que  les  légions  rhénanes  allaient  tenir. 
Les  généraux  qui  les  commandaient  venaient  d'être 
changés.  Virginius  Rufus  était  à  la  tête  du  gouverne- 
ment de  la  Haute-Germanie ;ronteiusCapito  à  la  tête 
de  celui  de  la  Germanie  inférieure.  Le  premier, 
fidèle  à  son  devoir,  et  indigné  de  ce  que  des  Gaulois 
prétendissent  dicter  des  lois  à  Rome,  marcha  contre 
les  rebelles  et  assiégea  la  métropole  des  Séquaniens, 
que  Vindex  tenait  encore  en  son  pouvoir.  Après 
plusieurs  pourparlers  inutiles,  et  entraîné  par  les  sol- 
dats, qui,  malgré  les  chefs  des  deux  armées,  en  vinrent 
aux  mains,  il  lui  livra  une  bataille  sanglante,  qui  coûta 
la  vie  à  vingt  mille  Gaulois.  Vindex,  pour  ne  pas  sur- 
vivre à  la  défaite  des  siens,  se  tua  de  sa  propre  main. 

Sa  mort  n'anéantit  point  toutefois  la  sédition. 

Galba,  qui  avait  pris  en  Espagne  le  titre  de  légat  du 
sénat  et  du  peuple  romain,  marcha  sur  les  Gaules 
après  s'être  déclaré  contre  Néron.  Les  légions  de  la 
Germanie  supérieure,  après  avoir  renversé  le  parti 
de  Vindex^  se  détachèrent  de  même  de  l'empereur 
et  offrirent  l'Empire  à  leur  général.  Mais  Virginius 
refusa  ;  et  même  peu  après ,  ayant  appris  la  mort  de 
Néron,  et  ayant  su  que  les  prétoriens  s'étaient  à 


DU  UHIN  ET  DU  DANUBE.  45 

Rome  déclarés  pour  Galba ^  il  fit  prendre  aux  légions  jeRoL.  j.V.c. 
qu'il  commandait  le  parti  du  nouvel  empereur,  et    821.      68. 
les  porta  h  lui  prêter  le  serment  de  fidélité. 

Galba  mena  avec  lui  Rufus  en  Italie.  Pour  avoir 
moins  à  craindre  de  l'esprit  remuant  des  légions 
rhénanes,  il  le  remplaça  dans  son  commandement 
par  le  vieux  général  Flaccus  Hordeonius,  homme 
presque  infirme  et  peu  estimé  du  soldat.  Le  mé- 
contentement qui  fermentait  parmi  ces  troupes  fut 
augmenté  par  la  retenue  que  l'empereur  fit  des  gra- 
tifications que  chaque  César ,  à  son  avènement,  avait 
coutume  de  faire  distribuer  aux  soldats.  Les  villes 
des  Gaules  et  du  Rhin,  que,  dans  ce  même  temps, 
plusieurs  décrets  lésèrent  dans  leurs  intérêts,  favo- 
risèrent de  leur  côté  cette  effervescence  de  muti- 
nerie. La  révolte  couvait  sous  main,  quand  enfin, 
vers  la  fin  de  décembre,  parut  à  Cologne  Vitellius^ 
qui  prit  le  commandement  des  quartiers  d'hiver  de 
la  Basse-Germanie. 

Ce  général,  par  sa  conduite  adroite,  sut  s'attirer  822,  69. 
l'amour  des  légions  placées  sous  ses  ordres.  Il  leur 
fit  même  prêter  le  serment  de  fidélité  au  nouvel  em- 
pereur. Mais,  vers  la  même  époque ,  la  quatrième  et 
la  dix-huitième  légion,  qui  se  trouvaient  à  Mayence 
et  dans  ses  environs,  jetèrent  le  masque  et  se  révol- 
tèrent ouvertement;  elles  brisèrent  les  statues  de 
Galba,  et  ne  voulurent  prêter  serment  qu'au  sénat 
et  au  peuple  romain. 

Un  porte-étendard,  profitant  du  tumulte  ,  vola  à 
Cologne,  résidence  de  Vitellius,  lui  porta  les  aigles 
de    ces    légions,  et    lui  rendit  compte  de  ce  qui 


46  ÉTABL1SSEME^TS  ROMAINS 

d  lurae  dej 'c  ^^  passaît.  Lg  serment  que  ces  troupes  venaient 
822.  69.  de  prêter  ne  pouvait  qu'être  précaire,  et  l'Empire 
devait  désormais  être  déféré  par  elles  a  celui  qui 
saurait  profiter  de  leur  exaltation.  Vitellius  le  com- 
prit; il  fit  aussitôt  savoir  ses  intentions  aux  chefs 
des  autres  légions  qu'il  commandait.  Fabius  Va- 
lens,  qui,  avec  sa  cavalerie,  résidait  à  Bonn,  ne 
voulut  pas  être  le  dernier  h  donner  l'exemple; 
dès  le  lendemain ,  il  se  rendit  à  Cologne  où ,  à  la 
tête  de  ses  troupes,  il  proclama  Vitellius  empereur. 
Trêves,  Langres  ne  tardèrent  pas  à  donner  leur  ad- 
hésion à  ce  qui  venait  de  se  passer  dans  cette  ville. 
Ils  offrirent  au  nouveau  César  de  l'argent,  des  hommes 
et  des  chevaux,  pour  se  mettre  en  possession  de 
l'Empire.  D'autres  villes  des  Gaules  suivirent  leur 
exemple.  Valerius  en  Belgique,  Junius  Blsesus  dans 
la  province  Lyonnaise ,  l'armée  qui  occupait  la 
Bretagne,  se  soumirent  au  nouvel  ordre  des  choses. 
Quatre  des  capitaines  de  la  dix-huitième  légion^  qui 
avaient  voulu  s'opposer  au  soulèvement  de  Mayence, 
furent  mis  à  mort  sous  les  murs  de  cette  cité^ 

Vitellius  rassembla  trois  armées   considérables. 
Valens,  dans  la  Basse-Germanie,  eut  le  commande- 

^  Voici  l'épitaphe  de  l'un  d'eux  doni  la  pierre  luniulaire  a  été  re- 
trouvée. 


COM 

C\LPVR  10  REPENTINO 

ACTIA ICISSIM. 

F.  C. 

Conjugi  Caipurnio  liepentino  Àctia  infelicmima  fierl  curavit. 
Les  trois  autres  qui  trouvèrent  la  mort  avec  lui  fuient  Xonius,  Ro- 
milius  et  Donatius. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  47 

ment  de  quarante  mille  hommes,  pour  aller  par  les  ^^  *;4^  Ji"^ 
Alpes  cotienncs  tomber  sur  l'Italie.  Caecina,  qui,  dans  822.  69. 
la  Germanie  supérieure,  était  à  la  tête  de  trente 
mille  hommes,  composés  de  l'élite  de  la  vingt  et 
unième  légion  et  de  troupes  auxiliaires  ,  germaines 
et  autres  ,  eut  ordre  d'y  pénétrer  par  les  Alpes 
penniques.  Vitellius  lui-même  se  mit  à  la  tête  du 
principal  corps  d'armée  dans  les  Gaules. 

Cependant  déjà  Galba  n'était  plus. 

A  peine  il  avait  eu  connaissance  de  ce  qui  se 
passait  sur  le  Rhin  que,  pour  donner  plus  de  soutien 
à  son  trône  chancelant,  il  avait  adopté  pour  fils 
Pison  Licinius.  SalviusOthon,  qui,  en  Espagne,  avait 
le  plus  contribué  à  son  élévation  au  trône,  jaloux  de 
cette  adoption^  avait  fomenté  une  révolte  qui  avait 
à  la  fois  coûté  la  vie  à  l'empereur  et  à  Pison.  Oihon 
marcha  au  devant  des  légions  germaniques,  qu'il 
rencontra  entre  Crémone  et  Vérone  \  Battu  dans 
cette  journée  fatale  par  les  généraux  de  Vitellius,  il 
se  tua  lui-même  d'un  coup  de  poignard  'K 

Vitellius,  à  la  nouvelle  de  cette  défaite  qui  lui  par- 
vint à  Lyon,  partagea  son  armée;  et,  renvoyant  en 
arrière  les  cohortes  bataves  et  les  Gaulois  auxiliaires, 
continua  sa  route  vers  l'Italie  avec  le  reste  de  ses 
troupes  et  sa  garde  germaine.  Il  visita  le  champ  de 
bataille  où  Othon  avait  été  défait,  et  envoya  de  Cré- 
mone à  Cologne  le  poignard  dont  cet  empereur  s'é- 
tait tué,  pour  y  être  déposé,  avec  l'épée  de  César, 
dans  le  temple  de  Mars. 

•  A  Bédriac. 

^  Suél.,  in  Oth.,  c.  11. 


48  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

j«H«me.  dcY'c.  La  révolution  qui  venait  de  le  mettre  sur  le  trône 
8-2-2.  69.  n'était  pas  encore  toutefois  apaisée,  que  les  légions 
qui  composaient  l'armée  d'Orient  et  qui  jusque-là 
avaient,  sous  les  ordres  de  Vespasien,  prêté,  sans  trop 
de  difficulté,  tous  les  serments  qu'on  en  avait  exigés, 
se  révoltèrent  à  leur  tour  et  proclamèrent  empereur 
leur  propre  général.  Toute  la  Judée,  lÉgypte,  la 
Sj^ie,  toute  l'Illyrie  se  déclarèrent  en  même  temps 
pour  ce  grand  homme.  Antonius  Primus,  qui  com- 
mandait celte  dernière  province,  et  qui  se  trouvait, 
par  conséquent,  le  plus  près  de  l'Italie,  se  mit  aussi 
le  premier  en  mouvement  pour  marcher  sur  Rome. 
Il  prit  à  sa  solde  un  grand  nombre  de  Suèves  et  de 
Sarmates  que  les  événements  politiques  attachaient 
alors  aux  Romains,  et  pour  empêcher  les  troupes  de 
Vindélicie  de  traverser  les  monts,  il  fit  en  sorte  que 
le  Norique  se  soulevât  en  même  temps,  et  que  les  co- 
hortes qui  y  tenaient  garnison  leur  en  défendissent 
le  passage. 

La  révolte  de  Civilis  et  de  ses  Bataves,  qui  éclata 
en  même  temps ,  favorisa  les  projets  de  Primus  et 
retint  sur  le  Rhin  les  légions  qui  y  étaient  sta- 
tionnées. 

Les  Bataves,  ancienne  colonie  des  Cattes,  qu'une 
révolution  avait  depuis  plusieurs  siècles  chassés  de 
leur  patrie,  et  qui,  après  avoir  descendu  le  Rhin,  s'é- 
taient arrêtés  dans  l'île  immense  que  ce  fleuve  forme 
à  son  enibouchure\  avaient  jusqu'alors  été  l'un  des 
peuples  dont  l'alliance  avec  les  Romains  avait  été  la 

'  Dion.,  1.  V,  24. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  49 

plus  Adèle.  Les  Romains,  pour  toute  charge,  ne  leur  j,r"'„,   jj'y'c 

avaient  imposé  que  l'obligation  de  fournir  un  certain    822.     co. 

nombre  de  cavaliers  qui,  vu  leur  valeur  éprouvée 

et  leur  habileté  à  traverser  les  fleuves  à  la  nage, 

leur  avaient  souvent  rendu  les  plus  éminents  services. 

Parmi  la  noblesse  de  cette  nation  se  distinguaient 

surtout,  par  leur  courage  comme  par  leurs  brillantes 

qualités,  Julius  Paulus  et  Claude  Civilis,  issus  l'un 

et  l'autre  du  sang  de  leurs  rois.  L'un  et  l'autre,  sous 

le  règne  de  Néron,  avaient  été  accusés  de  rébellion 

par  Fonteius  Capilo,  et  le  premier  avait  même  payé 

de  sa  tête  cette  accusation.  Civilis  avait  été  envoyé  à 

Rome;  mais  il  avait  été  rendu  à  la  liberté  par  Galba, 

et  ce  n'avait  été  qu'avec  la  plus  grande  peine  qu'il 

avait  plus  tard  échappé  à  Vilellius. 

Antonius  Primus  connaissait  toute  la  fougue  de 
son  caractère,  et  il  savait  qu'aucune  entreprise, 
quelque  audacieuse  qu'elle  fût,  n'étonnerait  son  cou- 
rage. Il  lui  écrivit,  en  quittant  l'Illyrie,  pour  lui  faire 
part  de  son  entreprise,  et  l'engagea  à  provoquer,  de 
son  côté,  un  soulèvement,  afin  d'occuper  les  légions 
rhénanes  et  de  les  empêcher  de  marcher  sur  l'Italie. 

Civilis,  qui  depuis  longtemps  n'attendait  pour  se 
venger  de  Rome  qu'une  occasion,  saisit  avidement 
celle  qui  venait  se  présenter  à  lui  sous  de  si  favo- 
rables auspices.  Il  rassembla  dans  une  forêt  sacrée 
tout  ce  que  sa  nation  offrait  d'hommes  courageux  et 
distingués,  et,  au  milieu  d'un  repas,  lorsqu'il  vit  tous 
les  convives  animés,  il  leur  fit  part  des  événements 
de  l'Orient.  11  leur  communiqua  son  propre  enthou- 
siasme, au  nom  de  la  liberté  batave,  et  reçut  leur 


50  ÉTABLfSSEMEINTS  ROMAINS 

de  nome  deY'c  semienl  de  la  reconquérir'.  Les  Canifales,  peuple 
822  69.  qui  lui-même  n'était  qu'une  division  des  Bataves, 
furent  aussi  bientôt  gagnés  à  la  coalition.  Ils  mirent  à 
leur  tête  un  certain  Brinion,  homme  d'une  noble  ex- 
traction et  d'une  valeur  éprouvée,  dont  le  père  s'était 
déjà  rendu  redoutable  aux  Romains  sous  le  gouver- 
nement de  Caïus.  Ce  chef  leva  le  premier  l'étendard 
et  entraîna  dans  son  parti  les  Frisons,  qui  n'étaient 
séparés  des  Canifates  que  par  un  bras  du  Rhin.  Il 
commença  la  campagne  par  le  pillage  du  campe- 
ment d'hiver  de  deux  cohortes  composées  de  Ner- 
viens  et  de  diverses  nations  germaines.  Les  Romains, 
qui  n'étaient  qu'en  petit  nombre,  vu  que  Vitellius 
avait  retiré  les  meilleures  troupes  pour  le  suivre, 
n'eurent  pas  la  confiance  de  pouvoir  résister;  après 
avoir  mis  le  feu  à  tous  les  châteaux  protecteurs,  ils 
se  retirèrent,  sous  la  conduite  d'Aquilius,  dans  la 
partie  la  plus  supérieure  de  l'île. 

Civilis,  qui  jusque-là  avait  feint  d'adhérer  à  la 
révolution  d'Antonius  Primus,  jeta  le  masque;  le- 
vant le  bouclier,  il  vint  les  y  attaquer.  Les  Bataves,  les 
Canifates  et  les  Frisons  formaient  trois  corps  d'ar- 
mée séparés.  Au  moment  d'en  venir  aux  mains,  la 
cohorte  des  Tongres  passa  du  côté  de  Civilis  et,  par 
sa  défection,  contribua  à  la  défaite  des  Romains.  Le 
champ  de  bataille  resta  aux  coalisés.  Les  Romains 
avaient  dans  le  port  de  lîle  vingt-quatre  vaisseaux, 
dont  presque  tous  les  matelots  et  les  rameurs  étaient 


'  Barbaro  rituet  patriis  cxecrationibus  omnes  adigU. Tac,  1.  iv, 


de  J    C. 


DU  lUIIN  ET  DU  DANUBE.  51 

Bataves.  Ces  derniers  prirent  parti  pour  leurs  com-  jenoL.  jeY' 
patriotes  ;  leur  défection  fit  aussi  tomber  toute  la  s----  ^9 
flotte  au  pouvoir  de  Civilis. 

Flaccus  Hordeonius,  qui  avait  été  laissé  au  com- 
mandement de  la  Germanie,  et  qui,  partisan  secret 
de  Vespasien,  avait  d'abord  vu  d'un  œil  tranquille 
le  soulèvement,  crut  enfin  devoir  prendre  des  me- 
sures d'énergie,  lorsqu'il  eut  la  certitude  que  cette 
guerre  des  Bataves  ne  regardait  point  la  sécurité  de 
Rome,  mais  n'était  provoquée  que  pour  en  secouer 
le  joug.  Il  envoya  Mumius  Lupercus  à  la  rencontre 
de  Civilis,  et  fit  en  même  temps  passer  le  Rhin  à 
deux  légions,  auxquelles  furent  jointes  quelques 
troupes  auxiliaires  d  Ubieus,  une  partie  de  la  cava- 
lerie trévirienneet  une  brigade  de  Bataves  que  com- 
mandait Claudius  Labeo,  ennemi  personnel  de  Ci- 
vilis, circonstance  qui  lui  valut  surtout  la  confiance 
du  général.  Mais  ces  troupes  ne  furent  pas  plutôt  en 
pi'ésence  de  l'ennemi,  que  ces  mêmes  Bataves,  qui, 
en  qualité  d'auxiliaires,  flanquaient  une  des  ailes 
romaines,  passèrent  du  côté  de  leurs  compatriotes 
et  entraînèrent  leur  chef,  qui  en  vain  tenta  de  s'op- 
poser à  leur  défection.  Les  Ubiens  et  ceux  de  Trêves 
lâchèrent  pied  de  leur  côté,  et  force  fut  à  l'infanterie 
romaine  de  chercher  un  refuge  dans  Castra-Vetera. 

Civilis,  maître  de  Labeo,  n'attenta  pas  toutefois  à 
ses  jours;  il  se  contenta,  pour  lui  ôter  tout  moyen 
de  nuire,  de  l'envoyer  dans  le  pays  des  Frisons. 

A  Mayence  se  trouvaient  alors  aussi  huit  cohortes 
bataves  que  le  général  Fabius  Valens  avait  d'abord 
prises  avec  lui  en  Italie,  mais  qui ,  ayant  eu  quelques 
1. 


Ans  Ans 

de  Komc.     Je  J.  C 


02  ETABLISSEMENTS  ROMAINS 

disputes  avec  les  soldais  de  la  quatorzième  légion 
822.  69.  qu'ils  accompagnaient,  avaient  été  envoyées  par  lui 
sur  le  Rhin,  sous  prétexte  que  les  garnisons  de  ce 
fleuve  étaient  trop  faibles.  Elles  venaient  de  recevoir 
de  Vitellius  Tordre  de  retourner  en  Italie,  quand  un 
émissaire  de  Civilis,  envoyé  en  secret  par  ce  chef, 
vint  en  son  nom  les  engager  à  faire  cause  commune 
avec  leurs  concitoyens.  Ces  troupes,  où  déjà  l'esprit 
de  sédition  fomentait,  n'eurent  pas  de  peine  à  se 
laisser  entraîner.  Au  lieu  donc  de  partir  pour  l'Italie, 
elles  se  mutinèrent  à  leur  tour,  et  sans  que  le  vieux 
gouverneur  osât  les  arrêter,  elles  firent  alors  route 
vers  la  Germanie  inférieure.  Arrêtées  dans  leur 
marche  devant  Bonn  par  le  légat  Herennius  Gallus, 
elles  se  frayèrent  un  passage  1  epée  à  la  main ,  et , 
après  avoir  contourné  la  ville  de  Cologne,  vinrent 
enfin  joindre  l'armée  des  Bataves. 

Civilis  n'osa  pas  toutefois  encore  jeter  le  masque 
ouvertement;  pour  donner  à  sa  révolte  un  air  d'ex- 
cuse et  pouvoir  s'attacher  à  un  parti,  en  cas  de 
revers,  il  fit  prêter  à  ses  troupes  le  serment  de  fidé- 
lité à  Vespasien.  Il  envoya  ensuite  un  parlementaire 
aux  deux  légions  renfermées  dans  Vetera  pour  les 
engager  à  suivre  cet  exemple.  Sur  leur  refus,  il  en- 
tieprit  le  siège  de  cette  ville.  Les  Bructères,  les 
Tenchlères  et  bon  nombre  d'autresnalions  germaines 
avaient,  de  leur  côté,  pris  les  armes  pour  la  coa- 
lition. 

Hordeouius,  dans  cette  situation  critique,  crut 
devoir  enfin  prendre  l'offensive.  Il  fit  précéder  sa 
marche  par  l'élite  des  légions  sous  les  ordres  de  Dil- 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  53 

Mus  Vocula,  et  suivit  bientôt  lui-même  avec  le  reste  de  ,  ,V;'      ^ 

'  (le  ln'n 

l'armée.  Avant  de  partir,  il  reçut  des  lettres  de  Ves-  s^-^ 
pasien  qui  l'engageait  à  euibrasser  son  parti.  Pour  se 
mettre  en  garde  contre  tout  soupçon  de  la  part  des 
troupes,  il  leur  en  ût  faire  une  lecture  publique,  et, 
après  avoir  mis  aux  fers  le  messager  qui  les  lui  avait 
apportées,  il  l'envoya  à  Rome  auprès  de  Vitellius.  L'ar- 
mée, qui  déjà  murmurait  contre  son  général,  et  qui 
attribuait  à  son  peu  d'énergie  les  progrès  des  armes 
de  Civilis,  fut  un  peu  calmée  par  cette  preuve  de 
bonne  foi.  Mais  lorsqu'elle  arriva  à  Bonn,  et  qu'elle 
apprit  la  défaite  que  la  garnison  de  cette  ville  avait 
eue  à  supporter  de  la  part  des  Bataves,  ses  murmures 
recommencèrent  et  elle  accusa  bautement  Hordeo- 
nius  de  s  être  entendu  avec  l'ennemi,  en  favorisant  à 
IMayence  le  départ  des  cohortes.  Le  mécontentement 
prit  un  caractère  si  séditieux  que  le  vieux  général  se 
vit  contraint  de  céder  le  commandement  à  Vocula. 
Herennius  Gallus  fut  adjoint  à  ce  dernier  devant  No- 
vesium,  où  la  treizième  légion  vint  aussi  joindre 
l'armée. 

Ces  deux  généraux,  au  lieu  de  marchera  l'ennemi , 
se  contentèrent  d'élever  leur  camp  près  de  Gelduba, 
petit  endroit  au  bord  du  Rhin.  L'esprit  des  troupes 
était^  en  effet,  si  partagé,  et  il  y  avait,  surtout  parmi 
les  officiers,  tant  d'adhérents  pour  l'un  et  lautre  des 
deux  partis  qui  se  disputaient  l'Empire,  qu'ilsavaient 
également  à  craindre  de  montrer  leur  zèle  ou  pour 
1  un  ou  pour  l'autre. 

La  nouvelle  qui  parvint  bientôt  sur  le  Rhin  de  la 
défaite  des  troupes  de  Vitellius^  sous  les  murs  de 


Je  J.  C 

69. 


Ans  Ans 

.!«  Rome.     dcJ.C. 


54  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Crémone,  par  cellesqui  tenaient  le  parti  de  Vespasien 

822.  69.  et  de  la  mort  du  premier,  donna  aux  événements 

une  toute  autre  lace.  Les  légions,  sans  montrer 
d'enthousiasme ,  prêtèrent  cependant  le  serment 
qu'on  en  exigeait  au  nouvel  empereur;  et  il  fut  aussi- 
tôt envoyé  un  exprès  à  Civilis  pour  l'engager  à  dé- 
poser les  armes,  vu  que  l'armée  du  Rhin  reconnais- 
sait désormais  le  parti  dont  il  s'était  fait  le  soutien. 
Le  Batave  sentit  que  le  moment  était  venu  où  il 
fallait  payer  d'audace.  Loin  de  déposer  les  armes,  il 
envoya  aussitôt  les  huit  cohortes  dont  nous  avons 
parlé  et  les  troupes  d'élite  germaines,  sous  les  ordres 
de  Julius  Maximus  et  de  Claudius  Victor,  attaquer 
le  camp  de  Gelduba.  Ces  troupes  dans  leur  marche 
renversèrent  une  aile  de  cavalerie  qui  couvrait  Asci- 
bourg,  et  elles  se  fussent  rendues  maîtressesdu  camp, 
si  Vocula  n'eût  reçu  à  temps  des  secours  qui  lui 
permirent  de  les  repousser.  Ce  général  s'avança  alors 
sur  Vetera,  que  Civilis  en  personne  tenait  toujours 
assiégée;  il  livra  au  Batave  un  combat  qui  se  ler- 

823.  70.    mina  par  la  retraite  de  ce  dernier.  Vocula  fit  aussitôt 

réparer  les  foilifîcations  de  la  place,  et  il  se  replia 
sur  Gelduba  et  Neuss,  pour  rejoindre  le  quartier 
général. 

Il  est  sûr  que  si  les  préfets  et  les  légats  romains 
n'eussent  pas  été  si  indolents  h  attaquer  Civilis,  au 
commencement  de  sa  révolte,  ce  cbef  n'eût  pas  été 
capable  de  l'organiser  sur  un  pied  aussi  étendu ,  ni 
de  rassembler  une  armée  aussi  considérable.  Chaque 
soldat  le  sentait,  et  il  le  disait  hautement  dans  le 
camp,  où  tout  manquait,  vivres,  argent,  munitions. 


DU  UIIIIN  ET  DU  DAJiUBK.  55 

On  ne  craignit  point  d'accuser  les  généraux  de  trahir  a„  ,;"L 
le  soldat  et  de  sacrifier  son  sang  à  leur  propre  ^-^• 
sûreté.  Le  bruit  courut  en  même  temps  que  Vitellius 
avait  envoyé  de  l'argent  pour  être  distribué  aux 
troupes,  et  que  les  chefs  l'avaient  retenu.  Quoique 
Hordeonius  le  leur  distribuât  maintenant  au  nom  du 
nouvel  empereur,  leurs  murmures  n'en  prirent  pas 
moins  un  caractère  menaçant  qui  finit  par  coûter  la 
vie  au  vieux  général.  Le  même  sort  eût  atteint  Vocula, 
s'il  ne  se  fût  échappé  du  camp  à  la  faveur  des 
ténèbres. 

Civilis  sut  mettre  à  profit  celte  nouvelle  révolte; 
il  reprit  l'offensive. 

Les  Cattes,  de  leur  côté,  les  Usipètes  et  les  Mat- 
tiaques,  non  plus  contenus  par  les  armes  romaines, 
passèrent  le  Rhin  et  vinrent  bloquer  la  forteresse  de 
Mayence.  Se  répandant  dans  tout  le  pays,  ils  pillèrent 
et  saccagèrent  tout.  Le  Rhin  eût  été  perdu  pour 
Rome ,  si  Vocula,  se  remettant  à  la  tête  des  première, 
quatrième  et  dix-huitième  légions  qu'il  fit  rentrer 
dans  le  devoir,  et  qui  prêtèrent  entre  ses  mains  le 
serment  de  fidélité  à  Vespasien  ,  n'eût  arrêté  la 
marche  de  l'ennemi ,  et  si  les  Tréviriens  n'eussent 
de  leur  côté,  pour  les  contenir,  élevé  à  la  hâte  une 
ligne  fortifiée.  Surpris  par  ces  légions,  alors  qu'ils 
n'étaient  occupés  que  du  pillage,  les  Cattes  et  leurs 
alliés  se  virent  contraints  de  repasser  le  Rhin  avec 
perte. 

Cependant  Cologne  était  devenue  le  chef-lieu  de  la 
sédition. 

On  savait  dans  cette  ville  que  Vespasien,  qui  venait 


Ans 
.le  J.  C. 

70 


Ans  An 

.!.■  Uonie.     J 


56  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

j"'c.  de  recevoir  l'Empire,  était  encore  occupé  en  Judée 
8!25.  70.  à  soumettre  avec  son  fils  Titus  les  peuples  de  ces 
contrées.  La  plupart  des  troupes  qui  composaient 
les  légions  du  Rhin,  des  Gaules  et  de  la  Belgique, 
étaient  de  nouvelles  recrues,  tirées  du  pays  même. 
Le  peu  de  vieux  soldats  qui  étaient  restés  en  arrière 
lors  du  départ  de  Vitellius,  et  que  l'honneur  attachait 
à  leurs  aigles  et  à  leurs  serments,  étaient  impuissants 
à  s'opposer  à  ces  factieux.  Les  piincipaux  d'entre  les 
Bataves,  les  Lingones  et  les  Tréviriens,  Civilis, 
Classicus,  Julius  Tutor  et  Sabinus,  qui  tous  déjà 
avaient  servi  dans  les  rangs  des  Romains,  virent 
dans  l'effervescence  qui  animait  ces  troupes  le  moyen 
de  s'élever  sur  les  ruines  de  Rome  ,  et  de  briser  le 
joug  sous  lequel,  depuis  plus  d'un  siècle,  elle  tenait 
leur  patrie  asservie.  Ils  firent  répandre  par  leurs 
émissaires  les  bruits  les  plus  propres  à  soulever  les 
peuples,  et  formèrent  le  complot  de  faire  assassiner, 
selon  l'occasion,  les  généraux,  pensant  qu'alors  il 
leur  serait  plus  facile  de  faire  pencher  le  soldat  de 
leur  côté. 

Vocula  fut  instruit  de  ce  qui  se  passait.  Sans  re- 
douter le  danger  auquel  il  s'exposait,  il  se  rendit 
lui-même  à  Cologne,  afin  de  tenter  par  la  persuasion 
de  faire  rentrer  dans  le  devoir  les  conjurés.  Claudius 
Labeo,  qui  avait  eu  le  moyen  de  s'échapper  du  pays 
des  Frisons,  vint  l'y  trouver,  et  il  se  fit  fort,  avec 
une  division,  de  remettre  au  pouvoir  de  Rome  la 
plus  grande  partie  de  la  Batavie.  Mais  il  ne  put  tenir 
sa  promesse;  et  à  l'exception  de  quelques  Béthasiens 
et  de  quelques  Nerviens  qu'il  gagna  à  son  parti ,  et 


DU  RHI>  ET  DU  DANUBE.  57 

de  quelques  courses  qu'il  fit  dans  le  pays  des  Canifates  j^  u"' 
et  des  Marsates,  son  expédition  n'eut  aucun  résultat,   ^-r. 

Les  Gaulois  étaient  toutefois  jusqu'alors  restés  en 
apparence  fidèles  aux  Romains.  Vocula,  dans  cet 
état  de  choses,  mai'cha  lui-même  à  la  rencontre  de 
Civilis,  pensant  que  s'il  parvenait  à  vaincre  ce  chef, 
les  autres  Gaulois,  tels  que  Tutor  et  que  Sabinus, 
n'oseraient  h  leur  tour  jeter  ouvertement  le  masque. 
INÏais  cette  marche  même  accéléra  le  soulèvement 
général.  Il  n'était  plus  qu'à  une  faible  distance  de 
Vetera,  lorsqu'on  vint  lui  apprendre  que  Classicus 
et  Tutor,  qui  avaient  pris  les  devants  sous  prétexte 
de  reconnaître  lennemi  ,  avaient  passé  dans  ses 
rangs,  suivis  de  tous  ceux  qu'ils  commandaient.  Cette 
défection  lui  apprit  qu'il  ne  pouvait  compter  sur  les 
Gaulois,  et  comme  son  armée  en  était  en  majeure 
partie  composée,  il  crut  plus  prudent  de  se  rejeter  sur 
Neuss.  Les  Gaulois  révoltés  l'y  suivirent  et  posèrent 
leur  camp  à  deux  lieues  de  ce  bourg.  Ils  avaient  des 
intelligences  dans  l'armée,  et  Vocula  eut  le  chagrin 
de  voir  déserter  les  uns  après  les  autres  tous  ses 
Gaulois.  Ses  affranchis  et  ses  domestiques  l'empê- 
chèrent seuls  alors  de  se  donner  une  mort  qui  l'eût 
sauvé  de  l'assassinat  que  Classicus,  peu  de  jours 
après,  fit  commettre  sur  sa  personne  par^Emilius 
Longinius,  un  des  soldats  de  la  première  légion. 
Les  deux  légats  Herennius  et  Numisius  Paifus,  de  la 
première  et  de  la  dix-septième  légion,  furent  gar- 
dés à  vue.  Classicus  se  rendit  ensuite  au  milieu  de 
l'armée,  précédé  de  toute  la  pompe  qui  accompa- 
gnait toujours  un  général  romain;  il  fit  prêter  aux 


Ans  Ans 

me.     Je  J.  C. 


A  as 
de  Itome.      de  J.  C 


58  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

j"(.  légions  le  serment  de  fidélité  à  lEmpire  des  Gaules. 
8-25.  7u.  Tutor ,  de  son  côté,  se  dirigea  avec  un  corps  d'ar- 
mée sur  Cologne.  Il  s'empara  de  cette  ville ,  dont  il 
força  la  garnison ,  ainsi  que  plus  tard  toutes  les 
autres  troupes  qu'il  rencontra  dans  sa  marche ,  à 
prêter  le  même  serment.  A  Mayence,  il  fit  tuer  plu- 
sieurs des  principaux  officiers  qui  refusèrent  de  le 
prêter.  Classicus  descendit  le  Rhin  et  se  joignit  à 
Civilis  qui  était  toujours  occupé  du  siège  de  Vetera. 
La  famine  était  dans  la  ville,  et  les  combats  en  avaient 
décimé  la  garnison.  Dans  cette  extrémité ,  et  se  voyant 
dans  l'impuissance  d'être  secourues,  les  deux  légions 
qui  la  composaient,  consentirent  à  capituler.  On  en 
exigea  le  même  serment  à  l'Empire  des  Gaules;  et 
il  fut  permis  aux  soldats  de  se  retirer,  après  avoir 
déposé  leurs  armes.  Toutefois  ces  malheureux  avaient 
à  peine  fait  cinq  milles,  qu'attaqués  par  les  Ger- 
mains, ils  furent  en  partie  massacrés  et  en  partie 
faits  prisonniers.  Le  camp  fut  mis  au  pillage  et  in- 
cendié. Mumius  Lupercus,  légat  d'une  légion,  fut,  avec 
d'autres  captifs,  envoyé  comme  esclave  h  lalruneVel- 
léda,  au  pays  des  Bructères,  et  lâchement  assassiné 
pendant  le  trajet.  La  treizième  légion  qui  était  à  Neuss 
et  celle  qui  formait  la  garnison  de  Bonn  furent  diri- 
gées sur  Trêves,  qui  devait  être  la  capitale  du  nouvel 
Empire.  Tous  les  camps,  où  les  légions,  les  cohortes 
et  les  autres  troupes  avaient  leurs  quartiers  d'hiver 
tout  le  long  du  Rhin,  furent  incendiés  et  rasés,  à 
l'exception  de  Mayence,  que  sa  colossale  bâtisse  pré- 
serva seule  alors,  etde  Vindonissa,  que,  sur  le  bruit 
qui  se  répandit  que  les  légions  d'Italie  traversaient 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  59 

les  Alpes ^  l'ennemi  respecta  comme  un  rempart  j,  r"^,  d/j"'c. 
propre  à  les  arrêter.  ^-^-     ■'^• 

Mucianus,  qui  avait  pris  à  Rome  les  rênes  du  gou- 
vernement en  l'absence  de  Vespasien ,  avait  en  effet, 
à  la  première  nouvelle  du  soulèvement  et  du  danger 
des  provinces  rhénanes,  envoyé  à  leur  secours  Gallus 
Annius  et  Petilius  Cerialis.  Ne  cessant  ensuite  de 
recevoir  des  Gaules  les  dépêches  les  plus  fâcheuses, 
il  s'était  lui-même  décidé  à  traverser  les  monts,  ac- 
compagné de  Domitien.  L'ordre  avait  en  même  temps 
été  donné  à  la  quatorzième  légion  de  quitter  la  Bre- 
tagne, et  aux  seizième  et  dix-huitième,  qui  étaient 
en  Espagne,  de  marcher  l'une  et  l'autre  vers  les 
Gaules. 

L'ambition  des  principaux  factieux,  qui,  comme  il 
arrive  presque  toujours  dans  toutes  les  révolutions, 
n'avaient  en  vue  que  leur  propre  intérêt,  et  qui,  au 
lieu  de  consolider  leur  pacte  contre  Rome,  ne  cher- 
chaient qu'à  se  saisir  des  dépouilles  du  colosse,fit  toute- 
fois plus  pour  rétablir  sa  puissance  que  ne  firent  les 
armes  romaines  elles-mêmes. Ci vilis qui,  en  levant  le 
bouclier,  s'était  vu  trop  faible  pour  résister  seul  aux 
Romains,  et  qui,  pour  les  chasser,  avait  si  adroite- 
ment su  profiter  de  l'alliance  des  Gaulois,  s'en  sépara 
maintenant  et  tourna  ses  regards  avides  vers  les  pro- 
vinces belges  et  rhénanes.  Sabinus,  de  son  côté,  s'a- 
bandonnant  à  l'idée  de  soumettre  la  Gaule  séqua- 
nienne ,  prenait  à  la  tête  des  Lingones  le  titre  d'em- 
pereur, et  en  qualité  de  descendant  du  grand  César 
qui  avait  eu  son  père  d'une  noble  dame  gauloise,  il 
ajoutait  à  tous  ses  autres  titres  ce  même  nom  de 


60  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

deRle  d.*r(  César  sur  lequel  il  fondait  tous  ses  droits.  Civilis, 
825.  70.  pour  parvenir  à  ses  fins,  chercha  à  se  concilier  la 
faveur  des  Ubiens,  peuple  le  plus  puissant  et  le  plus 
nombreux  de  toutes  les  tribus  germaines  de  la  rive 
gauche  du  Rhin.  Les  autres  nations,  habitant  la  rive 
opposée  du  fleuve,  eussent  de  leur  côté  vu  avec  plai- 
sir que  ces  mêmes  Ubiens  se  fussent  unis  à  elles,  et 
fissent  de  nouveau  partie  de  cette  coalition  germa- 
nique dont  Rome  les  avait  séparés.  Elles  envoyèrent 
une  députation  à  Cologne,  pour  demander  le  mas- 
sacre de  tout  ce  qui  restait  de  Romains  sur  son  terri- 
toire, et  pour  porter  les  habitants  à  raser  les  murs 
de  la  cité.  Ceux-ci  ,  gagnés  par  Civilis,  s'en  rappor- 
tèrent à  son  jugement  et  à  celui  de  l'alrune  Velléda, 
qui  tous  deux  donnèrent  une  réponse  évasive  quant 
au  dernier  point,  mais  consentirent  à  ce  que  les  péages 
du  Rhin  fussent  abolis  et  que  la  liberté  du  commerce 
fût  rétablie  sur  les  deux  rives.  Civilis  alla  encore  plus 
loin  ;  et  il  contraignit  les  habitants  de  Sutinum,  ancien 
reste  de  ces  Suèves  que  Tibère  avait  transplantés  sur 
la  rive  gauche  du  fleuve,  à  faire  partie  de  la  coalition. 
Claudius  Labeo,  qui,  à  la  tête  des  Nerviens  et  des 
Béthasiens,  auxquels  s'étaient  joints  des  habitants 
de  Tongres,  s'était  de  Mastric  poi'té  à  sa  rencontre, 
pour  l'inquiéter  dans  cette  entreprise,  eut  la  douleur 
de  voir  sur  le  champ  de  bataille  même  la  défection 
de  ces  derniers  ;  exemple  que  suivirent  bientôt  après 
les  Nerviens  et  les  Béthasiens;  ce  qui  contraignit  de 
nouveau  ce  général  à  se  sauver  devant  son  ennemi 
jusque  dans  la  Gaule  belgique. 

Sabinus  ne  fut  pas  aussi   heureux.  Battu  par  les 


DU  UHIN  ET  DL  DANUBE.  61' 

Séquaniens  qu'il  était  verni  attaquer,  il  se  vil  obligé  ^AlL.  i^Tc 
(le  fuir  devant  eux;  pour  ne  pas  tomber  au  pou-  ^-^-  "O- 
voir  des  Romains,  il  fit  semer  le  bruit  de  sa  mort. 
Pendant  neuf  ans  il  se  tint  caché  dans  une  retraite 
secrète,  que  son  épouse  et  deux  de  ses  affranchis 
seuls  connaissaient,  et  d'où  il  ne  fut  enfin  tiré  que 
pour  aller  à  Rome  payer  de  sa  tête  sa  malheureuse 
prétention  à  lEmpire'. 

Les  Lingones  et  les  Tréviriens,  en  soutenant  son 
parti  et  celui  de  Tutor,  s'étaient  isolés  des  autres 
Gaulois  qui,  fatigués  de  toutes  ces  séditions,  dési- 
raient maintenantvoir  renaître  le  repos.  Ces  Gaulois, 
qui  s'étaient  à  la  voix  de  Vindex  soulevés  contre  la 
tyrannie,  comprenaient  enfin  que  leur  intérêt  n'était 
plus  de  soutenir  des  factieux  qui,  sous  prétexte 
de  donner  la  liberté  à  leur  patrie,  ne  cherchaient 
tous  qu'à  s'élever  sur  ses  ruines,  avant  même  que 
cette  liberté  ne  fût  fondée.  Tutor,  chef  des  Tréviriens, 
auquel  s'étaient  joints  les  Vangiones,  les  Triboques 
et  les  Caracates,  dernier  peuple  qui  n'est  cité  dans 
l'histoire  que  dans  cette  occasion  ^  était  sur  le  Rhin 
occupé  à  opposer  une  barrière  aux  troupes  romaines 
qui  venaient  d'Italie.  Il  avait  fait  la  faute  de  laisser 
libre  le  passage  des  Alpes,  et  ce  manque  de  tactique 
avait  à  la  fois  permis  à  la  vingt  et  unième  légion  de 
s'avancer  jusque  sous  les  tours  fortes  de  Vindonissa, 
et  à  Sextilius  Félix,  auquel  s'était  joint  Julius  Bri- 

^  Tacite,  Hisf.,  1.  iv,  c.  67.  —  Plutarque,  in  Eroiico 

-  Treverorum  copias,  récent  i  f'angionum  ,  Ccaacafium ,  Friboco- 

rum  delectu  aucias Tacil.,  Hisf.,  1.  iv,  c.  70.  —  Voy.  ci-après 

deuxième  partie  de  ce  Mémcire,  §.  2. 


Ans  Ans 

Je  Itume      Je  J.  C 


62  ÉTABLISSEMENTS  HOMAINS 

ganlicus,  neveu  de  Civilis,  de  se  porter  avec  les  auxi- 
8-25,  70.  liaires  sur  ce  fleuve,  à  travers  la  Rhéiie.  Le  premier 
combat  qu'il  livra  à  l'avant-garde  de  Félix  fut  à  son 
avantage.  Mais  cette  victoire  n'arrêta  pas  la  marche 
de  ce  général.  Tutor  vit  alors  déserter  du  côté  des 
Romains  la  plus  grande  partie  de  son  armée,  et  il 
fut  contraint  de  reculer  et,  après  avoir  ruiné  le  pont 
de  la  Nava\  de  se  réfugier  dans  Bingen.  Félix  réta- 
blit le  passage  et  vint  l'assaillir  dans  celte  ville.  Il 
remporta  une  victoire  si  complète  que  Tutor  et  Ju- 
lius  Valenlinus  purent  à  peine  empêcher  les  Trévi- 
riens  de  se  rendre  au  vainqueur.  Les  deux  légions 
qui  avaient  combattu  avec  eux  se  délièrent  toute- 
fois de  leur  parti,  et  elles  se  déclarèrent  aussi 
pour  Vespasien.  Elles  furent  dirigées  vers  le  pays 
des  Médiomatrices,  qui  pendant  toute  cette  année 
de  révolte  étaient  toujours  restés  fidèles  aux  Romains. 
Mayence était  de  même  rentrée  dans  le  devoir,  ra- 
menée sous  l'autorité  romaine  par  l'exemple  que 
lui  avait  donné  l'ala  picentine.  Cette  brigade,  qu'on 
conduisait  prisonnière  à  Trêves,  n'avait  pu  pendant 
sa  marche  supporter  la  honte  de  sa  captivité,  et^  par 
une  généreuse  inspiration,  se  soulevant  au  milieu  de 
ceux  qui  prétendaient  river  ses  fers,  elle  s'était,  l'é- 
pée  à  la  main,  frayé  de  nouveau  le  chemin  jusqu'à 
la  forteresse-.  L'arrivée  de  Cerialis  dans  les  murs 
de  cette  place  y  consolida  le  pouvoir  de  1  Empire. 
Ce  général  envoya  aussitôt  quelques  officiers  de  con- 
fiance vers  les  deux  légions  qui  se  trouvaient  à  Metz, 

•  La  Nahe. 

"^  Tacite,  llist.,  1.  iv,  c.65. 


DU  iUIIN  El  DU  DANUBE.  63 

et  se  Qiettanl  à  la  tête  des  troupes  qu'il  avait  amenées  ^e  R«me.  a^T.c. 

dllalie  et  de  celles  qu'il  réunit  à  Mayence,il  se  di-   ^-^-      "o- 

rigea  vers  Rigodulum,  où  Julius  Valentinus,  après 

la  victoire  de  Félix,  s'était  retiré  avec  les  Tréviriens 

et  les  autres  Belges.  Cerialis,  sans  s'étonner  de  la 

position  formidable  qu'occupait  le  camp  de  l'ennemi, 

le  fit  aussitôt  attaquer;  il  s'en  empara,  ainsi  que  de 

Valentinus  lui-même.  Ensuite  il  marcha  sur  Trêves, 

que  cette  défaite  mit  à  découvert.  Il  forma  son  camp 

près  de  celle  ville,  dont  il  chercha  par  la  persuasion 

à  faire  rentrer  les  habilanls  dans  le  devoir. 

Civilis  et  Classicus,  dans  ces  conjonctures  pour 
eux  si  dangereuses,  firent  offrir  au  nouveau  général 
la  couronne  et  l'Empire  des  Gaules,  à  condition  qu'il 
les  laisserait  exercer  la  puissance  souveraine  sur 
leurs  nations.  Ayant  vu  leurs  offres  rejetées,  ils  vinrent 
laltaquer  dans  ses  retranchements.  Le  combat  fut 
rude;  un  moment  même  l'avantage  fut  du  côté  des 
coalisés,  qui  se  rendirent  maîtres  du  pont  de  la  Mo- 
selle. Mais  le  général  romain,  rappelant  leur  devoir 
aux  soldats  prêts  à  lâcher  pied,  ranima  leur  courage; 
il  se  mit  lui-même  à  leur  tête,  et  son  exemple  élec- 
trisa  les  plus  faibles.  L'ennemi  ne  put  tenir  et  fui 
culbuté,  laissant  tout  son  camp  au  pouvoir  du  vain- 
queur. 

Civilis  crut  trouver  un  refuge  sur  le  territoire  des 
Ubiens ,  où  il  avait  laissé  en  arrière  une  division  de 
réserve,  ainsi  que  les  auxiliaires  Chauques  et  Frisons. 
Mais  déjà  Cologne  s'était  révoltée  contre  son  pouvoir, 
et  les  habitants,  pour  mieux  mériter  leur  pardon, 
s'étaient  eux-mêmes   avancés  contre   ces   troupes 


<lc    liulU 


64  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

,Y'c  qu'ils  avaient  dispersées.  Civilis  se  relira  alors  surVe- 
8-25.  70.  tera,où  i!  attendit  les  renforts  que  les  nations  ger- 
maines d'outre-Rhin  lui  avaient  promis. 
^,  La  flotte  romaine,  qui,  pendant  que  ces  événements 
se  passaient  sur  la  Moselle  et  sur  le  Rhin,  avait  quitté 
les  côtes  de  Bretagne,  ne  fut  pas  aussi  heureuse 
dans  ses  opérations.  Attaquée  par  les  Canifates,  elle 
perdit  la  plupart  de  ses  vaisseaux,  qui  furent  pris  ou 
submergés.  La  cavalerie,  que  Cerialis  avait  d  un  autre 
côté  envoyée  sur Neuss, eut  à  essuyer  un  échec  de  la 
part  de  Classicus.Ellese  retira  sur  le  gros  de  l'armée 
que  Cerialis  commandait  en  personne,  et  qui,  com- 
posée maintenant  de  six  légions  et  de  troupes  auxi- 
liaires, présentait  une  masse  aussi  imposante  que 
bien  disciplinée.  Cerialis  s'avança  au  devant  de  l'en- 
nemi dans  la  plaine  de  Vêlera.  Les  Balaves,  après 
un  combat  opiniâtre,  furent  rompus.  Malgré  le  se- 
cours que  les  Chauques  leur  envoyèrent  vers  le  soir 
de  cette  sanglante  journée,  ils  continuèrent  leur  re- 
traite. Civilis  ne  tenta  pas  même  de  protéger  les 
villes  qu'il  possédait  encore  sur  la  rive  gauche  du 
Waal.  Il  rentra  dans  son  île,  après  avoir  mis  le  feu 
à  tout  ce  qu'il  ne  pouvait  transporter  avec  lui.  Quoi- 
que la  tlotte  des  Romains  fût  en  partie  anéantie,  il 
ne  s'y  crut  pas  encore  en  sûreté.  Pour  mettre  entre 
eux  et  lui  une  barrière  plus  insurmontable,  il  fit 
ruiner  la  digue  que  Drusus  et,  après  lui,  Pompeius 
Paulinus  avaient  fait  élever  sur  la  rive  droite  du  fleuve; 
par  sa  destruction  il  mit  sous  l'eau  tout  le  pays. 

Avant  que  Cerialis  pût  l'y  attaquer,  lui  et  ses  lieu- 
tenants eurent  le  temps  do  reformer  quatre  corps 


nu  RHIN  ET  DU  DANUBE.  65 

(l'armée,  tant  dos  habitants  mêmes  de  lile  que  deSd,R"'„,  ae^c. 
peuples  germains,  leurs  voisins.  La  bataille  de  Vada,  8-3  70. 
perdue  parles  Bataves,  décida  enfin  du  sort  de  la 
campagne. Civilis,  acculé  contre  le  Rhin,  fut  lui-même 
obligé  de  sauter  à  bas  de  son  cheval  et  de  traverser 
le  fleuve  à  la  nage.  Cette  victoire  donna  aux  Romains 
toute  la  partie  supérieure  de  lîle.  Le  pouvoir  de 
Civilis  fut  anéanti.  Comme  les  quartiers  d  hiver  des 
légions,  ruinés  à  Bonn  et  à  Neuss  par  les  Germains, 
venaient  d'être  rétablis  parles  soins  de  Ceriaiis,  que 
la  saison  était  avancée,  et  que  lîle  des  Bataves  ne 
pouvait  offrir  aux  troupes  des  campements  assez 
sûrs,  le  général  se  contenta  de  la  dévaster  aussi  loin 
qu'il  y  avait  pénétré,  et  ramena  son  armée  sur  le 
Rhin.  Il  fit  lui-même  alors  offrir  la  paix  et  des  con- 
ditions acceptables  à  son  ennemi.  Comme  il  connais- 
sait toute  linfluence  que  les  femmes  inspirée?  exer- 
çaient sur  les  Germains,  il  chercha  aussi  à  gagner 
Velléda.  Les  Bataves  étaient  fatigués  de  la  guerre. 
Beaucoup  d  entre  eux  laissaient  ouvertement  percer 
leur  mécontentement,  et  connaissant  les  conditions 
de  paix  qu'on  leur  offrait,  ils  ne  craignaient  pas  de 
dire  que,  puisquil  fallait  obéir  à  un  maître,  autant 
valait  le  faire  à  lempereur  qu'aux  femmes,  qui  depuis 
l'alliance  des  Bataves  avec  les  Germains  semblaient 
régler  toutes  leurs  destinées.  Civilis/lans  ces  conjonc- 
tures critiques,  ciut  devoir  enfin  entrer  en  pourpar- 
lers avec  Ceriaiis;  il  déposa  les  armes,  en  reconnais- 
sant la  souveraineté  de  Rome.  L'histoire,  depuis  cette 
époque,  ne  nous  entretient  plus  de  lui. 

Sa  chute  ramena  la  paix  sur  le  Rhin ,  paix  qui  ne 


66  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

de  Rome.  dej"c.  ^"1  P^^s  troublée  pendant  tout  le  règne  de  Vespa- 
8-23.     70.    sien. 

Ce  prince  avait  laissé  Titus  en  arrière  pour  pour- 
suivre le  siège  de  Jérusalem.  Titus ,  après  la  reddition 
de  cette  ville,  ramena  en  Italie  ses  plus  fidèles  lé- 
gions. Il  n'ignorait  pas  combien  Domitien  était  jaloux 
de  sa  gloire,  et  combien  même  il  enviait  à  son  père 
la  puissance  souveraine.  Lorsque  Vespasien  mourut, 
après  un  règne  de  dix  ans,  Domitien  était  justement 
852.  79.  à  Rome.  Il  ne  pouvait  dans  cette  ville  s'opposer  à 
voir  la  couronne  passer  sur  la  tête  de  Titus,  dont  le 
parti  était  trop  puissant.  Mais  il  espéra  trouver  sur 
les  bords  du  Rhin,  au  milieu  de  ces  soldats  dont  il 
avait  partagé  les  périls,  une  oreille  plus  attentive  à 
écouter  ses  plaintes;  il  vola  au  milieu  d'eux. 

Titus  ne  s'opposa  ni  à  ce  voyage  ni  aux  marques 
d  honneur  que  partout  les  soldats  lui  donnèrent. 
Mais  pour  l'euipêcher  de  recommencer  des  troubles 
dans  l'Empire,  il  changea  toutes  les  garnisons,  et 
comme  il  savait  que  déjà,  par  ses  émissaires,  Domi- 
tien avait  cherché  à  corrompre  la  fidélité  du  général 
Cerialis,  il  lui  donna  un  successeur  dans  la  personne 
de  Lucius  Antonius.  La  vingt-deuxième  légion,  qui 
s  était  montrée  si  vaillante  et  si  adonnée  à  Titus  au 
siège  de  Jérusalem,  vint  prendre  garnison  h  Mayence. 
C'est  avec  elle  que  vint  aussi  dans  cette  ville  le  pre- 
mier de  ses  évêques,  et  que  la  prédication  de  l'Évan- 
gile eut  pour  la  première  fois  lieu  sur  les  rives  du 
Rhin. 
834.  81.  Titus  mourut  trop  tôt  pour  le  bonheur  de 
^^^'     Rome,  et  quelques  historiens  ont  même  écrit  que 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  67 

le  poison  qui  le  tua  avait  été  préparé  par  son  frère',  je  nL    .u^kc 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  assertion,  ce  prince  lui  834.      si. 
succéda  sur  le  trône. 

Voluptueux  et  pusillanime,  Domilien  eut  cepen- 
dant l'orgueil  de  vouloir  passer  pour  brave  ^.  Afin 
de  donner  au  peuple  romain  une  haute  idée  de  ses 
talents  militaires,  il  entreprit  sans  raison  contre  les  s—.  84. 
Cattes  une  expédition ,  au  retour  de  laquelle ,  sans 
même  avoir  vu  l'ennemi,  il  triompha  en  effet  au  sein 
de  la  capitale  ^.  Une  foule  de  médailles  nous  sont  par- 
venues, frappées  à  cette  occasion,  et  dont  les  légendes 
annoncent  avec  emphase  la  prise  de  la  Germanie  84i.  ss. 
par  le  vainqueur  *.  Sa  présence  sur  le  Khin  ne  semble 
pas  toutefois  lui  avoir  concilié  l'amour  du  soldat  dans 
celle  contrée.  Les  Daces,  peuple  du  Danube,  venaient 
en  effet  à  peine  de  lever  le  bouclier,  que  le  général 
Antonius,  qui,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  avait  été 
mis  par  Titus  h  la  tête  des  troupes  de  la  Haute - 
Germanie,  profita  des  embarras  que  cette  nouvelle 
guerre  suscitait  à  l'empereur  ,  pour  entreprendre 
contre  lui  une  révolte  dans  laquelle  toute  larmée 
rhénane  se  laissa  facilement  entraîner^.  Domilien  en-  842  89. 
voya  contre  lui  le  général  Appius  Maximus.  Ce  gé- 
néral, favorisé  par  le  dégel,  qui  empêcha  les  troupes 
germaines,  prêtes  à  passer  le  fleuve,  de  porter  du 


*  Xiphilinus,  m  Tito,  p.  343. 

2  Idem,  in  Domit. 

3  Ibidem  ,  p.  544. 

'^  IMP.  CES.  DOMIT.  AVG.  COS.  XI.  CENS.  POT.  P.  P.,  et  au  re- 
vers, GERMANIA  CAPTA. 
">  Xiphil.,  i7i  Domit. ^  p.  MG. 

I.  '• 


68  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

deRoL    i^yc.  secours  aux  révoltés  ,  fut  assez  heureux  pour  par- 
842.      89.  venir,  après  une  seule  bataille,  h  dompter  la  rébel- 
lion '.  Antonius  périt  dans  le  combat  ^. 

Le  Rhin  resta  depuis  tranquille  jusque  sousle  règne 

849.  96.  de  Nerva  qui,  pendant  que  Domitien  tombait  sous  le 
18  ocf.  .  il,,  ... 

poignard  de  i assassin,  contuiuait  contre  les  Quades 

et  les  Marcomans  une  guerre  que  son  prédécesseur 
avait  commencée ,  et  h  la  fin  de  laquelle  l'empereur 
prit  lui-même  le  titre  de  Germanique^.  Lorsqu'au 
retour  de  cette  campagne,  il  revint  h  Rome  et  sus- 
pendit dans  le  temple  de  Jupiter  Capitolin  la  couronne 
de  laurier  que  le  sénat  lui  avait  envoyée,  il  illustra 
cette  journée  par  un  acte  qui  fit  plus  tard  le  bonheur 
et  la  gloire  de  Rome.  Il  adopta  Trajan  qui  depuis  l'an 
846  était  préposé  au  gouvernement  de  la  Basse-Ger- 
manie, et  en  lui  donnant  le  nom  de  César  Germanicus 
et  le  pouvoir  de  proconsul,  l'associa  avec  lui  au 
consulat  pour  l'année  suivante. 

850.  97.       Nerva,  déjà  vieux,  mourut  après  un  an  et  deux 

28janv.  .      ^     \ 

mois  de  règne. 

Trajan  se  trouvait  à  Cologne  lorsque  la  nouvelle 
de  cette  mort  vint  le  rendre  maître  de  l'Empire*. 

>  Suet.,  i?i  Domit.,  c.  5,  p.  120. 

2  Nous  avons  aussi  une  médaille  qui  fut  frappée  en  l'honûeur  de  cette 
victoire  et  qui  porte  pour  légende  :  IMP.  C/ES.  DOiMIT.  AVG.  GERM. 
COS.  XIIII.  CENS.  PERP.  Sur  le  revers,  aux  pieds  de  l'emperenr,  est 
le  Rhin  sous  la  figure  d'un  vieillard  qui  se  penche  sur  une  urne  avec 
l'inscription  :  RHENVS.  S.  C.  Rhemis  scnatus  consulta. 

^  Il  existe  une  médaille  frappée  à  celte  occasion ,  sur  le  revers  de 
laquelle  on  lit  :  VICTOR  GERM.  Voy.  Mezzab.,  p.  145. 

*  Victor  Junior,  in  Trajano.  —  Orosius ,  I.  vu,  c.  12.  —  Sidonii 
Carm.  vu,  v.  lli. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  69 

Son  premier  acte  fut  de  réunir  au  domaine  de  l'État  deîî"le.  de*rc. 
tout  le  pays  qui  depuis  reçut  le  nom  de  Champs  ^^o-  ^7, 
décumates.  Ce  pays  comprenait  toute  l'étendue  des 
terres  que  les  Marcomans,  avant  leur  migration 
dans  la  Bohême,  avaient  habitées  sur  le  Rhin,  sur 
l'Abnoba ,  sur  le  Danube  et  sur  les  Alpes  souabes.  Des 
Gaulois,  des  Germains  de  toutes  les  nations,  y  avaient, 
sous  la  protection  de  Rome,  succédé  aux  habitants 
primitifs,  et  ils  avaient  partout  élevé  des  bourgs, 
partout  porté  la  culture  dans  les  plaines  et  dans  les 
vallées  fertiles  qui  découpent  ces  montagnes.  Rome  y 
avait  aussi  déjà  établi  çà  et  là  descastels  protecteurs, 
et  des  villes  aussi  commençaient  déjà  à  s'y  munir  de 
remparts.  Trajan  qui,  pendant  son  séjour  sur  le  Rhin , 
avait  été  à  même  de  se  convaincre  des  ressources 
de  la  Germanie ,  et  de  l'inutilité  des  efforts  de  Rome 
contre  le  nord  de  cette  contrée,  sentit  combien, 
après  les  infructueuses  attaques  quelle  avait  dirigées 
contre  elle,  il  lui  importait  de  consolider  son  pou- 
voir dans  le  sud.  Il  entreprit  de  coloniser  le  pays. 
La  province  rhélique  reçut  les  cantons  voisins  du 
lac  de  Brigance,  du  Rhin  helvétique  et  du  Necker, 
jusqu'à  la  hauteur  de  la  cité  Flavienne\  que  Domi- 
tien  avait  construite  près  des  sources  de  cette  rivière; 
toute  la  partie  en  deçà  du  Necker,  et  au  nord,  jus- 
qu'au delà  du  Mein ,  fut  réunie  à  la  Germanie  supé- 
rieure. Des  châteaux  forts  furent  de  distance  en  dis- 
tance élevés  pour  protéger  la  colonie;  d'autres  furent 
réparés,  tant  sur  la  rive  droite  que  sur  la  rive  gauche 

'  Ar.T  Flaviiï.  Voy.  la  deuxième  partie  de  ce  Mémoire,  §  l". 


70  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

ùe  R."L  deY'c.  du  fleuve.  Un  de  ces  caslels  sur  le  Mein  reçut  le  nom 
850.     97.  de  l'empereur ^  En  même  temps,  plus  au  nord,  fut 
fondé,  sur  la  rive  gauche  du  Rhin,  la  colonie  Tra- 
jane,  tout  près  du  camp  de  Vetera. 

Tant  de  travaux,  entrepris  presque  en  même  temps, 
annoncent  la  paix  profonde  qui  régnait  alors  sur 
le  fleuve,  et  qu'entretenait  la  crainte  qu'avaient  du 
grand  homme  les  peuplades  outre-rhénanes.  Toutes, 
en  efl'et,  lorsqu'il  monta  sur  le  trône,  envoyèrent 
leurs  députés  demander  au  nouvel  empereur  de  les 
recevoir  au  nombre  de  ses  alliés^. 

Le  Danube  fut,  sousce  règne  glorieux,  le  principal 
théâtre  des  guerres  romaines.  Trajan,  après  avoir 
battu  les  Sarmates  et  les  Daces,  réunit  à  l'Empire  le 
dernier  de  ces  peuples,  et  dans  la  métropole  de  Zar- 
mizgethusa  fonda  la  célèbre  colonie  d'Ulpia  Trajana  ^. 
Pour  rendre  ensuite  ce  pays  accessible  en  tout  temps 
aux  légions,  il  fit  construire  un  pont  sur  le  Danube, 
qui  devint  dès  lors  tributaire  des  Romains ,  depuis 
sa  source  jusqu'à  son  embouchure. 
870.  117.  iElien  Adrien  succéda  à  Trajan  qui  l'avait  adopté. 
La  paix ,  sous  cet  empereur,  continua  de  se  sou^ 
tenir  sur  le  Rhin  ;  il  est  permis  de  croire  que  ce  fut 
lui  qui ,  le  premier,  renferma  les  pays  décumates  par 
le  grand  rempart  qui  fut  plus  tard  le  théâtre  de  tant 
de  combats*. 

*  Munimentum  Tnajani.  — Voy.  la  deuxième  parlie  de  ce  Mémoire, 

2  Pline,  Panégyrique ^  c.  12. 

^  C'est  aujourd'hui  un  simple  bourg  du  nom  de  Varhel. 

*  Per  ea  tempora  et  alias  fréquenter  in  plurimis  locis^  in  quibus 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  71 

Sous  Anlonin  le  Pieux,  son  successeur,  eurent  lieu  ,  }:"\     ,  *.% 

'  'de  Itoiiie.      de  J .  L.  , 

quelques  guerres  avec  les  Germains,  sans  que  la   89i.     iôs. 
postérité  puisse  juger  quel  peuple  alors  ressentit  le 
poids  de  ses  armes  ^ 

Cependant,  depuis  que  Rome  avait  abandonné  le 
projet  de  soumettre  les  peuples  du  Nord,  et  que, 
contente  de  la  limite  du  Rhin,  elle  s'était  principale- 
ment répandue  dans  le  sud  ,  ce  furent  presque  tou- 
jours, pendant  ce  siècle,  des  peuples  voisins  du  grand 
rempart  qu'elle  eut  à  soutenir  les  attaques. 

Sous  le  règne  qui  suivit  celui  d'4ntonin ,  les  Cattes,  913.  \6-i. 
si  souvent  châtiés ,  recommencèrent  à  inquiéter  les 
Romains  et  firent  une  excursion  sur  leurs  terres. 
Ils  pénétrèrent  à  la  fois  en  deçà  du  Rhin  et  jusque 
dans  la  province  de  Rhétie.  Marc  Aurèle,  pour  les 
en  chasser,  fut  obligé  d'envoyer  contre  eux  Aufidius 
Victorinus  ^. 

Quatre  ans  après,  ce  fut  le  Danube  qui  vit  tout  à  919.  166. 
coup  sur  ses  bords  la  coalition  des  Marcomans  et  des 
Quades ,  auxquels  s'associèrent  les  peuples  voisins , 
tels  que  les  Norisques  et  les  Hermondures,  les  Suèves 
et  les  Vandales,  ainsi  que  les  Jaziges,  les  Roxolans  et 
d'autres  peuples  sarmates.  La  première  impulsion  fut 
probablement  alors  donnée  par  le  nord,  où  d'autres 
peuples ,  inquiétés  par  leurs  voisins  et  obligés  de 


barbari  non  fluminibus,  sed  limitibus  dwidiinfnr,  stipitibus  magnis 
in  modum  muratis  sepis  funditus  jadis  atqve  connexis,  barbaros 
separavit.  /Elius  Spartianus,  in  Hadriano^  c.  12. 

^  Germanos  et  Dacoset  multas  (jentes  et  Judxos  rebellantes  con- 
tudit  per  pnesides  et  legatos.  Jul.  Capit.,  iri  Pio,  c.  5. 

-  Julius  Capitol.,  in  Marco,  c.  8. 


*ns  Ans 

lie  Ruiuï.     de  J.  C 

919.       166. 


72  ÉTABLISSEMENTS  KOMAINS 

quitter  leurs  demeures,  tombant  sur  ceux  du  sud, 
mirent  fous  les  esprits  en  mouvement  et,  au  nom  de 
l'Italie,  les  soulevèrent  avec  eux.  Tous  dès  lors  s'al- 
lièrent contre  les  Romains. 

Marc  Aurèle  avait  associé  à  lEmpire  L.  Verus,  qui 
alors  était  en  Orient,  occupé  de  la  guerre  des  Parthes. 

Ce  prince,  ayant  achevé  cette  campagne,  revint  à 
Rome  et  marcha  avec  Marc  Aurèle  vers  le  nouveau 
théâtre  de  cette  guerre ,  qui  fut  longue  et  san- 
glante. Les  Germains  et  les  Sarmates,  qui  n'avaient 
pas  compté  sitôt  sur  leur  présence ,  envoyèrent  des 
députés  à  Aquilée  pour  traiter  de  la  paix.  Mais  cette 
paix  ne  fut  qu'une  suspension  darmes,  qui  bientôt 
fut  rompue  de  nouveau.  Les  hostilités ,  toujours  re- 
naissantes sur  ce  même  point,  rappelèrent  à  Aquilée 
922.  169.  les  deux  empereurs.  La  peste  avait  alors  pénétré  de 
l'Afrique  en  Italie,  et,  avec  la  rapidité  de  l'éclair,  elle 
s'était  de  proche  en  proche  communiqué  à  toutes  les 
provinces  jusqu'aux  frontières.  C'est  pendant  toute 
l'intensité  de  ce  fléau  que  les  armes  romaines  furent 
victorieuses ^  Verus  en  fut  victime,  et  succomba 
lors  de  son  retour  en  Italie.  Une  autre  armée  de 
Lombards,  d'Obiens  et  d'autres  peuples,  qui  avaient 
aussi  passé  le  Danube,  fut  repoussée  par  les  géné- 
raux Vindex  et  Candide.  Ballimar,  roi  des  Marco- 


^  Ce  que  prouvent  les  trois  médailles  frappées  après  la  mort  de  Ve- 
rus ,  et  sur  lesquelles  le  litre  d'empereur  est  donné  à  M.  Aurèle  pour 
la  sixième  fois.  Au  revers  sont  les  trois  inscriptions  de  :  GERMANIA 
SVBACTA,  de  VICT.  GERMMIA  et  de  GERMANIA.  11  y  porte  aussi 
le  nom  de  Germanique ,  nom  que  plus  tard ,  on  17'2  ,  il  transmit  à  son 
(ils.  Voy.  I^amprido,  in  Comm.,  o.  H. 


An^  Ans 

Je  Rome.      JeJ.C. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  73 

iiians,  qui  seul  tenait  encore  la  campagne,  résolut 
enfin  alors  devenir,  suivi  de  dix  députés,  traiter  de  ^-'^  '^9. 
la  paix  avec  .Elius  Bassus,  gouverneur  de  la  Panno- 
nie  ^  Mais  cette  paix  n'eut  pas  plus  de  durée.  A  Rome 
du  moins,  tout  ce  qui  était  capable  de  porter  les 
armes  fut  enrôlé.  On  alla  jusqu'à  accorder  le  pardon 
aux  voleurs  de  grands  chemins,  de  la  Dalmatie  et  de 
la  Dardanie,  s'ils  consentaient  à  prendre  du  service^. 
Des  Germains  mêmes  furent  enrôlés  contre  les  Ger- 
mains. Marc  Aurèle,  pour  subvenir  aux  besoins  du 
trésor,  se  défit  de  tout  ce  que  son  palais  renfermait 
de  bijoux  et  d'objets  précieux;  il  en  fit,  pendant 
plus  de  deux  mois,  faire  une  vente  publique  dans  le 
Forum  de  Trajan^. 

Lorsqu'il  revola  vers  l'armée,  les  Marcomans  s'é-  9-24-26.171-73 
taient  déjà  rués  sur  la  Pannonie  et  sur  les  provinces 
limitrophes,  qu'ils  avaient  envahies.  Pendant  trois 
ans  il  fut  occupé  à  les  combattre ,  sans  pouvoir  les 
dompter.  Mais  enfin  les  barbares  furent  obligés  de 
céder  à  ses  efforts,  et  il  parvint  à  délivrer  la  Pannonie 
de  ces  mêmes  Marcomans  et  de  leurs  alliés,  les  Van- 
dales, les  Quades  et  les  Jaziges  *. 

Tandis  que  ces  événements  se  passaient  sur  le 
Danube,  un  autre  essaim  de  tribus  germaines ,  habi- 
tant le  Rhin ,  s'était  rué  sur  la  Rhétie  et  menaçait 
de  pénétrer  en  Italie.  Marc  Aurèle  envoya  contre  elles 

*  Pelrus  Petricius,  de  Legatis,  p.  24,  dans  le  Corpus  hist.  Bij- 
zant. 
2  Capitol.,  in  Marco^  c.  21. 
•''  Idem.  c.  17. 
"*  Ibidem. 


Jf  llulue.     Je  J.  C 


74  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Pompéian  et  Pertinax,  qui  les  battirent  et  les  repous- 
9.27.  174.  sèrent  \  Lui-même  battit  encore  les  Quades  à  cette 
fameuse  journée  oii,  renfermée  dans  un  lieu  désert 
et  manquant  d'eau,  l'armée  fut  tout  à  coup  rafraîchie 
par  une  pluie  bienfaisante  qui  lui  rendit  ses  forces 
et  son  courage.  Les  chrétiens  de  la  douzième  légion, 
depuis  surnommée  falminairix ,  attribuèrent  alors 
ce  don  du  ciel  à  leurs  prières  au  Christ,  et  ceux 
qui  tenaient  encore  à  l'ancien  culte,  à  la  clémence 
de  Jupiter^.  Les  Quades  et  les  Marcomans  furent 
écrasés  ;  ils  eurent  à  supporter  de  si  grandes  pertes 
que,  désespérant  de  pouvoir  plus  longtemps  résister, 
ils  se  décidèrent  à  venir  de  nouveau  implorer  la 
paix. 

Quoique  Marc  Aurèle  eût  d'abord  résolu  de  ne  plus 
la  leur  accorder,  et  qu'il  eût  pris  à  tâche  de  réduire 
en  provinces  l'un  et  l'autre  des  deux  pays  qu'ils  ha- 
bitaient, il  eut  pitié  de  tout  le  sang  que  cette  guerre 
désastreuse  faisait  couler;  il  consentit  enfin  à  un 
traité.  Cependant,  comme  il  ne  pouvait  se  fier  à  la 
parole  de  ces  peuples,  il  fit,  pour  les  contenir,  élever 
différents  forts  sur  leur  territoire,  à  l'instar  de  ce 
qui  avait  été  fait  dans  les  pays  limitrophes  du  Rhin. 
Trente  mille  hommes  y  tinrent  garnison.  Cette  occu- 
pation militaire  parut  si  onéreuse  aux  Quades,  qu'ils 
résolurent  de  passer  en  masse  chez  les  Semnones  ; 


»  Dion.,  p.  802  et  suiv. 

2  Voy.  à  ce  sujet  Barouiusad  a.l76,  §22.  -  Scaiiger,  in  \'ot.  ad 
l'Mseb.  Chr.,  p.  22.  —  Xiphilin.  —  lleriii.  Uvilsius,  in  Dissert,  de 
leg.ftdmin..,  etc. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  75 

ils  auraient  mis  ce  projet  à  exécution,  si  les  Romains  ,  *"'     .  V'r 

r        J  '  (le  Uomc.     de  J.  C. 

ne  s'y  fussent  à  temps  opposés  ^  927.    174. 

Les  Jaziges  reçurent  aussi  la  paix ,  sous  la  condi- 
tion qu'ils  n'entretiendraient  aucune  embarcation  sur 
le  Danube;  ce  qui  en  cela  les  assimilait  aux  Quades 
et  aux  Marcomans. 

Marc  Aurèle  revint  triomphant  en  Italie.  Une  nié-    929.    ne. 
daille  fut  frappée  à  cette  occasion,  destinée  à  perpé- 
tuer la  mémoire  de  cette  guerre  qui  fut  l'une  des  plus 
sanglantes  dont  les  annales  de  l'Empire  nous  aient 
entretenus. 

Cependant  cette  paix  fut  encore  de  courte  durée;  et 
ces  mêmes  Marcomans  forcèrent  de  nouveau  le  sou- 
verain à  repasser  les  monts  avec  son  fils.  93i.    i78. 

*  ,         ,  .  s  août. 

Ce  fut  pendant  cette  nouvelle  guerre,  qu'après  avoir, 
pour  la  neuvième  et  pour  la  dixième  fois,  pris  sur  le 
champ  de  bataille  le  titre  d'emperewr,  Marc  Aurèle  mou- 
rut à  Vienne,  au  mois  de  mars  de  lan  933  de  Rome'^. 

Commode  succéda  à  son  père.  953.    iso. 

Rome  avait  trop  de  charmes  aux  yeux  de  ce  prince 
voluptueux,  pour  qu'il  ne  cherchât  pas  à  obtenir  à 
tout  prix  une  paix  qui  lui  permît  d'y  retourner.  Ses 
courtisans  étaient,  non  moins  que  lui ,  fatigués  de  la 
guerre^.  Aussi,  la  même  année  encore,  fut-il  signé 
un  nouveau  traité  entre  lui  et  les  Marcomans ,  aux- 
quels s'étaient  associés  les  Quades,  les  Buriens,  les 
Norisques  et  d'autres  petites  tribus,  dont  les  noms  ap- 

>  Dion.,  p.  810.  A. 

2  Aurclius  Victor,  c.  15.  —  Eulropc,  c.  16.  —  TertuUien,  Jpo/., 
c.  25,  le  fait  mourir  à  Sirmium.  Yoy.  à  ce  sujet  Lanibecius. 

3  Herodianus,  1.  i,  c.  6. 


76  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

de  Rome.  deV.'c.  paraîssciit  aloFs  pour  la  première  fois  dans  l'histoire. 
933.  180.  Il  n'épargna  point  l'argent  pour  donner  enfin  à  ces 
frontières  de  l'Empire  un  repos  que  quatorze  années 
de  combats  n'avaient  pas  été  capables  d'amener.  Les 
principales  conditions  du  traité  furent'  :  que  tous  les 
transfuges  et  tous  les  prisonniers  romains  seraient 
rendus ,  à  condition  que  les  Romains  évacueraient 
eux-mêmes  le  pays  et  les  châteaux  forts  qu'ils  possé- 
daient. Il  fut  aussi  stipulé  que  les  assemblées  de  la 
nation  ne  pourraient  avoir  lieu  que  de  mois  en  mois, 
dans  un  lieu  indiqué  et  en  présence  d'un  capitaine 
romain.  Les  Quades  et  les  Marcomans  devaient  aussi 
livrer  une  partie  de  leurs  armes  et  fournir  à  l'armée 
un  contingent  qui,  pour  le  dernier  peuple ,  ne  fut 
pas  moins  que  de  13,000  hommes.  Ils  garantissaient 
aussi  l'intégrité  du  territoire  des  Jaziges  et  des  Van- 
dales, qui  alors  étaient  en  paix  avec  les  Romains. 
Pour  les  Buriens,  il  leur  fut  défendu  d'approcher  des 
frontières  à  plus  de  cinq  milles  romains.  Ainsi  le 
Danube  redevenait  au  centre  de  son  cours  la  limite 
de  l'Empire  ,  comme  le  Rhin  l'était  devenu  au  nord; 
Rome  ne  conservait  là  de  sa  conquête  au  delà  du 
fleuve  que  quelques  châteaux  forts,  assis  sur  ses 
rives ,  pour  garantir  la  sûreté  de  sa  navigation. 

Commode,  depuis  cette  époque,  resta  à  Rome,  lais- 
sant à  ses  généraux  le  soin  de  contenir  les  nations 
soumises^.  Les  Frisons,  sur  le  Rhin,  furent  les  seuls 
peuples  de  ces  contrées  qui  occasionnèrent  quelques 


*  Dion.,  1.  Lxxii,  p.  817. 

-  Dion.,  I.  Lxxii,  p.  820.  —  Lanipridf ,  in  Commod.,  c.  IH. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  77 

troubles,  mais  qu'Albin,  envoyé  contre  eux  par  l'em-  iAlL.  d/rc 
pereur,  apaisa  bientôt  avec  succès'.  933.     iso. 

Pertinax  était  préfet  de  Rome  quand  Commode    946.    193. 
mourut  étranglé  dans  un  bain  par  un  gladiateur  que 
Marcia,  Laetus  et  Electre,  qui  avaient  découvert  que 
l'empereur  voulait  les  faire  mourir,  introduisirent 
auprès  de  lui. 

Ils  portèrent  la  couronne  sur  la  tête  de  Perti- 
nax, qui  n'en  jouit  toutefois  que  quatre-vingt-sept 
jours. 

Lorsqu'à  son  tour  ce  dernier  fut  assassiné  pî\r  les 
prétoriens,  qualie  empereurs  furent  à  la  fois  pro- 
clamés: Julien,  par  le  sénat;  Niger,  par  l'armée  d'O- 
rient; Albin,  dans  les  Gaules,  et  Septinie  Sévère  à 
Carnuntum ,  en  Pannonie.  Ce  dernier  fut  seul  assez 
heureux  pour  se  soutenir. 

Il  fonda  en  Norique  la  colonie  de  Passau ,  et  les 
inscriptions  des  pierres  milliaires  qui  nous  restent, 
posées  sous  son  règne,  nous  prouvent  quel  soin  Rome 
mit  alors  à  entretenir  la  grande  voie  de  communica- 
tion qui,  traversant  la  Rliétie,  liait  lllalie  à  la  colonie 
d'Auguste  et  au  Danube^. 

Son  fils  Anlonin  Caracalla  lui  succéda.  964.     211. 

Ce  prince,  deux  ans  après  être  monté  sur  le  troue, 
traversa  les  monts  et  vint  combattre  dans  la  Germa-    966.     213. 
nie  la  coalition  des  Allemanes,  dont  le  nom  est  alors 
cité  pour  la  première  fois.  Ce  n'était  point  un  seul 
peuple,  mais  bien  une  réunion  de  tribus  qui,  tandis 

*  Capitol.,  in  Alb.,  c.  6. 

"2  Marcus  Velserus,  Mowwwew/.  ogriAugust.,  p.  iOO.  Gruteri  im- 
cript.  CLVi,  6  ;  CLVii,  2,  3,  4,  .5. 


78  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

de  Rome.  ieTc.  ^"6  l'Emplfe  s'éncrvait,  avaient  sous  main  à  ses  fron- 
966.  215.  tières  formé  une  ligue  contre  lui.  C'est  du  moins  ce 
que  nous  prouve  un  auteur  contemporain  de  cette 
époque  éloignée,  dont  l'autorité  ne  peut  être  ici 
équivoque \  Le  noyau  de  cette  coalition,  que  la  Table 
de  Théodose  place  au  bout  de  la  forêt  Marcienne ,  s'é- 
tait formé  des  habitants  de  toutes  les  nations  qui, 
après  le  départ  des  3Iarcomans,  s'étaient  répandues 
sur  les  plateaux  et  dans  toutes  les  vallées  d'entre  le 
Mein  ,  le  Rhin  et  le  Danube,  aux  portes  mêmes  de  la 
colonie  romaine,  et  autour  desquelles  vinrent  sans 
doute  plus  tard  se  réunir  toutes  ces  différentes 
nations  suéviques  de  Karithnes,  d  Intwergen  et 
d'autres  encore,  dont  les  noms  disparaissent  dans 
le  cours  du  troisième  siècle.  Ces  Allemanes  ,  qui  de- 
puis le  second  des  Antonins  menaçaient  la  frontière, 
mais  qui  n'avaient  pas  cependant  encore  osé  attaquer 
le  colosse ,  attirèrent  les  armes  de  Caracalla.  Dion, 
en  décrivant  la  campagne  de  l'empereur  contre  ces 
peuples,  fait  aussi  mention  des  Cennes,  tribu  cel- 
tique, selon  lui,  mais  qui  sans  doute  était  enclavée 
dans  la  coalition  allemanique  et  qui  habitait  les  rives 
et  la  vallée  de  la  Zenn.  Le  courage  que  montra  cette 
nation,  dont  les  femmes  prirent  part  au  combat,  est 
loué  par  Ihistorien.  Caracalla,  après  cette  victoire^ 

1  Asinius  Quadralus,  qui  vivait  vers  l'an  250,  cité  par  Agathias, 
HUf.,  I,  G.  Voici  le  passage  de  ce  dernier  :  «  ol  ol  'AXatxavoi ,  eiye  yp^ 
'Acivviw  Koua5paTto  iVacOai,  àvSpi  'iTaXuorr,  xai  xà  r£ptji.avi)tà  Iç  to 
àxpi|5£i;  àr,aYiYpa(Jt-;-'-c'vw ,  ç,6yAk\joi(;  eiaiv  àvOpwTroi  xai  (jt-iyaos; ,  xai 
TOÎÎTO  ûuvarai  aÔTOÎç  Vj  £-;rwvuy.ta.» 

2  Allemani  nomen  adscripsif,  nam  Âllemanorum  genfem  devi- 
cerat.  Sparlianus,  in  Caroc,  c.  10. 


Ans  Ans 

Je  Rome.      deJ.C. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUDE.  79 

qu'il  remporta  sur  leMein,  prit  le  titre  d'Allemanique, 
et,  passant  ensuite  la  limite  romaine,  s'avança  jus-  ^^^-  ^'^ 
que  dans  les  environs  de  Bayreuth.  A  son  retour,  il 
prit  sur  les  monnaies  le  nom  de  Germanique  ,  et 
mit  à  profit  la  paix  qui  suivit  pour  régler  l'admi- 
nistration des  pays  d'outre-Rhin,  où  aucun  empereur 
n'a  plus  que  lui  laissé  de  souvenirs. 

Cependant  les  Allemanes  n'étaient  point  abattus. 
Tandis  que  Caracalla,  pour  mieux  consolider  les 
établissements  du  Mein,  du  Necker  et  du  Danube, 
achetait  au  prix  de  l'ôr  la  paix  des  nations  mari- 
times du  Nord  et  de  l'Elbe,  et  que,  pour  faire  diver- 
sion, il  excitait  les  uns  contre  les  autres  les  Vandales 
et  les  Marcomans ,  cette  ligue  se  réorganisait  en  sous 
main,  plus  forte  que  jamais,  et  attirait  à  elle  la  plupart 
des  nations  suéviques.  Ainsi  organisée,  elle  ne  cessa 
depuis  de  menacer  la  Gaule,  comme  la  coalition  des 
Goths,  qui  sous  ce  règne  aussi  commença  à  devenir 
redoutable,  ne  cessa  de  menacer  les  provinces  da- 
ciques  et  le  Danube.  Tranquilles  sous  le  règne  d'Hé- 
liogabale,  les  Allemanes  devinrent  plus  terribles  que 
jamais  sous  celui  d'Alexandre  Sévère. 

Cet  empereur  était  occupé  de  la  guerre  des  Perses, 
quand  des  lettres  qu'il  reçut  à  Antioche^  du  gouver- 
neur d'Illyrie,  lui  annoncèrent  que  les  Germains 
avaient  renversé  le  rempart  et  avaient  à  la  fois  tra- 
versé le  Rhin  et  le  Danube.  Il  paraît  cependant  qu'ils 
furent  alors  contenus  dans  la  Rhétie  et  dans  le  No- 
rique  par  Macrin,qui  commandait  ces  provinces^. 

^  Herodian.,  1.  yi,  c.  7. 

-  Acix  sunlfeliciitr  et  in  Mauritania  Tingitana  per  Fvrmm  Cel- 


80  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

A"^       A"*   L'empereur,  après  avoir  heureusement  terminé  la 

de  lîorao.    de  J.  C.  '■  '         r 

986.  253.  guerre  d'Orient  et  être  rentré  triomphant  à  Rome, 
fît  tous  les  préparatifs  pour  aller  combattre  les  Alle- 

987  234.  mânes,  qui  ne  cessaient  d'avancer  dans  la  Gaule.  Il 
traversa  les  Alpes  à  la  tête  de  cent  cinquante  mille 
hommes,  tramant  à  sa  suite  jusqu'à  des  archers  os- 
rhoniens,  parthes  et  arméniens.  Aussitôt  qu'il  fut 
arrivé  dans  la  Gaule,  les  Allemanes  se  retirèrent  au 
delà  du  Rhin.  Alexandre  fit  un  pont  de  bateaux  pour 
le  passer,  et  cependant  il  négocia  la  paix  avec  eux. 
Mais  celte  campagne  fut  elle-même  ensanglantée  par 
sa  mort.  La  sévérité  dont  Alexandre  usait  envers 
les  soldats  des  Gaules  les  indisposa  contre  lui.  Maxi- 
min,  Goth  de  nation,  à  qui  il  avait  donné  le  com- 
mandement d'une  légion  composée  de  Pannoniens, 
fut  accusé  par  les  historiens  d'avoir  mis  à  profit  le 
mécontentement.  Alexandre  était  proche  de  Mayence 
avec  peu  de  troupes,  lorsque  quelques  soldats,  pé- 
nétrant dans  le  camp  impérial,  le  surprirent  pendant 
que  la  garde  était  endormie,  désarmèrent  et  mirent 
en  fuite  ceux  qui  leur  résistèrent,  tuèrent  Mammea, 
la  mère  de  l'empereur,  au  moment  où  il  se  sauvait 

988.     235.  avec  elle,  et  le  percèrent  lui-même  de  plusieurs 

19  mars.  . 

coups'. 

sum  et  in  lllyrico  per  f^arhim  Macrlnum  a(finem  ejus.  —  Lani- 
pride,  c.  25.  A  cela  se  rapporterait  la  médaille  citée  par  Birago,  dont 
le  revers  porte  la  légende  suivante  :  P.  M.  TR.  P.  VIII.  COS.  III.  — 
P.  P.  DE  GERMANIS.  L'empereur  y  est  représenté  debout  sur  un  char 
et  couronné  parla  victoire.  Au  milieu  sont  ces  mots:  VIC.  AVG.Voy. 
Iccard.  Norisius,  dans  sa  dissertation  :  De  ?iu))inw  Diocletknii  el  Maxi- 
miinani,  c.  6. 

'  Vny.  la  denxic'mo  partie  de  ce  Mémoire,  (^  '^. 


Ans  Ans 

me.     de  J.  C. 


DU  RIIIIS  ET  DU  DANUBK.  81 

Maximin  fut  soupçonné  d'avoir  ordonné  ce  meurtre,  je  n"' 
11  en  profita  du  moins  et  fut  proclamé  empereur  par  ^^s.  235 
l'armée.  Il  continua  la  guerre  que  son  prédécesseur 
avait  commencée,  et  pénétra  dans  la  Germanie, 
beaucoup  plus  loin,  disent  les  historiens  ^  que 
n'avait  depuis  longtemps  fait  un  général  romain.  Il 
brûla  et  dévasta  tout  devant  lui. Les  fleuves,  les  ma- 
récages et  les  forêts  où  les  Germains  se  réfugièrent, 
purent  seuls  l'empêcher  de  les  soumettre.  En  mé- 
moire de  cette  campagne,  il  prit,  ainsi  que  son  fds, 
le  nom  de  Germanique,  titre  auquel,  depuis  Germa- 
nicus,  chaque  empereur  attachait  tant  de  prix.  L'hiver 
suivant,  il  était  en  Pannonie,  pour  s'opposer  aux 
Sarmates  et  aux  Daces,  qui  s'étaient  soulevés'^.  Il  se  oso.  230. 
préparait  à  la  conquête  de  toute  la  Germanie  jusqu'à 
la  mer  du  Nord,  quand  la  révolution  qui  éclata  en 
Afrique  en  faveur  des  Gordiens,  et  qui  retentit  jusqu'à  990.  2.37. 
Rome,  le  força  de  repasser  les  monts. 

Ces  nouvelles  tentatives  de  Rome  contre  la  liberté 
germanique  semblent  avoir  alors  provoqué  sur  l'Elbe 
et  sur  le  Weser  la  coalition  franque,  qui,  s'augmen- 
tant  d'année  en  année  de  nouvelles  tribus,  unit  par 
devenir  pour  le  Bas-Rhin  aussi  formidable  que  celle 
des  Allemanes  l'était  pour  le  Haut-Rhin.  Soit  qu'une 
peuplade  de  ce  nom  ait  piimitivement  existé,  soit 
que  ce  nom  n'ait  été  donné  à  la  ligue  que  pour  mar- 
quer la  franchise  des  droits  de  toutes  ces  nations 
réunies,  il  est  certain  du  moins  que  les  Chamaves, 

^  Capitol.,  i)i  Max.,  c.  12.  —  Herodiau.,  !.  viii,  c.  2,  p  292. 
2  Sur  une  médaille  de  celte  époque  il  prend  le  nom  de  SarmatUpie 
et  de  Daciqw.  Voy.  Gruler     ,  eu,  3. 

I.  "  6 


82  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

deR^e.  dej°c.  les  Bructères  et  les  Sicambres  furent  plus  lard  tous 

991.  238.  compris  sous  ce  nom  commun  de  Francs  K  Aurélien , 
qui  sous  le  premier  des  Gordiens  fut  tribun  d'une 
légion,  eut  pour  la  première  fois  à  combattre  ces 
nations  franques,  dont  le  nom  n'avait  encore  jamais 
auparavant  été  cité  dans  les  annales  romaines'. 

Les  Golhs,  si  terribles  plus  tard  à  l'Empire,  et  qui 
finirent  par  inonder  toutes  les  Espagnes,  la  Celtique 
et  l'Italie,  commençaient  alors  aussi  à  se  rendre  re- 
doutables sur  le  Danube  fcomme  les  Francs  vers  le 
nord,^et  les  Allemanes  à^ l'occident,  ils  réunirent 
peu  à  peulà  eux  toutes  les  nations  qui  les  avoisinaient. 
La  guerre  avec  ces  peuples  continua,  de  la  part  de 
Rome,  pendant  tout  le  règne  de  Philippe  et  de  Dèce; 

1005.  252.  elle  ne  se  termina  que  sous  Gallus,  qui,  à  prix  d'or, 
acheta  d'eux  une  paix  honteuse.  Il  les  laissa  retourner 
dans  leur  pays  avec  le  butin  qu'ils  avaient  fait,  et  s'en- 
gagea à  leur  payer  annuellement  une  somme  d'or,  afin 
qu'ils  ne  revinssent'plus  piller  les  terres  de  l'Empire^. 
L'Illyrie  était  cependant  toujours  menacée.  Emilien, 
qui  commandait  les  troupes  de  la  Pannonie,  marcha 
contre  les  Scythes  qui  s'y  ruaient  et  les  en  chassa. 

looG.    253.  Après  cela  il  fut  proclamé  empereur  par  les  soldats 
dans  la  Mœsie.  Gallus,  l'ayant  appris,  fit  déclarer 

1  Voy.  la  Table  de  Théodose,  Chamavi  qui  et  Franci. 

2  Idem  apud  Moguniiacuni  legionis  FI  gallicanx  tribiinus.  Francos 
îrruentes  quum  vagarentur  jier  tofani  Galliam,  sic  adjlixit,  ut  ire- 
centosex  his  captas,  septengintis  interemptis ,  sub  corona  veiidide- 
rif,  etc.  Vopiscus,  in  /iureliano^  c.  7. 

3  Zozimc,  c.  40.  Voy.  les  délails  de  celte  guerre  dans  cet  historien; 
dans  Capitolin,  in  Cord.;  dans  Jornandes,  Amniien  Marcellin,  Pol- 
lion,  etc. 


DU  niIIN  ET  DU  DANUBE.  83 

par  le  sénat  Emilien,  ennemi  de  lÉtat,  et  envoya  j^^"^,  d/j"'c. 
Valérien  dans  les  Gaules  pour  rassembler  contre  i<^06.  253. 
lui  les  légions  de  cette  province  et  de  la  Germanie. 
Emilien  le  prévint  toutefois,  et  marcha  en  diligence 
sur  Rome.  Gallus  s'avança  jusqu'à  Terni ,  dans lOm- 
brie.  Les  deux  armées  se  joignirent;  mais  les  troupes 
de  Gallus,  beaucoup  plus  faibles,  furent  défaites. 
Dans  les  anxiétés  de  la  retraite,  il  éclata  parmi  elles 
une  révolte  qui  coûta  la  vie  à  Gallus  et  à  son  fils.  Tous 
les  soldats  se  rangèrent  du  parti  d'Emilien .  qui  leur 
avait  promis  une  plus  forte  paie.  Ce  dernier  n'eût 
pas  eu  de  peine  à  se  soutenir,  si  pendant  ce  temps 
Valérien ,  qui  avait  rassemblé  les  légions  du  Rhin 
pour  venir  au  secours  de  Gallus,  ne  se  fût,  à  la  nou- 
velle de  sa  mort ,  fait  lui-même  proclamer  empereur 
par  ses  troupes.  Emilien  fut  tué  quatre  mois  après 
la  mort  de  Gallus.  Valérien,  seul  maître  de  l'Empire 
et  reconnu  par  le  sénat,  donna  le  titre  d'Auguste  à 
son  fils  Gallien  et  se  l'associa  au  gouvernement.  Les 
Allemanes  menaçaient  la  frontière  du  sud -ouest. 
Gallien  fut  envoyé  par  son  père  sur  le  Rhin ,  où  le 
danger  était  imminent,  et  il  reçut  pour  lieutenant 
Posthume ,  Gaulois  de  naissance ,  que  sa  bravoure 
avait  élevé  aux  premières  charges  militaires  ,  et  qui 
de  fait  dirigea  toutes  les  opérations  de  cette  cam-  1008.  255. 
pagne.  Tandis  que  ces  deux  généraux  contenaient  au 
sud  la  coalition  des  Allemanes,  Aurélien  au  nord 
arrêtait  les  Francs  dans  leurs  excursions;  les  services 
qu'il  rendit  alors  lui  valurent  le  titre  de  restaurateur 
des  Gaules  '. 

'  Vopisous,  in  Fit  a  Aurel.,  c.  0. 


84  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

jeuoL.  d.*rc.  Posthume,  grand  homme  de  guerre,  ne  cessa, 
1003.  255.  pendant  tout  le  temps  qu'il  fut  à  la  tête  des  armées, 
de  fortifier  le  pays  contre  les  irruptions  des  Germains, 
et  plus  d'une  des  tours  fortes  sur  le  Rhin,  sur  le 
Necker,  sur  le  Danube  et  sur  le  Mein,  qui,  de  loin 
dans  leurs  ruines,  frappent  encore  aujourd'hui  si 
pittoresquement  les  regards,  date  de  cette  époque 
éloignée.  Valérien  ,  qui  l'avait  nommé  gouverneur 
des  Gaules  ^  avait  pendant  ce  temps  été  appelé  en 
Asie,  où  les  Goths  avaient  aussi  fait  une  irruption.  Il 
était  maintenant  occupé  contre  Sapor,  roi  de  Perse. 
1013.  260.  La  malheureuse  captivité  de  l'empereur,  qu'une  per- 
fidie mit  au  pouvoir  de  son  ennemi,  jeta  l'Empire 
dans  un  désordre  tel  que  depuis  longtemps  il  ne  s'en 
était  plus  vu. 

Gallien  était  loin  d'être  l'homme  capable  de  con- 
tenir toutes  les  factions  qui  se  formèrent,  et  de  tenir 
tête  à  tous  les  peuples  qui ,  en  Orient  et  en  Occi- 
dent, attaquèrent  en  même  temps  le  colosse.  Déjà  les 
Scythes  pénétraient  en  Italie  par  les  provinces  illy- 
riennes*^.  Dans  cette  extrémité,  Gallien  quitta  les 
Gaules ,  laissant  en  arrière  son  fils  Valérien  Salonine , 
qu'il  avait  nommé  César,  et  au  nom  duquel  la  pro- 
vince devait  se  régi  r.  L'armée  resta  sous  le  commande- 
ment de  Posthume.  Mais  ce  dernier  ne  sut  pas  plutôt 
l'empereurembarrasséen  Italie,  où  il  avait  à  la  fois  à 
combattre  les  ennemis  de  l'Empire  et  les  usurpa- 
teurs que  les  armées  dans  différentes  provinces  lui 
opposaient,  que  lui-même,  profitant  de  l'amour  que 

1  Treb.  PoUio,  Trkj.  Ti/r.,  c.  3. 
-  Zozimc,  c.  '{7. 


DU  RUIN  ET  DU  DAîSUBE.  85 

les  soldats  lui  portaient ,  se  fit  déclarer  Auguste,  près  ^^  ^^^^  J^^^ 
de  Cologne.  H  marcha  aussitôt  sur  cette  ville,  où  ioi4.    26i. 
Valérien  Salonine  s'était  retiré.  Ce  malheureux  prince, 
tombé  en  sa  puissance ,  devint  la  première  victime 
de  son  usurpation. 

Ce  que  Civilis  avait  en  vain  tenté  pour  établir  son 
pouvoir  sur  les  Gaules,  fut  alors  sans  difficulté  mis 
à  fin  par  Posthume,  qui  réunit  sous  son  sceptre  les 
Gaules,  la  Bretagne  et  les  Espagnes.  Pendant  sept 
années  consécutives  il  eut  à  combattre  les  Germains. 
Plusieurs  médailles  frappées  sous  son  règne,  avec  le 
litre  de  Germanique,  prouvent  les  victoires  qu'il  eut 
le  bonheur  de  remporter  sur  divers  de  ces  peuples  '. 

Cependant  Gallien  parvint  à  lui  opposer  une  armée. 
Posthume,  pour  mieux  résister,  s'associa  h  l'Empire 
Victorin,  homme  décourage  et  de  conseil^.  Dans 
le  même  temps  éclatait  au  sein  de  ses  troupes  et  dans 
la  ville  même  de  Mayence  une  révolution;  Lélien, 
qui  y  commandait,  se  proclamait  aussi  empereur. 
Posthume  marcha  contre  le  rebelle  et  le  défit.  Mais 
ayant  refusé  aux  soldats  de  leur  permettre  le  pillage 
de  la  ville,  il  s'éleva  parmi  eux  une  sédition  qui  lui 
coûta  la  vie  ainsi  qu'à  son  fils^.  1020.    207. 

Lélien  se  soutint  encore  quelque  temps  contre 
Gallien  et  contre  Victorin.  Il  fut  même  assez  heu- 
reux pour  repousser  au  delà  des  lignes  romaines  les 
Germains  qui,  après  la  mort  de  Posthume,  avaient 
cru  pouvoir  de  nouveau  inonder  les  Gaules.  Mais  il 

»  Voy.  Fabrelti,  p.  866. 

2Pollio,  Trig.  Tyr.,  c.  6. 

^  Aurel.  Victor.,  de  Cas.,  c.  3'^ 


86  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

de  nôL.  ae^j'c.  périt  aussi  dans  une  révolte,  assassiné  par  ses  propres 

1020.  207.  soldats. 

Victoiin  resta  donc  seul  maître  des  Gaules.  Homme 
doué  des  plus  grands  talents  administratifs  et  mili- 
taires, il  ne  reçut  de  Ihistorien  qu'un  seul  reproche, 
celui  de  son  incontinence,  qui  lui  coûta  la  vie  '.  Ayant 
eu  en  efFet  une  intrigue  amoureuse  avec  la  fenmie 
d'Atticianus,  qui  avait  aussi  un  fort  parti  dans  l'ar- 
mée, ce  dernier  excita  contre  lui  quelques  soldats 
qui  l'assassinèrent  avec  son  fils  près  de  Cologne  ^. 
Marins,  qui  lui  succéda,  eut  à  peine  revêtu  la  pourpre 
qu'il  fut  de  même  assassiné.  Le  parti  de  Victorin  était 
encore  trop  puissant  pour  que  Victoria,  la  mère  de 
ce  prince,  ne  trouvât  pas ,  après  sa  mort,  le  moyen 
de  faire  retomber  la  couronne  sur  la  tête  d'un  homme 
qui  tenait  à  sa  maison,  et  sous  lequel  cette  femme, 
d'un  espritcultivé,mais  douée  d'une  grandeambition, 
espérait  conserver  quelque  crédit.  L'argent  dont  elle 
avait  à  disposer  fît  réussir  ses  projets,  et  elle  parvint 
à  faire  proclamer  Auguste  Tetricus,  qui,  d'abord  sé- 
nateur, était  maintenant  gouverneur  de  l'Aquitaine. 
Ce  prince  conserva  l'Empire  des  Gaules  jusque  sous 
le  règne  d'Aurélien. 

1021.  268.       Cependant  Claude  avait,  en  Italie,  été  proclamé 

empereur  après  la  mort  de  Gallien.  Les  Allemanes, 
enhardis  par  les  dissensions  des  Romains  »  qui  leur 
laissaient  de  ce  côté  les  passages  ouverts ,  se  ruèrent 
sur  ces  provinces  pour  les  piller  et  pénétrèrent  jus- 


*  Pollio,  Trig.  Tijrann.,  c.  6. 
2Pollio.  0.7. 


DU  KIIIN  ET  DU  DANUBE.  87 

qu'au  lac  de  Garcia.  Claude  les  vainquit  et  les  re-j^iî"^,  j^/'c. 
poussa  jusqu'aux  frontières.  Mais,  sous  Aurélien,  ces  ^^^i.    268. 
peuples  revinrent  en  plus  grand  nombre. 

Ce  prince  venait  de  dompter  les  Scythes  et  les  1023.  2:0. 
Goths  de  la  Pannonie,  lorsqu'à  la  nouvelle  de  cette 
irruption  il  vola  au  devant  du  nouveau  danger  ^  Il 
fut  assez  heureux  pour  atteindre  l'ennemi  avant  qu'il 
n'eût  pénétré  loin  au  delà  du  Danube,  et  lui  livra 
une  bataille  où  il  fut  victorieux.  Mais  en  même  temps 
se  ruaient  sur  le  Danube  les  Juthungues,  nouveau 
peuple  que  Ihistoire  mentionne,  et  les  Marcomans 
et  les  Vandales,  qui  tous  alors  semblent  avoir,  sinon 
fait  cause  commune  avec  les  Allemanes,  du  moins 
profité  de  la  terreur  que  ces  derniers  inspiraient  aux 
Romains,  pour  venir  eux-mêmes  les  attaquer'^. 

Aurélien,  pendant  deux  années  consécutives,  eut 
à  combattre  ces  différents  peuples.  Après  avoir  réglé 
les  affaires  des  Goths  et  avoir  triomphé  jusqu'en 
Asie,  il  vint  enfin  dans  les  Gaules,  pour  faire  rentrer 
cette  province  dans  le  devoir.  Il  paraît  que  Tetricus, 
depuis  longtemps  dégoûté  du  pouvoir,  au  milieu  de 
soldats  toujours  prêts  à  la  révolte ,  avait  lui-même 
appelé  sous  main  l'empereur  dans  cette  province.  Il 
passa  du  moins  de  son  côté  lorsque  les  deux  partis 
se  trouvèrent  en  présence  près  de  Châlons,  et  livra 
son  armée  aux  légions  d'Aurélicn^.  1020.    273. 

Les  Allemanes  vers  le  sud  et  les  Francs  vers  le 

<  Zozinie,  1.  i,  c.  i9. 

2  Dexippus ,  Excerpta  de  leg.,  p.  1*2  cl  17.  —  Flavius  Vopiscus, 
f'ita  Aurel.,  c.  18. 
•^  Pollio ,  in  Tyrann.,  c.  23. 


88  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

de  Rome.  àeT.c.  noicl  n'avaiciît  pas  cessé,  pendant  tous  ces  troubles 
loa  273.  Jes  Gaules,  de  se  ruer  sur  le  Rhin  et  de  dévaster  le 
territoire  gaulois.  Quoique  repoussés,  comme  nous 
l'avons  vu,  à  plusieurs  reprises,  ils  étaient  encore 
en  grand  nombre  dans  ces  provinces,  lorsque  Aurélien 
vint  y  rétablir  le  pouvoir  de  Rome.  Probe ,  plus  tard 
empereur,  et  qui  servait  comme  tribun  dans  l'armée, 
eut  alors  l'occasion  de  développer  contre  ces  peuples 
les  talents  militaires  et  le  courage  qui  devaient  un 
jour  leur  être  si  redoutables'. 

Aurélien  passa  une  seconde  fois  les  Alpes,  pour 
tomber  sur  les  Allemanes  qui  avaient  aussi  pénétré 
dans  la  Vindélicie'^;  il  les  battit  par  ses  généraux 
dans  les  champs  qu'arrose  la  AYerlachl  Pour  donner 
aux  établissements  romains  plus  de  stabilité,  et  ne 

1027.  274.    prévoyant  pas  de  repos  pour  eux  tant  qu'il  conser- 

verait les  provinces  daciques  que  Trajan  avait  en- 
clavées dans  l'Empire  au  delà  du  fleuve,  il  résolut  de 
les  évacuer  et  en  transplanta  les  habitants  sur  la 
rive  droite. 
Mais  les  Allemanes,  refoulés  hors  de  la  Vindélicie, 

1028.  275.  vinrent  de  nouveau,  après  avoir  détruit  les  lignes 

romaines,  se  jeter  sur  les  Gaules*.  Aurélien  venait 
d'être  assassiné  en  Thrace,  alors  qu'il  se  préparait 
à  aller  porter  la  guerre  en  Orient.  Probe,  qui  lui 
avait  rendu  les  plus  éminents  services,  était  alors 

^  Vopiscus,  in  T'ita  Probi,  c.  12. 
2  Ibidem ,  c.  35. 

^  In  campis  Findonis.  —  Eumcniiis,  Panegijr.,  vi. 
^  f'elius  Cornificius  Gordianus^  consul  in  Orat.  apud  Fopiseum, 
in  vif  a  Tacif.,  c.  3. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  89 

en  Egypte.  Dans  ces  circonstances  critiques,  tout  le  jeR^L.  deV.'c. 
pays  fut  bientôt  inondé  de  ces  barbares,  auxquels  1028.  275. 
vinrent  se  joindre  les  Francs  et  les  Bourguignons. 
Tacite,  qui  succéda  à  Aurélien,  eut  trop  à  faire  contre 
les  Scythes,  qui  s'étaient  répandus  dans  le  Pont,  dans 
laCappadoce,  dans  laGalatie  et  dans  la  Cilicie  ,  pour 
pouvoir  se  rendre  sur  le  Rhin.  Sa  mort  mit  de  nou- 
veau deux  empereurs  à  la  tête  des  affaires  de  l'Europe 
et  de  l'Orient.  Florien,  qui  fut  proclamé  par  les  sol- 
dats de  la  Cappadoce,  ne  put  toutefois  tenir  tête  à 
Probe,  que  les  soldats  de  l'armée  de  Syrie  avaient 
de  leur  côté  proclamé  Auguste.  Assassiné  par  ses 
troupes,  Florien  laissa  Probe  seul  maître  de  l'Empire.  1029.  270 
Après  s'être  assuré  de  l'Italie ,  cet  empereur  passa  1030.  277. 
dans  les  Gaules,  et  déployant  dans  la  campagne  qui 
s'ouvrit  l'activité  la  plus  surprenante,  il  délivra  plus 
de  soixante  villes  des  Gaules  du  pouvoir  des  Francs, 
des  Bourguignons  et  des  Allemanes;  il  refoula  ces 
étrangers  au  delà  du  fleuve ,  et  les  derniers  même 
au  delà  du  Necker  et  de  l'Albe^  Les  lignes  qu'Adrien 
avait  fait  fortifier  en  avant  de  cette  rivière,  et  qui 
avaient  été  renversées,  furent  relevées  plus  fortes 
que  jamais.  La  guerre,  qui,  depuis  l'origine  de  la 

1  Ultra  Nicrtim  Jluvhon  et  Àlham.  Vopiscus,  c.  13.  —  M.  de  la 
Baslie,  danslet.xni  des  Mémoires  de  Vacadémie  des  inscriptions, 
p.  437  {Éclaircissements  sur  ta  durée  de  l'empire  de  Probus,  Ca- 
rus,  Cariniiset  Numerien),  dit  que  Probe  repoussa  les  ennemis  jus- 
qu'au delà  du  >'eckerelde  l'Elbe.  C'est  une  erreur.  Il  n'y  a  pas  dans 
le  texte  latin  Albim,  l'Elbe,  fleuve,  mais  bien  Jlbam,  qui  est  l'Albe 
ou  les  Jlpes  suéviques.  C'est  sur  ces  montagnes  et  sur  le  Necker  que 
les  opérations  de  cette  campagne  eurent  lieu,  et  non  sur  l'Elbe,  où 
jamais  Probe  ne  parvint. 


90  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

jeuome.  dej"'c.  coalilloii  31161113116,  avaît  été  défensive  pour  les  Ro- 
1030.  277.  iiiaiiis,  fut  alors  portée  sur  le  territoire  ennemi.  Probe 
y  fit  plusieurs  excursions  et  saccagea  tout  devant 
lui.  Il  réinstitua  une  milice  de  vétérans,  qu'il  répan- 
dit, sous  le  nom  de  soldats  des  frontières,  tout  le 
long  du  rempart,  et  cette  milice  devint  la  terreur  des 
populationsvoisines  qui,  chaque  jour  inquiétées,  ne 
voyaient  plus  desûreténi  pourelles  ni  pour  leurs  trou- 
peaux. Le  courroux  de  Rome  leur  parut  si  effrayant 
que  neuf  de  leurs  princes  se  décidèrent  à  venir  trou- 
ver Probe  et  à  lui  demander  enfin  la  paix.  Ils  lui 
offrirent  des  otages ,  et  s'engagèrent  à  lui  payer  un 
tribut  en  grains  et  en  bestiaux,  seules  richesses  qu'ils 
possédassent.  Probe,  en  écrivant  au  sénat  et  en  lui 
rendant  compte  des  opérations  de  la  campagne,  lui 
manda  que  quatre  cent  mille  ennemis  avaient  été 
tués,  que  seize  mille  avaient  déposé  leurs  armes, 
que  soixante-dix  villes  avaient  été  vengées,  et  que 
toute  la  Gaule  enfin  était  libre  K 

Ces  avantages  si  précipités,  dont  la  renommée  re- 
tentit bientôt  dans  toute  la  Germanie ,  jeta  la  terreur 
parmi  toutes  les  nations  de  cette  contrée.  Probe, 
assuré  du  repos  des  Gaules,  alla  dans  la  Rhétie,  qu'il 
mit  aussi  en  état  de  défense,  et  de  là  dans  l'Illyrie, 
que  les  Golhs  ne  cessaient  aussi  de  menacer.  Il  força 
ces  peuples  à  la  paix,  et  passant  en  Asie,  il  en 
ramena  cent  mille Bastarnes,  qu'il  répandit,  tout  le 
long  du  Danube,  dans  les  provinces  que  la  peste  et 
la  guerre  avaient  dépeuplées. 

'  f.ef/re  de  Probe  au  s('not,  dans  Vopisnis.  c.  19. 


Ans  Ans 

Je  Rome.     Je  J.  C. 


DU  RIIIIN  ET  DU  DANUBE.  91 

Le  Rhin,  depuis,  ne  fut  plus  troublé  que  par  la 
révolte  de  Procule.  1033.    280. 

Probe  avait  en  effet  à  peine  tenu  à  Rome  son 
triomphe,  au  retour  de  toutes  ces  expéditions,  que 
Saturnin,  Maure  d'origine,  qui  avait  commandé  sous 
Aurélien,  et  qui  commandait  actuellement  les  armées 
d'Orient ,  fut  proclamé  empereur  par  les  troupes  de 
cette  contrée'.  Son  exemple  encouragea  dans  les 
Gaules  Procule,  qui  prit  aussi  le  titre  d'Auguste  et 
qui  se  revêtit  de  la  pourpre  à  Cologne.  Il  attira 
à  son  parti  la  Gaule  narbonnaise,  l'Espagne  et  la 
Bretagne,  et  sollicita  du  secours  des  Germains. 
Mais  les  armes  de  Probe  avaient  été  si  terribles 
à  ces  peuples,  et  ils  le  craignaient  encore  tant, 
même  au  delà  des  monts,  que,  fidèles  à  leurs  ser- 
ments, ils  se  tinrent  du  côté  de  l'empereur  et  le  se- 
coururent même  contre  lusurpateur.  Ce  dernier  se 
sauva  chez  les  Francs,  qui  le  livrèrent  ^. 

Bonose,  général  et  gouverneur  de  la  Rhétie , 
usurpa  presque  en  même  temps  le  litre  d'empereur, 
et  fut  de  même  réduit,  quoique  avec  plus  de  diffi- 
culté. 

Mais  le  bruit  de  la  mort  de  Probe,  assassiné  par  1035  282. 
ses  propres  soldats,  se  répandit  à  peine  dans  les 
forêts  germaniques  ,  que  ces  mêmes  peuples ,  qui 
n'avaient  osé  faire  cause  commune  avec  Procule 
contre  lui,  se  soulevèrent  de  nouveau  contre  Rome, 
qu'ils  ne  redoutaient  point.  C'était  vers  elle  que  ten- 
daient ,  du  côté  du  Danube ,  tous  les  efforts  de  ces 

'  Eutiope,  1.  IX,  c.  11. 

-  Vopisciis,  in  Procuh,  c.  lo. 


92  ÉTABLISSEMENTS  UOMAIINS 

de  nôme.  de^rc  Sarmatcs,  de  ces  Qnades  et  de  ces  Lombards,  réunis 

1035.  282.  tons  à  la  coalition  des  Goths,  comme  c'était  vers  le 

Rhin  que  se  précipitaient  toujours  tous  ces  peuples 
Francs,  que  Rome  n'avait  pu  soumettre,  et  ces  Alle- 
manes,  et  ces  Bourguignons ,  que  leur  voisinage  et  le 
même  esprit  d'enthousiasme  réunissaient  aussi.  Ni 
Carus,  qui  succéda  à  Probe,  ni  ses  deux  fils  Carin  et 

1036.  283.  Numérien  _,  qui  prirent  après  lui  l'Empire ,  ne  purent , 

malgré  les  victoires  qu'ils  remportèrent ,  arrêter 
l'inondation  de  ces  barbares  au  nord  comme  vers 
le  sud. 

Dans  les  Gaules  mêmes  se  manifestait  un  esprit  de 
révolte  qui  força  Dioclétien,  nommé  empereur,  à  en- 
voyer dans  ces  provinces  Maximien,  qu'il  associa  h 
1039    280    l'Empire  avec  le  titre  de  César. 

Les  Hérules  et  les  Cabiones  \  peuples  qui  habitaient 
lesrivageslesplusseptentrionaux  de  I  Océan, s'étaient, 
à  la  même  époque ,  jetés  sur  le  Rhin ,  dont  ils  dévas- 
taient les  provinces ,  tandis  que  les  Francs  et  les 
Saxons,  dernier  peuple  qui  habitait  sur  la  rive  droite 
de  l'Elbe,  dans  la  Chersonnèse  Cimbrique^  et  qui 
commençait  aussi  à  se  laisser  attirer  par  l'appât  du 
butin,  faisaient  sur  mer  le  métier  de  pirates,  et  in- 
festaient toutes  les  côtes  de  la  Belgique  et  de  l'Ar- 
morique. 

Maximien  battit  et  détruisit  ces  Hérules.  Mais 
rien  ne  nous  apprend  que  les  Allemanes,  qui  s'étaient 
emparé  de  la  plus  grande  partie  des  pays  décumates, 

^  Tacite,  Germanla,  c.  40,  les  nomme  ./y/o«f5;  Mameilin  ,  dans 
son  Paimjtjrique  de  Maximien  ^  Caibones. 
2  Plolémée,  l.  n,  c.  2.  —  Steplianus  Bizanlinus,  p.  o8G. 


DU  RHIN  ET  DL  DANUBE.  93 

aient  alors  été  inquiétés  parle  général  romain,  quoi-  ^^r"'^,   j/;% 
que  la  famine  désolât  ce  peuple,  et  que  les  mala-  1039.   286. 
dies  qu'elle  entraîne  à  sa  suite  le  décimassent  plus 
que  n'eussent  pu  faire  alors  les  armes  des  Romains. 

Maximien,  pour  purger  enfin  les  mers  des  pirates 
francs  et  saxons,  fit  sortir  de  la  Batavie  la  flotte  ro- 
maine qui  y  était  stationnée,  et  en  donna  le  comman-  1040.  287. 
dément  à  Carausius,  marin  expérimenté,  qui  déjà, 
en  plusieurs  rencontres,  avait  donné  des  preuves  de 
sa  bravoure  et  de  son  habileté.  Cet  amiral,  qui  d'abord 
remporta  sur  eux  divers  avantages,  se  laissa  plus  tard 
gagner  par  leurs  largesses,  et  il  les  épargna  pour 
partager  avec  eux  le  butin  qu'ils  faisaient.  Maximien 
en  fut  instruit  et  ordonna  qu'on  le  fît  mourir. 
Mais  Carausius  en  fut  averti  à  temps,  et  passant  en 
Bretagne  avec  sa  flotte,  il  prit  lui-même  le  titre 
d'Auguste  et  établit  sa  domination  sur  cette  île.  Il  fit 
alors  sa  paix  avec  les  pirates,  et  pour  s'en  former  un 
boulevart  contre  les  Romains,  il  leur  céda  même  une 
quantité  de  vaisseaux  et  leur  donna  des  officiers  expé- 
rimentés. La  Batavie,  oii  se  trouvaient  les  principaux 
arsenaux  de  marine  que  les  Romains  possédassent 
dans  les  Gaules,  fut  bientôt  inondée  de  Francs  qui 
s'y  établirent. 

Cependant  Dioclétien,  qui  pendant  ces  événements  1041.  288. 
avait  été  retenu  en  Orient,  revint  l'année  suivante 
pour  porter  du  secours  à  Maximien  contre  les  bar- 
bares. Une  nouvelle  campagne  se  rouvrit  donc,  plus 
favorable  aux  armes  des  Romains.  Tandis  que  Maxi- 
mien renversa  à  Trêves  les  Germains,  qui  en  inon- 
daient les  campagnes,  et  les  repoussa  jusqu'au  pays 


94  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

,ieu"me.  dc^î'c.  d^s  Fi'ancs   au  delà  du   Rhin,  Dioclétien,   traver- 

1041.  288.  gant  les  Alpes, entra  dans  la  Rhétie,  et,  par  une  suite 

d'opérations  bien  combinées,  parvint  à  remettre 
sous  le  pouvoir  de  Rome  tout  le  pays  qui  de  ce  côté 
s'étend  depuis  le  Rhin  jusqu'au  Danube^Les  inscrip- 
tions qui  nous  restent  de  cette  époque  attestent  les 
soins  que  les  deux  souverains  prirent  alors  de  relever 
les  forteresses  que  l'irruption  des  barbares  avait  ren- 
versées. 

1042.  289.       Maximien  quitta  ensuite  les  Gaules  pour  aller  at- 

taquer Carausius  dans  l'île  de  Bretagne.  Mais  cette 
entreprise  ne  fut  pas  heureuse.  Carausius  battit  les 
vaisseaux  de  Maximien,  qui  fut  obligé  de  faire  avec 
lui  un  traité  par  lequel  il  lui  céda  la  Bretagne,  à 
condition  qu'il  la  défendrait  contre  les  barbares. 

Les  querelles  qu'eurent  entre  eux  les  peuples  ger- 
mains, jaloux  les  uns  des  autres,  et  qui  tous,  dans 
leurs  attaques  contre  le  colosse,  cherchaient  à  pro- 
fiter de  ses  plus  belles  dépouilles,  donnèrent  un 
moment  de  répit  aux  Romains.  Les  Goths  tournèrent 
en  effet  alors  leurs  armes  contre  les  Bourguignons, 
dont  les  Allemanes  prirent  le  parti.  Les  Thuringiens, 
peuples  qui  faisaient  partie  de  la  coalition  gothique, 
combattirent  à  leur  tour  les  Vandales;  et  les  Bour- 
guignons eurent  plus  tard  affaire  avec  les  Allemanes, 
leurs  voisins,  pour  le  partage  des  terres. 

Mais  ces  divisions  des  barbares  ne  durèrent  pas 
assez  pour  le  repos  de  l'Empire,  qui  fut  bientôt  de 
nouveau  menacé  d'une  prochaine  invasion.  Dioclé- 

1  Diocl.  Panegyr.,  i,  c.  9. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  95 

tien,  qui  voyait  la  guerre  inévitable  de  toute  part,deu°^e.  deV.'c. 
et  qui  avait  à  la  fois  h  combattre  en  Orient  le  roi  de  ^^^^-  ^92. 
Perse  et  en  Egypte  la  révolte  d'Achilleus;  qui,  en 
Afrique,  devait  s'opposer  aux  Quinquégenliens,  en 
Italie  même  dompter  des  séditions,  et  qui  à  l'Occident 
était  toujours  menacé  de  l'irruption  des  Germains, 
résolut  de  changer  la  face  de  l'Empire  et  de  le  par- 
tager pour  pouvoir  mieux  le  défendre.  Donnant  donc 
à  Maximien  le  litre  d'Auguste,  il  s'associa  de  plus 
deux  césars  qui  devaient  sous  lui  commander  au  loin 
les  armées.  Son  choix  tomba  sur  Constance  Chlore 
et  sur  Galère,  qui  reçurent  les  titres  d'empereurs,  de 
grands-pontifes  et  de  pères  de  la  patrie,  et  qui,  pour 
mieux  resserrer  les  liens  de  leur  union  avec  Dioclé- 
tien,  répudièrent  l'un  et  l'autre  leurs  épouses,  et 
reçurent,  le  premier  la  main  de  Théodora,  fille  de 
Maximien  ;  le  second  celle  de  Valera,  fille  de  Dioclé- 
tien.  Dioclétien  régna  dès  lors  sur  l'Orient  ;  Galère 
eut  la  Thrace  et  l'Illyrie;  Maximien  ,  l'Afrique,  l'Ita- 
lie, le  Norique,  la  Rhélie  et  la  Haute -Pannonie,  et 
Constance  reçut  en  partage  les  Gaules  et  les  Espagnes 
avec  la  Mauritanie  Tingitane. 

Le  premier  soin  de  Constance  fut  d'équiper  une 
flotte  pour  recouvrer  la  Bretagne  et  pour  nettoyer  la 
mer  des  pirates  qui  l'infestaient.  Il  commença  par 
se  rendre  maître  de  Boulogne,  et  poussant  ses  suc- 
cès tout  le  long  des  côtes,  il  reprit  toute  la  Morinie 
et  chassa  de  la  Batavie  les  Francs,  dont  il  transplanta 
plusieurs  milliers  dans  les  environs  de  Trêves  et 
dans  le  pays  des  Nerviens  que  la  guerre  avait  en 
grande  partie  dépeuplés.  Il  passa  ensuite  le  Rhin,   io5o.    297. 


96  ÉTARLISSEMENTS  ROMAINS 

ieiuL.  àeyc.pouv  prévenir  linvasion  des  Allemanes,  et  détruisit 

1050.  297.  loui  devant  lui  jusqu'au  Danube'. 

Galère,  pendant  ce  temps,  combattait  les  Marco- 
mans,  les  Quades,  les  Carpes  et  les  Bastarnes,  tous 
peuples  germains  et  sarmates. 

1051.  298.       La  flotte  étant  prêle,  Constance  passa  dans  l'île 

de  Bretagne  qu'il  parvint  à  soumettre,  tandis  que, 
pour  contenir  les  Germains,  Maximien  vint  le  rem- 
placer dans  les  Gaules.  Les  Francs  au  nord  et  les 
Allemanes  au  midi  commençaient,  en  effet,  de  nou- 
veau à  remuer.  Constance,  au  retour  de  son  expédi- 
tion ,  marcha  contre  les  premiers  et,  passant  le  Rhin , 
alla  les  poursuivre  jusqu'au  sein  des  provinces  d'oii 
ils  étaient  sortis'^.  Mais  les  Allemanes  avaient  pendant 
ce  temps  traversé  le  fleuve  et  s'étaient  rués  dans  les 
Gaules;  ils  avaient  pénétré  jusqu'au  pays  des  Lin- 
gones.  Constance,  à  son  retour,  les  battit  près  de 
Langres  et,  les  refoulant  au  delà  du  Rhin,  leur  livra 
dans  les  plaines  de  la  Wertach,  où  déjà  il  avait  com- 
battu contre  eux  sous  Aiirélien,  une  bataille  décisive 
qui  les  força  au  repos.  Il  avait  mené  avec  lui  de  Bre- 
tagne une  foule  d'ouvriers  expérimentés,  auxquels  il 
confia  les  réparations  de  toutes  les  places  fortes  du 
Rhin ,  réparations  que  la  paix ,  qui  pendant  quelque 
temps  régna  alors  sur  le  fleuve,  lui  permit  de  pousser 
à  leur  fin. 
1058.  305.  Constance,  par  l'abdication  de  Dioclétien  et  de 
Maximien,  devint  maître  absolu  des  Gaules;  il  porta 

'  Eumène ,  Panegyr.^  iv,  c.  2. 

2  Nonjam  ab  his  locix,  qiios  olim  Romani  invaserant^  sed  a  pro- 
priis  ex  origine  suis  sedibus,  etc.  Euniènc ,  Panegyr.,  vi ,  c.  6. 


Ans  An» 

Je  l'.oûie.     de  J.  C. 


DU  niIllN  ET  DU  DANUBE.  97 

sa  cour  dans  la  ville  de  Trêves,  dont  il  fit  la  capitale 
de  ses  États.  H  se  préparait  à  repasser  dans  l'île  de  ^^^^-  3<^<5- 
Bretagne  pour  soumettre  les  Calédoniens  et  les  Pietés, 
quand  Constantin,  qu'il  avait  eu  d'Hélène,  sa  pre- 
mière femme ,  et  qui  était  resté  en  otage  auprès  de 
Galère,  vint  le  trouver  à  Boulogne.  Ce  prince  l'accom- 
pagna dans  cette  expédition,  où  l'empereur,  après 
avoir  défait  les  Pietés,  mourut  de  maladie  à  Ebora- 
cum^  Toute  l'armée,  et  surtout  une  division  d'Alle- 
manes  qui  combattait  dans  les  rangs  des  Romains, 
prit  aussitôt  le  parti  de  Constantin,  auquel  elle 
prêta  serment^.  Constantin  repassa  aussitôt  dans  les 
Gaules  pour  en  chasser  les  Francs  qui,  pendant  que 
les  Romains  étaient  en  force  au  delà  du  détroit, 
avaient  de  nouveau  envahi  la  Balavie.  Les  Bructères, 
les  Chamaves,  les  Tiibantes,  tous  peuples  qui  fai- 
saient partie  de  la  coalition  franque,  et  que  soule- 
vèrent les  cruautés  de  Constantin,  qui,  instituant  à 
Trêves  les  jeux  franciques^,  fit  jeter  dans  le  cirque, 
à  la  gueule  des  bêtes  féroces,  les  prisonniers  les  plus 
illustres*,  appelèrent  aux  armes  les  Allemanes  et  les 
Cabiones.  Constantin,  averti  à  temps,  prévint  leur 
dessein.  Il  passa  le  Rhin  et  leur  livra  une  bataille  aussi 
sanglante  que  décisive.  Un  grand  nombre  d'hommes 
tombèrent  en  son  pouvoir.  Il  les  enrôla  de  force  dans 
les  légions  et  livra  aux  combats  du  cirque  ceux  qui 

'  Aujourd'hui  York. 
2  Aurelius  Victor,  in  Epif.,  c.  il. 

^  Voy.  le  vieux  Calendrier  romain,  dans  Graevius,  l.  viii,  p.  100.  — 
Add.  Pet.  Lambecii ,  ad  li.  1. 

^  Eutrope,  1.  x,  r.  2.  —  Rumène,  c.  10  et  M. 

I.  î 


98  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

deRoL.  de*j".'c.  refusèrent.  Ensuite,  pour  jeter  avec  plus  de  facilité 
1059.    306.  ses  troupes  sur  la  rive  droite  du  Rhin,  il  fît  cons- 
truire à  Cologne  un  pont  dont  il  fit  proléger  la  tête 
par  un  fort. 

Cependant  les  Romains  ne  firent  plus  sous  Cons- 
tantin des  tentatives  deconquêtesau  delà  de  ce  fleuve. 
Tout  ce  que  le  panégyriste'  donne  de  louanges  au 
souverain  pour  avoir  par  des  tours  fortes  soigné  à  la 
défense  des  frontières,  ne  peut  s'entendre  que  de  la 
rive  gauche  du  Rhin,  qui  formait,  en  effet,  alors  la 
limite  de  l'Empire.  Le  val  du  Necker  élait  aux  bar- 
bares^. La  rive  droite  du  lac  Brigantin  élait  habitée 
par  les  Lentiens,  peuplade  qui  faisait  partie  de  la 
coalition  allemanique.  Au  bord  du  Danube,  entre 
ce  fleuve  et  le  Mein,  étaient  les  Juthungues,  autre 
tribu  de  cette  coalition^,  qui,  par  leurs  incursions 
dans  la  Rhétie,  donnèrent  souvent  aff'aire  aux  Ro- 
mains. Une  autre  encore  habitait  les  rives  du  Bas- 
Mein,  sous  le  nom  de  Bucinobantes*.  Les  Bourgui- 
gnons, qui ,  après  avoir  quitté  les  terres  qu'ils  avaient 
primitivement  habitées  au  nord  de  la  Germanie,  s'é- 
taient assis  sur  les  Monts-Sudètes,  et  qui,  chassés 
plus  tard  de  cette  contrée  par  les  Gépides  et  les  Golhs, 
s'étaient,  dans  leur  mouvement  de  migration,  jetés 
sur  les  Allemanes,  qui  s'étaient  vus  forcés  de  leur 


^  Eumène,  Panegyr.  inConstontino.  H, 

2  Barbarus  Nicer.  Eumène,  Const.  II. 

3  Jufhungi  Jllemanorum  pars,  Halcis  contermînavs  tractibus, 
Amm.  Marcel.  —  Sidoine  Apollinaire  les  appelle  f'ithungi.  —  Sur  la 
Table  de  Théodose  ils  sont  indiqués  sous  le  nom  de  Jutugî. 

*  Amm.  Marcel.,  xxix,  4. 


DU  KHIN  ET  DU  DAiNUBE.  99 

céder  une  partie  de  leur  territoire  au  sud-ouest  du  j.^;;,  /j^c. 
Meinetsurles  plateaux  du  Jaxt, occupaient  l'antique  1059.  306. 
frontière  que  Rome,  à  l'époque  des  Antonins,  avait 
garnie  de  tours  fortes.  Ils  s'étendaient  à  la  fois  sur 
tout  rodenwald  et  au  sud  jusqu'à  la  Koclier,  où  les 
salines  que  renferme  la  vallée  arrosée  par  ce  tor- 
rent provoquèrent  plus  d'une  guerre  entre  les  deux 
peuples  ^  Au  nord  commençait  le  territoire  occupé 
parla  coalition  franque,  qui  n'avait  point  encore  dé- 
passé le  Rhin ,  mais  dont  les  tribus,  comme  nous  ve- 
nons de  le  voir,  menaçaient  l'Empire  sur  toute  cette 
ligne,  en  même  temps  que  leurs  vaisseaux  parcou- 
raient les  mers. 

Constantin  était,  en  313,  à  Milan,  011,  après  la  vie-  1066.  313. 
toire  qu'il  avait  remportée  devant  Rome  sur  Maxence, 
il  venait  de  donner  avec  Licinius  la  liberté  de  culte 
au  christianisme,  lorsqu'il  apprit  que  ces  peuples  le- 
vaient de  nouveau  le  bouclier.  Il  repassa  aussitôt  les 
Alpes  et ,  pour  attirer  les  Francs  dans  la  Gaule,  donna 
à  ses  généraux  l'ordre  de  se  retirer  devant  eux.  Lui- 
même  se  replia  sur  l'Allemanie  et,  s'abandonnant  au 
cours  du  Rhin,  porta  partout  dans  le  pays  que  les 
Francs  venaient  de  quitter  l'incendie  et  le  pillage.  Il 
repassa  ensuite  le  fleuve,  et  tombant  sur  l'armée 
ennemie  qui,  par  cette  lactique,  se  trouva  cernée  de 
toute  part,  il  lui  f  it  supporter  les  plus  grandes  pertes. 
Ce  fut  au  retour  de  cette  expédition  qu'il  prit  le  nom 
de  Francique,  et  que,  rentré  à  Trêves,  qu'il  avait 
décoré  des  monuments  les  plus  somptueux,  il  fit  en- 

'  Mamertin  ,  Paneqyr.  fa.  289),  c  5. 

I.  '• 


yj  Hivers;  tas 

BlBLIOTHcCA 
Ottaviensis 


1  00  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

aeRo"me   deVc  *^^*'^  célébrer  des  jeux  publics,  où  les  principaux 

1067.  314.  prisonniers  furent  condamnés  h  combattre  contre 
les  bétes^ 

La  terreur  que  ses  armes  inspirèrent  aux  Germains 
fut  grande  alors,  s'il  faut  en  juger  par  la  tranquillité 
qui  régna  depuis  sur  le  Rhin ,  et  qui  ne  fut  plus  in- 
terrompue pendant  tout  le  reste  de  son  règne. 

1090.    337.       Constantin  mourut  en  337  de  l'ère  chrétienne. 

Les  troubles  qui  suivirent  sa  mort  sous  ses  succes- 
seurs ranima  l'esprit  belliqueux  des  Francs. 

Constantin  II ,  fils  aîné  de  Constantin ,  resta  par  le 
testament  de  son  père  en  possession  des  provinces 
qui  faisaient  partie  du  prétoire  des  Gaules.  Il  fit  de 
Trêves  sa  résidence.  Mais  ses  querelles  avec  son  frère 

1093.  34).  Constant  au  sujet  de  l'Italie  et  de  l'Afrique  lui  ayant 
malheureusement  coûté  la  vie  quelques  années  après 
proche  d'Aquilée,  ce  dernier  réunit  ces  provinces  à 
ses  États  et  devint  dès  lors  maître  de  tout  l'Occident, 

1995.  342.  comme  son  frère  Constance  II  l'était  de  tout  l'Orient. 
Les  Francs,  depuis  longtemps  en  repos,  profi- 
lèrent de  ces  guerres  entre  les  deux  frères  pour  venir 
de  nouveau  se  répandre  dans  les  Gaules.  Constant 
vint  les  attaquer,  et  leur  livra  une  bataille  dont  l'é- 
vénement fut  douteux.  N'ayant  pu  les  chasser  des 
Gaules  par  la  force,  il  traita  avec  eux  et  acheta  la 
paix.  C'était  les  animer  à  revenir  en  plus  grand 
nombre;  et  c'est  ce  qu'ils  firent,  en  effet,  lorsque  les 
troubles  qui  bientôt  éclatèrent  entre  Constant  et 
Magnence  leur  en  donnèrent  l'occasion. 

1  Nazarius,  ix,  c.  181.  —  Eumône ,  Paneçiyr.,  vi,  o.  12. 


DU  RIllN  ET  DU  DAISUIÏE.  101 

de  Uome.    de  J.  C. 


Maofiience  élail  Germain  d'origine,  et  descendait    *°'      *"" 


dune  de  ces  familles  que  Maxiniien  ou  Constance  1103,  350. 
avait  transplantées  de  leur  patrie  dans  les  Gaules.  Il 
avait  reçu  l'éducation  d'un  Romain,  et  il  était  de 
bonne  heure  entré  au  service,  où  ses  qualités  supé- 
rieures n'avaient  pas  tardé  à  le  faire  distinguer.  Cons- 
tant lui  avait  donné  le  commandement  des  légions 
qui  avaient  été  nouvellement  formées  sous  le  règne 
de  Dioclétien  et  de  Maximien ,  etqui  étaient  en  même 
temps  préposées  à  la  garde  des  empereurs.  Cet 
homme  ambitieux  conspira  avec  Marcellin,  intendant 
des  finances,  et  quelques  officiers  supérieurs  de  l'ar- 
mée. Il  parvint  h  se  faire  saluer  empereur  par  les 
soldats.  Bientôt  il  fut  reconnu  Auguste  par  toute  la 
cavalerie  et  par  les  autres  officiers.  Constant,  aban- 
donné et  sans  troupes,  prit  le  parti  de  fuir  en  Es- 
pagne, et  fut  assassiné  dans  les  Pyrénées  par  Gaison, 
qui,  avec  quelques  hommes  délite,  avait  été  envoyé 
à  sa  poursuite  par  l'usurpateur. 

Magnence,  pour  mieux  consolider  son  pouvoir, 
prit  à  son  service  bon  nombre  de  Francs  et  de  Saxons. 
Il  marcha  sur  l'Italie,  dont  il  se  rendit  maître,  et  fit 
de  même  tuer  Népotien,  neveu  de  Constantin-le- 
Grand ,  qui  s'était  fait  proclamer  empereur.  Cepen- 
dant il  envoya  une  ambassade  à  Constance  pour  traiter 
avec  lui. 

Mais  pour  toute  réponse  Constance  marcha  à  sa 
rencontre,  et  le  renversant,  d'abord   à  Scissie,  et 
plus  tard  à  Murse,  sur  la  Drave,  le  poursuivit  et  le  ii(»4    35t. 
chassa  de  l'Italie. 

Pour  affiiiblir  encore  les  moyens  de  résistance  de 


102  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Je  nome,  dej^c.  soH  enneoii,  il  suscita  en  même  temps  linvasion  des 
1104.  351.  Allemanes  dans  les  Gaules,  que  Magnence  avait  con- 
fiées à  la  garde  de  son  frère  Décence'.  Les  Francs» 
voyant  toutes  les  villes  du  Bas-Rhin  dénuées  des  sur- 
nisons  que  ce  dernier  en  avait  retirées,  pour  opposer 
une  barrière  aux  Allemanes,  en  profitèrent  pour  ve- 
nir parcourir  et  piller  cette  province.  Décence  fut 
vaincu  par  ces  Allemanes,  et  Magnence  lui-même 
par  les  généraux  que  Constance  envoya  contre  lui 
1106  353.  dans  les  Gaules;  il  se  tua  de  sa  propre  main  à  Lyon, 
exemple  que  son  frère,  qui  volait  à  son  secours,  et 
que  cette  nouvelle  vint  arrêter  dans  sa  marche,  suivit 
bientôt  après. 

1107.  354.       Constance,  délivré  d'eux,  se  rendit  à  Arles,  où  il 

fit,  en  l'honneur  du  trentième  anniversaire  de  son 
titre  de  César,  célébrer  des  jeux  magnifiques.  Il 
marcha  ensuite  contre  les  Allemanes  et  envoya  Sil- 
vain  dans  le  Bas-Rhin,  afin  de  contenir  les  Francs. 
La  première  campagne  de  l'empereur  fut  dirigée 
contre  les  Allemanes  du  sud-ouest,  qui  habitaient  la 

1108.  355.  forêt  Marcienne^;  la  seconde  contre  les  Lentiens^ 

qui  habitaient  la  rive  nord  du  lac  Brigantin.Silvain, 
de  son  côté,  repoussa  les  Francs  et  rendit  le  repos 
au  Bas-Rhin. 

Mais  les  ennemis  que  ce  brave  général  avait  à  la 
cour  de  l'empereur,  jaloux  de  ses  succès,  cherchèrent 
à  donner  au  souverain  des  soupçons  sur  sa  fidélité. 


iZozime,  p.  229. 

-  Amraien  Marcel.,  1.  xiv,  c.  10. 

•'  Idem,  1.  XV,  r.  4. 


DU  UHIN  ET  DU  DANUBE.  103 

Us  écrivirent  de  fausses  lettres  qu'ils  firent  ensuite  j^roL.  de*j'c. 
intercepter  et  tomber  entre  les  mains  de  Constance.  ^^^^-  355. 
Ils  accusèrent  Silvain  de  vouloir  s'emparer  du  pou- 
voir souverain ,  et  ils  firent  tant  par  leurs  insinuations 
que,  malgré  la  défense  que  prirent  de  lui  les  princi- 
paux Francs  qui  se  trouvaient  à  la  cour,  il  fut  mis  en 
accusation  par  l'ordre  de  l'empereur.  Silvain  en  fut 
instruit,  et  se  justifia;  mais  son  procès  n'en  dura  pas 
moins.  Dans  cet  état  critique,  et  voyant  qu'il  avait 
tout  à  craindre  de  l'ingratitude  de  Constance,  sans 
avoir  l'espoir  de  pouvoir  trouver  un  refuge  auprès 
des  Francs,  trop  animés  contre  lui,  il  prit  un  parti 
désespéré  et  finit,  en  efl'et,  par  trahir.  H  s'assura  de 
l'armée  et  il  se  fit  déclarer  Auguste  à  Cologne. 

Ursicin,  préfet  du  prétoire,  fut  sur-le-champ  en- 
voyé dans  les  Gaules  pour  apaiser  le  soulèvement. 
Sous  l'apparence  d'un  sympathique  intérêt,  il  sut 
s'insinuer  auprès  de  Silvain,  et  il  le  fit  surprendre 
par  des  soldats.  Silvain  fut  tué  vingt-huit  jours  après 
qu'il  avait  été  déclaré  empereur. 

La  mort  de  ce  général  rendit  de  nouveau  le  cou- 
rage aux  Francs  et  aux  Allemanes  qui,  ne  voyant 
plus  personne  dans  les  Gaules  capable  de  leur  ré- 
sister, s'y  répandirent  en  foule  et  y  firent  d'horribles 
ravages.  Cologne  fut  prise  et  dévastée.  D'un  autre 
côté,  les  Quades  et  les  Sarmates  pillaient  la  Pannonie 
et  la  Haute  "Mœsie  sans  trouver  de  résistance.  Les 
généraux  de  Sapor  faisaient  des  courses  dans  la  Mé- 
sopotamie et  dans  l'Arménie.  Constance,  accablé 
sous  le  poids  de  tant  de  guerres  et  voulant  sauver  les 
Gaules,  donna  le  titre  de  César  h  Julien,  frère  de 


104  ÉTABL1SSEME^TS  ROMAINS 

.,,.„,";„    j*j'c  l'empereur  Gallus,  qu'il  maria  à  sa  sœur  Hélène,  el 
1103    355.  à  qui  il  donna  en  partage  cette  province  et  la  Bre- 
tagne. 

Julien ,  qui  jusqu'alors  ne  s'é(ait  fait  connaître  que 
par  ses  principes  philosophiques,  partit  pour  re- 
joindre l'armée  qui  était  sous  les  ordres  d'Ursicin  et 
de  Marcellus.  Il  se  rendit  à  Vienne,  oii  il  entra  en 
fonction  de  son  consulat,  et  il  y  passa  l'hiver,  occupé 
des  préparatifs  de  sa  prochaine  expédition.  Les  Alle- 
manes  pendant  ce  temps  firent  le  siège  de  la  cité 
des  iEduens,  que  les  vétérans  défendirent  alors  avec 
1109.  356.  bravoure'.  Au  mois  de  juin,  Julien  quitta  Vienne  et 
prit  sa  route  par  Autun,  Auxerre  et  Troyes,non  sans 
avoir  été  plus  d'une  fois  obligé  de  se  frayer  un  pas- 
sage à  travers  l'ennemi;  il  vint  joindre  à  Reims 
Ursicin  et  Marcellus.  La  campagne  s'ouvrit  sur  le 
Haut -Rhin,  où  l'ennemi  s'était  répandu  autour  des 
villes  incendiées.  Après  un  combat  assez  sanglant, 
tenu  sous  les  murs  de  Dieuze ,  Julien  traversa  les 
Vosges,  et  descendant  dans  la  plaine  du  Rhin,  se 
rendit  maître  de  Brocomagus,  et  battit  une  division 
d'Allemanes  qui  voulait  lui  disputer  la  conquête  de 
celte  ville. 

Ces  peuples,  une  fois  possesseurs  du  pays,  s'é- 
taient peu  occupés  d'en  rétablir  les  places  fortes, 
et  comme  de  toutes  les  villes  situées  sur  le  Rhin 
Cologne  et  Remagen,  entre  Bonn  et  Coblence,  étaient 
les  seules  qui  n'eussent  pas  pour  ainsi  dire  été  ra- 
sées, Julien  se  replia  sur  la  première  de  ces  deux 

'  Amm.  Mait .,  1.  \vi,  c.  2. 


DU  UIILN  ET  DU  DANUBE.  105 

cités  pour  en  faire  une  place  d'armes  capable  de  lui  den!!L   àe\^'c. 
donner  un  point  d'appui  contre  les  Francs.  Il  n'eut  i^^^    356. 
pas  de  peine  à  s'en  rendre  maître ,  et  il  conclut  avec 
ces  peuples  une  trêve  qui  lui  permit  de  se  rendre  à 
Sens  pour  y  passer  Ihiver. 

Une  autre  division  de  barbares  vint  l'attaquer  dans 
cette  dernière  ville;  pendant  trente  jours  ils  l'y  tinrent 
assiégé.  Ils  se  retirèrent  toutefois  envoyant  l'infruc- 
tuosité  de  leurs  assauts. 

Au  printemps  suivant,  l'armée  était  réorganisée  iiio.  3.37. 
pour  une  nouvelle  campagne.  Les  Ailemanes  occu- 
paient toujours  le  Haut-Rhin.  Julien  remonta  le  cours 
du  fleuve  pour  atteindre  l'ennemi,  et  l'ordre  fut  en 
même  temps  donné  à  Barbation ,  à  la  tète  de  vingt- 
cinq  mille  hommes,  de  déboucher  par  les  Alpes 
rhétiques  dans  le  pays  des  Rauraques.  Ce  plan  d'o- 
pération, qui  devait  mettre  les  Ailemanes  entre  deux 
traits,  fut  toutefois  dérangé  par  limpétuosité  qu'une 
de  leurs  divisions  mit  à  attaquer  ce  dernier  géné- 
ral. Elle  rompit  la  ligne  des  Romains  et,  se  répan- 
dant comme  un  torrent,  s'avança  jusqu'à  Lyon,  que 
les  plus  grands  efforts  de  sa  garnison  et  des  habi- 
tants purent  seuls  alors  sauver'.  Julien,  cependant, 
chassa  des  îles  du  Rhin  les  troupes  qu'il  rencontra, 
et  se  fortifia  dans  Saverne^,  lieu  qui  dominait  la 
route  que  les  barbares  avaient  toujours  suivie  pour 
inonder  les  Gaules. 

Barbation  jeta  un  pont  sur  le  Rhin,  afin  de  faire 


'  Anim.  Marc.    l.  \vi.  c.  ]\ 
-  Tabornte. 


106  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

*"'     dcj"c.  une  diversion  sur  le  territoire  de  l'ennemi,  et  l'em- 


de  Ruine 


1110.  357.  pêcher  de  porter  du  secours  aux  siens  sur  l'autre 
rive  du  fleuve.  Mais  les  barbares  lancèrent  dans  le  Rhin 
une  telle  quantité  de  troncs  d'arbres,  que  les  liens 
qui  tenaient  les  bateaux  composant  le  pont  furent 
rompus  f)ar  cette  masse  qu'entraînait  l'impétuosité 
du  fleuve';  tous  les  pontons  furent  brisés  et  sub- 
mergés. Avant  que  les  Romains  n'eussent  eu  le  temps 
de  se  reconnaître,  l'ennemi  fut  sur  l'autre  rive,  où 
un  combat  s'engagea.  Il  fut  désastreux  pour  les  pre- 
miers, qui  furent  mis  en  fuite  et  poursuivis  jusque 
chez  les  Rauraques.  Ce  succès  enhardit  tellement  les 
Allemanes  que,  descendant  le  fleuve,  ils  vinrent  se 
poster  jusque  dans  la  plaine  d'Argentorat.  Leur 
armée,  forte  de  trente- cinq  mille  hommes,  était 
sous  les  ordres  de  Chnodomar,  qui  commandait  en 
chef,  et  de  Sérapion,  son  neveu,  de  Vestralp,  d'U- 
rius,  dUrsicin,  de  Suomar  et  d'Hortar,  tous  sou- 
verains des  différentes  tribus  qui  s'étaient  partagé 
l'ancienne  province  romaine  tians -rhénane.  Chno- 
domar était  dans  la  Gaule  depuis  le  temps  de  Ma- 
gnence,  et,  par  la  victoire  qu'il  avait  remportée  sur 
Décence,  il  avait  surtout  acquis  un  grand  nom  parmi 
ses  compatriotes.  Gundomad  etVadomar,  qui  avaient 
reçu  la  paix  de  Constance,  et  qui  étaient  depuis 
restés  alliés  des  Romains,  avaient  d'abord  refusé  de 
prendre  part  à  cette  coalition.  3Jais  le  premier  ayant 
été  assassiné  par  ses  propres  sujets,  le  second  sévit 
pour  ainsi  dire  contraint  de  se  joindre  à  ses  compa- 
triotes. 

'  Libanius,  1.  r. 


DU  RHIN   ET  DU  DANUBE.  107 

Les  Allemanes  apprirent  par  des  transfuges  que  a^  RëL  d*j"c. 
Julien  n'avait  avec  lui  que  treize  mille  hommes  de  i^'^-  357. 
troupes.  Ils  lui.  envoyèrent  des  députés  pour  lui  re- 
montrer, qu'ayant  par  leur  valeur  et  par  la  force 
des  armes  acquis  le  pays  qui  était  en  leur  puissance, 
il  leur  appartenait  de  plein  droit,  et  l'engagèrent 
à  se  désister  de  toute  nouvelle  entreprise  contre  eux. 
Julien  retint  auprès  de  lui  ces  députés,  et,  pour  toute 
réponse,  descendant  des  hauteurs  de  Saverne,  vint 
se  poster  dans  la  plaine  devant  l'ennemi. La  bataille, 
qui  se  livra  entre  les  deux  armées  proches  d'Argen- 
torat^  finit  par  la  déroute  complète  des  Allemanes, 
qui,  après  avoir  combattu  vaillamment,  et  avoir 
même  eu  un  moment  l'avantage  sur  les  Romains,  se 
virent  repoussés  par  les  cohortes  bataves  et  obligés 
de  fuir  et  de  repasser  le  Rhin.  Plus  de  six  mille  des 
leurs  restèrent  sur  le  terrain,  sans  compter  ceux  qui 
se  noyèrent  dans  le  fleuve.  Chnodomar  fut  lui-même 
pris  avec  sa  suite  et  envoyé  à  Rome,  où  il  ne  survé- 
cut que  peu  de  temps  à  sa  captivité. 

Cette  victoire  rendit  aux  Romains  toute  la  Ger- 
manie supérieure. 

Julien ,  après  avoir  déposé  à  Metz  le  butin  et  les 
prisonniers,  se  rabattit  sur  Mayence,  afin  de  tra- 
verser le  Rhin  et  de  porter  la  guerre  sur  le  territoire 
même  de  l'ennemi.  Les  Allemanes  lui  envoyèrent  de 
nouveau  des  députés  pour  lui  faire  des  remontrances 

*  Ammien  décrit  au  long  celte  bataille.  Pour  ce  qui  concerne  les  lo- 
calités où  elle  se  donna, voyez  Grandidier,//t  t.  d'Jlsoce,  p.  228-229, 
et  Spach  ,  dans  les  Mémoires  du  Congrès  scb  nt\fique ,  tenu  à  Stras- 
bourg en  1842,  p.  331  et  sv. 


Ans 
de  Rume.    de 


108  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Y'^  amicales.  Ce  fut  en  vain.  Huit  cents  hommes,  placés 
1110.  357.  dans  de  légères  embarcations,  furent  chargés  de 
remonter  le  Mein  et  d'incendier  tout  sur  ses  deux 
rives.  L'ennemi  épouvanté  fit  aussitôt  allumer  ses 
fanaux  pour  avertir  du  danger  les  tribus  éloignées, 
et  leur  donner  par  ces  signaux  rendez-vous  sur  la 
rive  droite  de  la  rivière.  Julien  en  profita  pour  tout 
dévaster  et  incendier  sur  la  rive  gauche^  jusqu'à  ce 
que,  arrêté  par  les  abattis  d'arbres  d'une  vaste  forêt, 
et  par  la  masse  de  neige  qui  déjà  recouvrait  le  sol, 
il  revînt  sur  ses  pas  et  relevât  les  fortifications  que 
Trajan  avait  un  jour  fait  construire  pour  contenir  les 
barbares ^  Il  y  laissa  une  garnison  et  des  vivres,  et 
après  avoir  accordé  une  suspension  d'armes  de  dix 
mois  à  trois  des  chefs  qui  avaient  accompagné  Chno- 
domar  sous  les  murs  d'Argentorat,  il  repassa  le  Rhin 
pour  faire  prendre  aux  troupes  leurs  quartiers  d'hi- 
ver. Lui-même  prit  la  route  de  Paris. 

Des  Francs  saliens,  qui  pendant  cette  campagne 
contre  les  Allemanes  avaient  de  leur  côté  mis  à  profit 
son  absence  pour  faire  du  butin,  s'étaient  avancés 
jusque  dans  la  Gaule  belgique.  Surpris  par  la  cava- 
lerie du  général  Sévère,  en  marche  pour  regagner 
ses  cantonnements,  ils  se  renfermèrent  dans  un  des 
châteaux-forts  qui  dominaient  les  rives  de  la  Meuse. 
Julien,  averti,  vint  en  personne  les  y  attaquer  et,  après 
cinquante- quatre  jours  de  siège,  se  rendit  maître 


1  Munimentwn  quod  in  Alamannovum  solo  conditum  Tiajanux 
suo  noinine  voluit  appellavl.  Anini.  Marcel.,  !.  xvii,  c.  1.  —  Voy. 
ci-dessus,  p.  70. 


Ans 
me.      deJ.C. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  109 

de  la  place.  Toute  la  garnison  fut  faite  prisonnière,  j, r" 
et  il  envoya  tous  ces  hommes,  qui  se  distinguaient  iii<>-   357, 
généralement  par  leur  haute  stature,  à  l'empereur 
Constance  qui  les  incorpora  dans  ses  armées. 

Julien,  au  printemps  suivant,  marcha  contre  la  un.  358 
nation  entière  de  ces  Saliens,  qui  s'étaient  emparés 
du  pays  que  baigne  lEscaut  près  de  Taxandrie,  et 
qui  maintenant  étaient  eux-mêmes  en  discorde  avec 
les  Chamaves.  Il  les  attaqua  les  uns  et  les  autres,  et 
ne  leur  accorda  la  paix  qu'à  condition  qu'ils  ren- 
treraient dans  leurs  foyers  ^ 

Après  avoir  purgé  la  Gaule  de  ces  étrangers,  Julien 
reprit  la  campagne  contre  les  AUemanes,  dont  la 
trêve  était  écoulée.  Une  de  leurs  peuplades,  les  Ju- 
thungues,  avait  tenté  de  surprendre  la  Rhétie  et  de 
s  en  emparer.  Barbation,  plus  heureux  contre  eux 
qu'il  n'avait  été  près  d'Augusta  contre  leurs  com- 
patriotes coalisés,  les  en  avait  toutefois  repoussés.  Ju- 
lien, en  reparaissant  sur  le  Rhin,  fit  jeter  un  pont 
sur  le  fleuve  et  tomba  sur  Suomar  et  sur  Ilortar, 
deux  des  princes  qui,  l'année  précédente,  avaient 
le  plus  contribué  à  la  dévastation  des  Gaules.  Le 
premier  chef  gouvernait  tout  le  pays  qui  s'étend  entre 
le  Mein  et  le  Rhin ,  et  que  cette  rivière  embrasse  d'un 
coude  immense  avant  de  se  jeter  dans  le  fleuve,  et 
le  second,  les  plaines  et  les  collines  situées  plus  au 
sud  jusqu'au  Necker,  vis-à-vis  les  Vangiones  et  les 
Nemètes.  Suomar,  à  l'approche  des  Romains,  vint 
implorer  la  paix;  Julien  la  lui  accorda,  à  condition 

'  Ammien  Marc,  1.  xvii,  c.  8. 


Je  l'iome.     A 


1  1  0  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

*"c.  qu'il  rendrait  tous  les  prisonniers   de  guerre  ro- 

1111,  358.  mains,  et  qu'il  fournirait  des  vivres,  des  voilures 

et  des  matériaux  propres  à  relever  les  forteresses 
du  Rhin;  Hortar  fut  bientôt  aussi  obligé  de  se  sou- 
mettre aux  mêmes  conditions.  Julien  fit  rebâtir  sur 
le  Rhin  sept  villes  que  les  barbares  avaient  détruites 
et  restaurer  tous  les  magasins  de  vivres  qu'ils  avaient 
dévastés. Comme  parla  paix  qu  il  venait  de  faire  avec 
les  riverains  du  fleuve  la  navigation  se  trouvait  ré- 
tablie, ce  fut  de  l'île  de  Bretagne  qu"  il  fit  venir  les  provi- 
sions de  bouche  qui  devaient  alimentercesmagasins^ 

1112.  359.       Cependant  les  princes  de  l'intérieur  de  l'Allemanie 

étaient  toujours  encore  sous  les  armes.  Comme  Ju- 
lien ne  pouvait  espérer  de  repos  tant  qu'ils  n'auraient 
pas  fait  leur  soumission,  il  résolut  de  les  surprendre, 
et  envoya  à  cet  efl*et  à  la  cour  d  Hortar  un  de  ses  tri- 
buns, du  nom  d'Hariobaude,  chargé  en  apparence 
d'une  mission  diplomatique  auprès  de  ce  prince, 
mais  dont  les  instructions  étaient  de  prendre  tous 
les  renseignements  possibles  sur  la  situation  poli- 
tique et  locale  des  diverses  peuplades.  Après  avoir 
écouté  le  rapport  que  cet  officier  lui  fit  à  son  retour, 
Julien  concentra  toute  son  armée  dans  les  environs 
de  Mayence.  Contre  lavis  de  son  conseil,  qui  voulait 
qu'on  passât  le  Rhin  directement,  il  fit  remonter  le 
cours  du  fleuve  h  ses  troupes,  afin  de  trouver  un 
lieu  où  il  pût  effectuer  le  passage  sans  avoir  besoin 
de  loucher  le  territoire  du  roi  Suomar,  son  allié. 
L'ennemi,  qui  l'observait  de  la  rive  opposée,  suivit 

*  Libaniiis,  Oraf.  pareiilal..  c.  40. 


DU  RHIN  ET  DU  DÀlNUBE.  111 

de  ItoDie.      de  }.  C. 


le  même  mouvement.  Mais ,  à  la  faveur  de  la  nuit,  les    *""       *" 


Romains  parvinrent,  dans  les  environs  de  la  métro-  ^^^^  359. 
pôle  des  Nemètes\  à  jeter  sur  la  rive  droite  trois 
cents  hommes  détermines  qui,  surprenant  le  camp 
des  Allemanes  et  s'avançant  jusqu'à  latente  des  chefs 
rassemblés  en  festin  auprès  d  Hortar,  qui  gardait 
alors  une  stricte  neutralité,  y  répandirent  une  telle 
terreur  que,  se  croyant  surpris  par  toute  l'armée, 
les  Allemanes  se  débandèrent  dans  toutes  les  direc- 
tions. 

Julien  les  poursuivit  et  fit  respecter  les  propriétés 
tant  qu'il  fut  sur  le  territoire  d  Hortar.  Mais  à  peine 
il  l'eut  dépassé,  que  le  pillage,  l'incendie,  et  tout  ce 
que  la  guerre  traîne  d'horreurs  à  sa  suite,  commen- 
cèrent. Il  s'avança  ainsi  jusqu'aux  frontières  des 
Allemanes  et  des  Bourguignons,  là  même  où  l'ancien 
grand  rempart  romain  avait  jadis  séparé  la  province 
décumate  des  peuplades  germaniques^.  Là  il  établit 
son  camp,  et  au  milieu  de  toute  la  pompe  romaine, 
il  donna  enfin  la  paix  aux  différents  princes  qui 
vinrent  s'humilier  et  qui  jurèrent  de  respecter  doré- 
navant la  puissance  romaine. 

Ces  brillants  succès,  qui  à  Rome  furent  comparés 
à  ceux  que  Marius  avait  remportés  sur  les  Cimbres, 
excitèrent  la  jalousie  de  Constance.  Sous  prétexte  ms.    36o. 
que  la  guerre  des  Perses  exigeait  un  déploiement  de 
forces  considérables,  il  fit  demander  à  Julien  qu'il 

*  'Attô  NeaÉTOjv  apatç  IttI  tov  'Py;vov.  Eunapius,  édit.  de  Boissonade, 
1,  p.  467.  [Excerpt.  légat loniim.) 

'■^  Regio  cui  capeilatii  tel  palus  notnen  est.  Am.  Marc,  1.  xviii, 
c.  2. 


Ans 
de  Rome,      d 


112  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

j"c.  lui  livrât  l'élite  de  ses  troupes.  Julien  était  adoré  de 
1113.  360.  ses  soldats.  Loin  que  la  demande  de  Constance  fût 
accueillie,  ce  fut  une  occasion  pour  que  l'armée  des 
Gaules,  dans  son  enthousiasme,  proclamât  empereur 
son  général.  Julienne  se  dissimulait  pas  qu'en  accep- 
tant cette  dignité,  il  devait  s'attendre  à  voir  tomber 
sur  lui  le  courroux  de  Constance.  Aussi,  pour  pou- 
voir agir  contre  lui  avec  plus  de  sécurité^  commença- 
t-il  par  soigner  à  tout  ce  qui  pouvait  contribuer  à 
la  sûreté  des  Gaules.  Après  avoir  passé  le  Rhin  et 
avoir  fait  une  expédition  contre  les  Attuares,undes 
peuples  Francs  qui  avait  le  plus  fait  de  mal  à  ces 
provinces  par  ses  irruptions,  il  visita  toutes  les  places 
de  guerre  dont  il  avait  ordonné  la  réédification 
le  long  du  lleuve,  et  par  le  pays  des  Rauraques  et 
Besançon  se  rendit  à  Vienne, qu'il  n'avait  plus  revue 
depuis  cinq  ans,  pour  attendre  dans  cette  ville  la  ré- 
ponse de  Constance  aux  plans  de  conciliation  qu'il 
lui  avait  proposés. 

Constance,  qui  déjà  avait  mis  à  profit  le  secours 
des  Allemanes  contre  Magnence,  tenta  alors  de  nou- 
veau de  soulever  ces  peuples  contre  Julien.  Une  de 
leurs  divisions  passa  la  frontière  de  la  Rhélie  et  bat- 
lit  près  de  Sanctio'  le  général  Libinon,  que  Julien 
avait  envoyé  à  sa  rencontre.  Le  roi  Vadomar,  à  qui 
ces  troupes  appartenaient,  protestait  néanmoius  tou- 
jours de  sa  fidélité.  Mais  convaincu  de  trahison  par 
des  lettres  de  Constance  qui  furent  interceptées  et 
qui  tombèrent  entre  les  mains  de  Julien,  en  même 

'  Le  moderne  Sreckiiigen. 


Ans  Ans 

de  Rome,     de  J  C. 


DU  UIIIN  ET  DU  DANUBE.  113 

temps  que  pour  donner  des  preuves  de  sa  bonne 

foi  il  venait  jusque  dans  le  camp  romain,  il  fut  arrêté  i^i3.    360 

et  conduit  en  Espagne.  Julien  tomba  alors  lui-même 

dans  le  pays  ennemi, et  obligea  par  la  terreur  de  ses 

armes  tous  les  autres  princes  à  garder  une  stricte 

neutralité. 

Cependant  il  n'ignorait  pas  les  préparatifs  que 
Constance  faisait  contre  lui  sur  le  Danube.  Pour  le 
prévenir,  et  profitant  de  ses  avantages,  il  envoya  une 
partie  de  son  armée  en  Italie  et  dans  la  Rhétie,  et, 
traversant  avec  la  plus  grande  promptitude  et  dans 
le  plus  grand  secret  la  forêt  Marcienne,  h  la  tête  de 
trois  mille  hommes  d'élite,  il  monta  sur  une  légère 
embarcation  qui  l'attendait  sur  le  Danube_,  à  1  endroit 
où  ce  fleuve  commence  à  être  navigable,  et  parut  à 
Sirmium,  alors  que  son  rival  accourait  lui-même  de 
l'Orient  à  sa  rencontre.  La  mort  de  Constance,  qui,  1114.  soi 
tombé  malade  en  chemin,  fut  obligé  de  s'arrêter  à 


3  novembre. 


Mopsucrène,  en  Cilicie,  sauva  toutefois  alors  l'Em- 
pire d'une  nouvelle  guerre  civile. 

Le  Rhin  resta  tranquille  pendant  tout  le  reste  du 
règne  de  Julien. 

Mais  ce  grand  homme  eut  à  peine  fermé  les  yeux,  mo.   363. 
que  le  cri  d'indépendance  et  de  conquête  retentit  de 
nouveau  dans  toutes  les  forêts  germaniques. 

Jovien,  pendant  son  règne  éphémère,  ne  fut  oc- 
cupé que  de  l'Orient. 

Quand  Valentinien  parvint  sur  le  trône,  toutes  les  tiir.   364. 

nations  barbares  avaient  repris  le  bouclier,  et  la 

Gaule  et  la  Rhétie  étaient  h  la  fois  menacées  par  les 

Allemanes;  les  Sarmates  et  les  Quades  attaquaient 

I.  ' 


1  14  ÉTABLISSEMENTS  KOMAINS 

de  nie.  d^î'c.  la  Pannonie;  et  les  Saxons,  les  Pietés  et  les  Scots 

1117.  364.  faisaient  des  courses  dans  la  Bretagne. 

Valenlinien  s'associa  à  1  Empire  son  frère  Valens, 
à  qui  il  confia  l'Orient.  Après  avoir  réglé  les  affaires 
d'Italie,  il  passa  dans  les  Gaules  que  déjà  les  étran- 

1118.  365.  gers  inondaient. 

Les  Allemanes  avaient  coutume  de  recevoir  an- 
nuellement de  la  cour  romaine  des  présents,  dont 
le  don  avait  même  été  garanti  par  les  traités.  Comme 
on  en  avait  retranché  une  partie,  ils  s'en  étaient 
plaints  à  Rome  par  leurs  ambassadeurs,  mais  sans 
que  leurs  réclamations  eussent  été  accueillies.  Ils  se 
regardèrent  dès  lors  comme  déliés  de  leurs  serments. 
Favorisés  par  un  froid  excessif  qui  leur  permit  de 
passer  le  Rhin  sur  la  glace,  ils  vinrent  chercher  dans 

1119.  366.  les  Gaules  ce  qu'on  leur  refusait  à  Rome.  En  vain 

Charietton,  qui  commandait  les  deux  Germanies,  vou- 
lut s'opposer  à  leurs  déprédations,  et  appela  de  Cha- 
lon-sur-Saône la  division  que  commandait  Sévérien. 
Il  paya  de  sa  vie  le  combat  qu'il  leur  livra,  et  où  Sé- 
vérien fut  aussi  très-fortement  blessé.  Les  Hérules 
et  les  Bataves,  qui  servaient  dans  l'armée,  perdirent 
un  moment  leur  drapeau  _,  et  ne  le  recouvrèrent  qu'a- 
près avoir  fait  des  prodiges  de  valeur.  Valentinien 
envoya  contre  les  barbares  Jovin ,  général  de  la  cava- 
lerie, qui  vengea  cette  défaite  des  Romains  par  la  dé- 
faite non  moins  sanglante  de  deux  divisions  ennemies 
qu'il  surprit  successivement  près  de  Scarpona'  et 
dans  le  val  de  la  Moselle.  Il  fit  un  carnage  d'autant 

*  Cliarpeigne ,  près  de  Pont-à-Monsson. 


DU  UIIliN  ET  DU  DANUBE.  115 

plus  grand  de  la  seconde  que,  lorsqu'il  arriva,  la  plu-  d^R"!.  deV'c. 
part  des  soldats  ennemis  étaient  près  du  fleuve,  ^i^9-  36g. 
se  lavant  sans  défiance  dans  ses  ondes,  et,  pour 
ine  servir  de  l'expression  de  l'auteur  romain,  met- 
tant en  ordre  leur  chevelure  blonde  et  dorée  K  Après 
les  avoir  repoussés,  il  se  rejeta  sur  une  troisième 
colonne,  qui  parcourait  les  plaines  des  environs  de 
Châlons-sur-Marne  ;  il  lui  livra  un  combat  non  moins 
sanglant,  mais  mieux  disputé,  et  où  les  AUemanes 
laissèrent  sur  le  champ  de  bataille  six  mille  morts 
et  quatre  mille  blessés.  Le  malheureux  chef  qui  com- 
mandait ces  AUemanes  tomba  lui-même  en  fuyant 
entre  les  mains  de  quelques  soldats  qui  le  poursui- 
vaient, et  qui  le  pendirent  à  un  arbre,  à  l'insu  de 
leur  général. 

Mais  cependant  ces  victoires,  en  arrêtant  la  marche 
des  barbares, n'anéantirent  pas  leur  puissance  dans 
les  Gaules.  Les  Saxons  recommençaient  aussi  à  ra- 
vager la  Bretagne,  et  les  Francs  à  courir  de  nouveau 
dans  la  Batavie.Valentinien  envoya  Théodose  contre 
ces  deux  peuples,  et  il  se  prépara  lui-même  à  aller 
attaquer  les  AUemanes  sur  le  Rhin. 

Ces  derniers  le  prévinrent.  Une  de  leurs  divisions,  1121.  3G3. 
sous  la  conduite  de  leur  prince  Rando,  vint  atta- 
quer Mayence,  alors  presque  dénuée  de  garnison, 
pendant  que  les  chrétiens  fêtaient  une  de  leurs 
plus  grandes  solennités.  Ils  s'en  rendirent  maîtres 
sans  coup  férir;  chargés  de  butin,  ils  entraînèrent  en 
esclavage  un  grand  nombre  d  hommes  et  de  femmes'^. 

'  Ammien  Marcel.,  1.  xxvii,  c.  2. 
^  Idem  ,  1.  xwii,  c.  40. 

I.  «* 


An*  Ans 

de  Kome.     de  J.  C. 


116  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

La  mort  de  Withicab,  fils  du  célèbre  Vadomar,  qui 
1121.  368.  avait  si  souvent  provoqué  les  armes  de  Julien,  et 
que  les  Romains  firent  alors  lâchement  assassiner 
par  un  de  ses  domestiques  dont  ils  gagnèrent  l'esprit 
sordide,  arrêta  toutefois  pour  quelque  temps  leurs 
aventureuses  expéditions.  Withicab  était,  en  effet, 
lame  du  conseil  de  ces  peuples,  et  les  Romains  n'a- 
vaient point  d'ennemi  qui  leur  fût  plus  dangereux. 
Ayant  tout  à  redouter  pour  les  provinces  du  Haut- 
Rhin,  ils  ne  craignirent  point,  tant  les  mœurs  avaient 
changé,  de  se  souiller  du  sang  de  leur  ennemi  et  de 
ternir  leur  gloire  par  un  assassinat  '. 

Valenlinien  profita  du  découragement  que  cette 
mort  porta  parmi  ces  nations  pour  passer  lui-même 
le  Rhin.  Il  se  fortifia  de  toutes  les  troupes  de  l'illyrie 
et  de  l'Italie  dont  il  pouvait  disposer,  et  s'adjoignit 
les  deux  généraux  Jovin  et  Sévère,  ainsi  que  son 
fils  Gratien ,  jeune  enfant  de  dix  ans,  que  l'année 
précédente  il  avait  fait  proclamer  Auguste.  Il  est 
probable  que  le  passage  du  Rhin  s'effectua  près  d'Ar- 
gentorat,  puisque  l'expédition  était  dirigée  contre  le 
peuple  qu'avait  commandé  le  prince  qui  venait  d'être 
victime  de  la  perfidie  des  Romains.  L'armée  brûla  et 
pilla  tout  devant  elle;  cependant  elle  marcha  quelques 
jours  avant  de  voir  l'ennemi,  jusqu'à  ce  que,  arrivée 
devant  Solicinium,  ancienne  colonie  romaine,  on  vînt 
avertir  l'empereur  qu'un  corps  d'armée  se  montrait 
dans  le  lointain.  Valenlinien  donna  aussitôt  l'ordre 
d'arrêter.  Les  AUemanes  s'étaient  retranchés  sur 
une  haute  montagne,  accessible  seulement  du  côté 

^  Amm.  Marcel.,  1.  xxvii,  r.  iO. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  117 

du  nord  par  une  pente  douce  et  aisée.  L'empereur  j^kÔL.  de^j'c 
voulut  les  reconnaître  en  personne.  Accompagné  ^^-i*  308. 
d'un  petit  nombre  d'hommes,  il  s'avança  dans  un 
marais,  où  peu  s'en  fallut  que  l'ennemi,  qui  s'y  était 
embusqué ,  ne  s'en  emparât.  Valentinien  fit  prendre 
à  Sébastien  un  chemin  détourné,  afin  de  cerner  la 
montagne;  après  avoir  renvoyé  dans  le  camp  son 
jeune  fils^,  sous  la  garde  de  quelques  cohortes,  il  com- 
manda lui-même  l'attaque  principale.  L'escarpement 
de  la  montagne  présenta  la  plus  grande  difficulté 
pour  l'escaladement.  L'armée  cependant  en  vint  à 
bout,  et  atteignit  l'ennemi  sur  le  plateau,  où  un 
combat  des  plus  opiniâtres  et  des  plus  meurtriers 
coinmença.  Le  désavantage  fut  toutefois  du  côté  des 
Allemanes  qui ,  mis  en  désordre,  et  cherchant  par  la 
pente  opposée  à  effectuer  leur  retraite,  furent  atta- 
qués par  les  troupes  fraîches  de  Sébastien  ;  leur  dé- 
route fut  complète. 

Les  Romains  eurent,  de  leur  côté,  beaucoup  de 
pertes  à  déplorer,  et  il  est  probable  que  cette  cir- 
constance les  empêcha  alors  de  porter  leurs  armes 
au  delà  du  Necker  et  au  delà  des  sources  du  Danube, 
que  leurs  colonnes  avaient  atteintes.  Il  est  probable 
aussi  qu'après  avoir  ravagé  tout  le  pays  par  où 
ils  s'étaient  avancés,  ils  firent  alors  leur  retraite  en 
se  dirigeant  au  nord  entre  ce  même  Necker  et  le 
Rhin,  où,  près  de  Lupodunum  ,  si  l'on  doit  s'en  rap- 
porter à  quelques  vers  d'Ausone,  qui  chante  les 
hauts  faits  de  cette  campagne,  un  autre  combat  dut 
aussi  avoir  eu  lieu ^ Comme,  du  reste,  Ammien  Mar- 

*  Voy.  sur  ce  combat  la  deuxième  parfie  de  ce  Ménoire,  §  l. 


Ans  Ans 

de  lîome.    d 


1  18  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

j"'c.  cellin,  que  nous  avons  suivi  dans  ces  détails,  ne  parle 

1121.  308.  pas  de  ce  dernier  fait  d'armes,  il  faut  croire  qu'il  fut 

de  peu  d'importance. 

L'empereur  vint  triompher  à  Trêves,  et  profitant 
de  la  tranquillité  qui  régnait  de  nouveau  sur  le  Rhin, 

1122.  369.  il  s'occupa,  l'année  suivante,  de  faire  travailler  de 

nouveau  à  le  fortifier  depuis  sa  source  jusqu'à  son 
embouchure,  et  même,  là  où  il  le  crut  nécessaire,  à 
élever  des  tours  fortes  sur  les  terres  des  barbares. 
Diverses  ordonnances  rendues  par  lui  sur  les  bords 
du  fleuve ,  et  entre  autres  à  Al  trippe  et  à  Brisach ,  nous 
prouvent  que  lui-même  présidait  alors  à  ces  travaux , 
auxquels  il  faut  joindre  le  détour  qu'il  fit  faire  au 
Necker  pour  protéger  le  fort  qu'il  construisit  à  son 
embouchure,  et  le  port  qui,  près  de  la  métro- 
pole des  Némètes,  devait  faciliter  la  navigation  du 
Rhin. 

Pour  donner  plus  de  soutien  à  ces  divers  ouvrages , 
et  pour  mettre  entre  les  barbares  et  ces  nouveaux 
établissements  romains  un  espace  plus  considérable, 
il  voulut  aussi  faire  fortifier  un  des  lieux  qui  appar- 
tenaient aux  Allemanes  au  delà  du  fleuve  et  que  l'his- 
toire nous  cite  sous  le  nom  de  Pirimont.  Les  Alle- 
manes de  cette  partie  de  la  province,  qui  étaient 
alors  en  paix  avec  les  Romains,  se  plaignirent  de 
cette  violation  de  leur  territoire.  Mais  n'ayant  pu  se 
faire  justice  par  la  voie  de  la  persuasion ,  ils  le  firent 
par  la  voie  des  armes,  et  attaquèrent  les  troupes  qui 
entreprenaient  ces  travaux.  Ils  les  taillèrent  en  pièces 
sans  qu'un  seul  homme  échappât,  qui  pût  alors 
rendre  compte  à  l'empereur  de  cette  boucherie. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  119 

Valentinien  venait  justement  de  recevoir  la  non-  iJZn,^  d/j"c. 
velle  de  l'invasion  des  Saxons  dans  la  Germanie  infé-  ^^^^  ^go. 
rieure.  Sur  le  rapport  que  lui  fit  Naniénus,  qui  y  com- 
mandait, du  grand  nombre  d'ennemis  qui  marchaient 
sur  la  province  et  du  peu  de  forces  qu'il  avait  à  leur 
opposer,  il  lui  envoya  pour  le  soutenir  linfanterie 
du  général  Sévère.  Cette  infanterie  arrêta  la  marche 
des  Saxons.  Ils  firent  la  paix, et  il  leur  fut  permis  de 
regagner  leurs  vaisseaux  moyennant  qu'ils  fourni- 
raient un  certain  nombre  d'hommes,  qui  seraient  in- 
corporés dans  les  légions.  Mais  la  parole  romaine,  si 
souvent  en  défaut  envers  les  Germains,  le  fut  encore 
en  cette  occasion.  Car,  comme  ces  Saxons  se  reti- 
raient, ils  furent  attaqués  à  l'improviste  par  les  sol- 
dats romains,  postés  en  embuscade  ;  il  s'ensuivit  un 
combat  sanglant  où  beaucoup  de  Saxons  périrent. 

Valentinien,  qui  craignait  que  les  peuplades  alle- 
manes  du  Rhin  ne  profitassent  de  cette  irruption  du 
nord  pour  l'inquiéter  dans  ses  travaux ,  fit  sous  main 
sonder  les  Bourguignons  que  des  intérêts  politiques 
avaient  déjà  plus  d'une  fois  mis  en  état  de  guerre 
avec  ces  mêmes  tribus.  Les  salines  situées  entre  les 
deux  nations  avaient  déjà,  à  plusieurs  reprises,  été 
l'objet  de  leurs  querelles,  et  il  est  probable  que  l'em- 
pereur leur  promit  alors,  s'ils  se  joignaient  à  lui ,  de 
les  maintenir  dans  la  possession  de  ces  lieux,  qui 
étaient  pour  eux  d'une  si  grande  importance.  Ils  se 
soulevèrent  du  moins  à  sa  voix,  et  ils  vinrent  au 
nombre  de  quarante  mille  hommes  se  répandre  sur 
les  terres  des  Allemanes.  Ces  derniers  qui  redoutaient 
l'attaque  des  Romains,  et  qui  avaient  à  craindre  de 


I  20  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

deitome.  i.^î'c.&Q  voif  cemés  entre  les  deux  armées,  se  retirèrent 
1123.  370.  QYi  masse  du  pays.  Les  Bourguignons  vinrent  jusque 
sur  le  Rhin ,  sans  que  Valenlinien ,  toujours  ingénieur 
plutôt  alors  que  général,  n'eût  encore  fait  le  moindre 
préparatif  de  guerre.  Trompés  dans  leur  attente ,  et 
voyant  qu'ils  ne  pouvaient  compter  sur  l'empereur , 
ils  se  retirèrent  dans  leurs  foyers. 
1124  371.  Mais  lui-même,  l'année  suivante,  passa  le  Rhin, 
pour  surprendre  Macrien  qui  régnait  sur  les  Alle- 
manes  de  la  rive  droite  du  Meiii,  et  qui  était  non 
moins  redoutable  que  ne  l'avait  naguère  été  Withicab. 

II  avait  appris  que  ce  prince  était  malade,  et  il  espérait 
par  un  coup  de  main  pouvoir  se  rendre  maître  de  sa 
personne.  Il  fit  jeter  un  pont  sur  le  fleuve,  au-dessous 
de  Mayence,  et  chargea  Sévère,  à  la  tête  de  quelques 
troupes ,  de  se  diriger  le  plus  secrètement  possible 
sur  \Mesbade  \  où  le  prince  résidait.  Quelque  dis- 
cipline que  l'on  eût  recommandée  aux  soldats,  ils  ne 
purent  cependant,  pour  le  bonheur  de  ce  dernier, 
s'empêcher  de  piller  et  de  tout  brûler  selon  leur  ha- 
bitude. La  fumée  qui  s'éleva  du  sein  des  forêts  avertit 
à  temps  les  AUemanes  de  l'invasion.  Il  leur  fut  pos- 
sible, avant  que  les  Romains  n'arrivassent,  de  sauver 
leur  prince,  et  de  l'entraîner  sur  une  légère  voiture, 
par  des  chemins  détournés.  Valentinien,  trompé  dans 
son  attente,  donna  l'ordre  d  incendier  et  de  ruiner 
toute  la  contrée.  Pour  contrebalancer  le  pouvoir  de 
Macrien,  qui  s'étendait  aussi  sur  les  Bucinobantes, 
il  mit  à  leur  tête  Fraomar,  prince  de  cette  nation, 

'  Aquse  Mat  lia  ca' 


DU  RHIN  ET  DU  DAISUBE.  121 

qui ,  ainsi  que  Bithéride  et  Hortar,  deux  autres  sel-  de  nie.  de^^c 
gneurs  de  la  même  tribu,  était  alors  au  service  des  *^24.  371. 
Romains.  Fraomar  trouva  cependant  le  pays  telle- 
ment ravagé,  qu'il  crut  devoir  renoncer  à  cette  sou- 
veraineté, et  obtint  le  commandement  des  Allemanes 
qui  servaient  comme  auxiliaires  dans  l'armée  ro- 
maine en  Bretagne. 

Hortar  resta  dans  la  Gaule.  Mais  ne  supportant 
qu'avec  peine  l'oppression  de  son  pays ,  il  se  fit  l'es- 
pion de  Macrien.Une  de  ses  lettres  à  ce  prince ,  tombée 
par  malheur  entre  les  mains  de  Florentins,  gouver- 
neur de  la  Germanie,  occasionna  son  arrestation, 
et  il  fut  condamné  par  l'empereur  au  terrible  sup- 
plice du  feu  '. 

Cependant  le  Danube  était  aussi  devenu  le  théâtre 
d'événements  non  moins  sanglants.  Des  forteresses 
élevées  sur  le  territoire  des  peuples  riverains  de  ce 
fleuve  avaient  excité  leur  mécontentement,  et  au 
nom  de  leur  indépendance  menacée,  ils  avaient  tous 
aussi  repris  le  bouclier.  Valentinien  reçut  des  nou- 
velles d'illyrie  qui  lui  annonçaient  les  avantages  que 
les  Quades  avaient  déjà  remportés.  Il  sentit  le  besoin 
de  se  rendre  sur  les  lieux,  et  pour  consolider  le  re- 
pos dont  le  Rhin  jouissait  alors,  il  fit  lui-même  faire 
des  propositions  de  paix  à  Macrien. 

Ce  prince  qu'aucun  revers  n'avait  pu  faire  plier,  1127.    374. 
se  montra  sensible  h  ces  avances.  Il  se  rendit  au  bord 
du  Rhin ,  la  tête  découverte ,  et  au  bruit  des  boucliers 
que  sa  suite  entrechoquait,  jurer  à  l'empereur,  qui 

•  Aniin.  Marcel.,  1.  xxix,  c.  50. 


122  ÉTABLISSEMENTS  UOMAliNS 

de  Rome   i,^i!c.  affccta  (le  déployer  toute  la  pompe  romaine,  une  fidé- 

1127,  374    Jité  qui  ne  se  démentit  plus  jamais. 

Gratien  fut  laissé  par  son  père  dans  les  Gaules,  où 

1128.  375.  il  apprit  à  la  fois  sa  mort  et  l'élévation  de  son  jeune 

frère  Valentinien  II  à  la  dignité  d'Auguste.  Il  ne  fit 
pas  difficulté  de  partager  l'Empire  d'Occident  avec 
lui. 

Gratien  fut  de  tous  les  généraux  romains  le  der- 
nier qui  mit  le  pied  dans  le  sud  de  la  Germanie.  Avec 
quelque  pompe,  en  effet,  quelepoëte  Ausone*  fasse 
dire  au  Danube  que  là  même  où  il  coule,  au  milieu 
du  pays  des  Suèves,  il  est  déjà  sur  le  territoire  ro- 
main, et  avec  quelque  emphase  qu'il  nous  vante  le 
Rhin  ne  formant  plus  la  frontière  des  Gaules,  il  est 
certain  que  ,  à  l'exception  de  quelques  tours  jetées 
çà  el  là  sur  la  rive  droite  du  fleuve,  là  où  il  pouvait 
offrir  aux  populations  barbares  une  plus  grande  faci- 
lité de  le  traverser,  nul  établissement  romain  n'exis- 
tait plus  depuis  longtemps  sur  cette  rive.  Toutes  ces 
tours,  tous  ces  remparts  furent  même  impuissants  à 
contenir  ces  hordes  toujours  remuantes,  et  qui  pro- 
fitaient de  chaque  circonstance  favorable  pour  venir 
piller  la  rive  gauche. 

Les  Lentiens  que  nous  avons  vu  chasser  de  la 
Rhétie  à  plusieurs  reprises,  ayant  appris  que  Gratien  se 
préparait  à  porter  ses  armes  contre  les  Goths,  traver- 
sèrent, en  effet,  au  commencement  de  la  troisième  an- 
1131.  378.  née  du  règne  de  ce  prince,le  Rhin  couvert  de  glace,  et 
février.      ^^  répandirent  dans  la  Gaule.  Obligés  de  se  retirer, 

'  Ausoiip,  Epigr.  3  et  i. 


DL   UIIIN  ET  DU  DANUBE.  123 

mais  ne  prévoyant  pas  que  l'empereur  pût  leur  oppo-  ^^  r°;,  // ^ 
ser  des  forces  suffisantes,  ils  se  réunirent  de  nouveau  ii3i.  378. 
de  toutes  les  parties  de  leur  territoire,  et  au  nombre 
de  quarante  ou  soixante-dix  mille  hommes,  ils  se 
préparaient  h  recommencer  leur  course  aventurière, 
quand Gralien,  averti,  fit  revenirles  troupes  qui  déjà 
étaient  en  marche ,  et  leur  adjoignant  celles  qu'il  avait 
laissées  en  arrière  pour  la  défense  des  Gaules,  les 
battit  par  ses  généraux  près  d'Argentaria,  sur  le  lac 
Brigantin^  Lui-même,  pour  mettre  un  terme  à  leurs 
déprédations,  rejoignit  son  armée,  dans  l'intention 
de  faire  sentir  aux  barbares  tout  le  poids  de  sa  ven- 
geance. Mais  l'ennemi  lui  échappa  dans  ses  mon- 
tagnes ;  le  jeune  empereur  cependant  les  poussa  si  vi- 
goureusement, qu'il  les  contraignit  à  demander  la  paix 
et  à  fournir  un  contingent  de  troupes  aux  Romains. 

Gratien  poursuivit  alors  sa  route  pour  aller  s'op- 
poser à  l'irruption  des  Goths ,  qui  ravageaient  la 
Thrace,  la  Scythie  et  la  Mœsie,  et  même  les  provinces 
illyriennes  que  parcouraient  aussi  les  Quades  et  les 
Sarmates,  sans  parler  des  Huns,  des  Vandales  et 
des  Marcomans. 

Pour  opposer  une  barrière  à  tant  d'ennemis,  il 
rappela  d'EspagneThéodose-le-Jeune,  auquel  il  donna 
le  commandement  de  ses  armées-  Comme  l'Orient 
venait  de  lui  échoir  par  la  mort  de  Valens,  et  qu'il 
ne  pouvait  supporter  le  poids  d'une  si  grande  monar- 
chie, il  s'associa  bientôt  ce  même  général  à  l'Empire, 


'  Anim.  Marcel.,  1.  xxxi,  c.  10.  Voy.  ci-après  troisième  partie  de 
«■e  Mémoire. 


124  ÉTABLISSEMEINTS  UOMAirsS 

le  Rome,  de^'c.  ^t  luî  doiina  avcc  le  titre  d'Auguste  l'Orient  et  l'illyrie 

1132.  379.  orientale.  Il  revint  en  Italie,  et  bientôt  après  passa 
dans  les  Gaules,  qui  pendant  quelque  temps  lurent 
assez  tranquilles. 

1136  383.  Mais  la  révolte  de  iMaxime  qui  fit  soulever  les  pro- 
vinces rhénanes,  et  qui  se  fit  déclarer  empereur  par 
ses  soldats,  ramena  en  deçà  de  ce  fleuve  les  tribus 
germaines,  etsurtout  les  Francs  qui  alorsmenacèrent 
pour  la  troisième  fois  de  compléter  la  ruine  de  Co- 
logne, et  les  Saxons  qui  recommencèrent  leurs  pira- 
teries sur  les  côtes*. 
25  août.  Gratien ,  tué  à  Lyon,  alors  qu'il  fuyait  vers  l'Italie , 
laissa  l'Empire  à  Valentinien  II,  jeune  enfant  de  douze 
ans.  Théodose  ne  fit  pas  difficulté  de  lui  abandonner 
l'Italie,  rUlyrie  occidentale  et  l'Afrique,  sous  la  tutèle 
de  sa  mère,  tandis  que  Maxime  continua  de  se  sou- 
tenir dans  son  usurpation  des  Gaules,  de  la  Bretagne 
et  de  l'Espagne. 

Mais  l'ambition  de  ce  dernier  n'était  point  satis- 
faite. Ses  projets  de  conquête  sur  l'Italie,  qu'il  pré- 
tendait enlever  au  jeune  empereur,  le  mirent  en 
présence  de  Théodose,  qui ,  se  portant  à  sa  rencontre, 
le  battit  sur  les  bords  de  la  Save  et  à  Pettau.  Maxime 
se  retira  devant  lui  jusque  dans  les  environs  d'Aqui- 

1141.  388.  lée,  où,  battu  de  nouveau  et  tombé  en  son  pouvoir, 
il  paya  de  sa  vie  son  usurpation.  Théodose  lui  fit 
trancher  la  tète  en  sa  présence 2,  et  rétablit  Valen- 
tinien dans  l'Empire  d'Occident,  en  retenant  lui- 
même  l'autorité  que  le  jeune  âge  du  prince  ne  lui 

'  Ambrosius,  ép.  xvii,  p.  215. 

2  Laliniis  Pacatus,  in  Panegf/r..  c.  ii-i'J. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  125 

permettait  pas  encore  d'exercer.  Il  lui  donna  pour  j,  r"'„,  j.Y'c 
aideelpourconseilArbogasle,  général,  sur  la  fidélité  ^i^i-  sss. 
et  le  courage  duquel  il  croyait  alors  pouvoir  compter. 

Valentinien  II  se  rendit  dans  la  Basse-Germanie,  1142.  389. 
pour  présider  à  la  sûreté  de  celte  province  contre 
les  Francs.  Arbogaste  eut  à  combattre  ces  peuples_, 
ainsi  que  les  Bructères ,  les  Chamaves  et  les  Cattes 
même,  qui  tous  alors  étaient  compris  dans  la  coali- 
tion franque  '.  Ce  général  était  lui-même  Franc  d'ori- 
gine, et  d'une  vertu  austère  qui  le  fit  comparer  aux 
Curius  et  aux  Fabricius  de  l'ancienne  Rome.  Mais 
celle  sévérité  et  cette  droiture  qui  lui  avaient  acquis 
l'estime  et  l'amour  du  soldat,  ne  pouvaient  convenir 
au  caractère  de  Valentinien  II,  qui,  à  mesure  qu'il 
avança  en  âge,  conçut  contre  lui  un  plus  grand 
éloignement.  Ils  se  méfiaient  réciproquement  l'un 
de  l'autre;  et  lorsque  l'empereur  mourut  subitement  h^ô.   392 

^   ,T'  rt^-.      il  r  /     /      1  15  mai. 

a  Vienne,  en  392,  Arbogaste  lut  assez  généralement 
soupçonné  d'avoir  causé  sa  perle''^.  Lui-même  cepen- 
dant ne  tenta  pas  de  se  faire  proclamer  empereur, 
soit  que,  parcelle  modération,  il  cherchât  à  écarter 
le  soupçon  qui  pesait  sur  lui,  soit  qu'il  craignît  que 
son  origine  et  sa  religion  fussent  encore  un  obstacle 
à  son  élévation.  Il  fit  tomber  le  choix  de  l'armée  sur 
Eugène,  homme  de  cabinet^  plutôt  que  guerrier, 
dont  il  espérait  régler  la  conduite  dans  les  affaires , 
pour  s'emparer  peut-être  plus  tard  de  ce  qu'il  sentait 

*  Sulpilius  Alexandre,  dans  Grégoire  de  Tovrs,  1.  il,  c.  9. 

2  Voy.  sur  les  opinions  contraires  émises  au  sujet  de  ce  point  d'his- 
toire l'ouvrage  de  M.  Tillemont,  p.  Tloetsv. 

3  Magister  Scrinii. 


Ans  A 

de  Rome,     de 


126  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

;*c.  ne  pas  pouvoir  acquérir  aujourd'hui  avec  assez  de 
1145.  392.  sûreté.  Tout  l'Occident  reconnut  ce  nouvel  empereur, 
à  l'exception  de  l'Afrique  dont  Gildon  était  maître. 
Eugène  proposa  un  arrangement  à  Théodose,  et  cher- 
cha par  ses  ambassadeurs  à  lui  faire  approuver  son 
élection.  Mais  Théodose  rejeta  toutes  ses  offres.  A  la 
tête  d'une  armée  considérable,  grossie  de  différentes 
hordes  de  Goths,  de  Huns  et  d'Alains,  il  se  dirigea  à 
la  rencontre  de  son  rival.  Eugène,  avant  d'entrer  en 
campagne,  voulut  assurer  le  repos  des  frontières, 
et  il  parvint  à  négocier  la  paix  avec  les  Francs  et 
les  Allemanes,  et  même  à  obtenir  d'eux  un  corps 

1147.  394.  d'auxiliaires  ^  Les  deux  armées  en  vinrent  aux  mains 

dans  les  environs  d'Aquilée ,  au  pied  des  Alpes  Ju- 
liennes, théâtre  de  tant  de  combats.  La  bataille,  quoi- 
que vivement  disputée,  fut  perdue  par  Eugène,  qui, 
tombé  au  pouvoir  de  son  vainqueur,  paya  de  sa  tête 
sa  défaite.  Arbogaste,  pour  ne  pas  avoir  le  même  sort, 
se  tua  de  sa  propre  épée^.  Tout  l'Occident,  par  cette 
victoire,  échut  à  Honorius,  jeune  fils  de  Théodose,  qui 
au  commencement  de  l'année  avait  été  nommé  Au- 

1148.  395.  guste.  L'empereur  lui-même  mourut  bientôt  après, 
17 janvier,  jj^jggjjjjt  l'Qrient  à  SOU  fils  aîné,  et  donnant  pour  tu- 
teur à  Honorius ,  Stilicon ,  Vandale  de  nation ,  sous  le 
gouvernement  duquel  les  barbares  commencèrent 
enfin  à  écraser  l'Empire.  Stilicon  renouvela  les  traités 
qu'Eugène  ou  plutôt  son  ministre  avait  faits  avec  les 
peuples  germains.   Mais  bientôt  les  Francs  inon- 


*  Voy.  dans  Grégoire  de  Tours,  1.  ii,  c,  9. 
2  Socrate,  1.  v,  c.  24-. 


DU  RUIN  ET  DU  DANUBE.  127 

dèrent  de  nouveau  les  Gaules,  et  s'avancèrent  jusqu'à  j,  r"'„,  j*;'c. 
Trêves,  qu'ils  détruisirent  de  fond  en  comble.  Les  1152.  399 
Saxons,  de  leur  côté,  pillèrent  les  cotes  de  la  Bretagne, 
et  avec  le  commencement  du  cinquième  siècle,  alors 
que  l'Italie  était  inondée  de  sang  et  de  carnage,  que 
l'Empire  d'Orient  était  lui-même  en  proie  aux  étran- 
gers, tous  les  peuples  de  la  Grande-Germanie,  qui, 
malgré  leurs  irruptions  dans  les  Gaules,  en  avaient 
depuis  quatre  siècles  toujours  été  repoussés ,  fran- 
chirent enfin  le  Rhin ,  pour  ne  plus  le  repasser. 

Déjà  en  376  les  Huns,  peuple  barbare  et  nomade, 
sorti  des  steppes  de  l'Asie,  avaient  donné  à  l'Europe 
la  secousse  qui  devait  changer  sa  face.  Les  historiens 
chrétiens  qui  ont  écrit  les  faits  de  ces  hordes  in- 
domptées n'ont  pas  craint,  tant  était  grande  la  ter- 
reur qu'ils  inspiraient  et  tant  étaient  cruelles  les 
traces  de  leur  passage ,  de  les  décrire  comme  ne 
possédant  que  la  moitié  de  l'humanité  et  de  prétendre 
que  du  commerce  que  le  mauvais  génie  avait  eu 
avec  lesalrunes  au  sein  des  steppes  de  la  Scythie,  ces 
peuples  avaient  tiré  leur  origine.  H  est  probable  que 
leur  coalition  se  composait  de  hordes  scythes,  parthes 
et  indiennes,  qu'un  même  intérêt  rassembla,  et  qui, 
chassées  et  errantes,  trouvant  ouverte  la  route  de 
l'Occident,  vinrent  y  chercher  de  nouvelles  demeures. 
Ils  étaient,  comme  tous  les  barbares,  durs  à  la  fa- 
ligue  et  sans  crainte  des  dangers.  Traversant  la  mer 
Mœotide,  ils  tombèrent  d'abord  sur  les  Alains,  autre 
peuple  scylhe ,  qu'ils  chassèrent  des  terres  qu'ils  habi- 
taient sur  les  rives  du  Don,  et  qui,  forcés  de  reculer 
vers  l'Occident,  tombèrent  à  leur  tour  sur  la  Pannonie 


Ans  Ans 

Je  Rome,     àe  i.  C 


128  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

etsurleNorique.  Refoulés,  d'un  côté  par  les  Romains, 
1152  399.  ç\q  l'autre  par  les  Golhs,  ils  avaient  fini  par  se  jeter 
sur  les  terres  des  Suèves  et  des  Vandales,  et  tous  ^  dès 
lors,  tandis  que  l'Ialie était  inondée  par  ces  derniers, 
et  que,  pour  se  soutenir  contre  eux,  Stilicon  avait 
dégarni  toutes  les  places  du  Rhin,  ils  vinrent  comme 
un  torrent  se  répandre  dans  les  Gaules.  Les  Francs, 
qui  déjà  en  occupaient  une  partie,  voulurent  en  vain 
en  défendre  l'entrée.  Ils  furent  battus,  et  bientôt 
tout  le  cours  du  fleuve ,  toute  la  Gaule ,  furent  cou- 
verts de  ces  étrangers,  auxquels  vinrent  se  joindre 
des  hordes  de  Sarmates,  de  Quades,  de  Gépides  et 
d'Hérules,  et  toute  cette  quantité  de  Saxons  qui  infes- 
tèrent les  côtes ,  et  les  Allemanes  qui  se  répandirent 
jusqu'à  la  Moselle.  iMayence,  la  plus  florissante  de 
toutes  les  cités  romaines  sur  le  Rhin,  fut  prise  et  ra- 
sée le  dernier  jour  de  l'an  406.  Borbetomagus,  après 
1160.  407.  un  siège  long  et  opiniâtre,  fut  obligé  de  se  rendre. 
Argentorat,  Néomagus,  toutes  les  villes  qui,  encore 
florissantes,  élevaient  tout  le  long  du  fleuve  leurs 
remparts,  devinrent  la  proie  des  flammes,  du  meurtre 
et  de  la  dévastation'. La  cité  des  Rauraquesfutanéantie. 
Arias,  Tournay,  Reims  ne  lardèrent  pas  à  être  au 
delà  des  frontières  que  Rome,  en  se  débattant,  avait 
encore  à  défendre  dans  les  Gaules,  où  les  Francs  éta- 
blirent bientôt  leurs  deux  grandes  tribus  de  Saliens 
et  de  Ripuaires.  Tandis  que  les  premiers  plaçaient 
à  Cambrai  le  siège  de  leur  monarchie,  c'était  dans  la 
ville  d'Aggrippine  que  les  seconds  plaçaient  le  leur. 

1  Saint- Jérôme.  Lettre  sur  la  Monogamie,  t.  i  de  ses  œuvres, 
p.  60. 


4ns 
lue.     de  J.  C. 


DU  nUIN  ET  DU  DANUBE.  129 

Les  Bourguignons  acquirent  aussi  des  terres  enjeRu"™ 
deçà  du  fleuve,  et,  comme  les  Francs  au  nord,  ayant  ^i*^^  ^^''• 
pris  pied  dans  les  Gaules,  n'en  quittèrent  plus  le  terri- 
toire. Les  villes  du  Rhin  se  rétablirent,  il  est  vrai; 
et  même  1  autorité  d'Honorius  y  fut  encore  assez 
grande  pour  que  la  constitution  romaine  s'y  main- 
tînt. Mais  ce  pouvoir  ne  fut  plus  qu'éphémère.  Pour 
le  soutenir,  il  fallut  laisser  aux  barbares  la  proie  qu  ils 
étaient  venus  chercher.  En  vain,  sous  le  second  succes- 
seur d'Honorius  \  .îllius,  grand  homme  de  guerre, 
combattit  ces  mêmes  Francs  qui  s'étaient  emparés 
de  Trêves,  et  ces  Bourguignons  qui  cherchaient  aussi 
toujours  à  s  étendre.  En  vain  il  se  lia  plus  tard  adroite- 
ment à  ces  peuples  et  aux  Wisigoths,  pour  s'opposer 
aux  bandes  d'Attila,  dont  le  passage  fut  si  terrible 
aux  villes  du  Bas-Rhin  qui  à  peine  s'étaient  relevées. 
Le  pouvoir  de  Rome  s'affaiblit  de  plus  en  plus  sur 
ces  contrées,  et  lorsque  enûn  ce  grand  homme  reçut 
la  mort  de  la  main  de  l'empereur,  il  n'y  avait  plus 
que  l'espace  des  Gaules  compris  entre  la  Somme  et 
la  Loire  qui  fût  véritablement  encore  une  province 
romaine.  Les  Allemanes  occupaient  les  deux  rives 
duRhin,  depuis  l'Albe  jusqu'au  delà  des  Vosges,  et 
depuis  lors  le  cri  de  l'aigle  expirant  ne  se  fit  plus  en- 
tendre sur  le  fleuve. 

'  Valenlinien  III. 


130  ÉTABLISSEMENTS  KOMAINS 


DEUXIEME  PARTIE. 

ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS  S13II  LE  RHIN. 

§ier. 
ÉTABLISSEMENTS  DE  LABNOBA  ET  DU  NECKER. 

Nous  avons  VU  dans  la  première  partie  de  ce  Mémoire 
que,  lorsque  les  armées  romaines  vinrent  sur  le  Rhin , 
tout  le  cours  de  ce  fleuve  était  habité  par  des  tribus 
germaniques,  devant  lesquelles  leCelte,  premier  ha- 
bitant de  ces  contrées,  s  était  vu  contraint  de  reculer. 
Les  noms  des  localités,  ceux  de  la  plupart  des  rivières, 
des  collines  et  des  villes,  où  le  nouvel  habitant  s'ar- 
rêta ,  surtout  dans  la  partie  sud ,  nous  prouvent  in- 
contestablement cette  succession  de  peuples.  D'ail- 
leurs, dans  les  forêts,  quelques  pierres  brutes  qui 
servirent  aux  sacrifices,  çà  et  là  des  tombes  qui  ré- 
cèlent les  plus  antiques  populations,  ne  nous  ont 
pas  en  vain  montré  leurs  masses  informes  et  leur 
sphérique  gazonnement.  Elles  nous  confirment  la 
possession  du  pays  par  un  peuple  antérieur  au  Ger- 
main, sur  les  traces  duquel  ce  dernier,  laissant  ses 
forêts  vierges,  vint  chercher  de  nouvelles  demeures'. 
Ce  Germain  était  essentiellement  guerrier.  Chaque 
homme  portait  les  armes,  comme  jadis  l'Indien  dans 

'  Voy.  mes  Éfablissements  celtiques  dans   la   Sud-Ouest-Àlle- 
magne  ^  §§  1"  et  3. 


DU  RniN  ET  DU  DANUBE.  131 

les  bois  du  nouveau  monde,  et  comme  1  on  voit  en- 
core dans  la  mer  du  Sud  Ibabitanl  des  îles  ne  jamais 
marcher  sans  les  siennes.  Le  mot  de  Germain ,  nom 
dont  aucun  peuple  de  la  vaste  contrée,  à  qui  les  Ro- 
mains ont  imposé  le  nom  de  Germanie,  ne  sest  ap- 
pelé lui-même  particulièrement,  n'est  donc  que  la 
dénomination  latinisée  du  mot  allemand  guerrier  \ 
épithète  dont  chaque  homme,  chez  ces  antiques  peu- 
plades, était  si  fier  de  se  nommer.  Ils  étaient  tous  en 
effet  guerriers  pour  défendre  les  intérêts  de  leurs 
tribus,  et  toutes  les  nations  étaient  en  armes,  quand 
il  s'agissait  de  marcher  à  l'ennemi.  Aussi  ce  nom  de 
Germains  ne  fut-il  d'abord  donné  par  les  Gaulois 
qu'aux  peuples  avec  lesquels  ils  eurent  les  premiers 
affaire,  c'est-à-dire  à  ceux  qui  vinrent,  les  armes  à 
la  main,  se  répandre  les  premiers  sur  la  rive  gauche 
du  Rhin.  Cela  nous  est  confirmé  à  la  fois  par  Tacite 2, 
qui  cependant  ne  nous  explique  point  l'étymologie  du 
mot,  et  par  César  ^  qui  nous  dit  que  les  Eburons,  les 
Condruses,  lesCœrèses  et  les  Pœmanes,  tous  peuples 

*  Geioehr^  armes,  Mann,  homme,  Gewehrmann,  fVehrmann, 
Germanus,  homme  de  guerre.  Le  célèbre  orientaliste  de  Hammer 
(dans  Kruse's  Àrchiv  fur  alte  Gesc/nchte,  t.  i,  2^  cah.,  p.  134)  a 
dérivé  le  nom  de  germain  du  mot  persan  Dsjermann,  Dsckermanni. 
D'autres,  tels  que  Huschke,  Anton,  Beck,  Ritler,  Schlegel,  Pas- 
sow,  etc.,  l'ont  regardé  comme  synonyme  àefederuti,  confédérés.  Je 
renvoie  le  lecteur  aux  ouvrages  de  ces  savants.  Les  Germains  eux- 
mêmes  s'appelaient,  comme  ils  se  nomment  encore  aujourd'hui, 
Detdsche  ou  Tevtsche,  c'est-à-dire  membres  de  la  grande  nation , 
ou  nationaux  ,  du  mot  Diot  ou  Thiol ,  qui  signifie />?«/> /e  dans  le  dia- 
lecte gothique. 

2  Tacite,  Germania ,  c.  2. 

3  César,  De  Betlo  Ga/l.,  ii. 

I  9. 


1  32  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

qui  les  premiers  vinrent  s'élablir  sur  le  territoire  gau- 
lois, étaient  collectivement  compris  sous  cette  dé- 
nomination. LesRomainsn'ont  donc  point  donné  aux 
peuples  doutre-Rhin  le  nom  de  Germains,  parce  que, 
comme  dit  Slrabon  ' ,  ces  peuples  avaient  une  ressem- 
blance de  mœurs  avec  les  Gaulois,  mais  bien  parce 
que  les  Gaulois  avaient  déjà  coutume  d'appeler  ainsi 
toutes  les  tribus  guerrières  qui  s'étaient,  à  la  pointe 
de  1  epée,  donné  des  demeures  parmi  eux.  Et  ces  na- 
tions, à  leur  tour,  trouvèrent  plus  tard  une  espèce 
de  gloire  à  s'appioprier  un  nom  dont  aucune  de  leurs 
tribus  ne  s'était  particulièrement  appelée,  mais  qui, 
pris  collectivement,  marquait  tout  ce  que  la  patrie 
commune  pouvait  attendre  d  elles  pour  sa  défense. 
Depuis  le  nord  que  battent  les  flots  de  lOcéan  jus- 
qu'aux sommités  des  Alpes,  le  nom  de  Germanie  fut 
dès  lors  donné  à  toutes  ces  terres  habitées  par  les 
tribus  de  la  même  souche,  contre  lesquelles  Rome, 
ainsi  que  nous  l'avons  vu,  combattit,  sans  disconti- 
nuer, pendant  près  de  quatre  siècles  et  demi. 

Les  tribus  germaines  de  la  rive  gauche  du  Rhin 
s'étendaient  depuis  lembouchure  de  ce  fleuve  jusqu'à 
l'Helvétie,  et  à  l'est  depuis  son  cours  jusqu'à  lEscaut 
et  à  la  Meuse.  Le  Rhin,  qui  prendsa  source  aux  plus 
hauts  sommets  des  Alpes  lépontiennes,  et  qui,  d'un 
cours  rapide,  au  milieu  d'une  vallée  profonde  qu'ha- 
bitaient quelques  petits  peuples  rhétiques,  descend 
vers  le  lac Brigantin,  au  delà  duquel  les  Suèvesavaient 
fixé  leurs  demeures,  touchait,  en  quittant  ce  lac  lim- 
pide, le  territoire  des  Helvéïiens  et  des  Rauraques.Re- 

*  Strabon ,  I.  vu. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  133 

montant  au  nord, après  avoir  faitun coude, non  loin 
de  la  métropole  du  dernier  peuple,  il  circulait  dans 
l'immense  vallée  que  dominent,  d'un  côté,  le  mont  Ab- 
noba,  couvert  de  forêts  sombres,  et  au  sein  duquel  le 
Danube  prend  sa  source,  et,  de  rautre,la  chaîne  des 
Vosges, qui, comme  le  premier, était  alois  aussi  cou- 
verte de  forêts.  Là  se  trouvaient  successivement  éche- 
lonnés les  Triboques,  les  Nemètes  et  les  Vangiones, 
trois  tribus  qui ,  à  une  époque  déjà  antérieure  à  l'in- 
vasion d'Arioviste,  s'étaient  emparées  du  ne  partie  des 
terres  que  les  Médiomatrices,  qui  reculèrent  alors 
leurs  frontières  jusqu'au  delà  desVosges,avaientautre- 
fois  possédées  jusqu'au  fleuve.  Ces  Médiomatrices,  qui 
eux-mêmes  faisaient  partie  de  la  Belgique  piemière, 
cultivaient  tout  le  territoire  qui  s'étend  en  deçà  de  ces 
montagnes  jusqu'à  la  Meuse,  et  depuis  le  territoire 
des  Rauraques  jusqu'à  celui  des  Tréviriens.  César  ^ , 
en  parlant  d'eux,  cite  les  trois  peuplades  des  Tri- 
boques, des  Nemètes  et  des  Vangiones,  qui  s'étaient 
associées  aux  entreprises  du  chef  des  Suèves  lorsqu'il 
fondit  sur  la  Gaule.  Pline  ^  atteste  leur  possession 
des  terres  qui  sont  baignées  par  le  Rhin ,  et  Strabon  ^ , 
en  décrivant  la  situation  géographique  des  Médio- 
matrices, parle  aussi  des  Triboques,  nation  qui  s'était 
mêlée  parmi  eux.  Or,quoique  la  coalition  suévique  eût 
entraîné  ces  trois  peuples  comme  auxiliaires,  ils  n'en 
continuèrent  pas  moins,après  que  les  Suèves  et  Ario- 


'  César,  Comment,  i, 
2  Pline,  1.  IV,  c.  16. 
'"'  Strabon,  Géoyr.,  1.  iv. 


134  ÉTABLISSEMEÎNTS  ROMAINS 

visle  se  furent  retirés  au  delà  du  Rhin ,  de  rester  pos- 
sesseurs de  la  plaine  des  Vosges,  tandis  que  les  autres 
peuplades  que  nous  trouvons  nommées  avec  eux  dans 
lesarméesdeceprince,seretirèrenttoutes  des  Gaules 
en  même  temps  que  lui.  Harudes,  Sédusiens,  tous 
repassèrent  le  fleuve  précipitamment  ;  ceux  qui  ne 
purent  assezvite  se  sauver,  furent  décimés  par  le  glaive 
du  vainqueur.  Pour  que  le  même  sort  n'eût  pas  atteint 
les  Triboques,  il  fallait  donc,  qu'ainsi  que  les  Nemètes 
et  les  Vangiones,  le  corps  de  la  nation  habitât  depuis 
un  certain  temps  le  pays,  et  que  ce  qui  parut  d'eux 
dans  les  armées  d'Aiioviste  n'ait  été  qu'un  corps 
détaché  d'auxiliaires,  qui  trouva  refuge  auprès  des 
siens.  Tacite,  qui  lui-même  fut  procureur  de  la  Bel- 
gique, et  qui  devait  avoir  la  plus  grande  connaissance 
de  la  situation  politique  de  ces  peuples,  n'eût  pas, 
en  effet,  en  donnant  la  liste  des  nations  germaines 
de  son  temps,  parlé  des  Triboques,  des   Nemètes 
et  des  Vangiones,  si ,  malgré  le  carnage  que  les  sol- 
dats de  César  firent  de  l'armée  d'Arioviste,  ces  trois 
tribus  ne  s'étaient  pas  soutenues  sur  le  Rhin.  Or, 
pour  qu'elles  aient  pu  continuer  d'habiter  la  Gaule, 
il  faut  qu'elles  y  aient  été  sédentaires,  et  qu'en  se 
soumettant  aux  armes  des  Romains,  elles  aient  ob- 
tenu la  grâce  du  vainqueur.  Et  comme,  d'un  autre 
côté,   s'était  conservé  le  souvenir  de  l'occupation 
de  leurs  terres  par  les  Médiomatrices  au  bord  du 
Rhin ,  il  faut   admettre  aussi  que  cette    prise   de 
possession  de  la  vallée  des   Vosges   par  les    Tri- 
boques, de  la  vallée  du  mont  Tonnère  par  les  Van- 
giones ,  n'avait  pas  eu  lieu  à  une  époque  bien  anté- 


DU  RHIN  ET  DU  DAÎNUBE.  135 

Heure  à  l'arrivée  des  Romains  dans  ces  contrées.  Les 
noms  des  localités  que  Rome  nous  a  transmis  étant 
tous  celtiques ,  il  faut  en  déduire  que  les  habitants  des 
bourgs  qui  les  peuplèrent  avant  l'arrivée  des  Ger- 
mains, y  étaient  en  partie  restés  stationnaires,  tandis 
que  ces  derniers  s'étaient,  selon  les  mœurs  des  Suèves, 
leurs  ancêtres,  répandus  tout  autour  dans  les  vallées 
et  sur  le  revers  des  collines.  C'est  une  observation 
qui  du  reste  sera  commune  à  la  plupart  des  peuplades 
germaines  que  nous  aurons  occasion  de  citer,  qui, 
sans  habiter  d'abord  les  villes  qu'elles  ont  dû  laisser 
aux  habitants  primitifs  qui  se  soumirent  à  elles,  ont 
toutefois  continué  de  nommer  d'après  eux,  les  can- 
tons, les  rivières,  les  torrents,  sur  lesquelsellessont 
venues  poser  leurs  habitations. 

Les  Triboques  habitaient  les  bords  de  l'Ell  * ,  rivière 
qui  prend  sa  source  dans  les  Vosges.  Ils  recouvraient 
de  leurs  tribus  une'grande  partie  de  la  plaine  que 
cette  rivière  arrose,  et  qui  forme  aujourd  hui  la 
partie  la  plus  étendue  delà  plaine  d'Alsace.  Lorsque 
les  Allemanes ,  après  avoir  chassé  les  Romains  de  la 
rive  droite  du  Rhin,  s'y  furent  établis,  et  que,  dans 
leurscourses,  ils  eurent  h  plusieurs  reprises  inondé  de 
leurs  armées  la  rive  gauche  du  fleuve,  ils  s'habituèrent 
à  nommer  les  habitants  des  bords  de  l'Ell  d'un  mot 
pris  dans  leur  langue  et  qui  exprimait  d'une  manière 
précise  la  situation  géographique  de  ce  peuple.  Ceux 
qui  demeuraient  vis-à-vis  d'eux  dans  la  vallée  que 
cette  rivière  arrose,  furent  donc  pour  eux  les  Ell- 

'  Aujourd'hui  l'IU ,  en  latin  Ellum. 


136  ÉTABLISSEMENTS  BOMAIINS 

sassen,  c'est-à-dire  ceux  qui  habitaient  l'Ell.  Comme 
les  Romains  n'ont  jamais  connu  le  pays  sous  le  nom 
d'Elsatia,  que  ce  nom  ne  parut  dans  l'histoire  que 
lorsque  les  Francs  vers  le  nord ,  les  Bourguignons 
au  centre,  et  les  Allemanes  au  sud,  s'établirent  sur 
la  rive  gauche  du  Rhin,  on  doit  le  regarder  en  effet 
comme  implanté  par  ces  derniers  au  commencement 
du  cinquième  siècle,  lorsque  l'aigle  cessa  de  planer 
sur  le  fleuve.  La  tribu  de  la  coalition  allemanique 
qui  vint  alors  s'établir  sur  les  bords  de  l'Ell,  fut  elle- 
même  appelée  du  nom  de  cette  rivière  par  les  nations 
voisines,  de  la  même  souche.  Elle  se  dit  elle-même 
habitante  de  lEll,  comme  son  chef  prit  le  titre  de 
souverain  de  cette  province.  Le  nom  des  Triboques, 
qui  sans  doute  se  mêlèrent  à  cette  nouvelle  popula- 
tion ,  disparut  alors ,  comme  avait  disparu  avant 
eux  celui  des  Médiomatrices  qui  avaient  cependant 
toujours  aussi  dû  rester  en  grand  nombre  dans  les 
bourgs  qu'ils  avaient  élevés. 

Ces  Triboques  recouvraient  toute  l'Alsace,  de- 
puis la  hauteur  de  Brisach  jusqu'à  la  forêt,  alors 
sacrée,  qui  s'étendait  entre  les  deux  petits  ruis- 
seaux du  Sauerbach  et  de  la  Motter,  où  les  Triboques, 
comme  les  Nemètes,  leurs  voisins,  venaient  offrir 
aux  dieux  leurs  sacrifices.  Au  delà  de  ces  lieux  dé- 
serts commençait  le  territoire  des  Nemètes,  qui  lon- 
geait le  fleuve  jusqu'au  cours  du  petit  torrent^  qui  s'y 
jette,  non  loin  de  l'endroit  où  s'établit  plus  tard 
la  station  romaine  d'Altrippe.  De  l'autre  côté  de 

'  Le  Rt'hbach. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  137 

ce  torrent  commençait  celui  des  Vangiones ,  qui 
s'étendait  à  son  tour  jusqu'à  l'embouchure  de  la 
Nava'. 

Lorsque  les  armées  romaines  vinrent  sur  le  Rhin, 
les  bourgades  celtiques  de  Borbetomagus,  de  Neo- 
magus,  de  Saletio,  de  Brocomagus,  d'Hellenum,  exis- 
taient, soumises  à  l'empire  de  cette  nouvelle  popula- 
tion. Les  deux  premières  de  ces  villes  devinrent  même 
sous  les  Romains  les  métropoles  des  Vangiones  et 
des  Nemètes.  Quoique  non  alors  nommées  pai-  l'his- 
torien romain ,  ces  villes  ont  nécessairement  dû  avoir 
une  origine  antérieure  à  l'établissement  des  Germains 
sur  le  Rhin,  puisque  ces  derniers,  s'étant  soumis  aux 
Romains,ontcontinuéd'habi  ter  paisiblement  souseux 
le  pays.  Si  Rome  eût  fondé  ces  villes,  elles  n'eussent 
pas  nécessairement  reçu  d'elle  des  noms  celtiques. 
On  pourrait  au  plus  prétendie  que  des  Gaulois  mé- 
diomatrices  ou  d'autres  sont  de  nouveau  venus  avec 
les  légions  dans  ces  provinces,  et  qu'ils  y  ont  alors 
établi  ces  villes  au  milieu  des  Geimains  qui  mé- 
prisaient ces  enceintes  murées.  Mais  ces  bourgs  eux- 
mêmes  ne  seraient  pas  devenus  les  métropoles  de 
deux  peuples  germains,  si  une  longue  expérience 
n  avait  pas  appris  à  ces  derniers  les  avantages  qu'ils 
pouvaient  leur  offrir,  et  si  ces  nations  n'avaient  pas 
fini  par  prendre  ces  villes  pour  siège  de  leurs  juridic- 
tions. Il  est  bien  plusvraisemblable,au  contraire,  que 
ces  lieux  dataient  de  l'occupation  des  premiers  habi- 
tants celtes  qui ,  pendant  tant  de  siècles,  avaient  ré- 


Nahe. 


138  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

sidé  sur  les  deux  rives  du  fleuve,  avant  que  les  Ger- 
mains ne  vinssent  les  conquérir;  beaucoup  d'entre 
eux,  après  la  conquête,  ont  nécessairement  dû  rester 
dans  ces  bourgs  et  se  mêler  à  leurs  vainqueurs. 

César,  dans  toutes  les  guerres  qu'il  décrit,  ne 
nomme,  il  est  vrai,  aucune  de  ces  bourgades.  Même 
dans  toute  la  Belgique,  il  ne  cite  que  les  deux  seules 
villes  de  Trêves  et  dAtuatuca,  l'une  sur  la  Moselle, 
l'autre  non  loin  de  la  Meuse.  Mais  nous  n'avons  de  lui 
en  général  que  des  descriptions  trop  peu  détaillées  des 
localités ,  pour  pouvoir  déduire  de  son  silence  tou- 
chant les  lieux  qui  se  trouvaient  dans  cet  immense 
territoire,  qu'aucune  autre  bourgade,  à  l'exception 
de  ces  deux  villes,  n'y  aient  jamais  existé  aupara- 
vant. Comme  la  succession  des  deux  peuples,  celte 
et  germain,  nous  a  été  transmise  par  l'histoire,  que 
le  Celte  gaulois  fut  incontestablement  le  premier  ha- 
bitant du  pays,  il  faut  bien,  partout  où  le  nom  des 
villes,  des  montagnes,  des  rivières,  sur  le  territoire 
germanique,  a  une  racine  celtique  qui  s'est  conservée 
sous  l'empire  de  Rome,  admettre  pour  ces  lieux  une 
plus  haute  antiquité  que  la  sienne.  Partout  où  elle- 
même  a  mis  ces  lieux  à  profit,  elle  leur  a  en  effet 
conservé  leur  nom  primitif,  ou  elle  leur  a  donné  le 
nom  du  fondateur  des  colonies  qu'elle  y  transplanta. 
Mayence  même ,  celte  ville  qui  pendant  les  deux 
premiers  siècles  de  son  empire  fut  le  lieu  où  résida 
le  gouverneur  de  la  Haute-Germanie,  ne  dut  pas  à 
Rome  son  origine,  mais  bien  aux  Gaulois  qui  précé- 
dèrent les  Vangiones  et  qui  établirent  là  une  de  leurs 
bourgades  vis-à-vis  du  Mein. 


DU  imiN  ET  DU  DANUBE.  139 

C'est  non  luin  de  celte  ville,  sur  la  rive  gauche  de 
la  Nava,que  commençait  le  teriitoiredesTréviriens, 
Tune  des  peuplades  germaines  dont  la  puissance 
était  la  plus  considérable  lorsque  César  vint  dans  les 
Gaules.  Ils  avaient  pour  voisins  au  sud  les  Médioma- 
Irices,  que  j'ai  déjà  cités,  et  s'étendaient  à  l'ouest 
jusqu'à  la  Meuse,  qui  les  séparait  des  RémiensS  et  à 
l'est  jusqu'au  Rhin.  Dans  le  territoire  qu'occupait 
cette  tribu,  d'autres  lieux  que  les  Gaulois  avaient 
d'abord  habités,  devaient  aussi  être  avec  Trêves  des 
bourgs  non  moins  anciens  que  ceux  du  Haut -Rhin 
que  je  viens  de  mentionner.  Noviomagus,  Dumnuni, 
Antunnacum,  Bodobriga,  Brisiacum,  sont  des  lieux 
essentiellement  celtiques  que  la  nouvelle  population 
avait  dû  laisser  subsister,  et  autour  desquels  elle  avait 
de  préférence  dû  se  répandre  après  avoir  délaissé 
ses  forêts  transrhénanes. 

Au  nord  des  Tréviriens  s'étendaient  les  Eburons, 
les  Condruses,  les  Ségniens,  les  Cœrèses  et  les  Pœ- 
manes  qui,  les  premiers,  comme  j'ai  déjà  eu  l'occa- 
sion de  le  remarquer  plus  haut,  vinrent,  en  traver- 
sant le  Rhin,  s'établir  sur  la  rive  gauche  du  lleuve, 
et  qui ,  avec  le  nom  de  Germains  que  les  Gaulois  leur 
donnèrent,  furent  plus  tard  appelés  du  nom  collectif 
de  Tongres.  La  cité  d'Atualuca,  dont  parle  César,  était 
la  métropole  du  premier  de  ces  peuples,  qui  s'étendait 
autourdessourcesdelaDyleetsurla31euse.Lesautres 
successivement  se  trouvaient  assis  sur  la  Dente,  sur 
la  Rœr  et  sur  le  Rhin ,  où  un  passage  de  César  semble 

*  Ploléméc,  I.  II ,  c.  9. 


140  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

nous  attester  que  les  Condruses  habitèrent  d'abord , 
avant  que  les  Ubiens  n'y  eussent  été  plus  tard  trans- 
plantés. 

Au  nord  des  Eburons  étaient  les  Ménapicns,  autre 
peuple  germain,  s'il  faut  s'en  rapporter  à  Pline  S  et 
qui  habitait  entre  le  Rhin  et  l'Escaut,  séparé  des 
Aduatiques  par  les  deux  rivières  de  Demer  et  de  Ru- 
pel.  Les  Bataves  et  leurs  confédérés  recouvraient  au 
delà  l'île  immense  que  le  Rhin  forme  à  son  embou- 
chure, tandis  que  le  reste  des  terres  que  baigne  l'O- 
céan entre  l'Escaut  et  la  Meuse  était  habité  par  ces 
mêmes  Aduatiques,  connus  plus  lard  sous  le  nom  de 
Bethasiens,  par  les  Nerviens,  par  les  Atrébateset  par 
une  foule  d'autres  petits  peuples  que  l'histoire  men- 
tionne avec  les  Bellovaces  et  les  Moriniens. 

Telle  était  la  population  germaine  du  Rhin  et  de 
la  Belgique  lorsque  César  vint  pour  la  première  fois 
dans  les  Gaules. 

Il  quitta  ce  pays  l'an  50  avant  Jésus-Christ,  et  ce  fut 
l'an  37  avant  la  même  ère  que  Maicus  Vipsanius 
Agrippa  transplanta  de  ce  côté  du  fleuve  les  Ubiens, 
qui  d'abord  avaient  habité  la  rive  droite  du  Rhin 
entre  la  Wipper  et  la  Sieg,  et  qui  s'étendirent  alors 
depuis  la  rivière  d'Ahr^  jusque  vis-à-vis  les  bouches 
de  l'Emserqui,  du  côté  de  l'Allemagne,  se  décharge 
dans  le  Rhin.  Dix  ans  après  eut  lieu  le  partage  des 
provinces  par  Auguste  et  la  formation  des  deux  Ger- 
manies  supérieure  et  inférieure.  La  dernière  de  ces 


'  Pline,  1.  IV,  c.  13. 
-  Obringa. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  141 

provinces  était  bordée  par  le  Rhin  et  avait  pour 
limites  au  sud  la  forêt  des  Ardennes^qui  la  sépa- 
rait de  la  première  Belgique,  et  à  l'est  la  Senne, 
qui  se  jette  dans  1  Escaut.  La  Germanie  supérieure, 
moins  large,  comprenait  alors  le  pays  habité  par  les 
trois  peuplades  des  Triboques,  des  Nemètes  et  des 
Vangiones,  dont  nous  avons  parlé,  le  territoire  des 
Rauraques  et  une  faible  partie  de  celui  de  Trêves, 
au-dessus  de  la  Nava.  Les  Germains,  jusqu'à  cette 
époque,  avaient  vécu  dans  la  Gaule  conformément  à 
leurs  mœurs  d'outre-Rhin ,  fidèles  à  leur  culte,  et  in- 
voquant le  grand  Être  au  sein  et  dans  la  profondeur  des 
forêts  les  plus  sauvages.  Ils  n'avaient  point  eux-mêmes 
bâti  de  villes, et  quoiqu'ils  eussent  mis  h  profit  celles 
qui  déjà  existaient  lorsqu'ils  vinrent  dans  la  contrée, 
la  masse  de  la  nation  ne  les  connaissait  pas.  Comme 
dansleur  patrie  primitive, ils  avaient  dispersé  leurs  de- 
meures, selon  qu'un  plateau ,  qu'une  fontaine ,  qu'une 
toulïedarbresombrageant  un  rocher,  leur  offraient  un 
site  plus  avantageux  ou  plus  agréable.  Leurs  mœurs 
étaient  pures,  mais  agrestes,  et  ils  étaient  plutôt 
exempts  de  vices  que  doués  de  vertus.  Hospitaliers 
pendant  la  paix,  ils  n'en  étaient  que  plus  farouches 
pendant  la  guerre;  pour  eux  le  courage  était  la  pre- 
mière qualité  qui  distinguât  l'homme.  Cette  valeur 
donnait  la  noblesse  et  la  gloire,  tandis  que  la  lâcheté 
entraînait  après  elle  la  servitude  et  la  honte.  Aussi 
chacun  était-il  fier  de  cette  liberté  pour  laquelle  tous 
combattaient,  et  cette  liberté  était-elle  la  première 
base  du  droit  et  de  la  constitution  de  ces  nations. 
La  facilité  avec  laquelle  ces  peuples,  une  fois  sou- 


142  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

mis  aux  Romains,  s'accoutumèrenl  aux  mœurs  de 
leurs  vainqueurs,  et  adoptèrent  leurs  lois  et  leurs 
coutumes,  nous  prouve  toutefois  qu'ils  sentaient  eux- 
mêmes  les  bienfaits  de  cette  civilisation  qu'on  leur 
apportait,  et  que  déjà  ils  avaient  franchi  le  dernier 
degré  de  barbarie.  Ils  avaient  fait  un  pas  de  plus 
que  leurs  frères  d'où  Ire-Rhin  vers  l'état  policé,  et 
ils  avaient  surtout,  pour  le  faire,  été  conduits,  s'il 
nous  est  permis  de  le  conjecturer,  par  ces  mêmes 
Gaulois  qui  étaient  restés  sédentaires  parmi  eux,  et 
dans  les  bourgs  desquels  Rome,  en  apportant  sur  le 
Rhin  sa  civilisation,  plaça  ses  premiers  établisse- 
ments. 

Comme  les  légions  ne  s'arrêtèrent  à  postes  fixes 
sur  le  fleuve  que  sous  le  règne  d'Auguste,  ce  fut  sous 
lui  aussi  que  commença  seulement  à  se  développer 
véritablement  le  régime  romain.  Appelé  lui-même 
dans  les  Gaules  pour  secourir  ces  provinces,  après 
la  défaite  de  LolliusS  Auguste  sentit  l'importance  de 
fortifier  le  Rhin.  Alors  s'élevèrent  déjà  quelques-unes 
des  forteresses  que  Drusus,  auquel  il  laissa,  après 
son  départ,  le  gouvernement  des  deux  Germanies,  lia 
plus  tard  par  d'autres  retranchements.  C'est  Auguste 
qui  choisit  pour  assise  du  principal  camp  qui  s'é- 
leva dans  le  nord ,  la  dernière  colline  des  hauteurs 
qui  s'étendent  entre  le  Rhin  et  la  Nira.  Ce  lieu  devint 
le  siège  de  deux  légions,  et  c'est  là  que  résida  aussi 
le  gouverneur  de  la  Basse-Germanie  jusqu'à  l'époque 
où  la  métropole  des  Ubiens  fut  elle-même  érigée  en 

'  Voy.  première  partie,  p.  7. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  143 

colonie.  C'est  autour  de  ces  remparts,  et  depuis  le 
territoire  des  Bataves  jusqu  à  celui  des  Ubiens,  que 
les  Sicambres,  qui  d'abord,  sur  la  rive  opposée,  ha- 
bitèrent sur  la  Sieg  et  la  Lippe,  furent  plus  tard  ré- 
partis par  Tibère  tout  le  long  du  fleuve,  où  les  Mé- 
napiens  furent  contraints  de  leur  céder  des  terres. 
Ce  sont  ces  peuples  réunis  qui  furent  alors  connus 
sous  le  nom  de  Guguernes.  L  epilhète  de  Vêlera, 
ajouté  au  mot  de  Castra,  dénote  bien,  après  que 
d'autres  places  fortes  du  même  genre  furent  érigées, 
le  rang  d'ancienneté  qu'occupait  la  forteresse  fondée 
par  Auguste,  comme  le  nom  de  cet  empereur  que 
prirent  en  même  temps  les  métropoles  des  Vangiones , 
des  Nemètes  et  des  Rauraques,  prouve  la  prépon- 
dérance de  ces  mêmes  villes  sur  les  lieux  circon- 
voisins. 

Drusus,  selon  le  récit  de  l'historien ,  éleva  tout  le 
long  du  Rhin  cinquante  castels' .  La  plus  considérable 
de  toutes  ces  forteresses  fut  celle  de  Mayence,  qui 
devint  la  principale  place  de  guerre  de  toutes  les 
deux  Germanies  et  la  résidence  du  gouverneur  de  la 
Germanie  supérieure.  Lorsque  les  Marcomans,  quel- 
ques années  après,  épouvantés  du  sort  des  nations 
qui ,  au  nord ,  avaient  eu  à  supporter  le  joug  romain , 
eurent  pris  le  parti  d'émigrer,  et  que,  sous  l'égide 
de  Rome,  des  colons  gaulois  et  romains  vinrent  se 
répandre  dans  les  plaines  et  dans  les  vallées  aban- 
données et  alors  en  majeure  partie  désertes,  le  gou- 
vernement de  la  Germanie  supérieure  s'agrandit  de 

'  Florus,  1.  IV,  c.  1-2. 


144  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

toute  la  partie  d'outre-Rhin  qui  s'étend,  depuis  le 
Mein,  entre  le  Necker  et  le  fleuve,  et  de  la  partie 
sud,  où  se  groupent  les  monts  les  plus  élevés  de 
la  Forêt-Noire,  et  qui  reuiplit  l'angle  formé  par  le 
Rhin  après  sa  sortie  du  lac  de  Constance.  Celte  der- 
nière partie  n'en  fut  séparée  qu  à  l'époque  où  la  Sé- 
quanie  fut  formée  et  où  le  pays  des  Rau raques  lui 
fut  adjoint.  Alors  tout  ce  territoire,  jusqu'à  la  hau- 
teur de  Brisach,  fut  réuni  à  la  Séquanie,  province 
au  sein  de  laquelle  ce  fleuve  coula  dès  lors  depuis 
le  lac  Brigantin  jusqu'aux  frontières  de  la  Germanie 
supérieure.  Diverses  insciiptions  trouvées  dans  ces 
deux  parties  de  la  Germanie  transrhénane,  et  qui 
nous  attestent  que  les  postes  militaires  qui  s'y  trou- 
vaient étaient  formés  parles  détachements  des  légions 
qui  avaient  leur  siège  à  Vindonissa  et  à  Argentoral, 
ne  peuvent,  comme  nous  le  verrons,  laisser  de  doute 
à  ce  sujet. 

Le  pouvoir  que  les  gouverneurs  de  la  Germanie 
supérieure  s'approprièrent  sur  la  rive  droite  du  Rhin 
dut  être  d'abord  simplement  un  pouvoir  protecteur, 
comme  le  fut  celui  qu'exerçaient  dans  le  nord  sur 
les  Bruclères  et  les  autres  peuples  transrhénans  les 
gouverneurs  de  la  Basse -Germanie.  Mais  il  devint 
par  la  suite  administratif,  dès  que  Trajan  eut  réuni 
ce  pays  à  l'Euipire.  Toutes  les  cartes  des  Gaules,  co- 
piées les  unes  sur  les  autres,  et  où  le  Rhin  est 
marqué  comme  la  frontière  de  ces  deux  provinces, 
sont  donc  fausses  à  cet  égard.  Car,  dès  l'an  98  de 
l'ère  chrétienne ,  la  province  de  la  Germanie  supé- 
rieure  touchait  au   gouvernement    de    la   Rhétie , 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  145 

qui,  SOUS  Adrien,  fut  lui-même  partagé  en  Rhétie 
première  et  seconde.  La  première  comprenait  prin- 
cipalement toute  la  partie  sud  qui  touchait  lltalie  et 
les  Alpes  rhétiennes  proprement  dites;  la  seconde, 
l'antique  Vindélicie  et  les  bords  du  Danube,  depuis 
les  monts  Abnoba  jusqu'au  cours  de  l'Enz.  Les  fron- 
tières qui  séparaient  celte  dernière  de  la  Germanie 
supérieure,  et  qui  plus  tard  la  séparèrent  aussi  de  la 
Séquanie,  n'étaient  point  le  Rhin.  Ces  limites  for- 
maient à  peu  près  une  ligne  qui ,  partant  du  fleuve 
plus  bas  que  le  lac  de  Constance,  se  prolongeait  au 
nord  jusqu'auprès  du  Necker,  et,  dans  la  direction 
du  nord -est,  allait  aboutir  au  grand  rempart.  Les 
Vindéliciens,  quoique  enclavés  dans  la  seconde  Rhé- 
tie, nen  continuèrent  pas  moins  de  donner  leur 
nom  à  toute  l'étendue  du  pays  qu'ils  avaient  occupé 
avant  leur  soumission  aux  Romains,  et  nous  trou- 
vons dès  lors  indifféremment  citée  dans  les  annales 
la  province  dont  la  métropole  fut  chef- lieu  du  gou- 
vernement, avec  le  titre  d'Auguste  et  de  colonie, 
tantôt  sous  le  nom  de  seconde  Rhétie,  tantôt  sous 
celui  de  Vindélicie.  Ce  dernier  nom  cependant  ne  fut 
point  employé  dans  l'administration,  du  moins  pen- 
dant les  derniers  temps  de  l'Empire  d'Occident, comme 
nous  le  prouve  la  Notice  de  cet  Empire,  qui,  en  par- 
lant du  gouverneur  de  celte  contrée,  ne  lui  donne 
point  le  litre  de  président  de  la  Vindélicie,  mais  bien 
celui  de  président  de  la  seconde  Rhétie.  La  Vindé- 
licie par  elle-même  comprenait  la  majeure  partie 
du  territoire  de  cette  présidence.  Elle  possédait  la 
colonie  la  plus  florissante  et  la  plus  élendue  de  tout 
I. 


)0 


146  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

le  sud  (le  la  Germanie,  et  cette  ville  était  elle-même 
devenue  l'entrepôt  de  tout  le  commerce  entre  le  Nord 
et  le  Midi.  La  seconde  Rhétie  était  la  province  du  Da- 
nube la  plus  occidentale;  elle  louchait  à  l'est  le  No- 
rique.  qui  lui-même  aboutissait  à  la  Pannonie.  Au  nord 
elle  était  protégée  parle  grand  rempart,  ouvrage  gi- 
gantesque, qui  du  Danube  allait  aboutir  au  Rhin  près 
de  Cologne.  Déjà  sous  Tibère,  dans  le  Nord,  près  de 
Vetera,  avaient  été  formés,  entre  la  Lippe  et  l'Aa, 
quelques  essais  de  retranchements  pour  contenir  les 
Bructères^  Ce  furent  ces  lignes  qui ,  comme  nous  l'a- 
vons vu  dans  notre  précis  historique  des  guerres  ro- 
maines sur  le  Rhin,  ruinées  lors  du  massacre  de 
Varus  et  de  ses  légions,  furent  rétablies  par  Germa- 
nicus  la  quatorzième  année  de  l'ère  chrétienne. 

Lorsque  Rome  eut  dépassé  le  Rhin,  et  qu'elle 
se  fut  aussi  établie  sur  le  Danube,  elle  ferma  de 
même  le  pays  compris  entre  ces  deux  fleuves  par 
un  barrage  qui  devait  à  la  fois  marquer  ses  limites 
et  servir  ensuite  à  la  sécurité  des  habitants.  Déjà 
Domitien  en  avait  élevé  uue  partie  qui,  d'après  l'his- 
torien^ comprenait  un  espace  de  cinquante  lieues. 
Trajan  l'étendit  encore,  et  il  est  du  moins  avéré, 
d'après  Tacite,  que,  lorsqu'il  réunit  h  l'Empire  les 
champs  décumates,  une  telle  ligne  les  protégeait  au 

'  Limes  à  Tiberîo  cœptîis.  Tac,  J7in.,  i,  50. 

2  Imperator  Cœsar  Domitianns  Avgustus,  quum  Germani  more 
suo  et  saltibus  et  obsciiris  latebrîs  subinde  impugnaretit  nostros , 
latiimque  regressum  in  profunda  sllvarum  habere?it,  Ilmitibus  per 
centum  viginti  miUia  passuum  aciis,  non  vnitavit  tantum  stntum 
belti,  sed  subjecit  ditioui  siix  hostis,  quorum  réfugia  nudaverat. 
Fronlini  Slrat.,  i,  c.  .3,  10. 


DU  RIIIN  ET  DU  DANUBE.  147 

nord. Déjà  les  populations  celtiques,  antérieures  aux 
Germains,  avaient  ça  et  là,  comme  nous  l'avons  dit 
dans  un  autre  mémoire',  établi  divers  remparts,  di- 
vers lieux  de  refuge,  dont  les  restes  furent  alors  en 
partie  mis  à  profit  par  les  Romains,  et  sur  les  traces 
desquels,  comme  il  est  facile  de  s'en  convaincre  en 
parcourant  la  ligne  que  suivait  le  grand  rempart, 
ces  derniers  élevèrent  des  camps  et  des  tours,  et 
construisirent  ce  barrage  qui ,  tantôt  simple  re- 
tranchement en  terre,  tantôt  mur  élevé  sur  l'es- 
carpement des  rocs,  ferma  successivement  tout  le 
pays.  Adrien,  qui,  dit  l'historien^,  sépara  souvent 
les  barbares  par  de  grandes  palissades,  à  l'instar 
d'un  mur,  là  où  de  grands  fleuves  ne  formaient  point 
les  frontières,  a  sans  doute  lui-même  donné  ses  soins 
à  cette  barrière  qu'il  était  d'un  si  grand  intérêt  pour 
les  Romains  de  tenir  intacte.  D'autres  empereurs 
ont  probablement  aussi  ajouté,  selon  les  besoins,  à 
la  défense  de  ce  colossal  ouvrage.  Il  est  impossible, 
en  parcourant  la  ligne  qu'il  suivit,  de  ne  pas  s'as- 
surer qu'il  date  de  différentes  époques  et  qu'il  fut 
construit  sur  plusieurs  plans.  D'ailleurs,  ruiné  plus 
tard  parles  Allemanes,  rétabli  en  partie  par  l'em- 
pereur Probe,  il  n'est  pas  étonnant  que  ce  qui  en 
reste  de  vestiges,  quelque  faibles  qu'ils  soient,  ofl're 
des  différences  de  construction.  Partant  tout  près 
de  la  rive  gauche  du  Danube,  à  six  lieues  en  avant 
de  l'antique  Reginum,  et  à  deux  petites  lieues  de 
la  ville  de  Kelheim,  où  se  montrent  les  vestiges  de 


*  Établissements  celtiques  dans  la  Sud  Ouest- Allemagne ,  §  3. 
^  Spartianus.  Voy.  ci-dessus,  première  parlie,  p.  70,  not.  4. 

10. 


I. 


148  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

plusieurs  redoutes  romaines,  qui  devaient  former  un 
triple  barrage  entre  l'AUmùlil  et  le  fleuve,  et  vis-à-vis 
l'antique  Abusina  et  les  deux  villages  de  Weltenbourg 
et  d'Einingen,  où  tant  d'antiquités  romaines  ont  été 
déterrées,  il  prend  la  direction  du  nord^st,  à  travers 
le  ban  du  village  d'Hienheim,  où  son  état  primitif 
peut  encore  être  assez  bien  étudié.  Les  redoutes  as- 
sises sur  le  Danube,  et  qui  formaient  en  avant  du 
fleuve  comme  une  espèce  de  tête  de  pont,  sont  à 
peine  reconnaissables,  tant  les  siècles  et  la  culture 
les  ont  nivelées.  Le  rempart  sur  les  champs  d'Hien- 
heim s'élève  au  contraire  çà  et  là  à  la  hauteur  de  trois 
et  de  trois  pieds  et  demi,  et  il  ofl're  une  surface  de 
dix  pieds  de  large.  Le  mur,  encore  intact  en  plu- 
sieurs endroits,  est  composé  de  pierres  placées  les 
unes  sur  les  autres  sans  ciment  ni  mortier,  à  l'ex- 
ception des  lieux  où  s'élevaient,  de  distance  en  dis- 
lance, les  tours  fortes  qui  le  flanquaient.  Ces  pierres 
sont  brutes  et  toujours  de  l'espèce  de  celles  qui  se 
trouvent  dans  les  lieux  environnants.  On  aperçoit 
aussi  çà  et  là  des  traces  de  fossés  et  des  traces  d'autres 
redoutes  qui,  en  avant  du  rempart,  en  protégeaient 
les  approches.  Les  tours  qui  reposaient  sur  la  mu- 
raille sont  encore  parfois  assez  bien  conservées,  et 
parfois  aussi  se  reconnaissent  les  débris  écroulés 
d'une  échauguelte.  Le  mur  court  ainsi  en  ligne  droite , 
tantôt  traversant  une  vallée,  tantôt  gravissant  le  som- 
met escarpé  d'une  montagne  et  descendant  à  l'op- 
posé ses  flancs  noirs  et  ardus. 

Dès  que  le  rempart  a  atteint  le  territoire  d'Allman- 
stein,  ses  murailles  disparaissent,  et  il  n'est  plus  com- 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  149 

posé  que  de  terres  battues  formant  une  digue  large 
et  haute,  devant  laquelle  ont  aussi  disparu  toutes 
traces  de  fossés.  Il  conserve  ce  caractère  dans  toute 
la  distance  qu'il  parcourt  sur  les  terres  des  deux  vil- 
lages de  Sondersdorfet  de  Schamhaupten,  où  les  tours 
d'observation  qui  le  flanquaient,  et  qui  çà  et  là  sont 
encore  en  partie  conservées,  permettent  d'en  suivre 
la  direction.  Les  traces  de  fossés  reparaissent,  et 
elles  peuvent  être  observées  jusqu'au  château  de 
Kipfenberg,  dont  le  donjon,  principalement  remar- 
quable, peut  être  cité  comme  l'une  des  tours  les  plus 
intactes  de  l'époque  romaine  dans  la  Germanie.  A 
trois  quarts  de  lieue  de  là  s'élève,  sur  une  pile  de 
rocs  escarpés,  le  château  d'Arnsberg  qui,  de  fonda- 
tion romaine,  n'est  cependant  pas  lui-même  en  con- 
tact direct  avec  la  ligne  de  fortification.  En  deçà  du 
rempart  des  traces  d'autres  retranchements,  soit  an- 
térieurs, soit  postérieurs  à  lui, se  remarquent  aussi 
près  du  village  de  Pfahldorf,  qui,  au  delà  de  Kipfen- 
berg, a  incontestablement  pris  son  nom  du  rempart 
même^  La  ligne,  arrivée  à  l'Altmiihl,  reparaît  bien- 
tôt sur  l'autre  bord  de  cette  rivière ,  se  prolongeant 
sur  la  croupe  d'une  colline,  à  laquelle  elle  a  donné 
son  nom-.  Là,  l'antique  fortification  conserve  assez 
généralement  une  hauteur  de  trois  pieds  et  une  lar- 
geur de  dix.  Elle  suit  alors  la  direction  d'Hirnstet- 
ten,  et  traverse  le  territoire  des  deux  communes 

'  Il  en  esl  de  même  de  Pfalilheim,  Pfahlbronn,  Polgœnz,  Pfahl- 
lœcker,  Pfalilfeld ,  Pfahhviesen  ,  Pfahlbriinnchen ,  Pfahlholz  ,  etc. ,  tous 
lieux  qui  touchent  ou  avoisinenl  le  rempart. 

2  Pfahlbuck. 


I  50  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

d'Eckertshofen  et  de  Raitenbuch,  où  se  joint  à  elle 
une  ancienne  chaussée  romaine,  et  où  se  trouvent 
surtout  un  nombre  considérable  de  tombes  antiques. 
Elle  va  ensuite,  en  avant  de  Weissenbourg,  ancien 
camp  romain,  atteindre  le  territoire  d'Hœllingen  et 
de  Walkerszell,  et,  se  dirigeant  sur  Riedern,  Pfofeld 
et  Giinzenhausen,  joint  le  village  de  Leilenfeld,  où 
elle  quitte  la  direction  primitive  du  nord-ouest  pour 
former  un  angle  contraire  vers  le  sud-ouest. 

Se  prolongeant  ensuite,  au  nord  d'Heselberg,  dans 
la  direction  de  Mœnchsrolh,  elle  va  joindre  le  ha- 
meau d'Eck,  et,  passant  près  des  ruines  du  château 
fort  d'Hallheim,  touche  Pfalheim  et  Rohlingen,  dé- 
fendu en  seconde  ligne  par  la  tour  forte  de  Baldern. 
De  là,  le  rempart  va  par  Dalkingen  joindre  le  cours 
du  Jaxt  et  atteindre  au  delà  l'ancien  camp  romain 
de  Buch,  dont  l'enceinte  est  encore  tracée  en  partie. 

II  traverse  ensuite  la  Rocher  entre  Hûtling  et  Trau- 
bensmuhle,  passe  sous  les  ruines  d'une  tour  près  de 
Treppach,  et  va  aboutir  au  cours  de  la  Rems,  dont 
il  suit  la  direction  à  quelque  distance  jusqu'à  Lorch 
(l'antique  Laureacum),  où  finit  le  rempart  qui  bor- 
dait la  Rhétie.  La  culture  dans  le  val  de  la  Rems  a  en 
partie  fait  disparaître  ses  traces  ;  mais  ou  ne  les  re- 
trouve que  plus  expressivement  marquées  lorsqu'on 
s'élève  plus  loin  sur  les  hauteurs  qui  s'étendent  entre 
celte  rivière  et  la  Lein ,  où  d'un  mille  romain  à  l'autre 
se  remarquent  chaque  fois  encore  quelques  restes  des 
fortificationsqiiiflanquaientlamuraille.  Là,  il  continue 
sa  direction  à  l'ouest,  et,  descendant  le  val  escarpé 
du  Becherlech,va,  parla  commune  de  Wùstenrielh  et 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  151 

par  les  villages  de  Rleindeinbacli  et  de  Hangendein- 
bach,  aboutira  l'ancien  poste  romain  que  nous  venons 
de  citer,  et  qui  était  à  la  fois  placé  aux  frontières  de 
la  Haute-Germanie  et  de  la  seconde  Rhétie. 

Plusieurs  parties  de  l'immense  ligne  que  nous 
venons  de  suivre  servent  encore  aujourd'hui  dévoie 
de  communication  entre  les  diverses  communes 
qu'elle  traverse.  On  ne  peut  douter  même  que  dans 
l'antiquité  la  plus  grande  partie  du  rempart  n'ait 
été  ainsi  rendu  praticable  à  son  sommet.  C'est  ce  qui 
peut  surtout  être  le  mieux  étudié  près  de  Lorch,  oui 
nous  nous  sommes  arrêté,  et  où,  en  effet,  la  limite 
antique  a  tout  le  caractère  d'une  chaussée.  Je  suis  loin 
cependant  de  partager  l'opinion  de  quelques  écrivains 
qui,  dans  tous  ces  vestiges,  n'ont  voulu  voir  que  les 
traces  d'une  ancienne  route  romaine.  Cela  devient 
physiquement  impossible,  si  l'on  songe  que  le  rem- 
part prend  souvent,  ainsi  que  nous  l'avons  observé, 
sa  direction  en  ligne  droite  sur  des  montagnes  telle- 
ment escarpées  qu'il  est  impossible  qu'il  ait  pu  là 
servir  aux  communications.  Mais  il  est  d'une  autre 
part  incontestable  que  dans  beauconp  d'endroits,  et 
surtout  dans  plusieurs  parties  entre  Lorch  et  Lellen- 
feld ,  il  a  dû  être  mis  en  usage  par  les  Romains  pour 
communiquer  d'un  camp  à  l'autre.  Les  terres  qui  là,  en 
effet,  ont  été  amoncelées  pour  le  former,  soutiennent 
elles-mêmes  une  masse  de  pierres  plus  ou  moins 
fortes  sur  lesquelles  repose  un  pavé  qui  est  généra- 
lement large  de  douze  h  quatorze  pieds.  L'élévation 
de  la  voie  elle-même  varie  d'un  à  cinq  pieds,  ce  qui 
provient  en  partie  de  son  plus  ou  moins  de  destruc- 


152  ETABLISSEMENTS  ROMAINS 

lion,  et  plus  souvent  encore  des  circonstances  stra- 
tégiques qui  l'ont  un  jour  fait  construire.  Cependant, 
tandis  que  les  voies  romaines,  là  où  il  était  possible, 
prenaient  leur  direction  en  ligne  droite,  et  là  où  le 
terrain  était  trop  escarpé  formaient  une  courbe,  afin 
de  faciliter  les  communications,  on  voit  ici  le  rem- 
part suivre  cette  même  ligne  droite  à  travers  les  val- 
lées et  sur  les  plus  hautes  sommités,  et  là  où  il  dé- 
laisse cette  marche  alignée,  former  alors,  au  lieu  de 
cette  courbe,  des  angles  droits  et  saillants.  Ainsi,  Ton 
peut  dire  en  général  que  tantôt  la  digue  servait  de 
chaussée  en  même  temps  que  de  rempart,  tantôt 
seulement  de  barrage  pour  marquer  la  limite  et  la 
défendre.  C'est  ce  que  va  suitout  nous  prouver  la 
partie  nord  du  rempart  dont  nous  allons  suivre  les 
traces. 

C'est  à  Laureacum  que  se  terminait  la  limite  rhé- 
lique';  c'est  là  aussi  que  commence  celle  qui  court 
à  quelques  lieues  en  avant  du  Necker,  et  qui,  vu  sa 
position  parallèle  à  cette  rivière  et  au  Rhin ,  fut  elle- 
même  connue  sous  le  nom  de  limite  transrhénane  ^. 
En  comparant  les  deux  modes  de  construction  de 
ces  deux  parties,  il  est  certain  qu'elles  datent  de 
deux  époques  différentes.  Ici,  en  effet,  toute  trace 
de  muraille  disparaît;  ce  n'est  plus  qu'une  simple 
digue  en  terre  qui,  là  où  les  siècles  l'ont  le  moins 
fait  ébouler,  conserve  encore  une  hauteur  de  dix  à 
douze  pieds  du  côté  extérieur  et  de  quatre  à  l'inté- 

'  Limes  rheticus.\oy .  Vopiscus,  /lia  ./ureliaui,  \'.\:  iilciii,  /  lia 
Hrm.  Satiirn.  Procul.  et  Bonos.,  c.  15. 
"^  Limes  transrhenanus.  Vov.  Pollion 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  153 

rieur.  Le  haut  offre  une  surface  large  de  quatre  à 
cinq  pieds,  tandis  que  la  base  en  a  de  vingt-cinq  à 
trente.  Un  fossé  qui,  lui  aussi,  n'a  pas  moins  de 
vingt -cinq  à  trente  pieds  de  largeur,  le  suit  dans 
presque  toute  sa  direction.  Nulle  part,  du  reste,  se 
remarque  le  moindre  vestige  de  chaussée  et  de  pa- 
vage. Seulement  de  mille  pas  en  mille  pas  l'on  ren- 
contre les  débris  de  petites  échauguettes. 

Le  rempart  ainsi  construit  part  de  Lor  ch  dans 
la  direction  du  nord  et  suit  celte  direction  jusqu'à 
Pfahlrain,  où  il  forme  un  angle  rentrant;  après 
quoi,  remontant  en  ligne  droite  à  travers  hauteurs  et 
vallées  jusqu'à  Welzheim ,  où  les  Romains  avaient 
un  caslel ,  il  va  joindre  le  torrent  de  la  Mourr 
par  Seiboldsweiler,  Eckartsweiler,  Gausmansweiler, 
Spatzenhof  et  d  autres  lieux.  Sur  le  torrent  même 
était  le  camp  de  Mourrhart.  Au  delà,  le  rempart  tra- 
verse le  mont  Linders  et  passe  sur  les  territoires  de 
Seligsberg,  de  Steinenberg,  de  Graab  et  de  Main- 
hard,  où  existait  un  camp.  De  là ,  il  se  prolonge  jus- 
qu'à Pfedelbach  et  à  OEhringen,  petite  ville  du  Hohen- 
lohe,  placée  sur  les  ruines  d'un  ancien  camp.  De  ce 
dernier  lieu  il  se  dirige  sur  Pfahlbach  et  va  gagner 
Jaxthausen,  lieu  essentiellement  romain,  où  un  troi- 
sième camp  existait. 

En  avant  de  la  ligne  que  nous  venons  de  suivre 
pendant  plus  de  soixante  lieues,  se  remarquent  aussi 
depuis  Detlingen,  auquel  vient  aboutir  d'OEhringen 
une  ancienne  chaussée  romaine ,  les  traces  d'un  autre 
rempart  qui,  coupé  lui-même  par  la  Kocher,  dont  il 
suit  d'abord  le  cours,  et  se  prolongeant  entre  cette 


154  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

rivière  et  la  Bûhler,  vient  joindre  cette  dernière  à 
Biiiilerthurm,  et,  formant  un  angle  à  l'est,  aboutit 
au  Jaxt  prèsd'Heersbiihl.U  passe  ensuite  sur  le  terri- 
toire de  Rechenberg  et  forme  une  courbe  pour  aller 
rejoindre   le   rempart   rhétique   à   Wilburgstetten. 

Cette  ligne  antique  n'a  jamais  été,  comme  celle  de 
Lor  ch,  à  Jaxthausen,  qu'un  terrassement  en  terre, 
flanqué  çà  et  là  de  fortifications,  et  a  dû  nécessaire- 
ment avoir  une  origine  antérieure  ou  postérieure  à 
la  grande  enceinte  que  nous  avons  d'abord  suivie. 
Comme  cette  frontière  fut,  surtout  depuis  la  forma- 
tion de  la  coalition  aliemanique,  le  théâtre  de  guerres 
réitérées  et  de  maints  combats  successifs,  il  n'est  pas 
étonnant  qu'on  retrouve,  non-seulement  en  avant, 
mais  même  en  arrière  du  grand  rempart,  d'autres 
traces  de  fortifications,  qui  tantôt  durent  avoir  été 
élevées  en  présence  d'un  ennemi  actif,  tantôt  pen- 
dant les  intervalles  que  laissaient  les  attaques. 

En  arrière  de  cette  ligne  avancée  et,  par  consé- 
quent, entre  les  deux  remparts,  se  trouve  la  petite 
ville  de  Hall  avec  ses  salines,  lieu  qui,  après  que  les 
Romains  eurent  abandonné  le  pays,  servit  de  limite 
entre  les  Bourguignons  et  les  Allemanes,  et  qui  est  l'en- 
droit cité  par  Ammien  Marcellin  comme  ayant  donné 
lieu  pour  sa  possession  aux  guerres  que  ces  deux 
peuples  eurent  entre  eux.  Cette  partie  du  rempart 
serait  donc  le  palas  ou  capellalium  de  l'auteur  latin  \ 
c'est-à-dire  le  Pfafilgraben,  la  limite  qui  fut  un  jour 


1 


liegio  cui  cnpellatii  vel  palas  nomen  est,  ubi  terminaleslapides 
Allamanorum  et  liurgimdiorum  conjinia  distingmbant .  Amni.  Mar- 
cel., 1.  xviii,  c.  2. 


DU  RBIN  ET  DU  DANUBE.  155 

celle  de  Rome,  et  que  les  légions  touchèrent  de  nou- 
veau après  avoir  défait  les  Alleinanes  sur  le  Necker.  Ce 
dernier  peuple  s'était  assis  sur  la  partie  du  rempart 
que  nous  venons  de  parcourir,  tandis  que  les  Bour- 
guignons s'étendaient  plus  au  nord ,  depuis  ces  mêmes 
salines  jusqu'au  delà  du  Jaxt,  où  la  limite  antique 
prend  de  nouveau  un  tout  autre  caractère.  Nous  tou- 
chons, en  eiYet,  rOdenwald,et  c'était  sur  les  hauteurs 
qui  dominent  la  région  basse  du  Mein  qu'étaient  les 
plus  importantes  fortifications,  tandis  que  de  Jaxt- 
hausen  le  rempart  allait  presque  en  ligne  droite,  par 
Osterbùrken,  Bœdigheim,  Walldurn  et  Amorbach , 
joindre  la  courbe  que  forme  cette  rivière  au-dessus 
de  Miltenberg.  Toutes  les  tours  fortes  qui,  en  arrière 
de  cette  ligne,  devaient  protéger  labord  des  mon- 
tagnes, au  cas  où  le  rempart  serait  rompu ,  n'ont  pas 
encore  disparu;  plus  d'une  nous  montre  encore  ses 
ruines  aussi  pittoresques  qu'imposantes'. 

*  On  a  voulu  voir  dans  celte  réunion  de  lours  fortes ,  aux  confins 
mêmes  du  pays  qu'liaiiilèrent  les  Bourguignons ,  une  preuve  de  l'asser- 
tion d'Orose  qui ,  de  ces  fortifications ,  dériva  le  nom  de  Burgundes , 
dont  ce  peuple  fut  appelé  (du  mot  allemand  Burg ,  forteresse  en  gé- 
néral, que  nous  traduisons  par  château  fort,  tour  forte,  donjon,  etc.). 
Les  Grecs  le  traduisirent  par  Truoyoç,  et  les  Latins  par  bunjus.  Ceux 
qui  ont  au  contraire  voulu  dériver  ce  mol  du  grec ,  n'ont  pas  réfléchi 
que  plusieurs  localités  en  Germanie,  citées  par  Tacite,  telles  qu'Asci- 
bourg,  Teulobourg,  etc.  (Tacit.,  Germania,  c.  3;  HUt.,  1.  iv,  c.  33; 
Annal.,  1.  i,  c.  9|,  avaient  cette  finale,  même  avant  l'arrivée  des  Ro- 
mains dans  le  pays.  Ce  mot,  que  le  peuple  vainqueur  adopta  des  Ger- 
mains ,  devint  significatif  dans  sa  langue  militaire ,  comme  le  mol  de 
blockhaus  y  essentiellement  allemand,  est  devenu  significatif  dans  la 
langue  militaire  des  Français. 

Voici  le  passage  d'Orose  : 

« Iios  quo7idam  subacta  interiore  Germania  a  Druso  et 


i56  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

La  défense  de  cette  partie  des  frontières  offre  ici 
un  caractère  bien  autrement  redoutable  que  celle 
du  Necker;  elle  était  essentiellement  appropriée  à  la 
stratégique  d'un  pays  montueux.  Il  était  facile  aux 
Romains,  du  haut  de  ces  créneaux,  de  correspondre 
par  signaux,  dans  le  cas  où  l'ennemi  serait  venu  à  se 
montrer  sur  l'un  des  pointsque  ces  tours  observaient, 
et  de  se  porter  alors  en  nombre  au  devant  du  passage 
menacé.  Aujourd'hui  encore  se  distinguent  comme 
restes  de  toutes  ces  fortifications  les  châtels  de 
Schlossau,  d'Hesselbach ,  de  Wurzberg,  d'Eulbach, 
deVielbrunn,  de  Lûzelbach,et  surtout  le  point  le 

€  Tiberio  adoptivis  Jiliis  Cxsaris  per  castra  dispositos  in  maynam 
icoaluisse  gentem  ,  ctque  etiam  nomen  ex  opère  prxsvtnsisse  quia 
«  crœbroper  limitem  habitacula  constituta ,  burgos  vacant. t  (Orose , 
7,  32.) 

Isidore,  après  lui,  répèle  les  mêmes  paroles  dans  ses  Origines  (ix, 
2,  99;  4,  28). 

Il  est  très-probable ,  en  effet ,  que  la  position  que  les  Bourguignons 
prirent  à  la  fin  du  troisième  siècle  au  milieu  des  castels  qui  flanquaient 
le  grand  rempart,  ancienne  limite  de  l'Empire,  que  Drusus,  comme 
nous  l'avons  vu,  avait  effectivement  commencé  à  fortifier  sur  le  Tau- 
nus  ,  deux  siècles  auparavant ,  ait  donné  lieu  à  l'assertion  de  l'histo- 
rien (voy.  à  ce  sujet  Valesius,  dans  ses  Notes  sur  Morcellin,  1.  iv, 
c.  32).  Mais  nous  savons,  d'un  autre  côté,  par  Pline  le  naturaliste  (Hist. 
nat.,  1.  IV,  28),  que  ces  Bourguignons  faisaient  eux-mêmes  partie  des 
peuples  Yindiles ,  habitant  au  delà  de  l'Oder,  où ,  en  effet ,  les  place  le 
géographe  Ptolémée  (2,  H).  (Ce  dernier  les  appelle  RuyowToi.)  Ni 
Drusus  ni  Tibère  n'ont  jamais  pénétré  dans  la  Germanie  au  delà  de 
l'Elbe;  ils  n'ont  donc  pu  favoriser,  comme  Orose  le  prétend  (sans  doute 
d'après  une  tradition),  le  développement  de  la  nation  bourguignonne, 
dont  le  nom,  bien  plus  probablement,  vient,  comme  je  l'ai  écrit  dans 
mon  Histoire  des  Germains  (c.  16,  p.  117),  des  deux  mots  bor  ou 
ôwr,  forêt ,  et  gund,  guerrier,  du  grand  nombre  de  forêts  dont  était 
couvert  le  pays  d'où  ce  peuple  vindile  était  sorti. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  157 

plus  fort  que  les  Romains  aient  eu  sur  le  Mein,  le 
château  d'Obernbourg ,  dont  la  position  est  si  pitto- 
resque. 

Au  delà  du  Mein,  le  rempart  peut  de  nouveau  s'ob- 
server. D  abord  il  ne  s'en  découvre  que  des  traces 
assez  faibles;  mais  bientôt  ces  traces  deviennent  plus 
apparentes,  et  elles  sont  partout  désignées  sous  le 
nom  de  Pol,  Pfahl,  Pfahlgraben,  que  le  rempart 
porte  aussi  en  avant  du  Danube.  La  ligne  va  atteindre 
les  hauteurs  du  Taunus,  en  se  liant  aux  divers  restes 
de  fortifications  de  la  Nidda  et  à  celles  que  présente 
encore  le  Hûttenberg. 

D'abord  elle  circule  en  courbe  légère  sur  les  hau- 
teurs du  Spessart ,  et ,  passant  devant  Orb ,  petit  bourg 
célèbre  par  la  bataille  qui,  en  406 ,  se  donna  dans  ses 
environs  entre  les  Vandales  et  les  Francs,  elle  atteint 
le  petit  torrent  de  la  Kinzig,  auquel  elle  donne  pas- 
sage, et  va  joindre  le  fort  d'Arnsbourg.  De  Là,  non 
loin  du  village  de  Polgœnz,  elle  passe  sous  la  tour 
antique  de  Butzbach,  et,  plus  loin,  sous  les  murs 
écroulés  de  Kapersbourg  et  de  Salbourg,  où  elle  at- 
teint le  fïanc  droit  des  montagnes.  La  direction  du 
rempart  à  l'ouest  est  alors  assez  droite  jusqu'à  Kemel  ; 
il  était  protégé  en  arrière  par  quatre  camps,  dont  la 
position  et  les  ruines  peuvent  encore  être  étudiées,  et 
en  avant  par  un  autre  camp,  près  de  Camberg,  et 
surtout  par  les  fortifications  d'Idstein.  L'un  et  l'autre 
protégeaient  la  courbe  légère  que  le  rempart  fait  à 
sa  descente  dans  la  plaine,  fermant  ainsi  toute  la 
frontière  de  la  Wettera vie,  et  présentant  en  avant  de  la 
Lahn  une  suite  de  retranchements  qu'il  liait  à  ceux  du 


158  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Mein.Sur  toute  cette  ligne,  partout  où  les  restes  du 
rempart  peuvent  encore  être  étudiés,  l'on  voit  qu'il  n'é- 
tait formé  que  par  une  digue  gazonnée,qui  reposait 
sur  une  base  murée,  mais  que  là  où  le  passage  était 
le  plus  dangereux,  il  était  même  souvent  muré  en 
entier. 

Le  peuple  qui  d'abord ,  en  arrière  de  ce  retranche- 
ment, habitait  la  plaine  du  Rhin,  était  les  Usipètes , 
qui  furent  chassés  de  leurs  terres  cinquante-huit  ans 
avant  1  ère  vulgaire.  Pendant  trois  ans  ils  errèrent 
dans  les  forêts  germaniques,  jusqu'à  ce  qu'en  55 
avant  Jésus-Christ,  ils  tombèrent  sur  la  rive  gauche 
du  Rhin,  après  la  victoire  que  César  venait  de  rem- 
porter sur  les  Belges.  Ils  demandèrent  au  procon- 
sul la  permission  de  s'y  établir.  Mais  César,  qui  ve- 
nait de  terrasser  les  peuples  des  Gaules,  redouta 
ces  étrangers  turbulents,  qui  demandaient  un  asile 
les  armes  à  la  main.  Il  refusa  leur  prière,  et  les 
contraignit  de  repasser  le  fleuve,  où  nous  les  re- 
trouvons plus  tard  sur  le  Bas-Rhin  avec  les  Tench- 
tères,  et,  après  l'émigration  des  Ubiens,  entre  la 
Sieg  et  la  Lahn.  Les  Suèves,  d'un  autre  côté,  qui, 
battus  par  César,  s'étaient  retirés  dans  le  cœur  de  la 
Germanie,  avaient  laissé  désertes  toutes  les  plaines 
du  Rhin,  et  il  est  probable  que,  jusqu'à  l'époque  peu 
antérieure  à  celle  où  Drusus  vint  à  Mayence  et  forma 
de  cet  ancien  bourg  celtique  la  principale  forteresse 
romaine  sur  le  Rhin ,  le  pays  sur  la  rive  droite  resta 
inhabité. 

Mais  à  la  place  de  la  coalition  suévique,  qui  s'était 
dissoute  après  la  vaine  tentative  qu'elle  avait  faite  de 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  1  59 

se  rendre  maîtresse  des  Gaules,  s'étaient  formées, 
comme  nous  l'avons  vu ,  lorsque  les  Germains  re- 
connurent le  danger  que  leur  offrait  le  voisinage  de 
Rome,  au  nord  la  ligue  des  Chérusques  et  au  sud 
celle  des  Caltes. 

Parmi  les  nations  qui  composaient  cette  dernière 
coalition  étaient  les  Mattiaques  qui,  voyant  libre  la 
position  du  Taunus,  s'en  approchèrent  à  leur  tour 
pour  s'y  établir.  Ils  s'y  étaient  du  moins  répandus, 
lorsque  Drusus  prit  le  commandement  des  armées 
romaines  sur  le  Rhin,  et  que,  pour  protéger  la  place 
d'armes  de  Mayence,  il  commença  à  fortifier  la  crête 
de  cette  chaîne  de  montagnes.  L  irruption  que  les 
Caltes  entreprirent  avant  que  la  ligne  ne  fût  en  état 
de  les  contenir,  causa  sans  doute  alors  la  ruine  de 
ces  divers  travaux.  Cependant  ce  fut  cette  même 
ligne  que  Germanicus  fit  plus  tard  rétablir,  après 
avoir  repoussé  l'ennemi  au  delà  de  lEder,  et  après 
avoir  brûlé  sa  principale  bourgade,  à  laquelle  Tacite 
donne  le  nom  de  Matlium. 

Tibère  sut  profiler  pendant  son  séjour  en  Germa- 
nie de  la  jalousie  qui  régnait  entre  Ségesle  et  Her- 
niann,  pour  attirer  à  son  toui-  à  l'alliance  des  Ro- 
mains ceux  des  peuples  qui  tenaient  le  parti  du  pre- 
mier. De  ce  nombre  étaient  ces  mêmes  Maniaques, 
dont  il  sut  alors  engager  une  partie  à  venir  en  deçà 
du  rempart  cultiver  les  terres  qui  étaient  en  friche 
entre  le  Rhin  et  le  Taunus.  Leur  métropole  s'éleva 
sur  le  rempart  même  du  fort  de  Drusus,  situé  vis-à 
vis  de  Mayence,  sur  la  rive  opposée  du  fleuve,  où  une 
foule  d'inscriptions,  que  nous  aurons  plus  tard  occa- 


160  ÉTABLISSEMENTS  ROMATNS 

sion  de  citer,  sont  venues  nous  attester  cette  antique 
colonisation.  Ils  avaient  leurs  propres  magistrats, 
des  règlements  municipaux  à  l'instar  de  ceux  des 
Romains,  et  des  duumvirs,  des  décurions,  des  édiles, 
des  curateurs  et  des  sévirs  augustaliens,  répandus 
dans  les  différents  bourgs  qui  alors  couvrirent  ce 
territoire,  sur  lequel  Rome  semble  n'avoir  exercé 
qu'un  pouvoir  protecteur.  Un  de  ces  derniers  muni- 
cipes  s'élevait  non  loin  du  moderne  Wiesbade,  près 
duquel,  comme  nous  l'avons  dit,  le  rempart  venait 
aboutir  à  Kemel. 

Là ,  cette  ligne  remonte  dans  la  direction  du  nord- 
nord-ouest  par  les  communes  de  Steig  et  d'Holz- 
bausen,  où  les  ruines  d'un  castel  sont  encore  debout 
au  milieu  des  forêts  du  Hasselberg.  Au  sud  de  cette 
même  ligne,  on  peut  encore  facilement  distinguer  la 
double  enceinte  qui  formait  la  frontière  entre  les 
Usipètes,  les  Mattiaques  et  les  Cattes,  en  dehors  de 
la  ligne  romaine.  Le  rempart  passe  ensuite  sur  le 
territoire  du  village  de  Pohl,  sur  celui  de  Marienfels, 
où  une  tour  romaine  s'élevait  jadis,  sur  celui  deDorn- 
holzhausen,  non  loin  duquel  les  restes  d'une  autre 
tour  se  découvrent  aussi,  puis  à  Schweighausen  et  à 
Becbel,  où  l'angle  qu'il  forme  était  défendu  par  un 
camp.  Il  va  alors  aboutira  Spies,  lieu  où  les  Romains 
eurent  aussi  un  poste  militaire,  et,  donnant  passage 
à  la  Lahn,  se  dirige  sur  Ems,  d'où,  remontant  au 
nord  dans  la  direction  du  Rhin,  il  va  presque  en 
ligne  droite  aboutir  à  la  commune  de  Rheinbreit- 
bach.  Du  bourg  d'Ems  à  ce  dernier  lieu  quatre  tours 
fortes  llanquaient  le  rempart;  celle  d  Alteck  est  sur- 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  161 

tout  remarquable.  La  ligne  contournait  alors  les  sept 
montagnes,  sur  le  flanc  desquelles  se  montrent  aussi 
les  débris  d'un  camp,  et  allait,  dans  la  direction  de 
Siegbourg  et  en  avant  de  lAgger,  joindre  enfin  le  Rhin 
au-dess  us  de  Cologne,  près  du  village  de  Poil,  dont 
le  nom  indique  assez  l'origine  antique,  et  qui  ne 
peut  laisser  de  doute  sur  la  direction  du  rempart  dans 
la  plaine,  quoique  ses  traces  soient  effacées. 

Cependant,  si  l'on  suit  l'Agger,  d'autres  tours  ro- 
maines, d'autres  vestiges  de  rempart  se  retrouvent 
encore  qui,  sans  doute,  d'une  plus  antique  oiigine, 
doivent  remonter  aux  temps  où  Drusus,  Germanicus 
et  Tibère  étaient  sans  cesse  aux  prises  avec  les  Tench- 
tères  et  les  Sicambres.  Mais  ces  fortifications  ont  un 
tout  autre  caractère.  Elles  n'ont  jamais  formé  les 
frontières  romaines  comme  celles  du  grand  rempart. 
C'étaient  des  lignes  d'opérations  élevées  pendant  les 
guerres  pour  contenir  l'ennemi  et  non  pour  protéger 
en  arrière  la  colonisation. 

On  voit  parla  description  que  je  viens  de  donner 
de  l'immense  circonvallation  romaine,  que  là  où 
le  rempart  formait  la  limite  avec  des  peuples  guer- 
riers et  aventureux,  les  fortifications  étaient  sur- 
tout imposantes.  Ainsi,  sur  le  Taunus  et  sur  l'Oden- 
wald,  en  présence  des  Cattes,  qui  avaient  donné 
d'eux  aux  Romains  une  opinion  si  terrible,  les  tours 
et  les  camps  étaient  rapprochés.  En  avant  du  Necker, 
au  contraire,  où  résidaient  des  peuples  plus  paisibles, 
tels  que  les  Hermondures\  la  ligne  n'était  qu'une 

*  Ces  Herniondures  avaient  d'abord  fait  partie  de  la  grande  tribu 
des  Hermiones,  au  centre  de  la  Germanie.  Ils  habitaient  primitivement 
f  11 


162  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

immense  digue,  flanquée  çà  et  là  d'une  tour  d'obser- 
vation et  destinée  plutôt  à  empêcher  l'abord  de  la 
province  à  des  bandes  de  pillards  qu'à  des  armées, 
qui,  quelque  garde  sévère  que  Rome  eût  faite, 
l'eussent  facilement  franchie.  Il  était  défendu  aux 
barbares,  d'après  ce  que  Tacite  nous  apprend,  de 
venir  trafiquer  dans  la  province  romaine,  autrement 
que  dans  les  bourgades  situées  sur  cette  ligne  même. 
Les  seuls  Hermondures,  dont  la  fidélité  envers  Rome 
fut  si  longtemps  éprouvée,  eurent  le  privilège  de  la 
parcourir  pour  faire  le  commerce ^  Cette  loi,  portée 
par  les  Romains  afin  d'empêcher  une  foule  d'aven- 
turiers de  se  répandre  sur  leurs  terres,  n'eût  pu  être 
mise  à  exécution,  si  le  pays  n'avait  pas  été  hermé- 
tiquement fermé ,  et  si  des  gardes,  auxquels  les  diffé- 
rentes tours  qui  flanquaient  le  rempart  servaient  de 
demeures,  n'en  avaient  pas  continuellement  surveillé 

entre  la  Werra  et  l'Elbe ,  et  entre  les  forêts  du  Harz  et  de  la  Bohême. 
Des  circonstances,  que  l'histoire  ne  précise  point,  ayant  forcé  une 
partie  de  ce  peuple  à  chercher  de  nouvelles  demeures ,  ils  reçurent 
les  terres  que  Rome  leur  assigna  aux  limites  de  sa  province  de- 
puis la  Rhétie  jusqu'au  pays  des  Caties.  Leur  nom  disparut  là  quand 
ils  furent  enclavés  dans  la  coalition  allemanique.  Quant  à  celui  des 
Hermondures  restés  dans  le  Nord ,  il  disparut  lui-même  lors  de  la 
prise  de  possession  de  leur  pays  par  les  Thuringiens ,  qui ,  par  suite 
de  l'invasion  des  Huns,  se  virent  contraints  de  se  jeter  sur  l'Occident. 
La  contrée  qu'avaient  habitée  les  Hermondures  prit  alors  le  nom  de 
Tiiuringe.  Voy.  mon  Histoire  des  Germaiîis,  c.23,  p. 247. 

'  ....  Hermunduroram  civitas^fida  Romanis,  eoque  solis  Germa- 
norum  non  in  ripa  commercium,  sed  penitus  atque  in  splendissima 
Hxtix  provincix  colonia;  passim  et  sine  custode  transeunt ,  et  ciim 
ceteris  gentibus  arma  modo  castraque  nostra  ostendamus,  his  dé- 
mos villasque  pate/ecimus  non  concupiscent ibus.  Tac,  Germania, 
c.  41. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  163 

les  approches.  Les  terres  qui  l'avoisinaient  avaient 
été  cédées  à  des  vétérans,  et  c'est  sous  la  protection 
des  carnps  et  des  divers  castels,  qui  en  arrière  for- 
maient une  seconde  ligne  forte,  que  des  villages  et 
des  bourgs  s'étaient  élevés  en  grand  nombre.  Or,  ce 
n'avait  pas  été  sans  doute  en  présence  d'un  ennemi, 
disputant  à  Rome  ce  territoire,  que  ces  travaux  gran- 
dioses avaient  été  élevés  par  les  légions.  Il  faut  plutôt 
en  reporter  la  fondation  à  des  époques  de  repos, 
telles  que  furent  pour  ces  provinces  le  deuxième  et 
le  commencement  du  troisième  siècle.  Lorsque,  en 
effet,  la  coalition  des  Allemanes  se  forma,  qu'ils  se 
soulevèrent  contre  Rome,  le  rempart,  quoique  achevé, 
fut  impuissant  à  les  contenir;  ce  qui  avait  été  élevé 
comme  une  limite  qui  devait  séparer  deux  peuples  et 
servir  à  fermer  le  pays  aux  étrangers,  ne  put  les 
arrêter,  lorsque,  poussés  par  l'appât  du  pillage  et 
par  l'enthousiasme  guerrier,  ils  vinrent  tous  ensemble 
se  présenter  les  armes  à  la  main. 

Le  rempart  rhétique  est  sans  doute  celui  qui  est 
le  plus  ancien  dans  le  sud  de  l'Allemagne.  Ce  qui 
semble  le  prouver,  c'est  la  prolongation  d'une  autre 
ligne  qui  dut  fermer  la  Vindélicie  h  l'ouest,  avant 
que  les  établissements  romains  n'eussent  gagné  l'Ab- 
noba. 

Nous  avons  vu,  en  effet,  dans  la  partie  historique 
de  cet  écrit,  que,  tandis  qu'Auguste  dictait  au  Nord 
des  lois  aux  Sicambresetfondait  la  colonie  de  Trêves, 
le  Norique  tombait  aussi  au  pouvoir  de  Rome,  et  que 
Tibère  et  Drusus  (qui  partirent  en  même  temps,  l'un 
des  Gaules,  l'autre  de  l'Italie),  portèrent  leurs  armes 
I. 


n. 


164  ÉTABLISSEMENTS  ROMAIINS 

victorieuses  contre  les  Vindéliciens  et  les  Rhétiens. 
Après  une  campagne  aussi  heureuse  que  bien  com- 
binée ,  ils  se  rendirent  maîtres  du  pays  qu  habitaient 
ces  peuples.  Drusus  les  battit  près  de  Trente,  tandis 
que  Tibère,  avec  la  flotte  qu'il  avait  équipée,  portant 
ses  légions  au  delà  du  lac  de  Brigance,  pénétra  avec 
elles  jusqu'au  Danube.  La  Rhétie  devint  alors  une 
province  romaine  ^ 

Ce  fut,  comme  nous  lavons  vu,  ce  voisinage  de 
Rome,  laquelle  prenait  à  la  fois  possession  des  pays 
qui  au  sud  et  au  nord  touchaient  à  celui  des  Marco- 
mans,  qui  engagea  Marbod  à  quitter,  à  la  tête  de  ce 
peuple,  les  forêts  au  sein  desquels  ils  se  trouvaient 
cernés,  et  oîi  ils  avaient  aussi  à  redouter  un  prochain 
esclavage.  Avant  que  Rome  occupât  militairement  ce 
pays,  des  aventuriers  de  toutes  les  nations  étaient 
venus  s'y  établir;  et  il  est  probable  que,  pour  mettre  sa 
nouvelle  province  à  l'abri  du  pillage  de  ces  hommes, 
elle  fit  alors  commencer  le  rempart  dont  nous  parlons 
et  qui  en  ferma  toute  l'enceinte.  Cette  ligne  suivait 
toute  la  crête  nord  de  l'Albe;  ses  traces  peuvent 
encore  se  suivre  depuis  Baldern  jusqu'aux  ruines  de 
Hohenzollern ,  et  de  là  par  le  mont  de  la  Trinité^ 
jusque  sur  le  Lupfenberg,  dans  le  bailliage  de  Tutt- 
lingen.  C'est  surtout  à  Rœltingen,  à  Lauchheim,  sur 
le  Kœnigsbijhl,  à  Kapfenberg,  et  près  de  Reichen- 
bach,  d'Essingen  et  de  Lauterbourg,  sur  le  Mottel- 
berg  derrière  Rosenstein,  sur  le  Hochberg,  près  de 
Weiler  et  de  Grabenstetlen,  et  au  delà  de  l'Achalni 

'  Dion.,  1.  LVï,  p.  536.  B.  et  sv.  —  Horace,  1.  iv,  ode  -4. 
2  Dreifaltigkeitsberg ,  dans  le  bailliage  de  Spaichingen. 


DU  nUlN  ET  DU  DANUBE.  165 

sur  le  Rossberg,  que  ses  vestiges  sont  irrécusables. 
On  a  voulu  voir  dans  ce  rempart  le  tracé   des  dé- 
marcations entre  la  province  rhétique  et  la   Ger- 
manie supérieure.  Il  est,  en  effet,  placé  à  la  sépa- 
ration de  ces  provinces.  Mais,  tout  en  le  reconnais- 
sant, je  ne  puis  admettre  que  sa  destination  primitive 
n'ait  été  que  pour  marquer  cette  limite  provinciale, 
car  il  est  bien  reconnu  que  Rome  n'avait  pas  cou- 
tume de  former  de  tels  tracés  entre  deux  de  ses 
provinces  ;  il  est  bien   plus  naturel  de  penser  que 
cette  partie  du  rempart,  qui  sans  doute  avait  déjà  par- 
tiellement servi  de  frontières  entre  les  populations 
celtiques  du  Rhin  et  les  peuplades  germaniques',  fut 
mis  à  profit  par  les  Romains  lorsqu'ils  se  furent 
établis  dans  la  Vindélicie.  Cette  ligne,  avec  celle  du 
nord,  en  avant  du  Danube,  renferma,  en  effet,  tout 
le  pays  soumis  alors  à  leurs  armes.  Ce  rempart  n'était 
composé  que  de  terres  et  de  palées;  il  était  en  avant 
garni  d'un  large  fossé.  C'est  le  même  genre  de  cons- 
truction qu'on  remarque  dans  la  plus  grande  partie 
du  grand  rempart  lui-même,  à  l'exception  des  tours 
qui  flanquaient  ce  dernier,  et  dont  les  ruines  sont 
encore  çà  et  là  visibles.  Ce  ne  fut  que  lorsque  l'Ab- 
noba  eut  été  soumis  à  l'Empire,  et  que  le  Necker  à 
son  tour  coula  sur  les  terres  que  Rome  s'adjugea, 
que  cette  ligne,  qui  avait  formé  la  démarcation  de  la 
Rhétie  contre  les  barbares,  devint  en  partie  celle 
de  cette  province  avec  la  Germanie  supérieure.  Les 
empereurs  qui   plus  tard  fortifièrent  la   ligne  qui 

'  Voy.  mes  Etablissements  celtiques^  §  3. 


1  66  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

s'étendait  au  nord  en  avant  du  Danube,  négligèrent 
de  fortifier  par  des  camps  et  des  tours  d'observa- 
tion cette  ligne  du  sud.  Ils  portèrent  tous  leurs  soins 
à  fermer  le  pays  du  côté  opposé,  et  ce  fut  alors, 
sans  doute,  que  se  construisit  l'autre  ligne  qui ,  liant 
le  rempart  rhétique  aux  fortifications  du  Taunus, 
prit  lui-même  le  nom  de  limile  Iransrhénane. 

Le  sol  en  arrière  de  ce  rempart,  depuis  le  nord 
jusqu'au  sud,  fut  compris  sous  le  nom  de  champs 
décumates,  nomqui ,  lorsque  le  pays  fut  réuni  à  l'Em- 
pire, lui  fut  donné  parce  que  les  terres  que  re- 
çurent alors  les  colons  furent,  avant  de  leur  être 
cédées,  soumises  à  l'arpentage.  On  a  voulu  pendant 
longtemps,  et  cette  opinion  n'est  pas  encore  totale- 
ment abandonnée,  que  la  redevance  d'un  dixième 
de  toutes  les  récoltes,  qu'en  recevant  ces  terres  les 
colons  s'étaient  engagés  à  livrer  au  gouvernement, 
ait  fait  donner  ce  nom  au  pays.  On  peut  lire  dans 
l'excellent  mémoire  de  Niebuhr,  inséré  parce  savant 
dans  son  Histoire  romaine ,  la  manière  dont  l'arpen- 
tage avait  lieu  sous  les  Romains'.  «L'ingénieur,  dit 

'  Voici  le  passage  de  l'auteur  : 

«  Der  Feldniesser  begann  damil  sich  zu  orientiren ,  und  zwar  nach 
ï  den  waliren  Weligegenden ,  nicht  nach  dem  zufaelligen  Ort  des  Auf- 
«  gangs  und  Niedergangs  der  Socne.  Letzteres  ist  allerdings  doch  zu- 
<  weilen  geschehen  ;  ein  Beweis  von  der  Rohheit  der  einheimischen 
«  roeniischen  Messkùnsller.  Hierauf  zog  er  die  Hauptlinie  von  Millag 
«nach  Millernacht,  welche  als  der  AVeltaxe  enlsprechend  Kardo  ge- 
ï  nannt  wurde.  Die,  welche  sic  recht\vini<licht  durchschniu,  trug  den 
«INanien  Decumanvs,  wahrscheinlich  von  der  Kreuzform  der  Durch- 
«schneidung,  die  dem  Zahlzeichen  X  enlspricht,  wie  Decussatua. 
«  Dièse  beiden  Hauptlinien  wurden  bis  an  die  Grx-nze  des  zur  Theilung 
(beslinimten  Bezirks  verlaengert,  und  ihiien  parallel ,  naeher  oder  fer- 


DU  UHIN  ET  DU  DANUBE.  167 

cet  écrivain,  en  commençant  son  opération,  avait 
coutume  de  s'orienter  et  de  tirer  d'abord  une  ligne 
du  midi  au  nord,  qui  se  nommait  la  ligne  cardinale'. 
Celle  qui  venait  ensuite  la  couper  à  angle  droit,  s'ap- 
pelait la  ligne  décumane  ^  Ces  deux  lignes  principales 
se  prolongeaient  de  part  et  d'autre  jusqu'aux  fron- 
tières du  district  que  l'arpenteur  avait  à  mesurer,  et 
elles  étaient  suivies  d'autres  lignes  parallèles  plus  ou 
moins  éloignées  l'une  de  l'autre,  selon  que  les  carrés 
qu'il  voulait  partager  devaient  être  plus  ou  moins 
grands.»  Le  pays  que  Rome  renferma  par  un  rempart 

f  ner,  wie  es  die  Grœsse  der  Vierecke ,  worein  die  Feldraark  eingelheiil 
«werden  soilie,  angab,  andere  Linien  abgesteckt,  welciie  mit  dem 
<  Namen  der  Haupllinie  bezeichnet  wurden,  der  sie  parallel  liefen; 
«dièse  ward  durch  den  Zusatz  Maxitmis  unlerschieden.  Aile  wurden 
«  auf  deni  Boden ,  so  weit  es  seine  Beschaffenheit  zuliess  ,  durch  Reine 
€  bezeichnet ,  von  denen  die ,  welche  die  Grundlinien  darslellen  ,  die 
cgrœssie  Breite  empfiengen;  nach  ihnen  je  der  fùnfte.  Dièse  Slreifen 
«nun,  die  anschaulidie  Geslalt  der  fornialen  Linien,  werden  limites 
«genannt;  sie  blieben  Genieingui,  und  in  Italien  aile,  nicht  nur  jene 
«  breitern ,  zu  œffentlichen  Wegen  vorbehaiten.  Ihr  Flaecheninhalt  ward 
«dem  zur  Theilung  beslimmlen  Boden  entzogen,  so  dass  die  an  die 
«  breitern  Strassen  grtenzendon  Gevierte  kleiner  als  die  ûbrigen  ge- 
«riethen;  ohne  Zweifel  um  den  unwissenden  Landmesser  jeder  nur 
t  halbverwickelten  Berechnung  bei  der  Einiheilung  zu  ûberheben.  Die 
^Enlfernung  der  Limifoi  \on  einander  Avard  durch  die  Grœsse  der 
«  Vierecke  bestimmt,  welche  sie  zu  bezeichnen  dienlen.  Dièse  befassten 
«in  den  spaetern  Zeiten,  unter  dem  Namen  von  Centerien,  als  Qua- 
«drate  oder  Parallélogramme,  200  bis  210,  und  mehr  Jugern.»  Yoy. 
dans  les  Rei  agrarix  scriptores,  p.  215  de  l'édition  de  Goës,  et  dans 
les  Rei  agrarix  scriptorum  nubiiiores  reliquix .,  publiées  par  Ri- 
gaud  (Paris,  1813;  ;  le  fragment  de  Frontin ,  intitulé:  De  limitibus; 
c'est  là  que  Niebuhr  a  surtout  puisé. 

'  Kardo. 

-  Decumanus. 


168  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

entre  les  deux  fleuves  du  Rhin  et  du  Danube  et  qu'elle 
colonisa,  en  y  appelant  d'abord  des  vétérans,  et  en 
cédant  à  tous  les  étrangers  qui  étaient  venus  y  cher- 
cher un  séjour,  après  le  départ  des  Marcomans,  la 
possession  des  terres  qu'ils  s'étaient  défrichées,  reçut 
dès  lors  le  nom  de  Décumate  d'après  cette  même 
opération.  Tacite,  en  parlant  des  peuples  qui  habi- 
taient celte  région,  ne  les  comprend  pas  parmi  les 
tribus  germaines,  quoiqu'ils  résidassent  sur  le  sol 
germanique ^  Leurs  possessions,  d'abord  précaires, 
leur  furent  assurées,  lorsque  la  limite  que  Rome 
donna  à  cette  nouvelle  province  eut  été  tracée,  et 
que  sa  protection  se  fut  aussi  étendue  sur  eux.  Alors , 
sous  l'égide  de  ses  lois  et  soutenus  par  les  nom- 
breuses garnisons  qu'elle  répandit  dans  tout  le  pays, 
ils  n'eurent  plus  à  redouter  les  nations  voisines  tou- 
jours prêtes  à  se  ruer  sur  leurs  terres,  et  à  qui  Rome 
défendit  l'entrée  de  la  province  hors  des  places 
qu'elle  leur  assigna  pour  les  échanges  du  commerce. 
Une  antique  coutume  de  la  République,  conservée 
par  les  empereurs,  fut,  après  avoir  soumis  un  nou- 
veau peuple,  de  s'emparer  d'une  partie  ou  de  la  to- 
talité de  ses  terres  ^  et  alors  d'en  remettre  la  pos- 
session d'une  partie  aux  habitants  mêmes,  en  les 
obligeant  de  payer  le  même  impôt  qu'ils  payaient  à 
leurs  anciens  maîtres,  ou,  lorsque  le  trésor  était  dans 
le  besoin,  de  vendre  une  autre  partie  de  ces  terres, 
à  la  condition  d'une  redevance  assurée  et  perpé- 
tuelle, ou,  comme  cela  fut  le  cas  dans  le  pays  dont 

'  Tacite,  Gennanîa^  xxix. 
2  Livius,  2,  41. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  169 

nous  nous  occupons,  en  fondant  des  colonies,  de 
distribuer  une  partie  de  ces  mêmes  terres  à  dos  ci- 
toyens indigents  et  à  des  soldatsvétérans.  Le  premier 
de  ces  trois  genres  de  tributs  ne  pouvait  exister  au 
delà  du  Rhin ,  puisque  les  habitants  qui  s'y  répan- 
dirent, après  le  départ  des  Marcomans,  ne  semblent 
pas  y  avoir  formé  un  corps  de  nation,  et  que,  com- 
posés de  gens  de  toutes  les  peuplades  voisines  des 
Gaules,  ils  ont  dû,  dès  les  premiers  temps  de  leur 
migration  sur  ce  sol,  y  vivre  sous  l'autorité  des  Ro- 
mains, qui  semparèrenl  militairement  du  pays.  Car 
s'il  est  probable,  ainsi  que  je  l'ai  dit  ailleurs',  que 
quelques  familles  celtiques  aient  continué  d  habiter 
les  plus  antiques  bourgades,  et  que  quelques  Suèves 
et  Marcomans,  qui  n'avaient  pas  pu  ou  voulu  suivre 
les  leurs,  fussent  aussi  çà  et  là  restés  stationnaires, 
on  ne  peut  cependant  citer  ce  petit  nombre  de  fa- 
milles comme  ayant  formé  un  corps  de  nation.  Cela 
est  tellement  vrai  que  Tacite,  en  parlant  des  habi- 
tants de  cette  région,  ne  leur  donne  aucun  nom  par- 
ticulier; il  se  contente  de  les  appeler  les  habitants 
des  champs  décumates,  expressian  qui  ne  pouvait 
provenir  de  l'obligation  pour  ces  terres  de  donner  le 
dixième  de  leurs  produits  au  gouvernement,  puis- 
que, comme  nous  venons  de  le  voir,  une  partie  en 
avait  été  partagée  entre  des  vétérans,  et  que  cette 
récompense,  accordée  au  courage,  était  exempte  de 
tout  impôt,  ou  n'en  avait  du  moins  à  supporter  qu'un 
bien  minime^.  Si  cette  obhgalion  avait  existé,  ce 

'  Dans  mes  Établissements  celtiques,  §  3. 

^Voy.  Fuss.,  Antiqtdtates  romamc,  p  232-233:  ici.,  i».  221  :  comp. 


170  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

n'aurait  été  dans  tous  les  cas  que  pour  les  terres  qui 
furent  le  partage  des  divers  habitants  des  Gaules  qui 
vinrent  s'y  établir.  Il  aurait  fallu ,  d'après  la  coutume 
romaine,  que  ces  terres  eussent  été  vendues  à  leurs 
propriétaires  par  le  gouvernement  moyennant  cette 
rétribution  annuelle.  Mais  comme,  d'un  autre  côté, 
ce  mode  d'impôt  avait  lieu,  non-seulement  dans  cette 
province  en  particulier,  mais  dans  tout  l'Empire,  et 
que  d'ailleurs  nous  voyons  le  gouvernement  distri- 
buer de  ces  mêmes  terres  à  des  citoyens  et  à  des  vé- 
térans des  Gaules  et  de  l'Italie,  qui  devaient  en  être 
exemptés,  on  ne  voit  pas  trop  comment  ce  nom  de 
Décumates  aurait  pu  être  donné  à  ce  pays  à  cause 
d'un  impôt  qui  ne  lui  était  pas  particulier  et  qui  ne 
pouvait  même  être  supporté  par  toutes  les  terres. 
Tout  le  sol,  au  contraire,  pour  être  distribué  aux 
soldats  vétérans  et  pour  être  donné  en  propriété  aux 
colons  des  Gaules,  avec  une  redevance  plus  ou  moins 
forte  (je  veux  même  qu'ellese  soit  montée  au  dixième 
du  produit  des  terres),  avait  dû  être  mesuré.  Comme 
cette  mesure  avait  été  générale,  qu'elle  s'était  éten- 
due sur  tout  le  pays,  et  que  les  habitants  de  cette 
région  ne  portaient  eux-mêmes  aucun  nom  particu- 
her,  ce  fut  de  cette  mesure  même  que  Rome,  en 
ajoutant  ces  nouvelles  possessions  à  son  Empire, 
s'habitua  à  les  appeler. 

Cependant  on  a  à  la  fois  donné  une  trop  grande 
et  une  trop  faible  extension  au  territoire  qui  a  dû 
porterie  nom  de  Décumate.  On  ne  doit  pas,  avec  quel- 

Tacile,  Annal. ^  xu,  '27;  Paulus,  De  cemibus  digesl.,  1.  xv;  Appien, 
De  btllis  civil..,  i,  "7,  p.  40  et  sv.  de  l'édil.  de  Schweighaiuser. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  171 

ques  auteurs  modernes,  le  restreindre  au  seul  pays 
enclavé  entre  le  Necker,  le  Rhin  et  le  Mein,  ni ,  d'un 
autre  côté,  l'étendre  entre  le  Rhin  et  le  Danube  jus- 
qu'à la  Pannonie.  Il  devait  comprendre  le  terrain  en 
deçà  du  grand  rempart  que  la  migration  des  Mar- 
comans  avait  laissé  sans  maître,  entre  l'un  et  l'autre 
de  ces  fleuves,  et  qui  forma  plus  tard  la  ;  artie  nord 
de  la  seconde  Rhétie,  tandis  que  la  partie  située  au 
bord  du  Rhin  fut,  comme  nous  l'avons  dit,  en- 
clavée dans  le  gouvernement  de  la  Germanie  supé- 
rieure. 

La  vie  des  habitants  dut  y  être  de  bonne  heure 
active  et  laborieuse  ;  à  peine  vingt-cinq  ans  s'étaient 
écoulés  depuis  que  Rome  en  avait  résolu  la  coloni- 
sation que  des  villes  y  étaient  çà  et  là  répandues  et 
que  des  routes  coupaient  en  tout  sens  le  pays. 

Un  des  plus  anciens  de  tous  les  établissements 
romains  sur  le  Rhin  avait  été  la  colonie  d'Auguste 
chez  les  Rau raques. 

Cette  nation,  qui  s'étendait  entre  les  Séquaniens 
et  les  Helvéliens,  nous  est  connue  parles  guerres  de 
César,  et  elle  avait  suivi  le  dernier  de  ces  peuples 
en  se  liant  à  lui  dans  son  aventureuse  expédition. 
Vingt-trois  mille  hommes  étaient  sortis  du  pays', 
après  avoir  brûlé  leurs  bourgs  et  abandonné  les  val- 
lées qui  s'étendaient  entre  lAar  et  le  Doubs,  et  de- 
puis cette  première  rivière, le  long  du  Rhin,  jusqu'au 
pays  des  Triboques^.  Renvoyés  dans  leurs  terres  par 


'  César,  De  bello  gallico,  1. 1,  c.  29. 
^  Plolémée,  Geogr.,  u,  9. 


172  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

le  proconsul,  après  la  défaite  de  la  coalition  helvé- 
tique, ils  rebâtirent  leur  métropole*,  dont  la  situa- 
tion avantageuse  au  bord  du  fleuve  attira  plus  lard 
l'attention  des  Romains,  dès  que  ces  derniers  se 
furent  rendus  maîtres  du  pays. 

Quand  le  poignard  atteignit  César,  Munacius  Plan- 
ons, qui ,  d'origine  plébéienne,  était  devenu  questeur, 
tribun  du  peuple,  et  sous  le  commandement  de  ce 
grand  homme  avait  été  légat  d'une  légion,  qui,  plus 
tard ,  sous  sa  dictature ,  fut  préteur  et  préfet  de  Rome , 
était  à  la  tête  du  gouvernement  des  Gaules.  Ce  fut 
dans  ce  poste  qu'il  fonda,  par  l'ordre  du  sénat,  la 
colonie  de  Lvon,au  confluent  du  Rhône  et  de  la 
Saône. 

Plancus  prit  le  parti  du  triumvirat.  Il  fut  plus  tard 
un  des  adhérents  les  plus  zélés  d'Octave  César,  qui , 
à  sa  réquisition ,  reçut  le  titre  d'Auguste.  Il  était  de 
nouveau  dans  la  Gaule  quand  Agrippa  la  quitta  après 
sa  première  campagne  sur  le  Rhin,  et  tout  porte  à 
croire  que  ce  fut  pendant  le  court  espace  de  temps 
qu'il  y  resta  alors,  avant  qu'appelé  en  Italie,  il  fît 
avec  Tibère  la  campagne  de  Rhétie  et  partagea  son 
triomphe,  que,  frappé  de  la  position  avantageuse 
qu'ofl'rait  pour  la  sécurité  de  la  province  gauloise 
le  bourg  fortifié  des  Rauraques,  près  du  coude  que 
forme  le  Rhin  avant  de  prendre  la  direction  vers  le 
nord,  il  porta  Octave  à  y  envoyer  une  colonie.  Mu- 
nacius Plancus  fut  lui-même  chargé  de  la  fondation 
de  cet  établissement,  qui,  quelques  années  après, 

»  César,  De  bell.  galL,  1. 1,  c.  28. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  173 

prit  le  nom  d'Auguste,  à  l'instar  de  toutes  les  villes 
du  Rhin  et  de  la  Gaule ,  qui  le  prirent  en  même  temps 
lorsque  Octave  eut  lui-même  reçu  ce  titre. 

Plancus  mourut  en  Italie  ;  son  tombeau ,  qui  s'éle- 
vait sur  le  promontoire  de  Gaëîe',  et  dominait  au 
loin  les  flots  bleus  de  la  mer  Tyrrhénienne,  a,  par 
l'inscription  qui  décorait  son  marbre^  instruit  la  pos- 
térité du  rôle  qu'il  joua  dans  l'installation  de  cette 
colonie,  qui  ne  tarda  pas  h  devenir  florissante.  C'é- 
tait le  passage  des  troupes  qui  de  la  Gaule  allaient 
par  l'Helvétie  se  rendre  dans  les  provinces  rhétiques. 
Placée  au  bord  du  fleuve,  dont  un  pont  joignait  la 
rive  droite  à  cette  ville,  elle  recevait  dans  ses  rem- 
parts deux  autres  petits  torrents^,  dont  les  eaux  ser- 
vaient  à  alimenter  ses  fortifications.  Le  Rhin,  en 
changeant  de  cours,  a  submergé  aujourd'hui  une 
partie  du  territoire  qu'occupait  la  cité.  Il  a  formé 
trois  îlots,  sur  les  rocs  de  l'un  desquels  se  remarquent 
encore  les  restes  d'une  tour  forte,  qui  flanquait  ja- 
dis l'angle  du  rempart  et  dont  le  diamètre  n'avait 
pas  moins  de  soixante  pieds.  Quelques  faibles  ves- 
tiges  de  la  tour  de  l'angle   opposé  se  retrouvent 
aussi  dans  l'île  voisine,  et  il  est  probable  que  dans 
l'antiquité    ces  deux    tours  étaient  liées   par  une 

'  Voy.  Pelrus  sanlus  Bartolus,  Sepolcri  antichi;  Monlfaucon,  Àn- 
tiq.  expliq.,  l.  v,  p.  178;  Gruter  ,  Inscriptioiies ,  t.  i,  p.  439. 

2  La  voici  : 

L.  Munatius,  Lucii  filius ,  Lucii  nepos,  Lucii pronepos  Plancus, 
consul,  censor,  imperator  Iter,  septemvir,  epulo ,  triumphavit  ex 
Rhetis ,  sedeni  Saiurni  fecit  de  manublis ,  ogros  divisit  in  Italia 
Beneventi,  in  Gallia  colonias  deduxit  Lugdunum  et  Rauricam. 

3  L'Ergolz    et  le  Violenbach. 


174  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

muraille  dont  les  vagues  du  fleuve  venaient  battre 
le  pied.  Il  est  assez  facile  encore,  par  quelques  restes 
de  rempart,  qui  çà  et  là,  au  milieu  des  champs  culti- 
vés de  l'ouest,  et  à  l'est,  sur  les  rocs  qui  dominent 
le  Violenbach,  se  montrent  au-dessus  du  sol,  de 
juger  de  l'étendue  de  celle  cité  S  qui  dans  son  sein 
renfermait  des  temples,  un  théâtre,  et  sans  doute 
tout  ce  que  Rome  avait  coutume  dapporler  de  luxe 
et  de  grandeur  dans  les  édifices  qu'elle  construisait. 
Le  théâtre  était  placé  au  bas  dune  colline,  aujour- 
d'hui recouverte  de  vignobles,  où  ses  débris  se  re- 
marquent encore.  Un  aqueduc,  construit  à  grands 
frais  et  dont  les  vestiges  peuvent  encore  çà  et  là  se 
retrouver,  conduisait  l'eau  potable  à  la  ville,  dune 
distance  de  quatre  lieues.  La  paix  longue  et  durable 
dont  jouit  ce  coin  de  l'Empire,  tandis  que  tous  les 
efforts  de  Rome  contre  les  Germains,  et  des  Germains 
contre  Rome  avaient  lieu  sur  les  rives  de  la  Lippe, 
du  Weser  et  de  l'Elbe,  contribua  à  la  fois  au  déve- 
loppement de  cette  cité,  à  l'extension  de  son  com- 
merce et  au  bien-être  de  ses  habitants.  Les  troubles 
politiques  qui,  sous  Vindex,  et  surtout  pendant  les 
querelles  qui  survinrent  entre  Galba  et  Vitellius,  por- 
tèrent tant  d  infortune  sur  les  contrées  helvétiques, 
semblent  même  n'avoir  point  eu  d  effet  pernicieux 
pour  la  colonie  des  Rauraques.  Nous  ignorons  quel 

1  Les  parties  orienlaleet  occidentale  du  rempart  n'avaient  pas  moins 
chacune  de  5000  pieds.  La  partie  nord  ,  du  côté  du  Rliin ,  était  de  1600, 
celle  à  l'opposé,  du  côté  de  la  plaine,  de  3000  pieds  d'étendu<\  Voy. 
le  plan  de  la  ville  antique  dansSchœpflin,  Âlsat.  illusir.,  1. 1,  p.  160. 
Le  terrain  n'a  guère  changé  d'aspect  depuis  que  ce  plan  a  été  levé. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  175 

parli  elle  soutint  alors;  mais  tout  porte  à  croire 
qu'elle  embrassa  celui  deVitellius,  et  que  par  là  elle 
échappa  au  pillage  et  à  la  fureur  destructive  du  soldat. 

Avec  le  quatrième  siècle  commencèrent  les  mal- 
heurs de  celte  ville. 

Les  Allemanes  avaient  rompu  la  ligne  du  grand 
rempart,  et  leurs  bandes  avaient  inondé  toute  l'éten- 
due des  champs  décumates.  Le  Rhin  était  lui-même 
menacé.  Le  territoire  des  Rauraques  devint  à  son 
tour  le  théâtre  de  guerres  successives,  et  la  cité  eut 
d'autant  plus  à  souffrir  qu  elle  servit  presque  toujours 
de  passage  à  toutes  les  armées,  tantôt  d'amis,  qui 
des  Gaules  traversèrent  le  Rhin  pour  repousser  les 
barbares,  tantôt  d'ennemis  qui,  inondant  la  rive 
droite,  détruisirent  tout  devant  eux.  La  politique  de 
Constantin,  qui  dégarnit  le  Rhin  des  garnisons  qui, 
sous  ses  prédécesseurs,  en  avaient  fait  la  sécurité, 
fut  surtout  funeste  à  cette  ville.  Les  campagnes  de 
Julien  contre  les  Allemanes  ne  lui  furent  pas  moins 
onéreuses,  et  elle  eut  plus  tard  encore  à  souffrir  des 
déprédations  des  mêmes  peuples, sous  Gratien^  avant 
de  disparaître  dans  ses  ruines  lors  de  la  grande  in- 
vasion des  Gaules  au  cinquième  siècle.  Dans  ce  con- 
flit de  nations  barbares,  qui  toutes  se  ruèrent  sur 
cette  province  et  s'acharnèrent  à  en  détruire  les  villes, 
il  n'est  point  étonnant  que  celle  des  Rauraques,  qui 
à  l'extrême  frontière  était  si  exposée,  ait  alors  reçu 
le  coup  fatal.  Quoique  les  monnaies  trouvées  dans 
ses  ruines  aillent  jusqu'au   règne   d'Honorius\  la 

'  Consultez  Rudolph.  Westenius,  Disser'.  de  Ursula. 


176  ÉTABLISSEMENTS  ROMAIINS 

ville,  SOUS  ce  règne  même  ,  avait  déjà  en  partie  dis- 
paru, et  déjà  la  Notice  des  provinces  n'en  parle  plus 
que  comme  d'un  simple  fort.  La  colline  qui  domine 
les  ruines  du  théâtre  porte  encore  aujourd'hui  le 
nom  de  Castelen,  et  ce  fut  elle  que  couronna  sans 
doute  ce  fort,  qui  succéda  à  cette  cité  au  temps  de 
sa  décadence,  et  qui  lui-même  disparut  sous  les 
efforts  des  hommes  et  du  temps.  Eunapius,  qui  vivait 
sous  le  règne  de  l'empereur  Gratien,  cite  le  fort  des 
Rauraquesetnon  lacolonieMl  est  certain  cependant, 
par  le  récit  de  3Iarcellin^,  qui  écrivait  ses  pages  his- 
toriques sous  le  règne  de  Théodose,  et  qui  donne 
même  une  idée  assez  avantageuse  de  cette  cité ,  qu'elle 
existait  encore  de  son  temps.  Peut-être,  pour  conci- 
lier ces  deux  auteurs,  faut-il  penser  que  le  fort,  qui 
a  dû  couronner  la  hauteur,  fut  lui-même  construit 
par  Valentinien  ï,  qui, comme  nous  l'avons  vu,  bâtit 
tout  le  long  du  fleuve  des  castels  protecteurs,  et  que 
l'historien  grec  cite  simplement  ces  fortifications 
protectrices,  tandis  que  l'historien  latin  parle  de  la 
cité  en  général.  Il  est  stir  du  moins  que  le  fort  sur- 
vécut à  la  ville,  soit  qu'il  ait  été  fondé  pendant  même 
que  celle-ci  était  encore  intacte,  soit  qu'il  ait  été 
construit  sur  ses  ruines.  Je  suis  d'autant  plus  porté 
à  croire  que  Valentinien  en  aura  été  le  fondateur, 
qu'il  est  avéré  par  l'histoire  que  le  même  empe- 
reur bâtit,  à  quelques  lieues  plus  loin,  le  fort  de 

^  irpoç  Touç  Pàuptxxouç,o  ectti  <I>poupiov.  Eunapius,  HUI. 

2  Apud  Sequanos  Bisontios  videmus  et  Haiiracos ,  aliis  potiores 
oppidis  multis.  Anini.  Marc,  1.  xv,  c.  H  ,  p.  76,  de  l'édil.  de  Deux- 
Ponts. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  177 

Robur',  dont  la  tour  élancée  pouvait  dès  lors  cor- 
respondre avec  celui  de  Rauraque. 

On  a  beaucoup  disputé  sur  l'emplacement  de  cet 
autre  caslel.  Les  uns  l'ont  cherché  près  de  Schopf- 
heim^  sur  la  rive  droite  du  fleuve,  d'autres  à  Rhin- 
felden,  d'autres  encore  sur  l'emplacement  de  la 
cathédrale  de  Bâle^  Aucune  de  ces  positions  ne  s'ac- 
corde cependant  avec  celle  que  précise  l'historien. 
Il  ne  dit  pas,  en  effet,  «de  l'autre  côté  du  fleuve;»  il  ne 
cite  pas  même  le  fleuve  comme  étant  la  limite  sur  la- 
quelle le  fort  est  placé  ;  il  dit  simplement  qu'il  est  situé 
prèsdeBàle,  sans  vouloir  exprimer  par  là  qu'il  touche 
les  murailles  de  cette  ville,  laquelle  sans  doute  aura 
été  peuplée  par  les  malheureux  habitants  d'Augusta  , 
qui,  après  la  ruine  de  leurs  demeures,  auront  là 
cherché  un  refuge.Or,sur  leWartenberg,  nom  qui  rap- 
pelle bien  une  tour  d'observation,  s'élevaient,  au  temps 
de  la  féodalité,  trois  châteaux  forts,  qui  furent  ren- 
versés parle  tremblement  de  terre  de  1356.  L'un 
d'eux  a  dans  ses  décombres  offert  plusieurs  monnaies 
romaines ,  et  la  construction  de  la  base  des  plus  an- 
tiques remparts  date  incontestablement  du  grand 

*  Munimenlum  prope  Basiliam,  qicocl  apjjellant  accolae  Robur. 
Aram  Marc,  1.  xxx ,  c.  3 ,  p.  218. 

-  Preuschen  {Denkmàler,  etc.,  Francf.  1787),  traduisant  le  mot  Ro- 
bur par  Eichen,  qui  en  français  veut  dire  chêne .  pense  que  le  village 
d'Eichen ,  situé  près  de  cette  petite  ville ,  est  l'emplacement  de  l'an- 
cien fort. 

^  Comp.,  pour  ces  opinions  diverses,  Tschudi,  Gallia  comata, 
1. 1,  p.  221 ,  §  5  ;  Urslisius ,  Epiiome  hist.  Basil.,  c.  7,  p.  09  ;  Hoffmann 
et  J.  C.  Iselius  ,  Lexicum  Imtoricvm  ,  au  mot  Robur;  Schœpftin,  Al~ 
sat.  illustr.,  t.  i .  p.  182. 


I. 


M 


178  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

peuple.  Celte  posilion  avantageuse  sur  une  hauteur 
d'où  la  vue  s'étend  au  loin,  et  qui  pouvait  permettre 
à  la  garnison  d'explorer  tous  les  mouvements  de 
1  ennemi  au  delà  du  fleuve,  semble  bien  convenir  à 
la  forteresse  construite  par  Valentinien,  et  où  cet 
empereur,  pendant  la  résidence  qu'il  y  fit,  signa 
même  une  ordonnance  que  le  Code  de  Théodose  nous 
a  conservée ^ 

Tant,  en  effet,  que  Rome  eut  dans  la  province 
transrhénane  un  déploiement  de  forces  militaires 
assez  considérable  pour  pouvoir  couvrir  toute  l'éten- 
due du  rempart,  et  qu'aucune  ligue  ennemie  ne  se 
fut  formée  contre  elle,  cette  ligne,  soutenue  en  ar- 
rière par  les  camps  posés  de  distance  en  distance, 
et  où  de  fortes  garnisons  étaient  toujours  placées, 
suffit  à  sa  sécurité.  Mais  quand  la  coalition  allema- 
nique  eut  renversé  cette  barrière,  que  ses  bandes 
dévastatrices  se  furent  répandues  dans  les  champs 
décumates,  et  qu'elles  eurent  même  touché  le  sol 
gaulois ,  un  nouveau  système  de  défense  devint  iné- 
vitable. Il  lui  fallut  reprendre  l'offensive,  et  par  un 
déploiement  de  troupes  non  plus  disséminées,  mais 
réunies  en  masse,  revenir  à  son  ancienne  tactique. 
Plus  d'une  fois  elle  parvint  h  repousser  ces  hordes 
barbares  au  delà  de  l'Abnoba;  mais  chaque  fois  que 
les  événements  du  Nord  ou  les  troubles  intéiieurs 
de  lEmpire  forcèrent  les  empereurs  de  retirer  les 
troupes  de  la  province,  ces  peuples  revinrent  à  la 

*  De  vestibus  militaribus.  Cod.  Theod.,  De  curs.  publ.,  1.  xxx.  — 
Voy  au  sujet  de  la  position  que  j'assigne  ici  à  cet  antique  castei  la 
chronique  de  Stunipf,  Schiveizer-Chronik ,  t.  xii,  c.  Kî. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  179 

charge,  infidèles  aux  serments  de  paix  qu'ils  avaient 
prêtés  et  que  la  nécessité  leur  avait  arrachés. 

Leur  apparition  était  aussi  subite  que  formidable; 
et,  comme  en  arrière  de  la  plaine  toute  la  contrée 
montagneuse  était  en  majeure  partie  couverte  d'im- 
pénétrables forêts,  il  était  aussi  difficile  aux  Romains 
de  prévoir  que  de  prévenir  l'attaque  de  l'ennemi.  A 
l'entrée  de  toutes  les  vallées  principales,  dont  les 
défilés  communiquaient  avec  l'intérieur  du  pays, 
furent  donc,  au  troisième  siècle,  élevées  de  petites 
enceintes  fortifiées  là  où  la  nature  présentait  à  la 
fois  une  position  avantageuse  à  la  défense  et  à  l'ex- 
ploration. C'était  pour  la  plupart  du  temps  une  simple 
tour  que  quelques  bâtiments  entouraient,  placée  sur 
une  pile  de  rocs  ou  un  cône  avancé,  et  que  cernait  une 
double  enceinte  crénelée,  défendue  par  un  large  et 
profond  fossé.  Tacite  ne  parle  nulle  part  dans  ses  An- 
nales de  ces  tours  isolées;  ce  qui  prouve  que  de  son 
temps  elles  n'existaient  point  encore.  Mais  elles  sont 
au  contraire  fréquemmen  t  ci  tées  dans  Xllinéraire  d'An- 
tonin^  et,  plus  tard, surtout  parMarcellin,qui  même 
fait  une  distinction  à  part  entre  les  camps,  les  châ- 
teaux forts  et  les  tours  isolées  ou  tours  d'observa- 
tion. Ces  divers  castels  ou  tours  fortes,  trop  petits 
pour  contenir  une  imposante  garnison,  n'avaient  pas 
pour  objet,  ainsi  qu'on  l'a  trop  souvent  répété,  d'em- 
pêcher le  passage  dos  armées  ennemies,  qui  auraient 
voulu  déboucher  parles  vallées  qu'ils  dominaient^ 
mais  bien  d  épier  cette  irruption,  et  alors,  par  les 


*  Itiu.  Anton.,  éd.  Webseling,  p.  273,  290,  298,  301 ,  400,  Wù. 

T  12. 


180  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

fanaux  qu'on  allumait  sur  la  sommité  de  la  tour,  ou 
partout  autre  signal,  d'avertir  du  danger  les  garni- 
sons intérieures  des  villes.  Le  rayon  que  la  vue  du  haut 
de  tous  ces  donjons  embrassait  sur  les  montagnes  et 
lesvallées  est,  en  général,  de  peu  d'étendue;  il  devait 
l'être  moins  encore  du  temps  des  Romains,  alors  que 
toutes  ces  montagnes  étaient  inhabitées,  et  que  leurs 
forêts  n'avaient  point  encore  été  élaguées.  Du  côté  de 
la  plaine,  au  contraire,  ils  dominaient  toute  la  contrée 
jusqu'aux  Vosges;  la  portée  de  toutes  ces  tours  corres- 
pondait de  l'une  à  l'autre, et  du  nord  au  midi  les  gar- 
nisons rhénanes  pouvaient  avec  la  plus  grande  rapid  ité 
être  averties  de  la  marche  de  l'ennemi.  Les  garnisons 
romaines  répandues  dans  la  plaine  pouvaient  aussi, 
en  cas  de  danger,  trouver  un  refuge  momentané  dans 
ces  forteresses,  et  ces  petites  garnisons  pouvaient 
elles-mêmes  devenir  terribles  à  l'ennemi,  lorsque, 
dans  sa  retraite,  il  regagnait  les  vallées. 

D'après  toutes  les  probabilités,  ce  fut  Posthume, 
qui  pendant  sept  années  consécutives  eut  à  combattre 
les  Allemanes,  qui  le  premier  fortifia  le  penchant 
occidental  de  TAbnoba.  Ces  peuples,  après  sa  mort, 
inondèrent  de  nouveau  toute  la  province  et  même 
s'avancèrent  jusque  dans  la  Gaule.  Probe  les  repoussa 
au  delà  du  fleuve  et  au  delà  du  Necker;  il  rétablit  la 
limite  antique.  Mais  sous  Chlore  et  Constance  II,  ils  re- 
parurent encore,  jusqu'à  ce  qu'enfin  Julien,  dans  la 
seconde  moitié  du  quatrième  siècle,  entreprît  contre 
eux  ses  trois  expéditions. Enfin,  Valentinien apparut, 
qui,  pour  me  servir  des  expressions  de  l'historien, 
fortifia,  depuis  la  frontière  de  la  Rhétie  jusqu'à  l'O- 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  181 

céan,  tout  le  cours  du  Rhin  par  de  grandes  digues, 
et  éleva  dans  les  airs  des  places  de  guerre  plus  ou 
moins  considérables  et  des  tours  fortes  partout  où  le 
terrain  offrait  une  position  favorable  à  de  telles  bâ- 
tisses ^ 

La"  partie  du  fleuve  que  devait  protéger  le  fort  de 
Robur  dut  être  d'autant  plus  digne  de  l'attention  du 
souverain,  qui  présidait  lui-même  à  ces  travaux,  que 
ce  coin  de  la  province  était  devenu  le  lieu  de  passage 
de  toutes  les  hordes  qui  tombaient  sur  la  Gaule.  Le 
Rhin  a  depuis  changé  son  cours;  et  il  n'est  pas  moins 
intéressant  pour  le  géologue  d'étudier  les  diverses 
tranchées  qu'il  a  faites  dans  l'antiquité  à  la  base  des 
collines  que  ses  vagues  battaient,  que  pour  l'anti- 
quaire de  suivre  les  traces  des  retranchements  qui 
alors  le  dominèrent.  Le  petit  torrent  de  la  Wiesen, 
en  sortant  de  la  chaîne  de  l'Abnoba,  en  place  de 
prendre  sa  direction  au  sud-ouest  et  d'aller,  comme 
il  le  fait  aujourd'hui,  déboucher  dans  le  Rhin  au- 
dessous  de  Bàle,  venait  tomber  dans  le  fleuve  plus 
près  d'Augusta. 


^  Rbenum  omnem  à  Bœtiarum  exordio  adusque  fretalem  Ocea- 
num  magnis  molibus  comniuniebat ,  castra  extollens  altius  et  cas- 
tella  turresque  assiduas per  habiles  locos  etopportunos.  Anim.  Marc, 
1,  XXVIII,  c.  2;  et  dans  un  autre  endroit  :  Rhenum  celsioribus  castris 
munivit  atque  castellis,  1.  xxx,  c.  7.  —  L'importance  que  cet  empe- 
reur attachait  à  ces  fortifications  était  telle  que  par  une  de  ses  ordon- 
nances, insérées  dans  le  Code  de  Théodose,  il  menaça  un  des  gou- 
verneurs de  la  Dacie ,  où  il  fit  faire  les  mêmes  travaux ,  de  faire  res- 
taurer ces  tours  aux  frais  de  ce  gouverneur,  si  par  sa  négligence  elles 
venaient  à  tomber.  Voy.  Codex  Theod.,  xv,  1. 13,  t.  v,  p.  324  :  De 
turribus  limitaneis  per  Daciam.  Ripensem. 


182  ÉTABLISSEMENTS  KOMAINS 

C'était  principalement  la  vallée  que  ce  torrent 
arrose  que  la  tour  forte  du  château  de  Robur  domi- 
nait, et  qu'elle  pouvait  épier  dans  tout  son  cours.  Je 
ne  veux  point  nier  cependant  qu'à  Bàle  même,  sur 
une  des  collines  dominant  la  ville,  d'autres  fortifica- 
tions n'aient  alors  aussi  été  assises  pour  compléter  le 
système  d'exploration.  La  défense  du  Rhin  rendait 
même  sur  ce  point  ces  fortifications  indispensables, 
et  je  ne  pense  pas  que  ce  soit  sans  motif  que,  malgré 
l'emplacement  qui  plus  tard  eut  lieu  de  la  cathédrale 
sur  ces  ruines  antiques,  la  colline  qui  la  supporte 
ait  conservé  jusqu'aujourd'hui  le  nom  de  Burg,  Du 
fort  de  Rauraque  à  celui  de  Robur,  et  de  ce  dernier 
à  la  tour  de  Bâle,  les  signaux  pouvaient  être  facile- 
ment donnés,  en  cas  que  l'ennemi  voulût  en  avant 
de  cette  ligne  former  quelque  tentative,  et  de  la  col- 
line de  Bàle  se  transmettre  de  proche  en  proche  aux 
diverses  garnisons  qui  étaient  répandues  dans  la 
plaine  des  Vosges.  Car  a  cette  époque  les  tours  fortes 
de  l'Abnoba  étaient  depuis  longtemps  tombées  en 
ruine,  et  toute  la  plaine  du  Brisgau  et  de  l'Ortenau, 
abandonnée  parles  Romains,  était  depuis  longtemps 
au  pouvoir  des  Allemanes. 

Ammien  Marcellin  est  le  seul  auteur  de  l'antiquité 
qui  nous  parle  de  la  cité  de  Bàle.  Seule  elle  survécut 
au  passage  destructeur  des  Allemanes,  des  Alains, 
des  Vandales  et  des  Suèves,  qui,  trente  ans  après  le 
règne  de  Valentinien,  traversèrent  le  Rhin  dans  ses 
environs,  et  portèrent  partout  devant  eux  la  flamme 
et  la  dévastation.  Elle  succéda  à  la  colonie  d'Augusta, 
et  déjà  à  la  fin  du  quatrième  siècle  elle  formait  une 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  183 

ville  assez  considérable  ^  peuplée  sans  doute ,  comme 
je  l'ai  dit  plus  haut,  des  habitants  de  cette  colonie, 
qui,  plutôt  que  de  relever  leurs  demeures  incen- 
diées, auront  préféré  en  rebâtir  de  nouvelles  sur  ce 
terrain. 

En  arrière  s'élevait  encore  un  autre  fort,  du  nom 
d'Arialbinnum,  fort  qui  se  trouve  cité  dans  Xlliné- 
raire  d'Antonm  et  sur  la  Table  de  Théodose  comme 
formant  une  des  stations  intermédiaires  entre  Vin- 
donissa  et  Brisach.  C'est  une  preuve  que  la  roule 
militaire  ne  touchait  ni  la  ville  de  Bàle,  ni  le  fort  de 
Robur.  Arialbinnum  était,  comme  l'a  très  -  bien 
prouvé  Schœpflin,  posé  sur  l'emplacement  de  Bin- 
ningen,  ancien  lieu  celtique,  qui,  en  même  temps 
que  la  colonie  des  Rauraques  fut  fondée,  aura  sans 
doute  déjà  été  mis  à  profit  par  les  Romains.  Son  nom 
latin  atteste  cette  haute  antiquité,  et  la  position  que 
je  lui  assigne,  placé  qu'il  est  sur  une  colline  molle- 
ment inclinée,  répond  bien  à  l'idée  que  ce  nom 
exprime^.  Dans  Y  Itinéraire  d'Antonin,  il  est  désigné 
une  fois  entre  le  fort  de  Rauraque  et  Urunca^  et  une 

*  La  Notice  des  provinces  en  fait  du  moins  menlion  comme  de  la 
quatrième  ville  de  la  Séquanie  : 

Provincia  Moxima  Seqvanorum  nvnc  IV 
Metropolis  civitas  Fesunci<-nsium 
Civifas  equestrium  yojodunus 
Civitas  Elvetiorum  AveidicKs 
Civitas  Basiliensium. 
2  Lieu  placé  sur  le  penchant  d'une  hauteur ,  des  trois  mots  cel- 
tiques ar,  ael  et  penn,  d'où  les  Romains  ont  latinisé  le  nom  d'.ïrial- 
binnum. 

■^  Ilin.  Anton. y  p.  232. 


184  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

autre  fois  entre  Vindonissa  et  Brisach^  La  Table  de 
Théodose  le  place  entre  le  premier  fort  et  Cambes. 
Les  troupes  qui  de  la  Rhéiie  passaient  par  Vindo- 
nissa, joignaient  donc  d'abord  le  territoire  d'Augusta, 
puis  Arialbinnum,  et  allaient  ensuite  à  Cambes,  où 
la  route  formait,  en  effet,  trois  embranchements 
dans  la  direction  de  Brisach ,  d'Argentovaria  et  d'Epa- 
manduodurum.  Entre  Cambes  et  cette  dernière  ville  se 
trouve  marqué  dans  \' Itinéraire  un  autre  lieu  du  nom 
de  Larga.  C  est  aujourd'hui  le  village  de  Largitzen, 
situé  sur  la  Largue.  Plus  au  nord,  au-dessus  de  Rei- 
ningen,  et  dominant  la  Dollern ,  se  montrait  aussi  un 
castel  protecteur,  dont  la  Notice  de  l'Empire  fait  men- 
tion ^  et  où,  à  l'époque  où  cette  Notice  fut  écrite, 
alors  que  les  Gaules  étaient  déjà  en  grande  partie 
inondées  de  peuples  barbares,  le  duc  qui  comman- 
dait les  forces  militaires  de  la  Séquanie  avait  sa  ré- 
sidence. Schœpflin^,  Rhenanus*  et  d'autres  encore 
ont  cherché  ce  fort  dans  l'endroit  qui  près  de  Bâle 
porte  le  nom  de  Holée,  et  où  l'on  a,  en  effet,  décou- 
vert des  tombes  et  d'autres  antiquités  romaines.  Mais 
cette  opinion ,  h  laquelle  le  nom  de  ces  écrivains 
donna  du  poids  pendant  quelque  temps,  a  fait  place 
à  une  plus  saine  critique.  Je  ne  citerai  point  toutes 
les  discussions  que  la  science  moderne  provoqua  à 
ce  sujet.  Je  me  contenterai  de  faire  observer  que  la 

^  Itin.  Anton.,  p.  238. 

^  Notit.  dignit.  imp.  occident.,  dans  le  Thesaur.  rom.  antiq.,  de 
Graevius,  t.  vu,  p.  1984. 
^  Âlsat.  illusfr.,  t.  i.  p.  188. 
*  Rer.  Germ.,  I.  i ,  p.  14. 


DU  UIIIN  ET  DU  DANUBE.  185 

position  du  prieuré  d'OElenberg,  au -dessus  de  la 
plaine  d'Alsace,  dut  de  bonne  heure  avoir  appelé 
l'attention  des  ingénieurs  romains,  et  particulière- 
ment celle  de  Valentinien  quand  il  fortifia  ce  coin  de 
l'Empire.  La  colline  qui  le  soutient  dominait  au  loin 
le  pays,  et  la  tour  forte  du  castel  pouvait  à  la  fois 
répondre  aux  signaux  du  fort  de  Robur  et  de  celui 
de  Brisach.  La  plupart  des  castra  romains  conser- 
vèrent leur  nom  sous  l'empire  des  Allemanes ,  qui 
seulement  le  contractèrent  et  y  ajoutèrent  le  mot 
final  de  burg,  qui  complétait  leur  signification.  Mais 
comme  une  grande  partie  de  ces  forts  étaient  situés 
sur  des  hauteurs,  la  terminaison  de  berg ,  qui  expri- 
mait cette  situation  élevée  \  leur  fut  aussi  donnée 
indifféremment  au  moyen  âge  avec  celui  de  burg.  Il 
est  probable  que  le  château  d'OEIenbourg  fut  ruiné 
par  les  Huns;  comme  avec  le  temps  même  ses  ruines 
disparurent,  et  que  la  croix  sainte  s'éleva  plus  lard 
au-dessus  du  nouveau  séjour  de  paix  qui  succéda 
aux  vieilles  murailles  crénelées,  la  terminaison  de 
burg ,  qui  exprimait  une  forteresse,  disparut  pour 
faire  place  à  celle  de  berg,  qui  marquait  la  position 
du  prieuré.  Ce  dut  être, à  la  fin  du  quatrième  siècle, 
une  construction  imposante^;  son  nom  antique  d'Olino 
ne  peut  être  méconnu,  non  plus  qu'il  est  impossible 
de  méconnaître  tout  auprès  celui  de  Cambes  dans  le 
bourg  moderne  deKembs,  celui  de  Salodurum  dans 
Solothurn,  celui  de  Vindonissa  dans  Windisch. 

'  Berg,  montagne.  Hochburg,  Hochberg,  Yburg,  Yberg,   Orten- 
burg,  Ortenberg,  CElenburg ,  Œlenberg,  etc. 
2  Castrum  mirifice  exfrnctum.  Notit.  imper.,  cdil.  ciléc,  i).  1984. 


186  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

De  ces  trois  lieux,  c'est  le  dernier  qui  fut  le  plus 
important,  et  celui  dont  nous  allons  partir,  après  avoir 
exploré  l'ancien  territoire  des  Rauraques,  pour  étu- 
dier la  situation  des  villes  que  renferma  au  delà  du 
Rhin  la  grande  limite  romaine  que  nous  avons  par- 
courue. 

Vindonissa  fut  sans  doute  un  des  vieux  bourgs  que 
les  Helvétiens,  en  partant  pour  leur  expédition  des 
Gaules,  avaient  incendiés,  et  que,  forcés  par  Jules- 
César  de  rentrer  dans  leurs  foyers,  ils  rebâtirent  sur 
son  roc,  au  confluent  de  l'Aar  et  de  la  Limmat.  Les 
Romains  le  mirent  à  profit,  et  lui  donnant  avec  le 
nom  de  ville  des  droits  municipaux,  le  fortifièrent 
et  l'agrandirent.  Les  traces  de  ses  antiques  murailles, 
dont  les  fondements  ont  çà  €t  là  été  retrouvés  sous 
le  sol ,  annoncent  que  son  étendue  était  assez  con- 
sidérable. Mercure  y  avait  un  temple,  et  son  effigie 
se  montre  encore  aujourd'hui  à  l'un  des  coins  de 
l'église  du  moderne  Windisch,  bâtie  avec  les  pierres 
des  vieilles  murailles  romaines.  Trois  légions  furent 
postées  dans  cette  ville,  la  sixième,  la  onzième  et  la 
vingt  et  unième.  Une  foule  d'inscriptions,  trouvées 
dans  ses  décombres  et  dans  les  environs,  ne  peuvent 
laisser  de  doute  à  ce  sujet.  La  vingt  et  unième  y  était 
placée  lorsque  le  poignard  atteignit  Galba,  et  que 
l'Empire  fut  disputé  entre  Vilellius  et  Othon.  Cette 
légion,  à  qui  sa  valeur  entraînante  avait  fait  donner 
le  nom  de  rapax,  tenait  le  parti  du  premier.  Se  sou- 
levant à  la  voix  de  ses  chefs  contre  les  Helvétiens 
qui,  au  contraire,  soutenaient  le  parti  d'Othon,  elle 
dévasta  et  brûla  tout  dans  les  environs.  La  caisse 


DlJ  UUIN  ET  DU  DANUBE.  187 

militaire  fut  enlevée,  Bade,  jolie  et  florissante  petite 
ville,  que  la  renommée  de  ses  eaux  avait  élevée 
au  rang  de  municipe,  et  où,  indépendamment  de 
ses  thermes,  était  aussi  un  temple  d'Isis,  fut  mise 
au  pillage*. 

Vindonissa  se  soutint  toutefois  au  rang  de  ville  ''^ 
jusqu'après  l'empire  de  Constance  Chlore,  où,  pen- 
dant les  courses  que  les  Allemanes  firent  dans  les 
Gaules,  elle  fut  prise  et  ruinée.  Depuis  cette  époque, 
les  historiens,  et  plus  lard  la  Notice  de  l'Empire, 
n'en  parlent  plus  que  comme  d'un  simple  fort', 
lequel,  placé  devant  le  défilé  des  montagnes  qui  de 
l'Aar  vont  en  s'élevant  se  joindre  à  la  chaîne  du  Jura , 
dut  par  cette  position  même  être  toujours  impor- 
tant. 

Il  complétait  lesystèmede  défense  que  Valentinien 
avait  adopté  sur  cette  ligne  en  deçà  du  Rhin,  et  com- 
mandait à  la  fois  aux  deux  routes,  dont  l'une  au  nord 
allait  joindre  les  sources  du  Danube  et  du  Necker. 
et  l'autre  allait,  en  contournant  le  lac  de  Brigance, 
joindre  la  colonie  vindélicienne  d'Augusta.  Il  défen- 
dait la  vallée  encaissée  de  l'Aar,  qu  à  une  faible  dis- 

•  C'est  de  celte  ville  que  Tacite  veut  sans  doute  parler  dans  son  His- 
toire, lorsqu'il  dit,  1. 1,  c.  67,  locus  longa  pace  in  moium  munici- 
pii  extructus  amxno  salubrium  aquarum  usu  frequens ,  etc.  L'ins- 
cription dédicatoire  du  temple  d'Isis  se  trouve  au  monastère  de  Wet- 
tiugen,  près  de  Bade;  elle  est  citée  parOrelli,  Inscript.,  457.  Au  sujet 
des  autres  antiquités  de  ce  lieu  on  peut  consulter  Haller,  Hagenbucli , 
Gruter,  Tschudi,  Gundelberger,  Zimmler,  Zurlauben ,  Muratori,  Jean 
de  MuUer,  Gerbert,  Neugard,  etc. 

2  Oppidum. 

'  Castrum. 


188  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

tance  le  Rhin  reçoit  dans  son  cours,  et  h  la  jonction 
desquels  est  situé  le  village  de  Coblenz ,  lieu  dont  le 
nom  romain  ne  peut  être  méconnue 

Au  delà  de  la  Limmat  commençait  l'ancien  terri- 
toire des  TugLiéniens^,  lequel  formait  l'un  des  quatre 
cantons  de  l'Helvétie.  Il  était  bordé  au  nord  par  le 
Rhin ,  qui  le  séparait  aussi  à  l'est  de  la  Rhétie.  La  route 
militaire  qui ,  comme  je  viens  de  le  dire ,  joignait  par 
le  lac  de  Brigance  les  deux  AugustadesRauraqueset 
des  Vindéliciens,  coupait  le  pays  dans  toute  sa  lon- 
gueur, et,  allant  d'abord  joindre  Vitodurum,  venait 
aboutir  à  Pfinn^  sur  la  Duria  *,  aux  conûns  de  la  Sé- 
quanie. 

La  Table  de  Théodose  passe  sous  silence  ce  der- 
nier lieu,  tandis  qu'au  contraire  V Itinéraire  d'An- 
tonin  en  fait  mention.  Il  est  certain  toutefois,  par  les 
localités  mêmes,  que  la  route  militaire  devait  lier  ces 
trois  endroits,  quelques  différences  que  ces  itinéraires 
présentent  dans  leurs  distances.  L'emplacement  de 
Vitodurum,  au  lieu  où  est  bâti  le  moderneWinterthur, 
ne  peut  offrir  aucun  doute  d'après  les  inscriptions 
qu'on  y  a  trouvées.  L'une  d'elles,  transportée  plus 
tard  à  Constance,  est  surtout  du  plus  grand  intérêt 
en  ce  qu'elle  nous  apprend  le  rétablissement  des  mu- 
railles de  la  cité,  rétablissement  qui,  nécessité  au  troi- 
sième siècle,  sous  Dioclétien  et  ses  collègues  à  l'em- 


•  Confluentes. 

-  Voy.  de  Walkenacr,  Géogr.  des  Gaules,  t.  i,  i».  311  el  sv. 
3  /id  Fines. 

*  La  Thour. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  1  89 

pire,  atteste  qu'elles  étaient  déjà  alors  bien  anciennes, 
ou  que  les  assauts  des  Allemanes  les  avaient  renver- 
sées ^ 

Le  fort  établi  sur  la  Duria,  aux  frontières  mêmes 
des  deux  provinces  de  Rliétie  et  de  Séquanie,  est  dû, 
s'il  faut  s'en  rapporter  aux  Annales  de  l'abbaye  de 
Reichenau^,  à  l'empereur  Constance  Chlore,  qui, 
pour  mettre  un  obstacle  aux  irruptions  de  ces  peuples, 
lesquels  déjà  avaient  envahi  toute  la  rive  droite  du 
Rhin,  semble  surtout  avoir  pris  à  lâche  de  fortifier 
le  lac  Rriganlin. 

V Itinéraire  d'Anlonin,  comme  la  Table  de  Théodose, 
cite  ce  fort  comme  la  plus  proche  station  qni  abou- 
tissait à  Arbon,  où  la  roule  louche,  en  effet,  le  lac. 
Divers  castels  s'y  élevaient,  d'après  le  récit  d'Ammien 
Marcellin,  qui  les  cite  sous  le  nom  commun  (X'Arbor 
Felix"^.  Ils  servaient  à  la  fin  du  quatrième  siècle  de 
garnison  à  une  cohorte  de  Pannoniens,  du  surnom 
iX Herculéenne ,  qui  y  était  postée  sous  les  ordres 
d'un  tribun*.  Ces  camps  se  succédaient  depuis  Bri- 
gance,  qui  donnait  son  nom  au  lac,  jusqu'à  l'en- 

^  Voici  l'inscripiion ,  qui  date  de  293  après  Jésus-Christ. 

IMP.  CAES.  C.  AYRE.  VAL.  DIOCLETIAN\'S.  AVG.  PONT.   MAX. 

SAR.  MAX.  PERS.  MAX.  TRIB.  POT.  XI.  TMP.  X.  COS.  V.  P.  P.  ET 

IMP.   CAES.   M.   AVR.  VAL.    5L4XS1MIANVS.  AVG.  PONT.  MAX.   SAR. 

MAX.   PERS.   MAX.   TRIB.    POT.   X.    IMP.   VIII.    COS.    IIII.    P.  P.   ET  IMPP. 

FL.   VAL.   CONSTANTIVS.   ET.   GAL.   VAL.   MAXIMIAN^S.  FILII. 

CAESS.  MVRVM.  VITVDVRENSEM.  A.  SOLO.  IXSTAVRARVNT 

CVRANTE.  AVRELIO.  PROCVLO.  V.  C.  PR.  PROV.MAX.  SEQ. 

2  Voy.  Tschudi,  Gallla  comata,  p.  117. 

^  Castra  quibus  Arbor  Félix  nomen  est ,  1.  xxxi ,  c.  10. 

**  Nutif.  dignit.  im/ei'   occident.,  édil.  citée,  p.  1978. 


190  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

trée  et  à  la  sortie  du  Rhin,  qui  traverse  son  miroir 
azuré;  le  fort  de  Uheineck'  et  celui  auquel  Cons- 
tance Chlore  donna  plus  tard  son  nom  défendaient 
ces  deux  positions. 

Selon  toute  probabilité,  le  dernier  de  ces  castels 
s'était  élevé  sur  les  ruines  de  Ganodurum,  lieu  cel- 
tique, que  Ptolémée^  cite  dans  les  Gaules,  sur  la  rive 
droite  du  Rhin,  et  que  les  guerres  et  les  irruptions 
des  Allemanes  auront  détruit. 

Quoique  le  géographe  d'Alexandrie  soit  le  seul 
écrivain  qui  ait  parlé  de  Ganodurum,  nous  devons 
croire  que  les  Romains  l'avaient  mis  à  profit.  Avec  le 
temps  son  nom  antique  se  sera  perdu,  il  aura  été 
enfoui  avec  ses  ruines,  et  lorsque  Vilodurum  fut 
rétabli,  lorsque  le  fort  de  Pfinn  fut  élevé,  les  colos- 
sales bâtisses  qui  remplacèrent  le  bourg  celtique  et 
qui  surgirent  alors  du  lac,  h  l'endroit  oii  le  Rhin 
reprend  son  cours,  reçurent  le  nom  de  leur  fonda- 
teur. 

Constance,  à  cette  époque,  n'occupait  que  la  soi- 
disante  île  des  Dominicains,  île  que  le  Rhin  battait 
alors  de  ses  vagues. 

Lorsqu'en  1632,  le  général  Horn  fit  le  siège  de 
cette  ville  et  fit  creuser  des  mines,  on  arriva  aux 
antiques  substructions  romaines,  et  l'on  découvrit 
les  traces  d  un  pont,  qui  purent  faire  juger  en  même 
temps  du  colossal  de  toutes  ces  constructions  an- 
tiques et  de  la  largeur  que  le  fleuve  devait  avoir  à  cette 

^  .^d  Rhenum . 

-  Ptolémée,  Ceogr.,  c.  9.  p.  48. 


DU  IllIllN  ET  DU  DANUBE.  191 

époque  lointaine  ^  Sur  la  colline  qui  dominait  la  for- 
teresse s'élevait  en  arrière  un  casleI,(lont  la  tour 
élancée  pouvait  explorer  le  pays  et  correspondait 
avec  les  autres  tours  fortes  situées  de  distance  en 
distance  tout  le  long  du  lac  et  du  fleuve,  et  dont  l'une 
encore,  non  loin  de  Steckborn ,  présente  ses  ruines 
sur  les  bords  du  Rhin. 

Ce  dernier  lieu  semble  avoir  été  le  Forum  Tiberii 
dont  parle  Ptolémée^,  et  il  dut,  en  elTet,  alors  que 
Tibère  avait  à  combattre  les  Vindéliciens,  et  que  sa 
flotte  couvrait  le  lac,  avoir,  par  sa  position,  attiré 
ses  regards.  Une  roule,  dont  les  traces  ont  disparu, 
joignit  plus  tard  ce  lieu  au  fort  de  Constance, 
ainsi  que  l'indique  une  pierre  milliaiie  trouvée  près 
d'Eschenz.  Cette  route  devait  passer  sous  la  tour  d'ob- 
servation même^,  au  bas  de  laquelle  cette  pierre  a 
été  découverte.  La  tour  correspondait  à  une  époque 
antérieure,  et  lorsque  Rome  tenait  encore  intacte 
toute  la  ligne  du  Danube,  avec  celle  qni  couronnait 
la  chute  du  Rhin  et  avec  un  autre  casteP  dont  les 
créneaux  s'élevaient  à  l'angle  que  le  fleuve  forme  non 
loin  de  celte  chute,  et  qui  pouvait  lui-même  corres- 
pondre avec  la  tour  forte  dont  les  ruines  se  montrent 
près  de  Geisslingen^C'étailsous  les  murailles  mêmes 
du  fort  de  Geisslingen,  où  furent  un  jour  placés 
des  détachements  de  la  onzième  et  de  la  vingt  et 

'  Gustav  Schwab,  Handbuch  fur  Relsende,  etc.,  j».  G7. 

2  Plolémée,  Geogr.,  c.  0,  p.  48. 

•■*  Die  But  g. 

*  AUenburg. 

^  Ileldenschlûsschen. 


192  ÉTABLISSEJIENTS  ROMAINS 

unième  légion',  stationnées  à  Vindonissa,  et  où  fut 
même  déterré  un  buste  antique  qui ,  quelque  ru- 
desse que  présente  le  travail,  n'en  est  pas  moins 
digne  du  plus  grand  intérêt^  que  passait  la  grande 
voie  militaire  qui,  de  cette  place  forte,  allait,  comme 
nous  l'avons  dit,  joindre,  par  les  plateaux  de  l'Albe, 
la  colonie  vindélicienne  d'Aususta.Ce  fortin  dominait 
sur  les  monts  qui  bordent  la  rive  droite  du  Rhin  la 
station  romaine  de  Tenedone,que  la  Table  de  Théodose 
place  sur  la  rive  gauche  du  fleuve,  et  que  commandait 
de  ce  côté  une  autre  tour  d'observation  ^  Les  des- 
tinées de  Tenedone  nous  sont  inconnues.  Les  guerres, 
et  surtout  les  irruptions  des  Allemanes,  auront  causé 
sa  ruine,  et  près  de  ses  décombres  se  seront  par  la 
suite  relevées  quelques  demeures  qui  auront  formé 
le  moderne  Zurzach.  C'est  non  loin  de  ce  bourg, 
placé  sur  la  rive  même  du  fleuve,  qu'était  assis  sur 
une  pile  de  rocs  le  castel  romain,  élevé  pour  pro- 
léger le  pont,  et  défendu  par  une  compagnie  de  la 
onzième  légion,  dont  les  tombes  et  des  inscriptions 
ont  été  retrouvées  il  y  a  quelques  années. 
La  Forêt-Noire,  vis-à-vis  ce  fort,  montre  sa  chaîne 

1     LEG.  XI.  C.  P.  F.  — L.  XXI.  — LEC.  XXI. —L.  XXI.  S. 
LEG.  XXI.  S.  C.  VI.  (  Legionis  XXI,  Severianx .  cohors  FI). 

La  vingt  et  unième  légion  qui,  comme  nous  l'avons  vu  ci-avaul, 
portait  le  nom  de  Rapax,  prit  le  surnom  de  Séi-ère  quand  cet  empe- 
reur, qui  avait  été  légat  de  la  Germanie ,  eut  revêtu  la  pourpre.  C'est 
donc  sous  le  règne  de  ce  prince  qu'elle  a  dû  tenir  garnison  dans  ce 
castel. 

-  Il  est  déposé  dans  une  des  salles  de  la  bibliothèque  de  Fribourg 
(Bade) .  On  le  regarde  comme  le  buste  de  Septime  Sévère. 

3  Le  Wûrelingen  Castell. 


DU  UHIN  ET  DU  DAINUBE.  193 

sévère  et  peu  denlelée.  C'est  sur  ses  sommets  boisés 
qui  s'étendent  en  plateaux  que  parvint,  sous  l'empire 
(Je  Julien,  le  général  Libinon,  qui,  pendant  que 
les  Allemanes  pillaient  la  frontière  romaine,  était, 
pour  faire  diversion,  entré  dans  leur  pays,  en  pas- 
sant le  Rhin  sans  doute  près  d'Augusta,  mais  dont 
les  mouvements,  épiés  par  l'ennemi,  avaient  été  dé- 
couverts. Cerné  de  toutes  parts  et  acculé  au  Rhin,  il 
trouva  la  mort  sur  le  champ  de  bataille.  Le  champ 
du  combat  est  désigné  dans  les  pages  historiques 
d'Ammien  à  Sanctio,  lieu  qu'il  faut  chercher  sur 
la  rive  droite  du  fleuve,  dans  le  moderne  Sœckin- 
gen,  et  qui  communiquait  sans  doute  alors  par  une 
autre  route  avec  Augusla,  d  où,  par  les  monts  de 
la  Forêt -Noire,  l'empereur,  partant  peu  de  temps 
après  pour  se  rendre  en  Pannonie,  alla  joindre  les 
rives  du  Danube'.  C'est  le  seul  endroit,  sur  la  rive 
droite  du  fleuve,  depuis  sa  sortie  du  lac  de  Bri- 
gance  jusqu'au  coude  qu'il  forme  à  Bâle,  qui  soit 
mentionné  dans  l'antiquité,  quoique  près  de  Walds- 
hut,  près  de  Gurtweil,  près  de  Thiengen ,  on  ait 
aussi  découvert  sous  le  sol  quelques  restes  de  fon- 
dements de  bâtisses  romaines.  Au-dessus,  dans  les 
montagnes,  s'élevait  une  tour  d'observation ^  et  il 
est  probable  qu'au-dessous,  dans  la  plaine,  circulait 
la  roule  dont  quelques  traces  se  retrouvent  à  Her- 
ihen,  ancienne  bourgade  celtique,  située  presque 
vis-à-vis  des  ruines  d'Augusta,  et  qu'un  autre  em- 

'  Profecturus  îtaque  per  Maicianas  Sylcas,  viasque  junctas  Istri 
fîuminis  ripis,  etc.  Amm.  Marcel.,  l.  xxi,  c.  8. 


-  A  Wieladingeo. 
1. 


13 


1  94  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

branchement  allait  joindre  le  caste]   de  Schœnau. 
Ce  sont  ces  routes  romaines,  dont  le  réseau  couvrit 
toute  la  région  rhénane  soumise  au  grand  peuple, 
qu'il  est  surtout  intéressant  d'étudier,  puisque  là  oii 
elles  circulèrent,  la  population  dut  surtout  être  abon- 
dante, et  que  sur  leurs  traces  doivent  aussi  néces- 
sairement se  retrouver  les  anciens  établissements 
romains.  C'est  par  le  tracé  de  ces  routes  qu'en  colo- 
nisant un  pays,  Rome  avait  coutume  de  commencer, 
afin  de  faciliter,  d'un  côté,  la  marche  de  ses  armées, 
et  de  favoriser,  de  l'autre,  l'écoulement  du  com- 
merce, premier  principe  de  toute  civiHsation.  Aussi 
l'Helvétie,  la  Rhétie  et  la  Souabe  furenl  à  peine  sou- 
mises à  ses  armes,  que  les  légions  travaillèrent  à  ces 
grandes  voies  de  communication ,  et  que ,  par  elles ,  le 
Rhin  fut  joint  au  Danube  et  le    bord    du  Danube 
à  l'Italie.  Drusus,  vainqueur   de   la   Rhétie,  entre- 
prit le  premier  cette  dernière   route    depuis  Vé- 
rone jusqu'à  la  colonie  d'Augusta ,  et  il  la  fit  par- 
tout protéger  de  dislance  en  distance  par  des  castels. 
Claude  paraît  l'avoir  fait  plus  tard  réparer;  il  la  fit 
du  moins  border  dans  tout  son  cours  de  pierres  mil- 
liaires,  qui  dénotent  les  soins  qu'il  prit  de  son  entre- 
tien. Les  routes  de  iHelvétie  furent  également  entre- 
tenues par  cet  empereur,  et  en  cela  il  fut  imité  par  Tra- 
jan ,  Adrien ,  Antonin-le-Pieux,  Seplime  Sévère  et  Ca- 
racalla.Ce  fut  sous  ces  empereurs  que  se  tracèrent  les 
autres  grandes  voies  militaires  qui  de  la  colonie  vindé- 
licienne  d'Augusta  se  déployaient  en  rayons,  et  dont 
l'une,  allant  toucher  le  Danube  à  Pomoneetà  Guntia, 
remontait  la  rive  droite  du  fleuve  qu'elle  traversait 


DU  RllIIN  ET  DU  DANUBE.  195 

ensuite  pour  joindre  les  Autels  Flaviens,  tandis  qu'un 
autreembranchement,circulant  surles  Alpes  souabes, 
liait  les  stations  romaines  en  deçà  du  grand  rempart. 
Le  Haut-Necker  était  relié  au  Danube  par  une  autre 
route  qui  aboutissait  à  cette  dernière,  et  de  ses  rives 
boisées  une  autre  voie  allait,  dans  la  direction  de 
l'ouest,  en  traversant  les  hautes  sommités  de  l'Abnoba, 
aboutira  la  cité  Aurélienne,  la  plus  considérable  de 
toutes  les  villes  de  la  rive  droite  du  Rhin.  La  cour 
des  empereurs  de  la  famille  Antonine,  qui  s'arrêtèrent 
dans  ses  murailles,  l'avait  mise  au  rang  des  cités  les 
plus  privilégiées,  et  elle  partageait  avec  Rome,  avec 
Lyon,  dans  les  Gaules,  1  honneur  d'être  le  centre  de 
toutes  les  distances  que  les  pierres  milliaires  comp- 
taient dans  toutes  les  directions.  Ces  pierres  sont 
toutes  des  règnes  de  Caracalla,  d'Héliogabale  et  d'A- 
lexandre Sévère  (211-235),  l'époque  la  plus  floris- 
sante de  la  période  romaine  dans  ces  contrées,  et  il 
est  à  présumer  que  ces  voies  ont  en  majeure  partie 
été  tracées  sous  les  règnes  de  ces  princes.  Comme 
l'une  de  ces  bornes  se  trouvait  placée  au  sud ,  dans 
la  direction  d'OfTenbourg,  on  en  a  conclu  que  l'en- 
clave de  la  cité  s'étendait  jusqu'au  val  de  la  Kinzig, 
et  qu'une  route,  se  prolongeant  comme  aujourd'hui 
dans  la  plaine  au  pied  des  montagnes,  aboutissait 
aux  établissements  de  ce  torrent,  et  se  dirigeait  en- 
suite jusqu'à  l'Augusta  des  Rauraques,  en  touchant 
les  autres  principaux  établissements  des  vallées  mé- 
ridionales. Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  assertion,  il  est 
sûr  du  moins  que  ses  traces  se  retrouvent  encore 
depuis  Bàle  jusqu'à  Seefelden,  exactement  dans  la 
I. 


13. 


J96  ÉTABLISSEMENTS  UOxMAINS 

même  direcliou  que  suit  la  roule  moderne,  el  que  de 
Seefelden  elle  allait  aboulirau  fortdeBrisach  qui,  dans 
la  partie  la  plus  sud-ouest  de  la  province,  dut  être 
alors  avec  la  métropole  des  Rauraques  le  principal 
lieu  de  passage  dans  les  Gaules,  comme  Argentoral 
Vêlait  plus  au  nord,  et  comme,  au  sud,  1  était  Tene- 
done. 

Brisach ,  dont  le  nom  seul  atteste  l'origine  celtique , 
et  qui,  placé,  en  effet,  sur  un  roc  contre  lequel  les 
vasfues  du  Rhin  venaient  se  briser,  vovait  des  deux 
côtés  de  son  sommet  fortifié  se  déployer  les  plaines 
que  le  fleuve  entrecoupe,  dut,  dès  les  premiers  mo- 
ments où  les  Romains  s'approchèrent  de  ses  rives, 
avoir  attiré  leur  attention  pai'  sa  position  avanta- 
geuse. Vllinéraire  d'Anlonin  est  toutefois  le  seul  mo- 
nument de  lanliquité  qui  fasse  mention  de  ce  lieu. 
Comme  dans  cet  Itinéraire  toutes  les  villes  qui  sont 
citées  à  cette  occasion  sont  placées  sur  la  rive  gauche 
du  Rhin,  on  en  a  conclu  que  c'était  alors  aussi  du 
côté  du  roc  qui  regarde  l'Allemanie  que  le  cours 
principal  du  fleuve  se  dirigeait.  Il  est  prouvé,  par  les 
observations  géologiques,  qu  à  une  époque  qui  pré- 
cède l'histoire  de  ces  contrées,  le  Rhin,  en  quittant 
le  teriitoire  de  iHelvélie,  et  en  se  ruant,  en  formant 
un  coude,  dans  limmense  vallée  que  dominent  d  un 
côté  les  Vosges,  de  l'autre  la  Forèt-Noire,  y  a  d'abord 
circulé  en  trois  bras  principaux.  Le  premier  allait  de 
Baie  aboutir  directement  à  l'Ill,  dont  il  remplissait 
le  lit.  Le  second  suivait  à  peu  près  la  même  direc- 
tion que  le  fleuve  suit  encore  aujourd'hui,  tandis 
que  le  troisième,  s'en  détachant  un  peu  au-dessus 


DU  r.IIIN  ET  DU  DÀNURR.  1  97 

du  rocherde  Brisach,  se  partageait  lui-même  en  deux 
branches,  dont  l'une  coulait  entre  ce  roc  et  la  petite 
chaîne  de  montagnes  connue  sous  le  nom  de  Kaiser- 
stuhl,  et  l'autre,  poursuivant  son  cours  entre  ces 
montagnes  et  la  Forêt -Noire,  sillonnait  la  plaine 
immense  qui  s'étend  entre  elles,  et  allait  seulement 
près  de  l'embouchure  de  la  Kinzigse  réunir  au  bras 
principal.  Cette  petite  chaîne  du  Kaiserstuhl,  dont  le 
rocher  de  Brisach  forme  la  pointe  méridionale,  était 
donc, comme  une  grande  île  et  un  moindre  îlot,  en- 
tourée de  tous  les  côtés  par  les  eaux  du  fleuve. 

Mais,  avec  le  temps,  le  bras  qui  circula  près  de  la 
Forêt-Noire  se  dessécha,  et  le  cours  principal  de  celte 
partie  du  fleuve  continua  de  se  diriger  entre  les  deux 
îles  que  je  viens  de  mentionner.  Lorsque  les  Romains 
vinrent  dans  la  contrée,  c'était  là  sans  doute  que  se 
trouvait  le  courant  d'eau  principal,  et  cette  circons- 
lance  mettait,  en  efl'et,  Brisach  sur  la  rive  gauche  du 
Rhin,  danslaGaule.il  est  sûr  du  moins  qu'au  dixième 
siècle  ce  courant  d'eau  subsistait  encore,  et  que  le 
rocherde  Brisach  formait  une  île\  Ce  bras  s'ensabla 
par  la  suite  de  plus  en  plus,  jusqu'à  ce  que,  trois 
siècles  après,  le  pied  du  roc  qui  regarde  l'Allemanie 
fût  tout  à  fait  à  sec'^  Mais,  pendant  une  inondation  , 
survenue  en  1295,  le  Rhin  reprit  son  ancien  cours 
et  l'entoura  de  nouveau^.  Ce  ne  fut  que  depuis  cette 
époque  que  le  courant  d'eau  diminua  sur  la  rive  alle- 


'  Luilprand,  1.  iv,  c.  19. 

2  Chronique  de  Conrad  de  Uc/ifenau,  abbé  d'Ursberg  ,  p.  157. 

>*  Annales  de  Colmar. 


198  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

mande,  et  que,  par  les  soins  qu'on  mit  à  régulariser 
le  cours  du  fleuve,  on  parvint  à  le  maintenir'.  Ainsi 
donc,  dans  l'antiquité,  sa  position  comme  uue  île 
dont  les  vagues  du  Rhin  défendaient  l'abord ,  avait  dû 
rendre  la  forteresse  de  Brisach  imposante;  et  il  est 
à  présumer  que  dès  les  premiers  essais  de  fortifica- 
tions que,  par  les  soins  de  Drusus,  Rome  fit  au  bord 
du  fleuve,  le  roc  choisi  par  les  Celtes  pour  les  mys- 
tères de  leur  culte  et  comme  un  lieu  de  refuge,  le  fut 
aussi  par  elle  comme  un  lieu  de  défense.  Valentinien 
ne  négligea  pas  non  plus, lorsqu'il  entreprit  de  fortifier 
tout  le  Rhin,  de  réparer  et  d'augmenter  ces  remparts; 
c'est  dans  leur  enceinte  que,  pendant  qu'il  présidait 
lui-même  à  ces  travaux,  il  signa  une  de  ses  ordon- 
nances que  le  Code  de  Théodose  nous  a  conservées^. 
La  route  qui  de  la  colonie  des  Rauraques  allait 
sur  la  rive  droite  du  Rhin  aboutir  à  cette  forteresse, 
s'élevait  sur  les  mêmes  hauteurs  que  parcourt  la 
route  moderne  ;  elle  traversait,  comme  de  nos  jours, 
des  endroits  moins  importants  auxquels  ce  transit 
avait  dû  donner  un  peu  d'activité.  Quelques  an- 
tiquités romaines  trouvées  à  Kallenherberg  et  à 
Scbliengen,  d'autres  plus  au  nord,  à  Heitersheim, 
que  cette  route  joignait,  ne  permettent  point  de 
doute  h  ce  sujet.  Près  de  Scbliengen  s'élevait  une 
tour  d'observation  qui  pouvait  correspondre  avec  le 

^  En  1714  et  en  1778,  les  eaux  mangèrent  de  nouveau  tellement  du 
terrain  près  de  Hardheim,  qu'on  craignit  que  le  fleuve  ne  reprît  son  an- 
cien lit  et  ne  fit  de  nouveau  une  île  de  ce  rocher. 

2  Le  III  des  kalendes  de  septembre  de  l'an  du  Christ  CCCLXIX. 
Code  de  T/u'od.,  l.  iv,  lit.  xxw,  loi  viii. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  199 

castel  de  Badenweiler,  tandis  que  ce  dernier  corres- 
pondait avec  une  autre  tour  placée  près  de  Soulz- 
bourg'.  Toutes  ces  tours  avaient  la  vue  sur  le  rocher  de 
Brisach,qui  correspondait  d'un  autre  côté  avec  le  cas- 
tel  qui  dominait  le  moderne  Fribourg,  et  qui  était  là 
placé  comme  une  échauguette  à  l'entrée  de  la  vallée 
où  s'étendait  le  bourg  de  Tarodunum,  cité  par  Pto- 
lémée. 

Badenweiler,  à  qui  les  thermes  romains,  décou- 
verts, en  1784,  au  pied  de  son  château,  ont  surtout 
donné  de  la  célébrité,  est,  de  tout  ce  qui  nous  a  été 
conservé  du  grand  peuple  dans  la  province ,  ce  qui 
peut  le  mieux  attester  le  luxe  de  civilisation  que  les 
Romains  apportèrent  dans  ces  climats,  décrits  par 
les  historiens  sous  un  jour  si  sombre  et  si  nébu- 
leux. D'après  les  monnaies  trouvées  dans  ses  ruines, 
il  est  permis  de  penser  que  la  construction  de  ce 
monument  ne  date  pas  d'au  delà  du  deuxième  siècle, 
et  qu'il  est  de  l'époque  des  Antonins.Un  autel ,  trouvé 
dans  ses  décombres,  portait  pour  inscription  le  nom 
de  Diane  Abnoba;cette  déesse  était  là  invoquée  comme 
la  protectrice  de  la  chaîne  de  montagnes  au  pied  de 
laquelle  le  bain  avait  été  élevé.  Aucune  autre  cons- 
truction importante,  nulle  trace  déchaussée  antique, 
aucune  inscription  légionnaire,  rien, à  l'exception  de 
ces  thermes  et  d'une  ancienne  fabrique  de  poterie, 
qui,  à  quelque  dislance,  a  aussi  été  retrouvée,  n'a 
depuis  été  découvert.  Il  n'est  pas  probable  cependant 
que  ce  magnifique  bâtiment  ait  été  isolé  ;  le  mot  de 

1  Le  Casielberg. 


200  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

cmias\  trouvé  h  double  repiise  sur  un  couvercle 
d'argile,  pourrait  faire  présumer  qu'autour  de  cet 
établissement  thermal  une  ville  se  soit  en  effet  éten- 
due. Mais  le  nom  de  celle  cité  est  encore  une  énigme. 
D'après  les  monnaies  dont  la  date  s'arrête  à  la  pre- 
mière invasion  des  Allemanes,  il  est  probable  que 
c'est  lors  de  leur  passage  destructeur  que  cet  établis- 
sement aura  été  ruiné,  et  que  de  toute  la  splendeur 
qu'y  avaient  apportée  les  Césars,  de  tous  les  monu- 
ments dont  ils  avaient  enrichi  ce  délicieux  vallon , 
rien  n'a  plus  tard  été  rétabli  que  le  castel ,  dont  quel- 
ques pans  de  murailles  se  remarquent  encore  au  mi- 
lieu des  décombres  du  moyen  âge. 

Mais  nulle  ruine  n'a  conservé  une  base  aussi  in- 
tacte que  les  thermesqui  nous  occupent.  Ils  montrent 
dans  leur  état  de  destruction  ce  qu'ils  ont  dû  être 
dans  leur  état  de  splendeur.  Assis  sur  la  pente  de  la 
colline,  dans  la  direction  de  lest  à  louest,  ils  pré- 
sentent un  plan  de  passé  200  pieds  de  longsur  80  de 
laroe.  Des  deux  côtés  de  l'est  et  de  l'ouest,  les  mêmes 
arrangements  intérieurs  se  répétaient,  ne  différant 
que  dans  l'étendue  des  détails. Le  portique,  l'entrée, 
lagarde-robe,lecalidarium,sontplusétendusenviron 
de  8  pieds  du  côté  de  louest,  où  paraît  avoir  été  la 
})lus  belle  partie  du  bâtiment.  Après  avoir  traversé 
le  portique,  qui  est  d'une  longueur  de  30  pieds  sur 
60  de  large,  se  présentait  à  vos  legards  la  statue  de 
Diane,  dont  l'autel  s'élevait  sous  le  vestibule,  ayant 


'  CIVIT.  VV.  Voy.  l'ieusth,  Die  rômischen  Bàder  in  Badenwei- 
ler.  l\iiilsrulie  1780. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  201 

à  gauche  la  garde-robe,  à  droite  le  calidariuni.Vous 
renconiriez  alors  un  premier  bassin  de  30  pieds  de 
long  sur  19  de  large,  revêtu  de  gradins  et  assez 
profond  pour  permettre  aux  nageurs  de  s'y  exercer. 
Un  autre  bassin,  d'une  moindre  dimension,  se  dé- 
couvrait un  peu  plus  loin.  Là  le  bâtiment  se  parta- 
geait par  un  mur  très -épais  qui,  sans  doute,  de 
chaque  côté  formait  la  voûte.  Au  delà  se  répétait  la 
même  disposition,  et  se  retrouvaient  les  deux  bas- 
sins, lautel,  l'entrée  et  le  portique.  Autour  de  ces 
grands  bassins,  garnis  en  partie  de  marbres  apportés 
de  loin,  en  partie  d'enduits  imitant  cette  pierre,  se 
dessinaient  des  allées  qui  conduisaient  à  des  niches 
ornées  de  l'image  de  quelque  divinité,  ou  bien  à  des 
cabinets  de  bain  plus  petits.  A  gauche  étaient  trois 
étuves  spacieuses  et  des  cabinets  en  rotonde,  entou- 
rés vers  le  nord  des  établissements  nécessaires  pour 
le  chauffage.  Vers  le  sud  s'étendaient  deux  galeries 
couvertes,  longues  chacune  de  50  pieds,  lesquelles 
permettaient  aux  baigneurs  de  se  promener'. 

Lorsqu'on  commença  à  déblayer  ces  décombres, 
tous  ces  bassins  étaient  remplis  des  éclats  de  la  voûte. 
Au  -  dessous  d'eux  se  voient  encore  aujourd'hui  les 
constructions  souterraines  propres  à  l'évacuation  des 
eaux.  La  communication  antique  avec  la  source  mi- 
nérale est  toutefois  inconnue;  car  c'est  plus  avant 
dans  le  village  de  BadeuAveiler,  assis  sans  doute  sur 

>  Voy.,  pour  plus  d'éclaircissements,  Preuscli ,  ouvrage  cité,  orné 
d'un  plan  gravé  par  Méchel.  —  Voy.  aussi  :  de  Golbéry,  appendice 
aux  antiquités  d\4lsace,  et  mes  Fieux  châteaux  du  cjrand- duché 
de  Bade,  première  partie,  p.  27  et  sv. 


202  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

les  ruines  de  l'antique  établissement  romain  ,  que  la 
source  moderne  sort  de  terre. 

Il  est,  du  reste,  présumable  que  ce  sont  ces  eaux 
thermales,  situées  si  près  de  la  colonie  d'Augusta, 
qui  auront  donné  le  plus  d'importance  à  cet  établis- 
sement, et  que,  si  jamais  une  ville  a  effectivement 
existé  sur  ces  hauteurs,  elle  n'a  pas  du  moins  occupé 
une  grande  étendue. 

Ptolémée,  à  une  époque  antérieure,  et  alors  que 
la  colonisation  transrhénane  commençait  seulement 
à  se  développer,  ne  cite  dans  toute  cette  vallée  du 
Rhin  que  la  seule  ville  de  Tarodunum.  Il  la  place  parmi 
les  villes  incluses  dans  le  cercle  du  Danube,  avec 
les  Autels  Flaviens,et  dans  le  quatrième  climat  de  la 
Germanie^Ce  fut  par  cette  cité  Flavienneque  passait 
la  route  que  nous  avons  quittée  à  Tenedone,  et  qui 
de  Vindonissa  remontait  aux  sources  du  Necker. 
C'est  là,  près  de  ces  sources  mêmes,  que  des  fouilles 
consécutives  ont  fait  retrouver  les  restes  de  cette 
ville,  à  deux  degrés  de  laquelle  Ptolémée  place  la  ville 
de  Tarodunum  Si  la  situation  d'Arae  Flaviae  aux 
sources  du  Necker  est,  comme  nous  le  verrons,  in- 
dubitable, c'est  plus  à  l'ouest  qu'il  faut  chercher 
nécessairement  l'emplacement  de  Tarodunum.  Or, 
Leichtlen^  a  fort  bien  prouvé,  par  d'anciens  docu- 

1  Tièpi  Tov  Savouêi'ov  ttoXeiç  aï  os  TapoSouvov  —   zr,  y.  y.^       ('  y 

Bcoixol  cpXaoutoi  —    X   Y*^.  (JL       r\ 
Ptolémée,  Géogr.,  1.  ii,  c.  U. 

2  Ueber  die  rùinischtn  Alierthûmer  in  dem  Zehnt lande,  p.  38 
et  6v. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  203 

ments  du  moyen  âge,  que  le  village  de  Zarten,qui, 
situé  dans  la  vallée  du  même  nom,  non  loin  du  val 
d'Enfer,  avait  conservé  jusqu'au  huitième  et  au  neu- 
vième siècle  la  racine  antique  de  son  nom ,  dut  être 
le  lieu  où  se  développa  un  jour  cette  cité'.  Son  nom 
celtique  désigne  un  lieu  de  passage  dans  les  mon- 
tagnes, et  les  restes  d'un  chemin  dont  j'ai  eu  l'oc- 
casion de  suivre  les  traces  sur  les  hauts  plateaux 
de  la  Forêt -Noire,  dans  la  direction  même  de 
Brigobanne,  et,  par  conséquent,  des  anciens  Autels 
Flaviens,  m'ont  prouvé  qu'une  communication  a  dû 
effectivement  exister  dans  l'antiquité  entre  les  deux 
villes  citées  par  le  géographe  d'Alexandrie. 

La  destinée  de  Tarodunum ,  son  origine  comme  sa 
destruction,  nous  sont  inconnues.  Peut-être,  comme 
à  Badenweiler,  où  pendant  tant  de  siècles  nulle  tra- 
dition, nul  monument  n'avait  annoncé  la  présence 
des  Romains,des  restes  deson  existence  antique  sont- 
ils  enfouis  sous  le  gazon  des  prairies  ou  sous  le  sol 
que  sillonne  chaque  année  la  charrue.  Le  lieu  pri- 
mitif fut  incontestablement  celtique,  et  s'il  ne  fut  pas 
antérieur  aux  I\Jarcomans,  s'il  ne  date  que  de  la 
seconde  population  sortie  des  Gaules  qui  les  rem- 
plaça ,  du  moins  est-il  certain  qu'il  était  antérieur  à  la 

*  Que  la  prononciation  du  Ta  romain  ait  été  changé  en  Za  par  les 
AUemanes ,  c'est  ce  dont  nous  avons  une  preuve  évidente  dans  les  deux 
Tabernx  de  l'Alsace,  dont  le  nom  allemand  est  Zabeni;  dans  la  ville 
A'Jltiaia  changée  en  Alzey.  Ainsi  avec  le  temps  Tarodunum  se  chan- 
gea en  Zarduna;  c'est  le  nom  qu'il  porte  dans  un  document  de  763.  Un 
autre  document,  de  791,  le  nomme  Zartuna;  un  autre  encore,  de 
816  ,  Zartutui.  Au  dixième  siècle  il  est  nommé  Zarda  {Archives  de 
Fribourg). 


204  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

colonisation  de  Rome.  Quelques  élévations  de  ter- 
rain qui  ont  tout  le  caractère  des  barrages  du  grand 
rempart,  et  qui  durent  dans  l'antiquité  avoir  fermé 
le  vallon,  peuvent  aussi  bien  avoir  été  construites  par 
ces  anciens  habitants  que  par  la  puissance  qui  plus 
tard  les  prit  sous  sa  protection.  Toute  la  haute  vallée 
du  Rhin,  comme  je  l'ai  dit  dans  un  autre  endroit', 
avait  été  possédée  par  ces  populations  gauloises,  qui 
çà  et  là,  selon  qu'une  colline,  au  pied  de  laquelle 
circulait  un  torrent  limpide,  leur  avait  offert  une 
position  avantageuse,  avaient  en  communauté  bâti 
leurs  chaumières ,  et  çà  et  là  même  avaient  fondé 
des  bourgs  où  plus  lard  le  Romnin  porta  ses  arts  et 
sa  civilisation.  Les  Allemanes,en  se  ruant  parla  suite 
dans  la  province,  laissèrent  dans  leurs  demeures  les 
habitants  paisibles,  et  c'est  ainsi  que  se  sont  trans- 
mis d'âge  en  âge  jusqu'à  nous  ces  noms  qui  seuls 
encore  attestent  ces  primitifs  établissements.  Ainsi 
Eburum,  ainsi  Aredunum, au  pied  de  la  Forêt-Noire, 
Rigola,  au  pied  du  Kaisersluhl,  étaient  déjà  alors  des 
bourgs  de  quelque  importance,  où,d'après  les  restes 
qu'on  y  a  découverts,  nous  voyons  que  Rome  avait 
exercé  son  influence  sur  l'industrie  et  sur  les  arts  de 
leurs  habitants.  La  plaine  de  l'Ortenau ,  au  contraire, 
couverte  de  forêts  marécageuses ,  n'avait  guère  pu 
recevoir  de  colons  qu'au  pied  des  montagnes.  Aussi 
nulle  trace  d'établissements  celtiques  n'apparaît-elle 

*  J'ai  dans  mes  Ètablissemenls  celtiques  de  fa  Sud  Ouest-Jlle- 
viagne  donné  un  aperçu  assez  circonstancié  de  ces  ètablissemenls  de 
la  vallée  du  Rhin,  antérieurs  à  ceux  que  Rome  fonda  elle-même,  ci 
qu'elle  suivit  en  colonisant  lo  pays;  j'y  renvoie  le  lecteur. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  205 

dans  la  plaine,  et  n  y  trouve-t-on  aussi  comparative- 
ment qii  une  moindre  quantité  de  lieux  qui  parlent 
des  Romains. 

Un  caslel  était  placé  à  l'entrée  du  val  arrosé  par 
l'Elz;  un  autre  sur  les  petites  collmes  qui  des  hauts 
sommets  de  la  Forêt-Noire  descendent  dans  la  plaine 
du  Rhin;  un  autre  encore  au  fond  du  val  de  la  Bleich, 
où  1  Ortenau  commence.  Une  tour  d'observation  cou- 
ronnait, au-dessus  de  lUndiz,  la  hauteur  du  iMunster- 
thal,  prèsde  laquelle, à  Altdorf,  furent,  en  1781,1782 
et  1794,  découvertes  une  foule  d'armes,  de  laulx,  de 
lampesmortuaires,etenfmunestatuette  de  Pan,  haute 
de  deux  pieds,  tous  objets  qui  prouvent  qu'un  établis- 
sement gallo-romain  existait  en  ce  lieu.  Le  cône  qui 
supporte  Geroldseck,et,  dans  lavallée  qui  s  étend  à  ses 
pieds,  Prinzbach ,  où  l'on  découvrit  une  foule  de  mon- 
naies d'Adrien  et  de  ses  successeurs^  sont  incontesta- 
blement de  la  même  période.  Peut-être,  comme  on 
l'écrivit,  les  Romains  tirèrent- ils  profit  des  mines 
d'argent  qui  lenvironnent  et  qui  furent  si  richement 
exploitées  au  moyen  âge.  Mais  en  disant  peut-être, 
l'on  sent  que  je  doute,  et  à  plus  forte  raison  n'adop- 
lerai-je  point  comme  certains  les  noms  d' Adrianopolis 
et  àAdrianoleras  qu'on  a  prétendu  que  ce  lieu  por- 
tait dans  l'antiquité. 

Le  val  de  la  Kinzig  s'ouvre  alors,  et  dans  son 
immense  étendue  présente  aussi  plusieurs  sites  aux- 
quels s'est  rattaché  le  souvenir  de  la  période  ro- 
maine. 

Ainsi,  dans  le  torrent  même  fut  découvert,  près 
d'Offenbourg,  vers  la  fin  du  dernier  siècle,  une  pierre 


206  ÉTABLISSEMENTS  UOMAINS 

mortuaire,  qui  un  jour  avait  été  posée  sur  la  tombe 
d'un  centurion  qui  commandait  la  cohorte  des  Tri- 
maques',  et  qui  était  néàDomana,  ville  d'Arménie^. 
Cette  pierre  semble  avoir  été  érigée  vers  la  fin  du 
deuxième  siècle  ou  au  commencement  du  troisième. 
Cette  cohorte  était  sans  doute  placée  dans  le  camp 
qui ,  plus  avant  dans  la  vallée,  s'étendait  sur  l'em- 
placement de  Gengenbach,  et  dont  quelques  ruines 
subsistaient  encore  au  commencement  du  dix-hui- 
tième siècle.  Ces  restes  ont  été  décrits  par  le  moine 
Placidius^ 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  voir  comment  de  toutes 
les  parties  de  l'immense  Empire  Rome  envoyait 
sur  le  Rhin  des  guerriers  enrôlés  dans  les  pays 
les  plus  lointains  pour  combattre  ou  contenir  ces 
fiers  Germains,  jamais  domptés,  tandis  que,  par  une 
politique  raffinée,  elle  envoyait,  d'un  autre  côté,  dans 
les  plaines  de  l'Asie  combattre  ces  mêmes  Germains , 
devenus  ses  auxiliaires. 

La  position  de  Gengenbach  était  aussi  forte  que 
bien  choisie;  les  vedettes  placées  au  haut  de  sa  tour 

1  Peuple  de  la  Mœsie.  Voy.  Pline,  1.  m,  c.  26. 

2  L.  VALERIO.  ALB 

INO  DOMAN)  (  ISI 
/^  C  I  •  r.  TRIM  CI  I 
ANN-  LXV.  ST  XXIII 
II- 

Lt/cio  Falerio  Jlbino ,  Domanensi,  prœfeclo  cohortls  primx  Tri- 
machorum^annorum  LXf'^  stipendiorum  XXIII,bxredes. 

3  Deductlo  Ruthardiana  de  Fundatione  monasteriorum  Schwarz- 
ach  et  Gengenbach  (Archives  du  couvent'. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  207 

pouvaient  facilement  explorer  toute  la  vallée.  Quoi- 
que nulle  ruine  n'en  reste  aujourd'hui ,  nous  pou- 
vons, d'après  le  récit  de  Placidius,  qui,  lui  même, 
les  eut  encore  en  partie  sous  les  yeux,  et  en  partie 
consulta,  pour  décrire  ces  lieux  antiques,  les  docu- 
ments de  son  couvent,  nous  former  une  idée  de  leur 
extension  et  de  leur  impoitance.  La  forteresse  ro- 
maine, d'après  ce  religieux,  et  d'après  ce  que  les 
localités  m'ont  permis  de  juger,  était  composée  d'une 
grande  place  d'armes,  formant  le  centre  de  l'établis- 
sement. Elle  était  entourée  d'une  muraille  très-élevée, 
flanquée  çà  et  là  de  tours  rondes  et  de  bastions. 
Vers  le  midi  ce  mur  était  protégé  par  un  large  fossé 
que  remplissaient  sans  doute  les  eaux  du  Gengen- 
bach,  auxquelles  une  écluse  pouvait  donner  entrée. 
Au  delà  de  ces  fortifications  était  le  rempart  exté- 
rieur, dominé  de  chaque  côté  par  une  grosse  tour, 
qui  probablement  donnait  entrée  à  la  forteresse,  et 
flanqué  aux  angles  par  d'autres  tours  arrondies.  Un 
fossé,  revêtu  de  pierres  de  taille,  circulait  de  même 
en  avant.  Ce  mur,  ainsi  que  le  fossé,  allait  en  carré 
aboutir  à  la  montagne,  sur  les  flancs  de  laquelle  il 
s'élevait,  et  il  reliait  à  l'établissement  de  la  val- 
lée le  fort  qui  était  assis  sur  une  crête  et  qui  était 
comme  la  citadelle  du  lieu.  La  base  d'une  statue, 
élevée  par  Bœbius  et  par  ses  fds  à  Jupiter,  trouvée 
dans  ces  ruines ,  atteste  que  cette  première  des  divi- 
nités avait  là  des  autels.  D'autres  statuettes  d'Isis, 
d'Orus,  de  Mercure  et  d'Hercule  y  furent  aussi  dé- 
terrées, ainsi  que  des  monnaies,  sur  lesquelles  mal- 
heureusement les  annales  du  couvent  ne  donnent  pas 


208  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

(le  détails;  ce  qui  ne  permet  pas  de  préciser  jus- 
qu'à quel  empereur  elles  remontaient. 

Plus  avant  et  au  débouché  même  de  la  vallée,  la 
vieille  tour  d'Ortenberg,  aujourd'hui  démolie,  avait 
été  élevée  comme  point  d  observation,  et  ses  signaux 
pouvaient  être  vus  des  garnisons  de  la  rive  gauche 
du  fleuve.  C  était  sous  la  protection  de  ce  camp  et  de 
cette  tour  forte  que  dans  la  vallée  même  se  déployait 
la  vie  active  des  habitants,  auxquels  l'exploitation 
des  forêts  et  le  flottage  de  leurs  bois  dans  toutes  les 
villes  riveraines  du  Rhin  et  jusqu'en  Batavie,  durent 
déjà  alors  fournir  un  commerce  considérable. 

Toutes  ces  forêts,  ainsi  que  l'atteste  l'inscription 
d'un  autel  trouvé  à  Miihlenbach,  dans  une  des  vallées 
latéralesdu  Kinzigthal,  d'un  autre  encore  trouvé  près 
d'Alpirsbach,plusau  fond  de  la  grande  vallée,  étaient 
consacrées  à  Diane  qui ,  comme  à  Badenweiler,  porte 
sur  ces  deux  monuments  le  nom  d'Abnoba'. 


*  Voici  ces  deux  inscriptions  : 

A  Mùlilenbach  : 

L\  H.  D.  D 

DEANAE.  ABN 

OBAE.  CASSIA 

NVS.  CASSATI. 

V.  S.  L.  L.  M. 

ET  ATTIANVS 

FRATER  FAL 

CON  ET  CLARO 

COS. 

In  lionorem  domus  divlnx^Deanx  Abnobx  Cassianus  Cassa tius 
totum  solvit  libens  libentissbne  merito  et  Jtlianus  Frafer,  Falcone 
et  Claro  Consulibus. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  209 

Ce  nom,  que  Pline  et  Tacite  donnent  aux  mon- 
tagnes de  la  Forêt- Noire,  était  incontestablement 
celui  d'une  divinité  locale  chez  les  Celtes,  premiers 
habitants  du  pays,  qui  avaient  mis  sous  la  tutèle  de 
celte  nymphe  protectrice  des  forêts  et,  comme  Diane, 
présidant  à  la  chasse ,  la  chaîne  des  monts  sur  le  ver- 
sant desquels  ils  étaient  venus  s'arrêter.  Les  Romains 
trouvèrent  le  culte  de  cette  déesse  établi,  et  ils  lui 

A  Rolhenberg  : 

ABISOBAE 

Q.  ANTOxMVS 

SILO^LEG.  lA 

DIVTRICIS  ET 

LEG  [I  ADIVIRI 

CIS  ET  LEG.IIIAVG 

ET  LEG  IIIl  F  F 

ET  LEG  XIC  P  F 

ET  LEG  XXII  P  F  D 

V  S  L  L  M. 

Abnohx  Q.  Antonius  Silo,  Centurio  legionis  I  adjutrîcis,  et  le- 
gionis  H  adjulricis,  et  legionis  III  mcgustx,  et  legionis  II II  flavix, 
Jelicis,  et  legionis  XI  claudix,  pix,fidelis,  et  legionis  XXII  pri- 
migenix.  fifeli<,  dedicnvit,  voium  solcit  lubeus  (libentissime)  me- 
rito. 

Déjà  depuis  plus  de  trente  ans  on  avait  trouvé  à  Rothenberg  plusieurs 
décombres  qui  révélaient  la  plus  haute  antiquité,  lorsqu'on  1823  furent 
découvertes  six  colonnes  avec  leurs  chapilaux  et  leurs  bases.  Des 
restes  de  murailles,  enfouis  sous  le  sol  au  même  endroit,  firent  pré- 
sumer que  du  temps  des  Romains  un  temple  avait  existé  en  ce  lieu.  En 
1824  se  trouva  l'autel  portant  l'inscription  que  nous  venons  de  trans- 
crire et  qui  vint  confirmer  cette  opinion.  Cet  autel  avait  5  pieds  de 
haut,  I  pied  8  pouces  de  large  et  1  pied  d'épaisseur.  Il  était  accom- 
pagné de  divers  instruments  de  fer,  dont  la  rouille  avait  cependant  fait 
disparaître  la  forme ,  et  de  divers  débris  de  poterie.  Voy.  Memrainger, 
fViirtembergische  Jahrbucher.  1825.  Première  partie. 

14 


210  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

érigèrent  des  autels.  Comme  ses  attributs  étaient 
les  mêmes  que  ceux  de  la  fille  de  Latone,  invo- 
quée par  eux,  ils  associèrent  ces  deux  divinités, 
et  sous  un  nom  réuni  ils  lui  offrirent  des  sacri- 
fices. 

Ce  culte  ne  dépassa  pas  cependant  la  chaîne  de 
montagnes  à  laquelle  la  déesse  présidait,  et  qui  com- 
prenait tous  les  monts  de  la  Forêt -Noire,  faisant 
eux-mêmes  partie  de  iHyrcinie,  ainsi  que  le  prouve 
la  description  que  César  fait  de  cette  dernière  forêt', 
et  que  le  confirment  les  différents  passages  de  Tacite, 
de  Pline  et  d'autres,  qui  parlent  indifféremment  de 
l'Hyrcinie  et  de  l'Abnoba  comme  touchant  aux  con- 
fins des  Rauiaques  et  comme  recelant  les  sources 
du  Danube'^. 

Le  nom  de  Forêt-Marcienne,  donné  à  ces  mon- 
tagnes, n'apparut  que  plus  tard  dans  l'histoire, 
lorsque  les  AUemanes ,  repoussant  les  cohortes  ro- 
maines, s'y  établirent  eux  -  mêmes,  et,  négligeant 
le  culte  dune  divinité  qu'ils  ne  connaissaient  pas, 
appelèrent  ces  montagnes  d'un  nom  qui  rappelait 
l'ancien  séjour  qu'y  avaient  fait  les  Marcomans,  et 
qui  devenait  d'autant  plus  significatif  que,  tandis  que 
Rome  luttaitencore  dans  la  plaine  du  Rhin,  ces  som- 


^  Oritur  ab  Helvetiorum,  Nemetum  et  Rauracorum  finibîis,  etc. 
César,  De  bello  Gallico,  1.  vi,  c.  25. 

2  Inco/x  Ilercynlx  Sylvx  Rmiracorum  proximi  trans  Rhenum 
accolx  fuerunt.  —  In  jucjîs  montis  Abnobx  ex  adverso  Rauraci,  etc. 
Voy. Tacite,  Gtrmania;  Pline,  1,  iv,  c.l2  (24);  JuliusSoIinus,  c.  18; 
Slrabon,  1.  iv  cl  vu;  Claudien,  De  bello  Gethico;  Aivien,  Orbis  des- 
C7'ipt.,  437,  etc. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  211 

mets  boisés  devenaient  la  frontière  de  la  Germanie 
indépendante '. 

L'inscription  de  la  première  des  deux  pierres  que 
je  viens  de  mentionner,  nous  apprend  qu'elle  fut  éri- 
gée sous  le  consulat  de  Falcon  et  de  Clarus.  Or,  c'est 
en  193  de  Jésus-Christ  que  ces  deux  magistrats  furent 
en  fonction.  Cette  pierre  est  donc  de  la  même  époque 
environ  que  celle  trouvée  dans  le  lit  de  la  Rinzig,  à 
Offen  bourg. 

C'était  l'époque  où  la  contrée,  qui  depuis  sa  réu- 
nion à  l'Empire  jouissait  d'une  paix  continue,  fut  le 
plus  florissante, et  où  ses  cités,  sous  l'influence  des 
institutions  romaines  qu'elles  adoptaient,  prirent  le 
plus  de  développement. 

De  toutes  les  vallées  de  l'Abnoba,  celle  où  cette 
influence  se  fit  le  plus  particulièrement  sentir,  fut 
la  vallée  que  baigne  le  petit  torrent  de  l'Oos,  où  les 
eauxsulfureusesquelanature  rejette  bouillantes  hors 
du  sol  attirèrent  de  bonne  heure  l'attention  des  Ro- 
mains. 

Déjà  sous  Trajan  probablement  fut  fondé  à  Bade 
le  premier  établissement  thermal^.  Plus  tard,  sous  les 
successeurs  de  ce  prince,  la  beauté  du  site,  la  célébt  ité 
des  eaux,  y  agglomérèrent  la  population  au  point 
qu'à  la  fin  du  deuxième  siècle  Bade  formait  une  Répu- 
blique qui  s'administrait  elle-même,  qui  avait  ses 
propres  magistrats,  ses  corporations  et  sa  garde  ci- 

'  Mark,  frontière;  Markxcald,  Silca  Marciana,  forêt  frontière. 

-  Yoy.  J.  Leichllen  ,  Trojan  als  Grûnder  oder  Mitstifter  von  Ba- 
den-Baden, dans  les  Schriften  der  Gesellschaft  fur  Befôrderung 
der  Geschichtskunde.  Fribourg  1828. 1. 1,  p.  11-52. 

I  1  j- 


212  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

vique.  Ses  thermes  étaient  dédiés  à  Hercule;  et  la 
mère  des  dieux'  et  Mercure,  le  dieu  protecteur  de 
la  maison  impériale,  y  avaient  des  autels^. 

Ce  titre  de  République  nous  est  confirmé  par  une 
inscription  antique  que  cette  ville  fit  graver  sur  une 
pierre  destinée  à  décorer  un  de  ses  monuments  ^  et 
qu'elle  dédia  au  fils  de  l'empereur  Septime  Sévère, 
Marc  AurèleAntonin(Caracalla),qui  venait  de  recevoir 


MATRI.  DEYM 
C.  SEMROMVS 
SATV^NINVS  > 


COH.XXVIVoL.C.R. 
V.  S.  L.  M. 

Ma(ri  Dêorum,  Caius  Sempronius  Saturninus,  Ceniurio  cohortis 
vicesimx  sextx  volontariorum  civium  Romanorum,  vofum  solvit 
luhens  merito. 

2  Une  pierre  intéressante  nomme  un  Mercure  Alaunvs. 

GENIO  MERC\  R 
ALA/NI.  IVL.  AC// 
NIVS.  AVG.  N.  /// 
EX.  Y.  S.  L.  L.  M. 

Il  y  avait  dans  la  Gaule  narbonnaise  une  ville  du  nom  dLAlaunium; 
une  autreville  des  Gaules  portait  le  nom  d'Alauna.  Il  est  hors  de  doute 
que  c'est  par  les  colons  gaulois  sortis  de  ces  villes  que  le  surnom 
d'Jlaunus  a  été  doriié  ici  à  Mercure. 

^  M.  AVRELIO 

AMONINO 

CAES IMP  DE 

STINATO  IMP 

L.  SEPTIM  SE 

VERI  PERTINAC 

CAES.  AVG  FIL 

0  RESP  AQ.  [Respiiblica  .Iquensis). 


DU  liniiN  ET  DU  DANUBE.  213 

le  titre  d'Auguste  (1 98).  Ce  prince ,  monté  plus  lard  sur 
le  trône  impérial,  n'oublia  pas  celte  preuve  de  dé- 
vouement; il  donna  son  propre  nom  à  la  ville,  et 
lui  concéda  le  titre  de  cité  et ,  comme  on  n'en  peut 
douter,  tous  les  droits  qui  y  étaient  attachés.  C'est 
en  cette  qualité  que  plus  tard ,  la  même  année  où  Ca- 
racalla  combattit  les  Allemanes  sur  le  Mein,  elle  fit 
en  son  honneur  élever  des  pierres  milliaires^  pierres 
dont  la  pose  eut  également  lieu  sous  l'empire  d'Hé- 
liogabale  et  d'Alexandre  Sévère',  et  dont  l'érection 
marque  la  place  distinguée  que  celte  ville  occupait 
alors.  Nous  savons  par  des  inscriptions  qui  ont  appar- 
tenu à  d'anciennes  bâtisses,  que  la  vingt-sixième  co- 
horte des  volontaires'^  et  une  division  de  la  huitième 
légion,  du  surnom  d' Auguste^,  qm  sous  l'empire  de 
Sévère  fut  placée  à  Mayence  et  à  Argenlorat,  tinrent 
garnison  dans  ses  murailles*. 

Cependant  ce  bien-être  semble  n'avoir  été  que  mo- 
mentané. Si  la  ville  a  eu* des  temples,  des  théâtres, 

'  Voy.,  pour  la  description  de  ces  pierres,  Schyepflin ,  .-Ils.  illuslr. 
1. 1;  Wielandt,  Bade.  p.  205;  Rausch  ,  Badb'xKerASli.  p.  38-iO,  et 
p.  48. 

2  COH  XXVI  VOL  C  R.  Voy.  Badblxit.  1812.  p.  69  71  ;  p.  45  et  01. 

3  LEG.  YIII  AYG.  Idem ,  p.  85. 

*  Quant  à  trois  pierres  mortuaires  qui  furent  posées  sur  les  tombes 
de  trois  soldats  de  la  quatrième ,  de  la  onzième  et  de  la  quatorzième 
légion, ces  pierres, étant  isolées,  ne  prouvent  nullement  que  les  légions 
à  qui  ces  soldats  appartenaient  aient  eu  des  détachements  en  garnison 
à  Bade.  Il  est  bien  plus  naturel  de  penser  que  ceux  sur  les  restes  des- 
quels ces  inscriptions  furent  trouvées ,  seront  morts  dans  cette  ville , 
où  ils  étaient  venus  prendre  les  eaux,  et  où  ils  s'étaient  rendus  pour 
recouvrer  une  santé  que  ni  l'art  des  médecins  ni  la  source  thermale 
ne  pureut  leur  rendre. 


214  ÉTABLISSE31ENTS  ROMAINS 

des  portiques;  si  la  présence  des  princes  de  la  fa- 
mille Antonine,  qui  semblent  y  avoir  vécu,  a  donné 
à  ce  lieu  toute  celte  pompe  de  décoration  dont  s'est 
plu  à  l'orner  l'imagination  des  auteurs  qui  ont  écrit 
sur  son  existence  antique,  il  faut  que  le  passage 
des  Allemanes  qui  la  détruisirent  ait  été  bien  ter- 
rible, puisque,  à  l'exception  de  quelques  restes  de 
ses  bains  garnis  de  marbre,  nul  vestige  d'aucun  mo- 
nument, qui  puisse  attester  cette  antique  splendeur, 
n'est  resté  debout  sur  le  sol.  Ces  autels  mêmes,  ces 
pierres  votives,  ces  inscriptions,  n'offrent  rien  de 
grandiose,  et  à  l'exception  de  trois  tètes,  dont  l'une, 
de  marbre  antique,  représentant  un  empereur,  est 
d'un  travail  assez  achevé,  nul  reste  de  sculpture 
vraiment  digne  de  parler  aux  regards  n'a  été  re- 
trouvé. Tout  est-il  donc  encore  enfoui  sous  ce  sol , 
où  la  fureur  dévastatrice  du  vindicatif  AUemane  l'a 
jeté,  et  où  la  nature  l'a  recouvert  comme  elle  l'a  fait 
à  Badenweiler;  ou  bien  la  grandeur  de  cette  ville  fut- 
elle  plutôt  morale  que  matérielle ,  et  destinée  qu'elle 
était  à  devenir  le  centre  d'une  administration  pro- 
vinciale sur  la  rive  droite  du  fleuve,  la  cité  a-t-elle 
succombé  sous  les  coups  des  barbares  avant  que  les 
Césars  aient  pu  mettre  à  terme  ce  qu'ils  projetaient 
pour  elle.  Sa  chronologie  antique  ne  peut,  par  ce  qui 
nous  reste  de  ses  inscriptions,  être  suivie  au  delà 
d'un  quart  de  siècle  \  et  depuis  l'irruption  des  Alle- 
manes sur  le  Rhin,  rien  ne  la  rappelle  plus,  ni  dans 
l'histoire,  ni  dans  les  itinéraires.  Nul  doute  cepen- 

>  Depuis  198  jusqu'en  223  de  l'ère  chrétienne. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  215 

dant  que ,  lorsque  Posthume  éleva  plus  tard  ses  cas- 
tels,  la  hauteur  qui  borde  le  vallon  de  l'Oos  n'en  ait 
reçu  un'  pour  proléger  la  route  dusudversSteinbach; 
il  n'est  pas  douteux  non  plus  qu'au  nord ,  au-dessus 
decellequiallaitaboutirà  Nœllingen  et  de  là  à  Pforz- 
heim,  les  murs  d'Eberstein  aient  été  élevés  à  la  même 
époque^.  Ces  deux  fortins  étaient  placés  de  manière  à 
pouvoir  explorer  toute  la  plaine  du  Rhin,  et  surtout  la 
route  qui,  dans  une  troisième  direction,  allait  aboutir 
au  fleuve,  où  dut  exister  un  passage  correspondant 
avec  la  station  romaine  de  Salelio,  surlariveopposée. 

liibium  ou  Bibia,  dont  une  inscription  aux  dieux 
des  carrefours  est  venue  nous  attester  le  nom  antique, 
était  posé  sur  cette  route  au  croisement  de  celle  des 
montagnes,  sur  l'emplacement  du  moderne  Sand- 
weier  ^. 

Du  reste,  comme  la  proximité  d'une  ville  impor- 
tante attire  toujours  la  population ,  et  que  les  bourgs 
et  les  villages  ont  coutume  de  s'accumuler  tout  au- 
tour, on  trouve  aussi  dans  toute  la  partie  la  plus  rap- 
prochée de  Bade  un  plus  grand  nombre  de  lieux  où 
le  souvenir  de  Rome  s'est  conservé. 

Ainsi  Iffezheim  et  Sulzbacli ,  et,  dans  la  direction 


*  Dont  l'emplacement  conserve  encore  aujourd'hui  le  nom  de  Cax- 
telberg. 

2  Voy.  sur  ce  château,  de  Krieg,  Das  Schloss  Eberstein.  Deuxième 
partie. 

3  DUS  QVADR  '  BVS  •  •  VICA 

M  BIB  lEN  SES  . 
D.  S.  P. 

Diis  quadriviabbus  Ficani  Bibienses  de  suo  posuerunt. 


216  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

de  Pforzheim,  lieu  lui-même  d'origine  romaine,  les 
villages  de  Nœttingen,  d'Elmendingen,  de  Grafen- 
hausen,  de  Gobrichen,  de  Bretzingen,  ont  tous  pré- 
senté sur  leur  territoire  quelques  antiquités  qui  datent 
de  l'époque  romaine.  Mercure,  Esculape,  Vulcain, 
Apollon ,  et  Jupiter,  le  maître  des  dieux ,  y  ont  eu 
des  adorateurs,  qui  ont  buriné  dans  la  pierre  les 
vœux  qu'ils  adressaient  à  ces  divinités.  Un  détache- 
ment de  la  huitième  légion^  était  placé  à  Pforzheim. 
ville  qui,  à  l'entrée  de  l'Abnoba  et  aux  confins  sans 
doute  de  l'enclave  de  la  cité  Aurélienne,  semble 
avoir  tiré  son  nom  antique  de  son  emplacement 
même  ^ 

Sur  la  hauteur  qui  la  domine  se  voit  encoreune  tour 
d'observation  qui  date  des  Romains.  A  une  lieue  plus 
loin,  au  milieu  des  forêts^,  des  fondements  de  cons- 
tructions antiques,  des  monnaies,  des  armes,  des 
restes  de  poteries  et  de  sculpture,  une  pierre  mil- 
liaire,  et  une  autre  dédiée  à  Abnoba*,  à  laquelle 
étaient  peut-être  consacrés  les  thermes  dont  quelques 
traces  ont  aussi  été  retrouvées  sous  le  sol ,  annoncent 


«  I.  0.  M. 

DOLIGENO  L.  VER  AT 

PATERNVS.  MIL 

LEG  VIII.  AVG 

V.  S.  L.  M. 

2  Porta  Ilyrcinix. 

3  Le  Hatjenschieswalf) .  —  Voy.  au  sujet  des  fouilles  qui  y  ont  été 
faites  l'article  intitulé  :  Die  Romhchen  Jlferthilmer  im  Hogenschies- 
walde,  par  Arnsperger,  inséré  dans  le  Beobachter  de  Pforz,iieim, 
année  1832.  nos63,  64  et  65. 

4  .  .  .  .  NOBE  .... 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  217 

qu'il  existait  là  un  établissement  de  quelque  impor- 
tance. 

La  route  qui  circulait  du  Rhin  au  Necker  et  qui  allait 
joindre  le  Danube,  avait  du  donner  naissance  aux 
défrichements  de  terrain  sur  ces  hauts  plateaux;  ces 
défrichements  sont  conformes  à  ce  que  Strabonnous 
dit,lorsqu'en  parlant  des  communications  entre  les 
deux  fleuves,  il  cite  et  leur  position  élevée  et  l'apti- 
tude que  celle  sauvage  Hyrcinie  présenlail  à  la  cullure 
et  à  la  colonisaiionK 

Dans  la  direction  du  nord,  et  en  suivant  le  cours 
de  l'Enz,  cette  culture  n'était  pas  moins  considérable. 
Le  village  d'Eutingen,  où  une  pierre  mortuaire  nous 
rappelle  le  nom  de  la  famille  des  Aronce  ;  celui 
d'Enzberg,  près  duquel  fut  trouvé  un  monument  re- 
présentant les  travaux  d'Hercule,  au-dessus  de  cons- 
tructions souterraines;  Maulbronn'^;  Kœnigsbach; 
Remchingen;  le  temple  antique  de  Minerve,  sur  les 
décombres  duquel  est  placée  l'église  de  Kleinstein- 
bach;  Stettfeld,  qui  rappelle  le  culte  d'Apollon,  de 
Minerve  et  de  Mercure;  le  fort  de  Steinsberg,  dont 
la  tour  est  évidemment  romaine;  la  pierre  votive 
élevée  aux  matrones  à  Neidenstein^  et  enfin  les  deux 
autres  pierres  du  même  genre,  dressées  un  jour  au  So- 
leil invincible  et  trouvées  sous  le  sol  près  de  Loben- 

iStrabon,!.  vu  ,  p.  292  et  331. 

2  Dans  les  murs  de  l'église  de  l'abbaye  sont  enclavés  deux  autels  an- 
tiques. L'un  supporte  sur  ses  quatre  faces  les  figures  en  relief  de  Pal- 
las  ,  de  Vesta ,  d'Hercule  et  d'Apollon  ;  l'autre ,  celles  de  Mercure ,  de 
Pallas ,  de  Vesta  et  de  Diane. 

3  MATRONIS HIAHENABVS.  (sans  doute   Nthiahenabus). 

Le  nom  celtique  latinisé  de  l'endroit  aurait  donc  été  Nekiaha. 


218  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

feld,  parlent  hautement  de  la  colonisation  romaine 
sur  toutes  les  hauteurs  que  renferme  le  Necker.Sur  le 
sommet  de  l'Eichelberg,  montagne  la  plus  élevée  de 
toutes  celles  qui  forment  la  pointe  nord  de  l'Abnoba, 
des  monnaies  trouvées  parmi  des  décombres  souter- 
rains, des  tronçons  d'armes,  une  très-belle  télé  d'Ado- 
nis pouvant  avoir  appartenu  à  une  statuette  de  deux 
pieds  et  demi  de  hauteur,  des  tuyaux  en  terre  cuite, 
destinés  un  jour  au  conduit  des  eaux  dans  ces  mu- 
railles, et  enfin  un  autel ,  élevé  à  Mercure,  peuvent 
faire  présumer  que  sur  cet  emplacement,  où  le  moyen 
âge  bâtit  des  tours  fortes,  elles-mêmes  écroulées,  le 
grand  peuple  avait  à  la  fois  réuni  le  culte  de  ses 
dieux  et  ses  fortifications  protectrices.  Dans  les 
plaines  qui  s'étendent  sous  ces  monts,  et  qui,  coupées 
par  les  torrents  qui  descendent  des  hauteurs, voyaient 
aussi  une  population  nombreuse  se  presser  sur  leurs 
rives,  se  déployait  une  vie  non  moins  active;  là,  sur 
les  bords  du  Kraichbach ,  le  préfet  de  la  vingt-qua- 
trième cohorte  des  volontaires  avait  un  jour  élevé 
une  pierre  votive  à  Minerve  et  à  Hercule,  et  sur  les 
bords  de  l'AlbJa  corporation  des  Naulœ  en  avait 
élevé  une  à  Neptune. 

L'antique  chaussée  romaine  de  Bade  à  Pforzheini 
passe  tout  près  du  lieu  où  ce  dernier  autel  fut  trouvé; 
elle  présenteencore  surune  assez  grande  distance  son 
pavé  tout  à  fait  intact.  Nous  ignorons  le  nom  qu'a  pu 
porter  la  ville  d'Elllingen  sous  les  Romains.  Sans  doute 
elle  faisait  partie  de  l'enclave  de  la  cité  de  Bade,  où 
le  même  patron  des  Nautae  qui,  au  nom  de  sa  cor- 
poration, avait  élevé  l'autel  d'Ettlingen  au  dieu  pro- 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  219 

lecteur  des  naïUonniers,  en  avait  aussi  élevé  un  qui 
portait  la  même  inscription  '.  Non  loin  de  là,  la  tour 
de  Durlach  semble  par  sa  position  attester  une  ori- 
gine romaine.  Elle  servait  sans  doute  de  point  d'ex- 
ploration, et  à  transmettre  les  signaux  aux  autres 
tours  placées  sur  le  versant  occidental  des  montagnes. 
Un  autre  lieu,  près  de  Durlach,  nous  a  livré  une 
pierre  avec  une  inscription  h  Jupiter,  qui  est  intéres- 
sante en  ce  qu'elle  nous  donne  le  nom  antique  que 
portait  cet  endroit  sous  les  Romains.  C'est  le  petit 
village  de  Singen,  situé  sur  la  route  moderne  de 
Carlsruhe  à  Stuttgart.  Ce  fut  près  de  ce  lieu  qu'en 
1843  fut  mise  à  nu  cette  pierre  exprimant  le  vœu 
qu'accomplit  un  jour  à  Jupiter,  Juvenalius,  habitant 
du  village  de  Senotum  ^  Le  vallon  dans  lequel  elle  se 

^  Voici  ces  deux  inscriptions  : 

IN  II.  D.  D.  IN  H.  D.  D. 

D.  iNEPTVNO  D.  NEPTVNO 

COMVBERMO  CONTVBERMO 

NAVTARVM  NAVTARVM. 

CORNELIVS  ALIQANDVS 

ALIQVANDVS  D.  S.  D. 

D.  S.  D. 

Mœrsch ,  petitvillage  sur  la  gauche  d'Eulingen ,  a  aussi  offert  quel- 
ques substructions  romaines. 
2  IN.  H.  D.  D 

I.  0.  M. 
IVVENALIVS. 
MACRINVSVICa 
S3\0T.  .UCïl.  D  S  D. 

Juveiialius  Macrinus^vicanus  seno- 

fensis,  Macer,  de  suo  dédit. 


220  ÉTABLISSEMENTS  UOMAINS 

trouvait  conserve  encore  le  nom  de  Welschthal ,  nom 
qui  prouve  la  tradition  conservée  parmi  la  population 
allemande  du  séjour  primitif  des  colons  gaulois  qui 
étaient  venus  l'habiter.  Dans  le  rayon  que  la  tour  de 
Durlach  domine,  les  ruines  d'un  petit  bain  ont  aussi  été 
découvertes  en  1 802.  Les  fouilles  qu'on  y  fit  présentent 
le  fait  intéressant,  pour  la  chronologie,  que  de  toutes 
les  monnaies  qui  y  furent  découvertes,  et  dont  la  plus 
ancienne  était  du  règne  d'Auguste  \  aucune  n'était 
d'un  règne  postérieuià  celui  d'Alexandre  Sévère. 

Or,  sur  toute  la  route  que  nous  avons  suivie  depuis 
Bade,  la  même  date  est  venue  s'offrir  à  nous;  tout 
semble  donc  attester  que  lors  de  l'irruption  des  Alle- 
manes  sous  ce  dernier  empereur,  tout  ce  qui  avait 
été  élevé  par  les  Romains  depuis  deux  siècles  était 
devenu  la  proie  de  l'incendie  et  du  pillage,  et  que, 
si  Rome  plus  tard  repoussa  leurs  bandes  dévasta- 
trices, si  elle  rétablit  même,  pour  les  contenir, 
la  digue  du  grand  rempart^  son  pouvoir  cepen- 
dant fut  trop  continuellement  troublé,  et  ces  mêmes 
plaines  et  ces  mêmes  collines  eurent  trop  à  souffrir 
du  conflict  de  toutes  les  armées  qui  les  inondèrent, 
pour  que  l'état  florissant  dans  lequel  elles  s'étaient 
trouvées  pût  revenir.  Le  Necker  ne  cessa,  depuis 
ce  règne,  d'être  le  théâtre  des  guerres  sans  cesse  re- 
nouvelées entre  Rome  et  ces  peuples,  et  toutes  les 
villes,  qui  depuis  deux  siècles  s'étaient  aussi  élevées 
florissantes  sur  ses  bords ,  tombèrent  la  plupart  dé- 
mantelées ou  anéanties. 

•  Un  as  en  cuivre  d' Agrippa. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  221 

Celle  rivière,  comme  le  Danube,  prend  sa  source 
au  revers  occidental  de  l'Abnoba.  Formée,  comme 
l'est  le  grand  fleuve  dans  son  enfance ,  par  le  cours 
de  deux  petits  torrents  qui  se  joignent  à  Rott- 
weil,  elle  suit  d'abord  au  nord  la  direction  de  cette 
chaîne  de  montagnes;  puis,  coulant  au  nord -est 
et  longeant  pendant  quelque  temps  dans  cette  direc- 
tion la  chaîne  de  l'Albe^  elle  reprend  son  cours  pri- 
mitif, et  par  une  courbe,  allant  border  les  monts  de 
rodenwald,  va^  après  avoir  reçu  les  eaux  réunies  de  la 
Nagold  et  de  l'Enz,  de  la  Fils,  de  la  Rocher,  du  Jaxt 
et  d'une  infinité  de  moindres  torrents,  se  jeter  dans 
le  Rhin. 

Le  premier  établissement  que  les  Romains  aient 
formé  sur  ses  bords,  fut  sans  doute  celui  d'Ara3 
Flavise,  cité,  comme  nous  l'avons  remarqué,  avec 
Tarodunum  par  Ptolémée,  et  qu'un  empereur  de  la 
famille  Flavienne,  sans  doute  Domiiien,  fils  de  Ves- 
pasien,  plaça  près  des  sources  de  cette  rivière.  La 
position  était  on  ne  peut  plus  favorablement  choisie. 

A  une  demi-lieue  du  moderne  Rottweil,ville  wur- 
tembergeoise,  au  confluent  de  la  Prim  et  du  Necker, 
s'élève  une  colline  à  pente  douce,  à  la  base  de  la- 
quelle, connue  sous  le  nom  àWUstadt  [vieille  ville), 
sont  enfouies  sans  nombre  sous  le  sol  des  ruines, 
qui  se  prolongent  jusque  sur  la  hauteur  du  Hoch- 
mauern  (haute  muraille),  où,  au  moyen  âge,  fut  élevé 
le  couvent  de  Rottenmùnster'.  La  vue  domine  à  la 
fois  toute  la  haute  vallée  qu'arrose  le  Necker  et  s  e- 

*  Sanctimonalium  apucl  Rotwilere  in  loco  qui  Hochmuron  clici- 
tur,  deo  famulantium.  Document  de  1217. 


222  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

lend  sur  les  monts  du  Heubergqui  s'élèvenl  au  loin 
comme  une  vaste  muraille.  Cette  rivière  prolonge  au 
nord  la  colline,  qui  au  sud  est  bordée  par  la  Prini,  et 
dont  les  deux  autres  côtés  étaient,  dans  l'antiquité, 
protégés  par  des  murs  crénelés  et  des  fossés  pro- 
fonds, où  venaient  aboutir  les  routes  qui  conduisaient 
à  la  cité. 

Le  point  central  de  tout  l'établissement  était  celui 
où  fut  posé  le  couvent  et  où  des  fouilles  savam- 
ment entreprises  ont  offeit  aux  regards  des  restes 
de  bâtisses  qui  annoncent  autant  de  luxe  que  de  gran- 
deur. De  ce  point  partaient  dans  toutes  les  directions 
les  chaussées  que  je  viens  de  mentionner;  un  autel, 
érigé  par  Primus  Victor',  et  consacré  aux  dieux  pro- 
tecteurs de  ces  chaussées,  fut  retrouvé  en  cet  endroit. 

La  l'ive  gauche  du  Necker,  vis-à  -  vis  le  Hoch- 
mauern ,  est  plus  élevée  que  la  rive  droite;  elle 
forme  un  plateau  qui ,  renfermé  par  des  terrasse- 
ments et  des  fossés,  montre  encore  distinctement 
le  carré  de  l'ancienne  forteresse,  dont  les  angles 
sont  arrondis,  et  dont  le  côté  principal  était  tourné 
vers  Test,  du  côté  du  Hochmauern.  On  peut  encore 
facilement  distinguer  trois  ouvertures,  qui  ont  dû  Ini 
donner  issuo  et  où  furent  placées  la  porte  préto- 

1  BIVIJS  TRIVI|S 

QVADRVUS 

EX  VOTO   SVSCEPTO 
POSIIT  PRIMVS 

VICTOR 
V.  S.  L.  L.  M. 


DU  «HIN  ET  DU  DANUBE.  223 

rienne^la  porte  déciimane^  et  la  porte  principale 
(\e  gauche^  La  route  du  Rhin,  qui  vient  de  Dùningen, 
était  elle-même  enclavée  dans  ces  fortifications,  où 
un  rempart  élevé  protégeait  la  fourche  qu'elle  formait 
pouraller  par  un  pontaboutirau  Hochmauern.  L'em- 
placement était  vaste,  et  il  ne  compte  pas  moins 
de  quatorze  cent  cinquante  pieds  de  long  sur  mille 
de  large.  Les  fouilles  qui  y  ont  été  faites  annoncent 
que  l'assaut  de  l'ennemi  et  que  la  flamme  ont  dû  un 
jour  ruiner  celte  malheureuse  cité;  il  n'est  pas  rare 
de  trouver  même  les  os  des  anciens  habitants  enfouis 
tout  calcinés  au  sein  de  ces  décombres.  Les  mon- 
naies qui  en  ont  été  extraites,  et  qui  sont  la  plupart 
des  règnes  d'Auguste,  de  Trajan  ,d'Antonin,  de  Marc 
Aurèleet  de  Faustine,ne  descendent  pas  en  décades 
premières  années  du  troisième  siècle.  Elles  précisent 
l'époque  de  la  destruction  de  cette  ville,  qui  corres- 
pond exactement  à  la  destruction  des  autres  lieux 
que  nous  avons  mentionnés. 

Bien  longtemps  après  s'est  formée  une  ville  nou- 
velle sur  la  rive  opposée  du  Necker;  le  nom  même 
delavillequi  fut  un  jourflorissanteetqui,  sous  Rome, 
dominait  toute  la  contrée .  fut  perdu  dans  la  mémoire 
des  nouveaux  habitants.  Rien  n'atteste,  en  effet,  ni 
dans  les  dires  du  peuple,  ni  dans  les  chroniques,  ni 
dans  les  documents  du  moyen  âge,  que  la  terre  que 
nous  foulons  soit  celle  où  furent  posés  les  Autels  Fla- 
viens.  La  discussion  qui  s'est  à  ce  sujet  élevée  parmi 

*  /  orta  Prxtoria. 

2  Porta  Decumana. 

3  Porta  Principalis  smistra. 


224  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

les  savants  '  eût  été  inconciliable ,  si ,  parmi  ces  ruines 
mêmes,  un  objet  d'art  que  notre  siècle  a  vu  de  nou- 
veau surgir  à  la  lumière,  n'étaitvenu  nous  en  donner 
la  solution. 

Sous  un  champ  que  parcourait  la  charrue, fut,  en 
effet,  en  1834,  découverte  une  antique  mosaïque, 
dont  le  travail  précieux,  quoique  bien  endommagé, 
a  dû  appartenir  à  une  construction  des  plus  somp- 
tueuses. Au-dessous  de  ce  monument  de  l'art  avaient 
dans  l'antiquité  été  pratiqués  des  conduits,  destinés 
à  répandre  la  chaleur  dans  le  vaste  appartement  dont 
il  formait  le  pavé.  Le  terrain,  ainsi  miné,  s'est  avec 
le  temps  affaissé;  c'est  par  cet  affaissement  même 
que  la  partie  encore  intacte  du  monument  a  pu  être 
retrouvée.  Partout  où  cet  affaissement  n'a  pu  avoir 
lieu,  la  charrue  a  chaque  année  enlevé  avec  elle 
les  pierres  jointes  de  la  mosaïque,  au  point  de  la 
rendre  méconnaissable.  Ce  qui  en  reste,  nous  per- 
met toutefois  de  juger  de  tout  l'ensemble  de  la  com- 
position. Le  tableau  du  milieu  représente  Orphée, 
coiffé  du  bonnet  phrygien,  et  l'épaule  droite  dra- 
pée d'un  vaste  manteau,  retenu  par  une  agrafe, 
et  dont  les  plis  descendent  jusqu'à  terre.  Son  regard 
est  animé,  et  il  semble  être  dans  l'inspiration  poé- 
tique, comme  s'il  venait  de  moduler  sa  dernière 
strophe,  tandis  que  sa  main  presse  les  cordes  de  sa 
lyre,  posée  sur  ses  genoux.  Un  corbeau  et  une  pie, 
perchés  sur  les  branches  de  deux  arbres,  et  à  ses 


^  Voy.  Manncrt,  Cluver,  Hanselmann,  Crusius,  Buchner,  Leichtlen, 
Reichard.  Oken,  clc. 


DU  UHIN  ET  DU  DANUBE.  225 

pieds, d'un  côté  un  renard, et  de  l'autre  une  cigogne, 
semblent  écouter  ses  divins  accents.  Cette  partie  prin- 
cipale de  la  composition^  qui  se  distingue  par  la  pu- 
reté du  dessin  et  par  le  brillant  des  couleurs,  quoique 
les  traces  du  feu  soient  partout  reconnaissables, était 
encadrée  d'autres  scènes  non  moins  savamment  exé- 
cutées et  représentant  des  courses  de  chars  ou  des 
combats  du  cirque.  Dans  le  champ  de  droite  se  dis- 
tinguent encore  les  restes  de  quatre  chevaux  qui 
furent  attelés  à  un  quadrige  ,  et  la  tète  de  l'homme 
qui  sans  doute  les  conduisait.  Au-dessus  d'Orphée, 
un  autre  quadrige  est  entier;  il  semble  avoir  été 
traîné  par  des  cerfs,  dont  le  conducteur,  qui  est  en- 
core intact,  tient  les  rênes  dune  main,  et  de  l'autre 
montre  levée  une  couronne.  Le  troisième  champ 
n'offre  plus  qu'un  casque  que  décore  une  plume.  Le 
quatrième  a  tout  à  fait  disparu.  Mais  au  cinquième, 
qui  est  pour  notre  sujet  du  plus  grand  intérêt,  appa- 
raissent les  pans  d'une  tunique,  restes  d'habillement 
d'un  homme  qui ,  les  lacets  à  la  main,  est  à  la  pour- 
suite d  un  cerf.  Le  sixième  champ  semble  avoir  re- 
présenté un  combat.  Deux  hommes,  dont  les  têtes 
guerrières  apparaissent  encore,  et  dont  l'un  paraît 
avoir  terrassé  son  adversaire,  sont  du  côté  gauche, 
tandis  qu'à  droite  se  voient  encore  la  tête,  la  main 
et  l'épée  d'un  troisième  combattant.  Le  septième 
champ  enfin  présente  les  restes  d'un  homme  qui , 
l'épieu  à  la  main ,  semble  poursuivre  un  animal  ou 
s'élancer  à  sa  rencontre.  Le  huitième  champ  a  dis- 
paru. L'encadrement  qui  séparait  avec  symétrie  ces 
diverses  scènes,  les  arabesques  des  coins  non  moins 
I. 


15 


226  •  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

gracieusement  exécutées,  tout  devait  donner  à  ce 
pavé  remarquable  un  ensemble  aussi  brillant  que 
précieux. 

Ce  qui  le  rend  d'un  intérêt  majeur  pour  nos  re- 
cherches, c'est  que  les  couleurs  qu'offrent  les  tu- 
niques des  conducteurs  des  chars  nous  prouvent  in- 
contestablement que  ce  bel  ouvrage  doit  dater  du 
règne  de  Domitien.  On  sait,  en  effet,  qu'avant  ce 
règne,  les  agitateurs  (ainsi  qu'on  les  appelait)  étaient 
partagés  en  quatre  classes,  selon  les  couleurs  qui 
distinguaient  leur  habillement  et  qui  étaient  le  bleu 
de  ciel,  le  vert,  le  rouge  et  le  blanc.  Domitien  aug- 
menta leur  nombre  de  deux  nouvelles  classes,  qui 
prirent  les  couleurs  jaune  et  pourpre',  couleurs  qui 
semblent  avoir  été  celles  de  la  famille  Flavienne.  Or, 
sur  la  mosaïque  qui  nous  occupe,  ces  deux  couleurs 
sont  les  prépondérantes.  Le  manteau  d'Orphée  et 
son  bonnet  sont  d'un  rouge  foncé.  L'homme  qui  tient 
les  lacets  h  la  poursuite  du  cerf,  a  la  tunique  jaune 
d'or.  L'agitateur  du  char  a  un  habit  jaune  avec  des 
bandes  rouges,  jaunes  et  noires.  Celui  qui  tient  l'é- 
pieu  est  également  habillé  de  jaune.  Il  est  évident 
que  ces  couleurs  n'eussent  pas  été  choisies  par  l'ar- 
tiste, si  la  classe  des  agitateurs  qui  les  portait  n'eût 
pas  encore  été  formée  lors  de  la  confection  de  cette 
mosaïque.  Il  est  probable  aussi  qu'elles  n'ont  été  choi- 
sies qu'en  mémoire  et  par  l'ordre  d'un  prince  dont  la 
ville  portait  le  nom  de  famille.  Domitien  resta  pen- 

*  Duas circensibus  gregum/acliones,  aurad,  pvrpureique  panni 
ad  quatuor  prialinns  acklidit.  Su»H.,  in  Dornitiavn^  vu. 


DU  RHIN  ET   DU  DANUBE.  227 

dant  de  longues  années  sur  le  Rhin.  Soit  que  son  père 
Vespasien  ait  ordonné  le  premier  tracé  des  for- 
tifications que  nous  foulons,  soit  que  Domitien  lui- 
même,  pendant  son  séjour  en  Germanie,  les  ait  fait 
bâtir,  toujours  est -il  certain  que  la  mosaïque  doit 
dater  de  son  règne.  Car  l'artiste  n'eût  pas  non  plus 
choisi  ces  couleurs,  si  la  classe  des  agitateurs  à  la- 
quelle elles  appartenaient  avait  cessé  d'exister.  Or, 
l'on  sait  que  les  deux  classes  fondées  par  Domitien 
ne  se  soutinrent  pas  longtemps  après  le  règne  de  ce 
prince,  et,  qu'à  l'exception  de  la  cité  Flavienne,  au- 
cune autre  ville  dans  la  contrée  n'avait  été  bâtie 
par  les  Césars  de  cette  famille. 

La  mosaïque  avec  ses  vives  couleurs  lient  donc  ici 
lieu  d'inscription;  elle  prouve  incontestablement 
l'emplacement  et  le  nom  de  la  ville  antique.  Elle  est 
d'un  prix  d'autant  plus  estimable  que  la  position  de 
l'ancienne  cité  Flavienne  irrévocablement  connue, 
il  est  facile  de  trouver  toutes  les  stations  romaines 
qui  l'entouraient. 

Les  diverses  chaussées  qui  en  sortaient  prenaient 
leur  direction,  l'une  au  nord,  l'autre  au  sud,  la  troi- 
sième à  l'ouest,  la  quatrième  enfin  à  l'orient.  Les 
siècles  n'ont  pu  effacer  leurs  traces,  et  il  est  encore 
facile  de  reconnaître  leur  antique  ramification.  Le 
peuple  les  nomme  Hochstrassen,  cesl-i\-û\ve  roules 
élevées _,  parce  qu'en  effet  elles  sont  partout  élevées 
au-dessus  du  terrain.  Nous  suivons  la  direction  du 
sud  jusqu'au  village  de  Schwenningen,  près  duquel  le 
Necker  sort  de  terre,  et  où  des  tombes  celtiques  an- 
noncent l'ancienne  population  qui  d'abord  y  vécut; 


228  ÉTABLISSEMENTS  IIOMAINS 

nous  passons  près  des  salines  de  Dûrrheim,  entre 
Schwenningen  et  Villingen,  et  suivant  toujours  l'an- 
tique chaussée,  qui,  comme  une  digue  de  verdure,  par- 
court le  haut  plateau  des  montagnes  qui  bordent  le  val 
de  la  Brigach ,  nous  arrivons ,  sur  la  Breg ,  près  d  Hii- 
fingen,  à  une  autre  ville  souterraine;  vu  sa  position, 
elle  n'a  pu  être  que  l'antique  Brigobanne.  La  Table  de 
Théodose  marque  treize  lieues  d'Arœ  Flaviœ  à  cette 
dernière  ville.  Le  temps  qu'a  duré  notre  course  est 
de  six  heures  et  demie;  la  distance  s'accorde  donc 
parfaitement.  Les  fouilles  qui  y  ont  été  faites  ont 
prouvé  que  la  onzième  légion  ,  du  surnom  de  Clau- 
die\  et,  par  conséquent,  la  garnison  de  Vindonissa, 
y  avait  un  poste ,  et  il  est  probable  qu'indépen- 
damment du  castel,  un  établissement  plus  considé- 
rable existait  à  l'opposé  du  torrent,  où  d'immenses 
restes  de  bâtisses  romaines  sont  enfouis  sous  le 
soP. 

Brigobanne  était  la  première  station  du  Danube, 
puisque  les  deux  petits  torrents  de  la  Breg  et  de 
la  Brigach,  qui  l'un  et  l'autre  descendent  des  som- 
mités de  l'Abnoba  et  se  réunissent  un  peu  au-des- 
sous de  l'ancienne  ville  romaine,  forment  avec  les 
sources  de  Donaueschingen,  dont  les  eaux  vont  s'y 
jeter,  le  cours  de  ce  grand  fleuve. 

Tibère,  le  premier  de  tous  les  généraux  romains, 

1  LEG.  XI.  —  LEG.  XI.  C.  P.  F.  legio  undicima  Claudia  Pia  Fi- 
delis.  (sur  deux  briques). 

^  \oy.Frkk,  yEdium  Romanorum,  panels  abhinc  annis  pi-ope 
Ilûfingen  m  monte  Jbnoba  detecfarum  succincta  descriptio.  Frib. 
1824,  p.  15. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  229 

après  avoir  repoussé  plusieurs  tribus  de  Vindéli- 
ciens  et  de  Rhétiens,  qui  s'étaient  en  pillant  avan- 
cées jusque  dans  la  Gaule,  et  les  avoir  même  com- 
battues sur  le  lac  de  Brigance,  avait  pénétré  dans  ces 
contrées ^  Il  avait  vu  les  sources  du  Danube,  et  il  est 
possible  qu'alors  déjà,  pour  contenir  les  populations 
celtiquesdesvalléesquilesavoisinaient,il  ait  fait  bâtir 
sur  ces  hauteurs  les  premières  tours  fortes  qui  les 
dominèrent.  Biigobanne,  quoi  qu'il  en  soit,  devait  être 
important  comme  lieu  d'étape.  Il  liait  la  station  d'Arœ 
Flaviœ  à  celle  de  Juliomag  us,  quW  faut  aller  chercher 
près  de  Stùhlingen, dans  les  environs  de  Schleitheim 
et  de  Beggingen,  dont  le  sol  recouvre  encore  des 
restes  considérables  de  bâtisses  romaines^. 

La  station  de  Juliomagus  correspondait  elle-même 
par  levai  de  la  Wutach  avec  la  station  de  Ténédone, 
où  nous  nous  sommes  primitivement  arrêté  sur  le 
Rhin.  Les  traces  de  la  chaussée  romaine  sont  en- 
core çà  et  là  reconnaissables sur  toute  celte  ligne;  les 
distances  qui  séparent  ces  lieux  sont  elles-mêmes 
conformes  à  celles  marquées  sur  la  Table  de  Théo- 
dose,  puisque  du  Rhin  à  Beggingen  nous  trouvons 
quatorze  lieues  romaines  ou  sept  heures  de  marche, 
et  que  de  là  à  Hiifingen  nous  en  trouvons  onze  ou 
cinq  heures  et  demie. 

Le  second  embranchement  de  la  route  d'Arœ  Flaviœ 

1  Strabon  ,  I.  vu. 

2  Les  monnaies  romaines  trouvées  dans  ces  deux  lieux  descendent 
depuis  Auguste  jusqu'à  Magnence.  —  Voy.  pour  la  position  que  j'as- 
signe à  Juliomagus,  Schreiber,  Taschenbuch  fur  Geschîchfe  tind 
Alterthum.  iU\,  p.  233  et  sv. 


230  ÉTABLISSEMENTS  UOMAllNS 

est  celui  qui  allait  par  Dûningen,  ancien  village  cel- 
tique élevé  sur  une  hauteur  \  et  qui  montre  encore 
les  ruines  d'une  tour  d'observation,  aboutir  à  un 
établissement  placé  derrière  le  Kniebis,  mais  dont 
rien  ne  rappelle  le  nom.  Le  souvenir  seul  de  ce  lieu, 
qui  est  appelé  Allsladt  vieille  ville),  s'est  conservé 
par  tradition  chez  les  habitants  de  ces  montagnes. 
Cette  route  semble  avoir  joint  par  une  courbe  la  co- 
lonie de  Sumlocène,  tandis  que  par  la  vallée  elle 
descendait  vers  le  Rhin. 

Le  troisième  embranchement  allait  joindre  le  Da- 
nube, tandis  que  la  ligne  principale,  la  grande  voie 
militaire  de  Vindonissa  aux  camps  de  la  Luna,se 
dirigeait  au  nord  vers  la  colonie  de  Sumlocène. 

L'emplacement  d'aucune  ville  romaine  n'a  été 
l'objet  de  plus  de  controverses  que  celui  de  cette 
dernière  cité;  aucune  ville  cependant  n'a  offert  un 
nombre  d'inscriptions  plus  considérables  et  moins 
équivoques.Cequi  a  surtout  donné  lieu  aux  diverses 
opinions  qui  ont  été  émises  à  cet  égard ,  c'est  le  tracé 
de  celte  grande  voie  militaire  qui  sur  la  Table  de  Théo- 
dose est  faussement  indiqué  sur  la  rive  droite  du  Da- 
nube, tandis  que  tout  prouve  que  cette  route  avait  été 
principalement  construite  pour  lier  au  Rhin  les  camps 
du  grand  rempart.  La  distance  que  cette  Table  marque 
de  la  station  d'Arœ  Flaviaî  à  celle  de  Sumlocène  est 
aussi  de  dix  lieues  trop  faible;  c'est  encore  un  des 
motifs  qui  ont  porté  à  l'erreur  ceux  qui  ont  voulu 
baser  leur  opinion  sur  celte  carte,  dont  on  ne  peut  h 

'  Dunum,  iiionlagnc. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  931 

cet  égard  assez  se  défier.  Il  est  probable  que  le  scribe 
auquel  on  doit  la  copie  de  cet  itinéraire  n'a  jamais  vu 
lui-même  le  pays,  et  que,  d'après  ce  qu'il  savait  que 
le  Danube  formait  la  frontière  de  lEnipire,  il  a,  sans 
prendre  garde  que,  jusqu'à  proximité  de  l'embou- 
chure de  la  Regen,  ce  n'était  pas  en  effet  le  fleuve, 
mais  le  grand  rempart  qui  la  formait,  mis  sur  la  rive 
droite  les  villes  qui  devaient  être  marquées  au  delà  sur 
le  Necker.  Il  y  a  sur  cet  itinéraire  plusieurs  erreurs 
de  ce  genre  qui  prouvent  que  l'on  ne  doit  pas  avoir 
une  confiance  aveugle  dans  le  dessin  de  cette  carte. 

Les  inscriptions,  au  contraire,  surtout  lorsqu'elles 
sont  en  nombre  aussi  considérable  que  celles  qu'a 
livrées  le  sol  de  l'antique  cité  qui  nous  occupe,  ne 
peuvent  être  révoquées  en  doute;  je  ne  me  livrerai 
pas  dès  lors  inutilement  h  une  dissertation  qui  me  pa- 
raît superflue  pour  concilier  toutes  les  opinions  qui 
ont  été  émises  sur  son  véritable  emplacement. 

La  route  qui  d'Ara)  Flaviae  conduisait  à  cette  colo- 
nie n'a  pas  encore  partout  disparu  ;  dans  plus  d'un  lieu 
le  voyageur, en  parcourant  les  plateaux  qui  bordent 
le  Necker,  peut  encore  la  retrouver  intacte  ou  en 
remarquer  les  traces  ^ 

Le  casteP,  sous  l'emplacement  duquel  nous  pas- 
sons en  quittant  Rottweil  ;  le  camp  qui  semble  avoir 
dominé  la  hauteur  de  Soulz;  Horb,  où  fut  trouvée 
une  tête  de  Janus,  tous  ces  lieux  rappellent  la  pré- 
sence des  Romains. 

1  Leichllen,  Die  Ober-Donaii-Sf russe,  p.  103  et  104,  en  a  donné 
une  exacte  description. 
'  Heidenschlùsschen. 


232  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Sumlocène  était  une  ville  de  premier  rang.  Le  culte 
des  grands  dieux  y  était  établi \  et  son  importance 
comme  cité  nous  est  attestée  par  le  titre  de  co/ome^  que 
nous  lui  trouvons  donné  sur  un  grand  nombre  d'ins- 
criptions. 

Elle  avait  un  président^  ou  préfet ^  un  préteur^, 
des  duumvirs^,  des  triumvirs\  des  quadrumYirs^  un 
curateur^des  sévirsaugustaliens'^  etenfin  toutes  les 
autorités  qui  constituaient  l'administration  des  colo- 
nies. 

La  première  et  la  troisième  cohorte  des  Helvé- 
liens,  compris  dans  la  huitième  légion  antonine, 
et  d  autres  troupes  de  la  vingt  -  deuxième   légion 


1  I.  0.  M.  E.  lYN.  RG.  E.  G.  LOC. 

Jovi  optlmo  maximo  et  Junoni  Reginœ  et  Genio  loci. 

2  G  .  SVMLOCENE  .  G  .  SVMLOGE  ....  G  .  SVMLOGNE  .  COL  . 
SVML  .  etc. 

3  .  .  IVS  PRAES  .  G  .  SViMLOCEN. 

PRÂE  COL  SYMLOCENE  .  T  GLÂYD .  SEV.  G  AVFDS  VIGTORIN.  (an 
200  de  Jésus-Christ). 

^  G  .  IVL  .  PRAEF  .  Go .  SVM  L  FAB  G  -to  SEPT  M  A>  ±  L  COS. 
(an  204  de  Jésus-Christ}. 

5  AERA  :  SEP  .  PR.E:  .  YRB  SYM 

6  G.  FAL.  HYIR.  LXXII  G  .  .  . 
"  xMARCYS  ÏÏÎYIR  GO  .  - 

8  MAR  .  MESSIYS  FORTYNATYS  NEG  IIII  .  .  . 

9  AB  .  Y  .  G  .  .  .  TIANVS  .  CYR  .  COL  .  SYM  .  Curator  colonix 
Sumt.  —  PR  .  CYR  .  COL  .  SYM  .  Prxpositus  curiœ  colonix  Suml. 

10  .  .  ONATVS  IhhIyIR  AYG  NE  —  YATYS  IlHlI  AYG  .  .  — 
. .  L  .  GAI  InnI  AYG.  AYREL  .  POM  .  COL  .  AYIT  COS.  (nn  209 
ac  Jésus-Christ).  -  .  .  LOCKE  LYIS.  GAMLIYS  liUlI  .  etc. 


DU  UHliN  ET  DU  DANUBE.  233 

y  étaient  en  garnison  ^  Cette  ville  faisait  donc  partie 
du  gouvernement  de  la  Germanie  supérieure.  Son 
emplacement  était  on  ne  peut  plus  favorablement 
choisi.  Posée  sur  les  bords  du  Necker  qui  la  baignait, 
et  s  élevant  en  amphithéâtre  sur  ses  rives,  elle  était 
dominée  par  un  castel  qui  lui-même  était  assis  sur 
une  assez  haute  colline^.  Cette  colline,  de  trois  côtés, 
présente  un  escarpement  assez  rapide,  et  elle  était 
même  rendue  inaccessible  par  les  découpures  du 
rocher.  Du  côté  du  plateau,  au  contraire,  son  seul 
point  abordable,  ont  dû  se  trouver  ses  plus  fortes  dé- 
fenses, et  l'on  y  voit  encore  çà  et  là  des  pans  de  mu- 
railles antiques.  L'on  domine  de  ce  point  toute  la 
contrée.  La  chaîne  de  l'Albe  se  déploie  tout  entière 
aux  regards,  tandis  que,  dans  la  vallée,  la  rivière, 
comme  un  long  ruban ,  se  dessine  au  milieu  des  prai- 
ries ou  des  champs  de  culture. En  arrière,  les  hautes 
sommités  du  Necker  et,  à  l'horizon,  ceux  de  la  Forêt- 
Noire  montrent  leurs  lignes  droites  ou  dentelées. 

Le  commerce  de  cette  ville  devait  être  important,  et, 
d'après  ce  qu'une  inscription  nous  apprend,  il  y  avait 
dans  la  cité  une  fabrique  de  manteaux  de  guerre, 
fabrique  sans  doute  très -considérable,  puisque  le 
propriétaire  était  lui-même  sévir  de  la  cité,  et,  par 
conséquent,  l'un  des  hommes  de  son  temps  qui  y 
jouaient  le  plus  grand  rôle.  Ce  négociant  éleva  à  ses 
frais  un  monument  dont  nous  ignorons  le  but  et  l'em- 

'  LEG  YIII  COH  T  IL  M  .  I .  .  .  -  LEG  VIII  CHOR  I  tL  .  .  .  —  LEG. 
ANTON.  VIII  CH . . .  -  VLPI  VALINTINYS  PR.^F  CHOR.  I  LEG  VIII. 
—  L  XXII  P.  P  F.  -  SAB  VITE  VETE  L  XXII  f*  Iil  Hîl.  -  etc. 

2  Altstatterberg  (mont  de  la  vieille  ville). 


234  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

placement,  mais  dont  l'inscription  nous  a  été  con- 
servée'.Elle  nous  faitvoir  qu'au  temps  de  l'empereur 
Alexandre  Sévère, à  la  même  époque  où  florissaient 
Bade  et  Arœ  Flaviae,  cette  colonie  était  riche  et  puis- 
sante. Des  tombes ,  des  autels  et  surtout  l'un  à  Diane  2, 
protectrice  dans  les  villes  des  accouchemenls  et 
des  nouveau-nés^,  des  restes  de  monuments  somp- 


*  IN  H  D  D 

M  M  SSIVS 

FORTVNATVS 
Iiiiil  VIR-  ÂÂ'G 

NEGOTIATOR 

ÂRTI.  CRETA 

PAEN  PAENVL 

OMM  II  •  PEN 
DEO  VO  FECIT 

IDEXTROCOS. 

In  honorem  Domui  divinx,  Marcus  Messius  Fortunatus  ^  sévir 
aiigtisfalis  .  iiegotiator  artis  cretarias  et  pxnularius ,  omni  impen- 
deo  suo  fecit Dextro  consuUbua. 

L.  Dexter  et  Msecius  Rufus  étaient  consuls  l'an  4  du  règne  d'A- 
lexandre (an  22o  de  Jésus-Christ) . 

'  DEANAE 

IN  H  DD 

qi  IVYENTVTT 

C  SVM  .  IVL  H  R 

MES.  T.  C. 

Deanx,  in  honoi'em  domus  divinse,  pro  juventute  civium  Siimlo- 
cenensium  Julius  Hermès  testamènti  causa. 

3  Callimaque,  dans  une  de  ses  hymnes,  assure,  en  effet,  qu'elle  ne 
visite  les  villes  que  pour  donner  ses  soins  aux  femmes  en  couche  et 
présider  aux  enfantements.  Prxpositam  timidis  parientibus  Ili- 
thyam  (Ovide).  En  cette  qualité  elle  portait  le  titre  de  Lvcina  ou  d7/i- 
tluja.  Selon  Diodorc  de  Sicile,  elle  venait,  sous  le  nom  A\4rtemis, 


DU  lUIlIS  ET  DU  DANUBE.  235 

tueux,  parmi  lesquels  se  distingue  surtout  l'aqueduc, 
qui  d'une  dislance  de  près  de  trois  lieues  conduisait 
l'eau  potable  dans  la  ville,  sont  autant  de  témoins 
qui  nous  parlent  de  la  vie  active,  du  culte  et  de  l'o- 
pulence de  ses  habitants.  Cetaqueduc  était  un  ouvrage 
grandiose  et  digne  d'être  mentionné  à  côté  de  tout 
ce  que  Rome  a  élevé  eu  ce  genre  dans  la  contrée.  Il 
commençait  au-dessus  d'Obernau,  dans  une  vallée 
latérale  du  Necker,  où  il  recevait  les  eaux  de  diverses 
sources,  et  il  suivait  la  pente  des  collines,  non  sup- 
porté par  des  arcades ,  mais  faisant  masse  avec  le 
terrain  même.  Le  canal,  dont  on  a  retrouvé  les  traces 
sur  toute  la  ligne,  était  composé  d'un  ciment  dont 
les  ingrédients  principaux  sont  la  chaux,  le  gypse 
et  des  briques  pilées;  il  était  de  chaque  côté  re- 
vêtu d'un  mur  sur  lequel  s'appuyait  la  voûte.  Le  ca- 
nal, ainsi  protégé, reposait  lui-même  sur  une  plus 
forte  bâtisse,  dont  la  muraille  de  chaque  côté  le  dé- 
passait à  peu  près  d'un  pied.  Ce  mur  est  construit  en 
pierres  calcaires  de  petite  dimension,  mais  très-ré- 
gulièrement taillées.  Sur  les  deux  côtés  du  canal 
elles  sont  coupées  triangulairement,  de  manière  à  ce 
qu'elles  s'emboîtent  avec  la  plus  grande  solidité  l'une 
dans  l'autre. 

L'espace  réservé  au  conduit  de  l'eau  avait  un  pied 
de  large  sur  un  pied  et  demi  de  haut,  sans  compter 
la  voûte  qui  pouvait  ofîrirune courbe  de  trois  pouces. 
Le  ciment  qui  le  recouvrait  avait  une  épaisseur  d'un 

prendre  soin  des  nouveau-nés  et  présider  à  leur  nourriture.  Il  est 
donc  possible  que  cette  pierre  ait  été  placée  dans  une  maison  d'or- 
phelins qu'Hermès  mit  sous  l'invocation  de  celte  déesse. 


236  ÉTABLISSEMENTS  ROMAIiNS 

demi-pied  au  fond  et  de  quatre  pouces  sur  les  côtés. 
Le  mur  sur  lequel  le  canal  repose  est  lui-même  large 
de  six  pieds, et,  selon  les  localités,  il  s'élève  de  deux 
à  trois  pieds  au-dessus  du  sol. 

Lors  des  travaux  qui  furent,  il  y  a  vingt-cinq  ans 
environ,  entrepris  dans  l'intérieur  de  Rottenbourg, 
ville  moderne  assise  sur  l'emplacement  de  la  cité 
antique,  on  retrouva  plusieurs  restes  de  ce  canal 
et  plusieurs  bassins  souterrains,  qui  sans  doute  lui 
servaient  de  réservoirs  et  d'où  l'eau  allait  dans  toutes 
les  directions  se  répandre  dans  la  ville. 

Rien,  du  reste,  dans  les  ruines  que  les  différentes 
fouilles  qui  y  ont  été  faites  ont  mises  au  jour,  n'a  pu 
donner  d'indication  ni  sur  l'époque  où  la  colonie  de 
Sumlocène  a  été  fondée,  ni  sur  le  temps  de  sa  des- 
truction. 

Les  dernières  inscriptions  trouvées  depuis  quel- 
ques années  attestent  seulement  qu'elle  existait  en- 
core en  250  de  Jésus-Christ,  et  que  le  nom  celtique 
de  cette  ville,  conservé  d'abord  par  les  Romains,  avait 
par  la  suite  éprouvé  quelque  changement.  Par  elles 
nous  voyons,  en  effet,  que  la  cité  de  Sumlocène  et 
le  lieu  qu'on  appela  plus  lard ,  dit  Ammien  Mar- 
cellin  \  du  nom  de  Solicinium,  furent  la  même  et 
unique  ville.  Selon  toute  probabilité,  ce  fut  après  la 
première  invasion  des  Allemanes,  et  lorsque,  après 
avoir  repoussé  ces  peuples  et  s'être  de  nouveau 
avancés  sur  le  Necker,les  Romains  eurent  relevé  les 
ruines  de  celte  cité,  que  le  nom  latin  de  Solicinium 

<  Amin.  Marcel.,  1.  xxvii,  c.  10. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  2S7 

succéda  au  nom  celtique  primitif.  Le  récit  d'Ammien 
permet  du  moins  de  le  conjecturer  avec  d'autant  plus 
de  vraisemblance  que  le  nom  que  les  Allemanes  don- 
nèrent dans  leur  dialecte  à  cette  ville  et  qui  s'est  per- 
pétué dans  un  petit  village  qui  se  trouve  aux  portes 
de  Rottenbourg,  n'est  lui-même  que  le  nom  latin 
contractée  Les  Allemanes,  en  prenant  possession  de 
la  ville  lors  du  départ  définitif  des  Romains,  lui  ont 
certainement  laissé  le  dernier  nom  qu'elle  portait, 
et  qui  est  celui  dont  ces  inscriptions  ont  révélé  l'exis- 
tence. Elles  sont  d'autant  plus  précieuses  qu'elles 
servent  à  préciser  un  des  points  d'histoire  les  plus 
importants  du  règne  de  Valentinien  et  à  marquer 
avec  assurance  la  place  où  se  livra  la  bataille  que 
cet  empereur  gagna  en  368  contre  les  Allemanes  ^ 

Ce  qui  peut  le  plus  étonner  dans  le  récit  de  l'au- 
teur latin,  c'est  la  manière  vague  dont  il  parle  de 
tous  les  lieux  qu'il  cite  et  qui  semblerait  indiquer  que 
depuis  le  siècle  environ  que  les  Romains  avaient  été 
repoussés  de  la  contrée,  le  souvenir  de  leurs  anciens 
établissements  s'était  comme  perdu.  Au  lieu  de  pré- 
ciser comme  une  chose  connue  l'ancienne  colonie 
de  Solicinium,  «c'est,  di4-il,  près  d'un  lieu  que  l'on 
nomme  ainsi,  que  le  combat  eut  lieu.»  Au  lieu  de 
nommer  l'antique  rempart,  qui  fut  un  jour  l'ancienne 
frontière  du  gouvernement  des  Gaules,  «c'est,  dit-il, 
dans  un  lieu  nommé  palas  ou  capellatium  que  les  lé- 
gions arrivèrent.»  Il  en  est  de  même  du  poëte  Au- 

1  COL  SOLICIN  .  .  .  -  C.  SOLICIN  ...  —  SOLICINM.  — 

2  Siilch. 

^  Voy.  première  p;irtie,  p.  IIC  el  sv. 


238  ÉTABLlSSEMEiNTS  ROMAINS 

sone  qui,  à  la  même  époque,  chante  les  hauts  faits 
de  l'empereur,  et  le  félicite  d'avoir  en  même  temps 
vu  les  sources  du  Danube  inconnues  des  Romains,  et 
d'avoir  combattu  l'ennemi  sur  le  Necker  et  à  Lupo- 
dunum^Et  cependant  nous  venons  de  voir  à  la  sta- 
tion d'Arae  Flavise  et  à  celle  de  Brigobanne,  situées 
l'une  et  l'autre  à  quelques  lieues  des  sources  de  ce 
fleuve,  avec  quelle  grandeur  Rome  y  avait,  près  de 
trois  siècles  auparavant,  établi  son  pouvoir. 

Valentinien,  d'après  ce  que  nous  apprennent  ces 
deux  auteurs,  qui  ne  sont  nullement  en  contradic- 
tion ,  comme  on  l'a  prétendu ,  s'avança  à  travers  la 
Forêt-xMarcienne  jusqu'aux  sources  du  Danube ,  pour 
gagner  de  là  le  val  du  Necker  qui  lui  était  ouvert. 
Cette  partie  de  la  campagne  est  racontée  par  le  poète, 
qui  veut  parla  surprendre  l'imagination,  tandis  que 
l'historien  néglige  de  nous  indiquer  la  route  que  sui- 
virent les  légions,  et  nous  conduit  de  suite  à  Solici- 
nium,  où  les  trois  corps  d'armée  de  Valentinien  se 
réunirent  et  où  se  donna  une  bataille  décisive.  Soli- 
cinium  était  sur  les  bords  du  Necker.  C'est  aussi  sur 
les  bords  de  la  rivière^  mais  sans  nommer  la  ville, 
que  le  poète  chante  les  exploits  de  son  héros.  Les 
Allemanes,  selon  Ihistorien,  étaient  postés  sur  une 

*  Nec  prsemia  in  undis 

Sola,  sed  Augustx  veniena  quod  mœnibus  urbis 
Spectovit  juncfos  natique  patrisque  triumphos  , 
IJostibus  exactis  ?iicrum  sxiper  et  Liipodunum 
El  font em  Latiis  ignotum  annalibus  Istri. 
Hscc  proflhjati  venit  laurea  belli 
Mox  alias  aliasve  re/ert.... 

^Ansonins .  MnxfUa  .v.  420-i26. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  239 

montagne  dont  trois  côtés  étaient  inabordables,  tan- 
dis que  le  quatrième  offrait  une  pente  douce  et  aisée 
par  laquelle  les  Romains  s'avancèrent.  C'est  bien  la 
position  qu'offre  l'emplacement  du  castel  romain 
qui  un  jour  domina  la  cité,  mais  qui  peut-être  avait 
déjà  totalement  été  rasé  pendant  les  guerres  anté- 
rieures, et  que  le  seul  courage  de  l'ennemi  défendit 
alors.  Longtemps  la  bataille  fut  chaudement  disputée, 
mais  enfin  les  Allemanes  se  virent  forcés  à  la  retraite , 
et  se  débandèrent  dans  les  forêts  qui  leur  offrirent 
un  asile. 

Lhistorien  ne  mentionne  pas  la  route  que  les  lé- 
gions suivirent  pour  revenir  dans  la  Gaule.  Il  se  con- 
tente de  dire  que  l'empereur  repassa  le  Rhin,  et  que 
les  troupes  reprirent  leursquariiers  d'hiver.  Le  poëte, 
au  contraire,  après  avoir  mentionné  les  sources  du 
Danube,  aprèsavoir  décrit  les  hauts  faits  du  Necker, 
complète  son  vers  en  citant  un  autre  fait  d'armes  qui 
eut  lieu  sous  les  murs  de  Lupodunum,  et  qui,  quel- 
que minime  qu'il  ait  pu  être,  devient  l'objet  de  son 
admiration.  Il  est  d'accord  en  cela  avec  le  panégy- 
riste Symmaque  qui,  sans  nommer  ni  l'un  ni  l'autre 
champ  de  bataille^  fait  mention  de  deux  combats*, 
et  avec  non  moins  d'emphase  que  le  poëte  compare 
le  Necker  aux  plus  grands  fleuves  et  le  dit  de  même 
inconnu  des  Romains^.  Leurs  récits  complètent  celui 

'  Frustra  tune  tibi  perduellis  motus  optavit  Alamannia,  cui  tan- 
tum  miseriœ  invexit  conflictus  tuus,  quantum  proeliis  debebaiur 
am/jobus.  Huitième  oraison  de  Symmaque ,  dans  l'édit.  d'Angel.  Maïus. 
Milan  1815,  c.  xi,  p.  10. 

~  Nigrum  (Nicrum)  parem  maximis  {Jluviis].  ignnratlone  situe  ■ 
runf.  Svmmach.,  oral,  viii ,  c.w.  p.  21. 


240  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

(le  l'hislorien.  Ils  indiquent  le  chemin  que  les  légions 
prirent  dans  leur  retraite,  et  ils  prouvent  que  toutes 
les  opérations  de  cette  campagne,  qui  d'abord  com- 
mencèrent aux  lieux  où  le  Danube  et  le  Necker 
prennent  leurs  sources,  se  terminèrent  aux  lieux  oii  le 
dernier  se  jette  dans  le  Rhin. 

Cette  expédition  de  Valentinien  n'eut  toutefois 
d'autre  avantage  pour  les  Romains  que  de  porter  la 
terreur  chez  les  Allemanes,  et  de  les  empêcher  pour 
quelque  temps  de  se  ruer  sur  le  Rhin  et  de  menacer 
les  Gaules.  Le  pouvoir  de  Rome  ne  se  rétablit  plus 
surces  contrées,  oii  toutes  les  villes  qui  y  avaient  été 
bâties,  tous  les  forts  et  les  retranchements  où  ses 
cohortes  avaient  été  postées,  avaient,  comme  ceux 
de  la  vallée  du  Rhin,  été  pillés,  brûlés,  détruits  et 
démantelés,  et  autour  des  décombres  desquels  elle 
portait  elle  -  même  maintenant  le  fer  et  la  dévasta- 
tion. 

En  1835,  on  fit  à  Niedernau,  près  de  Rollen- 
bourg,  une  découverte  qui  semble  être  en  rapport 
de  date  avec  l'époque  où  Valentinien  vint  dans  l'Alle- 
manie.  Niedernau  est  un  bain  dont  les  eaux  thermales 
ont  incontestablement  déjà  été  connues  des  Romains. 
Une  ancienne  tradition  conservée  parmi  le  peuple 
désisfnait  un  des  coins  de  la  forêt  comme  étant  le  lieu 
où  la  source  antique  avait  existé.  Le  propiiétaire  du 
bain  moderne,  s'étant  aperçu,  à  plusieurs  reprises, 
que  les  oiseaux  qui  visitaient  le  sol  de  cette  partie  de 
la  sapinière  tombaient  asphyxiés,  résolut  dy  faire 
faire  des  fouilles.  On  avait  à  peine  creusé  à  six  ou 
huit  pieds  de  profondeur,  qu'on  découvrit  une  suite 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  241 

de  monnaies  romaines  du  plus  grand  intérêt,  dont 
la  date  descendait  depuis  Trajan  jusqu'à  Valens.  On 
découvrit  ensuite  une  statuette  d'Apollon,  qui  sem- 
blait montrer  du  doigt  la  place  où  la  source  devait 
se  trouver.  On  y  parvint  en  effet  bientôt;  son  gaz 
était  tellement  fort  qu'il  menaçait  d'asphyxier  les 
ouvriers.  Je  ne  chercherai  pas  à  expliquer  comment 
ces  monnaies  se  sont  trouvées  ensevelies  dans  les 
ruines  de  la  source  antique.  Ce  qui  m'a  le  plus 
frappé,  c'est  qu'elles  descendaient  jusqu'au  règne  de 
Valens,  qui  dominait  l Orient  h  la  même  époque  où 
Valentinien  était  assis  sur  le  trône  d  Occident ,  et  que, 
par  conséquent,  leur  date  finit  justement  à  la  même 
époque  où  ce  dernier  empereur  vint  combattre  les 
Allemanes. 

Les  traces  des  antiques  établissements  romains, 
qui,  surtout  dans  ce  coin  de  la  province,  rapproché  du 
grand  rempart,  sont  encore  si  nombreuses,  prouvent 
combien  les  arts,  la  culture,  la  civilisation  de  Rome, 
avaient  dû  y  faire  de  progrès,  et  combien  les  se- 
cousses qui  y  abattirent  son  pouvoir  avaient  dû  être 
terribles  et  sanglantes. 

Notre  route,  en  sortant  de  Solicinium,  nous  conduit 
surlarivegaucheduNecker,  par  la  ville  de  Tubingue, 
où  une  cohorte  de  la  huitième  légion  fut  un  jour  can- 
tonnée, et  derrière  laquelle  venaient  se  joindre  deux 
chaussées  romaines,  l'une, se  dirigeant  vers  Kœngen, 
l'autre,  par  les  plateaux,  allant  joindre  EinsiedeP 


'  On  V  a  trouvé  une  image  de  Mercure  et  d'anciens  fondements  Je 
bâtisses. 

I. 


242  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

et  Herrenberg '.  Nous  laissons,  à  gauche,  la  grande 
voie  militaire  qui,  selon  le  topographe  Paulus,  allait 
par  Bœblingen,  qu  il  regarde  comme  l'antique  Gri- 
nario,  joindre  le  Necker  h  Canstadt.  Nous  suivons 
la  direction  de  Kœngen,  et,  nous  élevant  sur  les  col- 
lines du  Schœnbuch^  nous  avançons  sur  leurs  som- 
mets jusqu'au  confluent  du  Necker  et  de  l'Aich.  Là, 
comme  sur  un  promontoire,  nous  pouvons  voir  ou 
marquer  dans  les  vallées  les  positions  des  différents 
lieux  antiques  qui  furent  florissants  sous  la  domina- 
tion romaine.  Toute  la  chaîne  de  l'Albe  se  déploie  de- 
vant nous,  et  sur  son  sommet  nous  pouvons  distin- 
guer les  principales  pointes  qui  reçurent  les  tours 
fortes  du  grand  peuple. 

Le  Asperg,  rAchalm,le  Hohenstaufen ,  au  pied 
duquel  circulait  une  route  romaine,  étaient  trop 
favorablement  situés  comme  lieux  propres  à  l'ex- 
ploration pour  n'avoir  point  alors,  en  arrière  de 
la  limite,  été  mis  à  profit.  Nous  traversons  le  petit 
torrent,  et  avançant  toujours,  en  suivant  la  rive 
gauche  du  Necker,  sur  les  traces  d'une  chaussée 
romaine,  découverte  intacte  en  1 783,  nous  atteignons, 
sur  l'emplacement  du  joli  bourg  de  Kœngen,  le  sol 
mystérieux  sous  lequel  est  enfouie  une  ancienne 
ville. 

Quel  était  son  nom?  C'est  une  question  à  laquelle 
ni  les  annales  de  l'histoire  ni  celles  de  l'archéologie 


1  On  y  a  trouvé  diverses  constructions  souterraines  et  des  mon- 
naies. 

2  Vaste  forêt  entre  Tubinguc  et  Stuttgart. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  243 

ne  peuvent  encore  répondre.  La  seule  inscription 
trouvée  dans  ces  ruines  souterraines  parle  d'une  cité 
commençant  par  les  deux  syllabes  suma,  mais  sans 
donner  plus  d  éclaircissement.  Faut-il  croire  que  ce 
soient  là  les  deux  premières  syllabes  du  nom  que 
portait  en  effet  ce  lieu  sous  les  Romains?  ou  bien 
faut-il  penser  que  le  décurion  qui  éleva  la  pierre  vo- 
tive qui  supporte  cette  inscription,  ait  été  décurion 
non  de  cette  ville  même,  mais  de  la  cité  voisine  de 
Sumlocène  que  nous  venons  de  quitter?  Sumlocène, 
sur  la  Table  de  Théodose,  est  désigné,  sous  le  nom  de 
Samulocenis ,  comme  une  ville  de  premier  rang.  Mal- 
gré la  leçon  différente  du  texte  de  la  carte  et  des  ins- 
criptions de  Rollenbourg,  nous  n'avons  fait  aucune 
difficulté  de  regarder  les  deux  noms  comme  iden- 
tiques, contre  l'avis  du  chanoine  Jaumann.  Cette 
Table  de  Théodose  monument  du  cinquième  siècle, 
que  Conrad  Celtes  découvrit  le  premier,  et  qui  par- 
vint ensuite  à  Peutinger  d'Augsbourg,  n'est  pas,  en 
effet,  d'une  exactitude  telle  que  l'oubli,  l'adjonction 
ou  l'intercallation  d  une  lettre  dans  un  mot  puisse 
autoriser  un  tel  scrupule,  surtout  quand  la  similitude 
du  nom  est  aussi  évidente  que  celle  de  Samulocenis 
et  de  Sumlocène.  Mais  sur  deux  inscriptions,  trouvées 
à  une  distance  aussi  faible  que  celle  de  Kœngen  à  Rot- 
tenbourg,  le  scrupule  est  plus  légitime,  et  il  se  pour- 
rait, à  tout  prendre,  que  les  deux  syllabes  suma, 
quelque  rapport  qu'on  puisse  leur  trouver  avec  le 
commencement  du  nom  de  la  colonie  de  Sumlocène, 
aient  toutefois  été  le  commencement  du  nom  que 
portait  l'établissement  de  Kœngen,  dont  la  terminai- 

I.  16. 


244  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

son  pouvait  être  tout  opposée  à  celle  de  la  première 
ville;  l'on  pourrait  le  croire  avec  d'autant  plus  de 
raison  que  toutes  les  inscriptions  de  Rottenbourg 
portent  l'épithète  de  colonie ,  tandis  que  nous  ne 
trouvons  ici  que  celui  de  cité. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  restes  de  Kœngen  prouvent 
que  l'établissement  du  grand  peuple  en  ce  lieu  devait 
être  très- important.  Lorsque  le  hasard  fit  décou- 
vrir que  le  sol  sur  lequel  ce  bourg  repose  recelait 
dans  son  sein  une  ville  antique ,  et  qu'on  y  fit  des 
fouilles  en  1783,  on  retrouva  les  fondements  dune 
centaine  de  maisons,  de  seize  h  quarante  pieds  de 
long  et  de  large,  enfouis  jusqu'à  dix  pieds  sous 
terre.  Dans  ces  murailles  se  trouvaient  de  petites 
niches  et  des  escaliers  qui  y  conduisaient. 

On  parvint  sur  les  restes  d'un  bain  ,  dont  on  put 
reconnaître  douze  chambres;  le  pavé  était  com- 
posé d'une  argile  extrêmement  unie.  Quelques  co- 
lonnes, des  niches  pour  les  divinités,  où  se  remar- 
quaient encore  quelques  traces  de  couleurs,  furent 
mises  à  nu.  Non  loin  de  là  on  découvrit  le  pré- 
toire, vaste  bâtiment,  dont  le  mur  avait  deux  cents 
pieds  de  long  et  une  épaisseur  de  quatre  pieds.  Des 
monnaies  qui  descendaient  jusquà  Maximin  ser- 
virent à  faire  connaître  l'époque  où  celte  ville  fut 
florissante  et  celle  où  elle  fut  ruinée. 

De  nos  jours  encore,  en  fouillant  le  sol,  on  est  par- 
venu sur  les  ruines  d'un  abattoir  antique  et  d'autres 
murailles. 

Une  statue  de  Minerve,  un  autel  de  Jupiter,  sont 
des  preuves  du  culte  romain  établi  en  ces  lieux  à 


DU  lUHN  ET  DU  DANIBE.  245 

côté  (lu  culte  gaulois  que  montre  l'inscription  dont 
nous  avons  parlé  plus  avant.  Cette  inscription  fut 
gravée  sur  la  pierre  parle  décurion  Quartionius, 
en  l'honneur  de  Mercure  Visucius  et  de  la  déesse 
Visucia^  Ce  même  dieu  Visucius  est  aussi  invoqué 
sur  une  autre  inscription  de  Godramstein,  près  de 
Landau;  sur  la  fausse  indication  qui  avait  été  donnée 
du  lieu,  où,  près  d  Heidelberg^  on  prétendait  avoir 
trouvé  cette  pierre,  on  avait  à  tort  regardé  ce  dieu 
comme  celui  du  torrent  de  la  Wesclmitz. Cette  hypo- 
thèse tombe  ici  d'elle-même 2.  Il  faut  voir  dans  cette 
vieille  divinité  gallique  l'identité  même  de  Mercure, 
identité  qui  lui  est  commune  avec  le  Mercure  Aver- 
nus,  le  Mercure  Cissonius,  le  Mercure  Moccus,  le 
Mercure  Alaunus^  etc.  Peut-être  est-ce  le  Mercure 
Vesontius,  Mercure  de  Besançon,  dont  le  culte  fut 
apporté  dans  ces  contrées  par  les  Gaulois  qui  vinrent 
s'y  établir  comme  colons.  Car  on  sait  qu'auprès  de 
cette  dernière  ville  se  trouve  une  montagne  où  cette 
divinité  était  particulièrement  adoré. La  déesse  Visu- 
cia  était  aussi  une  divinité  celtique  dont  le  culte  était 
local.  Elle  pouvait  être  implorée  comme  le  Mercure 
Visucius.Du  moins  savons-nous  que  Vesunna  était  la 
déesse  locale  de  Périgueux,  et  Visucia  pouvait  avec 

'  DEO  MERCVRIO.  VI 

SVCIO  ET  SACTE  VISV 

C[E.  P.  QVARTIONIVS 

SECVNDINVS.  DECV 

cWl.  SViMA  I  \.  IV.  V.  S.  L.  M. 

^  Voy.  ci-après,  ,^  3,  Etablissements  de  la  rive  gauche  du  Rhin. 
•'  Consullcz  Martin,  Religion  des  Gaulois,  t.  i,  p.  376. 


246  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Mercure  èlre  la  déesse  locale  des  habitants  de  Be- 
sançon. 

L'épi  thète  de  Sancla,  en  place  de  Dea,  quoique 
rare  sur  les  inscriptions,  n'est  pas  sans  exemple; 
nous  en  avons  une  preuve  dans  Muratori  \  qui  cite 
une  inscription  où  le  dieu  Mars  gaulois  est  invoqué 
sous  le  nom  de  Sanclus  Camulus. 

La  route  romaine  qui  fut  découverte  ici  et  dont  le 
pavé  était  encore  intact  sous  terre,  allait  dans  la  di- 
rection de  Canstadt,  et  liait  sans  doute  à  l'opposé  le 
Necker  et  le  Danube  par  la  vallée  de  Teck"^.  Du  nuins 
il  est  certain  que  les  environs  de  Kirchheim,  où 
plusieurs  documents,  cités  par  Frédéric  de  Gok, 
prouvent  ce  transit ^  étaient  alors  déjà  habités  par 
la  population  gallo-romaine.  ^^ 

Canstadt  n'est  éloigné  de  Kœngenque  de  quelques 
lieues;  tout  atteste  cependant  que  cet  établissement 
devait  être  non  moins  considérable  que  le  premier. 

C'est  une  preuve  nouvelle,  combien,  près  du  grand 
rempart  surtout,  où  le  commerce,  le  grand  nombre 
de  troupes  qui  y  étaient  cantonnées,  devaient  pro- 
léger le  bien-être  des  habitants  (car  nous  ne  sommes 
éloignés  que  de  quatre  lieues  de  l'antique  frontière),  la 
population  s'était  agglomérée.  Canstadtélaitune  de  ces 
positions  aimées  du  grand  peuple,  et  aussi  favorables  à 

•  Muratori ,  xtvi ,  2. 

-  Teck  semble  rappeler  le  souvenir  des  anciens  Teclosages  qui  habi- 
lèrenl  priuiilivenicui  la  contrée.  Voy.  mes  Établissements  celtiques, 
§  1  et  2. 

^  Excerpten  aus  den  im  kùnigl.  Staafsarchice  in  Stuttgart  au.f- 
i>cicahrlen  Dokumenten ,  etc. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  247 

ladéfensequ'à  l'exploration.  Placée  sur  la  hauteur  qui, 
de  l'autre  côté  du  Necker,  domine  la  ville  moderne, 
l'antique  cité  devait  comprendre  dans  son  enclave 
les  divers  lieux  de  Zazenhausen,  de  Fellbach,de 
Hofen,  de  Miilhausen,  où  une  foule  d'antiquités  ro- 
maines ont  été  déterrées^Les  inscriptions  que  son 
sol  a  livrées  ne  donnent  toutefois  aucune  notion 
sur  son  état  municipal;  elles  ne  servent  qu'à  nous 
apprendre  que  des  troupes  de  la  huitième  et  de  la 
vingt-deuxième  légion  y  tinrent  un  jour  garnison. 
Son  nom  antique  ne  peut  même  être  précisé. 

Celui  de  Cana  qu'on  lui  a  donné,  ne  s'appuie  que 
sur  une  inscription  qui  n'a  même  pas  été  trouvée 
dans  ses  murs,  et  qui  provient  des  ruines  de  l'an- 
tique Celeusum,  près  de  Kelheim,  sur  les  bords  du 
Danube.  Cette  inscription  que  nous  donnons  plus  loin 
dans  ces  pages'^  fut  posée  dans  l'antiquité  par  un  ci- 
toyen de  Cana.  Comme  dans  tout  le  pays,  depuis  le 
Rhin  jusqu'au  grand  rempart,  aucune  ville,  à  l'ex- 
ception de  Canstadt,  n'a  un  nom  qui  se  rapproche 
du  nom  antique  cité  par  cette  inscription ,  on  en  a 
conclu  que  ces  deux  noms  étaient  identiques. 

Mais  cette  opinion  ,  comme  nous  aurons  occasion 
de  le  prouver,  n'a  rien  de  fondé;  le  doute  existe,  et 
il  existe  avec  d'autant  plus  de  raison  qu'il  est  évident 
que  les  camps  de  la  Luna,  dont  parle  la  Table  de 
Théodose ,  étaient  situés  aux  sources  de  la  Lein,  et 


'  On  peut  en  lire  la  descriplion  dans  les  f^Fûrtembergische  Jahr 
biicher,  1828  et  1835. 
-  Troisième  partie. 


248  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

qu'il  est  permis  de  demander  alors  avec  Paulus.s'il 
ne  faut  pas  placer  Ciarenna  au  sein  de  Canstadt,cité 
non  moins  mystérieuse  que  celle  de  Kœngen. 

C'est  en  l'honneur  du  génie  du  lieu,  c'est  en  celui 
de  la  Fortune\  en  celui  de  Jupiter  et  de  Junon^^  en 

•  IN.  H.  D.  D.  I.  0.  M 

GENIO  LOCI  ET  FOR 
TVN^  DIS  DEABvS 
QYE  EMERITIVS 
SEXTYS  MILES 
LEGIONIS  XXII 
PR  P  F  SEVERIA 
NiE  B  F  COS  PRO 
SE  ET  SYIS  POSV 
IT  V  L  L  M 
MAXIMO  ET 
iELIANO  COS 
IDIBYS  lANV 
ARIS. 

.  .  .  Sextus ^  miles  leyionis  A'XII primigmise,  pix,,fidelis,  Sive- 
rianœ,  betiejîciarius  cotisulis ,  etc.  (An  233  de  Jésus-Christ) 

Les  soldais  qui  portaient  ce  dernier  titre  étaient  ceux  qui ,  par  une 
faveur  du  consul ,  étaient  exemptés  de  travailler  au  terrassement  des 
fortifications,  de  porter  de  l'eau,  du  bois,  etc.  C'était  parmi  eux  que 
l'on  choisissait  les  sujets  qui  devaient  ensuite  remplir  les  bas  grades 
militaires. 
'^  IN  H.  D.  D.  lOVI 

^E  n^ONI  REG 
GENIO.  LOCI 
'E.  D.  D.  OMNIB 
SEDYLIVS 
lYLLVNYS.  MI  _ 
LES.  YIII.  AYG.  A 
ToNLMAI^E.  BF.  CoS 
PRo  SAL.  SYA  E  SVoR 

STAT.    ITERATO   POSYIT    IMP 
niVI   ANTOM.M    AVd.    P.     1..    V.    P.. 


DU  niHN  ET  DU  DANUBE.  249 

celui  des  dieux  protecteurs  des  carrefours',  que  les 
diverses  inscriptions  trouvées  dans  les  décombres  de 
la  ville  ont  été  burinées  dans  la  pierre.  C'était  au 
dieu  Mithra  qu'était  dédié  le  monuuient  de  Fellbach , 
monument  non  moins  curieux'^  que  celui  trouvé  plus 
au  nord ,  sur  les  rives  du  Necker,  près  d'Heidelberg. 
Des  deux  autels  de  Zazenhausen,  où  furent  découverts 
un  bain  romain,  orné  de  marbre,  et  une  foule  d'an- 
tiquités, l'un  semble  supporter  les  sept  divinités  prin- 
cipales, l'autre  montre  en  relief  les  trois  matrones. 
L'autel  de  Sletten,  dans  le  val  de  la  Rems,  laisse  voir 
Vesta,  Vénus,  Diane,  Apollon,  Maïa, Mercure  et  Nep- 
tune. Pan  paraît  avoir  été  invoqué  dans  le  premier 
de  ces  lieux. 


'  IN  H.  D.  D 

BIVIIS  TRIViS  Qv 

ADRIVIS  SATTO 

MVS  IVVEML'S 

D.  F.  COS  PRO  SA 

LVTE  SVA  ET  SVO 

RVM  POSVIT  Y.  S. 

2  II  représente  en  relief  Mithra  sous  la  figure  d'un  jeune  homme 
assis  sur  le  taureau  dont  la  queue  est  déployée.  Ce  jeune  homme  est 
coiffé  du  bonnet  phrygien  ;  son  habillement  est  flottant ,  et  il  plonge 
de  la  main  droite  le  couteau  dans  le  cou  de  l'animal.  Sur  ses  habits 
est  posé  le  corbeau,  oiseau  dédié  au  soleil.  Près  du  poitrail  du  tau- 
reau est  placé  un  autel,  et  au-dessus  de  sa  tête  une  lampe  allumée, 
deux  symboles  qui  sont  propres  à  ce  monument.  Sous  la  lampe  se 
remarque  la  poignée  d'une  épée.  Un  chien  assaille  le  taureau  entre  les 
deux  pieds  de  devant.  Sous  le  ventre  de  la  victime  est  un  vase  qu'en- 
toure un  serpent,  et  à  droite  de  cet  ustensile  un  lion.  Un  scorpion 
dévore  les  testicules  du  taureau.  Dans  le  coin  gauche  du  cadre  se  re- 
marque le  buste  du  dieu  Soleil ,  dans  celui  de  droite  celui  do  la  Lune. 


250  ÉTADLISSEMEINTS  ROMAIÎNS 

Les  monnaies  Irouvées  dans  tous  ces  environs  ne 
descendent,  comme  celles  de  Kœngen,  que  jusqu'au 
règne  de  Maximin;  elles  nous  précisent  l'époque 
de  la  destruction  de  cette  ville.  Les  roules  principales 
auxquelles  elle  donnait  issue  étaient  :  celle  de  Pforz- 
heim,  passant  par  Léonbeig'  et  rétablissement  du 
Hagenscbiesswald ,  que  j'ai  déjà  eu  l'occasion  de  men- 
tionner; celle  de  Bœblingen^qui  allait  joindre  la  co- 
lonie de  Sumlocène,  et  qui ,  selon  le  topographe  Pau- 
lus,  qui,  comme  je  l'ai  dit,  fait  de  Cansladt  Clarenna, 
et  de  Bœblingen  Grinario,  serait  la  roule  militaire  de 
la  Table  Théodosienne^;  lu  conùnuMwn  de  cette  même 
cbaussée  du  côté  opposé  de  Canstadt  qui,  par  Weib- 
lingen*,Korb  et  Haubersbronn,  allait  aboutir  au  grand 
rempart;  celle  de  Kœngen  que  nous  avons  déjà  citée, 
et  enfin  celle  de  Benningen,  qui,  au  nord,  suivait  la 
rive  gauche  du  Necker. 

Celte  foule   de  communications  qui  venaient  se 

'  Quoique  peu  d'anliquilés  y  aient  été  découvertes ,  le  peu  que  le 
sol  en  a  livrées  prouve  que  déjà  du  temps  des  Romains  ce  lieu  était 
habité. 

-  On  y  a  aussi  trouvé  quelques  antiquités ,  entre  autres  une  statue 
de  Mercure. 

^  Voy.  la  dissertation  de  l'auteur,  dans  les  IFûrtembergischen  Jahr 
bûcher.  Comparez  l'opinion  de  Leichtlen  sur  la  direction  de  la  voie  mi- 
litaire de  la  Table  de  Théodore,  dans  son  ouvrage  intitulé  :  ^fAtyaôew 
unter  den  liômern;  celle  de  St;clin  :  f^F'uiembergische  Geschichie, 
l.  I,  p.  103  et  sv.,  et  celle  plus  récente  de  Gok,  dans  les  Urkunde 
nnd  Beitràge  stir  dlteren  Geschiclite  von  Schwaben  und  Sûdfran- 
ken.  Première  partie. 

''  On  y  a  déterré  un  autel  avec  les  bustes  en  relief  de  quatre  divini- 
tés qu'on  regarde  connue  Mercure,  llcrcMlc.  Minerve  et  Vosla;  uu  y  a 
aussi  trouvé  quelques  antiquailles  (M  des  mniiuaies. 


DU  KHIN  ET  DU  DANUBE.  251 

réunir  sur  ce  point  central ,  peut  fortifier  l'opinion  de 
Leicbllen,  qui  ne  craint  pas  de  faire  de  Canstadt  un 
des  établissements  romains  les  plus  considérables  de 
la  contrée  et  le  chef-  lieu  de  cette  partie  du  Necker. 

Nous  suivons  la  dernière  de  ces  routes  par  Al- 
dingen,  lieu  romain,  que  d'anciens  décombres  nous 
désignent  comme  tel,  et,  après  une  course  de  quelques 
heures,  nous  sommes  à  Benningen,  sur  le  sol  que  re- 
couvrait aussi  dans  l'antiquité  un  des  camps  destinés 
à  protéger  le  cours  de  la  rivière  et  que  flanquait  le 
castel  de  Beihingen. 

Un  peu  plus  en  deçà  sur  l'autre  rive  est  Marbach, 
et  sur  les  bords  de  la  Mourr,  qui  débouche  dans  le 
Necker,  vis-à-vis  Benningen,  se  trouve  un  village  qui 
porte  le  nom  du  torrent.  C'est  sans  doute  un  des  noms 
qui  se  sont  conservés  le  plus  intacts  dans  toute  la  con- 
trée, à  en  juger  par  l'inscription  d'un  autel  trouvé,  en 
1 583 ,  dans  une  cave  de  Benningen ,  qui  porte  que  les 
villageois  de  Mourr  élevèrent  cet  autel  à  Vulcain'. 

Plus  tard,  cette  pierre,  de  forme  carrée,  et  où,  à 
gauche  de  l'inscription ,  sont  représentés  trois  cou- 
teaux de  sacrificateurs,  à  droite  un  vase  destiné  aux 


*  IN  H  D  D . 

VOLKAJ^ 

SACRVM 

VICANI 

MVRREN 

SES.  V.  S.  L.  M. 

la  honurem  domus  divinx^Folcano  sacrum  fkaui  Murrenses. 


252  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

sacrifices ,  et  au  bas  une  coupe  pour  le  même 
usage,  fut  sans  doute  transportée  pour  servir  à 
quelque  bâtisse  à  Benningen ,  où  elle  a  été  retrouvée. 
Ce  fut  vers  la  même  époque  que  d'autres  antiquités 
furent  aussi  mises  au  jour  au  même  lieu.  En  1597, 
en  fouillant  ce  sol  classique,  on  parvint  à  retrouver 
le  fondement  des  antiques  remparts  qui  avaient  pro- 
tégé la  forteresse ,  les  traces  de  laqueduc qui  y  avait 
conduit  les  eaux,  celles  de  citernes  et  d'autres  mo- 
numents '. 

Une  inscription,  qu'un  tribun  de  la  vingt- qua- 
trième cohorte  des  volontaires,  sans  doute  en  gar- 
nison dans  ces  murs,  fit  un  jour  buriner  dans  une 
pierre  qu'il  dédia  aux  divinités  champêtres  ^  a  à  tort 
fait  donner  à  cet  établissement  du  Necker  le  nom  de 
Sicca  Veneria,  nom  qui  est  effectivement  marqué  sur 
l'inscription ,  mais  non  pas  comme  étant  celui  de  l'é- 
tablissement qui  nous  occupe,  mais  bien  celui  de  la 


^  On  peut  voir  dans  SaUler  :  Topographische  Geschîchfe  des  Her- 
zogthums  Wuertemberg ,  c.  xiii,  p.  Mi,  le  plan  qu'il  donne  de  ces 
ruines,  invisibles  aujourd'hui. 

2  campesrBvs 

SACRVM 

P  QVIMVS.  L  F  L 

QYIR.  T.  ERMINVS 

DOMO.  SICCA 

VENERIA  TRIE 

COH  XXIIII  VOL.  C.  R. 

Campestribiis  sacrum  Publius  Quintus,Lucii  filius,  Quirina  tribi/, 
Erminus,  domo  Sicca  Feneria^tribunus  cohortis XXIIU volontario- 
rum  civium  romanorum. 


DL  KHI!S   ET  DU  DANUBE.  253 

pairie  du  tribun  qui  éleva  celle  pierre,  et  qui  était  né 
à  Sicca  V eneria ,  s\\\e  d'Afrique. 

La  même  manière  faulive  de  lire  l'inscription 
avait  donné  lieu  à  une  autre  erreur;  l'on  avait  à 
tort  réuni  le  T,  après  lequel  est  un  point  bien 
marqué  avec  le  mot  EKMl\VS,qui  semble  avoir  été 
le  nom  du  fondateur,  et  en  lisant,  par  conséquent, 
terminus  Quiritum,  l'on  s'était  cru  en  droit  de  regar- 
der le  Xecker,  comme  ayant  formé  la  frontière  de 
l'Empire. 

Celle  erreur  disparaît  cependant  si  1  on  suit  le  sens 
bien  naturel  de  linscription,  qui  marque  que  Quin- 
tus  Erminus,  de  la  tribu  Quirina',  né  à  Sicca  Vene- 
ria,  éleva  celte  pierre  aux  divinités  champêtres. 

Les  inscriptions  de  AJarbacli  n'ont  point  fait  con- 
naître non  plus  le  nom  antique  qu'il  portait.  Ce  que 
l'une  d'elles  offre  surtout  d'intéressant  pour  nous, 
c'est  qu'elle  nous  prouve  que  des  Triboques,  peuple 
d'Alsace,  et  des  Boiens,  restes  sans  doute  de  cette 
horde  qui  fut  avec  les  Helvétiens  battue  par  César, 
habitaient  celte  rive,  où  ils  semblent  avoir  reçu  des 
terres  des  Romains^. 


'  Pour  celte  iribu  ,  voy.   l'ouvrage   de  Gruter,  Trbus  romans, 
p.  57. 

-  EANAE    E 

OLORATDi 

TRIBOCI 

ET  BOI 

L  I.  M. 

Fanx  (sans  doute  pour  Deonx, Triboci  et  Boi.  etc. 


255-  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

La  présence  en  ces  lieux  du  second  de  ces  peuples, 
errant  après  sa  défaite,  et  l'inscription  de  colli  Pe- 
regrinorum,  déterrée  aux  lieux  mêmes  où  il  trouva 
un  refuge,  avait  fait  penser  d'abord  que  la  colline 
qui  domine  le  Necker  d'où  cette  pierre  fut  tirée, 
avait  reçu  ce  nom  de  l'établissement  qu'y  formèrent 
ces  étrangers*  La  présence  des  Nantie  aux  mêmes 
lieux  peut  cependant  permettre  d'émettre  un  doute 
à  ce  sujet^. 

Cette  compagnie  des  Nautae  est  une  preuve  irré- 
cusable de  l'importance  commerciale  que  cette  ville 
eut  dans  l'antiquité.  Or,  nous  savons,  d'un  autre 
côté,  que,  sous  ce  nom  de  Peregrini ,  il  ne  faut  pas 
toujours  comprendre  des  hommes  étrangers  à  la 
cité,  mais  bien  des  négociants  ambulants,  qui, 
sans  être  citoyens,  s'y  arrêtaient  plus  ou  moins  de 
temps,  selon  que  l'exigeaient  leurs  affaires  commer- 
ciales. Ils  formaient  dans  la  ville  où  ils  s'arrêtaient 
une  espèce  de  collège  ou  d'association.  Il  y  en  avait 


tiCTORI 

AM.  CVM.  B 

ASE.  DOMI 

TIVS.  COND 

OLLVS.  CO 

LLI.  PERE 

GRINORV 

M.  V.  S.  LL  M. 

PRO  SAL  IMP 

GENIO.  NAVT 

G.  IVL.  VRBicvs 

I)  D.  V  S  E  E  M. 


DU  imiIN  ET  DU  DANUBE.  255 

jusque  dans  la  Batavie ,  au  Forum  d'Adrien\^\w  aussi, 
comme  les  Naulse,  comme  toutes  les  corporations 
romaines,  avaient  leur  génie  auquel  ils  sacrifiaient 2. 
Et  sans  doute  ce  fut  le  patron  de  leur  collège  qui,  à 
l'occasion  d'une  victoire  remportée  par  les  Romains, 
éleva  la  pien  e  qui  nous  occupe  au  lieu  même  où,  sur 
la  colline  où  elle  fut  trouvée,  ils  avaient  coutume  de 
déployer  leurs  marchandises,  au  retour  de  leurs  ex- 
péditions commerciales,  que  favorisait  le  cours  du 
Necker  et  du  Rhin. 

L'inscription  qui  nous  atteste  la  présence  des 
Naulae  dans  ces  parages,  est  d'autant  plus  précieuse 
pour  r histoire  du  commerce  qu'elle  nous  montre 
d'un  côté  que  le  Necker  servait  déjà  au  transport  des 
marchandises  et  des  bois  du  temps  des  Romains,  et 
qu'elle  nous  explique  d'un  autre  côté  comment  leculte 
de  Neptune,  le  dieu  protecteur  de  la  navigation,  était 
lui-même  établi  dans  le  val  de  la  Rems,  avec  celui 
de  Mercure  et  de  Maia.  On  voit  que  le  plus  petit  cou- 
rant d'eau  était  déjà  alors  mis  à  profit  pour  la  navi- 
gation et  le  flottage"'. 

'  Voy.  Orelli,  Inscript. ^  p.  97;  n"  178,  et  p.  270,  n"  1236. 

2  GENIO  PE 

REGRINORVM 


3  Ce  floitage  devait  être ,  en  eflet ,  le  principal  mode  de  transport ,  si 
l'on  réfléchit  à  toutes  les  peines  que  les  ducs  Christophe  et  Frédéric 
de  Wurtemberg  eurent  à  rendre  le  Necker  navigable  au  moyen  âge , 
et  que  ce  ne  lut  même  que  le  duc  Eberhard  qui  parvint  à  vaincre  ces 
difficultés.  Voy.  Geschichfe  TVurtemb<^rg's  unter  den  Herzogen. 
Quatrième  part.,  p.  61,  et  cinquième  part.,  p.  210. 


256  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Trois  routes  romaines  venaient  aboutir  en  ce  lieu; 
l'une  circulait  sur  les  plateaux  de  ce  même  val  de 
la  Rems;  l'autre  venait  en  ligne  droite  de  l'extrême 
frontière  et  du  camp  de  Mourrhart,  et  la  troisième  re- 
liait entre  elles  les  communications  de  Cansladt  et  de 
Beckingen. 

Ce  dernier  lieu,  place  de  garnison,  où  fut  un  jour 
postée  la  première  cohorte  des  volontaires,  com- 
mandée par  un  centurion  de  la  huitième  légion,  et 
une  cohorte  de  Bretons,  troupes  que  nous  trouvons 
aussi  dans  lOdenwaid  et  à  OEhringen,  formait  avec 
Canstadt  une  des  places  les  plus  fortes  du  Necker 
derrière  le  grand  rempart. 

Cette  limite  de  1  Empire,  dont  j'ai  donné  la  des- 
cription, était,  comme  nous  l'avons  vu,  protégée 
elle-même  par  des  camps  que  ces  garnisons  du  Necker 
étaient  destinées  à  secourir  en  cas  d  attaque.  Welz- 
heira',  où  fut  placé  un  poste  de  la  vingtième  légion; 
Mourrhart,  lieu  antique,  où  fut  cantonnée  la  vingt- 
quatrième  cohorte  des  citoyens  volontaires  romains; 
Mainhard,  dont  la  défense  était  confiée  à  des  troupes 
auxiliaires ^;  OEhringen ,  célèbre  par  ses  antiquités ,  et 


I  0  M 

MILIT  LE 

XXII  P 

)IVI  .  .  . 

Jovi  opfimo  M  iximo  milites  legionls  XXII  primigenix ,  efc. 

2  COHR 

ASTVRVM 

Celle  cohorlc  est  aussi  nommée  sur  une  pierre  irouvée  à  Fisc  et  sur 
une  autre  conservée  à  Laibach.Voy.  Orelli,  inscript.,  n""  3768  et  iflôS. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  257 

OÙ  une  compagnie  de  la  huitième  légion  et  des  troupes 
de  la  première  cohorte  des  Helvétiens,  où  des  Bre- 
tons, des  Calédoniens ,  une  partie  même  de  la  vingt- 
deuxième  légion,  furent  successivement  postés;  le 
camp  d'Olnhausen  enfin,  où  nous  retrouvons  les 
mêmes  huitième  etvingt-deuxième  légions,  et  la  pre- 
mière cohorte  des  Germains  auxiliaires,  ont  sur  leurs 
ruines  appelé  plus  tard  la  population  germaine,  qui 
s'y  est  mêlée  à  la  population  celtique. 

Ces  lieux,  destinés  essentiellement  à  la  défense, 
puisqu'ils  étaient  sur  l'extrême  frontière,  étaient  tous 
reliés  par  des  routes  aux  divers  forts  du  Necker,  éche- 
lonnés en  arrière, et  dont  celui  de  Beckingen  n'était 
pas  un  des  moins  importants.  Ce  qui  est  suitout  digne 
de  remarque,  c'est  que,  dans  tous  ces  lieux,  les  mon- 
naies qui  ont  été  retrouvées  dans  les  décombres  de 
la  ligne  intérieure,  ne  descendent  nulle  part  plus  bas 
que  jusqu'au  règne  de  Maximin,  tandis  que  celles  qui 
ont  été  déterrées  à  l'extrême  frontière,  descendent 
en  quelques  endroits  jusqu'au  règne  de  Constance'. 
Cela  prouve  bien  avec  évidence  qu'après  la  pre- 
mière irruption  des  Allemanes  jusqu'au  Rhin,  ces 
barbares  furent  repoussés  et  la  limite  fut  en  partie 
rétablie;  mais  que,  d'un  autre  côté  ,  quelque  soin  que 
Rome  prît  de  les  contenir  et  de  prévenir  de  nouveaux 
débordements  de  la  part  de  ces  peuples,  le  pays  ne 
reprit  plus  son  état  florissant.  Lesempereurs  semblent 
n'avoir  pris  soin  alors  que  de  rétablir  çà  et  là  les  lieux 
les  plus  avancés,  tandis  que  tout  le  reste  fut  aban- 


'  A  OEhringen ,  à  Aalon 
I. 


17 


258  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

donné  dans  ses  ruines,  et  que  ces  ruines  mêmes 
furent  assez  longtemps  oubliées  pour  que  leurs  noms 
primitifs  fussent  perdus,  lorsque  de  nouveaux  ha- 
bitants, échappés  à  tous  les  désastres  de  la  guerre, 
tentèrent  enfin  de  les  relever  ^ 

De  toutes  les  fortifications  du  Necker,  aucunes  ne 
peuvent  nous  donner  une  idée  plus  colossale  de  leurs 
bâtisses  que  les  deux  tours  de  Besigheim,  élevées 
sur  la  pointe  qui  domine  la  jonction  de  cette  rivière 
et  de  l'Enz.  Ce  sont  peut-être,  dans  tout  le  pays ,  les 
restes  de  ce  genre  dont  l'authenticité  peut  le  moins 
être  révoquée  en  doute.  Pour  rendre  la  place  qu'elles 
étaient  destinées  à  protéger  plus  forte,  les  Romains 
avaient  isolé  par  un  fossé  profond  la  langue  de  terre 


'  C'est  à  cette  époque  qu'il  faut  peut-être  rapporter  l'inscription  de 
Mourrharl,  citée  par  Hanselmann  [Beweisx  wie  weit  der  Rômer  Macht 
i7ide}ihohenlohisc  he7i  Landeîi  einyedrangen,etc.  jSchyîaèbMaXlAlQS, 
p.  241),  qui  porte  que  Sextus  Julius,  fils  de  Decius,  de  la  tribu  d'Ho- 
race, et  du  surnom  de  Florus,  tribun  de  la  vingt-quatrième  cohorte 
des  citoyens  volontaires  romains,  rétablit,  pour  l'accomplissement  de 
son  vœu ,  le  temple  du  Soleil  Mithriaque. 

S.  I.  M. 

SEX.  IVLIVS 

D.  Et  HOR    FLO 

RVS  YICTORI 

NVS  TRIE.  COH 

XXIIII  VC.  R  TEMP 

A  SOLO  RESTITV 

TO  VOTVM  PRO 

SE  AC  SVIS  SOLVIT 

Soli  invicto  Mithrœ,  etc. 

Les  deux  autres  pierres  trouvées  à  Mourrhart  et  citées  par  l'auteur, 
sont  deux  pierres  tumulaires  sans  intérêt  historique. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  259 

qui  s'avance  entre  les  deux  rivières,  et  ils  en  avaient 
formé  une  île.  Ils  l'avaient  ceinte  de  murailles,  à  la 
chute  desquelles  ces  deux  tours  ont  seules  survécu; 
l'une,  moins  grande,  dominant  l'extrémité  haute, 
l'autre,  plus  colossale,  dominant  l'exlrémilé  basse 
de  la  ville  moderne.  Leur  construction  se  ressemble 
du  reste  exactement  ;  elles  sont  d'une  force  surpre- 
nante. Ce  sont  des  quartiers  de  roches,  taillés  en 
bossage  et  superposés  les  uns  sur  les  autres  en  ran- 
gées d'inégale  hauteur,  et  sans  autre  entrée  qu'une  ou- 
verture élevée  à  trente  pieds  au-dessus  du  sol  ;  de  cette 
ouvertn  re  un  escalier  tournant  conduit  h  leur  sommet. 
L'intérieur  forme  plusieurs  étages,  dont  les  voûtes 
sont  supérieures  de  solidité  et  d'exécution.  Des  urnes, 
des  poteries,  des  armes  et  une  assez  grande  quan- 
tité de  monnaies  romaines,  dont  malheureusement 
la  date  est  inconnue,  ont  été  trouvées  dans  ces  tours 
qui,  quoique  dépouillées  de  leurs  créneaux,  s'élèvent 
cependant  encore  au  delà  de  quatre-vingt-dix  pieds. 
Nulle  inscription  n'est  venue  jusqu'ici  porter  quelque 
lueur  sur  l'état  antique  de  ce  lieu,  dont  l'origine,  sans 
aucune  preuve,  a  été  attribuée  à  l'empereur  Probe ^ 
L'importance  de  sa  position  comme  point  commer- 
cial, à  l'embouchure  de  l'Enz  et  du  Necker,  semble 
toutefois  permettre  de  lui  assigner  une  antiquité  plus 
reculée,  sans  que  je  m'oppose  à  la  possibilité  que 

1  Seulement  dans  les  environs ,  au  Weissenliof ,  fui  trouvé ,  en  1736 , 
le  fragment  d'inscription  suivant  :  SPECVL.  P.,  et  un  autre  ;  ORTIC, 
déterré  en  1786.  Une  tète  endommagée  de  Mercure ,  le  tronc  d'un 
Hercule,  y  furent  aussi  mis  au  jour.  Ces  deux  derniers  objets  ont  de- 
puis 1835  été  déposés  dans  VJntiquarium  de  Stuttgart. 

I.  ''' 


260  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Probe,  qui  repoussa  les  AUemanes  jusque  derrière 
le  Necker,  et  qui  rétablit  la  frontière  romaine,  ait 
aussi  pu  l'avoir  fortifiée.  Il  est  du  moins  de  toute  cer- 
titude, par  une  inscription  trouvée  à  Gross-Botwar', 
qui  n'est  point  éloigné  de  cet  endroit,  que  déjà  sous 
l'empereur  Septime  Sévère  (en  201),  et  alors  que 
Kœngen,  Canstadt,  Marbach  et  les  autres  places  du 
Necker  étaient  dans  leur  état  le  plus  florissant,  ces 
environs  étaient  aussi  habités  et  cultivés. 

Entre  Besigheim  et  Beckingen,  Laufen ,  oii venaient 
aboutir  deux  embranchements  de  route  du  grand  rem- 
part, a  aussi  ofl'ert  quelques  fondements  de  bâtisses 

'  Voici  l'inscription  : 

IN  H.  D.  D.  APOLLINI  ET  SIRONAE 

AEDEM.  CVM.  SIGNIS.  C.  LONGLMVS 

SPERATVS.  VET.  LEO.  XXII.  PR.  P.  F 

ET  IVMA  DEVA.  CONIVNX.  ET.  LON 

GIM.  PACATVS.  MARTINVLA.  HILA 

RITAS.  SPERATIANVS.  FILI.  IN. 

SVO.  POSVERVNT.  V.  S.  L.  L.  M, 

MVCIANO.  ET  FABIANO  COS. 

Celle  inscription  orne  une  pierre  élevée  par  un  vétéran  de  la  vingt- 
deuxième  légion ,  son  épouse  et  ses  cinq  enfants ,  à  Apollon  et  à  Si- 
rona.  Sirona  est  aussi  invoquée  avec  Apollon  sur  une  pierre  de  Nier- 
stein  ;  avec  Apollon  Grannus ,  comme  Sancta  Sirona  à  Rome  ;  avec  le 
même  Apollon  Grannus,  comme  Sironiaen  Dacie;  seule  enfin  comme 
Sirona  à  Bordeaux ,  etc.  C'était  une  divinité  celtique ,  dont  le  nom  était 
composé  des  deux  mots  seir,  commander,  et  on,  onde,  c'est-à-dire 
déesse  présidant  aux  eaux.  Aussi  les  bains  de  Nierstein,  comme  nous 
le  verrous,  étaient-ils  placés  sous  sa  protection.  Voy  Orelli,  à  l'article 
Sirona^  Gruter,  p.  37,  n"  11  ;  Millin,  J'oyage  dans  les  départements 
du  midi  de  la  France,  l.  iv,  p.  650;  Lehne,  Das  Sironabad  bel 
Nierstein;  Sattler,  Geschichte  des  Herzogthvms  fVûrtemberg ,  etc. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  ^61 

et  des  restes  d'étuves  qui  rappellent  la  période  ro- 
maine. Une  inscription  de  Meimsheim,  à  l'opposé  du 
Necker,  parle  de  colons  médiomatrices'.  Erbstetten'^ 
Pleidelsheim,  Steinheim^  Horkheim,  Frauenzim- 


'  Une  autre  inscription  qui  mérite  d'être  citée ,  comme  nous  offrant 
une  date,  recouvre  une  pierre  qui  est  enclavée  dans  le  mur  de  l'église; 
la  voici  : 

IMP.  CAES  MA... 

PIO  FEL 

GERM.  PON  xMAXlM  .  . 

ET  IVLIAE  AVG  MATRl 

CASTRORVM 

OB  YICTORIAM 

GERMANICAM. 

Cette  pierre  fut  sans  contredit  élevée  sous  le  règne  de  Caracalla. 
Plusieurs  impératrices  portèrent  le  nom  de  Mère  des  camps,  et,  entre 
autres,  Faustine  la  jeune,  épouse  de  M.  Aurèle  (voy.  Marini.,  Att.^ 
p.  238;  Eckel,  Doctr.  mim.,  7.  p.  79);  Julia  Domna,  mère  de  Cara- 
calla, et  Julia  Mammaea,  épouse  d'Alexandre  Sévère  (voy.  Marini, 
p.  702).  Comme  l'inscription  qui  nous  occupe  ne  peut  regarder  qu'un 
empereur  qui  prit  le  nom  de  Germanique ,  et  dont  le  nom  fut  plus 
tard  effacé,  que  ces  deux  circonstances  qui  conviennent  particuliè- 
rement à  Caracalla  sont  reproduites  ici,  il  laut  en  conclure  que  c'est 
en  l'honneur  de  ce  César  et  de  sa  mère  Julia  Domna  qu'elle  a  été  bu- 
rinée dans  la  pierre  après  la  victoire  qu'il  remporta  sur  les  Cennes 
allemanes.  Voy.  première  partie  de  ce  Mémoire,  p.  78. 

-  Où  a  été  découverte  une  inscription  en  l'honneur  du  dieu  Mars. 
Voy.  Studiou,  fol.  42. 

•^  Où  a  de  même  été  découvert  un  autel  supportant  sur  une  de  ses 
faces  l'image  de  Mercure  ayant  un  bouc  à  sa  droite  ;  sur  une  autre , 
Hercule ,  recouvert  de  la  peau  du  lion  de  ^'émée ,  et  tenant  la  massue 
et  une  pomme  des  Hespérides;  sur  la  troisième,  Pallas,  armée  du 
bouclier  et  de  la  lance;  et  sur  la  quatrième  enfin,  Vesta,  voilée,  et  te- 
nant de  la  main  droite  une  coupe  qu'elle  soutient  au-dessus  d'un  autel. 
A  côté  d'elle  est  un  oiseau.  Vov.  Studion. 


262  ÉTABLISSEMENTS  KOiMAINS 

mern,  Stockheitii  et  d'autres  lieux,  ont  aussi  livré 
chacun  quelques  antiquités  qui  marquent  la  présence 
du  grand  peuple.  Stocksberg,  Giiglingen  ont  un  jour 
vu  l'encens  fumer  sur  les  deux  autels  que  le  soc  de  la 
charrue  est  venu  heurter.  Nous  nous  rappelons  invo- 
lontairement ce  mot  de  Senèque  :  «  Partout  où  le 
Romain  a  été  vainqueur,  il  s'est  établi  ^» 

Nulle  part  peut-être  celte  vérité  n'est  mieux  con- 
firmée que  dans  ce  bassin  fleuri  du  Necker,  où  à 
chaque  pas  nous  trouvons  des  traces  de  cette  an- 
cienne puissance  colonisatrice. 

Beckingen,  situé  vis-à-vis  d'Heiibronn,  sur  l'em- 
placement même  de  l'antique  établissement  romain, 
a  livré  une  foule  d'inscriptions  qui  rappellent  le  culte 
de  Rome  et  le  culte  des  Gaules,  et  qui,  s'adressant 
ici  à  Apollon  Pithius  et  au  dieu  Mercure,  protecteur 
du  commerce,  à  la  Fortune,  déesse  aimée  des  Ro- 
mains, et  à  Jupiter,  le  maître  des  dieux  ,  sont  là  gra- 
vées dans  la  pierre  en  l'honneur  du  dieu  Mars  Ca- 
turige'',  du  dieu  Taranucnus,  dieu  celtique,  que  le 

^  Ubicvnque  viclt  Romaines ,  habitat.  Senec,  in  consol.  ad.  Helv., 
c.  vil. 
2  I.  0.  M. 

ET  MARTI  CA 

TVRIGI  GEN 

10  LOCI  C 

IVL  QYIETYS 

BF  COS 

V.  S.  L.  L.  M. 

Les Caluriges  éiaienl  un  peuple  des  Alpes,  près  d'Iilinbruu.Voy.  Cé- 
sar, De  bello.  yallico.,  i,  10;  Pline,  flisf.  naf.,  1.  m ,  c   41). 


DU  RHliN  ET  DU  DANUBE.  263 

sang  seul  pouvait  apaiser',  du  soleil  invincible  Mi- 
thra,  et  des  divinités  champêtres^.  Nulle  part  le  levis- 
simus  quisque  Galiorum,de  Tacite,  n'est  plus  vrai  qu'en 
cet  endroit,  où  des  colons  des  Pyrénées,  où  des  co- 
lons de  la  Moselle  et  de  1  Yonne,  étaient  venus  s'établir. 

Wimpfen,  plus  au  nord ,  est  aussi  un  des  castels  dont 
on  veut  que  la  fondation  soit  due  à  l'empereur  Probe. 

Nous  nous  contenterons  de  signaler  son  origine 
romaine,  qui  nous  est  attestée  par  un  autel  élevé 
à  Diane,  et  par  diverses  autres  inscriptions  et  des 
débris  souterrains'. 

Le  nom  de  Cornelia  qu'on  a  prétendu  que  cette 
ville  portait  dans  l'antiquité,  ne  repose,  du  reste, 
sur  aucune  preuve,  non  plus  que  celui  d'Augusta 
Nicri,  qu'on  a  dit  que  Laufen  avait  dû  porter  à  la 
même  époque. 

Wimpfen  dominait  l'embouchure  du  Jaxt,  dans  la 
vallée  duquel  s'élevaient ,  à  peu  de  distance  l'un  de 
l'autre ,  les  deux  camps  d'Olnhausen  et  de  Jaxthausen , 


«  DEO 

TARMVCNO 

VERATIVS 

PRIMVS 

EX  lYSSV. 

Jupiter  sic  dictus  a  Gallis,  quia  sanguine  humano  placabatur. 
Voy.  le  Scholiaste  de  Lucain,  t.  m ,  p.  72 ,  édit.  de  C.  F.  Weber. 

2  Pour  ces  diverses  inscriptions ,  voy.  Memminger,  fFûrtember- 
gische  Jahrbûcher.  1835,  p.  39  el  sv. 

3  Voy.,  pour  ces  inscriptions,  Beyell,  dans  Bartli  Advers.,  lu, 
col.  2428,  et  pour  les  autres  antiquités,  Freher,  Orig.  Palat.,  l.i. 
c.  4;  Cvwùu?,^  Annales  Suevici.;  Hanselmann, /iôw/sfAé'  Monumen- 
fen,  etc. 


264  ÉTABLISSEMENTS  KOMAINS 

l'un  destiné  à  protéger  les  abords  du  grand  rempart, 
l'autre  placé  sur  le  rempart  même, et  qui,  riches  en 
souvenirs  historiques  de  l'époque  des  Antonins,  mais 
ruinés  après  leur  règne ^  semblent  n'avoir  plus  été 
relevés  par  les  Romains. 

On  sait  que  la  Kocher,  torrent  assez  considérable, 
après  avoir  formé  une  courbe  qui  répond  exactement 
à  celle  que  forme  le  Jaxt,  se  jette  dans  le  Necker,  à 
une  faible  distance  du  second ,  vis-à-vis  de  Wimpfen. 
Des  traces  d'une  chaussée  romaine  existent  encore 
qui  liait  le  dernier  lieu  au  camp  d'OInhausen.  Elle 
reliait  entre  ces  deux  endroits,  sur  la  Kocher,  un  autre 
établissement  romain ,  sur  les  ruines  antiques  duquel 
s'est  élevé  Neuensladl ,  c'est-à-dire  la  ville  moderne. 

Cet  établissement  aura  eu  le  sort  des  autres  lieux 
environnants.  Les  antiquités  qui  y  ont  été  trouvées 
nous  reportent  au  règne  de  Septime  Sévère,  et  parmi 
ses  inscriptions  il  est  une  qui  s'adresse  à  Apollon 
Grannus. 

Le  castel  romain  placé  à  Bûrg,  tout  proche  de 
Neuenstadt,  paraît  avoir  été  destiné  à  protéger  les 
abords  de  la  forteresse. Une  inscription  trouvée  dans 
ses  ruines^  nous  reporte  au  même  règne  de  Septime 

«  IMP.  CAES.  M. 

AVR.  AINTONINO. 

AVG.  L.  SEPT.  SE 

VERl.  AVG.  N.  FILI 

STATVAM  •  OB 

HONOREM  •  DEC 

ET  •  FLAM  .... 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  265 

Sévère,  et  s'adresse  au  fils  de  cet  empereur,  Marc 
Aurèle  Antonin  ^Caracalla  ,  qui,  nommé  Auguste  eu 
198,  alors  qu'il  avait  atteint  sa  dixième  année  ,  reçut 
deux  ans  après  le  titre  de  pieux.  La  pierre,  destinée 
à  servir  de  piédestal  à  la  statue  qui  lui  fut  érigée  dans 
ce  caste!  à  celte  occasion,  doit  donc  avoir  été  posée 
à  cette  dernière  époque. 

Sur  la  hauteur  qui  domine  plus  loin  Gundelsheim, 
a  été  trouvé  un  autel  qui  fut  élevé  à  Jupiter  très- 
grand,  et  à  Junou,  reine  des  divinités  célestes';  h 
Obrigheim  une  autre  inscription  rappelle  le  culte  de 
Mercure^. 

Une  partie  de  la  troisième  cohorte  des  cavaliers 
aquitains  était  placée  à  Neckarburken^,  où  nous 


I.  0.  M. 

ET  ivso 

M  REGI 

NAE  C.  FAB 

IVS  GERMA 

NVS  BF  COS 

PRO  SE  ET  SVIS 

VSLLM. 

IN  H.  D.  D. 

MERCVRIO 

AED.  SIG.  ACR 

IIII.  L.  BELLOMVS 

MARCVS  A  MER 

IVSSVS  .... 

.  .  .  COS. 

COH  III 
AQVIT  EQ 

C.  R. 


266  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

pouvons  signaler  aussi  la  découverte  d'une  autre  ins- 
cription en  l'honneur  de  Minerve  ^  qui  y  fut  invoquée 
pour  le  salut  d'un  empereur;  on  y  trouva  en  même 
temps  plusieurs  antiquailles  et  des  monnaies.  Kael- 
bertshausen,  Neckargemùnd  furent  connus  des  Ro- 
mains. Entre  Rohrbach  et  Kirchheim,  Mercure  était 
invoqué.  Sans  doute  plus  d'une  des  tours  fortes 
que  la  noblesse  habita  au  moyen  âge  sur  les  som- 
mets de  la  riante  vallée ,  date  aussi  de  l'époque  re- 
culée où  ces  inscriptions,  qui  rappellent  le  culte, 
le  commerce,  l'antique  civilisation  de  Rome,  furent 
burinées  dans  la  pierre. 

Nous  arrivons  à  Heidelberg,  ancienne  cité  dont 
le  nom  est  inconnu ,  mais  qui  devait  être  commer- 
çante. 

Deux  sévirs  augustaliens,  dignité, comme  on  sait , 
importante  au  sein  des  cités,  y  élevèrent,  en  effet,  une 
pierre  à  Mercure ^  et  une  autre  inscription,  trouvée 
sur  la  tombe  d'un  ancien  marchand  pleuré  par  son 


MLNERVAE 

PRO  SALVTE 

IMP  N 

LIBRARI 

IN  H.  D.  D.  DEO 
MERCVRIO  ET 


APRISSYS  ET  AC 
CEPTVS  liiiilvi 
RI  AVGVSTÂL. 


DU  un  IN  ET  DU  DANUBE.  267 

épouse,  altesle  suffisamment  que  des  transactions 
commerciales  y  avaient  lieu^  Celte  cité  s'étendait 
alors  probablement  sur  les  deux  rives  du  Necker, 
et  elle  recouvrait  sur  la  rive  droite  le  terrain  où  re- 
pose aujourd'hui  le  village  de  Neuenheim,  le  lieu 
neuf,  bàli  sur  l'ancien  établissement,  et  dont  le  sol 
nous  a  livré  une  inscription  intéressante,  qui  prouve 
que  la  deuxième  cohorte  de  la  cavalerie  africaine  de 
Cyrénaïque  y  était  en  garnison^. Dans  ces  murs,  le 
culte  de  Rome  était  allié  à  celui  de  Mithra,  apporté 
sur  le  Necker  par  les  Orientaux  enrôlés  dans  les  lé- 
gions^. 

Sur  le  Heiligenberg,  montagne  qui  domine  toute  la 
contrée  du  côté  opposé  au  moderne  Heidelberg,  furent 
trouvés  deux  autels,  dont  l'un,  d'un  travail  achevé^ 
était  dédié  à  Jupiter,  et  portait  les  figures  de  la  Vic- 


'  DIS  M 

VOLCIO  MEK 

CATORI  AN  XXXX 

L  VERIA  CARAiNT 

CON  PIEN'  POS. 

Dii  manibus,  yolciopiercntori,annorum  quadraginta^Lucia  f-'e- 
ria  Garanti ^conjugi  pientissimo,  [pietissimo)  posuit. 

2  COH  II  AVG 

CIREN  EQ 
TVR  AVGI  E  I  RES 
TITVT.  VALPPCT. 

^  Voy.  sui-  lo  mouuiuciil  de  Neuciilieiiii ,  Creuzcr.  Heidelberg  1838. 


268  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

toire,  de  la  Fortune  et  de  VulcainS  l'autre  était  dé- 
dié au  dieu  Mercure"^. 

Des  traces  d  antiques  constructions  romaines  ne 
peuvent  laisser  de  doute  sur  l'importance  du  lieu,  où 
les  uns  ont  placé  un  panthéon,  d'autres  un  simple 
temple,  d'autres  des  fortifications.  Ce  qu'il  y  a  de  plus 
probable,c'estqu'en  effet  des fortificationsyexistaient, 
en  même  temps  que  le  culte  des  dieux  y  était  en  hon- 
neur, que  vis-à-vis,  sur  la  rive  gauche  du  Necker, 
d'autres  remparts  couronnaient  aussi  le  Geissberg, 
et  que  ces  deux  camps  ou  castels  étaient  destinés  à 
protéger  l'établissement  de  la  vallée. 

Le  régime  administratif  du  lieu,  attesté  par  ces 
inscriptions,  semble  devoir  nous  permettre  d'en  re- 
porter la  date  à  l'époque  des  Antonins,  après  la- 


i  I.    0.    M. 

IVL  SECVN 
DVS  E  IVLIV 

lANVARIYS 

FRATRES 
V.  S.  L  L  M. 

L'inscription  est  entourée  sur  la  pierre  d'une  guirlande  de  chêne , 
et  au-dessous  est  placé  un  aigle  aux  ailes  déployées.  Sur  les  trois  autres 
faces  de  l'autel  sont  les  figures  des  trois  divinités. 

2  MERCVRIO 

BASEM  CVM  .  .  . 

L  CANDIDIV  .  .  . 

CATOR  D  C 

V.  S.  L  L  M. 

Mercurio  basent  cum  signo  L.  Candidius,m€rcator,  (decurio  civi- 
latis?)  votumsolvit,  etc. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  269 

quelle,  en  effet,  tout  tomba,  comme  nous  l'avons  vu, 
en  ruines,  et  après  laquelle  Rome  ne  rétablit  plus 
qu'à  divers  intervalles  son  pouvoir  sur  la  contrée,  sans 
que  ses  troupes  y  restassent  cependant  assez  de  temps 
pour  qu'il  se  consolidât,  pour  que  les  villes  se  rele- 
vassent, et  pourqu'elle  pût  de  nouveau  s'occuper  de 
leur  administration. 

C'est  une véritéqui  devient  deplusen  plus  palpable, 
à  mesure  que  nous  avançons.  Si ,  comme  on  l'a  écrit, 
le  Heiligenberg  doit  être  regardé  comme  le  Moîis 
Piri  dont  parle  iMarcellin,  et  que  son  sommet  soit, 
en  effet^  l'emplacement  de  la  forteresse  que  Valen- 
tinien  voulut  faire  construire  sur  le  sol  allemanique, 
après  sa  campagne  de  Solicinium,  ce  n'est  pas  une 
raison  pour  que  primitivement  la  même  montagne 
n'ait  pas  d'abord  reçu  de  tours  fortes,  et  que  sur  les 
ruines  du  troisième  siècle  n'aient  pu  être  élevées, au 
quatrième,  quelques  murailles  de  la  nouvelle  for- 
teresse qui  resta  inachevée.  Car  il  est  avéré,  par  l'his- 
torien même',  que  ces  murs  ne  furent  pas  alors  mis 
à  fin ,  et  que  les  Allemanes  n'ayant  pu ,  malgré  les 
représentations  qu'ils  firent  à  l'empereur,  en  faire 
suspendre  les  bâtisses,  fondirent  à  limproviste  sur 
les  ouvriers  et  les  exterminèrent  sans  qu  aucun 
homme  n'échappât. 

Le  fort  bâti  à  l'embouchure  du  Necker  est  décrit 
d'une  manière  moins  obscure  par  l'historien  ;  il  est 
permis,  en  suivant  son  récit,  d'en  marquer  approxi- 
mativement l'emplacement. 

'  Âmm.  Marcel.,  1.  xxvtii    o.  2. 


270  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Il  est  incontestable  d'abord  que  le  Rhin  et  le  Necker, 
pendant  les  quinze  siècles  qui  se  sont  écoule's  depuis 
l'époque  où  ce  fort  fut  construit,  ont  plus  d'une  fois 
changé  leurs  cours.  Il  est  même  prouvé,  par  les  ob- 
servations géologiques  faites  dans  la  grande  vallée 
où  ces  deux  fleuves  se  joignent,  que  le  Necker,  en 
quittant  le  val  d'Heidelberg,  jeta  un  jour  au  nord  un 
de  ses  bras,  qui,  dans  son  cours,  formant,  au  pied 
des  montagnes,  une  immensité  d'îles,  et  remplissant, 
comme  un  lac,  tous  les  bas-fonds,  allait  se  réunir 
au  Mein  avant  de  se  jeter  dans  le  Rhin.  Le  second 
bras  suivait  en  plusieurs  branches  le  cours  qu  il 
suitencore  aujourd'hui,  et  formait  à  son  embouchure 
une  sorte  de  delta ,  tandis  qu'un  troisième  embran- 
chement, arrosant  dans  ses  nombreux  détours  la 
plaine  de  Schwetzingen,  se  jetait  là  dans  le  fleuve, 
qui  de  même  circulait  à  l'est  jusqu'auprès  des  mon- 
tagnes, au  milieu  des  dunes  qu'il  avait  formées  ^  Il 
ne  nous  appartient  pas  sans  doute  de  préciser  d'une 
manière  exacte  quels  étaient  de  tous  ces  divers  em- 
branchements du  Necker  et  du  Rhin  ceux  qui  exis- 
taient encore  à  l'époque  de  Valenlinien.  Les  quinze 
siècles  qui  se  sont  écoulés  depuis  cette  date  histo- 
rique sont  en  effet  de  si  peu  d'importance,  compa- 
rativement h  l'immensité  de  temps  pendant  lequel  le 
Rhin  et  le  Neckeront  dû  couler!  I\lais  il  est  permis  de 
penser  du  moins  que,  de  même  que  le  bras  du  nord 

'  Voy.  dans  le  BadischesArchiv  fur  Vaterlandskxtnde ,  t.  i,  l'ar- 
ticle intilulé  :  l'eher  den  allen  Flssulaiif  im  Oberrlieinthale,  par 
Mone;  el  sur  la  carte  qui  accompagne  mon  Mémoire,  le  cours  du 
Necker  dans  sa  partie  ponctuée. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  271 

n'était  pas  encore  à  celle  époque  tout  à  lail  des- 
séché, celui  du  sud  el  celui  que  la  rivière  remplit 
encore  aujourd'hui  avaient  aussi  conservé  alors,  si- 
non toutes  leurs  ramifications,  du  moins  quelques- 
unes  de  leurs  branches. 

Or,  c'est  au  milieu  de  ces  divers  détours  du  Necker 
que,  lorsque  les  eaux  se  furent  en  partie  retirées, 
les  habitants  primitifs  vinrent  sur  les  dunes  que  la 
rivière  avait  formées  construire  leurs  demeures.  De 
tous  les  lieux  qu'ils  fondèrent  et  de  ceux  où  les  Ro- 
niains  s'établirent  après  eux,  aucuns  ne  son t  cités  dans 
l'histoire,  à  l'exception  de  Lupodunum,  du  fort  de 
Valentinien  et  de  celui  d'Altrippe,  sur  la  rive  gauche 
du  Rhin. 

Lupodunum,  aujourd'hui  Ladenbourg,  ville  dont 
parle  le  poëte  Ausonne,  nous  offre  pour  preuves  de 
son  antiquité  romaine  un  bas-relief  de  Mithra,  un 
autel  consacré  à  Mercure,  à  Minerve,  à  Hercule  et  à 
Vesta;  un  autre  petit  autel,  qu  un  de  ses  habitants, 
du  nom  de  Quinlius  Ursus,  éleva  un  jour  à  ses  dieux 
lares;  quelques  tombes',  d'anciens  fondements  de 

*  La  plus  intéressante ,  sous  le  rapport  archéologique ,  est  celle  qui 
porte  le  nom  d'Eutychias,  nom  connu  à  Athènes  et  à  Lacédémone; 
la  voici  : 

D.        M. 

PARIDIVII 

EVTYCHAS 

niSP.  BENE 

MEREMI 

r.   c 

Dis  Manibus  Paridi  Sepfimi  (ou  Paridivii)  Eutichyas  dispensa- 
fnri  heriemerenti  faciendum  cvravit. 


272  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

bâtisses  et  diverses  antiquailles  et  monnaies'.  Le 
Necker,  en  circulant  sous  ses  murs,  est  encore  assez 
encaissé  dans  son  lit,  de  manière  que,  vue  de  ses 
rives,  la  cité,  quoique  placée  dans  la  plaine,  semble 
être,  en  effet,  bâtie  sur  une  hauteur,  ainsi  que  l'ex- 
prime la  terminaison  antique  de  son  nom.  Nous  avons 
vu ,  en  parlant  de  Solicinium ,  que  ce  fut  ici ,  qu'après 
la  bataille  qui  se  livra  sur  les  hauteurs  qui  dominent 
cette  ville ,  les  légions  vinrent  de  nouveau  combattre 
les  Allemanes  avant  de  repasser  le  Rhin.  Ce  fut  après 
cette  nouvelle  victoire,  où  ces  peuples  furent  encore 
repoussés,  que,  pour  les  contenir  et  leur  fermer  le 
passage  des  Gaules, Valentinien  bâtit,  à  l'embouchure 
du  Necker  (et  sans  doute  là  où  le  Rhin  recevait  le 
bras  de  cette  rivière  le  plus  favorable  à  la  naviga- 
tion), la  forteresse  auquel  il  donna  son  nom.  Ammien , 
dans  ses  pages  historiques,  parle  avec  assez  d  em- 
phase de  ce  lieu  et,  sans  faire  mention  du  Rhin, nous 

*  Les  plus  anciens  documents  du  moyen  âge  citent  cette  ville  sous 
le  nom  de  Lopoduna,  de  Lobodo ,  de  Loboduna  civitas,  d'où  avec 
le  temps  s'est  formée  la  terminaison  allemande  de  Lobedunburg ,  Lobr 
denburg ,  Laudenburg  ^  et  enfin  Ladenhurg.  Voy.  A.  Lamei ,  Pagi 
Lobodunensis  descriptio,  dans  les  .^ct.  Jcad.  Palat.,  i,  p. 217. Quant 
à  l'inscription  qui  fut  un  jour  murée  dans  le  château  de  Ladenbourg, 
et  qui  a  été  depuis  transportée  à  .Mannheim,  inscription  dont  on  a 
voulu  se  prévaloir  pour  prouver  que  l'enclave  de  la  cité  de  Mayence 
s'étendait  sous  l'empire  de  Dioclétien  jusqu'au  Necker,  je  ne  la  citerai 
point  ici ,  parce  qu'il  est  avéré  par  un  document  manuscrit  qui  se  trou- 
vait autrefois  dans  la  bibliotiièque  de  Worms ,  que  la  pierre  de  marbre 
blanc  qui  la  supporte  n'a  pas  été  trouvée  à  Ladenbourg ,  mais  qu'elle 
y  a  été  transportée  de  Mayence  avec  plusieurs  autres  antiquités  parle 
savant  évêque  Jean  de  Dahlberg.  Voy.  Lehne,  Rômische  .illerthUmer 
des  Donnershergs ,  p.  402  et  sv. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  273 

dit  seulement  que  l'empereur,  craignant ,  lors  de  son 
achèvement,  que  le  Necker  (dont,  par  conséquent, 
ces  murs  étaient  baignés),  pût  être  nuisible  à  leur 
solidité,  songea  à  lui  donner  un  autre  course  Mais 
Symmaque,  dans  les  louanges  qu'il  prodigue  au 
souverain,  parle  au  contraire  de  deux  fleuves  et  des 
digues  qui  les  contenaient  et  qui  protégeaient  les  mu- 
railles à  pans  inclinés  que  flanquaient  des  tours  dont 
la  base  plongeait  dans  les  eaux  -.  Ces  deux  fleuves  ne 
peuvent  pas  s'entendre  des  deux  bras  du  Xecker,  qui 
durent  alors  exister  à  Lupodunum,  mais  bien  du 
Rhin  et  de  celte  rivière;  et  il  faut  nécessairement 
que  la  forteresse  de  Valenlinien  ait  été  placée  à 
l'angle  même  de  leur  jonction.  Comme  il  est  géolo- 
giquement  prouvé  que  de  tous  les  bras  du  Necker, 
à  l'ouest,  celui  qui  forme  encore  seul  aujourd'hui 
son  lit  a  toujours  été  le  plus  considérable,  et  que 
le  canal  qui  fut  creusé  au  quatrième  siècle,  et  qui , 
partant  de  Ladenbourg,  baignait  encore  au  moyen 
âge  le  village  de  Xeckarau,  ne  dut  servir  qu  à  mi- 
tiger,  pendant  leur  crue,  le  cours  impétueux  des  eaux 
qui  tombaient  dans  le  fleuve  par  le  lit  principal ,  il  est 


'  t  Denique  cum  reputuret  miinimentum  celsuni  et  txdum ,  quod 
«  ipse  a  primis  fundarat  auspiciis,  pr.^terlabente  Nicro  >omine 
«FLLVIO,  paulatim  subverti  posse  iindarum  pulau  iminani,  niea- 
'<  tum  ipsum  aliorsum  vertere  cogitavit:  tt  qusesitis  artificibus  peri- 

<  fis  aquarix  rei ,  cnpiosa  viilitis  manu  urdinim  eut  opus  aggres^ 
1  sus  ,  etc.»  Anim.  Marcel.,  1.  xxviii,  c.  2. 

-  «  Duoruin  jluviinum. . ..  gnara  dedecus....  manus  geminas  ag- 

<  gerum  institidiones  mole  vallavit.  Succedit  scœna  murorum  ian- 
«  lum  ex  ea  parte  declicis  qna  margines  ttirrium  Jluenfa  perstrin- 
■<gant.»  Laudd.  hi  f'alenfhi. 

I  18 


274  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

permis  avec  quelque  raison  de  regarder  le  mo- 
derne Mannheim  comme  l'emplacement  présumable 
de  la  forteresse  décrite  par  Ihistorien.  Car  tout 
semble  attester  que  le  bras  du  Rhin  ,  qui  a  laissé  ses 
traces  à  l'est  de  cette  ville,  et  qui  est  d'une  an- 
tiquité bien  reculée  au  delà  de  l'époque  romaine, 
n'était  pas  cependant  encore  tout  à  fait  à  sec  au 
quatrième  siècle;  il  est  à  peu  près  certain  que  les 
eaux  du  fleuve  y  circulaient  encore  en  partie,  quoi- 
que le  principal  lit  du  Rhin  fût  alors  déjà  le  même 
que  celui  qu'il  remplit  aujourd'hui.  C'est  ce  qui 
éclaircit  le  passage  de  Symmaque,  qui  parle  des  quais 
encaissant  le  fleuve  des  deux  côtés^;  et  ce  qui  explique 
les  craintes  qu'eut  Valentinien  que  la  trop  grande 
masse  des  eaux  du  Necker,  battant  en  commun  avec 
les  vagues  du  Rhin  ces  murailles,  pût  en  entamer  la 
solidité. 

Le  changement  de  direction  du  Necker  ne  peut  pas 
s'entendre  de  tout  le  lit  de  cette  rivière,  puisque  la 
forteresse  paraît  avoir  été  principalement  bâtie  pour 
contenir  les  Allemanes,  et  avoir  été  placée  à  son  em- 
bouchure, afin  de  fermer  aux  barbares  cette  voie  qu'ils 
suivaienttoujours  pour  passeravec  leurs  barques  dans 
les  Gaules.  On  ne  peut  l'entendre  que  d  une  partie  de 
son  cours,  afin  qu'en  cas  d'inondation,  la  solidité  des 
murs  dont  les  deux  fleuves  baignaient  le  pied  ne  pût 
être  entamée.  Ainsi,  c'est  d'un  canal  que  Valentinien 
fit  creuser  qu'il  s'agit  ici,  et  ce  fut  sans  doute  aussi 

1  « . . .  nani  hrachiis  utrinque  Rhenus  îirgetur,  vi  in  varias  usus 
(  tutnm  prœbeat  meatum.t  Laudd.  in  raient. 


DU  KHIN  ET  DU  DANUBE.  275 

pour  en  protéger  l'issue  que,  tout  proche  de  son  em- 
bouchure dans  le  Rhin,  le  fort  d'Allrippe  s'éleva  vis-à- 
vis  sur  la  rive  gauche  du  fleuve.  C'est  dans  ce  dernier 
lieu  que,  pendant  que  le  souverain  présidait  à  ces 
travaux, il  signa,  le  20  juin,  une  ordonnance  que  le 
Code  de  Théodose  nous  a  conservée. 

La  forteresse  de  Valentinien  dut  être  imposante, 
s'il  faut  s'en  rapporter  à  Syramaque,  témoin  ocu- 
laire', qui  en  décrit  toute  la  splendeur,  et  qui  vante 
la  coupole  dorée  qui  s'élevait  au  centre  de  ses  mu- 
railles, et  le  parapet  revêtu  de  plomb  qui  s'étendait 
à  sa  base^. 

Les  guerres  qui  suivirent  de  près  la  mort  de  Va- 
lentinien auront  causé  la  ruine  de  ces  murailles, 
et  elles  auront  eu  d'autant  plus  à  souff'rir  du  ravage 
des  Allemanes,  que  ces  peuples  avaient  à  venger  les 
cruautés  commises  contre  eux  par  leur  fondateur. 

Altrippe  ne  fut  pas  plus  épargné;  le  Rhin  a  en- 
glouti le  fort  avec  la  dune  qui  le  soutenait  ^  En  ar- 
rière ne  se  montrent  plus  aujourd'hui,  à  quelque 
distance,  que  les  chaumières  d'un  village  qui  en  a 
conservé  le  nom. Ce  fort  dominait  la  plaine,  oui  nous 
avons  vu,  du  sommet  de  l'Eichelberg ,  les  ves- 
tiges  de  la  colonisation  romaine,  et  où  la  vingt- 


'  t  Interfin,  Auguste  venerabilis ,  cum  positis  amns  fundamenta 
t  describeres .  etc.t  Laudd.  in  Falentln.^  Orat.  ined.,  6,  p.  18. 

^tStat  medio  arcis  aurata  sublimitas ,  et  tecto  cvmitur  pro 
t  tropeo;  cui  perarduiet  prona  declivis  levis  plumbi  loricasubtexi- 
f  tur  i>  Syminach.,  Laudd.  in  Falentin.,  7,  p.  19. 

3  t  Testis  est  hase  ipsa  ripa,  cui  altitudo  nomen  imposuit.-»  Sym- 
niach.,  oral,  ii,  Laudd.  in  l'aient.,  c.  3,  p.  16. 


I. 


18. 


276  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

deuxième  légion ,  cette  légion  que  commandait  Ju- 
lien' avant  d'être  empereur,  a  aussi  laissé  quelques 
souvenirs  àWiesloch^.  Une  inscription  à  Mercure  Vi- 
sucius,  qui  rappelle  l'inscription  que  nous  avons 
trouvée  dans  les  ruines  de  Kœngen ,  est  venue  s'offrir 
à  nous  à  Hockenheim^  C'est  entre  ce  dernier  lieu  et 
Heidelbergquese  déploie  le  moderne  Scliwetzingen , 
dont  les  tombes  antiques  attestent  la  haute  ori- 
gine*. 

Ces  tombes,  dans  leur  mystérieux  langage,  nous 
ont  à  la  fois  révélé  la  vie  paisible  et  laborieuse  des  an- 


'  Legioni  prœfuit  in  Germania  vkesimx  secundœ,  prhnîgeniœ,... 
M\.  Sparlianus,  m  Didio  Juliano,  ci, 
^  LEG  XXII.  PR.  P.  F  {primigeniœ ,  pix ,  fidelis). 

3  VISVCIO 

MERCVRI 

SENILIS 

MAS.  S.  F 

V.  S.  L.  L.  M. 

Fisucio  Mercurio  Senîtîs  Massiliensis,  Senilis  filius ,  vutum  aol- 
vit,  etc. 

Une  autre  inscription  du  même  lieu,  gravée  sur  une  plaque  de  bronze, 
était  adressée  à  la  déesse  Sirona  ;  la  voici  : 

DEAE 

SIRONAE 

CL.  MARIANVS. 

V.  S.  L.  L.  M. 

*  Consultez  Ilsefelin,  Dissertatio  de  sepulchrîs  romanis  in  agio 
Schwelzingiano  reperiis,  dans  les  Jet.  4cad.  Theod.  Palut.y  t.  iv, 
p.  52  et  sv. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  277 

ciens  habitants  de  ce  lieu,  et  les  temps  de  guerre  et 
de  destruction,  où  ces  plaines  furent  témoins  de  tant 
de  combats. Sur  ce  sol,  incontestablement,  s'est  passé 
un  des  drames  sanglants  des  longues  guerres  du  qua- 
trième siècle,  où  dans  le  conflit  de  Romains  et  d  Al- 
lemanes,  toujours  aux  prises  sur  ces  frontières, 
chaque  parti,  en  avançant  ou  en  reculant,  portait 
également  le  meurtre  et  la  dévastation. 


278  ÉTABLISSEMENTS  IlOMAINS 


§2- 

ÉTABLISSEMENTS  DE  LODENWALD  ET  DU  TAUNUS. 


Entre  le  Mein  et  le  Necker,  depuis  Miltenberg  jus- 
qu'à Eberbach ,  s'étend  la  chaîne  de  monts  connue 
sous  le  nom  d'Odenwald.  La  première  de  ces  rivières 
la  borne  au  nord,  et  la  seconde  au  sud,  où  se  groupent 
les  principales  hauteurs,  dont  les  sommets  ne  sont 
toutefois  que  d'une  faible  élévation.  A  l'époque  loin- 
laine  qui  nous  occupe,  toutes  ces  montagnes  étaient 
encore  en  majeure  partie  désertes  et  couvertes  de 
forêts  de  chênes,  de  hêtres  et  de  sapins  que  la  hache 
du  Celte  primitif  avait  respectées,  et  où  le  Germain , 
plus  tard ,  avait  offert  des  sacrifices  à  Odin.  Une  foule 
de  ruisseaux  limpides  prennent  leur  source  dans  ces 
montagnes  et,  descendant  au  sein  des  vallées,  se  réu- 
nissent en  torrents,  dont  les  trois  principaux  sont 
le  Mûmling  et  la  Gersprinz,  qui  l'un  et  l'autre  tombent 
dans  le  Mein,  et  la  Weschnitz  qui  se  jette  dans  le 
Rhin.  Entre  le  premier  de  ces  torrents  et  le  Mein 
s'étend  une  crête  remarquable  qui,  commençant 
dans  les  environs  de  Mudau,  se  prolonge  l'espace 
de  huit  lieues  jusqu'au  fort  d'Obernbourg.  Elle  pré- 
sente partout  un  plateau  assez  large,  et  vous  do- 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  279 

minez  de  cette  crête  élevée  toute  la  basse  région  du 
Mein ,  en  arrière  duquel  les  Romains ,  en  prenant  pos- 
session de  la  contrée,  posèrent  d'abord  leurs  tours 
fortes. 

Cène  fut  point  la  beauté  du  pays,  ce  furent  encore 
moins  ses  richesses  et  sa  fertilité  qui  les  y  attirèrent  ; 
car  aujourd'hui  encore  que  la  culture,  depuis  près 
de  deux  mille  ans,  s'y  est  développée,  ces  montagnes 
sont  pauvres,  et  le  climat  y  est  toujours  rude.  Mais 
c'est  que  celte  position  était  formidable,  et  qu'il  était 
important  de  contenir  les  Germains  au  delà  de  ces 
forêts  vierges  qui  leur  servaient  de  repaires,  et  d'où 
ils  venaient  inquiéter  le  Rhin  chaque  fois  qu'ils 
voyaient  le  moment  favorable  d'y  faire  du  butin.  Ni 
le  Necker,  ni  sa  riante  vallée,  ni  la  plaine  que  le 
fleuve  arrose,  n'auraient  pu  être  en  sûreté  tant  que 
ces  montagnes  auraient  recelé  dans  leur  sein  leurs 
sauvages  peuplades.  Les  Romains  leur  en  fermèrent 
donc  l'entrée  en  liant  aux  fortifications  du  Taunus 
cellesqu'ils  avaient  érigées  au  sud  en  avant  du  Necker; 
par  une  suite  de  castels  que  nous  avons  parcourus 
en  faisant  la  description  du  grand  rempart,  ils  for- 
tifièrent, en  avant  de  l'Odenwald ,  cette  limite  de  l'Em- 
pire. 

Osterburken,  au  nord  du  Jaxt,  est  le  premier 
lieu  romain  que  nous  trouvions  sur  cette  limite  an- 
tique 

Un  poste  de  la  huitième  légion,  du  surnom  d'Au- 
guste, de  pieuse,  d'heureuse  et  de  constante,  y  grava 
sur  une  pierre  que  le  soc  d'une  charrue  heurta  en 
1717,  une  inscription  qui  instruit  la  postérité  que  les 


280  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

soldats  de  celte  légion  élevèrent  un  jour  à  leurs  frais 
le  monument  qu'elle  décorait'.  Osterbùrken  était 
sans  doute  un  camp  romain  placé  sur  le  rempart, 
dont  quelques  traces  se  découvrent  encore  près  de 
Bœdigheim. 

Walldûrn  ,  que  nous  visitons  ensuite,  a  de  même 
offert  une  inscription  placée  sur  un  autel  dédié  à 
Mars  et  à  la  Victoire  ^  Selon  toute  probabilité, 
cet  autel  fut  érigé  en  235  de  Jésus -Christ,  pour 
rappeler  la  victoire  que  Maximin  et  son  fils,  qui  à 
cette  époque  prirent  le  nom  de  Germanique  ^  rem- 
portèrent effectivement  dans  ces  environs  sur  les 
Germains. 

A  Eichenbiihl,  sur  l'antique  rempart,  ont  aussi 
été  découverts  sous  terre  quelques  restes  de  cons- 


i  LEG.  VII! 

AVG 
p.     F.     C. 
A.     S.    F. 

Legiu  oclava,  Auguste  ^   pia,  felix,  constans^œre  suo  fecit. 
Eckard ,  Frmic.  or,  i,  10. 

2  PRO      SALVTE  •  AVGG 

MARTI  •  ET  •  VICTO 
RIAE  •  ARAM  •  PO 
SVIT  •  C  •  COMINI 


Pro  sainte  Augustorum,  Marti  et  ^ictorix  aram  posuit  Cajus 
Cominius Le  reste  de  l'inscription  manque. 

3  Voy.  première  partie  de  ce  Mémoire,  p.  81. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  281 

truclions  romaines*.  En  avant  de  cette  ligne,  et 
à  la  jonction  de  plusieurs  petits  torrents,  est  l'abbaye 
d'Amorbach,  placée  sur  les  ruines  d'un  ancien  lieu 
romain,  où  nous  trouvons  postés  des  Bretons  de 
Triputium'^  sous  le  commandement  d'un  centurion 
de  la  vingt-deuxième  légion.  On  y  révère,  dans  une 
chapelle,  un  saint  Amour,  à  la  place  même  oii,  du 
temps  des  Romains,  les  nymphes  présidant  à  la  fon- 
taine d'amour  furent  invoquées  parces  soldats  étran- 
gers'. 

Le  christianisme  a  là ,  comme  en  tant  d'autres 
endroits,  substitué  son  culte  au  culte  antique,  et  fait 
un  saint  du  dieu  qui  y  était  adoré.  Près  de  Milten- 
berg,  à  l'embouchure  delà  Muidt,  furent  aussi  dé- 


'  Près  de  là,  dans  une  ancienne  carrière,  gisent  encore  à  terre  dix 
colonnes  colossales  de  dix  à  vingt  pieds  de  longueur,  et  qui  peut-être 
destinées  à  un  ancien  temple  n'ont  jamais  été  achevées.  En  1825,  on 
découvrit  au  même  lieu  trois  monnaies  de  Trajan ,  d'Adrien  et  d'An- 
tonin-le -Pieux,  qui  semblent  devoir  indiquer  l'époque  où  ces  colonnes 
ont  été  taillées. 

2  Ville  d'Angleterre ,  aujourd'hui  Dowbrigde. 

3  NYMPHIS  ô 
N.  BRITTON 
TRIPVTIEN  ^ 
SVB  CVRA  ô 

M  ^  VLPI 

MALCHI  ô 

>   LEG  XXII 

PR     ô  P  (^  F  ^ji 

Nymphis,  Numerus  Brittonum  Triputîensium,  sub  cura  Marci 
Vlpii  HfalchijCenturionis  legionis  XXII ^  primigeniœ,  pise,  fidetis. 


282  ÉTABLISSEMEINTS  HOMAIINS 

couverts  en  un  lieu  nommé  Altenstadt,  locus  anli- 
quus,  quelques  restes  de  murailles,  des  monnaies  et 
un  fragment  d'inscription  qui,  tout  imparfait  qu'il 
est,  suffit  cependant  pour  nous  prouver  son  origine 
romaine'.  Là  étaient  postées  quelques  troupes,  tirées 
de  la  Séquanie  et  du  pays  des  Rauraques.  Peut-être 
la  tour  qui  domine  la  petite  ville  a-t-elle  au  moyen 
âge  été  placée  sur  les  débris  d'un  castel  plus  antique. 
Elle  correspondait,  en  avant  du  rempart  et  de  l'autre 
côté  du  Mein,  avec  la  tour  de  Rosshof  et  celle  qui, 
sur  la  rive  droite  de  cette  rivière,  couronnait,  vis-à- 
vis  de  Trennfurlh ,  la  hauteur  du  Rlingenberg.  C'est 
proche  de  Freudenbergque  le  rempart  venait  aboutir 
ail  Mein;  nulle  inscription  du  grand  peuple  ne  se 
rencontre  plus  au  delà.  Si  de  temps  à  autre  la  pioche 
met  à  nu  des  tronçons  d'armes  qui  lui  ont  appartenu , 
ils  sont  toujours  mêlés  à  des  tronçons  d'armes  qui 
ont  appartenu  aux  Germains  qu'il  combattit.  Ces 
restes  enfouis  sous  le  sol  prouvent  les  chocs  sans 
nombre  qu'eurent  entre  elles  les  armées  des  deux 
nations,  comme  le  double  rang  de  fortifications  que 
Rome  éleva  en  avant  de  l'Odenwald  et  sur  ces  mon- 
tagnes, prouve  l'importance  qu'elle  attachait  à  dé- 
fendre ce  passage. 

Une  armée,  en  effet,  maîtresse  de  ces  hauteurs, 
pouvait ,  si  même  la  première  ligne  eût  été  rompue , 


'  Le  voici  : 


SEQ  E^R  RAVRACOR 
VM.  CVRAVERVNT. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  283 

attendre  de  pied  ferme  dans  cette  position  un  ennemi 
supérieur  en  nombre,  et  qui ,  pour  atteindre  ces  pla- 
teaux, était  contraint  de  s'avancer  par  des  défilés 
ardus,  d'où  les  flèches  et  les  frondes  de  ses  adver- 
saires pouvaient  facilement  le  décimer.  Le  seul  point 
faible  de  toute  la  crête  de  ces  montagnes  était  le  dé- 
bouché du  val  de  Mùmling  dans  la  vallée  du  Mein; 
c'est  là  aussi  que  la  plus  grande  masse  de  retranche- 
ments avait  été  construite.  Une  route  qui  d'Obern- 
bourg  s'élevait  su  rie  plateau,  le  parcourait  dans  toute 
sa  longueur  en  reliant  ces  camps  divers;  elle  aboutis- 
sait par  une  courbe  à  Mudau,  et  descendait  de  là 
par  le  ScheidenthaP,  d'où,  se  partageant  en  deux 
branches,  elle  allait  joindre  par  Waldmûhlbach^  le 
val  du  Necker,  et  le  Jaxtthal  par  Bœdigheim.  Les 
restes  de  cette  chaussée  sont  les  seules  antiquités 
romaines  que  les  environs  de  Mudau  aient  jusqu'ici 
présentées.  On  peut  encore  les  suivre  pendant  quel- 
que temps  dans  la  direction  de  Schlossau,  village 
que  domine  l'antique  castel  qui  lui  a  donné  son 
nom. 
Le  carré  du  camp  peut  encore  s'observer;  de  ses 


*  On  a  trouvé  à  Oberscheidenthal  plusieurs  monnaies  d'argent  des 
règnes  de  Vespasien ,  de  Nerva  et  de  Sévère ,  dont  une  entre  autres 
était  de  faux  aloi  {subxrata). 

2  La  seule  inscription  qui  y  ait  été  trouvée  est  enclavée  dans  le  mur 
de  l'église.  Je  la  donne  ici ,  d'après  Leichtlen ,  tout  incomplète  qu'elle 
soit  : 

VI  Vie 

ET  FILIVS  E  .  . 
COL  VBIETO. 


284  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

ruines,  qui  ont  servi  à  bâtir  les  maisons  du  village, 
a  été  tirée  une  inscription  qui  nous  parle  des  mêmes 
Bretons  de  Triputium  qui  élevèrent  l'autel  d'Amor- 
bach.  Ils  étaient  de  même  placés  ici  sous  les  ordres 
d'un  centurion  de  la  vingt-deuxième  légion,  lorsqu'ils 
posèrent  cet  autel  dédié  à  la  Fortune'.  Soit  que  des 
troupes  du  même  nombre  aient  été  cantonnées  en 
même  temps  dans  les  deux  endroits,  sous  les  ordres 
dedeuxcenturions.soitquelamêmetroupeaitalterné 
de  garnison  et  de  chef,  il  faut  à  peu  près  rapporter  à  la 
même  époque  les  deux  inscriptions  qu'elles  ont  lais- 
sées. Le  manque  d'eau  potable  sur  la  hauteur  (car  l'on 
voit ,  par  les  restes  d'un  chemin,  qu'en  effet  les  soldats 
étaient  obligés  d'aller  la  chercher  dans  la  vallée)  a 
sans  doute  porté  les  ingénieurs  romains  à  ne  pas 
placer  le  castel  sur  le  sommet  de  la  montagne.  Toute- 
fois une  tradition  qui  s'est  conservée  parmi  les  mon- 
tagnards du  lieu  ,  parle  de  l'existence  d'une  antique 

•  La  voici  : 

FORTVNAE  SAC 

BRITTONES  TRI 

QYI  SVNT  SVB  CVRA 

T.  MAJNI.  T.  F  POLLIA 

MAGNI  SENOPE 

>   LEG  XXiT.  P.  P.  F 

Fortunx  sacrum,  Brîttones  Triputîenses  qui  sunt  sitb  cura  Titi 
Manii  ^  Titi  f  lit,  Pollia  magni  Senope ,  centurionis  legionis  XXII 
primigenix,  pix,Jidelis. 

Senope  était  une  ville  du  Pont ,  résidence  des  souverains.  Strabon , 
Geogr.,  1.  xii,  c.  3,  §  2,  la  décrit  comme  une  ville  superbe  et  remar- 
quable. 


DU  RUIN  ET  DU  DANUBE.  285 

lour  d'observation  qui  a  dii  y  être  posée. Cette  toura 
disparu,  et  rien  ne  justifie  cette  tradition,  si  cène  sont 
quelques  pierres,  taillées  selon  le  mode  romain  ,  qui 
peuvent  en  avoir  été  extraites  et  qui  se  rencontrent 
effectivement  encore  çà  et  là  dans  les  murailles  des 
fermes  environnantes.  Un  barrage,  destiné  à  pro- 
léger les  abords  du  camp,  coupait  en  cet  endroit  le 
plateau  de  lamontagne  dans  toute  sa  largeur;  le  camp 
était  défendu  en  avant  par  un  autre  petit  castel  qu'en- 
tourait un  fossé  dont  les  traces  et  le  mur  n'ont  pas 
encore  disparu.  La  crête  de  la  montagne  n'a  là  qu'une 
minime  laigeur,  et  des  deux  côtés  viennent  y  aboutir 
deux  défilés.  C'était  pour  observer  ce  passage,  dont 
les  flèches  de  la  garnison  pouvaient  du  haut  de  ces 
créneaux  défendre  l'aboid ,  que  ce  fortin  avait  dû 
être  construit  comme  une  espèce  d'échauguette. 

Entre  ce  petit  castel  et  le  camp  d'Hesselbach  se 
rencontrent  les  traces  de  deux  autres  barrages,  gar- 
nis d'un  double  fossé  autrefois  muré.  Ils  étaient  pro- 
bablement dans  l'antiquité  garnis  d'une  porte  des- 
tinée à  fermer  ou  à  ouvrir  les  connnunications  de 
l'un  à  lautre  camp.  Nulle  part  le  plateau  n'est,  en 
effet,  plus  étroit;  nulle  part  ses  abords  ne  sont  plus 
escarpés.  En  cas  de  retraite,  il  fallait  donc  suivre  la 
route  dans  lune  ou  l'autre  direction  ;  et  c'était  pour 
donner  aux  troupes  le  temps  de  l'effectuer,  en  cas 
que  l'ennemi  se  fût  rendu  maître  du  plateau ,  que  ces 
divers  retranchements  avaient  sans  doute  été  élevés. 
D'une  autre  part,  comme  c'était  de  toute  la  crête  des 
montagnes,  depuis  Obernbourg  jusqu'à  Mudau,Ie 
point  le  plus  facile  à  aborder  par  levai  d'Amorbach, 


286  ÉTABLISSEMENTS  ItOMAlNS 

un  autre  rempart  en  terre,  semblable  à  peu  près  à 
celui  que  nous  avons  parcouru  à  OEhringen,  et  garni 
en  avant  de  deux  fossés,  éloignés  de  trente  à  qua- 
rante pieds  l'un  de  l'autre,  avait  été  élevé  tout  le 
long  du  plateau.  Ces  fortifications  étaient  destinées 
à  protéger  la  route  militaire  qui,  en  arrière,  joignait 
les  deux  camps  d'Hesselbach  et  de  Wûrzberg. 

Le  premier  de  ces  camps  montre  encore  le  plan 
de  ses  murailles  antiques,  dont  le  front  comprenait 
une  largeur  de  100  pas,  et  les  deux  côtés  en  avaient 
80.  Leurs  décombres ,  qui  partout  présentent  une 
surface  de  10  pieds,  s'élèvent  encoie  au-dessus  du 
sol  à  la  hauteur  de  5  à  6  pieds.  L'autre,  placé  au 
point  culminant  de  plusieurs  vallées  parallèles,  forme, 
comme  celui  dHesselbach,  un  carré  long,  dont  les 
quatre  faces  regardent  les  quatre  points  cardinaux. 
Il  a  une  longueur  de  287  pieds  sur  259  de  largeur,  et 
est  entouré  d'un  fossé  de  10  jusqu'à  15  pieds  de  large. 
D'après  une  inscription  trouvée  dans  ses  ruines,  la 
vingt-quatrième  cohorte  des  volontaires  y  fut  un  jour 
postée  ^ 

De  ce  camp  à  celui  d'Eulbach,  vous  pouvez  dis- 
tinguer encore  quelques  traces  du  rempart  et  du 
double  fossé  qui  le  protégeait. 

La  position  de  cet  autre  fort,  qui  domine  le  fond 


COH  XXIIII  vo 


Pour  plus  de  détails  sur  ce  lieu,  voy.  Knapp,  liùmhche  Dfnkmale 
tics  Odenwaldes,  première  partie,  §  21.  Tout  auprès  Curent  aussi 
trouves  les  restes  d'un  bain  décrits  par  le  même  autour,  p.  156  el  sv. 


DU  HIIIN  ET  DU  DANUBE.  287 

de  la  gorge  de  Waltersbach,  permettait  à  sa  gar- 
nison d'explorer  le  plateau,  dont  on  peut,  du  haut 
de  ses  ruines,  voir  toute  l'étendue. 

Les  angles  de  ce  caslel  étaient  arrondis,  et  il  avait 
cent  cinquante-six  pieds  de  long  sur  cent  quarante 
de  large;  il  était  garni  d'une  porte  principale  dont 
on  peut  encore  très -bien  distinguer  remplacement 
du  côté  qui  legarde  la  région  du  Mein.  Une  monnaie 
du  règne  de  Domitien  et  quelques  débris  de  poteries 
sont  du  reste  les  seules  antiquités  qui  aient  été  dé- 
couvertes dans  ses  décombres. 

De  ce  lieu  aux  fortifications  de  Vielbrunn  et  au 
camp  d'Iïainhausen,  on  peut  voir  très- distinctement 
les  traces  de  1  antique  chaussée  romaine ,  dont  le  pavé 
est  encore  çà  et  là  en  partie  intact.  Le  fossé  et  le 
rempart  de  ce  dernier  fort',  dans  les  environs  duquel 
ont  été  découvertes  les  ruines  d'un  bain  antique ^ 
sont  aussi  en  partie  reconnaissables. 

Plus  loin,  sur  la  hauteur,  se  remarquent  les  restes 
d'une  tour  d'observation;  elle  planait  sur  le  Hain- 
grund,  vallée  qui  s  élève  de  la  contrée  du  Mein. 

A  upe  faible  distance  de  cet  endroit, vous  atteignez 
alors,  près  de  Lûzelbach,  l'un  des  castels  les  plus 
étendus  de  toute  la  ligne,  et  qui  n'avait  pas  moins 
de  deux  cent  quatie-vingt-onze  pieds  de  long  sur 
deux  cent  trente  pieds  de  large ^  Le  terrain  com- 

1  On  a  trouvé  dans  ses  ruines  une  monnaie  d'argent  du  règne  de 
Septime  Sévère ,  très-bien  conservée. 

2  Knapp,  ouvrage  cité,  eu  a  donné  la  description,  p.  158  et  sv. 

•*  On  y  a  aussi  découvert  quelques  restes  qui  peuvent  avoir  appar- 
tenu à  un  ancien  bain.  Voy.  Knapp,  ouvrage  cité,  p.  162. 


288  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

mence  ici  à  s'abaisser  insensiblement  vers  l'em- 
bouchure du  Miimiing,  de  chaque  côté  de  laquelle 
un  fort  était  placé. 

Celui  de  la  rive  droite  du  torrent,  à  son  embou- 
chure dans  le  Mein,  fut,  au  moyen  âge,  appelé  le  Nie- 
derbouig,  ou  le  fort  inférieur,etcelui  delà  ri  vegauche, 
avec  les  pierres  duquel  une  nouvelle  population  cons- 
truisit ses  demeures,  fut  appelé  l'Obernbourg,  ou 
le  fort  supérieur,  nom  qui  a  donné  le  sien  à  la  petite 
ville  placée  près  de  ses  ruines.  Dans  ce  lieu  fut  pos- 
tée la  quatrième  cohorte  des  cavaliers  aquitains  \ 
Gaulois  qui,  avec  les  Bretons,  semblent  avoir  été  les 
principales  troupes  préposées  à  la  défense  de  cette 
partie  de  l'Odenwald. 

Pour  couvrir,  d'une  autre  part,  l'angle  des  mon- 
tagnes du  côté  du  nord,  en  cas  que  1  ennemi,  ayant 
passé  le  Mein ,  pût  menacer  le  Necker,  il  paraîtrait 
que  les  Romains  avaient  aussi  posé  sur  le  Miimiing 
même  un  autre  camp.  Près  de  ses  ruines  s'est  plus 


I.    0.    M.  APOLLINI  ET  AES 

L.  PETRONIVS  CVLAPIO  SALVT 

FLORENTINVS  FORTVNAE  SACR 

DOMO  SALDAS  PRO  SALVTE  L.  PE 

PRAEF  COH  un  TROM  FLOREMI 

AQ  EQ.  C.  R.  M  PRAEF  COH  IIIl 

V.  S.  L  L  M.  AQ  EQ  C  R  M.  RV 

BRIVS  ZOSIMVS 
MEDICVS  COH  SS 
DOMV  OSTIAH 
ER  V.  S  L  L  M . 


DU  IVIlllN  ET  DU  DANUBE.  289 

lard  élevé,  sur  la  rive  gauche  du  torrent,  Neustadt, 
ou  la  ville  neuve^Ce  camp,  placé  entre  Obernbourg 
et  Hummelroth^,  où  existait  un  autre  castel,  proté- 
geait cette  ligne  de  défense,  que  soutenaient  en  ar- 
rière le  camp  de  Lûzelbachet,  non  loin  de  Vielbrunn, 
celui  d'Hainhausen,  que  j'ai  déjà  cité,  et,  entre  ce 
dernier  et  les  établissements  de  la  Muidt,  un  autre 
castel  dont  les  ruines  sont  encore  visibles  près  d'Oh- 
renbach. 


1  Les  ruines  de  ce  camp ,  qui  a  dû  être  placé  sur  le  Breuberg,  ne  se 
voient  plus.  Seulement,  lorsqu'on  io43  on  y  flt  des  fouilles,  on  dé- 
couvrit plusieurs  voûtes  brisées ,  enfouies  sous  le  sol ,  et  dont  l'une 
portait  encore  les  traces  du  feu  le  plus  violent.  Une  des  bâtisses  que 
ces  voûtes  avaient  dû  recouvrir,  présentait  assez  la  forme  d'un  bassin 
carré,  dans  lequel  gisaient  les  tronçons  de  quarante-neuf  colonnes.  Une 
autre  était  pavée  de  briques.  Dans  la  troisième,  dont  le  pavé  était  sil- 
lonné par  quatre  canaux,  se  trouva  un  autel.  Des  débris  d'escaliers, 
et  une  autre  pierre ,  encore  droite  sur  sa  base  et  portant  l'inscription 
suivante  : 

FORTV 

NAE  SAC 

RVM  L 

CVRITIV  .  . 

VRSINVS 

furent  aussi  trouvés  dans  ces  ruines.  Tous  ces  restes  semblent  avoir 
appartenu  à  un  bain  antique,  et  dénotent  que  dans  cet  endroit  existait  un 
établissement  romain  considérable.  Il  paraîtrait  que  la  vingt-deuxième 
et  la  vingt-quatrième  légion  y  eurent  un  poste.  Voy.  Schneider,  Er- 
bachische  Hist.,  p.  306;  Hanselmann,  Rômische  Monumenten,  p.  228 
et  sv.;  Knapp,  Rômische  Denkmale  des  Odenwaldes,  p.  90  et  91; 
Winkelmann,  Beschreibung  von  Hesaen,  p.  112,  etc. 

2  On  y  a  aussi  trouvé  les  traces  de  deux  bains  antiques. Voy.  Knapp, 
ouvrage  cité,  p.  163  et  sv. 

19 


290  ÉTABLISSEMENTS  ROMAllNS 

En  cas  de  retraite  sur  le  Necker,  c'était  par  le  pla- 
teau de  Wûrzberg  et  par  Waldbullau ,  où  une  ins- 
cription nous  apprend  qu'un  poste  de  la  huitième 
légion  eut  son  quartier  \  que  cette  retraite  devait 
s'effectuer;  ce  fut  sans  doute  pour  la  soutenir  qu'entre 
Wiirzberg  et  Bullau  furent  aussi  tracés  sur  cet  autre 
plateau  des  montagnes  les  deux  barrages  qui  en 
coupent  la  superficie,  l'un  près  du  Kraehberg,  l'autre 
à  travers  les  bois  de  la  commune  de  Schœnen. 

Toutes  ces  fortifications,  dont  il  est  vraisemblable 
qu'Adrien  fut  le  premier  fondateur,  n'ont  cependant, 
pas  plus  que  celles  du  Necker,  résisté  à  la  grande 
invasion  des  Aliemanes  dans  la  première  moitié  du 
troisième  siècle.  Nulle  des  inscriptions  que  nous 
venons  de  citer  n'est  du  moins  d'une  date  plus  ré- 
cente que  cette  époque.  Quelques  monnaies  de  Cons- 
tantin II  et  de  Constance,  trouvées  dans  une  tombe 
près  de  Wiirzberg;  d'autres,  aux  types  de  Pompée, 
de  Germanicus,  de  Sabine,  de  Vespasien  et  même 
de  Valentinien ,  trouvées  dans  d'autres  tombeaux ,  ne 
peuvent  prouver  en  faveur  d'une  occupation  posté- 
rieure. Nous  savons,  en  effet,  qu'en  357,  sous  les 

1  FORTVNAE 

L.  FAVO?IVS 
SECCIANVS 
>   LEG  VIII  AVG. 

Fortvnx  L.Favonius  Seccîanus,  centurio  tegionîs  Vlil  Augustœ. 

Sur  une  autre  pierre,  grossièrement  sculptée,  trouvée  au  même  en- 
droit, se  remarquent  les  quatre  figures  de  Minerve,  d'Hercule,  de  la 
Fortune  et  de  Mercure.  Voy.  Schneider,  Erbachische  Hisf.,  p.  270. 


DU  RHIN  ET  DU  DAKUBE.  291 

premiers  de  ces  empereurs ,  les  Romains  firent  une 
expédition  contre  les  Germains;  nous  savons  encore 
qu'en  368 ,  Valentinien  vint  combattre  ces  peuples 
sur  le  Necker,  et  que  sa  retraite  dut  s'effectuer  par 
les  monts  où  cette  rivière,  après  une  courbe,  va 
se  jeter  dans  le  Rhin.  En  résumant  les  opérations  de 
cette  campagne,  nous  avons  parlé  du  combat  qui  eut 
lieu  à  Lupodunum.  Une  de  ses  avant-gardes  a  donc 
pu  s'avancer  à  cette  époque  jusque  sur  le  Mein  et  sur 
les  plateaux  qui  le  dominent.Quelques-uns  des  soldats 
qui  tombèrent  ont  pu  être  déposés  dans  les  tombes 
ruinées  d'une  époque  antérieure,  sans  que  l'on  soit 
en  droit  de  regarder  tous  les  monuments  où  des  mon- 
naies d'une  date  postérieure  aux  Antonins  ont  été 
trouvées,  comme  ayant  été  alors  construits  en  pré- 
sence de  lennemi. 

Ces  tumuli  nombreux,  dont  une  trentaine  encore 
montrent  leurs  ruines  au-dessus  du  sol,  ne  sont  pas 
les  antiquités  les  moins  remarquables  de  ces  mon- 
tagnes. 

D'après  ce  qu'on  en  peut  juger,  c'étaient  dans  le 
principe  autant  de  tourelles  peu  élevées,  qui  de 
quart  de  lieue  en  quart  de  lieue  se  succédaient  tout 
le  long  du  plateau  de  l'un  à  l'autre  camp,  tantôt  d'un 
côté  de  la  route,  tantôt  de  l'autre.  Les  murs,  ornés 
decippes,  n'avaient  pas  plus  de  deux  ou  trois  pieds 
d'épaisseur,  et  ils  formaient  à  l'intérieur  un  carré 
parfait  de  douze  à  quinze  pieds  de  diamètre.  Aucune 
issue  ne  conduisait  dans  ces  monuments,  dont  la 
hauteur  semble  n'avoir  pas  dépassé  à  l'intérieur  le 
nombre  de  pieds  qu'avait  la  base  en  terre  qui  les 

I.  19- 


292  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

recouvrait  à  l'extérieur.  Ils  durent  avoir  la  forme  de 
dés  et  sans  doute  ils  étaient  recouverts  d'une  toi- 
ture. 

Dans  leur  état  de  ruines,  ils  sont  enfouis  sous  une 
masse  de  terre,  sans  qu'il  soit  permis  d'affirmer  si 
celte  terre  entourait  ces  monuments  dans  le  principe , 
ou  si  elle  y  fut  transportée,  lorsque  le  hasard  rame- 
nant après  un  siècle  les  légions  sur  ce  plateau,  elles 
voulurent  dérober  aux  injures  des  barbares  ce  qui 
en  restait.  Nulle  des  urnes  qui  y  furent  déposées  n'a 
été  retrouvée  entière;  l'on  n'a  aussi  retrouvé  qu'une 
seule  inscription  qui  gisait  parmi  les  débris  d'une 
de  ces  tourelles  funéraires,  proche  de  la  route  d'Eul- 
bach  à  Wiirzberg.  Elle  est  d'un  intérêt  majeur,  tout 
incomplète  qu'elle  soit,  en  ce  qu'elle  date  avec  certi- 
tude de  l'époque  des  Antonins^ 

Proche  de  chacune  de  ces  tourelles  s'élève  un  mon- 
ticule factice,  recouvert  de  gazon,  qui  rappelle  par 
sa  forme  les  tombelles  celtiques.  Tout  annonce  que 
le  feu  y  brûla,  et  que  les  corps  furent  réduits  en 
cendres  pour  être  ensuite  déposés  dans  les  urnes. 


•  R  TIO 

M  TRI 

T  LMP 

NT  im  C  S 

imperatore Antonino  IIII  conshle. 

Antonin-le-Pieux ,  en  145;  Commode,  en  183;  Caracana,en  213, 
et  Heliogabale ,  en  222 ,  furent ,  pendant  leur  règne ,  consuls  pour  la 
quatrième  fois  (voy.  les  Fasti  consulares,  d'Hederich).  C'est  donc 
sous  l'un  de  ces  empereurs  de  la  famille  Antonine  que  celte  inscrip- 
tion a  été  gravée. 


nu  RHIIN  ET  DU  DArSUBE.  293 

Sur  aucune  autre  partie  de  la  limite  antique,  de  telles 
lombes, de  telles  tours,  n'ont  frappé  nos  regards,  et 
je  suis  porté  h  croire  avec  quelques  observateurs 
qui  les  ont  visitées,  que  toutes  ces  tours,  qui  effecti- 
vement servi  rent  d'ossuaires,  ont  cependant  encore  eu 
une  autre  destination,  et  qu'elles  servirent  aussi  de 
points  d'observation  ,  dans  les  moments  de  danger. 
Les  gardes  placés  à  leurs  sommets  pouvaient,  en 
effet,  du  haut  de  ces  postes  élevés,  explorer  toutes 
les  vallées  environnantes. 

La  ligne  dont  les  restes  se  découvrent  encore  sur 
le  Spessart,  au  delà  du  Mein,  et  qui,  pallissadée  et 
garnie  de  fossés ,  allait  aboutir  aux  fortifications  de  la 
Nidda ,  était  jointe  à  celles  de  l'Odenwald  par  un  bar- 
rage qui ,  descendant  du  camp  d'Eulbach ,  se  dirigeait 
vers  l'embouchure  de  la  Muidt,  et  de  là  vers  Eichen- 
bûhl,  d'oii  il  remontait  au  nord.  Cette  ligne  fut  plus 
tard  prolongée  jusqu'à  celle  du  Necker.  Sa  destination 
semble  avoir  été  plutôt  de  marquer  la  frontière  pen- 
dant un  temps  de  paix  entre  la  province  romaine  et  les 
peuples  germains,  que  de  contenir  ces  derniers  dans 
les  temps  de  guerre.  Aussi  est-ce  sur  l'Odenwald  et 
sur  le  Mein  que,  en  arrière  de  cette  ligne,  s'élevèrent  les 
principaux  établissements,  tandis  que  sur  le  Spessart, 
au  sein  des  forêts  que  la  ligne  parcourait,  n'existèrent 
jamais  que  quelques  petits  forts'  destinés  à  observer 
les  principaux  passages,  etautour  desquels  la  coloni- 
sation ne  semble  jamais  s'être  étendue.  Ce  n'est  que 


'  A  AUenbourg,  à  Burgberg,  à  Hallharaer,  à  Waldaschaff,  à  Mœnch- 
beig 


£94  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

jusqu'à  la  hauteur  de  l'Elsava  que  nous  trouvons 
cette  colonisation  florissante,  et  c'est  sur  les  rives  de 
ce  torrent,  où  la  nature  est  douce  et  belle,  que  se- 
tendait  l'établissement  d'Ascis\  cité  par  le  géographe 
de  Ravenne,  et  autour  duquel  ont  été  découverts 
plusieurs  tombeaux  qui  révèlent,  en  effet,  une  ori- 
gine romaine^.  Grossheubach,  au  bord  du  Mein,  a 
aussi  été  connu  du  grand  peuple^.  A  l'embouchure 
de  l'Elsava,  la  colline  qui  domine  Elsenfeld  fut  in- 
contestablement garnie  d'une  tour  d'observation*. 
En  avant  on  remarque  encore  une  ancienne  ligne  re- 
tranchée ^,  et  vous  voyez  sous  vos  pieds  s'étendre  la 
plaine  où  une  antique  tradition  parle  d'un  combat 
qui  fut  là  livré  par  les  Romains ,  et  qui  est  probable- 
ment le  champ  de  bataille  où  Caracalla  vainquit  les 
Allemanes  au  bord  du  Mein  6. 

Cette  rivière,  barrage  tracé  par  la  nature,  fut  de 
bonne  heure  la  limite  que  Rome  s'assigna,  lorsqu'elle 
eut  passé  le  Rhin. 

Aussi ,  au  confluent  de  toutes  les  rivières  qui  y 
découlent,  à  l'embouchure  de  la  Nidda,  à  celle  du 
Kahl,  de  la  Gersprinz,  de  l'Aschalî,  du  Mùmling  et 
de  la  Muidt,  établit-elle  ses  castels. 


•  Aujourd'hui  Eschau. 

2  Toutes  les  antiquités  qui  en  sont  sorties  sont  aujourd'hui  déposées 
dans  le  cabinet  du  comte  d'Erbach. 

3  On  y  voyait  autrefois  un  bas-relief  d'un  assez  bon  travail,  qui  mal- 
heureusement ne  s'y  trouve  plus. 

*  On  peut  encore  en  voir  les  vestiges. 
^  Der  Blutsgraben^  le  fossé  du  sang. 
<>  Aurelius  Victor,  De  Cœs.,  c.  xxi. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  295 

Une  route  liait  les  fortifications  de  l'Odenwald  à  la 
ligne  du  Spessart.  Elle  venait  aboutir,  en  reliant  l'é- 
tablissement romain  d'Ascis,  au  gué  qui,  à  Trennfurth, 
formait  un  passage  fréquenté  et  qui  a  même  donné 
son  nom  à  l'endroit'. 

Les  vexillaireset  les  lignarii(pontonniersdela  vingt- 
deuxième  légion)  qui  y  étaient  postés,  y  ont  laissé  une 
inscription  en  l'honneur  de  Jupiter,  de  Diane  et  du 
dieu  Silvain.  Cette  inscription  est  d'un  intérêt  majeur 
pour  l'histoire  de  l'occupation  militaire  de  ces  con- 
trées, en  ce  qu'elle  présente  la  date  du  monument, 
qui  fut  élevé  sous  le  consulat  des  deux  Aspre^et,  par 
conséquent,  en  212  de  l'ère  chrétienne,  sous  l'em- 
pire de  Caracalla. 

t  Furt  veut  dire  un  gué.  Ce  mot,  latinisé  par  Furtum,  répond  au 
Faduvi  des  Latins.  Le  mol  durchica  (en  des  Allemands  n'est  donc 
que  le  trans  vaclum  des  Latins.  Quant  à  la  syllabe  Trenn,  elle  n'est 
vraisemblablement  que  la  contraction  du  mot  drûben,  au  delà,  de 
l'autre  côté.  En  effet ,  un  document  du  neuvième  siècle  nomme  ce  lieu 
Tribunfortk  (voy.  Steiner,  Geschichte  des  Baclujau,  m,  doc.  4);  un 
autre  du  treizième  siècle,  cité  par  Gudenus,  i,  819 ,  lui  donne  le  nom 
de  Tribinford,  Du  reste,  plusieurs  communes  commencent  leurs  noms 
par  Trenn^  et  entre  autres  Trennliof,  Trennfeld ,  etc. 

2  L  0.  M. 

SIL\  ANO  CO 
NS.  DIANAE 
AVG  VI  X  ....  P 

XXII 

AC  LIGN  .  .  .  SVB 

CVR  MMIERTIN 

IVSTI  .  .     P  T  D  II  ASPR 

c.  0.  s. 

jGvi  optimo  Maximo,  Silvano  conservatori,  Dianae  Augustœ, 
yexillares  primigenîx  pix  XXII  legionis^  ac  Lignarii,  sub  cura 


296  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Ce  fui  un  an  après,  que  cet  empereur  entreprit  son 
expédition  contre  les  Allemanes,  et  que  son  armée 
vint  se  répandre  sur  les  bords  du  Mein.  Nous  traver- 
sons la  rivière  pour  aller,  à  quelques  lieues  plus  bas, 
sur  la  rive  opposée,  visiter  à  Elsenfeld  le  champ  de 
bataille  que  nous  avons  déjà  signalé,  et  oii  plus  d'un 
tronçon  de  lance,  plus  d'un  reste  d'armure,  plus 
d'une  épée  rompue,  sont  venus  attester  les  chocs  que 
deux  armées  ennemies  ont  eus  à  soutenir  dans  l'an- 
tiquité sous  ces  murs  écroulés.  En  suivant  notre 
route  sur  la  même  rive,  toujours  en  longeant  l'eau, 
nous  atteignons,  au  delà  de  Klein-Wallstadt,  les  sta- 
tions romaines  de  Sulzbach  et  de  Niederberg,  l'une 
sur  la  rive  droite,  l'autre  sur  la  rive  gauche  du  Mein. 

La  colline  qui  domine  la  dernière  a  dû  supporter  un 
caslel  dont  cependant  il  n'existe  plus  de  traces.  Nous 
passons  ensuite  devant  Obernau,  et  nous  voyons  à 
notre  droite  s'élever,  près  de  l'embouchure  de  l'A- 
schaff,  la  ville  d'Aschaffenbourg,  que  le  géographe 
de  Ravenne  cite  sous  le  nom  d'Ascapha.  La  position 
avantageuse  de  ce  lieu  dut  de  bonne  heure  avoir 
appelé  l'attention  des  Romains.  Les  deux  vallées  qui 

Mamertini  Justi ..  duobus  Aspris  consulihus.  Voy.  Wiener,  De 

teg.XXII,  p.  HO. 

Les  vexillaires  étaient  des  cavaliers  qui  n'appartenaient  ni  aux  lé- 
gions, ni  aux  troupes  auxiliaires.  Vegetius,  de  Constantinople ,  qui 
vivait  dans  le  quatrième  siècle,  et  qui  écrivait  sur  la  milice  romaine, 
dit  en  parlant  d'eux  :  tEquiturn  alx  dicuntnr  ab  eo,  qvod  ad  simi- 
«  iitudinem  alarum  ab  ntraque  parte  protegant  acies  :  qnx  tiunc 
<irexi  liât  Urnes  cocantur  n  veto,  quia  l'elis,  hoc  est,  flamnmlis 
iutuntar.»  m,  4.  Ainsi  c'étaient  de  petits  corps  de  cavalerie  qui 
combattaient  sous  un  étendard  particulier,  et  qui  étaient  tantôt  joints 
à  telle  légion ,  tantôt  à  tc41c  autre. 


nu  «HIN  ET  DU  DANUBE.  !297 

s'ouvrent  devant  lui  sont  agréables  et  fertiles,  et 
déjà  sans  doute  le  Celte  |  rimitif  et  le  Marcoman  les 
avaient  parsemées  de  leurs  huttes.  Les  Romains  bâ- 
tirent le  castel  pour  protéger  le  cours  de  la  rivière 
et  commander  à  la  fois  aux  deux  vallées.  Il  était 
placé  probablement  sur  le  Badberg,  où,  selon  la 
tradition ,  s'élevait  sur  l'emplacement  de  l'église 
collégiale  un  temple  consacré  à  Diane.  Ce  qui  est 
plus  certain,  c'est  que,  lorsque  l'archevêque  Adal- 
bert  I  fit,  en  1 116,  entreprendre  plusieurs  travaux 
d'agrandissement,  il  fit  construire  sur  le  Badberg 
unetourquesurmontaitun  buste  en  bronze  de  Diane. 
Cette  tour,  dans  laquelle  furent  alors  murées  plu- 
sieurs inscriptions  antiques,  fut  démolie  en  1777,  et 
la  tête  de  Diane  fut  vendue  et  détruite. 

Parmi  les  inscriptions  qui  ont  été  alors  retirées  et 
conservées,  il  en  est  une  qui  s'adresse  à  Diane  et  à 
Apollon. Elle  fut  burinée  sur  l'autel  qui  la  supporte, 
le  13  août  178  de  l'ère  chrétienne,  par  le  centurion 
Firminus,  au  nom  des  Bretons  et  des  éclaireurs  de 
la  vingt-deuxième  légion'. 

1  APOLLIM.  ET 

DiANAE   Imn 

ET  •  EXPLORAT 

NEMANING  •  C 

AGEN  •  T  •  AVREL 

FIRMINO  •  > 

LEG.  XXII.  PR.  P.  F 

V  •  S  •  L  •  L  •  M  •  IDIBVS 

AVGVS  •  ORFITO 

ET  RVFO  •  COS  • 

Ipollini  et  Diamr,  \umerus  Brittomimet  ejrphratores  Nemanin- 


298  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Le  même  centurion  éleva  aussi  à  ses  propres  frais 
deux  autres  autels  à  Jupiter,  pour  l'accomplissement 
d'un  vœu  qu'il  avai  t  fait  ' .  Ces  trois  pierres  sont  encore 
aujourd  hui  conservées  dans  le  gymnase  du  lieu. 

Cependant  la  onzième,  la  cinquième  et  la  septième 
légion  y  avaient  aussi  déjà  auparavant  laissé  quel- 
ques traces  de  leur  séjour-. 


genses,  curam  agente  Tito  Aurello  Firmino,centurione  legîonis XXII 
primigenîx,  pix  fidelis^votum  solverunt,etc.  Idibus  Jugusto,Or- 
filo  et  Rufo  consulibus. 

Cette  pierre  est  de  l'an  178  de  Jésus-Christ. 


I  .  0  . 

M  . 

T.  AVREl 

.FIR 

MLNVS  > 

LEO 

XXII  •  PR 

•P  •  F 

V  •  SL- 

L  •  M 

Les  deux  pierres  portent  exactement  la  même  inscription. 

"^  Heim ,  dans  son  ouvrage  intitulé  :  Historischè  philosophische  Ab- 
handlung  ûber  die  zu  Ascliaffenburg  vom  Jahre  1777  bis  1787  neu 
entdeckten  rômischen  Alterthilmer,  Frankfurt  1790,  cite  plusieurs 
inscriptions  qui  n'existent  plus ,  mais  qu'il  prétend  avoir  vues,  et  que 
je  transcris  ici  d'après  lui  : 


I  .  0  .  M  . 

I  .  0 

N  RRIT 

A.  LEG.  mil.  A 

NE.  MANC. 

7  LEG  VII. 

03.  LE  XI  IVS 

I. 

BR^S.  Y.  S.  \. 

\ 

LEO  XXIII.  > 

V.  S.  L.  L.  M. 

Il  est  certain  qu'à  l'égard  de  la  première  inscription  il  y  a  eu  erreur 


DU  RniN  ET  DU  DANUBE.  299 

L'apparition  de  ces  légions  dans  cette  partie  de  la 
province,  en  tant  que  les  notices  qui  en  parlent  sont 
exactes,  prouve  l'origine  reculée  d'Ascapha. 

Les  deux  dernières,  en  effet,  figurèrent  déjà  dans 
la  Basse  -  Germanie  du  temps  de  Galba,  et  ce  fut 
aussi  après  la  défaite  de  Vitellius  par  les  troupes 
de  Vespasien,  que  la  onzième,  qui  était  placée  en 
Dalmalie,  se  déclara,  quoiqu  à  regret,  pour  cet  em- 
pereur. 

Elle  fut  alors  appelée  sur  le  Rhin  '  et  sur  l'Ab- 
noba,  où  nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  citer 
quelques-unes  de  ses  inscriptions. 

Ainsi,  dès  la  septième  décade  du  premier  siècle, 
l'aigle  planait  en  vainqueur  sur  le  Mein,  et  Rome 
avait  déjà  placé  ses  tours  fortes  sur  les  bords  de  cette 
rivière. 

La  vingt-deuxième  légion,  qui  vers  l'an  78  fut 
postée  à  Mayence  et  à  Argentorat,  remplaça  bientôt 
seule,  au  delà  du  Rhin,  ces  légions  primitives. 

La  huitième  lui  fut  par  la  suite  associée,  et  nous 
trouvons  aussi  un  de  ses  détachements  cantonné  à 


de  copiste ,  et  que  jamais  la  vingt-troisième  légion  n'a  pu  être  postée 
ici. 

Aucun  monument  n'a  jamais  parlé  de  cette  légion ,  qui  fut  licen- 
ciée après  la  bataille  d'Actium ,  et  dont  il  n'est  fait  mention  que  sur  les 
monnaies  de  Marc  Antoine  (consultez  Mediobarb  ,  1.  c,  p.  2i).  Jamais 
elle  ne  vint  sur  le  Rhin ,  et  jamais  surtout  (  puisqu'elle  avait  cessé 
d'exister)  à  l'époque  où  la  onzième  légion  y  fut  appelée.  L'inscription 
gravée  sur  la  pierre  citait  sans  doute  avec  la  onzième  légion  la  vingt- 
deuxième. 

»  Tacite,  Hist.,  ii,  67:  m,  30. 


300  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Ascapha,  vers  la  fin  du  deuxième  siècle^.  Nous  con- 
tinuons notre  route  jusqu'à  lembouchure  de  la  Gers- 
prinz. 

Là,  sur  la  rive  gauche  du  Mein_,  et  au  confluent 

•  I  .  0  .  M 

DOL'CffiNO  .  IN  .  HO 

NCR  .  D  .  D  .  P.  FïlAS 

IVS.  O'.  AVITVS  SAYAR' 

A  >  LEG  VÏÏÏ  AVG  ^  (  0 

EX  .  AQVIL'FERO  LEG 

I  ADlWlC'S  •  PRO  •  SE 

ET  SVIS  .  V  .  S  .  L  .  M 

APRONIO 

T  RRADVA  COS 

Jovi  optimo  Maximo  Dolicheno,  in  honorem  domus  divinx,  P. 
Ferasius,  Claudia,  avitus  Savaria,  centurio  legionis  FUI,  Au- 
gustae,  piae,  Jidelis,  Commodx,  ex  aquUifero  legionis  I  adjutricis, 

pro  se  et  suis  votum  soivit,etc -Ipronio  et  Bradua  consu- 

libus. 

Celle  pierre  fut  donc  posée  en  191  de  Jésus-Christ,  sous  le  consu- 
lat de  Cassius  Apronianus  et  d'Atilius  Metilius  Bradua  II.  Le  centu- 
rion qui  réleva  était  de  Sabaria ,  ville  de  Pannonie  (aujourd'hui  Szora- 
bathely).  Sans  doute,  avant  de  venir  sur  le  Rhin,  il  avait  servi  en 
Orient,  où  il  devint  fidèle  au  culte  de  Jupiter  Dolichène.  Déjà  nous 
avons  eu  occasion  de  citer  une  autre  pierre  votive,  élevée  à  ce  dieu 
par  un  soldat  de  cette  même  légion,  à  Pforzheim ,  dans  la  Forêt-Noire 
(voy.  ci-avant,  p.  216). Ce  culte,  auquel  Junon  fut  associée  (voy.  Reines, 
Synfa'/ma  inscript,  antiq.,  p.  2U),  prit  naissance  à  Doliche ,  ville  de 
Comagène,  sur  les  bords  de  l'Euphrate.  Le  mythe  qui  l'engendra, 
mythe  essentiellement  solaire ,  est  représenté  sur  une  pierre  du  cabi- 
net de  Stuttgart ,  où  ce  dieu ,  revêtu  d'habits  de  guerre ,  est  placé  sur 
un  taureau,  entre  les  pieds  duquel  un  aigle  se  déploie.  Voy.  sur 
celte  divinité,  Bœttiger,  Idée  ztir  Kutist- Mythologie,  p.  108,  113  eJ 
130. 


bU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  301 

des  deux  rivières,  se  montre  dans  la  plaine  le  bourg 
de  Stockstadt^ 

Les  décombres  souterrains  que  le  sol  de  ce 
bourg  recouvre,  l'immense  quantité  de  monnaies  qui 
y  ont  été  trouvées,  les  restes  d'un  bain  où,  sur  les 
briques  du  pavé,  étaient  inscrits  les  chiffres  de  la 
vingt-deuxième  légion  et  de  la  troisième  cohorte 
de  la  cavalerie  aquitaine'^,  prouvent  en  faveur  de 
l'antiquité  de  ce  lieu.  Le  premier  établissement  que 
les  Romains  y  fondèrent  fut  sans  doute  un  castel,  et 
il  est  à  peu  près  certain,  d'après  les  traces  d'une  voie 
antique  qui  parcourt  l'endroit,  que,  parla  suite, des 
colons  vinrent  bâtir  sous  ses  murailles  protectrices, 
et  que  peu  à  peu  une  bourgade  se  forma.  Les  mon- 
naies qui  y  ont  été  trouvées  descendent  depuis  le 
règne  d'Auguste  jusqu'à  celui  de  Maximin,  et  plus 
tard  sont  du  temps  de  Probe,  de  Constantin,  de  Cons- 
tance II  et  de  Valens,  toutes  époques  où  les  légions 
revinrent  combattre  les  Allemanes.  Elles  nous  con- 
firment ce  que  l'histoire  nous  a  appris  d'une  occupa- 
tion non  interrompue  depuis  Trajan  jusqu'au  règne 
de  Maximin,  et  du  séjour  plus  ou  moins  long  des 
cohortes  victorieuses  aux  époques  subséquentes. 

Les  tombes  celto-romaines,  qui,  sur  la  rive  opposée 
du  Mein,  ont  montré,  près  de  Klein -Ostheim,  leur 
sphérique  gazonnement,  sont  de  muets  garants  de 
l'antiquité  de  ce  dernier  lieu. 


*  Appelé  Stoddenstadt  dans  un  document  du  onzième  siècle.  Voy. 
Steiner,  Gesch.  des  Bachgau,  i,  47. 
'^  LEG.  XXII.  P.  P.  F.  -  COH  III  E  AQ.  —  COH  III  AQ. 


302  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Nous  apercevons  plus  loin  les  tours  de  Seligen- 
stadt,  qui,sur  la  rive  gauche  de  la  rivière,  se  reflètent 
au  soir  dans  ses  flots  argentés. 

Cette  ville  fut  aussi  romaine;  elle  aussi  s'éleva  sur 
les  débris  d'un  camp  occupé  par  la  vingt-deuxième 
légion  et  par  une  cohorte  auxiliaire.  A  l'une  de  ses 
portes,  tour  forte,  du  côté  du  Mein,  est  muré  un  au- 
tel antique  qui  nous  rappelle  un  fait  historique  qu'il 
est  intéressant  de  rapporter  ici. 

Cet  autel,  d'après  l'inscription  qui  y  est  gravée,  fut 
érigé  sous  le  second  consulat  de  Lucius  Fabius  Sep- 
limus  Cilon  et  de  Marcus  Annius  Libon ,  l'an  204  de 
Jésus-Christ. 

C'est  la  même  année  où  Septime  Sévère  et  Antonin 
Caracalla  firent  pour  la  neuvième  fois  célébrer  la 
fête  séculaire  de  la  fondation  de  Rome. 

On  sait  que  cette  fête,  instituée  en  245  de  Rome 
par  Valerius  Publicola,  et  dont  la  célébration  avait 
été  interrompue  pendant  les  guerres  civiles,  avait 
été  remise  en  honneur,  après  le  rétablissement  de  la 
paix,  par  Auguste,  en  737.  Claude,  pour  rétablir  l'é- 
quilibre séculaire ,  la  fit  de  nouveau  célébrer  soixante- 
trois  ans  après.  Mais  le  désir  de  se  montrer  et  de 
plaire  au  peuple,  fit  par  la  suite  abandonner  toute 
date.  Domitien,  d'un  côté,  et  Antonin-le-Pieux,  de 
l'autre,  la  firent  célébrer  pour  la  septième  et  hui- 
tième fois,  l'un  en  837  et  l'autre  en  900.  Enfin^  Sé- 
vère choisit  l'an  957  de  Rome,  année  dont  la  date  ne 
dépassait  que  de  cinquante-sept  ans  l'époque  de  la 
dernière  célébration,  et  où  le  but  que  la  fête  devait 
avoir  n'existait  donc  plus. 


DU  RHIIS  ET  DU  DANUBE.  303 

C'est  celte  solennité  que  la  pierre  qui  nous  occupe 
nous  rappelle.  Elle  fut  érigée  à  Diane ,  pour  le  salut 
des  deux  Augustes,  Sévère  et  Antonin,  et  pour  celui 
du  César  Géta  et  de  toute  la  maison  impériale,  par  le 
centurion  Celerianus,  commandant  la  compagnie  de 
la  vingt -deuxième  légion  qui  était  postée  dans  ce 
camp*. 

Diane,  comme  llithya,  ou  déesse  des  accouche- 
ments, jouait  un  rôle  tout  particulier  dans  ces  fêtes. 
C'était  au  mois  d'avril  que  leurcélébration  avait  lieu, 
et  l'on  apportait  alors  dans  ses  temples  des  haricots, 
de  l'orge  et  du  froment,  symboles  des  prémices 
des  moissons.  On  chantait  ses  hymnes,  et,  comme 
à  Junon,  on  lui  immolait  des  vaches  blanches.  C  était 
ensuite  en  son  honneur  et  en  celui  d'Apollon  que  se 
célébraient  les  jeux  et  qu'avaient  lieu  les  courses  de 
char,  les  danses  et  toutes  les  réjouissances  publiques 


'  Voici  l'inscription  : 


DIANAE.  AVGVSTT.  PRO 
SALVTE.  DD.  NN.  SEV 
ERI.  ET  AKTONEM 
AVGG.  ET  GETaECAES- 
TOtvSQ.  DD.  L    GELLv. 
L.  F.  FLA.  CELETîANV. 
NEM.  0.  LEG  XXII.  PR.  F.  F. 
ARAM.  LIB.  T  .  TABVLAM 
PRO  .  SE  .  ET  .  SVIS  .  POS 
VIT  .  CILONE  .  ET  LI 

BOXE  .  ros  . 


304  ÉTABLISSEMENTS  KOMAINS 

auxquelles  lesjoursprécédents  tout  le  peuple  enmasse 
avait  été  invité.  Les  portes  de  toutes  les  maisons 
étaient ,  ce  jour-là,  ouvertes;  sur  leur  seuil  s'élevait 
une  table,  où  amis  et  ennemis,  étrangers  et  parents, 
trouvaient  le  couvert  et  l'hospitalité.  Ces  jeux,  ces 
danses,  qui  à  Rome  s'exécutaient  avec  tant  de  pompe, 
ne  furent  point  sans  doute  si  solennels  ici,  mais  du 
moins  la  même  hospitalité  y  régna,  ainsi  que  le 
prouve  l'inscription  de  l'autel  élevé  par  Célérianus. 
Le  nom  de  Géta  fut  plus  lard  effacé  de  dessus  le  mo- 
nument; l'on  sait,  en  effet,  par  Dion  CassiusS  qu'a- 
près la  fin  malheureuse  de  ce  prince,  Caracalla, 
pour  en  détruire  le  souvenir,  donna  l'ordre  que  par- 
tout son  nom  serait  anéanti.  Les  siècles  cependant 
en  ont  conservé  la  trace,  et,  malgré  les  seize  cents 
ans  qui  se  sont  écoulés  depuis,  il  n'a  pu  être  effacé 
pour  la  postérité. 

Proche  de  la  tour  qui  contient  cet  autel  furent,  en 
1819,  lors  de  la  démolition  d'un  pan  de  mur,  retrou- 
vées les  ruines  d'un  bain  antique-.  Les  monnaies 
qui  furent  découvertes  dans  le  lieu  et  dans  ses  en- 
virons, ne  descendent  que  jusqu'à  Septime  Sévère, 
mais  remontent  jusqu'aux  règnes  de  Tibère  et  d'Au- 
guste. 

Toutes  les  périodes  de  l'occupation  romaine,  jus- 


'  Dion  Cassius,  1.  xxxvii,  c.  12. 

2  Steiner  en  a  donné  une  description  dans  son  Histoire  de  Seligeji- 
stadt  {Geschichte  von  Seligenstadt),  p.  9;  on  en  retira  une  soixan- 
taine de  briques  portant  les  inscriptions  suivantes  : 

LEG  XXII.  P.  P.  F.  —  COH  CV.   RE   —  COfl.  T.  C.   W. 


DU  IIHIN  ET  DU  DANUBE.  305 

qu'à  l'irruplion  des  Allemanes,  ont  donc  ici  laissé 
quelques  traces. 

Klein-Welzheim  fat  aussi  romain  ^ 

Nous  voyons,  au  delà,  l'embouchure  du  Kahl, 
torrent  qui  descend  des  hauteurs  du  Spessart  et  se 
jette  dans  le  Mein,  et  nous  arrivons  bientôt  à  Klein 
et  Gross-Krotzenbourg,  qui  sont  situés  l'un  vis-à-vis 
de  l'autre,  au  bord  de  la  rivière. 

Le  dernier  de  ces  villages  est  posé  sur  l'emplace- 
ment même  d'un  ancien  camp,  dont  il  a  en  partie 
conservé  la  forme,  et  dont  la  rue  principale^  devait 
avoir  la  même  direction  que  celle  du  lieu  mo- 
derne. 

La  porte  Prétorienne  devait  donc  être  tournée  du 
côté  du  Mein.  Les  murailles  antiques  n'ont  pas  en- 
core partout  disparu,  et  elles  se  montrent  encore 
çà  et  là  au-dessus  du  sol,  à  la  hauteur  de  quelques 
pieds. 

Non  loin  de  cet  endroit ,  sur  un  tertre  qui  s'é- 
lève au  milieu  de  la  verdure  des  prairies,  coule  une 
fontaine  qu'on  nomme  encore  aujourd'hui  la  fontaine 
des  Romains^.  En  déblayant  de  vieilles  murailles  qui 
s'y  trouvaient,  l'on  découvrit  plusieurs  monnaies  ro- 
maines; il  est  probable  que,  lorsque  les  légions  s'a- 
vancèrent dans  le  pays  en  présence  d'un  ennemi 


^  Les  divers  objets  qui  y  ont  été  trouvés  ont  été  décrits  par  Steiner, 
Geschichte  des  Maingebiefes  und  Spessart's  unter  den  Rùmern, 
p.  177. 

-  Platea  Prœforia. 

^  Rùmerbrunnen. 

I.  '^" 


306  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

toujours  remuant,  ce  fut  là  qu'elles  s'arrêtèrent  d'a- 
bord. 

Ce  lieu  de  campement  \  dans  une  position  aussi 
favorable  et  sur  la  ligne  qui  alors  fermait  comme  un 
triangle  tout  le  bassin  du  Mein,  donna  sans  doute 
lieu  plus  tard  à  la  construction  du  castel  qui ,  entre 
JaGersprinzetlaKinzig,devait  protéger  levai  duKahl. 
Les  vestiges  de  ce  premier  barrage,  route  militaire 
et  d'exploration,  peuvent  encore  se  suivre  depuis  la 
Nidda  jusqu'à  la  Kinzig,  depuis  ce  torrent  en  ligne 
droite  jusqu'à  Gross-Krotzenbourg,  et  depuis  cet  en- 
droit jusqu'à  Jiigesheim,  d'où,  suivant  la  Roda  jus- 
qu'à Haunhausen,  et  reparaissant  de  l'autre  côté 
du  ruisseau,  elle  allait,  par  Rembrûcken,  joindre 
le  Mein  à  Francfort.  On  sait  que  la  tactique  des  Ro- 
mains fut  toujours ,  en  arrivant  dans  un  pays  inconnu , 
et  en  basant  leurs  opérations  sur  une  rivière  princi- 
pale, de  couper  la  communication  de  ses  divers  con- 
fluents par  un  angle  fortifié,  et  de  s'assurer  ainsi 
l'abord  de  toutes  les  vallées.  Ces  fortifications  passa- 
gères étaient  alors  elles-mêmes  liées  ensemble,  et 
c'est  à  ces  avant-postes  que  çà  et  là  ils  élevaient  des 
camps  retranchés,  qui  le  plus  souvent  furent  plus 
tard  abandonnés,  mais  sur  l'emplacement  desquels 
parfois  aussi  une  autre  période  vit  fonder  des  établis- 
sements fixes. 

Gross-Krolzenbourg  fut  de  ce  nombre. 

Une  pierre,  aux  attributs  de  Neptune,  qui  y  fut 
trouvée,  peut  faire  présumer  que  la  corporation  des 

'  fVûrdivein's  Archidiaconatsregister,  i.  Document  tiré  des  ar- 
chives du  lieu. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  307 

bateliers,  qui,  au  moyen  âge,  était  florissante  en 
cet  endroit,  y  avait  déjà  existé  à  une  époque  bien 
plus  reculée,  et  que,  comme,  sur  le  Necker,  \esNautœ 
mettaient  à  profit  le  flottage  des  bois  de  l'Abnoba  et 
de  l'Albe,  ceux  de  ce  lieu  mirent  à  profit  le  flottage 
des  bois  du  Spessart.  La  vingt-deuxième  légion  y  a 
aussi  laissé  quelques  souvenirs'. 

Nous  remontons  dans  notre  barque,  et  nous  pas- 
sons devant  Hainstadt  ^  lieu  dont  le  nom  décèle  son 
antique  origine ,  et  devant  Steinheim ,  où  une  ancienne 
carrière  qui  se  trouve  sur  le  Heidenberg  semble  avoir 
fourni  aux  Romains  les  pierres  basaltiques  qui  ser- 
virent à  leurs  bâtisses.  Nous  arrivons  à  Kesselstadt, 
où,  selon  toute  apparence,  existait  un  castel  à  l'em- 
bouchure de  la  Kinzig,  et  où,  enefl"et,  d'anciennes 
murailles  sont  encore  enfouies  sous  le  soP.  Près  de 
Bûrgel,  les  vestiges  d'un  barrage  reparaissent,  qui, 
descendant  du  Taunus,  s'appuyait  sur  la  Nidda,et  de 
ce  torrent  descendait  en  ligne  droite  vers  le  Mein. 
Sans  doute,  c'est  aussi  un  reste  des  fortifications  pas- 
sagères qui  furent  élevées  à  la  première  époque  de 
l'apparition  romaine  dans  ces  contrées.  Ces  travaux, 
qui  datent  probablement  du  temps  de  Drusus  et  de 
Tibère ^  furent  plus  tard  mis  à  profit  par  Trajan,  qui 


*  LEG  XXII  PR  P  F  (sur  des  briques). 
'^Hainstadl,  Heidenstadt. 

3  Kesselstadt  n'est  que  la  contraction  de  Castelstxtte ,  locus  cas- 
ielli.  Ainsi  Cassel ,  Ksestrich ,  etc. 

*  Il  n'est  pas  probable,  en  effet,  que,  lorsque  le  Taunus  fut  fortifié 
par  eux  contre  les  Cattes  (voy.  Tacite,  Annal.,  i,  56),  ils  aient  laissé 
sans  défense  levai  de  la  Nidda,  et  qu'ils  n'aient  pas  de  même,  pour 


I, 


20. 


308  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

reprit  le  système  d'occupation  et  de  fortiûcation 
transrhénanes,  et  qui,  pour  assurer  le  cours  de  la 
Nidda,  bâtit  proche  de  sa  jonction  avec  le  Mein  le  fort 
qui  porta  son  nom^ 

De  tous  les  auteurs  de  l'antiquité,  Ammien  Mar- 
cellin  est  le  seul  qui  fasse  mention  de  ce  lieu  dans  la 
description  qu  il  fait  de  la  campagne  de  l'empereur 
Julien  contre  les  Allemanes.  Cet  empereur  alors. 


déjouer  les  projets  de  l'ennemi ,  qui  eût  pu  contourner  ces  montagnes 
et  se  répandre  sur  leurs  derrières ,  par  le  val  si  accessible  du  Mein , 
songé  à  fermer  celte  barrière.  Ce  qui  le  prouve  d'ailleurs,  c'est  la 
présence  sur  la  Nidda  de  la  quatorzième  légion ,  légion  qui  fut  station- 
née dans  la  Haute-Germanie  sous  Auguste ,  qui  fut  postée  à  Mayence 
lors  de  la  fondation  de  cette  forteresse ,  et  qui ,  après  avoir  suivi  Ger- 
manicus  dans  ses  guerres  contre  les  Germains,  fut,  en  61  de  l'ère 
chrétienne,  envoyée  dans  la  Bretagne  par  Néron.  Sous  Galba  elle  était 
en  Dalmatie ,  et  ne  revint  qu'en  70  sur  le  Bas-Rhin ,  lors  des  guerres 
de  Civilis.  Elle  fut  ensuite  de  nouveau  postée  à  Mayence ,  où  elle  resta 
dix  ans ,  après  quoi  elle  en  repartit  pour  la  Pannonie ,  où  elle  se  trou- 
vait encore  du  temps  de  l'empereur  Sévère.  Sa  présence  sur  la  Nidda 
dut  donc  être  antérieure  à  l'époque  de  Trajan  (voy.  Tacite  .Annal.,  i, 
37,  70;  XIV,  34,  dl',Hist.,  i  19,  64;  il  66;  IV,  35;  v,19;  Dion  Cas- 
sius,  LV,  p.  346).  —  Voici  l'inscription  de  la  Nidda,  trouvée  dans  le 
torrent  près  du  village  du  même  nom  : 

FORT'N 

L.  C°RN3. 

ARAToR 


>  LEG  XIIII 

G.  M.  V. 
V.  S.  L.  M. 

For(unx,L.  Cornélius  Jrator,  Centurio  legionis  XIIII  geminx, 
martiœ,  victricis,  etc. 
1  Mnnimentum  Trajani. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  309 

comme  nous  l'avons  vu  dans  la  partie  historique  de 
cet  écrit,  releva  les  ruines  de  cette  forteresse,  oii  il 
laissa  une  garnison  afin  de  contenir  les  tribus  en- 
nemies '. 

Ce  fort  était  situé  près  d'Hœchst.  La  trentième  lé- 
gion qui ,  comme  on  sait,  fut  formée  par  Trajan  dans 
la  Haute -Germanie,  et  à  laquelle  il  donna  le  nom 
d'Ulpia  Vicirix'^,  y  a  laissé  des  traces  de  son  séjour; 
c'est  le  seul  lieu  sur  tout  le  Mein  oii  sa  présence  nous 
soit  attestée.  La  vingt-deuxième,  et  plus  tard  la  hui- 
tième légion ,  y  eurent  aussi  quelques  détache- 
ments. 

Le  terrain  sous  lequel  ses  ruines  sont  enfouies 
est  spacieux;  comme  à  Mayence,  c'est  à  sept  et 
huit  pieds  sous  le  sol  qu'il  faut  aller  les  chercher. 
Une  route  conduisait  en  ligne  droite,  le  long  du 
Mein  depuis  Mayence  jusqu'à  la  Nidda ,  et  liait  les 
communications  de  cette  ville,  résidence  du  gou- 
vernement, avec  les  forteresses  transrhénanes,  éle- 
vées pour  en  protéger  les  approches^.  De  la  rupture 


'  Amm.  Marcel.,  1.  xvii,  c.  1. 

2  La  trentième  légion  primitive,  qui  servait  sous  César  et  qui  appa- 
raît encore  sur  les  monnaies  de  Marc  Antoine ,  fut  dissoute  après  la 
bataille  d'Actium.  Trajan  forma  la  nouvelle,  qui  prit  ce  numéro  pour 
remplacer  la  quinzième  qu'il  venait  de  licencier.  Voy.  Dion  Cass.,  LV, 
24. 

3  IVNONI.  REGINAE.  PLATEAE.  EVNTI.   NIDAM.  TIT.  VETER. 
ATESSAS.  ET  SEXT.  MASCVS.  CONCESSVS.  D.  FECER>^T. 

inscription  décorant  un  piédestal  en  bronze  trouvé  à  Cassel,  vis-à-vis 
de  Mayence.  Un  autre,  portant  la  même  inscription,  dédié  à  Jupiter,  fui 
trouvé  au  même  lieu.  Voy.  Mainzer-Zeitung .  1819.  n»  84. 


310  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

OU  (le  la  conservation  de  cette  ligne  dépendait  donc 
la  surprise  ou  le  repos  de  cette  place,  et  c'est  ce  qui 
rend  compte  des  travaux  sans  nombre  que  les  Ro- 
mains entreprirent  à  diverses  époques,  au  delà  du 
Rhin,  et  dont  les  vestiges  sont  encore  venus  en  partie 
nous  frapper. 

Entre  Bùrgel  et  Wilbel  s'élevait  le  camp  de  Ber- 
gen,  lieu  autour  duquel,  sans  doute,  se  groupèrent 
plus  tard  les  demeures  de  colons  qui  finirent  par 
former  une  bourgade.  Ses  nombreux  décombres 
sont  encore  enfouis  sous  le  sol.  Les  fouilles  qui 
y  ont  été  faites  au  commencement  de  ce  siècle,  ont 
eu  pour  résultat  de  mettre  à  nu  différentes  parties 
d'un  bain  et  d'autres  bâtisses  qui,  toutes,  présentent 
encore  les  traces  du  feu  qui  les  dévora.  Une  foule 
de  briques  portaient  le  chiffre  de  la  vingt-deuxième 
légion';  et,  comme  les  monnaies  qui  y  furent  trou- 
vées*^,  quoique  en  petit  nombre,  descendent  depuis 
Trajan  jusqu'à  Constantin ,  il  est  "permis  de  croire 
que  déjà  à  l'époque  où  ce  premier  César  donnait 
son  nom  au  fort  bâti  sur  le  Mein,  il  plaçait  entre 
cette  rivière  et  la  Nidda  cet  autre  castel  explorateur. 

Là  où  ce  torrent  se  joint  à  la  Nidder  était  placé  un 
autre  castel  pour  observer  les  deux  vallées. 

C'est  entre  ce  dernier  lieu  et  le  fort  de  Trajan  que 


<  LEG  XXII  PR.  P.  F.  —  XXII  PR  P  F  —  XXII  PR. 

2  Ce  sont  :  une  monnaie  de  Trajan  en  argent;  une  de  Faustine  en 
cuivre  ;  une  de  Constantin  aussi  en  cuivre ,  et  quatre  autres  mécon- 
naissables. Tout  proche  du  lieu  furent  aussi  trouvées  une  autre  mon- 
naie de  Trajan  en  argent,  une  de  Titus  du  même  métal,  et  une  de 
Vespasien  on  cuivre. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  31  1 

s'élevait  le  camp  d'Heddernheim,  près  duquel  par  la 
suite  se  groupa  aussi  une  bourgade  qui  dut  être  d'une 
importance  majeure,  puisque,  selon  ses  inscriptions, 
elle  avait  ses  propres  magistrats  et  ses  corpora- 
tions ^ 

Ces  inscriptions  lui  donnent  le  nom  de  Vicusnovus, 
bourg  neuf.  Il  s'étendait  sur  une  colline  doucement 
inclinée  entre  Heddernheim  et  Praunheîm,  entouré 
de  murailles  crénelées,  et  présentant  dans  sa  forme 
un  trapèze.  Un  de  ses  édiles  éleva  une  pierre  votive 
au  dieu  invincible  Milhra.  L'on  sait  que  les  fonctions 
des  édiles  consistaient  dans  l'intendance  des  chemins 
et  des  bâtiments  publics^.  Deux  temples  étaient  con- 
sacrés dans  cette  localité  au  culte  mystérieux  de 
Mithra. 

L'un  avait,  à  l'intérieur,  39  pieds  10  pouces  de  long 
sur  25  pieds  8  pouces  de  large.  L'autre  avait  46  pieds 
7  pouces  de  Ion  gsur  une  largeur  de  22  pieds  2  pouces. 


*  Entre  autres  celle  des  Fabri  tignarli,  architectes  et  entrepreneurs 
de  bâtiments ,  dont  l'existence  en  ce  lieu  comme  collège  ou  association 
prouve  qu'ils  devaient  être  nombreux.  GENIO  . .  OLLEG  .  . .  TIGN.  etc. 
Voy.  Lehne,  inscript.  113. 

2  !  N  H.  D.  D 

D.    I.     M. 

MVTlVS 

VICTOR 

^DlLS 

G.  T.  EX  V 

la  honorem  dormis  divinx ,  Oeo  invicto  Mithrx ,  Murtius  Fictor, 
Aedilis  Civinm  Taunensiion,  ex  voto. 


312  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

D'après  les  calculs  approximatifs  que  l'examen  des  dé- 
combres permet  de  faire,  la  hauteur  du  plus  petit 
dut  être  de  16  à  18  pieds.  L'élévation  du  bâtiment  à 
l'extérieur  ne  put  être  mesurée,  parce  qu'elle  était 
indépendante  de  la  disposition  intérieure  qui,  repré- 
sentation de  la  grotte  où  prit  naissance  le  dieu  So- 
leil Mithra,  était  en  grande  partie  composée  de  niches 
profondes.  Les  deux  temples  étaient  tournés  du  sud 
au  nord,  et  c'est  au  sud  que  se  trouvait  le  portique.  En 
comprenant  cette  partie  extérieure,  le  grand  temple 
avait  76  pieds  et  1  pouce  de  longueur.  Sept  marches 
conduisaient  le  prêtre  et  l'initié  dans  le  lieu  saint. 
Deux  murailles  parcouraient  le  temple  dans  toute  sa 
longueur,  de  manière  qu'il  était  partagé  en  trois  nefs, 
dont  celle  du  milieu  était  de  deux  pieds  plus  longue 
que  les  deux  nefs  latérales.  A  l'extrémité  étaient  trois 
marches  que  l'on  montait  et  qui  conduisaient  dans 
le  chœur,  au  fond  duquel  était  en  relief  représenté 
le  mythe  de  Mithra.  Le  haut  relief  du  petit  temple 
est  le  plus  curieux ,  parce  qu'il  est  sculpté  des  deux 
côtés  de  la  pierre,  qui  tournait  sur  son  pivot  à  l'ins- 
tar du  tabernacle  de  nos  églises.  Derrière  cette 
pierre  était  pratiquée  une  petite  niche,  où  l'on  ne 
pouvait  pénétrer  qu'autant  que  le  haut  relief,  en 
s'ouvrant,  en  permettait  l'entrée.  C'était  là  sans  doute 
le  lieu  sacré,  Yadytum,  dont  l'approche  était  dé- 
fendue à  l'initié ,  et  où  le  prêtre  seul  avait  le  droit 
d'entrer. 

Ces  temples,  à  l'extérieur,  ressemblaient  exac- 
tement aux  autres  temples  des  divinités  païennes. 
Ils  n'en  différaient  que  dans  leur  disposition  inté- 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  313 

Heure  que  le  christianisme  adopta  lui-même  par  la 
suite  pour  ses  églises. 

Les  troupes  qui  ont  laissé  quelques  souvenirs  dans 
la  bourgade  d'Heddernheim,  sont  la  vingt-deuxième 
lésion^  et  la  trente  -  deuxième  cohorte -^  des  volon- 
taires. 

i  IN  H.  D.  D. 

GENIVM.  PLATEAE.  NOVI.  YI 

CI.  CVM.  EDICYLA.  ET  ARA 

T.  FL.  SAXCTINYS.  MILES.  LEG  XXII 

P.  ALH^XAN.  P.  F.  IMM.  COS    T.  PSI 

PETYYS.  ET  FELIX.  FRATRES.  C. 

R.  ET.  TAYNESSES  EX  ORIGI 

NE  PATRIS.  T.  FL.  MATER^1.  NE 

TRANI.  COH.  m.  PRET.  PIAE 

YINDICIS.  ET.  AYRELIA.  AM 

MIAS.  MATER.  EORYM.  C.  R.  D.  D 

AGRICOLA.  T.  CLEMENÎNO.  COS.(An230deJ.C.) 


2  D.  M.  D.  I.  S.  M.  N. 

PILADELPYS  Q.  FAYONIO 

PILANDRI.  GAI  VARO  FIL. 

PADO.  A  XXVIII   -  Q  FAYONIVS 

COH.  XXXII.  YOL.  YARYS  COH 

lANYARIYS  XXXII    P.  I 
ANÏST.  F.  G.  PATER. 

Dis  Manîbus,  philadelphus  Philandri,  Cappadocia,  annorum 
XXFIII,  Centurionis  Cohortis  XXXIl  volonum,  Januarius  An- 
testiusfieri  curavit. 

Dis  Manibus,  Q.  Favonio  Varofilio^  Q.  Favonius  Farus  cohor- 
tis XXXII  ponerejussit  pater. 


314  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Cette  dernière  milice,  formée  après  la  bataille 
de  Cannes ,  fut  composée  d'esclaves  '  ;  le  danger 
passé,  elle  fut  conservée  pour  les  services  qu'elle 
avait  rendus,  et  nous  la  trouvons  depuis  dispersée 
dans  les  armées  aux  extrêmes  frontières.  Le  grand 
nombre  d'étrangers  orientaux  que  Sévère,  sous  qui 
ce  lieu  fut  surtout  florissant,  mena  à  sa  suite  sur  le 
Rhin,  peut  rendre  compte  de  la  propagation  du  culte 
de  Mithra  sur  le  sol  germanique.  Il  y  fit  d'autant  plus 
de  prosélytes  que  ses  dogmes  mystiques  parlaient 
davantage  à  l'ardente  imagination.  Un  autre  guer- 
rier, sans  doute  venu  des  bords  égyptiens,  a  laissé 
dans  la  même  localité  un  souvenir  de  son  zèle  reli- 
gieux pour  Jupiter  adoré  sur  le  mont  Casius^.  A  ces 
cultes  étrangers  était  jointe  la  religion  de  Rome, 
et  nous  trouvons  aussi  plus  d'une  inscription  en  l'hon- 
neur de  Jupiter,  de  Junon,  du  dieu  Bacchus,  de  la 
Fortune,  et  surtout  du  génie  du  lieu  et  des  carre- 
fours. 

On  a  voulu  prouver  parle  nom  d'Heddernheimque 


•  Julius  Capifolvuis ,  Marc.  Aurel.,  c.  21. 

2  Ce  mont  formait  la  frontière  entre  la  Phénicie  et  l'Egypte.  Il  est 
situé,  d'après  Strabon  (Geograph.,  xvi,  2,  p.  760),  à  300  stades  de 
l'antique  Péluse.  Selon  cet  auteur,  il  était  couronné  d'un  temple  dé- 
dié à  Jupiter,  qui  y  portait  le  nom  de  Casius. 

Voici  l'inscription  d'Heddernheira  qui  lui  est  dédiée  : 

DEO 

CASIO 

OVINIVS 

V.  S.  L.  M. 


DU  RH!N  ET  DU  DANUBE.  315 

porte  le  village  moderne  bâli  près  des  murailles  an- 
tiques ,  que  l'empereur  Adrien  en  fut  le  fonda- 
teur. 

Que  cet  empereur  ait,  en  effet,  construit  cette  ville 
et  sa  forteresse,  c'est  une  opinion  contre  laquelle  je 
ne  m'élèverai  point,  et  qui,  toute  hasardée  qu'elle 
soit,  peut  avoir  quelque  justesse,  puisque  de  toutes 
Jes  inscriptions  du  lieu  nulle  n'est  d'une  date  plus 
reculée  ni  plus  récente  que  l'époque  des  Anto- 
nins. 

Que  toutefois  le  nom  d'Heddernheim  soit  dérivé  de 
celui  de  cet  empereur,  c'est  une  erreur  qu'il  faut 
écarter  de  )a  science,  puisqu'il  est  bien  avéré  par  un 
document  du  neuvième  siècle  que  cette  similitude 
de  nom  n'existe  point'. 

Assis  sur  l'emplacement  oii  la  ville  s'étendait,  nous 
suivons  du  regard  les  différentes  localités  oiî  ces  ins- 
criptions ont  été  retrouvées,  et  nous  pouvons  nous 
faire  une  idée  de  sa  bâtisse  et  de  sa  disposition.  Là 
où  nous  sommes  assis  sur  les  tombeaux  du  cimetière 
Israélite,  dut  être  le  /brwm.  Plus  loin  durent  s'étendre 
les  rues  Prétorienne ,  Principale  el  Quinlane ,  séparant 
les  divers  quartiers  que  parcouraient  les  rues  vici- 
nales. 

Un  autel  trouvé  au  dernier  endroit  nous  marque 
la  place  qu'occupait  le  marché  au  centre  de  la  ville 
et  à  l'embranchement  des  rues  Quintane  et  Préto- 


'  Ce  document  de  l'an  802  {Codex  Laures., ni,  3401,  p.  105)  nomme, 
en  effet,  ce  village  Phetterenheim.  Ce  nom  n'a  certes  aucune  analogie 
avec  celui  d'Adrien. 


316  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

vienne^.  La  surface  de  toutes  ces  rues  était  bom- 
bée. 

Les  principales,  larges  de  dix-huit  à  vingt-quatre 
pieds ,  étaient  protégées  de  chaque  côté  par  une  ban- 
quette pour  les  piétons.  Leur  base  était  composée  de 
détritus  de  basalte  d'un  à  deux  pieds  de  profondeur, 
recouvert  de  gravier  et  assis  sur  un  lit  de  toutes 
sortes  de  pierres  et  de  décombres.  Ce  gravier  rem- 
plaçait le  pavé.  Les  rues  vicinales  n'avaient  que  douze 
pieds  de  large,  et,  à  l'exception  du  lit  de  pierre,  sou- 
tenant la  couche  de  détritus  basaltique,  elles  étaient 
exactement  construites  comme  les  premières'^. 

Sous  les  murs  de  la  ville  circulait  dans  la  vallée  le 
petit  torrent,  et  en  arrière  se  groupaient  majestueu- 
sement les  hauts  sommets  du  Mont-Taunus. 

1  IN.  H.  D.  D. 
PLS.  PRiETOR 

ARAM.  QVI 

.  .  .  ^E  GENIVM 

SATTOr^VS 

GRATYS.  D.  D 

IMP.  ALEX.  AVG 

III.  ET  DIONE  COS. 

In  honorem  domus  divinx,  Platese,  prxtorix  aram  quintanam 
et  Genium  Sattonius  Gratiis  posuit,  decreto  decurionum ,impera- 
tore  Alexandre  Augusto  III  et  Dione  consulibm. 

Cette  pierre  est  de  229  de  Jésus-Christ. 

2  Voy.  le  mémoire  d'Habel,  dans  les  Annalen  des  Fereinsfûr  nas- 
sauische  Alterlhumskimde ,  Wiesb.  1827.  8«  cahier.  A  ce  mémoire 
est  joint  un  plan  de  la  ville  antique  ;  j'y  renvoie  le  lecteur. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  317 

Ce  mont  fameux,  si  souvent  cité  dans  les  annales 
romaines,  s'étend  depuis  la  Wisper,  entre  le  Rhin  et 
ce  torrent,  et  longe  le  Mein  jusqu'au  cours  de  la 
Nidder.  Il  est  arrosé  par  une  foule  de  moindres  ri- 
vières qu'encaissent  ses  fertiles  vallées.  C'est,  comme 
nous  l'avons  dit^  en  faisant  la  description  du  grand 
rempart,  en  deçà  de  ces  sommets  boisés,  et  dans  la 
plaine  du  Rhin  que  Rome,  en  prenant  possession 
du  pays,  reçut  au  nombre  de  ses  alHés  les  Mattiaques. 
Leur  cité  s'étendait  sous  le  fort  que  Drusus ,  pour 
couvrir  les  abords  de  Mayence,  éleva  sur  la  rive  droite 
du  fleuve,  vis-à-vis  de  cette  forteresse. 

Entre  ce  fort  et  celui  de  Trajan,  nous  trouvons, 
au  bord  du  Mein,  trois  lieux  qui,  par  les  antiquités 
qu'ils  ont  livrées,  peuvent  attester  leur  existence  ro- 
maine. Ce  sont  Flœrsheim,  sur  la  rive  droite,  et  sur 
la  rive  gauche,  Riisselsheim  et  Bischofsheim.  Dans 
ces  deux  derniers  villages  furent  trouvés  deux  autels 
aux  dieux  des  carrefours,  autels  qui  annoncent  qu'un 
embranchement  de  routes  y  exista  *. 

^  Voici  l'inscription  du  dernier  : 

BIVIS 

TRIVIS 

QVADRIV 

IS.  AEL 

DEMETRI 

VS.  3  LEG 

XXII  PR 

V.  V.  L.  L.  M. 

Biviis,  Trivîis,  Quadriviis,  Aelius  Demetrius,  Centurio  legio- 
nis  XXII y  primigenise ,  voUmi  solvit  libens,  lœfus  meritis. 
Quant  à  la  seconde  pierre,  voy.  Mainzer  Zeitung.  1819.  n-'  84. 


318  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Le  fort  (le  Casse!  n'est  cité  d'une  manière  exacte 
par  aucun  géographe  ni  historien  de  l'antiquité.  Mais 
le  témoignage  de  Florus,  qui  nous  dit  que  Drusus  bâ- 
tit un  caste!  au  bord  même  du  Rhin,  aux  confins  du  pays 
des  Catles,  ne  nous  permet  guère  de  douter  que  ce 
caste!  n'ait  eu  ce  lieu  pour  empiacement'.  Il  dut  ser- 
vir de  tète  de  pont  à  la  forteresse  de  Mayence,  d'où 
le  passage  du  Rhin  s'effectuait  presque  chaque  fois 
qu'une  nouvelle  expédition  était  tentée  contre  les 
Germains. 

La  position  avantageuse  du  fort,  qui  devint  le  prin- 
cipal point  de  communication  des  Gaules  et  des 
possessions  transrhénanes,  dut  de  bonne  heure 
appeler  sous  ses  murailles  les  colons  de  la  rive 
droite  du  fleuve;  nous  trouvons,  en  effet,  que  déjà  au 
deuxième  siècle  une  cité  importante  s'étendait  autour 
de  ces  remparts.  D'après  les  inscriptions  qui  en  ont 
été  retirées,  l'on  ne  peut  douter  que  ce  n'ait  été  la 
cité  des   Mattiaques^  quoique  d  un  autre  côté  l'on 

*  Castellum  in  finibus  Chattorum,  ad  ipsum  Rhenum.  Florus, 
Hist.^  IV,  c.  12. 

2  IN.  H.  D.  D.  DEAE.  VIRTVTI.  BELLO 

NE.  MONTEM.  VATICANVM. 
VETVSTATE.  CONLAPSYM 
RESTITYERVrT.  HASTIFERI.  CI 
VITATIS.  MATTIACOR.  X.  KAL 
SEP.  IMP  /.  Maximîno.  oVG 
ET  AFRICANO.  COS.  III.  QVORYM.  NO 
MINA.  InScr^J9TA.  SVNT. 

c.   ME   B  BiGNATIVS.  SEVERVS.  CVR.   BIS   CtC. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  319 

retrouve  aussi  dans  ces  murailles  les  citoyens  du 
Taunus*,  dont  l'un  des  édiles  est  venu  nous  offrir 
son  nom  dans  le  fortd'Heddernheim.  Comme  les  Mat- 
tiaquesnesontinscrits  en  qualité  de  citoyens  dans  au- 
cun autre  endroit,  tandis  que  ce  mot  de  citoyens  du 


Suivent  les  dix-sept  autres  noms.  Voy.  Lehne,  Rômische  Alter- 
thiimer  de?'  Gauen  des  Donnersbergs ,  t.  l,  p.  280. 


Cette  pierre  est  de  l'an  236  de  Jésus-Christ. 


I.    0.    M. 
ET  IVNONI 
REGINAE 
L.  SECVND 
INIVS.  FA 
VORALIS 
IIIIIIVIR.  AVG 
C.  M.  IN.  SVO.  P. 

Sévir  angustalis  civitaiis 
Mattiacorum. 


I.    0.    M. 
JwNONI.  RE 
piNAE.  AA..  QVIL' 
NVS.  PATEN 
VS.  D.  C.  MATTI 
EX.  VOTO.  POSI 
L.  L.  M.  DEDICAa 
A.A.  OCT.^ER.a.BIS 
COS. 
.  decurio  civitatis  Mattiacorum. 
(an  255  de  Jésus-Clirist.) 


I.     0.    M. 
CONSERVATORI 
LICIN.  TVGNA 
TIVS.  PVBLIVS 
ÏÏV.  C.  T.  IN.  SVO 
VT.  HABERET 
RESTITVIT. 
ATTICO    E  PR 
ETEXTATO 

COS.  (an  242  de  Jésus-Christ.) 


320  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Taunus  nous  frappe  à  la  fois  et  ici  et  à  Mayence\  et, 
comme  nous  venons  de  le  remarquer,  à  Heddernheim, 
il  faut  nécessairement  penser  que  la  juridiction  des 
Mattiaques  était  placée  en  ces  lieux,  tandis  que  Ton 
appelait  citoyens  du  Taunus  tous  ceux  qui ,  originaires 
de  ces  montagnes,  étaient  répandus  dans  les  divers 
municipes  et  y  jouissaient  de  divers  privilèges,  sans 
être  soumis  aux  charges  qui  pesaient  sur  les  citoyens 
romains. 

En  quoi  ces  privilèges  consistaient,  c'est  ce  qu'il 
nous  est  impossible  de  préciser.  Nous  savons  seule- 
ment qu'ils  vivaient  parmi  les  citoyens  romains, 
qu'ils  avaient  leurs  propres  magistrats,  leurs  duum- 
virs,  leurs  édiles,  leurs  sévirs  augustaliens,  et  que, 
comme  originaires  germains,  ils  avaient  le  pouvoir 
d'entrer  au  service  dans  la  garde  des  empereurs.  A 
Mayence  l'on  n'a  retrouvé  d'eux  que  des  inscriptions 
lapidaires  de  leurs  sévirs.  A  Cassel,  au  contraire, 
c'est  sur  son  propre  terrain  qu'un  de  leurs  duumvirs 


////  //// 

C.  PATERNI.  POSTVMINI.  D.  C.  TAV. 
NENSIVM.  VIRI.  SACERDOTALIS  PRAGM 
TICI.  PATERNIA.  HONORATA.  FILI  ET.  HE 
RES.  PER.  SYOS.  PARENTES 
F.  C. 

C.  IVLIO.  SIMPLICIO.  IIIIIIVIR 
AVGVSTALI.  C.     TaunenS\M  PRAMATCO 
CRESCENTINA.  REGINA. 
OB.  MERITA.  EIVS 

F.  G. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  324 

éleva  une  pierre  à  Jupiler  Conservateur;  à  Heddern- 
heim,  c'est  un  de  leurs  édiles  qui  en  éleva  une  à  Mi- 
thra.  Ces  diverses  preuves  de  leur  existence  comme 
citoyens,  non  des  lieux  où  ils  se  trouvaient,  mais 
des  lieux  d'où  ils  étaient  sortis  pour  venir  habiter 
parmi  les  citoyens  romains  et  les  Mattiaques,  ne 
peuvent  autrement  s'expliquer. 

Ces  Mattiaques,  en  acceptant  l'alliance  et  la  pro- 
tection des  Romains,  furent  associés  par  eux  à  leurs 
institutions.  Nous  voyons,  en  effet,  régner  au  sein  de 
leurcitétous  les  emplois,  toutes  les  magistratures,  qui 
dénotent  un  lieu  essentiellement  romain  de  coutumes, 
et  qui  annoncent  une  population  aussi  nombreuse 
que  civilisée.  Leur  milice  citoyenne  était  armée  de 
piques,  sous  le  nom  ô'Hastiferi;  nous  la  trouvons 
en  cette  qualité  inscrite  avec  un  curateur  de  la  cité 
sur  une  pierre  dont  l'inscription  est  d'autant  plus 
intéressante  qu'elle  nous  prouve,  qu'à  l'instar  de 
Rome,  cette  ville  avait  donné  aux  divers  monuments 
qui  la  décoraient  les  noms  que  portaient  les  monu- 
ments analogues  de  cette  capitale  du  monde.  Quoique 
placée  dans  la  plaine,  loin  de  toute  colline,  elle  avait 
son  Vatican,  et  c'est  sans  doute  le  temple  qui  y  était 
dédié  à  la  Vertu  guerrière  et  à  Bellone,  qui  fut  alors 
réparé  par  les  soins  des  dix-huit  soldats  dont  cette 
pierre  a  transmis  les  noms  à  la  postérité'. 

La  date  que  nous  offre  cette  inscription  nous  re- 


•  Voy.  ci-avant  l'inscription  de  la  page  318.  Sur  le  mont  Vatican  à 
Rome  était  du  moins  situé  le  temple  de  Mars,  dieu  auquel  Bellone 
fut  toujours  associée. 

I.  ■'' 


322  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

porte  au  règne  de  Maximin  ;  peu  de  mois  aupara- 
vant Alexandre  Sévère  avait  été  assassiné  près  de 
May  en  ce. 

On  sait  que  le  sénat  fit  plus  tard,  par  un  dé- 
cret ,  effacer  de  dessus  tous  les  monuments  le  nom 
du  meurtrier.  Cet  ordre  a  aussi  été  exécuté  ici  ;  les 
lettres  qui  composent  le  nom  de  Maximin  ont  été 
effacées,  mais  pas  assez  cependant  pour  qu'on  ne 
puisse  le  lire.  Près  du  lieu  où  cette  pierre  fut  trou- 
vée ,  une  autre  fut  aussi  retirée  du  sol  portant  une 
inscription  en  l'honneur  de  Septime  Sévère;  elle 
semble  avoir  décoré  un  arc  de  triomphe'.  Si  l'on 
réfléchit  avec  quelle  extrême  solidité  Rome  bâtissait 
ses  monuments  publics,  on  ne  pourra  douter  du 
long  temps  qui  dut  s'écouler  sur  celui  qui,  tombé  en 
ruines  par  suite  de  vétusté,  fut  rebâti  par  ces  Hasli- 
feri. 

La  date  de  sa  réédiûcation  est  de  l'an  236  de 
l'ère  chrétienne.  Il  est  donc  permis  de  penser  que 
dès  la  première  époque  de  l'incorporation  de  ces 
pays  dans  l'Empire,  le  temple  que  l'inscription  dé- 
corait, a  dû  avoir  été  élevé. 

A  côté  de  cette  milice  nous  trouvons  les  Singulares, 
troupe  de  pied ,  qui,  ainsi  que  les  Singulares  à  cheval, 
était  composée  d'hommes  d'élite  préposés  à  la 
garde  du  général  ou  h  celle  des  magistrats  provin- 

'  Les  lettres  avaient  un  pied  de  hauteur.  Malheureusement  la  pierre 
se  brisa,  et  l'on  ne  put  conserver  de  l'inscription  que  les  deux  mots  : 
PARTHICO  ADIABEMCO ,  qui  suffisent  toutefois  pour  nous  apprendre 
à  quel  empereur  elle  était  dédiée;  Sévère  seul  porta,  en  effet,  ce 
litre. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  323 

cîaux'.  C'est  la  première  fois  que  nous  avons  occa- 
sion de  mentionner  ces  soldats  qui,  en  Orient,  ne 
se  trouvaient  qu'à  la  suite  des  préfets,  mais  qui,  en 
Occident,  accompagnaient  toutes  les  autorités  civiles 
et  militaires.  Leur  emploi  dans  les  villes  municipales 
était  de  poursuivre,  par  l'ordre  du  magistrat,  tous 
ceux  dont  les  contributions  étaient  en  arrière,  de 
citer  ou  d'arrêter  les  délinquants;  ils  faisaient  donc 
à  peu  près  le  métier  des  gendarmes  que  nous  entre- 
tenons dans  nos  villes^.  Leur  présence  dans  la  cité 
des  Mattiaques  n'a  donc  rien  qui  puisse  nous  sur- 
prendre. 

Le  commerce  de  cette  ville,  placée  qu'elle  était  à 
l'extrême  frontière  des  Gaules,  et  au  plus  fréquenté 
des  passages  du  Rhin,  dut  être  important.  Sans  vou- 


PEDITVM.  SIKGVLARIVM.  VICTORIA 
PERPETVA.  FILIA.  T.  HERES.  ET.  LV 

CILIA. 
PRISCA.  COIVX.  ET  VICTORINIA.  T 

GABR 
ILA.  ET.  IVLIA.  SORORES.  F.  C. 

^  Ils  étaient  organisés  en  cohortes  dont  le  chef  prenait  le  nom  de 
Primicerius,  et  subdivisés  en  brigades  de  deux  cents,  de  cent,  de 
soixante  et  de  dix  hommes,  dont  les  commandants  prenaient  les  noms 
de  Ducenarius,  de  Ceiitet^arius,  de  Sexagenarius  et  de  Dinariiis , 
selon  le  nombre  d'hommes  qu'ils  avaient  sous  leurs  ordres.  Quant  aux 
Sîngulares  à  cheval,  ils  paraissent  n'avoir  servi  de  gardes  du  corps 
au  général  qu'en  temps  de  guerre,  et  nous  les  trouvons  cités  par  Ta- 
cite lors  des  guerres  de  Vitellius  et  de  Vespasien.  Voy.  Tacite,  Uist., 
IV,  70. 

I  21. 


324  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

loir  le  préciser,  nous  savons  du  moins  qu'indépen- 
damment des  autres  articles  d'échange  que  Rome 
lirait  de  la  Germanie,  c'était  chez  le  peuple  maniaque 
qu'elle  cherchait  divers  objets  qui  étaient  devenus  du 
plus  grand  luxe  à  Rome,  et  que  c'était  principale- 
ment de  ce  pays  qu'elle  recevait  ces  blondes  cheve- 
lures que  les  dames  romaines  payaient  au  prix  d'or, 
et  ces  divers  cosmétiques  que  la  mode  avait  mis  en 
usage'.  Aussi  Mercure  eut-il  en  ce  lieu  plus  d'un  ado- 
rateur; et  nous  trouvons  même  au  sein  de  ces  murs 
un  de  ces  négociants  qui  ne  s'occupaient  que  des 
échanges  d'argent,  et  dont  la  pierre  sépulcrale  n'est 
pas  une  des  moindres  curiosités  que  le  sol  de  Cassel 
nous  ait  livrées  ^ 


'  Caustica  Teulonicos  accendit  sjouma  capitlos . 

Captivis  poteris  cultior  es.se  comis. 

Si  mutare paras  lungxcos.  cana,  capiUos; 
Accipe  Mattiacas  [quo  tibi,  calva?)  pilas. 

-Martial.,  1.  xiv,  épigr.  2G  cl  27. 

Les  piVcT  7?îo//mrœ  étaient  des  boules  savonneuses,  fabriquées  par 
les  Maniaques,  et  destinées  à  teindre  les  cheveux. 

•^  cl.  M. 

.  .  .  FVFIDIO 
7?Ç7o//ATORI 
oR</eîsrARIO.  EX 
provi^Clk.  BRI 
tannise.  SeL\ 
Rum.  oN.  LXXII 

justmys.  T 

LIB.  F.  C. 


DU  RHIN  ET    DU  DANUBE.  325 

Les  troupes  qui  tinrent  garnison  dans  la  forteresse 
furent  la  quatorzième  et  la  vingt-deuxième  légion  ^ 
VAla  Picentine'^',  qui,  lors  des  guerres  de  Civilis, 
donna,  comme  nous  l'avons  vu^»  un  exemple  si  in- 
téressant de  courage  et  de  patriotisme,  et  le  nombre 

'  SEX.  METIVS.  C. 

F.  ST.  F.  VIBI.  MIL. 


LEG.  XIIII.  AN. 


D.        M. 
M.  AVRV>CVLEO 
IVLLANO.  EQVITI 
ROMANO.  HEREN 
NIVS.  VICTORENTS 


Vie.  LEG.  LEG.  XXII 
STI 


....     POSVIT  . 

C.  I\XIO.  c.  F.  VOLT 
...  S.  DEC.  AL*E.  PI 
CENTCS'E.  AN.  XXXXVIII 
T.  F.  H.  F.  C. 


....  Decurioni  Ahe  Picentinx,annorum  XLFIII^  testament i  for 
muta  hxres  fieri  curavit. 

^  Voy.  première  partie,  p.  62. 


326  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

des  Caddarensiens,  soldais  légers,  sortis  des  contrées 
de  l'Orient*. 

Un  pont  joignait  la  cité  à  la  rive  droite  du  Rhin  et 
liait  ses  communications  avec  Mayence.  Aussi  trou- 

1  I.    0.    M. 

T.  IVN.  REG. 

FINITIVS.  FI 

DELIS.  MIL 

N.  CABDA 

RENSIVM 

IN  .  SVO 

POSIT 

FVSCO  .  ET 

DEXTRO.  COS. 

....  Sous  le  consulat  de  Fuscus  et  de  Dexter,  par  conséquent  en  225 
de  Jésus-Christ. 

Un  autre  autel  de  Jupiter  et  de  Junon  fut  aussi  trouvé  dans  les 
ruines  de  Cassel,  portant  pour  date  l'an  246  de  Jésus -Christ.  J'en 
transcris  ici  l'inscription  à  cause  de  cette  date  : 

I.  0.  M. 

T.  IVNO 

rs[.  REG 

X.  KAL.  lAN. 

PRESEN  E.  a\  ALBINO  C. 

SEROTINI 

VS.  CVPITVS 

a\  CVPITIVS 

PROVIDENS 

KILIVS.  IN.  S. 

FECERVM 

L.  L.  M. 


1)L  KHIN  ET  DU  DANUBE.  327 

voiis-nous  ici  un  préfet',  qui  semble  avoir  eu  1  ins- 
pection et  la  direction  de  tout  ce  qui  avait  rapport  à 
la  navigation  et  aux  travaux  du  tïeuve ,  et  dont  l'em- 
ploi devait  à  peu  près  répondre  à  celui  qu'exerçait 
dans  la  capitale  le  curalor  consularis  aquarum'K 

Lorsquen  1835  Ion  creusa  les  fondements  d'une 
maison  qu  on  voulait  bâtir  près  du  pont  moderne, 
l'on  tomba  sur  d'anciens  décombres  qui  portaient 
encore  les  traces  d'un  feu  destructeur,  et  parmi  les- 
quels se  trouva  un  autel,  remarquable  par  son  ins- 
cription. Cette  inscription  atteste  qu'en  cet  endroit 
un  autre  quartier  de  la  ville  antique  a  dû  exister. 


'  IN.  H.  D.  D. 

DEABVS.  I^M 
PHIS.  SIG.^T 
ARA.M.  C.  CA 
RANTIMVS 
MATERNV 
S.  PR-EFECT 
VS.  AQVE 
V.  S.  L  L  M. 

....  Deabits  Nijmphis  signa  et  aram  Iposuit)  C.  C  avant  inius  Ma- 
ternus,  Prx/tctus  aqux,  etc. 

Martial  appelle  le  Rhin  le  père  des  nymphes  et  des  rivières  dont  il 
reçoit  les  eaux  :  Xijntpharum  pater  amniujnqtie  hhene  '.  (Mart., 
épigr.  X ,  7^)  Le  culte  qu'on  adressait  à  ces  divinités  était  donc  à  peu 
près  le  même  quecelui  qu'on  adressaitau  Rhin  considéré  comme  dieu. 
Voy.  Muralori,  i,  p.  cccxLiii,  4. 

'■^  Voy.  Orelli.  inscript,  i,  2284,  2285  ;  ii ,  3042. 


328  ÉTABLISSEMENTS  P.OMAINS 

Elle  nomme  ce  lieu  viens  novus  Meloniorum\  nom 
que  je  ne  chercherai  pas  à  commenter,  mais  qui  du 
moins  nous  prouve  que  c'était  du  côté  opposé  de  la 
forteresse,  dans  la  direction  de  Hochheim,  que  la 
cité  des  ]\Jattiaques  était  posée,  tandis  qu'au  Rhin 
une  moindre  bourgade,  qui  dut  faire  plus  tard  partie 
de  son  enclave,  s'était  aussi,  sous  la  protection  du 
caslel,  formée  au  bord  du  fleuve. C'est,  en  effet, tout 
le  long  de  la  route  romaine  qui  de  Cassel  se  pro- 
longe vers  Hochheim,  que  les  tombes  de  l'antique 
cité  ont  été  retrouvées  ^  et  il  est  incontestable  que 
c'était  dans  celte  direction  que  s'étendait  la  partie  la 
plus  considérable  de  l'établissement  romain. 

Cette  voie  qui  conduisait  à  la  Nidda  circulait  sur  la 
rive  droite  du  Mein  jusqu'à  Francfort,  où  ses  traces 
se  perdent  pour  reparaître  sur  la  rive  gauche. 

Là,  sur  le  Lerchenberg,  et  dominant  le  cours  de 
la  rivière,  avait  été  posé  le  dernier  des  camps  des- 
tinés à  proléger  la  ligne  que  nous  avons  décrite  plus 


*  I.  //.  D.  D.  I.  0.  M.  ET  ...  . 

MELOM.  CARANTVS 

IVC>'>DYS.  DE.  SVO 

D.  VICo.  NOVO.  m 

LoMCH.  CeTIEGo.  T.  CLARo 
C  0  S 

....  Sous  le  consulat  de  Ceihegus  et  de  Clarus,  ])ar  conséquent,  en 
170  de  Jésus-Christ. 

-  Près  de  4000  ont  été  ouvertes.  Voy.  dans  Euiélé,  Beschreibung 
romischer  Altertliûmer  in  dem  Gebiete  der  Provinz  Rheinhessen, 
la  description  des  divers  objets  qu'elles  contenaient. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  329 

avant,  laquelle  circulait  depuis  Gross-Krotzenbourg 
jusqu'au  Mein.  Il  dut  être  destiné  à  protéger  ce  pas- 
sage non  moins  important  au  nord ,  vis-à-vis  des  for- 
tifications de  la  Nidda,  que  ne  l'était  celui  du  sud-est 
à  Trennfurth,  devant  les  fortifications  de  l'Oden- 
wald . 

Ces  retranchements  primitifs  ne  furent  pas  mis  plus 
tard  à  profit;  rien  du  moins  ne  nous  permet  de  con- 
jecturer qu'un  établissement  stable  ait  par  la  suite 
été  formé  sur  le  Lerchenberg.  Sur  le  Mein,  au  con- 
traire, les  communications  qu'entretenaient  entre  les 
deux  rives  les  routes  qui  venaient  y  aboutir,  appe- 
lèrent des  habitants. 

C'est  à  cette  circonstance  que  dut  son  origine 
la  bourgade  qui  s'y  éleva,  et  dont  l'existence  a  été 
confirmée  par  quelques  restes  de  ses  décombres  mis 
à  nu  en  remuant  le  sol  de  Francfort  et  de  Sachsen- 
hausen,  et  d'où  furent  retirées  diverses  antiquailles 
et  monnaies.  D'ailleurs,  Lesner,  dans  sa  chronique, 
cite  deux  inscriptions  qui  furent  trouvées  près  de  la 
ville  et  qui  sont  des  témoins  qu'on  ne  peut  ré- 
cuser '. 

L'une  d'elles  mentionne  la  huitième  légion  Antonine, 
et  fut  élevée  par  un  soldat  de  cette  légion  au  génie 
du  saint  empereur  iMarc  Aurèle  Antonin,  le  1 3  janvier 


'  Ces  pierres ,  selon  l'auteur,  furent  ensuite  transportées  à  Heddern- 
lieim  et  déposées  dans  la  collection  de  la  famille  de  Bodeck.  C'est  là 
que  le  père  Fuchs  les  vit ,  et  c'est  ce  qui  lui  donna  lieu  de  les  citer 
dans  son  Histoire  de  Mayence,  comme  provenant  d'Heddernheim. 
Lehne  se  prévaloit  de  son  autorité  quand  il  les  cite  à  son  tour.  Sans 
doute  le  passage  do  I.esner  était  inconnu  à  l'un  et  à  l'autre. 


330  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

de  l'an  213;  l'autre  contient  une  invocation  à  la  For- 
tune, et  sans  doute  les  remercîments  à  cette  déesse 
d'une  épouse  ou  d'une  fille,  pour  l'heureux  retour 
d'un  époux  ou  d'un  père^ 

Il  est  probable  que  la  route  qui  d'Obernbourg  cir- 
culait jusqu'à  la  Gersprinz  à  Diebourg,  route  dont 
les  traces  sont  encore  apparentes ,  venait  aboutir  à 
Dreyeich ,  et  de  ce  lieu  joignait  le  Mein  au  Vadum 
romain,  qui  plus  tard,  des  deux  colonies  franque  et 
saxonne  qui  y  furent  établies  par  Charlemagne ,  sur 
les  deux  rives,  prit  le  nom  de  Francfurt  et  de  Sach- 
senhausen.  Cette  route,  en  quittant  Obernbourg, 
était  défendue  par  deux  tours  fortes,  dont  les  ruines 
sont  encore  visibles  des  deux  côtés  du  village  de 
Mùniling.  Elle  s'élevait  sur  le  plateau  des  collines 
dans  la  direction  de  Radheim,  lieu  où  l'on  conserve 
encore  un  autel  antique,  revêtu  des  figures  et  des 
attributs  de  Mercure,  de  Junon ,  de  Minerve  et  d'Her- 
cule, et  dont  le  mur  d'où  sort  la  fontaine,  recèle 
aussi  trois  inscriptions  que  le  temps  a  rendues  illi- 
sibles. De  là  elle  se  dirigeait  sur  Altheim  et  venait 
joindre  l'Altenstadt  de  Diebourg,  lieu  où  il  suffit  de 
creuser  le  sol  pour  trouver  les  fondements  d'antiques 
constructions.  Au  delà  de  la  Gersprinz  ses  traces  se 
perdent;  mais,  comme  le  châtel  de  Hagen,  près  de 
Dreyeich,  a  offert  une  inscription ^  il  est  présumable. 


'  Voy.  Fiichs,  Geschichte  von  Moinz-,  l.  ii ,  p.  5.  —  Lehiic ,  iiis- 
ciipt.  107  du  1«'  vol.  —  Gruter,  p.  108,  i. 

-  Winkelinann ,  neachreibuiuj    der    [■urstenthumer    Hesuen    und 
llorsfpld ,  p.  M 2. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  331 

ainsi  que  je  viens  de  le  dire,  que  c'était  celte  di- 
rection que  la  route  suivait,  direction  qui  la  faisait, 
en  effet,  aboutir  droit  au  passage  du  Mein,  vis-à-vis 
des  fortifications  de  la  Nidda. 

Dans  la  plaine  qui  des  montagnes  s'étend  jusqu'au 
Rhin,  la  population  romaine  dut  être  moindre  que 
dans  la  vallée  et  sur  ces  plateaux,  parce  que  le 
Necker,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  circulant  encore 
dans  cette  plaine  jusque  près  de  l'embouchure  du 
Mein,  auquel  il  se  réunissait,  couvrait  de  ses  eaux  la 
majeure  partie  des  terres  basses  et  marécageuses 
qu'entrecoupaient  çà  et  là  d'immenses  forêts.  Aussi, 
comme  dans  lOrtenau,  trouvons-nous  ici  moins  de 
lieux  qui,  par  quelques  antiquités,  peuvent  prouver 
leur  haute  origine ,  quoiqu'il  soit  d'un  autre  côté 
certain  que,  déjà  à  l'époque  de  Trajan,  Rome  avait 
au  pied  des  montagnes  placé  quelques  établisse- 
ments'. 

Un  auteur  contemporain  a  signalé  ces  plaines  et 
ces  hauteurs  comme  ayant  été  la  demeure  des  Cara- 
cates,  peuple  dont  parle  Tacite,  et  qui.  d'après  le 
passage  où  cet  écrivain  célèbre  en  fait  mention  , 
devait,  en  effet,  avoir  été  voisin  des  Vangiones. 
Selon  M.  de  Leutsch^ces  Caracates  n'étaient  que  des 
Gaulois  méridionaux,  à  qui  Rome  donna  des  terres 
à  cultiver  entre  le  Mein  et  le  Rhin,  en  même  temps 


'  Loisqu'en  1553  on  répara  à  Darmstadt  une  vieille  tour,  on  trouva 
du  moins  dans  ses  fondements  une  monnaie  de  cet  empereur.  Voy. 
NVinkelmann,  2*"  pari.,  c.  2,  p.  101. 

-  f  eber  die.  /k/gpii  des  Julins  Cn^sar.  Giessen  1844.  in-8". 


332  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

que  sur  le  Neckerelle  plaçait  ces  autres  Gaulois  dont 
nous  avons  retrouvé  les  vestiges  et  qui  y  portèrent 
le  culte  de  leurs  dieux.  L'objection  la  mieux  fondée 
qu'on  pourrait  faire  au  critique  allemand ,  à  l'égard 
de  cette  dernière  assertion,  c'est  qu'à  l'époque  des 
guerres  civiles,  où  le  nom  des  Caracates  est  cité  par 
Tacite,  cette  colonisation  n'avait  point  encore  eu  lieu 
dans  cette  partie  de  la  Germanie.  Ainsi,  rien  ne 
prouve  que  ces  Caracates  aient  été  des  habitants  tirés 
des  Gaules.  Mais,  quant  à  l'opinion  de  l'auteur  qui 
assigne  ce  territoire  pour  demeure  à  cette  peuplade, 
elle  a  pour  elle  une  grande  probabilité ,  quelque 
fausses  que  soient  les  assertions  sur  lesquelles  il  s'ap- 
puie pour  la  soutenir.  Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est 
que  Ptolémée  place  les  Vangiones  sur  la  rive  gauche 
du  Rhin ,  et  que  sur  la  rive  droite  du  fleuve ,  sous 
les  Usipètes,  il  place  les  Vargiones  et  une  autre  na- 
tion qu'il  désigne  sous  le  nom  de  Karithnes.  Ces  Ka- 
rithnes,  selon  le  géographe  d'Alexandrie,  occupant 
la  rive  droite  du  Rhin  justement  vis-à-vis  des  Van- 
giones de  la  rive  gauche,  on  pourrait  avec  raison  se 
prévaloir  de  cette  autorité  pour  demander  si  cette 
peuplade  ne  doit  point  être  considérée  comme  la 
même  que  celle  à  qui  Tacite  a  donné  le  nom  de  Ca- 
racates. 

L'historien  latin  est  le  seul  qui  ai  t  mentionné  ces  der- 
niers en  décrivant  les  guerres  civiles  de  Tutor  et  de 
Classicus,  comme  Ptolémée  est  le  seul  qui  ait  fait  men- 
tion des  Karithnes  dans  ses  pages  géographiques. Ta- 
cite ,  en  parlant  des  Triboques,des  Vangiones  et  des 
Caracates,  donne  à  entendre  que  ces  trois  nations 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  333 

élaientconfédérées.Maiscen'estpointune  raison  pour 
qu'elles  aient  habile  3a  même  rive,  et  qu'il  faille  placer 
les  Caracates  exactement  au-dessus  des  Van^iones 
sur  la  rive  gauche  du  Rhin.  Si  les  Caracates  avaient 
effectivement  eu  celte  position,  Pline,  qui  décrit 
toutes  les  nations  de  la  rive  gauche  du  Rhin,  n'aurait 
certainement  pas  manqué  d'en  parler.  Son  silence, 
comme  celui  de  César,  comme  celui  d'Ammien  AJar- 
cellin,  d'Eunapiiis  et  des  autres  historiens  grecs  et 
romains,  tend  à  confirmer  l'opinion  que  celte  peu- 
plade était  voisine  des  Vangiones,  mais  quelle  était 
séparée  d'eux  parle  Rhin  ;  ei  il  faut  déduire  des  deux 
passages  de  Ptolémée  et  de  Tacite  que  les  noms  de 
Karithnes  et  de  Caracates  qu'ont  employés  le  géo- 
graphe grec  et  l'annaliste  romain  désignent  la  même 
nation. 

Ce  petit  peuple  a,  du  reste,  joué  un  rôle  insigni- 
fiant dans  l'histoire.  Son  nom,  depuis  l'époque  où  il 
retentit  une  fois  dans  les  pages  du  célèbre  historien, 
n'est  plus  jamais  mentionné,  et  il  disparut  lui-même 
du  sol  où  il  vécut,  soit  que  des  circonstances  incon- 
nues aient  amené  sa  dissolutiou ,  soit  que  la  colonisa- 
tion que  Rome  entreprit  plus  tard,  quand  elle  eut 
tracé  la  limite  du  Taunus  et  du  Mein ,  l'ait  forcé  à  se 
confondre  dans  la  coalition  allemanique'.  Quoique  le 
pays  qu'il  semble  avoir  habité,  depuis  l'embouchure 
du  Mein  jusqu'à  celle  du  Xecker,  présente,  comme 
je  l'ai  dit,  moins  de  vestiges  de  cette  colonisation 


'  Voy.  ci-avaiu  première  partie  de  ce  Mémoire,  p.  78. 


334  ÉTABLISSEMEINTS  ROMAINS 

protectrice  que  les  lieux  élevés  du  Mein  et  de  l'Oden- 
wald ,  il  y  en  existe  encore  assez  de  traces. 

Michelstadt  a  offert  quelques  antiquités  romaines; 
dans  la  vieille  tour  qui  en  rend  l'aspectsi  pittoresque, 
on  voit  encoreune  figure  de  Mercure  que  les  ouvriers 
du  moyen  âge  y  ont  enclavée'. 

Aux  environs  de  Kœnig  furent,  en  fouillant  le  sol, 
découverts  quelques  restes  de  bâtisses  romaines. 

A  Stockheim,  en  déblayant  d'antiques  décombres, 
fut  trouvée  une  monnaie  de  Vespasien. 

A  Reiclienbach  est  encore,  dans  une  antique  car- 
rière de  granit,  placée  sur  le  sol  où  elle  resta  ina- 
chevée, une  colonne  gigantesque  qui  nous  rappelle 
l'époque  romaine^. 

Sur  le  revers  occidental  des  montagnes  quelques 
tours  d'observation  furent  placées  comme  sur  l'Ab- 
noba;  et  sans  doute  la  hauteur  qui  domine  Schries- 
heim,  lieu  uni  à  l'établissement  de  Ladenbourg,  et 
dans  les  environs  duquel  on  découvrit  un  bain 
antique ,  un  caveau  sépulcral ,  des  monnaies  et 
d'autres  antiquités  ^  en  soutint  une ,  ainsi  que  le  som- 
met qui  domine  la  Weschnilz\  celui  qui  domine  le 


'  On  peut  en  lire  les  inscriptions  dans  les  Act.  Acad.  Theod.  Pâ- 
lot.^ t.  I,  p.  204,  et  en  voir  la  représentation  dans  le  t.  ii,  pi.  10  du 
même  ouvrage. 

2  Elle  a  31  pieds  8  pouces  de  long  et  depuis  4  pieds  6  pouces  jus- 
qu'à 3  pieds  10  pouce§  de  diamètre. 

3  Voy.  sur  ces  antiquités,  Creuzer  :  Zur  Geschichte  ait  rôinischer 
Cultur  am  Necker,  p.  54  et  sv.,  et  Haefelin  :  Dissertaiio  de  balneo 
romano  in  ngro  lupodunensi  reperto,  dans  les  Act.  Acad.  Theo-t. 
Palat.,  t.  ni,  p.  21. S  et  sv. 

4  Windeck. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  335 

Hambach  Set  sans  doute  aussi  le  revers  du  Mélibocus, 
au-dessus  de  la  position  si  forte  de  Zwingenberg. 
Waldstatt,  dans  le  bailliage  de  Ladenbourg,  Ka3fer- 
thal ,  près  de  Mannheim,  ont  aussi  fourni ,  le  premier_, 
quelques  monnaies,  le  second,  des  débris  de  poteries 
romaines. 

Les  parties  les  plus  exhaussées  de  la  plaine  reçurent 
aussi  quelques  établissements;  et  nous  trouvons  à 
Dornheim  une  pierre  qui  nous  prouve  qu'au  milieu 
des  colons  gaulois,  des  colons  d'origine  romaine 
eurent  aussi  des  possessions^. 

Dornheim  était  posée  sur  la  rive  de  l'ancien  lit  du 
Necker,  ainsi  que  Tribur,  lieu  celtique,  qui  plus  lard, 
au  neuvième  siècle ,  joua  un  rôle  important,  et  dont 
la  tradition  à  cette  époque  vantait  la  grandeur  qu'il 
avait  eue  sous  les  Romains  \ 

Le  Mein,pour  recevoir  le  Necker,  se  partageait 
en  deux  bras  à  Raunheim;  il  formait  une  courbe  au 
sud,  et  allait,  grossi  de  ses  ondes,  se  jeter  dans  le 
Rhin  à  Ginsheim.  Pendant  les  grandes  crues  d'eau,  il 
pénètre  encore  parfois  dans  cet  ancien  lit  qu'il  sub- 
merge; et  il  est  assez  probable  que,  du  temps  des  Ro- 
mains, ce  lit  n "était  encore  jamais  à  sec.  Cependant 
son  cours  principal  dut  déjà  alors  être  celui  qu'il 
suit  aujourd'hui ,  et  c'est  aussi  sur  la  pointe  sud  qu'il 


'  Starkenbourg. 

2  Celte  inscription  est  sur  une  pierre  tuniulaire,  élevée  par  un  fils, 
du  nom  de  Firmus,  à  sa  mère  Florentine,  dont  il  esl  l'héritier.  Voy. 
Winkelmann  ,  ouvr.  cité,  p.  106. 

^  On  n'y  a  pas  cependant ,  que  je  sache ,  trouvé  d'antiquités  ro- 
maines. 


336  ÉiABLlSSEMEiMS  KOMAINS 

forme  en  se  jetant  dans  le  Rhin  à  Costheim,  que 
furent,  en  1632,  trouvées  les  ruines  de  l'ancien  fort 
romain  destiné  à  protéger  cette  embouchure.  On  a 
écrit  que  la  construction  de  ce  fort  en  cet  endroit 
prouve  en  faveur  de  l'ancien  cours  du  Mein  plus  au 
sud,  à  l'époque  dont  nous  nous  occupons.  i^Jais  je 
crois  bien  plutôt  qu'il  prouve  en  faveur  de  ce  que  je 
viens  d'émettre  :  que  le  bras  principal  de  celte  ri- 
vière dut  déboucher  en  ce  lieu.  Car  je  ne  vois  pas  de 
quelle  nécessité  il  eût  été  pour  Rome  de  placer  un  fort 
sur  le  Rhin  à  une  distance  si  rapprochée  du  fort  de 
Cassel  et  de  la  cité  des  Mattiaques,  s'il  n'eût  pas  été 
destiné  à  défendre  l'abord  de  cette  rivière  dans  le 
fleuve.  La  vingt-deuxième  légion  est  la  seule  troupe 
qui  ait  laissé  des  inscriptions  à  Costheim  ';  on  a  aussi 
retrouvé  dans  ses  ruines  deux  autels ,  1  un ,  dédié  à  Ju- 
non,  à  Minerve,  à  Hercule  et  à  Mercure,  l'autre,»  Ju- 
non  et  à  Jupiter;  le  second  porte  pour  date  l'an  2 1 7  de 
Jésus-Christ,  la  dernière  année  du  règne  de  Caracalla  ^. 
Les  traces  d'un  autre  castel  se  remarquent  à  Amae- 

'  Voy.  Lehne,  inscript.  222  et  232,  p.  209  et  232  du  2^  vol. 

2  I.  0.  xM.    E.  IVNO 

M  REGINE 

CL.  QVART.  . 

NVS.  SIVT.  EDV 

EX.  VOTO.  IN 

SVO.  P.  PREve 

NT.  3  .  E\T/- 

ICATO.  Cos 

V.  S.  L.  L.  M. 
....  Sous  le  consulat  de  Pre.sens  et  d'Extricalus. 


DU  RHIN  ET  nu  DANUBE.  337 

iiebourg,  du  colé  opposé  du  fort  de  Drusus.  Il  n'est 
pas  invraisemblable  que  ces  deux  fortins  aient  été 
construits  simultanément  avec  la  grande  place  de 
guerre,  afin  de  la  protéger,  système  de  défense  que 
nous  aurons  occasion  de  signaler,  plus  tard,  de 
l'autre  côté  du  Rhin ,  aux  fortifications  de  Mayence. 

Amœnebourg  couvrait,  en  avant  de  Cassel ,  la  route 
qui  conduisait  aux  bains  Mattiaques,  lieu  qui  est 
mentionné  par  l'historien  \  et  que  Pline  cite  aussi 
dans  ses  pages  éloquentes-. 

Il  est  hors  de  doute  que  le  Wiesbade  moderne  ne 
soit  le  bain  antique  dont  parle  ce  dernier  auteur, 
qui  vante  surtout  la  chaleur  extrême  de  ses  eaux 
thermales.  Rome  mit  ces  eaux  à  profit,  et  bâtit  les 
thermes  dont  les  débris  ont  été  retrouvés  sous  le  sol, 
en  même  temps  que  l'inscription  qu'un  centurion  de 
la  Foptième  légion  Alexandrine,  troupe  dont  on  a 
aussi  retrouvé  quelques  tombes,  fit  un  jour  buriner 
sur  une  pierre  en  l'honneur  d'Apollon  Toutiorige^. 

*  Tacite,  Ânn.,  i,  56,  xi;  20.  —  Amm.  Marcel.,  xxix,  4. 

2  tSicnt  et  Mattiaci  in  Germania  Jontes  calldi,  quorum  haus- 
ttus  triduo  fervef,  circa  viargines  vero  pumicem  feriunt  aqux.n 
Pline,  Hist.  nat.,  xxxi,  17, 

3  IN.  H.  D.  D 
APOLLIM.  TOV 

TIORIGI 
L.  MARIMVS 

MARIMA 
NVS.  9.  LEG.  VU 
GEM.  P.  F.  Alexand 
D.  D.  D.  FORTViNAE.  VO 
TI.  COMPOS 

y4pollini  Toufioriyi,  L.  Marînins  Marinkmus ,  Centurîo  legionis 

22 


338  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Mercure  Cissonius  y  fut  aussi  invoqué  '.  D'autres  ins- 
criptions en  l'honneur  de  Jupiter,  de  Junon  et  d'Her- 
cule, y  ont  aussi  été  rencontrées,  jetées  dans  les  débris 
de  deux  bassins  dont  les  voûtes  ont  été  retrouvées 
intactes.  Des  monnaies,  d'autres  antiquités  y  ont 
aussi  été  mises  au  jour;  et  tout  fait  présumer  que  ce 
lieu  n'a  pas  été  l'un  desmunicipes  les  moins  impor- 
tants du  Taunus. 

Parmi  les  pierres  tumulaires  qui  y  ont  été  dé- 
terrées, étaient  celle  d'un  vétéran  de  la  quatorzième 
légion^,  et  celle  d'un  autre  soldat  de  la  deuxième 
cohorte  rhétique^  soit  que  ces  troupes  y  aient  un 

Flly  geminx,  piœ,  fiddis ,  Àlexandrinx  (sans  doute  effacé  par  les 
partisans  de  Maximin),  doymm  dedicavit  Fortunxvoti  compos. 

1  MERCYRIO 

CISSONIO 
ARAM. 
VT  E\ï .  .  . 
....  ICTO 


L.  VETVRIVS.  P.  F 
YOT.  PLAC 
PRIMVS  VEXER 
EX  LEG.  XIIII 
GEM. 
H.    S.    E. 

Q 
VlilVS.  AGi 
VSTVS.  RAETvS 
MIL.  C0H.¥RAET 
AN.  XXX.  STtXllI 
IT.     F.     C. 


DU  RIIIN  ET  DU  DANUBE.  339 

jour  été  placées,  soit  que  ces  soldais  aient  trouvé  la 
mort  en  ces  lieux,  où  le  soin  de  leur  santé  pouvait 
les  avoir  appelés.  Un  vétéran  de  la  vingt-deuxième 
légion  y  a  aussi  laissé  un  souvenir  de  son  trépas. 

Au-dessus  de  la  ville,  oii  la  renommée  de  ses 
thermes  a  dû,  comme  aujourd  hui ,  attirer  les  étran- 
gers, les  Romains  avaient  bàli  un  castel  protecteur; 
il  existe  encore  à  Bûrstaîdt,  village  tout  rapproché 
de  Wiesbade,  une  vieille  tour  qui ,  selon  toute  pro- 
babilité, servait  sous  eux  de  tour  d'observation.  Sur 
le  chemin  qui  unit  les  deux  lieux  a  été  trouvée  une 
autre  inscription  de  Mercure,  qui  est  d'autant  plus 
intéressante,  que  ce  n'est  plus  sous  le  nom  celtique  de 
Cissoniusque  le  dieu  y  est  invoqué, mais  sous  celui  de 
Nundinator  ou  dieu  des  marchés'.  La  pierre  qui  sup- 
porte 1  inscription  nous  offre  deux  figures  assez  gros- 
sièrement taillées,  tenant  chacune  le  caducée.  L'une 
d'elles  ne  peut  être  que  Mercure,  et  sans  doute  celle 
qui  l'accompagne  est  la  déesse  Nundina,  divinité 
dont  l'existence  nous  est  attestée  par  Macrobe^.  On 
sait  qu'avant  de  compter  par  semaines  ou  espace  de 
sept  journées,  les  Romains  comptèrent  d'abord  par 
périodes  de  huit  jours,  au  bout  desquels  venait  le 
jour  du  marché,  espace  de  temps  qui  reçut,  ainsi  que 
le  jour  de  marché  même,  le  nom  de  Nundinœ.  La 
déesse  qui  accompagne  Mercure  Nundinator,  armée 


*  DEO.  MERCVRIO 

NVNDINATORI. 

-  Macrobe,  Satiirn  ,  i,  G. 

I  22. 


340  ÉTABLISSEMEINTS  ROMAINS 

comme  lui  du  caducée,  ne  peut  être  que  la  divinité 
qui  présidait  avec  lui  aux  transactions  commerciales 
de  cette  neuvième  journée ,  par  conséquent ,  la  déesse 
Niindina. 

Un  autre  municipe  du  Taunus  dut  s'élever  sur 
l'emplacement  de  Kronberg,  lieu  où  nous  trouvons 
les  deux  duumvirs  ou  magistrats  municipaux,  éri- 
geant le  18  octobre  de  l'an  204,  et,  par  conséquent, 
sous  le  règne  d'Alexandre  Sévère,  une  pierre  votive 
au  dieu  Mars. 

C'était,  comme  on  sait,  le  19  que  se  célébrait 
dans  tout  l'Empire  la  grande  fête  militaire  où  ce 
dieu  était  invoqué,  et  probablement  ce  fut  la  veille 
de  cette  solennité  que,  pour  en  conserver  le  souve- 
nir, cette  inscription  fut  gravée  ^ 

Kronberg,  placé  en  arrière  de  la  ligne  fortifiée 
de  la  Nidda,  était,  par  sa  position  élevée,  dominant 
au  loin  toute  la  plaine,  d'une  importance  majeure 
comme  place  de  guerre,  et  sans  doute  ce  fut  autour 
du  castel  qui  paraît  avoir  été  bâti  dès  les  premiers 
temps  de  l'occupation  romaine  (s'il  n'est  pas  lui- 


Marfl. 


ET.  CASS.  PO 

TENTLNVS 

IIVIR.  CILONE 

ÎI.  ET.  LIBONE 
COS.  XV 
KAL.  NO. 


Apion,  luscnpf.  sacros.  retusf.,  p.  cr.ccxxxxvi. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  34  1 

même  le  fort  que  Drusus  posa  sur  ces  hauteurs  et 
que  Germanicus  rétablit'),  que  se  forma,  peu  à  peu, 
une  bourgade. 

Ces  diverses  villes,  si  rapprochées,  qui  se  succé- 
daient à  une  si  faible  dislance  l'une  de  l'autre , 
prouvent  une  population  forte,  aisée,  et  trouvant  le 
bien-être  sous  l'appui  des  institutions  romaines  dont 
nous  la  voyons  dotée.  Car  autour  de  ces  villes  des  vil- 
lages ont  dû  exister;  aussi  trouvons-nous çà et  là,  ici 
quelques  fragments  d'inscriptions^,  là  quelques  mon- 
naies, quelques  tombeaux,  qui  annoncent  que  par- 
tout, dans  les  vallées  comme  sur  les  plateaux  des 
montagnes,  celte  population  s'était  répandue. 

Saalbourg  était  le  troisième  castel  qui,  au  nord, 
flanquait  lextrémité  des  fortifications  de  la  \idda, 
aux  frontières  que  Rome  s'était  tracées;  nous  trou- 
vons dans  ses  ruines  diverses  briques  et  une  inscrip- 
tion qui  prouve  qu'en  214  la  quatrième  cohorte  des 
Vindéliciens  y  était  en  garnison  ^ 

Cette  ligne,  primitivement  fondée  par  Drusus,  mise 
plus  lard  à  profil  par  Trajan  et  agrandie  par  Adrien, 
se  prolongea,  comme  nous  l'avons  vu  plus  avant,  et 
forma  une  courbe  jusqu'à  la  Kinzig.  Tout  ce  tor- 
rent, ainsi  que  la  Nidder  et  la  Wetler,  dont  ce  rem- 
part renferma  les  bassins,  contiennent  encore  des 


'  Peut-èlre  rAiclauuum  de  Plolcmée.Voy.  sa  Giofjr.,  1.  ii,  c.  11. 

'  Ainsi,  par  exemple ,  à  Niederlicderbach ,  où  dans  le  mur  de  l'église 
est  enclavée  une  pierre  qui  remonte  à  une  époque  bien  reculée,  puis- 
qu'elle fut  élevée  par  la  cinquième  légion.  Voy.  Winkelmann,  ouvi-, 
cité,  p.  146. 

•^  Lchne,  inscript.  l-2(>. 


342  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

vestiges  de  l'anlique  colonisation  romaine.  Les  en- 
virons de  Hanau  ont  livré  une  foule  de  petites  anti- 
quités et  même  des  monnaies  qui  prouvent  que  vis- 
à-vis,  et  sous  la  protection  du  castel  qui  s'éleva, 
comme  nous  l'avons  dit,  à  l'embouchure  de  la  Kinzig 
dans  le  Mein,  levai  fut  cultivé.  Près  de  Rûckingen 
était  placé  un  autre  castel ,  au  sein  des  ruines  duquel 
on  découvrit  les  restes  dun  bain  antique  où  coule 
aujourd'hui  une  fontaine  d'eau  pure.  Toute  la  colline 
sur  laquelle  ce  castel  était  posé,  et  dont  la  superficie 
présente  une  étendue  de  trente  à  quarante  arpents, 
offre  d'anciennes  murailles  sitôt  qu'on  en  fouille  le 
sol. 

La  plus  grande  partie  des  monnaies  qui  y  ont  été 
trouvées  datent  des  règnes  de  Trajan  et  d'Adrien; 
malheureusement,  que  je  sache,  nulle  inscription  n'y 
a  encore  été  jusqu'ici  mise  au  jour. 

Altenhaslau,  Cassel  et,  entre  les  deux  torrents  de 
la  Nidder  et  de  la  Nidda,  Altsljedt,  sont  autant  de 
lieux  romains  où  des  fouilles  pourraient  être  faites 
avec  intérêt. 

Je  ne  m'arrêterai  pas  aux  différents  camps  que 
j'ai  mentionnés  en  faisant  la  description  du  grand 
rempart,  et  dont  celui  d'Arnsbourg  et  celui  de  Butz- 
bach,  au-dessus  de  la  petite  ville  de  ce  nom,  pré- 
sentent encore  des  ruines  assez  apparentes.  Ils  pro- 
tégeaient, au  nord  ,  la  grande  limite  qui  embrassait 
tout  le  val  de  la  Wetter,  et  qui,  à  l'est,  allait  par 
Utphe  aboutir  à  la  Kinzig. 

Le  camp  de  Bulzbach  a  offert  une  inscription  à 
Junon,  et  différentes  monnaies,  dont   une   entre 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  343 

autres  de  Trajan^  Ce  lieu  devint  plus  tard  la  métro- 
pole des  Bucinobantes,  peuple  qui,  lorsque  Rome 
eut  abandonné  le  pays,  fit  partie  delà  coalition  alle- 
manique. 

Nous  avons  vu,  en  décrivant  les  guerres  de  Valen- 
linien  I,  ce  prince,  pour  contrebalancer  le  pouvoir 
de  Macrien,  offrir  à  Fraomar  la  souveraineté  des 
montagnes  et  des  vallées  que  cette  nation  recouvrait 
jusqu'au  Mein^. 

A  gauche  de  Saalbourg,  et  protégeant  l'abord  du 
Taunus,  étaient  les  quatre  autres  camps  de  Reiffen- 
berg,  d'Heftrich,  de  Libach  et  de  Kemel. 

Près  de  l'avant -dernier  ont  été  trouvées  trois 
pierres,  de  date  différentes,  l'une  dans  les  environs 
d'Idstein, l'autre  non  loin  de  Neuhof,  et  la  troisième 
à  Libach  même;  elles  prouvent  que  pendant  une  assez 
longue  période  d'années  les  Tréviriens  furent  canton- 
nés sur  celte  partie  du  grand  rempart.  Une  de  ces 
pierres  est  surtout  du  plus  grand  intérêt  historique, 
en  ce  qu'elle  montre  évidemment  tout  le  soin  qu'A- 
lexandre Sévère, dès  son  élévation  à  l'empire,  eut  de 
remettre  en  état  ces  fortifications. 

Déjà  douze  ans  auparavant,  un  nombre  de  Trévi- 
riens avait  élevé  au  génie  protecteur  de  leur  nation 
une  pierre  votive 3.  Par  une  autre  inscription,  ils 

1  Winkelraann,  ouvr.  cité,  p.  185. 

2  Yoy.  ci  avant,  première  partie,  p.  120. 

3  IN  H.  D.  D.  GEN.  TR. 
GEMIANO.  ET.  BASSO.  COS. 

....  Sous  le  consulat  de  Gentiane  et  de  Bassus,  par  conséquent,  en 
211. 


344  ÉTABLISSEMENTS  ROiMAlNS 

voulurent  instruire  la  postérité  que  par  eux  quatre- 
vingt-seize  pieds  d'étendue  de  la  muraille  venaient 
d'être  élevés ^  On  sait  que  ce  mot  Numerus  désigna 
d'abord  simplement  l'état  qui  contenait  les  noms  des 
nouvelles  recrues,  et  que  plus  tard  ce  nom  fut  donné 
à  un  certain  nombre  d'hommes  nouvellement  en- 
rôlés et  commandés  par  des  officiers  légionnaires. 
Nous  avons  déjà  vu  de  telles  troupes  de  Bretons  pos- 
tées sur  rOdenwald.Ces  recrues  étaient  exercées  au 
maniement  des  armes,  jusqu'à  ce  qu'assez  instruites, 
on  en  formât  des  cohortes^  Or,  c'est  sous  ce  nom 
de  Numerus  qu'elles  nous  apparaissent  ici ,  placées 
à  l'époque  où  Alexandre  Sévère  prit  à  charge  de 
rétablir  le  rempart  pour  contenir  les  Allemanes^; 

t  PED.  N.  TREYEROR 

VM.  P.  LXXXXVI. 
SVB.  CVR.  AGENTE.  GRES 
CENTIiNO.  RESPEGTO.  S. 
LEG.  VIII.  AVG. 

Pedites  Numeri  Treverorum  passus  XCFI,  sub  curam  agente 
Crescentino  Respect o^signifero  leglonis  FIIl  Âugustx..  .  . 

2  Ce  ne  fut  que  vers  les  derniers  temps  de  l'Empire  que  souvent  les 
mots  de  cohors  et  de  numerus  furent  synonymes.  Voy.  la  Notifia 
imperii. 

3  IMP.  CAES.  M.  aureUo 
Serero  Alexandro.  PIO 
FELICI.  AVG.  PONTIFICI.  MA 
XIMO.  TRIBVNIC.  POTESTATIS 
COS.  P.  p.  PRO.  salute  ejos  coW 
TREVEROR'-M.  alexandrina 
EO.  DEVOTA.  hoc.  mon.  d.  d. 
MVRVM.  KQgeremque.  rest. 
MAXLMO.  ET.  yElianu.  Cos. 

,.. Sous  le  consulat  de  Maxime  cl  d'.Elien,  par  conséciuciil,  ('n223. 


DU  RIIIN  ET  DU  DANUBE.  345 

ces  jeunes  soldats  recevaient  donc  dans  les  camps  de 
la  frontière  toute  leur  éducation  militaire. 

A  Kemel,  le  rempart  forme  un  angle  analogue  à 
la  courbe  que  forme  le  Rhin,  et  se  prolonge  au  nord 
dans  la  direction  de  ce  fleuve. 

C'est  en  arrière  que  s'étend  le  Rhingau,  pays  de 
collines,  dont  les  ramifications  viennent  toucher  le 
Taunus,  et  dont  les  riches  vallées,  dont  les  plaines 
fertiles  doivent  aux  Romains  leur  culture,  leurs  vi- 
gnobles. La  colonisation,  comme  dans  tous  les  can- 
tons que  nous  avons  parcourus,  y  suivit  l'occupation 
militaire ,  et  c'est  autour  des  établissements  militaires 
que  le  grand  peuple  y  fonda,  que  se  sont  élevées  plus 
tard  des  villes  et  des  bourgades. 

Eltwil  sur  le  Rhin  fut  de  ce  nombre. 

C'estle  deuxième  fort  que  les  Romains  avaient  posé 
sur  le  fleuve  au  delà  du  castel  de  Drusus.  Dans  les 
vignobles  qui  recouvrent  les  environs  de  Schierstein, 
la  pioche  à  mis  plus  d'une  fois  à  nu  des  monnaies  de 
Marc  Antoine  et  de  son  père  Lucius;  il  n'est  pas  in- 
vraisemblable que  pendant  le  séjour  du  triumvir  dans 
les  Gaules,  et  lorsque,  quelques  années  plus  tard. 
Agrippa  vint  s'interposer  entre  les  Suèves  et  les 
Ubiens,  ces  hauteu  rs  aient  déjà  vu  l'aigle  romai  ne.  Une 
inscription  intéressante  fut  découverte  à  Frauenstein  S 

1  MARTI  LEVCETIO 

PRO  SALVTE.  IMP 
DOMINI.  N.  AVG.  PII. 
Q.  VOCCOMVS.  VITV 
LYS.  >   LEG.  XXII.  PR. 
P.  F.  PONENDVM 
OVRAVIT. 


346  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

non  loin  de  ce  lieu.  Un  centurion  de  la  vingt- 
deuxième  légion,  du  nom  de  Vitulus,posa  là  unautel 
au  dieu  Mars  Leucélien,  en  l'invoquant  pour  le  salut 
de  l'empereur  Antonin-le-Pieux,  à  l'occasion,  sans 
doute,  du  secours  que  ce  prince  envoya  à  la  colonie 
milésienned'01bia\  que  tout  à  coup  les Tauroscy thés, 
peuple  de  la  Chersonèse  Taurique,  étaient  venus  at- 
taquer. 

La  nouvelle  de  cette  expédition  était  parvenue 
sur  le  Rhin  ;  et  ce  fut  au  dieu  Mars ,  adoré  dans  l'île 
de  Leucé^  qu'il  fut  alors  sacrifié,  pour  remercier  ce 
dieu,  protecteur  du  Pont-Euxin,  d'avoir  été  propice 
aux.  armes  romaines. 

Plus  au  nord,  à  Marienhausen ,  était  au  moyen  âge 
enclavée  dans  le  cloître  du  couvent^  une  autre  pierre 
romaine,  consacrée  à  Jupiter  Sérapis  et  Céleste,  à  la 
Fortune  et  au  génie  protecteur  du  lieu  où  cette  pierre 


1  Située  sur  le  Pont-Euxin.  Pline  en  parle  comme  d'une  ville  grande 
et  commerçante. 

Voy.  les  Antiquités  grecques  du  Bosphore  cimmérien,  publiées 
et  expliquées  par  Raoul  Rochette,  p.  la,  16. 

2  Strabon  {Géogr.,  mi,  c.  3,  §  IG)  rapporte  que  l'ile  de  Leucé  était 
consacrée  à  Achille ,  et ,  selon  la  fable ,  son  ombre  errait  sans  cesse 
au-dessus  de  ce  récif. 

Son  culte  était  répandu  tout  le  long  du  Bosphore ,  oîi  il  était  adoré 
sous  le  nom  de  Poniarqtie  (Pline,  IJisf.  nat.,  iv,  12).  11  n'est  pas  in- 
vraisemblable que  ce  soit  ce  héros  même  qui  ait  été  invoqué  sur  cette 
pierre  sous  le  nom  de  3fars  Leucétien. 

3  Voy.  Annalen  des  ïereins  fur  Nassauische  Jlterthumshunde, 
l.  \,  S'-cah.,  p.  12. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  347 

avait  été  élevée'.  Comme  ce  n'était  qu'aux  divinités 
présidant  aux  planètes  que  l'épithète  de  Céleste  était 
donnée,  c'est  comme  dieu  Soleil  que  le  maître  des 
dieux  nous  apparaît  ici.  Le  centurion  qui  fit  graver 
cette  inscription  était  de  la  quatrième  légion  Macé- 
donienne ,  légion  qu'Auguste  envoya  en  Orient ,  et 
qui  plus  tard  revint  sur  le  Rhin  et  prit  à  Mayence  le 
parti  de  Vitellius^  Elle  suivit  cet  empereur  en  Italie 
et  revint  encore  dans  les  Gaules,  où  nous  la  voyons, 
pendant  les  guerres  de  Civilis,  voler  au  secours  de 
Mayence,  attaquée  par  les  Cattes,  les  Usipètes  et  les 
Mattiaques^ 

Les  ruines  d'où  celte  pierre  a  été  tirée  n'ont  pu 
être  éloignées  du  lieu  où,  au  moyen  âge,  le  cloître 
fut  construit. 

Nous  touchons  le  val  de  la  Wisper,  à  l'entrée  du- 
quel les  Romains  avaient  posé  un  castel  pour  pro- 

1  I.  0.  M.  SERAPI 
CÂELESTI.  FOR 
TVN.  T.  GEMO 
LOCI.  P.  LICIM 
VS.  PAL.  TR.  > 
LEG.  m.  M.  P. 
PRO.  SE.  SVIS 
Q.  V.  L.  L.  C. 

palatime  tribus,  centurio  legionis  IIII  macédonien,  pro  se 

suisque  voti  libens  lubens  cotnpos. 

Apparet,  Serapis  et  Solis  unam  et  îndividuam  esse  naturam. 
Macrob.  i,  20. 

2  Tacite,  Hist.,  i,  55. 

'^  Tacite,  Hist.,  iv,  37. 


348  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

léger  l'embouchure  de  ce  petit  torrent  dans  le  fleuve. 
Plus  haut,  quelques  restes  de  retranchements,  proches 
de  Lipporn,  sur  un  plateau  d'où  la  vue  peut  embras- 
ser toute  la  contrée,  s'ils  ne  sont  pas  antérieurs  aux 
Romains,  ont  du  moins  été  mis  aussi  à  profit  par 
eux. 

L'angle  du  rempart  était  soutenu  en  arrière  parles 
fortifications  qui  au  bord  du  Rhin  se  prolongeaient 
de  distance  en  distance  à  Caub\  à  Camp,  à  Ehren- 
breitstein^,  à  Engers,  où  existait  une  tête  de  pont"\  et 
enfinàNeuwied,  tous  lieux  où  les  Romains  ont  laissé 
quelques  souvenirs  de  leur  présence,  tandis  que  sur 
le  rempart  même  le  camp  de  Holzhausen,  près  du 
village  de  Pohl,  et  celui  de  Marienfels,  où  la  vingt- 
deuxième  légion  a  aussi  laissé  quelques  traces  de  son 
séjour  \  et  dont  les  décombres  que  le  sol  aujourd'hui 
recouvre,  annoncent,  par  l'étendue  du  terrain  où  ils 
sont  enfouis,  un  établissement  considérable,  flan- 
quaient, avec  ceux  de  Kehlbach  et  de  Bechel,  cette 
ligne  depuis  la  Lahn  jusqu'au  Taunus. 

Entre  Ems  et  Fachbach  la  plaine  renferme  encore 
des  traces  d'un  autre  établissement. 


1  Voy.  la  description  de  ces  lieux  dans  les  Annalen  des  rereins 
fiir  Nassaiùsche  Alterthunukunde ^  1. 1,  2^  cah.,  p.  197. 

2  Ce  fut  sur  les  ruines  du  camp  romain  que  la  forteresse  du  moyen 
âge  fut  élevée. 

3  Quelques  vestiges  de  ce  pont  ont  encore  été  retrouvés  à  Kaltcn- 
Engers ,  sur  la  rive  opposée. 

*  Voy.  Bericht  ilberd'œ  Vntersuchuiuj  des  rùmischen  Castrum  bel 
Marienfels ,  par  le  curé  Briukmaiin  ,  dans  les  Jnnulen  des  f  ereins 
fur  Nassauische  AUerthumskunde ^  t.  i,  1*'  cah.,  p.  Idcisv. 


DU  RniN  ET  DU  DANUBE.  349 

C'était  du  côté  opposé  de  la  Lahn,  sur  une  col- 
line élevée,  que,  vis-à-vis  des  thermes,  était  posé  le 
castel  destiné  à  protéger  le  rempart  sur  cette  rivière 
dont  il  embrasse,  en  effet,  la  courbe,  et  au  delà  de  la- 
quelle la  ligne  va  s'appuyer  sur  le  Kattenbach  ^  et  joint 
le  fort  d'Alteck. 

C'est  là  que  commence  à  s'étendre  le  bassin  de 
Neuwied,pays  fertile,  où  de  bonne  heure  les  Ro- 
mains se  plurent  à  entasser  leurs  fortitlcations,  et 
qui  fut,  en  effet,  toujours,  dans  les  temps  antiques 
comme  dans  les  temps  plus  rapprochés,  le  pivot  sur 
lequel  toutes  les  armées  qui  passèrent  le  Rhin  ma- 
nœuvrèrent, soit  pour  menacer  au  nord  la  Lippe  et 
le  Weser,  soit  pour  opérer  au  sud  sur  la  Lahn  et  le 
Mein. 

Le  triple  barrage  que  présente  la  limite  romaine, 
en  avant  de  ce  bassin,  à  Rengsdorf  et  non  loin 
de  Neustadt  sur  la  Wied,  et  les  travaux  de  fortifica- 
tions dont  les  restes  peuvent  encore  être  étudiés 
proche  d'Hiimrich  et  de  Jahrsfeld,  et  au  delà  de  la 
Wied,  près  de  Flammersfeld,  son  tau  tant  de  témoins 
qui  nous  attestent  l'importance  stratégique  que  Rome 
attachait  à  l'occupation  de  cette  vallée.  Les  diverses 
redoutes  élevées  sur  tous  ces  points  ne  pouvaient 
être  alimentées  de  troupes,  qu'autant  qu'en  arrière 
s'élevât  une  place  d'armes  considérable,  capable  de 
les  soutenir. 


*  Près  du  village  du  même  nom  ont  souvent  été  trouvées  des  mon- 
naies romaines  et  d'autres  antiquités.  A  plusieurs  reprises  aussi  la 
charrue  du  laboureur  y  a  heurté  des  restes  de  murailles  enfouies  sous 
le  sol. 


350  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Or,  c'est  sur  la  Wied  même,  proche  de  sa  jonclion 
avec  l'Autebach,  à  une  petite  lieue  environ  du  Rhin 
et  à  la  même  distance  du  grand  rempart,  que,  sur 
une  surface  que  parcourt  aujourd'hui  la  charrue, 
une  telle  forteresse  avait  été  posée.  Sur  ses  ruines 
qui  ne  paraissent  avoir  été  produites  que  sous  le  règne 
de  Gallien,  puisque  c'est  depuis  Auguste  jusqu'à  cet 
empereur  que  descendent  les  monnaies  qui  y  ont  été 
trouvées,  s'étend  le  petit  village  de  Niederbiber.  Les 
murailles  de  l'antique  enceinte  formaient  un  carré 
de  840  pieds  de  long  sur  631  de  large,  dont  les 
angles  étaient  arrondis,  et  qui  était  défendu  par  des 
tours  fortes,  larges  de  10  pieds  et  s'avançant  de 
7  pieds  au  delà  du  rempart.  Lors  des  fouilles  qui 
furent  faites,  l'on  put  encore  distinguer  l'emplacement 
qu'occupaient  les  portes  Prétorienne  et  Décumane 
et  la  porte  principale  de  gauche,  à  la  construction 
desquelles  avaient  été  employées  des  pierres  de  tuf, 
qui  furent  remises  plus  tard  en  usage,  lorsqu'on  bâ- 
tit l'église  de  Niederbiber.  Le  prétoire,  lieu  principal 
du  camp,  fut  aussi  retrouvé;  il  présentait  dans  ses 
débris  les  traces  non  récusables  d'une  dévastation 
méditée,  produite  par  un  ennemi  audacieux  et  vin- 
dicatif qui,  entré  en  vainqueur,  se  plut  à  renverser 
les  statues  des  dieux,  à  mutiler  leurs  autels,  à  tout 
détruire,  à  tout  briser.  Quelques  fragments  du  bronze 
dont  était  coulée  la  statue  colossale  du  dieu  Mars, 
furent  retrouvés  enfouis  à  côté  des  éclats  de  marbre 
de  son  piédestal,  où  son  nom  avait  été  inscrit.  Des 
débris  d'armures,  des  tronçons  d'armes,  les  restes 
d'un  bouclier  en  vermeil,  remarquable  par  ses  cise- 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  351 

lures,des  ossements,  des  bijoux,  tout  était  enfoui 
pêle-mêle  au  sein  des  décombres  que  la  flamme  avait 
produits. 

Près  de  ce  palais ,  qui  occupait  le  centre  de  l'éta- 
blissement, ont  aussi  été  retrouvées  les  traces  d'un 
bain  antique,  vaste  bâtiment  qui  n'avait  pas  moins 
de  170  pieds  de  long  sur  57  de  large,  et  dont  le 
canal  par  où  circulaient  les  eaux  a  aussi  été  décou- 
vert. 

C'est  dans  les  débris  de  ce  canal  que  fut  mise  à 
nu  une  petite  statuette  de  bronze,  représentant  le 
génie  du  lieu ,  qui ,  coiffé  d'une  couronne  de  tours, 
tient  d'une  main  le  cercle,  symbole  de  la  félicité 
parfaite ,  à  laquelle  il  devait  présider,  et  soutient  de 
l'autre  la  corne  d'abondance,  d'où  ses  biens  devaient 
s'échapper.  Une  des  inscriptions  qui  décorent  son 
piédestal,  également  en  bronze,  est  du  plus  grand 
intérêt,  en  ce  qu'elle  nous  confirme  qu'en  246  de  Jé- 
sus-Christ,  par  conséquent,  sous  le  règne  de  Phi- 
lippe, ce  lieu  était  encore  intact  et  florissant'. 

Les  troupes  qui  y  ont  laissé  quelques  souvenirs 

»  IN.  H  DD.  BAIOLI 

ET  \'EXILLARI  COL 
LEGIO  VICTORIEN 
SIVM  SIGNIFER 
ORVM.  GEMVM  D 
E  SVO  FECERVNT 
VIIII  KAL  OCTOBR 
PRESENTE.  ET  ALBINO 

COS. 
H.  XIIII.  D.  S.  R 


352  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

de  leur  présence  sont  la  huitième  et  la  vingt-deuxième 
légion,  et  la  quatrième  cohorte  des  Vindéliciens^  Cette 

SATVLLVS 
SAHARA 
MACRINVS 
LAETVS 
APPOLLINARIS 
SECVKDANVS 
VRSVS. 

PATERNVS 

PRVDENS 

MARIANTS 

DAGOVASSVS 

CERIALIS 

ATYRO 

VICTOR. 

In  honorem  donius  dwinx ,  Baioli  et  Fexillaru  coUegio  yicto  - 
rîenshim  signiferormn  Genîum  de  suo  feceriint ,  ante  diem  nonum 
Kalendas  Octobres^  Présente  et  Albino  consulibiis ;  hi  qualuorde- 
cim  de  suo  restifuerunt ,  etc. 

Les  baioli  durent  former  un  corps  qui  répondait  à  notre  train 
d'artillerie.  Ils  étaient  chargés  du  transport  de  toutes  les  pièces  de 
guerre,  telles  que  catapultes,  balisles,  etc.  La  présence  des  vexil- 
laires  de  la  vingt-deuxième  légion  avec  les  pontonniers  à  Trennfurth 
et  la  rencontre  que  nous  faisons  ici  des  vexillaires ,  soit  de  cette  lé- 
gion, soit  de  la  huitième,  qui  y  fut  aussi  postée  avec  les  baioli,  semblent 
devoir  donner  quelque  poids  à  celte  opinion  que  je  soumets  à  la  cri- 
tique. 

»  LECIOMII.  LEG.  XXII. 

LEO  VIII  AVG.  COHIIIIVIND. 

.  .  EGVIII.  AVG.  ARRE  COU.  V. 

Consultez  Dorow.,  ii,  p.  07,  pi.  5  et  pi.  18. 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  353 

cohorte  était  encore  dans  ce  camp,  lorsque  les  Alle- 
manes,  entrant  en  vainqueur,  portèrent  partout  le 
carnage  et  la  flamme. 

A  une  petite  dislance  de  ce  lieu,  tout  proche  d'Hed- 
dersdorf,  un  autre  établissement  romain  est  aussi 
enfoui  sous  le  sol  là  où  aujourd'hui  l'habitant  pai- 
sible conduit  sa  charrue,  et  où  rien  qu'une  plaine  unie 
que  recouvrent  les  moissons,  ne  frappe  les  regards. 
Mais  sous  ces  moissons  existent  des  décombres  qui 
sont  incontestablement  de  la  même  époque  que  ceux 
découverts  à  Niederbiber.  Les  bâtisses  auxquelles  ils 
appartinrent  ont,  au  moyen  âge,  servi  à  la  construc- 
tion des  diverses  tours  religieuses  que  le  christia- 
nisme éleva  dans  la  contrée,  et  aux  demeures  des 
habitants  qui  se  répandirent  autour  d'elles.  Aujour- 
d'hui rien  n'en  apparaît  plus  sur  le  sol. 

Les  sept  montagnes  dominent  au  nord  le  bassin 
de  la  Wied,  dont  l'étendue  pouvait  être  explorée 
par  les  diverses  tours  fortes  qui  couronnaient  leurs 
sommets.  La  circonvallation  romaine  venait  toucher 
le  revers  oriental  de  ces  montagnes,  après  avoir  relié 
les  divers  camps  qui,  depuis  la  Lahn,  défendaient 
l'entrée  des  vallées  jusqu'à  la  Sieg,  dernier  point  où, 
sur  l'emplacement  du  castel  de  Siegbourg,  sont  venus 
se  montrer  quelques  antiquités  du  grand  peuple.  Les 
divers  villages  qui  au  bord  du  Rhin  portent  encore 
le  nom  de  Cassel,  ont  indubitablement  été  construits 
sur  d'anciens  castels  qui,  en  arrière  de  cette  ligne, 
s'appuyaient  sur  le  fleuve,  mais  dont  les  traces  ont 
disparu. 

Le  trachyte  des  sept  montagnes  avait  déjà  été  mis 
I. 


23 


354  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

à  profit  par  les  Romains;  c'est  de  leurs  carrières 
que  se  tiraient  ces  belles  pierres  dont  nous  avons  eu 
occasion  de  lire  les  inscriptions  à  Trêves ,  à  Bonn  et 
à  Cologne. 

Le  versant  de  ces  montagnes  s'affaisse  au  nord  vers 
le  cours  de  la  Sieg,  et  l'on  n'a,  pour  retrouver  la  di- 
rection de  l'antique  circonvallation  romaine  dans  la 
plaine,  que  le  village  de  Poil,  en  avant  de  Cologne, 
dont  le  nom  marque  indubitablement  qu'il  est  placé 
sur  cette  ancienne  ligne. 

Ici  se  terminait  donc  la  limite  romaine,  limite  qui 
plus  au  nord  était  formée  par  le  Rhin  même,  et  que 
le  grand  peuple  semble  n'avoir  jamais  dépassé  pour 
sa  colonisation.  Ce  que  Rome  éleva  au  delà  n'eut 
jamais  de  stabilité.  On  trouve  bien  sur  la  rive  droite 
du  fleuve  quelques  restes  qui  annoncent  une  occu- 
pation plus  ou  moins  prolongée.  Diisseldorf  a  même 
livré  une  inscription  qui  pourrait  faire  présumer 
qu'à  l'endroit  oiî  fut  bâti  le  village  qui  donna  nais- 
sance à  cette  ville,  à  l'embouchure  de  la  Diissel,  un 
camp  romain  a  dû  exister.  Nous  y  avons  lu  l'ins- 
cription d'un  soldat  vétéran  de  la  trentième  lé- 
gion ^ 

C'était  à  peu  de  distance  plus  haut  que,  sur  la  rive 
gauche,  était  placée  la  station  romaine  de  Novesium , 


D.  M. 
p.  GRATINI 
I>RIMI.  VETH 


LEG.  XXX.  V.  V 
H.     F    C 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  355 

si  souvent  citée  par  Tacite,  et  qui  fut  l'une  des  sept 
villes  incendiées  par  les  Francs,  dont  l'empereur 
Julien  releva  les  fortifications.  On  trouve  dans  cette 
direction  les  restes  d'une  ancienne  ligne  retranchée, 
de  deux  lieues  d'étendue,  que  l'on  nomme  encore 
par  tradition  le  fossé  des  Romains,  mais  qui  doit 
remonter  à  une  époque  bien  plus  reculée  que  celle 
de  Julien,  et  qui  peut-être  faisait  partie  des  retran- 
chements qui  du  château  d'Âlison,  sur  la  Lippe, 
s'étendaient  jusqu'au  Rhin.  Ces  retranchements 
avaient  pu  protéger  pendant  quelque  temps  en  arrière 
les  établissements  temporaires  que  l'occupation  ro- 
maine avait  dû  provoquer  en  Germanie,  mais  qui  tom- 
bèrent tous  après  le  désastre  du  Teutobourg.  Burg, 
près  de  Solingen,  Berg,  près  d'Altenbourg,  où, 
selon  Galenus',  fut  trouvée  une  inscription  romaine 
on  l'honneur  des  matrones  des  Gesates,  en  ont  pu 
flanquer  les  abords. 

Ce  fut  probablement  aussi  pendant  cette  occu- 
pation temporaire  que  les  carrières  de  Gladbach, 
où  plusieurs  monnaies  romaines  ont  été  trouvées, 
furent  exploitées.  Plusieurs  routes  parcouraient  cette 
partie  de  la  Germanie,  et  il  en  existe  plusieurs 
restes  encore  entre  Mùllheim  et  Dûnewald,  entre 
Cologne  et  Siegbourg,  et  plus  loin  sur  le  territoire 
des  communes  de  Herweg,  de  Strassweg,  de  Strass- 
bourg,  qui  toutes  ont  pris  leur  nom  de  ces  routes 
mêmes. 

Pendant  que   les   légions  étaient  au  sein  de  la 

'  De  magnetudine  col.^  p.  i94. 


356  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

Germanie,  dans  leurs  quartiers  d'hiver,  nul  doute 
que  plusieurs  lieux  n'aient  reçu  des  établissements 
temporaires.  3Iais  ils  furent  renversés  plus  tard ,  et 
ne  furent  jamais,  comme  dans  le  sud-ouest  de  l'Alle- 
magne, suivis  de  la  colonisation. 

Ainsi  donc,  quoique  quelques  antiquités  romaines 
aient  çà  et  là  été  retirées  du  sol  sur  la  route  que  sui- 
virent les  légions  dans  leurs  diverses  expéditions 
Iransrhénanes,  on  peut  admettre  qu'aucun  établis- 
sement fixe,  tels  que  ceux  dont  je  viens  de  donner 
la  description,  n'a  été  fondé  par  les  Romains  dans  la 
Grande-Germanie.  Vainqueurs,  ils  occupèrent  mili- 
tairement le  pays,  mais  n'y  bâtirent  aucune  ville.  Le 
temps  leur  manqua  pour  le  faire. 

Tout  ce  qui  reste  d'eux  dans  celte  immense  éten- 
due de  pays  que  leurs  armées  parcouraient,  atteste 
une  occupation  momentanée. 

Tous  ces  débris  de  campenients  que  nous  trou- 
vons d'eux  sur  la  Lippe,  près  d'Haltern,  et  en 
d'autres  lieux,  nous  prouvent  évidemment  qu'après 
la  bataille  du  Teutobourg  tout  ce  que  Rome  avait 
élevé  de  places  fortes  sur  celte  rivière  tomba  en 
ruines. 

Le  camp  placé  sur  l'Annaberg  a  livré  dans  ses 
décombres  des  monnaies  consulaires,  quelques  dé- 
nares  de  Jules-César  et  d'Antoine,  des  monnaies  en 
plus  grand  nombre  d'Auguste,  mais  aucune  de  Tibère 
ni  de  ses  successeurs. 

Ainsi  Germanicus,  dans  sa  campagne  contre  les 
Marses,  ne  releva  poiut  ces  remparts. 

Cène  peut  être  l'emplacement  du  château  d'Alison, 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  357 

comme  on  a  cherché  à  le  prouverS  puisque  Dion, 
dans  ses  pages  historiques,  dit  affirmativement  que 
le  castel  d'Alison  fut  bâti  au  confluent  de  l'Alise^  et 
de  la  Lippe ^  et,  par  conséquent,  plus  rapproché  de 
la  source  de  celte  dernière  rivière. 

Le  château  d'Alison ,  abandonné  par  sa  garnison 
après  la  défaite  de  Varus*,  fut  repris  plus  tard  par  les 
Romains,  et  dans  les  campagnes  de  Germanicus  il 
joua  encore  un  rôle  important;  c'était  encore  le  poste 
le  plus  avancé  que  les  Romains  eussent  dans  cette 
partie  de  la  Germanie.  Des  lignes  retranchées  furent 
alors  élevées  pour  le  joindre  au  Rhin.  Il  est  pro- 
bable qu'il  ne  fut  abandonné  que  longtemps  après 
cette  époque,  et  lorsque  tout  espoir  de  reconquérir 
la  Germanie  et  de  s'y  maintenir  fut  dissipé. 

Mannert^  a  en  vain  cherché  à  prouver  que  deux 
castels  de  ce  nom  ont  dû  exister;  l'un,  qui  fut 
ruiné,  près  des  sources  de  la  Lippe;  l'autre^plus  rap- 
proché du  Rhin.  Cette  opinion  n'est  basée  sur  aucun 
historien  de  l'antiquité ,  et  n'a  pour  elle  rien  de  so- 
lide. Plolémée  place,  il  est  vrai,  le  château  d'Alison 
proche  du  Rhin,  et  dans  sa  Géographie  assigne  au 
cours  de  ce  fleuve  le  27«  et  le  2^"^  degré  de  longitude 
depuis  sa  source  jusqu'à  son  embouchure.  C'est  aussi 


^  Bardeleben ,  Zweifel  tind  Ansichten  ûber  die  ôrtliche  Loge  des 
von  Drusus  im  Jahr  eilj  vor  Christi  erbauUn  Castells  an  der  Lippe. 
Cassel,  eic.  1839.  in-8«. 

2  Aujourd'hui  l'Aime. 

3  Dion.  Cass.,1.  IV,  c.  33. 

'*  VcUej.  PatcrcuL,  ii,  c.  120 

^  Géographie  der  Griechea  und  liomer,  t.  m,  p.  460. 


358  ÉTABLISSEMENTS  ROMAINS 

le  28«  degré  qu'il  assigne  pour  longitude  au  château 
d'Alison,  qu'il  place  dans  le  troisième  climat  de  la 
Germanie.  Toute  fausse  que  soit  la  position  que  Ptolé- 
mée  assigne  au  cours  du  Rhin,  il  semble  avoir  voulu 
indiquer  par  la  position  qu'il  assigne  ensuite  à  la 
forteresse  que  cette  dernière  était  proche  de  ses 
rives.  Mais  l'illustre  géographe  est  à  ce  sujet  en  con- 
\radiction  avec  Dion  et  Tacite.  Quand  ces  deux  au- 
teurs décrivent  les  événements  qui  se  rattachent  aux 
guerres  dans  lesquelles  ce  fort  joua  un  rôle,  c'est 
toujours  au  sein  du  pays  des  Bructères  qu'ils  le 
placent  et  près  du  champ  de  bataille  que  Varus  en- 
sanglanta. Le  passage  de  Dion  est  tellement  clair  et 
précis  qu'il  est  impossible  d'assigner  à  cette  forteresse 
une  autre  position  que  celle  du  confluent  de  l'Alise 
et  de  la  Lippe.  Ni  l'Annaberg,  ni  les  traces  des  autres 
camps  fortifiés  plus  rapprochés  du  Rhin  et  cités  par 
Mannert  pour  soutenir  son  opinion,  ne  peuvent  s'ac- 
corder avec  le  texte  précis  de  l'historien.  C'est,  en 
effet,  pendant  les  guerres  de  Germanicus  contre  les 
Chérusques  que  les  six  légions,  que  ce  général  com- 
mandait, s'avancent  dans  la  Germanie  pour  ravitail- 
ler ce  fort;  c'est  pour  le  lier  à  la  position  du  Rhin 
que  les  lignes  fortifiées,  renversées  par  les  Germains 
après  le  combat  du  Teutobourg,  sont  rétablies.  D'a- 
près les  vestiges  de  l'Annaberg,  les  fortifications  qui 
le  recouvraient  ne  furent  plus  à  cette  époque  rele- 
vées, tandis  que  le  château  d'Alison  se  soutint  en- 
core pendant  toute  cette  période  de  guerre  jusqu'à 
l'abandon  total  de  la  rive  droite  du  Rhin. 
Tombé  enfin  sous  les  coups  des  Germains,  le  châ- 


DU  RHIN  ET  DU  DANUBE.  359 

teau  d'Alisoii  finil  par  être  anéanti  au  point  que  tout 
vestige  de  son  ancienne  existence  a  disparu.  De 
toutes  les  savantes  dissertations  écrites  à  son  sujet, 
aucune  n'a  pour  preuve  ni  une  inscription,  ni  une 
médaille,  et  il  ne  reste  en  définitive  d'autre  certitude 
sur  sa  position  que  la  page  historique  où  Dion  l'a 
cité  en  propres  termes,  et  qu'on  doit  dès  lors  chercher 
dans  les  environs  ou  sur  l'emplacement  même  d'Elz 
ou  de  Lisborn. 


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Echéance 


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2015 


1R3C 


ÎOOO 


±21^9.1    0  02SB8S"0lb 


CE  DG   CC5Ç 

.G2P55M4  1852  VOOl 

CGC   RING,  I^AXIMI  MEMOIRE 

ACC#  107537C 


SUR