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Full text of "Monaco"

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MONACO 

SES   ORIGINES    ET  SON    HISTOIRE 


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MONACO 

SES    ORIGIXES    ET    SOX    HISTOIRE 

d'apres    les   documents    originaux 

PAR 

G  u  s  tav  e    S  A I  G  E 


CORRESPONDANT    DE    L  INSTITL'T 


Monaco  e  sempre  slato  la  corona  vostra 
e  qtiello  the  vi  ha  dato  name  e  gloria. 

(Le  doge  Pierre  Fhegosf  a 
Jean  Grimalm,  12  !>}v.  1451). 


IMPRIMERIE     DE     MONACO 
1897 


■    ^ffrrET-HCMg 


Depuis  le  commencement  de  la  publication 
des  Documents  historiques  ?*elatifs  a  la  Princi- 
paute  de  Monaco,  nous  avons  ete'  frequemment 
sollicite  de  donner  sous  une  forme  commode  et 
accessible  au  grand  public  le  resume  des  intro- 
ductions place'es  en  tete  de  chacun  des  volumes 
de  cette  collection,  oil  nous  avons  mis  en  oeirvre 
les  pieces  originates  qui  s'y  trouvent  reunies. 
On  voulait  bien  nous  encourager  a  tenter  cette 
ceuvre  de  vulgarisation  devenue  necessaire  pour 
mettre  1  'histoire  de  Monaco  en  harmonie  avec 
les  exigences  de  la  critique  historique. 

Nous  avons  longtemps  hesite  devant  une  en- 
treprise  qui,  de  prime  abord ,  peut  paraitre 
facile,  mais  qui  n'est  pas  moins  herissee  de  ditfi- 
cultes  tres  reelles.  Condenser  la  matiere  de  plus 
de  quinze  cents  pages  de  nos  introductions  e'tait 
une  operation  delicate,  et  nous  avons,  en  accom- 
plissant  ce  travail,  reconnu  encore  une  fois  com 
bien  il  est  difficile  de  «  faire  court  ».  Nous  nous. 

86; 402 


Vl 

etions  impose  la  tache  de  ne  rien  omettre  des 
faits  quelque  peu  importants  survenus  dans  un 
petit  pays  dont  les  annates  sont  liees  si  intime- 
ment  a  l'histoire  ge'ne'rale ;  mais,  par  contre, 
nous  avons  du  nous  astreindre  a  supprimer  tout 
ce  qui  etait  etranger  au  recit  pur  et  a  1'exposi- 
tion  historique  ;  nous  nous  sommes  en  particu- 
lier  abstenu  de  toute  annotation,  de  tout  renvoi 
aux  sources.  Nous  n'entendons  pourtant  pas  etre 
cru  sur  parole;  mais  nous  voulons  ici  — et  une 
fois  pour  toutes  —  indiquer  qu'il  n'est  pas  un 
seul  fait  avance'  qui  ne  soit  appuye  sur  un  docu 
ment  original  place  a  sa  date  dans  l'un  des  volu- 
mes de  notre  grand  recueil ,  ou  le  lecteur,  de'sireux 
de  controler,  pourra  se  reporter  avec  la  certitude 
de  le  trouver. 

Nous  sommes  cependant  oblige  de  demander 
un  credit  de  quelques  mois  encore  en  ce  qui  re- 
garde  les  deux  tomes  qui  restent  a  publier  pour 
terminer  les  Documents.  Ce  qui  concerne  la  pe- 
riode  anterieure  a  la  fin  du  quatorzieme  siecle 
depuis  l'antiquite  se  trouve  compris  dans  le 
volume  dont  nous  terminons  en  ce  moment  l'im- 
pression  et  qui  paraitra  dans  le  courant  de  1897. 


VII 

Quant  a  la  partie  relative  a  l'histoire  des  evene- 
ments  qui  se  sont  deroule's  depuis  le  traite  d'Ho 
nore  II  avec  la  France  en  1641  jusqu'au  regne 
actuel,  la  publication,  des  a  present  entiere- 
ment  prete,  se  fera  dans  un  delai  egalement  tres 
court. 

Cette  omission  syste'matique  de  toute  annota- 
tion devait  cependant  subir  une  exception  pour 
les  premiers  chapitres  de  cette  histoire,  par 
suite  de  la  nature  des  mate'riaux  qui  nous  ont 
servi.  Notre  recueil  de  documents  ne  contient 
de  titres  qu'a  partir  de  la  legende  de  sainte  De- 
vote et  du  onzieme  siecle.  Ce  qui  est  relatif  aux 
temps  antiques  se  refere  aux  textes,  aux  monu- 
ments que  les  historiens,  les  dcrivains  anciens  et 
les  archeologues  ont  conserves  ou  etudies;  la 
nous  avons  cite  nos  sources.  On  remarquera 
du  reste  que  l'antiquite  occupe  dans  cette  histoire 
une  place  relativement  restreinte  ;  c'est  que  Mo- 
naco ne  fut,  dans  cette  periode,  mele  qu'a  de 
rares  e'venements.  A  part  les  mentions  des  geo- 
graphies tels  que  Strabon,  Pline  et  Ptolemee,  a 
part  surtout,  et  tout  a  fait  a  l'origine,  la  place 
importante  assignee  a  ce  port  et  a  son  site  dans 


VIII 

le  mythc  dc  l'Hercule  TyrienMelqart,  personni- 
rkation  de  la  race  colonisatrice  des  Pheniciens, 
le  port  d'Hercule  Monoecus  ne  joue  d'autre  role 
que  celui  d'un  lieu  d'embarquement  frequente 
des  un  temps  tres  recule ;  c'est  a  l'occasion 
d'incidents  de  cette  nature  qu'il  est  parfois  cite 
a  l'epoque  oil  les  Romains  mettent  le  pied  dans 
les  Alpes  Liguriennes;  il  ne  figure  ensuite  que 
daus  trois  ou  quatre  circonstances  pendant  tout 
le  cours  de  la  domination  de  Rome. 

Monaco  disparait  alors  pour  plusieurs  siecles 
et  il  faut  l'ambition  de  Genes  et  ses  visees  sur 
ce  coin  de  terre  prove'ncale  pour  que  I'interet 
historique  s'v  attache  se'rieusement. 

C'est  la,  en  effetj  le  reel  point  de  depart  de  sa 
singuliere  destine'e. 

De  nombreux  essais  ont  ete  publies  sur  l'his- 
toire  de  Monaco  depuis  une  trentaine  d'annees  ; 
c'est-a-dire  depuis  l'epoque  ou  cette  region  pri- 
vilegiee,  restee  jusqu'alors  davantage  en  dehors 
de  l'attention  des  vo}^ageurs  et  des  touristes,  est 
devenue,  par  les  transformations  des  voies  de 
communication   et  la  vogue  mondaine,  un  des 


i  X 

points  les  plus  connus  de  l'Europe;  mais  ces 
etudes,  faites  de  seconde  main,  avaient  toutes,  ou 
a  peu  pres,  pour  base  le  systeme  historique  que 
les  genealogistes  avaient,  depuis  trois  siecles, 
impose  a  l'histoire  des  Grimaldi,  suivant  la 
mode  alaquelle  les  grandes  maisons  sacririaient, 
a  cette  epoque,  surtout  en  Italie,  de  recher- 
cher  leurs  origines,  soit  dans  une  ascendance 
remontant  aux  families  illustres  de  Tantiquite 
romaine,  soit  dans  des  attaches  avec  les  chefs 
conquerants  des  grandes  invasions. 

Cette  preoccupation  avait  alors  un  inte'ret  poli- 
tique considerable  pour  les  maisons  puissantes 
telles  que  celle  des  Grimaldi;  chez  eux  1'utilite 
de  trouver  leur  berceau  dans  les  regions  pro- 
vencales,  oil  ils  eurent  de  tres  bonne  heure 
des  possessions,  les  avait  amenes  a  inscrire  dans 
leurs  fastes  un  he'ros  des  guerres  sarrasines 
qu'une  similitude  de  nom  leur  permettait  de 
considerer  comme  un  ancetre.  Les  actes  du  quin- 
zieme  siecle  nous  montrent,  en  effet,  l'origine 
commune  des  Grimaldi  et  des  seigneurs  de 
Grimaud,  les  tils  du  vainqueur  du  Fraxinet 
au  dixieme  siecle,  deja   formellement  affirme'e. 


X 

Plus  tard,  les  souvenirs  des  Grimoald  de  Bene- 
vent,  meles  a  ceux  des  princes  normands  des 
deux  Siciles,  disposerent  les  Grimaldi  a  recon- 
naitre  comme  se  rattachant  a  eux  une  grande 
famille  de  Normandie  portant  des  armes  identi- 
ques  aux  leurs ;  les  relations  qui  s'e'tablirent, 
au  milieu  du  dix-septieme  siecle,  entre  l'heri- 
tiere  des  du  Bee  Crespin,  la  marechale  de  Gue- 
briant,  et  la  famille  d'Honore  II,  apres  l'etablis- 
sement  du  protectorat  francais,  acheverent  de 
donner  un  corps  a  ces  pretentions. 

Ces  traditions  artificielles  avaient  pris  a  la 
longue  une  apparente  solidite ,  et  l'ouvrage 
publie  en  1646  par  Charles  deVenasque,  Genea- 
logica  et  historica  Grimaldae  gentis  arbor,  les 
avait  coordonnees  avec  un  reel  talent;  elles  voi- 
lerent  les  causes  veritables  et  autrement  glo- 
rieuses  qui  ont  provoque  l'independance  de 
Monaco  et  constitue  une  souverainete  que  les 
Grimaldi  ont  conquise  a  la  pointe  de  l'epee  et 
qu'ils  ont  su  maintenir  par  l'effort  heureux 
d'une  rare  succession  de  politiques  de  premier 
ordre. 

Notre  etude  n'a  d'autre  merite,  d'autre  origi- 


XI 

nalite  que  d'exposer  dans  toutc  sa  rigueur  la 
verite'  historique;  et  cette  verite  n'a  rien  a  envier 
aux  legendes  dont  elle  avait  ete  recouvertc. 

Monaco,  terre  provencale,  enlevee  au  douzieme 
siecle  aux  comtes  de  Provence  et  attribute  par 
la  politique  des  empereurs  d'Allemagne  a  leurs 
allies  les  Genois,  fut  separee  de  Genes  par  la 
rupture  survenue  entre  les  deux  grands  partis 
qui  se  disputaient  le  pouvoir.  Les  Grimaldi,  chefs 
des  Guelfes  dans  la  Riviere  de  Ponent,  s'en  ren- 
dirent  maitres  et  s'y  constituerent  independants. 
Bien  des  fois  leur  singuliere  audace  tit  trembler 
Genes  elle-meme,  alors  que  dans  le  courant  du 
quatorzieme  siecle  les  galeres  monegasques  se 
faisaient  redouter  jusque  dans  les  mers  du 
Levant  et  y  poursuivaient  contre  les  Gibelins 
et  la  marine  venitienne,  une  guerre  sans  merci. 
De'posse'des  cependant  de  leur  conquete  pendant 
pres  de  trois  quarts  de  siecle,  les  Grimaldi  y 
rentraient  au  commencement  du  quinzieme 
siecle  a  la  faveur  des  dissensions  de  Genes,  et 
avec  1'appui  de  la  seconde  dynastie  d'Anjoudont 
ils  furent  les  champions  fideles  a  Naples  et  en 
Provence,   comme  ils   l'avaient   ete   de   la   pre- 


XI  I 

miere.  II  fallut  ensuite  en  disputer  la  possession 
aux  dues  de  Milan,  et  aux  embuches  des 
dues  de  Savoie  devenus  voisins  a  Nice;  mais 
a  la  fin  de  ce  siecle,  Milan  et  la  Savoie  avaient 
reconnu  tour  a  tour  l'autonomie  et  l'entiere 
independance  des  Grimaldi  de  Monaco. 

Le  champ  politique  allait  bientot  s'elargir, 
et,  coup  sur  coup,  la  France  d'abord,  l'Espagne 
ensuite,  apportaient  a  la  petite  souverainete  de 
Ligurie  l'appoint  de  leur  reconnaissance  solen- 
nelle. 

Admis  successivement  a  Talliance  et  a  la  pro- 
tection de  Tune  et  de  Tautre  de  ces  puissances, 
Monaco  figure  des  lors  dans  tous  les  traite's  qui 
marquerent  au  seizieme  et  au  dix-septieine  sie- 
cles  les  e'tapes  de  la  grande  lutte  entre  les  heri- 
tiers  de  Francois  Ier  et  ceux  de  Charles-Quint ;  en 
sorte  que  ce  lambeau  de  terre  de  Provence,  uni 
a  Genes,  puis  bientot  violemment  separe  par  les 
convulsions  intestines  de  sa  nouvelle  me'tropole, 
se  trouve  etre ,  au  milieu  des  grands  etats 
modernes,  le  te'moin  unique  et  isole  du  dechi- 
rement  provoque  au  treizieme  siecle  par  la 
rivalite  des  Guelfes  et  des  Gibelins;  —  et  e'est 


XIII 

une  singuliere  fortune  que  de  signer  ce  resume 
ridele  des  annates  des  Grimaldi  le  jour  anniver- 
saire  six  fois  seculaire  de  I'audacieuse  entre- 
prise  qui,  le  8  Janvier  1297,  fit  tomber  au  pou- 
voir  de  Francois  Grimaldi  la  forteresse  destinee 
a  rester  le  chef  de  souverainete  de  sa  famille. 

Monaco,  8  Janvier  1897. 

G.  S. 


Un  certain  nombre  de  portraits  et  de  dessins 
Jignrent  dans  cet  onvrage:  nous  devons  an  crayon 
distingue  de  M.  Charles  David,  professeur  a  VEcole 
des  Arts  decoratifs,  I 'interpretation  des  portraits 
des  membres  de  la  famille  souveraine  qui  sont 
conserves  au  Palais  de  Monaco,  et  dont  le  plus 
ancien.  du  a  I'un  des  maitres  de  lecole  lombarde. 
remonte  aux  dix  premieres  annees  du  sei^ieme 
siecle. 

Pmir  les  temps  anterieurs,  les  sceaux  des  Gri- 
maldi tiennent  dans  cette  iconographie  la  place  des 


XIV 

portraits  absents;  lew  reproduction  est,  avec  quel- 
ques  vues  de  monuments,  I'oeuvre  de  MM.  Copello, 
Robella^  et  Lancelevee. 

Notons  en/in  quen  reservant  dans  cette  etude  line 
part  au  resume  de  fhistoire  met  alii  que  de  la  Princi- 
paute;  nous  Vavons  completee  par  les  dessins  d'un 
certain  nombre  de  types  de  monnaies.  Plusieurs 
d'entre  eux  ont  ete  empruntes  aux  planches  des 
Monete  dei  Grimaldi  de  M.  le  Cher  Girolamo  Rossi 
et  aux  ouvrages  sur  la  numismatique  monegasque 
de  M.  Charles  Jolivot. 


MONACO 

SES  ORIGINES  ET  SON  HISTOIRE 


CHAPITRE  PREMIER 

SITUATION    GEOGRAPHTQUE    TEMPS    PREHTSTORIQUES 

LES    IBERES    LES    LIGURES 


Orographie  de  la  region.  —  A  Tendroit  oil 
les  Alpes,  en  se  rapprochant  de  la  Mediterranee,  se 
recourbent  vers  Test  pour  aller  se  souder  plus  loin 
aux  Apennins,  un  massif  montagneux,  continuant  la 
direction  nord-sud  de  la  grande  chaine,  vient  plonger 
brusquement  dans  la  mer  par  des  escarpements 
abrupts  ne  laissant  a  leur  pied  que  des  rives  etroites 
fortement  inclinees  et  souvent  interrompues  par  des 
falaises  verticales. 

Ce  massif,  dont  les  grandes  lignes  sont  dessinees 
par  le  bassin  du  Var  et  de  la  Tinee  a  l'ouest,  par  le 
cours  de  la  Roya  descendant  du  col  de  Tende  a  Test, 


--     2  '— r 

est  resserre  encore  dans  sa  paytie  centrale  par  trois 
vallees  am  v  nai.ss,ent.  et 'A6.  d.ecbupent.  Ce  sont,  au 
couchant,  celle  du  Paillon,  qui  arrose  la  plaine  de 
Nice,  au  levant,  pres  de  Menton,  celles  du  Care'i  et 
du  Borrigo. 

Le  mont  Agel,  le  pic  le  plus  eleve  du  chainon  sur 
le  rivage,  se  dresse  au-dessus  de  la  mer  a  une  altitude 
de  plus  de  onze  cents  metres  ;  il  determine  Tarete  de 
deux  versants,  celui  qui  descend  du  cote  de  Tltalie, 
et  celui  qui  s'etend  vers  les  regions  occidentales. 
Une  montagne  moins  elevee  de  cinq  cents  metres 
epaule  ce  pic  au  sud-ouest  ;  ses  pentes  raides  sont 
brusquement  interrompues  aux  deux  tiers  du  sommet 
par  un  escarpement  vertical  de  forme  circulaire  qui 
lui  donne  un  aspect  caracteristique ;  c'est  la  Tete  de 
Chien. 

Au  dela  de  la  Tete  de  Chien  commence,  en  se 
prolongeant  sur  une  longueur  de  plusieurs  kilome- 
tres, une  serie  de  falaises  verticales  et  sans  rives  qui 
barrent  toute  communication  par  le  bord  de  la  mer. 

La  disposition  orographique  de  cette  contree  offre 
une  particularite  remarquable  ;  tandis  qu'a  Test  et 
au  sud,  c'est-a-dire  vers  Tltalie  et  la  mer,  il  n'existe 
que  les  versants  abrupts  que  nous  venons  de  decrire, 
les  revers  occidental  et  septentrional  ont  leurs  pentes 
allongees  et  adoucies,  creusees  de  profondes  vallees, 
et  dont  les  sommets  s'adossent  sur  certains  points  a 
la  crete  meme  des  escarpements  qui,  de  Tautre  cote, 
dominent  le  rivage. 


Cette  situation  fait  du  col  qui  se  trouve  entre  le 
mont  Agel  et  la  Tete  de  Chien  un  peu  en  arriere  de 
la  ligne  de  crete,  le  seul  passage  praticable  pour 
mettre  en  relations  par  le  littoral  les  deux  cotes  du 
massif  extreme  des  Alpes-Maritimes  ;  ce  passage 
est  du  reste  facile,  car  il  peut  etre  gravi  par  line 
montee  douce  le  long  des  declivites  de  l'Agel,  tandis 
que  sur  l'autre  versant  les  vallees  allongees  condui- 
sent  d'une  facon  commode  et  directe  vers  les  plaines 
formees  aux  debouches  du  Paillon  et  du  Var. 

Le  littoral.  —  La  configuration  des  cotes  le  long 
de  cette  region  augmente  encore  Timportance  de  ce 
point  topographique.  Les  rives,  suivant  une  direc- 
tion generale  de  sud-ouest  au  nord-ouest,  sont 
marquees  aux  deux  extremites  par  des  promontoires 
etendus  et  relativement  bas,  qui  se  detachent  en 
provoquant  a  leur  racine  la  formation  de  rives  en 
terrasses  ou  de  rivages  en  plaine  de  quelques  cen- 
taines  de  metres  de  profondeur  seulement.  Celui 
de  Touest,  en  deca  de  la  vallee  du  Paillon,  est  la 
presqu'ile  de  Saint-Hospice,  qui  encadre  d'un  cote 
la  belle  rade  de  Villefranche  en  menageant  d'autre 
part  la  plaine  basse  de  Beaulieu ;  celui  de  Test  est 
le  Cap-Martin  qui,  en  separant  les  baies  de  Menton 
et  de  Roquebrune,  a  permis  aux  atterrissements  du 
Caret  et  du  Borrigo  de  former,  en  avant  de  Menton, 
la  plaine  de  Carnoles. 


—  4  — 
Le  port,  la  presqu  ile  et  le  site  de  Monaco.  — 

Entre  ces  deux  presqu'iles  s'en  presente  une  troisieme 
tres  inferieure  aux  deux  autres  comme  etendue  ; 
fortement  recourbee  en  croissant,  elle  embrasse  une 
baie  resserree  entre  sa  concavite  et  un  promontoire 
plus  bas  de  la  rive  a  Topposite;  elle  dessine  ainsi  un 
port  naturel  qu'elle  couvre  entierement  du  cote  du 
midi  et  de  Touest,  tandis  qu'il  est  garanti  du  cote  du 
nord  et  du  nord-est  par  le  massif  des  montagnes,  en 
sorte  que  les  vents  du  sud-est  seuls  peuvent  s'y 
faire  sentir. 

Ce  port  naturel,  si  bien  abrite,  est  directement  situe 
au  pied  du  col  que  nous  avons  decrit ;  il  en  complete 
Fimportance,  puisque  celui  qui  tiendrait  en  raerae 
temps  ces  deux  points  se  trouverait  maitre  des  com- 
munications de  toute  la  region. 

Aussi,  le  port  de  Monaco  et  le  col  de  la  Turbie, 
intimement  lies  Tun  a  l'autre,  ont-ils,  des  les  temps 
les  plus  recules,  attire  l'attention  des  peuples  navi- 
gateurs  et  conquerants. 

La  presqu'ile  qui  enserre  le  port,  et  sur  laquelle 
s'eleve  depuis  le  xmc  siecle  la  forteresse  et  la  ville  de 
Monaco,  est  situee  par  43°  43'  521,de  latitude  nord 
et  par  5°  5'  21"  de  longitude  a  Test  du  meridien  de 
Paris  ;  elle  est  formee  par  un  rocher  completement 
isole,  supportant  a  une  hauteur  variant  de  soixante  a 
soixante-dix  metres,  un  plateau  presque  horizontal 
de  six  cents  metres  de  longueur  sur  une  largeur 
moyenne  de  deux  cents  metres. 


Du  cote  de  la  mer,  les  escarpements  de  ce  rocher 
plongent  a  pic  sur  presque  tout  son  pourtour,  sauf 
du  cote  du  port,  ou  se  trouve  une  declivite  diffici 
lenient  accessible.  Du  cote  de  terre,  il  se  rattache  par 
une  depression  tres  basse  a  la  Tete  de  Chien.  A  cet 
endroit,  Tacces  du  plateau  etait  favorise  par  des  pen- 
tes  plus  douces;  des  travaux  de  sape  ont  abaisse  le 
terrain,  et  des  fortifications  en  ont  barre  la  montee  ; 
en  sorte  que  Taspect  aussi  bien  que  les  conditions  de 
defense  de  ce  point  ont  etc  profondement  modifies 
par  la  main  de  Thomme. 

Au  fond  du  port  regne  une  petite  plaine  semi- 
circulaire,  inclinee  en  amphitheatre  vers  celui-ci, 
qui  a  recu  le  nom  de  Condamine.  En  avant  et  au 
nord-ouest  de  cette  plaine,  les  eaux  du  ravin, descen- 
dues  du  col  de  la  Turbie,  se  sont  fraye  un  chemin 
en  entaillant  profondement  un  petit  plateau  qui 
forme  comme  un  premier  gradin,  une  premiere  sta- 
tion sur  le  chemin  direct  de  la  Turbie.  Ce  plateau  a 
du  tres  anciennement  recevoir  des  habitations,  d'ou 
son  nom  de  «  petit  Monaco  »  Monaguet,  Moneghetti. 

Au-dela  du  ravin,  les  contreforts  abrupts  qui  sup- 
portent  la  haute  pyramide  de  TAgel,  dominent  un 
promontoire  triangulaire,  dont  Tun  des  cotes  forme 
la  rive  scptentrionale  du  port  de  Monaco  et  qui  se 
deploie  en  une  large  terrasse  doucement  inclinee. 
Son  sol  caverneux  lui  a  fait  donner  le  nom  de  Spe- 
lugues ;  c'est  la  qu'a  ete  recemment  construit  le 
quartier  de  Monte  Carlo. 


—  6  — 
Tel  est  le  site  de  Monaco.  Son  territoire  propre 
commence  le  long  du  rivage  a  l'ouest  sous  les  escar- 
pements  de  la  Tete  de  Chien,  a  six  cents  metres  en 
arriere  du  rocher  et  forme,  sur  les  declivites  de  cette 
montagne  et  celles  de  l'Agel,  une  bande  longue  et 
etroite,dominee  au  nord  par  le  territoire  de  laTurbie, 
jusqu'a  Tun  des  ravins  descendus  de  cette  derniere 
montagne,  celui  de  Saint-Roman,  qui  le  separe  du 
territoire  de  Roquebrune. 

Habitants  des  cavernes,  troglodytes.  —  II  est 

facile  de  s'expliquer  qu'une  region  aussi  bien  pro- 
tegee contre  les  vents  du  nord  par  les  plus  hautes 
montagnes  de  TEurope  ait  attire,  des  une  epoque 
qui  defle  jusqu'a  present  tout  calcul  historique, 
quelques-unes  de  ces  premieres  families  humaines 
qui  vivaient  a  Tetat  sauvage,  cherchant  des  abris  au 
pied  de  parois  de  rochers  surplombant  en  saillie, 
et  dans  les  cavernes. 

Ces  cavernes  leur  servaient  de  retraite,  de  maga- 
sins  et  de  lieu  de  sepulture.  C'est  la  surtout  qu'on 
rencontre  leurs  traces  ;  de  la  le  nom  d'hommes  des 
cavernes,  de  troglodytes  qui  leur  a  ete  donne. 

A  Nice,  a  Beaulieu,  a  Eze,  des  abris  sous  roche 
ont  ete  trouves  ;  mais  ils  n'approchent  pas  pour  Tim- 
portance  des  cavernes  des  Baousse  Rousse,  sur  le 
bord  de  la  mer,  au  dela  de  Menton.  Des  squelettes 
en  ont  ete  exhumes  entoures  des  ornements  dont  ils 
avaient  ete  pares   sur    leur  couche    funebre. 


/ 


Dans  la  Principaute  meme  de  Monaco,  au  pro- 
montoire  des  Spelugues,  sur  lequel  s'est  eleve  le 
quartier  de  Monte  Carlo,  une  grotte  a  moitie  com- 
blee,  remise  au  jour  par  une  tranchee  du  chemin 
de  fer,  a  rendu  les  ossements  de  plusieurs  individus 
appartenant  a  une  race  posterieure  a  celle  des  tro- 
glodytes des  Baousse  Rousse. 

Ces  peuplades  qui  n'avaient  entre  elles  aucun  lien 
social,  ne  durent  pas  opposer  d'obstacle  aux  immi- 
grants plus  civilises  qui  vinrent  successivement 
occuper  ces  contrees. 

Les  Iberes.  —  Les  Ligures.  —  La  plus  ancienne 
migration  connue  dans  les  regions  occidentales  de 
TEurope  est  celle  des  Iberes  qui  apparurent  d'abord 
en  Espagne  a  une  epoque  extremement  reculee;  de 
la  ils  se  repandirent  jusqu'en  Italie,  le  long  des  Alpes 
et  des  Apennins. 

Les  Iberes  durent  etre  de  bonne  heure  debusques 
par  les  Ligures,  qui,  apres  avoir  occupe  la  vallee  du 
Danube,  penetrerent  en  Italie  et  se  repandirent  des 
deux  cotes  des  Alpes;  mais,  presses  a  leur  tour  par 
de  nouveaux  conquerants,  ils  se  resserrerent  peu  a 
peu,  en  sorte  qu'au  vie  siecle  avant  Fere  chretienne, 
a  l'epoque  de  la  fondation  de  Marseille,  le  territoire 
qui  leur  restait,  et  qui  se  reduisit  encore,  ne  s'eten- 
dait  plus  que  du  Rhone  aux  Alpes  et  le  long  de  la 
cote  au  pied  des  Apennins. 


—  8  — 

Bientot,  ils  seront  repousses  de  la  vallee  du  Rhone 
jusqu'aux  Alpes-Maritimes,  dans  la  region  ou  ils 
sont  restes  le  fond  de  la  population  et  qui  a  garde 
leur  nom,  le  long  du  littoral  depuis  le  Var  jusqu'au 
golfe  de  la  Spezzia. 

Les  Ligures,  lors  de  leur  arrivee,  apportaient  la 
connaissance  des  cereales  et  Part  de  les  cultiver;  lcurs 
instruments  et  leurs  armes  sont  plus  perfection- 
nes  que  ceux  des  peuples  qu'ils  remplacent ;  leur 
civilisation  se  developpa,  en  sorte  qu'a  Taurore  des 
temps  historiques,  Torganisation  de  la  nation  s'etait 
perfectionnee,  elle  se  divisait  en  tribus  ayant  leurs 
lieux  de  refuges,  leurs  camps,  leurs  oppida  fortifies, 
jeurs  villes;  leurs  territoires  avaient  deja  sur  beau- 
coup  de  points  la  forme  et  Tetendue  de  celui  des  cites 
qui  leur  suecederent. 


—  9   - 
CHAPITRE  II 

MONACO,    COLONIE  PHENICIENNE  ET  PUNIQUE 


Le  mythe  d'Hercule,  fondation  de  Monaco. — 

Tandis  que  les  migrations  des  Iberes  et  des  Ligures 
peuplaient  successivement  les  regions  occidentales 
de  TEurope,  la  Mediterranee  etait  sillonnee  par  les 
vaisseaux  d'un  peuple  essentiellement  civilisateur. 
Le  souvenir  des  conquetes  des  Pheniciens  s'est 
perpetue  par  les  legendes  relatives  au  dieu  de  Tyr, 
Melqart,  dont  Tantiquite  grecque  et  romaine  a  fait 
Hercule  et  la  personnification  de  leur  race ;  ces 
legendes  ont  conserve  Tordre  dans  lequel  l'occident 
fut  temoin  des  exploits  du  conquerant.  Le  mytho- 
graphe  Apollodore  nous  le  montre  exterminant 
en  Espagne  le  brigand  Geryon,  puis  venant  de- 
truire  en  Ligurie  Alebion  et  Dercunos  (i).  Tima- 
gene,  a  son  tour,  modifie  la  legende  pour  Taccor- 
der  avec  la  repartition  des  peuples  telle  qu'elle 
existait  au  premier  sieele  avant  notre  ere  (2)  ;  il 
lui  donne  pour  adversaire,  apres  Geryon,  qui  deso- 

(1)  Fragm.  histor.  Grcec,  edit.   Didot,   II,  c.  5,  g   10,  n°  9. 

(2)  Ibidem,  III,   323. 


—    10    — 

lait  l'Espagne,  Taurisque,  personnitication  des  Celtes 
repandus  sur  les  deux  versants  des  Alpes  (i).  Denis 
d'Halicarnase  et  Diodore  de  Sicile  repetent  ces 
traditions  (2);  enfin,  Ammien  Marcellin  les  resume; 
apres  avoir  reproduit  le  fragment  de  Timagene,  il 
ajoute  qu'Hercule,  pour  atteindre  Taurisque,  cons- 
truisitdans  les  Alpes-Maritimes  une  route  et  con- 
sacra  a  sa  memoire  la  montagne  et  le  port  de 
Monaco  (3). 

II  est  facile  de  reconnaitre  ce  que  recouvre  cette 
legende  tres  transparente  :  les  Pheniciens,  apres  la 
conquete  de  TEspagne,  creerent  des  etabiissements 
au  norddes  Pyrenees  et  tracerent  une  route  le  long 
des  Alpes-Maritimes  dont  la  construction  a  sou- 
vent  occupe  les  historiens  et  frappe*  Timagination 
des  poetes.  Or,  il  est  a  remarquer  que,  de  tous 
les  etabiissements  pheniciens  transpyreneens,  a  part 
la  ville  de  Pyrene,  construite  egalement  a  l'extremite 
maritime  d'une  grande  chaine,  Monaco  est  la  seule 
ville  dont  les  ecrivains  antiques  fassent  mention,  et 
qu'ils  lient  sa  fondation  a  la  construction  d'une 
route   a  travers  les  Alpes;   notons  surtout  que    ce 


(1)  D'Arbois  de  Juhainvillc,  Les  premiers  habitants  de  VEu- 
rope,  p.  369  et  suiv. 

(2)  Den.  d'Hal.  I,  41.—  Diod.  IV,   iq,  3. 

(3)  Ammien  Marcellin,  xv.  9,  10.  —  «  Arcem  et  portum  con- 
secravit  » ;  «  Arcem  »  se  rapporte  ici  a  une  montagne  et  11011 
a  une  citadelle,  autrement  l'auteur  eut  dit:  «  dedicavit  ». 


qu'ils  entendent  par  montagne  de  Monaco,  ce  n'est 
pas  la  presqu'ile  a  qui  ce  nom  est  attache  de  nos 
jours,  mais  le  massif  montagneux  de  la  cote,  a  tra- 
vel's lequel  Hercule  se  fraie  sa  route  sous  les  yeux 
etonnes  des  dieux  (i). 

Le  sanctuaire  de  Melqart  Menouakh  au  port. 

—  Le  site  de  Monaco  remplissait  du  reste  les  meil- 
leures  conditions  que  les  Pheniciens  recherchaient 
pour  leurs  etablissements  :  un  port  commode  et 
abrite,  puis,  a  defaut  d'iles  voisines  du  rivage,  un 
rocher  isole  bien  dispose  pour  la  securite  de  leurs 
entrepots,  entin,  sur  la  cote,  une  serie  de  hau- 
teurs escarpees^'une  occupation  facile,  particuliere- 
ment  utile  ici  pour  la  possession  du  passage  de  leur 
route  au  col,  a  Tendroit  le  plus  rapproche  du  port. 
Un  sanctuaire  fut  fonde  au  port  meme ;  c'est  la  que 
Strabon  indique  sa  place  (2) ;  il  devait  se  trouver  sur 
le  petit  plateau  du  Monaghet  (Moneghetti),  bien  en 
vue  du  port,  formant  le  premier  echelon  vers  Tacro- 
pole  que  nous  alions  etre  amene  a  fixer  sur  les 
hauteurs  de  la  Turbie.  Ce  sanctuaire  etait  dedie  a 
Melqart  Menouakh,  et  le  nom  de  Monaco,  portus 
Herculis  Monceci,   a  conserve  a  t ravers  les  siecles 


(1)  Diodore  de  Sicile,  I,  41.  —  Silius  Italicus,  De  hello  Pu- 
nico,  I.  —  Claude  Mamertin,  Geneatl.  Maximiani,  IV.,  2. 

(2)  Strabon  IV,  6,  3. 


le  souvenir  du  dieu  «  qui  donne  le  repos  ou  qui 
donne  asile  (i)  ».  Les  Grecs  traduisirent,  en  ne 
tenant  compte  que  de  Tassonnance,  ce  qualincatif 
Menouakh  sans  le  comprendre ,  par  le  vocable 
Movoixo?,  d'un  sens  tout  different  isenl  habitant),  en 
sorte  qu'on  a  vu  dans  THercule  de  Monaco,  non 
pas  le  dieu  du  repos,  le  dieu  hospitalier,  mais  celui 
qui  ne  permettait  aucun  autre  culte  a  cote  du  sien. 

II  serait  loin  d'en  etre  ainsi  et  en  appliquant  la 
methode  suivie  ailleurs  pour  cet  ordre  de  recher- 
ches  (2),  il  serait,  pensons-nous,  possible  de  retrouver 
dans  la  region  les  traces  d'autres  dieux  du  pantheon 
phenicien.  L/etude  de  cette  question  si  interessante 
est  trop  speciale  pour  etre  abordee  ici ;  nous  nous 
bornerons  a  relever  les  traces  materielles  que  les 
Pheniciens  ont  pu  laisser  sur  le  sol. 

Vestiges  pheniciens.  —  Sur  le  rocher  ou  s'eleve 
maintenant  la  ville  de  Monaco,  on  n'a  jamais  trouve 
de  constructions  ni  d'objets  antiques,  a  part  quel- 
ques  monnaies  romaines  de  la  basse  epoque,  pro- 


(1)  L'abbc  Barges  a  le  premier  fixe  l'etymologie  exacte  du 
nom  de  Monaco.  II  cite,  d'apres  Gronovius  {Antiquitates 
Greece,  V.  p.  283 1),  une  ville  de  Sicile  egalement  dediee  au 
Melqart  Menouakh  :  Heraclea  Minoa.  ■ —  (Recherches  sur  les 
colonies  pheniciennes  de  la  Celtoligurie,  p.  53J 

(2)  Vov.  la  Phenicie,  de  MM.  Renan  et  Ph.Berger  ;  —  Le  dieu 
Satrape  et  les  Pheniciens  dans  le  Peloponese,  de  M.  Clermont 
Ganneau ;  —  Mythologie  iconologique,  du  me  me  auteur;  — 
Victor  Berard,  De  Vorigine  des  cultes  arcadiens. 


bablement    apportees  de   la  Condamine,    avec    les 
terres  vegetales  lors  de  la  creation  des  jardins. 

Au  contraire,  dans  la  plaine  de  la  Condamine.  le 
long  des  pentes  qui  moment  vers  le  col,  sur  le  pla- 
teau des  Moneghetti,  sur  les  terrasses  des  Spelugues, 
de  nombreux  restes  antiques  se  sont  retrouves,  ac- 
compagnes  de  monnaies,  parmi  lesquelles  un  grand 
nombre  de  pieces  puniques,  dont  quelques-unes  ont 


Monnaie  punique,  portant  une  marque  inedite,  trouvee 
au  Carnier,  au-dessus  de  Monte  Carlo  (i) 

un  certain  interet  numismatique.  Elles  ont  ete  re- 
cueillies,  les  unes  pres  du  port,  lors  de  la  construc- 
tiou  des  gazometres,  les  autres  dans  les  quartiers 
superieurs,  aux  Spelugues,  au  lieu  dit  «  le  Carnier  », 
jalonnant  ainsi  Tun  des  principaux  chemins  montant 
a  la  Turbie. 

Tous  ces  vestiges  nous  ramenent  done  vers  le  col 
de  la  Turbie;  et  si  Ton  considere  qu'on  peut  evaluer 


(i)  D'apres   le    Bulletin    dc    la   Societe    des  antiquaires  de 
France,  1880,  p.  141. 


—  i4  — 
a  cinq  siecles  au  moins  la  periode  pendant  laquelle 
les  Pheniciens  etles  Carthaginois,  leurs  successeurs, 
occuperent  le  port  de  Monaco  et  se  servirent  de  la 
voie  commerciale  qu'ils  avaient  construite,  on  s'ex- 
plique  la  presence  du  grand  nombre  de  restes  de 
constructions  anterieures  a  la  periode  romaine  repan- 
dues  sur  toute  Tetendue  du  plateau  supcrieur  et 
le  long  des  declivites  de  la  montagne,dont  beaucoup 
peuvent  etre  legitimement  attributes  a  l'occupation 
phenicienne.  La  cime  la  plus  elevee  de  la  region,  le 
mont  Agel,  porte  a  son  sommet  les  vestiges  d'un  lieu 
consacre  sur  un  plateau  nivele  qui  a  du  etre  une 
enceinte  de  sanctuaire.  II  semble  que  le  massif  mon- 
tagneux  ait  ete  alors  converti  en  un  vaste  camp 
retranche ;  une  veritable  forteresse  s'elevait  sur  la 
crete  denommee  dans  les  anciens  titres  le  Mure,  et 
dans  un  ancien  plan  monegasque  dresse  au  seizieme 
siecle,  a  Tepoque  de  la  domination  espagnole,  las 
Muras  «  les  murailles  »;  elle  est  imprqprement  dite 
actuellement  les  Mules.  Ce  poste  fortifie  domine  le 
Carnier;  on  y  trouve  une  enceinte  et  un  reduit  carre 
flanquant  un  gros  mur :  il  commande  sur  son  revers 
nord  le  vallon  par  lequel  descendait  la  voie  Hera- 
cleenne. 

En  arriere  du  col,  derriere  TAgel,  dans  la  region 
qu'il  etait  indispensable  d'occuper  pour  defendre  le 
passage  de  la  route  si  laborieusement  tracee  a  tra- 
vers  la  montagne,  une  enceinte  encore  mieux  con- 
servee  que  celle   des    Mules,    dite   en    langue    vul- 


gaire  lou  Casteu,  gardait  le  chemin  vers  Peille,  cou- 
ronnant,  au  sommet  du  vallon  de  Laghet,  la  colline 
de  Colle  del  Castello.  Elle  forme  une  ellipse  reguliere, 
et,  sur  quelques  parties  de  son  portour,  le  rempart 
atteint  quatre  a  cinq  metres  de  hauteur. 


¥r':iCM 


Enceinte  de  «  lou  Casteu  » 
sur  le  chemin  de  la  Turbie  a  Peille 


L'acropole   de    Monaco   a   la  Turbie.  —  Ces 

constatations  rendraient  vraisemblables  la  conjecture 
qui  placerait  Tacropole  de  Monaco  a  la  Turbie,  en 
un  lieu  merveilleusement  choisi  pour  dominer  le  port 
et  la  voie  Heracleenne.  C'est  la  que  plus  tard,  par 
une  substitution  dont  il  y  a  de  nombreux  exemples, 
les  Trophees  d'Auguste  auraient  ete  eriges  sur  un 
lieu  precedemment  consacre  au  dieu  Tyrien,  mais 
distinct  en  tout  cas  du  hieron  d'Hercule  Monoecus, 
que  Strabon  place  formellement  au  port. 

II  aurait  done  existe,  du  port  au  sommet  de  TAgel, 


—  16  — 

plusieurs  sanctuaires  superposes  dedies  a  Melqart, 
et  ceci  n'a  rien  d'insolite  dans  les  habitudes  religieuses 
des  Pheniciens  :  c'etait  sur  de  hauts  lieux,  souvent 
meme  assez  eloignes  de  la  mer,  mais  bien  en  vue  des 
navigateurs,  com  me  au  mont  Ida,  qu'ils  placaient 
leurs  enceintes  sacrees.  De  meme  sur  une  seule  mon- 
tagne  ils  les  multipliaient ;  le  mont  Lycee  en  Arcadie 
en  possedait  trois  successivement  etages  (i). 

La  decouverte  faite  il  y  a  une  trentaine  d'annees 
entre  Eze  et  la  Turbie,  de  pateres  du  me  siecle  avant 
J.-C,  representant  le  triomphe  d'Hercule,  confirme 
en  tous  cas  ce  que  les  legendes  ont  rapporte  de  la 
consecration  du  massif  montagneux  au  dieu  deTyr. 

Domination  de  Carthage.  —  L'empire  maritime 
de  Tyr  disparut  au  vje  siecle  a  la  suite  de  Tinvasion 
des  Perses  de  Cyrus.  Sa  principale  colonie,  Carthage, 
herita  de  ses  possessions  occidentals ;  Monaco  fut 
de  ce  nombre,  et  son  port  aurait  etc,  au  milieu  de  ce 
meme  siecle,  le  point  d'appui  de  la  marine  carthagi- 
noise  dans  sa  lutte  victorieuse  contre  Marseille  (2). 
On  a  vu  d'autre  part  que  les  monnaies  puniques  ont 
laisse  sur  le  sol  des  traces  certaines  de  cette  occu- 
pation ;  elles  sont  les  temoins  les  plus  antiques  de  la 
civilisation  phenicienne  dans  ces  parages. 

(1)  Berard  op.  cit.  y.  -2-- 3. 

(2)  Perrot    et    Chipicz,    Histoire   de   fart    dans    Vantiquite, 
t.  m.,  p.  46. 


CHAPITRE  III 

LES    GRECS    DE    MARSEILLE    ET    LA    VOIE    HERACLEENNE 

ADMINISTRATION    ROMAINE 


Les  Grecs  de  Marseille.  —  S'il  parait  tres  pro- 
bable que,  suivant  le  sort  des  autres  etablissements 
pheniciens  etpuniques  sur  le  littoral,  le  port  cTHer- 
cule  devint  une  colonie  marseillaise,  aucun  document 
ne  raffirme;  il  ne  dut  tomber,  en  tout  cas,  entre  les 
mains  des  Phoc^ens  qu'apres  la  defaite  d'Amilcar 
par  Gelon  en  480;  Fecrivain  grec  qui  l'a  le  premier 
nomme,  au  ve  siecle  avant  notre  ere,  Hecatee  de 
Milet,  dit  que  «  Monaco  est  une  ville  de  Ligurie  ». 
II  eut  ajoute,  s 'il  en  eut  ete  deja  ainsi,  que  Monaco 
etait  une  colonie  grecque  ou  massaliote. 

La  voie  Heracleenne  aux  mains  de  Marseille 
et  des  Romains.  —  Quel  qu'ait  ete  le  sort  de  Mo- 
naco lors  de  la  disparition  de  la  domination  de 
Carthage,  les  Massaliotes  utiliserent  Tantique  route 
construite  par  les  marchands  de  Tyr  le  long  du  litto- 
ral. Dans  leurs  mains  la  voie  Heracleenne  vit  s'aus- 


—  i8  — 

menteret  se  regulariser  sa  circulation.  Au  quatrieme 
siecle  avant  Fere  chretienne,  Thistorien  grec  Timee, 
qui  a  fourni  au  pseudo  Aristote  le  chapitre  85  du 
traite  De  mirabilibus  auscultationibus  (i),  et  qui 
ecrivait  vers  Tan  3oo,  la  depeint,  des  cette  epoque 
reculee,  comme  protegee  par  une  police  dont  les 
habitants  des  pays  traverses  assumaient  la  respon- 
sabilite.  Elle  conduisait  de  son  temps  d'ltalie  en 
Espagne;  un  siecle  et  demi  plus  tard  Diodore  de 
Sicile  en  vantait  encore  la  commodite  (2). 

Le  conquete  de  l'Espagne  par  les  Romains,  apres 
la  seconde  guerre  punique,  fut  pour  Marseille  une 
cause  de  relations  continuelles  avec  Rome;  les  voies 
romaines,  pendant  cette  periode,  s'avancaient  vers 
les  Alpes  dans  la  Cisalpine ;  cependant  jusqu'au  regne 
d'Auguste  leur  construction  dans  la  direction  des 
Alpes-Maritimes  ne  depassa  pas  Vado  ;  la  voie  Hera- 
cleenne  suffisait  aux  communications;  des  incidents 
releves  par  les  historiens  demontrent  son  activite 
pendant  le  second  siecle. 

II  est  certain  qu'alors  les  legions  suivent  le  litto- 
ral. Tite  Live  nous  montre,  des  189  avant  J.-C,  le 
preteur  L.  Boebius,  se  rendant  en  Espagne,  attaque 


(1)  Aristote,  De  mirabilibus  auscultationibus,  lxxxv,  edition 
Didot-Muller,  tome  IV,  page  88.  —  Cette  attribution  a  Timee 
du  chapitre  lxxxv  est  donnee  par  Mullenhoff,  Deutsche  Altes- 
tummskandc;  t.  I,  p.  87,  440  et  suiv. 

(2)  Diodore  de  Sicile,  IV,  19,  3. 


—  i9  — 
en  pays  de  Ligurie,  et  venant  mourir  de  ses  blessures 
trois  jours  apres  a  Marseille;  le  preteur  Fabius 
devalt  y  succomber  egalement,  ayant  suivi  la  meme 
route  en  ij3  (i).  La  turbulence  des  Llgures  obligea 
les  legions  du  consul  Q.  Opimius,  en  Tan  154,  a 
venir  combattre  les  Oxybiens  et  les  Deciates  aux 
environs  d'Antibes. 

Si  les  communications  au-dela  des  Alpes  sont 
alors  interrompues,  il  n'en  est  pas  de  meme  jusqu'au 
col  de  la  Turbie,  sur  le  revers  italien ;  les  troupes  y 
suivent  la  voie  Heracleenne.  Polvbe  nous  montre  le 
consul  Opimius  franchissant  les  Apennins  pour 
deboucher  par  le  littoral  dans  les  plaines  du  Var  (2). 
Monaco  devient  alors  le  port  d'embarquement  pour 
les  legions  envoyees  en  Espagne.  L'an  \3j  le  consul 
Mancinus  y  vient  prendre  la  mer,  apres  avoir  gagne 
ce  port  par  terre,  lorsqu'un  prodige  lui  fait  rebrous- 
ser  chemin  jusqu'a  Genes  (3). 

Cette  partie  orientale  de  la  voie  semble  moins 
parcourue  dans  le  siecle  qui  suit,  tandis  que 
la  fraction  au-dela  des  Alpes,  rendue  a  la  securite 
par  la  soumission  des  Ligures,  est,  au  contraire,  tres 
activement  pratiquee.  II  en  resulte  que  le  port  de 
Monaco  qui,  precedemment,  servait  de  point  d'em- 


(1)  Liw  xxxvii,  b~,  xlii,  4. 

(2)  Polybe,  Excerpta  legationum,  xxx,  xxxix. 

(3)  Valere  Maxime,  I,  6.  —  Julius  Obsequens,  De  prodigiis. 


—    20    

barquement  pour  gagner  d'ltalie  les  regions  occi- 
dentales,  voit  les  passagers  arriver  maintenant  par 
terre  d'Occident  pour  traverser  la  mer  dans  le  sens 
oppose.  Jules  Cesar,  au  debut  de  la  guerre  civile,  y 
prend  en  revenant  des  Gaules  le  navire  qui  le  portera 
en  Italie  (i).  II  se  peut  qu'a  cette  epoque  la  voie 
fut  devenue  peu  praticable  de  Monaco  a  Vado.  Les 
communications  directes  etablies  depuis  les  guerres 
des  Gaules  a  travers  les  Alpes  centrales  avaient  pu 
faire  negliger  l'entretien  des  voies  sur  le  littoral. 

Decimus  Brutus,  dans  une  lettre  a  Ciceron  (2), 
s'etend  sur  le  mauvais  etat  des  routes  de  ce  cote  et 
sur  la  situation  de  Vado,  dont  Faeces  etait  des  plus 
difficiles  lorsque  Marc-Antoine  battit  en  retraite  vers 
la  Province  apres  sa  defaite  a  Modene. 

La  voie  Heracleenne  allait  bientot  disparaitre, 
absorbee  par  la  nouvelle  voie  Julia  Augusta. 

Les  Trophees  d'Auguste.  —  Les  populations  des 
Alpes,  depuis  TAdriatique  jusqu'a  la  Mediterranee, 
restees  jusque-la  presque  independantes  furent  sou- 
mises  par  Auguste,  et  le  souvenir  de  cet  evenement 
fut  consacre  en  Tan  7  avant  J.-C,  par  l'erection  d'un 
monument  dont  on  choisit  Templacement  au  col  de 
la  Turbie,  oil  Ton  a  vu  que  nous  avons  ete  amene  a 

(1)  Virgile,  sEneid.,  VI,  vers  8:>o. 

(2)  Ciceronis  epistolce,  xi,  lettre   i3. 


Ruines  des  Trophees  d'Auguste  a  la  Turbie. 


placer  l'acropole  phenicienne,  dominant  a  la  fois  la 
voie  Heracleenne  et  l'escarpement  au-dessus  du  port 
de  Monaco. 

Les  Trophees  d'Auguste,  sur  YAlpe  Summa  ou 
YAlpe  Maritima,  la  ou  les  geographes  anciens  pla- 
cerent  la  limite  de  l'ltalie  et  de  la  Gaule,  devinrent, 
lors  de  l'invasion  des  barbares,  une  forteresse  sur  la 
forme  de  laquelle  les  archeologues  sont  loin  d'etre 
d'accord.  Nous  inclinerons  a  penser  que  ce  devait 
etre  soit  un  monument  entierement  circulaire  comme 
le  trophee  de  Trajan  recemment  retrouve  en  Rou- 
manie,  soit  un  edifice  de  meme  type  que  le  mausolee 
d'Hadrien. 

C'est  la  qu'etait  placee  la  celebre  inscription  conser- 
ved par  Pline,  relatant  le  nom  des  quarante-cinq  peu- 
ples  soumis  dans  les  Alpes,  depuis  TAdriatique. 

Le  nom  du  trophee  d'Auguste  :  Trophea  Augusti, 
degenere  en  Torpea  ou  Torpia,  est  devenu  celui  du 
village  de  la  Turbie,  et  les  mines  d'un  des  pluscele- 
bres  monuments  de  l'antiquite  dominent  encore  le 
port  d'Hercule  et  les  pentes  abruptes  de  ce  site  dont 
les  poetes  ont  decrit  la  sauvage  grandeur. 

Voies  romaines,  voie  Julia  -  Augusta,  voie 
Aurelienne.  —  On  a  vu  que  les  voies  romaines  de 
la  Cisalpine  n'avaient  pas  depasse  Vado  a  l'avene- 
d'Auguste;  elles  etaient  jusqu'a  ce  point  terminees 
depuis  un  siecle. 

La   via  Flaminia,  conduite  de  Rome  a   Rimini, 


—    23    — 

avait  ete  prolongee  en  187  jusqu'a  Plaisance  par  le 
consul  /Emilius  Lepidus  (1),  et  cette  section  prit  de 
son  constructeur  le  nom  de  via  sEmilia.  La  via 
Postumia  lui  succeda  jusqu'a  Tortone.  D'autre  part, 


Monument  d'Auguste  transforme  en  forteresse  au  moyen  age 
(Etat  anterieur  a  la  destruction  partielle  de    iyo5) 

la  via  Aurelia,  tracee  de  Rome  vers  Pise  a  travers 
TEtrurie,  fut  continuee  par  .Emilius  Scaurus  par  la 
Lunigiane;  elle  aboutissait  egalement  a  Tortone,  et, 
par  la  vallee  de  la  Bormida,  regagnait  le  littoral  de 


(1)  Tite  Live,  xxxix,  2. 


—  24  — 
la    Ligurie    en   franchissant    une    seconde    fois    les 
Apennins  a  leur  point  de  jonction   avec  les  Alpes 
liguriennes,  a  Vado.  Cette  voie  JEmilia  Scanri  ne 
fut  achevee  qu'en  Tannee  1 1 1  ( i). 

Auguste  opera  une  restauration  complete  a  partir 
de  Plaisance  et  de  la  Trebbia,  reprenant  la  via  Pos- 
tumia,  puis  la  partie  de  la  voie  ^Emilia  Scauri  qui 
lui  faisait  suite  jusqu'a  Vado.  De  ce  point,  une  voie 
nouvelle  se  substitua  a  Tantique  voie  Heracleenne, 
dont  elle  suivit  le  trace.  Elle  recut  le  nom  de  via 
Julia  Augusta,  continuant  depuis  Plaisance  la  voie 
•/Emilia  d'^Emilius  Lepidus,  qui  prolongeait  elle- 
meme  depuis  Rimini  la  voie  Flaminia.  En  conse- 
quence, le  numerotage  de  ses  milliaires  prit  la  suite 
de  ceux  des  voies  Flaminia  et  ^Emilia  Lepidi,  et 
ainsi  s'explique  comment  ceux  qui  se  sont  con- 
serves entre  Vintimille  et  Cimiez  portent  les  numeros 
589  a  608,  chiffres  qui  impliquent  Titineraire  par 
Rimini  et  la  voie  Flaminia  au  depart  de  Rome, 
quoiqu'il  soit  plus  long  de  cinquante-deux  milles 
que  celui  qui  passait  par  lEtrurie. 

Hadrien  fit  restaurer  la  voie  depuis  la  Trebbia; 
et  ses  bornes,  qui  doublent  en  beaucoup  d'endroits 
celles  d'Auguste,  nomment  la  voie  Julia  Augusta, 
mais,  en  outre  des  numeros  des  milliaires  partant 


(1)  Strabon  V,  II,  pait.  II.  —  Aurclius  Victor  :  De  vii-is  illus- 
tribus,  lxxii. 


de  Rome,  elles  portent  en  tete  un  chiffre  indiquant 
les  milles  restaures  depuis  la  Trebbia. 

Une  nouvelle  restauration,  oeuvre  de  CaracallaT 
reproduit  encore  ce  numerotage  sur  les  bornes  sura- 
joutees  a  celles  d'Auguste  et  d'Hadrien. 

Les  appellations  donnees  a  ces  series  de  voies  ne 
furent  done  modifiees  qu'apres  l'epoque  de  Caracalla 
probablement  au  temps  oil  fut  redige  Vltineraire  dit 
d'Antonin^cQS\-Q.-d'uQ  vers  la  fin  du  troisieme  siecle. 
Le  nom  de  la  voie  Julia  Augusta  disparut  et  Titine- 
raire  ayant  ete  regie  par  TEtrurie  et  la  Ligurie 
orientale,  la  voie  directe  prit  d'un  bout  a  Tautre  le 
nom  de  celle  qui  lui  servait  de  tete  a  la  sortie  de 
Rome,  la  via  Aurelia,  et  e'est  ce  nom  qui  lui  est 
reste  attach^  a  travers  le  moyen  age  jusqu'a  nous. 

Administration  romaine.  —  Les  Alpes-Mariti- 
mes  recurent  sous  Auguste  une  organisation  particu- 
liere.  Ce  fut  une  zone  militaire  defendue  en  partie 
par  des  troupes  recrutees  dans  le  pays.  Elle  etait 
administrce  par  un  procurateur  etabli  a  Cimiez. 

Le  port  d'Hercule  devint  un  centre  important, 
atteste  par  des  inscriptions,  des  tombeaux,  et  surtout 
par  la  decouverte  faite  en  1879  de  bijoux,  medailles 
et  monnaies  d'une  grande  valeur,  tres  probablement 
enfouis  pendant  la  guerre  des  Trente  Tyrans. 

Toutefois  peu  d'evenements  ont  rappele  le  nom 
du  Port  d'Hercule  pendant  la  periode  de  Tempire 


—    26    — 

romain.  Lors  de  la  guerre  civile  qui  suivit  la  mort 
de  Neron  en  Tan  69  de  Jesus-Christ,  le  littoral  de 
Ligurie  fut  la  region  oil  les  armees  d'Othon  et  Vitel- 
lius  se  rencontrerent  d'abord  ;  Tengagement  serieux 
eut  lieu  entre  le  Var  et  Antibes. 

Quelques  mois  plus  tard  Vittellius,  dans  sa  lutte 
contre  Vespasien  (decembre  69)  envoya  des  renforts 
dans  les  Alpes-Maritimes  ;  Valens,  qui  les  comman- 
dait  pousse"  par  la  tempete,  debarqua  a  Monaco. 

Le  passage  par  le  port  d'Hercule  de  Tempereur 
Maximien,  revenant  de  Gaule  en  Italie  apres  avoir 
etouffe  l'insurrection  des  Bagaudes,  est  le  dernier 
evenement  a  Toccasion  duquel  se  trouve  rappele  le 
nom  de  ce  lieu;  il  lVest  plus  cite  que  par  le  gram- 
mairien  Servius  dans  ses  Commentaires  sur  Virgile. 


CHAPITRE    IV 

LE    CHRISTIANISME    LES     INVASIONS    DES    BARBARES 

LES    SARRASINS 


Evangelisation  de  la  Ligurie,  Sainte  Devote. 

—  La  Ligurie  aurait  ete  evangelisee  par  saint  Na- 
zaire  et  saint  Celse  qui,arretes  a  Vintimille,auraient 
subi  le  martyre  a   Rome   sous  Neron. 

Aucun  fait  relatif  aux  chretientes  de  la  region 
n'est,  du  reste,  a  relever  jusqu'aux  persecutions  de 
Decius  et  de  Diocletien. 

Monaco  a  sa  patronne  particuliere,  sainte  Devote, 
dont  quelques  parties  de  la  legende  ont  conserve 
des  traces  de  redaction  d'une  haute  antiquite  : 

Une  jeune  ascete,  a  laquelle  la  tradition  a  attache 
le  nom  de  Devote,  qui  designait  dans  la  primitive 
eglise  une  categorie  de  vierges  vouees  au  service 
de  Dieu,  subit  le  martyre  en  Corse  vers  Tan  3  04. 
Son  corps  fut  pieusement  recueilli  par  un  pretre  et 
un  marinier  qui  resolurent  de  le  transporter  secre- 
tement  en  Afrique.  Le  vent  contraire  poussa  leur 
barque  vers  le  nord.  Dans  un  reve,la  sainte  apparait 
au  pretre  et  lui  ordonne  de  choisir  pour  sa  sepul- 


—    28    — 

ture  le  port  de  Monaco,  au  lieu  qu'une  colombe, 
sortie  de  sa  bouche,  lui  indiquera.  La  colombe  s'ar- 
reta  a  l'entree  du  vallon  des  Gaumates. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  date  extremement  antique 
que  cette  legende  assignerait  a  Toratoire  du  ravin 
des  Gaumates,  il  est  certain  qu'il  existait  a  Tepoque 
la  plus  ancienne  oil  Ton  rencontre  des  titres  relatifs 
a  la  region  de  Monaco,  c'est-a-dire  au  onzieme 
siecle ,  et  qu'il  formait  un  prieure  dependant  de 
Tabbaye  de  Saint-Pons. 

Invasions  des  barbares^ve-viiie  siecles). —  Apres 
la  chute  de  l'empire  romain,  il  faut  descendre  cinq 
siecles,  avant  de  retrouver  trace  de  Monaco.  Seul 
le  geographe  anonyme  de  Ravenne  en  cite,  vers  le 
vme  siecle,  le  nom  defigure,  comme  il  mentionne,  en 
le  qualirlant  de  ville  (civitas),  le  point  frontiere  du 
col  de  la  Turbie  sous  le  nom  d'Alpe  Maritima. 

Monaco  subit  la  destinee  miserable  de  la  contree 
au  milieu  des  invasions  dont  la  derniere  ne  cessa 
ses  desastreux  effets  qu'a  la  fin  du  xe  siecle.  La  route 
qui  menait  des  Gaules  en  Italie  vit  en  effet  passer  les 
Hots  de  barbares  Vandales,  Alains,  Goths,  Sueves, 
Burgondes,  qui  envahirent  Tempire  romain  au 
ve  siecle  et  ravagerent  la  Ligurie. 

Dans  le  cours  du  sixieme  siecle,  les  victoires  de 
Belisaire  sous  le  regne  de  Tempereur  Justinien,  firent 
revivre  pendant  quelques  annees  le  nom  de  Tempire 


—    2Q    — 

romain  sur  les  rivages  d'Occident  (540);  puis  appa- 
rut  un  nouvel  et  terrible  envahisseur;  maitres  du 
Milanais,  les  Lombards  se  repandirent  jusqu'au  dela 
des  Alpes.  Nice  fut  saccagee,  tandis  que  Cimiez  etait 
completement  detruit  et  ne  se  relevait  pas  de  ses 
ruines  [SyS). 

Charlemagne  mit  fin  a  la  domination  des  Lom- 
bards. II  fonda  Tabbaye  de  Saint-Pons,  au  dessus 
de  Nice  (777),  qui  recut  en  dotation  la  plus  grande 
partie    des   biens   de    Tancien   diocese    de    Cimiez. 

Les  Sarrasins  (ixe-xe  siecles).  —  Les  Sarrasins, 
en  s'abattant  a  la  fin  du  xie  siecle  sur  le  littoral, 
apporterent  de  nouveau  la  misere  et  la  barbarie. 

Depuis  que  Charles  Martel  avait  purge  le  territoire 
de  Tancienne  Gaule  de  Toccupation  des  Arabes  en 
les  rejetant  en  Espagne  (735-740),  I'ere  des  grandes 
invasions  musulmanes  etait  terminee.  Ce  n'etait  plus 
par  voie  de  terre  que  les  incursions  etaient  a  redou- 
ter,  mais  du  cote  de  la  mer. 

Les  Sarrasins  exercaient  avec  fureur  leurs  depre- 
dations sur  les  cotes:  les  chroniqueurs  rapportent 
un  evenement  fortuit  qui  leur  donna  pied  en  Pro- 
vence. Un  de  leurs  vaisseaux  fit  naufrage  vers  890 
entre  Hyeres  et  Frejus;  Tequipage  se  retrancha  dans 
la  region  accidentee  ou  il  avait  aborde,  en  atten- 
dant des  secours  qui  ne  tarderent  pas  a  venir  augmen- 
ter  leur  nombre.  lis   eleverent  alors  une  forteresse 


—   :>o  — 

au-dessus  de  Saint-Tropez,  dans  le  massif  monta- 
gneux  qui  a  conserve  d'eux  Tappellation  de  monta- 
gnes  des  Manres.  Elle  recut  le  nom  dc  Fraxinet, 
venu,  non  pas,  comme  la  consonnance  semblerait 
Tindiquer,  d'une  foret  de  frenes  qui  n'aurait  existe 
en  cet  endroit,  mais  d'un  mot  de  leur  langue,  desi- 
gnation generique  de  tous  leurs  postes  retranches 
sur  la  cote  et  dans  les  Alpes. 

De  la,  ils  penetrerent  jusque  dans  le  Piemont,  la 
Savoie  et  la  Bourgogne. 

Pour  ne  nous  occuper  que  de  la  region  voisine  de 
Monaco,  la  presqu'ile  de  Saint-Hospice,  en  commu- 
nication avec  le  lieu  escarpe  d'Eze  et,  a  Test,  la  mon- 
tagne  de  Saint-Agnes,  au-dessus  du  Cap  Martin, 
devinrent  leurs  principaux  repaires. 

Ils  n'avaient  pu  negliger  un  point  aussi  important 
que  la  Turbie,  ou  il  est  probable  qu'il  ne  restait  plus 
alors  d'habitants,  ni  autour  du  port  de  Monaco. 

Les  pays  ravages  par  les  Sarrasins  offraient  le  spec- 
tacle de  la  plus  complete  devastation  ;  le  mal  etait  a 
son  comble  lorsque  Hugues,  roi  d'ltalie,  parvint  a 
les  refouler  jusqu'au  Fraxinet,  qu'il  enleva  d'assaut 
en  945;  mais,  presse  par  son  competiteur  Berenger, 
Hugues  faisait  bientot  une  coupable  alliance  avec 
ceux  qu'il  venait  de  vaincre. 

Le  comte  Guillaume  de  Provence  eut  la  gloire  de 
s'emparer  du  Fraxinet  en  975  et  de  le  detruire. 


CHAPITRE  V 

MONACO    DEPUIS    l'eXPLLSION    DES    SARRASINS 

FOXDATIOX    DE    LA    FORTERESSE 

(xie-XJIIe    SIECLES) 


Monaco  aux  XPetXIP  siecles;  les  eglises  de 
Sainte  Devote  et  de  Sainte  Marie-du-Port.  — 

II  faut  descendre  jusqu'au  dernier  tiers  du  xie  siecle 
pour  trouver  mention  du  port  et  du  rocher  de 
Monaco  qui  a  cette  epoque  faisaient  partie  de  la 
seigneurie  de  la  Turbie.  En  ioj5,  l'eglise  de 
Sainte-Devote  au  vallon  des  Gaumates,  avait  ete 
comprise  dans  les  restitutions  que  les  seigneurs  de 
Niceavaient  faites  al'abbayede  Saint-Pons  ;  en  1078, 
quelques  habitants  de  la  Turbie  fondaient,  au  port 
meme  de  Monaco,  une  autre  eglise  sous  le  vocable 
de  Sainte-Marie,  qu'ils  donnaient  a  Archambaud, 
eveque  de  Nice.  Ce  lieu  etait  probablement  rede- 
venu  un  petit  centre  de  population. 

En  1 149,  Guilhelme,  femme  de  Feraud,  seigneur 
d'Eze,  a  qui  appartenait  la  seigneurie  de  la  Turbie, 
dotait  Sainte-Marie-du-Port  de  rentes  et  de  terres. 


—    32    — 

Ambition  de  Genes  ;  ses  visees  sur  Monaco. — 

L'importance  du  port  de  Monaco  ne  devait  pas 
tarder  a  attirer  1'attention  de  Genes,  dont  la  politique 
tendait  a  soumettre  toute  la  Ligurie;  desle  commen- 
cement du  xne  siecle  les  actes  de  sa  chancellerie 
indiquent  les  limites  entre  lesquelles  elle  pretendait 
exercer  «  la  Seigneurie  de  la  Mer  »;  ce  sont,  a  Test, 
tant6t  Porto  Pisano,  tantot  Porto  Venere,  a  l'ouest, 
tantot  Nice ,  tantot  Vintimille,  tantot  et  surtout 
Monaco. 

La  Republique  parvint,  en  1162,  a  donner  a  ses 
pretentions  une  sanction  reguliere.  Au  nombre  des 
privileges  que  Tempereur  Frederic  Barberousse  lui 
concede,  a  la  condition  de  preter  hommage  a  TEm- 
pire,  figure  la  domination  maritime  depuis  Porto 
Venere  jusqu'a  Monaco  ;  mais  cet  acte  reserve  les 
droits  des  seigneurs  riverains  ;  ce  n'est  qu'une  pre- 
dominance sur  la  mer. 

Cependant  Genes  avait  des  visees  plus  vastes 
encore  dans  l'ouest.  En  1 174,  le  comte  de  Toulouse, 
Raimond  de  Saint-Gilles ,  competiteur  de  la  maison 
dAragon  pour  la  succession  de  Provence,  ayant  fait 
confederation  avec  la  commune,  lui  promit,  en  cas 
de  succes,  la  cession  de  tous  les  ports  depuis  Nar- 
bonne,  d'une  partie  de  Nice,  enfin  celle  du  port  et  du 
rocher  de  Monaco  pour  y  construire  un  fort. 

Cette  alliance  n'aboutit  pas;  mais  Genes  continua 
ses  tentatives  dont  Nice  etait  surtout  Tobjectif. 


—  33  — 

L'empereur  Henri  VI  concede  Monaco  a 
Genes  (i  191).  —  Aucune  position  n'etait  plus  favo- 
rable a  ces  desseins  que  celle  de  Monaco.  L'occasion 
se  presenta  pour  en  obtenir  la  possession  d'une 
autorite  superieure  a  celle  du  comte  de  Provence 
lui-meme;  l'empereur  Henri  VI  recherchait  le  con- 
cours  des  Genois  pour  ses  revendications  sur  la 
Sicile;  mais  ses  pretentions  sur  le  royaume  d'Arles, 
toujours  contestees  par  les  comtes  de  Provence,  lui 
rendaient  egalement  precieuse  Talliance  de  la  Repu- 
blique.  Les  Genois  en  proriterent  pour  se  faire 
donner  le  3o  mai  1191,  sous  reserve  de  vassalite  a 
TEmpire,  le  port  et  le  rocher  de  Monaco,  avec  obli- 
gation d'y  construire  une  forteresse  qui  resterait  a  la 
disposition  d'Henri  VI  pour  agir  contre  la  Provence. 

Des  le  2  juillet  suivant,  la  Republique  se  hatait 
d'entrer  en  possession;  les  commissaires  imperiaux 
et  les  delegues  de  Genes  firent  entre  eux  la  tradition 
sur  place  par  Techange  des  rameaux  d'oliviers. 

La  commune  acquit  ensuite,  en  1  197,  de  Tabbaye 
de  Saint-Pons  et  des  habitants  de  Peille,  la  propriete 
privee  du  rocher  qui  leur  appartenait  en  partie. 

Fondation  de  la  forteresse  de  Monaco  — 
Les  Genois  allies  de  Frederic  II  (12 15-1239).  — 

Genes  laissa  vingt-quatre  ans  le  rocher  de  Monaco 
sans  le  fortifier.  Elle  ne  s'en  occupa  que  lorsqu'elle 
put  s'appuyer  de  nouveau  sur  TEmpire,  a  l'avenement 

3 


-  34  - 

de  Frederic  II.  Tandis  que  pour  concourir  a  la  poli- 
tique imperiale  elle  construisait  a  grands  frais  la 
darse  de  son  port,  elle  envoyait,  le  6  juin  1 2 1  5,  a 
Monaco,  Tun  de  ses  consuls,  Fulco  del  Castello, 
avec  trois  galeres  et  de  nombreux  navires  charges  de 
materiaux.  Les  travaux  entrepris  le  10  juin  furent 
pousses  avec  activite;  on  eleva  sur  le  plateau  de  la 
presqu'ile  quatre  tours  reliees  par  un  rempart  de 
trente-trois  palmes  genoises  de  hauteur  qui  forment 
encore  le  perimetre  du  palais  de  Monaco. 

Les  comtes  de  Provence  ne  firent  aucune  demons- 
tration pour  s'opposer  a  l'etablissement  de  la 
Commune.  L'alliance  de  Frederic  II  avec  celle-ci  les 
contenait ;  l'empereur  avait  en  effet  confirme  la  dona- 
tion d'Henri  VI  en  1220  et  1226. 

Les  comtes  de  Provence  abandonnent  leurs 
droits  sur  Monaco  (1 241-1262).  —  La  rupture  de 
Frederic  II  avec  la  papaute  le  separa  de  la  republique 
de  Genes  qui  se  rapprocha  du  comte  de  Provence 
et  fit  avec  lui  confederation  par  un  traite  conclu  le 
2  juillet  1 24 1,  dans  lequel  le  comte  de  Provence  fit 
Tabandon  de  ses  droits  sur  Monaco. 

Lorsqu'apres  la  mort  de  Raymond  Berenger  V,  en 
1245,  sa  fille  Beatrice  eut  apporte  a  son  epoux 
Charles  de  France,  comte  d'Anjou,  frere  de  saint 
Louis,  le  comte  de  Provence,  celui-ci,  aspirant  a 
dominer  en  Italie  en  se  faisant  chef des  Guelfes,  traita 


—  35   — 

dans  ce  but  avec  quelques-uns  des  seigneurs  qui 
portai  ent  par  indivis  le  tirre  de  comtes  de  Vintimille  ; 
il  s'assura  ainsi  le  passage  dans  le  haut  Piemont, 
qu'il  conquit  en  1257. 

En  cedant  ainsi  leurs  droits  a  Charles  d'Anjou,  les 
comtes  de  Vintimille  violaient  leurs  traites  anterieurs 
avec  la  republique  de  Genes;  mais  le  comte  de  Pro- 
vence et  la  Commune  avaient  Tun  et  Tautre  intcret  a 
rester  unis ;  le  22  juillet  1262,  un  traite  vint  couper 
court  a  tout  conflit.  Charles  conserva  les  acquisitions 
qu'il  avait  faites  dans  le  comte,  tandis  que  Genes  se 
faisait  reconnaitre  de  nouveau  la  possession  de 
Monaco  et  assurer  celle  de  Roquebrune  et  de  la  ville 
de  Vintimille. 

Cette  nouvelle  confirmation  des  droits  de  la 
commune  de  Genes  sur  Monaco  rendit  definitive 
Talienation  du  port  et  du  rocher. 

Etat  de  Monaco  au  milieu  du  XIIIe  siecle ;  la 
forteresse. —  Au  moment  du  traite  de  1262,  pres 
d'un  demi-siecle  s'etait  ecoule  depuis  la  construction 
de  la  forteresse  par  Fulco  del  Castello.  Les  cons- 
tructions elevees  en  121 5  paraissent  s'etre  d'abord 
reduites  a  Tenceinte  et  aux  tours  du  chateau  primitif ; 
mais,  avant  le  milieu  du  xme  siecle,  la  place  fut 
entouree  d'une  enceinte  continue,  et  une  seconde 
citadelle  fut  elevee  du  cote  de  Tentree  du  port.  Elle 
recut  le  nom  de  Chateau  Neuf  et  dominait  le  point 


—  36  — 

cTabordage,  tandis  que  le  Chateau  Vieux  harrait,  du 
cote  de  terre,  les  declivites  en  pente  assez  douce 
regnant  au-dessus  de  la  gorge,  en  face  de  la  Tete-de- 
Chien    i  . 

La  ville  s'etait  elevee  entre  ces  deux  forts  :  on  y 
accedait  par  une  montee  commandee  par  la  princi- 
pale  tour  du  Chateau  Vieux. 

Eglises.  —  A  cette  epoque,  une  chapelle  dedice  it 
saint  Martin  avait  ete  edifiee  sur  le  plateau,  pres  du 
Chateau  Neuf,  et  une  bulle  d'Innocent  IV  en  confir- 
mait,  en  1247,  la  possession  a  Tahhaye  de  Saint-Pons 
cnvertu  de  ses  anciens  droits  sur  le  rocher.  La  meme 
annee,  le  meme  pape  autorisait  Terection  dans  le 
Chateau  Vieux  d'une  autre  chapelle  reservee  aux 
Genois  habitant  Monaco  ou  y  etant  de  passage,  dont 
le  chapelain  etait  a  la  nomination  de  Tarcheveque 
de  Genes.  Dediee  a  Saint  Jean-Baptiste  et  deplacee 
dans  l'interieur  de  Tedifice  sous  Honore  II,  cette 
chapelle  est  encore  la  chapelle  du  Palais. 

Ces  eglises,  ou  plutot  ces  oratoires,  y  compris 
Sainte-Marie,  au  port  de  Monaco,  devinrent  bientot 
trop  etroits  pour  la  population.  II  fallut  y  pourvoir, 
et  le  commencement  de  la  construction  de  Saint- 
Nicolas,  qui  devaitdevenirle  Pantheon  monegasque, 
remonte  a  la  seconde  moitie  du  xme  siecle. 


(1)  Voyez  plus  bas,  page  G7,  la  vue  restituee  de  Monaco  au 
milieu  du  siecle  suivant. 


Eleve  d'apres  le  type  apporte  de  France  en  Italic 
par  les  moines  de  Citeaux,  cet  edirice  se  composait 
d'une  nef  a  deux  bas  cotes,  aboutissant  a  un  large 
transept  sur  lequel  s'ouvrait  une  grande  abside  rlan- 
quee  de  deux  absidioles  a  droite  et  a  gauche. 


Grande  nef  de  Saint-Nicoias  de  Monaco 
(D'apres  une  photographie  prise  pendant  la  demolition,  en  1874. 


Commune.  —  La  commune  de  Genes  avait  donne 
a  Monaco  une  administration  semblable  a  celle 
de  ses  autres  possessions.  Des  castellans  y  exercaient 


—  38  — 

Tautorite  militaire  et  y  administraient  la  justice.  II 
y  avait  un  castellan  dans  chacun  des  chateaux,  mais 
les  pouvoirs  judiciaires  n'etaient  attribues  qu'a  Tun 
des  deux.  Ce  chef  superieur  porta  aussi  le  titre  de 
podestd;  quelquefois,  il  y  eut  a  la  fois  un  podesta  et 
un  castellan;  ce  dernier,  dans  ce  cas,  lVavait  plus 
que  des  fonctions  militaires. 

L'universite  des  habitants  deliberait  en  parlement 
general,  puis  elle  delegua  radministration  a  un 
conseil  de  dix  membres,  qui  parait  en  1 3 1 9.  Quatre 
consuls  centraliserent  ensuite  Tautorite  au  dessus  du 
conseil;  mais  au  xme  siecle  cette  organisation  etait 
encore  imparfaite. 

Des  1246,  la  population,  reunie  en  assemblee 
generale,  figura  dans  des  conventions  avec  les  sei- 
gneurs de  la  Turbie.  Les  Monegasques  proprietaires 
dans  la  seigneurie  durenty  reconnaitre  la  juridiction 
des  seigneurs;  il  leur  fut,  en  outre,  defendu  dV 
acquerir  de  nouveaux  biens ,  sans  la  permission 
expresse  de  ceux-ci. 

C'etait  la  premiere  phase  de  confiits  qui  devaient 
constamment  se  repeter  durant  les  siecles  suivants. 

En  1262,  la  commune  de  Genes  accordait  aux 
habitants  de  Monaco  les  memes  exemptions  que 
celles  precedemment  octroyees  a  Porto  Venere  et 
a  Bonifacio. 


-   3q  - 


CHAPITRE  VI 

LES    GUELFES    ET    LES    G1BELINS    LES    GRIMALDI 

OCCUPATION    DE    MONACO   PAR    LES    GRIMALDI 

SIEGE    ET    REDDITION    DE    LA    PLACE 

RAINIER  GRIMALDI. 


I  2 JO- I 3I4J 


Les  Guelfes  sont  expulses  de  Genes  (1270).  — 

Les  discordes  qui  eclaterent  a  Genes  dans  la  seconde 
moitie  du  xme  siecle,  donnerent  un  role  Important  a 
Monaco,  dispute  par  les  partis  guelfe  et  gibelin. 

Genes,  sous  1  influence  des  Guelfes,  avait  active- 
ment  coopere  a  la  conquete  du  royaume  de  Naples 
par  Charles  d'Anjou  (i265).  Mais  une  reaction  contre 
ce  parti,  qui  avait  pour  chefs  les  deux  grandes 
families  des  Fieschi  et  des  Grimaldi,  amena  entre 
ceux-ci  et  les  Gibelins,  diriges  par  les  Spinola  et  les 
Doria,  une  rupture  violente,  a  la  suite  de  laquelle  les 
Guelfes  furent  bannis  en  1270. 

Appuyes  par  le  roi  de  Naples,  les  exiles  entrent  en 
campagne  contre  la  Commune;  les  troupes  du 
senechal  de  Provence   s'emparent    de   Roquebrune, 


—  4o  — 
apres  avoir  occupe  Menton,  et  la  paix  rfest  retablie 
qu'en  1276,  par  l'intervention  du  pape  Innocent  V. 
Les  Guelfes  rentrent  alors  a  Genes;  ils  y  fomentent 
de  nouveaux  complots,  sans  pouvoir  arriver  a  repren- 
dre  le  pouvoir;  ils  s'efforcent  alors  de  s'assurer  la 
domination  a  Texterieur  de  la  cite  ;  les  Fieschi 
dominent  dans  la  riviere  du  Levant;  les  Grimaldi 
sont  particulierement  puissants  dans  la  riviere  du 
Ponent,  ou  ils  occupent  de  nombreux  fiefs,  ainsi  que 
dans  le  comte  de  Nice. 

Origine  des  Grimaldi.  —  Nous  void  arrives  au 
moment  ou  Thistoire  de  Monaco  se  lie  intimement 
a  celle  de  la  famille  Grimaldi,  dont  il  nous  faut, 
en  consequence,  exposer  l'antique  origine  et  le 
remarquable  developpement. 

Otto  Canella.  —  Otto  Canella,  le  plus  ancien 
ascendant  connu  de  cette  famille,  etait  ne  vers  le 
milieu  du  xie  siecle,  car  son  fils  aine,  Bellamuto,  fut 
consul  de  Genes  en  1  124.  Otto  fut  lui-meme  revetu 
de  cette  dignite  neuf  ans  plus  tard,  en  1 1 3 3 .  II  mou- 
rut  en  1  iq3. 

Grimaldo,  le  plus  jeune  des  fils  d'Otto  Canella, 
occupa  dans  la  Republique  les  postes  les  plus  eleves  : 
trois  fois  consul  de  1162  a  1 1 84,  il  fut  successive- 
ment  envoye  comme  ambassadeur  aupres  de  Tempe- 


—  4i   — 
reur  Frederic  Barberousse,  du  roi   de  Maroc  et   de 
l'empereur  d'Orient.  C'est  lui  qui  a  donne  son  noni 
a  sa  descendance  com  me  riom  patronymique. 

Oberto  Grimaldi,  tils  de  Grimaldo,  remplit 
comme  son  pere  de  hautes  missions  et  fut  un  des  plus 
grands  personnages  de  la  Republique.  II  fonda,avec 
son  beau-frere,  Oberto  Spinola,  l'eglise  Saint-Luc  a 
Genes  et  il  a  ete  surnomme  le  pere  des  Grimaldi 
parce  que  ses  quatre  fils  Grimaldo,  Ingo,  Oberto  et 
Nicolas,  sont  les  ancetres  de  tous  les  personnages  de 
ce  nom,  devenus  un  siecle  plus  tard  h  ce  point  nom- 
breux  qu'en  1 3  3  3  il  en  existait  cent  dix  vivants, 
sans  compter  les  femmes. 

Les  branches  issues  de  Grimaldo  et  d'Ingo  ont 
surtout  marque  ;  leurs  representants  furent  les  plus 
devoues  partisans  de  Charles  d'Anjou.  —  Gabriel 
Grimaldi,  petit-fils  d'Ingo,  recut  du  roi  de  Naples  une 
ceinture  d'honneur  pour  ses  services  militaires 
en  1269.  Ses  fils,  et  principalement.Rrt&e//d!  et  Caspar 
Grimaldi  et  les  fils  de  celui-ci  Gabriel,  Percival  et 
surtout  Antoine  Grimaldi,  conserverent  la  plus 
etroite  union  avec  leurs  cousins  issus  de  Grimaldo  ; 
ils  se  retrouveront  associes  intimement  a  toutes  leurs 
affaires  et  a  tous  leurs  interets. 

Grimaldo  Grimaldi,  fut  un  des  huit  nobles  de 
Genes  et  signa,  comme  commissaire  de  la  Republi- 


—  42  — 

que,  le  traite  de  paix  avec  Tortone  et  les  conventions 
avec  les  marquis  de  Cravesana.  II  eut  trois  tils  dont 
le  second,  Luchetto,  etait,  des  avant  1266,  seigneur 
de  Prela,  au-dessus  de  Port  Maurice.  Les  descendants 
de  Luchetto  firent  de  grands  etablissements  dans 
le  comte  de  Nice  oil  Tun  d'eux,  son  petit-fils,  Andre 
ou  Andarone,  devint  par  mariage  seigneur  de  Beuil ; 
c'est  Tancetre  de  la  puissante  famille  des  Grimaldi 
de  Beuil,  reservee  a  une  haute  et  tragique  destinee. 
Le  troisieme  tils  de  Grimaldo  Grimaldi,  Antoine, 
fut  le  grand-pere  de  Francois  ou  Franceschino  Gri- 
maldi, qui  recut  le  surnom  de  Mali^ia,  Ma\\a  ou  di 
Ma\ia  et  que  la  surprise  de  Monaco  devait  rendre 
celebre. 

Lanfranco,  l'alne  des  trois  tils  de  Grimaldo  Gri- 
maldi occupa  lui  aussi  de  hautes  charges.  II  signa 
comme  ambassadeur  de  Genes  le  traite  conclu  en 
i23j  avec  la  ville  d'Arles.  II  etait,  en  i25i,  podesta 
de  Plaisance. 

II  fut  le  pere  de  Rainier  Grimaldi,  Tauteur  de  la 
branche  qui  devait  s'illustrer  au  service  de  Naples  et 
de  la  France  et  fonder  la  dynastie  des  Grimaldi  de 
Monaco. 

Sedition  de  1296,  les  Guelfes  chasses  de 
Genes  pour  la  seconde  fois.  —  La  plupart  de  ces 
Grimaldi  avaient  deja  leur  point  d'attache  a  Nice  et 


—  -p  — 

aux  environs,  lorsque  le  3o  decembre  1295  une 
sedition  terrible  ensanglanta  la  ville  de  Genes.  La 
batailledans  les  rues  dura  quarante  jours  et  quarante 
nuits  sans  discontinuer ;  de  nombreux  edifices  furent 
incendies  ou  detruits.  Les  Guelfes  furent  encore 
vaincus  et  expulses. 

Cette  nouvelle  rupture  derangeait  gravement  la 
politique  de  Charles  II,  fils  et  successeur  de  Charles 
d'Anjou  dans  le  royaume  de  Naples,  alors  en  guerre 
avec  la  dynastie  d'Aragon  qui  s'etait  etablie  en  Sicile 
depuis  les  Vepres  Siciliennes  (1282).  Recherchant 
l'alliance  de  Genes,  le  roi  donna  des  ordres  pour 
empecher  sur  les  frontieres  de  Provence  les  mouve- 
ments  des  Guelfes. 

Monaco  pris  par  les  Guelfes  ;  Francois  Gri- 
maldi  (1297).  —  Ces  mesures,  mal  obeies  paries 
agents  royaux  du  comte  de  Nice,  n'empecherent  pas 
les  Guelfes  de  s'emparer  par  un  audacieux  coup  de 
main  d'une  forteresse  ou  ils  allaient  se  rendre  extre- 
mement  redoutables. 

Monaco,  enclave  dans  les  terres  provencales,  etait 
a  l'abri  d'une  attaque  ouverte;  on  ne  pouvait  compter 
que  sur  les  chances  d'une  surprise  pour  s'en  rendre 
maitre  ;  Tetat  des  lieux  s'y  pretait  d'autant  mieux  que 
la  garnison  devait  alors  se  reduire  a  quelques  hom- 
mes,  car  aucune  agression  n'etait  a  redouter  du  cote 
de  la  mer,  dominee  par  la  marine  de  Genes ;  en  outre, 


—  44  — 
la  Republique  etant  en  paix  avec  le  roi  Charles  II, 
comte  de  Provence,  il  ne  semblait  pas  y  avoir  de 
dangers  a  courir  du  cote  de  terre  ;  et  il  est  probable 
que  les  Guelfes  s'etaient,  depuis  les  evenements  ne 
de  Genes,  menages  des  intelligences  dans  la  place. 

La  conduite  de  l1afFaire  fut  confiee  a  un  homme 
connu  par  sa  resolution  et  son  sang-froid ;  Frances- 
chino  ou  Francois  Grimaldi,  dit  Mali\ia  ou  di 
Ma^ia,  payant  audacieusement  de  sa  personne,  eut 
recours  a  un  stratageme  reste  celebre  dans  les  fastes 
de  Monaco. 

Dans  la  nuit  du  8  Janvier  1297,  un  m°ine  se 
presentait  aux  portes  de  Monaco  :  on  le  laissait  passer 
sans  defiance ;  c'etait  Francois  Grimaldi.  A  peine 
l'enceinte  depassee,  le  faux  moine  se  jetait  sur  les 
gardes,  vraisemblablement  peu  nombreux,  et,  a  la 
faveur  de  lalutte,introduisait  une  nombreuse  troupe 
guelfe  qui  le  suivait,  dissimulee  dans  la  nuit,  et  qui 
s'emparait  des  portes  avant  que  les  gardes  massacres 
aient  pu  etre  secourus. 

Monaco  tombait  ainsi,pour  la  premiere  fois,  entre 
mains  des  Grimaldi  et  de  leurs  partisans. 

Bientot,  la  marine  guelfe  monegasque,  a  laquelle 
se  joignirent  des  galeres  amenees  a  Nice  et  aux  envi- 
rons, infestait  les  mers  de  Genes,  de  Provence  et 
de  Catalogne,  faisant  une  chasse  sans  merci  aux 
navires  et  au  commerce  des  Gibelins  de  toute  Tltalie 
jusque  dans  les  ports  du  Languedoc. 


—  -p  — 

Charles  II  de  Naples,  abandonne  les  Guelfes 
genois  (1298).  —  Charles  II   vit  avec  deTaveur  un 

incident  qui  genait  ses  negociations  avec  Genes.  II 
n  nesita  pas  a  abandonner  ces  Guelfes  genois,  dont 
le  devouement  avait  tant  servi  la  cause  de  son  pere 
et  avait  contribue  a  lui  assurer  sa  couronne. 

La  Commune  ayant  decide  le  siege  de  Monaco,  le 
roi  de  Naples  autorisa,  comme  comte  de  Provence, 
les  troupes  genoises  a  venir  asseoir  du  cote  de  terre 
des  approches  sur  le  territoire  provencal  de  laTurbie 
qui  s'etendait  jusqu'aux  pieds  des  escarpements  de  la 
place  ;  il  s'engagea  par  la  meme  convention,  conclue 
le  23  juillet  1298,  a  interdire  toute  communication 
entre  ses  sujets  et  les  assieges  et  meme  a  expulser 
les  bannis  genois  de  Provence. 

Siege  de  Monaco  (1299-13001.  —  Le  blocus  de 
Monaco  commenea  dans  les  premiers  jours  de  1299, 
mais  n'interrompit  par  les  ravages  que  les  galeres 
monegasques  continuaient  sur  mer. 

Cependant  tout  tournait  contre  les  Guelfes  ;  les 
Pisans  qui,  par  un  singulier  retour  de  la  politique, 
leur  avaient  prete  une  aide  que  leur  refusait  le  roi 
angevin,  faisaient  bientot  la  paix  avec  la  Commune, 
tandis  que  Boniface  VIII  imposait  a  celle-ci  Talliance 
de  Charles  II,  mais  se  faisait,  par  contre,  son  inter- 
mediaire  pour  reclamer  du  roi  son  concours  direct 
afin  d'arriver  a  la  restitution  de  Monaco. 


-  46  - 

Traite  de  Charles  II  avec  Genes  (i3oo).  —  Par 
traite  du  2  juin  i3oo,  le  roi  s'engagea  a  faire  remettre 
par  les  Guelfes  la  place  de  Monaco,  a  abolir  toutes 
les  poursuites  contre  les  Genois  dans  ses  etats  et  a 
leur  y  garantir  une  liberte  absolue  pour  y  habiter  et 
y  commercer. 

De  son  cote,  la  commune  de  Genes,  moyennant  la 
restitution  prealable  de  Monaco,  s'obligeait  a  rappeler 
ceux  de  ses  sujets  qui  combattaient  sous  les  bannieres 
du  roi  Frederic  de  Sicile,  a  retablir  dans  leurs  biens 
et  leurs  honneurs  les  Guelfes  et  a  les  rappeler,  sauf 
un  certain  nombre  deceptions,  dans  la  ville  de 
Genes. 

Attaque  de  Genes  par  les  Grimaldi;  les  Guel- 
fes evacuent  Monaco  (i3oi).  —  Charles  II  avait 
promis  plus  qu'il  ne  pouvait  tenir ;  a  ce  moment  merae 
les  Grimaldi  tentaient  un  effort  desespere  ;  ils  arri- 
vaient  de  nuit  devant  Genes,  montes  sur  cinq  galeres, 
debarquaient  au  mole,  et  s'etaient  deja  empares  du 
port  et  d'une  partie  de  la  ville,  lorsque  les  Gibelins, 
rapidement  reunis,  les  entourerent  et  les  firent  pri- 
sonniers. 

L'echec  de  cette  tentative  enlevait  tout  espoir  aux 
Guelfes ;  ils  consentirent  done  a  traiter  avec  Char- 
les II  et  a  remettre  Monaco  en  depot  entre  les 
mains  du  roi,  qui  s'engagea  a  leur  restituer  la  place 
si,  dans  le  delai  de  quatre  mois,  la  Commune  ne  les 


—  47  — 
avait  pas  retablis  dans  tous  leurs  droits.  De  longues 
clauses  assurerent  a  ceux  d'entre  eux  qui  voudraient 
rester  sur  les  domaines   du  roi  des  faveurs   et  des 
privileges  particuliers. 

Cette  convention  fut  signee  a  Nice  le  10  avril  i  3oi; 
le  lendemain  la  place  fut  remise  aux  officiers  du  roi 
de  Naples  et  la  paix,  contenant  toutes  les  conditions 
exigees  par  les  Guelfes,  ayant  ete  juree  a  Genes,  le 
senechal  de  Provence  livra,  le  4  mai,  Monaco  aux 
commissaires  de  la  Commune.  L'instrument  derlnitif 
du  traite  fut  dresse  le  9  mai. 

Les  Spinola  a  Monaco.  —  Charles  II  avait 
rachete  aux  Guelfes  les  biens  qu'ils  possedaient  soit 
a  Monaco,  soit  aux  environs,  soit  a  Nice.  II  en  fit 
don,  sous  reserve  d'une  redevance  feodale,  en  octo- 
bre  1  3o  1 ,  a  Ughetto  Spinola,  de  Genes,  et  a  son  tils 
Nicoloso,  en  echange  d'une  rente  qu'il  leur  avait 
precedemment  octroyee  sur  son  tresor.  Trois  ans  plus 
tard  il  supprimait  cette  reserve  et  Nicoloso  posseda 
dorenavant  ces  biens  «  comme  les  autres  proprietaires 
non  feodaux  et  roturiers  ou  non  nobles  ». 

L'etablissement  de  Spinola  a  Monaco  n'eut  done 
aucun  caractere  seigneurial ;  mais  leurs  possessions 
dans  la  forteresse  les  rendirent  maitres  de  fait,  et 
lorsque  les  guerres  intestines  eurent  recommence  a 
Genes,  les  galeres  de  Monaco  a  leur  solde  firent  une 
rude  guerre  a  leurs  adversaires. 


-48  - 

Rainier  Grimaldi.  —  Apres  la  sortie  des  Guelfes 
de  Monaco,  le  roi  Charles  II  veilla  rigoureusement 
a  Texecution  de  ses  obligations  a  leur  egard  ;  ce 
n'etait  que  justice;  ils  n'avaient  cesse  de  lui  rendre 
les  plus  fideles  services,  meme  a  Tepoque  ou  sa 
politique  le  forcait  a  les  abandonner. 

De  tous  les  Grimaldi,  Rainier,  fils  de  Lanfranco, 
se  distinguait  par  son  activite  et  ses  talents  militaires. 
Ne  vers  1267,  il  avait  deja,  en  1296,  rendu  de  grands 
services  au  roi  Charles  II.  Son  devouement  ne  Tern- 
pecha  point  de  prendre  unepart  active  aux  campagnes 
maritimes  des  Guelfes  de  Monaco.  II  alia  attaquer 
les  navires  Gibelins,  avec  des  galeres  qu'il  avait  armees 
a  Nice,  jusque  dans  le  port  dWigues-Mortes  et  dans 
les  Baleares. 

Sa  reputation  d'habile  marin  le  designa  au  roi  de 
France  quand,  a  la  reprise  de  la  guerre  de  Flandres, 
Philippe  le  Bel  songea  a  renfoncer  sa  marine  d'auxi- 
liaires  genois. 

En  1 304  Rainier  Grimaldi  detruisait  a  Zeriksee 
la  flotte  fiamande.  Cette  victoire  lui  valait  le  titre 
d'amiral  general  de  France,  et  il  figura  Tannee  sui- 
vante  comme  caution  au  traite  de  mariage  de  Jeanne, 
fille  de  Charles  de  France,  comte  de  Valois,  avec  le 
comte  de  Hainaut. 

II  s'etait  rendu  dans  la  Manche  et  la  mer  du  Nord 
aussi  redoutable  que  dans  la  Mediterranee,  et  le  lien 
qui  unissait  les  Grimaldi  a  la  dynastie  francaise  de 


—  49  — 
Naples  se   doubla,  par  ses  services,  d'une  nouvelle 
attache  avec  la  France  elle-meme. 

Revenn  a  Naples,  il  y  jouit  aupres  du  roi  Robert, 
tils  et  successeur  de  Charles  II,  d'un  credit  au  moins 
aussi  grand  qu'aupres  de  celui-ci.  II  possedait  deja 
la  baronnie  de  San  Demetrio,  dans  les  Calabres  ;  il 
recut,  en  Provence,  la  seigneurie  de  Cagnes,  entre 


Sceau  de  Rainier  Grimaldi,  amiral  general  de  France 


Antibes  et  Nice,  et  la  chatellenie  du  chateau  royal  de 
Villeneuve,  dans  la  meme  region. 

En  1 3 12,  pendant  la  guerre  entre  l'empereur 
Henri  VII  et  le  roi  Robert,  apres  avoir  detruit  sur 
mer  Tescadre  pisane,  chargee  de  ravitailler  Tempe- 
reur  s'avancant  vers  Rome,  il  commanda  les  troupes 
qui  opererent  dans  la  campagne  romaine. 

4 


_  5o  — 

Ce  fut  sa  derniere  action  militaire ;  il  mourut  au 
commencement  de  1 3 14,  age  de  moins  de  cinquante 
ans,  laissant  d'une  Salvatico,  sa  premiere  femme, 
un  fils,  Charles  Grimaldi  ;  de  la  seconde,  Andriola 
Grillo,  il  eut  un  autre  fils,  Vinciguerra  Grimaldi,  a 
qui  revint  en  partage  la  baronnie  de  San  Demetrio, 
et  une  iille,  Salvagia  Grimaldi,  mariee  a  Gabriel 
Vento. 


—    0  I     


CHAPITRE  VII 

REPRISE,    NOUVELLE    PERTE 

ET   TROISIEME   OCCUPATION   DE    MONACO  PAR  LES    GUELFES 

CHARLES    GRIMALDI,    SEIGNEUR    DE    MONACO 

(i3  17-1357) 


Rentree  des  Guelfes  a  Monaco  (i3 17). —  Les 
Guelfes  avaient  peu  a  peu  repris  a  Genes  une 
influence  preponderante,  grace  a  la  division  survenue 
entre  les  Doria  et  les  Spi'nola.  En  1 3 17,  Charles 
Fieschi  et  Gaspar  Grimaldi,  fils  de  Gabriel,  furent 
faits  capitaines  du  peuple.  Mais ,  impuissants  a 
resister  par  leurs  propres  forces  aux  Gibelins  qui 
mirent  le  siege  devant  la  ville,  ils  appelerent  le  roi 
Robert  de  Naples  et  le  rirent  proclamer  seigneur  de 
Genes. 

Monaco  etait  tombe  eette  meme  annee  1 3  1 7  entre 
les  mains  des  Guelfes,  ce  qui  valut  aux  habitants,  en 
1 3 19,  la  faveur  d'etre,  par  deliberation  des  syndics, 
declares  exempts  de  toutes  les  taxes  a  Genes.  En  1  3 1 9 
egalement,  le  roi  Robert  ordonnait  la  repartition 
entre  les  Guelfes  monegasques  des  biens  confisques 


—    52    — 

sur  les  Gibelins  et  Nicoloso  Spinola.  Cette  repar- 
tition fut  executee  avec  le  concours  du  conseil 
communal  de  dix  membres  dont  c'est  la  premiere 
manifestation. 

C'est  egalement  sous  l'administration  guelfe,  que 
la  grande  eglise  de  saint  Nicolas  dut  etre  achevee.  On 
consacra  son  cimetiere  le  26  decembre  i322. 

Cette  meme  administration  termina  en  1324  une 
nouvelle  phase  des  conflits  toujours  renaissants 
avec  la  Turbie.  On  regla  les  amendes  qui  seraient 
dues  pour  les  dommages  causes  sur  le  territoire  tur- 
biasque,  et  il  fut  reconnu  aux  Monegasques  le  droit 
de  pecher  une  fois  devant  la  rive  des  Spelugues 
lorsque  les  habitants  de  la  Turbie  y  auraient  peche 
deux  fois. 

Les  Gibelins  reprennent  Monaco  (1327).  —  La 
nouvelle  occupation  de  Monaco  par  les  Guelfes  dura 
dix  ans.  En  i32~,  la  forteresse  etant  mal  gardee,  une 
attaque  de  nuit,  executee  par  les  Gibelins  en  grandes 
forces,  leur  livra  le  Chateau  Vieux.  Les  Guelfes  se 
refugierent  au  Chateau  Neuf. 

A  la  nouvelle  de  cette  surprise  des  secours  arri- 
verent  de  tous  les  environs,  tandis  que  le  viguier 
royal  de  Nice  s'emparait  de  vive  force  de  la  porte  du 
Chateau  Vieux  situee  du  cote  de  terre.  Le  combat  fut 
rude  et  les  Gibelins  offraient  de  se  rendre,  lorsqu'un 
conflit  s'eleva  ;  le  viguier  pretendait  posseder  la  place 


—  53  — 

au  nom  du  roi  Robert,  les  Guelfes  voulaient  la  retenir 
au  nom  de  la  commune  de  Genes.  Pendant  cette 
querelle,  trois  galeres  gibelines  armees  a  Savone  et 
un  grand  nombre  de  petits  navires  portant  plus  de 
quatre  mille  hommes  debarquaient  au  port,  et  les 
renforts  etaient  hisses  a  la  corde  dans  la  citadelle. 
La  place  resta  aux  mains  des  Gibelins.  Les  Guelfes 
de  Monaco  exiles  prirent  service  dans  la  marine  du  roi 
Robert,  tandis  que  les  biens  confisques  a  leur  profit 
en  i  3 19  revenaient  aux  Spinola  et  a  leurs  partisans. 

Siege  de  Monaco  par  le  senechal  de  Pro- 
vence, traites  de  1330.  —  Cependant  les  gens  de 
Monaco  exercaient  de  serieux  ravages  sur  mer.  Le 
senechal  de  Provence  vint  assieger  la  place.  Pour 
completer  Tinvestissement,  il  fit  construire  un  fort 
sur  le  plateau  des  Moneghetti.  Monaco  capitula. 
Par  le  traite  signe  dans  l'eglise  de  Sainte-Devote 
le  6  Janvier  i33o,  les  assieges  s'engagerent  a  s'abste- 
nir  de  rapports  avec  le  parti  gibelin,  et  d'attaques 
coutre  les  Guelfes  et  les  sujets  du  roi  Robert.  La 
banniere  royale  dut  etre  constamment  arboree  sur 
la  premiere  porte  de  la  forteresse  et  sur  chacun  des 
deux  chateaux.  Tout  peage  sur  les  sujets  du  roi  fut 
interdit;  e'est  la  premiere  mention  que  Ton  trouve 
du  droit  de  mer  de  Monaco. 

Cette  capitulation  ayant  ete  violee,  une  nouvelle 
convention  fut  conclue  en  novembre  i33o. 


-  54- 

Rentree  des  Grimaldi  a  Monaco.  —  Attaque 
des  Catalans  ( 1 33 1 ).  —  A  ce  moment,  par  ['inter- 
vention du  roi  Robert,  une  reconciliation  s'operait 
entre  les  Guelfes  et  les  Gibelins  ;  ces  derniers  purent 
rentrer  dans  Genes,  tandis  que  les  Grimaldi  %ren- 
traient  dans  Monaco. 

On  avait  alors  a  se  defendre  contre  les  Catalans, 
sujets  du  roi  d'Aragon,  qui  ravagaient  la  Riviere. 
Le  territoire  de  Menton  fut  cruellement  maltraite, 
mais  Monaco  se  trouva  en  etat  de  resister  a  une 
attaque  de  vive  force. 

Le  roi  Robert  perd  Genes.  —  Charles  Gri- 
maldi ( 1 335). —  En  1 33 5 ,  les  Gibelins  s'etant  ren- 
dus  maitres  de  Genes,  les  Guelfes  aiderent  le  roi 
Robert  a  se  maintenir  dans  la  riviere  de  Ponent. 

Charles  Grimaldi  etait  a  cette  epoque  le  chef  incon- 
teste  de  sa  maison.  Du  vivant  de  son  pere,  Rainier 
Grimaldi,  il  avait,  fort  jeune,  activement  figure  au 
service  du  roi  Robert.  En  1 3 14,  il  commandait  une 
galere  au  siege  de  Girgenti.  La  mort  de  son  pere 
le  rendit  proprietaire  de  la  seigneurie  de  Cagnes, 
castellan  de  Villeneuve  et  conseiller  du  roi.  D'une 
extreme  activite,  on  le  trouve  a  Paris  en  1 3 1 6,  reglant 
les  interets  que  Rainier  avait  en  France.  A  son 
retour  il  sert  constamment  le  roi  Robert ;  il  assiste 
notamment,  en  i3  19,  au  siege  et  a  la  capitulation  de 
Dolceaqua,  defendue  par  Morruel  Doria. 


—   55  — 

La  ville  de  Vintimille  etant,  avec  le  concours  des 
troupes  provencales  ,  tombee  en  1329  entre  les 
mains  des  Guelfes,  il  en  fut  elu  recteur  et  exerca  le 
pouvoir  d'une  facon  toute  seigneuriale,  jusqu'au  jour 
ou  Genes  ayant  retabli  le  gouvernement  gibelin,  il 
remit  la  ville  ou  il  commandait  au  roi  Robert,  auquel 
celle-ci  se  donna  (1 335). 

Monaco  restait  en  son   pouvoir  ;  il  en  fit  la   cita 
delle  et  l'arsenal  maritime  des  Guelfes. 

Incursions  de  la  marine  de  Monaco  jusque 
dans   les  mers   du  Levant  "(1 336  - 1  33g).  —    La 

marine  guelfe  de  Monaco  prit  a  cette  epoque  un 
developpement  redoutable  ;  de  1 336  a  1  33p,  elle  fit  la 
chasse,  sur  la  Mediterranee,  aux  navires  des  Gibe- 
lins.  Deux  fois  ses  galeres  vinrent  menacer  Genes. 
Elles  se  montrerent  jusque  dans  les  mers  du  Levant, 
faisant  des  prises  sur  les  cotes  d'Egypte  et  de  Syrie, 
et  dans  les  mers  de  Grece.  Le  commerce  venitien  fut 
surtout  maltraite  ;  les  hostilities  etaient  sans  merci  ; 
de  part  et  d'autre  on  massacrait  les  equipages  pris, 
on  pendait  jusqu'aux  hommes  tues  dans  le  combat, 
et  les  iles  de  l'Archipel  voyaient  se  dresser  les  gibets 
eleves  par  les  deux  adversaires. 

Venise  finit  par  recourir  a  Fintervention  du  pape 
BenoitXII  et  chercha  a  rendre  le  roi  Robert  respon- 
sable  des  depredations  des  Monegasques.  Le  roi 
repondit  qu'il  n'etait  pas  le  maitre  de  Monaco. 


—  56  — 

Revolution  de  Genes.  Le  doge  Simon  Bocca- 
negra  negocie  avec  Monaco  (i  341). —  Pendant 
que  la  marine  de  Monaco  se  montrait  ainsi  sur  les 
tners,  la  situation  politique  s'etait  profondement 
modifiee  a  Genes.  Le  peuple,  fatigue  des  continuelles 
querelles  des  grandes  families  qui  se  disputaient  le 
pouvoir,  se  souleva  et  fonda  un  gouvernement  popu- 
laire  en  dehors  des  anciens  partis.  Simon  Boccane- 
gra  fut  proclame  doge  en  i33g,  et  les  deux  rivieres 
l'avaient  en  entier  reconnu  en  1 341 ,  sauf  Vintimille, 
reste  entre  les  mains  du  roi  Robert,  et  ou  les  nobles 
genois  se  retirerent  en  grand  nombre,  sauf  egale- 
ment  Monaco  et  Roquebrune,  occupes  par  les  Gri- 
maldi.  Une  negociation  fut  tentee  avec  ces  derniers; 
Charles  et  Antoine  Grimaldi  devaient  conserver 
pour  cinq  annees  la  possession  des  deux  piaces  et 
recevoir  une  indemnite  pour  les  depenses  d'entretien 
qu'ils  y  avaient  faites  depuis  1 335  ;  mais  le  traite  ne 
fut  pas  mene  a  fin.  Les  Grimaldi  avaient  trop  interet 
a  la  conservation  de  leurs  possessions  militaires  et 
maritimes,  dans  lesquelles  ils  s'etaient  solidement 
etablis  par  des  acquisitions  importantes. 

Gampagnes  de  Charles  Grimaldi  en  France 
( 1  338-j  343J.  —  Charles  Grimaldi  n'avait  pas  assiste 
a  ces  evenements.  II  avait  tourne  son  activite  du 
cote  de  la  France.  Le  roi  Philippe  de  Valois  avait 
recrute  des  auxiliaires  pour  sa  marine  aussi  bien  a 


Genes  qu'a  Monaco,  Deux  flottes,  rune  guelfe, 
commandee  par  Charles  Grimaldi,  l'autre  gibeline, 
commandee  par  Ayton  Doria,  furent  equipees  au 
commencement  de  1 338,  portant  un  grand  nombre 
de  troupes  de  pied. 

Charles,  des  Touverture  des  hostilites  contre  les 
Anglais,  surprit  en  i33o,  Southampton  qu'il  saccagea. 


Sceau  de  Charles  Grimaldi 


Philippe  VI,  en  recompense  de  leurs  services,  donna 
a  Charles  Grimaldi  et  a  Ayton  Doria,  et  sous  condi- 
tion de  proteger  les  vaisseaux  marchands  contre  les 
pirates,  le  privilege  du  commerce  par  le  port  d'Ai- 
gues-Mortes  ;  mais  cette  concession  fut  rapportee  en 
1340  sur  les  remontrances  de  la  ville  de  Montpellier. 

De  1 341  a  1343  Charles  Grimaldi  continua  ses 
campagnes   en    France  :   il  commanda   avec  Ayton 


—  58  — 

Doria  un  corps  de  douze  mille  arbaletriers  genois 
envoyes  par  Philippe  de  Valois  au  secours  de  Charles 
de  Blois  pendant  la  guerre  de  succession  de  Bre- 
tagne  ;  il  se  distingua  a  la  prise  de  Chantoceaux, 
au  siege  et  a  la  prise  de  Rennes  ;  il  se  signala  surtout 
a  la  bataille  navale  livree  a  la  flotte  anglaise  dans  les 
eaux  de  Guernesey  et  passa  tout  le  reste  de  la  cam- 
pagnea  tenir  la  mer  devant  Vannes  et  sur  les  cotes 
de  Bretagne. 

Charles  Grimaldi  acquiert  les  biens  des  Spi- 
nola  a  Monaco.  —  Sa  coseigneurie  avec  les 
autres  Grimaldi  (  i  338  -  1 341  ).  —  Pendant  son 
absence,  Charles,  par  1'intermediaire  de  son  cousin 
Rabella,  fils  de  Gabriel  Grimaldi  et  frere  de  Gaspar, 
celui  qui  avait  ete  capitaine  de  Genes  en  1 3  1 7,  avait 
rachete  en  1  3 38  les  biens  que  Nicolas  Spinola  avait 
recouvres  dans  Monaco  apres  la  rentree  des  Gibelins 
en  1327.  La  vente  ne  fut  definitive  que  le  14  mai  1 341 ; 
Rabella,  mis  en  possession,  declara  avoir  acquis 
pour  le  compte  de  Charles. 

Quoique  ces  biens  ne  fussent  revetus  d'aucun 
caractere  seigneurial ,  leur  possession  augmentait 
necessairement  Tautorite  personnelle  de  Charles 
Grimaldi  dans  la  place.  La  forteresse  devint  alors 
une  seigneurie  de  fait,  indivise  entre  Charles  et  les 
descendants  de  la  branche  d'Ingo  Grimaldi,  les  fils 
de  Gaspar  :  Gabriel,  Antoine  et  leur  neveu  Lucien. 


-  59  — 
Cette  coseigneurie  finit  par  se  reduire  a  Charles  et 
a  Antoine,  si  intimement  unis  dans  la  suite  que  des 
actes  de  la  chancellerie  de  Naples  leur  donnent  la  qua- 
lification de  freres,  restee  par  erreur  attachee  aux  deux 
cousins,  fondateurs  Tun  de  la  branche  des  Grimaldi 
de  Monaco,  l'autre  de  celle  des  seigneurs  d'Antibes. 

Droit  de  mer  de  Monaco  —  Conflit  avec  Nice 

( 1 339-1 341 ).  —  Des  lors,  la  volonte  d'assurer  Tinde- 
pendance  de  la  nouvelle  seigneurie  s'affirme  chez  ses 
possesseurs.  Un  peage  etait  etabli  a  Monaco  sur  les 
navires  passant  devant  la  place.  Les  Nicois,  se  pre- 
tendant  exempts  de  cette  exaction,  avaient  obtenu  en 
1 339,un  mandement  dans  ce  sens  du  roi  Robert.  On 
n'en  tint  pas  compte  :  les  habitants  de  Nice  renouve- 
lerent  leurs  plaintes  et,  en  i3q2,  un  envoye  vint  a 
Monaco  porter  les  injonctions  du  senechal  de  Pro- 
vence pour  Texecution  des  lettres  royales.  Les  cosei- 
gneurs  de  Monaco  presents,  Gabriel  et  Antoine,  assis- 
ted du  viguier  de  la  place,  Luchino  Grimaldi  dit  le 
Rouge,  de  la  branche  des  seigneurs  de  Prela,  repon- 
dirent  que  le  peage  etait  indispensable  pour  subvenir 
a  Tentretien  de  la  forteresse  et  des  galeres  destinees  a 
assurer  contre  les  pirates  sarrasins  la  securite  de  la 
mer  et  qu'une  exception  en  faveur  des  Nicois  n'aurait 
d'autre  effet  que  de  favoriser  la  fraude  des  marchan- 
dises  etrangeres  chargees  sur  leurs  navires. 

On  a  vu  dans  le  traite  de  i33o  la  premiere  mention 


—  60  — 

de  ce  droit  de  mer  de  Monaco  dont  la  reconnaissance 
par  les  puissances  maritimes  fut  le  but  constant  des 
efforts  diplomatiques  des  Grimaldi. 

Conventions  de  subsides  avec  Naples  et  avec 
Florence  ;  Charles  et  Antoine,  viguiers  de  Pro- 
vence (i343). —  Cette  merae  preoccupation  d'assurer 
Tindependance  de  Monaco  amena  Charles  et  Antoine 
a  negocier  avec  les  etats  guelfes  des  conventions  de 
subsides  pour  maintenir  la  forteresse  dans  leur 
alliance  et  procurer  a  leurs  allies  la  securite  dans  la 
region  maritime.  lis  reussirent  d'abord  avec  la  reine 
Jeanne  Ire  de  Naples,  petite-fille  et  successeur  du  roi 
Robert,  dont  un  mandement  de  juin  1 343  accorda 
dans  ce  but,  aux  deux  Grimaldi,  une  rente  annuelle 
de  cinq  cents  florins. 

Vers  la  meme  epoque,  une  convention  identique 
fut  conclue  avec  la  seigneurie  de  Florence. 

C'etaient  les  premiers  pas  dans  la  voie  des  alliances 
qui  devaient  constituer  Tetat  autonome  de  Monaco. 

La  meme  annee,  la  reine  Jeanne  crea  Charles  et 
Antoine  viguiers  de  Provence  en  commun. 

Armements  contre  Genes  (1 345- 1346).  —  La 
guerre  contre  Genes  n'avait  fait  que  s'envenimer  ; 
Lucien  Grimaldi  se  signalait  par  Tactivite  de  ses 
courses  ;  aussi  en  1 345,  dans  l'arbitrage  fait  a  Genes 
pour  la  rentree  des  families  nobles,  Lucien  fut  nomi- 


—  61  — 

nativement  inscrit  parmi  les  exclus  avec  son  oncle 
Antoine  et  Charles  Grimaldi. 

Cette  exclusion  determina  les  Grimaldi  a  tenter 
contre  Genes  une  action  decisive  :  trente  galeres  et 
dix  mille  hommes  de  pied  furent  reunis  a  Monaco. 

Genes  avait  son  tresor  epuise ;  il  fallut  recourir  a 
l'argent  des  particuliers  pour  armer  des  vaisseaux. 
Cet  emprunt  fut  Torigine  de  la  celebre  banque  de 
Saint-Georges.  Lorsque  la  flotte  de  Charles  Grimaldi 
parut  devant  le  port,  elle  trouva  devant  elle  vingt- 
neuf  galeres  et  un  corps  imposant  d'arbaletriers.  Les 
Guelfes  se  retirerent. 

Charles  Grimaldi  conduit  son  armee  en 
France.  —  II  est  grievement  blesse  au  desastre 
de  Crecy  (1346).  —  Charles  Grimaldi  accepta  dans 
ces  conjunctures  les  propositions  de  Philippe  de 
Valois  pour  amener  en  France  sa  flotte  et  son  armee 
contre  les  Anglais  ;  il  lit  voile  pour  la  Normandie  : 
mais  peu  des  hommes  de  ce  puissant  armement 
devaient  survivre. 

A  la  journee  de  Crecy,  le  corps  des  arbaletriers 
genois  que  Charles  commandait  se  trouva  engage  sur 
le  front  de  l'armee  francaise  ;  la  fatigue  d'une  longue 
marche  ralentissait  Pattaque,  d'autant  plus  qu'une 
forte  pluie  avait  distendu  les  cordes  des  arcs.  Loin  de 
lui  accorder  quelques  instants  de  repos,  la  gendar- 
merie passa  sur  le  corps  a  cette  ribaudaille  bonne  a 


—    62    — 

tuer,  et  Pecrasa  pour  aller  s'aneantir  elle-meme  sous 
les  coups  des  Anglais,  dans  Tun  des  plus  grands 
desastres  militaires  qu'ait  subis  la  France. 

Charles  Grimaldi  fut  laisse  pour  mort  sur  le  champ 
de  bataille. 

Expedition  de  Majorque  (1349).  —  Remis  dc 
ses  blessures,  Charles  pretait,  en  1349,  son  concours 
a  don  Jaime,  seigneur  de  Montpellier,  roi  depossede 
de  Majorque,  pour  la  recouvrance  de  son  royaume 
contre  le  roi  Pierre  d'Aragon.  De  grands  armements 
se  firent  a  Monaco,  a  Genes  et  sur  tout  le  littoral. 
L'entreprise  echoua  :  don  Jaime,  debarque  dans  Tile 
de  Majorque,  fut  tue  dans  un  engagement.  II  avait 
distribue  a  Tavance  des  fiefs  dans  le  royaume  a  recou- 
vrer  a  ses  auxiliaires,  notamment  a  Charles  et  a 
Antoine  Grimaldi. 

Les  Grimaldi  et  le  pape  Clement  VI  (1349).  — 

Les  Grimaldi,  reunis  en  grand  nombre  pour  Texpe- 
dition  de  Majorque,  se  separerent  sans  participer  a 
la  croisade  du  roi  Alphonse  de  Castille  contre  les 
Maures  d'Espagne,  a  laquelle  le  pape  Clement  VI 
les  avait  convies  par  une  lettre  adressee  en  juin  1349 
a  Charles  et  a  Antoine,  consideres  comme  les  chefs  de 
leur  maison. 

Cette  demarche  du  Saint-Siege  dit  assez  la  puis- 
sance militaire  dont  ils  disposaient  alors. 


—  63  — 

Rentree  des  Grimaldi  a  Genes.  —  Defaite 
navale  d'Antoine  par  les  Catalans  (i  349-1 353). 
—  En  1 35 1,  un  rapprochement  qui  se  negociait 
depuis  pres  de  deux  ans  retablit  les  Grimaldi  dans 
leurs  droits  de  cite  a  Genes.  Une  guerre  violente 
sevissait  alors  avec  les  Catalans,  envahisseurs  de  l'ile 
de  Sardaigne.  Antoine  Grimaldi  fut  choisi  pour 
commander  contre  euxune  des  plus  belles  flottesque 
Genes  ait  armees ;  mais,  malgre  les  plus  habiles 
dispositions,  il  essuya  une  defaite  complete  et  les 
Genois,  s'etant  jetes  dans  les  bras  de  Jean  Visconti, 
archeveque  de  Milan,  une  nouvelle  rupture  se  fit 
entre  la  Commune  et  les  Grimaldi,  de  nouveau 
exiles,  qui  recommencerent  leurs  courses  contre  les 
navires  de  la  republique. 

Charles  Grimaldi,  gouverneur  de  Vintimille 
pour  la  reine  Jeanne  (1354).  —  Cette  reprise  des 
hostilites  co'incida  avec  l'entree  en  campagne  dans 
le  comte  de  Vintimille  des  forces  de  la  reine  Jeanne 
de  Naples.  En  1 353,  le  comte  de  Tend:,  qui  refusait 
de  rendre  Thommage  a  la  reine,  fut  oblige,  a  la  suite 
d'une  expedition  vigoureusement  menee,  de  se  sou- 
mettre  a  sa  suzerainete.  L'annee  suivante,  la  ville 
de  Vintimille,  que  les  Genois,  abusant  des  embarras 
de  Jeanne  lui  avaient,  en  1 35o,  arrachee  par  un  pacte 
frauduleux,  pendant  qu'elle  etait  assiegee  dans  Naples 
par  le  roi  de  Hongrie,  fut,  grace  a  des  intelligences 


-64- 

dans  Tinterieur  de  la  place,  occupee  par  les  Proven- 
caux.  Charles  Grimaldi  y  rentra  pour  la  seconde  fois 
comme  gouverneur  au  nom  de  la  reine. 

Nouvelles  campagnes  en  France  —  Traite 
avee  Pise  ( 1 35 5-i 3 56).  —  L'infatigable  Charles  ne 
tarda  pas  a  retourner  en  France  mettre  ses  galeres  et 
ses  arbaletriers  au  service  du  roi  Jean  II.  II  y 
montra  la  meme  activite  qu'il  avait  deployee  pour 
Philippe  de  Valois  et  il  fit  ainsi  campagne  pendant 
les  annees  1 3 5 5  et  1 3 56. 

II  etait  revenu  a  Monaco  a  la  fin  de  1 356,  et  signait 
en  decembre  un  traite  d'alliance  et  de  navigation  avec 
la  republique  de  Pise. 

Puissance  de  Charles  Grimaldi  —  Acquisition 
de  Menton,  Gastillon  et  Roquebrune  ( 1 346-1 3 55). 
—  Charles  se  trouvait  alors  tout  puissant  dans 
rextremite  de  la  riviere  du  Ponent.  Depuis  dix  ans, 
par  des  acquisitions  successives,  il  avait  etendu  lar- 
gement  sa  situation  seigneuriale.  Le  igavril  1346, 
pendant  la  campagne  de  Crecy,  la  seigneurie  de 
Menton  avait  ete  acquise  en  son  nom  de  la  famille 
Vento,  dont  les  ancetres  en  etaient  seigneurs  depuis  le 
milieu  du  xme  siecle  ;  deux  ans  plus  tard,  il  achetait  la 
seigneurie  de  Castillon  ;  il  acquerait  enfin,  en  1 3 5 5, 
la  seigneurie  de  Roquebrune,  de  Guillaume-Pierre 
Lascaris,  des  comtes  de  Vintimille.  Ces  seigneuries, 


—  65  — 

jointes  a  la  possession  de  Vintimille,  qu'il  tenait  au 

nom  de  la  reine  de  Naples,  lui  constituaient  done 
tin  vaste  domaine,  sur  des  territoires  attenant  les 
uns  aux  autres. 

Franchises  accordees  a  Monaco.  —  Au  milieu 
de  ces  acquisitions,  Monaco  restait  la  place  privilegiee 
de  Charles  Grimaldi.  A  lui  parait  remonter  l'organi- 
sation  definitive  de  son  administration  communale 
avec  son  conseil  et  ses  consuls.  II  Tavait  dotee  de 
franchises  dont  le  souvenir  resta  populaire,  en  sorte 
qu'un  siecle  plus  tard  leur  retablissement  «  telles 
qu'elles  existaient  du  temps  de  Charles  Grimaldi  » 
etait  encore  le  but  des  revendications  des  Monegas- 
ques. 

Prise  de  Monaco  par  les  Genois.  Mort  de 
Charles  Grimaldi  \i35y  .  —  Quelques  mois  suffi- 
rent  pour  aneantir  une  puissance  constitute  au  prix 
de  tant  d'efforts  et  de  luttes. 

En  i35j,  Genes  ayant  chasse  les  Visconti,  avait 
reelu  doge  Simon  Boccanegra,  quichoisit  habilement, 
pour  en  finir  avec  les  Grimaldi,  le  moment  oil  la 
revoke  dirigee  par  le  seigneur  des  Baux,  aide  des 
compagnies  d'Arnaud  de  Cervole,  dit  VArchipretre, 
ne  permettait  pas  aux  lieutenants  de  la  reine  Jeanne 
de  porter  secours  a  ses  allies. 

Vintimille  fut  d'abord  surprise  et  occupee ;  quel- 

5 


—  66  — 

ques  semaines  plus  tard,  vingt  galeres  et  quatre 
mille  hommes  de  pied  investirent  Monaco  par  terre 
et  par  mer.  Apres  une  energique  resistance,  les 
Grimaldi,  ayant  toutes  leurs  communications  cou- 
pees  et  n'attendant  aucun  secours,  capitulerent  le 
1 5  aout  i357,  moyennant  une  indemnite  de  vingt 
mille  florins  pour  les  fortifications  elevees  dans  la 
forteresse  depuis  vingt-six  ans. 

Roquebrune  fut  comprise  dans  la  capitulation. 

Charles  Grimaldi  n'assista  pas  a  la  destruction  de 
son  ceuvre ;  il  etait  mort  au  commencement  de  Fete 
de  i357,  peut-etre  pendant  le  siege,  apres  avoir 
rempli  une  carriere  glorieuse  qui  lui  a  valu  le 
surnom  de  Charles  le  Grand. 


CHAPITRE  VIII 

OCCUPATION    GENOISE    A    MONACO 

RAINIER    GRIMALDI,    SEIGNEUR    DE    MENTON. 

(I357-I4I9) 


Tentative  des  Grimaldi  sur  Monaco;  hosti- 
lites  ;  affaires  de  la  Turbie  (1 35j-  1 365).  — 
Inoccupation  genoise  de  Monaco  ne  se  fit  pas  sans 
provoquer  des  troubles  pendant  les  premieres  annees. 
En  i359,  les  Grimaldi  retires  a  Nice  tenterent  d'en- 
lever  la  place  ;  pour  se  venger  de  cette  attaque,  les 
troupes  genoises  de  Vintimille  s'emparerent  du 
chateau  de  Castillon  appartenant  a  Rainier  Grimaldi. 
Le  senechal  de  Provence  intervint  et  des  hostilites  de 
voisinage  se  continuerent  pendant  plusieurs  annees 
sur  cette  frontiere.  Apres  une  premiere  pacification 
juree  a  Menton,  dans  l'eglise  Saint-Michel,  le  5  sep- 
tembre  1 363,  en  presence  de  Rainier  Grimaldi,  mais 
qui  resta  sans  effet,  la  paix  ne  fut  definitivement 
conclue  qu'en  1 365 . 

Cette  meme  annee  1 365  vit  se  derouler  un  nouvel 


-  69  - 
episode  des  conflits  toujours  renaissants  entre  Monaco 
et  les  habitants  de  la  Turbie.  Cette  Ibis,  les  Munc- 
gasques  emettaient  la  pretention  de  ne  pas  contribuer 
aux  charges  communes  et  aux  taxes  avec  les  Tur- 
biasques  pour  les  terres  qu'ils  possedaient  sur  le 
territoire  de  ceux-ci.  Une  injonction  du  senechal  de 
Provence  etant  restee  sans  resultat,  l'affaire  fut 
instruite,  par  le  juge-mage  de  Nice,  qui  se  transporta 
dans  ce  but  a  la  Turbie.  Apres  avoir  oppose  des 
moyens  dilatoires,  les  delegues  de  Monaco  finirent 
par  faire  defaut,  et  la  sentence  qui  condamnait  leurs 
compatriotes  a  participer  aux  charges  de  la  Turbie, 
fut  rendue  en  leur  absence. 

Administration  genoise  (i357-i3o,5).  —  Apres 
cet  incident,  aucun  fait  ne  vient  plus  troubler  Toccu- 
pation  genoise  a  Monaco  jusqu'en  1395. 

La  forteresse  cesse  de  jouer  un  role  historique, 
entrainee  dans  Torbite  de  la  politique  de  Genes,  dont 
les  doges  se  plaisent  a  confirmer,  les  uns  apres  les 
autres,  les  franchises  et  les  privileges  commerciaux 
des  Monegasques. 

L'organisation  interieure  de  la  place  reprit  la  forme 
qu'elle  avait  avant  l'occupation  des  Grimaldi ;  la 
Republique  y  entretint  deux  castellans  ;  celui  du 
Chateau-Neuf  cumulait  habituellement  les  fonctions 
judiciaires  du  podesta  et  etait  assiste  d'un  scribe, 


—  7o  — 

Rainier  Grimaldi,  fils  de  Charles;  ses  pre- 
mieres armes  (i353-i355).  —  Le  fils  de  Charles, 
Rainier  Grimaldi,  n'avait  pu  prendre  part  a  la 
defense  de  Monaco.  II  etait  alors  prisonnier  de 
guerre  a  Genes,  et  ce  fut  sa  femme  Illaria,  fille  de 
Georges  del  Caretto,  marquis  de  Savone,  qui  fut  son 
mandataire  pour  la  remise  de  Roquebrune  aux 
Genois. 

Rainier  avait  deja  montre  dans  de  nombreuses 
campagnes  une  valeur  militaire  digne  de  son  nom. 
En  1 353,  il  faisait  partie  des  troupes  de  la  reine 
Jeanne  operant  contre  le  comte  de  Tende ;  il  fut  fait 
prisonnier  et  fut  rendu  contre  rancon. 

L'annee  suivante,  il  etait  au  service  de  France,  et 
en  1 3 55,  il  conduisait  en  Languedoc  un  nombreux 
corps  d'auxiliaires  lors  de  Tinvasion  du  Prince  noir. 

Rainier  senechal  du  Piemont.  —  Reduit  par  la 
perte  de  Monaco  et  de  Roquebrune  aux  seigneuries 
de  Menton  et  de  Castillon,  Rainier  consacra  les 
annees  suivantes  au  service  de  la  reine  Jeanne,  et 
pendant  vingt  mois  il  remplit  la  charge  de  senechal 
de  Piemont,  c'est-a-dire  de  cette  partie  du  haut 
Piemont  conquise  par  Charles  d'Anjou,  et  qu'il  eut 
a  disputer  au  marquis  de  Saluces. 

En  compensation  des  depenses  de  son  gouverne- 
ment,  la  reine  Jeanne  lui  donna  en  1364  les  seigneu- 
ries de  Bouyon,  Bonson  etTourettes  dans  la  viguerie 
de  Vence. 


—  7 1   — 
Ce  fut  probablement  pendant  ce  commandement, 
c'est-a-dire    vers    1 3 58    ou    1 359,    qu'il   epousa   en 
secondes  noces  Isabelle  Asinari,  appartenant  a  Tune 
des  plus  nobles  families  d'Asti. 

Rainier  prend  parti  en  Provence  pour  Louis 
d'Anjou  ( i  368).  —  Rainier  Grimaldi  avait  d'abord 
coopere  en  1 368  a  la  defense  d'Arles  pour  la  reine 
Jeanne,  lorsque  Louis,  comte  d'Anjou,  frere  de 
Charles  V  et  gouverneur  du  Languedoc,  avait  atta- 
que  la  Provence  et  s'etait  empare  de  Tarascon  ;  mais, 


Sceau  de  Rainier  Grimaldi,  seigneur  de  Menton 

dans  ce  conrlit,  ses  affections  se  trouvaient  necessai- 
rement  partagees  entre  la  maison  de  France  et  celle 
de  Naples  qu'il  avait  egalement  servies.  Ges  sym- 
pathies et  une  ancienne  confraternite  d'armes  l'ame- 
nerent  bientot  a  prendre  parti  pour  Louis  d\Anjou, 
qui  le  fit  amiral  du  Languedoc,  lui  donna  la 
baronnie  de  Lunel  ainsi  que  plusieurs  autres  do- 
maines  voisins,  et  lui  assura  d'autres  avantages 
considerables  en  lui  laissant  pleins  pouvoirs  pour  La 
conquete  de  la  Provence. 


Cette  entreprisc  n'eut  aucun  succes.  Par  suite 
Rainier  Grimaldi  eut  ses  biens  confisques  en  Pro- 
vence; mais  le  traite  de  paix  conclu  en  1 3  7 1  entre 
Jeanne  et  Louis  d'Anjou  les  lui  restitua. 

Rainier  figure  a  la  tin  de  la  meme  annee  i368, 
dans  les  affaires  du  Piemont ;  fait  prisonnier  par 
Amedee  VI,comte  de  Savoie,  il  est  relache  sur  Pinter- 
vention  du  comte  d'Anjou. 

Campagnes  sur  rner  de  Rainier  Grimaldi 
contre  les  Anglais  ( 1  36q- 1 374),  —  A  partir  de  la 
rupture  du  traite  de  Bretigny,  en  1  36p,  Rainier,  qui 
devient  chambellan  de  Charles  V,  ne  cesse  de  guer- 
royer  en  Languedoc,  puis  dans  le  nord  de  la  France. 
Les  galeres  qu'il  commande  ont  alors  pour  ports 
d'attache  Rouen  et  Harfleur,  et  il  fait  contre  les 
Anglais  d'actives  campagnes. 

Un  jour  de  Tele  de  1372,  pendant  lequel  il  avait 
fait  de  fortes  prises,  sa  galere  echoue  sur  les  cotes  de 
Tile  de  \Yight ;  on  le  somme  de  rendre  son  navire  a 
Edouard,  roi  de  France  et  d'Angleterre.  «  Je  ne 
connais,  dit-il,  d'autre  roi  de  France  que  le  roi 
Charles,  et  a  lui  seul  rendrai  mon  navire  ».  II  se 
defend  heroiquement  et  oppose  une  resistance  assez 
longue  pour  attendre  la  maree  qui  le  renfloue. 

Cessions  de  Cagnes,  de  Castillon  et  de  la 
moitie  indivise  de  Menton  ( 1  3 7 1  - 1 378).  —  Conti- 
nuellement  absent  de  Menton.  on  ne  IV  voit  rentre 


—  7^   — 
qu'en    1378.    Les   difficultes  d'argent,    consequence 
d'une  existence  militaire,  oil  il  donnait  plus  de  coups 
d'epee  qu'il  ne  recevaitde  solde,  I'avaient  deja  oblige* 

de  ceder.  en  1 5 7 1 ,  la  seigneurie  de  Cagnes  a  ses 
cousins  Marc  et  Luc  Grimaldi,  his  d'Antoine ;  en 
1375  c'etait  le  tour  de  Castillon.  qu'il  vendait  a 
Perino  Grimaldi ;  enrin,  il  alienait,  en  1  378,  la  moitie 
de  la  seigneurie  de  Menton  a  Georges  del  Caretto, 
auquel  quatre  annees  plus  tard  se  substituerent  Marc 
et  Luc  Grimaldi. 

Rainier  fait  arreter  a  Menton  les  cardinaux 
du  parti  de  Clement  VII  1378!.  —  Lorsqu'eclata 
le  grand  schisme  d'Occident,  Rainier  resta  d'abord 
dans  l'obedience  d'Urbain  VI,  elu  a  Rome;  il  lit 
meme  arreter  a  Menton,  en  1378,  les  cardinaux  du 
parti  dissident  se  rendant  a  Avignon  aupres  de  Cle- 
ment VII,  emportant  avec  eux  d'insignes  reliques, 
parmi  lesquelles  la  verge  de  Moise;  mais  il  ne  tarda 
pas  a  se  rallier  au  pape  d'Avignon,  comme  ses  cou- 
sins Marc  et  Luc,  qui  en  obtinrent  la  seigneurie 
d'Antibes  en  1 385 . 

Rainier  fait  capitaine  general  de  la  mer  au 
royaume  de  Naples  par  Louis  d'Anjou  (i38q). — 
Louis  d'Anjou,  l'agresseur  de  la  Provence  en  1 368, 
avait  ete  adopte  par  la  reine  Jeanne  de  Naples  quand 
elle  eut  rompu  avec  son  premier  fils  adoptif  Charles 
de  Duras.  Deposee  par  sentence  d'Urbain  VI  en  i38o. 


—  74  — 
Jeanne  perissait  bientot,  mise  a  mort  par  ordre  de 
Charles.  Louis  Ier  d'Anjou,  pendant  l'expedition 
qu'il  vint  conduire  pour  disputer  le  royaume  de 
Naples  a  son  competiteur,  fit  Rainier  Grimaldi, 
capitaine  general  de  ses  armees  navales ;  il  lui  con- 
ceda  en  fief,  en  1 384,  les  iles  des  cotes  de  Grece 
dependant  du  royaume  :  Cephalonie,  Zante,  Leucate; 
mais  la  mort  prematureede  Louis  d'Anjou  ne  permit 
pas  a  Rainier  Grimaldi  de  prendre  possession  de  cette 
part  de  conquete. 

Ses  biens  confisques  par  le  parti  de  Duras 

( 1 385).  —  Les  populations  du  comte  de  Nice  et  des 
territoires  voisins  de  la  rive  droite  du  Var  s'etaient 
prononces  contre  Louis  d'Anjou  et  avaient  embrasse 
avec  energie  le  parti  de  Charles  de  Duras.  Les 
seigneuriesde  Bouyon,  Bonson,  Tourettes,  ainsi  que 
tous  les  biens  situes  dans  le  comte  furentde  nouveau 
confisques  sur  Rainier  qui  ne  conserva  plus  aucun 
autre  domaine  que  Menton.  Ces  biens  firent  1'objet 
de  nombreuses  lettres  portant  restitutions  successi- 
vement  edictees  par  la  reine  Marie,  tutrice  du  roi 
Louis  II  d'Anjou  en  1 385  et  par  Louis  en  personne, 
en  1398;  mais  ces  lettres  n'eurent  aucun  effet;  les 
districts  oil  avaient  ete  operees  les  confiscations  ne 
furent  jamais  recouvres  par  la  maison  d'Anjou. 

Dans    l'intervalle,     cette    partie    de    la    Provence 
demeuree  fidele  a  la  maison  de  Duras  avait  prefere  se 


-  75  - 
dormer  au  comte  de  Savoie,  plutot  que  d'accepter  les 
princes  de  la  seconde  maison  d'Anjou,  et  Jean  Gri- 
maldi  de  Beuil  avait  joue  comme  senechal  un  grand 
role  dans  cette  revolution,  accomplie  de  1 388  a  1390. 

Monaco  occupe  par  les  Grimaldi  de  Beuil 
(i3q5-i40i).  — L'esprit  remuant  de  Jean  de  Beuil 
en  lit  bientot  un  mecontent.  II  voulut  se  rendre  in- 
dependant  du  maltre  qu'il  venait  de  donner  a  son 
pavs  en  s'emparant  des  places  voisines  de  ses  domai- 
nes  hereditaires. 

L'etat  de  faiblesse  ou  les  dissensions  intestines 
continuelles  mettaient  les  Genois,  lui  lit  jeter  les 
veux  sur  les  places  de  la  Riviere.  Grace  a  des  intel- 
ligences menagees  dans  Monaco,  il  s'en  empara  avec 
son  frere  Louis  au  commencement  de  1295.  Les  deux 
freres  se  porterent  ensuite  sur  Vintimille  dont  ils  pri- 
rent  la  citadelle  par  escalade  le  19  decembre  suivant. 
Assieges  par  les  Genois,  ils  furent  separes,  pendant 
une  sortie,  de  leurs  troupes.  Faits  prisonniers  et 
menes  a  Genes,  ils  y  furent  retenus  pendant  deux 
ans. 

Pendant  leur  captivite,  une  revolution  nouvelle 
eclatait;  la  republique,  epuisee  par  ses  discordes, 
se  mettait  sous  la  protection  de  la  France ,  et 
demandait  un  gouverneur  a  Charles  VI.  Le  comte 
de  Saint-Pol,  envove  par  le  roi,  remit  en  mai  1397 
les  deux   freres    Grimaldi    de  Beuil  en  liberte,    en 


-  76- 
leur  faisant  promettre  de  restituer,  aussitot  libres, 
Monaco,  reste  aux  mains  de  leurs  partisans,  condi- 
tion qu'ils  ne  remplirent  pas. 

Rainier  recouvre  Roquebrune;  sa  mort  (i3g5- 

1407).  —  II  n'estpas  probable  que  Rainier  Grimaldi 
retire  a  Menton,  ait  directement  coopere  a  Tentre- 
prise  de  ses  cousins ;  cependant,  comme  a  partir 
de  1395  on  le  voit  prendre  dans  les  actes  le  titre  de 
seigneur  de  Menton  et  de  Roquebrune,  il  est  possible 
qu'il  ait  profite  de  raffaiblissement  cause  aux  Genois 
par  les  luttes  intestines  et  la  perte  de  Monaco  pour 
s'emparer  de  cette  seigneurie  si  voisine  de  Menton. 
Rainier  Grimaldi  mourut  en  1407,  laissant  d'lsa- 
belle  Asinari  quatre  fils  :  Ambroise,  Gaspar,  qui 
mourut  peu  d'annees  apres,  Antoine,  Jean,  et  une 
rille,  Griffetta,  mariee  a  Louis  Lascaris,  seigneur  de 
la  Briga. 

Monaco   enleve  aux  Grimaldi  de  Beuil  par 
Boucicaut  —  Sejour  de  Tantipape  Benoit  XIII 

(1401-1409).  —  L'occupation  de  Monaco  par  les 
Grimaldi  de  Beuil  prit  fin  en  140 1  ;  la  place  fut 
enlevee  par  surprise  par  le  marechal  de  Boucicaut, 
gouverneur  de  Genes;  Louis  Grimaldi,  qui  s'y  trou- 
vait,  put  se  retirer  sans  etre  inquiete ;  pardon  et 
oubli  fut  accorde  a  tous  les  habitants,  et  le  gouver- 
neur se  plut  a  accorder  a  la  ville  la  confirmation  de 
ses  anciens  privileges,  a  l'imitation  des  doges. 


/  / 
Pendant  cette  periode  un  seul  incident  est  a 
noter.  Lors  du  voyage  que  I'antipape  d'Avignon 
Benoit  XIII,  executa  en  1405  a  Genes,  il  s'arreta  a 
Monaco  ou  il  fut  recu  avec  de  grands  honneurs. 
Mais,  a  son  retour  en  1406,  la  peste  y  ayant  emportc 
un  de  ses  cardinaux,  il  se  hatade  quitter  la  forteresse. 

Monaco  independant,  ville  alliee  de  Louis  II 
d'Anjou  —  Restauration  des  Grimaldi  (1409- 
141 9).  —  La  revoke  de  Genes  contre  le  marechal  de 
Boucicaut,  en  1409,  fut  suivie  du  soulevement  des 
Guelfes  dans  la  Riviere,  et  certaines  villes,  comme 
Vintimille,  opposerent  une  resistance  acharnee  au 
nouveau  gouvernement  genois.  Monaco  avait  reclame 
le  secours  du  roi  Louis  II  d'Anjou,  qui  y  envoya 
une  compagnie  de  routiers  a  sa  solde,  mais  laissa  a  la 
ville  son  autonomic ;  e'est,  en  effet,  comme  alliee  et 
non  comme  sujette  de  la  maison  d'Anjou  que  Monaco 
figure  dans  les  traites  de  paix  entre  Genes  et  la 
Provence,  qui  se  succederent  de  141 2  a  141 8.  Cette 
situation  dura  dix  ans ;  mais,  apres  le  retour  des 
Guelfes  au  pouvoir  a  Genes  avec  Thomas  Fregose, 
une  entente  avec  la  reine  Yolande  permit  aux  fils  de 
Rainier  de  rentrer,  apres  soixante  deux  ans  de  depos- 
session,  dans  la  forteresse  toute  pleine  encore  des 
souvenirs  de  Charles   Grimaldi  (juin  1419). 


CHAPITRE  IX 

COSEIGNEURIE    DES    TROIS    FILS    DE    RAINIER    GR1MALD1 

JEAN"    Ier    ET    SON    FILS    CATALAN    GRIMALDI 

(I4I9-I457) 


Coseigneurie  des  flls   de  Rainier    Grimaldi 

(141 9-1427!.  —  Les  trois  tils  de  Rainier  Grimaldi 
survivant  en  141 9,  Ambroise,  Antoine  et  Jeanavaient 
eu  jusqu'alors  une  existence  effacee.  Deux  ans  avant 
leur  restauration  dans  Monaco,  ils  avaient  perdu  leur 
mere.  Isabelle  Asinari  avait  ete  constitute  par  Rai- 
nier legataire  universelle  au  detriment  de  ses  tils. 
Son  heritage  comprenait  done  tout  ce  qui  restaitdes 
biens  de  Rainier  en  meme  temps  que  des  siens.  Elle 
les  legua  par  indivis  a  ses  trois  fils,  les  substituant  les 
uns  aux  autres,  a  Texclusion  des  femmes. 

Les  trois  freres,  une  fois  maitres  de  Monaco,  y 
pratiquerent  la  meme  indivision ;  ils  y  commandaient 
chacun  une  annee  a  tour  de  role. 

Traites  avec   Florence   et  la  reine  Yolande 

( 1 42 1  - 1 42 2) .  —  Leur  premier  soin  f ut  de  faire  revivre 
avec  les  etats  voisins  les  conventions  autrefois  con- 


—  79  - 
clues  par  Charles  Grimaldi  pour  assurer  l'indepen- 
dance  de  leur  place.  En  1421,  un  traite  de  subsides  et 
de  navigation  etait  signe  avec  Florence;  en  1422  un 
acte  semblable,  negocie  avec  la  reine  Yolande,  reta- 
blissait  vis-a-vis  de  la  Provence  Tancienne  situation 
existant  du  temps  de  la  reine  Jeanne  Ire  de  Naples. 
Des  trois  freres,  Jean  etait  le  plus  actif  et  le  plus 
entreprenant.  Ilaccompagna  en  1420  le  roi  Louis  III 
d'Anjou  dans  son  expedition  a  Naples;  d'autre  part, 
il  fut  Tun  des  plus  ardents  partisans  du  doge  Thomas 
Fregose  dans  sa  lutte  contre  le  due  de  Milan,  Philippe- 
Marie  Visconti ;  lors  du  desastre  de  Jean-Baptiste 
Fregose,  battu  sur  mer  par  les  flottes  de  Visconti  et 
des  Catalans,  il  revint,  a  peu  pres  seul,  sain  et  sauf 
avec  ses  galeres. 

Ligue  des  Guelfes  contre  le  due  de  Milan ; 
participation  de  Monaco  aux  traites  (1424- 142 8). 
—  Thomas  Fregose,  retire  dans  sa  seigneurie  de 
Sarzane,  devint  Tame  de  la  coalition  des  Guelfes 
contre  Visconti  maitre  de  Genes.  Jean,  qui  epousa 
a  cette  epoque  une  proche  parente  de  Thomas, 
Pomelline  Fregose,  prit  activement  part  a  cette  coa- 
lition. II  ht  en  1424  un  traite  particulier  d'alliance 
avec  Florence  par  lequel  il  obtint  la  reconnaissance 
expresse  du  droit  de  mer  de  Monaco  par  la  republi- 
que.  En  1426,  Monaco  participait  nominativement  a 
Taccession  du  due  de  Savoie  a  la  lisme. 


—  8o  — 

Le  due  de  Milan  eut  cependant  raison  de  ces  efforts 
combines;  il  resta  maitre  de  Genes,  et  en  1428  ses 
troupes  s'avancerent  dans  la  riviere  de  Ponent  pour 
y  reduire  les  dernieres  resistances. 

Jean  Grimaldi,  seul  seigneur  de  Monaco,  est 
force  de  ceder  sa  place  au  due  de  Milan  (1428). 

—  Jean  etait  depuis  une  annee  devenu  seul  maitre  de 
Monaco,  ayant  par  partage  abandonne  a  Ambroise, 
son  frere  et  a  son  neveu,  tils  d'Antoine,  decede, 
Menton  et  Roquebrune,  lorsque  les  generaux  de 
Visconti,  apres  avoir  occupe  Vintimille,  se  porterent 
sur  Menton,  dont  les  coseigneurs  se  reconnurent  ses 
vassaux  lis  se  presenterent  ensuite  devant  Monaco  et 
Jean,  reste  isole,  dut  se  resoudre  a  accepter  les  con- 
ditions qui  lui  furent  imposees ;  il  ceda  la  forteresse 
achetee  par  le  due  de  Milan,  comme  seigneur  de 
Genes,  moyennant  un  prix  de  vente  soldc  par  un 
impot  leve  sur  les  villes  de  la  Riviere. 

Occupation  milanaise  —  Gonfiits  avec  la 
Turbie  —  Le  due  de  Savoie  demande  la  destruc- 
tion de  Monaco  (1428- 1435).  —  Uad ministration 
milano-genoise  s'installa  dans  Monaco,  encore  une 
fois  perdu  pour  les  Grimaldi ;  elle  prit  soin  d'accorder 
aux  Monegasques  la  confirmation  de  toutes  leurs 
franchises,  «  telles  qu'elles  existaient  du  vivant  de 
Charles  Grimaldi  ».  Mais  les  conflits  avec  les  habi- 


—  8i  — 

tants  de  la  Turbie  troublerent  cette  administration; 
les  violences  des  soldats  de  la  garnison  ctaicni  en 
outre  un  sujet  de  plaintes  continuelles  de  la  part  des 
autorites  de  Nice;  elles  en  arriverent  au  point 
qu'en  1434  le  due  de  Savoie,  profitant  d'une  entente 
avec  Philippe-Marie  Visconti,  lui  proposait  formel- 
lement  de  raser  Monaco,  ce  que  celui-ci  refusa 
peremptoirement. 

Jean  Grimaldi,  au  service  de  Philippe-Marie 
Visconti,  bat  les  Venitiens  snr  le  P6  (143 1).  — 
Pendant  ce  temps,  Jean  Grimaldi  retire  a  la  cour 
de  Milan  y  jouissait  d'une  influence  considerable,  et 
son  renom  d'audacieux  marin  lui  assurait  un  com- 
mandement  qui  attacha  son  nom  a  un  des  plus 
brillants  faits  d'armes  du  regne  de  Philippe-Marie 
Visconti. 

La  guerre  avec  Florence  et  Venise  avait  eclate 
en  143 1  ;  tandis  que  Piccinino  et  Francois  Sforza 
contenaient  sur  terre  l'armee  des  Venitiens,  comman- 
dee  par  le  celebre  Carmagnola,  Jean  Grimaldi  fut 
oppose  sur  le  P6  a  la  flotte  venitienne  qui  etait  par- 
venue,  en  remontant  le  fleuve,  dans  les  environs  de 
Cremone.  L'ayant, par une  habile  manoeuvre,  separee 
de  la  rive  gauche,  ou  elle  eut  pu  s'appuyer  sur  Car- 
magnola, il  lit  monter  a  bord  de  sa  flotille  improvised 
une  partie  de  la  lourde  infanterie  milanaise.  L'attaque 
commenca  au  point   de  jour,  le    23  mai    148 1  ;  les 

6 


vaisseaux  venitiens,  disposes  pour  la  guerre  maritime 
et  evoluant  difficilement  dans  le  fleuve,  furent  pris 
d'assaut  par  les  cuirassiers  de  Piccinino  et  par  les 
marins  genois.  Deux  mille  cinq  cents  hommes  tues, 
huit  mille  prisonniers,  vingt-huit  galeres  prises  sur 
trente-sept,  quarante-deux  vaisseaux  de  transport  et 
un  butin  immense,  tel  fut  le  resultat  de  cette  journee. 
Jean  Grimaldi  se  mit  pendant  les  annees  suivantes 
au  service  de  l'empereur  Sigismond,  descendu  en 
Italie,  et  organisa  a  Nice  des  armements  contre  les 
pirates  sarrasins. 

Rentree  de  Jean  Grimaldi  a  Monaco  (iqSo).  — 

Le  soulevement  de  iq35  lit  perdre  a  Philippe-Marie 
Visconti  la  seigneurie  de  Genes;  Monaco  etant  reste 
entre  ses  mains,  il  le  rendit  a  Jean  Grimaldi  en  1436 
sous  reserve  de  Thommage.  Jean  rentra  done  dans  la 
forteresse  comme  vassal  du  due  de  Milan ;  puis  mele 
a  des  negociations  en  Provence,  il  laissa  la  garde  de 
la  place  a  sa  femme  Pomelline  Fregose. 

Traite  de  Pomelline  Fregose  avec  Genes. 
Captivite  de  Jean  Grimaldi  (1437- 1440).  —  Pen- 
dant son  absence,  les  menaces  des  officiers  du  due 
de  Savoie,  qui  armaient  a  Nice  pour  une  agression 
sur  Monaco,  determinerent  Pomelline  a  signer  une 
alliance  defensive  avec  Genes.  Quoique  ce  traite  ne 
visat  pas  directement  Visconti,  Jean  revenu  a  Milan 


y  tut,  au  mepris  d'un  sauf  conduit,  ancle  avec  son 
jeune  fils  Catalan. 

Cependant,  par  suite  de  la  perte  de  Genes,  Philippe- 
Marie  etait  devenu  plus  indifferent  a  la  possession  de 
Monaco;  il  consentit  a  la  fin  de  1438  a  ceder  son 
prisonnier  au  prince  du  Piemont,  gouvernant  au  nom 
du  due  Amedee  VIII,  pour  permettre  a  ce  prince 
d'obtenir  du  captif  la  cession  de  la  place  a  la  Savoie. 

Jean  amene  inutilement  a  la  Turbie  pour 
forcer  Pomelline  a  remettre  Monaco  a  la 
Savoie  (1439).  — -Non  seulement  Jean  resta  inebran- 
lable,  mais  il  fit  enjoindre  a  Pomelline  de  se  refuser 
a  toute  capitulation,  dut-il  etre  mis  a  mort  aux  pieds 
des  remparts. 

La  courageuse  Pomelline  etait  digne  de  recevoir 
de  tels  avis  ;  lorsque  lesofficiers  de  Savoie  amenerent 
sous  escorte  Jean  a  la  Turbie  pour  peser  sur  les 
decisions  de  la  dame  de  Monaco,  les  parlementaires 
trouverent  chez  elle  de  telles  dispositions  et  dans  la 
place  un  armement  si  redoutable  qu'il  fallut  repasser 
les  monts,  sans  retirer  de  cette  violence  aucun 
resultat. 

Liberation  de  Jean  Grimaldi  (1440).  — Jean 
vit  finir  sa  captivite  en  1440  et  la  vassalite  du  due  de 
Milan  ne  dura  pas  longtemps  sur  sa  seigneurie ;  elle 
disparut  par  le  traite  dont  Francois  Sforza  fut  l'arbitre 


—  84  — 

en    1 44 1,  en   vertu   duquel  chaque  parti  fut  retabli 
dans  Tetat  ou  il  etait  en  1435. 

Jean  Grimaldi  recouvra  done  sa  pleine  indepen- 
dance.  La  mort  de  son  frere  Ambroise  qui  se  noya 
vers  1433  a  Menton,  et  celle  de  son  neveu,  tils 
dAntoine,  lui  avaient  deja  rendu  la  possession 
integrale  de  Theritage  de  sa  famille. 

Politique  de  Jean  Grimaldi ;  expedition  a 
Naples  au  service  du  roi  Rene  (1441-1442).  — 
Malgre  la  detention  qu'il  avait  subie,  Jean  resta 
jusqu'a  la  mort  de  Philippe-Marie  Visconti  fidele- 
ment  attache  a  sa  politique,  quelle  qu'en  fut  la  versa- 
tilite. 

Neanmoins,  il  put  de  suite  donner  a  la  maison 
dAnjou  des  preuves  actives  de  son  devouement. 
Pendant  les  trois  annees  de  sa  captivite,  le  sort  des 
armes  avait  d'abord  favorise  Rene  d'Anjou  dans  la 
conquete  du  royaume  de  Naples  contre  Alphonse 
d'Aragon  ;  puis  la  fortune  du  prince  angevin  avait 
decline.  Jean  Grimaldi  prit  part  en  1441  et  1442  avec 
la  fiotte  genoise,  a  laquelle  il  s'etait  joint,  aux  derniers 
combats  et  a  Fevacuation  de  Naples.  II  convoya  le 
roi  a  son  retour  avec  ses  galeres. 

Situation  vis-a-vis  de  Genes ;  traite  avec 
Eugene  IV  (1442- 1444).  —  La  situation  se  compli- 
qua  de  1442  a  1444  par  la  chute  a  Genes  de  Thomas 


—  85  — 

Fregose,  remplace  par  Raphael  Adorno.  Jean  fut 
tour  a  tour  l'allie  ou  l'ennemi  du  nouveau  doge, 
suivant  les  variations  de  Visconti  dont  les  fluctua- 
tions politiques  dicterent  sa  conduite. 

(Test  ainsi  qu'il  fut  en  1444  entraine  a  conclure 
avec  le  pape  Eugene  IV  un  traite  qui  le  fit  entrer  dans 
la  ligue  contre  Francois  Sforza,  ou  il  se  trouva  range- 
sous  la  meme  banniere  quAlphonse  d  Aragon ;  il  fit 
a  cette  occasion  une  campagne  maritime  desastreuse 
pour  sa  marine. 

Conflits  avec  Nice,  traites  de  protection  et 
d'alliance  avec  Genes  1 442-1 447  .  —  La  pro- 
tection attentive  de  Visconti  avait  ete  une  necessite 
pour  dejouer  les  embuches  du  cote  de  Nice  qui, 
depuis  1440,  ne  cessaient  de  tenir  Jean  Grimaldi  en 
alerte.  Le  conseil  de  Savoie  n'avait  pas,  en  effet, 
abandonne  le  dessein  de  s'emparer  de  Monaco.  Le 
gouverneur  de  Nice,  Nicodo  de  Menthon,  tenta  a 
plusieurs  reprises  de  mettre  ce  projet  a  execution.  II  y 
avait  la  une  cause  continuelle  d'inquietude  et  une 
menace  sans  cesse  renouvelee  d'agression  ;  aussi,  a 
mesure  que  la  politique  de  Visconti  se  desinteressa 
des  affaires  genoises,  cette  situation  devint  plus  dan- 
gereuse,  quoique  la  prise  de  Genes  par  les  Fregose  et 
le  renversement  d'Adorno,  qui  precederent  de  quel- 
ques  mois  la  mort  du  due  de  Milan  (1447)  aient 
fourni    un    element    relatif    de    securite.    Jean    fit 


—  86  — 

aussitot  avec  Janus  Fregose  un  traite  renouvele  trois 
annees  de  suite,  qui  liait  Monaco  a  Genes  dont  il 
stipula  la  protection  et  des  subsides  pour  sa  place. 

Jean  se  rend  vassal  de  la  Savoie  pour 
Menton  et  Roquebrune  (1448). —  Neanmoins,  la 
disparition  de  Visconti  le  laissait  tellement  a  decou- 
vert  du  cote  de  la  Savoie  que  Jean,  arrive  a  un  grand 
age,  jugea  qu'il  n'avait  d'autre  moyen  de  conjurer 
le  peril  que  de  se  jeter  dans  les  bras  du  due  de 
Savoie  et  de  rendre  ainsi  son  adversaire  interesse  a 
sa  conservation  ;  il  reussit  a  detourner  Tambition  du 
due  en  lui  offrant,  non  la  domination  sur  Monaco, 
mais  la  suzerainete  sur  Roquebrune  et  sur  Menton. 

La  negociation  aboutit  a  la  fin  de  1448.  Par  deux 
actes  successifs,  Jean  ceda  au  due  la  moitie  indivise 
a  lui  appartenant  de  la  seigneurie  de  Menton  et 
Jatotalite  de  Roquebrune;  immediatement,  par  un 
second  acte,  le  due  lui  rendit  les  deux  seigneuries, 
sous  la  reserve  que  dorenavant  Jean  les  tiendrait 
comme  son  vassal  et  lui  en  preterait  l'hommage  ;  en 
sorte  que  la  seigneurie  de  Menton  se  trouva  dans 
cette  situation  singuliere  d'etre  indivisement  vassale 
de  la  Savoie  pour  la  moitie,  tandis  que  l'autre 
moitie  ,restait  independante  entre  les  mains  des 
heritiers  de  Luc  et  Marc  Grimaldi. 

Cette  donation  fut  faite  sous  la  condition  qu'il 
serait  fourni  par  le  suzerain  une  rente  perpetuelle 


—  o~  — 
sur  la  gabelle  de  Nice  ;  le  defaut  presque  continuel 
d'execution  de  cette  clause  a,  par  la  suite,  servi  de 
base  au  refus  qu'au  bout  de  trois  generations  les  sei- 
gneurs de  Monaco  et  de  Menton  opposerent  syste- 
matiquement  a  la  reconnaissance  des  droits  de 
suzerainete  concedes  par  Jean  Grimaldi  sur  les 
deux  seigneuries. 

Relations  avec  le  roi  Rene  —  Cession  de 
Monaco  au  Dauphin    1449-143  1 ).  —  La  mort  de 

Visconti  avait  rendu  a  Jean  Grimaldi  la  liberte  de 
chercher  ses  alliances  du  cote  ou  l'attiraient  le  plus 
naturellement  ses  sympathies  et  ses  traditions.  Ce 
fut  done  vers  le  roi  Rene  et  la  Provence  qu'il  se 
porta  et  a  qui  il  preta  le  concours  de  son  activite  et 
de  ses  bons  offices. 

A  ce  moment  le  Dauphin,  fils  de  Charles  VII, 
celui  qui  devait  etre  Louis  XI,  retire  en  Dauphine, 
tournait  son  ambition  du  cote  de  Tltalie.  Jean  entra 
en  relations  avec  ce  prince.  De  plus  en  plus  preoc- 
cupe  de  la  situation  precaire  de  Monaco,  il  en  etait 
venu  a  en  considerer  Talienation  comme  le  moven 
d'en  finir  avec  les  dangers  auxquels  il  etait  expose 
dans  une  place  dont  la  seule  ressource,  le  droit  de 
mer,  etait  continuellement  contestee.  II  s'entendit 
done  avec  le  Dauphin,  et,  apres  plusieurs  annees  de 
negociations,  il  lui  vendit  Monaco,  en  145 1,  moyen- 
nant  quinze  mille  ecus  d'or.  II  resterait  maitre  de  la 
place  jusqu'au  paiement  integral. 


Ce  traite  ne  devait  pas  aboutir ;  pendant  trois 
amices,  en  vertu  des  clauses  de  la  convention  inter- 
venue,  le  pavilion  delphinal  rlotta  en  vain  sur  les 
tours  de  Monaco,  a  cote  de  la  banniere  des  Gri- 
maldi,  en  attendant  la  realisation  du  marche.  Le 
Dauphin  ayant  dans  Tintervalle  abandonne  ses  pro- 
jets  d'intervention  en  Italic,  le  premier  acte  de 
Catalan  Grimaldi,  apres  la  mort  de  son  pere,  fut  de 
denoncer  le  traite. 

Dernieres  campagnes  de  Jean  Grimaldi 
avec  le  roi  Rene  (1449-1453).  — L/issue  de  cette 
affaire  n'avait  pas  du  longtemps  faire  doute  pour 
Jean  Grimaldi  et  les  siens.  L'alienation  avait  du 
reste  ete  vivement  combattue  par  le  doge  de  Genes, 
Pierre  Fregose,  qui  avait  epouse,  en  1445,  Bartho- 
lomew, la  fille  de  Jean  Grimaldi,  et  dont  l'influence 
devint  preponderante  a  Monaco  dans  les  dernieres 
annees  de  la  vie  de  Jean,  sans  cependant  entraver  les 
relations  toujours  plus  ctroites  de  celui-ci  avec  le 
roi  Rene  et  la  Provence. 

En  1453,  Jean  Grimaldi  suivait  encore  Rene  a 
Genes,  lorsque  celui-ci  prit  pour  le  compte  du  roi  de 
France  le  commandement  de  Tarmce  francaise  des- 
tinee  a  cooperer  en  Lombardie  avec  celle  de  Francois 
Sforza  contre  Venise  ;  Jean  resta  presque  touteTannee 
absent  pour  le  service  du  roi. 


-  89  - 

Mort  de  Jean  Grimaldi  —  Substitutions 
pour  la  succession  de  Monaco  edictees  dans 
son  testament  (1454).  —  La  same  de  Jean  declinait 
rapidement;  rentre  a  Monaco,  il  rit  son  testament 
par  lequel  il  substituait  a  son  fils  les  enfants  males 
de  celui-ci,  par  ordrede  primogeniture,  a  Texclusion 
des  femmes;  a  leur  defaut  seulement  les  femmes 
etaient  appelees,  mais  a  la  condition  expresse  que 
leurs  descendants  prendraient  le  nom  et  les  armes 
des  Grimaldi. 

Ce  testament  constitue  la  charte  fondamentale  qui 
depuis  quatre  siecles  a  servi  de  base  au  reglement  de 
la  succession  dans  la  maison  de  Monaco. 

Jean  mourut  le  8  mai  iqSq  et  fut  inhume  dans 
Teglise  de  Saint-Michel  a  Menton. 

Catalan  Grimaldi  —  Influence  de  Pierre 
Fregose  (1454- 1436).  —  Catalan  ne  devait  jouir 
que  trois  annees  de  la  succession  de  son  pere,  et  ces 
trois  annees  furent  entierement  absorbees  par  sa 
participation  a  la  guerre  acharnee  que  son  beau-frere 
Pierre  Fregose  soutenait  contre  Alphonse  d'Aragon  ; 
il  subit  alors  exclusivement  Tinfluence  de  celui-ci, 
entraine  dans  cette  voie  par  les  inspirations  de  sa 
mere,  Pomelline  Fregose. 

Traite  de  Pierre  Fregose  avec  Charles  VII; 
reconnaissance  du   droit    de   mer  de   Monaco 

(iq56  .  —  Pierre  avait  ete  exclu  de  la  paix  generale 


—  go  — 
en  Italie,  conclue  a  Lodi ;  il  etait  sans  allies,  il  se 
rejeta  du  cote  de  Charles  VII,  et  par  un  traite 
anterieur  de  deux  ans  a  celui  qui  devait  amener 
la  domination  francaise  a  Genes,  il  s'etait  deja  lie 
en  1456,  par  Tintermediaire  du  duc^de  Calabre,  fils 
du  roi  Rene.  En  vertu  d'une  des  clauses  de  ce  traite, 
Catalan  obtenait  la  reconnaissance  par  la  France  du 
droit  de  mer  de  Monaco. 

Testament  etmort  de  Catalan  Grimaldi  (1456- 
1457).  —  A  la  fin  de  1456  Catalan,  age  cependant  de 
quarante-deux  ans  a  peine,  etait  mourant.  II  s'occupa, 
des  lors,  d'assurer  la  succession  a  la  seigneurie,  car 
des  trois  enfants  qu'il  avait  eus  de  son  manage  avec 
Marguerite  del  Caretto,  une  fille  survivait  seule, 
Claudine  Grimaldi,  encore  en  bas  age. 

Cette  situation  donnait  lieu  aux  substitutions 
edictees  au  testament  de  Jean  pour  Taccession  des 
femmes  a  defaut  des  males  ;  Catalan  les  renouvela ; 
mais  il  fit  sa  mere  heritiere,  lui  substituant  sa  fille 
Claudine,  et  a  defaut  de  celle-ci,  sa  soeur  Bartholomee 
Grimaldi  et  ses  enfants,  fils  de  Pierre  Fregose,  tou- 
jours  sous  la  condition  expresse  de  l'adoption  exclu- 
sive du  nom  et  amies  des  Grimaldi.  Enfin,  il  desi- 
gnait  comme  epoux  de  Claudine  Lambert  Grimaldi, 
frere  de  Gaspar  seigneur  d'Antibes. 

Catalan  s'eteignit  au  mois  de  juillet  1457. 


Qi    — 


CHAPITRE  X 

CLAUDINE    ET    LAMBERT    GRIMALDI 
(I457~I494) 


Lambert  Grimaldi  choisi  pour  epoux  de  Clau- 
dine  Grimaldi  (1457).  —  L/epoux  choisi  par  Catalan 
pour  sa  rille  Claudine,  etait  le  fils  cadet  de  Nicolas 
Grimaldi,  seigneur  d'Antibes,  le  petit-tils  de  Luc 
Grimaldi  et  l'arriere  petit-tils  de  cet  Antoine,  qui 
avait  si  brillamment  partage  la  direction  du  parti 
guelfe  et  la  seigneurie  de  Monaco  avec  Charles  Gri- 
maldi, et  que  les  genealogies  de  la  maison  de  Grimaldi 
designent  a  tort  comme  frere. 

On  a  vu  qu'en  1384  Marc  et  Luc  Grimaldi  avaient 
acquis  la  moitie  indivise  de  Menton.  Les  partages 
successifs  entre  leurs  heritiers  avaient  divise  cette 
moitie  de  seigneurie  en  six  parts  ou  six  douziemes 
indivis;  mais,  par  heritage  ou  acquisitions,  Lambert 
se  trouvait  en  posseder,  en  1437,  les  deux  tiers  ou 
quatre  douziemes. 

A   la   suite   de   longues    negociations    auxquelles 


—  92  — 

donnerent  lieu  l'execution  du  testament  de  Nicolas 
Grimaldi,  son  pere,  la  part  d 'heritage  devolue  a 
Lambert  avait  ete  reservee  sur  les  douziemes  indivis 
de  Menton. 

Lambert  avait  done  entre  les  mains  la  plus  forte 
partie  de  Tindivision,  en  sorte  que  son  union  avec 
Claudine  reconstituait  la  presque  totalite  de  ce 
qu'avait  aliene  Rainier  Grimaldi,  sauf  deux  douzie- 
mes facilement  rachetables. 


Sceau  de  Nicolas  Grimaldi,  coseigneur  d'Antibes  et  de  Menton 
pere  de  Lambert  Grimaldi. 

Lambert  annihile  par  le  testament  de  Catalan 
au  profit  de  Pomelline  et  de  Pierre  Fregose 

(1457). —  Lechoix  de  Lambert,  qu'ilsn'avaientproba- 
blement  pu  empecher,  ne  pouvait  certainement  etre 
agreable  ni  a  Pomelline,  ni  a  Pierre  Fregose  ;  aussi, 
sous  leur  pression,  toutes  les  dispositions  du  testament 
de  Catalan  furent  dirigees  contre  le  futur  epoux  de 


—  gi  — 

Claudine.  Pomelline,  en  effet,  comme  legataire, 
primait  les  droits  de  Thcritiere  naturelle  et  succedait 
aux  seigneuries  deson  tils,  au  mepris  de  l'ordre  regu- 
lier  de  succession  et  des  clauses  du  testament  de  Jean 
Grimaldi;  bien  plus,  en  cas  de  deces  de  Pomelline, 
la  tutelle  de  Claudine  etait  attribute  non  a  son  mari, 
mais  a  Pierre  Fregose,  jusqu'a  sa  majorite. 

Convention  de  partage  d'autorite  imposee  a 
Pomelline  ;  intervention  des  habitants  des  sei- 
gneuries 1 45 7 '.  —  Des  dispositions  si  anormales 
provoquerent  immediatement  un  conflit  ou  Ton  voit 
pour  la  premiere  fois  les  habitants  des  trois  seigneu- 
ries intervenir  activement  dans  la  succession  de  leurs 
seigneurs.  Lambert,  energiquement  appuye  par  la 
population,  imposa  a  Pomelline,  le  20  octobre  1457, 
une  convention  qui  renversait  tout  Techafaudage  de 
restrictions  dirigees  contre  lui.  Pomelline  dut  le 
traiter  comme  tils  adoptif  et  partager  avec  lui  Tauto- 
rite  et  le  commandement.  Les  habitants  de  Monaco, 
Roquebrune  et  Menton,  hgurerent  au  contrat  pour 
se  porter  garants  de  son  execution. 

Gomplot  de  Pomelline  (iq58).  —  Pomelline 
avait  souscrit  par  contrainte  a  cette  abdication, 
n'ayant  pu  s'appuyer  sur  Pierre  Fregose,  alors 
absorbe  a  Genes  par  les  difficultes  qui  precederent 
Pappel  des   Francais ;   elle  nourrissait  le  dessein  de 


~  94  — 
revenir  au  plus  tot  sur  ses  concessions.  Elle  provo- 
qua,  dans  ce  but,  une  entente  entre  Pierre  Fregose 
et  Pierre  Grimaldi,  seigneur  de  Beuil  a  qui  on 
promit  la  main  de  Claudine  pour  son  his  Georges 
Grimaldi,  aussitot  que  cette  derniere  serait  tombee 
entre  les  mains  des  conjures. 

Le  complot  eclata  en  mars  iq58.  Des  troupes 
debarquerent  au  port  de  Monaco;  mais  Lambert, 
prevenu  a  temps,  put  echapper  a  un  guet-apens  ou  il 
devait  perdre  la  vie.  A  la  tete  des  hommes  de  Menton 
et  de  Roquebrune,  il  se  jeta  dans  le  chateau  de 
Monaco  et  repoussa  l'attaque  des  soldats  de  Fregose. 

Le  surlendemain,  il  se  faisait  reconnaitre  seigneur, 
per-sonnellement  et  comme  maitre  des  droits  de 
Claudine,  et  il  recevait  en  cette  qualite  le  serment 
des  habitants  des  trois  seigneuries. 

Lambert  se  contenta  de  confiner  Pomelline  dans  sa 
maison  de  Menton;  il  ne  devait  pas  avoir  lieu  de  se 
feliciter  de  cette  moderation. 

Lambert,  seigneur  de  Monaco ;  son  mariage 
avec  Claudine  (1458).  —  Des  ce  moment  Lambert 
se  considera  comme  seigneur  effectif  de  Monaco, 
non  pas  seulement  en  qualite  de  mari  designe  de 
Claudine,  mais  par  le  fait  qu'il  avait  conquis  les 
armes  a  la  main  et  au  peril  de  sa  vie  la  seigneurie  sur 
Pomelline,  ce  qui  creak  en  sa  faveur,  pretendait-il, 
un  droit  personnel. 


—  q5  — 

Claudine  n'avait  que  six  ans  lors  de  la  mort  de  son 
pere;  Lambert  en  avait  quarante-deux  :  la  celebra- 
tion du  mariage  dut  etre  remise  a  Tepoque  oil  Tenfant 
serait  nubile  ;elleeut lieu  a  Vintimillele  20  aout  1465. 
Malgre  la  disproportion  d'age,  I'union  laplusparfaite 
ne  cessa  de  regner  entre  les  deux  epoux. 

Protection  du  gouvernement  francais  de 
Genes  14? 9- 1460  .  —  La  consolidation  de  Lambert 
dans  la  seigneurie  avait  coincide  avec  Tetablissement 
a  Genes  du  pouvoir  royal  de  Charles  VII,  en  vertu 
du  traite  conclu  avec  Pierre  Fregose.  Le  due  de 
Calabre,  gouverneur  pour  le  roi  de  France,  accorda 
sa  protection  et  des  secours  dans  deux  circonstances 
ou  Monaco  subit  des  attaques  de  vive  force. 

Agression  de  la  marine  napoiitaine    14591.  — 

Une  premiere  fois,  en  avril  1459,  le  territoire  tut 
entierement  devaste  par  les  equipages  des  galeres  de 
Villamarina,  amiral  au  service  du  roi  d'Aragon,  qui 
ayant  brusquement  debarque,  brulerent  les  navires 
dans  le  port,  detruisirent  les  maisons  situees  en 
dehors  de  la  place  et  ravagerent  le  territoire. 

Attaque  de  Monaco  par  Pierre  de  Beuil  et 
le  comte  de  Tende  4460:.  —  L'hiver  suivant  fut 
marque  par  une  attaque  autrement  grave.  Les  intri- 
gues  de   Pomelline    avaient    amene    une   nouvelle 


—  96  — 

entente  entre  Pierre  de  Beuil  et  le  comte  de  Tende. 
Dans  la  nuit  de  la  Saint-Sebastien,  20  Janvier  1460, 
des  corps  de  troupes  leves  par  les  deux  seigneurs 
tenterent  la  surprise  de  Monaco  par  escalade. 

Cette  agression  fut  repoussee  vigoureusement  par 
les  Monegasques.  Deux  des  assaillants,  faits  prison- 
niers,  furent  impitoyablement  precipites  du  haut  des 
escarpements  a  pic  au  pied  desquels  des  roches  a 
moitie  submergees  bordent  la  mer. 

Perte  de  Genes  par  les  Francais  ;  expedition 
de  Rene  d'Anjou  (1460-1461).  —  La  possession  de 

Genes  par  les  Francais  ne  dura  que  deux  annees.  lis 
en  furent  chasses,  en  mars  1460,  par  les  Adorni  et 
les  Fregose  reunis.  Charles  VII  donna  le  comman- 
dement  au  roi  Rene  d'une  expedition  destinee  a 
recouvrer  la  citee  perdue.  Cette  campagne,  dont  le 
resultat  fut  desastreux,  fut  la  derniere  entreprise  du 
roi  Rene. 

Sur  ces  entrefaites,  Charles  VII  vint  a  mourir. 

Lambert  envoye  par  le  roi  Rene  a  Louis  XI 

(146 1 ).  —  Une  profonde  inimitie  regnait  entre  Rene 
dAnjou  et  le  nouveau  roi  de  France,  Louis  XI  depuis 
l'epoque  ou  celui-ci  avait  sejourne  en  Dauphine. 
Rene,  voulant  tenter  une  reconciliation,  chargea  de 
ce  soin  Lambert  Grimaldi,  auquel  il  n'avait  cesse 
d'accorder  toutes  sortes  de  privileges  et  d'aide  pour 
assurer  la  securite  de  sa  place  de  Monaco. 


—  97  — 
Reconnaissance  par  Louis  XI  du  droit  de  mer 
de  Monaco  (1462  .  —  Lambert  reussit  dans  sa  mis- 
sion, qifil  fit  servir  aux  interets  de  sa  seigneurie. 
Louis  XI  qui,  pendant  quelques  mois  encore, 
chercha  a  reprendre  1'ofTensive  contre  Genes,  trouva 
en  lui  un  agent  aetif  et  devoue;  il  Ten  recompensa 
en  reconnaissant,  par  lettres  patentes  d'avril  1462, 
le  droit  de  mer  du  port  de  Monaco,  et  cet  acte  est  le 
plus  explicite  de  ceux  qui  avaient  jusqu'alors  consa- 
cre  la  reconnaissance  de  ce  droit. 

Lambert  acquiert  la  seigneurie  de  Vinti- 
mille  ;  il  aide  a  la  conquete  de  Genes  par 
Francois  Sforza  146'  .  —  En  146?,  les  habitants 
de  Vintimille  s'etaient  donnes  a  Lambert  et  lui 
avaient  prete  serment  commealeur  seigneur,  lorsque 
le  roi  de  France,  par  un  revirement  subit,  renoncant 
a  tout  nouveau  projet  sur  Genes,  abandonna  ses 
droits  au  due  de  Milan,  Francois  Sforza. 

Les  lieutenants  du  due  prirent  possession,  au  com- 
mencement de  1464,  des  villes  restees  entre  les  mains 
des  Francais.  Lambert,  qui  embrassa  immediatement 
la  cause  du  due,  fit  demission  de  la  seigneurie  de 
Vintimille  ;  il  recut,  en  echange,  la  charge  de  com- 
missaire  ducal  dans  la  riviere  du  Ponent,  conserva 
la  possession  de  Vintimille  pour  cinq  annees  comme 
gouverneur.  et  obtint  une  confirmation  du  droit  de 
mer  de  Monaco.  II  participa  de  tout  son  pouvoir  a 

7 


-  98  - 

la  conquete  de  Genes  et  il  entra  dans  la  ville  a  cote 
du  gouverneur  milanais,  Conrad  de  Foliano. 

Ce  rapprochement  avec  Sforza  devait  le  brouiller 
pendant  de  longues  annees  avec  le  roi  Rene  et  la 
Provence,  ou  les  exiles  de  Genes  trouverent  unappui 
constant  pour  la  guerre  a  outrance  qu'ils  firent  a 
leur  patrie  soumise  a  la  domination  milanaise. 


Sceau  de  Lambert  Grimaldi 

Lambert  devint,  par  ce  revirement,  Fallie  du  roi 
Ferdinand  de  Naples,  successeur  dAlfonse  d'Ara- 
gon,  avec  lequel  il  devait  conserver  de  longues  et 
amicales  relations. 

Inimitie  constante  des  Genois  et  des  officiers 
milanais  a  Genes  eontre  Lambert  (1464- 1466). — 
Le  credit  et  la  faveur  dont  Lambert  jouissait  aupres  de 
Francois  Sforza  furent  cependant  de  suite  traverses 
par  les  conflits  que  les  Genois  susciterent  a  propos 
du  droit  de  mer,  et  leurs  griefs  trouverent  un  echo 
complaisant  aupres  de  Conrad  de  Foliano.  A  chaque 


—  99  — 
instant  les  bonnes  dispositions  de  Francois  Sforza 
faisaient  place  a  des  actes  dnostilite  de  ses  agents; 
Foliano  en  arriva  a  autoriser  une  tentative  d'assassi- 
nat  contre  le  seigneur  de  Monaco,  a  Oneille,  pendant 
une  expedition  organisee  en  1465,  pour  reprimer  des 
troubles,  a  laquelle  Lambert  etait  venu  prendre  part 
en  conduisant  des  troupes. 

Revolte  de  Menton  (1466).  —  De  son  cote 
Pomelline  Fregose  ne  cessait  pas  ses  intrigues  ; 
elle  travaillait  sourdement  les  habitants  de  Menton, 
au  milieu  desquels  Lambert  avait  eu  l'imprudence 
de  la  laisser  habiter.  Ceux-ci,  mecontents  des  charges 
que  Tadministration  de  la  seigneurie  leur  causait,  se 
souleverent,  chasserent  les  officiers  des  coseigneurs 
et  appelerent  le  gouverneur  de  Nice.  Leur  exemple 
fut  suivi  par  Roquebrune.  Le  gouverneur,  secrete- 
ment  d'accord  avec  les  revokes,  accueillit  au  nom 
du  due  de  Savoie  la  requete  par  laquelle  les  deux 
villes  demandaient  a  passer  sous  la  domination 
directe  d'Amedee  IX,  recut  leur  serment  de  fidelite 
et  signa  un  traite  ou  il  reconnaissait  les  privileges 
de  Menton. 

Reprise  de  Menton  et  convention  avec  la 
Savoie  (1466-1467).  —  Tandis  que  Lambert  et  son 
cousin  Luc  Grimaldi,  coseigneur  avec  lui  de  Menton, 
protestaient    aupres    du    due    de    Savoie  contre    la 


conduite  du  gouverneur  de  Nice,  ils  recevaient  du  due 
de  Milan  le  concours  le  plus  actif  pour  reprendre  les 
villes  revoltees.  La  mort  de  Francois  Sforza,  qui 
survint  dans  l'intervalle,  n'arreta  pas  les  preparatifs, 
et,  pendant  que  la  diplomatic  milanaise  intervenait 
avec  energie  aupres  d'Amedee  IX,  les  troupes  de  la 
Riviere,  soutenues  par  la  marine  du  roi  Ferdinand 
de  Naples,  aidaient  Lambert  et  Luc  a  reprendre 
Menton.  Le  gouverneur  de  Nice,  venu  au  secours 
des  assieges,  ayant  ete  mis  en  deroute,  la  ville  ouvrit 
ses  portes  et  fut  recue  a  merci  par  les  deux  cosei- 
gneurs,  le  ier  juin  1466. 

La  reprise  de  Menton  ne  mit  pas  fin  aux  hostilites  : 
le  gouverneur  continua  ses  attaques  sur  Monaco 
du  cote  de  la  Turbie  et  tenta  d'enlever  la  place, 
tandis  que  par  mer  Lambert  avait  besoin  de  l'in- 
tervention  active  de  la  marine  napolitaine  pour 
tenir  tete  aux  agressions  des  Nicois. 

A  la  fin,  la  pression  de  Milan  sur  la  cour  de  Savoie 
determina  le  conseil  du  faible  Amedee  IX  a  envoyer 
des  commissaires  pour  regler  le  differend.  Lambert 
accepta  les  clauses  d'un  accord  aux  termes  duquel 
les  seigneuries  seraient  remises  en  depot  entre  les 
mains  des  commissaires,  qui  en  feraient  la  restitution 
aussitot  que,  pour  la  partie  infeodee  au  due,  Clau- 
dine  aurait  renouvele  le  serment  de  fidelite  comme 
vassale  de  la  Savoie. 

Tout  etait  regularise  le  26  Janvier  1467. 


Surprise  de  Menton  par  le  baron  de  Beuil 
et  le  comte  de  Tende  (1468).  --  Deux  anndes  ne 
s'etaient  pas  ecoulees  depuis  la  reprise  de  Menton  que 
cette  ville  echappait  encore  une  fois  a  Lambert  ;  les 
Mentonnais  les  plus  compromls  dans  la  premiere 
revoke  s'etaient  refugies  aupres  de  Jacques  de  Beuil 
et  du  comte  de  Tende.  lis  n'eurent  pas  de  peine  a  les 
decider  a  tenter  l'occupation  de  la  seigneurie  sur 
laquelle  le  comte  de  Tende  pretendait  avoir  des 
droits  autrefois  meconnus  dans  les  partages  de  la 
branche  d'Antibes  dont  sa  maison,  par  suite  d'une 
alliance,  avait  eu  une  part  d'heritage. 

La  surprise  reussit  grace  a  un  affide,  Jean-Jacques 
Trenca,  jusque  la  considere  comme  serviteur  ridele 
des  Grimaldi,  qui  s'etant  introduit  dans  le  chateau 
sous  un  pretexte,  s'assura  du  castellan  et  ouvrit  aux 
gens  de  Beuil  la  poterne  donnant  du  cote  de  Cas- 
tellar. 

Le  due  de  Milan  occupe  Menton  et  le  retient 
sans  le  rendre  a  Lambert  (1468).  —  Ce  nouvel 
incident  atteignait  Lambert  au  moment  ou  les  conti- 
nuelles  embuches  imaginees  contre  lui  par  les  Genois 
et  Conrad  de  Foliano  n'avaient  pu  arreter  les  servi- 
ces qu'il  rendait  sur  mer  a  la  cause  de  Galeas  Sforza 
et  de  Ferdinand  de  Naples.  Neanmoins  le  parti  hos- 
tile parvint  a  Temporter  contre  lui  a  Milan,  en  sorte 
qu'au  lieu  d'agir  pour  Taider  a  reprendre  Menton,  les 


—    102    — 

officiers  de  Galeas  le  leurrerent  pendant  des  mois,  se 
firent  remettre  la  ville  par  le  comte  de  Tende  et  fini- 
rent  par*  lui  notifier  de  cesser  toute  tentative,  les 
Mentonnais  etant  devenu  sujets  du  due  de  Milan. 

Lambert  menace  fortifie  Monaco  et  Vinti- 
mille  (1468-1469).  —  Dans  une  situation  aussi  diffi- 
cile Lambert  ne  perdit  pas  son  sang  froid  ;  il  ne  cessa 
de  reclamer  la  restitution  de  sa  seigneurie,  feignant 
de  croire  que  le  due  de  Milan  avait  agi  a  Menton  dans 
son  interet  et  il  evita  de  rompre.  Cependant,  eclaire 
sur  les  desseins  de  ses  ennemis  qui,  pour  s'emparer 
de  sa  personne,  chercherent  inutilement  a  Tattirer 
hors  de  sa  seigneurie  sous  pretexte  d'une  visite  a  Ga- 
leas Sforza,  il  finit  par  suivre  les  avis  de  son  ener- 
gique  frere,  Louis  Grimaldi,  chevalier  de  Saint-Jean 
de  Jerusalem  et  se  mit  en  defense  a  Monaco,  oil  a 
plusieurs  reprises  le  gouverneur  de  Genes  avait 
secretement  envoye  des  ingenieurs  pour  etudier  les 
moyens  d'enlever  la  place  ;  il  fortifia  en  meme 
temps  Vintimille  dont  il  s'attendait  a  voir  Sforza  lui 
reclamer  la  restitution,  le  terme  des  cinq  annees  de 
son  commandement  allant  echoir. 

Siege  et  prise  de  Vintimille  par  les  Milanais 

(1469).  —  Ce  fut  du  cote  de  Vintimille  en  effetque  les 
hostilites  eclaterent.  A  la  sommation  de  rendre  la 
place,  Louis  Grimaldi  qui  la  defendait  repondit  par 


—    I0:>   — 

un  refus  peremtoire.  II  fallut  entamer  un  siege  en 
regie  et,  la  ville  une  fois  occupee,  s'attaquera  la  cita- 
delle  vigoureusement  defendue.  L'armee  milanaise 
se  servit  de  formidables  pieces  d'artillerie  dont  plu- 
sieurs  furent  coulees  expres  a  Genes  et  amenees  a 
grand  frais  :  elles  lirent  bientot  breche  en  boulever- 
sant  les  defenses. 

Les  Milanais  en  penetrant  dans  la  forteresse  trou- 
verent  le  cadavre  de  Louis  Grimaldi  qui  s'etait  fait 
tuer  heroi'quement  sur  les  remparts. 

Rapprochement  entre  Lambert  et  la  Savoie 

1469-1477).  —  La  crainte  qu'eprouvait  le  due  de 
Milan  d'une  rupture  avec  la  Savoie  sauva  Lambert 
apres  la  prise  de  Vintimille,  comme  elle  avait  jusque 
la  empeche  une  attaque  directe  contre  Monaco.  Un 
revirement  en  sa  faveur  s'etait  en  effet  opere  dans 
les  conseils  du  due  ;  Toccupation  de  Menton  lesait 
les  droits  de  suzerainete  d'Amedee  IX  ;  Lambert 
avait  su  proliter  de  cette  situation  pour  reclamer 
les  bons  offices  et  l'intervention  du  suzerain  de  sa 
femme  Claudine  ;  mais  les  divisions  qui  regnaient 
dans  le  conseil  ducal  avaient  retarde  renvoi  d'un 
secours  qui  arrive  a  temps  eut  pu  degager  Vintimille  ; 
cependant  les  Nicois  avaient  concouru  a  la  defense 
en  secondant  energiquement  Lambert  sur  mer  et  en 
travaillant  a  intercepter  les  communications  des 
assiegeants  avec  Genes. 


—  104  — 

Les  Grimaldi  de  Genes  se  font  solidaires  de 
Lambert  vis-a-vis  de  Milan  ( 1 469- 1 477) .  —  Galeas 
Sforza  resista  done  aux  excitations  des  Genois  qui 
voulaient  en  finir  avec  Monaco.  Ceux-ci,  decides  a  ne 
reculer  devant  aucun  moyen,  provoquerent  un  corn- 
plot  contre  la  personne  de  Lambert.  Le  due  de 
Milan,  jugea  imprudent  de  le  pousser  a  bout.  II  sen- 
tait  derriere  lui  l'appui  de  la  Savoie  et  aussi  celui  de 
la  Provence,  d'oii  venaient  au  seigneur  de  Monaco 
de  pressantes  offres  de  service. 

Pendant  les  annees  qui  suivirent,  Lambert  reprit 
peu  a  peu  avec  Milan  des  relations  fortement 
patronnees  par  les  membres  de  la  famille  Grimaldi, 
dont  quelques-uns  rendaient  alors  au  due  d'eminents 
services  diplomatiques.  Grace  a  ce  concours  qui, 
pendant  cette  periode,  temoigna  dune  facon  ecla- 
tante  de  Tadmirable  solidarite  entre  les  membres  les 
plus  eloignes  de  cette  famille,  il  fut  dorenavant 
moins  moleste  par  les  tracasseries  haineuses  de  ses 
ennemis  de  Genes.  Revendiquant  sans  cesse  la  resti- 
tution de  Menton,  sans  se  laisser  decourager  par 
des.  refus,  il  espera,  a  force  de  bons  offices,  obtenir 
a  titre  gracieux  cet  acte  de  justice.  Lors  du  premier 
soulevement  de  Genes  contre  Galeas,  en  1476,  il 
ne  preta  aucun  concours  aux  insurges  et  refusa 
de  recevoir  les  fugitifs,  comptant  trouver  en  echange 
la  recompense  souhaitee.  II  eprouva  encore  une 
deception. 


ICO    — 

Lambert  assiege  et  prend  Menton  1477).  — 
L'assassinat  de  Galeas  Sforza,  au  commencement  de 
1477,  et  ^a  revoke  de  Genes  qui  suivit,  fournirent  a 
Lambert  une  occasion  propice  pour  reprendre 
Menton  de  vive  force  ;  il  Feffectua  avec  le  concours 
des  officiers  de  Savoie  qui  arreterent  dans  le  comte 
de  Nice  les  secours  envoyes  aux  assieges  par  la 
comtesse  de  Tende  ;  au  bout  de  neuf  jours  de  siege 
Menton  rentrait  aux  mains  des  Grimaldi. 

Lambert  se  fait  vassal  de  la  Savoie  pour  sa 
part  de  Menton  1477  •  —  La  Savoie  avait  mis  a  son 
concours  une  condition  que  Lambert  s'empressa  de 
remplir.  Possesseur  de  quatre  des  six  douziemes  de 
la  seigneurie  de  Menton  non  soumis  a  la  suzerainete 
de  la  Savoie,  il  avait  acquis  en  146 5,  des  heritiers 
de  son  cousin  Honore  Grimaldi  d'Antibes,  un  des 
deux  douziemes  qu'il  ne  possedait  pas.  II  ceda  ces 
cinq  douziemes  au  due  dans  la  meme  forme  emplo- 
yee en  1448  par  Jean  Grimaldi  et  en  recutl'investiture. 
Un  seul  douzieme,  aux  mains  de  Luc  Grimaldi, 
echappa  desormais  a  la  suzerainete  de  la  Savoie. 

Traite  d' alliance  entre  Monaco  et  la  duchesse 
de  Milan  1477  .  —  Cette  cession  irrita  la  cour  de 
Milan  autant  que  la  reprise  de  Menton;  mais  au 
milieu  des  embarras  nes  de  la  regence  de  son  tils  Jean 
Galeas  Sforza,  la  duchesse  Bonne,  sentant  sa  situation 


IOt)    — 

ebranlee  a  Genes,  malgre  la  compression  de  la  revolte 
du  printemps  precedent,  se  laissa  facilement  amener 
par  les  Grimaldi  a  renoncer  a  une  intervention  par  la 
force  et  les  negociations  avec  Lambert  aboutirent  a 
un  traite  dontla  conclusion  fut  de  la  partdu  seigneur 
de  Monaco  un  chef-d'oeuvre  d'habilete. 

Ne  pouvant  plus  ceder  de  droits  sur  Menton,  il 
offrit  de  faire  alliance  avec  Milan  pour  sa  place  de 
Monaco.  Mais,  afin  de  bien  etablir  que  cette  alliance 
n'entrainait  aucune  alienation  de  Tautonomie  de  la 
forteresse,  le  traite  n'etait  conclu  que  pour  cinq  ans  ; 
il  devait  etre  accompagne  d'un  serment  de  fidelite  a 
la  duchesse  prete  par  Lambert,  non  comme  seigneur 
de  Monaco  mais  comme  citoyen  de  Genes;  en  sorte 
que  de  cet  acte,  qui  retablit  entierement  la  bonne 
harmonie  avec  Milan,  ressortait  plus  clairement 
encore  que  d'aucune  autre  convention  diplomatique 
precedente  le  caractere  entierement  independant 
de  la  seigneurie,  aussi  bien  vis-a-vis  de  Milan  que 
vis-a-vis  de  Genes. 

Lambert  allie  fidele  de  Milan  (1477-1479).  — 

A  partir  de  Fannee  1477,  Lambert  remplit  rigoureu- 
sement  ses  obligations  d'allie  de  la  duchesse  regente 
de  Milan.  II  en  donna  des  preuves  lorsqu'apres 
l'emancipation  de  Genes,  il  contribua  a  maintenir 
dans  l'obeissance  la  ville  de  Vintimille.  Sa  fidelite  a 
ses  engagements  ne  varia  pas  jusqu"au  jour  oil,  par 


-   io7  — 
une  entente  de  Bonne  et  de  Jean-Galeas  Sforza  avec 
Baptiste    Fregose,   doge   de   Genes,    la  domination 
milanaise  disparut  de  la  Riviere. 

Lambert  fait  campagne  pour  Charles  III 
cTAnjou  en  Provence,  contre  Rene  II  de  Lor- 
raine (1480).  —  Les  causes  qui  avaient  enchaine 
Lambert  a  la  politique  des  dues  de  Milan  disparais- 
saient  au  moment  oil  les  evenements  de  Provence 
sollicitaientson  retour  a  une  alliance  avec  des  princes 
vers  lesquels  Tattiraient  ses  aspirations  hereditaires. 
Le  roi  Rene  etait  mort  et  son  neveu,  Charles  d'Anjou, 
appele  par  testament  a  l'heritage  de  la  Provence 
et  aux  droits  sur  le  royaume  de  Naples,  voyait  se 
dresser  devant  lui  la  competition  de  Rene  de  Lorraine, 
petit-fils  defunt.  Rene  fit  surtout  des  progres  dans 
le  sud-ouest  de  la  Provence.  Lambert  se  jeta 
dans  Antibes,  et  l'occupation  de  cette  place,  qui 
contribua  puissamment  a  retablir  dans  la  region  les 
affaires  de  Charles  d'Anjou,  rendit  d'un  seul  coup  a 
Lambert  Tinfluence  que  lui  avaient  enlevees  les  dix- 
sept  annees  pendant  lesquelles  il  etait  reste  etranger 
aux  affaires  provencales  et  s'etait  trouve  par  instants 
en  etat  d'hostilite  avec  la  maison  d'Anjou  (1480). 

Charles  III,  en  mourant  prematurement  apres  un 
court  regne,  voulut  donner  au  seigneur  de  Monaco 
un  temoignage  de  sa  gratitude  en  lui  leguant  deux 
galeres  (1481). 


—  108  — 

Relations  avec  Louis  XI  apres  la  reunion  de 
la  Provence  a  la  France  ( 148 1- 1482).  —  La 
reunion  de  la  Provence  a  la  France  remit  Lambert 
en  contact  avec  Louis  XI,  dont  il  avait  autrefois 
docilement  suivi  la  politique  jusqu'a  se  rallier  a 
Francois  Sforza ;  il  nCgociait  avec  le  roi  par  Pinter- 
mediaire  de  son  frere  Jean-Andre  Grimaldi,  eveque 
de  Grasse,  un  traite  d'alliance  aussi  favorable  que  la 
convention  avec  Milan  de  1477  pour  la  protection  et 
l'autonomie  de  Monaco,  lorsqueleroimourut  (1482). 

Mariage  de  Jean,  fils  aine  de  Lambert,  avec 
Antoinette  de  Savoie  (1487).  —  Les  relations  avec 
Charles  VIII,  menagees  par  Jean-Andre  Grimaldi 
envoye  du  Saint-Siege  a  la  cour  de  France,  aboutirent 
a  un  traite  de  manage  qui  allia  les  Grimaldi  avec  la 
maison  de  Savoie.  Le  fils  aine  de  Lambert  epousa 
Antoinette  de  Savoie,  fille  naturelle  de  Philippe, 
comte  de  Bresse,  qui  devait  devenir  due  quelques 
annees  plus  tard.  Antoinette  etait  elevee  a  la  cour  de 
France  aupres  de  Charlotte  de  Savoie,  femme  de 
Louis  XL  Le  manage  fut  celebre  en  1487. 

Protection  de  Charles  VIII  —  Lambert  capi- 
taine  general  de  la  Riviere  de  Ponent  (i486 
1489).  —  Cette  alliance  assura  la  securite  de  Lambert 
lorsqu'une  nouvelle  revolution  ayant  ramene  en  1488 
la  domination  milanaise  a  Genes,  il  eut  a  craindre 


IOQ    

les  agressions  des  agents  milanais;  a  eette  occasion, 
le  gouvernement  de  Charles  VIII  accorda  au  seigneur 
de  Monaco  un  subside  et  une  confirmation  nouvelle 
des  droits  du  port,  il  le  crea  son  capitaine  general 
dans  la  Riviere  de  Ponent  et  le  grand  senechal  de 
Provence  enjoignit  au  due  de  Milan  de  s'abstenir  de 
tout  mauvais  procede  a  son  egard. 

La  souverainete  de  Monaco  reeonnue  par  la 
Savoie  1489.  —  Ces  bons  offices  se  renouvelerent 
encore  en  1489  et  Lambert  obtint  en  meme  temps  de 
la  cour  de  Savoie.  des  lettres  de  sauvegarde  dont  le 
dispositif  etait  pour  lui  une  importante  victoire 
diplomatique.  Le  due  entendait  que  Lambert,  les 
siens,  ses  sujets  et  ses  domaines  fussent  a  Fabri  de 
toute  insulte,  en  consideration  de  la  vassalite  a 
laquelle  Menton  et  Roquebrune  etaient  assujettis  a 
son  egard  et  aussi  en  raison  de  ce  que  Monaco, 
place  dansle  voisinage  immediat  des  terresde  Savoie, 
«  ne  reconnait  aucun  suzerain.  » 

C'etait  la  reconnaissance  la  plus  formelle  qui  eut 
encore  ete  libellee  dans  un  acte  de  chancellerie  pour 
affirmer  I'independance  et  le  caraetere  souverain  de 
Monaco. 

Lambert  acquiert  le  dernier  douzieme  indivis 
de  Menton  1 49 1  .  — A  la  meme  epoque,  Lambert 
racheta  de  son  cousin    Luc    d'Antibes    le   dernier 


—    I  10    — 

douzieme  des  parts  de  Menton  qu'il  ne  possedait  pas 
encore;  il  devint  ainsi  seul  seigneur  de  Menton  avec 
sa  femme  Claudine  et  comrae  ni  lui,  ni  ses  succes- 
seurs  ne  firent  jamais  abandon  de  la  suzerainete  sur 
cette  part  aux  dues  de  Savoie,  ce  douzieme  resta  par 
la  suite  comme  le  temoin  de  Tantique  independance 
de  la  seigneurie. 

Relations  avec  Genes  —  Traite  avec  Ferdi- 
dinand  et  Isabelle,  roi  et  reine  d'Aragon  et  de 
Castille  (1492-1494).  —  Les  dernieres  annees  de 
Lambert  furent  occupees  par  ses  relations  tantot 
cordiales,  tantot  tendues,  avec  le  due  de  Milan,  sei- 
gneur de  Genes  ;  il  continuait  en  meme  temps  des 
rapports  amicaux  avec  le  roi  de  Naples  Ferdinand 
d'Aragon,  qui  lui  envoya  en  1491,  le  collier  de 
son  ordre  du  Griffon. 

La  guerre  de  Genes  avec  l'Aragon,  qui  s'evissait 
depuis  la  rentree  des  Milanais  a  Genes,  provoquait 
les  courses  de  corsaires  dont  les  depredations  devin- 
rent  telles  qu'une  entente  generale  s'etablit  entre 
des  etats  riverains,  entente  qui  fut  accentuee  en  1493 
par  la  conclusion  de  la  paix  entre  Genes  et  les  roi  et 
reine  dAragon  et  de  Castille,  Ferdinand  et  Isabelle. 

Lambert  acceda  a  cette  paix,  mais  refusa  d'etre 
simplement  compris  dans  un  acte  diplomatique 
commun  avec  les  Genois  ;  il  entendit  traiter  a  part 
avec  les  rois  catholiques  par  un  instrument  special. 


Le  traite  fut  signe  par  son  fonde  de  pouvoir  aValla- 
dolid,  le  19  fevrier  1494. 

Mort  de  Lambert  —  Son  testament  1494  .  — 
La  conclusion  de  ce  traite  qui  fut  la  premiere  mani- 
festation des  relations  diplomatiques  de  Monaco  avec 
l'Espagne,  couronna  la  carriere  de  Lambert.  II 
mourut  un  mois  apres  ii  Menton,  le  i5  mars  1494. 

Lambert  avait  regie  sa  succession  par  deux  actes  ; 
un  testament  date  de  1487.  suivi  d'un  codicile  en  date 
du  14  mai  1493.  Les  substitutions  qu'il  edictait,  en 
tout  conformes  aux  dispositions  de  Jean  Ier  Grimaldi 
et  de  Catalan,  etaient  regulieres  et  il  avait  legitime- 
ment  le  droit  de  disposer  des  seigneuries,  car  en  1483 
il  avait  regularise  la  situation  anormale  oil  il  se 
trouvait  comme  seigneur  de  Monaco,  en  obtenant 
une  donation  en  regie  de  Claudine  de  tous  ses  droits, 
a  la  condition  de  n'en  disposer  qu'en  faveur  des 
enfants  nes  de  leur  mariage. 

Tel  fut  le  regne  de  Lambert  qui,  apres  de  terribles 
epreuves  supportees  avec  un  courage  sto'ique,  eut  la 
gloire,  grace  a  sa  rare  habilete  diplomatique,  de  voir 
le  principe  de  Tindependance  et  de  la  souverainete 
de  Monaco,  non  plus  seulement  servir  de  base  a  ses 
traites  et  a  ses  alliances,  mais  faire  l'objet  d'une 
reconnaissance  explicite  dans  les  actes  et  dans  les 
formules  des  chancelleries  etranseres. 


CHAPITRE  XI 

JEAN    II    ET     LUCIEN    GRIMALDI 

(1494-1523) 


Jean  II  Grimaldi ;  sa  participation  a  l'expe- 
dition  de  Charles  VIII  a  Naples  (1494- 1495).  — 
Jean  II  Grimaldi,  his  aine  de  Lambert  et  de  Clau- 
dine,  succeda  directement  a  Lambert  du  vivant  de 
sa  mere,  en  vertu  de  Tabandon  que  celle-ci  avait 
fait  de  ses  droits  a  son  mari  et,  apres  lui,  aux  enfants 
males  nes  de  leur  union. 

Jean  devenait  seigneur  de  Monaco  au  moment  oil 
le  roi  Charles  VIII  achevait  les  preparatifs  de  Texpe- 
dition  organisee  pour  revendiquer  les  droits  qu'il 
tenait  de  Theritage  de  la  maison  d'Anjou  sur  le 
royaume  de  Naples  (1494'.  En  meme  temps  que  les 
troupes  de  terre  se  rassemblaient,  les  armements 
maritimes  se  poursuivaient  a  Marseille,  a  Villefranche 
et  a  Genes  et  Monaco  servit  de  point  de  ralliement 
pour  les  navires  amies  dans  les  deux  premiers  ports. 

Jean    Grimaldi,    gendre    de    Philippe   comte   de 


Bresse,  et  bientot  apres  due  de  Savoie,  en  grand 
credit  aupres  de  Charles  VIII,  inaugurait  done 
son  regne  sous  de  brillants  auspices,  et  son  avene- 
ment  avait  ete  accueilli  avec  sympathie  par  Ludovic 
Sforza  qui  prenait  alors  une  grande  part  a  la  poli- 
tique de  Charles  VIII. 

Jean  participa  a  la  campagne  maritime  dans  le 
rovaume  de  Naples  avec  ses  galeres. 

Fidelite  de  Jean  II  a  Charles  VIII  ;  traite  de 
Verceil  ;  complot  de  Gaspar  del  Giudice  (1495- 
1498).  —  Lorsque  le  roi,  apres  la  rapide  con- 
quete  de  Naples,  dut  faire  retraite  devant  la  ligue 
italienne  et  la  defection  de  Ludovic  Sforza,  Jean 
Grimaldi  resta  fidele  a  la  cause  francaise  ;  il  recut 
alors  de  Charles  VIII  le  titre  de  capitaine  general  de 
la  Riviere  de  Ponent,  figura  en  nom  au  traite  de 
Verceil,  comme  allie  du  roi  de  France,  et  obtint,  le 
17  octobre  1493,  la  confirmation  par  le  roi  du  droit 
du  port  de  Monaco. 

Cette  fidelite  lui  suscita  Tinimitie  de  Ludovic 
Sforza,  et  il  se  trouva  pendant  les  annees  suivantes 
en  butte  aux  attaques  de  ses  voisins,  si  bien  qu'il  dut 
recourir  plusieurs  fois  a  la  protection  du  due  de 
Savoie  ;  il  n'echappa  que  par  suite  de  circonstances 
fortuites  a  tin  complot  ourdi  contre  sa  vie  par  les 
agents  milanais  et  dirige  par  Gaspar  del  Giudice, 
de   Vintimille   (1498).  8 


—  ii4  — 

Services  rendus  par  Jean  II  a  Louis  XII ;  il 
devient  gouverneur  de  Vintimille  (1499-1  5  00).  — 
Ce  dernier  evenement  coi'ncidait  avec  Tarrivee  au 
trone  de  France  du  due  d'Orleans  qui,  devenu  le  roi 
Louis  XII,  entreprit  la  revendication  de  ses  droits 
sur  le  duche  de  Milan,  eomme  heritier  de  sa  bisa'ieule 
Valentine  Visconti,  femme  de  Louis  due  d'Orleans, 
frere  de  Charles  VI  (1499). 

Pendant  la  rapide  conquete  du  Milanais,  Genes  se 
declara  pour  le  roi  de  France,  et  lors  du  retour 
offensif  de  Ludovic  Sforza,  Jean  Grimaldi  s'emplova 
avec  succes  a  recruter  des  troupes  pour  renforcer  la 
garnison  de  laville,  ce  qui  permit  d'attendre  la  ren- 
tree  victorieuse  de  Louis  XII  en  Italie  et  la  fin  de  la 
lutte  par  suite  de  la  captivite  de  Ludovic  Sforza. 

Jean  fut  alors  cree  conseiller  et  chambellan  de 
Louis  XIl  ;  il  en  obtint  une  nouvelle  confirmation 
du  droit  du  port  de  Monaco  ;  quelque  temps  apres, 
il  devenait  gouverneur  de  Vintimille  pour  le  roi, 
seigneur  de  Genes  (i5oo). 

Jean  II  a  la  cour  de  Louis  XII  (i5oi-i5o3).  — 
En  i5oi,  Jean  coopera  a  la  nouvelle  expedition  de 
Naples  avec  ses  galeres,  dont  il  donna  le  comman- 
dement  a  Barthelemy  Grimaldi,  de  Nice ;  il  figura 
brillamment  cette  meme  annee  a  la  cour  tenue  a 
Milan  par  le  cardinal  Georges  d'Amboise,  dont  il 
rechercha  quelque  temps  en  secondes  noces  la  niece, 


1 1  D 


Catherine  de  Clermont-Lodeve.  Antoinette  de  Savoie 
etait  morte  en  effet  en  i5oo,  ne  lui  laissant  qu'une 
fille,  Marie  Grimaldi. 

Le  souvenir  du  faste  deploye  en  002  par  Jean 
Grimaldi  a  l'entree  de  Louis  XII  a  Genes,  a  ete 
enregistre  par  les  chroniqueurs  contemporains. 

On  retrouve  encore  le  seigneur  de  Monaco  a  la 
cour  du  roi  de  France  a  Lyon  en  1 5o3. 

Embellissements  aux  chateaux  de  Monaco 
et  de  Menton  (i5oo-i5o4)  — ■  Le  gout  des  arts  qui 
s'etait  developpe  chez  Jean  Grimaldi,  l'amena  a 
restaurer  et  a  decorer  le  chateau  de  Monaco.  II 
agrandit  en  meme  temps  celui  de  Menton  et  en  fit 
une  demeure  somptueuse.  Des  artistes  furent  attires 
dans  ses  seigneuries;  Ludovic  Brea  de  Nice,  le  pere 
de  l'ecole  de  peinture  de  Genes,  peignait  en  i5oo  le 
grand  retable  de  Saint-Nicolas  de  Monaco  et  plu- 
sieurs  autres  tableaux  encore  conserves  a  la  Cathe- 
drale. 

Conflit  avec  Vintimille  —  Contestations  avec 
la  Provence  pour  le  droit  de  mer  (i5o2-i5o5).  — 

Cependant,  un  caractere  violent,  emporte,  une  nature 
peu  maitresse  de  ses  passions,  suscitaient  a  Jean 
Grimaldi  de  serieux  embarras ;  des  actes  arbitraires 
et  des  exces  de  plus  d'un  genre  provoquerent  des 
seditions  dans  Vintimille,  et  l'affaire  dut  etre  portee 


—   i  ib  — 

devant  le  gouverneur  de  Genes  sur  les  plaintes  du 
conseil  de  ville. 

A  la  raeme  epoque,  Jean  rencontrait  des  difficultes 
graves  en  Provence  au  sujet  du  droit  du  port  de 
Monaco.  Le  Parlement  d'Aix,  sur  les  reclama- 
tions des  Marseillais,  s'etait  emu  de  la  perception 
d'un  peage  extremement  genant  pour  le  commerce. 
Le  roi  avait  evoque  l'affaire,  mais  Jean  desirait  la 
faire  trancher  par  un  arbitre  etranger,  notamment 
par  le  Pape.  En  attendant,  il  recevait  avec  une 
extreme  hauteur  Temissaire  que  la  ville  de  Marseille 
lui  avait  adresse,  marquant  dans  sa  reponse  qu'il 
n'oubliait  pas  le  caractere  independant  de  sa  sei- 
gneurie  :  «  Vois-tu,  avait-il  repondu^'e  ne  depends 
«  ni  de  la  France,  ni  de  Genes,  ni  de  I'Espagne;  je 
«  serai  Vami  de  qui  voudra  etre  le  mien,  autrement 
«  je  reste  che\  moi  ». 

C'etait  presque  une  menace  de  defection  vis-a-vis 
de  la  France  et  en  ce  moment,  il  aurait  meme 
negocie  pour  vendre  sa  forteresse  aux  Venitiens. 

Mort  tragique  de  Jean  II  Grimaldi  (i5o5).  — 

Dans  la  nuit  du  10  au  11  octobre  i5o5,  Jean  II 
Grimaldi  perissait  de  mort  violente,  frappe  par 
son  frere  Lucien,  au  chateau  de  Menton.  II  est 
difficile  de  discerner  la  verite  sur  les  causes  et  les 
responsabilites  de  ce  sombre  drame;  Timpatience  et 
Tavidite  du  pouvoir  auraient-elles  arme  le  bras  de 


—  117  — 

Lucien,  ou  bien  faut-il  accepter  les  justifications 
qu'il  invoquarOn  rfa  malheureusement  pour  faire 
la  lumiere,  que  les  explications  interessees  du  meur- 
trier. 

Suivant  Lucien  une  querelle  se  serait  engagee 
entre  les  deux  freres  au  sujet  des  negociations  entre- 
prises  par  Jean  pour  la  cession  de  Monaco  aux 
Venitiens,  cession  qui  cut  etc  faite  au  prejudice  de 
ses  freres,  puisque  Jean  n'avait  qu'une  rille.  Trans- 
porte  de  colere,  Jean  aurait  tire  son  poignard  et 
Lucien  s'etant  mis  en  defense,  Taurait,  dans  la  lutte, 
frappe  d'un  coup  mortel. 

Ce  reck  parait  vraisemblable  etant  connu  le 
caractere  des  deux  freres  :  Tun  est  emporte  sans 
mesure  et  pret  a  toutes  les  violences  ;  l'autre  se 
montra  constamment  dans  les  actes  posterieurs  de  sa 
vie  un  homme  modere,  doux,  humain  et  maitre  de 
lui-meme  ;  ajoutons  que,  d'apres  la  tradition,  Clau- 
dine  Grimaldi  aurait  ete  presente  a  cette  sanglante 
querelle,  et  que  tout  en  continuant  a  marquer  dans 
la  suite  une  douloureuse  et  tendre  affection  a  la 
memoire  de  la  victime,  elle  conserva  jusqu'a  la  fin, 
et  avec  elle  tous  ses  autres  enfants,  v  compris 
Augustin  recemment  elu  eveque  de  Grasse,  un  atta- 
chement  inalterable  au  meurtrier. 

Ce  sont  des  arguments  en  faveur  de  Lucien,  mais 
ils  ne  suffisent  pas  a  lever  le  doute  terrible  qui  pesera 
toujours  sur  sa  memoire. 


—  i  iS  — 

Avenement  de  Lucien  Grimaldi  (i5o5).  —  La 

reconnaissance  du  nouveau  seigneur  par  les  habi- 
tants des  trois  seigneuries  se  fit  sans  diflficulte  des 
le  lendemain  de  la  mort  de  Jean  II  ;  mais  sa  situa- 
tion etait  dangereuse  vis-a-vis  de  la  Savoie  au  point 
de  vue  de  la  vassalite  de  Menton  et  de  Roquebrune  ; 
le  meurtre  de  Jean  etait  en  effet,  d'apres  le  droit 
feodal,  un  cas  de  perte  du  fief  et  de  confiscation  au 
profit  du  suzerain.  Lucien  obtint  cependant  l'inves- 
titure  et  des  lettres  ducales  de  remission  interdisant 
toute  procedure  a  Toccasion  du  drame  de  Menton. 
Louis  XII  se  montra  plus  severe;  il  refusa  de 
donner  a  Lucien  la  succession  de  Jean  au  gouverne- 
ment  de  Vintimille.  Cependant,  dans  le  courant  de 
l'annee  suivante,  les  dispositions  royales  devinrent 
plus  favorables  et  le  nouveau  seigneur  de  Monaco 
fut  cree  chambellan  du  roi. 

Revolte  de  Genes,  siege  de  Monaco  par  les 
Genois  (i5o6-i5o7).  —  Ce  retour  de  faveur  fut  en 
partie  provoque  par  la  revolte  de  Genes  ;  la  prise  de 
Monaco  etait  devenue  le  principal  objectif  des  revoltes. 
Une  armee,  forte  selon  les  uns  de  quatorze  mille 
hommes,  suivant  les  autres  de  quatre  mille,  munie 
d'une  puissante  artillerie  et  d'un  materiel  de  siege 
considerable,  vint,  apres  avoir  occupe  Menton  et 
incendie  Roquebrune,  dresser  son  camp  au  Carnier, 
en  vue  de  la  place.  Lucien  ayant  refuse  de  se  rendre, 


—  I  IQ  — 
sa  tete  fut  mise  a  prix,  et  le  siege,  dirige"  par  un 
ingenieur  pisan,  Tarlatino,  commenca  le  7  decern- 
bre  i5o6  ;  toutefois,  pendant  les  premieres  semaines 
l'investissement  ne  fut  pas  complet,  et  l'attaque 
n'etant  dirigee  que  du  cote  de  la  Condamine,  le  ravi- 
taillement  des  assieges  put  se  continuer. 

Le  18  decembre  un  corps  francais  debusqua  les 
Genois  de  la  tour  de  la  Turbie  :  quelques  jours 
apres  une  sortie  furieuse  jetait  le  desordre  dans  les 
ouvrages  de  siege  a  la  Condamine  et  les  canons 
encloues  restaient  hors  de  service  pendant  pres  d'un 
mois. 

L'attaque  fut  alors  resserree  et  les  ingenieurs 
genois  porterent  leurs  etforts  sur  la  face  du  rempart 
et  des  fortifications  du  Chateau-Vieux,  au  lieu  dit  de 
Serravalle,  accessible  par  les  declivites  qui  forment 
le  col  en  face  de  la  Tete-de-Chien.  Les  batteries 
genoises  dominant  les  defenses  purent  facilement 
les  bouleverser.  Mais  l'energie  de  Lucien,  de  son 
jeune  frere  Charles  et  de  Barthelemy  Grimaldi  surent 
parer  a  tous  les  dangers,  et  la  ou  les  remparts  etaient 
renverses  un  systeme  habile  de  contre-mines  tint  les 
assaillants  en  respect. 

Le  siege  se  continua  ainsi  durant  deux  longs 
mois  ;  pendant  ce  temps  les  amis  de  Lucien  ne 
restaient  pas  inactifs  ;  le  devouement  d'Augustin 
Grimaldi.  eveque  de  Grasse,  et  de  Francoise  Gri- 
maldi. dame  de  Dolceaqua,  frere  et  sceur  de  Lucien, 


■ — -120    — 

provoquait  I'organisation  de  secours  en  faveur  des 
assieges.  Leurs  efforts  aboutirent  au  moment  ou  la 
place  etait  reduite  a  la  derniere  extremite  et  la  breche 
de  Serravalle  praticable. 

Assaut  infructueux  de  Serravalle.  —  Levee 
du  siege  \i5oy).  —  Les  Genois  avises  de  l'arrivee  des 

troupes  de  secours  commandees  par  Yves  dAlle- 
gre,  livrerent  Tasssaut  dans  la  nuit  du  19  mars 
i5o~,  tandis  qu'un  corps  debarque  a  TEperon,  a 
l'extremite  de  la  presqu'ile,  a  Tentree  du  port,  ope- 
rait  une  diversion. 

La  lutte  corps  a  corps  se  poursuivit  pendant  cinq 
heures  avec  un  acharnement  incroyable  ;  le  mur  de 
Serravalle  etait  deja  domine,  mais  les  assieges,  replies 
sur  des  ouvrages  de  seconde  ligne  eleves  a  la  hate, 
finirent  par  repousser  les  assaillants  apres  un  grand 
carnage. 

Des  le  lendemain,  les  Genois  levaient  precipitam- 
ment  leur  camp,  poursuivis  par  Lucien,  qui  reprit  de 
suite  Roquebrune  et  Menton  et  lit  sa  jonction  avec 
les  troupes  d'Yves  d'Allegre,  arrivees  sur  ces  entre- 
faites. 

Le  siege  de  Monaco  avait  dure  cent  deux  jours  et 
la  forteresse,  grace  a  rheroi'sme  de  ses  defenseurs, 
avait  echappe  au  plus  terrible  danger  qu'elle  eut 
couru  depuis  1298  et  1469. 


Louis  XII  veut  s'emparer  de  Monaco  —  Cap- 
tivite  de  Lucien  (i 507-1 5o8).  —  Lucien  avait  suivi 
l'armee  royale    et    assiste   a  l'entree  de  Louis   XII 


Lucien  Grimaldi,  seigneur  de  Monaco 
(D'apres  un  p  rtrail  d'Andrea  Solari,  aii  Palais  de  Monaco 


a    Genes,  lorsqu'en  arrivant  a   Milan  a  la  suite   de 
la  cour,  i!  fut  arrete  et  enferme  dans  le  chateau. 
Le   siege  de  Monaco    et   sa   brillante    defense    en 


—     122    

avaient  revdle  Pimportance  a  Louis  XII,  en  meme 
temps  que  le  danger  de  sa  possession  par  un  sei- 
gneur independant.  D'autre  part,  les  doleances  des 
Provencaux  au  sujet  du  droit  de  mer  avaient  trouve 
de  Techo  dans  les  conseils  du  roi.  On  espera  obtenir 
de  Lucien  l'abandon  de  sa  place  ou  tout  au  moins 
la  reconnaissance  de  la  suzerainete  du  roi  en  le  rete- 
nant  captif. 

Pendant  cette  detention,  Augustin  et  Barthelemy 
Grimaldi  avaient  mis  a  la  hate  la  forteresse  en  de- 
fense;  mais  elle  n'etait  pas  en  etatdesubir  un  nou- 
veau  siege;  il  fa  lint  negocier. 

On  chercha  une  solution  par  un  echange  que  le 
roi  eut  fait  en  accordant  aux  Grimaldi  une  grande 
seigneurie  dans  des  conditions  d'independance  et 
cTautonomie  analogues  a  la  situation  de  Monaco. 
Cela  n'etait  pas  compatible  avec  les  constitutions 
du  royaume  de  France  ;  il  fallut  abandonner  cette 
combinaison. 

Liberation  de  Lucien  —  Convention  pour  le 
droit  de  mer  (i5o8-i5oc)).  —  Grace  a  sa  tenacite, 
Lucien  fut  remis  en  libertc  au  mois  de  mai  i5o8 
en  fournissant  caution  ;  mais  il  dut  se  rendre  a  la  cour 
pour  regler  en  personne  le  conflit  suscite  par  les 
exigences  royales.  Toutefois,  avant  son  deparr,  il 
protesta  par  devant  notaire  contre  les  concessions 
que  pourraient  lui  arracher  de  nouvelles  violences. 


—   i2r>  — 

Louis  XII,  du  reste,  rendit  ses  conditions  relati- 
vement  acceptables  :  il  renonca  a  s'emparer  de 
Monaco  et  meme  a  y  imposer  sa  suzerainete ;  mais, 
en  vertu  de  lettres  royales  du  6  mars  1D09,  Lucien 
dut  s'engager  sous  serment  a  rester  a  perpetuity 
I'allie  et  le  serviteur  de  la  couronne  de  France  ;  et, 
tout  en  reconnaissant  lc  caractere  indiscutable  du 
droit  de  mer,  on  l'obligea  a  se  soumettre  a  la  juri- 
diction  du  chancelier  de  France,  pour  les  conflits 
qui  surviendraient  avec  les  sujets  du  roi. 

Cette  restriction  ne  devait  pas  durer  longtemps; 
mais  Lucien,  apres  avoir  conjure  de  si  graves  perils, 
sentit la  necessite  de  chercher  a  Texterieur  des  appuis 
pour  en  eviter  le  retour.  Dans  le  cours  de  Pannee  1  5  1 1 , 
il  terminait  dans  ce  but  deux  negociations  heureuses. 

Traite  de  Lucien  avec  Florence ;  Nicolas 
Machiavel  a  Monaco  i5u).  —  Une  difficulte  avec 
des  navires  florentins  a  propos  du  droit  de  mer 
aboutit  a  un  traite  d'alliance  et  de  navigation  avec 
la  seigneurie  de  Florence.  Ce  traite  fut  signe  a 
Monaco  par  le  celebre  Nicolas  Machiavel,  ambassa- 
deur  de  la  seigneurie,  au  mois  de  mai  1 5  1 1 . 

Privileges  accordes  par  Ferdinand  le  Catho- 
lique  a  Lucien  ( 1  5  1 1 ).  —  A  la  suite  d'une  negocia- 
tion  du  meme  genre  avec  Ferdinand  le  Catholique, 
Lucien  obtint  de  ce  monarque,  maitre  du  royaume  de 


—    124   — 

Naples  en  merae  temps  que  de  l'Espagne,  des  privi- 
leges particulierspour  le  commerce  des  Monegasques ; 
et  si  Ton  remarque  que  ces  faveurs  coincidaient  avec 
la  formation  de  la  grande  ligue  contre  Louis  XII 
entre  TEmpereur,  Venise,  Rome  et  l'Espagne  on  peut 
y  voir  le  premier  symptome  des  tendances  du 
seigneur  de  Monaco  a  se  separer  de  la  France  dont 
il  avait  recu  un  traitement  si  rigoureux. 

Reconnaissance  solennelle  de  la  souverainete 
de  Monaco  par  Louis  XII  —  Retrait  de  la  con- 
vention de  1509  ( i  5  1 2).  — ■  II  est  possible  que  le 
rapprochement  de  Lucien  avec  FEspagne  ait  con- 
tribute a  la  modification  radicale  apportee  par  la 
chancellerie  de  Louis  XII  au  traite  impose  en  i5oo. 
a  Lucien.  Ce  fut  en  tout  cas  une  veritable  victoire 
diplomatique  obtenue  par  Tinfluence  d'Augustin 
Grimaldi  et  de  ses  puissants  amis  a  la  cour. 

Les  lettres  patentes  du  20  fevrier  012  ont  dans 
rhistoire  de  Monaco  une  importance  exceptionnelle. 
Les  droits  souverains  de  la  seigneurie  y  sont  carac- 
terises  d'une  facon  parfaitement  nette  et  definie,  qui 
ne  laisse  prise  a  aucune  equivoque. 

Le  roi,  a  la  requete  de  Lucien,  fondee  sur  ce  que 
«  la  seigneurie  de  Mourgues  nest  tenue  que  de  Dieu 
et  de  lepee,  »  sans  que  ses  seigneurs  aient  jamais  fait 
de  reconnaissance  «  d  souverain,  roi,  ne  prince,  fors 
que  a  Dieu  »,  declare  nulle  et  de  nul  effet  la  conven- 


—     [2D    — 

tion  du  6  mars  i5oo.  reconnatt  le  droit  de  mer  et 
supprime  Fobligation  de  la  juridiction  du  chancelier; 
cependant  le  droit  ne  pourra  a  l'avenir etre  augmente 
pour  les  sujets  du  roi  de  France  sans  acquiescement 
prealable.  D'autre  part,  Lucien  s'obligera  a  jurer 
amine  et  alliance  perpetuelle  avec  le  roi  de   France. 

Ces  lettres  patentes  recurent  en  i5i5  la  confirma- 
tion  de   Francois   Ier. 

Un  subside  roval  permit  d'entretenir  a  Monaco 
une  garnison  de  deux  cents  mortes-paies. 

Mariage  de  Lucien  i  5  i  _j.  .  —  Lucien  s'absorba 
des  lors  dans  ses  affaires  interieures;  et  ses  relations 
avec  les  plus  grandes  families  de  Provence,  notam- 
ment  avec  les  Villeneuve,  determinerent  son  ma- 
nage, celebre  le  25  septembre  1 5 14,  avec  Jeanne  de 
Ponteves,  rille  de  Tannequin  de  Ponteves  -  Cabanes 
et  de  Honorate  de  Villeneuve-Flayosc. 

Mariage  de  Marie  Grimaldi  1  5 1 5 ).  —  La  meme 
annee,  Lucien  mariait  la  rille  de  Jean  II,  Marie 
Grimaldi,  avec  Jerome  de  la  Rovere,  seigneur  de 
Vinovo,  et  le  contrat  stipula  la  renonciation  formelle 
de  Marie  aux  droits  qu'elle  pourrait  invoquer  contre 
ses  oncles  sur  la  succession  de  Monaco. 

De  cette  union  devait  naitre,  entre  autres  enfants, 
Anne  de  la  Rovere  qui  fut  la  grandniere  de  saint 
Louis  de  Gonzasue. 


120    

Mort  et  testament  de  Glaudine  Grimaldi ; 
substitutions  pour  la  succession  de  Monaco 
(i 5 1 5).   —   Dans  les    dernieres    semaines  de    1 5  1 5 

survint  la  mort  de  Claudine  Grimaldi. 

On  a  vu  que  par  suite  de  l'abandon  de  ses  droits 
a  son  mari,  Lambert  Grimaldi,  deux  de  ses  rils 
avaient  deja  succede  de  son  vivant  a  leur  pere  dans 
le  gouvernement  des  trois  seigneuries. 

Par  cet  abandon  elle  n'avait  pas  entendu  cepen- 
dant  prejudicier  a  son  droit  de  regler  par  testament 
l'ordre  de  succession  parmi  les  siens  et  elle  voulut 
exercer  ce  droit  dans  sa  plenitude. 

Des  quatorze  enfants  qu'elle  avait  eus  de  son 
mariage,  plusieurs  etaient  morts  en  basage.  D'autres, 
outre  Jean  II,  notamment  Lambert,  decede  a  Blois 
en  i5io,  et  Charles,  le  valeureux  compagnon  de 
Lucien  pendant  le  siege  de  Monaco,  etaient  morts 
arrives  a  l'age  d'homme.  II  lui  restait  encore  trois 
fils  :  Louis,  qui  vivait  relegue  en  etat  de  demence, 
enfin  Lucien  et  Augustin,  eveque  de  Grasse.  L'ainee 
de  ses  filles,  Francoise,  etait  veuve  de  Luc  Doria, 
seigneur  de  Dolceaqua  ;  la  seconde,  Blanche,  avait 
epouse  Honorat  de  Villeneuve-Tourettes  ;  la  troi- 
sieme,  Sestarina,  avait  ete  unie  a  Charles  de  Ceva, 
seigneur  de  Garessio.  Les  deux  dernieres  n'etaient 
pasmarices  :  Tuned'elles,  Isabelle  Grimaldi,  epousa 
plus  tard  Antoine  de  Chateauneuf-Randon,  seigneur 
de  Tournoel. 


Deux  testaments  successifs,  de  i5io  et  1  5  14,  refe- 
rent sa  succession  entre  ses  enfants:  par  une  deroga- 
tion formelle  au  principe  d'heredite,  Claudine  stipula 
qu'Augustin  succederait  viagerement  a  son  frere 
Lucien  avant  les  enfants  de  celui-ci ;  en  cas  d'extinc- 
tion  de  la' descendance  male  de  Lucien,  la  descen- 
dance de  ses  rilles  est  appelee  :  a  son  defaut,  naissent 
les  droits  de  Marie  Grimaldi  et  de  ses  descendants 
males,  puis  femelles,  par  ordre  de  primogeniture, 
ensuite,  et  dans  le  meme  ordre.  les  descendants  de 
Francoise,  dame  de  Dolceaqua,  de  Blanche,  dame 
de  Tourettes,  de  Sestarine,  dame  de  Garessio,  et 
ccux  des  autres  rilles,  si  elles  en  ont. 

Toutes  ces  substitutions  sont  faites  avec  la  clause 
imperative,  pour  les  heritiers  issus  d'une  fern  me, 
d'ahandonner,  suivant  les  prescriptions  du  testament 
de  Jean  Ier,  leurs  noms  et  armes  propres  pour  prendre 
ceux  des  Grimaldi.  Enrin,  defense  est  faite  a  perpe- 
tuite  d'aliener  la  seigneurie  de  Monaco. 

Le  testament  de  Claudine,  completant  celui  de 
Jean  Ier,  est  reste,  avec  celui-ci,  la  charte  fondamen- 
tale  de  la  succession  aux  trois  seigneuries  et  a  servi 
de  base  aux  dispositions  qui  se  sont  repetees  dans  les 
dispositions  testamentaires  de  ses  successeurs. 

Travaux  legislatifs  de  Lucien  (i5o5-i5ii).  — 
Peu  enclin  aux  aventures,  porte  au  contraire  par  ses 
gouts  vers  les  etudes  juridiques,  Lucien  a  marque 


—    128    — 

les  annees  qui  s'ecoulerent  entre  1 5 1 1  et  i  52 3  par 
des  travaux  qui  l'isolerent  des  evenements  exterieurs. 
Deja,  des  le  commencement  de  son  regne,  cette 
propension  s'etait  fait  jour  dans  ['institution  de 
juges  a  Menton,  afin  de  rendre  plus  rapide  et  plus 
simple  radministration  de  la  justice.  Preoccupe  de 
la  situation  des  et  rangers  dans  ses  seigneuries,  il 
prit  en  1 5 1 1  Tinitiative  d'une  convention  qui  suppri- 
mait  entre  ses  sujeis  et  les  habitants  de  Sospel,  de 
Castillon  et  du  Moulinet,  le  systeme  harhare  des 
represailles  en  matiere  de  dettes  civiles,  systeme  en 
vertu  duquel  les  individus,  compatriotes  d'un  debi- 
teur  insolvable,  se  trouvaient  solidairement  tenus 
sur  leurs  biens  vis-a-vis  des  creanciers  celui-ci. 

Statuts    de    Menton     1 5 1 6).    —    Ces    diverses 

dispositions  n'etaient  qu\m  prelude  a  la  promulga- 
tion, faite  le  27  mai  \3 16,  des  statuts  donnes  a  la 
seigneurie  de  Menton,  ceuvre  de  legislation  qui 
contient,  en  matiere  penale,  de  police  rurale  et  sur- 
tout  en  ce  qui  concerne  la  simplification  des  proce- 
dures, des  innovations  inspirees  par  1111  veritable 
esprit  de  progres. 

Droit  de  battre  monnaie ;  ecu  au  soleil  de 
Lucien.  — ■  Lucien  porta  cet  esprit  eclaire  dans 
toutes  les  branches  de  radministration  des  trois 
seigneuries;  constamment preoccupe  d'affirmer  Tau- 


—  1 29  — 
tonomie  de  Monaco,  il  aurait  manifeste  son  droit 
souverain  en  battant  monnaie  sur  le  type  monetaire 
de  Louis  XII.  Un  seul  exemplaire  de  cette  monnaie 
nous  est  parvenu  ;  c'est  un  ecu  d'or  au  soleil,  dont 
Tauthenticite  parait  etablie,  malgre  la  qualification 
insolite  a  cette  epoque  de  Prince  donne  dans 
Texersue  a  Lucien. 


Ecu  d'or  de  Lucien  Grimaldi 

Coniiits  pour  le  droit  cle  mer  avec  Nice  et  la 
Provence  (i 5 1 7).  —  Cette  periode  ne  fut  troublee 
que  par  un  conflit,  ne  en  1 5 17  des  abus  que  les 
Nicois  faisaient  de  l'immunite  de  leur  pavilion  pour 
passer  devant  Monaco,  en  fraude  du  droit  de  rner, 
des  marchandises  etrangeres.  Lucien  ayant  opere  des 
saisies,  les  Nicois  obtinrent  du  due  de  Savoie  sa 
comparution  devant  le  tribunal  du  gouverneur  de 
Nice  comme  vassal  de  Menton  et  Roquebrunc.  Cette 
procedure  violait  non  seulement  le  droit  souverain 
de  Monaco,  mais  Fautonomie  judiciaire  de  Menton 
et  Roquebrune,  formellement  reservee  dans  Pinfeo- 

9 


—     I  00    — 

dation  de  1448.  Lucien  declina  la  competence  du 
gouverneur,  et  protesta  de  son  droit  souverain  a 
Monaco  ;  il  fut  alors  menace  de  saisie  feodale  sur 
les  deux  seigneuries  vassales.  L'affaire  aboutit  a  un 
arbitrage  d'ou  son  droit  sortit  une  fois  encore  intact. 
Une  tentative  du  meme  genre  contre  le  droit  de 
mer  egalement  portee  la  meme  annee  par  les  Pro- 
vencaux  au  conseil  du  Roi,  n'eut  pas  plus  de  succes. 

Difficultes  financieres  de  Lucien  (1 5  1 7-1 5  2 '3  . 
—  Cependant,  Lucien  etait  aux  prises  avec  de  serieux 
embarras ;  malgre  des  promesses  reiterees,  le  roi  de 
France  n'avait  pas  regie  les  enormes  depenses  du  siege 
de  1  5o6  ;  les  pensions  et  les  subsides  pour  la  garnison 
etaient  suspendus  011  retardes.  D'autre  part,  le  paie- 
ment  de  la  dot  de  Marie  Grimaldi  et  les  obligations 
souscrites  envers  le  comte  de  Tende  pour  racheter 
les  pretentions  des  Lascaris  sur  Menton,  achevaient 
de  rendre  la  situation  fortement  oberee  ;  elle  devint 
encore  plus  difficile  lorsqu'apres  la  declaration  de 
guerre  entre  Francois  Ier  et  Charles-Quint,  Genes 
tomba  en  022  entre  les  mains  des  lieutenants  de 
TEmpereur. 

Triple  negociation  avec  Francois  Ier,  Genes 
et  Charles-Quint  11  522-1  523).  —  Expose  aux  coups 
des  belligerants,  Lucien  se  trouva  accule  a  la  necessite 
de  parer  a  une  situation  aussi  dangereuse ;  il  tenta  a 


—    1 0 1    — 

la  fois  trois  combinaisons  ;  tandis  que  par  Augustin 
il  reprenait  avec  la  cour  de  France  les  pourparlers 
entames  en  iSoy  p. air  I'echange  ou  la  vente  de 
Monaco,  il  en  suivait  secretement  de  semblables  avec 
Genes  et  en  meme  temps,  encourage  par  les  Grimaldi 
de  Genes  qui  passaient  alors  au  parti  de  Charles- 
Quint,  il  faisait  offrir  aux  lieutenants  de  I'Empereur 
de  se  placer  sous  la  protection  imperiale. 

Un  crime  odieux,  terrible  et  providentielle  expia- 
tion du  meurtre  de  Jean  Grimaldi.  vint  couper  court 
a  ces  negociations. 

Visees  d'Andre  Doria  sur  Monaco  1 522-1 523). 
—  Apres  la  prise  de  Genes.  Monaco  avait  ete  le  refuge 
des  Genois  du  parti  francais  et  entre  autres  du  celebre 
marin  Andre  Doria.  L  importance  pour  sa  marine 
de  la  possession  dun  port  ne  dependant  de  personne, 
pas  meme  de  Genes,  n'avait  pu  echapper  a  ce  dernier 
et  il  rencontra,  dans  la  plus  etroite  parente  de  Lucien 
un  de  ses  proches  parents  dont  les  ambitions  per- 
verses  etaient  trop  bien  d'accord  avec  son  interet 
pour  qu'une  entente  ne  s'etablit  pas  de  suite  entre 
eux. 

Complot  de  Barthelemy  Doria  de  connivence 
avec  Andre  Doria  ,  1  5 2 3 ) .  —  Barthelemy  Doria, 
seigneur  de  Dolceaqua,  etait  le  fils  aine  de  Francoise 
Grimaldi;   il  etait  traite   par  ses    oncles  Lucien   et 


—    1^2    — 

Augustin  avec  une  affection  particuliere ;  il  y  repon- 
dait  par  une  haine  secrete  et  hypocrite.  Quoique  le 
testament  de  Claudine  ne  l'appelat,  a  defaut  des 
enfants  de  Lucien,  a  la  succession  de  Monaco  qu'apres 
Marie  Grimaldi,  il  ne  reculait  pas  devant  la  pensee 
de  s'assurer  cet  heritage  en  supprimant  ceux  qui  Ten 
separaient  le  plus   directement. 

Quels  qu'aient  ete  les  mobiles  qui  firent  agir 
Barthelemy,  ces  mobiles  etaient  domines  par  Finteret 
superieur  d'Andre  Doria.  Sa  faiblesse  d'esprit  le 
mettait  a  la  discretion  d'une  volonte  plus  ferme  que 
la  sienne  ;  aussi,  jamais  complot  organise  d'une  facon 
plus  habile,  n'echoua  plus  piteusement  par  suite  des 
defaillances  de  celui  qui  en  avait  assume  Texecution. 

Se  defaire  de  Lucien  et  de  ses  enfants,  et  se  rendre 
maitre  du  chateau  de  Monaco,  tel  etait  le  role 
qu'avait  accepte  Barthelemy;  mais,  la  reussite  n'etait 
possible  qu'a  la  condition  d'une  diversion  exterieure 
qui  tint  en  respect  la  population  et  procurat  imme- 
diatement  aux  conjures  un  puissant  secours.  Ce  fut 
la  part  reservee  aux  galeres  d'Andre  Doria,  dont  les 
equipages  debarques  devaient  etre  introduits  dans  la 
forteresse ;  Texecution  fut  done  suspendue  jusqu'a 
leur  arrivee  dans  les  parages  de  Monaco. 

Assassinat  de  Lucien  Grimaldi  (22  aout  i523). 
—  Lorsque  Barthelemy  eut  ete  informe  de  Tapproche 
des  galeres,  il  fit  part  a  Lucien  d'un  pretendu  projet 


—   1:0  — 

de  voyage  en  France,  ou  il  voulait  prendre  du  service, 
en  se  faisant  accompagner  d'une  vingtaine  d'hommes, 
ses  proteges,  exiles  de  San  Remo  pour  une  rixe,  et 
pour  lesquels  il  demandait  Thospitalite  au  chateau 
de  Monaco.  On  eut  l'imprudence  de  les  accueillir. 

Le  22  aout  1 5 2 3 ,  Barthelemy  arrive  a  Monaco 
avant  Theure  de  la  messe.  Deja  trouble,  il  refuse  d'y 
accompagner  Lucien,  et  pendant  le  repas  son  air 
egare  frappe  les  assistants.  II  se  retire  ensuite  avec 
son  oncle  dans  une  piece  au  fond  d'une  galerie, 
pour  se  faire  remettre  des  lettres  de  recommandation 
a  la  cour.  II  eloigne  les  officiers  et  une  partie  du 
personnel  du  chateau  sous  pretexte  d'aller  au  port 
recevoir  les  galeres  d'Andre  Doria,  a  ce  moment 
signalees.  Lucien  se  trouve  alors  isole  au  milieu  des 
assassins  et  il  est  frappe  sans  defense  de  quarante- 
deux  coups  de  poignard. 

Les  conjures  sont  maitres  du  premier  etage  du 
chateau  ;  mais  ils  ont  oublie  de  s"assurer  de  Tetage 
superieur,  en  sorte  que  le  signal  pour  avertir  les 
galeres  ne  peut  etre  fait  du  haut  de  la  tour  d'ou  il 
est  attendu  ;  execute  d'une  autre  place,  il  n'est  pas  vu 
ou  pas  compris. 

Echec  du  complot ;  fuite  des  assassins.  —   La 

diversion  indispensable  des  galeres  ne  se  faisant  pas, 
la  population  attirce  par  les  cris  des  gens  refugies  a 
Tetage  superieur  du  chateau,  force  la   porte    de    la 


-    134  — 
grande  cour.  La  vue  du  cadavre  traine*  sanglant  sur 

les  marches  de  Tescalier  de  la  grande  galerie.  excite 
non  la  stupeur  mais  une  indignation  generate.  On  fait 
taire  Barthelemy  lorsqu'il  veut  expliquer  son  crime 
en  pretendant  avoir  agi  pour  les  droits  de  Marie 
Grimaldi ;  on  lui  retorque,  au  milieu  de  cris  de 
mort,  que  Lucien  disparu  Theritage  appartient  a 
Augustin  et  aux  enfants  de  la  victime.  Mais  les 
assassins  ont  entre  leurs  mains  la  veuve  du  seigneur 
assassine,  Jeanne  de  Ponteves  et  ses  enfants  ;  c'est  le 
gage  de  leur  impunite.  Les  principaux  officiers 
s'interposent  et,  movennant  la  vie  sauve,  Barthelemy 
et  ses  complices  consentent  a  se  retirer.  lis  sont 
reconduits  hors  des  portes,  a  grand  peine  defendus 
contre  une  foule  exasperee. 

A  ce  moment  Augustin  Grimaldi  venantde  Cannes, 
debarquait  inopinement  au  port,  apres  avoir  traverse 
les  galeres  de  Doria  sans  avoir  cte  reconnu  ;  la  chasse 
s'organise  a  travers  les  senders  de  la  montagne,  et 
Barthelemy  Doria  est  fait  prisonnier  pres  de  la 
Turbie.  Mais  cette  prise  constitue  une  violation  de 
territoire  et  les  autorites  de  Savoie  font  relacher 
Tassassin. 


CHAPITRE    XII 

AUGUSTIN    GRIMALDI    LE    PROTECTORAT    ESPAGNOL 

f  1 523- 1 532) 


Augustin  Grimaldi,  eveque  de  Grasse,  sei- 
gneur viager  de  Monaco  1  5 2 3  .  —  Augustin  Gri- 
maldi, qui  succedait  avant  ses  neveux  et  a  titre  viager 
dans  les  seigneuries  de  sa  maison  en  vertu  des  dis- 
positions de  sa  mere  Claudine,  n'avait  cesse  d'etre 
pour  son  frere,  depuis  le  siege  de  1  5o6,  le  plus  devoue 
des  negociateurs  a  la  cour  de  France.  Mais  il  s'etait 
surtout  consacre  a  son  diocese  de  Grasse  et  a  son 
abhave  de  Lerins,  dans  lesquels  il  avait  succede  a 
son  oncle  Jean-Andre  Grimaldi.  A  Lerins,  il  avait 
entrepris  la  reforme  de  la  regie  de  l'abbaye  et  avait 
appele  dans  ce  but  1'illustre  religieux,  depuis  cardi- 
nal. Gregorio  Cortese.  Ses  gouts  et  ses  aptitudes  le 
portaient  vers  les  belles-lettres,  et  les  remarquables 
qualites  qu'on  trouve  dans  sa  correspondance  avec 
quelques-uns  des  plus  eminents  personnages  de  son 
temps  montrent  qu'il  eut  conquis  dans  cette  voie  une 
place  tres  distinguee. 


-   i36  — 

A  Tissue  de  la  derniere  session  du  concile  de 
Latran,  en  1 5 17,  qui  co'incida  avec  la  prise  de  Jeru- 
salem par  les  Turcs  sur  les  califes  d'Egypte,  il 
n'avait  pas  craint  d'entreprendre  le  pelerinage  des 
Lieux-Saints  dans  des  conditions  particulierement 
perilleuses,  au  moment  oil  se  reveillait  plus  violent 
le  fanatisme  musulman. 

Reconnaissance  de  la  souverainete  de  Mo- 
naco par  Clement  VII.  —  Les  tragiques  evenements 
de  Monaco  arracherent  pour  toujours  Augustin 
a  ses  occupations  favorites.  II  trouva,  des  le  debut, 
aupres  du  pape  Clement  VII,  elu  sur  ces  entre- 
faites,  et  qui  avait  apprecie  ses  qualites  au  concile  de 
Latran,  un  concours  des  plus  precieux.  Une  bulle  du 
19  fevrier  024,  par  laquelle  il  obtint  les  dispenses 
canoniques  pour  le  gouvernement  des  seigneuries, 
consacra  expressement  l'autonomie  de  Monaco,  «  son 
«  seigneur  ne  reconnaissant  aucun  superieur  au  point 
«  de  vue  tempore!  ». 

Les  assassins  de  Lucien  laisses  impunis  en 
France  ( 1 5 23 ).  —  Des  lors,  Augustin  n'eut  plus 
qu'une  pensee  :  celle  de  venger  son  frere  et  de  pour- 
suivre  la  punition  des  assassins  ;  mais,  malgre  les 
ordres  donnes  par  Francois  Ier  pour  Farrestation  de 
Barthelemy  Doria  et  de  ses  complices,  ceux-ci,  cou- 
verts   par  la  protection  d'Andre  Doria ,  alors  tout 


-  i37- 

puissant  a  la  cour  de  France,  ne  furent  nullement 
inquietes;  bien  plus,  les  sujets  monegasques  furent 

impunement  maltraites  dans  les  ports  de  Provence 
par  les  marins  d'Andre*  Doria. 

Occupation  par  Augustin  des  seigneuries  de 
Barthelemy  Doria  [523  .  —  Par  contre,  Augustin 
trouva  a  Genes  un  grand  empressement  pour  mettre 
Monaco  a  Tahri  d'un  coup  de  main  de  la  part  des 
galeres  de  Doria,  et  la  marine  genoise  contribua 
meme,  par  ses  equipages,  a  Toccupation  effectuee 
de  vive  force  de  Dolceaqua  et  des  autres  seigneuries 
appartenant  a  Barthelemy  Doria,  dont  les  habitants 
vinrent.  le  3  novembre  i523,  a  Monaco,  preter  ser- 
ment  de  fidelite  entre  les  mains  du  seigneur-eveque, 
comme  vassaux  des  Grimaldi. 

Augustin  attire  dans  Talliance  de  Charles- 
Quint  par  les  Grimaldi  de  Genes  i  524'.—  Maitre 
en  fait  des  seigneuries  du  meurtrier,  Augustin  tendit 
des  lors  avec  opiniatrete  a  faire  donner  une  sanction 
reguliere  a  cette  conquete  dont  il  faisait  une  satis- 
faction pour  l'attentat  dont  sa  famille  avait ete  victime. 
II  fallaitdonc  obtenir  de  TEmpereur  la  devolution  de 
ces  fiefs  a  la  maison  de  Monaco,  et  cette  consideration, 
habilement  exploitee  par  les  Grimaldi  de  Genes, 
Tamena  a  reprendre  avec' les  lieutenants  de  Charles- 
Quint  les  ncgociations  entameesquelquesmois  aupa- 
ravant  par  Lucien. 


—  1 38  — 

Hesitations  d' Augustin,  ses  avances  repous- 
sees  en  France  (1524).  —  Neanmoins  le  seigneur- 
evfique  hesita  longtemps  avant  de  prendre  le  parti 
d'une  defection  complete  vis-a-vis  de  la  France. 
Apres  la  defaite  de  Bonnivet  a  Gattinara,  il  offrait 
encore  a  Francois  Ier  de  mettre  sa  place  a  son  ser- 
vice; les  conditions  inadmissibles  par  lesquelles  on 
repondit  a  ses  avances  equivalaient  a  un  refus.  En 
meme  temps  les  violences  contre  les  sujets  de 
Monaco  continuerent  en  Provence  et  les  galeres 
dAndre  Doria  vinrent  canonner  Menton  ou  Augus- 
tin  faillit  etre  tue  ;  enfin,  le  gentilhomme  charge  de 
porter  les  plaintes  du  seigneur-eveque  au  Roi  fut 
arrete  en  Provence  et  on  ne  recut  a  Monaco  aucune 
reponse  ni  satisfaction. 

Augustin  passe  a  Taliiance  de  FEmpereur ; 
influence  du  connetable  de  Bourbon  (1524).  — 

Ces  precedes  determinerent  Augustin  a  se  jeter  dans 
les  bras  de  I'Empereur.  La  presence  a  Genes  du 
connetable  de  Bourbon,  traitre  a  sa  patrie  et  passe 
au  service  de  TEmpereur,  exerca  des  lors  sur  sa 
volonte  une  action  decisive  et  Leonard  Grimaldi  de 
Nice,  son  fonde  de  pouvoir  en  Espagne,  recut  l'ordre 
de  traiter  avec  la  chancellerie  imperiale. 

C'etait  le  moment  ou  Tarmee  commandee  par  le 
connetable  de  Bourbon  prononcait  son  mouve- 
ment  sur  la  Provence  ;  le  port  de  Monaco  servait  de 


—  i3g  — 
base  au  ravitaillemt  de  Farmee  imperiale.  Alors 
seulement  on  comprit  en  France  la  faute  dlavoir 
dedaigne  les  propositions  d'Augustin  ;  un  emissaire 
lui  fut  envoye  avec  «  carte  blanche  ».  II  etait  trop 
tard  et  les  engagements  etaient  definitivement  pris 
avec  Charles-Quint. 

Traite  de  Burgos ;  protestation  d'Augustin 
contre   la   clause   de   vassalite    (juin    1524).  — 

Cependant  Leonard  Grimaldi,  outrepassant  ses 
pouvoirs,  avait  conclu  avec  la  chancellerie  un  traite 
signe"  le  7  juin  a  Burgos,  qui  ne  stipulait  pas  seule- 
ment la  protection  imperiale  accordee  a  la  seigneurie  ; 
le  premier  article  obligeait  le  seigneur  de  Monaco  et 
ses  heritiers  a  faire  horn  mage  a  I'Empereur  et  trans- 
formait  ainsi  en  vassalite  l'autonomie  jusque-la 
formellement  reconnue  a  la  seigneurie  de  Monaco 
entre  les  mains  des  Grimaldi. 

Uu  rescrit  de  TEmpereur  enjoignit  done  a  Augus- 
tin  de  rendre  l'hommage  feodal.  Quoiqu'en  ce 
moment  it  la  merci  des  armees  et  des  flottes  impe- 
riales  dont  il  etait  entoure,  celui-ci  n'hesita  pas  a 
protester  et  a  desavouer  son  mandataire  ;  sa  protes- 
tation eut  un  plein  su.cces,  grace  surtout  a  Tinter- 
vention  du  connetable  de  Bourbon  et  aux  services 
que  le  seigneur-eveque  continua  de  rendre  pendant 
la  retraite  des  imperiaux  de  Provence  a  la  suite  de 
1'heroique  resistance  de  Marseille. 


—  140  — 

Declaration  de  Tordesillas,  reconnaissance 
de  la  souverainete  de  Monaco  par  le  traite 
de  protectorat  (novembre  1  5  34).  —  On  ne  redigea 
pas  cependant  un  nouveau  traite,  mais  la  ratification 
du  traite  de  Burgos,  donnee  par  Charles-Quint  le 
1  5  novembre  1524,  a  Tordesillas,  visa  la  protestation 
d'Augustin  ;  elle  etablit  explicitement  que  Monaco 
etait  un  etat  absolument  independant  de  tout  supe- 
rieur  et  declara  en  consequence  non  ecrites  les 
clauses  qui  prescrivaient  Thommage  feodal.  Une 
alliance  ou  confederation  etait  seule  stipulee  entre  le 
protecteur  et  le  protege,  et  ce  lien  laissait  a  celui-ci 
sa  plus  complete  autonomic  ;  un  subside  en  temps  de 
guerre  lui  etait  assure  pour  la  defense  de  sa  place 
dont  il  restait  entierement  maitre,  avec  une  garnison 
recrutee  et  commandee  par  lui  ;  enfin,  des  avantages 
lui  etaient  formellement  promis  en  indemnite  des 
biens  et  des  benefices  qui  lui  etaient  confisques  en 
France  par  suite  de  sa  defection.  Le  protege  devait 
en  outre  figurer  nominativement  dans  tous  les  traites 
de  paix  conclus  par  TEmpereur. 

Une  serie  de  rescrits  accorderent,  en  outre,  a  Au- 
gustin,  une  pension  comme  conseiller  de  TEmpereur 
et  le  privilege  de  tirer  des  bles  de  Sardaigne  et  de 
Sicile  pour  Falimentation  des  seigneuries.  Enfin,  le 
connetable  de  Bourbon  etait  delegue  comme  com- 
missaire  pour  proceder  a  la  devolution  des  fiefs  de 
Barthelemy  Doria  a  la  maison  de  Monaco. 


—  141  — 
Augustin  ratifia  definitivement  a  son  tour,  par  des 
lettres  patentes  scellees  Le  10  avril  i525,  un  acte  qui, 

pendant  cent  dix-huit  ans,  allait  entrainer  Monaco 
dans  Torbite  de  la  politique  espagnole. 


Sceau  d'Augustin  Grimaldi 

Services  rendus  par  Augustin  pendant  la 
campagne  de  Pavie  ( i  525).  —  Les  services  qu'Au- 
gustin  ne  cessa  de  rendre,  pendant  l'hiver  de  1 525, 
en  assurant  les  communications  par  Monaco  de 
TEspagne  avec  rarmee  imperiale  du  Milanais,  justi- 
rierent  les  concessions  de  TEmpereur  ;  ces  services 
furent  tellement  apprecies  qu'apres  la  victoire  de 
Pavie,  Charles- Quint  s'empressa  de  remercier, 
dans  les  termes  de  la  plus  vive  gratitude,  le  seigneur- 
eveque  de  bons  offices  qui  avaient  eu  tine  action 
importante  sur  le  succes  inespere  de  la  campagne. 


Arrestation  de  Barthelemy  Doria  a  Monaco 
au  mepris  d'un  sauf-conduit ;  sacondamnation; 
il  est  relaehe  ( i  525).  —  Neanmoins  la  regularisa- 


—  142  — 

tion  de  l'occupation  des  fiefs  de  Doria  subissait  des 
retards  qui  desesperaient  Augustin.  De  son  cote  Bar- 
thelemv,  reduit  a  la  situation  la  plus  critique,  trouva 
dans  l'entourage  du  seigneur-eveque  des  interme- 
diaires  qui  chercherent  a  provoquer  un  rapproche- 
ment entre  l'oncle  et  le  neveu.  Augustin  consentit  a 
recevoir  ce  dernier ;  mais,  au  mepris  d'un  sauf-conduit 
qu'il  lui  avait  accorde,  il  le  fit  arreter  presque  aussitot 
apres  son  arrivee,  et  le  proces  criminel,  interne  par  le 
baile  de  Monaco,  aboutit  a  une  condamnation  capi- 
tale  et  a  une  sentence  portant  confiscation  des  biens. 
L'intervention  energique  de  Clement  VII  empecha 
Texecution  du  meurtrier.  II  paraitrait,  du  reste, 
qu'Augustin  n'avait  pas  Tintention  de  pousser  jus- 
qu'au  bout  sa  vengeance  sur  la  personne  de  Barthe- 
lemy.  II  aurait  voulu  seulement  obtenir  une  sentence 
contradictoire  qui,  en  prononcant  la  confiscation  des 
biens,  eut  rendu,  pensait-il,  la  devolution  de  ces 
biens  aux  Grimaldi  plus  facile.  Cette  sentence  obte- 
nue,  il  relacha  Tassasin.  Mais  le  connetable  de 
Bourbon,  delegue  pour  les  formalites  de  cette  devo- 
lution, mourut  avant  d'avoir  pu  remplir  le  mandat 
qu'il  avait  recu  de  TEmpereur. 

Mort  tragique  de  Barthelemy  Doria.  —  Bar- 
thelemy  Doria,  redevenu  libre,  trouva  quelque  temps 
apres  la  mort  dans  une  attaque  de  nuit  contre 
le  chateau  de   Penna,  dont  Augustin  avait  la  garde. 


—  143  — 

Precipite  au  pied  des  escarpements  qu'il  avait  esca- 
lades, il  perit,  providentiellement  chatie  par  Faflfreux 
genre  de  mort  qu'il  avait  cyniquement  regrette  de 
rf avoir  pu  intiiger  a  la  veuve  et  aux  enfants  de  Lucien 
Grimaldi,  lors  de  son  odieux  forfait. 

Augustin  compris  dans  le  traite  de  Madrid 

^i  52b1.  — -  Le  traite  de  Madrid,  arrache  a  Francois  Ier 
captif  parson  vainqueur,  fut  Toccasion  pour  Charles- 
Quint  d'executer  une  des  clauses  de  la  declaration 
de  Tordesillas.  Les  interets  du  petit  allie  de  TEmpe- 
reur  font  Tobjet  d1un  des  articles  de  ce  traite  : 
Augustin  dut  etre  restitue  par  le  roi  de  France  dans 
tous  ses  biens  et  ses  benefices  confisques  depuis  sa 
defection.  Mais  le  traite  devait  rester  lettre  morte  ; 
l'envoye  du  seigneur  de  Monaco  charge  de  hater 
I'execution  de  ce  qui  concernait  son  maitre,  assista  a 
Tarrivee  de  Francois  Ier  a  Cognac  ;  d'abord  Tobjet 
de  quelques  attentions  de  la  part  d'anciens  amis 
d'Augustin,  son  refus  de  preter  Toreille  a  des  propo- 
sitions pour  le  retour  de  son  maitre  a  Talliance  fran- 
caise  le  fit  bientot  traiter  en  ennemi,  et  il  dut  se 
retirer  sans  avoir  rien  obtenu,  mais  non  sans  avoir 
risque  de  se  voir  arretc. 

Dangers  courus  par  Monaco  apres  la  rup- 
ture du  traite  ;  Augustin  archeveque  d'Oris- 
tano    (i52b).  —   Les    hostilites    ne    reprirent    pas 


—  i44  — 
ouvertcment  entre  Charles-Quint  et  Francois  Ier 
apres  la  rupture  du  traite  de  Madrid,  mais  la  ligue 
italienne,  formee  contre  TEmpereur  par  le  Pape, 
Venise,  Florence  et  le  due  de  Milan  Francois  Sforza, 
ne  cessa  pendant  le  reste  de  l'annee  i  520,  d'insulter 
les  allies  de  TEspagne.  Andre  Doria,  amiral  de  la 
ligue,  fut  recu  avec  enthousiasme  a  Vintimille,  et 
Augustin  eut  a  subir  toute  espece  d'avanies  du  cote 
de  Nice. 

L'Empereur  dut  accorder  sauvegarde  a  la  place  de 
Monaco  dont  il  reconnut  le  droit  du  port ;  il  com- 
pensa  en  meme  temps  les  pertes  faites  en  France  par 
Augustin  en  lui  donnant  Tarcheveche  d'Oristano, 
en  Sardaigne,  et  'des  revenus  sur  plusieurs  dioceses 
en  Espagne,  notamment  sur  ceux  de  Burgos  et  de 
Badajoz. 

Inexecution  des  engagements  financiers  de 
TEspagne;   mort   du    connetable   de    Bourbon 

(i 526-1 527).  —  Neanmoins l'ere  des  mecomptes  etait 
venue  pour  Augustin  ;  la  mauvaise  organisation 
de  Tadministration  financiere  de  Charles-Quint  met- 
tait  obstacle  a  Textcution  des  engagements  pris  a 
Tegard  de  Monaco  ;  la  place  restait  sans  subsides,  les 
envois  des  bles  etaient  arretes  par  Tincurie  ou  la 
mauvaise  volonte  des  agents  de  Sicile  et  du  royaume 
de  Naples,  et  le  seigneur-eveque,  menace  a  la  fois  du 
cotes  des  etats  de  Savoie  et  du  cote  de  la  mer,  se 


—  145  — 

debattait  dans  line  situation  dangereuse,  souffrant 
de  cette  penurie  d'argent  dont  il  n'etait  pas  seul  vic- 
time  et  qui,  au  commencement  de  027,  precipita 
rarmee  imperiale  sur  Rome,  la  ou  le  connetable  de 

Bourbon  devait  trouver  la  mort. 

Augustin  cherche  a  vendre  ou  a  echanger 
Monaco  ;  perte  des  seigneuries  de  Barthelemy 
Doria  (1527).  —  Le  connetable  de  Bourbon  avait 
exerce  sur  Augustin  Grimaldi  une  influence  fascina- 
trice ;  sa  disparition  rejeta  le  seigneur  ev&que  dans 
une  politique  d'indecisions,  resultat  des  mecomptes 
dont  il  avait  si  grandement  a  souffrir.  L'etat  de  guerre 
avait  depuis  plusieurs  annees  presque  entierement 
supprime  en  fait  le  droit  de  mer,  le  seul  revenu  de 
la  seigneurie,  et  l'incertitude  de  Tissue  de  la  lutte 
entre  la  France  et  Charles-Quint  augmentait  encore 
les  angoisses  d'Augustin  en  lui  faisant  craindre  de  se 
trouver  isole  et  sans  defense.  II  songa  done  a  revenir 
au  projet  de  Lucien  de  ceder  la  place  contre  un 
echange  de  seigneuries.  II  s'adressa  d'abord  a  la 
Savoie,  mais  lorsque  Genes  fut  tombee  entre  les 
mains  des  partisans  de  la  France  (aout  1527),  il  recut 
de  ceux-ci  des  ouvertures  bientot  interrompues  par 
le  fait  des  Doria  qui  chasserent  des  anciennes  sei- 
gneuries de  Barthelemy  les  officiers  du  seigneur  de 
Monaco,  tandis  qu'Andre  Doria  ravageait  cruelle- 
ment  Menton  de  concert  avec  ses  parents. 

10 


—  146  — 

Augustin  attire  vers  la  France  par  son  en- 
tourage de  famille ;  pourparlers  avec  Lautrec 

(1527).  —  Les  tendances  de  rapprochement  vers  la 
France  etaient  habilement  exploitees  par  Tentou- 
rage  d'Augustin  reste  ouvertement  francais.  Sa  soeur 
ainee,  mariee  a  Honore  de  Villeneuve,  seigneur  de 
Tourettes,  faisait  son  sejour  habituel  a  Monaco,  oil 
les  Grimaldi  d'Antibes  avaient  toujours  acces  avec 
d'autres  families  provencales  alliees  a  eux.  Mais  c'etait 
surtout  la  veuve  de  Lucien,  remariee  a  un  prince  de 
la  maison  de  Savoie,  le  comte  de  Pancalieri,  qui 
avait  avec  son  mari,  tout  devoue  a  la  cause  de  la 
France,  le  plus  d'action  sur  son  esprit.  Or,  dans  les 
derniers  mois  de  Tannee  1527,  le  marechal  de  Lau- 
trec avait  passe  les  Alpes  avec  une  armee  francaise.  Ce 
fut  par  son  intermediate  que  Pancalieri  fit  parvenir 
les  conditions  auxquelles  Monaco  eut  fait  retour  au 
protectorat  de  Francois  Ier.  Mais  une  fois  encore  la 
puissance  francaise  allait  subir  une  eclipse  en  Italie 
et  Taneantissement  de  Tarmee  de  Lautrec,  detruite 
par  la  peste  devant  Naples,  mit  fin  a  cette  nego- 
ciation. 

Reprise  de  negociations  pour  l'echange  de 
Monaco  avec  la  Savoie,  l'Empereur  et  Genes 

(1 528-1 529).  —  Les  pourparlers  pour  la  vente  de 
Monaco  reprirent  avec  la  Savoie  ;  mais,  en  meme 
temps,  Augustin  faisait  des  ouvertures  analogues  a 


—  H7  — 
l'Empereur  lui-meme,  puis  bientot  apres  a  la  rcpu- 
blique  de  Genes. 

La  defection  d'Andre  Doria,  qui  venait  de  passer 
au  service  de  Charles-Quint,  n'avait  pas  altere  les  rap- 
ports de  Monaco  avec  la  chancellerie  imperiale  qui 
usa  de  bons  procedes  pour  attenuer  ce  que  cet  inci- 
dent pouvait  susciter  d'ombrages  chez  Augustin.  Du 
reste  celui-ci,  tout  entier  a  ses  projets  d'alienation  de 
la  forteresse,  n  nesita  pas  a  choisir  ce  moment  meme 
pour  proposer  a  Genes,  alors  dominepar  son  ennemi, 
la  vente  de  la  place.  Les  chefs  des  deux  branches 
principales  des  Grimaldi  de  Genes,  l'opulent  An- 
saldo,  alors  le  principal  financier  de  Charles-Quint,  et 
Nicolas,  qui  marchaient  en  tout  d'accord  avec  Andre 
Doria,  furent  les  agents  ecoutes  de  ce  rapprochement. 
Augustin  recherchait  l'echange  de  Monaco  contre 
la  souverainete  de  la  ville  de  Vintimille,  a  laquelle  on 
aurait  joint  les  anciens  fiefs  de  Barthelemy  Doria 
rachetes  a  cet  effet  par  la  Republique.  Le  seigneur- 
eveque  eut  ainsi  constitue  avec  Menton  et  Roque- 
brune  un  domaine  d'une  etendue  relativement  consi- 
derable et  homogene,  qu'il  pensait  encore  augmenter 
en  faisant,  a  la  fin  de  Tannee  1229,  I'acquisition  de 
la  seigneurie  de  Sainte-Agnes,  au-dessus  de  Menton. 
Ces  projets  n'arriverent  pas  a  realisation;  en  ce  qui 
concerne  en  particulier  Sainte-Agnes,  les  habitants 
refuserent,  les  armes  a  la  main,  de  changer  de  sei- 
gneur, et  le  due  de  Savoie  dut  resilier  le  marche. 


—  148  — 

Conventions  relatives  aux  galeres  et  aux 
subsides  (1  528-1  529).  —  Cependant  lesembarrasqui 
mettaient  Augustin  aux  prises  avec  tant  de  difficulties 
et  Pamenaient  a  des  tentatives  en  sens  si  divers, 
s'etaient  attenues  a  la  fin  de  1  528  ;  les  subsides  de 
Tannee  courante  furent  payes  ainsi  que  les  pensions  ; 
et  les  galeres  monegasques  furent  admises  dans  la 
flotte  imperiale  ou  elles  durent  etre  entretenues  aux 
frais  de  TEmpereur.  En  meme  temps  lesnegociations 
avec  la  France  qui  aboutirent  au  traite  de  Cambrai 
donnaient  Tespoir  de  voir  bientot  restitues  les  bene- 
fices et  les  biens  confisques  en  Provence. 

Au  mois  de  juillet  1529  une  nouvelle  convention 
signee  a  Monaco,  regla  la  question  des  arrieres  de 
subsides  et  de  pensions  remontant  a  024.  En  paie- 
ment  de  ces  arrieres  et  aussi  en  remplacement  de  ces 
subsides  supprimes  a  Tavenir,  il  fut  attribue  a 
Augustin  et  a  ses  successeurs  1111  grand  domaine 
titre  dont  il  serait  investi  dans  le  royaume  de  Naples. 

Visite  de  Charles-Quint  a  Monaco  (1529).— 

Une  derniere  satisfaction,  celle-la  toute  d'amour- 
propre,  etait  reservee  a  Augustin.  La  convention  de 
juillet  1 529  ne  precedait  que  de  quelques  jours  la 
visite  de  l'Empereur  en  personne  a  Monaco. 

Convoye  par  la  flotte  commandee  par  Andre  Doria, 
Charles-Quint,  quittant  TEspagne  pour  venir  se 
faire  couronner  a  Bologne,  debarqua  a  Monaco  le 


—  149  — 
5  aout  i  5-2o,  le  jour  meme  de  la  signature  du  traite 
de  Cambrai,  et  y  sejourna  jusqu'au  9  du  meme  mois. 
Lorsqu'il  se  rembarqua  pour  Genes  il  y  fut  accom- 
pagne  par  Augustin  Grimaldi  et  par  le  neveu  et 
heritier  de  celui-ci,  le  jeune  Honore.  fils  de  Lucien, 
alors  age  de  sept  ans. 

Contraste  entre  la  bonne  volonte  de  l'Empe- 
reur  et  les  actes  de  ses  agents  1  529-1  532  . — 
Les  bonnes  dispositions  de  Charles-Quint  rfetaient 
pas  douteuses,  mais  elles  etaient  continuellement 
contrecarrees  par  l'incurie  ou  la  mauvaise  volonte 
de  ses  agents  ;  aussi,  apres  quelques  mois  d'exacti- 
tude  dans  rexe^ution  des  engagements  contracted, 
les  memes  difficultes  se  representaient,  des  la  tin 
de  029,  et  Tinvestiture  stipulee  d'un  grand  fief  dans 
le  rovaume  de  Naples  subissait  delais  sur  delais. 

Augustin  propose  comme  cardinal  par  Char- 
les-Quint 1  53  1  . —  Un  incident  marque  mieux  que 
tout  le  reste  cette  contradiction  entre  la  bienveillance 
imperiale  et  Texecution  des  volontes  les  plus  for- 
melles  de  TEmpereur.  An  commencement  de  Tan- 
nee  1 53 1  Charles-Quint  postulait  pour  Augustin  le 
chapeau  de  cardinal  ;  il  avait  donne  dans  ce  but  des 
ordres  formels  a  ses  ambassadeurs  a  Rome.  La 
negociation  rencontra  de  nombreux  obstacles,  preci- 
sement  par   suite   de  Topposition  des  membres   du 


—  i5o  — 

Sacre-College  de  son  propre  parti,  tandis  que  la 
candidature  du  seigneur-eveque  etait  appuyee par  les 
cardinaux  du  parti  francais  et  ouvertement  sympa- 
thique  au  pape  Clement  VII  lui-meme.  Cette  oppo- 
sition se  prolongea  assez  pour  que  la  mort  frappat 
Augustin  avant  qu1il  cut  revetu  la  pourpre. 

Negociations  secretes  <T Augustin  pour  son 
retour  a  la  France ;  samort  mysterieuse  (i532). 
—  Par  suite  des  stipulations  du  traite  de  Cambrai, 
le  seigneur-eveque  put  librement  poursuivre  la  res- 
titution de  ses  biens  et  de  ses  benefices  en  France.  Ce 
fut  pour  lui  une  occasion  nouvelle  de  se  rapprocher 
des  amis  qu'il  avait  conserves  en  Provence,  et  cette 
circonstance  devait  l'amener  fatalement  a  revenir  a 
l'alliance  francaise.  Son  entourage  y  travaillait, 
surtout  sa  sceur,  Blanche,  dame  de  Tourettes  ;  on 
s'entendit  avec  le  comte  de  Tende,  gouverneur  de 
Provence,  sur  la  base  d\in  manage  entre  une  de  ses 
filles  et  le  jeune  Honore  Grimaldi. 

Au  commencement  de  Tannee  1 532,  Taccord 
paraissait  definitivement  conclu,  lorsque  Augustin 
Grimaldi  mourut  subitement  et,  selon  toute  proba- 
bility, empoisonne. 

C'est  ainsi  que  les  trois  fils  de  Claudine,  qui 
avaient  successivement  gouverne  son  heritage,  de- 
vaient  terminer  prematurement  leur  vie  par  une 
mort  violente. 


1  D  I     


CHAPITRE    XIII 

HON'ORK      I e  r      GRIMALDI 

( i 532-1 58i ) 


Les  Grimaldi  de  Genes  mettent  en  echee  la 
dame  de  Tourettes,  tutrice  d'Honore  Ier  i  5  32). 
—  La  tutrice  legitime  du  jeune  Honore  Ier,  sa  tante, 
Blanche  Grimaldi,  veuve  cTHonore  de  Villeneuve, 
seigneur  de  Tourettes,  se  trouva,  immediatement 
apres  la  mort  d'Augustin,  a  la  merci  des  agents  des 
Grimaldi  de  Genes  et  d'Andre  Doria,  tandis  que  tous 
les  serviteurs  provencaux  etaient  a  l'instant  meme 
expulses.  Ces  mesures  montrent  par  quels  ressorts 
avait  ete  amene  l'evenement  inopine  qui  entravait  le 
retour  de  Monaco  a  ralliance  francaise. 

D'accord  avec  les  delegues  des  trois  seigneuries, 
tout  devoues  a  Genes  et  a  TEspagne,  on  simula 
d'abord  Texistence  d'un  testament  de  Lucien,  qui 
aurait  autrefois  contie  la  tutelle  eventuelle  de  ses 
enfants  a  Ansaldo  Grimaldi,  puis  on  s'appuya  sur 
une  declaration  d'Augustin  qui  aurait  appele  Nicolas 
Grimaldi  au  partage  de  la  tutelle  avec   la  dame  de 


—    ID2    — 

Tourettes.  Celle-ci,  du  rcste,  se  montra  au  debut 
coirecte  vis-a-vis  de  l'Empereur;  non  seulement 
elle  reclama  de  la  chancellerie  imperiale  Pexecution 
des  engagements  pris  envers  Augustin,  mais  elle 
chercha  a  obtenir  pour  les  siens,  et  pour  son  fils  en 
particulier,  les  faveurs  imperiales.  De  son  cote, 
Charles-Quint  s'etait,  au  premier  avis,  empresse  de 
confirmer  toutes  les  concessions  et  tous  les  avantages 
qu'il  avait  souscrits  ;  il  fit  plus,  il  conceda  de  nouveau 
des  subsides  pour  Tentretien  de  la  place,  quoique 
leur  suppression  eut  ete,  en  i  529,  la  cause  principale 
de  la  donation  d'un  grand  fief  dans  le  royaume  de 
Naples.  Un  commissaire  imperial  vint,  en  outre,  a 
Monaco  apporter  les  secours  financiers  les  plus 
presses  et  surveiller  de  pres  les  evenements. 

Expulsion  de  la  dame  de  Tourettes  (juin  1 532). 

—  Les  managements  envers  la  dame  de  Tourettes 
ne  durerent  pas  longtemps.  Nicolas  Grimaldi  avait 
fait  agreer  son  frere  Etienne  pour  le  representer,  ou 
plutot  le  remplacer,  dans  le  conseil  de  tutelle.  Des 
bruits  de  conspiration  francaise  s'acceditaient;  on 
profita  du  premier  confiit  souleve  avec  les  delegues 
des  trois  seigneuries  pour  eloigner  Blanche  Grimaldi. 
Une  galere  monegasque  la  transporta  dans  son 
domaine  de  la  Napoule,  tandis  que  les  derniers 
confidents  d'Augustin,  maintenus  jusque-la  dans  la 
place,  etaient  contraints  de  se  retirer. 


—   i  53  — 

Etienne  Grimaldi  seul  tuteur.  —  Le  terrain  ctait 
entierement  deblaye  au  profit  des  Grimaldi  de  Genes 
et  d'Etienne  Grimaldi.  Ce  personnage  qui  allait  pen- 
dant pres  de  trente  ans  devenir  Farbitre  des  destinees 
de  Monaco,  ctait  un  esprit  absolu,  autoritaire  et 
resolu,  capable  de  toutes  les  audaces  et  qui  n'cnten- 
dait  partager  le  pouvoir  avec  personne. 

La  prise  du  pouvoir  par  Etienne  fut  accueillie 
avec  satisfaction  par  Tambassadeur  d'Espagne  a 
Genes  et  par  Andre  Doria;  bientot  apres  s'effectuait 
enfin  la  donation  du  domaine  concede  par  le  traite 
de  1 529  dans  le  rovaume  de  Naples.  Le  23  juil- 
leti532  Honore  Ier  recevait  la  seigneurie  de  Cam- 
pagna  erigee  en  marquisat,  et  celles  de  Terlizzo, 
Canosa,  Garagnone  et  Ripacandida.  En  meme 
temps  Etienne  obtint  une  pension  et  la  promesse 
d'importants  benefices  ecclesiastiques. 

Valenzuela  institue  resident  imperial  (decem- 
bre  1  532).  —  La  protection  imperiale  etait  du  reste, 
en  ce  moment,  tout  a  fait  nccessaire  pour  aider  a 
dejouer  les  entreprises  qui  s'organisaient  au  grand 
jour  dans  le  comte  de  Nice  contre  Monaco  au  profit 
des  Francais  ;  mais,  d'autre  part,  Etienne  montrait 
deja  une  energie,  une  initiative  personnelle  et  une 
jalousie  du  pouvoir  qui  demontrerent  a  la  chancel- 
lerie  espagnole  Tutilite  de  placer  pres  de  lui  dans  la 
seigneurie  un  controleur  en  etat  de  le  contenir ;  il 


—  1 54  — 
avait,  en  effet,  acquis  des  le  debut  une  grande  force 
en  flattant  les  instincts  tres  particularistes  des  habi- 
tants. 

A  la  tin  de  decembre  i  5  3 2,  un  resident  imperial, 
Francisco  de  Valenzuela,  fut  accredite  a  Monaco.  II 
fut  bien  vite  evident  que  la  bonne  harmonie  entre 
deux  hommes  egalement  d'humeur  tres  entiere  ne 
pourrait  durer  longtemps,  mais  un  conliit  survenu 
avec  la  Savoie  assoupit  pendant  quelque  temps  les 
querelles  intestines. 

Pretentions  du  due  de  Savoie  repoussees  avec 
Tappui  imperial  ( 1  533).  —  En  juillet  i533,  le  due 
de  Savoie,  alors  a  Nice,  envoya  un  gentilhomme  a 
Monaco,  porteur  destructions  qui  exigeaient  la 
visite  d'Honore  Ier  et  de  son  tuteur,  et  la  prestation 
du  serment  de  ridelite  et  de  Thommage  feodal  pour 
Menton  et  Roquebrune.  Le  tuteur  refusa  la  visite  et, 
appuve  par  la  chancellerie  imperiale  et  le  resident,  il 
declina,  par  une  raison  tiree  de  la  minorite  d'Ho- 
nore,  la  prestation  de  1  nommage. 

Conflits  entre  Etienne  et  Valenzuela;  retraite 
de  ce  dernier  (1 533-1 534).  —  Cette  difficulte  apla- 
nie,  Etienne  ne  se  fit  plus  faute  de  temoigner  son 
mecontentement  au  sujet  du  controle  qu'on  lui  avait 
impose;  les  retards  devenus  chroniques  dans  Texe- 
cution  des  obligations  linancieres  et   surtout    celui 


apporte  a  la  concession  des  benefices  qui  lui  avaient 
etc  personnellement  promis,  avaient  ouvert  la  voie 
aux  premiers  tiraillements.  Les  manoeuvres  de  Valen- 
zuela  pour  s'emparer  par  des  familiers  interieurs  de 
l'esprit  du  jeune  Honore,  provoquerent  tin  eclat. 
D'accord  avec  les  delegues  des  seigneuries,  Etienne 
expulsa  le  precepteur  et  les  serviteurs  devoues  au 
resident.  Celui-ci  se  lia  alors  avec  quelques  mecon- 
tents,  parmi  lesquels  figuraient  le  capitaine  des  gale- 
res,  Canobio,  et  le  castellan  de  Roquebrune,  Benzo. 
II  travailla  desormais  a  renverser  Etienne  et  chercha 
a  obtenir  pour  cette  entreprise  l'intervention  de  la 
chancellerie  imperiale.  Etienne  repondit  a  ces  menees 
en  se  faisant  confirmer  et  proroger  ses  pouvoirs  par 
les  delegues  jusqti'a  ce  qu'Honore  eut  atteint  l'age 
de  vingt-cinq  ans  et,  a  la  suite  d'un  nouveau  conflit, 
il  mit  Valenzuela  dans  l'obligation  de  quitter  Monaco 
et  de  se  retirer  a  Genes  (mai  i53q). 

Ce  coup  d'audace  fut  execute  avec  une  resolution 
telle  que  FEmpereur  ne  crut  pas  devoir,  en  prenant 
fait  et  cause  pour  son  resident,  s'exposer  a  pousser 
Etienne  a  quelque  extremite,  et  le  tuteur  du  petit 
protege  de  Charles-Quint  eut  la  gloire  singuliere  de 
tenir  en  echec  la  diplomatic  du  plus  grand  monarque 
du  siecle. 

Conspiration  d'Honore  Bordini  et  de  Canobio 

(i  533-i534'.  —  Les  evenements  favorisaient  du  reste 


—  1 56  — 

Etienne  ;  aussitot  apres  le  depart  de  Valenzuela,  il 
avait  fait  arreter  ceux  qui  s'etaient  montres  ses  plus 
ardents  partisans;  mais,  alors  que  le  tuteur  comptait 
sevir  contre  des  ennemis  personnels,  il  trouva  dans 
les  papiers  saisis  chez  Canohio  et  Benzo  la  preuve  de 
l'existence  d'une  conspiration  en  sens  tout  oppose  a 
leur  conduite  apparente.  Les  pretendus  complices  du 
resident  imperial  etaient  les  agents  d'un  complot  qui 
devait  livrer  la  place  aux  Francais,  a  la  faveur  des 
dissensions  intestines  de  la  seigneurie. 

Depuis  la  mort  d'Augustin,  en  effet,  des  negocia- 
tions  secretes  n'avaient  pas  cesse  d'etre  entretenues 
avec  le  comte  de  Tende  sur  les  bases  acceptees  par 
Augustin ;  Tagent  actif  de  ces  manoeuvres,  Tancien 
baile  de  Monaco,  Honore  Bordini,  avait  obtenu, 
dans  le  courant  de  1 5 3 3 ,  des  pouvoirs  de  Francois  Ier 
pour  traiter  defmitivement  des  conditions  du  retour 
de  Monaco  a  TalHance  francaise.  Diverses  circons- 
tances  avaient  retarde  Texecution  du  coup  de  main 
qui  devait  livrer  la  forteresse  aux  Francais  dans  les 
premieres  semaines  de  i  5  34. 

L'arrestation  du  capitaine  des  galeres  et  du  castellan 
de  Roquebrune  revela  tous  les  details  de  Tarfaire. 

Supplice    de    Canobio    et    de    ses    complices 

(1534).  —  Canobio  fut  etrangle  dans  sa  prison  sans 
forme  de  proces,  avec  son  gendre,  un  Provencal; 
Benzo   subit  le  meme  sort  apres  un  interrogatoire 


oil  Ton  se  complut  a  insister  sur  ses  revelations 
de  nature  a  compromettre  la  perspicacite  de  Valen- 
zuela,  si  singulierement  prise  en  defaut. 

Les  corps  destroissupplicies  furent  suspendus  a  un 
gibet  dresse  a  la  pointe  de  la  presqu'ile,  et  ce  spectacle 
sinistre  montra  pendant  de  longues  semaines  com- 
ment Etienne  etait  resolu  a  ne  plus  tolerer  ce  qui 
viendrait  mettre  obstacle  a  son  pouvoir. 

Attitude  independante  d'Etienne  vis-a-vis  de 
l'Espagne  1 334- 1 5'3S.  —  Des  lors,  Etienne  se 
montre  de  plus  en  plus  reserve  vis-a-vis  de  la  chan- 
cellerie  imperiale,  et  ses  revendications  prennent  un 
ton  tous  les  jours  plus  hautain  et  plus  independant. 

La  campagne  malheureuse  de  Charles-Quint  en 
Provence,  en  1 5 36,  est  pour  le  tuteur  d'Honore  Ier 
Toccasion  d'accentuer  encore  cette  attitude;  il  laisse 
defiler  sous  ses  yeux  l'armee  imperiale  d'invasion 
sans  ouvrir  ses  portes,  refuse  de  sortir  pour  aller 
saluer  TEmpereur  et  se  contente  d'envoyer  un  de  ses 
familiers  faire  cet  office  a  Saint-Laurent-du-Var. 

Etienne  refuse  de  reeevoir  Charles-Quint  a 
Monaco  —  Sejour  de  Paul  III ;  visite  du  due  de 
Savoie  (1 538).  —  Lorsqu'en  1 538  la  ville  de  Nice 
devint  le  centre  des  conferences  provoquees  par  le 
pape  Paul  III  pour  etablir  la  paix  entre  Charles- 
Quint  et  Francois  Ier,  Etienne  refusa  le  dangereux 


—  i58  — 

honneur  de  recevoir  l'Empereur  dans  la  place  de 
Monaco  pendant  les  negociations.  Par  contre,  il  y 
accueillit  pendant  quelques  jours  le  Souverain-Pon- 
tife,    auquel    le    due    de    Savoie    vint    faire    visite 

(mai  i  538). 

Domination  d'Etienne ;  sa  politique  partieu- 
lariste.  —  (Test  ainsi  qu'Etienne  donnait  une 
existence  propre  a  Monaco  en  Tisolant  de  plus  en 
plus  de  l'exterieur,  rendant  le  protectorat  de  l'Espa- 
gne  purement  nominal  et  consolidant  la  liberte  et 
Tautonomie  de  la  seigneurie. 

La  majorite  d'Honore  Ier  ne  changea  rien  a  la 
situation;  le  jeune  seigneur  s'etait  habitue  a  vivre 
sous  la  domination  de  son  tuteur  et  se  preta  docile- 
ment  a  un  partage  d'autorite,  auquel  une  convention 
d'une  forme  tout  a  fait  insolite  et  singuliere  donna 
bientot  un  caractere  definitif. 

Etienne  se  fait  attribuer  par  Honore  Icr  la 
qualite  de  pere  adoptif  avec  le  pouvoir  a  vie 

(1540).  —  Honore  avait  a  peine  atteint  Tage  de 
dix-huit  ans,  quand,  par  un  acte  solennel  du  6  decem- 
bre  040,  il  reconnut  son  ancien  tuteur  comme  pere 
adoptif,  en  lui  attribuant  en  cette  qualite  le  gouverne- 
ment  en  commun  et  a  vie.  Les  delegues  des  seigneu- 
ries  intervinrent  dans  Tacte  et  jurerent  obeissance 
au  seigneur  Honore  et  a  son  pere  elu. 


—   i  5q  — 

Cette  communaute  de  pouvoirs  devait  durer  pen- 
dant toute  la  vie  d'Etienne  Grimaldi  sans  que,  dans 
aucune  circonstance,  l'ancien  pupille  ait  laisse  percer 
quelque  regret  de  cette  absorption  de  Tautorite  a  ses 
depens  par  celui  dont  le  souvenir  est  reste  populaire 
sous  le  nom  de  Gubernant. 

Un  signe  materiel  de  cette  deference  d'Honore  a 
Tegard  de  son  ancien  tuteur,  se  perpetua  memeapres 
la  mort  de  celui-ci.  Le  sceau  portant  a  la  fois  sur  son 


3» 

Sceau  commun  a  Honore  Pr  et  a  Etienne  Grimaldi. 

exergue  le  nom  du  seigneur  et  celui  du  gouverneur 
a  vie,  continua,  vingt  annees  apres  la  mort  d'Etienne 
et  jusqu'a  la  mort  d'Honore  Ier,  de  servir  pour  les 
actes  de  la  chancellerie  monegasque. 

Negligence  systematique  de  TEspagne  dans 
l'execution  de  ses  obligations ;  danger  de  Mo- 
naco pendant  le  siege  de  Nice  ( 1 543).  —  Depuis 
qu'Etienne   avait    pris    Tattitude    independante   qui 


—  ibo  — 

caracterisa  sa  conduile  depuis  ['expulsion  de  Valen- 
zuela,  la  chancellerie  imperiale  avait  reduit  au  plus 
strict  Texecution  dc  ses  engagements,  toujours  si  mal 
tenus  surtout  en  ce  qui  regardait  l'entretien  des 
galeres  qui  avaient  cependant  coopere  a  l'expedition 
de  Tunis  en  r 535,  et  a  celle  d'Alger  en  i  5qi. 

Cette  attitude  eut  pu  avoir  les  plus  funestes  conse- 
quences lorsque  le  siege  de  Nice  fut  enfrepris, 
en  i5q3,  par  Taction  combinee  de  Francois  Ier  etdes 
Turcs  de  Barberousse ;  Etienne  pourvut  alors  a  la 
defense  avec  la  plus  grande  activite  ;  il  devint  meme, 
dans  ces  conjonctures,  le  correspondant  le  plus  utile 
du  gouverneur  espagnol  du  Milanais. 

Tentatives  de  Gaspar  Grimaldi  d'Antibes 
pour  negocier  un  retour  a  la  France  ( i  5 4 3 ) .  — 
On  pouvait  s'attendre  a  ce  qu'aussitot  que  les  troupes 
franchises  seraient  etablies  dans  le  comte  de  Nice,  des 
tentatives  seraient  faites  pour  s'emparer  de  Monaco 
par  surprise  ou  par  une  negociation  ;  quant  a  une 
surprise,  Etienne  etait  sur  ses  gardes.  Les  tentatives 
amiables  yinrent  de  Gaspar  Grimaldi,  seigneur 
d'Antibes.  Au  debut  de  la  campagne,  Gaspar  avait 
obtenu  de  Barberousse  que  la  place  serait  respectee ; 
mais,  cette  intervention  n'etait  que  le  prelude  de 
pourparlers  relatifs  a  un  retour  a  la  France  que  le 
cousin  d'Honore  chercha  a  engager.  lis  n'eurent 
aucun  succes  et  Monaco  se  tira  sans  encombre  de 


—    101    — 

cette  terrible  crise,  mais  non  sans  d'enormes  depenses 
auxquelles  le  protecteur  ne  vint  pas  contribuer. 

Monaco    compris   dans    le    traite   de   Crepy 

i  544).  —  Lapaixsigneea  Crepy  le  iSseptembre  1  544, 
entre  Charles-Quint  et  Francois  Ier,  oil  le  seigneur 
de  Monaco  fut  nomme  parmi  les  allies  de  TEmpe- 
reur,  permit  a  Etienne  de  se  consacrer  exclusivement 
a  l'administration  interieure  de  la  seigneurie. 

Mariage  d'Honore  Ier  avec  Isabelle  Grimaldi 
1545).  —  L'annee  suivante  Fancien  tuteur  liait 
plus  etroitement  encore  Honore  a  sa  personne  en  lui 
faisant  epouser  sa  niece,  Isabelle  Grimaldi,  rille  de 
son  frere  Jean-Baptiste.  Le  mariage  par  procuration 
fut  celebre  a  Genes,  en  mai  1345,  et  l'ambassadeur 
d'Espagne  y  representa  le  fiance. 

Ouvertures  de  Henri  II  repoussees   (1349  .  — 

Des  lors  et  jusqu'a  la  mort  d'Etienne  Grimaldi, 
aucun  incident  exterieur  n'est  a  signaler.  Fideles  a 
TEspagne,  le  seigneur  et  le  gouverneur  repousserent 
en  1  549  une  nouvelle  tentative  faite  pour  un  retour  de 
Monaco  a  l'alliance  francaise.  Un  agent  monegasque, 
accredite  a  la  cour  de  Henri  II  pour  sollicker  dans 
un  proces  relatif  a  la  succession  de  la  mere  d'Honore, 
Jeanne  de  Ponteves,  morte  a  Aries  en  1347,  s'etait 
laisse  circonvenir;  il  fut  nettement  desavoue. 

1 1 


—    102    

Travaux  d'Etienne  dans  Monaco ;  fortifica- 
tions. —  Etienne  employa  ces  annees  de  paix  a  des 
travaux  de  fortifications,  de  constructions  et  d'em- 
bellissement,  qui  transformerent  la  vieille  forteresse. 

Le  plus  apparent  fut  la  refection  et  Tagrandissement 
des  fortifications. 

Depuis  le  siege  de  i5o6  on  n'avait  cesse  de 
renforcer  les  parties  dont  la  faihlesse  avait  alors 
failli  amener  la  chute  de  la  place.  Lucien  et  Augustin 
s'en  etaient  occupes.  Le  front  qui  domine  la  Con- 
damine  avait  ete  double ;  en  avant  de  la  face  du 
Chateau  Vieux  de  ce  cote,  on  avait  eleve  tine  nou- 
velle  ligne  de  remparts  commandant  la  montee  du 
port.  Des  portes  avancees  avaient  ete  construites  et 
un  systeme  de  souterrains  aboutissant  a  des  contre- 
mines  couvrait  toutes  les  parties  restees  libres. 
Charles-Quint  avait  visite  en  detail  ces  travaux 
en  i  529. 

Sur  la  partie  la  plus  accessible  de  la  presqu'ile, 
sur  la  declivite  qui  regne  du  cote  du  col  domine  par 
la  Tete-de-Chien,  Etienne  completa  la  defense  en 
elevant  deux  grands  bastions  reunis  par  de  hautes 
courtines,  qui  rendirent  inaccessible  ce  front  dit  de 
Serravalle.  Le  perimetre  tout  entier  du  plateau  fut, 
en  outre,  muni  d'ouvrages  rempares  garnis  de  para- 
pets avec  des  places  menagees  pour  des  batteries  de 
canons,  dont  un  grand  nombre  furent  fondus  a 
Monaco  raeme. 


—  i63  — 

Le  Chateau  Vieux  transforme  en  palais.  — 
L'embellissement  du  Chateau  Vieux,  qui  devint  alors 
le  Palais,  fut  la  consequence  des  travaux  de  fortifica- 
tion exterieure. 

On  construisit  au  centre  de  la  vieille  forteresse 
genoise  une  grande  citerne  en  etat  de  pourvoir  a 
l'alimentation  de  la  place  en  temps  de  siege.  Cette 


Grande  citerne  du  Palais  de  Monaco  terminer  en  i55* 

citerne,  qui  regne  sous  une  grande  partie  de  la  cour 
d'honneur,  est  formee  de  voutes  supportees  par 
neuf  piliers ;  elle  peut  contenir  1 700  metres  cubes 
d'eau  de  pluie.  Elle  fut  terminee  en  1  5 52. 

Depuis  le  treizieme  siecle,  Tenceinte  comprise  entre 
les  tours  et  les  remparts  c|ue  Fulco  di  Castello  avait 
eleves,  s'etait  successivement  garnie  a  l'interieur  de 
batiments  adosses  aux  constructions  primitives ;  le 
logement   des   seigneurs    ou    des   commandants    de 


. —  164  — 
Monaco  avait  frequemment  ete  fixe,  jusqu'au  regne 
de  Lambert,  dans  un  batiment  exterieur  au  Chateau 
Vieux,  place  contre  le  rempart  dominant  le  port  de 
l'autre  cote  de  la  place  et  qiTon  nommait  le  Petit 
Palais;  mais,  la  grande  aile  du  sud-ouest,  011  sont 
actuellement  les  grands  appartements  et  notamment 
la  grande  salle  ou  salle  Grimaldi,  existait  deja  a  la  fin 
du  xive  siecle  et  fut  habitee,  selon  toute  apparence, 
par  le  pape  Benoit  XIII  en  iqo5. 

Le  flanc  dominant  la  Condamine  n'etait  occupe  a 
Tinterieur  que  par  des  salles  voutees  soutenant,  en 
arriere  du  rempart,  unc  longue  terrasse. 

Du  cote  de  Serravalle  la  cour  interieure  etait 
fermee  par  la  grosse  tour  et  son  rempart;  sur  le 
reste  du  pourtour,  les  batiments  s'elevaient  sans  ordre. 

Etienne,  qui  apportait  de  Genes  des  habitudes 
fastueuses  et  des  tendances  artistiques,  resolut  de 
donner  un  caractere  monumental  a  cet  ensemble 
incoherent  de  constructions.  Dans  ce  but  il  eleva,  en 
avant  du  mur  des  grands  appartements,  un  poriique 
formant  deux-galeries  superposees  de  douze  arcades 
ornees  a  Tetage  superieur  de  balustrades  en  marbre 
blanc.  Un  escalier  semi-circulaire  accedait  a  cet  etage. 

La  necessite  d'augmenter  le  nombre  des  logements 
donna  l'idee  d'utiliser  de  l'autre  cote  de  la  cour  la 
grande  terrasse,  sur  laquelle  on  eleva  une  aile  en 
construisant  une  facade  nouvelle  sur  arcades,  en  avant 
des  grandes  salles  voutees.  Quelques  annees  apres  la 


—   1 65  — 

mort  d'Etienne,  cntre  i  5  7 5  et  i58o,  le  grand  peintre 
genois,  Luca  Cambiaso,  devait  venir  peindre  une 
fresque  qui  couvrit  toute  la  surface  de  cctte  facade. 


Perspective  de  la  ville  et  du  Palais  de  Monaco 
d'apres  un  plan  du  xvie  siecle. 


La  cour  du  Palais  se  trouva  des  lors  dans  Tetat 
actuel,  sauf  au  nord-ouest,  oil  la  tour  de  Serravalle 
et  son  rempart  resterent  visibles. 


—   ibb  — 

A  Fexterieur,  du  cote  de  la  place,  quelques  bati- 
ments  avaient  deja  deborde  au-dela  de  l'ancien 
rempart  par  des  constructions  elevees  sous  Lambert 
et  Jean  II,  mais  les  trois  tours  etaient  toujours  appa- 
rentes  et  le  resterent  jusqiTa  Tepoque  d'Honore  II, 
ainsi  qu'en  temoigne  un  plan  figure  de  la  fin  du 
xvie  siecle,  dont  nous  reproduisons  plus  haut  la 
reduction,  et  qui  montre  la  disposition  des  fortifi- 
cations de  la  ville  de  Monaco,  celle  des  tours  du 
Chateau  Vieux,  l'aspect  de  la  cour  avec  ses  ailes 
ornees  d'arcades,  ainsi  que  la  tour  de  Serravalle  et 
la  grande  place  d'armes  qui  avait  ete  formee  en  avant 
de  son  rempart  jusqu'aux  nouveaux  bastions, 
i 

Restauration   de    1'eglise    Saint-Nicolas.   — 

L'eglise  Saint-Nicolas  participa  elle  aussi  aux  travaux 
d'embellissement  entreprispar  Etienneet  Honore  Ier. 
La  chapelle  Saint-Scbastien,  elevc'e  par  Lambert 
Grimaldi  en  souvenir  de  Tattaque  du  comte  de 
Tende  repoussee  le  20  Janvier  1460,  etait  devenue  la 
sepulture  des  seigneurs.  On  construisit  successive- 
ment  sur  les  bas-cotes  d'autres  chapelles,  dont  Tune 
fut  dediee  par  un  Monegasque,  Jean  Vignali,  qui 
avait  fait  avant  1  5q8  le  voyage  du  Nouveau-Monde, 
ainsi  que  le  constatait  Tinscription  qu'il  y  avait  fait 
placer. 

Les  travaux  de  refection  generale  de  Teglise  furent 
poursuivis  apres  la  mort  d'Etienne  par  Honore  Ier 


-  i67  - 
ct  surtout  par  sa  femme  Isabelle  Grimaldi ;  ils  ne 
furent  termines  que  sous  Honore  II. 

Conflit  relatif  aux  galeres  saisies  a  Genes  et 
perdues  a  Zerni  ( i  5 58- 1  56 1 ). —  Tandis  que  par 
son  administration  interieure  Etienne  renouvelait  la 
face  de  la  seigneurie,  les  embarras  crees  par  Tadmi- 
nistration  espagnole  n'avaient  fait  que  croitre ;  les 
subsides  arrieres  etaient  arrives  a  un  chiifre  enorme, 
les  traites  de  ble  se  trouvaient  entravees  dans  le 
rovaume  de  Naples,  tandis  queTentretien  des  galeres 
etait  entitlement  neglige.  II  arriva  un  instant  oil 
Jean-Baptiste  Grimaldi,  beau-pere  d'Honore,  et  son 
nls  Georges,  capitaine  de  ses  galeres,  se  trouverent 
creanciers  pour  leurs  avances  de  ce  chef,  d'une 
somme  de  65,ooo  ecus  d'or;  a  bout  de  patience, 
eni558,  ils  saisirent  les  galeres,  alprs  dans  le  port 
de  Genes,  en  chasserent  les  equipages  monegasques 
et  figurerent  danslaflotte  espagnole  pour  leurpropre 
compte  avec  ces  navires,  malgre  les  protestations 
d'Etienne  et  d'Honore,  qui  firent  executer  Georges 
Grimaldi  en  effigie  a  Monaco.  Un  nouvel  incident 
vint,  en  i56i,  compliquer  le  conflit;  les  galeres  peri- 
rent  dans  la  malheureuse  campagne  de  Tile  de 
Zerbi,  qui  fut  cette  annee  reprise  par  les  Turcs. 

Monaco  figure  au  traite  de  Cateau-Cambresis 
(i559'.  —  Dans  Tintervalle,  Honore  Ier  avait  figure 


—  168  — 

une  seconde  fois  en  nora  dans  le  traite  de  paix  signe 
entre  l'Espagne  et  la  France,  a  Cateau-Cambresis, 
en  i  559. 

Mort  d'Etienne  Grimaldi  (i56i).  —  Au  mois  de 
juin  de  l'annee  i56i,  le  Gubernant  Etienne  Grimaldi 
mourut,  apres  avoir  administre  les  seigneuriesde  son 
ancien  pupille  jusqu'a  son  dernier  jour,  et  vecu  dans 
les  liens  du  plus  etroit  attachement  avec  celui  dont  il 
avait  entierement  absorbe  l'autorite. 

Decadence  de  la  marine  militaire  de  Monaco 
—  Les  Mentonnais  a  Lepante  (1 56 1-1 573). —  Le 
desastre  de  Zerbi  marque  la  decadence  de  la  marine 
militaire  de  Monaco ;  quelque  temps  apres  la  mort 
d'Etienne,  Honore,  reconcilie  avec  ses  parents  de 
Genes,  retablit  sa  marine.  Les  trois  galeres  mone- 
gasques  figurerent  en  1 565  au  secours  reuni  pendant 
le  siege  de  Malte;  mais  en  1569,  decourage  par  les 
retards  toujours  apportes  aux  paiements  des  subsides 
par  l'Espagne,  le  seigneur  de  Monaco  vendit  ses 
galeres  a  des  Genois,  en  sorte  que  celles  qui  figuraient 
a  la  bataille  de  Lepante  sous  le  pavilion  de  Grimaldi 
et  qui  etaient  commandees  par  deux  capitaines  origi- 
naires  de  Mentori,  appartenaient  aux  Grimaldi  de 
Genes;  huit  Mentonnais  succomberent  dans  cette 
journee  celebre. 


—   169  — 
Relations  d'Honore  avec  la  Savoie ;  franchi- 
ses reciproques  concedees  (i56i-i58i).  —  La  tin 

du  regne  d'Honore  Ier  fut  marquee  par  les  rapports 
pleins  de  courtoisie  qui  s'etablirent  avec  l'adminis- 
tration  du  comte  de  Nice  et  avec  le  due  de  Savoie, 
Emmanuel-  Philibert.  Des  franchises  reciproques 
furent  edicte'es  qui  etablirent  pour  quelques  annees 
les  meilleurs  rapports  entre  la  seigneurie  et  son  plus 
proche  voisin. 

Mort  d'Honore  Icr  (i58i).  —  Pendant  Tannee  i  58 1 
la  same  d'Honore  declina  rapidement ;  il  mourut  le 
7  octobre,  laissant  neuf  enfants  survivants,  quatre 
tils  et  cinq  filles,  sur  les  quatorze  qui  etaient  nes  de 
son  mariage  avec  Isabelle  Grimaldi. 


—    I/O   — 


CHAPITRE  XIV 

LES    FILS    d'hONORE    Ier    CHARLES     II     ET     HERCULE     Ier 

(  I  58l-lb04) 


Charles  II  Grimaldi  ( 1 58 1 ).  —  Le  successeur 
d'Honore  Ier,  son  fils  aine  Charles  II  Grimaldi,  etait 
un  jeune  homme  de  vingt-sept  ans,  d'un  tempera- 
ment fougueux,  entier  et  absolu,  qui  contrastait  avec 
les  qualites  de  prudence  et  de  circonspection  de  son 
pere. 

Gonflit  avec  Genes  pour  le  droit  demer  (i58i). 
—  Des  le  debut  de  son  regne,  Charles  II  se  crea  les 
plus  grandes  difficultes  avec  la  republique  de  Genes 
par  suite  d'un  incident  maritime.  II  ne  se  contentait 
pas  de  faire  rigoureusement  appliquer  le  droit  de 
mer  en  saisissant  les  navires  qui  se  refusaient  a  ce 
peage  dans  les  eaux  de  Monaco,  il  les  faisait  pour- 
suivre  hors  des  eaux  monegasques.  II  prit  ainsi,  tout 
pres  de  Vintimille,  un  navire  genois  revenant  d'Es- 
pagne.  La  commune  de  Genes  s'emut  et  Charles  II 
ayant  refuse  toute  reparation,  fut  decrete  de  bannis- 
sement.  L'intervention  de  Tambassadeur  d'Espagne 
empecha  seule  Taffaire  de  s'envenimer  davantage. 


Conflit  avec  la  Savoie  pour  la  vassalite  de 
Menton  et  de  Roquebrune  (i  583- 1 589).  —  Les 
rapports  avec  la  Savoie  devinrenta  cette  epoque  tout 
differents  de  ceux  qui  avaient  regne  entre  Honore  Ier 
et  Emmanuel-Philibert.  Le  tils  et  successeur  de  ce 


■ 


Charles  II  Grimaldi 
(D'apres  un  portrait  du  Palais  de  Monaco) 


dernier,   Charles -Emmanuel,    entendit   obtenir   de 
Charles  Grimaldi  rhommage  feodal  pour  Menton 


—  17-  — 

et  Roquebrune,  qu'Honore  Ier  n'avait  pas  prete  et 
qui,  en  fait,  n'avait  plus  ete  obtenu  depuis  Lucien, 
en  i5ob.  Charles  resista  a  ce  qu'il  soutenait  etre  une 
pretention  injustifiable  du  due  de  Savoie ;  mais,  au 
lieu  d'opposer  des  arguments  serieusement  invo- 
cables,  tels  que  la  suppression,  depuis  plus  d'un 
siecle,  de  la  pension  sur  !a  gabelle  de  Nice,  qui  avait 
ete  une  des  conditions  de  Tinfeodation  consentie 
en  1448  par  Jean  Ier,  il  fournit  des  defenses  insoute- 
nables,  niant  le  fait  raeme  de  Tinfeodation,  qu'il 
arguait  de  faux. 

Bientot,  le  conflit  prit  un  caractere  tout  a  fait 
aigu.  Au  mois  de  Janvier  1 5 83  un  envoye  ducal  appor- 
tait  a  Monaco  une  sommation  adressee  au  seigneur 
de  Menton  et  de  Roquebrune,  pour  avoir  a  preter 
Thommage  et  a  recevoir  Tinvestiture  de  son  suzerain. 
On  arreta  l'emissaire  et  les  lettres  dont  il  etait  porteur 
furent  bruk'es  publiquement  en  sa  presence,  sans 
avoir  ete  ouvertes;  onle  renvoya  ensuite  en  menacant 
d'un  pire  traitement,  lui  011  ses  pareils,  qui  se 
chargeraient  a  Tavenir  de  semblables  messages. 

Charles  II  declare  dechu  de  ses  fiefs;  inter- 
vention de  l'Espagne  (1 583).  —  Les  consequences 
de  ce  coup  d'eclat  ne  se  firent  pas  attendre.  Le 
26  avril  1 583,  la  Chambre  ducale  prononcait  la 
dechea"nce  de  Charles  II  pour  ses  fiefs  et  leur  devo- 
lution au  due  de  Savoie. 


Cette  procedure  n'eut  pas  de  suites;  son  execution 
se  heurta,  heureusement  pour  Charles  II,  a  la  pro- 
tection dont  I'Espagne  couvrait  son  petit  allie  et 
l'affaire  prit,  grace  a  cette  intervention,  une  allure 
diplomatique. 

Les  bons  offices  de  la  chancellerie  espagnole  com- 
pensaient,  dans  cette  circonstance,  Tabandon  dans 
lequel  elle  laissait  les  affaires  de  Monaco  aussi  bien 
dans  le  royaume  de  Naples  que  dans  la  seigneurie 
€tle-meme  ;  et  cependant,  malgre  ces  negligences,  la 
place  etait  bien  gardee,  ce  que  prouva  sur  ces  entre- 
faites  un  audacieux  coup  de  main. 

Attaque  de  Monaco  par  le  capitaine  Cartier 

( 1 585).  —  Le  9  mars  i  585,  trois  tartanes,  portant, 
dissimules  sous  des  tentes,  cent  cinquante  soldats 
francais  et  corses,  abordaient  au  port  de  Monaco. 
Munis  d'echelles  et  de  petards,  les  assaillants  se 
jeterent  sur  la  porte  fortiriee,  a  mi-chemin  de  Ten- 
tree  de  la  forteresse.  Quelques  coups  d'arquebuse 
et  une  grele  de  pierres  lancees  du  haut  des  murailles, 
surlirent  pour  disperser  cette  poignee  d'hommes  qui 
avait  du,  pour  oser  tenter  une  attaque  aussi  temeraire, 
compter  sur  des  intelligences  dans  la  place. 

Le  capitaine  provencal  Cartier,  qui  commandait 
cette  expedition,  parvint  it  s'echapper  apres  avoir  ete 
blesse.  L'affaire  n'avait  pas  dure  plus  d'une  demi- 
heure  et  demontra  avec  quel  soin  la  place  se  gardait, 


—  i/4  — 
consideration  que  Charles  Grimaldi  sut  fairc  valoir 
a  Madrid. 

Mediation  de  l'Espagne  dans  le  conflit  avec 
la  Savoie  —  Mort  de  Charles  II  (i  588-i58o^.  — 
Dans  les  annees  qui  suivirent,  les  difficultes  nees  du 
conflit  relatif  auxdeux  seigneuries  se  compliquerent. 
Le  due  de  Savoie,  devenu  le  gendre  du  roi  d'Espa- 
gne,  en  1 588,  avait  accepte  la  mediation  de  Phi- 
lippe II.  Charles  Grimaldi  chercha  des  lors  a  eluder 
Tacceptation  d'un  arbitrage  dont  il  pouvait  suspecter 
Tissue,  et  il  etait  parvenu  pendant  plus  d'une  annee 
a  eviter  de  prendre  une  decision,  lorsqu'il  mourut 
subitement,  le  17  mai  1289,  a  Tage  de  trente-quatre 
ans,  sans  avoir  ete  marie. 

Hercule Ier  Grimaldi  ( 1 589).  —  Hercule  Grimaldi, 
que  la  mort  de  son  frere  Charles  II  appelait  a  la 
succession  dans  la  seigneurie,  etait  le  troisieme  des 
quatre  his  qui  avaient  survecu  a  Honore  Ier.  Destine 
d'abord  a  Teglise,  il  avait  pris  ses  grades  de  docteur 
a  Tuniversite  de  Pavie,  mais  il  avait  abandonne  la 
carriere  ecclesiastique  a  la  mort  de  son  frere  Fran- 
cois, decede  en  1  586  a  Madrid,  ou  il  etait  accredite 
aupres  de  Philippe  II  par  son  frere  aine   Charles  II. 

Hercule  etait,  a  la  mort  de  Charles,  gouverneur 
du  marquisat  de  Campagna.  II  ne  put  arriver  a 
Monaco    que   le    7    juin    et,    dans    Tintervalle,    les 


syndics,  que  des  menaces  degression  de  la  part  des 
Provencaux  inquietaient,  avaient  demande  et  obtenu 
la  protection  de  Genes.  Cette  circonstance  etablit  de 
bonnes  et  durables  relations  entre  Hercule  et  la 
Republique. 

Detresse  causee  par  l'inexecution  des  obli- 
gations de  l'Espagne  (i 589-1 D97).  —  Mais  la 
situation  oil  TEspagne  laissait  son  protege  etait 
lamentable,  et  les  embarras  qu'Hercule  rencontra 
des  le  debut  ne  firent  que  s'aggraver.  L'inexecution 
passee  a  l'etat  permanent  de  tous  les  engagements 
afifamait  la  population,  qui  ne  recevait  plus  les  bles 
du  royaume  de  Naples,  et  ruinait  le  seigneur  qui 
ne  touchait  aucun  revenu;  il  avait  fallu  emprunter 
a  des  taux  enormes  pour  parer  aux  depenses  neces- 
saires,  et  les  deux  tiers  des  produits  du  marquisat  de 
Campagna  etaient  absorbes  par  des  assignations 
garantissant  ces  emprunts.  On  en  etait  arrive  a  un 
veritable  etat  de  detresse,  et  les  mesures  prises  pour 
v  remedier  restaient  tout  a  fait  illusoires. 

Mariage  d'Hercule  Ier  avec  Maria  Landi  de 
Valdetare  1  5q5).  —  II  n'y  avait  pourtant  pas  contre 
Hercule  Grimaldi  de  mauvaise  volonte  de  la  part 
des  agents  espagnols,  et  *s  relations  avec  les  gouver- 
neurs  generaux  du  Milanais  eurent  meme  pour 
consequence   de  lui    menager   une   illustre  alliance 


-  i76- 

qui  le  mit  dans  la  parente  du  roi  d'Espagne.  II 
epousa,  en  octobre  1 5 g5 ,  Maria  Landi  de  Valdetare, 
nlle  de  Claudio  Landi,  prince  de  Valdetare,  et  de 
Jeanne  d'Aragon,  descendant  par  sa  mere  des  rois 
d'Aragon  et  de  Portugal.  Cette  union  ne  dura  que 
quatre  annees ;  Maria  Landi  mourut  en  099,  en 
donnant  le  jour  a  son  troisieme  enfant. 

Visees  du  due  de  Guise  sur  Monaco  (1596).  — 

Les  appuis  que  ce  manage  procura  au  seigneur  de 
Monaco  ne  suffirent  pas  cependant  pour  amener  la 
solution  des  embarras  dans  lesquels  il  se  debattait,  et 
qui  devinrent  graves  lorsque  le  gouvernement  de 
Henri  IV  fut  fortement  etabli  en  Provence,  dont  le 
due  de  Guise  etait  gouverneur.  Le  due  avait  jete  les 
yeux  sur  Monaco  et  parait  avoir  eu  alors  la  pensee 
•de  faire  servir  cette  place  a  un  dedommagement 
a  offrir  au  grand-due  de  Toscane,  maitre,  depuis  les 
dissensions  de  la  Ligue,  des  iles  de  Marseille. 

Tentative  d'escalade  de  Cesar  Arnaud  (1596). 
—  Dans  la  nuit  du  27  au  28  octobre  1 5g6,  une 
troupe  de  sept  cents  hommes,  portee  sur  une  flottille 
provencale,  debarqua  a  l'anse  de  Mala,  a  Touest  de 
Monaco,  et  investit  brusquement  la  place  du  cote  de 
terre.  Elle  etait  commaniee  par  un  Monegasque, 
Cesar  Arnaud,  devenu  capitaine  en  Provence.  La 
vigoureuse  resistance  qui  repondit  a  cette  agression 


fitechouer  l'entreprise.  Repousses  surtous  les  points, 

les  soldats  prirent  la  fuite  au  point  du  jour,  abandon- 
nant  leurs  amies  ainsi  que  des  engins  et  des  muni- 
tions de  toute  sorte,  notamment  des  echelles  assez 
hautes  pour  atteindre  le  sommet  des  remparts. 

La  tete  de  Cesar  Arnaud  fut  mise  a  prix,  et  son 
pere,  Honore  Arnaud,  convaincu  d'avoir  participe 
au  complot  et  avoir  etabli  des  intelligences  dans  la 
forteresse,  fut  pendu ;  son  corps  fut  ensuite  attache 
par  les  pieds  aux  murailles  du  chateau. 

L'annee  suivante,  les  Provencaux  executaient  une 
nouvelle  attaque  sur  Roquebrune  dont  le  territoire 
fut  cruellement  ravage. 

Hercule  refuse  de  payer  le  subside  a  l'Em- 
pereur  et  afflrme  la  souverainete  de  Monaco 

(1596).  —  Cependant,  Hercule  n'avaitpas  seulement 
a  tenir  tete  des  agressions  materielles,  il  s'etait  trouve 
oblige  de  repousser  une  autre  genre  d'entreprise  sur 
le  terrain  diplomatique. 

En  1396,  lors  de  Tinvasion  des  Turcs  en  Hongrie, 
un  commissaire  de  l'empereur  d'Allemagne  etait 
venu  lever  en  Italie  des  subsides  sur  les  fiefs  impe- 
riaux.  Dans  l'ignorance  des  termes  formels  de  la 
declaration  de  Tordesillas,  il  avait  compris  Monaco 
au  nombre  des  seigneuries  tenues  a  ce  devoir  feodal. 
Hercule,  apres  avoir  laisse  une  premiere  sommation 
sans  reponse,  affirma  la  souverainete   et  rindepen- 

12 


-  i78- 

dance  dc  la  seigneurie  d'une  facon  tcllement  nette 
que  le  commissaire  n'insista  pas. 

Reprise  du  conflit  avec  la  Savoie  —  Affai- 
res de  La  Turbie  (i  591-1599).  —  Du  cote  de 
la  Savoie,   les  premieres  annees   du  gouverneraent 

d'Hercule  avaient  etc  marquees  par  une  detente,  et 
jusqu'en  i5q5  la  chancellerie  ducale  avait  laisse 
sommciller  raffaire  de  la  vassalite  de  Menton  et  de 
Roquebrune;  a  cette  epoque  le  seigneur  de  Monaco 
fut  de  nouveau  mis  en  demeure  d'acceder  a  l'arbi- 
trage  dont  le  roi  d'Espagne  avait  assume  la  charge. 
Hercule  resista  quelques  mois;  mais  sous  la  pres- 
sion  de  Philippe  II,  il  dut  se  resigner  et  il  avait 
fini  par  donner  son  adhesion,  lorsqu'tine  collision 
grave,  survenue  entre  les  habitants  de  Monaco  et 
ceux  de  la  Turbie,  vint  irriter  encore  davantage  les 
rapports  avec  la  Savoie.  Cette  fois  les  torts  etaient 
si  evidemment  du  cote  des  sujets  du  due,  que  le 
seigneur  de  Monaco  profita  habilement  de  ce  conflit 
pour  interesser  a  sa  cause  la  chancellerie  espagnole 
et  les  deux  affaires  devinrent  connexes. 

L'attaque  de  Cesar  Arnaud  rendait  en  ce  moment 
l'Espagne  plus  favorable  a  son  protege;  aussi  l'arbi- 
trage  fut  renvoye  a  Pexamen  de  juristes  milanais  qui 
hrent  trainer  la  question  en  longueur,  en  sorte  que 
la  sentence  n'etait  pas  encore  prononcee  quand  la 
mort  frappa  Philippe  II. 


—  179  — 
Le  seigneur  de  Monaco  nomine  au  traite  de 
Vervins  [598). —  Pendant  cet  intervalle  le  traite 
de  paix  de  Vervins,  dans  lequel  le  seigneur  de  Monaco 
figura  au  nombre  des  allies  de  l'Espagne,  avait  mis 
fin,  le  2  mai  1  5q8,  aux  dangers  d'attaque  que  la  place 
avait  eu  jusque-la  a  redouter  de  la  part  des  Pro- 
ven caux. 

Amelioration  puis  nouvelle  aggravation  des 
rapports  avec  la  Savoie  (1 599-1 604).  —  Les  em- 
harras  que  causerent,  a  partir  de  009,  au  due  de 
Savoie  ses  demeles  avec  Henri  IV  firent  negliger  les 
revendications  de  sa  chancellerie  sur  Menton  et 
Roquebrune ;  d'autre  part,  un  compromis  rink  par 
retablir  la  paix,  en  1602,  entre  Monaco  et  la  Turbie 
apres  plusieurs  annees  d'hostilites  qui  avaient  pro- 
voque  de  veritables  combats  sous  les  murs  de  la 
place. 

A  la  fin  de  1604,  les  relations  entre  Monaco  et  le 
gouvernement  de  Charles-Emmanuel  s'etaient  de 
nouveau  aigris  et  les  rapports  s'etaient  fortement 
tendus.  Hercule,  qui  depuis  quelque  temps  etait 
Tobjet  d'avances  de  la  part  de  Henri  IV  et  du  due  de 
Guise,  etait  formellement  mis  en  garde  par  ce  dernier 
contre  les  manoeuvres  des  agents  de  Savoie.  Le 
tragique  evenement  qui  mit  tin  a  la  vie  du  seigneur 
de  Monaco  allait  promptement  demontrer  le  bien 
fonde  de  ces  avis. 


—  i8o  — 

Complot  de  Boccone  (1603-1604).  —  Un  notaire 
de  Monaco  plusieurs  fois  suspendu  de  sa  charge, 
Stefano  Boccone,  s'etait  fait,  depuis  la  fin  de  i6o3, 
Tagent  actif  de  la  Savoie ;  il  avait,  dans  des  concilia- 
bules  tenus  a  la  Turbie,  pris  Tengagement  de  livrer 
la  forteresse  aux  officiers  du  comte  de  Nice  a  la 
faveur  d'une  emeute  pendant  laquelle  on  se  serait 
debarrasse  d'Hercule  Grimaldi. 

II  avait  ete  malheureusement  facile  a  Boccone  de 
recruter  des  adherents  dans  Monaco,  par  suite  du 
mecontentement  que  certains  actes  tyranniques  et 
le  dereglement  des  mceurs  du  seigneur  avaient 
provoque;  en  ecoutantles  excitations  duconspirateur, 
il  se  peut  que  beaucoup  de  Monegasques  entres  dans 
le  complot  aient  ignore  a  quoi  tendait  en  realite 
Boccone  et  s'imaginassent  tirer  simplement  ven- 
geance de  griefs  prives.  Gette  circonstance  explique 
comment  un  evenement  fortuit  ayant  precipite  l'exe- 
cution  du  meurtre,  les  agents  de  Savoie  aient  ete 
surpris  avant  d'avoir  pris  leurs  mesures,  ignorees  de 
la  plupart  des  conjures. 

Boccone  avait  ete  incarcere  pour  un  mefait  etranger 
au  complot ;  ses  affides  craignirent  quelque  revela- 
tion de  sa  part  et  se  deciderent  a  agir. 

Assassinat  d'Hercule  Grimaldi  (21  novembre 
1604).  —  Le  dimanche  21  novembre  1604,  vers 
dix  heures  du  soir,  Hercule  Grimaldi  traversait  la 


ville  suivi  d'un  seul  serviteur;  il  passait  dans  la 
Grande  Rue,  aujourd'hui  rue  du  Milieu),  lorsque 
cinq  homines,  embusques  dans  un  passage  etroit,  le 
frapperent  de  quarante  coups  de  poignard. 

A  la  faveur  du  soulevement  prepare  par  les  meur- 
triers,  le  corps  du  seigneur  assassine  etait  jete  a  la 
mer  et  le  palais  envahi.  Quelques  homines  devoues 
eurent  beaucoup  de  peine  a  soustraire  aux  coups  des 
conjures  le  jeune  tils  et  les  deux  lilies  d'Hercule. 

Avortement  du  complot  avec  les  agents  de 
Savoie  (1604).  —  Des  ce  moment,  une  scission 
se  manifesta ;  tandis  que  les  uns,  satisfaits  d'avoir 
assouvi  leurs  rancunes  par  la  mort  du  seigneur, 
se  groupaient  autour  de  ses  enfants  pour  con- 
server  la  seigneurie  aux  Grimaldi,  ceux  qui  etaient 
au  courant  du  hut  reel  de  la  conspiration  s'erTor- 
caient  de  prevenir  par  des  signaux  les  autorites  de 
Nice  et  de  Villefranche,  surprises  par  revenement 
avant  d'avoir  acheve  leurs  preparatifs. 

La  presence  fortuite  d'une  escadre  genoise  dans  le 
port  de  Monaco  sauva  la  place.  Devant  Tattitude  que 
prit  le  general  des  galeres  Lercaro,  a  la  demande  des 
syndics  de  Monaco,  les  troupes  de  Savoie  n'oserent 
bouger.  D'autre  part,  les  habitants,  deciderent, 
conformement  aux  volontes  connues  d'Hercule  Gri- 
maldi, d'appeler  a  la  tutelle  Tonclc  maternel  du  jeune 
Honore   II,  le  prince  de  Valdetare. 


—    l82    — 

Traite  de  Boccone  avec  Genes  1604.  — 
Boccone,  sorti  dc  prison,  vovant  son  entreprise 
manquee,  se  tit  charger  dc  la  mission  d'aller  prevenir 
le  luteur  designe.  A  peine  etait-il  eloigne  que  l'arres- 
tation  et  I'interrogatoire  de  ses  complices  faisaient 
connaitre  son  role  et  la  connivence  des  agents  de 
Savoie. 

Boccone,  au  lieu  de  se  rendre  aupres  de  Valdetare, 
s'arreta  a  Genes  et,  simulant  des  pouvoirs  qui  ne  lui 
avaient  pas  ete  attribues,  amena  le  conseil  de  la 
Republique  a  signer  un  traite  pour  Taccession  de 
Monaco  a  la  Republique. 

Les  Monegasques  repoussent  les  ofires  de 
Genes  et  dvi  due  de  Guise,  et  restent  fideles  aux 
Grimaldi  (1604). —  Les  Monegasques  desavouerent 
la  convention  et  repousserent  les  avantages  que  le 
gouvernement  genois  leur  consentait,  de  memequ'ils 
declinaient  au  meme  moment  les  otfres  du  due  de 
Guise  qui  vint  en  personne  leur  proposer  l'appui, 
la  protection  et  Talliance  du  roi  de  France.  lis 
resterent  fideles  a  la  maison  de  Grimaldi,  dont  la  ban- 
niere  fuselee  fut  solennellement  relevee  a  Monaco, 
a  Menton  et  a  Roquebrune  aux  cris  de  «  Vive  Gri- 
maldi !  » 


i83  — 


CHAPITRE  XV 

MINORITE    d'hONORE    II 

TUTELLE    ET    TRAITE    DE    VALDETARE 

AGGRAVATION    DU    l'ROTECTORAT    ESPAGNOL 

SITUATION    DIFFICILE    D'HONORE     II     APRES     SA     MAJORITE. 

( i 604-1630) 


Le  prince  de  Valdetare  tuteur  d'Honore   II 

11604^. —  Les  Monegasques,   en  appelant  le  prince 
de  Valdetare  et  en  s'ingerant  ainsi  dans  le  choix  du 


Le  Prince  de  Valdetare 
d'apres  le   type    de  sa   monnaie 


tuteur  d'Honore  II  comme  ils  l'avaient  fait  pour  celui 
d'Honore  Ier,  avaient  espere  retrouver  un  nouvel 
Etienne  Grimaldi ;  ils  revinrent  vite  de  leur  illusion. 


-  i84- 

Le  prince  Frederic  de  Valdetare,  entierement  a  la 
devotion  du  gouverneur  general  du  Milanais,  le 
comte  de  Fuentes,  ne  devait  pas  separer  les  interets 
de  son  neveu  de  ceux  de  la  domination  espagnole. 

II  arriva  a  Monaco  accompagne  de  soldats,  mais  il 
se  heurta  dans  ce  premier  voyage  a  Topposition 
formelle  des  habitants,  qui  refuserent  de  laisser 
entrer  son  escorte;  il  fallut  atermoyer.  Pour  avoir 
raison  de  ces  resistances,  il  impliqua  les  principaux 
de  la  seigneurie  dans  les  poursuites  a  Toccasion  de 
Fassassinat  de  son  beau-frere,  et  il  se  debarrassa 
ainsi  des  opposants  plus  genants. 

Traite  de  Valdetare  avec  le  comte  de  Fuentes ; 
aggravation  du  protectorat  (26  fevrier  i6o5  .  — 
Revenu  a  Milan,  Valdetare  s'empressa  de  conclure 
avec  Fuentes  un  traite  qui  bouleversait  et  aggravait 
les  conditions  dans  lesquelles  le  protectorat  etait 
pratique  depuis  Augustin  Grimaldi. 

Sous  pretexte  d'en  finir  avec  les  embarras  dont 
Tirregularite  de  paiement  des  subsides  etait  cause,  il 
fut  stipule  qu'une  compagnie  de  troupes  regulieres 
espagnoles  serait  introduite  dans  la  forteresse,  011 
elle  se  trouverait  sous  le  commandement  du  seigneur 
de  Monaco. 

Cette  combinaison  avait  pour  but  d'enlever  au 
seigneur  la  preoccupation  de  la  solde  des  troupes. 
En  outre,  des  assignations  sur  l'etat  de  Milan  regie- 


—  i85  — 
rent  les  arrieres  en  souffrance,  et  les  traites  de  bles 
du  royaume  de  Naples  furent  confirmees  et  assurees  ; 
enfin,  la  souverainete  de  Monaco  et  le  droit  de  mer 
etaient  formellement  garantis. 

C'etaient  la  des  avantages  plus  specieux  que  solides ; 
en  realite,  la  seigneurie  etait  livree  directement  a 
l'Espagne,  car  l'autorite  du  seigneur  sur  des  soldats 
qui  ne  dependaient,  meme  pour  les  delits  de  droit 
commun,  que  des  juridictions  militaires  de  Milan, 
etait  tout  a  fait  illusoire. 

Opposition  de  la  chancellerie  espagnole  a  la 
modification  du  protectorat  (1605-1607).  —  En 
concluant  ce  traite  avec  Valdetare,   le   gouverneur 

general  Fuentes  avait  agi  par  son  initiative  exclusive, 
si  bien  que,  pendant  plus  de  deux  ans,  le  conseil  d'Etat 
d'Espagne,  plus  soucieux  des  interets  du  seigneur  de 
Monaco  que  son  tuteur  lui-meme,  apres  s'etre  oppose 
d'abord  a  tout  changement  dansle  protectorat,  retarda 
la  ratification,  qui  fut  settlement  obtenue  de  Phi- 
lippe III  a  la  fin  de  1607. 

Conflit  avec  Horace  Grimaldi,  frere  d'Her- 
cule  Ier  ( 1  boS-iOop).  —  Les  hesitations  de  la  cour 
d'Espagne  avaient  ete  entretenues  par  une  opposition 
des  plus  vives  que  Valdetare  rencontra  dans  Horace 
Grimaldi,  dernier  frere  d'Hercule  Ier,  qui  avait 
reclame  la  tutelle  et  proteste  contre  le  choix,  d'apres 


—    I  80  — 

lui,  irregulier,  du  tuteur ;  et  cette  opposition,  venant 
s'ajouter  aux  resistances  des  habitants,  avait  failli 
causer  de  serieux  embarras.  D'autre  part,  le  traite 
avait  recu  a  Genes  le  plus  mauvais  accueil,  et  les 
Grimaldi  avaient  meme  obtenu  de  la  Republique 
main-forte  au  profit  des  habitants  contre  son  execu- 
tion. 

Introduction  de  la  garnison  espagnole  a 
Monaco.  —  Cependant,  Valdetare  etait  parvenu  a 
briser  tous  les  obstacles  et,  le  7  mars  1 6o5,  en  depit  de 
la  non  ratification  par  la  cour  d'Espagne,  un  premier 
detachement  de  cent  homines  venus  de  Finale,  bien- 
tot  suivi  d'une  troupe  tiree  des  garnisons  espagnoles 
de  Bardi  et  de  Compiano,  fiefs  de  Valdetare  dans  le 
duche  de  Parme,  entra  dans  Monaco  et  consomma 
l'aggravation  apportee  au  protectorat. 

Des  le  lendemain  on  procedait  au  desarmement 
des  habitants,  dont  les  reunions  en  parlement  general 
cesserent  desormais.  Celui  qui,  apres  la  decouverte 
du  testament  d'Hercule  Grimaldi,  confirma  en  1607 
la  tutelle  attribuee  a  Valdetare,  fut  le  dernier  qui  ait 
ete  reuni.  C'en  etait  fait  des  vieilles  franchises  et  des 
prerogatives  communales  de  Monaco,  sur  lesquelles 
les  Grimaldi  s'etaient  appuyes  depuis  Torigine  de  la 
seigneurie. 

Quelques  jours  apres  l'entree  des  troupes  espa- 
gnoles, le  jeune  Honore  II  et  ses  deux  sueurs  etaient 


-  i87  - 
emmenes  a  Milan  pour  v  etre  eleves  sous  les  veux  de 

leur  tuteur. 

Relations avec la Savoie  [i6o5-i6og  . —  Pendant 
les  annees  qui  suivirent,  l'affaire  toujours  pendante 
de  la  vassalite  de  Menton  et  de  Roquebrune  fut,  it 
la  suite  d'une  nouvelle  tentative  de  la  Savoie,  pour 
longtemps  assoupie  par  ['intervention  de  l'Espagne. 
Sans  donner  absolument  raison  aux  pretentions  des 
Grimaldi,  les  legistes  etablirent  que  les  conditions 
de  I'infeodation  primitive  non  remplies  par  la  Savoie 
justifiaient  dans  une  certaine  mesure  la  resistance 
des  seigneurs,  qu'en  consequence  la  decheance  pro- 
noncee  depassait  le  droit  du  suzerain  et,  qu'en  outre, 
il  v  avait  lieu  de  surseoir  a  lnommage  tant  que  le 
jeune  Honore  II  serait  mineur. 

Les  rapports  de  Monaco  et  de  la  Savoie  devinrent 
excellents  a  partir  de  ce  moment,  sauf  pendant  les 
rares  epoques  oil  I'etat  de  guerre  exista  entre  les 
dues  et  l'Espagne,  et  la  question  ne  devait  plus 
etre  soulcvcc  pendant  tout  le  regne  d'Honore  II. 

Abandon  de  Monaco  aux  Espagnols  pendant 
la  tutelle  1605-1614  .  —  Valdetare  reparut  a  peine 
a  Monaco  pendant  la  minorite  de  son  pupille;  la  place 
resta  a  la  merci  de  la  garnison  espagnole,  et  le  gou- 
verneur  du  Milanais  pronta  meme  de  cette  situation 
pour  meconnaitre  le  droit  reserve  au    seigneur    de 


—  i88  — 

choisir  son  lieutenant  dans  la  place.  Le  conflit  qui 
s'en  suivit  n'etait  pas  encore  vide  au  moment  de 
la  majorite  d'Honore  II. 

Education  d'Honore  et  de  ses  sceurs  —  Ma- 
nage de  Marie  Grimaldi  (i6o5-i6i5).  —  Mais,  si 
les  affaires  de  la  seigneurie  vis-a-vis  de  l'Espagne 
etaient  ainsi  abandonnees,  il  n'en  fut  pas  de  meme 
de  l'education  d'Honore  II  et  de  ses  deux  sceurs, 
chez  qui  on  developpa  d'une  facon  remarquahle 
le  gout  des  arts  et  du  faste.  Valdetare  reva  pour 
Fainee  de  ses  nieces  d'importants  etablissements 
et  Jeanne  Grimaldi  epousa,  en  septembre  i6i5,  le 
chef  d'une  des  premieres  families  du  Milanais,  le 
comte  Theodore  Trivulce  qui,  veuf  en  1620,  devait 
prendre  le  chapeau  de  cardinal  et  devenir  un  des 
hommes  d'Etat  les  plus  considerables  de  la  monar- 
chic espagnole. 

Mariage  d'Honore  II  (1616).  —  Le  mariage  de 
Jeanne  Grimaldi  fut  suivi  d'un  premier  retour  d'Ho- 
nore II  a  Monaco,  apres  dix  ans  et  demi  d'absence; 
quelques  mois  plus  tard  le  seigneur  de  Monaco 
epousait  a  son  tour  la  soeur  de  son  beau-frere,  Hip- 
polyte  Trivulce  ;  ce  mariage  fut  le  signal  de  son 
etablissement  definitif  dans  la  seigneurie. 


—  189  — 
Monaco  pendant  la  guerre  de  la  succession 
de  Mantoue  (161  5-idi  -;.  —  Dans  I'intervalle,   la 

guerre  pour  la  succession  de  Mantoue  brouillait, 
en  1614,  l'Espagne  et  la  Savoie.  Monaco  joua  un 
role  dans  cette  guerre  :  tandis  que  le  due  de 
Savoie  faisait  etudier  serieusement  les  moyens  de 
s'emparer  de  la  place,  les  galeres  espagnoles,  ayant 
le  port  pour  point  d'appui,  inquieterent  Nice  et 
Yillefranche  ;  elles  ruinerent,  au  commencement  de 
161 5.  les  approvisionnements  qui  se  faisaient  a  I'em- 
bouchure  du  Var  pour  la  construction  d'un  fort  sur 
la  presqu  lie  de  Saint-Hospice. 

Les  hostilities  reprirent  en  161 7  et  Monaco  servit 
encore  de  point  de  ravitaillement  pour  l'escadre  qui 
alia  bombarder  Oneille.  La  paix  de  Pavie  retablit 
bientot  la  bonne  entente  avec  la  Savoie. 

Role  efface  impose  a  Honore  II  dans  le  cora- 
mandement  a  Monaco  '1616-1625).  — ■  Honore  II 
n'eut  done,  apres  son  installation  a  Monaco,  a 
s'occuper  que  peu  de  mois  de  cette  guerre  et  encore 
dans  la  mesure  etroite  oil  les  Espagnols,  au  mepris 
des  clauses  du  traite  de  i6o5,  admettaient  son  auto- 
rite  dans  la  place.  Impuissant  a  faire  prevaloir  ses 
prerogatives,  expose  a  toutes  sortes  de  suspicions,  il  se 
resigna  a  s'effacer  tout  a  fait  dans  les  affaires  exte- 
rieures,  et  s'adonna  exclusivement  au  soin  interieur 
de  ses  domaines.  II  s'efforca  de  rechercher  des  lors 


—   190  — 

du  cote  du  rang  et  de  l'etiquette  l'affirmation  de  sa 
souverainete  :  e'est  a  ce  moment  qu'il  abandonna  la 
qualification  de  Seigneur  pour  prendre  cellede  Prince. 

Honore  II  prend  le  titre  de  Prince  de  Monaco 

(1612-1619).  —  Des  la  tin  du  xvie  siecle,  Hercule  Ier 
s'etait  dit  seigneur  «  par  la  grace  de  Dieu  »  en  vertu 
de  son  droit  souverain.  II  avait  meme  tente  de  chan- 
ger le  titre  de  Seigneur  pour  celui  de  Prince  en  fai- 
sant  eriger  son  domaine  de  Terlizzo,  dans  le  rovaume 
de  Naples,  en  principaute.  Les  deux  denominations 
etaient  du  reste  a  I'origine  synonymes,  et  la  seconde 
habituellement  portee  par  les  possesseurs  des  grandes 
seigneuries  du  royaume  de  Naples,  sans  entrainer, 
pour  son  titulaire,  un  caractere  de  superiority ;  peu 
a  peu  cependant  l'acception  avait  pris  un  caractere 
plus  special,  et  les  Grimaldi  avaient  vu  avec  jalousie 
d'autres  maisons,  entre  autres  les  Doria,  investies  de 
principautes  napolitaines. 

L'usage  s'etait  etabli  depuis  une  generation,  dans 
les  relations  privees,  d'attribuer  la  qualification  de 
Prince  aux  membres  de  la  famille  de  Monaco. 
En  1 61 2  le  titre  s'introduisit  dans  la  formule  des 
actes  notaries,  a  la  suite  du  nom  d'Honore  Grimaldi. 
En  16 1 9  la  reforme  fut  complete ;  le  nom  patronv- 
mique  disparait  alors  pour  etre  remplace  par  le  chiflFre 
dynastique  :  «  Honore  II,  Prince  et  Seigneur  de 
Monaco  » ;  elle  fut  entierement  consommee  et  consa- 


—  1 9 1  — 

cree  lorsqu'a  partir  de   1 633  elle  fut  admise  dans  le 
protocole  de  la  chancellerie  espagnole. 

C'est  ainsi  que  la  vieille  fortercsse  devint  une 
Principautd,  qualification  qui,  dans  l'etiquette  des 
temps,  semblait  mieux  correspondre  a  son  caractere 
souverain. 

Droit  de  battre  raonnaie.  —  A  cette  epoque,  on 

rencontre  le  premier  type  de  monnaie  de  Monaco 
frappee  depuis  Lucien  Grimaldi.  Le   grand   talaro 


Grand  talaro  d'Honore  II,  anterieur  a   162b 


d'Honore  II  indique  par  la  disposition  des  armoiries, 
que  sa  frappe  fut  contemporaine  de  l'influence  du 
prince  de  Valdetare,  puisque  l'ecu  est  ecartele  des 
armes  de  celui-ci,  e'est-a-dire  des  amies  maternelles 
d'Honore  II.  Cette  monnaie  est   certainement  ante- 


—    I92    — 

rieure  a  1625,  puisqiTelle  ne  porte  pas  les  insignes 
de  la  Toison  d'or.  II  ne  devait  cependant  pas  y  avoir 
encore  d'atelier  monetaire  a  Monaco,  et  il  est  proba- 
ble qu'elle  fut  frappee  a  Tatelier  de  Valdetare  a  Corn- 
piano,  d'ou  est  sorti  l'ecu  de  ce  prince  que  nous 
donnons  plus  haut. 

Honore  recoit  la  Toison  d'or  —  Embarras 
crees  par  la  non  execution  des  engagements  de 
l'Espagne  (i625-i63o).  —  L'Espagne  accordait  des 

honneurs  et  des  faveurs  personnelles  a  Honore  II, 
qui  recut  en  162 5  la  Toison  d'or  ;  mais,  la  negligence 
dans  Texecution  des  engagements  souscrits  avait 
survecu  aux  modifications  apportees  par  le  traite 
de  i6o5.  Les  arrieres  s'accumulaient  toujours  sans 
solution;  la  solde  des  troupes  regulieres  n'etait  pas 
plus  payee  qu'autrefois  les  subsides;  a  de  nombreuses 
reprises  il  fallut  que  le  Prince  en  fit  Tavance,  et  mal- 
gre  ces  sacrifices,  la  garnison  mecontente  montrait 
chaque  jour  plus  d'arrogance.  Monaco  finit  par  etre 
traite  comme  un  pays  conquis,  ou  le  Prince  n'avait 
plus  d'autre  prerogative  que  le  ruineux  bonneur 
d'accueillir  a  grand  frais  les  visites  princieres,  qui 
trouvaient  dans  le  palais  de  Monaco  une  fastueuse 
hospitalite. 

Visites  de  Tarchiduc  Charles  d'Autriche,  du 
due  de  Saxe-Lauembourg,  de  la  reine  de  Hon- 
grie  ( 1 624-1630).  —  Deux  de  ces  visites  ont  marque 


—  ig3  — 

dans  Thistoire  de  la  Principaute;  celles  de  I'archiduc 
Charles  d'Autriche  et  du  due  de  Saxe-Lauembourg, 
en  octobre  1624.  eelle  de  Marie-Anne  d'Autriche, 
mariee  au  roi  de  Hongrie,  le  futur  empereur  Ferdi- 
nand III.  au  printemps  de  i63o;  elles  coincident 
avec  Tepoque  oil  le  palais  de  Monaco,  transforme  par 
Honore  II,  etait  devenu  une  habitation  splendide, 
remplie  d'une  multitude  d'objets  d'art  et  du  mobilier 
le  plus  somptueux. 

Grands  trava-ux  d'Honore  II  —  Transforma- 
tion du  Palais  de  Monaco  1 620-1 656).  —  Honore, 
en  effet,  qui  avait,  des  son  retour  a  Monaco,  fait 
restaurer  et  reconstruire  en  partie  Tcglise  Saint- 
Michel  de  Menton,  et  termine  les  travaux  de  celle 
de  Saint-Nicolas  a  Monaco,  s'etait  surtout  occupe  de 
rornementation  et  de  rembellissement  du  Palais.  II 
ne  cessa  jusqu'a  sa  mort  d'y  apporter  des  soins 
constants  ;  il  v  consacra  trente  annees  et  des  sommes 
considerables. 

La  necessite  d'augmenter  le  nombre  des  apparte- 
ments  Tamena  a  doubler  l'aile  du  cote  de  la  place  en 
elevant  des  batiments  en  avant  de  l'ancien  rempart; 
les  tours  genoises,  jusqu'alors  restees  apparentes, 
furent  ainsi  masquees  derriere  ces  constructions. 
Deux  etages  d'arcades  superposees  formerent  cette 
nouvelle  facade,  dans  laquelle  on  ouvrit  une  grande 
porte  et  un  guichet  communiquant  directement  de  la 

i3 


—  1 94  — 
cour  d'honneur  a  la  place.  Gette  porte  devint  des  lors 
Tentree  principale  du  Palais,  jusqu'a  ce  moment 
restee  maintenue  dans  le  batiment  attenant  a  la  tour 
dite  de  Sainte-Marie  ou  du  Pavilion,  dans  Tangle 
faisant  face  a  la  montee  du  port. 

Sur  la  cour  interieure  les  grands  appartements  de 
Taile  sud-ouest  furent  prolonges  jusqu'au  rempart 
du  cote  de  Serravalle,  dont  la  tour  disparut  derriere 
un  batiment,  au  centre  duquel  fut  elevee,  en  1 656,  la 
nouvelle  chapelle  du  Palais  en  remplacement  de 
Tantique  oratoire  de  Saint-Jean,  construit  dans  la 
forteresse  par  les  Genois  en  i25j. 

En  merae  temps,  des  galeries  a  arcades  furent 
baties  au  devant  de  la  longue  aile  dominant  la  Con- 
damine  et  rendit  plus  commode  de  ce  cote  le  service 
des  appartements. 

Ces  amenagements  devaient  etre  completes,  a  la 
fin  du  regne,  par  la  construction  d'un  edifice  dit  des 
Bains,  eleve  en  avant  des  grands  appartements,  sur 
le  parterre  en  terrasse  dominant  Tescarpement  au- 
dessus  de  l'anse  du  Canton.  Les  revetements  de 
marbre  et  les  sculptures  de  cet  edifice  completerent  un 
ensemble  qui,  avec  les  richesses  artistiques  accumu- 
lees  a  Tinterieur,  fit  du  Palais  de  Monaco,  au  milieu 
du  xvne  siecle,  une  des  demeures  les  plus  renommees 
et  les  plus  celebrees  par  les  poetes,  les  artistes  et  les 
voyaseurs. 


—     IQO    


CHAPITRE  XVI 

NEGOCIATIONS    SECRETES     d'hONORE     II     AVEC     LA     FRANCE 

TRAITE     D  E     P  E R  O X  N E 

EXPULSION  DES  ESPAGNOLS  — ■  PROTECTORAT  FRANCAIS 

I  630-l662) 


Ouvertures  secretes  d'Honore  II  a  Louis  XIII 
et  a  Richelieu ;  uegociations  avec  M.  de  Sabran 
(i63o-i63i).  —  Tandis    qu'Honore   II   ne  trouvait 

dans  le  protectorat  de  TEspagne  que  des  causes 
d'embarras  et  d'amoindrissement  d'autorite,  l'in- 
rluence  francaise  renaissait  en  Italie  sous  l'impulsion 
de  la  politique  de  Richelieu.  Pendant  la  seconde 
guerre  de  la  succession  de  Mantoue,  en  1629,  des 
agents  pareouraient  la  peninsule  en  tous  sens;  le 
cardinal  visait  a  la  formation,  contre  la  domination 
espagnole  et  Taction  de  i'empire  d'Allemagne,  d'une 
ligue  des  petits  Etats. 

Honore  II  sentit  alors  que  le  temps  etait  venu  oil 
il  pourrait  s'appuyer  sur  la  France  pour  secouer  une 
alliance  devenue  une  source  continuelle  de  deboires. 
Deux  hommes  etaient  les  confidents  de  ses  projets  : 
le  procureur  fiscal,  Orazio  Rossi,  habitant  a  Menton, 


—   196  — 

et  un  capucin  du  couvent  de  cette  derniere  ville, 
originaire  du  Montferrat,  le  pere  Gianupero  de 
San  Salvatore  qui,  comme  beaucoup  de  religieux  de 
son  ordre,  etait  peut-etre  un  agent  du  pere  Joseph, 
le  celehre  collaborateur  de  Richelieu. 

Ces  deux  homines  s'aboucherent  avec  un  gentil- 
homme  francais  qui  traversa  la  Principaute  dans  les 
premiers  mois  de  i63o.  Les  ouvertures  faites  par 
cette  voie  furent  accueillies  avec  faveur  a  la  cour  de 
France,  et  le  commandant  d'Antibes  fut  charge  de 
suivre  les  negociations ;  mais  les  circonstances  en 
firent  presque  aussitot  passer  la  direction  a  un  autre 
personnage. 

La  France  venait  de  retablir  un  resident  a  Genes ; 
le  diplomate  envoye  a  ce  poste,  Melchior  de  Sabran, 
ayant  ete  oblige,  par  suite  du  mauvais  temps, 
de  relacher  deux  jours  a  Monaco,  v  avait  recti,  par 
ordre  du  Prince,  l'accueil  le  plus  empresse ;  a  peine 
arrive  a  Genes,  Sabran  fut  secretement  saisi  par 
Rossi  et  Gianupero  de  1'offre  de  faciliter  le  passage 
de  ses  depeches  a  travers  la  Principaute,  la  voie  du 
Piemont  etant  coupee  par  l'etat  de  guerre  avec  la 
Savoie.  Les  relations  entamees  sous  ce  pretexte 
amenerent  le  fiscal  de  Menton  a  renouveler  les 
ouvertures  deja  faites  quelques  semaines  auparavant 
a  la  cour  de  France.  Sabran  fut  autorise  a  suivre 
Taffaire.  Les  deux  agents  d'Honore  II  finirent  par 
presenter  un   projet   de  convention    d'apres    lequel 


—  197  — 
le  Prince  fut  passe  sous  le  protectorat  de  la  France, 
en  recevant  une  indemnity  pour  les  biens  qu'il 
perdrait  dans  les  pays  de  domination  espagnole.  Le 
roi  etablirait  a  sa  solde  a  Monaco  une  garnison  de 
deux  cents  hommes  en  temps  de  paix,  de  cinq  cents  en 
temps  de  guerre  ;  six  galeres  seraient  entretenues  aux 
frais  du  roi  dans  le  port  pour  faire  respecter  le  droit 
de  mer. 

On  discutait  sur  ces  bases  et  on  attendait  que 
Rossi  et  Gianupero  fournissent  les  pouvoirs  en  vertu 
desquels  ils  etaient  autorises  a  traiter,  lorsqu'en 
mars  i63i,  a  la  suite  de  la  paix  de  Cherasco  avec  la 
Savoie,  les  negociations  furent  interrompues;  Riche- 
lieu ne  jugeant  pas  opportun  de  donner  en  ce 
moment  d'ombrages  a  la  chancellerie  ducale  par 
Tacquisition  d'une  forteresse  enclavee  si  complete- 
ment  dans  les  domaines  du  due. 

La  peste  a  Monaco  (i63i).  —  Une  horrible 
calamite  vint  s'abattre  sur  Monaco  cette  meme  annee 
1 63 1.  La  peste,  apres  avoir  ravage  la  Lombardie  et 
la  Provence,  avait  envahi  le  comte  de  Nice.  Des 
precautions  energiques  et  intelligentes  mirent  Men- 
ton  a  Tabri ;  mais,  malgre  des  mesures  analogues,  la 
contagion  se  communiqua  a  Monaco  par  un  lavoir 
situe  sur  territoire  monegasque,  oil  des  habitants  de 
la  Turbie  avaient  apporte  des  linges  contamines.  Le 
mal  se  propagea  avec  une  rapidite  foudroyante.  On 


—  198  — 

rfhesita  pas  a  combattre  le  fleau  par  les  moyens  les 
plus  radicaux.  La  population  entiere  fut  mise  en 
quarantaine  et  un  lazaret  etabli  au  Chateau  Neuf. 
Personne  ne  pouvait  sortir  de  sa  maison ;  la  cloche 
de  Feglise  faisait  connaitre  Theure  des  offices;  le  soir 
seulement  les  fenetres  s'ouvraient;  on  y  posait  des 
lumieres  et  Ton  pouvait  quelques  instants  communi- 
quer  de  la  voix  d'une  maison  a  l'autre.  On  ne 
rencontrait  par  la  ville  que  les  agents  charges  de 
pourvoir  aux  provisions  des  reclus,  ou  le  cure  Pac- 
chiero  qui  portait  le  viatique  aux  mourants,  escorte 
du  podesta  Pierre-Paul  Terrazzani. 

Le  mal  augmentait  cependant,  lorsque  deux  moines 
venus  de  Nice,  convaincus  que  la  propagation  de 
l'epidemie  etait  due  a  Tinsalubrite  et  au  defaut  de 
proprete  des  habitations,  resolurent  de  faire  executer 
avec  la  derniere  rigueur  des  mesures  de  disinfection. 
Les  maisons  furent  entierement  videes  et  on  y  opera 
des  fumigations  tellement  intenses  que  de  quelques 
jours  on  n'y  put  sojourner  sans  suffoquer  ;  en  meme 
temps  les  meubles,  transportes  a  Tanse  du  Canton, 
etaient  lessives  et  plonges  longuement  dans  la  mer. 
La  population  elle-meme  fut  soumise  a  des  mesures 
analogues  :  a  un  certain  jour,  la  quarantaine  fut 
suspendue,  tous  les  habitants  se  rendirent  en  proces- 
sion au  bord  de  la  mer  et,  apres  un  bain  prolonge, 
reprit  sa  claustration. 

La  peste  s'arreta  tout  a   coup,   le   26  novembre, 


—  199  — 
grace  a  ces  mesures  d'hygiene   secondees   par   une 
pluie  diluvienne,  qui  succeda  pendant  plusieurs  jours 
a  sept  mois  de  secheresse. 

Un  quart  de  la  population  avait  succombe. 

Embarras  grandissants  causes  par  les  negli- 
gences de  l'Espagne  ( 1 63o-i 635).  —  Apres  Techec 
des  negociations  entreprises  par  Tintermediaire  de 
M.  de  Sabran  avec  la  France,  Honore  II  se  retrouva 
en  presence  d'embarras  toujours  croissants.  Dans 
les  annees  qui  suivirent,  rien  autre  chose  que  des 
promesses  vaines  ou  des  ordres  restes  inexecutes  ne 
vinrent  lui  porter  de  soulagement ;  au  commence- 
ment de  1 633  il  v  avait  quinze  annees  que  le  Prince 
etait  oblige  de  faire  de  ses  deniers  des  avances  a 
la  garnison  non  payee ;  les  revenus  du  marquisat 
de  Campagna  et  ceux  des  terres  possedees  dans  le 
Milanais  etaient  de  plus  greves  de  taxes  qui  les 
absorbaient  en  majeure  partie,  tandis  que  le  droit  de 
mer  etait  annihile. 

Nouvelles  negociations  avec  la  France  par 
rintermediaire  du  marquis  de  Gorbons  ( 1 634- 
1 635).  —  Le  Prince  put  se  convaincre  qu'il  se  trouvait 
dans  une  situation  inextricable  et  meme  dange- 
reuse  ;  de  la  a  se  tourner  encore  du  cote  de  la  France 
il  n'y  avait  qu'un  pas;  il  trouva,  pour  peser  sur  son 
esprit  dans  ce  sens,  un  de  ses  cousins  de  la  branche 


—    200    — 

cTAntibes  avec  lequel  des  relations  suivies  avaient 
commence  vers  cette  epoque,  Jean-Henri  Grimaldi, 
marquis  de  Corbons  et  de  Cagnes. 

Pendant  l'ete  de  1684  Corbons,  avec  l'assentiment 
d'Honore  II,  avait  mis  le  marechal  de  Vitry,  gouver- 
neur  de  Provence,  au  courant  des  intentions  du 
Prince.  Penetre  de  l'importance  d'une  pareille  acqui- 
sition, le  marechal  envoya  l'emissaire  d'Honore 
aupres  du  cardinal  de  Richelieu.  C'etait  le  moment 
oil  la  France  se  substituait  a  la  Suede  dans  la  lutte 
contre  l'Empire  et  la  guerre  allait  eclater  avec 
l'Espagne.  Corbons  negocia  pendant  plusieurs  mois 
et  ses  demarches  aboutirent  a  un  traite  en  regie, 
signe  par  le  roi  le  25  fevrier  1 633,  dont  la  redaction 
etait  due  au  pere  Joseph  en  personne. 

Preparatifs  pour  l'enlevement  de  Monaco  ; 
abandon  de  l'entreprise  (i635-i 636).  —  Pour 
assurer  l'execution  du  traite,  c'est-a-dire  pour  arriver 
.a  l'expulsion  des  Espagnols,  deux  voies  se  presen- 
taient;  Tune  eut  consiste  en  une  attaque  de  vive 
force  au  moyen  d'une  escadre  et  d'une  troupe  inves- 
tissant  brusquement  la  place  par  terre ;  c'etait  le 
procede  patronne  par  Vitry,  qui  en  eut  eu  la  direc- 
tion; l'autre,  qui  souriait  davantage  a  Honore  II, 
cut  consiste  en  une  attaque  interieure  contre  les 
postes  espagnols  de  la  forteresse  qu'aurait  conduitc 
le    Prince  et  ses    partisans,    reunis   secretement   au 


201     

Palais  dans  ce  but.  II  cut  fallu  etre  alors  secouru 
immediatementdel'extgrieur,  etau  printempsde  1 635 
l'operation  etait  facile,  le  port  etant  vide  de  vais- 
seaux  espagnols  et  la  garnison  tres  reduite.  Les 
retards  mis  aux  preparatifs  dans  les  ports  de  Provence 
firent  echouer  l'operation.  Au  mois  de  juin.  au 
moment  de  I'execution,  plusieurs  navires  charges  de 
troupes,  faisant  partie  d'une  flotte  equipee  a  Naples 
pour  les  ports  du  nord  de  i'ltalie,  furent  chasses 
par  la  tempete  dans  les  parages  de  la  Corse  et  se 
refugierent  dans  le  port  de  Monaco.  Le  coup  de 
main  devint  impossible  et  bientot  la  situation  se 
compliqua  par  l'occupation  des  iles  de  Lerins.  qu'ope- 
rerent  les  Espagnols  en  septembre  i635. 

La  reprise  des  iles  devint  Fobjectif  le  plus  instant 
des  efforts  de  Richelieu  ;  la  flotte  de  I'Ocean,  com- 
manded par  Sourdis,  archeveque  de  Bordeaux,  fut 
envoyee  dans  la  Mediterranee,  et  les  officiers  fran^ais 
se  rendirent  alors  compte  de  l'extreme  importance  de 
Monaco  qui  servait  de  base  a  la  defense  des  iles.  La 
prise  de  cette  place  eut  certainement  entraine  la  retraite 
des  Espagnols,  de  meme  que,  sans  sa  possession,  ils 
n'eussent  pu  tenter  le  coup  de  main  qui  les  leur  avait 
livrees.  On  traita  avec  le  due  de  Savoie  pour  obtenir 
la  faculte  de  construire  sur  le  territoire  de  la  Turbie 
des  fortifications  qui  eussent  domine  la  place.  Mal- 
heureusement,  quoique  allie  de  la  France,  le  due  ne 
mit  aucun   empressement  a  procurer  a  celle-ci  les 


—     202 

moyens  de  s'emparer  d'une  forteresse  enclavee  dans 
ses  terres ;  il  se  preta,  par  contre,  a  une  combinaison 
qui  aurait  abouti  a  supprimer  Timportance  de  Monaco 
en  comblant  son  port.  Le  temps  perdu  dans  des 
negociations  infructueuses  et  les  discussions  qui 
s'eleverent  entre  Vitry  et  Sourdis,  rirent  manquer  le 
moment  opportun  pour  une  attaque.  La  place  recut 
un  supplement  de  garnison  et  les  operations  mili- 
taires  se  bornerent  a  un  combat  maritime  dans  la 
baie  de  Menton,  a  la  suite  duquel  l'escadre  espagnole 
se  retira  sur  Final.  Les  Francais  ne  chercherent  pas 
a  attaquer  Monaco  (septembre  1 636). 

Projets  d'Honore  II  pour  le  port  de  Monaco; 
continuation  des  embarras  financiers  avec 
l'Espagne  (i 636- 1637).  —  L'occasion  etait  encore 
manquee ;  lors  de  la  reprise  des  lies  de  Lerins,  il  ne 
fut  pas  davantage  fait  de  tentative  sur  Monaco.  II 
semblerait,  du  reste,  malgre  les  assurances  donnees 
a  Richelieu  par  le  marquis  de  Corbons,  qui  ne  cessa 
pas  ses  relations  avec  Honore,  que  ce  dernier  ait  pen- 
dant quelque  temps  abandonne  ses  projets  du  cote  de 
la  France.  En  tous  cas,  il  ne  cessait  de  chercher  des 
combinaisons  pour  interesser  a  sa  situation  la  chan- 
cellerie  espagnole;  il  avait  propose,  dans  le  cours 
de  1 636,  de  consacrer  une  partie  des  sommes  qui  lui 
etaient  dues  a  des  travaux  destines  a  mettre  le  port 
de  Monaco  en  etat  d'abriter  par  tous  les  temps  plus 


—  2o:>  — 

de  quara'nte  galeres  par  la  construction  d'un  mole. 
Quoique  cette  affaire  cut  eu  pour  TEspagne  un  interet 
direct  et  malgre  le  bon  accueil  que  le  projet  avait 
recu  du  conseil  roval,  il  n'aboutit  pas  plus  que  les 
autres  combinaisons  destinees  a  procurer  au  Prince  la 
rentree  dans  une  partie  de  ses  creances. 

Conflit  avec  Genes  pour  les  debarquements 
de  sel  a  Menton  1 636- 1642).  —  Un  conflit  avec 
Genes  vint  dans  ce  temps  brouiller  Honore  II  et  la 
Republique.  La  banque  de  Saint-Georges  emit  tout 
a  coup  la  pretention  d'interdire,  en  vertu  de  preten- 
dues  anciennes  capitulations,  les  debarquements  de 
sel  a  Menton,  notamment  celui  des  gabelles  de  Nice. 
Honore  ayant  resiste  a  toutes  les  sommations,  des 
galeres  genoises  vinrent  canonner  dans  les  eaux 
Mentonnaises  des  navires  occupes  au  debarquement. 

Ces  violences  amenerent  l'intervention  de  TEspa- 
gne  et  celle  de  la  Savoie.  L'affaire  traina  en  longueur  ; 
on  craignait  a  chaque  instant  de  nouvelles  hostilites, 
et  ces  inquietudes  se  prolongerent  depuis  1 638  jus- 
qu'en  1642. 

Situation  intolerable  faite  par  les  Espagnols 
a  Honore  II  1 638-1 641).  —  Cependant,  malgre 
Tassistance  que  Monaco  avait  recue  de  la  chaneel- 
lerie  espagnole  dans  cette  affaire,  les  procedes  dont 
Honore    avait   a    souffrir    ne    cessaient    pas;    rien 


—  204  — 
n'avait  modifie  les  mesures  qui,  en  outre*  des  non 
paiements,  avaient  atteint  les  revenus  des  terres  de 
Naples  et  de  Lombardie.  On  retenait  de  plus  au  fils  du 
Prince,  a  Hercule,  marquis  de  Campagna,  la  solde  de 
la  compagnie  d'infanterie  qui  lui  avait  ete  donnee, 
etles  revenus  de  la  commanderie  de  l'ordre  de  Cala- 
trava  dont  il  etait  titulaire  en  Espagne  ;  il  fallait 
merae,  pour  toucher  quelques  sommes  sur  les  arrie- 
res,  donner  quittance  des  deux  tiers  en  sus.  D'autre 
part,  la  solde  de  la  garnison  n'etant  pas  payee,  la 
discipline  des  soldats  subissait  les  plus  facheuses 
atteintes ;  leur  insolence  n'avait  d'egale  que  la  negli- 
gence des  officiers  a  la  reprimer.  Un  placard  des  plus 
injurieux  contre  le  Prince,  excitant  a  attenter  a  sa 
liberte,  a  celle  de  son  fils  et  poussant  au  pillage  du 
Palais,  fut  un  jour  affiche  au  principal  corps  de  garde ; 
le  magistrat  de  Monaco  evoqua  Taffaire  et  prononca 
une  condamnation  a  mort  contre  le  coupable  ;  mais  le 
soldat  condamne  n'etait,  en  vertu  du  traite  de  i6o5, 
justiciable  que  des  autorites  militaires  de  Milan. 
Malgre  les  representations  d'Honore,  ce  fait  inoui 
d'insubordination  resta  impuni.  C'en  etait  trop  ;  des 
lors  le  Prince  se  determina  a  chercher  resolument  le 
moyen  de  secouer  un  joug  intolerable  et  avilissant. 

L'annee  1640  se  passa  pourtant  sans  que  le  gou- 
vernement  francais  ait  ete  avise  des  projets  secrets 
d'Honore  II. 


Fondation  de  l'atelier  des  monnaies    1640.  — 

Cette  meme  annee  1640  compte  dans  Thistoire 
monetaire  de  la  Principaute  par  la  creation  de  Tate- 
lier  des  monnaies  de  Monaco. 


Florin 


Demi-florin 


Piece  de  quatre  patacchi 

Types  de  monnaies  frappees  a  l'atelier  de  Monaco 
sous  le  protectorat  de  1'Espagne 


Les  premieres  frappes  furent  executees  suivant  le 
systeme  monetaire  usite  dans  la  region. 


—  2o6  — 

Mariage  d'Hercule,  marquis  de  Campagna, 
fils  d'Honore  II  —  Reprise  des  negoeiations 
secretes  avec  la  France  (1641).  —  La  conclusion 
du  mariage  du  marquis  de  Campagna  avec  Aurelia 
Spinola,  fille  du  prince  de  Molfetta  et  niece  du  grand 
Ambroise  Spinola,  le  heros  de  Breda  et  de  Casale, 
semblait  devoir  enchainer  davantage  Honore  II  a 
la  politique  espagnole.  Ce  mariage  fut  pourtant 
Toccasion  qui  permit  au  Prince  de  pousser  plus 
activement  et  avec  plus  de  securite  ses  pourpar- 
lers avec  la  France.  A  la  faveur  des  preparatifs 
d'une  union  celebree  avec  la  plus  grande  pompe, 
des  communications  plus  frequentes  s'etablirent  avec 
Corbons  sans  dormer  l'eveil,  d'autant  plus  que  ce 
dernier,  retire  dans  son  chateau  de  Cagnes,  se  faisait 
passer  depuis  quelque  temps  pour  mecontent  de  la 
cour  de  France  et  tombe  en  disgrace. 

On  agit  cependant  avec  la  plus  grande  prudence, 
car  Poccupation  de  Nice  par  le  cardinal  de  Savoie, 
qui  s'y  soutenait  contre  sa  belle-sceur,  la  regente 
Christine  de  France,  avec  Tappui  de  TEspagne, 
faisait  que  de  ce  cote  on  pouvait  s'attendre  a  ce  que 
les  moindres  allees  et  venues  seraient  surveillees. 

Conclusion  des  negoeiations;  traite  de  Pe- 
ronne  (juillet-septembre  1641).  — Des  la  fin  du  mois 
d'avril  1641,  le  cardinal  de  Richelieu  avait  ete  avise 
par  Corbons  des  nouvelles  propositions  d'Honore  1 1 ; 


—  207  — 
elles  etaient  identiques  aux  clauses  du  traite  signe 
en  1 63  5  ;  quelques  points  nouveaux,  surtout  relatifs 
aux  interets  du  marquis  de  Campagna,  y  avaient  etc 
ajoutes,  et  le  8  juillet,  c'est-a-dire  le  lendemain 
me  me  de  la  celebration  a  Monaco  du  manage  d'Her- 
cule  Grimaldi  avec  Aurelia  Spinola,  le  roi  Louis  XIII 
avait  signe  a  Peronne  les  conditions  accordees  au 
prince  de  Monaco  et  destinees  a  devenir  definitives 
par  la  ratification  de  celui-ci. 

Cette  ratification  fut  donnee  le  12  aout  par  Honore, 
mais  accompagnee  de  quelques  demandes  qui  firent 
l'objet  de  decisions  supplementaires  signees  par  le 
roi  a  Peronne,  le  14  septembre.  Le  texte  delinitif  du 
traite  fut  dresse  le  meme  jour. 

Dans  le  preambule  de  cet  acte  qui  devait  regir 
pendant  cent  cinquante  ans  les  rapports  de  la  Prin- 
cipaute  et  de  la  France,  le  roi  Louis  XIII  commence 
par  declarer  que,  sur  Tappel  du  Prince,  dont  les 
droits  souverains  sont  violes  par  les  Espagnols,  il  lui 
accorde  sa  protection. 

Une  garnison  de  cinq  cents  homines,  entretenue 
aux  frais  du  tresor  royal,  sera  etablie  a  Monaco  ;  le 
roi  en  nommera  les  officiers  ;  elle  sera  sous  les  ordres 
du  Prince  et  de  ses  successeurs,  gouverneurs  a  perpe- 
tuite  de  la  place  a  qui  les  officiers  preteront  serment. 

La  liberte  et  la  souverainete  de  Monaco,  de  Menton 
etdeRoquebrunesontgaranties  formellement :  la  gar- 
nison ne  pourra  jamais  s'ingerer  dans  la  souverainete 


—   2o8  — 

sur  terre  et  sur  mer,  et  moins  encore  dans  les  choses 
du  gouvernement  et  de  la  justice. 

Le  Prince  sera  compris  dans  tous  les  traites  de 
paix  faits  par  le  Roi ;  en  compensation  des  biens  qui 
seraient  confisques  dans  les  pays  espagnols,  il  lui 
sera  donne,  jusqu'a  concurrence  de  vingt-cinq  mille 
ecus  de  revenus,  des  fiefs  en  France,  dont  une  partie 
sera  erigee  en  duche-pairie,  I'autre  en  marquisat 
pour  le  fils  du  Prince,  la  troisieme  en  comte. 

Le  Prince  et  son  fils  recevrontles  ordres  du  Roi  en 
echange  de  la  Toison  d'or  et  de  Tordre  de  Calatrava. 

Tous  les  privileges  anciennement  accordes  par  la 
couronne  de  France  seront  confirmes,  notamment  le 
droit  de  mer.  Quelques  galeres  devront  stationner 
dans  le  port  de  Monaco  et  les  commandants  obeiront 
au  Prince. 

Preparatifs  pour  Fexpulsion  des  Espagnols 

(septembre-novembre  1641).  —  II  n'y  avait  plus  qu'a 
executer  le  coup  de  main  qui  devait  mettre  hors  la 
place  la  garnison  espagnole ;  le  plan  convenu  etait 
le  meme  que  celui  propose  par  Honore  II  et  Corbons 
en  1 635  :  s'emparer  des  postes  aFinterieur  et  appeler 
immediatement  les  troupes  francaises,  tenues  pretes 
pour  Tevenement  a  Antibes. 

Par  une  suite  de  circonstances  favorables,  la  place 
etait  degarnie  de  troupes  au  commencement  d'oc- 
tobre.    Le  cardinal    de    Savoie    avait    demande    au 


—    20Q    — 

gouverneur  du  Milanais  line  partie  de  la  garnison 
de  Monaco  pour  renforcer  la  defense  de  Nice;  cent 
hommes  v  avaient  ete  envoyes. 

Le  moment  etait  done  tout  a  fait  propice  et  cepen- 
dant  Honore  atermovait.  Pendant  plus  de  six  semai- 
nes  il  etait  reste  sans  agir,  lorsque  apres  avoir  fixe 
definitivement  l'executionde  l'entreprise  au  6  novem- 
bre,  il  v  renonca  tout  a  coup,  se  croyant  trahi,  el 
decommanda  les  preparatifs  que  dirigeaient  Corbons 
et  le  comte  d'Alais,  gouverneur  de  Provence,  a 
Antibes.  Les  protestations  de  Corbons  firent  alors 
moins  pour  le  ramener  a  des  resolutions  energiques 
que  la  decouverte  d'une  lettre  du  lieutenant  de  la 
garnison  de  Monaco,  le  capitaine  Callente,  au  gou- 
verneur du  Milanais  en  reponse  a  des  avis  qui  le 
mettaient  en  garde  contre  les  menees  du  Prince. 
Callente  repondait  de  la  ridelite  d'Honore  II,  mais  il 
ajoutait  qu'au  premier  signe  il  s'assurerait  de  sa 
personne  et  de  celle  de  son  rils  et  les  enverrait 
enchaines  a  Milan. 

Coup  de  main  du  17  novembre  1641.  —  Honore 
ne  prit  pas  le  temps  de  prevenir  de  nouveau  Corbons 
et  le  comte  d'Alais  et  prorita  d'un  nouvel  incident, 
qui  vint  sur  ces  entrefaites  reduire  Peifectif  de  la 
garnison. 

Une  sedition,  secretement  provoquee,  avait  eclate 
a  Roquebrune;  une  trentaine  de  delinquants  furent 

14 


amenes  prisonniers  au  palais  de  Monaco,  pen- 
dant que  soixante-quinze  soldats  espagnols  etaient 
envoyes  en  garnisaires  chez  les  emeutiers.  A  ces 
gens,  introduits  ainsi  sous  pretexte  de  poursuites 
judiciaires,  s'etait  ajoute  ua  certain  nombre  d'autres, 
embauches  soi-disant  pour  les  constructions  du 
Palais  ou  pour  les  preparatifs  d'une  expedition  du 
marquis  de  Campagna  contre  les  corsaires  barba- 
resques.  On  avait  ainsi  reuni  dans  les  salles  basses 
une  centaine  d'hommes  sans  eveiller  l'attention. 

Les  mesures  etaient  entierement  prises  lorsqu'au 
dernier  moment  un  incident  qui  pouvait  tout  perdre 
se  produisit;  un  page  espagnol  avait  ramasse  des 
papiers  perdus  par  Honore;  e'etaient  les  dernieres 
lettres  de  Corbons  et  du  comte  d'Alais;  le  bonheur 
voulut  que  ce  page  ne  sut  pas  lireet  que  la  trouvaille 
fut  remise  au  majordome  Jerome  Rey. 

Ceci  se  passait  le  17  novembre  dans  la  soiree, 
tandis  qu'Honore  II  avait  convie  les  officiers  espa- 
gnols a  un  repas  et  fait  distribuer  du  vin  aux  soldats. 
La  nuit  venue,  et  la  surveillance  des  Espagnols  entie- 
rement endormie  par  la  bonne  humeur  dont  le  prince 
avait  fait  preuve  pendant  le  repas,  Honore,  suivi  de 
son  fils,  de  Jerome  Rey  et  du  secretaire  Brigati,  se 
rend  dans  les  salles  basses.  II  decouvre  a  ceux  qui  y 
sont  renfermes  le  stratageme  employe  pour  les  reunir ; 
il  leur  lit  la  lettre  intercepted  qui  le  menace  prochai- 
nement  des  fers  ;  il  leur  propose  de  saisir  Toccasion 


2  11     — 

de  se  delivrer  eux-memes  en  delivrant  leur  souverain. 
Tous  se  precipitent  sur  les  armes  qu'on  leur  distribue, 
et,  comme  si,  jusqiTa  la  tin,  les  accidents  qui  eussent 
pu  faire  echouer  l'entreprise  dussent  etre  conjures, 
le  bruit  des  detonations  de  deux  ou  trois  pistolets, 
manies  maladroitement  par  ces  soldats  improvises, 
se  perd  dans  le  fracas  du  vent  soufflant  en  ce  moment 
en  tempete  et  n'arrive  pas  jusqu'aux  oreilles  des 
Espagnols. 

Le  prince  partage  alors  sa  troupe  en  trois  groupes : 
Tun  d'eux,  conduit  par  le  marquis  de  Campagna, 
emporte  le  poste  de  Serravalle,  tandis  que  Jerome 
Rev  avec  vingt  hommes  se  rend  facilement  maitre  du 
corps  de  garde  du  palais  et,  saisissant  les  commu- 
nications avec  Texterieur,  renferme  dans  le  quartier 
des  soldats  le  reste  de  la  garnison,  qu'il  tient  en 
respect  en  la  dominant  par  les  galeries  superieures. 

Pendant  ce  temps,  Honore  II  avec  cinquante 
hommes  se  jette  sur  le  grand  poste  a  la  porte  de  la 
ville  ;  la  se  trouvait  le  capitaine  Callente  avec  Telite 
des  soldats.  II  fallut  trois  attaques  successives,  et  le 
poste  ne  fut  enleve  qu'apres  une  defense  hero'ique. 

Expulsion  des  Espagnols.  —  Un  coup  de  canon 
tire  des  remparts  avertit  alors  le  capitaine  de  Men- 
ton,  Jerome  de  Monleon,  embusque  en  vue  de  la 
place  avec  cent  soixante  hommes,  qui  furent  intro- 
duits  et  contribuerent  a  faire  capituler  le  quartier  des 


—    212    — 

soldats.  Une  fois  le  succes  obtenu,  on  se  contenta 
d'expulser  de  la  forteresse  les  Espagnols  sans  les 
maltraiter. 

Ce  resultat  n'avait  coute  la  vie  a  aucun  des  assail- 
lants  ;  du  cote  des  Espagnols  il  y  eut  cinq  tues  dont 
l'enseigne,  et  une  dizaine  de  blesses  dont  trois  mou- 
rurent. 

Garnison  francaise  (24  novembre  1641).  — 
La  nouvelle  du  coup  de  main  surprit  Corbons  et  le 
comte  d'Alais  au  moment  ou  ils  avaient  donne  les 
ordres  pour  faire  cesser  les  preparatifs  ;  aussi,  les 
troupes  francaises  n'arriverent  que  le  24  novembre. 
Pendant  ces  sept  jours,  la  place  setrouva  uniquement 
confiee  a  la  garde  des  sujets  du  prince,  sous  le  com- 
mandement  de  Jerome  de  Monleon. 

Honore  II,  apres  avoir  pourvu  au  renvoi  des  Espa- 
gnols desarmes  et  sortis  de  la  place,  chargea  le 
capitaine  Callente  de  reporter  au  gouverneur  du 
Milanais  les  insignes  de  la  Toison  d'or.  Dans  la  lettre 
qui  en  accompagnait  le  renvoi,  le  prince  exposait 
comment,  fidele  serviteur  du  Roi  Catholique,  il  avait 
supporte  jusqu'au  bout  les  mauvais  traitements  qui 
Tavaient  enfin  oblige  a  rompre  avec  l'Espagne.  II  ne 
pouvait,  en  consequence,  conserver  des  honneurs  qui 
etaient  le  signe  de  ces  liens. 

Le  «  Rubicon  etait passe  »,  suivant  la  reponse  que 
le  prince  fit  aux  emissaires  du  cardinal  de  Savoie 


—    2  10    — 

avant  Tentree  de  la  garnison  francaise ;  sa  decision 
parut  des  lors  si  formelle  que  son  beau-frere,  le 
cardinal  Trivulcc,  accouru  pour  apporter  une  partie 
des  sommes  d'argent  si  longtemps  attendues  en  vain 
et  pour  proposer  les  modifications  les  plus  avanta- 
geuses  au  regime  du  protectorat,  comprit  Tinutilite 
de  ses  efforts  et  rebroussa  chemin  apres  s'etre  avance 
jusqu'a  Savone. 

Intervention  de  la  France  a  Genes  pour  la 
protection  d'Honore  II  (decembre  1641). —  L'effet 
de  la  protection  francaise  se  fit  aussitot  sentir  :  le 
coup  de  main  du  17  novembre  avait  cause  une  si  vive 
irritation  a  Genes  qu'on  y  avait  mis  a  prix  la  tete  du 
prince.  Une  lettre  de  Louis  XIII,  du  h/\. decembre,  fit 
reflechir;  elle  enjoignait  aux  Genois,  dans  des  termes 
qui  n'admettaient  pas  de  replique,  d'avoir  a  traiter 
Honore  II  comme  devait  Tetre  le  protege  du  Roi 
Tres-Chretien.  Cette  intervention  amena  la  Republi- 
que  a  regler,  au  commencement  de  1642,  le  conrlit 
qui  durait  encore  entre  elle  et  le  prince  de  Monaco 
au  sujet  de  l'affaire  du  sel. 

Fin  du  protectorat  espagnol.  —  L'alliance  de 
l'Espagne  avait  ete  pour  les  Grimaldi  une  longue 
suite  de  deceptions ;  sa  rupture  fut  un  grave  echec 
pour  la  politique  de  l'Espagne,  echec  que  le  bailli  de 
Forbin  caracterisait  lorsqu'il  ecrivait  a  Richelieu  en 


—  214  — 
le  felicitant   de  l'evenement  du  17  novembre  «  qui 
avait  donne  un  coup  de  pied  aux  Espagnols  qui  les 
recule  de  deux  cents  milles  pour  leur  trajet  d'Espagne 
en  Italie  ». 

Confiscation  des  biens  d'Honore  II  en  pays 
espagnols  (1642). —  Les  consequences  prevues  de 
la  rupture  d'Honore  II  avec  FEspagne  se  realiserent 
immediatement ;  ses  biens  en  pays  soumis  au  Roi 
Catholique ,  furent  saisis  et  confisques.  Hercule 
Sigaldi,  gouverneur  general  du  marquisat  de  Cam- 
pagna,  fut  meme  pendant  plusieurs  mois  retenu 
prisonnier. 

Le  reglement  des  indemnites  a  recevoir  en  France 
en  compensation  des  domaines  perdus  donna  lieu 
a  des  negociations  que  Gorbons  conduisit  a  la  cour 
de  novembre  1641  jusqu'en  fevrier  suivant. 

Gomplots  espagnols  pour  la  reprise  de  Mo- 
naco (1642- 1644). —  Pendant  ce  temps,  Honore  II 
avait  a  se  defendre  contre  des  tentatives  que  les 
Espagnols  renouvelerent  a  plusieurs  reprises  pour 
rentrer  en  possession  de  Monaco.  Tandis  que  leurs 
manoeuvres  a  l'exterieur  etaient  etroitement  surveil- 
lees  par  le  comte  d'Alais,  gouverneur  de  Provence, 
le  prince  dejouait  plusieurs  complots  dont  les  au- 
teurs  furent,  dans  la  place  meme,  rigoureusement 
chaties. 


—    2  I  D 


Entrevue  d'Honore  II  avec  Louis  XIII  a 
Perpignan;  il  est  cree  chevalier  du  Saint- 
Esprit  (1642).  —  Honore  II  avail  hate  de  paraitre  a 


Honore  II 
(d'aprcs  une  gravure  contemporaine) 


la  cour  de  France  et  d'y  jouir  des  honneurs  qui  l'y 
attendaient.  La  conquete  du  Roussillon,  entreprise 
au  printemps   de    1642,  en   rapprochant   le   roi   et 


—  2i  b  — 

Richelieu  des  bords  de  la  Mediterranee,  lui  permit 
d'effectuer  facilement  eette  premiere  entrevue.  Au 
mois  de  mai,  le  prince  debarque  a  Marseille  s'ache- 
mina  vers  Perpignan,  alors  assiege  par  les  troupes 
royales.  La  maladie  qui  frappa  Louis  XIII  sur  ces 
entrefaites  retarda  la  visite,  et  obligea  Honore  d'at- 
tendre  quelque  temps  a  Beziers  le  moment  favorable 
pour  son  audience.  Elle  eut  lieu  le  22  mai.  Le  roi 
l'invita  a  le  suivre  a  la  chapelle  et  lui  dit  en  lui 
remettant  les  insignes  de  Tordre  du  Saint-Esprit  : 
«  Mon  cousin,  je  ne  vous  traite  pas  a  Tordinaire  et 
«  ne  recherche  point  toutes  les  ceremonies  requises 
«  afaire  un  chevalier;  aussi  n'etes-vous  pas  consi- 
«  dere  dans  le  commun,  et  je  me  contente  qu'on  sache 
«  que  votre  merite  et  mon  inclination  me  portent  a 
«  faire  ceci  de  la  sorte  pour  honorer  Tun  et  vous 
<c  donner  une  entiere  assurance  de  Tautre.  Surtout, 
«  souvenez-vous  que  le  roi  d'Espagne  n'a  jamais 
«  donne  Tordre  de  la  Toison  d'Or  en  France,  comme 
«  je  vous  donne  celui  du  Saint-Esprit  en  Espagne, 
«  et  que  Techange  que  vous  en  avez  fait  pour  l'autre 
«  que  vous  avez  renvoye  a  Sa  Majeste  Catholique, 
«  est  assez  beau  pour  rendre  votre  aventure  et  votre 
«   qualite  considerables.  » 

Donation  du  duche-pairie  de  Valentinois,  du 
marquisat  des  Baux  et  du  comte  de  Garladez 

(1642- 1 643).  —  Le  Roi  fit  immediatement  delivrer 


—    2I7    — 

des  lettres  patentes,  datees  du  camp  meme  sous 
Perpignan,  qui  conferaient  au  souverain  de  Monaco, 
en  echange  du  marquisat  de  Campagna,  le  Valen- 
tinois  erige  en  duche-pairie,  avec  les  peages  de 
Valence,  de  Vienne  et  de  Montelimar. 

La  terre  des  Baux,  en  Provence,  fut  en  meme 
temps  erigee  en  marquisat  en  faveur  du  fils  d'Ho- 
nore  II,  Hercule  Grimaldi,  en  compensation  de  la 
commanderie  de  Calatrava  et  des  autres  biens  qu'il 
perdait  en  pays  espagnols ;  d'autres  lettres,  poste- 
rieuresde  quelques  mois,  arrondirent  les  domaines 
du  duche  de  Valentinois  par  radjonction  de  plusieurs 
terres  contigues.  Une  derniere  concession  attribua 
a  Honore  le  comte  de  Carladez,  en  Auvergne,  dont 
les  revenus  completerent  le  chiffre  stipule  par  le 
traite  de  Peronne. 

Voyage  d'Honore  II  a  Paris;  il  est  recu  due 
etpair  au  Parlement  (1642-1643).  —  Honore  II 
put  surveiller  par  lui-meme  rexecution  de  ces  dons 
royaux.  Revenu  en  juin  a  Monaco,  il  en  repartit  le 
6  novembre  suivant  pour  Paris  accompagne  du  nou- 
veau  marquis  des  Baux.  II  v  sejourna  jusqu'au  mois 
d'avril  suivant.  Le  petit  allie  de  la  France  fut  l'objet 
d'une  curiosite  bienveillante  et  empressee  de  la  part 
de  la  cour  et  de  la  ville,  et  tandis  que  les  cours 
souveraines  enregistraient  le  traite  de  Peronne  et  les 
donations  de  territoires  qui  en  etaientla  consequence, 


—    2l8    — 

il  prenait  seance  au  Parlement  comme  due  et  pair  de 
Valentinois.  L'audience  solennelle  cut  lieu  le  ig  fe- 
vrier  1643.  L'avocat  general  Oraer  Talon  prononca 
a  cette  occasion  une  de  ces  harangues  alors  a  la 
mode  ou  les  vertus  du  prince  etaient  exaltees. 

Naissance  de  Louis,  comte  de  Carladez,  fil- 
leul  de  Louis  XIV  et  d'Anne  d'Autriche  (1642- 

1643).  —  Dans  rintervalle  des  voyages  a  Perpignan 
et  a  Paris,  Aurelia  Spinola  avait  donne  le  jour, 
le  2  5  juillet  1642,  a  un  premier-ne  que  Louis  XIII 
et  Anne  d'Autriche  avaient  accepte  de  nommer  au 
bapteme.  La  mort  du  Roi,qui  expira  le  i4mai  1643, 
survint  quelques  semaines  apres  le  retour  du  Prince 
a  Monaco,  avant  que  les  ceremonies  aient  eu  lieu. 
Honore  II  recut  bientot  avis  que  le  jeune  roi 
Louis  XIV  remplacerait  son  pere  pour  cette  faveur 
insigne.  Le  i3  novembre  1643,  le  comte  dAlais, 
gouverneur  de  Provence,  et  la  comtesse  sa  femme, 
representant  le  roi  et  la  reine-mere,  furent  recus 
en  grande  pompe  a  Monaco  et  le  bapteme  de  Louis 
Grimaldi.  a  qui  on  donna  le  titre  de  comte  de  Carla- 
dez, fut  preside  par  Teveque  de  Nice  au  milieu  d'un 
brillant  concours  de  noblesse. 

Les  fetes  qui  celebrerent  cette  consecration  de  Tal- 
liance  de  Monaco  et  de  la  France,  egalerent  en  eclat 
celles  qui,  deux  ans  auparavant,  avaient  marque  le 
mariage  d'Hercule  Grimaldi  et  dAurelia  Spinola. 


—  219  — 
Faveurs  et  privileges  accordes  par  Louis  XIV 

(1643).  —  La  bienveillance  royale  s'etendit  aux  servi- 
teurs  d'Honore  qui  avaient  joue  un  role  actif  dans 
l'expulsion  des  Espagnols.  Le  majordome  Jerome 
Rev,  le  secretaire  Brigati,  le  capitaine  de  Menton 
Jerome  de  Monleon,  recurent  du  roi  de  France  des 
lettres  de  naturalite  francaise  et  de  noblesse  avec  des 
gratifications. 

Ces  faveurs  furent  bientot  suivies  de  privileges 
importants  dans  Tordre  economique.  La  difficulte 
des  approvisionnements  etait  une  des  questions  les 
plus  dedicates  pour  Fexistence  de  la  Principaute  ;  il 
fallait  compenser  les  traites  de  Sicile  maintenant  sup- 
primees  ;  une  ordonnance  royale  accorda  au  Prince 
la  faculte  de  tirer  en  franchise  de  Provence  et  de 
Languedoc  vingt-cinq  mille  charges  de  ble  pour 
l'alimentation  de  ses  sujets. 

Monnaies  de  Monaco  (1643).  —  Le  16  octo- 
bre  1643,  des  lettres  patentes  autoriserent  l'intro- 
duction  et  la  circulation  en  France  des  monnaies 
d'or,  d'argent  et  de  billon  fabriquees  a  Thotel  des 
monnaies  de  Monaco,  a  la  condition  qu'elles  seraient 
de  meme  titre  et  aloi  que  les  especes  ayant  cours  en 
France. 

Ce  privilege  ne  fut  pas  execute  sans  avoir  pro- 
voque  de  vives  resistances  de  la  part  des  cours 
des  monnaies  et  des  autres  cours  souveraines  du 


—   220 


Royaume.  II  fallut,  pour  vaincre  ces  obstacles, 
recourir  a  de  nouvelles  lettres  confirmatives,  qui 
furent  delivrees  par  le  roi  de  France,  en  1645  et 
1646. 


Quadruple 


Pistole 


Demi-Pistole 


Types  des  monnaies  d'or 
frappees  par  Honore  II  depuis  le  traite  de  Peronne 


—    221    — 


m^:^sm^  $r    %r< 


Demi-ecu 


4mb 


Piece  de  cinq  sous 


Types  des  monnaies  d'argent 
frappees  par  Honore  II  depuis  le  traite  de  Peronne 


222    

Des  lors,  Tatelier  des  monnaies  de  Monaco  fonc- 
tionna  regulierement  et  avec  activite. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  nous  etendre  en  detail 
sur  la  monnaie  de  Monaco,  ni  de  faire  l'historique 
des  fermiers  qui  prirent  la  direction  de  Tatelier 
monetaire  et  dont  les  marques  particulieres  ou  diffe- 
rents  se  retrouvent  sur  les  frappes  successives  qui 
furent  faites  pendant  ce  regne  ;  nous  donnons  ici 
seulement  quelques-uns  des  principaux  types  des 
especes  d'or  et  d'argent  emises. 

Cette  monnaie  etait  fort  belle ;  les  exemplaires  des 
pieces  d'or  sont  remarquables  ;  ils  sont  devenus 
d'une  extreme  rarete. 

L'ecu  d'argent,  que  son  module  trop  grand  nous 
empeche  de  reproduire  ici,  est,  sauf  la  dimension, 
exactement  semblable  au  demi-ecu  dont  nous  don- 
nons le  dessin. 

Role  militaire  du  port  de  Monaco  ( 1 644- 1 647). 
—  La  guerre  maritime  continuait  cependant  dans  la 
Mediterranee,  et  le  port  de  Monaco  eut  un  role  tres 
important  dans  les  campagnes  entreprises  par  la 
France  pendant  les  annees  1644  a  1647.  ^  etait  de 
premiere  importance  d'y  reunir  des  forces  serieuses 
pour  intercepter  les  communications  entre  TEspagne 
et  ses  possessions  de  la  haute  Italie  qui  se  faisaient 
par  Finale  depuis  la  perte  de  Monaco. 

En    outre,   on   decouvrait   a    chaque  instant   des 


intelligences  que  les  Espagnols  cherchaient  a  renouer 
dans  Monaco  et  les  preoccupations  que  causaient  ces 
menees  firent  projeter  un  moment,  en  1646,  aux 
autorites  militaires  francaises  de  rattacher  la  place  au 
gouvernement  de  Provence.  La  regente,  ridele  obser- 
vatrice  du  traite  de  Peronne,  repoussa  cette  idee. 
«  Ce  rattachement  n'etait  pas  possible,  vu  le  carac- 
«  tere  d'etat  independant  de  la  forteresse  et  le  droit 
«  souverain  de  son  prince  ».  (Septembre  1646.) 

Le  port  devint,  des  lors,  un  centre  d'armements 
qui  servit  surtout  dans  Tattaque  des  presides  de 
Toscane  :  Orbitello,  Piombino,  Porto  Longone.  Une 
escadre  entretenue  par  le  roi  y  fut  placee  en  perma- 
nence sous  le  commandement  du  prince. 

Des  armements  particuliers  d'Honore  II  vinrent 
encore  augmenter  cette  force  navale,  et  plusieurs 
galeres,  dont  trois  achetees  au  grand-due  de  Toscane, 
firent  flotter  dans  la  Riviere  Tetendard  fusele  des 
Grimaldi. 

Poursuite  des  pirates  barbaresques  ( 1 644- 
1647).  —  Honore  II  n'oubliait  pas  du  reste  le  role 
assume  par  ses  predecesseurs  dans  la  chasse  a 
dormer  aux  pirates  barbaresques  qui  continuaient  a 
infester  la  Mediterranee  et  dont  la  poursuite  avail 
ete  la  cause  premiere  de  Tetablissement  du  peage 
maritime  ou  droit  du  port  de  Monaco  destine  a 
Tentretien  de  ces  armements. 


—    224    — 

L'audace  des  Barbaresques  et  leurs  depredations 
etaient  devenus  extremes  dans  les  dernieres  annees 
a  la  faveur  des  guerres  ;  a  chaque  instant  des  razzias, 
operees  sur  les  cotes  de  la  Riviere,  venaient  jeter  la 
desolation  dans  les  populations  qui  osaient  a  peine 
s'aventurer  hors  des  villes. 

Honore  II  demanda  et  obtint  l'intervention  du  roi 
de  France;  par  une  depeche  adressee,  en  1644,  a 
son  ambassadeur  a  Constantinople,  La  Haye  Ven- 
xelaye,  Louis  XIV  fit  inviter  expressement  le  Grand- 
Seigneur  a  exiger  de  ses  vassaux  de  Tunis  et  d'Alger 
le  respect  du  territoire  du  prince  de  Monaco  devenu 
son  protege. 

Visite  de  la  marechale  de  Guebriant  (1646). 
—  Les  nouveaux  liens  qui  unissaient  Honore  a  la 
France  provoquaient  de  nombreuses  visites  de  per- 
sonnages  de  marque  a  Monaco.  La  plus  celebre  pen- 
dant cette  periode  fut  celle  de  la  marechale  de  Gue- 
briant, lors  de  son  retour  de  Pologne  oil,  avec  le 
litre  d'ambassadrice,  elle  avait  conduit  en  1646  la 
princesse  Marie  de  Gonzague-Nevers,  mariee  au  roi 
Vladislas.  Elle  etait  accompagnee  par  Thistorien  du 
marechal  de  Guebriant,  Jean  Le  Laboureur,  dont  la 
relation  de  voyage  contient  la  plus  ancienne  des- 
cription imprimee  du  palais  de  Monaco  et  des  details 
tres  precis  sur  les  richesses  artistiques  qu'il  renfer- 
mait  alors. 


2  2  3    

Publication  de  Thistoire  genealogique  de 
Venasque  (1647).  —  La  visite  de  madame  de  Gue- 
briant  a  beaucoup  contribue  a  la  publication  d'unc 
genealogie  historique  de  la  maison  de  Grimaldi  qui 
est  devenue  depuis  ce  temps  la  base  officielle  de 
Thistoire  de  Monaco.  UHistorica  et  genealogica 
Grimaldce  gentis  arbor  est  signee  de  Charles  de 
Venasque  Ferriol,  le  secretaire  d'Honore  II,  maison 
y  reconnait  facilement  la  main  experte  de  Jean  Le 
Laboureur. 

Ce  livre  donna  une  forme  definitive  aux  preten- 
tions des  Grimaldi  qui,  dcja  depuis  deux  siecles, 
tendaient  a  chercher  en  dehors  de  Genes  les  origines 
de  leur  maison.  Leurs  relations  avec  la  Provence  les 
avaient  amenes,  des  le  commencement  du  xve  siecle, 
a  se  rattacher,  grace  a  une  identite  de  nom,  a  la 
seigneurie  de  Grimaud  {de  Grimaldo)  dans  le  golfe 
de  Saint-Tropez,  donnee  par  le  comte  de  Provence 
au  onzieme  siecle  a  un  heros  de  la  guerre  contre  les 
Sarrazins,  Giballin,  en  recompense  de  ses  services. 

Plus  tard,  sous  Louis  XII  et  Francois  Ier,  ils  trou- 
verent  a  la  cour  de  France  une  famille  normande 
alors  puissante,  les  du  Bee  Crespin,  dont  les  armoi- 
ries  etaient  identiques  aux  leurs  et  avec  laquelle  ils 
se  reconnurent  une  origine  commune. 

A  la  fin  du  xvie  siecle,  suivant  la  mode  qui  attri- 
buait  alors  aux  grandes  maisons  des  origines  anti- 
ques ou  fabuleuses,  on  chercha  des  ascendants  des 

i5 


—    220    — 

Grimaldi  dans  les  Grimoald,  dues  de  Benevent,  ou 
dans  les  rois  Normands  du  sud  de  Tltalie. 

Fondant  ensemble  ees  pretentions  diverses,  Charles 
de  Venasque,  ou  plutot  Jean  Le  Lahoureur,  assigna 
uneorigine  carlovingienne  aux  ancetres  d'Honore  II 
et  des  du  Bee  Crespin,  dont  etait  la  marechale  de 
Guebriant,  en  les  faisant  descendre  de  Grimoald,  tils 
de  Pepin  d'Heristal  ;  il  imagina  une  filiation  qui 
comprit  Giballin  de  Grimaud  et  un  frere  fabuleux  de. 
celui-ci,  Grimaldus,  auquel,  d'apres  un  manuscrit 
apocrvphe  exhume  a  la  bibliotheque  Ambroisienne 
a  Milan,  I'empereur  Othon  aurait  donne  vers  960  la 
souverainete  de  Monaco. 

L'ouvrage  de  Venasque  a,  depuis  deux  siecles  et 
demi,  fait  devier  de  la  verite  historique  les  annales 
de  Monaco  et  des  Grimaldi,  sans  creer  une  legende 
plus  glorieuse  que  la  realite. 

Nouveau  voyage  d'Honore  II  a  la  cour  de 
France  (1 646-1 647).  —  Honore  II  executa,  a  la  fin 
de  1646,  peu  de  semaines  apres  le  passage  de  la  mare- 
chale de  Guebriant ,  un  nouveau  voyage  a  Paris. 
II  etait  encore  accompagne  de  son  his,  le  marquis 
des  Baux.  Son  absence  se  prolongea  plus  de  six 
mois ;  il  fut  temoin  pendant  ce  temps  de  fetes  bril- 
lantes  a  la  cour  de  France. 

Son  gout  pour  les  arts  lui  fit  rechercher  ce  qui 
existait  alors  a  Paris  d'artistes  renommes.  Ce  fut  a 


•1  •  ■>  - 


cette  epoque  qu'il  fit  executer  son  portrait  par  Phi- 
lippe de  Champaigne  et  qu'il  commanda  deux  series 
de  splendides  tapisseries  it  la  manufacture  royale. 

Le  roi  fit  a  sa  demande  quatre  chevaliers  de  Saint- 
Michel;  Honore  en  recut  lui-meme  les  titulaires  dans 
la  chapelle  privee  de  son  hotel  a  Paris,  ce  furent  : 
Jerome  Rev,  son  majordome,  un  gentilhomme  de 
San  Remo,  Fabiani,  enfin,  detail  caracteristique,  Jean 
Le  Laboureur  «  tres  ami  de  Son  Excellence  »,  dit  la 
relation,  et,  celui-ci,  Charles  de  Venasque-Ferriol, 
dont  le  livre  paraissait  en  ce  moment. 

Demarches  au  congres  de  Munster  (1646- 
1648).  —  Le  congres  de  Munster,  qui  devait  aboutir 
au  traite  de  Westphalie,  etait  alors  reuni ;  depuis  b 
traite  de  Peronne,  Honore  II  employait  tous  les 
movens  pour  etablir  devant  l'Europe  la  legitimite  de 
sa  conduite  en  rompant  avec  TEspagne.  II  fit  pre- 
senter au  congres  des  memoires  justificatifs,  accom- 
pagnes  de  consultations  qu'il  alia  chefcher  jusqu'a 
Rome. 

Armements  maritimes  a  Monaco  —  Projets 
du  due  d'York  sur  son  port  (1648-1 653).  —  Mais 
le  traite  de  Westphalie  ne  pouvait  avoir  d'effet  direct 
sur  la  situation  de  Monaco,  puisque  la  guerre  avec 
TEspagne  continua  et,  par  consequent,  les  hostilitcs 
dans  la  Mediterranee.  La  revolution  d'Angleterre,  en 


-    %28   — 

jetant  en  exil  la  famille  des  Stuart,  faillit  alors  donner 
un  role  particulier  au  port  des  Grimaldi ;  le  due 
d'York,  depuis  le  roi  Jacques  II,  pensa  en  i65o  a  en 
faire  le  point  de  concentration  d'une  marine  royale 
anglaise  destinee  a  combattre  les  flottes  du  Protec- 
teur.  Cela  lit  Tobjet  de  negociations  a  Toccasion 
desquelles  le  prince  se  conduisit  a  l'egard  du  due  avec 
une  courtoisie  qui  provoqua  les  remerciements  de  la 
cour  de  France. 

Pendant  les  annees  qui  s'ecoulerent  de  1648  a  1 653 
Teffectif  des  navires  de  guerre  francais  fut  encore 
augmente  a  Monaco ;  il  en  resulta  des  depenses  qui 
furent  en  partie  cause  du  nouveau  voyage  qu'Honore 
fit  a  la  cour,  en  i65i,  pour  obtenir  le  reglement  de 
ses  avances  au  moment  de  la  proclamation  de  la 
majorite  de  Louis  XIV. 

Mort  aecidentelle  du  marquis  des Baux  ( 1 65 1 ). 

—  Cette  nouvelle  absence  du  prince  fut  troublee  par 
un  douloureux  evenement;  dans  la  journee  du 
2  aout  1 65  1  le  marquis  des  Baux,  qui  s'etait  rendu 
pour  un  pelerinage  a  Menton  avec  sa  femme  et  leur 
fils  aine,  le  jeune  Louis,  comte  de  Carlades,  s'exer- 
cait  au  tir  dans  un  jardin  pres  de  Carnoles ;  un  des 
gardes  places  pres  de  lui  laissa  decharger  par 
maladresse  un  pistolet  d'une  fafon  si  malheureuse, 
qu'Hercule  Grimaldi  recut  la  charge  dans  les  reins  et 
expira  au  bout  de  quelques  heures  et  apres  de  cruelles 
souffrances.  II  n'avait  que  vingt-sept  ans. 


2  2Q    

Louis  Grimaldi,  comte  de  Carlades,  devint  L'heri- 
tier  de  son  grand -pere;  Aurelia  Spinola  eut  son 
douaire  assigne  sur  le  duche  de  Valentinois. 


Aurelia  Spinola 

Duchessc   douairiere  de  Valentinois,   belle -rille  d'Honore  II 

(d'apres  une  gravure  conlemporaine) 


Etat  brillant  de  la  Covir  de  Monaco  i65o- 
i658). —  Cependant  Monaco  etait  devenu  une  cour 
brillante,  dont  ce  deuil  interrompit  seulement  quel- 


—  23o  — 

que  temps  l'animation.  Elle  trouvait  un  aliment 
dans  la  presence  des  officiers  frangais  et  des  nom- 
breux  representants  de  la  noblesse  provencale  des 
environs,  alliee  aux  Grimaldi  d'Antibes.  Le  marquis 
de  Corbons,  lieutenant  du  prince  dans  le  gouverne- 
ment  de  la  place,  etait  Tame  de  ces  reunions.  A 
limitation  de  la  cour  de  France,  les  seigneurs  et 
gentilshommes  organisaient  des  fetes  oil  on  dansait 
des  ballets  dont  Tun,  ecrit  par  le  secretaire  d'Ho- 
nore  II,  Charles  de  Venasque  Ferriol,  et  qui  a  ete 
imprime  :  Les  Entretiens  de  Diane  et  d'Apollon,  fut 
donne  le  12  fevrier  ibSq.  On  y  vit  paraitre,  a  cote  du 
jeune  comte  de  Carladez,  sa  mere  Aurelia  Spinola. 

Nouveaux  embellissements  et  collections 
artistiques  au  Palais  (1 642-1 658).  —  Ces  fetes 
devenaient  plus  frequentes  a  mesure  qu'Honore  II 
poursuivait  rembellissement  du  Palais.  On  a  vu 
qu'en  1 656,  la  reconstruction  de  la  chapelle  Saint- 
Jean  avait  ete  terminee  au  fond  de  la  cour  d'honneur. 
Une  vaste  salle  contigue,  construite  entre  la  cha- 
pelle et  les  grands  appartements,  recut  comme  deco- 
ration une  quantite  de  tableaux  de  maitres,  tandis 
que  la  galerie  voisine,  traversant  dans  toute  sa 
largeur  l'aile  donnant  sur  la  mer,  etait  ornee  de 
meubles  en  marqueterie  rehausses  d'or  et  d'argent, 
sur  lesquels  etaient  disposes  des  bijoux  precieux  et 
des  objets  en  cristal  de  roche  dont  la  collection  eut, 


—    2  .->  I     

pendant  pres  de  deux  siecles,  une  grande  celebrite. 

Honore  II  avait  constitue  a  Genes  et  dans  le  reste 
de  Tltalie  des  agents  charges  de  l'acquisition  des 
oeuvres  de  peinture  et  des  objets  d'art  qui  figurent 
a.u  nombre  de  plusieurs  centaines  dans  I'inventaire 
de  sa  succession.  II  entretint  egalement  des  artistes 
dans  son  palais.  Outre  le  peintre  toulousain  Hilaire 
Pader,  auteur  d'un  poeme  didactique  sur  la  peinture, 
qui  prenait  le  titre  de  «  Peintre  ordinaire  de  Son 
Altesse  le  Prince  de  Mourgues  »,  on  y  vit  travailler 
pendant  plusieurs  annees  Orazio  Ferrari,  de  Genes, 
auquel  le  prince,  par  commission  -de  Louis  XIV, 
confera  l'ordre  de  Saint-Michel. 

De  cette  epoque  date  egalement  la  construction  de 
Thotel  de  ville  que  le  corps  de  commune  de  Mo- 
naco eleva  pres  de  l'eglise  Saint-Nicolas,  et  qui  fut, 
en  1660,  decore  a  Tun  des  angles  d'un  buste  du 
Prince  et  d'une  inscription  commemorative. 

Mariage  de  Tainee  des  petites-filles  d'Ho- 
nore  II  (i65j).  —  Les  negociations  pour  le  mariage 
de  ses  petits-enfants  occuperent  les  dernieres  annees 
du  regne  d'Honore  II.  L/ainee  de  ses  petites-filles 
epousa,  en  1657,  Philibert  de  Simiane,  marquis  de 
Livourne,  qui,  quelques  annees  plus  tard,  devenu 
marquis  de  Pianezze,  devait  jouer  un  role  considerable 
a  la  cour  de  Turin,  sous  la  regence  de  Marie-Jeanne- 
Baptiste  de  Nemours,   mere  de  Victor-Amedee  II. 


Louis  XIV  avait  suivi  avec  sollicitude  Tetablisse- 
ment  de  la  petite-fille  d'Honore  II.  II  apportait  au 
sort  des  petits  enfants  du  prince  «  un  interet  aussi 
grand,  »  dit  une  depeche  du  secretaire  d'Etat  Lo- 
menie  de  Brienne,  «  que  s'il  se  fut  agi  de  ses  propres 
parents.  » 

Mariage  de  Louis,  due  de  Valentinois,  avec 
Charlotte  de  Gramont  (1659- 1660).  —  A  la 
fin  de  Tannee  1 658  les  bons  offices  du  cardinal 
Mazarin,  unis  a  ceux  de  la  marechale  de  Guebriant, 
avaient  menage -une  grande  alliance  a  l'heritier  de  la 
maison  de  Monaco.  Le  comte  de  Carladez,  qui  avait 
pris  le  titre  de  due  de  Valentinois,  fut  fiance,  au 
commencement  de  1659,  a  la  fille  du  marechal  de 
Gramont.  En  l'absence  du  prince,  retenu  par  la 
maladie  a  Monaco,  et  de  son  petit-fils,  le  contrat  de 
mariage,  dresse  par  le  secretaire  d'Etat  de  Guene- 
gaud,  fut  signe  le  28  avril  1.659  dans  la  chambre  du 
Roi,  au  chateau  du  Louvre.  La  marechale  de  Gue- 
briant et  son  frere  le  marquis  de  Vardes  y  represen- 
terent  le  futur  epoux  et  son  grand-pere.  Le  roi,  la 
reine,  la  famille  royale,  les  principaux  seigneurs  y 
figurerent. 

Le  voyage  de  la  cour  dans  le  midi,  l'ambassade 
du  marechal  de  Gramont,  charge  d'aller  a  Madrid 
demander  officiellement  la  main  de  Tinfante  Marie- 
Therese  pour   Louis  XIV,   la   conclusion   du  traite 


des  Pvrcnccs  et  le  mariage  du  roi  retarderent  la 
calibration  du  mariage  du  due  de  Valentinois  qui 
eut  lieu  seulement  le  3o  mars  de  Tannee  suivante, 
a  Pau,  dans  la  chapelle  de  Thotel  du  due  de  Gramont. 
II  fut  celebre  par  Feveque  de  Lescar. 

Dispositions  du  traite  des  Pyrenees  relatives 
a  Monaco ;  elles  restent  inexe cutees  ( 1 6  5  9- 1 7 1  o) . 

—  Le  traite  des  Pyrenees  venait  de  mettre  fin  a  la 
longue  guerre  entre  la  France  et  TEspagne.  Ho- 
nore  II  y  fut  nommement  designe  parmi  les  allies 
du  roi  de  France  dans  Particle  122.  Mais  en  outre, 
et  en  vertu  des  engagements  pris  par  le  roi  de  France 
a  son  egard,  Particle  104  du  traite  stipula  formelle- 
ment  la  restitution  au  prince  de  Monaco  de  ses  biens 
confisques  en  pays  soumis  a  TEspagne. 

L'execution  de  cette  clause  avait  pour  le  prince  un 
grand  interet,  mais  en  meme  temps  elle  pouvait 
entrainer  pour  lui  des  consequences  tout  a  fait  desa- 
yantageuses  par  suite  des  dispositions  du  traite  de 
Peronne.  L'article  9  de  ce  traite  stipulait,  en  effet, 
que  le  roi  de  France  serait  decharge  des  compen- 
sations territoriales  accordees  par  lui  dans  la  propor- 
tion de  la  yaleur  des  restitutions  faites  par  TEspa- 
gne;  en  sorte  qu'un  traite  intervenant  et  la  restitution 
consentie  et  executee,  le  prince  de  Monaco  eut  pu, 
par  suite  d'une  nouvelle  confiscation  suryenant  lors 
d'une  guerre  posterieure,  se  trouver  prive  a  la  fois  de 


-  234- 
ses  anciens  domaines  et  des  biens  recus  en  echange. 
C'etait  la  le  cote  perilleux  des  stipulations  du  traite 
de  Peronne  puisqu'elles  rendaient  conditionnelles 
et  precaires  les  possessions  acquises  en  France. 
Honore  II  avait  longtemps  combattu  ces  disposi- 
tions, et  cette  difficulte  avait  ete  cause  en  grande 
partie  de  ses  hesitations  du  dernier  moment  lors  de 
F  expulsion  des  Espagnols. 

La  cour  d'Espagne  ne  mit  pas  le  prince  et  la 
France  dans  le  cas  de  revenir  sur  les  donations 
territoriales  concedees  depuis  1641  ;  elle  se  refusa 
toujours  a  Texecution  de  Particle  104  du  traite  des 
Pyrenees ;  et  cependant,  a  Toccasion  des  differents 
traites  de  paix  qui  furent  ensuite  conclus  entre  les 
deux  couronnes,  la  question  fut  de  nouveau  debattue 
diplomatiquement ;  les  negociations  avorterent  suc- 
cessivement.  Elle  n'eut  pas  plus  de  succes  lorsqu'un 
fils  de  France  fut  monte  sur  le  trone  des  rois  catho- 
liques.  Le  gouvernement  de  Philippe  V  ne  fit  pas 
meilleur  accueil  que  celui  de  ses  predecesseurs  aux 
requetes  du  prince  de  Monaco  qui  etaient  encore 
presentees  sans  succes  en  1710. 

Mort  d'Honore  II  (1662).  —  L'annee  qui  suivit  le 
mariage  du  prince  Louis  vit  naitre  un  rejeton  de  la 
maison  princiere.  Le  2  5  Janvier  1661  Charlotte  de 
Gramont  mit  au  monde  a  Paris  un  premier-ne  qui 
fut   le  .prince  Antoine.    Le  due   et   la   duchesse  de 


Valentinois  quitterent  la  cour  dans  Tautomne  de  1 66 1 
paur  se  rendre  a  Monaco.  L'etat  de  same  d'Honore 
dcclinait  alors  rapidement;  gravement  atteint  de  la 
goutte,  il  expira  au  milieu  de  cruelles  souffrances,  le 
10  Janvier  1662,  a  l'age  de  soixante-cinq  ans. 

Honore  II  a  laisse  a  Monaco  une  trace  ineffacable; 
il  a  etc  le  Louis  XIV  de  la  Principaute.  Prince  d'une 
grande  intelligence,  il  se  lit  aimer  de  ses  sujets  au 
bien-etre  desquels  il  travaillait  avec  un  soin  paternel; 
doux  et  pacitique,  maitre  de  lui-meme  et  patient,  il 
avait  montre  que  cette  douceur  pouvait  s'allier  aux 
plus  males  resolutions  et  au  plus  grand  courage;  il 
avait  etonne  son  temps  par  Tenergie  avec  laquelle  il 
avait  secoue  le  joug  sous  lequel  il  gemissait. 

Mais  e'est  du  cote  des  arts  que  se  portaient  ses 
gouts;  son  education,  dirigee  par  le  prince  de  Valde- 
tare,  avait  ete  tout  artistique  ;  aussi  renouvela-t-il 
Taspect  de  la  Principaute  et  Ton  peut  dire  qu'il 
laissa,  au  point  de  vue  des  embellissements,  peu  a 
faire  a  ses  successeurs.  Actuellement  encore,  apres 
tant  de  transformations  et  le  merveilleux  developpe- 
ment  que  Monaco  arecu  sous  le  regnede  Charles  III, 
la  marque  du  regned'Honore  II  se  retrouve  a  chaque 
pas  dans  la  vieille  forteresse  des  Grimaldi. 


—  236  — 


CHAPITRE   XVII 

LOUIS    Ier 
(  1662-I7OI  ) 


Le  due  et  la  duchesse  de  Valentinois  a  la  cour 
de  France  apres  leur  mariage  (1 660-1 661).  — 
L'heritier  d'Honore  II  n'avait  pas  vingt  ans  lorsqu'il 
succeda  a  son  grand-pere.  Eleve  a  Monaco  jusqu'a 
son  mariage,  il  s'etait  trouve  tout  a  coup,  a  Tage  de 
moins  de  dix-huit  ans,  jete  dans  le  milieu  le  plus 
brillant  mais  aussi  le  plus  rempli  d'embuches  de  la 
cour  de  France.  L'intimite  du  marechal  de  Gramont 
avec  Mazarin  avait  cimente  la  liaison  de  sa  fille,  la 
duchesse  de  Valentinois,  avec  les  nieces  du  cardinal. 
Cetait  le  moment  ou  l'ainee  d'entre  elles,  la  comtesse 
de  Soissons,  Olympe  Mancini  «  de  chez  qui  le  roi  ne 
bougeait  »,  avait  fait  de  sa  maison  le  centre  de  la 
cour.  La  beaute,  l'esprit  de  Charlotte  de  Gramont 
lui  avaient  de  suite  assigne  une  place  a  part  au  milieu 
de  jeunes  femmes  avides  de  plaisir  et  d'intrigues. 
Mariee  contre  son  gre  a  un  prince  inexperimente, 
etranger  par  son  education  aux  moeurs  de  la  cour  et 


—    237 


'/ 

plus  jeunc  qiTelle  de  trois  ans,  il  fut  facile  des  Tabord 
de  juger  que  cette  union  serait  bientot  traversee  de 
nombreuses  epreuves  et  de  profonds  dissentiments. 

Faut-il  attribuer  a  un  moment  de  decouragement 
le  retour  inopine  que  Louis  de  Valentinois  executa 
seul,  quelques  mois  apres  son  mariage,  a  Monaco 
pendant  l'automne  de  1660  ?  En  tous  cas,  ce  voyage 
n'eut  qu'une  courte  duree;  la  naissance  attendue  de 
son  premier  enfant  le  ramena  bientot  a  Paris. 

C'etait  au  commencement  de  cette  annee  1661 
qui  vit  se  derouler  tant  d'evenements.  La  mort  de 
Mazarin  fut  suivie,  quelques  semaines  plustard,  du 
mariage  de  Monsieur,  frere  du  Roi,  avec  Henriette 
d'Angleterre,  et  cette  jeune  princesse  apporta  un 
nouvel  element  d'activite  au  tourbillon  de  fetes  qui 
entrainait  alors  la  cour. 

Faveur  de  madame  de  Valentinois  aupres 
d'Henriette  d'Angleterre,    duchesse  d'Orleans 

( 1 66 1 ).  —  Monsieur  avait  une  affection  particuliere 
pour  la  famille  du  marechal  de  Gramont  et  la  duchesse 
de  Valentinois  lui  etait  surtout  sympathique.  Cette 
inclination,  partagee  par  Madame  Henriette,  fit 
bientot  place  chez  cette  princesse  a  des  sentiments 
d'etroite  amitic. 

Des  lors,  la  duchesse  de  Valentinois  fut  de  toutes 
les  parties  les  plus  choisies,  et  son  nom  se  trouva 
mele  aux  incidents  qui  firent  alors  le  plus  de  bruit. 


—  238  — 

Disgrace  du  comte  de  Guiche ;  madame  de 
Valentinois  est  eloignee  de  la  com*  (1661).  — 
Cependant ,  Tun  de  ces  incidents  vint  bientot,  non  pas 
alterer  une  faveur  declaree,  mais  compromettre  la 
situation  de  Charlotte  de  Gramont  a  la  cour.  Son 
frere,  le  romanesque  comte  de  Guiche,  s'etait  epris 
d'une  passion  temeraire  et  indiscrete  pour  Madame; 
Teclat  cause  par  cette  aventure  obligea  le  comte  a 
s'exiler  par  ordre  du  roi,  et  quoique  la  duchesse 
semble  n'avoir  en  rien  participe  a  cette  intrigue  et  s'y 
etre  meme  activement  opposee,  la  Reine-Mere  jugea 
opportun  de  la  faire  eloigner  elle  aussi. 

Le  due  et  la  duchesse  de  Valentinois  a  Mo- 
naco (1661).  —  Le  due  de  Valentinois  saisit  avec 
empressement  cette  occasion  de  soustraire  sa  femme 
a  uii  milieu  dans  lequel  il  avait  lui-meme  une 
situation  aussi  effacee  qu'embarrassante.  II  l'emmena 
a  Monaco  en  septembre  1661,  pendant  le  voyage 
de  la  cour  a  Nantes  qui  fut  temoin  de  la  disgrace  et 
de  l'arrestation  de  Fouquet. 

Avenement   de  Louis   Ier ;   sejour  a  Monaco 

(1662-1664).  —  La  mort  d'Honore  II,  survenue, 
ainsi  qu'on  Fa  vu  plus  haut,  peu  de  semaines  apres 
l'arrivee  de  son  petit-nls,  obligea  le  nouveau  prince 
et  la  princesse  a  resider  longtemps  dans  leurs  etats ; 
ils  y  passerent  sans  interruption  les  annees  1662, 


—  2:>q  — 

1 663  et  1664.  Durant  cette  periode,  Charlotte  mit 
au  monde  trois  filles  dont  la  dernierc  naquit  en 
juillet  1664. 

Fondation  du  couvent  de  la  Visitation  de 
Monaco  (i663). —  Ce  long  sejour,  pendant  lequel 
le  prince  et  la  princesse  partagerent  leur  temps  entre 
Monaco  et  Menton,  fut  marque  par  la  fondation  d'un 
couvent  dont  Charlotte  de  Gramont  prit  l'initiative. 
En  vertu  d'une  convention  passee  entre  Louis  Ier  et 
le  cardinal  Grimaldi,  archeveque  d'Aix,  cinq  reli- 
gieuses  et  une  converse  du  couvent  de  Notre-Dame 
de  la  Visitation  d'Aix  vinrent  s'etablir  a  Monaco 
en  1 663.  Les  batiments  du  nouveau  monastere  de  la 
Visitation  s'eleverent  sur  la  partie  orientale  du 
rocher,  en  arriere  de  ce  qui  restait  alors  du  Chateau 
Neuf  et  toutpres  de  Tantique  eglise  de  Saint-Martin. 
Une  dotation  considerable  rendit  bientot  cet  etablis- 
sement  prospere  ;  Tune  des  filles  de  Louis  Ier  y  fit 
profession  plus  tard,  et  Charlotte  de  Gramont,  qui 
conserva  toujours  une  grande  affection  pour  cette 
maison,  voulut  qu'apres  sa  mort  son  coeur  y  fiit 
transporte. 

L'atelier  des  monnaies  sous  Louis  Ier  (i663- 
j-O!).  —  Deja  fort  actif  sous  le  regne  d'Honore  II, 
Tatelier  des  monnaies  prit  sous  Louis  Ier  une  exten- 
sion plus  considerable  encore.  Les  premieres  mon- 


—  240  — 

naies  frappees  different,  pour  plusieurs  pieces,  du  type 
adopte  par  Honore  II.  On  revint  quelques  annees 
plus  tard  aux  modeles  du  regne  precedent.  Sans  nous 


Or  —  Double  Pistole 


Argent  —  Quart  d'Ecu 

Types  de  mommies 
frappees  dans  les  premieres  annees  de  Louis  I" 


etendre  sur  ce  sujet,  nous  ajouterons  que  Tatelier  ne 
se  contenta  pas,  sous  le  regne  de  Louis  Ier,  de  frapper 
des  especes  monegasques;  a  limitation  d'un  grand 


—  241  — 
nombre  d'ateliers  monetaires.  on  y  joignit  la  fabri- 
cation de  jetons  ct  memo   de  pieces  etrangeres   de 
differents  types,   dont   la   plus   grande   partie   etait 
destinee  aux  transactions  dans  les  pays  orientaux  ou 


Ardent  —  Demi-ecu 


Cuivre  —  Denier 

Types  de  monnaies 
frappecs  au  milieu  et  a  la  fin  du   regne  de  Louis  ler 


africairts.  Cette  fabrication  provoqua  des  representa- 
tions adressees  par  le  conseil  aulique  de  Vienne , 
mais  cette  intervention  n'eut  pas  de  suites. 

16 


—    24-2    — 

Louis  Ier  est  le  dernier  prince  qui  ait  fait  frapper 
de  la  monnaie  d'or  jusqu'a  Charles  III. 

Travaux  au  Palais  de  Monaco;  le  grand 
escalier  (1662).  —  L/installation  au  Palais  de  Mo- 
naco d'une  princesse  qui  y  apportait  les  habitudes  et 
le  gout  dela  cour  de  France  entraina  de  nombreuses 
modifications  dans  les  amenagements  interieurs 
et  la  decoration;  mais  la  seule  oeuvre  architecturale 
importante  executee  sous  cette  influence  fut  le  grand 
escalier  de  la  cour  d'honneur  construit  en  1662  sur 
le  modele  du  celebr e  fer  a  cheval  du  palais  de  Fon- 
tainebleau. 

Retour  de  madame  de  Monaco  a  la  cour;  elle 
est  faite  surintendante  de  la  maison  de  Ma- 
dame; sa  faveur  (1664- 1668).  —  Charlotte  de 
Gramont  revint  a  la  cour  vers  la  fin  de  1664.  Mon- 
sieur avait  pris  l'initiative  de  son  rappel ;  l'aventure 
du  comte  de  Guiche  n'avait  pas  altere  ses  sentiments 
d'attachement  pour  les  Gramont ;  plusieurs  mem- 
bres  de  cette  famille  occupaient  les  principales 
charges  dans  la  maison  de  sa  femme. 

A  son  retour,  la  princesse  Charlotte  retrouva 
aupres  d'Henriette  d'Angleterre  une  faveur  et  une 
affection  qui  semblaient  s'etre  accrues  pendant  une 
si  longue  absence  ;  elle  fut  nommee  surintendante 
de   la   maison   de  Madame,   charge  eminente  creee 


—  243  — 

pour  die.  Le  roi  donnait  a  sa  belle-sceur,  par  cette 
creation,  une  marque  singuliere  de  consideration 
puisque  cette  dignite  avait  ete  jusque  la  exclusive- 
ment  reservee  a  la  maison  de  la  reine  et  le  fut 
encore  depuis. 

Les  memes  cabales  qui  avaient  marque  les  annees 
precedentes  se  renouvelerent  autour  de  madame  de 
Monaco;  un  parti  a  la  cour  chercha  meme  un 
instant  a  lui  faire  jouer  un  role  dans  des  tentatives 
faites  pour  detacher  le  roi  de  mademoiselle  de 
La  Valliere.  Chaque  jour  amenait  un  nouvel  inci- 
dent ;  a  un  moment  la  princesse  dut  demander  au 
roi  protection  contre  les  attaques  d'un  gentilhomme 
des  plus  envue,  Puyguilhem,  celui  quidevait  bientot 
rendre  celebre  le  nom  de  Lauzun.  Proche  parent 
des  Gramont,  Puyguilhem  avait  affiche  une  passion 
bruvante  pour  sa  cousine  des  le  temps  de  son  ma- 
nage. Le  depit  l'avait  brouille  avec  die ;  sur  la 
plainte  de  madame  de  Monaco,  il  fut  mis  quelque 
temps  a  la  Bastille  (25  juillet  i665). 

Louis  Iei  prend  du  service  en  Hollande  (1666). 
—  Ces  evenements  et  ce  dernier  eclat  s'etaient  pro- 
duits  avant  le  retour  de  Louis  Ier  a  la  cour.  Le  prince 
ne  quitta  en  effet  Monaco  qu'a  la  fin  de  Tannee  1 665 . 

Peu  dispose  a  se  meler  aux  intrigues  dans  les- 
quelles  il  deplorait  de  voir  la  princesse  si  complete- 
ment  entraince,  il  prefera  s'eloigner  de  nouveau. 


—  244  — 
II  n'avait  pas  encore  servi  ni  fait  la  guerre  ;  il  avait 
alors  vingt-quatre  ans.  L'occasion  se  presenta  d'oc- 
cuper  son  activite  et  d'acquerir  de  la  gloire  ;  il  la 
saisit.  Le  comte  de  Guiche  qui,  pour  la  seconde  fois, 
s'etait  fait  exiler  de  la  cour,  etait  passe,  com  me  volon- 
taire,  au  service  de  la  Hollande,  alors  en  guerre  avec 
TAngleterre.  Louis  alia  rejoindre  son  beau-frere  au 
moment  oil  les  amiraux  Ruvter  et  Tromp  se  prepa- 
raient  au  choc  le  plus  terrible  qui  se  fut  encore 
donne  sur  mer. 

Bataille  du  Texel  (juin  1666).  —  Les  deux 
beaux-freres  firent  assaut  de  bravoure  a  la  batailleidu 
Texel,  ou  cent  navires  de  chaque  cote  et  dix  mille 
bouches  a  feu  firent  rage  pendant  quatre  journees 
consecutives. 

lis  etaient  montes  sur  le  vaisseau  du  capitaine 
Terlon,  second  de  Ruvter,  qui  aborda  si  vivement  le 
vice-amiral  anglais  du  «  Pavilion  Rouge  »,  quele  com- 
bat corps  a  corps  s'engagea  immediatement  et  dura 
plus  de  deux  heures.  Au  plus  fort  de  Faction  le;  feu 
prit  a  leur  navire ;  il  fallut  se  jeter  a  l'eau  avant  qu'il 
ne  sautat.  A  ce  moment  un  des  vaisseaux  hollandais, 
la  Petite  Hollande,  s'accrocha  au  leur;  ils  purent  y 
monter  et  y  combattre  encore  trois  heures,  jusqu'au 
moment  ou  la  Petite  Hollande  fut  a  son  tour  entie- 
rement  desemparee.  Ils  furent  alors  transportes 
presque    nus    sur    le   navire    de    Ruvter    qui    leur 


—    2_p    — 

fit  donner  des  vetements  et  les  recut  avec  de  grandes 
demonstrations  de  joie.  Guiche  avait  recu  trois  bles- 
sures ;  trois  de  ses  domestiques  ainsi  que  Tecuyer 
du  marechal  de  Gramont  avaient  ete  tues;  Louis  de 
Monaco  s'en  tira  sans  une.egratignure. 

Louis  Ier,  mestre  de  camp,  fait  la  campagne 
de  Flandres  (1067'.  —  La  paix  conclue  a  Breda 
entre  les  Provinces-Unies  et  l'Angleterre  fut  suivie, 
l'annee  suivante,  1667,  de  la  guerre  declaree  par 
Louis  XIV  a  TEspagne.  En  une  seule  campagne  la 
Flandre  wallonne  fut  conquise. 

Des  le  debut,  Louis  Ier  avait  leve  un  regiment  de 
cavalerie;  il  avait  ete  cree  mestre  de  camp  le  i5  mars 
1667.  II  assista  a  la  prise  de  Lille,  oil  son  beau-pere, 
le  marechal  de  Gramont,  se  couvrit  de  gloire  dans 
la  tranchee  a  la  tete  du  regiment  du  roi.  II  suivit 
ensuite  jusqu'a  la  fin  les  operations  et  fit  partie  du 
corps  qui  prit  Alost  au  mois  de  septembre. 

A  son  retour  de  Tarmee,  Louis  ne  s'arreta  pas  a  la 
cour  et  partit  directement  pour  Monaco  au  mois  de 
novembre  1667;  il  en  revint  au  printemps  suivant. 
Son  regiment  fut  licencie,  le  18  mai  1668,  sauf  la 
compagnie  colonelle  que  le  roi  fit  maintenir. 

Sejour  a  Monaco  de  Louis  et  de  Charlotte  de 
Gramont;  naissance  de  leur  second  fils  ( 1 668- 

1669).  —  Louis  reprit  alors  le  chemin  de  Monaco  ou 


—  246  — 

il  etait  de  retour  avec  Charlotte  de  Gramont  a  l'au- 
tomne  de  1668.  lis  y  firent  ensemble  un  sejour 
continu  de  pres  de  deux  ans  sans  retourner  a  la  cour. 
La  princesse  donna  le  jour  Tannee  suivante,  le  3 1  de- 
cembre  j  669,  a  Genes,  a  son  dernier  enfant,  Francois- 
Honore  Grimaldi,  fait  a  son  berceau  chevalier  de 
Malte  et  qui  devint  par  la  suite  Tabbe  de  Monaco, 
arche-weque  de  Besancon. 

Conflit  relatif  au  territoire  entre  Monaco 
et  la  Turbie ;  arbitrage  des  cardinaux  Impe- 
riali  et  d'Este  (1668- 1670).  —  Le  conflit  seculaire 
et  jamais  regie  entre  Monaco  et  la  Turbie  fut  a 
cette  epoque  la  cause  de  serieuses  preoccupations. 

Nous  avons  deja  plusieurs  fois  fait  allusion  aux 
phases  de  cette  affaire. 

Depuis  que  Monaco  avait  ete  fonde,  les  Monegas- 
ques  avaient,  avec  une  patience  tenace,  toujours  tendu 
a  elargir  leurs  possessions  autour  de  la  forteresse 
aux  depens  de  la  Turbie.  Peu  a  peu  ils  avaient  pro- 
fite  de  leurs  droits  de  propriete  pour  chercher 
d'abord  a  se  soustraire  aux  charges  communes  dans 
le  territoire  de  la  Turbie,  puis  pour  soutenir  que 
leurs  biens  ne  faisaient  pas  partie  de  ce  territoire. 

La  question  n'avait  jamais  ete  resolue  complete- 
ment,  les  Monegasques  declinant  la  competence  des 
juridictions  du  comte  de  Nice  et  reciproquement  les 
Turbiasques   n'accordant  aucune  valeur   aux  deci- 


—  z4>  — 
sions  des  magistrats  de  Monaco.  Cependant  il  etait 
intervenu  a  diverses  reprises,  depuis  le  quinzieme 
siecle,  des  compromis  qui  avaient  cherche  a  creer 
un  modus  vivendi  reconnaissant  l'etat  de  fait  sans 
toucher  au  fond. 

En  somme  les  Monegasques  avaient  beneficie  de 
la  possession  seculaire  qu'ils  avaient  acquise  tout 
autour  de  la  forteresse,  depuis  la  pointe  de  la  Vieille, 
a  Test,  jusqu'au  torrent  Saint-Laurent,  au-dela  du 
cap  d'Ail,  a  Touest,  et  en  remontant  tres  haut.  du 
cote  de  terre,  sur  le  versant  de  la  montagne.  Dans 
cette  etendue,  une  partie  de  leurs  acquisitions  etait 
plus  recente  que  les  autres  ;  il  se  forma  ainsi  une 
zone  qui  prit  d'une  facon  plus  speciale  le  nom  de 
territoire  conteste. 

En  1668,  la  question  fut  soulevee  a  nouveau  et  la 
pretention  formulee  par  le  Senat  de  Nice,  qui  vint  a 
Tappui  des  revindications  des  Turbiasques,  fut  que 
Monaco  n'avait  par  lui-meme  aucun  territoire  et  se 
trouvait  limite  a  son  rocher  et  a  sa  rive  sur  le  port. 

La  chancellerie  deTurin  semblait  cette  fois  decidee 
a  pousser  les  choses  jusqu'au  bout ;  Louis  Ier  fit  appel 
a  Tintervention  de  Louis  XIV.  L'affaire  fut  remise  a 
Tarbitrage  des  cardinaux  Imperiali  et  d'Este  avec 
lesquels  le  prince  avait  ou  allait  avoir  des  relations 
d'alliance,  sa  seconde  soeur  ayant  epouse  Andre 
Imperiali  en  1662,  tandis  que  la  troisieme  allait 
bientot  entrer  dans  la  maison  d'Este. 


—   248   — 

L'arbitrage  des  cardinaux  ne  satisfit  aucune  des 
deux  parties ;  ils  avaient  decide  de  partager  en  deux 
le  territoire  conteste.  Ni  les  Turbiasques  ni  les  Mone- 
gasques  ne  voulurent  acquiescer  a  cette  decision,  et 
TafTaire  fut  encore  une  fois  assoupie.  II  en  fut  de 
meme  d'une  revendication  des  droits  de  suzerainete 
sur  Menton  et  Roquebrune  que  la  Savoie  tenta  de 
rendre  connexe  a  Tatfaire  du  territoire.  Louis  Ier 
etait  trop  bien  en  cour  et  Louis  XIV  trop  puissant 
pour  que  les  reclamations  du  due  de  Savoie  devins- 
sent  dangereuses. 

Mort    d'Aurelia    Spinola.    Sejours    a    Genes 

(1670- 1 671).  —  Louis  Ier  perdit  sa  mere  au  prin- 
temps  de  1670.  Aurelia  Spinola  mourut  a  Genes  ou 
elle  s'etait  depuis  longtemps  retiree ;  une  de  ses  lilies 
y  avait  pris  le  voile  au  couvent  de  Sainte-Therese. 

A  la  fin  d'aout,  le  prince  et  la  princesse  firent  un 
voyage  a  Paris.  Madame  Henriette  etait  morte  quel- 
que  temps  avant  leur  arrivee,  le  29  juin. 

Leur  sejour  ne  se  prolongea  que  jusqu'au  prin- 
temps  suivant.  Ils  etaient  de  retour  en  avril  1671, 
et  jusqu'a  Tete  de  1672,  ils  continuerent  a  partager 
leur  temps  entre  Monaco  et  Genes,  ou  les  attirait 
leur  parente  avec  les  plus  grandes  maisons  d'ltalie. 

Madame  de  Grignan  a  Monaco  (1672).  —  Dans 
cet  intervalle,  Charlotte  de  Gramont  recut  a  Monaco, 


—  249  — 
en  avril  1672,  La  visite  de  la  comtesse  de  Grignan. 

Madame  de  Sevigne,  a  conserve  le  souvenir  de  ce 
voyage  de  sa  lille  dans  Tune  de  ses  lettres  les  plus 


Charlotte  de  Gramont,  princesse  de  Monaco 
(D'apres  un  portrait  attribue  a  Se'bastien  Bourdon,  au  Palais  de  Monaco) 


vives  et  les  plus  spirituelles.  Elle  y  montre  madame 
de  Monaco  supportant  impatiemment  Feloignement 
continu  de  la  cour  auquel  elle  etait  astreinte. 


—    2D0    — 

En  juin  suivant  elle  rendit  a  madame  de  Grignan 
sa  visite  en  Provence  :  elle  reprenait  a  ce  moment  le 
chemin  de  Paris.  La  guerre  de  Hollande  rappelait 
alors  Louis  Ier  a  l'armee.  Aussitot  la  campagne 
terminee,  il  revint  a  Monaco  ou  il  etait  rentre  au 
commencement  du  mois  d'octobre. 

Charlotte  de  Gramont,  premiere  dame  d'hon- 
neur  de  la  nouvelle  duchesse  d'Orleans  (1673- 
1678).  —  De  cette  epoque  date  la  separation  qui  se  fit 
entre  Louis  et  sa  femme.  Tandis  que  le  prince  conti- 
nuait  a  sojourner  a  Monaco  ou  a  Genes,  preludant  a 
un  grand  monument  legislatif  par  des  series  d'ordon- 
nances  sur  de  nombreuses  matieres  de  droit  civil 
ou  d'administration,  Charlotte  reparaissait  a  la  cour 
d'ou  elle  ne  devait  plus  sortir.  Peu  de  temps  apres 
son  retour,  le  second  mariage  de  Monsieur  lui  fit 
retrouver  une  situation  analogue  a  celle  qu'elle  avait 
occupee  aupres  de  la  premiere  femme  de  ce  prince. 
Elle  fut  nommee  le  29  avril  1673  premiere  dame 
d'honneur  de  la  nouvelle  duchesse  d'Orleans;  mais 
les  sentiments  de  la  rigide  Palatine  n'eurent  jamais 
pour  elle  la  vivacite  ni  le  caractere  affectueux  qu'elle 
avait  trouves  aupres  d'Henriette  d'Angleterre.  Elle 
ne  pouvait,  du  reste,  s'habituer  a  voir  les  allures 
galantes  d'autrefois  bien  modifiees  a  la  cour  de  Mon- 
sieur. Elle  faisait  cependant  montre  d'un  zele  et  d'un 
attachement  dont  se  scandalisaient  quelque  peu  ses 


2!U     

anciennes  amies  qui,  comme  madame  de  La  Fayette, 
Tavaient  vue  en  possession  de  Taffection  sincere  de  la 
premiere  Madame. 

Sejours  prolonges  de  Louis  I  r  a  Monaco  1 6j3- 
1676).  —  Le  prince  Louis  ne  quitta  Monaco  que 
pour  figurer  dans  Tarmee  qui  conquit  la  Franche- 
Comte  en  1674.  II  assista  alors  a  la  capitulation  de 
Besancon  puis  a  celle  de  Dole,  et  revint  presque 
aussitot  apres  dans  la  Principaute.  II  ne  la  quitta 
plus  que  pour  faire  des  sejours  a  Genes  jusqu'a  Thiver 
de  1675  a  1676  qu'il  passa  en  partie  a  Rome  et  a 
Venise. 

II  tit  ensuite  campagne  pendant  Tete  de  1676,  dans 
les  Pays-Bas. 

Aventures   romanesques   de  Louis  Ier  ( 1676- 

1678).  —  II  resta  alors  absent  de  Monaco  pendant 
pres  de  deux  ans,  suivant  la  cour  ou  faisant  de  nom- 
breux  voyages  a  Tetranger.  L'un  d'eux  l'amena  a  Lon- 
dres  et  la  passion  chevaleresque  qu'il  afficha  dans  le 
courant  de  Tannee  1677,  pour  la  belle  Hortense  Man- 
cini,  duchesse  de  Mazarin,  alors  refugiee  a  la  cour  de 
Charles  II,  est  restee  celebre.  On  sait  comment 
il  rivalisa  de  faste  et  de  generosite  avec  le  roi  d'An- 
gleterre.  D'autre  part,  il  se  fit  aupres  des  ministres 
de  France  et  de  la  cour  le  defenseur  des  interets  de 
madame  de  Mazarin,   et  ses  demarches  inspirerent 


les  defiances  et  les  inquietudes  de  l'ami  le  plus  etroit 
de  la  duchesse,  le  celebre  ecrivain  Saint-Evremont. 
Cette  periode  de  la  vie  de  Louis  fut  celle  oil  il 
deploya  la  plus  grande  activite.  II  avait  fait  la  cam- 
pagne  de  1677  et  assiste  au  siege  et  a  la  prise  de 
Valenciennes;  au  printemps  de  1678  il  se  trouva  a 
la  prise  d'Ypres. 

Mort  de  Charlotte  de  Gramont  (1678).  — Louis 
etait  a  Paris,  lorsqu'au  mois  de  juin  1678  Charlotte 
de  Gramont,  qu'il  ne  revitplusdepuis  i672,succomba 
prematurement  a  Tage  de  trente-neuf  ans,  au  Palais 
Royal,  oil  elle  occupait  un  appartement  en  vertu  de 
sa  charge. 

Promulgation  des  Statuts  de  Monaco  (1678). 
—  De  grands  interets  rappelaient  Louis  Ier  a 
Monaco  ;  son  absence  avait  suspendu  la  publication 
d'un  corps  de  lois  prepare  avec  soin  pendant  les 
annees  precedentes,  et  auquel  le  nom  du  prince  est 
reste  attache. 

Les  Statuts  de  la  Principaute  de  Monaco,  qui  ont 
recu  aussi  le  nom  de  Code  Louis,  furent  promulgues 
a  Monaco  le  23  decembre  1678. 

Cette  oeuvre  legislative  est  divisee  en  quatre  livres, 
s'occupant  des  matieres  civiles,  des  matieres  crimi- 
nelles,  de  la  police,  et  de  la  legislation  rurale.  Ce  tra- 
vail de  codification  rassembla  en  un  seul  corps,  en  les 


—  2  53  — 

ameliorant,  les  dispositions  qui  regissaient  la  Prin- 
cipaute;  quelques-unes  des  innovations  qu'il  contient 


Louis  I" 
(D'apres  nn  dessin  des  portefeuilles  de  I'Ordre  du  Saint-Esprit) 


et  qui  sont  en  grande  partie  Toeuvre  personnelle  de 
Louis  Icr,  ont  un  singulier  caractere  d'avance  sur  les 
idees  juridiques  alors  en  faveur. 


—    234    — 

Organisation  politique  et  judiciaire  de  la 
Principaute  —  L'apparition  cTun  monument  legis- 
latif  de  cette  importance,  formant  comme  le  couron- 
nement  et  la  consecration  des  institutions  en  vigueur 
depuis  des  siecles,  nous  donne  Toccassion  d'entrer 
dans  quelques  details  necessaires  pour  faire  connaitre 
Torganisation  de  la  Principaute;  et  quoique  nous 
visions  specialement  Monaco  dans  cet  expose,  nous 
ferons  remarquer  que  les  institutions  suivirent  une 
marche  identique  a  Menton  et  a  Roquebrune. 

Juridictions,  police.  —  On  a  vu  que  lors  de  la 
fondation  de  Monaco  la  forteresse  fut,  comme  toutes 
les  villes  de  la  riviere  de  Genes,  placee  sous  le  com- 
mandement  de  castellans,  chefs  militaires  charges  en 
meme  temps  de  la  justice  et  de  la  police.  II  y  en  eut 
un  au  Chateau-Vieux  et  un  autre  au  Chateau-Neuf ; 
mais  Tun  d'eux  seulement  devait  exercer  les  fonctions 
judiciaires  de  podesta,  comme  cela  se  pratiqua  de 
nouveau  lors  de  la  reprise  de  Monaco  par  les 
Genois  en  i35j. 

Sous  les  Guelfes  les  deux  fonctions  militaire  et 
judiciaire  furent  separees  :  le  podesta  fut  distinct  du 
recteur  ou  gouverneur.  Pendant  la  seigneurie  de 
Charles  Grimaldi  et  de  ses  cousins,  on  retrouve  le 
castellan  ayant  a  cote  de  lui  un  viguier  et  un  podesta. 

Lors  de  Toccupation  genoise,  les  deux  castellans 
reparaissent,  et  celui  du  Chateau  Neuf  a  exclusive- 


—  255  — 

ment  les  attributions  judiciaires.  Au  retour  des  Gri- 
maldi,  en  141 9,  le  castellan,  qui  prend  le  litre 
de  capitaine  sous  la  domination  milanaise,  parait 
reunir  les  deux  fonctions  militaire  et  de  justice,  et 
cette  confusion  se  maintient  sous  Jean  Ier  et  Catalan 
en  ce  sens  que,  sous  le  nom  de  podesta,  ce  chef  a 
le  commandement  militaire  uni  a  sa  charge  de  judi- 
cature. 

A  partir  du  xvie  siecle  la  separation  entre  le  podesta 
et  le  castellan  est  definitive  a  Monaco. 

Le  podesta  presidait  aux  deliberations  de  la  com- 
mune et  la  representait  dans  les  circonstances  solen- 
nelles  avec  les  syndics;  il  avait  la  police,  il  etait  juge 
ordinaire  et  criminel;  quelquefois  il  fut  supplee  par 
un  juge  pour  la  justice  civile.  II  etait  assiste 
d'officiers  elus  par  la  commune ;  e'etaient  des  mestrali, 
preposes  a  la  police,  des  arbitres  charges  d'expedier 
rapidement  les  procesde  peu  d'importance,  enfin  des 
pacificateurs,  institution  d'ou  sont  sortis  nos  juges  de 
paix  modernes. 

A  cote  du  podesta  hgurait,  des  le  xve  siecle,  un 
officier  qui  procedait  par  requisitions  devant  la  cour 
de  celui-ci  pour  les  affaires  criminelles  et  qui,  de 
plus,  etait  charge  de  la  defense  des  interets  du  sei- 
gneur; e'est  le  procureur  fiscal  dont  la  juridiction 
devait  des  lors  s'etendre  sur  les  trois  seigneuries. 

Les  appels  de  la  cour  du  podesta  et  ceux  des 
sentences  des  arbitres  etaient  portes  devant  le  sei- 


—  256  — 

gneur  qui  jugeait  en  dernier  ressort,  ordinairement 
assiste  d'assesseurs  formant  la  cour  du  seigneur. 

Sous  Augustin  apparait  un  magistrat  superieur 
nomme  baile  a  sa  creation,  denomme  depuis  la 
regence  d'Honore  Ier  auditeur  general. 

Suivant  les  pratiques  italiennes,  l'auditeur  devait 
etre  etranger  ;  cependant  il  y  eut  a  Monaco  des 
exceptions  a  cette  regie. 

L'auditeur  avait  la  plenitude  des  pouvoirs  judi- 
ciaires  et  administratifs  et  pouvait  evoquer  les  affaires 
pour  en  connaitre  directement ;  il  etait  de  plus  juge 
d'appel  du  podesta  et  des  sentences  des  arbitres. 

Le  procureur  fiscal  devint  Tauxiliaire  de  l'auditeur. 

Au-desssus  de  ces  juridictions  la  Cour  supreme, 
qui  prit  aussi  le  nom  de  Congres,  continua  la  cour 
du  seigneur  jugeant  en  dernier  ressort;  l'auditeur 
general  en  etait  le  principal  assesseur. 

Telle  fut  l'organisation  judiciaire  qui  fonctionna 
dans  la  Principaute  jusqu'a  la  fin  du  xvme  siecle. 

La  Commune.  —  Nous  avons  montre  des  la  fon- 
dation  de  Monaco  les  habitants  s'administrant  par 
eux-memes  en  assemblees  generales  ou  intervenant 
aux  contrats  par  des  delegues.  De  tres  bonne  heure 
un  conseil  de  douze  membres  fut  elu  pour  repre- 
senter  les  interets  communs,  et  on  connait  deja  les 
privileges  qu'en  1262  et  1 3  1 9  la  republique  de  Genes 
accorda   aux   habitants.   Charles   Grimaldi   etendit, 


reglementa  et  parait  avoir  organise  la  commune  telle 
qu'elle  fonctionna  depuis,  avec  quatre  syndics  elus 
au-dessus  du  conseil.  Mais  la  deliberation  de  Tassem- 
blee  ou  parlement  general  resta  en  vigueur  et  la  com- 
munaute  decida  toujours  sur  les  questions  impor- 
tantes  en  reunions  plenieres. 


Sceau  de  la  commune  de  Monaco  depuis  la  rin  du  xvi8  siecle 


On  a  vu  quelle  action  decisive  eut  l'assemblee  des 
habitants  des  trois  seigneuries  dans  les  moments  diffi- 
ciles  que  les  Grimaldi  traverserent,  lors  du  complot 
de  Pomelline  contre  Lambert,  lors  de  la  minorite 
d'Honore  Ier,  lors  de  l'assassinat  d'Hercule. 

A  plusieurs  reprises  le  parlement  general  edicta 
des  reglements  de  police;  il  assuma  merae  en  i552 
de  veritables  attributions  legislatives  en  matiere  de 
droit  civil,  lorsqu'il  modifia  l'ordre  des  successions 
ab  intestat  en  excluant  les  filles,  auxquelles  on  ne 
reserva  qu'une  dot. 

J7 


—  258  — 

L'organisation  de  la  commune  etait  complete  au 
xvie  siecle.  Elle  avait  a  sa  tete,  pour  la  representer,  le 
podesta,  sous  lequel  se  groupaient  les  officiers  com- 
munaux,  elus  tous  les  ans  le  jour  de  la  saint  Michel ; 
c'etaient  les  quatre  syndics  et  les  douze  conseillers 
qui,  avec  les  syndics  sortants  de  l'annee  precedente, 
formaient  le  conseil,  les  deux  mestrali,  les  deux 
arbitres,  les  deux  pacificateurs.  Deux  sanbarbani  ou 
gardes  du  port,  preposes  au  droit  de  mer,  et  un  cais- 
sier  completaient  cette  organisation. 

La  commune,  au  moyen  de  ces  officiers,  adminis- 
trait  ses  biens  et  revenus  qui  consistaient  principa- 
lement  dans  la  banalite  de  ses  moulins  a  huile  et  a 
farine,  dans  les  gabelles  publiques  du  vin,  du  ble,  du 
pain,  etc.,  dans  les  droits  de  courtage  et  de  la  bou- 
cherie.  Par  contre,  elle  entretenait  a  ses  frais  un 
medecin,  un  chirurgien,  un  maitre  d'ecole. 

Cette  vie  municipale  recut  une  profonde  atteinte 
sous  la  regence  du  prince  de  Valdetare ;  les  assem- 
blies generales  disparurent ;  celle  de  1608,  ou  furent 
ratifies  les  pouvoirs  de  tuteur  dont  ce  prince  etait 
investi,  fut  la  derniere ;  en  merae  temps,  le  conseil 
des  douze  etait  egalement  supprime,  et  les  quatre 
syndics  passerent  a  la  nomination  du  prince. 

L'administration  de  Louis  Ier  fit  une  nouvelle 
breche  dans  ces  prerogatives  communales.  Tout  ce 
qui  restait  des  attributions  de  police  revint  aux  offi- 
ciers du  prince  et  en  meme  temps  on  engloba  dans  les 


—   2^9   — 
finances  de  la  Principaute  les  differentes  gabelles  qui 
furent  annexees  des  lors  aux  fermes  princieres.  Les 
revenusde  la  commune  furent  alors  a  peu  pres  reduits 
a  la  banalite  des  moulins. 

A  partir  de  la  fin  du  regne  d'Antoine   Ier,  la  deno 
mination   de  consuls,   souvent   employee    depuis  le 
siecle  precedent,  se  substitua  definitivement  a  celle 
de  syndics. 

Louis  Ier  recherche  le  rang  de  prince  etran- 
ger  a  la  cour  de  France  1680- 1688).  —  Pendant 
les  dix  annees  qui  suivirent  la  promulgation  des 
statuts  de  Monaco,  Louis  Ier,  qui  ne  servit  plus  dans 
les  guerres  de  Louis  XIV  apres  la  campagne  de  1678, 
partagea  a  peu  pres  en  deux  parts  son  temps  entre  la 
cour  et  Monaco. 

Quoiqu'il  evitat  le  bruit  autour  de  sa  personne,  il 
etait  cependant  tres  jaloux  d'occuper  a  la  cour  la  place 
due  a  sa  naissance  et  a  sa  position  de  prince  souve- 
rain.  Par  une  singuliere  anomalie,  lui  qui  etait  en 
possession  d'une  souverainete  effective,  se  trouvait 
moins  bien  partage  que  plusieurs  families  dont  les 
membres  obtenaient,  en  consideration  de  leur  descen- 
dance de  races  antiques,  un  rang  superieur  et  a  part 
comme  princes  etrangers.  Ce  n'etait  qu'une  question 
d'etiquette,  mais  question  d'un  interet  capital  dans 
un  temps  et  a  une  cour  ou  l'etiquette  primait  tout. 

II  eut  ete  facile  au  moment  du  traite  de  Peronne, 


—    200    — 

cTobtenir  pour  la  maison  souveraine  de  Monaco  ces 
privileges  particuliers ;  mais  Honore  II,  satisfait 
d'assurer  la  protection  de  son  etat,  n'avait  pas  soup- 
conne  a  quel  point  Texistence  de  ses  descendants  se 
trouverait  un  jour  absorbee  par  la  vie  de  cour  en 
France ;  il  avait  neglige  de  stipuler  des  prerogatives 
qui,  du  reste,  n'avaient  pas  encore  pris  Timportance 
qu'elles  acquirent  sous  le  regne  du  grand  roi  par  les 
«  entreprises  »  ambitieuses  de  plusieurs  families. 

Louis  Ier  voulut  done  mettre  le  rang  de  cour  de  sa 
maison  d'accord  avec  la  realite  de  sa  situation.  Les 
circonstances  lui  permirent  d'arriver  a  une  satisfac- 
tion complete. 

Mariage  d'Antoine,  due  de  Valentinois,  avec 
Marie  de  Lorraine  (1688).  —  Un  caractere  d'une 
entiere  droiture  et  un  commerce  absolument  surs, 
avaient  cree  a  Louis  Ier  de  solides  et  puissantes  ami- 
ties, aussi  bien  parmi  les  dues  que  parmi  les  minis- 
tres.  Depuis  longtemps  lie  avec  Louvois,  il  entra  par 
celui-ci  en  relations  amicales  avec  le  grand  ecuyer 
de  France,  Louis  de  Lorraine,  comte  d'Armagnac, 
dont  la  faveur  et  le  credit  aupres  du  roi  furent 
inebranlables  pendant  toute  sa  vie. 

Son  fils  aine,  le  prince  Antoine,  due  de  Valentinois, 
approchait  alors  de  sa  vingt-huitieme  annee  et  faisait 
bonne  figure  a  la  cour  par  son  grand  air,  par  un 
esprit  d'une  tournure  tout  a  fait  originale  et  par  sa 


—    201    — 

prestance  superbe  ;  on  l'avait  surnomme  «  Goliath  » 
a  cause  de  sa  grande  taille. 

Louis  de  Lorraine,  «  Monsieur  le  Grand  »  comme 
on  le  nommait  habituellement,  l'agrea  pour  gendre 
et  ce  choix  recut  Tapprobation  tres  vive  du  roi. 

Le  8  juin  1688,  le  contrat  du  due  de  Valentinois 
et  de  Marie  de  Lorraine  fut  signe  a  Versailles  dans  la 
chambre  du  Roi,  en  presence  de  la  famille  royale  et 
d'un  grand  nombre  des  personnages  les  plus  marques 
la  cour. 

Louis  Ier  admis  aux  prerogatives  de  prince 
etranger;  il  est  fait  chevalier  du  Saint-Esprit 
(1688).  —  En  meme  temps  que  par  le  manage  de 
son  fils  Louis  unissait  sa  maison  a  Tune  des  plus 
illustres  families  de  TEurope,  il  vit  son  ambition 
realisee.  Le  roi  lui  accorda  a  cette  occasion  le  rang  et 
les  prerogatives  de  prince  etranger  pour  lui  et  ses 
descendants. 

Quelques  mois  plus  tard,  Louis  Ier  fut  compris 
dans  la  grande  promotion  de  Fordre  du  Saint-Esprit, 
la  plus  nombreuse  du  regne,  declaree  le  3  1  decem- 
bre  1688.  Le  Prince  v  fut  inscrit  a  son  rang  d'an- 
ciennete  de  pairie,  mais  des  reserves  expresses,  con- 
senties  par  le  roi  et  formellement  enregistrees, 
sauvegarderent  les  privileges  particuliers  de  la  mai- 
son de  Monaco.  II  obtint  en  outre,  etant  absent,  des 
dispenses  pour  sa  reception. 


—    2b2    

Premier  sejour  dela  duchesse  de  Valentinois 
a  Monaco  ;  la  cliambre  royale  (1692).  —  Le  due 

et  la  duchesse  de  Valentinois  ne  firent  qu'en  1692 
un  premier  voyage  a  Monaco.  En  Thonneur  de 
Marie  de  Lorraine  la  chambre  de  Tappartement  royal 
recut  alors  la  somptueuse  decoration  qu'elle  a  con- 
servee  et  a  laquelle  vinrent  travailler,  corame  nous 
Tavons  deja  dit,  Gregorio  Deferrari  de  Genes  et 
Federico  Haffner  de  Bologne. 

Mariage  d'Anne-Hippolyte  Grimaldi  avec  le 
due  d'Uzes  (1696).  —  Quelques  annees  apres,  le 
prince  de  Monaco  concluait  de  nouveau  une  grande 
alliance  dans  sa  famille  :  sa  fille  Anne-Hyppolvte 
epousa  le  due  d'Uzes,  premier  pair  de  France. 

Chagrins  interieurs  de  Louis  Ior ;  demeles 
entre  le  due  de  Valentinois  et  Marie  de  Lor- 
raine (1692- 1 698).  —  Ces  manages,  dont  Louis  Ier 
s'etait  promis  de  grandes  satisfactions,  furent  au 
contraire  pour  lui  la  source  de  cuisants  chagrins. 
La  duchesse  d'Uzes,  fort  malheureuse  avec  son 
mari,  mourut  prematurement,  et  d'autre  part,  Tunion 
du  due  de  Valentinois  et  de  Marie  de  Lorraine  etait 
traversee  de  continuels  demeles.  Le  prince  An- 
toine,  d'humeur  fort  irritable,  ne  tarda  pas  a  faire 
scission  avec  les  parents  de  sa  femme.  De  son 
cote,  Marie  de  Lorraine,  elevee  par  un  pere  et  une 


—    20?    — 

mere  qui  la  cherissaient  et  avaient  toujours  cede  a 
ses  fantaisies,  ne  supportait  pas  la  pensee  d'etre, 
memc  momentanement,  eloignee  de  la  cour  ou  elle 


Marie  de  Lorraine,  duchesse  de  Valentinois 
femme  du  prince  Antoine  I" 
( D'apies  one  gravure  contemporaine) 


brillait  aussi  bien  par  sa  grace  et  son  esprit  que  par 
son  rans.  Pour  arriver  a  ses  fins  et  eviter  des  sejours 


2  64    

a  Monaco  qu'elle  prenait  pour  des  exils  insupporta- 
bles,  elle  rThesita  pas  a  recourir  a  un  eclat  et  a  une 
rupture  publique  avec  son  mari  et  son  beau-pere.  Le 
monde  ne  se  trompa  pas  sur  la  valeur  des  griefs 
imagines  par  la  capricieuse  princesse,  qui  dut  a  la  fin 
capituler,  apres  des  negociations  dont  toute  la  cour 
eut  le  spectacle. 

L'ordre  apparent,  sinon  la  paix,  revint  dans  ce 
menage  trouble ;  mais  le  prince  Louis  resta  profon- 
dement  affecte  de  ces  penibles  incidents,  qui  contri- 
buerent  a  ebranler  sa  same. 

Le  prince  Louis  I  '  nomme  ambassadeur  de 
France  a  Rome;  importance  de  ce  poste  au  mo- 
ment de  l'ouverture  de  la  succession  d'Espagne 

(1698).  —  Au  mois  d'avril  1608  Louis  de  Monaco 
fut  choisi  comme  ambassadeur  de  France  pres  le 
Saint-Siege.  Ce  poste,  qui  exigeait  en  tout  temps  des 
qualites  de  premier  ordre  chez  son  titulaire,  pouvait 
devenir  en  ce  moment  singulierement  difficile  et  im- 
portant. La  succession  a  la  couronne  d'Espagne 
allait  s'ouvrir;  Charles  II  valetudinaire  n'avait  pas 
d'enfants.  En  prevision  d'un  evenement  d'une  telle 
gravite,  toutes  ies  chancelleries  d'Europe  etaient  en 
mouvement;  TEmpereur,  comme  representant  de  la 
branche  cadette  de  la  maison  d'Autriche,  pretendait  a 
cette  succession;  Louis  XIV,  du  chef  de  sa  femme, 
Marie-Therese,  soutenait  les  droits  du  Dauphin  et  de 


—    203    — 

sesenfants.  D'apres  les  constitutions  del'Espagne,  ces 
droits  eussent  ete  incontestables  sans  les  renoncia- 
tions  faites  par  Marie-Therese  en  vertu  des  clauses  du 
traite  des  Pyrenees,  renonciations  arguees  du  reste 
de  nullite,  depuis  la  guerre  de  1667,  par  suite  de  la 
11011  execution  par  l'Espagne  de  certaines  clauses 
du  traite.  Cependant,  malgre  les  droits  qu'il  pouvait 
pretendre  pour  les  siens  a  Tintegralite  de  la  succes- 
sion, le  roi  de  France,  arm  d'eviter  une  conflagration 
generate  et  aussi  pour  se  garantir  contre  Teventualite 
d'un  testament  de  Charles  Hen  faveurde  l'Empereur, 
avait  conclu  avec  les  Provinces-Unies  et  TAngleterre 
des  traites  qui  eussent  entraine  le  demembrement  de 
la  monarchic  espagnole. 

Hautes  relations  de  Louis  Ier  a  Rome  1698). 
—  Dans  ces  circonstances,  le  poste  d'ambassadeur 
de  France  a  Rome,  la  ou  aboutissaient  ordinaire- 
ment  les  efforts  de  la  politique  europeenne,  meritait 
d'etre  conrie  a  un  personnage  qui  eut  un  credit  per- 
sonnel et  des  attaches  amour  du  Souverain-Pontife, 
Plusieurs  des  cardinaux  les  plus  influents,  appartenant 
a  de  grandes  maisons  d'ltalie,  etaient  de  Tetroite 
parente  ou  des  alliances  du  Prince  de  Monaco, 
notamment  deux  cardinaux  Spinola,  un  Pallavicini, 
un  Durazzo,  un  Imperiali,  un  Spada.  Ces  conside- 
rations furent  certainement  pour  beaucoup  dans  le 
choix  fait  de  sa  personne. 


—  2bb  — 

Faste  deploye  par  Louis  Ier  (1699).  —  Autant 
Louis  Ier  cherchait  peu,  comme  nous  l'avons  dit,  a 
attirer  Tattention  sur  sa  personne  dans  le  courant  de 
la  vie  ordinaire,  autant  il  entendait  ne  rien  negliger 
pour  soutenir  son  rang  et  sa  dignite  lorsque  des  cir- 
constances  solennelles  paraissaient  devoir  Texiger; 
on  retrouvait  alors  en  lui  le  grand  seigneur  qui  n'avait 
pas  hcsite  a  rivaliser  avec  le  roi  d'Angleterre  lui— 
meme. 

Sous  ce  rapport,  son  ambassade  a  Rome  a  compte 
parmi  1'une  des  plus  fastueuses  dont  le  souvenir  ait 
ete  conserve.  L'entree  des  ambassadeurs  etait,  pour 
les  representants  des  puissances,  une  occasion  de 
faire  entre  eux  assaut  de  luxe.  Celle  du  prince  de 
Monaco  depassa  tout  ce  qu'on  avait  encore  vu,  par 
sa  pompe  et  sa  prodigalite.  On  connait  ce  detail  des 
chevaux  des  carrosses  et  de  Fescorte,  ferres  de  fers  en 
argent,  retenus  par  un  seul  clou  arm  qu'ils  puissent 
plus  facilement  tomber  et  etre  ramasses  par  le  peuple. 

Cet  evenement  n'eut  lieu  qu'en  1699.  Le  prince 
de  Monaco  avait  mis  un  an  a  preparer  son  voyage. 
Ses  carrosses  avaient  ete  construits  a  Paris;  il  etait 
arrive  a  Civita  Vecchia  escorte  d'une  escadre  de 
galeres  royales.  II  rassembla  dans  son  palais,  qui 
etait  celui  autrefois  habite  par  la  reine  Christine  de 
Suede,  des  meubles,  des  tentures,  des  objets  du  plus 
grand  prix.  Le  train  de  sa  maison  fut  a  Tavenant;  des 
sommes  enormes  y  furent  englouties. 


—  2o;  — 
Charles  II  consulte  le  Pape ;  testament  du 
roi  d'Espagne  1700).  —  Cependant  les  traites  de 
partage  etant  connus  a  Madrid,  les  membres  du 
conseil  roval  etaient  en  majorite  convaincus  que 
l'unique  moven  d'eviter  le  demembrement  de  la 
monarchic  consistait  a  entrainer  le  roi  a  tester  en 
faveur  de  Tun  des  petits-fils  de  Marie-Therese.  lis 
deciderent  Charles  II  a  demander  l'avis  du  pape 
Innocent  XII  pour  lever  ses  scrupules.  Le  Souverain 
Pontile  fit  examiner  la  question  par  trois  cardinaux 
amis  averes  de  la  France:  Spinola,  Spada  et  Albani; 
ce  dernier  allait  bientot  devenir  Clement  XI.  La  con- 
sultation fut  favorable  aux  droits  de  la  maison  de 
Bourbon,  et  quelques  semaines  apres  Charles  II 
appelait  le  second  tils  du  Dauphin,  Philippe  due 
d'Anjou,  a  sa  succession. 

Role  du  prince  de  Monaco  (1700).  —  II  suffit  de 
nommer  les  cardinaux  qui  furent  les  conseillers 
d'Innocent  XII  pour  mesurer  Tinfluence  de  la  diplo- 
matic francaise  dans  cette  circonstance.  Cependant 
ni  le  prince  Louis,  ni  le  cardinal  de  Janson,  charge 
des  affaires  ecclesiastiques  de  France,  ne  furent  mis 
dans  la  confidence  de  la  demarche  du  roi  d'Espagne. 
On  sut  la  convocation  des  trois  cardinaux  faite  a  la 
suite  d'une  audience  de  Tambassadeur  d'Espagne, 
mais  on  n'en  demela  pas  Tobjet. 

Les  instructions  de   Louis  ne  porterent  a  aucun 


—  268  — 

moment  sur  autre  chose  que  sur  Tagrement  a 
obtenir  du  Pape  en  faveur  des  traites  de  partage.  Le 
Saint-Siege  y  avait,  en  effet,  un  interet  direct  par 
suite  de  son  droit  d'investiture  du  royaume  de  Na- 
ples, et  le  roi  de  France  cherchait  a  faire  accepter  par 
avance  le  choix  d'un  de  ses  petits-fils  pour  cette  partie 
des  etats  espagnols  a  partager. 

Le  prince  de  Monaco  rencontrait  des  dispositions 
favorables  ;  mais  il  constatait  chez  Innocent  XII  une 
insistance  singuliere  a  manifester  sa  preoccupation 
de  Tembarras  oil  les  traites  mettraient  Louis  XIV  si 
Charles  II  finissait  par  fixer  ses  irresolutions  et  porter 
son  choix  sur  un  fils  de  France,  pour  recueillir 
Theritage  integral  de  la  couronne  d'Espagne. 

Affaire  du  prince  Vaini  (i  700).  —  Peu  de  temps 
apres  ces  importants  evenements  et  lorsque  Cle- 
ment XI  avait  ete  eleve  au  souverain  pontificat, 
surgit  un  grave  incident.  Un  noble  romain,  protege 
par  la  France,  mais  devenu  tres  impopulaire,  le  prince 
Vaini,  suscita  une  emeute  par  ses  provocations 
imprudentes.  Son  palais  fut  saccage ;  il  se  refugia  a 
Tambassade  de  France  qui  fut  a  son  tour  envahie  par 
les  emeutiers  parmi  lesquels  se  trouverent  des  sol- 
dats  et  meme  des  employes  des  administrations 
pontificales.  Le  prince  Louis  fut  lui-meme  expose 
a  des  violences  et  a  des  insultes;il  dut  armer  ses 
domestiques ;  des  coups  de  feu  furent  echanges  et  le 
sang  coula. 


—  269  — 

L'ambassadeur  sortit  de  Rome,  reclamant  un  eha- 
timent  exemplaire  pour  cette  violation  du  droit  des 
gens  ;  on  parlementa. 

Louis  cependant  ne  voulut  pas  pousser  les  choses 
a  rextreme  vis-a-vis  d'un  pape  dont  les  dispositions 
etaient  toutes  favorables  a  la  France ;  il  consentit 
a  rentrer  dans  la  ville  au  bout  dequelques  jours  pour 
surveiller  directement  les  suites  donnees  a  Tenquete 
ordonnee  par  le  Souverain  Pontife  ;  cette  attitude 
conciliatrice  recut  l'entiere  approbation  du  roi. 

Mort  de  Louis  Ier  (1701).  —  Cette  affaire  etait  a 
peine  reglee  que  Louis  Ier,  dont  la  sante  etait  profon- 
dement  alteree  depuis  longtemps,  etait  frappe  de 
mort  subite  au  mois  de  Janvier  1701,  a  Tage  de 
cinquante-neuf  ans  et  quelques  jours  avant  d'entrer 
dans  la  quarantieme  annee  de  son  regne. 


2  70    — 


CHAPITRE  XVIII 


ANTOIXE    Ier    LOU1SE-H1PPOLYTE 


I70I-I7^>I 


Avenement  cTAntoine  Ier  (1701).  —  Le  due  dc 
Valentinois,  qui  succeda  a  son  pere  sous  le  nom 
d'Antoine  Ier,  etait  alors  age  de  quarante  ans.  II 
avait  recu  au  college  de  Clermont  une  instruction 
des  plus  soignees  qui  avait  developpe  en  lui  le  gout 
des  arts  d'une  maniere  remarquable.  II  avait  regu- 
lierement  servi  depuis  Tannee  1 683,  ou  il  avait 
obtenu,  le  23  juillet,  tin  brevet  de  lieutenant  au  regi- 
ment du  Roi  infanterie.  L'annee  suivante,  le  12  sep- 
tembre  1684,  il  avait  ete  fait  colonel  du  regiment 
de  Soissonnais,  forme  au  moyen  de  compagnies 
distraites  du  regiment  du  Dauphin. 

A  peine  son  mariage  celebre  avec  Marie  de  Lor- 
raine, il  avait  ete  designe  pour  suivre  le  Dauphin  a 
l'armee  en  juin  1688;  il  assista  au  siege  de  Philips- 
bourg  et  a  la  campagne  d'Allemagne.  En  1690,  il 
fiffura   a   la  tete  de   son   regiment    a   la  bataille  de 


—  271   — 
Fleurus;   en  1691,   il   etait   au   siege  de   Mons,   en 
1692  a  celui  de  Namur. 

Non  compris  dans  l'avancement,  il  se  retira  du 
service  en  1694. 


7         M  1 


Antoine  Ier 
(D'apres  le  portrait  d'Hyacinthe  Rigaud,  au  palais  de  Monaco) 


Antoine  Ier  succedait  a  son  pere  dans  des  circons- 
tances  difficiles.  Les  prodigalites  de  Louis  Ier  avaient 


—    272    — 

gravement  ebranle  la  fortune  de  sa  maison ;  pour  la 
retablir,  le  nouveau  prince  dut  se  resoudre  a  faire  un 
sejour  presque  continuel  a  Monaco  et  a  renoncer  a 
vivre  a  la  cour  de  France.  Aussi,  sauf  un  voyage  de 
quelques  mois  en  1702  et  1703,  pendant  lequel  il 
prit  seance  au  Parlement  comme  due  et  pair,  on  ne 
le  vit  plus  reparaitre  ni  a  Paris  ni  a  Versailles. 

Un  abandon  si  complet  de  la  cour  eut  eu  pour 
tout  autre  les  plus  serieux  inconvenients ;  il  y  sup- 
plea  en  entretenant  avec  les  ministres  et  avec  un 
grand  nombre  de  hauts  personnages,  dont  beaucoup 
etaient  ses  parents  par  les  Gramont  ou  ceux  de  sa 
femme,  une  correspondance  des  plus  actives  qu'il 
sut,  avec  une  extreme  habilete,  faire  tourner  a  l'avan- 
tage  de  ses  interets,  de  son  etat  et  de  sa  situation 
politique. 

Deux  affaires  fort  dedicates  necessitaient  a  ce  mo- 
ment ses  soins  les  plus  attentifs ;  e'etaient  les  diffi- 
cultes  de  la  perception  du  droit  du  port  de  Monaco, 
et  la  contestation  relative  au  territoire  avec  la  Turbie 
qui  s'etait  depuis  trois  ans  reveillee. 

Affaire  du  droit  de  mer  de  Monaco  (1 665- 
1704). —  Les  reclamations  du  commerce  de  Marseille 
avaient,  sous  le  regne  d'Honore  II,  provoque  au 
profit  des  Marseillais  une  convention  en  vertu  de 
laquelle  le  droit  de  deux  pour  cent  sur  la  cargaison 
des  navires  avait  ete  remplace  par  une  redevance  fixe. 


Cette  perception  se  faisait  au  prealable  a  Marseille 
meme,  ou  le  prince  avait  un  bureau  regulierement 
etabli.  Neanmoins,  les  Marseillais  d'une  part,  et 
surtout  les  autres  riverains  de  Provence,  qui  ne 
jouissaient  pas  des  franchises  accordees  aux  premiers, 
se  plaignaient  vivement  de  ce  droit,  d'autant  plus  qu'il 
se  cumulait  pour  eux  avec  celui  etabli  a  Villefranche, 
dans  le  voisinage  immediat.  Cela  avait  amene  en 
1 665  des  negociations  suivies  entre  le  premier  presi- 
dent du  Parlement  de  Provence  et  un  fonde  de  pou- 
voirs  de  Louis  Ier.  Le  droit  du  prince  avait  bien  ete 
reconnu  mais  avec  toutes  sortes  de  limitations. 

En  1669,  un  edit  roval  obtenu  paries  Provencaux 
supprima  entierement  pour  les  Francais  le  droit  dn 
port;  ce  droit  se  trouva  reduit  ainsi  a  la  perception 
surles  navires  etrangers ;  il  fut  encore  diminue  par 
suite  d'une  convention  faite  en  1673  avec  le  due  de 
Savoie  qui  exempta  les  Monegasques  du  droit  de 
Villefranche,  tandis  que,  par  reciprocity,  les  sujets 
de  Savoie  etaient  exempts  de  celui  de  Monaco. 

Le  revenu  du  droit  de  mer  tomba  ainsi  a  moinsdes 
trois  quarts  de  son  rendement,  et  encore  les  frau- 
deurs  trouvaient-ils  le  moyen  d'y  echapper  en  se 
couvrant  du  pavilion  des  etats  exempts. 

Les  fraudes  commises  par  les  marchands  de  Mar- 
seille, expediant  des  marchandises  etrangeres  sous 
leur  couvert  au  prejudice  du  droit,  finirent  par  deve- 
nir  si  nombreuses  que  le  prince  Louis  Ier,  et  le  prince 

18 


—  274  — 
Antoine  depuis  son  avenement,  durent  s'appliquer 
a  leur  severe  repression;  plusieurs  navires  furent 
saisis  dans  ces  conditions  en  1699,  1701  et  1702,  et 
cela  amena  un  conflit  dont  le  prince  Antoine  profita 
pour  remettre  sur  le  tapis  la  question  meme  du  droit 
par  rapport  aux  navires  francais.  II  lVeut  pas  de 
peine  a  fonder  ses  reclamations  sur  les  privileges  for- 
mels  autrefois  concedes  par  Louis  XI,  Charles  VIII, 
Louis  XII  et  Francois  Ier;  il  etablit  en  outre  que 
Tedit  de  1669,  donne  en  faveur  des  franchises  de 
Marseille,  ne  pouvait  en  aucune  facon  prejudicier 
aux  termes  formels  du  traite  de  Peronne,  qui  avait 
reconnu  et  garanti  le  droit  de  Monaco. 

Cependant,  malgre  ses  reclamations,  il  n'obtint 
que  des  ordres  plus  severes  de  l'administration  fran- 
caise  pour  interdire  les  fraudes  et  pour  aider  a  la 
perception  sur  les  navires  etrangers.  Les  galeres 
royales  recurent  Tordre  de  preter,  au  besoin,  main- 
forte  aux  agents  du  prince. 

Reprise  du  conflit  avec  la  Turbie  (1 696-1705). 

—  Restreint  dans  son  action  sur  mer,  l'etat  mone- 
gasque  se  debattait  toujours  vis-a-vis  de  la  Turbie 
dans  les  memes  dimcultes  et  les  memes  confiits  rela- 
tifs  au  territoireque  le  compromis  de  1669  n'avait  fait 
qu'assoupir.  De  frequentes  querelles  surgissaient; 
elles  devinrent  apres  la  paix  de  Rvswick,  en  1697, 
tellement  aigues,  que  d'un  commun  accord  le  prince 


-  275  — 

Antoine  et  lc  due  de  Savoie  Victor-Amedee  recou- 
rurenta  l'arbitrage  de  Louis  XIV  pour  reglerle  diffe- 
rend.  L'ambassadeur  de  France  a  Turin,  M.  de 
Briord,  et  l'intendant  de  Provence,  M.  Le  Bret, 
furent  commis  pour  cet  objet ;  ils  firent  dresser,  en 
presence  des  commissaires  de  Savoie,  une  carte  des 
territoires  designant  les  limites  adoptees ;  mais 
F affaire  n'etait  pas  terminee  lorsque  la  guerre  eclata 
entre  la  France  et  la  Savoie.  En  ijo5  les  lettres 
patentes  qui  donnerent  la  Turbie  au  prince  Antoine 
delimiterent  les  territoires  en  litige  entre  les  deux 
communes;  mais  tout  fut  remis  en  question  lorsque 
Antoine  dut  restituer  a  la  paix  d'Utrecht  la  seigneu- 
rie  de  la  Turbie  au  comte  de  Nice,  et  cette  delimita- 
tion ne  fut  pas  maintenue. 

Guerre  de  la  succession  d'Espagne  —  Neu- 
tralite  de  Monaco  (i/o3).  —  La  guerre  de  la 
succession  d'Espagne  mettait  TEurope  en  feu;  mais 
les  regions  de  la  Riviere  n'en  recurent  serieusement 
le  contre-coup  qu'a  la  fin  de  ijoB,  lorsque  le  due  de 
Savoie,  d'abord  allie  de  Louis  XIV,  fit  defection. 

Cet  evenement  placait  la  principaute  de  Monaco 
dans  une  situation  qui  s'etait  deja  presentee  pendant 
la  guerre  terminee  en  1697  Par  ^a  Pa^x  ^e  Ryswick. 
Quoique  la  place  fut  gardee  par  une  garnison  fran- 
caise,  une  entente  s'etait  faite  alors  entre  la  Savoie  et 
Louis  Ier,  par  laquelle  les  relations  s'etaient  mainte- 


-276- 

nues  entre  le  comte  de  Nice  et  les  etats  du  prince, 
dont  la  neutralite  avail  ete  ainsi  de  part  et  d'autre 
respectee.  Dans  ces  conditions,  la  garnison  francaise 
n'avait  qu'a  tenir  Monaco  en  etat  de  repousser  une 
attaque  si  elle  venait  a  se  presenter. 

Des  que  les  arrestations  en  masse  des  Francais 
dans  les  etats  de  Savoie  au  mois  d'octobre  1703 
eurent  montre  le  parti-pris  de  Victor-Amedee  de 
rompre  avec  la  France,  les  ministres  francais  avise- 
rent  le  prince  de  Monaco  des  intentions  du  roi  ten- 
dant  a  maintenir  le  raeme  regime  de  neutralite  dans 
la  mesure  ou  la  Savoie  Tobserverait  de  son  cote. 

Conquete  du  comte  de  Nice  par  les  Francais 
—  Siege  de  Nice  (1 704-1 705).  —  Antoine  Ier  etait 
retourne  depuis  le  printemps  de  1703a  Monaco;  il 
y  fut  rejoint  au  mois  de  decembre  suivant  par  Marie 
de  Lorraine. 

Pendant  toute  Fannee  1704  les  flottes  anglaises 
faisant  des  demonstrations  dans  la  Mediterranee,  la 
place  se  vit  exposee  a  plusieurs  reprises  a  un  bom- 
bardement. 

Au  commencement  de  1705  les  operations  par 
terre  furent  inaugurees  dans  la  region  par  le  siege  de 
Nice,  et  le  comte  fut  entierement  conquis  par  les 
Francais.  La  place  de  Monaco  rendit  pendant  cette 
periode  de  grands  services;  le  prince  Antoine  ne 
cessait  d'envoyer  aux  generaux  francais  des  indica- 


tions  et  des  renseignements.  II  eut  vivement  souhaite 
que  les  troupes  francaises  occupassent  la  Turbie. 
Le  marechal  de  La  Feuillade  se  contenta  de  faire 
sauter  le  fort,  et  Ton  puisa  dans  les  provisions  de 
poudre  accumulees  a  Monaco  ce  qui  fut  necessaire 
pour  detruire  la  forteresse  formee  au  moyen  age  avec 
le  monument  d'Auguste.  L'explosion  ne  laissa  plus 
debout  que  la  moitie  de  la  haute  tour  telle  qu'elle 
subsiste  aujourd'hui. 

Donation  a  Antoine  Ier  de  la  seigneurie  de  la 
Turbie  (1705).  —  Cette  destruction  consommee,  le 
roi  fit  du  prince  Antoine  le  gardien  interesse  du 
passage  en  lui  concedant,  par  lettres  patentes  d'avril 
ijo5,  la  seigneurie  de  la  Turbie. 

Les  armes  frangaises  etaient  alors  triomphantes,  et 
l'heritier  des  Grimaldi  put  croire  que  cette  acquisi- 
tion fermait  definitivement  Fere  des  difficultes  et  des 
conflits  incessants  qui  avaient  constitue  pendant  tant 
de  siecles  Thistoire  des  relations  de  Monaco  et  de  sa 
voisine. 

Le  9  mai  1705  les  habitants  de  la  Turbie,  repre- 
sentes  par  leurs  syndics,  vinrent  preter  Thommage 
et  le  serment  de  fidelite  entre  les  mains  de  leur 
nouveau  seigneur. 

La  seigneurie,  dont  le  roi  de  France  se  reserva  la 
suzerainete,  fut  rattachee,  pour  les  appels  de  juridic- 
tion,  au  parlement  de  Provence. 


-278- 

Services  rendus  a  la  France  par  le  prince 
Antoine;  organisation  de  correspondancespoli- 
tiques  et  militaires  ( r  joS-i 71 3).  —  Les  hostilities 
avec  le  due  de  Savoie  coupaient  les  communications 
entre  la  France  et  le  Milanais.  Des  ce  moment  on 
voit  grandir  le  role  du  prince  Antoine  ;  grace  aux 
intelligences  que,  par  ses  relations  de  famille,  il 
entretenait  en  Italie,  il  devint  un  auxiliaire  des  plus 
precieux  pour  les  communications  entre  le  cabinet 
de  Versailles,  les  armees  operant  au  dela  des  Alpes 
et  les  etats  italiens  restes  fideles  aux  deux  couronnes 
de  France  etd'Espagne. 

La  correspondance  du  prince  prit  alors  une  singu- 
liere  activite  qu'elle  conserva  meme  apres  la  paix 
et  jusqu'a  sa  mort.  Elle  etait  devenue  tellement  im- 
portante,  qu'il  avait  du  en  diviser  le  travail  entre 
deux  chancelleries  :  Tune  francaise,l'autre  italienne. 

II  ne  secontentait  pas  d'aviserla  cour  de  Versailles 
des  evenements  politiques  d'ltalie,  il  correspondait 
directement  avec  les  generaux  franyais,  leur  trans- 
mettant  les  avis  de  ses  emissaires,  repandus  jusqu'en 
Piemont  et  dans  les  regions  centrales. 

Ce  role  grandit  encore  lorsque  le  desastre  de 
Turin  eut  aneanti  la  puissance  francaise  en  Italie. 
II  fallait  assurer  les  communications  avec  le  prince 
de  Vaudemont  qui  commandait  dans  le  Milanais 
les  forces  espagnoles.  Le  prince  Antoine  depecha 
dans  ce  but  a  Parme  le  plus  habile  et  le  plus  actif 


—  2-9  — 
de  ses  agents,  Tauditeur  general  Bernardoni,  qui 
centralisa  sur  ce  point  toutes  les  informations,  les 
transmettant  d'une  part  a  Vaudemont,  se  faisant  de 
Tautre  l'intermediaire  sur  de  celui-ci  avec  l'ambas- 
sadeur  d'Espagne  a  Genes,  Monteleon,  et  Monaco. 

Les  allies  dans  le  comte  de  Nice  et  devant 
Toulon  (1707'.  —  Cependant,  comme  consequence 
de  la  perte  de  la  bataille  de  Turin,  les  austro-piemon- 
tais  entrerent  en  1707  dans  le  comte  de  Nice:  ils  ne 
respecterent  pas  la  neutralite  de  la  Principaute;  ils 
firent  leur  premier  bivouac  pres  de  Menton.  Le 
prince  obtint  que  la  garnison  de  Monaco  fut  ren- 
forcee  ;  du  reste,  l'ennemi  defila  sans  insulter  la  place, 
envahit  la  Provence  et  vint  encore  une  fois  echouer 
devant  Toulon,  defendu  par  Tesse,  trouvant  ainsi 
sur  terre  provencale  le  meme  insucces  qui  a  marque 
toutes  les  invasions  tentees  de  ce  cote. 

Fortifications  a  Menton  (1707- 1709).  —  Apres 
la  retraite,  on  prit  le  parti  de  s'occuper  serieusement 
de  mettre  en  defense  non  seulement  Monaco,  mais 
encore  Menton.  Cette  derniere  ville  recut  des  fortifi- 
cations qui  la  mirent  a  l'abri  d'une  attaque  brusque  ; 
on  v  introduisit  une  garnison  francaise  que  le  roi 
mit  sous  le  commandement  du  gouverneur  pour  le 
prince,  un  ancien  officier  francais,  Adhemar  de 
Lantasnac. 


—  280  — 

Le  prince  ne  cessait  d'insister  pour  qu'on  fermat 
entierement  la  frontiere  de  ce  cote  par  Toccupation 
des  Balzi  Rossi,  defile  situe  aux  portes  de  Menton. 
Le  roi  s'y  refusa,  malgre  Tinsecurite  que  le  defaut 
de  possession  de  ce  point  pouvait  causer,  ne  voulant 
pas  violer  le  territoire  genois  dans  lequel  se  trou- 
vaient  les  Balzi  Rossi. 

L'annee  1708  se  passa  en  alertes ;  les  generaux 
francais  esperaient  se  maintenir  dans  le  comte  de 
Nice ;  on  fit  des  postes  fortifies  sur  le  territoire  de 
Menton  et  celui  de  la  Turbie,  apres  en  avoir  demande 
l'agrement  au  prince  Antoine. 

Grands  travaux  de  fortifications  a  Monaco 

(1709-17131.  —  Cette  attitude  entierement  devouee 
a  la  France  devenait  par  la  meme  une  cause  de 
dangers  en  exposant  le  prince  a  des  represailles,  lors 
d'un  retour  offensif  de  l'ennemi.  Le  cas  se  presenta, 
lorsqu'en  1709  les  Francais  durent  reporter  la  defense 
de  la  Provence  derriere  la  ligne  du  Var  et  evacuer 
le  comte  de  Nice. 

Alors  on  vit  la  necessite  de  proceder  a  une  refection 
generale  des  fortifications  de  la  place  de  Monaco 
restees  dans  Tetat  ou  les  avait  mises  Etienne  Gri- 
maldi,  lors  du  siege  de  Nice  par  Barberousse. 

Deux  ingenieurs  militaires  concoururent  a  ces 
travaux;  le  premier,  Guiraud,  eleve  de  Vauban,  apres 
avoir  trace   le  plan  general,  fut  rappele  a  Toulon, 


—    2»I    — 

dont  il  dirigea  les  grands  travaux;  il  fut  remplace 
par  Lozieres  d'Astier. 

Du  cote  de  terre  la  place  etait  dominie,  a  portee 
de  canon,  par  les  hauteurs  servant  de  base  a  la  mon- 
tagne  de  la  Tete  de  Chien.  II  etait  facile  de  renverser 
les  bastions  et  les  courtines  et  de  faire  breche ;  cet 
inconvenient  etait  rachetable  en  sapant  les  declivites 
aux  pieds  des  rempartsde  facon  a  faire  l'escarpement 
inaccessible,  ce  qui  eut  rendu  inutile  toute  breche 
pratiquee  au  soramet  de  cet  escarpement. 

Le  meme  danger  existait  du  cote  du  port ;  sur  cette 
face  il  n'y  avait  qu'un  mur  peu  resistant  dominant 
les  pentes.  Du  plateau  faisant  face  de  Tautre  cote  du 
port,  on  pouvait  sans  peine  le  detruire.  II  etait  pos- 
sible d'y  remedier  au  moven  d'un  enorme  travail  de 
sape  qui  embrasserait  toute  cette  face  de  la  montagne, 
Antoine  Ier  ne  recula  pas  devant  une  si  grande  entre- 
prise  et  pendant  quatre  annees  une  veritable  armee 
d'ouvriers  bouleversa  les  approches  du  rocher  et  en 
redressa  les  pentes.  Deux  cents  mineurs  travaillaient 
sans  relache  pendant  que  le  rlanc  du  palais  etait  mis 
a  couvert  par  une  construction  avancee,  masquant 
le  dernier  lacet  de  la  montee  de  la  place,  qui  fut 
encore  dominee  par  une  construction  avec  esplanade, 
destinee  a  former  une  batterie.  De  vastes  souterrains 
furent  mis  en  etat  de  recevoir  la  garnison  et  la  popu- 
lation a  Tabri  du  bombardement ;  des  ouvrages  de 
renforcementprotegerentles  citernes  et  les  magasins. 


—    282    — 

L'ensemble  de  ces  travaux  ne  fut  termine  qu'en 
171 3  par  la  construction  cTun  fort  a  deux  etages  de 
batteries,  eleve  a  la  pointe  de  la  presqu'ile,  en  face 
du  promontoire  des  Spelugues;  il  commanda  Ten- 
tree  du  port  et  remplaca  TEperon  ;  il  prit  le.nom  de 
Fort  Antoine. 

Enormes  depenses  supportees  par  le  prince 
Antoine ;  il  envoie  sa  vaisselle  a  la  fonte  et  en- 
gage ses  bijoux  (1 709-1 71 3).  —  Une  oeuvre  aussi 
considerable  entraina  des  depenses  qui  ne  s'eleverent 
pas  a  moins  de  quatre  cent  mille  livres ;  malgre  les 
assurances  qu'il  recut  du  gouvernement  francais,  la 
charge  en  retomba  presque  completement  sur  le 
prince  Antoine  par  suite  du  desarroi  ou  la  guerre 
avait  mis  les  finances. 

II  fallut  envisager  de  cruelles  necessites.  Antoine  se 
resigna  a  un  sacrifice  analogue  a  celui  auquel  il  avait 
vu  Louis  XIV  reduit  en  1689.  De  meme  qu'alors 
Versailles  avait  ete  depouille  de  ses  richesses  et  de 
ses  objetsd'art  ciseles  sur  metaux  precieux,  il  envoya 
a  la  fonte  la  plus  grande  partie  de  Targenterie  qui 
etait  une  des  merveilles  du  palais  des  Grimaldi,  et 
jusqu'aux  ornements  d'argent  et  d'or  garnissant  les 
meubles.  II  engagea  en  meme  temps  ses  pierreries  et 
ses  bijoux  a  Genes. 

II  put  parer,  par  ce  moyen,  au  plus  presse  des  de- 
penses et  poussa  les  travaux  au  point  de  provoquer 


—  283  — 
les  eloges  du  marechal  de  Berwick  qui  put,  dans  sa 
visite  en  171 1,  reconnaitre  que  la  place  etait,  au  prix 
de  si  grands  efforts  et  de  tant  de  sacrifices,  devenue 
imprenahle. 

Traite  d'Utrecht  :  la  France  refuse  de  sacri- 
fier  Monaco  a  la  Savoie  (171 3).  —  La  guerre  tou- 
chait  a  sa  fin  ;  le  prince  faillit  payer  cher  sa  fidelite 
indomptable  a  la  France  :  le  due  de  Savoie,  qui  ne 
put  pardonner  au  petit  souverain,  son  voisin,  son 
activite  pendant  la  lutte,  demanda  formellement  dans 
les  negociations  du  traite  d'Utrecht,  la  cession  de 
Monaco,  movennant  une  indemnite  pour  le  prince, 
qui  serait  a  la  charge  du  roi  de  France. 

Les  plenipotentiaires  francais  repousserent  cette 
proposition  en  repondant  que  leur  maitre  ne  pouvait 
disposer  de  ce  qui  n'etait  pas  a  lui. 

Arbitrage  de  Louis  XIV  et  d'Anne  d'Angle- 
terre  pour  la  vassalite  de  Menton  et  de  Roque- 
brune  (1712-1714). —  Le  traite  d'Utrecht  reservait 
a  Antoine  un  cruel  deboire.  Battu  dans  ses  preten- 
tions sur  Monaco,  le  due  de  Savoie  obtint  de  faire 
prendre  en  consideration  ses  revendications  si  sou- 
vent  renouvelees,  relatives  a  sa  suzerainete  sur 
Menton  et  Roquebrune. 

II  y  avait  alors  plus  de  deux  siecles  que,  depuis 
Lucien,   en    i5o5,   les   Grimaldi    etaient    parvenus, 


—  284  — 

grace  aux  incidents  que  nous  avons  exposes,  a  eluder 
tout  acte  direct  ou  indirect  de  vassalite.  L'occasion 
etait  trop  bonne,  par  suite  de  la  situation  oil  les  eve- 
nements  mettaient  la  France,  pour  que  le  due  de 
Savoie  ne  tentat  pas  un  effort  decisif.  Un  des  articles 
du  traite  remit  la  decision  du  litige  a  Tarbitrage  du 
roi  de  France  et  de  la  reine  d'Angleterre. 

Deux  commissaires  furent  nommes  par  les  royaux 
arbitres  pour  examiner  les  droits  et  les  raisons  res- 
pectivement  invoques  par  les  parties. 

II  fautreconnaitre  que,  dans  la  defense  de  sa  cause, 
ou  les  apparences  semblaient  d'avance  le  condamner, 
le  prince  Antoine  sut  mediocrement  faire  valoir  ses 
arguments  les  plus  serieux,  notamment  le  defaut 
continu  des  Torigine  et  malgre  des  mises  en  demeure 
formelles,  du  paiement  de  la  rente  stipulee  en  faveur 
du  vassal,  condition  essentielle  de  Tinfeodation  de 
1448,  dont  Tinexecution  rendait  cette  infeodation 
caduque.  Les  titres  qu'il  pouvait  invoquer  furent 
meme  produits  d'une  facon  si  peu  raisonnee  qu'on 
ne  s'apei^ut  qu'apres  le  jugement  rendu  de  la  valeur 
d'un  document  entierement  neglige,  et  qui  eut  pu 
serieusement  modifier  la  conviction  des  commissaires : 
e'etaient  des  lettres  patentes  donnees  par  Louis  XII 
comme  due  de  Milan,  en  i5o2,  declarant  l'acte  de 
1448  au  profit  de  la  Savoie,  faitau  mepris  de  l'infeo- 
dation  de  Menton,  conclue  avec  Philippe-Marie 
Visconti,  due  de  Milan,  vingtans  auparavant,en  1428. 


—  285  — 
Antoine  Ior  oblige  de  reconnaitre  la  vassalite 
de  la  Savoie  pour  Menton  et  Roquebrune  (1714- 
1716).  —  Les  commissaires  donnerent  raison  au  due 

de  Savoie,  par  jugement  du  21  juin  1714,  ratine  par 
Louis  XIV  et  la  reine  Anne. 

Antoine  Ier  dut  negocier  avec  Victor-Amedee,  de- 
venu  roi  de  Sicile  par  le  traite  d'Utrecht,  afin  de 
sVviter  la  mortification  supreme  d'aller  rendre  en 
personne  l'hommage  comme  vassal  a  Turin.  II  y  fut 
represent^,  le  12  aout  1716,  par  le  president  de 
Gourdon. 

Situation  de  famille  d1  Antoine  Ier  sans  en- 
fants  males ;  cas  d'application  des  substitutions 
de  Monaco  ( 1  7 1 2).  —  Tandis  que  la  fin  de  la  guerre 
de  la  succession  d'Espagne  apportait  au  prince  An- 
toine une  cause  si  grande  de  preoccupations  et  de 
soucis,  la  situation  de  sa  famille  l'avait  entraine  dans 
une  serie  de  negociations  et  de  difficultes  qui  amene- 
rent  de  profondes  discordes  interieures. 

De  son  manage  avec  Marie  de  Lorraine  An- 
toine Ier  n'avait  eu  que  des  filles ;  trois  etaient  vivan- 
tes  en  1712.  L'ainee,  Louise-Hippolyte,  avait  alors 
quinze  ans.  La  succession  de  Monaco  se  presentait 
done  dans  des  conditions  analogues  a  celle  ou  elle 
s'etait  trouvee  lors  de  la  mort  de  Catalan  Grimaldi, 
avec  cette  complication  que  le  prince  Antoine  avait 
un  frere  pretre,  l'abbe  de  Monaco,  qui,  malgre  son 


—  286  — 

caractere  sacerdotal,  etait  apte  a  lui  succeder  avant 
sa  fille. 

II  y  avait  done  lieu  d'appliquer  pour  le  raariage  de 
Louise-Hippolyte  les  regies  formelles  des  substitu- 
tions qui,  depuis  les  testaments  de  Jean  Ier  et  de 
Claudine,  reglaient  Taccession  eventuelle  d'une 
femme  a  la  succession  de  Monaco.  En  outre,  il  fal- 
lait  parer  a  l'extinction  de  la  pairie  de  Valentinois, 
qui  s'eteignait  avec  le  prince  Antoine  et  son  frere,  le 
duche  simple  sans  pairie  etant  transmissible  aux 
femmes. 

D'autres  considerations  preoccupaient  encore  An- 
toine Ier  dans  Tetablissement  de  sa  fille  ainee.  II  etait 
gravement  obere  par  les  enormes  depenses  de  son 
pere  non  encore  reglees  et  par  celles  oil  1'avait  en- 
traine  la  mise  en  etat  de  defense  de  Monaco.  II  avait 
encore  a  pourvoir  au  manage  et  a  la  dot  de  ses 
deux  autres  filles,  dont  la  seconde  etait  son  enfant 
preferee. 

II  fallait  done  obtenir  d'abord  du  roi  la  transmis- 
sion de  la  pairie  de  Valentinois  a  sa  fille  ainee  et  au 
gendre  qu'il  choisirait,  ce  qui  ne  pourrait  etre  de- 
mande  qu'apres  la  demission  de  ses  droits  consentie 
par  Tabbe  de  Monaco.  Resterait  alors  a  trouver  un 
gentilhomme  de  grande  maison  qui  acceptat  d'aban- 
donner  absolument  son  nom  et  ses  armes  pour 
prendre  ceux  des  Grimaldi,  et  qui  fut  en  etat  de 
concourir,  par  une   grande  fortune,  aux    necessites 


financieres    dans    Lesquelles    se    trouvait    le   prince 
Antoine. 

Candidature  du  prince  Charles  de  Lorraine 
Armagnac  (1712).  —  Le  programme  que  s'etait 
trace  le  prince  Antoine  avait  recu  l'approbation  de 
son  beau-pere  Louis  de  Lorraine,  avec  Tarriere- 
pensee  de  faire  passer  dans  sa  famille  la  souverai- 
nete  de  Monaco  en  mariant  sa  petite-nllle  a  son 
propre  fils,  le  prince  Charles,  deja  pourvu  de  la  sur- 
vivance  de  la  charge  de  grand  ecuyer  de  France. 
Antoine  vit  le  danger;  il  sentit  qu'un  prince  de  la 
maison  de  Lorraine  etait  dans  une  situation  trop 
eminente  pour  qu'il  put  esperer,  raeme  par  les  clauses 
les  plus  formelles  d'un  contrat,le  maintenir  a  perpe- 
tuite,  lui  et  ses  descendants,  dans  Tobligation  de 
renoncer  absolument  a  son  nom  et  a  ses  armes.  II 
parvint  a  eluder  cette  candidature;  mais,  des  cet 
instant,  il  dut  s'attendre  a  voir  ses  combinaisons 
contrecarrees  par  sa  fern  me  et  la  famille  de  celle-ci. 

Candidatures  du  fils  du  due  de  Chatillon  et 
du  comte  de  Roye  (17 12).  —  La  combinaison  du 
prince  Charles  de  Lorraine  se  trouvant  ecartee,  deux 
candidatures  se  trouverent  en  presence,  paraissant 
reunir  les  conditions  exigees  :  e'etaient  celledu  comte 
de  Lux,  fils  du  due  de  Chatillon,  de  la  maison  de 
Montmorency,    age  a   peine    de   seize   ans,    qui  rut 


—  288  — 

ouvertement  accueillie  par  la  famille  de  Lorraine 
et  cellc  du  comte  de  Roye,  fils  du  comte  de  Roucy, 
de  la  maison  de  La  Rochefoucault. 

Antoine  accepte  le  comte  de  Roye  (17 12-17 14). 
—  Le  comte  de  Roye  etait  le  neveu  par  alliance  du 
comte  de  Pontchartrain ;  celui-ci  et  son  pere,  le  chan- 
celier,  avaient  depuis  longues  annees  les  plus  etroites 
relations  avec  le  prince  Antoine.  lis  se  firent  les 
patrons  de  cette  candidature  au  mois  de  mai  1712. 

Le  prince  Antoine  entra  avec  empressement  dans 
cette  combinaison;  le  comte  de  Roye,  age  de  23  ans, 
ayant  deja  servi  avec  distinction  comme  colonel, 
etait  precisement  dans  les  conditions  de  famille  qui 
realisaient  ses  visees.  II  donna  son  agrement,  et 
cette  negociation  fut  serieusement  engagee. 

Opposition  de  Marie  de  Lorraine  et  de  sa  fa- 
mille au  comte  de  Roye;  violences  d' Antoine  Ier 

(171 3).  —  Tout  sembla  d'abord  marcher  sans  en- 
combre  et  sans  opposition;  mais  il  fallait  obtenir  le 
desistement  prealable  de  Tabbe  de  Monaco  a  ses 
droits  eventuels,  en  cas  de  survie,  sur  la  Principaute 
et  sur  le  duche  de  Valentinois.  L'abbe  vint  a  Monaco  ; 
c'etait  sur  lui  que  comptaient  Marie  de  Lorraine  et  les 
siens  pour  faire  echec  a  ce  projet. 

Soit  qu'ils  voulussent  se  venger  du  refus  oppose  a 
la  candidature  du  prince  Charles,  soit  qu'ils  prissent 


—  289  — 

ombrage  de  I'influence  de  la  maison  de  La  Rochefou- 
cault  et  des  Ponchartrain  qui,  du  reste,  ne  cachaient 
par  leur  hostilite  a  leur  egard,  les  Lorrains  montre- 
rent  des  lors  la  plus  vive  hostilite  au  comte  de  Roye, 
et  l'abbe  de  Monaco  refusa  formellement  de  se  de- 
mettre  en  faveur  de  cette  union. 

II  faut  reconnaitre  que  les  arguments  invoques  a 
l'appui  de  cette  resistance  etaient  serieux  ;  la  situation 
rinanciere  du  comte  de  Roucy,  pere  du  comte  de 
Roye,  etait  brillante  en  apparence,  mais  rien  moins 
que  solide.  Cependant  le  prince  Antoine,  cedant  a 
rentrainement  de  son  caractere  imperieux  et  excessif, 
s'enteta  dans  son  projet  et  ne  tarda  pas  a  se  donner 
les  torts  les  plus  facheux  en  perdant  toute  mesure. 

Marie  de  Lorraine  poussait  Louise-Hippolyte  a 
manifester  la  plus  nette  antipathie  pour  l'alliance 
projetee  par  son  pere  :  cette  resistance  exaspera 
celui-ci.  Apres  avoir  une  premiere  fois  separe  la 
jeune  fille  de  sa  mere  en  Pemmenant  avec  lui  a  Men- 
ton,  il  resolut  de  la  soustraire  entierement  a  I'in- 
fluence maternelle  en  l'envoyant  au  couvent  de  la 
Visitation  d'Aix  et  en  l'y  sequestrant. 

Rupture  et  depart  de  Monaco  de  Marie  de 
Lorraine.  —  Le  comte  de  Roye  ecarte  (171 3- 
1714).  —  Marie  de  Lorraine  repondit  a  ce  coup 
d'autorite  en  quittant  Monaco  et  en  se  retirant  a 
Paris  aupres  de  son  pere. 

'9 


—  2  go  — 

Quelqu'appuye  que  tut  le  prince  Antoine  a  la 
cour  par  les  La  Rochefoucault  et  les  Ponchartrain, 
il  etait  evident  qu'il  ne  pourrait  pas  lutter  contre  la 
famille  cle  sa  femme  a  laquelle  s'etait  joint  son 
propre  frere.  L'accueil  fait  a  Versailles  a  son  projet 
d'alliance,  etait  loin  d'etre  encourageant;  sans  lui 
donner  formellement  tort,  le  roi  lui  avait  fait  savoir 
qu'en  presence  du  trouble  que  la  candidature  du 
comte  de  Rove  apportait  dans  sa  famille,  il  entendait 
rester  neutre.  Bientot,  sur  l'invitation  qu'il  recut 
de  la  cour ,  il  dut  faire  sortir  Louise-Hippolyte 
du  couvent  d'Aix ;  on  s'opposa  en  outre  a  son  inten- 
tion d'envoyer  sa  fille  a  Genes  pres  de  ses  tantes ;  il 
dut  se  contenter  de  la  tenir  enfermee  sous  bonne 
garde  a  la  Visitation  de  Monaco. 

Les  mois  s'ecoulerent  sans  amener  de  solution;  a 
la  fin  le  marquis  de  Torcy  insinua  qu'il  y  aurait 
avantage  a  abandonner  une  alliance  au  sujet  de 
laquelle  on  rencontrait  des  resistances  si  absolues. 

La  violence  de  ses  procedes  avaient  amoindri  son 
autorite ;  Antoine  sentit  qu'il  fallait  ceder  et  renoncer 
a  l'alliance  qu'il  avait  voulu  imposer. 

Candidature  du  chevalier  de  Grimaldi    1714). 

—  Le  Prince  reprit  alors  un  projet  qu'il  avait  tout 
d'abord  concu  et  caresse,  celui  de  marier  sa  fille  avec 
le  chevalier  de  Grimaldi,  I'heritier  de  la  branche 
d'Antibes.  Ce  jeune  homme  avait  ete  eleve  sous  ses 


—    2<)I     — 

yeux,  et  quoique  cette alliance  ne  satisfit  pas  aux  con- 
ditions financieres  qu'il  recherchait,  il  lui  trouvait 
le  merite  de  maintenirla  Principaute  dans  la  maison 
de  Grimaldi,  dont  le  chevalier  representait  la  branche 
aince.  Cent  ete  en  tout  la  repetition  de  Tuition  de 
Claudine  et  de  Lambert.  Dans  la  situation  violente 
oil  se  trouvait  Antoine,  il  embrassa  avec  ardeur  cette 
combinaison,  et  sa  fille  ayant  paru  y  souscrire,  il  la 
rit  sortir  de  la  Visitation  et   publia  ses  intentions. 

L'attitude  de  Louise-Hippolyte  n'etait  qu'une 
feinte  pour  recouvrer  sa  liberte  et  communiquer  avec 
sa  mere;  au  bout  de  quelques  semaines  le  roi  noti- 
riait  une  disapprobation  formelle,  le  chevalier  de 
Grimaldi  n'offrant  aucune  des  conditions  acceptables 
pour  recevoir  l'agrement  royal;  de  son  cote  Louise- 
Hippolvte  se  retractait  et  se  declarait  entierement 
opposee  au  chevalier ;  elle  fut  aussitot  reconduite 
au  couvent  de  Monaco. 

Autres  candidatures  (1714).  —  Cependant  de 
nombreux  candidats  surgissaient;  la  plupart  etaient 
etrangers.  Le  prince  Alexandre  Lanti,  neveu  de  la 
princesse  des  Ursins,  etait  celui  qui  orl'rait  le  plus 
d'avantages.  Le  roi  d'Espagne,  pres  duquel  la  prin- 
cesse etait  toute  puissante,  accordait,  en  considera- 
tion de  cette  union,  la  grandesse  et  la  restitution  des 
biens  autrefois  confisques  sur  Honore  II  en  pays 
espagnols  et  non  restitues. 


2  0  2    

Antoine  fit  sa  cour  a  Louis  XIV  en  ecartarit  cette 
alliance,  voulant  que  sa  fille  fin  unie  a  une  famille 
francaise.  Cependant,  passant  d'un  extreme  a  l'autre, 
il  prenait  quelque  temps  apres  en  consideration  des 
propositions  relatives  au  due  del  Sesto,  puis  au 
prince  Alexandre  Sobieski,  le  tils  du  roi  de  Polognc. 

La  situation  devenait  cependant  pour  lui  des  plus 
difficiles ;  il  etait  abreuve  de  degouts.  La  princessse 
Marie  de  Lorraine  et  sa  famille  sentirent  que  le 
moment  etait  proche  oil  la  lassitude  succedant  chez 
lui  a  Temportement ,  on  pourrait  produire  ,  avec 
toutes  chances  de  reussite,  un  candidat  dont  on  avait 
prepare  de  longue  main  Tintervention. 

Ouvertures  relatives  au  comte  d'Eu  (1714).  — 

Sur  ces  entrefaites  le  prince  reeut  des  ouvertures 
faites  pour  flatter  innniment  son  amour-propre,  mais 
que  son  esprit  pratique  silt  ecarter. 

Depuis  longtempslie  avecTabbe  de  Fleurv,  eveque 
de  Frejus,  il  Tavait  fait  le  confident  de  ses  projets,  de 
sesesperances  et  de  ses  traverses.  Or,  M.  de  Frejus, 
apres  etre  reste  de  longues  annees  confine  dans  son 
diocese,  briguait  en  ce  moment  la  charge  de  precep- 
teur  du  jeune  Dauphin  depuis  Louis  XV,  et  il  avait 
pour  appui  dans  cette  recherche  le  due  du  Maine, 
fils  legitime  de  Louis  XIV;  il  devint  ainsi  I'inter- 
mediaire  d'une  proposition  qui  fut  faite  dans  les 
conditions  du  plus  grand  secret. 


—  293  — 

Le  due  de  Maine,  dont  le  tils  alne  etait  deja  pourvu 
d'une  souverainete,  la  principaute  de  Domhes,  avait 
pense  a  l'heritage  de  Monaco  pour  faire  son  second 
his,  lui  aussi,  prince  souverain. 

Le  prince  Antoine  recut  eette  communication  a 
Frejus,  ou  il  etait  venu  au  mois  d'aout  1714  visiter 
Fleurv,  au  moment  ou  de  part  et  d'autre  on  etait 
oblige  de  se  rendre  parole  avec  les  comtes  de  Roucy 
et  de  Rove. 

Antoine  repondit  que  ce  serait  certes  Line  glorieuse 
tin.  pour  les  Grimaldi  de  Monaco,  que  de  s'£teindre 
dans  une  alliance  avec  1111  prince  de  la  maison 
royale;  mais  une  union  pareille  serait  la  violation 
absolue  des  substitutions  de  Monaco,  car  ce  qu'il 
n'avait  espere  pouvoir  obtenir  d'un  prince  de  la 
maison  de  Lorraine,  il  ne  pouvait  encore  moins 
penser  a  Timposer  a  un  membre  de  la  maison  de 
Bourbon. 

II  se  confondit  en  protestations  de  gratitude  et 
d'humilite,  mais  il  declina  un  honneur  trop  grand 
pour  lui  et  une  alliance  trop  puissante  pour  son 
petit  etat. 

Candidature  de  Jacques  de  Matignon,  comte 
de  Thorigny  [1714).  —  Cependant  les  Lorrains, 
persuades  que  le  prince  Antoine  mettrait  systema- 
tiquement  obstacle  a  toute  proposition  d'alliance 
qui  paraitrait  venir  d'eux,  s'ingenierent  a  faire  enta- 


—  294  — 
merdes  pourparlers  en  faveur  du  choix  qu'ils  avaient 
fait  en  se  servant  de  parents  du  prince  qui,  comme  la 
duchesse  de  Lude,  sa  tante  par  son  premier  mari  le 
comte  de  Guiche,  ne  pouvaient  lui  inspirer  d'ombrage. 

Le  comte  deThorigny  etait  1  neritier  d'une  grande 
fortune  et  sa  situation  etait  peut-etre  la  premiere 
parmi  les  families  francaises  non  ducales.  C'etait  un 
candidat  des  plus  sortahles  et  ce  n'etait  pas,  du  reste, 
la  premiere  fois  que  son  nora  etait  prononce.  II  avait 
ete  deja  question  de  lui  pour  la  seconde  fille  du 
prince  Antoine,  mademoiselle  de  Carladez;  mais  il 
avait  ete  ecarte,  le  prince  entendant  que  ses  filles 
cadettes  ne  perdissent  pas  par  leur  mariage  le  rang  et 
les  prerogatives  de  filles  de  due  et  pair. 

La  comhinaison  qui  reportait  la  pairie  sur  la  tete 
du  mari  de  Louise-Hippolyte  rendait  au  contraire 
le  choix  possible  pour  l'ainee,  puisque  le  rang  de  son 
mari  emanerait  d'elle. 

La  famille  de  Matignon;  son  illustration,  ses 
alliances.  —  Jacques-Francois-Leonor  de  Goyon 
Matignon,  comte  de  Thorigny,  etait  Taine  d'une  des 
plus  antiques  maisons  de  Bretagne,  les  Gouyon  ou 
Goyon,  qui,  au  commencement  du  xme  siecle,  s'etait 
alliee  a  la  derniere  heritiere  des  sires  de  Matignon. 

On  pouvait  citer,  parmi  les  illustrations  de  cette 
race,  Jean  de  Matignon,  proche  parent  de  Du 
Guesclin,  qui  avait  combattu  a  cote  de  lui  a  Cocherel. 


—  2cp  — 
Jean  avait  ensuite  epouse  la  fille  d'un  des  com- 
panions les  plus  glorieux  du  connetable,  Olivier  de 
Mauny,  seigneur  de  Thorigny,  dont  l'heritage  tit  les 
Matignon  puissants  en  basse  Normandie,  allies  aux 
plus  grandes  families  de  la  province  et  de  la  Bretagne. 
Au  commencement  du  xvie  siecle  Joachim  de 
Matignon  devint  lieutenant-general  de  Normandie; 
mais  sa  haute  renommee  tut  Sclipsee  par  celle  de  son 
his,  le  marechal  Jacques  de  Matignon.  Jacques,  pri- 
sonnier  a  la  bataille  de  Saint-Quentin,  ou  il  s'etait 
couvert  de  gloire,  avait  succede  a  la  lieutenance 
generate  de  son  pere ;  on  sait  combien  sa  conduite 
fut  honorable  lorsqu'a  la  Saint  -Barthelemy  il  se 
refusa  a  executer  dans  son  gouvernement  les  ordres 
sanguinaires  qu'il  avait  recus.  Son  habilete  consom- 
mee  et  sa  haute  prudence  le  fit  choisir,  en  1 58o,  pour 
aller  commander  la  Guienne  dont  le  gouverneur 
titulaire,  le  roi  de  Navarre,  etait  en  meme  temps  le 
chef  des  protestants.  Dans  ce  poste  difficile,  qu'il 
occupa  jusqu'a  sa  mort,  le  marechal  de  Matignon  sut 
s'attirer  l'amitie  du  Bearnais  qu'il  e'tait  oblige  de 
contenir  et  souvent  de  combattre.  Lors  de  l'avene- 
ment  de  Henri  IV,  il  sut  manoeuvrer  avec  tant 
d'adresse,  en  meme  temps  qu'il  deploya  tant  d'acti- 
vite  et  d'intelligent  devouement  qu'il  s'attira  Thon- 
neur  de  porter,  au  sacre  du  roi,  Tepee  de  connetable. 
II  avait  acquis  la  principaute  de  Mortagne-sur- 
Gironde,  tandis  que  sa  terre  de  Thorigny  avait  etc 
erisee  en  sa  faveur  en  comte.. 


—  290  — 

Son  lils  Charles,  comte  de  Thorigny,  epousa  Leo- 
nore  de  Longueville,  fille  du  due  et  de  Marie  de 
Bourbon  Saint-Paul,  heritiere  du  duche  d'Estou- 
teville  et  cousine  germaine  par  son  pere  du  roi 
Henri  IV. 

Echec  du  comte  de  Matignon  dans  sa  pre- 
tention au  duche  d'Estouteville  (171 1). —  Cette 
illustre  alliance  eut  du  porter  les  Matignon  aux 
premieres  dignites  du  royaume  ;  cependant  il  n'en 
fut  pas  ainsi  et  il  fallut  attendre  l'extinction  des 
Longueville  pour  les  mettre  en  situation  d'aspirer  a 
elever  leur  maison,  lorsqu'ils  eurent,  a  la  rin  du 
siecle,  herite  d'une  grande  partie  des  biens  de  cette 
famille.  Les  terres  qui  formaient  le  duche  d'Estou- 
teville etaienttombees  dans  leur  lot;  le  comte  Jacques 
de  Matignon,  le  pere  du  comte  de  Thorigny,  emit  la 
pretention  d'en  relever  la  duche-pairie;  maisquoique 
les  lettres  d'erection  de  cette  pairie  Talent  declaree 
transmissible  aux  femmes,  on  lui  opposa  un  nombre 
de  degres  qui  ne  permettait  plus  la  devolution,  et  il 
echoua  devant  la  coalition  des  dues  dont  il  flit  devenu 
le  plus  ancien. 

Ce  deboire  etait  tout  recent  lorsque  sa  liaison  avec 
Chamillard,  le  ministre  tombe,  qui  etait  en  meme 
temps  dans  les  rapports  les  plus  intimes  avec  le 
prince  de  Monaco,  donna  a  Matignon  la  pensee  de 
retrouver  poursa  maison  et  pour  son  filsune  duche- 


—  297  — 
pairie  par  une  alliance  avec  la  maison  souveraine  de 
Monaco,  memc  au  prix  d'une  substitution  qui  leur 
fit  faire  le  sacrifice  de  leur  nom  et  de  leurs  amies. 

Action  secrete  de  la  famille  de  Lorraine; 
Antoine  Ier  agree  le  comte  de  Thorigny  (1714). — 

Des  les  premieres  ouvertures,  le  prince  Antoine, 
dupe  encore  cette  fois  et  jusqu'au  bout  des  Lorrains, 
exigea  du  comte  de  Matignon  le  secret,  vis-a-vis  de 
Marie  de  Lorraine  et  de  sa  famille;  et  comme  en  ce 
moment  le  marechal  de  Villeroy,  beau-frere  de 
«  Monsieur  le  Grand»,  se  faisait  rintermediaire  d'une 
reconciliation,  le  prince  mit  a  cette  pacification  la 
condition  absolue  que  sa  femme  reconnaitrait  formel- 
lement  ses  torts  et  que,  de  plus,  elle  et  ses  parents 
accepteraient  par  avance,  sans  condition  et  sans  en 
connaitre  le  nom,  le  gendre  qu'il  avait  choisi.  On 
souscrivit  sans  hesiter  a  ces  conditions,  et  Ton  se 
rendit  en  apparence  a  discretion;  e'etait  une  satis- 
faction d'amour-propre  qui  adoucit  singulierement 
pour  le  prince  Tamertume  de  ses  successives  defaites. 

Negociations  du  mariage  (171  5)  —  Les  nego- 
ciations  furent  done  activement  menees  sous  la 
direction  du  marechal  de  Villeroy,  avec  le  concours 
du  conseiller  du  prince,  Tauditeur  general  Bernar- 
doni. 

L'immense  fortune  des  Matignon  rendit  possible 


l'acceptation  des  conditions  qu'avait  d'avance  for- 
mellement  exigees  le  prince  Antoine  pour  regler  sa 
situation  et  pour  la  rendre  independante.  de  facon 
a  pouvoir,  sur  ses  biens  disponihles,  assurer  sans 
embarras  Tetablissement  de  ses  deux  plus  jeunes 
filles. 

Les  plus  grandes  difhcultes  a  regler  furent  celles 
qui  resulterent  des  pretentions  excessives  de  l'abbe 
de  Monaco.  Le  frere  cadet  d'Antoine  Ier  fit  acheter, 
au  prix  d'enormes  avantages  en  sa  faveur,  son  desis- 
tement  sur  la  Principaute  et  le  duche  de  Valentinois. 

Les  Matignon  en  passerent  par  toutes  ces  exigences 
et  on  arriva  a  s'entendre  pour  un  traite  de  mariage 
ou  toutes  les  eventualites  de  l'avenir  etaient  prevues 
avec  le  soin  le  plus  meticuleux. 

Le  but  du  prince  Antoine  etait  atteint ;  mais  tout 
etait  subordonne  a  Tobtention  de  Tagrement  royal 
pour  la  transmission  du  duche. 

Louis  XIV  consent  &  une  nouvelle  erection 
de  la  duche-pairie  de  Valentinois  en  faveur  de 
Louise-Hippolyte  et  de  son  futur  mari  ( 1 7 1  5).  — 
Le  credit  de  la  maisonde  Lorraine  realisa,  etaudela, 
la  partie  du  programme  qui  dependait  de  la  volonte 
du  roi.  Non  settlement  Louis  XIV  consentit  a  eriger 
en  nouvelle  duche-pairie  le  Valentinois  au  profit  du 
gendre  et  de  la  fille  d'Antoine  Ier,  non  seulement 
il  accepta  que  cette  erection  eut  lieu  immediatement 


—  299  — 
par  la  demission  simultanee  du  prince  Antoine  et  de 
son  frere,  mais  il  ajouta  la  clause  tout  a  fait  insolite 
que,  dans  le  cas  oil  un  enfant  male  surviendrait  au 
prince  de  Monaco,  le  rang  de  la  pairie  primitive 
revivrait  en  faveur  d'Antoine  et  de  son  fils;  le  gendre 
ne  conservant,  dans  ce  cas,  qu'un  titre  viager. 

Nouvelles  exigences  d'Antoine  Iei ;  interven- 
tion du  roi  (171 5).—  Cependant,  malgre  les  enormes 

concessions  du  comte  de  Matignon,  le  prince,  exclu- 
sivement  occupe  des  interets  de  sa  fille  cadette, 
ajoutait  chaque  jour  de  nouvelles  exigences.  A  plu- 
sieurs  reprises  les  negociations  furent  enrayees,  et  au 
mois  de  juillet  tout  se  trouva  remis  en  question.  Le 
roi  intervint  alors  et  fit  comprendre  au  prince  Antoine 
qu'apres  les  graces  qu'il  avait  accordees,  il  etait 
inadmissible  qu'on  aboutit  a  une  rupture.  Antoine 
se  soumit  et  la  negociation  fut  definitivement  close. 
Le  marquis  de  Torcy  accepta  la  procuration  du 
prince  pour  le  representer,  ainsi  que  Louise-Hippo- 
lvte,  au  contrat  de  mariage. 

Mariage  de  Louise-Hippolyte  et  du  comte  de 
Thorigny,  due  et  duchesse  de  Valentinois  ( 1 7 1  5). 

—  La  signature  de  cet  acte  fut  retardee  par  la  mort 
de  Louis  XIV  ;  on  y  proceda  le  5  septembre  171 5. 
La  signature  de  Louis  XV  et  celte  du  due  d'Orleans 
qui  y  furent  apposees  sont  des  premieres  que  don- 
nerent  le  jeune  roi  et  le  regent. 


—  :>oo  — 

Marie  de  Lorraine  rentra  a  Monaco,  conduisant 
avec  elle  le  mari  de  sa  rille ;  elle  eut  le  bon  gout  de 


Jacques-Francois-Leonor  de  Matignon 
due  dc  Valcntinois,  prince  de  Monaco  sous  le  nom  de  Jacques  Ie 

(D'apres  le  portrait  de  Largiliiere,  au  palais  de  Monaco  I 


triompher  modestement ;  la  reception   fut  en  appa- 
rence  cordiale 


—  3oi   — 

Le  mariage  du  due  et  de  la  duchesse  de  Valentinois 
fut  celebre  a  Monaco  le  20  octobre  171  5. 


Louise-Hippo!  vte 
duchesse  de  Valentinois,  princesse  de  Monaco 

(D'apres  le  portrait  de  J.-B.  Van  Loo.  an  palais  de  Monaco) 


Apres  un  sejour  assez  court,  le  due  de  Valentinois 
dut  revenir  a  Paris  pour  Tenregistrement  des  diffe- 


rentes  lettres  patentes  relatives  a  la  transmission  de 
la  pairie ;  mais  des  complications,  provoquees  par 
des  querelles  entre  les  princes  dn  sang  et  les  legiti- 
mes, rirent  ajourner  cette  formalite.  Le  due  deValen- 
tinois  ne  fut  recu  au  Parlement  qu'en  decembre  1 716. 

Relations  d'Antoine  Ier  avec  le  regent  et  avec 
Fleury.  —  Le  changement  de  regne  en  France 
ne  pouvait  qu'etre  favorable  au  credit  du  prince 
Antoine  ;  malgre  la  difference  d'age,  une  liaison 
ancienne  et  tres  affectueuse  s'etait  etahlie  entre  le 
due  d'Orleans  et  le  fills  de  Charlotte  de  Gramont. 
Les  affaires  politiques  et  les  interets  de  la  Princi- 
paute  se  ressentirent  de  cette  amitie. 

D'autre  part,  Fleury  etait  devenu  precepteur  du 
jeune  roi;  sa  faveur  et  son  credit  avancaient  d'un  pas 
sur  pour  aboutir  rapidement  a  la  dignite  de  cardinal, 
au  poste  de  premier  ministre  et  au  long  gouverne- 
ment  de  la  France. 

Fleury  fut  le  plus  ferine  appui  du  prince  Antoine 
qui  parvint  malheureusement,  au  grand  dommage  de 
la  Principaute  et  de  la  famille  princiere,  a  lui  faire 
partager  ses  preventions  contre  Louise-Hippolyte  et 
surtout  contre  le  mari  de  celle-ci.  On  en  verra  les 
consequences  facheuses. 

Mariage  de  M!le  de  Carladez  avec  le  prince 
d'Isenghien  (1720).  —  Aussitot  le  mariage  de  sa 


00  3    


fille  ainee  conclu,  Antoine  ne  songea  plus  qu'a  assu- 
rer a  sa  fille  preferee,  M!le  de  Carladez,  un  grand 
etablissement  en  cherchant  a  frustrer  par  tous  Les 
moyens  la  duchesse  de  Valentinois. 

Cette  conduite  et  l'humeur  inquiete  du  prince  ne 
tarderent  pas  a  reveiller  les  querelles  assoupies,  et 
Antoine  passa  vite  d'une  certaine  sympathie  pour 
son  gendre  a  une  veritable  haine.  Le  due  de  Valenti- 
nois et  Louise-Hippolyte  s'y  soustrayaient  en  habi- 
tant presque  constamment  Paris. 

Un  projet  de  manage  de  Mlle  de  Carladez  avec  le 
due  de  Richelieu  negocie  en  1717,  n'aboutit  pas, 
quoique  les  pourparlers  aient  etc  tres  avances  entre 
Tauditeur  general  Bernardoni  et  M.  d'Oremieulx, 
le  conseil  du  due. 

Mlle  de  Carladez  epousa  en  1720  le  prince  d'lsen- 
ghien. 

Proces  suscites  an  due  et  a  la  duchesse  de 
Valentinois;  role  du  cardinal  de  Fleury  (1720- 
1735I.  —  Madame  d'Isenghien  vint  a  la  cour;  excitee, 
elle  et  son  mari  par  son  pere,  elle  s'y  plut  a  susciter 
a  sa  soeur  ainee  et  au  mari  de  celle-ci  de  nombreux 
ennuis,  pour  lesquels  elle  trouva  un  appui  complai- 
sant aupres  du  cardinal  de  Fleury.  Un  long  proces 
sur  rinterpretation  du  contrat  de  manage  du  due 
de  Valentinois  commenca  une  serie  de  procedures 
qui  ne  se  terminerent  qu'apres  la   mort  du    prince 


-  3o4  - 
Antoine;  le  due  de  Valentinois  eut  alors  a  tenir  tete 
egalement  a  l'insatiable  abbe  de  Monaco  qui,  dans 
1'intervalle,  avait  obtenu,  grace  au  cardinal  de  Fleury, 
l'archeveche  de  Besancon. 

Mort  de  Marie  de  Lorraine  (1724).  —  Marie 
de  Lorraine  mourut  en  1724;  sa  succession  fut  une 
nouvelle  cause  de  conflits;  et  celle  de  sa  troisieme 
fille,  Mlle  de  Chabeuil,  decedee  en  1726,  a  qui  le 
prince  Antoine  tit  faire  un  testament  en  sa  faveur, 
vint  encore  compliquer  ces  difficultes. 

Administration  interieure  de  la  Principaute. 

—  Cependant,  au  milieu  de  ces  tiraillements,  qui 
n'eurent  pas  de  contre-coup  en  dehors  de  sa  famille, 
Antoine  Ier  poursuivait  son  regne  de  facon  a  assurer 
a  ses  su[ets  une  existence  paisible  et  heureuse ;  et  il 
profita  de  la  paix,  qui  ne  fut  plus  troublee  jusqu'a 
sa  mort,  pour  ameliorer  l'etat  de  ses  domaines. 

En  1624  il  ouvrit  une  route  carrossable  entre 
Monaco  et  Menton. 

Monnaiesdu  prince  Antoine.  —  Les  transactions 
commerciales  s'etaient  accrues  depuis  le  commen- 
cement de  ce  regne  et  avaient  eu  pour  consequence 
d'augmenter  Tactivite  de  l'atelier  monetaire  de  Mo- 
naco. La  frappe  prit  surtout  de  Timportance  a  partir 
de  1720;  cependant,  des  les  annees  precedentes,  elle 


300    — 


s'etait  developpee  et  cette  epoqXie  est  celle  ou  Ton  ren- 
contre le  plus  de  types  differents  dans  cette  monnaie. 


Billon  —  Pie'cette 

m 


Cuivre  —  Huit  deniers 

Types  de  monnaies  frappees  a  Monad) 
si  us  le  regne  d'Antoine  I" 


—  :>ob  — 

Relations  avec  les  etats  etrangers   i  725-1  73  i) 

—  Les  relations  avec  les  etats  etrangers  autres  que  la 
France,  surtout  avec  les  etats  cTItalie,  etaient  favo- 
risees  non  seulement  par  les  liens  de  parente  qui 
unissaient  le  prince  avec  les  premieres  families  de 
Genes  et  avec  la  maison  d'Este,  mais  aussi  par  le 
role  d'intermediaire  politique  qu'il  conserva  soit  a 
Rome,  ou  son  intimite  avec  le  cardinal  Gualterio  lui 
menageait  les  plus  utiles  relations,  soit  en  Espagne. 

Neutrality  pendant  la  guerre  d'Espagne  (1719) 

—  En  1 719,  lors  de  la  guerre  fratricide  suscitee  par 
les  cardinaux  Dubois  et  Alberoni  entre  la  France  et 
TEspagne,  il  fit  reconnaitre  la  neutralite  de  la  Prin- 
cipautc. 

Ce  fut  peut-etre  a  cet  instant  qu'il  fit  preuve  de  la 
plus  grande  sagacite  politique  dont  ses  lettres  adres- 
sees  a  Gualterio,  aux  marechaux  de  Berwick,  de 
Tesse,  au  due  de  Roquelaure  portent  la  trace. 

Relations  avec  le  comte  de  Nice ;  affaire  des 
barrieres  pendant  la  peste  (1722).  —  Du  cote  de 
la  Savoie,  ses  rapports  continuels  avec  le  comtc  de 
Nice  etaient  souvent  troubles  par  les  entreprises  aux- 
quelles  donnait  lieu  la  dispute  pour  le  territoire 
avec  les  habitants  de  La  Turbie.  Les  ravages  causes 
par  la  peste,  en  1720,  furent  Toccasion  d'un  conflit 
qui  eut  degenere  si  le  prince  n'avait  pu  compter  sur 


—  3o~  — 

I'appui  funnel  de  la  cour  de  France.  Les  autorites  du 
comte  voulurent  couper  les  communications  avec 
les  domaines  du  prince  et  proriter  de  l'occasion  pour 
faire  un  precedent  a  propos  des  limites.  On  vint 
placer  des  barrieres  sur  les  chemins  jusque  sous  les 
murs  memes  de  Monaco.  Cette  pretention  qui,  si 
elle  avait  ete  admise,  eut  eu  les  plus  grands  inconve- 
nients  pour  la  securite  de  la  place,  lit  immediate- 
ment  Tohjet  cTune  protestation  des  plus  vives,  a 
laquelle  le  gouvernement  de  Versailles  se  joignit. 
Les  barrieres  furent  reportees  a  l'extremite  des  terri- 
toires  contestes.  Ce  fut  line  petite  revanche  du  prince 
dans  sa  lutte  incessante  avec  ses  voisins. 

Traite   avec   le  roi  Victor -Amedee  pour  la 
restitution  reciproque  des  deserteurs  (1728).  — 

Les  relations  s'ameliorerent ;  la  situation  topogra- 
phique  de  Monaco  rendait  on  ne  peut  plus  facile  la 
desertion  reciproque  des  soldats.  A  chaque  instant, 
des  deserteurs  ou  des  condamnes  aux  galeres  s'echap- 
pant  de  Villefranche  ou  de  Nice  se  refugiaient  a 
Monaco  ou  reciproquement.  Le  roi  Victor-Amedee 
pretendait  que  la  convention  conclue  avec  la  France 
suffisait  pour  regler  les  rapports  avec  la  Principaute 
et  entendait  obtenir,  de  ce  chef,  la  restitution  des 
fugitifs  sur  territoire  de  Monaco ;  e'etait  line  facon 
indirecte  d'amoindrir  les  droits  de  souverainete  du 
prince  protege  par  la  France.  Antoine  Ier  resista  et 


—  3o8  — 

finit  par  amener  le  gouvernement  de  Turin  a  conclure 
un  traite  pour  la  restitution  reciproque  des  deserteurs 
et  des  condamnes  aux  galeres,  qui  fut  signe  en  1728 
par  le  comte  de  Chamousset,  gouverneur  de  Ville- 
franche,  et  Antoine  d'Adhemar  de  Lantagnac,  premier 
gentilhomme  de  la  chambre  du  prince  et  gouverneur 
de  Menton. 

Antoine  Ir  recoit  l'ordre  du  Saint-Esprit  et 
la  grand'croix  de  Tordre  de  Saint-Louis  (1724- 
1729).  —  Dans  rintervalle,  le  prince  recut  les  mar- 
ques successives  de  la  consideration  dont  il  etait 
l'objet  a  la  cour  de  France;  en  1724,  il  fut  fait  che- 
valier du  Saint-Esprit;  en  1729,  le  roi ,  voulant 
recompenser  les  services  militaires  si  considerables 
qu'il  avait  rendus,  lui  envoya  la  grand'croix  de  Saint- 
Louis. 

Gouts  artistiques  d' Antoine  Ier;  Jean-Baptiste 
Vanloo  au  palais  de  Monaco.  —  Condamne  a  une 

vie  sedentaire  par  de  precoces  infirmites,  Antoine  Ier 
s'en  etait  dedommage  en  se  livrant  au  gout  des  arts 
pour  lesquels  il  avait  un  veritable  entrainement.  II 
avait,  en  1712,  attire  a  Monaco,  au  debut  de  sa 
carriere,  le  celebre  Jean-Baptiste  Vanloo  qui  peignit, 
outre  le  charmant  portrait  de  Louise-Hippolyte,  une 
grande  toile  oil  le  prince  et  la  princesse  etaient  repre- 
sentes  au  milieu  de  leurs  enfants. 


—  3og  — 

Retire  definitivement  a  Monaco,  Antoine  entretint 
pres  de  lui  deux  peintres  locaux,  ses  sujets,  Joseph 
de  Bressan  et  Augustin  Vento,  par  lesquels  il  faisait 
reproduire,  pour  Tornement  du  palais  de  Monaco,  les 
plus  belles  toiles  du  temps,  les  oeuvres  de  Lebrun, 
de  Van  der  Meulen,  etc. 

Passion  d' Antoine  Ier  pour  la  musiexue ;  sa 
troupe  d'opera  a  Monaco.  —  Mais  e'etait  surtout 
la  musique  qui  etait  sa  passion  dominante.  II  avait 
ete  lie  dans  sa  jeunesse  avec  Lulli ;  il  avait  meme 
herite  de  la  canne  avec  laquelle  le  celebre  artiste 
dirigeait  ses  musiciens.  Antoine  la  fit  servir  au  meme 
usage  a  Monaco,  oil  il  entretint  un  orchestre  complet 
et  une  troupe  de  chanteurs  d'opera  dont  le  recrute- 
ment  provoqua  pendant  quinze  ans  une  curieuse 
correspondance  avec  le  directeur  de  TOpera  de  Paris, 
Destouches.  On  representa  avec  succes,  dans  les 
grands  appartements  du  palais,  les  pieces  les  plus  en 
vogue  des  compositeurs  contemporains. 

Creation  du  domaine  de  Carnoles.  —  II  parta- 
geait  son  temps  entre  Monaco  et  Carnoles,  sa  resi- 
dence favorite,  qu'il  avait  batie  dans  la  plaine  voisine 
de  Menton,  abritee  par  le  cap  Martin.  II  avait  rachete 
ce  domaine,  en  171 7,  du  monastere  de  Lerins,  qui  le 
possedait  depuis  le  xie  siecle;  il  en  fit  un  sejour  d'ete 
qu'il  se  plut  a  decorer  et  a  rendre  agreable. 


—    .110    — 

Mort  d'Antoine  Ier  ( i  j3  j  ).  —  Antoine  Ier  suc- 
comba  a  ses  infirmites  le  21  fevrier  ij3i. 

Son  souvenir  est  reste  populaire  a  Monaco,  car  les 
defauts  de  caractere,  qui  causerent  aux  siens  et  a 
lui-meme  tant  de  chagrins,  n'eurent  pas  de  contre- 
coup  sur  une  administration  ou  il  se  montra,  comme 
il  le  fut  egalement  sur  le  terrain  politique,  un 
prince  d'un  esprit  superieur  et  d'une  remarquable 
intelligence. 

Avenement  de  Louise-Hippolyte  ( 1 7 3 1 ) .  —  A 

la  nouvelle  de  la  mort  de  son  pere,  Louise-Hippolyte 
accourut  a  Monaco  ou  elle  fut  aussitot  reconnue 
princesse  souveraine.  Elle  et  son  mari  s'intitulerent 
en  commun  prince  et  princesse  de  Monaco.  Le 
prince  Jacques,  retenu  par  Touverture  du  testament 
du  prince  Antoine  et  les  difficultes  de  la  succession 
resta  pendant  les  premiers  mois  a  Paris. 

L'union  la  plus  grande  n'avait  cesse  d'exister  entre 
eux  depuis  leur  mariage,  d'ou  etaient  provenus  sept 
enfants  dont  six  etaient  alors  vivants.  En  partant,  la 
princesse  ne  manifestait  pas  d'autre  intention,  et  sa 
correspondance  en  fait  foi,  que  de  partager  entiere- 
ment  le  gouvernement  avec  son  mari;  ce  fut  une 
grande  faute  de  la  part  de  celui-ci  que  de  laisser  sa 
femme  seule,  exposee  a  Tinfluence  des  agents  infe- 
rieurs  qui  avaient  ete  les  has  executeurs  des  rancunes 
du  prince  Antoine. 


■ —  3 1 1   — 

Dissentiments  entre  Louise-Hippolyte  et  son 
mari  ,  i  —  3  i ) .  —  Quand  le  prince  Jacques  arriva  au 
commencement  de  l'ete,  il  put  mesurer  Tetendue  de 
son  imprudence.  La  princesse  avait  pris  de  Tombrage 
et  de  la  jalousie  pour  son  autorite ;  elle  aurait  eu 
meme  la  faiblesse  de  coder  aux  conseils  de  ceux  qui 
l'engageaient  a  se  servir  de  sa  soeur,  la  princesse 
d'Isenghien,  pour  obtenir  du  ministere  francais,  a 
Tegard  du  prince  Jacques,  certaines  reserves  dans  le 
gouvernement  militaire  de  la  place  et  des  ordres  aux 
officiers  francais  de  nature  a  gener  son  action.  Celui- 
ci  n'entra  pas  en  conflit  et  se  retira  a  Paris  profon- 
dement  blesse. 

Mort  de  Louise-Hippolyte  ( i y3 1).  —  Cette 
demi-brouille  durait  encore  lorsque  Louise-Hippo- 
lyte, atteinte  de  la  petite  verole,  succomba  prematu- 
rement  a  Monaco  a  l'age  de  trentre-quatre  ans,  le 
29  decembre  1 7 3  1 ,  apres  onze  mois  et  neuf  jours  de 
resne. 


—    3  12 


CHAPITRE  XIX 

JACQUES    Ier    —    HONORE    III 

(i-3i-i793) 


Avenement  du  prince  Jacques  Ier  (173 1).  — 

A  la  nouvelle  de  la  mort  de  Louise-Hippolyte  le 
le  prince  Jacques  vint  immediatement  dans  la  Prin- 
cipaute,  et  y  fut,  sans  la  moindre  opposition,  reconnu 
comme  prince  souverain  sous  le  nom  de  Jacques  Ier. 

Relations  de  Jacques  Ier  avec  la  cour  de 
Turin ;  il  fait  reconnaitre  la  neutrality  de 
Monaco  (1731-1733).  —  Son  premier  soin  fut  de 
regler  la  situation  feodale  par  rapport  a  Menton  et  a 
Roquebrune  avec  la  cour  du  Turin;  d'autre  part, 
lorsqu'en  ij33,  la  guerre  de  la  succession  de  Pologne 
mitde  nouveau  TEurope  en  armes,  il  obtint  du  gou- 
vernement  de  Versailles  les  ordres  les  plus  formels 
pour  faire  respecter  et  maintenir  la  neutrality  de  la 
Principaute. 


Menees  coutre  Jacques  Ier.  —  Cependant  Jac- 
ques Ier,  mine  par  les  nombreux  cnnemis  que  le 
prince  Antoine  lui  avait  suscites,  en  proces  avec  le 
prince  et  la  princesse  d'Isenghien  unis  a  Fleury  et  au 
garde  des  sceaux  Chauvelin,  se  trouvait  dans  une 
situation  fort  penible.  En  effet,  s'il  cut  gain  de  cause 
au  point  de  vue  des  interets  contre  les  dispositions 
defavorables  du  testament  du  prince  Antoine,  il  ne 
put  eviter  personnellement  l'effet  de  l'animosite  de 
ses  adversaires. 

Avanies  provoquees  par  les  ministres  fran- 
cais  et  les  cabales  de  la  princesse  d'Isenghien 

( i  j 3  i  —  i  j3 3).  —  Le  ministere,  s'ingerant  sans  droit 
dans  les  affaires  interieures  de  la  Principaute,  refusa 
de  faire  rendre,  dans  la  place  de  Monaco,  les  hon- 
neurs  souverains  par  les  troupes  franchises,  au  prince 
Jacques,  en  pretendant  que  son  fils  etait  le  veritable 
successeur  de  Louise  Hippolyte. 

En  meme  temps  on  insinuait  que  la  population 
repugnait  a  etre  gouvernee  par  un  prince  qui  n'etait 
pas  du  sang  des  Grimaldi.  Cette  assertion  n'avait 
d'autre  fondement  que  les  menees  sourdes  des  anciens 
agents  du  prince  Antoine,  perfidement  exploites  par 
la  princesse  d'Isenghien  et  ses  amis. 

Le  chevalier  de  Grimaldi,  gouverneur  de  la 
Principaute  (173 1- 1784).  —  Cependant  Jacques  Ier, 


—  314  — 

atin  d'eviter  de  plus  grandes  difficultes,  quitta  Monaco 
en  y  instituant  corame  gouverneur  general  un  fils 
naturel  du  prince  Antoine,  le  chevalier  de  Grimaldi, 
qui  administra  la  Principaute  d'une  facon  remarqua- 
ble  pendant  plus  d'un  demi-siecle. 

Animosite  du  cardinal  de  Fleury;  ses  funestes 
consequences  pour  l'etat  de  la  maison  souve- 
raine  (i  731- 1743).  —  La  mauvaise  volonte  du 
ministere  francais  se  manifestait  sous  toutes  les  for- 
mes; et  cette  attitude  de  Fleury,  n'eut  pas  seulement 
pour  effet  de  nuire  a  Jacques  Ier,  elle  rejaillit  sur  la 
situation  a  la  cour  des  enfants  issus  de  son  mariage, 
vis-a-vis  desquels  on  prit  pour  regie  de  denier  peu  a 
peu  les  privileges  accordes  aux  Grimaldi  et  laborieu- 
sement  conquis  par  le  prince  Louis  Ier  et  le  prince 
Antoine,  privileges  qu'on  pretendit  n'avoir  pu  passer 
avec  la  substitution  a  Jacques  de  Matignon. 

Abdication  de  Jacques  Ier  (8  novembre  1733).  — 
Mais  la  resistance  du  prince  ne  pouvait  pas  se  conti- 
nuer  sans  inconvenient.  Au  mois  de  novembre  1733 
Jacques  Ier  abdiqua ;  il  fit  reconnaitre  son  fils  comme 
prince  souverain  et,  pour  eviter  toute  chicane  sur  le 
titre  de  prince  de  Monaco,  qu'il  avait  pense  d'abord 
a  conserver,  il  reprit  celui  de  due  de  Valentinois, 
conservant  seulement  jusqu'a  la  majorite  de  son  fils 
aine,  la  tutelle  et  Tadministration  de  ses  etats. 


—  3 1  5  — 

Jacques  Ier,  redevenu  due  de  Valentinois,  fait 
reconnaitre  Honore  III  (i  730-1734).  —  En  mars 
1734,10  due  vint  a  Monaco  presenter  au  peuple  le 
nouveau  souverain ;  on  donna  a  Tentrce  du  jeune 
prince  la  plus  grande  pompe,  et  les  manifestations 
qui  se  firent  en  lnonneur  de  son  pere  tendirent 
toutes  a  affirmer  retrospectivement  le  caractere  regu- 
lier  du  regne  de  Jacques  Ier  et  Tunanimite  avec 
laquelle  il  avait  ete  pendant  deux  annees  accepte 
comme  le  souverain  legitime. 

Le  due  de  Valentinois  depuis  son  abdication 

(1733-175  1 ).  — A  partir  de  ce  moment,  le  due  de 
Valentinois  ne  reparut  plus  dans  la  Principaute ; 
d'une  part  il  se  consacra  a  Teducation  de  ses  enfants, 
de  l'autre  il  se  livra  a  son  gout  tres  vif  pour  les  arts. 

Ses  enfants.  —  Des  six  enfants  que  lui  avait 
laisses  Louise-Hippolyte,  l'alnee  etait  une  fille  qui 
entra  en  religion  a  la  Visitation  a  Paris.  Le  prince 
Honore  III,  le  second,  etait  ne  en  1720;  sur  les 
quatre  autre  enfants,  une  fille  mourut  jeune,  ainsi 
qu'un  rils.  Deux  princes  arriverent  a  l'age  d'homme: 
le  comte  de  Matignon  mourut  a  son  regiment  en 
Roussillon,  a  Prats  de  Mollo,  en  1747  ;  nous  allons 
bientot  retrouver  l'autre,  d'abord  designe  sous  le  titre 
de  chevalier  de  Monaco,  puis  sous  celui  de  comte  de 
Valentinois. 


—  3i6  — 

Collections  artistiques  du  due  de  Valentiuois 
a  Paris  —  I/Hotel  de  Matignon-Monaeo.  —   Le 

due  de  Valentinois  avait  rassemble  dans  sa  maison 
de  Passv  une  collection  d'objets  d'art  qui  fut  celebre 
au  siecle  dernier  et  qu'il  transporta  ensuite  dans 
l'hotel  de  Matignon,  rue  de  Varennes,  commence 
par  son  pere,  qu'il  lit  decorer  par  les  plus  grands 
artistes  et  qui  devint  une  des  plus  belles  demeures  de 
Paris,  oil  Honore  III  s'installa  apres  sa  mort. 

Minorite   d'Honore   III ;    administration    du 
chevalier  de  Grimaldi  a  Monaco  (1734-1740).  — 

Les  six  annees  qui  suivirent  la  proclamation  d'Ho- 
nore  III  jusqu'a  sa  majorite  n'ont  ete  marquees  par 
aucun  evenement  a  Monaco.  L'administration  din- 
gee  par  le  chevalier  de  Grimaldi  s'organisa ;  les  edits 
et  les  rescrits,  ainsi  que  la  plus  grande  partie  des 
mesures  administratives,  emanerent  des  lors  du  gou- 
verneur.  En  meme  temps,  les  fermes  des  impots 
f  urent  centralisees ;  la  tresorerie  fonctionna  avec  la 
plus  grande  regularity.  Un  conseil,  compost  du  gou- 
verneur,  de  l'auditeur  general,  du  patrimonial,  ma- 
gistral qui  remplissait  une  partie  des  fonctions  du 
procureur  fiscal  et  des  principaux  officiers,  fut  charge 
de  la  solution  des  difficultes  qui  pouvaient  s'elever 
en  matiere  d'administration  et  de  finances. 

La   paix   qui   se   maintint   pendant  cette   periode 
permit  a  la  Principaute  de  developper  sa  prosperity 


et  ses  rapports  commerciaux,  non-seulement  avec  la 
Provence,  mais  avec  toute  la  Riviere;  elle  tirait  du 
Piemont  ses  approvisionnements  de  viande  et  d'au- 

tres  denrees ;  en  outre,  le  transit  du  sel  de  Nice  par 
Menton  pour  le  Piemont  ctait  tine  source  conside- 
ble  de  revenus. 

L'atelier  des  monnaies   sous  Honore  III.  — 

L'atelier  des  monnaies  de   Monaco  se  ressentit  de 


Piecette 


Demi-piecette 

Types  des  monnaies  au  commencement  du  regne  d'Honore  III 

cette  activite.  Pendant  Tannee  1 63 5 ,  la  frappe  a  reffi- 
gie  d'Honore  III  prit  un  grand  developpement;  mais 


—  3i8  — 

elle  tie  fut  pas  continuee  pendant  le  cours  du  regne. 
II  y  cut  arret;  Honore  III  etudia  des  projets  pour  la 
fabrication,  dejainaugureesous  le  regne  de  Louis  Ier, 
de  monnaies  pour  Importation  en  Orient  et  en 
Afrique ;  mais  il  ne  parait  pas  qu'il  ait  ete  serieuse- 
ment  donne  suite  a  ces  projets. 

Education  militaire  d'Honore  III,  sa  majorite 

(1736-1740).  —  Honore  III  atteignit  sa  vingtieme 
annee  en  1740;  le  due  de  Valentinois  lui  remit  aus- 
sitot  Tadministration  de  la  Principaute. 

Le  jeune  prince  avait  recu  une  instruction  toute 
militaire  ;  entre  dans  les  mousquetaires  a  cheval  le 
22  Janvier  1786,  il  passait  lieutenant  en  second  au 
regiment  du  roi-infanterie  en  1738,  et  enseigne  a  la 
compagnie  colonelle  le  24  fevrier  1739.  La  meme 
annee,  au  mois  d'octobre,  il  fut  autorise  par  le  roi  a 
acheter  le  regiment  de  Tallard,  qui  prit  des  lors  le 
nom  de  regiment  de  Monaco. 

Le  prince  passa  presque  constamment  les  annees 
qui  suivirent  en  garnison  a  son  corps. 

Des  les  premiers  mouvements  auxquels  donnerent 
lieu  la  guerre  dela  succession  d'Autriche,  le  regiment 
de  Monaco  se  trouva  en  premiere  ligne.  Le  prince 
fut  alors  fait  brigadier. 

Le  chevalier  de  Monaco  blesse  a  Fontenoy 

(1745).  —  Son  frere,  Charles-Maurice,  chevalier  de 


—  3  ig  — 
Make,  le  tils  prefere*  du  due  de  Valentinois,  capitaine 
au  regiment  de  Saluces-cavalerie  en  1744,  passa,  au 
commencement  de  1740,  dans  les  gendarmes  de  la 
garde  du  roi.  A  la  bataille  de  Fontenoy,  les  deux 
freres  se  conduisirent  de  la  facon  la  plus  brillante  ; 
le  chevalier  de  Monaco  y  eut  la  cuisse  percee  d'une 
balle.  Deja  distingue  dans  le  monde  par  son  esprit 
et  son  elegance,  sa  blessure  lui  attira  de  nombreux 
temoignages  de  sympathie ;  on  connait  le  vers  que 
lui  consacra  Voltaire  dans  son  Poeme  de  Fontenoy : 
Monaco  perd  son  sang  et  l'Amour  en  soupire. 

Honore  III  a  Fontenoy,  Raucoux  et  Lawfeld; 
il  est  fait  mareehal  de  camp  (1745 -1748).  — 
Honore  III,  qui  avait  ete  epargne  a  Fontenoy,  fut 
blesse  a  la  terrible  bataille  de  Raucoux  Tannee  sui- 
vante ;  il  eut  encore  un  cheval  tue  sous  lui  en  enle- 
vant  sa  brigade  a  Lawfeld,  oil  le  regiment  de  Monaco 
se  signala  tellement  que  six  de  ses  capitaines  recurent 
la  croix  de  Saint-Louis. 

La  paix  d'Aix-la -Chapelle  mit  tin  a  la  guerre 
en  1748.  Honore  III  recut  alors  le  prix  de  ses 
services  ;  il  fut  fait  mareehal  de  camp  le  26  decem- 
bre  1748. 

Monaco  pendant  la  guerre  de  la  succession 
d'Autriehe  ;  neutrality  (1742-1748).  — ■  Tandis 
que  le  prince  et  son  frere  prenaient  une  part  si  hono- 


—   3  20   — 

rable  aux  campagnes  dans  les  Pays-Bas,  la  Princi- 
paute avait  etc  pendant  cette  meme  guerre  soumise 
a  toutes  les  fluctuations  que  le  sort  des  batailles  fit 
subir  a  la  region  des  Alpes. 

Suivant  soigneusement  les  traditions  etablies  a 
Monaco  depuis  le  regne  de  Louis  Icr,  la  Principaute 
avait,  des  le  debut  de  la  guerre,  nettement  accentue 
sa  neutralite ;  les  ordres  les  plus  formels  furent  don- 
nes  par  la  cour  de  Versailles  pour  que  la  garnison  de 
Monaco  observat  cette  situation  de  la  facon  la  plus 
rigoureuse. 

D'autre  part,  cette  meme  neutralite  fut  reconnue 
par  les  escadres  anglaises  qui,  des  1742,  opererent 
dans  la  region.  L'amiral  anglais  Mathews  donna  des 
instructions  pour  laisser  librement  s'exercer  sur  mer 
le  droit  de  Monaco  par  les  navires  monegasques  pro- 
poses a  ce  soin.  De  son  cote,  par  reciprocity,  le  che- 
valier de  Grimaldi  lit  secourir  avec  empressement 
plusieurs  navires  de  l'escadre  anglaise  en  perdition 
sous  le  rocher  de  Monaco  pendant  une  violente 
tempete. 

La  Principaute  occupee  par  les  belligerants 

(1744- 1 748).  —  II  etait  pourtant  bien  difficile  que 
le  territoire  de  la  Principaute  fut  epargne  et  que  la 
neutralite  fut  constamment  respectee  par  les  belli- 
gerants. Deja,  au  mois  d'avril  1744,  lorsdeTinvasion 
des  Francais  dans   le  comte  de  Nice,  quatre  cents 


—    021    — 

hommes  de  la  garnison  de  Monaco  commandes  par 
M.  de  Montcalm,  avaient  fait  jonction  avec  les 
autres  corps  francais  a  la  Turbie.  Lc  gouverneur  de 
Monaco  protesta;  le  ministere  francais  s'excusa  et 
repeta  ses  ordres  pour  la  stride  observation  de  la 
neutrality. 

Cependant  au  mois  de  decembre  suivant  le  che- 
valier de  Grimaldi  etait  encore  oblige  de  faire  de 
nouvelles  representations  contre  le  projet  d'envoyer 
douze  cents  espagnols  a  Menton.  D'autre  part,  en- 
visageant  les  embarras  ou  se  trouverait  Monaco  par 
suite  de  la  rupture  des  communications  avec  le  Pie- 
mont,  il  insistait  pour  faire  comprendre  que  la 
Principaute,  recevant  sa  subsistance  en  viandes  et 
en  denrees  de  tout  genre  de  cette  region,  la  suppres- 
sion des  transactions  avec  les  etats  du  roi  Charles- 
Emmanuel  la  mettrait  dans  une  situation  que  les 
allies  franco-espagnols  ne  sauraient  compenser. 

On  passa  outre  a  ces  protestations  et  les  relations 
commerciales  avec  le  Piemont  furent  interrompues 
par  les  generaux  francais,  lorsqu'apres  la  perte  de  la 
bataille  de  Plaisance,  le  theatre  de  la  guerre  fut,  a  la  fin 
de  1745,  reporte  dans  le  comte  de  Nice.  Les  Franco- 
Espagnols  occuperent  alors  la  Principaute ;  seule- 
ment,  par  une  convention  tacite,  ils  n'entrerent  ni  a 
Menton,  ni  a  Roquebrune;  ils  camperent  a  Texte- 
rieur;  un  camp  fut  etabli  a  Carnoles  et  la  garnison 
de  Monaco  se  tint  strictement  sur  la  reserve. 


Danger  de  bombar dement  couru  par  Menton 

(1746).  —  On  n"en  etait  pas  moins  rempli  de  crainte 
sur  Tattitude  que  prendrait  la  marine  anglaise  ;  la 
place  de  Vintimille  etait,  au  mois  de  septemhre, 
vigoureusement  assiegee  par  les  Austro-Sardes , 
tandis  que  la  none  de  leurs  allies  maltraitait  impi- 
toyablement  les  villes  du  littoral.  Le  voisinage  du 
camp  franco-espagnol  faisait  courir  a  Menton  de 
veritables  dangers. 

Antoine-Louis  d'Adhemar  de  Lantagnac,  qui  avail 
succede  a  son  pere  dans  la  charge  de  gouverneur, 
sauva  la  ville  par  le  sang-froid  avec  lequel  il  affirma 
devant  les  Anglais  la  neutralite  de  Tetat  monegasque. 
Tandis  que  le  camp  de  Carnoles  etait  canonne,  trois 
vaisseaux  et  une  bomharde  se  presenterent  devant 
Menton.  Le  gouverneur  envoya  immediatement  a 
bord  les  consuls  de  la  ville  avec  le  capitaine  du 
port  offrir  des  rafraichissements  en  excipant  de  la 
neutralite  de  la  Principaute.  Les  emissaires  furent 
gracieusement  recus;  on  but  a  la  same  du  Prince,  et, 
par  consideration  pour  sa  souverainete  neutre , 
l'amiral  anglais  declara  que  les  barques  francaises 
mouillees  dans  le  port  et  leurs  equipages  ne  seraient 
pas  inquietes. 

Ravages  causes  par  les  allies  austro-sardes ; 
neutralite  meconnue  par  les  Anglais  (1747).  — 

Cependant,  apres  la  bataille  de  Gorbio  et  Toccupa- 


—  :>2J>   — 

tion  du  comte  de  Nice  par  les  Austro-Sardcs,  en  1 747, 
cette  situation  changea.  Monaco  fut  bloque  par  terre 
et  par  mer,  le  pays  ravage  par  les  Croates  et  les  Pan- 
dours  de  Tarmee  imperiale,  et,  malgre  Thospitalite 
que  les  navircs  portant  les  vivres  destines  a  Farmee 
du  roi  de  Sardaigne  avaient  recue,  it  la  fin  de  1746 
dans  le  port  de  Monaco,  les  Anglais  capturerent, 
corame  prise  de  guerre,  le  navire  monegasque  pro- 
pose au  droit  de  mer,  sous  pretexte  que  la  neutralite 
avait  ete  enfreinte.  Les  protestations  du  chevalier  de 
Grimaldi  aupres  de  l'amiral  Bing  et  du  ministre 
d'Angleterre  a  la  cour  de  Toscane  resterent  sans 
resultat. 

Le  mouvement  en  avant  des  Francais  degagea  la 
Principaute,  et  la  paix  conclue  en  1748  retablit  le 
calme  dans  la  Riviere. 

En  somme,  Monaco,  meme  neutre,  avait  rendu  de 
reels  services  a  la  France,  puisque  pendant  le  cours 
des  operations  des  belligerants,  les  Austro-Sardes 
furent  obliges  d'immobiliser  toujours  quelques  corps 
d'observation  dans  la  crainte  de  voir  la  place,  sortant 
tout  a  coup  de  sa  neutralite  apparente,  devenir  la 
base  de  quelque  mouvement  oftensif  sur  le  flanc  de 
leurs  armees. 

Mariage  du  comte  de  Valentinois  avec  made- 
moiselle de  Ruffec  Saint-Simon  (1749). —  Pendant 
Tannee  qui  suivit  la  paix  d'Aix-la-Chapelle,  le  due 


—  324  — 
de  Valentinois  realisa  pour  son  tils  de  predilection 
un  mariage  qui,  par  une  singularite  du  sort,  fit 
eteindre  dans  la  maison  souveraine  la  lignee  de 
l'illustre  duc-ecrivain  qui  s'est  montre,  dans  ses  Me- 
moires,  particulierement  acerbe  contre  la  maison  de 
Monaco  et  la  maison  de  Matignon.  Le  chevalier  de 
Monaco  avait  rendu,  en  1747,  sa  croix  de  Malte 
pour  prendre  le  titre  de  comte  de  Valentinois.  II 
epousa,  en  1749,  mademoiselle  de  Ruffec,  dont  le 
pere,  le  due  de  Ruffec,  etait  le  dernier  survivant  des 
enfants  du  due  de  Saint-Simon. 

Le  due  de  Valentinois  obtint  du  roi,  a  Toccasion 
de  ce  mariage,  de  faire  passer  a  son  fils  puine  la  lieu- 
tenance  generate  de  basse  Normandie  et  le  gou- 
vernement  des  places  du  Cotentin,  dont  les  Mati- 
gnon etaient  depuis  plusieurs  generations  titulaires  : 
celles  de  Cherbourg,  de  Grandville,  de  Saint-L6  et 
des  lies  Chausey. 

Mort  du  due  de  Valentinois  [17S1).  —  A  partir 
de  ce  moment,  le  due  de  Valentinois  vecut  de  plus 
en  plus  dans  la  retraite.  II  mourut  en  1  j5 1 ,  et  fut 
inhume,  suivant  ses  dernieres  volontes,  a  Thorigny, 
aupres  des  Mauny  et  des  Matignon,  ses  ancetres. 

Voyages  d'Honore  III  a  Monaco  ( 1 749- 1 754). — 
Dans  le  courant  de  l'annee  1749,  Honore  III  fit  un 
voyage  a  Monaco.  Ce  fut  Toccasion  de  demonstra- 
tions chaleureuses  de  la  part  de  la  population. 


^2D    

On  forma,  pour  la  garde  du  prince,  deux  compa- 
nies d'honneur,  Tune  de  cadets  a  Monaco,  Tautre 
de  grenadiers  a  Menton. 

A  partir  de  cette  epoque,  le  prince  prit  Line  part  de 
plus  en  plus  active  a  Tad  ministration  de  la  Princi- 
paute  ou  il  fit  un  nouveau  voyage  en  1734. 

Le  pavilion  monegasque  et  les  armements  en 
course  (1750-1762). —  Plusieurs  questions  dedicates 
furent  soulevees  pendant  cette  periode ;  la  plus  impor- 
tante  fut  celle  relative  a  Tusage  et  a  Tabus  qui  se 
faisait  du  pavilion  de  Monaco. 

L'abus,  contre  lequel  Tadministration  monegasque 
ne  cessait  de  protester,  consistait  en  l'usurpation  du 
pavilion  par  des  navires  etrangers  qui,  sous  ce  cou- 
vert,  cherchaient  a  jouir  en  France  des  privileges 
qui  y  etaient  attaches ;  d'autres  armaient  en  course 
et,  par  une  usurpation  semblable,  cherchaient  a  faire 
des  prises  au  prejudice  du  prince  qui  se  trouvait 
par  la  meme  compromis. 

Mais  la  veritable  question,  qui  souleva  de  longs 
conflits,  fut  la  reprise  par  Honore  III  des  traditions 
de  ses  ancetres,  lorsqu'il  fit  revivre  le  droit,  dont  ses 
predecesseurs  avaient  toujours  joui,  de  donner  des 
lettres  de  course  pour  faire,  sous  son  pavilion,  la 
chasse,  dans  les  mers  du  Levant,  contre  les  Turcs  et 
leurs  sujets  non  cbretiens. 

Le  pavilion  de  Monaco  n'avait  point  paru  a  Make 


—    020   — 

depuis  les  dernieres  annees  du  regne  du  prince  An- 
toine,  lorsqu'un  corsaire  nouvellement  commis- 
sionne  v  arriva  en  i~5o;  ce  fut  l'occasion  d'un 
^change  de  correspondances  entre  le  prince,  le 
grand-maitre  de  TOrdre  et  le  ministre  de  la  marine 
en  France. 

Le  droit  ne  pouvait  etre  conteste  ;  dans  ces  con- 
jonctures,  le  chevalier  de  Viguier,  capitaine  des 
gardes  du  grand  maitre,  offrit  de  se  charger  de  la 
conservation  des  interets  du  pavilion  et  de  veiller  a 
ce  que  les  armateurs  se  renfermassent  dans  leurs 
obligations. 

En  consequence  il  fut  etabli  que  les  corsaires  ne 
pourraient  courir  que  contre  les  Turcs  et  leurs  sujets 
non  chretiens ;  qu'ils  ne  pourraient  entrer  dans 
TAdriatique,  ni  dans  les  eaux  de  France  et  d'ltalie 
sans  rester  eloignes  de  trente  mille  des  cotes  ;  qu'ils 
ne  pourraient  arreter  de  batiments  chretiens,  meme 
charges  de  marchandises  appartenant  aux  infideles, 
ni  surtout  troubler  la  navigation  des  Grecs. 

Plusieurs  corsaires  prirent,  dans  ces  conditions,  le 
pavilion  de  Monaco;  mais  leurs  actes  donnerent 
frequemment  lieu  a  des  plaintes  graves,  notamment 
de  la  part  des  autorites  du  royaume  de  Naples  et  de 
la  republique  de  Venise.  Le  gouvernement  francais, 
d'autre  part,  deniait  au  prince  le  droit  de  faire  expc- 
dier  les  commissions  a  Malte  par  son  representant; 
il  voulut  memeexiger,  mais  cette  restriction  n'eut  pas 


cTeffet,  que  les  patentes  fussent  delivrees  a  Monaco 
meme  par  le  gouverneur  general. 

Les armements  continuerent ;  cependant,  en  1762, 
a  l'occasion  de  la  construction  de  navires  a  Nice 
pour  le  compte  du  prince  et  pour  la  course  aux 
Turcs,  le  gouvernement  de  Louis  XV  fit  de  nou- 
velles  remontrances.  On  demontra  a  Honore  III 
l'inconvenient  de  ces  armements  qui  pouvaient  etre 
tres  prejudiciables  aux  Francais  ;  le  Grand  Seigneur 
ne  voulait  voir,  en  effet,  dans  les  Monegasques  que 
des  regnicoles  ou  des  sujets  du  roi;  cette  situation 
exposait  les  marchands  francais  a  des  represailles;  le 
due  de  Praslin,  ministre  de  la  marine,  engageait 
done  Honore  III  a  abandonner  ses  armements. 

La  course  sous  pavilion  monegasque  finit  par 
tomber  de  nouveau  en  desuetude. 

Projets  de  mariage  pour  Honore  III;  M!les  du 
Maine  et  de  Bouillon  (1740'  —  Le  voyage  d'Ho- 
nore  III  a  Monaco  en   1754  l'avait  amend  a  Genes, 

et,  de  cette  epoque,  date  une  negociation  de  mariage, 
qui  n'aboutit  qu'apres  trois  longues  annees. 

Avant  la  majorite  du  prince,  son  pere  avait  echange 
des  pourparlers  pour  son  union  avec  la  fille  du  due 
du  Maine;  cette  premiere  affaire  n'avait  pas  eu  de 
suite.  Au  commencement  de  1740,  il  fut  question  de 
la  fille  du  due  de  Bouillon;  cette  fois,  on  discuta 
serieusement ;  le  contrat  fut  redige,  l'agrement  du 


roi  demande  et  obtcnu ;  mais  Honore  III  rompit 
brusquement. 

Cette  conduite  excita  le  plus  vif  mecontement 
chez  le  due  de  Valentinois  ;  il  en  porta  plainte  au 
roi,  et  le  jeune  prince  fut,  par  punition,  enferme 
quelque  temps  a  la  citadelle  d'Arras.  Remis  en  liberie 
au  bout  de  plusieurs  mois,  il  fut  envoye  a  son  regi- 
ment avec  defense  de  s'en  eloigner. 

Aucun  nouveau  projet  de  manage  ne  fut  remis  sur 
le  tapis  du  vivant  du  due  de  Valentinois. 

Mademoiselle  de  Brignole  (1754).  —  Pendant 
son  voyage  a  Genes,  le  prince  fut  recu  dans  la 
famille  de  Brignole  dont  le  chef  avait  ete  doge  de 
la  Republique,  quelques  annees  auparavant.  II  fut 
seduit  par  la  beaute  de  Catherine,  fille  du  marquis 
de  Brignole  Sale. 

Cette  union  etait  des  plus  convenables  par  l'illus- 
tration  de  la  famille  de  Brignole  et  par  ses  grands 
biens  ;  mais  elle  etait  disproportionnee,  etant  donnee 
l'extreme  jeunesse  de  Catherine,  alors  qu'Honore  III 
avait  trente  quatre  ans.  Dans  l'automne  de  Tannee 
suivante,  i75  5,madame  de  Brignole  amena  sa  fille  a 
Paris;  les  negociations  commencees  l'annee  prece- 
dente  se  poursuivirent ;  mais  elles  rencontrerent  une 
vive  opposition  de  la  part  du  marquis ;  au  bout  de 
dix-huit  mois,  en  juin  1756,  Honore  jugea  qu'il  y 
fallait  renoncer. 


—  329  — 

Negotiations  relatives  a  la  fllle  du  due  de 
La  Valliere ;  affaire  du  rang  a  la  cour  de 
France  (\j56).  —  Dans  ces  conjunctures,  le  prince 
preta  Toreille  a  un  projet  d'union  avec  la  fille  du  due 
de  la  Valliere.  II  trouvait  dans  cette  combinaison 
le  moyen  d'affirmer  a  la  cour  son  rang  et  ses  prero- 
gatives qui,  on  Ya  deja  vu,  etaient,  depuis  la  guerre 
sourde  faite  par  le  cardinal  de  Fleury  au  due  de 
Valentinois,  contestes  comme  n'ayant  pas  passe  aux 
Matignon  avec  la  substitution  de  Monaco. 

II  fit  de  la  reconnaissance  de  ces  honneurs  la  con- 
dition sine  qua  non  de  son  mariage,  et  le  due  de 
Valliere  s'y  employa  activement.  On  chercha  a  y 
interesser  madame  de  Pompadour,  et  Ton  obtint 
d'abord  un  demi  succes;  le  roi  promit  de  retablir 
«le  prince  et  ses  enfants  seulement  »  dans  l'ancien 
rang  de  la  maison  de  Monaco.  Mais  cette  decision, 
qui  ne  satisfaisait  pas  le  prince,  fut,  avant  d'avoir  ete 
regulierement  libellee,  traversee  par  une  coalition  des 
dues  des  qu'elle  fut  connue.  On  circonvint  madame 
de  Pompadour,  et  le  roi  revint  meme  sur  la  grace 
incomplete  qu'il  avait  d'abord  accordee. 

Mariage  d*Honore  III  avec  Mlle  de  Brignole 
(1757).  —  Honore,  du  reste,  conservait  Tespoir  de 
reprendre  les  negociations  avec  la  famille  de  Bri- 
gnole. Elles  furent  en  effet  renouees,  et  elles  abou- 
tirent  au  mois  de  mai  1757. 


—   d:o  — 

Rien  n'egala  les  minuties  avec  lesquelles  on  r£gla 

les  points  d'etiquette  pour  la  celebration  de  ce  ma- 
riase. 


Honore  III 
(D'aprcs  le  portrait  tie  Louis  Toeque  an  p'alais  de  Monaco) 


Honore  III,  prince  souverain,  ne  se  rendit  pas  a 
Genes;  il  s'y  fit  representer  par  son  gentiihomme 
de  la  chambre,  Honore  de  Monleon,  tandis  que  son 


—  33 1  — 

cousin,  don   Marcello   Durazzo,   epousait  par  pro- 
curation   mademoiselle   de    Brismole.    La    nouvelle 


I:' 


Marie-Catherine   de   Brignole,   princesse  de   Monaco 
(D'aprcs  le  portrait  de  Raphael  Mengs  au  palais  tie  Monaco.) 


princesse  fut  conduite  avec  ses  parents  et  une  bril- 
lante  suite  de  gentilshommes,  sur  une  flottille  de  la 
republique,  jusqu'au  port  de  Monaco. 


—  33  2  — 

Les  questions  cTetiquette  qui  avaient  ete,  a  Genes, 
rigoureusement  observees,  prirent,  a  l'arrivee  a 
Monaco,  une  si  grande  importance,  qu'elles  faillirent 
faire  tout  rompre.  Madame  de  Brignole  emit  la 
pretention  que  le  prince  vint  en  personne  au  devant 
de  la  princesse  a  bord  de  la  galere,  et  non  pas  seule- 
ment  jusqu'au  pont  jete  sur  la  rive  pour  le  debar- 
quement.  Honore  III,  n'ayant  pas  voulu  acceder  a 
cette  exigence,  laflotille  genoise,  apres  d'infructueux 
pourparlers,  remit  a  la  voile,  se  retira  sur  Bordighera. 

Cependant,  apres  deux  jours  d'attente,  madame  de 
Brignole  sentit  ce  que  sa  conduite  avait  de  singulier 
etd'inacceptable;  elle  depecha  secretement  son  frere 
le  comte  Balbi  a  Monaco.  On  finit  par  s'arreter  a  un 
moyen  terme ;  il  fut  entendu  qu'un  second  pont  serait 
construit  sur  le  bord  de  la  galere,  de  facon  qu'au 
moment  de  Tabordage  les  deux  epoux  pourraient 
s'avancer  au  devant  Tun  de  l'autre  jusqu'au  point 
d'intersection  des  deux  ponts. 

L'amour  propre  des  Brignole  fut  ainsi  sauvegarde, 
et  les  ceremonies  du  mariage  s'accomplirent  au 
milieu  de  la  plus  grande  pompe. 

Naissance  a  Monaco  du  fils  aine  d'Honore  III 

(1758).  —  Honore  III  fit  a  Monaco  un  sejour  continu 
de  pres  de  trois  ans  apres  son  mariage  ;  son  premier 
fils,  Honore-Anne-Charles-Maurice,  celui  qui  fut 
Honore  IV,  y  naquit  en  ij58. 


—  333  — 

Traite  avec  la  Sardaigne  pour  les  limites 
entre  Monaco  et  la  Turbie  (1760).  —  Ce  long 
sejour  fut  marque  par  la  fin  du  contiit  qui,  depuis  le 
xme  siecle,  divisait  Monaco  et  ses  voisins  de  la  Tur- 
bie. Les  disputes  de  voisinage  s'etaient  continuees ; 
le  roi  Charles-Emmanuel  resolut  de  mettre  fin  a 
cette  situation.  II  eut  Tart  d'y  interesser  le  gouverne- 
ment  francais;  la  chancellerie  de  Sardaigne  sut,  en 
meme  temps,  meler  a  cette  question  plusieurs  autres, 
d'une  importance  vitale  pour  la  Principaute,  entre 
autres  celle  du  transit  du  sel  par  Menton,  d'ou  le 
prince  tirait  un  de  ses  principaux  revenus. 

Attaque  et  menace  dans  ses  interets  de  plusieurs 
cotes  a  la  fois,  Honore  III  se  laissa  intimider. 

La  negociation  engagee  de  cette  facon  devait  fata- 
lement  aboutir  aux  conditions  les  plus  desavanta- 
geuses  en  ce  qui  concernait  le  territoire.  On  ne  tint 
compte  d'aucune  des  solutions  provisoires  qui  etaient 
autrefois  intervenues ;  les  pretentions  sardes  n'allaient 
pas  a  moins  qu'a  reduire  le  prince  a  ne  plus  pouvoir 
sortir  de  Monaco  pour  se  rendre  a  Menton  et  a 
Roquebrune  sans  passer  par  terre  de  la  Turbie.  Tout 
ce  qu'Honore  III  put  obtenir,  avec  l'appui  plus  que 
douteux  de  la  France,  devenue  indiflerente  a  cette 
question,  fut  que  les  limites  fussent  reportees  au 
minimum  d'etendue  des  terres  possedees  par  les 
proprietaires  monegasques  autour  de  la  forteresse. 

Au  lieu  d'embrasser  une  ligne  de  rivages  limitee  a 


—  334  — 
Touest  par  le  cap  d'Ail,  la  frontiere  occidentale  ne 
fut  plus  etablie  qu'a  une  portee  de  fusil  de  la  forte- 
resse;  elle  suivit,  de  la,  une  ligne  sinueuse  ami-cote, 
ou  nulle  part  la  forme  du  terrain  ne  servit  de  base  a 
la  limite,  qui  coupa  le  ravin  de  Sainte-Devote,  sans 
meme  en  atteindre  le  fond,  et  qui,  apres  s'etre  deve- 
loppee  en  arriere  du  plateau  des  Spelugues,  finit  par 
aboutir  au  ravin  de  Saint-Roman,  limitrophe  de 
Roquebrune,  par  une  bande  de  terre  qui,  sur  certains 
points,  ne  depassait  pas  quatre-vingt  toises.  Les 
chemins  frontieres  resterent  meme  la  propriete  de  la 
Turbie. 

Quelque  defavorable  que  fut  cette  solution,  elle  eut 
cependant  le  merite  de  mettre  un  terme  aux  conflits 
dont  on  avait  vu  trop  souvent  le  retour ;  mais  il 
parait  certain  qu'avec  un  peu  plus  de  dexterire  et  en 
employant  des  agents  habiles,  Honore  III,  qui  eut  le 
tort  de  vouloir  conduire  en  personne  une  negociation 
dont  il  ne  connaissait  pas  suffisamment  les  details, 
eut  pu  arriver  a  un  resultat  moins  desavantageux. 

Pretentions  du  marquis  de  Grimaldi  de  Ca- 
gnes  sur  la  succession  a  la  Principaute  (1760- 
1792).  —  Une  autre  difficulte  vint  encore  troubler 
Honore  III  a  cette  epoque.  Apres  le  mariage  de 
Louise-Hippolyte  les  meilleures  relations  avaient 
continue  avec  les  Grimaldi  de  la  branche  d'Antibes  et 
de  Cagnes ;  Tun  des  representants  de  cette  branche 


—  o5d  — 
etait  meme  et   resta  intimement  lie  avec  le  prince 
Honore  et  son  frere  le  comte  de  Valentinois.  G'etait 
Fabbede  Grimaldi,  qui  devint  a  cette  epoque  eveque 
du  Mans,  et  fut  ensuite  transfere  a  Noyon. 

Cependant  le  chef  de  la  famille,  le  marquis  de 
Grimaldi,  pretendit  tout  a  coup  faire  valoir  les  droits 
de  sa  branche  sur  la  Principaute  et  sur  la  seigneurie 
de  Menton  par  suite  de  l'extinction  des  males  de  la 
branche  de  Monaco. 

Reservant  d'abord  la  question  relative  a  la  Prin- 
cipaute ,  le  marquis  commenca  par  revendiquer, 
comme  tomhant  sous  le  coup  de  certaines  substitu- 
tions testamentaires  edictees  par  le  pere  de  Lambert, 
Nicolas  Grimaldi,  les  parts  de  Menton  venues  a 
celui-ci  dans  la  succession  paternelle.  II  assaillit  de 
reclamations  Honore  III  jusqu'au  jour  ou  ilfinitpar 
s'adresser  au  roi.  Quoique  la  question  ne  dependit 
en  aucune  facon  de  la  France,  le  prince  suivit  son 
adversaire  sur  ce  terrain  ;  il  sollicita  Parbitrage  royal 
qui  fut  accorde. 

Apres  un  examen  minutieux  par  les  commissaires 
nommes  a  cet  effet,  la  decision  du  roi,  qui  prit  la 
forme d'un  arret  duConseildu  19  mars  i702,repoussa 
les  pretentions  de  la  branche  d'Antibes  et  les  declara 
sans  fondement. 

Le  marquis  de  Grimaldi  se  soumit  dans  les  termes 
les  plus  humbles  vis-a-vis  d'Honore  III,  mais  il  ne 
desarma  point. 


Eii  1775,  il  reprit  une  nouvelle  action,  cette  fois 
au  sujet  de  la  succession  a  la  Principaute.  Se  fon- 
dant sur  la  pretendue  donation  de  Pempereur  Othon 
en  faveur  du  legendaire  Grimaldus  du  dixieme  siecle, 
il  soutenait  que  Monaco  etait  un  fief  imperial  qui, 
par  consequent,  eut  du,  a  l'extinction  des  Grimaldi 
de  Monaco,  passer  aux  Grimaldi  collateraux,  a  i'ex- 
elusion  de  Louise-Hippolyte  et  de  ses  enfants. 

Cet  argument  pechait  historiquement  par  la  base  ; 
mais  Honore  III,  qui,  lui  aussi,  croyait  a  l'exacti- 
tude  de  la  donation  d'Othon,  dut  etre  embarrasse. 

Cependant  le  marquis  de  Grimaldi  rfosa  plus  por- 
ter en  France  sa  revendication  ;  il  s'adressaauconseil 
aulique  a  Vienne.  Honore  III  se  garda  d'engager  une 
action  contradictoire.  Le  marquis,  grace  a  la  produc- 
tion de  documents  tronques  ou  incomplets,  surprit 
un  arret  du    conseil  aulique    ordonnant   Tenquete. 

Pour  donner  un  exemple  de  la  bonne  foi  de  cette 
procedure,  il  faut  noter  qu'on  avait  produit  le  traite 
de  Burgos,  dont  l'article  premier  faisait  Augustin 
Grimaldi  vassal  de  Charles-Quint,  en  passant  sous 
silence  les  dispositions  de  la  declaration  de  Torde- 
sillas  qui  avaient  annule  cet  article  du  traite. 

En  1792,  a  Toccasion  de  Tindemnite  alors  stipulee 
en  faveur  d'Honore  III  pour  les  revenus  supprimes 
sur  les  terres  de  France,  le  marquis  chercha  sans 
succes  a  introduire  de  nouveau  Taffaire  aupres  du 
ministre  Dumouriez. 


—  337  — 
Les  Grimaldi  de  Cagnes,dontla  brancheestdepuis 
peu  d'annees  £teinte,  apres  avoir  usurpe  sans  aucun 
droit  la  qualification  de  «  Grimaldi,  des  Princes  de 
Monaco  »  ont  maintenu  pendant  un  siecle,  par  des 
protestations  periodiques,  leurs  droits  supposes  et 
insoutenables  aussi  bien  au  point  de  vue  du  droit 
que  de  la  verite  historique. 

Mort  du  due  d'York  a  Monaco;  voyage  d'Ho- 
nore  III  en  Angleterre  (1767- 1768).  —  Honore  III 
se  trouvait  a  Monaco  pendant  Fete  de  1767,  lorsque 
le  due  d'York,  frere  de  Georges  III,  se  rendant  de 
Marseille  a  Genes,  tomba  subitement  maladeen  mer. 
II  fallut  relacher,  et  le  due  recut  au  Palais  les  soins 
les  plus  empresses;  mais  son  mal  etait  mortel  et  il 
succomba,  au  bout  de  onze  jours,  le  14  septembre. 
Des  honneurs  extraordinaires  furent  rendus  au  frere 
du  roi  d'Angleterre.  Une  fregate  vint  chercher  peu 
de  temps  apres  son  corps. 

Le  roi  Georges  ne  se  contenta  pas  de  remercie- 
ments  pour  les  bons  offices  et  la  courtoisie  dont  le 
prince  de  Monaco  avait  fait  preuve  vis-a-vis  de  son 
frere;  il  insista  pour  qu'Honore  III  fit  a  la  cour 
d'Angleterre  une  visite  que  celui-ci  accomplit  pen- 
dant le  coursde  1768.  Le  prince  fut  l'objet,  de  la  part 
de  la  famille  royale  et  de  l'aristocratie  du  Royaume- 
Uni,  d'attentions  et  d'honneurs  faits  pour  flatter  son 
amour-propre.  Parmi  les  presents  qu'il  recut  du  roi 


—  338  — 

et  de  son  frere,  le  due  de  Glocester,  celui  d'un  cer- 
tain nombre  de  chevaux  de  race  anglaise,  ne  fut 
pas  le  plus  indifferent.  Honore  III  avait  la  passion 
des  chevaux  ;  le  cadeau  royal  alia  enrichir  le  haras 
qu'il  avait  fonde  a  Thorignv. 

Separation  entre  Honore  III  et  Catherine  de 
Brignole  (1770).  —  Cependant  le  prince  se  trouvait 
aux  prises  avec  de  penibles  difficultes  de  famille. 
Son  manage  avec  Catherine  de  Brignole  avait  etc 
heureux  dans  les  premieres  annees ;  un  second  fils, 
le  prince  Joseph,  etait  ne  a  Paris  en  1763  ;  mais  Thu- 
meur  ombrageuse  d1  Honore  III,  jointe  a  un  carac- 
tere  entier  et  autoritaire,  qui  avait  par  certains  cotes 
beaucoup  d'analogie  avec  celui  dAntoine  Ier,  amena 
de  profonds  dissentiments.  La  princesse,  de  vingt- 
deux  ans  plus  jeune  que  son  mari,  etait  tres  entouree 
et  tres  fetee ;  au  lieu  de  trouver  appui  et  conseil 
aupres  du  prince,  elle  subit  de  mauvais  procedes  qui 
paraissent  avoir  ete  sans  excuse  a  cette  epoque.  Elle 
prit  le  parti  d'une  rupture  et  Honore  III  se  donna 
assez  de  torts  pour  que  le  parlement  de  Paris  pro- 
noncat  contre  lui  la  separation  de  corps  en  1770, 
malgre  les  protestations  par  lesquelles  il  opposa  en 
vain  l'incompetence  de  cette  juridiction  a  l'egard  d'un 
prince  souverain. 

Les  efforts  qu'il  lit  par  la  suite  pour  enlever  a  sa 
fern  me  Tappui  du  roi  n'eurent  pas  plus  de  succes. 


—  33g  — 
II  cut  la  mortification  de  voir  Catherine  de  Brignole 
figurer  a  la  cour,malgre  les  demarches  repetees  qu'il 
tit  pour  obtenir  a  son  egard  rexclusion  ou  du  moins 
un  traitement  moins  favorable. 

Cette  rupture  devait  avoir  de  facheuses  conse- 
quences pour  les  tils  d'Honore  III.  En  1798  Cathe- 
rine de  Brignole.  apres  la  mort  de  son  mari,  epousa 
pendant  Temigration  le  prince  de  Conde.  La  grande 
fortune  dont  elle  avait  herite  de  sa  famille  et  qui  de- 
passait dix-huit cent  mille  livresde  rente,  fut  engloutie 
dans  les  depenses  de  1'armee  de  Conde. 

Elle  mourut  en  Angleterre  en  181 3. 

Traite  avec  la  France  pour  la  suppression 
reciproque  du  droit  daubaine  1770.  —  Apres 
ces  evehements,  Honore  III  s'absorba  dans  les 
affaires  de  la  Principaute.  II  conclut,  en  1770,  un 
traite  qui  supprimait  reciproquement  entre  ses  etats 
et  la  France,  le  droit  d'aubaine.  C'etait  le  resultat 
d'un  mouvement  general  cTopinion  qui  tendait  a 
effacer  du  droit  international  une  coutume  barbare 
en  vertu  de  laquelle  les  biens  de  tout  etranger  venant 
a  mourir  etaient  acquis  au  souverain  du  pays  ou  il 
decedait.  L'application  de  cette  regie  avait,  au  point 
de  vue  du  credit  geMteral,  les  plus  facheuses  conse- 
quences; depuis  quelques  annees  des  conventions 
en  amenaient  la  suppression  successive.  Le  traite 
entre  la  France  et  la  Principaute,  signe  par  Tordonna- 


—  340  — 
teur  frangais  de  la  garnison  de  Monaco,  Daniel  et  lc 
chevalier  de  Grimaldi,  le  18  juillet  1770,   fut  ratine- 
par  le  roi  et  le  prince  les  18  et  20  aout  suivants. 

Prosperity  de  la  Principaute  depuis  la  paix 
d'Aix-la-Chapelle ;  affaires  relatives  a  la  neu- 
trality.—  Depuis  la  fin  de  la  guerre  de  la  succession 
d'Autriche,  la  Principaute  avait  joui  d'un  repos  que 
n'avait  pas  trouble  la  guerre  de  Sept  Ans.  Le  seul 
incident  qu'avait  amene  cette  guerre  avait  ete  cause 
par  une  nouvelle  affirmation  de  la  neutralite  de  Mo- 
naco. A  la  suite  de  la  prise  de  Mahon,  en  1756,  des 
ordres  avaient  ete  envoyes  au  lieutenant  de  roi  dans 
la  place,  comme  a  tous  les  commandants  des  forte- 
resses  royales,pour  faire  chanter  le  Te  Deum  et  pro- 
ceder  a  des  rejouissances  publiques.   Le  prince  fit 
decliner  ces  ordres ;  il  etablit  que  la  neutralite  mettait 
Monaco  dans  une   situation  particuliere  et   que    la 
presence  de  la  garnison  francaise  ne  pouvait  entrai- 
ner  aucune  demonstration  publique  a  l'occasion  de 
faits   de   guerre.   Apres   un  echange    de  correspon- 
dances,le  ministere  reconnutle  bien  fonde  des  obser- 
vations d'Honore  III,  justifiees  par  les   precedents 
pendant  les  guerres  anterieures. 

Commerce,  industrie.  —  L'administration  de  la 
Principaute  s^ffoi^ait  de  developper  tout  ce  qui 
pouvait  aecroitre  la  richesse  economique,  soit  par  des 


—  341  — 
favours  accordees  au  commerce,  soit  par  des  crea- 
tions d'industrie.  Les  reglements  relatifs  aux  limons 
et citrons,  la  plus  grande  source  de  revenus  du  pays, 
furent  a  plusieurs  reprises  modifies  et  ameliores. 
On  tenta  ['introduction  du  murier  et  l'elevage  des 
vers  a  soie,  et  le  prince  consacra  a  cet  essai  des 
sommes  considerables. 

Imprimerie  ;  «  Gazette  »  ou  «  Courrier  de 
Monaco  ».  —  A  la  meme  epoque,  une  imprimerie 
fut  creee;  elle  eut  pour  origine  l'impression  d'une 
Gazette  ou  Courrier  de  Monaco,  qui  continua  une 
publication  fondee  d'abord  a  Avignon  et  que  les  edi- 
teurs  transporterent  a  Monaco.  Le  prince  favorisa 
le  developpement  de  cette  imprimerie,  malgre  les 
entraves  qu'a  plusieurs  reprises  le  gouvernement 
francais  mit  a  la  circulation  du  Courrier. 

La  Societe  typographique  tit  sortir,  pendant  la 
fin  du  regne,  un  grand  nombre  de  travaux  de  ses 
presses,  principalement  des  factums  concernant  des 
affaires  judiciaires  ou  contentieuses  relatives  a  la 
region. 

Mort  du  chevalier  de  Grimaldi;  ses  succes- 
seurs  jusqu'a  la  Revolution  (1784- 1793)  —  Le 
chevalier  de  Grimaldi,  qui  gouvernait  la  Principaute 
depuis  1 73 1,  mourut  presque  nonagenaire  en  1784; 
ce  fut  une   grande    perte    pour   le  prince,   quoique 


—  342  — 

depuis  1774,  on  eut  ete  oblige  de  dormer  des  adjoints 
au  gouverneur.  II  fut  successivement  remplace,  de 
1784  a  1793,  par  MM.  d'Adhemar  de  Lantagnac,  de 
Mevronnet  de  Saint-Marc,  Honore  de  Monleon  et 
Pretti  de  Saint-Ambroise. 

Le  marechal  de  camp  de  Millo  ;  notabilites 
monegasques. —  A  partir  de  ce  moment,  Honore  III 
correspondit  tres  activement,surtout  lorsque  la  situa- 
tion politique  devint  difficile,  avec  un  de  ses  sujets 
qui  compta  les  plus  longs  et  les  plus  brillants  etats 
de  services  militaires.  M.  de  Millo  avait  ete  fait 
lieutenant  de  roi  a  Monaco,  commandant  en  second 
la  place;  il  devint,  en  1770,  marechal  de  camp.  En 
1793,  lorsqu'il  fut  violemment  depossede  de  son 
commandement,  il  avait  soixante  annees  de  service  ; 
il  etait  chevalier  de  Saint-Louis. 

D'autres  Monegasques,  officiers  dans  Tarmee  fran- 
caise,  recurent  a  cette  epoque  la  croix  de  Saint-Louis, 
notamment  MM.  Gastaldi  et  de  Sigaldi.  successive- 
ment majors  de  la  place. 

Du  reste,  par  un  privilege  tout  special,  les  ecoles 
rovales  etaient  ouvertes  en  France  aux  jeunes  sujets 
du  prince,  et  plusieurs  des  membres  des  families 
dont  nous  venons  de  citer  les  noms  eurent  leurs 
enfants  recus  aux  ecoles  militaires  et  de  marine,  et 
meme  au  nombre  des  demoiselles  de  Saint-Cyr. 

La   Principaute  vit  a  la   fin  du  siecle  naitre  dans 


—  343  — 
son  sein  un  certain  nombre  d'hommes  distinguds, 
non  seulement  dans  les  armes,  mais  aussi  dans  1  i 
litterature  et  dans  les  arts. 

Monaco  a  ete  le  berceau  du  compositeur  Langle, 
le  maitre  de  Dalayrac,  du  celebre  sculpteur  Bosio  ct 
de  son  frere,  peintre  d  nistoire  distingue. 

Un  ecrivain  qui  fut  I'un  des  principaux  collabora- 
teurs  de  la  Biographic  universelle  de  Michaud  et  qui 
a  ecrit  une  Histoire  de  la  Vendee  estimee,  Alphonse 
de  Beauchamp,  petit-tils  d'un  secretaire  d'Antoine  Ier, 
etait  egalement  ne  a  Monaco  en  1767. 

Honore  III,  comme  Antoine  Ier,  avait  favorise  de 
tout  son  pouvoir  les  dispositions  artistiques  de  ses 
sujets.  De  meme  que  son  grand-pcre  avait  entretenu 
a  Rome  le  monegasque  Joseph  de  Bressan,  il  y  avait 
egalement  eu  comme  pensionnaire  Vignali,  d'une 
famille  qui,  au  seizieme  siecle,  fournit  le  premier 
monegasque  qui  fit,  avant  1 538,  le  voyage  du  Nou- 
veau-Monde,  et  qui  depuis  compta  des  musiciens  et 
des  artistes.  Un  autre  Vignali  fut  Peleve  du  celebre 
peintre  Raphael  Mengs,  qui  figure  en  1770  comme 
parrain  d'une  de  ses  soeurs.  Ce  Jean-Baptiste  Vignali 
remporta  le  prix  de  TAcademie  de  peinture  a  Paris. 
Neanmoins,  la  faveur  qui  permettait  Tacces  des 
ecoles  royales  aux  Monegasques  n'alla  pas  jusqu'a 
maintenir  le  prix  de  Rome  a  Vignali;  on  excipa  de 
son  caractere  etranger  pour  attribuer  cette  recom- 
pense a  celui  qui  etait  classe  apres  lui. 


—  344  " 

Mariage  du  due  de  Valentinois  avec  la  du- 
chesse  de  Mazarin  (1777).  —  Pendant  les  vingt 
annees  qui  s'ecoulerent  a  partir  de  1770,  Honore  III 
s'isola  de  plus  en  plus  de  la  cour  de  France.  Le  ma- 
nage de  ses  fils  fut  Toccasion  de  s'en  separer  davan- 
tage  encore.  I^aine,  celui  qui  devait  etre  le  prince 
Honore  IV,  fut  marie  en  1776  a  Louise-Felicite-Vic- 
toire,  rille  unique  du  dernier  due  d'Aumont  de  la 
branche  ainee.  Mademoiselle  d'Aumont  etait,  par  sa 
mere,  Theritiere  du  titre  et  des  biens  des  dues  de 
Mazarin,  biens  tres  considerables  encore,  malgre  la 
gestion  imprudente  qu'avait  subie  depuis  un  siecle 
l'immense  fortune  laissee  par  le  cardinal  Mazarin 
a  sa  niece  Hortense  Mancini,  lorsqu'il  l'avait  mariee 
au  fils  du  marechal  de  la  Meilleraye. 

La  duche-pairie  de  Mazarin  avait  ete,  ainsi  que  le 
nom,  substitute  a  Hortense  Mancini  et  a  son  mari, 
avec  clause  de  transmissibilite  aux  femmes.  Elle 
passa  dans  ces  conditions  a  la  petite-fille  du  dernier 
due  de  Mazarin  mort  en  1738,  issue  du  mariage  de 
mademoiselle  de  Mazarin,  decedee  avant  son  pere, 
avec  le  due  de  Duras.  Celle-ci  epousa  le  due  d'Au- 
mont,  et  e'est  ainsi  que,  par  une  double  application 
des  substitutions,  la  duchesse  dAumont-Mazarin, 
sa  fille,  apporta  dans  la  maison  de  Monaco,  tous 
les  biens  des  deux  maisons  dont  elle  portait  le  nom, 
e'est-a-dire,  outre  le  duche  de  Mazarin,  celui  de 
Mayenne,  egalement  releve  en  1660  par  le  cardinal, 


-  345  - 
la  principality  de  Chateau-Porcien,  les  terres  d'Alsace 

donnees  a  la  suite  du  traite  de  Westphalie  au  cardi- 
nal, comprenant  le  comte  de  Belfort,  les  seigneuries 
de  Delle,  Ensisheim,  Altkirch,  etc.,  le  marquisat 
de  Chilly  et  le  comte  de  Longjumeau  venus  des 
Effiat  et  des  La  Meilleraye,  enfin  le  marquisat  de 
Guiscard ,  provenant  d'une  alliance  de  la  maison 
d'Aumont. 

A  l'occasion  de  ce  manage,  Honore  III  se  demit  en 
faveur  de  son  lils  aine  de  la  duche-pairie  de  Valen- 
tinois,  titre  que  le  prince  cumula  avec  celui  de  Maza- 
rin  du  chef  de  sa  femme.  Deux  enfants  naquirent  de 
cette  union  ;  le  premier,  qui  fut  le  prince  Honore  V 
en  1778,  le  second  qui  fut  le  prince  Florestan 
en  1785. 

Mariage  du  prince  Joseph  et  de  mademoi- 
selle de  Choiseul-Stainville.—  Le  prince  Joseph, 
second  fils  d'Honore  III,  s'allia  en  1782  a  la  fille  du 
due  de  Choiseul-Stainville  dont  il  eut  deux  filles, 
qui  devinrent  la  marquise  de  La  Tour  du  Pin,  et  la 
marquise  de  Louvois. 

On  verra  bientot  la  fin  tragique  et  heroique  de  la 
princesse  Joseph. 

Revolution  francaise;  concessions  accordees 
aux  habitants  de  la  Principaute  (1 790-1 791).  — 

La  Revolution  francaise  eut  son  contre-coup  dans  la 


—  346  — 

Principaute.  En  1790  les  habitants  des  trois  villes 
reclamerent  des  reformes.  Le  prince  v  consentit  et 
des  conseils  elus  furent  etablis  a  Monaco,  a  Menton 
eta  Roquebrune.  L'annee  suivante,  Honore  III,  mal 
conseille,  revint  sur  ces  decisions  par  un  edit  qui 
apportait  des  dispositions  restrictives.  Neanmoins  il 
n'y  eut  pas  de  mouvements,  mais  des  societes  popu- 
laires  se  formerent  et  durent  etre  tolerees.  C'etait  le 
prelude  des  evenements  qui  allaient  bientot  entralner 
la  Principaute  et  aboutir  a  la  perte  de  son  autonomic 
pendant  vingt-deux  ans. 

Honore  III  previt  que  la  situation  deviendrait 
bientot  dangereuse  lorsqu'il  quitta  Monaco  et  revint 
a  Paris,  oil  Tappelait  la  defense  de  ses  interets  grave- 
ment  compromis  en  France. 

Indemnite  accordee  a  Honore  III  pour  la 
suppression  de  ses  revenus  des  terres  de 
France  (1790-92).  —  L'Assemblee  constituante,  en 
supprimant  les  droits  feodaux,  avait  aneanti  les 
revenus  que  le  prince  de  Monaco  tirait  de  ses  domai- 
nes  francais  ;  et  cependant  ces  revenus  n'etaient  que 
la  juste  indemnite  accordee  a  ses  ancetres  pour  avoir 
embrasse  le  parti  de  la  France.  Se  fondant  sur  le 
traite  de  Peronne  et  sur  la  non  execution  de  l'arti- 
cle  123  du  traite  des  Pyrenees,  Honore  III  demon- 
tra  que  sa  situation  n'avait  aucune  analogie  avec 
celle  des   seigneurs   feodaux  ordinaires  et   que  ses 


—  347  — 
droits,  etant    le    resultat  d'un   engagement   interna- 
tional,  donnaient  tout    au    moins   ouverture  a  son 
profit  a  une  indemnite  ou  plutot  a  une  compensation, 

L'Assemblee  nationale  prit  en  consideration  la 
reclamation  du  prince.  Elle  declara  qu'il  y  avait  lieu 
a  regler  une  indemnite  dont  la  valeur  devrait  etre 
contradictoirement  etablie.  Ce  chiffre  fut  fixe  a 
273,786  livres  de  rente  qui  devaient  etre  consolides 
en  faveur  du  prince  en  biens  fonds. 

Le  10  aoiit  et  la  decheance  de  Louis  XVI  survin- 
rent  avant  que  cette  indemnite  fut  liquidee. 

Lutte  diplomatique  dHonore  III  pour  la  de- 
fense de  ses  droits  souverains  (1 791-1793).  — 
La  gravite  de  la  situation  n'ebranla  pas  un  instant 
lafermete  d'Honore  III  dans  sa  lutte  pour  la  defense 
de  ses  droits  ;  apres  les  avoir  fait  reconnaitre  pour 
ses  biens  prives  en  France,  il  sut  les  faire  valoir  avec 
une  energie  singuliere  et  une  admirable  Constance 
comme  prince  de  Monaco  ;  et  Ton  peut  dire  que, 
jusqu'au  bout,  sur  le  terrain  diplomatique,  il  ne  se 
laissa  pas  entamer. 

Des  le  commencement  de  1792  il  obtenait  des 
ministres  de  la  guerre  et  des  affaires  etrangeres  des 
declarations  formelles  pour  le  respect  de  la  neutra- 
lity de  la  Principaute  ;  en  meme  temps  il  protestait 
contre  ['application  de  la  loi  qui  supprimait  les 
etats-majors  ;  il  parvint   a   faire   maintenir  celui   de 


—  348  — 

Monaco  comme  institute  par  le  traite  de  Peronne  et 
resultant  par  consequent  d'engagements  internatio- 
naux. 

Le  10  aout,  la  chute  de  Louis  XVI,  la  proclama- 
tion de  la  Republique  ne  changerent  rien  a  Tattitude 
respective  du  prince  et  du  gouvernement  francais  ;  a 
propos  d'un  proces  au  sujet  duquel  un  particulier 
voulait  traduire  Honore  devant  les  tribunaux  a 
Paris,  celui-ci  faisait  nettement  reconnaitre  sa  qua- 
lite  de  souverain  etranger,  vis-a-vis  duquel  la  justice 
etait  incompetente,  et  il  est  interessant  de  noter  que  le 
ministre  qui  faisait  cette  declaration  etait  Danton, 
et  ceci  a  la  date  du   ier  septembre  1792. 

L'administration  du  prince  a  Monaco  et  les 
elements  revolutionnaires  ( 1 792- 1793).  —  L'admi- 
nistration princiere  continuait  cependant  a  etre  obeie 
a  Monaco;  quelque  nombreux  que  fussent  a  Pinte- 
rieur  les  esprits  liberaux  enclins  aux  idees  nouvelles, 
les  elements  d'agitation  revolutionnaire  vinrent  du 
dehors.  La  situation  empira  en  effet  a  la  fin  d'octo- 
bre  1792,  apresl'arriveedes  bataillonsdes  volontaires 
du  Var ;  et  cependant,  malgre  cet  appoint,  qui  donna 
plus  d'activite  a  la  societe  populaire,  celle-ci  pro- 
testait  encore  le  27  octobre  de  son  attachement  au 
prince,  et  M.  de  Millo,  qui  ne  cessa  d'en  faire  partie, 
s'y  faisait  non  seulement  ecouter,  mais  v  conservait 
tout  son  ascendant. 


—  34'.)  — 

Ouverture  des  hostilities  avec  la  Sardaigne ; 
neutrality  de  Monaco  (i  792-1  793).  —  Cependant 
l'ouverture  des  hostilites  avec  la  Sardaigne  et  l'entree 
des  troupes  francaises  dans  le  comte  de  Nice  etaient 
l'occasion  d'incessantes  infractions  a  la  neutralite.  Le 
prince  s'en  plaignait;  mais  loin  de  songer  encore  a 
1'inquieter  dans  sa  souverainete,  le  ministere  conti- 
nuait  a  le  traiter  comme  tin  allie  de  la  France;  seule- 
ment  dans  la  neeessite  oil  Ton  se  trouvait  d'employer 
toutes  les  troupes  disponihles,  le  ministre  des  affaires 
etrangeres,  Le  Brun,  notiriait  a  Honore  III  que  le 
protectorat  resultant  du  traite  de  Peronne  ayant 
ete  cree  dans  Tinteret  exclusif  du  prince,  du  moment 
que  son  execution  ne  semblait  plus  d'accord  avec 
les  interets  de  celui-ci,  la  France  reprendrait  sa 
liberte  et  retirerait  ses  troupes. 

Cette  explication  du  traite,  a  beaucoup  d'egards 
correcte,  est  tres  interessante  a  relever,  puisqu'elle 
montre  le  caractere  que  le  protecteur  reconnaissait 
aux  droits  qui  en  resultaient  en  sa  faveur. 

Honore  III  se  garda  de  pousser  dans  unc  voie  qui, 
pensait-il,  aurait,  dans  les  circonstances  presentes, 
provoque  tine  catastrophe. 

La  revolution   a  Monaco   (1 792-1793.   —  Le 

decret  de  la  Convention  du  i5  decembre  1792,  qui 
ordonnait  aux  generaux  de  la  Republique  d'organiser 
dans  tous  les  pays  ou  ils  entreraient  des  administra- 


ODO    

tions  libres  calqueessur  cellcs  de  la  France,  dechalna 
To  rage. 

Le  general  Brunet  tit,  au  mepris  de  la  neutrality, 
appliquerle  decret  a  Menton,  ou  un  arbre  de  la  liberte 
fut  plante  par  les  patriotes.  Monaco  suivit  le  mouve- 
mentmalgre  les  protestations  des  officiers  du  prince, 
soutenant  qu'un  decret  edicte  pour  les  pays  dont  les 
souverains  etaient  en  guerre  avec  la  France,  ne 
pouvait  s'appliquer  aux  etats  d'un  ami  et  d'un  allie 
reconnu  par  la  Convention  elle-meme. 

Dans  cette  occurrence,  M.  de  Millo,  M.  de  Mon- 
leon  et  apres  celui-ci  M.  Pretti  de  Saint-Ambroise 
defendirent  courageusement  les  droits  du  souverain. 
Le  4  Janvier  1793,  M.  de  Millo  protestait  encore, 
mais  en  vain,  contre  la  destruction  des  armoiries  et 
des  emblemes  princiers. 

Assemblies  primaires  ;  convention  nationale 
monegasque ;   decheance   du   Prince    (1793.   — 

Toute  resistance  devint  inutile;  avec  l'appui  des, 
generaux  francais,  les  assemblees  primaires  furent 
convoquees  le  i3  Janvier;  elles  se  formerent  en 
convention  nationale  monegasque  et  prononcerent 
la  decheance  du  prince.  Le  lendemain  le  general 
Brunet  se  chargeait  de  transmettre  a  la  Convention 
francaise  le  voeu  emis  pour  la  reunion  de  la  Princi- 
paute  a  la  France. 


Reunion  de  Monaco  a  la  France  [ijq?  .  —  Ce 
vceu  tut  entendu  ;  le  14  fevricr  1793  Carnot  presen- 
tait  a  la  Convention  un  rapport  ou  il  proposait  la 
reunion  de  I'antique  heritage  des  Grimaldi ;  mais  il 
est  interessant  de  noter  combien  encore,  au  moment 
ou  Ton  depouillait  le  souverain  de  ses  droits  sous 
pretexte  de  condescend  re  au  vceu  populaire,  le  rap- 
porteur, tout  en  cherchant  a  etablir  la  legitimite  de 
cette  annexion  par  des  arguments  historiques,  abso- 
lument  errones  du  reste,  prenait  vis-a-vis  d'Ho- 
nore  III  de  singuliers  managements.  Carnot  recon- 
naissait  que  le  prince  avait  ete  toujours  I'ami  sincere 
et  l'allie  de  la  France,  qu'i]  s'etait  sans  cesse  reclame 
de  sa  protection  et  qu'en  consequence,  quoique 
depouille  de  ses  prerogatives,  il  devait  obtenir  de  la 
loyaute  du  peuple  francais  protection  et  sauvegarde 
personnelle  comme  simple  citoven. 

La  Convention  rendit  son  decret  le  lendemain 
1  5  fevrier.  et  le  4  mars  suivant,  les  commissaires  dans 
le  comte  de  Nice,  Tabbe  Gregoire  et  Jagot,  vinrent  a 
Monaco  notirler  le  decret.  La  convention  monegas- 
que  tut  dissoute,  et  I'ancienne  Principaute  reunie 
au  departement  des  Alpes-Maritimcs. 


CHAPITRE  XX 

DE    LA    DECHEANCE    d'hONORE    III 
A    LA     RESTAURATI0N    D'HONORE     IV 

MONACO    ET    LES    PRINCES 
PENDANT    LA     REPUBLIQUE     ET    L 'EMPIRE 

(I793-I8I4) 


Situation  d'Honore  III  apres  sa   decheance 

(1793).  —  La  perte  de  la  souverainete  de  Monaco 
avait  inaugure  une  periode  de  desastres  et  de  perils 
pendant  laquelle  la  resolution  et  la  fermete  dont 
Honore  III  avait  fait  preuve  jusqu'alors  se  montre- 
rent  toujours  egales. 

A  plusieurs  reprises,  depuis  le  10  aout,  il  avait  ete 
Tobjet  de  denonciations  de  la  part  de  la  section  de  la 
Croix  Rouge  (devenue  «  du  Bonnet  Rouge  »)  surle 
territoire  de  laquelle  se  trouvait  Thotel  de  Monaco. 
II  avait  subi  des  visites  domiciliaires;  chaque  fois  il 
avait  evite  de  plus  gros  ennuis  par  son  empressement 
a  verser  largement  des  sommes  importantes  a  la 
caisse  des  dons  patriotiques  et  en  abandonnant  ses 
chevaux  et  ses  equipages  pour  le  service  de  l'armee. 


—  353  — 

Arrestation  d'Honore  III    179 3).  —  II  put  ainsi 

atteindre  sans  encombre  l'automne  de  1 793  ;  mais  la 
loi  des  suspects  ne  respecta  pas  celui  auquel,  par  la 
voix  de  Carnot,  securite  et  protection  avaient  ete 
garanties  au  nora  de  la  nation.  Onze  jours  apres  la 
promulgation  de  cette  loi,  le  28  septembre,  il  fut 
arrete  et  ecroue  a  la  caserne  de  la  rue  de  Sevres. 

Detention  du  due  de  Valentinois  et  de  la 
duchesse  de  Mazarin  (1793- 1794).  —  Tous  les 
membres  de  la  famille  d'Honore  III  restes  en  France 
furent  incarceres.  Son  fils  aine,  le  due  de  Valentinois, 
suivant  son  exemple,  n'avait  quitte  ni  la  France  ni 
meme  Paris;  il  fut  arrete  comme  son  pere  et  subit 
une  detention  de  quinze  mois. 

D'autre  part,  la  duchesse  de  Mazarin,  qui  avait 
depuis  quelque  temps  divorce  avec  son  mari,  fut 
conduite  a  la  prison  du  couvent  des  Anglaises;  elle 
fut  sauvee  par  le  courageux  devouement  du  medecin 
des  princes,  le  docteur  Desormeaux  qui,  ayant  surpris 
au  peril  de  sa  vie  un  ordre  d'elargissement,  la  cacha 
chez  lui  avec  son  second  fils,  le  jeune  Florestan. 
qu'elle  avait  conserve  aupres  d'elle. 

Condamnation  et  mort  heroique  de  la  prin- 
cesse  Joseph  de  Monaco  (1794).  —  La  princesse 
Joseph  devait  payer  de  sa  tete  le  sanglant  tribut  de 
la  maison  souveraine  aux  fureurs  revolutionnaires. 


—  :>:>4  — 
Le  prince   Joseph  s'etait   absente  depuis   Tannee 
1 790,  mais  il  etait  a  plusieurs  reprises  rentre,  confiant 


ooAvro 

Le  prince  Joseph  de  Monaco 

d'aprcs  une  miniature  appartenant  a  son  arriere  petit-fils 
M.  le  comte  Fortune  de  Chabrillan 

dans  les  declarations  des  ministres  qui  lui  avaient 
reconnu,  comme  a  son  pere,  le  caractere  de  prince 
etranger.  II  se  retira  definitivement  lorsque  le  retour 


des  evcncments  fut  devenu  tout  a  fait  menacant.  La 
princesse,  sa  femme,apres  avoir  suivison  mari,  ctait 


Francoise-Therese  de  Choiseul  Stainville 
femme  du  prince  Joseph  de  Monaco 

d'apres  la  miniature  apparlenant  a  son  arriere  |iHit-iils 
M.  le  comte  Fortune  de  Ghabrillan 

rentree  ostensiblementa  Paris,  ne  pouvant  supporter 
l'eloignement  de  ses  deux  lilies  qui  y  etaient  restees. 
Elle   avait  etc   ane   premiere  fois  arretee   au    prin- 


—  356  — 

temps  de  1793  comme  fern  me  cTemigre  et  elle-meme 
emigree  rentree.  L'intervention  d'Honore  III  avait 
eu  alors  pour  resultat  de  faire  reconnaitre  sa  qualite 
d'etrangere ;  elle  avait  ete  remise  en  liberte  sous 
caution.  Elle  fut  de  nouveau  incarceree  apres  Tar- 
restation  de  son  beau-pere  et  subit  une  longue 
detention;  elle  passa  enfin  devant  le  tribunal  revolu- 
tionnaire  le  7  thermidor  an  11,  et  fut  condamnee  a 
mort  en  meme  temps  que  la  princesse  de  Chimay,  le 
baron  de  Trenck,  les  freres  Trudaine,  les  poetes 
Roucher  et  Andre  Chenier. 

Par  une  triste  coincidence,  le  meme  jugement 
frappait  aussi  le  secretaire  et  intendant  general  d'Ho- 
nore  III,  Tintegre  Viotte. 

La  constance  et  la  serenite  de  la  princesse,  qui  ne 
s'etaient  pas  dementis  avant  sa  condamnation,  ne 
Tabandonnerent  pas.  Elle  vit  approcher  le  supplice 
avec  le  calme  stoi'que  que  montrerent  presque  toutes 
les  victimes  de  cette  sanglante  epoque.  Un  instant, 
cependant,  au  souvenir  de  ses  lilies,  son  coeur  mollit 
et  elle  parut  se  rattacher  a  la  vie.  On  lui  suggera  le 
moyen  de  retarder  tout  au  moins  l'execution  en  se 
declarant  enceinte,  mais  Tabsence  de  son  mari 
faisait  de  ce  subterfuge  le  deshonneur ;  elle  n'y 
eut  pas  plus  tot  recouru  qu'elle  se  reprit.  Apres  avoir 
envoyg  a  ses  enfants  ses  cheveux  qu'elle  avait  scies 
avec  un  eclat  de  vitre,  ne  voulant  pas  qu'ils  fussent 
profanes  par  la  main  du  bourreau,  elle  se  retracta 


-  357,- 

par  une  lettre  restee  celebre  adressee  a  l'accusateur 
public  Fouquier-Tinville. 

Dans  la  crainte  que  sa  paleur  ne  fit  croire  a  de  la 
faiblesse,  elle  mit  du  rouge  sur  ses  joues,  et  elle 
fut  portee  a  la  guillotine,  le  9  thermidor,  sur  la 
derniere  charrette. 

Sans  la  sublime  protestation  que  lui  avait  dicte 
son  honneur,  elle  eut  ete  sauvee !  Elle  avait  vingt- 
sept  ans. 

Mise  en  liberte  d'Honore  III  (1794).  —  Ho- 
nore  III,  cependant,  subissait  une  captivite  aggravee 
par  les  plus  cruelles  souffrances  physiques  ;  il  etait 
age  de  soixante-quinze  ans,  accable  d'infirmites.  II 
ne  cessait  de  protester  contre  la  violation  du  droit  des 
gens  faiteensa  personneen  adressant  des  memoires  a 
la  Convention,  aux  Comites  de  salut  public  et  de 
surete  generale. 

Cependant  le  prisonnier  recevait  de  ses  anciens 
vassaux  de  touchants  temoignages  d'attachement  qui 
honorent  grandement  sa  memoire.  La  societe  popu- 
laire  de  Thorignv,  par  un  vote  unanime,  fit  transmet- 
tre  a  la  Convention,  le  1 1  frimaire  an  n,  au  plus  fort  de 
la  Terreur,  le  proces-verbal  d'une  enquete  par  temoins 
011  les  services  rendus  au  pavs  par  Tancien  seigneur, 
sa  bonte,  sa  generosite,  le  bien  qu'il  avait  repandu 
autour  de  lui  etaient  courageusement  rapportes. 

Cependant,  malgre   ces  appels,   la  revolution   de 


—  358  — 

thermidor  elle-meme  ne  sufrit  pas  pour  remettre  le 
prince  en  liberie.  Traite  comme  pere  d'emigre,  a 
cause  du  prince  Joseph,  il  restait  exclu  du  decret  qui 
avait  delivre  les  suspects ;  il  ne  fut  enrin  relache  que 
le  5  octobre  1 794. 

Mort  d'Honore  III  (1795).  —  Mais  ses  forces 
s'etaient  epuisees  dans  une  si  longue  lutte;  la  douleur 
qu'il  ressentit  de  la  mort  de  sa  helle-rille  vint  s'ajouter 
a  ses  souffrances  physiques  et  lui  porta  le  dernier 
coup.  Honore  III  s'eteignit  six  mois  apres  avoir 
recouvre  la  liberte,  le  12  mai  1792,  dans  son  hotel 
de  la  rue  de  Varennes. 

Moderation  relative  de  la  Revolution  a  Mo- 
naco 11793).  —  Tandis  que  la  famille  princiere  etait 
victime  de  ces  evenements  tragiques,  Tancienne  sou- 
verainete  des  Grimaldi  traversait  la  periode  aigue  de 
la  revolution  francaise  sans  trop  grandes  secousses. 
II  faut  reconnaitre.  en  effet,  a  Thonneur  de  Monaco, 
que  si  les  mesures  revolutionnaires  y  furent  appli- 
quees  comme  dans  tout  le  reste  du  territoire  fran- 
cais,  les  violences  contre  les  personnes  y  furent  rares, 
et  il  nV  eut  aucune  execution.  Bien  plus,  un  signe 
frappant  de  Tetat  des  esprits  fut  Telection  comme 
maire  de  M.  de  Millo.  Cette  demonstration  faillit 
cependant  entrainer  de  graves  consequences.  Sur  la 
denonciation  du  commandant  de  la  place,  etranger 


—  35g  — 

au  pays,  le  marechal  de  camp  de  Millo  et  tous  ses 
parents,  hommes  et  femmes,  entre  autres  les  Sigaldi, 
furent  arretes.  Le  tribunal  charge  de  1'enquete,  pre- 
cedant  la  comparution  des  accuses  devant  le  jury, 
s'honora  en  reconnaissant  courageusement  leur  inno- 
cence. M.  de  Millo  et  les  siens  furent  relaches  et  ne 
furent  plus  inquietes. 

Saisie  des  biens  du  prince;  sequestre  et  pil- 
lage dupalais  de  Monaco  (1793- 1795).  —  Mais  si 
l'on  rencontra  a  Monaco  de  la  moderation  a  regard 
des  personnes,  les  biens  du  prince  y  furent  Tobjet 
d'une  entiere  devastation. 

Des  la  reunion  de  l'assemblee  primaire,  le  seques- 
tre avait  ete  mis  sur  le  palais,  et  une  commission 
avait  ete  chargee  de  dresser  Tinventaire  de  ses  riches- 
ses  au  profit  de  la  nation.  On  fit  d'abord  main  basse 
sur  l'argenterie  considerable  qui  s'y  trouvait;  puis  la 
necessite  d'installer  les  administrations  amena  un 
premier  demenagement  du  mobilier. 

D'abord  conduit  avec  une  certaine  methode,  ce 
demenagement  et  l'inventaire  furent  bientot  menes 
avec  la  plus  grande  precipitation  et  le  plus  complet 
desordre.  Le  palais,  dans  les  parties  non  occupees 
par  les  fonctionnaires  du  district  ou  les  comman- 
dants militaires,  devint  une  caserne  et  un  hopital 
ou  refluerent  en  grand  nombre  les  blesses  et  les  ma- 
lades  de  l'armee  d'ltalie. 


—  36o  — 

Cependant,  le  mobilier  et  les  objets  d'art  de  cette 
somptueuse  demeure  furent,  pendant  les  annees  qui 
suivirent,  disperses  et  detournes  ;  une  partie  fut  ven- 
due a  vil  prix,  a  Tencan,  au  profit  du  domaine  natio- 
nal. Lorsqu'on  chercha  a  mettre  un  terme  a  cette 
dilapidation,  ce  qui  fut  juge  digne  de  conservation  au 
point  de  vue  de  Tart  ou  de  l'utilite*  fut  enferme  dans 
la  chapelle  du  palais ;  mais  les  objets  reunis  dans  ce 
depot  mal  garde  et  mal  surveille  disparurent  a  leur 
tour  piece  a  piece,  pour  la  piupart. 

Sous  l'Empire,  les  batiments  furent  affectes  a  un 
depot  de  mendicite  dont  l'installation achevade  rendre 
meconnaissable  Tancienne  demeure  des  Grimaldi. 

.    Monaco  denomme  Fort   d'Hercule  (1793).  — 

En  meme  temps  que  son  autonomic,  Monaco  avait 
perdu  jusqu'a  son  nom,  qui  fut  remplace  par  celui 
de  Fort  d'Hercule  pendant  la  periode  revolution- 
naire.  Le  siege  du  district  de  Menton  y  fut  transporte 
et  la  place  servit  de  depot  et  de  magasin  aux  corps  de 
troupes  qui  operaient  dans  les  Alpes-Maritimes,  oil 
les  hostilites  se  continuerent  jusqu'a  ce  que  les  armees 
republicaines  aient  repousse  les  forces  du  roi  de 
Sardaigne  et  des  Autrichiens  au-dela  du  col  deTende 
pendant  la  campagne  de  1794. 

Attaque  des  Barbets  sur  Monaco    (1793).  — 

Eloigne  des  voies  de  communication,  Monaco  n'eut 


—  36i  — 
pas  a  enregistrer  dc  faits  militaires  pendant  cette 
periode,  a  part  des  attaques  des  Barbets,  partisans 
qui  tenaient  campagne  dans  les  Alpes-Maritimes  con- 
tre  les  troupes  republicaines,  et  qui,  une  fois,  surpri- 
rent  et  occuperent  la  place  pendant  quelques  heures. 
Le  ii  juin  1793,  un  detachement  de  ces  bandes, 
conduit  par  deux  hommes  de  la  Turbie,  entra  par 
surprise  dans  la  forteresse.  II  s'en  suivit  une  scene 
de  desordre  et  de  pillage  ;  le  drapeau  tricolore  fut 
abattu,  Tarbre  de  la  liberte  plante  sur  la  place  du 
palais  renverse  et  brise;  mais  Tapparition  des  soldats 
francais  mit  les  envahisseurs  en  fuite. 

Tranquillite  de  la  place  pendant  les  guerres 
d'ltalie  ( 1 796- 1 799).  —  Monaco  vit  defiler  le  long  des 
flancs  du  Mont-Agel  les  troupes  de  Farmee  d'ltalie, 
lorsqu'au  printemps  de  1796  Bonaparte  transporta 
son  quartier  general  de  Nice  a  Albenga.  Suivant  la 
tradition,  une  maison  isolee,  situee  sur  la  route,  entre 
la  Turbie  et  Roquebrune,  aurait  abrite  une  nuit  le 
general,  qui  s'arreta  a  Menton,  d'oii  il  data  plusieurs 
ordres  et  depeches. 

Le  theatre  de  la  guerre  s'eloigna  de  ces  parages 
pour  ne  plus  s'en  rapprocher  qu'apres  la  perte  de  la 
bataille  de  Novi,  en  1799. 

Attaques  des  Anglais  (1 800-1 81 3). —  Lors  du 
siege  de  Genes,  les  escadres  anglaises  bloquaient  alors 


—  362  — 

les  cotes  ;  Tetat  de  siege  fut  proclame  a  Monaco, 
ou  la  direction  d'artillerie  d'Antibes  avait  reuni  un 
materiel  important  et  un  grand  nombre  de  munitions. 
Mais  on  negligeait  la  garde  de  la  place,  laissee  a 
quelques  hommes  seulement,  et  cela  faillit  amener  la 
perte  de  la  forteresse. 

Une  fregate  anglaise  debarqua  a  Timproviste  le 
23  mai  1800;  Tequipage  tit  main  basse  sur  les 
approvisionnements,  en  obligeant  les  habitants  a 
aider  au  transport.  On  porta  les  poudres  a  bord, 
on  jeta  les  canons  non  transportables  a  la  mer,  puis 
les  assaillants  ayant  constate  Timpossibilite  de  se 
maintenir  dans  la  place,  a  cause  de  la  proximite  des 
troupes  francaises  cantonnees  entre  Villefranche  et 
Nice,  se  rembarquerent,  mais  non  pas  sans  occasion- 
ner  une  derniere  catastrophe.  Le  feu  prit  aux  pou- 
dres repandues  sur  le  sol  pendant  Tenlevement  et  fit 
trainee;  une  formidable  explosion  des  magasins 
s'ensuivit. 

Aucun  fait  de  guerre  ne  se  produisit  plus  a  Monaco 
a  part  une  alerte  causee  en  181 3,  par  une  attaque 
des  Anglais  sur  Bordighera,  a  Toccasion  de  laquelle 
le  general  Eberle,  commandant  a  Nice,  fit  mobiliser 
les  gardes  nationales. 

Affaires  municipales  —  Le  port,  la  prome- 
nade Saint-Martin  ( 18 10-1 81 3).  —  En  dehors  de 
ces  quelques  incidents  militaires,  contre-coup  affaibli 


—  363  - 

des  grandes  guei  res  de  la  Republique  et  de  TEmpire, 
la  vie  interieure  de  Tancienne  Principaute  s'ecoula 
dans  le  plus  grand  calme. 

Le  port  de  Monaco,  quoique  prive  du  droit  de 
mer,  continuait  a  etre  le  centre  d'un  assez  grand 
mouvement.  Sous  TEmpire,  on  etudia  serieusement 
le  moyen  d'assurer  son  entiere  securite  par  tous  les 
temps  au  moyen  de  la  construction  d'un  mole  ;  c'etait 
la  reprise  d'un  projet  bien  souvent  caresse  par  les 
Monegasques  depuis  Honore  II;  les  promoteurs  de 
Tentreprise  proposaient  de  se  servir  pour  sa  cons- 
tructon  des  materiaux  provenant  de  la  demolition  du 
palais,  qui  eut  ete  detruit  de  fond  en  comble,  et  on 
aurait  pourvu  a  la  depense  par  une  taxe  d'octroi. 
L'idee  n'etait  pas  pratique;  on  se  borna  alors  a  pro- 
jeter  Tetablissement  d'une  caisse  flottante.  Apres 
mure  enquete  sur  Timportance  du  port  et  son  de- 
veloppement  eventuel,  Tadministration  superieure 
n'agrea  ni  Tune  ni  l'autre  de  ces  combinaisons  et  le 
palais  des  Grimaldi  echappa  a  cette  nouvelle  menace 
de  destruction. 

On  se  contenta  d'effectuer  quelques  travaux  de 
quai  au  lieu  du  debarquement. 

La  commune,  sous  l'administration  de  M.  de 
Sigaldi,  qui  fut  maire  pendant  treize  annees  conse- 
cutives,  entreprit  en  1 8 1 3  une  ceuvre  d'embellissement 
terminee  beaucoup  plus  tard  en  transformant  en 
promenade  les  parties  du  plateau  de  Monaco  non 


—  364  — 
couvertes  de  constructions ;  la  creation  des  jardins 
Saint-Martin  fut  ainsi  commencee. 

Passage  du  corps  de  Pie  VI  a  Monaco  ;  mani- 
festations lors  du  retour  de  Pie  VII  en  Italie 

(1802-18 14).  —  Deux  seuls  faits  notables  meritent 
d'etre  releves  pendant  ces  annees  de  vie  municipale. 

Le  1 2  fevrier  1 802,  le  navire  qui  rapportait  a  Rome 
le  corps  du  pape  Pie  VI,  decede  a  Valence,  fut  force 
par  la  tempete  de  relacher  au  port  de  Monaco.  Le 
cercueil  fut  descendu  a  terre  et  depose  pendant  un 
jour  et  une  nuit  dans  l'eglise  Saint-Nicolas.  Une 
inscription,  qui  a  ete  retablie  dans  la  nouvelle  cathe- 
drale,  rappelle  les  honneurs  rendus  aux  restes  du 
pape  mort  prisonnier  du  Directoire. 

Le  passage  de  Pie  VII,  revenant  a  Rome  apres  sa 
longue  captivite  a  Savone  et  a  Fontainebleau,  fut 
pour  la  population  de  Tancienne  Principaute  une 
occasion  de  manifester  la  vivacite  de  ses  croyances 
religieuses.  Le  pape  passa  par  la  Turbie  le  1 1  Jan- 
vier 1 8 14.  Les  habitants  de  Monaco  se  porterent  en 
foule  sur  la  route;  Menton  a  son  tour  se  signala  par 
des  demonstrations  qui  furent  le  prelude  des  mani- 
festations dont  le  Souverain-Pontife  fut  Tobjet  par 
toute  Tltalie  jusqu'a  son  arrivee  a  Rome. 

Construction  de  la  route  de  la  Corniche  (1808- 
181 2).  —  Le  fait  vraiment  important  pour  la  region 


—  365  — 
qui  se  produisit  pendant  la  periode  imperiale  fut  la 
creation  de  la  superbe  voie  que  Napoleon  fit  cons- 
truire  pour  assurer  la  communication  entre  Nice  et 
Genes  et  dont  Tachevement  eut  lieu  en  avril  1812. 

La  construction  de  la  route  de  la  Corniche  qui 
traversa  une  partie  de  Tancienne  Principaute  eut 
surtout  une  influence  favorable  pour  Menton  ;  la 
chaussee,  contournant  le  pied  de  la  vieille  ville, 
forma  le  quai  menage  le  long  du  port. 

L'ingenieur  qui  construisit  cette  route  celebre 
accumula  entre  Nice  et  le  Cap  Martin  les  travaux  les 
plus  hardis.  Dans  le  but  de  soustraire  cette  partie  de 
la  voie  au  feu  desflottes  embossees  devant  la  cote,  et 
aussi,  hante  par  le  souvenir  de  la  voie  Aurelienne,  il 
ne  suivit  pas  entre  ces  deux  points  le  bord  de  la  mer, 
comme  on  le  fit  pour  le  trace  adopte  au-dela  de 
Menton  jusqu'a  Genes;  il  la  suspendit  a  plusieurs 
centaines  de  metres  de  hauteur  aux  flancs  de  la 
montagne,  en  s'elevant  depuis  Nice  jusqu'a  la  Turbie 
par  une  rampe  continue  de  pres  de  vingt  kilometres. 
De  cette  facon,  la  region  littorale  depuis  Ville- 
franche  resta  privee  de  communications,  et  Monaco 
continua  a  n'avoir  pas  d'autre  acces  carrossable  que 
la  route  de  Menton,  construite  en  1720  par  An- 
toine  Ier,  qui  se  souda  a  la  Corniche  au-dessus  du 
Cap  Martin. 

La  vieille  forteresse  devait  attendre  Tetablissement 
du  chemin  de  fer  pour  etre  reliee  avec  Nice  et  Touest 
par  des  communications  directes. 


—  366  — 

Penible  situation  de  la  famille  princiere  a  la 
mort  d'Honore  III  (1793- 1800).  —  Pendant  que  la 
Principaute  etait  ainsi  unie  a  la  France  et  partageait 
ses  destinees,  les  princes  de  la  famille  souveraine, 
reduits  a  l'etat  de  simples  citoyens,  avaient  a  subir 
de  dures  epreuves  resultant  du  bouleversement  que 
la  revolution  avait  apporte  dans  leur  condition. 

La  mort  d'Honore  III  avait  laisse  ses  heritiers 
dans  la  situation  la  plus  mauvaise;  sa  fortune  avait 
suivi  dans  le  desastre  son  rang  et  sa  souverainete. 
L'anarchie,  qui  avait  preside  a  l'etablissement  de  la 
liste  des  emigres  avait,  dans  nombre  de  cas,  atteint 
des  personnes  qui  auraient  du,  en  fait,  n'y  etre 
jamais  inscrites;  c'est  ainsi  qu'Honore  III  et  son 
tils  aine,  qui  n'avaient  pas  un  instant  quitte  la 
France  ni  meme  Paris,  avaient  tous  leurs  biens  mis 
sous  sequestre  comme  biens  d'emigres  en  Normandie, 
dans  les  departements  de  Seine-et-Oise,  des  Arden- 
nes, ailleurs  encore.  Or,  quel  que  fut  le  bien  fonde 
evident  des  reclamations  en  cette  matiere,  on  se 
butait,  lorsqu'on  cherchait  a  rentrer  en  possession, 
meme  apres  avoir  ete  raye  de  la  liste,  a  une  serie  de 
formalites  inextricables,  de  reglements  confus  et 
contradictoires,  de  mesures  administrates  arbi- 
traires  que  les  bureaux,  d'accordtrop  souvent  avecles 
administrateurs  des  sequestres,  accumulaient  de  facon 
a  rendre  les  solutions  d'une  lenteur  decourageante  et 
surtout  ruineuse  pour  les  interesses. 


-  367- 

En  ce  qui  concerne  les  heritiers  d'Honore  III,  il 
leur  fallut  une  suite  d'efforts  incessants  pour  aboutir 
a  des  decisions  incompletes,  et  ce  fut  seulement  au 
bout  de  sept  annees,  pendant  lesquelles  de  hautes 
influences  durent  etre  mises  en  action,  qu'une  partie 
des  biens  de  leur  famille  fut  restituee  au  due  de 
Valentinois  et  au  prince  Joseph,  apres  que  ce  dernier 
eut  obtenu  sa  radiation  definitive  de  la  liste  des 
emigres,  le  10  fructidor  an  x. 

Le  prince  Joseph  etait  rentre  en  France  des  1795; 
il  v  avait  rencontre  les  bons  offices  de  Talleyrand, 
qui  allait  bientot  devenir  ministredes  relations  exte- 
rieures,  et,  grace  a  cette  intervention,  il  avait  cbtenu 
l'autorisation  de  sejour  en  attendant  sa  radiation. 
La  loi  de  fructidor  l'avait  oblige  a  s'expatrier  de 
nouveau  pour  ne  rentrer  definitivement  que  sous  le 
Consulat. 

Pendant  les  longues  annees  ou  tout  revenu  fut 
supprime,  les  princes  durent  recourir  a  l'interme- 
diaire  des  gens  d'affaires  qui  exploiterent  cruelle- 
ment  et  sans  scrupule  leur  situation.  La  position 
etait  particulierement  dure  pour  le  due  de  Valenti- 
nois, dont  Tetat  des  affaires,  deja  mal  gerees  plusieurs 
annees  avant  la  Revolution,  etait  encore  aggrave  par 
la  liquidation  de  son  mariage  avec  la  duchesse  de 
Mazarin. 

L'histoire  de  la  fortune  de  la  maison  princiere  fut, 
du  reste,  celle  du  plus  grand  nombre  des  families  de 


—  368  — 

la  haute  aristocratie  pendant  cette  periode.  Ne  pou- 
vant  se  procurer  de  ressources  qu'en  aband  onnant  le 
plus  clair  de  leurs  droits  sur  les  biens  en  litige  a  des 
financiers  speculateurs,  les  heritiers  d'Honore  III 
virent  leur  echapper  presqu'entierement  les  im- 
menses  possessions  terriennes  que  ce  prince  avait 
administrees  et  augmentees  avec  prudence  et  sagesse. 
Ce  qui  resta  leur  arriva  greve  de  charges  qui  ache- 
verent  d'aneantir  leur  fortune. 

Maladie  du  due  de  Valentinois  qui  le  force 
a  vivre  dans  la  retraite  (1799-18 14).  —  Dans  ces 
conditions,  le  due  de  Valentinois,  atteint  d'une 
maladie  grave  qui  Tobligea  a  vivre  dans  la  retraite, 
passa  dans  Tobscurite  toute  la  periode  du  Consulat 
et  de  TEmpire.  Sans  cette  circonstance,  le  his  aine 
d'Honore  III  eut  certainement  trouve  quelque  com- 
pensation, alors  que  Napoleon  cherchait  a  s'attacher 
les  representants  des  grandes  families  francaises. 
L'attitude  d'Honore  III  des  le  debut  de  la  Revolution 
laissait  prevoir  que  ses  fils  se  rallieraient  facilement 
au  nouveau  regime. 

Le  prince  Joseph  a  la  cour  de  Napoleon  ( 1 807  - 

1 8 14).  —  Ce  que  le  due  de  Valentinois  n'etait  pas  en 
etat  de  faire,  le  prince  Joseph  Texecuta  en  demandan  t 
a  prendre  du  service.  II  fut,  au  mois  d'avril  1807, 
cree  Tun  des  quatre  capitaines  des  gendarmes  d'elite 


—  369  — 
de  la  garde-  imperiale  et  il  rejoignit  1'armee  a  Var- 
sovie.  Au  mois  de  juin  l'Empereur  le  minima  Fun 
de  ses  officiers  d'ordonnance  et  le  chargea  de  rap- 
porter  a  Josephine  la  nouvelle  officieile  de  la  paix 
de  Tilsitt.  II  devint  quelque  temps  apres  chambellan 
de  I'lmperatrice  et  fut  fait  membre  de  la  Legion 
d'honneur  le  3  decembre  1807. 

Denominations  prises  par  les  Princes  sous 
l'Empire  [1804-1814).  —  Les  princes  cesserent  alors 
de  se  faire  designer  par  leur  nom  patronymique  de 
Grimaldi.  dont  ils  avaient  use  pendant  la  Revolu- 
tion :  ils  reprirent  soit  le  nom  attache  a  leur  ancien 
titre  ducal,  soit  celui  de  la  Principaute.  Le  due  de 
Valentinois  s'appela  «  M.  de  Valentinois  »;  le  prince 
Joseph  fut  connu  a  la  cour  de  l'Empereur  sous  le 
nom  de  «  M.  de  Monaco  »;  Timperatrice  Josephine 
le  nomme  ainsi  dans  une  lettre  du  19  juillet  1807 
a  la  reine  Hortense,  oil  elle  annonce  son  arrivec 
porteur  des  nouvelles  de  l'Empereur.  II  en  fut  de 
meme  du  prince  Honore-Gabriel,  dont  il  nous  reste 
a  faire  connaitre  la  destinee  sous  le  regime  imperial. 

Services  militaires  du  prince  Honore-Gabriel, 
fils  aine  du  due  de  Valentinois,  1  800-1809).  — 
L'aine  des  deux  fils  du  due  de  Valentinois,  le  prince 
Honore-Gabriel,  ne  en  1778,  s'etait  engage,  des  qu'il 
avait  atteint  Tage  de  vingt  ans,  dans  un  regiment  de 

24 


—  3jo  — 

cavalerie.  Devenu  sous-lieutenant  le  i3  germinal 
an  vin ,  il  fut  aussitot  detache  au  service  cTetat- 
major  et  employe  aupres  du  general  Grouchy. 
Le  general  distingua  vite  les  qualites  de  son  jeune 
aide  de  camp  qu'il  chargea  a  plusieurs  reprises  de 
missions  particulieres. 

A  Tautomne  de  Tan  ix  (1800),  Honore- Gabriel 
partit  avec  son  general  pour  les  Grisons  ;  mais 
presqu'aussitot  la  division  Grouchy  rejoignit  1'armee 
de  Moreau  des  que  celui-ci  eut  force  les  lignes  de  la 
vallee  du  Danube.  On  sait  la  part  hero'i'que  et  prin- 
cipal que  Grouchy  prit  a  Feclatante  victoire  de 
Hohenlinden  puisqu'il  soutint,  au  centre  de  Tarmee 
francaise,  tout  F effort  de  Tarmee  autrichienne. 
Dans  son  rapport,  le  general  rend  hommage  aux 
services  rendus  par  ses  aides  de  camp,  surtout  a 
ceux  du  jeune  Grimaldi,  qui  eut  le  bras  droit  perce 
d'une  balle  et  qui  fut  propose  pour  le  grade  de 
lieutenant,  dont  il  recut  quelques  semaines  apres 
le  brevet.  II  vit  a  cette  occasion  ses  fonctions  d'aide 
de  camp  confirmees. 

Cependant  sa  blessure,  aggravee  par  des  fatigues 
qui  avaient  altere  sa  same,  Tobligea  a  suspendre 
son  service  ;  il  ne  put  prendre  part  a  la  campagne 
d'Austerlitz,  et  ne  reprit  ses  fonctions  aupres  de  son 
general  que  pendant  Tautomne  de  1806. 

Dans  les  journees  qui  suivirent  Iena  et  Auestaerdt, 
le  corps  de  cavalerie  de  Murat,  dont  faisait  partie  la 


division   de   Grouchy   fut   lance   a  la   poursuite  du 

prince  de  Hohenlohe,  qui  faisait  marches  forcees 
pour  eviter  d'etre  coupe  clans  sa  retraite.  11  atteignit 
l'ennemi  le  26  octobre  a  Zehdenick.  Cette  action 
valut  encore  au  prince  Honore-Gabriel  une  mention 
dans  le  rapport  de  son  general. 

Deux  jours  apres,  le  28  octobre,  le  combat  de 
Prenzlaw  consommait  la  mine  du  corps  de  Hohen- 
lohe. Pendant  la  lutte  acharnee  qui  remplit  toute  la 
journe'e  «  mon  aide  de  camp  Monaco  »,  dit  Grouchy, 
contribua  par  sa  valeur  et  sa  presence  d'esprit  au 
succes  de  Taction ;  on  sait  les  charges  superbes  que 
firent  les  dragons  dans  ce  rude  combat  :  a  la  tete 
d'une  poigneede  cavaliers,  Honore-Gabriel  ht  mettre 
bas  les  armes  a  un  bataillon  tout  entier;  il  contribua 
ensuite  par  son  energie  a  empecher  Fincendie  du 
village  apres  la  bataille. 

II  fut,  pour  ce  fait  d'armes,  promu  capitaine  et 
propose  pour  la  Le'gion  d'honneur. 

Au  mois  de  decembre,  il  quittait  ses  fonctions  d'aide 
de  camp  pres  de  Grouchy  et  rejoignait  le  25e  chas- 
seurs. II  lit  avec  son  regiment  la  campagne  de  Silesie 
et  assista  a  la  bataille  d'Eylau  (8   fevrier  1807). 

Dix  jours  apres,  il  etait  designe  comme  aide  de 
camp  de  Murat,  grand-due  de  Berg,  avec  lequel  il 
sejourna  a  Varsovie.  En  avril  et  en  mai  il  fit  la 
campagne  de  Friedland  et  assista  a  la  reddition  de 
Koenigsberg.   Au  combat  de  Guttstadt,  il  recut  une 


-    372    - 

grave  blessure  d'un  coup  de  bafonnette  en  taisant 
des  prisonniers  de  sa  main;  il  fut  cite  a  1'ordre  du 
jour  ei  fait  chevalier  de  la  Legion  d'honneur  a  la 
demande  du  grand-due  de  Berg,  le  3  juillet  1807. 

11  suivit  Murat  en  Espagne,  oil  il  accomplit  uae 
serie  de  missions  des  plus  dangereuses  ;  il  etait  revenu 
en  France  au  rnois  d'aout  1808. 

Murat,  cree  roi  de  Naples,  lui  fit  alors  les  proposi- 
tions les  plus  avantageuses  pour  entrer  dans  Forga- 
nisation  de  son  armee;  Honore-Gabriel  refusa;  ii 
voulut  rester  au  service  de  la  France. 

Le  prince  Honore-Gabriel  a  la  com*  de  Napo- 
leon :  il  devient  premier  eeuyer  de  Fimperatrice 
Josephine  (1809- 18 14).  —  Au  mois  de  juin  1809,  le 
prince  Honore-Gabriel  fit  partie  de  la  rnaison  de 
TEmpereur  en  qualite  d'ecuver. 

Lors  de  la  constitution  de  la  rnaison  de  Josephine 
apresle  divorce,  le  ier  Janvier  1810,  il  devint  premier 
eeuyer  de  Tlmperatrice. 

II  reprit  quelque  temps  du  service  et  fit  une 
mission  en  Espagne;  mais  il  etait,  en  avril  181 2, 
revenu  aupres  de  Josephine,  dont  il  n'avait  pas  du 
reste  cesse  d'etre  le  premier  ecuver. 

Napoleon  avait  cree  Honore-Gabriel  baron  de 
TEmpire  le  1  5  aoiit  1810;  a  partir  de  181 1  il  figure 
sous  Tappellation  de  «  baron  de  Monaco  »  dans 
V Almanack  imperial. 


—  373  — 

II  resta  des  lors  attache  sans  discontinuity  a  Jose- 
phine jusqu'a  la  mort  de  l'lmperatrice.  Ties  jaloux 
de  son  rang  il  ne  cessait,  malgre  le  litre  inferieur 
dont  il  etait  revetu  dans  la  noblesse  imperiale,  de 
prendre  dans  le  mondc  celui  de  prince,  exigeant 
meme  de  ses  subordonnes  cette  qualification.  Ami  du 
faste,  il  mettait  tous  ses  soins  a  former  des  equipages 
irreprochables,  et  il  se  fit  une  place  a  cette  epoque 
parmi  les  personnages  cites  pour  leur  train  et  leur 
elegance.  Les  memoires  du  temps  le  representent 
affectant  de  ne  venir  de  la  Malmaison  a  Paris  qu'en 
voiture  a  six  chevaux  precedee  d'un  piqueur  et  d'un 
courrier. 

Negociations  pour  la  restitution  des  biens 
prives  des  princes  dans  lancienne  Principaute 

(1809-1814). —  La  famille  princiere  jouissait  done  de 
la  faveur  imperiale,  tout  en  restant  dans  une  situation 
relativement  reservee.  D'autre  part,  une  negociation 
qu'elle  entama  montre  a  quel  point  elle  considerait 
alois  comme  definitive  la  perte  de  ses  droits  souve- 
rains. 

Toujours  aux  prises  avec  des  difficultes  d'ordre 
financier,  le  due  de  Valentinois  et  son  frere  penserent 
en  1809  a  tirer  parti  des  biens  qui  pouvaient  etre 
consideres  comme  biens  prives  dans  rancienne  Prin- 
cipaute. Des  demarches,  qui  avaient  pour  but  la 
revendication  de  ceux  de  ces  biens  existant  encore 


-374- 
entre  les  mains  de  TEtat,  ou  l'obtention  d'une 
indemnite  pour  ceux  qui  avaient  ete  alienes,  furent 
suivies  tres  activement  aupres  du  prefet  des  Alpes- 
Maritimes,  le  baron  Dubouchage.  En  vertu  des 
instructions  obtenues  du  ministere,  un  arrete  prefec- 
toral  autorisa  la  recherche  et  l'etude  des  moyens  de 
donner  suite  a  cette  reclamation.  Outre  le  palais  de 
Monaco,  la  Condamine,  differentes  maisons  sur  le 
rocher,  les  moulins  etles  fabriques  alimentees  autre- 
fois par  les  deniers  personnels  d'Honore  III,  on 
v  comprenait  des  immeubles  a  Menton  et  aux 
environs,  notamment  le  domaine  de  Carnoles,  le 
jardindeSaint-Roch,  etc.  L"estimation  s'eleva  a  plus 
de  neuf  cent  mille  francs  ;  mais  la  negociation,  a 
l'occasion  de  laquelle  le  prince  Joseph  fit  plusieurs 
voyages  a  Nice,  etait  encore  pendante  lorsqu'en  1 8 1 4, 
la  chute  de  l'Empire  amena  la  restauration  des 
princes. 


CHAP1TRE   XXI 

RESTAURATION     DES     GRIMALDI     A     MONACO 

HONORE    IV    HONOR!:    V 

1814-1841) 


Invasion  des  allies,  gouvernement  provisoire 
a  Monaco  (avril-mai   1814).  —  Le  17  avril  18 14. 

les  Monegasques  apprirent  de  Nice,  ou  un  mouve- 
ment  populaire  venait  d'eclater,  l'entree  des  allies  a 
Paris  et  la  chute  de  Napoleon.  Le  jour  meme,  sur 
l'initiative  de  plusieurs  anciens  officiers  au  service  de 
France  sous  Louis  XVI,  entr'autres  du  chevalier 
de  Sigaldi,  la  population  prit  la  cocarde  blanche.  On 
resta  cependant  sans  nouvelles  et  dans  l'incertitude 
au  sujet  du  sort  qui  serait  reserve  a  Tancienne 
Principaute.  II  n'etait  pas  question,  de  prime  abord, 
de  la  restauration  des  Grimaldi,  et  comme  le  retour 
de  Nice  au  roi  de  Sardaigne  etait  deja  connu,  on 
apprehendait  I'annexion  au  comte. 

Cette    situation    se  prolongea    pendant    un    mois 
entier;  le   17  mai,  les  quelques  autorites  francaises 


—  3;6  — 

restees  encore  a  Monaco  evacuerent  la  place  qui  fut 
consignee  a  un  commissaire  autrichien  ;  un  corps  de 
hussards  prit  le  lendemain  possession  de  la  ville. 

Cependant  les  chefs  allies  continuerent  a  tolerer 
le  drapeau  francais  a  cote  duquel  on  laissa  tiotter 
le  pavilion  des  Grimaldi ;  la  plupart  des  habitants, 
suivantrexemple  de  M.  de  Millo-Terrazzani,  chef  du 
gouvernement  provisoire,  avaient  ajoute  du  rouge 
a  la  cocarde  blanche  et  restaure  ainsi  les  couleurs 
monegasques. 

L'esperance  de  voir  les  princes  restaures  prit  corps 
quelques  jours  apres ;  le  28  mai  on  rendit  publique 
une  lettre  d'Honore  IVaM.  de  Millo-Terrazzani, 
qui  annoncait  son  prochain  retablissement. 

Demarches  du  prince  Joseph  aupres  de 
Talleyrand  (mai  18 14).  —  Une  habile  intervention 
sauvegardait  en  ce  moment  les  droits  des  Grimaldi. 

Lorsque  les  allies  etaient  entres  a  Paris  et  que  les 
representants  des  puissances  coalisees,  sous  pretexte 
de  retablir  l'Europe  dans  Tetat  ou  elle  etait  avant  les 
evenements  des  vingt  dernieres  annees,  effectuaient 
en  fait  un  partage  oil  les  plus  puissants  s'arrondis- 
saient  aux  depens  des  droits  des  plus  faibles,  il  etait 
a  supposer  que  la  petite  souverainete  des  Grimaldi 
serait  sacrifice  au  profit  des  convoitises  de  sa  voisine 
immediate,  alors  surtout  que  la  Sardaigne  avait  assez 
de  credit  pour  se  faire  adjuger  les  territoires  de  Tan- 


—  -1  /  /   — 

cienne  republique  de  Genes.  Le  prince  Joseph  fit 
preuve  en  ces  circonstanccs  d'une  intelligente  acti- 
vity. II  n'avait  jamais  cesse  ses  relations  anciennes 
avec  Talleyrand ;  il  I'interessa  a  la  cause  de  sa 
famille  et  les  droits  des  princes  de  Monaco  trouve- 
rent  dans  le  prince  de  Benevent  un  puissant  defen- 
seur. 

Honore  IV  retabli  par  le  traite  de  Paris  (mai 
i  S 1 4  .  —  Le  retablissement  d'Honore  IV  fut  con- 

sacre  par  une  phrase  ajoutee  au  paragraphe  8  de 
Tarticle  premier  du  traite  de  Paris  :  la  France  re- 
noncait  a  tout  droit  de  souverainete,  suzerainete  et 
possession  sur  les  territoires  situes  en  dehors  des 
frontieres  e]ui  lui  etaient  fixees;  la  Principaute  de 
Monaco  etant  toutefois  replacee  dans  les  rapports  oil 
elle  se  trouvait  avant  le  i"  Janvier  ij'j^. 

C'etait  la  remise  en  vigueur  des  stipulations  du 
traite  de  Peronne. 

Situation  de  la  famille  princiere.  —  Les  infir- 
mites  dont  Honore  IV  etait  accable  depuis  si  long- 
temps  et  qui,  avec  Tage,  s'etaient  tristement  aggravees, 
rendaient  impossibles  pour  lui  les  fatigues  et  les 
soins  du  gouvernement.  On  a  vu  qu^il  s'etait  confine 
dans  une  retraite  profonde,  et  les  embarras  finan- 
ciers que  nous  avons  precedemment  fait  connaitre 
avaient  rendu  par  moments  sa  vie  tres  dure.  II  vivait 


—  378  — 

dans ' un  douloureux  isolement;  son  rils  aine, 
Honore-Gabriel,  retenu  par  les  obligations  de  sa 
carriere  et  de  sa  charge,  se  trouvait  habituellement 


OJ5AM  'p 


Honore  IV,  prince  de  Monaco 


eloigne  de  lui ;  d'autre  part,  en  vertu  des  conven- 
tions de  famille  qui  avaient  suivi  la  rupture  de 
son  mariage,  Teducation  de  son  second  fils  avait  ete 


-  -V9  - 
confiee  aux  soins  de  la  duchesse  de  Mazarin  ;  le  prince 
Florestan  avait  done  grandi  presque  etranger  a  son 
pere.  Ajoutons,  pour  completer  le  tableau  de  la  triste 


hi  ■■  ■>  .. 

QDAV1B. 

Louise-Felicite-Victoire  d'Aumont,  duchesse  de  Mazarin 

femme  du  prince  Honore  IV 

D'apres  une  mini  i  Naples  en  1787  parVivanl  Denon) 

situation  de  presque  tous  les  membres  de  la  famille 
souveraine  a  cette  epoque,  que  la  duchesse  de 
Mazarin  elle-meme,  quoiqu'ayant  sauvegarde  avec 


—  38o  — 
plus  de  bonheur  sa  fortune  et  ses  biens  pendant  la 
crise,  soutenait  peniblement  depuis  de  longues  annees 
de  nombreux  proces  qui  peu  a  pen  reduisirent  dans 
des  proportions  graves  ce  que  les  confiscations  revo- 
lutionnaires  avaient  epargne;  et  cette  existence 
difficile  devait  se  prolonger  pour  la  duchesse  jusqu'a 
sa  mort,  survenue  en  1826. 

Le  Prince  Joseph,  delegue  a  Fadministration 
de  la  Principaute  (juin  18 14).  —  Honore  IV  avait 
trouve  de  grands  soulagements  a  ses  maux  dans  le 
devouement  que  lui  temoignait  le  prince  Joseph, 
toujours  pret  a  y  faire  diversion,  et  e'est  dans  ces 
conditions,  qu'apres  le  succes  des  demarches  de 
celui-ci  aupres  de  Talleyrand,  le  souverain  restaure 
confia  a  son  frere  le  soin  de  le  suppleer  dans  lYeuvre 
de  reconstitution  de  la  Principaute. 

Le  3  juin  1814,  un  rescrit  d'Honore  IV  deleguait 
le  prince  Joseph  dans  Texercice  du  pouvoir  souve- 
rain. Le  prince  confirma  immediatement  en  qualite 
de  gouverneur  general  M.  de  Millo-Terrazzani  qui, 
depuis  deux  mois,  etait  le  chef  du  gouvernement 
provisoire  a  Monaco;  e'etait  le  his  du  marechal  de 
camp  dont  nous  avons  retrace  le  role  honorable  au 
debut  de  la  Revolution. 

Penetre  de  la  necessite  de  reorganiser  radminis- 
tration  de  la  Principaute  sur  le  pied  le  plus  modeste 
et  le  plus  economique,  le  prince  Joseph  voulut  en 


retablir  les  organes  tels  qu'ils  existaient  avant  [792, 
en  se  bornant  a  les  modifier  suivant  les  besoins  nou- 
veaux  que  la  pratique  ferait  successivement  connal- 
tre.  En  outre,  dans  les  premiers  temps,  il  ressort  de 
sa  correspondence  avec  M.  de  Millo  qu'il  eut  desire 
eluder  le  retablissement  de  la  garnison  francaise, 
persuade  qu'il  pourrait  creer  dans  la  Principaute 
meme  une  force  capable  d'assurer  sa  securite.  Sur 
ses  instructions.  M.  de  Millo  fit  meme  enlever  le 
drapeau  blanc  qui.  depuis  les  evenements  d'avril, 
flottait  a  cote  du  pavilion  des  Grimaldi,  laissant  ce 
dernier  seul  arbore  sur  les  murs  de  la  place. 

Tentative  d'occupation  de  Monaco  par  les 
troupes  alliees  du  comte  de  Nice  juillet  18 14). 
—  Un  incident  qui  se  produisit  au  commencement 
du  mois  de  juillet  vim  demontrer  combien  ces  vel- 
leites  d'emancipation  etaient  alors  prematurees  et 
combien  il  etait  indispensable  au  contraire  d'appuyer 
les  droits  de  la  maison  souveraine  sur  la  lettre  rigou- 
reusement  observee  des  traites  qui  venaient  de  re- 
constituer  les  relations  internationales  en  Europe. 

Le  5  juillet  18 14,  un  detachement  des  troupes 
autrichiennes  cantonnees  dans  le  comte  de  Nice  fut 
envove  a  Monaco  par  le  comte  Bubna,  commandant 
au  nom  des  allies.  M.  de  Millo  protesta  en  s'en  refe- 
rant  au  traite  de  Paris,  qui  avail  retabli  le  Prince 
souverain,  ainsi  que  le  protectorat  du  roi  de  France. 


—  382  — 

Ces  protestations  furent  portees  au  gouvernement 
francais ;  quelques  jours  apres,  grace  a  l'intervention 
sollicitee,  les  Autrichiens  evacuaient  la  place. 

L'exerciee  du  protectorat  neglige  par  la 
France  (aout  1S14  —  mars  181  5).  —  II  etait  neces- 
saire,  pour  eviter  le  retour  de  faits  semblables,  de 
hater  le  r^tablissement  du  protectorat  francais; 
neanmoins,  le  gouvernement  du  roi  Louis  XVIII 
negligea  pendant  toute  cette  annee  de  remplir  ses 
obligations  et  d'exercer  son  droit.  On  se  contenta  de 
nommer  le  prince  Joseph  commandant  militaire  de 
la  place  de  Monaco  pour  le  roi  de  France,  suivant 
les  stipulations  du  traite  de  Peronne,  avec  le  grade 
de  marechal  de  camp,  qui  lui  fut  confere  le 
3o  aout  1 8 14.  Le  seul  appui  effectif  accorde  fut  la 
concession  de  deux  bailments  de  cent  tonneaux, 
armes  d'artillerie,  dont  le  roi  lit  cadeau  au  Prince 
et  qui  furent  destines  a  la  police   des  cotes. 

Aucune  troupe  de  garnison  ne  fut  envoyee.  Cet 
abandon  devait  avoir  prochainement,  et  pour  les 
droits  de  la  France,  et  pour  les  conditions  d'exis- 
tence  de  la  Principaute,  les  plus  facheuses  conse- 
quences. 

Visees  de  la  Sardaigne  (octobre  18 14).  —  La 
Sardaigne  suivait  attentivement  ce  qui  se  passait 
a  Monaco;  ses  agents  n'avaient  pas  ete  ctrangers  a  la 


tentative  de  reoccupation  du  comte  Bubna  ;  Tabsten- 
tion  de  la  France  enhardit  sa  chancellerie.  Au 
moment  ou,  au  mois  d'octobre  1814,  le  congres  de 
Vienne  reunissait  aux  anciens  domaines  de  la  maison 
de  Savoie  la  Ligurie  gcnoise,  on  ne  se  cachait  pas 
a  la  cour  de  Turin  d'emettre,  devant  les  agents 
monegasques  envoyes  pour  regler  des  questions  de 
voisinage,la  pretention d'annexer  purementet  simple- 
ment  Menton  et  Roquebrune,  en  vertu  du  principe 
qui  prevalait  au  congres  d'attribuer  aux  etats  suze- 
rains le  domaine  utile  des  territoires  autrefois  sou- 
mis  a  leur  vassalite. 

II  fallut  en  referer  de  nouveau  a  la  cour  de  France 
et  a  Talleyrand ;  les  termes  du  traite  de  Peronne, 
qui  comprenaient  dans  le  protectorat  francais  les 
deux  villes  convoitees,  sauverent  encore  une  fois  la 
domination  des  Grimaldi  sur  cette  partie  la  plus 
considerable  deleurs  domaines. 

Cet  incident  est  utile  a  relever  ;  de  meme  qu'il 
montre  des  Torigine  les  visees  de  la  Sardaigne  sur 
les  deux  seigneuries  dependantes  des  princes  de 
Monaco,  il  temoigne  de  la  situation  toute  particulicre 
que  le  nouveau  droit  europcen  creak  aux  deux 
anciennes  vassalles  de  la  Savoie. 

Le  pavilion  monegasque  et  les  Barbaresques 

(novembre  18 14).  —  Ce  danger  conjure,  le  prince 
Joseph    dut    encore     s'adresser    au    gouvernement 


—  384  — 
francais  afin  d'obtenir  la  reconnaissance  du  pavilion 
monegasque  meconnu  par  les  Barharesques  qui  in- 
festaient  les  cotes.   Ce  fut  le  dernier  acte  important 
de  son  gouvernement. 

Retraite  du  prince  Joseph ;  le  due  de  Valen- 
tinois,  prince  hereditaire,  charge  de  l'adminis- 
tration  de  la  Principaute  (Janvier  1 8 1  5 ).  —  Le 
prince  Joseph  avait  retarde  jusqu'a  I'hiver  son  depart 
pour  Monaco;  Tattente  d'une  haute  dignite,  qui  lui 
etait  promise  a  la  cour  de  France,  l'avait  retenu  a 
Paris.  Au  moment  de  partir  pour  la  Principaute,  ou  la 
presence  d'un  membre  de  la  famille  souveraine  de- 
venait  urgente,  il  en  fut  definitivement  empeche  par 
les  reclamations  du  fils  aine  d'Honore  IV;  celui-ci 
soutenait  qifune  delegation  des  pouvoirs  souverains 
a  tout  autre  qu'a  lui  etait  une  violation  de  ses  droits 
de  prince  hereditaire. 

Le  prince  Honore-Gabriel  avait  ete  revetu  de  la 
dignite  de  pair  de  France  par  Tordonnance  du 
4  juin  1814;  Honore  IV,  en  meme  temps  qu'il  avait 
delegue  son  frere  dans  dans  Tadministration  de  la 
Principaute,  avait  abandonne  a  son  fils  le  rang  qu'il 
avait  en  France  ainsi  que  son  titre  de  due  de  Valen- 
tinois.  Le  nouveau  due  et  pair  ne  s'etait  pas  contente 
de  ses  prerogatives  franeaises,  il  avait  revendique 
ce  qu'il  affirmait  etre  son  droit  a  Monaco;  il  avait 
porte   jusqu'a  Louis  XVIII  ses  protestations.    Une 


—  385  — 

intervention  des  parents  les  plus  proches  amena 
une  entente;  le  prince  Joseph  se  retira  et,  en  vertu 
d'une  procuration  signee  chez  le  due  d'Aumont,  par 
devant  notaire,  suivant  les  usages  du  vieux  ^tyle 
monegasque,  Honore  IV  confera,  le  18  Janvier  i8i5, 
a  son  fils  la  delegation  du  pouvoir  souverain  dans  la 
Principaute. 

"Voyage  du  prince  hereditaire,  sa  rencontre 
avec  I'empereur  Napoleon  au  retour  de  Hie 
d'EIbe  mars  181  5).  —  Un  incident,  dont  le  souvenir 
est  reste  populaire,  marqua  le  voyage  du  prince  here- 
ditaire de  Monaco.  Le  ier  mars  i8i5,  versonze  heures 
du  soir,  la  chaise  de  poste  qui  le  portait  sortait  de 
Cannes,  lorsqu'elle  fut  brusquement  arretee  par  une 
troupe  armee,  a  la  tete  de  laquelle  le  prince  recon- 
nut  le  general  Cambronne.  Quand  le  prince  eut  fait 
connaitre  sa  qualite,  il  tut  invite  a  se  rendre  a  quelque 
distance  oil  se  trouvait,  bivouaquant  dans  un  bois 
d'oliviers,  I'empereur  Napoleon,  qui  venaitde  debar- 
quer,  revenant  de  File  d'EIbe,  et  avail  donne  Tordre 
d'intercepter  les  communications  afin  d'evifer  de 
donner  Teveila  la  place  d'Antibes. 

L'entrevue  fut  cordiale  ;  suivant  la  legende  qui 
s'est  faite,  le  prince  ayant  repondu  a  une  question 
de  l'Empereur  :  «  Je  vais  chez  moi,  a  Alonaco  » 
Napoleon  aurait  riposte  :  «  Et  moi  aussi,  aux  Tui- 
leries  ». 

20 


—  386  — 

Le  lendemain,  de  tres  bonne  heure,  le  prince  pou- 
vait  continuer  son  voyage  :  il  arriva  dans  la  meme 
journee  a  Monaco,  pouvant  prevoir,  a  la  suite  de 
cette  rencontre  fortuite,  les  complications  interna- 
tionales  dont  le  contre-coup  allait  bientot  lui  causer 
de  graves  soucis. 

Occupation  de  Monaco  par  les  troupes  anglo- 
sardes  (mars  i8i5).  —  Des  que  le  retour  de 
Napoleon  eut  ete  connu,  la  Sardaigne  songea  a 
profiter  de  l'occasicn  pour  chercher  a  mettre  la 
main  sur  la  place  de  Monaco,  considerant  deja 
les  stipulations  du  traite  de  Paris  comme  compro- 
mises;  elle  s'appuyait  sur  les  Anglais  qui  tenaient 
la  mer  et  qui  entretenaient  un  regiment  anglo-italien 
recrute  dans  la  Riviere.  Le  i3  mars,  un  corps  de 
troupes  debarqua  au  port  de  Monaco.  Le  colonel 
Burke,  qui  le  commandait,  ayant  ete  introduit  aupres 
du  prince  hereditaire,  lui  remit  une  lettre  du 
comte  d'Azorgue,  gouverneur  du  comte  de  Nice,  qui 
notifiait  la  decision  prise  par  son  gouvernement  de 
faire  occuper  Monaco  par  suite  de  la  rentree  en 
France  de  Bonaparte. 

Le  prince,  dans  l'impossibilite  oil  il  se  trouvait  de 
resister,  ne  put  que  protester  contre  la  pretention  de  la 
Sardaigne  de  faire  occuper  une  place  neutre  au  mepris 
des  droits  du  souverain  de  Monaco  et  des  traites; 
cette  protestation  fit  Tobjet  d'un  proces-verbal,  signe 


-  38-  - 

du  prince  etdu  colonel  Burke,  puis  les  troupes  anglo- 
sardes  furent  introduces  dans  la  place. 

Le  prince  Honore  fit  parvenir  a  Paris  sa  protesta- 
tion ;  mais  les  evenements  allerent  si  vite  et  prirent 
une  telle  tournure  qu'il  tut  bientot  clair  qu'aucun 
secours  ni  aucune  intervention  diplomatique  utile  ne 
viendraient  a  l'appui  de  son  bon  droit. 

Le  desastre  de  Waterloo  survint,  puis  le  regle- 
ment  nouveau  en  vertu  duquel  la  France  dut  expier, 
par  de  nouvelles  pertes  de  territoire,  Theroique  folie 
des  Cent-Jours. 

Le  protectorat  de  la  Principaute  devolu  par 
le  traite  de  Vienne  a  la  Sardaigne  (novembre 

1 8 1 5).  —  La  Sardaigne  obtint  sa  part  dans  les 
resultats  de  la  victoire  definitive  de  ses  allies;  elle 
acquit  enfin  ce  que  la  maison  de  Savoie  convoitait 
depuis  si  longtemps  :  la  mainmise  sur  la  place  de 
Monaco,  mainmise  pourtant  incomplete  puisque  la 
souverainete  des  Grimaldi  n'etait  pas  atteinte  ;  seule- 
ment  la  Principaute  etait  separee  de  la  France.  Le 
protectorat  changea  de  main,  et  le  nouveau  protecteur 
etait  Tambitieux  voisin  contre  lequel  Monaco  et  ses 
souverains  avaient  soutenu  depuis  tant  de  siecles 
une  lutte  presque  permanente. 

Le  traite  de  Vienne  du  20  novembre  181  5  stipula 
dans  la  section  4e  de  son  article  premier  que  «  les 
«  rapports  retablis  par  le  traite  de  Paris  du  3o  mai 


—  388  — 

«    i8i4entre  la  France  et  la  principaute  de  Monaco 
«  cesseraient  a  perpetuite  »  et  que  «  ces  memes  rap 
«  ports  existeraient  entre  cette  principaute  et  le  roi 
«  de  Sardaigne.  » 

La  decision  du  congres  de  Vienne  laissait  en  appa- 
rence  intacte  la  situation  de  la  Principaute,  puisque 
les  conditions  du  protectorat  restaient  les  memes 
avec  le  nouveau  protecteur;  mais  au  fond,  la  mo- 
dification etait  des  plus  graves.  Au  lieu  de  la 
convention  librement  consentie,  par  laquelle,  depuis 
trois  siecles,  les  Grimaldi  avaient,  dans  la  plenitude 
de  leur  volonte,  assure  la  securite  de  leur  Etat,  en 
choisissant  successivement,  pour  la  garantir,  l'Espa- 
gne,  puis  la  France,  l'Europe  substituait  un  protec- 
torat impose,  manifestement  constitue  au  profit  de 
la  Sardaigne  et  dans  Tinteret  de  la  domination 
exclusive  de  cette  puissance  sur  les  cotes  de  Ligurie, 
telles  qu'elle  les  possedait  maintenant  du  Var  a  la 
Spezzia. 

La  Sardaigne  exige  la  reconnaissance  de  sa 
suzerainete  sur  Menton  et  Roquebrune  ( 1 8 1 5  - 

1 8 1 6).  —  La  rupture  avec  la  France  devenait  com- 
plete et  les  Grimaldi  restaient  isoles,  a  la  merci  du 
voisin  dans  les  possessions  duquel  leurs  domaines 
etaient  enclaves. 

Les  consequences  ne  se  firent  pas  attendre ;  la 
chancellerie  de  Turin  entendit  tirer  de  la  situation 


—  389  — 

tous  les  avantages  qifelle  comportait,  et  sous  toutes 
les  formes  :  elle  ne  se  contenta  pas  seulement  du 
protectorat  qu'elle  venait  d'acquerir,  et  qui,  suivant 
les  termes  du  traite  de  Peronne,  s'etendait  sur  Men- 
ton  et  sur  Roquebrune  aussi  bien  que  sur  Monaco. 
Elle  ressuscita  les  anciens  droits  de  suzerainete  sur 
ces  deux  villes  et  exigea  d'Honore  IV  la  reconnais- 
sance de  sa  vassalite  pour  la  totalite  de  Roquebrune 
et  pour  les  onze  douziemes  de  Menton,  autrefois 
infeodes  par  Jean  Ier  et  Lambert  Grimaldi. 

Si  Ton  se  reporte  a  ce  que  nous  avons  fait  remar- 
c[uer  plus  haut,  cette  pretention  semblait  en  contra- 
diction avec  les  principes  qui  avaient  prevalu  au 
congres  de  Vienne,  et  en  vertu  desquels  on  avait 
systematiquement  reuni  aux  etats  suzerains  les  terri- 
toires  autrefois  soumis  au  vasselage.  Si  Menton  et 
Roquebrune  avaient  ete  exceptes  de  cette  regie,  c'est 
que  leur  situation,  par  suite  des  origines  de  la  vassa- 
lite de  ces  deux  seigneuries,  tVetait  pas  dans  les  con- 
ditions ordinaires  des  etats  vassaux  et  que  de  plus 
elles  etaient  comprises  dans  un  protectorat  retabli  par 
le  traite  de  Paris  et  alors  entre  les  mains  d'une  autre 
puissance.  Cette  situation  double  avait  autrefois 
permis  aux  Grimaldi  d'eluder  les  obligations  de 
cette  vassalite  sous  le  regime  du  protectorat  de  TEs- 
pagne  d'abord,  de  la  France  ensuite;  la  Savoie, 
on  se  le  rappelle,  n'avait  reussi  a  faire  prevaloir  ses 
pretentions    qu'en    profitant    des    embarras    de    la 


—  390  — 

France  lors  des  traites  d1  Utrecht,  comme  elle  le  fai- 
sait  de  nouveau  et  plus  completement  encore  en 
i8i5. 

Maintenant  qu'il  detenait  les  droits  de  prorecteur, 
il  semhlait  que  le  gouvernement  sarde  n'eut  pas  du 
chercher  a  retablir  une  suzerainete  qui  paraissait 
faire  double  emploi ;  mais  la  cour  de  Turin  etait 
alors  en  Europe  une  des  plus  ardentes  a  recons- 
tituer  tout  ce  qui  touchait  au  droit  public  de  Tancien 
regime  ;  aussi  exigea-t-elle  le  retablissement  des  liens 
feodaux  pour  les  deux  villes,  avant  meme  de  regula- 
riser  les  conditions  du  transfert  a  son  profit  des 
stipulations  du  traite  de  Peronne. 

Prestation  de  1'hommage  pour  Menton  et 
Roquebrune  (novembre  181 6).  -  Le  prince  admi- 
nistrateur  de  la  Principaute  eut  pu  resister,  et  il  eut 
vraisemblablement  trouve  aupres  des  puissances  le 
moyen  de  faire  entendre  ses  defenses.  II  prefera  se 
resigner;  ce  fut  une  lourde  faute  dont  la  Sardaigne 
devait  un  jour  abuser. 

Tres  preoccupe  de  la  situation  economique  faite 
par  les  cvthiements  a  la  Principaute,  il  ne  tendit 
qu'a  obtenir  du  gouvernement  sarde  des  concessions 
avantageuses,  et  le  3o  novembre  1816,  M.  de  Millo, 
fonde  de  procuration  d'Honore  IV,  rendit  Thom- 
mage  et  preta  le  serment  feodal  a  Turin  entre  les 
mains  du  roi  Victor-Emmanuel  Iei. 


—    ?Q  I     

Regularisation  du  protectorate  traite  de 
Stupiniggi  (novembre  1817).  —  Une  annee  s'ecoula 
avant  que  le  protectorat  fit  l'objet  d'une  convention 
nouvelle  destinee  a  remplacer  le  traite  de  Peronne. 
Get  instrument  diplomatique  fut  signe  a  Stupiniggi 
le  8  novembre  181 7;  c'est  la  reproduction  litterale 
de  l'acte  de  1641 ;  mais  on  introduisit  dans  le  texte, 
en  ce  qui  concerne  Menton  et  Roquebrune,  une 
reserve  qui  vise  la  vassalite  de  ces  villes  en  conse- 
quence de  rhommage  du  3o  novembre  de  Tannee 
precedente.  De  plus,  un  article  special  eut  trait  a  la 
nouvelle  situation  creee  aux  princes  de  Monaco  et  a 
leurs  sujets  par  suite  du  transfert  du  protectorat  au 
royaume  dont  la  Principaute  est  enclave  :  le  roi  de 
Sardaigne  declare  que  toutes  faveurs,  rangs  et  dignites 
seront  accordes  aux  princes  et  a  la  famille  princiere, 
que  leurs  sujets  seront  accessibles  aux  emplois,  et 
recevront  pour  leurs  interets  et  leurs  biens  des 
faveurs  particulieres  dans  le  royaume. 

En  vertu  de  ces  dispositions,  une  convention 
intervint  trois  jours  apres  pour  regler  les  points  les 
plus  importants  des  relations  de  voisinage. 

Concessions  facheuses  consenties  par  le 
prince  hereditaire  (novembre  181 7).  —  Le  prince 
hereditaire  s'etait  rendu  en  personne  a  Turin  afin  de 
negocier    les    conditions    favorables    qu'il    desirait 

obtenir  :  il  fut   a  la  cour  de  Sardaigne  Tobjet  des 


—    3q2   — 

plus  grands  egards;  mais  les  honneurs  qu'il  recut 
n'eurent  aucune  influence  sur  le  resultat  des  nego- 
ciations.  Loin  d'obtenir  les  avantages  esperes,  ce 
fut  lui  qui  dut  abandonner  quelques-uns  de  ses 
droits,  et  de  ceuxqui  constituaientlesrevenus  les  plus 
serieux  de  son  domaine.  La  plus  grave  fut  la  supres- 
sion  de  la  manufacture  des  tabacs  de  Monaco,  qui, 
etablie  sous  Honore  III,  avait  eu  une  situation 
prospere;  le  prince  dut  s'engager  a  tirer  a  Tavenir 
les  tabacs  pour  la  consommation  de  la  Principaute 
des  manufactures  de  Nice;  de  meme,  il  consentit 
l'importation  du  sel  des  gabelles  rovales. 

La  convention,  d'autre  part,  tendait  a  etablir 
l'identite  la  plus  complete  entre  les  sujets  des  deux 
etats ;  elle  regla  le  regime  des  postes  ;  mais,  comme 
dispositions  favorables,  elle  rfaccorda  guere  que  la 
suppression  des  droits  de  transit  a  travers  le  royaume 
pour  les  produits  agricoles  de  la  Principaute;  c'etait 
peu  aupres  des  concessions  faites  par  le  prince  et 
dont  quelques-unes  constituaient  une  lourde  faute. 

Sa  diplomatic  n'etait  pas  plus  heureuse  que  ne 
l'avait  ete  celle  d'Honore  III  lors  du  traite  des  limites 
en  1760  ;  dans  les  deux  cas,  Tappui  de  la  France  avait 
manque,  mais  maintenant  cet  appui  avait  definiti- 
vement  disparu. 

Reorganisation  administrative  et  judiciaire 
de  la  Principaute  (181 D-1817).  —  Tandis  que  le 
prince    hereditaire    ne    rencontrait   guere   dans    ses 


—  3g3  — 

negociations  exterieures  que  des  deceptions,  il  s'etait 
applique  avec  zele  a  reorganiser  les  services  publics 
de  la  Principaute.  Le  systeme  que  le  prince  Joseph 
voulait  appliquer  en  reconstituant  les  rouages  admi- 
nistratifs  tels  qu'ils  existaient  sous  l'ancien  regime 
ne  lui  parut  pas  praticable;  il  prefera  creer  une 
administration  en  rapport  avec  les  temps  nouveaux.  II 
fit  du  gouverneur  general  le  chef  de  tous  les  services: 
il  etablit  a  cote  de  lui,  et  place  sous  sa  presidence,  un 
Conseil  d'Etat  compose  de  quelques  hauts  fonction- 
naires  dont  les  avis  pouvaient  etre  demandes  sur  les 
questions  relatives  a  Tadministration  generate. 

En  ce  qui  concerne  l'organisation  judiciaire,  le 
prince  suivit  d'aussi  pres  que  possible  Texemple  de 
la  France ;  il  etablit  des  juridictions  a  trois  degres. 
Un  tribunal  de  premiere  instance  fut  institue  a  Men- 
ton,  avec  appel  a  un  tribunal  superieur  seant  a 
Monaco.  Dans  les  trois  villes  de  la  Principaute,  les 
fonctions  de  magistrats  de  premier  degre  furent 
remplies  par  les  consuls,  officiers  municipaux  mis 
a  la  tete  des  communes.  Un  avocat  general  pres  le 
tribunal  superieur  devint  le  chef  du  parquet. 

II  fallut  songer  a  etablir  un  corps  de  lois;  la 
encore  on  adopta  comme  modele  les  lois  francaises  - 
legerement  amendees;  une  commission  de  juriscon- 
sultes  y  travailla;  en  ce  qui  concerne  le  code  civil, 
cette  commission  se  contenta  de  prendre  pour  base 
le  code  frangais  et  de  reformer  quelques-uns  de  ses 


—  394  — 
articles  par  les  dispositions  conformes  a  la  pratique 
et  aux  anciennes  coutumes  locales.   Le  travail  tres 
consciencieux  de  cette   commission    fut   acheve   en 
quelques  semaines. 

Les  communes  furent  administrees  par  des  consuls 
a  la  nomination  du  prince ;  les  conseils  elus  disparu- 
rent,  le  prince  hereditaire  n'entendant  partager 
l'autorite  a  aucun  degre. 

Situation  fmanciere  ( 1 8 1 5- 1 8 1 6).  —  C'est  sur- 
tout  dans  Torganisation  des  impots  et  les  institutions 
fiscales  que  se  montrerent  les  tendances  exclusives  et 
systematiques  de  Tesprit  du  prince. 

La  situation,  au  point  de  vue  des  finances,  etait 
des  plus  dedicates  et  difficiles  ;  la  disparition  pres- 
que  complete  des  biens  patrimoniaux  des  princes 
devait  modifier  profondement  les  rapports  faciles 
qu'ils  avaient%eus  avec  leurs  sujets  sous  Tancien 
regime,  alors  que  les  impots  etaient  relativement 
tres  faibles  et  que  le  souverain  depensait  meme  une 
bonne  partie  de  ses  gros  revenus  en  secours  ou  en 
subventions  a  l'industrie  dans  la  Principaute. 

Une  circonstance,  consequence  directe  du  fatal 
transfert  du  protectorat  a  la  Sardaigne,  vint,  au  mo- 
ment meme  ou  le  prince  Honore  elaborait  ses  plans 
financiers,  aggraver  singulierement  la  situation. 

On  se  rappelle  que  rAssemblee  nationale  avait 
reconnu    qu'il    y   avait    lieu    a    indemnite    pour    la 


-  395  - 

suppression  des  offices  seigneuriaux  et  droits  feodaux 
concedes  en  France,  en  vertu  du  traite  de  Peronne, 
comme  compensation  des  confiscations  subies  par 
Honore  II  en  pays  espagnols.  Les  evenements  revo- 
lutionnaires  en  avaient  empeche  le  reglement,  dont 
la  poursuite  fut  reprise  en  1 8 1  b.  Le  gouvernement 
francais,  tout  en  reconnaissant  le  bien  fonde  de  la 
demande,  objecta  que  les  compensations  n'avaient  ete 
consenties  qu'en  echange  du  protectorat ;  en  conse- 
quence e'etait  au  roi  de  Sardaigne  que  revenait  la 
charge  de  les  regler,  maintenant  que  le  protectorat  lui 
etait  acquis.  On  ne  reconnut  comme  dus  que  les 
arrerages  pour  la  periode  de  1 8 14- 1 8 1  5,  pendant 
laquelle  le  protectorat  francais  avait  ete  retabli. 

Cette  reponse  etait  de  tous  points  refutable, 
puisque  la  compensation  avait  ete  accordee  par 
Louis  XIII  en  vue  du  renvoi  des  Espagnols  et  de 
ralliance  avec  la  France ;  ces  conditions  avaient  ete 
remplies  par  Honore  II  et  aucune  reserve  pour  Tave- 
nir  n'avait  ete  stipulee,  sauf  le  cas  ou  TEspagne  eut 
restitue  les  biens  confisques  par  elle.  Si  Ton  eut  ete 
logique,  on  eut  done  conteste  au  due  de  Valentinois 
le  maintien  de  son  titre  de  due  et  sa  pairie?  et  dans 
le  cas  oil  la  Resolution  n'eut  pas  supprime  leurs 
domaines  francais,  on  eut  done  egalement  repris  aux 
princes  les  biens  concedes  en  i6q3  ? 

La  France  promit  bien  ses  bons  offices  aupres  de 
la  Sardaigne  pour  le  reglement  de  Tindemnite;  mais 


—  396  — 

le  cabinet  de  Turin,  avec  lequel  le  prince  Honore 
debattait  alors  les  questions  de  voisinage,  declina  la 
reconnaissance  de  toute  charge  a  cet  egard  et  la 
diplomatic  du  prince  hereditaire,  qui  parait  avoir 
ete  tres  peu  eclairee  sur  les  antecedents  politiques  de 
la  Principaute  et  qui  fut  en  tous  cas  fort  mal  dirigee, 
se  trouva,  dans  cette  circonstance,  encore  en  defaut. 

Mesures   financieres  du   Prince  Hereditaire 

( 1 8 1  5-1817). —  II  fallut  done  chercher  les  ressources 
necessaires  a  l'administration  et  a  la  maison  souve- 
raine  uniquement  dans  la  Principaute;  le  prince  en 
rixa  la  quotite  a  une  somme  annuelle  d'environ  trois 
cent  mille  francs;  e'etait  le  quadruple  de  ce  que 
Honore  III  avait  tire  de  ses  etats.  Pour  atteindre  un 
pareil  chiffre,  le  prince  agit,  en  outre,  avec  une 
rigueur  qui,  des  l'abord,  troubla  et  indisposa  les 
esprits,  notamment  lorsqu'il  reunit  au  domaine  les 
biens  des  communes  et  les  revenus  des  etablissements 
religieux  et  hospitaliers. 

L'une  des  mesures  qu'il  edicta  etait  cependant 
intelligente ;  il  abolit  Timpot  foncier ;  il  le  remplaca 
par  des  droits  a  la  sortie  sur  les  produits  agricoles  ; 
or,  ces  produits  se  composant  presqu'exclusivement 
d'huiles  et  de  citrons  pour  l'exportation,  Timpot 
etait  facilement  percu  ;  mais  l'exageration  des  tarifs 
nuisit  aux  avantages  de  ce  systeme,  d'autant  plus  que, 
dans  leur  application,  il  s'introduisil  bientot  les 
pratiques  les  plus  vexatoires. 


—  397  — 
Le  vice  principal  du  regime  fiscal  qui  prevalut  fut 
la  multiplicity  des  taxes;  elles  s'accumulerent,  se 
greffant  les  unes  sur  les  autres  et  atteignant  plusieurs 
fois  la  matiere  imposee.  On  fit  revivre  en  raemc 
temps  les  dispositions  les  plus  rigoureuses  des 
anciennes  ordonnances;  c'est  ainsi  que  des  amendes 
excessives  et  laissees  a  Tarbitraire  de  Tadministration 
punissaient  les  declarations  les  plus  legerement 
inexactes.  On  eut  surtout  recours  a  un  systeme 
economique  qui  n'etait  que  trop  en  faveur  aupres  du 
prince,  celui  des  monopoles.  La  boucherie  y  fut 
assujetie ;  la  fabrication  des  huiles  fut  concentree 
entre  les  mains  des  agents  du  gouvernement ;  les 
particuliers,  possesseurs  de  moulins  prives,  durent  les 
fermer  sans  indemnite,  et  les  olives  furent  triturees, 
moyennant  un  droit,  dans  les  moulins  repris  par  le 
prince  aux  communes. 

Le  monopole  ou  «  exclusive  »  des  grains  ( 1 8 1 6). 

—  Une  cause  etrangere  vint  malheureusement  a  ce 
moment  ajouter  encore  aux  mecontentements  qui 
commencaient  a  se  faire  jour.  L'annee  1 8 1 6  fut 
marquee  par  un  tel  bouleversement  des  saisonsqu'une 
disette  generale  s'ensuivit.  Etouffee  entre  les  lignes 
de  douane  de  la  Sardaigne,  la  Principaute  etait  obligee 
cependant  de  chercher  au  dehors  ses  approvisionne- 
ments,  surtout  en  bles ;  elle  n'avait  plus  la  ressource 
que  lui  avait  autrefois  assure  le  privilege  de  tirer  en 


—  398  — 

franchise  du  Languedoc  et  de  la  Provence  les  cerea- 
les  necessaires  a  sa  consommation. 

Dans  ces  circonstances,  le  prince  preta  Toreille  aux. 
propositions  d'un  negociant  de  Marseille  qui  exigea, 
pour  assurer  la  fourniture  des  bles,  le  monopole  de 
cette  fourniture  et  celui  de  la  fabrication  du  pain. 
II  n'y  avait  pas  d'autre  moyen  de  sortir  d'embarras  ; 
le  -prince  accepta.  A  ce  moment,  ce  fut  un  reel 
bienfait  pour  le  pays ;  mais  les  procedes  employes 
dans  Texercice  du  monopole  revetirent  de  suite  un 
caractere  facheux. 

Mecontentements  souleves  par  «  Texclusive  » 

(i 8 1 6- 1 841).  —  On  avait  affecte  a  la  manutention 
des  grains  de  grands  moulins  a  huile,  autrefois  de- 
pendant de  la  commune  de  Menton,  dans  la  vallee 
du  Carei;  unetaxe  etablie  pour  la  construction  d'une 
route  d'acces  a  ces  moulins  vint  augmenter  les 
mauvaises  dispositions  des  habitants. 

Le  concessionnaire  ne  fit  du  reste  aucun  effort 
pour  modifier  les  preventions  de  la  population,  bien 
au  contraire.  On  ne  tarda  pas  a  avoir  a  se  plaindre 
de  la  mauvaise  qualite  des  bles  fournis  ;  mais  le  mu- 
nitionnaire  se  sentait  assure  contre  les  consequences 
de  sa  gestion  incorrecte  ;  le  prince,  rentre  a  Paris,  et 
qui  ne  fit  plus  que  de  rares  apparitions  dans  la  Prin- 
cipaute,  emit  plutot  irrite  qu'ebranle  par  les  plaintes 
de    ses    sujets.    Mai  eclaire  par  des  fonctionnaires- 


—  ^99  — 
que  son  caractere  entier  intimidait  et  qui  n'osaient 
dire  la  vcritc,  il  ne  tenait  compte  d'aucune  observa- 
tion, qu'elle  se  presentat  sous  forme  d'humbles 
petitions  ou  de  petites  emeutes  ;  il  ne  songea  qu'a  en 
reprimer  Texpression,  et  les  reclamations  elles-memes 
devinrent  un  delit.  Les  ordonnances  qu'il  edicta 
sous  l'empire  de  ces  idees  vinrent  encore  accroitre 
les  mecontentements. 

On  aurait  pu  esperer  qu'a  l'echeance  du  contrat 
le  monopole  si  lourd  sur  le  pain  ne  serait  pas  renou- 
vele ;  mais  les  idees  economiques  du  prince  etaient 
entierement  acquises  au  systeme  des  monopoles,  et  il 
n'etait  plus  sur  les  lieux  pour  juger  des  resultats 
pernicieux  de  cette  institution. 

Mort  d'Honore  IV:  regne  d'Honore  V  (1819- 
1 84 1 ) . - — •  Honorc  IV  etait  mort  au  mois  d'avril  181 9; 
le  prince  Honore-Gabriel  gouverna  a  partir  de  cette 
epoque  sous  le  nom  d'Honore  Y.  Ce  ne  fut  que  la 
continuation  de  son  regne  commence,  en  realite, 
quatre  annees  auparavant. 

Revoite  de  Menton;  sa  repression  (1821).  — 
Cependant  le  sourd  mecontentement  provoque  par 
les  mesures  que  nous  venons  d'exposer  et  qui  s'etait 
fait  jour  publiquement  des  181 8  par  des  libelles,  eut 
Toccasion  d'eclater  en  1821.  Le  mouvement  d'idees 
liberates  inaugure  par  les  Cortes  d'Espagne,  s'etait 


—  4°°  — 
repercute  en  Italie;  Naples  s'etait  prononcee,  le  Pie- 
mont  avait  suivi,  Menton  se  souleva.  Les  insurges, 
s'etant  rendus  maitres  du  gouverneur,  lui  firent  signer 
la  constitution  des  Cortes  et  proclamerent  leur  reu- 
nion aux  liberaux  d'ltalie. 

La  repression  energique  exercee  en  Sardaigne 
etouffa  pour  un  temps  le  mouvement  mentonnais. 

Cette  insurrection  irrita  profondement  le  prince 
Honore  V;  mais  la  facilite  de  la  repression  le  main- 
tint  dans  l'illusion  sur  la  gravite  de  la  disaffection  qui 
s'accentuait  entre  lui  et  ses  sujets. 

Travaux  publics  ;  les  jar  dins  Saint-Martin 

( 1 8 1  5  1 817).  —  A  cote  des  institutions  purementfisca- 
les,  ou  dans  lesquelles  le  rise  avait  une  part  directe, 
Honore  V  s'occupa  tres  serieusement  de  l'etat  mate- 
riel de  la  Principaute  ;  il  avait  trouve  sous  le  rapport 
des  travaux  publics  tout  a  faire  oh.  a  refaire ;  plusieurs 
entreprises  d'une  reelle  importance  furent  executees 
sous  son  regne;  THotel-Dieu,  resserre  dans  un  local 
insuffisant,  fut  transportc  sur  remplacement  du 
Chateau-Neuf,  dans  une  situation  mieux  aeree  et 
commode. 

Lors  de  la  disette  de  1 8 1 6,  le  prince  s'etait  preoccupe 
de  donner  du  travail  a  la  population  :  il  fit  alors 
transformer  par  des  plantations  toute  la  partie  du 
rocher  de  Monaco  qui  regarde  la  pleine  mer  et 
acheva  ainsi  les  jardins  Saint-Martin,  a  peine  com- 


—  4oi  — 
mences  dans  les  annees  precedentes,  creation  qui  a 
dote  Monaco  d'une  des  plus  belles  promenades  du 
littoral. 

Demolitions  au  Palais  de  Monaco  1816).  — 
II  fut  moins  heureux  et  moins  bien  inspire  au  palais 
de  Monaco;  la  Revolution  et  FEmpire  avaient  boule- 
verse  ce  monument;  les  interieurs  etaient  dans  un 
etat  de  delabrement  complet  apres  les  transforma- 
tions successives  de  l'edifice  en  hopital,  en  caserne, 
puis  en  depot  de  mendicite.  Le  prince  fut  effraye  du 
travail  de  restauration  que  comporteraient  d'aussi 
vastes  batiments ;  cedant  a  un  courant  qui  n'etait 
alors  que  trop  a  la  mode,  il  decida  de  restreindre 
l'etendue  du  palais,  et  les  Monegasques  trouverent 
de  l'ouvrage  pendant  cette  meme  annee  18 16  par 
la  demolition  de  Taile  en  bordure  sur  les  allees 
Sainte-Barbe,  en  continuation  de  la  facade,  conte- 
nant  les  salles  historiques  temoins  de  Tassassinat  de 
Lucien,  et  par  celle  du  batiment  des  Bains  qui 
avait  emerveille  auxvne  siecle  les  notes  d'Honore  II. 
Ce  fut  une  mutilation  regrettable  de  deux  parties 
du  palais  tres  interessantes  par  leur  style  ou  par 
le  cote  pittoresque  de  leurs  vieilles  constructions. 

Construction  de  la  route  carrossable  de  la 
Condamine  a  Monaco  (i835-i837).  —  La  refection 

26 


—  4°2  — 
de  la  route  de  Monaco  a  Menton,  la  construction 
par  l'ingenieur  Fortier  d'un  pont  suspendu  sur  le 
Care'i,  preluderent  a  un  travail  qui  modifia  comple- 
tement  non  seulement  Taspect,  mais  encore  les 
conditions  d'existence  de  la  ville  de  Monaco. 

Les  communications  avec  le  port  avaient  conti- 
nue a  se  faire  uniquement  par  la  rampe  rapide,  deux 
fois  repliee  sur  elle-meme,  qui  aboutit  a  la  place 
entre  la  grosse  tour  Sainte  Marie  du  chateau  et  la 
batterie  commandant  la  Condamine;  c'etait  Tan- 
tique  montee  creee  par  les  Genois  au  xme  siecle, 
abordable  seulement  pour  les  pietons  et  les  betes  de 
somme.  II  y  avait  la  aux  relations  de  la  ville  avec 
l'exterieur  un  obstacle  d'autant  moins  justifiable  q  ue 
depuis  les  progres  de  Fartillerie,  la  place  avait 
perdu  ses  qualites  de  forteresse  imprenable. 

Honore  V  resolut  de  relier  le  plateau  a  la  marine 
de  la  Condamine  par  une  route  carrossable  ;  cette 
route,  tracee  a  pente  constante,  s'eleva  en  ligne 
droite  sur  les  flancs  du  rocher  du  cote  du  port  jus- 
qu'a  la  pointe  au-dessus  du  fort  Antoine.  Elle  se 
relia  a  cet  endroit  a  la  grande  avenue  de  la  promenade 
Saint-Martin  aboutissant  a  la  rue  qui  debouche  au 
sud  de  la  place  du  palais. 

Tentatives  de  creation   d'industries  locales 

(i 817- 1 841).   —    Le  developpement  materiel  de    la 
Principaute   ne  comportait  pas  seulement  des   tra- 


—  4°3  — 
vaux  a  executer  ou  hamelioration  des  moyens  de 
communication  ;  le  prince  eut  desire  y  stimuler 
le  commerce  et  l'industrie.  II  suivait  en  cela  les 
traditions  d'Honore  III,  dont  les  tentatives  avaient 
eu  un  certain  succes  intcrrompu  par  les  evenements 
de  la  Revolution.  Penetre  de  Tutilite  de  faire  naitre 
des  sources  de  richesse,  il  pensa  y  parvenir  en  orga- 
nisant,  de  son  initiative  propre  et  a  ses  frais,  plusicurs 
fahriques.  L1entreprise  etait-elle  bien  pratique  ?  pou- 
vait-elle  aboutir  a  autre  chose  qu'a  des  creations 
vouees  a  une  existence  artificielle  et  ephemere  dans  un 
pays  etrangerpar  ses  mceurs  a  desemblables  etablis- 
sements  ? 

Au  siecle  precedent  Honore  III  Tavait  bien 
compris  ;  il  avait  cherche  a  developper,  dans  ce  pays 
essentiellement  agricole,  un  genre  d'exploitation 
industrielle  compatible  avec  les  habitudes  de  la 
population;  il  avait  introduit  dans  ce  but  la  culture 
du  murier  et  Televage  des  vers  a  soie.  Honore  V  se 
trompa,  au  contraire,  en  installant  des  fabriques  de 
toile  et  de  dentelles,  des  ateliers  pour  le  tressage  de 
la  paille  et  la  confection  deschapeaux.  II  n'avait  pas, 
en  outre,  assez  calcule  que,  ces  industries  resserrees 
dans  les  lignes  des  douanes  sardes,  et  privees  de 
debouches  du  cote  de  la  France ,  ne  pouvaient 
prendre  de  developpement,  puisqu'elles  se  trouvaient 
forcement  reduites  a  la  consommation  locale.  II 
espera  cependant  assurer  la  vie  a  ces  fondations  en 


—  4o4  — 
les  defendant  a  l'interieur  par  des  dispositions  pro- 
hibant  Timportation  des  produits  similaires.  La 
encore,  en  genant  les  transactions,  en  forcant  les 
habitants  a  se  fournir  de  produits  inferieurs  en  qua- 
lite,  il  provoqua  de  nouveaux  griefs. 

Echec  des   etablissements   d'Honore  V.  Son 
esprit  systematique.  —  Les  principes  qui  presi- 

daient  aux  creations  du  prince  frappaient  de  sterilite 
les  entreprises  oil  il  apportait  le  desir  incontestable 
de  faire  le  bien,  et  ses  institutions  economiques 
et  financieres,  malheureusement  basees  sur  la  prohibi- 
tion et  le  monopole,  etaient  d'autant  plus  dange- 
reuses  qu'il  s'y  melait  toujoursun  cote  fiscal  plus  ou 
moins  avoue.  Ce  fut  la  pierre  d'achoppement  du 
regne  d'Honore  V  et  ce  qui  prepara  lentement  une 
catastrophe  qu'il  ne  devait  pas  voir.  Travailleur  infa- 
tigable,  il  ne  cessait  de  s'occuper  des  affaires  de  la 
Principaute  ;  sa  correspondance  avec  ses  agents  fut 
d'une  extreme  activite.  II  s'etait  habitue  a  tout  faire 
par  lui-meme;  mais  il  apportait  a  Texecution  de  ses 
moindres  decisions  comme  al'applicationdes  mesures 
dont  il  rfenvisageait  pas  suffisamment  la  nature 
oppressive,  une  raideur  qui  n'admettait  ni  tempera- 
ment, ni  conseil  ;  il  se  refusait  a  toute  attenuation 
et  mettait  autant  d'aprete  dans  les  questions  secon- 
dares, que  dans  celles  qui  touchaient  au  regime 
general  de  son  administration. 


J\.OD    

On  pent  ainsi  comprendre,  par  l'etude  de  son 
caractere,  comment  lc  soin  du  detail  avait  fini  par 
alterer,   chez  un  esprit  absolu    et    systematique,   la 


i 


Honore  V,  prince  de  Monaco 


r,, 


W 


saine  perception  des  consequences  de  ses  institutions 
les  plus  impopulaires  et  dans  lesquelles  il  persista 
avec  tenacite,  malgre  les  appreciations  severes  dont 
son  administration  etait  Tohjet  hors  de  ses  Etats. 


—  406  ~ 

Etudes  et  travaux  d'Honore  V  sur  les  institu- 
tions de  secours. —  Honore  V  ne  fut  cependant  pas 
un  tyran  comme  on  l'a  dit;  si  les  preoccupations 
financieres  l'amenerent  a  des  mesures  fiscales 
facheuses  et  surtout  mal  entendues,  on  vient  de  voir 
que  les  oeuvres  economiques  destinees  a  favoriser  le 
bien-etre  des  travailleurs,  tenaient  une  place  princi- 
pale  dans  son  esprit. 

Cette  antinomie  singuliere  entre  le  but  poursuivi 
et  les  moyens  critiquables  employes  pour  y  atteindre 
est  surtout  apparente  en  une  matiere  oil  le  prince  eut 
a  faire  Implication  de  ses  idees  dans  deux  pays  tres 
differents.  La  recherche  des  moyens  pour  Textinction 
du  pauperisme  etait  Tune  des  questions  qui  preoccu- 
paient  le  plus  vivement  a  cette  epoque  beaucoup  de 
bons  esprits.  Honore  Y  parait  avoir  ete  amene  a  la 
poursuite  de  ce  probleme  par  Tetude  approfondie 
d'une  autre  question  egalement  a  Tordre  du  jour  de 
son  temps ,  celle  des  transformations  du  regime 
penitentiaire.  Dans  sa  vie  parlementaire  en  France, 
il  eut  Toccasion  de  prendre  une  part  active  aux  tra- 
vaux de  la  Chambre  des  Pairs  et  dV  faire  des  com- 
munications specialement  sur  ces  matieres. 

Maisons  de  secours  dans  la  Principaute.  — 

Afin  d'appliquer  ses  idees  dans  la  Principaute,  le 
prince  avait  fonde,  d'abord  a  Menton,  puis  a  Mo- 
naco, des  maisons  de  secours;  mais,  procedant  tou- 


—  4°7  — 
jours  par  le  meme  systeme  qu'il  appliqua  constam- 
ment  dans  ses  etats,  il  entendit  alimenter  les  revenus 
de  ces  etablissements  par  une  taxe  destinee  a  y  pour- 
voir.  Organisees  dans  ces  conditions  et  avec  cette 
attache  fiscale,  ces  maisons  de  secours  donnerent 
des  resultats  extremement  mediocres,  tout  en  deve- 
nant  une  nouvelle  cause  de  charges  et  de  griefs. 

Livre  sur  le  pauperisme ;  societes  de  secours 
fondees  par  Honore  V  en  Normandie  (i 838).  — 

Cet  echec  modifia  ses  idees,  et  il  est  interessant  de 
suivre  le  travail  qui  se  fit  dans  son  esprit  pendant  les 
dernieres  annees  de  sa  vie  sur  ces  questions  et  dont 
la  manifestation  se  retrouve  dans  un  ouvrage  qu'il 
publia  a  cette  epoque  sur  le  pauperisme. 

Le  prince  se  refuse  a  voir  dans  la  mendicite  un 
delit;  il  s'eleve  surtout  contre  l'institution  des 
depots  de  mendicite  qui  privent  les  pauvres  de  leur 
liberte.  II  veut  combattre  ce  mal  par  des  institutions 
de  secours  pour  les  inrirmes  et  par  le  travail  a  pro- 
curer a  Tindigent  valide  ;  il  reconnait  ensuite  que 
l'industrie  et  les  fabriques  ne  peuvent  fournir  utile- 
ment  ce  travail  et  que  c'est  a  Tagriculture  qu'il  faut 
le  demander ;  mais  ces  institutions  doivent,  pour  etre 
fecondes,  emaner  d'associations  libres. 

Or,  tandis  qu'a  Monaco  ses  essais  avaient  abouti 
a  un  avortement,  le  prince  eut  la  satisfaction  de  voir 
ses  idees  reformees  obtenir  des  resultats  prosperes 


—  408  — 

dans  la  partie  de  la  Normandie  oil  il  lui  restait  des 
domaines,  du  cote  de  Vlre.  Peut-etre  Techec  de  Mo- 
naco Teclaira  sur  les  veritables  conditions  de  Toeuvre 
qu'il  avait  entreprise  ;  il  s'apercut  que,  pour  reussir 
en  cette  matiere,  il  fallait,  non  pas  employer  les 
movens  de  contrainte  ou  l'intervention  administra- 
tive, mais  mettre  en  oeuvre  les  forces  vives  de  l'ini- 
tiative  privee.  Les  resultats  extremement  remarqua- 
bles  qu'il  obtint  par  la  constitution  de  societes  de 
secours  dans  la  region  de  Basse-Normandie  durent 
a  la  fois  le  consoler  de  ses  mecomptes  et  Teclairer 
sur  les  vrais  moyens  d'actions  en  matiere  economi- 
que.  On  ne  peut  s'empecher,  en  lisant  son  livre  : 
Le  Panperisme  et  les  moyens  de  le  detruire^  publie 
en  1 838,  de  considerer  cette  ceuvre  comme  un  aveu 
«  in  extremis  »  des  fautes  commises  la  ou  il  n'avait 
rien  laisse  a  la  liberte  et  a  l'initiative  individuelle. 

La  monnaie  d'HonoreV  (1839- 1840). —  II  nous 
reste  a  parler  d1une  autre  erreur  economique  d1Ho- 
nore  V,  celle  de  toutes  qui  a  eu  le  plus  de  retentis- 
sement  a  Texterieur  :  le  retablissement  de  Thotel 
des  monnaies  de  Monaco. 

On  frappa  en  1 83j,  1 838  et  1 840  des  pieces  de  cinq 
francs  en  argent  et  de  cinq  centimes  en  cuivre. 

En  battant  monnaie,  le  prince  usait  d'un  droit  re- 
galien  incontestable,  mais  il  ne  se  rendit  pas  compte 
des  conditions  nouvelles  dans  lesquelles  les  traites 
de  181 5  Tavaient  place. 


—  409  — 

Creer  une  monnaic  qui  maurait  necessairement 
cours  que  dans  Tinterieur  de  la  Principaute  c'etait 
s'exposer  a  la  voir  rapidement  tomber  en  discredit; 
il  eut  fallu  s'entendre  avec  les  etats  voisins.  Or,  on 
n'avait  plus  avec  la  Sardaigne  les  privileges  qu'autre- 
fois  Louis  XIV  avait  accordes  a  Honore  II,  pour  le 
cours  legal  des  pieces  monegasques  en  France. 

Du  reste,  le  prince  eut  du  remarquer  que,  si 
des  emissions  avaient  eu  lieu  jusque  sous  le  regne 


d'Honore  III,  elles  avaient  ete  de  plus  en  plus  rares, 
de  types  de  basse  valeur,  en  quantite  extremement 
restreinte,  et  par  consequent  reservees  a  Tusage  local. 
Honore  V  negligea  completement  de  s'entendre 
avec  la  Sardaigne  pour  Tadmission  de  sa  monnaie; 
il  eut  de  plus  le  tort  de  laisser  les  concessionnaires 
jeter  les  pieces  de  Monaco,  surtout  celles  de  cuivre, 
sur  les  marches  voisins.  II  en  fut  ecoule  brusque- 
ment  une  telle  quantite  a  Marseille  que  leur  presence 
y  causa  une  veritable  emotion  populaire. 


—  4IQ  — 

Cette  importation  de  numeraire  etait  contraire  a  la 
loi  francaise  ;  la  circulation  en  fut  interdite  ;  les  sous 
de  Monaco  provoquerent  des  reclamations  et  des 
plaintes,  et  quoique  leur  valeur  intrinseque  fut 
rigoureusement  egale  et  merae  superieure  a  celle  des 
monnaies  franchises  de  meme  type,  la  reputation 
monetaire  de  Tatelier  de  Monaco  en  fut  atteinte. 

L'accusation  d'emission  de  fausse  monnaie  etait 
absolument  injuste,  mais  elle  fut  la  tres  facheuse 
consequence  d'une  double  erreur  economique. 

Mort  d'Honore  V  (1841  .  —  Honore  V  mourut  a 
Paris,  le  2  octobre  1841.  II  laissait  a  son  frere  cadet, 
le  prince  Florestan,  une  succession  pleine  de  perils, 
accumules  par  vingt-cinqanneesd'une  administration 
qui  avait  souleve  de  profonds  mecontentements. 

Nous  croyons  cependant  rester  strictement  equi- 
table envers  la  memoire  d'Honore  V  en  repetant  ce 
que  nous  avons  deja  dit  :  ce  prince  fut  victime 
d'opinions  absolaes  et  systematiques  qui  paralyse- 
rent  ses  meilleures  intentions,  en  sorte  que  celui  qui 
put  avec  une  bonne  foi  sincere  demander  qu'on 
ecrivit  sur  sa  tombe  :  «  Ci  git  qui  voulut  faire  le 
bien  »,  n'a  guere  laisse  que  le  souvenir  de  ses  insti- 
tutions tyranniques. 


411 


CHAPITRE  XXII 

FLORESTAN    Ier 
(  I  84  I -  I  8  5  6 ) 


Le  prince  Florestan  et  la  princesse  Caroline. 
—  Le  nouveau  souverain  n'avait  ete  prepare  ni  par 
son  education  ni  par  ses  gouts  au  role  difficile  auquel 
la  mort  de  son  frere  l'appelait.  Tout  semblait,  en 
effet,  faire  presager  qu'Honore  V,  un  des  homraes 
les  plus  accomplis  et  les  plus  en  vue  de  son  temps, 
finirait  par  faire  une  grande  alliance  et  laisserait  des 
heritiers  directs.  Cette  perspective  avait  favorise  les 
predilections  du  prince  Florestan  pour  la  vie  privee. 
Eleve  par  sa  mere,  la  duchesse  de  Mazarin,  il  avait 
temoigne  de  bonne  heure  de  gouts  et  d'aptitudes 
exclusivement  litteraires.  II  avait  cependant,  par 
deux  fois,  aborde  la  carriere  militaire;  nomme  en 
Tan  xii  eleve  de  Tecole  de  Fontainebleau,  il  n'avait 
pas  persevere  dans  cette  voie ;  plus  tard  il  avait 
repris  du  service.  Fait  prisonnier  pendant  la  cam- 
pagnedeRussie,  iln'etaitrentreen  France  qu'en  18 14. 


—  412  — 

Son  mariage  avec  la  descendante  d'une  vieille 
famille  de  Champagne  lui  donna  pour  compagne 
unefemme  de  grande  intelligence.  Laprincesse  Caro- 


^  '     1 


ODXVID 

Florestan  Icr,  prince  de  Monaco 


f 


line  etait  appelee  a  occuper  la  place  dominante  qui 
repugnait  aux  habitudes  de  retraite  et  d'obscurite  ou  le 
prince  aimait  a  se  confiner.  Elle  prit  done  dans  la 
famille  le  role  principal  qui  devait  grandir  lorsqu'au 


-  4i  3  - 
recueillement  de  la  vie  privee  succeda  Texercice  du 
pouvoir    souverain.    II    y    cut   la    une    initiation    a 
laquelle  die  s'adonna  avec  une  resolution  d'autant 


Caroline,  princessc  de  Monaco 

plus  meritoirequ'Honore  V  avait  laisse  les  siens  entie- 
rement  etrangers  aux  affaires  de  la  Principaute,  en 
sorte  que  1'eVenement  de  sa  mort  les  surprit  dans  une 
ignorance  complete  des  embarras  qui  les  attendaient. 


—  4i4  — 

Difficulties  de  la  situation;  reformes  neces- 
saires  (1841).  ■ —  Ce  fut  le  malheur  des  debuts  du 
nouveau  regne  :  tous  les  elements  manquaient  pour  se 
diriger  au  milieu dudedaleinextricabled'ordonnances 
et  de  reglements  qui  constituaient  les  instruments  de 
gouvernement  du  prince  defunt.  En  outre,  lecaractere 
absolu  d'Honore  V  n'avait  admis  aucun  conseil, 
aucun  collaborateur  ;  il  n'avait  forme  que  des  agents 
passifs  et  sans  initiative  ;  personne  ne  se  trouva  pres 
de  son  successeurassez  eclaire  pour  montrer  les  vices 
du  re'gime,  ni  assez  independant  pour  peser  sur  sa 
volonte  en  le  persuadant  de  la  ne'cessite  de  mesures 
radicales  etd'une  transformation  complete  de  Tad  mi- 
nistration. 

Une  reforme  entiere  du  systeme  fiscal  s'imposait; 
elle  eut  ete  facile  au  debut;  les  habitudes  modestes 
d'existence  des  nouveaux  souverains  la  rendaient 
praticable;  mais  il  eut  fallu  pour  Textcuter  une  plus 
sure  connaissance  des  vrais  principes  e'conomiques 
meconnus  par  Hon  ore  V  et  une  science  de  gouver- 
nement plus  certaine  pour  les  appliquer.  La  bonne 
volonte  n'y  pouvait  supple'er.  Aussi,  les  premieres 
annees  du  regne  furent-elles  marquees  par  une  suite 
de  demi-mesures ,  le  pire  des  systemes  en  presence 
d'une  population  si  longtemps  pressuree,  et  que  la 
perspective  d1un  sort  meilleur,  incompletement  ob- 
tenu,  fit  bientot  passer  de  l'esperance  enthousiaste  a 
la  mefiance  et  a  Tombrage. 


—  4i5  — 

Accueil  fait  au  nouveau  souverain ;  abolition 
de  T  «  exclusive  »  (1841).  —  L'avenement  de  Flo- 
restan  fut  salue  com  me  le  signe  de  la  delivrance 
et  son  arrivee  dans  la  Principaute  accueillie  par 
les  plus  vives  demonstrations.  On  lui  tit  a  Menton 
une  reception  particulierement  chaude ;  la  voiture 
princiere  fut  detelee  et  trainee  triomphalement  par  le 
peuple.  On  etait  heureux,  apres  le  gouvernement 
d'un  prince  devenu  depuis  longtemps  invisible,  de 
se  trouver  en  contact  avec  des  souverains  accessibles 
et  desireux  de  vivre  dans  le  pays  au  milieu  de  leurs 
sujets.  Mais  si  le  sentiment  populaire  se  traduisait 
par  des  acclamations  sinceres,  il  s'y  melait  l'articu- 
lation  tres  nette  des  besoins  et  des  esperances  de  la 
population  au  sujet  de  la  suppression  des  monopoles. 

Des  le  lendemain  de  cette  journee,  le  24  novem- 
brc  1 841 ,  une  ordonnance  abolissait  la  plus  impopu- 
laire  des  institutions  du  regne  passe;  l1  «  exclusive  » 
des  grains  disparut;  quelques  droits  sur  les  douanes 
furent  abaisses,  ceux  qui  entravaient  le  plus  lourde- 
ment  les  transactions  sur  les  produits  agricoles ; 
divers  reglements  vexatoires  furent  egalement  sup- 
primes. 

Reaction  et  maintien  du  systeme  fiscal  (1841- 
1842).  —  Ce  premier  pas  fait  dans  la  voie  desreformes 
n'eut  malheureusement  que  des  lendemains  intermit- 
tents  et  il  fut  bientot  apparent  quele  regime  resterait 


—  416  — 

le  meme,  puisque  le  systeme  d'apres  lequel  etaient 
etablis  les  impots  n'etait  pas  abandonne  et  que,  par 
consequent,  a  la  disparition  de  Tun  d'eux  il  faudrait 
toujours  suppleer  par  la  substitution  d1un  autre, 
base  d'une  facon  analogue.  En  effet,  la  breche  faite 
aux  revenus  de  la  Principaute  par  les  concessions 
de  la  premiere  heure  causait  deja  aux  gouvernants 
de  serieux  soucis ;  on  s'arreta  dans  la  voie  des 
suppressions  de  taxes  parce  qu1on  ne  vit  pas  le 
moyen  de  les  transformer  ou  qu'on  recula  devant 
des  mesures  pour  Texecution  desquelles  il  eut  fallu 
plus  d'entente  et  plus  d'experience. 

Les  relations  ne  tarderent  done  pas  a  se  refroidir 
avec  la  population  qui,  de  son  cote,  attendait  impa- 
tiemment  la  suite  des  reformes;  on  put  s'en  aperce- 
voir  moins  d'un  an  apres  la  reception  triomphale  de 
Menton.  Le  5  novembre  1842,  une  delegation  des 
habitants  de  cette  ville  vint  apporter  au  prince  une 
adresse  qui  exposaitdans  les  details  les  plus  circons- 
tancies  et  les  plus  pressants  la  situation  penible  dans 
laquelle  se  trouvaient  les  interets  materiels  du  pays. 

L'embarras  du  prince  etait  grand;  il  connaissait  la 
realite  de  la  situation,  mais  il  n'y  trouvait  pas  de 
solution;  la  delegation  fut  econduite  et  les  doleances 
resterent  sans  reponse. 

Trois  mois  plus  tard,  une  ordonnance  du  i3 
Janvier  1843  reglementait  les  delais  accordes  pour 
le  paiement    des    droits    d'entree   sur    les  grains  et 


—  4*7  — 
les    farines.   Des  lors,   le  mecontement  se  tit  jour  et 
Ton  commenca  a  reprocher  au  prince  de  reprendre 
d'une  main  ce  qu'ii  avait  concede  de  l'autre. 

Defiance  systematique  coutre  les  aetes  du 
prince  (i 841-1845).  —  La  plupart  des  actes  de 
Florestan  ne  furent  plus  accueillis  qu'avec  defiance 
et  defaveur,  et  la  tendance  a  rechercher  le  cote  criti- 
quable  dans  toutes  les  mesures  du  souverain  amenaa 
mdconnaitre  les  ameliorations  les  plus  reelles.  Cette 
disposition  d'esprit  etait  malheureusement  explicable: 
meme  en  laissantde  cote  les  causes d'excitation  venues 
de  Fexterieur,  dont  nous  allons  parler  et  dont  Taction 
etait  deja  sensible,  il  etait  evident  que  le  maintien  du 
statu  quo,  ence  qui  concernait  le  regime  fiscal,  devait 
avoir  pour  resultat  d'entrainer  la  population  a  ne  tenir 
qu'un  compte  presque  mil  de  ce  qui  n'apportait  pas 
un  soulagement  direct  aux  charges  contre  lesquelles, 
au  debut  du  regne,  elle  avait  manifeste  ses  doleances 
avec  tant  d'ensemble  et  d'energie. 

Quelques  incidents  de  l'histoire  administrative 
du  regne  feront  ressortir  l'etat  des  esprits  a  cette 
epoque. 

Organisation  des  ecoles  (1843). —  L'injustice 
des  critiques,  qu'on  reunit  plus  tard  en  un  faisceau 
pour  incriminer  en  bloc  l'administration  du  succes- 
seur  d'Honore  V,  est   surtout   saillante  en   ce  qui 


—  4i«  — 
concerne  Teducation  des  enfants,  lesecoles  primaires 
et  le  college  qui  furent  organises  par  ordonnance  du 
24  Janvier  1843. 

Des  salles  d'asile  furent  creees  dans  les  trois 
villes;  cette  fondation,  qui  repondait  a  un  besoin  des 
plus  serieux,  occasionna  des  depenses  auxquelles  on 
fit  face  en  etablissant  une  taxe  dont  le  produit  devait 
etre  applique  a  son  entretien.  Quelque  infime  que  fut 
cette  contribution,  on  n1y  vit  qu'un  nouvel  impot. 

Florestan  etait  tres  en  avance  sur  son  temps  en 
matiere  d'instruction  populaire.  S'il  n'etablit  pas  la 
gratuite  absolue,  il  l'accorda  par  une  disposition 
formelle  aux  enfants  des  families  dont  l'indigence 
etait  constatee,  et  la  retribution  imposee  aux  autres 
ne  depassa  pas  cinquante  centimes par  mois.  On  eleva 
toutes  sortes  de  plaintes  contre  cette  retribution. 

Le  prince  etait  tout  particulierement  preoccupe  du 
vagabondage  des  enfants;  les  moyens  cherches  pour 
remedier  a  ce  mal  firent  Tobjet  de  dispositions  cu- 
rieuses  introduites  dans  Tordonnance  de  reformation 
des  maisons  de  secours.  Tout  enfant  age  de  plus  de 
neuf  ans  devait  trouver  dans  des  ateliers  oil  les 
travaux  etaient  adaptes  a  leur  age,  une  petite  paie  de 
quelques  centimes  et  une  soupe.  S'il  v  avait  la  un 
essai  de  mise  en  pratique  d'idees  utopiques  alors  en 
faveur,  l'initiative  n'en  etait  pas  moins  louable:  mais 
la  population  ne  voulut  voir  que  les  charges  resul- 
tant de  cette  reglementation. 


—  4in  — 

Fondation  du  college  de  Menton  (184LV.  — 
En  meme  temps  qu'il  cherchait  a  assurer  le  sort  des 
enfants  des  families  necessiteuses,  le  prince  voulut 
doter  la  Principaute  d'etablissements  oil  l'instruction 
secondaire  fut  donnee  de  facon  que  ses  sujets  ne 
fussent  plus  tributaires  de  I'etranger.  II  avait  projete 
deux  colleges.  Fun  a  Menton,  l'autre  a  Monaco; 
celui  de  Menton  fut  seul  organise.  Ce  fut  sa  creation 
favorite;  il  en  regla  lui-meme  lesplus  infimes  details. 
Ilinstitua  une  classed"instructionprimairesuperieure 
dans  laquelle  un  cours  supplementaire  d'elements  de 
la  langue  latine  etait  facultatif,  et  deux  classes  des- 
truction secondaire. 

Loin  d'etablir,  comme  on  l'a  dit,  des  droits  sco- 
laires  excessifs,  ceux-ci  furent  relativement  des  plus 
modestes;  et  quoique  le  cadre  de  cette  etude  ne 
comporte  pas  de  tels  details,  nous  pensons  qu'il  est 
bon  de  rappeler  qu'ils  s'elevaient  a  six  francs  par 
mois  pour  la  classe  primaire  superieure,  plus  deux 
francs  pour  Tenseignement  facultatif  du  latin;  ils 
furent  fixes  a  cent  cinquante  et  deux  cents  francs  par 
an  pour  les  classes  d'instruction  secondaire. 

Les  critiques  au  sujet  des  frais  scolaires  etaient 
done  sans  fondement;  mais  on  reprocha  plus  juste- 
ment  au  prince  Florestan  les  mesures  qu'il  prit  pour 
empecher  que  les  enfants  recussent  l'instruction  hors 
de  l'etablissement  qu'il  avait  fonde. 

L'enseignement     primaire    independant,    ne     fut 


—  42°  — 
soumis  qu'a  une  automation  administrative;  mais 
I'enseignement  libre  des  matieres  comprises  au  pro- 
gramme des  colleges  fut  interdit  dans  les  villes  ou 
ces  etablissements  existaient. 

II  faut,  pour  juger  ces  mesures  avec  equite,  les 
comparer  au  regime  restrictif  qui  reglementait  alors 
Tinstruction  secondaire  dans  les  etats  voisins,  notam- 
ment  en  France;  neanmoins  Tordonnance  de  1845, 
dont  les  termes  permettaient  de  poursuivre  jusqu'au 
precepteur  dans  l'interieur  des  families,  etait  une 
imitation  des  plus  malheureuses  de  ce  systeme  de 
protection  a  outrance  instaure  par  Honore  V  pour 
faire  vivre  ses  etablissements  industriels. 

Affaire  du  moulin  a  huile  de  Menton  ( 1 S44- 

1 845).  —  L'etat  d'esprit  de  la  population  se  manifesta 
d'une  facon  particulierement  serieuse  a  Toccasion 
d'une  entreprise  dans  laquelle  on  vit  une  nouvelle 
menace  pour  la  liberte  des  transactions,  et  cette  affaire 
est  restee  une  de  celles  qui  furent  avec  moins  de 
justice  amerement  reprochees  a  radministration  de 
Florestan. 

Le  prince  avait  etc  frappe  de  Tetat  rudimentaire 
des  procedes  pour  le  pressage  des  olives  et  la  fabri- 
cation de  Thuile,  en  sorte  qu'il  s'y  produisait  des 
dechets,  qu'avec  des  engins  mecaniques  perfectionnes 
on  pourrait  reduire  dans  des  proportions  tres  favo- 
rables  pour  lesproducteurs  et  partantpour  leTresor. 


—  421    — 

II  lit,  en  consequence,  etablir  dans  la  vallee  du  Carei 
une  grande  usine  ou  des  machines  construites  en 
Angleterre  devaient  donner  un  debit  ires  superieur. 
On  sait  combien  il  etait  alors  difficile  de  faire  accepter 
les  applications  mecaniques  modernes  par  les  popu- 
lations agricoles;  l'etablissement  nouveau  avait  de 
plus  le  dcsavantage  de  se  rapporter  a  un  genre  d'in- 
dustrie  deja  frappe  d'un  droit  fiscal ;  aussi  lorsqu'une 
ordonnance  eut  etabli  un  tarif  pour  Tachat  direct  aux 
producteurs  par  le  Tresor  des  olives  destinees  a  etre 
triturees  dans  le  nouveau  moulin,  on  ne  vit  plus 
dans  cette  creation  qu'un  acheminement  a  Tacca- 
parement  de  Tune  des  principales  productions  du 
pays.  Une  emotion  tres  vive  se  manifesta;  on  fit  un 
grief  a  la  princesse  Caroline  de  Tinteret  personnel 
qu'elle  avait  pris  a  Tetablissement  et  les  reclamations 
furent  telles  que,  cedant  aux  observations  du  gouver- 
neur  general  de  Villarey,  le  prince  se  resigna  a  le 
fermer. 

Un  progres  reel  eut  etc  accompli  avec  l'usine 
modele,  si  les  mesures  qui  avaient  accompagne  sa 
creation  n'en  avaient  rendu  d'avance  le  fonctionne- 
ment  impopulaire. 

Affaire  du  traite  de  commerce  franco-sarde 
—  Convention  avec  la  France  (1844).  —  Cepen- 
dant  un  acte  habile  et  heureusement  inspire,  du  a 
l'initiative  du   prince,   etait  venu  montrer  en    1844 


—  422  — 
la  voie  dans  laquelle  on  cut  pu  facilement  provoquer 
unc  detente  dans  les  dispositions  de  la  population. 

La  Sardaigne  avait  conclu  un  traite  de  commerce 
avec  la  France ;  en  vertu  des  stipulations  qui  avaient 
accompagne  le  traite  de  Stupiniggi,  la  Principaute 
cut  dii  y  ctre  comprise;  e'etait  une  question  vitale 
puisque  autrement  ses  produits,  semblahles  a  ceux 
de  la  Riviere,  allaient  se  trouver  prives  par  les  tarifs 
douaniers  de  Fecoulement  qu'ils  avaient  toujours 
trouve  en  France.  Mais  la  Sardaigne  n'avait  que  trop 
d'interet  a  voir  se  compliquer  les  difhcultes  econo- 
miques  dont  souffrait  son  protege;  aussi,  malgre  les 
engagements  formels  de  1817,  elle  se  refusa  a  le  faire 
admettre  au  benefice  du  traite  franco-sarde. 

Dans  ces  circonstances,  Florestan  prit  le  parti  de 
faire  supporter  par  le  Tresor  les  consequences  de  la 
situation  faite  a  ses  sujets.  Une  ordonnancc  prescrivit 
lc  remboursement  des  droits  de  sortie  pour  une 
somme  egale  a  la  difference  entre  les  droits  percus 
en  France  sur  les  produits  de  la  Principaute  et 
ceux  qui  atteignaient  les  importations  des  pays 
soumis  a  la  Sardaigne. 

D'autre  part,  des  negociations  entreprises  avec  le 
cabinet  des  Tuileries  aboutirent,  le  17  avril  1844,  a 
une  convention  directe  qui  accorda  les  memes  tarifs 
que  ceux  stipules  avec  la  cour  de  Turin. 

Formation  dun  parti  sarde  separatiste  a 
Menton. —  Cet  incident  eut  pu  avoir  les  consequences 


—  -J-2'0  — 
les  plus  favorables  s'il  eut  ete  le  prelude  dc  degrevc- 
ments  sagement  et  systematiquement  suivis;  cepen- 
dant,  le  mecontentement,  pour  etre  en  1844  peu 
apparent,  rfen  etait  pas  moins  profond  deja;  et  il  y 
avait  lieu  d'en  tenir  d'autant  plus  de  compte  qu'un 
groupe  s'etait  forme  depuis  quelques  annees  qui  nc 
craignait  pas  de  tourner  les  yeux  hors  de  la  Princi- 
paute  et  d'envisager  la  possibility  d'une  rupture  avec 
la  maison  de  Grimaldi,  favorisee  par  les  ambitions 
toujours  eveillees  du  gouvernement  sarde. 

II  faut  reconnaitre  aussi  que  tout  conviait  a  desi- 
gner la  Sardaigne  comme  le  point  d'appui  naturel 
des  mecontents.  Les  imprudentes  conventions  con- 
clues  par  Honore  V  en  1817  avaient  place  la  Prin- 
cipaute  dans  une  situation  telle  que  les  sujets  du 
prince,  admis  a  jouir  dans  les  etats  sardes  des  memes 
droits  que  les  regnicoles  et  rendus  accessibles  aux 
emplois  publics,  pouvaient  arriver  a  considerer 
Tallegeance  envers  la  Savoie  comme  egale  sinon 
superieure  a  celle  envers  les  Grimaldi;  ce  sentiment 
devait  se  faire  jour  surtout  a  Menton  et  a  Roque- 
brune,  oula  chancellerie  de  Turin  avait  habilement 
mele  ses  droits  resultant  de  Tancienne  suzerainete 
avec  ceux  nouvellement  acquis  par  le  transfert  a  son 
profit  du  protectorat  francais. 

Les  families  principales  de  Tetat  monegasque 
avaient  profite  de  cette  situation;  bon  nombre  d'entre 
elles,   et  des  plus  attachees  a   la   maison  princiere, 


—  424  — 
avaient  quelqu'un  de  leurs  membres  soit  dans  Tarmee 
soit  dans  la  marine  sardes.  Elles  trouvaient  de  ce  cote 
des  carrieres  et  des  debouches  qui  leur  manquaient 
dans  la  Principaute  pour  leurs  enfants;  on  s'habituait 
peu  a  peu  a  considerer  le  Piemont  comme  la  grande 
patrie,  embrassant  dans  son  sein  la  petite;  on  com- 
prend  par  consequent  comment,  en  se  laissant  guider 
par  ce  dangereux  mirage,  il  etait  facile  de  glisser  sur 
la  pente  et  combien  aisement  le  mecontent  pouvait 
se  transformer  en  separatiste  ;  ce  fut  le  cas  d'un  assez 
grand  nombre  de  notables  mentonnais. 

Imprudente  negligence  des  princes  au  sujet 
du  commandement  militaire.  —  Sous  le  regne 
d'Honore  V  cette  action  du  Piemont  etait  restee 
inapercue  ou  plutot  elle  avait  ete  completement 
negligee  ;  c'est  a  peine  si  dans  une  occasion  le  prince 
avait  paru  s'en  preoccuper :  un  jeune  officier,  appele 
a  jouer  quelques  annees  plus  tard  le  role  preponde- 
rant dans  la  rupture  avec  les  Grimaldi,  Charles 
Trenca,  se  vit  prive  de  son  grade  de  capitaine  des 
carabiniers  pour  avoir  depasse  la  mesure  dans  la 
manifestation  de  ses  sympathies  pour  la  Sardaigne 
lors  du  service  commemoratif  du  roi  Charles-Felix. 
Mais  cette  disgrace  fut  passagere;  non  seulement 
M.  Trenca  fut  par  la  suite  retabli  dans  son  grade, 
mais  on  l'appela  suecessivement  a  des  fonctions 
importantes  et  de  confiance. 


—    423    — 

Cct  incident  n'avait  ete  qu'un  episode  isole; 
Honore  V,  si  jaloux  de  ses  droits  dans  son  adminis- 
tration interieure,  s'etait  montre  d'une  singuliere 
incurie  pour  la  sauvegarde  de  ses  prerogatives  vis-a- 
vis de  la  Sardaigne ;  apres  avoir  fait  des  le  debut,  ainsi 
qiTon  Ta  vu,  les  concessions  les  plus  graves,  il  avait 
abandonne  par  la  suite  jusqu'aux  garanties  essentielles 
que  le  traite  de  Stupiniggi,  reproduisant  les  termes 
memes  du  traite  de  Peronne,  lui  avait  assurees.  L'ar- 
ticle  2  de  ce  traite  avait  etabli  dans  la  place  de  Mo- 
naco un  lieutenant  entierement  subordonne  au 
prince,  gouverneur  militaire  hereditaire,  auquel  il 
devait  preter  serment  en  entrant  en  charge.  Honore  V 
s'etant  desinteresse  absolument  du  commandement, 
avait  laisse  son  lieutenant  prendre  directement  les 
ordres  des  autorites  militaires  sardes  qui  l'avaient, 
au  mepris  des  traites,  revetu  de  la  qualite  de  «  lieu- 
tenant des  armes  de  S.  M.  le  roi  de  Sardaigne  ». 

En  1843,  Florestan  ayant  adresse  a  cet  officier, 
qui  etait  en  outre  son  sujet,  des  observations  pour 
un  voyage  fait  a  Turin  sans  son  autorisation,  celui-ci 
ne  craignit  pas  de  renvoyer  son  souverain  au  roi  de 
Sardaigne,  s'il  crovait  avoir  des  plaintes  a  articuler. 
Le  prince  ne  se  sentit  pas  en  etat  d'elever  un  conflit 
pour  ce  veritable  attentat  a  ses  droits.  On  verra 
comment  la  chancellerie  sarde  sut  proriter  de  Tim- 
prudence  et  de  I'inertie  des  princes  et  abuser  de  la 
situation  usurpee  par  le  lieutenant  pour  en  faire 
Tagent  actif  de  sa  politique  de  secession. 


—  426  — 

Tentatives  de  la  Sardaigne  pour  la  cession 
de  la  Prineipaute ;  son  attitude  devient  hostile 

( 1 841  - 1 847). —  A  la  mort  d'Honore  V,  la  Sardaigne 
crut  entrevoir  la  possibilite  d'amener  le  successeur 
du  prince  defunt  a  la  cession  de  ses  etats. 

Au  debut  du  nouveau  regne,  en  erTet,  Florestan  et  sa 
famille,  effrayes  de  la  difficulte  de  la  situation  inte- 
rieure,  envisagerent  cette  eventualite  assez  serieuse- 
ment ;  ils  etaient  encore  sous  cette  impression  lorsque, 
pendant  Tannee  1842  le  prince  Charles,  prince  here- 
ditaire,  se  rendit  a  Turin  pour  saluer  le  roi  au  nom 
de  son  pere.  Le  choix  comme  aide  de  camp  dans  cette 
mission  de  M.  Trenca,  dont  les  sympathies  pour  la 
Sardaigne  etaient  notoires,  indique  qu'a  ce  moment 
Florestan  ne  repoussait  pas  enccre  Tidee  de  la  cession. 
II  en  fut  question  a  la  cour  de  Turin,  ou  le  prince 
Charles  fut  Tobjet  des  attentions  les  plus  empressees 
et  son  aide  de  camp  traite  avec  une  faveur  marquee. 
Mais  le  prince,  malgre  sa  jeunesse,  envisageait  deja 
l'avenir  d'un  coeur  trop  haut  pour  se  laisser  seduire 
par  un  rang,  quelque  rapprocne  qu'il  fut  de  la  famille 
royale,  et  par  une  alliance  qui  Teut  rattache  a  la 
maison  de  Savoie.  Le  droit  d'heredite  le  destinait  a 
etre  souverain,  il  ne  se  fut  pas  resigne  a  la  situation 
de  prince  mediatise.  Sa  volonte  coupa  court  a  des 
tentatives  qui  ne  prirent  cependant  entierement  fin 
qu'apres  la  visite  faite  en  1 844  a  Genes  au  roi  Charles- 
Albert  par  Florestan  et  sa  famille. 


—  4-'7  — 
La  chancellerie  de  Sardaigne'n'avait  pas  attendu 
cette  epoque  pour  susciter  des  embarras  au  gouver- 
nement  monegasque,  comme  le  montre  I'affaire  du 
traite  franco-sarde ;  on  peut  voir  des  lors  egalement 
I'esprit  d'acrimonie  s'exalter  a  Menton  contre  les 
actes  de  radministration  princiere,  et  se  dessiner  le 
parti  qui  recherchera  jusqu'a  la  separation  Tappui 
de  la  Sardaigne. 

Mariage  du  prince  hereditaire  Charles  avec 
mademoiselle  deMerode  (1846.  —  Cet  etat  latent 
n'attendait  qu"une  occasion  pour  se  reveler  ;  nean- 
moins  le  loyalisme  de  la  population  se  manifesta 
d'une  maniere  eclatante  lorsqu'a  la  fin  de  1846  le 
prince  hereditaire  vint  dans  la  Principaute  apres 
la  celebration  de  son  mariage  avec  mademoiselle 
Antoinette  de  Merode,  accompli  a  Bruxelles,  le 
28  septembre  de  cette  annee. 

Mouvement  liberal  enltalie;  premiere  mani- 
festation et  petition  des  Mentonnais  (novembre 
1  847  .  —  Cependant,  le  moment  etait  proche  oil  le 
mouvement  liberal  qui  suivit  l'exaltation  de  Pie  IX 
et  qui  bouleversa  tous  les  etats  d'italie,  allait  fournir 
Toccasion  attendue  a  Menton.  Le  roi  Charles-Albert 
et  ses  conseillers  avaient  compris  I'avenir  reserve  au 
royaume  de  Sardaigne  si  la  maison  de  Savoie  se 
mettait  a  la  tete  du  mouvement  liberal  et  de  grandes 
reformes  venaient  d'etre  promulguees. 


—  428  — 

La  repercussion  de  ces  evenements  produisit  a 
Menton  une  agitation  qui  ne  fit  que  grandir  pendant 
le  mois  d'octobre  1847.  Le  4  novembre,  a  Toccasion 
de  la  fete  de  Charles-Albert,  une  manifestation  fut 
organisee  ;  on  illumina,  on  promena  le  buste  du 
roi  de  Sardaigne  dans  les  rues  aux  cris  de  :  «  Vive 
Pie  IX!  Vive  le  Roi !  »,  auxquels  se  melaient  cepen- 
dant  ceux  de  «  Vive  Florestan  !  ».  L'abstention  de 
M.  Trenca  fut  ce  jour-la  remarquee ;  malgre  les 
clameurs  et  les  injonctions  de  la  foule,  il  refusa 
d'illuminer  sa  maison. 

Le  surlendemain,  6  novembre,  une  deputation 
apportait  au  gouverneur  general  une  petition  adressee 
au  prince  reclamant  la  promulgation  destitutions 
politiques  semblables  a  celles  de  la  Sardaigne. 

Cette  manifestation  etait  un  svmptome  d'autant 
plus  serieux  qu'on  ne  pouvait  se  faire  illusion  sur  ses 
tendances  separatistes ;  Tabstention  de  M.  Trenca. 
revetu  de  fonctions  publiques  et  qui,  par  cette  raison, 
voulut  rester  correct,  soulignait  encore  le  caractere 
du  mouvement. 

La  grande  majorite  de  la  population,  a  Texemple 
des  plus  notables  de  la  vieillearistocratie,  etait  encore 
lidele ;  mais  elle  s'accordait  avec  les  esprits  les  plus 
remuants  pour  desirer  l'obtention  des  reformes.  II 
suffisait  done  d1une  fausse  manoeuvre,  d'une  resis- 
tance mal  inspiree  ou  de  la  persistance  dans  les  demi- 
mesures  pour  grossir  brusquement  le  nombre  des 
manifestants  d'une  masse  importante  de  decourages. 


—  429  — 
Hesitations  du    prince   Florestan    (novembre 
1847.  —  En  transmettant  la  petition,  le  gouverneur 
general  de  Villarey,  quelque  timideet  timore  qu'ilfut, 

ne  laissa  pas  de  montrer  la  gravite  de  la  situation; 
il  insistait  sur  la  necessite  absolue  de  concessions 
tres  larges  qui  separassent  immediatement  des  me- 

neurs  la  partie  ridele  de  la  population. 

Ces  conseils  ne  furent  pas  ecoute.-.  ;  le  prince  se 
meprit  sur  le  caractere  des  evenements  dont  il  crut 
pouvoir  conjurer  le  danger  par  des  moyens  dila- 
toires;  des  ordres  contradictoires  se  succederent  :  en 
meme  temps  qu'il  faisait  repondre  verbalement  aux 
consuls  de  Menton  par  le  gouverneur  que  des  son 
arrivee prochaine  il  s'occuperaitdes  reformes  deman- 
ded, il  envovait  a  M.  de  Villarey  une  ordonnance, 
signee  le  16  novembre,  annoncant  la  mise  a  Tetude 
d'une  organisation  communale  et  d'un  projet  de 
transformation  de  Tassiette  des  impots  sur  la  base  du 
retablissement  de  Timpot  foncier;  en  attendant,  il 
annoncait  une  reduction  d'un  tiers  sur  les  tarifs. 

Cependant,  en  meme  temps  que  Tordonnance  qui 
contenait  le  maximum  de  ce  que  le  souverain  enten- 
dait  conceder,  le  gouverneur  recevait  pour  instruc- 
tions de  ne  la  promulguer  qu'a  la  derniere  extremite 
et,  d'autre  part,  il  lui  etait  enjoint  de  s'opposer  par 
la  force  aux  manifestations  en  faisant  arreter  les 
chefs,  soit  en  se  servant  des  carabiniers,  soit  meme 
en  ayant  recours  aux  troupes  piemontaises  de  la 
garnison  de  Monaco. 


—  _|.3 u  — 
Ces  ordres  consternerent  le  gouverneur;  il  sentait 

que  le  mouvement  etait  devenu  si  intense  que  les 
promesses  et  les  demi-concessions  de  Tordonnance 
allaient  causer  un  eflfet  desastreux  et  peut-etre  provo- 
quer  une  explosion;  aussi,  usant  de  la  faculte  que  le 
prince  lui  laissait.  dans  une  intention  il  est  vrai 
diametralement  opposee,  il  ne  publia  pas  Tordon- 
nance  et  il  insista  afin  d'obtenir  de  nouveaux  ordres, 
ne  craignant  pas  de  declarer  que  l'arrivee  de  la 
famille  souveraine,  sans  qu'il  ait  etc  davantageaccorde 
aux  petitionnaires,  ne  ferait  qu'accentuer  l'expression 
du  mecontentement  general  et  provoquer  des  mani- 
festations de  plus  en  plus  serieuses. 

Florestan  demande  renvoi  des  troupes  pie- 
montaises  a  Mentou  [novembre  1847  •  —  Cette 
insistance  d'un  vieux  et  devoue  serviteur  n'obtint 
aucun  succes.  Florestan  resta  convaincu  qu'il  serait 
facile  de  reprimer  des  menees  qui  n'avaient  pas  encore 
pris  le  caractere  d'une  sedition;  a  sa  demande  un 
detachement  des  troupes  sardes  de  Monaco  vint 
occuper  Menton,  le  2  5  novembre,  pour  y  assurer  la 
securite. 

Le  prince  ne  pouvait  prendre  une  decision  plus 
dangereuse  ni  plus  contraire  a  ses  interets ;  elle  n'est 
explicable  que  par  la  persuasion  oil  il  demeurait  que 
la  situation  n'etait  pas  serieuse.  Mais,  ce  qui  etait  de 
la  derniere  gravite,  e'est  qu'il  erfacait  ainsi  de  sa  propre 


-43 1  - 
main  les  clauses inscrites  dans  le  traite  de  protectorat 
qui  etaient  la  sauvegarde  de  son  independance  et  de 
ses  droits  souverains  :  celles  d'apres  lesquelles  le 
protecteur  ne  devait  s'immiscer  en  aucunefacondans 
les  affaires  interieures  de  la  Principaute;  et  cette 
decision  etait  d'autant  plus  imprudente  quelle  remet- 
tait  la  repression  d'un  mouvement  politique  aux  mains 
des  troupes  d'une  puissance  dont  les  visees  etaient 
notoires,  et  sur  laquelle  les  meneurs  comptaient 
ouvertement.  Cetait,  en  tous  cas,  placer  ces  troupes 
et  ceux  qui  les  commandaient  dans  une  situation 
fausse,  qui  eut  suffi  pour  paralyser  Taction  toujours 
hesitante  d'une  force  militaire  au  debut  d'un  mouve- 
ment revolutionnaire. 

Publication  de  Tordonnance ;  mauvais  effet 
produit  (decembre  1847).  —  Le  3o  novembre, 
Florestan  annoncait  son  depart  de  Paris  et  les  refor- 
mes  qu'il  concedait,  et  le  3  decembre  on  affichait 
enfin,  par  son  ordre,  Tordonnance  du  16  novembre. 

11  se  produisit  alors  un  phenomene  qui  se  renou- 
vela  pendant  toute  cette  periode  et  qui  temoigne  de 
Taction  occulte  a  laquelle  des  Torigine  obeit  le  mou- 
vement ;  les  decisions  princieres  furent  d'abord 
accueillies  par  des  demonstrations  de  joie  ;  mais  lors- 
que  le  soir  la  population  en  fete  sortit  dans  les  rues 
illuminees,  on  iTentendit  plus  que  les  cris  mena- 
cants  de  a  Vive  Charles-Albert!  ».  On  verra  les  choses 


—  432  — 

se  passer  ainsi  pendant  toute  la  crise;  a  une  explo- 
sion spontanee  de  loyalisme  succedera  quelque 
desordre  immediat  ou  prochain  en  sens  tout  oppose. 
L'effet  de  rordonnance  avait  du  reste  ete  ce  que  le 
gouverneur  avait  prevu ;  des  promesses  vagues  ne 
pouvaient  compenser,  meme  aux  yeux  des  Menton- 
nais  fideles,  Tinsuffisance  de  la  diminution  concedee 
sur  les  tarifs.  Des  reunions  furent  tenues  chez 
M.  Trenca,  qui  commencait  a  sortir  d'une  reserve 
calculee;  on  convint  de  reclamer  au  moins  une 
reduction  de  moitie  et  non  pas  seulement  une  reforme 
communale,  mais  des  institutions  concues  dans  le 
sens  du  nouvel  etat  politique  inaugure  dans  le 
royaume  de  Sardaigne. 

Arrivee  du  prince;  destitution  de  M.  Trenca; 
effervescence  populaire  (decembre  1847).  —  Le 
prince  et  sa  famille  arriverent  a  Monaco  le  9  decem- 
bre; les  dispositions  que  Florestan  apportait  etaient 
rien  moins  que  favorables  aux  reclamations,  qui 
allaient  se  produire;  la  deputation  mentonnaise  qui 
se  presenta  aussitot,  fut  congediee  sans  etre  recue. 
M.  Trenca,  qui  parvint  a  penetrer  aupres  du  souve- 
rain  et  rit  ce  qu'il  considerait  comme  une  supreme 
demarche  de  conciliation,  se  retira  apres  qu'on  lui 
eut  notifie  la  destitution  de  toutes  ses  charges  et 
fonctions. 

Cette  mesure  etait  au  plus  haut  degre  impolitique. 


-  433  - 

M.  Trenca,  reste*  fonctionnaire,  cut  ete  contenu ;  sa 
revocation  en  tit  le  chef  cTune  opposition  d'autant 
plus  redoutahle  qu'elle  apportait  aux  adversaires  le 
concours  d'une  intelligence  des  plus  souples  et  d'un 
credit  deja  ancien  a  la  cour  de  Turin.  A  ce  moment, 
on  eut  pu  encore  se  seryir  de  ce  personnage  comme 
d'uii  moderateur;  on  en  fit  un  irreconciliable.  Une 
semaine  ne  sY-tait  pas  ecoulee  que  le  prince  recon- 
naissait  lui-meme  L'etendue  de  la  faute  commise. 

L'ordonnance  relative  aTorganisationcommunale, 
promulguee  le  lendemain  10  decembre,  ne  produisit 
aucun  effet  et  reffervescence  ne  fit  que  croitre  a 
Menton. 

Le  prince  hereditaire  a  Menton;  manifesta- 
tions (decembre  1847).  —  Des  le  12,  on  passait  au 
palais  de  Monaco  d'un  optimisme  aveugle  a  une 
comprehension  plus  nette  de  la  situation ;  on  se 
decida  a  envoyer  le  prince  hereditaire  a  Menton; 
Taccueil  qu'il  avait  recu  Tannee  prccedente  faisait 
presager  une  bonne  journee;  on  ne  se  trompait  pas; 
la  belle  prestance  et  le  grand  air  du  prince  Charles 
eurent  encore  le  meme  succes. 

Une  imposante  manifestation,  composee  de  plu- 
sieurs  milliers  de  personnes,  prit  la  route  de  Carnoles ; 
le  cure  de  Menton,  Tabbe  Carles,  se  fit  Tinterprete 
des  sentiments  loyaux  des  habitants,  mais  en  meme 
temps  de  leurs  revendications.  La  reponse  qui  fut  faite 

28 


—  434  — 
provoqua  les  plus  vives  acclamations  ;  la  foule  lit  au 
prince  hereditaire  une  escorte  triomphale  a  Thotel  de 
ville;au  retour,  on  traina  sa  voiture  detelee  jusqu'a 
Carnoles. 

Le  jour  suivant,  les  consuls  reunis  au  palais  de 
Monaco  commencaient  la  discussion  des  reformes 
concedees;  on  pouvait  croire  a  un  accord;  mais  on 
s'apercut  bien  vite  que  le  mouvement  avait  trouve  un 
chef  :  a  leur  rentree  a  Menton,  les  delegues  allerent 
conferer  chez  M.  Trenca. 

Nouvelles  concessions;  retraite  du  gouver- 
neur  general  de  Villarey  (decembre  1847).  — 
Le  prince  Florestan  et  sa  famille  vinrent,  le  14  de- 
cembre, a  Carnoles;  de  la  ils  se  rendirent  a  l'hotel  de 
ville  de  Menton,  oil  se  renouvelerent  des  manifesta- 
tions semblables  a  celles  qui  avaient  accueilli  le 
prince  hereditaire  deux  jours  auparavant.  On  avait 
compris  la  necessite  d'etendre  les  concessions  ;  une 
ordonnance  du  18  decembre  prescrivit  une  diminu- 
tion de  moitie  sur  les  tarifs  des  douanes  et  retablit 
Fimpot  foncier  a  la  place  du  systeme  des  taxes  ;  enfin, 
le  conseil  d'Etat,  oil  l'element  electif  serait  represente, 
preparerait  desormais  les  lois. 

Par  une  derniere  disposition,  le  prince  acceptait  la 
demission  du  gouverneur  general  de  Villarey;  les 
meneurs  avaient  impose  cette  mesure.  Le  gouverneur 
portait  tout  le  poids  de  l'impopularite  du  systeme 


—  435  — 

qui  sombrait;  sa  clairvoyance  et  ses  conseils  dans 
les  derniers  temps  ne  le  sauverent  pas  de  la  disgrace. 
II  lui  etait  indifferent  d'emporter  dans  sa  retraite 
l'animosite  qu'il  s'etait  attiree  par  son  obeissance 
passive  aux  ordres  souverains,  il  devait  etre  plus 
sensible  a  Taccusation,  dont  il  fut  plus  tard  Tobjet, 
d'avoir  etc  un  serviteur  suspect  des  princes  pour 
lesquels  il  s'etait  constamment  devoue.  On  chargea 
M.  de  Villarey  des  fautes  contre  lesquelles  il  s'etait 
precisement  eleve.  L'impartiale  histoire  veut  que  jus- 
tice soit  rendue  a  la  memoire  de  ce  loyal  gentilhomme 
qui,  reste  a  Menton  temoin  desole  des  evenements, 
fut  a  plusieurs  reprises  expose  a  des  attentats  contre 
lui  ou  contre  ses  plus  proches,  de  la  part  de  ceux 
dont  on  voulut  retrospectivement  le  faire  le  secret 
complice. 

Aggravation  du  desordre;  role  des  troupes 
sardes  (decembre  1847).  —  L'accueil  fait  aux  con- 
cessions fut  loin  d'etre  celui  que  Florestan  espe- 
rait;  accordees  quinze  jours  plus  tot,  elles  eussent 
provoque  une  detente;  le  degrevement  et  une  ordon- 
nance  en  matiere  communale  eut  pu  suffire  ;  mais  le 
conflit  s'etait  elargi  sur  le  terrain  politique  et  la 
reforme  du  conseil  d'Etat  promise  paraissait  devoir 
etre  timide  et  restrictive. 

Les  agitateurs  n'eurent  pas  de  peine  a  faire  sentir  ce 
defaut  a  une  population  rendue  defiante  par  de  trop 


—  4'36  — 

longues  hesitations  ;  on  vit  alors  les  rumeurs  s'accen 
tuer,  les  attroupements  se  constituer  menacants  ;  le 
prince  hereditaire  tenta  de  renou veler ,  le  2 o  decembre, 
la  demarche  qui,  la  semaine  precedente,  avait  bien 
reussi ;  accueilli  d'abord  avec  une  deference  froide 
dans  la  promenade  a  cheval  qu1il  fit  de  Carnoles  a  la 
frontiere  sarde  du  pont  Saint-Lonis,  il  se  trouva  au 
retour  devant  Thotel  de  ville  entoure,  apostrophe  et 
meme  insulte  par  un  groupe  d'individus  qu'on  retrou- 
vera  desormais  dans  toutes  les  manifestations.  Cette 
scene  se  passait  sous  les  yeux  du  poste  piemontais 
sorti  pour  rendre  les  honneurs  au  prince;  malgre 
Tappel  fait  aux  chefs,  les  troupes  n'intervinrent  pas 
et  assisterent  impassibles  au  desordre.  L'attitude 
de  la  garnison  se  dessinait.  Le  major  general  Gonnet, 
commandant  la  place  de  Monaco  sous  le  prince  et 
etabli  a  Menton  depuis  la  demarche  imprudente  de 
Florestan,  objecta  qu'il  n'avait  qu'a  assurer  la  securite 
publique  et  non  a  intervenir  dans  une  manifestation 
politique. 

Voyage  du  prince  hereditaire  a  Turin;  mani- 
festations tumultueuses  a  Menton ;  attitude  de 
la  Sardaigne  (decembre  1847-janvier  1848). —  II 
etait  clair  qu'il  y  avait  entente,  au  moins  person- 
nels, entre  les  chefs  piemontais  a  Menton  et  les 
opposants  ;  on  ne  voulut  pas  croire  a  la  connivence 
de  la  cour  de  Turin  et  Taveuglement  de  Florestan 


—  -P7  — 
etait  si  grand  sous  ce  rapport,  que,  des  l'origine, 
desireux  d'imiter  les  reformes  faites  dans  le  royaume, 
il  avait  demande  a  la  chancellerie  royale  des  indica- 
tions et  des  documents  pour  operer  les  memes  mo- 
difications politiques  chez  lui. 

Le  prince  hereditaire  se  rendit  a  la  cour  de  Pie- 
mont  et  y  porta  les  plaintes  contre  Tattitude  du 
general.  Comme  toujours,  il  recut  un  accueil  des 
plus  courtois,  on  consentit  a  remplacer  les  troupes 
venues  de  Monaco  par  un  nouveau  bataillon  tire  de 
Nice,  mais  le  general  Gonnet  ne  fut  pas  remplace; 
c'etait  Tapprohation  donnee  a  la  singuliere  facon 
d'assurer  Tordre  dont  le  prince  hereditaire  avait  ete 
victime.  Le  nouveau  bataillon,  comme  cela  se  passe 
toujours  dans  les  temps  revolutionnaires,  fut  accueilli 
avec  les  marques  les  plus  vives  de  sympathie  a 
Menton  ;  les  manifestants  allerent  au-devant  de  lui 
en  portant  triomphalement  le  buste  de  Charles- 
Albert;  les  nouvelles  troupes  fraterniserent  de  suite. 

Cependant  les  manifestations  continuerent  sous 
l'oeil  bienveillant  de  la  garnison  sarde ;  elles  devinrent 
journalieres;  ce  fut  un  jeu  sans  danger  auquel 
la  population  s'habitua;  Tesprit  revolutionnaire  fit 
des  recrues. 

Le  gouvernement  sarde  sentit  neanmoins  la  neces- 
site  de  ne  pas  accentuer  trop  vite  sa  sympathie  pour 
les  manifestants  vis-a-vis  de  l'Europe  et  surtout  de 
la  France.  II  savait  que  si  les  menees  separatistes  de 


—  438  — 
Menton  pouvaient  irouver  des  approhateurs  a  Paris 
aupres  de  la  presse  de  l'opposition,  habilement  pre- 
venue  par  l'intermediaire  de  quelques  personnages 
d'origine  mentonnaise,  ces  menees  etaient  jugees 
avec  severite  par  le  cabinet  des  Tuileries,  qui  y 
voyait  une  atteinte  a  Tintegrite  de  la  principaute, 
garantie  par  les  traites  de  1 8 1 5 .  Le  ministere  sarde 
du  roi  Charles-Albert  resolut  en  consequence  de 
prendre  une  attitude  en  apparence  plus  favorable 
au  maintien  de  Tordre  et  Tonprescrivit  l'envoi  d'une 
brigade  de  carabiniers  qui,  venue  de  Nice,  fut  installee 
le  i  g  Janvier,  et  dont  la  presence  suffit  pour  retablir 
le  calme  pendant  quelques  jours. 

Les  Mentonnais  demandent  la  constitution 
sarde ;  octroi  d'une  charte  trouvee  insuffisante 

(io-i3  fevrier  1848).  —  Dans  l'intervalle,  le  mouve- 
ment  liberal  avait  realise  en  Italie  de  nouvelles 
conquetes  :  le  roi  de  Sardaigne  avait  complete  les 
concessions  de  Tannee  precedente  par  Toctroi  d'une 
constitution  ;  le  10  fevrier,  on  redigea  a  Menton  une 
nouvelle  petition  ou  etait  demandeeTapplication  a  la 
principaute  de  la  constitution  sarde. 

Assailli  par  cette  nouvelle  revendication,  Florestan 
espera  encore  pouvoir  eluder ;  il  fit  remarquer  aux 
delegues  tout  ce  qu'il  avait  deja  accorde  depuis  deux 
mois  et  tout  ce  que  ses  sujets  avaient  acquis  par  ses 
concessions  :  la  reforme  des  tarifs,  Tabaissement  des 


—  4^9  — 
taxes,  l'imp6t  foncier,  Forganisation  communale; 
les  autres  concessions  etudiees  n'etaient  pas  encore 
pretes;  il  demandait  un  peu  de  temps  pour  les 
accomplir  avec  maturite.  Neanmoins,  Tattitude 
des  manifestants  devenant  plus  menacante,  il  se 
resolut  a  repondre  a  leur  requete.  Cette  reponse 
parut  le  i3  fevrier  sous  forme  de  «  charte  ».  Elle 
contenait  Forganisation  promise  d'un  conseil  d'Etat 
dans  lequel  Telement  electif  comptait  six  delegues 
elus  par  les  trois  villes,  a  cote  d'un  egal  nombre  de 
membres  nommes  par  le  prince. 

Les  esprits  etaient  trop  exaltes  pour  que  cette 
institution  eut  chance  d'etre  bien  accueillie.  En  fait 
les  conseillers  elus  se  trouveraient  en  minorite  con- 
tre  les  voix  preponderantes  du  president  nomme  par 
le  souverain  et  du  prince  hereditaire  ajoutees  a  celles 
des  membres  choisis  directement  par  le  prince.  De 
plus,  les  delegues  de  Monaco,  dont  les  habitants 
n'avaient  manifeste  aucun  interet  pour  les  reformes, 
n'appuiraient  pas  les  revendications  de  Menton. 

Florestan  oblige  de  laisser  entiere  liberte 
d'action  au  general  Gonnet.—  La  «  charte  »  fut  done 
consideree  comme  une  deception;  M.  Trenca  donna 
personnellementlesignaldes protestations;  letumulte 
devint  de  plus  en  plus  grand.  Invite  par  le  prince  a 
faire  respecter  Tordre,  le  general  Gonnet  repondit 
qu'il  ne  pourrait  Tassurer  qu'en  obtenant  une  entiere 


—  44o  — 
liberte  d'action.  Le  prince  s'y  resigna  ;  le  comte 
d'Adhemar  de  Lantagnac,  investi  des  pouvoirs  de 
delegue  general  a  Menton,  donna  sa  demission 
et  les  carabiniers  princiers  furent  retires;  au  surplus, 
la  force  publique  etait  deja  de  fait  entre  les  mains 
du  commandant  des  troupes  soi-disant  protectrices. 

Reception  par  Charles-Albert,  comme  suze- 
rain de  Menton  et  de  Roquebrune,  d'une  adresse 
des  Mentonnais  (22  fevrier  1848).  —  Une  notifica- 
tion faite  par  le  general  le  22  fevrier,  montrait 
comment  cet  officier  et  son  gouvernement  enten- 
daient  cette  liberte  d'action.  II  annonyait  l'accueil 
favorable  fait  par  le  roi  Charles-Albert  a  une  petition 
des  Mentonnais  reclamantsa  protection.  Le  roi  avait 
promis  d'etudier  les  dispositions  qu'il  aurait  a  prendre 
en  sa  qualite  de  suzerain,  pour  aviser  a  la  situation. 

Yoila  le  dernier  mot  de  cette  campagne;  les 
masques  se  soulevaient,  et  le  droit  de  suzerainete,  si 
imprudemment  reconnu  par  Honore  V,  devenait 
l'arme  dont  on  entendait  se  servir  pour  legitimer 
jusqu'au  bout  la  rebellion,  sous  pretexte  des  regies 
surannees  du  droit  feodal. 

Florestan  concede  une  constitution  calquee 
sur  celle  de  la  Sardaigne  (25  fevrier  1848).  — 
Le  prince  Florestan  recoltait  malheureusement  le 
fruit   de  ses  hesitations  ;   encore   une  fois  il   s'etait 


—  44i  — 
laisse  arracher  des  concessions  qui,  faites  quelques 
semaines  plus  tot,  eussent  retenu  les  moderes  dans 
la  fidelite  ;  a  Theure  presente,  la  «  charte  »  n'etait 
plus  qu'une  demi-mesure.  Etait-il  encore  possible  de 
sauver  la  situation  ?  oui  peut-etre,  puisque  aucune 
parole  de  rupture  definitive  n'avait  ete  prononcee. 
Florestan  se  decida,  le  25  fevrier,  a  promulguer 
une  constitution  calquee  sur  celle  de  la  Sardaigne. 

Situation  et  role  de  M.  Trenca  fevrier  1848). 
—  Le  terrain  etait  deblaye;  le  souverain  avait  fait 
des  concessions  qui  allaient  jusqu'a  Tabandon  le  plus 
complet  de  ses  prerogatives;  M.  Trenca  et  ses  amis 
dominaient  exclusivement ;  aucune  reaction  n'etait  a 
redouter,  et,  si  le  prince  Florestan  et  sa  famille  en 
eussent  caresse  l'arriere-pensee,  ils  n'eussent  eu  aucun 
moyen  present  de  la  tenter  et  ils  lVen  pouvaient 
envisager  dans  Tavenir  le  plus  eloigne  la  possibility. 
En  ce  cas,  du  reste,  il  leur  eut  fallu  compter  meme 
avec  leurs  partisans  les  plus  devoues,  en  commu- 
naute  de  sentiment  avec  les  esprits  avances  pour  le 
maintien  destitutions  liberales  desirees  de  tous. 

M.  Trenca  eut  done  ete,  s'il  Teut  voulu,  Tarbitre 
de  la  principaute  tout  entiere  et  Monaco  eut  fini  par 
le  suivre  comme  Menton  et  Roquebrune.  A  ce  mo- 
ment, il  pouvait  veritablement  bien  meriter  de  la 
patrie  en  mettant  d'accord  son  amour  du  bien  public 
avec  le  lovalisme  envers  les  Grimaldi.  S'il  n'embrassa 


—  442  — 
pas  cette  ligne  de  conduite,  c'est  que  M.  Trenca  n'etait 
plus  libre  et  que  ses  engagements  etaient  formels. 
Entrevit-il  meme  Tissue  glorieuse  oil  pouvaitaboutir, 
par  sa  volonte,  la  campagne  menee  depuis  trois  mois 
et  qui  eut  revele  en  lui  un  veritable  homme  d'etat? 
(Test  peu  probable;  Tesprit  de  parti  Tempecha  de 
percevoir  la  voie  qui  eut  assure  le  bien-etre,  la  liberte 
et  la  securite  de  son  pars  sans  briser  des  liens  quatre 
fois  seculaires,  sans  sacrifier  son  autonomic,  sans 
provoquer  son  demembrement ;  il  eut  ainsi  evite 
d'engager  pendant  douze  annees  les  deux  villes  dans 
une  situation  fausse,  tandis  que  ses  efforts  les  plus 
intelligents,  commc  ceux  du  gouvernement  sarde 
auquel  il  s'etait  associe,  se  heurterent  a  la  resistance, 
pourtant  facile  a  prevoir,  de  la  diplomatic  sur  le 
terrain  du  respect  des  traites 

Revolution  de  fevrier  ;  avantage  qu'en  tirent 
les  dissidents  mentonnais  (fevrier-mars  1848).  — 
Les  concessions  faites  par  le  prince  mettaient  les  me- 
neurs  dans  Talternative  ou  d'accepter  la  situation 
faite  par  le  souverain,  et  dans  ce  cas  tout  rentrait 
dans  l'ordre,  ou  de  demasquer  leurs  veritables  ten- 
dances, lis  n'hesiterent  pas  ;  au  surplus  les  evene- 
ments  qui  bouleversaient  TEurope  apportaient  a  ce 
moment  a  leur  cause  un  appoint  singulierement 
favorable,  et  la  revolution  qui  venait  d'eclater  a  Paris 
etait  de  nature  a  encourager  leur  audace. 


—  443  — 

Jusqu'alors  la  Sardaigne  avait  agi  avec  line  pru- 
dence relative ;  nous  avons  deja  dit  comment  le 
gouvernement  du  roi  Louis-Philippe,  rigoureux 
observateur  des  traites  de  i8i5,  etait  encore  moins 
porte  a  les  laisser  impunement  violer  au  detriment 
de  l'ancien  et  fidele  protege  de  la  France.  Le  prince 
hereditaire  etait  a  Paris  ;  il  avait  obtenu  une  audience 
du  Roi  et  avait  eu  plusieurs  entrevues  avec  M.  Gui- 
zot  et  le  general  Trezel,  ministre  de  la  guerre  ;  les 
dispositions  qu'il  avait  rencontrees  ne  laissaient 
aucun  doute  sur  Timminence  de  remontrances  effi- 
caces  a  la  cour  de  Turin.  La  chute  inopinee  de  la 
monarchie  de  Juillet  aneantit  ces  esperances.  Les 
vainqueurs  de  fevrier  devaient  etre  en  effet  enclins  a 
ne  voir  dans  raffaire  de  Menton  qu'un  episode  de 
cette  crise  de  Emancipation  des  peuples  qui  provo- 
quait  en  France  un  courant  de  dangereuses  illusions 
et  de  sympathies  trop  peu  raisonnees. 

Le  prince  hereditaire  avait  assiste  a  Paris,  le 
22  fevrier  au  soir,  dans  le  salon  du  ministere  des 
affaires  etrangeres,  aux  scenes  qui  furent  le  debut  de 
la  revolution.  II  partit  aussitot  pour  Monaco,  se 
rendant  compte  du  contre-coup  desastreux  que  les 
evenements  allaient  avoir  dans  la  principaute. 

Une  detente  avait  paru  cependant  se  produire  dans 
les  journees  qui  avaient  suivi  l'octroi  de  la  consti- 
tution sarde ;  les  moderes  avaient  accueilli  avec 
faveur  cette  mesure  et  le  mouvement  loyaliste  s'etait 


—  444  — 
un    moment  assez  accentue    pour  que,   malgre   un 
premier  refus  donne  sous  la  pression  des   meneurs, 
le  cure  de  Menton  eut  ete  oblige  de  celebrer  un  Te 
Beam. 

La  Sardaigne  retire  ses  troupes  de  Menton 

(mars  1848).  —  Mais  pendant  cette  meme  semaine  le 
parti  d'action  avait  pris  position:  les  manifestations 
hostiles  aux  Grimaldi  devinrent  continuelles;  publi- 
quement  excites  par  M.  Trenca  en  personne,  les 
meneurs  protestaient  contre  cette  meme  constitution 
imperieusement  reclamee  par  eux  trois  semaines 
auparavant,  et,  fait  plus  grave,  on  voyait  des  officiers 
de  la  garnison  sarde,  prendre  une  part  active  et  vio- 
lente  a  ces  desordres  et  les  diriger.  Le  moment  parut 
bientot  favorable;  l'accord  s'etait  completement  fait 
avec  le  general  Gonnet;  on  arma  sous  main  la  frac- 
tion de  la  population  sur  laquelle  on  pouvait  comp- 
ter, sous  pretexte  d'organiser  la  garde  nationale; 
les  partisans  de  la  Sardaigne  furent  mis  ainsi  en 
possession  de  moyens  de  resister  a  toute  tentative  de 
la  part  de  la  force  armee  du  prince.  Le  general  Gon- 
net, a  la  suite  d'un  rapport  a  son  gouvernement  ou 
il  declarait  ne  plus  pouvoir  maintenir  l'ordre,  c'est- 
a-dire  le  pouvoir  nominal  du  souverain  de  Monaco 
sans  effusion  de  sang,  se  fit  prescrire  de  retirer  ses 
troupes;  il  remit  les  postes  a  la  garde  nationale  et 
rentra  a  Monaco,  ou  il  continua  a  remplir  ce  role  de 


—  4-P  — 
lieutenant  de  la  place,  soi-disant  sous  les  ordres  du 
prince,  dont  la  Sardaigne  avait  fait,  en  violation  du 
traitc    de   protectorat,  l'agent  de  la   rebellion  inte- 
rieure. 

Revolte  de  Menton  iermars  1848'.  —  Tout  avait 
ete  trop  bien  combine  pour  que  le  retablissement  de 
Tautorite  du  prince  a  Menton  fut  possible.  Lorsque 
le  colonel  Bellando  se  presenta  le  1"  mars  a  la  tete 
des  carabiniers  princiers,  il  trouva  la  ville  en  etat  de 
defense;  apres  avoir  vainement  parlemente,  il  dut  se 
retirer. 

Le  lendemain  un  gouvernement  provisoire  etait 
proclame. 

Le  double  jeu  des  agents  sardes  apparaissait  au 
grand  jour;  la  chancellerie  de  Turin  assuma  du  reste 
ouvertement  la  responsabilite  des  actes  du  general 
Gonnet.  Le  prince  avait  fait  parvenir  ses  protesta- 
tions contre  la  constitution  du  gouvernement  provi- 
soire et  ses  plaintes  contre  le  general  qui  s'etait  fait 
depuis  le  commencement  de  la  crise  le  complice  des 
aghateurs.  Le  gouvernement  de  Charles-Albert  se 
contenta  de  repondre  en  justifiant  la  retraite  des 
troupes  par  cette  consideration  que  le  protecteur 
n'etait  tenu,  de  par  les  traites,  au  devoir  de  protec- 
tion que  contre  une  attaque  exterieure;  ces  traites 
eux-memes  lui  interdisaient  de  s'immiscer  dans  les 
affaires  interieuresde  la  principaute ;  en  consequence, 


—  446  — 
apres  avoir,  par  courtoisie  envers  le  prince,  consenti 
a  permettre  renvoi  des  troupes  pour  rctablir  Tordre, 
ce  resultat  n'ayant  pas  ete  obtenu,  le  roi  les  avail 
retirees  afin  de  decliner  toute  responsabilite  dans  les 
evenements  ulterieurs.  Cette  reponse  semblait  cepen- 
dant  donner  une  apparence  de  satisfaction  a  certaines 
reclamations  du  souverain  de  Monaco;  en  vertu  du 
principe  que  visait  la  depeche,  la  chancellerie  recon- 
naissait  que  Tadresse  envoyee  par  les  Mentonnais 
quelques  semaines  auparavant,  se  rapportait  a  des 
faits  politiques  d'ordre  interieur  dans  lequels  le  roi 
rfavait  pas  le  droit  d'intervenir. 

Moins  d'un  mois  ne  s'etait  pas  ecoule  qu'on  pou- 
vait  constater  de  qu'elle  fagon  le  gouvernement  sarde 
entendait  cette  politique  de  non  intervention  et 
d'abstention  qu'il  opposait  aux  protestations  du 
prince. 

Formation  du  Gouvernement  provisoire  (mars 
1848;.  —  La  proclamation  par  laquelle  le  gouverne- 
ment provisoire  avait  revele  son  existence  rejetait 
naturellement  sur  le  prince  la  responsabilite  des 
evenements.  II  ne  faut  pas  attendre  de  bonne  foi 
dans  les  luttes  des  partis;  mais  il  n'est  pas  possible 
de  concevoir  rien  de  plus  sciemment  inexact  et  de 
plus  contraire  a  l'evidence  que  les  accusations  arti- 
culees  dans  cet  acte,  au  sujet  des  faits  les  plus  recents 
du   conflit  mentonnais.  Outre   le   reproche  d'avoir 


—  447  — 
provoque  le  depart  de  la  garnison  piemontaise,  reti- 
ree par  le  gouvernement  de  Turin  sous  le  pretexte 
que  nous  avons  expose  plus  haut,  on  faisait  grief  a 
I'administration  princiere  de  toutes  les  mesures  im- 
posees  depuis  six  semaines  par  les  meneurs  eux- 
memes,  notamment  la  retraite  des  carabiniers,  la 
demission  du  delegue  general  d'Adhemar,  etc.  On 
ne  craignait  pas  d'alleguer  que  toute  autorite  avait 
disparu,  alors  qu'on  venait  de  refuser  l'entree  au 
colonel  Bellando  et  a  ses  carabiniers;  on  signalait 
enfin  l'absence  du  prince  lui-meme;  on  le  represen- 
tait  comme  fugitif ;  on  abusait  ainsi  d'une  miserable 
equivoque  :  Florestan  avait  fait,  le  ier  mars,  une 
course  de  quelques  heures   a  Nice. 

Le  prince  hereditaire  nomme  administrateur 
general  de  la  Prineipaute  (mars  1848).  —  Malgre 
cette  situation,  le  prince  Florestan  et  sa  famille  se 
fiaientencorealapossibilitederevenir  su rune  rupture 
qu'on  ne  pouvait  se  resigner  a  croire  definitive.  II  y 
avait  a  Menton  assez  d'elements  fideles  pour  qu'on 
put  esperer  un  de  ces  revirements  dont  les  derniers 
mois  avaient  fourni  plusieurs  exemples.  On  compta 
sur  la  popularite  du  prince  hereditaire;  une  ordon- 
nance  du  10  mars  l'investit  des  fonctions  d'adminis- 
trateur  general  de  la  prineipaute  ;  le  prince  Flores- 
tan remettait  a  son  fils  de  pleins  pouvoirs,  aussi 
bien  pour  la   mise  en   pratique   de  la  constitution 


-  448  - 
nouvelle  que  pour  rechercher  les  moyens  d'entente 
avec  les  revokes  de  Menton. 

Le  prince  Charles  se  mit  aussitot  a  Toeuvre ; 
l'application  a  Monaco  des  reformes  concedees 
depuis  le  mois  de  decembre  dernier,  la  creation  de 
la  garde  nationale,  les  mesures  qui  assuraient  le 
fonctionnement  de  la  constitution  ne  devaient  pas 
laisser  de  dome  sur  les  intentions  du  nouvel  admi- 
nistrateur. 

Du  cote  de  Menton,  le  prince  prit  aussitot  Tinitia- 
tive  d'une  demarche  de  conciliation.  Dans  la  matinee 
du  20  mars  il  se  rendit  a  Garnoles  :  une  lettre 
adressee  a  M.  Trencainvitait  celui-ciaune  entrevue; 
cette  invitation  fut  declinee.  Le  prince  attendit  en 
vain  quelque  manifestation  favorable ;  les  bandes 
armees,  maitresses  de  Menton,  avaient  commence  le 
regime  d'intimidaiion  qui,  dans  les  periodes  revolu- 
tionnaires,  a  si  facilement  raison  des  moderes. 

Echec  des  tentatives  de  conciliation ;  Men- 
ton  et  Roquebrune  constitutes  en  villes  libres 

(mars  1848).  — Neanmoins  M.Trenca  et  ses  amis 
sentirent  la  necessite  de  couper  court  au  plus  tot  a 
toute  tentative  nouvelle  de  conciliation  et  de  dormer 
a  la  rupture  avec  les  Grimaldi  un  caractere  definitif. 
II  fallait  payer  d'audace  et  brusquer  les  evenements. 
Ce  n'etait  pas  cependant  qu'il  n'y  eut  a  craindre 
quelques  resistances ;  dans  le  conseil  de  gouverne- 


—  449  — 
ment   lui-meme  plusieurs   personnes  n'entendaient 
pas  suivre  jusqu'a  cette  extremite  les  meneurs  dont 
ils  subissaient  l'entrainement. 

On  se  resolut  a  exercer  une  pression  sur  l'as- 
semblee;  on  organisa  une  manifestation  soi-disant 
populaire.  Le  20  mars,  le  jour  meme  ou  le  prince 
hereditaire  s'etait  transporte  a  Carnoles,  les  memes 
individus  qui  avaient  ete  les  fauteurs  habituels  des 
emeutes  depuis  trois  mois,  furent  apostes  autour  de  la 
maison  commune  oil  le  conseil  etait  rassemble  ;  ils 
reclamaienta  grands  cris  la  decheance  des  Grimaldi. 
La  comedie  preparee  suivit  son  cours  ;  M.  Trenca  et 
ses  amis  feignirent  de  ceder  aux  exigences  de  la  popu- 
lation ;  un  colloque  s'etablit  entre  les  gens  ameutes 
sur  la  place  et  les  chefs  du  conseil.  On  parlementait 
au  balcon ;  M.  Trenca  portait  a  Tassemblee  les 
injonctions  de  la  foule,  il  rapportait  a  celle-ci  les 
resolutions  prises  dans  de  pareilles  conditions.  Des 
observations  et  des  protestations  courageuses  se 
produisirent  pourtant  de  la  part  de  quelques  mem- 
bres  au  cours  de  cette  deliberation  tumultueuse; 
mais  tout  etait  d'avance  prepare  et  un  decret  du 
conseil  provisoire  de  gouvernement,  proclama  la 
decheance  de  Grimaldi  et  Terection  de  Menton  et  de 
son  satellite  Roquebrune  en  «  villes  libres  »  sous  la 
protection  du  roi  de  Sardaigne. 


29 


—  -po  — 

Role  de  la  Sardaigne;  elle  prend  les  villes 
insurgees  sous  sa  protection.  Le  general  Gonnet 

(mars-avril  1848).  —  Les  nouveaux  maitres  de  Men- 
ton  notifierent  immediatement  les  resolutions  votees 
dans  la  journee  du  20  mars  a  la  Sardaigne  et  au  gou- 
vernement  provisoire  de  Paris.  La  reponse  de  Turin 
ne  se  fit  pas  longtemps  attendre ;  le  3 1  mars,  le 
comte  Balbo,  ministre  des  affaires  etrangeres,  avisait 
le  conseil  des  nouvelles  villes  libres  que  le  roi  de 
Sardaigne  «  continuerait  a  proteger  Menton  »;  c'etait 
la  un  singulier  abus  de  termes  qui  avaient,  dans  les 
rapports  entre  la  Principaute  et  Tetat  protecteur,  un 
sens  net  et  determine  tout  different. 

En  consequence,  Tordre  fut  donne  au  general 
Gonnet  de  reoccuper  Menton  avec  ses  troupes,  et, 
le  3  avril,  on  put  voir  cet  officier  faire  solennelle- 
ment  son  entree  dans  la  ville  revoltee  contre  le  sou- 
verain  dont  il  etait  le  subordonne  d'apres  les  traites, 
et  assister  en  grande  pompe  au  Te  Deum  chante  en 
actions  de  graces  pour  «  l'heureuse  delivrance  »  des 
villes  libres.  Malgre  le  scandale  d'une  telle  mani- 
festation, le  general  resta  toujours  maintenu  dans  son 
poste  de  lieutenant  des  amies  a  Monaco  ;  la  chancel- 
lerie  de  Turin  se  considerait  comrae  tenue  a  sipeu 
d'egards  envers  le  souverain  legitime,  qu'ellelaissale 
meme  homme  cumuler  deux  f  onctions  militaires  aussi 
completement  incompatibles. 

De  ce  jour  date  la  responsabilite  formelle  et  defi- 


—  45i  — 
nitive  de  la  Sardaigne;  die  violait  publiquement  et 
sans  excuse  les  traites  qui  la  liaient  vis-a-vis  de 
TEurope  aussi  bien  que  vis-a-vis  de  la  Principaute, 
sans  qu'il  y  eut  dans  ses  engagements  internationaux 
rien  qui  lui  permit  de  modifier  la  nature  du  pro- 
tectorat,  encore  moins  de  le  diviser.  Des  lors,  die 
se  trouva  virtuellement  dechue  des  droits  qu'elle 
tenait  des  traites  de  1 8 1  5  par  le  fait  de  Tabus  de  pou- 
voir  qu'elle  avait  commis  au  detriment  de  son  pro- 
tege, par  son  ingerance  dans  les  affaires  interieures 
de  la  Principaute,  au  mepris  de  Tarticle  6  du  traite 
de  Stupiniggi,  enfin  par  Taide  apporte  a  la  rebellion 
et  a  la  secession  d'une  partie  du  territoire  a  Tintegrite 
duquel  TEurope  Tavait  preposee. 

Constitution  des  villes  libres  ;  decheance  et 
b  annissement  des  princes  (avril-mai  1848).  — 
Les  chefs  du  gouvernement  provisoire  se  haterent  de 
pourvoir  a  Torganisation  politique  des  deux  villes. 
Une  assemblee,  elue  d'apres  une  loi  dectorale  pro- 
mulguee  le  4  avril,  elabora  la  constitution  qui  fut 
votee  le  3o  avril  suivant;  d'apres  ses  termes,  la  sou- 
verainete  residait  dans  la  chambre  ou  grand  conseil, 
et  le  pouvoir  executif  etait  exerce  par  cinq  membres 
sous  la  direction  de  M.  Trenca,  qui  prit  le  titre  de 
«  president  du  gouvernement  ». 

Ces  mesures  ne  suffirent  pas,  au  gre  des  nouveaux 
gouvernants,  pour  assurer  leur  securite  contre  une 


—  4:)2  — 
reaction  dynastique  qu'ils  feignaient  de  craindre 
afin  de  tenir  en  haleine  le  zele  de  leurs  partisans.  On 
fit  courir  des  bruits  alarmants  sur  les  projets  hostiles 
de  la  cour  de  Monaco  ;  le  but  qu'on  cherchait  c'etait 
de  legitimer,  vis-a-vis  de  l'opinion,  le  decret  de  ban- 
nissement  a  perpetuite  du  prince  et  de  la  famille 
Grimaldi,  qui  fut  promulgue  le  28  mai. 

Ce  decret  provoqua  chez  beaucoup  de  mentonnais 
des  sentiments  tres  differents  de  ceux  que  ses  auteurs 
avaient  espere.  Malgre  les  tracasseries  policieres  et 
Tintimidation  deployees  sous  toutes  les  formes, 
une  adresse  avait  ete  redigee  et  envoyee  au  prince; 
elle  protestait  contre  les  faits  accomplis  et  les  vio- 
lences dont  les  loyaux  serviteurs  des  Grimaldi  etaient 
chaque  jour  victimes. 

L'envoi  de  cette  adresse  irrita  profondement  les 
chefs  du  gouvernement;  ils  redoublerent  de  recri- 
minations contre  les  projets  qui  se  tramaient  a 
Monaco:  on  parlait  d'une  surprise  armee ;  c'etait 
absolument  invraisemblable,  mais  on  entretenait 
ainsi  l'irritation  populaire.  Le  prince  Florestan  crut 
devoir  protester  en  publiant  une  proclamation  concue 
dans  les  termes  les  plus  conciliants  oil  il  s'elevait 
contre toutepensee  derecoursa  la  force:  ilnevoulait, 
disait-il,  devoir  le  retour  de  ses  sujets  egares  qu'a 
eux-memes  et  a  leur  raison.  On  mit  tout  en  ceuvre 
pour  empecher  la  divulgation  de  cette  proclamation, 
qui  fut,  des  son  arrivee  a  Menton,  saisie  a  la  poste. 


-  453  - 

Vote  pour  l'annexion  a  la  Sardaigne  (juin 
i  848).  —  Cet  incident  decida  les  partisans  de  la  Sar- 
daigne  a  provoquer  la  signature  d'une  adresse  deman- 
dant la  reunion  definitive  de  Menton  et  Roquebrune 
au  Royaume  de  la  Haute-Italie,  sous  la  dynastie  de 
Savoie.  C'etait  le  moment  oil  la  peninsule  entiere 
etait  en  feu  et  soulevee,  des  Alpes  a  la  Sicile,  par 
un  mouvement  d'emancipation  irresistible.  Les  pro- 
moteurs  se  chargerent  de  recueillir  eux-memes  les 
suffrages.  II  n'est  pas  necessaire  d'insister  sur  la 
facon  dont  les  adhesions  etaient  obtenues  et  sur  la 
pression  dont  les  electeurs  etaient  l'objet. 

On  reunit  ainsi,  sur  environ  douze  cents  menton- 
nais  en  etat  de  voter,  cinq  cent  soixante-huit  repon- 
ses  favorables.  Pas  une  seule  voix  ne  fut  comptee  en 
sens  contraire.  Pour  arriver  a  un  pareil  resultat  les 
meneurs  n'avaient  recule  devant  aucun  moyen  d'in- 
timidation.  On  avait  meme  incarcere  quelques  indi- 
vidus  qui  avaient  fait  mine  de  manifester  en  sens 
contraire  par  leurs  votes. 

Neanmoins,l'administrationdes  villes  libresneput 
empecher  une  protestation  formelle  de  se  produire. 
Malgre  le  danger  qu1il  y  avait  pour  les  adherents  a 
prendre  part  a  cette  manifestation,  370  signatures 
furent  apposees  sur  un  document  que  les  partisans 
des  Grimaldi,  les  «  Principistes  »  comme  on  les  desi- 
gnait,  se  transmettaient  en  secret.  II  fallut,  pour  faire 
parvenir  l'adresse  a  Monaco  et  depister  la  surveil- 


—  454  — 
lance  des  adversaires,  tout  le  devouement  de  quel- 
ques  sujets  fideles. 

Nous  insistons  sur  la  valeur  de  cette  manifestation 
d'autant  plus  touchante  qu'elle  fut  Foeuvre  de  gens  du 
peuple  et  que  les  representants  des  families  de  Taris- 
tocratie  et  de  la  haute  classe  restees  devouees,  trop 
surveilles  pour  y  prendre  part,  ne  figurent  pas  sur 
ces  listes  pieusement  conservees  dans  les  archives 
des  Grimaldi. 

Observations  du  gouvernement  francais; 
ajournement  de  l'annexion  (juillet-octobre  1848). 
—  La  votation  des  22-26  juin  devint  la  base  sur 
laquelle  le  ministere  sarde  s'appuya  pour  dresser  un 
projet  de  loi  ordonnant  Tannexion  des  deux  villes. 
Une  deputation  conduite  par  M.  Trenca  etait  venue 
sollicker  cette  mesure.  La  Sardaigne  etait  encouragee 
par  les  evenements  d'ltalie  dont  Charles-Albert  assu- 
mait  la  direction;  elle  ne  redoutait  plus  de  ce  cote 
Topposition  de  TAutriche  qui  reculait  partout  devant 
Feffort  du  patriotisme  italien.  Elle  croyait  pouvoir 
egalement  compter  au  moins  sur  Tabstention  de  la 
France.  L'accueil  favorable  fait  par  M.  de  Lamar- 
tine,  au  nom  du  gouvernement  provisoire,  a  la 
demande  des  Mentonnais  pour  l'admission  de  leur 
nouveau  pavilion  dans  les  ports  francais ,  avait 
fait  esperer  que,  de  ce  cote,  on  trouverait  une 
approbation  entiere  des  actes  de  la  revolution  men- 


—  4:>:'  — 
tonnaise.  Mais  le  ministere  du  general  Cavaignac, 
quelque  peu  favorable  qu'il  fut  a  la  maison  prin- 
ciere,  s'opposa  formellement  a  la  violation  des  traites. 
Le  ministre  de  France  a  Turin  recut  l'ordre  de  faire 
des  representations  tres  nettes  eontre  toute  annexion 
au  rovaume  d'une  partie  quelconque  du  territoire  de 
la  Principaute. 

M.  Trenca,  dans  le  vovage  qu'il  fit  quelque  temps 
apres  a  Paris,  ne  put,  malgre  les  influences  qu1il  mit 
en  oeuvre,  obtenir  une  modification  a  cette  attitude 
de  la  diplomatic  francaise. 

II  fallut  se  resigner  a  un  moyen  terme  et  rester 
dans  le  provisoire.  Un  decret  royal  du  18  septem- 
bre  edicta  que  les  villes  de  Menton  et  de  Roque- 
brune  «  seraient  occupees  par  le  gouvernement 
sarde  pour  etre  provisoirement  tenues  et  gouvernees 
suivant  les  lois  qui  v  sont  en  vigueur  ». 

En  consequence  un  commissaire  royal  fut  envoye 
a  Menton  et  ce  fonctionnaire  fit  ce  que  le  gouverne- 
ment mentonnais  n'avait  pas  osc  executer  encore  : 
on  avait  mis  les  biens  particuliers  du  prince  sous 
sequestre  et  appose  les  scelles  au  palais  de  Carnoles  ; 
l'agent  piemontais  fit  briser  les  scelles  et  violer  cette 
propriete  privee  ou  il  s'installa. 

Attitude  de  Monaco  ;  fidelite  et  protestation 
de  la  population  (octobre-novembre  1848).  —  Les 
mauvais  procedes  auxquels  les  autorites  militaires 


—  456  — 

sardes  se  livraient  a  l'egard  du  prince,  ne  se  bor- 
naient  pas  a  Menton  seulement.  A  Monaco,  sous 
Tinfluence  du  general  Gonnet,  on  tentait  chaque 
jour  quelque  entreprise  qui  preludat  a  la  main- 
mise  sur  la  principaute  entiere .  Le  general  fit 
elever  sur  les  murailles  de  la  forteresse  le  drapeau 
royal  de  Sardaigne  ;  cette  nouvelle  violation  de  Tin- 
dependance  des  etats  des  Grimaldi  persista  malgre 
toutes  les  protestations  du  prince.  On  esperait  par 
ces  manoeuvres  provoquer  quelque  coup  militaire, 
et  faire  sabir  a  la  famille  princiere,  dans  sa  capitale, 
un  sort  semblable  a  celui  qui  avait  frappe  son  pou- 
voir  a  Menton. 

En  attendant,  toutes  relations  avaient  ete  inter- 
cepted entre  les  villes  revoltees  et  Monaco.  Un 
instant  les  liberaux  mentonnais  avaient  meme  eu 
Tillusion  de  croire  qu'ils  arriveraient  a  entrainer 
leurs  voisins  dans  la  revoke  et  que  les  monegasques 
se  laisseraient  seduire,  eux  aussi,  par  la  perspective 
des  avantages  de  l'annexion  a  la  Sardaigne;  mais  ils 
hasarderent  a  peine  dans  ce  sens  une  tentative,  a 
laquelle,  du  reste,  le  general  Gonnet,  connaissant 
bien  les  sentiments  de  la  population  monegasque, 
ne  dut  certainement  pas  encourager  ses  amis  des 
villes  separees. 

Monaco  se  souvenait  de  ce  que  la  Principaute 
avait  eu  a  souffrir  depuis  des  siecles  du  voisin 
dont  le  jeu  de  la  diplomatie  avait  fait  le  protecteur.  On 


—  457  — 
avait  ete  perpetuellementen  lutte  avec  Nice  et  avec  la 
Turbie  et  cette  lutte  avait  resserre  les  liens  qui  unis- 
saient  la  cite  a  la  famille  souveraine.  Loin  de  preter 
Toreille  a  quelque  combinaison  revolutionnaire,  les 
habitants  de  la  vieille  forteresse  des  Grimaldi  saisis- 
saient  toutes  les  occasions  pour  marquer  leur  anti- 
pathie  contre  les  agents  de  la  secession,  et  la  garnison 
sarde  affectait  de  se  plaindre  de  manifestations  inte- 
rieures  qui  l'obligeaient  a  rester  continuellement  sur 
le  qui-vive. 

Le  decret  du  18  septembre,  Tannonce  de  la  pro- 
chaine  annexion  des  deux  villes  simplement  ajournee 
furent  pour  Monaco  Toccasion  d'une  manifestation 
dont  le  caractere  unanime  et  Tesprit  politique  n'ont 
pas  ete  mis  assez  en  relief. 

Lorsqu'on  connut  les  demarches  que  M.  Trenca 
et  ses  amis  tentaient  aupres  des  chancelleries,  lors- 
qu'on  sut  les  accusations  et  les  griefs  qu'ils  allaient 
articuler  a  Paris,  les  principaux  monegasques  prirent 
l'initiative  d'une  petition  adressee  au  gouvernement 
francais. 

La  Sardaigne,  disait  ce  document,  en  abusant  de 
sa  situation  pour  entrainer  la  rebellion  d'une  partie 
de  la  Principaute,  etait,par  ce  fait,  dechue  de  tous  les 
droits  qu'eile  tenait  des  traites.  En  consequence,  les 
monegasques,  rappelant  Theureux  etat  dans  lequel 
ils  avaient  vecu  sous  la  protection  des  rois  de  France, 
demandaient  au  gouvernement  francais  de  prendre 


—  458  — 

toutes  les  mesures  necessaires  pour  leur  permettre 
de  revenir  sous  le  protectorat  de  la  puissance  qui 
avait  assure  pendant  un  siecle  et  demi  la  securite  et 
la  prosperite  de  leur  pays.  Cette  adresse,  redigee  par 
devant  notaire,  recut  les  signatures  de  Tunanimite 
des  monegasques;  plusieurs  d'entre  eux,  absents  du 
pays,  envoyerent  leur  adhesion  notariee. 

Une  souscription  fut  en  meme  temps  organisee, 
pour  laquelle  tous  se  cotiserent  jusqu'aux  sommes 
les  plus  infimes  afin  de  pourvoir  aux  frais  de  vovage 
de  deux  emissaires  charges  d'aller  soutenir  les  voeux 
de  leurs  concitovens. 

Quoiqu'on  ait  ensuite  renonce  a  faire  cette 
demarche,  il  n'est  pas  impossible  que  cette  demons- 
tration, connue  a  Paris,  ait  eu  quelqu'influence  sur 
Techec  subi  aupres  du  gouvernement  francais  par 
M.  Trenca. 

Le  projet  de  loi  d' annexion  presente  aux 
Chambres  piemontaises  (fevrier  1849).  —  Le 
projet  d'annexion,  ajourne  par  Tintervention  de  la 
France,  etait  loin  d'etre  abandonne ;  a  Turin,  les 
actives  et  incessantes  sollicitations  de  M.  Trenca 
etaient  ecoutees  avec  une  faveur  toujours  plus 
marquee. 

Au  mois  de  fevrier  1849,  ^e  gouvernement  sarde 
se  crut  en  etat  de  reprendre  TarTaire ;  le  12  fevrier,  le 
projet  de  loi,  prepare  depuis  le  mois  de  juillet  pre- 


—  4^9  — 
cedent,  fut  presente  aux    Chambres  :    le  ministere, 
fondait  encore  sa  proposition   «  sur  le  vote  popu- 
laire  unanime  des  22-26  juin  1848.  » 

Desastre  de  Novare.  Le  retablissement  de 
prince  a  Menton,  inscrit  dans  le  projet  du 
traite  de  paix  (avril-juin  1849).  —  Cette  nouvelle 
tentative  fut  cette  fois  interrompue  par  une  catas- 
trophe qui  mit  en  peril  le  royaume  de  Sardaigne  et 
la  dvnastie  de  Savoie  et  qui  recula  de  dix  annees  les 
esperances  d'emancipation  des  Italiens.  L'armee  pie- 
montaise,  retrogradant  devant  Radetsky,  etait  ecra- 
see  a  Novare  ;  Charles-Albert  etait  oblige  d'abdiquer 
et  un  traite  de  paix,  que  le  jeune  roi,  son  successeur, 
dut  se  considerer  comme  heureux  de  ne  pas  trouver 
plus  dur,  fut  impose  a  la  Sardaigne. 

La  victoire  des  Autrichiens  avait  pour  resultat  la 
restauration  de  tous  les  princes  italiens  que  le  mou- 
vement  revolutionnaire  avait  chasses  depuis  Tannee 
precedente.  Depossede  sinon  pour  les  memes  causes, 
du  moins  dans  le  meme  temps  d'une  partie  de  ses 
etats,  le  prince  Florestan  pensa  que  le  moment  etait 
bon  a  saisir  pour  obtenir  le  retablissement  de  son 
pouvoir  sur  les  deux  villes  revoltees  avec  la  conni- 
vence de  la  Sardaigne.  Le  prince  hereditaire  se 
rendit  a  Milan  et  obtint  de  faire  inserer  dans 
Tarticle  9  du  projet  du  traite  de  paix  presente  par 
M.    de    Bruck,    la    stipulation    de    Tevacuation    de 


—  4b0  — 
Menton  et  de  Roquebrune  par  les  troupes  sardes, 
en  meme  temps  que  rengagement  par  le  roi  Victor- 
Emmanuel  II  de  faire  retirer  le  drapeau  sarde 
arbore  depuis  quelque  temps  sur  les  remparts  de 
Monaco. 

La  chancellerie  de  Turin  profita  habilement  des 
retards  apportes  par  Intervention  des  puissances  a 
la  conclusion  de  la  paix ;  elle  discuta  avec  succes  le 
droit  que  s'arrogeait  l'Autriche  de  traiter  au  nom  des 
princes  depossedes  ;  elle  obtint  enfin,  sur  la  pro- 
messe  de  retirer  ses  troupes,  que  l'article  concer- 
nant  la  principaute  de  Monaco,  ne  fut  pas  insere. 
Le  prince  hereditaire,  a  son  passage  a  Turin  enten- 
dit  repeter  ces  promesses  par  le  nouveau  roi  lui- 
meme  dans  les  termes  les  plus  formels. 

Reprise  du  projet  de  loi  d' annexion,  qui  est 
vote  par  la  Chambre  des  deputes  (octobre- 
novembre  1849). —  Toutes  ces  affirmations  n'abou- 
tirent  qu1a  un  changement  de  tactique.  En  presence 
de  la  reaction  qui  s'accentuait  partout  contre  le  cou- 
rant  d'emancipation  populaire  vaincu  a  Novare,  on 
comprit  qu'il  n'etait  pas  prudent  de  continuer  a 
s'appuyer  sur  ces  principes  dans  TarFaire  de  Menton, 
et  dans  la  seance  du  27  octobre  1849,  le  ministere 
sarde  reconnut  que  a  la  foi  due  aux  traites  ne  per- 
mettait  pas  de  prendre  pour  base  de  Tannexion  le 
vote  de  juin  1848  ».    • 


—  461  — 

On  avait  trouve  un  autre  terrain  pour  fonder  les 
pretentions  de  la  maison  de  Savoie  sur  les  deux 
villes. 

Deja  une  premiere  fois,dans  sa  reponse  a  Tadresse 
des  Mentonnais,  au  mois  de  fevrier  1848,  le  roi 
Charles-Albert  avait  fait  allusion  aux  devoirs  qui 
lui  incombaient,  vis-a-vis  de  Menton  et  de  Roque- 
brune,  en  sa  qualite  de  suzerain.  Cette  facon  d'envisa- 
ger  sous  sa  forme  feodale  les  droits  de  la  Sardaigne 
sur  les  deux  villes  autrefois  infeodees  par  Jean  Ier 
Grimaldi  au  due  Louis  Ier,  avait  ete  completement 
negligee  dans  la  premiere  phase  des  relations  de 
la  chancellerie  sarde  avec  le  gouvernement  revolu- 
tionnaire  de  Menton.  On  y  revint  au  mois  d'octobre 
1849:  ce  n'etait  plus  une  usurpation  sur  le  terri- 
toire  d'un  prince  voisin  qu'on  proposait  aux  cham- 
bres  piemontaises  de  sanctionner,  e'etait  le  retour 
au  seigneur  dominant,  et  en  vertu  des  regies  du  droit 
feodal,  de  fiefs  repris  sur  un  vassal  en  etat  de  com- 
mise.  Cette  theorie,  habilement  exposee  par  le 
ministere  reussit  a  la  Chambre  des  deputes:  le 
10  novembre  1849,  la  loi  qui  declarait  Menton  et 
Roquebrune  partie  integrante  du  royaume  fut  votee. 

L'annexion  refusee  par  le  Senat  piemontais 

(1849).  —  ^e  gouvernement  de  Victor -Emma- 
nuel n'eut  pas  un  succes  semblable  au  Senat  du 
rovaume  et  cette  resurrection  des  procedures  du  droit 


—  462  — 
feodal  en  plein  dix-neuvieme  siecle  ne  put  y  reunir 
une  majorite.  De  vives  protestations  furent  meme 
portees  a  la  tribune  contre  les  procedes  de  la  chan- 
cellerie.  Les  membres  de  la  chambre  haute,  les  plus 
inities  aux  affaires  de  Monaco  depuis  i8i5,  ceux 
memes  qui  envisageaient  comme  utile  aux  interets  du 
royaume  l'acquisition  de  la  Principaute,  ne  consenti- 
rent  pas  a  sanctionner  une  violation  des  traites  dissi- 
mulee  sous  des  sophismes,  alors  qu'ils  eussent  favo- 
rablement  accueilli  cette  acquisition  comme  le  resul- 
tat  des  negociations  amiables.  La  loi  presentee  fut 
repoussee. 

Organisation  administrative  des  vilies  libres 
decreteeparlaSardaigne  (i  849-1850).  —  II  fallut 
se  resigner  a  rester  a  Tetat  de  «  Vilies  Libres  » ;  mais, 
en  fait  etpar  des  moyens  detournes,legouvernement 
piemontais  se  passa  de  la  sanction  legislative.il  realisa 
par  voie  administrative,  ce  qu'il  ne  pouvait  operer 
par  une  loi.  Des  le  premier  mai  1849,  au  lendemain 
meme  des  assurances  que  le  prince  hereditaire  avait 
recues  a  Turin,  un  decret  avait  reuni  les  deux  com- 
munes de  Menton  et  Roquebrune  a  Tintendance  de 
Nice.  Toutes  les  lois  du  royaume  y  furent  appli- 
quees,  sauf  la  loi  electorale,  et  un  syndic  nomme 
par  le  roi  y  fut  installe.  Cette  maniere  indirecte 
d'arriver  au  but  poursuivi  fut  le  resultat  de  de- 
marches   incessantes    dans    lesquelles    M.    Trenca 


—  463  — 
deploya  une  tenacite  et  une  habilete  incontestables. 
Lorsqu'il  mourut,  le  20  juin  1 853,  il  put  voir  le  succes 
assure  a   la  politique  dont  il  avait  ete  l'infatigable 
agent. 

Tentatives  de  conciliation  avec  la  Sardaigne 
patronnees  par  la  France  ( 1 852-53).  —  Cependant 
le  prince  Florestan,  seconde  avec  une  energie  et  une 
Constance  admirables  par  les  conseils  de  la  princesse 
Caroline  et  ceux  de  son  fils,  le  prince  hereditaire, 
ne  cessait  de  porter  devant  les  chancelleries  de  l'Eu- 
rope  ses  protestations  et  ses  revendications.  En  i852 
le  voyage  du  prince  Louis-Napoleon,  comme  presi- 
dent de  la  Republique,  dans  le  midi  de  la  France, 
avait  ete  marque  par  une  demarche  qu'une  delegation 
de  mentonnais,  avait  faite  a  Toulon.  L'accueil  du 
prince-president  avait  ete  courtois.  II  s'en  suivit  des 
insinuations  discretes  faites  par  le  cabinet  des  Tuile- 
ries  :  on  fit  comprendre  au  gouvernement  piemon- 
tais  que  s'il  proposait  au  prince  une  indemnite  con- 
venable,  la  France  ne  mettrait  plus  d'obstacle  a 
l'union  definitive  des  deux  villes  a  la  couronne  de 
Sardaigne. 

Le  prince  Florestan  fut  invite  a  consentir  a  des 
pourparlers,  dont  le  ministre  des  affaires  etrangeres 
de  France,  M.  Drouyn  de  Lhuys,  se  fit  l'interme- 
diaire.  Malgre  son  extreme  repugnance  a  traiter  ainsi 
avec  la  chancellerie  sarde,  le  prince  Florestan  ne 
declina  pas  cette  invitation;  mais    les  negociations 


—  464  — 

trainerent  en  longueur  et  finirent  par  etre  abandon- 
ees sans  avoir  amene  aucun  resultat. 

Etat  des  esprits  a  Menton;  projets  de  mani- 
festation (1854).  —  Pendant  ces  annees,  l'adminis- 
tration  sarde  avait  continue  a  traiter  les  deux  vilies 
libres  au  raerae  titre  que  les  autres  vilies  du  royaume. 
Le  grave  incident  qui  marqua  le  printemps  de  1854 
demontra  a  quel  point  les  agents  sardes  avaient  entie- 
rement  confondu,  surce  territoire  soi-disant  protege, 
leurs  pouvoirs  et  leurs  droits. 

Depuis  longtemps  un  groupe  considerable  de 
mentonnais  fideles,  bien  au  courant  des  regrets 
qu'une  bonne  partie  de  la  population  professait  a 
Tegard  de  ses  anciens  souverains,  faisait  parvenir  a 
la  cour  de  Monaco  des  encouragements  pour  une 
tentative  dont  ils  auguraient  une  issue  favorable. 
L'entreprise,  en  presence  des  troupes  piemontaises 
occupant  la  ville,  etait  delicate,  mais  non  pas  au- 
dessus  de  Tenergie  et  de  la  resolution  du  prince  here- 
ditaire.  Une  circonstance  favorable  se  presenta  a  la 
fin  de  1 853.  Des  inquietudes,  nees  de  Tattitude  de 
TAutriche  au  moment  de  la  question  d'Orient,  avaient 
decide  le  roi  Victor-Emmanuel  a  renforcer  l'effectif 
de  Tarmee  piemontaise  sur  la  frontiere  de  Lombar- 
die.  Pendant  plusieurs  semaines,  Menton,  comme 
Nice  du  reste,  se  trouva  prive  de  garnison  et  meme 
de  carabiniers.  Les  partisans  du  prince  demontrerent 


—  4-65  — 

combien  il  leur  paraissait  opportun  de  profiter  de 
•cette  circonstance  inesperee  pour  tenter  une  restau- 
ration.  Le  prince  Charles  avait  accueilli  avec  faveur 
des  ouvertures  qui  lui  fournissaient  Toccasion  de 
payer  de  sa  personne  ;  malheureusement,  de  nom- 
breuses  considerations  rirent  hesiter  le  prince  Flo- 
restan  et  la  princesse  Caroline  a  donner  leur  consen- 
tement,  et,  dans  l'intervalle,  le  retour  des  troupes 
sardes  enleva  les  chances  les  plus  favorables  a  l'en- 
treprise.  Le  prince  Charles  resolut  neanmoins  de 
repondre  au  devouement  des  amis  rideles  de  sa 
famille  et  de  tenter  Taventure,  dans  des  conditions 
certainement  moins  bonnes  qu'elles  eussent  ete 
quelques  semaines  auparavant.  Le  plan  concu  pour 
['execution  du  coup  de  main  se  ressentit  du  reste  des 
indecisions  qui  avaient  traverse  la  volonte  du  prince, 
et  Tincertitude  qui  regna  jusqu'au  bout  etait  un 
mauvais  element  de  reussite.  Depuis  longtemps  le 
prince  avait  projete  un  voyage  a  Genes  et  a  Rome  : 
il  fut  entendu  que  si,  a  son  passage  a  Menton,  il 
trouvait  un  groupe  assez  considerable  de  partisans 
prets  a  Taccueillir,  il  se  mettrait  a  leur  tete  et  s'enga- 
gerait  avec  eux  ;  dans  le  cas  contraire,  il  continuerait 
sa  route. 

Le  prince  hereditaire  a  Menton  (6  avril  1854). 
—  Le  6  avril  1 85q,  a  six  heures  du  matin,  une  chaise 
de  poste  s'arretait  pour  relayer  a  Menton  ;  le  prince 

3o 


—  466  — 
Charles  l'occupait,  aocompagne*  de  son  aide  de  camp, 
le  lieutenant  Bellando  et  du  docteur  Chevalet,  son 
medecin;  aussitdt  reconnu,il  futentoure  d'un  groupe 
assez  nombreux  de  personnes  qui  racclamerent.  11 
mit  pied  a  terre,  et  se  dirigea,  au  milieu  d'une  foule 
toujours  grossissante,  vers  Thotel  de  ville. 

La  devait  s'arreter  le  succes  de  l'entreprise.  Une 
troupe  de  carabiniers  se  presenta  brusquement,  et, 
fondant  sur  les  manifestants,  les  dispersa,  tandis  que 
le  prince  lui-meme  etait  apprehende  au  corps.  Les 
partisans  de  la  Sardaigne  revenaient  en  meme  temps 
de  la  stupeur  que  leur  avait  cause  ce  coup  d'audace. 
Bientot  debouchaient  sur  la  place  de  Thotel  de  ville 
des  gens  armes  qui  se  precipiterent  sur  le  prince  et 
ses  amis.  Ce  fut  au  milieu  de  ces  furieux,  dont  quel- 
ques  hommes  devoues,  notamment  MM.  Charles  de 
Monleon  et  Imberty,  eurent  beaucoup  de  peine  a 
parer  les  coups,  que  le  prince  Charles  fut  conduit 
a  la  caserne  des  carabiniers  oil  il  resta  prisonnier. 

Le  prince  Charles,  prisonnier  des  autorites 
sardes,  est  remis  en  liberte  par  Tintervention 
de  la  France  (4-7  avril  i85q).  —  L'intendant-general 
de  la  province  de  Nice  etait  accouru  a  Menton  a  la 
premiere  nouvelle  des  evenements.  II  confirma  Tar- 
restation  du  prince,  et  apres  lui  avoir  fait  traverser 
a  pied  un  assez  long  espace,  expose  aux  outrages 
d'une  populace  exasperee,  il  le  fit  transporter  d'abord 


-  467  - 
a  Nice,  puis  au  fort  de  Villefranche  ou  le  lieutenant 
Bellando  et  le  docteur  Chevaletpartagerentsa  capti- 
vite.  Pendant  ee  temps,  une  cinquantaine  de  per- 
sonnes  etaient  arretces  et  transferees  de  Menton 
dans  les  prisons  de  Nice. 

L'intendant-general  ne  se  contenta  pas  de  cette 
etrange  intervention  et  de  ces  sequestrations  hors  du 
territoire  des  villes  libres  de  personnes  sur  lesquelles 
le  gouvernement  piemontais  n'avait  aucune  juridic- 
tion;  il  decerna  publiquement  des  eloges  aux  gens 
qui,  sous  ses  veux.  s'etaient  livrcs  a  des  violences  sur 
le  prince  et  ses  amis:  il  felicita  egalement  par  une 
proclamation  les  troupes  de  Menton  de  la  nfermete 
et  de  la  generosite  »  qu'elles  avaient  montrees. 

Des  procedes  aussietranges  souleverent  en  Europe 
une  reprobation  generale.  A  la  premiere  nouvelle  des 
evenements,  Tempereur  Napoleon  III  ne  se  borna 
pas  a  exiger  la  mise  en  liberte  immediate  du  prince, 
retenu  en  violation  des  plus  simples  regies  du  droit 
des  gens,  il  obligea  le  gouvernement  sarde  a  rela- 
cher  les  personnes  detenues  pour  leur  participation 
a  1'evenement  de  Menton  et  que  Tadministration 
piemontaise  emettait  Tinsoutenable  pretention  de 
poursuivre  criminellement  devant  ses  propres  tri- 
bunaux  pour  le  soi-disant  crime  commis  contre  la 
surete  d'un  gouvernement  qui  lui  etait  etranger. 
MM.  Imberty,  Charles  de  Monleon  et  les  autres 
personnes  incarcerees  durent  etre  remis  en  liberte. 


—  468  — 

Nouvelles  tentatives  d'arrangement  par  la 
mediation  de  la  France  et  de  l'Angleterre  (1854 
1 85 5).  —  On  put  penser  un  moment  que  cette 
scandaleuse  affaire  aurait  des  suites  favorables  a  la 
cause  du  droit  et  de  la  justice.  A  la  suite  de  Tattentat 
dont  lneritier  de  Monaco  avait  ete  victime,  le 
prince  Florestan  avait  adresse  a  toutes  les  chancel- 
leries europeennes  ses  doleances  et  ses  protesta- 
tions ;  les  reponses  temoignerent  de  la  sympathie 
des  puissances;  ce  n'etait  plus  seulement  lAutriche 
qui  faisait  connaitre  son  interet,  Tempereur  de 
Russie  lui-meme,  quoique  aux  prises  avec  les  diffi- 
cultes  de  la  guerre  d'Orient,  fit  parvenir  Texpression 
de  ses  sympathies,  de  meme  que  le  roi  de  Prusse 
et  le  ministere  anglais.  De  son  cote  Tempereur 
Napoleon  III,  mis  au  courant  de  la  situation  par 
le  prince  Charles,  etait  convaincu  qu'il  fallait 
arriver  a  regulariser  une  situation  aussi  anormale. 
A  ce  moment,  Thabilete  diplomatique  de  M.  de 
Cavour  avait  araene  la  Sardaigne  a  participer  a  la 
guerre  d'Orient.  LAngleterre  se  joignit  a  la  France 
pour  amener  leur  nouvel  allie,  Victor-Emmanuel,  a 
accepter  un  reglement.  Malgre  son  peu  d'empresse- 
ment,  la  chancellerie  de  Turin  consentit  a  se  preter 
a  des  pourparlers  qu'elle  parvint  du  reste  a  laisser 
sans  solution;  l'affaire  fut  oubliee  au  milieu  des 
preoccupations  de  la  guerre  de  Crimee. 


—  469  — 
La  question  de  Menton  au  congres  de  Paris 

(avril  1 856).  —  Le  congres  de  Paris,  qui  mit  fin  a 
cette  grande  lutte,  vi't  pour  la  premiere  fois,  depuis 
les  evenements  de  1848,  la  question  de  Menton 
soumise  a  l'examen  de  la  diplomatic  europeenne. 

Dans  la  seance  du  8  avril  iS56,  M.  de  Cavour  avait 
proteste  contre  Toccupation  d'une  partie  des  Etats 
Romains  par  TAutriche,  qu'il  avait  montree  pretant 
la  main  a  des  persecutions  politiques  dans  ces  pro- 
vinces. 

«  11  n'y  a  pas  que  les  Etats  Romains  en  Italie  qui 
«  soient  occupes  par  les  troupes  etrangeres,  repondit 
«  M.  de  Hubner  ;  les  communes  de  Menton  et  de 
«  Roquebrune,  faisant  partie  de  la  principaute  de 
«  Monaco,  sont  depuis  huit  ans  occupees  par  la 
«  Sardaigne;  la  seule  difference  qu'il  y  a  entre  les 
«  deux  occupations,  e'est  que  les  Autrichiens  et  les 
«  Francais  ont  ete  appeles  par  les  souverains  du  pays, 
«  tandis  que  les  troupes  sardes  ont  penetre  sur  le 
«  territoire  du  prince  de  Monaco  contrairement  a  ses 
«  voeux  et  s'y  maintiennent  malgre  ses  reclama- 
«  tions  ». 

Le  plenipotentiaire  sarde  declara  que  son  gouver- 
nement  etait  pret  a  retirer  ses  troupes  du  territoire 
des  villes  separees  si  le  prince  etait  en  etat  d'y  rentrer 
sans  s'exposer  aux  plus  graves  dangers.  Ce  n'etait 
plusl'attitude  prise  lorsde  la  manifestation  du  prince 
Charles  a  Menton;  force  etait,  devant  TEurope,  de 
reconnaitre  les  droits  des  Grimaldi. 


—  47°  — 
L'insertion    de    cet    incident   aux    protocoles    du 
congres  n'etait  qu'une  satisfaction  platonique;  mais 
elle  presageait  plus  d'un  embarras  dans  Tavenir  pour 
le  cabinet  de  Turin. 

Mort  du   prince   Florestan  I"r  (i 856).  —    Le 

prince  Florestan  ne  survecut  que  quelques  mois  aux 
negociations  du  traite  de  Paris;  il  mourut  a  Paris  le 
26  juin  1 856,  a  Tage  de  soixante  et  onze  ans. 

La  relation  des  douloureux  evenements  qui  mar- 
querent  le  regne  de  Florestan  Ier  Font  montre  comme 
un  prince  rempli  de  bonnes  intentions,  accessible  aux 
idees  nouvelles,  preoccupe  de  les  appliquer  dans  son 
etat.  Les  soucis  de  la  lutte  contre  ses  sujets  revoltes 
ne  le  detournerent  pas  de  son  application  a  etablir  des 
reglements  utiles  dans  la  partie  reduite  de  la  souve- 
rainete  qu'il  avait  conservee.  On  a  vu  a  quel  point  il 
s'interessait  a  Tinstruction  ;  il  ne  cessa  jusqu'a  la  tin 
d'accorder  a  cette  branche  de  son  administration  ses 
soins  les  plus  attentifs  et  c'est  la,  pour  ainsi  dire,  ce 
qui  est  reste  la  dominante  de  son  regne. 


4?i 


CHAPITRE     XXIII 


CHARLES     III 


I  856- I  889) 


Dispositions  et  tendances  du  Prince  Char- 
les III  an  debut  de  son  regne  (1 856).  —  Le  prince 
Charles  III  avait  trente-sept  ans  lorsqu'il  succeda  a 
son  pere  le  prince  Florestan.  Son  education,  serieu- 
sement  dirigee  par  sa  mere,  la  princesse  Caroline,  sa 
participation  de  tres  bonne  heure  a  la  pratique  du 
gouvernement,  les  relations  suivies  qu'il  cultiva  dans 
de  hauts  milieux  politiques  de  TEurope,  enrln  et 
surtout,  le  role  actif  qu'il  avait  ete  appele  a  jouer 
dans  les  huit  dernieres  annees  du  regne  de  son 
pere,  avaient  muri  son  esprit  et  developpe  en  lui  une 
singuliere  aptitude  aux  affaires  publiques  aussi  bien 
qu'une  habilete  remarquable  dans  la  conduite  des 
questions  diplomatiques. 

Lors  des  evenements  si  graves  auxquels  il  avait 
du  prendre  part,  il  avait  ete  surtout  frappe  de 
la  situation  inferiorisee  a  laquelle  ses  predecesseurs 
s'etaient  laisse  acculer  depuis  181 5  ;  d'autre  part  il 


—  472  — 
avait  constate  sans  peine,  que  tous  les  embarras  subis 
par  sa  famille  depuis  1847,  tousles  dangers  qu'elle 
avait  courus,  procedaient  de  la  faiblesse  et  de  la 
negligence  inexplicables  dont  avait  fait  preuve  le 
prince  Honore  V  dans  la  defense  de  ses  droits  souve- 
rains,  abandonnes  a  la  merci  des  entreprises  et  des 
usurpations  de  la  Sardaigne.  Plus  tard,  la  modestie 
des  habitudes  et  la  timidite  naturelle  du  prince  Flo- 
restan  avaient  perpetue  une  situation  que,  du  reste, 
les  graves  difficultes^et  les  terribles  epreuves  de  ce 
dernier  regne  avaient  aggravee. 

Des  le  debut,  Charles  III  tendit  a  retablir  dans 
toute  leur  etendue,  et  en  premiere  ligne  vis-a-vis  du 
gouvernement  sarde,  ses  prerogatives  et  le  caractere 
souverain  de  son  pouvoir. 

Les  consequences  de  cette  attitude  ne  tarderent  pas 
a  se  faire  jour  ;  les  tracasseries  du  gouvernement 
piemontais  dans  Toccupation  militaire  de  la  Princi- 
paute  firent  bientot  place  a  desprocedes  plus  corrects. 
Le  prince  tint  la  main  a  ce  que,  dans  la  place  de 
Monaco,  Tingerence  sarde  fut  ramenee  a  la  stricte 
pratique  des  stipulations  du  protectorat. 

Le  retablissement  de  la  Principaute  dans  son  rang 
et  celui  du  prince  dans  l'exercice  de  tous  les  attributs 
de  la  souverainete  furent  la  pensee  dominante  du 
regne  de  Charles  III.  II  avait  recu  l'etatde  ses  ancetres 
reduit  a  sa  plus  faible  extension,  a  ce  qu'etait  en  1346 
le  domaine  de  Charles  Grimaldi  avant  Tacquisition  de 


*      6\ 


■\ 


CH .     DAVID  "' 

Charles  III,  Prince  de  Monaco 

Xe  a  Paris  le  8  ilecembre  1818 

Mori  au  chateau  de  Marchais  le  10  septembre  1889 


—  474  — 
Menton  ;  iltenditparses  efforts  etilreussit a  luirendre 
dans  le  monde  une  situation  et  une  consideration 
superieures  a  celles  dont  elle  avait  joui  aux  epoques 
les  plus  brillantes  de  son  histoire,  sous  les  regnes 
d'Honore  II  et  d'Antoine  Ier. 

Creation  de  l'Ordre  de  Saint-Charles  (i858). 
—  II  resolut  de  creer  un  signe  tangible  de  raffirma- 
tion  de  ses  prerogatives  souveraines  :  Tordrede  Saint- 
Charles,  institue  par  ordonnance  du  i5  mars  1 858, 
fut  la  manifestation  la  plus  remarquee  de  cette  pen- 
see,  et  l'accueil  fait  des  Torigine  par  les  souverains 
et  les  plus  hauts  personnages  politiques  a  ce  nouvel 
ordre  de  chevalerie,  qui  fut  toujours  parcimonieu- 
sement  et  judicieusement  confere,  prouva  la  justesse 
de  l'idee  qui  avait  preside  a  sa  creation. 

Traite  d'extradition  avec  TEspagne  (1859). 
■ —  Poursuivant  la  nouvelle  attitude  qu'il  entendait 
prendre,  le  prince  voulut  user  de  son  droit  de  rela- 
tions directes  avec  les  puissances  etrangeres,  et  la 
conclusion  d'un  traite  d'extradition  des  malfaiteurs 
avec  TEspagne,  signe  le  16  juin  1809,  fut  le  premier 
des  actes  diplomatiques  qui  allaient  relier  successi- 
vement,  au  point  de  vue  de  la  repression  penale,  la 
Principaute  de  Monaco  a  presque  tous  les  etats  civi- 
lises du  monde. 

On  verra  plus  loin  comment,  dans  la  modification 


—  475  — 
et  dans  I'amelioration  des  institutions  interieures,  la 
meme  pensee  dicta  les  mesures  dont  le  souverain  prit 
I'initiative  et  qu'il  sut  accomplir  avec  une  singuliere 

perseverance. 

Reprise  des  negociations  relatives  a  Menton 
et  a  Roquebrune  (1857).  —  La  revendication  des 
droits  sur  Menton  et  Roquebrune  etait  Tobjet  inces- 
sant de  ses  preoccupations.  Les  relations  particulie- 
rement  sympathiques  du  nouveau  prince  avec  Tempe- 
reur  Napoleon  Illavaient  beaucoup  contribuea  ren- 
dre  plus  corrects  les  procedes  de  la  Sardaigne  a  son 
egard.  Au  commencement  de  l'annee  iSSy,  la  situa- 
tion fausse  dans  laquelle  les  villes  separees  conti- 
nuaient  a  subsister  devenait  de  plus  en  plus  appa- 
rente;  il  resultait  pour  elles  de  cet  etat  anormal 
des  embarras  et  des  difficultes  nuisibles  a  leur  pros- 
perity :  des  troubles  assez  frequents  en  etaient  la 
consequence. 

La  tentative,  par  deux  fois  faite  sans  succes,  d'une 
conciliation,  fut  de  nouveau  reprise;  Napoleon  III, 
que  cette  question  preoccupait,  insista  encore  pour 
amener  par  ses  bons  offices  les  deux  parties  a  une 
entente.  Malgre  ses  repugnances,  Charles  III  con- 
sentit  a  articuler  les  conditions  auxquelles  il  ferait 
abandon  de  ses  droits. 

Avant  tout,  il  demandait  le  retrait  de  la  garnison 
et  la  disparhion  en  fait,  com  me  il  n'existait  plus  en 


—  476  — 
droit,  du  protectorat  sur  Monaco.  Jusqu'a  la  consti- 
tution d'une  force  armee  nationale,  la  securite  de  la 
place  resterait  assuree  par  un  corps  de  troupes  de- 
mande  a  une  puissance  etrangere. 

II  serait  attribue  une  indemnity  d'au  moins 
quatre  millions  au  prince,  pour  la  cession  de  ses 
droits  regaliens  sur  les  deux  villes. 

Entin,  il  serait  fait  une  rectification  des  frontieres 
du  territoire  de  Monaco,  si  arbitrairement  tracees  en 
1760.  Ces  nouvelles  limites,  partant  du  cap  d'Ail  a 
l'ouest,  eussent  suivi  Tarete  qui  monte  droit  jusqu'a 
Tescarpement  de  la  partie  superieure  de  la  Tete  de 
Chien  ;  longeant  ensuite  le  pied  de  cet  escarpement, 
elles  eussent  pris  pour  trace  au  dessous  de  la  Turbie 
l'ancienne  voie  romaine  ou  la  route  de  la  Corniche, 
jusqu'a  l'anse  de  Roquebrune. 

Cette  delimitation  semblait  d'autant  plus  ration- 
nelle,  qu'en  fait  la  presque  totalite  des  proprietes 
comprises  dans  ce  perimetre  appartenait  a  des 
habitants  de  Monaco,  sujets  du  prince. 

Echec  des  negociations  ( 1 85 7).  —  Les  preten- 
tions de  la  chancellerie  sarde  etaient  bien  loin  de 
correspondre  a  de  semblables  ouvertures.  La  Sar- 
daigne  considerait  le  protectorat  comme  un  avantage 
exclusif  a  elle  accorde  par  les  traites  pour  la  garantie 
de  sa  securite.  La  possession  de  Monaco  etait,  pre- 
tendait-elle,  une  necessite  de  defense  ;  encore  moins 


—  477  — 
eut-elle  consent!  a  une  extension   de  territoire  qui 
eut  augmente  la  zone  echappant  ainsi  derinitivement 
a  son  action  militaire. 

II  n'v  avait  pas  de  base  d'entente  possible,  les 
negociations  ne  purent  aboutir. 

Guerre  d'ltalie,  annexion  du  comte  de  Nice 
a  la  France  1 859-1860).  —  Le  moment  approchait 
cependant  ou  le  conflit  d'ou  sortit  la  guerre  d'ltalie 
allait  provoquer,  dans  des  conditions  toutes  ditie- 
rentes,  la  solution  de  la  question  mentonnaise. 

Pour  un  spectateur  desinteresse  de  la  grande 
querelle  qui  allait  se  denouer  dans  les  plaines  de  la 
Lombardie,  il  etait  evident  que  Tissue  de  cette  lutte, 
quelle  qu'elle  fut,  provoquerait,  par  contre-coup,  un 
changement  dans  la  situation  de  Menton  et  de 
Roquebrune,  soit  que  la  France  victorieuse  imposat 
a  son  allie  le  Piemont  des  conditions  pour  lui  laisser 
realiser  en  Italie  les  agrandissements  qu'il  revait, 
soit  que  l'Autriche,  defendant  avec  succes  les  droits 
des  souverains  de  la  peninsule  contre  les  efforts 
d'emancipation  des  liberaux  italiens,  obligeat  cette 
Ibis  la  Sardaigne  a  une  restitution  au  prince  de 
Monaco  qui  n'avait  pas  ete  jusqu'au  bout  exigee 
apres  Novare. 

A  Monaco,  les  sympathies  etaient  toutes  fran- 
chises :  elles  eclaterent  lors  du  passage  des  troupes 
qui    recurent    du  prince   et    de  la    populatiou    un 


-  47§  ~ 
accueil  fait  pour  demontrer  combien  les  souvenirs  de 
Tancienne  union  avec  la  France  etaient  toujours 
vivaces.  Aussi  Temotion  y  fut-elle  grande  pendant 
toute  la  campagne,  alors  qu'on  recut  coup  sur  coup 
la  nouvelle  des  victoires  et  celle  des  preliminaires  de 
paix  de  Villafranca. 

Cette  emotion  grandit  encore  lorsqu'au  commen- 
cement de  Tannee  i860,  le  bruit  se  repandit  que  le 
roi  Victor-Emmanuel  cedait  a  Tempire  francais  la 
Savoie  et  le  comte  de  Nice. 

Situation  faite  a  Menton  et  a  Roquebrune 
par  Tannexion  du  comte  de  Nice  ;i86o). —  Le 
traite  signe  a  Turin  le  24  mars  i860  sanctionna  cette 
cession;  mais  il  en  subordonnait  Teffet  a  Tacquies- 
cement  des  populations  formellement  consultees  : 
Tannexion  ne  serait  definitive  qu'apres  un  plebiscite 
favorable  et  en  vertu  d'une  convention  posterieure, 
qui,  en  meme  temps  qu'elle  constaterait  les  resultats 
du  vote,  reglerait  dans  ses  details  les  delimitations 
entre  les  deux  etats. 

Quel  allait  etre,  dans  ces  conjonctures,  le  sort  de 
la  principaute  de  Monaco? 

II  fut  de  suite  evident  que,  dans  les  intentions  du 
cabinet  des  Tuileries,  les  deux  villes  de  Menton  et 
de  Roquebrune  devraient  faire  partie  de  Tannexion; 
lors  des  premieres  negociations,  la  ligne  de  la  Rova 
avait  ete  indiquee  comme  la  limite  qui,  de  la  mer  au 


—  479  — 
coldeTende,  devaitservir  de  nouvelle  frontiere.  Cette 
ligne  englobait  precisement  la  Principaute  tout 
entiere.  Cependant  rEmpereur  ne  pouvait  recon- 
naitre  a  Victor-Em  manuelqualite  pour  retroceder  a  la 
France  des  territoiressur  lesquels  le  roi  n'avait  qu'un 
droit  de  protectorat  :  et  sous  ce  rapport,  la  situation 
de  la  Sardaigne  etait  identiquement  la  meme  aux 
veux  du  gouvernement  francais,  en  ce  qui  concernait 
Monaco,  que  par  rapport  aux  villes  separees  :  d'autre 
part,  il  eut  repugne  au  gouvernement  sarde  de  recon- 
naitre,  dans  les  dispositions  du  traite,  les  droits  du 
prince  de  Monaco  sur  les  villes  libres ;  c'eut  ete  le 
desaveu  de  la  politique  suivie  depuis  treize  annees 
dans  cette  question. 

Depart  des  agents  sardes  des  villes  libres  ; 
evacuation  de  Monaco.  —  On  resolut  en  conse- 
quence, d'un  commun  accord,  de  n'introduire  dans 
les  actes  diplomatiques  a  intervenir  pour  regler  deri- 
nitivement  la  situation  de  la  region  anncxee,  aucune 
stipulation  speciale  qui  visat  les  territoires  sur  les- 
quels la  Sardaigne  exercait  seulement  un  protectorat; 
Victor-Emmanuel  retira  ses  troupes  et  ses  agents 
aussi  bien  des  villes  libres  que  de  Monaco,  et,  ce 
qui  caracterise  d'une  facon  tres  nette  que  telle  fut 
la  procedure  convenue  entre  les  deux  puissances, 
c'est  qu'a  Monaco,  ce  ne  fut  pas  au  prince  que  le 
commandant  des  troupes  sardes  notifia,  le   iS  juil 


„  _  48o  — 

let   i860,  l'evacuation   de  la  place,   mais  au  consul 
de  France  dans  cette  ville. 

La  Sardaigne,  en  se  retirant,  laissait  a  la  France 
le  soin  de  prendre  avec  le  prince  Charles  III  les 
arrangements  qui  lui  conviendraient,  et  sans  inter- 
venir  elle-meme  ni  pour  les  villes  libres  ni  pour 
Monaco.  C'est  ce  qui  fut  execute. 

Mouvement  populaire  a  Menton  ;  les  villes 
libres  sont  comprises  dans  le  vote  d'annexion. 
—  Des  que  le  traite  du  24  mars  avait  ete  connu  a 
Menton,  un  mouvement  populaire  s'etait  manifeste. 
Dans  Tignorance  ou  Ton  etait  des  intentions  des  deux 
gouvernements,  par  defaut  de  toute  allusion  aux 
villes  libres  dans  le  traite,  les  habitants  voulurent 
affirmer  publiquement  leur  resolution  de  sortir 
de  la  situation  ambigue  dans  laquelle  ils  vivaient 
depuis  treize  ans.  Deux  courants  d'opinion  se  for- 
merent :  les  tins,  par  une  adresse  envoyee  a  TEmpe- 
reur  le  ier  avril,  demandaient  la  reunion  a  la  France; 
d'autres,  par  une  seconde  petition  posterieure  de 
quelques  jours,  reclamaient  le  retablissement  du 
gouvernement  des  Grimaldi.  Le  gouverneur  provi- 
soire  du  comte  de  Nice  crut  pouvoir  trancher  la 
question  :  continuant  a  suivre  les  errements  en 
usage  dans  l'administration  sarde  en  ce  qui  concer 
nait  les  villes  separees,  il  comprit  les  communes 
de  Menton  et  de  Roquebrune  parmi  celles  qui 
etaient  appelees  a  voter  sur  Tannexion  a  la  France. 


—  48 1  — 
Protestation  de  Charles  III.  —  Cette  mesure 
etait  la  negation  des  droits  du  prince.  Charles  III 
protesta  immediatement ;  le  vote  n'en  eut  pas  moins 
lieu  ;  une  cinquantaine  de  voix  seulement  refuserent 
l'annexion,  et,  il  taut  le  reconnaitre,  les  partisans 
les  plus  attaches  au  prince  et  a  la  maison  princiere 
ne  suivirent  pas,  dans  cette  circonstance,  les  conseils 
qu'ils  recurent  de  Monaco  ;  ils  virent  surtout  dans  le 
vote  une  manifestation  contre  le  regime  piemontais; 
ils  se  fierent  a  la  loyaute  du  gouvernement  francais 
pour  un  reglement  qui  sauvegardat  les  droits  du 
souverain  legitime. 

Cession  a  la  France  par  Charles  III  de  ses 
droits  sur  Menton  et  Roquebrune  (2  fevrier  1861) 
—  Cependant  la  protestation  de  Charles  III  fut 
entendue  a  Paris;  on  y  reconnut  sans  peine  que  le 
vote  de  Menton  et  de  Roquebrune,  provoque  par 
une  autorite  qui  n'avait  pas  caractere  pour  Tor- 
donner,  ne  pouvait  servir  de  base  a  une  annexion 
reguliere  de  ces  territoires.  Au  prince  de  Monaco 
seul  appartenait  le  droit  de  ceder  une  partie  inte- 
grante  de  ses  etats,  quelles  que  fussent  les  circons- 
tancesquireussentdepossedeenfait.Desnegociations 
furent  entamees;  elles  aboutirent  le  2  fevrier  1861  a 
un  traite  en  vertu  duquel,  et  moyennant  une  indem- 
nite,  Charles  III  cedait  a  la  France  ses  droits  sur 
Menton  et  Roquebrune. 

3i 


-482  - 

De  ce  jour  seulement  datent  les  droits  de  la  France 
sur  les  deux  villes. 

La  negociation  avec  le  prince  Charles  III  termi- 
nait  les  operations  preliminaires  au  reglement  de  la 
nouvelle  frontiere  entre  Tempire  francais  et  les 
etats  du  roi  Victor-Emmanuel ;  on  pouvait  des  lors 
proceder  a  la  conclusion  du  traite  de  delimitation 
definitive  qui  fut  signe  le  9  mars  a  Turin,  et  cette 
frontiere  eut  pour  trace,  depuis  la  mer  dans  la  direc- 
tion des  grandes  Alpes,  Tancienne  limite  qui  avait 
borne  la  principaute  de  Monaco  et  le  territoire  de 
Vintimille.  La  Sardaigne,  par  le  fait  de  Tacceptation 
de  cette  limite,  reconnaissait  formellement  la  cessa- 
tion de  ses  droits  de  protectorat  sur  la  Principaute, 
les  seuls  qu'elle  put  ceder  sur  les  territoires  qui 
devaient  desormais  confiner  a  sa  frontiere. 

Fin  du  protectorat  de  la  Sardaigne  sur  Mo- 
naco (1861).  —  Ainsi  prit  fin  le  protectorat  sarde, 
supprime  par  le  simple  jeu  de  la  procedure  con- 
venue  entre  les  cabinets  de  Paris  et  de  Turin  pour 
la  cession  du  comte  de  Nice.  Cette  procedure  rendit 
inutile  une  denonciation  explicite  qui  eut  ete  sen- 
sible  a   Famour-propre    de   Victor-Emmanuel. 

Ce  protectorat,  le  troisieme  sous  lequel  avait  vecu 
Monaco,  avait  ete  plus  desastreux  pour  la  Princi- 
paute que  celui  des  Espagnols  lui-meme,  puisqu'elle 
en  sortait  mutilee  et  diminuee  des  quatre  cinquiemes ; 


—  q83  — 

mais  ,  d'autre  part,  les  conditions  dans  lesquelles 
s'opererent  sa  supression  eurent  pour  resultat  de  ne 
pas  provoquer  de  retrocession  des  droits  de  la  Sar- 
daigne  a  la  France,  en  sorte  qu'avec  le  depart  du  der- 
nier soldat  piemontais  disparut  le  regime  par  lequel 
les  princes  avaient  cherche  a  assurer,  pendant  trois 
cent  trente-six  ans,  leur  securite  materielle. 

Consequences  du  traite   du  2  fevrier  1861  ; 
vues  de  Charles  III  sur  l'avenir  de  Monaco. 

—  Le  prince  Charles  III  se  garda  d'intervenir  dans 
les  negotiations  ;  il  avait  tout  a  gagner  a  laisser  les 
questions  se  resoudre  en  dehors  de  lui ;  il  eut,  autre- 
ment,  etc  expose  a  accepter  quelque  obligation  vis- 
a-vis de  la  France;  il  echappa  a  ce  peril.  II  vit  ainsi 
se  consolider  rautonomie  de  son  etat,  se  simplirier 
sa  situation  politique  internationale  et  disparaitre  le 
dernier  vestige  d'entrave  a  son  pouvoir  souverain. 
D'autre  part,  le  traite  du  2  fevrier  1 86 1  realisait 
^ks  principales  conditions  qu'il  avait  articulees  en 
1857  pour  Tabandon  de  ses  droits  surles  villes  sepa- 
rees.  L'une  d'elles,  cependant,  n'y  figura  pas,et  son 
omission  regrettable  est  surtout  sensible  depuis 
Textraordinaire  developpement  qu'a  pris  Monaco 
a  la  suite  de  ces  evenements.  II  n'y  fut  pas  question 
de  rectification  des  limites  avec  la  commune  de  la 
Turbie,  en  sorte  qu'elles  resterent  ce  que  les  avait 
faites  le  traite  de   1760.  Le  gouvernement  francais, 


-  484  - 

quelque  peu  d'importance  qu'eut  eu  pour  lui  une 
semblable  cession,  ne  crut  pas  pouvoir  consentir  a 
l'abandon  de  ces  parcelles  de  terres  et  a  Talienation 
d'une  fraction  aussi  faible  qu'elle  fut  du  territoire  de 
la  commune  de  la  Turbie  qui  venait  de  se  donner  a 
la  France  par  un  vote  unanime. 

L'annexion  du  comte  de  Nice  allait  etre  le  point 
de  depart  d'un  accroissement  rapide  de  la  prosperite 
sur  le  littoral.  Le  mouvement  qui  portait  les  hautes 
classes  a  venir  profiter  du  climat  exceptionnel  de 
cette  region  privilegiee,  prit,  a  partir  de  i860,  un 
developpement  imprevu  pour  beaucoup  d'esprits. 
Le  prince  Charles  III  fut  un  des  premiers  a  mesurer 
toute  l'etendue  de  cette  expansion  future;  il  comprit 
dans  quelle  proportion  l'achevement  des  lignes  de 
chemin  de  fer,  le  long  de  la  cote  de  Ligurie,  allait 
en  favoriser  l'essor.  II  envisagea  de  suite  la  part 
principale  qu'allait  recueillir  son  etat,  grace  au  site 
de  Monaco  et  sa  position  rapprochee  des  frontieres 
de  France  et  d'ltalie.  II  fallait  assurer  a  la  Princi- 
paute  les  moyens  les  plus  commodes  et  les  plus 
simplifies  pour  les  communications  internationales ; 
le  prince  tendit  vers  la  realisation  de  ce  but  toutes 
les  forces  de  son  esprit. 

Stipulations  du  traite  du  2  fevrier  1861  rela- 
tives aux  relations  de  Monaco  avec  la  France. 

—  La  prevision  de  cette  heureuse  revolution  econo- 


—  485   — 

mique  dans  l'etat  de  la  contree  avait  deja  dicte 
diverses  stipulations  du  traite  du  2  terrier  1861,  et 
l'etude  de  ces  dispositions  introduites  par  l'initiative 
de  Charles  III,  temoigne  de  la  haute  clairvoyance  de 
son  jugement.  L'article  5  du  traite  contient  l'obliga- 
tion  pour  la  France  d'entretenir  et  de  rectifier  a  ses 
frais  la  route  entre  Monaco  et  Menton,  depuis  la 
frontiere  monegasque  jusqira  sa  jonction  avec  la 
route  de  la  corniche.  D'autre  part,le  passage  du  che- 
min  de  fer  projete  de  Nice  a  Genes  a  travers  la  Prin- 
cipaute  dut  bientot  rendre  rapides  les  communi- 
cations jusque-la  si  longues  entre  Monaco  et  le  chef- 
lieu  des  Alpes-Maritimes.  L/etablissement  de  cette 
grande  voie  ne  parut  pas  encore  suffire  aux  besoins 
futurs  de  la  circulation  entre  les  deux  villes ;  on  previt 
l'etablissement  d'une  voie  carrossable  par  le  bord 
de  la  mer,  qui.  partant  de  Beaulieu,  assurat  des 
relations  directes  le  long  du  rivage  entre  Monaco, 
Villefranche  et  Nice.  Cette  route,  que  la  configu- 
ration du  terrain  et  les  escarpements  de  la  rive 
rendaient  d'une  construction  extremement  difficile, 
vit  en  outre  son  execution  retardee  par  suite  des  eve- 
nements  survenus  en  France  a  la  suite  de  la  guerre 
de  1870  ;  elle  ne  put  etre  achevee  qu'au  bout  de  vingt 
ans,  a  la  fin  de  Tannee  1 88 1 . 

Le  prince  Charles  avait  egalement  stipule  dans  le 
meme  traite  le  principe  d'une  union  douaniere  avec 
la  France,   qui    supprimat    des   causes  perpetuelles 


—  486  — 

d'embarras  dans  les  rapports  de  voisinage.  Le  peu 
d'extension  du  territoire  monegasque  rendait  en  effet 
le  maintien  des  lignes  des  douanes  des  plus  dom- 
mageable  pour  le  commerce  de  Monaco,  tandis 
qu'elles  deviendraient,  d'autre  part,  extremement 
genantes  pour  la  France  dans  ses  communications 
par  voie  ferree  avec  les  communes  a  Test  de  la  Prin- 
cipaute,  particulierement  Menton  et  Roquebrune. 

Traite  d'union  douaniere,  postale  et  telegra- 
phique  avec  la  France  (9  novembre  1 865).  —  Les 
bases  d'un  accord  en  cette  matiere,  stipulees  dans 
Tarticle  6  du  traite  de  1 86 1 ,  furent  le  point  de  depart 
de  negociations  qui  aboutirent  a  la  conclusion  d'un 
traite  signe  a  Paris  le  9  decembre  i865.  Le  prince  y 
etablissait  une  union  avec  la  France,  comprenant 
Tunification  avec  Tempire  francais  des  services  des 
douanes,  des  postes  et  des  telegraphes,  qui  seraient 
a  Tavenir  devolus  aux  administrations  trancaises, 
moyennant  une  retribution  fixe  attribuee  au  prince 
et  le  partage  des  recettes  au-dela  de  cette  retribution. 
D'autres  dispositions  avantageuses  pour  la  Princi- 
paute  reglaient  la  fourniture  des  poudres,  du  sel 
et  des  tabacs.  Enfin  certaines  clauses  speciales  se 
rapportaient  a  la  police  internationale,  telles  que 
Tinterdiction  reciproque  de  sejour  aux  expulses  de 
France  a  Monaco  et  celle  du  departement  des  Alpes- 
Maritimes  aux  expulses  de  la  Principatue. 


-  4*7  - 

Enfin  la  France  s'obligeait  a  recevoir  dans  ses  eta- 
blissements  penitentiaires,  pour  y  subir  leur  peine, 
les  individus  condamnes  a  Monaco. 

Le  traite  de  novembre  1 865,  successivement  pro- 
roge  par  Taccord  tacite  des  deux  gouvernements 
depuis  trente  et  un  ans,  a  realise  tous  les  avantages 
qu'en  avait  espere  son  auteur. 

Le  casino  de  Monaco ;  creation  de  Monte 
Carlo  ,i858-i866;.  —  La  preoccupation  d'assurer  a 
la  Principaute  une  part  considerable  dans  le  deve- 
loppement  des  ricbesses  qu'allaient  procurer  a  la 
region  transformed  les  milliers  d'etrangers  de  toutes 
les  nations  qui  prenaient  de  plus  en  plus  Thabitude 
d'v  venir  hiverner,  avait  amene,  des  l'annee  1 858,  le 
Prince  Charles  Ilia  autoriser  l'ouverture  d'un  casino 
organise  sur  le  modele  de  ceux  qui  faisaient  alors 
la  fortune  de  plusieurs  villes  d'Allemagne.  Cette  ins- 
titution devait,  dans  son  esprit,  compenser  Tabsence 
de  toute  industrie  a  Monaco  et  Timpossibite  d'en 
creer  qu'avaient  jusqu'alors  confirme  tant  d'essais 
infructueux  ;  du  reste,  nul  pays  n'etait  mieux  appro- 
prie  pour  un  etablissement  de  ce  genre  avec  le  mini- 
mum des  inconvenients  qu'ils  peuvent  entrainer.  La 
region  tout  entiere  de  la  cote  se  transformait  a  Texem- 
ple  de  Nice  et  de  Cannes  en  un  pays  de  grand  luxe 
international,  et  s'appretait  a  en  vivre  presqu'exclu- 
sivement;  Monaco  pouvait  devenir,  dans  ces  condi- 
tions,  un   centre    merveilleux  detraction. 


—  488  — 

Cependant  les  premiers  essaiscfun  casino  interna- 
tional ne  furent  pas  heureux;  plusieurs  societes 
avaient  vu  leurs  affaires  successivement  pericliter, 
et  avaient  du  abandonner  leurs  concessions,  lors- 
qu'au  commencement  de  Tannee  1 863  M.  Francois 
Blanc  se  rendit  acquereur  du  privilege. 

M.  Blanc  etait  doue  d'un  esprit  d'initiative  qui  en 
fit  un  veritable  createur;  il  avait  compris  Tavenir 
prochain  de  Monaco  des  qu'au  lieu  des  dimciles 
communications  par  mer,  les  seules  qui  fussent  pra- 
tiquement  possibles  avec  Nice,  l'ouverture  du  chemin 
de  fer  rendrait  les  relations  avec  toutes  les  villes 
et  stations  hivernales  du  voisinage  extremement  com- 
modes. 

Nous  n'avons  pas  a  nous  etendre  sur  le  succes 
du  casino  de  Monaco,  bientot  transporte  par  son 
createur  dans  Tedifice  eleve  sur  le  plateau  des 
Spelugues,  devenu  en  1866  le  quartier  de  Monte 
Carlo;  la  reputation  de  cet  etablissement  estdevenue 
non  seulement  europeenne,  elle  est  universelle ; 
quant  au  resultatet  a  ses  consequences  economiques 
en  ce  qui  concerne  la  Principaute,  il  se  manifeste  par 
ce  fait,  qu'il  n'est  pas  une  seule  famille  monegasque, 
qui,  grace  au  developpement  croissant  de  la  prospe- 
rite  du  pays,  n'en  ait  tire,  pour  sa  fortune  ou  son 
bien-etre  materiel,  de  singuliers  avantages. 

C'est  ainsi  que  moins  de  quinze  ans  apres  Inau- 
guration de  casino  de  Monte  Carlo,  le  sol  entier  de 


-489- 

la  Principaute  sVtait  transform^  en  un  pare  magni- 
fique  oil  les  plus  somptueuses  villas  se  sont  elevees, 
tandis  que  deux  ou  trois  centres  populeux  et  commer- 
cants,  crees  soit  a  la  Condamine,  soit  a  la  Colle,  soit 
aux  Moulins,  venaient  s'ajouter,  au  dehors  des  rem- 
parts  de  Tantique  forteresse,  aux  quartiers  trop  res- 
serres  de  la  vieille  ville. 

Mariage  de  la  princesse  Florestine  avec  le 
prince  Guillaume  de  Wurtemberg  ( 1 863).  — 
Tandis  que  le  prince  Charles  preludait  par  son  ini- 
tiative aux  nouvelles  destinees  de  Monaco  et  a  la 
transformation  de  ce  petit  coin  de  terre  jadis  couvert 
de  rochers  deserts  et  steriles  en  un  lieu  bientot 
devenu  le  plus  civilise  de  TEurope,  un  evenement 
considerable  se  produisait  dans  la  famille  princiere. 
Le  i  5  fevrier  1 863  on  celebra  a  Monaco  le  mariage 
de  la  princesse  Florestine,  soeur  du  prince,  avec  le 
prince  Guillaume  de  Wurtemberg,  cree  quelque 
temps  apres  due  d'Urach.  Le  prince  Guillaume 
etait  veuf  en  premieres  noees  d'une  fille  du  prince 
Eugene  de  Beauharnais  due  de  Leuchtemberg;  la 
sante  d'une  de  ses  filles,  la  princesse  Marie,  qui  devait 
mourir  a  Monaco  le  17  Janvier  1864,  Tavait  attire 
dans  la  Principaute  pendant  plusieurs  hivers.  Cette 
circonstance  fut  Torigine  d'etroites  relations  avec  le 
prince  Charles  III  et  les  siens,  qui  aboutirent  a  Ten- 
tree  dela  descendante  des  Matignon  et  des  Grimaldi, 


—  49°  — 
dans  une  des  maisons  souveraines  les  plus  illustres 
de  l'Europe.  La  princesse  Florestine  etait  entouree 
de  la  plus  vive  et  de  la  plus  respectueuse  affection 
de  la  part  des  monegasques  au  milieu  desquels  elle 
avait  grandi.  Son  manage  fut  Toccasion  des  manifes- 
tations les  plus  touchantes  et  les  plus  sinceres  de  la 
part  de  la  population. 

Mort   de    la  princesse    Antoinette    (1864).  — 

Moins  d'un  an  apres  le  mariage  de  la  princesse 
Florestine,  un  deuil  cruel  et  inattendu  frappait  la 
famille  princiere.  La  princesse  Antoinette,  femme 
de  Charles  III  mourait  a  Monaco  le  i4fevrier  1864, 
emportee  apres  quelques  jours  de  maladie.  Quoique 
depuis  plusieurs  annees  la  sante  de  la  princesse  fut 
devenue  chancelante,  rien  ne  faisait  prevoir  un  si 
prochain  et  si  brusque  denoument. 

La  princesse  Antoinette  avait  brille  parses  grandes 
qualites  d'esprit  et  par  sa  distinction  aussi  hien  a 
Paris  que  dans  les  differentes  cours  oil  elle  avait 
accompagne  son  mari  lors  des  premieres  annees  de 
son  mariage.  L'eclat  des  fetes  donnees  a  Paris  pen- 
dant plusieurs  annees  par  le  due  et  la  duchesse  de 
Valentinois,  titre  que  leprince  et  la  princesse  porte- 
rent  jusqu'a  Tavenement  de  Charles  III,  est  reste 
dans  le  souvenir  du  monde  parisien.  C'etait  surtout 
pendant  le  congres  de  Paris  que  les  reunions  poli- 
tiques  et  mondaines  de  Thotel  de  Monaco  avaient 
attire  davantage  Tattention  publique. 


—  49 '  — 
Le  mal  qui  devait  Fern  porter  avait  oblige  la  prin- 
cesse   a   vivre    pendant    plusieurs    annees    dans   la 
retraite.  Sa  disparition  fut  pour  le  prince  et  la  maison 


Antoinette  Ghislaine  de  Merode 

princesse  de  Monaco 

femme  du  prince  Charle  III 

princiere  une  perte  cTautant  plus  ressentie  qu'a  ce 
moment  la  sante  ebranlee  du  prince  Charles  assom- 
brissait  deia  l'interieur  de  la  famille  souveraine. 


—  492  — 
Le  prince  Charles  perd  la  vue.  —  Le  prince 
Charles,  en  effet,  ressentait  alors  les  graves  atteintes 
d'un  mal  contre  lequel  il  devait  courageusement 
lutter  pendant  vingt-cinq  ans.  La  perte  de  la  vue  fut 
pour  cette  nature  energique  et  vaillante  une  occasion 
nouvelle  de  prouver  une  Constance  et  une  impertur- 
bable serenite.Loin  d'etre  abattu,  il  trouva  dans  cette 
cruelle  epreuve  le  stimulant  le  plus  energique  pour 
s'appliquer  avec  une  ardeur  infatigable  aux  amelio- 
rations nouvelles  que  son  esprit  trouvait  tous  les 
jours  a  accomplir  dans  l'administration  de  la  Princi- 
paute. Sa  main  devait  se  porter  successivement  sur 
toutes  les  branches  des  services  publics  ;  mais  ce  qui 
le  preoccupait  surtout,  c'etait  l'amelioration  des  ins- 
titutions qui  affirmaient  davantage  l'autonomie  de  la 
Principaute. 

Traites  et  conventions  avec  les  etats  etran- 
gers ;  creation  d'un  corps  diplomatique  et  eon- 

sulaire.  —  On  a  vu  que,  des  1869,  Charles  III,  sous 
le  regime  de  protectorat  de  la  Sardaigne,  avait  inau- 
gure  une  politique  de  relations  directes  avec  les  etats 
etrangers.  En  1864  deux  instruments  diplomatiques 
lierent  la  principaute  avec  le  grand-duche  de  Mec- 
klembourg-Schwerin  et  avec  Tunis.  Ce  dernier  acte 
etait  un  traite  d'amitie,  de  commerce  et  de  naviga- 
tion; il  fut  l'occasion  de  rejouissances  publiques  a 
Monaco  lors  de  la  visite  d'un  ambassadeur  envoye 
par  le  bey  au  prince  Charles. 


—    4Q1    — 

Si  Tannee  suivante,  par  suite  de  Tunion  douaniere 
conclue  avec  la  France,  le  prince  n'eut  plus  a  traiter 
avec  les  puissances  etrangeres  de  conventions  com- 
merciales,  la  situation  de  la  Principaute,  oil  Taffluence 
des  etrangers  croissait  sans  cesse,  demontra  l'utilite 
de  conventions  d'extradition  contenant  les  disposi- 
tions les  plus  rigoureuses  pour  atteindre  les  individus 
sous  le  coup  de  poursuites  dans  d'autres  pays,  qui 
seraient  tentes,par  les  facilitesde  communication, dV 
venir  chercher  un  refuge.  En  dehors  de  la  France,  la 
premiere  puissance  qui  negocia  avec  Monaco  un 
traite  de  cette  nature,  ce  fut  le  royaume  d'ltalie ; 
etant  donnes  les  evenements  recents  et  la  nature  des 
rapports  qui  avaient  existe  entre  la  Principaute  et  la 
Sardaigne,  dont  le  nouveau  royaume  continuait  les 
droits,  la  conclusion  d'une  telle  convention  est  carac- 
teristique.  Elle  fut  signee  au  mois  d'avril  1866. 

De  cette  epoque  date  egalement  la  creation  d'un 
grand  nombre  de  consulats;  la  plupart  furent  etablis 
en  Italie,  en  France,  en  Espagne.  Des  ministres  ou 
des  charges  d'affaires  furent,  a  la  meme  epoque,  accre- 
dites  a  Paris,  a  Bruxelles,  pres  du  roi  d'ltalie,  pres 
du  Saint-Siege. 

Les  conventions  d'extradition  ou  relatives  a  Teta- 
blissement  d'agents  diplomatiques  et  consulaires, 
devaient,  par  la  suite,  s'etendre  a  Tempire  d'Autriche- 
Hongrie,  a  la  Roumanie,  a  la  Suede,  au  Portugal,  a  la 
Hollande,  a  la  Russie,  aux  differents  etats  d'Amerique 


—  494  — 
et  enfin  a  FAngleterre.  Toutes  ces  puissances  furent 
d'autre  part  successivement  representees  a  Monaco 
par  des  consuls. 

Autonomic  religieuse  de  Monaco ;  creation 
d'une  abbaye  «  nullius  »  ( 1 868).  —  Mais  parmi 
les  institutions  qui  affirmaient  le  caractere  nouveau 
de  la  Principaute,  il  en  etait  une  qui  fixait  davantage 
Tattention  du  prince  Charles  et  a  laquelle  il  conti- 
nua,  pendant  tout  le  cours  de  son  regne,  d'accorder 
une  place  preponderante  dans  ses  preoccupations ; 
e'etait  la  question  de  Tautonomie  de  Monaco  au 
point  de  vue  religieux. 

On  a  vu  que,  depuis  les  temps  les  plus  anciens 
Monaco  dependait  du  diocese  de  Nice;  de  longues 
et  habiles  negociations  furent  entreprises  a  Rome 
pour  en  amener  la  separation  et  la  creation  pour  la 
Principaute  d'une  circonscription  distincte  et  inde- 
pendante. 

II  ne  fut  pas  alors  juge  qu'il  y  eut  lieu  de  creer 
un  eveche ;  Tetat  de  la  population  a  cette  epoque, 
et  sa  repartition  sur  un  territoire  aussi  restreint,  ne 
parurent  pas  comporter  une  pareille  institution. 
On  s'arreta  a  la  combinaison  d'un  diocese  relevant 
directement  du  Saint-Siege,  par  la  fondation  d'une 
abbaye  nullius  dioccrsis ;  un  abbe  mitre,  investi  de  la 
plenitude  de  Tautorite  episcopale,  fut  place  a  sa  tete, 
et  cette  abbaye  fut  donnee  aux  Benedictins  de  la 
reforme  de  Subiaco. 


-  49--1  — 

Le  24  mai  1868  Ms'  Romarico  Flughi,  abbe  de 
Saint-Nicolas  de  Monaco,  fut  solennellement  installe 
dans  Tantique  eglise  monegasque,  qui  devint  la 
cathedrale  de  ce  nouveau  diocese,  en  attendant  la 
construction  d'un  nouvel  et  somptueux  edifice  des 
lors  projete. 

On  verra  comment,  par  la  suite,  Torganisation 
religieuse  de  la  Principaute  subit  denouvelles  modi- 
fications. 

Ouverture  du  chemin  de  fer  de  Nice ;  pros- 
perity de  Monaco;  abolition  des  impots  directs 

( 1 868- 1 869  .  —  L'annee  1868  est  une  grande  date 
dans  Thistoire  de  la  prosperite  de  Monaco ;  le  chemin 
de  fer  de  Nice  a  Menton,  dont  la  construction  avait 
presente  de  grandes  difficultes,  fut  ouvert  le  2  5  octo- 
bre,  et,  des  les  premiers  jours,  on  put  se  rendre 
compte  de  rafrluence  des  etrangers  qui  allaient 
envahir  la  Principaute. 

Des  lors,  il  fut  evident  que  les  previsions  de 
Charles  III  seraient  atteintes  et  meme  depassees,  et 
que  les  elements  de  richesse  ne  feraient  que  se  de- 
velopper.  En  presence  d'un  etat  si  florissant,  le 
prince  pensa  qu'il  devait  faire  participer  ses  sujets 
dans  une  large  mesure  aux  avantages  nes  pour  le 
Tresor  de  cette  situation  exceptionnelle ;  il  n'avait 
pas  oublie  que  la  question  des  impots  avait  failli 
perdre  la  maison  souveraine  et  avait  ete  la  cause  pre- 
miere de  la  mutilation  de  la  Principaute ;  leur  supres- 


—  496  — 
sion  devait  etre,  dans  son  esprit,  le  couronnement  de 
la  revolution  economique  provoquee  par  son  initia- 
tive. Une  ordonnance  souveraine  du  8  fevrier  1869 
abolit  les  quatre  impots  directs. 

Cette  mesure  habile  et  intelligente,qui  fut  accueillie 
avec  enthousiasme  a  Monaco,  eut  en  TEurope  un 
grand  retentissement ;  elle  etait  hardie  au  moment 
011  elle  fut  prise  et  de  nature  a  grever  serieusement 
les  finances  du  prince;  plus  clairvoyant  que  ses  con- 
seillers,  Charles  III  entrevit  que  Taugmentation 
croissante  des  etrangers,  l'activite  commerciale,  et 
la  circulation  des  biens  qui  en  seraient  le  resultat 
feraient  grossir  les  impots  indirects  et  parmi  ceux-ci 
surtout,  les  taxes  sur  certains  produits  imposes  en 
France  et  que  celle-ci  avait  demande  au  prince  de 
frapper  pour  eviter  la  fraude  de  voisinage;  ces 
mesures  etaient  la  consequence  necessaire  de  Tunion 
douaniere  et  de  la  suppression  de  tout  cordon  de 
douane  interieur. 

L'evenement  a  montre  combien  le  point  de  vue 
auquel  s'etait  place  le  prince  Charles  etait  a  la  fois 
sagace  et  sagement  raisonne. 

Mariage  du  prince  hereditaire ;  naissance  du 
prince  Louis  (1869- 1870).  —  L'annee  1869  fut  mar- 
quee par  un  evenement  considerable  dans  la  famille 
souveraine  :  on  celebra  le  21  septembre  au  chateau 
de  Marchais  le  mariage  du  prince  Albert,  prince  here- 


—  497  — 
ditaire  avec  la  princesse  Marie  Victoire,  fille  du  due 
d' H  amilton  et  de  la  princesse  Marie  de  Bade ;  ce  ma- 
nage rapprochait  les  Grimaldi  de  la  famille  imperiale 
de  France,  la  fiancee  etant  la  petite-fille  de  la  duchesse 
Stephanie  de  Bade,  nee  de  Beauharnais.  Le  prince 
Louis  est  ne  de  cette  union,  le  12  juillet  1870. 

Guerre  de  1870  ;le  prince  Albert  prend  ser- 
vice dans  la  marine  francaise.  —  Quelques  mois 
apres  cet  evenement  le  prince  Albert  allait  donner 
un  nouveau  gage  des  sentiments  d'attachement  et 
d'atfection  que  les  Grimaldi  ont  tant  de  fois  temoignes 
a  la  France  depuis  six  siecles.  Le  prince  hereditaire 
avait  recu  une  education  entierement  dirigee  vers  la 
marine  ;  il  avait  rang,  a  cette  epoque,  de  lieutenant 
de  vaisseau  dans  la  marine  espagnole  et  il  avait  deja 
fait  plusieurs  croisieres.  II  demanda,  des  le  debut  de 
la  guerre  de  1870,  a  etre  admis  a  Thonneur  de  servir 
sous  le  pavilion  francais.  G'est  ainsi  qu'il  fit  la  cam- 
pagnede  la  mer  du  Nord  et  que  sa  conduite  pendant 
cette  terrible  et  desastreuse  guerre  lui  valut  la  deco- 
ration de  chevalier  de  la  Legion  d'honneur,  que  sa 
modestie  considera  comme  une  precieuse  faveur. 

On  sait  comment,  depuis  la  paix.  le  prince  Albert, 
toujours  passionne  pour  les  choses  de  la  marine,  n'a 
pas  tarde  a  trouver  sa  voie  et  a  prendre  un  rang  a 
part  parmi  les  oceanographes  et  les  naturalistes. 

3a 


-498  - 
Travaux  de  gouvernement  de  Charles  III.  — 

La  guerrede  1 870  n'interrompit  que  pendant  quelques 
mois  Tetat  croissant  de  la  prosperite  de  la  Principaute 
de  Monaco.  Aucun  evenement  politique  ne  vint  plus 
troubler  sa  parfaite  securite  et  le  prince  Charles  III 
put  continuer  a  poursuivre  le  cours  des  ameliorations 
qu'il  avait  concues  pour  tenir  son  gouvernement  en 
harmonie,  par  des  perfectionnements  successifs,avec 
les  progres  materiels  des  autres  etats. 

Emission  de  monnaies  du  type  de  Charles  III; 
timbres-poste  (1 878-1 885).  —  Le  developpement 
des  institutions  interieures  etait  Tobjet  des  soins 
du  prince  a  Tegal  de  ses  relations  avec  les  etats 
etrangers.  et  c'est  ainsi  qu'a  la  fin  de  son  regne 
il  devait  laisser  toutes  les  branches  de  Tadministra- 
tion  reformees  et  mises  en  harmonie,  non  seulement 
avec  les  progres  accomplis  dans  les  differents  pays  de 
TEurope,  mais  aussi,  et  surtout,  avec  les  conditions 
speciales  d'existence  de  la  Principaute.  Cependant 
avant  d'aborder  Texpose  de  ces  travaux  interieurs,  il 
nous  reste  a  signaler  la  creation  par  laquelle  le  prince 
acheva  d'affirmer  ses  prerogatives  souveraines.  II 
avait  reserve,  par  Tarticle  17  du  traite  de  1 865 ,  la 
faculte  d'emettre  des  monnaies  qui  obtinssent  en 
France  le  cours  legal;  il  usa  de  ce  droit,  a  partir  de 
1878,  par  des  emissions  de  pieces  d'or  de  cent  et  de 
vingt  francs  qui  furent  immediatement  admises  au 


—  499  — 
libre  cours  dans  les  etats  faisant  partie  de  Funion 
latine ;  les  monnaies  au  type  de  Monaco  furent  bientot 
recues  de  la  meme  faeon  en  Autriche-Hongrie. 


Piece  de  cent  francs  de  Charles  III 

La  creation  de  timbres-poste  a  son  effigie  pour  le 
service  des  bureaux  de  la  Principaute  devait,  en 
1 885,  completer  l'ensemble  des  mesures  qu'avait 
etudiees  le  prince  dans  cet  ordre  d'idees. 


Type  des  timbres-poste  de  Charles  III 

GEuvre  legislative  de  Charles  III;  revision 
des  codes.  —  L'oeuvre  legislative  de  Charles  III  a 
ete  considerable  :  les  diverses  ordonnances  qui  re- 


—  5oo  — 

glerent  l'organisation  administrative  furent  elaborees 
par  le  Conseil  d'Etat,  auquel  incomba  principale- 
ment  l'accomplissement  de  l'oeuvre  a  laquelle  il  atta- 
chait  une  importance  capitale,  celle  de  l'organisation 
judiciaire  et  de  la  reforme  des  codes.  Des  l'annee 
1 859,  le  prince  avait  introduit  dans  l'institution  de  la 
magistrature  le  principe  de  Tinamovibilite  des  juges, 
qui  n'y  avait  pas  ete  inscrit  jusque-la  ;  mais  cette 
mesure  n'etait  que  le  prelude  d'une  entreprise  plus 
importante  et  de  longue  haleine:  l'ensemble  des  lois 
qui  regissaient  la  Principaute  devait  etre  l'objet 
d'une  refonte  indispensable;  le  travail  effectue  lors 
de  la  restauration  des  princes  apres  1 8 1 5  etait  rempli 
de  lacunes,  malgre  le  soin  intelligent  que  ses  au- 
teurs  avaient  apporte  a  leur  compilation;  le  code 
civil  surtout  portait  les  traces  de  la  hate  qu'il  avait 
fallu  apporter  a  sa  confection. 

L'ordonnance  sur  Torganisation  judiciaire,  la  re- 
daction d'un  nouveau  code  de  commerce,  d'un  code 
penal  modifie  et  coordonne,  furent  le  fruit  d'etudes 
longues  et  approfondies. 

La  refonte  du  code  civil  acheva  la  serie  de  ces  tra- 
vaux  legislatifs.  Le  prince  avait  trouve,pour  mener  a 
bien  ces  oeuvres  de  legislation ,  le  concours  de 
conseillers  d'une  competence  exceptionnelle  ;  This- 
toire  de  Monaco  doit  retenir  les  noms  de  ceux  qui 
eurent  a  cette  elaboration  une  part  principale  :  le 
premier  qui  recut  dans  cet  ordre  d'idees  l'impulsion 


—     DOl    

de  la  volonte  souveraine  fut  le  baron  Imberty.  Une 
longue  pratique  avait  donne  une  connaissance  appro- 
fondie  des  coutumes  et  des  usages  locaux  a  cet 
habile  et  devoue  magistrat  qui  presida  le  tribunal 
superieur  depuis  le  commencement  du  regne  jusqu'a 
ce  qu'il  fut  appele  aux  fonctions  de  gouverneur  gene- 
ral ;  apres  sa  mort  et  au  bout  de  quelques  annees,  la 
preparation  du  code  de  commerce  et  du  code  civil 
echut  a  un  jurisconsulte  distingue,  M.  Alauzet,  que 
des  ouvrages  de  jurisprudence,  des  plus  apprecies 
avaient  signale  a  Tattention  du  prince. 

Organisation  administrative.  —  Le  detail  de 
Torganisation  administrative  avait  ete  Tobjet  des 
reglementations  tout  aussi  muries  et  etudiees. 

Des  Tannee  1 858.  une  ordonnance  avait  reforme, 
dans  des  conditions  tres  ameliorees,  Tinstruction  pri- 
maire  et  les  conditions  d'existence  de  Tinstruction  se- 
condaire. 

Ces  reformes  eurent  pour  consequence  la  construc- 
tion de  vastes  batiments  d'ecole  necessites  par  un 
accroissement  rapide  de  la  population  ;  ces  edifices 
eux-memes  devaient,  du  reste,  en  moins  de  vingt 
annees,  devenir  trop  etroits.  Un  service  d'inspection 
fut  place  sous  le  controle  d'un  comite  de  Tinstruc- 
tion  publique,  charge  d'assurer  la  bonne  direction 
de  Fenseignement. 

D'autre  part,    et    sous    Tautorisation   souveraine, 


D02    

deux  colleges  d'enseignement  secondaire  libre,  Fun 
italien,  Tautre  francais,  s'etablirent  dans  la  vieille 
ville  de  Monaco. 

Le  service  des  travaux  publics  fut  egalement  reor- 
ganise par  une  ordonnance  de  1 858  et  ses  attribu- 
tions successivement  etendues  en  out  fait  un  des 
rouages  administratifs  les  plus  importants. 

En  dehors  de  l'execution  des  ouvrages  d'utilite 
generale,  du  controle  et  de  la  surveillance  de  la 
voirie  et  de  l'etablissement  d'un  reseau  d'egouts 
executes  suivant  les  types  les  plus  perfectionnes,  ce 
service  eut  la  haute  main  sur  tous  les  travaux  dans 
lesquels  les  regies  de  Thygiene  publique  pouvaient 
donner  lieu  a  une  application  utile.  C'est  ainsi  que 
le  comite  des  travaux  publics,  auquel  durent  aboutir 
toutes  les  mesures  etudiees  par  le  service  technique, 
fut  investi  des  pouvoirs  les  plus  etendus  pour  le  con- 
trole et  la  surveillance  des  constructions  privees  dont 
Tautorisation  prealable  fut  imposee  apres  avis  du 
comite.  Dans  un  pays  ou  la  configuration  topogra- 
phique  fait  que  presque  chaque  maison,  chaque  villa, 
se  trouve  en  perspective  et  contribue  a  Taspect  gene- 
ral, il  etait  indispensable  d'apporter  une  attention 
presque  aussi  rigoureuse  a  la  forme  exterieure  de  ces 
constructions  qu'a  leurs  conditions  de  salubrite 
imposees  par  le  climat. 

La  preoccupation  constante  d'assurer  a  la  Princi- 
paute  un  caractere  d'elegance  et  de  richesse  a  dicte 


—  5o3  — 

toutes  les  mesures  administratives  qui  en  ont  fait 
un  petit  etat  modele  et  la  perle  de  la  Ligurie.  L'or- 
ganisation  de  la  police  et  de  ses  divers  services 
annexes,  les  dispositions  prises  pour  la  bonne  tenue 
des  voies  publiques  et  la  surete  de  la  ciiculation, 
aussi  bien  que  pour  la  surveillance  rigoureuse  des 
milliers  d'etrangers  qui  se  renouvellent  sans  cesse 
sur  ce  point  privilegie  du  littoral,  etait  une  ceuvre 
extremement  delicate.  D'autre  part,  la  direction  de 
services  aussi  complexes  necessitait  la  presence  a  la 
tete  de  l'administration  de  fonctionnaires  devoues 
et  d'une  competence  eprouvee. 

Pour  Texecution  de  ce  programme,  le  prince  Char- 
les III  trouva  des  collaborateurs  habiles  et  distin- 
gues:  nous  avons  deja  fait  connaitre  le  role  du  baron 
Imberty  comme  jurisconsulte  ;  dans  les  fonctions  de 
gouverneur  general,  qui  lui  furent  devolues  en  1 863, 
il  presida  avec  une  sagacite  remarquable  a  la  pre- 
miere phase  du  developpement  de  la  Principaute,  et 
sa  connaissance  du  pays  rendit  son  action  des  plus 
utiles  ;  mais  Taccomplissement  definitif  de  l'ceuvre 
d'organisation  appartient  a  son  successeur,  au  baron 
de  Boyer  de  Sainte-Suzanne. 

M.  de  Sainte-Suzanne  joignait  a  une  profonde 
experience  des  hommes  et  de  l'administration  une 
rare  fermete,  une  grande  droiture  et  un  sentiment 
eleve  de  gout  et  de  recherche  artistiques;  ces  qualites 
etaient  precieuses  au  moment  ou  la  vogue  mondaine 


—  504  — 
adoptait  definitivement  Monaco  et  portait  a  son  apo 
gee  la  prosperite  du  pays. 

Commerce,  industrie.  —  Cette  affluence  des 
etrangers  appartenant  aux  classes  les  plus  riches  et 
les  plus  distinguees  de  toutes  les  nations  devait 
avoir  pour  resultat,  non  pas  seulement  d'accroitre  le 
commerce  local,  mais  aussi  de  provoquer  la  crea- 
tion d'industries  qui  jusqu'alors  n'avaient  pu  s'y 
implanter. 

Dans  un  pareil  milieu  c'etait  par  les  industries  de 
luxe  que  cette  transformation  economique  devait 
etre  inauguree;  deux  d'entre  elles  ont  joui  de  la 
faveur  publique. 

Une  poterie  artistique  fondee  en  1872  s'est  distin- 
guee  par  l'originalite  de  ses  produits,  et  surtout  par 
les  riches  ornementations  de  fleurs  en  grand  relief 
qui  obtinrent  de  suite  un  grand  succes. 

A  la  meme  epoque,  un  laboratoire  et  une  distillerie, 
011  Ton  prit  a  tache  de  reunir  les  procedes  les  plus 
perfectionnes,  furent  crees  pour  la  fabrication  des 
parfums,  acclimatant  ainsi  a  Monaco  une  industrie 
qui  fait  la  richesse  d'une  contree  voisine. 

Si  Tun  de  ces  etablissements,apres  avoir  fourni  une 
carriere  qui  n'a  pas  ete  sans  eclat,  a  fini  par  dispa- 
raitre  par  suite  de  circonstances  speciales,  son  succes 
n'en  a  pas  moins  temoigne  de  ce  que  peut  attendre  a 
Monaco  le  developpement  des  arts  industriels  diriges 
par  des  hommes  intelligents  et  doues  de  persistance. 


—    D03    — 

Participation  de  Monaco  aux  expositions 
universelles  (1873- 1889).  —  L'entree  de  la  Prin- 
cipaute  dans  la  voie  de  Tindustrie  fut,  des  le  debut, 
fort  remarquee  lors  de  Imposition  universelle  de 
Vienne  en  i8j3;  et  les  succes  qui  ont  accueilli  la 
participation  de  Monaco  aux  expositions  de  Paris 
en  1878,  de  Nice  en  1884,  d'Anvers  en  i885,  enfin 
de  Paris  en  1889  ont  marque  les  etapes  des  singu- 
liers  progres  ohtenus  sous  Tinrluence  du  prince 
Charles  III. 

Mort  de  la  princesse  Caroline   (1879A —  La 

princesse  Caroline  qui  avait  eu  une  si  grande  part 
au  salut  de  la  Principaute  dans  les  jours  de  peril  et 
qui,  apres  avoir  ete  sous  le  prince  Florestan  Tins- 
piratrice  de  toutes  les  resolutions  viriles,  etait  restee 
le  conseil  ecoute  de  son  fils,  put  voir  dans  tout  son 
eclat  la  resurrection  de  Tetat  de  Monaco  ;  parvenue 
a  un  grand  age,  elle  fut  enlevee  a  l'affection  des  siens, 
au  respect  et  a  Tattachement  des  Monegasques,  le 
24  novembre  1879.  Sa  trace  restera  surtout  dans 
les  travaux  qu'elle  mena  avec  une  persistante  tena- 
cite  pour  la  restauration  et  la  decoration  du  palais 
de  Monaco. 

Restauration  du   palais    de  Monaco.  —  Le 

palais  des  Grimaldi,  si  inutile  par  la  Revolution,  etait 
reste  lamentablement  delaisse  pendant  le  regne  d'Hu- 


—  5o6  — 

nore  V.  La  princesse  Caroline,  sous  le  regne  de 
Florestan,  proceda  a  de  premiers  travaux  dont  les 
principaux  furent  la  construction  de  la  facade  sur  la 
terrasse  qui  domine  Tanse  du  Canton,  facade  qui 
n'avait  jamais  ete  regularisee,  et  par  l'amenagement 
de  jardins  sur  Templacement  des  fortifications  de 
Serravalle.  Ces  jardins  suspendus  ont  acquis  une 
reputation  europeennne  par  leur  situation  incompa- 
rable et  aussi  par  leur  admirable  tenue.  Les  travaux 
du  palais,  diriges  avec  un  soin  particulier  par  la  prin- 
cesse Caroline,  furent  continues  sous  son  inspiration 
pendant  le  regne  de  son  fils.  En  quelques  annees,  la 
vieille  demeure  des  Grimaldi  fut  retablie  en  un  etat 
qui  rappela  les  splendeurs  d'Honore  II. 

L'achevement  de  cette  oeuvre  ne  put  cependant  se 
faire  sous  le  regne  de  Charles  III,  et  il  etait  reserve 
a  son  successeur  dV  accomplir  a  son  tour  des  recons- 
tructions qui  ont  rendu  au  palais,  avec  un  aspect 
imposant  et  pittoresque,  le  caractere  militaire  de  la 
vieille  forteresse  guelfe. 

Construction  de  la  cathedrale  (1874).—  Pen- 
dant que  les  travaux  entrepris  par  le  prince  Charles 
rajeunissaient,  de  nombreux  edifices  d'utilite  publi- 
que  s'elevaient,  soit  dans  la  vieille  ville  de  Monaco, 
soit  dans  le  reste  du  territoire.  Le  principal  a  ete  la 
cathedrale.  Des  que  Tautonomie  religieuse  avait  ete 
assuree,    nous    avons    vu    que    le    projet    en    avait 


—  5t>7  — 

ete  concu.  La  premiere  pierre  d'un  monument  gran- 
diose fut  posee  en  1874  et  vingt  annees  de  travail 
n'ont  pas  suffi  pour  le  terminer.  II  est  concu  sur  le 
plan  romano-auvergnat,  identique  a  celui  de  Notre- 
Dame-du-Port,  de  Clermont-Ferrand;  mais  Ten- 
semble  a  surtout  une  grande  analogie  avec  l'eglise 
Saint-Paul  d'Issoire.  L'artiste  distingue  qui  a  eleve 
cette  construction,  M.  Charles  Lenormand,  apres 
s'etre  inspire  ainsi  du  plan  des  eglises  d'Auvergne, 
a  su  appliquer  avec  autant  de  bonheur  que  d'origi- 
nalite  a  Tornementation  generale  la  somptueuse 
decoration  des  eglises  provencales.  La  cathedrale  de 
Monaco,  dont  Tachevement  tire  a  sa  fin,  sera  Tedirice 
le  plus  remarquable  eleve  dans  le  style  roman  sur  le 
littoral  pendant  la  seconde  moitie  de  ce  siecle. 

On  ne  peut  cependant  assez  regretter  que  Templa- 
cement  choisi  pour  Tediricaiion  de  ce  monument 
ait  necessite  la  destruction  de  Tantique  eglise  Saint- 
Nicolas,  si  venerable  par  la  place  qu'elle  tient  dans 
les  annales  monegasques  et  si  interessante  par  son 
style  particulier  et  son  caractere  architectural. 

Edification  de  l'eglise  Saint-Charles  de  Monte 
Carlo  (1880). —  La  construction  dans  le  quartier 
Monte  Carlo  d'une  seconde  eglise  a  ete  provoquee 
par  le  mouvement  de  population  qui  se  portait  sur 
cette  partie  de  la  Principaute.  Elevee  dans  le  style 
de    la    Renaissance,   elle   est    egalement  Tceuvre  de 


—  5o8  — 

M.  Tarchitecte  Lenormand.  Elle  est  sous  le  vocable 
de  Saint-Charles  Borromee. 

Erection  de  l'eveche  de  Monaco  (1887).  —  Ces 
fondations  d'edifices  religieux,  temoignant  de  l'im- 
portance  chaque  jour  plus  grande  que  prenait  la 
population  de  la  Principaute,  ont  precede  la  modifi- 
fication  qui  s'est  operee  a  la  fin  du  regne  de  Char- 
les III  dans  Tetat  de  Feglise  monegasque.  reorgani- 
sation de  Tabbaye  nullius  n'avait  pas  donne  tous  les 
fruits  qu'on  esperait.  A  la  suite  de  difficultes  d'ordre 
special,  l'abbe  mitre,  Msr  Flughi,  s'etant  retire,  des 
negociationsintervenues  entre  le  prince  et  la  cour  de 
Rome  aboutirent  a  la  nomination  d'un  administra- 
teur  de  Tabbaye,  qui  fut  d'abord  l'eveque  de  Vinti- 
mille.  A  la  mort  de  Msr  Biale,  l'administration  fut 
devolue  a  M«r  Theuret,  grand  aumonier  du  prince, 
preconise  en  1878  eveque  titulaire  d'Hermopolis. 
Cette  situation  s'est  prolongee  jusqu'en  1 887,  epoque 
a  laquelle  le  territoire  ayant  ete  divise  en  trois 
circonscriptions  paroissiales,  en  outre  de  la  paroisse 
palatine,  Fabbaye  nullius  de  Monaco  a  ete  erigee  en 
eveche,  dont  M6r  Theuret  est  devenu  le  premier 
eveque. 

Publications  scientifiques  (1 885- 1889). —  Dans 
les  dernieres  annees  de  son  regne,  l'attention  du 
prince  Charles  III  avait  ete  appelee  sur  1'importance 


—  509  — 
des  papiers  historiques  renfermes  dans  les  archives 
de  tant  de  families  illustres  dont  il  etait  l'heritier  et 
le  representant.  II  prescrivit  en  1 88 1  le  classement 
de  ce  depot  considerable,  et  ce  travail  fit  decouvrir 
des  documents  d'une  si  haute  valeur,  que  le  prince 
concut,  en  1 885,  le  projet  de  mettre  en  lumiere 
les  parties  les  plus  precieuses  de  ces  archives. 
L'accueil  fait  des  le  debut  montra  au  prince  tout 
l'interet  que  le  monde  savant  prenait  a  cette  liberale 
initiative. 

Cette  publication  fut  bientot  suivie  d'une  entre- 
prise  de  meme  nature  qui  devait  avoir  un  reten- 
tissement  plus  grand  encore  et  l'apparition  suc- 
cessive des  fascicules  publies  sous  la  direction  du 
prince  hereditaire,  comme  resultats  de  ses  campa- 
gnes  de  recherches  relatives  a  l'oceanographie  et  a  la 
zoologie  marine,  fixa  definitivement  la  reputation 
scientifique  de  la  Principaute. 

L'imprimerie  de  Monaco,  d'ou  sont  sortis  les 
beaux  travaux  typographiques  necessites  par  ces 
ouvrages,  a  conquis  ainsi  une  place  honorable, 
consacree  par  les  recompenses  obtenues  aux  exposi- 
tions universelles  de  Paris  en  1878,  d'Anvers  en 
1 885  et  de  Paris  en  1889. 

Mort  de  Charles  III  (1889).  —  Le  succes  de  la 

Principaute  a  cette  derniere  exposition  a  marque  le 
terme  du  regne  de  Charles  III.  Malgre  des  souffran- 


—    3  IO    — 

ces  devenues  presque  continuelles,  le  prince  rfavait 
cesse  de  diriger  lui-meme,  avec  une  serenite  et  une 
Constance  heroi'ques,  les  affaires  de  son  etat,  jusqu'au 
jour  ou,  succombant  au  mal,  il  s'eteignit  le  i  o  septem- 
bre  1889,  au  chateau  de  Marchais,  ayant,  en  trente- 
trois  ans  de  regne,  ramene  la  Principaute  de  la 
situation  morale  et  materielle  la  plus  precaire  a  une 
eclatante  prosperite. 

Avenement  cT  Albert  Ier. —  Le  prince  Albert  Ier  a 
recu  le  2 1  octobre  1 889,  dans  un  «  parlement  general » 
tenu  au  palais  de  Monaco  par  Tunanimite  des  Mone- 
gasques,  convoques  suivant  les  vieilles  coutumes  et 
le  ceremonial  ressuscite  du  xv"  siecle,  le  serment  de 
ridelite  de  ses  sujets. 

Le  3 1  octobre  suivant,  le  prince  a  epouse  Madame 
la  duchesse  de  Richelieu,  nee  Marie-Alice  Heine. 


Le  role  de  Thistoire  doit  s'arreter  avec  le  nouveau 
regne ;  apres  avoir  deroule  les  annales  de  la  Princi- 
paute depuis  tant  de  siecles,  il  lui  reste  seulement  a 
constater  que,  sous  la  conduite  du  successeur  de 
Charles  III,  Monaco  continue  a  realiser  les  progres 
inaugures  depuis  trente-cinq  ans. 

Tout  entier  a  la  pensee  d'ameliorer  chaque  jour 
l'heritage  qu'il    a   recu  de   ses   ancetres,   le    prince 


—    DM     

Albert  Ier  s'attache  avec  une  egale  perseverance  a 
augmenter  par  de  nouvelles  creations  les  sources  de 
la  prosperite  publique,  et  a  affirmer,  en  payant  large- 
ment  de  sa  personne,  le  bon  renom  scientifique  de 
Monaco. 

Dans  l'exercice  de  sa  souverainete  il  a  fait  deux 
parts,  et  il  a  laisse  a  la  princesse  Alice  le  soin  de  pre- 
sider  aux  oeuvres  de  bienfaisance  et  de  charite,  aussi 
bien  qu'au  developpement  et  a  la  protection  des  lettres 
et  des  arts  dans  un  pays  si  heureusement  dispose 
pour  leur  assurer  un  fecond  essor. 


TABLE   DES   MATIERES 


Pages 
Chapitre   Premier 

Situation  geographique,  temps  prehistoriques ,  les  Iberes, 
les  Ligures i 

Orographic  de  la  region,  p.  i  —  Lc  littoral,  3  —  Lc 
port,  la  presqu'ile,  lc  site,  4  —  Habitants  des  caver- 
nes,  troglodytes,  6  —  Les  Iberes,  les  Ligures,  7. 

Chapitre  II 

Monaco  colonic  phenicienne  et  punique 9 

Le  mythe  d'Hercule,  fondation  de  Monaco,  q  —  Le 
sanctuaire  de  Melqart  Menouakh  au  port,  1 1  —  Vesti- 
ges pheniciens,  12  —  L'acropole  de  Monaco  a  la  Tur- 
bie,  i5  — Domination  de  Carthage.    16. 

Chapitre  III 

Les  Gvccs  de  Marseille  ct  la  voic  Heracleenne,  adminis- 
tration romaine 17 

Les  Grecs  de  Marseille,  17  —  La  voie  Heracleenne 
aux  mains  de  Marseille  et  des  Romains,  17  —  Les  Tro- 
phees  d'Auguste,  20  —  Voies  romaines,  22  —  Adminis- 
tration romaine,   25. 

33 


—  3i4  — 

Pages 
Chapitre  IV 

Le  Christianisme,  les  invasions  des  barbares,  les  Sarrasins      27 
Evangelisation   de   la   Ligurie,   sainte   Devote,   27  — 
Invasions  des  barbares  (ve-vi°  siecle),  28  —  Les  Sarra- 
sins (ix"-xe  s.),  29. 

Chapitre  V 

Monaco  depuis  Vexpulsion  des  Sarrasins,  fondation  de  la 

forteresse 3 1 

Monaco  aux  xi°  et  xn"  siecles;  les  eglises  de  Sainte- 
Devote  et  de  Sainte-Marie  au  port,  3 1  — Yisees  de  Genes, 
sur  Monaco,  32  —  L'empereur  Henri  VI  concede  Monaco 
a  Genes  (1 191),  33  —  Fondation  de  la  forteresse  de  Mo- 
naco, les  Genois  allies  de  Frederic  II  (I2i5-i23gj,  33 — 
Les  comtes  de  Provence  abandonnent  leurs  droits  sur 
Monaco  (1241-1262),  34 —  Etat  de  Monaco  au  milieu 
du  xme  siecle  :  la  forteresse,  35;  eglises,  3b;  com- 
mune,  37. 

Chapitre  VI 

Les  Guelfes  et  les  Gibelins;  les  Grimaldi ;  occupation  de 
Monaco   par   les    Grimaldi,    siege   et    reddition    de   la 

place;  Rainier  Grimaldi  (1 270-1 3 14) 39 

Les  Guelfes  expulses  de  Genes  (1270),  39  — ■  Origine 
des  Grimaldi:  Otto  Canella;  Grimaldo,  40;  Oberto 
Grimaldi,  41;  Lanfranco,  42  —  Sedition  de  1296,  les 
Guelfes  de  nouveau  chasses  de  Genes,  42  —  Monaco 
pris  par  Francois  Grimaldi  ( 1 297),  43  —  Siege  de  Monaco, 
traite  de  Charles  II  de  Naples,  avec  Genes  (1 297-1 3oo), 43 
— ■  Attaque  de  Genes  par  les  Grimaldi,  evacuation  de 
Monaco  (i3oi),  46  —  Les  Spinola  a  Monaco  (i3oi- 
1  3 1 7),  47  —  Rainier  Grimaldi,  amiral  de  France  et  de 
Naples,  ses  campagnes  (1 296-1  3 14),  48. 

Chapitre  VII 
Reprise,  nouvelle  perte  et  troisieme  occupation  de  Monaco 
par  les  Guelfes  ;   Charles  Grimaldi,   seigneur  de  Mo- 
naco (i3 1  j-i35j) 5 1 


—  D  I  ?  — 

Pages 
Rentree  des  Guelfes  a  Monaco  (1317),  5i  —  Les  Gi- 

belins  repreunent  Monaco,  siege  de  la  place  et  traites 
avec  le  senechal  de  Provence  (i  327-1  33o),  52  —  Ren- 
tree  des  Grimaldi  a  Monaco,  attaque  des  Catalans 
(i33i),  54  —  Le  roi  Robert  perd  Genes,  Charles  Gri- 
maldi,  incursions  maritimes  des  Monegasques  (i 335- 
i33g  .  3  4  —  Negociations  du  doge  Boccanegra  avec 
Monaco  (1340),  56 —  Campagnes  de  Charles  Grimaldi 
en  France  (1 338-r 343),  56 —  Charles  acquiert  les  biens 
des  Spinola  a  Monaco,  coseigneurie  avec  les  autres 
Grimaldi,  droit  de  mer,  conrlit  avec  Nice  ( 1 338- 1  341  .  58 

—  Conventions  de  subsides  avec  Naples  et  Florence, 
Charles  et  Antoine,  viguiers  de  Provence  ( 1 343),  60  — 
Armements  contre  Genes  (1 345- 1348),  (5o  —  Charles 
conduit  son  armee  en  France,  il  est  grievement  blesse  a 
Crecv  [1 34.6),  61  — -Expedition  de  Majorque,  les  Gri- 
maldi et  le  pape  Clement  VI  '1349),  62  —  Rentree  des 
Grimaldi    a    Genes,    Antoine    defait    par    les    Catalans 

1  341)- 1 353),  63  —  Charles,  gouverneur  de  Vintimille 
pour  la  reine  Jeanne  (1 354),  63  — Traite  avec  Pise 
(1 356),  64 —  Charles  achete  Menton,  Castillon  et  Roque- 
brune  '  1  3_j.r>_  1  355),  64  —  II  accorde  des  franchises  a 
Monaco,  65  —  Mort  de  Charles  Grimaldi,  prise  de 
Monaco  par  les  Genois,  ( 1  35j),  65. 

Chapitre  VIII 

Occupation   genoise  a  Monaco;   Rainier  Grimaldi,   sei- 
gneur de  Menton  (i35~-i4.ii)) 68 

Tentatives  des  Grimaldi  sur  Monaco,  affaires  de  la 
Turbie  ( 1 35y-i  365),  68  —  Administration  genoise  (1  3  5  7- 
1 396),  69 — ■  Premieres  armes  de  Rainier  Grimaldi,  il 
devient  senechal  du  Piemont,  70 —  II  prend  parti  en  Pro- 
vence pour  Louis  d'Anjou  (i368),  71  —  Ses  campagnes 
maritimes  contre  les  Anglais  (1 369-1374),  72  —  II  cede 
Cagnes,  Castillon  et  la  moitie  de  Menton  ( 1 371- 1  378),  72 

—  Son  role  dans  le  schisme  d'Occident,  73  —  Capitaine 
general  de  la  mer  a  Naples,  pour  Louis  d'Anjou,  73  — 


—   5  ib  — 

Pages 
Ses  hiens  scquestres  par  le  parti  dc  Duras;  il  recouvre 
Roquehrunc;  sa  mort  (i 395-1407),  76  —  Monaco  occupe 
par  les  Grimaldi  de  Beuil  (i3g5-i4oi),  j5  —  Sejour  dc 
I'antipape  Benoit  XIII  a  Monaco  (1405),  77  —  Monaco 
independant  allie  dc  Louis  II  d'Anjou;  restauration  des 
Grimaldi  (1409-1419),  77. 

ClIAPITRE    IX 

Coseigneurie  des  trois  fils  de  Rainier  Grimaldi;  Jean  I"; 
Catalan  ( 141  q-ij.5j ) 78 

Coseigneurie  d'Ambroise,  Antoine  et  Jean  Grimaldi; 
traites  avec  Florence  et  les  rois  angevins  de  Naples 
(1419-1427),  78  —  Guerre  contre  Milan;  Jean  Ior  seul 
seigneur,  est  oblige  de  ceder  Monaco  au  due  de  Milan 
(1427-1428),  79  —  Occupation  milanaise  (1428-1435),  80 
■ —  Jean  I"  au  service  de  Milan  bat  les  Venitiens  sur  le 
P6  (143 1),  81  —  Sa  restauration  a  Monaco  (1436),  82  — 
Sa  captivite,  heroi'sme  de  sa  femme  Pomelline  Fregose 
(1437-1440),  82  —  Jean  au  service  du  roi  Rene,  84  — 
Traite  avec  le  pape  Eugene  IV  (1444),  84  —  Contlits 
avec  Nice,  alliance  avec  Genes  (1442- 1447),  84  —  Jean 
se  rend  vassal  de  la  Savoie  pour  la  moitie  de  Menton 
et  pour  Roquebrune  (1448),  86  —  Relations  avec  le  roi 
Rene,  cession  de  .Monaco  au  dauphin  Charles  (1449- 
1453),  87  —  Mort  de  Jean  Ior,  substitutions  de  son  tes- 
tament pour  la  succession  de  Monaco  (1454),  89  — 
Catalan  Grimaldi;  influence  de  Pierre  Fregose,  recon- 
naissance du  droit  de  mer  par  Charles  VII;  mort  de 
Catalan  Grimaldi  (1455-1457),  90. 

ClIAPITRE    X 

Clandine  et  Lambert  Grimaldi  (1  4.5-j-i 4q4) 91 

Lambert  Grimaldi  choisi  pour  epoux  de  Claudine 
(1457),  ()\  ■ —  Conflits  avec  Pomelline  Fregose,  conspi- 
rations ( 1 437-1458),  92  —  Protection  de  la  France, 
attaques  des  napolitains,  du  baron  de  Beuil  et  du  comte 
de  Tende  ( 1459- 1 4 60),  g5  —  Lambert  envoye  par  Rene 


Page 

d'Anjou  a  Louis  XI ;  reconnaissance  par  celui-ci  du  droit 
de  mer  ( 1461-1462),  96  —  Lambert,  seigneur  de  Vinti- 
mille,  aide  a  la  conquete  de  Genes  par  Francois  Sforza; 
conflits  avec  le  gouverneur  de  Genes  (1463-1466),  97 
— ■  Revolte  de  Menton  a  l'instigation  de  la  Savoie,  sa 
reprise  ( 1466-1467),  99 — Menton  surpris  par  le  baron 
de  Beuil  et  le  comte  de  Tende,  puis  occupe  par  le  due 
de  Milan  qui  11c  le  rend  pas  (1468),  101  —  Siege  par 
les  Milanais  de  Vintimille  defendu  par  Lambert  (1469), 
102  —  Rapprochement  avec  la  Savoie,  Lambert  reprend 
Menton  et  se  rend  vassal  de  la  Savoie  pour  ses  parts  de 
Menton:  traite  d'alliance  avec  Milan  (1469-1477),  104  — 
Lambert  prend  en  Provence  parti  pour  Charles  III 
d'Anjou;  relations  avec  la  France;  manage  de  son  his 
aine  avec  Antoinette  de  Savoie,  protection  de  Charles  VI 1 1 
(1480-1489),  [  07- 108  — Souverainete  de  Monaco  recon- 
nue  par  la  Savoie  ( 1489),  1 09—  Acquisition  par  Lambert 
du  dernier  douzieme  de  Menton  (1491),  109  —  Traite 
avec  l'Aragon  et  la  Castille,  mort  de  Lambert,  substi- 
tutions de  son  testament  (1492-1494),  no. 

Chapitre  XI 

Jcjii  II  et  Lucien  Grimaldi l12 

Participation  de  Jean  II  a  l'cxpedition  de  Charles VIII 
a  Naples;  complots  de  Caspar  del  Giudice,  Jean  est  fait 
gouverneur  de  Vintimille;  cmbellissemcnts  aux  cha- 
teaux de  Monaco  et  Menton  (1 495-1  504),  112  —  Conflits 
avec  Vintimille;  conflits  avec  la  Provence  pour  le  droit 
de  mer  (i5o2-i5o5),  n5  —  Mort  tragique  de  Jean  II 
(i5o5),  1  17  —  Avenement  de  Lucien,  siege  de  Monaco 
par  les  Genois  (i5o5-i5o6),  118—  Captivite  de  Lucien, 
ses  traites  avec  Louis  XII  (1507-1509),  121  —Traite 
avec  Florence,  Machiavel  a  Monaco  ;  convention  avec 
Ferdinand  le  Catholique  ( i5  1  1),  123  —  Reconnaissance 
de  la  souverainete  de  Monaco  par  Louis  XII  (i5i2),  124 
—  Mariage  de  Lucien;  mort  et  testament  de  Claudine 


_  5i8  — 

Pages 
sa  mere,  substitutions  edictees  ( 1 5 1 5)  i  2  5  —  Travaux 
legislatifs  de  Lucien,  statutsde  Menton(i5i  i-i5i6j,  127 
Monnaie  de  Lucien,  128  —  Conflits  du  droit  de  mer 
avec  la  Provence  et  Nice  (1617),  129.  —  Difficultes 
financieres;  negotiations  secretes  pour  la  vente  de  Mo- 
naco (1 522-1 523),  i3o  —  Complot  d'Andre  et  de  Bar- 
thelemy  Doria,  assassinat  de  Lucien  (i523),  i3i. 

Chatitre  XII 
Augustin  Grimaldi;  protectorat  espagnol 1 35 

Augustin  Grimaldi,  eveque  de  Grasse,  seigneur 
viager  de  Monaco  f  1 5 23),  i35  —  Reconnaissance  de  la 
serverainete  de  Monaco  par  Clement  VII  (1524),  1 36  — 
Augustin  attire  dans  Palliance  de  Charles-Quint  par 
les  Grimaldi  de  Genes  et  le  connetable  de  Bourbon 
( 1 523-i 524),  1 30  —  Traite  du  protectorat  de  Burgos 
complete  par  la  declaration  de  Tordesillas  sur  la  souve- 
rainete  de  Monaco  (1524),  i3g  —  Augustin  compris 
dans  le  traite  de  Madrid  (i526)  145  —  Mort  de  Bar- 
thelemy-Doria,  142  —  Inexecution  des  conditions  finan- 
cieres du  protectorat,  Augustin  cherche  a  vendre 
Monaco  (1  527)  146  —  Charles-Quint  a  Monaco;  Monaco 
figure  au  traite  de  Cambray  (i52o),  148  ■ —  Augustin 
designe  pour  un  chapeau  de  cardinal  (i53i),  149  — 
Negociations  secretes  d'Augustin  avec  la  France,  sa 
mort  mysterieuse  (i53i),  i5o. 

Chapitre  XIII 

Honore  I"  (i532-i58i) 1 5 1 

Avenement  d'Honorc  I"  fils  de  Lucien  Grimaldi;  les 
Grimaldi  de  Genes  s'emparent  de  la  tutelle;  Etienne 
Grimaldi  seul  tuteur  (i532),  i5i  — Conflit  avec  le  re- 
sident imperial  qui  est  expulse  (i532-i534),  1 53  — 
Conspiration  de  Bordini  et  Canobio  ( 1 533- 1 534),  '55 
—  Attitude  independante  d'Etienne  vis-a-vis  de  Charles- 
Quint  ( 1 554- 1 538),  07  —  II  est  reconnu  comme  pere 
adoptif  par   Honore   Ier  a   sa   majorite  (040),   1 58   — 


—  5 ig  - 

Pages 
Monaco  pendant  Ie  siege  de  Nice,  ouvertures  francaises 
repoussees,  (154?),  i5g  —  Monaco  nomine  au  traite  de 
Crepy  (i543),    161  — Mariage  d'Honore  I"  (i545),  161 

—  Tentative  de  negotiations  de  la  France  ( 1 549),  161 — 
Travaux  d'Etienne  a  Monaco,  fortifications,  palais, 
Saint-Nicolas  162 —  Affaire  des  galeres  perdues  a  Zerbi 
( 1 558- 1  56 1 ),  1 67  —  Monaco  nomme  au  traite  de  Cateau- 
Cambresis  (i55g),  167—  Mort d'Etienne  (1 56 1).  1  b8  — 
Decadence  de  la  marine  militaire  de  Monaco;  les  Gri- 
maldi a  Lepante  1  1  5<">i-i  57?),  168  —  Relations  avec  la 
Savoie;  mort  d'Honore  I"  (i56i-158i),  169. 

Chapitre  Xl\' 

Les  Jils  d'Honore  I"  :   Charles  II,   Hercule  I"  (i5Xi- 
1  ''04   1  70 

Charles  II  ;  conflit  pour  le  droit  de  mcr  avec  Genes; 
conflit  avec  la  Savoie  pour  la  vassalite  de  Menton  et 
Roquehrune  (i58i-i  58g  .  1711  —  Attaque  de  Monaco  par 
le  capitaine  Cartier  ( 1 585 j,  i~3  —  Mort  de  Charles  II: 
Hercule  I"  (i58g),  174  —  Detresse  causee  par  le  defaut 
de  paiement  des  subsides  de  l'Espagne  (1 589-1597),  175 

—  Mariage  d'Hercule  avec  Maria  Landi  de  Valdetare 
(i5q5),  175  —  Tentative  d'escalade  de  Cesar  Arnaut 
(i5o'J),  176  —  Hercule  affirme  sa  souverainete  a  I'en- 
contre  de  l'empereur  d'Allemagne  (1596),  177  —  Monaco 
nomme  au  traite  de  Vervins  ( 1 5g8),  170  —  Aggravation 
du  conflit  avec  la  Savoie,  affaires  de  la  Turbie  (i5oi- 
1  594),  178  —  Complot  de  Boccone,  assassinat  d'Hercule 
Grimaldi  (1604),  180. 

Chapitrk  X\" 
Minorite  d'Honore  II;   tutelle  du  prince  de    Valdetare ; 
aggravation  du  protectorat  espagnol ;   situation  difficile 

d'Honore  II  aprcs  sa   majorite  f  1  604-1  63oJ i83 

Le  prince  de  Valdetare  tuteur  d'Honore  II;  son  traite 
avec  les  Espagnols  qui  aggrave  les  conditions  du  pro- 
tectorat; conflit  avec  Horace  Grimaldi,  frere  d'Hercule 


—    520    — 

Pair? 
(1604-1609),  1. S3  ■ —  Conflit  avec  la  Savoie,  187 —  Ma- 
riage  d'Honore  II;  son  role  efface  a  Monaco  domine  par 
les  Espagnols  (i6i6-i(>25),  188  —  Honore  prend  le  titre 
de  prince  de  Monaco  (161  2-1G19),  190  —  Premier  essai 
de  sa  monnaie,  191  —  II  recoit  la  Toison  d'or;  visites 
princieres  a  Monaco  (i625-i63o),  i<i2  — Transformation 
du  palais  de  Monaco  (1620-1656),    up. 

Chapitre  X\'I 

Negotiations  secretes  d'Honore  II  avec  la  France;  traite 
de  Peronne:  expulsion  des  Espagnols:  protectorat  fran- 

cais  ( 1  63 0-1  662) 1  <p 

Premieres  negociations  secretes  avec  la  France,  M.  de 
Sabran  (i63o-i63i),  ig5  —  La  peste  a  Monaco  (i63  1),  197 

—  Nouvelles  negociations  par  l'intermediaire  du  mar- 
quis de  Corbons,  traite  redige  par  le  pere  Joseph,  avor- 
tement  du  projet  (i634-i636),  199 — Projets  d'Honore  II 
pour  le  port  de  Monaco;  contlit  avec  Genes;  situation 
intolerable  faite  au  prince  (1 636- 1640),  202  —  Fonda- 
tion  de  l'hotel  des  Monnaies  (1640),  2o5  —  Mariage 
d'Hercule  tils  d'Honore  II;  reprise  des  negociations  avec 
la  France,  traite  de  Peronne,  expulsion  des  Espagnols 
(1(141),  206  —  Protectorat  francais;  complots  espagnols 
(1641-1644),  212  —  Honore  II  due  et  pair  de  Valenti- 
nois,  chevalier  du  Saint-Esprit,  voyage  a  Paris  (1642- 
1644),  214  — Les  monnaies  de  Monaco  recues  en  France 
(1643),  2K) —  Role  militaire  du  port  de  Monaco  (1644- 
1647),  222  —  La  marechale  de  Guebriant  a  Monaco; 
genealogie  de  Charles  de  Venasque  (1646-1647),  224  — 
Monaco  au  congres  de  Munster  (1(34(3-1648),  227  — ■ 
Projet  du  due  d'York  de  faire  de  Monaco  le  port  royal 
de  Charles  II  d'Angleterre  ( 1 648-1  (333),  227  —  Mort 
d'Hercule  Grimaldi  (i65i),  228  —  Etat  brillant  de  la 
cour  de  Monaco  (i652-i(36o),  23o  —  Mariage  du  due  de 
Valentinois,  petit-rils  d'Honore  II,  avec  Charlotte  de 
Gramont  (i65g),  232  —  Clauses  du  traite  des  Pyrenees 
relatives  a  Monaco  restees  inexecutees  (1659-1700)?  233 

—  Mort  d'Honore  II  (1662),  234. 


—    D2I     

Pages 

Chapitre  XVII 

Louis  I"  ( i  662-1  7 n  1 ) 236 

Louis  Icr  ct  Charlotte  dc  Gramont  a  la  cour  de  France; 
faveur  de  la  princesse  aupres  de  Madame  Henriette 
d'Angleterre,  236  —  Sejour  a  Monaco,  fondation  du 
couvent  de  la  Visitation  (1662-1664),  238  —  Atelier 
des  monnaies;  travaux  an  palais  (1663-1701),  2.mj — 
Retour  de  la  princesse  a  la  cour  de  France  exploits  de 
Louis  Ior  en  Hollande,  ses  campagnes  (1664-1667),  242 

—  Contlit  relatif  a  la  Turbie  (1668-1670),  24G  —  Ma- 
dame de  Grignan  a  Monaco;  retour  definitif  de  la  prin- 
cesse Charlotte  a  la  cour  de  France,  sa  mort  (1672- 
1678),  248  —  Aventures  romanesques  de  Louis  F'r 
(1676-1678),  25  1  —  Son  retour  a  Monaco;  travaux  legis- 
latifs,  statuts  de  Monaco  (1678),  252  —  Organisation 
politique  et  judiciaire  de  la  Principaute,  commune,  254 
■ —  Louis  Icr  recoit  en  France  le  rang  de  prince  etran- 
ger;  il  est  fail  chevalier  du  Saint-Esprit  (1 680-1 688),  25g 

—  Manage  du  prince  Antoine  avec  Marie  de  Lorraine 
(1688),  26G  —  Louis  Fr  ainbassadeur  de  France  a  Rome, 
son  faste,  son  role  dans  les  negociations  de  la  succes- 
sion d'Espagne;  sa  mort  (1698-1701),  264. 

Chapitre  XYI1I 

Antoine  I";  Louise-Hippolyte  (ijoi-ij3i) 270 

Avcnement  d'Antoine  Icr;  affaires  du  droit  de  mer 
avec  Marseille  (1701-1704)1  270  —  Reprise  du  contlit 
avec  la  Turbie  (1699-1705),  274  —  Guerre  de  la  suc- 
cession de  l'Espagne,  neutralite  de  Monaco  (170?),  275 

—  Lonis  XI\*  donne  la  Turbie  a  Antoine  (1705),  277  — 
Services  rendus  par  Antoine  pendant  la  guerre;  dangers 
courus  par  Monaco,  fortifications  ( 1  7"5-  1  71  j>),  278  — 
Monaco  echappe  a  la  Savoie  an  traite  d'Utrecht,  mais 
l'arbitrage  de  Louis  XIV  et  de  la  reine  Anne  conclut  a 
la  vassalite  de  Menton  et  de  Roquebrune  que  le  prince 
Antoine  est  oblige   de   reconnaitre  (1712-1716),  28?  — 


Page 
Succession  feminine  de  Monaco,  negociations  de  ma- 
nage pour  Louise-Hippolyte,  conflit  de  famille,  candi- 
datures :  le  comte  de  Rove,  le  chevalier  de  Grimaldi,  le 
comte  d'Eu,  etc.  (171  2- 17 14),  285  —  Jacques  de  Ma- 
tignon,  comte  de  Thorigny,  est  choisi;  famille  de 
Matignon  (17  14).  2g3  —  Negociations  du  mariage,  nou- 
velle  erection  du  duche  de  Valentinois  pour  Jacques 
de  Matignon,  mariage  de  Louise-Hippolyte  (1714- 
171 5),  297  —  Relations  du  prince  Antoine  avec  le 
Regent  et  le  cardinal  Fleury;  mariage  de  la  princesse 
d'Isenghien;  demeles  avec  le  due  et  la  duchesse  de 
Valentinois  (1715-1730),  3o2 —  Mort  de  Marie  de  Lor- 
raine (1724),  304 —  Administration  d' Antoine;  mon- 
naies,  3o5  —  Neutralite  pendant  la  guerre  d'Espagne; 
relations  avec  Nice,  traite  de  restitution  de  deser- 
teurs  avec  Victor-Amedee  (1719-1728),  3o6  —  Antoine 
chevalier  du  Saint-Esprit  (1724),  3o8  —  Ses  gouts 
artistiques,  Carnoles,  3o8  —  Sa  mort  ( 1  y3 1 ),  3 10  — 
Louise-Hippolyte,  son  court  regne,  sa  mort  prema- 
turee  ( 1  y3 1 ),  3 10. 

Chapitre  XIX 

Jacqiies  I" ;  Honore  III  (ij3i-ijg3) 3 1 2 

Le  due  de  Valentinois  regne  sous  le  nom  de  Jac- 
ques I";  relations  avec  la  Sardaigne;  neutralite  de 
Monaco  dans  la  guerre  de  succession  de  Pologne; 
menees  contre  le  prince  en  France,  son  abdication 
( 1 731-1733),  3  12  —  Minorite  d'Honore  III  sous  la  tutelle 
deson  pere  redevenu  due  de  Valentinois;  administration 
du  chevalier  de  Grimaldi;  monnaies  (1733-1740),  3 14 
—  Education  militaire  d'Honore  III  et  de  son  frere; 
leur  role  a  Fontenoy,  Raucoux  et  Lawfeld  ( 1 7 ?<">- 
1748),  3 18  —  Neutralite  de  Monaco  pendant  la  guerre 
de  la  succession  d'Autriche,  la  principaute  occupee  par 
les  belligerants,  ravage  des  allies  (1742- 1747),  3  iq  — 
Mariage  du  comte  de  Valentinois  avec  Ml]o  de  Ruft'ec; 
mortdu  due  de  Valentinois  (1 749-1751),  323  —  Sejours 


—  523  — 

Page 
d'Honore  III  a  Monaco;  le  pavilion  monegasque  et  les 
armements  en  course  (1749-1762),  324  —  Projets  do 
mariage  pour  Honore  III:  M""s  du  Maine,  de  Bouillon, 
de  la  Valliere;  mariage  avec  M"°  de  Brignole  (1740- 
1757),  327  —  Traite  de  limites  avec  la  Sardaigne 
(1760),  333 —  Pretentions  sur  la  Principaute  du  mar- 
quis de  Cagnes  (1760- 1792),  334  —  Mort  du  due  d'York 
a  Monaco,  voyage  d'Honore  III  en  Angleterre  (1767- 
1768),  337  —  Separation  cntre  le  prince  et  la  princcsse 
(1770),  338  — Traite  d'abolition  du  droit  d'aubaine 
avec  la  France  (1770),  33q  —  Prosperite  de  la  princi- 
paute, neutralite,  commerce,  Industrie,  imprimerie, 
«  Gazette  de  Monaco  »,  340  —  Mort  du  chevalier  de 
Grimaldi;  gouverneurs  generaux  jusqu'a  la  revolution; 
notabilites  monegasques,  le  marechal  de  camp  de  Millo, 
341  —  Mariage  du  due  de  Valentinois  avec  la  duchesse 
de  Mazarin  et  du  prince  Joseph  avec  MUo  de  Choiseul 
Stainville  (1777-1782),  344  —  Revolution  francaise; 
concessions  octroyees  aux  habitants  de  la  Principaute; 
indemnite  accordee  en  France  pour  les  droits  feodaux 
supprimes;  lutte  diplomatique  d'Honore  III  pour  la 
defense  de  ses  droits  souverains,  la  revolution  a  Monaco, 
decheance,  reunion  a  la  France  (1789-1793),  345. 

Chapitre  XX 

De  la  decheance  d'Honore  III  a  la  restanration  d'Ho- 
nore IV ':  Monaco  et  les  princes  pendant  la  Republique 
et  I'Empire  (ijq3-i8i4) 352 

Arrestation  d'Honore  III;  detention  de  ses  tils  et  de 
ses  belles  rilles;  mort  heroi'que  de  la  Princesse  Joseph; 
mise  en  liberte  et  mort  d'Honore  III  (i-jq'5-iyqb),  352 
—  La  revolution  a  Monaco,  saisie  des  biens  princiers, 
pillage  du  palais,  Monaco  denomme  «  Fort  d'Hercule  »; 
attaque  des  Barbets  (1703-1799),  35q  — Attaques  des 
Anglais  (1 800-181 3),  36 1  —  Affaires  municipales,  port, 
promenade   Saint-Martin  (i8io-i8i3j,   362 —  Passage 


-  524  - 

Page 
du  corps  de  Pie  VI,  manifestation  an  retour  de  Pie  VII 
a  Rome  (1802-18 14),  364  —  Route  de  la  Corniche 
I  [808-1814),  334.  —  Situation  des  princes  pendant  cette 
periode;  maladie  du  due  de  Valentinois,  366  —  Le 
prince  Joseph  a  la  cour  de  Napoleon  (1807- 18 14),  368 
—  Carriere  militaire  d'Honore-Gabriel,  fils  aine  du  due 
de  Valentinois;  il  devient  premier  ecuyer  de  Josephine 
1800-1814),  368  —  Negociations  pour  la  restitution  des 
biens  prives  (1809-1814),  3j3. 

Chapitre  XXI 

Restauvation  des  Grimaldi;  Honore  IV;  Honore  V (1814- 
1S41).. 3;5 

Gouvernement  provisoire;  intervention  de  Talleyrand, 
Honore  IV,  retabli  par  le  traite  de  Paris,  sous  le  pro- 
tectorat  francais;  le  prince  Joseph  administrateur 
(1814),  375  —  Tenlatives  d'occupation  par  les  Anglo- 
Sardes,  visees  de  la  Sardaigne  (1814),  38i  —  Retraite 
du  prince  Joseph,  remplace  par  le  prince  hereditaire; 
rencontre  de  celui-ci  et  de  Napoleon  pres  de  Cannes 
(i8i5),  384  —  Occupation  de  Monaco  par  les  Anglo- 
Sardes  (181 5),  386  —  Le  protectorat  donne  a  la  Sardai- 
gne par  le  traite  de  Vienne  (181  t),  38y  —  La  Sardaigne 
exige  la  reconnaissance  de  sa  suzerainete  sur  Menton 
et  Roquebrune  (181 5- 18 17),  388  —  Traite  de  Stupi- 
niggi,  concessions  du  prince  hereditaire  (1817),  3()i  — 
Reorganisation  du  gouvernement;  situation  financiere 
(i8i5  —  1817),  3g2  —  Monopole  ou  «  exclusive  »  des 
grains,  ses  consequences  (181 7),  397  —  Mort  d' Ho- 
nore IV,  avenement  d'Honore  V  (1819),  399 —  Revolte 
de  Menton  (1821),  399 —  Travaux  publics,  demolitions 
au  palais,  route  carrossable  de  la  Condamine  a  Mo- 
naco ( 1 S 1  5 - 1 8 3 7 ) ,  400  —  Tentatives  de  creations  d'in- 
dustries,  403  — •■  Institutions  de  secours,  etudes  du 
piince  sur  le  pauperisme,  406 —  Monnaie  d'Honore  V 
(1839-1840),  406  —  Mort  d'Honore  V,  410. 


—  525  — 

Page 

Chapitre  XXII 

Florestan  I"  ( i  S41-1  856) 411 

Lc  prince  Florestan  et  la  princesse  (.aniline  ;  diffi- 
culte  des  reformes,  abolition  du  monopole  des  grains 
( 1 84 1 ),  41  1  —  Maintien  de  I'ensemble  du  systeme  fiscal, 
mecontentements  (1841-1842),  41 5 —  Organisation  des 
ecoles  et  du  college  (1843),  417 —  Affaire  du  moulin  a 
huile  ( 1 844- 1 845),  420  —  Convention  dc  commerce  avec 
la  France  (1844),  421  —  Formation  d'un  parti  sarde 
separatiste  a  Menton;  imprudence  des  princes  qui 
negligent  le  commandement  militaire;  visees  dc  la 
Sardaigne  (1844-1847),  422  —  Mariage  du  prince  here- 
ditaire  Charles  avec  M"c  de  Merode  (184G),  427  — 
Mouvement  liberal  en  Italic,  manifestations  a  Menton, 
hesitations  du  prince  (1847),  427  —  ^  demande  l'envoi 
des  troupes  piemontaises  a  Menton  (1847),  4?o  — 
Mauvais  accueil  fait  aux  concessions,  destitution  de 
M.  Trenca,  le  prince  hereditaire  a  Menton,  retraite 
du  gouverneur  general  de  \"illarey  (1847),  4^°  —  Role 
des  troupes  sardes ;  octroi  d'une  charte  jugee  insuffi- 
sante  ;  le  general  piemontais  Gonnetexige  toute  liberte 
d'action  ;  concession  de  la  constitution  sarde;  role  de 
M.  Trenca  (1848),  4-M  —  Consequences  de  la  revolution 
de  feviicr;  la  Sardaigne  retire  ses  troupes  de  Menton; 
revolte  de  Menton,  gouvernement  provisoire  (1848),  442 

—  Le  prince  hereditaire  administrateur  general  ;  Men- 
ton  et  Roquebrune  constitutes  envilles  libres  (1848),  446 

—  La  Sardaigne  prend  les  villes  insurgees  sous  sa  pro- 
tection (1848),  430  —  Decheance  et  bannissement  des 
princes,  vote  pour  l'annexion  a  la  Sardaigne,  obser- 
vations du  gouvernement  francais,  ajournement  de 
l'annexion  (1848),  461  —  Fidelite  et  protestation  de  Mo- 
naco (1848),  455  —  Le  desastre  de  Novare  empeche  les 
chambres  piemontaises  de  voter  l'annexion  (18411),  458 

—  Reprise  du  projet  vote  par  la  chambre  des  deputes, 
repousse  par  le  Senat  (1849),  460  — Organisation  admi- 


—    D2t>    — 

Page 

nistrative  des  villes  lihrcs  (i  849-1850),  462  —  Tenta- 
tives  de  conciliation  patronnees  par  la  France  (i852- 
1 853),  463  —  Manifestation  du  prince  Charles  a  Men- 
ton;  il  est  retenu  prisonnier  par  les  autorites  sardes; 
intervention  de  la  France  (1854),  464  —  Nouvelles  ten- 
tatives  d'arrangement;  la  question  de  Menton  et  Roque- 
brune  au  congres  de  Paris  (i854-i856),  468  —  Mort  de 
Florestan  I"  ( 1 856),  466. 

Chapitre  XXIII 

Charles  III  (1856-1 S89) 472 

Caractere  du  regne  de  Charles  III;  creation  de  l'ordre 
de  Saint-Charles;  traite  d'extradition  avec  l'Espagne 
( 1 858- 1 859),  472  —  Negociations  relatives  a  Menton  et 
Roqucbrune  (1857),  475 —  Guerre  d'ltalie,  annexion  du 
comte  de  Nice  a  la  France,  situation  faite  a  Menton  et 
a  Roquebrune,  depart  des  agents  sardes,  evacuation 
de  Monaco  (i860),  477  — -  Vote  des  villes  libres  pour 
l'annexion;  protestation  de  Charles  III;  cession  de  ses 
droits  a  la  France,  tin  du  protectorat  sur  Monaco 
(1861),  480  —  Vues  de  Charles  III  sur  l'avenir  de  Mo- 
naco; relations  avec  la  France,  traite  d'union  doua- 
niere,  postale  et  telegraphique  (i86i-i865),  482  — 
Casino  de  Monaco,  Monte  Carlo  (1 858- 1860),  487  — 
Mariage  de  la  princesse  Florestine  avec  le  prince  Guil- 
laume  de  Wurtemberg;  mort  de  la  princesse  Antoinette; 
le  prince  Charles  perd  la  vue  (1 863- 1864),  489  — 
Traites  et  conventions  avec  les  puissances  etrangeres, 
creation  d*un  corps  diplomatique  et  consulaire,  492  — 
Creation  de  l'abbaye  «  nullius  »  de  Monaco  (1868),  494 
—  Ouverture  du  chemin  de  fer  deNice;  prosperite  de 
Monaco,  abolition  des  impots  directs  (1868-1869),  495 
Mariage  du  prince  hereditaire,  naissance  du  prince 
Louis  (1869-1870),  496  —  Le  prince  hereditaire  prend 
service  dans  la  marine  francaise  (1870),  497  —  Travaux 
de  gouvernement  de  Charles  III;  monnaies,  timbres- 


poste,4<)8 — Travaux  Iegislatifs,  revision  dcs  codes,  499 
—  Organisation  administrative,  instruction  publique, 
travaux  publics,  police,  499  —  Le  baron  Imbertv,  le 
baron  de  Sainte-Suzanne,  5o3  —  Commerce,  Industrie, 
participation  aux  expositions  universelles,  5o5  —  Mort 
de  la  princesse  Caroline  (1879),  5o5  —  Restauration  du 
palais  de  Monaco,  5o5  —  Cathedrale,  5o6  —  Saint- 
Charles  de  Monte  Carlo,  507  —  Erection  de  l'eveche 
de  Monaco,  5o8  —  Publications  scientiriques,  5o8  — 
Mort  de  Charles  III,  5og  —  Avenement  d'Albert  Idr,  5io. 


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1)  C  9  *~ 
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