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pCA-t^^-vn
WBLIOTHECA
MÉMOIRE
ÉTABLISSEMENTS
ROMAINS
DU RHIN ET DU DAiNUBE,
• PRINCIPALEMENT
DANS LE SUD-OUEST DE L'ALLEMAGNE,
MAXIMILIEN DE RING,
r.hc\iilic'i' du Lion Je Zsbiiogi'n , membiK Je plusieurs suciétcs savantes, cuirisponJanl du iiiiui>tè
de l'insIrucliuD publique' pour les sciences historiques.
TOME PREMIER
PARIS,
CHEZ A. LELELX , ÉDITEUR DE LA REVUE ARCHEOLOGIQUE
RLE OES POITEVI>S , 11.
TREUTTEL ET V\ iÏRTZ , LIBRAIRES , RUE DE LILLE , 1 9.
STRASROURG ,
MÊME MAISON, GRAND'rIE , 15
1852.
Ooiversitas"
BiBLiaiHZCA
OttavIensJ»
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/mmoiresurles01ring
PRÉFACE.
Nommé, en 1844, |)ar M. Viilemaiii corres-
pondant du ministère de l'instruclion [)nl)lique,
pour la préparation du Recuptl d'cpùjraphie lalme ,
je fus chargé par le comité spécial, que prési-
dait alors M. Ch. Giraud, de rassembler toutes
les inscriptions de l'époque romaine trouvées
dans les pays d'au delà du Rhin qui avaient fait
partie du gouvernement de la Gaule.
Ce fut en m'occupant de ce travail que, frappé
de l'intérêt que le plus grand nombre de ces
inscriptions offraient, non-seulement pour l'his-
toire des quatre premiers siècles de l'ère chré-
tienne, mais encore pour la géographie antique
et pour le droit municipal chez les Romains,
j'écrivis les diverses notes que j'ai réunies dans
MU • l>nÉI'ACK.
le Mémoire que j'ofifre ici au inonde savanl.
Elles serviront à rectifier plusieurs points d'his
toire mal interprétés, à en expliquer d'autres,
et à donner sur le eouvernement de la Gaule
des notions qui amèneront une nouvelle dé-
marcation des frontières de cette antique con-
trée du coté de là Germanie. C'est ce dernier
but que je me suis particulièrement proposé en
dressant la carte qui accompagne ce Mémoire.
Mes recherches n'auront point aux yeux du
public le même prestige que celles des savants
qui, traversant les mers, vont fouiller les sables
de l'Afrique ou les déserts de l'Asie. Je n'ai fait
que suivre les bords plus hospitaliers du Rhin
et ceux si fertiles du Danube. Mais en les par-
courant, en exhumant leurs vieux souvenirs,
en fouillant leurs tombeaux, leurs décombres,
j'ai vu qu'il existait encore là une page à écrire.
En la déroulant sans faste, mais avec la con-
viction que je n'aurai point fait un travail inu-
tile, j'ose, moi aussi, espérer quelque recon-
naissance de la part de tous les hommes qui
s'intéressent à l'histoire de leur pays.
Strasbourg, 1852.
ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
DU RHIN ET DU DANUBE,
PRINCIPALEMENT
DANS LE SUD-OUEST DE L'ALLEMAGNE
'^^•^^^^*»= — —
PREMIÈRE PARTIE.
PKÉCIS HISTORIQUE DES GUERRES ROMAINES SUR LE RHIN,
DEPUIS l'an de ROME 696 jusqu'en 407 DE l'ère CIIRÉ-
TIEISNE.
Arioviste, depuis quinze ans, tenait en son pou- *»' <•"««"'«
voir les plus belles provinces des Gaules, lorsque
l'apparition de César dans cetle contrée vint lui en
arracher la conquête. Il ne fallut au proconsul qu'une
seule campagne, pour anéantir tous les projets de 1 in-
trépide chef des Suèves^ et pour refouler dans leurs
forêts toute cette nuée d'étrangers que la douceur
du climat et les richesses desGaules y avaient attirés.
Rome, qui ne connaissait encore de la Germanie
1. *
\ns Je Ruuit'.
2 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
que la partie la plus rapprochée de ses provinces
italiennes, planta alors ses étendards sur le Rhin.
Ce fleuve qui, dans les siècles éloignés, avait vu
sur ses deux bords le Celte agriculteur, et qui, plus
tard encore^ servit de barrière entre les Gaulois et
les Germains ' , n'était plus alors habité sur ses deux
rives que par des tribus germaines, devant lesquelles
le Celle primitif avait reculé.
Les peuples de la Grande-Germanie, au delà du
Rhin, se partageaient eux-mêmes en trois grandes
familles , connues sous les noms dinguevones ,
d'Istevones et d'Hermiones, noms qui leur venaient
de la position respective du territoire qu'elles
occupaient. La première de ces familles comprenait
les Cimbres et les Teutons, les Chauques, les Frisons
et les Saxons. Ces nations habitaient le nord; et c'est
des confins des terres que borde lOcéan que les deux
premières tribus vinrent, comme un torrent, fondre
sur l'Italie et sur la Gaule.
Depuis l'embouchure du Rhin jusqu'au Mein ,
étaient échelonnées sur le fleuve les tribus de la
seconde famille, connues sous les noms d'Usipètes,
deTenchtères, de Sicambres et de Bructères; c'est à
elles qu'appartenaient en majeure partie les colonies
qui recouvraient la Gaule-Belgique. Le reste de la
Germanie était au pouvoir des Hermiones ouSuèves,
la plus puissante de ces trois grandes familles , et
dont faisaient partie les Marcoinans et les Hermon-
dures, sur les Alpes souabes et dans l'Hyrcinie; les
' Dion., XXXIX.
\llS Je liulU.'
DU RHIN ET DU DAÎSUBK. 3
Semnones, les Lombards et les Angles, trois peuples
qui étaient échelonnés sur l'Elbe; les Chérusques,
les Cattes, les Mattiaques, assis, les deux derniers,
sur le Taunus et sur le Mein, et enfin les Quades et
les Norisques, sur la rive gauche du Danube.
César, en faisant la conquête des Gaules, mit bien
sous le joug les colonies germaines qui continuèrent
d'y habiter; mais il ne tenta pas de faire la conquête
de la Germanie proprement dite. Les deux passages
qu'il fit du Rhin, les premiers qu'ait jamais faits un
général romain', n'eurent pour but que d'effrayer
les tribus germaines qui avaient porté secours aux
Tréviriens, et de les maintenir ensuite, lorsque lui-
même se préparait à traverser le détroit gallique
pour aller porter la guerre aux Bretons. Les Ger-
mains, partagés d'intérêts, se mirent en partie dans
ses rangs; plus d'une fois leur valeur fit pencher de
son côté la fortune des armes. Les Gaules et jusqu'aux
champs de Pharsale virent ces fiers enfants du Nord
combattre et vaincre sous ses yeux. Lorsqu'il revint à
Rome triomphant, le Rhin figura parmi les trophées
de ses campagnes ^ et ce fut le signal des préten-
tions que Rome, depuis cette époque, ne cessa d'a-
voir sur la domination de ce fleuve.
Munacius Plancus, après la mort du dictateur, 711.
sut contenir la province des Gaules, pour la tran-
quilHté de laquelle on avait d'abord eu à Rome quel-
que crainte. Il la transmit au triumvirat dont il prit 714
' Appien, Hist. rom.^ I. iv: De rébus yallicis, i, 5.
- Floriis, 1, IV. c. 2.
I.
1.
Ans Je Rome
714.
i- ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
le parti. Antoine, à qui elle tomba en partage, y
nomma pour gouverneur Fusius Galenus^ Ce géné-
ral mourut bientôt après. Octave passa alors lui-
même clans la Gaule, et attira à lui toutes les troupes
qu'Antoine y avait laissées^. Sûr de leur fidélité, il
710. mit à la tête de ce gouvernement Vipsanius Agrippa.
Ce général, le second après César, traversa le Rhin,
appelé dans la Grande -Germanie par les querelles
des Suèves et des Ubiens. Ces derniers, trop faibles
pour résister à leurs adversaires, et d'ailleurs alliés
du peuple romain, avaient réclamé sa protection.
Il les transplanta sur l'autre rive du fleuve, où ijs
bâtirent leur ville ^ là même où l'épouse de Claude,
la fière Agrippine, fonda plus tard la colonie romaine
qui prit son nom. Tandis que cette ville se dévelop-
pait sous le régime romain, se fondait sur le haut
Rhin une autre colonie que Munacius Plancus, qui
succéda à Agrippa, et qui déjà avait mené dans la
Gaule la colonie de Lyon , installait dans la cité des
719. Rauraques.
Les commotions politiques qui remuaient le centre
de l'Empire ne pouvaient manquer toutefois de se
faire ressentir jusque dans ces provinces éloignées.
Les querelles qui s'élevèrent entre Octave et Antoine,
et qui mirent en piésence toutes les forces romaines
à Actium, réveillèrent l'assoupissement des peuples
gaulois, et surtout des habitants de la Morinie et
1 Dion., Hist., I. XLVi.
2 Dion., Hist., 1. XLvi. — Appien , De hello Chili , 1. v.
^ Oppidum IJbiorum.
DU RHIN ET DU DANUBE. 5
d'autres parties de la Belgique, qui appelèrent ces A"^ J^ R»'»'-
mêmes Suèves à leur secours. Ces derniers peuples -20.
n'avaient pas oublié le rôle qu'ils avaient joué, lors-
que, appelés aussi dans les Gaules sous Arioviste, ils
avaient été sur le point de mettre sous le joug tout
le pays. Ils crurent le moment venu de reprendre
l'avantage, et passèrent le Rhin pour voler où le
sort des armes les appelait. Carénas sut toutefois les
contenir; il pacifia le soulèvement des Belges en
même temps qu'il refoula au delà du fleuve les Ger-
mains. Les honneurs du triomphe qui , à cette occa-
sion, furent rendus à ce général, conjointement
avec Octave, prouvent quelle importance on atta-
chait à Rome h ce double service ^ 72-..
Le soulèvement de Trêves qwi succéda à cette ten-
tative de liberté, et auquel prirent encore part quel-
ques tribus germaines, n'eut pas plus de succès. Il
fut bientôt apaisé par Nonnius Gallus*^.
Octave, maître de l'Empire, et nommé empereur 727.
avec le titre d'Auguste, fit bientôt après le partage
des provinces. Il laissa au sénat et au peuple romain
celles de l'intérieur où régnait la paix , et se réserva
celles qui étaient aux frontières, et où l'esprit re-
muant des habitants exigeait sans cesse la présence
des armées ^. Il vint la même année dans les Gaules,
avec l'intention de passer dans l'île des Bretons , et
d'en achever la conquête que le grand César avait
commencée. Mais ayant reçu les députés bretons à
• Dion. , ad. a. v. dccxxv.
- Dion., I. LU.
^ Dion., 1. LUI.
Ans Je Itomc.
7:27.
6 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Narbonne, il y resta pour constituer les Gaules, et
pour mettre en ordre les affaires de cette province.
Ce fut alors que la partie habitée par les Nerviens,
les Atrébates et d'autres peuples belges , reçut le
nom de province Belgique proprement dite, et que
le reste des terres situées vers le Rhin, là où les
peuplades germaines avaient pénétré, reçut le nom
de Petite-Germanie, et fut partagé en provinces Ger-
maine inférieure et supérieure , ou première et
seconde. Huit légions, sous Auguste, tenaient pres-
que constamment garnison dans ces deux dernières
provinces.
Cependant, malgré ces forces imposantes, la paix
n'y fut jamais stable.
Auguste avait à peine quitté les Gaules pour passer
en Espagne, que les Sicambres, peuple d'outre-Rhin,
levèrent l'étendard; se coalisant avec les Usipètes et
les Tenchlères, ils vinrent inquiéter les Romains.
728. Battus par Vinicius,ils rentrèrent dans leurs forêts;
mais cependant ils n'en continuèrent pas moins d'être
dangereux'. Chaque nouvel événement, capable de
réveiller leur amour pour l'indépendance, leur mit
le glaive à la main. Auguste n'eut pas plutôt refermé
le temple de Janus, et pris le chemin de lOrient,
pour visiter ces provinces éloignées, qu'à l'Occident
les Gaules remuèrent de nouveau , et que ces mêmes
Germains, de leur côté, reparurent en. armes sur le
Rhin.
755. Auguste, à son retour, envoya dans les Gaules son
gendre Agrippa, et plus tard Tibère, jeune homme
» VcU. II, 1,4.
DU RHIN ET DU DANUBE. 7
qui alors n'avait que vingt-quatre ans, et qui toute-
fois, l'année précédente, avait déjà reçu les hon-
neurs du prétoire.
Ces deux généraux parvinrent à rétablir momen-
tanément l'ordre et la tranquillité.
Mais le feu couvait en dessous.
Le dernier n'eut pas plutôt, un an après, cédé la
place h Lollius, que ces mêmes Sicambres, Usipètes
et Tenchtères, se soulevant tout h coup de nouveau,
refusèrent de payer le tribut auquel ils s'étaient sou-
mis par nécessité, et attachèrent en croix les pré-
posés romains chargés de le percevoir. Passant alors
le Rhin, ils pillèrent et désolèrent la seconde Ger-
manie, et enlevèrent son aigle à la cinquième légion^
Lollius fut lui-même mis en déroute^. «Quoique,
«comme le dit Suétone \ la honte de Rome fût en
« cette occasion plus forte que ces pertes ne furent
«grandes, Auguste crut devoir lui-même venir sur
«les lieux.»
Son premier soin fut d'accorder la paix aux Si-
cambres qui, au bruit de son approche, s'étaient
retirés.
Pour les contenir, et pour donner ensuite aux
pays frontières plus de force, pour mieux les assu-
jétir à la forme romaine, il établit dans les princi-
pales villes des colonies qui reçurent toutes les ins-
titutions de Rome, et qui devinrent bientôt des villes
riches et des places de guerre importantes. Trêves
' Vell. Pat. I, c. in not.
^Dion., T, I.
•^ Suct., In ./ug., xxiii.
\ns (le Rome
735.
7Ô7.
Ans de Rome.
757^
8 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
prit le nom d'Auguste', que la métropole des Ne-
mètes et celle desVangiones, sur les bords du Rhin,
semblent avoir pris aussi. Ces villes, en recevant
des vétérans italiens, devinrent, comme les cités des
Gaules, des lieux essentiellement romains, oîi la
langue de Rome, ses mœurs, ses lois, sa religion,
finirent par dominer^.
Il en fut de même sur le Danube , dont les légions
avaient aussi atteint les bords. Le Norique et la Vin-
délicie, que ce fleuve touche au nord, devenaient
presque en même temps deux provinces romaines.
Le premier de ces pays s'étendait depuis le mont
Célius jusqu'à llnn, le second, depuis cette rivière
jusqu'au Rhin helvétique. Les peuples du Norique
s'étaient joints à ceux de la Pannonie qu'Auguste
avait soumis, mais qui venaient de se révolter, et ils
étaient avec eux tombés sur l'Istrie. Vaincus par
Silius et par ses lieutenants, ils payèrent de leur
liberté cette levée de boucliers. Tibère et Drusus sou-
mirent h leur tour ceux de la Rhétie qui, joints aux
Vindéliciens, peuple assis sur la Wertach et le Lech ^
voulaient, par les Alpes penniques, pénétrer en
Italie. Le Danube devenait donc au nord fleuve fron-
tière comme le Rhin l'était à l'ouest, et dans ces ré-
gions s'élevèrent bientôt, comme sur l'autre fleuve,
diverses colonies, dont la principale prit, comme
^ Augusla Trevirorum.
2 Voy. Siiabon, 1. iv, p. 186.
■^ f indu cil icits. — f indu esl laWindiscIi des Allouinns, laWertaeli
(les (cnips modernes; elle se jelle dans le Lecli au-dessus d'Augs-
bourg.
iiis Je Rome
740.
DU RHIN ET DU DANUBE. 9
celles du Rhin, le nom d'Augusta', qu'elle conserve
encore aujourd'hui.
Mais plus Rome se fortifiait à ses frontières, plus
les peuples d'outre-Rhin, jaloux de leur liberté, et
que la force avait bien pu un moment retenir sous
le joug, se montraient ardents à le secouer. Tandis
que dans les Gaules la flatterie élevait partout à Cé-
sar des temples et des autels, eux, à la voix de ces
Sicambres, si souvent vaincus, mais jamais domptés, 741.
recommençaient une guerre qui devenait pUis achar-
née que toutes celles qui l'avaient précédée. Auguste,
loin de vouloir reculer les limites de l'Empire, sen-
tait, au contrai re_, la nécessité de consolider ce co-
losse déjà trop étendu. Ce qu'il venait de faire pour
la sûreté des frontières semble du moins le prouver.
Il eut sans doute résisté aux instances de Drusus et
de ses autres conseillers, si ces nouvelles irruptions
des barbares sur les terres romaines ne l'eussent en
quelque sorte contraint de se rendre à leurs jaisons.
Drusus, jeune et entreprenant, et qu'il avait laissé
dans les Gaules après son départ, sut profiler de
cette nouvelle levée de boucliers pour faire entendre
à son beau-père tout ce que la conquête de la Ger-
manie, que les événements nécessitaient en quelque
sorte, pourrait ofl'rir d'avantage, et quelle gloire
rejaillirait sur l'empereur lui-même, s'il ajoutait au
vaste Empire cette contrée qui, gouvernée à l'instar
des Gaules, deviendrait un des plus beaux fleurons
de sa couronne. Ces raisons plausibles en présence
' Augusla Viudclicorum (Augsbourg).
Ans de Uomc.
741.
10 ÉTABLISSEMENTS R031AINS
d'un ennemi dont il importait dans tous les cas de
repousser l'agression, et auquel il était nécessaire
d'infliger la punition de son manque de foi, portèrent
Auguste à consentir à ce qu'exigeait de lui son beau-
fils. La conquête de la Grande-Germanie fut dès lors
résolue. Drusus porta ses légions [vers le nord et tra-
versa le Rhin près de lile qu'habitaient les Bataves.
11 tomba comme un foudre sur les Usipètes, lun des
trois peuples coalisés. Le succès de ses armes répon-
dit à la célérité de sa marche. Remontant le cours
du fleuve, et traversant la Lippe, il atteignit la ré-
gion des Bructères et s'avança même sur le Mein
jusqu'au pays des Cattes et des Marcomans'. En
même temps qu'il portait ainsi l'épouvante au sein
même du pays ennemi, il faisait au nord, dans cette
même île des Bataves, construire une flotte pour
aller par merattaquer dans leurs marais les Frisons,
qui habitaient la contrée qui s'étend depuis le Rhin
jusqu'à l'embouchure de l'Ems. Car, quoique ces
peuples , ainsi que les Bataves eux-mêmes , eussent
déjà eu des rapports d'alliance avec les Romains,
plusieurs de leurs tribus étaient cependant encore
insoumises, et il importait à la politique du général
qu'elles apprissent que leur localité, au bord de la
mer, ne pouvait pas davantage les préserver de
l'atteinte de ses armes que le Rhin n'avait pu pré-
server de sa vengeance les Sicambres et leurs alliés.
Pour porter avec plus de facilité ses vaisseaux sur
l'Océan, il fit creuser le fameux canal, qui alors fut
' NOv Florus, c. i^■^ — Orosc, 1. vi.
Ans de Romr.
741.
DU RHIN ET DU DANUBE. 1 1
nommé de son nom\ et qui joignit le Rhin au Zuyder-
sée. Sa flotte s'empara des îles qui avoisinent la côte,
et, entrant dans 1 Ems, remonta le cours du fleuve.
Drusus, après une campagne que rendirent surtout
favorables aux armes romaines les querelles que les
peuples germains, loin de s'unir contre l'ennemi
commun, avaient eux-mêmes entre eux, fit cons-
truire à son embouchure un fort qui devait à la fois
servir à contenir les Bructères et les Chauques, qui
habitaient la rive droite et s étendaient jusqu'à l'Elbe,
et à servir postérieurement de relâche aux flottes
qui reviendraient dans ces parages.
Les armes romaines qui, dans cette campagne,
furent portées jusqu'au delà de l'Ems, furent, l'an-
née suivante, portées sur le Weser. 74^2
Après avoir passé l'hiver à Rome , Drusus, au prin-
temps suivant, traversa de nouveau le Rhin. Il trouva
sans défense le pays des Sicambres qui, avec les
Chérusques, les Tenchtères, les Bructères et les
Suèves^ s'étaient eux-mêmes portés contre les Ro-
mains; il passa sur le territoire des seconds, d'où il
s'avança sans coup férir jusqu'au Weser. Là il s'ar-
rêta, dans la crainte que les vivres ne vinssent à lui
manquer. Entouré d'ennemis, rien ne le sauva en
effet alors que la témérité même de ses adversaires,
qui, en foule innombrable, mais sans ordre et sans
discipline, vinrent assaillir ses légions. Sa savante
tactique triompha deleurnombre. Ce fut alors qu'en
se retirant il fit construire sur la Lippe'^, pour con-
' Fossa Drusi.
- Dion., 1. IV, ('. 33.
Ans de lioine
742.
12 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
tenir les Sicambres, le fort le plus avancé que Rome
eût encore au delà du Rhin, en même temps que
pour contenir les Cattes,'qui s'étaient vus contraints
par les autres tribus germaines de se joindre à elles,
il fonda aussi, sur les rives du Rhin et sur le Tau-
nus, deux autres forts qui portèrent son nom.
Cette guerre des Cattes se prolongea toute la cam-
pagne suivante, et même au commencement de la
quatrième année que Drusus combattait en Germa-
nie , ces peuples étaient encore en présence de ses
légions. Il en transplanta une partie sur les bords du
Rhin, vis-à-vis Mayence, et après s'être avancé jus-
qu'au 3Iein contre les Suèves, et être ensuite entré
plus au nord dans le pays des Chérusques, il tra-
versa de nouveau le Weser et alla planter ses aigles
sur l'Elbe ^
745. C'est sur les bords de ce fleuve que, pour perpé-
tuer le'souvenir de ses victoires, et comme s'il pres-
sentait sa fin prochaine, il éleva un monument qui
devait instruire la postérité de ce qu'il avait fait. Il
mourut peu après d'une chute de cheval, lorsqu'il
ramenait sur le Rhin ses légions victorieuses. Toute
l'armée prit le deuil, et elle lui éleva un autel sous
les murs de Mayence, celte ville qu'il avait aussi
fait fortifier, et qui fut presque toujours le centre
de ses opérations. C'est de là que trois fois il avait
exécuté son passage au delà du Rhin. Un pont joignait
la ville à la rive droite du fleuve, qui partout dans
son cours avait vu élever sur les monts les plus
I Dion., l. V.
DU RniN ET DU DANUBE. 13
avantageusement placés des castels protecteurs. La
Meuse , l'Elbe , le Weser , s'étaient de même par les
soins de Drusus hérissés de tours fortes ^ Tout le
pays depuis le Mein jusqu'à lOcéan, depuis le Rhin
jusqu'à l'Elbe, se trouvait, à la mort du héros, si-
non réduit en province , du moins assujéti et con-
tenu.
Tibère , mis par Auguste à la tête de l'armée ,
passa le Rhin l'année suivante. Tant d'attaques réité-
rées contre les Germains, tant de revers supportés
par eux , avaient enfin abattu le courage de ces
peuples ; dans limpuissance de résister plus long-
temps, ils se décidèrent à demander la paix. Tibère
l'accorda à beaucoup d'entre eux. Les Sicambres
qui, dans toutes ces guerres, avaient toujours été les
premiers à lever l'étendard, et qui, malgré les otages
qu'ils avaient donnés à plusieurs reprises, avaient
toujours été les premiers à violer les traités, ne
furent plus toutefois reçus comme alliés. Leurs ser-
ments de fidélité future ne furent plus écoutés. Ti-
bère employa à leur égard les mêmes moyens qu'il
avait quelques années auparavant employés contre
les Rhétiens; il les transplanta tous hors de leurs
forêts, et leur assigna des terres à cultiver sur la
rive gauche du Rhin, au milieu même des colonies
romaines ^. Beaucoup d'entre eux préférèrent la
mort à ce dur esclavage ^ Les Ubiens et les Tench-
tères se répandirent après leur départ sur leur terri-
< Florus, 1. IV, c. ail.
-Suet., In Aug.y c. "IX.
'^ Dion. , 1. I.
Ans Je Rome.
745.
de Komc. chrct
1 4 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
toire, où ces nouveaux habitants continuèrent eux-
mêmes à porter le nom de Sicambres. Le sort de
celte tribu épouvanta tous les antres peuples de la
rive droite du Rhin, et surtout les Marcomans qui,
par la position que Rome avait prise au nord sur le
Mein et au sud sur le Danube, se trouvaient pour
ainsi dire à sa merci.
Les légions n'avaient encore jamais louché les
hauts sommets couverts de bois sombres que ces
peuples habitaient. Lorsqu'à la voix de Marbod , le
chef de cette tribu, toute la nation, dans la crainte
du joug romain , prit le parti de quitter en masse le
sol natal , et d'aller dans le cœur de la Germanie
chercher une terre qui pût la sauver de l'esclavage,
presque toutes les vallées se trouvèrent désertes, et
la Forêt-Noire et l'Albe furent en grande partie dé-
nuées d'habitants.
755-754. 1. Rome protégea alors la migration des colons qui,
de toutes les parties des Gaules, vinrent sous sa
protection repeupler le pays. Sans le mettre encore
au nombre de ses provinces , puisqu'il ne fut réuni
à l'Empire que sous le règne de Trajan, il est per-
' J'ai suivi pour la chronologie chrétienne l'opinion la plus généra-
lement admise , que le Christ naquit le 25 décembre de l'an de Rome
753, sous le consulat de Cornélius Lentulus et de L. Calpurnius Pison.
Celte date répond le mieux aux observations astronomiques. C'est la
première année du cycle de 532, établi par Denys-le-Petit, quoique
l'Église n'ait commencé que l'année suivante les années de Jésus-
Christ que nous nommons l'ère chrétienne. C'est la 4G« depuis le ca-
lendrier fait par ordre de Jules-César, et la 47I4« de la grande pé-
riode, ou de la période Julienne. C'est donc l'espace compris entre
le 25 décembre 753 et le 25 décembre 754 de liome qui forme la pre-
mière année de l'ère chrétienne.
DU UIIIN ET DU DANUBE. 15
mis de croire qu'elle en prit dès lors déjà militaire- i^êilL. je*"c.
ment possession. 753-754. 1.
Tibère, après avoir porté ses légions jusque sur
l'Elbe, revint à Rome recevoir les honneurs du
triomphe.
La paix cependant ne fut que momentanée.
Les Bructères remuèrent de nouveau , entraînant
dans leur parti les Altuares et les Canifates'. Pen-
dant trois ans , et malgré les efforts de Vinicius et
de Domitius ^nobarde, l'ordre ne put être rétabli.
Auguste envoya de nouveau Tibère sur le Rhin, et 757. 4
lui adjoignit, pour commander la cavalerie, Velle-
jus Paterculus, qui écrivit plus tard si éloquemment
les opérations de cette campagne. Ce qui intéresse
le plus dans l'histoire de cette guerre, c'est de voir
combattre dans les rangs des Romains Flavius et
son frère Hermann, tous deux fds de Ségimer,
prince des Chérusques, dont le second, quelques
années après, concevant la grande pensée de dé-
livrer sa patrie, devint si redoutable aux Romains.
Les Chauques, les Lombards virent l'aigle planer 758 5.
au-dessus de leurs marais, et ils furent surtout
saisis de terreur, lorsqu'ils virent remonter l'Elbe
par la flotte romaine, venue par mer pour soutenir
les légions, eux qui ne connaissaient encore que
leurs simples pirogues , composées d'un tronc d'arbre
que le feu ou la hache avait creusé. Tibère n'eut à
^ Peuple allié par son origine et ses mœurs aux Bataves.On le trouve
cité aussi par les historiens latins sous le nom de Cannanefafes , et
sur une inscription copiée par Gruier, sous celui de L anninefales. Il
habitait le Rhynland, le Delfiland et le Schieland.
16 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Ans
àe Rome. J
Ans Ars^ jgg combaltre qu'une seule fois; sans passer l'Elbe,
758. 5. soit qu'il redoutât de s'enfoncer dans ces pays in-
cultes, soit que la saison lui parût trop avancée, il
ramena l'armée dans ses quartiers d hiver, et laissa
à Sentius Saturninus la préfecture de ces provinces\
750. G. Cependant Marbod avait conduit ses Marcomans
jusque dans les champs de la Bohême. Il avait sou-
mis ou chassé les peuples qui habitaient cette con-
trée, et il avait réduit les nations voisines par l'épée,
ou en avait fait ses alliés à force de persuasion 2. Les
circonstances de sa jeunesse l'avaient conduit à
Rome, et il avait dans cette capitale du monde beau-
coup appris et beaucoup observé. Il mit son armée
sur le pied de celle des Romains, et il se vit bientôt
à la tète de soixante-dix mille hommes d'infanterie
et de quatre mille cavaliers. Le pays qu'il s'était ar-
rogé touchait à la fois à la Pannonie et au Norique.
Quoique ses ambassadeurs à Rome témoignassent
de ses intentions pacifiques, il y avait dans leur
langage une fierté qu'on n'était plus depuis long-
temps habitué h souffrir dans cette ville. Tous ceux
qui avaient à se plaindre des Romains étaient d'ail-
leurs sûrs de trouver auprès de lui un refuge. Tibère
résolut de terrasser un ennemi qui menaçait de de-
venir dangereux. L'ordre fut donné aux légions du
Rhin de traverser le pays des Cattes en abattant les
forêts de l'Eîyrcinie, tandis que lui-même , à la tête de
l'armée qui occupait l'Illyrie, devait s'avancer par
' r)ioii.. <■. I .
^ l'iilnciiliis , c. MIS, .'i.
nu RHIN ET nu nANUBE. 17
Carnuntimi, la place de guerre la plus rapprochée des i, «"1. a^Tc.
États de Marbod, et lentersa jonction avec Saturninus. ~^^- ^^
Ce plan de campagne, qui ,s'il eût réussi, eût donné
à Rome l'empire de la Germanie, fut anéanti par le
soulèvement des provinces pannoniennes et illy-
riennes qui, non plus contenues par la présence des
garnisons romaines, cherchèrent à secouer un joug
qui leur pesait. Tibère, qui sentait l'importance de
conserver ces provinces et qui, pour les pacifier, avait
besoin de toutes ses troupes, se vit contraint d'arrê-
ter sa marche, et consentit à donner la paix à son
ennemi.
Marbod , loin de profiter des embarras de Rome,
crut en effet alors assurer sa puissance en traitant
d'égal avec elle. Il accepta les conditions qu'on lui igo. 7.
proposait. Tibère envoya l'ordre à Sentius Saturninus
de retourner avec ses légions sur le Rhin, où, deux
ans après, il fut remplacé dans son poste par Quin-
tihus Varus.
Varus était loin d'être l'homme capable de con-
server intacte la dignité du pouvoir, et de maintenir
l'union parmi des peuples aussi rudes que l'étaient
encore alors les Germains. Quoique les armées ro-
maines occupassent militairement tout le nord de la
Germanie, celte contrée n'avait pas cependant en-
core été réduite en province romaine. Les peuples
germains n'étaient que tributaires ; Rome ne possé-
dait elle-même sur cet immense territoire que quel-
ques camps et quelques forts, construits, comme
nous l'avons vu, par Drusus et par ses successeurs,
dans les lieux les plus favorables à la défense, et
I. 2
18 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
deiurâe a.*rc. destinés à servir de quartiers aux troupes, en même
760. 7. temps qu'à contenir les tribus alliées. Les lois de ces
nations, leurs usages avaient jusqu'alors été res-
pectés \ Les établissements romains étaient pure-
ment militaires; aucune colonisation n'avait encore
été tentée. Au lieu de laisser, comme se§ prédé-
cesseurs, à ces peuples le temps de s'habituer aux
formes romaines , et de n'en exiger que de faibles
tributs, Varus parut tout à coup au milieu d'eux,
avec l'intention de faire partout adopter les lois ro-
maines ; bientôt il les écrasa d'impôts. Il voulut intro-
duire de force parmi eux le Code romain ; juge de
leurs différends, et traînant à sa suite une foule
d'avocats et d'archers, il se faisait un jeu de pronon-
cer sa sentence dans tous les litiges, soit de ces
peuples entre eux , soit dans leurs querelles avec les
soldats romains. La hache ou la corde étaient pres-
que toujours l'instrument de ces barbares sentences.
Bientôt le mécontentement fut au comble; le joug
romain parut insupportable. Mais cependant les
chefs qui entouraient Varus, tout en conspirant en
secret, cherchèrent à l'endormir dans sa sécurité.
Ils tramaient les desseins les plus perfides, et cepen-
dant, sous l'apparence du respect et de la soumission,
ils faisaient semblant d'approuver la conduite du
général qui, plein de confiance en eux, n'en pour-
suivit que plus ostensiblement ses desseins.
Le feu couvait en dessous.
762. 9. Hermann, fils de Ségimer, jeune guerrier aussi
1 Voy. Dion., 1. lvi , p. 582. — Flonis, I. vi , c. 12.
me diJ.C.
DU RHIN ET DU DANUBE. 19
distingué par son illustre naissance que par son cou- j, ,*"',
rage, audacieux et aussi hardi dans ses piojets qu'a- '^-- ^
droit dans sa conduite, se mit à la tête de la conspi-
ration; honteux de se voirie jouet dun homme qui,
sous prétexte d'apporter à sa nation la civilisation
de Rome, lui apporlait l'esclavage, il prépara sous
main la révolution qui devait anéantir toute l'aimée
romaine. Il comprit qu'attaquer cette armée, com-
posée de cinquante mille hommes des meilleui'es
troupes, dans des camps fortifiés, c'eût été exposer
les siens à leur perte, quelque braves qu'ils fussent.
il avait, ainsi que nous l'avons vu, servi sous Tibère,
et il connaissait tout ce qu'il avait à craindre de la
valeur et de la tactique des Romains. Pour les affai-
blir, et pour mieux attirer Varusdans le piège, il fit
par ses émissaires fomenter des soulèvements par-
tiels, et il persuada au proconsul de séparer son ar-
mée en plusieurs corps et de la disséminer en petits
pelotons dans toute la contrée, afin de pouvoir
mieux en assurer la soumission. En vain Ségeste,
autre prince des Chérusques, avertit Varus de se
tenir sur ses gardes ^ Trompé par les apparences de *
soumission des autres chefs, Varus méprisa ses avis.
Bientôt cependant il apprit que les Germains restés
en possession de leurs armes avaient surpris diffé-
rents postes et les avaient égorgés. Ce qu'Hermann
avait espéré, arriva. Ébloui parles discours du jeune
homme, Varus prit le parti de lever son camp. Il
n'avait gardé près de lui que trois légions, et il se
' Tacite, Annal. ^ 1. i, c. 55.
I. 2.
20 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
de Rome. de^"!c. ^1^ ^ ^^"^ t^^^ ' coDcluit poi' Heimaiin , qui , guidant
762. 9. sa marche, pril, pour parvenir au pays des Bruc-
tères , où le soulèvement avait eu lieu , les chemins
les plus difficiles au sein des bois les plus sombres
et au milieu des marais. Hermann ne quitta le pro-
consul que lorsqu'il le vit enfoncé dans les gorges
du Teutobourg, vaste forêt sacrée, où les Germains
célébraient les mystères de leurs dieux. Le ciel
lui-même sembla conspirer la perte des Romains.
Des pluies torrentielles délayèrent le terrain, et c'est
à peine si le soldat, pesamment armé, pouvait avancer
au milieu des défilés où larmée s'était engagée. Tout
à coup on vient dire à Varus que l'arrière-garde est
attaquée et qu'Hermânn lui-même est à la tête de
l'ennemi. Trop tard Varus comprit la trahison.
Cependant de chaque sommet des montagnes des
cris de guerre se font entendre et une grêle de pierres
et de flèches assaillit les légions. Varus, dans ce
danger, fait les dispositions nécessaires pour pro-
téger la retraite. Tout le jour on marche en combat-
tant , et enfin , vers le soir^ on arrive à un lieu dé-
couvert, où l'armée peut prendre position et former
son camp. Mais, sans vivres, et entouré d'ennemis,
on ne pouvait espérer de se soutenir. Varus, dès
l'aube du jour, ordonne que la retraite se poursuive.
Mais l'armée a de nouveau de sombres forêts à tra-
verser, et pour alléger sa marche on brûle avant de
partir tout le bagage et tous les chariots. Les Ro-
mains s'avancèrent alors en meilleur ordre, quoique
toujours harcelés. Mais,vers le soir, ils voient les mon-
tagnes se rapprocher, et devant eux s'ouvre une val-
DU HHIN ET DU DANUBE. 21
lée sombre et encaissée que domine le Teutobourg.
La pluie recommence. Chassée par un vent glacial, "'^-
elle fouettait la figure du soldat, qui à peine pouvait
manier sa lance et son bouclier. Attaquée par les
Germains, l'armée romaine essuie un nouvel échec^
Après une nuit plus effroyable encore que la pre-
mière, les légions décimées s'approchaient de la
Lippe, lorsque de nouvelles tribus leur barrèi^nt le
passage. Le carnage alors devient épouvantable. Tout
ce qui avait échappé aux deux journées précédentes
est anéanti; les aigles sont prises; chaque Germain
veut assouvir sa rage et laver la honte de la patrie
dans le sang d'un ennemi. Varus, blessé, ne veut
point survivre h sa honte et se perce lui-même de
son épée; ses principaux officiers imitent son
exemple. Vala Numonius, à la tête de la cavalerie
romaine, cherche en vain à se frayer un passage; il
est lui-même arrêté dans sa marche et massacré.
Ceux qui déposent les armes ne sont pas épargnés-
Les uns sont offerts comme victimes aux dieux;
d'autres sont mutilés; d'autres trouvent une mort
plus épouvantable encore. Leurs têtes et leurs osse-
ments sont suspendus comme trophées aux arbres
des forêts. Les Romains avaient, dans leur fuite, voulu
rendre les honneurs à leur général et brûler son
corps. Mais n'en ayant pas eu le temps, ils l'avaient
du moins enterré. Les Germains le déterrent et in-
sultent encore à ses ossements^. Sa tête fut envovée
' Tacite, Ann.^ 1. i, c. Gi,
^ Florus, 1. IV, c. 1:2.
Ans Ans
(le Rome. Je J. C.
AiH Ans
Je Uoinc de J. C
22 ÉTABLI SSEaiENTS HOMAINS
comme trophée h Mnrbod, qui l'expédia à Rome
62. 9. pour être déposée dans la tombe de sa famille. Le
peu d'hommes que la rage du vainqueur épargna,
furent entraînés comme esclaves dans les forêts ^
La perte de celle bataille entraîna la ruine de tous
les forts que Drusus et Tibère avaient élevés sur
l'Ems, sur l'Elbe et sur le Weser. Toutes les troupes
qui ytenaient garnison furent réduites en esclavage.
Le château d'Alison, sur la Lippe, fut celui qui se sou-
tint le plus longtemps. Ce qui échappa de la bataille
du Teulobourg s'y réfugia. Les Germains, dans l'ini-
puissance d'en faire le siège, se contentèrent de le
cerner et de forcer par la disette ceux qui le défen-
daient h se rendre. Cœditius, qui y commandait,
résolut de se frayer un passage , et, pendant une nuit
sombre, il parvint, non sans peine, à exécuter son
projet et à rejoindre avec le reste de sa garnison
les deux légions que Varus avait laissées en arrière
sous les ordres d'Asprenas^
Ce général , en apprenant la défaite et la mort du
proconsul , se retira sur la rive gauche du Rhin, où
par sa présence et par sa fermeté il contint les pro-
vinces gauloises.
Rome fut terrifiée en apprenant cette catastrophe.
On craignit dans cette ville que les bandes de bar-
bares ne refluassent jusque sur l'Italie. Mais les Ger-
mains ne surent pas profiter de leur victoire; au
lieu d'attaquer le colosse sur son propre terrain, ils
se contentèrent de lavoir abattu, et d'avoir purgé
* Senè(iiic, Èp. -il.
2 Volk'j. I»;iiorcul., l.ii, c. 120.
Ans Ans
de lîuiDe. Je J, C.
DU RHIN ET DU DANUBE. 23
leurs forets de toutes ces armées qui depuis quatre
ans les parcouraient en tout sens. Le Rhin redevint ~^-- 9.
au nord la frontière de l'Empire, et dès ce jour,
Caltes, Tenchlères, Bructères, Chauques et Ché-
rusques, quoique attaqués plus tard par Germanicus,
se virent libres du joug romain ^
Cependant Tibère avait pacifié les provinces dal-
mates et pannoniennes. A la nouvelle de ces événe-
ments il se rendit précipitamment à Rome, et avec
une nouvelle levée de vétérans, il reparut bientôt
dans la Gaule, d'où, Tannée suivante, il repassa le 700. 10.
Rhin. 76 i. Il
Celte démonstration servit à contenir les Ger-
mains.
Une seconde campagne qu'il fit avec Germanicus,
fils de Drusus, qu'il avait adopté par l'ordre d'Au-
guste, n'eut, comme la première, d'autre résultat
que la dévastation du territoire le plus rapproché
du Rhin, et de fortifier la discipline militaire de l'ar-
mée. Les Germains savaient les fortifications du
Rhin dans un état de défense trop redoutable pour
oser les attaquer; et les Romains, de leur côté,
avaient encore trop présente à l'esprit leur dernière
perte pour oser s'aventurer dans les forêts germa-
niques. On s'observait des deux côtés.
La mort d'Auguste rompit cette suspension d'armes 707. u.
momentanée.
Huit légions étaient dispersées dans la première
et dans la seconde Germanie. Les deuxième, trei-
' Hac ctadefactumut vnperium quod in Utiore Oceani non sfe
leral^ in rvpe lihenifluminis staret. Floiiis, l. v, f.5o.
Ans A as
Je r.ouie. deJ.C
767.
24 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
zième, quatorzième et seizième tenaient les garni-
^^- sons du Haut-Rhin. Les quatre légions du Bas-Rhin
n'étaient composées que de troupes nouvellement
levées, sorties des provinces italiennes et non encore
formées à la discipline sévère des camps. Ces troupes,
mécontentes de Tibère, se soulevèrent; dans leur ré-
bellion, elles voulurent proclamer empereur Germa-
nicus.Ce grand homme recevait au nom de son père
adoptif le serment de fidélité des Séquaniens et des
Belges, lorsqu'il reçut la nouvelle de cette révolte.
Aussitôt il vole au devant des mutins, et emploie la
persuasion pour les faire rentrer dans le devoir. Il
fait fondre tout l'argent au type d'Auguste qu'il peut
rassembler de ses propres deniers et qu'il emprunte
à ses amis; il le fait mettre au type de Tibère, pour
payer aux révoltés la solde qu'ils réclamaient. Il dé-
tache ensuite une partie de ces troupes pour les en-
voyer dans la province de Vindélicie, afin de con-
tenir les Suèves; et pour faire disparaître le dernier
germe de la révolte, en occupant le soldat, il passe
lui-même le Rhin à la tête du reste de l'armée. Il
traverse la forêt de Caesie entre la Lippe et l'Aa, et
rétablit les lignes retranchées que Tibère avait déjà
élevées au delà du fleuve, mais qui avaient été depuis
ruinées lors du massacre de Varus. Il y établit son
camp qu'elles devaient proléger.
Là, il apprit par ses coureurs que les JMaises, dont
il touchait les terres, étaient occupés à la célébration
d'une fête publique, et que toute la nation était en
ce moment rassemblée. Voulant jeter la terreur
j)armi les Germains, il s'avança contre eux par les
DU RHIN ET DU DANUDE. 25
chemins les plus détournés. Il les surprit de nuit,aeR"me. <le^?c.
fatigués de sommeil et d'orgie, et en fit un épouvan- "67. i4.
table massacre; après quoi, partageant son armée
en quatre divisions , il dévasta tout le pays à cin-
quante milles à la ronde. Le souvenir du désastre
de Varus animait la fureur du soldat; et tout ce qui
tomba sous sa main fut tué, sans que ni 1 âge ni le
sexe trouvassent de pitié. Toutes les demeures furent
incendiées; le lieu saint, où les sacrifices à la grande
divinité de la nation avaient coutume de se faire, fut
saccagé; il semblait que Rome voulût mettre entre
elle et ses ennemis un désert qui pût assurer sa sé-
curité.
Les Bructères, les Tubantes, les Usipètes, toutes
nations voisines, accoururent en armes au bruit de
cette guerre d'extermination. Ils laissèrent les Ro-
mains se perdre dans les forêts, et alors ils commen-
cèrent de toutes parts à fondre sur eux. La cavalerie
légère, composée d'étrangers, fut même un moment
mise en désordre , et ne reprit ses rangs que lorsque
Germanicus, à la tête de la vingtième légion, à la-
quelle il rappela son devoir, l'eut dégagée. Il repoussa
l'ennemi et ramena ses troupes au delà du fleuve,
content à la fois d'avoir calmé la sédition et d'avoir
trouvé l'occasion de venger en partie la défaite de
Varus.
Cependant les Germains étaient eux-mêmes par-
tagés d'intérêts.
Ségeslequi, quoique allié fidèle des Romains, avait
été forcé par les événements de se lier aux siens
contre eux, lors du massacre des légions de Varus,
26 ÉTABLISSEMEINTS ROMAINS
0. ùo'L d.^Tc. n'avait pas lardé à se lever contre le libérateur de
7tj-. 14 la Germanie, avec d'autant plus de violence qu'Her-
mann, sur le refus de Ségeste de lui accorder sa fille
Tlîusnelda, l'avait de force enlevée à son père.
768. 15 Germanicus ne laissa pas échapper l'occasion que
l'ennemi lui offrit lui-même de profiter de ses dis-
cordes. Faisant donc repasser le Rhin, après avoir
hiverné, aux quatre 'légions qui étaient répandues
dans la Basse-Germanie, sous les ordres de Cae-
cina, et auxquelles se joignirent quatre mille hommes
de troupes alliées et quelques autres tribus de Ger-
mains, habitant la rive gauche du fleuve, il le passa
lui-même à la lêle des quatre autres légions de la
Germanie supérieure, auxquelles dix mille hommes
d'alliés s'étaient joints. Dans I impuissance où il
savait que les dissensions qui existaient parmi les
Chérusques mettaient ces peuples de s'opposer à
ses projets contre les autres tribus, il s'avança dans
le pays des Cattes, et commença par faire relever les
fortifications que son père avait construites sur le
Taunus et que la défaite de Varus avait fait écrouler.
H laissa quelques troupes en arrière sous les ordres
de L. Apronius, l'un de ses lieutenants, afin de cou-
vrir, s'il était besoin, sa retraite, et se répandant
comme un torrent dévastateur sur les terres qu'ha-
bitaient les 3Iattiaques, tribu qui faisait partie de la
coalition des Cattes, il commença contre eux la même
guerre d'extermination qu'il avait naguère faite contre
les Marses. Sa marche fut si précipitée qu'il arriva
sur 1 Eder avant que les hommes en état de porter
les armes, et qui se sauvèrent à la nage do l'autre
DU RHIN ET DU DANUBE. 27
côté de la rivière, eussent pu sauver les femmes, les jeRoL. je*rc
vieillards et les enfants, qui restèrent exposés aux "^s- is-
injures du vainqueur. Les Romains jetèrent un pont
sur lEder et brûlèrent toutes les habitations du prin-
cipal établissement des Maniaques ^ Toute la con-
trée fut le théfitre de pareilles scènes de carnage et
de feu. Caecina, pendant ce temps, contenait les
Chérusques, tandis que les Marses, qui brûlaient de
venger les atrocités commises contre eux par les
Romains, étaient repoussés avec perte.
Germanicus ramenait son armée sur les bords du
Rhin, lorsque Ségeste, que la faction qui lui était
opposée avait forcé de fuir, lui envoya une ambas-
sade, afin d'implorer son secours. Parmi ceux qui la
composaient, se trouvait Sigismond, fils de ce prince,
qui avait été prêtre de l'autel desL'biens.etqui , lors
du soulèvement d'Hermann, avait quitté son poste
pour s'unir aux révoltés; il craignait le ressentiment
du proconsul et n'osait presque pas l'aborder. Mais
Germanicus, qui désirait en celte occasion faire
preuve de clémence et faire voir qu'il savait pardon-
ner h ceux qui 1 imploraient, aussi bien que punir
ceux qui dédaignaient l'alliance du peuple romain »
lui fit dire de venir sans crainte. Il lui fit donner
une forte escorte pour le conduire sur le Rhin, lui et
les siens. Ensuite, il reçut Ségeste, qui se remit à lui
avec tous ceux qui tenaient son parti. Thusnelda était
de ce nombre. Cette princesse, enceinte d'Hermann,
et pleurant son époux, accoucha pendant sa capti-
' Mailium. Tacile, Inn., 1. i, c. 54-5(3.
28 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
de Rome i.^ï' c. ^'^^ ^'uii fils, quî plus tard fut envoyé à Ravenne, et
768. 15 dont le sort est resté inconnu. Ségeste pria pour ses
enfants et reçut pour asile dans la Basse-Germanie
la ville deVetera, où il fut traité avec tous les égards
dus à ses anciens services et à ses malheurs.
Cependant Hermannélait toujours encore sous les
armes, aidé de son cousin Inguiomar, prince sage
et expérimenté, dont les Romains avaient plus d'une
fois aussi eu l'occasion de reconnaître la valeur. H
remuait ciel et terre pour leur susciter des ennemis.
Germanicus résolut de prévenir son agression, et mit
en mouvement toute son armée. Une nouvelle cam-
pagne s'ouvrit donc sur les rives de rEms,qui fut
donné pour rendez-vous à toutes les troupes. Cae-
cina, à la tête de ses quatre légions, entra sur le ter-
ritoire des Bruclères, qui brûlèrent et détruisirent
tout pour ôter tout moyen de subsistance aux Ro-
mains. Depuis la Lippe jusqu'à l'Ems, tout le pays,
théâtre depuis six ans de la guerre, n'était plus
qu'un désert. Cœcina atteignit cependant le fleuve
assigné comme rendez-vous, et où arrivèrent aussi
par la Frise le général Pédon, qui commandait la
cavalerie, et Germanicus lui-même qui, avec ses
quatre légions,avait suivi le Rhin et les rives du Zuy-
dersée. Les Chauques, dans l'impuissance de se dé-
fendre, s'allièrent aux Romains et leur offrirent leur
secours. Germanicus fit attaquer les Bructères par
Stertinius, qui fut assez heureux pour les atteindre
et les défaire, et qui leur enleva l'aigle de la dix-
neuvième légion dont ils s'étaient précédemment
emparés. Comme l'armée n'était qu'à quelques jour-
Ans
(le J. C.
DU RHIN ET DU DANUBE. 29
nées de marche du champ de bataille qu'avait arrosé ,,^ *",
le sang de Varus, Germanicus résolut de le visiter "/es. ib.
et de rendre les derniers honneurs au général et à
tous ceux qui étaient tombés avec lui. Cîccina forma
l'avant-garde, chargé de mettre les chemins en état
et de jeter des ponts partout où l'armée devait pas-
ser.
Lorsque les Romains parurent sur ce lieu de car-
nage, tout le sol était encore jonché d'ossements;
Germanicus fit creuser une tombe immense où furent
déposés tous ces restes mortels, et, après avoir offert
aux dieux un sacrifice expiatoire, plaça sur le mon-
ticule la première touffe de gazon.
Hermann épiait ses mouvements.
Caché dans les mêmes défilés où il avait battu Va-
rus, il y attendit les Romains, et pour mieux les
attirer, fit fuir devant eux un petit corps d'armée
qu'ils poursuivirent. Mais alors ses forces se déve-
loppèrent, et il s'ensuivit un combat dont les résul-
tats, du côté des Germains, furent assez considé-
rables pour provoquer la retraite de l'ennemi.
Tout le pays, en effet, dans l'état de dévastation où il
était, ne pouvait permettre aux légions d'y hiverner;
et trop de dangers les eussent entourées au milieu de
toutes ces populations, animées par la haine et par
l'esprit de vengeance. Il fallut donc songer h revenir
sur le Rhin. Germanicus donna l'ordre à Caecina de
traverser avec sa division le pnys des Bruclères , et
avec le reste de l'armée^, qu'il rallia sur les bords de
TEms, il regagna lui-même ses vaisseaux, qui le
ramenèrent dans les Gaules.
30 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
.le Rome .\.^i!c. CaBciiia , datts Sa iiiarche , Gut à supporter les plus
768. 13. grandes fatigues. Les chaussées élevées que L. Do-
mitius, pendant les guerres de Tibère, avait cons-
truites à travers les marais, pour faciliter les trans-
ports des armées, s'étaient partout écroulées'. Il
était presque impossible au soldat pesamment armé
d'avancer; il fallut, pour que les bagages pussent
suivre, que ces chemins fussent d'abord partout
réparés. Hermann profita de ces embarras des
Romains pour les harceler ; les légions eussent pu
avoir le sort de celles de Varus , si les Germains ,
avides de pillage, n'eussent pas, pour s'y livrer,
laissé échapper l'occasion de les écraser dans les
marais mêmes. Us donnèrent à Ciiecina le temps de
se l'elirer sur un sol plus solide où il forma son
camp. Les Chérusques, contre l'avis d Hermann ,
vinrent les y attaquer et furent repoussés avec perte.
Csecina poursuivit alors sa retraite , et il arriva
sur le Rhin sans avoir eu à combattre de nouveau,
Germanicus, pendant ce temps, avait lui-même,
après des chances diverses, remis le pied dans les
Gaules. Il s'était embarqué sur l'Ems avec deux
légions, et il avait remis le commandement de la
seconde et de la quatorzième h P. Vitelhus, avec
l'ordre de suivre les côtes de l'Océan. G était pendant
l'automne, saison où les marées sont souvent si re-
doutables dans ces parages, et où, en effet, alors les
flots soulevés par un vent furieux inondèrent au
loin tout le pays. La fortune voulut que, pour
* Tac, Annal., 1. 1, c. 63.
DU RHIN ET DU DANUBE. 3i
échapper au fléau, Vitellius put avec son corps d'ar- j^îi^le Je^"^.
niée atteindre une hauteur, où il attendit la fin du '^^' ^^^
débordement. Il gagna ensuite l'embouchure du
Wecht , où la flotte de Germanicus l'attendait.
L'illustre Ségimer, père dHermann, qui , avec son
fils Sesitach , s'élait, pendant cette retraite, rendu
aux Romains, fut conduit dans la colonie des Ubiens,
qu'on lui assigna pour résidence ^
Celte campagne avait été si onéreuse, et elle avait "69. i6.
cependant eu des résultats si peu satisfaisants que,
pour porter les légions dans le cœur de la Germanie,
où l'ennemi se tenait en force, sans avoir besoin de
se perdre chaque fois au milieu des forets et des
marécages , par des chemins devenus chaque année
inabordables, et après chaque retraite endommagés
de nouveau par les habitants, Germanicus résolut
de faire construire sur toutes les rivières navigables
des bateaux de transport , qui devaient suivre le
cours de ces eauxetse rallier sur l'Océan, pour porter
ensuite sans fatigues ses troupes en présence de
l'ennemi. Le Rhin, la Meuse, lEscaut, se couvrirent
bientôt de ces embarcations, parles soins de Silius,
d'Antée et de Cœcina. L'île des Bataves devait être
le lieu de rendez-Aousdela flotte, comme elle l'avait
été pourcelle équipée par Drusus. Silius fut pendant ce
temps envoyé contre les Cattes, tandis que Ger-
manicus avec six légions passa le Rhin, pour aller
secourir le château d'Alison, que l'ennemi tenait
de nouveau assiégé. Les pluies continuelles, qui
' Voy. Strabon, 1. vu.
32 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
jeUo"n,e. de^rc délayèrent le terrain, ne permirent pas toutefois à
769. 16. silius de beaucoup entreprendre, et Germanicus ne
put lui-même joindre l'ennemi, qui à son approche
se retira , après avoir rasé de nouveau le tombeau
qui avait été élevé sur les dépouilles de ceux qui
avaient péri avec Varus, et renversé l'autel qui avait
été construit en l'honneur de Driisus. L'autel fut
relevé , et tout le pays, depuis le château d'Alison
jusqu'au Rhin, fut renfermé par une ligne retran-
chée ' , flanquée de plusieurs forts.
Les bâtiments s'étaient pendant ce temps équipés,
et toute la flotte, au retour de l'expédition, appa-
reilla, là même oii neuf ans auparavant avait appa-
reillé celle de Drusus. Toute l'armée romaine s'y
embarqua, et elle traversa, comme alors, le canal
que Drusus avait fait creuser, pour aller par la haute
mer joindre l'embouchure de l'Ems.
Germanicus choisit pour débarquer la rive gauche
du fleuve , où il crut sans doute être en plus grande
sûreté; il y fit jeter des ponts, dont la construction
le retint plusieurs jours en ce lieu. La saison était
déjà avancée. Il traversa le pays des Chauques qui
se joignirent aux Romains, et il s'avança jusqu'au
Weser, au delà duquel sélevait le camp des Ché-
rusques. Ayant appris dans sa route que les An-
grivares, peuplade qui habitait entre ce fleuve et
l'Ems, s'étaient soulevés contre lui, il envoya contre
eux quelque cavalerie et quelques mille hommes
d'infanterie, sous les ordres de Stertinius , qui bien-
* Tacite, Ànn., 1. ii, c. 5, G. Cuncta inter Castellum Jtisonem
ac Jihenum, novla limiflhus aggeribuaque permunita .
DU imiN ET DU DANUBE. 33
tôt les fit rentrer dans le devoir, et qui put même jeîlôL .loV'c.
rejoindre le gros de l'armée avant qu'elle ne fût en "s^- le.
présence des Chérusques. Ces derniers se tenaient
toujours sur la rive opposée du fleuve, d'où ils ob-
servaient tous les mouvements de larmée romaine,
occupée de la construction de ses ponts. Plusieurs
escarmouches eurent lieu. Les Bataves, à la solde
de l'Empire, qui, dans une de ces circonstances,
jaloux de montrer leur habileté à traverser le cou-
rant de l'eau, s'étaient trop aventurés, furent défaits;
ils perdirent leur chef Cariowald. Mais enfin toute
l'armée passa le fleuve et se retrancha sur la rive
droite, où elle forma son camp.
La bataille qui se donna sur ces bords , et d'où
allait dépendre le sort de la campagne, fut une des
plus chaudes que les Romains livrèrent pendant leurs
longues guerres de Germanie. L'armée ennemie était
postée dans une plaine baignée par le Weser et
entourée de collines légèrement boisées. Les peuples
alliés des Chérusques occupaient le terrain plat, tan-
dis qu'eux-mêmes, cachés dans le défilé des hau-
teurs, étaient hors de la vue des Romains et devaient
les cerner lorsqu'ils seraient aux prises dans la plaine.
Germanicus, de son côté, avait disposé son armée
de manière que les Gaulois et les troupes germaines
auxiliaires formaient lavant-garde, suivis des tiiail-
leurs à pied , derrière lesquels se tenaient quatre
légions et la cavalerie, commandée par Germanicus
en personne. Venaient ensuite quatre autres légions
soutenues par la cavalerie légère et les tirailleurs
à cheval , que suivaient encore quelques autres
I. 3
4us Ans
Je Komc. de J. C
34 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
peuplades alliées '. Le trop de précipilation des
769. 16 Chérusques à débusquer hors des bois qui les rece-
laient fit leur malheur dans cette journée. Car déjà
l'on combattait dans la plaine, et leur dessein de
surprise eût pu réussir, si, trop avides de donner,
ils n'eussent pas été prévenus par les Romains, dont
le général , détachant quelques escadrons pour les
contenir, fit en même temps avancer sur leur der-
rière une colonne sous les ordres de Stertinius ,
afin de leur couper la retraite. Cette marche, qui
réussit entièrement , ôta aux Germains tout l'avan-
tage qu'ils s'étaient promis dans cette journée. Leur
valeur fut inutile devant cette tactique hardie qui ,
les plaçant entre deux corps d'armée, également
redoutables , leur ôta même tout moyen de retraite
et de fuite. Ceux qui avaient dû former la réserve,
furent défaits les premiers, et leur défaite amena
celle du reste de l'armée. Hermann, quoique blessé,
fit de vains efforts pour lallier ses troupes décou-
ragées. Entraîné lui-même dans la bagarre, il ne dut
son salut qu'à l'excellence de son cheval , et au sang
qui recouvrait sa figure et qui le rendait mécon-
naissable. Le carnage ne cessa qu'avec la nuit. La
plaine, les collines étaient jonchées de cadavres et
d'armes brisées. Le Weser, que beaucoup cher-
chèrent à passer à la nage, entraînait les corps des
mourants que la flèche du Romain avait atteints dans
les flots, ou que les vagues trop puissantes englou-
tissaient. Parmi le butin qui se fit se trouva une
* Voy. Tacito, ^??n., 1. n , c. IG.
DU lUIIN ET nu DANUBE. 35
quantité déchaînes et de cordes, que les Germains ^i^;;^^ ^*;\
avaient préparées pour les Romains, et que ces der- 769. i6.
niers employèrent pour mettre aux fers le peu
d'entre ces malheureux qu'ils épargnèrent. L'armée
donna sur le champ de bataille même le titre d'em-
pereur à Tibère, et éleva sur une colline un trophée
de toutes les armes conquises dans celte journée;
elle y consacra un monument où furent inscrits les
noms de tous les peuples qu'elle venait de vaincre et
de subjuguer.
Ce monument excita, plus que leur défaite, la
fureur des Germains. Inguiomar, qui avait réussi à
se sauver, rallia tout ce qu il put trouver de nou-
veaux défenseurs; en l'absence .d'Hermann, que
ses blessures forçaient à l'inaction, il revint quel-
ques temps après pour venger cette injure. Mais son
courage échoua de nouveau en celte occasion contre
la tactique romaine '. Les Germains firent des pro-
diges de valeur, mais furent vaincus. Un nouveau
monument attesta aussi sur cet autre champ de
bataille cette nouvelle victoire, et par une inscription
qui fut gravée sur l'autel élevé à Mars, à Jupiter et
à Auguste, il fut dit à la postérité que tous les
peuples qui habitaient entre lElbe etleRhin avaient
été de nouveau subjugués^.
Mais , malgré toutes ces victoires , il fallut, pour
hiverner, quitter ces contrées inhospitalières. L'ordre
de la retraite fut donc donné; larmée se rabattit
* Taciie, Ann., V. ii , r. 2l.
^ Idem, c. 22.
1.
36 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
uôme. d*rc. sur l'Ems, où elle rentra dans les embarcations qui
769. 16. recouvraient le fleuve. Une afl*reuse tempête assaillit
son retour dans les Gaules. A peine la flotte eut
gagné la haute mer, que l'ouragan la dispersa. La
moitié des vaisseaux , construits d'une manière trop
plate pour soutenir le ballottement des flots, cha-
vira. La plupart des soldats qui les montaient furent
noyés , ou s'ils purent joindre à la nage les bancs de
sable, les îles ou les récifs déserts, furent bientôt
décimés par la faim. La galère que montait Germa-
nicus, après avoir longtemps été le jouet des vagues,
parvint enfin à atteindre le rivage habité par les
Chauques.
Lorsque le calme eut enfin succédé à cette tem-
pête, les autres embarcations échappées au danger
vinrent se rallier sur le même bord. Le premier
soin de Germanicus fut de faire vite réparer quel-
ques bâtiments, pour aller explorer toutes les îles,
tous les récifs de la côte, afin de recueillir ceux
que la mort avait épargnés. Beaucoup de soldats
furent ainsi sauvés. D'autres, qui avaient été obligés
de mettre pied sur le territoire germain et qui étaient
tombés au pouvoir des Angrivares, furent délivrés
moyennant une rançon. Quelques-uns avaient été
jetés jusque sur les côtes de l'île qu'habitaient les
Bretons, d'où ils furent plus tard rendus à leur
pays.
Dans la crainte que la nouvelle de cette catastrophe
ne soulevât les peuples du Rhin, Silius, malgré la
saison avancée, fut envoyé par terre avec trente
mille hommes d'infanterie et trois mille chevaux,
DU RHIN ET DU DANUBE. 37
afin de contenir les Cattes qui remuaient. L'aigle j, ,'|"'^^ ^^\"'^
d'une légion, qui avait été prise lors du massacre de ^69 le.
Varus, fut reconquise dans cette circonstance.
Cette marche hardie, alors que chacun croyait
déjà le colosse abattu , raffermit la barrière du Rhin ,
qui s'était vue un moment menacée.
Rome fêta les exploits de ses armées en élevant 770. 17.
un arc triomphal devant le temple de Saturne, et en
préparant au général un triomphe des plus splen-
dides. Elle avait payé cher cependant le spectacle
dont elle rassasiait les yeux de sa populace , et les
avantages qu'elle retirait de ses victoires ne com-
pensaient pas les pertes qu'elle avait eues à supporter.
Elle avait dévasté la Germanie; elle avait, il est vrai,
écrasé ses peuples; mais toutes ces nations auxquelles
elle avait fait sentir le poids de ses armes, dont elle
montrait avec ostentation les princes derrière le char
du proconsul \ et dont elle inscrivait avec fierté les
noms sur les insignes qui le suivaient, étaient, dans
leurs forets, libres cependant encore des chaînes
qu'elle avait prétendu leur imposer, et que la défaite
de Varus avait pour jamais rompues. Depuis le Rhin
jusqu'à l'Elbe, nulle colonie romaine n'avait pu être
fondée.
Tibère sentit combien cet état de guerre conti-
nuelle était onéreux pour l'Empire. N'ayant pu domp-
ter la Germanie par la force, il essaya de la dompter
par elle-même. Marbod avait jusqu'alors suivi la lutte
du regard, sans y prendre une part active. Tibère
1 Voy. Slrabon , 1. c.
38 ÉTABLISSEMENTS HOMAINS
^'" Te. connaissait toute la jalousie qu'il portait à Herinann.
Kum
770. 17. H lie douta pas que si Rome laissait ces peuples en
repos, ils ne fussent bientôt partagés d'intérêts entre
ces deux hommes également ambitieux. Leurs dis-
sensions devaient être plus favorables à la cause ro-
maine que la continuation dune guerre qui avait
déjà tant coûté. Hermann était l'homme de la liberté.
C'était au nom de cette liberté, si chère au Germain,
qu il avait réuni sous ses drapeaux toutes les peu-
plades de l'Elbe et du Weser. Marbod, au contraire,
non moins courageux que despote, la redoutait pour
ceux qu'il avait soumis à son pouvoir. Le nom du
premier se répétait avec enthousiasme et amour
dans chaque chaumière, tandis que celui du second
ne se prononçait qu'avec crainte. Ce que Tibère avait
prévu arriva. Bientôt les Semnones et les Lombards,
qui faisaient partie de la coalition marcomane, la
quittèrent pour prendre le parti d'Iîermann.Inguio-
mar, d'un autre côté, rougit de se trouver plus long-
temps sous les ordres de son neveu et s'en sépara.
La gloire était tout pour ces peuples, et la plus grande
qu'ils connussent était surtout la force et le courage.
De district en district le feu se communiqua, jus-
qu'à ce qu'enfln les deux partis se trouvassent en pré-
senc6,etque Marbod, aprèsunebatailledontlegainfut
douteux , réclamât lui-même le secours des Romains.
Tibère le lui refusa d abord, en lui reprochant sa
neutralité lors des guerres romaines en Germanie;
mais se rendant ensuite à ses désirs, il envoya en
Illyrie son fils Drusus, qui se fit le médiateur des
deux princes et qui parvint à les réconcilier.
DU RHIN ET DU DANUBE. 39
Les émissaires de Rome à la cour de Marbod n'y deiloL. deV/c.
furent pas longtemps sans attirer en secret à eux '"- ^^^
tous ceux qui étaient mécontents du prince, et sans
jouer un rôle dans toutes les intrigues qui s'y tra-
maient. Catualda, seigueur puissant parmi les Goths,
qui précédemment avait été banni, sut profiter de
ce concours de circonstances pour s'assurer de l'a-
mitié des Romains. Certain de leur aveu, il leva des
troupes, avec lesquelles, s'avançant à limproviste jus-
qu'à la capitale des États de Marbod, où il avait su
se faire un parti, il s'en empara sans coup férir, et
se saisit de tous les trésors que le chef des Marco-
mans avait formés des dépouilles de tous les peuples
qu'il avait soumis. Marbod, obligé de fuir, alla en
Norique, et implora de là le secours de Tibère, sans
se douter que l'empereur avait lui-même tramé le
complot qui le découronnait. Tibère lui offrit une
retraite en Italie, retraite que ce malheureux prince ,
abandonné de tous les siens, et après avoir renoncé
à l'espoir de se voir secouru, se vit, après quelque
hésitation, dans la triste nécessité d'accepter. Pendant
dix-huit ans il vécut à Ravenne.
Tandis que Rome le recevait sur ses terres, ses
mêmes intrigues continuaient aux lieux d'où elle l'a-
vait exilé. Vibillius chassa à son tour Catualda, avec
l'aide des Hermondures. Catualda vint comme le
chef des Marcomans chercher un refuge auprès des
Romains, qui lui assignèrent pour séjour le Forum
Julium, dans la Gaule Narbonnaise. Du reste, ils ne
prirent parti ni pour l'un ni pour l'autre de ces deux
rivaux, et tout ce que l'empereur crut devoir faire
40 ÉTABLISSEMENTS KOMAINS
le Rome <i*r( . pouF cBux quc cellG double révolution avait à la
772. 19. suite de leurs princes conduits sur les terres de
l'Empire, fut d'en former sur la rive droite du Da-
nube une colonie, à la tête de laquelle il mit nn cer-
tain Ivan ou Vannius, Quade de naissance, auquel
il accorda le litre de roi.
Le meurtre d'Hermann,qui suivit de près ces évé-
nements et qui fut provoqué par la haine des princes
ses rivaux, servit d'un autre côté les intérêts de
Rome. Cette mort réveilla parmi les Germains la
haine des différents partis, et relâcha les nœuds de
cette coalition compacte contre laquelle les Romains
avaient en vain dirigé tous leurs efforts. Elle eut pour
résultat de provoquer chez les Chérusques des guerres
781. 28. civiles non moins désastreuses que celles que la
chute de Marbod avait provoquées parmi les Marco-
mans. Les Frisons tentèrent aussi de secouer le joug
des Romains. Du reste, à l'exception de la guerre
passagère que cette défection provoqua , la paix ne
fut plus troublée pendant toutes les dernières années
790. 57. du règne de Tibère; lorsque ce prince mourut à
Caprée, l'Empire était tranquille sur le Rhin et sur
le Danube.
Caligula, son successeur, ne possédait pas le génie
nécessaire aux conquêtes.
794. 41. Lorsqu'il mourut assassiné, après une vie oiseuse
et futile, Galba était à la tête des légions de la Haute-
Germanie; Gabinius commandait celles de la Ger-
manie inférieure. Ces deux provinces, depuis la re-
traite de Germanicus, avaient, en effet, toujouis
formé deux gouvernements séparés.
Ans Ans
de liomc. (le J. C.
DU RHIN ET DU DANUBE. 41
Galba, malgré les exhortations de son armée, qui
l'engageait à se saisir de l'autorité impériale, res- 794. 41
pecta le choix que le sénat fit de Claude, frère de
Germanicus. Pour prévenir toute conspiration, il
marcha la même année contre les Cattes. Les Marses_,
qui remuaient, furent, de leur côté, châtiés par Ga-
binius, qui recouvrit une aigle qui était restée en leur
pouvoir depuis la défaite de Varus. Claude, sur ces
deux champs de bataille, fut proclamé empereur
par les soldats.
Il ne restait à cette époque chez les Chérusques
qu'un seul rejeton de toute la famille d'Hermann ,
tant leurs querelles domestiques l'avaient décimée.
C'était le fils de Flavius, qui, né en Italie, avait en
naissant reçu le nom dltalus. Ainsi, les Chérusques,
qui pendant tant d'années avaient avec tant d'acharne-
ment combattu les Romains, et qni n'avaient recouvré
leur liberté qu'au prix de tant de sacrifices et de sang,
n'en avaientsu jouir, comme l'avait prévu Tibère, que
pour se combattre eux-mêmes et s'entre-déchirer.
Leur position politique, au commencement du règne
de Claude, était si précaire qu'ils se virent forcés
d'envoyer à Rome une députation, pour réclamer
de l'empereur ce jeune prince, dernier héritier de
leur famille royale. Rome, qui n'avait pu réduire ces
peuples par la force, leur donna alors un souverain
qui, né dans ses murs, n'avait rien de germanique
ni dans ses mœurs ni dans sa manière de penser.
Aussi, à peine fut-il sur le trône, où on l'avait appelé,
qu'une nouvelle faction l'en chassa. Il se réfugia chez
les Lombards, et ce ne fut qu'après une guerre
42 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
deiioL. d.^j.'c. sanglante qii il parvint à reconquérir ses droits.
794. 41. Le Rhin continuait de former la frontière de
l'Empire, depuis son embouchure jusqu'au Mein, ri-
vière sur laquelle les Romains commençaient aussi
déjà à s'asseoir, ainsi que sur le Neckar et sur ses con-
fluents. On sentait si bien alors à Rome le besoin de
consolider cette frontière du nord que, lorsque
Corbulon, qui avait succédé à Galba, porta ses légions
800. .'ti. contre les Chauques, qui s'étaient avancés jusque
dans la Basse-Germanie, et détruisit leur flotte qu'il
poursuivit sur l'Océan, la cour, dans la crainte que
ce succès ne réveillât l'esprit de conquête de ses
généraux , lui ordonna de rentrer avec ses troupes
et de reprendre la limite qu'elle s'était prescrite.
Cette paix, du reste, influait sur la prospérité des
villes baignées par le fleuve. La métropole des Ubiens,
fondée par Agrippa, et l'une des mieux situées sur
le Rhin, reçut dans son sein une colonie de vétérans
803. 30. qu'Agrippine , en mémoire de son grand-père , et
pour consacrer un monument à Germanicus, son
père , et à Drusus , y appela d Italie. Cette colonie
reçut toutes les libertés , tous les privilèges des villes
italiennes.
Cependant les Cattes remuèrent encore. Ils furent
toutefois bientôt réduits par Lucius Pomponius,
qui avait pris le commandement de la Germanie
supéiieure , et contraints d'envoyer à Rome des
otages afin d'obtenir la paix que leur esprit remuant
venait de troubler momentanément. Les légions du
Nord , pendant ce temps, eflèctuaient les plus grands
travaux, et élevaient tout le long du Rhin une digue
DU RHIN ET DU DANUBE. 43
immense pour contenir le cours du lleuve du côtédeRÔ'L. i.^Tc
des Gaules. ^"^- ^^•
Au delà de cette frontière, et au haut du canal que sot. 54.
Drusus avait fait creuser pour mener les eaux du
Rhin'dans l'Issel, s'étendait un immense territoire
où avaient successivement habité les Chamaves, les
Tubantes et les Usipètes, et qui, devenu désert par
suite des ravages que la guerre y avait causés , ne
s'était que faiblement repeuplé des habitants des
nations voisines. Rome tenait à ce que de telles soli-
tudes se trouvassent h ses frontières. Elle refusa donc
aux Frisons la permission de s'y établir, malgré
l'ambassade que ces peuples envoyèrent jusqu'à la
cour de Néron. Les Amsibares, peuples de la rive sos. 55.
droite de l'Ems, que les Chauques avaient chassés de
leurs terres et qui erraient cherchant de nouvelles
demeures, ne purent de même y trouver un abri. Ils
s'adressèrent aux Tenchtères, aux Bructères et aux
autres nations voisines, pour en être secourus. Cette
coalition eût pu devenir dangereuse, si Avitus ne
l'eut prévenue, et si, sur son avis, Curtilius Mancia,
qui commandait dans le Haut-Rhin, n'eut, de son
côté, fait une excursion dans le pays des Tenchtères,
afin de jeter la terreur parmi ces nations. Repoussée
dès lors de tous côtés, cette malheureuse tribu des
Amsibares ne put ni avancer ni reculer; elle se vit
obligée d'errer les armes à la main, jusqu'à ce qu'enfin
tous ceux que la mort avait épargnés, devinssent
esclaves des peuples voisins.
Ce fut quelques années après qu'éclata la révolte de
Vindex, Gaulois distingué, qui , outre de la basse
Ans An'i
Je Rome, il
44 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
j"c tyrannie de Néron , résolut d'en délivrer sa patrie.
821. 68. Il avait pour lui les peuples de la Gaule Narbonnaise
et de la province Viennoise , ainsi que bon nombre
d'affidés parmi les Aeduens et parmi les Séquaniens.
Galba, qui commandait en Espagne, favorisai ses
projets. D'autres peuples gaulois au contraire , et
principalement les Belges, les Lingones et ceux de
Trêves, lui étaient opposés. Tout dépendait donc de
la conduite que les légions rhénanes allaient tenir.
Les généraux qui les commandaient venaient d'être
changés. Virginius Rufus était à la tête du gouverne-
ment de la Haute-Germanie ;ronteiusCapito à la tête
de celui de la Germanie inférieure. Le premier,
fidèle à son devoir, et indigné de ce que des Gaulois
prétendissent dicter des lois à Rome, marcha contre
les rebelles et assiégea la métropole des Séquaniens,
que Vindex tenait encore en son pouvoir. Après
plusieurs pourparlers inutiles, et entraîné par les sol-
dats, qui, malgré les chefs des deux armées, en vinrent
aux mains, il lui livra une bataille sanglante, qui coûta
la vie à vingt mille Gaulois. Vindex, pour ne pas sur-
vivre à la défaite des siens, se tua de sa propre main.
Sa mort n'anéantit point toutefois la sédition.
Galba, qui avait pris en Espagne le titre de légat du
sénat et du peuple romain, marcha sur les Gaules
après s'être déclaré contre Néron. Les légions de la
Germanie supérieure, après avoir renversé le parti
de Vindex^ se détachèrent de même de l'empereur
et offrirent l'Empire à leur général. Mais Virginius
refusa ; et même peu après , ayant appris la mort de
Néron, et ayant su que les prétoriens s'étaient à
DU UHIN ET DU DANUBE. 45
Rome déclarés pour Galba ^ il fit prendre aux légions jeRoL. j.V.c.
qu'il commandait le parti du nouvel empereur, et 821. 68.
les porta h lui prêter le serment de fidélité.
Galba mena avec lui Rufus en Italie. Pour avoir
moins à craindre de l'esprit remuant des légions
rhénanes, il le remplaça dans son commandement
par le vieux général Flaccus Hordeonius, homme
presque infirme et peu estimé du soldat. Le mé-
contentement qui fermentait parmi ces troupes fut
augmenté par la retenue que l'empereur fit des gra-
tifications que chaque César , à son avènement, avait
coutume de faire distribuer aux soldats. Les villes
des Gaules et du Rhin, que, dans ce même temps,
plusieurs décrets lésèrent dans leurs intérêts, favo-
risèrent de leur côté cette effervescence de muti-
nerie. La révolte couvait sous main, quand enfin,
vers la fin de décembre, parut à Cologne Vitellius^
qui prit le commandement des quartiers d'hiver de
la Basse-Germanie.
Ce général, par sa conduite adroite, sut s'attirer 822, 69.
l'amour des légions placées sous ses ordres. Il leur
fit même prêter le serment de fidélité au nouvel em-
pereur. Mais, vers la même époque , la quatrième et
la dix-huitième légion, qui se trouvaient à Mayence
et dans ses environs, jetèrent le masque et se révol-
tèrent ouvertement; elles brisèrent les statues de
Galba, et ne voulurent prêter serment qu'au sénat
et au peuple romain.
Un porte-étendard, profitant du tumulte , vola à
Cologne, résidence de Vitellius, lui porta les aigles
de ces légions, et lui rendit compte de ce qui
46 ÉTABL1SSEME^TS ROMAINS
d lurae dej 'c ^^ passaît. Lg serment que ces troupes venaient
822. 69. de prêter ne pouvait qu'être précaire, et l'Empire
devait désormais être déféré par elles a celui qui
saurait profiter de leur exaltation. Vitellius le com-
prit; il fit aussitôt savoir ses intentions aux chefs
des autres légions qu'il commandait. Fabius Va-
lens, qui, avec sa cavalerie, résidait à Bonn, ne
voulut pas être le dernier h donner l'exemple;
dès le lendemain , il se rendit à Cologne où , à la
tête de ses troupes, il proclama Vitellius empereur.
Trêves, Langres ne tardèrent pas à donner leur ad-
hésion à ce qui venait de se passer dans cette ville.
Ils offrirent au nouveau César de l'argent, des hommes
et des chevaux, pour se mettre en possession de
l'Empire. D'autres villes des Gaules suivirent leur
exemple. Valerius en Belgique, Junius Blsesus dans
la province Lyonnaise , l'armée qui occupait la
Bretagne, se soumirent au nouvel ordre des choses.
Quatre des capitaines de la dix-huitième légion^ qui
avaient voulu s'opposer au soulèvement de Mayence,
furent mis à mort sous les murs de cette cité^
Vitellius rassembla trois armées considérables.
Valens, dans la Basse-Germanie, eut le commande-
^ Voici l'épitaphe de l'un d'eux doni la pierre luniulaire a été re-
trouvée.
COM
C\LPVR 10 REPENTINO
ACTIA ICISSIM.
F. C.
Conjugi Caipurnio liepentino Àctia infelicmima fierl curavit.
Les trois autres qui trouvèrent la mort avec lui fuient Xonius, Ro-
milius et Donatius.
DU RHIN ET DU DANUBE. 47
ment de quarante mille hommes, pour aller par les ^^ *;4^ Ji"^
Alpes cotienncs tomber sur l'Italie. Caecina, qui, dans 822. 69.
la Germanie supérieure, était à la tête de trente
mille hommes, composés de l'élite de la vingt et
unième légion et de troupes auxiliaires , germaines
et autres , eut ordre d'y pénétrer par les Alpes
penniques. Vitellius lui-même se mit à la tête du
principal corps d'armée dans les Gaules.
Cependant déjà Galba n'était plus.
A peine il avait eu connaissance de ce qui se
passait sur le Rhin que, pour donner plus de soutien
à son trône chancelant, il avait adopté pour fils
Pison Licinius. SalviusOthon, qui, en Espagne, avait
le plus contribué à son élévation au trône, jaloux de
cette adoption^ avait fomenté une révolte qui avait
à la fois coûté la vie à l'empereur et à Pison. Oihon
marcha au devant des légions germaniques, qu'il
rencontra entre Crémone et Vérone \ Battu dans
cette journée fatale par les généraux de Vitellius, il
se tua lui-même d'un coup de poignard 'K
Vitellius, à la nouvelle de cette défaite qui lui par-
vint à Lyon, partagea son armée; et, renvoyant en
arrière les cohortes bataves et les Gaulois auxiliaires,
continua sa route vers l'Italie avec le reste de ses
troupes et sa garde germaine. Il visita le champ de
bataille où Othon avait été défait, et envoya de Cré-
mone à Cologne le poignard dont cet empereur s'é-
tait tué, pour y être déposé, avec l'épée de César,
dans le temple de Mars.
• A Bédriac.
^ Suél., in Oth., c. 11.
48 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
j«H«me. dcY'c. La révolution qui venait de le mettre sur le trône
8-2-2. 69. n'était pas encore toutefois apaisée, que les légions
qui composaient l'armée d'Orient et qui jusque-là
avaient, sous les ordres de Vespasien, prêté, sans trop
de difficulté, tous les serments qu'on en avait exigés,
se révoltèrent à leur tour et proclamèrent empereur
leur propre général. Toute la Judée, lÉgypte, la
Sj^ie, toute l'Illyrie se déclarèrent en même temps
pour ce grand homme. Antonius Primus, qui com-
mandait celte dernière province, et qui se trouvait,
par conséquent, le plus près de l'Italie, se mit aussi
le premier en mouvement pour marcher sur Rome.
Il prit à sa solde un grand nombre de Suèves et de
Sarmates que les événements politiques attachaient
alors aux Romains, et pour empêcher les troupes de
Vindélicie de traverser les monts, il fit en sorte que
le Norique se soulevât en même temps, et que les co-
hortes qui y tenaient garnison leur en défendissent
le passage.
La révolte de Civilis et de ses Bataves, qui éclata
en même temps , favorisa les projets de Primus et
retint sur le Rhin les légions qui y étaient sta-
tionnées.
Les Bataves, ancienne colonie des Cattes, qu'une
révolution avait depuis plusieurs siècles chassés de
leur patrie, et qui, après avoir descendu le Rhin, s'é-
taient arrêtés dans l'île immense que ce fleuve forme
à son enibouchure\ avaient jusqu'alors été l'un des
peuples dont l'alliance avec les Romains avait été la
' Dion., 1. V, 24.
DU RHIN ET DU DANUBE. 49
plus Adèle. Les Romains, pour toute charge, ne leur j,r"'„, jj'y'c
avaient imposé que l'obligation de fournir un certain 822. co.
nombre de cavaliers qui, vu leur valeur éprouvée
et leur habileté à traverser les fleuves à la nage,
leur avaient souvent rendu les plus éminents services.
Parmi la noblesse de cette nation se distinguaient
surtout, par leur courage comme par leurs brillantes
qualités, Julius Paulus et Claude Civilis, issus l'un
et l'autre du sang de leurs rois. L'un et l'autre, sous
le règne de Néron, avaient été accusés de rébellion
par Fonteius Capilo, et le premier avait même payé
de sa tête cette accusation. Civilis avait été envoyé à
Rome; mais il avait été rendu à la liberté par Galba,
et ce n'avait été qu'avec la plus grande peine qu'il
avait plus tard échappé à Vilellius.
Antonius Primus connaissait toute la fougue de
son caractère, et il savait qu'aucune entreprise,
quelque audacieuse qu'elle fût, n'étonnerait son cou-
rage. Il lui écrivit, en quittant l'Illyrie, pour lui faire
part de son entreprise, et l'engagea à provoquer, de
son côté, un soulèvement, afin d'occuper les légions
rhénanes et de les empêcher de marcher sur l'Italie.
Civilis, qui depuis longtemps n'attendait pour se
venger de Rome qu'une occasion, saisit avidement
celle qui venait se présenter à lui sous de si favo-
rables auspices. Il rassembla dans une forêt sacrée
tout ce que sa nation offrait d'hommes courageux et
distingués, et, au milieu d'un repas, lorsqu'il vit tous
les convives animés, il leur fit part des événements
de l'Orient. 11 leur communiqua son propre enthou-
siasme, au nom de la liberté batave, et reçut leur
50 ÉTABLfSSEMEINTS ROMAINS
de nome deY'c semienl de la reconquérir'. Les Canifales, peuple
822 69. qui lui-même n'était qu'une division des Bataves,
furent aussi bientôt gagnés à la coalition. Ils mirent à
leur tête un certain Brinion, homme d'une noble ex-
traction et d'une valeur éprouvée, dont le père s'était
déjà rendu redoutable aux Romains sous le gouver-
nement de Caïus. Ce chef leva le premier l'étendard
et entraîna dans son parti les Frisons, qui n'étaient
séparés des Canifates que par un bras du Rhin. Il
commença la campagne par le pillage du campe-
ment d'hiver de deux cohortes composées de Ner-
viens et de diverses nations germaines. Les Romains,
qui n'étaient qu'en petit nombre, vu que Vitellius
avait retiré les meilleures troupes pour le suivre,
n'eurent pas la confiance de pouvoir résister; après
avoir mis le feu à tous les châteaux protecteurs, ils
se retirèrent, sous la conduite d'Aquilius, dans la
partie la plus supérieure de l'île.
Civilis, qui jusque-là avait feint d'adhérer à la
révolution d'Antonius Primus, jeta le masque; le-
vant le bouclier, il vint les y attaquer. Les Bataves, les
Canifates et les Frisons formaient trois corps d'ar-
mée séparés. Au moment d'en venir aux mains, la
cohorte des Tongres passa du côté de Civilis et, par
sa défection, contribua à la défaite des Romains. Le
champ de bataille resta aux coalisés. Les Romains
avaient dans le port de lîle vingt-quatre vaisseaux,
dont presque tous les matelots et les rameurs étaient
' Barbaro rituet patriis cxecrationibus omnes adigU. Tac, 1. iv,
de J C.
DU lUIIN ET DU DANUBE. 51
Bataves. Ces derniers prirent parti pour leurs com- jenoL. jeY'
patriotes ; leur défection fit aussi tomber toute la s---- ^9
flotte au pouvoir de Civilis.
Flaccus Hordeonius, qui avait été laissé au com-
mandement de la Germanie, et qui, partisan secret
de Vespasien, avait d'abord vu d'un œil tranquille
le soulèvement, crut enfin devoir prendre des me-
sures d'énergie, lorsqu'il eut la certitude que cette
guerre des Bataves ne regardait point la sécurité de
Rome, mais n'était provoquée que pour en secouer
le joug. Il envoya Mumius Lupercus à la rencontre
de Civilis, et fit en même temps passer le Rhin à
deux légions, auxquelles furent jointes quelques
troupes auxiliaires d Ubieus, une partie de la cava-
lerie trévirienneet une brigade de Bataves que com-
mandait Claudius Labeo, ennemi personnel de Ci-
vilis, circonstance qui lui valut surtout la confiance
du général. Mais ces troupes ne furent pas plutôt en
pi'ésence de l'ennemi, que ces mêmes Bataves, qui,
en qualité d'auxiliaires, flanquaient une des ailes
romaines, passèrent du côté de leurs compatriotes
et entraînèrent leur chef, qui en vain tenta de s'op-
poser à leur défection. Les Ubiens et ceux de Trêves
lâchèrent pied de leur côté, et force fut à l'infanterie
romaine de chercher un refuge dans Castra-Vetera.
Civilis, maître de Labeo, n'attenta pas toutefois à
ses jours; il se contenta, pour lui ôter tout moyen
de nuire, de l'envoyer dans le pays des Frisons.
A Mayence se trouvaient alors aussi huit cohortes
bataves que le général Fabius Valens avait d'abord
prises avec lui en Italie, mais qui , ayant eu quelques
1.
Ans Ans
de Komc. Je J. C
02 ETABLISSEMENTS ROMAINS
disputes avec les soldais de la quatorzième légion
822. 69. qu'ils accompagnaient, avaient été envoyées par lui
sur le Rhin, sous prétexte que les garnisons de ce
fleuve étaient trop faibles. Elles venaient de recevoir
de Vitellius Tordre de retourner en Italie, quand un
émissaire de Civilis, envoyé en secret par ce chef,
vint en son nom les engager à faire cause commune
avec leurs concitoyens. Ces troupes, où déjà l'esprit
de sédition fomentait, n'eurent pas de peine à se
laisser entraîner. Au lieu donc de partir pour l'Italie,
elles se mutinèrent à leur tour, et sans que le vieux
gouverneur osât les arrêter, elles firent alors route
vers la Germanie inférieure. Arrêtées dans leur
marche devant Bonn par le légat Herennius Gallus,
elles se frayèrent un passage 1 epée à la main , et ,
après avoir contourné la ville de Cologne, vinrent
enfin joindre l'armée des Bataves.
Civilis n'osa pas toutefois encore jeter le masque
ouvertement; pour donner à sa révolte un air d'ex-
cuse et pouvoir s'attacher à un parti, en cas de
revers, il fit prêter à ses troupes le serment de fidé-
lité à Vespasien. Il envoya ensuite un parlementaire
aux deux légions renfermées dans Vetera pour les
engager à suivre cet exemple. Sur leur refus, il en-
tieprit le siège de cette ville. Les Bructères, les
Tenchlères et bon nombre d'autresnalions germaines
avaient, de leur côté, pris les armes pour la coa-
lition.
Hordeouius, dans cette situation critique, crut
devoir enfin prendre l'offensive. Il fit précéder sa
marche par l'élite des légions sous les ordres de Dil-
DU RHIN ET DU DANUBE. 53
Mus Vocula, et suivit bientôt lui-même avec le reste de , ,V;' ^
' (le ln'n
l'armée. Avant de partir, il reçut des lettres de Ves- s^-^
pasien qui l'engageait à euibrasser son parti. Pour se
mettre en garde contre tout soupçon de la part des
troupes, il leur en ût faire une lecture publique, et,
après avoir mis aux fers le messager qui les lui avait
apportées, il l'envoya à Rome auprès de Vitellius. L'ar-
mée, qui déjà murmurait contre son général, et qui
attribuait à son peu d'énergie les progrès des armes
de Civilis, fut un peu calmée par cette preuve de
bonne foi. Mais lorsqu'elle arriva à Bonn, et qu'elle
apprit la défaite que la garnison de cette ville avait
eue à supporter de la part des Bataves, ses murmures
recommencèrent et elle accusa bautement Hordeo-
nius de s être entendu avec l'ennemi, en favorisant à
IMayence le départ des cohortes. Le mécontentement
prit un caractère si séditieux que le vieux général se
vit contraint de céder le commandement à Vocula.
Herennius Gallus fut adjoint à ce dernier devant No-
vesium, où la treizième légion vint aussi joindre
l'armée.
Ces deux généraux, au lieu de marchera l'ennemi ,
se contentèrent d'élever leur camp près de Gelduba,
petit endroit au bord du Rhin. L'esprit des troupes
était^ en effet, si partagé, et il y avait, surtout parmi
les officiers, tant d'adhérents pour l'un et lautre des
deux partis qui se disputaient l'Empire, qu'ilsavaient
également à craindre de montrer leur zèle ou pour
1 un ou pour l'autre.
La nouvelle qui parvint bientôt sur le Rhin de la
défaite des troupes de Vitellius^ sous les murs de
Je J. C
69.
Ans Ans
.!« Rome. dcJ.C.
54 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Crémone, par cellesqui tenaient le parti de Vespasien
822. 69. et de la mort du premier, donna aux événements
une toute autre lace. Les légions, sans montrer
d'enthousiasme , prêtèrent cependant le serment
qu'on en exigeait au nouvel empereur; et il fut aussi-
tôt envoyé un exprès à Civilis pour l'engager à dé-
poser les armes, vu que l'armée du Rhin reconnais-
sait désormais le parti dont il s'était fait le soutien.
Le Batave sentit que le moment était venu où il
fallait payer d'audace. Loin de déposer les armes, il
envoya aussitôt les huit cohortes dont nous avons
parlé et les troupes d'élite germaines, sous les ordres
de Julius Maximus et de Claudius Victor, attaquer
le camp de Gelduba. Ces troupes dans leur marche
renversèrent une aile de cavalerie qui couvrait Asci-
bourg, et elles se fussent rendues maîtressesdu camp,
si Vocula n'eût reçu à temps des secours qui lui
permirent de les repousser. Ce général s'avança alors
sur Vetera, que Civilis en personne tenait toujours
assiégée; il livra au Batave un combat qui se ler-
823. 70. mina par la retraite de ce dernier. Vocula fit aussitôt
réparer les foilifîcations de la place, et il se replia
sur Gelduba et Neuss, pour rejoindre le quartier
général.
Il est sûr que si les préfets et les légats romains
n'eussent pas été si indolents h attaquer Civilis, au
commencement de sa révolte, ce cbef n'eût pas été
capable de l'organiser sur un pied aussi étendu , ni
de rassembler une armée aussi considérable. Chaque
soldat le sentait, et il le disait hautement dans le
camp, où tout manquait, vivres, argent, munitions.
DU UIIIIN ET DU DAJiUBK. 55
On ne craignit point d'accuser les généraux de trahir a„ ,;"L
le soldat et de sacrifier son sang à leur propre ^-^•
sûreté. Le bruit courut en même temps que Vitellius
avait envoyé de l'argent pour être distribué aux
troupes, et que les chefs l'avaient retenu. Quoique
Hordeonius le leur distribuât maintenant au nom du
nouvel empereur, leurs murmures n'en prirent pas
moins un caractère menaçant qui finit par coûter la
vie au vieux général. Le même sort eût atteint Vocula,
s'il ne se fût échappé du camp à la faveur des
ténèbres.
Civilis sut mettre à profit celte nouvelle révolte;
il reprit l'offensive.
Les Cattes, de leur côté, les Usipètes et les Mat-
tiaques, non plus contenus par les armes romaines,
passèrent le Rhin et vinrent bloquer la forteresse de
Mayence. Se répandant dans tout le pays, ils pillèrent
et saccagèrent tout. Le Rhin eût été perdu pour
Rome , si Vocula, se remettant à la tête des première,
quatrième et dix-huitième légions qu'il fit rentrer
dans le devoir, et qui prêtèrent entre ses mains le
serment de fidélité à Vespasien , n'eût arrêté la
marche de l'ennemi , et si les Tréviriens n'eussent
de leur côté, pour les contenir, élevé à la hâte une
ligne fortifiée. Surpris par ces légions, alors qu'ils
n'étaient occupés que du pillage, les Cattes et leurs
alliés se virent contraints de repasser le Rhin avec
perte.
Cependant Cologne était devenue le chef-lieu de la
sédition.
On savait dans cette ville que Vespasien, qui venait
Ans
.le J. C.
70
Ans An
.!.■ Uonie. J
56 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
j"'c. de recevoir l'Empire, était encore occupé en Judée
8!25. 70. à soumettre avec son fils Titus les peuples de ces
contrées. La plupart des troupes qui composaient
les légions du Rhin, des Gaules et de la Belgique,
étaient de nouvelles recrues, tirées du pays même.
Le peu de vieux soldats qui étaient restés en arrière
lors du départ de Vitellius, et que l'honneur attachait
à leurs aigles et à leurs serments, étaient impuissants
à s'opposer à ces factieux. Les piincipaux d'entre les
Bataves, les Lingones et les Tréviriens, Civilis,
Classicus, Julius Tutor et Sabinus, qui tous déjà
avaient servi dans les rangs des Romains, virent
dans l'effervescence qui animait ces troupes le moyen
de s'élever sur les ruines de Rome , et de briser le
joug sous lequel, depuis plus d'un siècle, elle tenait
leur patrie asservie. Ils firent répandre par leurs
émissaires les bruits les plus propres à soulever les
peuples, et formèrent le complot de faire assassiner,
selon l'occasion, les généraux, pensant qu'alors il
leur serait plus facile de faire pencher le soldat de
leur côté.
Vocula fut instruit de ce qui se passait. Sans re-
douter le danger auquel il s'exposait, il se rendit
lui-même à Cologne, afin de tenter par la persuasion
de faire rentrer dans le devoir les conjurés. Claudius
Labeo, qui avait eu le moyen de s'échapper du pays
des Frisons, vint l'y trouver, et il se fit fort, avec
une division, de remettre au pouvoir de Rome la
plus grande partie de la Batavie. Mais il ne put tenir
sa promesse; et à l'exception de quelques Béthasiens
et de quelques Nerviens qu'il gagna à son parti , et
DU RHI> ET DU DANUBE. 57
de quelques courses qu'il fit dans le pays des Canifates j^ u"'
et des Marsates, son expédition n'eut aucun résultat, ^-r.
Les Gaulois étaient toutefois jusqu'alors restés en
apparence fidèles aux Romains. Vocula, dans cet
état de choses, mai'cha lui-même à la rencontre de
Civilis, pensant que s'il parvenait à vaincre ce chef,
les autres Gaulois, tels que Tutor et que Sabinus,
n'oseraient h leur tour jeter ouvertement le masque.
INÏais cette marche même accéléra le soulèvement
général. Il n'était plus qu'à une faible distance de
Vetera, lorsqu'on vint lui apprendre que Classicus
et Tutor, qui avaient pris les devants sous prétexte
de reconnaître lennemi , avaient passé dans ses
rangs, suivis de tous ceux qu'ils commandaient. Cette
défection lui apprit qu'il ne pouvait compter sur les
Gaulois, et comme son armée en était en majeure
partie composée, il crut plus prudent de se rejeter sur
Neuss. Les Gaulois révoltés l'y suivirent et posèrent
leur camp à deux lieues de ce bourg. Ils avaient des
intelligences dans l'armée, et Vocula eut le chagrin
de voir déserter les uns après les autres tous ses
Gaulois. Ses affranchis et ses domestiques l'empê-
chèrent seuls alors de se donner une mort qui l'eût
sauvé de l'assassinat que Classicus, peu de jours
après, fit commettre sur sa personne par^Emilius
Longinius, un des soldats de la première légion.
Les deux légats Herennius et Numisius Paifus, de la
première et de la dix-septième légion, furent gar-
dés à vue. Classicus se rendit ensuite au milieu de
l'armée, précédé de toute la pompe qui accompa-
gnait toujours un général romain; il fit prêter aux
Ans Ans
me. Je J. C.
A as
de Itome. de J. C
58 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
j"(. légions le serment de fidélité à lEmpire des Gaules.
8-25. 7u. Tutor , de son côté, se dirigea avec un corps d'ar-
mée sur Cologne. Il s'empara de cette ville , dont il
força la garnison , ainsi que plus tard toutes les
autres troupes qu'il rencontra dans sa marche , à
prêter le même serment. A Mayence, il fit tuer plu-
sieurs des principaux officiers qui refusèrent de le
prêter. Classicus descendit le Rhin et se joignit à
Civilis qui était toujours occupé du siège de Vetera.
La famine était dans la ville, et les combats en avaient
décimé la garnison. Dans cette extrémité , et se voyant
dans l'impuissance d'être secourues, les deux légions
qui la composaient, consentirent à capituler. On en
exigea le même serment à l'Empire des Gaules; et
il fut permis aux soldats de se retirer, après avoir
déposé leurs armes. Toutefois ces malheureux avaient
à peine fait cinq milles, qu'attaqués par les Ger-
mains, ils furent en partie massacrés et en partie
faits prisonniers. Le camp fut mis au pillage et in-
cendié. Mumius Lupercus, légat d'une légion, fut, avec
d'autres captifs, envoyé comme esclave h lalruneVel-
léda, au pays des Bructères, et lâchement assassiné
pendant le trajet. La treizième légion qui était à Neuss
et celle qui formait la garnison de Bonn furent diri-
gées sur Trêves, qui devait être la capitale du nouvel
Empire. Tous les camps, où les légions, les cohortes
et les autres troupes avaient leurs quartiers d'hiver
tout le long du Rhin, furent incendiés et rasés, à
l'exception de Mayence, que sa colossale bâtisse pré-
serva seule alors, etde Vindonissa, que, sur le bruit
qui se répandit que les légions d'Italie traversaient
DU RHIN ET DU DANUBE. 59
les Alpes ^ l'ennemi respecta comme un rempart j, r"^, d/j"'c.
propre à les arrêter. ^-^- ■'^•
Mucianus, qui avait pris à Rome les rênes du gou-
vernement en l'absence de Vespasien , avait en effet,
à la première nouvelle du soulèvement et du danger
des provinces rhénanes, envoyé à leur secours Gallus
Annius et Petilius Cerialis. Ne cessant ensuite de
recevoir des Gaules les dépêches les plus fâcheuses,
il s'était lui-même décidé à traverser les monts, ac-
compagné de Domitien. L'ordre avait en même temps
été donné à la quatorzième légion de quitter la Bre-
tagne, et aux seizième et dix-huitième, qui étaient
en Espagne, de marcher l'une et l'autre vers les
Gaules.
L'ambition des principaux factieux, qui, comme il
arrive presque toujours dans toutes les révolutions,
n'avaient en vue que leur propre intérêt, et qui, au
lieu de consolider leur pacte contre Rome, ne cher-
chaient qu'à se saisir des dépouilles du colosse,fit toute-
fois plus pour rétablir sa puissance que ne firent les
armes romaines elles-mêmes. Ci vilis qui, en levant le
bouclier, s'était vu trop faible pour résister seul aux
Romains, et qui, pour les chasser, avait si adroite-
ment su profiter de l'alliance des Gaulois, s'en sépara
maintenant et tourna ses regards avides vers les pro-
vinces belges et rhénanes. Sabinus, de son côté, s'a-
bandonnant à l'idée de soumettre la Gaule séqua-
nienne , prenait à la tête des Lingones le titre d'em-
pereur, et en qualité de descendant du grand César
qui avait eu son père d'une noble dame gauloise, il
ajoutait à tous ses autres titres ce même nom de
60 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
deRle d.*r( César sur lequel il fondait tous ses droits. Civilis,
825. 70. pour parvenir à ses fins, chercha à se concilier la
faveur des Ubiens, peuple le plus puissant et le plus
nombreux de toutes les tribus germaines de la rive
gauche du Rhin. Les autres nations, habitant la rive
opposée du fleuve, eussent de leur côté vu avec plai-
sir que ces mêmes Ubiens se fussent unis à elles, et
fissent de nouveau partie de cette coalition germa-
nique dont Rome les avait séparés. Elles envoyèrent
une députation à Cologne, pour demander le mas-
sacre de tout ce qui restait de Romains sur son terri-
toire, et pour porter les habitants à raser les murs
de la cité. Ceux-ci , gagnés par Civilis, s'en rappor-
tèrent à son jugement et à celui de l'alrune Velléda,
qui tous deux donnèrent une réponse évasive quant
au dernier point, mais consentirent à ce que les péages
du Rhin fussent abolis et que la liberté du commerce
fût rétablie sur les deux rives. Civilis alla encore plus
loin ; et il contraignit les habitants de Sutinum, ancien
reste de ces Suèves que Tibère avait transplantés sur
la rive gauche du fleuve, à faire partie de la coalition.
Claudius Labeo, qui, à la tête des Nerviens et des
Béthasiens, auxquels s'étaient joints des habitants
de Tongres, s'était de Mastric poi'té à sa rencontre,
pour l'inquiéter dans cette entreprise, eut la douleur
de voir sur le champ de bataille même la défection
de ces derniers ; exemple que suivirent bientôt après
les Nerviens et les Béthasiens; ce qui contraignit de
nouveau ce général à se sauver devant son ennemi
jusque dans la Gaule belgique.
Sabinus ne fut pas aussi heureux. Battu par les
DU UHIN ET DL DANUBE. 61'
Séquaniens qu'il était verni attaquer, il se vil obligé ^AlL. i^Tc
(le fuir devant eux; pour ne pas tomber au pou- ^-^- "O-
voir des Romains, il fit semer le bruit de sa mort.
Pendant neuf ans il se tint caché dans une retraite
secrète, que son épouse et deux de ses affranchis
seuls connaissaient, et d'où il ne fut enfin tiré que
pour aller à Rome payer de sa tête sa malheureuse
prétention à lEmpire'.
Les Lingones et les Tréviriens, en soutenant son
parti et celui de Tutor, s'étaient isolés des autres
Gaulois qui, fatigués de toutes ces séditions, dési-
raient maintenantvoir renaître le repos. Ces Gaulois,
qui s'étaient à la voix de Vindex soulevés contre la
tyrannie, comprenaient enfin que leur intérêt n'était
plus de soutenir des factieux qui, sous prétexte
de donner la liberté à leur patrie, ne cherchaient
tous qu'à s'élever sur ses ruines, avant même que
cette liberté ne fût fondée. Tutor, chef des Tréviriens,
auquel s'étaient joints les Vangiones, les Triboques
et les Caracates, dernier peuple qui n'est cité dans
l'histoire que dans cette occasion ^ était sur le Rhin
occupé à opposer une barrière aux troupes romaines
qui venaient d'Italie. Il avait fait la faute de laisser
libre le passage des Alpes, et ce manque de tactique
avait à la fois permis à la vingt et unième légion de
s'avancer jusque sous les tours fortes de Vindonissa,
et à Sextilius Félix, auquel s'était joint Julius Bri-
^ Tacite, Hisf., 1. iv, c. 67. — Plutarque, in Eroiico
- Treverorum copias, récent i f'angionum , Ccaacafium , Friboco-
rum delectu aucias Tacil., Hisf., 1. iv, c. 70. — Voy. ci-après
deuxième partie de ce Mémcire, §. 2.
Ans Ans
Je Itume Je J. C
62 ÉTABLISSEMENTS HOMAINS
ganlicus, neveu de Civilis, de se porter avec les auxi-
8-25, 70. liaires sur ce fleuve, à travers la Rhéiie. Le premier
combat qu'il livra à l'avant-garde de Félix fut à son
avantage. Mais cette victoire n'arrêta pas la marche
de ce général. Tutor vit alors déserter du côté des
Romains la plus grande partie de son armée, et il
fut contraint de reculer et, après avoir ruiné le pont
de la Nava\ de se réfugier dans Bingen. Félix réta-
blit le passage et vint l'assaillir dans celte ville. Il
remporta une victoire si complète que Tutor et Ju-
lius Valenlinus purent à peine empêcher les Trévi-
riens de se rendre au vainqueur. Les deux légions
qui avaient combattu avec eux se délièrent toute-
fois de leur parti, et elles se déclarèrent aussi
pour Vespasien. Elles furent dirigées vers le pays
des Médiomatrices, qui pendant toute cette année
de révolte étaient toujours restés fidèles aux Romains.
Mayence était de même rentrée dans le devoir, ra-
menée sous l'autorité romaine par l'exemple que
lui avait donné l'ala picentine. Cette brigade, qu'on
conduisait prisonnière à Trêves, n'avait pu pendant
sa marche supporter la honte de sa captivité, et^ par
une généreuse inspiration, se soulevant au milieu de
ceux qui prétendaient river ses fers, elle s'était, l'é-
pée à la main, frayé de nouveau le chemin jusqu'à
la forteresse-. L'arrivée de Cerialis dans les murs
de cette place y consolida le pouvoir de 1 Empire.
Ce général envoya aussitôt quelques officiers de con-
fiance vers les deux légions qui se trouvaient à Metz,
• La Nahe.
"^ Tacite, llist., 1. iv, c.65.
DU iUIIN El DU DANUBE. 63
et se Qiettanl à la tête des troupes qu'il avait amenées ^e R«me. a^T.c.
dllalie et de celles qu'il réunit à Mayence,il se di- ^-^- "o-
rigea vers Rigodulum, où Julius Valentinus, après
la victoire de Félix, s'était retiré avec les Tréviriens
et les autres Belges. Cerialis, sans s'étonner de la
position formidable qu'occupait le camp de l'ennemi,
le fit aussitôt attaquer; il s'en empara, ainsi que de
Valentinus lui-même. Ensuite il marcha sur Trêves,
que cette défaite mit à découvert. Il forma son camp
près de celle ville, dont il chercha par la persuasion
à faire rentrer les habilanls dans le devoir.
Civilis et Classicus, dans ces conjonctures pour
eux si dangereuses, firent offrir au nouveau général
la couronne et l'Empire des Gaules, à condition qu'il
les laisserait exercer la puissance souveraine sur
leurs nations. Ayant vu leurs offres rejetées, ils vinrent
laltaquer dans ses retranchements. Le combat fut
rude; un moment même l'avantage fut du côté des
coalisés, qui se rendirent maîtres du pont de la Mo-
selle. Mais le général romain, rappelant leur devoir
aux soldats prêts à lâcher pied, ranima leur courage;
il se mit lui-même à leur tête, et son exemple élec-
trisa les plus faibles. L'ennemi ne put tenir et fui
culbuté, laissant tout son camp au pouvoir du vain-
queur.
Civilis crut trouver un refuge sur le territoire des
Ubiens , où il avait laissé en arrière une division de
réserve, ainsi que les auxiliaires Chauques et Frisons.
Mais déjà Cologne s'était révoltée contre son pouvoir,
et les habitants, pour mieux mériter leur pardon,
s'étaient eux-mêmes avancés contre ces troupes
<lc liulU
64 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
,Y'c qu'ils avaient dispersées. Civilis se relira alors surVe-
8-25. 70. tera,où i! attendit les renforts que les nations ger-
maines d'outre-Rhin lui avaient promis.
^, La flotte romaine, qui, pendant que ces événements
se passaient sur la Moselle et sur le Rhin, avait quitté
les côtes de Bretagne, ne fut pas aussi heureuse
dans ses opérations. Attaquée par les Canifates, elle
perdit la plupart de ses vaisseaux, qui furent pris ou
submergés. La cavalerie, que Cerialis avait d un autre
côté envoyée sur Neuss, eut à essuyer un échec de la
part de Classicus.Ellese retira sur le gros de l'armée
que Cerialis commandait en personne, et qui, com-
posée maintenant de six légions et de troupes auxi-
liaires, présentait une masse aussi imposante que
bien disciplinée. Cerialis s'avança au devant de l'en-
nemi dans la plaine de Vêlera. Les Balaves, après
un combat opiniâtre, furent rompus. Malgré le se-
cours que les Chauques leur envoyèrent vers le soir
de cette sanglante journée, ils continuèrent leur re-
traite. Civilis ne tenta pas même de protéger les
villes qu'il possédait encore sur la rive gauche du
Waal. Il rentra dans son île, après avoir mis le feu
à tout ce qu'il ne pouvait transporter avec lui. Quoi-
que la tlotte des Romains fût en partie anéantie, il
ne s'y crut pas encore en sûreté. Pour mettre entre
eux et lui une barrière plus insurmontable, il fit
ruiner la digue que Drusus et, après lui, Pompeius
Paulinus avaient fait élever sur la rive droite du fleuve;
par sa destruction il mit sous l'eau tout le pays.
Avant que Cerialis pût l'y attaquer, lui et ses lieu-
tenants eurent le temps do reformer quatre corps
nu RHIN ET DU DANUBE. 65
(l'armée, tant dos habitants mêmes de lile que deSd,R"'„, ae^c.
peuples germains, leurs voisins. La bataille de Vada, 8-3 70.
perdue parles Bataves, décida enfin du sort de la
campagne. Civilis, acculé contre le Rhin, fut lui-même
obligé de sauter à bas de son cheval et de traverser
le fleuve à la nage. Cette victoire donna aux Romains
toute la partie supérieure de lîle. Le pouvoir de
Civilis fut anéanti. Comme les quartiers d hiver des
légions, ruinés à Bonn et à Neuss par les Germains,
venaient d'être rétablis parles soins de Ceriaiis, que
la saison était avancée, et que lîle des Bataves ne
pouvait offrir aux troupes des campements assez
sûrs, le général se contenta de la dévaster aussi loin
qu'il y avait pénétré, et ramena son armée sur le
Rhin. Il fit lui-même alors offrir la paix et des con-
ditions acceptables à son ennemi. Comme il connais-
sait toute linfluence que les femmes inspirée? exer-
çaient sur les Germains, il chercha aussi à gagner
Velléda. Les Bataves étaient fatigués de la guerre.
Beaucoup d entre eux laissaient ouvertement percer
leur mécontentement, et connaissant les conditions
de paix qu'on leur offrait, ils ne craignaient pas de
dire que, puisquil fallait obéir à un maître, autant
valait le faire à lempereur qu'aux femmes, qui depuis
l'alliance des Bataves avec les Germains semblaient
régler toutes leurs destinées. Civilis/lans ces conjonc-
tures critiques, ciut devoir enfin entrer en pourpar-
lers avec Ceriaiis; il déposa les armes, en reconnais-
sant la souveraineté de Rome. L'histoire, depuis cette
époque, ne nous entretient plus de lui.
Sa chute ramena la paix sur le Rhin , paix qui ne
66 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
de Rome. dej"c. ^"1 P^^s troublée pendant tout le règne de Vespa-
8-23. 70. sien.
Ce prince avait laissé Titus en arrière pour pour-
suivre le siège de Jérusalem. Titus , après la reddition
de cette ville, ramena en Italie ses plus fidèles lé-
gions. Il n'ignorait pas combien Domitien était jaloux
de sa gloire, et combien même il enviait à son père
la puissance souveraine. Lorsque Vespasien mourut,
après un règne de dix ans, Domitien était justement
852. 79. à Rome. Il ne pouvait dans cette ville s'opposer à
voir la couronne passer sur la tête de Titus, dont le
parti était trop puissant. Mais il espéra trouver sur
les bords du Rhin, au milieu de ces soldats dont il
avait partagé les périls, une oreille plus attentive à
écouter ses plaintes; il vola au milieu d'eux.
Titus ne s'opposa ni à ce voyage ni aux marques
d honneur que partout les soldats lui donnèrent.
Mais pour l'euipêcher de recommencer des troubles
dans l'Empire, il changea toutes les garnisons, et
comme il savait que déjà, par ses émissaires, Domi-
tien avait cherché à corrompre la fidélité du général
Cerialis, il lui donna un successeur dans la personne
de Lucius Antonius. La vingt-deuxième légion, qui
s était montrée si vaillante et si adonnée à Titus au
siège de Jérusalem, vint prendre garnison h Mayence.
C'est avec elle que vint aussi dans cette ville le pre-
mier de ses évêques, et que la prédication de l'Évan-
gile eut pour la première fois lieu sur les rives du
Rhin.
834. 81. Titus mourut trop tôt pour le bonheur de
^^^' Rome, et quelques historiens ont même écrit que
DU RHIN ET DU DANUBE. 67
le poison qui le tua avait été préparé par son frère', je nL .u^kc
Quoi qu'il en soit de cette assertion, ce prince lui 834. si.
succéda sur le trône.
Voluptueux et pusillanime, Domilien eut cepen-
dant l'orgueil de vouloir passer pour brave ^. Afin
de donner au peuple romain une haute idée de ses
talents militaires, il entreprit sans raison contre les s—. 84.
Cattes une expédition , au retour de laquelle , sans
même avoir vu l'ennemi, il triompha en effet au sein
de la capitale ^. Une foule de médailles nous sont par-
venues, frappées à cette occasion, et dont les légendes
annoncent avec emphase la prise de la Germanie 84i. ss.
par le vainqueur *. Sa présence sur le Khin ne semble
pas toutefois lui avoir concilié l'amour du soldat dans
celle contrée. Les Daces, peuple du Danube, venaient
en effet à peine de lever le bouclier, que le général
Antonius, qui, ainsi que nous l'avons vu, avait été
mis par Titus h la tête des troupes de la Haute -
Germanie, profita des embarras que cette nouvelle
guerre suscitait à l'empereur , pour entreprendre
contre lui une révolte dans laquelle toute larmée
rhénane se laissa facilement entraîner^. Domilien en- 842 89.
voya contre lui le général Appius Maximus. Ce gé-
néral, favorisé par le dégel, qui empêcha les troupes
germaines, prêtes à passer le fleuve, de porter du
* Xiphilinus, m Tito, p. 343.
2 Idem, in Domit.
3 Ibidem , p. 544.
'^ IMP. CES. DOMIT. AVG. COS. XI. CENS. POT. P. P., et au re-
vers, GERMANIA CAPTA.
"> Xiphil., i7i Domit. ^ p. MG.
I. '•
68 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
deRoL i^yc. secours aux révoltés , fut assez heureux pour par-
842. 89. venir, après une seule bataille, h dompter la rébel-
lion '. Antonius périt dans le combat ^.
Le Rhin resta depuis tranquille jusque sousle règne
849. 96. de Nerva qui, pendant que Domitien tombait sous le
18 ocf. . il,, ...
poignard de i assassin, contuiuait contre les Quades
et les Marcomans une guerre que son prédécesseur
avait commencée , et h la fin de laquelle l'empereur
prit lui-même le titre de Germanique^. Lorsqu'au
retour de cette campagne, il revint h Rome et sus-
pendit dans le temple de Jupiter Capitolin la couronne
de laurier que le sénat lui avait envoyée, il illustra
cette journée par un acte qui fit plus tard le bonheur
et la gloire de Rome. Il adopta Trajan qui depuis l'an
846 était préposé au gouvernement de la Basse-Ger-
manie, et en lui donnant le nom de César Germanicus
et le pouvoir de proconsul, l'associa avec lui au
consulat pour l'année suivante.
850. 97. Nerva, déjà vieux, mourut après un an et deux
28janv. . ^ \
mois de règne.
Trajan se trouvait à Cologne lorsque la nouvelle
de cette mort vint le rendre maître de l'Empire*.
> Suet., i?i Domit., c. 5, p. 120.
2 Nous avons aussi une médaille qui fut frappée en l'honûeur de cette
victoire et qui porte pour légende : IMP. C/ES. DOiMIT. AVG. GERM.
COS. XIIII. CENS. PERP. Sur le revers, aux pieds de l'emperenr, est
le Rhin sous la figure d'un vieillard qui se penche sur une urne avec
l'inscription : RHENVS. S. C. Rhemis scnatus consulta.
^ Il existe une médaille frappée à celte occasion , sur le revers de
laquelle on lit : VICTOR GERM. Voy. Mezzab., p. 145.
* Victor Junior, in Trajano. — Orosius , I. vu, c. 12. — Sidonii
Carm. vu, v. lli.
DU RHIN ET DU DANUBE. 69
Son premier acte fut de réunir au domaine de l'État deîî"le. de*rc.
tout le pays qui depuis reçut le nom de Champs ^^o- ^7,
décumates. Ce pays comprenait toute l'étendue des
terres que les Marcomans, avant leur migration
dans la Bohême, avaient habitées sur le Rhin, sur
l'Abnoba , sur le Danube et sur les Alpes souabes. Des
Gaulois, des Germains de toutes les nations, y avaient,
sous la protection de Rome, succédé aux habitants
primitifs, et ils avaient partout élevé des bourgs,
partout porté la culture dans les plaines et dans les
vallées fertiles qui découpent ces montagnes. Rome y
avait aussi déjà établi çà et là descastels protecteurs,
et des villes aussi commençaient déjà à s'y munir de
remparts. Trajan qui, pendant son séjour sur le Rhin ,
avait été à même de se convaincre des ressources
de la Germanie , et de l'inutilité des efforts de Rome
contre le nord de cette contrée, sentit combien,
après les infructueuses attaques quelle avait dirigées
contre elle, il lui importait de consolider son pou-
voir dans le sud. Il entreprit de coloniser le pays.
La province rhélique reçut les cantons voisins du
lac de Brigance, du Rhin helvétique et du Necker,
jusqu'à la hauteur de la cité Flavienne\ que Domi-
tien avait construite près des sources de cette rivière;
toute la partie en deçà du Necker, et au nord, jus-
qu'au delà du Mein , fut réunie à la Germanie supé-
rieure. Des châteaux forts furent de distance en dis-
tance élevés pour protéger la colonie; d'autres furent
réparés, tant sur la rive droite que sur la rive gauche
' Ar.T Flaviiï. Voy. la deuxième partie de ce Mémoire, § l".
70 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
ùe R."L deY'c. du fleuve. Un de ces caslels sur le Mein reçut le nom
850. 97. de l'empereur ^ En même temps, plus au nord, fut
fondé, sur la rive gauche du Rhin, la colonie Tra-
jane, tout près du camp de Vetera.
Tant de travaux, entrepris presque en même temps,
annoncent la paix profonde qui régnait alors sur
le fleuve, et qu'entretenait la crainte qu'avaient du
grand homme les peuplades outre-rhénanes. Toutes,
en efl'et, lorsqu'il monta sur le trône, envoyèrent
leurs députés demander au nouvel empereur de les
recevoir au nombre de ses alliés^.
Le Danube fut, sousce règne glorieux, le principal
théâtre des guerres romaines. Trajan, après avoir
battu les Sarmates et les Daces, réunit à l'Empire le
dernier de ces peuples, et dans la métropole de Zar-
mizgethusa fonda la célèbre colonie d'Ulpia Trajana ^.
Pour rendre ensuite ce pays accessible en tout temps
aux légions, il fit construire un pont sur le Danube,
qui devint dès lors tributaire des Romains , depuis
sa source jusqu'à son embouchure.
870. 117. iElien Adrien succéda à Trajan qui l'avait adopté.
La paix , sous cet empereur, continua de se sou^
tenir sur le Rhin ; il est permis de croire que ce fut
lui qui , le premier, renferma les pays décumates par
le grand rempart qui fut plus tard le théâtre de tant
de combats*.
* Munimentum Tnajani. — Voy. la deuxième parlie de ce Mémoire,
2 Pline, Panégyrique ^ c. 12.
^ C'est aujourd'hui un simple bourg du nom de Varhel.
* Per ea tempora et alias fréquenter in plurimis locis^ in quibus
DU RHIN ET DU DANUBE. 71
Sous Anlonin le Pieux, son successeur, eurent lieu , }:"\ , *.%
' 'de Itoiiie. de J . L. ,
quelques guerres avec les Germains, sans que la 89i. iôs.
postérité puisse juger quel peuple alors ressentit le
poids de ses armes ^
Cependant, depuis que Rome avait abandonné le
projet de soumettre les peuples du Nord, et que,
contente de la limite du Rhin, elle s'était principale-
ment répandue dans le sud , ce furent presque tou-
jours, pendant ce siècle, des peuples voisins du grand
rempart qu'elle eut à soutenir les attaques.
Sous le règne qui suivit celui d'4ntonin , les Cattes, 913. \6-i.
si souvent châtiés , recommencèrent à inquiéter les
Romains et firent une excursion sur leurs terres.
Ils pénétrèrent à la fois en deçà du Rhin et jusque
dans la province de Rhétie. Marc Aurèle, pour les
en chasser, fut obligé d'envoyer contre eux Aufidius
Victorinus ^.
Quatre ans après, ce fut le Danube qui vit tout à 919. 166.
coup sur ses bords la coalition des Marcomans et des
Quades , auxquels s'associèrent les peuples voisins ,
tels que les Norisques et les Hermondures, les Suèves
et les Vandales, ainsi que les Jaziges, les Roxolans et
d'autres peuples sarmates. La première impulsion fut
probablement alors donnée par le nord, où d'autres
peuples , inquiétés par leurs voisins et obligés de
barbari non fluminibus, sed limitibus dwidiinfnr, stipitibus magnis
in modum muratis sepis funditus jadis atqve connexis, barbaros
separavit. /Elius Spartianus, in Hadriano^ c. 12.
^ Germanos et Dacoset multas (jentes et Judxos rebellantes con-
tudit per pnesides et legatos. Jul. Capit., iri Pio, c. 5.
- Julius Capitol., in Marco, c. 8.
*ns Ans
lie Ruiuï. de J. C
919. 166.
72 ÉTABLISSEMENTS KOMAINS
quitter leurs demeures, tombant sur ceux du sud,
mirent fous les esprits en mouvement et, au nom de
l'Italie, les soulevèrent avec eux. Tous dès lors s'al-
lièrent contre les Romains.
Marc Aurèle avait associé à lEmpire L. Verus, qui
alors était en Orient, occupé de la guerre des Parthes.
Ce prince, ayant achevé cette campagne, revint à
Rome et marcha avec Marc Aurèle vers le nouveau
théâtre de cette guerre , qui fut longue et san-
glante. Les Germains et les Sarmates, qui n'avaient
pas compté sitôt sur leur présence , envoyèrent des
députés à Aquilée pour traiter de la paix. Mais cette
paix ne fut qu'une suspension darmes, qui bientôt
fut rompue de nouveau. Les hostilités , toujours re-
naissantes sur ce même point, rappelèrent à Aquilée
922. 169. les deux empereurs. La peste avait alors pénétré de
l'Afrique en Italie, et, avec la rapidité de l'éclair, elle
s'était de proche en proche communiqué à toutes les
provinces jusqu'aux frontières. C'est pendant toute
l'intensité de ce fléau que les armes romaines furent
victorieuses ^ Verus en fut victime, et succomba
lors de son retour en Italie. Une autre armée de
Lombards, d'Obiens et d'autres peuples, qui avaient
aussi passé le Danube, fut repoussée par les géné-
raux Vindex et Candide. Ballimar, roi des Marco-
^ Ce que prouvent les trois médailles frappées après la mort de Ve-
rus , et sur lesquelles le litre d'empereur est donné à M. Aurèle pour
la sixième fois. Au revers sont les trois inscriptions de : GERMANIA
SVBACTA, de VICT. GERMMIA et de GERMANIA. 11 y porte aussi
le nom de Germanique , nom que plus tard , on 17'2 , il transmit à son
(ils. Voy. I^amprido, in Comm., o. H.
An^ Ans
Je Rome. JeJ.C.
DU RHIN ET DU DANUBE. 73
iiians, qui seul tenait encore la campagne, résolut
enfin alors devenir, suivi de dix députés, traiter de ^-'^ '^9.
la paix avec .Elius Bassus, gouverneur de la Panno-
nie ^ Mais cette paix n'eut pas plus de durée. A Rome
du moins, tout ce qui était capable de porter les
armes fut enrôlé. On alla jusqu'à accorder le pardon
aux voleurs de grands chemins, de la Dalmatie et de
la Dardanie, s'ils consentaient à prendre du service^.
Des Germains mêmes furent enrôlés contre les Ger-
mains. Marc Aurèle, pour subvenir aux besoins du
trésor, se défit de tout ce que son palais renfermait
de bijoux et d'objets précieux; il en fit, pendant
plus de deux mois, faire une vente publique dans le
Forum de Trajan^.
Lorsqu'il revola vers l'armée, les Marcomans s'é- 9-24-26.171-73
taient déjà rués sur la Pannonie et sur les provinces
limitrophes, qu'ils avaient envahies. Pendant trois
ans il fut occupé à les combattre , sans pouvoir les
dompter. Mais enfin les barbares furent obligés de
céder à ses efforts, et il parvint à délivrer la Pannonie
de ces mêmes Marcomans et de leurs alliés, les Van-
dales, les Quades et les Jaziges *.
Tandis que ces événements se passaient sur le
Danube, un autre essaim de tribus germaines , habi-
tant le Rhin , s'était rué sur la Rhétie et menaçait
de pénétrer en Italie. Marc Aurèle envoya contre elles
* Pelrus Petricius, de Legatis, p. 24, dans le Corpus hist. Bij-
zant.
2 Capitol., in Marco^ c. 21.
•'' Idem. c. 17.
"* Ibidem.
Jf llulue. Je J. C
74 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Pompéian et Pertinax, qui les battirent et les repous-
9.27. 174. sèrent \ Lui-même battit encore les Quades à cette
fameuse journée oii, renfermée dans un lieu désert
et manquant d'eau, l'armée fut tout à coup rafraîchie
par une pluie bienfaisante qui lui rendit ses forces
et son courage. Les chrétiens de la douzième légion,
depuis surnommée falminairix , attribuèrent alors
ce don du ciel à leurs prières au Christ, et ceux
qui tenaient encore à l'ancien culte, à la clémence
de Jupiter^. Les Quades et les Marcomans furent
écrasés ; ils eurent à supporter de si grandes pertes
que, désespérant de pouvoir plus longtemps résister,
ils se décidèrent à venir de nouveau implorer la
paix.
Quoique Marc Aurèle eût d'abord résolu de ne plus
la leur accorder, et qu'il eût pris à tâche de réduire
en provinces l'un et l'autre des deux pays qu'ils ha-
bitaient, il eut pitié de tout le sang que cette guerre
désastreuse faisait couler; il consentit enfin à un
traité. Cependant, comme il ne pouvait se fier à la
parole de ces peuples, il fit, pour les contenir, élever
différents forts sur leur territoire, à l'instar de ce
qui avait été fait dans les pays limitrophes du Rhin.
Trente mille hommes y tinrent garnison. Cette occu-
pation militaire parut si onéreuse aux Quades, qu'ils
résolurent de passer en masse chez les Semnones ;
» Dion., p. 802 et suiv.
2 Voy. à ce sujet Barouiusad a.l76, §22. - Scaiiger, in \'ot. ad
l'Mseb. Chr., p. 22. — Xiphilin. — lleriii. Uvilsius, in Dissert, de
leg.ftdmin.., etc.
DU RHIN ET DU DANUBE. 75
ils auraient mis ce projet à exécution, si les Romains , *"' . V'r
r J ' (le Uomc. de J. C.
ne s'y fussent à temps opposés ^ 927. 174.
Les Jaziges reçurent aussi la paix , sous la condi-
tion qu'ils n'entretiendraient aucune embarcation sur
le Danube; ce qui en cela les assimilait aux Quades
et aux Marcomans.
Marc Aurèle revint triomphant en Italie. Une nié- 929. ne.
daille fut frappée à cette occasion, destinée à perpé-
tuer la mémoire de cette guerre qui fut l'une des plus
sanglantes dont les annales de l'Empire nous aient
entretenus.
Cependant cette paix fut encore de courte durée; et
ces mêmes Marcomans forcèrent de nouveau le sou-
verain à repasser les monts avec son fils. 93i. i78.
* , , . s août.
Ce fut pendant cette nouvelle guerre, qu'après avoir,
pour la neuvième et pour la dixième fois, pris sur le
champ de bataille le titre d'emperewr, Marc Aurèle mou-
rut à Vienne, au mois de mars de lan 933 de Rome'^.
Commode succéda à son père. 953. iso.
Rome avait trop de charmes aux yeux de ce prince
voluptueux, pour qu'il ne cherchât pas à obtenir à
tout prix une paix qui lui permît d'y retourner. Ses
courtisans étaient, non moins que lui , fatigués de la
guerre^. Aussi, la même année encore, fut-il signé
un nouveau traité entre lui et les Marcomans , aux-
quels s'étaient associés les Quades, les Buriens, les
Norisques et d'autres petites tribus, dont les noms ap-
> Dion., p. 810. A.
2 Aurclius Victor, c. 15. — Eulropc, c. 16. — TertuUien, Jpo/.,
c. 25, le fait mourir à Sirmium. Yoy. à ce sujet Lanibecius.
3 Herodianus, 1. i, c. 6.
76 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
de Rome. deV.'c. paraîssciit aloFs pour la première fois dans l'histoire.
933. 180. Il n'épargna point l'argent pour donner enfin à ces
frontières de l'Empire un repos que quatorze années
de combats n'avaient pas été capables d'amener. Les
principales conditions du traité furent' : que tous les
transfuges et tous les prisonniers romains seraient
rendus , à condition que les Romains évacueraient
eux-mêmes le pays et les châteaux forts qu'ils possé-
daient. Il fut aussi stipulé que les assemblées de la
nation ne pourraient avoir lieu que de mois en mois,
dans un lieu indiqué et en présence d'un capitaine
romain. Les Quades et les Marcomans devaient aussi
livrer une partie de leurs armes et fournir à l'armée
un contingent qui, pour le dernier peuple , ne fut
pas moins que de 13,000 hommes. Ils garantissaient
aussi l'intégrité du territoire des Jaziges et des Van-
dales, qui alors étaient en paix avec les Romains.
Pour les Buriens, il leur fut défendu d'approcher des
frontières à plus de cinq milles romains. Ainsi le
Danube redevenait au centre de son cours la limite
de l'Empire , comme le Rhin l'était devenu au nord;
Rome ne conservait là de sa conquête au delà du
fleuve que quelques châteaux forts, assis sur ses
rives , pour garantir la sûreté de sa navigation.
Commode, depuis cette époque, resta à Rome, lais-
sant à ses généraux le soin de contenir les nations
soumises^. Les Frisons, sur le Rhin, furent les seuls
peuples de ces contrées qui occasionnèrent quelques
* Dion., 1. Lxxii, p. 817.
- Dion., I. Lxxii, p. 820. — Lanipridf , in Commod., c. IH.
DU RHIN ET DU DANUBE. 77
troubles, mais qu'Albin, envoyé contre eux par l'em- iAlL. d/rc
pereur, apaisa bientôt avec succès'. 933. iso.
Pertinax était préfet de Rome quand Commode 946. 193.
mourut étranglé dans un bain par un gladiateur que
Marcia, Laetus et Electre, qui avaient découvert que
l'empereur voulait les faire mourir, introduisirent
auprès de lui.
Ils portèrent la couronne sur la tête de Perti-
nax, qui n'en jouit toutefois que quatre-vingt-sept
jours.
Lorsqu'à son tour ce dernier fut assassiné pî\r les
prétoriens, qualie empereurs furent à la fois pro-
clamés: Julien, par le sénat; Niger, par l'armée d'O-
rient; Albin, dans les Gaules, et Septinie Sévère à
Carnuntum , en Pannonie. Ce dernier fut seul assez
heureux pour se soutenir.
Il fonda en Norique la colonie de Passau , et les
inscriptions des pierres milliaires qui nous restent,
posées sous son règne, nous prouvent quel soin Rome
mit alors à entretenir la grande voie de communica-
tion qui, traversant la Rliétie, liait lllalie à la colonie
d'Auguste et au Danube^.
Son fils Anlonin Caracalla lui succéda. 964. 211.
Ce prince, deux ans après être monté sur le troue,
traversa les monts et vint combattre dans la Germa- 966. 213.
nie la coalition des Allemanes, dont le nom est alors
cité pour la première fois. Ce n'était point un seul
peuple, mais bien une réunion de tribus qui, tandis
* Capitol., in Alb., c. 6.
"2 Marcus Velserus, Mowwwew/. ogriAugust., p. iOO. Gruteri im-
cript. CLVi, 6 ; CLVii, 2, 3, 4, .5.
78 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
de Rome. ieTc. ^"6 l'Emplfe s'éncrvait, avaient sous main à ses fron-
966. 215. tières formé une ligue contre lui. C'est du moins ce
que nous prouve un auteur contemporain de cette
époque éloignée, dont l'autorité ne peut être ici
équivoque \ Le noyau de cette coalition, que la Table
de Théodose place au bout de la forêt Marcienne , s'é-
tait formé des habitants de toutes les nations qui,
après le départ des 3Iarcomans, s'étaient répandues
sur les plateaux et dans toutes les vallées d'entre le
Mein , le Rhin et le Danube, aux portes mêmes de la
colonie romaine, et autour desquelles vinrent sans
doute plus tard se réunir toutes ces différentes
nations suéviques de Karithnes, d Intwergen et
d'autres encore, dont les noms disparaissent dans
le cours du troisième siècle. Ces Allemanes , qui de-
puis le second des Antonins menaçaient la frontière,
mais qui n'avaient pas cependant encore osé attaquer
le colosse , attirèrent les armes de Caracalla. Dion,
en décrivant la campagne de l'empereur contre ces
peuples, fait aussi mention des Cennes, tribu cel-
tique, selon lui, mais qui sans doute était enclavée
dans la coalition allemanique et qui habitait les rives
et la vallée de la Zenn. Le courage que montra cette
nation, dont les femmes prirent part au combat, est
loué par Ihistorien. Caracalla, après cette victoire^
1 Asinius Quadralus, qui vivait vers l'an 250, cité par Agathias,
HUf., I, G. Voici le passage de ce dernier : « ol ol 'AXatxavoi , eiye yp^
'Acivviw Koua5paTto iVacOai, àvSpi 'iTaXuorr, xai xà r£ptji.avi)tà Iç to
àxpi|5£i; àr,aYiYpa(Jt-;-'-c'vw , ç,6yAk\joi(; eiaiv àvOpwTroi xai (jt-iyaos; , xai
TOÎÎTO ûuvarai aÔTOÎç Vj £-;rwvuy.ta.»
2 Allemani nomen adscripsif, nam Âllemanorum genfem devi-
cerat. Sparlianus, in Caroc, c. 10.
Ans Ans
Je Rome. deJ.C.
DU RHIN ET DU DANUDE. 79
qu'il remporta sur leMein, prit le titre d'Allemanique,
et, passant ensuite la limite romaine, s'avança jus- ^^^- ^'^
que dans les environs de Bayreuth. A son retour, il
prit sur les monnaies le nom de Germanique , et
mit à profit la paix qui suivit pour régler l'admi-
nistration des pays d'outre-Rhin, où aucun empereur
n'a plus que lui laissé de souvenirs.
Cependant les Allemanes n'étaient point abattus.
Tandis que Caracalla, pour mieux consolider les
établissements du Mein, du Necker et du Danube,
achetait au prix de l'ôr la paix des nations mari-
times du Nord et de l'Elbe, et que, pour faire diver-
sion, il excitait les uns contre les autres les Vandales
et les Marcomans , cette ligue se réorganisait en sous
main, plus forte que jamais, et attirait à elle la plupart
des nations suéviques. Ainsi organisée, elle ne cessa
depuis de menacer la Gaule, comme la coalition des
Goths, qui sous ce règne aussi commença à devenir
redoutable, ne cessa de menacer les provinces da-
ciques et le Danube. Tranquilles sous le règne d'Hé-
liogabale, les Allemanes devinrent plus terribles que
jamais sous celui d'Alexandre Sévère.
Cet empereur était occupé de la guerre des Perses,
quand des lettres qu'il reçut à Antioche^ du gouver-
neur d'Illyrie, lui annoncèrent que les Germains
avaient renversé le rempart et avaient à la fois tra-
versé le Rhin et le Danube. Il paraît cependant qu'ils
furent alors contenus dans la Rhétie et dans le No-
rique par Macrin,qui commandait ces provinces^.
^ Herodian., 1. yi, c. 7.
- Acix sunlfeliciitr et in Mauritania Tingitana per Fvrmm Cel-
80 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
A"^ A"* L'empereur, après avoir heureusement terminé la
de lîorao. de J. C. '■ ' r
986. 253. guerre d'Orient et être rentré triomphant à Rome,
fît tous les préparatifs pour aller combattre les Alle-
987 234. mânes, qui ne cessaient d'avancer dans la Gaule. Il
traversa les Alpes à la tête de cent cinquante mille
hommes, tramant à sa suite jusqu'à des archers os-
rhoniens, parthes et arméniens. Aussitôt qu'il fut
arrivé dans la Gaule, les Allemanes se retirèrent au
delà du Rhin. Alexandre fit un pont de bateaux pour
le passer, et cependant il négocia la paix avec eux.
Mais celte campagne fut elle-même ensanglantée par
sa mort. La sévérité dont Alexandre usait envers
les soldats des Gaules les indisposa contre lui. Maxi-
min, Goth de nation, à qui il avait donné le com-
mandement d'une légion composée de Pannoniens,
fut accusé par les historiens d'avoir mis à profit le
mécontentement. Alexandre était proche de Mayence
avec peu de troupes, lorsque quelques soldats, pé-
nétrant dans le camp impérial, le surprirent pendant
que la garde était endormie, désarmèrent et mirent
en fuite ceux qui leur résistèrent, tuèrent Mammea,
la mère de l'empereur, au moment où il se sauvait
988. 235. avec elle, et le percèrent lui-même de plusieurs
19 mars. .
coups'.
sum et in lllyrico per f^arhim Macrlnum a(finem ejus. — Lani-
pride, c. 25. A cela se rapporterait la médaille citée par Birago, dont
le revers porte la légende suivante : P. M. TR. P. VIII. COS. III. —
P. P. DE GERMANIS. L'empereur y est représenté debout sur un char
et couronné parla victoire. Au milieu sont ces mots: VIC. AVG.Voy.
Iccard. Norisius, dans sa dissertation : De ?iu))inw Diocletknii el Maxi-
miinani, c. 6.
' Vny. la denxic'mo partie de ce Mémoire, (^ '^.
Ans Ans
me. de J. C.
DU RIIIIS ET DU DANUBK. 81
Maximin fut soupçonné d'avoir ordonné ce meurtre, je n"'
11 en profita du moins et fut proclamé empereur par ^^s. 235
l'armée. Il continua la guerre que son prédécesseur
avait commencée, et pénétra dans la Germanie,
beaucoup plus loin, disent les historiens ^ que
n'avait depuis longtemps fait un général romain. Il
brûla et dévasta tout devant lui. Les fleuves, les ma-
récages et les forêts où les Germains se réfugièrent,
purent seuls l'empêcher de les soumettre. En mé-
moire de cette campagne, il prit, ainsi que son fds,
le nom de Germanique, titre auquel, depuis Germa-
nicus, chaque empereur attachait tant de prix. L'hiver
suivant, il était en Pannonie, pour s'opposer aux
Sarmates et aux Daces, qui s'étaient soulevés'^. Il se oso. 230.
préparait à la conquête de toute la Germanie jusqu'à
la mer du Nord, quand la révolution qui éclata en
Afrique en faveur des Gordiens, et qui retentit jusqu'à 990. 2.37.
Rome, le força de repasser les monts.
Ces nouvelles tentatives de Rome contre la liberté
germanique semblent avoir alors provoqué sur l'Elbe
et sur le Weser la coalition franque, qui, s'augmen-
tant d'année en année de nouvelles tribus, unit par
devenir pour le Bas-Rhin aussi formidable que celle
des Allemanes l'était pour le Haut-Rhin. Soit qu'une
peuplade de ce nom ait piimitivement existé, soit
que ce nom n'ait été donné à la ligue que pour mar-
quer la franchise des droits de toutes ces nations
réunies, il est certain du moins que les Chamaves,
^ Capitol., i)i Max., c. 12. — Herodiau., !. viii, c. 2, p 292.
2 Sur une médaille de celte époque il prend le nom de SarmatUpie
et de Daciqw. Voy. Gruler , eu, 3.
I. " 6
82 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
deR^e. dej°c. les Bructères et les Sicambres furent plus lard tous
991. 238. compris sous ce nom commun de Francs K Aurélien ,
qui sous le premier des Gordiens fut tribun d'une
légion, eut pour la première fois à combattre ces
nations franques, dont le nom n'avait encore jamais
auparavant été cité dans les annales romaines'.
Les Golhs, si terribles plus tard à l'Empire, et qui
finirent par inonder toutes les Espagnes, la Celtique
et l'Italie, commençaient alors aussi à se rendre re-
doutables sur le Danube fcomme les Francs vers le
nord,^et les Allemanes à^ l'occident, ils réunirent
peu à peulà eux toutes les nations qui les avoisinaient.
La guerre avec ces peuples continua, de la part de
Rome, pendant tout le règne de Philippe et de Dèce;
1005. 252. elle ne se termina que sous Gallus, qui, à prix d'or,
acheta d'eux une paix honteuse. Il les laissa retourner
dans leur pays avec le butin qu'ils avaient fait, et s'en-
gagea à leur payer annuellement une somme d'or, afin
qu'ils ne revinssent'plus piller les terres de l'Empire^.
L'Illyrie était cependant toujours menacée. Emilien,
qui commandait les troupes de la Pannonie, marcha
contre les Scythes qui s'y ruaient et les en chassa.
looG. 253. Après cela il fut proclamé empereur par les soldats
dans la Mœsie. Gallus, l'ayant appris, fit déclarer
1 Voy. la Table de Théodose, Chamavi qui et Franci.
2 Idem apud Moguniiacuni legionis FI gallicanx tribiinus. Francos
îrruentes quum vagarentur jier tofani Galliam, sic adjlixit, ut ire-
centosex his captas, septengintis interemptis , sub corona veiidide-
rif, etc. Vopiscus, in /iureliano^ c. 7.
3 Zozimc, c. 40. Voy. les délails de celte guerre dans cet historien;
dans Capitolin, in Cord.; dans Jornandes, Amniien Marcellin, Pol-
lion, etc.
DU niIIN ET DU DANUBE. 83
par le sénat Emilien, ennemi de lÉtat, et envoya j^^"^, d/j"'c.
Valérien dans les Gaules pour rassembler contre i<^06. 253.
lui les légions de cette province et de la Germanie.
Emilien le prévint toutefois, et marcha en diligence
sur Rome. Gallus s'avança jusqu'à Terni , dans lOm-
brie. Les deux armées se joignirent; mais les troupes
de Gallus, beaucoup plus faibles, furent défaites.
Dans les anxiétés de la retraite, il éclata parmi elles
une révolte qui coûta la vie à Gallus et à son fils. Tous
les soldats se rangèrent du parti d'Emilien . qui leur
avait promis une plus forte paie. Ce dernier n'eût
pas eu de peine à se soutenir, si pendant ce temps
Valérien , qui avait rassemblé les légions du Rhin
pour venir au secours de Gallus, ne se fût, à la nou-
velle de sa mort , fait lui-même proclamer empereur
par ses troupes. Emilien fut tué quatre mois après
la mort de Gallus. Valérien, seul maître de l'Empire
et reconnu par le sénat, donna le titre d'Auguste à
son fils Gallien et se l'associa au gouvernement. Les
Allemanes menaçaient la frontière du sud -ouest.
Gallien fut envoyé par son père sur le Rhin , où le
danger était imminent, et il reçut pour lieutenant
Posthume , Gaulois de naissance , que sa bravoure
avait élevé aux premières charges militaires , et qui
de fait dirigea toutes les opérations de cette cam- 1008. 255.
pagne. Tandis que ces deux généraux contenaient au
sud la coalition des Allemanes, Aurélien au nord
arrêtait les Francs dans leurs excursions; les services
qu'il rendit alors lui valurent le titre de restaurateur
des Gaules '.
' Vopisous, in Fit a Aurel., c. 0.
84 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
jeuoL. d.*rc. Posthume, grand homme de guerre, ne cessa,
1003. 255. pendant tout le temps qu'il fut à la tête des armées,
de fortifier le pays contre les irruptions des Germains,
et plus d'une des tours fortes sur le Rhin, sur le
Necker, sur le Danube et sur le Mein, qui, de loin
dans leurs ruines, frappent encore aujourd'hui si
pittoresquement les regards, date de cette époque
éloignée. Valérien , qui l'avait nommé gouverneur
des Gaules ^ avait pendant ce temps été appelé en
Asie, où les Goths avaient aussi fait une irruption. Il
était maintenant occupé contre Sapor, roi de Perse.
1013. 260. La malheureuse captivité de l'empereur, qu'une per-
fidie mit au pouvoir de son ennemi, jeta l'Empire
dans un désordre tel que depuis longtemps il ne s'en
était plus vu.
Gallien était loin d'être l'homme capable de con-
tenir toutes les factions qui se formèrent, et de tenir
tête à tous les peuples qui , en Orient et en Occi-
dent, attaquèrent en même temps le colosse. Déjà les
Scythes pénétraient en Italie par les provinces illy-
riennes*^. Dans cette extrémité, Gallien quitta les
Gaules , laissant en arrière son fils Valérien Salonine ,
qu'il avait nommé César, et au nom duquel la pro-
vince devait se régi r. L'armée resta sous le commande-
ment de Posthume. Mais ce dernier ne sut pas plutôt
l'empereurembarrasséen Italie, où il avait à la fois à
combattre les ennemis de l'Empire et les usurpa-
teurs que les armées dans différentes provinces lui
opposaient, que lui-même, profitant de l'amour que
1 Treb. PoUio, Trkj. Ti/r., c. 3.
- Zozimc, c. '{7.
DU RUIN ET DU DAîSUBE. 85
les soldats lui portaient , se fit déclarer Auguste, près ^^ ^^^^ J^^^
de Cologne. H marcha aussitôt sur cette ville, où ioi4. 26i.
Valérien Salonine s'était retiré. Ce malheureux prince,
tombé en sa puissance , devint la première victime
de son usurpation.
Ce que Civilis avait en vain tenté pour établir son
pouvoir sur les Gaules, fut alors sans difficulté mis
à fin par Posthume, qui réunit sous son sceptre les
Gaules, la Bretagne et les Espagnes. Pendant sept
années consécutives il eut à combattre les Germains.
Plusieurs médailles frappées sous son règne, avec le
litre de Germanique, prouvent les victoires qu'il eut
le bonheur de remporter sur divers de ces peuples '.
Cependant Gallien parvint à lui opposer une armée.
Posthume, pour mieux résister, s'associa h l'Empire
Victorin, homme décourage et de conseil^. Dans
le même temps éclatait au sein de ses troupes et dans
la ville même de Mayence une révolution; Lélien,
qui y commandait, se proclamait aussi empereur.
Posthume marcha contre le rebelle et le défit. Mais
ayant refusé aux soldats de leur permettre le pillage
de la ville, il s'éleva parmi eux une sédition qui lui
coûta la vie ainsi qu'à son fils^. 1020. 207.
Lélien se soutint encore quelque temps contre
Gallien et contre Victorin. Il fut même assez heu-
reux pour repousser au delà des lignes romaines les
Germains qui, après la mort de Posthume, avaient
cru pouvoir de nouveau inonder les Gaules. Mais il
» Voy. Fabrelti, p. 866.
2Pollio, Trig. Tyr., c. 6.
^ Aurel. Victor., de Cas., c. 3'^
86 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
de nôL. ae^j'c. périt aussi dans une révolte, assassiné par ses propres
1020. 207. soldats.
Victoiin resta donc seul maître des Gaules. Homme
doué des plus grands talents administratifs et mili-
taires, il ne reçut de Ihistorien qu'un seul reproche,
celui de son incontinence, qui lui coûta la vie '. Ayant
eu en efFet une intrigue amoureuse avec la fenmie
d'Atticianus, qui avait aussi un fort parti dans l'ar-
mée, ce dernier excita contre lui quelques soldats
qui l'assassinèrent avec son fils près de Cologne ^.
Marins, qui lui succéda, eut à peine revêtu la pourpre
qu'il fut de même assassiné. Le parti de Victorin était
encore trop puissant pour que Victoria, la mère de
ce prince, ne trouvât pas , après sa mort, le moyen
de faire retomber la couronne sur la tête d'un homme
qui tenait à sa maison, et sous lequel cette femme,
d'un espritcultivé,mais douée d'une grandeambition,
espérait conserver quelque crédit. L'argent dont elle
avait à disposer fît réussir ses projets, et elle parvint
à faire proclamer Auguste Tetricus, qui, d'abord sé-
nateur, était maintenant gouverneur de l'Aquitaine.
Ce prince conserva l'Empire des Gaules jusque sous
le règne d'Aurélien.
1021. 268. Cependant Claude avait, en Italie, été proclamé
empereur après la mort de Gallien. Les Allemanes,
enhardis par les dissensions des Romains » qui leur
laissaient de ce côté les passages ouverts , se ruèrent
sur ces provinces pour les piller et pénétrèrent jus-
* Pollio, Trig. Tijrann., c. 6.
2Pollio. 0.7.
DU KIIIN ET DU DANUBE. 87
qu'au lac de Garcia. Claude les vainquit et les re-j^iî"^, j^/'c.
poussa jusqu'aux frontières. Mais, sous Aurélien, ces ^^^i. 268.
peuples revinrent en plus grand nombre.
Ce prince venait de dompter les Scythes et les 1023. 2:0.
Goths de la Pannonie, lorsqu'à la nouvelle de cette
irruption il vola au devant du nouveau danger ^ Il
fut assez heureux pour atteindre l'ennemi avant qu'il
n'eût pénétré loin au delà du Danube, et lui livra
une bataille où il fut victorieux. Mais en même temps
se ruaient sur le Danube les Juthungues, nouveau
peuple que Ihistoire mentionne, et les Marcomans
et les Vandales, qui tous alors semblent avoir, sinon
fait cause commune avec les Allemanes, du moins
profité de la terreur que ces derniers inspiraient aux
Romains, pour venir eux-mêmes les attaquer'^.
Aurélien, pendant deux années consécutives, eut
à combattre ces différents peuples. Après avoir réglé
les affaires des Goths et avoir triomphé jusqu'en
Asie, il vint enfin dans les Gaules, pour faire rentrer
cette province dans le devoir. Il paraît que Tetricus,
depuis longtemps dégoûté du pouvoir, au milieu de
soldats toujours prêts à la révolte , avait lui-même
appelé sous main l'empereur dans cette province. Il
passa du moins de son côté lorsque les deux partis
se trouvèrent en présence près de Châlons, et livra
son armée aux légions d'Aurélicn^. 1020. 273.
Les Allemanes vers le sud et les Francs vers le
< Zozinie, 1. i, c. i9.
2 Dexippus , Excerpta de leg., p. 1*2 cl 17. — Flavius Vopiscus,
f'ita Aurel., c. 18.
•^ Pollio , in Tyrann., c. 23.
88 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
de Rome. àeT.c. noicl n'avaiciît pas cessé, pendant tous ces troubles
loa 273. Jes Gaules, de se ruer sur le Rhin et de dévaster le
territoire gaulois. Quoique repoussés, comme nous
l'avons vu, à plusieurs reprises, ils étaient encore
en grand nombre dans ces provinces, lorsque Aurélien
vint y rétablir le pouvoir de Rome. Probe , plus tard
empereur, et qui servait comme tribun dans l'armée,
eut alors l'occasion de développer contre ces peuples
les talents militaires et le courage qui devaient un
jour leur être si redoutables'.
Aurélien passa une seconde fois les Alpes, pour
tomber sur les Allemanes qui avaient aussi pénétré
dans la Vindélicie'^; il les battit par ses généraux
dans les champs qu'arrose la AYerlachl Pour donner
aux établissements romains plus de stabilité, et ne
1027. 274. prévoyant pas de repos pour eux tant qu'il conser-
verait les provinces daciques que Trajan avait en-
clavées dans l'Empire au delà du fleuve, il résolut de
les évacuer et en transplanta les habitants sur la
rive droite.
Mais les Allemanes, refoulés hors de la Vindélicie,
1028. 275. vinrent de nouveau, après avoir détruit les lignes
romaines, se jeter sur les Gaules*. Aurélien venait
d'être assassiné en Thrace, alors qu'il se préparait
à aller porter la guerre en Orient. Probe, qui lui
avait rendu les plus éminents services, était alors
^ Vopiscus, in T'ita Probi, c. 12.
2 Ibidem , c. 35.
^ In campis Findonis. — Eumcniiis, Panegijr., vi.
^ f'elius Cornificius Gordianus^ consul in Orat. apud Fopiseum,
in vif a Tacif., c. 3.
DU RHIN ET DU DANUBE. 89
en Egypte. Dans ces circonstances critiques, tout le jeR^L. deV.'c.
pays fut bientôt inondé de ces barbares, auxquels 1028. 275.
vinrent se joindre les Francs et les Bourguignons.
Tacite, qui succéda à Aurélien, eut trop à faire contre
les Scythes, qui s'étaient répandus dans le Pont, dans
laCappadoce, dans laGalatie et dans la Cilicie , pour
pouvoir se rendre sur le Rhin. Sa mort mit de nou-
veau deux empereurs à la tête des affaires de l'Europe
et de l'Orient. Florien, qui fut proclamé par les sol-
dats de la Cappadoce, ne put toutefois tenir tête à
Probe, que les soldats de l'armée de Syrie avaient
de leur côté proclamé Auguste. Assassiné par ses
troupes, Florien laissa Probe seul maître de l'Empire. 1029. 270
Après s'être assuré de l'Italie , cet empereur passa 1030. 277.
dans les Gaules, et déployant dans la campagne qui
s'ouvrit l'activité la plus surprenante, il délivra plus
de soixante villes des Gaules du pouvoir des Francs,
des Bourguignons et des Allemanes; il refoula ces
étrangers au delà du fleuve , et les derniers même
au delà du Necker et de l'Albe^ Les lignes qu'Adrien
avait fait fortifier en avant de cette rivière, et qui
avaient été renversées, furent relevées plus fortes
que jamais. La guerre, qui, depuis l'origine de la
1 Ultra Nicrtim Jluvhon et Àlham. Vopiscus, c. 13. — M. de la
Baslie, danslet.xni des Mémoires de Vacadémie des inscriptions,
p. 437 {Éclaircissements sur ta durée de l'empire de Probus, Ca-
rus, Cariniiset Numerien), dit que Probe repoussa les ennemis jus-
qu'au delà du >'eckerelde l'Elbe. C'est une erreur. Il n'y a pas dans
le texte latin Albim, l'Elbe, fleuve, mais bien Jlbam, qui est l'Albe
ou les Jlpes suéviques. C'est sur ces montagnes et sur le Necker que
les opérations de cette campagne eurent lieu, et non sur l'Elbe, où
jamais Probe ne parvint.
90 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
jeuome. dej"'c. coalilloii 31161113116, avaît été défensive pour les Ro-
1030. 277. iiiaiiis, fut alors portée sur le territoire ennemi. Probe
y fit plusieurs excursions et saccagea tout devant
lui. Il réinstitua une milice de vétérans, qu'il répan-
dit, sous le nom de soldats des frontières, tout le
long du rempart, et cette milice devint la terreur des
populationsvoisines qui, chaque jour inquiétées, ne
voyaient plus desûreténi pourelles ni pour leurs trou-
peaux. Le courroux de Rome leur parut si effrayant
que neuf de leurs princes se décidèrent à venir trou-
ver Probe et à lui demander enfin la paix. Ils lui
offrirent des otages , et s'engagèrent à lui payer un
tribut en grains et en bestiaux, seules richesses qu'ils
possédassent. Probe, en écrivant au sénat et en lui
rendant compte des opérations de la campagne, lui
manda que quatre cent mille ennemis avaient été
tués, que seize mille avaient déposé leurs armes,
que soixante-dix villes avaient été vengées, et que
toute la Gaule enfin était libre K
Ces avantages si précipités, dont la renommée re-
tentit bientôt dans toute la Germanie , jeta la terreur
parmi toutes les nations de cette contrée. Probe,
assuré du repos des Gaules, alla dans la Rhétie, qu'il
mit aussi en état de défense, et de là dans l'Illyrie,
que les Golhs ne cessaient aussi de menacer. Il força
ces peuples à la paix, et passant en Asie, il en
ramena cent mille Bastarnes, qu'il répandit, tout le
long du Danube, dans les provinces que la peste et
la guerre avaient dépeuplées.
' f.ef/re de Probe au s('not, dans Vopisnis. c. 19.
Ans Ans
Je Rome. Je J. C.
DU RIIIIN ET DU DANUBE. 91
Le Rhin, depuis, ne fut plus troublé que par la
révolte de Procule. 1033. 280.
Probe avait en effet à peine tenu à Rome son
triomphe, au retour de toutes ces expéditions, que
Saturnin, Maure d'origine, qui avait commandé sous
Aurélien, et qui commandait actuellement les armées
d'Orient , fut proclamé empereur par les troupes de
cette contrée'. Son exemple encouragea dans les
Gaules Procule, qui prit aussi le titre d'Auguste et
qui se revêtit de la pourpre à Cologne. Il attira
à son parti la Gaule narbonnaise, l'Espagne et la
Bretagne, et sollicita du secours des Germains.
Mais les armes de Probe avaient été si terribles
à ces peuples, et ils le craignaient encore tant,
même au delà des monts, que, fidèles à leurs ser-
ments, ils se tinrent du côté de l'empereur et le se-
coururent même contre lusurpateur. Ce dernier se
sauva chez les Francs, qui le livrèrent ^.
Bonose, général et gouverneur de la Rhétie ,
usurpa presque en même temps le litre d'empereur,
et fut de même réduit, quoique avec plus de diffi-
culté.
Mais le bruit de la mort de Probe, assassiné par 1035 282.
ses propres soldats, se répandit à peine dans les
forêts germaniques , que ces mêmes peuples , qui
n'avaient osé faire cause commune avec Procule
contre lui, se soulevèrent de nouveau contre Rome,
qu'ils ne redoutaient point. C'était vers elle que ten-
daient , du côté du Danube , tous les efforts de ces
' Eutiope, 1. IX, c. 11.
- Vopisciis, in Procuh, c. lo.
92 ÉTABLISSEMENTS UOMAIINS
de nôme. de^rc Sarmatcs, de ces Qnades et de ces Lombards, réunis
1035. 282. tons à la coalition des Goths, comme c'était vers le
Rhin que se précipitaient toujours tous ces peuples
Francs, que Rome n'avait pu soumettre, et ces Alle-
manes, et ces Bourguignons , que leur voisinage et le
même esprit d'enthousiasme réunissaient aussi. Ni
Carus, qui succéda à Probe, ni ses deux fils Carin et
1036. 283. Numérien _, qui prirent après lui l'Empire , ne purent ,
malgré les victoires qu'ils remportèrent , arrêter
l'inondation de ces barbares au nord comme vers
le sud.
Dans les Gaules mêmes se manifestait un esprit de
révolte qui força Dioclétien, nommé empereur, à en-
voyer dans ces provinces Maximien, qu'il associa h
1039 280 l'Empire avec le titre de César.
Les Hérules et les Cabiones \ peuples qui habitaient
lesrivageslesplusseptentrionaux de I Océan, s'étaient,
à la même époque , jetés sur le Rhin , dont ils dévas-
taient les provinces , tandis que les Francs et les
Saxons, dernier peuple qui habitait sur la rive droite
de l'Elbe, dans la Chersonnèse Cimbrique^ et qui
commençait aussi à se laisser attirer par l'appât du
butin, faisaient sur mer le métier de pirates, et in-
festaient toutes les côtes de la Belgique et de l'Ar-
morique.
Maximien battit et détruisit ces Hérules. Mais
rien ne nous apprend que les Allemanes, qui s'étaient
emparé de la plus grande partie des pays décumates,
^ Tacite, Germanla, c. 40, les nomme ./y/o«f5; Mameilin , dans
son Paimjtjrique de Maximien ^ Caibones.
2 Plolémée, l. n, c. 2. — Steplianus Bizanlinus, p. o8G.
DU RHIN ET DL DANUBE. 93
aient alors été inquiétés parle général romain, quoi- ^^r"'^, j/;%
que la famine désolât ce peuple, et que les mala- 1039. 286.
dies qu'elle entraîne à sa suite le décimassent plus
que n'eussent pu faire alors les armes des Romains.
Maximien, pour purger enfin les mers des pirates
francs et saxons, fit sortir de la Batavie la flotte ro-
maine qui y était stationnée, et en donna le comman- 1040. 287.
dément à Carausius, marin expérimenté, qui déjà,
en plusieurs rencontres, avait donné des preuves de
sa bravoure et de son habileté. Cet amiral, qui d'abord
remporta sur eux divers avantages, se laissa plus tard
gagner par leurs largesses, et il les épargna pour
partager avec eux le butin qu'ils faisaient. Maximien
en fut instruit et ordonna qu'on le fît mourir.
Mais Carausius en fut averti à temps, et passant en
Bretagne avec sa flotte, il prit lui-même le titre
d'Auguste et établit sa domination sur cette île. Il fit
alors sa paix avec les pirates, et pour s'en former un
boulevart contre les Romains, il leur céda même une
quantité de vaisseaux et leur donna des officiers expé-
rimentés. La Batavie, oii se trouvaient les principaux
arsenaux de marine que les Romains possédassent
dans les Gaules, fut bientôt inondée de Francs qui
s'y établirent.
Cependant Dioclétien, qui pendant ces événements 1041. 288.
avait été retenu en Orient, revint l'année suivante
pour porter du secours à Maximien contre les bar-
bares. Une nouvelle campagne se rouvrit donc, plus
favorable aux armes des Romains. Tandis que Maxi-
mien renversa à Trêves les Germains, qui en inon-
daient les campagnes, et les repoussa jusqu'au pays
94 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
,ieu"me. dc^î'c. d^s Fi'ancs au delà du Rhin, Dioclétien, traver-
1041. 288. gant les Alpes, entra dans la Rhétie, et, par une suite
d'opérations bien combinées, parvint à remettre
sous le pouvoir de Rome tout le pays qui de ce côté
s'étend depuis le Rhin jusqu'au Danube^Les inscrip-
tions qui nous restent de cette époque attestent les
soins que les deux souverains prirent alors de relever
les forteresses que l'irruption des barbares avait ren-
versées.
1042. 289. Maximien quitta ensuite les Gaules pour aller at-
taquer Carausius dans l'île de Bretagne. Mais cette
entreprise ne fut pas heureuse. Carausius battit les
vaisseaux de Maximien, qui fut obligé de faire avec
lui un traité par lequel il lui céda la Bretagne, à
condition qu'il la défendrait contre les barbares.
Les querelles qu'eurent entre eux les peuples ger-
mains, jaloux les uns des autres, et qui tous, dans
leurs attaques contre le colosse, cherchaient à pro-
fiter de ses plus belles dépouilles, donnèrent un
moment de répit aux Romains. Les Goths tournèrent
en effet alors leurs armes contre les Bourguignons,
dont les Allemanes prirent le parti. Les Thuringiens,
peuples qui faisaient partie de la coalition gothique,
combattirent à leur tour les Vandales; et les Bour-
guignons eurent plus tard affaire avec les Allemanes,
leurs voisins, pour le partage des terres.
Mais ces divisions des barbares ne durèrent pas
assez pour le repos de l'Empire, qui fut bientôt de
nouveau menacé d'une prochaine invasion. Dioclé-
1 Diocl. Panegyr., i, c. 9.
DU RHIN ET DU DANUBE. 95
tien, qui voyait la guerre inévitable de toute part,deu°^e. deV.'c.
et qui avait à la fois h combattre en Orient le roi de ^^^^- ^92.
Perse et en Egypte la révolte d'Achilleus; qui, en
Afrique, devait s'opposer aux Quinquégenliens, en
Italie même dompter des séditions, et qui à l'Occident
était toujours menacé de l'irruption des Germains,
résolut de changer la face de l'Empire et de le par-
tager pour pouvoir mieux le défendre. Donnant donc
à Maximien le litre d'Auguste, il s'associa de plus
deux césars qui devaient sous lui commander au loin
les armées. Son choix tomba sur Constance Chlore
et sur Galère, qui reçurent les titres d'empereurs, de
grands-pontifes et de pères de la patrie, et qui, pour
mieux resserrer les liens de leur union avec Dioclé-
tien, répudièrent l'un et l'autre leurs épouses, et
reçurent, le premier la main de Théodora, fille de
Maximien ; le second celle de Valera, fille de Dioclé-
tien. Dioclétien régna dès lors sur l'Orient ; Galère
eut la Thrace et l'Illyrie; Maximien , l'Afrique, l'Ita-
lie, le Norique, la Rhélie et la Haute -Pannonie, et
Constance reçut en partage les Gaules et les Espagnes
avec la Mauritanie Tingitane.
Le premier soin de Constance fut d'équiper une
flotte pour recouvrer la Bretagne et pour nettoyer la
mer des pirates qui l'infestaient. Il commença par
se rendre maître de Boulogne, et poussant ses suc-
cès tout le long des côtes, il reprit toute la Morinie
et chassa de la Batavie les Francs, dont il transplanta
plusieurs milliers dans les environs de Trêves et
dans le pays des Nerviens que la guerre avait en
grande partie dépeuplés. Il passa ensuite le Rhin, io5o. 297.
96 ÉTARLISSEMENTS ROMAINS
ieiuL. àeyc.pouv prévenir linvasion des Allemanes, et détruisit
1050. 297. loui devant lui jusqu'au Danube'.
Galère, pendant ce temps, combattait les Marco-
mans, les Quades, les Carpes et les Bastarnes, tous
peuples germains et sarmates.
1051. 298. La flotte étant prêle, Constance passa dans l'île
de Bretagne qu'il parvint à soumettre, tandis que,
pour contenir les Germains, Maximien vint le rem-
placer dans les Gaules. Les Francs au nord et les
Allemanes au midi commençaient, en effet, de nou-
veau à remuer. Constance, au retour de son expédi-
tion , marcha contre les premiers et, passant le Rhin ,
alla les poursuivre jusqu'au sein des provinces d'oii
ils étaient sortis'^. Mais les Allemanes avaient pendant
ce temps traversé le fleuve et s'étaient rués dans les
Gaules; ils avaient pénétré jusqu'au pays des Lin-
gones. Constance, à son retour, les battit près de
Langres et, les refoulant au delà du Rhin, leur livra
dans les plaines de la Wertach, où déjà il avait com-
battu contre eux sous Aiirélien, une bataille décisive
qui les força au repos. Il avait mené avec lui de Bre-
tagne une foule d'ouvriers expérimentés, auxquels il
confia les réparations de toutes les places fortes du
Rhin , réparations que la paix , qui pendant quelque
temps régna alors sur le fleuve, lui permit de pousser
à leur fin.
1058. 305. Constance, par l'abdication de Dioclétien et de
Maximien, devint maître absolu des Gaules; il porta
' Eumène , Panegyr.^ iv, c. 2.
2 Nonjam ab his locix, qiios olim Romani invaserant^ sed a pro-
priis ex origine suis sedibus, etc. Euniènc , Panegyr., vi , c. 6.
Ans An»
Je l'.oûie. de J. C.
DU niIllN ET DU DANUBE. 97
sa cour dans la ville de Trêves, dont il fit la capitale
de ses États. H se préparait à repasser dans l'île de ^^^^- 3<^<5-
Bretagne pour soumettre les Calédoniens et les Pietés,
quand Constantin, qu'il avait eu d'Hélène, sa pre-
mière femme , et qui était resté en otage auprès de
Galère, vint le trouver à Boulogne. Ce prince l'accom-
pagna dans cette expédition, où l'empereur, après
avoir défait les Pietés, mourut de maladie à Ebora-
cum^ Toute l'armée, et surtout une division d'Alle-
manes qui combattait dans les rangs des Romains,
prit aussitôt le parti de Constantin, auquel elle
prêta serment^. Constantin repassa aussitôt dans les
Gaules pour en chasser les Francs qui, pendant que
les Romains étaient en force au delà du détroit,
avaient de nouveau envahi la Balavie. Les Bructères,
les Chamaves, les Tiibantes, tous peuples qui fai-
saient partie de la coalition franque, et que soule-
vèrent les cruautés de Constantin, qui, instituant à
Trêves les jeux franciques^, fit jeter dans le cirque,
à la gueule des bêtes féroces, les prisonniers les plus
illustres*, appelèrent aux armes les Allemanes et les
Cabiones. Constantin, averti à temps, prévint leur
dessein. Il passa le Rhin et leur livra une bataille aussi
sanglante que décisive. Un grand nombre d'hommes
tombèrent en son pouvoir. Il les enrôla de force dans
les légions et livra aux combats du cirque ceux qui
' Aujourd'hui York.
2 Aurelius Victor, in Epif., c. il.
^ Voy. le vieux Calendrier romain, dans Graevius, l. viii, p. 100. —
Add. Pet. Lambecii , ad li. 1.
^ Eutrope, 1. x, r. 2. — Rumène, c. 10 et M.
I. î
98 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
deRoL. de*j".'c. refusèrent. Ensuite, pour jeter avec plus de facilité
1059. 306. ses troupes sur la rive droite du Rhin, il fît cons-
truire à Cologne un pont dont il fit proléger la tête
par un fort.
Cependant les Romains ne firent plus sous Cons-
tantin des tentatives deconquêtesau delà de ce fleuve.
Tout ce que le panégyriste' donne de louanges au
souverain pour avoir par des tours fortes soigné à la
défense des frontières, ne peut s'entendre que de la
rive gauche du Rhin, qui formait, en effet, alors la
limite de l'Empire. Le val du Necker élait aux bar-
bares^. La rive droite du lac Brigantin élait habitée
par les Lentiens, peuplade qui faisait partie de la
coalition allemanique. Au bord du Danube, entre
ce fleuve et le Mein, étaient les Juthungues, autre
tribu de cette coalition^, qui, par leurs incursions
dans la Rhétie, donnèrent souvent aff'aire aux Ro-
mains. Une autre encore habitait les rives du Bas-
Mein, sous le nom de Bucinobantes*. Les Bourgui-
gnons, qui , après avoir quitté les terres qu'ils avaient
primitivement habitées au nord de la Germanie, s'é-
taient assis sur les Monts-Sudètes, et qui, chassés
plus tard de cette contrée par les Gépides et les Golhs,
s'étaient, dans leur mouvement de migration, jetés
sur les Allemanes, qui s'étaient vus forcés de leur
^ Eumène, Panegyr. inConstontino. H,
2 Barbarus Nicer. Eumène, Const. II.
3 Jufhungi Jllemanorum pars, Halcis contermînavs tractibus,
Amm. Marcel. — Sidoine Apollinaire les appelle f'ithungi. — Sur la
Table de Théodose ils sont indiqués sous le nom de Jutugî.
* Amm. Marcel., xxix, 4.
DU KHIN ET DU DAiNUBE. 99
céder une partie de leur territoire au sud-ouest du j.^;;, /j^c.
Meinetsurles plateaux du Jaxt, occupaient l'antique 1059. 306.
frontière que Rome, à l'époque des Antonins, avait
garnie de tours fortes. Ils s'étendaient à la fois sur
tout rodenwald et au sud jusqu'à la Koclier, où les
salines que renferme la vallée arrosée par ce tor-
rent provoquèrent plus d'une guerre entre les deux
peuples ^ Au nord commençait le territoire occupé
parla coalition franque, qui n'avait point encore dé-
passé le Rhin , mais dont les tribus, comme nous ve-
nons de le voir, menaçaient l'Empire sur toute cette
ligne, en même temps que leurs vaisseaux parcou-
raient les mers.
Constantin était, en 313, à Milan, 011, après la vie- 1066. 313.
toire qu'il avait remportée devant Rome sur Maxence,
il venait de donner avec Licinius la liberté de culte
au christianisme, lorsqu'il apprit que ces peuples le-
vaient de nouveau le bouclier. Il repassa aussitôt les
Alpes et , pour attirer les Francs dans la Gaule, donna
à ses généraux l'ordre de se retirer devant eux. Lui-
même se replia sur l'Allemanie et, s'abandonnant au
cours du Rhin, porta partout dans le pays que les
Francs venaient de quitter l'incendie et le pillage. Il
repassa ensuite le fleuve, et tombant sur l'armée
ennemie qui, par cette lactique, se trouva cernée de
toute part, il lui f it supporter les plus grandes pertes.
Ce fut au retour de cette expédition qu'il prit le nom
de Francique, et que, rentré à Trêves, qu'il avait
décoré des monuments les plus somptueux, il fit en-
' Mamertin , Paneqyr. fa. 289), c 5.
I. '•
yj Hivers; tas
BlBLIOTHcCA
Ottaviensis
1 00 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
aeRo"me deVc *^^*'^ célébrer des jeux publics, où les principaux
1067. 314. prisonniers furent condamnés h combattre contre
les bétes^
La terreur que ses armes inspirèrent aux Germains
fut grande alors, s'il faut en juger par la tranquillité
qui régna depuis sur le Rhin , et qui ne fut plus in-
terrompue pendant tout le reste de son règne.
1090. 337. Constantin mourut en 337 de l'ère chrétienne.
Les troubles qui suivirent sa mort sous ses succes-
seurs ranima l'esprit belliqueux des Francs.
Constantin II , fils aîné de Constantin , resta par le
testament de son père en possession des provinces
qui faisaient partie du prétoire des Gaules. Il fit de
Trêves sa résidence. Mais ses querelles avec son frère
1093. 34). Constant au sujet de l'Italie et de l'Afrique lui ayant
malheureusement coûté la vie quelques années après
proche d'Aquilée, ce dernier réunit ces provinces à
ses États et devint dès lors maître de tout l'Occident,
1995. 342. comme son frère Constance II l'était de tout l'Orient.
Les Francs, depuis longtemps en repos, profi-
lèrent de ces guerres entre les deux frères pour venir
de nouveau se répandre dans les Gaules. Constant
vint les attaquer, et leur livra une bataille dont l'é-
vénement fut douteux. N'ayant pu les chasser des
Gaules par la force, il traita avec eux et acheta la
paix. C'était les animer à revenir en plus grand
nombre; et c'est ce qu'ils firent, en effet, lorsque les
troubles qui bientôt éclatèrent entre Constant et
Magnence leur en donnèrent l'occasion.
1 Nazarius, ix, c. 181. — Eumône , Paneçiyr., vi, o. 12.
DU RIllN ET DU DAISUIÏE. 101
de Uome. de J. C.
Maofiience élail Germain d'origine, et descendait *°' *""
dune de ces familles que Maxiniien ou Constance 1103, 350.
avait transplantées de leur patrie dans les Gaules. Il
avait reçu l'éducation d'un Romain, et il était de
bonne heure entré au service, où ses qualités supé-
rieures n'avaient pas tardé à le faire distinguer. Cons-
tant lui avait donné le commandement des légions
qui avaient été nouvellement formées sous le règne
de Dioclétien et de Maximien , etqui étaient en même
temps préposées à la garde des empereurs. Cet
homme ambitieux conspira avec Marcellin, intendant
des finances, et quelques officiers supérieurs de l'ar-
mée. Il parvint h se faire saluer empereur par les
soldats. Bientôt il fut reconnu Auguste par toute la
cavalerie et par les autres officiers. Constant, aban-
donné et sans troupes, prit le parti de fuir en Es-
pagne, et fut assassiné dans les Pyrénées par Gaison,
qui, avec quelques hommes délite, avait été envoyé
à sa poursuite par l'usurpateur.
Magnence, pour mieux consolider son pouvoir,
prit à son service bon nombre de Francs et de Saxons.
Il marcha sur l'Italie, dont il se rendit maître, et fit
de même tuer Népotien, neveu de Constantin-le-
Grand , qui s'était fait proclamer empereur. Cepen-
dant il envoya une ambassade à Constance pour traiter
avec lui.
Mais pour toute réponse Constance marcha à sa
rencontre, et le renversant, d'abord à Scissie, et
plus tard à Murse, sur la Drave, le poursuivit et le ii(»4 35t.
chassa de l'Italie.
Pour affiiiblir encore les moyens de résistance de
102 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Je nome, dej^c. soH enneoii, il suscita en même temps linvasion des
1104. 351. Allemanes dans les Gaules, que Magnence avait con-
fiées à la garde de son frère Décence'. Les Francs»
voyant toutes les villes du Bas-Rhin dénuées des sur-
nisons que ce dernier en avait retirées, pour opposer
une barrière aux Allemanes, en profitèrent pour ve-
nir parcourir et piller cette province. Décence fut
vaincu par ces Allemanes, et Magnence lui-même
par les généraux que Constance envoya contre lui
1106 353. dans les Gaules; il se tua de sa propre main à Lyon,
exemple que son frère, qui volait à son secours, et
que cette nouvelle vint arrêter dans sa marche, suivit
bientôt après.
1107. 354. Constance, délivré d'eux, se rendit à Arles, où il
fit, en l'honneur du trentième anniversaire de son
titre de César, célébrer des jeux magnifiques. Il
marcha ensuite contre les Allemanes et envoya Sil-
vain dans le Bas-Rhin, afin de contenir les Francs.
La première campagne de l'empereur fut dirigée
contre les Allemanes du sud-ouest, qui habitaient la
1108. 355. forêt Marcienne^; la seconde contre les Lentiens^
qui habitaient la rive nord du lac Brigantin.Silvain,
de son côté, repoussa les Francs et rendit le repos
au Bas-Rhin.
Mais les ennemis que ce brave général avait à la
cour de l'empereur, jaloux de ses succès, cherchèrent
à donner au souverain des soupçons sur sa fidélité.
iZozime, p. 229.
- Amraien Marcel., 1. xiv, c. 10.
•' Idem, 1. XV, r. 4.
DU UHIN ET DU DANUBE. 103
Us écrivirent de fausses lettres qu'ils firent ensuite j^roL. de*j'c.
intercepter et tomber entre les mains de Constance. ^^^^- 355.
Ils accusèrent Silvain de vouloir s'emparer du pou-
voir souverain , et ils firent tant par leurs insinuations
que, malgré la défense que prirent de lui les princi-
paux Francs qui se trouvaient à la cour, il fut mis en
accusation par l'ordre de l'empereur. Silvain en fut
instruit, et se justifia; mais son procès n'en dura pas
moins. Dans cet état critique, et voyant qu'il avait
tout à craindre de l'ingratitude de Constance, sans
avoir l'espoir de pouvoir trouver un refuge auprès
des Francs, trop animés contre lui, il prit un parti
désespéré et finit, en efl'et, par trahir. H s'assura de
l'armée et il se fit déclarer Auguste à Cologne.
Ursicin, préfet du prétoire, fut sur-le-champ en-
voyé dans les Gaules pour apaiser le soulèvement.
Sous l'apparence d'un sympathique intérêt, il sut
s'insinuer auprès de Silvain, et il le fit surprendre
par des soldats. Silvain fut tué vingt-huit jours après
qu'il avait été déclaré empereur.
La mort de ce général rendit de nouveau le cou-
rage aux Francs et aux Allemanes qui, ne voyant
plus personne dans les Gaules capable de leur ré-
sister, s'y répandirent en foule et y firent d'horribles
ravages. Cologne fut prise et dévastée. D'un autre
côté, les Quades et les Sarmates pillaient la Pannonie
et la Haute "Mœsie sans trouver de résistance. Les
généraux de Sapor faisaient des courses dans la Mé-
sopotamie et dans l'Arménie. Constance, accablé
sous le poids de tant de guerres et voulant sauver les
Gaules, donna le titre de César h Julien, frère de
104 ÉTABL1SSEME^TS ROMAINS
.,,.„,";„ j*j'c l'empereur Gallus, qu'il maria à sa sœur Hélène, el
1103 355. à qui il donna en partage cette province et la Bre-
tagne.
Julien , qui jusqu'alors ne s'é(ait fait connaître que
par ses principes philosophiques, partit pour re-
joindre l'armée qui était sous les ordres d'Ursicin et
de Marcellus. Il se rendit à Vienne, oii il entra en
fonction de son consulat, et il y passa l'hiver, occupé
des préparatifs de sa prochaine expédition. Les Alle-
manes pendant ce temps firent le siège de la cité
des iEduens, que les vétérans défendirent alors avec
1109. 356. bravoure'. Au mois de juin, Julien quitta Vienne et
prit sa route par Autun, Auxerre et Troyes,non sans
avoir été plus d'une fois obligé de se frayer un pas-
sage à travers l'ennemi; il vint joindre à Reims
Ursicin et Marcellus. La campagne s'ouvrit sur le
Haut -Rhin, où l'ennemi s'était répandu autour des
villes incendiées. Après un combat assez sanglant,
tenu sous les murs de Dieuze , Julien traversa les
Vosges, et descendant dans la plaine du Rhin, se
rendit maître de Brocomagus, et battit une division
d'Allemanes qui voulait lui disputer la conquête de
celte ville.
Ces peuples, une fois possesseurs du pays, s'é-
taient peu occupés d'en rétablir les places fortes,
et comme de toutes les villes situées sur le Rhin
Cologne et Remagen, entre Bonn et Coblence, étaient
les seules qui n'eussent pas pour ainsi dire été ra-
sées, Julien se replia sur la première de ces deux
' Amm. Mait ., 1. \vi, c. 2.
DU UIILN ET DU DANUBE. 105
cités pour en faire une place d'armes capable de lui den!!L àe\^'c.
donner un point d'appui contre les Francs. Il n'eut i^^^ 356.
pas de peine à s'en rendre maître , et il conclut avec
ces peuples une trêve qui lui permit de se rendre à
Sens pour y passer Ihiver.
Une autre division de barbares vint l'attaquer dans
cette dernière ville; pendant trente jours ils l'y tinrent
assiégé. Ils se retirèrent toutefois envoyant l'infruc-
tuosité de leurs assauts.
Au printemps suivant, l'armée était réorganisée iiio. 3.37.
pour une nouvelle campagne. Les Ailemanes occu-
paient toujours le Haut-Rhin. Julien remonta le cours
du fleuve pour atteindre l'ennemi, et l'ordre fut en
même temps donné à Barbation , à la tète de vingt-
cinq mille hommes, de déboucher par les Alpes
rhétiques dans le pays des Rauraques. Ce plan d'o-
pération, qui devait mettre les Ailemanes entre deux
traits, fut toutefois dérangé par limpétuosité qu'une
de leurs divisions mit à attaquer ce dernier géné-
ral. Elle rompit la ligne des Romains et, se répan-
dant comme un torrent, s'avança jusqu'à Lyon, que
les plus grands efforts de sa garnison et des habi-
tants purent seuls alors sauver'. Julien, cependant,
chassa des îles du Rhin les troupes qu'il rencontra,
et se fortifia dans Saverne^, lieu qui dominait la
route que les barbares avaient toujours suivie pour
inonder les Gaules.
Barbation jeta un pont sur le Rhin, afin de faire
' Anim. Marc. l. \vi. c. ]\
- Tabornte.
106 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
*"' dcj"c. une diversion sur le territoire de l'ennemi, et l'em-
de Ruine
1110. 357. pêcher de porter du secours aux siens sur l'autre
rive du fleuve. Mais les barbares lancèrent dans le Rhin
une telle quantité de troncs d'arbres, que les liens
qui tenaient les bateaux composant le pont furent
rompus f)ar cette masse qu'entraînait l'impétuosité
du fleuve'; tous les pontons furent brisés et sub-
mergés. Avant que les Romains n'eussent eu le temps
de se reconnaître, l'ennemi fut sur l'autre rive, où
un combat s'engagea. Il fut désastreux pour les pre-
miers, qui furent mis en fuite et poursuivis jusque
chez les Rauraques. Ce succès enhardit tellement les
Allemanes que, descendant le fleuve, ils vinrent se
poster jusque dans la plaine d'Argentorat. Leur
armée, forte de trente- cinq mille hommes, était
sous les ordres de Chnodomar, qui commandait en
chef, et de Sérapion, son neveu, de Vestralp, d'U-
rius, dUrsicin, de Suomar et d'Hortar, tous sou-
verains des différentes tribus qui s'étaient partagé
l'ancienne province romaine tians -rhénane. Chno-
domar était dans la Gaule depuis le temps de Ma-
gnence, et, par la victoire qu'il avait remportée sur
Décence, il avait surtout acquis un grand nom parmi
ses compatriotes. Gundomad etVadomar, qui avaient
reçu la paix de Constance, et qui étaient depuis
restés alliés des Romains, avaient d'abord refusé de
prendre part à cette coalition. 3Jais le premier ayant
été assassiné par ses propres sujets, le second sévit
pour ainsi dire contraint de se joindre à ses compa-
triotes.
' Libanius, 1. r.
DU RHIN ET DU DANUBE. 107
Les Allemanes apprirent par des transfuges que a^ RëL d*j"c.
Julien n'avait avec lui que treize mille hommes de i^'^- 357.
troupes. Ils lui. envoyèrent des députés pour lui re-
montrer, qu'ayant par leur valeur et par la force
des armes acquis le pays qui était en leur puissance,
il leur appartenait de plein droit, et l'engagèrent
à se désister de toute nouvelle entreprise contre eux.
Julien retint auprès de lui ces députés, et, pour toute
réponse, descendant des hauteurs de Saverne, vint
se poster dans la plaine devant l'ennemi. La bataille,
qui se livra entre les deux armées proches d'Argen-
torat^ finit par la déroute complète des Allemanes,
qui, après avoir combattu vaillamment, et avoir
même eu un moment l'avantage sur les Romains, se
virent repoussés par les cohortes bataves et obligés
de fuir et de repasser le Rhin. Plus de six mille des
leurs restèrent sur le terrain, sans compter ceux qui
se noyèrent dans le fleuve. Chnodomar fut lui-même
pris avec sa suite et envoyé à Rome, où il ne survé-
cut que peu de temps à sa captivité.
Cette victoire rendit aux Romains toute la Ger-
manie supérieure.
Julien , après avoir déposé à Metz le butin et les
prisonniers, se rabattit sur Mayence, afin de tra-
verser le Rhin et de porter la guerre sur le territoire
même de l'ennemi. Les Allemanes lui envoyèrent de
nouveau des députés pour lui faire des remontrances
* Ammien décrit au long celte bataille. Pour ce qui concerne les lo-
calités où elle se donna, voyez Grandidier,//t t. d'Jlsoce, p. 228-229,
et Spach , dans les Mémoires du Congrès scb nt\fique , tenu à Stras-
bourg en 1842, p. 331 et sv.
Ans
de Rume. de
108 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Y'^ amicales. Ce fut en vain. Huit cents hommes, placés
1110. 357. dans de légères embarcations, furent chargés de
remonter le Mein et d'incendier tout sur ses deux
rives. L'ennemi épouvanté fit aussitôt allumer ses
fanaux pour avertir du danger les tribus éloignées,
et leur donner par ces signaux rendez-vous sur la
rive droite de la rivière. Julien en profita pour tout
dévaster et incendier sur la rive gauche^ jusqu'à ce
que, arrêté par les abattis d'arbres d'une vaste forêt,
et par la masse de neige qui déjà recouvrait le sol,
il revînt sur ses pas et relevât les fortifications que
Trajan avait un jour fait construire pour contenir les
barbares ^ Il y laissa une garnison et des vivres, et
après avoir accordé une suspension d'armes de dix
mois à trois des chefs qui avaient accompagné Chno-
domar sous les murs d'Argentorat, il repassa le Rhin
pour faire prendre aux troupes leurs quartiers d'hi-
ver. Lui-même prit la route de Paris.
Des Francs saliens, qui pendant cette campagne
contre les Allemanes avaient de leur côté mis à profit
son absence pour faire du butin, s'étaient avancés
jusque dans la Gaule belgique. Surpris par la cava-
lerie du général Sévère, en marche pour regagner
ses cantonnements, ils se renfermèrent dans un des
châteaux-forts qui dominaient les rives de la Meuse.
Julien, averti, vint en personne les y attaquer et, après
cinquante- quatre jours de siège, se rendit maître
1 Munimentwn quod in Alamannovum solo conditum Tiajanux
suo noinine voluit appellavl. Anini. Marcel., !. xvii, c. 1. — Voy.
ci-dessus, p. 70.
Ans
me. deJ.C.
DU RHIN ET DU DANUBE. 109
de la place. Toute la garnison fut faite prisonnière, j, r"
et il envoya tous ces hommes, qui se distinguaient iii<>- 357,
généralement par leur haute stature, à l'empereur
Constance qui les incorpora dans ses armées.
Julien, au printemps suivant, marcha contre la un. 358
nation entière de ces Saliens, qui s'étaient emparés
du pays que baigne lEscaut près de Taxandrie, et
qui maintenant étaient eux-mêmes en discorde avec
les Chamaves. Il les attaqua les uns et les autres, et
ne leur accorda la paix qu'à condition qu'ils ren-
treraient dans leurs foyers ^
Après avoir purgé la Gaule de ces étrangers, Julien
reprit la campagne contre les AUemanes, dont la
trêve était écoulée. Une de leurs peuplades, les Ju-
thungues, avait tenté de surprendre la Rhétie et de
s en emparer. Barbation, plus heureux contre eux
qu'il n'avait été près d'Augusta contre leurs com-
patriotes coalisés, les en avait toutefois repoussés. Ju-
lien, en reparaissant sur le Rhin, fit jeter un pont
sur le fleuve et tomba sur Suomar et sur Ilortar,
deux des princes qui, l'année précédente, avaient
le plus contribué à la dévastation des Gaules. Le
premier chef gouvernait tout le pays qui s'étend entre
le Mein et le Rhin , et que cette rivière embrasse d'un
coude immense avant de se jeter dans le fleuve, et
le second, les plaines et les collines situées plus au
sud jusqu'au Necker, vis-à-vis les Vangiones et les
Nemètes. Suomar, à l'approche des Romains, vint
implorer la paix; Julien la lui accorda, à condition
' Ammien Marc, 1. xvii, c. 8.
Je l'iome. A
1 1 0 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
*"c. qu'il rendrait tous les prisonniers de guerre ro-
1111, 358. mains, et qu'il fournirait des vivres, des voilures
et des matériaux propres à relever les forteresses
du Rhin; Hortar fut bientôt aussi obligé de se sou-
mettre aux mêmes conditions. Julien fit rebâtir sur
le Rhin sept villes que les barbares avaient détruites
et restaurer tous les magasins de vivres qu'ils avaient
dévastés. Comme parla paix qu il venait de faire avec
les riverains du fleuve la navigation se trouvait ré-
tablie, ce fut de l'île de Bretagne qu" il fit venir les provi-
sions de bouche qui devaient alimentercesmagasins^
1112. 359. Cependant les princes de l'intérieur de l'Allemanie
étaient toujours encore sous les armes. Comme Ju-
lien ne pouvait espérer de repos tant qu'ils n'auraient
pas fait leur soumission, il résolut de les surprendre,
et envoya à cet efl*et à la cour d Hortar un de ses tri-
buns, du nom d'Hariobaude, chargé en apparence
d'une mission diplomatique auprès de ce prince,
mais dont les instructions étaient de prendre tous
les renseignements possibles sur la situation poli-
tique et locale des diverses peuplades. Après avoir
écouté le rapport que cet officier lui fit à son retour,
Julien concentra toute son armée dans les environs
de Mayence. Contre lavis de son conseil, qui voulait
qu'on passât le Rhin directement, il fit remonter le
cours du fleuve h ses troupes, afin de trouver un
lieu où il pût effectuer le passage sans avoir besoin
de loucher le territoire du roi Suomar, son allié.
L'ennemi, qui l'observait de la rive opposée, suivit
* Libaniiis, Oraf. pareiilal.. c. 40.
DU RHIN ET DU DÀlNUBE. 111
de ItoDie. de }. C.
le même mouvement. Mais , à la faveur de la nuit, les *"" *"
Romains parvinrent, dans les environs de la métro- ^^^^ 359.
pôle des Nemètes\ à jeter sur la rive droite trois
cents hommes détermines qui, surprenant le camp
des Allemanes et s'avançant jusqu'à latente des chefs
rassemblés en festin auprès d Hortar, qui gardait
alors une stricte neutralité, y répandirent une telle
terreur que, se croyant surpris par toute l'armée,
les Allemanes se débandèrent dans toutes les direc-
tions.
Julien les poursuivit et fit respecter les propriétés
tant qu'il fut sur le territoire d Hortar. Mais à peine
il l'eut dépassé, que le pillage, l'incendie, et tout ce
que la guerre traîne d'horreurs à sa suite, commen-
cèrent. Il s'avança ainsi jusqu'aux frontières des
Allemanes et des Bourguignons, là même où l'ancien
grand rempart romain avait jadis séparé la province
décumate des peuplades germaniques^. Là il établit
son camp, et au milieu de toute la pompe romaine,
il donna enfin la paix aux différents princes qui
vinrent s'humilier et qui jurèrent de respecter doré-
navant la puissance romaine.
Ces brillants succès, qui à Rome furent comparés
à ceux que Marius avait remportés sur les Cimbres,
excitèrent la jalousie de Constance. Sous prétexte ms. 36o.
que la guerre des Perses exigeait un déploiement de
forces considérables, il fit demander à Julien qu'il
* 'Attô NeaÉTOjv apatç IttI tov 'Py;vov. Eunapius, édit. de Boissonade,
1, p. 467. [Excerpt. légat loniim.)
'■^ Regio cui capeilatii tel palus notnen est. Am. Marc, 1. xviii,
c. 2.
Ans
de Rome, d
112 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
j"c. lui livrât l'élite de ses troupes. Julien était adoré de
1113. 360. ses soldats. Loin que la demande de Constance fût
accueillie, ce fut une occasion pour que l'armée des
Gaules, dans son enthousiasme, proclamât empereur
son général. Julienne se dissimulait pas qu'en accep-
tant cette dignité, il devait s'attendre à voir tomber
sur lui le courroux de Constance. Aussi, pour pou-
voir agir contre lui avec plus de sécurité^ commença-
t-il par soigner à tout ce qui pouvait contribuer à
la sûreté des Gaules. Après avoir passé le Rhin et
avoir fait une expédition contre les Attuares,undes
peuples Francs qui avait le plus fait de mal à ces
provinces par ses irruptions, il visita toutes les places
de guerre dont il avait ordonné la réédification
le long du lleuve, et par le pays des Rauraques et
Besançon se rendit à Vienne, qu'il n'avait plus revue
depuis cinq ans, pour attendre dans cette ville la ré-
ponse de Constance aux plans de conciliation qu'il
lui avait proposés.
Constance, qui déjà avait mis à profit le secours
des Allemanes contre Magnence, tenta alors de nou-
veau de soulever ces peuples contre Julien. Une de
leurs divisions passa la frontière de la Rhélie et bat-
lit près de Sanctio' le général Libinon, que Julien
avait envoyé à sa rencontre. Le roi Vadomar, à qui
ces troupes appartenaient, protestait néanmoius tou-
jours de sa fidélité. Mais convaincu de trahison par
des lettres de Constance qui furent interceptées et
qui tombèrent entre les mains de Julien, en même
' Le moderne Sreckiiigen.
Ans Ans
de Rome, de J C.
DU UIIIN ET DU DANUBE. 113
temps que pour donner des preuves de sa bonne
foi il venait jusque dans le camp romain, il fut arrêté i^i3. 360
et conduit en Espagne. Julien tomba alors lui-même
dans le pays ennemi, et obligea par la terreur de ses
armes tous les autres princes à garder une stricte
neutralité.
Cependant il n'ignorait pas les préparatifs que
Constance faisait contre lui sur le Danube. Pour le
prévenir, et profitant de ses avantages, il envoya une
partie de son armée en Italie et dans la Rhétie, et,
traversant avec la plus grande promptitude et dans
le plus grand secret la forêt Marcienne, h la tête de
trois mille hommes d'élite, il monta sur une légère
embarcation qui l'attendait sur le Danube_, à 1 endroit
où ce fleuve commence à être navigable, et parut à
Sirmium, alors que son rival accourait lui-même de
l'Orient à sa rencontre. La mort de Constance, qui, 1114. soi
tombé malade en chemin, fut obligé de s'arrêter à
3 novembre.
Mopsucrène, en Cilicie, sauva toutefois alors l'Em-
pire d'une nouvelle guerre civile.
Le Rhin resta tranquille pendant tout le reste du
règne de Julien.
Mais ce grand homme eut à peine fermé les yeux, mo. 363.
que le cri d'indépendance et de conquête retentit de
nouveau dans toutes les forêts germaniques.
Jovien, pendant son règne éphémère, ne fut oc-
cupé que de l'Orient.
Quand Valentinien parvint sur le trône, toutes les tiir. 364.
nations barbares avaient repris le bouclier, et la
Gaule et la Rhétie étaient h la fois menacées par les
Allemanes; les Sarmates et les Quades attaquaient
I. '
1 14 ÉTABLISSEMENTS KOMAINS
de nie. d^î'c. la Pannonie; et les Saxons, les Pietés et les Scots
1117. 364. faisaient des courses dans la Bretagne.
Valenlinien s'associa à 1 Empire son frère Valens,
à qui il confia l'Orient. Après avoir réglé les affaires
d'Italie, il passa dans les Gaules que déjà les étran-
1118. 365. gers inondaient.
Les Allemanes avaient coutume de recevoir an-
nuellement de la cour romaine des présents, dont
le don avait même été garanti par les traités. Comme
on en avait retranché une partie, ils s'en étaient
plaints à Rome par leurs ambassadeurs, mais sans
que leurs réclamations eussent été accueillies. Ils se
regardèrent dès lors comme déliés de leurs serments.
Favorisés par un froid excessif qui leur permit de
passer le Rhin sur la glace, ils vinrent chercher dans
1119. 366. les Gaules ce qu'on leur refusait à Rome. En vain
Charietton, qui commandait les deux Germanies, vou-
lut s'opposer à leurs déprédations, et appela de Cha-
lon-sur-Saône la division que commandait Sévérien.
Il paya de sa vie le combat qu'il leur livra, et où Sé-
vérien fut aussi très-fortement blessé. Les Hérules
et les Bataves, qui servaient dans l'armée, perdirent
un moment leur drapeau _, et ne le recouvrèrent qu'a-
près avoir fait des prodiges de valeur. Valentinien
envoya contre les barbares Jovin , général de la cava-
lerie, qui vengea cette défaite des Romains par la dé-
faite non moins sanglante de deux divisions ennemies
qu'il surprit successivement près de Scarpona' et
dans le val de la Moselle. Il fit un carnage d'autant
* Cliarpeigne , près de Pont-à-Monsson.
DU UIIliN ET DU DANUBE. 115
plus grand de la seconde que, lorsqu'il arriva, la plu- d^R"!. deV'c.
part des soldats ennemis étaient près du fleuve, ^i^9- 36g.
se lavant sans défiance dans ses ondes, et, pour
ine servir de l'expression de l'auteur romain, met-
tant en ordre leur chevelure blonde et dorée K Après
les avoir repoussés, il se rejeta sur une troisième
colonne, qui parcourait les plaines des environs de
Châlons-sur-Marne ; il lui livra un combat non moins
sanglant, mais mieux disputé, et où les AUemanes
laissèrent sur le champ de bataille six mille morts
et quatre mille blessés. Le malheureux chef qui com-
mandait ces AUemanes tomba lui-même en fuyant
entre les mains de quelques soldats qui le poursui-
vaient, et qui le pendirent à un arbre, à l'insu de
leur général.
Mais cependant ces victoires, en arrêtant la marche
des barbares, n'anéantirent pas leur puissance dans
les Gaules. Les Saxons recommençaient aussi à ra-
vager la Bretagne, et les Francs à courir de nouveau
dans la Batavie.Valentinien envoya Théodose contre
ces deux peuples, et il se prépara lui-même à aller
attaquer les AUemanes sur le Rhin.
Ces derniers le prévinrent. Une de leurs divisions, 1121. 3G3.
sous la conduite de leur prince Rando, vint atta-
quer Mayence, alors presque dénuée de garnison,
pendant que les chrétiens fêtaient une de leurs
plus grandes solennités. Ils s'en rendirent maîtres
sans coup férir; chargés de butin, ils entraînèrent en
esclavage un grand nombre d hommes et de femmes'^.
' Ammien Marcel., 1. xxvii, c. 2.
^ Idem , 1. xwii, c. 40.
I. «*
An* Ans
de Kome. de J. C.
116 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
La mort de Withicab, fils du célèbre Vadomar, qui
1121. 368. avait si souvent provoqué les armes de Julien, et
que les Romains firent alors lâchement assassiner
par un de ses domestiques dont ils gagnèrent l'esprit
sordide, arrêta toutefois pour quelque temps leurs
aventureuses expéditions. Withicab était, en effet,
lame du conseil de ces peuples, et les Romains n'a-
vaient point d'ennemi qui leur fût plus dangereux.
Ayant tout à redouter pour les provinces du Haut-
Rhin, ils ne craignirent point, tant les mœurs avaient
changé, de se souiller du sang de leur ennemi et de
ternir leur gloire par un assassinat '.
Valenlinien profita du découragement que cette
mort porta parmi ces nations pour passer lui-même
le Rhin. Il se fortifia de toutes les troupes de l'illyrie
et de l'Italie dont il pouvait disposer, et s'adjoignit
les deux généraux Jovin et Sévère, ainsi que son
fils Gratien , jeune enfant de dix ans, que l'année
précédente il avait fait proclamer Auguste. Il est
probable que le passage du Rhin s'effectua près d'Ar-
gentorat, puisque l'expédition était dirigée contre le
peuple qu'avait commandé le prince qui venait d'être
victime de la perfidie des Romains. L'armée brûla et
pilla tout devant elle; cependant elle marcha quelques
jours avant de voir l'ennemi, jusqu'à ce que, arrivée
devant Solicinium, ancienne colonie romaine, on vînt
avertir l'empereur qu'un corps d'armée se montrait
dans le lointain. Valenlinien donna aussitôt l'ordre
d'arrêter. Les AUemanes s'étaient retranchés sur
une haute montagne, accessible seulement du côté
^ Amm. Marcel., 1. xxvii, r. iO.
DU RHIN ET DU DANUBE. 117
du nord par une pente douce et aisée. L'empereur j^kÔL. de^j'c
voulut les reconnaître en personne. Accompagné ^^-i* 308.
d'un petit nombre d'hommes, il s'avança dans un
marais, où peu s'en fallut que l'ennemi, qui s'y était
embusqué , ne s'en emparât. Valentinien fit prendre
à Sébastien un chemin détourné, afin de cerner la
montagne; après avoir renvoyé dans le camp son
jeune fils^, sous la garde de quelques cohortes, il com-
manda lui-même l'attaque principale. L'escarpement
de la montagne présenta la plus grande difficulté
pour l'escaladement. L'armée cependant en vint à
bout, et atteignit l'ennemi sur le plateau, où un
combat des plus opiniâtres et des plus meurtriers
coinmença. Le désavantage fut toutefois du côté des
Allemanes qui , mis en désordre, et cherchant par la
pente opposée à effectuer leur retraite, furent atta-
qués par les troupes fraîches de Sébastien ; leur dé-
route fut complète.
Les Romains eurent, de leur côté, beaucoup de
pertes à déplorer, et il est probable que cette cir-
constance les empêcha alors de porter leurs armes
au delà du Necker et au delà des sources du Danube,
que leurs colonnes avaient atteintes. Il est probable
aussi qu'après avoir ravagé tout le pays par où
ils s'étaient avancés, ils firent alors leur retraite en
se dirigeant au nord entre ce même Necker et le
Rhin, où, près de Lupodunum , si l'on doit s'en rap-
porter à quelques vers d'Ausone, qui chante les
hauts faits de cette campagne, un autre combat dut
aussi avoir eu lieu ^ Comme, du reste, Ammien Mar-
* Voy. sur ce combat la deuxième parfie de ce Ménoire, § l.
Ans Ans
de lîome. d
1 18 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
j"'c. cellin, que nous avons suivi dans ces détails, ne parle
1121. 308. pas de ce dernier fait d'armes, il faut croire qu'il fut
de peu d'importance.
L'empereur vint triompher à Trêves, et profitant
de la tranquillité qui régnait de nouveau sur le Rhin,
1122. 369. il s'occupa, l'année suivante, de faire travailler de
nouveau à le fortifier depuis sa source jusqu'à son
embouchure, et même, là où il le crut nécessaire, à
élever des tours fortes sur les terres des barbares.
Diverses ordonnances rendues par lui sur les bords
du fleuve , et entre autres à Al trippe et à Brisach , nous
prouvent que lui-même présidait alors à ces travaux ,
auxquels il faut joindre le détour qu'il fit faire au
Necker pour protéger le fort qu'il construisit à son
embouchure, et le port qui, près de la métro-
pole des Némètes, devait faciliter la navigation du
Rhin.
Pour donner plus de soutien à ces divers ouvrages ,
et pour mettre entre les barbares et ces nouveaux
établissements romains un espace plus considérable,
il voulut aussi faire fortifier un des lieux qui appar-
tenaient aux Allemanes au delà du fleuve et que l'his-
toire nous cite sous le nom de Pirimont. Les Alle-
manes de cette partie de la province, qui étaient
alors en paix avec les Romains, se plaignirent de
cette violation de leur territoire. Mais n'ayant pu se
faire justice par la voie de la persuasion , ils le firent
par la voie des armes, et attaquèrent les troupes qui
entreprenaient ces travaux. Ils les taillèrent en pièces
sans qu'un seul homme échappât, qui pût alors
rendre compte à l'empereur de cette boucherie.
DU RHIN ET DU DANUBE. 119
Valentinien venait justement de recevoir la non- iJZn,^ d/j"c.
velle de l'invasion des Saxons dans la Germanie infé- ^^^^ ^go.
rieure. Sur le rapport que lui fit Naniénus, qui y com-
mandait, du grand nombre d'ennemis qui marchaient
sur la province et du peu de forces qu'il avait à leur
opposer, il lui envoya pour le soutenir linfanterie
du général Sévère. Cette infanterie arrêta la marche
des Saxons. Ils firent la paix, et il leur fut permis de
regagner leurs vaisseaux moyennant qu'ils fourni-
raient un certain nombre d'hommes, qui seraient in-
corporés dans les légions. Mais la parole romaine, si
souvent en défaut envers les Germains, le fut encore
en cette occasion. Car, comme ces Saxons se reti-
raient, ils furent attaqués à l'improviste par les sol-
dats romains, postés en embuscade ; il s'ensuivit un
combat sanglant où beaucoup de Saxons périrent.
Valentinien, qui craignait que les peuplades alle-
manes du Rhin ne profitassent de cette irruption du
nord pour l'inquiéter dans ses travaux , fit sous main
sonder les Bourguignons que des intérêts politiques
avaient déjà plus d'une fois mis en état de guerre
avec ces mêmes tribus. Les salines situées entre les
deux nations avaient déjà, à plusieurs reprises, été
l'objet de leurs querelles, et il est probable que l'em-
pereur leur promit alors, s'ils se joignaient à lui , de
les maintenir dans la possession de ces lieux, qui
étaient pour eux d'une si grande importance. Ils se
soulevèrent du moins à sa voix, et ils vinrent au
nombre de quarante mille hommes se répandre sur
les terres des Allemanes. Ces derniers qui redoutaient
l'attaque des Romains, et qui avaient à craindre de
I 20 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
deitome. i.^î'c.&Q voif cemés entre les deux armées, se retirèrent
1123. 370. QYi masse du pays. Les Bourguignons vinrent jusque
sur le Rhin , sans que Valenlinien , toujours ingénieur
plutôt alors que général, n'eût encore fait le moindre
préparatif de guerre. Trompés dans leur attente , et
voyant qu'ils ne pouvaient compter sur l'empereur ,
ils se retirèrent dans leurs foyers.
1124 371. Mais lui-même, l'année suivante, passa le Rhin,
pour surprendre Macrien qui régnait sur les Alle-
manes de la rive droite du Meiii, et qui était non
moins redoutable que ne l'avait naguère été Withicab.
II avait appris que ce prince était malade, et il espérait
par un coup de main pouvoir se rendre maître de sa
personne. Il fit jeter un pont sur le fleuve, au-dessous
de Mayence, et chargea Sévère, à la tête de quelques
troupes , de se diriger le plus secrètement possible
sur \Mesbade \ où le prince résidait. Quelque dis-
cipline que l'on eût recommandée aux soldats, ils ne
purent cependant, pour le bonheur de ce dernier,
s'empêcher de piller et de tout brûler selon leur ha-
bitude. La fumée qui s'éleva du sein des forêts avertit
à temps les AUemanes de l'invasion. Il leur fut pos-
sible, avant que les Romains n'arrivassent, de sauver
leur prince, et de l'entraîner sur une légère voiture,
par des chemins détournés. Valentinien, trompé dans
son attente, donna l'ordre d incendier et de ruiner
toute la contrée. Pour contrebalancer le pouvoir de
Macrien, qui s'étendait aussi sur les Bucinobantes,
il mit à leur tête Fraomar, prince de cette nation,
' Aquse Mat lia ca'
DU RHIN ET DU DAISUBE. 121
qui , ainsi que Bithéride et Hortar, deux autres sel- de nie. de^^c
gneurs de la même tribu, était alors au service des *^24. 371.
Romains. Fraomar trouva cependant le pays telle-
ment ravagé, qu'il crut devoir renoncer à cette sou-
veraineté, et obtint le commandement des Allemanes
qui servaient comme auxiliaires dans l'armée ro-
maine en Bretagne.
Hortar resta dans la Gaule. Mais ne supportant
qu'avec peine l'oppression de son pays , il se fit l'es-
pion de Macrien.Une de ses lettres à ce prince , tombée
par malheur entre les mains de Florentins, gouver-
neur de la Germanie, occasionna son arrestation,
et il fut condamné par l'empereur au terrible sup-
plice du feu '.
Cependant le Danube était aussi devenu le théâtre
d'événements non moins sanglants. Des forteresses
élevées sur le territoire des peuples riverains de ce
fleuve avaient excité leur mécontentement, et au
nom de leur indépendance menacée, ils avaient tous
aussi repris le bouclier. Valentinien reçut des nou-
velles d'illyrie qui lui annonçaient les avantages que
les Quades avaient déjà remportés. Il sentit le besoin
de se rendre sur les lieux, et pour consolider le re-
pos dont le Rhin jouissait alors, il fit lui-même faire
des propositions de paix à Macrien.
Ce prince qu'aucun revers n'avait pu faire plier, 1127. 374.
se montra sensible h ces avances. Il se rendit au bord
du Rhin , la tête découverte , et au bruit des boucliers
que sa suite entrechoquait, jurer à l'empereur, qui
• Aniin. Marcel., 1. xxix, c. 50.
122 ÉTABLISSEMENTS UOMAliNS
de Rome i,^i!c. affccta (le déployer toute la pompe romaine, une fidé-
1127, 374 Jité qui ne se démentit plus jamais.
Gratien fut laissé par son père dans les Gaules, où
1128. 375. il apprit à la fois sa mort et l'élévation de son jeune
frère Valentinien II à la dignité d'Auguste. Il ne fit
pas difficulté de partager l'Empire d'Occident avec
lui.
Gratien fut de tous les généraux romains le der-
nier qui mit le pied dans le sud de la Germanie. Avec
quelque pompe, en effet, quelepoëte Ausone* fasse
dire au Danube que là même où il coule, au milieu
du pays des Suèves, il est déjà sur le territoire ro-
main, et avec quelque emphase qu'il nous vante le
Rhin ne formant plus la frontière des Gaules, il est
certain que , à l'exception de quelques tours jetées
çà el là sur la rive droite du fleuve, là où il pouvait
offrir aux populations barbares une plus grande faci-
lité de le traverser, nul établissement romain n'exis-
tait plus depuis longtemps sur cette rive. Toutes ces
tours, tous ces remparts furent même impuissants à
contenir ces hordes toujours remuantes, et qui pro-
fitaient de chaque circonstance favorable pour venir
piller la rive gauche.
Les Lentiens que nous avons vu chasser de la
Rhétie à plusieurs reprises, ayant appris que Gratien se
préparait à porter ses armes contre les Goths, traver-
sèrent, en effet, au commencement de la troisième an-
1131. 378. née du règne de ce prince,le Rhin couvert de glace, et
février. ^^ répandirent dans la Gaule. Obligés de se retirer,
' Ausoiip, Epigr. 3 et i.
DL UIIIN ET DU DANUBE. 123
mais ne prévoyant pas que l'empereur pût leur oppo- ^^ r°;, // ^
ser des forces suffisantes, ils se réunirent de nouveau ii3i. 378.
de toutes les parties de leur territoire, et au nombre
de quarante ou soixante-dix mille hommes, ils se
préparaient h recommencer leur course aventurière,
quand Gralien, averti, fit revenirles troupes qui déjà
étaient en marche , et leur adjoignant celles qu'il avait
laissées en arrière pour la défense des Gaules, les
battit par ses généraux près d'Argentaria, sur le lac
Brigantin^ Lui-même, pour mettre un terme à leurs
déprédations, rejoignit son armée, dans l'intention
de faire sentir aux barbares tout le poids de sa ven-
geance. Mais l'ennemi lui échappa dans ses mon-
tagnes ; le jeune empereur cependant les poussa si vi-
goureusement, qu'il les contraignit à demander la paix
et à fournir un contingent de troupes aux Romains.
Gratien poursuivit alors sa route pour aller s'op-
poser à l'irruption des Goths , qui ravageaient la
Thrace, la Scythie et la Mœsie, et même les provinces
illyriennes que parcouraient aussi les Quades et les
Sarmates, sans parler des Huns, des Vandales et
des Marcomans.
Pour opposer une barrière à tant d'ennemis, il
rappela d'EspagneThéodose-le-Jeune, auquel il donna
le commandement de ses armées- Comme l'Orient
venait de lui échoir par la mort de Valens, et qu'il
ne pouvait supporter le poids d'une si grande monar-
chie, il s'associa bientôt ce même général à l'Empire,
' Anim. Marcel., 1. xxxi, c. 10. Voy. ci-après troisième partie de
«■e Mémoire.
124 ÉTABLISSEMEINTS UOMAirsS
le Rome, de^'c. ^t luî doiina avcc le titre d'Auguste l'Orient et l'illyrie
1132. 379. orientale. Il revint en Italie, et bientôt après passa
dans les Gaules, qui pendant quelque temps lurent
assez tranquilles.
1136 383. Mais la révolte de iMaxime qui fit soulever les pro-
vinces rhénanes, et qui se fit déclarer empereur par
ses soldats, ramena en deçà de ce fleuve les tribus
germaines, etsurtout les Francs qui alorsmenacèrent
pour la troisième fois de compléter la ruine de Co-
logne, et les Saxons qui recommencèrent leurs pira-
teries sur les côtes*.
25 août. Gratien , tué à Lyon, alors qu'il fuyait vers l'Italie ,
laissa l'Empire à Valentinien II, jeune enfant de douze
ans. Théodose ne fit pas difficulté de lui abandonner
l'Italie, rUlyrie occidentale et l'Afrique, sous la tutèle
de sa mère, tandis que Maxime continua de se sou-
tenir dans son usurpation des Gaules, de la Bretagne
et de l'Espagne.
Mais l'ambition de ce dernier n'était point satis-
faite. Ses projets de conquête sur l'Italie, qu'il pré-
tendait enlever au jeune empereur, le mirent en
présence de Théodose, qui , se portant à sa rencontre,
le battit sur les bords de la Save et à Pettau. Maxime
se retira devant lui jusque dans les environs d'Aqui-
1141. 388. lée, où, battu de nouveau et tombé en son pouvoir,
il paya de sa vie son usurpation. Théodose lui fit
trancher la tète en sa présence 2, et rétablit Valen-
tinien dans l'Empire d'Occident, en retenant lui-
même l'autorité que le jeune âge du prince ne lui
' Ambrosius, ép. xvii, p. 215.
2 Laliniis Pacatus, in Panegf/r.. c. ii-i'J.
DU RHIN ET DU DANUBE. 125
permettait pas encore d'exercer. Il lui donna pour j, r"'„, j.Y'c
aideelpourconseilArbogasle, général, sur la fidélité ^i^i- sss.
et le courage duquel il croyait alors pouvoir compter.
Valentinien II se rendit dans la Basse-Germanie, 1142. 389.
pour présider à la sûreté de celte province contre
les Francs. Arbogaste eut à combattre ces peuples_,
ainsi que les Bructères , les Chamaves et les Cattes
même, qui tous alors étaient compris dans la coali-
tion franque '. Ce général était lui-même Franc d'ori-
gine, et d'une vertu austère qui le fit comparer aux
Curius et aux Fabricius de l'ancienne Rome. Mais
celle sévérité et cette droiture qui lui avaient acquis
l'estime et l'amour du soldat, ne pouvaient convenir
au caractère de Valentinien II, qui, à mesure qu'il
avança en âge, conçut contre lui un plus grand
éloignement. Ils se méfiaient réciproquement l'un
de l'autre; et lorsque l'empereur mourut subitement h^ô. 392
^ ,T' rt^-. il r / / 1 15 mai.
a Vienne, en 392, Arbogaste lut assez généralement
soupçonné d'avoir causé sa perle''^. Lui-même cepen-
dant ne tenta pas de se faire proclamer empereur,
soit que, parcelle modération, il cherchât à écarter
le soupçon qui pesait sur lui, soit qu'il craignît que
son origine et sa religion fussent encore un obstacle
à son élévation. Il fit tomber le choix de l'armée sur
Eugène, homme de cabinet^ plutôt que guerrier,
dont il espérait régler la conduite dans les affaires ,
pour s'emparer peut-être plus tard de ce qu'il sentait
* Sulpilius Alexandre, dans Grégoire de Tovrs, 1. il, c. 9.
2 Voy. sur les opinions contraires émises au sujet de ce point d'his-
toire l'ouvrage de M. Tillemont, p. Tloetsv.
3 Magister Scrinii.
Ans A
de Rome, de
126 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
;*c. ne pas pouvoir acquérir aujourd'hui avec assez de
1145. 392. sûreté. Tout l'Occident reconnut ce nouvel empereur,
à l'exception de l'Afrique dont Gildon était maître.
Eugène proposa un arrangement à Théodose, et cher-
cha par ses ambassadeurs à lui faire approuver son
élection. Mais Théodose rejeta toutes ses offres. A la
tête d'une armée considérable, grossie de différentes
hordes de Goths, de Huns et d'Alains, il se dirigea à
la rencontre de son rival. Eugène, avant d'entrer en
campagne, voulut assurer le repos des frontières,
et il parvint à négocier la paix avec les Francs et
les Allemanes, et même à obtenir d'eux un corps
1147. 394. d'auxiliaires ^ Les deux armées en vinrent aux mains
dans les environs d'Aquilée , au pied des Alpes Ju-
liennes, théâtre de tant de combats. La bataille, quoi-
que vivement disputée, fut perdue par Eugène, qui,
tombé au pouvoir de son vainqueur, paya de sa tête
sa défaite. Arbogaste, pour ne pas avoir le même sort,
se tua de sa propre épée^. Tout l'Occident, par cette
victoire, échut à Honorius, jeune fils de Théodose, qui
au commencement de l'année avait été nommé Au-
1148. 395. guste. L'empereur lui-même mourut bientôt après,
17 janvier, jj^jggjjjjt l'Qrient à SOU fils aîné, et donnant pour tu-
teur à Honorius , Stilicon , Vandale de nation , sous le
gouvernement duquel les barbares commencèrent
enfin à écraser l'Empire. Stilicon renouvela les traités
qu'Eugène ou plutôt son ministre avait faits avec les
peuples germains. Mais bientôt les Francs inon-
* Voy. dans Grégoire de Tours, 1. ii, c, 9.
2 Socrate, 1. v, c. 24-.
DU RUIN ET DU DANUBE. 127
dèrent de nouveau les Gaules, et s'avancèrent jusqu'à j, r"'„, j*;'c.
Trêves, qu'ils détruisirent de fond en comble. Les 1152. 399
Saxons, de leur côté, pillèrent les cotes de la Bretagne,
et avec le commencement du cinquième siècle, alors
que l'Italie était inondée de sang et de carnage, que
l'Empire d'Orient était lui-même en proie aux étran-
gers, tous les peuples de la Grande-Germanie, qui,
malgré leurs irruptions dans les Gaules, en avaient
depuis quatre siècles toujours été repoussés , fran-
chirent enfin le Rhin , pour ne plus le repasser.
Déjà en 376 les Huns, peuple barbare et nomade,
sorti des steppes de l'Asie, avaient donné à l'Europe
la secousse qui devait changer sa face. Les historiens
chrétiens qui ont écrit les faits de ces hordes in-
domptées n'ont pas craint, tant était grande la ter-
reur qu'ils inspiraient et tant étaient cruelles les
traces de leur passage , de les décrire comme ne
possédant que la moitié de l'humanité et de prétendre
que du commerce que le mauvais génie avait eu
avec lesalrunes au sein des steppes de la Scythie, ces
peuples avaient tiré leur origine. H est probable que
leur coalition se composait de hordes scythes, parthes
et indiennes, qu'un même intérêt rassembla, et qui,
chassées et errantes, trouvant ouverte la route de
l'Occident, vinrent y chercher de nouvelles demeures.
Ils étaient, comme tous les barbares, durs à la fa-
ligue et sans crainte des dangers. Traversant la mer
Mœotide, ils tombèrent d'abord sur les Alains, autre
peuple scylhe , qu'ils chassèrent des terres qu'ils habi-
taient sur les rives du Don, et qui, forcés de reculer
vers l'Occident, tombèrent à leur tour sur la Pannonie
Ans Ans
Je Rome, àe i. C
128 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
etsurleNorique. Refoulés, d'un côté par les Romains,
1152 399. ç\q l'autre par les Golhs, ils avaient fini par se jeter
sur les terres des Suèves et des Vandales, et tous ^ dès
lors, tandis que l'Ialie était inondée par ces derniers,
et que, pour se soutenir contre eux, Stilicon avait
dégarni toutes les places du Rhin, ils vinrent comme
un torrent se répandre dans les Gaules. Les Francs,
qui déjà en occupaient une partie, voulurent en vain
en défendre l'entrée. Ils furent battus, et bientôt
tout le cours du fleuve , toute la Gaule , furent cou-
verts de ces étrangers, auxquels vinrent se joindre
des hordes de Sarmates, de Quades, de Gépides et
d'Hérules, et toute cette quantité de Saxons qui infes-
tèrent les côtes , et les Allemanes qui se répandirent
jusqu'à la Moselle. iMayence, la plus florissante de
toutes les cités romaines sur le Rhin, fut prise et ra-
sée le dernier jour de l'an 406. Borbetomagus, après
1160. 407. un siège long et opiniâtre, fut obligé de se rendre.
Argentorat, Néomagus, toutes les villes qui, encore
florissantes, élevaient tout le long du fleuve leurs
remparts, devinrent la proie des flammes, du meurtre
et de la dévastation'. La cité des Rauraquesfutanéantie.
Arias, Tournay, Reims ne lardèrent pas à être au
delà des frontières que Rome, en se débattant, avait
encore à défendre dans les Gaules, où les Francs éta-
blirent bientôt leurs deux grandes tribus de Saliens
et de Ripuaires. Tandis que les premiers plaçaient
à Cambrai le siège de leur monarchie, c'était dans la
ville d'Aggrippine que les seconds plaçaient le leur.
1 Saint- Jérôme. Lettre sur la Monogamie, t. i de ses œuvres,
p. 60.
4ns
lue. de J. C.
DU nUIN ET DU DANUBE. 129
Les Bourguignons acquirent aussi des terres enjeRu"™
deçà du fleuve, et, comme les Francs au nord, ayant ^i*^^ ^^''•
pris pied dans les Gaules, n'en quittèrent plus le terri-
toire. Les villes du Rhin se rétablirent, il est vrai;
et même 1 autorité d'Honorius y fut encore assez
grande pour que la constitution romaine s'y main-
tînt. Mais ce pouvoir ne fut plus qu'éphémère. Pour
le soutenir, il fallut laisser aux barbares la proie qu ils
étaient venus chercher. En vain, sous le second succes-
seur d'Honorius \ .îllius, grand homme de guerre,
combattit ces mêmes Francs qui s'étaient emparés
de Trêves, et ces Bourguignons qui cherchaient aussi
toujours à s étendre. En vain il se lia plus tard adroite-
ment à ces peuples et aux Wisigoths, pour s'opposer
aux bandes d'Attila, dont le passage fut si terrible
aux villes du Bas-Rhin qui à peine s'étaient relevées.
Le pouvoir de Rome s'affaiblit de plus en plus sur
ces contrées, et lorsque enûn ce grand homme reçut
la mort de la main de l'empereur, il n'y avait plus
que l'espace des Gaules compris entre la Somme et
la Loire qui fût véritablement encore une province
romaine. Les Allemanes occupaient les deux rives
duRhin, depuis l'Albe jusqu'au delà des Vosges, et
depuis lors le cri de l'aigle expirant ne se fit plus en-
tendre sur le fleuve.
' Valenlinien III.
130 ÉTABLISSEMENTS KOMAINS
DEUXIEME PARTIE.
ÉTABLISSEMENTS ROMAINS S13II LE RHIN.
§ier.
ÉTABLISSEMENTS DE LABNOBA ET DU NECKER.
Nous avons VU dans la première partie de ce Mémoire
que, lorsque les armées romaines vinrent sur le Rhin ,
tout le cours de ce fleuve était habité par des tribus
germaniques, devant lesquelles leCelte, premier ha-
bitant de ces contrées, s était vu contraint de reculer.
Les noms des localités, ceux de la plupart des rivières,
des collines et des villes, où le nouvel habitant s'ar-
rêta , surtout dans la partie sud , nous prouvent in-
contestablement cette succession de peuples. D'ail-
leurs, dans les forêts, quelques pierres brutes qui
servirent aux sacrifices, çà et là des tombes qui ré-
cèlent les plus antiques populations, ne nous ont
pas en vain montré leurs masses informes et leur
sphérique gazonnement. Elles nous confirment la
possession du pays par un peuple antérieur au Ger-
main, sur les traces duquel ce dernier, laissant ses
forêts vierges, vint chercher de nouvelles demeures'.
Ce Germain était essentiellement guerrier. Chaque
homme portait les armes, comme jadis l'Indien dans
' Voy. mes Éfablissements celtiques dans la Sud-Ouest-Àlle-
magne ^ §§ 1" et 3.
DU RniN ET DU DANUBE. 131
les bois du nouveau monde, et comme 1 on voit en-
core dans la mer du Sud Ibabitanl des îles ne jamais
marcher sans les siennes. Le mot de Germain , nom
dont aucun peuple de la vaste contrée, à qui les Ro-
mains ont imposé le nom de Germanie, ne sest ap-
pelé lui-même particulièrement, n'est donc que la
dénomination latinisée du mot allemand guerrier \
épithète dont chaque homme, chez ces antiques peu-
plades, était si fier de se nommer. Ils étaient tous en
effet guerriers pour défendre les intérêts de leurs
tribus, et toutes les nations étaient en armes, quand
il s'agissait de marcher à l'ennemi. Aussi ce nom de
Germains ne fut-il d'abord donné par les Gaulois
qu'aux peuples avec lesquels ils eurent les premiers
affaire, c'est-à-dire à ceux qui vinrent, les armes à
la main, se répandre les premiers sur la rive gauche
du Rhin. Cela nous est confirmé à la fois par Tacite 2,
qui cependant ne nous explique point l'étymologie du
mot, et par César ^ qui nous dit que les Eburons, les
Condruses, lesCœrèses et les Pœmanes, tous peuples
* Geioehr^ armes, Mann, homme, Gewehrmann, fVehrmann,
Germanus, homme de guerre. Le célèbre orientaliste de Hammer
(dans Kruse's Àrchiv fur alte Gesc/nchte, t. i, 2^ cah., p. 134) a
dérivé le nom de germain du mot persan Dsjermann, Dsckermanni.
D'autres, tels que Huschke, Anton, Beck, Ritler, Schlegel, Pas-
sow, etc., l'ont regardé comme synonyme àefederuti, confédérés. Je
renvoie le lecteur aux ouvrages de ces savants. Les Germains eux-
mêmes s'appelaient, comme ils se nomment encore aujourd'hui,
Detdsche ou Tevtsche, c'est-à-dire membres de la grande nation ,
ou nationaux , du mot Diot ou Thiol , qui signifie />?«/> /e dans le dia-
lecte gothique.
2 Tacite, Germania , c. 2.
3 César, De Betlo Ga/l., ii.
I 9.
1 32 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
qui les premiers vinrent s'élablir sur le territoire gau-
lois, étaient collectivement compris sous cette dé-
nomination. LesRomainsn'ont donc point donné aux
peuples doutre-Rhin le nom de Germains, parce que,
comme dit Slrabon ' , ces peuples avaient une ressem-
blance de mœurs avec les Gaulois, mais bien parce
que les Gaulois avaient déjà coutume d'appeler ainsi
toutes les tribus guerrières qui s'étaient, à la pointe
de 1 epée, donné des demeures parmi eux. Et ces na-
tions, à leur tour, trouvèrent plus tard une espèce
de gloire à s'appioprier un nom dont aucune de leurs
tribus ne s'était particulièrement appelée, mais qui,
pris collectivement, marquait tout ce que la patrie
commune pouvait attendre d elles pour sa défense.
Depuis le nord que battent les flots de lOcéan jus-
qu'aux sommités des Alpes, le nom de Germanie fut
dès lors donné à toutes ces terres habitées par les
tribus de la même souche, contre lesquelles Rome,
ainsi que nous l'avons vu, combattit, sans disconti-
nuer, pendant près de quatre siècles et demi.
Les tribus germaines de la rive gauche du Rhin
s'étendaient depuis lembouchure de ce fleuve jusqu'à
l'Helvétie, et à l'est depuis son cours jusqu'à lEscaut
et à la Meuse. Le Rhin, qui prendsa source aux plus
hauts sommets des Alpes lépontiennes, et qui, d'un
cours rapide, au milieu d'une vallée profonde qu'ha-
bitaient quelques petits peuples rhétiques, descend
vers le lac Brigantin, au delà duquel les Suèvesavaient
fixé leurs demeures, touchait, en quittant ce lac lim-
pide, le territoire des Helvéïiens et des Rauraques.Re-
* Strabon , I. vu.
DU RHIN ET DU DANUBE. 133
montant au nord, après avoir faitun coude, non loin
de la métropole du dernier peuple, il circulait dans
l'immense vallée que dominent, d'un côté, le mont Ab-
noba, couvert de forêts sombres, et au sein duquel le
Danube prend sa source, et, de rautre,la chaîne des
Vosges, qui, comme le premier, était alois aussi cou-
verte de forêts. Là se trouvaient successivement éche-
lonnés les Triboques, les Nemètes et les Vangiones,
trois tribus qui , à une époque déjà antérieure à l'in-
vasion d'Arioviste, s'étaient emparées du ne partie des
terres que les Médiomatrices, qui reculèrent alors
leurs frontières jusqu'au delà desVosges,avaientautre-
fois possédées jusqu'au fleuve. Ces Médiomatrices, qui
eux-mêmes faisaient partie de la Belgique piemière,
cultivaient tout le territoire qui s'étend en deçà de ces
montagnes jusqu'à la Meuse, et depuis le territoire
des Rauraques jusqu'à celui des Tréviriens. César ^ ,
en parlant d'eux, cite les trois peuplades des Tri-
boques, des Nemètes et des Vangiones, qui s'étaient
associées aux entreprises du chef des Suèves lorsqu'il
fondit sur la Gaule. Pline ^ atteste leur possession
des terres qui sont baignées par le Rhin , et Strabon ^ ,
en décrivant la situation géographique des Médio-
matrices, parle aussi des Triboques, nation qui s'était
mêlée parmi eux. Or,quoique la coalition suévique eût
entraîné ces trois peuples comme auxiliaires, ils n'en
continuèrent pas moins,après que les Suèves et Ario-
' César, Comment, i,
2 Pline, 1. IV, c. 16.
'"' Strabon, Géoyr., 1. iv.
134 ÉTABLISSEMEÎNTS ROMAINS
visle se furent retirés au delà du Rhin , de rester pos-
sesseurs de la plaine des Vosges, tandis que les autres
peuplades que nous trouvons nommées avec eux dans
lesarméesdeceprince,seretirèrenttoutes des Gaules
en même temps que lui. Harudes, Sédusiens, tous
repassèrent le fleuve précipitamment ; ceux qui ne
purent assezvite se sauver, furent décimés par le glaive
du vainqueur. Pour que le même sort n'eût pas atteint
les Triboques, il fallait donc, qu'ainsi que les Nemètes
et les Vangiones, le corps de la nation habitât depuis
un certain temps le pays, et que ce qui parut d'eux
dans les armées d'Aiioviste n'ait été qu'un corps
détaché d'auxiliaires, qui trouva refuge auprès des
siens. Tacite, qui lui-même fut procureur de la Bel-
gique, et qui devait avoir la plus grande connaissance
de la situation politique de ces peuples, n'eût pas,
en effet, en donnant la liste des nations germaines
de son temps, parlé des Triboques, des Nemètes
et des Vangiones, si , malgré le carnage que les sol-
dats de César firent de l'armée d'Arioviste, ces trois
tribus ne s'étaient pas soutenues sur le Rhin. Or,
pour qu'elles aient pu continuer d'habiter la Gaule,
il faut qu'elles y aient été sédentaires, et qu'en se
soumettant aux armes des Romains, elles aient ob-
tenu la grâce du vainqueur. Et comme, d'un autre
côté, s'était conservé le souvenir de l'occupation
de leurs terres par les Médiomatrices au bord du
Rhin , il faut admettre aussi que cette prise de
possession de la vallée des Vosges par les Tri-
boques, de la vallée du mont Tonnère par les Van-
giones , n'avait pas eu lieu à une époque bien anté-
DU RHIN ET DU DAÎNUBE. 135
Heure à l'arrivée des Romains dans ces contrées. Les
noms des localités que Rome nous a transmis étant
tous celtiques , il faut en déduire que les habitants des
bourgs qui les peuplèrent avant l'arrivée des Ger-
mains, y étaient en partie restés stationnaires, tandis
que ces derniers s'étaient, selon les mœurs des Suèves,
leurs ancêtres, répandus tout autour dans les vallées
et sur le revers des collines. C'est une observation
qui du reste sera commune à la plupart des peuplades
germaines que nous aurons occasion de citer, qui,
sans habiter d'abord les villes qu'elles ont dû laisser
aux habitants primitifs qui se soumirent à elles, ont
toutefois continué de nommer d'après eux, les can-
tons, les rivières, les torrents, sur lesquelsellessont
venues poser leurs habitations.
Les Triboques habitaient les bords de l'Ell * , rivière
qui prend sa source dans les Vosges. Ils recouvraient
de leurs tribus une'grande partie de la plaine que
cette rivière arrose, et qui forme aujourd hui la
partie la plus étendue delà plaine d'Alsace. Lorsque
les Allemanes , après avoir chassé les Romains de la
rive droite du Rhin, s'y furent établis, et que, dans
leurscourses, ils eurent h plusieurs reprises inondé de
leurs armées la rive gauche du fleuve, ils s'habituèrent
à nommer les habitants des bords de l'Ell d'un mot
pris dans leur langue et qui exprimait d'une manière
précise la situation géographique de ce peuple. Ceux
qui demeuraient vis-à-vis d'eux dans la vallée que
cette rivière arrose, furent donc pour eux les Ell-
' Aujourd'hui l'IU , en latin Ellum.
136 ÉTABLISSEMENTS BOMAIINS
sassen, c'est-à-dire ceux qui habitaient l'Ell. Comme
les Romains n'ont jamais connu le pays sous le nom
d'Elsatia, que ce nom ne parut dans l'histoire que
lorsque les Francs vers le nord , les Bourguignons
au centre, et les Allemanes au sud, s'établirent sur
la rive gauche du Rhin, on doit le regarder en effet
comme implanté par ces derniers au commencement
du cinquième siècle, lorsque l'aigle cessa de planer
sur le fleuve. La tribu de la coalition allemanique
qui vint alors s'établir sur les bords de l'Ell, fut elle-
même appelée du nom de cette rivière par les nations
voisines, de la même souche. Elle se dit elle-même
habitante de lEll, comme son chef prit le titre de
souverain de cette province. Le nom des Triboques,
qui sans doute se mêlèrent à cette nouvelle popula-
tion , disparut alors , comme avait disparu avant
eux celui des Médiomatrices qui avaient cependant
toujours aussi dû rester en grand nombre dans les
bourgs qu'ils avaient élevés.
Ces Triboques recouvraient toute l'Alsace, de-
puis la hauteur de Brisach jusqu'à la forêt, alors
sacrée, qui s'étendait entre les deux petits ruis-
seaux du Sauerbach et de la Motter, où les Triboques,
comme les Nemètes, leurs voisins, venaient offrir
aux dieux leurs sacrifices. Au delà de ces lieux dé-
serts commençait le territoire des Nemètes, qui lon-
geait le fleuve jusqu'au cours du petit torrent^ qui s'y
jette, non loin de l'endroit où s'établit plus tard
la station romaine d'Altrippe. De l'autre côté de
' Le Rt'hbach.
DU RHIN ET DU DANUBE. 137
ce torrent commençait celui des Vangiones , qui
s'étendait à son tour jusqu'à l'embouchure de la
Nava'.
Lorsque les armées romaines vinrent sur le Rhin,
les bourgades celtiques de Borbetomagus, de Neo-
magus, de Saletio, de Brocomagus, d'Hellenum, exis-
taient, soumises à l'empire de cette nouvelle popula-
tion. Les deux premières de ces villes devinrent même
sous les Romains les métropoles des Vangiones et
des Nemètes. Quoique non alors nommées pai- l'his-
torien romain , ces villes ont nécessairement dû avoir
une origine antérieure à l'établissement des Germains
sur le Rhin, puisque ces derniers, s'étant soumis aux
Romains,ontcontinuéd'habi ter paisiblement souseux
le pays. Si Rome eût fondé ces villes, elles n'eussent
pas nécessairement reçu d'elle des noms celtiques.
On pourrait au plus prétendie que des Gaulois mé-
diomatrices ou d'autres sont de nouveau venus avec
les légions dans ces provinces, et qu'ils y ont alors
établi ces villes au milieu des Geimains qui mé-
prisaient ces enceintes murées. Mais ces bourgs eux-
mêmes ne seraient pas devenus les métropoles de
deux peuples germains, si une longue expérience
n avait pas appris à ces derniers les avantages qu'ils
pouvaient leur offrir, et si ces nations n'avaient pas
fini par prendre ces villes pour siège de leurs juridic-
tions. Il est bien plusvraisemblable,au contraire, que
ces lieux dataient de l'occupation des premiers habi-
tants celtes qui , pendant tant de siècles, avaient ré-
Nahe.
138 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
sidé sur les deux rives du fleuve, avant que les Ger-
mains ne vinssent les conquérir; beaucoup d'entre
eux, après la conquête, ont nécessairement dû rester
dans ces bourgs et se mêler à leurs vainqueurs.
César, dans toutes les guerres qu'il décrit, ne
nomme, il est vrai, aucune de ces bourgades. Même
dans toute la Belgique, il ne cite que les deux seules
villes de Trêves et dAtuatuca, l'une sur la Moselle,
l'autre non loin de la Meuse. Mais nous n'avons de lui
en général que des descriptions trop peu détaillées des
localités , pour pouvoir déduire de son silence tou-
chant les lieux qui se trouvaient dans cet immense
territoire, qu'aucune autre bourgade, à l'exception
de ces deux villes, n'y aient jamais existé aupara-
vant. Comme la succession des deux peuples, celte
et germain, nous a été transmise par l'histoire, que
le Celte gaulois fut incontestablement le premier ha-
bitant du pays, il faut bien, partout où le nom des
villes, des montagnes, des rivières, sur le territoire
germanique, a une racine celtique qui s'est conservée
sous l'empire de Rome, admettre pour ces lieux une
plus haute antiquité que la sienne. Partout où elle-
même a mis ces lieux à profit, elle leur a en effet
conservé leur nom primitif, ou elle leur a donné le
nom du fondateur des colonies qu'elle y transplanta.
Mayence même , celte ville qui pendant les deux
premiers siècles de son empire fut le lieu où résida
le gouverneur de la Haute-Germanie, ne dut pas à
Rome son origine, mais bien aux Gaulois qui précé-
dèrent les Vangiones et qui établirent là une de leurs
bourgades vis-à-vis du Mein.
DU imiN ET DU DANUBE. 139
C'est non luin de celte ville, sur la rive gauche de
la Nava,que commençait le teriitoiredesTréviriens,
Tune des peuplades germaines dont la puissance
était la plus considérable lorsque César vint dans les
Gaules. Ils avaient pour voisins au sud les Médioma-
Irices, que j'ai déjà cités, et s'étendaient à l'ouest
jusqu'à la Meuse, qui les séparait des RémiensS et à
l'est jusqu'au Rhin. Dans le territoire qu'occupait
cette tribu, d'autres lieux que les Gaulois avaient
d'abord habités, devaient aussi être avec Trêves des
bourgs non moins anciens que ceux du Haut -Rhin
que je viens de mentionner. Noviomagus, Dumnuni,
Antunnacum, Bodobriga, Brisiacum, sont des lieux
essentiellement celtiques que la nouvelle population
avait dû laisser subsister, et autour desquels elle avait
de préférence dû se répandre après avoir délaissé
ses forêts transrhénanes.
Au nord des Tréviriens s'étendaient les Eburons,
les Condruses, les Ségniens, les Cœrèses et les Pœ-
manes qui, les premiers, comme j'ai déjà eu l'occa-
sion de le remarquer plus haut, vinrent, en traver-
sant le Rhin, s'établir sur la rive gauche du lleuve,
et qui , avec le nom de Germains que les Gaulois leur
donnèrent, furent plus tard appelés du nom collectif
de Tongres. La cité d'Atualuca, dont parle César, était
la métropole du premier de ces peuples, qui s'étendait
autourdessourcesdelaDyleetsurla31euse.Lesautres
successivement se trouvaient assis sur la Dente, sur
la Rœr et sur le Rhin , où un passage de César semble
* Ploléméc, I. II , c. 9.
140 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
nous attester que les Condruses habitèrent d'abord ,
avant que les Ubiens n'y eussent été plus tard trans-
plantés.
Au nord des Eburons étaient les Ménapicns, autre
peuple germain, s'il faut s'en rapporter à Pline S et
qui habitait entre le Rhin et l'Escaut, séparé des
Aduatiques par les deux rivières de Demer et de Ru-
pel. Les Bataves et leurs confédérés recouvraient au
delà l'île immense que le Rhin forme à son embou-
chure, tandis que le reste des terres que baigne l'O-
céan entre l'Escaut et la Meuse était habité par ces
mêmes Aduatiques, connus plus lard sous le nom de
Bethasiens, par les Nerviens, par les Atrébateset par
une foule d'autres petits peuples que l'histoire men-
tionne avec les Bellovaces et les Moriniens.
Telle était la population germaine du Rhin et de
la Belgique lorsque César vint pour la première fois
dans les Gaules.
Il quitta ce pays l'an 50 avant Jésus-Christ, et ce fut
l'an 37 avant la même ère que Maicus Vipsanius
Agrippa transplanta de ce côté du fleuve les Ubiens,
qui d'abord avaient habité la rive droite du Rhin
entre la Wipper et la Sieg, et qui s'étendirent alors
depuis la rivière d'Ahr^ jusque vis-à-vis les bouches
de l'Emserqui, du côté de l'Allemagne, se décharge
dans le Rhin. Dix ans après eut lieu le partage des
provinces par Auguste et la formation des deux Ger-
manies supérieure et inférieure. La dernière de ces
' Pline, 1. IV, c. 13.
- Obringa.
DU RHIN ET DU DANUBE. 141
provinces était bordée par le Rhin et avait pour
limites au sud la forêt des Ardennes^qui la sépa-
rait de la première Belgique, et à l'est la Senne,
qui se jette dans 1 Escaut. La Germanie supérieure,
moins large, comprenait alors le pays habité par les
trois peuplades des Triboques, des Nemètes et des
Vangiones, dont nous avons parlé, le territoire des
Rauraques et une faible partie de celui de Trêves,
au-dessus de la Nava. Les Germains, jusqu'à cette
époque, avaient vécu dans la Gaule conformément à
leurs mœurs d'outre-Rhin , fidèles à leur culte, et in-
voquant le grand Être au sein et dans la profondeur des
forêts les plus sauvages. Ils n'avaient point eux-mêmes
bâti de villes, et quoiqu'ils eussent mis h profit celles
qui déjà existaient lorsqu'ils vinrent dans la contrée,
la masse de la nation ne les connaissait pas. Comme
dansleur patrie primitive, ils avaient dispersé leurs de-
meures, selon qu'un plateau , qu'une fontaine , qu'une
toulïedarbresombrageant un rocher, leur offraient un
site plus avantageux ou plus agréable. Leurs mœurs
étaient pures, mais agrestes, et ils étaient plutôt
exempts de vices que doués de vertus. Hospitaliers
pendant la paix, ils n'en étaient que plus farouches
pendant la guerre; pour eux le courage était la pre-
mière qualité qui distinguât l'homme. Cette valeur
donnait la noblesse et la gloire, tandis que la lâcheté
entraînait après elle la servitude et la honte. Aussi
chacun était-il fier de cette liberté pour laquelle tous
combattaient, et cette liberté était-elle la première
base du droit et de la constitution de ces nations.
La facilité avec laquelle ces peuples, une fois sou-
142 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
mis aux Romains, s'accoutumèrenl aux mœurs de
leurs vainqueurs, et adoptèrent leurs lois et leurs
coutumes, nous prouve toutefois qu'ils sentaient eux-
mêmes les bienfaits de cette civilisation qu'on leur
apportait, et que déjà ils avaient franchi le dernier
degré de barbarie. Ils avaient fait un pas de plus
que leurs frères d'où Ire-Rhin vers l'état policé, et
ils avaient surtout, pour le faire, été conduits, s'il
nous est permis de le conjecturer, par ces mêmes
Gaulois qui étaient restés sédentaires parmi eux, et
dans les bourgs desquels Rome, en apportant sur le
Rhin sa civilisation, plaça ses premiers établisse-
ments.
Comme les légions ne s'arrêtèrent à postes fixes
sur le fleuve que sous le règne d'Auguste, ce fut sous
lui aussi que commença seulement à se développer
véritablement le régime romain. Appelé lui-même
dans les Gaules pour secourir ces provinces, après
la défaite de LolliusS Auguste sentit l'importance de
fortifier le Rhin. Alors s'élevèrent déjà quelques-unes
des forteresses que Drusus, auquel il laissa, après
son départ, le gouvernement des deux Germanies, lia
plus tard par d'autres retranchements. C'est Auguste
qui choisit pour assise du principal camp qui s'é-
leva dans le nord , la dernière colline des hauteurs
qui s'étendent entre le Rhin et la Nira. Ce lieu devint
le siège de deux légions, et c'est là que résida aussi
le gouverneur de la Basse-Germanie jusqu'à l'époque
où la métropole des Ubiens fut elle-même érigée en
' Voy. première partie, p. 7.
DU RHIN ET DU DANUBE. 143
colonie. C'est autour de ces remparts, et depuis le
territoire des Bataves jusqu à celui des Ubiens, que
les Sicambres, qui d'abord, sur la rive opposée, ha-
bitèrent sur la Sieg et la Lippe, furent plus tard ré-
partis par Tibère tout le long du fleuve, où les Mé-
napiens furent contraints de leur céder des terres.
Ce sont ces peuples réunis qui furent alors connus
sous le nom de Guguernes. L epilhète de Vêlera,
ajouté au mot de Castra, dénote bien, après que
d'autres places fortes du même genre furent érigées,
le rang d'ancienneté qu'occupait la forteresse fondée
par Auguste, comme le nom de cet empereur que
prirent en même temps les métropoles des Vangiones ,
des Nemètes et des Rauraques, prouve la prépon-
dérance de ces mêmes villes sur les lieux circon-
voisins.
Drusus, selon le récit de l'historien , éleva tout le
long du Rhin cinquante castels' . La plus considérable
de toutes ces forteresses fut celle de Mayence, qui
devint la principale place de guerre de toutes les
deux Germanies et la résidence du gouverneur de la
Germanie supérieure. Lorsque les Marcomans, quel-
ques années après, épouvantés du sort des nations
qui , au nord , avaient eu à supporter le joug romain ,
eurent pris le parti d'émigrer, et que, sous l'égide
de Rome, des colons gaulois et romains vinrent se
répandre dans les plaines et dans les vallées aban-
données et alors en majeure partie désertes, le gou-
vernement de la Germanie supérieure s'agrandit de
' Florus, 1. IV, c. 1-2.
144 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
toute la partie d'outre-Rhin qui s'étend, depuis le
Mein, entre le Necker et le fleuve, et de la partie
sud, où se groupent les monts les plus élevés de
la Forêt-Noire, et qui reuiplit l'angle formé par le
Rhin après sa sortie du lac de Constance. Celte der-
nière partie n'en fut séparée qu à l'époque où la Sé-
quanie fut formée et où le pays des Rau raques lui
fut adjoint. Alors tout ce territoire, jusqu'à la hau-
teur de Brisach, fut réuni à la Séquanie, province
au sein de laquelle ce fleuve coula dès lors depuis
le lac Brigantin jusqu'aux frontières de la Germanie
supérieure. Diverses insciiptions trouvées dans ces
deux parties de la Germanie transrhénane, et qui
nous attestent que les postes militaires qui s'y trou-
vaient étaient formés parles détachements des légions
qui avaient leur siège à Vindonissa et à Argentoral,
ne peuvent, comme nous le verrons, laisser de doute
à ce sujet.
Le pouvoir que les gouverneurs de la Germanie
supérieure s'approprièrent sur la rive droite du Rhin
dut être d'abord simplement un pouvoir protecteur,
comme le fut celui qu'exerçaient dans le nord sur
les Bruclères et les autres peuples transrhénans les
gouverneurs de la Basse -Germanie. Mais il devint
par la suite administratif, dès que Trajan eut réuni
ce pays à l'Euipire. Toutes les cartes des Gaules, co-
piées les unes sur les autres, et où le Rhin est
marqué comme la frontière de ces deux provinces,
sont donc fausses à cet égard. Car, dès l'an 98 de
l'ère chrétienne , la province de la Germanie supé-
rieure touchait au gouvernement de la Rhétie ,
DU RHIN ET DU DANUBE. 145
qui, SOUS Adrien, fut lui-même partagé en Rhétie
première et seconde. La première comprenait prin-
cipalement toute la partie sud qui touchait lltalie et
les Alpes rhétiennes proprement dites; la seconde,
l'antique Vindélicie et les bords du Danube, depuis
les monts Abnoba jusqu'au cours de l'Enz. Les fron-
tières qui séparaient celte dernière de la Germanie
supérieure, et qui plus tard la séparèrent aussi de la
Séquanie, n'étaient point le Rhin. Ces limites for-
maient à peu près une ligne qui , partant du fleuve
plus bas que le lac de Constance, se prolongeait au
nord jusqu'auprès du Necker, et, dans la direction
du nord -est, allait aboutir au grand rempart. Les
Vindéliciens, quoique enclavés dans la seconde Rhé-
tie, nen continuèrent pas moins de donner leur
nom à toute l'étendue du pays qu'ils avaient occupé
avant leur soumission aux Romains, et nous trou-
vons dès lors indifféremment citée dans les annales
la province dont la métropole fut chef- lieu du gou-
vernement, avec le titre d'Auguste et de colonie,
tantôt sous le nom de seconde Rhétie, tantôt sous
celui de Vindélicie. Ce dernier nom cependant ne fut
point employé dans l'administration, du moins pen-
dant les derniers temps de l'Empire d'Occident, comme
nous le prouve la Notice de cet Empire, qui, en par-
lant du gouverneur de celte contrée, ne lui donne
point le litre de président de la Vindélicie, mais bien
celui de président de la seconde Rhétie. La Vindé-
licie par elle-même comprenait la majeure partie
du territoire de cette présidence. Elle possédait la
colonie la plus florissante et la plus élendue de tout
I.
)0
146 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
le sud (le la Germanie, et cette ville était elle-même
devenue l'entrepôt de tout le commerce entre le Nord
et le Midi. La seconde Rhétie était la province du Da-
nube la plus occidentale; elle louchait à l'est le No-
rique. qui lui-même aboutissait à la Pannonie. Au nord
elle était protégée parle grand rempart, ouvrage gi-
gantesque, qui du Danube allait aboutir au Rhin près
de Cologne. Déjà sous Tibère, dans le Nord, près de
Vetera, avaient été formés, entre la Lippe et l'Aa,
quelques essais de retranchements pour contenir les
Bructères^ Ce furent ces lignes qui , comme nous l'a-
vons vu dans notre précis historique des guerres ro-
maines sur le Rhin, ruinées lors du massacre de
Varus et de ses légions, furent rétablies par Germa-
nicus la quatorzième année de l'ère chrétienne.
Lorsque Rome eut dépassé le Rhin, et qu'elle
se fut aussi établie sur le Danube, elle ferma de
même le pays compris entre ces deux fleuves par
un barrage qui devait à la fois marquer ses limites
et servir ensuite à la sécurité des habitants. Déjà
Domitien en avait élevé uue partie qui, d'après l'his-
torien^ comprenait un espace de cinquante lieues.
Trajan l'étendit encore, et il est du moins avéré,
d'après Tacite, que, lorsqu'il réunit h l'Empire les
champs décumates, une telle ligne les protégeait au
' Limes à Tiberîo cœptîis. Tac, J7in., i, 50.
2 Imperator Cœsar Domitianns Avgustus, quum Germani more
suo et saltibus et obsciiris latebrîs subinde impugnaretit nostros ,
latiimque regressum in profunda sllvarum habere?it, Ilmitibus per
centum viginti miUia passuum aciis, non vnitavit tantum stntum
belti, sed subjecit ditioui siix hostis, quorum réfugia nudaverat.
Fronlini Slrat., i, c. .3, 10.
DU RIIIN ET DU DANUBE. 147
nord. Déjà les populations celtiques, antérieures aux
Germains, avaient ça et là, comme nous l'avons dit
dans un autre mémoire', établi divers remparts, di-
vers lieux de refuge, dont les restes furent alors en
partie mis à profit par les Romains, et sur les traces
desquels, comme il est facile de s'en convaincre en
parcourant la ligne que suivait le grand rempart,
ces derniers élevèrent des camps et des tours, et
construisirent ce barrage qui , tantôt simple re-
tranchement en terre, tantôt mur élevé sur l'es-
carpement des rocs, ferma successivement tout le
pays. Adrien, qui, dit l'historien^, sépara souvent
les barbares par de grandes palissades, à l'instar
d'un mur, là où de grands fleuves ne formaient point
les frontières, a sans doute lui-même donné ses soins
à cette barrière qu'il était d'un si grand intérêt pour
les Romains de tenir intacte. D'autres empereurs
ont probablement aussi ajouté, selon les besoins, à
la défense de ce colossal ouvrage. Il est impossible,
en parcourant la ligne qu'il suivit, de ne pas s'as-
surer qu'il date de différentes époques et qu'il fut
construit sur plusieurs plans. D'ailleurs, ruiné plus
tard parles Allemanes, rétabli en partie par l'em-
pereur Probe, il n'est pas étonnant que ce qui en
reste de vestiges, quelque faibles qu'ils soient, ofl're
des différences de construction. Partant tout près
de la rive gauche du Danube, à six lieues en avant
de l'antique Reginum, et à deux petites lieues de
la ville de Kelheim, où se montrent les vestiges de
* Établissements celtiques dans la Sud Ouest- Allemagne , § 3.
^ Spartianus. Voy. ci-dessus, première parlie, p. 70, not. 4.
10.
I.
148 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
plusieurs redoutes romaines, qui devaient former un
triple barrage entre l'AUmùlil et le fleuve, et vis-à-vis
l'antique Abusina et les deux villages de Weltenbourg
et d'Einingen, où tant d'antiquités romaines ont été
déterrées, il prend la direction du nord^st, à travers
le ban du village d'Hienheim, où son état primitif
peut encore être assez bien étudié. Les redoutes as-
sises sur le Danube, et qui formaient en avant du
fleuve comme une espèce de tête de pont, sont à
peine reconnaissables, tant les siècles et la culture
les ont nivelées. Le rempart sur les champs d'Hien-
heim s'élève au contraire çà et là à la hauteur de trois
et de trois pieds et demi, et il ofl're une surface de
dix pieds de large. Le mur, encore intact en plu-
sieurs endroits, est composé de pierres placées les
unes sur les autres sans ciment ni mortier, à l'ex-
ception des lieux où s'élevaient, de distance en dis-
lance, les tours fortes qui le flanquaient. Ces pierres
sont brutes et toujours de l'espèce de celles qui se
trouvent dans les lieux environnants. On aperçoit
aussi çà et là des traces de fossés et des traces d'autres
redoutes qui, en avant du rempart, en protégeaient
les approches. Les tours qui reposaient sur la mu-
raille sont encore parfois assez bien conservées, et
parfois aussi se reconnaissent les débris écroulés
d'une échauguelte. Le mur court ainsi en ligne droite ,
tantôt traversant une vallée, tantôt gravissant le som-
met escarpé d'une montagne et descendant à l'op-
posé ses flancs noirs et ardus.
Dès que le rempart a atteint le territoire d'Allman-
stein, ses murailles disparaissent, et il n'est plus com-
DU RHIN ET DU DANUBE. 149
posé que de terres battues formant une digue large
et haute, devant laquelle ont aussi disparu toutes
traces de fossés. Il conserve ce caractère dans toute
la distance qu'il parcourt sur les terres des deux vil-
lages de Sondersdorfet de Schamhaupten, où les tours
d'observation qui le flanquaient, et qui çà et là sont
encore en partie conservées, permettent d'en suivre
la direction. Les traces de fossés reparaissent, et
elles peuvent être observées jusqu'au château de
Kipfenberg, dont le donjon, principalement remar-
quable, peut être cité comme l'une des tours les plus
intactes de l'époque romaine dans la Germanie. A
trois quarts de lieue de là s'élève, sur une pile de
rocs escarpés, le château d'Arnsberg qui, de fonda-
tion romaine, n'est cependant pas lui-même en con-
tact direct avec la ligne de fortification. En deçà du
rempart des traces d'autres retranchements, soit an-
térieurs, soit postérieurs à lui, se remarquent aussi
près du village de Pfahldorf, qui, au delà de Kipfen-
berg, a incontestablement pris son nom du rempart
même^ La ligne, arrivée à l'Altmiihl, reparaît bien-
tôt sur l'autre bord de cette rivière , se prolongeant
sur la croupe d'une colline, à laquelle elle a donné
son nom-. Là, l'antique fortification conserve assez
généralement une hauteur de trois pieds et une lar-
geur de dix. Elle suit alors la direction d'Hirnstet-
ten, et traverse le territoire des deux communes
' Il en esl de même de Pfalilheim, Pfahlbronn, Polgœnz, Pfahl-
lœcker, Pfalilfeld , Pfahhviesen , Pfahlbriinnchen , Pfahlholz , etc. , tous
lieux qui touchent ou avoisinenl le rempart.
2 Pfahlbuck.
I 50 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
d'Eckertshofen et de Raitenbuch, où se joint à elle
une ancienne chaussée romaine, et où se trouvent
surtout un nombre considérable de tombes antiques.
Elle va ensuite, en avant de Weissenbourg, ancien
camp romain, atteindre le territoire d'Hœllingen et
de Walkerszell, et, se dirigeant sur Riedern, Pfofeld
et Giinzenhausen, joint le village de Leilenfeld, où
elle quitte la direction primitive du nord-ouest pour
former un angle contraire vers le sud-ouest.
Se prolongeant ensuite, au nord d'Heselberg, dans
la direction de Mœnchsrolh, elle va joindre le ha-
meau d'Eck, et, passant près des ruines du château
fort d'Hallheim, touche Pfalheim et Rohlingen, dé-
fendu en seconde ligne par la tour forte de Baldern.
De là, le rempart va par Dalkingen joindre le cours
du Jaxt et atteindre au delà l'ancien camp romain
de Buch, dont l'enceinte est encore tracée en partie.
II traverse ensuite la Rocher entre Hûtling et Trau-
bensmuhle, passe sous les ruines d'une tour près de
Treppach, et va aboutir au cours de la Rems, dont
il suit la direction à quelque distance jusqu'à Lorch
(l'antique Laureacum), où finit le rempart qui bor-
dait la Rhétie. La culture dans le val de la Rems a en
partie fait disparaître ses traces ; mais ou ne les re-
trouve que plus expressivement marquées lorsqu'on
s'élève plus loin sur les hauteurs qui s'étendent entre
celte rivière et la Lein , où d'un mille romain à l'autre
se remarquent chaque fois encore quelques restes des
fortificationsqiiiflanquaientlamuraille. Là, il continue
sa direction à l'ouest, et, descendant le val escarpé
du Becherlech,va, parla commune de Wùstenrielh et
DU RHIN ET DU DANUBE. 151
par les villages de Rleindeinbacli et de Hangendein-
bach, aboutira l'ancien poste romain que nous venons
de citer, et qui était à la fois placé aux frontières de
la Haute-Germanie et de la seconde Rhétie.
Plusieurs parties de l'immense ligne que nous
venons de suivre servent encore aujourd'hui dévoie
de communication entre les diverses communes
qu'elle traverse. On ne peut douter même que dans
l'antiquité la plus grande partie du rempart n'ait
été ainsi rendu praticable à son sommet. C'est ce qui
peut surtout être le mieux étudié près de Lorch, oui
nous nous sommes arrêté, et où, en effet, la limite
antique a tout le caractère d'une chaussée. Je suis loin
cependant de partager l'opinion de quelques écrivains
qui, dans tous ces vestiges, n'ont voulu voir que les
traces d'une ancienne route romaine. Cela devient
physiquement impossible, si l'on songe que le rem-
part prend souvent, ainsi que nous l'avons observé,
sa direction en ligne droite sur des montagnes telle-
ment escarpées qu'il est impossible qu'il ait pu là
servir aux communications. Mais il est d'une autre
part incontestable que dans beauconp d'endroits, et
surtout dans plusieurs parties entre Lorch et Lellen-
feld , il a dû être mis en usage par les Romains pour
communiquer d'un camp à l'autre. Les terres qui là, en
effet, ont été amoncelées pour le former, soutiennent
elles-mêmes une masse de pierres plus ou moins
fortes sur lesquelles repose un pavé qui est généra-
lement large de douze h quatorze pieds. L'élévation
de la voie elle-même varie d'un à cinq pieds, ce qui
provient en partie de son plus ou moins de destruc-
152 ETABLISSEMENTS ROMAINS
lion, et plus souvent encore des circonstances stra-
tégiques qui l'ont un jour fait construire. Cependant,
tandis que les voies romaines, là où il était possible,
prenaient leur direction en ligne droite, et là où le
terrain était trop escarpé formaient une courbe, afin
de faciliter les communications, on voit ici le rem-
part suivre cette même ligne droite à travers les val-
lées et sur les plus hautes sommités, et là où il dé-
laisse cette marche alignée, former alors, au lieu de
cette courbe, des angles droits et saillants. Ainsi, Ton
peut dire en général que tantôt la digue servait de
chaussée en même temps que de rempart, tantôt
seulement de barrage pour marquer la limite et la
défendre. C'est ce que va suitout nous prouver la
partie nord du rempart dont nous allons suivre les
traces.
C'est à Laureacum que se terminait la limite rhé-
lique'; c'est là aussi que commence celle qui court
à quelques lieues en avant du Necker, et qui, vu sa
position parallèle à cette rivière et au Rhin , fut elle-
même connue sous le nom de limite transrhénane ^.
En comparant les deux modes de construction de
ces deux parties, il est certain qu'elles datent de
deux époques différentes. Ici, en effet, toute trace
de muraille disparaît; ce n'est plus qu'une simple
digue en terre qui, là où les siècles l'ont le moins
fait ébouler, conserve encore une hauteur de dix à
douze pieds du côté extérieur et de quatre à l'inté-
' Limes rheticus.\oy . Vopiscus, /lia ./ureliaui, \'.\: iilciii, / lia
Hrm. Satiirn. Procul. et Bonos., c. 15.
"^ Limes transrhenanus. Vov. Pollion
DU RHIN ET DU DANUBE. 153
rieur. Le haut offre une surface large de quatre à
cinq pieds, tandis que la base en a de vingt-cinq à
trente. Un fossé qui, lui aussi, n'a pas moins de
vingt -cinq à trente pieds de largeur, le suit dans
presque toute sa direction. Nulle part, du reste, se
remarque le moindre vestige de chaussée et de pa-
vage. Seulement de mille pas en mille pas l'on ren-
contre les débris de petites échauguettes.
Le rempart ainsi construit part de Lor ch dans
la direction du nord et suit celte direction jusqu'à
Pfahlrain, où il forme un angle rentrant; après
quoi, remontant en ligne droite à travers hauteurs et
vallées jusqu'à Welzheim , où les Romains avaient
un caslel , il va joindre le torrent de la Mourr
par Seiboldsweiler, Eckartsweiler, Gausmansweiler,
Spatzenhof et d autres lieux. Sur le torrent même
était le camp de Mourrhart. Au delà, le rempart tra-
verse le mont Linders et passe sur les territoires de
Seligsberg, de Steinenberg, de Graab et de Main-
hard, où existait un camp. De là , il se prolonge jus-
qu'à Pfedelbach et à OEhringen, petite ville du Hohen-
lohe, placée sur les ruines d'un ancien camp. De ce
dernier lieu il se dirige sur Pfahlbach et va gagner
Jaxthausen, lieu essentiellement romain, où un troi-
sième camp existait.
En avant de la ligne que nous venons de suivre
pendant plus de soixante lieues, se remarquent aussi
depuis Detlingen, auquel vient aboutir d'OEhringen
une ancienne chaussée romaine , les traces d'un autre
rempart qui, coupé lui-même par la Kocher, dont il
suit d'abord le cours, et se prolongeant entre cette
154 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
rivière et la Bûhler, vient joindre cette dernière à
Biiiilerthurm, et, formant un angle à l'est, aboutit
au Jaxt prèsd'Heersbiihl.U passe ensuite sur le terri-
toire de Rechenberg et forme une courbe pour aller
rejoindre le rempart rhétique à Wilburgstetten.
Cette ligne antique n'a jamais été, comme celle de
Lor ch, à Jaxthausen, qu'un terrassement en terre,
flanqué çà et là de fortifications, et a dû nécessaire-
ment avoir une origine antérieure ou postérieure à
la grande enceinte que nous avons d'abord suivie.
Comme cette frontière fut, surtout depuis la forma-
tion de la coalition aliemanique, le théâtre de guerres
réitérées et de maints combats successifs, il n'est pas
étonnant qu'on retrouve, non-seulement en avant,
mais même en arrière du grand rempart, d'autres
traces de fortifications, qui tantôt durent avoir été
élevées en présence d'un ennemi actif, tantôt pen-
dant les intervalles que laissaient les attaques.
En arrière de cette ligne avancée et, par consé-
quent, entre les deux remparts, se trouve la petite
ville de Hall avec ses salines, lieu qui, après que les
Romains eurent abandonné le pays, servit de limite
entre les Bourguignons et les Allemanes, et qui est l'en-
droit cité par Ammien Marcellin comme ayant donné
lieu pour sa possession aux guerres que ces deux
peuples eurent entre eux. Cette partie du rempart
serait donc le palas ou capellalium de l'auteur latin \
c'est-à-dire le Pfafilgraben, la limite qui fut un jour
1
liegio cui cnpellatii vel palas nomen est, ubi terminaleslapides
Allamanorum et liurgimdiorum conjinia distingmbant . Amni. Mar-
cel., 1. xviii, c. 2.
DU RBIN ET DU DANUBE. 155
celle de Rome, et que les légions touchèrent de nou-
veau après avoir défait les Alleinanes sur le Necker. Ce
dernier peuple s'était assis sur la partie du rempart
que nous venons de parcourir, tandis que les Bour-
guignons s'étendaient plus au nord , depuis ces mêmes
salines jusqu'au delà du Jaxt, où la limite antique
prend de nouveau un tout autre caractère. Nous tou-
chons, en eiYet, rOdenwald,et c'était sur les hauteurs
qui dominent la région basse du Mein qu'étaient les
plus importantes fortifications, tandis que de Jaxt-
hausen le rempart allait presque en ligne droite, par
Osterbùrken, Bœdigheim, Walldurn et Amorbach ,
joindre la courbe que forme cette rivière au-dessus
de Miltenberg. Toutes les tours fortes qui, en arrière
de cette ligne, devaient protéger labord des mon-
tagnes, au cas où le rempart serait rompu , n'ont pas
encore disparu; plus d'une nous montre encore ses
ruines aussi pittoresques qu'imposantes'.
* On a voulu voir dans celte réunion de lours fortes , aux confins
mêmes du pays qu'liaiiilèrent les Bourguignons , une preuve de l'asser-
tion d'Orose qui , de ces fortifications , dériva le nom de Burgundes ,
dont ce peuple fut appelé (du mot allemand Burg , forteresse en gé-
néral, que nous traduisons par château fort, tour forte, donjon, etc.).
Les Grecs le traduisirent par Truoyoç, et les Latins par bunjus. Ceux
qui ont au contraire voulu dériver ce mol du grec , n'ont pas réfléchi
que plusieurs localités en Germanie, citées par Tacite, telles qu'Asci-
bourg, Teulobourg, etc. (Tacit., Germania, c. 3; HUt., 1. iv, c. 33;
Annal., 1. i, c. 9|, avaient cette finale, même avant l'arrivée des Ro-
mains dans le pays. Ce mot, que le peuple vainqueur adopta des Ger-
mains , devint significatif dans sa langue militaire , comme le mol de
blockhaus y essentiellement allemand, est devenu significatif dans la
langue militaire des Français.
Voici le passage d'Orose :
« Iios quo7idam subacta interiore Germania a Druso et
i56 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
La défense de cette partie des frontières offre ici
un caractère bien autrement redoutable que celle
du Necker; elle était essentiellement appropriée à la
stratégique d'un pays montueux. Il était facile aux
Romains, du haut de ces créneaux, de correspondre
par signaux, dans le cas où l'ennemi serait venu à se
montrer sur l'un des pointsque ces tours observaient,
et de se porter alors en nombre au devant du passage
menacé. Aujourd'hui encore se distinguent comme
restes de toutes ces fortifications les châtels de
Schlossau, d'Hesselbach , de Wurzberg, d'Eulbach,
deVielbrunn, de Lûzelbach,et surtout le point le
€ Tiberio adoptivis Jiliis Cxsaris per castra dispositos in maynam
icoaluisse gentem , ctque etiam nomen ex opère prxsvtnsisse quia
« crœbroper limitem habitacula constituta , burgos vacant. t (Orose ,
7, 32.)
Isidore, après lui, répèle les mêmes paroles dans ses Origines (ix,
2, 99; 4, 28).
Il est très-probable , en effet , que la position que les Bourguignons
prirent à la fin du troisième siècle au milieu des castels qui flanquaient
le grand rempart, ancienne limite de l'Empire, que Drusus, comme
nous l'avons vu, avait effectivement commencé à fortifier sur le Tau-
nus , deux siècles auparavant , ait donné lieu à l'assertion de l'histo-
rien (voy. à ce sujet Valesius, dans ses Notes sur Morcellin, 1. iv,
c. 32). Mais nous savons, d'un autre côté, par Pline le naturaliste (Hist.
nat., 1. IV, 28), que ces Bourguignons faisaient eux-mêmes partie des
peuples Yindiles , habitant au delà de l'Oder, où , en effet , les place le
géographe Ptolémée (2, H). (Ce dernier les appelle RuyowToi.) Ni
Drusus ni Tibère n'ont jamais pénétré dans la Germanie au delà de
l'Elbe; ils n'ont donc pu favoriser, comme Orose le prétend (sans doute
d'après une tradition), le développement de la nation bourguignonne,
dont le nom, bien plus probablement, vient, comme je l'ai écrit dans
mon Histoire des Germains (c. 16, p. 117), des deux mots bor ou
ôwr, forêt , et gund, guerrier, du grand nombre de forêts dont était
couvert le pays d'où ce peuple vindile était sorti.
DU RHIN ET DU DANUBE. 157
plus fort que les Romains aient eu sur le Mein, le
château d'Obernbourg , dont la position est si pitto-
resque.
Au delà du Mein, le rempart peut de nouveau s'ob-
server. D abord il ne s'en découvre que des traces
assez faibles; mais bientôt ces traces deviennent plus
apparentes, et elles sont partout désignées sous le
nom de Pol, Pfahl, Pfahlgraben, que le rempart
porte aussi en avant du Danube. La ligne va atteindre
les hauteurs du Taunus, en se liant aux divers restes
de fortifications de la Nidda et à celles que présente
encore le Hûttenberg.
D'abord elle circule en courbe légère sur les hau-
teurs du Spessart , et , passant devant Orb , petit bourg
célèbre par la bataille qui, en 406 , se donna dans ses
environs entre les Vandales et les Francs, elle atteint
le petit torrent de la Kinzig, auquel elle donne pas-
sage, et va joindre le fort d'Arnsbourg. De Là, non
loin du village de Polgœnz, elle passe sous la tour
antique de Butzbach, et, plus loin, sous les murs
écroulés de Kapersbourg et de Salbourg, où elle at-
teint le fïanc droit des montagnes. La direction du
rempart à l'ouest est alors assez droite jusqu'à Kemel ;
il était protégé en arrière par quatre camps, dont la
position et les ruines peuvent encore être étudiées, et
en avant par un autre camp, près de Camberg, et
surtout par les fortifications d'Idstein. L'un et l'autre
protégeaient la courbe légère que le rempart fait à
sa descente dans la plaine, fermant ainsi toute la
frontière de la Wettera vie, et présentant en avant de la
Lahn une suite de retranchements qu'il liait à ceux du
158 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Mein.Sur toute cette ligne, partout où les restes du
rempart peuvent encore être étudiés, l'on voit qu'il n'é-
tait formé que par une digue gazonnée,qui reposait
sur une base murée, mais que là où le passage était
le plus dangereux, il était même souvent muré en
entier.
Le peuple qui d'abord , en arrière de ce retranche-
ment, habitait la plaine du Rhin, était les Usipètes ,
qui furent chassés de leurs terres cinquante-huit ans
avant 1 ère vulgaire. Pendant trois ans ils errèrent
dans les forêts germaniques, jusqu'à ce qu'en 55
avant Jésus-Christ, ils tombèrent sur la rive gauche
du Rhin, après la victoire que César venait de rem-
porter sur les Belges. Ils demandèrent au procon-
sul la permission de s'y établir. Mais César, qui ve-
nait de terrasser les peuples des Gaules, redouta
ces étrangers turbulents, qui demandaient un asile
les armes à la main. Il refusa leur prière, et les
contraignit de repasser le fleuve, où nous les re-
trouvons plus tard sur le Bas-Rhin avec les Tench-
tères, et, après l'émigration des Ubiens, entre la
Sieg et la Lahn. Les Suèves, d'un autre côté, qui,
battus par César, s'étaient retirés dans le cœur de la
Germanie, avaient laissé désertes toutes les plaines
du Rhin, et il est probable que, jusqu'à l'époque peu
antérieure à celle où Drusus vint à Mayence et forma
de cet ancien bourg celtique la principale forteresse
romaine sur le Rhin , le pays sur la rive droite resta
inhabité.
Mais à la place de la coalition suévique, qui s'était
dissoute après la vaine tentative qu'elle avait faite de
DU RHIN ET DU DANUBE. 1 59
se rendre maîtresse des Gaules, s'étaient formées,
comme nous l'avons vu , lorsque les Germains re-
connurent le danger que leur offrait le voisinage de
Rome, au nord la ligue des Chérusques et au sud
celle des Caltes.
Parmi les nations qui composaient cette dernière
coalition étaient les Mattiaques qui, voyant libre la
position du Taunus, s'en approchèrent à leur tour
pour s'y établir. Ils s'y étaient du moins répandus,
lorsque Drusus prit le commandement des armées
romaines sur le Rhin, et que, pour protéger la place
d'armes de Mayence, il commença à fortifier la crête
de cette chaîne de montagnes. L irruption que les
Caltes entreprirent avant que la ligne ne fût en état
de les contenir, causa sans doute alors la ruine de
ces divers travaux. Cependant ce fut cette même
ligne que Germanicus fit plus tard rétablir, après
avoir repoussé l'ennemi au delà de lEder, et après
avoir brûlé sa principale bourgade, à laquelle Tacite
donne le nom de Matlium.
Tibère sut profiler pendant son séjour en Germa-
nie de la jalousie qui régnait entre Ségesle et Her-
niann, pour attirer à son toui- à l'alliance des Ro-
mains ceux des peuples qui tenaient le parti du pre-
mier. De ce nombre étaient ces mêmes Maniaques,
dont il sut alors engager une partie à venir en deçà
du rempart cultiver les terres qui étaient en friche
entre le Rhin et le Taunus. Leur métropole s'éleva
sur le rempart même du fort de Drusus, situé vis-à
vis de Mayence, sur la rive opposée du fleuve, où une
foule d'inscriptions, que nous aurons plus tard occa-
160 ÉTABLISSEMENTS ROMATNS
sion de citer, sont venues nous attester cette antique
colonisation. Ils avaient leurs propres magistrats,
des règlements municipaux à l'instar de ceux des
Romains, et des duumvirs, des décurions, des édiles,
des curateurs et des sévirs augustaliens, répandus
dans les différents bourgs qui alors couvrirent ce
territoire, sur lequel Rome semble n'avoir exercé
qu'un pouvoir protecteur. Un de ces derniers muni-
cipes s'élevait non loin du moderne Wiesbade, près
duquel, comme nous l'avons dit, le rempart venait
aboutir à Kemel.
Là , cette ligne remonte dans la direction du nord-
nord-ouest par les communes de Steig et d'Holz-
bausen, où les ruines d'un castel sont encore debout
au milieu des forêts du Hasselberg. Au sud de cette
même ligne, on peut encore facilement distinguer la
double enceinte qui formait la frontière entre les
Usipètes, les Mattiaques et les Cattes, en dehors de
la ligne romaine. Le rempart passe ensuite sur le
territoire du village de Pohl, sur celui de Marienfels,
où une tour romaine s'élevait jadis, sur celui deDorn-
holzhausen, non loin duquel les restes d'une autre
tour se découvrent aussi, puis à Schweighausen et à
Becbel, où l'angle qu'il forme était défendu par un
camp. Il va alors aboutira Spies, lieu où les Romains
eurent aussi un poste militaire, et, donnant passage
à la Lahn, se dirige sur Ems, d'où, remontant au
nord dans la direction du Rhin, il va presque en
ligne droite aboutir à la commune de Rheinbreit-
bach. Du bourg d'Ems à ce dernier lieu quatre tours
fortes llanquaient le rempart; celle d Alteck est sur-
DU RHIN ET DU DANUBE. 161
tout remarquable. La ligne contournait alors les sept
montagnes, sur le flanc desquelles se montrent aussi
les débris d'un camp, et allait, dans la direction de
Siegbourg et en avant de lAgger, joindre enfin le Rhin
au-dess us de Cologne, près du village de Poil, dont
le nom indique assez l'origine antique, et qui ne
peut laisser de doute sur la direction du rempart dans
la plaine, quoique ses traces soient effacées.
Cependant, si l'on suit l'Agger, d'autres tours ro-
maines, d'autres vestiges de rempart se retrouvent
encore qui, sans doute, d'une plus antique oiigine,
doivent remonter aux temps où Drusus, Germanicus
et Tibère étaient sans cesse aux prises avec les Tench-
tères et les Sicambres. Mais ces fortifications ont un
tout autre caractère. Elles n'ont jamais formé les
frontières romaines comme celles du grand rempart.
C'étaient des lignes d'opérations élevées pendant les
guerres pour contenir l'ennemi et non pour protéger
en arrière la colonisation.
On voit parla description que je viens de donner
de l'immense circonvallation romaine, que là où
le rempart formait la limite avec des peuples guer-
riers et aventureux, les fortifications étaient sur-
tout imposantes. Ainsi, sur le Taunus et sur l'Oden-
wald, en présence des Cattes, qui avaient donné
d'eux aux Romains une opinion si terrible, les tours
et les camps étaient rapprochés. En avant du Necker,
au contraire, où résidaient des peuples plus paisibles,
tels que les Hermondures\ la ligne n'était qu'une
* Ces Herniondures avaient d'abord fait partie de la grande tribu
des Hermiones, au centre de la Germanie. Ils habitaient primitivement
f 11
162 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
immense digue, flanquée çà et là d'une tour d'obser-
vation et destinée plutôt à empêcher l'abord de la
province à des bandes de pillards qu'à des armées,
qui, quelque garde sévère que Rome eût faite,
l'eussent facilement franchie. Il était défendu aux
barbares, d'après ce que Tacite nous apprend, de
venir trafiquer dans la province romaine, autrement
que dans les bourgades situées sur cette ligne même.
Les seuls Hermondures, dont la fidélité envers Rome
fut si longtemps éprouvée, eurent le privilège de la
parcourir pour faire le commerce ^ Cette loi, portée
par les Romains afin d'empêcher une foule d'aven-
turiers de se répandre sur leurs terres, n'eût pu être
mise à exécution, si le pays n'avait pas été hermé-
tiquement fermé , et si des gardes, auxquels les diffé-
rentes tours qui flanquaient le rempart servaient de
demeures, n'en avaient pas continuellement surveillé
entre la Werra et l'Elbe , et entre les forêts du Harz et de la Bohême.
Des circonstances, que l'histoire ne précise point, ayant forcé une
partie de ce peuple à chercher de nouvelles demeures , ils reçurent
les terres que Rome leur assigna aux limites de sa province de-
puis la Rhétie jusqu'au pays des Caties. Leur nom disparut là quand
ils furent enclavés dans la coalition allemanique. Quant à celui des
Hermondures restés dans le Nord , il disparut lui-même lors de la
prise de possession de leur pays par les Thuringiens , qui , par suite
de l'invasion des Huns, se virent contraints de se jeter sur l'Occident.
La contrée qu'avaient habitée les Hermondures prit alors le nom de
Tiiuringe. Voy. mon Histoire des Germaiîis, c.23, p. 247.
' .... Hermunduroram civitas^fida Romanis, eoque solis Germa-
norum non in ripa commercium, sed penitus atque in splendissima
Hxtix provincix colonia; passim et sine custode transeunt , et ciim
ceteris gentibus arma modo castraque nostra ostendamus, his dé-
mos villasque pate/ecimus non concupiscent ibus. Tac, Germania,
c. 41.
DU RHIN ET DU DANUBE. 163
les approches. Les terres qui l'avoisinaient avaient
été cédées à des vétérans, et c'est sous la protection
des carnps et des divers castels, qui en arrière for-
maient une seconde ligne forte, que des villages et
des bourgs s'étaient élevés en grand nombre. Or, ce
n'avait pas été sans doute en présence d'un ennemi,
disputant à Rome ce territoire, que ces travaux gran-
dioses avaient été élevés par les légions. Il faut plutôt
en reporter la fondation à des époques de repos,
telles que furent pour ces provinces le deuxième et
le commencement du troisième siècle. Lorsque, en
effet, la coalition des Allemanes se forma, qu'ils se
soulevèrent contre Rome, le rempart, quoique achevé,
fut impuissant à les contenir; ce qui avait été élevé
comme une limite qui devait séparer deux peuples et
servir à fermer le pays aux étrangers, ne put les
arrêter, lorsque, poussés par l'appât du pillage et
par l'enthousiasme guerrier, ils vinrent tous ensemble
se présenter les armes à la main.
Le rempart rhétique est sans doute celui qui est
le plus ancien dans le sud de l'Allemagne. Ce qui
semble le prouver, c'est la prolongation d'une autre
ligne qui dut fermer la Vindélicie h l'ouest, avant
que les établissements romains n'eussent gagné l'Ab-
noba.
Nous avons vu, en effet, dans la partie historique
de cet écrit, que, tandis qu'Auguste dictait au Nord
des lois aux Sicambresetfondait la colonie de Trêves,
le Norique tombait aussi au pouvoir de Rome, et que
Tibère et Drusus (qui partirent en même temps, l'un
des Gaules, l'autre de l'Italie), portèrent leurs armes
I.
n.
164 ÉTABLISSEMENTS ROMAIINS
victorieuses contre les Vindéliciens et les Rhétiens.
Après une campagne aussi heureuse que bien com-
binée , ils se rendirent maîtres du pays qu habitaient
ces peuples. Drusus les battit près de Trente, tandis
que Tibère, avec la flotte qu'il avait équipée, portant
ses légions au delà du lac de Brigance, pénétra avec
elles jusqu'au Danube. La Rhétie devint alors une
province romaine ^
Ce fut, comme nous lavons vu, ce voisinage de
Rome, laquelle prenait à la fois possession des pays
qui au sud et au nord touchaient à celui des Marco-
mans, qui engagea Marbod à quitter, à la tête de ce
peuple, les forêts au sein desquels ils se trouvaient
cernés, et oîi ils avaient aussi à redouter un prochain
esclavage. Avant que Rome occupât militairement ce
pays, des aventuriers de toutes les nations étaient
venus s'y établir; et il est probable que, pour mettre sa
nouvelle province à l'abri du pillage de ces hommes,
elle fit alors commencer le rempart dont nous parlons
et qui en ferma toute l'enceinte. Cette ligne suivait
toute la crête nord de l'Albe; ses traces peuvent
encore se suivre depuis Baldern jusqu'aux ruines de
Hohenzollern , et de là par le mont de la Trinité^
jusque sur le Lupfenberg, dans le bailliage de Tutt-
lingen. C'est surtout à Rœltingen, à Lauchheim, sur
le Kœnigsbijhl, à Kapfenberg, et près de Reichen-
bach, d'Essingen et de Lauterbourg, sur le Mottel-
berg derrière Rosenstein, sur le Hochberg, près de
Weiler et de Grabenstetlen, et au delà de l'Achalni
' Dion., 1. LVï, p. 536. B. et sv. — Horace, 1. iv, ode -4.
2 Dreifaltigkeitsberg , dans le bailliage de Spaichingen.
DU nUlN ET DU DANUBE. 165
sur le Rossberg, que ses vestiges sont irrécusables.
On a voulu voir dans ce rempart le tracé des dé-
marcations entre la province rhétique et la Ger-
manie supérieure. Il est, en effet, placé à la sépa-
ration de ces provinces. Mais, tout en le reconnais-
sant, je ne puis admettre que sa destination primitive
n'ait été que pour marquer cette limite provinciale,
car il est bien reconnu que Rome n'avait pas cou-
tume de former de tels tracés entre deux de ses
provinces ; il est bien plus naturel de penser que
cette partie du rempart, qui sans doute avait déjà par-
tiellement servi de frontières entre les populations
celtiques du Rhin et les peuplades germaniques', fut
mis à profit par les Romains lorsqu'ils se furent
établis dans la Vindélicie. Cette ligne, avec celle du
nord, en avant du Danube, renferma, en effet, tout
le pays soumis alors à leurs armes. Ce rempart n'était
composé que de terres et de palées; il était en avant
garni d'un large fossé. C'est le même genre de cons-
truction qu'on remarque dans la plus grande partie
du grand rempart lui-même, à l'exception des tours
qui flanquaient ce dernier, et dont les ruines sont
encore çà et là visibles. Ce ne fut que lorsque l'Ab-
noba eut été soumis à l'Empire, et que le Necker à
son tour coula sur les terres que Rome s'adjugea,
que cette ligne, qui avait formé la démarcation de la
Rhétie contre les barbares, devint en partie celle
de cette province avec la Germanie supérieure. Les
empereurs qui plus tard fortifièrent la ligne qui
' Voy. mes Etablissements celtiques^ § 3.
1 66 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
s'étendait au nord en avant du Danube, négligèrent
de fortifier par des camps et des tours d'observa-
tion cette ligne du sud. Ils portèrent tous leurs soins
à fermer le pays du côté opposé, et ce fut alors,
sans doute, que se construisit l'autre ligne qui , liant
le rempart rhétique aux fortifications du Taunus,
prit lui-même le nom de limile Iransrhénane.
Le sol en arrière de ce rempart, depuis le nord
jusqu'au sud, fut compris sous le nom de champs
décumates, nomqui , lorsque le pays fut réuni à l'Em-
pire, lui fut donné parce que les terres que re-
çurent alors les colons furent, avant de leur être
cédées, soumises à l'arpentage. On a voulu pendant
longtemps, et cette opinion n'est pas encore totale-
ment abandonnée, que la redevance d'un dixième
de toutes les récoltes, qu'en recevant ces terres les
colons s'étaient engagés à livrer au gouvernement,
ait fait donner ce nom au pays. On peut lire dans
l'excellent mémoire de Niebuhr, inséré parce savant
dans son Histoire romaine , la manière dont l'arpen-
tage avait lieu sous les Romains'. «L'ingénieur, dit
' Voici le passage de l'auteur :
« Der Feldniesser begann damil sich zu orientiren , und zwar nach
ï den waliren Weligegenden , nicht nach dem zufaelligen Ort des Auf-
« gangs und Niedergangs der Socne. Letzteres ist allerdings doch zu-
< weilen geschehen ; ein Beweis von der Rohheit der einheimischen
« roeniischen Messkùnsller. Hierauf zog er die Hauptlinie von Millag
«nach Millernacht, welche als der AVeltaxe enlsprechend Kardo ge-
ï nannt wurde. Die, welche sic recht\vini<licht durchschniu, trug den
«INanien Decumanvs, wahrscheinlich von der Kreuzform der Durch-
«schneidung, die dem Zahlzeichen X enlspricht, wie Decussatua.
« Dièse beiden Hauptlinien wurden bis an die Grx-nze des zur Theilung
(beslinimten Bezirks verlaengert, und ihiien parallel , naeher oder fer-
DU UHIN ET DU DANUBE. 167
cet écrivain, en commençant son opération, avait
coutume de s'orienter et de tirer d'abord une ligne
du midi au nord, qui se nommait la ligne cardinale'.
Celle qui venait ensuite la couper à angle droit, s'ap-
pelait la ligne décumane ^ Ces deux lignes principales
se prolongeaient de part et d'autre jusqu'aux fron-
tières du district que l'arpenteur avait à mesurer, et
elles étaient suivies d'autres lignes parallèles plus ou
moins éloignées l'une de l'autre, selon que les carrés
qu'il voulait partager devaient être plus ou moins
grands.» Le pays que Rome renferma par un rempart
f ner, wie es die Grœsse der Vierecke , worein die Feldraark eingelheiil
«werden soilie, angab, andere Linien abgesteckt, welciie mit dem
< Namen der Haupllinie bezeichnet wurden, der sie parallel liefen;
«dièse ward durch den Zusatz Maxitmis unlerschieden. Aile wurden
« auf deni Boden , so weit es seine Beschaffenheit zuliess , durch Reine
€ bezeichnet , von denen die , welche die Grundlinien darslellen , die
cgrœssie Breite empfiengen; nach ihnen je der fùnfte. Dièse Slreifen
«nun, die anschaulidie Geslalt der fornialen Linien, werden limites
«genannt; sie blieben Genieingui, und in Italien aile, nicht nur jene
« breitern , zu œffentlichen Wegen vorbehaiten. Ihr Flaecheninhalt ward
«dem zur Theilung beslimmlen Boden entzogen, so dass die an die
« breitern Strassen grtenzendon Gevierte kleiner als die ûbrigen ge-
«riethen; ohne Zweifel um den unwissenden Landmesser jeder nur
t halbverwickelten Berechnung bei der Einiheilung zu ûberheben. Die
^Enlfernung der Limifoi \on einander Avard durch die Grœsse der
« Vierecke bestimmt, welche sie zu bezeichnen dienlen. Dièse befassten
«in den spaetern Zeiten, unter dem Namen von Centerien, als Qua-
«drate oder Parallélogramme, 200 bis 210, und mehr Jugern.» Yoy.
dans les Rei agrarix scriptores, p. 215 de l'édition de Goës, et dans
les Rei agrarix scriptorum nubiiiores reliquix ., publiées par Ri-
gaud (Paris, 1813; ; le fragment de Frontin , intitulé: De limitibus;
c'est là que Niebuhr a surtout puisé.
' Kardo.
- Decumanus.
168 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
entre les deux fleuves du Rhin et du Danube et qu'elle
colonisa, en y appelant d'abord des vétérans, et en
cédant à tous les étrangers qui étaient venus y cher-
cher un séjour, après le départ des Marcomans, la
possession des terres qu'ils s'étaient défrichées, reçut
dès lors le nom de Décumate d'après cette même
opération. Tacite, en parlant des peuples qui habi-
taient celte région, ne les comprend pas parmi les
tribus germaines, quoiqu'ils résidassent sur le sol
germanique ^ Leurs possessions, d'abord précaires,
leur furent assurées, lorsque la limite que Rome
donna à cette nouvelle province eut été tracée, et
que sa protection se fut aussi étendue sur eux. Alors ,
sous l'égide de ses lois et soutenus par les nom-
breuses garnisons qu'elle répandit dans tout le pays,
ils n'eurent plus à redouter les nations voisines tou-
jours prêtes à se ruer sur leurs terres, et à qui Rome
défendit l'entrée de la province hors des places
qu'elle leur assigna pour les échanges du commerce.
Une antique coutume de la République, conservée
par les empereurs, fut, après avoir soumis un nou-
veau peuple, de s'emparer d'une partie ou de la to-
talité de ses terres ^ et alors d'en remettre la pos-
session d'une partie aux habitants mêmes, en les
obligeant de payer le même impôt qu'ils payaient à
leurs anciens maîtres, ou, lorsque le trésor était dans
le besoin, de vendre une autre partie de ces terres,
à la condition d'une redevance assurée et perpé-
tuelle, ou, comme cela fut le cas dans le pays dont
' Tacite, Gennanîa^ xxix.
2 Livius, 2, 41.
DU RHIN ET DU DANUBE. 169
nous nous occupons, en fondant des colonies, de
distribuer une partie de ces mêmes terres à dos ci-
toyens indigents et à des soldatsvétérans. Le premier
de ces trois genres de tributs ne pouvait exister au
delà du Rhin , puisque les habitants qui s'y répan-
dirent, après le départ des Marcomans, ne semblent
pas y avoir formé un corps de nation, et que, com-
posés de gens de toutes les peuplades voisines des
Gaules, ils ont dû, dès les premiers temps de leur
migration sur ce sol, y vivre sous l'autorité des Ro-
mains, qui semparèrenl militairement du pays. Car
s'il est probable, ainsi que je l'ai dit ailleurs', que
quelques familles celtiques aient continué d habiter
les plus antiques bourgades, et que quelques Suèves
et Marcomans, qui n'avaient pas pu ou voulu suivre
les leurs, fussent aussi çà et là restés stationnaires,
on ne peut cependant citer ce petit nombre de fa-
milles comme ayant formé un corps de nation. Cela
est tellement vrai que Tacite, en parlant des habi-
tants de cette région, ne leur donne aucun nom par-
ticulier; il se contente de les appeler les habitants
des champs décumates, expressian qui ne pouvait
provenir de l'obligation pour ces terres de donner le
dixième de leurs produits au gouvernement, puis-
que, comme nous venons de le voir, une partie en
avait été partagée entre des vétérans, et que cette
récompense, accordée au courage, était exempte de
tout impôt, ou n'en avait du moins à supporter qu'un
bien minime^. Si cette obhgalion avait existé, ce
' Dans mes Établissements celtiques, § 3.
^Voy. Fuss., Antiqtdtates romamc, p 232-233: ici., i». 221 : comp.
170 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
n'aurait été dans tous les cas que pour les terres qui
furent le partage des divers habitants des Gaules qui
vinrent s'y établir. Il aurait fallu , d'après la coutume
romaine, que ces terres eussent été vendues à leurs
propriétaires par le gouvernement moyennant cette
rétribution annuelle. Mais comme, d'un autre côté,
ce mode d'impôt avait lieu, non-seulement dans cette
province en particulier, mais dans tout l'Empire, et
que d'ailleurs nous voyons le gouvernement distri-
buer de ces mêmes terres à des citoyens et à des vé-
térans des Gaules et de l'Italie, qui devaient en être
exemptés, on ne voit pas trop comment ce nom de
Décumates aurait pu être donné à ce pays à cause
d'un impôt qui ne lui était pas particulier et qui ne
pouvait même être supporté par toutes les terres.
Tout le sol, au contraire, pour être distribué aux
soldats vétérans et pour être donné en propriété aux
colons des Gaules, avec une redevance plus ou moins
forte (je veux même qu'ellese soit montée au dixième
du produit des terres), avait dû être mesuré. Comme
cette mesure avait été générale, qu'elle s'était éten-
due sur tout le pays, et que les habitants de cette
région ne portaient eux-mêmes aucun nom particu-
her, ce fut de cette mesure même que Rome, en
ajoutant ces nouvelles possessions à son Empire,
s'habitua à les appeler.
Cependant on a à la fois donné une trop grande
et une trop faible extension au territoire qui a dû
porterie nom de Décumate. On ne doit pas, avec quel-
Tacile, Annal. ^ xu, '27; Paulus, De cemibus digesl., 1. xv; Appien,
De btllis civil.., i, "7, p. 40 et sv. de l'édil. de Schweighaiuser.
DU RHIN ET DU DANUBE. 171
ques auteurs modernes, le restreindre au seul pays
enclavé entre le Necker, le Rhin et le Mein, ni , d'un
autre côté, l'étendre entre le Rhin et le Danube jus-
qu'à la Pannonie. Il devait comprendre le terrain en
deçà du grand rempart que la migration des Mar-
comans avait laissé sans maître, entre l'un et l'autre
de ces fleuves, et qui forma plus tard la ; artie nord
de la seconde Rhétie, tandis que la partie située au
bord du Rhin fut, comme nous l'avons dit, en-
clavée dans le gouvernement de la Germanie supé-
rieure.
La vie des habitants dut y être de bonne heure
active et laborieuse ; à peine vingt-cinq ans s'étaient
écoulés depuis que Rome en avait résolu la coloni-
sation que des villes y étaient çà et là répandues et
que des routes coupaient en tout sens le pays.
Un des plus anciens de tous les établissements
romains sur le Rhin avait été la colonie d'Auguste
chez les Rau raques.
Cette nation, qui s'étendait entre les Séquaniens
et les Helvéliens, nous est connue parles guerres de
César, et elle avait suivi le dernier de ces peuples
en se liant à lui dans son aventureuse expédition.
Vingt-trois mille hommes étaient sortis du pays',
après avoir brûlé leurs bourgs et abandonné les val-
lées qui s'étendaient entre lAar et le Doubs, et de-
puis cette première rivière, le long du Rhin, jusqu'au
pays des Triboques^. Renvoyés dans leurs terres par
' César, De bello gallico, 1. 1, c. 29.
^ Plolémée, Geogr., u, 9.
172 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
le proconsul, après la défaite de la coalition helvé-
tique, ils rebâtirent leur métropole*, dont la situa-
tion avantageuse au bord du fleuve attira plus lard
l'attention des Romains, dès que ces derniers se
furent rendus maîtres du pays.
Quand le poignard atteignit César, Munacius Plan-
ons, qui , d'origine plébéienne, était devenu questeur,
tribun du peuple, et sous le commandement de ce
grand homme avait été légat d'une légion, qui, plus
tard , sous sa dictature , fut préteur et préfet de Rome ,
était à la tête du gouvernement des Gaules. Ce fut
dans ce poste qu'il fonda, par l'ordre du sénat, la
colonie de Lvon,au confluent du Rhône et de la
Saône.
Plancus prit le parti du triumvirat. Il fut plus tard
un des adhérents les plus zélés d'Octave César, qui ,
à sa réquisition , reçut le titre d'Auguste. Il était de
nouveau dans la Gaule quand Agrippa la quitta après
sa première campagne sur le Rhin, et tout porte à
croire que ce fut pendant le court espace de temps
qu'il y resta alors, avant qu'appelé en Italie, il fît
avec Tibère la campagne de Rhétie et partagea son
triomphe, que, frappé de la position avantageuse
qu'ofl'rait pour la sécurité de la province gauloise
le bourg fortifié des Rauraques, près du coude que
forme le Rhin avant de prendre la direction vers le
nord, il porta Octave à y envoyer une colonie. Mu-
nacius Plancus fut lui-même chargé de la fondation
de cet établissement, qui, quelques années après,
» César, De bell. galL, 1. 1, c. 28.
DU RHIN ET DU DANUBE. 173
prit le nom d'Auguste, à l'instar de toutes les villes
du Rhin et de la Gaule , qui le prirent en même temps
lorsque Octave eut lui-même reçu ce titre.
Plancus mourut en Italie ; son tombeau , qui s'éle-
vait sur le promontoire de Gaëîe', et dominait au
loin les flots bleus de la mer Tyrrhénienne, a, par
l'inscription qui décorait son marbre^ instruit la pos-
térité du rôle qu'il joua dans l'installation de cette
colonie, qui ne tarda pas h devenir florissante. C'é-
tait le passage des troupes qui de la Gaule allaient
par l'Helvétie se rendre dans les provinces rhétiques.
Placée au bord du fleuve, dont un pont joignait la
rive droite à cette ville, elle recevait dans ses rem-
parts deux autres petits torrents^, dont les eaux ser-
vaient à alimenter ses fortifications. Le Rhin, en
changeant de cours, a submergé aujourd'hui une
partie du territoire qu'occupait la cité. Il a formé
trois îlots, sur les rocs de l'un desquels se remarquent
encore les restes d'une tour forte, qui flanquait ja-
dis l'angle du rempart et dont le diamètre n'avait
pas moins de soixante pieds. Quelques faibles ves-
tiges de la tour de l'angle opposé se retrouvent
aussi dans l'île voisine, et il est probable que dans
l'antiquité ces deux tours étaient liées par une
' Voy. Pelrus sanlus Bartolus, Sepolcri antichi; Monlfaucon, Àn-
tiq. expliq., l. v, p. 178; Gruter , Inscriptioiies , t. i, p. 439.
2 La voici :
L. Munatius, Lucii filius , Lucii nepos, Lucii pronepos Plancus,
consul, censor, imperator Iter, septemvir, epulo , triumphavit ex
Rhetis , sedeni Saiurni fecit de manublis , ogros divisit in Italia
Beneventi, in Gallia colonias deduxit Lugdunum et Rauricam.
3 L'Ergolz et le Violenbach.
174 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
muraille dont les vagues du fleuve venaient battre
le pied. Il est assez facile encore, par quelques restes
de rempart, qui çà et là, au milieu des champs culti-
vés de l'ouest, et à l'est, sur les rocs qui dominent
le Violenbach, se montrent au-dessus du sol, de
juger de l'étendue de celle cité S qui dans son sein
renfermait des temples, un théâtre, et sans doute
tout ce que Rome avait coutume dapporler de luxe
et de grandeur dans les édifices qu'elle construisait.
Le théâtre était placé au bas dune colline, aujour-
d'hui recouverte de vignobles, où ses débris se re-
marquent encore. Un aqueduc, construit à grands
frais et dont les vestiges peuvent encore çà et là se
retrouver, conduisait l'eau potable à la ville, dune
distance de quatre lieues. La paix longue et durable
dont jouit ce coin de l'Empire, tandis que tous les
efforts de Rome contre les Germains, et des Germains
contre Rome avaient lieu sur les rives de la Lippe,
du Weser et de l'Elbe, contribua à la fois au déve-
loppement de cette cité, à l'extension de son com-
merce et au bien-être de ses habitants. Les troubles
politiques qui, sous Vindex, et surtout pendant les
querelles qui survinrent entre Galba et Vitellius, por-
tèrent tant d infortune sur les contrées helvétiques,
semblent même n'avoir point eu d effet pernicieux
pour la colonie des Rauraques. Nous ignorons quel
1 Les parties orienlaleet occidentale du rempart n'avaient pas moins
chacune de 5000 pieds. La partie nord , du côté du Rliin , était de 1600,
celle à l'opposé, du côté de la plaine, de 3000 pieds d'étendu<\ Voy.
le plan de la ville antique dansSchœpflin, Âlsat. illusir., 1. 1, p. 160.
Le terrain n'a guère changé d'aspect depuis que ce plan a été levé.
DU RHIN ET DU DANUBE. 175
parli elle soutint alors; mais tout porte à croire
qu'elle embrassa celui deVitellius, et que par là elle
échappa au pillage et à la fureur destructive du soldat.
Avec le quatrième siècle commencèrent les mal-
heurs de celte ville.
Les Allemanes avaient rompu la ligne du grand
rempart, et leurs bandes avaient inondé toute l'éten-
due des champs décumates. Le Rhin était lui-même
menacé. Le territoire des Rauraques devint à son
tour le théâtre de guerres successives, et la cité eut
d'autant plus à souffrir qu elle servit presque toujours
de passage à toutes les armées, tantôt d'amis, qui
des Gaules traversèrent le Rhin pour repousser les
barbares, tantôt d'ennemis qui, inondant la rive
droite, détruisirent tout devant eux. La politique de
Constantin, qui dégarnit le Rhin des garnisons qui,
sous ses prédécesseurs, en avaient fait la sécurité,
fut surtout funeste à cette ville. Les campagnes de
Julien contre les Allemanes ne lui furent pas moins
onéreuses, et elle eut plus tard encore à souffrir des
déprédations des mêmes peuples, sous Gratien^ avant
de disparaître dans ses ruines lors de la grande in-
vasion des Gaules au cinquième siècle. Dans ce con-
flit de nations barbares, qui toutes se ruèrent sur
cette province et s'acharnèrent à en détruire les villes,
il n'est point étonnant que celle des Rauraques, qui
à l'extrême frontière était si exposée, ait alors reçu
le coup fatal. Quoique les monnaies trouvées dans
ses ruines aillent jusqu'au règne d'Honorius\ la
' Consultez Rudolph. Westenius, Disser'. de Ursula.
176 ÉTABLISSEMENTS ROMAIINS
ville, SOUS ce règne même , avait déjà en partie dis-
paru, et déjà la Notice des provinces n'en parle plus
que comme d'un simple fort. La colline qui domine
les ruines du théâtre porte encore aujourd'hui le
nom de Castelen, et ce fut elle que couronna sans
doute ce fort, qui succéda à cette cité au temps de
sa décadence, et qui lui-même disparut sous les
efforts des hommes et du temps. Eunapius, qui vivait
sous le règne de l'empereur Gratien, cite le fort des
Rauraquesetnon lacolonieMl est certain cependant,
par le récit de 3Iarcellin^, qui écrivait ses pages his-
toriques sous le règne de Théodose, et qui donne
même une idée assez avantageuse de cette cité , qu'elle
existait encore de son temps. Peut-être, pour conci-
lier ces deux auteurs, faut-il penser que le fort, qui
a dû couronner la hauteur, fut lui-même construit
par Valentinien ï, qui, comme nous l'avons vu, bâtit
tout le long du fleuve des castels protecteurs, et que
l'historien grec cite simplement ces fortifications
protectrices, tandis que l'historien latin parle de la
cité en général. Il est stir du moins que le fort sur-
vécut à la ville, soit qu'il ait été fondé pendant même
que celle-ci était encore intacte, soit qu'il ait été
construit sur ses ruines. Je suis d'autant plus porté
à croire que Valentinien en aura été le fondateur,
qu'il est avéré par l'histoire que le même empe-
reur bâtit, à quelques lieues plus loin, le fort de
^ irpoç Touç Pàuptxxouç,o ectti <I>poupiov. Eunapius, HUI.
2 Apud Sequanos Bisontios videmus et Haiiracos , aliis potiores
oppidis multis. Anini. Marc, 1. xv, c. H , p. 76, de l'édil. de Deux-
Ponts.
DU RHIN ET DU DANUBE. 177
Robur', dont la tour élancée pouvait dès lors cor-
respondre avec celui de Rauraque.
On a beaucoup disputé sur l'emplacement de cet
autre caslel. Les uns l'ont cherché près de Schopf-
heim^ sur la rive droite du fleuve, d'autres à Rhin-
felden, d'autres encore sur l'emplacement de la
cathédrale de Bâle^ Aucune de ces positions ne s'ac-
corde cependant avec celle que précise l'historien.
Il ne dit pas, en effet, «de l'autre côté du fleuve;» il ne
cite pas même le fleuve comme étant la limite sur la-
quelle le fort est placé ; il dit simplement qu'il est situé
prèsdeBàle, sans vouloir exprimer par là qu'il touche
les murailles de cette ville, laquelle sans doute aura
été peuplée par les malheureux habitants d'Augusta ,
qui, après la ruine de leurs demeures, auront là
cherché un refuge.Or,sur leWartenberg, nom qui rap-
pelle bien une tour d'observation, s'élevaient, au temps
de la féodalité, trois châteaux forts, qui furent ren-
versés parle tremblement de terre de 1356. L'un
d'eux a dans ses décombres offert plusieurs monnaies
romaines , et la construction de la base des plus an-
tiques remparts date incontestablement du grand
* Munimenlum prope Basiliam, qicocl apjjellant accolae Robur.
Aram Marc, 1. xxx , c. 3 , p. 218.
- Preuschen {Denkmàler, etc., Francf. 1787), traduisant le mot Ro-
bur par Eichen, qui en français veut dire chêne . pense que le village
d'Eichen , situé près de cette petite ville , est l'emplacement de l'an-
cien fort.
^ Comp., pour ces opinions diverses, Tschudi, Gallia comata,
1. 1, p. 221 , § 5 ; Urslisius , Epiiome hist. Basil., c. 7, p. 09 ; Hoffmann
et J. C. Iselius , Lexicum Imtoricvm , au mot Robur; Schœpftin, Al~
sat. illustr., t. i . p. 182.
I.
M
178 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
peuple. Celte posilion avantageuse sur une hauteur
d'où la vue s'étend au loin, et qui pouvait permettre
à la garnison d'explorer tous les mouvements de
1 ennemi au delà du fleuve, semble bien convenir à
la forteresse construite par Valentinien, et où cet
empereur, pendant la résidence qu'il y fit, signa
même une ordonnance que le Code de Théodose nous
a conservée ^
Tant, en effet, que Rome eut dans la province
transrhénane un déploiement de forces militaires
assez considérable pour pouvoir couvrir toute l'éten-
due du rempart, et qu'aucune ligue ennemie ne se
fut formée contre elle, cette ligne, soutenue en ar-
rière par les camps posés de distance en distance,
et où de fortes garnisons étaient toujours placées,
suffit à sa sécurité. Mais quand la coalition allema-
nique eut renversé cette barrière, que ses bandes
dévastatrices se furent répandues dans les champs
décumates, et qu'elles eurent même touché le sol
gaulois , un nouveau système de défense devint iné-
vitable. Il lui fallut reprendre l'offensive, et par un
déploiement de troupes non plus disséminées, mais
réunies en masse, revenir à son ancienne tactique.
Plus d'une fois elle parvint h repousser ces hordes
barbares au delà de l'Abnoba; mais chaque fois que
les événements du Nord ou les troubles intéiieurs
de lEmpire forcèrent les empereurs de retirer les
troupes de la province, ces peuples revinrent à la
* De vestibus militaribus. Cod. Theod., De curs. publ., 1. xxx. —
Voy au sujet de la position que j'assigne ici à cet antique castei la
chronique de Stunipf, Schiveizer-Chronik , t. xii, c. Kî.
DU RHIN ET DU DANUBE. 179
charge, infidèles aux serments de paix qu'ils avaient
prêtés et que la nécessité leur avait arrachés.
Leur apparition était aussi subite que formidable;
et, comme en arrière de la plaine toute la contrée
montagneuse était en majeure partie couverte d'im-
pénétrables forêts, il était aussi difficile aux Romains
de prévoir que de prévenir l'attaque de l'ennemi. A
l'entrée de toutes les vallées principales, dont les
défilés communiquaient avec l'intérieur du pays,
furent donc, au troisième siècle, élevées de petites
enceintes fortifiées là où la nature présentait à la
fois une position avantageuse à la défense et à l'ex-
ploration. C'était pour la plupart du temps une simple
tour que quelques bâtiments entouraient, placée sur
une pile de rocs ou un cône avancé, et que cernait une
double enceinte crénelée, défendue par un large et
profond fossé. Tacite ne parle nulle part dans ses An-
nales de ces tours isolées; ce qui prouve que de son
temps elles n'existaient point encore. Mais elles sont
au contraire fréquemmen t ci tées dans Xllinéraire d'An-
tonin^ et, plus tard, surtout parMarcellin,qui même
fait une distinction à part entre les camps, les châ-
teaux forts et les tours isolées ou tours d'observa-
tion. Ces divers castels ou tours fortes, trop petits
pour contenir une imposante garnison, n'avaient pas
pour objet, ainsi qu'on l'a trop souvent répété, d'em-
pêcher le passage dos armées ennemies, qui auraient
voulu déboucher parles vallées qu'ils dominaient^
mais bien d épier cette irruption, et alors, par les
* Itiu. Anton., éd. Webseling, p. 273, 290, 298, 301 , 400, Wù.
T 12.
180 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
fanaux qu'on allumait sur la sommité de la tour, ou
partout autre signal, d'avertir du danger les garni-
sons intérieures des villes. Le rayon que la vue du haut
de tous ces donjons embrassait sur les montagnes et
lesvallées est, en général, de peu d'étendue; il devait
l'être moins encore du temps des Romains, alors que
toutes ces montagnes étaient inhabitées, et que leurs
forêts n'avaient point encore été élaguées. Du côté de
la plaine, au contraire, ils dominaient toute la contrée
jusqu'aux Vosges; la portée de toutes ces tours corres-
pondait de l'une à l'autre, et du nord au midi les gar-
nisons rhénanes pouvaient avec la plus grande rapid ité
être averties de la marche de l'ennemi. Les garnisons
romaines répandues dans la plaine pouvaient aussi,
en cas de danger, trouver un refuge momentané dans
ces forteresses, et ces petites garnisons pouvaient
elles-mêmes devenir terribles à l'ennemi, lorsque,
dans sa retraite, il regagnait les vallées.
D'après toutes les probabilités, ce fut Posthume,
qui pendant sept années consécutives eut à combattre
les Allemanes, qui le premier fortifia le penchant
occidental de TAbnoba. Ces peuples, après sa mort,
inondèrent de nouveau toute la province et même
s'avancèrent jusque dans la Gaule. Probe les repoussa
au delà du fleuve et au delà du Necker; il rétablit la
limite antique. Mais sous Chlore et Constance II, ils re-
parurent encore, jusqu'à ce qu'enfin Julien, dans la
seconde moitié du quatrième siècle, entreprît contre
eux ses trois expéditions. Enfin, Valentinien apparut,
qui, pour me servir des expressions de l'historien,
fortifia, depuis la frontière de la Rhétie jusqu'à l'O-
DU RHIN ET DU DANUBE. 181
céan, tout le cours du Rhin par de grandes digues,
et éleva dans les airs des places de guerre plus ou
moins considérables et des tours fortes partout où le
terrain offrait une position favorable à de telles bâ-
tisses ^
La" partie du fleuve que devait protéger le fort de
Robur dut être d'autant plus digne de l'attention du
souverain, qui présidait lui-même à ces travaux, que
ce coin de la province était devenu le lieu de passage
de toutes les hordes qui tombaient sur la Gaule. Le
Rhin a depuis changé son cours; et il n'est pas moins
intéressant pour le géologue d'étudier les diverses
tranchées qu'il a faites dans l'antiquité à la base des
collines que ses vagues battaient, que pour l'anti-
quaire de suivre les traces des retranchements qui
alors le dominèrent. Le petit torrent de la Wiesen,
en sortant de la chaîne de l'Abnoba, en place de
prendre sa direction au sud-ouest et d'aller, comme
il le fait aujourd'hui, déboucher dans le Rhin au-
dessous de Bàle, venait tomber dans le fleuve plus
près d'Augusta.
^ Rbenum omnem à Bœtiarum exordio adusque fretalem Ocea-
num magnis molibus comniuniebat , castra extollens altius et cas-
tella turresque assiduas per habiles locos etopportunos. Anim. Marc,
1, XXVIII, c. 2; et dans un autre endroit : Rhenum celsioribus castris
munivit atque castellis, 1. xxx, c. 7. — L'importance que cet empe-
reur attachait à ces fortifications était telle que par une de ses ordon-
nances, insérées dans le Code de Théodose, il menaça un des gou-
verneurs de la Dacie , où il fit faire les mêmes travaux , de faire res-
taurer ces tours aux frais de ce gouverneur, si par sa négligence elles
venaient à tomber. Voy. Codex Theod., xv, 1. 13, t. v, p. 324 : De
turribus limitaneis per Daciam. Ripensem.
182 ÉTABLISSEMENTS KOMAINS
C'était principalement la vallée que ce torrent
arrose que la tour forte du château de Robur domi-
nait, et qu'elle pouvait épier dans tout son cours. Je
ne veux point nier cependant qu'à Bàle même, sur
une des collines dominant la ville, d'autres fortifica-
tions n'aient alors aussi été assises pour compléter le
système d'exploration. La défense du Rhin rendait
même sur ce point ces fortifications indispensables,
et je ne pense pas que ce soit sans motif que, malgré
l'emplacement qui plus tard eut lieu de la cathédrale
sur ces ruines antiques, la colline qui la supporte
ait conservé jusqu'aujourd'hui le nom de Burg, Du
fort de Rauraque à celui de Robur, et de ce dernier
à la tour de Bâle, les signaux pouvaient être facile-
ment donnés, en cas que l'ennemi voulût en avant
de cette ligne former quelque tentative, et de la col-
line de Bàle se transmettre de proche en proche aux
diverses garnisons qui étaient répandues dans la
plaine des Vosges. Car a cette époque les tours fortes
de l'Abnoba étaient depuis longtemps tombées en
ruine, et toute la plaine du Brisgau et de l'Ortenau,
abandonnée parles Romains, était depuis longtemps
au pouvoir des Allemanes.
Ammien Marcellin est le seul auteur de l'antiquité
qui nous parle de la cité de Bàle. Seule elle survécut
au passage destructeur des Allemanes, des Alains,
des Vandales et des Suèves, qui, trente ans après le
règne de Valentinien, traversèrent le Rhin dans ses
environs, et portèrent partout devant eux la flamme
et la dévastation. Elle succéda à la colonie d'Augusta,
et déjà à la fin du quatrième siècle elle formait une
DU RHIN ET DU DANUBE. 183
ville assez considérable ^ peuplée sans doute , comme
je l'ai dit plus haut, des habitants de cette colonie,
qui, plutôt que de relever leurs demeures incen-
diées, auront préféré en rebâtir de nouvelles sur ce
terrain.
En arrière s'élevait encore un autre fort, du nom
d'Arialbinnum, fort qui se trouve cité dans Xlliné-
raire d'Antonm et sur la Table de Théodose comme
formant une des stations intermédiaires entre Vin-
donissa et Brisach. C'est une preuve que la roule
militaire ne touchait ni la ville de Bàle, ni le fort de
Robur. Arialbinnum était, comme l'a très - bien
prouvé Schœpflin, posé sur l'emplacement de Bin-
ningen, ancien lieu celtique, qui, en même temps
que la colonie des Rauraques fut fondée, aura sans
doute déjà été mis à profit par les Romains. Son nom
latin atteste cette haute antiquité, et la position que
je lui assigne, placé qu'il est sur une colline molle-
ment inclinée, répond bien à l'idée que ce nom
exprime^. Dans Y Itinéraire d'Antonin, il est désigné
une fois entre le fort de Rauraque et Urunca^ et une
* La Notice des provinces en fait du moins menlion comme de la
quatrième ville de la Séquanie :
Provincia Moxima Seqvanorum nvnc IV
Metropolis civitas Fesunci<-nsium
Civifas equestrium yojodunus
Civitas Elvetiorum AveidicKs
Civitas Basiliensium.
2 Lieu placé sur le penchant d'une hauteur , des trois mots cel-
tiques ar, ael et penn, d'où les Romains ont latinisé le nom d'.ïrial-
binnum.
■^ Ilin. Anton. y p. 232.
184 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
autre fois entre Vindonissa et Brisach^ La Table de
Théodose le place entre le premier fort et Cambes.
Les troupes qui de la Rhéiie passaient par Vindo-
nissa, joignaient donc d'abord le territoire d'Augusta,
puis Arialbinnum, et allaient ensuite à Cambes, où
la route formait, en effet, trois embranchements
dans la direction de Brisach , d'Argentovaria et d'Epa-
manduodurum. Entre Cambes et cette dernière ville se
trouve marqué dans \' Itinéraire un autre lieu du nom
de Larga. C est aujourd'hui le village de Largitzen,
situé sur la Largue. Plus au nord, au-dessus de Rei-
ningen, et dominant la Dollern , se montrait aussi un
castel protecteur, dont la Notice de l'Empire fait men-
tion ^ et où, à l'époque où cette Notice fut écrite,
alors que les Gaules étaient déjà en grande partie
inondées de peuples barbares, le duc qui comman-
dait les forces militaires de la Séquanie avait sa ré-
sidence. Schœpflin^, Rhenanus* et d'autres encore
ont cherché ce fort dans l'endroit qui près de Bâle
porte le nom de Holée, et où l'on a, en effet, décou-
vert des tombes et d'autres antiquités romaines. Mais
cette opinion , h laquelle le nom de ces écrivains
donna du poids pendant quelque temps, a fait place
à une plus saine critique. Je ne citerai point toutes
les discussions que la science moderne provoqua à
ce sujet. Je me contenterai de faire observer que la
^ Itin. Anton., p. 238.
^ Notit. dignit. imp. occident., dans le Thesaur. rom. antiq., de
Graevius, t. vu, p. 1984.
^ Âlsat. illusfr., t. i. p. 188.
* Rer. Germ., I. i , p. 14.
DU UIIIN ET DU DANUBE. 185
position du prieuré d'OElenberg, au -dessus de la
plaine d'Alsace, dut de bonne heure avoir appelé
l'attention des ingénieurs romains, et particulière-
ment celle de Valentinien quand il fortifia ce coin de
l'Empire. La colline qui le soutient dominait au loin
le pays, et la tour forte du castel pouvait à la fois
répondre aux signaux du fort de Robur et de celui
de Brisach. La plupart des castra romains conser-
vèrent leur nom sous l'empire des Allemanes , qui
seulement le contractèrent et y ajoutèrent le mot
final de burg, qui complétait leur signification. Mais
comme une grande partie de ces forts étaient situés
sur des hauteurs, la terminaison de berg , qui expri-
mait cette situation élevée \ leur fut aussi donnée
indifféremment au moyen âge avec celui de burg. Il
est probable que le château d'OEIenbourg fut ruiné
par les Huns; comme avec le temps même ses ruines
disparurent, et que la croix sainte s'éleva plus lard
au-dessus du nouveau séjour de paix qui succéda
aux vieilles murailles crénelées, la terminaison de
burg , qui exprimait une forteresse, disparut pour
faire place à celle de berg, qui marquait la position
du prieuré. Ce dut être, à la fin du quatrième siècle,
une construction imposante^; son nom antique d'Olino
ne peut être méconnu, non plus qu'il est impossible
de méconnaître tout auprès celui de Cambes dans le
bourg moderne deKembs, celui de Salodurum dans
Solothurn, celui de Vindonissa dans Windisch.
' Berg, montagne. Hochburg, Hochberg, Yburg, Yberg, Orten-
burg, Ortenberg, CElenburg , Œlenberg, etc.
2 Castrum mirifice exfrnctum. Notit. imper., cdil. ciléc, i). 1984.
186 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
De ces trois lieux, c'est le dernier qui fut le plus
important, et celui dont nous allons partir, après avoir
exploré l'ancien territoire des Rauraques, pour étu-
dier la situation des villes que renferma au delà du
Rhin la grande limite romaine que nous avons par-
courue.
Vindonissa fut sans doute un des vieux bourgs que
les Helvétiens, en partant pour leur expédition des
Gaules, avaient incendiés, et que, forcés par Jules-
César de rentrer dans leurs foyers, ils rebâtirent sur
son roc, au confluent de l'Aar et de la Limmat. Les
Romains le mirent à profit, et lui donnant avec le
nom de ville des droits municipaux, le fortifièrent
et l'agrandirent. Les traces de ses antiques murailles,
dont les fondements ont çà €t là été retrouvés sous
le sol , annoncent que son étendue était assez con-
sidérable. Mercure y avait un temple, et son effigie
se montre encore aujourd'hui à l'un des coins de
l'église du moderne Windisch, bâtie avec les pierres
des vieilles murailles romaines. Trois légions furent
postées dans cette ville, la sixième, la onzième et la
vingt et unième. Une foule d'inscriptions, trouvées
dans ses décombres et dans les environs, ne peuvent
laisser de doute à ce sujet. La vingt et unième y était
placée lorsque le poignard atteignit Galba, et que
l'Empire fut disputé entre Vilellius et Othon. Cette
légion, à qui sa valeur entraînante avait fait donner
le nom de rapax, tenait le parti du premier. Se sou-
levant à la voix de ses chefs contre les Helvétiens
qui, au contraire, soutenaient le parti d'Othon, elle
dévasta et brûla tout dans les environs. La caisse
DlJ UUIN ET DU DANUBE. 187
militaire fut enlevée, Bade, jolie et florissante petite
ville, que la renommée de ses eaux avait élevée
au rang de municipe, et où, indépendamment de
ses thermes, était aussi un temple d'Isis, fut mise
au pillage*.
Vindonissa se soutint toutefois au rang de ville ''^
jusqu'après l'empire de Constance Chlore, où, pen-
dant les courses que les Allemanes firent dans les
Gaules, elle fut prise et ruinée. Depuis cette époque,
les historiens, et plus lard la Notice de l'Empire,
n'en parlent plus que comme d'un simple fort',
lequel, placé devant le défilé des montagnes qui de
l'Aar vont en s'élevant se joindre à la chaîne du Jura ,
dut par cette position même être toujours impor-
tant.
Il complétait lesystèmede défense que Valentinien
avait adopté sur cette ligne en deçà du Rhin, et com-
mandait à la fois aux deux routes, dont l'une au nord
allait joindre les sources du Danube et du Necker.
et l'autre allait, en contournant le lac de Brigance,
joindre la colonie vindélicienne d'Augusta. Il défen-
dait la vallée encaissée de l'Aar, qu à une faible dis-
• C'est de celte ville que Tacite veut sans doute parler dans son His-
toire, lorsqu'il dit, 1. 1, c. 67, locus longa pace in moium munici-
pii extructus amxno salubrium aquarum usu frequens , etc. L'ins-
cription dédicatoire du temple d'Isis se trouve au monastère de Wet-
tiugen, près de Bade; elle est citée parOrelli, Inscript., 457. Au sujet
des autres antiquités de ce lieu on peut consulter Haller, Hagenbucli ,
Gruter, Tschudi, Gundelberger, Zimmler, Zurlauben , Muratori, Jean
de MuUer, Gerbert, Neugard, etc.
2 Oppidum.
' Castrum.
188 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
tance le Rhin reçoit dans son cours, et h la jonction
desquels est situé le village de Coblenz , lieu dont le
nom romain ne peut être méconnue
Au delà de la Limmat commençait l'ancien terri-
toire des TugLiéniens^, lequel formait l'un des quatre
cantons de l'Helvétie. Il était bordé au nord par le
Rhin , qui le séparait aussi à l'est de la Rhétie. La route
militaire qui , comme je viens de le dire , joignait par
le lac de Brigance les deux AugustadesRauraqueset
des Vindéliciens, coupait le pays dans toute sa lon-
gueur, et, allant d'abord joindre Vitodurum, venait
aboutir à Pfinn^ sur la Duria *, aux conûns de la Sé-
quanie.
La Table de Théodose passe sous silence ce der-
nier lieu, tandis qu'au contraire V Itinéraire d'An-
tonin en fait mention. Il est certain toutefois, par les
localités mêmes, que la route militaire devait lier ces
trois endroits, quelques différences que ces itinéraires
présentent dans leurs distances. L'emplacement de
Vitodurum, au lieu où est bâti le moderneWinterthur,
ne peut offrir aucun doute d'après les inscriptions
qu'on y a trouvées. L'une d'elles, transportée plus
tard à Constance, est surtout du plus grand intérêt
en ce qu'elle nous apprend le rétablissement des mu-
railles de la cité, rétablissement qui, nécessité au troi-
sième siècle, sous Dioclétien et ses collègues à l'em-
• Confluentes.
- Voy. de Walkenacr, Géogr. des Gaules, t. i, i». 311 el sv.
3 /id Fines.
* La Thour.
DU RHIN ET DU DANUBE. 1 89
pire, atteste qu'elles étaient déjà alors bien anciennes,
ou que les assauts des Allemanes les avaient renver-
sées ^
Le fort établi sur la Duria, aux frontières mêmes
des deux provinces de Rliétie et de Séquanie, est dû,
s'il faut s'en rapporter aux Annales de l'abbaye de
Reichenau^, à l'empereur Constance Chlore, qui,
pour mettre un obstacle aux irruptions de ces peuples,
lesquels déjà avaient envahi toute la rive droite du
Rhin, semble surtout avoir pris à lâche de fortifier
le lac Rriganlin.
V Itinéraire d'Anlonin, comme la Table de Théodose,
cite ce fort comme la plus proche station qni abou-
tissait à Arbon, où la roule louche, en effet, le lac.
Divers castels s'y élevaient, d'après le récit d'Ammien
Marcellin, qui les cite sous le nom commun (X'Arbor
Felix"^. Ils servaient à la fin du quatrième siècle de
garnison à une cohorte de Pannoniens, du surnom
iX Herculéenne , qui y était postée sous les ordres
d'un tribun*. Ces camps se succédaient depuis Bri-
gance, qui donnait son nom au lac, jusqu'à l'en-
^ Voici l'inscripiion , qui date de 293 après Jésus-Christ.
IMP. CAES. C. AYRE. VAL. DIOCLETIAN\'S. AVG. PONT. MAX.
SAR. MAX. PERS. MAX. TRIB. POT. XI. TMP. X. COS. V. P. P. ET
IMP. CAES. M. AVR. VAL. 5L4XS1MIANVS. AVG. PONT. MAX. SAR.
MAX. PERS. MAX. TRIB. POT. X. IMP. VIII. COS. IIII. P. P. ET IMPP.
FL. VAL. CONSTANTIVS. ET. GAL. VAL. MAXIMIAN^S. FILII.
CAESS. MVRVM. VITVDVRENSEM. A. SOLO. IXSTAVRARVNT
CVRANTE. AVRELIO. PROCVLO. V. C. PR. PROV.MAX. SEQ.
2 Voy. Tschudi, Gallla comata, p. 117.
^ Castra quibus Arbor Félix nomen est , 1. xxxi , c. 10.
** Nutif. dignit. im/ei' occident., édil. citée, p. 1978.
190 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
trée et à la sortie du Rhin, qui traverse son miroir
azuré; le fort de Uheineck' et celui auquel Cons-
tance Chlore donna plus tard son nom défendaient
ces deux positions.
Selon toute probabilité, le dernier de ces castels
s'était élevé sur les ruines de Ganodurum, lieu cel-
tique, que Ptolémée^ cite dans les Gaules, sur la rive
droite du Rhin, et que les guerres et les irruptions
des Allemanes auront détruit.
Quoique le géographe d'Alexandrie soit le seul
écrivain qui ait parlé de Ganodurum, nous devons
croire que les Romains l'avaient mis à profit. Avec le
temps son nom antique se sera perdu, il aura été
enfoui avec ses ruines, et lorsque Vilodurum fut
rétabli, lorsque le fort de Pfinn fut élevé, les colos-
sales bâtisses qui remplacèrent le bourg celtique et
qui surgirent alors du lac, h l'endroit oii le Rhin
reprend son cours, reçurent le nom de leur fonda-
teur.
Constance, à cette époque, n'occupait que la soi-
disante île des Dominicains, île que le Rhin battait
alors de ses vagues.
Lorsqu'en 1632, le général Horn fit le siège de
cette ville et fit creuser des mines, on arriva aux
antiques substructions romaines, et l'on découvrit
les traces d un pont, qui purent faire juger en même
temps du colossal de toutes ces constructions an-
tiques et de la largeur que le fleuve devait avoir à cette
^ .^d Rhenum .
- Ptolémée, Ceogr., c. 9. p. 48.
DU IllIllN ET DU DANUBE. 191
époque lointaine ^ Sur la colline qui dominait la for-
teresse s'élevait en arrière un casleI,(lont la tour
élancée pouvait explorer le pays et correspondait
avec les autres tours fortes situées de distance en
distance tout le long du lac et du fleuve, et dont l'une
encore, non loin de Steckborn , présente ses ruines
sur les bords du Rhin.
Ce dernier lieu semble avoir été le Forum Tiberii
dont parle Ptolémée^, et il dut, en elTet, alors que
Tibère avait à combattre les Vindéliciens, et que sa
flotte couvrait le lac, avoir, par sa position, attiré
ses regards. Une roule, dont les traces ont disparu,
joignit plus tard ce lieu au fort de Constance,
ainsi que l'indique une pierre milliaiie trouvée près
d'Eschenz. Cette route devait passer sous la tour d'ob-
servation même^, au bas de laquelle cette pierre a
été découverte. La tour correspondait à une époque
antérieure, et lorsque Rome tenait encore intacte
toute la ligne du Danube, avec celle qni couronnait
la chute du Rhin et avec un autre casteP dont les
créneaux s'élevaient à l'angle que le fleuve forme non
loin de celte chute, et qui pouvait lui-même corres-
pondre avec la tour forte dont les ruines se montrent
près de Geisslingen^C'étailsous les murailles mêmes
du fort de Geisslingen, où furent un jour placés
des détachements de la onzième et de la vingt et
' Gustav Schwab, Handbuch fur Relsende, etc., j». G7.
2 Plolémée, Geogr., c. 0, p. 48.
•■* Die But g.
* AUenburg.
^ Ileldenschlûsschen.
192 ÉTABLISSEJIENTS ROMAINS
unième légion', stationnées à Vindonissa, et où fut
même déterré un buste antique qui , quelque ru-
desse que présente le travail, n'en est pas moins
digne du plus grand intérêt^ que passait la grande
voie militaire qui, de cette place forte, allait, comme
nous l'avons dit, joindre, par les plateaux de l'Albe,
la colonie vindélicienne d'Aususta.Ce fortin dominait
sur les monts qui bordent la rive droite du Rhin la
station romaine de Tenedone,que la Table de Théodose
place sur la rive gauche du fleuve, et que commandait
de ce côté une autre tour d'observation ^ Les des-
tinées de Tenedone nous sont inconnues. Les guerres,
et surtout les irruptions des Allemanes, auront causé
sa ruine, et près de ses décombres se seront par la
suite relevées quelques demeures qui auront formé
le moderne Zurzach. C'est non loin de ce bourg,
placé sur la rive même du fleuve, qu'était assis sur
une pile de rocs le castel romain, élevé pour pro-
léger le pont, et défendu par une compagnie de la
onzième légion, dont les tombes et des inscriptions
ont été retrouvées il y a quelques années.
La Forêt-Noire, vis-à-vis ce fort, montre sa chaîne
1 LEG. XI. C. P. F. — L. XXI. — LEC. XXI. —L. XXI. S.
LEG. XXI. S. C. VI. ( Legionis XXI, Severianx . cohors FI).
La vingt et unième légion qui, comme nous l'avons vu ci-avaul,
portait le nom de Rapax, prit le surnom de Séi-ère quand cet empe-
reur, qui avait été légat de la Germanie , eut revêtu la pourpre. C'est
donc sous le règne de ce prince qu'elle a dû tenir garnison dans ce
castel.
- Il est déposé dans une des salles de la bibliothèque de Fribourg
(Bade) . On le regarde comme le buste de Septime Sévère.
3 Le Wûrelingen Castell.
DU UHIN ET DU DAINUBE. 193
sévère et peu denlelée. C'est sur ses sommets boisés
qui s'étendent en plateaux que parvint, sous l'empire
(Je Julien, le général Libinon, qui, pendant que
les Allemanes pillaient la frontière romaine, était,
pour faire diversion, entré dans leur pays, en pas-
sant le Rhin sans doute près d'Augusta, mais dont
les mouvements, épiés par l'ennemi, avaient été dé-
couverts. Cerné de toutes parts et acculé au Rhin, il
trouva la mort sur le champ de bataille. Le champ
du combat est désigné dans les pages historiques
d'Ammien à Sanctio, lieu qu'il faut chercher sur
la rive droite du fleuve, dans le moderne Sœckin-
gen, et qui communiquait sans doute alors par une
autre route avec Augusla, d où, par les monts de
la Forêt -Noire, l'empereur, partant peu de temps
après pour se rendre en Pannonie, alla joindre les
rives du Danube'. C'est le seul endroit, sur la rive
droite du fleuve, depuis sa sortie du lac de Bri-
gance jusqu'au coude qu'il forme à Bâle, qui soit
mentionné dans l'antiquité, quoique près de Walds-
hut, près de Gurtweil, près de Thiengen , on ait
aussi découvert sous le sol quelques restes de fon-
dements de bâtisses romaines. Au-dessus, dans les
montagnes, s'élevait une tour d'observation ^ et il
est probable qu'au-dessous, dans la plaine, circulait
la roule dont quelques traces se retrouvent à Her-
ihen, ancienne bourgade celtique, située presque
vis-à-vis des ruines d'Augusta, et qu'un autre em-
' Profecturus îtaque per Maicianas Sylcas, viasque junctas Istri
fîuminis ripis, etc. Amm. Marcel., l. xxi, c. 8.
- A Wieladingeo.
1.
13
1 94 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
branchement allait joindre le caste] de Schœnau.
Ce sont ces routes romaines, dont le réseau couvrit
toute la région rhénane soumise au grand peuple,
qu'il est surtout intéressant d'étudier, puisque là oii
elles circulèrent, la population dut surtout être abon-
dante, et que sur leurs traces doivent aussi néces-
sairement se retrouver les anciens établissements
romains. C'est par le tracé de ces routes qu'en colo-
nisant un pays, Rome avait coutume de commencer,
afin de faciliter, d'un côté, la marche de ses armées,
et de favoriser, de l'autre, l'écoulement du com-
merce, premier principe de toute civiHsation. Aussi
l'Helvétie, la Rhétie et la Souabe furenl à peine sou-
mises à ses armes, que les légions travaillèrent à ces
grandes voies de communication , et que , par elles , le
Rhin fut joint au Danube et le bord du Danube
à l'Italie. Drusus, vainqueur de la Rhétie, entre-
prit le premier cette dernière route depuis Vé-
rone jusqu'à la colonie d'Augusta , et il la fit par-
tout protéger de dislance en distance par des castels.
Claude paraît l'avoir fait plus tard réparer; il la fit
du moins border dans tout son cours de pierres mil-
liaires, qui dénotent les soins qu'il prit de son entre-
tien. Les routes de iHelvétie furent également entre-
tenues par cet empereur, et en cela il fut imité par Tra-
jan , Adrien , Antonin-le-Pieux, Seplime Sévère et Ca-
racalla.Ce fut sous ces empereurs que se tracèrent les
autres grandes voies militaires qui de la colonie vindé-
licienne d'Augusta se déployaient en rayons, et dont
l'une, allant toucher le Danube à Pomoneetà Guntia,
remontait la rive droite du fleuve qu'elle traversait
DU RllIIN ET DU DANUBE. 195
ensuite pour joindre les Autels Flaviens, tandis qu'un
autreembranchement,circulant surles Alpes souabes,
liait les stations romaines en deçà du grand rempart.
Le Haut-Necker était relié au Danube par une autre
route qui aboutissait à cette dernière, et de ses rives
boisées une autre voie allait, dans la direction de
l'ouest, en traversant les hautes sommités de l'Abnoba,
aboutira la cité Aurélienne, la plus considérable de
toutes les villes de la rive droite du Rhin. La cour
des empereurs de la famille Antonine, qui s'arrêtèrent
dans ses murailles, l'avait mise au rang des cités les
plus privilégiées, et elle partageait avec Rome, avec
Lyon, dans les Gaules, 1 honneur d'être le centre de
toutes les distances que les pierres milliaires comp-
taient dans toutes les directions. Ces pierres sont
toutes des règnes de Caracalla, d'Héliogabale et d'A-
lexandre Sévère (211-235), l'époque la plus floris-
sante de la période romaine dans ces contrées, et il
est à présumer que ces voies ont en majeure partie
été tracées sous les règnes de ces princes. Comme
l'une de ces bornes se trouvait placée au sud , dans
la direction d'OfTenbourg, on en a conclu que l'en-
clave de la cité s'étendait jusqu'au val de la Kinzig,
et qu'une route, se prolongeant comme aujourd'hui
dans la plaine au pied des montagnes, aboutissait
aux établissements de ce torrent, et se dirigeait en-
suite jusqu'à l'Augusta des Rauraques, en touchant
les autres principaux établissements des vallées mé-
ridionales. Quoi qu'il en soit de cette assertion, il est
sûr du moins que ses traces se retrouvent encore
depuis Bàle jusqu'à Seefelden, exactement dans la
I.
13.
J96 ÉTABLISSEMENTS UOxMAINS
même direcliou que suit la roule moderne, el que de
Seefelden elle allait aboulirau fortdeBrisach qui, dans
la partie la plus sud-ouest de la province, dut être
alors avec la métropole des Rauraques le principal
lieu de passage dans les Gaules, comme Argentoral
Vêlait plus au nord, et comme, au sud, 1 était Tene-
done.
Brisach , dont le nom seul atteste l'origine celtique ,
et qui, placé, en effet, sur un roc contre lequel les
vasfues du Rhin venaient se briser, vovait des deux
côtés de son sommet fortifié se déployer les plaines
que le fleuve entrecoupe, dut, dès les premiers mo-
ments où les Romains s'approchèrent de ses rives,
avoir attiré leur attention pai' sa position avanta-
geuse. Vllinéraire d'Anlonin est toutefois le seul mo-
nument de lanliquité qui fasse mention de ce lieu.
Comme dans cet Itinéraire toutes les villes qui sont
citées à cette occasion sont placées sur la rive gauche
du Rhin, on en a conclu que c'était alors aussi du
côté du roc qui regarde l'Allemanie que le cours
principal du fleuve se dirigeait. Il est prouvé, par les
observations géologiques, qu à une époque qui pré-
cède l'histoire de ces contrées, le Rhin, en quittant
le teriitoire de iHelvélie, et en se ruant, en formant
un coude, dans limmense vallée que dominent d un
côté les Vosges, de l'autre la Forèt-Noire, y a d'abord
circulé en trois bras principaux. Le premier allait de
Baie aboutir directement à l'Ill, dont il remplissait
le lit. Le second suivait à peu près la même direc-
tion que le fleuve suit encore aujourd'hui, tandis
que le troisième, s'en détachant un peu au-dessus
DU r.IIIN ET DU DÀNURR. 1 97
du rocherde Brisach, se partageait lui-même en deux
branches, dont l'une coulait entre ce roc et la petite
chaîne de montagnes connue sous le nom de Kaiser-
stuhl, et l'autre, poursuivant son cours entre ces
montagnes et la Forêt -Noire, sillonnait la plaine
immense qui s'étend entre elles, et allait seulement
près de l'embouchure de la Kinzigse réunir au bras
principal. Cette petite chaîne du Kaiserstuhl, dont le
rocher de Brisach forme la pointe méridionale, était
donc, comme une grande île et un moindre îlot, en-
tourée de tous les côtés par les eaux du fleuve.
Mais, avec le temps, le bras qui circula près de la
Forêt-Noire se dessécha, et le cours principal de celte
partie du fleuve continua de se diriger entre les deux
îles que je viens de mentionner. Lorsque les Romains
vinrent dans la contrée, c'était là sans doute que se
trouvait le courant d'eau principal, et cette circons-
lance mettait, en efl'et, Brisach sur la rive gauche du
Rhin, danslaGaule.il est sûr du moins qu'au dixième
siècle ce courant d'eau subsistait encore, et que le
rocherde Brisach formait une île\ Ce bras s'ensabla
par la suite de plus en plus, jusqu'à ce que, trois
siècles après, le pied du roc qui regarde l'Allemanie
fût tout à fait à sec'^ Mais, pendant une inondation ,
survenue en 1295, le Rhin reprit son ancien cours
et l'entoura de nouveau^. Ce ne fut que depuis cette
époque que le courant d'eau diminua sur la rive alle-
' Luilprand, 1. iv, c. 19.
2 Chronique de Conrad de Uc/ifenau, abbé d'Ursberg , p. 157.
>* Annales de Colmar.
198 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
mande, et que, par les soins qu'on mit à régulariser
le cours du fleuve, on parvint à le maintenir'. Ainsi
donc, dans l'antiquité, sa position comme uue île
dont les vagues du Rhin défendaient l'abord , avait dû
rendre la forteresse de Brisach imposante; et il est
à présumer que dès les premiers essais de fortifica-
tions que, par les soins de Drusus, Rome fit au bord
du fleuve, le roc choisi par les Celtes pour les mys-
tères de leur culte et comme un lieu de refuge, le fut
aussi par elle comme un lieu de défense. Valentinien
ne négligea pas non plus, lorsqu'il entreprit de fortifier
tout le Rhin, de réparer et d'augmenter ces remparts;
c'est dans leur enceinte que, pendant qu'il présidait
lui-même à ces travaux, il signa une de ses ordon-
nances que le Code de Théodose nous a conservées^.
La route qui de la colonie des Rauraques allait
sur la rive droite du Rhin aboutir à cette forteresse,
s'élevait sur les mêmes hauteurs que parcourt la
route moderne ; elle traversait, comme de nos jours,
des endroits moins importants auxquels ce transit
avait dû donner un peu d'activité. Quelques an-
tiquités romaines trouvées à Kallenherberg et à
Scbliengen, d'autres plus au nord, à Heitersheim,
que cette route joignait, ne permettent point de
doute h ce sujet. Près de Scbliengen s'élevait une
tour d'observation qui pouvait correspondre avec le
^ En 1714 et en 1778, les eaux mangèrent de nouveau tellement du
terrain près de Hardheim, qu'on craignit que le fleuve ne reprît son an-
cien lit et ne fit de nouveau une île de ce rocher.
2 Le III des kalendes de septembre de l'an du Christ CCCLXIX.
Code de T/u'od., l. iv, lit. xxw, loi viii.
DU RHIN ET DU DANUBE. 199
castel de Badenweiler, tandis que ce dernier corres-
pondait avec une autre tour placée près de Soulz-
bourg'. Toutes ces tours avaient la vue sur le rocher de
Brisach,qui correspondait d'un autre côté avec le cas-
tel qui dominait le moderne Fribourg, et qui était là
placé comme une échauguette à l'entrée de la vallée
où s'étendait le bourg de Tarodunum, cité par Pto-
lémée.
Badenweiler, à qui les thermes romains, décou-
verts, en 1784, au pied de son château, ont surtout
donné de la célébrité, est, de tout ce qui nous a été
conservé du grand peuple dans la province , ce qui
peut le mieux attester le luxe de civilisation que les
Romains apportèrent dans ces climats, décrits par
les historiens sous un jour si sombre et si nébu-
leux. D'après les monnaies trouvées dans ses ruines,
il est permis de penser que la construction de ce
monument ne date pas d'au delà du deuxième siècle,
et qu'il est de l'époque des Antonins.Un autel , trouvé
dans ses décombres, portait pour inscription le nom
de Diane Abnoba;cette déesse était là invoquée comme
la protectrice de la chaîne de montagnes au pied de
laquelle le bain avait été élevé. Aucune autre cons-
truction importante, nulle trace déchaussée antique,
aucune inscription légionnaire, rien, à l'exception de
ces thermes et d'une ancienne fabrique de poterie,
qui, à quelque dislance, a aussi été retrouvée, n'a
depuis été découvert. Il n'est pas probable cependant
que ce magnifique bâtiment ait été isolé ; le mot de
1 Le Casielberg.
200 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
cmias\ trouvé h double repiise sur un couvercle
d'argile, pourrait faire présumer qu'autour de cet
établissement thermal une ville se soit en effet éten-
due. Mais le nom de celle cité est encore une énigme.
D'après les monnaies dont la date s'arrête à la pre-
mière invasion des Allemanes, il est probable que
c'est lors de leur passage destructeur que cet établis-
sement aura été ruiné, et que de toute la splendeur
qu'y avaient apportée les Césars, de tous les monu-
ments dont ils avaient enrichi ce délicieux vallon ,
rien n'a plus tard été rétabli que le castel , dont quel-
ques pans de murailles se remarquent encore au mi-
lieu des décombres du moyen âge.
Mais nulle ruine n'a conservé une base aussi in-
tacte que les thermesqui nous occupent. Ils montrent
dans leur état de destruction ce qu'ils ont dû être
dans leur état de splendeur. Assis sur la pente de la
colline, dans la direction de lest à louest, ils pré-
sentent un plan de passé 200 pieds de longsur 80 de
laroe. Des deux côtés de l'est et de l'ouest, les mêmes
arrangements intérieurs se répétaient, ne différant
que dans l'étendue des détails. Le portique, l'entrée,
lagarde-robe,lecalidarium,sontplusétendusenviron
de 8 pieds du côté de louest, où paraît avoir été la
})lus belle partie du bâtiment. Après avoir traversé
le portique, qui est d'une longueur de 30 pieds sur
60 de large, se présentait à vos legards la statue de
Diane, dont l'autel s'élevait sous le vestibule, ayant
' CIVIT. VV. Voy. l'ieusth, Die rômischen Bàder in Badenwei-
ler. l\iiilsrulie 1780.
DU RHIN ET DU DANUBE. 201
à gauche la garde-robe, à droite le calidariuni.Vous
renconiriez alors un premier bassin de 30 pieds de
long sur 19 de large, revêtu de gradins et assez
profond pour permettre aux nageurs de s'y exercer.
Un autre bassin, d'une moindre dimension, se dé-
couvrait un peu plus loin. Là le bâtiment se parta-
geait par un mur très -épais qui, sans doute, de
chaque côté formait la voûte. Au delà se répétait la
même disposition, et se retrouvaient les deux bas-
sins, lautel, l'entrée et le portique. Autour de ces
grands bassins, garnis en partie de marbres apportés
de loin, en partie d'enduits imitant cette pierre, se
dessinaient des allées qui conduisaient à des niches
ornées de l'image de quelque divinité, ou bien à des
cabinets de bain plus petits. A gauche étaient trois
étuves spacieuses et des cabinets en rotonde, entou-
rés vers le nord des établissements nécessaires pour
le chauffage. Vers le sud s'étendaient deux galeries
couvertes, longues chacune de 50 pieds, lesquelles
permettaient aux baigneurs de se promener'.
Lorsqu'on commença à déblayer ces décombres,
tous ces bassins étaient remplis des éclats de la voûte.
Au - dessous d'eux se voient encore aujourd'hui les
constructions souterraines propres à l'évacuation des
eaux. La communication antique avec la source mi-
nérale est toutefois inconnue; car c'est plus avant
dans le village de BadeuAveiler, assis sans doute sur
> Voy., pour plus d'éclaircissements, Preuscli , ouvrage cité, orné
d'un plan gravé par Méchel. — Voy. aussi : de Golbéry, appendice
aux antiquités d\4lsace, et mes Fieux châteaux du cjrand- duché
de Bade, première partie, p. 27 et sv.
202 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
les ruines de l'antique établissement romain , que la
source moderne sort de terre.
Il est, du reste, présumable que ce sont ces eaux
thermales, situées si près de la colonie d'Augusta,
qui auront donné le plus d'importance à cet établis-
sement, et que, si jamais une ville a effectivement
existé sur ces hauteurs, elle n'a pas du moins occupé
une grande étendue.
Ptolémée, à une époque antérieure, et alors que
la colonisation transrhénane commençait seulement
à se développer, ne cite dans toute cette vallée du
Rhin que la seule ville de Tarodunum. Il la place parmi
les villes incluses dans le cercle du Danube, avec
les Autels Flaviens,et dans le quatrième climat de la
Germanie^Ce fut par cette cité Flavienneque passait
la route que nous avons quittée à Tenedone, et qui
de Vindonissa remontait aux sources du Necker.
C'est là, près de ces sources mêmes, que des fouilles
consécutives ont fait retrouver les restes de cette
ville, à deux degrés de laquelle Ptolémée place la ville
de Tarodunum Si la situation d'Arae Flaviae aux
sources du Necker est, comme nous le verrons, in-
dubitable, c'est plus à l'ouest qu'il faut chercher
nécessairement l'emplacement de Tarodunum. Or,
Leichtlen^ a fort bien prouvé, par d'anciens docu-
1 Tièpi Tov Savouêi'ov ttoXeiç aï os TapoSouvov — zr, y. y.^ (' y
Bcoixol cpXaoutoi — X Y*^. (JL r\
Ptolémée, Géogr., 1. ii, c. U.
2 Ueber die rùinischtn Alierthûmer in dem Zehnt lande, p. 38
et 6v.
DU RHIN ET DU DANUBE. 203
ments du moyen âge, que le village de Zarten,qui,
situé dans la vallée du même nom, non loin du val
d'Enfer, avait conservé jusqu'au huitième et au neu-
vième siècle la racine antique de son nom , dut être
le lieu où se développa un jour cette cité'. Son nom
celtique désigne un lieu de passage dans les mon-
tagnes, et les restes d'un chemin dont j'ai eu l'oc-
casion de suivre les traces sur les hauts plateaux
de la Forêt -Noire, dans la direction même de
Brigobanne, et, par conséquent, des anciens Autels
Flaviens, m'ont prouvé qu'une communication a dû
effectivement exister dans l'antiquité entre les deux
villes citées par le géographe d'Alexandrie.
La destinée de Tarodunum , son origine comme sa
destruction, nous sont inconnues. Peut-être, comme
à Badenweiler, où pendant tant de siècles nulle tra-
dition, nul monument n'avait annoncé la présence
des Romains,des restes deson existence antique sont-
ils enfouis sous le gazon des prairies ou sous le sol
que sillonne chaque année la charrue. Le lieu pri-
mitif fut incontestablement celtique, et s'il ne fut pas
antérieur aux I\Jarcomans, s'il ne date que de la
seconde population sortie des Gaules qui les rem-
plaça , du moins est-il certain qu'il était antérieur à la
* Que la prononciation du Ta romain ait été changé en Za par les
AUemanes , c'est ce dont nous avons une preuve évidente dans les deux
Tabernx de l'Alsace, dont le nom allemand est Zabeni; dans la ville
A'Jltiaia changée en Alzey. Ainsi avec le temps Tarodunum se chan-
gea en Zarduna; c'est le nom qu'il porte dans un document de 763. Un
autre document, de 791, le nomme Zartuna; un autre encore, de
816 , Zartutui. Au dixième siècle il est nommé Zarda {Archives de
Fribourg).
204 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
colonisation de Rome. Quelques élévations de ter-
rain qui ont tout le caractère des barrages du grand
rempart, et qui durent dans l'antiquité avoir fermé
le vallon, peuvent aussi bien avoir été construites par
ces anciens habitants que par la puissance qui plus
tard les prit sous sa protection. Toute la haute vallée
du Rhin, comme je l'ai dit dans un autre endroit',
avait été possédée par ces populations gauloises, qui
çà et là, selon qu'une colline, au pied de laquelle
circulait un torrent limpide, leur avait offert une
position avantageuse, avaient en communauté bâti
leurs chaumières , et çà et là même avaient fondé
des bourgs où plus lard le Romnin porta ses arts et
sa civilisation. Les Allemanes,en se ruant parla suite
dans la province, laissèrent dans leurs demeures les
habitants paisibles, et c'est ainsi que se sont trans-
mis d'âge en âge jusqu'à nous ces noms qui seuls
encore attestent ces primitifs établissements. Ainsi
Eburum, ainsi Aredunum, au pied de la Forêt-Noire,
Rigola, au pied du Kaisersluhl, étaient déjà alors des
bourgs de quelque importance, où,d'après les restes
qu'on y a découverts, nous voyons que Rome avait
exercé son influence sur l'industrie et sur les arts de
leurs habitants. La plaine de l'Ortenau , au contraire,
couverte de forêts marécageuses , n'avait guère pu
recevoir de colons qu'au pied des montagnes. Aussi
nulle trace d'établissements celtiques n'apparaît-elle
* J'ai dans mes Ètablissemenls celtiques de fa Sud Ouest-Jlle-
viagne donné un aperçu assez circonstancié de ces ètablissemenls de
la vallée du Rhin, antérieurs à ceux que Rome fonda elle-même, ci
qu'elle suivit en colonisant lo pays; j'y renvoie le lecteur.
DU RHIN ET DU DANUBE. 205
dans la plaine, et n y trouve-t-on aussi comparative-
ment qii une moindre quantité de lieux qui parlent
des Romains.
Un caslel était placé à l'entrée du val arrosé par
l'Elz; un autre sur les petites collmes qui des hauts
sommets de la Forêt-Noire descendent dans la plaine
du Rhin; un autre encore au fond du val de la Bleich,
où 1 Ortenau commence. Une tour d'observation cou-
ronnait, au-dessus de lUndiz, la hauteur du iMunster-
thal, prèsde laquelle, à Altdorf, furent, en 1781,1782
et 1794, découvertes une foule d'armes, de laulx, de
lampesmortuaires,etenfmunestatuette de Pan, haute
de deux pieds, tous objets qui prouvent qu'un établis-
sement gallo-romain existait en ce lieu. Le cône qui
supporte Geroldseck,et, dans lavallée qui s étend à ses
pieds, Prinzbach , où l'on découvrit une foule de mon-
naies d'Adrien et de ses successeurs^ sont incontesta-
blement de la même période. Peut-être, comme on
l'écrivit, les Romains tirèrent- ils profit des mines
d'argent qui lenvironnent et qui furent si richement
exploitées au moyen âge. Mais en disant peut-être,
l'on sent que je doute, et à plus forte raison n'adop-
lerai-je point comme certains les noms d' Adrianopolis
et àAdrianoleras qu'on a prétendu que ce lieu por-
tait dans l'antiquité.
Le val de la Kinzig s'ouvre alors, et dans son
immense étendue présente aussi plusieurs sites aux-
quels s'est rattaché le souvenir de la période ro-
maine.
Ainsi, dans le torrent même fut découvert, près
d'Offenbourg, vers la fin du dernier siècle, une pierre
206 ÉTABLISSEMENTS UOMAINS
mortuaire, qui un jour avait été posée sur la tombe
d'un centurion qui commandait la cohorte des Tri-
maques', et qui était néàDomana, ville d'Arménie^.
Cette pierre semble avoir été érigée vers la fin du
deuxième siècle ou au commencement du troisième.
Cette cohorte était sans doute placée dans le camp
qui , plus avant dans la vallée, s'étendait sur l'em-
placement de Gengenbach, et dont quelques ruines
subsistaient encore au commencement du dix-hui-
tième siècle. Ces restes ont été décrits par le moine
Placidius^
Il n'est pas sans intérêt de voir comment de toutes
les parties de l'immense Empire Rome envoyait
sur le Rhin des guerriers enrôlés dans les pays
les plus lointains pour combattre ou contenir ces
fiers Germains, jamais domptés, tandis que, par une
politique raffinée, elle envoyait, d'un autre côté, dans
les plaines de l'Asie combattre ces mêmes Germains ,
devenus ses auxiliaires.
La position de Gengenbach était aussi forte que
bien choisie; les vedettes placées au haut de sa tour
1 Peuple de la Mœsie. Voy. Pline, 1. m, c. 26.
2 L. VALERIO. ALB
INO DOMAN) ( ISI
/^ C I • r. TRIM CI I
ANN- LXV. ST XXIII
II-
Lt/cio Falerio Jlbino , Domanensi, prœfeclo cohortls primx Tri-
machorum^annorum LXf'^ stipendiorum XXIII,bxredes.
3 Deductlo Ruthardiana de Fundatione monasteriorum Schwarz-
ach et Gengenbach (Archives du couvent'.
DU RHIN ET DU DANUBE. 207
pouvaient facilement explorer toute la vallée. Quoi-
que nulle ruine n'en reste aujourd'hui , nous pou-
vons, d'après le récit de Placidius, qui, lui même,
les eut encore en partie sous les yeux, et en partie
consulta, pour décrire ces lieux antiques, les docu-
ments de son couvent, nous former une idée de leur
extension et de leur impoitance. La forteresse ro-
maine, d'après ce religieux, et d'après ce que les
localités m'ont permis de juger, était composée d'une
grande place d'armes, formant le centre de l'établis-
sement. Elle était entourée d'une muraille très-élevée,
flanquée çà et là de tours rondes et de bastions.
Vers le midi ce mur était protégé par un large fossé
que remplissaient sans doute les eaux du Gengen-
bach, auxquelles une écluse pouvait donner entrée.
Au delà de ces fortifications était le rempart exté-
rieur, dominé de chaque côté par une grosse tour,
qui probablement donnait entrée à la forteresse, et
flanqué aux angles par d'autres tours arrondies. Un
fossé, revêtu de pierres de taille, circulait de même
en avant. Ce mur, ainsi que le fossé, allait en carré
aboutir à la montagne, sur les flancs de laquelle il
s'élevait, et il reliait à l'établissement de la val-
lée le fort qui était assis sur une crête et qui était
comme la citadelle du lieu. La base d'une statue,
élevée par Bœbius et par ses fds à Jupiter, trouvée
dans ces ruines , atteste que cette première des divi-
nités avait là des autels. D'autres statuettes d'Isis,
d'Orus, de Mercure et d'Hercule y furent aussi dé-
terrées, ainsi que des monnaies, sur lesquelles mal-
heureusement les annales du couvent ne donnent pas
208 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
(le détails; ce qui ne permet pas de préciser jus-
qu'à quel empereur elles remontaient.
Plus avant et au débouché même de la vallée, la
vieille tour d'Ortenberg, aujourd'hui démolie, avait
été élevée comme point d observation, et ses signaux
pouvaient être vus des garnisons de la rive gauche
du fleuve. C était sous la protection de ce camp et de
cette tour forte que dans la vallée même se déployait
la vie active des habitants, auxquels l'exploitation
des forêts et le flottage de leurs bois dans toutes les
villes riveraines du Rhin et jusqu'en Batavie, durent
déjà alors fournir un commerce considérable.
Toutes ces forêts, ainsi que l'atteste l'inscription
d'un autel trouvé à Miihlenbach, dans une des vallées
latéralesdu Kinzigthal, d'un autre encore trouvé près
d'Alpirsbach,plusau fond de la grande vallée, étaient
consacrées à Diane qui , comme à Badenweiler, porte
sur ces deux monuments le nom d'Abnoba'.
* Voici ces deux inscriptions :
A Mùlilenbach :
L\ H. D. D
DEANAE. ABN
OBAE. CASSIA
NVS. CASSATI.
V. S. L. L. M.
ET ATTIANVS
FRATER FAL
CON ET CLARO
COS.
In lionorem domus divlnx^Deanx Abnobx Cassianus Cassa tius
totum solvit libens libentissbne merito et Jtlianus Frafer, Falcone
et Claro Consulibus.
DU RHIN ET DU DANUBE. 209
Ce nom, que Pline et Tacite donnent aux mon-
tagnes de la Forêt- Noire, était incontestablement
celui d'une divinité locale chez les Celtes, premiers
habitants du pays, qui avaient mis sous la tutèle de
celte nymphe protectrice des forêts et, comme Diane,
présidant à la chasse , la chaîne des monts sur le ver-
sant desquels ils étaient venus s'arrêter. Les Romains
trouvèrent le culte de cette déesse établi, et ils lui
A Rolhenberg :
ABISOBAE
Q. ANTOxMVS
SILO^LEG. lA
DIVTRICIS ET
LEG [I ADIVIRI
CIS ET LEG.IIIAVG
ET LEG IIIl F F
ET LEG XIC P F
ET LEG XXII P F D
V S L L M.
Abnohx Q. Antonius Silo, Centurio legionis I adjutrîcis, et le-
gionis H adjulricis, et legionis III mcgustx, et legionis II II flavix,
Jelicis, et legionis XI claudix, pix,fidelis, et legionis XXII pri-
migenix. fifeli<, dedicnvit, voium solcit lubeus (libentissime) me-
rito.
Déjà depuis plus de trente ans on avait trouvé à Rothenberg plusieurs
décombres qui révélaient la plus haute antiquité, lorsqu'on 1823 furent
découvertes six colonnes avec leurs chapilaux et leurs bases. Des
restes de murailles, enfouis sous le sol au même endroit, firent pré-
sumer que du temps des Romains un temple avait existé en ce lieu. En
1824 se trouva l'autel portant l'inscription que nous venons de trans-
crire et qui vint confirmer cette opinion. Cet autel avait 5 pieds de
haut, I pied 8 pouces de large et 1 pied d'épaisseur. Il était accom-
pagné de divers instruments de fer, dont la rouille avait cependant fait
disparaître la forme , et de divers débris de poterie. Voy. Memrainger,
fViirtembergische Jahrbucher. 1825. Première partie.
14
210 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
érigèrent des autels. Comme ses attributs étaient
les mêmes que ceux de la fille de Latone, invo-
quée par eux, ils associèrent ces deux divinités,
et sous un nom réuni ils lui offrirent des sacri-
fices.
Ce culte ne dépassa pas cependant la chaîne de
montagnes à laquelle la déesse présidait, et qui com-
prenait tous les monts de la Forêt -Noire, faisant
eux-mêmes partie de iHyrcinie, ainsi que le prouve
la description que César fait de cette dernière forêt',
et que le confirment les différents passages de Tacite,
de Pline et d'autres, qui parlent indifféremment de
l'Hyrcinie et de l'Abnoba comme touchant aux con-
fins des Rauiaques et comme recelant les sources
du Danube'^.
Le nom de Forêt-Marcienne, donné à ces mon-
tagnes, n'apparut que plus tard dans l'histoire,
lorsque les AUemanes , repoussant les cohortes ro-
maines, s'y établirent eux - mêmes, et, négligeant
le culte dune divinité qu'ils ne connaissaient pas,
appelèrent ces montagnes d'un nom qui rappelait
l'ancien séjour qu'y avaient fait les Marcomans, et
qui devenait d'autant plus significatif que, tandis que
Rome luttaitencore dans la plaine du Rhin, ces som-
^ Oritur ab Helvetiorum, Nemetum et Rauracorum finibîis, etc.
César, De bello Gallico, 1. vi, c. 25.
2 Inco/x Ilercynlx Sylvx Rmiracorum proximi trans Rhenum
accolx fuerunt. — In jucjîs montis Abnobx ex adverso Rauraci, etc.
Voy. Tacite, Gtrmania; Pline, 1, iv, c.l2 (24); JuliusSoIinus, c. 18;
Slrabon, 1. iv cl vu; Claudien, De bello Gethico; Aivien, Orbis des-
C7'ipt., 437, etc.
DU RHIN ET DU DANUBE. 211
mets boisés devenaient la frontière de la Germanie
indépendante '.
L'inscription de la première des deux pierres que
je viens de mentionner, nous apprend qu'elle fut éri-
gée sous le consulat de Falcon et de Clarus. Or, c'est
en 193 de Jésus-Christ que ces deux magistrats furent
en fonction. Cette pierre est donc de la même époque
environ que celle trouvée dans le lit de la Rinzig, à
Offen bourg.
C'était l'époque où la contrée, qui depuis sa réu-
nion à l'Empire jouissait d'une paix continue, fut le
plus florissante, et où ses cités, sous l'influence des
institutions romaines qu'elles adoptaient, prirent le
plus de développement.
De toutes les vallées de l'Abnoba, celle où cette
influence se fit le plus particulièrement sentir, fut
la vallée que baigne le petit torrent de l'Oos, où les
eauxsulfureusesquelanature rejette bouillantes hors
du sol attirèrent de bonne heure l'attention des Ro-
mains.
Déjà sous Trajan probablement fut fondé à Bade
le premier établissement thermal^. Plus tard, sous les
successeurs de ce prince, la beauté du site, la célébt ité
des eaux, y agglomérèrent la population au point
qu'à la fin du deuxième siècle Bade formait une Répu-
blique qui s'administrait elle-même, qui avait ses
propres magistrats, ses corporations et sa garde ci-
' Mark, frontière; Markxcald, Silca Marciana, forêt frontière.
- Yoy. J. Leichllen , Trojan als Grûnder oder Mitstifter von Ba-
den-Baden, dans les Schriften der Gesellschaft fur Befôrderung
der Geschichtskunde. Fribourg 1828. 1. 1, p. 11-52.
I 1 j-
212 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
vique. Ses thermes étaient dédiés à Hercule; et la
mère des dieux' et Mercure, le dieu protecteur de
la maison impériale, y avaient des autels^.
Ce titre de République nous est confirmé par une
inscription antique que cette ville fit graver sur une
pierre destinée à décorer un de ses monuments ^ et
qu'elle dédia au fils de l'empereur Septime Sévère,
Marc AurèleAntonin(Caracalla),qui venait de recevoir
MATRI. DEYM
C. SEMROMVS
SATV^NINVS >
COH.XXVIVoL.C.R.
V. S. L. M.
Ma(ri Dêorum, Caius Sempronius Saturninus, Ceniurio cohortis
vicesimx sextx volontariorum civium Romanorum, vofum solvit
luhens merito.
2 Une pierre intéressante nomme un Mercure Alaunvs.
GENIO MERC\ R
ALA/NI. IVL. AC//
NIVS. AVG. N. ///
EX. Y. S. L. L. M.
Il y avait dans la Gaule narbonnaise une ville du nom dLAlaunium;
une autreville des Gaules portait le nom d'Alauna. Il est hors de doute
que c'est par les colons gaulois sortis de ces villes que le surnom
d'Jlaunus a été doriié ici à Mercure.
^ M. AVRELIO
AMONINO
CAES IMP DE
STINATO IMP
L. SEPTIM SE
VERI PERTINAC
CAES. AVG FIL
0 RESP AQ. [Respiiblica .Iquensis).
DU liniiN ET DU DANUBE. 213
le titre d'Auguste (1 98). Ce prince , monté plus lard sur
le trône impérial, n'oublia pas celte preuve de dé-
vouement; il donna son propre nom à la ville, et
lui concéda le titre de cité et , comme on n'en peut
douter, tous les droits qui y étaient attachés. C'est
en cette qualité que plus tard , la même année où Ca-
racalla combattit les Allemanes sur le Mein, elle fit
en son honneur élever des pierres milliaires^ pierres
dont la pose eut également lieu sous l'empire d'Hé-
liogabale et d'Alexandre Sévère', et dont l'érection
marque la place distinguée que celte ville occupait
alors. Nous savons par des inscriptions qui ont appar-
tenu à d'anciennes bâtisses, que la vingt-sixième co-
horte des volontaires'^ et une division de la huitième
légion, du surnom d' Auguste^, qm sous l'empire de
Sévère fut placée à Mayence et à Argenlorat, tinrent
garnison dans ses murailles*.
Cependant ce bien-être semble n'avoir été que mo-
mentané. Si la ville a eu* des temples, des théâtres,
' Voy., pour la description de ces pierres, Schyepflin , .-Ils. illuslr.
1. 1; Wielandt, Bade. p. 205; Rausch , Badb'xKerASli. p. 38-iO, et
p. 48.
2 COH XXVI VOL C R. Voy. Badblxit. 1812. p. 69 71 ; p. 45 et 01.
3 LEG. YIII AYG. Idem , p. 85.
* Quant à trois pierres mortuaires qui furent posées sur les tombes
de trois soldats de la quatrième , de la onzième et de la quatorzième
légion, ces pierres, étant isolées, ne prouvent nullement que les légions
à qui ces soldats appartenaient aient eu des détachements en garnison
à Bade. Il est bien plus naturel de penser que ceux sur les restes des-
quels ces inscriptions furent trouvées , seront morts dans cette ville ,
où ils étaient venus prendre les eaux, et où ils s'étaient rendus pour
recouvrer une santé que ni l'art des médecins ni la source thermale
ne pureut leur rendre.
214 ÉTABLISSE31ENTS ROMAINS
des portiques; si la présence des princes de la fa-
mille Antonine, qui semblent y avoir vécu, a donné
à ce lieu toute celte pompe de décoration dont s'est
plu à l'orner l'imagination des auteurs qui ont écrit
sur son existence antique, il faut que le passage
des Allemanes qui la détruisirent ait été bien ter-
rible, puisque, à l'exception de quelques restes de
ses bains garnis de marbre, nul vestige d'aucun mo-
nument, qui puisse attester cette antique splendeur,
n'est resté debout sur le sol. Ces autels mêmes, ces
pierres votives, ces inscriptions, n'offrent rien de
grandiose, et à l'exception de trois tètes, dont l'une,
de marbre antique, représentant un empereur, est
d'un travail assez achevé, nul reste de sculpture
vraiment digne de parler aux regards n'a été re-
trouvé. Tout est-il donc encore enfoui sous ce sol ,
où la fureur dévastatrice du vindicatif AUemane l'a
jeté, et où la nature l'a recouvert comme elle l'a fait
à Badenweiler; ou bien la grandeur de cette ville fut-
elle plutôt morale que matérielle , et destinée qu'elle
était à devenir le centre d'une administration pro-
vinciale sur la rive droite du fleuve, la cité a-t-elle
succombé sous les coups des barbares avant que les
Césars aient pu mettre à terme ce qu'ils projetaient
pour elle. Sa chronologie antique ne peut, par ce qui
nous reste de ses inscriptions, être suivie au delà
d'un quart de siècle \ et depuis l'irruption des Alle-
manes sur le Rhin, rien ne la rappelle plus, ni dans
l'histoire, ni dans les itinéraires. Nul doute cepen-
> Depuis 198 jusqu'en 223 de l'ère chrétienne.
DU RHIN ET DU DANUBE. 215
dant que , lorsque Posthume éleva plus tard ses cas-
tels, la hauteur qui borde le vallon de l'Oos n'en ait
reçu un' pour proléger la route dusudversSteinbach;
il n'est pas douteux non plus qu'au nord , au-dessus
decellequiallaitaboutirà Nœllingen et de là à Pforz-
heim, les murs d'Eberstein aient été élevés à la même
époque^. Ces deux fortins étaient placés de manière à
pouvoir explorer toute la plaine du Rhin, et surtout la
route qui, dans une troisième direction, allait aboutir
au fleuve, où dut exister un passage correspondant
avec la station romaine de Salelio, surlariveopposée.
liibium ou Bibia, dont une inscription aux dieux
des carrefours est venue nous attester le nom antique,
était posé sur cette route au croisement de celle des
montagnes, sur l'emplacement du moderne Sand-
weier ^.
Du reste, comme la proximité d'une ville impor-
tante attire toujours la population , et que les bourgs
et les villages ont coutume de s'accumuler tout au-
tour, on trouve aussi dans toute la partie la plus rap-
prochée de Bade un plus grand nombre de lieux où
le souvenir de Rome s'est conservé.
Ainsi Iffezheim et Sulzbacli , et, dans la direction
* Dont l'emplacement conserve encore aujourd'hui le nom de Cax-
telberg.
2 Voy. sur ce château, de Krieg, Das Schloss Eberstein. Deuxième
partie.
3 DUS QVADR ' BVS • • VICA
M BIB lEN SES .
D. S. P.
Diis quadriviabbus Ficani Bibienses de suo posuerunt.
216 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
de Pforzheim, lieu lui-même d'origine romaine, les
villages de Nœttingen, d'Elmendingen, de Grafen-
hausen, de Gobrichen, de Bretzingen, ont tous pré-
senté sur leur territoire quelques antiquités qui datent
de l'époque romaine. Mercure, Esculape, Vulcain,
Apollon , et Jupiter, le maître des dieux , y ont eu
des adorateurs, qui ont buriné dans la pierre les
vœux qu'ils adressaient à ces divinités. Un détache-
ment de la huitième légion^ était placé à Pforzheim.
ville qui, à l'entrée de l'Abnoba et aux confins sans
doute de l'enclave de la cité Aurélienne, semble
avoir tiré son nom antique de son emplacement
même ^
Sur la hauteur qui la domine se voit encoreune tour
d'observation qui date des Romains. A une lieue plus
loin, au milieu des forêts^, des fondements de cons-
tructions antiques, des monnaies, des armes, des
restes de poteries et de sculpture, une pierre mil-
liaire, et une autre dédiée à Abnoba*, à laquelle
étaient peut-être consacrés les thermes dont quelques
traces ont aussi été retrouvées sous le sol , annoncent
« I. 0. M.
DOLIGENO L. VER AT
PATERNVS. MIL
LEG VIII. AVG
V. S. L. M.
2 Porta Ilyrcinix.
3 Le Hatjenschieswalf) . — Voy. au sujet des fouilles qui y ont été
faites l'article intitulé : Die Romhchen Jlferthilmer im Hogenschies-
walde, par Arnsperger, inséré dans le Beobachter de Pforz,iieim,
année 1832. nos63, 64 et 65.
4 . . . . NOBE ....
DU RHIN ET DU DANUBE. 217
qu'il existait là un établissement de quelque impor-
tance.
La route qui circulait du Rhin au Necker et qui allait
joindre le Danube, avait du donner naissance aux
défrichements de terrain sur ces hauts plateaux; ces
défrichements sont conformes à ce que Strabonnous
dit,lorsqu'en parlant des communications entre les
deux fleuves, il cite et leur position élevée et l'apti-
tude que celle sauvage Hyrcinie présenlail à la cullure
et à la colonisaiionK
Dans la direction du nord, et en suivant le cours
de l'Enz, cette culture n'était pas moins considérable.
Le village d'Eutingen, où une pierre mortuaire nous
rappelle le nom de la famille des Aronce ; celui
d'Enzberg, près duquel fut trouvé un monument re-
présentant les travaux d'Hercule, au-dessus de cons-
tructions souterraines; Maulbronn'^; Kœnigsbach;
Remchingen; le temple antique de Minerve, sur les
décombres duquel est placée l'église de Kleinstein-
bach; Stettfeld, qui rappelle le culte d'Apollon, de
Minerve et de Mercure; le fort de Steinsberg, dont
la tour est évidemment romaine; la pierre votive
élevée aux matrones à Neidenstein^ et enfin les deux
autres pierres du même genre, dressées un jour au So-
leil invincible et trouvées sous le sol près de Loben-
iStrabon,!. vu , p. 292 et 331.
2 Dans les murs de l'église de l'abbaye sont enclavés deux autels an-
tiques. L'un supporte sur ses quatre faces les figures en relief de Pal-
las , de Vesta , d'Hercule et d'Apollon ; l'autre , celles de Mercure , de
Pallas , de Vesta et de Diane.
3 MATRONIS HIAHENABVS. (sans doute Nthiahenabus).
Le nom celtique latinisé de l'endroit aurait donc été Nekiaha.
218 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
feld, parlent hautement de la colonisation romaine
sur toutes les hauteurs que renferme le Necker.Sur le
sommet de l'Eichelberg, montagne la plus élevée de
toutes celles qui forment la pointe nord de l'Abnoba,
des monnaies trouvées parmi des décombres souter-
rains, des tronçons d'armes, une très-belle télé d'Ado-
nis pouvant avoir appartenu à une statuette de deux
pieds et demi de hauteur, des tuyaux en terre cuite,
destinés un jour au conduit des eaux dans ces mu-
railles, et enfin un autel , élevé à Mercure, peuvent
faire présumer que sur cet emplacement, où le moyen
âge bâtit des tours fortes, elles-mêmes écroulées, le
grand peuple avait à la fois réuni le culte de ses
dieux et ses fortifications protectrices. Dans les
plaines qui s'étendent sous ces monts, et qui, coupées
par les torrents qui descendent des hauteurs, voyaient
aussi une population nombreuse se presser sur leurs
rives, se déployait une vie non moins active; là, sur
les bords du Kraichbach , le préfet de la vingt-qua-
trième cohorte des volontaires avait un jour élevé
une pierre votive à Minerve et à Hercule, et sur les
bords de l'AlbJa corporation des Naulœ en avait
élevé une à Neptune.
L'antique chaussée romaine de Bade à Pforzheini
passe tout près du lieu où ce dernier autel fut trouvé;
elle présenteencore surune assez grande distance son
pavé tout à fait intact. Nous ignorons le nom qu'a pu
porter la ville d'Elllingen sous les Romains. Sans doute
elle faisait partie de l'enclave de la cité de Bade, où
le même patron des Nautae qui, au nom de sa cor-
poration, avait élevé l'autel d'Ettlingen au dieu pro-
DU RHIN ET DU DANUBE. 219
lecteur des naïUonniers, en avait aussi élevé un qui
portait la même inscription '. Non loin de là, la tour
de Durlach semble par sa position attester une ori-
gine romaine. Elle servait sans doute de point d'ex-
ploration, et à transmettre les signaux aux autres
tours placées sur le versant occidental des montagnes.
Un autre lieu, près de Durlach, nous a livré une
pierre avec une inscription h Jupiter, qui est intéres-
sante en ce qu'elle nous donne le nom antique que
portait cet endroit sous les Romains. C'est le petit
village de Singen, situé sur la route moderne de
Carlsruhe à Stuttgart. Ce fut près de ce lieu qu'en
1843 fut mise à nu cette pierre exprimant le vœu
qu'accomplit un jour à Jupiter, Juvenalius, habitant
du village de Senotum ^ Le vallon dans lequel elle se
^ Voici ces deux inscriptions :
IN II. D. D. IN H. D. D.
D. iNEPTVNO D. NEPTVNO
COMVBERMO CONTVBERMO
NAVTARVM NAVTARVM.
CORNELIVS ALIQANDVS
ALIQVANDVS D. S. D.
D. S. D.
Mœrsch , petitvillage sur la gauche d'Eulingen , a aussi offert quel-
ques substructions romaines.
2 IN. H. D. D
I. 0. M.
IVVENALIVS.
MACRINVSVICa
S3\0T. .UCïl. D S D.
Juveiialius Macrinus^vicanus seno-
fensis, Macer, de suo dédit.
220 ÉTABLISSEMENTS UOMAINS
trouvait conserve encore le nom de Welschthal , nom
qui prouve la tradition conservée parmi la population
allemande du séjour primitif des colons gaulois qui
étaient venus l'habiter. Dans le rayon que la tour de
Durlach domine, les ruines d'un petit bain ont aussi été
découvertes en 1 802. Les fouilles qu'on y fit présentent
le fait intéressant, pour la chronologie, que de toutes
les monnaies qui y furent découvertes, et dont la plus
ancienne était du règne d'Auguste \ aucune n'était
d'un règne postérieuià celui d'Alexandre Sévère.
Or, sur toute la route que nous avons suivie depuis
Bade, la même date est venue s'offrir à nous; tout
semble donc attester que lors de l'irruption des Alle-
manes sous ce dernier empereur, tout ce qui avait
été élevé par les Romains depuis deux siècles était
devenu la proie de l'incendie et du pillage, et que,
si Rome plus tard repoussa leurs bandes dévasta-
trices, si elle rétablit même, pour les contenir,
la digue du grand rempart^ son pouvoir cepen-
dant fut trop continuellement troublé, et ces mêmes
plaines et ces mêmes collines eurent trop à souffrir
du conflict de toutes les armées qui les inondèrent,
pour que l'état florissant dans lequel elles s'étaient
trouvées pût revenir. Le Necker ne cessa, depuis
ce règne, d'être le théâtre des guerres sans cesse re-
nouvelées entre Rome et ces peuples, et toutes les
villes, qui depuis deux siècles s'étaient aussi élevées
florissantes sur ses bords , tombèrent la plupart dé-
mantelées ou anéanties.
• Un as en cuivre d' Agrippa.
DU RHIN ET DU DANUBE. 221
Celle rivière, comme le Danube, prend sa source
au revers occidental de l'Abnoba. Formée, comme
l'est le grand fleuve dans son enfance , par le cours
de deux petits torrents qui se joignent à Rott-
weil, elle suit d'abord au nord la direction de cette
chaîne de montagnes; puis, coulant au nord -est
et longeant pendant quelque temps dans cette direc-
tion la chaîne de l'Albe^ elle reprend son cours pri-
mitif, et par une courbe, allant border les monts de
rodenwald, va^ après avoir reçu les eaux réunies de la
Nagold et de l'Enz, de la Fils, de la Rocher, du Jaxt
et d'une infinité de moindres torrents, se jeter dans
le Rhin.
Le premier établissement que les Romains aient
formé sur ses bords, fut sans doute celui d'Ara3
Flavise, cité, comme nous l'avons remarqué, avec
Tarodunum par Ptolémée, et qu'un empereur de la
famille Flavienne, sans doute Domiiien, fils de Ves-
pasien, plaça près des sources de cette rivière. La
position était on ne peut plus favorablement choisie.
A une demi-lieue du moderne Rottweil,ville wur-
tembergeoise, au confluent de la Prim et du Necker,
s'élève une colline à pente douce, à la base de la-
quelle, connue sous le nom àWUstadt [vieille ville),
sont enfouies sans nombre sous le sol des ruines,
qui se prolongent jusque sur la hauteur du Hoch-
mauern (haute muraille), où, au moyen âge, fut élevé
le couvent de Rottenmùnster'. La vue domine à la
fois toute la haute vallée qu'arrose le Necker et s e-
* Sanctimonalium apucl Rotwilere in loco qui Hochmuron clici-
tur, deo famulantium. Document de 1217.
222 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
lend sur les monts du Heubergqui s'élèvenl au loin
comme une vaste muraille. Cette rivière prolonge au
nord la colline, qui au sud est bordée par la Prini, et
dont les deux autres côtés étaient, dans l'antiquité,
protégés par des murs crénelés et des fossés pro-
fonds, où venaient aboutir les routes qui conduisaient
à la cité.
Le point central de tout l'établissement était celui
où fut posé le couvent et où des fouilles savam-
ment entreprises ont offeit aux regards des restes
de bâtisses qui annoncent autant de luxe que de gran-
deur. De ce point partaient dans toutes les directions
les chaussées que je viens de mentionner; un autel,
érigé par Primus Victor', et consacré aux dieux pro-
tecteurs de ces chaussées, fut retrouvé en cet endroit.
La l'ive gauche du Necker, vis-à - vis le Hoch-
mauern , est plus élevée que la rive droite; elle
forme un plateau qui , renfermé par des terrasse-
ments et des fossés, montre encore distinctement
le carré de l'ancienne forteresse, dont les angles
sont arrondis, et dont le côté principal était tourné
vers Test, du côté du Hochmauern. On peut encore
facilement distinguer trois ouvertures, qui ont dû Ini
donner issuo et où furent placées la porte préto-
1 BIVIJS TRIVI|S
QVADRVUS
EX VOTO SVSCEPTO
POSIIT PRIMVS
VICTOR
V. S. L. L. M.
DU «HIN ET DU DANUBE. 223
rienne^la porte déciimane^ et la porte principale
(\e gauche^ La route du Rhin, qui vient de Dùningen,
était elle-même enclavée dans ces fortifications, où
un rempart élevé protégeait la fourche qu'elle formait
pouraller par un pontaboutirau Hochmauern. L'em-
placement était vaste, et il ne compte pas moins
de quatorze cent cinquante pieds de long sur mille
de large. Les fouilles qui y ont été faites annoncent
que l'assaut de l'ennemi et que la flamme ont dû un
jour ruiner celte malheureuse cité; il n'est pas rare
de trouver même les os des anciens habitants enfouis
tout calcinés au sein de ces décombres. Les mon-
naies qui en ont été extraites, et qui sont la plupart
des règnes d'Auguste, de Trajan ,d'Antonin, de Marc
Aurèleet de Faustine,ne descendent pas en décades
premières années du troisième siècle. Elles précisent
l'époque de la destruction de cette ville, qui corres-
pond exactement à la destruction des autres lieux
que nous avons mentionnés.
Bien longtemps après s'est formée une ville nou-
velle sur la rive opposée du Necker; le nom même
delavillequi fut un jourflorissanteetqui, sous Rome,
dominait toute la contrée . fut perdu dans la mémoire
des nouveaux habitants. Rien n'atteste, en effet, ni
dans les dires du peuple, ni dans les chroniques, ni
dans les documents du moyen âge, que la terre que
nous foulons soit celle où furent posés les Autels Fla-
viens. La discussion qui s'est à ce sujet élevée parmi
* / orta Prxtoria.
2 Porta Decumana.
3 Porta Principalis smistra.
224 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
les savants ' eût été inconciliable , si , parmi ces ruines
mêmes, un objet d'art que notre siècle a vu de nou-
veau surgir à la lumière, n'étaitvenu nous en donner
la solution.
Sous un champ que parcourait la charrue, fut, en
effet, en 1834, découverte une antique mosaïque,
dont le travail précieux, quoique bien endommagé,
a dû appartenir à une construction des plus somp-
tueuses. Au-dessous de ce monument de l'art avaient
dans l'antiquité été pratiqués des conduits, destinés
à répandre la chaleur dans le vaste appartement dont
il formait le pavé. Le terrain, ainsi miné, s'est avec
le temps affaissé; c'est par cet affaissement même
que la partie encore intacte du monument a pu être
retrouvée. Partout où cet affaissement n'a pu avoir
lieu, la charrue a chaque année enlevé avec elle
les pierres jointes de la mosaïque, au point de la
rendre méconnaissable. Ce qui en reste, nous per-
met toutefois de juger de tout l'ensemble de la com-
position. Le tableau du milieu représente Orphée,
coiffé du bonnet phrygien, et l'épaule droite dra-
pée d'un vaste manteau, retenu par une agrafe,
et dont les plis descendent jusqu'à terre. Son regard
est animé, et il semble être dans l'inspiration poé-
tique, comme s'il venait de moduler sa dernière
strophe, tandis que sa main presse les cordes de sa
lyre, posée sur ses genoux. Un corbeau et une pie,
perchés sur les branches de deux arbres, et à ses
^ Voy. Manncrt, Cluver, Hanselmann, Crusius, Buchner, Leichtlen,
Reichard. Oken, clc.
DU UHIN ET DU DANUBE. 225
pieds, d'un côté un renard, et de l'autre une cigogne,
semblent écouter ses divins accents. Cette partie prin-
cipale de la composition^ qui se distingue par la pu-
reté du dessin et par le brillant des couleurs, quoique
les traces du feu soient partout reconnaissables, était
encadrée d'autres scènes non moins savamment exé-
cutées et représentant des courses de chars ou des
combats du cirque. Dans le champ de droite se dis-
tinguent encore les restes de quatre chevaux qui
furent attelés à un quadrige , et la tète de l'homme
qui sans doute les conduisait. Au-dessus d'Orphée,
un autre quadrige est entier; il semble avoir été
traîné par des cerfs, dont le conducteur, qui est en-
core intact, tient les rênes dune main, et de l'autre
montre levée une couronne. Le troisième champ
n'offre plus qu'un casque que décore une plume. Le
quatrième a tout à fait disparu. Mais au cinquième,
qui est pour notre sujet du plus grand intérêt, appa-
raissent les pans d'une tunique, restes d'habillement
d'un homme qui , les lacets à la main, est à la pour-
suite d un cerf. Le sixième champ semble avoir re-
présenté un combat. Deux hommes, dont les têtes
guerrières apparaissent encore, et dont l'un paraît
avoir terrassé son adversaire, sont du côté gauche,
tandis qu'à droite se voient encore la tête, la main
et l'épée d'un troisième combattant. Le septième
champ enfin présente les restes d'un homme qui ,
l'épieu à la main , semble poursuivre un animal ou
s'élancer à sa rencontre. Le huitième champ a dis-
paru. L'encadrement qui séparait avec symétrie ces
diverses scènes, les arabesques des coins non moins
I.
15
226 • ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
gracieusement exécutées, tout devait donner à ce
pavé remarquable un ensemble aussi brillant que
précieux.
Ce qui le rend d'un intérêt majeur pour nos re-
cherches, c'est que les couleurs qu'offrent les tu-
niques des conducteurs des chars nous prouvent in-
contestablement que ce bel ouvrage doit dater du
règne de Domitien. On sait, en effet, qu'avant ce
règne, les agitateurs (ainsi qu'on les appelait) étaient
partagés en quatre classes, selon les couleurs qui
distinguaient leur habillement et qui étaient le bleu
de ciel, le vert, le rouge et le blanc. Domitien aug-
menta leur nombre de deux nouvelles classes, qui
prirent les couleurs jaune et pourpre', couleurs qui
semblent avoir été celles de la famille Flavienne. Or,
sur la mosaïque qui nous occupe, ces deux couleurs
sont les prépondérantes. Le manteau d'Orphée et
son bonnet sont d'un rouge foncé. L'homme qui tient
les lacets h la poursuite du cerf, a la tunique jaune
d'or. L'agitateur du char a un habit jaune avec des
bandes rouges, jaunes et noires. Celui qui tient l'é-
pieu est également habillé de jaune. Il est évident
que ces couleurs n'eussent pas été choisies par l'ar-
tiste, si la classe des agitateurs qui les portait n'eût
pas encore été formée lors de la confection de cette
mosaïque. Il est probable aussi qu'elles n'ont été choi-
sies qu'en mémoire et par l'ordre d'un prince dont la
ville portait le nom de famille. Domitien resta pen-
* Duas circensibus gregum/acliones, aurad, pvrpureique panni
ad quatuor prialinns acklidit. Su»H., in Dornitiavn^ vu.
DU RHIN ET DU DANUBE. 227
dant de longues années sur le Rhin. Soit que son père
Vespasien ait ordonné le premier tracé des for-
tifications que nous foulons, soit que Domitien lui-
même, pendant son séjour en Germanie, les ait fait
bâtir, toujours est -il certain que la mosaïque doit
dater de son règne. Car l'artiste n'eût pas non plus
choisi ces couleurs, si la classe des agitateurs à la-
quelle elles appartenaient avait cessé d'exister. Or,
l'on sait que les deux classes fondées par Domitien
ne se soutinrent pas longtemps après le règne de ce
prince, et, qu'à l'exception de la cité Flavienne, au-
cune autre ville dans la contrée n'avait été bâtie
par les Césars de cette famille.
La mosaïque avec ses vives couleurs lient donc ici
lieu d'inscription; elle prouve incontestablement
l'emplacement et le nom de la ville antique. Elle est
d'un prix d'autant plus estimable que la position de
l'ancienne cité Flavienne irrévocablement connue,
il est facile de trouver toutes les stations romaines
qui l'entouraient.
Les diverses chaussées qui en sortaient prenaient
leur direction, l'une au nord, l'autre au sud, la troi-
sième à l'ouest, la quatrième enfin à l'orient. Les
siècles n'ont pu effacer leurs traces, et il est encore
facile de reconnaître leur antique ramification. Le
peuple les nomme Hochstrassen, cesl-i\-û\ve roules
élevées _, parce qu'en effet elles sont partout élevées
au-dessus du terrain. Nous suivons la direction du
sud jusqu'au village de Schwenningen, près duquel le
Necker sort de terre, et où des tombes celtiques an-
noncent l'ancienne population qui d'abord y vécut;
228 ÉTABLISSEMENTS IIOMAINS
nous passons près des salines de Dûrrheim, entre
Schwenningen et Villingen, et suivant toujours l'an-
tique chaussée, qui, comme une digue de verdure, par-
court le haut plateau des montagnes qui bordent le val
de la Brigach , nous arrivons , sur la Breg , près d Hii-
fingen, à une autre ville souterraine; vu sa position,
elle n'a pu être que l'antique Brigobanne. La Table de
Théodose marque treize lieues d'Arœ Flaviœ à cette
dernière ville. Le temps qu'a duré notre course est
de six heures et demie; la distance s'accorde donc
parfaitement. Les fouilles qui y ont été faites ont
prouvé que la onzième légion , du surnom de Clau-
die\ et, par conséquent, la garnison de Vindonissa,
y avait un poste , et il est probable qu'indépen-
damment du castel, un établissement plus considé-
rable existait à l'opposé du torrent, où d'immenses
restes de bâtisses romaines sont enfouis sous le
soP.
Brigobanne était la première station du Danube,
puisque les deux petits torrents de la Breg et de
la Brigach, qui l'un et l'autre descendent des som-
mités de l'Abnoba et se réunissent un peu au-des-
sous de l'ancienne ville romaine, forment avec les
sources de Donaueschingen, dont les eaux vont s'y
jeter, le cours de ce grand fleuve.
Tibère, le premier de tous les généraux romains,
1 LEG. XI. — LEG. XI. C. P. F. legio undicima Claudia Pia Fi-
delis. (sur deux briques).
^ \oy.Frkk, yEdium Romanorum, panels abhinc annis pi-ope
Ilûfingen m monte Jbnoba detecfarum succincta descriptio. Frib.
1824, p. 15.
DU RHIN ET DU DANUBE. 229
après avoir repoussé plusieurs tribus de Vindéli-
ciens et de Rhétiens, qui s'étaient en pillant avan-
cées jusque dans la Gaule, et les avoir même com-
battues sur le lac de Brigance, avait pénétré dans ces
contrées ^ Il avait vu les sources du Danube, et il est
possible qu'alors déjà, pour contenir les populations
celtiquesdesvalléesquilesavoisinaient,il ait fait bâtir
sur ces hauteurs les premières tours fortes qui les
dominèrent. Biigobanne, quoi qu'il en soit, devait être
important comme lieu d'étape. Il liait la station d'Arœ
Flaviœ à celle de Juliomag us, quW faut aller chercher
près de Stùhlingen, dans les environs de Schleitheim
et de Beggingen, dont le sol recouvre encore des
restes considérables de bâtisses romaines^.
La station de Juliomagus correspondait elle-même
par levai de la Wutach avec la station de Ténédone,
où nous nous sommes primitivement arrêté sur le
Rhin. Les traces de la chaussée romaine sont en-
core çà et là reconnaissables sur toute celte ligne; les
distances qui séparent ces lieux sont elles-mêmes
conformes à celles marquées sur la Table de Théo-
dose, puisque du Rhin à Beggingen nous trouvons
quatorze lieues romaines ou sept heures de marche,
et que de là à Hiifingen nous en trouvons onze ou
cinq heures et demie.
Le second embranchement de la route d'Arœ Flaviœ
1 Strabon , I. vu.
2 Les monnaies romaines trouvées dans ces deux lieux descendent
depuis Auguste jusqu'à Magnence. — Voy. pour la position que j'as-
signe à Juliomagus, Schreiber, Taschenbuch fur Geschîchfe tind
Alterthum. iU\, p. 233 et sv.
230 ÉTABLISSEMENTS UOMAllNS
est celui qui allait par Dûningen, ancien village cel-
tique élevé sur une hauteur \ et qui montre encore
les ruines d'une tour d'observation, aboutir à un
établissement placé derrière le Kniebis, mais dont
rien ne rappelle le nom. Le souvenir seul de ce lieu,
qui est appelé Allsladt vieille ville), s'est conservé
par tradition chez les habitants de ces montagnes.
Cette route semble avoir joint par une courbe la co-
lonie de Sumlocène, tandis que par la vallée elle
descendait vers le Rhin.
Le troisième embranchement allait joindre le Da-
nube, tandis que la ligne principale, la grande voie
militaire de Vindonissa aux camps de la Luna,se
dirigeait au nord vers la colonie de Sumlocène.
L'emplacement d'aucune ville romaine n'a été
l'objet de plus de controverses que celui de cette
dernière cité; aucune ville cependant n'a offert un
nombre d'inscriptions plus considérables et moins
équivoques.Cequi a surtout donné lieu aux diverses
opinions qui ont été émises à cet égard , c'est le tracé
de celte grande voie militaire qui sur la Table de Théo-
dose est faussement indiqué sur la rive droite du Da-
nube, tandis que tout prouve que cette route avait été
principalement construite pour lier au Rhin les camps
du grand rempart. La distance que cette Table marque
de la station d'Arœ Flaviaî à celle de Sumlocène est
aussi de dix lieues trop faible; c'est encore un des
motifs qui ont porté à l'erreur ceux qui ont voulu
baser leur opinion sur celte carte, dont on ne peut h
' Dunum, iiionlagnc.
DU RHIN ET DU DANUBE. 931
cet égard assez se défier. Il est probable que le scribe
auquel on doit la copie de cet itinéraire n'a jamais vu
lui-même le pays, et que, d'après ce qu'il savait que
le Danube formait la frontière de lEnipire, il a, sans
prendre garde que, jusqu'à proximité de l'embou-
chure de la Regen, ce n'était pas en effet le fleuve,
mais le grand rempart qui la formait, mis sur la rive
droite les villes qui devaient être marquées au delà sur
le Necker. Il y a sur cet itinéraire plusieurs erreurs
de ce genre qui prouvent que l'on ne doit pas avoir
une confiance aveugle dans le dessin de cette carte.
Les inscriptions, au contraire, surtout lorsqu'elles
sont en nombre aussi considérable que celles qu'a
livrées le sol de l'antique cité qui nous occupe, ne
peuvent être révoquées en doute; je ne me livrerai
pas dès lors inutilement h une dissertation qui me pa-
raît superflue pour concilier toutes les opinions qui
ont été émises sur son véritable emplacement.
La route qui d'Ara) Flaviae conduisait à cette colo-
nie n'a pas encore partout disparu ; dans plus d'un lieu
le voyageur, en parcourant les plateaux qui bordent
le Necker, peut encore la retrouver intacte ou en
remarquer les traces ^
Le casteP, sous l'emplacement duquel nous pas-
sons en quittant Rottweil ; le camp qui semble avoir
dominé la hauteur de Soulz; Horb, où fut trouvée
une tête de Janus, tous ces lieux rappellent la pré-
sence des Romains.
1 Leichllen, Die Ober-Donaii-Sf russe, p. 103 et 104, en a donné
une exacte description.
' Heidenschlùsschen.
232 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Sumlocène était une ville de premier rang. Le culte
des grands dieux y était établi \ et son importance
comme cité nous est attestée par le titre de co/ome^ que
nous lui trouvons donné sur un grand nombre d'ins-
criptions.
Elle avait un président^ ou préfet ^ un préteur^,
des duumvirs^, des triumvirs\ des quadrumYirs^ un
curateur^des sévirsaugustaliens'^ etenfin toutes les
autorités qui constituaient l'administration des colo-
nies.
La première et la troisième cohorte des Helvé-
liens, compris dans la huitième légion antonine,
et d autres troupes de la vingt - deuxième légion
1 I. 0. M. E. lYN. RG. E. G. LOC.
Jovi optlmo maximo et Junoni Reginœ et Genio loci.
2 G . SVMLOCENE . G . SVMLOGE .... G . SVMLOGNE . COL .
SVML . etc.
3 . . IVS PRAES . G . SViMLOCEN.
PRÂE COL SYMLOCENE . T GLÂYD . SEV. G AVFDS VIGTORIN. (an
200 de Jésus-Christ).
^ G . IVL . PRAEF . Go . SVM L FAB G -to SEPT M A> ± L COS.
(an 204 de Jésus-Christ}.
5 AERA : SEP . PR.E: . YRB SYM
6 G. FAL. HYIR. LXXII G . . .
" xMARCYS ÏÏÎYIR GO . -
8 MAR . MESSIYS FORTYNATYS NEG IIII . . .
9 AB . Y . G . . . TIANVS . CYR . COL . SYM . Curator colonix
Sumt. — PR . CYR . COL . SYM . Prxpositus curiœ colonix Suml.
10 . . ONATVS IhhIyIR AYG NE — YATYS IlHlI AYG . . —
. . L . GAI InnI AYG. AYREL . POM . COL . AYIT COS. (nn 209
ac Jésus-Christ). - . . LOCKE LYIS. GAMLIYS liUlI . etc.
DU UHliN ET DU DANUBE. 233
y étaient en garnison ^ Cette ville faisait donc partie
du gouvernement de la Germanie supérieure. Son
emplacement était on ne peut plus favorablement
choisi. Posée sur les bords du Necker qui la baignait,
et s élevant en amphithéâtre sur ses rives, elle était
dominée par un castel qui lui-même était assis sur
une assez haute colline^. Cette colline, de trois côtés,
présente un escarpement assez rapide, et elle était
même rendue inaccessible par les découpures du
rocher. Du côté du plateau, au contraire, son seul
point abordable, ont dû se trouver ses plus fortes dé-
fenses, et l'on y voit encore çà et là des pans de mu-
railles antiques. L'on domine de ce point toute la
contrée. La chaîne de l'Albe se déploie tout entière
aux regards, tandis que, dans la vallée, la rivière,
comme un long ruban , se dessine au milieu des prai-
ries ou des champs de culture. En arrière, les hautes
sommités du Necker et, à l'horizon, ceux de la Forêt-
Noire montrent leurs lignes droites ou dentelées.
Le commerce de cette ville devait être important, et,
d'après ce qu'une inscription nous apprend, il y avait
dans la cité une fabrique de manteaux de guerre,
fabrique sans doute très -considérable, puisque le
propriétaire était lui-même sévir de la cité, et, par
conséquent, l'un des hommes de son temps qui y
jouaient le plus grand rôle. Ce négociant éleva à ses
frais un monument dont nous ignorons le but et l'em-
' LEG YIII COH T IL M . I . . . - LEG VIII CHOR I tL . . . — LEG.
ANTON. VIII CH . . . - VLPI VALINTINYS PR.^F CHOR. I LEG VIII.
— L XXII P. P F. - SAB VITE VETE L XXII f* Iil Hîl. - etc.
2 Altstatterberg (mont de la vieille ville).
234 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
placement, mais dont l'inscription nous a été con-
servée'.Elle nous faitvoir qu'au temps de l'empereur
Alexandre Sévère, à la même époque où florissaient
Bade et Arœ Flaviae, cette colonie était riche et puis-
sante. Des tombes , des autels et surtout l'un à Diane 2,
protectrice dans les villes des accouchemenls et
des nouveau-nés^, des restes de monuments somp-
* IN H D D
M M SSIVS
FORTVNATVS
Iiiiil VIR- ÂÂ'G
NEGOTIATOR
ÂRTI. CRETA
PAEN PAENVL
OMM II • PEN
DEO VO FECIT
IDEXTROCOS.
In honorem Domui divinx, Marcus Messius Fortunatus ^ sévir
aiigtisfalis . iiegotiator artis cretarias et pxnularius , omni impen-
deo suo fecit Dextro consuUbua.
L. Dexter et Msecius Rufus étaient consuls l'an 4 du règne d'A-
lexandre (an 22o de Jésus-Christ) .
' DEANAE
IN H DD
qi IVYENTVTT
C SVM . IVL H R
MES. T. C.
Deanx, in honoi'em domus divinse, pro juventute civium Siimlo-
cenensium Julius Hermès testamènti causa.
3 Callimaque, dans une de ses hymnes, assure, en effet, qu'elle ne
visite les villes que pour donner ses soins aux femmes en couche et
présider aux enfantements. Prxpositam timidis parientibus Ili-
thyam (Ovide). En cette qualité elle portait le titre de Lvcina ou d7/i-
tluja. Selon Diodorc de Sicile, elle venait, sous le nom A\4rtemis,
DU lUIlIS ET DU DANUBE. 235
tueux, parmi lesquels se distingue surtout l'aqueduc,
qui d'une dislance de près de trois lieues conduisait
l'eau potable dans la ville, sont autant de témoins
qui nous parlent de la vie active, du culte et de l'o-
pulence de ses habitants. Cetaqueduc était un ouvrage
grandiose et digne d'être mentionné à côté de tout
ce que Rome a élevé eu ce genre dans la contrée. Il
commençait au-dessus d'Obernau, dans une vallée
latérale du Necker, où il recevait les eaux de diverses
sources, et il suivait la pente des collines, non sup-
porté par des arcades , mais faisant masse avec le
terrain même. Le canal, dont on a retrouvé les traces
sur toute la ligne, était composé d'un ciment dont
les ingrédients principaux sont la chaux, le gypse
et des briques pilées; il était de chaque côté re-
vêtu d'un mur sur lequel s'appuyait la voûte. Le ca-
nal, ainsi protégé, reposait lui-même sur une plus
forte bâtisse, dont la muraille de chaque côté le dé-
passait à peu près d'un pied. Ce mur est construit en
pierres calcaires de petite dimension, mais très-ré-
gulièrement taillées. Sur les deux côtés du canal
elles sont coupées triangulairement, de manière à ce
qu'elles s'emboîtent avec la plus grande solidité l'une
dans l'autre.
L'espace réservé au conduit de l'eau avait un pied
de large sur un pied et demi de haut, sans compter
la voûte qui pouvait ofîrirune courbe de trois pouces.
Le ciment qui le recouvrait avait une épaisseur d'un
prendre soin des nouveau-nés et présider à leur nourriture. Il est
donc possible que cette pierre ait été placée dans une maison d'or-
phelins qu'Hermès mit sous l'invocation de celte déesse.
236 ÉTABLISSEMENTS ROMAIiNS
demi-pied au fond et de quatre pouces sur les côtés.
Le mur sur lequel le canal repose est lui-même large
de six pieds, et, selon les localités, il s'élève de deux
à trois pieds au-dessus du sol.
Lors des travaux qui furent, il y a vingt-cinq ans
environ, entrepris dans l'intérieur de Rottenbourg,
ville moderne assise sur l'emplacement de la cité
antique, on retrouva plusieurs restes de ce canal
et plusieurs bassins souterrains, qui sans doute lui
servaient de réservoirs et d'où l'eau allait dans toutes
les directions se répandre dans la ville.
Rien, du reste, dans les ruines que les différentes
fouilles qui y ont été faites ont mises au jour, n'a pu
donner d'indication ni sur l'époque où la colonie de
Sumlocène a été fondée, ni sur le temps de sa des-
truction.
Les dernières inscriptions trouvées depuis quel-
ques années attestent seulement qu'elle existait en-
core en 250 de Jésus-Christ, et que le nom celtique
de cette ville, conservé d'abord par les Romains, avait
par la suite éprouvé quelque changement. Par elles
nous voyons, en effet, que la cité de Sumlocène et
le lieu qu'on appela plus lard , dit Ammien Mar-
cellin \ du nom de Solicinium, furent la même et
unique ville. Selon toute probabilité, ce fut après la
première invasion des Allemanes, et lorsque, après
avoir repoussé ces peuples et s'être de nouveau
avancés sur le Necker,les Romains eurent relevé les
ruines de celte cité, que le nom latin de Solicinium
< Amin. Marcel., 1. xxvii, c. 10.
DU RHIN ET DU DANUBE. 2S7
succéda au nom celtique primitif. Le récit d'Ammien
permet du moins de le conjecturer avec d'autant plus
de vraisemblance que le nom que les Allemanes don-
nèrent dans leur dialecte à cette ville et qui s'est per-
pétué dans un petit village qui se trouve aux portes
de Rottenbourg, n'est lui-même que le nom latin
contractée Les Allemanes, en prenant possession de
la ville lors du départ définitif des Romains, lui ont
certainement laissé le dernier nom qu'elle portait,
et qui est celui dont ces inscriptions ont révélé l'exis-
tence. Elles sont d'autant plus précieuses qu'elles
servent à préciser un des points d'histoire les plus
importants du règne de Valentinien et à marquer
avec assurance la place où se livra la bataille que
cet empereur gagna en 368 contre les Allemanes ^
Ce qui peut le plus étonner dans le récit de l'au-
teur latin, c'est la manière vague dont il parle de
tous les lieux qu'il cite et qui semblerait indiquer que
depuis le siècle environ que les Romains avaient été
repoussés de la contrée, le souvenir de leurs anciens
établissements s'était comme perdu. Au lieu de pré-
ciser comme une chose connue l'ancienne colonie
de Solicinium, «c'est, di4-il, près d'un lieu que l'on
nomme ainsi, que le combat eut lieu.» Au lieu de
nommer l'antique rempart, qui fut un jour l'ancienne
frontière du gouvernement des Gaules, «c'est, dit-il,
dans un lieu nommé palas ou capellatium que les lé-
gions arrivèrent.» Il en est de même du poëte Au-
1 COL SOLICIN . . . - C. SOLICIN ... — SOLICINM. —
2 Siilch.
^ Voy. première p;irtie, p. IIC el sv.
238 ÉTABLlSSEMEiNTS ROMAINS
sone qui, à la même époque, chante les hauts faits
de l'empereur, et le félicite d'avoir en même temps
vu les sources du Danube inconnues des Romains, et
d'avoir combattu l'ennemi sur le Necker et à Lupo-
dunum^Et cependant nous venons de voir à la sta-
tion d'Arae Flavise et à celle de Brigobanne, situées
l'une et l'autre à quelques lieues des sources de ce
fleuve, avec quelle grandeur Rome y avait, près de
trois siècles auparavant, établi son pouvoir.
Valentinien, d'après ce que nous apprennent ces
deux auteurs, qui ne sont nullement en contradic-
tion , comme on l'a prétendu , s'avança à travers la
Forêt-xMarcienne jusqu'aux sources du Danube , pour
gagner de là le val du Necker qui lui était ouvert.
Cette partie de la campagne est racontée par le poète,
qui veut parla surprendre l'imagination, tandis que
l'historien néglige de nous indiquer la route que sui-
virent les légions, et nous conduit de suite à Solici-
nium, où les trois corps d'armée de Valentinien se
réunirent et où se donna une bataille décisive. Soli-
cinium était sur les bords du Necker. C'est aussi sur
les bords de la rivière^ mais sans nommer la ville,
que le poète chante les exploits de son héros. Les
Allemanes, selon Ihistorien, étaient postés sur une
* Nec prsemia in undis
Sola, sed Augustx veniena quod mœnibus urbis
Spectovit juncfos natique patrisque triumphos ,
IJostibus exactis ?iicrum sxiper et Liipodunum
El font em Latiis ignotum annalibus Istri.
Hscc proflhjati venit laurea belli
Mox alias aliasve re/ert....
^Ansonins . MnxfUa .v. 420-i26.
DU RHIN ET DU DANUBE. 239
montagne dont trois côtés étaient inabordables, tan-
dis que le quatrième offrait une pente douce et aisée
par laquelle les Romains s'avancèrent. C'est bien la
position qu'offre l'emplacement du castel romain
qui un jour domina la cité, mais qui peut-être avait
déjà totalement été rasé pendant les guerres anté-
rieures, et que le seul courage de l'ennemi défendit
alors. Longtemps la bataille fut chaudement disputée,
mais enfin les Allemanes se virent forcés à la retraite ,
et se débandèrent dans les forêts qui leur offrirent
un asile.
Lhistorien ne mentionne pas la route que les lé-
gions suivirent pour revenir dans la Gaule. Il se con-
tente de dire que l'empereur repassa le Rhin, et que
les troupes reprirent leursquariiers d'hiver. Le poëte,
au contraire, après avoir mentionné les sources du
Danube, aprèsavoir décrit les hauts faits du Necker,
complète son vers en citant un autre fait d'armes qui
eut lieu sous les murs de Lupodunum, et qui, quel-
que minime qu'il ait pu être, devient l'objet de son
admiration. Il est d'accord en cela avec le panégy-
riste Symmaque qui, sans nommer ni l'un ni l'autre
champ de bataille^ fait mention de deux combats*,
et avec non moins d'emphase que le poëte compare
le Necker aux plus grands fleuves et le dit de même
inconnu des Romains^. Leurs récits complètent celui
' Frustra tune tibi perduellis motus optavit Alamannia, cui tan-
tum miseriœ invexit conflictus tuus, quantum proeliis debebaiur
am/jobus. Huitième oraison de Symmaque , dans l'édit. d'Angel. Maïus.
Milan 1815, c. xi, p. 10.
~ Nigrum (Nicrum) parem maximis {Jluviis]. ignnratlone situe ■
runf. Svmmach., oral, viii , c.w. p. 21.
240 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
(le l'hislorien. Ils indiquent le chemin que les légions
prirent dans leur retraite, et ils prouvent que toutes
les opérations de cette campagne, qui d'abord com-
mencèrent aux lieux où le Danube et le Necker
prennent leurs sources, se terminèrent aux lieux oii le
dernier se jette dans le Rhin.
Cette expédition de Valentinien n'eut toutefois
d'autre avantage pour les Romains que de porter la
terreur chez les Allemanes, et de les empêcher pour
quelque temps de se ruer sur le Rhin et de menacer
les Gaules. Le pouvoir de Rome ne se rétablit plus
surces contrées, oii toutes les villes qui y avaient été
bâties, tous les forts et les retranchements où ses
cohortes avaient été postées, avaient, comme ceux
de la vallée du Rhin, été pillés, brûlés, détruits et
démantelés, et autour des décombres desquels elle
portait elle - même maintenant le fer et la dévasta-
tion.
En 1835, on fit à Niedernau, près de Rollen-
bourg, une découverte qui semble être en rapport
de date avec l'époque où Valentinien vint dans l'Alle-
manie. Niedernau est un bain dont les eaux thermales
ont incontestablement déjà été connues des Romains.
Une ancienne tradition conservée parmi le peuple
désisfnait un des coins de la forêt comme étant le lieu
où la source antique avait existé. Le propiiétaire du
bain moderne, s'étant aperçu, à plusieurs reprises,
que les oiseaux qui visitaient le sol de cette partie de
la sapinière tombaient asphyxiés, résolut dy faire
faire des fouilles. On avait à peine creusé à six ou
huit pieds de profondeur, qu'on découvrit une suite
DU RHIN ET DU DANUBE. 241
de monnaies romaines du plus grand intérêt, dont
la date descendait depuis Trajan jusqu'à Valens. On
découvrit ensuite une statuette d'Apollon, qui sem-
blait montrer du doigt la place où la source devait
se trouver. On y parvint en effet bientôt; son gaz
était tellement fort qu'il menaçait d'asphyxier les
ouvriers. Je ne chercherai pas à expliquer comment
ces monnaies se sont trouvées ensevelies dans les
ruines de la source antique. Ce qui m'a le plus
frappé, c'est qu'elles descendaient jusqu'au règne de
Valens, qui dominait l Orient h la même époque où
Valentinien était assis sur le trône d Occident , et que,
par conséquent, leur date finit justement à la même
époque où ce dernier empereur vint combattre les
Allemanes.
Les traces des antiques établissements romains,
qui, surtout dans ce coin de la province, rapproché du
grand rempart, sont encore si nombreuses, prouvent
combien les arts, la culture, la civilisation de Rome,
avaient dû y faire de progrès, et combien les se-
cousses qui y abattirent son pouvoir avaient dû être
terribles et sanglantes.
Notre route, en sortant de Solicinium, nous conduit
surlarivegaucheduNecker, par la ville de Tubingue,
où une cohorte de la huitième légion fut un jour can-
tonnée, et derrière laquelle venaient se joindre deux
chaussées romaines, l'une, se dirigeant vers Kœngen,
l'autre, par les plateaux, allant joindre EinsiedeP
' On V a trouvé une image de Mercure et d'anciens fondements Je
bâtisses.
I.
242 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
et Herrenberg '. Nous laissons, à gauche, la grande
voie militaire qui, selon le topographe Paulus, allait
par Bœblingen, qu il regarde comme l'antique Gri-
nario, joindre le Necker h Canstadt. Nous suivons
la direction de Kœngen, et, nous élevant sur les col-
lines du Schœnbuch^ nous avançons sur leurs som-
mets jusqu'au confluent du Necker et de l'Aich. Là,
comme sur un promontoire, nous pouvons voir ou
marquer dans les vallées les positions des différents
lieux antiques qui furent florissants sous la domina-
tion romaine. Toute la chaîne de l'Albe se déploie de-
vant nous, et sur son sommet nous pouvons distin-
guer les principales pointes qui reçurent les tours
fortes du grand peuple.
Le Asperg, rAchalm,le Hohenstaufen , au pied
duquel circulait une route romaine, étaient trop
favorablement situés comme lieux propres à l'ex-
ploration pour n'avoir point alors, en arrière de
la limite, été mis à profit. Nous traversons le petit
torrent, et avançant toujours, en suivant la rive
gauche du Necker, sur les traces d'une chaussée
romaine, découverte intacte en 1 783, nous atteignons,
sur l'emplacement du joli bourg de Kœngen, le sol
mystérieux sous lequel est enfouie une ancienne
ville.
Quel était son nom? C'est une question à laquelle
ni les annales de l'histoire ni celles de l'archéologie
1 On y a trouvé diverses constructions souterraines et des mon-
naies.
2 Vaste forêt entre Tubinguc et Stuttgart.
DU RHIN ET DU DANUBE. 243
ne peuvent encore répondre. La seule inscription
trouvée dans ces ruines souterraines parle d'une cité
commençant par les deux syllabes suma, mais sans
donner plus d éclaircissement. Faut-il croire que ce
soient là les deux premières syllabes du nom que
portait en effet ce lieu sous les Romains? ou bien
faut-il penser que le décurion qui éleva la pierre vo-
tive qui supporte cette inscription, ait été décurion
non de cette ville même, mais de la cité voisine de
Sumlocène que nous venons de quitter? Sumlocène,
sur la Table de Théodose, est désigné, sous le nom de
Samulocenis , comme une ville de premier rang. Mal-
gré la leçon différente du texte de la carte et des ins-
criptions de Rollenbourg, nous n'avons fait aucune
difficulté de regarder les deux noms comme iden-
tiques, contre l'avis du chanoine Jaumann. Cette
Table de Théodose monument du cinquième siècle,
que Conrad Celtes découvrit le premier, et qui par-
vint ensuite à Peutinger d'Augsbourg, n'est pas, en
effet, d'une exactitude telle que l'oubli, l'adjonction
ou l'intercallation d une lettre dans un mot puisse
autoriser un tel scrupule, surtout quand la similitude
du nom est aussi évidente que celle de Samulocenis
et de Sumlocène. Mais sur deux inscriptions, trouvées
à une distance aussi faible que celle de Kœngen à Rot-
tenbourg, le scrupule est plus légitime, et il se pour-
rait, à tout prendre, que les deux syllabes suma,
quelque rapport qu'on puisse leur trouver avec le
commencement du nom de la colonie de Sumlocène,
aient toutefois été le commencement du nom que
portait l'établissement de Kœngen, dont la terminai-
I. 16.
244 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
son pouvait être tout opposée à celle de la première
ville; l'on pourrait le croire avec d'autant plus de
raison que toutes les inscriptions de Rottenbourg
portent l'épithète de colonie , tandis que nous ne
trouvons ici que celui de cité.
Quoi qu'il en soit, les restes de Kœngen prouvent
que l'établissement du grand peuple en ce lieu devait
être très- important. Lorsque le hasard fit décou-
vrir que le sol sur lequel ce bourg repose recelait
dans son sein une ville antique , et qu'on y fit des
fouilles en 1783, on retrouva les fondements dune
centaine de maisons, de seize h quarante pieds de
long et de large, enfouis jusqu'à dix pieds sous
terre. Dans ces murailles se trouvaient de petites
niches et des escaliers qui y conduisaient.
On parvint sur les restes d'un bain , dont on put
reconnaître douze chambres; le pavé était com-
posé d'une argile extrêmement unie. Quelques co-
lonnes, des niches pour les divinités, où se remar-
quaient encore quelques traces de couleurs, furent
mises à nu. Non loin de là on découvrit le pré-
toire, vaste bâtiment, dont le mur avait deux cents
pieds de long et une épaisseur de quatre pieds. Des
monnaies qui descendaient jusquà Maximin ser-
virent à faire connaître l'époque où celte ville fut
florissante et celle où elle fut ruinée.
De nos jours encore, en fouillant le sol, on est par-
venu sur les ruines d'un abattoir antique et d'autres
murailles.
Une statue de Minerve, un autel de Jupiter, sont
des preuves du culte romain établi en ces lieux à
DU lUHN ET DU DANIBE. 245
côté (lu culte gaulois que montre l'inscription dont
nous avons parlé plus avant. Cette inscription fut
gravée sur la pierre parle décurion Quartionius,
en l'honneur de Mercure Visucius et de la déesse
Visucia^ Ce même dieu Visucius est aussi invoqué
sur une autre inscription de Godramstein, près de
Landau; sur la fausse indication qui avait été donnée
du lieu, où, près d Heidelberg^ on prétendait avoir
trouvé cette pierre, on avait à tort regardé ce dieu
comme celui du torrent de la Wesclmitz. Cette hypo-
thèse tombe ici d'elle-même 2. Il faut voir dans cette
vieille divinité gallique l'identité même de Mercure,
identité qui lui est commune avec le Mercure Aver-
nus, le Mercure Cissonius, le Mercure Moccus, le
Mercure Alaunus^ etc. Peut-être est-ce le Mercure
Vesontius, Mercure de Besançon, dont le culte fut
apporté dans ces contrées par les Gaulois qui vinrent
s'y établir comme colons. Car on sait qu'auprès de
cette dernière ville se trouve une montagne où cette
divinité était particulièrement adoré. La déesse Visu-
cia était aussi une divinité celtique dont le culte était
local. Elle pouvait être implorée comme le Mercure
Visucius.Du moins savons-nous que Vesunna était la
déesse locale de Périgueux, et Visucia pouvait avec
' DEO MERCVRIO. VI
SVCIO ET SACTE VISV
C[E. P. QVARTIONIVS
SECVNDINVS. DECV
cWl. SViMA I \. IV. V. S. L. M.
^ Voy. ci-après, ,^ 3, Etablissements de la rive gauche du Rhin.
•' Consullcz Martin, Religion des Gaulois, t. i, p. 376.
246 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Mercure èlre la déesse locale des habitants de Be-
sançon.
L'épi thète de Sancla, en place de Dea, quoique
rare sur les inscriptions, n'est pas sans exemple;
nous en avons une preuve dans Muratori \ qui cite
une inscription où le dieu Mars gaulois est invoqué
sous le nom de Sanclus Camulus.
La route romaine qui fut découverte ici et dont le
pavé était encore intact sous terre, allait dans la di-
rection de Canstadt, et liait sans doute à l'opposé le
Necker et le Danube par la vallée de Teck"^. Du nuins
il est certain que les environs de Kirchheim, où
plusieurs documents, cités par Frédéric de Gok,
prouvent ce transit ^ étaient alors déjà habités par
la population gallo-romaine. ^^
Canstadt n'est éloigné de Kœngenque de quelques
lieues; tout atteste cependant que cet établissement
devait être non moins considérable que le premier.
C'est une preuve nouvelle, combien, près du grand
rempart surtout, où le commerce, le grand nombre
de troupes qui y étaient cantonnées, devaient pro-
léger le bien-être des habitants (car nous ne sommes
éloignés que de quatre lieues de l'antique frontière), la
population s'était agglomérée. Canstadtélaitune de ces
positions aimées du grand peuple, et aussi favorables à
• Muratori , xtvi , 2.
- Teck semble rappeler le souvenir des anciens Teclosages qui habi-
lèrenl priuiilivenicui la contrée. Voy. mes Établissements celtiques,
§ 1 et 2.
^ Excerpten aus den im kùnigl. Staafsarchice in Stuttgart au.f-
i>cicahrlen Dokumenten , etc.
DU RHIN ET DU DANUBE. 247
ladéfensequ'à l'exploration. Placée sur la hauteur qui,
de l'autre côté du Necker, domine la ville moderne,
l'antique cité devait comprendre dans son enclave
les divers lieux de Zazenhausen, de Fellbach,de
Hofen, de Miilhausen, où une foule d'antiquités ro-
maines ont été déterrées^Les inscriptions que son
sol a livrées ne donnent toutefois aucune notion
sur son état municipal; elles ne servent qu'à nous
apprendre que des troupes de la huitième et de la
vingt-deuxième légion y tinrent un jour garnison.
Son nom antique ne peut même être précisé.
Celui de Cana qu'on lui a donné, ne s'appuie que
sur une inscription qui n'a même pas été trouvée
dans ses murs, et qui provient des ruines de l'an-
tique Celeusum, près de Kelheim, sur les bords du
Danube. Cette inscription que nous donnons plus loin
dans ces pages'^ fut posée dans l'antiquité par un ci-
toyen de Cana. Comme dans tout le pays, depuis le
Rhin jusqu'au grand rempart, aucune ville, à l'ex-
ception de Canstadt, n'a un nom qui se rapproche
du nom antique cité par cette inscription , on en a
conclu que ces deux noms étaient identiques.
Mais cette opinion , comme nous aurons occasion
de le prouver, n'a rien de fondé; le doute existe, et
il existe avec d'autant plus de raison qu'il est évident
que les camps de la Luna, dont parle la Table de
Théodose , étaient situés aux sources de la Lein, et
' On peut en lire la descriplion dans les f^Fûrtembergische Jahr
biicher, 1828 et 1835.
- Troisième partie.
248 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
qu'il est permis de demander alors avec Paulus.s'il
ne faut pas placer Ciarenna au sein de Canstadt,cité
non moins mystérieuse que celle de Kœngen.
C'est en l'honneur du génie du lieu, c'est en celui
de la Fortune\ en celui de Jupiter et de Junon^^ en
• IN. H. D. D. I. 0. M
GENIO LOCI ET FOR
TVN^ DIS DEABvS
QYE EMERITIVS
SEXTYS MILES
LEGIONIS XXII
PR P F SEVERIA
NiE B F COS PRO
SE ET SYIS POSV
IT V L L M
MAXIMO ET
iELIANO COS
IDIBYS lANV
ARIS.
. . . Sextus ^ miles leyionis A'XII primigmise, pix,,fidelis, Sive-
rianœ, betiejîciarius cotisulis , etc. (An 233 de Jésus-Christ)
Les soldais qui portaient ce dernier titre étaient ceux qui , par une
faveur du consul , étaient exemptés de travailler au terrassement des
fortifications, de porter de l'eau, du bois, etc. C'était parmi eux que
l'on choisissait les sujets qui devaient ensuite remplir les bas grades
militaires.
'^ IN H. D. D. lOVI
^E n^ONI REG
GENIO. LOCI
'E. D. D. OMNIB
SEDYLIVS
lYLLVNYS. MI _
LES. YIII. AYG. A
ToNLMAI^E. BF. CoS
PRo SAL. SYA E SVoR
STAT. ITERATO POSYIT IMP
niVI ANTOM.M AVd. P. 1.. V. P..
DU niHN ET DU DANUBE. 249
celui des dieux protecteurs des carrefours', que les
diverses inscriptions trouvées dans les décombres de
la ville ont été burinées dans la pierre. C'était au
dieu Mithra qu'était dédié le monuuient de Fellbach ,
monument non moins curieux'^ que celui trouvé plus
au nord , sur les rives du Necker, près d'Heidelberg.
Des deux autels de Zazenhausen, où furent découverts
un bain romain, orné de marbre, et une foule d'an-
tiquités, l'un semble supporter les sept divinités prin-
cipales, l'autre montre en relief les trois matrones.
L'autel de Sletten, dans le val de la Rems, laisse voir
Vesta, Vénus, Diane, Apollon, Maïa, Mercure et Nep-
tune. Pan paraît avoir été invoqué dans le premier
de ces lieux.
' IN H. D. D
BIVIIS TRIViS Qv
ADRIVIS SATTO
MVS IVVEML'S
D. F. COS PRO SA
LVTE SVA ET SVO
RVM POSVIT Y. S.
2 II représente en relief Mithra sous la figure d'un jeune homme
assis sur le taureau dont la queue est déployée. Ce jeune homme est
coiffé du bonnet phrygien ; son habillement est flottant , et il plonge
de la main droite le couteau dans le cou de l'animal. Sur ses habits
est posé le corbeau, oiseau dédié au soleil. Près du poitrail du tau-
reau est placé un autel, et au-dessus de sa tête une lampe allumée,
deux symboles qui sont propres à ce monument. Sous la lampe se
remarque la poignée d'une épée. Un chien assaille le taureau entre les
deux pieds de devant. Sous le ventre de la victime est un vase qu'en-
toure un serpent, et à droite de cet ustensile un lion. Un scorpion
dévore les testicules du taureau. Dans le coin gauche du cadre se re-
marque le buste du dieu Soleil , dans celui de droite celui do la Lune.
250 ÉTADLISSEMEINTS ROMAIÎNS
Les monnaies Irouvées dans tous ces environs ne
descendent, comme celles de Kœngen, que jusqu'au
règne de Maximin; elles nous précisent l'époque
de la destruction de cette ville. Les roules principales
auxquelles elle donnait issue étaient : celle de Pforz-
heim, passant par Léonbeig' et rétablissement du
Hagenscbiesswald , que j'ai déjà eu l'occasion de men-
tionner; celle de Bœblingen^qui allait joindre la co-
lonie de Sumlocène, et qui , selon le topographe Pau-
lus, qui, comme je l'ai dit, fait de Cansladt Clarenna,
et de Bœblingen Grinario, serait la roule militaire de
la Table Théodosienne^; lu conùnuMwn de cette même
cbaussée du côté opposé de Canstadt qui, par Weib-
lingen*,Korb et Haubersbronn, allait aboutir au grand
rempart; celle de Kœngen que nous avons déjà citée,
et enfin celle de Benningen, qui, au nord, suivait la
rive gauche du Necker.
Celte foule de communications qui venaient se
' Quoique peu d'anliquilés y aient été découvertes , le peu que le
sol en a livrées prouve que déjà du temps des Romains ce lieu était
habité.
- On y a aussi trouvé quelques antiquités , entre autres une statue
de Mercure.
^ Voy. la dissertation de l'auteur, dans les IFûrtembergischen Jahr
bûcher. Comparez l'opinion de Leichtlen sur la direction de la voie mi-
litaire de la Table de Théodore, dans son ouvrage intitulé : ^fAtyaôew
unter den liômern; celle de St;clin : f^F'uiembergische Geschichie,
l. I, p. 103 et sv., et celle plus récente de Gok, dans les Urkunde
nnd Beitràge stir dlteren Geschiclite von Schwaben und Sûdfran-
ken. Première partie.
'' On y a déterré un autel avec les bustes en relief de quatre divini-
tés qu'on regarde connue Mercure, llcrcMlc. Minerve et Vosla; uu y a
aussi trouvé quelques antiquailles (M des mniiuaies.
DU KHIN ET DU DANUBE. 251
réunir sur ce point central , peut fortifier l'opinion de
Leicbllen, qui ne craint pas de faire de Canstadt un
des établissements romains les plus considérables de
la contrée et le chef- lieu de cette partie du Necker.
Nous suivons la dernière de ces routes par Al-
dingen, lieu romain, que d'anciens décombres nous
désignent comme tel, et, après une course de quelques
heures, nous sommes à Benningen, sur le sol que re-
couvrait aussi dans l'antiquité un des camps destinés
à protéger le cours de la rivière et que flanquait le
castel de Beihingen.
Un peu plus en deçà sur l'autre rive est Marbach,
et sur les bords de la Mourr, qui débouche dans le
Necker, vis-à-vis Benningen, se trouve un village qui
porte le nom du torrent. C'est sans doute un des noms
qui se sont conservés le plus intacts dans toute la con-
trée, à en juger par l'inscription d'un autel trouvé, en
1 583 , dans une cave de Benningen , qui porte que les
villageois de Mourr élevèrent cet autel à Vulcain'.
Plus tard, cette pierre, de forme carrée, et où, à
gauche de l'inscription , sont représentés trois cou-
teaux de sacrificateurs, à droite un vase destiné aux
* IN H D D .
VOLKAJ^
SACRVM
VICANI
MVRREN
SES. V. S. L. M.
la honurem domus divinx^Folcano sacrum fkaui Murrenses.
252 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
sacrifices , et au bas une coupe pour le même
usage, fut sans doute transportée pour servir à
quelque bâtisse à Benningen , où elle a été retrouvée.
Ce fut vers la même époque que d'autres antiquités
furent aussi mises au jour au même lieu. En 1597,
en fouillant ce sol classique, on parvint à retrouver
le fondement des antiques remparts qui avaient pro-
tégé la forteresse , les traces de laqueduc qui y avait
conduit les eaux, celles de citernes et d'autres mo-
numents '.
Une inscription, qu'un tribun de la vingt- qua-
trième cohorte des volontaires, sans doute en gar-
nison dans ces murs, fit un jour buriner dans une
pierre qu'il dédia aux divinités champêtres ^ a à tort
fait donner à cet établissement du Necker le nom de
Sicca Veneria, nom qui est effectivement marqué sur
l'inscription , mais non pas comme étant celui de l'é-
tablissement qui nous occupe, mais bien celui de la
^ On peut voir dans SaUler : Topographische Geschîchfe des Her-
zogthums Wuertemberg , c. xiii, p. Mi, le plan qu'il donne de ces
ruines, invisibles aujourd'hui.
2 campesrBvs
SACRVM
P QVIMVS. L F L
QYIR. T. ERMINVS
DOMO. SICCA
VENERIA TRIE
COH XXIIII VOL. C. R.
Campestribiis sacrum Publius Quintus,Lucii filius, Quirina tribi/,
Erminus, domo Sicca Feneria^tribunus cohortis XXIIU volontario-
rum civium romanorum.
DL KHI!S ET DU DANUBE. 253
pairie du tribun qui éleva celle pierre, et qui était né
à Sicca V eneria , s\\\e d'Afrique.
La même manière faulive de lire l'inscription
avait donné lieu à une autre erreur; l'on avait à
tort réuni le T, après lequel est un point bien
marqué avec le mot EKMl\VS,qui semble avoir été
le nom du fondateur, et en lisant, par conséquent,
terminus Quiritum, l'on s'était cru en droit de regar-
der le Xecker, comme ayant formé la frontière de
l'Empire.
Celle erreur disparaît cependant si 1 on suit le sens
bien naturel de linscription, qui marque que Quin-
tus Erminus, de la tribu Quirina', né à Sicca Vene-
ria, éleva celte pierre aux divinités champêtres.
Les inscriptions de AJarbacli n'ont point fait con-
naître non plus le nom antique qu'il portait. Ce que
l'une d'elles offre surtout d'intéressant pour nous,
c'est qu'elle nous prouve que des Triboques, peuple
d'Alsace, et des Boiens, restes sans doute de cette
horde qui fut avec les Helvétiens battue par César,
habitaient celte rive, où ils semblent avoir reçu des
terres des Romains^.
' Pour celte iribu , voy. l'ouvrage de Gruter, Trbus romans,
p. 57.
- EANAE E
OLORATDi
TRIBOCI
ET BOI
L I. M.
Fanx (sans doute pour Deonx, Triboci et Boi. etc.
255- ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
La présence en ces lieux du second de ces peuples,
errant après sa défaite, et l'inscription de colli Pe-
regrinorum, déterrée aux lieux mêmes où il trouva
un refuge, avait fait penser d'abord que la colline
qui domine le Necker d'où cette pierre fut tirée,
avait reçu ce nom de l'établissement qu'y formèrent
ces étrangers* La présence des Nantie aux mêmes
lieux peut cependant permettre d'émettre un doute
à ce sujet^.
Cette compagnie des Nautae est une preuve irré-
cusable de l'importance commerciale que cette ville
eut dans l'antiquité. Or, nous savons, d'un autre
côté, que, sous ce nom de Peregrini , il ne faut pas
toujours comprendre des hommes étrangers à la
cité, mais bien des négociants ambulants, qui,
sans être citoyens, s'y arrêtaient plus ou moins de
temps, selon que l'exigeaient leurs affaires commer-
ciales. Ils formaient dans la ville où ils s'arrêtaient
une espèce de collège ou d'association. Il y en avait
tiCTORI
AM. CVM. B
ASE. DOMI
TIVS. COND
OLLVS. CO
LLI. PERE
GRINORV
M. V. S. LL M.
PRO SAL IMP
GENIO. NAVT
G. IVL. VRBicvs
I) D. V S E E M.
DU imiIN ET DU DANUBE. 255
jusque dans la Batavie , au Forum d'Adrien\^\w aussi,
comme les Naulse, comme toutes les corporations
romaines, avaient leur génie auquel ils sacrifiaient 2.
Et sans doute ce fut le patron de leur collège qui, à
l'occasion d'une victoire remportée par les Romains,
éleva la pien e qui nous occupe au lieu même où, sur
la colline où elle fut trouvée, ils avaient coutume de
déployer leurs marchandises, au retour de leurs ex-
péditions commerciales, que favorisait le cours du
Necker et du Rhin.
L'inscription qui nous atteste la présence des
Naulae dans ces parages, est d'autant plus précieuse
pour r histoire du commerce qu'elle nous montre
d'un côté que le Necker servait déjà au transport des
marchandises et des bois du temps des Romains, et
qu'elle nous explique d'un autre côté comment leculte
de Neptune, le dieu protecteur de la navigation, était
lui-même établi dans le val de la Rems, avec celui
de Mercure et de Maia. On voit que le plus petit cou-
rant d'eau était déjà alors mis à profit pour la navi-
gation et le flottage"'.
' Voy. Orelli, Inscript. ^ p. 97; n" 178, et p. 270, n" 1236.
2 GENIO PE
REGRINORVM
3 Ce floitage devait être , en eflet , le principal mode de transport , si
l'on réfléchit à toutes les peines que les ducs Christophe et Frédéric
de Wurtemberg eurent à rendre le Necker navigable au moyen âge ,
et que ce ne lut même que le duc Eberhard qui parvint à vaincre ces
difficultés. Voy. Geschichfe TVurtemb<^rg's unter den Herzogen.
Quatrième part., p. 61, et cinquième part., p. 210.
256 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Trois routes romaines venaient aboutir en ce lieu;
l'une circulait sur les plateaux de ce même val de
la Rems; l'autre venait en ligne droite de l'extrême
frontière et du camp de Mourrhart, et la troisième re-
liait entre elles les communications de Cansladt et de
Beckingen.
Ce dernier lieu, place de garnison, où fut un jour
postée la première cohorte des volontaires, com-
mandée par un centurion de la huitième légion, et
une cohorte de Bretons, troupes que nous trouvons
aussi dans lOdenwaid et à OEhringen, formait avec
Canstadt une des places les plus fortes du Necker
derrière le grand rempart.
Cette limite de 1 Empire, dont j'ai donné la des-
cription, était, comme nous l'avons vu, protégée
elle-même par des camps que ces garnisons du Necker
étaient destinées à secourir en cas d attaque. Welz-
heira', où fut placé un poste de la vingtième légion;
Mourrhart, lieu antique, où fut cantonnée la vingt-
quatrième cohorte des citoyens volontaires romains;
Mainhard, dont la défense était confiée à des troupes
auxiliaires ^; OEhringen , célèbre par ses antiquités , et
I 0 M
MILIT LE
XXII P
)IVI . . .
Jovi opfimo M iximo milites legionls XXII primigenix , efc.
2 COHR
ASTVRVM
Celle cohorlc est aussi nommée sur une pierre irouvée à Fisc et sur
une autre conservée à Laibach.Voy. Orelli, inscript., n"" 3768 et iflôS.
DU RHIN ET DU DANUBE. 257
OÙ une compagnie de la huitième légion et des troupes
de la première cohorte des Helvétiens, où des Bre-
tons, des Calédoniens , une partie même de la vingt-
deuxième légion, furent successivement postés; le
camp d'Olnhausen enfin, où nous retrouvons les
mêmes huitième etvingt-deuxième légions, et la pre-
mière cohorte des Germains auxiliaires, ont sur leurs
ruines appelé plus tard la population germaine, qui
s'y est mêlée à la population celtique.
Ces lieux, destinés essentiellement à la défense,
puisqu'ils étaient sur l'extrême frontière, étaient tous
reliés par des routes aux divers forts du Necker, éche-
lonnés en arrière, et dont celui de Beckingen n'était
pas un des moins importants. Ce qui est suitout digne
de remarque, c'est que, dans tous ces lieux, les mon-
naies qui ont été retrouvées dans les décombres de
la ligne intérieure, ne descendent nulle part plus bas
que jusqu'au règne de Maximin, tandis que celles qui
ont été déterrées à l'extrême frontière, descendent
en quelques endroits jusqu'au règne de Constance'.
Cela prouve bien avec évidence qu'après la pre-
mière irruption des Allemanes jusqu'au Rhin, ces
barbares furent repoussés et la limite fut en partie
rétablie; mais que, d'un autre côté , quelque soin que
Rome prît de les contenir et de prévenir de nouveaux
débordements de la part de ces peuples, le pays ne
reprit plus son état florissant. Lesempereurs semblent
n'avoir pris soin alors que de rétablir çà et là les lieux
les plus avancés, tandis que tout le reste fut aban-
' A OEhringen , à Aalon
I.
17
258 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
donné dans ses ruines, et que ces ruines mêmes
furent assez longtemps oubliées pour que leurs noms
primitifs fussent perdus, lorsque de nouveaux ha-
bitants, échappés à tous les désastres de la guerre,
tentèrent enfin de les relever ^
De toutes les fortifications du Necker, aucunes ne
peuvent nous donner une idée plus colossale de leurs
bâtisses que les deux tours de Besigheim, élevées
sur la pointe qui domine la jonction de cette rivière
et de l'Enz. Ce sont peut-être, dans tout le pays , les
restes de ce genre dont l'authenticité peut le moins
être révoquée en doute. Pour rendre la place qu'elles
étaient destinées à protéger plus forte, les Romains
avaient isolé par un fossé profond la langue de terre
' C'est à cette époque qu'il faut peut-être rapporter l'inscription de
Mourrharl, citée par Hanselmann [Beweisx wie weit der Rômer Macht
i7ide}ihohenlohisc he7i Landeîi einyedrangen,etc. jSchyîaèbMaXlAlQS,
p. 241), qui porte que Sextus Julius, fils de Decius, de la tribu d'Ho-
race, et du surnom de Florus, tribun de la vingt-quatrième cohorte
des citoyens volontaires romains, rétablit, pour l'accomplissement de
son vœu , le temple du Soleil Mithriaque.
S. I. M.
SEX. IVLIVS
D. Et HOR FLO
RVS YICTORI
NVS TRIE. COH
XXIIII VC. R TEMP
A SOLO RESTITV
TO VOTVM PRO
SE AC SVIS SOLVIT
Soli invicto Mithrœ, etc.
Les deux autres pierres trouvées à Mourrhart et citées par l'auteur,
sont deux pierres tumulaires sans intérêt historique.
DU RHIN ET DU DANUBE. 259
qui s'avance entre les deux rivières, et ils en avaient
formé une île. Ils l'avaient ceinte de murailles, à la
chute desquelles ces deux tours ont seules survécu;
l'une, moins grande, dominant l'extrémité haute,
l'autre, plus colossale, dominant l'exlrémilé basse
de la ville moderne. Leur construction se ressemble
du reste exactement ; elles sont d'une force surpre-
nante. Ce sont des quartiers de roches, taillés en
bossage et superposés les uns sur les autres en ran-
gées d'inégale hauteur, et sans autre entrée qu'une ou-
verture élevée à trente pieds au-dessus du sol ; de cette
ouvertn re un escalier tournant conduit h leur sommet.
L'intérieur forme plusieurs étages, dont les voûtes
sont supérieures de solidité et d'exécution. Des urnes,
des poteries, des armes et une assez grande quan-
tité de monnaies romaines, dont malheureusement
la date est inconnue, ont été trouvées dans ces tours
qui, quoique dépouillées de leurs créneaux, s'élèvent
cependant encore au delà de quatre-vingt-dix pieds.
Nulle inscription n'est venue jusqu'ici porter quelque
lueur sur l'état antique de ce lieu, dont l'origine, sans
aucune preuve, a été attribuée à l'empereur Probe ^
L'importance de sa position comme point commer-
cial, à l'embouchure de l'Enz et du Necker, semble
toutefois permettre de lui assigner une antiquité plus
reculée, sans que je m'oppose à la possibilité que
1 Seulement dans les environs , au Weissenliof , fui trouvé , en 1736 ,
le fragment d'inscription suivant : SPECVL. P., et un autre ; ORTIC,
déterré en 1786. Une tète endommagée de Mercure , le tronc d'un
Hercule, y furent aussi mis au jour. Ces deux derniers objets ont de-
puis 1835 été déposés dans VJntiquarium de Stuttgart.
I. '''
260 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Probe, qui repoussa les AUemanes jusque derrière
le Necker, et qui rétablit la frontière romaine, ait
aussi pu l'avoir fortifiée. Il est du moins de toute cer-
titude, par une inscription trouvée à Gross-Botwar',
qui n'est point éloigné de cet endroit, que déjà sous
l'empereur Septime Sévère (en 201), et alors que
Kœngen, Canstadt, Marbach et les autres places du
Necker étaient dans leur état le plus florissant, ces
environs étaient aussi habités et cultivés.
Entre Besigheim et Beckingen, Laufen , oii venaient
aboutir deux embranchements de route du grand rem-
part, a aussi ofl'ert quelques fondements de bâtisses
' Voici l'inscription :
IN H. D. D. APOLLINI ET SIRONAE
AEDEM. CVM. SIGNIS. C. LONGLMVS
SPERATVS. VET. LEO. XXII. PR. P. F
ET IVMA DEVA. CONIVNX. ET. LON
GIM. PACATVS. MARTINVLA. HILA
RITAS. SPERATIANVS. FILI. IN.
SVO. POSVERVNT. V. S. L. L. M,
MVCIANO. ET FABIANO COS.
Celle inscription orne une pierre élevée par un vétéran de la vingt-
deuxième légion , son épouse et ses cinq enfants , à Apollon et à Si-
rona. Sirona est aussi invoquée avec Apollon sur une pierre de Nier-
stein ; avec Apollon Grannus , comme Sancta Sirona à Rome ; avec le
même Apollon Grannus, comme Sironiaen Dacie; seule enfin comme
Sirona à Bordeaux , etc. C'était une divinité celtique , dont le nom était
composé des deux mots seir, commander, et on, onde, c'est-à-dire
déesse présidant aux eaux. Aussi les bains de Nierstein, comme nous
le verrous, étaient-ils placés sous sa protection. Voy Orelli, à l'article
Sirona^ Gruter, p. 37, n" 11 ; Millin, J'oyage dans les départements
du midi de la France, l. iv, p. 650; Lehne, Das Sironabad bel
Nierstein; Sattler, Geschichte des Herzogthvms fVûrtemberg , etc.
DU RHIN ET DU DANUBE. ^61
et des restes d'étuves qui rappellent la période ro-
maine. Une inscription de Meimsheim, à l'opposé du
Necker, parle de colons médiomatrices'. Erbstetten'^
Pleidelsheim, Steinheim^ Horkheim, Frauenzim-
' Une autre inscription qui mérite d'être citée , comme nous offrant
une date, recouvre une pierre qui est enclavée dans le mur de l'église;
la voici :
IMP. CAES MA...
PIO FEL
GERM. PON xMAXlM . .
ET IVLIAE AVG MATRl
CASTRORVM
OB YICTORIAM
GERMANICAM.
Cette pierre fut sans contredit élevée sous le règne de Caracalla.
Plusieurs impératrices portèrent le nom de Mère des camps, et, entre
autres, Faustine la jeune, épouse de M. Aurèle (voy. Marini., Att.^
p. 238; Eckel, Doctr. mim., 7. p. 79); Julia Domna, mère de Cara-
calla, et Julia Mammaea, épouse d'Alexandre Sévère (voy. Marini,
p. 702). Comme l'inscription qui nous occupe ne peut regarder qu'un
empereur qui prit le nom de Germanique , et dont le nom fut plus
tard effacé, que ces deux circonstances qui conviennent particuliè-
rement à Caracalla sont reproduites ici, il laut en conclure que c'est
en l'honneur de ce César et de sa mère Julia Domna qu'elle a été bu-
rinée dans la pierre après la victoire qu'il remporta sur les Cennes
allemanes. Voy. première partie de ce Mémoire, p. 78.
- Où a été découverte une inscription en l'honneur du dieu Mars.
Voy. Studiou, fol. 42.
•^ Où a de même été découvert un autel supportant sur une de ses
faces l'image de Mercure ayant un bouc à sa droite ; sur une autre ,
Hercule , recouvert de la peau du lion de ^'émée , et tenant la massue
et une pomme des Hespérides; sur la troisième, Pallas, armée du
bouclier et de la lance; et sur la quatrième enfin, Vesta, voilée, et te-
nant de la main droite une coupe qu'elle soutient au-dessus d'un autel.
A côté d'elle est un oiseau. Vov. Studion.
262 ÉTABLISSEMENTS KOiMAINS
mern, Stockheitii et d'autres lieux, ont aussi livré
chacun quelques antiquités qui marquent la présence
du grand peuple. Stocksberg, Giiglingen ont un jour
vu l'encens fumer sur les deux autels que le soc de la
charrue est venu heurter. Nous nous rappelons invo-
lontairement ce mot de Senèque : « Partout où le
Romain a été vainqueur, il s'est établi ^»
Nulle part peut-être celte vérité n'est mieux con-
firmée que dans ce bassin fleuri du Necker, où à
chaque pas nous trouvons des traces de cette an-
cienne puissance colonisatrice.
Beckingen, situé vis-à-vis d'Heiibronn, sur l'em-
placement même de l'antique établissement romain,
a livré une foule d'inscriptions qui rappellent le culte
de Rome et le culte des Gaules, et qui, s'adressant
ici à Apollon Pithius et au dieu Mercure, protecteur
du commerce, à la Fortune, déesse aimée des Ro-
mains, et à Jupiter, le maître des dieux , sont là gra-
vées dans la pierre en l'honneur du dieu Mars Ca-
turige'', du dieu Taranucnus, dieu celtique, que le
^ Ubicvnque viclt Romaines , habitat. Senec, in consol. ad. Helv.,
c. vil.
2 I. 0. M.
ET MARTI CA
TVRIGI GEN
10 LOCI C
IVL QYIETYS
BF COS
V. S. L. L. M.
Les Caluriges éiaienl un peuple des Alpes, près d'Iilinbruu.Voy. Cé-
sar, De bello. yallico., i, 10; Pline, flisf. naf., 1. m , c 41).
DU RHliN ET DU DANUBE. 263
sang seul pouvait apaiser', du soleil invincible Mi-
thra, et des divinités champêtres^. Nulle part le levis-
simus quisque Galiorum,de Tacite, n'est plus vrai qu'en
cet endroit, où des colons des Pyrénées, où des co-
lons de la Moselle et de 1 Yonne, étaient venus s'établir.
Wimpfen, plus au nord , est aussi un des castels dont
on veut que la fondation soit due à l'empereur Probe.
Nous nous contenterons de signaler son origine
romaine, qui nous est attestée par un autel élevé
à Diane, et par diverses autres inscriptions et des
débris souterrains'.
Le nom de Cornelia qu'on a prétendu que cette
ville portait dans l'antiquité, ne repose, du reste,
sur aucune preuve, non plus que celui d'Augusta
Nicri, qu'on a dit que Laufen avait dû porter à la
même époque.
Wimpfen dominait l'embouchure du Jaxt, dans la
vallée duquel s'élevaient , à peu de distance l'un de
l'autre , les deux camps d'Olnhausen et de Jaxthausen ,
« DEO
TARMVCNO
VERATIVS
PRIMVS
EX lYSSV.
Jupiter sic dictus a Gallis, quia sanguine humano placabatur.
Voy. le Scholiaste de Lucain, t. m , p. 72 , édit. de C. F. Weber.
2 Pour ces diverses inscriptions , voy. Memminger, fFûrtember-
gische Jahrbûcher. 1835, p. 39 el sv.
3 Voy., pour ces inscriptions, Beyell, dans Bartli Advers., lu,
col. 2428, et pour les autres antiquités, Freher, Orig. Palat., l.i.
c. 4; Cvwùu?,^ Annales Suevici.; Hanselmann, /iôw/sfAé' Monumen-
fen, etc.
264 ÉTABLISSEMENTS KOMAINS
l'un destiné à protéger les abords du grand rempart,
l'autre placé sur le rempart même, et qui, riches en
souvenirs historiques de l'époque des Antonins, mais
ruinés après leur règne ^ semblent n'avoir plus été
relevés par les Romains.
On sait que la Kocher, torrent assez considérable,
après avoir formé une courbe qui répond exactement
à celle que forme le Jaxt, se jette dans le Necker, à
une faible distance du second , vis-à-vis de Wimpfen.
Des traces d'une chaussée romaine existent encore
qui liait le dernier lieu au camp d'OInhausen. Elle
reliait entre ces deux endroits, sur la Kocher, un autre
établissement romain , sur les ruines antiques duquel
s'est élevé Neuensladl , c'est-à-dire la ville moderne.
Cet établissement aura eu le sort des autres lieux
environnants. Les antiquités qui y ont été trouvées
nous reportent au règne de Septime Sévère, et parmi
ses inscriptions il est une qui s'adresse à Apollon
Grannus.
Le castel romain placé à Bûrg, tout proche de
Neuenstadt, paraît avoir été destiné à protéger les
abords de la forteresse. Une inscription trouvée dans
ses ruines^ nous reporte au même règne de Septime
« IMP. CAES. M.
AVR. AINTONINO.
AVG. L. SEPT. SE
VERl. AVG. N. FILI
STATVAM • OB
HONOREM • DEC
ET • FLAM ....
DU RHIN ET DU DANUBE. 265
Sévère, et s'adresse au fils de cet empereur, Marc
Aurèle Antonin ^Caracalla , qui, nommé Auguste eu
198, alors qu'il avait atteint sa dixième année , reçut
deux ans après le titre de pieux. La pierre, destinée
à servir de piédestal à la statue qui lui fut érigée dans
ce caste! à celte occasion, doit donc avoir été posée
à cette dernière époque.
Sur la hauteur qui domine plus loin Gundelsheim,
a été trouvé un autel qui fut élevé à Jupiter très-
grand, et à Junou, reine des divinités célestes'; h
Obrigheim une autre inscription rappelle le culte de
Mercure^.
Une partie de la troisième cohorte des cavaliers
aquitains était placée à Neckarburken^, où nous
I. 0. M.
ET ivso
M REGI
NAE C. FAB
IVS GERMA
NVS BF COS
PRO SE ET SVIS
VSLLM.
IN H. D. D.
MERCVRIO
AED. SIG. ACR
IIII. L. BELLOMVS
MARCVS A MER
IVSSVS ....
. . . COS.
COH III
AQVIT EQ
C. R.
266 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
pouvons signaler aussi la découverte d'une autre ins-
cription en l'honneur de Minerve ^ qui y fut invoquée
pour le salut d'un empereur; on y trouva en même
temps plusieurs antiquailles et des monnaies. Kael-
bertshausen, Neckargemùnd furent connus des Ro-
mains. Entre Rohrbach et Kirchheim, Mercure était
invoqué. Sans doute plus d'une des tours fortes
que la noblesse habita au moyen âge sur les som-
mets de la riante vallée , date aussi de l'époque re-
culée où ces inscriptions, qui rappellent le culte,
le commerce, l'antique civilisation de Rome, furent
burinées dans la pierre.
Nous arrivons à Heidelberg, ancienne cité dont
le nom est inconnu , mais qui devait être commer-
çante.
Deux sévirs augustaliens, dignité, comme on sait ,
importante au sein des cités, y élevèrent, en effet, une
pierre à Mercure ^ et une autre inscription, trouvée
sur la tombe d'un ancien marchand pleuré par son
MLNERVAE
PRO SALVTE
IMP N
LIBRARI
IN H. D. D. DEO
MERCVRIO ET
APRISSYS ET AC
CEPTVS liiiilvi
RI AVGVSTÂL.
DU un IN ET DU DANUBE. 267
épouse, altesle suffisamment que des transactions
commerciales y avaient lieu^ Celte cité s'étendait
alors probablement sur les deux rives du Necker,
et elle recouvrait sur la rive droite le terrain où re-
pose aujourd'hui le village de Neuenheim, le lieu
neuf, bàli sur l'ancien établissement, et dont le sol
nous a livré une inscription intéressante, qui prouve
que la deuxième cohorte de la cavalerie africaine de
Cyrénaïque y était en garnison^. Dans ces murs, le
culte de Rome était allié à celui de Mithra, apporté
sur le Necker par les Orientaux enrôlés dans les lé-
gions^.
Sur le Heiligenberg, montagne qui domine toute la
contrée du côté opposé au moderne Heidelberg, furent
trouvés deux autels, dont l'un, d'un travail achevé^
était dédié à Jupiter, et portait les figures de la Vic-
' DIS M
VOLCIO MEK
CATORI AN XXXX
L VERIA CARAiNT
CON PIEN' POS.
Dii manibus, yolciopiercntori,annorum quadraginta^Lucia f-'e-
ria Garanti ^conjugi pientissimo, [pietissimo) posuit.
2 COH II AVG
CIREN EQ
TVR AVGI E I RES
TITVT. VALPPCT.
^ Voy. sui- lo mouuiuciil de Neuciilieiiii , Creuzcr. Heidelberg 1838.
268 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
toire, de la Fortune et de VulcainS l'autre était dé-
dié au dieu Mercure"^.
Des traces d antiques constructions romaines ne
peuvent laisser de doute sur l'importance du lieu, où
les uns ont placé un panthéon, d'autres un simple
temple, d'autres des fortifications. Ce qu'il y a de plus
probable,c'estqu'en effet des fortificationsyexistaient,
en même temps que le culte des dieux y était en hon-
neur, que vis-à-vis, sur la rive gauche du Necker,
d'autres remparts couronnaient aussi le Geissberg,
et que ces deux camps ou castels étaient destinés à
protéger l'établissement de la vallée.
Le régime administratif du lieu, attesté par ces
inscriptions, semble devoir nous permettre d'en re-
porter la date à l'époque des Antonins, après la-
i I. 0. M.
IVL SECVN
DVS E IVLIV
lANVARIYS
FRATRES
V. S. L L M.
L'inscription est entourée sur la pierre d'une guirlande de chêne ,
et au-dessous est placé un aigle aux ailes déployées. Sur les trois autres
faces de l'autel sont les figures des trois divinités.
2 MERCVRIO
BASEM CVM . . .
L CANDIDIV . . .
CATOR D C
V. S. L L M.
Mercurio basent cum signo L. Candidius,m€rcator, (decurio civi-
latis?) votumsolvit, etc.
DU RHIN ET DU DANUBE. 269
quelle, en effet, tout tomba, comme nous l'avons vu,
en ruines, et après laquelle Rome ne rétablit plus
qu'à divers intervalles son pouvoir sur la contrée, sans
que ses troupes y restassent cependant assez de temps
pour qu'il se consolidât, pour que les villes se rele-
vassent, et pourqu'elle pût de nouveau s'occuper de
leur administration.
C'est une véritéqui devient deplusen plus palpable,
à mesure que nous avançons. Si , comme on l'a écrit,
le Heiligenberg doit être regardé comme le Moîis
Piri dont parle iMarcellin, et que son sommet soit,
en effet^ l'emplacement de la forteresse que Valen-
tinien voulut faire construire sur le sol allemanique,
après sa campagne de Solicinium, ce n'est pas une
raison pour que primitivement la même montagne
n'ait pas d'abord reçu de tours fortes, et que sur les
ruines du troisième siècle n'aient pu être élevées, au
quatrième, quelques murailles de la nouvelle for-
teresse qui resta inachevée. Car il est avéré, par l'his-
torien même', que ces murs ne furent pas alors mis
à fin , et que les Allemanes n'ayant pu , malgré les
représentations qu'ils firent à l'empereur, en faire
suspendre les bâtisses, fondirent à limproviste sur
les ouvriers et les exterminèrent sans qu aucun
homme n'échappât.
Le fort bâti à l'embouchure du Necker est décrit
d'une manière moins obscure par l'historien ; il est
permis, en suivant son récit, d'en marquer approxi-
mativement l'emplacement.
' Âmm. Marcel., 1. xxvtii o. 2.
270 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Il est incontestable d'abord que le Rhin et le Necker,
pendant les quinze siècles qui se sont écoule's depuis
l'époque où ce fort fut construit, ont plus d'une fois
changé leurs cours. Il est même prouvé, par les ob-
servations géologiques faites dans la grande vallée
où ces deux fleuves se joignent, que le Necker, en
quittant le val d'Heidelberg, jeta un jour au nord un
de ses bras, qui, dans son cours, formant, au pied
des montagnes, une immensité d'îles, et remplissant,
comme un lac, tous les bas-fonds, allait se réunir
au Mein avant de se jeter dans le Rhin. Le second
bras suivait en plusieurs branches le cours qu il
suitencore aujourd'hui, et formait à son embouchure
une sorte de delta , tandis qu'un troisième embran-
chement, arrosant dans ses nombreux détours la
plaine de Schwetzingen, se jetait là dans le fleuve,
qui de même circulait à l'est jusqu'auprès des mon-
tagnes, au milieu des dunes qu'il avait formées ^ Il
ne nous appartient pas sans doute de préciser d'une
manière exacte quels étaient de tous ces divers em-
branchements du Necker et du Rhin ceux qui exis-
taient encore à l'époque de Valenlinien. Les quinze
siècles qui se sont écoulés depuis cette date histo-
rique sont en effet de si peu d'importance, compa-
rativement h l'immensité de temps pendant lequel le
Rhin et le Neckeront dû couler! I\lais il est permis de
penser du moins que, de même que le bras du nord
' Voy. dans le BadischesArchiv fur Vaterlandskxtnde , t. i, l'ar-
ticle intilulé : l'eher den allen Flssulaiif im Oberrlieinthale, par
Mone; el sur la carte qui accompagne mon Mémoire, le cours du
Necker dans sa partie ponctuée.
DU RHIN ET DU DANUBE. 271
n'était pas encore à celle époque tout à lail des-
séché, celui du sud el celui que la rivière remplit
encore aujourd'hui avaient aussi conservé alors, si-
non toutes leurs ramifications, du moins quelques-
unes de leurs branches.
Or, c'est au milieu de ces divers détours du Necker
que, lorsque les eaux se furent en partie retirées,
les habitants primitifs vinrent sur les dunes que la
rivière avait formées construire leurs demeures. De
tous les lieux qu'ils fondèrent et de ceux où les Ro-
niains s'établirent après eux, aucuns ne son t cités dans
l'histoire, à l'exception de Lupodunum, du fort de
Valentinien et de celui d'Altrippe, sur la rive gauche
du Rhin.
Lupodunum, aujourd'hui Ladenbourg, ville dont
parle le poëte Ausonne, nous offre pour preuves de
son antiquité romaine un bas-relief de Mithra, un
autel consacré à Mercure, à Minerve, à Hercule et à
Vesta; un autre petit autel, qu un de ses habitants,
du nom de Quinlius Ursus, éleva un jour à ses dieux
lares; quelques tombes', d'anciens fondements de
* La plus intéressante , sous le rapport archéologique , est celle qui
porte le nom d'Eutychias, nom connu à Athènes et à Lacédémone;
la voici :
D. M.
PARIDIVII
EVTYCHAS
niSP. BENE
MEREMI
r. c
Dis Manibus Paridi Sepfimi (ou Paridivii) Eutichyas dispensa-
fnri heriemerenti faciendum cvravit.
272 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
bâtisses et diverses antiquailles et monnaies'. Le
Necker, en circulant sous ses murs, est encore assez
encaissé dans son lit, de manière que, vue de ses
rives, la cité, quoique placée dans la plaine, semble
être, en effet, bâtie sur une hauteur, ainsi que l'ex-
prime la terminaison antique de son nom. Nous avons
vu , en parlant de Solicinium , que ce fut ici , qu'après
la bataille qui se livra sur les hauteurs qui dominent
cette ville , les légions vinrent de nouveau combattre
les Allemanes avant de repasser le Rhin. Ce fut après
cette nouvelle victoire, où ces peuples furent encore
repoussés, que, pour les contenir et leur fermer le
passage des Gaules, Valentinien bâtit, à l'embouchure
du Necker (et sans doute là où le Rhin recevait le
bras de cette rivière le plus favorable à la naviga-
tion), la forteresse auquel il donna son nom. Ammien ,
dans ses pages historiques, parle avec assez d em-
phase de ce lieu et, sans faire mention du Rhin, nous
* Les plus anciens documents du moyen âge citent cette ville sous
le nom de Lopoduna, de Lobodo , de Loboduna civitas, d'où avec
le temps s'est formée la terminaison allemande de Lobedunburg , Lobr
denburg , Laudenburg ^ et enfin Ladenhurg. Voy. A. Lamei , Pagi
Lobodunensis descriptio, dans les .^ct. Jcad. Palat., i, p. 217. Quant
à l'inscription qui fut un jour murée dans le château de Ladenbourg,
et qui a été depuis transportée à .Mannheim, inscription dont on a
voulu se prévaloir pour prouver que l'enclave de la cité de Mayence
s'étendait sous l'empire de Dioclétien jusqu'au Necker, je ne la citerai
point ici , parce qu'il est avéré par un document manuscrit qui se trou-
vait autrefois dans la bibliotiièque de Worms , que la pierre de marbre
blanc qui la supporte n'a pas été trouvée à Ladenbourg , mais qu'elle
y a été transportée de Mayence avec plusieurs autres antiquités parle
savant évêque Jean de Dahlberg. Voy. Lehne, Rômische .illerthUmer
des Donnershergs , p. 402 et sv.
DU RHIN ET DU DANUBE. 273
dit seulement que l'empereur, craignant , lors de son
achèvement, que le Necker (dont, par conséquent,
ces murs étaient baignés), pût être nuisible à leur
solidité, songea à lui donner un autre course Mais
Symmaque, dans les louanges qu'il prodigue au
souverain, parle au contraire de deux fleuves et des
digues qui les contenaient et qui protégeaient les mu-
railles à pans inclinés que flanquaient des tours dont
la base plongeait dans les eaux -. Ces deux fleuves ne
peuvent pas s'entendre des deux bras du Xecker, qui
durent alors exister à Lupodunum, mais bien du
Rhin et de celte rivière; et il faut nécessairement
que la forteresse de Valenlinien ait été placée à
l'angle même de leur jonction. Comme il est géolo-
giquement prouvé que de tous les bras du Necker,
à l'ouest, celui qui forme encore seul aujourd'hui
son lit a toujours été le plus considérable, et que
le canal qui fut creusé au quatrième siècle, et qui ,
partant de Ladenbourg, baignait encore au moyen
âge le village de Xeckarau, ne dut servir qu à mi-
tiger, pendant leur crue, le cours impétueux des eaux
qui tombaient dans le fleuve par le lit principal , il est
' t Denique cum reputuret miinimentum celsuni et txdum , quod
« ipse a primis fundarat auspiciis, pr.^terlabente Nicro >omine
«FLLVIO, paulatim subverti posse iindarum pulau iminani, niea-
'< tum ipsum aliorsum vertere cogitavit: tt qusesitis artificibus peri-
< fis aquarix rei , cnpiosa viilitis manu urdinim eut opus aggres^
1 sus , etc.» Anim. Marcel., 1. xxviii, c. 2.
- « Duoruin jluviinum. . .. gnara dedecus.... manus geminas ag-
< gerum institidiones mole vallavit. Succedit scœna murorum ian-
« lum ex ea parte declicis qna margines ttirrium Jluenfa perstrin-
■<gant.» Laudd. hi f'alenfhi.
I 18
274 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
permis avec quelque raison de regarder le mo-
derne Mannheim comme l'emplacement présumable
de la forteresse décrite par Ihistorien. Car tout
semble attester que le bras du Rhin , qui a laissé ses
traces à l'est de cette ville, et qui est d'une an-
tiquité bien reculée au delà de l'époque romaine,
n'était pas cependant encore tout à fait à sec au
quatrième siècle; il est à peu près certain que les
eaux du fleuve y circulaient encore en partie, quoi-
que le principal lit du Rhin fût alors déjà le même
que celui qu'il remplit aujourd'hui. C'est ce qui
éclaircit le passage de Symmaque, qui parle des quais
encaissant le fleuve des deux côtés^; et ce qui explique
les craintes qu'eut Valentinien que la trop grande
masse des eaux du Necker, battant en commun avec
les vagues du Rhin ces murailles, pût en entamer la
solidité.
Le changement de direction du Necker ne peut pas
s'entendre de tout le lit de cette rivière, puisque la
forteresse paraît avoir été principalement bâtie pour
contenir les Allemanes, et avoir été placée à son em-
bouchure, afin de fermer aux barbares cette voie qu'ils
suivaienttoujours pour passeravec leurs barques dans
les Gaules. On ne peut l'entendre que d une partie de
son cours, afin qu'en cas d'inondation, la solidité des
murs dont les deux fleuves baignaient le pied ne pût
être entamée. Ainsi, c'est d'un canal que Valentinien
fit creuser qu'il s'agit ici, et ce fut sans doute aussi
1 « . . . nani hrachiis utrinque Rhenus îirgetur, vi in varias usus
( tutnm prœbeat meatum.t Laudd. in raient.
DU KHIN ET DU DANUBE. 275
pour en protéger l'issue que, tout proche de son em-
bouchure dans le Rhin, le fort d'Allrippe s'éleva vis-à-
vis sur la rive gauche du fleuve. C'est dans ce dernier
lieu que, pendant que le souverain présidait à ces
travaux, il signa, le 20 juin, une ordonnance que le
Code de Théodose nous a conservée.
La forteresse de Valentinien dut être imposante,
s'il faut s'en rapporter à Syramaque, témoin ocu-
laire', qui en décrit toute la splendeur, et qui vante
la coupole dorée qui s'élevait au centre de ses mu-
railles, et le parapet revêtu de plomb qui s'étendait
à sa base^.
Les guerres qui suivirent de près la mort de Va-
lentinien auront causé la ruine de ces murailles,
et elles auront eu d'autant plus à souff'rir du ravage
des Allemanes, que ces peuples avaient à venger les
cruautés commises contre eux par leur fondateur.
Altrippe ne fut pas plus épargné; le Rhin a en-
glouti le fort avec la dune qui le soutenait ^ En ar-
rière ne se montrent plus aujourd'hui, à quelque
distance, que les chaumières d'un village qui en a
conservé le nom. Ce fort dominait la plaine, oui nous
avons vu, du sommet de l'Eichelberg , les ves-
tiges de la colonisation romaine, et où la vingt-
' t Interfin, Auguste venerabilis , cum positis amns fundamenta
t describeres . etc.t Laudd. in Falentln.^ Orat. ined., 6, p. 18.
^tStat medio arcis aurata sublimitas , et tecto cvmitur pro
t tropeo; cui perarduiet prona declivis levis plumbi loricasubtexi-
f tur i> Syminach., Laudd. in Falentin., 7, p. 19.
3 t Testis est hase ipsa ripa, cui altitudo nomen imposuit.-» Sym-
niach., oral, ii, Laudd. in l'aient., c. 3, p. 16.
I.
18.
276 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
deuxième légion , cette légion que commandait Ju-
lien' avant d'être empereur, a aussi laissé quelques
souvenirs àWiesloch^. Une inscription à Mercure Vi-
sucius, qui rappelle l'inscription que nous avons
trouvée dans les ruines de Kœngen , est venue s'offrir
à nous à Hockenheim^ C'est entre ce dernier lieu et
Heidelbergquese déploie le moderne Scliwetzingen ,
dont les tombes antiques attestent la haute ori-
gine*.
Ces tombes, dans leur mystérieux langage, nous
ont à la fois révélé la vie paisible et laborieuse des an-
' Legioni prœfuit in Germania vkesimx secundœ, prhnîgeniœ,...
M\. Sparlianus, m Didio Juliano, ci,
^ LEG XXII. PR. P. F {primigeniœ , pix , fidelis).
3 VISVCIO
MERCVRI
SENILIS
MAS. S. F
V. S. L. L. M.
Fisucio Mercurio Senîtîs Massiliensis, Senilis filius , vutum aol-
vit, etc.
Une autre inscription du même lieu, gravée sur une plaque de bronze,
était adressée à la déesse Sirona ; la voici :
DEAE
SIRONAE
CL. MARIANVS.
V. S. L. L. M.
* Consultez Ilsefelin, Dissertatio de sepulchrîs romanis in agio
Schwelzingiano reperiis, dans les Jet. 4cad. Theod. Palut.y t. iv,
p. 52 et sv.
DU RHIN ET DU DANUBE. 277
ciens habitants de ce lieu, et les temps de guerre et
de destruction, où ces plaines furent témoins de tant
de combats. Sur ce sol, incontestablement, s'est passé
un des drames sanglants des longues guerres du qua-
trième siècle, où dans le conflit de Romains et d Al-
lemanes, toujours aux prises sur ces frontières,
chaque parti, en avançant ou en reculant, portait
également le meurtre et la dévastation.
278 ÉTABLISSEMENTS IlOMAINS
§2-
ÉTABLISSEMENTS DE LODENWALD ET DU TAUNUS.
Entre le Mein et le Necker, depuis Miltenberg jus-
qu'à Eberbach , s'étend la chaîne de monts connue
sous le nom d'Odenwald. La première de ces rivières
la borne au nord, et la seconde au sud, où se groupent
les principales hauteurs, dont les sommets ne sont
toutefois que d'une faible élévation. A l'époque loin-
laine qui nous occupe, toutes ces montagnes étaient
encore en majeure partie désertes et couvertes de
forêts de chênes, de hêtres et de sapins que la hache
du Celte primitif avait respectées, et où le Germain ,
plus tard , avait offert des sacrifices à Odin. Une foule
de ruisseaux limpides prennent leur source dans ces
montagnes et, descendant au sein des vallées, se réu-
nissent en torrents, dont les trois principaux sont
le Mûmling et la Gersprinz, qui l'un et l'autre tombent
dans le Mein, et la Weschnitz qui se jette dans le
Rhin. Entre le premier de ces torrents et le Mein
s'étend une crête remarquable qui, commençant
dans les environs de Mudau, se prolonge l'espace
de huit lieues jusqu'au fort d'Obernbourg. Elle pré-
sente partout un plateau assez large, et vous do-
DU RHIN ET DU DANUBE. 279
minez de cette crête élevée toute la basse région du
Mein , en arrière duquel les Romains , en prenant pos-
session de la contrée, posèrent d'abord leurs tours
fortes.
Cène fut point la beauté du pays, ce furent encore
moins ses richesses et sa fertilité qui les y attirèrent ;
car aujourd'hui encore que la culture, depuis près
de deux mille ans, s'y est développée, ces montagnes
sont pauvres, et le climat y est toujours rude. Mais
c'est que celte position était formidable, et qu'il était
important de contenir les Germains au delà de ces
forêts vierges qui leur servaient de repaires, et d'où
ils venaient inquiéter le Rhin chaque fois qu'ils
voyaient le moment favorable d'y faire du butin. Ni
le Necker, ni sa riante vallée, ni la plaine que le
fleuve arrose, n'auraient pu être en sûreté tant que
ces montagnes auraient recelé dans leur sein leurs
sauvages peuplades. Les Romains leur en fermèrent
donc l'entrée en liant aux fortifications du Taunus
cellesqu'ils avaient érigées au sud en avant du Necker;
par une suite de castels que nous avons parcourus
en faisant la description du grand rempart, ils for-
tifièrent, en avant de l'Odenwald , cette limite de l'Em-
pire.
Osterburken, au nord du Jaxt, est le premier
lieu romain que nous trouvions sur cette limite an-
tique
Un poste de la huitième légion, du surnom d'Au-
guste, de pieuse, d'heureuse et de constante, y grava
sur une pierre que le soc d'une charrue heurta en
1717, une inscription qui instruit la postérité que les
280 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
soldats de celte légion élevèrent un jour à leurs frais
le monument qu'elle décorait'. Osterbùrken était
sans doute un camp romain placé sur le rempart,
dont quelques traces se découvrent encore près de
Bœdigheim.
Walldûrn , que nous visitons ensuite, a de même
offert une inscription placée sur un autel dédié à
Mars et à la Victoire ^ Selon toute probabilité,
cet autel fut érigé en 235 de Jésus -Christ, pour
rappeler la victoire que Maximin et son fils, qui à
cette époque prirent le nom de Germanique ^ rem-
portèrent effectivement dans ces environs sur les
Germains.
A Eichenbiihl, sur l'antique rempart, ont aussi
été découverts sous terre quelques restes de cons-
i LEG. VII!
AVG
p. F. C.
A. S. F.
Legiu oclava, Auguste ^ pia, felix, constans^œre suo fecit.
Eckard , Frmic. or, i, 10.
2 PRO SALVTE • AVGG
MARTI • ET • VICTO
RIAE • ARAM • PO
SVIT • C • COMINI
Pro sainte Augustorum, Marti et ^ictorix aram posuit Cajus
Cominius Le reste de l'inscription manque.
3 Voy. première partie de ce Mémoire, p. 81.
DU RHIN ET DU DANUBE. 281
truclions romaines*. En avant de cette ligne, et
à la jonction de plusieurs petits torrents, est l'abbaye
d'Amorbach, placée sur les ruines d'un ancien lieu
romain, où nous trouvons postés des Bretons de
Triputium'^ sous le commandement d'un centurion
de la vingt-deuxième légion. On y révère, dans une
chapelle, un saint Amour, à la place même oii, du
temps des Romains, les nymphes présidant à la fon-
taine d'amour furent invoquées parces soldats étran-
gers'.
Le christianisme a là , comme en tant d'autres
endroits, substitué son culte au culte antique, et fait
un saint du dieu qui y était adoré. Près de Milten-
berg, à l'embouchure delà Muidt, furent aussi dé-
' Près de là, dans une ancienne carrière, gisent encore à terre dix
colonnes colossales de dix à vingt pieds de longueur, et qui peut-être
destinées à un ancien temple n'ont jamais été achevées. En 1825, on
découvrit au même lieu trois monnaies de Trajan , d'Adrien et d'An-
tonin-le -Pieux, qui semblent devoir indiquer l'époque où ces colonnes
ont été taillées.
2 Ville d'Angleterre , aujourd'hui Dowbrigde.
3 NYMPHIS ô
N. BRITTON
TRIPVTIEN ^
SVB CVRA ô
M ^ VLPI
MALCHI ô
> LEG XXII
PR ô P (^ F ^ji
Nymphis, Numerus Brittonum Triputîensium, sub cura Marci
Vlpii HfalchijCenturionis legionis XXII ^ primigeniœ, pise, fidetis.
282 ÉTABLISSEMEINTS HOMAIINS
couverts en un lieu nommé Altenstadt, locus anli-
quus, quelques restes de murailles, des monnaies et
un fragment d'inscription qui, tout imparfait qu'il
est, suffit cependant pour nous prouver son origine
romaine'. Là étaient postées quelques troupes, tirées
de la Séquanie et du pays des Rauraques. Peut-être
la tour qui domine la petite ville a-t-elle au moyen
âge été placée sur les débris d'un castel plus antique.
Elle correspondait, en avant du rempart et de l'autre
côté du Mein, avec la tour de Rosshof et celle qui,
sur la rive droite de cette rivière, couronnait, vis-à-
vis de Trennfurlh , la hauteur du Rlingenberg. C'est
proche de Freudenbergque le rempart venait aboutir
ail Mein; nulle inscription du grand peuple ne se
rencontre plus au delà. Si de temps à autre la pioche
met à nu des tronçons d'armes qui lui ont appartenu ,
ils sont toujours mêlés à des tronçons d'armes qui
ont appartenu aux Germains qu'il combattit. Ces
restes enfouis sous le sol prouvent les chocs sans
nombre qu'eurent entre elles les armées des deux
nations, comme le double rang de fortifications que
Rome éleva en avant de l'Odenwald et sur ces mon-
tagnes, prouve l'importance qu'elle attachait à dé-
fendre ce passage.
Une armée, en effet, maîtresse de ces hauteurs,
pouvait , si même la première ligne eût été rompue ,
' Le voici :
SEQ E^R RAVRACOR
VM. CVRAVERVNT.
DU RHIN ET DU DANUBE. 283
attendre de pied ferme dans cette position un ennemi
supérieur en nombre, et qui , pour atteindre ces pla-
teaux, était contraint de s'avancer par des défilés
ardus, d'où les flèches et les frondes de ses adver-
saires pouvaient facilement le décimer. Le seul point
faible de toute la crête de ces montagnes était le dé-
bouché du val de Mùmling dans la vallée du Mein;
c'est là aussi que la plus grande masse de retranche-
ments avait été construite. Une route qui d'Obern-
bourg s'élevait su rie plateau, le parcourait dans toute
sa longueur en reliant ces camps divers; elle aboutis-
sait par une courbe à Mudau, et descendait de là
par le ScheidenthaP, d'où, se partageant en deux
branches, elle allait joindre par Waldmûhlbach^ le
val du Necker, et le Jaxtthal par Bœdigheim. Les
restes de cette chaussée sont les seules antiquités
romaines que les environs de Mudau aient jusqu'ici
présentées. On peut encore les suivre pendant quel-
que temps dans la direction de Schlossau, village
que domine l'antique castel qui lui a donné son
nom.
Le carré du camp peut encore s'observer; de ses
* On a trouvé à Oberscheidenthal plusieurs monnaies d'argent des
règnes de Vespasien , de Nerva et de Sévère , dont une entre autres
était de faux aloi {subxrata).
2 La seule inscription qui y ait été trouvée est enclavée dans le mur
de l'église. Je la donne ici , d'après Leichtlen , tout incomplète qu'elle
soit :
VI Vie
ET FILIVS E . .
COL VBIETO.
284 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
ruines, qui ont servi à bâtir les maisons du village,
a été tirée une inscription qui nous parle des mêmes
Bretons de Triputium qui élevèrent l'autel d'Amor-
bach. Ils étaient de même placés ici sous les ordres
d'un centurion de la vingt-deuxième légion, lorsqu'ils
posèrent cet autel dédié à la Fortune'. Soit que des
troupes du même nombre aient été cantonnées en
même temps dans les deux endroits, sous les ordres
dedeuxcenturions.soitquelamêmetroupeaitalterné
de garnison et de chef, il faut à peu près rapporter à la
même époque les deux inscriptions qu'elles ont lais-
sées. Le manque d'eau potable sur la hauteur (car l'on
voit , par les restes d'un chemin, qu'en effet les soldats
étaient obligés d'aller la chercher dans la vallée) a
sans doute porté les ingénieurs romains à ne pas
placer le castel sur le sommet de la montagne. Toute-
fois une tradition qui s'est conservée parmi les mon-
tagnards du lieu , parle de l'existence d'une antique
• La voici :
FORTVNAE SAC
BRITTONES TRI
QYI SVNT SVB CVRA
T. MAJNI. T. F POLLIA
MAGNI SENOPE
> LEG XXiT. P. P. F
Fortunx sacrum, Brîttones Triputîenses qui sunt sitb cura Titi
Manii ^ Titi f lit, Pollia magni Senope , centurionis legionis XXII
primigenix, pix,Jidelis.
Senope était une ville du Pont , résidence des souverains. Strabon ,
Geogr., 1. xii, c. 3, § 2, la décrit comme une ville superbe et remar-
quable.
DU RUIN ET DU DANUBE. 285
lour d'observation qui a dii y être posée. Cette toura
disparu, et rien ne justifie cette tradition, si cène sont
quelques pierres, taillées selon le mode romain , qui
peuvent en avoir été extraites et qui se rencontrent
effectivement encore çà et là dans les murailles des
fermes environnantes. Un barrage, destiné à pro-
léger les abords du camp, coupait en cet endroit le
plateau de lamontagne dans toute sa largeur; le camp
était défendu en avant par un autre petit castel qu'en-
tourait un fossé dont les traces et le mur n'ont pas
encore disparu. La crête de la montagne n'a là qu'une
minime laigeur, et des deux côtés viennent y aboutir
deux défilés. C'était pour observer ce passage, dont
les flèches de la garnison pouvaient du haut de ces
créneaux défendre l'aboid , que ce fortin avait dû
être construit comme une espèce d'échauguette.
Entre ce petit castel et le camp d'Hesselbach se
rencontrent les traces de deux autres barrages, gar-
nis d'un double fossé autrefois muré. Ils étaient pro-
bablement dans l'antiquité garnis d'une porte des-
tinée à fermer ou à ouvrir les connnunications de
l'un à lautre camp. Nulle part le plateau n'est, en
effet, plus étroit; nulle part ses abords ne sont plus
escarpés. En cas de retraite, il fallait donc suivre la
route dans lune ou l'autre direction ; et c'était pour
donner aux troupes le temps de l'effectuer, en cas
que l'ennemi se fût rendu maître du plateau , que ces
divers retranchements avaient sans doute été élevés.
D'une autre part, comme c'était de toute la crête des
montagnes, depuis Obernbourg jusqu'à Mudau,Ie
point le plus facile à aborder par levai d'Amorbach,
286 ÉTABLISSEMENTS ItOMAlNS
un autre rempart en terre, semblable à peu près à
celui que nous avons parcouru à OEhringen, et garni
en avant de deux fossés, éloignés de trente à qua-
rante pieds l'un de l'autre, avait été élevé tout le
long du plateau. Ces fortifications étaient destinées
à protéger la route militaire qui, en arrière, joignait
les deux camps d'Hesselbach et de Wûrzberg.
Le premier de ces camps montre encore le plan
de ses murailles antiques, dont le front comprenait
une largeur de 100 pas, et les deux côtés en avaient
80. Leurs décombres , qui partout présentent une
surface de 10 pieds, s'élèvent encoie au-dessus du
sol à la hauteur de 5 à 6 pieds. L'autre, placé au
point culminant de plusieurs vallées parallèles, forme,
comme celui dHesselbach, un carré long, dont les
quatre faces regardent les quatre points cardinaux.
Il a une longueur de 287 pieds sur 259 de largeur, et
est entouré d'un fossé de 10 jusqu'à 15 pieds de large.
D'après une inscription trouvée dans ses ruines, la
vingt-quatrième cohorte des volontaires y fut un jour
postée ^
De ce camp à celui d'Eulbach, vous pouvez dis-
tinguer encore quelques traces du rempart et du
double fossé qui le protégeait.
La position de cet autre fort, qui domine le fond
COH XXIIII vo
Pour plus de détails sur ce lieu, voy. Knapp, liùmhche Dfnkmale
tics Odenwaldes, première partie, § 21. Tout auprès Curent aussi
trouves les restes d'un bain décrits par le même autour, p. 156 el sv.
DU HIIIN ET DU DANUBE. 287
de la gorge de Waltersbach, permettait à sa gar-
nison d'explorer le plateau, dont on peut, du haut
de ses ruines, voir toute l'étendue.
Les angles de ce caslel étaient arrondis, et il avait
cent cinquante-six pieds de long sur cent quarante
de large; il était garni d'une porte principale dont
on peut encore très -bien distinguer remplacement
du côté qui legarde la région du Mein. Une monnaie
du règne de Domitien et quelques débris de poteries
sont du reste les seules antiquités qui aient été dé-
couvertes dans ses décombres.
De ce lieu aux fortifications de Vielbrunn et au
camp d'Iïainhausen, on peut voir très- distinctement
les traces de 1 antique chaussée romaine , dont le pavé
est encore çà et là en partie intact. Le fossé et le
rempart de ce dernier fort', dans les environs duquel
ont été découvertes les ruines d'un bain antique ^
sont aussi en partie reconnaissables.
Plus loin, sur la hauteur, se remarquent les restes
d'une tour d'observation; elle planait sur le Hain-
grund, vallée qui s élève de la contrée du Mein.
A upe faible distance de cet endroit, vous atteignez
alors, près de Lûzelbach, l'un des castels les plus
étendus de toute la ligne, et qui n'avait pas moins
de deux cent quatie-vingt-onze pieds de long sur
deux cent trente pieds de large ^ Le terrain com-
1 On a trouvé dans ses ruines une monnaie d'argent du règne de
Septime Sévère , très-bien conservée.
2 Knapp, ouvrage cité, eu a donné la description, p. 158 et sv.
•* On y a aussi découvert quelques restes qui peuvent avoir appar-
tenu à un ancien bain. Voy. Knapp, ouvrage cité, p. 162.
288 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
mence ici à s'abaisser insensiblement vers l'em-
bouchure du Miimiing, de chaque côté de laquelle
un fort était placé.
Celui de la rive droite du torrent, à son embou-
chure dans le Mein, fut, au moyen âge, appelé le Nie-
derbouig, ou le fort inférieur,etcelui delà ri vegauche,
avec les pierres duquel une nouvelle population cons-
truisit ses demeures, fut appelé l'Obernbourg, ou
le fort supérieur, nom qui a donné le sien à la petite
ville placée près de ses ruines. Dans ce lieu fut pos-
tée la quatrième cohorte des cavaliers aquitains \
Gaulois qui, avec les Bretons, semblent avoir été les
principales troupes préposées à la défense de cette
partie de l'Odenwald.
Pour couvrir, d'une autre part, l'angle des mon-
tagnes du côté du nord, en cas que 1 ennemi, ayant
passé le Mein , pût menacer le Necker, il paraîtrait
que les Romains avaient aussi posé sur le Miimiing
même un autre camp. Près de ses ruines s'est plus
I. 0. M. APOLLINI ET AES
L. PETRONIVS CVLAPIO SALVT
FLORENTINVS FORTVNAE SACR
DOMO SALDAS PRO SALVTE L. PE
PRAEF COH un TROM FLOREMI
AQ EQ. C. R. M PRAEF COH IIIl
V. S. L L M. AQ EQ C R M. RV
BRIVS ZOSIMVS
MEDICVS COH SS
DOMV OSTIAH
ER V. S L L M .
DU IVIlllN ET DU DANUBE. 289
lard élevé, sur la rive gauche du torrent, Neustadt,
ou la ville neuve^Ce camp, placé entre Obernbourg
et Hummelroth^, où existait un autre castel, proté-
geait cette ligne de défense, que soutenaient en ar-
rière le camp de Lûzelbachet, non loin de Vielbrunn,
celui d'Hainhausen, que j'ai déjà cité, et, entre ce
dernier et les établissements de la Muidt, un autre
castel dont les ruines sont encore visibles près d'Oh-
renbach.
1 Les ruines de ce camp , qui a dû être placé sur le Breuberg, ne se
voient plus. Seulement, lorsqu'on io43 on y flt des fouilles, on dé-
couvrit plusieurs voûtes brisées , enfouies sous le sol , et dont l'une
portait encore les traces du feu le plus violent. Une des bâtisses que
ces voûtes avaient dû recouvrir, présentait assez la forme d'un bassin
carré, dans lequel gisaient les tronçons de quarante-neuf colonnes. Une
autre était pavée de briques. Dans la troisième, dont le pavé était sil-
lonné par quatre canaux, se trouva un autel. Des débris d'escaliers,
et une autre pierre , encore droite sur sa base et portant l'inscription
suivante :
FORTV
NAE SAC
RVM L
CVRITIV . .
VRSINVS
furent aussi trouvés dans ces ruines. Tous ces restes semblent avoir
appartenu à un bain antique, et dénotent que dans cet endroit existait un
établissement romain considérable. Il paraîtrait que la vingt-deuxième
et la vingt-quatrième légion y eurent un poste. Voy. Schneider, Er-
bachische Hist., p. 306; Hanselmann, Rômische Monumenten, p. 228
et sv.; Knapp, Rômische Denkmale des Odenwaldes, p. 90 et 91;
Winkelmann, Beschreibung von Hesaen, p. 112, etc.
2 On y a aussi trouvé les traces de deux bains antiques. Voy. Knapp,
ouvrage cité, p. 163 et sv.
19
290 ÉTABLISSEMENTS ROMAllNS
En cas de retraite sur le Necker, c'était par le pla-
teau de Wûrzberg et par Waldbullau , où une ins-
cription nous apprend qu'un poste de la huitième
légion eut son quartier \ que cette retraite devait
s'effectuer; ce fut sans doute pour la soutenir qu'entre
Wiirzberg et Bullau furent aussi tracés sur cet autre
plateau des montagnes les deux barrages qui en
coupent la superficie, l'un près du Kraehberg, l'autre
à travers les bois de la commune de Schœnen.
Toutes ces fortifications, dont il est vraisemblable
qu'Adrien fut le premier fondateur, n'ont cependant,
pas plus que celles du Necker, résisté à la grande
invasion des Aliemanes dans la première moitié du
troisième siècle. Nulle des inscriptions que nous
venons de citer n'est du moins d'une date plus ré-
cente que cette époque. Quelques monnaies de Cons-
tantin II et de Constance, trouvées dans une tombe
près de Wiirzberg; d'autres, aux types de Pompée,
de Germanicus, de Sabine, de Vespasien et même
de Valentinien , trouvées dans d'autres tombeaux , ne
peuvent prouver en faveur d'une occupation posté-
rieure. Nous savons, en effet, qu'en 357, sous les
1 FORTVNAE
L. FAVO?IVS
SECCIANVS
> LEG VIII AVG.
Fortvnx L.Favonius Seccîanus, centurio tegionîs Vlil Augustœ.
Sur une autre pierre, grossièrement sculptée, trouvée au même en-
droit, se remarquent les quatre figures de Minerve, d'Hercule, de la
Fortune et de Mercure. Voy. Schneider, Erbachische Hisf., p. 270.
DU RHIN ET DU DAKUBE. 291
premiers de ces empereurs , les Romains firent une
expédition contre les Germains; nous savons encore
qu'en 368 , Valentinien vint combattre ces peuples
sur le Necker, et que sa retraite dut s'effectuer par
les monts où cette rivière, après une courbe, va
se jeter dans le Rhin. En résumant les opérations de
cette campagne, nous avons parlé du combat qui eut
lieu à Lupodunum. Une de ses avant-gardes a donc
pu s'avancer à cette époque jusque sur le Mein et sur
les plateaux qui le dominent.Quelques-uns des soldats
qui tombèrent ont pu être déposés dans les tombes
ruinées d'une époque antérieure, sans que l'on soit
en droit de regarder tous les monuments où des mon-
naies d'une date postérieure aux Antonins ont été
trouvées, comme ayant été alors construits en pré-
sence de lennemi.
Ces tumuli nombreux, dont une trentaine encore
montrent leurs ruines au-dessus du sol, ne sont pas
les antiquités les moins remarquables de ces mon-
tagnes.
D'après ce qu'on en peut juger, c'étaient dans le
principe autant de tourelles peu élevées, qui de
quart de lieue en quart de lieue se succédaient tout
le long du plateau de l'un à l'autre camp, tantôt d'un
côté de la route, tantôt de l'autre. Les murs, ornés
decippes, n'avaient pas plus de deux ou trois pieds
d'épaisseur, et ils formaient à l'intérieur un carré
parfait de douze à quinze pieds de diamètre. Aucune
issue ne conduisait dans ces monuments, dont la
hauteur semble n'avoir pas dépassé à l'intérieur le
nombre de pieds qu'avait la base en terre qui les
I. 19-
292 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
recouvrait à l'extérieur. Ils durent avoir la forme de
dés et sans doute ils étaient recouverts d'une toi-
ture.
Dans leur état de ruines, ils sont enfouis sous une
masse de terre, sans qu'il soit permis d'affirmer si
celte terre entourait ces monuments dans le principe ,
ou si elle y fut transportée, lorsque le hasard rame-
nant après un siècle les légions sur ce plateau, elles
voulurent dérober aux injures des barbares ce qui
en restait. Nulle des urnes qui y furent déposées n'a
été retrouvée entière; l'on n'a aussi retrouvé qu'une
seule inscription qui gisait parmi les débris d'une
de ces tourelles funéraires, proche de la route d'Eul-
bach à Wiirzberg. Elle est d'un intérêt majeur, tout
incomplète qu'elle soit, en ce qu'elle date avec certi-
tude de l'époque des Antonins^
Proche de chacune de ces tourelles s'élève un mon-
ticule factice, recouvert de gazon, qui rappelle par
sa forme les tombelles celtiques. Tout annonce que
le feu y brûla, et que les corps furent réduits en
cendres pour être ensuite déposés dans les urnes.
• R TIO
M TRI
T LMP
NT im C S
imperatore Antonino IIII conshle.
Antonin-le-Pieux , en 145; Commode, en 183; Caracana,en 213,
et Heliogabale , en 222 , furent , pendant leur règne , consuls pour la
quatrième fois (voy. les Fasti consulares, d'Hederich). C'est donc
sous l'un de ces empereurs de la famille Antonine que celte inscrip-
tion a été gravée.
nu RHIIN ET DU DArSUBE. 293
Sur aucune autre partie de la limite antique, de telles
lombes, de telles tours, n'ont frappé nos regards, et
je suis porté h croire avec quelques observateurs
qui les ont visitées, que toutes ces tours, qui effecti-
vement servi rent d'ossuaires, ont cependant encore eu
une autre destination, et qu'elles servirent aussi de
points d'observation , dans les moments de danger.
Les gardes placés à leurs sommets pouvaient, en
effet, du haut de ces postes élevés, explorer toutes
les vallées environnantes.
La ligne dont les restes se découvrent encore sur
le Spessart, au delà du Mein, et qui, pallissadée et
garnie de fossés , allait aboutir aux fortifications de la
Nidda , était jointe à celles de l'Odenwald par un bar-
rage qui , descendant du camp d'Eulbach , se dirigeait
vers l'embouchure de la Muidt, et de là vers Eichen-
bûhl, d'oii il remontait au nord. Cette ligne fut plus
tard prolongée jusqu'à celle du Necker. Sa destination
semble avoir été plutôt de marquer la frontière pen-
dant un temps de paix entre la province romaine et les
peuples germains, que de contenir ces derniers dans
les temps de guerre. Aussi est-ce sur l'Odenwald et
sur le Mein que, en arrière de cette ligne, s'élevèrent les
principaux établissements, tandis que sur le Spessart,
au sein des forêts que la ligne parcourait, n'existèrent
jamais que quelques petits forts' destinés à observer
les principaux passages, etautour desquels la coloni-
sation ne semble jamais s'être étendue. Ce n'est que
' A AUenbourg, à Burgberg, à Hallharaer, à Waldaschaff, à Mœnch-
beig
£94 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
jusqu'à la hauteur de l'Elsava que nous trouvons
cette colonisation florissante, et c'est sur les rives de
ce torrent, où la nature est douce et belle, que se-
tendait l'établissement d'Ascis\ cité par le géographe
de Ravenne, et autour duquel ont été découverts
plusieurs tombeaux qui révèlent, en effet, une ori-
gine romaine^. Grossheubach, au bord du Mein, a
aussi été connu du grand peuple^. A l'embouchure
de l'Elsava, la colline qui domine Elsenfeld fut in-
contestablement garnie d'une tour d'observation*.
En avant on remarque encore une ancienne ligne re-
tranchée ^, et vous voyez sous vos pieds s'étendre la
plaine où une antique tradition parle d'un combat
qui fut là livré par les Romains , et qui est probable-
ment le champ de bataille où Caracalla vainquit les
Allemanes au bord du Mein 6.
Cette rivière, barrage tracé par la nature, fut de
bonne heure la limite que Rome s'assigna, lorsqu'elle
eut passé le Rhin.
Aussi , au confluent de toutes les rivières qui y
découlent, à l'embouchure de la Nidda, à celle du
Kahl, de la Gersprinz, de l'Aschalî, du Mùmling et
de la Muidt, établit-elle ses castels.
• Aujourd'hui Eschau.
2 Toutes les antiquités qui en sont sorties sont aujourd'hui déposées
dans le cabinet du comte d'Erbach.
3 On y voyait autrefois un bas-relief d'un assez bon travail, qui mal-
heureusement ne s'y trouve plus.
* On peut encore en voir les vestiges.
^ Der Blutsgraben^ le fossé du sang.
<> Aurelius Victor, De Cœs., c. xxi.
DU RHIN ET DU DANUBE. 295
Une route liait les fortifications de l'Odenwald à la
ligne du Spessart. Elle venait aboutir, en reliant l'é-
tablissement romain d'Ascis, au gué qui, à Trennfurth,
formait un passage fréquenté et qui a même donné
son nom à l'endroit'.
Les vexillaireset les lignarii(pontonniersdela vingt-
deuxième légion) qui y étaient postés, y ont laissé une
inscription en l'honneur de Jupiter, de Diane et du
dieu Silvain. Cette inscription est d'un intérêt majeur
pour l'histoire de l'occupation militaire de ces con-
trées, en ce qu'elle présente la date du monument,
qui fut élevé sous le consulat des deux Aspre^et, par
conséquent, en 212 de l'ère chrétienne, sous l'em-
pire de Caracalla.
t Furt veut dire un gué. Ce mot, latinisé par Furtum, répond au
Faduvi des Latins. Le mol durchica (en des Allemands n'est donc
que le trans vaclum des Latins. Quant à la syllabe Trenn, elle n'est
vraisemblablement que la contraction du mot drûben, au delà, de
l'autre côté. En effet , un document du neuvième siècle nomme ce lieu
Tribunfortk (voy. Steiner, Geschichte des Baclujau, m, doc. 4); un
autre du treizième siècle, cité par Gudenus, i, 819 , lui donne le nom
de Tribinford, Du reste, plusieurs communes commencent leurs noms
par Trenn^ et entre autres Trennliof, Trennfeld , etc.
2 L 0. M.
SIL\ ANO CO
NS. DIANAE
AVG VI X .... P
XXII
AC LIGN . . . SVB
CVR MMIERTIN
IVSTI . . P T D II ASPR
c. 0. s.
jGvi optimo Maximo, Silvano conservatori, Dianae Augustœ,
yexillares primigenîx pix XXII legionis^ ac Lignarii, sub cura
296 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Ce fui un an après, que cet empereur entreprit son
expédition contre les Allemanes, et que son armée
vint se répandre sur les bords du Mein. Nous traver-
sons la rivière pour aller, à quelques lieues plus bas,
sur la rive opposée, visiter à Elsenfeld le champ de
bataille que nous avons déjà signalé, et oii plus d'un
tronçon de lance, plus d'un reste d'armure, plus
d'une épée rompue, sont venus attester les chocs que
deux armées ennemies ont eus à soutenir dans l'an-
tiquité sous ces murs écroulés. En suivant notre
route sur la même rive, toujours en longeant l'eau,
nous atteignons, au delà de Klein-Wallstadt, les sta-
tions romaines de Sulzbach et de Niederberg, l'une
sur la rive droite, l'autre sur la rive gauche du Mein.
La colline qui domine la dernière a dû supporter un
caslel dont cependant il n'existe plus de traces. Nous
passons ensuite devant Obernau, et nous voyons à
notre droite s'élever, près de l'embouchure de l'A-
schaff, la ville d'Aschaffenbourg, que le géographe
de Ravenne cite sous le nom d'Ascapha. La position
avantageuse de ce lieu dut de bonne heure avoir
appelé l'attention des Romains. Les deux vallées qui
Mamertini Justi .. duobus Aspris consulihus. Voy. Wiener, De
teg.XXII, p. HO.
Les vexillaires étaient des cavaliers qui n'appartenaient ni aux lé-
gions, ni aux troupes auxiliaires. Vegetius, de Constantinople , qui
vivait dans le quatrième siècle, et qui écrivait sur la milice romaine,
dit en parlant d'eux : tEquiturn alx dicuntnr ab eo, qvod ad simi-
« iitudinem alarum ab ntraque parte protegant acies : qnx tiunc
<irexi liât Urnes cocantur n veto, quia l'elis, hoc est, flamnmlis
iutuntar.» m, 4. Ainsi c'étaient de petits corps de cavalerie qui
combattaient sous un étendard particulier, et qui étaient tantôt joints
à telle légion , tantôt à tc41c autre.
nu «HIN ET DU DANUBE. !297
s'ouvrent devant lui sont agréables et fertiles, et
déjà sans doute le Celte | rimitif et le Marcoman les
avaient parsemées de leurs huttes. Les Romains bâ-
tirent le castel pour protéger le cours de la rivière
et commander à la fois aux deux vallées. Il était
placé probablement sur le Badberg, où, selon la
tradition , s'élevait sur l'emplacement de l'église
collégiale un temple consacré à Diane. Ce qui est
plus certain, c'est que, lorsque l'archevêque Adal-
bert I fit, en 1 116, entreprendre plusieurs travaux
d'agrandissement, il fit construire sur le Badberg
unetourquesurmontaitun buste en bronze de Diane.
Cette tour, dans laquelle furent alors murées plu-
sieurs inscriptions antiques, fut démolie en 1777, et
la tête de Diane fut vendue et détruite.
Parmi les inscriptions qui ont été alors retirées et
conservées, il en est une qui s'adresse à Diane et à
Apollon. Elle fut burinée sur l'autel qui la supporte,
le 13 août 178 de l'ère chrétienne, par le centurion
Firminus, au nom des Bretons et des éclaireurs de
la vingt-deuxième légion'.
1 APOLLIM. ET
DiANAE Imn
ET • EXPLORAT
NEMANING • C
AGEN • T • AVREL
FIRMINO • >
LEG. XXII. PR. P. F
V • S • L • L • M • IDIBVS
AVGVS • ORFITO
ET RVFO • COS •
Ipollini et Diamr, \umerus Brittomimet ejrphratores Nemanin-
298 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Le même centurion éleva aussi à ses propres frais
deux autres autels à Jupiter, pour l'accomplissement
d'un vœu qu'il avai t fait ' . Ces trois pierres sont encore
aujourd hui conservées dans le gymnase du lieu.
Cependant la onzième, la cinquième et la septième
légion y avaient aussi déjà auparavant laissé quel-
ques traces de leur séjour-.
genses, curam agente Tito Aurello Firmino,centurione legîonis XXII
primigenîx, pix fidelis^votum solverunt,etc. Idibus Jugusto,Or-
filo et Rufo consulibus.
Cette pierre est de l'an 178 de Jésus-Christ.
I . 0 .
M .
T. AVREl
.FIR
MLNVS >
LEO
XXII • PR
•P • F
V • SL-
L • M
Les deux pierres portent exactement la même inscription.
"^ Heim , dans son ouvrage intitulé : Historischè philosophische Ab-
handlung ûber die zu Ascliaffenburg vom Jahre 1777 bis 1787 neu
entdeckten rômischen Alterthilmer, Frankfurt 1790, cite plusieurs
inscriptions qui n'existent plus , mais qu'il prétend avoir vues, et que
je transcris ici d'après lui :
I . 0 . M .
I . 0
N RRIT
A. LEG. mil. A
NE. MANC.
7 LEG VII.
03. LE XI IVS
I.
BR^S. Y. S. \.
\
LEO XXIII. >
V. S. L. L. M.
Il est certain qu'à l'égard de la première inscription il y a eu erreur
DU RniN ET DU DANUBE. 299
L'apparition de ces légions dans cette partie de la
province, en tant que les notices qui en parlent sont
exactes, prouve l'origine reculée d'Ascapha.
Les deux dernières, en effet, figurèrent déjà dans
la Basse - Germanie du temps de Galba, et ce fut
aussi après la défaite de Vitellius par les troupes
de Vespasien, que la onzième, qui était placée en
Dalmalie, se déclara, quoiqu à regret, pour cet em-
pereur.
Elle fut alors appelée sur le Rhin ' et sur l'Ab-
noba, où nous avons déjà eu l'occasion de citer
quelques-unes de ses inscriptions.
Ainsi, dès la septième décade du premier siècle,
l'aigle planait en vainqueur sur le Mein, et Rome
avait déjà placé ses tours fortes sur les bords de cette
rivière.
La vingt-deuxième légion, qui vers l'an 78 fut
postée à Mayence et à Argentorat, remplaça bientôt
seule, au delà du Rhin, ces légions primitives.
La huitième lui fut par la suite associée, et nous
trouvons aussi un de ses détachements cantonné à
de copiste , et que jamais la vingt-troisième légion n'a pu être postée
ici.
Aucun monument n'a jamais parlé de cette légion , qui fut licen-
ciée après la bataille d'Actium , et dont il n'est fait mention que sur les
monnaies de Marc Antoine (consultez Mediobarb , 1. c, p. 2i). Jamais
elle ne vint sur le Rhin , et jamais surtout ( puisqu'elle avait cessé
d'exister) à l'époque où la onzième légion y fut appelée. L'inscription
gravée sur la pierre citait sans doute avec la onzième légion la vingt-
deuxième.
» Tacite, Hist., ii, 67: m, 30.
300 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Ascapha, vers la fin du deuxième siècle^. Nous con-
tinuons notre route jusqu'à lembouchure de la Gers-
prinz.
Là, sur la rive gauche du Mein_, et au confluent
• I . 0 . M
DOL'CffiNO . IN . HO
NCR . D . D . P. FïlAS
IVS. O'. AVITVS SAYAR'
A > LEG VÏÏÏ AVG ^ ( 0
EX . AQVIL'FERO LEG
I ADlWlC'S • PRO • SE
ET SVIS . V . S . L . M
APRONIO
T RRADVA COS
Jovi optimo Maximo Dolicheno, in honorem domus divinx, P.
Ferasius, Claudia, avitus Savaria, centurio legionis FUI, Au-
gustae, piae, Jidelis, Commodx, ex aquUifero legionis I adjutricis,
pro se et suis votum soivit,etc -Ipronio et Bradua consu-
libus.
Celle pierre fut donc posée en 191 de Jésus-Christ, sous le consu-
lat de Cassius Apronianus et d'Atilius Metilius Bradua II. Le centu-
rion qui réleva était de Sabaria , ville de Pannonie (aujourd'hui Szora-
bathely). Sans doute, avant de venir sur le Rhin, il avait servi en
Orient, où il devint fidèle au culte de Jupiter Dolichène. Déjà nous
avons eu occasion de citer une autre pierre votive, élevée à ce dieu
par un soldat de cette même légion, à Pforzheim , dans la Forêt-Noire
(voy. ci-avant, p. 216). Ce culte, auquel Junon fut associée (voy. Reines,
Synfa'/ma inscript, antiq., p. 2U), prit naissance à Doliche , ville de
Comagène, sur les bords de l'Euphrate. Le mythe qui l'engendra,
mythe essentiellement solaire , est représenté sur une pierre du cabi-
net de Stuttgart , où ce dieu , revêtu d'habits de guerre , est placé sur
un taureau, entre les pieds duquel un aigle se déploie. Voy. sur
celte divinité, Bœttiger, Idée ztir Kutist- Mythologie, p. 108, 113 eJ
130.
bU RHIN ET DU DANUBE. 301
des deux rivières, se montre dans la plaine le bourg
de Stockstadt^
Les décombres souterrains que le sol de ce
bourg recouvre, l'immense quantité de monnaies qui
y ont été trouvées, les restes d'un bain où, sur les
briques du pavé, étaient inscrits les chiffres de la
vingt-deuxième légion et de la troisième cohorte
de la cavalerie aquitaine'^, prouvent en faveur de
l'antiquité de ce lieu. Le premier établissement que
les Romains y fondèrent fut sans doute un castel, et
il est à peu près certain, d'après les traces d'une voie
antique qui parcourt l'endroit, que, parla suite, des
colons vinrent bâtir sous ses murailles protectrices,
et que peu à peu une bourgade se forma. Les mon-
naies qui y ont été trouvées descendent depuis le
règne d'Auguste jusqu'à celui de Maximin, et plus
tard sont du temps de Probe, de Constantin, de Cons-
tance II et de Valens, toutes époques où les légions
revinrent combattre les Allemanes. Elles nous con-
firment ce que l'histoire nous a appris d'une occupa-
tion non interrompue depuis Trajan jusqu'au règne
de Maximin, et du séjour plus ou moins long des
cohortes victorieuses aux époques subséquentes.
Les tombes celto-romaines, qui, sur la rive opposée
du Mein, ont montré, près de Klein -Ostheim, leur
sphérique gazonnement, sont de muets garants de
l'antiquité de ce dernier lieu.
* Appelé Stoddenstadt dans un document du onzième siècle. Voy.
Steiner, Gesch. des Bachgau, i, 47.
'^ LEG. XXII. P. P. F. - COH III E AQ. — COH III AQ.
302 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Nous apercevons plus loin les tours de Seligen-
stadt, qui,sur la rive gauche de la rivière, se reflètent
au soir dans ses flots argentés.
Cette ville fut aussi romaine; elle aussi s'éleva sur
les débris d'un camp occupé par la vingt-deuxième
légion et par une cohorte auxiliaire. A l'une de ses
portes, tour forte, du côté du Mein, est muré un au-
tel antique qui nous rappelle un fait historique qu'il
est intéressant de rapporter ici.
Cet autel, d'après l'inscription qui y est gravée, fut
érigé sous le second consulat de Lucius Fabius Sep-
limus Cilon et de Marcus Annius Libon , l'an 204 de
Jésus-Christ.
C'est la même année où Septime Sévère et Antonin
Caracalla firent pour la neuvième fois célébrer la
fête séculaire de la fondation de Rome.
On sait que cette fête, instituée en 245 de Rome
par Valerius Publicola, et dont la célébration avait
été interrompue pendant les guerres civiles, avait
été remise en honneur, après le rétablissement de la
paix, par Auguste, en 737. Claude, pour rétablir l'é-
quilibre séculaire , la fit de nouveau célébrer soixante-
trois ans après. Mais le désir de se montrer et de
plaire au peuple, fit par la suite abandonner toute
date. Domitien, d'un côté, et Antonin-le-Pieux, de
l'autre, la firent célébrer pour la septième et hui-
tième fois, l'un en 837 et l'autre en 900. Enfin^ Sé-
vère choisit l'an 957 de Rome, année dont la date ne
dépassait que de cinquante-sept ans l'époque de la
dernière célébration, et où le but que la fête devait
avoir n'existait donc plus.
DU RHIIS ET DU DANUBE. 303
C'est celte solennité que la pierre qui nous occupe
nous rappelle. Elle fut érigée à Diane , pour le salut
des deux Augustes, Sévère et Antonin, et pour celui
du César Géta et de toute la maison impériale, par le
centurion Celerianus, commandant la compagnie de
la vingt -deuxième légion qui était postée dans ce
camp*.
Diane, comme llithya, ou déesse des accouche-
ments, jouait un rôle tout particulier dans ces fêtes.
C'était au mois d'avril que leurcélébration avait lieu,
et l'on apportait alors dans ses temples des haricots,
de l'orge et du froment, symboles des prémices
des moissons. On chantait ses hymnes, et, comme
à Junon, on lui immolait des vaches blanches. C était
ensuite en son honneur et en celui d'Apollon que se
célébraient les jeux et qu'avaient lieu les courses de
char, les danses et toutes les réjouissances publiques
' Voici l'inscription :
DIANAE. AVGVSTT. PRO
SALVTE. DD. NN. SEV
ERI. ET AKTONEM
AVGG. ET GETaECAES-
TOtvSQ. DD. L GELLv.
L. F. FLA. CELETîANV.
NEM. 0. LEG XXII. PR. F. F.
ARAM. LIB. T . TABVLAM
PRO . SE . ET . SVIS . POS
VIT . CILONE . ET LI
BOXE . ros .
304 ÉTABLISSEMENTS KOMAINS
auxquelles lesjoursprécédents tout le peuple enmasse
avait été invité. Les portes de toutes les maisons
étaient , ce jour-là, ouvertes; sur leur seuil s'élevait
une table, où amis et ennemis, étrangers et parents,
trouvaient le couvert et l'hospitalité. Ces jeux, ces
danses, qui à Rome s'exécutaient avec tant de pompe,
ne furent point sans doute si solennels ici, mais du
moins la même hospitalité y régna, ainsi que le
prouve l'inscription de l'autel élevé par Célérianus.
Le nom de Géta fut plus lard effacé de dessus le mo-
nument; l'on sait, en effet, par Dion CassiusS qu'a-
près la fin malheureuse de ce prince, Caracalla,
pour en détruire le souvenir, donna l'ordre que par-
tout son nom serait anéanti. Les siècles cependant
en ont conservé la trace, et, malgré les seize cents
ans qui se sont écoulés depuis, il n'a pu être effacé
pour la postérité.
Proche de la tour qui contient cet autel furent, en
1819, lors de la démolition d'un pan de mur, retrou-
vées les ruines d'un bain antique-. Les monnaies
qui furent découvertes dans le lieu et dans ses en-
virons, ne descendent que jusqu'à Septime Sévère,
mais remontent jusqu'aux règnes de Tibère et d'Au-
guste.
Toutes les périodes de l'occupation romaine, jus-
' Dion Cassius, 1. xxxvii, c. 12.
2 Steiner en a donné une description dans son Histoire de Seligeji-
stadt {Geschichte von Seligenstadt), p. 9; on en retira une soixan-
taine de briques portant les inscriptions suivantes :
LEG XXII. P. P. F. — COH CV. RE — COfl. T. C. W.
DU IIHIN ET DU DANUBE. 305
qu'à l'irruplion des Allemanes, ont donc ici laissé
quelques traces.
Klein-Welzheim fat aussi romain ^
Nous voyons, au delà, l'embouchure du Kahl,
torrent qui descend des hauteurs du Spessart et se
jette dans le Mein, et nous arrivons bientôt à Klein
et Gross-Krotzenbourg, qui sont situés l'un vis-à-vis
de l'autre, au bord de la rivière.
Le dernier de ces villages est posé sur l'emplace-
ment même d'un ancien camp, dont il a en partie
conservé la forme, et dont la rue principale^ devait
avoir la même direction que celle du lieu mo-
derne.
La porte Prétorienne devait donc être tournée du
côté du Mein. Les murailles antiques n'ont pas en-
core partout disparu, et elles se montrent encore
çà et là au-dessus du sol, à la hauteur de quelques
pieds.
Non loin de cet endroit , sur un tertre qui s'é-
lève au milieu de la verdure des prairies, coule une
fontaine qu'on nomme encore aujourd'hui la fontaine
des Romains^. En déblayant de vieilles murailles qui
s'y trouvaient, l'on découvrit plusieurs monnaies ro-
maines; il est probable que, lorsque les légions s'a-
vancèrent dans le pays en présence d'un ennemi
^ Les divers objets qui y ont été trouvés ont été décrits par Steiner,
Geschichte des Maingebiefes und Spessart's unter den Rùmern,
p. 177.
- Platea Prœforia.
^ Rùmerbrunnen.
I. '^"
306 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
toujours remuant, ce fut là qu'elles s'arrêtèrent d'a-
bord.
Ce lieu de campement \ dans une position aussi
favorable et sur la ligne qui alors fermait comme un
triangle tout le bassin du Mein, donna sans doute
lieu plus tard à la construction du castel qui , entre
JaGersprinzetlaKinzig,devait protéger levai duKahl.
Les vestiges de ce premier barrage, route militaire
et d'exploration, peuvent encore se suivre depuis la
Nidda jusqu'à la Kinzig, depuis ce torrent en ligne
droite jusqu'à Gross-Krotzenbourg, et depuis cet en-
droit jusqu'à Jiigesheim, d'où, suivant la Roda jus-
qu'à Haunhausen, et reparaissant de l'autre côté
du ruisseau, elle allait, par Rembrûcken, joindre
le Mein à Francfort. On sait que la tactique des Ro-
mains fut toujours , en arrivant dans un pays inconnu ,
et en basant leurs opérations sur une rivière princi-
pale, de couper la communication de ses divers con-
fluents par un angle fortifié, et de s'assurer ainsi
l'abord de toutes les vallées. Ces fortifications passa-
gères étaient alors elles-mêmes liées ensemble, et
c'est à ces avant-postes que çà et là ils élevaient des
camps retranchés, qui le plus souvent furent plus
tard abandonnés, mais sur l'emplacement desquels
parfois aussi une autre période vit fonder des établis-
sements fixes.
Gross-Krolzenbourg fut de ce nombre.
Une pierre, aux attributs de Neptune, qui y fut
trouvée, peut faire présumer que la corporation des
' fVûrdivein's Archidiaconatsregister, i. Document tiré des ar-
chives du lieu.
DU RHIN ET DU DANUBE. 307
bateliers, qui, au moyen âge, était florissante en
cet endroit, y avait déjà existé à une époque bien
plus reculée, et que, comme, sur le Necker, \esNautœ
mettaient à profit le flottage des bois de l'Abnoba et
de l'Albe, ceux de ce lieu mirent à profit le flottage
des bois du Spessart. La vingt-deuxième légion y a
aussi laissé quelques souvenirs'.
Nous remontons dans notre barque, et nous pas-
sons devant Hainstadt ^ lieu dont le nom décèle son
antique origine , et devant Steinheim , où une ancienne
carrière qui se trouve sur le Heidenberg semble avoir
fourni aux Romains les pierres basaltiques qui ser-
virent à leurs bâtisses. Nous arrivons à Kesselstadt,
où, selon toute apparence, existait un castel à l'em-
bouchure de la Kinzig, et où, enefl"et, d'anciennes
murailles sont encore enfouies sous le soP. Près de
Bûrgel, les vestiges d'un barrage reparaissent, qui,
descendant du Taunus, s'appuyait sur la Nidda,et de
ce torrent descendait en ligne droite vers le Mein.
Sans doute, c'est aussi un reste des fortifications pas-
sagères qui furent élevées à la première époque de
l'apparition romaine dans ces contrées. Ces travaux,
qui datent probablement du temps de Drusus et de
Tibère ^ furent plus tard mis à profit par Trajan, qui
* LEG XXII PR P F (sur des briques).
'^Hainstadl, Heidenstadt.
3 Kesselstadt n'est que la contraction de Castelstxtte , locus cas-
ielli. Ainsi Cassel , Ksestrich , etc.
* Il n'est pas probable, en effet, que, lorsque le Taunus fut fortifié
par eux contre les Cattes (voy. Tacite, Annal., i, 56), ils aient laissé
sans défense levai de la Nidda, et qu'ils n'aient pas de même, pour
I,
20.
308 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
reprit le système d'occupation et de fortiûcation
transrhénanes, et qui, pour assurer le cours de la
Nidda, bâtit proche de sa jonction avec le Mein le fort
qui porta son nom^
De tous les auteurs de l'antiquité, Ammien Mar-
cellin est le seul qui fasse mention de ce lieu dans la
description qu il fait de la campagne de l'empereur
Julien contre les Allemanes. Cet empereur alors.
déjouer les projets de l'ennemi , qui eût pu contourner ces montagnes
et se répandre sur leurs derrières , par le val si accessible du Mein ,
songé à fermer celte barrière. Ce qui le prouve d'ailleurs, c'est la
présence sur la Nidda de la quatorzième légion , légion qui fut station-
née dans la Haute-Germanie sous Auguste , qui fut postée à Mayence
lors de la fondation de cette forteresse , et qui , après avoir suivi Ger-
manicus dans ses guerres contre les Germains, fut, en 61 de l'ère
chrétienne, envoyée dans la Bretagne par Néron. Sous Galba elle était
en Dalmatie , et ne revint qu'en 70 sur le Bas-Rhin , lors des guerres
de Civilis. Elle fut ensuite de nouveau postée à Mayence , où elle resta
dix ans , après quoi elle en repartit pour la Pannonie , où elle se trou-
vait encore du temps de l'empereur Sévère. Sa présence sur la Nidda
dut donc être antérieure à l'époque de Trajan (voy. Tacite .Annal., i,
37, 70; XIV, 34, dl',Hist., i 19, 64; il 66; IV, 35; v,19; Dion Cas-
sius, LV, p. 346). — Voici l'inscription de la Nidda, trouvée dans le
torrent près du village du même nom :
FORT'N
L. C°RN3.
ARAToR
> LEG XIIII
G. M. V.
V. S. L. M.
For(unx,L. Cornélius Jrator, Centurio legionis XIIII geminx,
martiœ, victricis, etc.
1 Mnnimentum Trajani.
DU RHIN ET DU DANUBE. 309
comme nous l'avons vu dans la partie historique de
cet écrit, releva les ruines de cette forteresse, oii il
laissa une garnison afin de contenir les tribus en-
nemies '.
Ce fort était situé près d'Hœchst. La trentième lé-
gion qui , comme on sait, fut formée par Trajan dans
la Haute -Germanie, et à laquelle il donna le nom
d'Ulpia Vicirix'^, y a laissé des traces de son séjour;
c'est le seul lieu sur tout le Mein oii sa présence nous
soit attestée. La vingt-deuxième, et plus tard la hui-
tième légion , y eurent aussi quelques détache-
ments.
Le terrain sous lequel ses ruines sont enfouies
est spacieux; comme à Mayence, c'est à sept et
huit pieds sous le sol qu'il faut aller les chercher.
Une route conduisait en ligne droite, le long du
Mein depuis Mayence jusqu'à la Nidda , et liait les
communications de cette ville, résidence du gou-
vernement, avec les forteresses transrhénanes, éle-
vées pour en protéger les approches^. De la rupture
' Amm. Marcel., 1. xvii, c. 1.
2 La trentième légion primitive, qui servait sous César et qui appa-
raît encore sur les monnaies de Marc Antoine , fut dissoute après la
bataille d'Actium. Trajan forma la nouvelle, qui prit ce numéro pour
remplacer la quinzième qu'il venait de licencier. Voy. Dion Cass., LV,
24.
3 IVNONI. REGINAE. PLATEAE. EVNTI. NIDAM. TIT. VETER.
ATESSAS. ET SEXT. MASCVS. CONCESSVS. D. FECER>^T.
inscription décorant un piédestal en bronze trouvé à Cassel, vis-à-vis
de Mayence. Un autre, portant la même inscription, dédié à Jupiter, fui
trouvé au même lieu. Voy. Mainzer-Zeitung . 1819. n» 84.
310 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
OU (le la conservation de cette ligne dépendait donc
la surprise ou le repos de cette place, et c'est ce qui
rend compte des travaux sans nombre que les Ro-
mains entreprirent à diverses époques, au delà du
Rhin, et dont les vestiges sont encore venus en partie
nous frapper.
Entre Bùrgel et Wilbel s'élevait le camp de Ber-
gen, lieu autour duquel, sans doute, se groupèrent
plus tard les demeures de colons qui finirent par
former une bourgade. Ses nombreux décombres
sont encore enfouis sous le sol. Les fouilles qui
y ont été faites au commencement de ce siècle, ont
eu pour résultat de mettre à nu différentes parties
d'un bain et d'autres bâtisses qui, toutes, présentent
encore les traces du feu qui les dévora. Une foule
de briques portaient le chiffre de la vingt-deuxième
légion'; et, comme les monnaies qui y furent trou-
vées*^, quoique en petit nombre, descendent depuis
Trajan jusqu'à Constantin , il est "permis de croire
que déjà à l'époque où ce premier César donnait
son nom au fort bâti sur le Mein, il plaçait entre
cette rivière et la Nidda cet autre castel explorateur.
Là où ce torrent se joint à la Nidder était placé un
autre castel pour observer les deux vallées.
C'est entre ce dernier lieu et le fort de Trajan que
< LEG XXII PR. P. F. — XXII PR P F — XXII PR.
2 Ce sont : une monnaie de Trajan en argent; une de Faustine en
cuivre ; une de Constantin aussi en cuivre , et quatre autres mécon-
naissables. Tout proche du lieu furent aussi trouvées une autre mon-
naie de Trajan en argent, une de Titus du même métal, et une de
Vespasien on cuivre.
DU RHIN ET DU DANUBE. 31 1
s'élevait le camp d'Heddernheim, près duquel par la
suite se groupa aussi une bourgade qui dut être d'une
importance majeure, puisque, selon ses inscriptions,
elle avait ses propres magistrats et ses corpora-
tions ^
Ces inscriptions lui donnent le nom de Vicusnovus,
bourg neuf. Il s'étendait sur une colline doucement
inclinée entre Heddernheim et Praunheîm, entouré
de murailles crénelées, et présentant dans sa forme
un trapèze. Un de ses édiles éleva une pierre votive
au dieu invincible Milhra. L'on sait que les fonctions
des édiles consistaient dans l'intendance des chemins
et des bâtiments publics^. Deux temples étaient con-
sacrés dans cette localité au culte mystérieux de
Mithra.
L'un avait, à l'intérieur, 39 pieds 10 pouces de long
sur 25 pieds 8 pouces de large. L'autre avait 46 pieds
7 pouces de Ion gsur une largeur de 22 pieds 2 pouces.
* Entre autres celle des Fabri tignarli, architectes et entrepreneurs
de bâtiments , dont l'existence en ce lieu comme collège ou association
prouve qu'ils devaient être nombreux. GENIO . . OLLEG . . . TIGN. etc.
Voy. Lehne, inscript. 113.
2 ! N H. D. D
D. I. M.
MVTlVS
VICTOR
^DlLS
G. T. EX V
la honorem dormis divinx , Oeo invicto Mithrx , Murtius Fictor,
Aedilis Civinm Taunensiion, ex voto.
312 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
D'après les calculs approximatifs que l'examen des dé-
combres permet de faire, la hauteur du plus petit
dut être de 16 à 18 pieds. L'élévation du bâtiment à
l'extérieur ne put être mesurée, parce qu'elle était
indépendante de la disposition intérieure qui, repré-
sentation de la grotte où prit naissance le dieu So-
leil Mithra, était en grande partie composée de niches
profondes. Les deux temples étaient tournés du sud
au nord, et c'est au sud que se trouvait le portique. En
comprenant cette partie extérieure, le grand temple
avait 76 pieds et 1 pouce de longueur. Sept marches
conduisaient le prêtre et l'initié dans le lieu saint.
Deux murailles parcouraient le temple dans toute sa
longueur, de manière qu'il était partagé en trois nefs,
dont celle du milieu était de deux pieds plus longue
que les deux nefs latérales. A l'extrémité étaient trois
marches que l'on montait et qui conduisaient dans
le chœur, au fond duquel était en relief représenté
le mythe de Mithra. Le haut relief du petit temple
est le plus curieux , parce qu'il est sculpté des deux
côtés de la pierre, qui tournait sur son pivot à l'ins-
tar du tabernacle de nos églises. Derrière cette
pierre était pratiquée une petite niche, où l'on ne
pouvait pénétrer qu'autant que le haut relief, en
s'ouvrant, en permettait l'entrée. C'était là sans doute
le lieu sacré, Yadytum, dont l'approche était dé-
fendue à l'initié , et où le prêtre seul avait le droit
d'entrer.
Ces temples, à l'extérieur, ressemblaient exac-
tement aux autres temples des divinités païennes.
Ils n'en différaient que dans leur disposition inté-
DU RHIN ET DU DANUBE. 313
Heure que le christianisme adopta lui-même par la
suite pour ses églises.
Les troupes qui ont laissé quelques souvenirs dans
la bourgade d'Heddernheim, sont la vingt-deuxième
lésion^ et la trente - deuxième cohorte -^ des volon-
taires.
i IN H. D. D.
GENIVM. PLATEAE. NOVI. YI
CI. CVM. EDICYLA. ET ARA
T. FL. SAXCTINYS. MILES. LEG XXII
P. ALH^XAN. P. F. IMM. COS T. PSI
PETYYS. ET FELIX. FRATRES. C.
R. ET. TAYNESSES EX ORIGI
NE PATRIS. T. FL. MATER^1. NE
TRANI. COH. m. PRET. PIAE
YINDICIS. ET. AYRELIA. AM
MIAS. MATER. EORYM. C. R. D. D
AGRICOLA. T. CLEMENÎNO. COS.(An230deJ.C.)
2 D. M. D. I. S. M. N.
PILADELPYS Q. FAYONIO
PILANDRI. GAI VARO FIL.
PADO. A XXVIII - Q FAYONIVS
COH. XXXII. YOL. YARYS COH
lANYARIYS XXXII P. I
ANÏST. F. G. PATER.
Dis Manîbus, philadelphus Philandri, Cappadocia, annorum
XXFIII, Centurionis Cohortis XXXIl volonum, Januarius An-
testiusfieri curavit.
Dis Manibus, Q. Favonio Varofilio^ Q. Favonius Farus cohor-
tis XXXII ponerejussit pater.
314 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Cette dernière milice, formée après la bataille
de Cannes , fut composée d'esclaves ' ; le danger
passé, elle fut conservée pour les services qu'elle
avait rendus, et nous la trouvons depuis dispersée
dans les armées aux extrêmes frontières. Le grand
nombre d'étrangers orientaux que Sévère, sous qui
ce lieu fut surtout florissant, mena à sa suite sur le
Rhin, peut rendre compte de la propagation du culte
de Mithra sur le sol germanique. Il y fit d'autant plus
de prosélytes que ses dogmes mystiques parlaient
davantage à l'ardente imagination. Un autre guer-
rier, sans doute venu des bords égyptiens, a laissé
dans la même localité un souvenir de son zèle reli-
gieux pour Jupiter adoré sur le mont Casius^. A ces
cultes étrangers était jointe la religion de Rome,
et nous trouvons aussi plus d'une inscription en l'hon-
neur de Jupiter, de Junon, du dieu Bacchus, de la
Fortune, et surtout du génie du lieu et des carre-
fours.
On a voulu prouver parle nom d'Heddernheimque
• Julius Capifolvuis , Marc. Aurel., c. 21.
2 Ce mont formait la frontière entre la Phénicie et l'Egypte. Il est
situé, d'après Strabon (Geograph., xvi, 2, p. 760), à 300 stades de
l'antique Péluse. Selon cet auteur, il était couronné d'un temple dé-
dié à Jupiter, qui y portait le nom de Casius.
Voici l'inscription d'Heddernheira qui lui est dédiée :
DEO
CASIO
OVINIVS
V. S. L. M.
DU RH!N ET DU DANUBE. 315
porte le village moderne bâli près des murailles an-
tiques , que l'empereur Adrien en fut le fonda-
teur.
Que cet empereur ait, en effet, construit cette ville
et sa forteresse, c'est une opinion contre laquelle je
ne m'élèverai point, et qui, toute hasardée qu'elle
soit, peut avoir quelque justesse, puisque de toutes
Jes inscriptions du lieu nulle n'est d'une date plus
reculée ni plus récente que l'époque des Anto-
nins.
Que toutefois le nom d'Heddernheim soit dérivé de
celui de cet empereur, c'est une erreur qu'il faut
écarter de )a science, puisqu'il est bien avéré par un
document du neuvième siècle que cette similitude
de nom n'existe point'.
Assis sur l'emplacement oii la ville s'étendait, nous
suivons du regard les différentes localités oiî ces ins-
criptions ont été retrouvées, et nous pouvons nous
faire une idée de sa bâtisse et de sa disposition. Là
où nous sommes assis sur les tombeaux du cimetière
Israélite, dut être le /brwm. Plus loin durent s'étendre
les rues Prétorienne , Principale el Quinlane , séparant
les divers quartiers que parcouraient les rues vici-
nales.
Un autel trouvé au dernier endroit nous marque
la place qu'occupait le marché au centre de la ville
et à l'embranchement des rues Quintane et Préto-
' Ce document de l'an 802 {Codex Laures., ni, 3401, p. 105) nomme,
en effet, ce village Phetterenheim. Ce nom n'a certes aucune analogie
avec celui d'Adrien.
316 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
vienne^. La surface de toutes ces rues était bom-
bée.
Les principales, larges de dix-huit à vingt-quatre
pieds , étaient protégées de chaque côté par une ban-
quette pour les piétons. Leur base était composée de
détritus de basalte d'un à deux pieds de profondeur,
recouvert de gravier et assis sur un lit de toutes
sortes de pierres et de décombres. Ce gravier rem-
plaçait le pavé. Les rues vicinales n'avaient que douze
pieds de large, et, à l'exception du lit de pierre, sou-
tenant la couche de détritus basaltique, elles étaient
exactement construites comme les premières'^.
Sous les murs de la ville circulait dans la vallée le
petit torrent, et en arrière se groupaient majestueu-
sement les hauts sommets du Mont-Taunus.
1 IN. H. D. D.
PLS. PRiETOR
ARAM. QVI
. . . ^E GENIVM
SATTOr^VS
GRATYS. D. D
IMP. ALEX. AVG
III. ET DIONE COS.
In honorem domus divinx, Platese, prxtorix aram quintanam
et Genium Sattonius Gratiis posuit, decreto decurionum ,impera-
tore Alexandre Augusto III et Dione consulibm.
Cette pierre est de 229 de Jésus-Christ.
2 Voy. le mémoire d'Habel, dans les Annalen des Fereinsfûr nas-
sauische Alterlhumskimde , Wiesb. 1827. 8« cahier. A ce mémoire
est joint un plan de la ville antique ; j'y renvoie le lecteur.
DU RHIN ET DU DANUBE. 317
Ce mont fameux, si souvent cité dans les annales
romaines, s'étend depuis la Wisper, entre le Rhin et
ce torrent, et longe le Mein jusqu'au cours de la
Nidder. Il est arrosé par une foule de moindres ri-
vières qu'encaissent ses fertiles vallées. C'est, comme
nous l'avons dit^ en faisant la description du grand
rempart, en deçà de ces sommets boisés, et dans la
plaine du Rhin que Rome, en prenant possession
du pays, reçut au nombre de ses alHés les Mattiaques.
Leur cité s'étendait sous le fort que Drusus , pour
couvrir les abords de Mayence, éleva sur la rive droite
du fleuve, vis-à-vis de cette forteresse.
Entre ce fort et celui de Trajan, nous trouvons,
au bord du Mein, trois lieux qui, par les antiquités
qu'ils ont livrées, peuvent attester leur existence ro-
maine. Ce sont Flœrsheim, sur la rive droite, et sur
la rive gauche, Riisselsheim et Bischofsheim. Dans
ces deux derniers villages furent trouvés deux autels
aux dieux des carrefours, autels qui annoncent qu'un
embranchement de routes y exista *.
^ Voici l'inscription du dernier :
BIVIS
TRIVIS
QVADRIV
IS. AEL
DEMETRI
VS. 3 LEG
XXII PR
V. V. L. L. M.
Biviis, Trivîis, Quadriviis, Aelius Demetrius, Centurio legio-
nis XXII y primigenise , voUmi solvit libens, lœfus meritis.
Quant à la seconde pierre, voy. Mainzer Zeitung. 1819. n-' 84.
318 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Le fort (le Casse! n'est cité d'une manière exacte
par aucun géographe ni historien de l'antiquité. Mais
le témoignage de Florus, qui nous dit que Drusus bâ-
tit un caste! au bord même du Rhin, aux confins du pays
des Catles, ne nous permet guère de douter que ce
caste! n'ait eu ce lieu pour empiacement'. Il dut ser-
vir de tète de pont à la forteresse de Mayence, d'où
le passage du Rhin s'effectuait presque chaque fois
qu'une nouvelle expédition était tentée contre les
Germains.
La position avantageuse du fort, qui devint le prin-
cipal point de communication des Gaules et des
possessions transrhénanes, dut de bonne heure
appeler sous ses murailles les colons de la rive
droite du fleuve; nous trouvons, en effet, que déjà au
deuxième siècle une cité importante s'étendait autour
de ces remparts. D'après les inscriptions qui en ont
été retirées, l'on ne peut douter que ce n'ait été la
cité des Mattiaques^ quoique d un autre côté l'on
* Castellum in finibus Chattorum, ad ipsum Rhenum. Florus,
Hist.^ IV, c. 12.
2 IN. H. D. D. DEAE. VIRTVTI. BELLO
NE. MONTEM. VATICANVM.
VETVSTATE. CONLAPSYM
RESTITYERVrT. HASTIFERI. CI
VITATIS. MATTIACOR. X. KAL
SEP. IMP /. Maximîno. oVG
ET AFRICANO. COS. III. QVORYM. NO
MINA. InScr^J9TA. SVNT.
c. ME B BiGNATIVS. SEVERVS. CVR. BIS CtC.
DU RHIN ET DU DANUBE. 319
retrouve aussi dans ces murailles les citoyens du
Taunus*, dont l'un des édiles est venu nous offrir
son nom dans le fortd'Heddernheim. Comme les Mat-
tiaquesnesontinscrits en qualité de citoyens dans au-
cun autre endroit, tandis que ce mot de citoyens du
Suivent les dix-sept autres noms. Voy. Lehne, Rômische Alter-
thiimer de?' Gauen des Donnersbergs , t. l, p. 280.
Cette pierre est de l'an 236 de Jésus-Christ.
I. 0. M.
ET IVNONI
REGINAE
L. SECVND
INIVS. FA
VORALIS
IIIIIIVIR. AVG
C. M. IN. SVO. P.
Sévir angustalis civitaiis
Mattiacorum.
I. 0. M.
JwNONI. RE
piNAE. AA.. QVIL'
NVS. PATEN
VS. D. C. MATTI
EX. VOTO. POSI
L. L. M. DEDICAa
A.A. OCT.^ER.a.BIS
COS.
. decurio civitatis Mattiacorum.
(an 255 de Jésus-Clirist.)
I. 0. M.
CONSERVATORI
LICIN. TVGNA
TIVS. PVBLIVS
ÏÏV. C. T. IN. SVO
VT. HABERET
RESTITVIT.
ATTICO E PR
ETEXTATO
COS. (an 242 de Jésus-Christ.)
320 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Taunus nous frappe à la fois et ici et à Mayence\ et,
comme nous venons de le remarquer, à Heddernheim,
il faut nécessairement penser que la juridiction des
Mattiaques était placée en ces lieux, tandis que Ton
appelait citoyens du Taunus tous ceux qui , originaires
de ces montagnes, étaient répandus dans les divers
municipes et y jouissaient de divers privilèges, sans
être soumis aux charges qui pesaient sur les citoyens
romains.
En quoi ces privilèges consistaient, c'est ce qu'il
nous est impossible de préciser. Nous savons seule-
ment qu'ils vivaient parmi les citoyens romains,
qu'ils avaient leurs propres magistrats, leurs duum-
virs, leurs édiles, leurs sévirs augustaliens, et que,
comme originaires germains, ils avaient le pouvoir
d'entrer au service dans la garde des empereurs. A
Mayence l'on n'a retrouvé d'eux que des inscriptions
lapidaires de leurs sévirs. A Cassel, au contraire,
c'est sur son propre terrain qu'un de leurs duumvirs
//// ////
C. PATERNI. POSTVMINI. D. C. TAV.
NENSIVM. VIRI. SACERDOTALIS PRAGM
TICI. PATERNIA. HONORATA. FILI ET. HE
RES. PER. SYOS. PARENTES
F. C.
C. IVLIO. SIMPLICIO. IIIIIIVIR
AVGVSTALI. C. TaunenS\M PRAMATCO
CRESCENTINA. REGINA.
OB. MERITA. EIVS
F. G.
DU RHIN ET DU DANUBE. 324
éleva une pierre à Jupiler Conservateur; à Heddern-
heim, c'est un de leurs édiles qui en éleva une à Mi-
thra. Ces diverses preuves de leur existence comme
citoyens, non des lieux où ils se trouvaient, mais
des lieux d'où ils étaient sortis pour venir habiter
parmi les citoyens romains et les Mattiaques, ne
peuvent autrement s'expliquer.
Ces Mattiaques, en acceptant l'alliance et la pro-
tection des Romains, furent associés par eux à leurs
institutions. Nous voyons, en effet, régner au sein de
leurcitétous les emplois, toutes les magistratures, qui
dénotent un lieu essentiellement romain de coutumes,
et qui annoncent une population aussi nombreuse
que civilisée. Leur milice citoyenne était armée de
piques, sous le nom ô'Hastiferi; nous la trouvons
en cette qualité inscrite avec un curateur de la cité
sur une pierre dont l'inscription est d'autant plus
intéressante qu'elle nous prouve, qu'à l'instar de
Rome, cette ville avait donné aux divers monuments
qui la décoraient les noms que portaient les monu-
ments analogues de cette capitale du monde. Quoique
placée dans la plaine, loin de toute colline, elle avait
son Vatican, et c'est sans doute le temple qui y était
dédié à la Vertu guerrière et à Bellone, qui fut alors
réparé par les soins des dix-huit soldats dont cette
pierre a transmis les noms à la postérité'.
La date que nous offre cette inscription nous re-
• Voy. ci-avant l'inscription de la page 318. Sur le mont Vatican à
Rome était du moins situé le temple de Mars, dieu auquel Bellone
fut toujours associée.
I. ■''
322 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
porte au règne de Maximin ; peu de mois aupara-
vant Alexandre Sévère avait été assassiné près de
May en ce.
On sait que le sénat fit plus tard, par un dé-
cret , effacer de dessus tous les monuments le nom
du meurtrier. Cet ordre a aussi été exécuté ici ; les
lettres qui composent le nom de Maximin ont été
effacées, mais pas assez cependant pour qu'on ne
puisse le lire. Près du lieu où cette pierre fut trou-
vée , une autre fut aussi retirée du sol portant une
inscription en l'honneur de Septime Sévère; elle
semble avoir décoré un arc de triomphe'. Si l'on
réfléchit avec quelle extrême solidité Rome bâtissait
ses monuments publics, on ne pourra douter du
long temps qui dut s'écouler sur celui qui, tombé en
ruines par suite de vétusté, fut rebâti par ces Hasli-
feri.
La date de sa réédiûcation est de l'an 236 de
l'ère chrétienne. Il est donc permis de penser que
dès la première époque de l'incorporation de ces
pays dans l'Empire, le temple que l'inscription dé-
corait, a dû avoir été élevé.
A côté de cette milice nous trouvons les Singulares,
troupe de pied , qui, ainsi que les Singulares à cheval,
était composée d'hommes d'élite préposés à la
garde du général ou h celle des magistrats provin-
' Les lettres avaient un pied de hauteur. Malheureusement la pierre
se brisa, et l'on ne put conserver de l'inscription que les deux mots :
PARTHICO ADIABEMCO , qui suffisent toutefois pour nous apprendre
à quel empereur elle était dédiée; Sévère seul porta, en effet, ce
litre.
DU RHIN ET DU DANUBE. 323
cîaux'. C'est la première fois que nous avons occa-
sion de mentionner ces soldats qui, en Orient, ne
se trouvaient qu'à la suite des préfets, mais qui, en
Occident, accompagnaient toutes les autorités civiles
et militaires. Leur emploi dans les villes municipales
était de poursuivre, par l'ordre du magistrat, tous
ceux dont les contributions étaient en arrière, de
citer ou d'arrêter les délinquants; ils faisaient donc
à peu près le métier des gendarmes que nous entre-
tenons dans nos villes^. Leur présence dans la cité
des Mattiaques n'a donc rien qui puisse nous sur-
prendre.
Le commerce de cette ville, placée qu'elle était à
l'extrême frontière des Gaules, et au plus fréquenté
des passages du Rhin, dut être important. Sans vou-
PEDITVM. SIKGVLARIVM. VICTORIA
PERPETVA. FILIA. T. HERES. ET. LV
CILIA.
PRISCA. COIVX. ET VICTORINIA. T
GABR
ILA. ET. IVLIA. SORORES. F. C.
^ Ils étaient organisés en cohortes dont le chef prenait le nom de
Primicerius, et subdivisés en brigades de deux cents, de cent, de
soixante et de dix hommes, dont les commandants prenaient les noms
de Ducenarius, de Ceiitet^arius, de Sexagenarius et de Dinariiis ,
selon le nombre d'hommes qu'ils avaient sous leurs ordres. Quant aux
Sîngulares à cheval, ils paraissent n'avoir servi de gardes du corps
au général qu'en temps de guerre, et nous les trouvons cités par Ta-
cite lors des guerres de Vitellius et de Vespasien. Voy. Tacite, Uist.,
IV, 70.
I 21.
324 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
loir le préciser, nous savons du moins qu'indépen-
damment des autres articles d'échange que Rome
lirait de la Germanie, c'était chez le peuple maniaque
qu'elle cherchait divers objets qui étaient devenus du
plus grand luxe à Rome, et que c'était principale-
ment de ce pays qu'elle recevait ces blondes cheve-
lures que les dames romaines payaient au prix d'or,
et ces divers cosmétiques que la mode avait mis en
usage'. Aussi Mercure eut-il en ce lieu plus d'un ado-
rateur; et nous trouvons même au sein de ces murs
un de ces négociants qui ne s'occupaient que des
échanges d'argent, et dont la pierre sépulcrale n'est
pas une des moindres curiosités que le sol de Cassel
nous ait livrées ^
' Caustica Teulonicos accendit sjouma capitlos .
Captivis poteris cultior es.se comis.
Si mutare paras lungxcos. cana, capiUos;
Accipe Mattiacas [quo tibi, calva?) pilas.
-Martial., 1. xiv, épigr. 2G cl 27.
Les piVcT 7?îo//mrœ étaient des boules savonneuses, fabriquées par
les Maniaques, et destinées à teindre les cheveux.
•^ cl. M.
. . . FVFIDIO
7?Ç7o//ATORI
oR</eîsrARIO. EX
provi^Clk. BRI
tannise. SeL\
Rum. oN. LXXII
justmys. T
LIB. F. C.
DU RHIN ET DU DANUBE. 325
Les troupes qui tinrent garnison dans la forteresse
furent la quatorzième et la vingt-deuxième légion ^
VAla Picentine'^', qui, lors des guerres de Civilis,
donna, comme nous l'avons vu^» un exemple si in-
téressant de courage et de patriotisme, et le nombre
' SEX. METIVS. C.
F. ST. F. VIBI. MIL.
LEG. XIIII. AN.
D. M.
M. AVRV>CVLEO
IVLLANO. EQVITI
ROMANO. HEREN
NIVS. VICTORENTS
Vie. LEG. LEG. XXII
STI
.... POSVIT .
C. I\XIO. c. F. VOLT
... S. DEC. AL*E. PI
CENTCS'E. AN. XXXXVIII
T. F. H. F. C.
.... Decurioni Ahe Picentinx,annorum XLFIII^ testament i for
muta hxres fieri curavit.
^ Voy. première partie, p. 62.
326 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
des Caddarensiens, soldais légers, sortis des contrées
de l'Orient*.
Un pont joignait la cité à la rive droite du Rhin et
liait ses communications avec Mayence. Aussi trou-
1 I. 0. M.
T. IVN. REG.
FINITIVS. FI
DELIS. MIL
N. CABDA
RENSIVM
IN . SVO
POSIT
FVSCO . ET
DEXTRO. COS.
.... Sous le consulat de Fuscus et de Dexter, par conséquent en 225
de Jésus-Christ.
Un autre autel de Jupiter et de Junon fut aussi trouvé dans les
ruines de Cassel, portant pour date l'an 246 de Jésus -Christ. J'en
transcris ici l'inscription à cause de cette date :
I. 0. M.
T. IVNO
rs[. REG
X. KAL. lAN.
PRESEN E. a\ ALBINO C.
SEROTINI
VS. CVPITVS
a\ CVPITIVS
PROVIDENS
KILIVS. IN. S.
FECERVM
L. L. M.
1)L KHIN ET DU DANUBE. 327
voiis-nous ici un préfet', qui semble avoir eu 1 ins-
pection et la direction de tout ce qui avait rapport à
la navigation et aux travaux du tïeuve , et dont l'em-
ploi devait à peu près répondre à celui qu'exerçait
dans la capitale le curalor consularis aquarum'K
Lorsquen 1835 Ion creusa les fondements d'une
maison qu on voulait bâtir près du pont moderne,
l'on tomba sur d'anciens décombres qui portaient
encore les traces d'un feu destructeur, et parmi les-
quels se trouva un autel, remarquable par son ins-
cription. Cette inscription atteste qu'en cet endroit
un autre quartier de la ville antique a dû exister.
' IN. H. D. D.
DEABVS. I^M
PHIS. SIG.^T
ARA.M. C. CA
RANTIMVS
MATERNV
S. PR-EFECT
VS. AQVE
V. S. L L M.
.... Deabits Nijmphis signa et aram Iposuit) C. C avant inius Ma-
ternus, Prx/tctus aqux, etc.
Martial appelle le Rhin le père des nymphes et des rivières dont il
reçoit les eaux : Xijntpharum pater amniujnqtie hhene '. (Mart.,
épigr. X , 7^) Le culte qu'on adressait à ces divinités était donc à peu
près le même quecelui qu'on adressaitau Rhin considéré comme dieu.
Voy. Muralori, i, p. cccxLiii, 4.
'■^ Voy. Orelli. inscript, i, 2284, 2285 ; ii , 3042.
328 ÉTABLISSEMENTS P.OMAINS
Elle nomme ce lieu viens novus Meloniorum\ nom
que je ne chercherai pas à commenter, mais qui du
moins nous prouve que c'était du côté opposé de la
forteresse, dans la direction de Hochheim, que la
cité des ]\Jattiaques était posée, tandis qu'au Rhin
une moindre bourgade, qui dut faire plus tard partie
de son enclave, s'était aussi, sous la protection du
caslel, formée au bord du fleuve. C'est, en effet, tout
le long de la route romaine qui de Cassel se pro-
longe vers Hochheim, que les tombes de l'antique
cité ont été retrouvées ^ et il est incontestable que
c'était dans celte direction que s'étendait la partie la
plus considérable de l'établissement romain.
Cette voie qui conduisait à la Nidda circulait sur la
rive droite du Mein jusqu'à Francfort, où ses traces
se perdent pour reparaître sur la rive gauche.
Là, sur le Lerchenberg, et dominant le cours de
la rivière, avait été posé le dernier des camps des-
tinés à proléger la ligne que nous avons décrite plus
* I. //. D. D. I. 0. M. ET ... .
MELOM. CARANTVS
IVC>'>DYS. DE. SVO
D. VICo. NOVO. m
LoMCH. CeTIEGo. T. CLARo
C 0 S
.... Sous le consulat de Ceihegus et de Clarus, ])ar conséquent, en
170 de Jésus-Christ.
- Près de 4000 ont été ouvertes. Voy. dans Euiélé, Beschreibung
romischer Altertliûmer in dem Gebiete der Provinz Rheinhessen,
la description des divers objets qu'elles contenaient.
DU RHIN ET DU DANUBE. 329
avant, laquelle circulait depuis Gross-Krotzenbourg
jusqu'au Mein. Il dut être destiné à protéger ce pas-
sage non moins important au nord , vis-à-vis des for-
tifications de la Nidda, que ne l'était celui du sud-est
à Trennfurth, devant les fortifications de l'Oden-
wald .
Ces retranchements primitifs ne furent pas mis plus
tard à profit; rien du moins ne nous permet de con-
jecturer qu'un établissement stable ait par la suite
été formé sur le Lerchenberg. Sur le Mein, au con-
traire, les communications qu'entretenaient entre les
deux rives les routes qui venaient y aboutir, appe-
lèrent des habitants.
C'est à cette circonstance que dut son origine
la bourgade qui s'y éleva, et dont l'existence a été
confirmée par quelques restes de ses décombres mis
à nu en remuant le sol de Francfort et de Sachsen-
hausen, et d'où furent retirées diverses antiquailles
et monnaies. D'ailleurs, Lesner, dans sa chronique,
cite deux inscriptions qui furent trouvées près de la
ville et qui sont des témoins qu'on ne peut ré-
cuser '.
L'une d'elles mentionne la huitième légion Antonine,
et fut élevée par un soldat de cette légion au génie
du saint empereur iMarc Aurèle Antonin, le 1 3 janvier
' Ces pierres , selon l'auteur, furent ensuite transportées à Heddern-
lieim et déposées dans la collection de la famille de Bodeck. C'est là
que le père Fuchs les vit , et c'est ce qui lui donna lieu de les citer
dans son Histoire de Mayence, comme provenant d'Heddernheim.
Lehne se prévaloit de son autorité quand il les cite à son tour. Sans
doute le passage do I.esner était inconnu à l'un et à l'autre.
330 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
de l'an 213; l'autre contient une invocation à la For-
tune, et sans doute les remercîments à cette déesse
d'une épouse ou d'une fille, pour l'heureux retour
d'un époux ou d'un père^
Il est probable que la route qui d'Obernbourg cir-
culait jusqu'à la Gersprinz à Diebourg, route dont
les traces sont encore apparentes , venait aboutir à
Dreyeich , et de ce lieu joignait le Mein au Vadum
romain, qui plus tard, des deux colonies franque et
saxonne qui y furent établies par Charlemagne , sur
les deux rives, prit le nom de Francfurt et de Sach-
senhausen. Cette route, en quittant Obernbourg,
était défendue par deux tours fortes, dont les ruines
sont encore visibles des deux côtés du village de
Mùniling. Elle s'élevait sur le plateau des collines
dans la direction de Radheim, lieu où l'on conserve
encore un autel antique, revêtu des figures et des
attributs de Mercure, de Junon , de Minerve et d'Her-
cule, et dont le mur d'où sort la fontaine, recèle
aussi trois inscriptions que le temps a rendues illi-
sibles. De là elle se dirigeait sur Altheim et venait
joindre l'Altenstadt de Diebourg, lieu où il suffit de
creuser le sol pour trouver les fondements d'antiques
constructions. Au delà de la Gersprinz ses traces se
perdent; mais, comme le châtel de Hagen, près de
Dreyeich, a offert une inscription ^ il est présumable.
' Voy. Fiichs, Geschichte von Moinz-, l. ii , p. 5. — Lehiic , iiis-
ciipt. 107 du 1«' vol. — Gruter, p. 108, i.
- Winkelinann , neachreibuiuj der [■urstenthumer Hesuen und
llorsfpld , p. M 2.
DU RHIN ET DU DANUBE. 331
ainsi que je viens de le dire, que c'était celte di-
rection que la route suivait, direction qui la faisait,
en effet, aboutir droit au passage du Mein, vis-à-vis
des fortifications de la Nidda.
Dans la plaine qui des montagnes s'étend jusqu'au
Rhin, la population romaine dut être moindre que
dans la vallée et sur ces plateaux, parce que le
Necker, ainsi que nous l'avons vu, circulant encore
dans cette plaine jusque près de l'embouchure du
Mein, auquel il se réunissait, couvrait de ses eaux la
majeure partie des terres basses et marécageuses
qu'entrecoupaient çà et là d'immenses forêts. Aussi,
comme dans lOrtenau, trouvons-nous ici moins de
lieux qui, par quelques antiquités, peuvent prouver
leur haute origine , quoiqu'il soit d'un autre côté
certain que, déjà à l'époque de Trajan, Rome avait
au pied des montagnes placé quelques établisse-
ments'.
Un auteur contemporain a signalé ces plaines et
ces hauteurs comme ayant été la demeure des Cara-
cates, peuple dont parle Tacite, et qui. d'après le
passage où cet écrivain célèbre en fait mention ,
devait, en effet, avoir été voisin des Vangiones.
Selon M. de Leutsch^ces Caracates n'étaient que des
Gaulois méridionaux, à qui Rome donna des terres
à cultiver entre le Mein et le Rhin, en même temps
' Loisqu'en 1553 on répara à Darmstadt une vieille tour, on trouva
du moins dans ses fondements une monnaie de cet empereur. Voy.
NVinkelmann, 2*" pari., c. 2, p. 101.
- f eber die. /k/gpii des Julins Cn^sar. Giessen 1844. in-8".
332 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
que sur le Neckerelle plaçait ces autres Gaulois dont
nous avons retrouvé les vestiges et qui y portèrent
le culte de leurs dieux. L'objection la mieux fondée
qu'on pourrait faire au critique allemand , à l'égard
de cette dernière assertion, c'est qu'à l'époque des
guerres civiles, où le nom des Caracates est cité par
Tacite, cette colonisation n'avait point encore eu lieu
dans cette partie de la Germanie. Ainsi, rien ne
prouve que ces Caracates aient été des habitants tirés
des Gaules. Mais, quant à l'opinion de l'auteur qui
assigne ce territoire pour demeure à cette peuplade,
elle a pour elle une grande probabilité , quelque
fausses que soient les assertions sur lesquelles il s'ap-
puie pour la soutenir. Ce qu'il y a de certain, c'est
que Ptolémée place les Vangiones sur la rive gauche
du Rhin , et que sur la rive droite du fleuve , sous
les Usipètes, il place les Vargiones et une autre na-
tion qu'il désigne sous le nom de Karithnes. Ces Ka-
rithnes, selon le géographe d'Alexandrie, occupant
la rive droite du Rhin justement vis-à-vis des Van-
giones de la rive gauche, on pourrait avec raison se
prévaloir de cette autorité pour demander si cette
peuplade ne doit point être considérée comme la
même que celle à qui Tacite a donné le nom de Ca-
racates.
L'historien latin est le seul qui ai t mentionné ces der-
niers en décrivant les guerres civiles de Tutor et de
Classicus, comme Ptolémée est le seul qui ait fait men-
tion des Karithnes dans ses pages géographiques. Ta-
cite , en parlant des Triboques,des Vangiones et des
Caracates, donne à entendre que ces trois nations
DU RHIN ET DU DANUBE. 333
élaientconfédérées.Maiscen'estpointune raison pour
qu'elles aient habile 3a même rive, et qu'il faille placer
les Caracates exactement au-dessus des Van^iones
sur la rive gauche du Rhin. Si les Caracates avaient
effectivement eu celte position, Pline, qui décrit
toutes les nations de la rive gauche du Rhin, n'aurait
certainement pas manqué d'en parler. Son silence,
comme celui de César, comme celui d'Ammien AJar-
cellin, d'Eunapiiis et des autres historiens grecs et
romains, tend à confirmer l'opinion que celte peu-
plade était voisine des Vangiones, mais quelle était
séparée d'eux parle Rhin ; ei il faut déduire des deux
passages de Ptolémée et de Tacite que les noms de
Karithnes et de Caracates qu'ont employés le géo-
graphe grec et l'annaliste romain désignent la même
nation.
Ce petit peuple a, du reste, joué un rôle insigni-
fiant dans l'histoire. Son nom, depuis l'époque où il
retentit une fois dans les pages du célèbre historien,
n'est plus jamais mentionné, et il disparut lui-même
du sol où il vécut, soit que des circonstances incon-
nues aient amené sa dissolutiou , soit que la colonisa-
tion que Rome entreprit plus tard, quand elle eut
tracé la limite du Taunus et du Mein , l'ait forcé à se
confondre dans la coalition allemanique'. Quoique le
pays qu'il semble avoir habité, depuis l'embouchure
du Mein jusqu'à celle du Xecker, présente, comme
je l'ai dit, moins de vestiges de cette colonisation
' Voy. ci-avaiu première partie de ce Mémoire, p. 78.
334 ÉTABLISSEMEINTS ROMAINS
protectrice que les lieux élevés du Mein et de l'Oden-
wald , il y en existe encore assez de traces.
Michelstadt a offert quelques antiquités romaines;
dans la vieille tour qui en rend l'aspectsi pittoresque,
on voit encoreune figure de Mercure que les ouvriers
du moyen âge y ont enclavée'.
Aux environs de Kœnig furent, en fouillant le sol,
découverts quelques restes de bâtisses romaines.
A Stockheim, en déblayant d'antiques décombres,
fut trouvée une monnaie de Vespasien.
A Reiclienbach est encore, dans une antique car-
rière de granit, placée sur le sol où elle resta ina-
chevée, une colonne gigantesque qui nous rappelle
l'époque romaine^.
Sur le revers occidental des montagnes quelques
tours d'observation furent placées comme sur l'Ab-
noba; et sans doute la hauteur qui domine Schries-
heim, lieu uni à l'établissement de Ladenbourg, et
dans les environs duquel on découvrit un bain
antique , un caveau sépulcral , des monnaies et
d'autres antiquités ^ en soutint une , ainsi que le som-
met qui domine la Weschnilz\ celui qui domine le
' On peut en lire les inscriptions dans les Act. Acad. Theod. Pâ-
lot.^ t. I, p. 204, et en voir la représentation dans le t. ii, pi. 10 du
même ouvrage.
2 Elle a 31 pieds 8 pouces de long et depuis 4 pieds 6 pouces jus-
qu'à 3 pieds 10 pouce§ de diamètre.
3 Voy. sur ces antiquités, Creuzer : Zur Geschichte ait rôinischer
Cultur am Necker, p. 54 et sv., et Haefelin : Dissertaiio de balneo
romano in ngro lupodunensi reperto, dans les Act. Acad. Theo-t.
Palat., t. ni, p. 21. S et sv.
4 Windeck.
DU RHIN ET DU DANUBE. 335
Hambach Set sans doute aussi le revers du Mélibocus,
au-dessus de la position si forte de Zwingenberg.
Waldstatt, dans le bailliage de Ladenbourg, Ka3fer-
thal , près de Mannheim, ont aussi fourni , le premier_,
quelques monnaies, le second, des débris de poteries
romaines.
Les parties les plus exhaussées de la plaine reçurent
aussi quelques établissements; et nous trouvons à
Dornheim une pierre qui nous prouve qu'au milieu
des colons gaulois, des colons d'origine romaine
eurent aussi des possessions^.
Dornheim était posée sur la rive de l'ancien lit du
Necker, ainsi que Tribur, lieu celtique, qui plus lard,
au neuvième siècle , joua un rôle important, et dont
la tradition à cette époque vantait la grandeur qu'il
avait eue sous les Romains \
Le Mein,pour recevoir le Necker, se partageait
en deux bras à Raunheim; il formait une courbe au
sud, et allait, grossi de ses ondes, se jeter dans le
Rhin à Ginsheim. Pendant les grandes crues d'eau, il
pénètre encore parfois dans cet ancien lit qu'il sub-
merge; et il est assez probable que, du temps des Ro-
mains, ce lit n "était encore jamais à sec. Cependant
son cours principal dut déjà alors être celui qu'il
suit aujourd'hui , et c'est aussi sur la pointe sud qu'il
' Starkenbourg.
2 Celte inscription est sur une pierre tuniulaire, élevée par un fils,
du nom de Firmus, à sa mère Florentine, dont il esl l'héritier. Voy.
Winkelmann , ouvr. cité, p. 106.
^ On n'y a pas cependant , que je sache , trouvé d'antiquités ro-
maines.
336 ÉiABLlSSEMEiMS KOMAINS
forme en se jetant dans le Rhin à Costheim, que
furent, en 1632, trouvées les ruines de l'ancien fort
romain destiné à protéger cette embouchure. On a
écrit que la construction de ce fort en cet endroit
prouve en faveur de l'ancien cours du Mein plus au
sud, à l'époque dont nous nous occupons. i^Jais je
crois bien plutôt qu'il prouve en faveur de ce que je
viens d'émettre : que le bras principal de celte ri-
vière dut déboucher en ce lieu. Car je ne vois pas de
quelle nécessité il eût été pour Rome de placer un fort
sur le Rhin à une distance si rapprochée du fort de
Cassel et de la cité des Mattiaques, s'il n'eût pas été
destiné à défendre l'abord de cette rivière dans le
fleuve. La vingt-deuxième légion est la seule troupe
qui ait laissé des inscriptions à Costheim '; on a aussi
retrouvé dans ses ruines deux autels , 1 un , dédié à Ju-
non, à Minerve, à Hercule et à Mercure, l'autre,» Ju-
non et à Jupiter; le second porte pour date l'an 2 1 7 de
Jésus-Christ, la dernière année du règne de Caracalla ^.
Les traces d'un autre castel se remarquent à Amae-
' Voy. Lehne, inscript. 222 et 232, p. 209 et 232 du 2^ vol.
2 I. 0. xM. E. IVNO
M REGINE
CL. QVART. .
NVS. SIVT. EDV
EX. VOTO. IN
SVO. P. PREve
NT. 3 . E\T/-
ICATO. Cos
V. S. L. L. M.
.... Sous le consulat de Pre.sens et d'Extricalus.
DU RHIN ET nu DANUBE. 337
iiebourg, du colé opposé du fort de Drusus. Il n'est
pas invraisemblable que ces deux fortins aient été
construits simultanément avec la grande place de
guerre, afin de la protéger, système de défense que
nous aurons occasion de signaler, plus tard, de
l'autre côté du Rhin , aux fortifications de Mayence.
Amœnebourg couvrait, en avant de Cassel , la route
qui conduisait aux bains Mattiaques, lieu qui est
mentionné par l'historien \ et que Pline cite aussi
dans ses pages éloquentes-.
Il est hors de doute que le Wiesbade moderne ne
soit le bain antique dont parle ce dernier auteur,
qui vante surtout la chaleur extrême de ses eaux
thermales. Rome mit ces eaux à profit, et bâtit les
thermes dont les débris ont été retrouvés sous le sol,
en même temps que l'inscription qu'un centurion de
la Foptième légion Alexandrine, troupe dont on a
aussi retrouvé quelques tombes, fit un jour buriner
sur une pierre en l'honneur d'Apollon Toutiorige^.
* Tacite, Ânn., i, 56, xi; 20. — Amm. Marcel., xxix, 4.
2 tSicnt et Mattiaci in Germania Jontes calldi, quorum haus-
ttus triduo fervef, circa viargines vero pumicem feriunt aqux.n
Pline, Hist. nat., xxxi, 17,
3 IN. H. D. D
APOLLIM. TOV
TIORIGI
L. MARIMVS
MARIMA
NVS. 9. LEG. VU
GEM. P. F. Alexand
D. D. D. FORTViNAE. VO
TI. COMPOS
y4pollini Toufioriyi, L. Marînins Marinkmus , Centurîo legionis
22
338 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Mercure Cissonius y fut aussi invoqué '. D'autres ins-
criptions en l'honneur de Jupiter, de Junon et d'Her-
cule, y ont aussi été rencontrées, jetées dans les débris
de deux bassins dont les voûtes ont été retrouvées
intactes. Des monnaies, d'autres antiquités y ont
aussi été mises au jour; et tout fait présumer que ce
lieu n'a pas été l'un desmunicipes les moins impor-
tants du Taunus.
Parmi les pierres tumulaires qui y ont été dé-
terrées, étaient celle d'un vétéran de la quatorzième
légion^, et celle d'un autre soldat de la deuxième
cohorte rhétique^ soit que ces troupes y aient un
Flly geminx, piœ, fiddis , Àlexandrinx (sans doute effacé par les
partisans de Maximin), doymm dedicavit Fortunxvoti compos.
1 MERCYRIO
CISSONIO
ARAM.
VT E\ï . . .
.... ICTO
L. VETVRIVS. P. F
YOT. PLAC
PRIMVS VEXER
EX LEG. XIIII
GEM.
H. S. E.
Q
VlilVS. AGi
VSTVS. RAETvS
MIL. C0H.¥RAET
AN. XXX. STtXllI
IT. F. C.
DU RIIIN ET DU DANUBE. 339
jour été placées, soit que ces soldais aient trouvé la
mort en ces lieux, où le soin de leur santé pouvait
les avoir appelés. Un vétéran de la vingt-deuxième
légion y a aussi laissé un souvenir de son trépas.
Au-dessus de la ville, oii la renommée de ses
thermes a dû, comme aujourd hui , attirer les étran-
gers, les Romains avaient bàli un castel protecteur;
il existe encore à Bûrstaîdt, village tout rapproché
de Wiesbade, une vieille tour qui , selon toute pro-
babilité, servait sous eux de tour d'observation. Sur
le chemin qui unit les deux lieux a été trouvée une
autre inscription de Mercure, qui est d'autant plus
intéressante, que ce n'est plus sous le nom celtique de
Cissoniusque le dieu y est invoqué, mais sous celui de
Nundinator ou dieu des marchés'. La pierre qui sup-
porte 1 inscription nous offre deux figures assez gros-
sièrement taillées, tenant chacune le caducée. L'une
d'elles ne peut être que Mercure, et sans doute celle
qui l'accompagne est la déesse Nundina, divinité
dont l'existence nous est attestée par Macrobe^. On
sait qu'avant de compter par semaines ou espace de
sept journées, les Romains comptèrent d'abord par
périodes de huit jours, au bout desquels venait le
jour du marché, espace de temps qui reçut, ainsi que
le jour de marché même, le nom de Nundinœ. La
déesse qui accompagne Mercure Nundinator, armée
* DEO. MERCVRIO
NVNDINATORI.
- Macrobe, Satiirn , i, G.
I 22.
340 ÉTABLISSEMEINTS ROMAINS
comme lui du caducée, ne peut être que la divinité
qui présidait avec lui aux transactions commerciales
de cette neuvième journée , par conséquent , la déesse
Niindina.
Un autre municipe du Taunus dut s'élever sur
l'emplacement de Kronberg, lieu où nous trouvons
les deux duumvirs ou magistrats municipaux, éri-
geant le 18 octobre de l'an 204, et, par conséquent,
sous le règne d'Alexandre Sévère, une pierre votive
au dieu Mars.
C'était, comme on sait, le 19 que se célébrait
dans tout l'Empire la grande fête militaire où ce
dieu était invoqué, et probablement ce fut la veille
de cette solennité que, pour en conserver le souve-
nir, cette inscription fut gravée ^
Kronberg, placé en arrière de la ligne fortifiée
de la Nidda, était, par sa position élevée, dominant
au loin toute la plaine, d'une importance majeure
comme place de guerre, et sans doute ce fut autour
du castel qui paraît avoir été bâti dès les premiers
temps de l'occupation romaine (s'il n'est pas lui-
Marfl.
ET. CASS. PO
TENTLNVS
IIVIR. CILONE
ÎI. ET. LIBONE
COS. XV
KAL. NO.
Apion, luscnpf. sacros. retusf., p. cr.ccxxxxvi.
DU RHIN ET DU DANUBE. 34 1
même le fort que Drusus posa sur ces hauteurs et
que Germanicus rétablit'), que se forma, peu à peu,
une bourgade.
Ces diverses villes, si rapprochées, qui se succé-
daient à une si faible dislance l'une de l'autre ,
prouvent une population forte, aisée, et trouvant le
bien-être sous l'appui des institutions romaines dont
nous la voyons dotée. Car autour de ces villes des vil-
lages ont dû exister; aussi trouvons-nous çà et là, ici
quelques fragments d'inscriptions^, là quelques mon-
naies, quelques tombeaux, qui annoncent que par-
tout, dans les vallées comme sur les plateaux des
montagnes, celte population s'était répandue.
Saalbourg était le troisième castel qui, au nord,
flanquait lextrémité des fortifications de la \idda,
aux frontières que Rome s'était tracées; nous trou-
vons dans ses ruines diverses briques et une inscrip-
tion qui prouve qu'en 214 la quatrième cohorte des
Vindéliciens y était en garnison ^
Cette ligne, primitivement fondée par Drusus, mise
plus lard à profil par Trajan et agrandie par Adrien,
se prolongea, comme nous l'avons vu plus avant, et
forma une courbe jusqu'à la Kinzig. Tout ce tor-
rent, ainsi que la Nidder et la Wetler, dont ce rem-
part renferma les bassins, contiennent encore des
' Peut-èlre rAiclauuum de Plolcmée.Voy. sa Giofjr., 1. ii, c. 11.
' Ainsi, par exemple , à Niederlicderbach , où dans le mur de l'église
est enclavée une pierre qui remonte à une époque bien reculée, puis-
qu'elle fut élevée par la cinquième légion. Voy. Winkelmann, ouvi-,
cité, p. 146.
•^ Lchne, inscript. l-2(>.
342 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
vestiges de l'anlique colonisation romaine. Les en-
virons de Hanau ont livré une foule de petites anti-
quités et même des monnaies qui prouvent que vis-
à-vis, et sous la protection du castel qui s'éleva,
comme nous l'avons dit, à l'embouchure de la Kinzig
dans le Mein, levai fut cultivé. Près de Rûckingen
était placé un autre castel , au sein des ruines duquel
on découvrit les restes dun bain antique où coule
aujourd'hui une fontaine d'eau pure. Toute la colline
sur laquelle ce castel était posé, et dont la superficie
présente une étendue de trente à quarante arpents,
offre d'anciennes murailles sitôt qu'on en fouille le
sol.
La plus grande partie des monnaies qui y ont été
trouvées datent des règnes de Trajan et d'Adrien;
malheureusement, que je sache, nulle inscription n'y
a encore été jusqu'ici mise au jour.
Altenhaslau, Cassel et, entre les deux torrents de
la Nidder et de la Nidda, Altsljedt, sont autant de
lieux romains où des fouilles pourraient être faites
avec intérêt.
Je ne m'arrêterai pas aux différents camps que
j'ai mentionnés en faisant la description du grand
rempart, et dont celui d'Arnsbourg et celui de Butz-
bach, au-dessus de la petite ville de ce nom, pré-
sentent encore des ruines assez apparentes. Ils pro-
tégeaient, au nord , la grande limite qui embrassait
tout le val de la Wetter, et qui, à l'est, allait par
Utphe aboutir à la Kinzig.
Le camp de Bulzbach a offert une inscription à
Junon, et différentes monnaies, dont une entre
DU RHIN ET DU DANUBE. 343
autres de Trajan^ Ce lieu devint plus tard la métro-
pole des Bucinobantes, peuple qui, lorsque Rome
eut abandonné le pays, fit partie delà coalition alle-
manique.
Nous avons vu, en décrivant les guerres de Valen-
linien I, ce prince, pour contrebalancer le pouvoir
de Macrien, offrir à Fraomar la souveraineté des
montagnes et des vallées que cette nation recouvrait
jusqu'au Mein^.
A gauche de Saalbourg, et protégeant l'abord du
Taunus, étaient les quatre autres camps de Reiffen-
berg, d'Heftrich, de Libach et de Kemel.
Près de l'avant -dernier ont été trouvées trois
pierres, de date différentes, l'une dans les environs
d'Idstein, l'autre non loin de Neuhof, et la troisième
à Libach même; elles prouvent que pendant une assez
longue période d'années les Tréviriens furent canton-
nés sur celte partie du grand rempart. Une de ces
pierres est surtout du plus grand intérêt historique,
en ce qu'elle montre évidemment tout le soin qu'A-
lexandre Sévère, dès son élévation à l'empire, eut de
remettre en état ces fortifications.
Déjà douze ans auparavant, un nombre de Trévi-
riens avait élevé au génie protecteur de leur nation
une pierre votive 3. Par une autre inscription, ils
1 Winkelraann, ouvr. cité, p. 185.
2 Yoy. ci avant, première partie, p. 120.
3 IN H. D. D. GEN. TR.
GEMIANO. ET. BASSO. COS.
.... Sous le consulat de Gentiane et de Bassus, par conséquent, en
211.
344 ÉTABLISSEMENTS ROiMAlNS
voulurent instruire la postérité que par eux quatre-
vingt-seize pieds d'étendue de la muraille venaient
d'être élevés ^ On sait que ce mot Numerus désigna
d'abord simplement l'état qui contenait les noms des
nouvelles recrues, et que plus tard ce nom fut donné
à un certain nombre d'hommes nouvellement en-
rôlés et commandés par des officiers légionnaires.
Nous avons déjà vu de telles troupes de Bretons pos-
tées sur rOdenwald.Ces recrues étaient exercées au
maniement des armes, jusqu'à ce qu'assez instruites,
on en formât des cohortes^ Or, c'est sous ce nom
de Numerus qu'elles nous apparaissent ici , placées
à l'époque où Alexandre Sévère prit à charge de
rétablir le rempart pour contenir les Allemanes^;
t PED. N. TREYEROR
VM. P. LXXXXVI.
SVB. CVR. AGENTE. GRES
CENTIiNO. RESPEGTO. S.
LEG. VIII. AVG.
Pedites Numeri Treverorum passus XCFI, sub curam agente
Crescentino Respect o^signifero leglonis FIIl Âugustx.. . .
2 Ce ne fut que vers les derniers temps de l'Empire que souvent les
mots de cohors et de numerus furent synonymes. Voy. la Notifia
imperii.
3 IMP. CAES. M. aureUo
Serero Alexandro. PIO
FELICI. AVG. PONTIFICI. MA
XIMO. TRIBVNIC. POTESTATIS
COS. P. p. PRO. salute ejos coW
TREVEROR'-M. alexandrina
EO. DEVOTA. hoc. mon. d. d.
MVRVM. KQgeremque. rest.
MAXLMO. ET. yElianu. Cos.
,.. Sous le consulat de Maxime cl d'.Elien, par conséciuciil, ('n223.
DU RIIIN ET DU DANUBE. 345
ces jeunes soldats recevaient donc dans les camps de
la frontière toute leur éducation militaire.
A Kemel, le rempart forme un angle analogue à
la courbe que forme le Rhin, et se prolonge au nord
dans la direction de ce fleuve.
C'est en arrière que s'étend le Rhingau, pays de
collines, dont les ramifications viennent toucher le
Taunus, et dont les riches vallées, dont les plaines
fertiles doivent aux Romains leur culture, leurs vi-
gnobles. La colonisation, comme dans tous les can-
tons que nous avons parcourus, y suivit l'occupation
militaire , et c'est autour des établissements militaires
que le grand peuple y fonda, que se sont élevées plus
tard des villes et des bourgades.
Eltwil sur le Rhin fut de ce nombre.
C'estle deuxième fort que les Romains avaient posé
sur le fleuve au delà du castel de Drusus. Dans les
vignobles qui recouvrent les environs de Schierstein,
la pioche à mis plus d'une fois à nu des monnaies de
Marc Antoine et de son père Lucius; il n'est pas in-
vraisemblable que pendant le séjour du triumvir dans
les Gaules, et lorsque, quelques années plus tard.
Agrippa vint s'interposer entre les Suèves et les
Ubiens, ces hauteu rs aient déjà vu l'aigle romai ne. Une
inscription intéressante fut découverte à Frauenstein S
1 MARTI LEVCETIO
PRO SALVTE. IMP
DOMINI. N. AVG. PII.
Q. VOCCOMVS. VITV
LYS. > LEG. XXII. PR.
P. F. PONENDVM
OVRAVIT.
346 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
non loin de ce lieu. Un centurion de la vingt-
deuxième légion, du nom de Vitulus,posa là unautel
au dieu Mars Leucélien, en l'invoquant pour le salut
de l'empereur Antonin-le-Pieux, à l'occasion, sans
doute, du secours que ce prince envoya à la colonie
milésienned'01bia\ que tout à coup les Tauroscy thés,
peuple de la Chersonèse Taurique, étaient venus at-
taquer.
La nouvelle de cette expédition était parvenue
sur le Rhin ; et ce fut au dieu Mars , adoré dans l'île
de Leucé^ qu'il fut alors sacrifié, pour remercier ce
dieu, protecteur du Pont-Euxin, d'avoir été propice
aux. armes romaines.
Plus au nord, à Marienhausen , était au moyen âge
enclavée dans le cloître du couvent^ une autre pierre
romaine, consacrée à Jupiter Sérapis et Céleste, à la
Fortune et au génie protecteur du lieu où cette pierre
1 Située sur le Pont-Euxin. Pline en parle comme d'une ville grande
et commerçante.
Voy. les Antiquités grecques du Bosphore cimmérien, publiées
et expliquées par Raoul Rochette, p. la, 16.
2 Strabon {Géogr., mi, c. 3, § IG) rapporte que l'ile de Leucé était
consacrée à Achille , et , selon la fable , son ombre errait sans cesse
au-dessus de ce récif.
Son culte était répandu tout le long du Bosphore , oîi il était adoré
sous le nom de Poniarqtie (Pline, IJisf. nat., iv, 12). 11 n'est pas in-
vraisemblable que ce soit ce héros même qui ait été invoqué sur cette
pierre sous le nom de 3fars Leucétien.
3 Voy. Annalen des ïereins fur Nassauische Jlterthumshunde,
l. \, S'-cah., p. 12.
DU RHIN ET DU DANUBE. 347
avait été élevée'. Comme ce n'était qu'aux divinités
présidant aux planètes que l'épithète de Céleste était
donnée, c'est comme dieu Soleil que le maître des
dieux nous apparaît ici. Le centurion qui fit graver
cette inscription était de la quatrième légion Macé-
donienne , légion qu'Auguste envoya en Orient , et
qui plus tard revint sur le Rhin et prit à Mayence le
parti de Vitellius^ Elle suivit cet empereur en Italie
et revint encore dans les Gaules, où nous la voyons,
pendant les guerres de Civilis, voler au secours de
Mayence, attaquée par les Cattes, les Usipètes et les
Mattiaques^
Les ruines d'où celte pierre a été tirée n'ont pu
être éloignées du lieu où, au moyen âge, le cloître
fut construit.
Nous touchons le val de la Wisper, à l'entrée du-
quel les Romains avaient posé un castel pour pro-
1 I. 0. M. SERAPI
CÂELESTI. FOR
TVN. T. GEMO
LOCI. P. LICIM
VS. PAL. TR. >
LEG. m. M. P.
PRO. SE. SVIS
Q. V. L. L. C.
palatime tribus, centurio legionis IIII macédonien, pro se
suisque voti libens lubens cotnpos.
Apparet, Serapis et Solis unam et îndividuam esse naturam.
Macrob. i, 20.
2 Tacite, Hist., i, 55.
'^ Tacite, Hist., iv, 37.
348 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
léger l'embouchure de ce petit torrent dans le fleuve.
Plus haut, quelques restes de retranchements, proches
de Lipporn, sur un plateau d'où la vue peut embras-
ser toute la contrée, s'ils ne sont pas antérieurs aux
Romains, ont du moins été mis aussi à profit par
eux.
L'angle du rempart était soutenu en arrière parles
fortifications qui au bord du Rhin se prolongeaient
de distance en distance à Caub\ à Camp, à Ehren-
breitstein^, à Engers, où existait une tête de pont"\ et
enfinàNeuwied, tous lieux où les Romains ont laissé
quelques souvenirs de leur présence, tandis que sur
le rempart même le camp de Holzhausen, près du
village de Pohl, et celui de Marienfels, où la vingt-
deuxième légion a aussi laissé quelques traces de son
séjour \ et dont les décombres que le sol aujourd'hui
recouvre, annoncent, par l'étendue du terrain où ils
sont enfouis, un établissement considérable, flan-
quaient, avec ceux de Kehlbach et de Bechel, cette
ligne depuis la Lahn jusqu'au Taunus.
Entre Ems et Fachbach la plaine renferme encore
des traces d'un autre établissement.
1 Voy. la description de ces lieux dans les Annalen des rereins
fiir Nassaiùsche Alterthunukunde ^ 1. 1, 2^ cah., p. 197.
2 Ce fut sur les ruines du camp romain que la forteresse du moyen
âge fut élevée.
3 Quelques vestiges de ce pont ont encore été retrouvés à Kaltcn-
Engers , sur la rive opposée.
* Voy. Bericht ilberd'œ Vntersuchuiuj des rùmischen Castrum bel
Marienfels , par le curé Briukmaiin , dans les Jnnulen des f ereins
fur Nassauische AUerthumskunde ^ t. i, 1*' cah., p. Idcisv.
DU RniN ET DU DANUBE. 349
C'était du côté opposé de la Lahn, sur une col-
line élevée, que, vis-à-vis des thermes, était posé le
castel destiné à protéger le rempart sur cette rivière
dont il embrasse, en effet, la courbe, et au delà de la-
quelle la ligne va s'appuyer sur le Kattenbach ^ et joint
le fort d'Alteck.
C'est là que commence à s'étendre le bassin de
Neuwied,pays fertile, où de bonne heure les Ro-
mains se plurent à entasser leurs fortitlcations, et
qui fut, en effet, toujours, dans les temps antiques
comme dans les temps plus rapprochés, le pivot sur
lequel toutes les armées qui passèrent le Rhin ma-
nœuvrèrent, soit pour menacer au nord la Lippe et
le Weser, soit pour opérer au sud sur la Lahn et le
Mein.
Le triple barrage que présente la limite romaine,
en avant de ce bassin, à Rengsdorf et non loin
de Neustadt sur la Wied, et les travaux de fortifica-
tions dont les restes peuvent encore être étudiés
proche d'Hiimrich et de Jahrsfeld, et au delà de la
Wied, près de Flammersfeld, son tau tant de témoins
qui nous attestent l'importance stratégique que Rome
attachait à l'occupation de cette vallée. Les diverses
redoutes élevées sur tous ces points ne pouvaient
être alimentées de troupes, qu'autant qu'en arrière
s'élevât une place d'armes considérable, capable de
les soutenir.
* Près du village du même nom ont souvent été trouvées des mon-
naies romaines et d'autres antiquités. A plusieurs reprises aussi la
charrue du laboureur y a heurté des restes de murailles enfouies sous
le sol.
350 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Or, c'est sur la Wied même, proche de sa jonclion
avec l'Autebach, à une petite lieue environ du Rhin
et à la même distance du grand rempart, que, sur
une surface que parcourt aujourd'hui la charrue,
une telle forteresse avait été posée. Sur ses ruines
qui ne paraissent avoir été produites que sous le règne
de Gallien, puisque c'est depuis Auguste jusqu'à cet
empereur que descendent les monnaies qui y ont été
trouvées, s'étend le petit village de Niederbiber. Les
murailles de l'antique enceinte formaient un carré
de 840 pieds de long sur 631 de large, dont les
angles étaient arrondis, et qui était défendu par des
tours fortes, larges de 10 pieds et s'avançant de
7 pieds au delà du rempart. Lors des fouilles qui
furent faites, l'on put encore distinguer l'emplacement
qu'occupaient les portes Prétorienne et Décumane
et la porte principale de gauche, à la construction
desquelles avaient été employées des pierres de tuf,
qui furent remises plus tard en usage, lorsqu'on bâ-
tit l'église de Niederbiber. Le prétoire, lieu principal
du camp, fut aussi retrouvé; il présentait dans ses
débris les traces non récusables d'une dévastation
méditée, produite par un ennemi audacieux et vin-
dicatif qui, entré en vainqueur, se plut à renverser
les statues des dieux, à mutiler leurs autels, à tout
détruire, à tout briser. Quelques fragments du bronze
dont était coulée la statue colossale du dieu Mars,
furent retrouvés enfouis à côté des éclats de marbre
de son piédestal, où son nom avait été inscrit. Des
débris d'armures, des tronçons d'armes, les restes
d'un bouclier en vermeil, remarquable par ses cise-
DU RHIN ET DU DANUBE. 351
lures,des ossements, des bijoux, tout était enfoui
pêle-mêle au sein des décombres que la flamme avait
produits.
Près de ce palais , qui occupait le centre de l'éta-
blissement, ont aussi été retrouvées les traces d'un
bain antique, vaste bâtiment qui n'avait pas moins
de 170 pieds de long sur 57 de large, et dont le
canal par où circulaient les eaux a aussi été décou-
vert.
C'est dans les débris de ce canal que fut mise à
nu une petite statuette de bronze, représentant le
génie du lieu , qui , coiffé d'une couronne de tours,
tient d'une main le cercle, symbole de la félicité
parfaite , à laquelle il devait présider, et soutient de
l'autre la corne d'abondance, d'où ses biens devaient
s'échapper. Une des inscriptions qui décorent son
piédestal, également en bronze, est du plus grand
intérêt, en ce qu'elle nous confirme qu'en 246 de Jé-
sus-Christ, par conséquent, sous le règne de Phi-
lippe, ce lieu était encore intact et florissant'.
Les troupes qui y ont laissé quelques souvenirs
» IN. H DD. BAIOLI
ET \'EXILLARI COL
LEGIO VICTORIEN
SIVM SIGNIFER
ORVM. GEMVM D
E SVO FECERVNT
VIIII KAL OCTOBR
PRESENTE. ET ALBINO
COS.
H. XIIII. D. S. R
352 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
de leur présence sont la huitième et la vingt-deuxième
légion, et la quatrième cohorte des Vindéliciens^ Cette
SATVLLVS
SAHARA
MACRINVS
LAETVS
APPOLLINARIS
SECVKDANVS
VRSVS.
PATERNVS
PRVDENS
MARIANTS
DAGOVASSVS
CERIALIS
ATYRO
VICTOR.
In honorem donius dwinx , Baioli et Fexillaru coUegio yicto -
rîenshim signiferormn Genîum de suo feceriint , ante diem nonum
Kalendas Octobres^ Présente et Albino consulibiis ; hi qualuorde-
cim de suo restifuerunt , etc.
Les baioli durent former un corps qui répondait à notre train
d'artillerie. Ils étaient chargés du transport de toutes les pièces de
guerre, telles que catapultes, balisles, etc. La présence des vexil-
laires de la vingt-deuxième légion avec les pontonniers à Trennfurth
et la rencontre que nous faisons ici des vexillaires , soit de cette lé-
gion, soit de la huitième, qui y fut aussi postée avec les baioli, semblent
devoir donner quelque poids à celte opinion que je soumets à la cri-
tique.
» LECIOMII. LEG. XXII.
LEO VIII AVG. COHIIIIVIND.
. . EGVIII. AVG. ARRE COU. V.
Consultez Dorow., ii, p. 07, pi. 5 et pi. 18.
DU RHIN ET DU DANUBE. 353
cohorte était encore dans ce camp, lorsque les Alle-
manes, entrant en vainqueur, portèrent partout le
carnage et la flamme.
A une petite dislance de ce lieu, tout proche d'Hed-
dersdorf, un autre établissement romain est aussi
enfoui sous le sol là où aujourd'hui l'habitant pai-
sible conduit sa charrue, et où rien qu'une plaine unie
que recouvrent les moissons, ne frappe les regards.
Mais sous ces moissons existent des décombres qui
sont incontestablement de la même époque que ceux
découverts à Niederbiber. Les bâtisses auxquelles ils
appartinrent ont, au moyen âge, servi à la construc-
tion des diverses tours religieuses que le christia-
nisme éleva dans la contrée, et aux demeures des
habitants qui se répandirent autour d'elles. Aujour-
d'hui rien n'en apparaît plus sur le sol.
Les sept montagnes dominent au nord le bassin
de la Wied, dont l'étendue pouvait être explorée
par les diverses tours fortes qui couronnaient leurs
sommets. La circonvallation romaine venait toucher
le revers oriental de ces montagnes, après avoir relié
les divers camps qui, depuis la Lahn, défendaient
l'entrée des vallées jusqu'à la Sieg, dernier point où,
sur l'emplacement du castel de Siegbourg, sont venus
se montrer quelques antiquités du grand peuple. Les
divers villages qui au bord du Rhin portent encore
le nom de Cassel, ont indubitablement été construits
sur d'anciens castels qui, en arrière de cette ligne,
s'appuyaient sur le fleuve, mais dont les traces ont
disparu.
Le trachyte des sept montagnes avait déjà été mis
I.
23
354 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
à profit par les Romains; c'est de leurs carrières
que se tiraient ces belles pierres dont nous avons eu
occasion de lire les inscriptions à Trêves , à Bonn et
à Cologne.
Le versant de ces montagnes s'affaisse au nord vers
le cours de la Sieg, et l'on n'a, pour retrouver la di-
rection de l'antique circonvallation romaine dans la
plaine, que le village de Poil, en avant de Cologne,
dont le nom marque indubitablement qu'il est placé
sur cette ancienne ligne.
Ici se terminait donc la limite romaine, limite qui
plus au nord était formée par le Rhin même, et que
le grand peuple semble n'avoir jamais dépassé pour
sa colonisation. Ce que Rome éleva au delà n'eut
jamais de stabilité. On trouve bien sur la rive droite
du fleuve quelques restes qui annoncent une occu-
pation plus ou moins prolongée. Diisseldorf a même
livré une inscription qui pourrait faire présumer
qu'à l'endroit oiî fut bâti le village qui donna nais-
sance à cette ville, à l'embouchure de la Diissel, un
camp romain a dû exister. Nous y avons lu l'ins-
cription d'un soldat vétéran de la trentième lé-
gion ^
C'était à peu de distance plus haut que, sur la rive
gauche, était placée la station romaine de Novesium ,
D. M.
p. GRATINI
I>RIMI. VETH
LEG. XXX. V. V
H. F C
DU RHIN ET DU DANUBE. 355
si souvent citée par Tacite, et qui fut l'une des sept
villes incendiées par les Francs, dont l'empereur
Julien releva les fortifications. On trouve dans cette
direction les restes d'une ancienne ligne retranchée,
de deux lieues d'étendue, que l'on nomme encore
par tradition le fossé des Romains, mais qui doit
remonter à une époque bien plus reculée que celle
de Julien, et qui peut-être faisait partie des retran-
chements qui du château d'Âlison, sur la Lippe,
s'étendaient jusqu'au Rhin. Ces retranchements
avaient pu protéger pendant quelque temps en arrière
les établissements temporaires que l'occupation ro-
maine avait dû provoquer en Germanie, mais qui tom-
bèrent tous après le désastre du Teutobourg. Burg,
près de Solingen, Berg, près d'Altenbourg, où,
selon Galenus', fut trouvée une inscription romaine
on l'honneur des matrones des Gesates, en ont pu
flanquer les abords.
Ce fut probablement aussi pendant cette occu-
pation temporaire que les carrières de Gladbach,
où plusieurs monnaies romaines ont été trouvées,
furent exploitées. Plusieurs routes parcouraient cette
partie de la Germanie, et il en existe plusieurs
restes encore entre Mùllheim et Dûnewald, entre
Cologne et Siegbourg, et plus loin sur le territoire
des communes de Herweg, de Strassweg, de Strass-
bourg, qui toutes ont pris leur nom de ces routes
mêmes.
Pendant que les légions étaient au sein de la
' De magnetudine col.^ p. i94.
356 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
Germanie, dans leurs quartiers d'hiver, nul doute
que plusieurs lieux n'aient reçu des établissements
temporaires. 3Iais ils furent renversés plus tard , et
ne furent jamais, comme dans le sud-ouest de l'Alle-
magne, suivis de la colonisation.
Ainsi donc, quoique quelques antiquités romaines
aient çà et là été retirées du sol sur la route que sui-
virent les légions dans leurs diverses expéditions
Iransrhénanes, on peut admettre qu'aucun établis-
sement fixe, tels que ceux dont je viens de donner
la description, n'a été fondé par les Romains dans la
Grande-Germanie. Vainqueurs, ils occupèrent mili-
tairement le pays, mais n'y bâtirent aucune ville. Le
temps leur manqua pour le faire.
Tout ce qui reste d'eux dans celte immense éten-
due de pays que leurs armées parcouraient, atteste
une occupation momentanée.
Tous ces débris de campenients que nous trou-
vons d'eux sur la Lippe, près d'Haltern, et en
d'autres lieux, nous prouvent évidemment qu'après
la bataille du Teutobourg tout ce que Rome avait
élevé de places fortes sur celte rivière tomba en
ruines.
Le camp placé sur l'Annaberg a livré dans ses
décombres des monnaies consulaires, quelques dé-
nares de Jules-César et d'Antoine, des monnaies en
plus grand nombre d'Auguste, mais aucune de Tibère
ni de ses successeurs.
Ainsi Germanicus, dans sa campagne contre les
Marses, ne releva poiut ces remparts.
Cène peut être l'emplacement du château d'Alison,
DU RHIN ET DU DANUBE. 357
comme on a cherché à le prouverS puisque Dion,
dans ses pages historiques, dit affirmativement que
le castel d'Alison fut bâti au confluent de l'Alise^ et
de la Lippe ^ et, par conséquent, plus rapproché de
la source de celte dernière rivière.
Le château d'Alison , abandonné par sa garnison
après la défaite de Varus*, fut repris plus tard par les
Romains, et dans les campagnes de Germanicus il
joua encore un rôle important; c'était encore le poste
le plus avancé que les Romains eussent dans cette
partie de la Germanie. Des lignes retranchées furent
alors élevées pour le joindre au Rhin. Il est pro-
bable qu'il ne fut abandonné que longtemps après
cette époque, et lorsque tout espoir de reconquérir
la Germanie et de s'y maintenir fut dissipé.
Mannert^ a en vain cherché à prouver que deux
castels de ce nom ont dû exister; l'un, qui fut
ruiné, près des sources de la Lippe; l'autre^plus rap-
proché du Rhin. Cette opinion n'est basée sur aucun
historien de l'antiquité , et n'a pour elle rien de so-
lide. Plolémée place, il est vrai, le château d'Alison
proche du Rhin, et dans sa Géographie assigne au
cours de ce fleuve le 27« et le 2^"^ degré de longitude
depuis sa source jusqu'à son embouchure. C'est aussi
^ Bardeleben , Zweifel tind Ansichten ûber die ôrtliche Loge des
von Drusus im Jahr eilj vor Christi erbauUn Castells an der Lippe.
Cassel, eic. 1839. in-8«.
2 Aujourd'hui l'Aime.
3 Dion. Cass.,1. IV, c. 33.
'* VcUej. PatcrcuL, ii, c. 120
^ Géographie der Griechea und liomer, t. m, p. 460.
358 ÉTABLISSEMENTS ROMAINS
le 28« degré qu'il assigne pour longitude au château
d'Alison, qu'il place dans le troisième climat de la
Germanie. Toute fausse que soit la position que Ptolé-
mée assigne au cours du Rhin, il semble avoir voulu
indiquer par la position qu'il assigne ensuite à la
forteresse que cette dernière était proche de ses
rives. Mais l'illustre géographe est à ce sujet en con-
\radiction avec Dion et Tacite. Quand ces deux au-
teurs décrivent les événements qui se rattachent aux
guerres dans lesquelles ce fort joua un rôle, c'est
toujours au sein du pays des Bructères qu'ils le
placent et près du champ de bataille que Varus en-
sanglanta. Le passage de Dion est tellement clair et
précis qu'il est impossible d'assigner à cette forteresse
une autre position que celle du confluent de l'Alise
et de la Lippe. Ni l'Annaberg, ni les traces des autres
camps fortifiés plus rapprochés du Rhin et cités par
Mannert pour soutenir son opinion, ne peuvent s'ac-
corder avec le texte précis de l'historien. C'est, en
effet, pendant les guerres de Germanicus contre les
Chérusques que les six légions, que ce général com-
mandait, s'avancent dans la Germanie pour ravitail-
ler ce fort; c'est pour le lier à la position du Rhin
que les lignes fortifiées, renversées par les Germains
après le combat du Teutobourg, sont rétablies. D'a-
près les vestiges de l'Annaberg, les fortifications qui
le recouvraient ne furent plus à cette époque rele-
vées, tandis que le château d'Alison se soutint en-
core pendant toute cette période de guerre jusqu'à
l'abandon total de la rive droite du Rhin.
Tombé enfin sous les coups des Germains, le châ-
DU RHIN ET DU DANUBE. 359
teau d'Alisoii finil par être anéanti au point que tout
vestige de son ancienne existence a disparu. De
toutes les savantes dissertations écrites à son sujet,
aucune n'a pour preuve ni une inscription, ni une
médaille, et il ne reste en définitive d'autre certitude
sur sa position que la page historique où Dion l'a
cité en propres termes, et qu'on doit dès lors chercher
dans les environs ou sur l'emplacement même d'Elz
ou de Lisborn.
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BÎEUOTHZCA
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Université d'Ottawa
Echéance
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