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Full text of "Histoire de l'administration monarchique en France depuis l'avénement de Philippe-Auguste jusqu'à la mort de Louis XIV"

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HISTOIRE 

DE 

I/ADMINISTRATION 

MONARCHIQUE 
EN  FRANCE. 


Tout  cxcmplairc  de  cct  ouvragc  non  revclu  de  nos  signatures 
sera  reputd  contrefait. 


CODLOMMIERS.  —  JMPUIHEKIE   DE   A.    MO  I!  SSI  ?i.    —  1855. 


HISTOIRE 

DE 


I/ADMINISTRATION 


MOMRCHIQUE 

EN  FRANCE 

DEPUIS  L'AVfiNEMENT  DE  PHILIPPE-AUGUSTE 
JUSQU'A  LA  MORT  DE  LOUIS  XIV, 

PAR 

A.  CfflERUEL, 


Docteur  es  lettres   maitre  de  Conferences  a  1'Ecole 

Normale  superieure,  membre  du  Comite  de  la 

langue ,  de  1'histoire  et  des  arts 

de  la  France. 


PARIS, 

DEZOBRY,  E.  MAGDELEINE  ET  Cie ,  LIBR.-EDITEURS, 

Rue   du  Cloitre-Saint-Beiioit,   10 

(Quartier  dc  la  Sorbonne). 


T.  I 


MAR  2  4  1865 


)) 


A  <*}   r>    .;,    A    ,« 

9  f  u  i  U  4 


PREFACE. 


L' Academic  des  sciences  morales  etpolitiques  avail  mis 
an  concours  pour  1847  la  question  suivante  : 

«  Faire  connaitre  la  formation  de  1' administration  mo- 
narchique  depuis  Philippe- Augustejusqu'  a  Louis  XIV  in- 
clusivement ;  marquer  ses  progres ;  montrer  ce  qu'elle  a 
eniprunt6  au  regime  feodal ;  comment  elle  1'a  remplace.  » 

L'ouvrage  que  je  publie  fut  presente  pour  ce  concours 
et  obtint  une  niedaille  a  la  suite  d'un  rapport  de  M.  Mi- 
gnet  (1) .  M.  le  rapporteur  y  parlait  de  mon  travail  avec 
une  bienveillance  qui  m'a  encourage^  a  1'ameliorer  par  de 
nouvelles  recherches.  A  la  fin  de  son  rapport,  M.  Mi- 
gnet  exprimait  le  desir  que  mon  memoire  fut  public",  en 
meme  temps  que  celui  de  M.  Cl.  Dareste  qui  avait  obtenu 
le  prix  (2) .  Les  termes  dont  se  servait  M.  Mignet  sont  trop 
flatteurs  et  I'autorit6  d'un  pareil  juge  trop  imposante 
pour  que  je  ne  m'empresse  pas  de  les  citer.  Ce  sera  la 
meilleure  recouimandation  de  mon  livre.  a  L' Academic , 
disait  M.  Mignet  (3) ,  peut  se  feliciter  d' avoir  provoqu£, 
par  la  question  qu'elle  avait  mise  au  concours,  deux 
savants  m6moires,  qui  publics  sans  doute,  apres  avoir  et6 
retouches  et  perfectionnes  par  leurs  auteurs,  deviendront 
deux  excellents  livres.  » 

Malgre"  un  appel  aussi  bienveillant,  j'aurais  peut-etre 
renonc6a  publiermon  travail,  si  une  consideration  tiree 
du  rapport  meme  de  M.  Mignet  ne  m' avait  determine. 

(1)  Ce  rapport  a  etc"  publie  dans  le  tome  VI  des  Memoires  de 
I' Academic  des  sciences  morales  et  politiques,  p.  697  et  suiv. 

(2)  L'ouvrage  de  M.  Cl.  Dareste  a  etc"  publie,  en  1848,  sous  le 
litre  CCHistoire  de  C administration  en  France ;  Guillaumin^  2  vol. 
in-8°. 

(3)  Pag.  761  et  762  du  tome  VI  des  Memoires  de  I' Academic  des 
sciences  morales  et  politiques. 


II  PREFACE. 

Parlant  du  plan  qu'on  pouvait  adopter  dans  un  ouvrage 
decette  nature,  ils'exprimait  ainsi  (1)  :  «  II  y  avaitdeux 
m6thodes  a  suivre  ;  la  me"thode  historique  et  la  m&hocle 
analytique.   La  premiere  consistait    dans    1' exposition 
chronologique  et  raisonn^e  de  la  formation  territorial  et 
administrative  de  la  monarchic  francaise ;  la  seconde  dans 
1'examen  comparatif  du  uiecanisinc  monarchiqne  substi- 
tuant  ses  ressorts  complexes  aux  ressorts  grossiers  du 
m£canisme  feodal.  La  premiere  de  ces  methodes  etait  la 
meilleure.  Seule,  elle  permettait  de  faire  bien  connaitre 
la  suite  et  la  raison  des  changements.  Par  elle,  on  pouvait 
montrer  1'ordre  monarchique  se  degageant  pen  a  peu  de 
1'ordre  feodal  pour  1'utilite  du  pays,  a  1'aide  de  1' ambition 
intelligente  des  rois.  Sans  cloute,  les  repetitions  6taient  a 
craindre  dans  un  sujet  qui  embrasse  tant  de  points  di- 
vers, et  se  d£veloppe  pendant  plusieurs  siecles.  Mais  il 
n'elait  pas  impossible  de  les  6viter  et  de  grouper  les  6ta- 
blissements  de  la  couronne  avec  assez  d'art  pour  les  offrir 
dans  leur  ensemble,  sansalterer  leur  succession.  L'autre 
m6thode  exposait  trop  a  ne  tenir  compte  ni  des  temps,  ni 
des  lieux,  ni  des  desseins  dans  la  formation  generate  de 
la  monarchic,  et  a  ne  laisser  qu'une  part  insuffisante  a 
1'histoire  dansle  developpement  dechaque  service  parti- 
lier.  Elle  conduisait  a  traiter  la  matiere  presque  abstrai- 
tement,  a  presenter  des  tableaux  et  non  des  revolutions.)) 
Comme  j'avais  suivi,  dans  mon  memoire,  la  m6thode 
pr6f6r6e  par  M.  Mignet,  tandis  que  M.  Cl.  Dareste  avait 
adopts  1'ordre  analytique,  j'ai  cru  que  la  publication  de 
nion  ouvrage,  tout  imparfait  qu'il  est,  aurait  quelque  uti- 
Iit6.  Je  m'etais  attache,  en  eflet,  a  faire  ressortir  le  m6rite 
et  les  caracteres  divers  de  tons  les  rois  administrateurs, 
Philippe- Auguste,  Saint-Louis,  Philippe-le-Bel,  Charles  V, 

(1)  Rapport,  p.  740-741  du  tomeVi  des  Memoircsdc  I' Academic 
des  sciences  morales  et  politiques. 


1'RfiFACE.  Ill 

Charles  VII,  Louis  XI,  Francois  Icr,  Henri  IV,  Louis XIV, 
cl  ceux  de  leurs  ininistres,  entre  lesquels  Jacques  Occur, 
L'Hopital,  Sully,  Richelieu  et  Colbert  se  placent  au  pre- 
mier rang.  J'ai  du  aussi  signaler  la  part  de  la  nation 
dans  les  progres  administratifs.  Quoique  mineure  et  sou- 
mise  a  une  tutelle  souvent  tyrannique,  elle  a  contribue 
au  developpenient  des  institutions ;  elle  a  fait  entendre 
plus  d'une  fois  d'utiles  conseils  dans  les  assemblies  d'e- 
tats-gen6raux,  et  presque  toujours  les  rois  en  ont  profite 
pour  faire  disparaitre  les  abus  et  executer  les  ameliora- 
tions re"clamees.  L'6tude  complete  et  approfondie  d'un 
pareil  sujet  demanderait  un  ouvragebien  plus  etenduque 
celui  que  je  public . 

J'ai,  du  moins,  cherche" ,  dans  cette  histoire  rapide  des 
progres  administratifs  de  la  France,  a  m'appuyersur  des 
documents  d'une  authenticity  incontestable.  Les  ordon- 
nances  des  rois  de  France  sont  la  principale  source  pour 
un  ouvrage  de  cette  nature.  Je  me  suis  servi  habituelle- 
ment  de  ces  documents  dont  il  existe  plusieurs  recueils  (1) . 
Cependant  on  courrait  risque  de  se  tromper  en  s'en  te- 
nant exclusivement  aux  ordonnances.  Plus  d'une  foiselles 
sont  reste"es  sans  execution:  ainsi  1'ordonnance  cabo- 
chienne  de  1413  a  6te"  impuissante  :  ainsi  les  reforines  de 
L'Hopital,  consignees  dans  les  ordonnances  d' Orleans,  de 
Roussillon  etdeMoulins,  ont  6t6  paralyses  par  les  guerres 
civiles.  II  est  done  necessaire  de  controler  perpetuelleinent 
les  actes  officiels  par  le  t6moignage  des  historiens  con- 
temporains.  Le  Journal  de  Henri  II I.,  par  exemple,mon- 
tre  comment  fut  ex^cutee  1'ordonnance  de  Blois  ,  qui 
faisait  espe"rer  de  si  heureuses  reformes. 

(1)  Ordonnances  des  rois  de  France  de  la  troisieme  race  (Paris, 
1723-1849,  21  vol.  in-f").  Comme  cette  collection  s'arrete  a  la  fin  du 
regne  de  Louis  XI r,  j'ai  eu  recours,  pour  la  computer,  au  Recueil 
des  anciennes  Lois  francaues  (Paris,  1822;  38  vol.  in-8°). 


IV  PREFACE. 

Je  n'insisterai  pas  sur  les  documents  in6dits  que  m'ont 
fournis  les  archives  et  les  bibliotheques.  Les  notes  pla- 
cets au  bas  des  pages  prouveront,  je  1'espere,'  que  j'ai 
cherchS  a  profiter  des  richesses  accumulees  dans  les  de- 
pots de  Paris.  La  correspondance  de  Colbert  et  le  journal 
de  1'intendant  Foucault  m'ont  beaucoup  servi  pour  le  re- 
gne  de  Louis  XIV.  Le  ministre,  dont  les  travaux  ont  6te 
si  feconds  pour  lebonheur  de  la  France,  trouva  dans  Fou- 
cault un  instrument  d£voue  et  habile.  Le  journal  de  cet 
intendant  retrace  en  grand  detail  les  actes  administratifs 
auxquels  il  a  cooper^  et  fait  connaitre  l'6tat  des  provin- 
ces, dont  les  autres  Memoires  tiennentpeudecouipte  (1). 

On  trouvera  peut-etre  que  la  place  reserved  au  regne 
de  Louis  XIV  est  trop  etendue  pour  1' ensemble  de  1'ou- 
vrage.  Seul,eneffet,  ilremplitun  volume,  tandis  que  1'his- 
toire  de  1' administration  sous  ses  pre"d6cesseurs  est  retu- 
rnee en  trois  cents  pages.  A  cette  objection  je  repondrai, 
avec  Voltaire  (2) ,  que  le  gouvernement  Louis  XIV  a  plus 
fait  pour  la  France  que  les  efforts  de  vingt  de  ses  pr6d6ces- 
seurs.  Us  avaient  combattu  pour  former  un  royaume  et  en 
avaient  ebauche  1' administration.  Louis  XIV,  recueillant 
le  fruitdeleursluttesseculaires,a  perfectionn^  et  souvent 
meme  cr66  les  services  administratifs.  II  e"tait  done  in- 
dispensable d'insister  tout  specialement  sur  un  regne 
que  Ton  peut  considerer  comme  !' apogee  del' administra- 
tion sous  1'ancienne  monarchic. 

(1)  M.  Bernier  et  M.  P.  Clement  ont  publie  quelques  extraits  de 
ce  nianuscrit,  le  premier  a  la  suite  des  Memoires  du  marquis  de 
Sourches,  et  le  second  dans  1'onvrage  intitule  Gouvernement  de 
Louis  XIV;  mais  ils  n'ont  pas  insiste  sur  les  renseignements  adminis- 
tralifs  que  fournit  le  journal  de  Foucault. 

(2)  Siede  de  Louis  XIV,  chap.  29. 


INTRODUCTION. 


Carictore  ot  conditions  d'une  bonne  administration  ;  division 
generate  de  1'histoire  adminibtrative  de  la  France  en  quatro 
epoques;  progres  de  la  France  dus  surtout  a  1'administra- 
tion  monarchique. 


En  commen^ant  1'histoire  de  1'administration  mo- 
narchique en  France,  il  est  neeessaire  de  preciser  le 
sens  du  mot  administration  et  les  points  principaux 
sur  lesquels  nous  devrons  insister  dans  cet  ouvragp. 
«  L'administration,  sous  le  point  de  vue  le  plus  ge- 
neral, consiste,  dit  M.  Guizot  (1),  dans  un  ensemble 
de  moyens  destines  a  faire  arriver  le  plus  prompte- 
nient,  le  plus  surement  possible  ,  la  volonte  du  pou- 
voir  central  dans  toutes  les  parties  de  la  societe,  et  a 
faire  remonter  vers  le  pouvoir  central ,  sous  les  me- 
mes  conditions,  les  forces  de  la  societe  soit  en  hommes , 
soit  en  argent. »  Pour  arriver  a  ce  but,  il  faut  un  gou- 
vernement  central  fortement  organise,  domine  par 
une  volonte  line  et  puissante,  servi  par  des  agents 
dociles  et  intelligents ,  qui  soient,  selon  1'energique 
expression  des  anciens,  les  yeux  et  les  oreilles  du 

(i)Cours  d'histoire  de   la  cwilisat'on  generate  en  Europe, 
XIVe  lecon. 


II  INTRODUCTION. 

pouvoir ;  une  hierarchic  de  fonctionnaires  partant  du 
sommet  et  descendant  jusqu'aux  derniers  degres,  enfin 
des  communications  faciles  et  rapides  du  centre  aux 
extremites  de  1'Etat.  L'autorite  qui  dispose  des  forces 
d'un  pays,  de  ses  richesses  et  de  ses  armees,  doit 
pour  etre  digne  de  sa  haute  mission ,  developper  les 
ressources  nationales  en  favorisant  le  commerce, 
1'industrie  et  1'agriculture,  assurer  la  securite  de  tous 
par  une  bonne  administration  de  la  justice  et  stimu- 
ler  par  une  intelligente  protection  le  progres  des  let- 
tres,  des  sciences  et  des  arts.  II  faut,  en  un  mot,  que 
le  pouvoir  rendeau  peuple  en  bien-etre,  en  grandeur 
intellectuelle  et  morale  autant  qu'il  en  rec.oit  pour  sa 
force  personnelle.  En  remplissant  ces  conditions, 
Tadministration  obtient  1'adhesion  et  la  sympathie 
des  peuples,  force  et  gloire  d'un  bon  gouverne- 
ment. 

Tel  est,  si  je  ne  me  trompe ,  le  but  et  en  quelque 
sorte  1'ideal  vers  lequel  doit  tendre  toute  puissance 
qui  comprend  sa  mission.  Jusqu'a  quel  point  Tad- 
ministration  monarchique  a-t-elle  realise,  en  France, 
ces  conditions  d'un  bon  gouvernement  ?  Elle  avait  rec.u 
de  la  feodalite  un  pays  morcele,  ou  1'autorite  cen- 
trale  etait  nulle,  ou  la  force  brutale  regnait  a  IV 
bri  des  chateaux  dont  la  France  etait  herissee,  inter- 
ceptait  le  commerce,  desolait  les  campagnes  et  me- 
prisait  les  arts  ingenieux  de  la  paix.  II  fallut  plu- 
sieurs  siecles  de  guerres  incessantes  pour  dctruire 
les  repaires  de  la  feodalite  et  assurer  la  securite  des 
marchands  et  des  laboureurs.  La  royaute  commenga 
par  fonder  solidement  sa  puissance  et  1'imposer  k 


DIVISION  DE  L'OUVRAGKJ  TIT 


tous.  Trois  siecles  de  luttes  perpetuelles  furent  ne- 
cessaires  pour  arriver  a  ce  resultat,  et,  lors  meme 
que  la  feodalite  fut  depouillee  des  droits  regaliens, 
1'opposition  d'interets  et  de  moeurs  qu'elle  avait 
creee  entre  les  provinces  suscita  de  nouveaux  ob- 
stacles. La  royaute  eut  a  soutenir  de  longues  guerres 
pour  creer  cette  hierarchic  de  fonctionnaires  qui  de- 
vaient  faire  executer  ses  volontes  d'une  extremite  a 
1'autre  de  la  France.  Elle  y  parvint  enfm,  et 
Louis  XIV  heritant  des  travaux  de  ses  predeces- 
seurs  put  s'occuper  avec  plus  de  succes  des  finan- 
ces, du  commerce,  de  1'industrie,  des  arts,  des  lettres 
et  des  sciences,  en  un  mot,  de  tout  ce  qui  enrichit 
et  illustre  une  nation.  Ainsi  fondation  et  unite  du 
pouvoir  central,  organisation  d'une  hierarchic  ad- 
ministrative, developpement  des  ressources  mate- 
rielles  et  intellectuelles  de  la  France  sous  la  pro- 
tection de  1'autorite  monarchique,  tel  est  le  spectacle 
que  la  France  nous  presente  pendant  les  six  siecles 
ou  la  royaute  a  lutte,  vaincu,  et  administre.  Pour 
se  reconnaitre  dans  un  sujet  aussi  vaste ,  il  est  ne- 
cessaire  d'en  determiner  les  principales  periodes. 

L'histoire  de  1'administration  monarchique  en 
France  depuis  Tavenement  de  Philippe-Auguste  jus- 
qu'a  la  mort  de  Louis  XIV  peut  se  diviser  dans  les 
quatre  epoques  suivantes  : 

1°  De  1180  a  1328,  lutte  centre  la  feodalite; 

2°  De  1328  a  1498,  victoire  de  la  royaute  sur  les 
maisons  apanagees ; 

3°  De  1498  a  1661  ,  organisation  de  1'adminis- 
tration  monarchique ; 


IV  INTRODUCTION. 

4°  De  1661  a  1715,  triomphe  et  resultats  de 
I'admmistration  monarchique. 

Premiere  dpoque  (1180-1328).  —  Lorsque  Phi- 
lippe-Auguste  monta  sur  le  trone  (1180) ,  la  royaute 
avait  vaincu  les  vassaux  du  duche  de  France ;  mais 
elle  se  trouvait  en  presence  d'une  multitude  de  sei- 
gneurs qui  etaient  les  veritables  souverains  du 
royaume.  Le  xuie  siecle  et  une  partie  du  xive  furent 
consacres  a  la  lutte  contre  ces  seigneurs.  Philippe- 
Auguste,  par  les  armes  et  les  conquetes;  Louis  IX, 
par  ses  lois  et  la  saintete  de  son  caractere ;  Philippe- 
le-Bel ,  par  ses  institutions  et  par  son  despotisme, 
etablirent  sur  des  bases  solides  Tautorite  monar- 
chique. Unis  avec  le  clerge  et  les  communes,  ils 
etendirent  leur  domination  de  la  Lys  aux  Pyrenees, 
du  Rhone  a  1'Ocean.  Des  le  xrve  siecle,  1'autorite 
royale  etait  reconnue  dans  toute  la  France ;  et 
1'administration  centrale  et  locale  etait  ebauchee. 
An  sommet,  se  placait  la  cour  du  Roi  (curia  do- 
mini  regis)  qui  se  divisa,  sous  Philippe-le-Bel  et 
ses  fits,  en  grand  conseil  (conseil  d'fitat),  parlement 
ou  cour  de  justice  et  chambre  des  comptes  chargee 
de  surveiller  et  de  controler  Tadministration  finan- 
ciere  dans  tout  le  royaume.  Les  provinces  etaient 
ad  ministries  par  des  baillis  et  des  senechaux  qui 
cumulaient  tous  les  pouvoirs  militaire,  judiciaire  et 
financier. 

Deuxicme  fyoque  (1328-1498).  —  La  seconde 
epoque  commence  avec  les  Valois  et  se  termine  vers 
la  fin  du  xve  siecle,  a  la  mort  de  Charles  VIII 
(1228-1498).  Une  nouvelle  feodalite  etait  nee  des 


DIVISION    DE    L  OUVRAGE.  V 

branches  momes  de  la  dynastie  cape  tiennc ;  les 
maisons  apanagees  de  Bourgogne,  de  Bourbon,  d'An- 
jou  et  d'Orleans  avaient  morcele  le  royaume.  Les 
cbefs  de  cette  aristocratic  aimaient  tant  la  France, 
comme  disait  Tun  d'eux,  qu'au  lieu  d'un  royaume, 
ils  en  eussent  voulu  six.  Pour  vaincre  cette  feoda- 
lite  apanagee,  il  fallut  Tastiice,  Pactivite,  la  politi- 
que  habile  et  terrible  de  Louis  XL  Des  la  fin  da 
xve  siecle,  il  n'y  avait  plus  en  France  qu'un  seul 
souverain.  Des  gouverneurs  de  province,  qui  rele- 
vaient  uniquement  de  1'autorite  royale,  rempla- 
cerent  les  anciens  seigneurs  feodaux.  Les  parlements 
se  multiplierent;  etablis  dans  des  provinces  eloi- 
gnees  (parlements  de  Toulouse,  Bordeaux,  Greno- 
ble et  Dijon) ,  ils  rendirent  1'administration  de  la 
justice  plus  rapide  et  plus  vigoureuse.  Les  baillis 
cesscrent  de  percevoir  les  impots,  et  une  classe 
speciale  de  fonctionnaires,  sous  le  nom  de  receveurs 
generaux  ou  simplement  de  gdndraux  des  finances 
et  d'elus ,  fut  chargee  de  la  repartition  et  du  re- 
couvrement  des  impots. 

Troisieme  dpoque  (1498-1661).  — La  troisieme 
epoque  commence  a  la  fin  du  x\e  siecle,  au  moment 
ou  les  guerres  d'ltalie,  les  decouvertes  maritimes, 
la  renaissance  des  lettres  et  des  arts  agitaient  tous 
les  esprits  et  leur  ouvraient  un  nouveau  monde; 
elle  se  termine  a  la  mort  de  Mazarin,  lorsque 
Louis  XIV  commence  a  gouverner  par  lui-meme 
(1498-1661).  La  royaute,  quoique  detournee  des 
affaires  interieures  par  les  guerres  d'ltalie,  ne  cessa 
cependant  de  perfectionner  1'organisation  adminis- 


VI  INTRODUCTION. 

trative.  Si  les  souverainetes  feodales  avaient  disparu, 
il  existait  touj ours  dans  les  provinces  une  profonde 
divcrsite  de  moeurs,   de  lois  et  destitutions.    La 
royaute,  sans  parvenir  a  detruire  ces  differences, 
etablit  une  administration  plus  homogene.   Douze 
gouverneurs  furent  charges  de  1'autorite  militaire ; 
huitparlements,  de  la  justice;  autant  de  chambres 
des  comptes  et  de  cours  des  aides ,  de  la  juridiction 
fmanciere ;  les  bureaux  de  finances,  de  la  repartition 
des  impots  et  de  la  gestion  domaniale ;  enfin  dix-sept 
receveurs  generaux  furent  institues  pour  percevoir 
les  taxes  et  les  verser  dans  une  caisse   centrale, 
nominee  Epargne.  Des  cetteepoque  la  France  parvint 
a  une  unite  qui  etonnait  les  etrangers.  «  II  y  a  des 
pays  plus  fertiles  et  plus  riches  que  la  France,  ecrivait 
en  1546  1'ambassadeur  venitien  Marino  Cavalli  (1) , 
tels  que  la  Hongrieet  1'Italie;  il  y  en  ade  plus  grands 
et  de  plus  puissants,  tels  que  1'Allemagne  et  1'Es- 
pagne;  mais  nul  n'est  aussi  uni  (tanto  unito}.  » 

A  la  fin  du  xne  siecle,  les  guerres  de  religion  en- 
traverent  de  nouveau  le  developpement  de  1'auto- 
rite monarchique  en  France  :  les  pouvoirs,  que  la 
royaute  avait  crees  comnie  instruments  d'adininis- 
tration,  se  tournerent  contre  elle.  On  vit  les  gou- 
verneurs et  les  parlements  se  mettre  a  la  tete  de 
ropposition  provinciale.  II  fallut  que  Richelieu 
abattit  1'autorite  des  gouverneurs  et  confiat  1'admi- 
nistration  locale  a  des  agents  plus  dociles,  aux  in- 


(1)  Relations  dvs  ambassadcnrs  venitiem  dans  lerecueil 
cuiucnls  incdils  de  I'Hisloirc  dc  France,  t.  I,  p.  271. 


DIVISION  DE  L'OUYRAGE.  MI 

tendants  institues  des  1632.  La  Fronde,  coalition  do 
grands  seigneurs,  de  gouverneurs  de  province  et  de 
parlements,  fut  vaincue  par  Mazarin,  et  avec  elle 
succomba  la  derniere  tentative  de  resistance  a  1'au- 
torite  absolue. 

Quatricme  tpoque  (1661-1715).  —  La  quatrieme 
epoque  comprend  le  gouvernement  personnel  de 
Louis  XIV  (1661-1713).  La  puissance  monarchique, 
parvenue  a  son  apogee,  avait  une  oeuvre  difficile  et 
glorieuse  a  accomplir.  Feconder  les  richesses  naturel- 
les  de  la  France,  creuser  des  canaux  et  des  ports,  ou- 
vrir  des  voies  de  communication ,  creer  une  marine, 
developper  le  commerce  et  1'industrie ,  travailler  au 
bonheur  du  peuple  et  a  son  amelioration  morale  et 
intellectuelle ,  telle  etait  la  mission  de  la  royaute ; 
ellen'y  manqua  pas.  Les  vingt-deux  premieres  an- 
nees  du  gouvernement  personnel  de  Louis  XIV, 
depuis  la  mort  de  Mazarin  jusqu'a  la  mort  de  Col- 
bert (1661-1683),  furent  surtout  fecondes.  Seconde 
par  Colbert  et  Louvois,  il  imprima  a  tous  les  services 
publics  une  merveilleuse  activitc ,  et  merita  le  nom 
de  ROI  ADMINISTRATED  ,  que  Lemontey  proclame  le 
plus  beau  de  ses  titres.  Un  historien  d'une  grande 
autorite  (1)  a  compare  Tardeurque  montrerent,  a  cette 
epoque,  le  roi  et  la  nation,  au  zele  que  deployerent, 
apres  les  tourmentes  revolutionnaires,  le  premier 
consul  et  ses  conseillers.  Lois,  finances,  hierarchic 
administrative,  tout  paraissait  sortir  du  chaos  pour 
s'organiser  sous  1'oeil  du  genie.  L'heritier  des  rois, 

(1)  M.  Guizot,  Histoire  de  la  civilisation  generate  en  Europe, 
dernifcre  legon. 


VIII  INTRODUCTION'. 

comme  le  soldat  couronne,  allait  s'asseoir  dans  un 
conseil  de  legistes  et  discutait  avec  eux  les  articles  du 
code.  Tous  deux  descendaient  aux  plus  petits  details 
de  1'administration ,  sans  crainte  de  deroger ;  mais 
Tun  dirige  par  d'habiles  ministres,  1'autre  guide  sur- 
tout  par  1'inspiration  du  genie;  Louis,  ausein  d'une 
paix  glorieuse,  due  aux  negotiations  de  Mazarin; 
Napoleon,  en  face  d'une  coalition  europeenne.  On 
ne  doit  jamais  de  perdre  de  vue,  en  parlant  des  pre- 
mieres annees  du  gouvernement  de  Louis  XIV,  1'ap- 
preciation  si  juste  de  Saint-Simon  ('!)  :  «  Sa  pre- 
miere entree  dans  le  monde  fut  heureuse  en  espiits 
distingues  de  toute  espece.  Ses  ministres  au-dedaus 
et  au-deliors  etaient  alors  les  plus  forts  de  1'Europe  ; 
ses  genera ux  ,  les  plus  grands;  leurs  seconds,  les 
meilleurs  :  les  mouvements  dont  1'Etat  avait  ete  si 
furieusement  agite  au-dedans  et  au-dehors  depuis 
la  mort  de  Louis  XIII,  avaient  forme  une  quantite 
d'hommes  qui  composaient  une  cour  d'habiles  et 
d'illustres  personnages  et  de  courtisans  raffines.  » 
Louis  XIV  eut  le  merite  de  discerner  la  capacitc  de 
ces  hommes  eminents,  de  comprendre  leurs  pensees 
et  de  faire  concourir  a  la  grandeur  de  la  France  la 
diversite  de  leurs  talents,  et  souvent  meme  Topposi- 
tion  de  leurs  caracteres  et  de  leur  ambition. 

Grace  a  Factivite  et  a  1'habile  politique  du  grand 
roi,  cette  quatrieme  periode,  la  plus  courte  pour  le 
temps,  a  ete  la  plus  feconde  en  choses  utiles  et  bril- 
lantes. 

(1)  Sainl-Simon.  Mcuioircs,  edit,  in-8",  1.  Xllf,  p.  2-3. 


DIVISION    BE    LOUVRAGE.  IX 

En  rendant  justice  ii  Louis  XIV,  il  nc  faut  pas  ou- 
blicr  ses  ministrcs ,  surtout  Colbert  ct  Louvois.  Le 
premier,  apres  avoir  repare  le  desordre  des  finances 
et  paye  les  dettes  leguees  par  Fouquet,  enrichit  la 
France  en  developpant  ('Industrie,  le  commerce  et  le 
systeme  colonial ;  il  releva  la  marine  fran^aise  qui 
devint  en  peu  de  temps  la  premiere  du  monde,  creusa 
des  ports  et  prepara  le  code  maritime  auquel  son  fils 
Seignelay  mit  la  derniere  main.  L'activite  de  Colbert 
embrassait  toutes  les  branches  d'administration.  II 
proposa  la  reform e  des  lois  et  la  dirigea  par  son  on- 
cle  Pussort.  Les  lettres,  les  arts,  les  sciences,  rec.u- 
rent  une  feconde  impulsion  par  la  creation  de  nou- 
velles  academies  et  par  les  recompenses  donnees 
avec  discernement  aux  savants,  aux  artistes  et  aux 
litterateurs.  De  magnifiques  monuments  s'eleverent 
sous  la  direction  de  Colbert.  II  entreprit  meme 
la  reforme  des  monasteres  et  du  clerge  regulier. 
Les  travaux  glorieux  et  pacifiques  de  ce  ministre 
avaient  enrichi  la  France;  Louvois  la  rendit  redou- 
table  par  Torganisation  de  1'armee.  Entre  au  minis- 
tere  cinq  ans  apres  Colbert,  en  1666,  il  ne  commence 
a  balancer  son  credit  que  pendant  la  guerre  de 
Flandre  ;  il  1'emporta  defmitivement  ,  lorsque 
Louis  XIV  se  laissa  entrainer  par  la  passion  des 
conquetes.  Alors  commencerent  les  desastres ;  Lou- 
vois epuisa  la  France  par  la  guerre ,  tarit  la  source 
de  ses  richesses ,  ruina  sa  marine ,  ses  colonies,  son 
commerce,  viola  la  liberte  de  conscience,  et,  apres 
avoir  fait  servir  a  son  ambition  les  armes  et  la  reli- 
gion, la  ruse  et  la  violence,  les  oeuvres  d'art  et  les 


X  INTRODUCTION. 

secrets  de  police,  il  tomba  vaincu  par  1'esprit  patient 
et  astucieux  d'une  femme.  Mais  ces  tristes  resultats 
d'une  ambition  insatiable  ne  doivent  pas  faire  oublier 
les  excellentes  mesures  qui  remplissent  une  partie 
de  son  ministere  :  la  discipline  solidement  etablie, 
tous  les  services  militaires  ameliores  et  subordonnes 
a  1'autorite  centrale  sans  distinction  de  rang  ni  de 
naissance. 

Get  apergu  rapide  suffit  pour  repondre  au  scepti- 
cisme  de  quelques  esprits  chagrins  qui  ne  voient 
dans  1'histoire  qu'un  cercle  fatal  de  succes  et  de  re- 
vers,  de  crimes  et  d'actions  hero'iques,  ou  I'humanite 
tourne  sans  avancer.  Une  etude  superficielle  parait 
favorable  a  ce  triste  systeme.  La  royaute,  victorieuse 
sous  Philippe-Auguste,  Saint-Louis  et  Philippe-le- 
Bel,  retombe  pendant  1'epoque  suivante  que  signa- 
lent  les  desastres  de  Crecy,  de  Poitiers  et  d'Azin- 
court,  la  folie  de  Charles  VI  et  la  guerre  civile  des 
Armagnacs  et  des  Bourguignons.  Si  elle  triomphe 
avec  Louis  XI  et  parait  absolue  sous  Francois  Ier, 
c'est  pour  subir  une  nouvelle  decadence  pendant  les 
guerres  de  religion.  Enfin  1'eclat  dont  elle  brille  sous 
Henri  IV,  Richelieu  et  Louis  XIV,  est  bientot  ob- 
scurci  par  les  desastres  de  la  fin  du  grand  regne,  les 
turpitudes  de  la  regence  et  de  Louis  XV  et  les  fai- 
blesses  de  Louis  XVI.  Faut-il  done  croire  a  ces  vi- 
cissitudes fatales  qui  ramenent  toujours  1'homme  au 
meme  point,  immobile,  alors  meme  qu'il  reve  le 
progres?  Cette  solution  n'est  pas,  grace  a  Dieu, 
celle  qui  ressort  des  faits  mieux  etudies.  L'histoire 
des  institutions  surtout,  en  nous  faisant  penetier 


PROGRES   DE   LA   FRANCE.  XI 

plus  profondement  dans  la  vie  des  peuples,  atteste  le 
progres  de  la  societe;  elle  nous  montre  la  France 
d'abord  divisee  arrivant  graduellement  a  1'unite  qui 
fait  sa  gloire  et  sa  force,  fecondant  toutes  ses  riches- 
ses  naturelles  que  1'ignorance  laissait  enfouies  et  que 
rindustrie  tire  du  sol  et  transforme  en  produits  bril- 
lants ;  enfm ,  se  plac.ant  a  la  tete  de  la  civilisation 
europeenne  par  le  developpement  intellectuel.  Consi- 
dere  dans  sa  marche  generate,  le  pouvoir  monar- 
chique  a  donne  1'impulsion  a  toutes  les  branches  du 
commerce,  de  rindustrie,  aux  arts  et  aux  lettres. 
Ainsi ,  retracer  1'histoire  de  1'administration  royale 
en  France ,  c'est ,  en  realite ,  retracer  les  progres 
de  la  nation  franchise  jusqu'au  xviii6  siecle. 

Avant  de  s'engager  dans  ce  vaste  sujet,  il  est  ne- 
cessaire  de  rappeler  les  tentatives  qui  avaient  etc" 
faites  anterieurement  pour  donner  a  notre  pays  une 
administration  reguliere  :  Rome,  1'Eglise,  les  Barba- 
res,  Charlemagne,  la  Feodalite,  les  Communes  out  es- 
saye  d'accomplir  cette  oeuvre  dans  laquelle  la  royaute 
seule  a  reussi.  Les  institutions  primitives  de  la  France 
ont  ete,  surtout  dans  notre  siecle,  1'objet  d'etudes  ap- 
profondies  (1).  II  suffira  de  les  resumer  pour  donner 

(1)  Voyez  les  Essais  sur  1'histoire  de  France  par  M.  Guizot. 
Les  institutions  de  la  France  jusqu'a  la  fin  du  xe  siecle  y  sont  ex- 
posees  avec  une  science  et  une  intelligence  historique  qui  n'ont'pas 
ete  surpassees.  M.  Guizot  a  traite  avec  de  nouveaux  de"veloppe- 
ments  le  meme  sujet  dans  son  Cours  d'histoire  de  la  civilisation 
en  France.  La  Feodalite  et  les  Communes  y  ont  trouve"  place  a 
cote  des  institutions  des  Barbares.  Les  travaux  de  MM.  Augustin 
et  Amede'e  Thierry,  de  M.  Mignet  et  des  jurisconsultes  qui  unis- 
sent  la  science  de  1'histoire  a  celle  du  droit,  comme  MM.  Giraud, 
LaBoulaye,  La  Ferriere,  etc.,  ont  repandu  de  nouvelles  lumieres 


XII  INTRODUCTION. 

une  idee  exacte  et  complete  de  la  situation  politique, 
au  moment  ou  la  royaute,  a  peine  maitresse  d'un 
duche,  eiitreprit  et  realisa  la  conquete  et  la  transfor- 
mation de  la  France. 

sur  les  epoques  romaine,,  bar-bare  et  feoclale.  M.  Gue'rard  clans  Ics 
prolegomenes  du  polyptyquc  d'lrminon,  a  concentre  sa  critique 
sur  la  periode  carlovingienne,  et  personne  n'a  mieux  fait  connaitre 
les  institutions  de  cette  epoque.  La  periode  monarchique  est  eel le 
qui  a  ele  le  inoins  etudiee  et  qui  est  encore  aujourd'hui  le  moins 
connue,  quoique  d'excellents  travaux  aient  ele"  publics  sur  quelquos 
parlies.  C'est  sans  doule  un  des  motifs  qui  out  engage  Tlnstilut 
a  inellre  au  concours  la  question  aussi  ncuve  qu'interessante  de 
Yllistoire  de  I'adminhlralion  nionarcliique  en  France. 


HISTOIRE 

DE 

L'ADMMSTRATIOM  MOMRCHIQUE 

EN  FRANCE. 


§  II.  —  ADMINISTRATION  ROMAINE  DANS  LES  GAULES. 

—  PROSP6RIT6  ET  MISERE  DE  LA  GAULE  SOUS  L*EM- 
PIRE. 

L'empire  remain  a  donne  le  premier  modele  dans 
les  Gaules  d'une  administration  bien  constitute.  Le 
pouvoir  central  6tait  concentre  tout  entier  entre  les 
mains  de  1'empereur,  que  Ton  regardait  comme  la 
loi  vivante  (lex  animata]  (1).  II  etait  represente"  dans 
les  Gaules,  au  rve  siecle,   par  un  preset  du  pre- 
toire  (2),  qui  resida  successivement  a  Treves  et  a 
Aries,  et  qui  avait  sous  ses  ordres  un  vicaire  ou  vice- 
prefet.  Des  gouverneurs,  appeles  presides  ou  rec- 
tores,  administraient,  sous  la  surveillance  de  ce  ma- 
gistral, les  dix-sept  provinces  de  la  Gaule.  L'autorite 
militaire  etait  distincte  de  la  puissance  civile.  La  se- 
conde  appartenait  au  prefet  du  pretoire,  a  son  vicaire 
et  aux  gouverneurs.  La  premiere  etait  entre  les  mains 
d'un  comte  de  la  rnilice,  que  Ton  trouve  aussi  desi- 
gne  sous  le  nom  de  maitre  de  la  cavalerie  dans  les 
Gaules  ft).  Sous  ses  ordres,  cinq  dues  commandaient 
les  troupes  qui  couvraient  les  frontieres ;  on  voit  par 
la  Notice  des  dignitds  de  I' empire  a" Occident  (4),  qu'ils 

(1)  Novell.  105,  ch.  2. 

(2)  flotilla  dignitatum  imperil,  2e  partie,  p.  114,  6d.  de  Ve- 
nise,  1593 

(3)  Magister  equitum  per  Gallias.  Cf,  Notit.  dignitatum  impcrii 
Occidents,  ibid. 

(U)  Ibid.,  p.  114, 173  et  suiv, 

I.  2* 


XIV  INTRODUCTION. 

avaientleur  residence  dans  la  Sequanaise  (cap.  Besan- 
c.otf,  1'Armorique  (notre  Bretagne  actuelle),  la  Belgi- 
queseconde  (cap.  Reims),  la  Germanic  premiere  (cap. 
Mayence).  L'administration  financiere  avait  ses  fonc- 
tionnaires  particuliers  places  sous  la  surveillance  du 
prefetdupretoire  des  Gaules.  Un  rationalis  presidait 
a  la  perception  de  1'impot  (1);  il  y  avait  quatre  gar- 
diens  du  tresor  public  (cerarium],  qui  residaient  a 
Lyon,  a  Aries,  ci  Nimes  et  a  Treves  (2).  Le  fisc  n'avait 
qu'un  intendant  (3).  Cette  hierarchic  de  fonction- 
naires  faisait  penetrer  promptement  dans  les  pro- 
vinces les  volontes  de  1'empereur,  et  mettait  a  sa 
disposition  toutes  les  ressources  de  la  Gaule  en 
homines  et  en  argent. 

L'administration  romaine  rendait-elle  a  la  province 
des  services  reels  en  developpant  ses  ressources,  en 
fecondant  son  commerce  et  son  Industrie,  en  favori- 
santles  progresintellectuels?!!  est  impossible  de  me- 
connaitre  1'utile  influence  exercee  dans  les  premiers 
temps  par  cette  administration.  Elle  avait  trouve  la 
Gaule  couverte  de  forets,  avec  une  population  bar- 
bare,  habitant  de  miserables  bourgades.  En  quelques 
annees,  elle  la  transforma.  Des  le  temps  d'Auguste, 
Lyon  devient  capitale  de  la  province.  «  Cette  ville, 
dit  Strabon  (i),  etait  placee  comme  une  forteresse  an 
coeur  de  la  Gaule.  La  etait  le  confluent  des  fleuves  ; 
elle  se  trouvait  a  proximite  de  tous  les  points  de  la 

(1)  Rationalis  summarumGalliarum.  Notit.  dignitatum  imperil 
Occidentis ,  p.  IZil. 

(2)  Ibidem. 

(3)  Rationalis  rei  private  per  Gallias.  Ibid.,  p. 
(ft)  Liv.  Ill  de  sa  Geographic. 


ADMINISTRATION    ROMAINE.  XV 

province.  Aussi  Agrippa  en  fit-il  le  centre  des  quatre 
voies  romaines,  dont  Tune  allait  aboutir,  en  traver- 
sant  les  Cevennes,  a  la  cote  de  1'Ocean  dans  1'Aqui- 
taine;  une  seconde,  frayee  a  travers  le  pays  des  Am- 
biani  et  des  Bellovaques ,  conduisait  a  la  meme  mer. 
Une  troisieme  rejoignait  le  Rhin,  et  une  quatrieme 
se  dirigeait  vers  la  Jiediterranee  jusqu'aux  cotes  de 
Marseille.  »  Les  successeurs  d'Auguste  multiplierent 
ces  voies  de  cornmunication,  qui  portaient  d'une 
extremite  a  1'autre  de  Fempire  les  ordres  et  les  le- 
gions des  Cesars. 

Des  villes  florissantes  s'eleverent  sous  leurs  auspi- 
ces, et  un  poete  du  ive  siecle,  Ausone,  en  a  laisse  une 
description  qui  prouve  a  quel  degre  de  prosperite 
etait  parvenue  la  civilisation  gauloise  (1).  II  repre- 
sente  Treves,  alors  capitale  des  Gaules,  se  reposant 
an  sein  de  la  paix  et  de  la  securite  (2) .  Les  murailles  de 
cette  ville,  s'etendant  sur  les  flancs  d'une  colline, 
descendaient  jusqu'au  bord  de  la  Moselle  qui  la  bai- 
gnait  de  ses  ondes  paisibles  et  lui  apportait  les 
denrees  des  contrees  lointaines  (3).  Le  poete  decrit 
plus  loin  Aries,  la  Rome  des  Gaules  (4),  qui  allait 
bientot  succeder  a  Treves  comrne  metropole  de  la 
province;  elle  etait  Tentrepot  d'un  vaste  commerce 


(1)  Ausonii  clara  urbes. 

(2)  Pads  ut  in  mediae  gremio  secura  quiescit.  Ibid.,  III. 

(3)  Lata  per  extentunj  procurrunt  moenia  collem; 
Largus  tranquillo  praelabitur  amne  Mosella, 
Longinqua  omnigenae  vectans  commercia  terrae.  Ibid, 

(li)  Pande,  duplex  Arelate,  tuos  blanda  hospita  portus, 
GaHula  Poma  Arela*.  MM.,  VII. 


XVI  INTRODUCTION. 


qui  enrichissait  la  Gaule  entiere  (1).  Toulouse  n'est 
pas  oubliee.  Ausone  retrace  la  vaste  enceinte  de  mu- 
railles  qui  entourait  cette  ville  arrosee  par  la  Ga- 
ronne, ses  nombreux  habitants  et  ses  richesses  (2). 
Narbonne,  premier  sejour  des  proconsuls  romains, 
est  encore  une  des  cites  dont  le  poete  vante  la  beaute 
et  les  richesses.  «  Les  mers  orientales,  dit-il  en  s'a- 
dressant  a  cette  ville  (3),  et  le  golfe  iberique  t'enri- 
chissent  de  leurs  denrees ;  tu  rec,ois  les  vaisseaux  de 
1'Afrique  et  de  la  Sicile,  et  les  fleuves  et  les  mers  ver- 
sent  dans  ton  sein  tout  ce  qu'ils  apportent  des  di- 
verses  parties  de  Tunivers.  »  Bordeaux,  patrie  <T Au- 
sone, est  de  toutes  les  villes  de  la  Gaule  celle  qu'il 
celebre  avec  le  plus  d'enthousiasme.  II  vante  1'excel- 
lence  de  ses  vins,  le  genie  de  ses  habitants,  1'illus- 
tration  de  son  senat  (4). 

En  faisant  la  part  de  1'exageration  poetique  aussi 
large  que  Ton  voudra,  il  est  impossible  de  mecon- 
naitre  la  prosperite  des  cites  gauloises  sous  1'admi- 
nistration  romaine.  D'ailleurs,  les  traces  indestruc- 


(1)  Per  quern  (Khodanum)  romani  commercia  suscipis  orbis, 
Nee  cohibes,  populosque  alios  et  moonia  ditas, 

Gallia  quis  fruitur  gremioque  Aquitania  lato.  Ilnd. 

(2)  «  Coctilibus  muris  quam  circuit  ambitus  ingens, 
Perque  latus  pulchro  prselabitur  amne  Garumna , 
Innumeris  cultam  populis....  »  lbid.y  XI. 

(3)  «  Te  maris  Eoi  merces,  et  hiberica  ditant 
^Equora,  te  classes  libyci  siculique  profundi, 
Et  quidquid  vario  per  flumina,  per  freta,  cursu 
Advehitur,  toto  tibi  navigat  orbe  xaraTrAous.  »  Ibid.,  XII, 

(4)  «  Impia  jamdudum  condemno  silentia,  quod  te, 
O  patria,  insignem  Baccho,  fluviisque  virisque, 
Moribus  ingeniisque  hominum  procerumque  senatu  , 
Non  inter  primas  memorem,  »  /^i 


ADMINISTRATION    ROMAINE.  XV11 

tihles  que  Rome  a  laissees  de  son  passage  sutfiraient 
pour  altester  combien  cette  administration  fut  fe- 
conde  pour  la  prosperite  de  la  Gaule.  L'aqueduc, 
designe  sous  le  nom  depont  du  Card,  le  temple  grec 
de  Nimes  appele  Maison  carree,  les  arenes  de  Nimes 
etd'Arles,  les  arcs  de  triomphe  d'0range,de  Reims  et 
de  Saint-Remi,  sans  parler  des  ruines  qui  abondent 
dans  toutes  les  parties  de  la  Gaule,  sont  des  temoins 
vivants  de  la  civilisation  de  cette  province  sous  la  do- 
mination romaine. 

L'industrie  et  le  commerce  avaient  pris  un  rapide 
essor.  «  On  tissait  des  toiles  dans  les  pays  de  Caliors, 
des  Caletes  (pays  de  Caux),  de  Rbodez,  de  Bourges, 
dans  la  Morinie  (Pas-de-Calais)  ;  que  dis-je?  ajoute 
Pline  (1),  dans  la  Gaule  entiere.  »  Le  lin  de  Cahors 
etait  tres-estime  ainsi  que  lits  rernbourres,  que  Pline 
regarde  comme  une  invention  gauloise  (2).  On  devait 
aussi  aux  Gaulois  le  savon  dont  ils  se  servaient  pour 
donner  a  leurs  cheveux  une  couleur  plus  brillan- 
te  (3).  Au  temps  de  Gallien,  les  draps  d'Arras 
etaient  renommes  comme  un  des  produits  les  plus 
precieux  de  1'empire  (4).  On  fabriquait  des  armes  a 
Treves,  a  Autun,  a  Strasbourg,  a  Macon,  a  Soissons, 


(1)  «  Cadurci,  Caleti ,  Bituriges,  ultimique  hominum  exislimati 
Morini,  imo  vero  universae  Galliae  vela  texurit.w  H.  N.,\iv.  XIX,  c.  2. 

(2)  «  In  culcitis  praecipuam  gloriam  Cadurci  obtinent.  GalLiarum 
hoc,  et  tomenta  pariter,  inventum.  »  Ibid. 

(3)  «  Prodest  et  sapo ;  Gatliarum  hoc  inventum  rutilandis  capil- 
lis.  »  Ibid.,  XXVIII,  51. 

(4)  «  Perdita  Gallia,  arrisisse  et  dixisse  perhibetur  (Gallianus) : 
non  sine  atrebatis  sagis  tuta  respublica  est?  »  Hist.  August., 
p.  719,  edit,  de  1661 ;  Lugd.  Bajav. 


XVIII  INTRODUCTION. 

a  Reims,  a  Amiens  (1).  L'agriculture  s'etait  perfec- 
tionnee.  Plineparle  des  vins  de  Marseille  etde  laNar- 
bonnaise  (Bouches-du-Rhone,  Herault  et  Aude)  (2). 
Dans  le  pays  des  Eduens  et  des  Pictons,  on  fumait 
les  terres  avec  de  la  chaux  (3).  L'olivier  avait  ete 
naturalise  dans  la  Gaule  meridionale.  Une  corpo- 
ration de  nautes  parisiens  s'occupait  specialement 
du  commerce  de  la  Seine  (4).  Des  ateliers  monetaires 
etaient  etablis  a  Lyon,  a  Aries  et  a  Treves  (5). 

Je  n'insisterai  pas  sur  les  ecoles  gauloises.  Des  le 
premier  siecle,  Autun  avait  des  ecoles  oil  la  jeunesse 
la  plus  iliustre  des  Gaules  se  livrait  aux  etudes  libe- 
rales  (6).  Les  luttes  d'eloquence,  dont  Lyon  etait  le 
theatre,  sont  restees  celebres.  Treves,  Bordeaux  et 
dans  la  suite  toutes  les  metropoles  eurent  des  ecoles 
et  des  rheteurs  illustres;  ceux  de  Bordeaux  ont  me- 
rite  d'etre  celebres  par  Ausone  (7).  II  sortit  de  ces 
ecoles  un  grand  nombre  d'ecrivains  dont  s'bonore  la 
literature  latine  :  le  gaulois  Trogue-Pompee  donna 
le  premier  modele  d'histoire  universelle,  et  un  autre 
Gaulois,  Petronius  Arbiter,  rut  renomme  entre  tous 

(1)  Notitia  dignitatum  imperil,  2e  partie,  p.  138,  edit,  (le  Ve- 
nise,  1593. 

(2)  Hist.  Nat.9TLlV,  8. 

(3)  Ibid.,  XVII,  /(. 

(A)  L'exislence  de  celle  coi-poration  est  aitestee  par  Tinscriplion 
que  Ton  Irouva,  an  xvmc  siecle,  dans  des  fouiiles  faitcs  au-dessous 
du  choeur  de  la  calh6drale.  Eile  elait  gravee  sur  unaulel  qu'avaient 
61eve  les  nautes  parisiens. 

(5)  Nolitia  dignilatum  imperil,  2C  partie,  p,  l/il,  edit,  de  Ve- 
nise,  1593. 

(6)  Tacile,  Annales,  III,  AO.  «  Augustodunum, nobilissimam 

Galliarum  sobolem ,  iiberalibus  studiis  ibi  operalam.  » 

(7)  Ausonii  burdigalenses  professores. 


ADMINISTRATION    ROMAINE.  XIX 

ies  ecrivains  du  premier  siecle  de  1'empire  pour  Tele- 
gance  de  son  style.  Cornelius  Gallus  avait  nitrite 
d'etre  compte  parmi  Ies  poetes  latins  a  I'epoque  de 
Virgile  et  d'Horace.  Plusieurs  Gaulois,  entre  autres 
Valerius  Asiaticus,  de  Vienne,  et  Domitius  Afer,  de 
Nimes,  tinrent  a  Rome  le  premier  rang  entre  Ies  ora- 
teurs  sous  Ies  regnes  de  Caligula  et  de  Claude.  Meme 
a  Tepoque  de  la  decadence,  Ies  Gaulois  Ausone,  Ru- 
tilius  Numatianus,  saint  Paulin,  rappelaient  par  1'e- 
legance  de  leur  style  des  temps  plus  heureux.  Saint 
Hilaire  avait  merits,  par  la  fougue  impetueuse  de 
son  genie,  le  surnom  de  Rhone  de  Eloquence. 

Rome  dut  aussi  a  la  Gaule  des  artistes  renommes. 
Le  gaulois  Zenodore  etait  celebre  pour  la  delicatesse 
avec  laquelle  il  modelait  des  figurines.  Ilsculpta  dans 
la  ville  des  Arvernes  une  statue  colossale  du  Mercure 
gaulois  (1).  Neron  1'appela  a  Rome,  et  1'artiste  gau- 
lois eleva  ,  au  pied  du  Capitole,  une  statue  de  I'em- 
pereur  haute  de  cent  dix  pieds  (2).  Ces  exemples  suf- 
firont  pour  prouver  que  la  Gaule  avait  ete  transfor- 
mee;  sesforets  avaient  fait  place  a  de  brillantes  cites  ; 
ses  fleuves  etaient  devenus  des  voies  de  commerce. 
En  echange  d'une  liberte  indisciplineeRome  lui  avait 
donne  Tunite  politique,  des  lois  sages,  des  commu- 
nications faciles,  des  ecoles,  le  gout  des  lettres  et  des 
arts  et  Ies  richesses  que  cree  1'industrie.  Mais  cette 
domination  etrangere,  fondee  sur  la  force,  devint 
tyrannique,  et  la  Gaule,  obligee  de  payer  le  luxe  des 


(t)Pline,  fl.  ]V.,  XXXIV,  18. 
(2)  Ibid. 


XX  INTRODUCTION. 

empereurs,  des  prefets  du  pretoire,  desgouverneurs, 
obligee  de  solder  les  armees  de  barbares  charges  de 
la  defendre,  fut  ecrasee  d'impots.  De  la  des  re- 
voltes,  la  rnisere  et  la  depopulation  et  enfin  la  ruine 
de  la  domination  romaine. 

L'empire  romain  s'appuyait  partout  sur  la  force 
des  armees.  Huit  legions  couvraient  la  frontiere  sep- 
tentrionale  de  la  Gaule  et  occupaient  des  camps 
(castra  sta£wa),ou  elles  etaient  soumises  a  une  disci- 
pline rigoureuse.  La  legion  etait  du  reste,  d'apres  le 
temoignagedesjuges  competents,  admirablement  or- 
ganisee.  Composee  d'infanterie  et  de  cavalerie,  de 
troupes  legeres  et  de  troupes  pesamment  armees,  elle 
trouvait  en  elle  toutes  les  ressources  necessaires  pour 
etablir  un  camp,  le  fortifier  et  y  soutenir  un  siege. 
C'etait  une  citadelle  vivante.  Les  empereurs  du  ive 
siecle  desorganiserent  ce  corps;  de  douze  mille 
hommes,  ils  le  reduisirent  a  six  cents.  Aulieu  de  lais- 
ser  les  troupes  campees  en  face  de  1'ennemi  et  dans 
des  postes  retranches,  ils  les  disperserent  dans  des 
villes,  ou  elles  se  corrompirent.  On  changea  les  ar- 
mes  des  legionnaires  qui  paraissaient  trop  pesantes  a 
ces  soldats  degeneres.  On  leur  donna  du  vin  au  lieu 
d'eau  acidulee  de  vinaigre.  Malgre  tons  ces  adoucis- 
sements,  le  service  militaire  paraissait  intolerable 
aux  populations  enervees  de  cette  epoque;  elles  ai- 
maient  mieux  se  mutiler  que  s'enroler  dans  les 
legions.  Peu  a  peu  on  fut  oblige  de  remplacer  les 
troupes  romaines  par  des  barbares  que  Ton  etablit 
sous  le  nom  de  tot  et  de  fcederati  dans  des  terres 
incultes  qui  leur  furent  concedees  pour  une  periode 


ADMINISTRATION    ROMA1NE.  XXI 

de  temps  plus  uu  moins  longue  et  quelqueibis  a  per- 
petuite. 

Rome,  en  cessant  de  conquerir,  avait  etc  obligee 
de  multiplier  les  impots.  Us  etaient  enormes  :  Tin- 
diction  frappait  lesterres,  la  capitation,  lespersonnes, 
le  chrysargyre  (impotd'or  etd'argent) ,  i'iudustrie.  Je 
ne  parle  pas  d'une  multitude  d'autres  exactions  qui, 
sous  differents  noms,  epuisaient  F empire.  II  suffira 
de  citer  le  texte  de  Lactance  qui  peint  dans  toute  sa 
profondeur  la  misere  de  1'epoque  :  «  Tellement  grande 
etait  devenue  la  multitude  de  ceux  qui  recevaient  en 
comparaison  clu  nombre  de  ceux  qui  devaient  payer, 
telle  1'enormitedes  irnpots,  queles  forces  manquaient 
aux  laboureurs,  les  champs  devenaient  deserts  et  les 
cultures  se  changeaient  en  forets...  On  mesurait  les 
champs  par  mottes  de  terre ;  on  comptait  les  arbres, 
les  pieds  de  vigne.  On  inscrivait  les  betes;  on  enre- 
gistrait  les  homines.  On  n'entendait  quo  les  fouets, 
les  cris  de  la  torture;  1'esclave  fidele  etait  torture 
contre  son  maitre,  la  femme  centre  son  mari,  le 
fils  contre  son  pere,  et,  faute  de  temoignage,  on 
les  torturait  pour  deposer  contre  eux-memes;  et, 
quand  ils  cedaient  vaincus  par  la  douleur,  on  ecri- 
vait  ce  qu'ils  n'avaient  pas  dit.  Point  d'excuse  pour 
la  vieillesse  ou  la  maladie;  on  apportait  les  malades, 
les  infirmes.  On  estimait  1'age  de  chacun ;  on  ajou- 
tait  des  annees  aux  enfants,  on  en  otait  aux  vieil- 
lards;  tout  etait  plein  de  deuil  et  de  consternation. 
Encore  ne  s'en  rapportait-on  pas  a  ces  premiers 
agents ;  on  en  envoyait  toujours  d'autres  pour  trou- 
ver  davantage,  et  les  charges  doublaient  toujours, 


XXII  INTRODUCTION. 

ceux-ci  ne  trouvant  rien,  mais  ajoutant  an  hasard 
pour  ne  pas  paraitre  inutiles.  Cependant  les  animaux 
diminuaientjeshomrnesrnouraient  et  1'on  n'enpayait 
pas  moins  1'impot  pour  les  morts  (1).  » 

Le  fardeau  des  impots  retombait  principalement 
sur  la  classe  moyenne  ou  classe  des  curiales  qui  etait 
chargee  de  la  perception.  Lorsqu'il  y  avait  deficit, 
ils  etaient  tenus  de  le  combler  avec  leur  propre  for- 
tune ;  de  la  les  efforts  des  curiales  pour  se  soustraire 
a  leur  condition,  efforts  qu'attestent  les  lois  romaines 
qui  les  enchainent  a  leur  poste.  Elles  leur  defendent 
de  s'enroler  dans  les  armees,  d'entrer  dans  le  clerge, 
de  quitter  meme  la  ville  ou  sont  situes  les  biens  qui 
leur  donnent  le  rang  de  curiales.  La  desobeissance 
est  punie  par  la  confiscation  de  leurs  biens.  Ruinee 
par  cette  oppression,  la  classe  des  curiales  disparut. 
Les  uns  se  firent  brigands  sous  le  nom  de  bagaudes, 
et  se  mirent  en  lutte  ouverte  centre  un  gouvernement 
tyrannique.  D'autres  tomberent  dans  les  classes  infe- 
rieures  et  meme  dans  1'esclavage.  La  depopulation 
allait  toujours  s'augmentant  (2). 

An  i\e  siecle,  le  panegyriste  Eumene  s'adressant  a 
rempereur  Constantin  atteste  combien  etait  deplo- 
rable 1'etat  des  Gaules.  «  Tu  as  pleure  sur  cette  con- 
Iree,  dit-il  a  1'empereur ;  car  tu  n'y  as  pas  vu,  comme 


(1)  Lanct.,  de  mortibrnpersccut.,  c.  7  et  23. 

(2)  Les  historiens  modernes  ont  Irail6  cette  question  si  complete- 
ment  qu'il  serait  superflu  d'y  insister.  Voy.,  entre  autres,  Guizot, 
Essais  sur  I'hist.  de  France ;  Nandet ,  des  changements  survenus 
dans  C  empire  romain  de  Diode lien  a  Constantin;  Anied.  Thierry, 
Histoire  de  la  Gaule  sous  C  empire  romain;  Laferriere,  Histoiredu 
droit  fran^ais ,  t.  L 


ADMINISTRATION    ROMAINE.  XXIII 

dans  les  autres  pays,  des  terres  bien  cultivees,  d'un 
acces  facile,  des  routes  spacieuses,  des  fleuves  navi- 
gables,  baignant  les  portes  memes  des  villes;  mais, 
depuis  le  coude  que  forme  la  voie  qui  se  dirige  vers 
la  Belgique,  tout  estdevaste,  inculte,  hideux,  plonge 
dans  le  silence  et  les  tenebres.  La  voie  militaire  est 
tellement  herissee  de  pierres  et  coupee  de  rochers 
et  de  precipices,  que  des  chariots  a  demi-pleins,  ou 
m erne  vides,  peuvent  a  peine  y  circuler  (1).  »  Com- 
ment s'etonner  decette  depopulation,  lorsque,  merne 
aux  portes  de  Rome,  dans  la  fertile  Campanie  (Cam- 
pania felix],  on  fut  oblige  de  retrancher  du  role  des 
contributions  528,042  arpents  de  terre  qui  restaient 
incultes  faute  d'habitants  (2). 

Ainsi  cette  administration  romaine,  qui  paraissait 
si  admirablement  organisee  et  qui  avait  produit  de  si 
grandes  choses,  aboutissait  a  la  ruine  des  provinces. 
Elle  perissait  par  ses  vices  avant  que  les  barbares  vins- 
sentlui  porter  les  derniers  coups.  Elle  laissa  cependant 
de  puissants  souvenirs.  Les  monuments  qu'elle  avait 
eleves,  ses  lois,  sa  langue,  la  plupart  de  ses  institu- 
tions resterent  debout  et  exciterent  I'admiration  des 
Merovingiens.  A  mesure  qu'on  s'eloigna  de  1'empire, 
les  abus  et  les  vices  de  ce  gouvernement  s'effacerent; 

(1)  «  Quibus  illacrymasse  te  ipse  confessus  es.  Vidisti  enim  non, 
ut  per  agros  aliarum  urbium,  omnia  fere  culta,  aperla,  florentia, 
vias  faciles,  navigera  flumina,  ipsas  oppidorum  porlas  adluentia; 
sed  stalim  ab  eo  flexu  e  quo  via  ducit  in  Belgicam,  vasta  omnia,  in- 
culta,  squalentia,  muta,  tenebrosa  ;  etiam  mililaris  via  sic  confra- 
gosa  et  alternis  monlibus  ardua  atque  praeceps  ut  vix  semiplena 
carpenta,  inlerdum  vacua,   transmittat.  »   Eumene,  Actions  de 
graces  rcnducs  a  I'empereur  Constant™,  chap.  7. 

(2)  Code  Theudosien,  liv.  XI,  lit.  28,  loi  2. 


XXIV  INTRODUCTION. 

on  ne  vit  plus  que  la  grandeur  de  Rome.  Les  bar- 
bares  de  genie,  Clovis,  Theodoric  et  surtout  Charle- 
magne chercherent  a  se  rapprocher  du  gouvernement 
imperial ;  le  moyen-age  fit  revivre  les  municipes  sous 
le  nom  de  communes,  et  les  societes  modernes  ont 
emprunte  a  Rome  son  droit  et  une  partie  de  ses 
institutions. 


§  III.  —  LES  BARBARES.  —  I/EGLISE. 

Les  barbares,  qui  renverserent  I'empire  romain, 
furent  impuissants  pour  organiser  sur  ses  ruines  une 
administration  monarchique.  Ce  qu'ils  aimaient,  c'e- 
tait  la  guerre  (1),  le  butin,  les  framees  et  les  che- 
vaux  distribues  apres  la  victoire  (2),  les  expeditions 
aventureuses  (3),  la  liberte  des  campagnes  (4),  les 
longs  festins  (5)  et  les  chasses  d'automne  au  milieu 
de  leurs  forets.  Sans  doute  on  ne  peut  nier  les  ser- 
vices qu'ils  ont  rendus  au  monde  degenere  :  la  li- 
berte un  peu  tumultueuse  de  leurs  assemblies  (6)  , 
le  jugement  par  les  pairs  (7),  et  meme  ce  sentiment 
moral  (8),  qui,  etoufle  un  instant  par  1'ivresse  de  la 
victoire,  devait  reparaitre  unjour,  dans  la  chevale- 
rie  religieuse  et  militairedes  croisades.  Mais  quant  a 

(1)  Tacite,  Germanic  ',  ch.  IZi. 

(2)  Ibid.,  13. 

(3)  Ibid.,  31. 


(5)1  hid.,  22. 
(6)/6iV/.,lletl2. 


(8)  Ibid.,  18,  7  et  8. 


GOUVERNEMEN'f  I)ES  BARBARE8.  XXV 

rorganisation  administrative  de  i'empire  romain,  elle 
leur  etait  odieuse  :  les  Francs  ne  voulurent  jamais 
se  soumettre a  I'impot;  pour  n'en  citerqu'une  preu- 
ve,  ils  arracberent  de  1'eglise  de  Treves  et  lapide- 
rent  Partbenius  qui  avait  tente  de  retablir  la  fis- 
calite  romaine  (1).  Avec  un  pareil  peuple,  toute  ad- 
ministration reguliere  etait  impossible. 

Vainement  les  rois  merovingiens  prirent  les  titres 
remains  de  patrices  et  de  consuls,  remplacerent  les 
peaux  de  betes  feroces,  leur  premiere  parure,  par 
la  toge  romaine  et  ceignirent  leur  front  du  diademe. 
Vainement  ils  etablirent  dans  les  provinces  des 
dues  et  des  comtes.  Au  lieu  d'etre  les  representants 
du  roi,  les  magistrats  francs  aspirerent  a  se  rend  re 
independants  dans  leurs  domaines.  foablis  au  mi- 
lieu de  serfs,  de  gallo-romains  et  de  leudes  ou  com- 
pagnons,  qui  relevaient  de  leur  puissance,  ils  ren- 
daient  justice,  faisaient  la  guerre,  battaient  monnaie, 
en  un  mot  ils  exercaient  tous  les  droits  de  souve- 
rainete.  S'ils  venaient  a  Tassemblee  nationale  ou 
mallum,  c'etait  pour  y  deliberer  en  armes  et  etouf- 
fer  quelquefois  par  leurs  murmures  la  voix  du  roi 
merovingien.  Un  passage  de  Gregoire  de  Tours 
donne  une  idee  de  ces  scenes  tumultueuses  (2).  II 
trace  le  tableau  de  1'assemblee  de  584,  ou  Teveque 
de  Reims,  Egidius,  Gontram  Boson  et  Sigiwald  vin- 
rent,  accompagnes  de  plusieurs  leudes  austrasiens, 
trouver  Gontram,  roi  de  Burgondie,  et  reclamer  les 

(1)  Gregoire  de  Tours,  ap.  Script,  rer.  gallic. ,  t.  II,  p.  202. 

(2)  Histoire  eccMsiastique  des  Francs,  liv,  VII,  ch.  14, 


XXV!  INTRODUCTION. 

villes  qu'il  avait  enlevees  a  son  neveu.  Ce  recit  mon- 
tre  a  quel  point,  un  siecle  apres  la  conquete,  la 
royaute  etaitimpuissante  en  face  de  1'aristocratie  des 
leudes. 

L'eveque  Egidius  prit  le  premier  la  parole  :  «  Nous 
remercions  le  Dieu  tout  puissant,  qui,  apres  tant  de 
traverses,  t'a  rendu,  roi  Gontram,  ates  provinces  et 
a  ton  royaume.  »  —  «  En  effet,  repondit  Gontram , 
nous  devons  rendre  grace  au  roi  des  rois,  au  sei- 
gneur des  seigneurs.  II  a  fait  ces  choses  selon  sa  mi- 
serieorde  :  non  pas  toi,  qui,  dans  un   dessein  per- 
tide  et  en  usant  de  parjures,  as  porte  la  flamme  dans 
mes  provices;   toi  qui  jamais  n'as  garde   ta  foi  a 
personne,  toi  qui  defends  partout  tes  artifices,   non 
en  prelre,  mais  en  ennemi  de  notre  royaume.  »  — 
La  colere  einpecha  1'eveque  de  repondre.  Mais  un 
autre  des  deputes  prit  la  parole  :  «  Ton  neveu  Chil- 
debert  te  prie  d'ordonnerqueles  villes  possedees  par 
ton  pere  lui  soient  rendues.  »  —  Sur  quoi,  le  roi  re- 
prit :  «  Je  vous  ai  deja  dit  qu'elles  sont  a  moid'apres 
nos  conventions,  et  que  jene  veuxpas  les  restituer.  » 
Un  autre  ajouta:  «  Ton  neveu  demande  que  tu  re- 
remettes  entre  ses  mains  Fredegonde,  afin  qu'il  venge 
la  mort  de  son  pere,  de  son  oncle  et  de  ses  cousins.  )> 
Mais  Gontram  repondit :  «  Je  ne  le  pourrais,  attendu 
qu'elle  a  pour  fils  un  roi.  De  plus,  je  ne  crois  pas 
vrai  ce  dont  vous  1'accusez.  »  Alors  Gontram  Boson 
s'avance  pour  parler;  mais  le  bruit  s'etant  repandu 
que  Gondovald  avait  etc  proclame  roi,  Grontram  Ta- 
postrophe  ainsi  :  «  Ennemi  du  pays  et  du  royaume, 
pourquoi  as-tu  passe  en  Orient  pour  appeler  ce  Bal- 


GOUVERNEMENT  DES  BARBARES.  XXVII 

lomer  (c'e"tait  le  nom  qu'il  donnait  a  Gondovald)  et 
1'amener  dans  nos  fitats?  Tu  as  toujours  ete  perfide, 
et  jamais  tu  n'as  su  tenir  ta  parole.  »  —  «  Tu  es  roi 
et  seigneur,  repliqua  Boson ;  tu  es  assis  stir  le  trone, 
et  personne  n'ose  contredire  ce  que  tu  avances.  Mais 
je  me  declare  innocent  de  ce  que  tu  m'imputes.  Que 
si  quelqu'un  de  mon  rang  m'a  accuse  secretement 
de  quelques  torts,  qu'il  se  presente  actuellement 
en  plein  jour,  et  qu'il  parle;  et  toi,  tu  soumettras  la 
cause  au  jugement  de  Dieu,  en  champ  clos.  »  — 
Chacun  se  taisant,  le  roi  reprit :  «  Tons  devraient 
rivaliser  d'ardeur  a  repousser  cet  etranger ,  en  pen- 
sant  que  son  pere  faisait  tourner  un  moulin.  Oui,  je 
vous  le  dis  en  verite;  son  pere  tenait  les  cardes  et 
epluchait  la  laine.  »  —  Un  des  deputes  osa  faire  re- 
marquer  au  roi  la  contradiction  de  ses  paroles :  «  Com- 
ment done!  d'apres  ce  que  tu  dis,  il  aurait  eu  deux 
peres,  1'un  meunier,  1'autre  ouvrier  en  laine.  Prends 
garde,  6  roi;  car  on  n'a jamais  ou'i  dire,  sauf  en  ma- 
tiere  spirituelle,  que  personne  put  avoir  deux  peres 
a  la  fois.  » 

A  ces  mots ,  1'assemblee  eclata  de  rire.  Enfin  un 
autre  depute  conclut  en  ces  termes  :  «  Nous  prenons 
conge  de  toi,  6  roi !  mais,  puisque  tu  n'as  pas  voulu 
restituer  a  ton  neveu  ses  villes,  nous  savons  que  la 
hache  qui  a  frappe  la  tete  de  tes  freres  n'est  pas 
encore  emoussee,  et  que  bientot  elle  abattra  la 
tienne. » 

II  partirent  apres  avoir  profere  ces  menaces ,  et 
le  roi,  coummce»  fit  jeter  sur  eux  du  fumier  et  des 
balavures  d'ecurie  ;  leurs  habits  en  furent  souil- 


XXVIII  INTRODUCTION, 


les,  et  ils  partirent  au  milieu  des  huees  de  1'assem- 
blee.  » 

Dans  une   societe  ou  ces  scenes   de   violence  et 
d'anarchie  etaient  continuelles,  il  n'y  avait  pas  d'ad- 
ministration   possible  :  les  voies    romaines    furent 
abandonnees,  et  Brunehaut  est  restee  celebre  pour 
en  avoir  fait  retablir  quelques  parties.  Des  epreuves, 
qu'on  appelait  le  jugement  de  Dt'eu,  decidaient  de 
la  eulpabilite  ou  de  1'innocence  d'un  accuse;    Tin- 
dustrie  se  reduisait  aux   metiers  de  premiere  ne- 
cessite,  et  le  commerce  ne  pouvait  se  faire   qu'a 
main  armee,    temoin  le  franc  Samon,  chef  des  ca- 
ravanes  de  marchands,  qui  se  frayaient  par  la  guerre 
un  chemin  a  travers  la  Germanie  et  allaient  jusqu'a 
Constantinople  (1).  Une  ordonnance  deDagobert  pour 
Vetablissement  de  la  foire  de  Saint-Denis  est  pres- 
que  le  seul  acte  administratif  de  cette  epoque  en  fa- 
veur  du  commerce  (2). 

La  vie  intellectuelle  s'etait  tout  entiere  refugiee 
dans  1'Eglise.  C'etait  le  Christianisme  qui  inspirait 
les  ecrivains,  et  qui  relevait  les  ames  en  leur  mon- 
trant  au-dela  des  tristes  epreuves  de  cette  vie  la  re- 
compense reservee  a  la  vertu.  Mais  son  role  ne  se 
borna  pas  a  cette  mission  toute  spirituelle;  la  reli- 
gion tut  le  lien  entre  les  vainqueurs  et  les  vaincus 
que  divisaient  les  baines  de  race  et  les  rivalites  d'in 
teret.  L'eveque,  devenu  \eddfenseur  de  la  rt^,prote- 
gea  la  population  urbaine  contre  la  violence  des  bar- 


(1)  Script,  rer.  gallic,  et  franc.,  t.  II,  p. 

(2)  76M.,1V,  627. 


INFLUENCE    DE    I/EGLISE.  XXIX 

bares.  Dans  les  campagnes ,  les  moines  donnerent 
1'exemple  du  travail  libre  consacre  par  la  reli- 
gion (1),  et  defricherent  une  partie  de  la  Gaule. 
L'affranchissement  des  esclaves  fut  encore  un  des 
bienfaits  du  Christianisme;  il  s'accomplit  insensible- 
ment  au  milieu  des  violences  qui  semblaient  devoir 
aggraver  et  perpetuer  la  servitude.  L'Eglise  avait  ou- 
vert  un  asile  a  tons  les  opprimes  et  spe*cialement  aux 
esclaves.  «  Quelquefois,  dit  saint  Augustin  (2),  ces 
hommes  soumis  a  un  joug  inique  se  refugient  dans 
1'Eglise  qui  leur  assure  la  liberte.  »  Beaucoup  de  ces 
esclaves  furent  ordonnes  clercs.  Le  n ombre  en  de- 
vint  si  considerable  que  les  conciles  s'en  emurent 
et  interdirent  les  ordinations  d'esclaves  (3) ;  nean- 
moins ,  elles  furent  si  frequentes ,  que,  du  temps  de 
Charlemagne  et  de  Louis-le-Debonnaire ,  beaucoup 
de  clercs  et  meme  d'eveques  etaient  d'origine  ser- 
vile (4).  A  cette  cause  d'affrancbissement  dont  1'in- 
fluence  a  ete  considerable,  il  en  faut  ajouter  plu- 
sieurs  autres  :  le  clerge  ne  cessait  de  repeter, 

(1)  La  regie  de  saint  Benolt  (ch.  XLVIII ,  de  opere  manuum 
quoticliano)  imposait  au   moins  six  heures  de    travail  manuel 
par  jour. 

(2)  «  Aliquando  illicito  jugo  et  improbo  subject!  fugiunt  ad  Eccle- 
siam  ,  qua  retinentur  ingenui  a  servitute.  »  Super  Joann.,  pars  I , 
tract.  IZu 

(3)  Voy.  le  canon  6e  du  concile  d'Orl^ans  tenu  en  549  (Collect, 
des  conciles  de  Labbe ,  V,  392).  Le  concile  de  Francfort  (794)  de"- 
fendaussi  ces  ordinations : «  De  servis  alienis  ut  a  nemine  recipiantur 
neque  Jib  episcopis  sacrenlur  sine  licentia  dominorum   (Ibid.,  VII, 
1061.)»Louis-le-Del)onnaire,en  renouvelant  ces  prohibitions  (Ibid., 
p.  1480),  constate  que  les  ordinations  d'esclaves  Etaient  frequentes: 
«  De  servorum  ordinatione,  qui  passim  ad  ecdesiasticos  gradus 
indiscrete  promovebantur.  » 

(4)  Tl^gan,  Vie  de  Louis-le-Debonnaire,  ch,  43. 

I.  3* 


XXX  INTRODUCTION. 

comme  1'avaient  fait  anterieurement  les  jurisconsultes 
remains,  que  tons  les  hommes  sont  egaux  (1);  il 
ajoutait  que  c'etait  une  oeuvre  meritoire  de  donner 
la  liberte  a  ses  esclaves  (2) ,  et  il  pratiquait  avec 
zele  ce  precepte  chretien.  Est-il  necessaire  de  rappe- 
ler  1'eveque  de  Toulouse,  saint  Exupere,  vendant 
les  vases  sacres  pour  racheter  les  captifs;  saint  Pau- 


(1)  Saint  Augustin,  Explication  du  psaume  12Zi  (edit,  des  B<§ne"- 
dictins,  t.  IV,  p.  1415)  :  «  Sunt  domini,  sunt  et  servi,  diversa  sunt 
nomina;  sed  homines  et  homines  paria  sunt  nomina.  »  —  Home- 
lie  Zi3e  du  meme  pere  sur  FOraison  dominicale :  «  Pater  noster, 
hoc  dicit  dominus,  hoc  dicil  servus  ejus.  Simul  dicunl :  Pater  nos- 
ter.  Intelligunt  ergoseesse  fratres.  »  —  Saint  Ambroise  parle  aussi 
de  Tegalile  de  tons  les  iiommes :  «  Eadem  nalura  omnium  mater  est 
hominum,et  ideo  fratres  sumus  omnes. »  (Ambros.,  de  Noe  et  area, 
XXVI,  §  9/i).  —La  meme  doctrine  est  souvenl  reproduite  par  les 
e"crivains  dumoyen-age:  Theodulfe,  e"veque  d'Orleans  £  Fepoquede 
Charlemagne,  exhorlant  les  esclaves  aobeMr  a  leurs  maitres,  dit  que 
ce  ne  sera  pas  d'apresleur  naissance,mais  d'apres  leurs  oeuvres,que 
les  hommes  meriteront   d'elre  recompenses :  «  Apud  Dominum 
anima  uniuscujusque  non  est  nobilitate  discernenda,  sed  opere  ; 
nee  genere,  sed  actione. »  (Ap.  Spicilegium,  I,  257). — Raban  Maure, 
dans  son  commentaire sur  la  premiere  epitre  de  saint  Pierre,  com- 
pare au  Christ  souffrant  les  esclaves  qui  supportent  avec  patience 
les  injures  et  les  mauvais  traitements  de  leurs  maitres :  «  Notan- 
dum  altentius  quam  summe  servorum  conditionem  glorificet,  quos 
benefacienteset  absque  culpa  vapulantes  a  dominiscrudelibus  etim- 
probis,  imitatores  esse  dominion  passionis  affirmat.  »  Ralhier  de 
Verone  (ap.  Veter.  script,  ampliss.  collect.,  IX,  806)  insiste  aussi 
sur  Fegalite  des  hommes  devant  Dieu  :  «  Sive  servus ,  sive  liber, 
omnes  in  Christo  unum  sumus ,  et  sub  uno  domino  aaqualem  servi- 
tutis  militiam  bajulamus,  quia  non  est  apud  Deum  personarum  ac- 
ceplio,  solummodo  in  hac  parte  apud  ipsum  discernimur,  si  melio- 
res  aliis  operibus  bonis  et  humiles  inveniamur.  » 

(2)  Greg,  de  Tours,  Hist,  eccle'siastiq.  des  Francs,  liv.  VI,  ch.  8. 
—  Lcttres  de  Gregoire-le-Grand ,  liv.  VII,  ep.  13.  — Cf.  Sma- 
radge,  au  chap.  30  du  traite  de  via  regia:  «  Inter  alia  praecepta  sa- 
lutaria  et  opera  recta 5  propter  nimiam  illius  charitatem,  unusquis- 
que  liberos  debet  dimittere  servos.  »  Ap.  Spicilegium,  in-f°,  1. 1, 
p.  258. 


INFLUENCE   DE   I/EGLISE.  XXXI 

lin  sc  sournettant  lui-meme  a  1'esclavage  pour 
delivrer  ses  freres  (1);  saint  Eloi,  eveque  de  Noyon, 
employant  ail  meme  usage  les  richesses  de  son  egli- 
se  (2) ;  Gregoire-le-Grand  affranchissant  tous  les  es- 
claves  des  domaines  ecclesiastiques?  Ce  pape  ecri- 
vait  (3)  :  «  Notre  redempteur  a  pris  notre  chair  pour 
nous  delivrer  de  Tesclavage  du  peche,  et  nous,  nous 
devons  rendre  a  la  liberte  ceux  qui  en  ont  ete  prives 
par  la  loi  des  nations.  » 

C'etait  ordinairement  dans  1'eglise,  en  presence  de 
1' eveque  que  les  affranchissements  avaient  lieu,  et  la 
formule  pour  le  salut  de  mon  dme  indique  assez  que 
la  religion  inspirait  la  plupart  de  cesactes  (4).  Ainsi 
1'Eglise,  pendant  qu'elle  prechait  aux  esclaves  la 
resignation  et  leur  montrait  la  celeste  patrie  comme 
recompense  de  leurs  souffrances  ici-bas,  travaillait 
avec  une  energique  perseverance  a  assurer  leur  eman- 
cipation. Mais  elle  ne  fit  pas  de  cette  revolution  un 
bouleversement  social;  elle  parvint  a  accomplir  le 
plus  grand  changement  dansl'etat  des  personnes  par 
la  conquete  progressive  des  ames  et  en  persuadant 
aux  maitres  de  renoncer  a  leurs  droits  et  d'affran- 
chir  eux-memes  leurs  esclaves  (5).  Des  le  xne  sie- 

(1)  Gr^goire-le-Grand,  Dialog.,  liv.  Ill,  c.  I. 

(2)  Vie  de  saint  £loi  par  saint  Ouen,  dans  le  Spicilfye;  ed.  in-f°, 
t.  I,  p.  628. 

(3)  Leltre  de  Gregoire-le-Grand,  liv.  VI,  lettre  12.  —  Voy.  ausssi 
la  Vie  dc  Gregoire-le-Grand,  par  Paul  Diacre,  liv.  Ill,  §  2. 

(7i)  Voy.  du  Cange ,  GLossarium  media?  et  infimce  latinitatis,  v° 
SERVUS. —  Martene,  Thes.  anecdot.,  I,  755  :  «  Notum  sit  omnibus, 
quod  ego  pro  remedio  meorum  peccaminum,  hoc  manumissionis 
instrument,  do  tibi,  servo  meo,  meam  liber latem,  etc.  » 

(5)  «  Jamais,  dit  Hugues  de  Saint-Victor,  1'Eglise  n'a  regard^  1'es- 


XXXII  INTRODUCTION. 

cle  1'esclavage  avait  completement  disparu  de  la 
France,  sous  1'influence  de  cette  douce  et  irresisti- 
ble persuasion. 

On  ne  peut  nier,  alavuede  pareils  resultats,  la 
salutaire  action  du  Christianisme  sur  la  societe.  Mais 
son  influence  a  ete  surtout  morale;  elle  a  contribue 
a  relever  les  ames  abattues ;  elle  a  ameliore  la  condi- 
tion des  classes  inferieures,  rapproche  les  rangs, 
eleve  a  la  dignite  d'hommes  des  etres  degrades  que 
1'antiquite  ne  considerait  que  comme  des  choses ;  elle 
a  donne  1'exemple  d'une  bierarchie  bien  constitute 
ou  1'autorite  etait  forte  sans  tyrannic  et  I'obeissance 
docile  sans  servilite.  Ses  assemblies,  animees  d'une 
vie  puissante,  discutaient  avec  calme  les  plus  hau- 
tes  questions  politiques  et  religieuses.  En  un  mot, 
1'Eglise  a  beaucoup  fait  pour  la  regeneration  mo- 
rale; mais,  quant  aux  details  de  1'organisation  admi- 
nistrative, elle  s'en  est  pen  occupee.  Imbue  de  1'es- 
prit  romain ,  elle  ne  cessa  de  favoriser  les  rois  qui 
voulurent  retablir  les  traditions  imperiales ;  Clovis, 
Dagobert,  Charlemagne  trouverent,  dansleclerge,  un 
auxiliaire  devoue.  II  semblait  avoir  pris  pour  devise 
les  vers  ou  Sidoine  Apollinaire  exprime  son  attache- 
ment  aux  mines  de  Tempire  (1)  :  «  Nous  croyons 

clavage  comme  un  bien ;  elle  n'a  fait  que  le  tole'rer  comme  un  mal.» 
Won  Ecclesia  quasi  bonum  recipit,  sed  quasi  malum  tolerat.  OEu- 
vres  de  Hugues  de  Saint-Vic  tor,  e"dit.  en  3  vol.  in-f° ;  Rouen,  1650, 
t.  I,  p.  M5  A. 

(1) «  Sanctumque  putamus 

Rem  veterem  per  damn  a  sequi ;  portavimus  umbram 

Imperil,  generis  content!  ferre  vetusti 

Et  vitia,  et  solitam  vestiri  murice  gentem 

Moremagisquam  jure  pati,»Sidon,  Apoll,,  Paneg,  Aviti^y.  540,  sq, 


CHARLEMAGNE.  XXXIH 

que  c'est  un  devoir  sacre  de  rester  fideles  aux  anti- 
ques traditions,  meine  au  milieu  des  desastres.  Nous 
supportons  le  poids  de  1'ombre  imperiale,  resignes  a 
souffrir  les  vices  de  cette  race  decrepite,  et  soumis 
par  habitude  au  joug  du  peuple  qui  se  revet  de  la 
pourpre.  »  Le  clerge  s'associa,  par  ses  voeux  et  son 
concours,  a  toutes  les  tentatives  de  restauration  de 
1'empire ;  mais,  quelque  puissant  qu'il  fut,  il  ne  put  en 
assurer  le  triomphe.  Ilconserva,  dumoins,  precieuse- 
ment  les  souvenirs  de  1'unite  imperiale  ,  et  plus  tard 
il  seconda  les  efforts  que  fit  la  royaute  pour  retablir 
I'administration  romaine  en  1'animant  d'un  esprit 
nouveau  (1). 


§  IV.  —  CHARLEMAGNE,  —  LES  CAPITULAIRES. 

Charlemagne  fut,  de  tous  les  rois  francs,  celui 
qui  tenta  le  plus  puissant  effort  pour  organiser  une 
administration  unitaire.  Ses  capitulaires  attestent 
a  la  fois  son  energie  et  son  impuissance.  II  retablit 
1'usage  des  assemblies  nationales,  tombees  en  de- 
suetude sous  les  derniers  Merovingiens.  Deux  fois 
par  an,  les  eveques  et  les  guerriers  francs,  convo- 
ques  par  1'empereur,  se  reunissaient  dans  un  champ 
de  mai,  pour  deliberer  sur  les  interets  publics;  mais 
1'assemblee  se  bornait  a  donner  un  avis;  Charle- 
magne se  reservait  exclusivement  la  decision  (2). 
Le  pouvoir  central  etait  fortement  coristitue. 

(1)  Voy.  le  §  VI  de  cette  introduction. 

(2)  Cf.  le  traite  d'Hincmar,  De  ordine  patatii, 


XXXIV  INTRODUCTION. 

La  principale  difficult^  consistait  a  faire  penetrer 
dans  les  provinces  les  ordres  du  souverain  et  a  en  as- 
surer 1'execution  :  depuis  longtemps  les  voies  de 
communication  etaient  abandonnees ;  les  chefs  francs, 
les  comtes  el  les  dues  s'efforgaient  de  se  rendre  inde- 
pendants  dans  leurs  domaines,  et  se  faisaient  preter 
serment  de  fidelite  par  leurs  vassaux.  II  s'etablis- 
sait  une  hierarchic,  qui  tendait  a  soustraire  a  1'auto- 
rite  de  1'empereur  la  plupart  des  guerriers  pour  les 
placer  sous  la  dependance  immediate  des  grands pro- 
prietaires.  Les  capitulaires  de  Charlemagne  attestent 
le  mal,  sans  oser  le  detruire,  tant  il  etait  profon- 
dement  enracine:  «  Quant  au  serment  de  fidelite,  on 
ne  doit  pas  le  preter  a  d'autres  qu'a  Tempereur  et  a 
son  propre  seigneur  (1).  »  Deja  la  puissance  du  sei- 
gneur sur  son  vassal  etait  reconnue. 

Charlemagne s'efforc.a,  du  moins,  d'attenuer  le  mal 
en  reconstituant  et  fortifiant  la  classe  des  homines  li- 
bres.  Un  grand  nombre  de  guerriers  francs,  d'ahri- 
mans,  avaient  ete  obliges,  au  milieu  des  violences 
d'une  societe  livree  a  1  anarchic,  d'implorer  la  pro- 
tection d'hommes  puissants.  Us  etaient  devenus  leurs 
vassaux.  Les  anciennes  formules  donnent  un  mo- 
dele  de  la  declaration,  par  laquelle  un  homme  libre 
se  plagait  sous  la  protection  ou  mainbour  (munde- 
burgis]  de  quelque  leude  capable  de  le  defendre  : 
«  Comme  il  est  bien  connu  de  tous  que  je  n'aipas  les 

(1)  De  juramento,  ut  nulli  alteri  per  sacramentum  fidelitas  pro- 
iirittatur,  nisi  nobis  et  unicuique  proprio  seniori.  Ap.  Script,  rer. 
gallic.  etfranc.,V9  613  A. 


ADMINISTRATION  DE   CHARLEMAGNE.  XXXV 

moyens  de  me  vetir  et  de  me  nourrir,  j'ai  demande  a 
votre  pitie,  et  telle  est  ma  volonte,  que,  selon  que  je 
pourrai  vous  servir  et  meriter  de  vous,  vous  ayez  a 
m'aideret  a  m'entretenir  d'habits  etd'aliments.  Et,  de 
mon  cote,  je  m'engage,  tantque  je  vivrai,  a  vous  ren- 
dre,  comme  un  homme  libre,  service  et  obeissance, 
et  a  ne  jamais  me  soustraire  a  votre  pouvoir  et  main- 
hour  9  mais  a  rester  tous  les  jours  de  ma  vie  sous  vo- 
tre protection  (1).  »  Lemainbord,  comme  on  disaitau 
moyen-age,  devenait  le  vassal  de  son  defenseur.  Ce 
fut  surtout  contre  cet  usage  qui  affaiblissait  1'auto- 
rite  monarchique,  que  Cbarlemagne  lutta  avec  plus 
de  vigueur  que  de  succes. 

L'empereur  prit  specialement  les  homines  libres 
sous  sa  protection ;  il  les  dispensa  de  faire  des  pre- 
sents aux  comtes  et  aux  vicomtes,  et  de  Hen  donner 
de  leurs  pres,  de  leurs  moissons  ni  de  leurs  vigno- 
bles;  il  les  exemptades  droits  que  percevaientles  ma- 
gistrats  pourfrais  de voyage, excepte  dansle  cas  ou  le 
service  de  1'empereur  1'exigerait  (2).  Les  homines  li- 
bres furent  egalement  dispenses  de  venir  aux  plaids 
ou  assemblies  que  les  comtes  tenaient  tous  les  mois, 
a  moins  qu'ils  n'y  fussent  int^resses  comme  deman- 
deurs  ou  defendeurs  dans  un  proces.  Les  scabini  et 
les  vassaux  du  comte  etaient  seuls  tenus  de  compa- 
raitre  a  ces  plaids  particuliers.  Enfm  Charlemagne 


.,  II,  A9/i. 

(2)  Ut  liberi  homines  nullum  obsequium  comitibus  faciant  nee 
vicariis,  neque  in  prato,  neque  in  messe,  neque  in  aralura  aut  vi- 
nea,et  conjectum  ullum  vel  residuum  eis  resolvant,excepto  servitio 
quod  ad  regem  pertinet,  Ap.  Script,  rer.  gall,  et  franc. ,  V,  666  E. 


XXXVI  INTRODUCTION. 

defendit  formellement  aux  puissants  d'employer  la 
violence  pour  contraindre  les  homines  libres  a  leur 
vendre  ou  a  leur  livrer  leurs  domaines. 

Afm  d'assurer  dans  tout  1'empire  1'execution  de  ses 
ordres,  Charlemagne  institua  des  magistrats  specia- 
lement  charges  de  parcourir  ses  etats  et  d'en  surveil- 
ler  1'administration.  Les  missi  dominici  devaient  vi- 
siter  quatre  fois  par  an  les  diverses  parties  de  F em- 
pire. Deux  de  ces  magistrats,  un  ecclesiastique  et  un 
laique,  parcouraient  ensemble  la  contree  soumise  a 
leur  inspection  et  que  Ton  appelait  missaticum;  ils 
y  e*taient  loges  et  entretenus,  ainsi  que  leur  escorte, 
aux  frais  des  habitants.  Aussitot  apres  leur  arrivee 
danslavilleprincipale,  ils  convoquaientune  assembler 
a  laquelle  les  eveques,  les  comtes  et  les  principaux 
leudes  de  la  contree  etaient  tenus  de  se  rend  re. 
Comme  les  missi  dominici  ne  pouvaient  inspecter 
par  eux-memes  toutes  les  parties  du  missaticum,  ils 
recueillaient  les  renseignements  capablesde  les  eclai- 
rer  et  de  suppleer  a  une  visite  personnelle  ;  ils  desi- 
gnaient  ensuite  des  subdelegues  (missi  inferiores] 
charges  de  visiter  les  diverses  localites.  Les  missi 
dominici  nommaient  encore  dans  ces  assemblies 
les  scabini,  qui  devaient  rendre  la  justice,  et  re- 
cevoir  les  plaintes  relatives  aux  impots  et  a  toutes 
les  parties  de  radministration.  Ils  pouvaient  punir 
les  magistrats  prevaricateurs,  et  on  les  voit  autorises 
par  les  capitulaires  (1),  a  s'etablir  chez  ceux  qui 

(1)  Si  vassus  nosier  justitias  non  fecerit,  tune  et  comes  et  missus 
ad  ipsius  casam  sedeant  et  de  suo  vivant,  quousque  jusliliam  facial. 
Ap.  Script,  rer.  gall,  et  franc.,  V,  647  E. 


ADMINISTRATION   DE   CHARLEMAGNE.  XXXVII 

n'obeissaient  pas  aux  lois  et  a  y  vivre  a  discretion 
jusqu'a  ce  qu'ils  se  soumissent  (1). 

La   surveillance   des  missi   dominici  embrassait 
tous  les  details  du  gouvernement,  justice,   service 
militaire,   finances,   commerce,  Industrie,   relations 
des  puissances  temporelle  et  spirituelle,  instruction 
publique.   Charlemagne,  au  milieu  de  ses  guerres 
perpetuelles,  nenegligeaaucunedeces  brandies  d'ad- 
ministration,  etles  capitulaires  sont  tres-souvent  des 
reponses  auxmissi  dominici  qui  consultaient  rempe- 
reur  sur  les  points  en  litige.  L'administration  de  la 
justice  fut  mise  en  harmonie  avec  1'orgam'sationd'un 
empire,  ou  la  pensee  souveraine  descendant  du  trone 
devait  dominer  en  tous  lieux.  Lesjuges,  au  lieu  d'etre 
comme  chez  les  Francs  des  racliimbourgs,  ou  jures 
charges  deprononcer  surle  sort  de  leurs  pairs,  devin- 
rent  des  magistrats  royaux.  L'ernpereur  put   exiger 
que  leurs  sentences  fussent  conformes  aux   lois  ecri- 
tes  (2).  II  recommande,  dans  ses  capitulaires  (3) ,  aux 
comtes   et  aux  vicomtes  de  connaitre  la  loi   pour 
empecher  qu'on  ne  prononce  des  sentences  injustes 
ou  que  la  loi  ne  soit  changee. 

Une  hierarchic  de  tribunaux  fut  etablie.  Le  cente- 


(1)  On  peut  consuller,  sur  les  missi  dominici ,  outre  les  Capitu- 
laires, un  traite  special  de  Fr.  de  Roye,  intitule  De  missis  domi- 
nicis.  (Angers,  1672,  in-A°.) 

(2)  Ut  judices  secundum  scriptam  legem  judicent.  Ap.  Script, 
rer.  gall,  et  franc.,  V,  660  A. 

(3)  Ut  eomites  et  vicarii  legem  sciant,  ut  ante  eos  injuste  nemi- 
nem  quis  judicare  possit,  \7el  ipsam  legem  mutare.  Ibid.,  664  E, 


XXXVIII  INTRODUCTION. 

nier,  ou  magistral  prepose  a  la  subdivision  du  comte 
appelee  centaine,  ne  pouvait  condamner  ni  a  1'escla- 
vage  ni  a  la  peine  de  mort  (1).  II  n'avait  que  la  basse 
justice.  Les  comtes  et  missi  dominici  recevaient  les 
appels  des  tribunaux  inferieurs,  et  jugeaient  les  af- 
faires capitales.  L'empereur  lui-merne  s'etait  reserve 
la  decision  dans  un  certain  nombre  decas.  Les  cau- 
ses des  eveques,  des  abbes,  des  comtes  et  en  general 
des  grands  etaient  portees  a  son  tribunal  (2),  et  il 
avait  seul  le  droit  de  prononcer  sur  ces  questions. 
Le  comte  du  palais,  qui  etait  le  grand  juge  de  1'em- 
pire  carlovingien,  ne  devait  s'occuper  de  pareilles  af- 
faires que  surl'ordre  de  1'empereur  (3). 

Comme  les  appels  auraient  pu  devenir  abusifs,  les 
capitulaires  y  mirent  des  restrictions  et  condamne- 
rent  a  des  peines  afflictives  ceux  qui  n'auraient  pas 
epuise  la  hierarcbie  judiciaire  avant  de  porter  leur 
cause  an  tribunal  de  1'empereur.  Pepin-le-Bref  avait 
deja  interdit  cet  abus  :  «  Si  quelqu'un  se  presente 
dans  notre  palais  pour  un  proces,  sans  1'avoir  porte 
anterieurement  au  tribunal  du  comte  dans  le  mallum, 
qu'il  soit  cbatie.  Dans  le  cas  ou  ce  serait  un  person- 


(1)  lit  nullus  homo  in  placito  centenarii  neque  ad  mortem  neque 
ad  libertatem  suam  amittendam  judicetur.  GapituL ,  ed.  Baluze, 
1.497. 

(2)  Voy.  le  capit.  d'Aix-la-Chapelle  de  Panned  812,  art.  2  :  «Epis- 
copi,  abbates,  comites  et  polenliores  quique,  si  causam  inter  se  ha- 
buerint  ac  se  pacificare  noluerint,  ad  noslram  jubeantur  venire  pira- 
sentiam.  »  Ibidem. 

(3)  Ibidem :  «  Gomes  palatii  nostri  potentiores  causas  sine  noslra 
jussione  iinire  non  prsesumat,  sed  tan  turn  ad  pauperum  et  minus 
potentium  justitias  faciendas  sibi  sciat  esse  vacaudum.  » 


ADMINISTRATION    DE    CHARLEMAGNE.  XXXIX 

nagc  eminent,  qu'il  restea  la  discretion  clu  roi  (1).  » 
La  nature  des  chatiments  est  nettement  indiquee 
dans  un  capitulaire  de  Charlemagne  :  «  Que  si  quel- 
qu'un  ose  reprendre  dans  le  mallum  un  proces  deja 
juge  et  qu'il  soit  convaincu  par  la  deposition  des  te- 
moins,  il  sera  condamne  a  payer  une  amende  de 
quinze  sous,  ouil  recevra  quinze  coups  de  baton  des 
scabini,  qui  auront  juge  anterieurement  son  af- 
faire (2).  »  Cependant  Charlemagne  etait  loin  de  se 
soustraire  au  devoir  de  juge.  Eginhard  atteste,  au 
contraire ,  qu'il  etait  sans  cesse  occupe  a  remplir 
cette  fonction  :  «  Pendant  qu'il  s'habillait,  il  ne  re- 
cevait  pas  seulement  ses  amis;  si  le  comte  du  pa- 
lais  lui  annongait  qu'il  y  avait  quelque  proces  qui 
nepouvait  etre  juge  que  par  lui,  il  ordonnait  d'in- 
troduire  immediatement  les  parties  (3).  »  Le  nom- 
bre  des  appels  etait  si  considerable  que  le  palais 
imperial  etait  trouble  par  les  cris  des  plaideurs  (4). 
La  legislation  carlovingienne  admettait  les  epreu- 
ves  et  principalement  Cepreuve  de  la  croix,  qui  cori- 
sistait  a  rester  le  plus  longtemps  possible  les  bras 


(1)  Si  aliquis  homo  ad  palatium  venerit  pro  causa  sua,  et  antea 
ad  comitem  non  innotuerit  in  mallo,  vapuletur.  Et  si  major  persona 
fuerit,  in  regis  arbitrio  erit.  Monumenta  Germanics  liistorica,  ed. 
Pertz ,  t.  Ill,  p.  31. 

(2)  Voy.  Capitula  addita  ad  legem  salicam,  ann.  803,  §  10  :  «Si 
quis  causam  judicalam  repetere  prassumpserit  in  mallo,  ibique  testi- 
bus  conviclus  fuerit,  aut  quindecim  solidos  componat,  aut  quinde- 
cim  ictus  a  scabineis,  qui  causam  prius  judicaverunt,  accipial.  » 

(3)  Eginhard,  Vie  de  Charlemagne ,  chap.  2Zi. 

(U)  De  clamaloribus  qui  magnum  impedimenlum  faciunt  in  pala- 
lio  ad  aures  domini  imperatoris.  Gapitul.  d'Aix-La-Ghapelle ,  de 
1'annee  810,  §  1.  Ap.  Baluze,  I,  473. 


XL  INTRODUCTION. 

etendus  en  croix.  Celui  des  plaideurs,  qui  supportait 
cette  epreuve  avec  le  plus  de  perseverance,  avait  gain 
de  cause.  «  S'il  s'eleve  a  1'occasion  des  limites  des 
etats,  dit  le  capitulaire  de  806  relatif  a  la  division  de 
1'empire  carlovingien  (1),  quelque  contestation  que 
Ton  ne  puisse  terminer  et  decider  par  le  temoignage 
des  hommes,  alors  nous  voulons  qu'on  ait  recours  au 
jugement  de  la  croix  pour  connaitre  la  volonte  de 
Dieu  et  la  verite  du  fait.  » 

Le  service  militaire  fut  regulierement  organise  par 
Charlemagne.  II  determina  ceux  qui  y  etaient  as- 
treints,  la  nature  des  armes  qu'ils  devaient  avoir,  les 
munitions  necessaires  pour  1'armee  et  fixa  la  duree 
des  campagnes.  Tout  proprietaire  de  quatre  manses  (2) 
devait  etre  pret,  a  la  premiere  sommation,  a  prendre 
les  armes  et  a  marcher  contre  1'ennemi.  Ceux  qui 
n'avaient  pas  quatre  manses  se  retinissaient  a  d'autres 
proprietaires,  de  maniere  a  fournir  le  contingent  (3). 
Les  armes  exigees  de  ceux  qui  devaient  le  service  inili- 
taire  etaient  une  lance,  un  bouclier,  un  arc,  deux 


(1)  «  Si  causa  sive  conlroversia  tails  inter  partes  propter  ter- 
minos  aut  confmia  regnorum  orta  fuerit,  qua3  hominum  testimo- 
nio  declarari  vel  defmiri  non  possit,  tune  volumus  ut  ad  declaratio- 
nem  rei  dubia3  judicio  crucis  Dei  voluntas  et  rei  veritas  inqui- 
ratur.  »  §  l/i.  Ap.  Baluze,  I,  Zi/iZi. 

(2)  La  contenance  du  manse  a  beaucoup  vane".  Cependant  on  Te"- 
value  ordinairement  a  douze  arpents. 

(3).  «  Ut  omnis  liber  homo,  qui  quatuor  mansos  vestitos  de  pro- 
prio  suo,  sive  de  alicujns  beneficio  habet,  se  praparet,  et  ipse  in 
hostem  pergat,  sive  cum  seniore  suo.  Qui  vero  tres  mansos  de  pro- 
prio  habuerit ,  huic  adjungalur  qui  unum  mansum  habeat ,  et  det 
illi  adjulorium  ut  ille  pro  ambobus  ire  possit ,  etc.  »  Voyez  le  Capi- 
tulaire de  §12,  ap.  Script,  rer.  gallic,  et  franc.,  V,  683  D, 


ADMINISTRATION    DE    CHARLEMAGNE.  XLI 

cordes,  douze  fleches,  une  cuirasse  et  un  casque  (1). 
On  leur  imposait  ^obligation  de  se  munir  de  vivres 
pour  une  campagne  de  trois  mois  et  de  vetements 
pour  six.  Les  missi  dominici  etaient  charges  de 
tenir  un  role  exact  de  tous  ceux  qui  possedaient  des 
benefices  et  du  nombre  d'hommes  domicilies  dans 
leurs  domaines  (2). 

Charlemagne  defendit  aux  seigneurs  de  lever  des 
hommes  d'armes  et  de  les  prendre  a  leur  solde ;  ce 
que  Ton  appelait  alors  se  faire  une  trust  ou  escorte 
guerriere  (3).  II  interdit  severement  les  guerres  pri- 
vees,  et  punit  de  l'emprisonnement  (4)  ou  meme  de 
la  mutilation  de  la  main  ceux  qui,  apres  avoir  pro- 
mis  d'observer  la  paix,  se  rendraient  coupables  de 
parjure  (5).  Ces  efforts  pour  lutter  contre  1'anarchie 
feodale  ne  purent  triompher  de  la  tendance  de  cette 
epoque  qui  avait  mis  la  souverainete  dans  les  mains 
des  petits  seigneurs  isoles ;  ilsavaientusurpe  le  droit 
de  guerre  privee,  et,  vers  la  fin  de  son  regne,  Char- 
lemagne fut  oblige  de  le  leur  reconnaitre : «  Siun  sei- 
gneur, dit-il  dans  le  capitulaire  rendu  a  Aix-la-Cha- 

(1)  Capital.,  ed.  Baluze,  1. 1,  p.  508  et  509. 

(fj)  Capit.  d'Aix-la-Chapelle  de  812,  §5  :  «  Ut  missi  nostri  dili- 
genterinquirant  et  describere  faciant,  unusquisque  in  missatico, 
quid  unusquisque  de  beneficio  habeat,  vel  quot  homines  casatos  in 
ipso  beneficio.  »  Ap.  Baluze,  I,  497. 

(3)  De  truste  facienda  nemo  praesumat.  Capilul.  ap.  Script,  rer. 
gall,  et  franc.,  V,  647  G. 

(A)  Si  quis  pro  faida  pretium  recipere  non  vult,  tune  ad  nos  sit 
Iransmissus,  et  nos  eum  dirigemus  ubi  damnum  minime  possit  fa- 
cere.  Ibid.,  p.  647-648. 

(5)  Sifaidosus  quis  sit ,  et  si  post  pacificationcra  allerum  oc- 

ciderit,  componat  ilium,  el  manum  quam  perjuravit  perdat ,  et  in- 
super  bannum  dominicum  solvat.  Ibid.,  p,  672  C. 


INTRODUCTION. 

pelle  en  813  (1)  ,  veut  avec  ses  fideles  marcher 
contre  ses  ennemis  et  qu'il  ait  convoque  quel- 
qu'im  de  ses  pairs  pour  lui  venir  en  aide,  dans  le 
cas  ou  ce  dernier  n'obeirait  pas,  il  doit  perdre  le  be- 
nefice qui  lui  a  ete  accorde,  et  sa  terre  sera  donn6e  a 
ceux  qui  seront  restes  fideles.  »  C'etait  s'avouer 
vaincu  et  proclamer  la  souverainete  des  seigneurs. 
Mais  le  mauvais  succes  ne  doit  pas  empecher  de  re- 
connaitre  ce  qu'il  y  eut  d'utile  et  de  vigoureux  dans 
les  essais  administratifs  de  Charlemagne.  II  en  fut  de 
meme  pour  les  monnaies,  les  peages,  la  surete  des 
communications  et  le  commerce. 

Les  comtes,  les  dues,  les  grands  proprietaires 
usurpaient  le  droit  de  battre  monnaie,  Charlemagne 
le  leur  interdit  et  defendit  de  battre  monnaie  ail- 
leurs  que  dans  son  palais  (2).  II  prohiba  les  pe- 
ages illicites,  qui  entravaient  le  commerce  (3). 
II  eut  voulu  etablir  1'egalite  de  poids  et  de 
mesures  qui  ne  devait  triompher  des  resistances  lo- 
cales que  dix  siecles  plus  tard  (4).  Les  ordres 
adresses  aux  gouverneurs  des  provinces  pour  veil- 

(1)  §  20 :  «  Si  quis  de  fidelibus  suis  contra  adversarium  sunm  pu- 
gnam  aut  aliquod  certamen  agere  voluerit,  et  convocaverit  aliquem 
de  ccmparis  (comparibus?)  suis  lit  ei  adjutorium  praebuisset,et  ille 
noluit  et  exinde  negligens  permansit ,  ipsum  beneficium  quod  ha- 
buit  auferatur  ab  eo,  et  detur  ei  qui  in  stabilitate  et  fi  deli  tale  per- 
mansit. »  Ap.  Script,  rer.  gallic,  et  franc.,  V,  688  A. 

(2)  De  falsis  monelis,  quia  in  multis  locis  contra  justitiam  et  con- 
tra edictum  nostrum  fiunt,  volumus  ut  nullo  atio  loco  moneta  sit, 
nisimpalatio  nostro.  Capit.  ap.  Script,  rer.  gall,  et  franc. ,  t.  V, 
p.  G73  E. 

(3)  Ibid.,  p.  664  D,  et  667  D. 

(4)  De  mensuris,  ut,  secundum  jussionem  nostram,^?m/^5  fiant. 
I6irf.,p.  663  E. 


ADMINISTRATION  BE   CHARLEMAGNE.  XLIII 

ler  a  la  surete  des  marchands,  attestent  la  sollici- 
tudc  de  Charlemagne  pour  le  commerce.  Les  stations 
nu'nagees  aux  marchands  etaient  reglees  :  au  nord, 
Magdebourg,Zell,Bardenwich(presdeHambourg);au 
centre,  Erfurt,  et,au  sud,  Ratisbonne  et  Lorch  sur  le 
Danube  (I).  Si  Charlemagne  interdit  les  ghildes, 
ou  associations  que  formaient  les  ouvriers,  c'est  qu'il 
y  avait  des  restes  de  paganisme  dans  les  ceremonies 
symboliques  par  lesquelles  on  les  consacrait;  mais 
il  ne  prohiba  nullement  les  associations  de  secours 
mutuels  contre  les  incendies  et  les  naufrages  (2). 

Je  n'insiste  pas  sur  1'administration  financiere  qui 
fut  toujours  la  partie  la  plus  faible  de  1'empire  fonde 
par  les  Francs.  Les  metairies  imperiales,  qui  for- 
maient le  domaine  de  1'empereur,  etaient  sa  princi- 
pale  richesse.  Aussi  Charlemagne  ne  les  a-t-il  pas  ne"- 
gligees.  Dans  un  capitulaire  special  sur  ses  melairies 
(devillis},  il  present  les  mesures  necessaires  pour  en 
assurer  la  bonne  administration.  Quant  a  la  regula- 
rite  des  impots,  que  les  rois  precedents  avaient  vain- 
nement  tente  d'etablir,  Charlemagne  ne  fut  pas  plus 
heureux.  II  se  borna  a  ordonner  que  partout  ou  Ton 
avait  droit  de  prelever  des  taxes  sur  les  personnes  et 
sur  lesbiens,  elles  fussent  pergues  au  profit  du  tresor 
royal  (3).  Mais  rien  n'etait  specific,  et  c'est  seulement 

(1)  Apucl  Script,  rer.  gall,  et  franc.,  t.  V,  p.  672  D. 

(2)  De  sacramentis  pro  ghildonia  invicem  conjurantibus,  lit  nemo 
facere  prassumat.  Alio  vero  modo  de  eorum  eleemosynis,  aut  de  in- 
cendio,  aut  de  naufragio,  quamvis  convenientiam  faciant,  nemo 
in  hoc  jurare  prsesumat.  Ibid.,  6!i7  D. 

(3)  Census  regalis,  undecumque  legitime  exiebat,volumns  ut  inde 
solvatur,  sive  de  propria  persona  horainis,  sive  de  rebus.  Ibid., 
p.  675  D. 


XHV  INTRODUCTION. 

dans  un  chroniqueur  posterieur  de  pres  d'un  siecle  et 
d'ailleurs  peu  cligne  de  confiance,  que  1'on  trouve 
des  details  precis  surune  partie  de  1'impot.  Le  moine 
de  Saint-Gall  fait  dire  a  un  personnage  qui  s'a- 
dresse  a  Charles-le-Gros  :  «  La  Germanie,  du  temps 
de  votre  glorieux  pere  (Louis  II  ou  le  Germanique), 
payait  un  denier  par  paire  de  boeufs  ou  par  manse 
des  possessions  royales  (1).  » 

Les  capitulaires  sont  remplis  de  details  sur  la 
discipline  ecclesiastique.  Charlemagne,  seconde  par 
Alcuin  et  les  hommes  les  plus  eminents  du  clerge, 
s'efforc.a  de  reprimer  les  abus  qui  s'etaient  introduits 
dans  1'Eglise.  II  defendit  aux  pretres  de  verser  le 
sang  (2),  d'aller  a  la  chasse,  de  parcourir  les  fo- 
rets  avec  des  chiens  et  d'entretenir  des  eperviers  et 
des  faucons  (3) .  Les  moeurs  feodales,  avec  leur  vio- 
lence et  leur  licence  grossiere,  commenc,aient  a  enva- 
hir  1'Eglise ;  Charlemagne  s'efforca  de  la  ramener  a 
une  discipline  plus  severe.  II  combla  de  biens  le 
clerge,  et  en  fit  un  instrument  puissant  de  civilisa- 
tion ;  mais,  en  meme  temps,  il  reprimait  1'avidite  de 
certains  clercs  qui  s'enrichissaient  au  detriment  des 
families.  «  Nous  les  prierons,>disait-il  (4),  de  nous 
expliquer  nettement  ce  qu'ils  appellent  quitter  le 
monde  et  prendre  Dieu  pour  son  partage;  si  c'est 
avoir  quitte  le  monde,  que  de  travailler  sans  cesse  a 

(1)  Ap.  Script,  rer.  gall,  et  fr.,  V,  126  E. 

(2)  Ut  sacerdotes  neque  christianorum  neque  paganorum  sangui- 
nem  fundant.  Capit.,  ed.  Baluze,  I,  191. 

(3)  Omnibus  servis  Dei  venationes  et  sylvalicas  vagationes  cum 
canibus,  et  ut  accipitres  et  falcones  non  habeant,  interdicimus. 

(4)  Tome  VII  du  recueil  des  conciles  par  Labbe,  p.  1180, 


ADMINISTRATION   DE   CHARLEMAGNE.  XLV 

augmenter  ses  revenus  en  promettant  le  paratlis,  et 
en  menagant  de  1'enfer  pour  persuader  aux  persou- 
nes  simples  de  se  depouiller  de  leurs  biens  et  d'en 
priver  leurs  heritiers  legitimes.  » 

Ranimer  les  lettres,  qui  depuis  plusieurs  siecles 
etaient  tombees  dans  un  e"tat  deplorc^ble,  fut  encore 
un  des  principaux  soins  de  Charlemagne.  Alcuin  1'y 
excitait  dans  ses  epitres  :  «  Peut-etre,  disait-il  (1), 
verra-t-on  se  former  une  nouvelle  Athenes,  et  meme 
bien  superieure  a  I'ancienne,  puisque,  sous  1'empire 
du  Christ,  elle  surpassera  la  science  de  1'Academie. 
L'unen'etait  eclaireequeparla  science  platonicienne; 
1'autre,  enrichie  par  les  dons  du  Saint-Esprit,  1'empor- 
tera  sur  la  sagesse  mondaine,  »  Ces  esperances  un 
peu  chimeriques  contribuerent  du  rnoins  a  reveiller 
le  gout  des  travaux  de  1'esprit.  Charlemagne  forma 
dans  son  palais  meme  une  ecole  oil  il  allait  s'asseoir 
et  discuter  avec  les  hommes  les  plus  eminents  de  1'e- 
poque,  les  Alcuin,  les  Eginhard,  les  Theodulfe,  les 
Angilbert,  etc.  II  ordonna  que  les  monasteres  et  les 
eglises  cathedrales  entretinssent  des  ecoles  (2); 
on  y  enseignait  le  chant,  la  musique,  le  calcul  et 
la  grammaire  (3).  Les  pretres  devaient  entretenir 
des  ecoles  j usque  dans  les  villages,  et  instruire  avec 
charite  tous  les  enfants  que  leur  confieraient  les  fa- 
milies, sans  exiger  aucune  retribution  (4).  On  a  pu 

(1)  £pit.  71 :  «  Forsan  Atlienae  nova  perficeretur  in  Francia ,  imo 
multo  excellenticr,  etc.  » 

(2)  Capitul.,  ed.  Baluze,  I,  201  et  suiv. 

(3)  Ibid.,  237. 

(A)  Voy.  le  capitulaire  cit6  par  Launoi  dans  son  trait£  De  scholis 
celebrioribus :  «  Presbyteri  per  villas  et  vicos  scholas  habeant ,  et, 
I.  4* 


XLVI  INTRODUCTION. 

nier  le  merite  des  oeuvres  litteraires  produites  par  les 
ecoles  carlovingiennes;  mais  ce  quiest  incontestable, 
c'est  que  les  esprits  jusqu'alors  engourdis  sortirent 
de  leur  torpeur,  et  que  le  mouvement  intellectuel, 
entretenu  par  les  disciples  d'Alcuin,  se  propagea 
jusqu'en  Germanie. 

Ainsi  Charlemagne ,  malgre  des  luttes  sanglantes 
et  perpetuelles  centre  les  barbares,  ne  negligea  au- 
cun  des  details  de  1'administration,  parcourant  sans 
cesse  son  vaste  empire  pour  porter  la  main  partout 
ou  redificemenacaitruine.  Les  mm"  dominici  etaient 
reellement,  sous  ce  regne,  les  yeux  et  les  oreilles  de 
1'empereur,  surveillant  I'execution  de  ses  ordonnances 
et  provoquant  les  reformes.  De  pareils  efforts  me- 
ritent  1'admiration;  dans  une  societe  ou  tout  etait 
divise  ,  Charlemagne  avait  voulu  tout  reunir  ;  la 
ou  il  y  avait  diversite  de  races,  de  langues,  d'inte- 
rets,  il  avait  voulu  creer  V unite  de  gouvernement  et 
d'administration.  Son  genie  seul  et  son  activite  mer- 
veilleuse  avaient  pu  triompher  momentanement  de 
pareilles  difficultes,  et  encore  fut-il  oblige  ,  vers  la 
fin  de  son  regne,  de  s'avouer  vaincu  et  de  faire  des 
concessions  aux  seigneurs  feodaux.  II  reconnut  leur 
droit  sur  leurs  vassaux  :  «  Que  personne,  disait-il 
dans  le  capitulaire  de  813  (1),  ne  quitte  son  seigneur 
des  qu'il  en  aura  rec,u  un  sou  ,  a  moins  que  le  sei- 


si  quilibet  fidelium  suos  parvulos  ad  discendas  litleras  eis  com  men - 
dare  vult,  eos  suscipere  ad  (ac?)  docere  non  renuant,  sed  cum 
summa  caritale  eos  doceant....  cum  ergo  eos  decent,  nihil  ab  eis 
pretii  pro  hac  re  exigant.  » 
(1)  Capitul,  d'Aix-la-Chapelle  (813),  §  16:  «  Quodnullus  seniorem 


CARLOVINGIENS.  XLVII 

gneur  ne  veuille  le  tuer,  le  frapper  d'un  baton,  atten- 
ter  a  1'honneur  de  sa  fernme  ou  de  sa  fille,  ou  enfm 
lui  enlever  son  heritage.  »  Le  vassal  est  deja  enchaine 
au  seigneur.  Le  temps  n'est  pas  loin  ou  un  petit-fils 
de  Charlemagne  enjoindra  a  tous  les  hommes  libres 
de  se  choisir  un  seigneur,  achevant  ainsi  la  ruine 
de  cette  classe  libre  que  1'empereur  avait  protegee 
pour  1'opposer  aux  empietements  des  leudes.  «  Nous 
voulons,  dit  le  capitulaire  de  Mersen  (847)  (1) ,  que 
chaque  homme  libre  receive  pour  seigneur  dans  no- 
tre  royaume  celui  que  lui-meme  aura  choisi.  »  Des 
lors  la  feodalite,  ou  le  morcellement  de  la  souverai- 
nete,  est  reconnue  et  proclamee  par  les  lois  memes 
des  Carlovingiens.  L'unit6  de  gouvernement  et  d'ad- 
ministration  est  abandonnee  pour  plusieurs  siecles. 


§  V.  —  FEODALITE.  —  OPPOSITION  DE  PRINCIPES 

ENTRE   LA   FEODALITE   ET  LA   MONARCHIE. 


«  Un  chene  antique  s'eleve,  1'oeil  en  voit  de  loin 
le  feuillage  ;  il  approche;  il  en  voit  la  tige;  mais  il 
n'en  aperc.oit  point  les  racines ;  il  faut  percer  la  terre 
pour  les  trouver  (2).  »  Par  eette  vive  image,  Montes- 

suum  dimittat,  postquam  ab  eo  acceperit  valente  solidum  unum,  ex- 
cepto  sieum  [senior]  vult  occidere,  aut  cum  baculo  caBdere,  vel 
uxorem  aut  filiam  maculare,  seu  hasreditatem  ei  tollere  » 

(1)  Volumus  ut  unusquisque  liber  homo,  in  nostro  regno,  senio- 
rem,  qualem  voluerit,  accipiat.  CapituL,  ed.  Baluze,  t.  II,  p./i^i. 

(2)  Montesquieu,  Esprit  des  lois,  liv.  XXX,  ch.  1. 


XLVIII  INTRODUCTION. 

quieu  peint  et  1'antique  origine  du  systeme  feodal  et 
ses  vastes  developpements  qui  avaient  penetre  et  en- 
vahi  la  societe  tout  entiere.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de 
remonter  jusqu'au  principe  de  la  feodalite,  de  rappe- 
ler  les  eompagnons  d'armes  (comites)  de  la  Germa- 
nic (1),  la  framee  et  le  cheval  de  bataille  dont  le  chef 
de  guerre  recompensait  leur  valeur  (2) ,  et  enfm  la 
transformation  de  ces  guerriers,  apres  la  conquete  de 
la  Gaule,  en  proprietaires  de  benefices  concedes  d'a- 
bord  pour  un  temps  et  devenus  bientot  inamovibles 
et  hereditaires.  Les  leudes  etablis  dans  leurs  domai- 
nes  s'y  rendirent  presque  independants.  Deja,  a  1'e- 
poque  de  Charlemagne ,  on  trouve  ces  seigneurs 
entoures  de  vassaux  ,  les  conduisant  a  la  guerre  et 
fore.ant  Tempereur ,  tout  puissant  qu'il  etait ,  de 
sanctionner  leurs  usurpations  (3) .  Sous  les  faibles  suc- 
seurs  de  Charlemagne,  les  dues  et  les  comtes  s'em- 
parerent  des  provinces  qu'ils  etaient  charges  de 
gouverner,  et,  apres  une  vaine  resistance ,  les  Carlo- 
vingiens  se  resignerent,  et  reconnurent,  par  le  capi- 
tulaire  de  Kiersy-sur-Oise  (877),  1'heredite  des  digni- 
tes,  comrne  anterieurement  on  avait  reconnu  1'here- 
dite des  benefices. 

Ce  qui  explique  les  progres  rapides  de  la  puis- 
sance feodale,  c'est  qu'elle  sauva  la  France  devastee 
par  les  pirates  scandinaves.  An  moment  ou  la  royaute 
avilie  abandonnait  la  defense  de  la  nation  ,  les  sei- 


(1)  Tacite ,  Mceurs  des  Germains ,  cli.  13. 

(2)Td.,  J6irf.,ch.  111. 

(3)  Voy.  plus  liaut,  p.  xxxiv,  XLI  et  XLII. 


XLIX 


gneurs  eleverentdetous  cotes  des  forteresses,  derriere 
lesquelles  leurs  vassaux  trouverent  un  asile.  Chaque 
domaine  feodal  devint  une  petite  souverainete  ,  ou  le 
seigneur  entoure  de  ses  homines  d'armes  exerc.a  les 
droits  regaliens,  battit  monnaie,  fit  la  guerre  et  jugea 
avec  les  pairs  de  son  fief.  A  une  epoque  ou  la  feo- 
dalite  etait  deja  sur  le  declin  ,  Beaumanoir  procla- 
mait  encore  que  «  chaque  baron  etait  souverain  dans 
sa  baronnie  (1).  »  La  feodalite  fut  par  consequent, 
comme  1'a  dit  M.  Guizot,  la  confusion  de  la  pro- 
priete  et  de  la  souverainete. 

Je  n'ai  pas  a  nVoccuper  ici  des  droits  feodaux,  ni 
du  soin  que  prenaient  les  seigneurs  pour  rendre  la 
propriete  territoriale  indivisible  et  inalienable  ,  pour 
conserver  la  souverainete  en  concedant  1'usufruit, 
pour  laisser  au  serf  et  au  colon  une  marque  indele- 
bile  de  la  cbaine  qu'ils  leur  avaient  impose'e.  II  suffit 
de  rappeler  le  caractere  de  ce  systeme  de  gouverne- 
nient  pour  prouver  1'impossibilite  d'une  organisa- 
tion administrative,  tant  qu'il  regnerait  en  France. 
Iln'y  avait  plus,  sous  le  regime  feodal,  ni  interets  com- 
muns,  ni  grands  travaux  d'utilite  ,  ni  armee  natio- 
nale,  ni  lois  generales  du  royaume,  ni  commerce  ,  ni 
Industrie;  tout  etait  divise,  entrave  par  des  coutumes 
locales  ,  par  des  peages  que  multipliaient  les  sei- 
gneurs, par  des  tailles  et  des  aides  arbitraires.  La 
justice  n'avait  d'autre  loi  que  la  coutume  tradition- 
nelle,  la  guerre  d'autre  limite  que  le  caprice  ou  la 
force  du  seigneur.  Les  historiens  des  xie  et  xne  sie- 

(1)  Coutumes  de  Bcauvoisis,  ch.  3/(. 


INTRODUCTION. 


cles  ont  rappele  les  resultats  de  la  feodalite  ;  on  peut 
en  croire  leur  temoignage. 

Guibert  de  Nogent,  ecrivain  de  la  fin  du  xie  siecle, 
retrace  ainsi  la  situation  de  la  France  avant  le  depart 
des  croises  pour  la  Terre  Sainte  (1095)  (1)  :  «  Le 
royaume  etait  en  proie  a  des  troubles  et  a  des  guerres 
perpetuelles.  On  n'entendait  parler  que  de  briganda- 
ges commis  sur  les  voies  publiques.  Les  incendies 
etaient  innombrables,  et  la  guerre  sevissait  de  toutes 
parts  sans  autre  cause  qu'une  insatiable  cupidite. 
Des  bommes  avides  ne  respectaient  aucune  propriete 
et  se  livraient  au  pillage  avec  une  audace  effrenee.  » 
Guillaume,  arcbeveque  de  Tyr,  qui  vivait  a  la  fin  du 
xne  siecle  ,  caracterise  cette  epoque  comme  Guibert 
de  Nogent  :  «  II  n'y  avait,  dit-il  (2),  aucune  securite 
pour  les  proprietes:  quelqu'un  etait-il  regarde  comme 
riche,  c'etait  un  motif  suffisant  pour  le  Jeter  en  pri- 
son, le  retenir  dans  les  fers  et  lui  faire  subir  de 
cruelles  tortures.  Des  brigands  ceints  du  glaive  as- 
siegeaient  les  routes ,  dressaient  des  embucbes  aux 
voyageurs  ,  et  n'epargnaient  ni  les  etrangers  ni  les 
hommes  consacres  a  Dieu.  Les  villes  et  les  forte- 
resses  n' etaient  pas  meme  a  1'abri  de  ces  calamites; 
des  sicaires  en  rendaient  les  rues  et  les  places  dan- 
gereuses  pour  des  gens  de  bien.  Moins  on  etait  cou- 
pable,  plus  on  etait  expose  aux  attaques  des  me- 
diants. » 

Enfin  Pierre  le  Venerable,  dans  une  lettre  adressee 


(1)  Histoire  de  la  croisade,  liv.  II,  ch.  7. 

(2)  Liv.  I,  ch.  8,  de  son  Histoire  des  croisades. 


F^ODALITfi.  LI 

a  saint  Bernard  (1),  se  plaint  de  la  tyrannic  des  sei- 
gneurs a  l'egard  des  paysans  et  des  serfs  :  «  Us 
ne  se  contentent  pas  des  services  qui  leur  sont 
dus  en  vertu  des  coutumes.  Us  revendiquent  sans 
pitie  les  biens  et  les  personnes  ,  les  personnes  et  les 
Liens  (2).  Outre  les  redevances  ordinaires,  ils  pillent 
trois  ou  quatre  fois  par  an  les  biens  de  leurs  serfs , 
leur  imposent  d'innombrables  corvees  et  des  far- 
deaux  intolerables.  Aussi  la  plupart  veulent-ils  deser- 
ter leur  pays  et  passer  dans  des  contrees  etrangeres. 
Ce  qu'il  y  a  de  plus  triste,  ajoute  Pierre  le  Venera- 
ble (3),  c'est  que  les  personnes  memes  rachetees  a  si 
haut  prix,  par  le  sang  du  Christ,  sont  vendues  pour 
un  vil  metal,  pour  de  1'argent.  » 

Comment  s'etonner  ,  apres  de  semblables  temoi- 
gnages  confirmes  par  1'histoire  tout  entiere  de  cette 
epoque,  que  la  feodalite  ait  ete  abhorree  comme  un 
systeme  anarchique?  La  royaute,  au  contraire,  qui 
delivra  la  France  de  la  tyrannic  feodale,  merita  1'a- 
mour  du  peuple,  auquel  elle  apparut  comme  un  sym- 
bole  d'ordre  et  de  paix.  Sans  retracer  ici  la  lutte 
longue  et  obstinee  qui  s'engagea  entre  ces  deux  prin- 
cipes  et  qui  remplit  une  grande  partie  de  I'histoire 
de  France ,  il  est  necessaire  de  montrer  comment  la 


(1)  Liv.  I  de  ses  e"pltres,  £p.  26. 

(2)  lies  cum  personis,  et  personas  cum  rebus  sibi  immisericordi- 
ter  vindicant. 

(3)  «  Quod  deterius  est,  ipsas  personas,  quas  tarn  caro  pretio,  hoc 
est  suo  Chrislus  sanguine  redemit,  pro  tarn  vili,  hoc  est  pecunia, 
venumdare  non  meluunt.  »  Ge  passage  vient  encore  a  Tappui  de  ce 
que  nous  avons  dil  plus  haut,  de  1'opposition  du  clerge  a  Tesclavage 
et  de  ses  efforts  pour  1'abolir. 


Ill  INTRODUCTION. 

monarchic  se  degagea  des  liens  dont  1'avait  chargee 
la  feodalite.  Libre  de  ces  entraves,  elle  put  transfor- 
mer le  royaume,  affranchir  le  peuple,  organiser  une 
armee  nationale,  creer  une  marine,  instituer  une 
administration  reguliere  de  la  justice,  et  developper 
toutes  les  richesses  de  la  France. 

La  feodalite  attachait  la  souverainete  a  la  propriete 
territoriale.  Elle  formait  une  hierarchic  dont  chaque 
membre,  depuis  le  dernier  feudataire  jusqu'au  sei- 
gneur suzerain,  avait  une  part  de  souverainete  inhe- 
rente  au  sol.  La  royaute,  au  contraire,  ne  recon- 
naissait  qu'un  souverain,  dont  le  droit  abstrait, 
independant  de  toute  propriete,  etait  fonde  sur  la  loi 
et  sur  la  religion.  Loi  vivante ,  representant  de  Dieu 
sur  la  terre  (1),  le  roi  n'admettait  point  de  partage  de 
1'autorite  supreme.  Sous  le  regime  feodal,  le  roi  de- 
vait  etre  confirme*  dans  sa  dignite  par  1'election  des 
pairs  ;  sa  puissance  etait  limitee  par  leur  assernblee  ; 
il  etait  oblige  de  respecter  les  droits  regaliens  des 
barons.  La  royaute  ne  se  degagea  que  lentement  et 
peniblement  de  ces  entraves.  Au  xi°  siecle,  le  sacre 
des  rois  conservait  encore  des  traces  de  1'election 
primitive;  les  grands  et  le  peuple  donnaient  leur 
consentement  en  s'ecriant  par  trois  fois  :  Nous  ap- 
prouvons,  nous  vou tons  qiCil  en  soil  ainsi  (2).  Aux 
epoques  decrise,  le  souvenir  de  1'election  primitive  des 

(1)  « Tmperatori  et  ipsas  leges  Dens  subjecit  Icgcm  animatam 
cum  mittens  hominibus.  »  Novell.  105,  cli.  2.  On  salt  que  la  royaute 
s'appuyait  sur  le  droit  remain  clans  sa  lutte  centre  la  feodalite". 

(2)  Voy.  le  proces-verbal  du  sacre  de  Philippe  Ier  (1059),  dans  la 
collection  des  Memoires  relatifs  a  Cfiist.  de  France,  par  M.  Guizot, 
t.  VII,  p.  89-91. 


ET   ROYAUTfi.  LI1I 

rois  etait  rappele  com  me  une  menace  pour  les  souve- 
rains  et  une  garantie  pour  les  peuples.  Ainsi,  dans  I'as- 
semblee  des  etats  de  1484,  le  seigneur  de  la  Roche 
declara  qu'originairement  les  rois  avaient  eteelus  (1). 
Les  agitations  democratiques  du  xvie  siecle  (2)  don- 
nerent  une  nouvelle  force  a  cette  theorie.  Mais  la 
royaute  et  les  legistes  qui  la  soutenaient  combatti- 
rent  energiquement  leprincipe  de  1'election,  et  firent 
triompher  la  theorie  du  droit  divin  (3).  Vainement 
Boulainvilliers  rappelait  encore,  an  commence- 
ment du  xvnr  siecle,  que  les  rois  n'eiaient 
primitivement  que  «  les  generaux  d'une  armee  libre 
qui  les  avait  elus  pour  la  conduire  dans  des  en- 
treprises  dont  la  gloire  et  le  profit  devaient  etre 
communs  (4).  »  On  ne  voyait  plus  la  qu'un  souvenir 
historique  altere  par  1'esprit  de  systeme  et  impuis- 
sant  contre  1'autorite  absolue  des  rois. 

La  royaute  feodale  etait  limitee  dans  1'exercice  de 
sa  puissance.  Elle  ne  pouvait  remplir  ses  fonctions 
judiciaires  qu'avec  le  concours  de  1'assemblee  des 


(1)  « Ilistoriee  praedicant  et  id  a  majoribus  meis  accepi,inilio,  do- 
mini  rerum  populi  suffragio  reges  fuisse  creates.  »  Journal  des 
6tats  dc  IZiSZi,  par  J.  Masselin,  p.  1A6,  publi6  dans  la  collection  des 
Documents  incdits  dc  t'/iisloire  de  France. 

(2)  Voy.  les  doctrines  democratiques  de  la  Boelie,  le  Franco- 
Gallia  d'llotman,  la  theocralie  democratique  de  Boucher  (de  justa 
Hcnricilll  abdicatione],  enfin  les  memoires  du  ligueur  Tavannes, 
t.  II,  p.  273,  6dit.  Pelitot. 

(3)  Voy.  dans  le  tome  II  de  cet  ouvrage,  p.  97,  plusieurs  passages 
des  Memoires  dc  Louis  XIV  et  de  la  poiitiquc  tiree  de  l'£criture 
Sainte  par  Bossuet. 

(A)  Hist,  de  Cancien  gouvernement  de  la  France,  edit,  in-f% 
p.  15etl6. 


LIV  INTRODUCTION. 

pairs  (1).  Les  impots  etaient  regies  par  les  us  et  cou- 
tumes ,  et  il  fallait  pour  entreprendre  une  guerre 
1'assentiment  des  barons  (2).  La  monarchic,  appuyee 
sur  le  droit  romain,  ne  tarda  pas  a  briser  ces  entra- 
ves,  elle  crea  des  pairs  en  vertu  de  son  droit  de  sou- 
verainete  (3),  transforma  leur  assemblee  en  la  con- 
fondant  avec  la  cour  du  roi  (4),  qui  devint  bientot  le 
parlement;  et,  lorsque  le  parlementreclama,  comme 
representant  les  pairs,  une  part  de  la  puissance  poli- 
tique,  il  fut  repousse  par  la  monarchic  qui  ne  voulait 
pas  de  limites,  et  par  la  noblesse  qui  dedaignait  ces 
gens  de  robe  et  d'ecritoire,  comme  les  appelle  Saint- 
Simon.  Vainement  le  meme  ecrivain  (5)  ,  tout  plein 
des  souvenirs  feodaux,  voudraitvoirrenaitreces  pairs 
du  royaume,  «  tuteurs  des  rois  et  de  la  couronne, 
grands  juges  du  royaume  et  de  la  loi  salique,  sou- 
tiens  de  1'Etat,  portions  de  la  royaute,  pierres  pre- 
cieuses  et  precieux  fleurons  de  la  couronne  ,  conti- 
nuation, extension  de  la  puissance  royale  ,  colonnes 
de  1'Etat,  moderateurs  ,  administrateurs  de  1'Etat, 
protecteurs  et  gardes  de  la  couronne.  »  Les  dolean- 


(1)  «  Nullus  de  regno  Francorum  debuit  jure  suo  spoliari,  nisi  per 
judicium  duodecim  parium.  »  Math.  Paris,  ad  ana.  1226. —  ((Con- 
cilium oplimatum,  quod  non  potest  aliquis  regum  Francorum  sub- 
terfugere.  »  Idem,  ad  ann.  1244.  —  «  Duodecim  pares  Franciae  ad 
quos  negotia  regni  spectant  ardna.  »  Idem,  ad  ann.  1257. 

(2)  u  Convocavit  rex  concilium,  cui  inlerfuerunt  omnes  proceres 
regni...  Placuit  sermo  baronibus  universis ;  spoponderunt  auxilium; 
solus  comes  Flandriae  negavit.  »  Guillelm.  Armoric.,  ap.  Script,  re- 
rum  gall,  et  franc.,  XVII,  88. 

(3)  Philippe-le-Bel  cre"a,  entre  autres  pairies,  celle  de  Bretagne. 
(U)  Voy.  plus  loin, -p.  20  et  suiv.  de  ce  volume 

(5)  Saint-Simon,  Utm.,  t.  XII,  p.  387. 


FfiODALITt    ET   ROYAUTfi.  LV 

ccs  de  Saint-Simon  ne  font  qu'attester  la  transforma- 
tion qu'avait  subie  le  royaumc.  L'administration 
monarchique  n'avait  laisse  subsister  en  France  qu'une 
volonte  sans  controle  et  sans  limites.  Louis  XIV  pou- 
vait  dire  a  son  fils  (1)  :  «  Dans  l'£tat  oil  vous  devez 
regner  apres  moi,  vous  ne  trouverez  point  d'autorite 
qui  ne  se  fasse  honneur  de  tenir  de  vous  son  origine 
et  son  caractere.  » 

L'influence  politique  de  la  conr  des  pairs  annulee, 
il  ne  resta  plus  de  puissance  capable  de  limiter  1'au- 
torite  royale.  Elle  leva  des  impots  a  sa  guise,  delegua 
le  droit  de  rendre  la  justice  sans  s'inquieter  des  pairs 
du  fief,  fit  la  guerre  et  la  paix  de  sa  pleine  puissance 
et  souveraine  autorite.  Bien  plus,  elle  voulut  enlever 
aux  seigneurs  feodaux  les  droits  regaliens  que  d'a- 
bord  elle  leur  avait  reconnus.  Saint  Louis  avait  ad- 
mis  le  principc  de  la  souverainete  feodale  en  la 
regularisant  et  en  la  subordonnant  a  1'autorite  royale. 
II  avait  laisse  au  baron  sa  justice  (2),  et  lui  avait 
meme  reconnu  le  droit,  dans  certaines  occasions,  de 
prendre  les  armes  contre  son  suzerain  (3).  Mais,  dans 
la  suite,  1'administration  monarchique  depouilla  peu 
a  peu  les  seigneurs  des  droits  regaliens.  Tel  fut  le  but 
constamment  poursuivi  par  tous  les  rois  dignes  de  ce 
nom,  depuis  saint  Louis  jusqu'a  Louis  XIV.  Au  xvne 

(1)  OEuvres  de  Louis  XIV,  t.  II,  p.  29. 

(2)  fitablissements  de  saint  Louis,  liv.  I,  ch.  24  :  «  Bers  (baron) 
a  toute  juslice  en  sa  terre,  ne  li  rois  ne  puet  inettre  ban  en  la  terre 
au  baron,  etc.  »  Beaumanoir  dit  aussi  au  chap.  31  de  la  Coutume 
dc  Eeauvoisis  :  «  Chacun  des  barons  est  mailre  en  sa  baronnie.  » 

(3)  Voy.  dans  les  titablissements  de  saint  Louis,  I,  Zi9,  le  cha- 
pitre :  De  semondre  son  lions  pour  alter  guerroyer  son  chief  sei- 
gneur. Le  vassal  devait  suivre  son  seigneur  meme  contre  le  suzerain. 


LVI  INTRODUCTION. 

siecle  ,  ils  firent  demanteler  les  chateaux-forts  der- 
riere  lesquels  s'abritait  la  feodalite  et  punirent  avec 
rigueur  toute  usurpation  de  puissance  souveraine. 
La  noblesse  pouvait  molester  les  vilains;  mais  exer- 
cer  un  droit  de  souverainete  etait  crime  capital.  «  La 
Bourlie,  dit  Saint-Simon  (1),  avait  quitte  1'armee, 
apres  avoir  servi  longtemps  et  s'e'tait  retire  dans  une 
terre  vers  les  Cevennes,  ou  il  se  mit  a  vivre  avec  beau- 
coup  de  licence.  Vers  ce  temps-ci  (1700),  il  fut  vole 
chez  lui,  il  en  soupgonna  un  domestique  ,  et,  sans 
autre  fagon,  lui  fit,  de  son  autorite,  donncr  en  sa  pre- 
sence une  cruel le  question.  Cela  ne  put  demeurer  si 
secret  que  les  plaintes  n'en  vinssent.  //  y  alloit  de  la 
tele;  La  Bourlie  sortit  du  royaume.  » 

En  attaquant  et  detruisant  le  principe  essentiel  de 
la  feodalite,  la  monarcfaie  conserva  longtemps  les 
ceremonies  feodales,  rhommage-lige  on  simple,  les 
grandes  dignites  de  connetable,  bouteiller,  pane- 
tier,  etc.  C'etait  une  parure  dont  elle  s'entourait  aux 
jours  de  pompe  et  qui  rappelait  son  origine  feodale ; 
mais  pen  a  pen  elle  se  depouilla  de  ces  gothiques 
ornements.  Les  fonctions  de  chambellans  ,  ecuyers, 
maitres  des  ceremonies,  gentilshommes  de  la  charn- 
bre,  etc.,  maintenues  et  multipliers  par  1'etiquette 
royale,  ne  furent  plus  attachees  a  un  fief  ni  heredi- 
taires  dans  les  grandes  families.  La  volonte  du  maitre 
put  en  decorer  quelque  gentilhomme  obscur,  un 
Lauzun,  un  Dangeau,  un  Cavoye.  Quant  aux  ceremo- 
nies feodales ,  la  tradition  s'en  perdait  si  complete- 

(1)  Saint-Simon,  Memoires,  1. 11,  p.  A23. 


ET   ROYAUTti.  LVII 

nient  qu'elles  e"  taient  devenues  un  sujet  d'etonnement 
pour  les  contemporains  de  Louis  XIV.  Ce  prince 
rec,oit-il  1'hommage  du  due  de  Lorraine,  Saint-Simon 
s'empresse  de  noter  tous  les  details  d'une  ceremonie 
tombee  en  desuetude  (1).  Quand  Louis  XIV  remplit 
de  loin  en  loin  les  fonctions  de  haut-justicier,  si  sou- 
vent  exercees  par  saint  Louis,  c'est  un  fait  extraordi- 
naire que  signalent  les  ecrivains  du  temps  (2). 

Dans  {'administration  provinciale,  meme  opposi- 
tion entre  la  feodalite  et  la  monarchic.  La  premiere 
attachait  a  la  possession  d'un  fief  les  fonctions  admi- 
nistratives  et  judiciaires.  Le  seigneur  feodal  etait  chef 
militaire,  juge  et  homme  de  guerre.  De  la  une  justice 
simple  et  souvent  meme  grossiere  dans  ses  formes ; 
on  en  appelait,  dans  les  circonstances  difficiles,  au 
jugement  de  Dieu.  ^'administration  monarchique 
s'eloigna  entierement  de  ce  systerne  de  gouverne- 
ment.  Bien  loin  d'attacher  1'exercice  des  fonctions 
judiciaires  et  administratives  a  la  possession  d'un  fief, 
elle  interdit  a  ses  baillis  et  a  ses  senechaux  d'acque- 
riraucun  domaine  dans  les  pays  soumis  a  leur  auto- 
rite  (3).  Elle  separa  les  fonctions  que  la  feodalite 
avait  confondues ,  et  institua  des  charges  speciales 
pour  1'administration  de  la  justice,  de  la  guerre  et 
des  finances.  Elle  mobilisa ,  si  je  puis  m'exprimer 
ainsi,  les  fonctions  que  la  feodalite  avait  localisees; 


(1)  Memoires  de  Saint-Simon,  t.  II,  p.  379. 

(2)  J6id.,p.  462-46/i. 

(3)  Voy.  Ordonn.  des  rois  dc  France,  t.  I,  p.  65,354,  399,  et 
t.  XII,  p.  M9. 


LVIII  INTRODUCTION. 

elle  leur  communiqua  son  caractere  de  droit  abstrait. 
Par  la  division  des  pouvoirs,  elle  prevint  Tabus  d'une 
autorite  qui  jugeait  et  executait  elle-meme  ses  sen- 
tences, et  elle  substitua  a  des  formes  grossieres  de  pro- 
cedure un  mecanisme  savant,  une  etude  approfondie 
des  lois  et  une  attention  vigilante  a  tous  les  details 
de  1'administration.  Aulieu  des  troupes  feodales,  reu- 
niesala  hate,  pour  peude  temps,  et  toujours  rnaldis- 
ciplinees,  elle  organisades  armees  permanentes,  qui 
protegerent  la  France  et  porterentau  loin  sesconque- 
tes.  La  feodalite  avait  isole  les  provinces ;  la  royaute  les 
rapprocha.  La  premiere,  ermemie  du  commerce  et  de 
I'industrie,  interceptait  les  communications  et  entra- 
vait  la  navigation  par  des  coutumes  barbares  (droits 
de  bris  ,  de  varech,  d'epave) ;  la  seconde  ouvrit  des 
routes,  creusa  des  canaux  et  des  ports.  Ainsi  les 
resultats  du  regime  feodal  et  de  I'administration 
monarchique  furent  aussi  differents  que  leurs  princi- 
pes  etaient  opposes. 

La  royaute  ne  se  borna  pas  a  eloigner  la  noblesse 
des  affaires ,  elle  livra  les  titres  aristocratiques  aux 
traits  satiriques  d'ecrivains  qu'elle  protegeait  et  en- 
courageait.  Moliere  les  couvrit  d'un  ridicule  ineffaga- 
ble,  et  le  defenseur  de  la  feodalite,  Saint-Simon, 
atteste  qu'on  rougissait  de  les  porter  au  commence- 
ment du  xviii6  siecle  :  «  Les  titres  de  comte  et  de 
marquis  sont  tombes  dans  la  poussiere  par  la  quan- 
tite  de  gens  de  rien  et  meme  sans  terres  qui  les  usur- 
pent,  et  par  la  tombes  dans  le  neant,  si  bien  meme 
que  les  gens  de  qualite,  qui  sont  marquis  ou  comtes, 


ET   ROYAUTfi.  LIX 

ont  le  ridicule  d'etre  blesses  qu'on  leur  donne  ce 
litre  en  parlant  a  eux  (1).  » 

Le  gentilhomine  campagnard  ne  fut  pas  plus  epar- 
gne  que  le  marquis  fat  et  bel-esprit.  On  se  moqua  de 
ses  prejuges  et  de  son  arrogance  indigente  :  «  Le  no- 
ble de  province,  inutile  a  sa  patrie,  a  sa  famille  et  a 
lui-meme,  souvent  sans  toit,  sans  habit  et  sans  aucun 
merite,  repele  dix  fois  le  jour  qu'il  est  gentilhomme, 
traite  les  fourrures  et  les  mortiers  de  bourgeoisie , 
occupe  toute  sa  vie  de  ses  parchemins  et  de  ses  litres 
qu'il  ne  changeroit  pas  contre  les  masses  d'un  chan- 
celier  (2).  »  La  justice  feodale  ne  paraissait  plus 
qu'im  reste  de  barbaric,  les  armoiries  qu'une  vaine 
ostenlalion.  «  On  les  voit,  dit  La  Bruyere  (3),  sur  la 
porte  de  leur  chateau,  sur  le  pilier  de  leur  haute-jus- 
lice ,  ou  ils  viennenl  de  faire  pendre  un  homirie  qui 
meritoit  le  bannissemenl.  » 

Ces  atlaques  dirigees  contre  la  feodalile  par  des 
ecrivains  devoues  a  la  cause  monarchique  montrent 
assez  quelle  etait  la  pensee  de  la  royaute  et  combien 
profonde  son  antipalbie  conlre  le  sysleme  feodal.  Les 
genlilshommes  eux-memes  ne  comprenaienl  plus  un 
regime  dont  ils  representaient  cependant  les  passions 
et  les  prejuges.  II  fallait  qu'on  leur  expliquat  1'ori- 
gine  et  le  sens  des  litres  feodaux  (i) ,  et  lorsqu'en 
1689  la  publication  de  F arriere-ban  appela  sous  les 


(1)  Saint-Simon,  Mtmoires,  t.  II,  p.  191. 

(2)  La  Bruy&re,  Caractbres,  chap.  De  Chomme. 

(3)  Ibid.,  chap.  De  la  ville. 

(4).  Voy.  dans  les  Me'moires  de  Saint-Simon  (t.  II,  p.  192)  une 
longue  dissertation  sur  le  titra  de  vidarne. 


LX  INTRODUCTION. 

drapeaux  les  nobles  campagnards ,  1'aristocratie 
tourna  en  ridicule  cette  derniere  image  du  systeme 
militaire  de  la  feodalite,  et  chansonna  le  gcntilliomme 
de  I' arriere-ban  (1),  comme  jadis  on  avait  ehansonne 
le  franc-archer  de  Bagnolet;  tant  etait  profonde  la 
chute  de  ce  regime  feodal,  longtemps  la  terreur  du 
peuple  et  de  la  royaute!  L'administration  monarchi- 
que  n'en  avait  laisse  subsister  qu'une  ombre,  redou- 
table  encore  pour  le  peuple,  mais  impuissante  contre 
1'autorite  souveraine. 

En  resume,  la  royaute,  faible  a  son  debut,  avait  eu 
pour  adversaire  une  puissance  qui  enveloppait  la 
France  entiere,  1'avait  combattue  pendant  six  siecles 
et  avait  fini  par  en  triompber.  Pour  expliquer  un 
succes  que  la  disproportion  des  forces  rend  si  extra- 
ordinaire, il  faut  se  rappeler  que  la  monarchic  eut 
pour  auxiliaires  dans  cette  lutte  le  clerge  et  les  com- 
munes. Ce  fut  avec  le  secours  de  1'Eglise  et  des  vi- 
lains  que  Louis  VI  triompha  des  principaux  vassaux 
du  duche  de  France  et  prepara  la  victoire  de  la  mo- 
narchic que  completerent  Philippe-Auguste,  saint 
Louis  et  Philippe-le-Bel. 


(1)  Voy.  la  leltre  de  Bussy-Rabutin  i  Mme  de  Sevigne ,  en  date  du 
13  mat  1689.  A  la  suite  se  trouve  la  ballade  qni  commence  ainsi : 
Dans  ma  maison  des  champs,  sans  chagrin,  sans  envie 


INTRODUCTION,  LXI 


§  VI.  —  REVOLUTION  COMMUNALE.  —  LA  ROYAUTE  A 
POUR  AUXILIAIRES  LA  BOURGEOISIE ,  LE  CLERGE  ET 
LE  SAINT  SIEGE.  —  PREMIERS  AVANTAGES  OBTENUS 
PAR  LA  ROYAUTE, 

Le  communes  durent  en  grande  partie  leur  eman- 
cipation a  la  royaute.  Tout  en  reconnaissant,  avec 
1'eminent  historien  du  tiers-etat  (1 ),  1'influence  de 
la  tradition  romaine  et  1'energie  des  bourgeois  qui 
dans  beaucoup  devilles  conquirent  leur  liberte,  on  ne 
pent  nier  que  la  royaute  ait  souvent  couvert  de  sa 
protection  les  libertes  communales  et  s'en  soit  fait 
un  auxiliaire  puissant  contre  la  feodalite.  Le  recueil 
des  ordonnances  atteste  rintervention  efficace  de 
Louis  VI  en  faveur  des  bourgeois.  Ce  prince  etablit 
la  commune  de  Mantes,  pour  s'opposer,  dit  son 
fils  (2) ,  a  F  oppression  des  paiwres.  Les  villes  de 
Soissons  (3)  et  de  Noyon  (4)  durent  aussi  a  Louis  VI 
leurs  cbartes  de  communes. 


(1)  Voy.  Considerations  sur  I'liistoire  de  France,  en  16 te  des 
Recits  des  temps  merovingiens,  par  Aug.  Thierry,  ch.  VI,  ainsi  que 
les  Lettres  sur  I'histoire  de  France  et  I'Histoire  du  Tiers-etat, 
par  le  meme  auteur. 

(2)  «  Pro  nimia  oppressione  pauperum,  communitatem  apud  Me- 
duntam  carissimus  genitor  noster  Ludovicus  statuit.  »  Charte  de 
Louis  VII,  dans  les  Ordonn.  des  rois  de  France,  XI,  197. 

(3)  Charte  de  Louis  VI,  dans  YAmplissima  collcctio,  T,  749. 

(ti)  «  Gommunionem  Novionensem  quam  avus  nosier  instituit.  » 
Charte  de  Philippe- Auguste,  dans  le  recueil  des  Ordonn.  des  rois  de 
France^  XI,  224. 


LXII  INTRODUCTION. 

L'heureuse  influence  de  cette  revolution  est  incon- 
testable :  elle  assura  1'emancipation  des  villes jusqu'a- 
lors  opprimees  par  les  seigneurs  (1).  Les  bourgeois 
associes  futent  en  etat  de  repousser  1'agression  (2) , 
de  se  soutenir  mutuellement  (3)  et  de  defendre  leurs 
droits  (4).  Les  guerres  privees  devinrent  moins  fre- 
quentes,  et  les  chartes  communales  furent  meme 
souvent  designees  sous  le  nom  ft  institutions  de 
paix  (5) .  La  bourgeoisie ,  chargee  des  affaires  de  la 
cite,  prit  1'habitude  de  1'administration  :  finances, 
justice,  commerce,  industrie,  tout  passa  parses 
mains,  et  ainsi  se  forma  une  pepiniere  d'hommes 
utiles,  qui  devinrent  plus  tard  d'habiles  conseillers 
de  la  royaute.  Voila  le  bien  du  systeme  communal. 
Le  mal  doit  aussi  etre  signale. 

Abandonnees  a  elles-memes ,  les  communes  au- 
raient  eu  pour  la  France  de  funestes  resultats;  elles 
Tauraient  divisee  en  une  multitude  de  petites  repu- 
bliques,  opposees  d'interet  et  le  plus  souvent  achar- 


(1)  «  Gravamina  quse  a  suis  dominis  patiebantur.  »  Amplissima 
collectioy  1 , 149. 

(2)  «  Leges  et  consuetudines ,  quas,  ob  injurias  hominum  per- 
versorum  propulsandas ,  illuslris  comes  Robertns  et  Carolns  co- 
mes.... indulserunt. »  Charte  relative  a  la  ville  d'Aire  en  Artois.  Ap. 
D'Achery,  Spicilegium,  III,  553. 

(3)  «Alter  alteri  auxiliabilur.  »  Ordonn.  des  rois  de  France, 
XI,  237. 

(4)  «  Ad  jura  sua  defendenda.  »  Ibid.,  320. 

(5)  « Inslitutionem  pads.  »  Ibid.,  185.  —  «  Contigit,  ob  pacem 
patrise,  nos  communiam  constituisse.  »  Ampliss.  collect.,  I,  7Zi9,— 
«  Pads  institutionem  et   communiam.  »   Ordonn.   des   rois  de 
France,  XI,  236.  —  «  Intuitu  pietatis  et  pacts  in  posterum  conser- 
vandae.  »  Ibid.,  262. 


COMMUNES.  LXHI 

ne"es  Tune  centre  1'autre.  L'ltalie,  la  terre  classique 
des  libertes  municipales,  en  fournit  la  preuve.  Quel 
spectacle  brillant  que  celui  de  Pise,  Genes,  Venise, 
Florence,  dans  leur  feconde  activite !  mais  aussi  que 
de  luttes  acharnees,  etenfm  quelle  impuissance  pour 
assurer  rindependance  de  1'Italie!  Le  meme  des- 
tin  attendait  les  communes  de  France,  si  la  royaute 
ne  les  eut  dominees.  Je  n'en  citerai  qu'un  exemple, 
mais  qui  suffira  pour  montrer  la  tenacite  de  ces  ri- 
valites  communales.  Au  xne  siecle,  Paris  et  Rouen 
etaient  capitales  de  deux  Etats  differents,  et  la  Nor- 
mandie  n'etait  pas  le  moins  puissant.  Ces  villes  se 
disputaient  le  droit  de  navigation  sur  la  Seine. 
Louis  VII  permit  aux  Rouennais,  en  1170,  de  con- 
duire  leurs  navires  jusqu'au  pont  du  Pecq;  mais  il 
exigea  que  pour  remonter  jusqu'a  Paris  ils  s'adjoi- 
gnissent  quelqu'un  des  membres  de  la  hanse  ou  as- 
sociation parisienne  (1).  De  leur  cote,  les  Rouen- 
nais interceptaient  la  Basse-Seine,  et  avaient  forme 
une  corporation  de  mariniers  dont  les  privileges 
etaient  aussi  exclusifs  que  ceux  des  Parisiens.  Cette 
rivalite  paralysait  le  commerce  et  rompait  une  des 
principales  arteres  de  la  France.  Lorsque  la  Nor- 
mandie  fut  conquise  par  Philippe-Auguste,  il  y  eut 
une  tentative  de  transaction  entre  Rouen  et  Paris; 
on  convint  que  les  marchands  rouennais  auraient  des 
associes  a  Paris,  et  reciproquement  les  Parisiens  a 
Rouen ;  ces  representants  des  deux  villes  pouvaient 
faire  en  leur  nom  toutes  les  operations  commerciales 

(1)  Ordonn.  des  rois  de  France, i.  IF,  p.  633. 


LXIV  INTRODUCTION. 

comme  si  les  marchands  eux-memes  y  eussent  ete 
presents  (1). 

Ces  associations  des  villes  commerQantes  etaient 
frequentes  an  moyen-age  et  avaient  produit  d'heu- 
reux  resultats.  Ainsi,  en  Allemagne,  Mayence  et  Co- 
logne, Augsbourg,  Ratisbonne  et  Vienne ,   s'etaient 
confederees  pour  la  navigation  du  Rhin  el  du  Danu- 
be (2).  Dans  le  midi  de  la  France  et  en  Italic,  Avi- 
gnon et  Saint-Gilles  (3) ,  Aries  et  Nimes  (4) ,  Mar- 
seille, Aries  et  Avignon  (5),  Grasse  et  Aries,  Nice  et 
Pise  ,    avaient   retire  de  grands  avantages  de  trai- 
tes  semblables  (6).   Mais,  entre  la   capitale   de  la 
France  et  celle  d'une  province ,  1'egalite  ne  pouvait 
pas  durer  longtemps.    Un  siecle  environ   apres  la 
conquete  de  la  Normandie,  Louis  XI  supprima  le 
privilege  commercial  des  Rouennais  en  se  fondant 
sur  rinteret  general  du  royaume.  «  Apres  avoir  en- 
tendu  les  raisons  des  deux  parties,  disait  le  roi  (7), 
nous  avons  reuni  les  maitres  de  notreparlement ;  nous 
avons   examine  les  lettres  de  donation,  concession 
et  confirmation,  et,  a  la  suite  d'une  discussion  ap- 
profondie  de  cette  affaire,  il  a  ete  evident  a  nos  yeux 
qne  les  privileges  des  Rouennais  entrainaient  de  graves 


(1)  Orel,  des  rois  de  Fr.,  t.  IV,  p.  87. 

(2)  Hulmann,  De  fetal  des  villes  au  moyen-dge  (allem.),  t.  IV, 
p.  103. 

(3)  Papon,  Hist,  de  Provence,  t.  II,  preuves,  p.  25. 
(U)  Mesnard,  Hist,  de  Ntmcs,  t.  I,  preuves,  p.  52. 

(5)  Papon,  Hist,  de  Provence,  t.  Ill,  preuves..  p.  12. 

(6)  Idem,  ibid.  t.  II,  p.  99;  t.  Ill,  p.  541. 

(7)  Olim ,  t.  II,  p.  622  et  suiv.,  dans  le  recueil  des  Documents 
imdits  relatifsal'liist.  de  France. 


COMMUNES    ET    ROYAUTE.  LXV 

inconvenientspourl'Etat  toutentier.  »LesRouennais 
reclamerent  centre  cette  decision  ;  et  de  la  naquit  un 
long  proces.  Au  milieu  des  troubles  du  xrve  siecle 
et  des  guerres  contre  les  Anglais,   la  royaute  avait 
grand  interet  a  menager  la  Normandie.  Elle  laissa 
trainer  cette  affaire ,  qui  ne  fut  de  finitivement  termi- 
nee  qu'apres  1'expulsion  des  Anglais  de  la  Norman- 
die.  A  cette  epoque,  Charles  VII,  s'elevant  au-dessus 
des  rivalites  mesquines  de  corporations,  declara  libre 
la  navigation  de  la  Seine  (1). 

Ce  fut  aussi  la  royaute  qui  transforma  la  bour- 
geoisie et  remplaca  1'esprit  etroit  et  exclusif  des  com- 
munes, par  un  sentiment  national  qui  embrassait  la 
patrie  entiere.  Des  le  xne  siecle,  la  royaute  apparais- 
sait  au  peuple  comme  le  symbole  vivant  de  1'ordre  et 
de  I'uuite  de  la  France.  Louis  VI  vit  se  ranger  sous 
sa  banniere  les  habitants  des  campagnes  conduits  par 
le  clerge  (2),  et,  grace  a  leur  concours,  il  dompta  les 
vassauxrebelles.  Sous  Philippe-Auguste  et  sous  saint 
Louis,  1'union  de  la  royaute  et  du  tiers-etat  devint 
encore  plus  etroite.  Les  milices  communales  eouvri- 
rent  de  leurs  corps  Philippe-Auguste  dans  les  plaines 
de  Bouvines  (3) ;  les  bourgeois  de  Paris  protegerent 


(1)  Voy.  p.  122  de  ce  volume,  note  6,  la  charte  ine"dite  de  Char- 
les VII,  qui  lermina  le  proces  entre  Rouen  et  Paris. 

(2)  «  Tune  communitas  in  Fraucia  (duche  de  France)  popularis 
statuta  est  a  prasulibus,  ut  preesbyleri  comitarentur  regi  ad  obsidio- 
nem  vel  pugnam  cum  vexillis  et  parochianis  omnibus.   »  Orderic. 
Vital.,  ap.  Script,  rer.  gall,  et  franc.,  XII,  705.  Suger  parle  aussi, 
dans  sa  Vie  de  Louis-le-Gros>  des  commnnitates  parochiarum. 

(3)  Voy.  page  13  de  ce  volume,  note  1.; 


LXVI  INTRODUCTION. 

1'enfancede saint  Louis (1)  et  fournirenta  Philippe-le- 
Bel  les  jurisconsultes  qui  devaient  afferrnir  1'autorite 
royale  et  organiser  1'administration  monarchique  (2). 
Ces  legistes  contribuerent  a  consolider  1' union  de 
la  royaute  et  du  tiers-etat.  Ce  futpar  leur  conseil  qu'en 
1302  les  deputes  des  villes  furent  appeles  a  prendre 
part  aux  affaires  publiques  en  siegeant  dans  les  etats- 
generaux.  Us  dirigerent  1'assemblee,  et,  sous  leur 
influence,  les  etats-generaux  seconderent  les  efforts  et 
assurerentle  succes  de  1'autorite  monarchique  (3). 

Le  clerge  ne  fut  pas  un  auxiliaire  moinsutile  de  la 
royaute.  Des  le  commencement  du  xne  siecle,  il  pre- 
cha  une  veritable  croisade  en  sa  faveur.  En  1 119,  les 
eveques  ordonnerent,  souspeined'excommunication, 
aux  pretres  de  leurs  dioceses  de  marcher  a  la  tete  de 
leurs  paroissiensau  secours  de  Louis  VI  en  lutteavec 
des  seigneurs  rebelles  (4).  Suger,  qui  rappelle  aussi 
ce  fait,  ajoute  «  que  le  roi  est  le  vicaire  de  Dieu, 
dont  il  porte  I'irnage  (5).  »  Le  clerge,  nourri 
des  traditions  romaines,  et  voyant  d'ailleurs  dans  le 

(1)  Joinville,  Recueit  des  hist,  de  France.,  XX,  202  :  «  Et  me 
conla  le  saint  roi  que  lui  et  sa  mere,  qui  estoient  a  Montleherry,  ne 
oserent  revenir  a  Paris ,  jusques  k  tant  ceux  de  la  ville  les  vinrent 
querir  en  armes;  et  me  conta  qne  des  Montleherry  esloit  le  che- 
min  plein  de  gens  a  armes  etsans  armes  jusques  a  Paris,  et  que  lous 
crioient  h  nostre  Seigneur  qu'il  lui  donnast  bonne  vie  et  longue,  et 
le  defendist  et  gardast  de  ses  ennemis. » 

(2)  Voy.  plus  loin,  ch.  Ill,  p.  49  de  ce  volume. 

(3)  Voy.  plus  loin,  p.  58. 

(U)  «  Episcopi  presbyteros  diocesis  suee  cum  parochianis  suis  ana- 
themale  percusserunt,  nisi  regis  in  expeditionem  statute  tempore 
festinarent. »  Order. Vital.,  ^U^L  Script,  rer.gatl.  ct  franc.. \.  Xllj 
p.  723  E. 

(5)  Viede  Louis-le-Gros ;  Ibid.,  p.  33. 


CLERGY   ET   ROYAUTE.  LXVII 

roi  Yoint  du  Seigneur,  parle  deja  de  la  monarchic  du 
xir  siecle  comme  d'une  autorite  redoutable  (1)  et  qui 
etend  au  loin  ses  mains  puissantes  (.2).  On  croirait 
presque  entendre  Bossuet  proclamer,  dans  sa  politique 
tiree  de  FEcriture  sainte  (3), «  que  le  prince  a  des  yeux 
etdes  mains  partout;  que  ses  longs  bras  vontprendre 
ses  ennemis  aux  extremites  du  monde  et  vont  les  de- 
terrer  au  fond  des  abimes.  » 

La  papaute  meme  qui,  dans  d'autres  pays,  combat- 
tait  1'autorite  seculiere,  se  montra,  malgre  quelques 
discussions  de  peu  de  duree,  favorable  aux  progres 
de  la  royaute  fraiiQaise.  11  suffit  pour  s'en  convaincre 
de  voir  dans  quels  termes  les  souverains  poutifes  en 
parlent  dans  leurs  bulles  :  «  C'est  un  soleil  de  foi, 
un  foyer  de  devotion,  un  miroir  de  bonnes  oeuvres; 
elle  brillepar  1'eclat  de  la  race,  lapurete  de  1'esprit, 
riche  en  honneursetmagnifique  en  oeuvres,  egalement 
remarquable  par  1'elevation  de  la  dignite  et  1'excel- 
lence  de  la  conduite  (i).  »  Dans  1'effusion  de  leur 


(1)  Suger,  ap.  Script,  rer.  gall,  et  franc.,  t.  XII,  p.  lii  :  «For- 
tissima  regum  dextera,  officii  jure  votivo,  reprimitur  tyrannorum 
audacia.  » 

(2)  Id.,  ibid.,  p.  42  D :  «  Scitur  regibus  longas  esse  manus.  » 

(3)  Edit,  de  18A3,  p.  370. 

(6)  Voy.  une  bulle  du  pape  Alexandre  IV  (25  avril  125A)  dans  le 
ms.  de  laBibl.  imp.,  appele  Cartulaire  de  saint  Louis,  t.  I,  f°  ll\  : 
«  Fidei  solem,  devotionis  ignem,  et  speculum  operum,  quibus  pra3-- 

fulget,  attendimus clarilate  sanguinis  rulilat ,  animi  puritale 

praelucet ;  magnum  quidem  est  (Franciae  solium)  et  dignitalis  ho- 
nore,  sed  geslorum  nobilitate  magnificum ,  conspicuum  allitudine 
status,  sed  prsecellentia  bonilalis  illustre.  »  —  Urbain  IV,  dans 
une  bulle  du  21  novembre  1261  (Ibid.,  i'°113) ,  faiUussi  1'eloge 
des  rois  de  France  :  « Inclytos  reges  Francia3 ,  utpote  speciales  de- 
fensores  fidei  et  libertatis  ecclesiaslicae.  » 


LXV1II  INTRODUCTION. 

tendresse  pour  les  rois  de  France,  fits  ainds  de 
glise,  les  papes  leur  accorderent  des  privileges  con- 
siderables, 1'exemption  de  toute  excommunication  (1 ) 
et  le  droit  de  faire  arreter  les  clercs  (2).  Plus  tard  les 
concordats  donneront  aux  rois  de  France  la  disposi- 
tion de  tous  les  benefices  ecclesiastiques  (3).  Un  pa- 
reil  secours  contribua  puissamment,  on  n'en  peut 
douter,  aux  progres  de  la  monarchic  franchise. 

Des  le  commencement  du  xne  siecle,  Louis  VI  en- 
treprit  une  lutte  contre  les  vassaux  directs  du  duche 
de  France,  et  parvint  a  les  dompter.  Le  chateau  de 
Montlhery,  qui  avait  ete  si  longtemps  un  asile  de 
bandits,  fut  demantele  (4).  Le  seigneur  du  Puiset, 
terreur  de  la  Beauce  et  du  pays  chartrain,  eprouva 
aussi  la  force  de  la  puissance  royale,  soutenue  par  le 
clerge  et  le  peuple  (5).  II  en  fut  de  meme  des  Mont- 
morency,  des  Montfort  et  des  autres  seigneurs  du  du- 
che de  France.  Apres  ces  importants  succes,  Louis  VI 
put  intervenir  avec  vigueur  dans  les  affaires  ge- 
nerales  du  royaume,  tenir  tete  au  due  de  Normandie, 
roi  d'Angleterre,  punir  les  meurtriers  du  comte  de 
Flandres  (6),  et  repousser  1'empereur  Henri  VI  a  la 
teted'une  armee  oul'on  vit  se  presser  sous  1'etendard 


(1)  Cartulaire  de  saint  Louis,  f  76,  77,  79,  80,  81,  82,  83,  89, 
90,  92,  97. 

(2)  I  bid.,  f°  78. 

(3)  Voy.  dans  ce  volume,  chap.  VIII,  p.  146. 

(4)  Vie  de  Louis-le-Gros  par  Suger,  ap.  Script,  rer.  gall,   et 
franc.,  t.  XII,  p.  16. 

(5)  Ibid.,  p.  32-41. 

(6)  Ibid.,  p.  55. 


PROGRfcS    DE    LA    ROYAUTE.  LX1X 

royal  tous  les  grands  vassaux  de  la  couronne  (1).  Su- 
ger  trace,  dans  un  langage  un  peu  emphatique,  le 
tableau  de  cette  armee  vraiment  nationale  :  «  Quand 
nous  nous  fumes  rassembles  a  Reims,  le  nombre  des 
troupes  a  pied  et  a  cheval  etait  si  grand  qu'elles  pa- 
raissaient  devorer  la  surface  de  la  terre.  Les  seigneurs 
firent  une  premiere  division  des  habitants  de  Reims 
etde  Chalons,  quipassait  soixante  mille  combaUants, 
tant  a  pied  qu'a  cheval;  la  seconde  qui  n'etait  pas 
moins  nombreuse,  comprenait  ceux  de  Laon  et  de 
Soissons ;  la  troisieme  ceux  d'Orleans,  d'Etampes  et 
de  Paris,  avec  la  nombreuse  armee  devouee  a  Saint- 
Denis  et  a  la  couronne,  ou  le  roi  voulut  etre  en  per- 
sonne.  Le  comte  palatin  Thibaud,  avec  son  oncle 
Hugues  de  Troyes,  formait  la  quatrieme  division ;  le 
due  de  Rourgogne,  avec  le  comte  de  Nevers,  la  cin- 
quieme;  Raoul  de  Vermandois,  entoure  d'une  bril- 
lante  chevalerie  et  de  la  bourgeoisie  de  Sain t-Quen tin, 
armee  de  casques  et  de  cuirasses,  devait  former  Taile 
droite;  ceux  de  Ponthieu,  d'Amiens  et  de  Reauvais, 
etaient  destines  a  1'aile  gauche  (2).  »  II  ne  manquait 
guere  que  les  seigneurs  du  midi.  Le  mariage  du  fils 
de  Louis  VI  avec  Eleonore  de  Guienne  ne  tarda  pas 
a  soumettre  1'Aquitaine  au  roi  de  France. 

Compromis  par  les  fautes  de  Louis  VII  (1137- 
1180),  le  progres  de  la  royaute  reprit  son  cours, 
lorsque  Philippe  -  Auguste  fut  parvenu  au  trone 
en  1180. 

(1)  Viede  Louis-le-Gros  par  Suger,  ap.  Script,  rer.  gait,  et 
franc.,  t.  XII,,  p.  51. 

(2)  Ibid. 


LXX  INTRODUCTION. 

En  resume,  pendant  les  sept  siecles  qui  avaient 
suivi  la  chute  de  ('empire  remain  d'Occident,  la  France 
avait  manque  d'unite  :  elle  avait  rec,u  de  Rome  les 
municipes,  le  droitet  des  principes  d'organisation  re- 
guliere;  de  la  Germanic,  des  germes  feconds,  liberte 
dans  les  jugements,  liberte  dans  les  assemblies  poli- 
tiques;  le  christianisme  avait  aboli  1'esclavage,  rap- 
proche  les  races  hostiles  et  conserve  la  purete  morale 
au  milieu  d'une  epoque  d'anarchie  et  de  violences. 
Charlemagne  avait  tente  de  porter  1'ordre  dans  ce 
chaos;  il  avait  echoue,  malgre  son  genie,  dans  ses 
efforts  pourrelever  1'empire  romain  ;  mais,  du  moins, 
il  avait arrete  les  invasions  des  barbares  et  donneaux 
peuples  de  1'Europe  occidentale  la  stabilite,  sans  la- 
quelle  tout  progres  est  impossible.  La  Feodalite,  qui 
avait  detruit  en  partie  1'oeuvre  de  Charlemagne,  avait, 
comme  lui,  repousse  les  barbares;  les  Hongrois,  les 
Slaves,  les  Sarrasins,  les  Normands  avaient  trouve  la 
France  deHugues  Capet  herissee  de  chateaux-forts  et 
n'avaient  purenouvelerles  devastations  du  cinquieme 
siecle.  Grace  a  la  chevalerie  la  rudesse  des  moeurs 
s^etait  polie  et  la  force  avait  souvent  ete  consacree  a  la 
defense  de  la  faiblesse.  Enfin  les  communes,  asile  et 
berceau  de  la  liberte  municipale,  avaient  vu  s'elever 
une  bourgeoisie  enrichie  par  le  commerce  et  par  1'in- 
dustrie.  4insi  s'etaient  formes  les  elements  de  la 
France,  noblesse,  clerge,  tiers-etat;  mais  ces  elements 
etaient  epars;  il  fallait  qu'une  puissance  superieure 
les  unit  et  en  fit  une  nation.  Ce  fut  1'oeuvre  de  la 
royaute.  Sous  Louis  VI  et  Suger,  elle  avait  etabli 
son  autorite  dans  le  duche  de  France.  Elle  commence, 


Ml  M  Ml- 


LXXI 


sous  Philippc-Auguste,  une  lutte  qui  devait  durer  plu- 
sieurs  siecles,  centre  les  puissances  qui  morcelaient  la 
France  et  qui  entravaient  son  developpement.  C'est 
cette  lutte  et  ses  resultats  que  je  me  propose  d'ex- 
poser. 


HISTOIRE 

DE 

L'ADMINISTRATION  MONARCHIQUE 

EN  FRANCE. 
CHAPITRE  PREMIER. 


Sommaire. 

PHILIPPE-AUGUSTE  (1180-1223).  —  Etat  de  la  France  a  I'ave'- 
nement^de  Philippe-Auguste  (11 80).  — Union  de  la  royaute 
a\ec  1'Eglise  et  les  communes.  — Testament  de  Philippe- 
Auguste  (1190);  organisation  administrative  du  duche  de 
France.  —  Suppression  de  la  dignite  de  grand-senechal 
(1191).  —  Des  grands  officiers  de  la  couronne  a  cette  epo- 
que.  —  Cour  des  pairs.  — Lutte  de  la  royaute  centre  la  feo- 
dalite;  reunions  territoriales  ;  victoire  de  Bouvines.  — 
Troupes  mercenaires ;  flotte  de  Philippe-Auguste. — Ordon- 
nance  relative  au  partage  des  fiefs. — Monuments  eleves  par 
Philippe-Auguste.  —  Fondation  de  1'Universite  de  Paris 
(1200;.  —  Relations  entre  les  deux  puissances  temporelle  et 
spirituelle.  —  Louis  VIII  (1223-1226) ;  reunions  territoria- 
les. —  Arret  de  1224  qui  modifie  Torganisation  de  la  Cour 
des  pairs.  

A  I'avenement  de  Philippe-Auguste  (1180),  la 
France  ne  formait  pas  un  royaume,  mais  une  ag- 
glomeration de  principautes  feodales,  dont  le  duche 
de  France  n'etait  pas  la  plus  puissante.  Sans  entrer 
dans  des  details  minutieux  que  ne  comporte  pas  cet 
ouvrage,il  est  necessaire  d'indiquer  rapidement  quels 
etaient,  a  cette  epoque,  les  principaux  centres  de  la 
puissance  feodale.  A  1'Ouest,  la  monarchic  anglo- 


4  PHIUPPE-AUGUSTE    (1180-1223). 

normande  formee  par  les  Plantagenets  s'etendait 
depuis  la  Picardie  jusqu'aux  Pyrenees  et  avait  sou- 
mis  a  une  meme  domination  la  Normandie,  la  Bre- 
tagne,  1'Anjou,  le  Maine,  la  Touraine,  le  Poitou, 
1'Aunis,  la  Saintonge,  le  Limousin,  le  Quercy  (pays 
de  Cahors),  la  Guienne  et  Gascogne.  Les  populations 
mobiles  et  ingenieuses  du  Midi  se  trouvaient  reunies 
aux  descendants  des  pirates  du  Nord  et  aux  Celtes 
de  la  Bretagne.  L'association  de  tant  de  provinces 
opposees  de  race,  d'interets  et  de  langage  ne  tarda 
pas  a  amener  le  demembrement  de  cette  monarchie 
anglo-normande.  Le  troubadour  Bertrand  de  Born 
avait  naguere  arme  contre  Henri  II  les  fils  de  ce 
roi ,  et  Louis  VII  avait  deja  profite  de  ces  divisions 
qui,  sous  Pbilippe-Auguste,  ruinerent  la  puissance 
redoutable  fondee  en  France  par  les  Plantagenets. 

Le  comte  de  Toulouse,  auquel  etait  reuni  le  mar- 
quisat  de  Provence  (comtat  Yenaissin),  etait  la  pro- 
vince la  plus  florissante  par  le  commerce  et  le  deve- 
loppement  intellectuel.  C'etait  la  veritable  patrie  des 
troubadours.  Mais  la  civilisation  superficielle  du 
Languedoc  cachait  des  causes  profondes  de  deca- 
dence. Les  homines  du  Midi,  legers  et  railleurs, 
etaient  en  lutte  avec  la  puissance  la  plus  redoutable 
du  moyen-age,  avec  rEglise.  Beaucoup  avaient 
adopte  1'heresie  des  Albigeois.  Ceux  memes  qui  n'e- 
taient  pas  heretiques  poursuivaient  le  clerge  de  leurs 
r.ailleries.  C'etait  un  proverbe  dans  ces  contrte  : 
J'aimerais  mieiix  etre  capelan  (pretre]  que  d avoir 
commis  tel  crime.  La  cour  de  Rome  avait  deja  fait 
entendre  des  avertissements  et  des  menaces.  Le  jour 


LA    FRANCE    A    SON    A VEHEMENT.  5 

n'etait  pas  loin  oil  le  comte  de  Toulouse  allait  etre 
le  theatre  d'une  guerre  sanglaute  et  tomber  sous  la 
domination  de  la  France  septentrionale. 

La  Bourgogne  et  la  Champagne  plus  voisines  du 
duche  de  France  en  avaient  deja  eprouve  la  puis- 
sance sous  les  premiers  Capetiens.  Cependant  elles 
etaient  loin  d'etre  soumises.  Une  branche  de  la 
maison  de  la  Bourgogne  avait,  au  xne  siecle,  fonde 
le  royaume  de  Portugal  et  donne  des  souverains  a 
la  Castille.  La  Champagne  etait  celebre  par  ses 
poetes  :  Chretien  de  Troyes  occupe  le  premier  rang 
entre  les  trouveres  de  la  fin  du  xne  siecle.  Les  foires 
de  Champagne  attiraient  dans  cette  province  les  mar- 
chands  de  toutes  les  parties  de  la  France  qui  venaient 
y  acheter  les  denrees  de  1'Orient  apportees  a  Mar- 
seille et  transporters  ensuite  jusqu'a  Troyes,  par  le 
Rhone,  la  Saone  et  la  voie  de  terre.  La  reputation  do 
ces  foires  se  soutint  aux  xii(e  et  xive  siecles.  Les 
villes  principales  d'ltalie  y  avaient  meme  des  con- 
suls qui  prenaient  le  litre  de  capitaines.  Un  acte  de 
la  fin  du  xinfi  siecle  qualifie  Albert  de  Medicis  de 
capitaine  de  la  communaute  des  marc/tands  ita- 
liens  (1)  aux  foires  de  Champagne. 

La  Flandre  n'etait  pas  moins  renommee  par  son 
commerce  et  son  Industrie..  Les  villes  de  Gand  et  de 
Bruges  etaient  des  cette  epoque  en  etat  de  tenir  tete 
aux  seigneurs.  Guillaume-le-Breton,  historien  et  poete 
de  Philippe-Auguste,  decrit  avec  enthousiasme  les 
richesses  que  le  commerce  entassait  dans  IPS  ports 

(1)  Gapitaincus  et  rector  wiiversitalis  mercalorimi  lUilia. 
I.  2 


6  PHILIPPE-AUGUSTE      1  I  80-1  223 ' . 

de  Flandre.  «  La  se  voient,  dit-il  (1)  ,  des  lingots 
d'argent  et  de  rouge  metal,  les  tissus  des  Pheniciens, 
des  Seres  (Chinois)  et  les  produits  des  Cyclades;  les 
riches  fourrures  qu'envoie  la  Hongrie  et  les  graines 
qui  donnent  a  1'ecarlate  une  couleur  si  brillante. 
Des  vaisseaux  y  apportent  les  vins  de  la  Gascogne  et 
du  Poitou,  du  fer,  des  metaux,  des  etoffes  et  les 
autres  denrees  que  1'Angleterre  et  la  Flandre  accu- 
mulent  dans  leurs  ports  pour  les  envoyer  dans  les 
diverses  parties  du  monde.  »  Meme  en  faisant'la 
part  de  1'exageration  poetique,  on  ne  peut  nier  la 
prosperite  commerciale  de  la  Flandre  celebree  par  le 
chantre  de  la  Pliilipptide. 

Les  dues  de  France  etaient  loin  de  surpasser  en 
puissance  territorial e  les  souverains  de  ces  provinces. 
Ce  furent  eux  cependant  qui  les  dompterent,  et  avec 
quelques  milliers  de  vassaux  firent  un  royaume  de 
plus  de  trente  millions  d'hommes.  Philippe-Auguste 
doit  etre  compte  parmi  les  rois  qui  travaillerent  le  plus 
activement  a  faire  prevaloir  1'unite  fran^aise.  A  peino 
sur  le  trone,  il  confirma  1'alliance  de  la  royaute  avec 
TEglise  etles  communes,  alliance  feconde  dontnous 
avons  deja  signale  les  premiers  resultats  (2).  II  prit  la 
defense  de  1'Eglise  contre  Imbert  ou Humbert  deBeau- 
jeu  et  Guillaume  II,  comte  de  Chalons-sur-Saone  ;  il 
les  forc,a,  dit  le  contemporain  Rigord  (3),  de  respec- 
ter les  franchises  des  eglises  et  la  liberte  des  clercs. 
«  Toute  1'Eglise,  ajoute  le  meme  ecrivain,  doit  prier 

(1)  Philippdide,  liv.  IX,  v.  381,  ap.  Her.  gallic.,  script.,  XVII, 
2,3/1-235. 

(2)  Voy.  rinlroduction,  §  VIII. 

(3)  Rer.  gallic,  script.,  XVII,  6.  D. 


COMMUNES    PROTEGEES.  7 

pour  le  roi  tres-chretien  (1),  parce  qu'il  la  defend 
avec  vigueur  contre  ses  ennemis,  chasse  les  Juifs  et 
tous  ceux  qui  ne  professent  pas  des  sentiments  ortho- 
doxes.  »  Lesheretiques  auxquels  fait  allusion  Rigord , 
etaientles  Paterins  ouCathares,qu'on  adesignes,  dans 
le  sud  de  la  France,  sous  le  nom  RAlbigeois.  Quant 
aux  communes,  Philippe-Auguste  suivit  la  politiquc 
de  ses  predecesseurs  :  il  s'en  fit  un  appui  contre  la 
feodalite.  Des  1180,  il  affranchit  de  toute  servitude 
corporelle  les  habitants  d'Orleanset  des  environs  (2). 
Dans  une  nouvelle  charte  qu'il  leur  octroya,  il  fl'en- 
gagea  a  ne  plus  prendre  les  biens  des  bourgeois  (3). 
Des  chartes  communales  accordees  a  Chateauneuf 
pres  de  Tours  (4),  a  Noyon  (5),  a  Bourges  et  a  Dun- 
le-Roi  (6),  affermirent  pendant  les  premieres  annees 
de  ce  regne  1'alliance  du  peuple  et  de  la  royaute.  On 
compte  jusqu'a   soixante-dix-huit  chartes  de   com- 
munes, octroyees  on    confirmees  par  Philippe-Au- 
guste. Maintenir  la  paix  publique  au  milieu  d'une 
societe  tourmentee  par  des  guerres  perpetuelles  etait 
encore  un  devoir  et  une  tradition  de  la  monarchic 
capetienne.  Philippe-Auguste  n'y  manqua  pas  :  le 
Berry  etait  ravage  par  des  brigands  appeles  Cote- 
reaux  (7) ;  le  roi,  appele  par  ses  vassaux,  envoya  une 

(1)  Pro  cliristianissimo  rege.  Rigord  repete   plusienrs  fois  CP 
litre,  qui  n'a  e"te  d^fmitivement  reuni  au  non)  des  rois  de  France 
qu'a  partir  du  regne  de  Louis  XI. 

(2)  Ord.  des  rois  de  France,  Xf,  215. 

(3)  Ibid.,  226 
(ft)  Ibid.,  221. 

(5)  Ibid.,  22ft. 

(6)  Ibid.,  222. 

(7)  Rigord,  ap.  Rrr.  galL,  srript.  XVFf,  11-12. 


8  TESTAMENT  BE    PHILIPPE-AUGUSTE    (1190). 

armee  centre  les  Cotereaux,  qui  furent  extermines. 
Quant  a  1'administration  proprement  elite ,  elle  fut 
d'abord  restreinte  au  duche  de  France.  Le  plus  an- 
cien  acte  administratif  de  Philippe-Auguste  est  1'or- 
donnance  appelee  son  testament,  qu'il  publia  avant 
de  partir  pour  la  croisade  (1 190).  II  y  reglait  1'admi- 
nistration judiciaire  et  financiere  pour  le  temps  de 
son  absence.  On  trouve  deja,  dans  cette  organisation, 
une  veritable  hierarchic  de  fonctionnaires  :  au  degre 
inferieur,  les  prevots  ou  vicomtes  ;  au-dessus  d'eux , 
les  baillis,  et  au  premier  rang,  la  cour  des  regents, 
qui  represente  le  roi  et  son  conseil  compose  des  hauls 
barons  et  des  prelats  du  duche  de  France,  ainsi  que 
des  grands  officiers  du  palais,  senechal,  chancelier, 
eonnetable,  panetier,  echanson.  Les  prevots,  baillis 
et  senechaux  etaient  charges  de  1'administration  de 
la  justice  et  de  la  perception  de  I'impot.  II  y  avait 
appel  des  prevots  aux  baillis,  et  des  baillis  a  la  cour 
des  regents.  Les  baillis  tenaient  leurs  assises  tous  les 
mois,  et  les  regents  tous  les  quatre  mois.  L'assiette 
de  1'impot  etait  etablie  par  les  prevots  ou  vicomtes, 
de  concert  avec  un  certain  nombre  de  bourgeois  ; 
I'argent  pergu  passait  entre  les  mains  des  baillis  qui 
le  versaient  au  tresor  royal,  place  sous  la  garde  des 
regents.  Tel  est  le  premier  essai  d'organisation  admi- 
nistrative dont  le  reglement  nous  soit  parvenu  (1). 
La  France,  a  mesure  que  les  conquetes  des  rois  la 
soumirent  a  1'autorite  monarchique,  recut  une  admi- 
nistration analogue;  elle  fut  longtemps  gouvernee, 
comme  le  duche  de  France,  par  une  hierarchic  de 

(1)  Ordonn.  des  rois  de  France,  L  I,  p.  18. 


SUPPRESSION    DU    GRAM)    SACRAL    (1191).  9 

fonctionnaires,  appeles,  au  nord,  baillis  clprdvols; 
au  sud,  sMchaux  et  viguiers ,  et  relevant  de  la  cour 
da  roi  (curia  domini  regis] ,  qui  ne  iarda  pas  a  deve- 
nir  le  parlement  de  Paris. 

A  son  retour  de  la  croisade  (1191),  Philippe-Au- 
guste  supprima  la  dignite  de  senechal  qui  elait  va- 
cante  depuis  la  morl  de  Thibaut  de  Blois.  Cette 
charge,  jusqu'alors  hereditaire  dans  la  inaison  d'An- 
jou,  donnait  des  drolls  considerables  au  grand  f'eu- 
dataire  qui  en  etait  investi  :  autorite  sur  tous  les  oili- 
ciers  de  la  maison  du  roi,  commandement  des  armees 
en  Tabsence  du  souverain,  administration  de  la  jus- 
tice et  des  finances  dans  1'interieur  des  maisons 
royales,  etc.  Les  grands  senecbaux  rappelaient,  par 
leur  puissance,  les  anciens  maires  du  palais.  Deja 
Louis  VI  avait  diminue  les  droits  de  leur  charge;  il 
1'avait  demembree  en  creant  un  ecuyer  tranckant 
(dapifer)  qui  rempkcait  le  senechal  a  la  table  du 
roi.  II  avait  donne  cette  dignite  a  Guillaume  de  Gar- 
lande.  Le  meme  prince  avait  porte  une  plus  rude 
atteinte  aux  droits  du  grand  senechal  en  lui  enlevant 
1'autorite  dans  l'interieur  du  palais,  pour  en  faire 
une  charge  particuliere,  qui,  sous  le  nom  de  grande 
maitrise  (majoratusj  (1),  a  subsiste  jusqu'aux  der- 
nierstempsde  la  monarchic.  Philippe-Augustetrouva 
la  dignite  de  senechal  encore  trop  puissante  et  la 
supprima.  Dans  la  suite,  le  connetable ,  qui  primiti- 
vement  ne  commandait  que  la  cavalerie,  le  grand 
maitre  el  1'ecuyer  tranchant  heriterent  de  1'autorite 

(1)  Hug.  de  Cleriis,  de  majoratu  ct  scnescalia  Francice,  ap. 
Duchesric,  Script,  rcr.  frantic.,  IV,  3129. 


10  GRANDS    OFFJCIERS    1)E    LA   COUROMVE. 

clu  senechal,  le  premier  a  la  tete  des  armees,  le  se- 
cond dans  le  palais  et  le  troisieme  a  la  table  du  roi ; 
mais  leur  dignite  ne  fut  ni  hereditaire  ni  inherente 
a  un  fief.  Elle  fut  donnee  seulement  par  delegation 
(le  la  royaute  (nonpropria,  sed  mandata] .  II  en  fut 
de  meine  de  la  charge  du  chaneelier,  qui  devint  sous 
ce  regne  un  des  principaux  officiers  de  la  cou- 
ronne. 

Ce  fut  surtout  a  Guerin,  eveque  de  Senlis,  le  plus 
intiine  conseiller  de  Philippe-Auguste,  que  la  dignite 
de  chaneelier  dut  sa  haute  importance.  Le  chaneelier 
apposait  a  tous  les  actes  le  sceau  royal  qu'il  portait 
suspendu  a  son  cou,  et,  en  1'absence  du  roi,  il  presi- 
dait  1'assemblee  des  vassaux  du  duche  de  France. 
Les  autres  grands  officiers  de  la  couronne  etaient 
Fechanson  ou  houteiller,  le  panetier  et  le  grand 
chambrier.  Les  droits  que  conferaient  ces  dignites,  et 
qui  se  sont  longtemps  conserves,  s'etendaient  sur  les 
corporations  industrielles.  L'echanson  ou  bouteiller 
avait  juridiction  sur  tous  les  cabaretiers  et  hoteliers; 
il  levait  une  taxe  sur  le  vin  mis  en  vente  dans  1'eten- 
due  du  domaine  royal.  II  avait  aussi  la  surveillance 
des  depenses  de  la  maison  du  roi ,  et  dans  la  suite  il 
fut  un  des  presidents  de  la  chambre  des  coinptes.  Le 
grand  chambrier  avait  la  garde  du  tresor  royal.  Les 
cordonniers,  et  en  general  les  corporations  qui  s'oc- 
cupaient  de  rhahillement,  lui  payaient  une  rede- 
vance.  Le  grand  panetier  avait  la  surveillance  de 
ious  les  boulangers,  qui  lui  devaient  aussi  une  retri- 
bution en  nature  ou  en  argent.  II  etait  d'usage  que 
ces  grands  officiers  (  ministerMes  palatii  domini 


(.OUR    DKS    PAIRS. 


II 


reyis  }  apposassent  lours  uoms  an  bas  des 
i-ouiles  (1). 

Philippe-Auguste  fut  moins  legislateur  que  con- 
querant,  et  c'est  surtout  par  la  lutte  coutre  la  feo- 
dalite  et  par  1'acquisition  de  nombreuses  provinces 
que  son  regne  a  ete  illustre.  II  profita  habilemenl 
pour  agrandir  ses  domaines  des  avantages  dont 
le  systeme  feodal  armait  un  seigneur  suzerain.  Le 
di'oit  de  desherenee,  en  vertu  duquel  le  fief  revenait 
au  suzerain  a  defaut  d'heritier  direct,  lui  donna  le 
Vermandois  et  le  Yalois ;  il  obtint  par  heritage  1'Ar- 
tois,  et  par  confiscation  la  Normandie,  le  Maine, 
1'Anjou,  la  Touraine  et  line  partie  du  Poitou.  II  de- 
membra  cette  redoutable  monarchic  anglo-normande 
qiii  avait  menace  la  France  au  xne  siecle.  Philippe- 
Auguste  se  servit  contre  Jean-sans-Terre  d'urie  insti- 
tution feodale,  a  laquelle  il  donna  un  puissant 
developpeinent.  Les  grands  fiefs  avaient  chacun  leur 
tribunal  compose  des  pairs  du  fief  et  preside  par  le 
suzerain.  Philippe-Auguste,  usant  de  son  droit  de 
chef  de  la  hierarchic  feodale  dans  toute  la  France, 
cita  Jean-sans-Peur  a  comparaitre  devant  la  cour  des 
pairs  (2),  et  sur  son  refus,  il  le  fit  condamner  et  con- 
fisqua  ses  domaines.  En  quoi  consistait  cette  conr 
des  pairs ,  dont  il  est  difficile  de  fixer  Torigine,  et 
qui  ne  tarda  pas  a  se  confondre  avec  la  cour 
du  roi  ou  parlement  (3)?  Pour  s'en  rendre  compte, 


(1)  Du  Tillet,  Recucil  des  rois  de   France,   leur  couronne  et 
rnaison,  ensemble  le  rang  des  grands  de  France,  Paris,  1589,  in-f°. 

(2)  Mathieu  Paris,  a  1'annee  1216. 

(3)  Voy.  a  la  fin  de  ce  chapitre  Tarret  de  1224. 


12  CONQUETES    DE    PHILIPPE-AUGUSTE. 

il  ne  faut  pas  oublier  quelle  etait  la  situation  de 
la  France  an  commencement  du  xne  siecle.  C'etait 
comme  chef  de  la  federation  des  grands  feudataires, 
dont  nous  avons  parle  au  commencement  de  ce  cha- 
pitre,  qu'agissait  Philippe-Auguste ;  c'etait  en  cette 
qualite  qu'il  citait  Jean-sans-Terre  devant  son  tri- 
bunal et  les  juges  qu'il  s'adjoignait  etaient  les  egaux 
ou  pairs  du  due  de  Normandie  (1).  La  cour  des 
pairs  se  composait  a  cette  epoque  de  six  pairs  laiques 
et  de  six  pairs  ecelesiastiques.  La  tradition  s'en  per- 
petua  ausacre  desrois,  et,  quoiqu'il  soit  difficile  de 
marquer  avec  precision  le  role  de  cette  institution 
dans  1'ancienne  monarchie,  on  ne  peut  en  nier  la 
realite.  Les  six  pairs  laiques  etaient  les  dues  de  Nor- 
mandie, d'Aquitaine  et  de  Bourgogne,  et  les  corntes 
de  Flandre,  de  Champagne  et  de  Toulouse;  les  pairs 
ecelesiastiques,  I'archeveque-cluc  de  Reims,  les  eve- 
ques-ducsde  Langres  et  de  Laon,  les  eveques-comtes 
de  Noyon,  deBeauvais  et  de  Chalons-sur-Marne. 

Les  nombreuses  acquisitions  territoriales  de  Phi- 
lippe-Auguste changerent  entitlement  la  situation 
de  la  France.  Jusqu'alors  il  y  avait  une  royaute  sans 
royaurne;  lesconquetes  de  Philippe-Auguste  donrie- 
rent  au  roi  un  royaume  a  administrer.  11  trouva  eta- 
blies  dans  les  provinces  qu'il  venait  de  soumettre  des 
coutumes  et  des  institutions  qu'il  eut  ete  imprudent 
de  changer  brusquernent.  II  se  borna  a  confirmer  les 
anciens  usages  en  faisant  reconnaitre  partout  sa  su- 
zerainete.  La  guerre  des  Albigeois  (1207-1218),  a 

(I)  Voy.  un  nieinoire  dc  M.  le  conile  JJeugnol  clans  la 
(LIQ  dc  Creole  des  chartcs,  2U1C  serie.   Tom.  V,  p.  1  et  suiv. 


VICTOIRES    SUR    LA    FHODALITfc.  3 

laquelle  il  refusa  de  prcndre  part,  rendit  reelle  dans 
les  provinces  du  midi  de  la  France  une  autorite  qui 
n'y  etait  que  nominale.  Enfm  la  victoire  de  Bouvines 
(121 4)  assura  le  triomphe  de  la  monarchic  sur  la  feo- 
dalite.  Le  peuple  se  signala  dans  cette  circonstance 
et  par  son  devouement  a  la  royaute  qu'il  couvrit  sur 
le  champ  dehataille  (1)  etpar  son  enthousiasme  apres 
la  victoire.  «  Qui  pourrait  exprimer,  dit  Guillaume- 
le-Breton  dans  un  style  dont  je  ne  tenterai  pas  de 
reproduire  I'emphase  (2),  qui  pourrait  exprimer  les 
applaudissements,  les  felicitations,  les  chants  de 
triomphe?  Tous,  sans  distinction  d'age  ni  de  sexe, 
accouraient  pour  etre  temoins  de  ce  grand  spectacle. 
Les  paysans  et  les  moissonneurs  suspendaient  lews 
travaux  pour  se  precipitersur  les  routes.  »  Le  peuple 
saluaitdans  le  roi  son  liherateur,  le  vainqueur  de  la 
tyrannic  feodale. 

Afin  d'assurer  son  triomphe  sur  la  feodalite,  Phi- 
lippe-Auguste  se  servit  principalement,  ainsiqueson 
aieul  Louis  VI,  de  soldats  mercenaires.  A  la  tete  de 
ses  routiers,  il  avait  place  un  capitaine  cclehre,  Ca- 
doc.  «  II  lui  donnait  mille  livres  par  jour,  dit  Guil- 

(1)  «  Supervcnientes  communiae,  special! terCorbeii,  Ambianenses, 
Belvaci  et  Compendii^  AttrebataB  penelraverunt  cuneos  militum  et 
posuerunt  sc  ante  ipsum  regcm.  »  Guill.  Brit.,  apud.  Her.  gallic, 
script.,  XVII,   97,  C. 

(2)  «  Quis  autem  verbis  explicare,  quis  corde  cogitare,  quis  ca- 
lamo,  charta  aut  tabulis  exarare  posset  gratulabundos  plausus, 
hyinnos  Iriumphales,  innumera  tripudiorum  genera  populorum... 
omnes  cuj usque  generis,  sexus  et  a3tatis  homines  ad  tanli  trium- 
phi  spectacula  concursantes,  rusticos  et  messores,  intermissis  ope- 
ribus,  falcibus,  rastris  et  tribulis  in  collo  suspensis  (erat  enim  mes- 
sionis  tempus)  ad  vias  catervatim  ruere,  etc.  »  Guill.  Brit.,  ibid., 
pag.  103,  B. 


14  ARMEES    MERCENAIRES. 

Jaume-le-Breton  (1),  pour  lui  et  les  siens,  en  recom- 
pense de  leurs  services.  »  Cadoc  avait  obtenu  la 
seigneurie  de  Gaillon  et  se  montra  digne  des  bien- 
faits  du  roi  par  les  services  signales  qu'il  lui  rendit. 
II  fut  un  des  premiers  a  1'attaque  et  a  la  prise  du 
Chateau-Gaillard,  contribua  a  la  prise  d'Angers,  et, 
en  1210,  se  signala  dans  une  guerre  conlre 
1'eveque  de  Clermont.  II  monta  (2)  sur  la  flotte  qui 
alia  piller  le  port  de  Dam,  en  Flandre.  Ces  armees 
mercenaires,quietaienttoujours  pretes,  contrastaient 
avec  les  troupes  feodales,  si  lentes  a  se  reunir  et  si 
promptes  a  se  disperser.  Elles  furent  un  des  instru- 
ments dont  la  royaute  se  servit  avec  le  plus  de  succes 
pour  accablerles  seigneurs  feodaux  qui  n'etaient  pas 
assez  riches  pour  solder  des  bandes  pareilles.  Pbi- 
lippe-Auguste  avait  aussi  une  flotte, la  premiere  dont 
aient  dispose  les  rois  de  France  de  la  dynastie  cape- 
tienne.  Si  Ton  en  croyait  les  exagerations  poetiques 
de  Guillaume-le-Breton,  elle  aurait  ete  plus  nom- 
breuse  que  les  vaisseaux  des  Grecs  devantTroie  (3). 
Ouoique  Philippe-Auguste  se  soit  surtout  signale 
par  des  victoires  et  des  conquetes,  plusieurs  mesures 

(1)  l>/iilippcide,[\iv.  VII,  v.  395  et  suiv.  Voy.   dans  YEcole  des 
diaries,  lrc  serie,  t.  Ill,  p.  417  et  suiv.,  un  article  de  M.  Hercule 
c.eraud,  sur  les  Routiers  cm  xinc  siecle. 

(2)  «  Gumque  sua  nulli  rupla  parcente  Gadocus.  »  Guill.  Bril., 
apud  Her.  gall,  script.,  XVII,  233, 13. 

(3)  Philippdide,  liv.  XI,  v.  303-307,  ibidem,  p.  233  : 

«<  Quod  si  sub  numero  comprendere  forte  labores, 
Navibus  argolicis  quas  Eurus  in  Aulide  longo 
Tempore  detinuit,  iter  impediente  Pelasgum 
Neptuno,  ne  Troja  cadat  quam  struxerat  ipse, 
Quingeutas  bis  quinque  rates  et  quattuor  adde.  » 

Voy.  encore  Her.  gallic,  script.,  t.  XVII,  p.  89,  B. 


MESURES   ADMINISTRATIVES. 


administratives  de  son  regne  eurent  line  certaine 
importance.  Aiusi  il  etablit  qu'en  cas  de  partage 
(I'liii  fief  les  cadets,  an  lieu  de  preter  serment  a  1'aine, 
releveraient  directement  du  suzerain  et  lui  devraient 
foi  ethonimage  (1).  II  prevenait,  par  cette  loi,  les 
sous-infeodations  qui  avaient  morcele  le  domaine 
royal  et  qui  s'opposaierit  a  I'etablissement  de  1' unite 
monarchique.  Cette  mesure  fut  adoptee  par  le  due 
de  Bourgogne,  les  comtes  de  Nevers,  de  Boulogne  et 
de  Saint-Pol.  Nous  ne  sommes  pas  encore  a  1'epoque 
oil  le  roi  imposera  la  loi  a  tous  les  seigneurs ;  elle 
n'est  encore  sous  Philippe-Auguste  qu'une  transac- 
tion, un  contrat  entre  le  roi  et  ses  vassaux. 

D'autres  actes  administratifs  eurent  surtout  pour 
but  1'agrandissement  et  rembellissement  de  Paris. 
Jusqu'a  Pbilippe-Auguste,  cette  ville  n'etait  pas  pa- 
vee.  De  la  une  boue  affreuse ,  d'ou  Ton  pretend  que 
vint  le  nom  primitif  de  Paris  (Lutetia  a  luto}.  On  se- 
inait  du  foin  et  de  la  paille  dans  certaines  rues,  et 
quelques-unes,  comme  la  rue  d\iFouarre>en  ont  tire 
leur  nom.  Philippe-Auguste  reunit  les  principaux 
bourgeois  de  Paris  avec  le  prevot  de  cette  ville  et  leur 
ordonna  de  faire  paver  les  places  et  rues  (2) .  La  con- 
struction du  chateau  du  Louvre,  de  la  cathedrale,  des 
halles  et  de  1'Hotel-Dieu  atteste  assez  1'activite  del'ad- 
jninistration  pour  i'embellissement  de  Paris.  L'en- 
ceinte  fortifiee  fut  agrandie.  On  batissait  deja  la  capi- 
tale  d'un  puissant  royaume.  Paris  recut  un  nouvel  eclat 
de  1'organisation  de  1'Universite  vers  1'annee  1290. 

(1)  Ordonn.  des  rois  dc  France,  1,  29. 

(2)  Rigord.  ap.  Her.  gallic,  script.,  XVII,  82,  E. 


46  FONDAflON    DE    1/UMVERSlTfc      1200). 

Cette  ville  avail  depuislongtemps  des  ecolesqui  fu- 
rent  d'abord  annexees  a  la  cathedrale  et  plaeees  sous 
la  surveillance  du  chancelier  du  chapitre.  Elles  fu- 
rent  florissantes  au  xne  siecle,  lorsque  1'enseigneiuent 
d'Abelard  emerveilla  et  scandalisa  la  France.  Les 
ecoles  de  la  cathedrale  devenant  trop  petites,  les 
inaitres  et  les  ecoliers  allerent  s'etablir  sur  la  mon- 
tagne  Sainte-Genevieve  et  se  placerent  sous  la  pro- 
tection du  roi.  Philippe-Auguste  leur  accorda  d'im- 
portants  privileges  (1)  et  les  erigea  en  corporation 
ou  unwersite  (2).  II  defendit  au  prevot  de  Paris  de 
faire  arreter  les  inaitres  et  ecoliers  de  I'Universite, 
bors  le  cas  de  flagrant  delit.  Les  prevots  furent  tenus 
en  entrant  en  charge  de  s'engager  par  serment  a  res- 
pecter les  privileges  de  TUniversite.  Le  chancelier 
de  la  cathedrale,  qui  pendant  longtetnps  avait  seul 
accorde  le  droit  d'enseigner,  s'eleva  contre  les  prero- 
gatives octroyees  a  cette  corporation  ;  inais  Philippe- 
Auguste  la  soutint  contre  le  pouvoir  spiritual  aussi 
bien  que  contre  1'autorite  temporelle ,  et  lui  donna 
le  droit  de  nommer  un  procureur -syndic  pour  la  de- 
lense  de  ses  privileges.  Le  Saint-Siege,  dont  I'inter- 
vention  etait  necessaire  dans  une  question  qui  tou- 
chait  au  pouvoir  spirituel ,  se  joignit  a  la  royaute 
pour  confirmer  les  droits  de  1'Universite.  Le  legat 
d'Innocent  III,  Robert  de  Courcjon,  la  prit  sous  sa 

(1)  Ordonn.  dcs  rois  de  France,  t.  1,  p.  28.  Voy.   Vliistoirc  dc 
I' Universitd  de  Paris  par  Duboulay  (Bula>us}9  t.  Ill,  p.  2  el  3. 

(2)  Le  mot  Universite  n'avait  pas  primilivement  d'autre  sens ;  il 
designait  la  reunion  des  membres  d'une  corporation.  La  coi'poi'a- 
lion  des  bateliers  de  Seine   s'appelait  L'niversitas  mercatorum 
aqutf. 


PONDATION   1)E    I/UNIVERSITE.  47 

protection,  etdeclaranulles  et  abusives  les  sentences 
du  chancelier  de  la  cathedrale  de  Paris.  Ce  fut  le 
meme  legat  qui  redigea,  en  1215,  les  premiers  sta- 
tuts  de  I'Universite.  Les  ecoles  de  Paris  eurent  bien- 
tot  une  reputation  qui  rejaillit  sur  la  capitale  de  la 
France.  «  A  cette  epoque  ,  dit  Guillaume-le- Bre- 
ton (1),  les  etudes  etaient  florissantes  a  Paris.  On  ne 
voit  pas  qu'il  y  ait  jamais  eu  un  si  grand  concours 
d'etudiants  a  Athenes  ni  en  Egypte.  Cela  tenait  aux 
privileges  et  a  la  protection  speciale  que  le  roi  Phi- 
lippe accordait  aux  ecoliers.  »  Le  meme  auteur  con- 
firme  et  amplifie  encore,  dans  sa  Philippeide,  1'eloge 
qu'il  a  fait  de  Paris  et  du  zele  qu'on  y  montrait  pour 
les  lettres.  «Tout  ce  qui  a  ete  produit  de  bien  paries 
divers  pays,  dit-il ,  les  tresors  des  sciences,  les  ri- 
chesses  de  la  terre,  tout  ce  qui  peut  procurer  des 
plaisirs  a  Tesprit  et  au  corps,  doctrines  de  sagesse, 
culture  des  arts  liberaux,  elevation  de  sentiments, 
amenite  des  moeurs,  tout  se  trouve  a  Paris.  L'Egypte, 
Athenes  et  les  plus  illustres  cites  qui  aient  jamais 
brille  par  les  sciences,  le  cedent  a  Paris,  si  Ton  com- 
pare ceux  qui  allaient  chercher  dans  leur  sein  la 
science  terrestre  a  ceux  qui  viennent  demander  a 
Paris  une  doctrine  celeste.  Athenes  ne  peut  etre  inise 
en  parallele  avec  cette  ville  que  parce  qu'elle  accor- 
dait comme  elle  le  premier  rang  aux  savants.  » 

Depuis  cette  epoque,  TUniversite  de  Paris  forma 
une  corporation  privilegiee  qui  avaitle  droit  de  tenir 
des  assemblees,  de  nonimer  son  recteur  et  ses  prin- 

(1)  Guillelmus  Brito,  apud  Rerum  gallicariim  scriptores,  XVII, 
82,  E. 


48  PONDATION   DE    I/UNIVERSllS. 

cipaux  dignitaires,  en  un  mot  de  se  gouverner  elle- 
meme  sous  la  surveillance  de  la  royaute  et  du  Saint- 
Siege.  II  en  resulta  dans  la  suite  des  abus  qui 
appelerent  une  repression  energique;  mais,  pendant 
plusieurs  siecles,  1'Universite  de  Paris  resta  la  fille 
ainde  des  rois  et  fut  comblee  de  leurs  faveurs.  Elle 
n'avait  d'abord  que  les  deux  facultes  de  la  theologie 
et  des  arts  ou  des  lettres;  on  ne  tarda  pas  a  y  ajou- 
ter  1'etude  du  droit  et  de  la  medecine.  Cependant 
Paris  resta  surtout  fameuse  par  la  faculte  des  lettres. 
Un  poete  du  moyen-age,  qui  celebre  les  diverses  Uni- 
versites,  met  au  premier  rang  Salerne  pour  la  mede- 
cine; Bologne  pour  le  droit;  Paris  pour  les  lettres, 
et  Orleans  pour  les  premieres  etudes  (1).  Paris  rTeut 
meme  pendant  longtemps  que  le'nseignement  du 
droit  canon ;  il  faut  arriver  jusqu'a  Louis  XIV  pour 
qu'une  chaire  de  droit  civil  s'eleve  a  cote  des  chai- 
res  de  droit  ecclesiastique. 

Avant  Philippe-Auguste,  la  puissance  ecclesiastique 
avait  ete  presque  toujours  Talliee  de  la  royaute,  mais 
une  alliee  parfois  menacante.  Philippe-Auguste  en 
avait  fait  Tepreuve.  En  1200,  1'interdlt  avait  ete  jete 
sur  son  royaume,  et  lui-meme  s'etait  vu  contraint 
de  ceder  aux  menaces  d'Innocent  III  et  de  reprendre 
Ingeburge  de  Danemark  qu'il  avait  repudiee.  Plus 
t.ard,  vainqueur  de  la  feodalite ,  il  osa  tenir  tete  au 


(1)  «  In  morbis  sanat  medica  virtute  Salernum 
^Egros ;  in  causis  Bononia  legibus  ornat 
Nudos ;  PARISIUS  dispensat  in  ARTIBUS  illos 
Panes,  unde  cibat  robustos ;  Aurelianum 
Educat  in  cunnis  cunctorum  lacte  tenellos.  » 

(lauf.  de  Vino-Salvo,  ap.  Leyser,  Hist.  poet,  mc-di  avi,  p.  920. 


RELATIONS    A\  EC    I/EGLISE.  49 

Saint-Siege  et  forc.a  les  eveques  francais  a  s'acquitter 
des  obligations  qui  leur  etaient  imposees.  II  obtint 
d'Eudes,  due  de  Bourgogne,  et  de  plusieurs  autres 
grands  vassaux,  la  promesse  formelle  de  le  soutenir 
contre  le  pape  (1);  il  assigna  des  bornes  a  la  puis- 
sance ecclesiastique  ,  principalement  en  Norman- 
die  (2) ;  saisit  le  temporel  des  eveques  d'Orleans  et 
d'Auxerre  qui  refusaient  de  s'acquitter  en  personne 
de  leurs  droits  feodaux  (3).  Enfm  il  exigea  de  quel- 
ques  eveques  1'engagement  formel  de  ne  pas  exconi- 
munierles  baillis  royaux  sans  son  consentement  (4). 
Ainsi ,  victorieuse  de  la  feodalile,  appuyee  sur  ies 
communes,  alliee  de  l'Eg)ise,dont  elle  respectait  et 
defendait  les  droits  en  lui  imposant  de  sages  limites, 
la  royaute  avait  fait  de  rapides  progres.  Les  monu- 
ments eleves  par  Philippe-Auguste  et  la  fondation  do 
1'Universite  prouvent  qu'il  ne  negligea,  dans  sa  pros- 
perite,  ni  les  soins  administratifs,  ni  le  developpe- 
ment  intellectuel  du  peuple  qu'il  gouvernait. 

Le  successeur  de  Philippe-Auguste,  Louis  VIII 
(1223-1226),  etait  loin  del'egaleren  genie  politique; 
mais  1'impulsion  etait  donnee;  il  n'eut  qu'a  la  suivre. 
11  acheva  la  conquete  du  Poitou,  y  ajouta  1'Aunis  et 
la  Saintonge ,  le  Limousin  et  le  Perigord  ;  il  aurait 

(1)  Dumont,  Goi"ps  diplomatique,  1, 129.— Libertes  de  I'tiglisc 
gallicane,  par  P.  Dupuy,  ch.  vn. 

(2)  Amplissima  collectio,  I,  1081. 

(3)  Guill.-le-Breton,  apud.  Script,  rer.  gall.,  XVII,  82. 

(4)  La  chart e  de  Robert  Poulain,  archev^que  de  Rouen,  qui  so 
trouve  aux  Archives  iinperiales,  est  formelle :  «  Concessimus  etiani 
ob  amorem  domini  regis,  quamdiu  nobis  placuerit,  quod  nos  vel 
officialis  noster  non  excommunicubimus  capitales  bnillivos  domini 
regis,  domino  rege  super  hoc  irrequisito,  etc.  » 


SO  LOUIS  viii  ; I  223-1 226). 

peut-etre  enleve  aux  Anglais  toutes  leurs  possessions 
en  France ,  s'il  n'eut  ete  appele  par  le  concile  de 
Bourges  a  combattre  les  Albigeois  qui  s'etaient  rele- 
ves.  II  n'est  pas  de  mon  sujet  de  raconter  ces  guerres. 
Je  me  bornerai  a  remarquer  que  I'heritage  sanglant 
de  Simon  de  Montfort  revint  a  la  royaute.  Deja  il 
avait  ete  stipule,  en  1214,  que  les  quatre  cent  trente 
fiefs  distribuesauxcroises  dans  le  Languedoc  seraient 
regis  par  la  coutume  de  Paris,  et  que  pendant  vingt 
ans  les  possesseurs  de  ces  fiefs  n'armeraient  que  des 
homines  du  nord  de  la  France.  Les  Montfort,  trop 
faibles  pour  etablir  solidement  leur  domination  dans 
la  France  meridionale,  cederent  leurs  conquetes  a 
Louis  VIII.  II  s'empara  du  Bas-Languedoc  (1225- 
1 226) ,  et  y  fonda  les  senechaussees  de  Beaucaire  et 
de  Carcassonne. 

II  faut  encore  remarquer  sous  ce  regne  un  arret 
de  1224  (1),  qui  identifie  la  cour  du  roi  avec  la  cour 
des  pairs.  La  premiere  se  composait  des  principaux 
feudataires  du  duche  de  France  et  des  grands  ofti- 
ciers  de  la  cour  on  ne  (minister  ia  les  palatii  domini 
regis] ;  la  seconde,  ou  se  reunissaient  les  grands  fen- 
dataires  du  royaume  tout  entier,  pretendait  avoir 
seule  le  droit  de  juger  les  proces  des  pairs.  En  1224, 
un  diflferend  entre  la  comtesse  de  Flandre  et  Jean 
de  Nesles  fut  porte  devant  le  roi.  Les  grands  offi- 
ciers  de  la  couronne  reclamerent  le  droit  de  juger 
cette  affaire  avec  les  pairs  du  royaume.  Vainement 
les  pairs  s'y  opposerent;  le  roi  decida  en  favour  des 

(1)  Voy.  cet  arr6t  dans  Ducange,  v°  PARES. 


COUR   DES    PAIRS   MODIFIES.  21 

grands  officiers.  Des  lors  la  cour  du  roi,  qu'on  ap- 
pela  bientot  parlement,  se  confondit  avec  la  cour  des 
pairs,  et  jugea  souverainement  tous  les  proces  qui 
s'eleverent  entre  les  grands  vassaux.  Cette  conquete 
de  1'autorite  monarchique  ne  tarda  pas  a  etre  suivi(^ 
d'un  nouveau  progres.  Le  roi  adjoignit  aux  grands 
feudataires  et  aux  grands  officiers  de  la  couronne  de 
simples  legistes,  imbusdes  principes  du  droit  romain 
et  decides  a  faire  prevaloir  1'autorite  monarchique. 
Peu  a  peu  la  cour  des  pairs  devint  un  tribunal  tout 
devoue  a  la  royaute.  La  federation  feodale  allait 
l)ientot  faire  place  a  1'unite  monarchique. 


CHAPITRE  II. 


Sommaire. 

Louis  ix  ou  SAINT-LOUIS  (1226-1270).  —  Blanche  de  Cas- 
tille ,  mere  de  Saint-Louis ,  aflermit  1'autorite  royale ;  la 
royaute  est  reconnue  comme  puissance  souveraine  dans 
la  France  entiere;  influence  du  droit  romain.  —  Du  par- 
lement  sous  Saint-Louis;  introduction  des  legistes  dans  la 
cour  du  roi ;  Olim;  puissance  du  parlement.  —  Adminis- 
tration locale  :  baillis  et  senechaux;  cumul  des  fonctions 
judiciaires,  militaires  et  financieres;  precautions  prises  par 
Saint-Louis  pour  restreindre  I'autorite  des  baillis  et  des  se- 
ne'chaux;  enquesteurs  royaux.  —  Repression  des  guerres 
privees  :  Quarantaine-le-Roi ;  assurement;  interdiction  ab- 
solue  des  guerres  privees.  —  Reformation  de  la  justice  : 
abolition  du  duel  judiciaire  ;  appels;  cas  royaux;  suppres- 
sion des  mauvaises  coutumes.  —  Administration  financiere  : 
etablissement  d'une  monnaie  royale;  repartition  de  I'impot 
par  les  e'lus ;  commissaires  charges  de  surveiller  les  comp- 
tes  des  baillis  et  senechaux. — Reforme  des  communes  et  de 
la  prevote  de  Paris ;  Etienne  Boyleau  ;  le  Livre  des  Metiers. 

—  Resultats  de  1'administration  de   Saint-Louis  pour  le 
commerce,  I'industrie,  1'agriculture ,  les  letlres  et  les  arts. 

—  Legislation  religieuse  :  durete  a  1'egard  des  juifs,  des 
heretiques  et  des  blasphemateurs ;  Prdytnfttiqite  Sanction. 


Apres  la  mort  de  Louis  VHI,  en  1226,  les  trou- 
bles d'une  minorite  (1226-1236)  suspendirent  pour 
quelque  temps  les  conquetes  du  pouvoir  royal.  Mais 
la  fermete  de  Blanche  de  Castillo,  mere  de  Saint- 


24  SAINT-LOUIS  (4226-1270). 

Louis,  reprima  1'audace  des  grands  vassaux ;  elle 
prepara  la  reunion  du  Languedoc  a  la  couronne  par 
le  mariage  d'un  de  ses  fils,  Alphonse  de  Poitiers,  avec 
la  fille  etheritiere  de  Raymond  VII  (1229),  obtirit 
de  Thibaut  de  Champagne  la  cession  des  comtes  de 
Blois  et  de  Chartres  (1234),   et  par  le  mariage  de 
Charles  d'Anjou  avec   Beatrix  de  Provence,  etendit 
1'influence  des  Capetiens  jusque  dans  le  bassin  du 
Rhone.  Saint-Louis  acheva  par  les   lois  la  victoire 
commencee  par  les  armes.  II   contraignit  les  sei- 
gneurs feodaux  de  reconnaitre  1'independance  abso- 
lue  de  la  royaute.  Deja  Philippe-Auguste  avait  refuse 
de  se  soumettre  a  1'etrange  coutume  qui  obligeait 
le  suzerain    de  faire  hommage  a   son  vassal.    Du 
temps  de  Saint-Louis,  les  jurisconsultes  erigerent 
cette  independance  de  la  couronne  en  principe  poli- 
tique.  «  Le  roi,  disent  les  fitablissements  (1),  est  sou- 
verain  et  sa  cour  souveraine.» 

Bientot  les  jurisconsultes,  imbus  de  Tesprit  du 
droit  romain  qui  proclamait  le  souverain  la  lot  vi- 
vante,  allerent  plus  loin  et  pretendirent  soumettre 
tous  les  grands  vassaux  a  la  puissance  legislative  de 
la  royaute.  «  Ce  qui  lui  plait  a  faire  doit  etre  tenu 
pour  loi,  »  dit  Beaumanoir  (2).  —  «  Vrai  est,  ajoute 
le  meme  jurisconsulte  (3),  que  le  roi  est  souverain 
par-dessus  tous,  et  a,  de  son  droit,  la  garde  gene- 
rale  de  son  royaume,  par  quoi  il  peut  faire  tels  eta- 

(1)  titablissements  de  Saint-Louis,  liv.  II,  chap.  xxvu. 

(2)  Coutumes  de  Beauvoisis,  par  Phil,  de  Beaumanoir,  tfdit.  de 
M.  Reugnol,  t.  II,  p.  57. 

(3)  I  bid.,  page  22. 


PUISSANCE    DE    L\    ROYAUTE.  $5 

blissements,  cominc  il  lui  plait,  pour  le  coimnun 
profit,  et  ce  qu'il  etablit  doit  etre  tenu.  II  n'y  a  nul 
si  grand  au-dessous  de  lui  qui  ne  puisse  etre  trait  en 
sa  cour  par  defaute  de  droit  ou  pour  faux  juge- 
nieiit.  »  Ainsi,  d'apres  les  principes  proclames  par 
lesjurisconsultes,  la  France  entiere  etait  soumise  aux 
lois  royales,  et  les  plus  puissants  seigneurs  forces 
de  comparaitre  devant  les  juges  royaux.  Toute  autre 
justice  emanait  du  roi ,  comme  de  la  seule  puissance 
souveraine.  «  Toute  juri  diction  laique  du  royaume, 
dit  Beaumanoir  (1),  est  tenue  du  roi  en  fief  et  en  ar- 
riere-fief.  » 

On  trouve  ici  en  presence  deux  principes  comple- 
teinent  opposes,  et  dont  la  lutte  remplit  plusieurs 
siecles  de  notre  histoire  :  d'un  cote  la  feodalite,  qui 
attache  la  souverainete  au  sol,  a  la  propriete  territo- 
riale,  et  qui  resume  son  droit  dans  cette  maxime  : 
Pas  de  seigneur  sans  terre;  de  1'autre,  le  droit  ro- 
main,  qui  considere  la  souverainete  comme  une  puis- 
sance abstraite,  emanation  de  la  divinite,  la  repre- 
sentant  sur  la  terre  et  communiquant  son  droit  a  qui 
bon  lui  semble  sans  attacher  le  pouvoir  a  une  pro- 
priete territoriale.  Les  jurisconsultes  travaillerent 
avec  perseverance  et  succes  a  faire  triompher  les 
principes  de  la  loi  romaine.  Le  droit  feodal  est  a  leurs 
yeux  un  droit  haineux,  qui,  par  le  moyen  de  la  cou- 
tume  du  pays,  est  contraire  au  droit  e'crit  (2).  La 
royaute  leur  apparaissait  tellement  comme  une  ma- 


(1)  Beaumanoir,  i&tW.,  1,  163. 

(2)  J.  Bouteiller,  Somme  ruralc,  6dit.  de  1603,  p.  3, 


26  DU    PARLEMENT    SOUS    SAINT-LOUIS. 

nifestation  de  la  puissance  divine,  qu'ils  declaraient 
crime  de  sacrilege  la  revolte  centre  ses  ordonnan- 
ces  (1).  Us  1'assimilaient  entierement  a  la  puissance 
imperiale  et  declaraient  que  le  roi  etait  empereur  dans 
ses  Etats  (2).  II  s'agissait  de  faire  passer  cette  theo- 
rie  dans  la  pratique.  Saint-Louis  y  contribua  puis- 
samment  par  1'organisation  du  parlement  et  par 
1'extension  qu'il  donna  a  la  puissance  de  ses  baillis  et 
senecbaux. 

Le  parlement,  qui  commence  a  se  constituer  sous 
Saint-Louis,  etait  1'ancienne  cour  du  roi,  dont  le 
pouvoir  s'etait  etendu  et  fortifie  par  1'arret  de 
1224  (3).  Les  juriscorisultes,  que  Saint-Louis  y  ap- 
pela,  n'etaient  d'abord  que  les  conseillersdes  barons 
et  des  prelats,  qui  seuls  rendaient  les  arrets ;  mais 
ils  ne  tarderent  pas  a  monter,  comme  (lit  Saint-Si- 
mon, des  banes  inferieurs  sur  les  hauts  sieges  du 
parlement,  et  finirent  meme  par  juger  seuls  et  rem- 
placer  entierement  les  seigneurs  feodaux  et  les  pre- 
lats. Cette  revolution  ne  s'accomplit  que  successive- 
ment,  mais,  des  la  seconde  moitie  du  regne  de 
Saint-Louis,  le  parlement  devint  le  centre  de  1'admi- 
nistration  monarchique  :  justice,  finances,  actes  ad- 
ministratifs  etaient  de  son  ressort.  II  etait  tout  a  la 
fois  cour  de  justice  et  chambre  des  comptes  (4).  Le 

(1)  Bouteiller,  ibid.,  p.  171. 

(2)  Jbid.,  p.  195  et  646. 

(3)  Voy.  plus  haut,  pag.  20-21. 

(4)  Voyez  le  recueil  des  Olim  qui  a  et6  public  par  M.  le  comte 
Beugnot,   dans  la  collection  des  Documents  inedits   relatifs   a 
I'llisloire  do  France.  On  lit,  entre  autres,  dans  le  tome  I,  p.  838: 
«  Istud  expediluin  fuit  Parisius  in  c&mpotis  Assuinpciuuis  beaiac 
Mariae  Virginis.  » 


BAILL1S    ET    SESECI1AUX.  27 

recueil  des  arnHs,  designe  sous  le  110111  d'O/i///,  d<i- 
vint  la  regie  des  magistrals  royaux  envoyes  dans  les 
provinces.  C'etait  du  parlenieiit  que  le  roi  tirail 
ordinairement  les  baillis  et  les  senechaux ;  c'etait  la 
qu'ils  venaient  rendre  compte  de  leur  administration 
judiciaireet  financiere.  Malgre  ces  modifications  qui 
donnent  au  pariement  une  si  grande  importance  dans 
1'organisation  administrative  de  la  France  ,  il  con- 
servait  encore  un  caractere  profondement  feodal , 
se  composait  en  majorite  de  barons  etde  prelats  et 
ne  se  reunissait  que  de  loin  en  loin  aux  epoques  ou 
les  seigneurs  feodaux  tenaient  ordinairement  leurs 
assises. 

Au-dessous  du  pariement,  centre  et  lumiere  de 
1'adininistration  monarchique,  Saint-Louis  multiplia 
dans  les  domaines  royaux  des  magistrats  appeles 
baillis,  senechaux,  prevots  et  vicomtes.  L'institution 
est  anterieure,  puisque  deja  les  baillis  sont  mention- 
nes  dans  le  Testament  de  Philippe- A uguste,  mais 
elle  fut  developpee  et  perfectionnee  par  Saint-Louis, 
Quatre  grands  baillis  furent  etablis  :  a  Amiens,  pour 
les  provinces  du  nord  (Vermandois  et  Artois) ;  a  Sens, 
pour  la  France  centrale  (ducbe  de  France,  Maine, 
Anjou  et  Touraine);  a  Macon,  pour  les  provinces 
orientates  (Bourgogne,  Forez  et  Beaujolais) ;  enfm,  a 
Saint-Pierre-le-Moutier,  pour  1'Auvergne.  La  furent 
jusqu'a  la  fin  de  1'ancienne  monarchie  les  sieges  des 
grands  bailliages  qui  ressortissaient  au  pariement  de 
Paris  et  recevaient  les  appels  des  justices  seigneu- 
Hales.  La  Normandie  avait  conserve  son  echiquier 


28  ENQUfcTEURS     ROYAUX. 

dont  on  fait  remonter  1'origine  jusqu'a  Rollon  (1), 
et  le  Languedoc  ses  senechaussees ,  dont  les 
appels  furent  dans  la  suite  portes  au  parlement 
de  Toulouse.  Les  baillis  et  senechaux  cumu- 
laient  les  attributions  les  plus  diverses ;  chefs 
militaires,  juges,  percepteurs  d'impots,  ils  auraient 
pu  opprimer  le  peuple  et  usurper  une  autorite  qui 
les  aurait  assimiles  aux  dues  et  aux  comtes  de  1'em- 
pire  franc.  Pour  prevenir  ce  danger  et  obeir  aux  in- 
spirations de  sa  conscience  toujours  soucieuse  du 
bien  public,  Saint-Louis  adopta  des  mesures  qui  furent 
confirmees  et  etendues  par  Philippe-le-Bel :  nomina- 
tion des  baillis  et  senechaux  pour  trois  ans,  defense 
d'acquerir  des  proprietes,  de  se  marier  ou  de  marier 
leurs  enfants  dans  le  pays  qu'ils  administraient,  exa- 
men  de  leurs  comptes  par  la  cour  du  roi  (2) ;  in- 
spections frequentes  par  les  enquesteurs  royaux 
qui  rappelaient  les  missi  dominici  de  Charlema- 
gne (3) ;  ordre  aux  baillis  et  senechaux  de  rester  cin- 

• 

(1)  L'ftchiquier  de  Normandie  fut  pendant  longtemps,  comme  le 
parlement  de  Paris,  chambre  des  comptes  aussi  bien  que  cour  de 
justice.  Voy.  YHistoire  de  I'Echiquier  de  Normandie 9  par  M.  Flo- 
quet. 

(2)  Voy.  dans  le  Recueil  des  Ordonn.  des  rois  de  France,  t.  I, 
p.  65,  76,  77.  104,  et  t.  XT,  p.  330,  les  ordonnances  de  juillet  et 
decembre  1254,  de  fevrier  1254  (1255)  et  de  1256.  —  Le  serment 
impost  aux  baillis  se  trouve  dans  Ducange ,  v°  BAJULUS  vel  BAIL- 
LIVUS. 

(3)  «  Aucune  fois  le  benoict  P.oi  oit  que  ses  baillis  et  prevosts  fe- 
soient  au  peuple  de  sa  terre  aucunes  injures  et  torts,  ou  en  jugeant 
mauvaisement  ou  en  oslant  leurs  biens  contre  justice;  pour  ce  ac- 
coustuma  il  a  ordener  certains  enquesteurs...  a  enquerre  contre  les 
baillis  et  centre  les  pr6vosls  et  contre  les  autres  sergents  par  le 
royaume,  et  donnoitau  dis  enquesteurs  pouvoirque,  s'ilstrouvoient 
aucuues  clioses  des  baillis  et  autres  ofliciers  oslces  maleinenl  ou 


QUARANTAINE-LE-ROI.  29 

quantc  jours  dans  leur  province  apres  I'expiration 
de  leur  charge  pour  repondre  aux  accusations  por- 
tees  contre  eux  (1).  Ce  qui  valait  mieux  encore  quo 
ces  sages  lois,  c'etait  1'exemple  du  saint  roi,  et  sa 
purete  morale  qui  penetrait  dans  tous  les  rangs  de 
I'adniinistration.  On  ne  peut  lire  sans  admiration  le 
portrait  qu'un  de  ses  contemporains,  Philippe  de 
Beaumanoir,  a  trace  du  bailli  probe  et  loyal  (2). 

Saint-Louis  n'usa  de  cette  puissance  qu'il  avait 
organisee  dans  tout  le  royaume  que  pour  le  bien 
de  la  France.  Les  guerres  privees  etaient  le  plus 
odieux  abus  du  systeme  feodal,  et  la  treve  de  Dieu 
n'avait  ete  qu'une  faible  tentative  pour  mettre  un 
terme  a  cette  calamite.  Saint-Louis  y  apporta  un  re- 
mede  plus  efficace.  En  1245,  il  renouvela  \aQua- 
rantaine-le-Roi,  dont  on  attribue  la  premiere  pen- 
see  a  Philippe-Auguste.  Cette  mesure  d'ordre  public 
etait  destinee,  selon  les  termes  memes  de  Tordon- 
nance  (3)  «  a  la  tuition  du  pays  et  des  habitants  du 
royaume.  »  La  Quarantaine-le-Roi  suspendait  les 
guerres  privees  pendant  quarante  jours  et  les  chan- 
geait  en  un  proces  qui  etait  porte  devant  les  ma- 
gistrats  royaux.  Celui,  en  faveur  duquel  le  roi  s'etait 


soustrailes  a  quelques  personnes  que  ce  fust,  que  les  fissent  resla- 
blir  sans  demeure,  et  avec  tout  ce,  que  ils  ostassent  de  leurs  of- 
fices les  mauvais  prevosts  et  les  autres  moindres  sergents  qu'ils 
trouveroient  dignes  d'estreostes.»  Recueil  des  kistoriensdc  France, 
XX,  119. 

(1)  Ordonnance  de  decembre  1254,  dans  le  Recueil  des  Or  don- 
nances  des  rois  de  France,  I,  65. 

(2)  Goutumes  de  Beaiwoisis,  par  Philippe  de  Beaumanoir ,  cha- 
pitre  i,  intitule  dc  I'officc  as  baillis. 

(3)  Recueil  de$  Ordonnances,  f,  58. 


30  PROHIBITION   DES    GlERRES    PRIVEES. 

prononce,  avait  son  assurement  et  etait  soutenu  par 
toutes  les  forces  de  la  rdyaute.  Apres  son  retour  de 
la  croisade,  Saint-Louis  prohiba  entierement,  au  mois 
de  Janvier  1257  (1258),  les  guerres  privees ,  qui  en- 
trainaient  des  incendies  et  la  perturbation  du  labou- 
rage  (1).  II  fut  1'homme  du  monde,  qui  plus  se  tra- 
vailla,  comme  dit  Joinville,  a  mettre  paix  et  concorde 
entre  ses  sujets. 

[/administration  de  la  justice  appela  aussi  toute 
son  attention,  et  Ton  sait  avec  quel  zele  le  bon  roi, 
sous  le  chene  de  Vincennes  ou  en  son  jardin  de  Pa- 
ris, s'efforc.ait  de  terminer  les  proces  (2).  Supprimer 
le  duel  judiciaire,  qui,  pour  me  servir  des  termes 
memes  de  Saint-Louis,  n'etait  pas  voie  de  droit , 
substituer  a  cette  coutume  barbare  la  procedure  par 
temoins  (3) ;  centraliser  la  justice  en  portant  1'appel 
des  juridictions  feodales  devant  les  baillis  royaux  et 
de  ceux-ci  devant  la  cour  du  roi  ou  parlement  (4)  ; 
multiplier  les  cas  royaux  (5) ,  qui  ressortissaient  au 
tribunal  des  baillis  et  annulaient  les  justices  sei- 


(1)  Ordonn.yL I,  p. 84 :  « Noverilis  nos  guerras  wines  inhibuisse 
in  regno  et  incendia  et  carrucarura  perturbationem.  » 

(2)  Joinville,  edit,  de  1786,  II,  1A2-143. 

(3)  Ordonnances^  S6.—£lablissements  de  Saint-Louis,  liv.il, 
chap.  IT,  in,  iv,  v,  etc. 

(A)  titablissements,  liv.  I,  ch.  LVII,  LXXVIII,  etc. 

(5)  Les  premiers  cas  royanx,  ou  crimes  dont  la  connaissance 
e"tait  re"serv6e  aux  magistrats  royaux,  etaient  le  meurtre,\t  rapt, 
Yliomicide  et  la  trakison.  An  xine  siecle  on  y  ajouta  les  sacri!6- 
ges,  la  fabrication  de  la  fausse  monnaie,  les  attentats  centre  la  su- 
relc  publiquc  el  la  rebellion  centre  les  ofiiciers  royaux.  Les  cits 
royaux  n'elaient  pas  clairement  d^finis,  et  les  baillis  profitaienl  de 
ce  vague  pour  etendre  leur  puissance. 


REFORMATION   DE   LA   JUSTICE.  31 

gneuriales;  reformer  les  mauvaises  coutumes  (1); 
luire  reciu'illir  et  rediger  celles  que  le  temps  et  la 
raison  avaient  consacrees  (2),  telles  furent  les  prin- 
cipales  mesures  de  Saint-Louis  pour  la  reformation 
de  la  justice.  Elles  eurent  d'importants  resultats  : 
les  coutumes  de  Paris,  de  Normandie,  de  Beauvoisis 
furent  recueillies  et  publiees  (3).  Des  usages  iniques 
furent  abolis,  par  exemple  la  coutume  de  Touraine 
qui  condamnait  a  perdre  un  membre,  le  serviteur  ou 
la  servante  qui  avaient  vole  a  leur  maitre  un  pain, 
une  poule,  un  pot  de  vin  (4).  Saint-Louis  supprima 
aussi  une  coutume  de  Vermandois  qui  defendait  de 
relever  une  charrette  versee  sous  peine  de  soixante 
livres  d'amende  (5). 

La  diversite  des  monnaies  entravait  le  commerce, 
et  souvent  meme  les  seigneurs  faisaient  en  les  alte- 
rant une  odieuse  speculation.  Saint-Louis  frappa 

(1)  Voy.  le  recueil  des  Olim,  t.  I,  p.  497,  530-531,  562,  563, 
etc.  Apres  avoir  cite   la    coutume  abolie  par   Saint-Louis,    les 
arrets  se  lerminent  souvent  par  ces  mots  :  «  Dominus  rex  amovit 
istam  consuetudincm.  »  Un  des  successeurs  de  Saint-Louis  a  digne- 
ment  exprime  ce  devoir  de  la  royaute"  :  «  Opus  bonum  et  regia 
inagnificenlia  dignum  facimus  quoties  illicitas  consuetudines  extin- 
guimus,  et  pravas  consuetudines  abolemus.  »  Ordonn.  des  rois 
de  France,  II,  434. 

(2)  Saint-Louis  ordonna  une  enqiiete  sur  toutes  les  coutumes  du 
royaume,  afm  de  les  faire  rediger.  pest  ce  qu'atteste  un  acte  tire 
d'un  manuscrit  de  la  Bibl.  impe"riale,  intitule :  CartuLaire  de  Saint- 
Louis,  t.  1,  p.  458. 

(3)  La  Coutume  de  Paris  a  ete  publie'e  sous  le  titre  ftfitablissc- 
ments  dc  Saint-Louis.  Philippe  de  Beaumanoir  a  donne"  la  Cou- 
tume de  Beauvoisis.  La  Coutume  de  Normandie  e"tait  traduite 
en  vers  francais  avant  la  fin  du  xme  siecle.  Ilouard  a  public  cette 
Iraduction  dans  Touvrage  intitule :  Lois  angto-normandcs. 

(4)  Rccucildes  anc.  lois  fraiif.,  I,  295. 

(5)  Ibid.,  280. 


32  ADMINISTRATION    FINANClfeRE. 

line  monnaie  excellente  qui  devait  avoir  cours  dans 
tout  le  royaume  et  annonga  1'intention  de  supprimer 
toutes  les  monnaies  feodales  dans  un  delai  fixe  (1). 
Des  bourgeois  de  Paris,  de  Provins,  d'Orleans,  de 
Sens  et  de  Laon  concoururent  a  la  redaction  de 
cette  ordonnance.  Saint-Louis  voulut,  comme  Phi- 
lippe-Auguste,  que  le  peuple  prit  part  a  la  repar- 
tition et  a  la  perception  de  1'impot,  dont  il  suppor- 
tait  tout  le  fardeau.  Mais  il  adopta  des  precautions 
minutieuses  pour  prevenir  les  abus.  Les  villes  de- 
vaient  d'abord  nommer  trente  ou  quarante  bour- 
geois, selon  1'importance  de  la  cite.  Ceux-ci  choi- 
sissaient  douze  d'entre  eux  pour  proceder  loyalement 
a  1'assiette  de  taille.  Enfin  les  douze  repartiteurs 
nommaient  a  leur  tour  quatre  prud'hommes  (boni 
homines,  probi  homines),  qui  devaient  taxer  les  re- 
partiteurs eux-memes  et  percevoir  la  taille.  Cette 
derniere  election  etait  tenue  secrete  et  les  noms  des 
quatre  bourgeois  n'etaient  proelames  qu'au  moment 
de  la  perception  de  I'impot  (2).  Telle  fut  1'origine  des 
Etus ,  qui  n'avaient  d'abord  pour  mission  que  de 
faire  la  repartition  des  impots,  et  qui  au  xive  siecle 
devinrent  des  fonctionnaires  publics,  comme  le 
prouve  1'histoire  des  regnes  de  Jean  et  de  Charles  V. 
Enfin  des  gens  de  la  cour  du  rot  ou  parlement  rece- 
vaient  la  mission  d'aller  dans  les  provinces  surveiller 
1'administration  financiere  et  ouir  les  comptes  des 
baillis  et  des  senechaux  (3) ;  il  etait  expressement 

(1)  Ordonnances  des  rois  de  France,  I,  93. 
(2)/«<t,  291. 

(3)  «  Gentes  quae  ad  nostros  compolos  deputantur.  »>  Ordonn.  de 
125()  dans  les  Ordonn,  des  rois  de  France,  I,  83. 


REFORMS   DES   COMMUNES.  33 

deTendu  a  ces  derniers  de  leur  faire  aucun  pre- 
snet. 

Les  reformes  de  Saint-Louis  s'etendirent  a  1'admi- 
nistration  municipale.  Les  communes  etaient  dechi- 
rees  par  des  factions,  par  des  guerres  civiles,  par  les 
rivalries  des  riches  bourgeois  et  des  gens  de  metier; 
souvent,  au  milieu  de  ces  luttes,  les  elections  muni- 
cipales  devenaient  impossibles.  L'aristocratie  bour- 
geoise  chargee  de  regir  les  revenus  communaux  reje- 
tait  sur  les  pauvres  tout  le  fardeau  des  impots  et  fai- 
sait  largesse  des  deniers  de  la  commune.  Saint-Louis 
init  un  terme  a  ces  desordres ;  il  determina  le  mode 
d'election  des  maires  etdes  echevins,et  leur  enjoignit 
de  venir  rendre  compte  a  Paris  de  leur  administration 
fmanciere  (1).  II  prit  toutes  les  precautions  necessai- 
res  pour  que  ces  voyages  ne  fussent  point  onereux  aux 
communes,  et  il  alia  meme  jusqu'a  fixer  le  nombre  de 
chevaux  dont  les  maires  pourraient  disposer  lors- 
qu'ils  se  rendraient  a  Paris.  En  meme  temps  il  se 
reservait,  au  moins  pour  certaines  provinces,  1'elec- 
tion  du  maire.  Les  bourgeois  devaient  presenter  trois 
candidats,  entre  lesquels  le  maire  serait  choisi  par  le 
roi  (2).  Les  communes  etaient  ainsi  de  plus  en  plus 
soumises  a  1'influence  de  1'autorite  monarchique. 

De  toutes  les  villes  qui  appelaient  des  reformes, 
Paris  etait  celle  ou  les  abus  etaient  les  plus  graves.  La 
prevote  y  etait  venale,  et  les  prevots  encourageaient  lo 
mal  au  lieu  de  le  reprimer.  «  Quand  il  advenoit,  dit 

(1)  Ordonn.  des  rois  de  France,  I,  82  et  83. 

(2)  Jbid.,  f,  83. 


34  REFORME   DE   U   PREYOTfc   DE   PARIS, 

Joinville  (1),  qu'aucuns  1'avoient  achetee,  ils  soute- 
noient  leurs  enfants  et  leurs  neveux  en  leurs  outra- 
ges ,  car  les  jouvenc,aux  avoient  fiance  en  leurs  pa- 
rents et  en  leurs  amis  qui  tenoient  la  prevote.  Pour 
cette  chose  etoit  le  menu  peuple  trop  defoule  ni  ne 
pouvoit  avoir  droit  des  riches  hommes  pour  les 
grands  presents  et  dons  qu'ils  faisoient  au  prevot. 
Qui  a  ce  temps  disoit  vrai  devant  le  prevot  ou  qui 
vouloit  son  serment  tenir,  pour  n'etre  parjure  d'au- 
cune  dette  ou  d'aucune  chose  ou  il  fut  tenu  de  re- 
pondre,  le  prevot  en  levoit  1'amende  et  il  etoit  puni. 
Par  les  grands  parjures  et  par  les  grandes  rapines 
qui  etoient  faites  en  la  prevole,  le  menu  peuple  n'o- 
soit  demeurer  en  la  terre  da  roi,  mais  alloit  de- 
meurer  en  autres  prevotes  et  seigneuries,  en  etoit  la 
terre  du  roi  si  deserte,  que,  quand  il  tenoit  ses  plaids, 
il  n'y  venoit  pas  plus  de  dix  personnes  ou  douze. 
Avec  ce,  il  y  avoit  tant  de  larrons  et  malfaiteurs  a 
Paris  et  dehors  que  tout  le  pays  en  etoit  plein.  Le 
roi,  qui  mettoit  grande  diligence  comment  le  menu 
peuple  fut  garde,  sut  toute  la  verite  ;  il  ne  voulut 
plus  que  la  prevote  fut  vendue ;  mais  il  donna  gages 
bons  et  grands  a  ceux  qui  des  ores  en  avant  la  gar- 
deroient,  et  toutes  les  mauvaises  coutumes,  dont  le 
peuple  pouvoit  etre  greve  il  abattit,  et  fit  enquerir 
par  tout  le  royaume  et  par  tout  le  pays/ou  il  pourroit 
trouver  homme  qui  fit  bonne  justice  et  roide,  sans 
avoir  egard  au  riche  plus  que  au  pauvre,  et  lui  fut 
amene  un  qu'on  appeloit  Etienne  Boyleau,  auquel  il 

(1)  Joinville,  £dit.  de  1786,  t.  II,  p.  272. 


RtiFORME   DES   CORPORATIONS   D*ARTS   ET  METIERS.          35 

donna  1'office  de  prevent  de  Paris.  »  ^tienne  Boyleau 
on  Boyleve  chatia  les  malfaiteurs  sans  distinction  de 
rang  ni  de  naissance,  repeupla  Paris  et  la  prevote,  et 
favorisa  1'industrie  en  recueillant,  amendant  et  pu- 
l)Iiant,  d'apres  1'avis  des  notables  des  divers  metiers, 
les  establissements  des  metiers  de  Paris  (\ } . 

Les  corporations  industrielles  etaient  une  necessity 
de  cette  epoque.  Elles  donnaient  une  garantie  de 
I'hatilete  de  1'ouvrier,  qui  etait  tenu  de  faire  son 
chef-d'oeuvre  avant  de  passer  maitre ;  elles  le  sou- 
mettaient  a  la  surveillance  des  gardes  du  metier, 
qu'on  appela  dans  la  suite  les  syndics  de  la  corpora- 
tion ;  elles  assuraient  des  secours  au  compagnon 
pauvre  ou  infirme,  et  etablissaient  une  veritable  fra- 
ternite  entre  les  ouvriers  d'un  meme  metier.  Tel  etait 
du  moins  1'ideal  de  ces  associations  industrielles : 
malheureusement  elles  reposaient  trop  souvent  sur 
1'esprit  d'exclusion  et  de  monopole.  Saint-Louis  ren- 
dit  un  veritable  service  a  1'industrie,  en  les  soumet- 
tant  a  la  surveillance  du  pouvoir  central.  L'autorite 
monarchique,  dans  cette  matiere  comme  dans  toutes 
les  autres  parties  de  radministration,  intervint  avec 
le  caractere  d'une  puissance  bienfaisante,  superieure 
aux  passions  egoistes  et  visant  au  bien  general.  Le 
Livre  des  metiers  en  fournit  la  preuve  :  «  Pour  ce 
que  nous  avons  vu  de  notre  temps,  dit  fitienne 
Boyleau,  moult  de  plaids  et  de  contestations  par  la 
deloyale  envie  qui  est  mere  de  plaids  et  par  effrenee 
corivoitise,  et  par  le  non-sens  aux  jeunes  et  ignorants, 

(1)  Le  Livre  des  metiers  a  6t6  publte  par  M.  Depping,  dans  les 
Documents  ine"dits  de  I'llistoire  de  France. 


36  LE   LIVRE   DES   METIERS. 

notre  intention  est  a  eclairer  au  mieux  que  nous 
pourrons  tous  les  metiers  de  Paris,  leurs  ordonnan- 
ces,  les  delits  de  chaque  metier  et  les  amendes.  » 

Le  Livre  des  metiers  fournit  de  curieux  renseigne- 
ments  sur  1'etat  de  1'industrie  a  1'epoque  de  Saint- 
Louis.  On  y  voit  que  plusieurs  corporations  s'occu- 
paient  de  1'armure  des  chevaliers.  Les  lormiers  et 
e'peronniers  travaillaient  a  forger  les  morels  des  che- 
vaux,  et  a  dorer  les  eperons  des  chevaliers.  D'autres 
faconnaient  et  ornaient  de  blasons  et  de  peintures  les 
selles  des  chevaux.  Les  heaumiers  fahriquaient  les 
casques  fermes  appeles  heaumes  et  les  ciselaient  avec 
art.  Plusieurs  corporations  se  composaient  d'artistes 
autant  que  d'ouvriers  :  ainsi  les  maitres  tailleurs 
d'images  etaientsouvent  d'habiles  sculpteurs,  comme 
quelques  maitres  des  ceuvres  de  maconnerie  furent 
d'admirables  architectes;  la  Sainte-Chapelle  et  la 
chapelle  de  Vincennes  suffiraient  pour  1'attester.  Les 
reliquaires,  travailles  avec  un  art  si  patient  et  si  de- 
licat,  prouvent  a  quel  degre  de  perfection  avaient  ete 
portees  1'ivoirerie  et  Torfevrerie.  Les  maitres  table- 
tiers  et  huclietiers  ont  laisse  des  bahuts  et  des  dres- 
soirs  que  recherchent  les  amateurs  du  m oven-age  et 
qui  ont  un  merite  reel,  meme  aux  yeux  de  ceux  qui 
ne  cedent  pas  a  Fengouement  et  aux  caprices  de  la 
mode. 

Parmi  les  corporations  qui  s'pccupajent  de  Fhabil- 
lement,  les  fourreurs  et  les  pelletiers  etaient  au  pre- 
mier rang.  Les  riches  fourrures,  que  portaient  les 
chevaliers  et  les  nobles  dames,  donnaient  beaucoup 
d'importance  a  cette  branche  d'industrie.  Les  peaux 


L'INDUSTRIE  sous  SAINT-LOUIS.  37 

de  castor  et  de  martre  excitaient  une  admiration  qui 
allait  jusqu'a  la  folie,  dit  nai'vement  un  chroniqueur 
du  moyen-age  (1).  La  fourrure  tachetee  appelee  vair 
(varium},  dont  on  garnissait  les  manteaux  et  le  bon- 
net ou  mortier  des  chevaliers,  etait  aussi  en  grande 
estime  ;  les  ecclesiastiques  en  ornaient  les  vetements 
sacerdotaux,  malgre  la  defense  des  synodes  (2).  Les 
gantiers  fac,onnaient  des  gants  de  toute  nature;  il  y 
en  avait  de  souples,  legers  et  gracieux,  qu'on  appe- 
lait  gants  a  demoiselles.  Un  petit  poeme,  intitule  Dit 
du  mercier,  detaille  avec  complaisance  toutes  les  ri- 
chesses  industrielles  de  cette  epoque  :  aumonieres  ou 
bourses  de  soie  et  de  cordouan  ,  pierres  precieuses 
travaillees  avec  art,  chapeaux   de  fleurs,   etc.  Les 
halles,  ou  chaque  corporation  avait  sa  place   dis- 
tincte,  presentaient  un  aspect  anime  et  pittoresque. 
C'etait  surtout  aux  foires  de  Champagne  et  du 
Lendit   ( foire  de  Saint-Denis  )   que   1'industrie  du 
moyen-age  etalait  ses  produits  les  plus  varies  et  les 
plus  brillants.  Ces  foires  formaient  deveritables  villes 
improvisees,  avec  leurs  quartiers  et  leurs  rues.  Un 
poete  du  moyen-age  enumere    quelques-unes    des 
corporations  qui  les  frequentaient;  il  raconte  qu'il  a 

Au  bout,par  dega  regratiers, 
Trouve  barbiers  et  cervoisiers, 
Taverniers  et  puis  tapissiers ; 
Assez  pres  d'eux  sont  les  merciers. 

(1)  wPellescastorum  et  marturum,  qua?  nos  admiratione  sut  demen- 
tes  facinnt.  »  Adam  de  Br£me,  Description  du  Danemark,  c.  229. 

(2)  «  Quod  archiepiscopus  varium  non  ferret.  »  Albert.  Stadens, 
ad  ann.   1183.  • —  «  Capa  rhoralis  pellibns  variis  fnrata.  »  Mathien 
Paris,  ad  ann.  1237. 

I.  k 


38  L'INDUSTRIE  sous  SAINT-LOUIS, 

A  la  c6te  du  grand  chemin 
Est  la  foire  du  parchemin ; 

Et  apres  trouvoit  les  pourpoints 

Puis  la  grande  pelleterie... 

Puis  m'en  revins  en  un  plaine, 

Ou  Ton  vend  cuirs  crus  et  laine  ; 

M'en  vins  par  la  fe"ronerie; 

Apres  Irouvai  labatterie  (chaudronniers), 

Courdouaniers  et  boureliers, 

Selliers  et  fremiers  et  cordiers... 

Apres  les  joyaux  d'argent 

Qui  sont  ouvres  d'ofevrerie. 


Les  marchands  ne  negligeaient  pas,  dans  ces  fetes 
del'industrie,  les  artifices  de  la  coquetterie  feminine  ; 
on  voit,  en  effet,  que  des  cette  epoque  le  fard  etait 
en  usage.  Les  synodes  reprochent  aux  femmes  de  se 
peindre  le  visage  et  de  vouloir  changer  la  figure  que 
Dieu  leur  a  donnee  (1). 

Le  meilleur  moyen  de  favoriser  et  de  gagner  la 
bourgeoisie  etait  d'etendre  le  commerce,  principe  de 
ses  richesses  et  de  son  influence.  La  royaute  avait  des 
ports  sur  1'Ocean  depuis  la  conquete  de  Philippe- 
Auguste.  Saint-Louis  creusale  port  d'Aigues-Mortes, 
sur  la  Mediterranee  (1246),  et  accorda  d'importants 
privileges  aux  habitants;  il  obtint  du  due  de  Breta- 
gne  qu'il  renoncerait  au  droit  debris  (2),  privilege 
odieux  qui  lui  livrait  les  depouilles  des  naufrages. 
Les  lois  d'Oleron  ou  Jugements  de  la  mer  etablirent 
un  droit  des  gens  pour  les  inarins.  Les  croisades  de 
Saint-Louis,  1'essor  qu'elles  donnerent  a  la  marine, 
les  longs  voyages  de  Plan-Carpin  (1246)  etde  Rubru- 


(1)  D.  Martene,  Thesaurus  anecdotorum,  IV,  661. 

(2)  Anc.  lois  franf.,  I?  238. 


COMMERCE   SOUS    SAINT-LOUIS.  39 

quis  (1252),  qu'il  encouragea  dans  une  pens6e  toute 
religieiise,  ouvrirent  de  nouvelles  voies  au  commerce 
de  la  France.  Les  denrees  venues  de  1'Asie  a  Mar- 
seille, a  Aigues-Mortes,  a  Narbonne,  etaient  trans- 
portees  dans  le  nord  de  la  France,  exposees  aux  foi- 
res  de  Troyes,  de  Saint-Denis,  et  echangees  centre 
les  produits  de  I'industrie  francaise.  Saint-Louis  fa- 
vorisa  surtout  le  commerce  en  assurant  la  securite 
des  routes,  en  rendant  les  seigneurs  responsables  des 
vols  commis  sur  leurs  terres  (1),  en  detruisant  les 
peages  multiplies  par  la  fiscalite  feodale  (2),  et  en 
forcant  quelquefois  les  villes  a  lever  les  obsta- 
cles que  leurs  privileges  opposaient  au  commerce. 
Les  Rouennais  pretendaient  avoir  le  monopole  de  la 
navigation  sur  la  basse-Seine,  et  levaient  des  im- 
pots  sur  les  navires  qui  remontaient  ce  fleuve. 
Saint-Louis  les  menaca  de  creuser  un  port  sur  la 
Seine,  dans  un  lieu  nomme  Couronne,  qui  faisait 
partie  du  domaine  royal,  et  il  les  contraignit  a  se 
relacher  des  droits  exorbitants  que  les  anciennes 
cbartes  leur  avaient  accordes  (3). 

La  population  des  canlpagnesprofita,  commecelle 
des  villes,  de  Tadministration  bienfaisante  de  Saint- 
Louis.  L'esclavage  avait  disparu  ;  le  servage  fut 
adouci.  Pbilippe  de  Beaumarioir  (4)  conseille  aux 
seigneurs  d'affranchir  leurs  serfs.  «  Vous  pouvez  en- 


(1)  Recueil  des  Olim,  I,  328. 

(2)  Ibid.,  pag.  126  et  127. 

(3)  La  charte  de  transaction  enlre  le  roi  et  les  bourgeois  de 
Rouen  est  conserved  aux  Archives  imperiales. 

L(4)  Gout  tunes  de  Beauvoisis,  cli.  XLV. 


40  L'AGRICULTURE  PROTEGEE. 

tendre,  leur  dit-il,  que  grande  aumonc  fait  le  sire 
qui  ote  les  serfs  de  servitude  et  les  met  en  franchise ; 
car  ce  est  grand  mal,  quand  chretien  est  de  serve 
condition.  »  Le  meilleur  moyen  de  proteger  les  serfs 
et  les  paysans  etait  de  faire  regner  1'ordre  et  la  secu- 
rite  dans  le  royaume.  Saint-Louis  y  parvint  en  prohi- 
bant  les  guerres  privees,  et  tout  prouve  qu'al'abri  de 
la  salutaire  protection  du  roi  1'agriculture  devint  flo- 
rissante.  Lorsqu'au  commencement  de  la  guerre  de 
cent  ans,  les  Anglais  entrerent  en  Normandie,  ils 
trouverent  cette  province  dans  un  etat  de  prosperite 
agricole  et  industrielle  qu'il  faut  surtout  attribuer  a 
1'administration  de  Saint-Louis. 

Ce  prince  ne  negligea  pas  les  ecoles ;  les  privileges 
de  1'Universite  de  Paris  furent  continues  (1).  Les  eco- 
les d'Orleans  s'organiserent  et  furent  specialement 
consacrees  a    renseignement  du  droit  (2).   Robert 
Sorbon,  confesseur  de  Saint-Louis, fonda  la  Sor bonne 
pour  I'enseignement  de  la  theologie.  Le  roi  favorisa 
les  ordres  mendiants,  qui ,  nes  en  Italie  et  en  Espa- 
gne,  se  propagerent  en  France  sous  son  regne.  Ces 
institutions  monastiques  repondaient  a  un  besoin  de 
la  societe.  Au  commencement  du  xme  siecle,  1'Eglise 
nvait  ete  attaquee  avec  violence  :  lesAlbigeois  avaient 
renouvele  les  heresies  orientales,  pendant  que  les 
Vaudois  annongaient  Tintention  de  revenir  a  la  sim- 
plicite  evangelique.  Les  freres  precheurs  et  mineurs, 
qu'on  appelle  aussi  Dominicains  et  Franciscains,  op- 

(1)  Ordonnances,XI,  326. 

(2)  L'Universite  d'Orleans  ne  fut  compl^tement  organisee  qu'en 
1307.  Pasquier,  llccherches  de  la  France,  liv.  lll,ch.  x. 


I'ROGRtS    i)KS    LKTTKKS    KT    DKS    ARTS.  4J 

poserent  a  ces  nouvelles  doctrines  une  pauvrete  ab- 
solue  et  une  science  profonde.  Les  theologiens  et  les 
philosophes  les  plus  eminents  du  treizieme  siecle  sor- 
tirent  de  leurs  couvents.  Au-dessus  de  tous  se  placent 
le  franciscain  saint  Bonaventure  et  le  dominicain 
saint  Thomas  d'Aquin ,  qui  fut  un  des  confidents  de 
Saint-Louis.  Ce  prince  confia  plusieurs  chaires  de 
1'Universite  de  Paris  aux  moines  mendiants. 

Sous  sonregne,  ('architecture  qgivale  parvint  a  son 
plus  haul  degre  de  perfection,  et  la  Sainte-Chapelle  en 
est  restee  le  type  le  plus  admirable.  Quiconque  s'est 
occupe  de  paleographie  sait  que  les  cbartes  de  cette 
epoque  se  distinguentparla  beaute  de  la  calligraphic. 
Ainsi  tout  se  reunit  pour  donner  au  regne  de  Saint- 
Louis  un  caractere  de  grandeur  et  de  superiorite  mo- 
rale qu'ont  admire  tous  les  historians  modernes,  sans 
distinction  de  parti  (1).  Tous  ont  proclame  1'accord 
merveilleux  de  la  piete  la  plus  scrupuleuse  et  de  la 
politique  la  plus  habile;  jamais  la  conciliation  pro- 
fonde et  intime  de  1'utile  et  du  juste  n'a  paru  plus 
manifeste  que  sous  ce  regrie.  Est-il  necessaire  de 
rappeler  les  asiles  ouverts  par  Saint-Louis  a  la  vieil- 
lesse  et  a  la  maladie,  rachevement  de  1'Hotel-Dieu  et 
la  fondation  de  I'hopital  des  Quinze-Vingts,  oil  de- 
meuraient,  dit  Guillaume  de  Nangis,  plus  de  trois 
cent  cinquante  aveugles  ? 

Malheureusement  Saint-Louis  ne  s'eleva  pas  tou- 


(1)  Voy.  Guizot,  Cours  (Chistoirc  dc  la  civilisation  en  France. 
—  Michelet,  Hisloire  dc  France,  t.  II.  —  Mignet  et  Beugnot  , 
Mcinoircs  stir  les  Institutions  de  Saint-Louis.  —  Henri  Martin, 
Histoire  dc  France,  etc. 


?  LEGISLATION   RELIGIEUSE. 

jours  au-dessus  de  son  siecle,  et  on  trouve  dans  ses 
lois  des  traces  de  la  barbaric  du  moyen-age.  Les  ri- 
gueurs  contre  les  beretiques,la  persecution  des  Juifs, 
la  cruante  des  ordonnances  contre  les  blasphema- 
teurs  (1),  sont  une  triste  preuve  de  Timperfection  de 
toutes  les  oeuvres  humaines.  Cependant  la  piete  de 
Saint-Louis  etait  eclairee;  il  sut  resister  au  clerge, 
quand  les  pretentious  de  cet  ordre  lui  parurent  exor- 
bitantes.  Joinville  (2)  raconte  qu'un  jour  tous  les  pre- 
lats  se  trouverent  a  Paris  pour  parler  au  roi.  «  Quand 
il  le  sut,  il  se  rendit  au  palais  pour  la  les  ou'ir  de  ce 
qu'il  vouloient  dire.  Quand  tous  furent  assembles, 
1'eveque  d'Auxerre  eommenca  a  dire  au  roi,  par  le 
conge  et  consentement  de  tous  les  autres  prelats  : 
«  Sire,  sachez  que  tous  ces  prelats,  qui  sont  ici  en 
»  votre  presence,  me  font  dire  que  vous  laissez  per- 
»  dre  toute  la  chretiente  et  qu'elle  se  perd  entre  vos 
»  mains.  »  —  Adonc  le  bon  roi  se  signa  de  la  croix 
et  dit :  «  Eveque,  or  me  dites  comment  il  se  fait  et 
»  par  quelle  raison.  » — «  Sire,  fit  1'eveque,  c'est 
»  pour  ce  qu'on  ne  tient  plus  compte  des  exeommu- 
»  nications.  Car  aujourd'hui  un  homme  aimeroit 
»  mieux  mourir  tout  excommunie  que  de  se  faire  ab- 
»  soudre,  et  ne  veut  nul  faire  satifaction  a  TEglise. 
»  Les  eveques,  Sire,  vous  requierent  tous  a  une  voix 
»  pour  Dieu,  et  pour  ceque  ainsi  le  devez  faire,  qu'il 
»  vous  plaise  commande  a  tous  vos  baillis,  prevots 
»  et  autres  administrateurs  de  justice  que,  ou  il  sera 


(1)  OrdonnanccSy  I,  53,  5/i,  Go,  G/i,  100,  105,  etc. 

(2)  fidiU  retilol,  p.  185-186. 


ABUS   DBS   EXCOMMUNICATIONS i  43 

»  trouve  aucun  en  votre  royauuie,  qui  aura  etc  un  an 
»  continuellement  excommunie,  ils  le  contraignent  a 
»  se  faire  absoudre  par  la  prise  de  ses  biens.  »  Le 
saint  homme  repondit  que  tres-volontiers  il  le  com- 
manderoit  faire  a  ceux  qu'on  trouveroit  etre  injustes 
envers  1'liglise  ou  a  leur  prochain.  L'eveque  ditqu'il 
n'appartenoit  pas  aux  officiers  royaux  de  connoitre 
de  leurs  causes.  Et  a  ce  repondit  le  roi  qu'il  ne  le  fe- 
roit  autrement.  II  disoit  que  ce  seroit  centre  Dieu  et 
centre  raison  qu'il  fit  contraindre  a  se  faire  absoudre 
ceux,  a  qui  les  clercs  feroient  tort,  et  qu'ilsne  fussent 
ouis  en  leur  bon  droit.  Et  de  ce  leur  donna  I'exemple 
du  comte  de  Bretagne,  qui  par  sept  ans  avoit  plaide 
contre  les  prelats  de  Bretagne  tout  excommunie,  et 
fmalement  ayoit  si  bien  conduit  et  mene  sa  cause, 
que  notre  Saint-Pere  le  pape  les  avoit  condamnes.  Par 
quoi  il  disoit  que,  si,  des  la  premiere  annee,  il  eut 
voulu  contraindre  icelui  comte  de  Bretagne  a  se  faire 
absoudre,  il  eut  convenu  laisser  aux  prelats  contre 
raison  ce  qu'ils  demandoient  outre  son  vouloir,  et 
que  en  ce  faisant  il  eut  grandement  mefait  envers 
Dieu  et  envers  le  dit  comte  de  Bretagne.  Apres  les- 
quelles  cboses  ouies  par  tons  iceux  prelats,  il  leur 
suffit  de  la  bonne  reponse  du  roi,  et  onques  plus 
n'ai  oui  parler  qu'il  fut  fait  demande  de  telles 
choses.  » 

La  saintete  du  roi  le  rendait  plus  hardi  pour  la 
repression  des  abus  ecclesiastiques.  Sa  pragmatique 
sanction  (1)  eut  pour  but  de  mettre  un  terme  a 

(1)  Ordonnanccs,  f,  97  ct  98,  et  XVI,  161. 


44  PRAGMATIQLE  SANCTION  (1268). 

quelques  exactions  dont  profitait  la  cour  de  Rome, 
et  de  retablir  1'ancienne  discipline  pour  la  nomina- 
tion  des  eveques  et  des  abbes;  les  chanoines  et  les 
moines  recouvraient   le    droit  d'election ,    dont    la 
papaute  avait  voulu  les  priver.  Les  patrons,  c'est-a- 
dire  ceux  qui  avaient  fonde  ou  dote  les  eglises  et  les 
monasleres,  nommaient,  suivant  leurs  anciens  pri- 
vileges, les  titulaires  des  benefices.  Saint-Louis  n'in- 
novait  pas,  il  detruisait  partout  les  mauvaises  con- 
tumes,   dans  TEglise  comme  dans  la  societe  civile. 
Sans  ambition  personnelle,  sans  passion  egoiste,  il 
obeissait  a  sa   conscience  et  s'efforcait  de  realiser 
le  bien.  Respectant  les  droits  acquis,  sans  en  etre 
esclave,  il  laissa  aux  seigneurs  feodaux  tout  ce  que 
sa  piete  ferine  et  eclairee  lui  permettait  d'accorder ; 
il  en  fut  de  meme  dans  les  matieres  spirituelles.  Ja- 
mais  il  ne  porta  dans  sa  legislation  ce  ton  absolu  et 
ce  despolisme  hautain  qui    compromirent    dans  la 
suite  les  institutions  de  Philippe -le-Bel. 

Lorsqu'on  considere ,  dans  leur  ensemble,  les  re- 
sultats  de  ce  regne ,  on  est  frappe  de  leur  impor- 
tance :  un  pouvoir  central  cree,  reconnu  et  s'exer- 
g.ant  dans  toute  la  France  a  Taide  de  ministres 
dociles;  les  guerres  feodales  reprimees;  la  justice 
administree  avec  plus  d'equite  et  subordonnee  au 
pouvoir  royal ;  une  monnaie  unique  substitute  a  la 
diversite  des  monnaies  seigneuriales ;  les  mauvaises 
coutumes  abolies;  les  communes  reformees  et  sou- 
mises  a  1'autorite  monarcbiquo;  les  corporations  in- 
dustrielles  confirmees  et  amcJiorces;  le  commerce  et 
1'agricullure  llorissants  ;  les  ecoles  el  le  clergc  prole- 


RESULTATS    DL    REGNE    DE    SAINT-LOUIS.  45 

ges;  les  arts  atteignant  leur  plus  haut  periode  pour 
le  inoyen-age ;  la  religion  honoree  sans  faiblesse ;  les 
abus  reprimes,  et  le  clerge  devenant  national  sous 
le  roi  le  plus  orthodoxe  et  le  plus  saint,  voila  une 
parlie  des  bienfaits  du  regne  de  Louis  IX. 


CHAPITRE  III. 


Sommaire. 

PHILIPPE  HI  (1270-1 285) ;  reunions  territoriales ;  premier  ano- 
blissement.  — PHILIPPE  iv  (1285-1314);  puissance  des  le- 
gistes;  reunions  territoriales. — Mesuresfiscales.  — Division 
de  la  cour  du  roi  en  trois  conseils  :  parlement  pour  la  jus- 
tice, chambre  des  comptes  pour  les  finances,  grand  conseil 
pourles  affaires  politiques.  —  Organisation  du  parlement : 
les  ecclesiastiques  en  sont  exclus;  grand'chambre ;  en- 
quetes  ;  requetes ;  ministere  public  ;  avocats  ;  notaires ; 
huissicrs,  etc.  — Administration  fmanciere  :  chambre  des 
comptes;  comptabilite  fmanciere;  hierarchic  de  fonction- 
naires  pour  la  perception  de  1'impot.  —  Clercs  du  secret.  — 
La  bourgeoisie  soutient  Philippe-le-Bel ;  Etats-Generaux  de 
1302,  1304,  -I308ot  1314.—  Louis  x  (43 14-4 31 6) ;  reaction 
contre  I'administration  monarchique;  charte  normande;  af- 
franchissement  des  serfs  du  domaine  royal;  loi  salique.  — 
PHILIPPE  v  (••!  31 6-1 322,  ;  ordonnances  sur  le  grand  conseil ; 
le  parlement  etla  chambre  des  comples. — Surintendant  des 
finances.  — Le  domaine  est  declare  inalienable.  —  Compta- 
bilite del'armee;  capitaines  royaux  etablis  dans  les  villes. — 
Droits  d'aubaine ,  d'epave  et  de  batardise  declares  droits 
royaux.  — CHARLES  iv  (1322-1328);  rachat  de  droils  feo- 
daux;  supplice  de  Jourdain-de-1'Isle. 


Le  fils  et  successeur  de  Saint-Louis,  Philippe  111 
le  Hardi,  reunit  au  domaine  de  la  couronne  le  comte 
de  Toulouse,  vacant  par  la  mort  de  son  oncle, 
Alphonse  de  Poitiers  (1271).  Le  parlement  rejeta  les 
pretentioris  de  Charles  d'Anjou  qui  dmnandait  le 
partage  du  domaine  d' Alphonse  de  Poitiers  entre  ses 


48 


PREMIER    ANOBL1SSEMENT. 


agnats,  et  consacra  par  cette  decision  le  principe  du 
retour  des  apanages  a  la  couronne  (1).  Le  domaine 
royal  touchait  enfin  aux  Pyrenees,  et  ainsi  se  reali- 
sait  la  prophetic  de  Guillaume-le-Breton  sur  la 
royaute  franchise. 

«  In  Pyrceneo  figes  tentoria  monte.  » 

Le  manage  d'un  frere  de  Philippe  111,  Robert  de 
Clermont,  avec  1'heritiere  de  la  sirerie  de  Bourbon, 
lit  passer  ce  fief  dans  une  branche  de  la  maison  ca- 
petienne.  Du  regne  de  Philippe-le-Hardi  date  le 
premier  anoblissement.  Le  roi  anoblit  un  orfevre  de 
Paris  (2).  Ce  fait  signale  un  changement  important 
dans  les  priricipes.  On  avait  jusqu'alors  considere 
la  noblesse  eomme  inherente  a  la  propriete  feo- 
dale.  La  royaute  reconnue  comme  lot  vivante,  comme 
souverainete  independante  du  fief,  voulut  eommuni- 
quer  la  noblesse  ainsi  que  la  puissance,  et  la  com- 
muniqua,  en  effet,  par  un  simple  acte  de  sa  volonte. 
Les  jurisconsultes  formulerent  ce  droit:  «  a  le  roi  co- 
»  gnoissance  d'anoblir  un  homme, »  dit  Bouteiller  (3) . 

Sous  Philippe  I  Vie  Bel,  successeur  de  Philippe  III, 
lf administration  monarchique  recut  une  impulsion 
plus  puissante.  Le  nouveau  roi  n'avait  que  dix- 
sept  ans.  C'est  done  moins  a  lui  qu'aux  legistes 
ses  conseillers  qu'il  faut  attribuer  le  vigoureux  sys- 
teme  de  gouvernement  qui  etendit,  exagera  et  par 

(1)  Recueit  des  ancicnnes  lois  francaises,  par  Isambert,  t.  I, 
pag.  667. 

(2)  Ibid.,  t.  II,  p.  6/i5. 

(3)  Sommc  rumle,  liv.  If,  til.  1. 


PUISSANCE  DES  LEGISTES.  49 

suite  compromit  les  institutions  monarchiques.  Le 
chancelier  Pierre  Flotte,  son  successeur  Guillaume 
de  Nogaret,  le  tresoner  Enguerrand  de  Marigny,  les 
jurisconsultes  Guillaume  de  Plasian,  Raoul  de  Pres- 
les,  Pierre  de  Latilly,  voila  les  hommes  qui  ont  gou- 
verne  sous  le  nom  de  Philippe-le-Bel  et  imprime  a 
radministration  un  caractere  de  despotisme  inflexi- 
ble. Philippe-le-Bel  gouta  les  doctrines  des  legistes. 
II  les  entendit  avec  plaisir  repeter  que  tout  devait 
plier  sous  sa  volonte  souveraine  et  devant  sa  pleine 
puissance.  Le  resultat  final  de  ce  regne  fut  sans 
doute  avantageux  pour  la  France;  cependant  This- 
toire  ne  saurait  absoudre  la  violence  et  1'iniquite  des 
moyens. 

A  son  avenement  (1285),  Pbilippe-le-Bel  avait  ap- 
porte  a  la  couronne  la  Champagne  et  la  Navarre;  une 
confiscation  lui  soumit  une  partie  des  possessions  an- 
glaises,  et  il  garda  1'Aunis,  la  Saintonge,  le  Li- 
mousin (jadis  restitues  a  Henri  III  par  la  conscience 
timoree  de  Saint-Louis),  enfin  le  Perigord,  la  Mar- 
che  et  le  Quercy  ;  il  s'empara  d'une  partie  de  la 
Flaridre  et  du  Lyonnais.  Saint-Louis  avait  Hmile 
Tautorite  des  papes ;  Philippe-le-Bel  la  confisqua  a 
son  profit.  Apres  avoir  fait  decreter  de  prise  de 
corps  le  pape  Boniface  VIII,  il  traita  avec  Cle- 
ment V  et  tint  la  papaute  captive  dans  Avignon.  II 
s'en  servit  pour  detruire  1'ordre  des  Templiers,  et 
confisquer  leurs  richesses  (1).  Ainsi,  il  frnppa  le 
moyen-age  dans  son  chef  spirituel  et  dans  une  de  ses 

(1)  Proc£s  des  Temptiers,  publte  par  Michelet. 


SO  MESURES    FtSCALES. 

principales  institutions,  la  chevalerie  militaire.  II 
proceda  a  cette  oeuvre  de  destruction  avec  une  impi- 
toyable  durete.  La  torture  brisa  les  corps,  et  arracha 
des  aveux  souvent  dementis  en  presence  du  bucher. 
En  meme  temps,  la  necessite  de  solder  des  troupes 
et  de  payer  cette  hierarchic  de  fonctionnaires  dont  la 
royaute  couvrait  la  France,  firent  adopter  les  mesu- 
res  fiscales  qui  ont  rendu  Philippe-le-Bel  si  odieux. 
Les  rois  precedents  s'etaient  contentes  de  leurs 
revenus  feodaux,  de  la  tattle  qu'ils  levaient  sur  leurs 
vassaux  roturiers,  de  la  vente  des  chartes  et  privi- 
leges, du  droit  d'aubaine,  des  dpaves,  des  confisca- 
tions ,  des  reliefs,  du  patronage  sur  les  Juifs ,  des 
sommes  payees  par  le  clerge,  de  la  regale,  de  la 
main-morte,  du  droit  de  depouille  qui  leur  dormait  le 
mobilier  de  chaque  eveque  a  sa  mort,  du  droit  de  gite 
dans  les  eglises  episcopates,  convents  et  autres  gran- 
des  villes  (1 ) ,  etc.  Ces  revenus  bien  administres  avaient 
suffi  a  Philippe-Auguste  et  a  Saint-Louis.  Seulement, 
dans  les  circonstances  extraordinaires,  les  rois  de- 
mandaient  des  aides  (auxilia}  a  leurs  vassaux,  lors- 
qu'ils  montaient  sur  letrone  (droit  de  joy eux  avene- 


(1)  Je  ne  fais  quMndiquer  ces  droits  feodaux  qui  ne  rentrent  pas 
rigoureusement  dans  Phisloire  de  Tadministration  monarchique. 
On  trouvra  dans  la  table  analytique,  a  la  fin  du  second  volume, 
le  sens  des  mots  qui  pourraient  embarrasser.  Voy.  pour  les  details 
Brussel,  Traite  des  fiefs ;  Pasquier ,  Recherches;  Baquet,  Droits 
des  francs-fiefs;  Brial,  preface  du  torn.  XIV  des  Hist,  de  Fr. ; 
Pastoret,  preface  des  torn.  XV,  XVIII  et  XIX  des  Ordonn. ;  Lau- 
riere,  Origine  du  droit  d'amortissement ;  Moreau  de  Beaumont, 
Memoirs  sur  les  impositions ;  M^e  de  Lezardiere,  Theorie  des 
anciennes  tois  de  la  France,  nouvelle  edition,  torn.  IV;  Ducange, 
aux  mots  RELEVIUM,  BENEFJCIUM,  etc. 


CONFISCATIONS.  &1 

ment],  lorsqu'ils  partaient  pour  la  croisade,  armaient 
leur  fils  chevalier,  mariaient  leur  fille  ou  tombaient 
aux  mains  de  1'ennemi.  Philippe-le-Bel  ne  se  con- 
tenta  pas  de  ces  droits  feodaux ;  a  peine  monte  sur 
le  trone ,  il  confisqua  les  biens  des  Juifs  et  des 
banquiers  qu'on  designait  sous  le  nom  de  Lom- 
bards (1). 

C'etait  frapper  le  commerce  qu'alimentait  1'argent 
des  .luifs  et  des  banquiers  italiens.  Aussi  Philippe-le- 
Bel  les  rappela-t-il  bientot :  mais  il  proscrivit  de 
nouveau  les  Juifs,  en  1306,  et  s'empara  de  leurs  ri- 
chesses  (2).  L'alteration  des  monnaies  (3),  la  confis- 
cation de  la  vaisselle  d'or  et  d'argent  de  ceux  qui 
n'avaient  pas  6,000  liv.  de  biens  (4)  (au  moins 
120, 000  fr.de  nos  jours),  les  prescriptions  minu- 
tieuses  des  lois  somptuaires  (5)  qui  n'etaient  que  des 
confiscations  deguisees,  la  speculation  fiscale  sur  1'af- 
franchissement  des  serfs  du  Languedoc  (6),  ehfm  la 
proscription  et  la  spoliation  des  Templiers,  ne  fourni- 
rent  a  cet  avide  gouvernement  que  des  ressources  pre- 
caires  et  bientot  epuisees.  Philippe-le-Bel  eut  prefere 
1'organisation  reguliere  et  permanente  de  1'impot, 
premiere  condition  d'une  administration  solide- 
ment  constituee.il  avait  deja  taxe  le  clerge,et  cette 
atteinte  portee  aux  privileges  ecclesiastiques  avail 
ete  I'occasion  de  sa  premiere  querelle  avec  Boni- 

(1)  G.  Villani,  liv.  VII,  ch.  146. 

(2)  Ordonn.,  I,  Zi43. 

(3)  Ibid.,  325,  548,  etc.,  et  XII,  pag.  330. 
(U)  Ibid.,  I,  324. 

(5)  Ibid.,  542. 

(6)  Rec,  de  anc,  lois  fran?.,  II,  709, 


52  MOUVEAUX    IMPOTS. 

face  VIII  (1).  II  soumit  a  1'impot  les  terres  nobles ;  il 
n'exemptait  des  taxes  que  les  proprietes  des  no- 
bles qui  servaient  en  personne  (2).  Mais  c'etait  sur- 
tout  dans  les  villes  que  le  commerce  avait  accumule 
les  richesses  mobilieres;  c'etait  la  que  Philippe-le- 
Bel  pouvait  asseoir  solidement  son  systeme  d'impots. 
II  voulait  soumettre  toutes  les  proprietes  a  ime  taxe 
de  la  valeur  du  centieme  des  biens  fonds  (3),puis  du 
cinquantieme  (4).  Mais  depuis  longtemps,  les  bour- 
geois avaient  achete  ['exemption  de  tout  impot;  c'etait 
une  des  premieres  conditions  des  cbartes  commu- 
nales.  De  la  les  revoltes  de  Rouen  (5),  de  Paris  (6), 
d'Orleans  (7),  qui  ne  servirent  qu'a  provoquer  de 
nouvelles  rigueurs.  Ces  impots,  quelque  onereux 
qu'ils  fussent,  ne  suffisant  pas  a  1'entretien  des  ar- 
mies et  aux  besoins  d'une  administration  qui  se 
constituait,  Philippe  en  crea  de  nouveaux  :  il  taxa 
les  denrees,  inventa  1'odieux  impot  de  la  gabelle  (8), 
leva  une  aide  de  six  deniers  par  livre  sur  la  vente  des 
denrees  (9),  et  il  eut  1'adresse  de  faire  confirmer  cet 
impot  par  les  Etats  de  1314,  ou  plutot  par  la  decla- 

(1)  Voyez.  la  Bulle  Glerids  laicos,  ap.  Dupuy,   Diflerend,  etc., 
p.  17-19. 

(2)  Ordonn.,  XII,  333. 

(3)  Pasquier,  Recherche* ,  liv.  If,  c.  7. 
(k)  Ordonn.,  XII,  333-33Zi. 

(5)  Guill.  de  Nang.,ann.  1292. 

(6)  Contin.  de  Nangis,  ann.  1306. 

(7)  Pasquier,  Rech.  1.  cit. 

(8)  Supprim^e  a  la  mort  de  Philippe-le-Bel,la  gabelle  fut  re'tablie 
a  la  mort  de  Philippe  de  Valois.  Voy.    Dueange,  vn  Gabcllu  ;  Bailly, 
Hist.  fin.  de  la  France;  Pastoret,  preface,  du    t.  XVI  des  Ordon- 
nances. 

(9)  Pasquier,  Reciter ches,  1.  c. 


CONSEIL   fcTROIT   OU    GRAM).  53 

ration  du  financier  Etienne  Barbet  qui  parla  au  nom 
de  la  bourgeoisie,  pendant  que  leclergeet  la  noblesse 
gardaient  le  silence  (1).  Enfin  I'impot  des  douanes, 
appele  haul-passage  ou  traite  foraine,  qui  prelevait 
un  droit  de  sept  deniers  pour  livre  sur  le  commerce 
exterieur,  completa  le  systeme  financier  de  Philippe- 
le-Bel  (2). 

Les  abus  et  les  violences  que  nous  venons  de  si- 
gnaler, ne  doivent  pas  faire  oublier  les  grandes  me- 
sures  administratives  du  regne  de  Philippe-le-Bel. 
Une  des  plus  fecondes  fut  la  division  des  pouvoirs. 
La  cour  du  Roi  ne  pouvait  plus  suffire  a  la  variete 
de  ses  fonctions,  a  une  administration  judiciaire, 
financiere  et  meme  politique  qui  embrassait  la  plus 
grande  partiede  la  France.  Philippe-le-Bel  la  subdi- 
visa  en  trois  conseils,  dont  1'organisation  ne  fut 
qu'ebauchee  sous  ce  regne,  mais  se  completa  aux  xrv* 
et  xve  siecles.  C'etaient  le  grand  conseil  ou  conseil 
etroit,  le  parlement  et  la  chambre  des  comptes.  Le 
premier  compose  surtout  des  jurisconsultes  conseil- 
lers  du  Roi  s'occupait  des  lois  et  des  questions  poli- 
tiques  (3).  Le  parlement,  consacre  exclusivement  a 
1'administration  de  la  justice,  resida  a  Paris  (4) ;  mais 

(1)  Rathery,  Hist,  des  £tats-Generaux,  61-62. 

(2)  Mignet,  Formation  territoriale  et  politique  de  la  France  , 
pag.  181. 

(3)  Ce  conseil  n'est  pas  mention^  d'une  maniere  spe"ciale  dans 
les  ordonnances  de  Philippe-le-Bel ;  mais  ilest  cite  sous  lenom  de 
grand  conseil,  dans  une  ordonnance  de  Philippe-le-Long,  du  18 
juillet  1318;  Recueil  des  Ordonn.,  I,  657. 

(^i)  La  constitution  du  parlement  fut  regularisee  par  les  ordon- 
nances de  1291  et  de  1302;  voy.  Rec.  des  Ordonn,,{,  I,  p.  320 
et  354,  et  t.  XII,  p.  353. 

i.  5 


O*  ORGANISATION    DU    PARLEMENT. 

pendant  longtemps  il  ne   fut  que   temporaire,  et  se 
borna  aux  deux  sessions  de  Paques  et  de  la  Tous- 
saint.  Pliilippe-le-Bel   avait  interdit   aux  ecclesiasti- 
ques  1'exercice  des  fonctions  judiciaires  par  une  or- 
donnance  de  1287  (1);  son   fils,  Philippe-le-Long, 
exclut  les  prelats  du  parlement,  «  afin  de  les   lais- 
»  ser  tout  entiersa  leurs  devoirs  spirituels  (2).  »  Les 
barons  continuerent  de  sieger  au  parlement,  mais  ef- 
faces de  plus  en  plus  par  les  legistes  qui  possedaient 
seuls  la  science  compliquee  du  droit  remain  et  cou- 
tumier.  Ce  grand  corps,  qui  centralisait  1'administra- 
lion  de  la  justice  et  etendait  son  ressort  a  la  France 
mitiere,  se  composa,  des  cette  epoque,  de  trois  cbam- 
bres  appelees   enquetes,   requetes  et  grand'cham- 
bre.  Des  jours  speciaux   furent  assignes  pour   les 
appels  de  cbaque  bailliage;  des  commissaires   tires 
du  parlement  et  delegues  par   le  roi  allerent  tenir 
1'Echiquier  de  Normandie  et  les  Grands-Jours  de 
Troyes ;  enfm  la  chambre  du  Languedoc  ou  de  droit 
ccrit  siegea  a  Paris,  parce  que   les  provinces  mcri- 
dionales  avaient  refuse  de  sesoumettre  aux  conditions 
destitution  du  parlement  de  Toulouse  (3).  Cette  or- 
ganisation judiciaire  entraina  restitution  du  minis- 
tere  public,  et  couvrit  la  France  de  gens  de  loi,  ta- 

(1)  Ordonn.,  t.  I,  p.  316.  Cependant  on  voit  dans  desordonnan- 
ces  ulte'rieures  de  Philippe-le-Bel,  que  des  pre"lats  siegeaient  an 
parlement. 

(2)  Ordonn.,  I,  702  (3  decembre  1319). 

(3)  Le  parlement  de  Toulouse  ne  fut  definivement  institue"  que 
sous  Charles  VII.  Pour  toutes  les  juridictions  qui  dependaienl  tin 
parlement  de  Paris,  voyez  Tordonn.  du  23  mars  1302 ;   Eec.  des 
Ordonn.,  t.  I,  p.  35/i.  —  Voy.  anssi,  dans  le  meme  recueil,  t.  XII, 
p.  353,  art.  33  et  34. 


CIIAMBRE    DES    COMPTES.  55 

hellions,  avocats,  sergents  ou  huissiers  (1).  Le  Tiers- 
Etat  trouva  dans  la  creation  de  ees  charges  un  moyen 
de  s'enrichir  et  de  s'elever.  II  passa  de  la  roture  du 
commerce  a  la  nohlesse  derohe;  il  profita  de  1'orgueil 
etde  la  paresse  des  seigneurs  qui  abandonnerent  pen 
a  peu  les  fonctions  judiciaires. 

La  chambre  des  comptes  fut  un  nouveau  demem- 
hrement  de  la  cour  du  Roi  (2).  Elle  centralisa  Tad- 
ministration  des  finances,  comme  le  parlement  cen- 
tralisait  I'administration  de  la  justice.  Les  senechaux 
et  baillis  etaient  tenus  de  venir  rendre  compte  de 
leur  gestion  fmanciere  devant  le  maitre  de  cette  cour, 
a  des  epoques  determinees.  Un  reglement,  public  par 
Ducange  (3),  donne  deja  1'idee  d'une  administration 
fmanciere  organisee.  «  C'est  1'ordonnance  comment 
»  les  baillis  de  France  et  de  Normandie  et  les  sene- 
»  chaux  et  commissaires  par  le  royaume  doivent  ve- 
»  nir  compter  le  lendemain  des  octaves  de  Paques 
»  et  de  la  Saint-Martin,  chacun  deux  jours,  1'un 
»  apres  1'autre.  »  Le  reglement  fixe  ensuite  les  jours 
pour  les  cinq  baillis  de  Rouen,  Caen,  Caux,  Cotentin 
et  Gisors;  les  baillis  du  duche  de  France,  de  Paris, 
Senlis,  Vermandois,  Amiens,  Sens,  Orleans,  Bour- 


(1)  Qrdonn.  du  23  mars  1302,  art.  20,  28-34,  36-37;  —  voy. 
encore  Rec.desOrdonn.,  t.  T,  p.  416,  et  t.  XII,  p.  353  et  suiv. 

(2)  II  est  de"j£  question  de  la  chambre  des  comptes  dans  une  or- 
donnance  du  20  avril  1309  (Rcc.  des  Ordonn,,  t.  I,  p.  460).  kes 
registres  de  la  chambre  des  comptes  de"signes  sous  le  nom  de  Me- 
moriaux,  commencent  vers  cette  epoque.  La  perte  de  ces  regis- 
tres causee  par  1'incendie  de  1738  a  prive   Thistoire  de  precieux 
documents.  Cependant  on  en  trouve  de  nombreux  extraits  et  par- 
fois  meme  des  copies  textuelles. 

(3)  Ducange,  V"  lUiu.m, 


56  ADMINISTRATION  FINANCltRE. 

ges  et  Tours  viennent  apres  eux ;  les  senechaux 
de  Poitou,  Saintonge,  Angoumois,  Auvergne,  comte 
de  Toulouse,  Rouergue,  Carcassonne,  Beaucaire,  Pe- 
rigord,  Quercy,  Lyonnais  et  Macon  comparaissaient 
de  la  Saint-Jean  a  la  mi-aout ;  les  baillis  de  la  Cham- 
pagne et  de  la  Flandre  francaise  (comprenant  Douai, 
Lille  et  Valenciennes),  de  la  mi-aout  a  la  fin  de  sep- 
tembre  ;  et,  a  la  fin  de  1'annee,  ceux  du  Nivernais  et 
de  la  Navarre  (1).  La  comptabilite  n'etait  pas  seule- 
ment  soumise  a  une  division  geographique.  Le  meme 
reglement  stipulait  qu'apres  Taudition  des  comptes 
ordinaires,  on  s'occuperait  des  depenses  de  la  maison 
du  Roi  et  de  la  Reine,  du  domaine,  des  garni- 
sons  ,  etc.  (2).  La  surveillance  exercee  sur  tou- 
tes  les  parties  de  ['administration  financiere  eut 
d'heureux  resultats  pour  le  tresor  royal.  Philippe- 
le-Bel  contribua  encore  a  I'augmenter  en  ordonnant 
d'affermer,  aux  encheres  publiques,  les  offices  de 
prevots  et  vicomtes,  les  peages,  sceaux  et  ecritures 
authentiques.  II  prescrivit  Fexploitation  la  plus  avan- 
tageuse  du  domaine  royal,  et  la  mise  en  adjudica- 
tion des  travaux  publics  (3). 

La  juridiction  financiere,  centralisee  par  la  cham- 
bre  des  comptes,  resta  distincte  de  ('administration 
des  finances.  Celle-ci  eut  pour  chef  le  tresorier 
general,  Enguerrand  de  Marigny,  assiste  du  clerc 
du  trtsor ,  qui  enregistrait  les  recettes  et  les  de"- 

(1)  Ce  rfcglement  est  ant^rienr  ^  1'ann^.e  1328,  £poque  ou  la  Na- 
varre t'ut  separee  du  domaine  de  la  couronne. 

(2)  Ducange,  v°  BAILLIVI. 

(3)  Ordonn.,  t.  I,  p.  AGO  et  suiv. 


CLKRC.S    1)1    SECRET.  57 

penses.  Dans  les  provinces,  la  division  ties  pouvoirs 
sY'tablit  lentement.  Les  baillis  cumulerent  encore 
pendant  longtemps  le«  fonctions  administratives, 
financieres,  judiciaires  et  militaires.  Cependant,  on 
voit  deja  a  cote  d'eux  des  trdsoriers  ou  receveurs  spc- 
ciaux  du  domaine,  des  collecteurs  des  gabelles,  des 
inaitres  des  eaux  et  forets,  et  des  agents  forestiers 
appeles  gruyers  et  verdiers  (1 ) . 

La  tendance  vers  un  ordre  meilleur  est  ici  mani- 
feste.  II  en  fiit  de  meine  dans  toutes  les  branches  de 
1'administration.  Philippe-le-Bel  choisit  parmi  les 
secretaires  royaux  trois  clercs  du  secret  qui  devaient 
tenir  note  des  deliberations  du  conseil.  C'est  1'origine 
des  secretaires  d'Etat,  qui  ne  sortiront  de  cette  hum- 
ble position  qu'au  xvie  siecle. 

Enfin,  Philippe-le-Bel  confirma  et  completa  les 
mesures  de  Saint-Louis  pour  la  paix  publique;  il  re- 
nouvela  plusieurs  fois  1'interdiction  des  guerres  pri- 
vees  (2) ,  enleva  aux  seigneurs  le  droit  de  battre  mon- 
naie  (3),  prescrivit  a  ses  baillis,  senechaux,  prevots 
et  vicomtes  une  bonne  et  prompte  justice,  les  em- 
pecha  de  prendre  racine  dans  le  pays  qu'ils  admi- 
nistraient  en  defendant  de  les  choisir  parmi  les  ha- 
bitants ,  natifs  du  pays,  et,  en  leur  interdisant, 
comme  1'avait  deja  fait  Saint-Louis,  les  acquisi- 
tions territoriales  et  meme  les  manages  pour  eux 
et  leurs  enfants  dans  1'etendue  de  leur  ressort  (4). 

(1)  Voy.  surtout  I'ordonn.  de  Pilippe-le-Bel  de  1291,  t.  I,  p.  230 
des  Ordonn.,  et  cellede  Phil.  V,  Ibid.,  p.  656,  683,  685. 

(2)  Ordonn.,  t.  I,  p.  328,  390  et  £35. 

(3)  Ibid.,  p.  518. 

(4)  Ducange,  v°  BAILLIVI.  —  Ordonn.,  1. 1,  p.  354,  336,  399. 


(38  LA    BOURGEOISIE    SOUTIENT    PH1L1PE-LE-BEL. 

Quant  aux  prevotes,  elles  resterent  venales;  inais 
les  orclonnances  recommanderent  de  ne  les  conferer 
qu'a  des  homines  probes  et  loyaux  (1). 

La  superiorite  de  1'adininistralion  de  Philippe-le- 
Bel  explique  le  concours  que  lui  preta  la  haute  bour- 
geoisie, malgre  la  durete  tyrannique  de  son  gouver- 
nement.  Ce  fut  le  Tiers-Elat  qui,  en  1302,  lorsque 
le  roi  1'appela  pour  la  premiere  fois  a  prendre  part 
aux  affaires  publiques,  le  supplia  de  garder  la  sou- 
veraine  franchise  de  son  royaume.  Ce  fut  encore  lui 
qui,  en  1308,  se  prononra  energiquement  contre  les 
Templiers  et  fit  entendre  une  requete  menac,ante 
contre  le  clerge  (2) ;  lui  qui  vota,  en  1314,  les  aides 
demandees  par  le  Roi  (3).  Lorsque  la  noblesse,  ir- 
rilee  de  la  perte  de  ses  privileges,  se  revolta  dans 
les  dernieres  annees  du  regne  de  Philippe-lc-Bel ,  ce 
fut  par  la  plume  de  quelquelegiste  plebeienque  Phi- 
lippe lui  repondit  :  «  Cette  gent  denaturee  qui  s'e- 
»  leve  contre  son  chef  et  lui  fait  la  guerre  sans  le 
»  prevenir,  pour  ramener,  dit-elle,  la  bonne  coutumc, 
»  pretend  etre  noble,  mais  telle  gent  qui  vilamement 
»  agit  a  bon  droit  vilaine  est  nommee ;  leurs  devan- 
»  ciers  avaient  tout  fait  pour  I'advancement  de  noire 
»  couronne,  eux  ne  songent  qu'a  la  detruire.  Le  roi 
»  ne  leur  denie  pas  justice,  rnais  ne  songe  qu'a  leur 
»  exposer  ses  raisons ;  n'ont-ils  pas  1'acces  libre  au- 
»  pres  de  lui  et  1'entree  de  son  parlement?  Us  pou- 
»  vaient  lui  exposer  leurs  plainles ;  il  les  aurait  ecou- 

(1)  Ordonn.  dcs  Rois  dc  France,  t.  I,  p.  354,  art.  53. 

(2)  IMichelet,  llisloirc  dc  France  111,  152-153. 

(3)  Pasquier,  llcctiercltes,  liv.  II,  ch.  7. 


REACTION    EN    4314.  -W 

»  tes  dcbonnairemcnt  (1).  »  Get  appel  a  ropinion  pu- 
blique  ne  put  sauver  les  legistes*  conseillers,  i'oii- 
dateurs  et  ministres  de  1'autorite"  royale.  «  Us  furent 
»  soinnis  a  la  destinee  commune  des  grands  revolu- 
»  tionnaires ;  les  plus  audacieux  perirent  sous  la 
»  reaction  des  interets  qu'ils  avaient  blesses  et  des 
»  moeurs  qu'ils  avaient  refoulees  (2).  » 

Cette  reaction  eclata  aussitot  apres  la  mort  de  Phi- 
lippe-le-Bel.  Le  supplice  d'Enguerrand  de  Marigny, 
1'emprisonnement  de  Pierre  de  Latilly,  la  fuite  des 
autres  conseillers  du  dernier  roi,  le  retablissement 
des  privileges  feodaux  et  provinciaux  (3)  (ehartes  en 
faveur  des  provinces,  Normandie,  Bourgogne,  Cham- 
pagne, etc.),  attesterent  que  Tadministration  mo- 
narchique  avait  depasse  les  bornes  et  expiait  ses  vio- 
lences. La  monnaie  de  Saint-Louis  fut  retablie,  la 
torture  abolie  ou  restreinte,  la  justice  feodale,  le  duel 
judiciaire,  le  droit  de  guerre  privee  rendus  aux  sei- 
gneurs. Mais  cette  reaction,  d'abord  si  violente,  tut 
de  courte  duree.  £lle  n'atteignit  aucun  des  grands 
corps  institues  par  Philippe-le-Bel.  Depositaires  de 
la  puissance  royale,  etinstrumentsde  I'administration 
inonarchique,  ils  i'etendirent  et  la  perfectionnerent 
par  des  conquetes  lentes,  insensibles,  mais  d'autant 
plus  sures  et  plus  durables.  Deja  clans  les  derniers 


(1)  Le  Diet  des  allies,  parGodefroi  de  Paris,  publi6  par  M.  Pau- 
lin  Paris,  dans  YAnnuaire  de  la  Soci^te  d'Histoire  de  France. 

(2)  Aug.  Thierry,  Essai  sur  I'llisloire  de,  la  formation  et  du 
progrcs  du  Tiers-Etat,  p.  29. 

(3)  Ordonn.  des  Rois  de  Fr.,l.  I,  p.  551,557,  561,567,  573,  etc. 
—  Boulainvilliers,  DC  I'ancicn  gouvcrnement  de  la  France,  t.  II, 
p.  93,  edit,  de  1727. 


60  ORDONNANCES   DE    PH1L1PPE-LE-LONG. 

temps  du  regne  de  Louis  X,  la  monarchic  en  etait 
revenue  a  la  politique  de  Philippe-le-Bel.  Quels  que 
fussent  les  motifs  secrets  de  1'abolition  du  servage, 
le  roi  expliquait  cette  mesure  par  des  considerations 
elevees  :  «  Scion  le  droit  de  nature,  disait  Louis  X 
dans  son  ordonnance  de  1315,  chacun  doit  naitre 
franc.  » 

Mais  ce  fut  principalement  sous  Philippe  V  le 
le  Long,  que  Ton  reconnut  que  la  royaute  n'avait  re- 
nonce  a  aucune  de  ses  conquetes.  La  loi  salique,  en 
excluant  les  fernmes  de  la  couronne,  prevint  pour  la 
France  la  domination  des  families  etrangeres.  De 
nombreuses  ordonnances  perfectionnerent  les  insti- 
tutions de  Philippe-le-Bel.  L'organisation  du  conseil 
d'Etat  (conseil  etroit  ou  grand  conseil)  fut  regulari- 
see;  1'epoque  de  ses  reunions  fixee,  ainsi  que  la  ma- 
tiere  de  ses  deliberations  par  plusieurs  ordonnances 
de  1318  (1).  D'autres  ordonnances  determinerent  la 
composition  du  parlement  (2) ,  la  police  des  seances, 
1'ordre  des  procedures,  les  devoirs  des  avocats,  huis- 
siers  (3). 

L  administration  financiere  fut  1'objet  d'une  at- 
tention toute  speciale  de  la  part  de  Philippe-le-Long. 
La  surveillance  de  la  chambre  des  comptes  s'etendit 
a  tous  les  officiers  royaux  qui,  a  un  titre  quelcon- 
que,  avaient  le  maniement  des  deniers  publics.  Le 
chancelier  et  le  grand-ecuyer  furent  soumis  a  son 


(1)  Ordonn.  du  18  juillet  ei  du  16  novembre  1318;  dans  le  Rcc. 
des  Ordonn.  y  1.  I,  p.  656  et  669. 

(2)  Ordonn.  du  3  decembre  1319,  Ibid.,  1. 1,  p.  702. 

(3)  Ordonn.  du  17  novembre  1318,  Ibid.  I,  p.  674. 


ADMINISTAT10N    FiNANClfeRE.  61 

controle,  aussi  bien  que  les  baillis,  senechaux  ct  re- 
ceveurs  du  domaine  (1). 

Toutes  les  recettes  devaient  etre  versees  an  tresor 
et  enregistrees  par  le  clerc  du  tresor,  avec  1'indica- 
tion  de  la  provenance,  de  la  nature  des  inonnaies  et 
le  nom  de  celui  qui  transmettait  les  fonds  (2).  La 
quittance  devait  porter  les  memes  indications.  Les 
paiements  ne  pouvaient  etre  effectues  par  les  treso- 
riers  que  sur  un  ordre  ecrit  du  Roi  ou  du  souverain 
e'tabli  au-dessus  des  tresoriers  (3).  Ce  ministre  de- 
viendra  un  jour  le  surintendant  des  finances.  II  avait 
sous  sa  direction  deux  tresoriers  semestriels  et  le 
clerc  du  trdsor. 

Le  domaine  royal  fut  declare  inalienable,  et  des 
ordonnances  annulerent  toutes  les  donations  qui  Ta- 
vaient  demembre  (4).  Des  mesures  minutieuses  en 
assurerent  la  bonne  administration  (5). 

L'armee  eut  sa  comptabilite  particuliere,  maissou- 
mise  comme  toutes  les  autres  au  controle  de  la  cham- 
bre  des  comptes.  Le  grand-maitre  des  arbaletriers 
fut  charge  de  dresser  un  etat  des  troupes  placees 
vsous  ses  ordres  :  elles  devaient  recevoir  leur  solde  du 
clerc  des  arbaletriers;  les  marecbaux  faisaient  le 
role  de  la  cavalerie,  qui  etait  payee  par  un  tresorier 
special  (G).Leroi  plaga  dans  les  villes  fortifiees,  a 
cote  des  baillis  et  des  prevots,  des  capitaines  charges 

(1)  Ordonn.  du  17  avril  1320  dans  le  Rec.  des  Ordonn.,  1.  1,  p.703. 
(2)I6zU,p.  658. 
(3)  Ibid. 


(5)  Ibid.,  p.  656  et  669. 

(6)  Ordonn.  du  18  juillet  1318,  Ibid,  1,  p.  661, 


RACHAT   DE    DROITS    FfiODAUX. 

du  commandement  des  troupes  et  du  maintien  de  la 
tranqmllilepublique,  selon  les  termes  memesde  1'or- 
donnance  (1). 

Ainsi,  la  double  tendance  de  I'administration  1110- 
narchique,  diviser  les  fonctions  et  les  rattacher  a  un 
meme  centre,  cette  tendance  se  manifeste  etse  pour- 
suit  sous  des  regncs  d'ailleurs  obscurs,  commc 
ceux  de  Philippe  V  et  de  Charles  IV.  On  est  dcjii 
loin  de  la  reaction  feodale,  lorsque  Philippe  V  en- 
leve  aux  seigneurs  les  droits  ftaubainc,  de  main- 
morte,  tftpave  et  de  bdtardise  (2) ,  et  les  declare  droits 
royaux.  Telle  est  la  confiance  de  ce  prince  dans 
les  legistes  ses  conseillers,  qu'il  les  autorise  a  sur- 
veiller  1'exercice  de  sa  puissance  et  a  en  corriger  les 
abus.  Les  donations  ne  pourront  etre  faites  qu'en 
conseil,  et  les  lettres  de  grace  accordees  que 
sur  la  relation  deceux  de  Detroit  conseil  (3).  Ainsi  la 
royaute  se  defiait  des  entrainements,  et  opposait  a  la 
faiblesse  de  1'homnie  1'inflexible  rigidite  de  la  loi. 

Les  legistes  qui  entouraient  Philippe-le-Long 
avaient  des  pensees  bieji  plus  vastes,  et  ils  lui  dic- 
terent  des  mesures  qui  n'ont  jamais  ete  realisees  sous 
1'ancienne  monarchie.  «  Le  roi,  dit  Guillaume  do 
Nangis  a  1'annee  1321  (i),'ordonna  qu'il  n'y  eut  dans 
toute  la  France  qu'une  seule  mesure  pour  le  vin  et 

(l)0/Y/<wtt.,t.  I,  p.  635. 

(2)  ibid.,  p.  757. 

(3)  Ibid.,  p.  670. 

(1)  «  Incoepit  rex  ordinareutin  toto  regnosuononcsset  nisi  unica 
inensura  vini  et  bladi  et  omnium  vendibilum  el  emptibilinm  ;  pi'o- 
posuit  etiam  idem  rex  ut  in  tolo  regno  omnes  moneUe  ad  unicain 
redigerentur.  » 


RESUMfi    DE    LA    PREMIERE    EPOQUE.  63 

le  ble  ainsi  que  pour  toutes  les  denrees;  il  voulait 
aussi  qu'il  u'y  eut  qu'une  seule  moimaie.  » 

Charles  IV,  dernier  des  Capeliens  directs,  racheta 
de  plusieurs  grands  feudataires  les  droits  regaliens. 
Robert  d'Artois  lui  vendit  pour  6,000  livres  tour- 
nois  son  droit  de  battre  monnaie,  et  le  comte  de 
Clermont  en  Beauvoisis,  due  de  Bourbon  et  pair  du 
royaume,  renonga  au  meme  privilege  moyennant  une 
somme  de  15,000  livres  tournois  (1).  Enfm,  le  rang 
ne  mettait  plus  a  1'abri  des  atteintes  de  la  justice. 
Jourdan  de  1'Isle  en  fit  1'epreuve.  Ce  neveu  du  pape 
Jean  XII  s'etait  souille  de  crimes  atroces  plusieurs 
Ibis  pardonnes.  II  osa  tuer  un  huissier  qui  1'avait 
cite  a  comparaitre  devant  le  parlement  de  Paris. 
Condamne  par  cette  cour,  il  fut  traine  a  la  queue 
d'un  cheval  et  pendu  (2). 

En  resume,  de  11 80  a  1 328,  le  pouvoir  monarchi- 
que  avait  fait  des  progres  considerables.  Philippe- 
Auguste  avait  conquis  un  royaume;  Saint-Louis  lui 
avait  donnedes  lois;  Philippe-le-Bel,  des  conseils  de 
legistes,  gardiens  et  promoteurs  de  1'autorite  mo- 
narchique.  A  un  roi  feodal,  place  a  la  tete  d'une  hie- 
rarchie  de  grands  vassaux  qui  n'obeissaient  qu'aux 

(1)  Les  comptes  de  1'Echiquier  deftormandieconstatent  ces  acquisi- 
tions dela  royaute.  Comine  ces  registres  sont  restes  inedits,  je  citerai 
1'article  relatif  au  comte  de  Beaumont-le-Roger.  11  est  ainsi  concu : 
«  Com.  Bellimontis-Roger. ,  pro  venditione  et  demissione  juris  quod 
habebat  t'aciendi  etcudendi  monelas  ubicumqueetin  quibuscunque 
terris  suis  facta  perpetuo  pro  se  et  hseredibus  suis  per  litteras  suas 
datas  XXII  april.   MCGGXXII.   »  Mscr.   de  la  Biblioth.   publiq. 
de  Rouen,  F.  Leber,  n°  5870,  t.  I,  f°  Zi2  recto.  L'ordre  de  payer 
15,000  livres  au  comte  de  Clermont  se  trouve  a  la  suite. 

(2)  Continual,  de  Guill.  de  jNangis,  a  Tannee  1323. 


64  RESUME  DE  LA  PREMIERE  EPOQUE. 

lois  consacrees  par  la  tradition  et  conserities  par  les 
principally  feudataires ,  avait  succede  un  souveraiii 
dont  la  volonte  dictait  des  lois  absolues  et  les  sous- 
crivait  de  la  formule :  De  noire  pleine  puissance. 

Les  anciennes  pairies  laiques  avaient  ete  ou  de- 
membrees  ou  absorbees.  La  Normandie,  la  Cham- 
pagne et  le  comte  de  Toulouse  faisaient  partie  du 
domaine  royal ;  la  royaute  avait  enleve  a  1'Aquitaine 
le  Poitou,  1'Aunis,  la  Saintonge  et  le  Limousin  ;  a 
la  Bourgogne,  le  comte  de  Macon;  a  la  Flandre, 
Lille,  Douai,  Valenciennes  et  le  territoire  decesvilles. 
Pour  remplacer  les  anciennes  pairies,  la  royaute  en 
crea  de  nouvelles.  Philippe-le-Bel  en  donna  1'exeni- 
ple  en  erigeant  en  pairies  la  Bretagne,  1'Artois  et 
1'Anjou  (1297)  ;  ses  successeurs  etendirent  la  meme 
dignite  au  Bourbonnais,  au  comte  d'Evreux,  etc. 
Lesmaisonsapanagees,  rameaux  de  la  famille  royale, 
couvraient  la  France  et  1'habituaient  a  la  domination 
des  Capetiens ;  FArtois,  1'Anjou,  le  Bourbonnais  et 
le  comte  d'Evreux  avaient  ete  donnes  en  apanages. 
Ces  branches  de  la  maison  capetienne  for  me  rent  une 
transition  entre  la  complete  independance  des  an- 
ciennes principautes  feodales  et  leur  entiere  reunion 
aux  domaines  de  la  couronne.  Enfin,  elles  prepa- 
rerent  aux  Capetiens  ces  nombreux  rejetons  qui  out 
perpetue  leur  domination  pendant  plus  de  huit  sie- 
cles. 


CHAPITRE  IV. 


Sommaire. 

PHILIPPE  DE  VALOIS  (1328-1350).  —  Mesures  fiscales.  — 
Puissance  de  la  chambre  des  comptes  depositaire  de  1'auto- 
rite  monarchique  en  1'absence  du  roi.  —  Organisation  du 
parlement;  egalite  entre  les  conseillers-juges  et  les  conxpil- 
lers-rapporteurs ;  commencement  de  la  separation  entre 
les  fonctions  judiciaireset  militaires. —  Malheurs  dela  France 
devastee  par  la  guerre  et  la  peste.  —  Reunions  territoriales. 
—  Plaidoyer  de  Pierre  de  Cugnieres  ( 1329} ;  appels  comme 
d'abus. 

JEAN  (1350-1364).  —  Mesures  fiscales.  — Reformes  tentees 
par  les  feats-Genera  ux  (1 355-1 357) .  —  Origine  des  gene- 
raux  des  finances  et  des  elm.  —  Retour  aux  principes  mo- 
narchiques;  ordonnance  de  Compiegne  (1358);  prudence 
du  dauphin  Charles;  reforme  du  parlement ;  il  esl  considers 
des  cette  epoque  comme  le  premier  corps  de  1'Etat. 


La  longue  et  triste  epoque  qu'on  designe  dans 
I'liistoire  sous  le  nom  de  guerre  de  cent  ans  (1339- 
1453),  est  surtout  signalee  par  les  fautes  et  le  declin 
de  1'aristocratie  et  de  la  royaute.  Philippe  de  Valois, 
et  Jean  son  fils,  entraines  par  une  ardeur  aveugle, 
voulurent  relever  la  feodalite  et  la  chevalerie.  Mais 
ils  n'en  prirent  que  les  pompes  exterieures,  les  tour- 
nois  et  les  fetes.  La  feodalite  avait  stipule  des  ga- 
ranties  pour  le  vassal ;  on  n'en  tint  pas  eonipte,  La 


66  PHILIPPE    DE   VAL01S    (1328-1350). 

chevalerie  faisait  un  devoir  de  la  loyaute ;  1'assassi- 
nat  et  la  trahison  furent  trop  souvent  les  armes  des 
premiers  Valois.  La  fiscalite  etait  une  necessite  de- 
puis  Philippe-le-Bel ;  les  impots  etaient  temporaires, 
mal  payes,  insuffisants  pour  solder  les  nombreux 
agents  de  1'administration  monarchique.  De  la  1'alte- 
ration  des  monnaies,  la  spoliation  des  marchands,  la 
confiscation  des  biens  des  financiers,  mesures  odieu- 
ses  qui  remplissent  les  regnes  de  Pbilippe  de  Valois 
et  de  lean.  Des  1329,  alteration  des  monnaies  (1). 
L'annee  suivante,  trois  nouvellesordonnances  dans  le 
meme  but  (2).  Les  baillis  et  les  senechaux  taxaient  le 
prix  des  denrees,  ainsi  que  le  taux  des  salaires  (3) ; 
les  marchands,  pour  se  soustraire  a  ce  maximum, 
refuserent  de  porter  leurs  denrees  aux  inarches ;  or- 
donnance  pour  les  y  contraindre  (4).  En  meme 
temps  que  Philippe  de  Yalois  ecrase  le  peuple  et  la 
bourgeoisie,  qu'il  etablit  la  gabelle  a  perpetuite  (5), 
et  qu'il  arrache  aux  lhats  de  nouveaux  impots  (6),  il 
dispense  les  debiteurs  de  payer  leurs  dettes  (7) ;  c'est 
sur  les  marchands  et  banquiers  italiens  (8),  sur  les 
financiers  (9)  qu'il  s'efforce  de  rejeter  1'odieux  de  ces 

(1)  Ordonn.  des  Rois  de  France,  II,  27. 

(2)  Ibid.  [I.  45,  56,  57.  Les  ordonn.  pour  la  falsificalion  des 
monnaies  sont  perp6tuelles.  Voy.  pag.  178,  182,  25/i,  256,  263,  288 
;i  302,  30Zi,  318,  etc. 

(3)  Ibid.,  /i9,  50,  58. 
(il}  Ibid.,  189. 

(5)  Ibid.,  179,  253,  262. 

(6)  Villani,  liv.  XII,  ch.  85. 

(7)  Reaieil  des  Ordonn.  des  Rois  de  France,  II,  59. 

(8)  Hist,  du  Languedoc,  liv.  XXXI,  ch.  2Zj. 

(9)  Supplice   du  Trosorie.r  Philippe  Remy  (1328).  En  13/i8, 


MESURES    FISCALES.  6? 

mesures.  Leur  proscription  lui  paraissait  un  moyen 
facile  de  douner  satisfaction  au  peuple  et  d'enrichir 
lo  tresor  :  systeme  funeste,  qui  decouragca  le  com- 
merce, irrita  la  bourgeoisie,  et  prepara  les  agitations 
et  les  malheurs  des  xive  et  xve  siecles.  Le  clerge  aY>- 
tait  pas  menage.  Le  pape  d' Avignon  le  livrait  au  roi, 
qui,  de  son  cote,  abandonnait  au  pape  les  annates,  les 
graces  expectatives,  etc. ;  en  un  mot,  toutes  les  in- 
ventions de  la  fiscalite  romaine  abolies  par  Saint- 
Louis.  «  Ainsi,  dit  un  chroniqueur  contemporain  (1), 
parlant  du  clerge  francais,  Tun  le  tondait,  et  1'aulre 
Pecorchait.  »  La  noblesse  n'etait  pas  satisfaite  des 
concessions  royales;  il  lui  eut  fallu  un  retour  com- 
plet  aux  privileges  de  la  feodalite ;  mais  les  conseils  de 
legistes,  qui  heureusement  entouraient  le  roi,  Parre- 
taient  dans  cette  marcbe  retrograde  vers  le  systeme 
anarchiquc  des  xic  et  xne  siecles.  On  reconnait  leur 
influence  dans  1'ordonnance  qui  declare  qu'au  roi 
seul  appartient  le  droit  de  battre  monnaie  (2),  et 
dans  plusieurs  mesures  relatives  a  la  cbambre  des 
comptes  et  au  parlement. 

La  premiere,  investie  de  lajuridiction  en  matieres 
financieres,  acquit  naturellement  une  grande  impor- 
tance sous  ce  regne.  Ce  fut  a  elle  que  Philippe  de  Va- 
lois,  partant  pour  la  guerre  en  1339,  laissa  les  pou- 
voirs  les  plus  etendus,  pouvoir  d'accorder  des  graces, 

destitution  en  masse  des  tresoriers  et  receveurs  des  impdts  (28  Jan- 
vier 13A8.)  On  a  remarque  que  les  six  premiers  surintendants  peri- 
rent  de  mort  violente.  On  peut  ajouter  Jacques  Coeur,  qui  mourut 
en  exil. 

(1)  Continual,  de  Guill.  de  Nangis. 

(2)  Eec.  des  Ordonn.  des  Rois  de  France,  t.  II,  p.  254. 


68  PUISSANCE   DE    LA    CHAMBRE   DES    COMPTES. 

d'autoriser  les  villes  a  s'imposer  pour  les  depenses 
communales,  de  rappeler  les  bannis,  d'anoblir  les 
bourgeois,  de  legitimer  les  batards,  de  confirmer  et 
renouveler  tousles  privileges  accordespar  la  royaute. 
En  un  mot,  il  transmettait  presque  a  la  chambre  des 
comptes  la  plenitude  des  droits  regaliens  (1).  L'an- 
nee  suivante,  lememe  prince  accorda  a  cette  chambre 
le  droit  d'alterer  les  monnaies.  Et  malheureusement, 
elle  eri  usa  immediatement  (2). 

Le  parlement  ne  parait  pas  avoir  eu  a  cette  epo- 
que  la  meme  importance  que  la  cbambredes  comp- 
tes. Cette  inferiorite  s'explique  par  deux  causes  : 
d'abord  la  composition  du  parlement,  et  ensuite  son 
caractere  temporaire.  Les  nobles  y  siegeaient  encore 
en  majorite,  tandis  que  la  connaissance  difficile  et 
minutieuse  des  matieres  financieres  les  eloignait  de 
la  chambre  des  comptes.  Le  grand  Bouteiller  seul 


(1)  Cette  ordonnance  qui  ne  se  trouve  pas  dans  la  collection  des 
Ordonnances  des  Rois  de  France,  est  conserved  dans  les  Memo- 
riaux  de  la  chambre  des  comptes;  elle  a  e"t6  imprime'e  par  Pasquier 
dans  ses  Eeclierches  de  la  France,  liv.  U,  chap.  5.  —  Elle  fut  en- 
registree  au  parlement  le  7  juillet  1340. 

(2)  Pasquier,  1.  c.,  ne  donne  que  Tordonnance  royale.  Voici  le 
mandement  de  la  chambre  des  comptes  d'apres  les  extraits  desMe'rrco- 
riaux:  «  De  paries  gens  des  comptes  du  Roy,  nostre  Sire,aux  mais- 
»>  tres  des  monnoyes  d'icelluy  Seigneur,  salut :  scavoir  faisons  que 
»  nous  avons  veu  les  lettres  de  mon  diet  seigneur  Roy  contenant  la 
»  fourme  qui  s'ensuit :  Philippes,  etc.  (Voyez  1'ordonnance  titee, 
»  par  Pasquier).  Par  la  vertu  desquelles  lettres,  nous  vousmandons 
»  que  tantost  vous  faciez  faire  les  deniers  d'argent,  que  le  Roy  faict 
»  ft  present  de  sept  sols  de  pois,  de  vin  s.  de  pois,  et  aussi  les  dou- 
»  bles  que  Ton  faict  a  present  de  xm  s.  vous  faciez  de  xvi  s.  Donne 
»  en  la  chambre  des  comptes,  a  Paris  le  vi  fevrier,  Tan  MCCCXL 
»  (13A1).  »  Cette  ordonnance  de  la  chambre  des  comptes  est  une 
nouvelle  preuve  des  alterations  perpetuelles  de  la  monnaie. 


niANf.KMKNT    DANS    LE    PARLEMENT.  69 

etait  par  sa  charge  president  cle  ce  tribunal  (1);  en- 
core ses  fonctions  etaient-elles  plus  honorifiques  que 
reelles.  D'ailleurs  les  sessions  du  parlement  etaient 
toujours  temporaires,  tandis  que  la  chambre  des 
comptes  siegeait  toute  1'annee,  comme  le  prouve  le 
reglernent  cite  plus  haut  (2).  Elle  entendait  les 
comptes  des  baillis  et  senechaux  de  Paques  a  1'Epi- 
phanie,  et  ensuite  ceux  de  1'hotel  du  roi,  du  chan- 
celier,  des  receveurs  du  domaine,  etc.  (3). 

Cependant,  si  Ton  en  croitle  president  Henault  (4), 
il  s'accomplit  a  cette  epoque  un  changement  impor- 
tant dans  le  parlement.  Jusqu'alors  les  conseillers 
jugeurs  etaient  distincts  des  conseillers  rapporteurs. 
Les  premiers,  de  noble  naissance,  rappelaient  1'an- 
cien  parlement  compose  de  barons;  les  seconds, 
plebeians  eleves  par  la  science,  etaient  charges  d'e- 
clairer  1'ignorance  des  jugeurs  et  de  leur  expliquer 
les  proces  et  les  lois.  Ce  fut  a  cette  epoque  que  les 
conseillers  rapporteurs  commencerent  a  sieger  sur 
les  hauts  banes  a  cote  des  barons,  et  peu  a  peu  les 
nobles,  degoutes  de  fonctions  qui  revelaient  leur  in- 
capacite,  s'eloignerent  du  parlement. 

Meme  dans  les  tribunaux  inferieurs,  la  separation 
des  fonctions  militaires  et  judiciaires,  que  cumu- 
laient  depuis  des  siecles  les  baillis  et  senechaux,  pn- 
raissait  une  necessite.  Temoin  une  ordonnance  de  la 

(1)  Voy.  Le  Canteur,  dissertation  sur  la  Chambre  des  cornp- 
tf>s.  Paris,  1765. 

(2)  Voyez  page  55,  le  reglement  cite  d'apres  Prcange,  v°  BAL- 
LIVI. 

(3)  Ibidem. 

(li)  Henault,  Abrege  clironolofjiiine^}\i\.  1341. 

I-  0 


70  SEPARATION   DES    FONCT10NS. 

chambre  des  comptes  en  date  du  30  aoiit  1355.  Elle 
recommit  que  le  bailli  de  Chaumont  et  de  Vitry, 
Godemar  du  Fay,  «  comment  qu'il  soit  bon  homme 
d'armes,  n'a  pas  accoustume  de  tenir  plaicts  ni  as- 
sises  (1).  »  En  consequence,  elle  decide  qu'il  y  a  lieu 
de  separer  les  fonctions  rnilitaires  et  judiciaires  et 
d'etablir  deux  baillis.  En  effet,  Godemar  du  Fay  ren- 
dit  le  sceau,  signe  de  la  justice.  On  voit  deja  poin- 
dre  la  distinction  des  baillis  de  robe  et  d'epee. 

Jo  n'insisterai  pas  sur  plusieurs  ordonnances  rela- 
tives aux  appels,  a  1'expedition  des  proces,  a  la  com- 
position du  parlement,  a  lavenalite  des  prevotes  (2). 
Ellesne  renfermentaucune  disposition  nouvelled'une 
veritable  importance.  Legouvernement  s'occupa  aussi 
des  foires  de  Champagne  (3) ;  mais  il  manquait  au 
commerce  la  premiere  condition  de  prosperite ;  il  n'y 
avait  aucune  securite  au  milieu  d'un  royaume  devaste 
par  les  guerres  civiles  et  etrangeres.  Les  contrees 
memes  qu'une  longue  paix  avait  enricbies  sous  Tau- 
torite  vigilante  des  rois  Saint-Louis  et  Philippe-le- 
Bel  ,  etaient  en  proie  a  1'ennemi.  Froissart  (i\ 
apres  avoir  montre  1'abondance  et  la  richesse  de  la 
Normandie  au  commencement  du  xi\e  siecle,  ajoute 
que,  sous  Philippe  de  Valois,  elle  fut  toute  volee  et 
pillee.  Le  desastre  de  Crecy  (1346),  la  prise  de  Calais 
(1347)  et  la  peste  noire  (1348)  mirent  le  comble  aux 
calamites  du  regne  de  Philippe  de  Valois.  L'acquisi- 

(1)  Pasquier,  Rechercties  de  la  France,  liy.  Jl,  ch.  5. 

(2)  Rec.  des  Ordonn.  cits  Rois  de  France,  IT,  210  et  303. 

(3)  Ibidem.,  200. 

(4)  Froissart,  edit,  de  157A,  vol.  I,  p.  133. 


APPELS   COM MI<   D'AIHS.  II 

lion  duDauphineetdu  cornte  deMontpellier  furent  de 
bien  faibles  compensations.  N'oublions  pas  le  celebre 
plaidoyer  de  Pierre  de  Cugnieres  qui ,  dans  une  as- 
semblee  solennelle,  en  presence  de  Philippe  de  Va- 
lois,  attaqua  la  juridiction  ecclesiastique  defendue 
par  le  cardinal  Bertrand  (1).  Ce  fut,  dit-on,  a  la  suite 
de  cette  discussion  que  fut  institue  Pappel  comme 
d'abus,  qui  s'opposa  aux  empietements  du  clerge  sur 
la  puissance  temporelle.  Ces  appels,  selon  la  defini- 
tion de  Fleury,  dans  son  Institution  au  droit  eccle"- 
siastique,  etaient  des  plaintes  portees  contre  un  juge 
ecclesiastique  lorsqu'on  pretendaU  qu'il  avail  excede 
ses  pouvoirs  et  entrepris  contre  la  juridiction  tempo- 
relle ou  contre  les  libertes  de  1'eglise  gallicane. 
Les  appels  comme  dabus  etaient  juges  par  les  parle- 
ments. 


Sous  le  successeur  de  Philippe  de  Valois  ,  Jean 
(1350-1364),  1'histoire  ne  signale  que  des  fautes  et 
des  revers.  L'institution  de  rordre  de  I'Etoile  (1351; 
fut  une  nouvelle  preuve  de  cette  manie  chevaleres- 
que  qui  contrastait  d'une  maniere  choquante  avec  le 
supplice,  je  dirais  presque  Tassassinat  du  cornte 
d'Eu,  connetable  de  France,  et  avec  les  mesures  fisca- 
les  dont  le  regne  de  Jean  fut  souille.  De  1351  a 
1356,  chaque  annee  fut  marquee  par  des  alterations 
de  la  monnaie.  En  1351,  dix-huit  ordonnances  2i  ; 


(t)  Contin.  de  Guillaume  de  Nangis,  a  PannSe  1329. 

(2)  Recueil  de*  Ordonn.,  II,  .'3/io,  3^/i,  388,  389.  417,  /,L>8,  /|29, 

0,  431,  432,  Wl,  Vi7.  /i/|8.  W,  /|G7. 


72  MESURES    FISCALES    (1350-1355). 

en  1352,  seize  (1)  ;  en  1352,  treize  (2)  ;  en  1354, 
onze  (3);  en  1355,  dix-huit  (4). 

La  valeur  clu  marc  d'argent  varia  de  i  livres  a  18 
livres.  Comme  ces  odieuses  mesures  ne  suffisaient 
pas  aux  besoins  du  gouvernement ,  on  y  ajouta  la 
banqueroute  (5).  Aussi  les  marchands  italiens  aban- 
donnerent-ils  un  royaume  qui  n'offrait  plus  aucune 
garantie  pour  le  commerce  (6).  Les  Etats-Generaux, 
jusqu'alors  si  dociles  aux  volontes  du  pouvoir,  s'irri- 
terent  de  tantd'abus.  II  n'entre  pas  dans  mon  sujetde 
suivre  la  reaction  democratique  de  1355  a  1358,  ce- 
pendant  elle  exerga  une  trop  profonde  influence  sur 
radministration  monarchique  pour  etre  entierement 
passee  sous  silence  (7). 

Les  Etats,  convoques  en  1355,  adopterent  des  re- 
solutions, auxquelles  une  ordonnance  du  28  deeem- 
bre  1 355  donna  force  de  loi  (8) . 

Les  impots  devaient  etre  egalement  repartis,  sans 
distinction  de  nobles  et  de  vilains;  1'assemblee  exer- 
cait  par  ses  delegues  une  surveillance  active  sur  rad- 
ministration financiere;  Tabus  odieux  du  droit  de 
pourvoierie  ,  en  vertu  duquel  les  officiers  royaux 
s'emparaient  de  tons  les  objets  a  leur  convenance  , 

(1)  Ordonn.,  II,  467  et  suiv. 

(2)  Ibid.,  IT,  528,540  et  suivantes. 

(3)  Ibid.,  II,  549  et  suivantes. 

(4)  Ibid.,  in,  p.  1,  4  et  suiv. 

(5)  Ibid.,  Ill,  pag.  15. 

(6)  Matt.  Villani,  liv.  I,  chap.  75. 

(7)  On  pourra  consulter  sur  ce  sujet  les  travaux  des  historiens 
modernes,  et  surtout  la  publication  recente  de  M.    Aug.  Thierry 
sur  I'Histoirc  du  Tiers-ktai.  (voy.  p.  35  et  suiv.) 

(8)  Recueit  des  Ordonn.,  Ill,  21  et  suivantes. 


1355-1357).  73 

etait  supprime;  les  Franc,ais  ne  devaient  plus  etre 
enleves  a  leurs  juges  naturels  et  trad ui Is  devant  des 
tribunaux  extraordinaires. 

La  royaute  qui  avait  subi  ces  conditions  ne  tarda 
pas  a  les  violer.  On  avait  fixe  la  valeur  du  marc  d'ar- 
gent  a  4  livres  12  sous;  des  ordonnances  la  firent 
varier  au  gre  des  caprices  et  de  1'interet  des  minis- 
tres  (1).  Qu'on  ajoute  le  desastre  de  Poitiers  (1356) 
cause  par  1'imprudence  du  roi  et  1'indiscipline  de 
1'armee  feodale,  la  devastation  de  la  France  par  I'en- 
nemi,  1'oppression  du  peuple  paries  seigneurs,  qui, 
renvoyes  sur  parole,  venaient  extorquer  leur  rancon 
a  des  vassaux  deja  ruines ,  et  Ton  concevra  1'irrita- 
tion  des  Etats  qu'il  fallut  convoquer  de  nouveau  en 
1356et  1357.  Diriges  par  des  hommes  energiques, 
par  Etienne  Marcel  et  Robert  le  Coq,  les  Etats  s'em- 
parerent  du  gouvernement,  firent  une  enquete  sur  la 
cause  des  malheurs  publics  et  chasserent  du  conseil 
du  roi  vingt-deux  membres.  Le  Dauphin  ,  jeune 
prince  de  dix-huit  ans,  qui  avait  fui  des  premiers  a 
la  journee  de  Poitiers,  fut  oblige  de  sanctionner  tou- 
tes  les  decisions  de  1'assemblee.  L'ordonnance  du  3 
mars  1357  en  fut  le  resultat  (2).  Elle  descend  a  tons 
les  details  de  1'administration,  reforme  le  parlement, 
la  cour  des  comptes,  le  grand  conseil;  mais  il  n'esl 
jamais  question  de  les  abolir,  tant  la  necessite  des 
institutions  monarcbiques  etait  generalement  recon- 
nue!  Le  parlement,  accuse  d'avoir  dtlaisst  et  mis  en 

(1)  Reciieil  ties  Ordonn.,  t.  Ill,  p.  i>A,  95,  9(3. 

(2)  Ibid.,  t.  HI,  p.  12/1-145. 


74  GEN&llALX   DES    FINANCES; 

arriere  beaucoup  de  proces,  devra  a  I'aveiiir  se  reu- 
nir  an  soleil  levant  (1);  meme  prescription  pour  la 
chambre  des  comptes  (2)  et  le  grand  conseil  (3).  L'or- 
donnance  exige  la  suppression  de  la  venalite  des  pre- 
votes  et  des  vicomtes,  c'est-a-dire  Implication  a  ees 
charges  du  principe  pose  pour  les  bailliages  et  sene- 
cbaussees;  elle  interdit  le  cumul  des  charges  et  les 
variations  du  numeraire.  On  ne  fabriquera  qu'une 
bonne  monnaie  dont  Fetalon  restera  entre  les  mains 
du  prevot  des  marchands  de  Paris.  Les  subsides  on 
aides  votees  par  1'assemblee  seront  percues  par  ses 
delegues.  Des  commissaires  generaux  qui  furent  ap- 
peles  simplement  gendraux  des  finances  ,  feront  la 
repartition  de  Timpot  dans  chaque  localite  (i).  La  se 
trouve  le  germe  d'une  institution  que  la  royaute  rat- 
tacha  plus  tard  a  la  hierarchie  administrative.  Les 
gene'raux  des  aides  devinrent  line  institution  central e 
qui  se  subdivisa  dans  la  suite.  Les  uns,  designes  sous 
le  nom  de  generaux  de  justice,  formerent  la  cour  des 
aides  ;  les  autres  ,  appeles  gene'raux  pour  le  fait  des 
aides  ,  furent  charges  de  la  repartition  des  impots 
dans  toute  la  France  ,  constituerent  plus  tard  les 
bureaux  des  finances,  et  eurent  au-dessous  d'eux  les 
elus9  qui  devinrent,  sous  le  regne  de  Charles  V,  des 
Ibnctionnaires  royaux.  Ainsi  radministration  monar- 
chique  fut  assez  sage  pour  profiter  des  reformes  po- 
pulaires.  Nous  remarquerons  en  general  que  1'initia- 

(1)  Ordonnances,  Ibid.,  art.  7. 

(2)  Ibid.,  art.  13. 

(3)  Ibid.,  art.  42  et  43. 
4)  Ibid.,  art.  2. 


ORDONNANCE    DE   COMIMEGNE    (1358).  75 

live  pour  beaucoup  de  reformes  importantes  vint  du 
tiers-etat,  mais  qu'il  les  compromit  par  la  violence  et 
1'esprit  systematique.  La  royaute  plus  prudente  silt 
profiler  des  idees  desreformateurs,  en  les  appliquant 
avec  mesure  et  maturite. 

Des  1358,  le  tiers-etat,  irrite  par  des  resistances  et 
entraine  de  violences  en  violences ,  perdit  sa  cause 
et  prouva  qu'il  n'etait  pas  encore  murpour  la  liberte. 
Des  fautes,  des  crimes  meme  souillerent  cette  pre- 
miere tentative  de  revolution  populaire.  Les  chefs  qui 
1'avaient  dirigee  furent  victimes  d'une  de  ces  reac- 
tions que  provoque  toujours  la  violence  des  partis. 
L'opinion  publique  qui  s'etait  eloignee  du  principe 
monarchique  s'y  rattacha  plus  fortement  qu'aupara- 
vant.  Effrayee  par  les  exces  du  peuple ,  qui  s'etait 
souleve  dans  les  campagnes  (Jacquerie)  ,  reconnais- 
sant  1'impossibilite  du  gouvernement  du  tiers-etat  qui 
n'avait  aboutiqu'a  la  tyrannic  de  la  commune  de  Paris, 
la  majorite  de  la  nation  se  rallia  au  Dauphin,  prince 
prudent  et  modere  qui  sut  mettre  a  profit  les  lecons 
de  1' experieftcp.  II  fit  de  lui-meme  unc  partie  des  re- 
formes  qu'avaient  voulu  lui  imposer  les  Etats,  et  par 
son  ordonnance  de  Compiegne  (14  mai  1358)  (1),  il 
^engagea  a  ne  plus  alterer  les  monnaies  et  a  sou- 
mettre  1'administration  financiere  au  controle  des 
Etats  (2).  On  s'etait  plaint  de  la  lenteur  du  parlement 
qui  laissait  s'accumuler  les  proces ,  le  Dauphin  or- 
donna  que,  pendant  I'intervalle  des  sessions,  qui  n'a- 


(1)  Ordonnances,  III,  221-232. 
(2)/6id,art.  1,  4, 17  et  27. 


76  PROGRfcS    1)1    PARLEMENT. 

vaient  lieu  que  deux  ibis  par  an,  les  presidents  expe- 
diassent  les  affaires  les  plus  urgentes  (1).  G'etait 
preparer  la  permanence  du  parlement.  Cette  assem- 
blee  de  legistes  est  d'ailleurs  designee  dans  1'ordon- 
nance  du  roi  par  les  qualifications  les  plus  honorables, 
«  comme  la  justice  capitale  et  souveraine  de  tout  le 
»  royaume  de  France  representant,  sans  moyen,  la 
»  personne  du  roi  (2).  »  Ce  retour  a  des  principes 
d'ordre  et  de  justice  etait  sans  doute  d'une  haute  im- 
portance. Mais  ce  n'est  pas  au  milieu  des  troubles  de 
la  guerre  civile  et  etrangere  que  se  fonde  une  admi- 
nistration reguliere,  et  le  Dauphin  dut  avant  tout  ci- 
catriser  les  plaies  de  la  France,  mettre  un  terme  a 
1'anarchie  ,  eloigner  on  detruire  les  grandes  com- 
pagnies,  enfm  expulser  les  Anglais  du  royaume. 
Cette  oeuvre  de  regeneration  ne  tut  definitivenient 
aecornplie  qu'apres  la  mort  de  Jean  et  1'avenement  de 
Charles  V  au  trone.  Elle  remplit  surf  out  la  premiere 
partie  du  regne  de  ce  dernier  prince  (1364 — 1372). 
La  seconde  (1372-1380)  fut  marquee  par  de  notables 
progres  de  1' administration  monarchique. 

(1)  Henault,  Abrcge  chronol.,    ann.  1359. 

(2)  Les  Clironiques  de  Saint-Deny Syibgne  de  Jean-le-Bon,  eclil. 
Paulin  Paris,  in-f°  p,  15Zi7,  parlent  aussi  du  parlement  comme  du 
corps  le  plus  eleve"  en  dignite. «  Les  gens  du  parlement,  dit  1'auleur 
anonyme,  representent  la  pei'sonne  du  Hoy,  au  fait  de  la  justice,  qui 
est  le  principal  membre  de  la  Couronne,  par  lequel  il  regne  et  a  sa 
Seigneurie.  » 


CHAP1TRE  III. 


Sommaire. 

CHARLES  V  (1364-1380);  etat  deplorable  de  la  France  a  1'ave- 
nement  de  Charles  V;  depopulation.  —  Charles  V  lermine 
les  guerres  civiles  et  eloigne  les  grandes  compagnies.  — As- 
semblee  de  1369;  votes  de  subsides  (taille,  aides,  fouages) ; 
arinee  permanente  organisee  par  I'ordonnance  deVincen- 
nes  (1374) ;  impot  permanent.  —  Reforme  de  radministra- 
lion  financiere ;  impots  affermes ;  les  4lus  deviennent  magis- 
trals royaux;  iixite  des  monnaies;  reforme  de  la  chambre 
des  comptes.  —  Permanence  du  parlement.  —  Prosperite 
du  commerce ;  progres  de  la  marine ;  projet  de  canal  pour 
joindre  la  Seine  a  la  Loire.  —  Monuments  construits  par 
Charles  V. —  Protection  accordeeaux  lettres.  — Separation 
des  puissances  temporelle  et  spirituelle ;  songe  du  vergier. 
—  Majorite  des  rois  fixee  a  quatorze  ans.  —  Abolition  des 
fouages  par  Charles  V  mourant  (1380). 

CHARLES  VI  (1 380-1 422) ;  caractere  general  de  ce  regne ;  mal- 
heurs  et  anarchic.  —  Mesures  administratives  :  Election 
des  membres  du  parlement  par  ce  corps  ;  chambre  des  va- 
cations. —  Reformes  tentees  par  le  parti  democratique;  or- 
donnance  cabochienne  (1413);  elle  n'est  pas  execulee. — 
La  France  en  proie  aux  guerres  civiles  et  etrangeres  (1 41 3- 


Charles  V  trouva  la  France  dans  une  situation  de- 
plorable :  deux  guerres  civiles  en  Normandie  et  en 
Bretagne,  les  debris  des  armees  mercenaires  exer- 
gant  d'horribles  ravages,  les  Anglais  maitres  du  pays 
de  la  Loire  aux  Pyrenees,  les  campagnes  desertes, 
les  villes  en  proie  aux  fleaux  de  la  famine  et  de 


78  ETAT  DEPLORABLE  BE  LA  FRANCE  EN  1364. 

la  peste  nes  de  la  guerre  et  de  1'accuniulation  des  po- 
pulations, Paris  meme  meconnaissable  aux  yeux  de 
1'etranger  qui  1'avait  vu  quelques  annees  aupara- 
vant  (1);  telle  etait  la  situation  de  la  France  en  1364. 
Charles  V  se  vit  contraint  de  diminuer  les  impots  en 
proportion  de  I'extinction  des  feux.  Les  ordonnan- 
ces  prouvent  que  la  province  duLanguedoc,  une 
de  celles  que  la  guerre  avait  le  moins  cruellement 
devastees,  avait  perdu  plus  de  la  moitie  de  sa  po- 
pulation (2). 

Charles  termina  d'abord  les  guerres  civiles.  Du- 
guesclin,  le  bras  et  Tepee  du  roi,  triompha  a  Coche- 
rel  et  pour  etrennes  de  sa  joyeuse  royaute  annonc,a 
a  Charles  V,  la  fin  de  la  guerre  de  Normandie.  En 
Bretagne,  la  mort  de  Charles  de  Blois  et  la  paix  de 
Guerande  (1365)  terminerent  aussi  les  hostilites. 
Kestaient  les  grandes  compagnies  qui  consideraient 
la  France  comine  «  leur  chambre  »,  selon  1'expres- 
sion  de  Froissart.  Le  sage  roi  les  eloigna  et  les  en- 
voya,  partie  en  Allemagne^  partie  en  Espagne. 
D'ailleurs,  il  mit  le  pays  en  etat  de  resister  aux  ban- 
des  armees  (3),  et  bientot  la  France  fut  delivree  de 
co  fleau. 

(1)  «  Vix  aliquid  omnium  recognovi,  opulentissimum  in  cinercs 
versum  regnum  videns,  et  nullam  pene  domum  stantem  nisi  ur- 
bium  aut  arcium  mcenibus  cincta  esset...  Ubi  est  ilia  Pariseos,  qua? 
magna  baud  dubie  res  fuit?  Ubi  scholastiscorum  agmina?  Ubi  stu- 
dii  fervor?  Ubi  civium  divitia3?  Ibi  nunc  audilur  bellantium  fra- 
gor,  vixque  ipsis  in  urbibus  tuti  sunt.  Nusquam  tarn  nulla  securi- 
tas.  »  Lettres  dc  Pdtrarque,  liv.  X,  2we  lettre. 

(2)  Recueil  des  Ordonnances  des  Rois  de  France,  torn.  IV,  p. 
486. 

(3)  Ordonn.,  torn.  V,  p.  1A,  13  juillet  1367. 


ASSEMBLED    1)E    1369.  79 

Ces  inesures  cxecutees  avec  sagesse  et  fennete 
avaient  concilie  au  roi  I'opinion  publique.  Elle  se 
manifesta  dans  Fassemble'e  de  1369.  Ce  n'etaient 
point  les  Ihats-Generaux,  dont  Charles  V  redoutait 
les  orageux  souvenirs,  mais  une  assernblee  de  no- 
tables composee  de  grands,  de  prelats,  de  membres 
duparlement  etde  la  bourgeoisie.  Leroi  parutvouloir 
se  mettre  sous  leur  tutelle,  eomme  plus  tard  Hen- 
ri IV  a  I'asssemblee  des  notables  de  Rouen.  «  S'ils 
»  voyaient,  disait  Charles  V,  qu'il  eut  fait  chose 
»  qu'il  ne  devait,  qu'ils  le  dissent  et  il  le  corrige- 
»  rait  (1).  » 

L'assemblee  lui  prouva  sa  confiance  en  lui  accor- 
dant douze  deniers  pour  livre  sur  le  prix  des  den- 
rees,  la  gabelle  du   sel  et  un  droit  de  quatre  livres 
par  feu  dans  chaque  ville  fermee,  et  d'une  livre  et 
demie  en    plat  pays ,   le  fort  portant  le  faible ;  on 
ajouta  a  ces  subsides  une  aide  considerable  sur  les 
vins  (2) .  Charles  repondit  a  la  confiance  de  I'assemblee 
par    des  services  signales;    il  enleva  aux  Anglais 
toutes  leurs  possessions   en  France ,  a  F  exception 
de   Calais ,  Bordeaux  et  Bayonne.    Foissart  a  par- 
faitement  caracterise   la   politique  exterieure  de  ce 
prince,  qui,  «  tout  coi  en  ses  chambres  et  deduits 
»  reconqueroit  ce  que  ses  predecesseurs  avoient  per- 
»  du  sur  le  champ    de  bataille ,   la  tete  arm^e  et 
»  Tepee  au  poing  (3).  » 


(1)  Grandes  cfironiques  de  Saint-Dcmjs,  regne  de  Charles  V, 
chap.  XIX,  edit  Paulin  Paris,  in-folio,  pag.  1576. 

(2)  Ibid.,  pag.   1606-1607. 

(3)  Froissart,  liv.  II,  chap.  45. 


80  ARMEE  PERMANENTE  (1374). 

Charles  V  dut  une  partie  de  ses  succes  a  1'orga- 
nisation  de  son  armee.  L'ordonnance  de  Vincennes 
(1 3  Janvier  1 373-1 374)  etablit  une  armee  permanente 
et  la  soumit  a  une  discipline  reguliere  (1).  La  no- 
mination des  capitaines  par  le  roi  et  le  paiement  des 
troupes  par  les  tresoriers  royaux  rattachaient  la  force 
militaire  au  gouvernement  central.  La  defense  de 
laisser  sej  owner  les  troupes  dans  le  pays  etait  une 
mesure  utile  pour  le  preserver  des  ravages  aux- 
quels  il  avait  ete  si  longtemps  expose.  Malheureu- 
sement  1'ordonnance  de  Yincennes  ne  fut  execu- 
tee  que  sous  le  regne  de  Charles  V,  et  aussitot 
apres  sa  mort  on  en  revint  au  systeme  des  bandes 
mercenaires  qui  avaient  desole  la  France. 

Une  armee  permanente  exigeait  un  impot  per- 
manent; le  fouage  ou  impot  foncier  fut  fixe  a  six 
livres  par  feu  dans  les  villes  fermees,  et  a  deux  li- 
vres  pour  le  plat  pays  (2).  Les  aides  sur  les  vins  et 
les  boissons  furent  taxees  au  treizieme  du  prix,  et 
sur  toutes  les  autres  denrees  a  douze  deniers  par 
livre.  Enfin  la  gabelle  au  cinquieme  du  prix  du  sel. 
Pour  etablir  cet  impot  regulier  et  permanent,  Char- 
les ne  dernanda  pas  le  consentement  des  Etats.  II 
se  contenta  de  1'assentiment  d'une  nouvelle  assein- 
blee  de  notables  qui  n'avait  aucune  mission  pour  re- 
presenter  la  nation.  Mais  la  France  etait  dans  un  de 


(1)  Ordonn.,  torn.  V,  pag.  658. 

(2)  Ibid.,   tome  VI,    page   3.  J'ai   suivi   le  texte  dc  1'ordon- 
nance.  M.  Mignet,   dans  son  memoire  sur  la  formation  territo- 
rials el  politique  de  la  France,  ne  porte  le  fouage  qu'a  quatre 
livres  par  feu  pour  les  villes. 


ADMINISTRATION    FINANClfeRE.  81 

ces  moments  ou  la  lassitude  de  r anarchic  fait  accep- 
ter le  despotisme  qui  assure  le  repos  et  donne,  a  la 
place  de  la  liberte,  une  bonne  administration.  Ce 
fut  le  inerite  du  gouvernement  de  Charles  V. 

Ce  prince  reorganisa  1'administration  financiere 
depuis  le  sommetde  la  hierarchic  jusqu'aux  derniers 
rangs.  II  etablit  trois  tresoriers  dont  Tun  residait  a 
Paris,  pendant  que  les  deux  autres  parcouraient  le 
royaume  pour  inspecter  les  domaines  et  les  chateaux 
royaux  (1).  Quatre  conseillers,  charges  de  surveiller 
le  tresor  public  et  d'autoriser  les  paiements,  devaient 
sieger  a  Paris  (2).  Telle  est  I'origine  du  bureau  des 
finances,  qui  n'a  ete  defmitivement  organise  que 
sous  Henri  III.  Les  impots  furent  affermes  aux  en- 
eheres  publiques,  et  les  elm,  devenus  magistrate 
royaux,  ne  purent  prendre  part  a  1'enchere  (3).  Les 
receveurs  furent  astreints  a  tenir  des  registres  sous 
Tinspection  des  elus  (4)  et  a  percevoir  le  fouage  trois 
fois  par  an  (5).  Six  maitres  des  eaux  et  forets  eurent 
la  surveillance  du  domaine  sous  la  direction  generate 
des  tresoriers  (6). 

La  reforme  des  monnaies  avait  appele  1'attention 
de  Charles  V  des  le  commencement  de  son  regne.  II 
s'attacha  tout  d'abord  a  frapper  une  monnaie  dont 
la  valeur  constante  put  rassurer  les  march  and  s.  Son 


(1)  Ordonn.,  VI,  379,  art.  3. 

(2)  Ibid.,  art.  7. 

(3)  Ibidem,  art.  3. 
(A)  Ibidem. 

(5)  Ibidem,  p.  ^2. 

6)  Ibid.,  p.  379,  art.   20. 


FIXJTfi    DES    MONNAIES    SOUS    CHARLES   V. 

ancien  precepteur,  Nicolas  Oresme,  ecrivit  meme  un 
traite  pour  fletrir  la  conduite  des  princes  qui  alte- 
raient  les  monnaies  (1).  Six  maitres  des  monnaies 
furent  charges  de  veiller  a  1'execution  des  ordon- 
nances  surcette  matiere  (2). 

La  chambre  des  comptes  subit  une  reforme  qui 
excluait  1'influence  de  la  parente  et  assurait  la 
prompte  expedition  des  affaires  en  assignant  des 
maitres  speciaux  pour  reviser  la  comptabilite  de 
chaque  pays  (3). 

II  est  probable  qu'a  cette  epoque  d'administration 
reguliere  le  parlement  devint  permanent  (i).  Ce  qui 
est  certain,  c'est  que  Charles  V  donna  pour  residence 
a  cette  cour  1'ancien  palars  de  Saint-Louis,  dans  la 
Cite,  et  c'est  encore  aujourd'hui  le  siege  de  la  jus- 
tice. 

Sous  rinfluence  d'un  gouvernement  sage  et  protec- 
teur,  la  France  se  releva  de  ses  ruines,  et  la  prosperile 
nationale  se  manifesto  de  toutes  parts  par  le  develop- 
pement  du  commerce  et  par  de  grandes  construc- 
tions. Les  Normands  expedierent  plusieursvaisseaux 
pour  la  cote  d'Afrique  et  y  fonderent  des  comp- 
loirs  (5).  Les  marchands  castillans  obtinrent  en 

(1)  Le  traite"  de  Nicolas  Oresme  sur  Talt^ration  des  monnaies 
(de  mutatione  monetce)  a  e"te"  imprime  dans  la  Biblioth.  des   Pvrcs 
(edit.  deLyon),  torn.  XXVI,  p.  226. 

(2)  Ordonnances  des  Rois  de  France,  VI,  379,  art.  20. 

(3)  Ibid.,  VI,  379,  art.  IZi  et  19. 

(/i)  C'est  1'opinion  de  M.  Mignet,  Formation  territoriale  et  po- 
litique  de  la  France.  Je  n'ai  trouv6  la  preuve  de  ce  changement 
dans  aucune  ordonnance. 

(5)  Estancelin,  Histoire  des  decouvertes  mari times  drs  \or- 
mands,  et  Vitet,  UiMoirc  de  Dieppe. 


PROSPERITY    Dt:    COMMERCE.  83 

France  des  privileges  qui  attestent  1'etendue  de  leurs 
relations  commerciales  avec  ce  pays  (1).  Le  com- 
merce exterieur  ,  abandonne  jusqu'alors  aux  entre- 
priseshasardeuses  des  particuliers  et  sans  force  con- 
tre  les  agressions  etrangeres,  fut  protege  par  la  ma- 
rine nationale.  Quoique,  depuis  Saint-Louis,  on  eul 
un  amiral,  on  n'avait  pas  de  flotte,  et  il  avait  fallu 
louer  des  vaisseaux  genois  pour  se  faire  battre  a  1'Ji- 
cluse  (1340).  Charles  V  fit  equiper  une  flotte  sur  les 
cotes  de  Normandie  (2),  et  son  amiral,  Jean  de 
Yienne,  put  porter  les  ravages  de  la  guerre  sur  les 
cotes  de  la  Grand e-Bretagne  (3). 

Charles  V  s'occupa  aussi  du  commerce  interieur, 
et  songea  a  lui  assurer  de  faciles  communications. 
«  II  avoit  resolu,  dit  Christine  de  Pisan  (4),  de  faire 
»  fossoyer  la  terre  de  tel  large  et  profondeur,  et  en 
»  telle  adrece  que  la  riviere  de  Loire  peut  prendre 
»  son  cours  en  la  riviere  de  la  Seine ,  et  porter  na- 
»  vires  qui  vinssent  a  Paris.  »  Deja  les  cent  mille 
livres  demandees  pour  ce  travail  etaient  preparees, 
lorsque  la  mort  de  Charles  V  en  empecha  1'execu- 
tion. 

D'autres  travaux  furent  executes  et  attestent 
1'activite  et  la  prosperite  de  ce  regne.  L'hotel  Saint- 
Pol  ,  avec  ses  nombreux  batiments ,  ses  cours,  ses 
jardins,  ses  immenses  cheminees  surmontees  dessta- 


(1)  Ordonn.  des  Rois  de  France,  VI,  421. 

(2)  Ibid.,  VI,   218. 

(3;  Froissart,   Chroniques,  £dit.  de  1574,  vol.   I,   p.  417. 
(4)  Christine  de  Pisan,  collect.  Petitot,  t.  VI  de  la  lre  se"rie, 
page  16. 


84  MONUMENTS    ELEVfiS    PAR    CHARLES   V. 

tues  des  douze  apotres ;  les  chateaux  de  Beaute-sur- 
Marne,  de  Melun  ,  de  Creil ,  de  Saint-Germain-en- 
Laye,  de  Saint-Ouen  et  de  Fontainebleau ;  a  Paris  , 
les  eglises  des  Celestins ,  de  Saint-Paul ,  de  Saint- 
Antoine  (1),  ne  sont  qu'une  faible  partie  des  monu- 
ments qu'eleva  Charles  V.  II  fit  rebatir  le  Louvre , 
«  moult  notable  et  bel  edifice,  »  dit  Christine  de  Pi- 
san.  La  Bastille  fut  commencee  par  le  prevot  Hu- 
gues  Aubriot;  le  palais  de  la  Cite  fut  agrandi ,  Paris 
entoure  de  «  murs  neufs,  et  de  belles,  grosses  et 
»  haultes  tours  (2). »  Charles  Vvoulaitfairedu  chateau 
de  Vincennes  une  ville  fortifiee,  «  et  la  auroit  etabli, 
»  en  beaux  manoirs,  la  demeure  de  plusieurs  sei- 
»  gneurs,  chevaliers  et  autres  ses  mieux  aimes  (3).  » 
Les  lettres  trouverent  aussi  un  protecteur  dans  ce 
roi ;  il  «  fit  en  tous  pays  chercher  et  appeler  a  soi 
»  clercs  solemnels,  philosophes  fondes  es  sciences 
»  mathematiques  et  speculatives  (4)  ».  II  encouragea 
leurs  travaux  et  repondit  a  ceux  qui  en  murmuraient 
que  «  les  clercs  ou  a  sapience,  on  ne  pent  trop  ho- 
»  norer.  »  II  reunit  dans  une  tour  du  Louvre,  appe- 
lee  Tour  de  la  librairie,  des  ouvrages  de  medecine , 
de  droit,  d'astrologie ,  d'histoire  et  de  poesie,  et  per- 
mit aux  savants  deles consulter.  Ce  fut  la  1'originede 
la  Bibliotheque  imperiale  (5).  «  Nonobstant  que  bien 


(1)  Christ,  de  Pisan,  collect.  Petitot,  tome  VI  de  la  lre  serie, 
p.  2Zi  et  25. 

(2)  Idem,  ibid.,  torn.  VI,  pag.  25. 

(3)  Idtm,  ibidem,  page  26. 

(Zi)  Idem,  ibid.,  tome  V,  pag.  275. 

(5)Memoires  de  C Academic  des  inscriptions,  tome  17,  origin? 
de  la  bibliotli.  royale. 


LFS    LETTRES    PROTEGEES    PAR    CHARLES   V.  85 

»  entendit  le  latin,  il  fit  par  solemnels  maitres  trans- 
»  later  de  latin  en  frangais  tous  les  plus  notables  li- 
»  vres  (1),  »  tels  que  la  Bible,  la  Cite  de  Dieu  de 
saint  Augustin,  plusieurs  traites  d'Aristote,  les  his- 
toires  de  Tite-Live,  de  Valere  Maxime,  etc. 

Comme  tous  les  rois  administrateurs,  Charles  V 
maintint  la  separation  des  deux  puissances  temporelle 
et  spirituelle,etdefendit  auxtribunauxecclesiastiques 
dejuger  lesproces  des  la'iques  (2).  II  fit  composer  par 
quelque  legiste  de  sa  cour  le  Songe  du  vergier  ,  sa- 
tire de  1'ambition  des  clercs,  qui ,  «  de  la  misere  de 
»  pauvrete,  de  degre  en  degre,  montent  jusques  a 
»  tres  grands  bonneurs  et  dignites  par  pratiques  ca- 
»  villeuses ,  luxurieusement  vivent  et  se  disent  Dieu 
»  en  terre,  ets'appellent  sanctifies  (3).  »  Nous  avons 
du  insister  sur  les  resultats  d'un  regne  qui  manifesto 
avec  tant  d'eclat  la  puissance  d'une  volonte  forte  et 
prudente,et  la  superiorite  de  la  politique  sur  une  pre- 
tenclue  cbevalerie  qui  avait  compromis  le  salut  de  la 
France.  Charles  V,  entoure  de  ses  legistes,  gens  de 
petit  etat,  des  Dormans,  le  Begue  de  Vilaines,  Baoul 
de  Presles,  Bureau  de  la  Riviere,  Nicolas  Oresme,  a 
releve  le  royaume  mine  par  la  mauvaise  administra- 
tion des  rois  chevaliers.  II  voulut  en  assurer  la  pros- 


(1)  Christine  dePisan.,  ibid.,  torn.  Vf,  27. 

(2)  Ordonn.,  V,  100.  —  Voy.  Dupuy,  Preuves  des  libertds  dc 
I'&glise  gallic.,  I,  121-122. 

(3)  Songe  du  vergier,  liv.  I,  ch.  Zi.  Get  ouvrage  a  ete  attribue  a 
plusieurs  auteurs,  entre  autres  a  Raoul  de  Presles,  et  a   Nicolas 
Oresme.  Voy.  Dupin,  Bibl.  clioisie  des  livres  de   droit ,  edition 
1836,  page  701,  et  La  Boulaye,  Kev.  delcgislat.  (1841),  torn.  XIII, 
p.  32. 

I.  7 


86  ABOLITION   DES    FOUAGES    (4380), 

perit6  apres  lui  par  des  lois  qui  fixaient  la  majorite* 
des  rois  a  quatorze  ans  (1),  et  organisaient ,  en  cas 
de  minorite,  un  conseil  de  regence  (2) ;  mais  le  mal- 
heur  des  monarchies  absolues  est  de  faire  dependre 
d'un  seul  homme  le  sort  d'un  royaume.  La  France 
devait  en  faire  une  cruelle  epreuve  apres  la  mort  de 
Charles  V  (1380).  A  ses  derniers  moments,  ce  roi  fut 
tourmente  par  le  remords  d'avoir  viole  les  anciennes 
franchises  de  la  nation ,  qui  exigeaient  consentement 
des  foats  pour  I'etabiss^ement  nouveaux  impots  et  il 
abolit  les  fouages  le  1*6  septembre  1380,  le  jour 
meme  de  sa  mort  (3)* 

(1)  Ordonn.  des  Rois  de  France,  i.  VI,  p.  26;  ordonn.  d'aout 


(2)  Ibid.,  p.  A9;  ordonn.  du  mois  d'octobre  137/u 

(3)  M.  le  comtedePastoreten  men  tionnant  cette  ordonnance  (pre- 
face du  tome  XX  des  ordonnances,  page  ix)^egrette  que  le  texte  en 
ait  et£  perdu  par  suite  de  1'incendie  qui  de"truisit  en  partie  les  Memo- 
riaux  de  la  chambre  des  comptes  en  1738.  Je  Fai  retrouv6  dans  des 
extraits  des  Memoriaux  anterieurs  a  1'incendie.  En  voici  le  texte  : 

«  Charles,  par  la  grace  de  Dieu,  roy  France,  a  tous  ceux  qui  ces 
pre"sentes  lettres  verront,  salut :  scavoir  faisons  que  nous,  ayans 
en  consideration  et  memoire  les  tres  grans  charges  que  nostre. 
peuple  et  sugez  ont  soustenus  en  temps  passez  pour  le  fait  de  nos- 
tre guerre  et  ont  encores  a  supporter  en  plusieurs  et  diverses 
manieres,  desirant  les  relever  des  aydes,  a  quoy  ils  ont  este"  im- 
posez,  pour  cette  cause,  par  la  pitte  et  compassion  que  nous  avons 
d'eux,  a  nostre  peuple  et  sugez  avons  quittie"  et  remis,  quittons,  re- 
mettons  et  donnons,  se  mestier  est,  de  nostre  certaine  science, 
pleine  puissance  et  grace  especial,  par  ces  pre"sentes,  tout  ce  en 
quoy  ils  peuvent  estre  tenus  par  manlere  quelconques  et  a  nos 
bonnes  villes  et  plat  pays  a  cause  des  fouages  a  eux  imposez  de 
tout  le  temps  passe  pour  le  fait  de  nostre  guerrre,  et,  en  ampliant 
r-ostre  dicte  grace,  iceux  fouages  avons  abaltus  et  abattons,  et  nous 
plaist,  voulons  et  ordonnons  par  ces  mesmes  lettres  que  ils  n'ayent 
plus  cours  en  nostre  royaurne  et  que  doresnavant  nostre  dit  peuple 
et  subgez  n'en  payent  aucune  chose,  mais  en  soyent  et  demeurent 
quittes  et  deschargez.  Si  donnons  en  mandement  £  nos  amez  et 


ANARCHIB  SOUS  CHARLES  VI  (1380-1422).        87 

La  minorite  de  son  fils  Charles  VI  fut  1'occasion 
de  troubles  qui  replongerent  le  royaume  dans  1'anar- 
chie.  La  dilapidation  des  tresors  amasses  par  le  der- 
nier roi  et  evalues  a  dix-sept  millions  (1)  ;  des  re- 
voltes  eommunales  suivies  bientot  de  cruelles  ven- 
geances (2) ;  une  administration  violente  et  inhabile, 
la  folie  du  roi,  les  querelles  sanglantes  des  princes,  la 
guerre  civile  aggravee  par  1'invasion  etrangere,  tel 
est  le  triste  spectacle  que  presente  la  France  h  la 
fin  du  xive  siecle  et  au  commencement  du  xve  siecle. 
Les  progres  de  I'administration  ne  sont  guere  possi- 
bles dans  ces  temps  orageux.  La  plupart  des  nom- 
breuses  ordonnances  rendues  au  nom  de  Charles  VI 
ont  ete  dictees  tantot  par  le  besoin  du  moment,  tan- 
tot  par  rinteret  de  la  faction  victorieuse  et  par  ees 
reactions  violentes  auxquelles  obeissaient  avec  une 
aveugle  docilite  lei  corps  depositaires  de  la  puissance 
publique,  semblables,  «  dit  Hiistorien  le  plus  grave 
«  du  temps  (3),  a  des  girouettes  poussees  par  le 
»  vent.  »  II  n'est  done  pas  etonnant  que  ce  long  re- 


fe*aux  g^neraux  conseillers  sur  lesdites  aydes,  sur  la  guerre,  au  pre- 
vost  de  Paris  et  a  tous  nos  autres  justiciers  et  a  chacun  d'eux  que 
nostre  presente  grace  et  ordonnance  ils  facent  partout  ou  il  appar- 
tiendra  crier  et  publier,  et  nostre  dit  peuple  et  subgez  d'iceluy,  joir 
et  user  paisiblement,  et  sans  eux  molester  ou  souffrir  estre  moles- 
tez  aucunement  au  contraire.  En  tesmoing  de  ce  nous  avons 
fait  mettre  nostre  seel  a  ces  leltres.  Donn6  en  nostre  hostel  de 
Beaut6-sur-Marne,  le  seizierae  jour  de  septembre,  Tan  de  grace 
MCGCLXXX  et  de  nostre  regne  le  dix-septieme.  » 

(1)  Art.  de  verifier  les  dates,  regne  de  Charles  VI. 

(2)  Froissart,  liv.  II.  chap.,  CLXXXV,  et  CGV.  Ctironique  du  Re- 
ligieux  de  Saint-Deny s,  edit.  Bellaguet,  torn.   II,  pag.  356-857, 
dans  les  Documents  ine'dits  de  CHistoirc  de  France. 

(3)  Ctironique  du  Religieux  de  Saint-Denys. 


MESURES    ADMINISTRATIVES. 

gne  ait  ete  presque  entierement  sterile  pour  Tadmi- 
nistration  monarchique. 

Nous  signalerons  cependant  quelques  mesures  im- 
portantes  :  Telection  des  membres  du  parlement  con- 
fiee  a  ce  corps  (1),  la  permission  accordee  aux  con- 
damnes  a  mort  de  se  faire  asslster  d'un  eonfes- 
seur  (2),  1'autorisation  de  representer  les  Mysteres 
accordee  aux  confreres  de  la  Passion  (3),  1'etablisse- 
ment  d'une  chambre  des  vacations  (4),  le  nombre 
et  les  fonctions  des  officiers  de  justice  (5),  enfin  des 
reglements  financiers  qui  ameliorerent  cette  partie 
de  radministration  (6). 

La  royaute  degradee  par  la  folie  du  roi,  par  les  de- 
batches  de  la  reine,  par  les  revoltes  des  princes, 
semblait  s'abandonner  elle-meme.  Le  peuple  tenta 
encore  une  fois  de  saisir  le  pouvoir.  Ce  ne  fut  plus, 
comme  en  1355  et  1357,  la  bonne  bourgeoisie  qui  se 
mit  a  la  tete  du  mouvernent,  mais  les  corporations 
inferieures,  les  bouchers  et  meme  les  ecorcbeurs. 

Le  parlement  refusa  de  s'associer  a  ces  tentatives 
populaires.  II  repondit  «  qu'il  ne  convenoit  pas  a 
»  une  cour  etablie  pour  rendre  la  justice  au  nom  du 
»  roi  de  se  porter  partie  plaignante  pour  la  deman- 

(1)  Ordonn.  de  5  fevrier  1388  (1389);  torn.  VII,  pag.  223-225,  du 
Recueil  des  Ordonn.  des  Eois  de  France. 

(2)  Ibid.,  torn.  VIII,   pag.   122  ;  ordonn.   du    12  fevrier  1396 
(1397). 

(3)  Ibid.,  torn.  VIII,  pag.  555;  ordonn.  de  de"cembre    1402. 
f4)  Ibid.,  torn.  IX,  pag  86-87 ;  ordonn.    du  2^  aout  1A05. 

(5)  Ibid.,  7  Janvier  1407  (1408) ;  torn.  IX,  pag.  279. 

(6)  Ibid.,  ordonn.  du  7  Janvier  1407-1408;  torn.  IX  ,  pag.  279; 
de  mars  1408,  torn.  IX,  pag.  418;   du  14  juillet   1410,  torn.  X, 
page  511. 


ORDONNANCE    CABOCH1ENNE    (1413).  89 

»der  (1).  »  L'Universite  n'imita  pas  la  moderation  du 
parlement.  Elle  pretendit  representer  le  royaume,  le 
monde  entier  et  pouvoir  parler  au  roi  avec  1'autorite 
d'un  maitre  (2).  Ses  docteurs  redigerent  la  grande 
ordonnance  cabochienne  de  1413.  «  Les  violents  dic- 
»  talent,  a  tres-bien  dit  un  historien  moderne  (3) ; 
»  les  moderes  ecrivaient.  »  On  est  surpris,  en  effet, 
de  trouver  autant  de  moderation,  de  prudence  et 
meme  de  soin  du  pouvoir  dans  une  revolution  vio- 
lente  et  meme  hideuse,  comme  celle  des  Cabochiens. 
L'ordonnance  du  25  mai  1413,  traite  successivement 
du  revenu  public  (domaine,  monnaie,  aides,) ;  de 
Fadministration  fmanciere ;  de  la  justice  et  des  dif- 
ferents  tribunaux  charges  de  la  rendre  ;  des  eaux  et 
forets  (domaine),  et  de  1'armee  (force  pub lique}.  Elle 
opere  quelques  reformes,  mais  elle  ne  porte  aucune 
atteinte  aux  institutions  monarchiques,  et  favorise 
plutot  la  centralisation  administrative,  judiciaire  et 
fmanciere  ;  elle  confirme  la  cour  des  aides  (4),  qu'elle 
reduita  un  president  et  a  deux  conseillers.  Elle  s'ef- 


(1)  Registres  du  parlement,  cites  par  M.  de  Barante,  Hist,  des 
dues  de  Bourgogne,  torn.  IV,  pag.  34,  3C  edition. 

(2)  «  Universitas  reprsesentat-ne  universum  regnuin?  Imo  vero  to- 
tum  mundun]....  quid  lotus  diceret  FranciaB  populus,  quern   quoti- 
die  Universitas  per  suos  subdilos  ad  patienliam  et  bonam  obedien- 
tiam  regis  et  dominorum  adhortatur,  si  non  a3que  bene  regi  lo- 
queretur,  ut  sese  benigne ,  juste  et  rationabiliter  erga  populum 
suum  haberet?  Videretur  adulationis  et  dissimulationis  factum,  nee 
unquam  populus  nos  audire  vellet.  »  Gersonii  opera,  torn.  IV, 
pag.  583,  sqq. 

(3)  Michelet,  Hist,  de  France,  torn.  IV.  Voy.  aussi  Aug.  Thierry, 
Format,  et  Progres  du  Tiers-£tat. 

(4)  Ordonn.  du  25  mai  1413,  art.  99;  Ibid.,  pag.  85. 


90  ORDONNANCE   CABOCHIENNE    (1443). 

force  de  soustraire  la  chambre  des  comptes  et  le 
parlement  a  1'influence  de  la  parente  qui,  favorisee 
par  le  droit  d'election,  cut  concentre  1'autorite  judi- 
ciaire  et  financiere  aux  mains  de  quelques  families. 
La  juri  diction  des  baillis  et  senechaux  est  maintenue; 
mais  ils  devront  rendre  leurs  comptes  au  parlement, 
ainsi  que  le  voulaient  les  anciennes  ordonnances  (1). 
On  remet  en  vigueur  les  prescriptions  de  Saint-Louis 
et  de  Philippe-le-Bel  qui  exigeaient  qu'on  choisit  les 
magistrats  hors  du  pays  confie  a  leur  administration. 
Enfin  1'ordonnance  restreint  la  juridiction  de  {'hotel 
du  roi  qui  empietait  sur  les  tribunaux  ordinaires  (2). 
Cette  ordonnance  ne  rec,ut  pas  d'execution  (3),  et 
ce  ne  fut  que  beaucoup  plus  tard,  lorsque  le  calme 
fut  retabli,  que  la  royaute,  mieux  conseillee,  lui 
emprunta  quelques  sages  dispositions.  Les  dernieres 
annees  de  Charles  VI,  souillees  par  des  massacres, 
par  Taffreuse  guerre  civile  des  Armagnacs  et  des 
Bourguignons,  par  la  domination  etrangere,  sont 
une  des  plus  tristes  epoques  de  notre  histoire ;  mais 
de  cet  abime  de  crimes  et  de  malheurs  sortit  le 
mouvement  qui  devait  sauver  la  France. 

(1)  Ordonn.  du  25  mai  1413,  art.  172,  173,  174, 175,  176,  etc. 
Rec.  des  Ord.y  torn.  X,  pag.  109-110. 

(2)  Ibidem,  pag.  115,  art.  192. 

(3)  L'ordonnance  cabochienne  ful  abolie  le  5  septembre  1413. 
Voy.  Monstrelet,  e'dit.  Buchon,  torn.  Ill,  pag.  71.  —  Juve"nal  des 
Ursins,  torn.  1 1,  pag.  485. 


CHAPITRE  V. 


Sommaire. 

CHARLES  vn  (1422-1461). — Situation  deplorable  de  la  France 
a  1'avenement  de  Charles  VII;  reaction  favorable  a  la 
royaute;  la  Pucelle.  — Reforme  des  armees  et  des  abus 
feodaux(l438-1439).  --  Praguerie  (1440-1441).  —  Com- 
pagnies  d'ordonnance  (1 445).  —  Francs-archers  (1 448).  — 
Progres  de  Fartillerie.  — Reformes  fmancieres. —  Reformes 
judiciaires;  ordonnance  de  Montils-les-Tours  (1453);  re- 
forme  du  parlement  de  Paris  et  des  tribunaux  inferieurs  ; 
institution  des  parlements  de  Toulouse  et  de  Grenoble.  — 
Chambre  des  comptes  de  Montpellier.  —  Reforme  eccle- 
siastique.  — Pragmatique-sanclion  de  Bourges.  — Reforme 
de  1'Universite.  —  Prosperity  du  commerce;  Jacques  Coeur. 
-  Agriculture.  —  Charles  VII  choisit  ses  principaux  mi- 
nistres  dans  le  Tiers-Eta t. 


Parmi  les  historiens  contemporains  qui  ont  retrace 
le  deplorable  tableau  de  la  France  a  1'avenement  de 
Charles  VII,  il  faut  citer  au  premier  rang  Thomas 
Basin,  eveque  de  Lisieux,  qui  a  compose  sous  le 
pseudonyme  d'Amelgard,  une  histoire  de  Charles  VII 
etde  Louis  XI  (1). 

(1)  L'ouvrage  de  Thomas  Basin  est  encore  inedit;  quelques  ex- 
traits  ont  ete  publics  dans  les  Notices  des  manuscrits  (torn.  Icr). 
Une  edition  complete  a  ete  promise  par  M.  Quicherat,  auquel  on 
doit  une  excellente  notice  sur  Thomas  Basin.  Je  me  suis  servi  du 
manuscrit  de  la  Bibliotheque  imperiale  qui  porte  le  n°  5962. 


92  ETAT  DE  LA  FRANCE 

En  voici  quelques  extraits  :  «  Les  longues  guer- 
res  a  1'interieur  et  a  1'exterieur,  la  lachete  desregents 
et  des  princes,  1'absence  de  toute  discipline  mili- 
taire,  1'avidite  et  la  licence  des  gens  de  guerre  livre- 
rent  le  royaume  a  de  telles  devastations,  que  depuis 
la  Loire  jusqu'a  la  Seine  et  meme  jusqu'a  la  Somme, 
presque  toutes  les  terres  resterent  longtemps  sans 
culture,  tous  les  cultivateurs  etant  morts  ou  en 
fuite(1). 

«J'ai  vu(2),dit  le  meme  ecrivain,  les  plaines  de  la 
Champagne,  de  la  Beauce,  de  la  Brie,  du  Gatinais, 
des  pays  de  Chartres  et  de  Dreux,  du  Maine  et  du 
Perche,  du  Vexin  fran^ais  et  normand,  du  Beauvoi- 
sis,  du  pays  de  Caux  depuis  la  Seine  jusqu'a  Amiens 
et  Abbeville,  les  contrees  de  Senlis,  de  Soissons  et 
du  Valois  jusqu'a  Laon  et  au-dela  vers  le  Hainaut, 
entierement  desertes,  incultes,  sans  habitants,  rein- 
plies  de  ronces  et  d'epines.  On  n'osait  cultiver  que 
les  terres  situees  aupres  des  villes  et  des  chateaux 
forts  :  la  sentinelle  placee  au  haut  des  tours  agitait 
la  cloche  d'alarmes  ou  sonnait  du  cor  des  qu'elle 
apercevait  au  loin  line  troupe  d'ennemis  ;  et  aussi- 
tot  ceux  qui  travail  la  jejnt  dans  les  champs  ou  dans 
les  vignobles  se  hataient  de  chercher  un  asile  der- 
riere  les  inurs  des  chateaux  forts  (3).  » 

(1)  «  A  flumine  Ligeris  usque  ad  Secanam,  el  inde  usque  ad  flu- 
viuin  Sommona?,  morluis  vel  profligatis  colonis,  omnes  agri  ferme 
et  sine  cullurael  sinepopulis  aquibus  coli  potuissent  per  annosplu- 
rimos  longaque  tempora  permanserint.  »  Fol.  28,  verso. 

(2)  «  Vidimus  ipsi  \o\ins  Carnpanue  agros,  totius  Belcice....  pror- 
sus  desertos,  incultos,  colonis  nudatos,  dnmetis  opplelos,  etc.  » 
Ibidem. 

(3)  «  Qui  vel  campaire  tinnitu  vel  venatorio  aul  alio  cornu  dan  I 


REACTION     POPULA1RE    (4429).  93 

Ce  tableau  trace  par  uu  ternoin  oculaire  n'a  rien 
d'exagere,  et  on  trouve  dans  tous  les  contempo- 
rains  la  confirmation des  malheurs  qui  accablaient  la 
France.  Mais  1'exces  meme  du  mal  fmit  par  amener 
une  reaction  salutaire.  La  haine  de  1'etranger  reunit 
tous  les  Frangais  sous  1'etendard  royal.  La  Pucelle 
fut  1'expression  glorieuse  de  ce  patriotisme.  «  Le 
coeur  me  saigne,  disait-elle,  quandje  vois  couler  le 
sang  d'un  Frangais.  »  Nous  sommes  loin  du  temps, 
oil  un  bomme,  dont  le  nom  est  justement  celebre 
dans  notre  histoire,  Eustache  de  Saint-Pierre,  se 
faisait  Anglais  pour  rester  Calaisien.  Au  patriotisme 
local  a  succede  le  vrai  patriotisme.  La  France  s'est 
unie  dans  une  seule  pensee  :  secouer  le  joug  de  I' An- 
glais. Est-il  necessaire  de  rappeler  la  predication  de 
Thomas  Connecte,  de  frere  Richard,  les  nombreuses 
copies  de  I'heroique  Jeanne  et  les  soulevements  de 
ces  paysans  normands  qui,  a  peine  armes,  brave- 
rent  le  fer  et  le  feu  des  Anglais  (1)  ? 

De  toutes  parts  eclata  la  vigoureuse  reaction  a  la- 
quelle  la  France  a  du  son  salut  Elle  a  donne  force  et 
gloire  a  ce  faible  prince,  a  ce  roi  de  Bourges,  qui 
perdait  si  gaiement  son  royaume.  Les  habiles  con- 
seillers  et  capitaines  qui  entouraient  et  dirigeaient 
Charles  VII,  Arthur  de  Richemont,  Dunois,  Jacques 
Coeur,  les  freres  Bureau,  surent  profiler  de  1'enthou- 


sonitum  per  hoc  ad  iminilum  se  recipiendi  locum  cunctis  qui  in 
agris  agerent  vel  vineis  signum  dabant.  »  Ibidem. 

(1)  Monstrelet,  clironique,\iv.  II,  chap.  163.— Voyez  1'histoirede 
Jeanne  d'Arc,  et  tout  ce  mouvement  palriotique  de  la  France 
dans  le  tome  V  de  1' Histoire  de  France  par  M.  Michelet. 


94  REFORME   DE   I/ARMEE    (1438-1439). 

siasme  populaire  ;  le  roi  lui-meme  finit  par  sortir  de 
sa  langueur  et  s'eleva  presque  a  la  hauteur  de  sa  po- 
sition. Mais  c'etait  peu  de  reconquerir  son  royaunie, 
tout  semblait  a  creer  dans  un  pays  epuise,  depeuple, 
dont  la  capitale  etait  en  proie  aux  loups,  a  la  famine 
et  a  la  peste  (1).  Ceux  qui  auraient  du  le  defendre 
etaient  souvent  ses  plus  cruels  ennemis,  et  le  mot  de 
Talbot  :  si  Dieu  etait  soldat,  il  se  f er ait  pillar d, 
exprime  la  pensee  des  armees  mercenaires,  fleau  de 
la  France.  C'etait  a  ces  abus  qu'il  fallait  d'abord 
porter  rernede. 

Charles  VII  avait  besoin  du  soutien  de  1'opinion 
publique.  II  convoqua  en  1438,  les  Etats-Generaux 
d'Orleans,  et,  fort  de  leur  assentiment,  il  reorga- 
nisa  1'armee.  Les  ordonnances  du  22  decembre  1 438 
et  du  2  novembre  1 439  la  soumirent  a  une  vigou- 
reuse  discipline  et  la  rattacherent  a  radministration 
monarchique  (2).  Au  roi  seul  appartint  a  1'avenir  la 
nomination  des  capitaines;  il  etait  defendu  sous  les 
peines  les  plus  severes  de  lever  ou  de  conduire  des 
troupes  sans  autorisation  royale.  Tout  pillage  etait 
interdit,  et  les  capitaines  etaient  responsables  des  de- 
sordres  commis  par  leurs  soldats.  Le  roi  autorisait  les 
paysans  et  les  bourgeois  a  repousser  la  force  par  la 
force,  et  ordonnait  aux  baillis  et  aux  autres  magistrats 
de  reprimer  energiquement  les  exces  de  la  soldates- 


(1)  Voy.  surtout  le  Journal  d'nn  bourgeois  Paris  aux  anises 
et  !Zi37.  Il  a  trace  le  tableau  le  plus  effrayant  de  la  misere  de 

Paris  a  cette  6poque. 

(2)  Ordonn.  des  Rois  de  France,  lorn.  XIII,  pag.  295  et  306. 


RBFORME  DES  ABUS  F^ODAUX  (1439).          95 

ijiic1.  Charles  VII  ne  se  borna  pas  a  retablir  la  disci- 
pline dans  1'armee;  il  attaqua  les  abas  feodaux 
que  Fanarchie  avait  favorises  et  propages.  Les  sei- 
gneurs avaient  profite  des  guerres  civiles  et  etran- 
geres  pour  multiplier  les  peages  et  entraver  le  com- 
merce ;  ils  levaient  des  tallies  conime  le  roi,  et  sou- 
vent  meme  interceptaient  les  deniers  royaux.  Tons 
ces  abus  furent  reprimes  par  1'ordonnance  du  2  no- 
vembre  1439  (1 ).  Les  seigneurs  furent  contraints  de 
laisser  lever  sur  leurs  domaines  la  taille  royale  qui 
avait  ete  votee  par  les  Etats  pour  la  solde  reguliere 
des  armees.  En  meme  temps  il  leur  fut  interdit  de 
percevoir  un  impot  sans  autorisation  speciale  du  roi. 
Deja  la  royaute  aspirait  a  exercer  seule  les  droits  de 
souverainete. 

La  feodalite  protesta  par  la  revolte  des  seigneurs 
qu'on  nomma  Praguerie,  par  allusion  aux  troubles 
de  la  Boheme  (1441-1442).  Mais  Charles  VII  etouffa 
facilement  cette  insurrection  et  poursuivit  la  reforme 
des  abus.  Les  compagnies  mercenaires,  toujours  in- 
disciplinees,  furent  eloignees  apres  la  treve  de  1444. 
Le  Dauphin  en  conduisit  une  partie  contre  les  Suisses, 
et  vingt  mille  perirent  a  la  bataille  de  Saint- Jacques. 
Le  roi  mena,  en  personne,  d'autres  bandes  mercenai- 
res au  secours  de  1'empereur  Frederic  III,  et,  a  leur 
tete,  assiegea  Metz.  Ces  expeditions  lirerent  a  la 
France  son  mauvais  sang.  Charles  VII  remplaca  les 
armees  mercenaires  par  des  troupes  permanentes  et 
bien  disciplinees.  Des  1 445,  il  organisa  la  cavalerie 

(1)  Ordonn.  des  Rois  de  Fr.,  torn.  XIII,  pag.  306  et  suiv. 


96  COMPAGNIES  D'ORDONNANCE  (1445). 

designee  sous  le  nom  de  compagnies  tf  ordonnance . 
Elle  se  composait  de  quinze  compagnies,  chacune  de 
cent  homines  d'armes,  ou,  comme  on  disait  alors,  de 
cent  lances  garnies.  Chaque  lance  representait  six 
hommes,  ecuyers,  varlets,  pages  et  coustilliers  (1 ) .  Us 
etaient  payes  de  mois  en  mois  sur  un  fonds  spe- 
cial qu'on  appelait  la  taille  des  gens  d'armes.  La 
noblesse  composa  en  grande  partie  cette  cavalerie  re- 
guliere,  qui  a  ete  longtemps  regardee  comme  la  pre- 
miere de  TEurope  (2).  Elle  formait  primitivement  un 
corps  de  neuf  mille  hommes.  Elle  campait,  comme 
nous  Tapprend  Thomas  Basin  (le  pseudo-Amelgard) , 
dans  des  lieux  determines  ,  et  les  habitants  etaient  te- 
nus  de  fourniraux  compagnies,  logement,  meubles  et 
vivres  (3).  Plusieurs  paroisses  devaient  se  reunir,  si 
une  seule  n'etait  pas  assez  riche  pour  1'entretien  de  cha- 
que  lance  (4).  Dans  la  suite,  Charles  VII  substitua  un 
impot  regulier  aux  prestations  en  nature,  et  il  fut  sti- 


(1)  L'ordonnance  qui  institue  les  compagnies  n'a  pas  ete  publiee  ; 
mais  les  contemporains  parlent  de  cette  organisation  avec  detail. 
Voy.  M6m.  de  Duclercq,  coll.  Petitot,  Ire  serie,  XT,  21.  Et  surlout 
le  pseudo-Amelgard,  fol.  81  et  suiv.  du  manuscrit  cite. 

(2)  Les  etrangers,  dont  le  lemoignage  est  moins  suspect,  sont 
unanimes  dans  Teloge  qifils  font  de  la  cavalerie  francaise.  «  Les 
»  homines  d'armes  francais,  dit  Machiavel  dans  son  tableau  de  la 
»  France,  sont  aujourd'hui  les  meilleurs  qui  existent.  »  Voy.  aussi 
les  Relations  des  ambassadcurs  venitiens  au  XVP  siecle. 

(3)  «  Ut  eis  ab  incolis  locorum  preeberentur  hospitia  cum  suppel- 
lectile  necessaria.  »  Amelgardus,  de  rebus  gestis  Caroti  septimi, 
fol.  82,  verso. 

(4)  «  Ita  quod  una  parochia  vel  plures,  si  valde  tenues,  uni  pro- 
viderent  lancet  de  annona  taxata,  alia  alii  vel  pluribus  secundum 
latitudinem  facultatemque  parochiarum.  »  Ibid. 


FRANCS-ARCHERS    (1448).  97 

pule  que  chaque  maitre  recevrait  une  solde  de  vingt 
ecus  d'orpar  mois  (1). 

Charles  VII  s'efforc,a  aussi  d'organiser  une  infan- 
terie  nationale;  «  afm,  disait-il,  dans  le  preambule 
»  de  son  ordonnance  (2)  ,  que  il  ne  soit  besoin  de 
»  nous  aider  d'autres  que  de  nos  subjects;  »  pensee 
genereuse,  qui  demande  grace  pour  la  faiblesse  de 
1' execution.  Un  archer,  franc  d'impots,  devait  etreen- 
tretenu  par  paroisse,  s'exercer  les  fetes  et  dimanches 
a  tirer  de  Tare.  Son  arm  lire  etait  determined  par 
1'ordonnance  et  se  composaitd'une  salade,  ou  casque 
sans  visiere  ni  cimier,  de  dague,  epee,  arc,trousse  de 
fleches,  jaque  ou  justaucorps,  et  brigandine  ou  cor- 
selet de  fer.  Des  inspecteurs  etaient  charges  de  veil- 
ler  a  ce  qu'il  conservat  ses  armes  en  bon  etat  et  fut 
pret  a  marcher  au  premier  ordre  (3).  Cinquante  feux 
ou  maisons  se  reunissaient  pour  fournir  et  entretenir 
un  archer,  qui  par  sa  taille,  sa  force  et  sa  prestance, 
fut  convenable  pour  le  service  militaire.  Ses  armes  et 
son  equipement  etaient  aux  frais  des  cinquante  fa- 
milies (4).  Malheureusement  la  dispersion  des  francs- 
archers,  1'absence  d'esprit  de  corps,  les  abus  qui  se 
glisserent  dans  cette  institution,  la  corruption  qui 


(1)  «  Postmodum  ...  annonae  illae  militares  in  pecuniarum  quan- 
tilatem  mutatae  sunt  alque  quolibet  mense  pro  lanceacum  suis  duo- 
bus  sagitlariis  viginti  scuta  auri  taxata.  »  Ibid. 

(2)  Ordonn.,  torn.  XIV,  pag.  1  et  suiv.;  ordonn.  du  28  avril  1A48. 

(3)  Ibidem. 

(l\)  «  Ita  quod  per  omnes  civitates  oppidaque  atque  rura  ex  qui' 
busqnc  quinquaginta  domibus  unus  vir  deligeretur,  qui  statura, 
robore  atque  habitudine  corporis  aptus  videretur,  qui  sumptibus 
quinquaginta  domorum  armari  vestirique  militari  vestimento  de- 
beiet.  »  Amelgard.,  Ibid.,  fol.  83. 


98  FRANCS-ARCHERS    (1449-1450). 

donnait  les  places  a  de  gros  marchands,  dont  1'uni- 
que  but  etait  de  s'exempter  ainsi  des  impots  (1),  nui- 
sirent  a  la  nouvelle  infanterie  et  en  preparerent  la 
decadence.  Cependant  elle  rendit  des  services  pour  la 
conquete  de  la  Normandie  (1449-1450).  On  admira 
dans  cette  guerre  le  bon  re"sultat  des  dernieres  or- 
donnances  et  la  bonne  discipline  des  troupes,  infan- 
terie et  cavalerie.  «  Durant  la  conquete  de  Norman- 
»  die,  dit  Duclercq  (2) ,  touts  les  gens  d'armes  du  roi 
»  de  France  et  qui  e"toient  en  son  service,  fut-ce  d'i- 
»  celle  ordonnance  ou  non,  furent  tous  payes  de  leurs 
»  gages  de  mois  en  mois,  et  n'y  avoit  si  hardi  qui 
»  osat  prendre  durant  la  dite  guerre,  prisonnier  ni 
»  rangonner  cheval  ni  autres  bestes,  quelle  qu'elle 
»  fut ,  vivre  en  aucun  lieu  sans  payer,  fors  seulement 
»  sur  Anglois  et  gens  tenant  leur  parti.  »  Thomas 
Basin,  qui  ecrit  dans  1'exil,  sous  Louis  XI,  et  semon- 
tre  severe  pour  toutes  les  institutions  favorables  an 
despotisme,  convient  que,  dans  1'origine,  les  francs- 
archers  rendirent  de  grands  services  :  «  Cette  insti- 
tution ,  dit-il  ,  n'etait  pas  seulement  utile,  mais 
tout-a-fait  necessaire,  puisqu'une  armee,  meme  nom- 
breuse,  ne  peut  rendre  de  services,  quand  elle  man- 
que d'ordre  etde  discipline;  elle  devient  aucontraire 
alors  une  cause  de  brigandages,  de  crimes  et  de  de- 
sordres  de  toute  espece  (1).  » 

L'artillerie  comrnenca  a  prendre  vers  cette  epoque 

(1)  Ordon.,  torn.  XTV,  pag.  184  et  suiv. ;  cette  ordonnance  du  30 
avril  1459  signale  les  abus  qui  s'etaient .  introduils  dans  I'orgafHsatloB 
des  francs-archers. 

(2)  Me'm.  de  Duclercq,  coll.  Petitot,  lre  serie,  I.  XI,  pag.  21. 

(3)  Amelg.,i7>M/.,  fol.  83. 


ART1LLERIE.  99 

line  importance  qui  devait  modifier  le  systeme  mili- 
taire.  «  II  y  avoit,  dit  J.  Duclercq,  grand  nombre  de 
»  grosses  bombardes,  gros  canons,  serpentines,  cra- 
»  paulx-deaulx,  couleuvrines,  le  tout  bien  garni  de 
»  pouldre,  manteaulx  et  aultres  choses  pour  appro- 
»  cher  et  prendre  villes  et  chasteaulx  et  moult  grand 
»  foison  de  charois  pour  les  mener  et  des  manouvriers 
»  pour  les  gouverner.  Estoient  commis  a  1'artillerie 
»  messire  Jehan  Bureau  et  son  frere,  qui  en  faisoient 
»  moult  bien  le  debvoir. »  Chose  extraordinaire !  cette 
invention,  que  Petrarque  avait  maudite  comme  un 
fleau  de  I'enfer  (1 ) ,  eut  tout  d'abord  pour  resultat  de 
readre  la  guerre  moins  sanglante.  «Eta  la  verite  dire, 
»  durant  ceste  conqueste  de  Normandie,le  plus  de  vil- 
»  les  et  de  chasteaulx  eussent  este  prins  d'assault  et 
»  par  forces  d'armes,  mais,  quand  les  places  estoient 
»  approchees  et  prestes  a  assaillir,  le  roy  de  France 
»  Charles  en  avoit  pitie  et  vouloit  qu'on  les   print 
»  par  composition  pour  obvier  a  1'effusion  du  sanghu- 
»  main  et  a  la  destruction  du  payset  des  peuples  (2) .  » 
Cette  humanite  de  Charles,  qui  contrastait  avec   la 
cruaute  des  compagnies  et  des  Anglais,  attachait  de 
plus  en  plus  le  peuple  a  la  royaute  franchise. 

La  reforme  du  systeme  militaire  appelait  une  re- 
forme  financiere.  Charles  VII,  avec  Tautorisation  des 

(1)  «  II  ne  suffisait  done  pas,  s'ecriait  le  poete  italien,  que  la  co- 
lere  divine  se  manifestat  par  la  foudre.  Ce  miserable  genre  humain, 
dans  sa  cruaute  et  son  orgueil,  voulut  que  la  terre  aussi  lonnat.  L'i- 
nimital)le  foudre^  comme  1'appelle  Virgile,  a  ete  reproduite  par  la 
fureur  deshommes  et  Teclair  qni  venait  du  ciel  part  maintenant 
d'un  instrument  que  I'enfer  a  invent^.  » 

(2)  Dirleroq,  Memoires,  collect.  Petitot,  Fc  serie,  XI,  22, 


400  RfcFORMES   FlNANClfcRES. 

Etats,  etablit  une  taille  perpetuelle,  qui  sous  son  re- 
gne  produisit  environ  1,800,000  livres.  Le  domaine, 
qui  formait  une  des  principales  sources  du  revenu 
public,  avait  souffert  pendant  la  periode  d'anarchie 
que  la  France  venait  de  traverser.  Charles  VII  fit 
verifier  tous  les  anciens  titres  des  biens  domaniaux 
et  reprendre  ceux  qui  avaient  ete  usurpes  (1).  II 
prescrivit  de  tenir  avec  exactitude  les  etats  de  fi- 
nances pour  se  rendre  compte  avec  facilite  et  promp- 
titude de  tous  les  details  de  ce  service  (2).  L'admi- 
nistration,  sans  subiraucun  changement  essentiel,  fut 
defmitivement  constitute.  L'assiette  de  1'impot  etait 
faite  par  les  Elus.  Ces  magistrats  royaux  formaient 
un  premier  tribunal  pour  le  fait  des  aides,  gabelles, 
tallies^  etc.  (3).  On  pouvait  appeler  de  leurs  deci- 
sions aux  generaux  conseillers  sur  le  faict  de  la  jus- 
tice des  aides  (cour  des  aides)  (4) ,  qui  pronongaient 
en  dernier  ressort.  La  chambre  des  comptes  fut 
rappelee  a  des  principes  d'egalite  et  d'exactitude  (5), 
dont  les  Etats  de  13S5et  de1413lui  avaient  reproclie 
des'ecarter.  Elle  devait  se  reunirau  point  du  jour  (6), 
et  proceder  avec  integrite  a  Texamen  des  comptes, 
en  plein  bureau  (7).  Ainsi,  1'administration  monar- 

(1)  Ordonn.,  XIII,  372. 

(2)  Ibid.,  XIII,  Zi28;  XIV,  238  et  ZtSZi.  La  dernifere  de  ces  ordon- 
nances  (30  avril  !Zi59),prescrivaitpour  la  repartition  de  1'impot  une 
egalite  qui  ne  fut  pas  longtemps  observee. 

(3)  Ibid.,  Xlll,  Zi28. 
(ft)  Ibid.,  XIV,  /i96. 

(5)  Ibid.,  XIV,  3ftl.  —  Ge  reglement,  en  date  du  23  decem- 
bre  1^5/i,  se  compose  de  Zi9  articles. 

(6)  C'etait  aussi  une  prescription  de  1'ordonnance  de  1357. 

(7)  L'ordonnane  cabochienne  de  1A13  avait  monlre  la  meme  de"- 


RfcFORMES    JUDICIAIRES    (1453).  'I  01 

chique  eut  encore  le  merite  d'accepter  et  de  s'appro- 
prier  des  reformes  qui  avaient  paru  dictees  par  des 
sentiments  hostiles. 

Le  meme  esprit  d'equite  dicta  les  ordonnances  re- 
latives au  parlement  et  aux  tribunaux  inferieurs.  A 
peine  les  Anglais  eurent-ils  ete  expulses  de  la  Guienne 
par  la  victoire  de  Castillon  (1453),  que  Charles  VII 
s'occupa  des  reformes  judiciaires. 

Les  longs  desordres  du  xive  et  du  xve  siecle 
avaient  tout  livre  a  1'anarchie;  elle  avait  meme  pe- 
netre  dans  le  sanctuaire  de  la  justice.  Le  parle- 
ment avait  ose  menacer  le  roi  de  suspendre  le  cours 
de  la  justice,  comme  1'Universite  suspendait  ses 
lecons  pour  se  venger  du  pouvoir  royal  (1).  II 
n'y  avait  aucune  regularite  dans  les  elections  des 
membres  du  parlement,  aucune  exactitude  pour  la 
tenue  des  seances-,  ni  pour  I' expedition  des  proces. 
Charles  VII  s'efforga,  par  plusieurs  ordonnances,  et 
surtout  par  celle  deMontils-les-Tours  (avril  1453)  (2), 
de  mettre  un  terme  a  ces  desordres.  Le  parlement 
devait  avoir,  outre  les  trois  anciennes  chambres  eta- 
blies  sous  Philippe-le-Bel,  une  chambre  de  la  Tour- 

nance  :  «  Voulons  et  ordonnons  que  toutes  expeditions  de  choses 
»  nouvelles,  qui  se  doivent  faire  par  nostre  tresor,  soient  faites  en 
»  plein  burel  dans  nostre  chambre  des  comptes ,  etc.  »  La  chambre 
des  comptes  fut  confirmee  par  Charles  VII  dans  ses  droits  de  cour 
souveraine  deja  reconnus  par  plusieurs  ordonnances.  11  declara  que 
le  roi  seul,  en  son  conseil,  pourrait  casser  les  arrets  de  ce  tribunal. 
Voy.  Ordonn.,  lorn.  XTV,  pag.  510.  On  rapporte  i  ce  regne  I'ota- 
blissement  d'une  cour  des  comptes  a  Montpellier  pour  les  provin- 
ces du  midi  de  la  France. 

(1)  Anc.  lois  franc.,  torn.  IX,  pag.  llfl. 

(2)  Ordonn.,  torn.  XIV, pag.  28A  et  suiv.— Voy.  aussi  torn.  XIII, 
pag.  Zi91,  sur  les  elections  des  membres  du  parlement. 


102  ORDONN.    DE    MONTILS-LfcS-TOURS    (1453). 

nelle  criminelle,  ainsi  nommee,  parce  que  les  con- 
seillers  de  la  grand'chambre  y  siegeaient  a  tour  de 
role.  Les  enquetes  etaient  divisees  en  deux  cham- 
bres,  et  le  nombre  des  conseillers  de  ehaque  cham- 
bre  du  parlement  etait  fixe.  La  grand'chambre  de- 
vait  se  composer  de  quinze  conseillers  clercs  et  de 
quinze  conseillers  lai'ques,  outre  les  presidents;  les 
cbambres  des  enquetes,  de  vingt-quatre  conseillers 
clercs  et  de  seize  lai'ques ;  enfm  la  chambre  des  re- 
quetes  de  cinq  clercs  et  de  trois  lai'ques.  Les  seances 
devaient  cornmencer  avant  six  beures  depuis  Paques 
jusqu'aux  vacances,  et  a  six  beures  depuis  la  Saint- 
Martin  jusqu'a  Paques.  Nomination  des  conseillers 
par  le  roi  sur  une  liste  de  candidats  presenters  par  le 
parlement;  nature  des  affaires  qui,  par  ressort  ou 
par  appel,  devaient  etre  portees  a  ce  tribunal ;  details 
de  la  procedure;  devoirs  des  avocats  et  procureurs, 
tout  etait  prevu  et  determine  avec  un  soin  minutieux. 
Les  causes  des  indigents  y  etaient  recommandees  au 
zele  et  a  1'equite  des  magistrats;  «  car,    disait  le 
roi  (1),  notre  cour  de  parlement  est  ordonnee  pour 
faire  droit  aussitot  au  pauvre  comme  au  ricbe.  » 

L'ordonnance  de  Montils-les-Tours  reforma  aussi 
les  tribunaux  inferieurs  des  senechaux  et  baillis. 
Comparution  en  personne  au  parlement  pour  ren- 
dre  compte  de  leur  gestion;  abolition  de  la  venalite 
de  ces  charges;  nomination  par  le  roi  sur  une  liste 
presentee  par  les  gens  du  roi  dans  ehaque  bailliage ; 
interdiction  du  cumul;  ordre  de  choisir,  pour  lieute- 
nants des  baillis,  des  hommes  integres,  qui  seront 
(1)  Ordonn.,  torn,  XIV,  pag.  294. 


ORDONN.    DE    MONTILS-LfcS-TOURS    (1453).  103 

payes  par  les  tresoriers  royaux ;  defense  de  rien  exi- 
ger  pour  1'administration  de  la  justice,  telles  sont  les 
principales  dispositions  relatives  aux  tribunaux  in- 
ferieurs.  L'article  124  de  Fordonnance  de  Montils- 
les-Tours  defend  au  juge  de  concourir  a  Fexecution 
de  Farret;  on  s'eloigne  de  1'anarchie  feodale,  qui 
confondait  les  fonctions  judiciaires,  militaires  et  ad- 
ministratives.  Enfin,  Farticle  125  present  la  redac- 
tion et  la  publication  des  coutumes,  deja  ordonnees 
par  Saint-Louis,  et  enjoint  aux  baillis,  senechaux  et 
autres  juges  de  se  conformer,  pour  1'application  des 
lois,  au  texte  qui  sera  public  (1). 

Le  parlement  de  Paris,  dont  le  ressort  s'etendait 
avec  les  conquetes  du  roi,  ne  suflisait  plus  a  la  mul- 
titude des  affaires,  et  laissait  pendants  un  grand  nom- 
bre  de  proces  (2).  D'ailleurs,  les  habitants  des  pro- 
vinces meridionales  etaient  condamnes  a  de  longs 
voyages  pour  venir  plaider  devant  la  chambre  de 
droit  ecrit  (3).  Ces  pays  (['Outre-Loire,  traites  long- 
temps  comme  provinces  conquises,  s'en  etaient  ven- 
ges  dans  la  guerre  des  Armagnacs ;  ils  avaient  rendu 
aux  hommes  du  Nord  les  horreurs  de  la  guerre  des 
Albigeois.  Ces  luttes  avaient  du  rnoins  Favantage  de 
meler  les  populations,  d'en  montrer  Fimportance  et 


(1)  II  est  inutile  de  re"pe"ter  qne  la  plupart  de  ces  dispositions 
avaient  e"te  reclam^es  par  les  assemblies  de  1357  et  de  1/U3.  Si  le 
pouvoir  royal  n'a  pas  eu  Tinitiative,  il  eut  dn  moins  le  merite  de 
c^der  b  de  justes  reclamations,  et  d'appliquer  les  reformes  avec  sa- 
gesse  et  opportunite. 

(2)  «  Causarum  pendentium  immensam  multitudinem.»  Ordonn., 
XIII,  34^. 

(3)  «  Longa  terrarum  spatia.  »  Ibidem. 


404  PARLEMENT  DE  TOULOUSE  (I  444). 

d'avertir  un  gouvernement  plus  intelligent  des  me- 
nagements  qu'il  leur  devait.  Charles  VII  le  comprit 
et  crea  le  parlement  de  Toulouse,  avec  autorite  sou- 
veraine  et  sans  appel  (1),  pour  les  provinces  de  Tan- 
cien  duche  d'Aquitaine.  La  centralisation  de  la  justice 
en  souffrit,  mais  on  menagea  des  interets  serieux,  et 
on  accoutuma  les  meridionaux  a  1'autorite  monar- 
ehique,  representee  par  le  parlement  de  Toulouse. 
La  creation  de  la  chambre  des  comptes  de  Montpel- 
lier  fut  une  nouvelle  satisfaction  donnee  aux  interets 
du  Midi.  Le  Dauphine  ne  tarda  pas  a  obtenir  son  par- 
lement particulier  cree  par  le  Dauphin,  plus  tard 
Louis  XI,  et  confirm  e  par  le  roi. 

Charles  VII,  comme  Saint-Louis,  comme  Philippe- 
le-Bel  et  Charles  V,  resista  aux  empietements  de 
1'autorite  spirituelle  sur  le  pouvoir  temporel.  Le 
scandale  du  grand  schisme  d'Occident,  les  declara- 
tions des  conciles  de  Constance  et  de  Bale,  provo- 
quees  par  1'Universite  de  Paris,  avaient  souleve  une 
vive  opposition  contre  la  cour  de  Rome.  On  attaquait 
les  reserves,  \esannate*,  et  autres  ahusde  la  fiscalite 
romaine  (2).  La  pragmatique-sanctiondeftourgesfi), 
plus  explicite  que  celle  de  Saint-Louis,  y  mit  un 
terme.  Cette  ordonnance ,  qui  resume  et  applique 

(1)  «  A  quibus  senlentiis  nulli  licebit  quovis  modo  seu  reclamare 
vel  aliam  sedem  aclire.  »  Ordonn.,  torn.  XHI,  pag.  386. 

(2)  L'Universite  de  Paris  s'elevait  depuis  longtemps  contre  ces 
abus  :  «  Quantum  hoc  illud  gravamen  est,  o  piissime  Jesu,  quo  (Be- 
nediclus  Xlll)  sibi  beneficii  cujusque  vacanlis  unius  anni  fructuuni 
perceptionem  usurpavit,  etc.  »  Appellatio  interposita  per  Univer- 
sitalem  parisiensem  a  Domino  Eenedicto,  4Zi06  (U07),  ap.  Mar- 
tene  et  Durand,  Thesaur.  anecdot.,  torn.  II,  pag.  1295. 

(3)  Ordonn.,  XIII,  pag.  267,  et  XIV,  385. 


PRAGMATIQIE-SANCTION    DE    BOURGKS.  105 

a  la  France  les  decrets  du  concile  de  Bale,  embrasse 
les  elections  ecclesiastiques,  les  reserves,  les  anna- 
tes,  la  collation  des  benefices,  etc.  Les  elections  des 
prelats  devaient  etre  faites  par  ceux  auxquels  les 
saints  canons  en  attribuaient  le  droit.  Le  pape  ne  pou- 
vait  ni  se  reserver  la  collation  de  certains  benefices, 
ni  instituer  de  nouvelles  prebendes  dans  les  chapitres 
ou  eglises  collegiales.  Les  appels  directs  en  cour  de 
Home  furent  prohibes;  1'appelant  devait  d'abord 
epuiser  tous  les  degres  de  juridiction.  Les  annates, 
ou  revenu  d'une  annee  pave  au  Saint-Siege  pour  la 
vacance  des  benefices,  etaient  supprimees.  En  in  erne 
temps,  la  pragmatique-sanction  de  Bourges  prohibait 
les  representations  tbeatrales,  les  mascarades,  danses 
et  repas  dans  les  eglises;  en  un  mot,  tous  les  hon- 
teux  abus  (turpem  abusum)  qui  s'etaient  introduits 
pendant  le  moyen-age.  L'opinion  publique  soutint 
energiquement  le  roi  dans  la  repression  des  desordres 
qui  souillaient  1'Eglise,  et  que  les  clercs  eux-memes 
avaient  signales  a  1'indignation  publique  (1).  On  ap- 
plaudit  a  la  conduite  du  parlement  de  Paris,  qui, 
dans  le  proces  des  Vaudois  d'Arras,  arreta  les  inqui- 
siteurs  et  sauva  plusieurs  accuses  (2). 

L'Universite  appelait  aussi  une  reforme.  Cette  fille 
ainde  des  rois,  dotee  par  leur  faveur  d'importants 
privileges,  les  avait  tournes  contre  ses  bienfaiteurs. 


(1)  Nicol.  Clemengis,  De  corrnpto  statu  ecclesice. 

(2)  Mathieu  de  Coussy,  edit.  Buchon,  torn.  XI  des  chroniq.  du 
xve  siecle,  pag.  360-361  :  «  furent  adjourn^s  les  dits  executeurs, 

commissaires Et  les  Vaudois  furent  trouves  purs  et  innocents  de 

ce  pourquoy  avoient  este  accuses.  » 


106  REFORME    DE    I/UNIVERSITE. 

Elle  s'etait  erigee  en  pouvoir  politique,  avail  fait  de 
la  suspension  de  ses  legons  et  des  sermons  un  moyen 
d'intimidation,  et  n'avait  pas  craint  plus  d'une  fois 
de  dechainer  ses  vingt  mille  ecoliers  contre  1'autorite 
royale.  Elle  fut  forcee  de  rentrer  dans  le  devoir.  Je 
ne  parle  pas  ici  de  la  reforme  que  lui  imposa  le  legat 
du  pape,  G.  d'Estouteville,  au  nom  de  1'autorite  ec- 
clesiastique ;  mais  une  ordonnance  de  Charles  VII  la 
placa  sous  la  surveillance  du  parlement  et  sous  le 
coup  de  1'autorite  royale  (1). 

Ainsi,  armee,  finances,  justice,  clerge,  universite, 
tout  avaitsubi  une  salutaire reforme.  Sous  1'influence 
de  ce  gouvernement  reparateur,  la  prosperite  natio- 
nale  se  developpa.  Le  commerce  reprit  courage  : 
«  Les  marchands ,  dit  I'historien  contemporain  , 
Mathieu  de  Coussy,  commencerent  de  divers  lieux 
a  traverser  de  pays  a  autre  et  a  faire  leurs  nego- 
ces.  »  L'exemple  de  Jacques  Coeur  etait  pour 
eux  un  puissant  encouragement,  ce  marchand  de 
Bourges,  devenu  argentier  du  roi,  lui  avait  prete 
Targent  necessaire  pour  la  conquete  de  la  Norman- 
die.  Des  1432,  Jacques  Coeur  faisait  le  commerce  en 
Syrie.  Bertrandon  de  la  Brocquiere  1'y  vit  a  cette 
epoque.  «  Je  trouvai  a  Darnas,  dit-il  (2),  plusieurs 
marchands  francais.  Ces  derniers  etaient  venus  y 
acheter  differentes  choses,  specialement  des  epi- 


(1)  Ordonn.  du  26  mars  1665  (1666)  dans  le  Recueil  des  Ordonn., 
torn.  XIII,  pag.  6  et  suiv. 

(2)  Memoir es  de  t'Acade'mie  des  sciences  morales  et  politi- 
que, torn.  V,  pag.  690. 


JACQUES   COEUR.  107 

ces.  Parmi  eux  il  y  avait  un  nomme  Jacques  Cceur, 
qui  depuis  a  joue  un  grand  role  en  France  et 
a  e"te  argentier  du  roi.  »  Le  commerce  enrichit  Jac- 
ques Coeur,  et  il  avait  plus  de  trois  cents  facteurs  qui 
trafiquaient  pour  lui  sur  la  cote  d'Afrique,  en  Asie  et 
jusque  dans  les  Indes*  II  tirait  de  ces  contrees  des 
draps  d'or  et  de  soie,  de  riches  fourrures,  et  en  ge- 
neral les  marchandises  precieuses  que  le  luxe  de 
1'Europe  a  de  tout  temps  demandees  a  1'Orient  (1).  A 
1'instigatipn  de  son  argentier,  Charles  VII  envoya  un 
ambassadeur  au  soudan  d'Egypte  qui  s'engagea  a 
proteger  les  marchands  franc,ais  dans  tons  les  ports 
desestitats  (2). 

Charles  VII  encouragea  les  expeditions  maritimes 
pour  la  cote  d'Afrique,  si  florissantes  a  la  fin  du 
xive  siecle  et  au  commencement  du  xve,  puis  inter- 
rompues  par  les  guerres  civiles  et  etrangeres. 

A  I'interieur,  les  obstacles  que  les  privileges  feo- 
daux  et  municipaux  opposaient  au  commerce  com- 
mencerent  a  disparaitre.  Ainsi,  en  1450,  Charles  VII 
defendit  aux  compagnies  normande  et  parisienne 
d'entraver  par  leur  rivalite  la  navigation  de  la 
Seine  (3).  II  abolit  les  peages  illicites  qui  arretaient 


(1)  Duclercq,  collect.  Petitot,   Ire   s6rie,   torn.   XI,  pag.  48. 
—  Voy.  Touvrage  de  M.  P.  Clement  intitule"  :  Jacques  Coeur  et 
Charles  VII,  2  vol  in-8%  Paris,  1853. 

(2)  Voyez  la  lettre  du  Soudan  dans  les  Memoires  de  Mathieu  de 
Coussy,  a  Panned  Ikttf. 

(3)  M.  Depping,  dans  son  introduction  au  Livredes  metiers d*fi- 
tienne  Boyleau,  a  retrace  la  lutte  des  compagnies  norraande  et  pa- 
risienne pour  la  navigation  de  la  Seine ;  mais  il  n'a  pas  cite  Tor- 
donnance  de  Charles  VII  qui  termine  le  debat.  Elle  ne  se  trouve  pas 


108  PROSPfiRlTE    DE    LA    FRANCE. 

les  inarchands  (1),  et  affecta  desfonds  speciaux  pour 
1'entretien  des  ponts-et-chaussees  (2).  Les  paysans 
proteges  contre  1'indiscipline  des  troupes  et  ne  re- 
doutant  plus  les  ravages  de  la  guerre,  «  s'eflbrcoient, 
»  dit  Mathieu  de  Coussy,  a  labourer  et  reedifier  leurs 
»  maisons,  a  essarter  leurs  terres,  vignes  etjardina- 
»  ges.  Plusieurs  villes  et  pays  furent  reniis  sus  et  re- 
»  peuples.  Apres  avoir  ete  si  longtemps  en  tribula- 
»  tion  et  affliction,  il  leur  seinbloit  que  Dieu  les  eut 
»  enfin  pourvus  de  sa  grace  et  misericorde.  »  Le 
poete  Martial  d'Auvergne  etait  vraiment  la  voix  de 
la  France,  lorsqu'il  chantait : 

«  Chacun  vivoit  joyeusement 
Selon  son  estat  et  mesnage ; 
L'on  pouvoit  partout  seurement 
Labourer  en  son  heritage, 
Si  hardiment  que  nul  outrage 
iVeust  este  fait  en  place  ou  voyage , 
Sur  peine  d'encourir  dommage  : 
Justice  avoit  autorite ; 
Le  pauvre  estoit  auttant  porle 
Que  le  riche  plein  de  monnoye ; 
Blez  et  vins  croissoient  a  plante; 
Helas!  le  bon  temps  que  j'avoye!  » 

Cependant  il  ne  faut  pas  exagerer  le  merite  d'un 
roi  qui  ne  fit  rien  pour  sauver  Jeanne  d'Arc,  qui  sa- 
crifia  Jacques  Coeur  a  la  jalousie  des  courtisans,  et 
qui  dut  moins  a  lui-meme  qu'a  ses  capitaines,  a  ses 
ministres  et  a  1'elan  hero'ique  de  la  France  le  surnom 

non  plus  dans  les  Ordonnances  des  Rois  dc  France.  Je  Fai  tiree 
des  Archives  de  la  ville  de  Rouen  et  publiee  p.  123,  note. 

(1)  Ordonn.  des  Rois  de  Fr.,  XIII,  306. 

(2)  Ibid.,  XIV,  367. 


CONSEILLERS   DE    CHARLES    VII.  109 

de  Viclorieux.  J.I  y  aurait  plus  de  justice  a  I'appeler, 
avec  quelques  historiens,  Charles  le  Bien-Servi.  Les 
conseillers  qui  le  servirent  si  bien  etaient  presque 
tous  roturiers,  Jean  Jouvenal  ou  Juvenal,  Guillaume 
Cousinot,  Jean  Rabateau,  Etienne  Chevalier  et  Jean- 
le-Boursier.  «  Au-dessus  de  tous  leurs  noms,  dit 
M.  Aug.  Thierry  (1),  dominent  les  noms  roturiers  de 
Jacques  Cceur  et  de  Jean  Bureau,  1'un  forme  a  la 
science  de  I'homme  d'Etat,  par  la  pratique  du  com- 
merce; 1'autre  qui  cessa  d'etre  homme  de  robe  pour 
devenir,  sans  preparation,  grand-maitre  de  1'artille- 
rie,  et  faire  le  premier  de  cette  arme  encore  nouvelle 
un  eniploi  habile  et  methodique.  » 


(1)  Aug.  Thierry,  Essai  sur  la  formation  et  Les  progres  du 
Tiers-£tat,  pag.  63. 


CHAPITRE  VI. 


Sommaire. 

Louis  xi  (1 461 -1483).  —  Caractere  de  Louis  XI;  lutte  soute- 
nue  par  ce  prince  contre  la  feodalite  apanagee;  reunions 
territoriales  sous  ce  regne.  —  Institution  des  postes  (1464). 
—  Ordre  de  Saint-Michel.  —  Projet  de  Louis  XI  d'etablir 
une  loi  unique  en  France;  inamovibilite  des  membres  du 
parlement ;  loi  contre  les  non-revelateurs  du  crime  de  lese- 
majeste;  arbitraire  dans  Tadministration  de  la  justice;  eta- 
blissement  des  parlements  de  Bordeaux  et  de  Dijon ;  gou- 
verneurs  de  provinces;  division  des  pouvoirs. — Administra- 
tion fmanciere;  accroissementdesimpots. — Administration 
militaire;  grand-maitre  de  rartillerie;  tentatives  pour  ame- 
liorer  1'institution  des  francs-archers  et  reorganiser  1'infan- 
lerie  franchise ;  garde  ecossaise ;  gentilshommes  au  bee  de 
corbin.  —  Protection  accordee  au  commerce;  projet  de 
port  sur  les  cotes  de  Normandie ;  navigation  de  la  Seine. — 
Mesures  favorables  a  rindustrie;  plantation  de  muriers;  fa- 
briques  d'etoffes  d'or  et  de  soie ;  Louis  XI  songe  a  etablir 
1'unite  de  poids  et  de  mesures.  —  Introduction  de  1'impri- 
merie  en  France;  nouvelles  universites. 

CHARLES  vin  (1483-1498;.  — Reaction  contre  1'administration 
monarchique.  —  Etats-Generaux  de  1484.  —  Administra- 
tion d'Anne  de  Beaujeu.  —  Reunion  de  la  Bretagne  prepa- 
ree  par  le  mariage  du  roi  avec  Anne  de  Bretagne.  —  Publi- 
cation de  plusieurs  coutumes.  —  Zele  de  Charles  VIII  pour 
['administration  de  la  justice;  nouvelle  organisation  du 
grand  conseil.  —  Ghangement  dans  les  idees  et  dans  les 
moeurs  pendant  le  regne  de  Charles  VIII ;  les  jeunes  nobles 
s'attachent  a  la  cour;  fllles  d'honneur  d'Anne  de  Bretagne. 


Charles  VII  laissa  a  son  fils  un  royaume  prospere, 
une  administration  bien  organisee  et  surtout  une 
armee  permanente  soldee  par  une  taille  perpetuelle. 


112  LOUIS  xi  (1461-1483). 

Louis  XI  profita  de  ces  ressources  pour  abattre  la 
feodalite  apanagee,  qui,  a  la  faveur  des  guerres  ci- 
viles,  avait  grand!  en  puissance  et  rappelait  la  pre- 
miere feodalite  vaincue  par  Philippe-Auguste,  Saint- 
Louis  et  Philippe-le-Bel.  Quatre  maisons  surtout  la 
representaient :  c'etaient  les  maisons  de  Bourgogne, 
d'Anjou,  de  Bourbon  et  d'Orleans.  La  premiere  pos- 
sedait,  outre  la  Bourgogne,  les  villes  de  la  Somme, 
1'Artois,  le  Hainaut,  les  Flandres,  la  Hollande,  Ze- 
lande,  Groningue  et  Utrecht;  la  seconde  avait  le 
Maine  et  la  Provence;  la  troisieme,  le  Bourbonnais, 
1'Auvergne  et  la  Marche;  la  quatrieme,  le  Valois  et 
TAngoumois.  Je  ne  parle  ni  de  la  Bretagne  qui  n'a- 
vait  jamais  fait  retour  a  la  couronne  (1),  ni  des  fiefs 
meridionaux,  Albret  et  Armagnac,  qui  ne  pouvaient 
manquer  de  soutenir  1'aristocratie  feodale  dans  sa 
derniere  lutte  contre  la  royaute.  A  ces  grands  feu- 
dataires  qui  aflectaient  le  luxe  et  la  pompe  de  1'an- 
cienne  chevalerie,  la  royaute  opposait,  un  prince  d'al- 
lure  singulierement  bourgeoise.  «  Ce  roi,  qui  affectait 
d'etre  roturier  par  le  ton,  1'habit,  les  manieres, 
qui  s'entretenait  familierement  avec  toutes  sortes  de 
personnes  et  voulait  tout  connaitre,  tout  voir,  tout 
faire  par  lui-meme,  a  des  traits  de  physionomie  qu'on 
ne  rencontre  au  rneme  degre  que  dans  les  dictatures 
democratiques(2).  »Cependant,  dans  cette  figure  rail- 
leuse  et  sinistre,  que  la  tradition  conserve  et  impose 


(1)  La  Bretagne  6tait  gouvern^e  depuis  Philippe-Auguste  par  la 
Maison  de  Dreux ;  la  branche  de  Montfort  datait  de  13A1. 

(2)  Essai  sur  I'Mstoire  du  Tiers-£tat,  par  M.  Aug.  Thierry , 
pag.  65. 


CARACTfeRE    DE    LOUIS    XI. 


113 


encore  a  1'histoire  (1),  tous  les  traits  de  Louis  XI 
sont  loin  d'etre  saisis.  Si  Ton  y  trouve  sa  fourberie 
proverbiale,  ses  allures  familieres,  son  astuce,  la  su- 
perstition qui  s'accrut  avec  les  annees,  une  cruaute 
exageree  peut-etre  par  la  tradition  populaire,  on  y 
desire  1'activite  ardente  qui  poursuit  un  but  unique 
par  mille  moyens ;  1'habilete  et  la  perseverance  a  ga- 
gner  ceux  qui  le  pouvaient  servir  ou  lui  pouvaient 
nuire,  en  prommettant  largement  et  dormant  en  effet 
argent  et  e'tats  (2)  ;  la  prudence  qui  sait  attendre  et 
qui  proportionnelebut  aux  moyens;  la  politique  qui 
divise  ses  ennemis  et  entretient  partout  ses  alliances, 
enfin  Intelligence  profonde  des  besoins  du  pays,  du 
peuple  et  de  I'unite  monarcbique. 

Ce  caractere  n'apparait  pas  d'un  seul  jet  dans  1'his- 
toire ;  il  s'y  developpe  progressivement  en  suivant  la 
loi  du  temps;  les  premiers  actes  de  Louis  XI,  qui 
souleverent  contre  lui  la  feodalite  n'annoncaient  pas 
cette  profonde  prudence,  fruit  des  annees  et  du  mal- 
heur.  S'il  cbercha  avec  raison  a  rendre  a  la  France 
sa  frontiere  septentrionale,  par  le  rachat  des  villes 
de  la  Somme,  il  provoqua  a  plaisir  des  baines  dan- 
gereuses  par  la  disgrace  des  ministres  de  son  pere, 
par  I'abolition  de  la  pragmatique-sanction  de  Bour- 
ges  (3)  et  par  les  tracasseries  qui  irriterent  la  petite 
noblesse.  La  Ligue  du  bim  public  (1464-1 465)  le 

(1)  Ibid.,  pag.  67.  —  C'esl  surtout  au  grand  romancier  ^cossais 
qu'on  doit  ce  type  populaire  de  Louis  XI.  Gependant  1'histoire  ne 
Ta  pas  toujours  subi;  temoin  le  sixieme  volume  de  I'Histoire  de 
France  de  M.  Michelet. 

(2)  Comines,  liv.  I,  chap.  x. 

(3)  Ordonn.,  XV,  193. 


REUNIONS    TERRITORIALES. 

punit  de  ses  fautes  et  lui  enseigna  la  prudence.  II  ne 
tarda  pas  a  reprendre  toutes  les  concessions  que  la 
coalition  luiavaitarrachees,  echappa  au  piege  de  Pe- 
ronne  (1468),  ecrasa  les  Armagnacs  (1473-1474),  as- 
sista  a  la  mine  de  son  temeraire  rival  qui  alia  se 
briser  contre  1'Allemagne  et  la  Suisse  (1474-1477), 
et  recueillant  les  fruits  d'use  politique  patiente  et 
habile,  il  s'empara  de  1'Artois,  de  la  Franche-Comte, 
des  pays  de  Tournai  et  de  Cambrai,  obtintpar  testa- 
tament  la  succession  de  la  maison  d'Anjou  (Provence, 
Maine  et  Anjou),  gagna  ou  frappa  de  terreur  les 
princes  de  Bourbon  et  d'Orleans  et  laissa  la  royaute 
completement  victorieuse  de  la  feodalite  apanagee. 
La  bourgeoisie  menagee  et  caressee  par  Louis  XI,  au 
moins  dans  les  moments  critiques,  le  soutint  contre 
les  seigneurs  coalises,  se  declara  contre  les  preten- 
tious de  son  frere  aux  Etats-Generaux  de  1468  (1), 
et  ne  vit  pas  avec  peine  le  supplice  d'un  connetable 
et  d'un  due  de  Nemours.  Comment  le  peuple  eut-il 
hesite  entre  le  defenseur  de  1'unite  nationale  et  ces 
grands  feudataires,  qui  aimaient  tant  la  France, 
comme  disait  Tun  d'eux,  qu'au  lieu  d'un  roi  ils  en 
auraient  voulu  six? 

Au  milieu  de  ces  luttes  incessantes  contre  la  feo- 
dalite, Louis  XI  ameliora  1'administration  monar- 
chique.  II  ne  cessait  de  parcourir  le  royaume,  s'en- 

(1)  «  II  falloit,  disaient  les  fitats,  que  M.  Charles  (frere  du  roi) 
se  contentat  de  1'apanage  de  60,000  Hvres  qu'on  lui  avoit  offert, 
avec  line  terre  a  litre  de  duch£,  et  encore  sans  tirer  h  conse- 
quence pour  Tavenir;  car  de  tels  apanages  seroient  la  mine  du 
royaume.  »  Proces-verbal  des  Etats  de  4Z|68  dans  le  tome  IX,  pag, 
212-226,  de  la  collection  des  £tats-Gentraux  par  Mayer. 


fcTABLISSEMENT   DES    POSIES    (1464). 

querant  de  Vdtat,  de  la  police  et  du  gouvernement 
de  chacune  des  parties,  comme  il  le  declare  lui- 
meme  clans  ses  ordonnances  (I).  L'etablissement  des 
postes  (1 9  juin  1 464)  (2)  permit  a  la  royaute  de  trans- 
mettre  rapidement  ses  ordres  d'une  extremite  a  1'au- 
tre  de  la  France.  Le  roi  se  reservait  avec  un  soin  ja- 
loux  le  monopole  des  postes.  Le  grand  maitre  des 
coureurs  de  France  (directeur  general  des  postes) 
devint  un  des  principaux  officiers  de  la  couronne,  et 
les  maitres  tenant  les  chevauxpour  le  service  du  roi, 
qui  etaient  places  sur  les  routes,  de  quatre  lieues  en 
quatre  lieues,  ne  purent,  sous  peine  de  mort,  faire 
porter  d'autres  depeches,  ni  transmettre  d'autres 
ordres  que  ceux  du  roi. 

L'institution  de  1'ordre  de  Saint-Michel  (1er  aout 
1469)  (3),  sans  avoir  la  meme  importance  que  1'eta- 
blissementdes  postes,  fut  aussi  inspiree  par  une  pen- 
see  monarchique.  Louis  XI,  prince  fort  peu  chevale- 
resque  de  mceurs  et  d'idees,  voulait  rattacher  Telite 
de  la  noblesse  au  roi  qui  etait  declare  grand  maitre 
de  1'Ordre  et  balancer  ainsi  Tinfluence  de  la  Toison- 
d'Or,  receniment  etablie  par  la  maison  de  Bour- 
gogne. 

La  justice,  les  finances,  1'armee,  ces  soutiens  de 
la  puissance  royale,  ne  pouvaient  etre  negligees  par 
un  roi  comme  Louis  XL  II  eut  voulu,  dans  son  ar- 
deur  d'unite,  substituer  une  loi  unique  a  la  diversite 

(1)  Ordonn.  des  Rois  de  France,  XVI,  pag.  197  :  «  Nous  avons 
visits  la  pluspart  (Ticelluy  (royaume)  pour  inieux  cognoistre  1'estat, 
la  police ,  etc. 

(2)  Anciennes  Lois  francaises,  X,  pag.  487. 

(3)  Ordonn.  des  Rois  de  France,  XVIII,  pag.  217-224. 


116  INAMOVlBILlTfi    DES    JUGES. 

des  coutumes  (1).  La  mort  seule  1'empecha  de  rea- 
liser  ce  projet.  11  fortifia,  du  moins,  le  parlement  en 
declarant  qu'il  ne  donnerait  aucun  office  dans  cette 
cour,  s'il  n'etait  vacant  par  mort,  resignation  ou  for- 
failure  (2).  C'etait  accorder  aux  juges  1'inamovibi- 
lite,  premiere  condition  de  la  haute  independance 
qu'exigent  leurs  fonctions.  Louis  XI  eleva  encore  le 
parlement  de  Paris,  en  declarant  que  seul  il  juge- 
rait  les  causes  des  pairs  du  royaume  (3).  II  lui  con- 
fia,  en  effet,  le  jugement  du  due  de  Nemours,  mais 
il  exigeait  des  juges  une  sou  mission  absolue  a  ses 
volontes,  et  son  despotisme  ne  respectait  guere  le 
principe  de  1'inamovibilite  qu'il  avait  proclame.  Les 
juges  du  due  de  Nemours  paraissaient  incliner  a  la 
elemence  :  «  Je  pensais,  leur  ecrivit  Louis  XI  (4),  vu 
»  que  vous  etes  sujets  de  la  couronnede  France  etlui 
»  devez  loyaute,  que  vous  ne  voulussiez  pas  approu- 
»  ver  que  Ton  fit  si  bon  marche  de  ma  peau  ;  d'apres 
»  ce  que  je  vois  par  vos  lettres,  je  connais  clairement 
»  qu'il  y  en  a  encore  parmi  vous  qui  volon tiers  se- 
»  raient  inacbineurs  contre  ma  personne,  et  afin  de 
»  se  garantirde  lapunition  ils  veulent  abolir  1'horri- 
»  ble  peine  qui  y  est.  Par  quoi  sera  bon  que  je  mette 
»  remede  a  deux  choses  :  la  premiere,  expurger  la 
»  cour  de  telles  gens;  la  seconde,  faire  tenir  le  statut 
»  que  j'en  ai  fait,  afin  que  nul  dorenavant  ne  puisse 

(1)  Comines,  liv.  VI,  chap,  v ;  edit,  de  Mne  Dnpont,  torn.  II,  pag. 
209. 

(2)  Ordonn.,  torn.  XVII,  pag.  25;  ordonn.  du  21  octobre  1467. 

(3)  Ibid.,  XVI,  pag.  87;  ordonn.  du  13  oct.  1463. 

(U)  De  Barante,  Hist,  des  dues  de  Bourgogne,  3C  edit.,  torn.  XI, 
pag.  356. 


NOI  VE.UTX    PARI.EMEXTS.  117 

»  allegories  peines  pour  crimes  delese-majeste,  etc. » 
La  loi  qui  punissait  de  mort  les  non-revelateurs  du 
crime  de  lese-majetd,  les  commissions  qui  enleverenl 
plus  d'une  fois  les  accuses  a  leurs  juges  naturels, 
enfm  les  menaces  memes  adressees  par  Louis  XI  a u 
parlement  attestent  qu'a  ses  yeux  la  justice  n'etail 
qu'un  instrument  de  despotisme,  mais  d'un  despo- 
tisme  egal  pour  tous.  Les  plus  bautes  tetes  devaient 
se  courber  sous  ce  niveau. 

Deux  nouveaux  parlements  furent  institues,  a  Bor- 
deaux (1462)  (1)  et  a  Dijon  (1477)  (2);  c'etait  un 
moyen  de  faire  penetrer  les  institutions  monarchi- 
ques  dans  deux  provinces  recemment  conquises,  et  d'y 
rendre  plus  presente  1'autorite  royale  dont  emanait 
toute  justice.  Cependant ,  par  une  pensee  d' unite, 
Louis  XI  voulait  que  le  parlement  de  Paris  conservat 
la  superiorite  sur  les  parlements  provinciaux.  Une 
ordonnance  du  2  septembre  1474  (3)  declara  que  les 
arrets  du  parlement  de  Paris  seraient  executoires 
dans  les  ressorts  des  parlements  de  Toulouse  et  de 
Bordeaux.  Plusieurs  provinces  recurent  des  gouver- 
neurs  nommes  par  le  roi  et  investis  principalement 
de  1'autorite  militaire,  pendant  que  les  parlements 
etaient  depositaires  de  1'autorite  judiciaire,  et  les 
chambres  des  comptes  et  les  cours  des  aides,  de 
1'autorite  financiere.  A  Paris,  le  titre  et  le  pouvoir  de 
gouverneur  furent  donnes  an  seigneur  de  Gaucourl, 

(1)  Orrfonw.,XV,  pag.  510  et  suiv. ;  voy.  aussi  pag.  595,  608, 
610,  612-613,  615,  653. 

(2)  Ordonn.,  XVIII,  252. 

(3)  Papiers  de  Tabbo  Legrand,  torn.  XX,  dans  les  maunscrits  de 
la  Biblioth^que  imperiale. 

L  9 


4  18  ACCROISSEMENT   DES   IMPOTS. 

tandis  que  la  prevote  resta  a  Jacques  de  Villiers,  sei- 
gneur de  I'lle-Adam  ;  les  fonctions  administratives 
^talent  separees  de  1'autorite  militaire.  Ainsi  s'etablis- 
sait  la  division  des  pouvoirs,  une  des  tendances  les 
plus  heureuses  de  radministration  monarchique. 
Ainsisepreparaitl'organisation  provinciale  qui  devait 
bientot  constituer  chaque  grand  gouvernement  a  1'i- 
mage  du  pouvoir  central,  effacer  peu  a  peu  les  antipa- 
thies locales,  et  rendre  possible  I'unite  de  la  France  : 
nous  ne  sommes  encore  qu'a  Tebauche  de  cette  ad- 
ministration. 

La  taille  perpetuelle  s'e"leva  rapidement  de 
1,800,000  livres  a  4,700,000  Hvres.  Cet  accroisse- 
ment  des  impots  explique  la  misere  et  les  plaintes 
d'une  partie  de  la  population.  Thomas  Basin  s'en  est 
fait  1'echo  et  les  a  exagerees  dans  son  histoire  de 
Louis  XI  (1).  Des  documents  plus  authentiques  ne 
laissent  aucun  doute  sur  le  mauvais  systeme  de  re- 
partition des  taxes  et  sur  la  misere  qui  en  resultait. 
Louis  XI  lui-meme  en  convient  dans  ses  ordon- 
nances  (2),  et  ch^rche  a  y  porter  remede.  Mais  ces 
calamites,  qui  n'etaient  que  trop  reelles,  ne  doivent 
pas  faire  oublier  1'usage  habile  et  vigoureux  que 
Louis  XI  fitdel'argent  que  lui  fournissait  I'impot.  II 
ne  le  depensa  ni  en  objets  de  luxe  ni  en  plaisir.  Mais 
il  avait,  comme  nous  1'apprend  Comines,  des  gens 
a  lui  dans  toutes  les  cours.  II  entretenait  en  meme 
temps  une  nombreuse  armee,  et  grace  a  ses  res- 
sources  pe*cuniaires,  il  dtait  toujours  pr$t,  comme 

(1)  Manuscrit  de  la  Biblioth.  imp^riale,  n°  5962,  fol.  396. 

(2)  Ordonn.,  XVIII,  601-602. 


ADMINISTRATION    M1I.1TA1RE.  \  \'1 

s'en  plaignait  son  rival,  Charles-le-Temeraire  (1). 

II  disposait  d'une  formidable  artillerie,  dont  le 
grand-maitre  remplaga  a  cette  epoque  le  grand-mai- 
tre  des  arbaletriers  etablis  par  Saint-Louis  (2).  Quant 
a  1'iqfanterie  des  francs-arc her s>  plusieurs  ordon- 
nances  eurent  pour  but  d'imposer  a  ces  troupes 
1'ordre  et  la  discipline  qui  leur  manquaient.  Les  pa- 
roisses  etaient  tenues  de  fournir  des  casaques  aux 
francs-archers  et  d'entretenir  leurs  armes  et  habille- 
ments  (3).  Les  chariots,  qui,  en  cas  de  guerre,  devaient 
transporter  les  armes,  etaient  mis  egalement  a  la 
charge  des  paysans.  La  solde  des  francs-archers  etait 
fixee  a  neuf  livres  tournois  par  an  en  temps  de 
guerre.  Des  capitaines-generaux  devaient,  par  de  fre- 
quentes  revues,  s'assurer  de  la  discipline  et  de  la 
bonne  tenue  de  ces  troupes.  Les  francs-archers  ne 
pouvaient,  sous  peine  de  la  hart,  s'ecarter  du  corps 
d'armee.  Des  prevots  speciaux  etaient  charges  de 
punir  les  infractions  a  la  discipline  militaire  (4). 

Le  defaut  principal  de  1'infanterie  des  francs-ar- 
chers etait  la  dispersion  des  troupes  disseminees 
dans  les  paroisses.  Louis  XI  s'efforca  d'y  remedier ;  il 


(1)  Comines,  liv.  VI,  chap,  vi ;   6dit.  de  Mile  Dupont,  torn.  M, 
pag.  225. 

(2)  IMepiqire  de  M.  Mignet  sur  la  Formation  territoriale  et 
politique  de  la  France.  Deja  sous  Charles  VII,  Jean  Bureau  est 
qualifie  du  litre  de  grand-mailre  de  rartillerie. 

(3)  Ordonn.,  XVIH,  72-6Zi,  et  110-115. 

(i)  Histoire  de  Louis  XI,  par  Thomas  Basin  (pseudo-Amelgard), 
fol.  516  recto.  Cet  ecrivain  tres-hostile  a  Louis  X[  lui  rcproche 
d'avoir  soustrait  les  soldats  a  la  juridiction  ordinaire :  «  Quod  procul 
dubio  non  mullura  aberat  quam  si  eis  irupunita  licentia  injuriis 
quern  vellent  afficiendi  ex  com  muni  plebe  permissa  fuisset.  » 


120  REORGANISATION    DE    I/1NFANTERIK. 

divisa  les  seize  mille  soldats,  dont  se  composait  rin- 
fanterie  des  francs-archers,  en  quatre  corps  de  quatre 
mille  hommes  chacun,  sous  les  ordres  des  baillis  de 
Mantes  et  de  Melun,  du  senechal  de  Beaucaire  et  du 
seigneur  de  1'Isle.  Chaque  corps  etait  subdivise  en 
conipagnies  de  cinq  cents  hommes  sous  un  capitaine 
particulier  (1).  Cette  nouvelle  organisation  remedial! 
a  un  des  defauts,  qui,  des  le  principe,  avaient  pa- 
ralyse cette  institution.  Neanmoins  la  nouvelle  armee 
ne  montra  ni  courage  ni  esprit  militaire.  C'esl  que, 
selon  la  remarque  d'un  historien  moderne  (2),  une 
armee  represente  un  peuple.  La  cavalerie  francaise 
etait  excellente,  parce  qu'elle  se  composait  de  gentils- 
hommes,  pour  lesquels  1'esprit  guerrier  etait  un  de- 
voir et  une  tradition  d'honneur.  Rien  de  semhlable 
dans  le  peuple  qui  composait  1'infanterie.  On  a  sou- 
vent  suppose  que  la  defiance  de  Louis  XI,  qui  crois- 
sait  avec  1'age,  le  porta  a  desarmer  systematiquement 
les  Franc,ais  pour  leur  substituer  des  etrangers.  Ce- 
pendant,  1'armee  que  Louis  XI  reunit  au  Pont-de- 
1'Arche  etait  composee  en  majorite  de  fantassins 
frangais.  Pour  former  le  noyau  de  cette  armee,  il  alia 
prendre  le  peuple  ou  il  se  trouvait,  dans  les  monla- 
gnes  de  la  Suisse.  II  avait  eprouve  la  valeur  de  cette 
nation  a  la  bataille  de  Saint-Jacques.  Les  victoires 
de  Granson  et  de  Morat  Tavaient  rendue  celebre  dans 
toute  1'Europe.  Louis  X[  prit  six  mille  Suisses  a  sa 
solde,  les  reunit  a  dix  mille  fantassins  frangais  et  a 
deux  mille  six  cents  pionniers.  Cette  armee  ne  fut  pas 

(1)  Mignet,  Formation  territorial?  et  politi(jne  de  la  France, 

(2)  Id.,  ibid. 


GARDKS    HI'    R01.  121 

soldee,  com  me  les  francs-archers,  par  les  bourgs  et 
les  villages,  mais  par  le  tresor  royal.  L'armee  eut 
une  organisation  vigoureuse  et  unitaire,  mais  one- 
reuse  pour  le  peuple  qui  payait  1'impdt.  «  Ainsi, 
dit  Comines,  ne  se  faut  ebahir ,  s'il  ( Louis  XI ) 
avoit  plusieurs  imaginations,  et  s'il  pensoit  n'etre 
point  bien  voulu  (1).  »  Sa  mefiance  lui  inspira  de 
nouvelles  precautions  ;  il  s'entoura  d'une  garde  ecos- 
saise  et  de  genii  Is /tommes  au  bee  de  corbin  (1 478)  (2) . 
En  meme  temps,  il  interdisait  le  guet  feodal  que  les 
paysans  etaient  tenus  de  faire  pres  de  leurs  seigneurs, 
et  il  autorisait  les  bourgeois  aremplacer  le  service  du 
guet  aux  portes  des  villes  par  une  contributionde  cinq 
sous  (3).  Arnier  la  royaute,  desarmer  les  seigneurs 
et  les  communes,  telle  fut  la  politique  de  Louis  XI 
dans  ['administration  militaire.  Un  grand  nombre  de 
villes  furent  fortifiees,  et  il  fit  plus,  au  temoignage 
de  Comines  (i),  pour  la  defense  du  royaume  qu'au- 
cun  de  ses  predecesseurs. 

En  fortifiant  1'autorite  monarchique,  Louis  XI 
n'oublia  pas  le  peuple.  II  developpa  le  commerce  et 
Tindustrie  qui  pouvaient  1'enrichir.  Des  traites  de 
commerce  conclus  avec  la  Hollande  et  le  Brabant  (5), 

(1)  Comines,  liv.  VI,  chap,  vi;  torn.  II,  pag.  225,  edit,  de  Mile 
Dupont. 

(2)  Ces  gentilshommes  tiraient  leur  iiom  dc  leurs  hallebardes  ap- 
pelees  bees  de  corbin  oil  bees  de  faucon.  Voy.  traite  de  YOrigine 
des  deux  compagnies  de  gentilshommes  ordinuires  de  la  Mai- 
son  du  roi,  Paris,  1614. 

(3)  Ordonnances  des  Rois  de  France,  XVII J,  470. 

(A)  Comines,  meme  edit.,  toin.  II,  pag.  144  :  «.Il  fit  de  grands 
edifices  a  la  fortification  et  defense  des  villes  et  places  de  son 
royaume,  et  plus  que  tous  rois  qui  ont  este  devant  luy.  » 

(5)  Ordonn.  des  Rois  de  France,  XV,  348. 


lOMMMUl      1'ROTfrjf     IHH     I  Ol  IS     \1. 

ION  villos  ausealiqiios  I  ot  Yemsc  ,:>  ;  doslotlres  adros 
seos  ;ui  soudau  d'K^ypIo  pour  assuror  sa  protection 
aux  I'Yaneais  (jni  traliquaionl  dans  sos  I'Jats  >  . 
atlesleul  avec  quollo  solliciludo  ce  roi  cncourai;oa  le 
COimniM'iv  i'MjM-icur.  II  voulail  Im  inrua^cr  un  porl 
sur  Ics  i-olt'sdr  Nonuandit\  «  |>our  ivnnMllir  rl  nuMhv 
(Mi  surclr  It^s  navhrs  d(^  (juchjiic  pavs  cl  roulnV 
(pi'ils  1'usstMii  pour  (iosctMiihv  ot  sojounuM-  uiarchan- 
dtMuonl  /I-'.  »  (Ic  |)i'oj(^t  no  I'ul  pas  la  sruli'ultV  ulilr 
au  roininiMrr  (\uc  Louis  \l  nnporla  dans  la  loinhr  : 
il  son^vail  a  siihslilurr  I'linito  do  poids  ct  dc  uio 
suirs  ^v  a  la  divorsilo  ilos  inosinvs  locales  qui  »MI- 

i1  coininorco  rl  lavorisaionl  la  iVninIo. 
v  lihiv  la  navij;alion  iM   diiuinntM'  Irs  pca^o 
qui  roiiipaionl  los  arloivs  de  la  Franro,  rtaii  lr  UKM!- 
leui-  ino\(MMio   drvol»>pp(M'    It^  ronuniMViv    l.ouisM 
S'IMI    orcupa    lu-tiviMiuMH.    Drs  lo  conuuiMUTnuMit  do 
>on   iviiiu1,    il    routinna   rordonnanco   d(^  son  phr, 
C.liarlos  Vll,   qui   avail    suppriinr  h^s  j)!^!!^!^  dos 
corporations  tVanraiso  c!   nonnandtv  C.os  deux  coin 
pngnics  rivnlos.   qni   avaiiMit  lour   sio^o  a  Paris  of  a 
Houon,    doniinaioni  sur    la  lianlo  ol   hassc  Soim^  ol 
intorcoptaionl  la  navigation,  l.ouis  \!  voulnl  quo  l«^s 
inarins    ilos    doux   villi^s    pussont   dosoiMuhv    ol    re 
monter  1(*  tlouvo  sans  ohslaclo  (>  :  parlout  la  rovaulo 

(1)  Onlonn.  dcs  Hois  <1r  France.  \\  I ,  ll'~. 

(2)  ibid.,  \viii.  ;v::>. 

(3)  Anricunc.t  /o/.v  fnint\u$t\*.  X,  923. 

1  -donniint'i's  dct  ??(>»«  dc  France,  XV III 
r.oininos,  liv.  VI.  c\\.  \  :  loin.  II.  pag.  "209  do  IVdit.  dc  Mile 
IMipont. 

(6)  Ordvnn..  \\ .  'jiio.  1/onlonnanco  ost  souloinont  montionnoo: 
les  iditeurs  n'ont  pu  en  retrouvor  lo   tcxto.  Void,  d'apres  Toriginal 


MESC1ES    FAYOftJtBLEf  A 


123 


s'elevait  au-dessus  des  mesquines  rivalite*  de  corpo- 
ration et  apparaissaitdeplusen  plus  cornme  deposi- 
laire  et  protectrice  de  Tordre  public,  de  la  justice 

rale  et  de  1'interet  commun  (I). 
Quant  a  1'industrie,  Louis  XI  s'efforca  de  la  favo- 
riser  par  un  systeme  prohibitif.  II  defendit,  en  1469, 
1'importation  des  etoffes  de  1'Inde,  et  etablit,  1'annee 
suivante,  aux  environs  de  Tours,  des  plantations  de 
muriers  et  des  fabriques  d'etofles  de  soie.  Jusqn'a- 
lors  1'industrie,  enfermee  dans  les  corporations  d'arts 
et  metiers  qui  avaient  protege  son  berceau,  etait  toute 
municipale,  Louis  XI  entreprit  de  la  faire  nationale 

nvoqua  les  negotiants  a  son  grand  conseil  pour 
aviser  avee  eux  aux  moyens  d'etendre  et  de  faire 

perer  le  commerce   i  .  11  ^entourait  de  tous  les 
rensetgnements  que  pouvaient  lui  fournir  a  cet  effet 

nations  etrangeres  et  principalement  Venise  et 

conserve  am  archives  municipale*  de  Rouen ,  rordonoanee  de 
Charles  Vll  confirmee  par  Louis  XI :  «  Charles,  par  la  grace  de 
Diea,  etc.,  comme  plusieors  proces  aient  este  commencez  entre 
ceutx  de  Paris  et  ccolx  de  Roaeii,  h  1'occasion  de  ce  que  iceolx  de 
Paris  tenoient  rigueur  a  ceolx  de  i.ouen  de  leor  fake  prendre  com- 
pagnie  fran^oise,  quand  iis  montoient  on  avalioient  la  Seine,  par  la 
ville  de  Paris,  on  es  roettes  (bomes)  d'icelle,  et  anssi  iceolx  de  Rouen, 
poorraiaon  deleurs  privileges,  empesohoienta  iceulx  de  Paris  que  ils 
ne  descendissent  et  missent  teurs  Tins  et  aotres  denrees  et  mar- 
chandises  a  couvert,  et  ne  les  vendissent  en  icefle  ville  de  Kooen ; 
.Nous,  par  Tadvis  des  gens  de  nostre  conseil ,  veokms  que  les  bour- 
geois de  nostre  ville  de  Rouen  soient  doresnavant  francs,  quictes  et 
exemptez  (le  la  dicte  compagnie  francoise  et  de  tout  ce  que  lesdits 
de  Paris  peuvent  demander  a  cette  cause,  et  aussi  que  iceolx  de 
Paris  pourront  meltre  a  convert  et  descendre,  en  ladite  vflle  de 
Rouen ,  tontes  les  denrees  et  marchandises,  et  icelles  vendre  en 
•onne  a  Caen  le  VII-  jour  de  juillet  en  I'an  MCCCCL.  » 

1  'lUizot,  Cours  d'histoire  generate  de  la  civilisation  en  Eu- 
rope, 9"*  tecon. 

(2)  Aug.  Thierry,  Essai  sur  Chutoire  du  Tier*-&tat,  pag.  66. 


i.MPRiMERii:  i:x   FRANCE. 

Florence  (1).  Lyon  et  d'a litres  villes  obtinrent  des 
privileges  de  foires  Tranches  pour  attirer  dans  leurs 
niurs  des  marchands  etrangers  (2).  Le  Languedoc  fut 
exempte  pour  le  meme  motif  du  droit  d'aubaine  (3). 
On  commeiiQa  a  s'occuper  de  1'exploitation  des  ri- 
chesses  minerales  de  la  France  (4),  et  Louis  XI  en- 
couragea  par  d'importants  privileges  cette  branche 
d'industrie. 

Trois  Allemands,  Ulricb  Gering,  Martin  Krantz  et 
Michel  Freyburger  vinrent  apporter  en  France  1'im- 
piiincrie  et  obtinrent  1'autorisation  de  s'etablir  dans 
les batimeiits  memes  de  la  Sorbonne  (1409).  Louis XI 
comprit  Timportance  de  cette  decouverte,  et  exeinpta 
du  droit  d'aubaine  deux  imprimeurs  de  Mayence, 
«  ayant  consideration  de  la  peine  et  labeur  que  les 
dits  exposans  out  pris  pour  le  dit  art  et  Industrie  de 
I'impression ,  et  au  profit  et  utilite  qui  en  vienteten 
peut  venir  a  toute  la  chose  publique,  tant  pour 
1'augmentation  de  la  science  que  autrement  (3).  » 
Nobles  paroles  qu'on  n'attendrait  pas  d'un  despote, 
comme  Louis  XI,  de  ce  roi  qui,  fatigue  des  dis- 
putes des  seolastiques  et  pen  soucieux  des  droits  de 
la  pensee,  iniposail  dureinent  silence  aux  realistes 
et  aux  noininaux  et  iaisait  clouer  leurs  livres  dans 
les  bibliotheques. 

(1)  Letlre  de  Louis  XI  au  sieur  Dubouchage,  dans  1'liistoire  de 
Louis  Xf,  par  Duclos,  torn.  Ill,  pag.  449. 

(42)  Ordonn.  desEois  de  France,  XV,  pag.  644;  XVI,  192.  438, 
441. 

(3)  Ordonnance  de  juillet   1475,  dans  les  Ordonn.  des  Rois  de 
France,  XVIII,  124-123. 

(4)  Ibid.,  XV,  264,  XVI,  176,  XVII,  446  et  XIX,  105. 

Y/.,  XVIII,  114. 


NOUVELLKS    IMVKRSITfiS.  125 

Louis  XI  etait  loin  d'etre  ennemi  de  la  science, 
quand  elle  avail  un  caractere  d'utilite.  II  livra  un 
eondamne  a  mort  aux  experiences  des  medecins 
pour  1'extraction  de  la  pierre  (1)  ,  et  ajouta  deux 
nouvelles  Universites  a  celles  de  Paris ,  de  Tou- 
louse ,  de  Montpellier ,  d'Orleans ,  d'Angers  et  de 
Caen  fondees  par  ses  predecesseurs.  Elles  fureni 
etablies  a  Bourges  (2)  et  a  Bordeaux  (3).  line  pareille 
administration  n'atteste  pas  moins  d'activite  que  la 
lutte  contre  les  seigneurs  feodaux,  et  cependant 
Louis  XI  ne  put  realiser  tous  les  desseins  qu'il  me- 
ditait  pour  Tunite  de  la  France. 

La  mort,  qui  1'epouvantait,  viot  lesaisir  au  milieu 
de  ses  projets.  Vainement  il  s'efforc.a  de  lui  echap- 
per  en  s'entourantdereliques,  et  en  appelant  dufond 
de  la  Calabre  un  saint  ermite ;  vainement  il  voulait 
f'aire  illusion  a  la  France  et  a  1'Europe  en  se  couvrant 
de  riches  etofles  et  en  affectant  un  redoublement  d'ac- 
tivite (4),  il  sentait  avec  effroi  1'etreinte  de  la  mort. 
Rien  de  plus  dramatique  et  de  plus  moral  que  le 
spectacle  de  ses  dernieres  annees,  lorsque  parvenu 
au  coinble  de  la  puissance,  il  se  toimnente  et  se 
«  gelienne  »  plus  que  les  miserables  qu'il  faisait  en- 
lermer  dans  des  cages  de  fer  (5),  et  que  tremblant 
sous  la  menace  de  son  medecin,  il  absout  ses  inso- 
lences et  sa  rapacite  C'est  1'expiation  de  1'immo- 
ralite  triomphante.  line  cruaute  raffinee,  une  four- 

(1)  Henault,   Abrege  chron.  a  I'annee  1475.*' 

(2)  Ordonn.,  XVI,  513. 

(3)  Henault,  Abrege  chron.  a  Cannnee  1Z|72. 

(k]  Gomines,  edition  de  Mile  Dupont,  torn.  II,  p.  231-232, 
(5)  Idem,  ibid.,  pag.  267,  268,  269. 


CHARLES  vin    1483-1498 

berie  proverbiale,  une  politiquesansentrailles,  expli- 
quent  les  terreurs  de  Louis  XI  a  1'approche  de  la 
mort. 

II  laissait  un  fils  a  peine  age  de  treize  ans,  Char- 
les VIII  (1483-1498).  La  reaction,  qui  se  manifesta 
au  commencement  du  nouveau  regne,  ne  renversa 
pas  plus  le  systeme  monarchique  que  celle  qui  avait 
ete  provoquee  par  les  violences  de  Philippe-le-Bel. 
Elle  se  borna  a  la  proscription  de  quelques  agents  du 
despotisme,  que  leur  conduite  avait  signales  a  la 
haine  publique,  tels  que  le  procureur-general  Jean 
Doyac  et  Olivier  le  Daim,  qui,  de  barbier  du  roi,  etait 
devenu  comte  de  Meulan  et  tresorier-general  du 
royaume.  Anne  de  Beaujeu  les  sacrifia  a  la  ven- 
geance populaire;  mais  elle  maintint  les  institutions 
monarchiques  avec  une  fermete  et  une  prudence  qui 
rappelaient  son  pere  Louis  XL  Les  Etats-Generaux, 
convoques  a  Tours,  firent  entendre  des  verites  ener- 
giques  contre  le  despotisme  et  revendiquerent  les 
droits  de  la  nation  (1 ) .  Us  obtinrent  la  diminution  de  la 
taille  qui  fut  reduite  de  4,700,000  livres  a  1  ,200,000 
livres,  avec 300, 000  livres  pour  droitdejoyeuxavene- 
ment. 

Les  cahiers  des  £tats  developperent  des  vues  uti- 
les  sur  la  redaction  des  coutumes,  le  grand  coiiseil, 
rinamovibilite  des  juges,  le  commerce,  etc.  Mais  la 


(1)  Voy.  le  Journal  des  titats-Generaux,  tenus  £  Tours  en 
redige  par  Jean  Masselin,  dans  les  Documents  inedits  de  CHis- 
toire  de  France.  —  On  trouve  un  extrait  des  maximes  democrati- 
ques  qui  furent  avance"es  par  quelques  orateurs  dans  YEssai  sur 
I' hist,  du  Tiers-£tat,  par  M.  Aug.  Thierry,  pag.  69-70. 


ANNE    DE    BEAUJEU. 


rivalite  des  ordres  qui  eclata  avec  violence  permit  a 
la  regente,  Anne  de  Beaujeu,  de  dissoudre  1'assem- 
blee  et  de  constituer  tin  conseil  de  gouvernement 
tout  entier  a  sa  discretion  (1).  Cette  princesse,  en  qui 
semblait  revivre  Louis  XI,  sut  comme  lui  se  manager 
I'appui  du  Tiers-fitat  et  du  parlement.  Lorsque  les 
rebelles  tenterent  d'entrainer  le  parlement,  il  re'pon- 
dit  «  qu'il  etait  institue  par  le  roi  pour  rendre 
la  justice ,  et  qu'il  n'avait  Tadministration  lii  de  la 
guerre  ni  des  finances,  ni  du  fait  et  gouvernement 
du  roi  ni  des  grands  princes  (2).  »  La  victoire  de 
Saint-Aubin  du  Cormier  (1i88!  et  le  manage  du  roi 
avec  Theritiere  de  Bretagne  completerent  letriomphe 
de  la  royaute  sur  la  feodalite  apanagee.  Anne  de 
Beaujeu  put  alors  s'occuper  d'administration  :  elle 
encouragea  le  commerce  par  des  traites  pour  I'abo- 
lition  de  la  piraterie  (3),  par  Tetablissement  de  foires 
tranches  a  Dunkerque  (4),  a  Lyon  et  a  Montpellier  (5), 
et  de  fabriques  de  draps  a  Tours  (6)  ;  elle  accorda 
des  privileges  aux  maitres  de  forges  pour  1'exploita^ 
tion  des  mines  du  royaume  (7).  En  un  mot,  elle 
agrandit  le  domaine  royal  et  developpa  les  richesses 
naturelles  de  la  France. 


(1)  Voy.  les  procds-verbaux  du  conseil  de  Regence,  etc. ,  pu- 
blies  par  M.  Bernier,  dans  les  Documents  inedits  de  Cliistoire  de 
France. 

(2)  Reponse  du  premier  president  de  la  Vaquerie  C1486),  dans  le 
recueil  de  Godefroy,  intitule' :  Hist,  de  Charles  VIII,  pag.  468. 

(3)  Ordoun.,  torn.  XX,  pag.  16. 

(li)  Godefroy,  Hist,  de  Charles  VIII,  pag. 

(5)  Mem.  de  1'Acad.  des  inscript.,  torn.  XLIIL 

(6)  Ordonn.,  torn.  XX,  pag.  243. 

(7)  JWd.,   XX,  pag.  109. 


PUBLICATION    DE    COUTUMES. 


Malheureusement,  Charles  VIII,  livre  adejeunes 
favoris  et  enivre  de  sa  puissance,  detourna  la  France 
de  sa  veritable  voie,  sacrifia  une  partie  des  provinces 
(Artois,  Franche-Comte  ,  Roussillon)  reunies  par  les 
traites  de  Senlis  et  de  Narbonne,  et  epuisa  le  royaume 
pour  de  steriles  conquetes.  Toutefois  ,  pendant  les 
guerres  d'ltalie  (1494-1496),  il  faut  remarquer  la 
redaction  de  quelques  coutumes  en  execution  de  1'or- 
donnancedeMontils-les-Tours.  On  publia  d'abord  la 
coutume  de  Ponthieu  (1  )  ,  et  on  prepara  la  redaction 
des  coutumes  de  Montargis  et  du  Boulonnais  (2),  en 
accomplissant  les  formalites  prescrites  par  1'article 
124  de  1'ordonnance  de  1453. 

A  son  retour  d'ltalie,  Charles  VIII,  «  hoinme  pen 
entendu,  dit  Comines  ,  mais  si  bon  qu'il  n'etoit  de 
meilleure  creature,  »  forma  des  projets  de  reformes 
tinancieres  et  judiciaires.  II  voulait  se  contenter  du 
revenu  de  ses  domaines  et  de  la  taille  votee  par  les 
Etats  de  Tours  (3)  ;  il  se  proposait  de  rendre  lui- 
meme  la  justice  a  ses  peuples  comme  Saint-Louis,  et 
il  demanda  a  la  chambre  des  comptes  un  memoire 
sur  1'ancienne  forme  de  la  juridiction  royale  .  «  11 
»  avoit  mis  sus  une  audience  publique,  ou  il  ecou- 
»  toit  tout  le  monde  ,  et  par  especial  les  pau- 
»vres,  et  s'y  faisoit  de  bonnes  expeditions,  et  1'y 
»  vis  huit  jours  avant  son  trepas,  dit  Comines  (4); 
»  il  tenoit  ses  gens  en  crainte  et  par  especial  ses  of- 

(1)  Ordonn.,  torn.  XX,  pag.  432-433;  XX,  p.  6  et  18. 

(2)  Comines,  liv.  VIII,  chap.  xxv. 

(3)  Voy.  la  lettre  de  Charles  VIII  a  la  fin  du  loin.  XX  des  Or- 
donn.  (22  de"cembre  1497). 

(/t)  Comines,  liv.  VIII,  chap.  xxv. 


GRAND    CONSUL. 

»  ficiers,  dont  aucuns  il  avoit  suspendus  pour  pille- 
»  rie.  »  C'est  peut-etre  a  cette  ardeur  de  Charles  VIII 
pour  1'administration  de  la  justice  qu'il  faut  attri- 
buer  la  nouvelle  organisation  du  grand  conseil. 

Ce  conseil  remontait  au  regne  de  Philippe-le-Bel, 
et  ses  fonctions  etaient  a  la  fois  politiques,  judiciai- 
res  et  administratives.   Mais ,  lorsque  la  creation  de 
nouveaux  parlements  eut  multiplie  les  questions  de 
competence  qui  etaient  du  ressort  du  grand  conseil, 
lorsque  les  Evocations  eurent  augmente  les  attribu- 
tions judiciaires  de  cette  cour  souveraine,  il  devint 
necessaire  d'en  modifier  1'organisation.  On  en  divisa 
les  attributions  :  la  puissance  politiquefutreserveeau 
conseil  d'Etat;  les  fonctions  judiciaires,  attributes  a 
un  tribunal  compose  de  dix-sept  membres,   preside 
par  le  chancelier  en  1'absence  du  roi.  Ce  tribunal  ne 
s'occupait,  dans  le  principe,  que  des  proces  evoques 
par  ordonnance  royale  et  des  questions  de  reglement 
dejuges.  Mais  peu  a  peu  ses  attributions  s'etendirent, 
et  son  organisation  se  completa  (1).  II  fut  charge  de 
juger  tous  les  proces  en   matiere  beneficiale,   et , 
comme  alors  les  benefices  ecclesiastiques  couvraient 
une  partie  de  la  France,  son  influence  devint  chaque 
jour  plus  considerable. 

l"n  autre  changement  moins  apparent,  mais  d'une 


(1)  Ordonnance  de  Charles  VIII  en  date  du  2  aoul  1497,  dans  le 
tome  XXI ,  p.  4,  du  Eecueil  des  Ordonnances  des  Rois  de  France. 
Voy.  aussi  Pasquier,  Recherch.es,  II,  chap.  vi,et  Guyot,  repert.  uni- 
vers.,  torn.  II,  pag.  18/i.  —  Le  Ferron,  qui  a  ecrit  une  histoire  la- 
line  de  Louis  XII,  mentionne  en  ces  termes  restitution  du  grand 
conseil  :  «  Carolus  octavus  earn  decuriam  aulici  consilii  videbatui 
instituisse,  » 


430  CHANGEMEfJT   DANS    IES   MCEURS. 

haute  importance,  s'accomplit  sous  Charles  VIII 
dans  les  idees  et  dans  les  moeurs  de  la  France.  A  1'i- 
solement  de  1'aristocratie  dans  ses  domaines.  a  1'es- 
prit  d'independance  qui  avait  caracterise  la  feodalite, 
succeda  I'esprit  de  cour.  Les  jeunes  nobles  tinrent  a 
honneur  de  se  presser  autour  du  roi ,  dedaignerent 
les  conseils  des  vieux  gentilshommes  qui  vantaient 
la  dignite  solitaire  du  manoir  paternel ,  et  echange- 
gerent  les  antiques  vertus  melees  de  rudesse 
pour  1'elegance  et  la  politesse  un  peu  servile  du 
courtisan  (1).  Ne  vit-on  pas  a  la  fin  du  xvie  siecle  les 
fils  d'une  victime  de  Louis  XI,  ceux-la  meme  que  la 
tradition  represente  arroses  du  sang  de  leur  pere, 
les  Armagnacs ,  en  un  mot,  preter  a  la  royaute  1'ap- 
pui  de  leur  nom  et  de  leurs  talents?  Anne  de  Bre- 
tagne  contribua  a  cette  revolution  dans  les  moeurs  de 
Taristocratie ,  en  introduisant  a  la  cour  les  filles 
df honneur.  L' elite  de  la  noblesse  fut  longtemps  en- 
chainee  par  les  liens  de  la  faveur  et  de  la  galantei  ie; 
les  moeurs  se  polirent,  et  peu  a  peu  se  corrompi- 
rent.  On  sait  comment  Catherine  de  Medicis  fit  de 
Yescadron  volant  des  filles  d'honneur  un  instrument 
de  politique. 

La  royaute  avait  d'ailleurs  des  recompenses  bril- 
lantes  pour  le  devouement  de  la  noblesse.  Les  apa- 
nages etaient  incorpores  aux  domaines  de  la  cou- 
ronne;  deja  les  maisons  de  Bourgogne,  d'Anjou  et  de 

(1)  Voy.  dans  les  Mem.  de  La  Tre"mouille,  6dit.  Petitot,  torn.  XV  f 
de  la  Ire  serie,  pag.  360-362,  la  lutte  entre  le  vieux  La  Tre"moiiille 
et  son  fils.  Le  premier  veut  61oigner  le  jeune  homme  de  la  cour ; 
mais  le  courant  de  l^poque  est  plus  fort  que  les  conseils  paternels 
et  entraine  le  jeune  La  Tre"inouille. 


CHANGEMKNT  DANS   LES   MOEURS.  131 

Bretagne  avaient  disparu.  Les  domaines  des  maisons 
d'Orleanset  de  Bourbon,  ne  tarderent  pas  a  etrereu- 
nis  par  1'avenement  de  Louis  XII  et  de  Francois  Ier 
et  par  la  confiscation  des  biens  du  connetable  de 
Bourbon.  Au  lieu  de  ces  maisons  apanagees  qui 
iHaient  devenues  menagantes ,  la  royaute  etablit  des 
gouverneurs  de  provinces,  et  ces  charges  furent  bri- 
guees  par  les  plus  illustres  families.  Le  due  de 
Montpensier,  de  la  maison  de  Bourbon,  obtint,  en 
1493,  le  gouvernement  de  Paris,  deTIle  de  France 
et  de  la  Brie  (1) ;  et  La  Tremouille,  le  vainqueur  de 
Saint-Aubin  du  Cormier,  fut  nomine  gouverneur  de 
Bourgogne  (2). 

En  resume,  depuis  1'avenement  des  Valois  jusqu'a 
la  fin  du  xve  siecle  (1328-1498),  au  milieu  de  vicissi- 
tudes douloureuses,  de  revers  cruels,  la  royaute  n'a- 
vait  perdu  aucune  de  ses  conquetes;  elle  y  avait 
ajoute  une  armee  permanente,  soldee  par  un  impot 
permanent;  une  juridiction  speciale  des  dlus  et  des 
generaux  des  aides  pour  la  repartition  des  impots ; 
elle  avait  dompte  la  feodalite  apanagee,  multiplie  les 
parlemerits  et  ebauche  Torganisation  de  Tadminis- 
tration  provinciale. 

(1)  Godefroy,  Hist,  de  Charles  VII,  pag.  674. 

(2)  Memoires  de  La  Tremouille,   collection   Petitot,  Ir*  s^rie, 
torn.  XIV,  pag.  446. 


CHiPITRE  VII. 


Sommaire. 

Louis  XII  (1498-1515).  —  Caractere  general  de  1'administra- 
tion  monarchique  pendant  le  xvie  siecle.  —  Ordonnance  de 
Blois  (1 499) ;  organisation  du  grand  conseil ;  creation  de 
parlements  a  Rouen  et  a  Aix;  publication  des  coutumes.  — 
Repression  de  la  licence  des  armees.  —  Diminution  des  im- 
pots ;  venalite  des  offices  de  finances  et  de  judicature.  — 
Protection  accorde'e  a  1'agriculture,  au  commerce ,  aux  let-*" 
tres  et  aux  arts.  —  Prosperity  de  la  France  a  cette  epoque 
prouvee  par  le  temoignage  de  Machiavel. 


La  fin  du  xve  siecle  est  une  epoque  solennelle  dans 
1'histoire.  Les  decouvertes  de  Colomb  et  de  Gama 
ouvrent  1'univers;  la  renaissance  litteraire  favorisee 
par  rimprimerie ,  revele  a  1'intelligence  un  nou- 
veau  monde ,  et  prepare  les  revolutions  religieuses 
du  xvie  siecle.  La  France  n'est  a  la  tete  d'aucun  de 
ces  mouvements.  Elle  suit  1'Espagne  et  le  Por- 
tugal sur  les  mers ;  emprunte  a  1'Allemagne  rimpri- 
merie; a  I'ltalie,  ses  arts  et  sa  litterature.  Elle  ne 
devance  le  reste  de  1'Europe  que  sur  un  point  : 
1'unite  monarchique.  C'est  un  eloge  que  lui  accordent 
les  etrangers  dont  le  jugement  ne  saurait  etre  sus- 
pect. «  II  n'est  pas  de  pays  plus  uni  que  la  France, » 

L  10 


434  UNIT£  DE  LA  FRANCE. 

(lit  le  Venitien  Marino  Cavalli  (1) ;  Machiavel,  parlant 
des  conquetes  qui  rendent  durables  la  fusion  des 
races  et  1'assimilation  des  moeurs  et  des  idees,  cite  la 
France,  «  ou  les  populations  de  la  Bretagne ,  de  la 
»  Bourgogne  ,  de  la  Gascogne  et  de  la  Normandie 
»  vivent  paisiblement  et  peuvent  s'accorder  entre 
»  elles,  malgre  quelques  differences  de  langage  (2).» 
La  politique,  qui  a  lentement  et  surement  uni  les 
provinces  franchises ,  qui  a  efface  les  antipathies  de 
incurs  et  d'interets,  et  cleveloppe  1'idee  de  la  patrie, 
de  1'unite  nationale,  cette  politique  a  ete  1'oeuvre  des 
xvic  et  xviie  siecles.  Louis  XII,  Francois  Ier,  Henri  II 
y  ont  travaille  avec  succes.  Interrompue  par  les 
guerres  de  religion,  elle  a  ete  reprise  par  Henri  IV, 
Richelieu  et  Mazarin.  Constituer  chaque  province  a 
1'image  de  1'autorite  centrale,  lui  donner  un  gouver- 
neur  relevant  directement  du  roi  et  charge  de  1'admi- 
nistration  militaire;  un  parlement  pour  la  justice, 
des  cours  des  comptes  et  des  aides  pour  la  juridiction 
fmanciere  ,  un  receveur  general  pour  la  perception 
de  I'impot;  attenuer  les  differences  des  coutumes  par 
des  ordonnances  generates,  et  tout  en  laissant  a  cha- 
que localite  des  lois  et  une  constitution  que  la  pru- 
dence ne  permettait  pas  de  supprimer  brusquement 
et  immediatement ,  1'habituer  a  recevoir  I'impulsion 
et  la  direction  du  gouvernement  central ,  tel  a  ete  le 
p  incipal  resultat  de  I 'administration  monarchique 

(1)  llelat.  de  Marino  Cavalli ;  Hec.  des  Relations  des  ambass.  ve- 
nitiens,   torn.  1,  pag.  271,  dans  la  collection  des  Documents  ind- 
dits  de  CHistoire  de  France. 

(2)  Machiavel,  du  Prince,  chap.^  HI, 


LOUIS  xn  (1498-1515).  135 

pendant  le  xvf  siecle.  La  perte  de  quelques  franchi- 
ses a  ete  amplement  compensee  pour  les  provinces 
par  la  gloire  de  se  rattacher  a  une  puissante  nation, 
ainsi  que  par  les  progres  de  la  prosperite  publique, 
dii  commerce, de  la  marine, de  1'industrie,  des  lois,  de 
la  litterature  et  des  arts. 

C'est  Louis  XII  qui  ouvre  cette  epoque.  Malgre  les 
fautes  multipliers  des  guerres  d'ltalie ,  ce  prince  est 
reste  populaire;  on  a  tout  pardonne  au  roi,  qui  ne 
vengeait  pas  les  injures  du  due  d' Or  Mans,  avouait 
noblement  aux  £tats  de  Tours  la  faute  du  traite  de 
Blois,  protegeait  le  peuple  des  campagnes  contre  la 
licence  des  gens  de  guerre,  effac.ait  les  dernieres  tra- 
ces de  la  servitude  et  aimait  mieux  voir  les  court i- 
sans  «  rire  de  son  avarice  que  le  peuple  pleurer  de 
ses  prodigalites.  »  Les  qualites  auxquelles  Louis  XII 
a  du  le  surnom  de  Pere  du  peuple  ont  puissamment 
contribue  a  attacher  les  Francois  a  la  royaute  et  a  faire 
accepter  I'administration  monarchique  comme  justo 
et  bienfaisante ;  la  popularite  du  roi  a  rejailli  sur  la 
royaute.  Son  principal  ministre  Georges  d'Amboise  a 
merite,  par  les  memes  qualites,  les  sympathies  de  la 
nation. 

Au  debut  de  ce  regne  ,  se  place  la  grande  ordon- 
nance  de  Blois  (1)  qui  sembie  avoir  pour  objet  de  sa- 
tisfaire  a  une  partie  des  reclamations  des  litats  de 
1484.  Le  roi  s'y  occupe  surtout  de  la  reforme  de  la 
justice.  Les  offices  de  judicature  sont  eligibles;  mais 


(1)  Ordonn.  des  Rois  de  France, lorn.  XXI,  pag.  177  et  suiv.;~ 
Recueil  des  anciennes  lois  fr.,  torn.  XI,  pag.  323;  Toidonnance  est 
datee  de  mars  1A98  (l/i99.) 


436  ORDONNANCE   DE    BLOIS    (1499). 

1'election  est  aceompagnee  de  garanties  contre  la  ve- 
nalite  (1).  II  est  clefendu  aux  baillis  et  aux  senechaux 
de  rendre  la  justice,  a  moins  d'etre  gradues  en  droit; 
s'ils  ne  remplissent  pas  cette  condition,  ils  doivent  se 
faire  remplacer  par  un  lieutenant  pourvu  des  gra- 
des (2).  Des  commissaires ,  delegues  par  le  roi  et 
choisis  dans  les  pariements,  tiendront  chaque  annee 
les  grands  jours  aux  lieux  accoutumes  (3) ;  ainsi 
election  des  juges  pure  de  toute  venalite ,  garanties 
exigees  des  baillis  et  senechaux ,  mesures  pour  sou- 
mettre  les  provinces  eloignees  a  Faction  de  la  justice, 
telles  sont  les  principales  dispositions  de  la  premiere 
ordonnance  de  Blois  (1 499) . 

L'institution  du  grand  conseil  fut  confirmee  et  de- 
veloppee.  Au  lieu  des  dix-sept  juges  etablis  par 
Charles  VIII,  Louis  XII  en  institua  vingt,  en  decla- 
rant le  conseil  semestre.  Dix  juges  devaient  sieger 
alternativement  sous  la  presidence  du  chancelier  (4). 

Deux  nouveaux  pariements  furent  crees  ,  1'un  a 
Rouen,  1'autre  a  Aix.  La  Normandie  avait  jusqu'a 
cette  epoque  conserve  son  lichiquier ,  qui  perpetuait 
les  formes  de  la  justice  feodale,  ne  se  reunissait  que 
deux  fois  par  an  ,  et  se  composait  en  majorite  de 
grands  vassaux.  On  menagea  la  transition  en  appe- 
lant  le  nouveau  parlement  Echiquier  perpdtuel  (1 499)  ; 


(1)  Articles  30,  31,  32,  40,  41,  etc.,  de  celte  m6me  ordonnance. 

(2)  Ibid.,  art.  48. 

(3)  Ibid.,  articles  72  et  73. 

(4)  Ordonn.  des  Rois  de  France,  torn.  XXI,  56-57.—  Ancien- 
nes  lois  francaises,  torn.  XI,  296.  —  Pasquier ,  Recherclies,  livre 
II,  chap.  vi.  —  Arnold,  Ferron.,  Rerum  sub  Iwdov,  XU 
hist,,  ann,  1498. 


NOUVEAUX    PARLEMENTS. 


137 


mais  bientot  le  nom  changea  avec  1'organisation,  et  le 
parlementdeNormandiefutdefinitivementinstitue.  (1) 
La  Provence  dont  les  institutions  locales  etaient  si  te- 
naces  etquivoulait  trailer  avee  laFrance  de  puissance 
a  puissance,  la  Provence  eut  dans  le  parlement  d'Aix 
un  representant  energique  et  permanent  de  1'autorite 
royale  (2).  La  Bretagne  conserva  jusqu'a  Henri  II 
son  ancienne  organisation  judiciaire  ,  quoique  ,  des 
1495  ,  une  ordonnance  royale  eut  enjoint  d'y  creer 
un  parlement  (3);  maisdu  moins  la  reunion  de  cette 
province  au  domaine  de  la  couronne  fut  assuree  par 
le  double  mariage  de  Louis  XII  avec  Anne  de  Breta- 
gne et  de  Francois  Ier  avec  Claude  de  France. 

Plusieurs  ordonnances  haterent  la  reformation  et 
la  publication  des  coutumes  commencees  sous  le  re- 
gne  de  Charles  VIII  (4).  Vingt  coutumes  furent  re- 
cueillies,  ameliorees  et  publiees  de  1505  a  1515  (5). 
Des  commissaires  envoyes  danschaquebailliage  con- 
sultaient  Tassemblee  locale  ,  recueillaient  les  tradi- 
tions et  les  avis  ,  et  donnaient  a  la  loi  une  forme 

(1)  Ordonn.    des  Kois  de  Ft:,  torn.   XXI,  pag.   215  et  suiv. ; 
7fo'd.,pag.  280  et  suiv.,  298  et  suiv;—  Anciennes  Lois  francaises, 
XI,  389.  —  Voy.  Floquet,  Histoire  de  I'ficliiquier  et  du  parlement 
de  Nomnandie. 

(2)  Recueil  des  anciennes  lots  franc.,  torn.  XI,  pag.  &22.  — La 
Roche  Flavin,  Treize  livres  des  parlements  dc  France,  pag.  25- 
27.  —  Gh.  Giraud,  Du  parlement  et  du  barrcau  dans  I'anc.  Pro- 
vence, Aix,  1842. 

(3)  Godefroy,  Histoire  de  Charles  VIII,  p.  727.  L'ordonnance  de 
Charles  VIII  est  du  25  novembre  1495. 

(4)  Anciennes  lois  francaises,  torn.  XI,  pag.  457  et  609. 

(5)  Richebourg,  Coutumier  general.  Ce  sont  les  coutumes  de 
Touraine,  Melun,  Sens,  Montreuil-sur-Mer,  Amiens,   Beauvoisis^ 
Auxerre,  Chartres,  Poitou,  Maine,  Anjou,  Meaux,  Troyes,  Vitry 
Cliaumont,  Orleans,  Auvergne,  Paris ,  Angoumois  et  La  Rochelle. 


138  PUBLICATION   DBS   COUTUMES. 

definitive  qui  rendait  impossible  1'arbitraire  des  ju- 
ges  (1).  La  resistance  provinciale  ne  put  entraver 
Texecution  des  lois  generales.  Une  ordonnance  du  14 
novembre  1507  soumit  la  Normandie  aux  lois  et  or- 
donnances  qui  avaient  ete  rendues  pour  les  autres 
provinces  et  qui  n'avaient  pas  encore  ete  enregistrees 
a  rKchiquier  perpetuel  (2) . 

Un  des  principaux  soins  de  Louis  XII  fut  de  re- 
primer  la  licence  des  armees  et  de  proteger  le  paysan 
contre  la  sodatesque.  «  II  a  fait  un  bien  particulier, 
dit  Saint-Gelais  (3),  si  grand  qu'aucun  de  ses  prede- 
cesseurs  n'en  fit  oncques  guere  de  semblable ;  c'est 
d'avoir  oste  la  pillerie  que  les  gens  de  guerre  sou- 
loient  faire  sur  le  pays  qui  estoit  une  chose  insuppor- 
table au  pauvre  peuple.  »  L'excellente  organisation 
des  homines  d'armes,  due  a  Charles  VII,  fut  mainte- 
nue  et  merita  les  eloges  de  Machiavel  (4).  Quant  a 
1'infanterie  mercenaire  composee  d'etrangers,  on  re- 
connut  le  danger  de  lui  confier  la  defense  de  la  pa- 
trie  (5).  Les  Suisses  abandonnerent  la  France  an 
moment  oil  la  ligue  organisee  par  Jules  II  la 
menac.ait.  Louis  XII  s'efforca  de  leur  substituer  une 

(1)  Ancicnncs  lois  frangaises,  XI,  609. 

(2)  Ibidem,  Mb. 

(3)  Ilistoirc  dc  Louis  XII,  pag.   122. 
(li)  Voy.  pins  haul,  pag.  96. 

(5)  Machiavel  a  justement  blame"  1'emploi  des  troupes  mercenai- 
res :  «  Louis  XI  supprima  1'infanlerie  qu'il  rcmplaca  par  des  Suisses. 
Cette  faute,  que  commirent  aussi  ses  successeurs,  est  la  source  des 
maux.  de  la  France,  comme  on  le  voit  aujourdliui.  Car  ces  rois,  en 
accreditant  la  milice  helve"lique,  ont  avili  leur  propre  milice. » 
Traite  du  Prince,  chap.  13.  Malheureusement  c'etait  a  Tetat  ineme 
du  peuple,  coinine  nous  1'avons  dit  plus  haul,  que  tenait  la  neces- 
site  de  soudoyer  une  infanterie  e"trangere. 


DIMINUTION    DES    IMPOTS.  139 

infanterie  nationale ,  dont  il  confia  1'organisation  a 
deux  capitaines  celebres,  Yandenesse  et  Bayard ; 
mais  il  e"choua  comme  Charles  VII,  et  par  les  memes 
causes. 

Ce  fut  surtout  dans  ['administration  financiere 
qu'on  apprecia  la  bonte  de  Louis  XII.  II  commenca 
par  remettre  au  peuple  le  droit  de  joyeux  avenement 
qui  ne  s'elevait  pas  a  moins  de  300,000  livres  de 
monnaie  du  temps  (1).  La  taille,  qui  sous  le  dernier 
regne  avait  atteint  4,700,000  livres,  ne  depassa  ja- 
mais  2,600,000,  malgre  les  charges  multipliees  des 
guerres  d'ltalie.  Le  roi  aima  mieux  aliener  les  do- 
maines  de  la  couronne  que  de  grever  le  peuple ;  aussi 
la  reconnaissance  publique  se  manifesta-t-elle  par 
Tamour  et  le  devouement.  L'impot  se  payait  avec  une 
extreme  facilite ,  selon  le  temoignagne  de  Claude  de 
Seyssel  (2) .  Vers  la  fin  de  son  regne,  presse  par  les 
besoins  de  1'Etat ,  Louis  XII  eut  recours  a  la  vente 
des  offices  de  finances.  Sans  doute  une  pareille  res- 
source  fut  souvent  ruineuse.  Les  financiers,  qui 
achetaient  leurs  charges  fort  cher  ,  se  dedommage- 
rent  aux  depens  du  peuple  ,  et  les  successeurs  de 
Louis  XII  firent  un  odieux  abtis  de  ce  qu'il  avait 
regarde  comme  une  ressource  extreme.  Cependant  il 
sortit  quelquefois  de  bons  resultats  de  la  venalite  des 


(1)  Claude  de  Seyssel,  Louanges  du  bon  roi  Louis  X.II,  edit,  de 
Godefroy,  1615,  pag.  13. 

(2)  «  Le  peuple,  qui  a  connu  son  bon  vouloir  et  que  il  n'en  tire 
fors  ce  qui  lui  est  necessaire,  gayement  et   sans   aucun   regret, 
payeroit  tout  ce  qu'il  pourroit  la  oil,  du  temps  du  roy  Louis  onzies- 
mes,  tous  le  faisoient  mal  volontiers^et  par  force,  et  nonpar  amour. » 
Claude  de  Seyssel,  ibid.,  pag.  136. 


140  V^NALITfi    DBS    OFFICES. 

charges,  meme  des  charges  de  judicature.  En  1512, 
Louis  XII  se  vit  force  de  vendre  les  offices  de  baillis 
et  de  membres  des  parlements.  Au  premier  aspect, 
c'etait  un  scandale  revoltant  de  livrer  au  plus  offrant 
les  fonctions  qui  demandent  le  plus  de  science  et  de 
probite,  et  d'ou  dependent  la  fortune  et  meme  la  vie 
des  citoyens.  Cependant  n'oublions  pas  que  la  vena- 
lite  des  offices  de  judicature  a  contribue  a  former  ces 
families  parlementaires  ou  la  science,  la  probite  et  le 
patriotisme  etaient  hereditaires.  Les  moeurs  de  la 
magistrature  ont  eu  une  haute  influence  au  x\T  sie- 
cle,  et  on  a  pu  leur  appliquer  ces  paroles  d'un  an- 
cien  :  «  Plus  ibi  valent  boni  mores  quam  alibi  optimce 
leges  (1 ) .  >>D'ailleurs,  les  families  plebeiennes,  enrichies 
par  le  commerce,  purent  ainsi  s'elever  a  la  magistra- 
ture dont  1'election  leur  eut  peut-etre  interdit  1'acces. 
Des  le  temps  de  Louis  XII,  Claude  de  Seyssel,  etait 
frappe  de  1'ascension  rapide  des  classes  inferieures. 
«  Si  peut  un  chacun,  dit-il ,  du  dernier  etat  parvenir 
au  second,  par  vertu  et  par  diligence,  sans  autre 
moyen  de  grace  ni  de  privilege  (2).  »  Ce  second 
etat  qui  etait  la  magistrature  ,  donnait  souvent  1'a- 
vantage  sur  la  noblesse  placee  au  premier  rang.  «  On 
voit  tous  les  jours,  ajoute  le  meme  ecrivain  (3),  les 
officiers  et  ministres  de  la  justice  acquerir  les  heri- 
tages et  seigneuries  des  barons  et  nobles  hommes 
et  iceux  nobles  venir  a  telle  pauvrete  et  necessite, 

(1)  Tacite,  Mceurs  des  Germains.  —  Voy.  Appendice,  n°  I. 

(2)  Claude  de  Seyssel,  Traitc  de  la  monarchic,  Ire  partie,  cha- 
pitre  17. 

(3)  Id.,  ibid.,  2me  partie,  chap.  20. 


PROGRES   DE    LA   RICHESSE.  141 

qu'ils  ne  peuvent  entretenir  1'etat  cle  noblesse.  »  Ainsi 
la  venalite  des  charges,  au  moins  dans  1'origine,  eut 
peut-etre  autant  d'avantages  quc  d'inconvenients  (1). 

II  est  d'autres  actes  de  Louis  XII  qu'on  peut  louer 
sans  restriction  ,  par  exemple  :  la  protection  qu'il 
accorda  a  1'agriculture  et  a  Industrie.  Claude  de 
Seyssel  (2)  atteste  que  les  campagnes  etaient  mieux 
cultivees,  les  villes  plus  peuplees,  les  maisons  mieux 
baties  et  meublees  plus  sornptueusement.  Le  meme 
progres  se  faisait  remarquer  dans  les  vetements  et 
dans  la  maniere  de  vivre.  Partout  le  revenu  des  ter- 
res  et  des  benefices  s'etait  considerablement  accru. 
«  Pour  un  riche  marcband,  dit  Seyssel,  que  Ton 
trouvoit  a  Paris,  a  Rouen,  a  Lyon,  du  temps  de 
Louis  XI  ,  on  en  trouve  plus  de  cinquante  sous  ce 
regne.  »  Les  peages  illicites  qui  entravaient  la  navi- 
gation de  la  Loire  furent  supprimes  (3) .  Les  pouts  et 
chaussees  retablis  rendirent  les  communications  plus 
faciles  et  le  commerce  plus  prospere  (4). 

Louis  XII  ne  s'occupa  pas  seulement  des  interets 
materiels  de  la  France.  Ami  des  lettres  et  des  arts,  il 
s'efforca  d'en  propager  le  gout.  L'architecte  itaiien 
Giovanne  Giocondo  fut  appele  en  France,  construisit 


(1)  Montesquieu  a  defendu  la  venalite  des  offices   (Esprit  des 
lois,  liv.  V,  chap.  19).  Je  ne  pretends  pas  faire  1'apoglogie  d'un 
abus  qui  devint  funeste  dans  la  suite.  [1  n'est  question  ici  que  des 
avantages  que  la  ve'nalite'  des  offices  a  presente"s  dans  1'origine  pour  la 
constitution  d'un  corps  judiciaire  puissant  et  capable  cle  lutter  con- 
tre  le  despotisme. 

(2)  Louanges  du  bon  roi  Louis  XII,  meme  edit. ,  pag.  Ill  et 
suiv. 

(3)  Ordonn.  des  Rois  de  France,  XXI,  65. 

(4)  Ibid.,  249. 


442  PROGRES   INTELLECTUEL. 

le  pont  Notre-Dame  et,  selon  quelques  ecrivains,  le 
chateau  de  Gaillon,  splendide  residence  du  cardinal 
d'Amboise.  Jean  Lascaris  et  Demetrius  commence- 
rent  a  enseigner  la  langue  grecque  a  Paris.  «  Ainsi 
peu  a  peu  alloit  se  perdant  la  barbaric ,  »  selon  1'ex- 
pression  de  Seyssel.  La  fortune  de  Claude  Seyssei 
lui-meme  est  une  preuve  du  /ele  de  Louis  XII  pour 
les  lettres.  Italien  de  naissance,  Seyssel  fut  attire  en 
France  par  les  bienfaits  du  roi  et  nomme  a  1'eveche 
de  Marseille.  Ses  traductions  de  Justin,  d'Eusebe,  de 
Xenopbon  (Cyropedie),  de  Diodore  de  Sicile,  de  Plu- 
tarque,  contribuerent  a  faire  connaitre  a  la  France 
1'antiquite  grecque  et  latine.  Vainement  I'Universite 
de  Paris,  depositaire  des  traditions  de  la  scolastique, 
voulut  revenir  aux  habitudes  anarchiques  du 
moyen-age.  Cette  tentative  fut  reprimee  avec  ener- 
gie  (1). 

Si  Teloge  que  Claude  de  Seyssel  fait  du  gouverne- 
ment  de  Louis  XII  paraissait  suspect  de  flatterie  ou 
du  moins  d'exageration  ,  nous  invoquerions  celui 
d'un  autre  Italien.  Macbiavel  visita  quatre  fois  la 
France  sous  le  regne  de  ce  prince,  dans  les  annees 
1 300,  1501  ,  1503  ,  1510.  La  position  d'ambassa- 
deur  donnait  a  cet  observateur  intelligent  des  avanta- 
ges  dont  ses  lumieres  et  sa  froideraison  no  pouvaient 
manquer  de  profiter.  II  parle  comme  Seyssel  de  la 
puissance  et  de  la  prosperite  dc  la  France  :  «  Le 
royaumeetlesroisde  France  sontaujourd'hui,  (I  it-il  (*• , 

(1)  Anc.  lois  franf.,  torn.  XI,  pag.  301  et  395. 

(2)  Machiavel,  &tat  de  la  France.  Ce  tableau  est  presque  line  sta- 
tistique  de  la  France  tracee  par  Machiavel  au  retour  (Tune  de  ses 


TfiMOIGNAGE   DE   MACHIAVEL.  143 

plus  riches,  plus  grands  et  plus  puissants  qu'ils  n'ont 
jamais  ete...  La  couronne  s'est  enrichie  par  1'acquisi- 
tion  d'un  grand  nombre  de  domaines  considerables; 
les  autres  grands  vassaux  sont  du  sang  royal  et  inte- 
resses  a  consolider  le  trone  qui  peut  leur  revenir  (1).» 
Machiavel  loue  surtout  1'organisation  judiciaire  de 
la  France.  «  La  France ,  dit-il  (2) ,  tient  le  premier 
rang  parmi  les  Etats  bien  gouvernes.  Une  des  institu- 
tions les  plus  sages  qu'on  y  remarque  est  sans  con- 
tredit  celle  des  parlements,  dont  Fobjet  est  de  veiller 
a  la  surete  du  gouvernement  et  a  la  liberte  des  sujets. 
Les  auteurs  de  cette  institution  connaissant  d'un  cote 
Tinsolcnce  et  Tambition  des  nobles,  de  1'autre  les  ex- 
ecs auxquels  le  peuple  peut  se  porter  contre  eux,  ont 
cherche  a  contenir  les  uns  et  les  autres ,  mais  sans 
Intervention  du  roi,  qui  n'eut  pu  prendre  parti  pour 
le  peuple  sans  mecontenter  les  grands ,  ni  favoriser 
ceux-ci  sans  s'attirer  la  haine  du  peuple.  Pour  cet 
effet,  ils  ont  institue  une  autorite,  qui,  sans  que  le 
roi  eut  a  s'en  meler  ,  put  reprimer  1'insolence  des 

ambassades. Claude  deSeyssel  disaitcomrae  Machiavel :«  Le  royaume 
est  plus  riche  ,  plus  puissant,  plus  paisible,  et,en  toutes  choses,  plus 
heureux  et  mieux  traite  que  jamais  ne  fut  du  temps  de  nul  autre 
roi.  »  Ibidem,  pag.  169. 

(1)  Claude  de  Seyssel  insiste  egalement  dans  ses  Louangcs  dc 
Louis  XII  sur  la  reunion  des  grands  fiefs  aux  domaines  de  la  cou- 
ronne :  «  L'on  peut  bien  aisement  juger  quelle  doit  estre  a  present 
la  puissance  du  roy  de  France,  qui  tient  toutes  les  dictes  duchez 
comtezet  seigneuries  (Guienne,  Normandie,  Poitou,  Anjou,Tou- 
raine,  Bretagne,  Provence,  Languedoc,  Champagne ,  Dauphine )  en 
propri6t6  et  en  droict.  Et  si  sont  accrus  de  peuple ,  de  revenu  et 
de  richesses,  commme  les  autres,  ainsy  que  j'ay  cy-devant  declare* 
et  obeissent  au  roy  a  present  regnant,  mieux  que  a  roy  qui  fust  ja- 
mais en  France.  » 

(2)  Prince,  chap.  19. 


144  TfiMOIGNAGE    DE    MACHIAVEL. 

grands  et  favoriser  le  peuple.  II  faut  convenir  que 
rien  n'est  plus  propre  a  donner  de  la  consistance  au 
gouvernement  et  a  assurer  la  tranquillite  publique.  » 
Enfin  Machiavel  loue  le  sage  temperament  des  pou- 
voirs,  qui,  en  France,  s'opposait  au  despotisme.  «  Le    / 
royaurne  de  France,  dit-il  (1),  est  heureux  et  tran-        ' 
quille,  parce  que  le  roi  est  soumis  a  une  infinite  de 
lois  qui  font  la  surete  despeuples.il  dispose  des  armes 
et  des  tresors,  mais  pour  le  reste  il  est  soumis  a  1'em- 
pire  des  lois.  » 

Ici  le  genie  systematique  de  Machiavel  1'a  entraine 
trop  loin;  il  a  pris  pour  une  loi  de  la  royaute  la  mo- 
deration personnelle  de  Louis  XII  qui  laissait  les 
poetes  le  traduire  sur  la  scene  (2),  et  acceptait  volon- 
tairement  le  joug  des  lois.  II  n'en  fut  pas  de  meme 
sous  son  successeur,  qui  commenQa  le  regne  du  bon 
plaisir. 


(1)  Machiavel,  discours  sur  Tite-Livc,  disc.  I,  n°  16. 

(2)  «  II  y  avail  alors  tant  de  liberte  chez  les  Francais,  dit  le  Feron, 
que  les  comediens  representerent  en  public,  a  Paris,  le  roi  malade, 
pale,  la  tete  enveloppee,  demandant  a  boire  h  grands  cris,  mais  ne 
voulant  boire  que  de  Tor  potable,  et  Louis,  loin  de  se  facher  ou  de 
les  punir,  se  init  a  rire  et  loua  la  liberte  du  peuple.  »  Arnold.  Fer- 
ron.  lib.  Ill,  pag.  43. 


CHAPITRE  VIII. 


Sommaire. 

FRANCOIS  Ier  (1515-1547).  —  La  royaute  devient  absolue;  elle 
domine  le  clerge  par  le  concordat  (1516),  et  la  noblesse  par 
1'esprit  de  cour.  —  Administration  centrale  :  abaissement 
des  grands  officiers  de  la  couronne ;  commencement  de  la 
puissance  des  secretaires  d'Etat.  —  Administration  locale  : 
gouverneurs  de  provinces;  surveillance  organisee  dans 
tout  le  royaume;  despotisme.  —  Publication  des  coutumes; 
administration  de  la  justice  :  ordonnances  de  Cremieu  (1 536) 
et  de  Villers-Coterets  (1539) ;  grands  jurisconsultes  de  cette 
epoque.;  prevots  des  marechaux  et  marechaussee.  —  Abus 
dans  1'administration  de  la  justice  :  venalite  des  offices.  — 
Administration  des  finances  :  augmentation  des  impots; 
emprunts  forces ;  mesures  adoptees  par  Francois  I"  pour 
rendre  1'administration  des  finances  plus  reguliere  :  epargne 
ou  tresor  central ;  division  de  la  France  en  generalites ; 
budget  prepare.  —  Administration  militaire  :  ravages  exer- 
ces  par  les  bandes  d'aventuriers ;  organisation  des  legions 
provinciates  en  1534;  pen  de  succes  de  cette  institution; 
gloire  militaire  de  la  France  sous  ce  regne. 


On  peut  appliquer  au  regne  et  a  1'administration 
de  Frangois  I?r  ce  que  Voltaire  a  dit  du  xvie  siecle 
tout  en  tier  :  C'est  une  robe  tTor  et  de  sole  ensanglan- 
tde  (1).  Francois  s'est  vante  avec  raison  d'avoir  mis 
les  rois  hors  de  pages;  il  reussit,  en  effet,  a  vaincre 
tous  les  obstacles  et  a  fonder  le  despotisme.  Le  clerg6 
etait  Tordre  qui  avail  le  mieux  conserve  les  fran- 

(1)  Voltaire,  Essai  sur  les  mceurs,  ch.  118, 


U6  CONCORDAT    (1516). 

chises  du  moyen-age;  Francois  Ier  Tenchaina  autrone 
par  le  concordat  de  151 6,  qui  reservait  au  roi  la  col- 
lation des  benefices  ecclesiastiques  (1).  Ce  fut  un  pas 
de  plus  dans  ce  systeme  de  centralisation  qui  avait 
deja  place  sous  la  main  des  rois  la  justice  et  les  fi- 
nances ,  et  qui  leur  avail  subordonne  les  villes  et  la 
noblesse.  Vainement  le  parlement  et  TUniversite  ten- 
terent  de  resister;  la  royaute  triompha  aisement  de 
leur  opposition  (2) .  La  noblesse  se  laissa  seduire  par 
un  roi-chevalier;  elle  se  pressa  dans  ses  anticham- 
bres ;  elle  brigua  la  faveur  d'assister  a  son  lever  et  a 
son  coucker,  dont  1'etiquette  venait  de  regler  les 
heures  et  le  ceremonial  (3).  Le  parlement,  meme 
lorsqu'il  adressait  a  Frangois  Ter  des  remontrances, 
proclamait  la  supreme  autorite  du  roi  placee  au-des- 
sus  des  lois.  «  Nous  ne  voultfhs  pas,  lui  disait-il  par 
1'organe  de  son  premier  president  (4),  revoquer  en 
doute  votre  puissance;  ce  serait  espece  de  sacrilege. 
Nous  savons  bien  que  vous  etes  au-dessus  des  lois  et 
que  les  lois  et  ordonnances  ne  vous  peuvent  con- 
traindre;  mais  nous  entendons  dire  que  vous  ne  de- 
vez  pas  vouloir  tout  ce  que  vous  pouvez,  mais  seule- 
ment  ce  qui  est  en  raison  bon  et  equitable,  qui  n'est 
autre  que  justice.  » 

(1)  Anciennes  lois  francaises,  t.  XII,  p.  75. 

(2)  Ibid.,  p.  275-280.  —Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous 
Le  regne  de  Francois  ler,  p.  62,  63, 69  et  70. 

(3)  Archives  curieuses  de  CHistoire  de  France,  lre  serie,  t.  IV, 
p.  2/i6-2A9.  On  voit  par  une  lettre  que  Catherine  de  Me"dicis  adresse 
a  son  fils  Charles  IX  que  ce  ce"re"monial  avait  e"te  6labli  par  Fran- 
<;ois  ler,  afm  que  les  Francais  connussenl  une  facon  de  cour;  re 
qui  les  contentoit  fort. 

(A)  Anciennes  lois  francaises,  XII,  275-280. 


SECRETAIRES  D'ETAT. 

Ce  despotisme  inconteste  ne  tolera ,  dans  1'admi- 
nistration  centrale  ,  aucune  di'gnite  independante. 
Francois  n'epargna  ni  les  surintendants  des  finances 
(proces  de  Semblangay  et  de  Poncher) ,  ni  les  conne- 
tables  (proces  de  Charles  de  Bourbon),  ni  les  ami- 
raux  (proces  de  1'amiral  Chabot)  ,  ni  les  chanceliers 
(proces  du  chancelier  Poyet).  En  abaissant  les  grands 
officiers  de  la  couronne,  Francois  Ier  eleva  les  secrd- 
taires  d'Etat  et  leur  donna  une  importance  qui  gran- 
dit  rapidement.  Ces  clercs  du  secret,  comme  on  les 
appelait  primitivement ,  s'emparerent  peu  a  peu  de 
rammistration.  Florimond  Robertet  introduisit  le 
premier  I'usage  de  contresigner  les  ordonnances 
royales  (1).  L'obscurite  meme  de  ce  ministre  lui  fut 
un  litre  sous  un  prince  qui  voulait  tout  tenir  dans  sa 
dependance.  Deja,  a  la  fin  du  regne  de  Francois  Ier, 
les  secretaires  d'fitat  s'etaient  partage  la  France  et 
1'Europe.  A  cette  epoque,  leurs  departements  etaient 
divises  geographiquement :  BOCHETEL  avait  la  Nor- 
mandie,  la  Picardie,  1'Angleterre  et  1'ficosse ;  CLAUSSE, 
la  Provence,  le  Languedoc,  la  Guienne,  la  Bretagne, 
TEspagne  et  le  Portugal ;  DE  L'AUBESPINE  ,  la  Cham- 
pagne, la  Bourgogne,  la  Bresse,  la  Savoie ,  la  Suisse 
et  1'Allemagne ;  DU  THIERS,  le  Dauphine,  le  Piemont, 
Rome,  Venise  et  1'Orient  (2).  Chacun  des  secretaires 
d'Etat  etait  charge  de  la  guerre ,  des  finances ,  des 
negociations  diplomatiques  et  de  Tadministration  in- 


(1)  Voy.  sur  sa  mort  en  1527  et  sur  la  pompe  de  ses  fun^railles 
le  Journal  (Tun  bourgeois  de  Paris  sous  Francois  Ier,  pag.  330- 
331. 

(2)  Fauvelet  du  Toe,  Hist,  des  secretaires  tftitat,  Paris,  1666. 


148  GOUVERNEURS   DE    PROVINCES. 

terieure  dans  la  circonscription  geographique  qui 
lui  etait  assignee. 

Francois  Ier  voulut  que  I'administration  locale  fut 
egalement  soumise  a  sa  volonte  absolue.  Douze  gou- 
verneurs,  nommes  par  le  roi  et  revocables  a  son  gre, 
le  representaient  dans  les  douze  provinces  de  1'Ile  de 
France,  de  Normandie,  de  Picardie,  de  Champagne, 
de  Bretagne,  de  Bourgogne,  du  Lyonnais,  du  Dau- 
phine,  de  la  Provence ,  de  1'Auvergne ,  du  Langue- 
doc  et  de  la  Guienne  et  Gascogne  (1 ) .  Francois  Ier  de- 
fendit  a  tout  autre  de  prendre  dans  les  provinces  le 
titre  de  gouverneur  et  de  lieutenant-general  du 
roi  (2).  En  1542,  il  suspendit  par  une  simple  or- 
donnance  les  pouvoirs  de  tous  les  gouverneurs  (3),  et 
prouva  par  cet  acte  qu'il  n'y  avait  plus  dans  le 
royaume  qu'un  maitre ,  qu'une  autorite  souveraine. 
Enfin,  il  s'informait  soigneusement  des  homines  qui, 
dans  les  diverses  parties  de  la  France,  jouissaient 
d'une  certaine  consideration;  il  s'efforc.ait  de  les  ga- 
gner  et  de  tenir  par  eux  les  provinces  dans  sa  de- 
pendance.  Catherine  de  Medicis  vantait  beaucoup  a 
ses  fils  la  conduite  de  leur  aieul,  qui  savait  ainsi  pe- 

(1)  Voy.  sur  la  division  des  provinces  acette  ^,poque  les  Relations 
des  ambassadcurs  venitiens,  I,  Zi7,  Zi8,  Zi9,  253;  IT,  W-M3.  Le 
dernier  passage,  qui  est  de  Jerome  Lippomano,  est  surtout  d'une 
haute  importance.  Il  donnne  renumeration  et  la  description  des  pro- 
vinces :Ile  de  France,  Picardie,  Normandie,  Bretagne,  Poitou  (com- 
prenant  la  vicomtede  Turenne,  leduche  de  Touraine,  la  Marche,  le 
Limousin  et  la  Saintonge) ,  la  Guienne  et  Gascogne,  le  Languedoc, 
la  Provence,  le  Lyonnais,  dans  lequel  etaient  renfermes  le  Bour- 
bonnais  et  le  Forez,  1'Auvergne  comprenant  le  Berry,  la  Bourgogne 
et  la  Champagne. 

(2)  Anciennes  Lois  franfaises,  t,  Xir,  p,  892, 

(3)  Widem,  t.  XII,  p.  779. 


POLICE    ORGAMSfrB.  159 

netrer  jusque  dans  le  secret  des  families.  «  Je  ne 
veux  pas  oublier,  leur  dit-elle  dans  une  de  ses  let- 
tres  (1),  je  ne  veux  pas  oublier  a  vous  dire  une  chose 
que  faisoit  le  roi  votre  grand-pere  et  qui  conservoit 
toutes  les  provinces  a  sa  devotion ;  c'e"  toit  qu'il  avoit 
le  nom  de  tous  ceux  qui  e*toient  de  maison  dans  les 
provinces  et  autres  qui  avoient  autorite  parmi  la  no- 
blesse et  le  clerge,  les  villes  et  le  peuple ;  et  pour  les 
contenter,  afin  qu'ils  tinssent  la  main  a  ce  que  tout 
fut  a  sa  devotion  et  pour  etre  averti  de  tout  ce  qui  se 
remuoit  dedans  lesdites  provinces,  soit  en  general  ou 
en  particulier,  parmi  les  maisons  privees  ou  villes  et 
parmi  le  clerge,  il  mettoit  peine  d'en  contenter  parmi 
toutes  les  provinces  une  douzaine,  plus  ou  moins. 
Aux  uns  il  donnoit  des  compagnies  de  gens  d'armes ; 
aux  autres,  quand  il  vacquoit  quelque  benefice 
dans  le  meme  pays,  il  leur  en  donnoit,  comme  aussi 
des  capitaineries  des  places  de  la  province  et  des  of- 
fices de  judicature,  selon  la  qualite  de  chacun;  car 
il  en  vouloit  de  chaque  sorte  qui  lui  fussent  obliges 
pour  savoir  comment  toutes  choses  se  passoient  dans 
les  provinces.  Cela  les  contentoit  de  telle  fagon  qu'il 
ne  s'y  remuoit  rien,  du  clerge,  de  la  noblesse,  des 
villes  et  du  peuple,  qu'il  ne  le  sut,  et  en  etant  averti 
il  y  remedioit,  selon  que  son  service  le  portoit,  et  de 
si  bonne  beure  qu'il  empechoit  qu'il  n'advint  ja- 
mais  rien  contre  son  autorite  et  1'obeissance  qu'on 
devoit  lui  porter.  » 

Ainsi  la  puissance  souveraine  etait  concentree  dans 

(1)  Archives  curieuses  de  Wistoire  de  France,  lr*  s^rie,  t.  V, 
p.  253. 

I.  11 


450  PUBLICATION   DES   COUTUMES. 

les  mains  du  roi,  et  tous  les  agents  de  1'administra- 
tion  etaient  ten  us  dans  une  severe  subordination.  Les 
etrangers  qui  visiterent  la  France  a  cette  epoque,  et 
qui  nous  en  ont  laisse  la  description,  Etaient  frappes 
de  ce  despotisme.  L'ambassadeur  venitien ,  Marino 
Cavalli,  ecrivait  en  1546  (1)  :  «  II  suffit  au  roi  de 
dire  :  Je  veux  telle  ou  telle  somme  ;  j'ordonne ;  je 
consens,  et  1'execution  est  aussi  prompte  que  si  la  na- 
tion entiere  avait  decide  de  son  propre  mouvement.» 
Comment  Francois  Ier  usa-t-il  de  cette  puissance  ab- 
solue  ?  Quelle  impulsion  a-t-il  donnee  a  1'administra- 
tion  de  la  justice,  des  finances,  de  la  guerre,  au  com- 
merce, aux  lettres  et  aux  arts?  On  ne  peut  apprecier 
son  regne  qu'en  repondant  a  ces  questions. 

Francois  Ier  fit  d'abord  continuer  la  publication  des 
coutumes  locales,  et  Ton  vit  paraitre  successivement 
celles  de  La  Roclielle  (1515) ,  de  la  Saintonge,  de  la 
Marche  et  du  Bourbonnais  (1520),  de  Blois  (1522), 
du  Nivernais  (1528),  de  Montargis  (1530),  de  Senlis, 
de  Clermont  en  Beauvoisis  et  du  duche  de  Valois 
(1539).  Les  tribunaux  furent  reformes,  le  grand  con- 
seil  fut  charge  de  juger  tons  les  proces  souleves  par 
le  concordat  et  les  questions  relatives  aux  archeve- 
ches,  eveches  et  abbayes  (2).  Francois  Ier  nomma  un 
president  de  cette  cour,  et  la  chargea  de  pronon- 
cer  dans  toutes  les  discussions  qui  avaient  pour 
objet  les  offices  royaux.  Mais  ce  qui  donne  surtout 

(1)  Relations  des  ambassadeurs  vdnitiens,  1. 1,  p.  273,  dans  la 
collection  des  documents  ine'dits  de  CHistoire  de  France. 

(2J  Anciennes  Lois  francaises,  t.  XII,  p.  251.  Voy.  sur  la  lutte 
qui  s'engagea  entre  le  parlement  et  le  grand  conseil  le  Journal  d'un 
bourgeois  de  Paris  sous  Francois  I",  p.  252  et  253S 


ORDONNANCB    DE   CRBMIEU    (1536).  4  51 

une  haute  importance  a  I'administration  de  la  justice 
sous  ce  regne,  ce  sont  les  grandes  ordonnances  qui 
embrassent  tous  les  details  de  la  legislation.  L'or- 
donnance  de  Cremieu  (1 9  juin  1536)  plaga  lesjuges 
seigneuriaux  sous  la  surveillance  des  juges  royaux , 
baillis  et  senechaux,  qui  recevaient  les  appels  des 
sentences  seigneuriales,  les  modifiaient  et  cassaient  a 
leur  gre ;  en  un  mot,  restreignaient  de  plus  en  plus  la 
justice  feodale  (1).  Sur  les  reclamations  des  seigneurs, 
Francois  Ier  declara  qu'il  n'avait  pas  voulu  les  de- 
pouiller  de  leurs  droits,  et  ordonna  aux  officiers 
royaux  de  les  respecter  (2).  Mais  ceux-ci,  une  foisen 
possession  de  surveiller  les  juridictions  feodales,  ne 
cesserent  d'en  limiter  1'exercice. 

L'ordonnance  de  Villers-Coterets  (aout  1539)  eut 
encore  plus  d'importance  (3).  Elle  restreignit  lajuri- 
diction  ecclesiastique  aux  affaires  spirituelles,  et  fixa 
la  limite  entre  les  tribunaux  civils  et  ecclesiastiques, 
donna  plus  de  rapidite  a  1'administration  de  la  justice 
civile  (4),  prescrivit  que  les  proces  fussent  juges  d'a- 
pres  1'ordre  d'inscription  (5),  et  que  de  mois  en  mois 
des  mercuriales  (disco urs  prononces  lemercredi)  rap- 
pelassent  aux  juges  leurs  devoirs  et  1'importance  de 
leurs  fonctions  (6).  Une  des  dispositions  les  plus  im- 
portantes  de  1'ordonnance  de  Villers-Coterets  est  celle 


(1)  Anc.  lois  fran?.,  p.  504. 

(2)  Ibid.,  p.  533. 

(3)  Ibid.,  600. 
(A)  Ibid.,  art.  I. 

(5j  Ibid.,  I.  XII,  p.  600  etsuiv.,  art.  32-35  de  Pordonnance  de 
Villers-Coterets. 
(6)/6id.,art,  122. 


152  ORDONNANCE    DE    VILLERS-COTERETS    (1539). 

qui  ordonne  aux  cures  de  tenir  regislre  des  actes  de 
naissance  et  de  deces,  et  de  deposer  ces  actes  de  Cetat 
civil  au  greffe  du  bailliage  leplus  voisin  (1).  Jusqu'a- 
lors  la  noblesse  seule  avait  ses  archives  et  ses  litres 
defamille.  Grace  a cet article  del'ordonnance  del 539, 
toutes  les  families  purent  constater  legalemenl  leur 
genealogie  et  leur  droit  de  succession.  Le  latin  bar- 
bare  du  moyen-age  fit  place  au  franc.ais  dans  la  re- 
daction des  jugements  et  des  actes  notaries  (2).  Enfin 
1'accuse  dut  comparaitre  en  personne  dans  les  pro- 
ces  criminels;  en  supprimant  les  jugements  sur  pie- 
ces, 1'ordonnance  de  Yillers-Coterets  donnait  une  ga- 
rantie  a  l'innocence(3). 

L'honneur  de  ces  mesures  legislatives  revient  sur- 
tout  aux  jurisconsultes  qui,  a  cette  epoque,  illus- 
traient  la  France.  II  serait  injuste  d'oublier  leurs 
noms  :  Dumoulin  publiait  ses  nombreux  traites  de 
droit  et  songeait  a  faire  sortir  de  la  variete  des  cou- 
tumes  une  legislation  uniforme  (4).  Cujas  et  du  Fer- 
rier  preparaient  par  leurs  lemons  cette  generation  de 
magistrals  fermes  et  eclaires  dont  L'Hopital  est  le 
type  le  plus  illustre.  FranQois  Ier  sut  du  moins  pro- 
filer de  leurs  lumieres.  La  tenue  plus  frequente  des 
grands  jours  et  Tinstilulion  des  cours  prdvotales  eu- 
renl  pour  resullal  d'inlimider  le  crime  el  de  mainle- 
nir  1'ordre  dans  le  royaume.  Des  prfodts  des  mare'- 
chaux  furenl  elablis  par  Francois  Ief  a  Paris,  Senlis, 

(1)  Anc.  lois  franc.,  ibid.  art.  50  et54. 

(2)  Ibid.,  art.  111. 

(3)  Ibid.,  art.  162. 

(/0  Dupin,  Discours  de  rentrte  de  la  cour  de  cassation,  3  DQ- 
vembre 


PRfcVOTS    I)ES    MARCCHAUX.  153 

Beauvais,  etc.  (1);  ils  etaient  charges  principalement 
de  veiller  a  la  surete  des  grands  chemins,  de  repri- 
mer  les  vagabonds  et  de  juger  sominairement  les  ex- 
ces  et  crimes  commis  par  les  gens  de  guerre.  Une 
troupe,  nominee  mardchaussee,  maintenaitsous  leurs 
ordres  la  tranquillife  publique. 

Malheureusement,  a  cote  de  ces  mesures  excel- 
lentes,  il  faut  signaler  d'odieux  abus.  Le  despotisme 
avait  penetre  dans  Tadministration  de  la  justice  et  la 
corrompait.  L'ambassadeur  venitien,dont  nous  avons 
deja  cite  la  relation,  Marino  Cavalli,  en  fait  la  re- 
marque.  «  La  volonte  du  roi,  dit-il  (2),  est  tout 
clesormais,  meme  dans  I' administration  de  la  justice; 
car  il  n'y  a  personne  qui  ose  obeir  a  sa  conscience  et 
contredire  le  monarque ;  je  dis  cela  d'apres  ce  que 
j'ai  vu  et  non  d'apres  des  om-dire.  »  Le  roi  enlevait 
les  accuses  a  leurs  juges  naturels  par  1'etablissement 
de  commissions  extraordinaires,  comme  le  prouvent 
les  proces  de  1'amiral  Chabot,  des  freres  Poncher  et 
du  chancelier  Poyet.  II  s'enrichissait  par  la  confisca- 
tion des  biens  de  ceux  qui  etaient.  condamnes  pour 
crime  de  lese-majeste  (3)  :  il  inventait  ou  renouvelait 
le  supplice  atroce  de  la  roue  (4).  Enfin  la  venalite 
des  charges  de  judicature,  devenue  une  ressource 
fmanciere  pour  la  royaute,  degenerait  en  trafic  scan- 


(1)  Voy.  dans  le  recueil  des  Anciennes  Lois  francaiscs,  torn.  XIV, 
p.  200,  Tordonn.  de!566,  qui  rappelle  Tordonnance  de  Francois  Ier; 
comp.  le  Journal  d'nn  bourgeois  de  Paris,  sous  Francois  I",  pag. 
185,  a  1'annee  1523. 

(2)  Relations  des  ambassadeurs  veniliens,  t.  I,  p.  269. 

(3)  Anciennes  Lois  fran^aises,  XII,  590. 

(4)  Journal  d'un  bourgeois  da  Paris,  sous  Francois  Ier,  p.  452, 


154  ABUS    DK    LA   VfiNALITfi    DES    CHARGES. 

daleux.  Francois  Icr  crea  jusqu'a  des  chanibres  en- 
tieres  du  parlement  composees  d'un  grand  nombre 
de magistrals;  en  1 524,  la  creation  et  la  ventedevingt 
charges  de  conseillers  au  parlement  de  Paris  lui  va- 
lurent  soixante-dix  millelivres  tournois  (1)  (monnaie 
du  temps).  La  creation  de  seize  commissaires  au  Cha- 
telet,  de  quarante  notaires  a  Paris,  de  baillis,  etc.  (2) 
furent  encore  des  mesures  fiscales.  Beaucoup  de  ces 
juges  ne  se  faisaient  pas  scrupule  de  vendre  ce  qu'ils 
avaient  achete.  «  II  y  en  a,  dit  Marino  Cavalli  (3),  qui 
poussent  si  loin  1'envie  d'exploiter  leur  position  qu'ils 
se  fontpendre  tout  bonnement  a  Montfaucon;  ce  qui 
arrive,  lorsqu'ils  ne  savent  pas  se  conduire  avec  un 
pen  de  prudence ;  car  jusqu'a  un  certain  point  tout 
est  tottre,  principalement  si  les  parties  ne  s'en  plai- 
gnentpas.  »  La  longueur  des  procesetait  souventune 
speculation  des  juges.  «  line  cause  de  mille  ecus, 
dit  le  meme  ambassadeur  (4),  en  exige  deux  mille  de 
frais;  elle  dure  dix  ans.  » 

L'administration  financiere  de  Francois  I"  pre- 
sente  le  meme  melange  de  bien  et  de  mal.  Les  pro- 
digalites  de  la  cour  forcerent  le  roi  d'abuser  de  son 
autorite  en  matiere  d'impots.  Les  taxes  ne  cesserent 
de  s'accroitre;  la  taille  s'eleva  de  2,600,000  livres  a 
9,000,000;  la  gabelle  s'accrut  dans  la  meme  pro- 
portion; un  impot  de  1,200,000  livres  fut  affecte 


(1)  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  Francois  Ier,  p.  123- 
12Zi ;  Ceremonial  fran$ais,  par  Godefroy,  t.  If,  p.  461-462. 

(2)  Journal  d'un  bourgeois,  etc.,  p.  12/j,  125,  126, 127. 

(3)  Relations  des  ambassadeurs  vdnitiens,  I,  265. 

(4)  Ibid.,  I,  263. 


AUGMENTATION    DBS    IMPOTS.  455 

a  1'entretien  des  legions  provinciales.  On  1'appela 
I'impot  des  cinquante  mille  homines.  La  creation 
des  rentes  sur  l'H6tel-de-Ville  de  Paris,  les  prets 
forces  (1)  et  les  emprunts  a  la  banque  de  Lyon  (2) 
furent  encore  des  ressources  dangereuses  et  dont  le 
despotisme  a  souvent  abuse.  Mais  les  mesures  finan- 
cieres  qui  meritent  le  blame  le  plus  severe,  sont  le 
trafic  des  charges  de  judicature  et  1'importation  en 
France  de  I'impot  immoral  de  la  loterie  (3).  Aucune 
resistance  n'etait  possible.  Le  Journal  dun  bourgeois 
de  Paris  sous  Francois  Zer  prouve  que  les  moindres 
objections  etaient  considerees  comme  des  crimes. 
Trois  conseillers  au  parlement,  deux  ecclesiastiques 
et  un  laique,  furent  enfermes  a  la  Bastille  pour  avoir 
adresse  quelques  remontrances  au  chancelier  sur  Ta- 
bus des  emprunts  forces  (4). 

Cependant  il  ne  faut  rien  exagerer.  L'augmenta- 
tion  des  impots  etait  surtout  le  resultat  des  change- 
ments  que  la  decouverte  de  1'Amerique  avait  appor- 
tes  dans  la  valeur  du  numeraire.  Bodin  affirme 
qu'elle  varia  dans  la  proportion  d'un  a  dix.  «  L'or 
et  1'argent,  dit  cet  ecrivain  (5),  sontvenusen  si  grande 
abondance  des  Terres-Neuves,  meme  du  Perou,  que 
toutes  choses  sont  encheries  dix  fois  plus  qu'elles 
n'etoient  (6).  »  Bodin,  mieux  instruit  des  details 


(1)  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  Francois  Ier,  p.  134, 
16Zi,  319,  etc. 

(2)  Bodin,  Republique,  liv.  IV,  p.  656,  e"dit.  de  1577. 

(3)  Anciennes  lots  fran$aises,  XII,  560. 

(li)  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris,  etc.  p.  160. 

(5)  Rtpublique,  p.  6/18. 

(6)  Voy.  aussi  les  Memoires  de  Tavannes,  6dit  Petitot,  I,  239. 


156  REFORMES    FINAKC1ERES. 

d'administration  que  les  auteurs  de  memoires  et  les 
historiens  de  profession,  atteste  que  Frangois  Ier, 
malgre  le  luxe  de  sa  cour,  les  frais  enormes  de  la 
lutte  soutenue  contre  Charles-Quint  et  ses  glorieuses 
prodigalites  pour  1'encouragement  des  lettres  et  des 
arts ,  paya  toutes  les  dettes  qu'il  avait  contractees 
et  laissa  dans  le  tresor  des  sommes  considerables  (1). 
«  Depuis  que  le  grand  roi  Francois  devint  sur  1'age 
austere  et  peu  accessible,  les  flatteurs  et  sangsues 
de  cour  viderent,  et  peu  a  peu  il  menagea  si  bien, 
qu'il  se  trouva,  apres  sa  mort,  quitte  et  dix-sept  cent 
inille  ecus  en  1'epargne,  outre  le  quartier  de  mars, 
qui  etoit  pret  a  recevoir,  et  son  royaume  plein  de 
savants  homines,  de  grands  capitaines,  de  bons  ar- 
chitectes  et  de  toutes  sortes  d'artisans,  et  les  fron- 
tieres  de  son  Etat  jusqu'aux  portes  de  Milan,  et  une 
paix  assuree  avec  tous  les  princes,  et  quoiqu'tl  eut 
eu  plus  d'affaires  et  d'ennemis  que  roi  qui  rut  de 
son  temps  et  qu'il  eut  pave  sa  ranc,on,  il  embellit  ce 
royaume  de  beaux  et  grands  edifices,  villes  et  forte- 
resses.  »  Et  cependant,  ajoute  Bodin  (2),  il  avait  a  sa 
solde  des  Allemands,  Anglais,  Italiens,  Suisses,  Al- 
banais,  Espagnols. 

Un  grand  nombre  de  reglements  eurent  pour  but 
de  mettre  plus  de  regularite  dans  1'administration 
fmanciere.  Francois  Ier  crea,  en  i522,  1'epargne, 
tresor  central  ou  les  receveurs  devaient  verser,  dans 
le  delai  d'un  mois,  les  deniers  perc.us  sur  chaque 


(1)  Bodin,  Rdpublique,  liv.  V,  p.  546. 

(2)  Republique,  p.  546. 


EPARGNEJ    RECETTES   GENERALES.  157 

province  (1).  En  1543,  il  divisa  la  France  entiere  en 
seize  recettes  generates,  qu'on  nomma  dans  la  suite 
generalites  (2).  Chaque  fermier  general  y  perc.ut  tous 
les  impots,  tailles,  aides,  gabelles,  revenus  du  do- 
rnaine,  droits  d'amortissement,  batardise,  francs- 
fiefs,  etc.  Enfin  Francois  I"  ordonna  aux  receveurs 
genera ux  d'envoyer  au  commencement  de  chaque 
annee  deux  etats  de  1'epargne,  1'un  contenant  le  ta- 
bleau de  la  recette  de  1'annee  precedente,  1'autre 
celui  de  la  recette  presumee  de  1'annee  qui  commen- 
c.ait.  Le  tresorier  devait  presenter  au  roi  un  resume 
de  ces  deux  etats  avec  un  compte  des  depenses  pre- 
sumees  (3).  On  avait  ainsi  un  veritable  budget  qui 
permettait  d'etablir  la  balance  des  recettes  et  des  de- 
penses. Malheureusement  ce  reglement  de  finances 
fut  abandonne  sous  le  regne  suivant,  des  que  les 
prodigalites  de  la  cour  firent  craindre  a  Henri  II 
une  organisation  reguliere  qui  rendait  les  abus  plus 
manifestes. 

L'armee  appela  tout  specialement  Fatten tion  d'un 
roi  belliqueuxet  avide  de  conquetes.  Lescompagnies 
d'ordonnance,  organisees  par  Charles  VII  (4),  avaient 
soutenu  leur  reputation  a  Marignan  et  justifie  de 
plus  en  plus  1'eloge  qu'en  faisait  Machiavel  (5).  Le 
roi  se  borna  a  leur  prescrire  une  discipline  plus  ri- 
goureuse  (6).  En  meme  temps  s'organisait  la  cavale- 

(1)  Anciennes  lois  fran$aises,  XII,  20/i  et  230. 

(2)  Ibid.,  807.  —  Pasquier,  Recherches,  liv.  II,  ch.  vm. 

(3)  Anc.  lois  franf.,  XII,  796.  —  Bodin,  Rdpublique,  p.  662. 
(li)  Voy.  plus  haul,  p.  96. 

(5)  Ibid. 

(6)  Anc.  lois  fran?.,  t.  XII,  pag.  2  et  535. 


458  ADMINISTRATION    M1LITAIRE. 

rie  legere,  designee  sous  le  nom  de  Stradiots  ou 
ftAlbanais,  parce  qu'elle  etait  empruntee  a  la  Grece 
et  a  1'Illyrie.  Quant  a  Tinfanterie  elle  se  composait 
de  bandes  mercenaires  souvent  plus  dangereuses 
pour  la  France  que  pour  1'ennemi.  Le  Journal  d'un 
bourgeois  de  Paris  sous  Francois  /er  est  rempli  de 
details  sur  les  actes  de  brigandage  commis  par  ces 
aventuriers  (c'etait  le  nom  qu'on  leur  donnait  alors). 
Ilsserepandaientdansle  pays  par  bandes  de  deux  ou 
trois  cents  et  y  exerc.aient  d'effroyables  cruautes  (1). 
Us  infestaient  ineme  les  environs  de  Paris  (2).  II  fal- 
lut,  en  1523,  que  le  connetable  marchat  contreeux 
a  la  tete  d'un  corps  d'armee  (3).  Tous  les  vagabonds 
et  souvent  meme  des  ecoliers  se  joignaient  aeux  (4). 
Un  de  leurs  chefs  se  faisait  nommer  roi;  il  avait  des 
tresoriers,  amiraux  et  autres  officiers.  A  la  tete 
de  deux  ou  trois  mille  hommes,  il  ravagea  TAu- 
vergne,  le  Bourbonnais,  le  Limousin  et  le  Poitou, 
jusqu'au  moment  ou  le  roi  envoya  contre  lui  des 
forces  considerables  (5).  Les  orclonnances  les  plus 
severes  (6)  et  les  supplices  multiplies  (7)  ne  parvin- 
rent  pas  a  delivrer  le  royaume  de  ces  bandes  d'fl- 
venturiers  qui  en  etaient  le  fleau  (8). 

Les  Suisses,  que  Frangois  Ier  avait  repris  a  sa 

(1)  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  Francois  I",  p.  36. 

(2)  Ibid.,  p.  119. 

(3)  Ibid.,  p.  152. 
(/fl  Ibid.,  p.  116. 

(5)  Ibid.,  p.168. 

(6)  Ibid.,  p.  176. 

(7)  Ibid.,  p.  249. 

(8)  Ibid.,  p.  275-276. 


LEGIONS    PROVINCIALBS    (1534).  J  59 

solde  formaient  un  corps  bien  discipline,  mais  fort 
onereux  pour  la  France  (1),  et  qui  pouvait  au  pre- 
mier jour  se  tourner  contre  elle.  II  resolut  enfin  de 
s'en  delivrer  et  d'organiser  une  infanterie  nationale. 
En  1534,  il  forma  les  legions  provinciales  (2);  elles 
se  composaient  de  sept  legions,  fortes  chacune  de  six 
mille  hommes,  et  clehuit  mille  pionniers,  en  tout  cin- 
quante  mille  hommes.  Chaque  legionnaire  recevait 
un  ecu  d'or  par  an,  un  hoqueton  ou  casaque,  un 
halecret  ou  corselet  de  fer,  et  les  armes  offensives, 
pique,  epee,  hallebarde  (3).  «  C'etoit  une  tres-bonne 
invention,  dit  un  des  meilleurs  capitaines  de  cette 
epoque,  Blaise  de  Montluc  (4),  et  le  vrai  moyen  d'a- 
voir  toujours  une  bonne  armee  sur  pied,  comme  fai- 
soient  les  Romains.  »  Le  roi  alia  lui-meme  visiter  les 
legions  (5),  qui  regurentles  noms  des  sept  provinces 
de  Bretagne,  Normandie,  Picardie,  Bourgogne,  Dau- 
phine,  Languedoc  et  Guienne.  II  chercba  a  stimuler 
le  zele  des  legionnaires  en  leur  accordant  1'exemp- 
tion  de  tailles,  subsides  et  autres  impots  (6) ;  mais  il 
en  fut  bientot  de  cette  infanterie  comme  des  francs- 
archers  de  Charles  VII.  Trois  ans  apres  1'institution 
des  legions  provinciales,  en  1 537,  Tambassadeur  ve*  ni- 
tien  Giustiano  attestait  leur  decadence  et  en  indiquait 

(1)  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  Francois  I",  p.  MO- 
MI. 

(2)  Anciennes  lois  franf.,  t.  XII,  p.  390.— Journal  d'un  bour- 
geois de  Paris  sous  Francois  I",  p.  Ml. 

(3)  Journal,  etc.,  ibid. 

(4)  Memoires  de  Monttuc,  collection  Petitot,  lre  se"rie  torn.  XX, 
p.  385. 

(5)  Memoires  de  Martin  du  Betlay,  collection  Petitot ,  !'•  se"rie, 
t.  XVIII,  p.  264. 

(6)  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  Franfois  I",  p.  Ml. 


160  LfiGlONS    PROV1NCIALES    (1534). 

la  cause  (1)  :  «  ces  legionnaires  franc,ais,  tant  vantes, 
n'ont  pas  du  tout  reussi.  Ce  ne  sont  que  des  paysans 
eleves  dans  la  servitude,  sans  aucune  experience  du 
maniement  des  armes,  el,  comme  ils  passaient  tout- 
a-coup  de  1'extreme  asservissement  a  la  liberte  el  a  la 
licence  de  la  guerre,  il  advint  ce  qui  arrive  toujours 
dans  tout  changement  subit,  qu'ils  ne  voulaient  plus 
obeir  a  leurs  maitres.  Ainsi  les  gentilshommes  de 
France  se  sont  plusieurs  fois  plaints  a  sa  majeste  de 
ce  qu'en  mettant  les  armes  aux  mains  des  paysans  et 
en  les  affranchissant  des  anciennes  charges,  elle  les 
avail  rendus  desobeissants  et  retif's;  elle  avait  de- 
pouille  la  noblesse  de  ses  privileges,  en  sorte  que  les 
paysans  dans  peu  de  temps  deviendraient  gentils- 
hommes et  les  nobles  deviendraient  vilains.  C'est  a 
cause  de  ces  desordres  et  de  1'impossibilite  oil  sont 
ces  legionnaires  de  rien  entreprendre  que  leurs  rangs 
s'eclaircissent  tous  les  jours,  et  que  le  roi,  prive  de 
ses  propres  armes,  est  force  d'avoir  recours  £  la  va- 
leur  mercenaire.  » 

On  ne  pouvait  imputer  a  Francois  Icr  le  mauvais 
succes  de  cette  tentative  pour  organiser  urie  infanterie 
nationale;  mais  il  s'attira  de  justes  reproches  en  don- 
nant  a  la  faveur  le  commandement  des  armees.  Des 
intrigues  de  cour  ecarterent  le  connetable  de  Bour- 
bon pour  confier  1'honneurde  la  France  a  un  Bonivet. 
Ce  fut  par  des  fautes  du  meme  genre  qu'on  jeta  dans 
le  parti  de  1'Espagne  Tamiral  Andre  Doria,  le  plus 
grand  homme  de  mer  de  1'epoque.  Francois  Ier  avait, 

(1)  Relat,  des  ambassad,  venit.,  t.  i,  p.  185. 


PAUTES    ET   GLOIRE    DE    FRANQOIS    Itp.  161 

au  commencement  de  son  regne,  attire  a  son  service, 
Pedro  de  Navarre,  I'inventeur  des  mines;  mais,  dans 
la  suite,  le  roi-clievalier  meconnut  la  puissance  de 
1'artillerie,  et  s'obstina,  dans  les  plaines  de  Pavie,  a 
perdre  la  bataille  a  la  pointe  de  1'epee.  Cependant  il 
ne  faut  pas  oublier  que,  malgre  ses  fautes,  il  a  ba- 
lance la  puissance  de  Charles-Quint  et  maintenu 
1'equilibre  de  1'Europe  que  menacait  1'empereur.  La 
creation  d'une  marine,  la  protection  accordee  au  com- 
merce et  a  1'industrie,  enfin  Teclat  des  lettres  et  des 
arts  sous  Francois  Ier  ont  encore  contribue  a  effacer 
les  fautes  et  a  faire  eclater  la  gloire  de  ce  regne. 


CHAPITRE  IX. 


Sommaire. 

Suite  du  regne  de  Francois  Ier.  —  De  la  marine  francaise  a 
cette  epoque ;  fondation  du  Havre ;  flottes  equipees  par  Fran- 
c.ois  Ier;  expeditions  maritimes  des  Francais;  decouvertes 
sur  les  c6tes  de  1'Amerique  septentrionale.  —  Industrie  et 
commerce  encourages  par  Francois  Ier ;  protection  accordee 
aux  arts  et  aux  lettres ;  fondation  du  college  des  trois  lan- 
gues,  ou  college  tie  France.  —  Persecutions  contre  les  pro- 
testants.  —  Resume  de  ce  regne  :  progres  de  1'unite  politi- 
que  et  civile ;  influence  personnelle  du  roi ;  despotisme. 

HENRI  II  (1547-1559).  Reglement  relatif  au  conseil  d'Etat 
(1547).  — Administration  de  la  justice  :  institution  despre- 
sidiaux  (1551);  leur  juridiction  ;  parlement  etabli  a  Rennes 
(1553);  prevots  des  marechaux ;  puissance  supe>ieure  attri- 
buee  au  grand  conseil. — Administration  financiere  :  le  nom- 
bre  des  recettes  generales  ou  general  ites  estporte  a  dix-sept; 
juridiction  de  la  chambre  des  monnaies.  — Armee;  marine; 
expeditions  maritimes.  — Commerce  et  Industrie  :  fabriques 
de  glaces  de  Venise  introduites  par  le  Bolonais  Mutio.  — 
Protection  accordee  aux  lettres  et  aux  arts.  —  Mesures  fis- 
cales;  misere  et  me'contentement  a  la  fin  du  regne  de 
Henri  II.  —  Progres  de  la  bourgeoisie. 


Francois  Iet  fonda  a  1'embouchure  de  la  Seine  un 
port,  qui,  de  son  nom,  s'appela  d'abord  Ville  Fran- 
$oise  (Franciscopolis};  plus  tard  le  nom  populaire 
de  Havre-de-Grdce  a  prevalu.  Ainsi  fut  realisee  la 
pensee  de  Louis  XI,  qui  avail  voulu  menager  un 
asile  aux  vaisseaux  franc.ais  sur  les  cotes  de  Norman- 


464  MARINE    SOUS    FRANCOIS   Ier. 

die  (1).   Des  1524,    on  y  construisit  un   vaisseau 
dont  la  grandeur  excitait  1'admiration.  II  avait,  d'a- 
pres  le  Journal  (Tun  bourgeois  de  Paris  sous  Fran- 
gois  /er  (2),  «  cinquarite  toises  de  long,  chateau 
devant  et  chateau  derriere,  et  avait  coute  plus  de 
cent  mille  ecus  d'or.  »  Un  ambassadeur  venitien, 
qui  visita  la  France  en  1536,  donne  des  details  as- 
sez  precis  sur  la  marine  franchise  a  cette  epoque  : 
«   Des  trente  galeres,   dit-il,   que  la  France  a  en 
mer,  vingt-six  seulement  sont  en  assez  bon  etat;  les 
quatre  autrespourraient  etre  reparees  aisement.  Elles 
sont  servies  par  des  formats.  Chaque  galere  coute  a 
sa  majeste  quatre  cents  ecus  par  mois  :  le  roi  donne 
les  formats,  les  particuliers  fournissent  les  batiments 
et  pourvoient  aux  depenses.  Dans  le  port  du  Havre- 
de-Grace  en  Normandie,  on  voit  un  grand  vaisseau  de 
soixante  pieces  d'artillerie,  dont  trente  sont  de  dou- 
bles canons  ou  des  couleuvrines ;  puis  il  y  a  cinq 
galeres,  vieilles  ou  neuves,  d'une  forme  plus  ramas- 
see  que  les  notres,  mais  en  revanche  plus  hautes  et 
plus  larges  des  deux  ponts,  dont  chacun  a  son  rang 
de  rames.   Les  ponts  de  dessous  out  vingt-quatre 
pieds  de  longueur ;  les  ponts  de  dessus,  trente-six ; 
mais  les  rames  ne  sont  pas  en  grand  noinbre;  il  y  en 
a  juste  autant  qu'il  faut  pour  virer  de  bord,  pour 
doubler  un  cap,  et  autres  manoeuvres  sernblables. 
Ces  navires  portent  beaucoup  de  pieces  d'artillerie. 
II  faut  compter  en  outre  quatre  grands  galions.  » 
Dix  ans  plus  tard,  Francois  Ier  reunit  au  Havre 

(1)  Voy.  plus  haul,  p.  122. 

(2)  Journ.  d'un  bourg.  de  Paris  sous  Franc.,  J'r.,  p.  149. 


MARINE    SOUS    FRANCOIS   I*.  165 

une  flotte  composee,  si  Ton  en  croit  Martin  du  Bel- 
lay  (1),  de  cent  cinquante  gros  vaisseaux  ronds,  de 
vingt-cinq  galeres  et  de  soixante  petits  batiments. 
Les  galeres  de  la  Mediterranee  faisaient  respecter  le 
pavilion  frangais  sur  les  cotes  d'ltalie  et  d'Espagne. 
Elles  etaient  servies  par  des  formats,  et,  quand  on 
manquait  de  rameurs,  on  faisait  la  presse  de  tous  les 
vagabonds  que  Ton  embarquait  de  force.  C'est  ce 
qu'atteste  le  Journal  dun  bourgeois  de  Paris  (2)  : 
«  En  1'an  1526,  ledimanche  28  Janvier,  furentman- 
des  a  I'Hotel-de-Ville  de  Paris,  par  les  prevots  et 
echevins  d'icelle  et  de  par  la  cour  [de  parlement], 
tous  les  archers,  arbaletriers  et  deux  marguilliers  de 
cbaque  paroisse  de  la  ville  et  des  faubourgs,  pour 
prendre  tous  les  mauvais  garcons  et  gens  mal  re- 
nommes,  pour  les  mener  dedans  les  galeres  par  force 
enferres.  »  L'auteur  raconte  ensuite  que  Ton  ferma 
les  portes  de  la  ville,  et  que  pendant  douze  jours  on 
arreta  les  vagabonds  que  Ton  dirigea  vers  Marseille 
pour  servir  sur  les  galeres  (3).  Un  grand  nombre 
d'ordonnances  prouvent  que  le  roi  s'occupait  avec 
zele  de  la  marine ;  elles  reglerentla  juridiction  mari- 
time (4),  1'institution  des  gardes-cotes  qui  veillaient 
a  la  defense  du  littoral,  le  partage  des  prises,  ainsi 
que  les  droits  de  Tamiral  et  de  ses  lieutenants  (5). 
Les  marins  francos  n'avaient  pas  attendu  Timpul- 

(1)  Mdmoires  de  Martin  du  Be  Hay,  6dit.  Petitot,  t.  II,  p.  564. 

(2)  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  le  regne  de  Fran- 
cois 7er,  p.  272. 

(3)  Ibid.,  p.  273. 

(4)  Relations  des  ambassad.  venit.,  L  I,  p.  95. 

(5)  Anc.  lois  franf.,  XII,  137  et  854. 

I.  12 


466  DtiCOUVERTES   MARITIMES. 

sion  royale  pour  rivaliser  avec  les  Espagnols  et  les 
Portugais.  Les  Normands  pretendaient  meme  avoir 
devance  ces  peuples  sur  les  cotes  d'Afrique  et  d'A- 
merique.  C'etait,  selon  eux  (1),  au  capitaine  dieppois, 
Cousin,  et  a  son  compagnon  Vincent  Pinion  que  de- 
vait  revenir  1'honneur  de  la  decouverte  du  Nouveau- 
Monde.  Sans  entrer  dans  ces  discussions,  on  ne  peut 
nier  1'ardeur  et  les  succes  des  marins  normands  au 
xvie  siecle,  de  Gonneville  qui,  en   1503,  doubla  le 
cap  de  Bonne-Esperance  et  parvint  aux  Indes  orien- 
tales  presque  aussitot  que  les  Portugais,  de  Jean  De- 
nis, de  Thomas  Ango,  qui,  en  1504  et  1508,  abor- 
derent  a  Terre-Neuve  (2).   Mais  ce  fut,  surtout,  & 
1'epoque  de  Francois  I"  que  les  expeditions  mari- 
times  prirent  un  grand  developpement.  En  1529, 
les  deux  freres,  Jean  et  Raoul  Parmentier,  allerent 
a  Sumatra  sur  les  navires  la  Pensee  et  le  Sacre.  Le 
journal  de  leur  expedition,  publie  par  M.  Estancelin 
dans  son  bistoire  des  expeditions  maritimes  des  Nor- 
mands, constate  qu'il  y  avait  dans  1'equipage   un 
Frangais,  nomme  Jean  Masson,  a  qui  1'usage  de  la 
langue  malais  etait  familier  (3). 

Francois  Ier  encouragea  ces  expeditions  maritimes. 
Par  ses  ordreset  ases  frais,  le  Florentin  J.  Verazzano 
parcourut  la  cote  orientale  de  I'Amerique  du  Nord, 
depuis  Terre-Neuve  jusqu'a  la  Virginie  (4).  Jacques 

(1)  On  trouvera  ces  opinions  developpees,  avec  les  preuves  plus 
ou  moins  authentiques,  dans  les  Expeditions  maritimes  des  Nor- 
mands, par  M.  Estancelin,  et  I'Histoire  de  Dieppe,  par  M.  Vitet. 

(2)  Vitet,  ibid.,  II,  146. 

(3)  Idem,  ibid.,  p.  73  et  suiv. 

(A)  Voy.  sur  ces  toQUYertes  maritimes  un  ouvrage 


INDUSTRIE   ET   COMMERCE.  467 

Cartier  remonta  le  fleuve  Saint-Laurent  et  reconnut 
les  cotes  du  Canada  (1534-1535)  (1).  Peude  temps 
apres,  une  nouvelle  expedition  mit  a  la  voile  sous  les 
ordres  de  Jean  de  la  Roque,  sieur  de  Roberval,  que 
Francois  Ier  avait  nomm6  vice-roi  du  Canada.  II  ex- 
plora  la  partieseptentrionalede  cette  contreede  1541 
a  1544. 

L'essor  de  la  marine  francaise  et  les  relations 
qu'elle  entretint  avec  les  contrees  lointaines  donne- 
rent  une  vive  impulsion  au  commerce  et  a  Findus- 
trie ;  ici  encore  Francois  I"  seconda  1'elan  national 
par  de  sages  mesures.  II  appela  en  France  des  ou- 
vriers  italiens  habiles  a  travailler  la  soie  (2),  et  im- 
prima  une  grande  activite  aux  fabriques  de  soieries 
etablies  a  Tours.  En  1546,  1'ambassadeur  venitien, 
Marino  Cavalli,  y  comptait  huitmille  metiers  (3).  Les 
plantations  de  muriers  se  multipliaient;  on  luttait 
contre  le  climat  pour  1'education  du  ver  a  soie.  «  On 
tachait  de  reussir  a  force  d'industrie,  »  dit  Marino 
Cavalli  (4).  Pour  encourager  la  fabrication  indigene, 
Francois  Ior  frappa  de  droits  considerables  Tentree 
des  draps  Grangers  (5).  Les  etoffes  d'or  et  d'argent, 
que  la  France  tirait  de  1'Italie  et  dont  le  luxe  de- 
venait  ruineux,  furent  probibees  (6).  En  meme  temps, 

Discours  sommaire  du  commerce  et  de  la  navigation ,  par  Tho- 
mas Lefevre,  sieur  du  Grand-Hamel,  p.  198. 

(1)  Idem,  Ibid.,  p.  199. 

(2)  Relations  des  ambassad.  venit.,  [ ,  259.  —  De  Thou ,  Hist, 
de  son  temps,  liv.  CXXIX,  ch.  13. 

(3)  Relat.  des  ambas.  venit.,  I,  259. 
(/i)  Ibidem. 

(5)  Anciennes  lois  fran$.9  XII,  552. 

(6)  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  Francois  7",  p.  50- 
53,  et  p.  455. 


468  INDUSTRIE    ET   COMMERCE. 

le  roi  encourageait  les  exportations  des  produits  de 
1'industrie  et  de  1'agriculture  franchise.  On  exportait 
chaque  ann6e  des  vins  de  France  pour  plus  de  quatre 
millions  de  monnaie  du  temps  (1).  Les  laines  com- 
munes et  le  sel  etaient  aussi  1'objet  d'un  commerce 
avantageux  (2).  L'abolition  des  peages  illicites  etablis 
depuis  plus  de  cent  ans  sur  les  bords  de  la  Loire  (3), 
fut  encore  une  mesure  favorable  au  commerce.  L'u- 
niformite  d'aunage  fut  etablie  (4),  malheureusement 
pour  peu  de  temps.  Les  corporations  industrielles 
conserverent  leur  monopole;  mais  ce  ne  fut  pas  sans 
peine,  et  une  des  plus  importantes,  la  corporation 
des  boulangers  de  Paris,  fut  meme  un  instant  suppri- 
mee  en  1524  (5);  il  est  vrai  qu'elle  obtint  bientot 
d'etre  retablie,  moyennant  finance.  Le  roi  se  borna  a 
saisir  1'argent  de  la  confrerie  des  boulangers.  II  en 
usa  de  meme  a  1'egard  des  autres  corporations  en 
1533,  et  il  exigea  qu'on  lui  payat  pour  les  lettres  de 
maitrise  dix  livres  au  lieu  de  trente  sous  parisis  (6). 
II  faut  se  rappeler,  en  parlant  de  1'industrie  sous 
le  regne  de  Francois,  que  les  progres  du  luxe  et  li- 
mitation de  1'Italie  contribuerent  puissamment  au 
developpement  du  gout.  On  admire  encore  aujour- 
d'hui  1'elegance  des  costumes  et  la  recherche  inge- 
nieuse  des  ameublements  de  cette  epoque. 

(1)  Relations  des  ambassad.  vdnit.,  I,  253. 

(2)  Ibidem,  p.  255. 

(3)  Anc.  Lois  frang.,  XII,  p.  Zj3. 
(k)  Ibidem,  p.  640. 

(5)  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  Francois  /",  p.  192 
et  193. 

(6)  Ibid.,  p. 


PROTECTION   ACCORDEE    AUX    ARTS    ET    AUX    LETTRES.      169 

Comment  oublier  en  parlant  de  Francois  I"  la 
protection  qu'il  a  accordee  aux  lettres  et  aux  arts  et 
qui  lui  a  valu  le  glorieux  nom  de  pere  des  lettres! 
Les  artistes  appeles  d'ltalie,  Leonard  de  Vinci,  le 
Rosso,  le  Primatice,  Andre  del  Sarto ,  Benvenuto 
Cellini ,  et  leurs  disciples  francais ,  Pierre  Lescot, 
Jean  Cousin,  Jean  Gougeon,  Germain  Pilon,  Phili- 
bert  de  Lorme,  eleverent  et  ornerent  les  palais  du 
Louvre,  de  Chambord,  de  Madrid,  de  Villers-Cote- 
rets,  de  Folembrai,  ainsi  que  la  galerie  de  Fontaine- 
bleau.  Franc. ois  Ier  eut  voulu  attirer  a  sa  cour  Mi- 
chel-Ange,  Erasme  et  Melancthon.  II  ne  negligea 
rien  pour  donner  aux  lettres  un  brillant  essor ;  il  pro- 
digua  ses  faveurs  a  Clement  Marot  et  a  Mellin  de 
Saint-Gelais.  II  mit,  par  la  fondation  du  college  des 
trois  langues  ou  college  de  France,  le  haut  enseigne- 
ment  au  niveau  des  progres  accomplis  depuisle  com- 
mencement du  xvie  siecle.  L'universite  de  Paris  etait, 
a  cette  epoque,  en  pleine  decadence ;  elle  n'ensei- 
gnait  ni  grec,  ni  hebreu,  et  son  latin  ne  ressemblait 
en  rien  a  la  langue  de  Ciceron  et  de  Yirgile.  Des 
1518,  Francois  I"  avait  forme  le  projet  de  fonder  un 
etablissement  oil  Ton  fit  des  cours  de  grec,  d'hebreu 
et  d'eloquence  latine.  Les  lettres  de  Guillaume  Bude 
prouvent  que  le  roi  s'entretenait  souvent  de  ce  projet 
avec  1'eveque  de  Paris,  Etienne  Poncher,  et  avec  son 
confesseur,  Guillaume  Petit.  Enfin,  en  1529,  il  fonda 
le  college  royal  ou  college  des  trois  langues,  ainsi 
nomme  parce  qu'on  y  enseignait  le  latin,  le  grec  et 
Thebreu.  Francois  Ier  ne  tarda  pas  ajouter  a  ces 
trois  chaires  des  cours  de  medecine,  de  mathema- 


470  FONDATION   DU    COLLEGE   DE    FRANCE. 

tiques  et  de  philosophic  grecque  et  latine.  Cette  der- 
niere  chaire  fut  confiee  en  1543  au  celebre  Ramus 
ou  Pierre  de  la  Ramee.  Uuniversite  voulut  vainement, 
au  nom  de  ses  privileges,  resister  a  la  fondation  du 
college  royal;  elle  cut  contre  elle  1'opinion  publique, 
dont  Marot  se  fit  Tinterprete.  II  disait  au  roi  en  par- 
lant  de  la  Sorbonne  : 


«  Bien  ignorante  elle  est  d'estre  ennemie 
De  la  trilingue  et  docte  Academic 

Qu'as  erigee 

O  povres  gens  de  savoir  tout  cliques ! 
Bien  faites  vray  ce  proverb e  courant : 
Science  n'ha  haineux  que  1'ignorant.  » 


Guillaume  Bude  et  Pierre  du  Chatel  furent  charges 
d'acheter  en  Italic  de  precieux  manuscrits  pour  la 
bibliotheque  du  roi  (1).  line  imprimerie  royale,  des- 
tinee  specialement  a  la  reproduction  des  ouvrages 
grecs,  fut  etablie  en  1539  (2).  Enfm,  parmi  les  cau- 
ses qui  favoriserent  les  progres  des  lettres  et  des 
arts,  on  doit  tenir  compte  de  1'influencede  cette  cour 
spirituelle ,  ou  le  roi  et  sa  soeur,  Marguerite  d'A- 
lengon,  cultivaient  la  poesie  avec  une  ingenieuse 
elegance. 

Cependant  ii  manqua  aux  lettres,  sous  ce  regne,  la 
liberte  dont  elles  avaient  si  largement  us6  et  peut- 


(1)  De  Thou,  liv.  I;  ch.  6 ;  Sleidan,  liv.  XIK,  aux  annSes  15ZiO  et 
15Zi7.  Une  mission  semblable  fut  donnee  a  Lemasson  (Latomus). 

(2)  Les  lettres-patentes  du  17  Janvier  1538  (1539)  ont  et6  impri- 
m6es  dans  Touvrage  de  M.  Crapelet,  intitule  :  Des  progres  de  rim- 
primer  ie  en  France  et  en  Italic  au  XV P  siecle. 


PERSECUTION  DBS  PROTESTANTS.          <71 

etre  abuse  a  1'epoque  de  Louis  XII.  Des  1515,  il 
fut  severement  defendu  de jouer,  dans  les  colleges 
de  Paris,  aucune  farce  contre  1'honneur  du  roi  et  de 
ceux  qui  1'entouraient  (1).  Les  infractions  etaient  ri- 
goureusement  punies ;  un  pretre,  pour  avoir  represente 
une  piece  satirique,  fut  cruellement  battu,  et  peu 
s'en  fallut  qu'il  ne  fut  jete  a  la  Seine  (2).  En  1513, 
trois  baladins ,  pour  avoir  represente  une  farce  sur 
la  mere Sotte,  qui,  disaient-ils ,  gouvernait  tout  en 
cour,  furent  arretes ,  lies  et  conduits ,  les  fers  aux 
pieds  et  aux  mains,  a  Amboise  ou  etait  ie  roi  (3).  La 
liberte  de  conscience  n'etait  pas  mieux  respectee 
sous  ce  regne.  La  publication  recente  du  Journal 
d'un  bourgeois  de  Paris,  de  1515  a  1536,  atteste 
combien  fut  cruelle  la  persecution  dirigee  contre  les 
protestants.  II  fallut  que  le  pape  Paul  III  intervint 
en  leur  faveur.  II  representa  au  roi  que  Dieu  avait 
plus  use  de  misericorde  que  de  rigoureuse  justice,  et 
il  le  pria  de  moderer  sa  fureur  en  faisant  grace  et 
pardon  (4).  Ce  fut  en  1535  que  le  pape  s'interposa 
entre  le  roi  et  ses  sujets  heretiques.  La  persecution 
fut,  en  effet,  suspendue  pendant  quelque  temps,  mais 
elle  recommence  vers  la  fin  du  regne ;  et  les  massa- 
cres de  Cabrieres  et  de  Merindol  signalerent  triste- 
ment  les  dernieres  annees  de  Francois  Ier  (5) . 

Malgre  ces  tacbes  de  sang ,  le  regne  de  Fran- 
cois Ier  est  un  de  ceux  qui  ont  donne  1'impulsion  la 

(1)  Manuscrits  de  la  Bibl.  iinpe"r.,  collect.  Du  Puy,  n°  83. 

(2)  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris  sous  Francois  Jer,  p.  ill. 

(3)  Ibib.,  p.  M. 

(4)  Ibid.,  p.  658. 

(5)  De  Thou,  Hist,  de  son  temps,  liv.  VI. 


172          PROGRES  DE  L' UNITE  MONARCHIQUE. 

plus  vigoureuse  a  radministration  monarchique  et  le 
plus  hate  le  triomphe  de  1'unite  francaise.  Ce  roi- 
chevalier  continua,  sous  une  autre  forme,  I'oeuvre  de 
Louis  XI.  La  noblesse,  seduite  par  la  generosite  et 
1' eclat  de  son  caractere ,  supporta,  d'un  roi  qu'elle 
aimait,  des  attaques  qui,  dans  d'autres  temps,  avaient 
provoque  une  guerre  civile.  Le  droit  de  chasse  fut  li- 
mite  (1).  Les  justices  seigneuriales  de  Paris  furent 
reunies  au  domaine  de  la  couronne,  parce  qu'une 
pareille  diversite,  disait  1'ordonnance  (2),  «  ne  pou- 
vait  produire  en  im  corps  politique  que  tout  desor- 
dre  et  confusion,  contentions,  questions,  debats,  im- 
punite  d'homicides,  etc.  »  Le  roi  assujettit  a  la  taille 
les  biens  roturiers  tenus  par  des  gentilshommes  (3). 
II  declara  que  leurs  proces  criminels,  au  lieu  de  res- 
sortir  exclusivement  a  la  grand'chambre  clu  parle- 
ment  de  Paris,  seraient  juges,  comme  les  autres,  a  la 
Tournelle  (4).  II  defendit  aux  nobles  de  placer  des 
gardes  dans  les  proprietes  qu'entouraient  les  do- 
maines  du  roi  (5).  Enfm  il  leur  interdit,  sous  peine 
de  mort,  de  prendre  les  armes  sans  permission  spe- 
ciale  (6).  Ce  n'etait  pas  la  une  vaine  menace.  On  voit, 
en  effet,  dans  le  Journal  d'un  bourgeois  de  Paris 
sous  Francois  /er  (7j,  qu'un  gentilhomme  eut  la  tete 

(1)  Anc.  lois  franc.,  XII,  49. 

(2)  Ibid. ,  665. 

(3)  Ibid.,  XH,  671.  —  Une  ordonnance  du  26  mars  1543  (Ibid., 
p.  875)  soumit  a  la  laille  les  nobles  et  ecclesiasliques  du  Langue- 
doc. 

(fylbid.,  p.  681. 

(5)  Ibid.,  p.  892. 

(6)  Ibid.,  p.  910. 

(7)  /owrnaf,  etc.,  p.  159-160. 


INFLUENCE    PERSONNELLE    DE    FRANgOlS   ler.  173 

tranchee  devant  1'Hotel-de-Ville  de  Paris,  parce  qu'au 
moment  ou  les  Anglais  envahissaient  la  Picardie  il 
avail  leve  des  troupes  sans  1'aveu  du  roi.  II  suffit  de 
rappeler  de  pareils  faits  pour  constater  le  progres  ac- 
compli sous  ce  regne  vers  1'egalite  civile  et  1' unite 
administrative. 

On  ne  saurait  ornettre,  en  parlant  de  Frangois  Icr, 
1'influence  personnelle  du  roi,  cette  chaleur  d'ame, 
cette  vivacite  toute  frangaise  qui  en  faisait  le  type 
le  plus  vrai  et  le  plus  energique  du  genie  natio- 
nal. Frangois  Ier  enlevait  les  cceurs  par  sa  magnani- 
mite.  La  Rochelle  s'etant  revoltee  contre  1'augmen- 
tation  de  la  gabelle,  lorsqu'il  eut  reduit  cette  ville  a 
1'obeissance,  il  dit  aux  bourgeois  qu'il  serait  pleine- 
ment  dans  son  droit  s'il  les  punissait  dans  leurs 
corps  et  dans  leurs  biens,  mais  qu'il  ne  demandait 
rien  que  les  coeurs  de  ses  sujets;  leur  chatiment  se- 
rait dans  le  souvenir  de  leur  mauvaise  conduite ,  qui 
etait  d'autant  plus  criminelle  qu'au  moment  de  leur 
sedition  il  etait  occupe  a  la  defense  du  royaume  : 
«  Je  veux  que  vous  sonniez  vos  cloches,  s'ecria-t-il ; 
car  vous  etes  pardonnes.  »  II  leur  rendit  les  clefs  de 
leurs  portes  et  1'artillerie  de  leurs  murailles  (1). 

Les  etrangers  etaient  frappes,comme  les  Frangais, 
de  la  superiorite  de  ce  prince.  Void  le  portrait  que 
1'ambassadeur  venitien  ,  Marino  Cavalli ,  tracait  de 
Frangois  Ior,  un  an  avant  sa  mort,  en  1546  :  «  Le 
roi,  disait-il,  est  maintenant  age  de  cinquante-quatre 
ans;  son  aspect  est  tout-a-fait  royal,  en  sorte  que  , 

(1)  L.  Ranke,  Histoire  de  France ,  prindpalement  pendant  le 
le  XVII*  siecle,  1, 122. 


474  CARACTERE  DE  FRANQOIS  Iep. 

sans  avoir  jamais  vu  sa  figure  ni  son  portrait,  ale 
regarder  seulement,  on  dirait  aussitot :  Cest  leroi. 
Tous  ses  mouvements  sont  si  nobles  et  si  majestueux 
que  nul  prince  ne  saurait  1'egaler  (1 ) .  Son  temperament 
est  robuste,  malgre  les  fatigues  excessives  qu'il  a  tou- 
jours  endurees  et  qu'il  endure  encore  dans  tant  d 'ex- 
peditions et  de  voyages.  II  y  a  bien  peu  d'hommes 
qui  eussent  supporte  de  si  grandes  adversites. , . . 

II  aime  la  recherche  dans  son  habillement, 

qui  est  galonne  et  chamarre,  riche  en  pierreries  et  en 
ornements  precieux ;  ses  pourpoints  memes  sont  bien 
travailles  et  tissus  en  or  ;  sa  chemise  est  tres-fine,  et 
elle  sort  par  1'ouverture  du  pourpoint,  selon  la  mode 
de  France...  Ce  prince  est  d'un  jugement  tres-sain, 
d'une  erudition  tres-etendue ;  il  n'est  chose,  ni  etude, 
ni  art ,  sur  lequel  il  ne  puisse  raisonner  tres-perti- 
nemment,  et  qu'il  ne  juge  d'une  maniere  aussi  assu- 
ree  que  ceux-la  memes  qui  y  sont  specialement  adon- 
nes.  Ses  connaissances  ne  se  bornent  pas  simple- 
ment  a  1'art  de  la  guerre,  a  la  maniere  d'approvision- 
ner  une  armee ,  de  dresser  un  plan  de  bataille  ,  de 
preparer  les  logements,  de  donner  1'assaut  a  une  ville 
ou  bien  de  la  defendre,  de  diriger  1'artillerie ;  il  ne 
comprend  pas  seulement  tout  ce  qui  a  trait  a  la 
guerre  maritime,  mais  il  est  tres-experimente  dans  la 
chasse,  dans  la  peinture,  en  litterature,  dans  les  lan- 
gues,  dans  les  differents  exercices  du  corps  qui  peu- 
vent  convenir  a  un  bon  chevalier.  Sa  Majeste  par- 
ti) Relations  des  ambassad.  venit.,  t.  I,  p.  279.  —  On  ne  peut 
accuser  de  flatlerie  des  documents  qui  e"taient  destines  a  rester  en- 
sevelis  dans  les  archives  de  la  puissance  la  plus  defiante  de  TEurope. 


PLA1NTES  CONTRE   LE  DESPOTISME.  175 

donne  facilement  les  offenses ;  elle  se  reconcilie  de 
bon  coeur  avec  ceux  qu'elle  a  offenses ;  elle  est  aussi 
prete  a  donner,  quoique  la  necessite  du  temps  ait  un 
peu  tempere  cette  envie  de  largesses.  » 

Cependant,  vers  la  fin  du  regne  de  Frangois  Icr,  le 
despotisme  commengait  a  paraitre  bien  pesant.  En 
4546,  1'ambassadeur  venitien ,  Marino  Cavalli,  signa- 
lait  les  premiers  symptomes  d'opposition.  «  La  chose 
est  allee  si  loin,  disait-il  (1),  que  quelques-uns  des 
Frangais  qui  voient  un  peu  plus  clair  que  les  autres 
disent  :  «  Nos  rois  s'appelaient  jadis  reges  Franco- 
rum;  a  present  on  peut  les  appeler  reges  servorum.  » 
iNeanmoins  la  plupart  des  Frangais  etaient  encore 
devoues  au  roi  et  disposes  a  lui  donner  «  non-seule- 
ment  leurs  biens  et  leurs  vies,  mais  meme  leur  hon- 
neur  et  leur  ame  (2).  »  Les  finances  etaient  toujours 
a  la  disposition  absolue  du  Souverain  :  «  On  paie  au 
roi  tout  ce  qu'il  demande ,  puis  tout  ce  qui  reste  est 
encore  a  sa  merci  (3).  »  La  formule  celebre,  car  tel 
est  noire  bon  plaisir,  adoptee  par  Frangois  I01  dans 
ses  ordonnances  et  lettres  royaux,  resume  le  carac- 
tere  d'une  autorite  qui  n'avait  d'autre  regie  que  son 
caprice. 

Le  successeur  de  Frangois  Ier,  Henri  II  (1547- 
1559),  exagera  le  mal  et  amoindrit  le  bien.  Le  mal 
tenait  au  systeme  qui  fut  continue  par  le  nouveau 
roi;  le  bien  etait  le  resultat  du  caractere  loyal,  de 
Tame  elevee,  de  1'esprit  ingenieux  de  Frangois  Ier. 

(1)  Relations  des  ambassad.  venit.,  I,  273. 

(2)  Ibid.,  p.  269. 

(3)  Ibid.,  p.  273. 


176  HENRI  ii  (1547-1559). 

Heritier  de  ses  defauts,  son  fils  ne  le  fut  pas  de  ses  qua- 
lites.  Cependant  1'impulsion  donnee  se  soutint  quel- 
que  temps,  et  Ton  peut  encore  signaler  quelques 
progres  administratifs,  sous  le  regne  de  Henri  II.  Un 
des  premiers  actes  du  nouveau  souverain  fut  un  re- 
glement  pour  le  conseil  d'Etat  (3  avril  1547)  (1).  Ce 
conseil,  institue  par  Philippe-le-Bel,  avait  subi  plu- 
sieurs  transformations.  Charles  VIII  et  Louis  XII  en 
avaient  detache  le  grand  conseil,  dont  nous  avons  vu 
1'organisation  et  la  competence.  Quant  au  conseil 
d'Etat  ou  conseil  prive  du  roi,  il  importait  d'en  de- 
terminer nettement  les  attributions.  Henri  II,  apres 
avoir  regie  quels  seraient  les  membres  du  conseil 
prive  leur  ordonna  de  se  rennir  tous  les  matins  avec 
les  secretaires  d'Etat,  pour  trailer  les  matieres  politi- 
ques  et  les  questions  de  finance.  Un  second  conseil 
se  tenait  1'apres-diner  pour  rediger  les  depeches  que 
les  secretaires  d'Etat  devaient  expedier  dans  les  pro- 
vinces ou  dans  les  pays  etrangers  (2).  Quelques  an- 
nees  plus  tard,  les  conseillers  d'Etat  obtinrent  de 
sieger  au  parlement. 

(1)  Ce  reglement  se  trouve  dans  un  manuscrit  de  la  Bibl.  imper. , 
f.  de  Sorbonne,  n°  1080,  f°  8  et  suiv.  Gomme  c'est  une  premiere 
organisation  du  conseil  d'Etat,  il  m'a  paru  necessaire  de  le  publier 
textuellement.  On  le  trouvera  a  1'appendice  n°  II. 

(2)  Ibid.,  f°  51.  Le  parlement  de  Paris  en  enregistrant  cette  or- 
donnance  de  Henri  II  declara  «  qu'il  n'y  avoit  personne  en  cette 
compagnie  qui  portal  envie  a  1'honueur,  a  la  faveur ,  dignite  et  au- 
torite  qu'il  plaisoit  au  seigneur  roi  donner  a  ceux  de  son  conseil 
prive  et  qu'il  sembloit  estre  raisonnable  que  ceux  a  qui  ledit  sei- 
gneur roi  avoit  tant  fait  de  faveur  et  cUhonneur  que  de  les  appro- 
cher  pres  de  sa  personne  et  leur  communiquer  les  principals  et 
plus  importantes  affaires  de  son  royaume  eussent  de  telles  preemi- 
pences  et  prerogatives  par-dessus  les  autres.  » 


INSTITUTION   DBS   PRtiSIDIAUX.  177 

L'6tablissement,  en  1551,  des  tribunaux  connus 
sous  le  nom  de  presidiaux  a  ete  une  des  principales 
institutions  de  Henri  II  (1).  Elle  lui  fut  peut-etre  in- 
spiree  par  une  pensee  fiscale.  De  Thou  le  pretend  (2); 
mais  ce  qui  est  certain,  c'est  qu'elle  tourna  a  1'avan- 
tage  general.  Les  parlements  ne  pouvaient  suflire  a 
la  multitude  des  affaires,  et  les  temoignages  les  plus 
irrecusables  s'accordent  pour  reconnaitre  que  les 
proces  etaient  interminables  (3).  Etablis  dans  un 
petit  nombre  de  villes,  les  parlements  avaient  un  role 
politique  autant  que  judiciaire ;  ils  formaient  des  tri- 
bunaux d'un  ordre  superieur,  dont  la  mission  etait 
surtout  de  juger  les  appels.  II  restait  a  organiser 
les  juridictions  inferieures,  et  a  mettre  un  terme  aux 
conflits  perpetuels  entre  les  justices  seigneuriales, 
les  vicomtes,  bailliages  et  senechaussees.  L'ancienne 
monarchic  n'y  reussit  jamais  completement,  embar- 
rassee  qu'elle  etait  par  les  entraves  feodales;  mais 
du  moins  1'institution  des  presidiaux  lui  fit  faire  un 
pas  dans  cette  voie.  Leur  organisation  et  leur  com- 
petence furent  reglees  par  plusieurs  ordonnances. 

Les  trente-deux  presidiaux  etablis  par  Henri  II 
devaient  etre  composes  d'au  moins  sept  jugcs,  cha- 
cun ;  ils  avaient  une  juridiction  civile  et  criminelle. 
Au  civil,  leurs  sentences  etaient  sans  appel  pour  les 
proces  ou  il  ne  s'agissait  pas  de  plus  de  250  livres  de 


(1)  Anciennes  lois  franc.,  XII,  248.  —  De  Thou,  liv.  VIII. 

(2)  «  Venalium  magistratuum  jam  tune  grassante  malo.  »  De 
Thou,  Ibid. 

(3)  Ret.  des  ambassad.  vdnit.,  t.  It  p.  263, 


478  PARLBMENT  DE   RENNES   (1553). 

capital  ou  de  10  livres  de  rente  (1).  Si  la  somme  ne 
depassait  pas  300  livres  de  capital  ou  20  livres  de 
rente,  la  sentence  du  presidial  s'executait  provisoi- 
rement,  sauf  recours  au  parlement.  Pour  les  affaires 
criminelles,  le  presidial  jugeait  sans  appel  les  cas 
presidiaux  et  prevotaux.  On  les  divisait  en  deux  cate- 
gories d'apres  la  nature  du  crime  et  la  qualite  des 
personnes.  Dans  la  premiere  se  plagaient  les  brigan- 
dages sur  les  voies  publiques,  les  vols  a  main  armee, 
les  vols  avec  violence  et  effraction,  les  revoltes  et 
rassemblements  en  armes,  levees  de  troupes  sans 
autorisation,  crimes  de  fausse  monnaie.  La  seconde 
categoric  comprenait  les  attentats  commis  par  des 
vagabonds  ou  par  des  soldats  en  marche  (2).  Les 
nouveaux  tribunaux  ne  pouvaient  juger  presidiale- 
ment  que  lorsque  tous  les  membres  etaient  reunis. 
Le  nombre  des  presidiaux  s'augmenta  dans  la  suite, 
et  s'eleva  de  trente-deux  a  cent.   Les  juridictions, 
dont  cette  institution  restreignait  la  puissance,  ne 
cesserent  de  susciter  les  obstacles;  et  il  fallut  de 
nouvelles  ordonnances  pour  vaincre  leur  opposi- 
tion (3) ;  mais  enfin  les  presidiaux  triompherent  et 
occupererit  jusqu'a  la  fin  de  Tancienne  monarchic  le 
second  rang  dans  la  hierarchic  judiciaire. 

La  creation  d'un  parlement  a  Hennes  (mars 
1553)  (4)  porta  a  huit  les  parlements  du  royaume. 
«  Ce  furent,  selon  les  expressions  de  Michel  de  Cas- 

(1)  C'est  ce  qu'on  appelait  le  premier  chef  de  Mdit.  Voy.  Jousse, 

de  la  juridiction  des  presidiaux.  Paris,  1755. 

(2)  Jousse,  De  la  juridiction  des  presidiaux. 

(3)  Anc.  lois  franc.,  XIII,  277,  359,  398,  492,  etc. 

(4)  Ibid.,  XIII,  p.  361  et  suiv. 


JURIDICTION   PRfiVOTALE.  479 

telnau  (1),  comme  huit  fortes  colonnes,  sur  lesquelles 
fut  appuye*e  la  monarchie  franchise.  »  Le  xvne  siecle 
ajouta  quatre  nouveaux  parlements  (Pan,  Metz, 
Douai,  Besangon),  et  le  xvme  siecle,  celui  de  Nancy. 

La  juridiction  prevotale,  creee  par  Francois  Icr, 
en  1536,  et  regularised  par  un  edit  du  3  octobre 
1544,  tut  de  nouveau  confirmee  par  Henri  II  et 
chargee  de  poursuivre  et  de  punir  les  vols  sur  les 
grandes  routes,  les  sacrileges,  les  crimes  de  fausse 
monnaie  ,  etc.  La  marechaussee  fut  organisee  a 
cette  epoque  et  a  ete  chargee  jusqu'a  la  fin  du 
xviii6  siecle  du  maintien  de  la  police.  La  confusion 
des  pouvoirs  judiciaire  et  militaire  fut  un  des  plus 
facheux  inconvenients  de  la  justice  prevotale  (2).  Le 
duel  celebre  de  Jarnac  et  de  la  Chateigneraie  pre- 
sente  un  des  derniers  exemples  de  la  barbare  tra- 
dition du  moyen-age  qui  remettait  la  decision  des 
proces  au  jugement  de  Dieu. 

Pour  prononcer  sur  la  competence  des  divers  tri- 
bunaux  il  fallait  une  autorite  superieure.  Henri  II 
1'attribua  au  grand  conseil  et  ordonna  d'executer  les 
arrets  de  cette  cour  dans  tout  le  royaume  (3) .  Mais  ce 
fut  une  occasion  de  conflits  perpetuels  entre  ce  tribu- 
nal et  les  parlements  qui  se  pretendaient  cours  souve- 
raines;  la  lutte  dura  jusqu'a  la  fin  de  Taneienne  mo- 
narchie. L'administration  financiere  etablie  par  Fran- 
^oisP'fut  confirmee  par  Henri  II.  II  ordonna,  comme 
ce  prince,  que  les  recettes  fussent  centralists  par  le 

(1)  Mdm.  de  Michel  de  Castelnau,  liv.  I,  ch.  A. 

(2)  Anc.  lois  fran$.3  XIII,  p.  1/iA  et  suiv. 
(3)  Ibid.,  F.  XIII,  p.  A59. 


480  COUR   DES   MONNAIES. 

tresorier  de  1'epargne  (1).  II  ajouta  une  dix-septieme 
recette  generate  aux  seize  creees  par  Francois  Ier. 
Paris,  Chalons,  Amiens,  Rouen,  Caen,  Bourges, 
Tours,  Poitiers,  Riom,  Agen,  Toulouse,  Montpellier, 
Lyon,  Nantes,  Dijon,  Aix  et  Grenoble  furent  les  sieges 
des  generalites  (2) .  La  chambre  des  monnaies  devint 
cour  souveraine,  avec  juridiction  sur  toutes  les  mon- 
naies du  royaume;  elle  fut  chargee  de  poursuivre  les 
delits  commis  par  les  maitres,  prevots  et  officiers  des 
monnaies.  Tous  ceux  qui  travaillaient  les  matieres 
d'or  et  d'argent,  ressortirent  aussi  a  ce  tribunal,  mais 
seulement  en  ce  qui  concernait  1'execution  des  ouvra- 
ges,  ou  Ton  employait  Tor  et  1'argent  (3).  De  cette 
epoque  date  1'usage  de  graver  sur  les  monnaies  le 
millesime  et  le  nom  du  souverain  (4). 

Quelques  ordonnances  de  Henri  II  sur  la  disci- 
pline militaire  prouvent  surtout  1'existence  des  abus 
qu'elles  se  proposent  de  reprimer  (5).  Un  syndic  fut 
etabli  dans  chaque  bailliage  pourrecevoir  les  plaintes 
du  peuple  contre  les  gens  de  guerre  (6).  La  marine 
fut  moins  encouragee  que  sous  le  regne  precedent. 
Cependant  un  reglement  du  15  mars  1548  ordonna 
de  veiller  a  1'entretien  des  galeres  (7).  L'on  cite  quel- 
ques  expeditions  maritimes  entreprises  sous  le  regne 
de  Henri  II  :  en  1555,  Nicolas  Durand  de  Villega- 

(1)  Anc.  lois  franc.,  XIII,  2. 

(2)  Ibid.,  236. 

(3)  Ibid.,  269. 

(6)  Art  de  verifier  les  dates. 

(5)  Anc.  lois  franc.,  XIII,  10  et  119. 

(6)  J6zU,p.  303. 

(7)  Ibid.,  p.  70. 


EXPEDITIONS   MARITIMES.  4  81 

gnon,  vice-amiral  de  Bretagne,  partit  du  Havre  avec 
deux  vaisseaux  et  fut  bientot  suivi  par  son  neveu 
Bois-le-Comte ,  qui  quitta  Honfleur  avec  trois  bati- 
ments  monies  surtout  par  des  reformes.  Us  aborde- 
rent  sur  les  cotes  du  Br&sil ,  a  Rio-Janeiro  (1) ;  mais 
la  coloniequ'ils  avaientfondee  futabandonn6eau  bout 
dequelquesannees.  Sous  le  regne  de  Henri  II,  les  Ha- 
vrais  enleverent,  en  1555,  plus  de  trente  navires  a  la 
marine  desPays-Bas.  En  1557,  reunis  aux  Dieppois 
et  £  d'autresNormands,  ilsprirentauxEspagnols  des 
cargaisons  qui  valaient  plus  de  200,000  ecus  (2). 
Mais ,  dans  toutes  ces  circonstances,  c'etait  moins  le 
gouvernement  que  la  nation  qui  signalait  son  ar- 
deur.  Les  guerres  de  religion  vinrent  bientot  sus- 
pendre  entierement  ces  expeditions  maritimes,  et  en- 
traverent  pendant  plus  d'un  siecle  le  developpement 
de  la  marine  franchise. 

L'etablissement  a  Lyon  des  fabriques  de  draps  d'or 
et  de  soie  (3),  le  secret  de  la  verrerie  venitienne  de- 
robe  a  1'Italie  et  introduit  en  France  par  le  Bolonais 
Mutio  (4),  les  plantations  d'ormes  le  long  des  gran- 
des  routes  (5) ,  1'exploitation  des  mines  encouragee 
par  plusieurs  ordonnances  (6),  1'etablissement  de  1'u- 
niformite  de  poids  et  rnesures  dans  tout  le  royaume  (7) , 

(1)  Vitet,  Hist,  de  Dieppe,  t.  II,  p.  151. 

(2)  L.  Guerin,  Hist,  maritime  de  la  France,  t.  I,  p.  181  et  225. 

(3)  Anc.  Lois  fran^.,  t.  XIII,  p.  37/i. 

(4)  Ibid.,  p.  ISA. 

(5)  Ibid.,  p.  301. 

(6)  Ibid.,  p.  57,  236,  285,  400. 

(7)  Ibid.,\>.  513.  —  Anterieurement  il  avail,  e"t6  ordonn6  (Ibid., 
p.  498)  qu'une  seule  mesure  dont  1'etalon  resterait  depos^  a  l'H6- 
tel-de-Ville  de  Paris,  servirait  pour  cette  ville  et  la  banlieue.  Mal- 
heureusement  ces  ordonnances  ne  furent  pas  longlerops  execulees, 

L  13 


482  COMMERCE    ET   INDUSTRIE, 

tels  furent  les  actes  les  plus  importants  de  1'admi- 
nistration  de  Henri  II  pour  encourager  les  progres  de 
1'industrie,  faciliter  les  communications  et  develop- 
per  la  richesse  publique.  Si  Ton  ajoute  le  perfection- 
nement  de  la  langue  francaise  et  le  progres  de  la  re- 
naissance litteraire  (1),  on  avouera  que  le  genie  de 
Francois  Ier  nedescenditpas  tout  entier  dans  la  tombe 
avec  lui.  Les  artistes  italiens  et  les  disciples  qu'ils 
avaient  formes  en  France  continuerent  d'elever  dans 
Fontainebleau  un  des  palais  les  plus  merveilleux  de 
la  Renaissance. 

Mais,  d'un  autre  cote,  les  vices  du  despotisme  se 
montrerent  dans  toute  leur  horreur;  la  venalite  des 
charges  n'eut  plus  de  frein.  Henri  rendit  s6mestre 
le  parlement  de  Paris  pour  avoir  a  vendre  un  plus 
grand  nombre  de  charges  (2).  II  crea  une  multitude 
d'offices  la  plupart  inutiles  (3),  ajouta  aux  impotsqui 
ecrasaient  le  peuple  la  taxe  des  clochers  (4),  puis  le 
taillon  pour  la  solde  de  1'armee ;  il  imposa  aux  villes 
des  dons  forces  (5),  fit  des  emprunts  a  un  taux  exor- 
bitant (6),  et,  malgre  Tabus  de  ces  ressources  rui- 

(1)  Les  Illustrations  de  la  langue  francaise,  par  Joachim  du 
Bellay,  et  I' Art  poe'lique,  par  Thorn.  Sebilet,  datent  de  ce  regne. 

(2)  Anc.  lois  franc.,  t.  XIII,  373.— De  Thou,  lib.  XIII,  voit  surtout 
dans  cette  creation  de  juges  une  mesure  fiscale  :  «  Auctus  est 
judicum  numerus,  pretio  ab  iis  accepto ;  qute  prsecipua  edicti  causa 
fuit.  » 

(3)  Anc.  lois  franc.,  t.  XIII,  p.  296, 333,  All,  MO,  /M5,  ^8,  A56, 
A73,  etc. 

(Zi)  «  Un  imp6t  sur  les  clochers  rend  13,000,000  d'^cus.  » 
Relat.  des  ambassad.ve'nit.,  1,  369  ;  relation  deJ.  Capello  (1554).— 
Voy.  aussi  Bodin,  Republique,  p.  654,  edit.  1577. 

(5)  Anc.  lois  franc.,  t.  XIII,  p.  335. 

(6)  Bodin,  Republique,  p.  656  :  «  Depuis  que  le  roy  Henry  eut 


DETTE    PUHLIQUE.  4  S3 

Reuses,  laissa  une  dette  de  plus  de  quarante-trois 
millions  (1).  Un  luxe  toujours  croissant,  des  prodi- 
galites  insensees,  1'avidite  des  courtisans  et  des  mai- 
tresses  expliquentce deficit.  Le  peuple  se  soulevadans 
quelques  villes  (2);  ailleurs,  il  abandonna  un  pays  qui 
ne  lui  presentait  plus  que  misere  (3).  Partout  on  vit 
diminuer  le  profond  sentiment  d'affection  et  de  res- 
pect dontla nation  avait  longtems  entoure  la  royaute. 
A  ces  causes  de  troubles  se  joignirent  les  querelles  reli- 
gieuses.  La  severite  et  meme  la  cruaute  des  edits  de 
Chateaubriand  (1551),  de  Paris  et  d'ficouen,  ne  ser- 
virent  qu'a  rendre  le  fanatisme  plus  ardent  et  a  pre- 
parer  les  guerres  qui  ensanglanterent  la  fin  du 
xvr  siecle  et  entraverent  les  progres  cfe  1'administra- 
lion  monarchique. 

Cependantil  ne  faut  rien  exagerer;  la  France,  apres 
les  guerres  d'ltalie  terminees  en  1559,  se  trouva  plus 
forte  et  plus  civilisee;  elle  marcha  d'un  pas  plus  ra- 
pide  a  1'egalite  des  droits.  Nous  avons  ici  le  temoi- 
gnage  positif  des  ambaesadeurs  venitiens,  dont  le  ju- 


affaire  d'argent,  il  emprunta  a  dix,  a  douze,  a  seize  pour  cent, 
commeilfit  Tan  MDLHII,  des  Caponis,des  Albicis,  etc. ;  etl'usure  se 
payoit  aux  quatre  foires,  ou  Tint^rest  de  Vusure  estoit  converty  en 

sort  et  joint  au  capital L'interest  de  seize  pour  cent  revenoit 

pour  le  moins  a  dix-huit  pour  cent  retenant  Tint6rest  qu'il  ne  pou- 
voit  payer.  » 

(1)  Bodin,  ibidem,  p.  5Zi6,  657,  658. 

(2)  Surtout  a  Bordeaux  dont  la  revolte  fut  si  cruellement  repri- 
m^e  par  le  conne"table  de  Montmorency. 

(3)  «  Les  paysans  accabl^s  de  corve"es  et  charges  d'imp6ts  conti- 
tinuels  dans  plusieurs  des  principales  provinces,  telles  que  la  Nor- 
mandie  et  la  Picardie  presque  tout  entieres,  furent  forces  de  quitter 
le  pays ,  tant  ils  se  trouvaient  mise"rables.  »  Relat.  des  ambassad, 

it.,  I,  p.  409 ;  relal,  de  J,  Michel,  1561, 


484  PROGRES  BE  LA  BOURGEOISIE. 

gement  etait  plus  impartial  et  plus  libre  de  prejuges 
que  celai  des  Francais.  L'un  d'eux,  qui  sejourna  en 
France  apres  la  mort  de  Henri  II,  signale  les  progres 
du  tiers-etat  et  principalement  de  la  bourgeoisie. 
«  Les  trois  Etats,  dit  Michel  Suriano  (1),  servent  le 
royaume  a  leur  maniere.  Celui  du  peuple  a  dans  ses 
mains  quatre  offices  importants  :  le  premier  est  ce- 
lui  du  grand  chancelier  qui  entre  dans  tous  les  con- 
seils ,  garde  le  sceau  royal  et  sans  Tassentiment  du- 
quel  aucune  deliberation  ne  peut  avoir  lieu,  ni  au- 
cune  decision  etre  mise  a  execution.  Le  second  office 
est  celui  des  secretaires  d'EtatJesquels,  chacun  dans 
leur  sphere,  expedient  les  affaires,  gardent  les  papiers, 
sont  les  depositaires  des  secrets  les  plus  graves.  Le  troi- 
sieme  office  est  celui  des  presidents,  des  conseillers, 
des  juges,  des  avocats  et  de  tous  ceux  a  qui  la  justice 
civile  et  criminelle  est  confiee  dans  le  royaume  entier. 
Le  quatrieme  est  celui  des  tresoriers,  des  percep- 
teurs,  des  receveurs-generaux ,  des  receveurs  parti- 
culiers  qui  administrent  tous  les  revenus  et  toutes  les 
depenses  de  la  couronne.  » 

Ainsi  le  tiers-etat,  qui  ne  constituait  pas,  comme 
on  l'a  pretendu  ,  une  classe  fermee  au  peuple, 
mais  qui  ouvrait  ses  rangs  a  tous  les  hommes 
eminents  par  le  merite  et  le  travail,  le  tiers-etat 
avait  fait  de  rapides  progres.  II  dominait  dans  les 
parlernents  et  les  offices  de  finances ;  il  siegeait 
meme  dans  les  conseils  du  roi.  Peu  a  peu  la  so- 
ciete  se  degageait  des  entraves  feodales  et  aspirait  a 
un  etat  meilleur  que  celui  ou  prevalait  la  force  bru- 

(1)  Relat,  des  ambassad,  v4nit,9 1,  487, 


PROGRfeS   DE    LA    BOURGEOISIE.  185 

tale.  Les  nobles,  occupes  presque  exclusivement  de 
la  guerre,  perdaient  en  importance,  tandis  que  les 
classes  laborieuses  s'elevaient  chaque  jour,  prote- 
g6es  par  la  royaute  qui  trouvait  en  elles  des  auxi- 
liaires  devoues  et  habiles  (1). 


(1)  On  trouvera ,  aux  Pieces  justificatives  9  n°  I,  la  biographie 
d'un  de  ces  hommes  qui  s'eleverent  par  le  travail  et  le  me"rite  aux 
plus  hautes  positions.  Cette  biograpbie  ecrite  par  un  fils  m'a  paru 
un  curieux  specimen ;  elle  montre  un  simple  commis  de  finances 
parvenant  aux  premieres  dignite's  et  fondant  une  famille  qui  a  joue 
un  role  important  aux  xvne  et  xvme  siecles,  si^ge"  dans  les  conseils 
des  rois,  administre  avec  integrite1  les  finances  et  laisse  un  des  noms 
les  plus  vene're's  de  la  magistralure  francaise. 


CHAPITRE  X. 


Sommaire. 

FRANCOIS  II  (1 559-1 560j.  —  Edit  de  Romorantin. 

CHARLES  IX  ('1560-1574).—  Role  du  chancellor  de  L'Hopilal. 

—  Ordonnance  d'Orleans  (1561) ;  reforme  ecclesiastique  el 
reforme  judiciaire.  —  Plaintes  provoquees  a  cette  epoque 
par  la  venalite  des  charges. —  Efforts  de  L'Hopital  pour  re- 
medier  aux  ahus  :  suppression  de  la  venalite  des  charges; 
mesures  adoptees  pour  la  bonne  administration  de  la  jus- 
lice;  etablissement  des  juges-consuls.  —  Edit  de  Roussillon 
(1 564j ;  le  commencement  de  1'annee  civile  est  fixe*  a  Paques. 

—  Ordonnance  de  Moulins  (1566) ;  elle  embrasse  toutes  les 
parlies  de  ['administration;  reforme  de  la  juslice  :  droit 
de  remontrances  limite ;  mercuriales  prescrites,  chevauchees 
ou  inspections  imposees  aux  maitres  des  requetes ;  condi-* 
tions  d'age  et  de  capache  exigees  pour  les   offices  de  judi- 
cature ;  organisation  des  sieges  presidiaux.  —  Des  goiiver- 
neurs  de  provinces;  separation  des  fonctions  militaires  et 
judiciaires.  —  Mesures  pour  la  bonne  police  duroyaume.  — 
Edit  des  meres.  —  Impuissance  du  chancelier  de  L'Hopital 
au  milieu  des  factions;  sa  retraite  (1568).  —  Etal  deplora- 
ble de  la  France  devaslee  par  la  guerre  civile.  —  Dilapida- 
tion des  finances.  — Decadence  de  la  marine.  —  Construc- 
tion des  Tuileries  et  de  plusieurs  autres  palais. 


Le  regne  si  court  de  Francois  II  fut  attriste  par 
des  troubles  continuels;  la  domination  des  Guises 
enfanta  des  conjurations  punies  de  cruels  supplices. 
La  plupart  des  ordonnances  de  cette  epoque  dictees 
par  le  besoin  du  moment  eurent  peu  d'importance 


LE   CHANCELIER   DE    L*HOPITAL. 

pour  1'administration.  II  faut  cependant  distinguer 
1'edit  de  Romorantin  qui  empecha  1'introduction  de 
1'inquisition  en  France,  en  chargeant  les  eveques  de 
poursuivre  les  crimes  d'heresie  (1).  II  fut  redige 
par  le  chancelier  de  L'Hopital. 

Pendant  la  minorite  de  Charles  IX  (1560-1564)  et 
sous  le  regne  du  faible  Henri  HI,  la  nation  irritee 
des  malheurs  publics  et  de  1'indolence  du  pouvoir 
reprit  1'initiative.  Comme  aux  xive  et  xve  siecles 
(1355,  1357,  1413,  1484),  elle  attaqua  les  abus  de 
1'administration  monarchique  tout  en  respectant  le 
principe ;  elle  reclarna  des  reformes  et  indiqua  des 
mesures  utiles  dont  le  pouvoir  devait  un  jour  profi- 
ter.  Les  Ihats-Generaux  d'Orleans,  en  1560,  et  ceux 
de  Blois,  en  1 576,  preparerent  les  reformes.  Heureu- 
sernent,  il  se  trouva  alors  a  la  tete  des  conseils  de  la 
couronne  un  homme  superieur  a  son  siecle,  d'une 
inflexible  equite  au  milieu  de  1'aveugle  emportement 
des  passions,  d'une  moderation  et  d'une  tolerance 
admirables  dans  un  temps  de  violence  et  de  fana- 
tisme.  Le  chancelier  de  L'Hopital  ne  cessa,  pendant 
huit  annees,  de  combattre  les  factions  et  de  tra- 
vailler  a  la  reforme  du  royaume.  «  Get  autre  Caton 
le  censeur,  comme  dit  Brantome,  savoit  tres-bien 
corriger  le  monde  corrompu.  Avec  sa  grande  barbe 
blanche,  son  visage  pale,  sa  fagon  grave,  on  eut  dit 
a  le  voir  que  c'etoit  un  vrai  portrait  de  Saint-Je- 
rome. » 

II  eut  voulu  reconcilier  les  Frangais  prets  a  s'e- 

(1)  Anciennes  lots  franfaises,  torn.  XIV,  pag.  31. 


ORDONNANCE    D 'ORLEANS  (1564).  189 

gorger  pour  des  disputes  theologiques  :  «  Ie  couteau 
vaut  peu  centre  1'esprit,  disait-il  aux  Etats-Gene- 
raux  d'Orleans,  si  ce  n'est  a  perdre  Tame  ensemble 
avec  le  corps  (1).  »  Persuade  que  le  meilleur  moyen 
de  prevenir  les  troubles  etait  la  reforme  du  clerge,  il 
s'en  occupa  activement.  La  France  n'avait  point  recu 
la  partie  disciplinaire  du  concile  de  Trente;  elle  avait 
meme  proteste  contre  quelques-unes  des  decisions  de 
cette  assemblee  (2).  Elle  voulut  operer  elle-meme  la 
reforme  du  clerge,  tel  est  le  but  des  vingt-neuf  pre- 
miers articles  de  1'ordonnance  d'Orleans  (3). 

Elle  present  la  residence  a  tous  les  ecclesiasti- 
ques,  sous  peine  de  saisie  de  leur  temporel,  donne 
des  coadjuteurs  auxprelats  infirmes,  defend  de  por^ 
ter  a  Rome  ni  or  ni  argent,  institue  dans  chaque 
eglise  cathedrale  un  theologal  dont  les  chanoines 
suivront  1'enseignement,  reorganise  les  ecoles  negli- 
gees par  le  clerge,  soumet  aux  eveques  tous  les  ab- 
bes et  abbesses,  defend  aux  prelats  de  recevoir  les 
pretres  errants,  fait  une  loi  de  la  gratuite  pour  Tad- 
ministration  des  sacrements ,  regie  la  question  des 
biens  ecclesiastiques,  interdit  les  monitions  hors  le 
cas  de  scandale  public,  exige  1'age  de  vingt-cinq  ans 
pour  les  enfants  males  et  de  vingt  ans  pour  les  filles 
avant  de  se  Her  par  des  voeux  monastiques,  enfm  or- 
donne  la  reforme  des  couvents,  et  la  saisie  des  bene- 
fices prives  de  desservant. 

En  reformant  le  clerge,   1'ordonnance  d'Orleans 

(1)  OEuvres  de  L'Hopital,  publics  par  M.  Dufey,  t  I,  p.  400. 

(2)  De  Thou,  liv.  VIII;  discours  (TAmiot  au  concile. 

(3)  Anciennes  iois  franfaises,  t.  XIV,  p.  63-98. 


REFORME   ECCLESIASTIQUE    (1561). 

protegeait  1'Eglise;  elle  ordonnait  aux  juges  de  pu- 
nir  les  blasphemateurs,  de  faire  respecter  la  loi  du 
dimanche,  de  s'opposer  aux  pronostications  et  autres 
abus  condamnes  par  TEglise;  mais,  en  meme  temps, 
elle  interdisait  aux  clercs  de  recevoir  des  testaments 
qui  les  instituassent  legataires ;  elle  declarait  leurs 
biens  saisissables,  moins  les  objets  necessaires  au 
culte,  et  leur  defendait  d'abattre  les  bois  de  haute 
futaie  dans  les  domaines  ecclesiastiques.  Ces  disposi- 
tions etaient  utiles ;  mais  on  y  mela  quelques  mesu- 
res  retrogrades,  entre  autres  le  retablissement  des 
elections  ecclesiastiques  (1),  prescrites  par  la  Prag- 
matique-Sanction  de  Bourges,  et  abolies  par  le  Con- 
oordat.  C'etait  affaiblir  la  royaute,  qui  par  la  colla- 
lation  des  benefices,  avait  acquis  une  influence  con- 
siderable sur  le  clerge  ;  c'etait  faire  renaitre  les 
brigues  et  les  scandales  si  funestes  al'autorite  eccle- 
siastique.  Cependant,  en  blamant  cette  mesure ,  on 
ne  peut  meconnaitre  les  abus  qui  1'avaient  provo- 
quee.  Francois  I"  et  ses  successeurs  avaient  trop 
souvent  profite  du  Concordat  pour  elever  aux  hon- 
neurs  ecclesiastiques  des  sujets  indignes. 

«  Francois  Ier,  dit  Jean  Correro  (2),  se  mit  a  dis- 
tribuer  les  eveches  sur  la  demande  des  dames,  a  don- 
ner  les  abbayes  en  recompense  a  des  soldats,  a  pro- 
diguer  ses  faveurs  a  toutes  sortes  de  personnes  sans 
consulter  leurs  merites.  Henri  II,  son  successeur, 
n'agit  pas  avec  plus  de  prudence.  De  cette  maniere 
toutes  les  eglises  de  France  tomberent  en  peu  de 

(1)  Ordonn.  d'OrleanSj  art.  1". 

(2)  Relat.  des  ambass.  vdnitiens,  t.  II,  p.  129. 


REFORMS  JUDICIAIRE   (1561).  ^1 

temps  entre  les  mains  de  gens  qui  ne  pensaient  qu'a 
leur  interet.  Tout  espoir  fut  perdu,  pour  les  pretres 
bons  et  lettres,  de  recevoir  une  recompense  de  leurs 
travaux;  r amour  de  1'etude  se  relacha  et  Ton  ne  son- 
gea  plus  qu'aux  commodites  de  la  vie.  Les  nouveaux 
pasteurs  placerent  dans  les  cures  des  paroisses  des 
hommes  pour  qui  1'habit  clerical  n'etait  qu'une 
exemption  d'autres  occupations  plus  penibles,  et  qui, 
par  leur  avarice  et  par  leur  vie  dissolue,  troublerent 
la  foi  des  peuples  innocents,  et  attiedirent  la  piete 
fervente  de  1'ancien  temps.  »  Ces  abus  avaient  rendu 
une  reforme  necessaire  ;  mais  on  eut  le  tort  de  reve- 
nir  a  des  usages  qui  ne  pouvaient  que  troubler  1'E- 
glise  sans  relever  son  autorite  morale.  Le  clerge  ne  se 
resigna  pas  a  cette  reforme  imposee  par  le  pouvoir 
civil,  et  il  parvint  a  eluder  1'ordonnance  d'Orleans  ; 
le  colloque  de  Poissy  ne  reussit  pas  mieux  et  ne  fit 
qu'attester  le  zele  de  L'Hopital  pour  la  reconciliation 
de  tous  les  Frangais. 

La  reforme  judiciaire  fut  plus  heureuse.  La  ma- 
gistrature  avait  pris  une  immense  importance  au 
xvie  siecle  ,  importance  utile  pour  le  tiers-etat , 
pour  1'egalite  civile  et  pour  Tamelioration  des  lois. 
Mais  la  venalite  des  charges,  la  fiscalite  et  la  lenteur 
des  tribunaux  excitaient  des  murmures.  L'Hopital  le 
savait  et  ne  dissimulait  pas  ces  griefs.  «  II  y  a 
de  grandes  plaintes,  disait-il  au  parlement  de 
Rouen  (1),  et  le  roi  est  en  voie  de  vous  oter  la  con- 
naissance  de  beaucoup  de  causes  a  son  regret.  » 
Les  ecrivains  les  plus  graves  du  xvie  siecle  expri- 

(1)  CEuv.  de  L'Hopital,  6dit  cit,  t.  II,  p.  69. 


PLAINfES   CONTRfi    LA 


rnent  avec  beaucoup  moins  de  management  1'iiidi- 
gnation  excitee  par  les  abus  de  I'administration  judi- 
ciaire. 

L'un  d'eux,  Francois  Hotman,  attaque  sans  me- 
nagement  la  magistrature  :  «  Maintenant  ,  dit-il  , 
domine  en  France,  une  race  d'hommes,  que  les  uns 
appellent  juristes,  d'autres  praticiens,  d'autres  enfm 
avocassiers.  Telle  a  ete  leur  habilete,  depuis  trois 
cents  ans  ,  qu'ils  se  sont  empares  de  1'autorite  des 
Etats-Generaux,  et  ont  meme  contraint  les  princes  et 
la  majeste  royale  d'obeir  a  leur  puissance...  Le  con- 
seil  supreme  de  ces  praticiens,  que  Ton  appelle  sdnat 
revetu  de  la  pourpre,  a  tant  d'affaires  et  une  si  haute 
dignite,  qu'on  peut  dire  de  lui,  comme  jadis  du  se- 
nat  remain  :  ce  n'est  pas  une  assemblee  de  conseil- 
lers,  mais  de  rois  et  de  satrapes.  »  Parlant  ensuite 
de  la  venalite  des  charges,  Hotman  la  ravale  par  une 
comparaison  ignoble.  Le  trafic  des  offices  que  Ton 
achetait  a  si  haut  prix  et  qu'on  exploitait  en  detail 
est  assimile  au  commerce  des  bouchers  qui  achetent 
un  boeuf,  le  depecent  et  en  vendent  les  mor- 
ceaux  (1).  Ces  accusations,  qui  pourraient  paraitre 
exagerees  sous  la  plume  d'un  ecrivain  aussi  violent 
que  1'auteur  du  Franco-Gallia  ,  sont  confirmees 
par  le  politique  Bodin  et  par  le  sceptique  Montai- 
gne (2). 

(1)  «  Sicuti   lanii  bovem  opimum  uno  pretio  emptum  post  in 
macello  per  partes  venditant,  ita  magislratus  uno  pretio  comparatur, 
cujus  administratio  singulis  postea  jus  postulantibus  divendatur.» 
Franco-Gallia,  c.  21. 

(2)  Bodin,  Republique,  6dit.  de  1577,  p.  545;  Montaigne,  Es- 
sais9  liv.  II,  ch.  5. 


ABUS  DES  EVOCATIONS.  193 

L'Hopital  entreprit  courageusement  la  reforme  de 
ces  abus.  Les  trois  ordonnances  d'Orleans  (1561), 
de  Roussillon  (1563)  et  de  Moulins  (1566)  embras- 
srrent  toutes  les  parties  de  1'administration  de  la 
justice  et  les  ameliorerent.  L'ordonnance  d'Or- 
leans (1)  fit  disparaitre  les  abus  les  plus  criants, 
supprima  toutes  les  charges  creees  depuis  le  regne 
de  Louis  XII,  interdit  le  cumul  des  fonctions,  exclut 
d'une  meme  cour,  les  pere  et  fils,  les  freres,  les  on- 
cles  et  neveux,  et  reduisit  les  maitres  des  requetes  a 
1'ancien  nombre.  Le  grand  conseil  etait  devenu  un  tri- 
bunal exceptionnel  ou  les<&>0c0ftVwsappelaient  les  cau- 
ses de  tous  ceux  que  favorisait  lepouvoir.  «  Peua  peu, 
dit  un  contemporain,  son  autorite  s'etait  accrue  par  1'e- 
vocation  d'un  grand  nombre  de  proces  ;  les  puissants 
qui  voulaient  ajourner  la  decision  des  affaires  accou- 
raient  a  ce  tribunal,  et  les  membres  du  grand  conseil 
revisaient  les  arrets  qui  avaient  ete  rendus,  exemple 
funeste  qui  causait  le  plus  grand  prejudice  a  la 
France  (2).  »  L'Hopital  reduisit  le  grand  conseil  a  ses 
anciennes  attributions,  et  renvoya  au  conseil  d'fitat 
ou  conseil  prive  (3) ,  les  conflits  et  proces  en  regle- 
ment  de  juges. 

II  fut  ordonne  que  deux  fois  par  semaine ,  les 

(1)  Ordonn.  d'Orleans,  art.  30-105. 

(2)  Le  Ferron,  qui  a  ecrit  en  latin  1'histoire  de  Louis  XII  et  de 
Francois  Ier,  signale  ainsi  ces  abus  :  «  Horum  potentia  paulatim  glis- 
cens  eo  erupit,  pertractis  avocatisque  omnium  controversiis,  et  ii  qui 
judicia  differre  ob  potentiamvolunt  eo  accurrentibus,  recognoscenti- 
busque  illis  supremi  ordinis  placita  resque  judicatas,  pessimo  exem- 
plo,  reipublicae  ut  gallicae  magnam  inde  illatam  calamitatem  videa- 
mus.  » 

(3)  Voy.  sur  ce  conseil,  p.  176. 


494  R6FORME   JUDICIAIRE    (1561). 

mardis  et  vendredis,  on  tiendrait  conseil  des  parties 
pour  prononcer  sur  les  requetes  en  reglement  de  ju- 
ges  et  les  conflits  qui  s'eleveraient  entre  les  divers 
tribunaux  (1).  On renvoyait  au  jeudi  les  deliberations 
sur  les  matieres  de  finances. 

La  venalite  des  offices  fut  interdite,  et  les  elec- 
tions retablies  pour  les  parlements  et  les  tribunaux 
inferieurs.  Ces  tribunaux  devaient  presenter  trois 
candidats  de  concert  avec  les  maires,  echevins  ou 
capitouls.  Le  roi  choisissait  entre  ces  candidats.  Pour 
remedier  a  la  lenteur  des  proces,  L'Hopital  ordonna 
d'appeler  les  causes  a  tour  de  role  et  par  ordre  d'in- 
scription  ;  il  etait  interdit  aux  juges  de  recevoir  au- 
cun  present.  Les  baillis  et  senechaux  etaient  tenus 
a  residence ;  ils  devaient  etre  de  robe  courte  ou  d'e1- 
pde  et  parcouraient  leur  province  quatre  fois  par  an 
pour  assurer  1'execution  des  sentences.  Les  sieges 
des  prevots  et  vicomtes  devaient  etre  supprirnes  a  la 
mort  des  titulaires,  et  la  justice  royale  se  concentrer 
dans  les  bailliages,  senechaussees  et  sieges  presidiaux 
ressortissant  directement  au  parlement  (2).  Les  jus- 
tices seigneuriales  etaient  maintenues  mais  avec  des 
conditions  qui  en  faisaient  disparaitre  les  principaux 
abus.  On  exigeait  que  les  officiers  de  ces  justices  sub- 
alternes  subissent  des  examens  devant  le  lieutenant 
du  roi  au  presidial  et  que  les  seigneurs  hauts-justi- 
ciers  assurassent  a  ces  fonctionnaires  un  traitement 
convenable  (3).  Lesprevotsdu  connetable  et  des  mare- 

(1)  Manuscritde  la  Bibl.  imp6r.,  f.  deSorbonne,  n°  1080,  foi  10-11. 

(2)  Ordonn.  d'Orl^ans,  art.  50. 

rt.  55. 


RtiFORME   JUDICIAIRE   (1561).  498 

chaux  ne  devaient  avoir  qu'un  seul  office,  suivre  les 
armies,  veiller  a  la  surete*  des  paysans,  maintenir 
partout  une  bonne  police,  «  purger  le  pays  de  gens 
mal  vivants,  »  et  renvoyer  devant  les  juges  ordinaires 
les  accuses  qui  ne  ressortissaient  pas  a  leur  tribu- 
nal (1).  L'Hopital  descendait  a  tous  les  details  de 
procedure  et  de  police  pour  donner  aux  actes  des 
notaires  et  des  huissiers  un  caractere  d'authenti- 
cite  (2).  II  protegeait  le  vilain  contre  le  noble,  enjoi- 
gnait  aux  seigneurs  d'entretenir  les  pouts  et  chaus- 
sees,  de  respecter  les  terres  ensemencees  que  la 
chasse  devastait  trop  souvent,  leur  interdisait  le 
commerce  et  punissait  les  usurpations  de  titres  (3). 
II  creait  pour  les  fils  des  gentilshommes  une  faole 
des  pages  et  reservait  aux  nobles  les  charges  de  Hi  6- 
tel  et  les  offices  de  commissaires  des  guerres  (4)  Les 
tailles,  aides  et  autres  impots  devaient  etre  re*duits  au 
memetaux  que  sous  le  regne  de  Louis  XII  (5).  Une 
juste  repartition  et  la  diminution  des  offices  de  finan- 
ces allegeait  le  fardeau  des  impots.  Pour  simplifier 
les  proces  eteviter  les  appels  a  la  cour  des  aides,  les 
elusjugeaient  en  dernier  ressort  toutes  les  fois  que 
la  somme  en  litige  n'excedait  pas  cent  francs  (6). 

Le  commerce  obtenait  aussi  quelques  garanties; 
le  tableau  des  droits  devait  etre  affiche  dans  chaque 
maison  de  peage,  et  il  etait  expressement  defendu  de 


(1)  Ordonn.  d'Orteans.,  art.  66-71. 

(2)  Ibid.,  art.  72  et  suiv. 

(3)  Ibid.,  art.   106-111. 
(Zi)  Ibid.,  art.  112-115. 

(5)  Ibid.,  art.  120-137. 

(6)  Ibid.,  art.  137. 


196  JUGES-CONSULS  (1563). 

le  depasser.  Enfin  des  dispositions  relatives  aux  ban- 
queroutes,  contrainte  par  corps,  uniformite  de  poids 
et  mesures  (1),  presentaient  1'ebauche  d'un  code  de 
commerce.  Bientot  L'Hopital  y  ajouta  1'institution  des 
juges-consuls.  Une  premiere  ordonnance  de  novem- 
bre  1563etablit  &v$  juges-consuls  a  Paris  (2),  et  une 
seconde  etendit  cette  institution  a  toutela  France  (3). 
Ce  fut  un  grand  bienfait  pour  le  commerce,  dont  les 
questions  litigieuses  etaient  jusqu'alors  abandonnees 
aux  ecbevins  et  a  d'autres  magistrals  municipaux 
souvent  peu  capables  de  les  resoudre. 

L'edit  de  Roussillon  (4)  (9  aout  1564),  fut  un  com- 
plement de  1'ordonnance  d'Orleans.  Details  de  pro- 
cedure, recusation,  successions,  envoi  en  possession, 
privileges  du  clerge,  simplification  des  appels,  regle- 
ment  pour  les  conflits,  responsabilite  des  hauts-justi- 
ciers  pour  le  mal  juge  de  leurs  officiers,  interdiction 
des  proces  par  commissaires,  gratuite  de  la  jus- 
tice, injonction  de  rediger  les  ordonnances  en  fran- 
gais  et  de  les  dater  du  1er  Janvier,  au  lieu  de  faire 
commencer,  comme  par  le  passe,  1'annee  civile  a  Pa- 
ques  ;  telles  sont  les  principales  dispositions  de  1'edit 
de  Roussillon. 

Enfin,  a  Moulins,  le  chancelierqui  venait  de  par- 
courir  le  royaume  deja  dechire  par  les  guerres  civi- 
les,  mit  la  derniere  main  a  ses  grandes  reformes  le- 
gislatives. II  avait  reuni  une  nombreuse  assemblee 


(1)  Ordonn.  d'Orleans,  art.  138-1Z|8. 

(2)  Anciennes  Lois  francaises,  t  XIV,  p.  153, 

(3)  7foU,pag.  179, 

(4)  Ibid.,  p.  173. 


ORDONNANCE   DE  MOULINS  (1566).  197 

poilr  s'cclairer  des  avis  des  jurisconsultes  et  des  ma- 
gistrals les  plus  renommes,  il  resuma  dans  une  or- 
donnance  restee  celebre  toutes  les  discussions  de  ces 
notables  et  en  fit  une  des  bases  de  1'ancien  droit  fran- 
c.ais  (1566).  L'ordonnance  de  Moulins  traite  de  Tad- 
ministration  de  la  justice,  du  gouvernement  des  pro- 
vinces, des  finances,  de  1'Eglise,  des  corporations 
industrielles  et  de  la  police  generale  du  royaume  (1). 
Le  parlement  de  Paris  s'etait  empare  du  droit  de 
remontrances  a  Toccasion  de  Fenregistrement.  Les 
troubles  du  xve  siecle  avaient  favorise  cette  usurpa- 
tion (2),  qui  devint  presque  un  article  fundamental 
de  ce  qu'on  appelait  la  Constitution  francaise.  Get 
usage  avait  de  grands  avantages,  puisqu'il  permettait 
de  moderer  le  pouvoir  absolu  et  d'entraver  le  despo- 
tisme.  L'Hopital  conserva  le  droit  de  remontrances, 
mais  avec  ordre  au  parlement  d'enregistrer  les  edits 
royaux  lorsqu'il  aurait  soumis  au  roi  ses  observa- 
tions (3).  L'ancienne  coutume  qui  prescrivait  aux 
magistrats  de  s'assembler  frequemment  pour  enten- 
dre un  discours  sur  leurs  devoirs  fut  remise  en  vi- 
gueur.  Ces  assemblies  avaient  rec,u  le  nom  de  mercu- 
riales,  parce  qu'elles  se  reunissaient  primitivement  le 
mercredi.  L'Hopital  ordonna  que  les  mercuriales  eus- 
sent  lieutous  les  trois  mois,  afin  de  rappeler  aux  ma- 
gistrats les  edits  royaux  et  de  veiller  a  leur  execution; 

(1)  Anc.  iois  frang.,  t.  XIV,  p.  189  et  suiv. 

(2)  Les  e"crivains  de  la  fin  du  xvimc  siecle  proclament  le  droit  du 
parlement.  Voy.  M6m.   de  Mich,  de  Castelnau,  liv.  I,  ch.   4,  et 
Atem.  de  Nevers,t.l,p.  449.  D'apres  ces  derniers  Me"moires,  le  droit 
du  parlement  fut  consacre  par  les  tftats  de  1576. 

(3)  Ordonn.  de  Moulins,  art,  2. 

L  14 


'198  NOMINATION  DBS  MAGISTRATS. 

le  proces-verbal  de  ces  assemblies  devait  etre  envoye 
an  chancelier  (1 ) .  Les  parlements  avaient  la  surveil- 
lance des  tribunaux  inferieurs,  et  transmettaient  au 
chancelier  la  note  des  ordonnances  mal  observees  (2). 
De  six  mois  en  six  mois  une  lecture  publique  des  or- 
donnances les  rappelait  a  la  memoire  des  juges  (3). 
Les  maitres  des  requetes  devaient  parcourir  le 
royaume,  ou,  comme  on  disait  alors,  faire  leurs  che- 
vauche'es  pour  s'assurer  de  1'execution  des  lois  (4). 
Le  roi  pouvait  deleguer  des  membres  des  parlements 
pour  tenir  les  grands  jours  (5). 

L'ordonnapce  d'Orleans  avait  defendu  la  venalit6 
des  charges  et  retabli  les  elections.  L'ordonnance  de 
Moulins  exigea  des  garanties  serieuses  d'age  et  de  ca- 
pacite  :  les  candidats  aux  places  de  conseillers  au  par- 
lement  devaient  avoir  au  moins  vingt-cinq  ans,  et 
subir  un  examen  devant  toute  la  cour  reunie  (6) .  Us 
ne  pouvaient  etre  nommes  qu'avec  Tapprobation  des 
deux  tiers  au  moins  des  membres  presents  (7). 

Pour  les  tribunaux  inferieurs,  1'examen  etait  fait 
par  le  parlement  (8).  En  cas  de  resignation  de  fonc- 
tion  (c'etait  souvent  une  vente  deguisee) ,  une  en- 
quete  devait  constater  la  capaciU  et  la  prud'hommie 
des  pourvus  et  la  nature  de  la  resignation  (9) . 

(1)  Ordonn.  de  Moulins,  art.  3. 

(2)  Ibid.,  art.  4-5. 

(3)  Ibid.,  art.  6. 
(k]  Ibid.,  art.  7. 

(5)  Ibid.,  art.  8. 

(6)  Ibid.,  art.  9. 
(7)J6irf.,art.  10. 
(8)  Ibid.,  art.  11. 

rt  12. 


SltiGES  PRtiSIOIAtJX.  499 


Le  nombre  des  sieges  presidiaux  etait  re"duit  ;  ii 
ne  devait  y  en  avoir  qu'un  par  bailliage,  et  le  siege 
du  pre"sidial  etait  fixe  au  chef-lieu.  Six  juges  et  le 
lieutenant  du  bailliage  eomposaient  le  tribunal.  S'il 
y  avait  un  plus  grand  nombre  de  membres,  la  sup- 
pression avait  lieu  par  extinction.  En  cas  de  nombre 
inferieur,  on  appelait  a  sieger  dans  le  presidial  con- 
serve les  juges  d'un  presidial  supprime.  Le  traite- 
ment  des  juges  conserves  devait  s'augmenter  par  la 
reunion  des  appointernents  des  places  supprimees. 
Competence  des  sieges  presidiaux,  necessite  de  se 
reunir,  pour  juger,  aux  lieutenants  du  bailliage,  de- 
fense aux  parlements  de  connaitre  des  affaires  qui 
appartenaient  en  dernier  ressort  aux  presidiaux,  ad- 
ministration gratuite  de  la  justice,  interdiction  du 
cumul  par  les  juges  et  procureurs  du  roi,   telles 
etaient  les  principales  dispositions  relatives  aux  sie- 
ges presidiaux,  dont  Torganisation  n'avait  pas  ete 
jusqu'alorscompletement  regularisee  (1). 

Quant  aux  gouverneurs  de  provinces,  1'ordonnance 
de  Moulins  leur  interdit  toute  fonction  judiciaire  et 
determine  nettement  1'etendue  de  leurs  attributions. 
Us  ne  pourront  accorder  aucunes  lettres  de  grace,  de 
remission  ou  de  pardon,  ni  autorisation  de  foires  ou 
marches;  il  leur  est  defendu  d'evoquer  les  causes 
pendantes  devant  les  juges  ordinaires.  «  Us  doivent, 
dit  1'ordonnance,  preter  aide  et  secours  de  force  mi- 
litaire  a  la  justice  pour  Texecution  des  sentences  et 
jugements  des  prevots,  baillis  et  senechaux,  et  pour 
les  arrets  des  parlements,  tenir  le  pays  a  eux  commis 

(1)  Ordonn.  de  Moulins,  art.  13-20. 


200  GOUVERNEURS  DE  PROVINCE. 

en  surete,  le  garder  de  pillerie,  visitor  les  places 
fortes  et  avertir  des  entreprises  qu'on  pourroit  faire 
en  pays  et  terres  de  leurs  gouvernements  (1).  »  II 
leur  etait  absolument  interdit  de  lever  des  impots  ou 
d'en  laisser  lever  par  les  communautes  sans  lettres 
patentes  du  roi,  «  attendu,  disait  1'ordonnance  (2), 
qu'a  nous  seul  appartient  de  lever  deniers  en  riotre 
royaume.  » 

Des  mesures  de  police  generate  pour  i'arrestation 
des  accuses,  la  repression  des  delits,  des  emeutes  et 
violences,  la  confiscation  des  chateaux-forts  ou  Ton 
tentait  de  resister  a  la  justice  royale,  la  suppression 
des  hautes- justices ,  dans  le  cas  ou  les  hauts-justiciers 
ne  puniraient  pas  les  revokes  et  attentats  commis 
dans  leurs  domaines  (3),  remplissent  une  partie  de 
Tordonriance  de  Moulins. 

Viennent  ensuite  les  details  sur  les  huissiers  armes 
de  la  verge  de  justice,  sur  Tinstruction  des  proces, 
les  accusations  criminelles  des  gens  d'Eglise  et  no- 
bles, les  poursuites  contre  les  ecclesiastiques,  qui, 
pour  ddlit  commun,  seront  traduits  devant  les  tribu- 
naux  ordinaires  (4).  La  juridiction  des  prevots  est 
maintenue,  mais  restreinte  ;  les  presidiaux  pronon- 
ceront  sans  appel  sur  tous  les  cas  qui  sont  de  leur 
competence  (5). 

L'amelioration  du  droit  civil  est  un  des  principaux 
merites  de  Tordonnance  de  Moulins.  Elle  exige  un 

(1)  Ordonn.  de  Moulins,  art.  22. 

(2)  Ibid.,  art.  23. 

(3)  Ibid.,  24-30. 

(A)  Ibid.,  art.  31-39. 
(5)  Ibid.,  art. 


DROIT  crviL.  201 

acte  notarie  ou  sous  seing-privdpow  une  creance  de 
plus  de  cent  livres;  au-dessous  de  cette  somme,  la 
preuve  testimonial  suffit  (1).  Les  donations  entre- 
vifs  doivent  etre  enregistrees  au  greffe  du  tribunal  le 
plus  voisin  dans  un  delai  de  quatre  mois,  qui  est 
etendu  a  six  mois  pour  les  absents  (2).  Les  dettes 
contractees  au  jeu  par  des  rnineurs  ne  sont  pas  va- 
lables  (3) .  La  signature  des  presidents  et  greffiers  est 
necessaire  pour  donner  aux  arrets  des  parlements 
un  caractere  authentique  (4)  Les  evocations,  qui  en- 
levaient  trop  souvent  les  plaideurs  a  leurs  juges  na- 
turels,  ne  pourront  avoir  lieu  qu'en  vertu  d'une  or- 
donnance  contre-signee  par  un  des  quatre  secretaires 
d'Etat  (5).  Les  parlements  pourront  faire  desremon- 
trances,et  la  partie  qui  aura  obtenu  Revocation  devra 
d'abord  se  constituer  prisonniere. 

Le  privilege  de  committimus  donnait  droit  de  com- 
paraitre  devant  une  juridiction  speciale,  tels  que  le 
grand  conseil,  les  maitres  des  requetes,  les  maitres 
de  I'hotel-du-roi,  la  grand'chambre  du  parlement,  etc. 
Sans  supprimer  ces  privileges,  Tordonnance  de  Mou- 
lins  en  reprima  les  abus  et  determina  ceux  qui  en 
jouiraient.  Elle  accorda  le  droit  de  committimus  aux 
grands  officiers  de  la  couronne,  aux  membres  du 
conseil  prive,  aux  maitres  des  requetes,  aux  notaires 
et  secretaires  royaux,  aux  princes  du  sang  royal,  aux 


(1)  Ordonn.  de  Moulins,  art.  54. 

(2)  Ibid.,  art.  58. 

(3)  Ibid.,  art.  59. 

(4)  Ibid.,  art.  63-69. 

(5)  Ibid. ,  art.  70. 


202  ORDONISA>CE  DE  MOULINS  (1566;. 

officiers  des  cours  souveraines,  a  douze  des  plus  an- 
ciens  proeureurs  et  avoeats  au  parlement  cle  Paris,  a 
six  des  plus  anciens  membres  des  autres  parlements, 
enfm  aux  eglises,  chapitres  et  communautes  reli- 
gieuses  (1). 

Les  anciennes  municipalites  cumulaient  des  attri- 
butions judiciaires  avec  les  fonetions  administratives. 
Deja  L'Hopital  leur  avail  enleve  la  juridiction  com- 
merciale.  L'ordonnance  de  Moulins  ne  laissa  aux 
maires,  echevins,  consuls,  capitouls  et  autres  offi- 
ciers municipaux  qu'une  simple  juridietion  de  po- 
lice. Toutes  les  affaires  civiles  furent  renvoyees  aux 
juridictions  ordinaires  (2).  Quant  au  tribunal  de 
simple  police,  il  se  composa  de  bourgeois  elus  dans 
chaque  quartier,  siegeant  une  fois  par  semaine  et 
jugeant  sans  appel,  lorsque  la  somme  en  litige  ne 
depassait  pas  soixante  sous  (3). 

Le  soin  des  hopitaux  fut  laisse  a  Fautorite  muni- 
cipale  (4).  Uordonnance  de  Moulins  maintint  les 
corporations  industrielles,  mais  avec  quelques  res- 
trictions. Les  banquets  qui  degeneraient  souvent 
en  orgies,  furent  supprimes  (5).  Deja  anterieure- 
ment  L'Hdpital  avait  present  la  publication  des  re- 
glements  de  chaque  metier  (6). 

La  surveillance  des  eveques  sur  les  clercsnommes 

(1)  Ordonn.  de  Moulins,  art.  56. 

(2)  Ibid.,  art.   71. 

(3)  Ibid.,  art.  72. 
(k)  I6irf.,art.  73. 

(5)  1 bid.,  art.  74. 

(6)  Ordonn.  d'Orleans,  art.  98,  99. 


ORDONNANCE  DE  AOULINS  (1566).  203 

aux  benefices,  la  residence  exigee  pourtous  les  ecele- 
siastiques,  sous  peine  de  saisie  de  leur  temporel  (1), 
completerent  la  reforme  du  clerge,  dont  L'Hopital 
s'etait  deja  specialement  occupe  dans  1'ordonnance 
d'Orleans.  Les  libelles  diffamatoires  qui  s'etaient  mul- 
tiplies pendant  cette  epoque  d'anarchie,  furent  se- 
verement  interdits;  on  exigea  la  censure  prealable 
pour  1'impression  des  ouvrages  (2) . 

II  fut  enjoint  aux  aubergistes  de  suspendre  dans 
leur  hotellerie  un  tableau  du  prix  des  vivres  avec  or- 
dre  de  s'y  conformer.  Toute  infraction  etait  punie 
d'une  amende  de  cinquante  livres  (3). 

Sans  doute  les  reformes  prescrites  par  les  ordon- 
nances  de  L'Hopital  n'ont  pas  toutes  ete  executees ; 
mais  il  faut  1'imputer  au  triste  etat  de  la  France,  et 
aux  factions  qui  la  decbiraient.  Elles  ne  restent  pas 
moins  un  titrede  gloire  pour  leurauteur(i).D'ailleurs 
plusieurs  des  principes,  poses  par  ce  grand  magis- 
trat,  ont  triompheet  sont  restes  le  fondementdu  droit 
franc,ais  jusqu'a  la  Revolution.  La  distinction  plus 
marquee  des  fonctionsciviles,  militaires  et  judiciaires; 
la  creation  des  tribunaux  de  commerce;  1'organisa- 
tion  des  presidiaux ;  les  conditions  pour  1'admission 
aux  charges  de  judicature  ont  resiste  a  1'epreuve  du 
temps  et  a  la  violence  des  factions. 

L'edit  du  4  fevrier  1567  (5),  peut  etre  considere 


(1)  Ordonn.  de  Moulins,  art.  75,  76. 

(2)  Ibid.,  art.  77,  78. 

(3)  Ibid.,  art  82. 

(/i)  Voy.  Teloge  de  L'Hopital  par  M.  Villemain. 
(5)  Get  6dit  se  trouve  dans  Fontanon,  I,  805, 


204  LOI  SOMPTUAIRE  (1567). 

comme  un  complement  des   reformes  de  L'Hopi- 
tal.   Le  preambule  retrace  le  «  desordre  et   dere- 
glement  advenus  depuis  dix  ans  et  augmentant  de 
jour  en  jour  en  toutes  choses   qui   dependent   du 
fait  de  la  police,  comme  vivres,  marchandises  et  au- 
tres  semblables.  »  Pour  prevenir  les  famines,  1'edit 
prohibait  le  transport  des  grains  hors  du  royaume  a 
moins  de  permission  speciale ,  defendait,   sous  des 
peines  severes,  les  accaparements,  et  reglait  la  qua- 
lite  et  le  prix  du  pain.  Des  mesures  analogues  etaient 
adoptees  pour  le  vin,  le  bois,  le  foin,  la  viande,  la 
volaille  et  le  gibier.  On  trouve  dans  cette  ordonnance 
un  tarif  qui  ne  manque  pas  d'interet;  le  prix  du  plus 
gros  chapon  est  fixe  a  sept  sous,  celui  de  la  meil- 
leure  poule,  a  cinq,  et  ainsi  de  suite.  Les  hoteliers 
et  cabaretiers  etaient  soumis  a  la  surveillance  de  la 
police  ;  ils  ne  pouvaient  s'etablir  qu'avec  1'autorisa- 
tion  des  juges  des  lieux,  et  devaient  afficher  a  la  porte 
de  leur  auberge  le  prix  des  denrees  qu'ils  mettaient 
en  vente.  II  etait  enjoint  aux  juges  et  officiers  des  sei- 
gneurs hauts-justiciers  de  visiter,  au  moins  une  fois 
par   semaine,  les    hotelleries  comprises  dans  leur 
ressort.  L'ordonnance   reglait  les  habillements,  sui- 
vant  la  condition  des  personnes ;  c'etait  une  veritable 
loi  somptuaire  qui  fut  aussi  impuissante  pour  repri- 
mer  le  luxe  que  toutes  les  lois  de  cette  nature.  Les 
dispositions  relatives  aux  jurandes  et  maitrises  de- 
vaient etre  remises  en  vigueur  et  executees  avec  plus 
d'exactitude.   La  condition  des  serviteurs,  la  police 
pour  la  proprete  et  la  salubrite  des  villes,  la  nomi- 
nation et  les  attributions  des  officiers  qui  y  seraient 


EDIT  DES  MERES  (1567).  205 

preposes ,  etaient  1'objet  de  dispositions  speciales. 

On  doit  encore  placer,  au  nombre  des  mesures  le- 
gislatives de  L'Hopital,  Vtdit  des  meres  rendu  au 
inois  de  mai  1567;  il  defendit  que  les  meres  succe- 
dassent  a  leurs  enfants,  et  ordonna  que  les  biens  des 
enfants  provenus  du  pere,  de  1'aieul,  d'oncles  collate- 
raux  ou  d'autres  de  quelque  endroit  que  ce  fut  du  cote 
paternel,  retourneraient  a  qui  de  droit,  sans  que  les 
meres  pussent  en  avoir  aucune  part.  La  loi  se  bornait 
a  leur  assigner  la  jouissance,  leur  vie  durant,  de  la 
moitie  des  biens  appartenant  en  propre  a  leurs  en- 
fants avant  qu'ils  fussent  decedes  (1). 

La  presence  de  L'Hopital  dans  le  conseil  fatiguait 
les  ambitieux  qui  cherchaient  dans  la  guerre  civile  un 
moyen  de  domination.  II  le  savait  et  reconnaissait 
qu'il  ne  desarmait  pas  ceux  que  sa  vieillesse  ennuyait. 
«  Je  leur  pardonnerais.  ajoutait-il,  d'etre  si  impa- 
tients,  s'ils  devaient  gagner  au  change;  mais,  quand 
je  regarde  autour  de  moi,  je  suis  bien  tente  de  leur 
reponclre  comme  un  bon  vieil  homme  d'eveque  qui 
portait,  comme  moi,  une  longue  barbe  blanche,  et 
qui  la  montrant  disait :  quand cette  neige  sera  fondue, 
U  riy  aura  plus  que  de  la  boue  (2).  »  Les  ennemis 
de  L'Hopital  parvinrent  a  1'eloigner  du  gouvernement 
en  1568,  et  avec  lui  sortirent  du  conseil  toute  jus- 
tice et  toute  moderation.  La  France  fut  en  proie  aux 
massacres  et  aux  guerres  civiles,  qui  rendaient  Tad- 
ministration  impossible.  «  L'agriculture,  ditun  con- 


(1)  Andennes  loi  franc.,  t.  XIV,  p.  221. 

(2)  filoge  de  L'Hopital  par  M.  Villemain. 


206  RETRAITE  DE  I/HOPITAL    (4568). 

temporain  (1),  I'agriculture  qui  est  la  chose  la  plus 
neeessaire  pour  maintenir  tout  le  corps  d'une  repu- 
blique,  et  laquelle  etoit  auparavant  mieux  exereee 
en  France  qu'en  aucun  autre  royaume,  comme  le 
jardin  du  monde  le  plus  fertile,  y  etoit  delaissee,  et 
les  villes  et  villages,  en  quantite  inestimable,  etant 
saccages,  pilles  et  brules,  s'en  alloient  en  deserts,  et 
les  pauvres  laboureurs  chasses  de  leurs  maisons, 
spolles  de  meubles  et  betail,  pris  a  ranc,on,  et  voles 
aujourd'hui  des  uns,  demain  des  autres,  de  quelque 
religion  ou  faction  qu'ils  fussent,  s'enfuyoient  comme 
betes  sauvages,  abandonnant  tout  ce  qu'ils  avoient 
pour  ne  demeurer  a  la  misericorde  de  ceux  qui 
etoient  sans  merci.  Et,  pour  le  regard  du  trafic,  qui 
est  fort  en  ce  royaume,  il  y  etoit  aussi  delaisse ;  car 
les  marchands  et  artisans  quittoient  leurs  boutiques 
et  leurs  metiers  pour  prendre  la  cuirasse.  La  noblesse 
etoit  divisee  et  1'etat  ecclesiastique  opprime,  n'y 
ayant  aucun  qui  fut  assure  de  son  bien  et  de  sa  vie. 
Et  quant  a  la  justice,  qui  est  le  fondement  des  royau- 
mes  et  republiques  et  de  toute  la  societe  humaine, 
elle  ne  pouvoit  etre  administree,  vu  que,  oil  il  est 
(juestion  de  la  force  et  violence,  il  ne  faut  plus  faire 
etat  du  magistrat  ni  des  lois.  Enfm,  la  guerre  civile 
etoit  une  source  inepuisable  de  toutes  mecbancetes, 
la-reins,  voleries,  meurtres,  incestes,  adulteres,  par- 
ricides et  autres  vices  enormes  que  Ton  peut  imagi- 
ner,  esquels  il  n'y  avoit  ni  bride,  ni  punition  aucune. 
Et  le  pis  etoit  qu'en  cette  guerre,  les  armes  qu'on 

(1)  M6m.  de  Michel  de  Castelnau,  liv.  HI,  ch.  I. 


ETAT  DEPLORABLE  DE  LA  FRANCE.  307 

avoit  prises  pour  la  defense  de  la  religion  aneantis- 
soient  toute  religion,  car  les  eglises  etoient  saccagees 
et  demolies,  les  anciens  monasteres  detruits,  lesreli- 
gieux  chasses,  les  religieuses  violees  ;  et  ce  qui  a  etc 
bati  enquatre  centsans  etoit  detruit  en  an  jour,  sans 
pardonner  aux  sepulcres  desrois  (1)  et  de  nos  pores. 
Voila  les  beaux  fruits  que  produisoit  cette  guerre 
civile.  » 

Vainement  quelques  ordonnances  furent  rendues 
pour  soulager  la  misere  du  royaume  et  secourir  le 
paysan  opprime  par  les  gens  de  guerre.  Yainement 
on  defendit  de  saisir  les  bestiaux  et  outils  du  labou- 
rage,  «  afin  de  soulager,  maintenir  et  eonserver  les 
pauvres  sujets,  specialement  cetix  qui  labourent  la 
terre,  habitant  le  plat  pays,  sujets  au  passage  et  aux 
injures  des  gens  de  guerre  (2).  »  Cette  ordonnance  et 
celle  qui  accorde  aux  paysans  une  surseance  de  trois 
ans  pour  le  paiement  de  leurs  dettes  (3)  ne  font  qu'at- 
tester  la  misere  des  paysans,  et  le  desir  impuissant 
de  les  soulager. 

Les  finances  etaient  indignernent  dilapidees,  et, 
malgre  les  sages  ordonnances  de  Francois  Ier  et  de 
Henri  II  sur  Fadministratiori  financiere,  cette  partie 
du  service  public  etait  livree  au  desordre  et  au  pil- 
lage. Catherine  de  Medieis,  tout  entiere  aux  intrigues 
diplomatiques,  negligeait  Tinterieur,  on  ne  s'en  oc- 
cupait  que  pour  diviser;  Charles  IX  ne  prenait  de  la 


(1)  Allusion  a  la  violation  du  tombeau  de  Louis  XI  par  les  Hu- 
guenots. 

(2)  Anciennes  Lois  francaises,  t.  XIV,  p.  138. 

(3)  Ibid.,  p.  240. 


208  DILAPIDATION  DBS  FINANCES  (1572). 

royaute  que  les  pompes  exterieures,  les  exercices 
violents  ou  les  executions  impitoyables  (1).  Les  fi- 
nanciers n'avaient  pas  de  peine  avec  un  pareil  prince 
a  «  obscurcir  le  metier  et  faire  croire  qu'ii  faut  etre 
ne  dans  le  maniement  des  finances  pour  les  savoir 
exercer  (2).  »  On  trouve  dans  la  Republique  de  Bodin 
une  preuve  de  ces  dilapidations  qui  enricbissaient  les 
financiers  aux  depens  du  roi  et  de  1'Etat  :  «  je  met- 
trai  pour  exemple,  dit-il  (3),  1'etat  des  finances  qui 
fut  dresse  par  estimation  au  mois  de  Janvier  1572, 
oil  il  se  trouve  qu'au  cbapitre  de  recette,  on  coucha, 
pour  un  article  des  parties  casuelles  (4) ,  deux  mil- 
lions, et,  par  Tetat  fait  au  vrai  a  la  fin  de  1'annee,  il 
se  trouva  qu'elles  avoient  monte  a  deux  millions  huit 
cent  mille  livres,  et  neanmoins  il  fut  avere  qu'il  n'en 
etoit  tourne  au  profit  du  roi  que  cinq  cent  mille  li- 
vres. »  Le  roi  lui-meme  constatait  dans  ses  edits  des 
desordres  qu'il  etait  impuissant  a  reprimer.  «  Nous 
avons  connu,  disait-il  (5),  grand  desordre  en  Padmi- 
nistration  de  nos  finances,  et  que  plusieurs  crimes, 
abus,  fautes  et  malversations  y  sont  commis,  lesquels 
neanmoins  demeurent  impunis.  » 

La  marine  negligee  depuis  le  commencement  de 

(1)  «  Le  roi,  dil  1'ambassadeur  venitien  Marc-Antoine  Barbaro, 
aime  surtout  les  armes,  1'exercice  du  cheval  et  la  guerre.  »  Re- 
lat.   des  ambassad.  venit.y  II,  A3. 

(2)  Mem.  de  Tavannes ,  6dit.  Petitol,  Ire  serie,  t.  XXV,  p.  32. 

(3)  Bodin,  Republique,  liv.  VI,  p.  662.  e"dit.  de  1577. 

(4)  On  appelait  parties  casuelles  Targent  qui  provenait  des  of- 
fices vacants  par  la  mort  des  titulaires,  des  droits  perfus  par  le 
tremor  a  chaque  resignation  et  enfin  de  Timpot  nomm6  paulelle, 
que  payaient  chaque  ann^e  les  titulaires  des  offices. 

(b)Anc.  lois  franc.,  XIV,  221. 


DECADENCE  DE  LA  MARINE  SOUS  CHARLES  IX.  209 

ce  regne  (1),  fut  entitlement  abandonnee  au  milieu 
de  1'anarchie  des  guerres  de  religion.  L'amiral  de 
Coligny,  qui  avait  encourage  les  expeditions  mariti- 
mes  des  reformes  et  songe  peut-etre  a  leur  menager 
line  nouvelle  patrie,  comme  firent  les  puritains  an- 
glais au  siecle  suivant,  Tamiral  fut  detourne  par 
d'autres  soins  de  cet  interet  national.  La  colonie  que 
le  Dieppois  J.  Ribaut  avait  fondee  a  la  Floride  (1561) 
fut  detruite,  en  1564,  par  les  Espagnols  qui  pendi- 
rent  les  colons,  «  non  comme  Francois,  mais  comme 
heretiques  (2). »  Le  gascon  Dominique  de  Gourgues 
tira  vengeance  de  cette  cruaute  des  Espagnols,  en 
les  faisant  pendre,  «  non  comme  Espagnols,  mais 
comme  assassins.  »  Quant  a  la  marine  militaire 
creee  avec  tant  de  peine  par  Francois  Ier,  elle  tomba 
dans  une  decadence  dont  elle  ne  s'est  relevee  qu'au 
siecle  suivant.  L'ambassadeur  venitien,  Marc-An- 
toine  Barbaro,  atteste  cette  ruine  de  la  marine  fran- 
Qaise,  et  dit  que,  sur  les  cotes  de  Provence  ou  Fran- 
cois Ier  entretenait  ordinairement  vingt  galeres ,  on 
n'en  comptait  plus  que  huit  (3). 

Un  des  principaux  actes  administratifs  de  la  fin 
du  regne  de  Charles  IX  fut  un  nouveau  regle- 
ment  pour  le  conseil  d'Etat  (1570) ;  il  avait  pour  but 
de  determiner  avec  precision  la  nature  des  affaires  qui 
devaient  etre  traitees  dans  ce  conseil  (4)  et  les  jours 


(1)  Relat.  de  Michel  Suriano  (1561),  dans  le  recueil  des  Relations 
des  ambassad.  vdnit.,  t.  I,  p.  Zi91. 

(2)  Lud.  Vitet,  Hist,  de  Dieppe,  II,  p.  151-156. 

(3)  Relations  des  ambassadeurs  vdnitiens,  t.  II,  p.  17. 

(b)  Manuscrit  de  la  Biblioth.  impe'r.,  f.  de  Sorbonne,  n°  1080, 
f"  12-13. 


CONSTRUCTION  DES  TU1LERIES. 

de  reunion  ;  mais  la  multitude  des  ordonnances  rela- 
tives a  ce  conseil  ne  sert  qu'a  prouver,  comme  le  re- 
marque  Fauteur  anonyme  (1) ,  que  ces  reglements 
etaient  tres-mal  observes. 

La  fondation  du  palais  des  Tuileries  commencee 
en  1364,  la  construction  du  Louvre  auquel  travaillait 
Jean  Goujon  quand  il  fut  assassine  (1372),  les 
chateaux  de  Saint-Maure,  Mousseaux,  Chenonceau 
eleves  par  Catherine  de  Medicis,  la  collection  de 
manuscrks  recherches  par  ses  ordres  dans  divers 
pays  et  deposes  a  la  Bibliotheque  royale  (2),  le  projet 
d'academie  redige  par  Ronsardet  approuve  par  Char- 
les IX  (1371),  les  plaisirs  memes  de  la  cour  ou  les 
jeux  de  Fesprit  se  melaient  a  la  pompe  des  fetes  (3), 
tout  atteste  que  les  arts  et  les  lettres  ne  furent  pas 
abandonnes  par  cette  cour  plus  italienne  que  fran- 
caise.  Malheureusement  on  ne  pouvait  attendre  une 
impulsion  elevee  d'un  pouvoir  si  profondernent  cor- 
rompu.  La  licence  des  moeurs,  le  mepris  de  toute 
pensee  genereuse,  une  politique  machiavelique  s'ar- 
mant  du  poison  et  du  stylet,  degraderent  les  carac- 
teres.  Le  mot  de  Voltaire  s'applique  avec  justesse  a 
la  cour  de  Catherine  et  de  ses  fils,  c'est  une  robe  de 
soie  tachee  de  sang  et  de  boue. 

(1)  Manuscrit  cite,  f°  21. 

(2)  Palrna  Cayet,  Chronol.  novenn.,  collect.  Petitot,  t.  XXXIX 
de  la  Jre  se>ie,  p.  30  et  31. 

(3)  Voy.  la  descript.  d'une  de  ces  fetes  dans  les  Me"moires  de 
Mich,  de  Castelnau,  liv.  V,  ch.  6. 


CHAPITRE  XI. 


Sommaire. 

HENRI  III  (1575-1589).  —  Faiblesse,  prodigalites  et  misere  de 
ce  prince.  —  Le  chancelier  de  Birague.  —  Anarchie  dans 
le  royaume.  —  Ordonnance  de  Blois  (1 579).  —  Reforme  du 
clerge ;  conditions  d'age  et  de  capacite  imposees  pour  par- 
venir  aux  dignites  ecclesiastiques ;  institution  d'un  theolo- 
gal  dans  chaque  eglise  cathedrale  ;  la  juridiction  ecclesias- 
tique  est  soumise  au  controle  des  parlements  ;  administra- 
tion des  hopitaux;  surveillance  exercee  par  1'Etat  sur  les 
Universites ;  articles  relatifs  a  ^administration  de  la  justice ; 
reduction  du  nombre  des  offices ;  les  juges-consuls  sont 
maintenus  malgre  les  reclamations  des  Etats;  defenses  d'u- 
surper  les  litres  de  noblesse ;  nombre  des  gouverneurs  re- 
duit  a  douze  ;  les  fonctions  judiciaires  leur  sont  interdites  ; 
organisation  de  1'armee;  police  de  la  cour ;  les  domaines 
alienes  sont  repris ;  mesures  pour  1'entretien  des  grandes 
routes,  pour  1'election  des  officiers  municipaux  et  la  police 
des  auberges.  —  L'ordonnance  de  Blois  est  violee  par 
Henri  III ;  venalite  des  charges;  licence  des  armees;  mesu- 
res fiscales  et  dilapidation  des  deniers  publics.  —  Reforme 
de  quelques  coutumes.  —  Creation  des  bureaux  de  finan- 
ces. —  Institution  de  1'ordre  du  Saint-Esprit.  —  Pensions 
pour  les  invalides.  — Le  monopole  des  corporations  est  mo- 
difie. —  Reglement  relatif  aux  secretaires  d'Etat.  —  Conseil 
d'Etat.  —  Progres  de  1'opinion  publique  sous  ce  regne. 


A  line  epoque  ou  la  France  aurait  eu  besoin  d'un 
gouvernement  energique  pour  comprimerla  violence 
des  factions,  on  vit  sur  le  trone  un  monarque  effe- 
mine,  vendant  les  offices  avec  plus  descandale  qu'au- 
cun  de  ses  predecesseurs  (1);  prodiguant  1'argenten 

(1)  Anciennes  Lois  franc.,  t.  XIV,  p.  326,  343,  344,  348,  etc. 


HENRI  in  (1575-1589). 

depenses  frivoles  ou  honteuses  (1),  et  manquant  de 
ressources  pour  les  affaires  les  plus  importantes  (2) ; 
livrant  des  millions  a  ses  favoris  et  ne  pouvant  payer 
ses  allies  (3) ;  negligeant  1'administration,  ou  rendant 
des  ordonnances  qu'il  est  impuissant  a  faire  execu- 
ter;  d'une  politique  versatile;  obeissant  au  parti  qui 
1'intimide  ou  le  flatte;  esclave  des  factions  qu'il  au- 
rait  du  domirier,en  un  mot,  roi  meprisable  servi  par 
d'indignes  ministres. 

Ala  tete  de  la  justice,  et  sur  le  siege  de  L'Hopital 
on  voyait  1'Italien  Birague,  «  liberal,  voluptueux, 
homme  du  temps,  serviteur  absolu  des  volontes  du 
roi,  ayant  souvent  dit  qu'il  n'etait  pas  chancelier  du 
royaume,  mais  du  roi  (4).  »  Le  portrait  qu'a  trace 
de  ce  chancelier  un  temoin  impartial,  1'ambassadeur 
venitien,  Jerome  Lippomano,  ri'est  guere  plus  favora- 
ble (5).  II  accuse  Birague  d'ignorance  et  d'avarice. 
Les  qualites  memes  qu'il  lui  attribue,  bonnes  pour 


(1)  Les  noces  de  Joyeuse  couterent  plus  de  6,000,000  de  mon- 
naie  moderne.  L'fitoile,  journal  de  Henri  HI,  p.  225,  e"dit.   Pe- 
titot, 

(2)  «  Hoc  est  cur  semper  indigeat,  semper  pauper  sit  rex,  et 
nulli  bene  merilo  gratia  referatur,  neque  honor  habeatur,  dum  is- 
tis  cumulantur  opes,  etc.  »  Lettres  de  1'ambassadeur  Biisbeck,  lettre 
du  11  mai  1583. 

(3)  L'fitoile,  journal  de  Henri  III,  p.  225,  meme  Edition  :  «  Les 
ambassadeurs  suisses  [e"toient]  venus  pour  demander  1'argent  qu'on 
leur  devoit.  Quand  on  leur  r^pondit  que  le  roi  n'avoit  pas  d'argent, 
[ils]  dirent  qu'il  n'etoit  pas  possible  que  le  roi  n'eut  ses  coffres 
pleins,  puisque,  depuis  quatre  ou  cinq  mois,  aux  noces  du  due  de 
Joyeuse,  simple  gentilhomme,  avant  qu'il  Petit  honor6  du  litre  de 
mignon  de  Sa  Majeste",  il  avoit  en  festins,  en  mascarades,  tournois, 
de'pense'  douze  cent  mille  6cus  et  plus,  etc.  » 

(U)  L'titoile,  journal  de  Henri  III,  p.  258. 

(5)  Relations  des  ambassadeurs  venitiens,  t,  II,  p.  255. 


LE   CHANCELIER   DE   B1RA.GUE,  213 

un  homme  de  guerre,  degeneraient  en  vices  chez  un 
magistral. 

« J 'arrive  au  grand  chancelier;  c'est,  comme 
vous  savez ,  le  president  Birague,  gentilhomme 
milanais,expatrie  depuis  longtemps,age  desoixante- 
cinq  ans,  goutteux,  mais  robuste,  fort  entendu 
dans  les  affaires  d'Etat,  voulant  tout  savoir  et  ayant 
partout  des  gens  a  lui  et  des  espions.  Ce  qu'il 
connait  le  mieux  c'est  la  guerre,  dans  laquelle  il  est 
plus  verse  que  dans  les  exercices  des  docteurs.  C'est 
pourquoi  on  le  fit  gouverneur  de  Lyon  et  du  Lyon- 
nais;  il  s'y  coriduisit  de  maniere  qu'apres  son  retour 
a  la  cour,  protege  et  cheri  par  le  roi  et  par  la  reine, 
il  put  succeder  a  M.  de  L'Hopital  dans  la  charge 
de  grand-chancelier.  C'est  la  premiere  charge  du 
royaume.  Si  auparavanton  le  hai'ssait  comme  Italien, 
maintenanton  1'abhorre  comme  chancelier  et  comme 
lie  a  la  reine,  1'envie  se  joignant  a  la  haine.  On  me- 
nace meme  d'attenter  a  sa  vie.  Mais  lui,  qui  est  tres- 
courageux,  et  que  la  protection  du  roi  et  de  la  reine 
enhardit  encore,  il  ne  craintpas  les  menaces.  Au  sur- 
plus, une  bonne  garde  1'environne  :  sa  maison  est 
pleine  de  ses  parents  et  de  ses  neveux,  tous  bons  sol- 
dats.  On  lui  reproche  d'etre  avare ;  on  dit  qu'il  ferait 
tout  pour  son  interet,  rien  par  pure  courtoisie.  Ce 
qui  pis  est,  on  dit  qu'il  connait  peu  les  devoirs  de  sa 
charge.  Comme  tous  les  arrets  de  grace  et  de  justice 
passent  par  ses  mains  et  sous  son  sceau,  il  empeche 
souvent  ce  qu'il  devrait  autoriser  ou  autorise  ce  qu'il 
devrait  empecher,  parce  qu'il  est  etranger  a  la  pro- 
fession de  juge  ou  de  docteur ;  il  ne  sait  quand  il 
L  15 


ANARCH1E   EN   FRANCE. 

faut  ajouter  ou  oter  une  clause  a  tel  ou  tel  acte;  il  ne 
voit  pas  pourquoi  il  est  mieux  de  s'exprimer  plutot 
de  telle  maniere  que  de  telle  autre ;  puis  il  est  tres- 
lent,  voulant  exp^dier  tout  seul  les  affaires  (1).  » 

Pendant  que  le  pouvoir  central  s'enervait  et  s'avi- 

lissait  dans  de  pareilles  mains,   les  provinces  et  les 

municipalites   reprenaient  leur   ancienne  indepen- 

dance,  et  menacaient  1'unite  nationale,  conquete  la- 

borieuse  de  tant  de  siecles.  La  Ligue  annoncait,  dans 

son  manifeste,  1'intention  de  remettre  les  provinces 

en  Vestat  et  liberty's  qu'elles  avaient  du  temps  deClo- 

vis.  Les  gouverneurs  organisaient  une  nouvelle  feo- 

dalite  et  profltaient  de  la  decadence  du  pouvoir  pour 

se  faire  de  leurs  provinces  des  souverainetesindepen- 

dantes  (2).  Aux  ordres  de  la  royaute,  des  capitaines 

repondaient  audacieusement  qu'en  temps  de   guerre 

tout  le  monde  est  compagnon  (3).   Les  parlements 

(1)  Les  Me"moires  inedits  d'Andre"  d'Ormesson  (f°  160),  donnent 
quelques  indications  conrtes  et  precises  sur  le  chancelier  de  Bira- 
gue  :  «  Rene  de  Birague,  JVIilanois,  president  de  Turin,  fut  fait  garde 
des  sceaux,  lorsque  M.  de  Morvilliers  les  rendit  (1570).  Le  chan- 
celier de  L'FIospital  estant  de"cede  en  sa  maison  de  Belesbat,  le  3 
mars  1573,  il  [Birague]  fut  faict  chancelier  de  France ;  mais  estant  age", 
il  remit  en  Tan  1577  les  sceaux,  qui  furent  bailie's  a  messire  Philippe 
Hurault  de  Ghiverni,  et  Rene  de  Birague  fut  fait  cardinal  sans  be"- 
neTice;  il  achetale  terre  d'Amboise  et  fit  bastir  1'hostel  de  Saint- 
Pol,  pres  I'e'glise  de  Sainte-Catherine,  ou  il  fut  enterre"  solennelle- 
ment  en  l'anne"e  \  583  en  habit  de  penitent  blanc,  le  roy  Henri  III  as- 
sistant a  son  enterrement  avec  tons  les  penitents.  Il  disoit  de  luy- 
mesine  :  qu'il  estoit  cardinal  sans  litre,  prestre  sans  benefice, 
courtisan  sans  faveur,  docteur  sans  science,  chancelier  sans 
sceaux.  » 

(2)  L'titoile,  journal   de  Henri  111,  12/1-125.  —  «  Praefecturae 
»  nullis  terminis  defmiri ,  sed  vita3  aBquales  esse  solent,  »  dit  Bus- 
beck,  lettre  du  20  mai  1584. 

(3)  Voyez,  dans  Brantome,  la  re*ponse  de  Montbrun,  chef  des  pro- 
testants  du  Dauphine". 


ORDONNANCB    DR    BLOIS  (4579).  21") 

eux-memes  etablis  pour  representer  la  puissance 
royale  et  la  faire  respecter,  les  parlements  lui 
manquaient  souvent  de  respect  et  d'obeissance.  A. 
Toulouse,  le  parlement  avait  fait  executer  un  gentil- 
homme  envoye  par  le  roi  pour  signifier  a  cette  cour 
un  edit  de  pacification  (1). 

Dans  ces  circonstances  critiques,  la  nation  tout 
aveuglee  qu'elle  etait  par  les  passions  politiques  et  reli- 
gieuses,  semontra  superieure  au  gouvernement.  Reu- 
nie  aux  Etats-Generaux  de  Blois  (1 576-1 577) ,  elle  fit 
entendre  d'energiques  remontrances  contre  les  abus 
de  1'administration ;  1'ordonnance  de  Blois  en  363 
articles  (2)  fut  le  resultatdes  reclamations  des  Etats ; 
elle  se  proposa  de  porter  remede  aux  abus  et  de 
donner  a  1'opinion  publique  une  satisfaction  trop 
souvent  illusoire.  Cette  ordonnance  traite  du  clerge, 
de  1'instruction  publique,  de  I'administration  de  la 
justice,  des  differents  offices,  de  la  noblesse  et  des 
gens  de  guerre,  des  finances  et  de  la  police  gene- 
rale  du  royaume ;  c'est  un  complement,  et  souvent 
une  reproduction  des  ordonnances  de  L'Hopital ;  nous 
nous  bornerons  a  signaler  les  points  principaux  qui 
indiquent  1'etat  de  1'administration  monarchique,  les 
abus  a  reformer  et  lesvelleites  d'amelioration. 

Une  assemblee  laique  entreprit,  comme  a  Orleans, 
la  reforme  du  clerge,  et  le  pouvoir  civil  regla  la  dis- 
cipline ecclesiastique.  On  renon^a  aux  elections  que 
L'Hopital  avait  vainement  tente  de  retablir;  mais  on 

(1)  Voltaire,  Hist,  du  parlement,  6dit.  d'Amsterdan,  1769,  t  T, 
p.  illi. 

(2)  Anciennes  lois  franc..,  t.  XIV,  p.  380  et  suiv;:ntes, 


REFORME   DU   CLERGE. 

entoura  de  garanties  la  nomination  aux  sieges  epis- 
copaux.  L'age  de  vingt-sept  ans  etait  exige  pour  la 
promotion  aux  dignites  episcopates  et  abbatiales; 
la  doctrine  du  candidat  devait  etre  constatee  par  un 
examen  que  lui  feraient  subir  un  archeveque  et  un 
eveque  assistes  de  deux  docteurs  en  theologie  (1). 
La  qualite  de  Francais  etait  exigee  (2).  On  s'effor^ait 
par  ces  mesures  de  mettre  un  terme  aux  abus  scanda- 
leux  quiavaient  eu  lieu  sous  Francois  ler  (3),  sans  reve- 
nir  comme  1'avait  d'abord  tente  L'Hopital  a  des  usa- 
ges suranneset  feconds  en  desordres.  La  residence  des 
eveques,  1'administration  des  biens  ecclesiastiques, 
les  visites  pastorales,  1'entretien  des  seminaires  et  des 
prebendes  theologales,  la  rigueur  de  la  cloture  mona- 
cale,  Tage  pour  la  profession  de  la  vie  religieuse,  la  pu- 
nition  des  blasphemateurs,  astrologues  et  devins,  1'ob- 
servation  des  fetes  et  dimanches ;  la  prohibition  des 
manages  clandestins,  tels  furent  les  principaux  arti- 
cles de  la  reforme  religieuse  (4).  L'ordonnance  de 
Blois  maintenait  la  juridiction  ecclesiastique  en  la 
soumettantaucontrole  desparlements  (5)  et  n'oubliait 
ni  les  dimes,  ni  les  conseils  de  fabrique  pour  chaque 
eglise. 

L'ordonnance  de  Blois  s'occupa  aussi  de  1'admi- 
nistration  des  hopitaux.  Des  le  xive  siecle,  le  concile 
de  Vienne  (1 31 1 )  avait  demande  que  la  direction 

(1)  Anciennes  lois  frangaises,  art.  1  et  2  de  Tordoimance  de 
Blois. 

(2)  Ibid.,  art.  l\. 

•    (3)  Voy.  plus  haut,  p.  190-191. 
(4)  Ibid.,  art.  1—45  et!90—  191. 
(6)  Md.,  art  45,  56,  57, 58,  59, 60, 64* 


ADMINISTRATION    DES    HOPITAUX. 

des  hopitaux  fut  confiee  a  des  lai'ques,  gens  de  bien, 
capables  et  solvables,  qui  devaient  preter  serment 
d'administrer  comme  tuteurs  des  pauvres,  faire  in- 
ventaire  des  biens  des  hopitaux  et  rendre  compte  de 
leur  gestion  devant  un  bureau  preside  par  1'eve- 
que.  Les  rois  de  France,  et  specialement  Fran- 
cois Ieret  Henri  II,  adopterent  ces  principes  et  deci- 
derent  que  les  administrateurs  des  hopitaux  ne  se- 
raient  ni  ecclesiastiques,  ni  nobles,  ni  officiers  (titu- 
laires  d'offices  de  judicature  ou  de  finances),  mais  des 
marchands,de  simples  bourgeois,  c'est-a-dire  de  bons 
peres  de  famille,  de  sages  economes,  instruits  des 
affaires.  La  nomination  de  ces  administrateurs  ap- 
partenait  aux  fondateurs,  villes,  seigneurs  ou  sim- 
ples particuliers.  Si  le  fondateur  n'etait  point  connu, 
on  devait  presumer  que  I'hopital  etait  de  fondation 
royale,  et,  dans  ce  cas,  il  etait  place  sous  la  protec- 
tion du  grand  aumonier  de  France  qui  en  nommait 
les  administrateurs.  Us  restaient  trois  ans  en  charge 
et  rendaient  compte  de  leur  gestion  devant  ceux  qui 
les  avaient  nommes,  et  en  presence  de  1'eveque  ou  de 
son  delegue,  des  delegues  du  roi  et  de  la  ville,  sui- 
vant  les  usages  des  diverses  localites.  Malheureuse- 
ment  les  administrateurs  n'etaient  le  plus  souvent 
que  des  tuteurs  honoraires  qui  abandonnaient  le 
soin  des  hopitaux  aux  tresoriers,  receveurs,  eco- 
nomes, etc.  Les  ordonnances  des  rois  de  France  et 
specialement  les  ordonnances  de  Moulins  et  de  Blois 
s'efforcerent  de  mettre  un  terme  a  ces  abus  et  d'as- 
surer  la  bonne  administration  de  ces  maisons  des 
pauvres. 


SURVEILLANCE    DBS    UNIVERSITES. 

Jusqu'au  x\T  siecle,  1'instruction  publique  n'avait 
guere  ete  gouvernee  que  par  la  puissance  ecclesiasti- 
que ;  elle  fut  pour  la  premiere  fois,  en  1579,  sou- 
mise  a  un  reglement  general  qui  la  rattachait  au 
pouvoir  central.  Inspection  des  universites  par  des 
commissaires ,  nature  de  1'enseignement,  discipline 
des  colleges,  elections  et  devoirs  des  recteurs,  depot 
aux  greffes  judiciaires  des  titres  des  universites  et 
colleges,  lecture  publique  deux  fois  par  an  des  sta- 
tuts  de  chaque  college,  collation  des  grades  par  les 
universites,  temps  d'etudes  exige  pour  les  obtenir, 
concours  pour  les  chaires  de  droit,  conditions  pour 
1'etude  de  la  medecine  (1)  :  tout  est  determine  avec 
un  soin  minutieux  par  1'ordonnance  de  Blois.  Chaque 
universite  conserve  ses  traditions  et  sa  constitution ; 
mais  elle  sera  desormais  rattachee  au  pourvoir  cen- 
tral par  1'inspection  (2). 

Pour  1'administration  de  la  justice,  1'ordonnanee 
de  Blois  renouvelle  la  plupart  des  prescriptions  de 
L'Hopital,  et  constatele  peu  de  succes  des  reglements 
anterieurs.  Elle  interdit  les  evocations,  les  commis- 


(1)  Ordonnance  de  Blois,  art.  67-88. 

(2)  Cette  mesure  etait  d'autant  plus  necessaire  qu'il  y  avail  alors 
en  France  un  grand  nombre  d'Universites  fondles  a  diverses  6po- 
ques   et  dont  Forganisalion  6tait  aussi  differente  que  Torigine. 
Apres  Paris,  Toulouse  et  Montpellier  avaient  eu  des  Universites  au 
Ireizieme  siecle ;    Orleans,  Angers  et  Cahors,  au  quatorzieme ;  Aix, 
Poitiers,  Caen,  Valence,  Nantes,  Bourges,  Dole  (remplacee  plus  tard 
par  Besancon),  Bordeaux,  au  quinzieme;  Angouleme  et  Reims,  au 
seizieme.  II  y  avait  deja  seize  Universites,  en  1577,  sans  parler  de 
celles  d'Orange  et  d'Avignon.  Dans  la  suite,  la  reunion  de   nou- 
velles  provinces  fit  creer  de  nouvelles  Universites,  et  entre  autres 
celles  de  Pau,  Douai,  Strasbourg,   Perpignan,  Metz  et  Nancy.  On 
e"tablit  une  ecole  de  droit  a  Dijon,  au  xvme  siecle. 


REDUCTION   DKS  OFFICES.  219 

sions  extraordinaires,  la  venalite  des  charges;  im- 
pose pour  les  elections  des  conditions  d'age  et  de  ca- 
pacite;  present  des  mesures  propres  a  assurer  la 
bonne  administration  de  la  justice,  les  mercuriales, 
la  tenue  des  grands  jours,  la  surveillance  des  justi- 
ces seigneuriales,  et  le  depot  de  leurs  actes  au  greffe 
des  justices  royales  (1). 

La  reduction  des  offices  est  un  des  points  sur  les- 
quels  1'ordonnance  de  Blois  insiste  avec  le  plus  de 
soin.  Elle  determine  le  nombre  des  presidents  et  des 
conseillers  qui  pourront  sieger  dans  chaque  cour, 
dans  les  parlements,  au  grand  conseil,  dans  les 
chambres  des  comptes  de  Paris,  Bretagne,  Dijon, 
Montpellier,  Provence  et  Montferrand,  dans  la  cour 
des  monnaies  et  la  chambre  du  Tresor  (2).  Elle  re- 
duit  le  nombre  des  sieges  presidiaux,  comme  1'a- 
vaient  demande  les  Etats-Generaux;  mais  elle  main- 
tient  avec  raison,malgre  les  reclamations  de  1'assem- 
blee  de  Blois,  les  tribunaux  fesjuges-consuls,  dans 
les  principales  villes  du  royaume.  La  suppression 
d'un  grand  nombre  d'officiers  de  finances  complete 
cette  partie  de  1'ordonnance  (3) . 

La  noblesse,  qui  perdait  chaque  jour  en  puissance 
et  en  consideration,  avait  fait  entendre  de  vives  do- 
leances.  L'ordonnance  de  Blois  lui  donna  satisfaction 
sur  quelques  points.  Elle  defendit  les  usurpations 
des  titres  de  noblesse,  reserva  aux  gentilshommes 


(1)  Ordonn.  de  Blois,  art.  89-209. 

(2)  lbid.y  art.  210-234. 

(3)  lbid.,wL  235-255. 


220  RfiFORMES  ADMINISTRATIVE . 

toutes  les  places  dans  la  garde  du  roi,  les  offices  du 
palais,  les  charges  de  baillis  et  senechaux  (1).  Ces 
magistrats  pouvaient  assister  aux  jugements  rendus 
par  les  bailliages,  mais  sans  voix  deliberative  (2) ;  la 
distinction  de  la  robe  et  de  Tepee  fut  alors  complete. 
Le  cumul  des  charges  de  gouverneur  et  des  grandes 
dignites  de  la  couronne  etait  interdit.  L'ordonnance 
reglait  les  fonctions  des  gouverneurs  dont  le  nombre 
etait  reduit  a  douze ;  elle  leur  defendait  1'usurpation 
de  la  puissance  judiciaire,  la  levee  des  impots,  et 
renouvelait  les  prescriptions  des  edits  d'Orleans  et  de 
Moulins  pour  proteger  le  peuple  contre  les  abus  du 
droit  de  pourvoierie,  des  peages  illicites,  des  usur- 
pations feodales,  du  droit  de  chasse,  etc  (3). 

La  composition  des  compagnies  d'hommes  d'ar- 
mes,  les  conditions  d'avancement,  la  discipline  et  la 
repression  des  brigandages  des  troupes  furent  1'objet 
de  dispositions  minutieuses  (4).  II  en  fut  de  meme 
pour  1'infanterie,  le  paiement  regulier  de  la  solde,  la 
constatation  du  nombre  des  soldats  presents  sous  les 
drapeaux,  le  recrutement  de  1'armee.  La  milice  feo- 
dale  de  1'arriere-ban  etait  maintenue  et  devait  etre 
conduite  par  les  baillis  et  senechaux  (5). 

La  police  de  la  cour  etait  confiee  aux  maitres  d'ho- 
tel,  qui  avaient  charge  d'expulser  les  vagabonds  et 
solliciteurs  a  la  suite  de  la  cour,  et  de  maintenir 


(1)  Ordonn.  de  Blois,  art.  256-263. 
(2)7faW.,art.  266.  | 
(3)  Ibid.,  art.  267-285. 
(U)  Ibid.,  art.  286-302. 
(5)  Ibid.,  art.  303-320. 


RfiFORMES   ADMINISTRATIVES.  22 

1'ordre  pour  les  logements  et   la  discipline   dans 
1'escorte  royale  (1). 

Le  domaine  avait  ete  diminue  par  des  alienations 
scandaleuses;  elles  furent  revoquees,  ainsi  que  les 
pensions  (2).  Les  officiers  des  maisons  royales  etaient 
soumis  a  la  taille  afin  de  soulager  le  pauvre  peuple 
qui  supportait  seul  le  fardeau  des  impots  (3).  La 
meme  pensee  inspira  les  dispositions  generates  sur 
les  aides  et  les  monnaies  (4). 

On  trouve  des  details  precis  sur  les  dons  qui  doi- 
vent  etre  revises  par  la  chambre  des  comptes  (5),  sur 
1'entretien  des  routes,  ponts  et  chaussees,  pour  lequel 
les  Etats  avaient  affecte  des  fonds  speciaux  (6).  Les 
grandes  routes  seront  bordees  d'arbres  (7).  La  liberte 
des  elections  sera  pleine  et  entiere  pour  les  juran- 
des  (8),  etpour  les  charges  municipals  (9).  Enfm 
les  auberges  et?  tavernes  furent  soumises  a  une  sur- 
veillance que  reclamait  la  surete  publique. 

Cette  ordonnance  bien  observee  aurait  ameliore 
toutes  les  branches  de  radministration,  malheureu- 
sement  le  regne  de  Henri  III  fut  une  violation  per- 
petuelle  des  lois  que  lui  avaient  imposees  les  Etats. 
Us  avaient  voulu  interdire  la  venalite  des  charges  : 
une  annee  s'est  a  peine  ecoulee  qu'elle  est  reta- 

(1)  Ordonn.  de  Blois,  art.  321-328. 

(2)  Ibid.,  art.  329-3AO. 

(3)  Ibid.,  art.  3A1,  3/i2,  343. 
(k)  Ibid.,  art.  344-350. 

(5)  Jtod.,  art.  354. 

(6)  Ibid.,  art.  355. 
(7;  Ibid.,  art.   356. 

(8)  Ibid.,  art.  359. 

(9)  Ibid.,  art  263, 


222  VIOLATION   DE  I/ORDONNANCE   DE   BL01S. 

blie  (1)  et  exercee  avec  plus  d'impudence  que  ja- 
mais  (2) .  Le  tarif  des  charges  est  publie  :  «  En  ce 
moment,  dit  1'Etoile  (annee  1584)  (3),  les  conseille- 
ries  du  parlement  se  vendoient  7,000  ecus;  celles 
du  Chatelet,  4,000;  lesmaitrisesdes  requetes  et  cel- 
les des  comptes,  9,000  et  10,000  ecus.  » 

L'ordonnance  de  Blois  avait  present  des  mesures 
energiques  pour  reprimer  la  licence  des  troupes.  Ja- 
mais  elle  ne  fut  plus  effrenee  que  sous  Henri  III. «  Les 
soldats  en  etaient  venus  a  un  tel  degre  d'insolence, 
dit  1'ambassadeur  venitien  Jerome  Lippomano  (4), 
qu'ils  pretendaient  pouvoir  vivre  de  pillage.  »  L'E- 
toile  confirme  cette  assertion  :  «  Les  troupes  chargees 
de  defendre  la  France  laissoient  partout  des  vestiges 
d'armees  plus  que  barbares  (5).  »  Plus  d'unefoisles 
paysans  furent  obliges  de  repousser,  les  armes  a  la 
main,  ces  bandes  de  pillards  (6). 

Que  dire  des  finances?  Les  £tats  prescrivaient  Te- 
conomie,  le  soulagement  du  peuple,  une  comptabilite 
reguliere.  Le  roi  multipliait  les  taxes  (7) ,  s'empa- 
rait  des  deniers  destines  au  paiement  des  rentes  de 


(1)  Anciennes  lois  franc.,  t.  XIV,  p.  284;  juin  1580. 

C2J  Ibid.,  t.  XIV,  p.  485,  489,  493,  505,  514,  520,  538,  604, 
609 ,  610.  —  Creation  d'offices  de  maitres  visiteurs  et  vendeurs 
de  vin,  foin,  charbon,  poisson,  etc. 

(3)  Journal  de  Henri  III,  e"dit.  Petitot,  p.  280. 

(4)  Relations  des  ambas.  venit.,  t.  II,  p.  380. 

(5)  Journal  de  Henri  III,  p.  292  et  293. 

(6)  Ibidem. 

(7.)  Ibid.,  p.  133  et246.  «  En  ce  temps  le  roiaflam6  d'argent,  fit 
une  insolite  exaction ;  car,  sur  tous  les  marchands  de  vin  en  gros 
&  Paris,  il  fit  une  taxe,  sur  Tun  de  mil  e"cus,  sur  1'autre  de  huit 
cents,  etc.  » 


DILAPIDATION    DBS    FINANCES. 


rHotel-de-Ville  (1),  alteraitles  monnaies  (2),  suspen- 
dait  la  cour  des  aides  qui  refusait  Tenregistrement 
d'un  edit  fiscal  (3)  ,  taxait  arbitrairement  les  mar- 
Chang's  (i)  et,  au  milieu  de  ces  indignes  abus  de  la 
puissance,  etait  toujours  pauvre,  «  toujours  maitre 
indigent  de  serviteurs  fort  riches  (5).  »  II  institua  une 
chambre  ardente  centre  les  financiers  ;  mais  elle  se 
borna  a  leur  extorquer  240,000  ecus  (6)  ;  moyennant 
ce  sacrifice,  ilsfurent  a  1'abride  la  vengeance  des  lois. 
L'ambassadeur  venitien  ,  Jerome  Lippomano  ,  dont 
nous  avons  plusieurs  ibis  invoque  le  temoignage, 
resume  avec  verite  la  situation  de  la  France  (7)  : 
«  le  desordre  de  1'administration  et  les  dilapidations 
continuelles  ruinent  tout-a-fait  le  royaume.  Les  am- 
bassadeurs  ne  sont  pas  paves  ;  la  cour  est  toujours 
dans  la  gene  ;  la  milice  n'a  nisolde  ni  fournitures,  et 
elle  s'en  venge  en  pillant  et  volant  les  villages.  » 

L'Eglise  ne  presentait  pas  un  spectacle  moms  affli- 
geant.  La  religion  etait  parodiee  :  le  roi  instituait 
des  confreries  et  celebrait  des  processions  licencieu- 
ses  (8).  Le  clerge,  que  le  pouvoir  civil  avaitessaye  de 
renfermer  dans  1'exercice  de  ses  fonctions,  se  revolta 
engrandepartiecontre  Tautorite  legitime,  transforma 
la  chaire  en  tribune  et  eleva  le  cynisme  du  langage  au 


(1)  L'fitoile,  journal  de  Henri  III,  p.  134  et  329. 

(2)  Ibid.,  pag.  152  et  158.  —  Relat.  des  amb.  venit.,  If,  345. 

(3)  L'fitoile,  ibid.,  p.  189. 
ft)  Ibid.,  page  246. 

C5)  Jer.  Lippomano,  Relations  des  ambass.  venit.,  t.  II,  p.  611. 

(6)  I/Etoile,  ibid.,]).  293. 

(7)  Relations  des  ambass.  venit.,  ibid. 

(8)  L'Etoile,  journal  de  Henri  III,  p,  392. 


REFORME   DE   PLtSIfiURS   COUTUMES 

niveau  de  la  violence  des  passions.  II  suffit  de  nom- 
mer  les  predicateurs  de  la  Ligue  pour  reveiller  1'idee 
du  fanatisme  et  de  la  grossierete  travestissant  et  des- 
honorant  la  parole  evangelique  (1). 

Cependant  on  peut  signaler  sous  ce  regne  quelques 
mesures  utiles.  La  publication  des  coutumes  avait  ete 
terminee  sous  le  regne  de  Charles  IX;  mais  plu- 
sieurs  de  ces  codes,  rediges  au  moyen-age,  ap- 
pelaient  une  reforme.  Elle  eut  lieu  pour  la  coutume 
de  Paris  en  1580  (2),  et  bientot  apres  pour  la  coutu- 
me de  Normandie  (3).  L'enregistrement  (4) ,  la  caisse 
des  consignations  (5),  datent  aussi  de  ce  regne.  L'ad- 
ministration  fmanciere  subit  une  reforme  importante, 
a  Paris  et  dans  les  provinces,  par  la  creation  des  bu- 
reaux de  finances.  Charles  IX  avait  rendu  alternatifs 
(1 573) ,  puis  triennaux  (1 574) ,  les  receveurs-generaux 
des  finances  etablis  par  Francois  Ier  et  Henri  II. 
C'etait  un  moyen  de  multiplier  les  offices  de  finances 
qui  se  vendaient  a  un  prix  tres-eleve.  En  1577,  Henri 
forma  dans  chaque  generalite  un  bureau  de  finances 
compose  de  deux  trdsoriers  pour  1'administration  du 
domaine,  de  deux  receveurs-gdndraux  pour  les  im- 
pots,  ft  un  garde  du  tresor,  d'un  greffier  et  d'un  huis- 
sier  (6) .  Les  bureaux  de  finances  furent  charges  de  la 


(1)  Voy.  I/titoile  J0Mrw0/  de  Henri  III,  aux  ann^es  1588  et!589. 

(2)  L'fitoile,  ibid.,  p.  196. 

(3)  Floquet,  Histoire  du  parlem.  de  Normandie,  t.  TIT,  p.  184- 
205.  —  Dupin,  discours  pour  la  rentr6e  de  la  cour  de  Cassation, 
3  novembre  1845. 

(4)  Anciennes  Lois  francaises,  t.  XIV,  p.  493. 

(5)  Ibid.,  p.  344. 

(6J  Voy.  Encyclop^die  m^thodique,  Finances,  t,  II,  p.   584 ,  a 


BUREAUX  DE   FINANCES. 

repartition  de  la  taille,  de  la  surveillance  des  em- 
ployes d'un  rang  inferieur  et  de  la  juridiction  en 
matiered'impots  (taille  ettaillon)  avec  appel  aux  par- 
lements.  Bordeaux,  Caen,  Chalons,  Limoges,  Lyon, 
Orleans,  Paris,  Poitiers,  Reims,  Rouen,  Tours  eurent 
des  bureaux  de  finances  des  1577.  Henri  III  en  crea 
un  a  Amiens  en  1579  et  a  Moulins  en  1587.  D'au- 
tres  furent  etablis  dans  la  suite  a  Soissons  (1595), 
a  Grenoble  (1627),  a  Montauban  (1635),  a  Alen- 
con  (1636),  et  a  la  Rochelle  (1694). 

L'ordre  du  Saint-Esprit  date  aussi  du  regne  de 
Henri  III  (1578)  (1).  Cette  institution  eut  surtoutpour 
butde  satisfaire  le  gout  du  faste  et  des  pompes  solen- 
nelles  qui  etait  un  des  traits  dominants  du  caractere 
de  Henri  III.  II  y  excellait,  et  y  faisait  briller  les  qua- 
lites  physiques  et  intellectuelles  dont  il  etait  doue, 
mais  qu'il  pervertit  par  la  depravation  de  ses  moeurs. 
D'autres  institutions  plus  utiles  signalerent  encore 
ce  regne ;  Henri  etablit  des  pensions  de  moines 
laiques  pour  les  soldats  invalides  et  leur  ouvrit 
un  asile  dans  les  couvents  (2).  En  1581,  il  donna 
a  1'industrie  une  organisation  plus  liberale  en  decla- 
rant qu'un  maitre  regu  a  Paris  pourrait  exercer  son 
metier  dans  toute  la  France ;  c'etait  presque  affran- 
chir  1'industrie  du  monopole  des  corporations  (3). 
On  ne  doit  pas  oublier  quo,  sous  ce  regne,  les  fonc- 


V  article  Bureau  des  finances.  —  Denisart,  Recueil  des   Lois  et  or- 
Uonnances,  6dit.  Camus,  t.  IX,  p.  255. 

(1)  Anciennes  tois  fran$aises,  t.  XIV,  p.  350, 

(2)  Ibid.,  p.  599. 

(3)  JWtm.  ^ 


SECRETAIRES   D'ETAT  (1589). 

tions  des  secretaires  d'Etat  furent  fixees  avec  plus  de 
precision  qu'aux  epoques  anterieures.  Un  reglement 
fait  a  Blois  au  mois  de  mai  1588  ordonnait  aux  qua- 
tre  secretaires  d'Etat  de  rendre  compte  chaque  jour 
au  roi  des  depeches  qu'ils  auraient  rec,ues  et  d'ex- 
pedier  les  reponses  conformement  a  ses  instructions. 
L'un  d'eux  devait  rediger  le  proces-verbal  des  con- 
seils  ou  se  discutaient  les  affaires  d'£tat.  Enfm  un 
nouveau  reglement,  en  date  du  1er  Janvier  1589,  de- 
cida  qu'a  1'avenir  les  quatre  secretaires  d'£tat  se 
partageraient  1'administration  des  affaires  et  forme- 
raient  les  departements  suivants  :  1°  affaires  etran- 
geres,  auxquelles  etait  reunie  la  marine;  2°  guerre; 
3°  maison  du  roi ;  4°  interieur  du  royaume .  Au  mi- 
lieu du  trouble  et  des  guerres  civiles,  ce  reglement 
ne  put  recevoir  d'execution ;  mais  il  atteste  le  progres 
des.idees  et  la  necessite  chaque  jour  mieux  comprise 
de  la  specialite  des  services  publics. 

Henri  III  s'occupa  aussi  du  conseil  d'Etat  dont 
ses  predecesseurs  avaient  prepare  rorganisation. 
L'ordonnance  qu'il  fit  a  ce  sujet  proclame  que  sos 
conseils  d'Etat  et  prive  sont  les  premiers  lieux  et 
compagnies  de  son  royaume  (1).  C'est  la  premiere  fois 
que  le  mot  conseil  d'Etat  se  trouve  dans  un  document 
officiel ;  jusqu'alors  cette  assemblee  avait  porte  les 
noms  de  conseil  du  roi,  grand  conseil,  ^troit  conseil. 
Le  reglement  de  Henri  III  se  ressent  de  1'esprit  fri- 
vole  et  des  gouts  dominants  dece prince;  il  s'occupe 
surtout  de  costume  et  d'etiquette  ;  il  determine  la 

(1)  Bibl.  imp^r.  f,  de  Sorbonne,  manuscrit  n°  1080, 


CONSEIL   D'ETAT.  22? 

nature  et  la  forme  des  vetements  que  devront  por- 
ter les  conseillers  d'Etat  de  robe  et  d'epee  Au  lieu  de 
s'arreter  a  ces  details  puerils,  il  est  plus  interessant 
de  voir  quelle  etait  alors  la  composition  du  conseil 
d'£tat.  On  la  trouve  dans  les  Memoires  authographes 
et  inedits  d'Andre  d'Ormesson  (1).  Le  conseil  d'fitat 
se  composait  en  1386,  du  cardinal  de  Vendome 
(Charles  de  Bourbon),  du  cardinal  de  Guise  (Louis 
de  Lorraine),  des  quatre  marechaux  de  France, 
(Retz,  Biron,  d'Aumont  et  de  Matignon),  du  chan- 
celier  de  France  Hurault  de  Chiverny,  de  Teveque 
de  Paris  (Gondy),  puis  venaient  La  Chapelle-aux- 
Ursins,  La  Mothe-Fenelon,  d'Espignac,  archeveque 
de  Lyon,  Du  Chastelier,  Miron,  premier  medecin  du 
roi,  de  Brion,  Larchant,  Clermont  d'Entrague,  com- 
te  de  Cerny,  de  Cornuson,  de  Poigny,  d'O,  Com- 
bault,  de  Beaune,  archeveque  de  Bourges,  Beaulieu- 
Ruze,  Marcel,  Faucon  de  Bis,  Amyot,  grand  aumo- 
nier  deFrance,  de  Rambouillet,  d'Escars,  Chenailles, 
de  Thou,  Bostaing,  Chavigny,  Lenoncour,  Chateau- 
vieux,  Schomberg,  les  eveques  de  Nantes,  du  Puy  et 
de  Langres,  Maintenon-Bambouillet,  de  Bellievre, 
de  Vibraye,  Bochart-Champigny,  Castelnau  de  Mau- 
vissiere,  de  Bieux,  de  Pons,  de  Villequier  (2).  Andre 
d'Ormesson  ajoute  :  «  L'on  peut  remarquer  comme 
ledit  conseil  etoit  presque  tout  compose  d'ambassa- 
deurs,  de  grands  seigneurs,  de  marechaux  de  Fran- 
ce, de  gouverneurs  de  provinces,  gens  d'epee,  de 

(1)  F°  13  recto. 

(2J  «  Tous  les  noms  de  ces  conseillers  ont  este"  tir6s  par  moy,  dit 
Andre"  d'Ormessson,  du  registre  de  ladite  annee  1586.  » 


TRAVAIL  DE   I/OPlNION   PUBLIQUE. 

cardinaux,  de  prelats,  eveques  et  archeveques,  et  de 
peu  de  gens  de  robe  longue  (magistrats).  Maintenant 
(1 644)  ce  sont  toutes  robes  longues  qui  tiennent  le 
conseil,  aucun  homme  d'epee  et  fort  peu  d'eveques.  » 
Le  progres  des  institutions  dans  une  epoque  de 
troubles,  etait  du  surtout  au  travail  de  1'opinion 
publique  qui  eveilla  les  idees  et  prepara  les  reformes 
ulterieures.  Comment  oublier  que  cette  epoque  si  fe- 
condeen  agitations  fut  celle  des  jurisconsultes  les  plus 
eminents?  Les  Cujas,  les  de  Thou,  les  de  Harlay, 
Pithou,  Guy  Coquille,  Barnabe  Brisson,  Hotman, 
Loysel  et  bien  d'autres  brillerent  dans  la  seconde 
moitie  du  seizieme  siecle  et  preparerent  par  leurs 
travaux  la  reforme  des  lois.  D'autres  ecrivains  agi- 
taient,  avec  une  science  confuse  ou  avec  un  scepticis- 
me  desolant,  les  questions  les  plus  graves  du  gouver- 
nement  et  de  I'adrninistration.  Fromenteau  donnait 
un  exemple  de  statistique  fmanciere  dans  son  ou- 
vrage  intitule  le  Secret  des  finances  (1 ) .  Montaigne 
devanc,ait  son  siecle  en  attaquant  la  torture  (2). 
Bodin,  dans  son  traite  de  la  Republique,  emettait 
des  idees  remarquables  sur  Tegale  repartition  des 

(1)  L'ouvrage  de  Fromenteau,  public  en  1581,  expose  avec  de"- 
tails  la  situation  fmanciere  du    royaume  a  cette  epoque.  On  y 
trouve  un  resum6  effrayant  des    re"sultats  des  guerres  civiles : 
«  occis,  765,200;  femmes  et  filles  violees,  12,300;  villes  bruslees 
et  rasees,  9 ;  villages  bruslez ,  252 ;  maisons  bruslees,  Zi256;  maisons 
d^truites,  124,000.  »  &tat  final,  p.   378-379.  Lors  meme  que  ces 
Evaluations  paraltraient  exagerees  ou  hypoth^tiques,  on  ne  pour- 
rait  nier  Teffroyable  devastation  de  la  France,  que  tous  les  e"cri- 
vains  du  temps  se  reunissent  pour  attester. 

(2)  «  C'est  une  dangereuse  invention  que  celle  des  gehennes ,  et 
semble  que  ce  soit  plustost  un  essay  de  patience  que  de 

etc,  »  Montaigne,  Essais,  liv,  II,  ch,  5, 


TRAVAIL   DE    IOPINION  PCBLIQUE. 

impots  et  sur  la  necessite  d'un  recensement  pour  en 
etablir  1'assiette.  «  Les  charges,  disait-il  (1),clevroient 
etre  reelles  et  non  personnelles,  afm  que  le  riche  et 
le  pauvre,  le  noble  et  le  roturier,  le  pretre  et  le  la- 
boureur  paient  les  charges  des  terres  taillables.  »  II 
insistait  aussi  sur  la  tenue  des  registres  de  1'etat  ci- 
vil prescrite  par  1'ordonnance  de  Villers-Coterets , 
mais  executee  avec  peu  de  soin  (2).  «  Quand  il  n'y  au- 
roit,  disait-il  (3),  que  le  bien  de  savoir  1'age  de  cha- 
cun,  on  retranche  un  million  de  proces  et  de  diffe- 
rends,  qui  sont  intentes  pour  les  restitutions  et  ac- 
tes  concernant  la  minorite  ou  majorite  des  person- 
nes. »  Ainsi  un  travail,  fecond  pour  Tavenir,  agitait 
les  questions  les  plus  graves,  en  merne  temps  que  les 
crises  politiques  et  les  redoutables  epreuves  d'une 
guerre  de  dix  ans  (1585-1595)  fortifiaient  les  coeurs 
et  trempaient  energiquement  les  ames  capables  d'y 
resister.  Ce  fut  a  cette  rude  ecole  que  se  formerent 
Henri  IV  et  Sully  qui  reparerent  les  desastres  de  la 
France. 

(1)  Bodin,  Mpublique,  liv.  VI,  p.  651,  6dit.  de  1577. 

(2)  Idem,  ibid.,  p.   617  :  «  Les  registres  ne  sont  point  gardes 
comme  il  fant.  » 

f3)  Idem,  ibidem. 


16 


CHAPITRE  XIL 


Sommaire. 

HENRI  IV  (1589-1610).  —  Etat  de  la  France  a  1'avenement  de 
Henri  IV  et  apres  sa  conversion  (1593)  :  Pretentious  des 
gouverneurs  de  provinces ;  insolence  de  la  noblesse ;  misere  et 
maladies  pestilentielles  dans  Paris.  — Ministres  de  Henri  IV ; 
Sully.  —  Retour  aux  principes  d'ordre  (1596-1598);  edit 
de  Nantes  (1598) ;  reforme  de  1'Universite.  —  Reformes  fi- 
nancieres  entreprises  et  executees  par  Sully  :  Augmentation 
des  recettes  et  diminution  des  depenses.  —  Chambres  de 
justice,  etablies  en  1602  et  1604  pour  poursuivre  les 
financiers.  —  Reduction  de  1'inter^t  de  1'argeut  du  denier 
10  au  denier  16.  —  Revision  des  creances  de  1'Etat  1604;. 
—  Etablissement  de  la  paulette  ou  droit  annuel.  —  Asile 
euvert  aux  soldats  estropies.  —  Reforme  judiciaire. 


Dans  les  premieres  ann£es  du  regne  de  Henri  IV 
(1589-1596),  la  France,  comme  a  I'avenement  de 
Charles  VII,  semblait  sur  le  point  de  se  dissoudre. 
Un  parti  puissant  conspirait  en  faveur  de  1'Espagne 
et  voulait  lui  livrer  la  royaute.  Les  gouverneurs 
etaient  rois  dans  leurs  provinces  (1).  Les  villes  aspi- 
raient  a  I'independance  commuriale  et  avaient  «  des 
desseins  de  divisions,  de  liberte,  de  mutinerie,  de 


(1)  «  Les  gouverneurs  de  provinces  sont  tels  aujourd'hui  que  le 
meilleur  et  le  plus  sage  d'entre  eux  n'estime  Hen  plus  £  lui  que  son 
gouvernement. »  Palma  Cayet,  ChronoL  novcnn.,  ann.  1591, 
Petitot,  lre  serie,  torn.  \\XIX,  pag.  269. 


232  fiTAT   DE    LA    FRANCE    (1589-1593). 

republique  (1).  »  Les  finances  etaient  au  pillage  (2). 
Ce  fut  de  cet  abime  de  maux  que  la  valeur  et  la  poli- 
tique  de  Henri  IV  tirerent  la  France.  II  lui  fallut 
conquerir  et  racheter  son  royaume  (3).  II  dut  beau- 
coup  sans  doute  au  bon  sens  populaire,  a  cet  heureux 
instinct  qui  abandonne  rarement  le  Frangais  et  1'e- 
claire  sur  son  veritable  interet.  Lorsque  la  conversion 
de  Henri  IV  (1593)  eut  leve  les  derniers  obstacles,  la 
reaction  devint  manifeste,  la  majorite  de  la  nation  se 
rallia  a  un  pouvoir  reparateur  et  repoussa  les  fac- 
tieux.  Le  parti  des  politiques  longtemps  en  minorite 
et  expose  aux  outrages  populaires,  eut  a  son  tour  les 
sympathies  nationales  (4). 

Mais  c'etait  peu  d'avoir  reconquis  le  royaume, 
etoufie  la  guerre  civile,  chasse  1'etranger ;  le  desordre 
etait  partout,  dans  1'administration,  dans  les  moeurs, 
dans  les  esprits.  Les  gouverneurs  de  provinces,  qu'il 
avait  fallu  menager  et  acheter,  ne  craignaient  pas  de 
reclamer  1'independance  feodale  (5)  ;  la  dette  etait 
enorme ;  la  magistrature  oubliait  ses  devoirs,  et  les 
lois  etaient  foulees  aux  pieds.  II  est  necessaire  d'in- 
sister  sur  ce  triste  etat  de  la  France  pour  montrer  les 
obstacles  que  Henri  IV,  vainqueur  de  la  Ligue,  etit  a 

(1)  Palma  Cayet,  Chronot.  novenn.,  ann.  1591,  6clit.  Petitot,  lre 
s6rie,  torn.  XXXIX,  pag.  269. 

(2)J6iV/.,pag.  271. 

(3)  Cl.  Groulard,  Voyages  en  cour,  chap.  VII,  donne  le  tarif  des 
sommes payees  aux  gouverneurs  pour  racheter  les  provinces.  —  Voy. 
aussi  Sully,  Mdm.,  liv.  X. 

(A)  Palma  Gayet,  Chron.  novenn.,  ann,  1592,  e"dit.  Petitot,  t.  XLT, 
pag.  143  :  «  Un  gentilhomme  francois  vestu  a  TEspagnol,  fut  battu 
en  qualite  d'Espagnol.  »  La  satire  Menippee  contribua  puissamment 
a  ce  changement  dans  1'opinion  publique. 

(5)  faonomit*  royales  de  Sully,  ch.  LX, 


PRETENTIONS  DES  GOUVERNEURS.  233 

surmonteravant  de  reorganiser  1'administrationde  la 
France.  Sully,  temoin  de  ces  luttes,  ou  il  eut  un 
role  important,  ne  laisse  aucun  doute  sur  les  preten- 
tions  des  gouverneurs  de  provinces  a  reconstituer  une 
nouvelle  feodalite.  «  M.  de  Montpensier,  dit-il  (1), 
en  suppliant  le  roi  de  prendre  en  bonne  part  ce  qu'il 
lui  proposeroit,  lui  dit  que  ce  n'etoit  pas  chose  qui 
n'eut  autrefois  ete  pratiquee,  et  dont  les  rois  ne  se 
fussent  bien  prevalus,  laquelle  consistoit  seulement 
a  trouver  bon  queceux  qui  avoient  desgouvernements 
par  commission,  les  pussent  posseder  en  propriete, 
en  les  reconnoissant  de  la  couronne  par  simple  hom- 
mage-lige.  »  Ainsi  les  gouverneurs  n'eussent  plus 
ete  que  les  grands  vassaux  de  la  couronne.  ? 

La  noblesse,  rneme  lorsqu'elle  eut  ete  domptee  par 
Henri  IV,  conserva  une  independance  hautaine.  Le 
due  de  Mercoeur,  qui  avait  longtemps  resiste  en  Bre- 
tagne  aux  armes  du  roi,  pretendit  conserver  apres  sa 
defaite  des  titres  et  un  rang  que  les  lois  et  les  cou- 
tumes  de  la  France  ne  lui  reconnaissaient  pas.  On  en 
trouve  la  preuve  dans  un  journal  inedit  de  cette 
epoque  redige  par  un  conseiller  au  parlement, 
nomme  Oilier  (2) . 

«  II  se  plaida  une  cause,  dit-il,  ou  M.  le  due 
de  Mercure  (Mercoeur)  avoit  interet  et  etoit  partie.  II 
advint  a  un  avocat  des  parties,  plaidant  la  cause,  de 
dire  que  M.  le  due  de  Mercure  etoit  un  prince  plein 

(1)  Economies  royales  de  Sully,  ch.  LX. 

(2)  Bibl.  imperiale,  manuscrit  n°  ^±,  f°§  26  el  27.  Ce  journal 
donne  des  details  qui  ne  se  trouvent  que  dans  le  journal  de  Pierre 
de  1'Etoile,  et  entre  autres  le  recit  de  Tinsulte  faite  a   1'avocal  - 
general  Servin. 


234  INSOLENCE  DE   LA   NOBLESSE. 

de  valeur  et  de  generosite.  M.  1'avocat  Servin,  qui 
etoit  Pavocat  du  roi,  dit  tout  haut,  sans  se  lever, 
«  que  I' on  ne  reconnoissoit  point  pour  princes  au  par- 
lement  autres  que  les  princes  du  sang,  et  que  ceux  de 
Lorraine  rietoient  point  de  cette  qualite-la.  »  Madame 
de  Mercure,  qui  etoit  presente  en  1'audience,  dit «  que 
le  roi  faisoit  bien  cet  honneur  a  son  mari  de  1'appeler 
prince  et  cousin.  »  Les  choses  se  passerent  ainsi  a 
1'audience. 

»  Le  soir,  M.  de  Mercure,  accompagne  de  dou/.e 
ou  quinze  gentilshommes  et  autres,  avec  force  pages 
et  laquais,  va  au  logis  de  M.  Servin,  ou  etant  a  la 
salle  il  fit  descendre  M.  Servin  et  lui  dit  qu'il  n'etoit 
point  venu  pour  lui  donner  le  bon  soir,  mais  pour  lui 
dire  qu'il  etoit  un  marraut,  et  qu'il  lui  feroit  donner 
cent  coujps  d1  etrivieres  parces  laquais.  »  Cette  insulte 
faite  a  un  magistral,  qui  representait  le  roi  et  portait 
la  parole  en  son  nom,  resta  impunie.  On  se  contenta 
de  quelques  excuses  banales. 

A  tous  ces  obstacles  se  joignirent  encore  les  fleaux 
de  la  nature,  la  famine,  la  peste,  Taccumulation  des 
pauvres  dans  Paris.  «  Le  nombre  des  pauvres,  dit 
L'Etoile  (1)  ,  se  trouvoit  a  Paris  accru  des  deux 
tiers,  y  etant  entre  de  six  a  sept  mille  le  jour  de 
devant.  »  Peu  de  temps  auparavant  on  en  avait 
compte  sept  mille  sept  cent  soixante-neuf  dans  le 
cimetiere  des  Innocents  (2).  Une  femme  fut  brulee 
vive  pour  avoir  tue  ses  deux  enfants  qu'elle  declarait 

(1)  Journal  de  Henri  IV,  par  L'Etoile,  6dit.  de  Petitol,  torn.  II, 
pag.  163. 

(2)  Idem,  ibid.,  pag.  161-163. 


MISfeRE    GfcNERALE.  235 

ne  pouvoir  nourrir  (1).  La  misere  et  ('accumulation 
de  la  population  engendrerent  des  maladies  pestilen- 
tielles.  «  En  la  meme  annee  (1596),  dit  Oilier  (2),  la 
pestefutsi  grande,  1'ete  et  1'automne,  a  Paris,  que  le 
parlement  cessa  la  veille  de  la  mi-aout,  et  commenca 
la  chambre  des  vacations  des  le  lendemain  de  la  mi- 
aout.  »  Les  ecrivains  du  temps,  frappes  de  ce  triste 
spectacle,  y  voyaient  une  preuve  de  la  colere  ce- 
leste (3) .  La royaute,  qui  heritait  de  toutes ces  miseres, 
preparees  par  de  longues  et  sanglantes  discordes,  se 
ti'ouvait  dans  une  des  situations  les  plus  critiques 
que  presente  notre  histoire. 

Au  milieu  de  ces  difficultes,  Henri  IV  se  mit  al'oeu- 
vreavec  une  resolution  energique  et  fut  parfaitement 
seconde  par  ses  ministres.  Maximilien  de  Bethune, 
marquis  de  Rosny  et  due  de  Sully,  est  ajuste  titre  le 
plusrenomrne  des  conseillers  de  Henri  IV.  Cependant 
on  a  eu  tort  d'attribuera  Sully  la  plupart  des  mesures 
administratives  de  ce  regne.  Le  conseil,  dont  Henri  IV 
s'etait  entoure,  etait  compose  d'hommes  fort  diffe- 
rents  de  caractere,  d'opinion  et  d'interet.  Les  chari- 
celiers  Chiverny  et  Brulart  de  Siilery,  les  anciens  li- 

(1)  Journal  de  Henri  IV,  par  Tjfitoile,  edit,  de  Petitot,  torn.  II, 
pag.  163.  —  Oilier,  dans  son  journal  inedit,  manuscrit  de  la  Bibl. 
imp.,  cit6  plus  haut,  f"  13,  recto,  insiste    aussi  sur  la  profonde 
misere  de  cetle  epoque. 

(2)  Journal  inedit  d'Ollier,  ibid.  —  L'Etoile  confirmeces  details, 
Journal  de  Henri  IV,  torn.  II,  pag.  177-178. 

(3)  L'Etoile,  ibid.,  pag.  16/i,  apres  avoir  parle  des  nombreuses 
maladies,  ajoute  :  «  Dont  chacun  disoit  que  Dieu  etoit  courrouce.  » 
Et  plus  loin,  pag.  187  :  «  Nous  faut  regarder  au  doigt  de  Dieu  qui 
est  la  cause  principale,  lequel  en  ce  malheur  nous  a  voulu  proposer 
un  exemple  de  sa  justice,  qui  s'execute  tot  ou  tard  sur  les  rebelles 
et  refractaires  a  ses  saints  commandements  et  a  sa  parole.  » 


236  MINLSTRES    DE    HENRI    IV. 

gueurs  Villeroy  et  Jeannin  y  balancaient  le  credit  du 
surintendant.  Henri  IV  ecoutait  leurs  avis  et  deci- 
dait.  II  avait  Tame  plus  haute  et  la  pensee  plus 
bardie  que  Sully  (1),  et  plus  d'une  fois  il  adopta  des 
projets  qui  avaient  effraye  1'esprit  cireonspect  on 
cheque  les  theories  etroites  de  son  ministre.  Je  suis 
loin  de  meconnaitre  les  merites  de  Sully,  la  rectitude 
de  son  jugement,  son  infatigable  activite,  la  fermete 
de  son  caractere,  le  courage  qui  epargnait  une  fautea 
son  maitre  au  risque  de  lui  deplaire ;  mais  il  y  avait 
plus  de  hardiesse,  d'elevation  et  d'etendue  dans  1'es- 
prit  de  Henri  IV. 

Lorsque  la  reddition  de  Paris,  bientot  suivie  de  la 
soumission  des  provinces,  permit  au  roi  de  s'occuper 
d'administration,  il  s'attacha  a  proteger  le  laboureur 
et  a  encourager  1'agriculture  (2),  premier  besoin  du 
royaume ;  il  interdit  les  predications  seditieuses,  qui 
avaient  «  ouvert  le  chemin  a  toutes  les  erreurs  et  li- 
»  bertes  effrenees,  et  fait  servir  la  parole  de  Dieu  aux 
»  passions  et  demesurees  cupidites  (3).  » II  y  eut  une 
chose  plus  efficace  que  toutes  les  prohibitions,  ce  fut 
le  nouveau  genre  d'eloquence  que  porta  dans  la 
chaire  chretienne,  Davy  du  Perron,  eveque  d'Evreux, 
un  des  hommes  les  plus  savants  et  les  plus  habiles 
de  cette  epoque.  II  donna  1'exemple  d'une  polemique 
grave  et  vigoureuse  sur  les  questions  religieuses  sou- 


(1)  Celte  opinion  est  contraire  a  celle  qu'a  bruise  Lemonley  dans 
son  essai  sur  J.-B.  Colbert.  Get  hislorien  pretend  que  Sully  elevail 
Tame  de  son  mallre.  On  trouvera  plus  loin  la  preuve  du  contraire. 

(2)  Ancietmes  iois  franf.,  torn.  XV,  pag.  98. 

(3)  lbid.9  pag.  102. 


RETOUR  A  L'ORDRE.  237 

levees  par  les  protestants.  «  II  fit  son  premier  ser- 
mon, d'apresle  journal  d'Ollier  (1),  enl'eglise  Saint- 
Merry,  le  dimanche  20  avril  1597.  Le  sujet  etoit  de 
prouver  que  ce  qui  est  necessaire  au  salut  n'est  point 
seulement  dans  la  Sainte-ficriture,  mais  que  la  tradi- 
tion apostolique  et  celle  des  Peres  font  partie  de  no- 
tre  croyance  et  ont  autant  de  force,  de  credit  et  d'au- 
torite  que  le  vieux  et  le  nouveau  Testament.  II  traita 
ce  sujet  en  deux  sermons;  le  troisieme  etoit  qu'il  n'y 
avoit  qu'une  Eglise,  et  le  quatrieme  qu'elle  est  vi- 
sible. » 

La  licence  des  gens  de  guerre  fut  reprimee  et  la 
discipline  retablie  dans  les  armees  (2).  Henri  remit 
en  vigueur  les  sages  ordonnances  pour  la  reforme  de 
la  justice  rendues  sous  les  regnes  precedents  et  vio- 
lees  au  milieu  de  1'anarchie  (3).  II  s'opposa  a  la  li- 
cence qui  meprisait  les  lois  et  a  1'arbitraire  du  pou- 
voir  qui  les  eludait  par  dislocations  (4).  Des  grands 
jours  tenus  a  Lyon,  en  1596,  par  une  commission 
de  membres  du  parleinent,  inspirerent  une  salutaire 
terreur  aux  criminels  qu'avait  encourages  1'anar- 
chie  (5).  Les  guerres  civiles  avaient  devaste  les  forets 

(1)  Manuscrit  de  laBibl.  imp.,  n°  113li,  f°  17,  verso. 

(2)  Anciennes  lois  franc. 3  torn.  XV,  pag.  128. 

(3)  Ibid.,  pag.  120. 

(Zi)  Un  avocat  celebre  de  cette  e"poque  attaque  les  Evocations. 
«  Nous  devons  aider  notre  roi,  ecrivait  Pasquier  (Lettres,  livre  Vf, 
lettre  2),  de  nos  biens  selon  les  occurrences  de  ses  affaires;  mais, 
en  contre-e" change,  il  nous  est  debiteur  de  la  justice,  et  nous  la  doit 
administrer  aux  lieux  ou  nous  re"sidons,  ou  la  ou  nos  biens  sont  as- 
sis.  C'est  une  charge  fonciere  qui  est  annexed  a  la  couronne,  et  ce 
n'est  pas  proprement  nous  la  rendre  quand  on  intervertit  notre 
bon  droit  par  un  changement  de  juges  et  de  parlements.  » 

(5)  Journal  d'Ollier,  f°  13,  recto. 


238  SDITDE  NANTES  (1598). 

et  iritercepte  les  communications;  plusieurs  ordon- 
nances  prescrivirent  1'entretien  des  forets  et  voies 
publiques  (1),  et  1'etablissement  de  relais  de  poste 
pour  les  transports  par  eau  et  par  terre  ($). 

L'edit  de  Nantes  (1598)  proclama  la  liberte  de 
conscience  acbetee  par  de  si  cruelles  epreuves  (3) , 
et  fut  enregistre  ,  malgre  Imposition  des  parle- 
ments,  grace  a  la  ferine  volonted'un  prince  qui 
savait,  selon  ses  propres  paroles,  «  escalader  les 
barricades  comme  sauter  sur  les  murailles  des 
villes  (4).  »  II  est  curieux  de  voir  avec  quel  me- 
lange de  familiarite  et  d'energie  Henri  IV  park1 
au  parlement  qu'il  avait  mande  (5).  II  rappelle  aux 
membres  de  ce  corps  que  sans  lui  ils  ne  seraient 
pas  en  leurs  sieges  (6).  « J'ai  remis  les  uns  en 
leurs  maisons,  les  autres  en  la  foi  qu'ils  n'avoicnt 
plus.  »  II  termine  par  un  ordre  absolu  :  «  Je  suis  roi 
maintenant  et  parle  en  roi,  je  veux  etre  obei.  A  la  ve- 
rite  les  gens  de  justice  sont  mon  bras  droit ;  mais  si  la 
grangene  se  met  au  bras  droit,  il  faut  que  le  gaucbe 
le  coupe  (7).  »  Malbeureusement  les  privileges  ac- 

(1)  Anciennes  lois  fran^.,  torn.  XV,  pag.  lal. 

(2)  Ibid.,  pag.  131. 

(3)  Ibid.,  ton).  XV,  pag.  170.  —  De  Thou,  livre  CXX,  cli.   vr. 
—  L'fitoile,  Journal  de  Henri  IV,  arm.  1598.  —P.  Cayet,  Citron, 
septen.y  livre  II.  —  Benoit,   Hist,  de  L'edit  de  Nantes,  livre  I, 
preuves,  pag.  62  et  suiv. 

(/i)  Discours  de  Henri  IV  au  parlement  de  Paris,  qui  refusal t  d'en- 
regislrer  1'edit  de  Nantes. 

(5)  Lcttres  missives  de  Henri  IV,  lom.V,  pag.  89  et  suiv.,  dans 
la  collection  des  Documents  inddits  de  L'histoire  de  France. 

(6)  Ibid.,  pag.  90. 

(7)  Ibid.,  pag.  92.  Voyez  aussi  pag.  180  et  181,  les  reponses  dc 
Uenri  IV  aux  deputes  desparlemenls  de  Bordeaux  et  de  Toulouse. 


DES  FINANCES. 

cordes  aux  protestants ,  leurs  places  de  surete ,  le 
droit  qu'on  leur  donna  des'assernbler  pour  la  defense 
de  leurs  interets,  formerent  presque  un  Etat  dans 
1'Etat.  La  reforme  des  universites  s'accomplit  la 
meme  annee  (1598)  et  mit  un  terme  a  1'anarchiequi 
avait  penetre  dans  1'instruction  publique  (1),  eomnie 
dans  toutes  les  parties  de  1'administration.  Mais  au- 
cune  n'appelaitune  reforme  plus  prompte  et  plus  de- 
cisive que  les  finances.  Ce  fut  la  surtout  que  Sully  se 
signala  et  rendit  a  la  France  d'immenses  services. 

Sully,  appele  au  conseil  des  finances  en  1595,  au 
milieu  de  collegues  complices  de  la  dilapidation  des 
finances  et  effrayes  de  son  austere  probite,  Sullv  ne 
se  laissa  ni  intimider  par  les  menaces,  ni  rebuter 
par  les  difficultes  (2).  «Cet  esprit  fort, general  etlabo- 
»  rieux,  et  d'une  austerite  naturelle,  ditTb.  Agrippa 
»  d'Aubigne  (3) ,  meprisoit  les  bonnes  graces  de 

(1)  Du  Boulay,  Histoire  de  I'Universite,  torn.  VI ;  Grevier,  Hist, 
de  C  University  torn.  VII.  —  Voy.  aussiune  lettrede  Claude  Grou- 
lard,  premier  president  du  parlement  de  Normandie,  a  Scaliger  (26 
octobre  1595).  Groulard  envoyait  son  fils  en  Hollande  pour  «  ne  pas 
le  laisser  croistre  parmi  nos  vices ;  car  nostre  patrie  est  maintenant 
en  tel  etat,  qu'elle  fait  horreur  aceux  quiy  demeurent.  »Lememe 
auteur,  dans  ses  Voyages  en  cowr(chap.  XVI),parle  en  termespeu 
favorables  de  I'Universite  de  Caen,  qu'il  venait  de  visiter  :  « 11  faut 
confesser,  dit-il,  que  1'avarice  et  la  corruption  se  sont  glissees  parmi 
les  regents  et  les  escoliers.  » 

(2)  Les  Memoires  de  Sully  parlent  souvent  de  ces  obstacles.  Voy. 
entre  autres  passages,  les  Economies  royales  (edit.  Petitot,  torn.  Ill, 
pag.  16).  « Si  nous  voulions   ici  repre"senter  entierement  et  par  le 
menu  loules  les  traverses  qui  vous  furent  faites,  les  empeschements 
qui  vous  furent  donnes,  les  menaces  dont  Ton  essaya  de  vous  inti- 
mider, les  indues  vexations  et  violences  dont  Ton  vous  calomnie, 
les  faux  bruits  que  Ton  fit  courir  de  vous ,  etc.  »  On  sait  quo,  dans 
ses  Memoires,  intitules  Economics  royales,  Sully  se  fait  adresser 
la  parole  et  raconter  son  histoire  par  ses  secretaires. 

(3)  D'Aubigne,  Histoire  universelle,  livre  V,  ch.  v, 


240  REFORME  DES  FINANCES. 

»  tous.  »  Henri  IV  avait  convoque  les  notables  a 
Rouen  (1596)  pour  se  donner  1'appui  de  1'opinion 
publique,  et  il  annonc.ait  avec  une  bonhomie  gas- 
conne,  qu'il  voulait  se  mettre  sous  leur  tutetle  (1). 

Sully  qui  avail  plus  le  sentiment  de  I'ordre  que 
1'amour  de  la  liberte,  annonc,ait  que  les  notables, 
avec  leurs  reglernents  et  leur  conseil  de  raison,  ne  fc- 
raient  que grossir  les  tomes  des  ordonnances  (2).  Pour 
lui,  plus  soucieux  d'agir  que  de  parler,  il  voulut 
avant  tout  bien  connaitre  la  situation  financiere  du 
royaume.  Nepouvant  se  fier  auxetats  de  finances  que 
lui  fournissaient  des  comptables  interesses  a  entrete- 
nir  le  desordre,  il  entreprit  deux  voyages  pour  tout 
voir  par  lui-meme  ,  parcourut  cbaque  generalite, 
triompha  du  mauvais  vouloir  des  financiers  et  s'in- 
struisit  des  besoins  et  des  ressources  de  chaque  pro- 
vince. II  parvint  enfm  a  mettre  quelque  ordre 
dans  une  administration  obscurcie  a  dessein  par  la 
mauvaise  foi  et  dressa  un  etat  fidele  de  toutes  les 
sommes  pergues  par  les  caisses  publiques  (3). 

Le  roi  qui  appreciait  la  vigilance  et  1'activite  de 


(1)  Discours  de   Henri  IV  ft  1'assemblee  des  notables  reunis  a 
Rouen.  Est-il  ngcessaire  d'ajouter  qu'il  ne  voulail  se  mettre  en  tu- 
telle  «  que  Tepee  au  cote,  »  comme  il  disait  a  Gabrielle? 

(2)  ticon.  royaleSy  6dit.  Petitot,  torn.  Ill,  pag.  1&5.  Sully  attaquc 
d'une  maniere  g^nerale  les  assemblees  charges  de  faire  des  lois  : 
«  Mille  sortes  d'exemples  et  d'experiences  nous  apprennent  qu'il  est 
non-seulement  bien  difficile,  mais  quasi  impossible  en  toute  nume- 
reuse  assemblee  de  personnes  qualifies  et  autorisees,  de  pouvoir 
faire  en  sorte  que  ceux  dont  elle  serait  composee  fussent  tous  de 
memes  humeurs ,  naturels  et  complexions,  eussent  memes  buts^ 
desseins,  desirs,  prissent  monies  formes,  voies  et  chemins.  » 

(3)  Ibid.,  torn.  III,  pag.  226-227. 


SULLY  SURINTENDANT  (1599).  241 

Sully,  lui  donna,  en  1599,  la  direction  exclusive  des 
finances  avec  le  litre  de  surintendant  (1).  II  crea  en- 
core pour  lui  1'office  de  grand-voyer,  avec  mission 
d'assurer  la  facilite  des  communications  et  de  veiller 
a  1'entretien  des  ponts  et  chaussees  du  royaume  (2). 
La  situation  financiere  presentaitalors  lesplus  serieu- 
ses  difficultes.  La  dette  s'elevait  a  296,620,252  fr., 
d'apres  le  calcul  de  Forbonnais  (3).  On  percevait  cha- 
que  annee  150  millions  d'impots;  «  mais,  dit  Sul- 
ly (4),  une  effrenee  quantite  d'officiers  detruisaient 
tous  les  revenus  du  roi ;  »  et  il  entrait  a  peine  20  mil- 
lions dans  le  tresor  royal. 

Le  premier  soin  du  surintendant  fut  de  s'assurer 
de  la  rentree  complete  des  impots  (5).  L'etat  qu'il 
avait  dresse  lui  en  fournit  les  moyens.  Une  destina- 
tion speciale  fut  assignee  a  chaque  somme  et  I'ern- 
ploirigoureusement  determine  (6).  La  revocation  de 
1'affranchissement  des  tailles  et  la  revision  des  titres 
de  noblesse  (7)  assurerent  une  meilleure  repartition 
de  I'impot  et  une  recette  plus  considerable.  Le  licen- 
ciement  d'une  partie  des  troupes,  apres  la  paix  de 

(1)  Forbonnais,  Rccherches  sur  les  finances,  torn.  I,  p.  39.  Get  ou- 
vrage  compose,  au  milieu  du  xvni*  sifecle,  parun  financier  instruit  et 
exact,  merite  la  meme  confiance  que  les  documents  originaux. 

(2)  Andennes  lois  franc,. 9  torn.  XV,  pag.  222. 

(3)  Forbonnais,  Eecherches  sur  Les  fin.,  torn.  I,  pag.  28.  —  Bail- 
ly,  Hist,  fin.,  torn.  I,  pag.  318,  donne  358  millions  pour  chiflre  de 
la  dette  publique.  Il  faut  sans  doute  attribuer  cette  difference  a  la 
difference  de  la  valeur  du  numeraire  aux  epoques  ou  e"crivaient  For- 
bonnais et  Bailly. 

(Zi)  6con.  royales,  edit.  Petitot,  torn.   Til,  pag.  17.  —  Bailly, 
torn.  I,  pag.  295-296,  61feve  a  160  millions  les  sommes  percues. 

(5)  Ibid.,  torn.  III.,,  pag.  263-26/1. 

(6)  Ibid.,  pag.  263. 

(7)  Andennes  lois  franf.,  torn.  XV,  pag.  169, 226  et  254, 


(4600-4610). 

Yervins,  allegea  le  fardeau  de  T^tat  (1).  Enfin  les 
ferrhes  des  impots  qui  avaient  ete  donnees  a  vil  prix 
fiirent  remises  aux  encheres,  et  il  en  resulta  une 
augmentation  considerable  dans  le  revenu  public  (2). 
Ainsi  accroissement  des  ressources  et  diminution  des 
charges,  tels  furent  les  premiers  bienfaits  de  cette  ad- 
ministration severe  et  econome. 

Sully  fut  moinsheureuxdans  1'etablissement  d'une 
chambre  ardente  specialement  chargee  de  poursui- 
vre  les  crimes  de  peculat,  de  concussion  et  toute  di- 
lapidation des  deniers  de  1'Etat.  «  Elle  se  termina, 
dit  Sully  (3), par  des  brigues,  menees  et  abondance  de 
presents  des  plus  riches  aux  courtisans  et  favoris, 
tant  hommes  que  femmes.  »  Ce  moyen  d'intimidation 
ne  reussit  pas  mieux  en  1604  (4),  et  Sully  lui-meme 
conseilla  d'y  renoncer.  D'autres  mesures  financieres 
furent  plus  utiles;  telle  fut  la  reduction  de  Tinteret 
de  1'argent  du  denier  10  au  denier  16  (de  10  pr  0/0 
a  6  1/4).  Get  edit  rencontra  dans  le  parlement  une 
opposition  qui  ne  fut  vaincue  que  par  1'intervention 
personnelle  du  roi  (5).  Sully  rendit  ainsi  an  com- 


(1)  Forbonnais,  Recliercties  sur  les  fin.,  torn.  I,  pag.  36. 

(2)  Idem,  ibid. ,  torn.  I,  p.  36. 

(3)  £con.  royales,  torn.  IV,  pag.  62. 

(/i)  Ibid.,  torn.  V,  pag.  398.  Sully  s'opposa,  en  1607,  a  Teta- 
blissement  d'une  nouvelle  chambre  de  justice. 

(5)  On  en  trouve  la  preuve  dans  le  Journal  ine'dit  d'Ollier  (f08  27- 
28) :  «  En  Tannee  1601  fut  pre'sente'  Tedit  des  rentes  reduites  pour 
Tavenir  an  denier  seize,  le  2  ou  3  septembre,  et  passa  au  denier 
quinze,  presque  tout  d'une  voix.  Les  mois  d'octobre,  novembre,  de"- 
rembre  et  Janvier  se  passerent  que  Ton  ne  parla  plus  de  cet  edit, 
et  chacun  jugeoit  qu'il  avoit  ete  re'voque'  a  cause  des  deniers  qui  se 
transportoient  hors  le  royaume...  En  fe'vrier  (1602),  le  roy  s'avisa 
tie  mander  messieurs  les  presidents  et  l«'s  lanca  rudement  de  ce 


R6FORMES     FINANCIERES     (1600-1610).  243 

merce  et  a  I'agriculture  des  capitaux  considerables(1 ) . 
L'augmentation  dti  prix  des  especes  d'or  et  d'argent 
(1C  02),  «  afm  d'arreter  le  furieux  transport  qui  s'en 
»  faisoit  (2) , »  1'ordorinance  qui  prescrivait  de  compter 
par  livres  et  non  par  ecus,  «  afm  de  moderer  les 
ventes  et  les  achats  (3)  »,  furent  des  mesures  dictees 
par  un  esprit  moins  eclaire.  La  premiere  surtout 
(Faugmentation  du  prix  des  monnaies) ,  ramenait  cos 
variations  de  numeraire  dont  on  avait  plus  d'une  fois 
apprecie  les  dangers. 

En  1604,  Texamen  des  titres  des  creanciers  de 
I'fitatassura  au  tresorun  benefice  de6  millions  (mon- 
naie  du  temps), «  sans  faire  aucune  injustice, »affirme 
Sully  (4).  Le  surintendant  est  ici  un  temoin  trop  in- 
teresse  pour  qu'on  puisse  s'en  rapporter  exclusive- 
ment  a  son  recit ;  il  faut  le  rapprocher  de  celui  du 
president  de  Thou  (5),  membre  de  la  commission 
qui  fut  chargee  de  rechercher  Forigme  des  diverses 
creances  et  qui  s'occupa  de  ce  travail  pendant  trois 
ans.  De  Thou  raconte  que  le  projet  fut  considere 
comme  une  banqueroute  et  souleva  une  vive  opposi- 

qu'ils  ne  luy  obeissoient  point,  et  n'avoient  point  precede  a  la  ve'rifi- 
tion  de  Te'dit ;  qui  fut  cause  que  les  chambres  furent  assemblies  le 
18  fe'vrier  et  passa  de  cinquante-cinq  a  cinquante-deux  [voixj.  » 

(1)  tcon.  royales,  torn.  IV,  pag.  62.  «  Get  inter6t  emp^choit  le 
trafic  et  commerce  auparavant  plus  en  vogue  en  France  qu'en  au- 
cun  autre  Etat  de  TEurope,  et  faisoit  negliger  1'agriculture  et  manu- 
facture, aimant  mieux  plusieurs  sujets  du  roi,  sous  la  facilite  d'un 
gain  a  la  fin  trompeur,  vivre  de  leurs  rentes  en  oisivet^  parmi  les 
villes,  qu'employer  leur  Industrie  avec  quelque  peine  aux  arts  libe- 
raux  et  a  cultiver  leurs  heritages.  » 

(2)  tcon.  royates,  ibid.,  pag.  168-169. 

(3)  Ibid.,  torn.  IV,  pag.  169. 
(A)  Ibid.,  torn.  V,  pag.  191. 

(5)  De  Thou,  Hist,  de  son  temps,  livre  CXXXIV. 


244        ETABLISSEMENT  DE  LA  PAULETTE  (1604). 

tion,  a  la  tete  de  laquelle  se  mit  le  prevot  des  mar- 
chands  de  Paris,  Francois  Miron.  Les  bourgeois  en- 
voyerent  une  deputation  a  Henri  IV,  qui  etait  alors  a 
Fontainebleau,  pour  lui  exposer  les  craintes  et  les 
cloleances  des  creanciers  de  1'Etat.  Henri  IV  ecouta 
favorablement  leurs  remontrances  et  leur  repondit 
qu'il  etait  le  pere  commun  de  ses  sujets  et  qu'il  vou- 
lait,  avant  tout,  suivre  les  lois  de  1'equite.  La  reduc- 
tion des  rentes  portee  au  conseil  y  rencontra  des  ad- 
versaires,  et  entre  autres,  le  chancelier  Brulart  de 
Sillery.  Ses  objections  la  firent  abandonner ;  on  re- 
non^a  a  la  banqueroute ;  mais  le  temoignage  formel 
de  Sully  prouve  que  les  mauvaises  creances  avaient 
ete  annulees  ou  du  moins  reduites  de  maniere  a  pro- 
curer un  benefice  considerable  <i  1'Etat. 

Le  surintendant  reussit  plus  completement  dans 
1'affaire  de  la  paulette  ou  droit  annuel  preleve  sur 
les  charges  de  judicature.  La  creation  de  cet  impot, 
en  1604  (1),  assura  au  tresor  un  benefice  immediat 
de  plus  de  deux  millions.  Le  droit  annuel  reposait 
sur  un  abus,  la  venalite  des  charges,  mais  un  abus 
tellement  invetere  que,  dans  Timpossibilite  de  le 
supprimer,  il  fallait  le  regularises  II  fut  decide  que 
les  magistratspaieraient  chaque  annee  un  soixantieme 
du  prix  de  leurs  charges  et  qu'a  cette  condition  ils  en 
deviendraient  proprietaires.  Le  financier  Paulet, 
premier  fermier  de  cet  impot  et  qui  lui  a  donne  son 
nom,  paya  2,263,000  livres  pour  un  bail  de  neuf 
ans.  II  ne  fut  plus  necessaire,  comme  par  le  passe, 
que  le  magistral  qui  avait  vendu,  ou  comme  on  disait 
(1)  De  Thou,  Histoire  de  son  temps ,  livre  CXXXII, 


RfiFORME    FINANCIERE.  24-") 

ordinairement,  resigne  son  office,  survecut  quarante 
jours  a  1'acte  de  transmission.  Des  qu'il  avail  paye  la 
paillette,  il  etait  considere  comme  proprietaire  de 
son  office,  et  ses  heritiers,  s'il  venait  a  mourir,  pou- 
vaient  le  transmettre  a  qui  ils  voulaient.  Le  nom  de 
droit  annuel  donne  a  cet  impot  venait  de  ce  qu'il  se 
payait  annuellement;  si  le  titulaire  d'un  office  mou- 
rait  sans  avoir  paye  la  paulette,  sa  charge  tombait 
aux  parties  casuelles  (1). 

Les  resultats  de  cette  administration  financiere  at- 
testent  combien  le  ministere  de  Sully  fut  fecond 
pour  le  bonheur  de  la  France  :  les  impots  diminues, 
cinquante  millions  de  biens  domaniaux  rachetes  et 
quarante  millions  mis  en  reserve  a  la  Bastille  en  di- 
sent  plus  que  tous  les  eloges.  Et  cependant  le  surin- 
tendant  n'avait  cesse  de  fournir  des  sommes  consi- 
derables pour  1'entretien  des  alliances  de  la  France, 
<<  et  de  travailler  au  retablissement,  decoration  et 
embellissement  des  palais ,  chateaux  et  maisons 
royales  (2).  » 

Grand-maitrede  1'artillerie  en  meme  temps  que  sur- 
intendant,  Sully  s'occupa  activement  de  cette  bran- 
ched'administration;  il  mit  les  places  fortes  en  etat  de 
defense  et  soumit  1'artillerie  a  une  comptabilite  regu- 
liere  (3).  II  eut  voulu  menager  un  asile  aux  anciens 


(1)  On  appelait  parties  casuelles,  dans  Tancienne  organisation 
de  la  France,  les  deniers  provenant  de  la  paulette,  des  offices  ve"naux 
qui  vaquaient  par  mort,  ou  des  droits  que  Ton  payait  pour  la  trans- 
mission d'un  office.  Il  y  avait  un  receveur  special  des  parties  ca- 
suelles. 

(2)  ticonom.  royales,  torn.  VI,  pag.  93. 

(3)  Forbonnais,  Recherches  sur  les  fin.,  torn.  I,  pag.  47. 

L  17 


246  ASILE    OUVERT   AUX   INVALIDES. 

militaires.  On  leur  assura  du  moins  les  pensions 
qui  leur  avaient  ete  promises  sous  le  dernier  regne, 
et  qui  etaient  mal  servies  (1).  II  y  avail  longtemps 
que  les  rois  s'occupaient  des  soldats  invalides  et  leur 
avaient  attribue  des  places  de  moines  lais  (laiques) 
dans  les  convents.  En  1575,  Henri  III  etablit,  au 
moyen  de  ces  pensions  de  moines  lais,  une  maison 
appelee  la  Charlie  chreilenne  pour  servir  d'asile  aux 
soldats  estropies.  Afin  de  relever  cette  institution, 
Henri  HI  avait  cherche  a  lui  donnerle  caractered'un 
ordre  militaire.  Les  officiers  et  soldats  de  la  Cliarite 
chreilenne  devaient  porter  sur  leur  manteau  une 
croix  de  satin  blanc  bordeede  bleu,  avec  cette  devise: 
Pour  avoir  bien  servi. 

Malheureusement  les  troubles  de  la  fin  du  regne 
de  Henri  III  ne  lui  permirent  pas  de  realiser  com- 
pletement  cette  utile  et  noble  pensee.  Henri  IV  la 
reprit  en  1597;  il  releva  la  maison  de  la  Charlie 
chreilenne,  y  ajouta  d'autres  bailments  et  la  dota  des 
sommes  produites  par  les  arnendes  et  confisca- 
tions. «  Notre  grand  Henri, dit  une  cbronique  de  cette 
epoque  (2),  ayant  chasse  les  tyrans  du  coeur  de  la 
France,  pour  lui  restituer  sa  paix  et  tranquillite  pre- 
miere, donne  pour  aliment  et  nourriture  aux  gentils- 
hommes,  capitaines  et  soldats  estropies  en  faisant 
service  a  Sa  Majeste,  tant  en  cavalerie,  arquebusiers 
a  cheval  et  chevau-legers,  qu'archers  ou  gendarmes 
des  ordonnances,  leur  donne  par  edit  irrevocable, 
vrrifie  au  grand  conseil,  le  septieme  jour  de  juil- 

(1)  Anciennes  lois  franf.,  torn.  XV,  pag.  301. 

(2)  Bib,  imp.,  manuscrit  n°  8/i77,  f08  102-103, 


Rfi FORME    DE    LA   JUSTICE.  247 

let  1 605,  la  maison  royale  de  la  chariti  ehretienne, 
et  les  deniers  provenant  des  reliquats  des  comptes 
deshopitaux,  aumoneries  et  leproseries ,  maladeries, 
confreries,  etc.;  de  la  recherche  des  usurpations  et 
alienations  du  revenu  d'icelles  ,  revisions  desdits 
comptes  et  malversations  commises  au  maniement  et 
administration  desdits  lieux, ensemble  des  deniers  qui 
proviendront  des  places  et  pensions  des  religieux-lais 
en  chacune  abbaye  et  prieure  de  ce  royaume,  etant 
en  la  nomination  de  Sa  Majeste,  et  ce  en  apportant 
certificats  des  capitaines  et  mestres-de-camp,  sous 
lesquels  ils  auront  servi.  » 

La  reforme  de  la  justice  occupa  aussi  Henri  IV. 
Le  journal  du  conseiller  au  parlement  Oilier  (1) 
prouve  que  «  le  roi  se  plaignoit  souvent  des  abus  et 
exactions  qui  se  commettoient  en  la  justice.  L'on  s'a- 
visa,  aux  enquetes,  ajoute  1'auteur,  de  dresser  des 
memoires  pour  la  reformation  de  la  justice.  Les  arti- 
cles ayant  ete  dresses,  deliberes,  concertes  et  resolus 
en  chaque  chambre  des  enquetes,  m^me  signes  par 
Tun  des  presidents  et  conseillers  de  chacune  cham- 
bre, messieurs  les  presidents  assistes  de  quelques 
conseillers,  comme  deputes,  allerent  trouver  M.  le 
premier  president  pour  lui  presenter  les  memoires  de 
la  part  de  messieurs  des  enquetes.  II  dema'nda 
temps  pour  les  voir  et  y  penser.  Quelque  temps  apres, 
la  mercuriale  fut  tenue,  ou  il  fut  resolu  que  les  der- 
niers  articles  de  nos  memoires  concernant  le  regle- 
ment  de  nos  avocats,  qui  devoient  mettre  au  has  de 
leurs  ecritures  ce  qu'ils  prendroient  des  parties  se- 

(1)  F°  29  verso,  ft  Tanned  1602, 


248  ADMINISTRATION   DE    LA   JUSTICE. 

roient  publics.  »  La  reforme  reduite  aux  avocats  ne 
fut  pas  appliquee  sans  difficulte.  Trois  cent  sept  vin- 
rent  deposer  leurs  chaperons  au  greffe  du  parle- 
ment  (1),  et  declarerent  qu'ils  aimeraient  mieux  re~ 
noncer  a  leur  profession  que  de  se  soumettre  a  cette 
ordonnance.  Neanmoins  la  volonte  energique  du  roi 
triompha  de  cette  opposition.  Lesproces  furent  juges 
avec  moins  de  lenteur  et  les  plaideursne  furent  plus 
livres  a  la  rapacite  des  avocats  et  des  procureurs. 

Le  chancelier  de  Chiverni  fit  une  autre  reforme 
importante.  Une  des  institutions  de  1'ancienne  mo- 
narchie  destinee  a  balancer  les  influences  de  la  fa- 
veur  et  de  1'intrigue,  etait  le  tribunal  ou  le  chance- 
lier, assiste  des  maitres  des  requetes,  admettait  ou 
rejetait  les  ordonnances  qui  etaient  presentees  au 
sceau.  Les  donations  et  autres  faveurs  de  la  royaute, 
n'etaient  valables  que  lorsque  le  chancelier  les  avait 
scelle'es.  Lui-meme  devait  consulter  les  maitres  des 
requetes  avant  d'apposer  le  sceau  royal.  On  s'etait 
trop  souvent  dispense  de  ces  formalites  pendant  1'e- 
poque  des  troubles  religieux.  Le  chancelier  de  Chi- 
verni retablit  1'ancien  usage  en  1605,  et  declara  que 
sa  voix  n'aurait  pas  plus  d'influence  que  celle  des 
simples  maitres  des  requetes  (2). 

(1)  ficonom.  royales,  torn.  IV,  pag.  165. 

(2)  «  Le  premier  reglement  que  [le  chancelier  de  Chiverni]  donna 
aux  choses  dere"glees  fut  qu'on  ne  scelleroit  rien  qu'en  la  presence 
des  maistres  des  requestes  qui  seroient  et  serviroient  en  quartier, 
remettant  pour  ce  1'ancien  ordre  que  1'injure  du  temps  et  la  malice 
des  homines  avoit  rompu  et  corrompu.  11  ne  vouloit  point  que  sa 
voix  en  partage  balancast  plus  longtemps  que  celle  d'un  des  autres 
opinants;  tant  il  avoit  de  modestie  et  de  sagesse!  »  Manuscrit  de  la 
Bib.  imper.,  n°  8477,  f"  123. 


CHAPITRE  XIII. 


Sommaire. 

HENRI  IV  (Suite).  —  Conseil  du  commerce  convoque  par 
Henri  IV  (1602);  progres  de  1'industrie  franchise  :  planta- 
tion de  muriers;  fabrication  d'etoffes  d'or  et  de  soie;  manu- 
factures de  crepes  ,  de  cuir  dore ,  d'armes,  de  cristal;  reta- 
blissement  des  anciennes  verreries ;  fabriques  de  tapis  de 
Turquie.  —  Projets  soumis  au  gouvernement  par  le  conseil 
du  commerce  pour  le  developpement  de  1'industrie  fran- 
caise.  —  Fondation  de  nombreuses  manufactures  par 
Henri  IV.  —  Exploitation  des  richesses  minerales  de  la 
France.  — •  Nouvelles  communications  ouvertes  pour  le  com- 
merce; canal  de  Briare.  —  Traites  de  commerce.  —  Colo- 
nie  du  Canada.  —  Efforts  tentes  pour  relever  la  marine 
francaise;  affront  fait  a  Sully  par  un  amiral  anglais.  — 
Protection  accordee  a  1'agriculture.  —  Monuments  con- 
struits  sous  le  regne  de  Henri  IV.  — Jurisconsultes  de  cette 
epoque;  tendance  vers  Tunite  legislative  et  administrative. 
—  Repression  des  duels.  —  Projets  de  Henri  IV  pour  1'af- 
fermissement  de  1'autorite'  monarchique;  son  assassinat 
(1610). 


Depuis  le  r£tablissement  de  1'ordre,  le  pouvoir  s'e- 
tait  fortifie.  L'anarchie  avait  ete  reprimee  ;  1'esprit  de 
sedition  et  de  fanatisme,  qui  agitait  encore  quelques 
classes,  etait  contena;  les  dettes  de  1'Etat  avient  ete 
payees,  et  le  tresor  rempli.  C'etait  deja  beaucoup ;  ce- 
pendant  la  royaute  n'eut  pas  accompli  toute  sa 
mission  si  elle  se  fiit  bornee  a  ces  mesures.  II  fallait 
surtout  feconder  les  richesses  naturelles  de  la  France 


250  CONSEIL   DE    COMMERCE    (1602). 

par  le  commerce  et  1'industrie,  retablir  la  marine 
detruite,  relever  les  colonies  abandonnees,  favoriser 
les  lettres  qui  s'etaient  livrees  a  d'etranges  ecarts,  en- 
courager  les  arts,  en  un  mot  rouvrir  les  sources  de  la 
richesse  et  de  la  prosperite  publiques  taries  par  les 
guerres  civiles.  Henri  IV  ne  manqua  pas  a  ce  devoir. 
Le  commerce  ruine  appelait  la  sollicitude  la  plus  acti- 
ve. Henri  IV  reunitpres  de  lui,  en  i  602,  les  delegues 
de  1'industrie  nationale,  afin  de  concerter  les  mesu- 
res  les  plus  propres  a  lui  donner  un  puissant  essor. 
Le  resultat  des  deliberations  de  cette  assemblee  nous 
a  ete  conserve  par  le  controleur  general  du  com- 
merce, Laffemas  (1).  Son  travail  se  divise  en  trois 
parties  :  la  premiere  contient  les  propositions  faites 
par-les  commissaires  et  approuvees  par  le  gouverne- 
ment;  la  seconde,  les  propositions  deja  admises  par 
les  commissaires,  mais  qui  n'ont  pas  encore  ete  adop- 
tees par  le  conseil ;  la  troisieme  expose  les  idees  qui 
exigent  de  plus  amples  renseignements  et  sur  les- 
quelles  les  commissaires  ne  se  sont  pas  encore  pro- 
nonces. 

Dans  la  premiere  categorie  se  trouvent  les  planta- 
tions de  muriers,  1'education  des  vers  a  soie,  et  les 
fabriques  de  soie  qui  devaient  affranchir  la  France  du 
tribut  qu'elle  payait  a  I'indnstrie  etrangere.  Sully 
avait  resiste  a  1'etablissement  de  ces  fabriques  qu'il 
regardait  comme  un  luxe  inutile  (2).  Mais  Henri,  a 

(1)  M&n.  de  Laffemas  snr  le  commerce  de  France,  Archives  cu- 
rieiises,  lrc  se"rie,  t.  XIV,  p.  221  et  suiv.  —  Ces  Memoires  ont  ete 
publies  plus  completement  dans  la  collection  des  Documents  inedits 
de  L'histolre  de  France,  t.  IV  des  melanges. 

(2)  Economies  royales,  V,  64.  «  Le  roy  voulant  establir  en  son 


CONSEIL   DE    COMMERCE    (1602).  251 

1'imitation  cle  Francois  Ier,  favorisa  cette  branche  d'in- 
dustrie,  ordonna  la  plantation  de  muriers  dans  les 
generalites  de  Paris,  Orleans,  Tours  et  Lyon  (1),  et 
fit  construire  a  Paris  deux  bailments  pour  travail  Ier 
la  soie,  Tun  aux  Tuileries,  Fautre  an  pare  des  Tour- 
nelles.  (2)  Les  resultats  furent  si  avantageux  quYn 
deux  ans  on  exporta  des  etoffes  de  soie  pour  plus  de 
six  millions  d'ecus  (3).  Des  mesures  prohibitives  pro- 
tegerent  cette  Industrie  naissante,  et  plusieurs  ordon- 
nances  interdirent  I'importation  des  etoffes  d'or  et  de 
soie  (4). 

L'ecorce  des  muriers  blancs  servit  a  fabriquer  des 
toiles  et  des  cordages.  L'experience  fut  faite  en 
Languedoc  par  le  celebre  agriculteur  Olivier  de  Ser- 
res,  et  reussit  parfaitement.  Une  manufacture  de  cre- 
pes fins,  etablie  au  chateau  de  Nantes  avec  1'autorisa- 
tion  de  Sully,  le  disputa  aux  fabriques  de  Bologne(5). 
On  arriva  a  line  telle  perfection  dans  la  fabrication 
des  bas  de  soie  et  d'estame,  qu'on  put  en  fournir  aux 
pays  etrangers  (6).  Une  manufacture  pour  filer  Tor 
fut  fondee  a  Paris  sous  la  direction  d'un  Milanais,  et 


royaume  le  plant  des  muriers,  Tart  de  la  soye  et  loutes  sortes  de 
manufactures  estrangeres  qui  ne  se  fabriquoient  point  en  iceluy,  a 
cette  fin  faire  venjr  £  grands  frais  des  ouvriers  de  tous  ces  mestiers 
et  construire  de  grands  bastiments  pour  les  loger,  vous  files  ce  qu'il 
vous  fut  possible  pour  empescher  tout  cela.  » 

(1)  Andennes  lots  franc., I.  XV,  p.  278,  283. 

(2)  Proces-verbal  de  1'assemblee  du  commerce  dans  les  Archive* 
curieuses  de  I'hist.  de  France^  t.  XIV,  p.  222. 

(3)  Proces-verbal  de  Tassemblee  du  commerce  dans  les  Archives 
curieuses,  t.  XIV,  p.  221. 

(4)  Andennes  lois  franc.,  t.  XV,  p.  212,  263,  30o. 

(5)  Proces-verbal  de  I'assemblge  du  commerce,  1.  c.,  p.  22L>, 

(6)  Ibid.,  p.  222  et 228. 


PROGRES  DE  L'INDUSTRIE. 

epargna  a  la  France  une  depense  de  1 ,200,000  livres 
dont  s'enrichissait,  chaque  annee,  1'industrie  mila- 
naise  (1).  Des  tapisseries  de  cuir  dore  se  fabriquerent 
aux  faubourgs  Saint-Jacques  et  Saint-Honore  ,  et 
1'emporterent  sur  les  plus  belles  etoffes  (2).  La  ri- 
viere d'Etampes  alimentait  des  moulins  qui  sciaient 
le  fer,  et  le  m artel aient.  La  France  ne  fut  plus  tribu- 
taire  de  1'Allemagne  pour  ces  industries;  les  moulins 
d'Etampes  faisaient  plus  en  un  jour  que  le  meilleur 
chaudronnier  en  un  mois,  et  a  meilleur  marche  (3). 
Ces  fabriques  fournissaient  aussi  des  cuirasses  et  au- 
tres  especes  d'armes  (4).  Au  faubourg  Sain t- Victor  et 
a  1'embouchure  de  la  riviere  de  Bievre,  on  travaillait 
racier  fin  (5).  Des  manufactures  de  cristal,  etablies 
par  les  Italiens  que  le  gouvernementprotegeait  (6), 
avaientruine  lesanciennesverreries.  L'assemblee  de- 
manda  le  retablissement  de  ces  verreries  «  de  si 
» longtemps  ordonnees  pour  les  gentilshommes  ne- 
»  cessiteux  qui  s'y  peuvent  adonner  et  en  faire  trafic 
»sansderoger  a  la  noblesse  (7).  »  Elle  exprima  en 
meme  temps  le  voeu  que  les  Italiens  communiquas- 
sent  le  secret  de  leur  art  a  des  ouvriers  frangais  (8) . 
Plusieurs  produits,  entre  autres  le  blanc  de  plomb 


(1)  Proc&s-verbal  de  1'assemblee  du  commerce. 

(2)  Ibid.,  p.  222,  228. 

(3)  Ibid. 
(l\]  Ibid. 

(5)  Ibid. 

(6)  Anciennes  Lois  fran$.,  t.  XV,  p.  161.  Un  privilege  pour  cette 
Industrie  avail  et6  accorde  par  Hem  i  II  £  AJutio  Thesco. 

(7)  Proces-verbal  de  1'assemblee  du  commerce,  1.  c.,  p.  222,225. 

(8)  Ibid. 


PROGRES  DE  L'INDUSTRIE.  253 

(carbonate  de  plomb),  si  utile  pour  les  peintres,  furent 
importes  en  France  (1).  Enfm  les  delegues  du  com- 
merce s'occuperent  des  precedes  les  plus  avantageux 
pour  la  mouture  du  ble  et  1'exploitation  des  peche- 
ries  (2). 

Parmi  les  propositions  que  I'assemblee  approuvait, 
et  soumettait  a  la  sanction  du  gouvernement  (3) , 
plusieurs  furent  adoptees.  Ainsi  des  manufactures  de 
tapis  de  Turquie  furent  etabliesaParis  et  dans  plu- 
sieurs villes  du  royaume  (4).  Les  delegues  du  com- 
merce demandaient  1'extension  des  fabriques  de  soie- 
ries;  une  ordonnance  du  16  novembre  1605  prescri- 
vit  1'etablissement  d'une  pepiniere  de  muriers  blancs 
dans  chaque  diocese  pour  1'entretien  des  vers  a 
soie  (5). 

La  derniere  serie  de  propositions,  sur  laquelle  les 
commissaires  devaient  se  prononcer  apres  plus  ample 
informe,  suffirait  pour  prouver  1'essor  des  idees  no- 
vatricessous  ce  gouvernement  protecteur  :  etablisse- 
ment  de  haras  (6)  ;  fondation  d'ateliers  de  charite 
pour  les  vieillards  et  les  enfants  infirmes  (7) ;  regle- 
ment  general  et  uniforme  pour  toutes  les  corpora- 
tions (8) ;  canal  del'Ocean  a  la  Mediterranee  (9),  ca- 


(1)  Proems-verbal  de  TassembJee  du  commerce,  1.  c.,  p.  222-228. 

(2)  Ibid.,  p.  227-228. 

(3)  Ibid.,  p.  228-235. 

(Zi)  Anciennes  Lois  franc.,  t.  XV,  p.  332. 

(5)  Ibid.,  1.  XV,  p.  291." 

(6)  Laffemas,  Archives  curieuses,  t,  XIV,  p.  235. 

(7)  Ibid. 

(8)  Ibid. 

(9)  Ibid.,  p.  238.  «  Le  canal  entre  les  deux  rivieres  qui  passent , 
Tune  de  Tholoze  en  1'Ocean ,  et  1'autre  de  Narbonne  en  la  Mediter- 


254  [PROGRES  DE  L'INDUSTRIE. 

nalisation  des  rivieres  d'Oise,  de  Therain,  d'Arman- 
sori  (1 ) ;  navigation  a  voiles  sur  la  Seine  (2) ;  necessite 
d'exploiter  les  mines  de  fer  et  d'ameliorer  les  for- 
ges (3) ;  danger  de  la  falsification  des  vins  (4)  :  tels 
etaient  les  principaux  points  sur  lesquels  le  commerce 
de  France  appelait  Pattention  du  gouvernement.  La 
relation  de  Laffemas  suffit  pour  prouver  1'importance 
de  la  charnbre  de  commerce ;  il  pouvait  declarer  en 
terminant,  «  que  la  chambre  de  commerce  est  le  vrai 
»  fondement  de  remettre  et  conserver  le  trafic  ge'ne- 
»  ral  qui  a  ete  perdu  a  faute  de  bon  ordre  (5).  » 

Le  gouvernement  se  montra  digne  de  1'elan  qui 
portait  1'industrie  franchise  a  s'affranchir  de  Petran- 
ger,  et  a  tenter  d'importantes  innovations.  Le  temoi- 
gnage  des  historiens  contemporains  (6)  atteste  que 
les  propositions  du  conseil  de  commerce  furent  ac- 
cueillies  avec  faveur  et  que  de  nombreuses  manufactu- 
res furent  creees.  «  Le  (7)  roi  tres-chretien,  dit  Palma 


ranee  paroissoit  plus  facile  que  celui  qui  se  faisoit  pour  joindre  les  ri- 
vieres de  Loire  et  de  Seine.  » 

(1)  Laffemas,  Archives  curieuses,  t.  XIV,  p.  238-240. 

(2)  I  bid.,  p.  240. 

(3)  JMrf.,p.  241-242. 

(4)  Ibid.,  p.  2^8. 

(5)  Ibid.,  p.  245. 

(6)  Voy.   de  Thou,  Hist,  univers.,  ch.  GXX1X.  On  pent  encore 
consulter  sur  ce  sujet  YHistoire  du  commerce  de  France,  par  Isaac 
Laffemas,  fils  du  precedent,  ouvrage  presente  au  roi  en  1606,  et  pu- 
blic dans  les  Archives  curieuses  de  i'histoire  de  France ,  t.  XIV, 
p.  411  et  suivantes.  Isaac  Laifemas  parle  avec  emphase  de  la  manu- 
facture de  la  place  Royale,  p.  412:  «  Te"moms  ces  orgueilleux  basti- 
ments  de  la  Place  royale,  dont  le  front  menace  de  ruyne  les  es- 
trangers  qui  vivoient  de  nos  depouilles.  » 

(7)  Anciennes  lois  franc.,  XV,  253  et  290.  —  6'conom.  royalcs, 
t.  XIV,  p.  469. 


FABR1QUES    DE    SOIERIES.  255 

Cayet  (1),  d^sireux  d'employer  son  peuple,  an  lieu 
que,  par  1'occasion  des  guerres,  plusieurs  s'etoient 
relaches  a  une  grande  oisivete,  rechercha  les  moyens 
de  faire  retablir  en  son  royaume  les  manufactures  des 
draps  de  sole,  hautes  lisses  et  autresqui  se  font  d'or- 
dinaire  par  les  Strangers,  et  lesquelles  pour  la  plu- 
part  s'y  etoient  tranportees.  Pour  done  remedier  a  ce 
defaut,  S.  M.  envoya  chercherdesouvriersexcellents, 
par  le  moyen  desquels  se  peut  conduire  un  tel  arti- 
fice. Les  sieurs  Dubourgpereet  fils,  excellents  en  cet 
art,  prirent  ce  courage  de  quitter  leur  pays,  afm  de 
venir  etre  habitants  de  Paris,  et  furent  loges  dans  la 
inaque  (tnaison  disposee  et  propre  a  cela),  par  le 
commandement  du  roi.Ils  font  des  pieces  excellentes 
en  rehaussement  de  fil  d'or  et  d'argent,  draps  d'or  et 
d'argent,  toiles  d'or  et  d'argent,  d'or  frise  de  toutes 
fac.ons  avec  naivete  tant  des  etoffes  que  des  etoffures, 
tellement  qu'aux  damas  figures,  satins  et  autres  ou- 
vrages,  il  sembleroit  que  les  couleurs  qui  y  eclatent 
sont  toutes  choses  naturellement  procreees,  comme 
elles  apparoissent,  tant  est  1'industrie  naive  et  subtile 
de  leurs  tissus.  De  decrire  les  particulieres  formes, 
il  n'est  pas  possible ;  mais  il  se  voit  a  1'oeil  que  cela 
meme  est  inimitable,  et  ceux-la  ont  encore  pour  ce 
jourd'hui  cette  fagon  a  eux  particuliere. 

De  meme  aussi,  ajoute  Palnia  Cayet  (2) ,  en  la 
maison  des  Gobelins  au  faubourg  Saint-Marcel ,  le 
roi  a  fait  accommoder  les  ouvriers  de  hautes  lisses, 


(1).  Chronologic  septennaire  (ann.  1603),  p.  253,  ed.  Alichaud 
et  Poujoulat. 

.  258-259. 


256  FABRiQUE    DES    GOBELINS. 

et  les  tapisseries  de  Flandre,  y  ayant  fait  venir  les 
plus  industrieux  de  tons  ces  pays-la  ,  lesquels  aussi 
tant  pour  les  commodites  que  S.  M.  leur  a  donr.ues 
que,  pour  se  faire  valoir  eux-memes ,  y  apporteut 
toute  diligence,  et  ne  se  pourroit  jamais  rien  voir  de 
mieux,  ni  pour  les  personnages,  auxquels  il  semble 
qu'il  ne  leur  reste  [manque]  plus  que  la  parole,  ni  pour 
les  paysages  et  bistoires  qui  sont  represented  d'apres 
le  naturel.  Tellement  que  la  France  semble  se  vouloir 
revendiquer  la  juste  possession  des  arts  et  inventions 
detoutes  sortes,commec'est  la  France  qui  les  elabore 
toutes.Et  si  Ton  veut  considerer  cequi  s'enfait  es  na- 
tions etrangeres,  ce  sont  toujours  les  Francois  qui  en 
ont  ete  les  premiers  auteurs ;  mais  le  Francois  a  cela 
de  mauvais  qu'il  ne  continue  pas;  il  n'a  que  la  pre- 
miere pointe. 

Et  d'autant  que  les  soies  ne  se  peuvent  fournir  pour 
les  ouvrages  susdits  en  quantite  suffisante,  sinon 
qu'il  y  en  eut  une  continuelle  production  en  France, 
messieurs  les  commissaires  deputes  par  le  roi  pour 
le  fait  du  commerce  et  des  manufactures  donnerent 
avis  a  S.  M.  de  faire  une  ordonnance  et  commande- 
ment  aux  generalites  de  Paris,  Orleans,  Tours  et 
Lyon,  de  faire  des  pepinieres  de  muriers  pour  nour- 
nir  des  vers  a  soie,  et  pour  cet  effet,  par  gens  a  ce 
commis,  suivant  1'edit  qui  en  fut  fait,  il  fut  distri- 
bue  a  toutes  les  paroisses  des  dites  generalites  des 
muriers  blancs  et  des  graines  avec  un  livre  de  la  ma- 
niere  de  les  planter,  et,  comme  il  falloit  nourrir  les 
vers  a  soie,  et  accommoder  et  preparer  la  soie  pour- 
en  faire  des  ouvrages. 


PLANTATION   DE    MUR1ERS.  257 

Les  epreuves  en  avoient  ete  faites  dans  le  chateau 
de  Madrid  pres  Paris,  ou  il  y  a  grande  quantite 
maintenant  de  vers  a  soie,  de  moulins  et  autres  in- 
struments pour  lui  donner  toutes  ses  fagons.  Et  de- 
puis,  en  beaucoup  d'endroits  des  dites  generalites 
on  a  plants  force  muriers  blancs  et  noirs  pour  avoir 
foison  de  nourriture  aux  dits  vers  a  soie,  qui  font 
leurs  bobines  et  leurs  oeufs  aussi  beureusement  qu'en 
Italie  ou  Avignon,  et  s'en  tire  de  la  soie  aussi  belle  et 
fine  que  se  peut  dire,  tant  blanche  que  jaune,  qui 
sont  les  especes  qui  se  procreent  de  la  dite  nourri- 
ture. Et  au  lieu  que  telle  nourriture  n'etoit  que,  pour 
Avignon  et  la  Provence,  a  cause  qu'ils  sont  plus  ex- 
poses au  midi,  a  present,  en  la  voisinance  de  Paris, 
qui  est  au  septentrion,  les  vers  a  soie  et  les  muriers 
y  croissent  et  produisent  heureusement. 

Encores  un  autre  embellissement  s'est  recom- 
mence des  verreries  de  cristal  a  la  facon  de  ceux  de 
Venise,  qui  ayant  ete  commence  par  grande  solennite 
a  Saint-Germain-en-Laye,  du  temps  du  roy  Henri- 
Second,  et  continue  jusques  a  Charles  IX,  neanmoins 
s'est  depuis  intermis  et  a  du  tout  cesse.  Finalement 
pour  ce  qu'il  falloit  que  tous  biens  revinssent  au  Roi 
victorieux  de  tous  troubles  et  empechements,  pour 
faire  revivre  et  regner  un  chacun  art  en  sa  propre 
splendeur  etleramener  a  sa  perfection  la  plus  grande 
qui  puisse[etre],  leduc  de  Neversdefunt  en  donna  au 
Roi  les  mouvements  premiers,  lequel  aussi,  en  sa 
maison  de  Nevers,  avoit  fait  recommencer  ledit  arti- 
fice, non-seulement  pour  les  verres  de  cristal,  mais 
pour  les  couleurs  de  topaze,  emeraudes,  jacintes, 


NOUVELLES   MANUFACTURES. 

aigues  marines  et  autres  jolivetes,  qui  approchent  du 
propre  naturel  des  pieces  vraies  orientales.  » 

Palma  Cayet,  apres  avoir  rappele  (1)  que  Ton  fa- 
brique  des  toiles  et  cordages  avec  des  ecorces  de  mu- 
riers  blancs,  et  qu'une  manufacture  de  crepes  fins 
de  Bologne  fut  etablie  a  Mantes,  parle  de  tapisseries 
de  cuir  dore  et  «  drape,  de  toutes  les  sorteset  couleurs 
qu'il  est  possible  de  souhaiter  plus  belles  que  la  bro- 
derie  meme,  a  meilleur  marche  et  de  plus  grande 
duree,  pour  la  facilite  et  invention  de  les  nettoyer, 
entretenir  et  racoustrer,  qui  se  font  maintenant  es 
grandes  boutiques  des  faubourgs  Saint-Honore  et 
Saint-Jacques  pour  y  nourrir  et  employer  les  pauvres 
gens. 

«  Les  moulins  tranchants  de  fonderie  et  martinets 
etablis  sur  la  riviere  d'Etampes  et  qui  se  cornmuni- 
quent  par  tous  les  autres  endroits  du  royaume  de 
France  ou  le  fer  se  tranche  et  fend  en  tant  de  pieces 
si  menues  et  de  telle  fac.on  que  Ton  veut ;  ce  qui  ne 
se  faisoit  auparavant  qu'a  la  main  chez  les  serru- 
riers. 

«La  conversion  du  fer  et  d'autres  mines,  dontnous 
abondons  en  France,  en  fin  acier,  que  Ton  etoit  con- 
traint  d'aller  chercber  en  Piemont,  en  Allemagne, 
et  autres  pays  etrangers  pour  cinq  ou  six  sous  la 
livre,  ne  s'en  etant  jamais  trouve  en  France  que  du 
fer  fort,  qu'ils  appellent  par  excellence  petit  acier  de 
Brie  oude  Saint-Dizier,  ne  se  vend  que  deux  ou  trois 
sous  tout  au  plus,  fort  different.  On  en  pent  voir  FP- 

(!)  Chronologic  septennaire,  p.  283-28/j, 


NOUVELLES  MANUFACTURES.  259 

tablissement  et  les  fourneaux,  et  en  admirer  1'excel- 
lence  au  faubourg  Saint- Victor,  sur  I'embouchure  de 
la  riviere  de  Bievre. 

«  L'etablissement  du  blanc  de  plomb,  quiest  une 
espece  de  drogue  on  quinte-essence  tiree  du  plomb, 
grandement  necessaire  et  commune  pour  les  peintres, 
medecins  de  cbevaux  et  plusieurs  autres  usages, 
qu'on  6toit  contraint  d'aller  chercber  et  acbeter 
cberement  hors  de  la  France,  y  est  etablie  mainte- 
nant  beaucoup  meilleure  et  a  meilleur  marcbe. 

«  Pareil  etablissement  des  tuyaux  et  canaux  de 
plomb,  tant  longs  et  de  tel  calibre  que  Tonveut,  bat- 
tus  et  legers  com  me  le  fer  a  cuirasses,  plus  fort  et  de 
plus  longue  duree  que  les  autres  canaux  de  plomb 
ordinaires  et  accoutumes ,  a  meilleur  marche  et  qui 
rendent  les  eaux  qui  y  coulent  plus  salubres  pour  le 
corps  bumain,  a  cause  des  ingredients  de  la  soudure 
qui  corrompt  1'eau  qui  passe,  avec  plusieurs  autres 
secrets  inventes  par  Ferrier,  demeurant  au  faubourg 
Saint-Germain.  » 

Henri  IV  encouragea  par  des  privileges  Fetablisse- 
ment  de  nouvelles  manufactures.  On  trouve  dans  les 
extraits  des  registres  de  l'Hdtel-de-Fille  (1)  1'analyse 
de  ceux  qui  furent  accordes  aux  sieurs  Comans  et 
Laplanche,  fondateurs  d'une  fabrique  de  tapisseries. 

«  Pendant  vingt-cinq  ans,  disaient  les  lettres-pa- 
tentes,  mil  ne  pourra  imiter  leurs  manufactures.  Le 
roy  leur  donnera  des  lieux  a  ses  depens  pour  les 
loger  et  travailler.  Leurs  ouvriers  declares  regnicoles 

(1)  Manuscrits  de  la  Bib.  imp.,  vol.  GCLTf  des  Cinq-Cents  de  Col- 
bert, p.  533-534, 


260  PRIVILEGES   ACCORDES. 

et  naturels  sur  leur  certification  et  sans  lettres,  et 
exemptes  de  tailles  et  de  toutes  autres  charges.  Pen- 
dant les  dites  vingt-cinq  annees,  les  marchands  apres 
trois  ans,  les  apprentis  apres  six  pourront  avoir  bou- 
tiques, sans  faire  chefs-d'oeuvre  et  durant  les  vingt- 
cinq  annees. 

«  Leroy  leur  donnera  la  premiere  annee  vingt-cinq 
en  fa  n  Is,  la  seconde  vingt  et  autant  la  troisieme,  tous 
Francois,  dont  il  payera  la  pension  et  les  parents  1'en- 
tretien  pour  apprendre  le  metier. 

«  Defend  1'entree  des  tapisseries  etrangeres  en  ven- 
dant  lesleurs  au  prix  que  les  autres  se  vendoient  aux 
Pays-Bas,  et  tenant  quatre-vingts  metiers  au  moins, 
dont  soixante  a  Paris. 

«  Toutes  les  etoffes  exemptes  de  toutes  imposi- 
tions, sauf  Tor  et  la  soie,  leur  permet  de  tenir  par- 
tout  des  brasseries  et  vendre  biere,  leur  donne  a 
chacun  quinze  cents  livres  de  pension  et  cent  mille 
livres  pour  commencer  leur  travail,  leurs  proces  ju- 
ges  en  premiere  instance  par-devant  les  juges  des 
lieux  et  par  appel  au  parlementde  Paris,  en  quelque 
ressort  qu'ils  soient.  » 

Les  mesures  prohibitive^  adoptees  ici  pour  prote- 
ger  une  Industrie  naissante  furent  souvent  renouve- 
lees.  Henri  IV  alia  meme  jusqu'a  interdire,  sous 
peines  corporelles,  toutes  relations  cornmerciales 
avec  laFlandre  (1). 

Ce  prince  s'occupa  aussi  de  Texploitation  des  ri- 


(1)  Palma  Cayet,  Chron.  septcnn.,  ann^e  160Zi,  p.  285-287,  edit. 
Michaud  et  Poujoulat. 


EXPLOITATION    DBS    MINES.  201 

chesses  minerales  de  la  France  (1).  Ce  pays  qu'un  his- 
torien  du  temps  (2)  nous  represents  abondant  en  bids, 
vins,  /miles,  fruits,  legumes,  guedesou  paste  Is,  outre 
les  grandes  et  foisonneuses  nourritures  de  detail  et 
haras,  n'avait  pas  suffisamment  exploite  jusqu'alors 
ses  richesses  naturelles.  Les  tentatives  faites  sous 
Louis  XI  avaient  produit  peu  de  resultats.  On 
commence  a  s'occuper  serieusement  des  mines  en 
1601.  «  L'an  passe  et  cette  annee,  dit  Palma  Cayet, 
la  France  a  ouvert  son  sein,  ses  entrailles  et  tout  ce 
qu'elle  a  de  plus  excellent  a  1'interieur,  pour  faire 
apparoir  ce  qui  etoit  cache  :  es  monts  Pyrenees  des 
mines  de  talc  et  de  cuivre,  avec  quelques  mines 
d'or  et  d'argent;  aux  mines  de  Foix,  des  pierres  pre- 
cieuses,  jusques  escarboucles ;  es  terre  de  Gevaudan 
et  es  Cevennes,  mines  de  plomb  et  d'etain ;  en  celles 
de  Carcassonne,  mines  d'argent ;  en  celles  d'Auver- 
gne,  mines  de  fer;  en  Lyonnais  pres  le  village  de 
Saint-Martin,  celles  d'or  et  d'argent;  en  Normandie, 
mines  d'argent  et  de  fort  bon  etain;  en  Vivarais, 
mines  de  plomb;  en  la  Brie  et  Picardie,  mines 
d'or  et  d'argent.  Bref,  tout  ce  que  les  rois  predeces- 
seurs  n'ont  jamais  vu  qu'au  loin  s'est  reserve  au 
regne  heureux  de  Henri  IV.  »  L'auteur  ajoute,  que 
pour  encourager  1'exploitation  des  mines,  le  roi  fit 
plusieurs  reglements,  institua  surintendant-general 
Roger  de  Bellegarde,  grand  ecuyer  de  France,  et  lui 

(1)  Isaac  Laffemas,  Archives  curieuses  de  I' hist,   de  France t 
t.  XLV,  p.  416.  —  De  Thou,  liv.  CXXIX. 

(2)  Palma  Cayet,  Clironol.  sept.,  ann£e  1602,  p.  208  de  IVdil. 
Michaud  et  Poujoulat. 

I.  18 


CANAUX  CREUSES. 

donna  pour  lieutenant-general,  Beaulieu-Ruze,  se- 
cretaire d'Etat;  enfin  il  nomma  pour  controleur-ge- 
neral  des  mines,  Beringhem,  son  premier  valet  de 
chambre.  On  peut  juger  par  1'avidite  avec  laquelle 
les  courtisans  se  jeterent  sur  ces  places  quels  avanta- 
ges  on  esperait  retirer  de  1'exploitation  des  mines. 
Mais  on  ne  tarda  pas  a  reconnaitre  que  ces  travaux, 
qui  etaient  mal  diriges,  exigeraient  des  frais  conside- 
rables etrapporteraient  peu.  De  Thou  conseilla  de  re- 
noncer  a  1'exploitation  des  mines,  etson  avisfutsuivi. 
On  fut  plus  heureux  pour  les  travaux  dont  le  but 
etait  de  faciliter  les  communications.   Sully,   en  sa 
qualite  de  grand-voyer,  travailla  «  a  redresser  et  em- 
bellir  les  chemins  en  faveur  du  trafic  (1).  »  II  fit 
planter  des  arbres   le  long  des  routes,  mais,  «  le 
peuple   ignare  »  les  arrachait.    «  C'est  un  Sully , 
disait-il,  faisons-en  un    Biron  (2).  »  Cette  absurde 
opposition  n'arreta  pas  le  /ele  du  ministre.  II  com- 
menga  le  canal  de  Briare,  qui  devait  unir  la  Seine  a 
la  Loire  (3)  et  realiser  la  pensee  congue  des  le  xive 
siecle  par  Cbarles  V.  II  ne  se  laissa  pas  decourager 
par  les  attaques  de  quelques  politiques  incredules  qui 
declaraient  impossibles  de  pareilles  entreprises   et 
s'efforc,aient  de  Jeter  du  ridicule  sur  leurs  auteurs  (4). 
Sully  projetait  bien  d'autres  travaux  de  canalisation; 

(1)  Isaac  Laflemas,  Archives  curieuses,  XIV,  p.  Zi96. 

(2)  L'titoile,  Journal  de  Henri  IV. 

(3)  tconom.  roy.,  t.  V,  p.  207. 

(4)  Tavannes,  Mem.,  6dit.  Petitot,  t.  Ill,  p.  177.  «  Les  Ve"nitiens 
tranclient  quelques  canaux,  les  rendent  navigables  pour  peu  d'es- 
pace;  les  grandes  entreprises  leur  sont  interdites,  ainsi  comme  aux 
Francois  de  trancher  le  destroict  de  Saint-Jean-de-Luz,  pour  entrer 
de  la  \tediterraa6e  en  I'Oc^ane,  ny  joindre  la  Loire  a  la  Seyne,  ny 


TRAITES    DE     COMMERCE*  263 

11  voulait  unir  la  Loire  a  la  Saone,  et  la  Saone  a  la 
Meuse  (1). 

Des  traites  de  commerce  avec  le  sultan  (2)  et 
FAngleterre  (3)  preparerent  des  debouches  a  1'indus- 
trie  franc,  aise.  Tel  fut  aussi  1'avantage  de  la  colonisa- 
tion du  Canada  renouvelee  sous  Henri  IV  par  Samuel 
Champlain  (1606)  (4).  Quebec  devint  bientot  la  capi- 
tale  de  cette  Nouvelle-France  et  ie  centre  d'un  vaste 
commerce  de  pelleteries  (5). 

L'organisation  d'une  marine  etait  le  complement  de 
toutes  les  mesures  adoptees  par  Henri  IV  et  par  son 
ministre  pour  relever  et  enrichir  la  France.  Les  am- 
bassadeurs,  et  surtout  le  cardinal  d'0ssat,reclamaient 
depuis  longtemps  le  retablissement  de  la  marine 
comme  le  seul  moyen  de  rendre  a  la  France  la 
preponderance  en  Italie  (6).  A  1'occasion  du  mariage 

la  MouzellealaMeuze.Les  entrepreneurs  de  telsouvrages  en  France 
se  sont  fait  mocquer  d'eux  et  de  leurs  e'pitaphes  ja  d^signez  pour  les 
planter  quand  1'ouvrage  seroit  faict.  » 

(1)  ticonom.  roy.9  V,  207. — Palma  Cayet,  Chronot.  septenn.,  an- 
ne"e  1604,  p.  283  de  l'e"dit.  Michaud  et  Ponjoulat. 

(2)  Ibid.,  IV,  p.  34. —  Disc.  somm.  dela  navig.  et  ducomm.9\>w 
Thorn.  Le  Fevre,  seigneur  du  Grand-Hamel,  p.  248.  — Voy.  notices 
des  manuscrits  de  LaBib.  imp.,  ambassade  de  Savary  de  Breve pres 
du  sultan. 

(3)  tcon.  roy.,  V,  366.  —  Bib.  imp. ,  F.  Brienne,  article  relatif 
aux  commissaires  qui  seront  nomme's  par  les  Anglais  et  Francais  en 
cas  de  discussion.  Voy.  The  life  of  Thorn.  Egerton,  p.  398  et  suiv. 

(4)  Samuel  Ghamplain  e"tait  lieutenant  d'Aymar  de  Chates,  vice- 
roi  du  Canada,  mort  en  1603. 

(5)  Palma  Cayet,  Chron.  septenn.,  ann.  1605,  p.  318  de  Te'dit. 
Michaud  et  Poujoulat. 

(6)  Le  cardinal  d'Ossat  insiste  sou  vent  sur  la  ne'cessite'  d'une  ma- 
rine pour  la  France.  Le  8  juin  1598,  a  Toccasion  de  Tile  de  Pome- 
gues  occupe'e  par  le  grand-due  de  Toscane,  d'Ossat  e'crivait  &  Ville- 
roy  :  «  G'est  ^  trop  grande  honte  et  vergogne  de  la  premiere  cou- 
ronne  de  la  chrestiente,  laquelle  commandant  £  un  si  grand  royaumef 


264  NECESSITY  D'UNE  MARINE. 

de  Henri  TV  avec  Marie  de  Medicis,  d'Ossat  insista 
energiquement  :  «  1.1  falloit,  disait-il  (1),  solliciter  et 
diligenter  la  construction  de  galeres,  dont  on  avoit 
parle  et  ecrit  taut  de  fois,  lesquelles  ne  seroient  ja- 
mais  si  tost  faites  comme  la  surete,  commodite,  auto- 
rite  et  reputation  de  la  France  le  requeroient,  a  faute 
desquelles  il  en  falloit  mendier  a  1'occasion  du  pas- 
sage de  la  Heine.  »  Revenant  dans  une  autre  de- 
peche  sur  le  ineme  sujet,  d'Ossat  representait  «  la 
honte  que  c'est  un  si  grand  royaume  n'avoir  de  quoi 
se  defendre  par  mer  contre  les  pirates  et  corsaires, 
tant  s'en  faut  contre  les  princes!  (2)  » 

Sully  parcourut,  des  1600,  les  ports  de  Toscane 
pour  preparer  la  reorganisation  de  la  marine  (3).  Lui- 
meme  ne  tarda  pas  a  reconnaitre  a  quelles  humilia- 
tions le  manque  de  flotte  exposait  le  pavilion  natio- 
nal. En  1603,  la  fregate  qui  portait  Sully  en  Angle- 
terre,  fut  sommee  par  un  arniral  anglais  de  baisser 
pavilion.  Sur  le  refus  du  sieur  de  Vic,  gouverneur  de 
Calais  et  commandant  de  la  fregate,  r Anglais  menaca 
do  faire  feu.  Sully  fut  oblige  d'obtemperer  aux  ordres 
de  1'etranger.  «  Sans  cela,  il  n'y  a  point  de  doute  qu'il 
n'y  cut  eu  de  la  batterie  ou  apparemment  la  France 
out  etc  la  plus  foible;  ce  que  vous  couvristes  sage- 
incut,  »  ajoutent  les  secretaires  du  ministre  (4).  Cette 

flanque  des  clenx  niers  les  plus  grande?,  n'a  point  provision  de 
vaisseaux  de  guerre  ny  moyen  de  se  defendre  de  quatre  niechanles 
galeres  d'un  due  de  Florence,  ny  d'empescher  qu'elles  n'aient  mis  b 
la  France  la  chaisne  au  col  et  les  fers  aux  pieds.  » 

(1)  Lettre  du  23  septembre  1600. 

(2)  Lettre  du  U  fevrier  1601. 

(3)  Forbonnais,  Recliercli.  sur  les  finances,  t.  I,  p.  39, 

(4)  tconom*  roy.,  t.  IV,  p.  297. 


A«,RK;I  MI  UK. 


lionle  dut  etre  eruellc  pour  un  honirne  cle  eoeur 
coinine  Sully,  ct  il  s'occupa  de  mettre  I'lionneur 
francais  a  l'aJ)ri  de  pareilles  insultes.  Mais  une  ma- 
rine se  cree  lentement  et  se  pert!  vite.  Ni  Henri  IV, 
ni  Sully  ne  purent  refaire  celle  de  Frangois  Ier; 
cette  gloire  etait  reservee  a  Richelieu  (1). 

L'agriculture  attira  tout  specialement  1'attention 
du  roi  et  de  son  ministre.  Persuades  que  le  labou- 
rage  et  le  pdturage  sont  les  deux  mamelles  de  FEtat  (2)  , 
ils  protegerent  le  paysan  contre  les  violences  des 
gens  de  guerre  et  des  usuriers  (3),  et  prescrivirent  le 
dessechement  des  marais  (4),  afin  d'assainir  le  pays  et 
de  rendre  a  la  culture  un  sol  trop  longtemps  sterile. 

Le  gouvernement  reparateur  de  Henri  IV  fut  loin 
de  negliger  les  arts  et  le  developpement  inteliec- 
tuel  :  temoin  les  monuments  eleves  ou  acheves  sous 
son  regne,  les  Tuileries,  le  Pont-Neuf  (5),  le  quai  de 
I1  Arsenal,  le  chateau  de  Saint-Germain,  1'hopital 
Saint-Louis,  la  place  lloyale,  le  Louvre  (6),  Fontaine- 


(1)  Memoires  de  Richelieu,  6dit.  Petitot,  t.  V,  p.  201.  —  Voy., 
au  chapitre  XV,  la  reorganisation  de  la  marine  par  Richelieu. 

(2)  Olivier  de  Serres,  Theatre  d  Agriculture.  Des  1599,  Olivier 
de  Serres  avail  public,  sous  le  litre  de  Cueillele  de  La  soye}  un  pe- 
tit traile  sur  la  cullure  de  la  soie  en  France.   II  le  fondil  ensuile 
dans  son  Traite  d' Agriculture. 

(3)  Anciennes  lois  franc.,  1.  XV, p.  98  et  128. 
(i)  Ibid.,  p.  212  el3ia. 

(5)  «  Le  roi  qui  aime  1'ornement  et  la  commodite  de  sa  ville  de 
Paris,  laquelle  n'avoil  que  le  seul  ponl  de  JNolre-Dame  par  oil  pou- 
voient  passer  les  cai  rosses  et  charrettes ,  a  fait  parachever  ce  pout, 
par  dessus  lequel  on  a  commence  a  passer  au  commencement  de 
celle  annee  (1604).  »  Palma  Gavel,  Clironol.  septenn.,  annee  IGOZi, 
p.  282  de  Tedil.  Michaud  et  Poujoulal. 

(6)  La  partie  iulerieure  des  galeiies  du  Louvre  devail  servir  de  lo- 
geinenl  aux  arlisles.  Palma  Oayet ,  ibid.,  p.  283. 


S66  LETTRES    PROTEGEES. 

bleau,  etc.  Les  lettres,  que  le  mauvais  gout  et  la 
licence  avaient  trop  souvent  6gar6es,  rentrerent  dans 
Fordre  comme  la  societe  tout  entiere ;  Malherbe  en 
fut  le  legislateur.  Henri  IV  les  protegea,  completa  la 
fondation  du  college  des  Trois-Langues,  enluielevant 
sur  la  place  de  Cambrai  un  edifice  qui  est  devenu  le 
college  de  France.  II  attira  dans  son  royaume  des 
savants  illustres,  etentre  autres  Casaubon.  «  Faites- 
lui  donner,  ecrivait-il  a  Sully  (1),  des  moyens  pour 
s'entretenir  a  Paris;  car  je  1'ai  fait  venir  pour  remet- 
tre  1'Universite  de  Paris  et  la  faire  refleurir,  non  pour 
etre  presde  moi.  »  De  savants  jurisconsultes,  les  Loy- 
seau  (2) ,  les  Pasquier  (3) ,  les  Loysel  (4) ,  les  de  Thou  (5) , 
eclairaient  les  antiquites  du  droitet  des  coutumes,ou 
instruisaient  par  les  legons  de  1'histoire.  Leurs  ecrits 
attestent  une  tendance  a  1'unite  legislative,  qui  se- 
condait  1'administration  monarchique.  Antoine  Loy- 
sel, apres  avoir  parle  dans  la  preface  des  Institutes 
coutumieres  de  quelques-uns  des  avantages  de  son 
livre,  ajoute  :  «  Et  par  adventure  en  adviendroit-il 
un  troisieme  qui  surpasseroit  de  beaucoup  les  deux 
autres,  qui  seroit  ainsi  que  les  provinces ,  duches , 
comtes  et  seigneuries  de  ce  royaume,  regies  et  gou- 
vernees  sous  diverses  coutumes,  se  sont  avec  le  temps 
rangees  sous  Tobeissance  d'un  seul  roi  et  quasi  de  sa 
seule  et  unique  monnoie;  ainsi,  enfin,  se  pourroient- 
elles  reduire  a  la  conformite ,  raison  et  equite  d'une 

(1)  Forbonnais,  Recherches  sur  les  finances,  L  I,  p,  Z|6. 

(2)  Traites  des  offices,  des  seigneuries,  etc. 

(3)  Pasquier,  Recherches,  Lettres,  etc. 

(A)  Institutes  coutumieres,  publics  en  1610. 

(5)  Me"m.  et  Hist,  universelle  du  president  deThou. 


RELATIONS  AVEC  LE  CLERGE.  267 

seule  loi,  coutume  ,  poids  et  mesure,  sous  I'autorit6 
de  S.  M.  » 

Ce  voeu  d'unite"  et  d'egalite ,  Henri  IV  paraissait 
plus  capable  qu'aucun  prince  de  le  realiser.  Douze 
annees  (1598-1610)  lui  avaient  suffi  pour  faire  suc- 
ceder  partout  1'ordre  a  1'anarchie ,  la  prosperite  a  la 
misere.  Le  clerge" ,  qui  avait  oublie  pendant  la  Ligue 
que  son  royaume  riest  pas  de  ce  monde,  etait  rentre, 
en  grande  partie,  dans  son  role  moral  et  pacifique. 
Le  roi  1'avait  protege  ,  mais  en  lui  imposant  la  to!6- 
rance  et  la  surveillance  des  parlements.  II  voulait  un 
clerge  puissant  pour  le  bien ,  et  il  le  lui  rappelait 
avec  ce  tourvif  et  pittoresque  qu'il  savait  donner  a  ses 
pensees.  «  Faites,  disait-il  aux  deputes  du  clerge  (1) , 
faites  par  vos  bons  exemples  que  le  peuple  soit  au- 
tant  exhort^  a  bien  faire,  comme  il  en  a  ete  ci-devant 
detourne.  Vous  m'avez  exhorte  de  mon  devoir,  je 
vous  exhorte  duvotre;  faisons  done  bien,  vous  et 
moi ;  allez  par  un  chemin  et  moi  par  1'autre,  et  si 
nous  nous  rencontrons,  ce  sera  bientot  fait.  Mes  pre- 
decesseurs  vous  ont  donne  des  paroles ,  mais  moi , 
avec  ma  jacquette  grise,  je  vous  donnerai  des  eflets. 
Je  suis  tout  gris  au  dehors;  mais  je  suis  tout  d'orau 
dedans.  » 

Un  des  auteurs  de  la  Mdnippe'e,  Pierre  Pithou,  pu- 
blia  sous  Henri  IV  le  premier  recueil  des  libertes  de 
TEglise  gallicane ,  en  meme  temps  qu'il  reunissait 
les  anciens  monuments  de  1'histoire  nationale  (2). 

(1)  Palraa  Cayet,  ChronoL  septenn. ,  6dit.  Mich,  et  Poujoulat, 
p.  37. 

(2)  Annalium  et  historic  Francorum  Scriptores  XII  coatanei. 
Lutetiai  Parisiorum,  in-8°. 


268  REPRESSION  DES  DUELS. 

Henri  IV  chercha  ineme  a  gagner  les  jesuites  qu'il 
redoutait  (1),  et  fonda  pour  eux  le  college  de  La 
Fleche  (1604),  malgre  1'opposition  du  parlement  et 
de  1'Universite  (2). 

La  fureur  des  duels  avait  ete  reprimee  par  des 
edits  severes  (3) ;  un  tribunal  d'honneur  etait  destine 
a  les  prevenir,  et  la  peine  de  mort  impitoyablement 
prononcee  centre  les  duellistes  et  leurs  temoins.  Les 
provinces,  lasses  de  1'anarchie,  respiraient  sous  un 
gouvernement  paternel  et  sacrifiaient  volontiers  de 
dangereux  privileges  a  la  prosperite  publique.  Les 
gouverneurs  de  provinces,  dont  Henri  avait  ete  force 
de  menager  la  puissance,  etaient  trop  redoutables 
sans  doute,  mais  deja  le  roi  s'appliquait  a  diviser 
leurs  charges  et  a  leur  opposer  des  lieutenants-gene- 
raux  des  provinces,  devoues  a  son  autorite  (4).  Les 

(1)  Voy.  le  motif  qiril  donne  &  Sully  pour  expliquer  le  rappel  des 
jesuites,  Econ.  roy.,  livre  XVII.  Tavannes.zeie  ligueur,  dit  dans 
son  pronostic  sur  Henri :  «  11  restablira  les  jesuistes  par  la  crainte 
»  qu'il  a  de  leurs cousteaux. »  M6m.  de  Tavannes,  e"dit.  Petitot,  t.  Ill, 
p.  382. 

(2)  De  Thou,  liv.  CXXXII. 

(3)  Anciennes  loisfranf.,  XV^  351.  Sully  contribua  puissarament 
acete"dit.  Cependant  ilnevoulait  pas  qu'on  portal  la  peine  de  mort, 
«  afin  de  n'estre  contraint  de  Tenfreindre  par  les  importunitez  des 
gens  de  faveur  ou  considerations  des  personnes  de  haute  qualile.  » 
(Econ.  roy.,  t.  IV,  p.  169, 170).  Voy.  aussi  la  lettre  de  Sully  £  Henri  IV 
sur  les  duels,  ibid.,  t.  VI,  p.  122.  11  dit  que  les  querelles  «qui  son  I 
recherchees  sont  plutot  marques  de  laschele  que  de  harcliesse,d'au- 
tant  que  jamais  la  vraye  valeur  ne  fut  jointe  avec  le  mespris  de  Diea 
et  rinhumanite.  » 

(U)  Richelieu  dit  dans  ses  M^moires  (t.  I,  p.  66,  e"dit.  Petitot)  que 
Henri  IV  mit  d'Arquin  a  Metz  pour  balancer  Tautorite"  du  due  d'E- 
pernon.  Dans  le  pronostic  sur  Henri  IV,  ses  ennemis  pretendenl 
«  qu'il  empeschera  les  gouverneurs  de  provinces  d'avoir  aulhoritii 
dans  leurs  gouvernemeiits,  i'era  razor  le  plus  de  places  qu'il  pourra, 
opposera  les  lieutenants  aux  gouverneurs,  les  mettra  en  querello, 


PROJETS  DK  HENRI  IV. 


grands  lui  reprochaient  d'abaisser  la  noblesse  pour 
clever  le  Tiers-Etat  (1),  et  d'organiser,  comme  Fran- 
cois Ier,  un  systeme  d'espionnage  dans  les  provin- 
ces (2).  II  meditait  la  suppression  de  quelques 
grandes  dignites  de  la  couronne,  telles  que  eelles  de 
connetable  et  de  colonel-general  de  Tinfanterie  fran- 
caise  (3). 

Un  crime  enleva  Henri  IV  a  la  France ,  au  mo- 
ment ou,  maitre  a  1'interieur,  disposant  de  finances 
habilement  menagees  et  d'une  armee  puissante ,  il 
eut  pu  realiser  de  grands  projets  pour  1'etablisse- 
ment  de  1'equilibre  europeen  et  I'affermissement 
de  1'autorite  monarchique.  Jamais  la  mort  d'uu 
prince  n'eut  de  consequences  plus  facheuses  et  ne 
montra  mieux  le  danger  des  Etats  ou  la  prosperity 
publique  tient  a  un  homme.  Deux  minorites,  et  le 
gouvernement  de  reines  et  de  favoris  ne  fouruirent 
que  trop  de  pretextes  a  1'agitation  provinciate  et  par- 
lementaire. 


afm  qu'ils  n'aient  point  d'intelligence,  etc.  »  M6m.  de  Tav.,  edit. 
Petitot,  t.  HI,  p.  379. 

(1)  «  11  abaissera  les  princes  et  les  grands  de  tout  son  pouvoir... 
La  noblesse  sera  appauvrie  de  tout  ce  qui  se  pourra.  Il  favorisera  les 
gens  du  Tiers-filat  en  tant  quMl  ne  pr^judicie  a  ses  imposts.  »  Me"- 
moires  de  Tavannes,  Ibid.,  p.  378,  380,,  381. 

(2)  «  Espions  seront  envoyes,  d^guise"s,  par  les  provinces,  el  en 
chacune  d'icelles  y  aura  gens  slipendiez  pour  advertir  des  deporte- 
ments  mesine  des  pariiculiers.  »  Ibid.,  p.  301. 

(3)  Mftn.  de  Richelieu,  I,  33,  edit,  Pelitot. 


CHAPITRE  XIV. 


Sommaire. 

Louis  XIII  (1610-1643).  —  Troubles  pendant  la  minorite; 
faiblesse  de  Marie  de  Medicis ;  sterilite  de  1'histoire  admi- 
nistrative pendant  cette  epoque  ;  creation  d'un  parlement  a 
Pau  (1 620) .  —  ReTormes  reclamees  par  les  Etats-Generaux 
de  1 61 4  et  par  1'Assemblee  des  notables  de  1 61 7. — Ministers 
de  Richelieu  (1624-1642) ;  Assemble  des  notables  (1626) ; 
la  politique  de  Richelieu  est  approuve'e  par  les  notables  et 
louee  par  les  principaux  ecrivains  de  cette  epoque.  —  For- 
teresses  rasees ;  suppression  des  dignites  d'amiral  et  de  con- 
netable  ;  Richelieu  triomphe  des  protestants,  des  courtisans 
et  des  gouverneurs  de  provinces.  —  II  organise  le  conseil 
d'Etat;  institution  des  intendants.  —  Resume  des  pre- 
mieres annees  de  l'administration  de  Richelieu  jusqu'en 
1635. 


La  couronne  fut  jetee,  par  Tassassinat  de  Hen- 
ri IV,  sur  la  tete  d'un  enfant  de  dix  ans ;  le  gouver- 
nement  d'une  reine  etrangere,  Marie  de  Medicis,  et 
les  dilapidations  d'un  favori  etranger,  Concini,  mar- 
quis, puis  marechal  d'Ancre,  ne  fournirent  que  trop 
de  pretextes  a  1'avidite  et  a  Tambition  des  grands. 
Marie  de  Medicis  epuisa  le  tresor  amasse  par  Sully, 
sans  pouvoir  assouvir  la  cup^dite  des  factieux  que  sa 
faiblesse  encourageait  (1).  La  feodalite  semblait  re- 

(1)  Memoires  de  Richelieu ,  liv.  V  :  «  Les  presents  que  la  reine 
lit  aux  grands,  au  commencement  de  sa  re"gence,  e"tourdirent  bien  la 
grosse  faim  de  leur  avarice  et  de  leur  ambition ;  mais  elle  ne  fut  pas 
pour  cela  Heinle.  II  falloit  toujours  faire  de  m^me  si  on  vouloit  les 
contenter.  De  continuer  a  leur  faire  des  gratifications  semblables  a 


MINORITE  DE  LOUIS  XIll. 

uaitre  avec  Tindependance  des  gouverneurs,  des 
Montmorency  en  Languedoc,  du  due  d'Epernon  en 
Guienne  et  Gaseogne,  de  Longueville  en  Picardie,  et 
plus  tard  en  Normandie,  de  Nevers  en  Champagne, 
de  Guise  en  Provence,  de  Lesdiguieres  en  Dauphine. 
Un  journal  historique  de  cette  epoque  (1)  prouve 
avec  quel  mepris  on  traitait  les  officiers  du  roi  : 
«  9  Janvier  1614,  M.  de  Verteau,  tresorier  de  France 
a  Chalons,  [est]  enleve  par  quatre  hommes  a  cheval 
et  emmene  a  la  Cassine  (qui  appartenoit  au  due  de 
Nevers).  II  avoit  informe  d'une  levee  que  les  hahi- 
tans  de  Rethelois  font  sur  eux  pour  M.  de  Nevers, 
sans  permission  du  roi,  et  avoit  aussi  fait  mention, 
en  son  information,  de  diversesautreschoses,  comme 
que  lesdits  habitans  appellent  M.  de  Nevers  monset- 
gneur  sans  queue,  ont  mis  ses  armes  au-dessus  de 


celles  qu'ils  avoient  recues,  c'e'toit  chose  impossible.  L'epargne  et 
les  coffres  de  la  Bastille  avoient  ete  cruise's,  et,  quand  on  l'eut  pu 
faire,  encore  n'eut-il  pas  6te  suffisant.  » 

(1)  Journal  ine"dit  de  161A  a  1620  (Bibl.  de  P Arsenal,  manucrits 
Conrart,  in-Zi°,  t.  XI).  —  Le  journal  que  je  viens  de  citer  est 
rempli  de  recits  de  duels  :  «7  Janvier  161Zi,  combat  de  MM.  d'Ou- 
ailly  et  Maigneux  contre  MM.  de  Boutteville  (fort  blesse")  et  Chantc- 
merle,  tue;  tous  a  M.  le  marechal  d'Ancre.  Depuis  M.  de  Bon  lie- 
ville,  ayanl  esle  comme  gueri,  mourut  de  sa  blessure. 

»  Combat  de  M.  du  Pesche",  pres  Pontoise,  contre  M.  d'Erouville, 
tu6. 

»  17  Janvier,  rombat  de  MM.  de  Montmorency  et  Bucan,  a  la  Place- 
Royale,  con  Ire  le  jeune  Refuge  (tue")  et  des  Bordes-Valencey. 

»  25  Janvier,  combat  de  MM.  du  Marels  et  de  Sainte-More  contre 
le  marquis  de  Rouillac  et  Saint-Vincent,  a  minuit  et  demi ,  sous  les 
galleries  de  la  Place  Royale.  Sainte-More  tue". 

»  13  fevrier,  combat  du  sieur  de  Miraumont  contre  M.  de  Nausc, 
au  cloislre  Saint-Germain.  » 

Chaque  page  de  ce  journal  annonce  un  duel  entre  personnages  de 
marque,  et  presque  toujours  Tissue  en  est  sanglante. 


ANARCHIE. 


S73 


celles  de  France,  font  faire  montre  (revue)  a  certai- 
nes  compagnies  sans  permission  du  roi.  La,  ledit 
sicur  de  Verteau  est  habille  en  fol  et  monte  sur  un 
ane,  inene  par  toute  la  ville  de  la  Cassine  et  autres 
lieux  ou  il  avoit  informe.  » 

M.  de  Luxembourg,  dit  ce  journal  a  la  meme  date, 
porta  le  poignard  a  la  gorge  d'un  nomme  Barrin, 
maitre  des  requetes.  L'autorite  royale,  audacieuse- 
ment  insultee  par  les  grands,  n'etait  pas  meme  res- 
pectee  par  les  depositaires  de  la  justice.  Les  parle- 
ments,  et  surtout  le  parlement  de  Paris,  dont  Marie 
de  Medicis  avait  reconnu  la  puissance  politique  et 
implore  1'appui,  affectaient  la  souverainete.  Dilapi- 
dation des  finances,  licence  des  gens  de  guerre,  vio- 
lation impunie  des  lois,  fureur  des  duels  (1),  tous  les 
desordres  reprimes  par  Henri  IV  desolaient  de  nou- 
veau  la  France.  Le  journal  que  j'ai  deja  cite  en  four- 
nit  une  nouvelle  preuve,  a  la  datede  novembre  1614. 
Le  parlement  de  Paris  ayant  fait  arreter  un  soldat 
des  gardes  qui  avait  tue  en  duel  un  de  ses  camara- 
des,  le  due  d'Epernon  se  rendit  a  la  prison  a  la  tete 
(Tune  compagnie  des  gardes,  enfonca  la  porte,  et  en- 
leva  le  prisonnier.  «  Lorsque  le  parlement  vouloit 
deliberer  sur  cette  affaire,  M.  d'Epernon,  avec  cent 
quatre-vingts  gentilshommes,  va  au  palais;  il  avoit 
des  soldats  qui  gardoient  les  portes  ;  ses  gens  com- 
mettent  infmies  insolences.  »  Le  parlement  voulut 


(1)  Les  grandes  families  entretenaient  des  spadassins  qu'elles 
«  nourrissoient  au  sang,  »  comme  dit  Richelieu,  en  parlant  du  che- 
valier de  Guise  :  «Le  due  de  Guise  qui  en  faisoit  son  6pe"e  le  nourris- 
$oit  au  sang.  »  M^m.  de  Richelieu,  t.  I,  p.  202;  e"dit,  Pelitot, 


274  DtSORDRES  DE  LA  MINORITY. 

en  informer;  mais,  sur  1'ordre  du  roi,  il  fut  oblige 
de  se  contenter  d'excuses  derisoires  (1). 

L'autorite  royale  etait  menacee  par  ceux  memes  qui 
auraient  du  en  etre  les  plus  fermes  soutiens.  Le 
journal  inedit  de  Louis  XIII,  par  son  medecin  He- 
rouard  (2) ,  atteste  a  quel  point  la  licence  etait 
portee.  «  Le  17  (novembre  1615)  ,  mardi,  le  cardi- 
nal de  Sourdis,  archeveque  de  Bordeaux,  monte 
sur  un  cheval  d'Espagne,  et  la  croix  portee  devant 
lui,  suivi  de  plusieurs  seigneurs  de  qualite,  gen- 
tilshommes  et  autres,  va  a  la  Conciergerie,  fait  rom- 
pre  a  coups  de  gros  marteaux  les  serrures,  ou  le 
geolier  fut  tue,  tire  hors  des  prisons  le  sieur  Ran- 
costet,  condamne  a  perdre  la  tete,  n'attendant  que 
1'execution,  ayant  de  gros  fers  aux  pieds,  le  fait 
mettre  dans  un  carrosse,  1'accompagne  jusques  a  la 
riviere,  le  fait  mettre  dans  un  bateau  et  le  fait  sau- 
ver.  »  Quel  fut  le  chatiment  d'un  attentat  auquel  la 
presence  du  roi  a  Bordeaux  donnait  un  nouveau  ca- 
ractere  de  gravite?  Le  cardinal  en  fut  quitte  pour 
demander  pardon  a  Louis  XIII  (3),  qui  lui  dit :  «  Je 
vous  pardonne,  a  la  charge  de  ne  plus  faire  telle 
chose.  » 

L'anarchie  regnait  dans  les  esprits  comme  dans  la 
politique,  et  portait  la  disorganisation  dans  le  mondc 
moral,  line  partie  du  clerge  approuvait  les  maxirnes 
les  plus  exagerees  de  Bellarmin  (4),  pendant  que  le 

(1)  Journal  cite,  &  la  date  du  24  au  29  novembre  1614. 

(2)  Manuscrits  de  1'Arsenal,  in-4°,  n°  184. 

(3)  Ibid.,  a  la  date  du  19  de"cembre  1615. 

(4)  On  en  trouve  la  preuve  dans  certains  disco urs  prononce"s 
par  des  membres  du  clerge"  aux  fitats-  Ge"neraux   de  1614.   Le 


DESORDES  DE  LA  MINORITE.  275 

parlement  de  Paris  condanmait  ses  ouvrages  a  etre 
brules  par  la  main  du  bourreau  (1).  Les  querelles  de 
I'Universite  et  des  jesuites  s'etaient  rallumees  (2) ; 
triste  epoque  qui  reunissait  les  extremes,  les  violen- 

journal  ine"dit  (Gonrart ,  t.  XI)  donne  une  idee  de  la  violence 
du  langage  des  homines  qui  devaient  surtout  1'exemple  de  la 
moderation.  A  1'occasion  d'un  arret  du  parlement  qui  rappelait 
1'inviolabilite"  de  la  couronne  et  d^clarait  qu'aucune  puissance  ne 
pouvait  y  porter  atteinte,  il  y  eut  une  protestation  violente  : 
«  Le  8  Janvier  1615  ,  l'6veque  d'Angers  ,  assist^  de  MM.  les 
cardinaux  de  Sourdis,  du  Perron,  de  La  Rochefoucauld  et  Bonzi,  de 
plusieurs  eveques  et  de  plusieurs  gentilshommes ,  vient  trouver  le 
roi,  et  parle  avec  une  insolence  effroyable  ,  demande  la  cassation 
tant  de  1'arret  du  parlement  que  de  celui  du  conseil,  soutient  que  la 
connoissance  de  cette  affaire  n'appartient  ni  au  parlement  ni  au  roi, 
attendu  que  c'est  un  point  de  conscience  dont  le  clerg6  est  le  seul 
juge.  Disent  que ,  si  on  ne  leur  accorde ,  ils  quitteront  1'assemblee 
des  fitats ;  qu'ils  useront  de  toutes  sortes  d'excommunications  et 
anathematisations  contre  tous  ceux  qui  s'opposent  a  cette  cr6ancef 
afin  de  les  pr^cipiter  dans  les  peines,  les  gehennes,  le  feu,  les  en- 
fers.  Demandent  que  tous  ceux  de  la  religion  (les  protestants)  aient 
a  se  d6sister  d'opiner  sur  cette  affaire.  Sur  cela ,  M.  de  Bouillon, 
prenant  la  parole,  dit  que  le  roi  et  la  reine  savoient  avec  quelle  mo- 
destie,  lui  et  ceux  de  sa  religion,  avoient  parte  en  cette  affaire,  lors- 
que  le  roi  leur  avoit  command^  d'en  opiner  en  qualite  d'officiers  de 
la  couronne.  Mais  que,  pour  le  fond,  lui  et  tous  ceux  de  sa  religion 
rendroient  toujours  au  roi  I'ob&ssance  qui  lui  est  due.  » 

L'eveque  d'Angers ,  reprenant  son  discours,  demanda  :  «  Que  le 
premier  avocat  du  roi  au  parlement  fut  toujours  ecclesiastique,  et 
que  M.  Servin  fut  depos6.  »Apres,  M.  le  cardinal  du  Perron  prit  la 
parole  et  confirm  a  tout  cela ,  et,  sur  le  sujet  d'excommunication, 
dont  il  parla,  M.  le  Prince  dit  (je  1'ai  oui  de  sa  bouche)  :  «  Nonob- 
stant  toutes  les  excommunications,  il  se  trouvera  toujours  beaucoup 
de  Francois,  qui,  en  conservant  le  respect  qui  est  du  au  pape  pour 
ce  qui  concerne  le  spirituel,  emploieront  volontiers  tous  leurs  biens 
et  leurs  vies  pour  la  conservation  de  I'autorit6  et  du  service  du  roi.  » 
Sur  cela  ,M.  de  Villeroy  dit  qu'il  semble  que  l'e"veque  d'Angers  se 
soit  port6  si  violemment  en  cette  affaire,  et  ait  offens6  le  parlement, 
expressement  afin  d'obtenir  evocation  d'unproces  qu'il  a  contre  son 
clerg6  d'Angers,  craignant  de  retomber  au  jugement  dudit  parle- 
ment ou  il  a  deja  est6  maltraite\  » 

(1)  Memoir es  de  Richelieu,  t.  I,  p.  126. 

(2)  Ibid.,  p.  61. 


$76  MESURES  ADMINISTRATES . 

ces  theologiques  du  pere  Garasse  et  la  licence  scepti- 
que  de  Vanini. 

Quant  an  gouvernement,  livreadesfavoris  occupes 
a  se  defendre  ou  a  s'enrichir,  aux  Concini,  aux  de 
Luynes,  il  negligeait  1'administration.  A  peine  trou- 
ve-t  on,  dans  1'intervalle  qui  s'ecoule  entre  la  rnort 
de  Henri  IV  et  le  second  ministere  de  Richelieu,  un 
petit  nombre  d'ordonnances  dignes  d'etre  citees.  Des 
edits  contre  les  duels  (1)  probablement  mal  executes; 
des  ordonnances  pour  le  dessechement  des  rnarais  (2) ; 
1'organisation  d'une  compagnie  des  Indes-Orien- 
tales  (3) ;  le  depot  a  la  Bibliotheque  royale  de  deux 
exemplaires  de  cbaque  ouvrage  imprime  ;  1'etablisse- 
ment  de  chaises  a  bras  dans  Paris  (4) ;  un  reglement 
sur  la  competence  des  juges-consuls  (5),  sont  lesactes 
les  plus  importants  de  cette  premiere  partie  du  regne 
de  Louis  XIII.  Richelieu,  pendant  sa  courte  appari- 
tion au  ministere  en  1 61 6,  tenta  de  relever  la  marine, 
et  fit  commencer  une  enquete  pour  connaitre  les 
moyens  les  plus  efficaces  d'y  parvenir  (6) ;  mais  eu- 
traine  dans  la  disgrace  de  Concini  (1617),  il  ne  pul 
donner  suite  a  ses  projets. 

Le  ministere  du  connetable  de  Luynes  fut  aussi 
une  epoque  de  troubles  presque  entierement  sterile 
pour  radministration.  Le  fait  le  plus  important  do 

(1)  Anciennes  lois  franc.,  XVI,  52.— Mm.  deRich.,  t.  f,  pages 
114-115,  157-158. 

(2)  Anciennes  lois  franc.,  XVI,  39,  42. 

(3)  I bid.  ,78. 

(4)  Ibid.,  p.  106. 

(5)  Ibid.,  p.  111. 

(6)  Voy.  plus  loin,  p.  301. 


PARLEMENT  DE  PAU.  277 

cette  epoque,  dans  1'ordre  administratif,  a  etc  I'iu- 
stitution  d'un  parlement  a  Pan,  en  1620  (1).  Cette 
mesure  contribua  puissamment  a  I'incorporation  du 
Beam  et  de  la  Navarre  franchise  aux  domaines  de  la 
eouronne.  L'avenement  des  Bourbons  au  trone  avait 
reuni  cette  province  a  la  France;  mais  il  fallait  y 
fairepenetrer  les  lois  et  les  moeurs  franchises.  Ce  fut 
1'ceuvre  du  parlement  de  Pau.  On  adopta  quelques 
annees  plus  tard  une  mesure  semblable  pour  les  trois 
evecbes  (Toul,  Verdun  et  Metz),  que  Henri  II  avait 
conquis.  Un  parlement  fut  etabli  a  Metz  pour  rendre 
la  justice  au  nom  du  roi  (2). 

En  resume,  pendant  les  quatorze  annees  qui  sui- 
virent  la  mort  de  Henri  IV  (1610-1624),  le  pouvoir 
fit  peu  de  chose  pour  ameliorer  I'adrninistration.  Ce 
fut  au  Tiers-Etat  que  passa  1'initiative,  comme  nous 
1'avons  deja  rernarque  pour  les  epoques  ou  1'autorite 
royale  faiblissait.  Des  pensees  fecondes,  dont  protite- 
ront  un  jour  Ricbelieu  et  Louis  XIV,  se  trouvent 
dans  les  cahiers  de  cet  ordre  aux  assemblies  de  1614 
et  de  1617  (3).  II  reclama  des  mesures  favorables  au 
commerce,  a  1'agriculture,  a  la  propriete  et  a  la  li- 


(1)  Anciennes  lois  franc.,  XVI,  52.  —  Mdmoires  de  Richelieu, 
t.  I,  p.  140. 

(2)  Anciennes  lois  franc.,  XVI,  379. 

(3)  Voy.  sur  les  titats  de  1614,  le  r^cit  de  Florimond  Rapine,  d^- 
pute  aux  tftats;  TNIayer,  Eecueil  des  fitats-Ge'ne'raux,  t.  XVI,  p.  229 
etsuivantes;  Rathery,  Histoire  des  titats-Gentranx ,  p.  264-274; 
Augustin  Thierry,  Essai  sur  I'histoire  du  Tiers-fitat ;  Poirson, 
Essai  sur  les  foot*  de  1614.  Ge  dernier  rernarque  que  les  principes 
pop6s  par  les  Etats  passerent  plus  tard  dans  les  ordonnances  royales. 
La  infcme  observation  s'applique,  comme  nous  Tayons  vu,  aux 

de  1355, 1357,  1413, 1484,  1560,  1576. 

L  19 


278  £TATS-G£N£RAUX  DE  1614. 

berte.  II  se  prononc,a  avec  energie  en  faveur  de  1'in- 
violabilitedelacouronne,  comme  aux  Etats  de  1302. 
II  reclama  meme  des  reformes  que  1'ancienne  mo- 
narchie  ne  devait  pas  accomplir,  telles  que  I'aboli- 
tion  de  la  venalite  des  charges,  la  remuneration  di- 
recte  par  1'Etat  des  membres  des  parlements  et  des 
autres  tribunaux,  1'egalite  des  charges  pour  tous  les 
ordres  et  la  suppression  des  corvees  (1).  II  aurait 
voulu  que  Ton  abolit  les  douanes  interieures  qui  en- 
travaient  le  commerce  (2).  En  general,  le  Tiers- £tat 


(1)  Art.  177  du  chap,  des  Finances  :  «  Que  les  gentilshommes 
commensaux  de  vostre  maison,  exempts  et  privilegies  et  tous  autres, 
mesme  les  ecciesiasliques,  demeurant  anx  villes  ou  y  ayant  maisons 
et  domicile  soient  conlribuables  aux  charges  et  levies  de  deniers 
qui  se  font  pour  le  paiement  des  munitions,  fortifications,  reparation 
des  ponts  et  portes,  gardes  desdites  villes,  etc.  Interdiction  a  tous 
gentilshommes,  sous  peine  de  roture,  d'imposer  corvees  sur  le  peu- 
ple.  »  (Cahier  du  Tiers-fitat  de  1614.) 

(2)  Art.  33  du  chapitre  du  Domaine  et  finances  :  «  Bien  que  les 
droits  de  la  traite  foraine  ne  doivent  estre  leves  que  sur  les  mar- 
chandises  qui  sortent  hors  du  royaume  pour  estre  portees  a  1'estran- 
ger;  ce  qui  est  clairement  induit  par  la  signification  du  mot  de 
foraine,  ne"anmoins  lesdits  droits  sont  leve"s  sur  ce  qui  va  de  cer- 
taine  province  de  votre  royaume  en  autre  d'iceluy,  tout  ainsy  que 
sy  c'estoit  en  pays  estranger  au  grand  prejudice  de  vos  sujets,  entre 
lesquels  cela  conserve  les  marques  de.  division  qu'il  est  ne"cessaire 
d'oster,  puisque  toutes  les  provinces  de  vostre  royaume  sont  con- 
jointes  et  ins6parablement  unies  a  la  couronne  pour  ne  faire  qu'un 
mesme  corps  sous  la  domination  d'un  mesme  roy  et  vos  subjets 
sont  unis  en  une  mesme  obeissance.  Pour  ces  causes ,  qu'il  plaise  a 
V.  M.  ordonner  qu'ils  jouiroht  d'une  mesme  liberte  et  franchise,  et 
en  ce  faisant  quMls  pourront  librement  ne"gocier  et  porter  leurs  mar- 
chandises  dans  1'etendue  de  vostre  royaume  en  quelque  endroit 
que  ce  soit,  comme  concitoyens  de  mesme  Estat,  sans  payer  aucun 
droit  de  foraine  si  pour  faciliter  la  levee  desdits  droits  et  empescher 
les  abus  qui  se  commettent,  que  la  connaissance  de  tous  diffe>ends 
pour  raison  de  ladite  traite  appartienhe  a  vos  juges  privativement 
aux  maistres  des  ports ,  nonobstant  tous  baux  et  evocations  au 
contraire.  » 


NOTABLES   DE   1617.  279 

fit  preuve  d'une  grande  superiority ;  ses  orateurs, 
et  principalement  Savaron  et  Miron,  montrerent  au- 
tant  de  fermete  que  d'habilete ;  tout  annongait  que 
tfenclume  il  pourrait  bientot  devenir  marteau  (1). 

L'assemblee  des  notables  de  1617  fut  beaucoup 
moins  importante  que  les  fitats  de  1614.  Cependant 
on  y  remarqua  les  memes  manifestations.  Le  gouver- 
nement  proposa  aux  notables  la  realisation  d'une 
pensee  emise  par  le  jurisconsulte  Ant.  Loysel.  II 
avaitdemande  qu'on  format «  une  cour  centrale  com- 
posee  de  conseillers  pris  dans  chaque  parlement  (2) .  » 
Guide  par  la  meme  pensee  d'unite  et  de  centralisa- 
tion, le  gouvernement  proposait  de  cr£er  une  com- 
mission de  douze  conseillers,  pris  dans  les  divers 
parlements,  quatre  de  Paris,  deux  de  Toulouse,  et 
un  de  chaque  autre  parlement  pour  maintenir  la  dis- 
cipline dans  les  cours  de  justice.  Ce  tribunal  se  se- 
rait  transporte  une  fois  1'an  dans  les  differents  sieges 
des  parlements  pour  juger  les  plaintes  des  sujets 
contre  les  officiers  de  justice.  L'assemblee  ou  se 
trouvaient  un  grand  nombre  de  membres  des  cours 
souveraines,  pria  le  roi  de  conserver  a  ses  parle- 
ments le  privilege  de  juger,  les  chambres  reunies, 
ceux  de  leurs  compagnies  qui  leur  seraient  defe- 

(1)  La  menace  s'en  trouve  formellement  exprime'e  dans  le  discours 
de  Miron.  Le  troisieme  ordre  annoncait  ses  pretentions  k  Te'galite' 
et  meme  £  la  superiority  dans  des  vers  composes  &  cette  e"poque  : 

«  II  faut  que  vos  cadets  deviennent  vos  ainds.  » 
y  disait-on  aux  premiers  ordres.  Rathery,  p.  273-274. 

(2)  Mdm.  cTAntoine  Loysel  cit6  par  M.  Dupin  dans  son  discours 
de  rentr^e  a.  la  cour  de  cassation  (3  nov.  1845). 


280  RICHELIEU  (1624-1642). 

res  (1).  Ainsi  le  projet  d'un  tribunal  supreme  fut 
ajourne,  et  on  laissa  regner  1'abitraire  des  parle- 
ments  tout-puissants,  quand  le  pouvoir  etait  faible, 
ou  1'arbitraire  monarchique  tout-puissant  par  les 
commissions  et  les  evocations,  quand  1'autorite  cen- 
trale  etait  solidement  etablie. 

Avec  Richelieu  reparurent  enfin,  en  1624,  une 
politique  nationale,  et  une  administration  ferme  et 
intelligente.  Le  nouveau  ministre  arriva  au  pouvoir 
avec  des  idees  arretees  et  un  plan  fortement  coricu, 
comme  le  prouve  son  Testament  politique  (2)  :  «  Lors- 
que  Votre  Majeste,  disait-il  lui-meme  au  roi,  se 
resolut  de  me  donner  en  meme  temps  1'entree  de 
ses  conseils  et  grande  part  en  sa  confiance  pour  la 
direction  de  ses  affaires  ,  je  puis  dire  avec  verite 
que  les  huguenots  partageoient  1'Etat  avec  elle,  que 
les  grands  se  conduisoient  comme  s'ils  n'eussent 
pas  ete  ses  sujets,  et  les  plus  puissants  gouver- 
neurs  des  provinces  comme  s'ils  eussent  ete  sou- 
verains  en  leurs  charges.  Je  puis  dire  que  chacun 
mesuroit  son  merite  par  son  audace,  et  que  les 
plus  entreprenants  etoient  estimes  les  plus  sages 
et  se  trouvoient  souvent  les  plus  heureux.  Je  puis 
dire  encore  que  les  alliances  etrangeres  etoient 
meprisees,  les  interets  particuliers  preferes  aux  pu- 


(1)  Bazin,  Hisloircde  France  sous  Louis  XIII,  II,  Ul. 

(2)  Testament  politique  dc  Richelieu,  lre  partie,  chap.  I.  Voltaire 
a  contest^  Tauthenlicite  de  cet  ouvrage;  mais  la  critique  moderne 
n'a  pas  partag6  son  scepticisme ;  elle  a  confirme  le  jugement  de  La 
Bruyere,  qui  dit  Ju  Testament  de  Richelieu :  «  c'est  la  peinture  de 
son  esprit;  son  arae  tout  entiere  s'y  d^veloppQ.  »  Discours  lie  La 
Eruyere 


PROJETS  DE  RICHELIEU,  281 

blics;  en  un  mot,  la  dignite  de  Votre  Majeste  telle- 
inent  ravalee,  qu'il  etoit  impossible  de  la  reconnoi- 
tre. Je  promis  a  Votre  Majeste  d'employer  mes  soins 
pour  rabaisser  1'orgueil  des  grands,  miner  les  hu- 
guenots, et  relever  son  nom  dans  les  nations  etran- 
geres.  » 

A  cette  vue  percante,  qui  sondait  les  plaies  de  1'E- 
tat  et  en  indiquait  le  remede,  Richelieu  joignait  une 
force  de  volonte  qui  brisait  les  obstacles.  «  Je  n'ose 
rien  entreprendre,  disait-il  (1),  sans  y  avoir  bien 
pense;  rnais,  quand  une  fois  j'ai  pris  ma  resolution, 
je  vais  droit  a  mon  but,  je  renverse  tout,  je  fauche 
tout,  et  ensuite  je  couvre  tout  de  ma  robe  rouge. » 

Richelieu  eut  besoin  de  toute  son  energie  avec  un 
j'oi  capricieux  et  jaloux  (2),  entoure  de  courtisans 
eleves  dans  1'intrigue  et  ennemis  de  1'ordre.  Le  car- 
dinal triompha  de  tous  les  obstacles,  mais  avec  pru- 
dence :  il  commenca  par  enchainer  le  roi  a  sa  politi- 
que,  et  le  subjugua  par  Tascendant  de  son  genie. 
«  II  se  faisoit  obeir  de  son  roi  lui-meme,  dit  ma- 
dame  de  Motteville  (3),  faisant  de  sonmaitre  son  es- 
clave,  et  de  cet  illustre  esclave  un  des  plus  grands 
monarques  du  monde.  »  Richelieu  ne  negligea  pas 
1'opinion  publique  :  il  cherchaitala  diriger  par  la  ga- 

(1)  Mdnwires  de  Montchal,  archeveque  de  Toulouse. 

(2)  «  Ge  prince,  dit  Mme  de  Motteville,  ne  s'aimoit  pas  lui-meme. 
Jaloux  de  la  grandeur  de  son  ministre  ,  quoique  ce  ne  fut  que  de  la 
part  qu'il  lui  donnoit  de  la  sienne,  il  commenga  de  le  hair,  des  qu'il 
vit  I'extr6me  autorite'  qu'il  avoit  dans  le  royaume.  »  Memoires  de 
iWme  de  MotteviLle,  r,  386 ;  edit.  Petitot. 

(3)  Memoires  de  Mme  de  MottevUle,  1.  c. 


NOTABLES  DE   1626. 

zette  de  Renaudot  (1 ) ,  en  meme  temps  qu'il  s'adressait 
aux  notables  reunis  en  1 626,  et  leur  exposait  ses  plans. 
L'assemblee  leur  donna  I'assentiment  le  plus  com- 
plet.  Composee  surtout  de  magistrats,  d'officiers  de 
finances,  de  riches  cornmerc,ants,  en  un  mot  d'hom- 
mes  duTiers-fitat,elle  insistapour  la  punition  severe, 
inexorable  des  rebelles ,  et  pour  la  destruction  des 
places  fortes  qui,  situees  a  1'interieur  de  la  France, 
n'etaient  dangereuses  que  pour  la  puissance  royale. 
Enfin  les  notables  approuverent  tous  les  plans  du 
ministre  pour  la  creation  d'une  marine  et  le  develop- 
pement  du  commerce  (2). 

C'est  aussi  a  partir  de  cette  epoque  que  les  organes 
et  les  arbitres  de  1'opinion  publique,  les  Malherbe, 
les  Balzac  pretent  a  Richelieu  Tappui  de  leur  plume 
pour  1'oeuvre  de  regeneration  qu'il  avait  si  energi- 
quement  entreprise.  Quant  a  Malherbe  qui  6tait  or- 
dinairement  sobre  d'eloges,  ses  lettres  fournissent  de 
nombreuses  preuves  de  son  admiration  pour  le  cardi- 
nal. II  ecrivait  le  10  septembre  1625  :  «  Si  notre 
vaisseau  doit  jamais  vaincre  les  tempetes,  ce  sera  tan- 
dis  que  cette  glorieuse  main  en  tiendra  le  gouver- 
nail.  Jusques  ici  quand  il  nous  a  fallu  batir  de  neuf 
ou  reparer  quelque  ruine,  le  platre  seul  a  ete  mis  en 
oeuvre ;  aujourd'hui  nous  ne  voyons  plus  employer 
quedu  marbre,  et,  comme  les  conseils  sont  judicieux 

(1)  La  Gazette  de  France  fut  fondle,  en  1631,  par  le  me"decin 
Renaudot;  elle  paraissait  alors  une  fois  par  semaine,  et  recevait  des 
communications  directes  du  cardinal  de  Richelieu. 

(2)  Voy.  pour  cette  assemble  le  recueil  de  Mayer,  t.  XV 111, 
pages  15^  et  suiv.;  Forbonnais,  Rec  here  ties  sur  les  finances ,  t.  I; 
Mercure  fran^ais,  t.  XII ;  Bazin,  Hist,  de  Louis  XI I L 


ETAT  DE  L'OPINION  PUBLIQUE.  283 

et  fideles,  les  executions  sont  diligentes  et  magna- 
nimes  (1).  » 

Balzac,  qui  composa  a  cette  epoquememe  sonou- 
vrage  intitule  le  Prince,  ecrivait  a  Richelieu  en  le  lui 
offrant  (2)  :  «  II  ne  suffit  pas,  Monseigneur,  que  vous 
soyez  assure  de  la  protection  de  votre  maitre  et  du 
bon  etat  de  votre  conscience ;  vous  avez  encore  be- 
soin  de  1'opinion  des  hommes  et  du  temoignage  du 
public.  Vous  n'apprebendez  point  le  danger  de  votre 
personne  ni  la  ruine  de  votre  fortune ;  mais  vous  ap- 
prehendez  le  blame  et  la  mauvaise  reputation.  Vous 
craignez  les  choses  deshonnetes,  quoique  vous  me- 
prisiez  les  perilleuses;  et  partant  ce  vous  doit  etre 
une  amertume  assez  douce,  et  un  malheur,  quoique 
vous  puissiez  dire,  glorieux,  de  savoir  avec  tous  les 
gens  de  bien  que  vous  endurez  pour  la  justice,  et  que 
votre  cause  est  celle  du  roi  et  de  1'Etat.  »  Faisant  al- 
lusion a  la  journee  des  dupes,  Balzac  ajoutait  (3)  : 
«  Le  coup  dont  on  a  cru  vous  faire  tomber  n'a  servi 
qu'a  votre  affermissement,  et  la  force  de  laquelle  on 
a  choque  votre  fortune,  sans  la  pouvoir  ebranler, 
nous  a  montre  la  solidite  de  sa  matiere.  »  II  serait 
facile  de  multiplier  les  extraits  d'ouvrages  favorables 


(1)  Voy.  aussi  une  lettre  de  Malherbe  ,  en  date  du  14  octobre 
1626,  a  M.  de  Mentin  (les  e"diteurs  ont  mis  a  tort  la  date  de  1616, 
puisqu'il  y  est  question  d'6venements  arrives  en  1626).  Malherbe 
s'y  exprime  ainsi :  «  L'esprit,  le  jugement  et  le  courage  ne  furent 
jamais  en  homme  au  degr6  qu'ils  sont  en  lui.  » 

(2)  Pages  38-39  de  la  lettre  imprimee  a  la  suite  du  Prince.  Paris, 
Toussainct  du  Bray,  1631. 

(3)  Ibid., p.  45. 


284  SUPPRESSION   DES   GRANJDES   DIGNITES. 

a  Richelieu  (1);  il  suffit  d'avoir  cite  les  eerivains  qui 
avaient  alors  une  grande  autorite. 

Richelieu  poursuivit  avec  vigueur  I'etablissement 
d'une  puissante  unite.  Ordre  fut  donne  de  raser  tous 
les  chateaux  et  forteresses  qui  n'etaient  pas  situes 
sur  les  frontieres  (2)  ;  on  enlevait  ainsi  a  la  revoke 
ses  principaux  points  d'appui.  Les  charges  de  surin- 
tendant,  de  connetable  et  de  grand-amiral,  qui  don- 
naient  une  trop  redoutable  puissance  aux  titulaires, 
f'urent  supprimees  (3). 

Richelieu  lui-meme  s'empara  de  la  direction  de  la 
marine  sous  le  titre  de  grand-maitre  et  de  surinten- 
dant  de  la  navigation  (4),  et  s'occupa  avec  activite  de 
Torganisation  d'une  flotte.  II  s'en  servit  pour  domp- 
ter  les  protestants  et  enlever  a  leur  parti  de  dange- 


(1)  Voy.  La  defense  du  Roy  et  de  ses  Ministres,  par  le  sieur  des 
Montagnes,  Paris,  1631 ;   Discours  au  Roy  touchant  les  LibeLles 
fails  contre  Le  gouvernement  de  son  Estat,  Paris,  1631 ;  Advertis- 
sement  aux  provinces  sur  les  noiweaux  mouvements  du  royaumc, 
par  le  sieur  de  Cleonville,  1631.  —  Ce  dernier  ouvrage  est  altribu6 
par  quelques  auteurs  a  Jean  Sirmond,  et  par  d'aulres  au  pere  Jo- 
seph, confident  et  conseiller  de  Richelieu. 

Le  style  de  ce  livre  ne  manque  pas  de  vigueur  et  d'e"clal.  Parian t 
du  cardinal,  1'auteur  s'exprime  ainsi  :  «  De  quelque  bourrasque 
que  la  forlune  le  batte,  il  tiendra  toujours  le  gouvernail  droit,  et  ne 
donnera  jamais  sujet  a  personne  de  lui  reprocher  qu'il  ait  eu  plus 
de  crainte  de  se  perdre  que  de  resolution  a  bien  faire.  Tous  ces 
bruits  et  tous  ces  orages  ne  Tetonnent  point.  Sa  conscience  le  met 
a  couvert  sous  la  protection  de  son  maitre,  qui,  selon  qu'il  protesle 
par  sa  derniere  re"ponse  a  Monsieur,  tenant  fait  et  dit  contre  Sa  Ma- 
jesle  tout  ce  qu'on  fait  et  dil  contre  le  cardinal  ne  laisse  a  personne 
Taudace  d'entreprendre  sur  la  pourpre  de  i'un  qu'a  celui  qui  ne 
craint  pas  de  frapper  sur  la  couronne  de  Tautre.  » 

(2)  Anciennes  lois  /ranf.,XVI,  192. 

(3)  Ibid. ,  page  198. 
(A)  Ibid.,  page  194. 


ABAISSEMENT  DBS   GOUVERNEURS.  285 

reux  privileges,  tout  en  lui  laissant  la  liberte"  de  con- 
science. Les  courtisans  furent  effrayes  par  les  sup- 
plices  de   Chalais,    de  Montmorency-Bouteville,  de 
Marillac;  par  la  disgrace  de  la  reine-mere  et  du 
frere  du  roi.   Us  apprirent  qu'il  n'y  avait  plus  de 
tete,  si  haute  qu'elle  fut,  que  ne  put  atteindre  la  ven- 
geance des  lois  (1).  Mais  il  fallait  surtout  vaincre  la 
nouvelle  feodalite  nee  des  guerres  de  religion,  1'aristo- 
cratiedesgouverneurs,  maitres  absolusdans  leurs pro- 
vinces. Us  y  regnaient  avec  une  autorite  si  despoti- 
que  «  que  le  nom  du  roi  n'y  etoit  connu  qu'autant 
que,  pour  le  dessein  qu'ils  avoient,  il  leur  etoit  ne- 
cessaire  de  s'en  couvrir  (2).  »  Richelieu  saisit  le  pre- 
texte  des  troubles  fomentes  par  Gaston  d'Orleans 
(1630-1632)  pour  attaquer  les  gouverneurs  et  leur 
faire  sentir  qu'ils  etaient  sous  la  main  du  roi.  «  Le 
due  de  Bellegarde  fut  prive  du  gouvernement  de 
Bourgogne,  et  par  consequent  des  clefs  des  portcs 
qu'il  avoit  ouvertes  a  Monsieur  pour  le  faire  sortir 
du  royaume.  Le  due  d'Elbeuf  fut  pareillement  de- 
pouille  de  celui  de  Picardie  que  le  roi  lui  avoit  donne 
peu  de  temps  auparavant.  Le  due  de  Guise,  presse 
des  craintes  de  sa  conscience,  s'etant  retire  en  Italic, 
lorsque    vous    1'appelates  a    la   cour  pour   rendre 

(1)  Richelieu,  Mdmoires,  livre  XVIII;  le  ministre  insiste  sur  la 
ne"cessite  de  punir  s^verement  les  grands.  «  Tacite  dit  que  rien  ne 
conserve  tant  les  lois  en  leur  vigueur  que  la  punition  des  personnes 
cs-quelles  la  qualite  se  trouve  aussi  grande  que  les  crimes.  Chatier 
pour  des  faules  le"geres  marque  plutot  le  gonvernement  de  cruaute 
que  de  justice,  et  met  le  prince  en  haine,  non  en  respect.  Quand  on 
ne  chatie  que  des  personnes  de  basse  naissance,  la  plus  noble  partie 
se  rit  de  telles  puni  lions,  etc.  » 

(2)  Lettre  de  Malherbe  a  M.  de  Mentin,  Ik  octobre  1616  (1626). 


ABAISSEMENT  DES  GOUVERNEURS. 

compte  de  ses  actions,  cette  retraite  criminelle  lui  fit 
perdre  celui  (le  gouvernement)  de  Provence,  dont  le 
feu  roi  1'avoit  honore.  Ainsi  vous  futes  delivre  des 
gouverneurs  ingrats  et  infideles,  et  la  Bourgogne,  la 
Picardie  et  la  Provence,  provinces  de  grande  consf- 
deration,  demeurerent  en  vos  mains,  libres  de  ces 
esprits  dangereux  (1).  » 

Le  supplice  du  marechal  de  Montmorency,  gou- 
verneur  de  Languedoc,  et  1'humiliation  du  vieux  due 
d'Epernon,  gouverneur  de  Guienne  et  Gascogne, 
porterent  les  derniers  coups  a  cette  aristocratie  qui 
menac.ait  de  demembrer  le  royaume.  Les  revokes 
furent  energiquement  comprimees,  et,  entre  autres, 
la  revolte  des  Pieds-Nus  de  Normandie  (1 639)  (2) .  Les 
parlements  furent  reduits  au  silence  (3)  et  la  royaute 
servie  docilement  par  des  agents  devoues  (4). 

Richelieu  fit  du  conseil  d'fitat  la  pepiniere  des  ad- 
ministrateurs  qui  devaient  porter  jusqu'aux  extre- 
mites  de  la  France  les  volontes  du  souverain  et  assu- 
rer 1'execution  rapide  et  complete  de  ses  ordres.  II 
avait  trouve  cette  institution  a  peine  ebauchee  par  les 
rois  precedents  (5) .  Jusqu'alors  le  conseil  d'£tat  avait 
ete  compose  d'elements  tres-divers.  A  cote  des  an- 
ciens  conseillers  d'Etat  siegaient  des  membres  du 


(1)  Testament  politique  de  Richelieu,  Ire  partie,  chap.  I.  Dans  ce 
passage,  Richelieu  s'adresse  au  roi. 

(2)  Voyez  sur  cette  revolte  le  Diaire  du  chancetier  Seguier,  re- 
dige"  par  le  conseiller  d'etat  de  Vertamont,  et  publi6  par  M.  Flo- 
quet.  Le  parlement  de  Normandie  fut  interdit  par  le  chancelier. 

(3)  Anciennes  Lois  franc.,  XVI,  pag  529. 
(/O  Ibid.,  p.  Ml. 

(5)  Ibid.,  p.  53,  129,  176,  209,  226  et  227. 


ORGANISATION  DU   CONSEIL  D**TAT.  $87 

parlement,  des  eveques,  des  ambassadeurs  et  des 
princes.  Pour  les  premiers,  le  titre  de  conseillers 
d'etat  etait  la  principale  et  souvent  meme  Tunique 
dignite.  Us  se  d^vouaient  tout  entiers  a  ces  hautes  et 
dedicates  fonctions,  qui  consistaient  &  administrer  les 
finances  du  royaume,  a  prononcer  en  cas  de  conflit 
entre  les  divers  parlements,  a  juger  les  questions  re- 
serv^es  au  conseil  du  roi  et  a  veiller  au  maintien  de 
1'ordre  et  a  1'execution  des  lois  dans  toute  la  France. 
Les  membres  des  parlements  et  les  grands  dignitai- 
res  qui  venaient  singer  accidentellement  au  conseil 
d'Etat  avaient  la  meme  autorite  que  les  conseillers 
permanents ;  souvent  meme  ils  prenaient  place  au- 
dessus  d'eux.  En  un  mot,  le  conseil  d'fitat  ne  for- 
mait  pas  un  corps  distinct  qui  eut  son  rang  nette- 
ment  marque  dans  la  hierarchic  administrative. 

Les  anciens  conseillers  d'etat  s'elevaient  contre  la 
position  qu'on  leur  faisait ;  ils  demandaient  qu'apres 
avoir  vieilli  dans  Tadministration  des  affaires  publi- 
queset  consacre  leur  vie  au  service  de  la  France,  ils 
ne  fussent  pas  effaces  par  des  officiers  de  justice  qui 
pretendaient  faire  dater  leur  rang  au  conseil  d'Etat 
du  jour  de  leur  reception  au  parlement  (1).  Sous 
cette  question  de  preseance,  qu'on  serait  peut-etre 
tente  de  regarder  comme  puerile,  se  cachait  une 
question  plus  serieuse  :  le  conseil  d'etat  formerait- 
il  un  corps  homogene,  ayant  ses  droits,  ses  tradi- 
tions, et  dont  les  membres  auraient  le  rang  qui  etait 
du  a  Timportance  de  leurs  fonctions?  La  question  fut 

(1)  Voy.  sur  ces  contestations  TAppendice,  n°  II;  on  y  trouvera 
les  reglements  du  conseil  d'fitat  sous  le  regne  de  Louis  XIII. 


288  ORGANISATION   DU   CONSEIL   D^TAT. 

resolue  en  leur  faveur  (1).  En  1624,  les  conseil- 
lers  d'Etat  furent  divises  en  trois  classes.  II  y  cut  les 
ordinaire*,  qui  siegeaient  toute  1'annee,  les  semes- 
ires  et  les  quatrimestres,  qui  etaient  en  fonctions 
pendant  six  mois  ou  quatre  mois  seulement.  Les  pre- 
miers, au  nombre  de  huit,  recevaient  chacun  dix. 
mille  livres  d'appointements ;  les  semestres,  au  nom- 
bre de  dix,  chacun  trois  mille  livres ;  et  les  treize 
quatrimestres,  chacun  deux  mille  livres  (2). 

Le  conseil  d'Etat  etant  constitue,  Richelieu  en  de- 
termina  les  attributions  par  un  reglement,  en  date  du 
18  Janvier  1630.  Le  roi  etaitle  president  du  conseil 
d'Etat ;  mais  il  deleguait  ordinairement  au  chance- 
lier  le  soin  de  diriger  les  discussions  de  cette  assem- 
blee.  Les  maitres  des  requetes  de  quartier  assistaient 
au  conseil  comme  rapporteurs  et  avec  voix  delibera- 
tive pour  les  affaires  dont  ils  avaient  fait  le  rapport. 
Des  le  commencement  de  1'annee,  on  divisait  les  pro- 
vinces entre  les  conseillers  d'Etat,  qui  devaient  s'oc- 
cuper  chacun  specialement  du  pays  qui  leur  etait  as- 
signe.  Les  gtndralitds  ou  circonscriptions  fmancieres 
des  receveurs-generaux  etaient  egalement  partagees 
entre  les  intendants  et  controleurs-generaux  des  fi- 
nances. Les  seances  du  conseil  d'Etat  etaient  fixees 
aux  mardi,  mercredi,  jeudi  et  samedi  de  chaque  se- 
maine,  et  les  questions  dont  on  devait  s'y  occuper  ( 
nettement  determinees  (3). 


(1)  Voy.  TAppendice,  n°  II. 

(2)  J'ai  public  lous  ces  rfeglemenls  in^dits  dan§  TAppendice, 
ll. 

(3)  Ibidem. 


ORGANISATION   DU    CONSEIL   D'fiTAT.  289 

Le  mardi  se  tenait  le  conseil  des  ddpdches;  on  y  li- 
sait  les  rapports  adresses  au  conseil  par  les  gouver- 
neurs  de  provinces  et  les  autres  representants  tie 
1'autorite  centrale.  On  y  redigeait  les  instructions 
remises  aux  commissaires  extraordinairesqui  etaient 
envoyes  dans  les  provinces.  Le  conseil  des  depeches 
s'occupait  aussi  de  1'etat  des  garnisons,  du  paiement 
des  troupes,  «  et  generalement,  dit  le  reglement  de 
1630,  de  toutes  les  affaires  importantes,  ainsi  qu'il 
plaira  a  Sa  Majeste  de  l'ordonner.»  Le  secretaire  d'£- 
tat  de  quartier  devait  rediger  immediatement  les  re- 
solutions du  conseil  afm  d'en  assurer  1'execution. 

Le  mercredi,  le  conseil  d'£tat  s'occupait  de  finan- 
ces, etspecialement  des  impots.  «  Aucune  levee  de 
deniers,  dit  le  reglement  de  1630  (1),  ne  pourra  etre 
faite  par  le  roi  qui  n'ait  ete  deliberee  et  resolue  audit 

conseil.  »  On  arretait  dans  cette  seance  le  role  de  la 

> 

taille,  qui  etait  perdue  par  les  receveurs-gene"raux, 
ainsj  que  les  conditions  qui  devaient  etre  imposees 
aux  fermiers  des  aides ;  on  y  examinait  les  reclama- 
tions des  villeset  des  provinces  contre  les  taxes  aux- 
quelles  elles  etaierit  soumises  ou  les  demandes  qu'el- 
les  adressaient  pour  lever  des  contributions  destinies 
a  des  depenses  locales  :  c'etait  aussi  dans  les  conseils 
du  mercredi  qu'etaient  redigees  les  instructions  des 
commissaires  envoyes  dans  les  provinces  pour  pren- 
dre  connaissance  du  fait  des  finances.  On  y  fixait  le 
traitement  des  officiers  employes  pour  le  service  du 
roi,  «  Sa  Majeste  defendant,  dit  le  reglement  (2),  au 

(1)  Appendice,  q°  H, 

(2)  Ibidem. 


290  ORGANISATION  DU   CONSUL  D'fiTAT. 

secretaire  des  finances  de  signer  aucun  role  des 
dites  taxes  qui  ri'ait  ete  arrete  au  conseil.  »  Le  sur- 
intendant,  les  controleurs  et  intendants  des  finances 
avaient  voix  deliberative,  dans  cette  seance. 

Le  jeudi,  le  conseil  d'Etat  s'occupait  encore  de  fi- 
nances, mais  de  la  partie  qu'on  appellerait  aujour- 
d'hui  contentieux  financier .  Les  reclamations  des  par- 
ticuliers  ou  des  officiers  royaux  contre  les  fermiers 
des  aides  et  les  receveurs  des  tallies,  et  tous  les  dif- 
ferends  relatifs  aux  impots,  etaient  juges  dans  ce 
conseil.  Les  maitres  des  requetes  faisaient  le  rapport, 
et  les  conseillers  pronongaient.  On  y  jugeait  encore 
les  proces  engages  pour  suppressions  ou  rembourse- 
ments  d'offices ,  pour  rachat  des  rentes  et  les  ques- 
tions relatives  aux  domaines.  Les  adjudications  des 
travaux  publics,  des  fermes  d'impots,  avaient  aussi 
lieu  dans  le  conseil  du  jeudi. 

Le  samedi,  se  tenait  le  conseil  des  parties,  ou  Ton 
pronongait  sur  les  evocations,  les  conflits  entre  les  par- 
lements  et  les  proces  en  reglement  de  juges.  Les  mo- 
difications qui  furent  apportees,  dans  le  courant  des 
xvii6  et  xvme  siecles,  a  cette  organisation  du  conseil 
d'lhat,  ont  peu  d'importance.  On  appela  les  deuxcon- 
seils  de  finances  conseilsdegrande  direction  et  depelite 
direction.  Le  premier  etait  preside  par  le  chancelier, 
le  second  par  le  surintendant ;  le  premier  s'occupait 
du  contentieux  financier,  et  le  second  de  Tadminis- 
tration  fmanciere.  Mais  en  realite,  le  conseil  d'etat 
de  1'ancienne  monarchic  conserva  toujours  1'organisa- 
tion  qu'il  avait  recue  de  Richelieu.  II  fut,  sous 
la  main  de  ce  ministre,  un  des  instruments  les 


INSTITUTION    DBS   INTENDANTS 


plus  actifs  de  la  centralisation  administrative,  pour 
employer  un  terme  tout  moderne  qui  exprime  la  pen- 
see  du  cardinal.  Ce  fut  dans  le  conseil  d'fitat  que 
Richelieu  prit  les  commissaires  qui  composerent  les 
liibunaux  extraorclinaires  dont  il  fit  un  instrument 
si  redoutable  aux  grands.  Quelques-uns  de  ces  juges, 
comme  Laffemas  et  Laubardemont,  ont  laisse  un 
nom  odieux.  Beaucoup  d'autres  travaillerent  avec 
devouement  et  succes  a  perfectionner  radministra- 
tion,  en  ouvrant  de  nouvelles  voies  de  communica- 
tion, en  maintenant  la  discipline  dans  les  armees, 
en  surveillant  les  diverses  juridictions  et  en  impri- 
mant  a  tous  les  services  publics  ce  caractere  d'unite 
et  de  force  qui  distingue  le  gouvernement  de  Riche- 
lieu. Tel  fut  surtout  le  role  des  intendants. 

Les  intendants  n'etaient  d'abord  que  des  maitres 
des  requetes  qui,  sous  le  nom  ft  intendants  de  justice, 
police  et  finances,  exercaient  dans  les  generalites  des 
commissions  temporaires,y  presidaient  les  tribunaux 
exceptionnels,  et  surveillaient  toutes  les  branches 
d'administration,  repartition  et  perception  de  Tim- 
pot,  entretien  des  ponts  et  chaussees,  etapes  des 
gens  de  guerre,  etc.  Des  ecrivains  du  xvne  siecle  les 
ont  compares  aux  missi  dominici  fa  Charlemagne  (1). 
Comme  eux,  ils  veillaient  partout  a  1'execution  des 
ordonnances  emanees  du  pouvoir  central,  et  rele- 
vaient  directement  du  ministre.  Richelieu  les  choi- 
sissait  parmi  les  gens  nouveaux,  les  hommes  du 
Tiers-fitat,  parce  que,  disait-il,  Finteret  qu'ils  avaient 

(1)  Voy.  Fr.  de  Roye,  antecessor  andegavensis,  Traits  sur  les 
missi  dominici,  Andegavi.  1672,  in-40. 


292  INSTITUTION    DES    INTENDANTS. 

au  temps  present  etait  la  meilleure  caution  de  leur 
fidelite  (1).  Modifiee  et  perfectionnee  dans  la  suite, 
1'institution  des  intendants  devint  un  des  principaux 
ressorts  de  1'administration  monarchique. 

La  presence  de  ces  commissaires  inquietait  lespar- 
lements,  et,des  1626,  its  avaientfait  retentirde  leurs 
doleances  1'assemblee  des  notables  (2)  :  «  Recoivent 
vos  parlements  grand  prejudice  d'un  nouvel  usage 
d" intendants  de  la  justice  qui  sont  envoyes  es  ressorts 
et  etendue   desdits   parlements  pres  messieurs   les 
gouverneurs  et  lieutenants-generaux  de  Votre  Majeste 
en  ces  provinces,  ou  qui,  sur  autres  sujets,  resident 
en  icelles  plusieurs  annees,  fonctions  qu'ils  veulent 
tenir  a  vie ;  ce  qui  est,  sans  edit,  etablir  un  chef  et  offi- 
cier  surpernumeraire  de  justice  cree  sans  payer  fi- 
nance, exauctorant  les  chefs  des  compagnies  subal- 
ternes,  surchargeant  vos  finances  d'appointements, 
formant  une  espece  de  justice,  faisant  appeler  les  par- 
ties en  vertu   de  leurs  mandements,  et  tenant  gief- 
fiers  dont  surviennent  divers  inconvenients,  et  entre 
autres,  de  soustraire   de  la   juridiction,   censure  et 
vigilance  de  vos  dits  parlements,  les  officiers  des  sene- 
chaussees,  bailliages,  prevotes  et  autres  juges  subal- 
ternes.   Us  prennent  encore  connoissance  de  divers 
fails,  dont  ils  attirent  a  votre  conseil  les  appellations 
au  prejudice  de  la  juridiction  ordinaire  de  vos  dits  par- 
lements :  c'est  pourquoi,  Votre  Majeste  est  tres-hum- 
blement  suppliee  de  les  revoquer  et  que  telles  fonc- 

(1)  Memoires  de  Richelieu,  liv.  XXII. 

(2)  Ges  doteances  se  trouvent  dans  un  inanuscrit  de  la  Bib,  de 
1'Umversite,  H,  II,  8,  f  205. 


INSTITUTION    DES    INTENDANTS.  293 

tions  ne  soient  desormais  faites  sous  pretexte  (Tin- 
tcndance  ou  autrement,  sauf  et  sans  prejudice  du 
pouvoir  attribue  par  les  ordormances  aux  maitres  des 
requetes  de  votre  hotel  faisant  leurs  chevauchees 
dans  les  provinces,  tant  que  pour  icelles  leur  sejour 
le  requerera.  »  Heureusement,  Richelieu  avait  1'ame 
trop  ferme  et  1'esprit  trop  penetrant  pour  ceder  a  ces 
re  m  on  trances.  II  lui  fallait  dans  les  provinces  des 
administrateursqui  dependissent  directetnent  de  son 
pouvoir,  et,  a  partir  de  1635,  il  rendit  permanente 
1'institution  des  intendants. 

Ainsi,  onze  annees  (1624-1635)  avaient  suffi  a  Ri- 
chelieu pour  abattre  la  ouissance  de&  grands,  detruire 
1'independance  politique  des  huguenots,  triompher 
des  pretentious  des  parlements  et  organiser  une  vi- 
goureuse  administration  qui  avait  son  centre  dans  le 
conseil  d'Etat  et  dont  les  intendants  faisaient  pene- 
trejr  les  resolutions  dans  toutes  les  parties  du 
royaume.  Pendant  ce  temps,  il  avait  dejoue  les  intri- 
gues de  cour,  echappe  au  fer  des  assassins,  dirige 
la  politique  europeenne,  fomente  les  troubles  d'fi- 
cosse,  releve  le  parti  francais  en  Italie  et  en  Allema- 
gne,  excite  une  puissante  opposition  contre  Fer- 
dinand [I,  et  cherche  «  jusque  sous  le  pole  le  he- 
ros  qui  semblait  destine  a  abattre  le  grand  arbre 
de  la  maison  d'Autriche  (1).  »  II  avait  soutenu  Gus- 
tave-Adolphe  de  Targent  et  de  1'appui  de  la  France, 
et  avait  contribue  a  ses  rapides  succes.  A  partir  de 
1635,  une  lutte  directe  contre  la  maison  d'Autri- 

(1)  Voiture,  Lettre  sur  la  prise  de  Corbie,  t.  T,  pages  178-179, 
de  Tedilion  de  1729. 

I.  2(1 


294  ACTIVITY   DE   RICHELIEU. 

che,  la  surveillance  des  nombreuses  armees  de  terre 
et  de  mer,  1'entretien  des  alliances,  la  necessite  de 
maintenir  dans  sa  dependance  un  maitre  qui  encoura- 
geait  ses  ennemis,  taut  de  soucis  aecumules  semblaient 
devoir  absorber  et  user  1'activite  du  plus  puissant  ge- 
nie. Mais,  chose  merveilleuse  I  Richelieu  sut  descen- 
dre,  sans  s'abaisser,  aux  moindres  details  d'adminis- 
tration.  Seconde  par  les  secretaires  d'Etat,  qui  ne 
furent,  sous  lui,  que  d'excellents  commis,par  Claude 
le  Bouthillier,  Chavigny,  Brienne,  Sublet  de  Noyers, 
il  porta  partout  1'ordre  et  la  regularite,  mais  sans 
s'inquieter  assez  des  droits  de  la  justice  et  de  la  li- 
berte. 


CHAPITRE  XV. 


Sommaire. 

Louis  XIII  (suite).  —  Administration  de  la  justice;  commis- 
sions institutes  pour  juger  les  crimes  politiques ;  reforme 
tentee  par  Michel  de  Marillac  (1630).  —  Administration 
militaire;  discipline  introduite  dans  les  armees;  intendants 
speciaux  etablis  pres  des  armees  pour  en  assurer  1'approvi- 
sionnement ;  institution  du  ministere  de  la  guerre  en  \  636  ; 
projets  de  Richelieu  pour  1'amelioration  de  1'organisation 
militaire.  —  Marine  :  Richelieu  prouve  la  necessite  de  creer 
une  marine  militaire ;   ports  creuses ;  flottes  sur  1'Ocean  et 
la  Mediterrane'e ;  succes  maritimes  desFrancais.  —  Finan- 
ces :  memoire  de  Colbert  sur  1'administration  des  finances 
de  1610  a  1630;  situation  deplorable  du  tresor;  accroisse- 
ment  des  impots ;  vues  de  Richelieu  sur  la  nature  des  im- 
potsetsurle  credit  public. —  Du  commerce  etdel'industrie  : 
compagnie  du  Morbihan  (1626-1628) ;  compagnie  deslndes 
occidentals  ;  etablissement  des  Antilles ;  relations  commer- 
ciales   avec   1'Asie  et  1'Afrique;    le   canal  de  Rriare  est 
acheve;  canalisation  de  plusieurs  rivieres.  —  Organisation 
de  la  poste  aux  lettres. —  Affaires  religieuses.  —  Protection 
accordee   aux  lettres  et  aux  arts.    —  Attaques  dirigees 
centre  Richelieu  apres  sa  mort  (4  decembre  1 642) ;  il  est 
defendu  par  Mazarin. 

Richelieu  se  montra  administrateur  aussi  habile 
qne  grand  politique  :  justice,  armee,  marine,  finan- 
ces, industrie,  commerce,  voies  de  communication, 
exploitation  des  richesses  minerales  de  la  France, 
progres  religieux  et  intellectuel  de  la  nation,  il  ne 
negligea  aucune  des  branches  d'administration.  II  y 
cherchaitsurtoutdes  appuis  pour  1'autorite  monarch!- 


29C  COMMISSIONS   JUDICIAIRES. 

que ;  ainsi  ('administration  de  la  justice  ne  fut  auK 
yeux  de  Richelieu  qu'un  moyen  de  gouvernement. 
Les  commissions  enlevaient  les  accuses  a  leurs  juges 
naturels,  et  etaient  presidees  par  des  maitres  des  re- 
quetes,  des  intendants,  des  conseillers  d'Etat,  dont 
quelques-uns,  comme  LaffemasetLaubardemont,  ont 
laisse  un  nom  odieusement  celebre.  Ces  tribunaux 
siegeaient  quelquefois  clans  le  chateau  de  Ruel  qui 
appartenait  au cardinal  (1).  A  quoi  bon  insister  sur  les 
proces  odieux  d'Urbain  Grandier  et  d'autres  victimes 
d'accusations  de  sortilege  et  de  magie?  Tout  le  monde 
sait  qu'on  fit  revivre  contre  de  Thou,  la  loi  cruelle 
de  Louis  XI  qui  condamnait  a  mort  celui  qui  ne 
trahissait  pas  les  confidences  d'un  ami  (2).  Les  formes 
de  la  justice,  sauve-garde  de  1'innocence,  etaient  me- 
prisees,  des  qu'il  s'agissait  de  crimes  politiques.  Le 

(1)  Quarante-sept  condamnations  a  mort  furent  prononce"es  pour 
crimes  politiques  sous  le  ministere  de  Richelieu  et  vingt-six  suivies 
d'execution  capitale  :  Chalais    (1626);   Beaufort,  gouverneur  de 
Farmers  (1628);  le  due  de  jvlontmorency,  gouverneur  du  Langue- 
doc  (1632);  les  sieurs  des  Hayes,  Cormenin,  d'Entragues  et  de  Ca- 
pistran,  implique's  dans  la  revolte  du  due  de  Montmorency;  le 
vicomte  de  Hautefort  de  1' Estrange  (1632) ;  Cinq-Mars  et  de  Thou 
(16A2).  Le  mare'chal  de  Marillac,  accuse  de  peculat  (1632) :  Boutte- 
ville  et  des  Chapelles,  pour  duel  (1627);  le  baron  de  Clausel  (1636), 
pour  crime  de  trahison ;  le  sieur  de  Hencourt  et  le  capitaine  du  Val, 
pour  re"  volte  a  main  armee  (1638) ;  Gaspard  Boullay,  pour  evasion 
d'un  prisonnier  d'fitat;  Saint-Preuil,  Montgaillard  ,  Anisey,  Saint- 
L6ger,  pour  indiscipline  militaire;  Le  Plessis  (1631),  Gargon  (1633), 
Urbain  Grandier  (163/i),  pour  accusation  de  sortilege  et  de  magie  ; 
Alpheston,  Chavagnac,  le  pere  Chanteloube,  pour  attentat  contre  la 
personne  de  Uichelieu.  Voy.  pour  les  details  le  Journal  de  Richelieu. 

(2)  Voy.  dans  le  t.  II  de  Touvrage  intitule"  Journal  de  Richelieu 
tous  les  details  du  proces  de  Thou.  On  croit  souvent  a  tori  que   ce 
Journal  se  retrouve  tout  enlier  dans  les  Mcmoires  de  Richelieu. 
l^z&Mcmoires  s'arretent  en  1639,  et  ne  contiennent  par  consequent 
rien  de  relatif  au  proces  de  Cinq-Mars  et  de  Thou, 


COMMISSIONS    JL'DICIAIRKS.  297 

chancelier  Seguier,  chef  de  le  magistrature,  en  don- 
nait  le  premier  Texemple.  On  le  vit  surtout  lorsqu'il 
parcourut  la  Normandie  pour  punir  la  revolte  des 
Pieds-Nus.  Un  des  commissaires  qui  1'accompa- 
gnaient  ecrivait  (1)  :  «  Aujourd'hui,  7  Janvier  1640, 
on  a  commence  justice  en  cette  ville  de  Rouen  par 
1' execution  de  cinq  seditieux,  dont  Tun  nomme 
Gorin  a  ete  rompu  vif  et  les  autres  quatre  pendus, 
apres  avoir  eu  la  question  ordinaire  et  extraordinaire 
pour  savoir  les  complices ;  ils  ont  ete  condamnes  a 
ce  supplice  par  monseigneur  le  chancelier  seul,  sans 
autres  juges  ni  assesseurs  ni  autre  formalite  que 
celle  des  informations,  recollements  et  confronta- 
tions, sans  avoir  vu  ni  oui  les  condamnes,  et  sans 
avoir  donne  autre  arret  que  verbal.  »  Seguier,  instru- 
ment docile  des  rigueurs  de  Richelieu,  repondait 
aux  juges  qui  s'etounaient  de  cette  violation  des  for- 
mes, «  qu'il  avoit  condamne  ces  malheureux  verba- 
lement  et  militairement;  qu'il  consideroit  la  chose 
comme  si  elle  venoit  d'arriver  et  qu'ils  eussent  encore 
les  armes  a  la  main,  auquel  cas  il  etoit  du  service  du 
roi,  de  son  autorite  et  du  bien  public  de  faire  des 
exemples  et  de  passer  par  dessus  les  formes  ordi- 
naires  (2).  »  On  ne  peut  justifier  ces  exces  du  des- 
potisme.  Mais  du  moins  cette  rigueur  impitoyable 
fut  egale  pour  tous,  et  les  plus  hautes  tetes  appri- 
rent  a  se  courber  sous  le  joug  de  la  loi. 

II  y  eut  d'ailleurs  quelques  tentatives  faites  pour 
ameliorer  la  legislation.  La  laborieuse  compilation 

(1)  Bibl.  imp.,  coll.  Dupuy,  n°  548-550. 

(2)  Ibidem. 


£98  CODE   MICHAtD. 

de  Michel  de  Marillac  en  461  articles  (1)  reprodui- 
sait  les  dispositions  les  plus  importantes  des  ordon- 
nances  d'Orleans,  de  Moulins  et  de  Blois  ,  et  y 
ajoutait  quelques  mesures  nouvelles  pour  la  re- 
pression de  1'independance  feodale  (2).  Les  parle- 
ments  profiterent  de  la  disgrace  de  Michel  de  Ma- 
rillac, en  1630,  pour  empecher  que  cetteutile  ordon- 
nance  ne  fut  enregistree.  Us  ne  la  designerent  que 
par  le  sobriquet  de  Code  Michaud,  et,  comme  il  est 
arrive  trop  souvent,  une  plaisanterie  fit  abandonner 
des  mesures  excellentes.  Dans  la  suite,  Richelieu 
rendit  les  gentilshommes  responsables  de  tous  les 
desordres  commis  sur  leurs  terres  (3).  II  forca  les 
parlements  a  se  renfermer  dans  leurs  fonctions  judi- 
ciaires,  et  leur  interdit  la  connaissance  des  questions 
politiques  et  administrates  (4).  II  parait  meme  avoir 
serieusement  songe  a  abolir  la  paulette  (5),  et  par 
consequent  1'heredite  des  charges  de  judicature. 

^administration  militaire  subit  de  phis  impor- 
tantes reformes.  Le  cardinal,  qui  se  piquait  de  genie 


(1)  Anciennes  Lois  fran$.,  XVI,  223-344. 

(2)  Ibidem.  Voy.  surtout  les  articles  171,  172,  173  ,  174,  175  , 
176,  177,  qui  defendent  de  lever  des  troupes  ,  de  faire  aucuns  pre- 
paralifs  de  guerre,  de  fortifier  lesvilles  ou  chateaux,  etde  tenir  des 
assemblies  sans  1'autorisation  du  roi. 

(3)  Anciennes  /0/s/r«wc..,XVI,525.  Parcette  ordonnance,  les  gen- 
tilshommes son  t  obliges,  «chacun  en  1'etendue  de  leurs  terres,  de 
contenir  les  sujets  du  roi  dans  1'obeissance  .....  Ge  qui  leur  est  ais6, 
vu  le  pouvoir  qu'ils  prennent  ordinairement  sur  leurs  tenanciers, 
auxquels  ils  font  bien,  dil  1'ordonnance,  executer  leurs  volonte"s, 
lorsqu'il  s'agit  de  leur  inte"r6t  particulier.  » 

(4)  Ancienne.s  Lois  frang.,  XVI,  529. 

(5)  Mdmoircs  de  Richelieu,  liv.  XX  :  «  11  faut,  dit-il,  ne  plus  re"- 
tablir  la  paulette  ,  abaisser  les  compagnies,  qui,  par  une  pre"tendue 
souverainete  s'opposent  tous  les  jours  au  bien  du  royauine.  »  Ce 


ADMINISTRATION    MILITA1RE.  299 

militaire,  rappelle  avec  orgueil  dans  son  Testament 
politique  la  discipline  qu'il  etablit  dans  Farmee  d'l- 
talie,  et  parmi  les  troupes  qui  firent  le  siege  de  La 
Rochelle.  «  On  y  obeissoit  comme  des  religieux  por- 
»  tant  les  armes  (1).  » 

Le  service  des  vivres  avait  ete  jusqu'alors  ne- 
glige. De  la  les  pillages  et  les  exces  de  la  soldates- 
que,  dont  sont  remplis  les  memoires  du  xvie  siecle. 
L'assemble"e  des  notables  avait  signale  ces  abus  et 
demande  a  Richelieu  d'adopter  les  mesures  qui  de- 
vaient  rendre  la  discipline  plus  severe.  II  fallait,  di- 
saient  les  cahiers  de  cette  assemblee  (2) ,  recommander 
aux  mestres  de  camp,  charges  des  nouvelles  levees, 
d'ordonner  a  leurs  capitaines  d'empecher  que  les 
soldats  ne  commissent  aucun  desordre  en  allant  au 
lieu  de  I'enrolement,  a  peine  d'en  repondre  en  leur 
propre  et  prive  nom.  Le  capitaine  devait  se  trouver 
le  premier  au  lieu  de  1'enrolement  quiserait  acheveen 
dix  ou  douze  jours  au  plus. 

«  Chaque  regiment  aura  un  commissaire,  un  con- 
troleur  et  un  commis  de  1'extraordinaire.  Le  commis 
de  1'extraordinaire  paiera  tous  les  vivres.  II  sera  fait 
defense  aux  soldats,  sous  peine  de  punition  corpo- 
relle,  de  sortir  de  leur  quartier  ni  de  rien  enlever  a 
leurs  hotes,  et  aux  notes  de  leur  rien  fournir.  Les 
troupes  devront,  sous  peine  de  la  vie,  suivre  1'ordre 

passage  est  en  contradiction  avec  un  chapitre  du  Testament  politi- 
que  (2e  partie,  chap.  Zi,  §  I),  ou  tout  en  reconnaissant  Tabus  de  la 
pauiette  et  de  la  venalite"  des  charges,  Richelieu  declare  qu'on  ne 
peut  les  supprimer.  J'ai  pref^re  Tautorite  des  Memoires. 

(1)  Testament  politique,  2e  partie,  ch.  9,  S  4. 

(2)  Bibl.  imp.,  S.  Fr.,  n"  1595,  f°"  114  et  suiv. 


300  DISCIPLINE   MILITAIRE. 

qui  leur  sera  indique  et  les  routes  qui  leur  seront 
tracees.  Le  roi  enverra  des  instructions  pour  les 
etapes  aux  gouverneurs  de  provinces,  qui,  de  con- 
cert avec  les  lieutenants  du  roi,  senechaux,  baillis 
et  autres  officiers,  prendront  toutes  les  precautions 
pour  assurer  1'ordre.  Les  regiments  devront  marcher 
1'un  apres  L'autre  pour  eviter  la  confusion  et  1'inso- 
lence  des  troupes  toujours  plus  grande,  quand  les 
soldats  sont  reunis.  II  est  enjoint  aux  capitaines 
et  differents  officiers  de  veiller  au  maintien  de  la  dis- 
cipline, aux  prevots  des  marechaux  d'accompagner 
les  troupes  en  marche  et  de  veiller  sur  elles;  meme 
prescription  pour  les  prevots  des  regiments  et  les 
commissaires  des  conduites. 

«  Les  soldats,  tant  de  pied  que  de  cheval,  ne 
pourront  passer  plus  d'une  nuit  dans  le  meme  lieu. 
Defense,  sous  peine  de  1'estrapade,  de  s'ecarter  du 
drapeau.  On  designera  les  maisons  ou  les  soldats 
pourront  etre  loges;  les  autres  leur  seront  interdites. 
Us  ne  pourront  demander  a  leurs  hotes  que  le  cou- 
vert,  le  feu  pour  se  chauffer  et  cuire  leur  viande,  le 
lit  et  une  chandelle  pour  chaque  logis;  autrement. 
disent  les  doleances  des  notables,  il  se  commet  de 
tres-grands  abus,  et  les  soldats  ranc,onnent  d'ordi- 
naire  les  pauvres  gens.  »  Richelieu  realisa  en  par- 
tie  les  voeux  des  notables;  il  confia  a  des  intendants 
spdciaux  le  soin  d'organiser  les  ambulances,  d'ap- 
provisionner  1'armee,  de  payer  le  soldat  et  de  re- 
primer  tous  les  desordres  (1). 

(1)  Voy.  dans  les  Mdmoires  de  Montrtsor  le  rapport  de  1'inlen- 
dant  de  Tarmee  de  Champagne. 


MINISTERS    DE    LA    GUERRE.  301 

De  cette  epoque  date  1'organisation  du  ministere 
special  de  la  guerre.  Jusqu'alors  les  secretaires  d'E- 
tat  s'en  etaient  partage  les  fonctions;  mais,  en  1636, 
Sublet  de  Noyers,  commis  laborieux,  fut  charge  ex- 
clusivement  des  affaires  militaires  et  conserva  ce  de- 
partement  jusqu'a  la  mort  de  Richelieu.  L'institution 
des  lieutenants-generaux  du  roi,  dans  les  armees,  et 
la  formation  de  plusieurs  corps  nouveaux,  entre 
autres  des  mousquetaires  (1),  remontent  aussi  au  rc- 
gne  de  Louis  XIII.  Richelieu  entrait  dans  les  details 
les  plus  minutieux  pour  Tapprovisionnement  des  ar- 
mees, le  transport  et  la  qualite  des  munitions  (2).  II 
auraitvoulu  creer  une  infanterie  nationale  et  en  assu- 
rer le  recrutement  regulier  (3).  Ces  idees,  pour  etre 
restees  a  1'etat  de  theories ,  n'attestent  pas  moins  la 
puissance  du  genie  qui  les  a  conchies. 

Plus  heureux  pour  la  marine,  Richelieu  put  en 
realiser  immediatement  1' organisation.  Des  1'epoque 
de  son  premier  ministere  (1616),  il  avail  fait  faire  une 
enquete  sur  les  causes  du  deperissement  de  la  ma- 
rine ;  mais  entraine  dans  la  chute  de  Concini,  il  fut 
contraint  d'ajourner  ses  projets.  Rentre  au  pouvoir 
en  1624,  il  s'occupa  presque  aussitot  de  la  flotte. 
II  fit  comprendre  au  roi  et  aux  notables,  reunis  en 
1626,  la  necessite  d'un  armement  maritime  pour  ba- 
lancer la  puissance  de  1'Espagne  sur  la  Mediterranee 
et  de  1'Angleterre  sur  FOcean.  «  II  scmble,  disait-il 
au  roi  (4),  que  la  nature  ait  voulu  offrir  1'empire  de 

(1)  Voyez  les  Memoires  de  Puysegur,  h  Tanned  1622. 

(2)  Testament  politiquc  de  Ric/ielieu,  2e  partie,  chap.  9,  p.  Z|. 

(3)  Ibidem. 

(4)  Ibidem,  2e  partie,  chap.  9,  §  5. 


302  MARINE   MILITAIRE. 

la  mer  a  la  France  par  I'avantageuse  situation  de  ses 
deux  cotes,  egalement  pourvues  d'excellents  ports 
aux  deux  mers  Oceane  et  Mediterranee.  La  separation 
des  Etats  qui  forment  le  corps  de  la  monarchic  es- 
pagnole  en  rend  la  conservation  si  mal  aisee  que 
pour  leur  donner  quelque  liaison  1'unique  moyen 
qu'ait  1'Espagne  estl'entretenement  de  grand  nombre 
de  vaisseaux  en  1'Ocean  et  de  galeres  en  la  mer  Medi- 
terranee, qui  par  leur  trajet  continuel  reunissent 
en  quelque  fagon  les  membres  a  leur  chef. 

«  Comme  la  cote  de  ponant  de  ce  royaume  (de 
France)  separe  1'Espagne  de  tous  les  Etats  possedes 
en  Italic  par  leur  roi,  ainsi  il  semble  que  la  provi- 
dence de  Dieu,  qui  veut  tenir  les  choses  en  balance, 
a  voulu  que  la  situation  de  la  France  separat  les 
£tats  de  1'Espagne  pour  les  affoiblir  en  les  divisant. 
Si  V.  SI.  a  toujours  dans  ses  ports  quarante  bons 
vaisseaux  bien  outilles  et  bien  equipes,  prets  a  met- 
tre  en  mer  aux  premieres  occasions ,  elle  en  aura 
suffisamment  pour  se  garantir  de  toute  injure  et  se 
faire  craindre  dans  toutes  les  mers  par  ceux  qui  jus- 
qu'a  present  y  ont  meprise  ses  forces. 

«  Avec  trente  galeres,  V.  M.  ne  balancera  pas  seu- 
lement  la  puissance  de  1'Europe  qui  peut,  par  1'assis- 
tance  de  ses  allies,  en  mettre  cinquante  en  corps, 
mais  elle  la  surmoritera  par  la  raison  de  1'union  qui 
redouble  la  puissance  des  forces  qu'elle  unit.  Vos  ga- 
leres pouvant  demeurer  en  corps,  soit  a  Marseille, 
soit  a  Toulon,  elles  seront  toujours  en  etat  de  s'op- 
poser  a  celles  d'Espagne,  tellement  separees  par  la 
situation  politiquede  ce  royaume,  qu'elles  ne  peuvent 


MARINE   MIL1TA1RE.  303 

s'assembler  sans  passer  a  la  vue  des  ports  et  des  ra- 
des  de  Provence,  et  meme  sans  y  mouiller  quelque- 
fois,  a  cause  des  tempetes  qui  les  surprennent  a 
demi-canal  et  que  ces  vaisseaux  legers  ne  peuvent 
supporter  sans  grand  hasard  dans  un  trajet  facheux 
ou  elles  sont  assez  frequentes. 

«  Et  quand  meme  ils  pourroient  etre  servis  d'un 
vent  si  favorable  qu'ils  n'auroient  rien  a  craindre  de 
la  mer,  le  moindre  avis  que  nous  aurons  de  leur  pas- 
sage nous  donnera  lieu  de  le  traverser  d'autant  plus 
assurement  que  nous  pouvons  nous  mettre  a  la  mer, 
quand  bon  nous  semble,  et  nous  retirer  sans  peril 
quand  le  vent  nous  menace,  a  cause  du  voisinage  de 
nos  ports  qu'ils  n'osent  aborder.  Par  ce  moyen, 
V.  M.  conservera  la  liberte  aux  provinces  d'ltalie, 
qui  ont  ete  jusqu'a  present  comme  esclaves  du  roi 
d'Espagne.  Elle  redonnera  le  coeur  a  ceux  qui  ont 
voulu  secouer  le  joug  de  cette  tyrannic,  qu'ils  ne  sup- 
portent  que  parce  qu'ils  ne  peuvent  s'en  delivrer,  et 
fomentera  la  faction  de  ceux  qui  ont  le  coeur  franc,ois. 

«  Le  feu  roi  votre  pere  ayant  donne  charge  a 
M.  d'Alincourt  (1)  de  faire  reproche  au  grand  due 
Ferdinand  de  ce  qu'apres  1'alliance  qu'il  avoit  con- 
tractee  avec  lui  par  le  mariage  de  la  reine  votre  mere, 
il  n'avoit  pas  laisse  que  de  prendre  une  nouvelle  liai- 
son avec  1'Espagne,  le  grand  due,  apres  avoir  oui 
patiemment  ce  qu'il  lui  dit  sur  ce  sujet,  fit  une  re- 
ponse  qui  signifie  beaucoup  en  peu  de  mots  et  qui 
doit  etre  considered  par  V.  M.  et  ses  successeurs  :  Si 

(1)  Charles  de  Neufville,  fils  du  secretaire  d'titat  Nicolas  de  Neuf- 
ville,  seigneur  de  Villeroi. 


304  FORTS    CRELSES. 

le  roi  eut  eu  quarante  galcres  a  Marseille,  je  n'eusse 
pas  fait  ce  que  fai  fait.  » 

Sur  1'Ocean  il  fallait  aussi  une  flotte  pour  balancer 
la  puissance  de  la  Grande-Bretagne,  et  «  montrer 
»  aux  Anglois  qu'ils  n'etoient  pas  rois  de  la  mer  (1).  » 
Richelieu  n'avait  pas  oublie  le  sanglant  outrage  es- 
suye  par  Sully,  outrage,  «  qui  perca  le  coeur  aux 
»  bons Francois  (2).  »  line  negligea  rien  pourmettre 
la  France  a  1'abri  de  pareils  affronts.  II  fit  construire 
des  vaisseaux  et  il  etablit  a  Brouage,  au  Havre  et  a  Mar- 
seille des  fonderies  de  canons  pour  les  arnier.  Le  port 
de  Brest,  agrandi  et  fortifie,  assura  un  asile  a  la  flotte 
de  1'Ocean,  pendant  que  celle  de  la  Mediterranee  trou- 
vaitde  nombreux  havres  sur  les  cotes  de  la  Provence. 
Richelieu  chargea  MM.  d'lnfreville  et  de  Seguiran 
de  visiter  les  cotes  de  France  (3)  et  de  travailler  a 
detruire  les  droits  feodaux  que  les  seigneurs  riverains 
de  1'Ocean  et  de  la  Mediterranee  pretendaient  conser- 
ver  sur  la  navigation.  En  qualite  de  surintendant  de 
lanavigation,  il  s'efforc,ait de rarnenerTadministration 
maritime  a  1'unite.  Des  1 626,  Malherbe  etait  frappe  de 
la  grandeur  des  projetsde  ce  ministre  et  des  resultats 
qu'il  avait  obtenus  :  «  L'espace  d'entre  le  Rhin  et  les 
Pyrenees,  ecrivait-il  aM.  de  Mentin  (4),ne  lui  semble 
pas  un  assez  grand  champ  pour  les  fleurs  de  lis.l 

(1)  Mem.  de  Richelieu,  t.  V,  p.  201. 

(!)  Testam.  politique,  2C  partie,  ch.  9 ,  §  5.  —  Voy.  plus  haul, 
p.  264. 

(3)  Leur  rapport  a  ete  publie  dans  le  tome  HI  de  la  Correspon- 
dence de  Sourdis,  qui  fait  partie  de  la  collection  des  Documents 
inedits  dc  L'histoire  de  France. 

(li)  Lettre  de  Malherbe  &  M.  dc  Mentin,  en  date  du  14  octobre 


PLOTTES    EQUIPfcES.  305 

veut  qu'elles  occupent  les  deux  Lords  de  la  mer. 
Mesurez  a  Fetendue  de  ses  desseins  Fetendue  de  son 
courage.  » 

Richelieu  equipa,  en  effet,  deux  flottes,  Tune  sur 
FOcean,  forte  de  soixante  vaisseaux  (1),  1'autre  sur  la 
Mediterranee,  composee  de  vingt  galeres  et  de  vingt 
vaisseaux  ronds  (2).  La  premiere  forc.a  les  Anglais  de 
respecter  le  pavilion  de  la  France  et  de  reconnaitre 
la  liberte  des  mers  (3) ;  la  seconde  balance  sur  la 
Mediterranee  la  puissance  des  Espagnols.  L'etablis- 
seinent  des  classes,  ou  inscription  maritime,  assura, 
des  1637,  le  recrutement  de  Farmee  de  mer,  si  Ton 
en  croit  le  pere  Daniel  dans  son  Histoire  de  la  mi- 
lice  fran$aise.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  les  Espa- 
gnols furent  chasses  des  iles  Sainte-Marguerite  et 
Saint-Honorat ;  Sourdis ,  archeveque  de  Bordeaux , 
les  vainquit  en  plusieurs  rencontres,  et  entre  autres 
a  Galtari,  en  Biscaye  (1 638),  puis  il  alia  sur  les  cotes 
du  Portugal  provoquer  Finsurrection  de  ce  pays 
contre  les  Espagnols  (1640). 

De  pareilles  creations  expliquent  et  justifient  Fac- 
croissement  des  impots.  Au  moment  ou  Richelieu  prit 
la  direction  des  affaires,  la  situation  des  finances  etait 
deplorable.  Colbert ,  dans  un  memoire  adresse  a 
Louis  XIV  (4),  leprouveenexposantl'administration 
des  finances  de  1610  a  1630.  «Nous  avons  vu,dit-il, 

(1)  Testament  politique,  lrc  par  tie,  chap.  1. 

(2)  Ibidem. 

(3)  Memoir es  de  Richelieu,  tome  V,  p.  201-202. 

(U)  Ce  Memoire,  dont  je  public  ici  une  partie  ineYlile,  est  nnto- 
graphe  et  se  trouve  parmi  les  manuscrits  de  la  Bibl.  imp.,  S.  Fr., 
n°  3695. 


306  ADMINISTRATION   DBS   FINANCES. 

pendant  les  vingt  premieres  ann6es  depuis  la  mort 
de  Henri  IV  (1610-1630)  (1),  les  surintendants  se 
gorger  de  biens,  et,  a  leur  exemple,  tous  les  gens  de 
finances,  ou,  s'ils  etoient  gens  de  bien,  ils  n'avoient 
pas  assez  de  penetration  pour  connoitre  les  abus, 
malversations,  vols  et  dissipations  qui  se  commet- 
toient  sous  leur  autorite,  en  sorte  que  1'foat  etoit 
toujours  en  necessite,  et  il  se  trouve  meme  que  1'in- 
suffisance  des  surintendants  a  ete  presque  toujours 
plus  prejudiciable  a  1'Etat  et  aux.peuples  que  leurs 
vols  personnels,  vu  qu'il  n'y  a  jamais  eu  de  temps  ou 
les  surintendants  aient  paru  plus  gens  de  bien  que 
depuis  1618  jusqu'en  1630  (2),  et  neanmoins,  outre 
que  les  subalternes  s'enrichirent  prodigieusement,  il 

(1)  Colbert  a  raye  ici  un  passage  que  je  crois  devoir  reproduire 
en  note  :  «  La  liberalite  et  la  magnificence  de  Marie  de  Medicis  dans 
quelques  affaires  quilui  survinrent,  au  commencementde  sa  regence, 
dissiperent  en  peu  d'annees  les  dix-huit  millions  de  livres  que  Hen- 
ri IV  avoit  amasses  et  qui  etoient  en  reserve  a  la  Bastille.  Depuis  ce 
temps-la,  les  guerres  de  M.  le  Prince  et  quelques  soulevements  des 
huguenots  ayant  oblige"  la  regente  a  entretenir  un  nombre  de 
troupes  assez  considerable,  et  les  manages  de  France  et  d'Espagne 
etant  survenus,  les  defenses  commencerent  a  exceder  les  revenus 
ordinaires  de  1'fttat,  et  par  consequent  a  obliger  les  surintendants  a 
avoir  recours  a  des  moyens  extraordinaires  pour  y  fournir.  Depuis, 
la  nouvelle  faveur  de  M.  de  Luynes,  apres  qu'il  se  fut   etabli  sur  la 
ruine  de  la  reine-mere,  ne  lui  donna  le  temps,  pendant  cinq  a  six 
annees  qu'elle  dura,  que  de  vaquer  a  ses  affaires  particulieres,  sans 
penser  a  reme"dier  aux  de"sordres  des  finances  qui  e"toient  dej^  assez 
considerables. »  II  est  facile  de  voir'pour  quel  motif  Colbert  a  sacrifie 
ces  details  precis  sur  les  abus  financiers  des  premieres  annees  de 
Louis  XIII :  la  reine-mere  s'y  trouvait  trop  directement  blamee. 

(2)  Les  surintendants  pendant  cette  periode  furent  le  president 
Jeannin,  Schomberg,  La  Vieuville,  Bochart  de  Champigny,  Michel 
de  Marillac  et  d'Effiat.  On  trouvera  dans  1'Appendice  n°  III  une 
notice  sur  les  surintendants  des  finances,  de  159/i  ft  1653;  elle  est 

des  Me"moires  inedits  d' Andre  d'Ormesson. 


ADMINISTRATION   DBS    FINANCES.  307 

se  trouva  que  dans  1'espace  de  douze  annees  Ton 
avoit  aliene  pour  dix-huit  millions  de  livres  derevenu 
en  droits  sur  les  tallies  a  prendre  sur  les  peuples,  en 
sorte  que  les  tallies  ne  se  trouvant  monter  en  1618 
qu'a  vingt  millions  de  livres,  ou  moins,  se  trouverent 
a  trente  huit  millions  en  1630. 

«  Cette  prodigieuse  surcharge  des  peuples  tour- 
noit  seulement  au  profit  de  quelques  particuliers  et 
nonala  decharge  des  depenses  de  1'fitat,  outre  Taug- 
mentation  de  gages  et  la  creation  d'une  infinite  d'offi- 
ciers  de  toute  sorte.  Mais,  apres  ces  vingt  annees 
expirees,  le  changement  des  qualites  de  1'esprit  des 
personnes  choisies  pour  remplir  ce  poste  n'a  pas 
change^  le  destin  de  1'fitat.  Au  contraire,  Ton  a  com- 
mence de  voir  une  partie  de  leurs  maximes  s'etablir 
dans  leurs  esprits  et  dans  leur  conduite,  et  prendre 
telles  forces  par  succession  de  temps,  qu'elles  ont 
passe  pour  indubitables.  Ces  maximes  ont  etc  : 

«  Que  ce  royaume  ne  pouvoit  subsister  que  dans  la 
confusion  et  le  desordre ; 

«  Que  le  secret  des  finances  consistoit  seulement  a 
faire  et  defaire,  donner  des  gages  et  des  honneurs 
nouveaux  aux  anciens  officiers,  en  creer  de  nouveaux 
de  toute  sorte  et  de  toutes  qualites,  aliener  des  droits, 
des  gages,  des  rentes,  les  retrancher  et  les  re"tablir; 

«  Faire  payer  des  taxes  sur  toute  sorte  de  pre- 
textes  ; 

«  Augmenter  les  droits  des  fermes  et  les  tailles, 
les  aliener,  retrancher,  retirer  et  aliener  de  nou- 
veau  ; 


308  ADMINISTRATION   DES    FINANCES. 

«  Consommer  pour  les  depenses  d'une  annee  les 
recettes  ordinaires  et  extraordinaires  de  deux  sui- 
vantes  ; 

«  Donner  de  prodigieuses  remises,  non-seulement 
pour  les  affaires  extraordinaires,  mais  meme  pour  le 
recouvrement  des  revenus  ordinaires,  dont  les  remi- 
ses et  les  interets  des  avances  consommoient  toujours 
plus  de  la  moitie; 

«  Donner  moyen  aux  tresoriers  de  1'epargne  et 
autres  comptables,  fermiers  et  traitants,  de  faire  des 
gains  prodigieux,  soutenant  que  la  grandeur  de  1'E- 
tat  consistoit  a  avoir  un  petit  nombre  de  personnes 
qui  pussent  fournir  des  sommes  prodigieuses  et  qui 
donnassent  de  1'etonnement  a  tous  les  princes  etran- 
gers; 

«  Negliger  les  fermes  et  recettes  generates,  en 
quoi  consistent  les  revenus  ordinaires  pour  s'appli- 
quer  entierement  a  des  affaires  extraordinaires. 

«  Ces  pernicieuses  maximes  etoient  etablies  de 
sorte  que  les  plus  habiles  et  les  plus  eclaires  dans  le 
gouvernement  de  1'Etat  estimoient  qu'en  une  matiere 
si  delicate  1'experience  d'une  autre  conduite  etoit 
plus  dangereuse  que  le  mal  meme  que  Ton  souf- 
froit. 

«  II  ne  faut  pas  s'etonner  si  les  surintendants  re- 
gloient  leur  conduite  sur  ces  maximes,  vu  qu'ils  y 
trouvoient  deux  avantages  considerables,  le  premier 
que  dans  cette  con  fusion  et  ce  desordre  ils  trouvoient 
beaucoup  de  facilite  a  s' enrich ir  et  a  faire  des  graces 
considerables  a  leurs  parents,  a  leurs  amis  et  a  tou- 
tes  les  personnes  de  la  cour,  des  bons  offices  des- 


ADMINISTRATION   DES   FINANCES.  209 

quels  ils  avoient  besoin  pour  se  conserver  ail  milieu 
cle  tous  leurs  desordres,  et  le  second  qu'ils  etoicnt 
persuades  que  cette  conduite  rendoit  leur  ministere 
necessaire  et  que  Ton  ne  sauroit  prendre  la  resolu- 
tion de  les  changer. » 

Le  jugement  severe  que  porte  Colbert  sur  radmi- 
nistration  des  finances  s'applique  a  tout  le  regne  de 
Louis  XIII.  Cependant  on  ne  doit  pas  oublier  quel- 
ques  mesures  utiles   adoptees  par   Richelieu.    Des 
1625,  il  fit  dresser  un  etat  des  finances  qui  consta- 
tait  la  situation  reelle  du  tresor  (1 ) .  Le  budget  ainsi 
dresse  par  ordre  du  cardinal,   montra  que  le  deficit 
s'elevait  a  plus  de  trente  millions.  Les  charges  enor- 
mes  de  Tentretien  de  cinq  armees  de  terre  et  de  deux 
flottes,  les  subsides  payes  aux  allies  de  Suede   et 
d'Allemagne,  expliquent  1'accroissement  des  impots 
dont  se  plaignaient  vivement  les  contemporains  : 
«  On  met  ici  de  nouveaux  impots  sur  tout  ce  qu'on 


(1)  Bibl.  de  I'Universite,  ms.  Miscellanea,  ff,  I,  l\k.  En  void  le 
d6but :  «  Le  roy  s'e"tant  faict  representer  en  son  conseil  les  estats  de 
la  valeur  de  ses  finances  pour  aviser  a  ce  que  S.  M.  peut  tirer  des 
ge'neralite's  de  ce  royaume,  m£me  de  la  generality  de  Paris,  pour 
subvenir  aux  depenses  qu'il  lui  convient  faire  durant  la  pre'sente 
anne"e  1625,  tant  pour  la  conservation  de  son  Estat ,  entretenement 
de  sa  maison  que  plusieurs  graves  et  ne"cessaires  defenses ;  apres 
avoir  reconnu  qu'ci  cause  des  alienations  cy-devant  faites  par  les  rois 
ses  pre'de'cesseurs  de  toutes  les  parts  et  portions  de  son  domaine, 
aides  et  subsides,  meme  des  grandes  charges  estant  sur  le  principal 
de  ses  tailles  ordinaires  et  crues  (surtaxes)  y  jointes ,  desquelles  ne 
lui  scauroit  venir  le  quart,  au  moyen  de  quoi  S.  M.  auroit  encore  este* 
contrainte  ordonner  le  reculement  pour  demiG-anne"e  des  rentes  as- 
sign6es  sur  les  recettes  particulieres  desdites  tailles  et  recettes 
generales  de  ce  royaume,  S.  M.  estant  en  son  conseil,  a  ordonne'  et 
ordonneque  toutes  lettres  et  provisions  necessaires  serontexpe"diees 
pour  Tex6cution  et  observation  du  present  estat,  » 

I.  21 


310  ACCR01SSEMENT    DES    1MPOTS. 

peut,  ecrivait  Guy  Patin  a  la  fin  de  1637,  entre  au- 
tres  sur  le  sel,  le  vin  et  le  bois;  j'ai  peur  qu'enfin 
on  n'en  mette  sur  les  gueux  qui  se  chauffent  au  so- 
leil.  » 

Cette  boutade  d'un  esprit  chagrin  ne  detruit  pas 
1'assertion  de  Richelieu,  qui,  apres  avoir  enuroer6 
les  charges  de  1'Etat,  s'elevant  a  soixante  millions, 
se  vante  d'y  avoir  pourvu,  «  sans  toucher  au  revenu 
des  particuliers,  et  meme  sans  demander  aucune 
alienation  du  fonds  du  clerge...  Ainsi  soixante  mil- 
lipns  de  depenses  par  an,  cent  cinquante  mille  hom- 
mes  de  pied,  tant  pour  les  armees  que  pour  les  gar- 
nisons  des  places,  et  plus  de  trente  mille  chevaux, 
seront  a  la  posterite  un  argument  immortel  de  la 
puissance  de  cette  couronne  (1).  » 

Le  Testament  politique  de  Richelieu  prouve  que 
meme  en  matiere  de  finances,  il  avait  sur  ses  contem- 
porains  une  superiorite  reelle.  II  avait  etudie  toutes 
les  sources  du  revenu  public  :  1'impot,  le  credit  et  le 
commerce.  Pour  les  impots,  il  aurait  voulu  diminuer 
la  taille  qui  ecrasait  les  classes  pauvres,  et  augmen- 
ter  les  (tides  qui  pesaient  egalement  sur  le  riche  et 
surle  pauvre  (2).  Cette  idee  fut  en  partie  realisee  par 
Colbert. 

Richelieu  comprit  un  des  premiers  la  theorie  du  crd- 
dit  public.  II  ne  voulait  pas,  comme  Sully,  entasser 
des  millions  dans  les  caves  de  la  Bastille.  Les  ein- 

(1)  Testament  politique,  lre  partie,  chap.  1.  Je  n'ai  pas  parle  de 
mesures  qui  n'ont  aucune  importance  pour  1'histoire  de  1'adininis- 
tration,  comme  la  vente  des  offices,  etc.  Elles  sont  6num6r6es  dans 
Forbonnais,  Recherches  sur  les  finances. 

(2)  Testament  polUicjue,  2e  partie,  ch.  9,  §  7. 


PROJBT8   DE   RICUEI4KU.  3 

prunts  a  un  taux  modere  etaient  a  ses  yeux  une  res- 
source  utile,  et,  voulant  assurer  le  credit  public,  il 
condamnait  la  banqueroute  et  le  remboursement  des 
rentes  au  prix  d'achat  (1).  Enfin,  il  se  proposait  de 
creer  un  fond  d'amortissement^  au  moyen  duquel  il 
eutaequitte  en  septans  la  dette  nationale  (2).  Ce  fut 
encore  une  idee  feeonde  dont  il  legua  la  realisation  a 
I'aveuir.  Mais  du  moins  il  put  s'occuper  immediate- 
ment  du  commerce,  et  il  s'efforca  de  lui  ouvrir  de 
nouveaux  debouches. 

Dans  I'assemblee  des  notables  de  1626,  Richelieu 
avait  developpe  des  idees  favorables  a  1'industrie. 
«  Comme  apres  avoir  jete  les  yeux  sur  les  defauts  de 
la  France,  il  a  reconnu  qu'il  ne  s'y  pouvoit  remedier 
que  par  le  retablissement  du  commerce,  il  s'est  re- 
solu  sous  Tautorite  du  roi,  d'y  travailler  a  bon  escient, 
et,  par  1'entretenement  d'un  suffisant  nombre  c!e  vais- 
seaux,  rendre  les  armes  de  S.  M.  redoutables  aux 
lieux  ou  le  nom  de  ses  predecesseurs  a  bien  a  peine 
ete  connu(3).  »  Richelieu  voulait,  suivant  1'usage  du 
temps,  proteger  le  commerce  par  des  mesures  prohi- 
bitives  et  eu  favoriser  le  developpement  par  1'organi- 
tion  des  compagnies  que  Ton  voyait  alors  s'etablir  en 
Hollande  et  en  Angleterre  (4).  Le  gouvernement  en- 
couragea,  en  effet,  retablissement  de  ces  associa- 
tions (5).  Des  1626,  on  vit  s'etablir  la  compagnie 

(1)  Testament  politiquc,  2C  partie,  ch.  9,  §  7. 

(2)  Ibidem. 

(3)  Lettre  de  Malherbe  a  M.  de  Mentin,  14  octobre. 

(4)  Mtrn.  de  Richelieu,  t.  XXHI,  p.  258,  2e  s^rie  de  la  collect. 
Petitot. 

(5)  Anciennes  lois  franc.,  t.  XVI,  p.  216,  347,  415,  540. 


312  COMPAGN1ES    DE    COMMERCE. 

du  Morbihan,  composee  de  cent  associes  auxquels 
on  avait  cede  le  pays  de  Morbihan  avec  le  mono- 
pole  du  commerce  dans  le  Canada  et  les  iles  de  1'A- 
merique.  «  Le  bruit  de  cet  evenement  alarmoit  deja 
les  Anglois  et  les  Hollandois ,  »  dit  Richelieu  dans 
ses  memoires ;  mais  le  parlement  de  Rennes  ayant 
refuse  d'enregistrer  les  clauses  relatives  a  la  ces- 
sion du  Morbihan,  la  compagnie  fut  dissoute  apres 
deux  ans  de  vaines  tentatives  (1628).  Elle  futbientot 
remplacee  par  une  compagnie  des  Indes  occidentales, 
qui  s'occupa  de  la  colonisation  du  Canada,  du  com- 
merce des  pelleteries,  et  fonda  des  comptoirs  dans  les 
iles  des  Antilles,  a  Saint-Domingue,  a  Saint-Christo- 
phe,  a  la  Barbade,  etc.  (1).  Les  anciens  traites  de 
la  France  et  de  la  Turquie  furent  confirmes  (2),  et 
des  consuls  etablis  dans  les  echelles  du  Levant.  Des 
relations  furent  ouvertes  avec  la  Perse  (3).  Richelieu 
envoya  sur  la  cote  de  Barbaric  du  Chalard  et  le  com- 
mandeur  de  Rasilly  qui  signerent,  en  1601 ,  un  traite 
avec  le  souverain  du  Maroc  (4).  Toutes  les  denrees 
qui  pouvaient  faire  1'objet  d'importations  ou  d'expor- 
tations  avaient  ete  pour  Richelieu  1'objet  d'etudes  spe- 
ciales.  Ce  ministre  ne  negligea  pasmeme  la  Moscovie, 

(1)  Anciennes  Lois  franc.,  t.  XVI,  p.  3A7,  415 ,  540. 

(2)  Cimb.  et  Danjou,  Archives  curieuses  de  I'histoire  de  France, 
2e  serie,  t.  Ill,  p.  387. 

(3)  «  Le  roi  Louis  XIII  envoya  le  sieur  de  Saint-Memein  vers  le 
roi  de  Perse  pour  avoir  et  entretenir  des  facteurs  et  correspondants 

f  rangois  a  Bassora,  Alep  et  autres  lieux  de  ce  pays-lft  avec  ceux  de 
Marseille.  »  (Thorn.  Le  Fevre,  Discours  sommaire  du  commerce.) 
L'auteur  place  a  tort  Alep  en  Perse;  Bassora  avait  616  enlevee  aux 
Turcs  par  Shah-Abbas,  qui  re"gna  en  Perse  jusqu'en  1628. 

(4)  Archives  curieuses,  2e  serie,  t,  III,  p.  375, 


COMMERCE    ENCOURAGE.  313 

regardce  a  ectte  epoque  comme  un  pays  b'arbare 
etrangera  1'Europe  (1). 

A  I'interieur,  il  multiplia  les  moyens  de  commu- 
nication et  de  transport,  acheva  le  canal  de  Briare  (2) ; 
rendit  navigables  les  rivieres  d'Ourcq,  de  Velle,  de 
Chartres,  de.Dreuxet  d'Etampes  (3).  Les  loisde  cette 
epoque  attestent  que  1'administration  ne  negligea  ni 
les  etablissements  industriels  (4),  ni  1'exploitation  des 
mines  (5) ,  ni  le  dessechement  des  marais  (6) .  Riche- 
lieu organisa  le  service  des  postes  (7).  Pendant  la 
minorite  de  Louis  XIII,  M.  d'Almeras,  qui  etait  con- 
troleur-general  des  postes,  avait  organise  un  service 
de  courriers  qui  partaient  a  des  heures  determinees 
et  transportaient  les  lettres  dans  toutes  les  parties  de 
la  France,  moyennant  une  certaine  retribution.  Ce 
service  fit  aux  messagers  de  1'Universite  une  concur- 
rence dont  le  public  profita.  En  1627,  les  prix  de 
transport  furent  fixes  par  ordonnance,  an  lieu  d'etre 
laisses,  comme  auparavant,  a  1'arbitraire  des  direc- 
teurs  des  postes. 

Le  cardinal-ministre  etait  le  protecteur  naturel  de 
la  religion;  mais  il  s'acquitta  de  ce  devoir  avec  la 
haute  intelligence  qui  le  caracterise.  II  respecta  la  li- 
berte  de  conscience,  ne  tenta  pas  d'imposer  aux  pro- 
testants  1'uniformite  de  religion,  et  brava  les  attaques 


(1)  Testament  politique,  2e  partie,  ch.  9,  §  6. 

(2)  Andenncs  Lois  franc.,  t.  XVI,  p.  488. 


(Zi)  /6id.,p.  547. 

(5)  Ibid.,  p.  183. 

(6)  1  bid.,  p.  500. 

(7)  Ibid.,  p.  158  et  350. 


M  4  TOLERANCE   BE   RICHELIEU. 

cles  devots  fanatiques  qui  le  traitaient  de  cardinal  de 
la  Rochelle,  et  de  pape  des  huguenots.  Prince  de  1'E- 
glise,  Richelieu  ne  craignit  pas  de  separer  les  interets 
temporelsde  la  France  des  questions  religieuses;  il 
rechercha  1'alliance  des  protestants  de  la  Hollande, 
de  la  Suede  et  de  1'Allemagne  contre  la  maison  d'Autri- 
che,  et  rassura  la  conscience  du  roi,  dont  le  cardinal 
de  Berulle  excitait  les  scrupules.  A  1'occasion  de 
quelques  differends  avec  le  Saint-Siege,  il  fit  defendre 
de  recevoir  les  brefs  de  Rome  (1).  Mais  en  meme 
temps  il  recommandait  au  roi  de  remplir  «  les  eve- 
ches  de  personnes  choisies,  sages  et  capables  (2).  » 
II  protegeait  les  monasteres  dignes  de  leur  mission 
religieuse,  tout  en  recommandant  de  moderer  un 
zele  irreflechi  qui  en  multipliait  le  nombre  et  deve- 
nait  dangereux  pour  la  societe  (3) .  Plus  soucieux  de 
la  tranquillite  publique  que  des  droits  de  la  pensee, 
il  s'efforc,ait  d'etouffer  dans  leur  berceau  les  sectes 
nouvelles,  et  faisait  enfermer  a  Yincennes,  1'abbe  dc 
Saint-Cyran,  un  des  apotres  du  jansenisme  (4). 

Les  lettres  durent  beaucoup  sans  doute  au  fonda- 
teur  de  1'imprimerie  royale  (5)  et  de  1'Academie  fran- 
(}aise  (6) ;  au  proviseur  de  Sorbonne,  qui  rebatit  cet 
ancien  sanctuaire  de  la  theologie  (7),  et  en  fit  le  con- 

(1)  Andennes  loi  fran^.,  t.  XVI,  p.  525. 

(2)  Mdm.  de  Richelieu,  livre  XX. 

(3)  Testam.  politique,  lre  partie,  ch.  2,  §  8. 

(A)  Sainte-Beuve,  Histoirc  de  Port-Royal,  livre  II,  ch.  6. 

(5)  Trichet  de  Frene  6tait  correcteur  de  1'imprimerie  royale ,  Cra- 
moisi  en  etait  1'imprimeur  et  Sublet  de  Noyers  en  avail  la  surintcn- 
dance. 

(6)  Andennes  lois  franc. ,  XVI,  p.  418. 

(7)  «  La  depense  qu'il  fait  aujourd'hui  pour  rebatir  la  Sorbonne 


LETTRES    ET    ARTS    PROTEGES.  315 

die  permanent  des  Gaules.  II  etablit  une  ecole  mili- 
tairepour  lajeune  noblesse  (1),  et  un  hospice  pour 
les  invalides  (2) .  II  crea  le  Jardin  des  Plantes  soumis  a 
1'inspcction  du  premier  medecin  du  roi  (3) .  Le  Luxem- 
bourg fut  acheve;  le  Palais  Cardinal  (i),  leTheatre- 
Francais,  le  Val-de-Grace ,  Saint-Roch,  s'eleverrnf 
pendant  1'administration  de  Richelieu.  Heureux  s'il 
n'eut  pas  joint  a  son  zele  pour  les  lettres  des  preten- 
tions  au  merite  poetique  et  des  sentiments  de  ines- 
quine  rivalite  qui  le  rendirentinjuste  pour  CorneiHe! 
Mais  ces  faiblesses  de  poete  ne  peuvent  faire  oublier 
les  merites  du  ministre,  et  la  posterite  a  contirme 
avec  raison  le  jugement  d'un  contemporain,  qui,  des 
1635,  s'exprimait  en  ces  termes  (5)  :  «  Lorsque  dans 
deux  cents  ans,  ceux  qui  viendront  apres  nous  liront 
que  le  cardinal  de  Richelieu  a  demoli  la  Rochelle  et 
abattu  1'heresie,  et  que,  par  un  seul  traite,  comuie 
un  coup  de  rets,  il  a  pris  trente  ou  quarante  de  ses 
villes  pour  une  fois;  lorsqu'ils  apprendront  que,  du 

de  fond  en  comble,  qui  ne  s'eloignera  guere  de  cent  mille  ecus,  esl 
assez  considerable  pour  ne  pas  etre  oubli6e  en  Ire  les  marques  de  sa 
ge"nerosite.  »  Lettre  de  Malherbe  a  M.  de  Mentin ,  14  oclobre 
1626. 

(1)  Ancicnnes  lois  franf.,  t.  XVI,  p.  466. 

(2)  Ibid.,  p.  386. 

(3)  Ibid.,  p.  547. 

(4)  Corneille  exprime  radmiration  des  contemporains  poifr  le 
Palais  Cardinal,  lorsqu'il  dit  (Mentcur,  acte  II,  scene  I)  : 

«  Et  Tunivers  en  tier  ne  peut  rien  voir  d'dgal 

Aux  superbes  dehors  du  Palais  Cardinal. 

Toute  une  ville  entiere,  avec  pompe  batie, 

Semble  d'un  vieux  foss6  par  miracle  sortie, 

Et  nous  fait  prdsumer,  a  ses  superbes  toits, 

Que  tous  ses  habitants  sont  des  dieux  ou  des  rois.  » 

(5)  Voiture,  Lettres,  t.  I,  pages  177-J78,  de  l'6dition  de  172U. 


316  ELOGE    DE    RICHELIEU. 

temps  de  son  ministere,  les  Anglois  ont  etc  battus  et 
chasses,  Pignerol  conquis,  Casal  secouru,  toute  la 
Lorraine  jointe  a  cetie  couronne,  la  plus  grande  par- 
tie  de  1'Alsace  mise  sous  notre  pouvoir,  les  Espagnols 
defaits  a  Veillane  et  a  Avein,  et  qu'ils  verront  que 
tantqu'il  a  preside  a  nos  affaires,  la  France  n'a  pas 
eu  un  voisin,  sur  lequel  elle  n'ait  gagne  des  places  ou 
des  batailles ,  s'ils  ont  quelques  gouttes  de  sang 
franc,ois  dans  les  veines  et  quelque  amour  pour  la 
gloire  de  leur  pays,  pourront-ils  lire  ces  choses  sans 
s'affectionner  a  lui,  et  1'aimeront-ils  ou  1'estimeront- 
ils  moins,  a  cause  que,  de  son  temps,  les  rentes  sur 
l'H6tel-de-Ville  se  seront  payees  un  peu  plus  tard,  et 
que  Ton  aura  mis  quelques  nouveaux  oiliciers  dans 
la  chambre  des  comptes?  Toutes  les  grandes  cboses 
coutent  beaucoup.  » 

Toutefois  cette  posterite  equitable,  dont  Voiture 
annongait  et  exprimait  deja  le  jugement,  vint  assez 
tard  pour  Richelieu.  II  avait  provoque,  par  son  carac- 
tere  impitoyable  et  ses  executions  sanglantes,  un  de- 
chainement  qui  eclata  aussitot  apres  sa  mort.  Ceux 
qu'il  avait  fait  trembler  s'en  vengerent  par  des  chan- 
sons et  des  epigrammes  (1).  On  insulta  ses  parents 


(1)  De  tous  les  vers,  la  plupart  detestables ,  composes  contre  le 
cardinal  apres  sa  mort ,  les  suivants  sont  peut-etre  les  seuls  qui 
meritent  d'etre  conserves : 

«  II  est  pass6,  il  a  pli^  bagage 
Ce  cardinal;  dont  c'est  grand  dommage 
Pour  sa  maison ;  c'est  comme  je  1'entends. 
Car,  pour  autrui,  mains  hommes  sont  contents, 
En  bonne  foi,  de  n'en  voir  que  1'image. 
Sous  sa  favour  s'enrichit  son  lignagQ 


RICHELIEU    DEFENDU    PAR  MAZARIN.  347 

qu'ilavaitcomblesdefaveurs,la  duchessed'Aiguillon, 
lemareehal  de  la  Meilleraye  et  le  marechal  de  Breze. 
Mazarin  s'honora  en  se  declarant  hautement  1'admi- 
rateur  de  Richelieu  et  le  defenseur  de  sa  famille.  II 
ecrivait  le  28  mai  1643  au  marechal  de  Breze  alors  a 
Angers,  dont  il  etait  gouverneur  (1)  : 

«  Monsieur,  bien  que  ne  pusse  recevoir  de  douleur 
plus  sensible  que  d'ouir  dechirer  la  reputation  de 
M.  le  cardinal,  si  est-ce  que  je  considere  qu'il  faut 
laisser  prendre  cours,  sans  s'en  emouvoir,  a  cette  in- 
temperance d'esprit  dont  plusieurs  Francois  sont  tra- 
vailles.  Le  temps  fera  raison  a  ce  grand  homme  de 
toutes  ces  injures,  et  ceux  qui  le  blament  aujourd'hui 
connoitront  peut-etre  a  1'avenir  combien  sa  conduite 
eut  ete  necessairepour  achever  la  felicite  de  cet  Etat, 
dont  il  a  jete  tous  les  fondements.  Laissons  done  eva- 
porer  en  liberte  la  malice  desesprits  ignorants  ou  pas- 
sionnes,  puisque  1'opposition  ne  serviroit  qu'a  Tirri- 
ter  davantage,  et  consolons-nous  par  les  sentiments 
qu'ont  de  sa  vertu  les  etrangers  qui  en  jugent  sans 

Par  dons,  par  vols,  par  fraude  et  manages. 
Mais  aujourd'hui  ce  n'est  plus  temps; 
II  est  passe". 

»  Or  parlerous  sans  crainte  d'estre  en  cage ; 
II  est  en  plomb  Imminent  personnage 
Qui  de  nos  maux  a  ri  plus  de  vingt  ans. 
Le  roi  de  bronze  en  eut  le  passe-temps, 
Quand  sur  le  pont,  a  (avec)  tout  son  attelage, 
II  est  passe".  » 

On  attribuait  &  Paul  Scarron  ce  rondeau,  que  j'ai  tire  des  M&uoires 
inedits  d'Andr6  d'Ormesson  (f°  216,  v°).  Selon  d'autres ,  il  avail  <He 
compose  par  un  maitre  des  comptes  nomm6  Miron. 

(1)  Cette  lettre  in^dite  se  trouve  dans  un  recueil  manuscrit  des 
lettres  de  Mazarin,  Bibl  Mazarine,  n°  1719, 


318  RICHELIEU  D£FENDU  PAR  MAZARIN. 

passions  et  avec  lumiere.  Ce  que  vous  m'ecrivez 
meme  de  la  sedition  qui  a  failli  plusieurs  fois  a  s'ex- 
citer  a  Angers  est  une  preuve  du  bien  que  causoit  le 
seul  nom  et  la  seule  autorite  de  cet  incomparable  mi- 
nistre.  On  a  ici  delibere  sur  les  remedes  qu'il  falloit 
apporter  a  ce  desordre;  de  quoi  le  secretaire  d'Etat 
qui  a  le  departementderAnjouvousinformera.  Quant 
a  moi,  vous  devez  faire  un  etat  certain  que  je  ne  per- 
drai  jamais  occasion  de  vous  servir,  et  que  ce  que  je 
dois  a  la  mernoire  deM.  le  cardinal  m'etant  pluscber 
que  la  vie,  et  1'estime  que  je  fais  de  votre  merite  ne 
pouvant  etre  plus  grande,  ces  deux  considerations 
in'obligeront  toujours  a  desirer  avec  passion  de  vous 
pouvoir  faire  paroitre  que  personne  n'est  plus  verita- 
ble que  moi.  » 

Je  n'ajouterai  qu'un  mot  :  c'est  qu'un  ministre  qui 
a  rendu  les  plus  grands  services  a  la  France,  Col- 
bert, invoquait  sans  cesse  1'autorite  de  Richelieu, 
et  cherchait  a  s'inspirer  des  principes  de  sa  politique 
dans  le  gouvernement  interieur. 


APPENDICE. 


Les  trois  morceaux  qui  composent  cet  appendice  sont  ti- 
res des  memoires  autograpbes  et  inedits  d'Andre  Leievre 
d'Ormesson  (1).  Le  premier  est  la  biographic  de  son  pere, 
Olivier  d'Ormesson;  elle  montre  comment  le  travail  et  1'in- 
telligence  eleverent,  au  xvie  siecle,  des  hommes  du  tiers- 
etat  aux  plus  hautes  dignites.  Le  second  morceau  retrace 
1'organisation  du  conseil  d'Elat,  et  contient  les  reglements 
qui  1'ont  constitue  sous  le  regne  de  Louis  XIII.  L'appen- 
dice  se  termine  par  une  notice  sur  les  surintendants  des  fi- 
nances del  594  a  1653. 


DISCOURS  DE  LA  VIE  DE  FEU  MESSIRE  OLIVIER  LEFEVRE, 

SEIGNEUR  D'ORMESSON  ,  D'EAUBONNE  ET  DE  LEZEAU  , 
CONSEILLER  DU  ROI  EN  SON  CONSEIL  D'ESTAT,  ET 
PRESIDENT  EN  LA  CHAMBRE  DES  COMPTES  DE  PARIS  (2)  , 

S'il  est  scant  a  un  fils  de  conserver  soigneusement  le  por- 
trait de  son  pere,  j'estime  qu'il  luy  est  encore  plus  seantde 
conserver  la  memoire  de  ses  moeurs  et  actions  principales. 
Le  premier  portrait  rapporte  seulement  les  traits  et  linea- 
ments du  visage;  mais  le  second,  rapportant  les  traits  et  li- 
neaments de  1'ame,  se  rend  d'autant  plus  precieux  que  le 
premier,  que  Tame  est  plus  precieuse  que  le  corps.  Que  si 

(1)  Manuscrits  de  la  Bibliolh.  publique  de  Rouen,  F.  Leber,  n°  5767. 

(2)  Memoires  d'Andre"  d'Ormesson,  f°  267  et  suiv. 


320 


APPENDICE    I. 


jamais  pere  a  merite  d'estre  aime  et  honore  de  ses  enfants, 
c'a  este  feu  M.  le  president  d'Ormesson,  mon  pere,  pour  sa 
bonte  et  indulgence,  et  pour  1'ardente  affection  qu'il  a  eue 
pour  leur  bonne  institution  et  advancement.  La  recognois- 
sance  done  et  le  sentiment  que  j'ai  eus  m'ont  oblige  de  con- 
server  precieusement  dans  mon  cabinet  et  a  ma  vue  deux 
tableaux  de  lui,  Tun  fait  en  sa  jeunesse  par  Janet,  peintre 
excellent,  et  1'autre  fait  en  sa  vieillesse  par  Dumontier,  et 
encore  de  composer  ce  discours  en  son  honneur,  qui  con- 
tientses  actions  principales,  ses  qualites  et  perfections  pour 
servir  de  patron  et  d'exemplaire  tres-digne  a  estre  propose 
et  mis  devant  les  yeux. 

Je  scais  bien  qu'il  y  a  assez  d'hommes  imprudents  qui, 
par  une  erreur  populaire,  preferent  la  noblesse  a  la  vertu, 
et  cachent  la  vraie  origine  de  leurs  peres  pour  paroislre  de 
meilleure  maison.  Quant  a  moy,  je  n'ai  pas  resolu  de  me 
conformer  a  leur  opinion,  ni  par  une  impertinente  ambi- 
tion derober  la  gloire  due  a  mon  pere,  et  le  despouiller 
d'une  verite  tres-honorable  pour  le  revestir  d'un  mensonge 
ridicule  et  injurieux.  Car  j'estime  que,  pour  le  bien  ho- 
norer,  la  verite  seule  luy  suffit.  Le  cours  de  sa  vie  se  trou- 
vera  enricbi  de  tant  de  grandes  et  signalees  rencontres,  que 
ceux  qui  lirontce  discours  souhaiteron-t  peut-estre  sa  bonne 
fortune  et  tascheront  d'imiter  ses  vertus  et  perfections.  Car 
estant  ne  d'une  famille  mediocre  en  extraction  et  en  biens, 
ayant  perdu  son  pere  a  cinq  ans,  sa  mere  remariee  deux 
ans  apres,  avoir  par  bons  moyens  amasse  des  biens  suifi- 
samment  et  estre  parvenu  a  des  charges  tres-honorables, 
est-ce  pas  un  bonheur  tres-grand  et  tres-rare?  N'est-ce  pas 
avoir  tire  sa  naissance  de  soi-mesme,  et  n'avoir  eu  que  son 
bras  droit  pour  son  pere?  Et  ce  qu'il  y  a  eu  de  plus  admi- 
rable et  comme  particulier  en  luy,  c'est  d'avoir  approche 
les  roys  sans  mediateur,  d'avoir  amasse  des  richesses  sans 


BIOG.  D'OLIV.  D'ORMESSON.  321 

avarice,  cPestre  parvenu  aux  grandes  charges  sans  ambi- 
tion, d'avoir  basti  une  bonne  maison  avec  peu  de  matiere, 
d'avoir  eu  beaucoup  de  prosperite  sans  orgueil,  d'avoir  ai- 
mant  la  douceur  et  la  tranquillite,  vescu  trente-cinq  ans 
de  suite  dans  la  cour,  fait  sa  retraite  vingt  ans  avant  mou- 
rir,  sans  aucune  disgrace  precedente,  d'avoir  vescu  soixante 
et  seize  ans  d'une  sante  tres-parfaite,  rarement  troublee  de 
maladies,  d'avoir  joui  en  repos  des  biens  qu'il  avait  amas- 
ses, d'avoir  receu  de  1'honneur  aux  charges  qu'il  a  exercees, 
d'avoir  faict  grande  quantite  d'amis  et  point  d'ennemis, 
d'avoir  habite  les  maisons  qu'il  avoit  basties,  s'estre  pro- 
mene  a  1'ombre  des  bois  qu'il  avait  plantes,  d'avoir  receu 
le  contentement  de  ses  enfants  qu'il  en  pouvoit  esperer. 

II  est  bien  vray  que  son  humilite,  son  bon  sens  et  sa  pru- 
dence luy  ontbien  aide  a  faire  venir  son  bonheur;  car  son 
humilite  naturelle  et  sa  courtoisie  luy  acquirent  force  amis 
et  le  deschargerent  d'envie.  Son  bon  sens  luy  faisoit  mepri- 
ser  les  vanites  et  rechercher  le  solide.  Sa  prudence  et  sa  sa- 
gesse  ont  borne  ses  desirs  et  retranche  ses  cupidites  aude- 
dans  de  sa  puissance ;  et  estant  heureusement  parvenu  au 
but  de  ses  intentions,  il  s'est  arreste  sans  passer  plus  avant; 
ce  qui  luy  a  acquis  le  souverain  bonheur  de  la  vie  hu- 
maine,  qui  consisteau  repos,  et  en  la  tranquillite  de  1'ame, 
qui  ne  craint  et  ne  desire  rien.  Car  il  disoit  fort  souvent 
qu'il  avoit  plus  de  biens  et  d'honneurs  qu'il  n'en  desiroit, 
et  que  Dieu,  de  la  bonte  duquel  il  reconnoissoit  tcnir  toute 
sa  bonne  fortune,  lui  avoit  fait  plus  de  graces  qu'il  n'en 
avoit  merite  et  espere. 

Ledit  messire  Olivier  Lefevre,  sieur  d'Ormesson,  duquel 
j'escris  la  vie,  naquit  a  Paris  le  jour  Saint-Andre,  et  fut 
baptise  en  Veglise  de  Saint-Germain-l'Auxerrois,  le  dernier 
jour  de  novembre  1 525;  et,  bien  qu'il  fit  un  froid  extresme, 
neanmoins  jamais  il  ne  pleura  et  ne  fit  aucun  cri  sur  les 


329  APPENDICP  I. 

fonts.  Cequi  fut  remarque  de  toute  1'assistance,  particulie- 
rement  de  son  pere  qui  1'ecrivit  sur  son  papier  baptistaire, 
que  j'ai  leu  plus  d'une  fois.  Mon  pere  nous  a  souvent  dit 
depuis  que  c'estoit  un  presage  certain  du  bonheur  et  de  la 
douceur  de  sa  vie,  et  prenoit  tousjours  le  jour  Saint-Andre 
pour  assembler  compagnie  et  payer  sa  feste,  et  se  resjouir  a 
cause  que  c'estoit  le  jour  de  sa  naissance. 

Le  pere  dudit  Olivier  avoit  nom  Jean  Lefevre,  lequel 
estoit  commis  au  greffe  civil  du  parlement  de  Paris,  tres- 
homme  de  bien  en  sa  charge  et  sur  lequel  1'argent  ne  pou- 
voit  rien.  Sa  mere  s'appeloit  Magdelaine  Gaudart,  fille  de 
Jacques  Gaudart,  procureur  en  la  chambre  des  comptes  de 
Paris.  De  leur  manage  naquirent  trois  garcons,  Nicolas, 
Jean  et  Olivier,  et  trois  filles,  Marguerite,  Anne  et  Jacque- 
line. Tous  ces  enfants  moururent  en  leur  jeunesse,  hormis 
Nicolas  et  Olivier  mon  pere.  Nicolas,  plus  age  de  deux  ans 
que  mon  pere,  avouoit  neanmoins  qu'il  tenoit  sa  fortune 
de  mon  pere,  son  frere  puisne,  comme  je  dirai  cy-apres. 

Quand  Jean  Lefevre  pere  mourut,  son  fils  Olivier  n'avoit 
que  cinq  ans ;  Magdelaine  Gaudart  sa  veuve  estoit  encore 
fort  jeune  et  se  remaria  au  bout  de  deux  ans  a  M.  Evrard. 
Comme  Olivier  Lefevre  eut  atteint  1'age  de  huit  ans,  il  fut 
mis  au  college  de  Navarre  avec  son  frere  aisne,  Nicolas,  et 
en  furent  tous  deux  retires  au  bout  de  trois  ans,  faute  de 
commodites  pour  les  y  entretenir ;  la  preud'hommie  de  son 
pere  estoit  cause  de  sa  pauvrete,  et  le  fut  apres  dela  bonne 
fortune  de  ses  enfants.  Car  Olivier  fut  mis  au  logis  d'un 
procureur  des  comptes  pour  apprendre  a  escrire  et  a  gaigner 
sa  vie,  et  m'a  souvent  montre  le  logis  et  y  demeuroit  lors- 
que  1'empereur  Charles-Quint  fit  son  entree  dans  Paris  Tan 
1 539,  et  nous  a  souvent  raconte  comment  1'empereur  entra 
entre  les  deux  enfants  du  grand  roy  Francois,  Henry  et 
Charles,  en  grande  magnificence.  Mon  pere  revenoit  de 


BIOG.  D'OUV.  D'ORMESSON.  323 

Verrieres,  village  a  quatre  lieues  de  Paris,  pour  chercher 
unc  nourrice  pour  la  femme  de  ce  procureur  qui  estoit  ac- 
couchee. 

Pendant  qu'il  demeuroit  chez  ce  procureur,  Me  Andre 
Blondel,  sieur  de  Roquancour,  tresorier  de  M.  le  dauphin 
Henry,  eut  affaire  d'un  commis,  et  s'adressa  a  son  procu- 
reur pour  luy  en  donner  un ;  deplusieurs  clercs  qu'il  avoit, 
la  bonne  fortune  tomba  sur  mon  pere,  qui  fut  choisi  par 
ledit  sieur  Roquancour,  le  trouvant  de  bonne  grace  et  qui 
escrivoit  fort  bien.  Ainsy  mon  pere  entra  au  service  dudit 
sieur  de  Roquancour,  et  par  ce  moyen  fut  con-nu  de  JU.  le 
dauphin  Henry,  qui  s'en  servit  fort  souvent,  et  commenca 
dcs  lors  a  Taimer,  et  Je  menoit  toujours  avec  luy  pour  payer 
sa  despense,  quand  il  alloit  en  poste  voir  messieurs  les  en- 
fan  ts  de  France,  nourris  et  eleves  a  Amboise,  pendant  la 
vie  du  grand  roy  Francois,  leur  grand  pere. 

Le  roy  Francois  deceda  a  Rambouillet  Fan  1 547.  Henry, 
le  dauphin,  son  fils,  vint  a  la  couronne  et  fit  M.  de  Ro- 
quancour tresorier  de  1'espargne,  en  la  place  de  Nicolas  du 
Val,  a  la  recommandation  de  madajne  de  Valentinois,  Diane 
de  Poitiers.  En  ce  temps  il  n'y  avoit  qu'un  tresorier  de 
1'espargne ;  mon  pere  fut  son  premier  commis,  n'ayant  lors 
que  vingt-deux  ans,  et  neanmoins  faisoit  luy  seul  toute  sa 
charge,  son  maistre  s'en  reposant  entierement  sur  sa  fide- 
lite,  et  rendoit  tous  les  comptes  a  la  chambre,  et  deschar- 
geoit  son  maistre  en  grande  partie  de  la  peine.  Pendant 
qu'il  exercoit  cette  charge,  il  lui  arriva  un  estrange  acci- 
dent qui  pensa  le  mettre  au  desespoir  et  le  perdre.  On 
lui  desroba  la  boiste  oil  estoient  pour  centmille  escus  d'ac- 
quits  et  ious  ses  papiers  d'importance  avec  quelque  argent. 
II  eut  voulu  estre  mort,  ne  trouvant  aucun  remede  a  son 
malheur.  Mais,  comme  il  se  promenoit  seul  sur  un  rempart 
ne  scachant  que  faire  pour  se  consoler,  il  rencontra  sa  boiste 


324  APPENDICE    I. 

ouverte,  ses  papiers  dedans,  et  no  perdit  que  1'argent,  qui 
luy  fut  une  perle  bien  legere  au  prix  de  la  perte  de  ses  pa- 
piers  et  acquits.  II  remercia  la  bonte  de  Dieu  de  1'avoir  tire 
d'une  sigrande  misere  etextresmite  contreson  esperance  et 
centre  toute  apparence  humaine. 

Ayant  exerce  la  charge  de  premier  commis  1'espace  de 
six  ans  et  gaigne  environ  mille  escus  par  an,  il  acheta,  en 
Tan  1553,  tin  office  d'argentier  du  roi,  sans  en  communi- 
quer  a  son  maistre,  lequel  1'ayant  scu  luy  fit  plus  d'hon- 
neur  que  de  coutume,  lefit  seoir  a  sa  table,  et  commenca  a 
1'appeler  monsieur.  Mon  pere  reconnut  a  1'instant  qu'il 
avoit  fait  une  grande  faute;  car  il  s'estoit  attendu  de  pou- 
voir  demeurer  tousjours  premier  commis  de  1'cspargne  avec 
cet  office.  Mais  M.  de  Roquancour  lui  declara  ouvertement 
qu'il  ne  luy  appartenoit  pas  de  se  servir  d'officiers  du  Roy, 
et  par  ce  moyen  mon  pere  perdit  sa  place  de  premier  com- 
mis, laquelle  fut  donnee  a  M.  de  Verdun,  pere  de  Nicolas 
de  Verdun,  que  nous  avons  veu  premier  president  de 
Paris. 

Pendant  qu'il  estoit  cbez  M.  de  Roquancour,  son  frere, 
Nicolas  Lefevre,  qui  avoit  servi  M.  le  general*  (4)  Preudome, 
cut  volonte  d'acheter  1'office  de  tresorier  de  1'extraordinaire 
des  guerres,  et  pour  ce  qu'il  n'avoit  pas  assez  d'argent,  il 
en  demanda  a  mon  pere  qui  luy  bailla  la  clef  de  son  coffre 
pour  en  prendre  ce  qu'il  voudroit.  II  en  prit  plus  que  mon 
pere  ne  s'attendoit,  et  [mon  pere]  fut  contraint  de  prendre 
patience.  Son  frere  done  acheta  cet  office,  et  en  fat  rem- 
bourse  des  la  premiere  annee,  par  les  taxations  qu'il  eut 
pour  1'embarquement  de  Farmee  de  mer  qui  passa  de  Brest 
en  Escosse,  1'an  1 551 .  Ledit  Nicolas  Lefevre  deccda  deux 
ans,  en  Tan  1553,  et  reconnoissant  que  sa  bonne  fortune 

(1)  Rereveurg6n6ral.  On  nppelait  gtncralites  lescirconscriplious 
ties  receltes 


BIOG.  D'OLIV.  D'ORMESSON.  325 

et  son  advancement  procedoientde  la  bourse  de  son  frere 
Olivier,  il  fit  son  testament  et  laissa  mon  pere  son  princi- 
pal heritier.  Sa  succession  valut  a  mon  pere  plus  de  vingt- 
cinq  mille  escus.  II  cut,  entre  autres  pieces  de  sa  succes- 
sion,son  office  de  tresorier  de  1'extraordinaire  des  guerres  en 
Piemont,  qu'il  obtint  aisement  de  son  bon  maistre,  le  roy 
Henry  second.  Le  cardinal  de  Lorraine  luy  servit  grande- 
ment  en  cette  occasion;  de  facon  qu'il  ne  fallut  que  chan- 
ger de  nom  aux  expeditions,  et  mettre  Olivier  au  lieu  de 
Nicolas. 

En  cette  occasion,  il  eut  de  la  traverse  de  la  part  de 
M.  Evrard,  son  frere  uterin,  qui  luy  disputa  cette  succes- 
sion. Mon  pere  consulta  son  affaire,  et  il  luy  fut  dit  que  sa 
cause  estoit  bonne  et  qu'il  la  gagneroit,  pourveu  qu'il  la 
poursuivist,  comme  il  falloit,  et  qu'il  quittast  son  plaisir. 
Ce  qu'il  fit,  et  il  gagna  son  proces  par  sentence  de  mes- 
sieurs des  requestes  du  palais,  laquelle  fat  confirmee  par 
arrest  donne  en  la  premiere  chambre  des  enquestes.  Quelque 
temps  apres,  ce  M.  Evrard  deceda  sans  enfants;  de  facon 
que  mon  pere  fut  encore  son  heritier,  et  il  disoit  souventen 
riant  que  ledit  sieur  Evrard  luy  avoit  voulu  oster  la  succes- 
sion de  son  frere  et  qu'il  avoit  eu  la  sienne. 

En  1554,  mon  pere  acquit  la  maison  d'Ormesson  (1), 
qui  n'estoit  pas  en  ce  temps-la  ce  qu'elle  a  este  depuis, 
mon  pere  1'ayant  grandement  accrue,  bastie  et  plantee,  n'y 
ayant  lors  que  le  gros  chesne  de  plante.  II  commenca  des 
lors  a  se  faire  appeler  M.  d'Ormesson,  lequel  nom  luy  est 
tousjours  demeure  depuis,  et  il  n'a  este  connu  que  sous  ce 

(1)  La  terre  d'Ormesson  dont  il  est  ici  question,  est  situe"e  pres 
de  Saint-Denis,  et  ne  doit  pas  etre  confondu  avec  le  chateau  d*br- 
messon-Amboille(de'partement  de  Seine-et-Oise),  dont  il  est  question 
plus  loin.  Ce  dernier  domaine  est  celui  qu'on  appelle  ge'ne'ralement 
maintenant  Ormesson ;  il  est  encore  aujourd'hui  le  patrimoiue  de  la 
lamille  qui|porte  ce  nom. 

I.  22 


nom,  le  nom  de  Lefevre  estant  trop  commun,  comme  mon 
pere  disoit  luy-mesme.  Sur  la  fin  de  cette  annee,  il  fut  trou- 
ble en  son  office  de  tresorier  de  1'extraordinaire  des  guerres 
par  deux  homraes  nomme's  Frelu  el  Dubourg,  qui,  par  des 
artifices  et  faux,  donnerent  a  entendre  qu'il  avoit  profile 
sur  les  monnoies;  ce  qui  ful  trouve  et  verifie  faux.  Us  le 
contraignirent  de  prendre  son  remboursement.  II  prit  alors 
un  office  de  tresorier  des  parties  casuelles  (1)  par  le  rem- 
boursement de  M.  Rageau,  et  il  exerca  cet  office  longue- 
ment.  Mon  pere  ayant  sur  le  coaur  le  tort  qu'on  luy  avoit 
fait,  Irouva  moyen,  en  Tan  1557,  de  faire  paroistre  la  me- 
chancete  de  Frelu  et  de  Dubourg.  Son  innocence  estant  re- 
connue,  il  rentra  dans  son  office  de  tresorier  de  1'extraordi- 
naire des  gucrrcs,  plus  pour  son  honneur  que  pour  envie 
qu'il  eust  de  1'exerceret  le  retenir.  Mon  pere  reconnoissant 
par  les  traverses  et  charites  qu'on  luy  avoit  prestees  combien 
il  estoit  malaise  de  subsister  longuement  a  la  cour  sans  ap- 
pui  et  sans  assistance,  resolut  de  se  marier  et  de  s'allier 
dans  quelque  famille  qui  le  pust  soutenir  et  defendre.  En 
ce  temps,  messire  Jean  de  Morvilliers,  evesque  d'Orleans  et 
conseiller  d'Estat,  estoit  en  grand  credit  et  reputation,  et 
pouvoit  beaucoup  a  cause  des  bons  services  qu'il  avoit  ren- 
dus  et  rendoita  la  France.  Mon  pere  rechercha  son  alliance 
et  epousa  demoiselle  Anne  d'Alesso,  fille  de  M.  Jean  d'A- 
lesso,  sieur  Desragny,  issu  du  neveu  de  M.  Saint-Francois 
de  Paule  et  de  Marie  de  la  Saussaye,  fille  de  M.  de  la  Saus- 
saye  et  de  Jeanne  de  Morvilliers,  soeurde  M.  de  Morvilliers. 
Ainsy  mon  pere  fut  aime  grandement,  et  depuis  tousjours 
favorise  par  M.  de  Morvilliers,  duquel  nous  avons  encore 
des  lettres  qu'il  aescrites  toutesde  samain  a  mon  pere,  qui 
tesmoignent  1'affection  qu'il  luy  portoit, 

(l)  Voy,  sur  les  parties  casueUes  la  note  I  page  245  de  ce  vol. 


BIOG.  D'OLIV.  D'ORMESSON.  327 

Or,  comme  lajoie  n'est  jamais  parfaite  en  ce  monde, 
et  que  la  prosperite  est  toujours  suiyie  et  talonnee  de  quel- 
que  malheur,  pendant  les  fiancailles  de  mon  pere,  survint 
le  piteux  accident  de  la  blessure  du  roy  Henry  II,  son  bon 
maistre.  Mon  pere  levitblesser  et  chanceler  sur  son  cheval. 
Ce  qui  arriva  aux  Tournelles  a  Paris,  et  1'histoire  en  est  si 
connue,  que  je  ne  m'y  arresterai  point.  Mais  j'ai  ouy  center 
a  mon  pere  qu'il  n'avoit  en  sa  vie  vu  chose  si  etrange  et  si 
deplorable,  que  de  voir  en  un  instant  la  joie  du  peuple  se 
tourner  en  cris  et  en  lamentations,  les  lieux  destines  pour 
la  magnificence  des  noces  et  tapisses  de  superbes  et  riches 
tapisseries  se  changer  en  ornements  d'eglise  et  draps  mor- 
tuaires,  serges  noires,  eclaircies  de  torches,  de  cierges  et  de 
luminaires.  Bref,  mon  pere  ne  pouvoit  raconter  cet  acci- 
dent sans  pleurer;  car,  outre  la  perte  generate,  mon  pere 
en  ressentoit  une  particuliere  et  la  plus  grande  en  son  sen- 
timent qu'il  ait  jamais  ressentie.  II  nous  disoit  souvent 
qu'il  avoit  perdu  femme,  enfants  et  amis,  mais  que  nulle 
perte  ne  se  pouvoit  comparer  a  la  perte  d'un  roy  qui  vous 
connoist  et  qui  vous  aime.  Ainsi  en  parloit  mon  pere.  II  fit 
mettre  le  portrait  du  roy  au-dessus  de  la  galerie  d'Ormes- 
son,  comme  auteur  de  sa  bonne  fortune.  Celuy  qui  1'avoit 
le  plus  aime  de  tous  les  roys  qu'il  avoit  servis,  le  feu  roy 
Henry  II,  fut  blesse  le  dernier  juin  1559  et  mourut  le  10 
juillet  suivant. 

Le  16  juillet,  mon  pere  fut  marie'  et  eut  dix  mille 
livres  en  manage.  II  avoit  plus  recherche  le  support  et 
1'alliance  que  les  richesses.  II  fut  tousjours  depuis  ce  temps 
a  la  suite  de  la  cour  et  menoit  ma  mere  toujours  avec  luy ; 
elle  alloit  en  trousse  a  la  mode  du  temps ,  les  carrosses 
n'estant  pas  encore  en  usage.  Elle  fit  avec  mon  pere  le 
grand  voyage  du  roy  Charles,  qui  dura  deux  ans  de  15G4 
a  15f>0,  lorsque  le  roy  Charles  fit  la  revue  de  tout  sou 


328  APPENDICE    I. 

royaume.  Au  retour  du  voyage,  le  roy  alia  tenir  sesEstats 
a  Moulins  en  1566.  M.  le  chancelier  de  PHospital  estoit 
lors  en  grand  credit.  On  fit  une  recherche  contre  les  finan- 
ciers. Tous  les  officiers  de  la  maison  du  roy  furent  depos- 
sedes  de  leurs  charges.  On  avoit  besoin  d'un  homme  de 
bien  pour  les  exercer  par  commission.  Mon  pere  fut  choisi 
a  la  recommandation  de  M.  de  Morvilliers,  qui  dit  en  plein 
conseil  qu'il  proposeroit  un  homme,  duquel  il  repondoit 
corps  pour  corps.  La  reyne-mere  dit  en  sortant  du  conseil : 
«  II  faut  que  M.  de  Morvilliers  aime  bien  M.  d'Ormesson 
et  qu'il  1'estime  homme  de  bien;  car  il  n'a  pas  accous- 
tume  de  se  tant  avancer  pour  autruy.  »  Mon  pere  exerca 
cette  commission  deux  ans  entiers,  pendant  lesquels  dura 
cette  recherche.  En  1568,  il  se  fit  une  composition,  par 
laquelle  les  officiers  de  finances  furent  restablis  en  leurs 
charges.  Mon  pere  avoit  fait  cette  grace  aux  officiers  de  la 
maison  du  roy  de  se  servir  d'eux  pour  ses  commis,  chacun 
en  sa  charge.  Ainsi  se  trouvant  restablis,  sans  avoir  este 
depossedes  ils  se  sentirent  grandement  obliges  a  la  bonte 
de  mon  pere  et  depuis  1'ont  tousjours  honore  comme  leur 
pere  et  bienfaiteur  (1). 

Cette  composition  montoit  a  500,000  livres.  Mon  pere 
fut  taxe  comme  les  autres  a  en  payer  sa  part  a  cause  de 
ses  offices  de  finance.  II  obtint  des  lettres  pour  renoncer  a 
1' abolition  portee  par  la  composition  et  sur  ce  que  les 
financiers  saisirent  ses  biens  pour  le  paiement  de  sa  taxe, 

(1)  Je  ne  crois  pas  que  les  historiens  par-lent  de  celte  interdic- 
tion momentanee  de  tons  les  financiers.  Il  est  du  resle  assez  remar- 
quable  que  trois  d'Ormesson  aient  ete  charge's  de  controler  les 
comptes  des  financiers,  le  premier  en  1566;  le  second  en  1661  (pro- 
ces  de  Fouquet ,  des  tre"soriers  de  Tjfipargne  et  des  trailants) ;  le 
troisieme,  en  1716,  lorsque  le  Regent  e"tablit  une  chambre  ar- 
dente  contre  les  financiers.  Ces  missions  dedicates  altestent  la  haute 
opinion  qu'on  avait  de  rint6gril6  de  celte  famille. 


BIOG.  D'OLIV.  D'ORMESSON.  329 

il  en  appela  a  la  cour  des  aides  et  plaida  sur  ces  lettres. 
Mon  pere  s'estant  soumis  a  la  punition,  s'il  avoit  malverse 
en  ses  charges,  et  le  president  ayant  interpelle  les  finan- 
ciers de  se  faire  partie  contre  mon  pere  pour  luy  faire  son 
proces,  ils  declarerent  qu'ils  le  reconnoissoient  pour 
homme  de  bien,  et  sur  lequel  ils  ne  pouvoient  rien  dire. 
Apres  leur  declaration,  mon  pere  eul  arrest  d'absolution 
et  main-levee  de  la  saisie  de  ses  meubles.  Get  arrest  est  du 
3-Jevrier  1570,  et  il  luy  servit  grandement  depuis  pour 
entrerdans  I'office  de  president  des  comptes.  J'ai  souvent 
veu  et  leu  cet  arrest  signe  Lesueur  greffier  de  la  dite  cour.  Le 
roy  Charles  envoya  querir  mon  pere  pour  luy  commander 
de  prendre  I'office  de  tresorierde  1'espargne.  II  s'en  excusa 
bien  honnestcment.  Ce  quifut  cause quele  roy  dit  tout  haut 
«  qu'il  avoit  mauvaise  opinion  de  ses  affaires,  puisque  les 
gens  de  bien  refusoient  de  s'en  mesler.  » 

J'oubliois  que ,  des  1 568 ,  il  vendit  son  office  de  tre- 
sorier  des  parties  casuel les  a  M.  de  Mondoucet,  auquel  M.  le 
chancelier  de  1'Hospital  dit  en  luy  baillant  ses  letlres  : 
«  Soyez  aussi  homme  de  bien  en  cette  charge  qu'a  este 
M.  d'Ormesson  vostre  predecesseur.  »  Vers  ce  temps-la 
mon  pere  acheta  de  M.  le  general  Mole  I'office  de  general 
des  finances  en  Picardie  ,  qui  estoit  lors  seul ,  au  lieu 
qu'ils  sont  dix  maintenant,  et  davantage.  II  recevoit  tant 
d'amitie  et  d'honneur  en  cette  province  qu'il  estoit  con- 
traint,  quand  ily  alloit,  deprier  le  gouverneur  par  ses  gens 
de  ne  luy  point  faire  tant  de  ceremonie  et  d'honneur,  son 
humeur  estant  fort  eloignee  et  ennemie  de  vanite  et  d'os- 
tentation.  11  ordonnoit  des  fortifications  par  toutesles  villes, 
et  dans  la  ville  de  Calais  il  fit  faire  une  digue  neuve  qui 
futappelee  digue  d'Ormesson,  et  M.  de  Vic,  gouverneur  de 
Calais,  luy  dit,  un  peu  avant  son  deces,  que  sa  digue  estoit 
toute  ruinee  et  qu'elle  avoit  grand  besoin  d'estre  reparee. 


330  APPEND1CE   1. 

En  Pan  1 573 ,  mon  pere  Tut  intendant  des  finances  et 
conseiller  d'Estat.  En  ce  temps-la  les  intendans  esloient 
aussi  conseillers  generaux  des  finances,  chacun  en  leur 
mois.  Mon  pere  exerca  cette  charge  1'espace  de  six  mois, 
sousle  roy  Henry  III,  oil  il  vescut  les  mains  nettes,  comme 
il  avoit  toujours  fait  auparavant.  Le  roy,  qui  estoit  trop 
liberal  et  auquel  on  ne  pouvoit  assez  apporter  d'inventions 
pour  luy  fournir  de  I'argent  se  faschoit  contre  mon  pere, 
comme  s'il  eust  este  paresseux  en  sa  charge.  D'ailleurs 
M.  de  Morvilliers  deceda  a  Tours  en  1577.  Sa  mort  toucha 
grandement  mon  pere  et  le  fit  resoudre,  avec  le  deplaisir 
que  mon  pere  recevoit  en  sa  charge,  voyant  et  ne  pouvant 
souffrir  la  profusion  du  feu  roy  Henry  III  envers  ses  deux 
mignons,  MM.  de  Joyeuse  et  d'Epernon,  de  se  desfaire  de 
son  office  d'intendant  des  finances  et  de  se  retirer  de  la 
cour.  Mon  pere  s'adressa  a  M.  de  la  Grange-le-Roy,  lequel 
il  avoit  advance  dans  les  finances  et  qui  estoit  grandement 
aime  de  son  maistre,  Henry  III,  pour  obtenir  de  Sa  Majeste 
la  permission  de  resigner  sa  charge  d'intendant.  Ce  que  le 
dit  sieur  de  la  Grange  obtintduroy,aFontainebleau.  Sa  Ma- 
jeste luy  dit  d'abord  qu'elle  ne  vouloit  pas  quo  mon  pere  se 
desfist  de  sa  charge  et  ajouta  qu'il  estoit  paresseux  a  la  ve- 
rite,  mais  qu'il  estoit  homme  de  bien.  Enfin  il  luy  dil: 
«  Puisqu'il  le  veut,  je  le  veux  bien.  »  Ainsy  mon  pere  bailla 
sa  charge  d'intendant  a  M.  de  Bray,  frere  de  madame  de 
Grandrue  et  se  retira  de  la  cour. 

J'ai  ouy  raconter  a  mon  pere  qu'il  apporta  au  roy 
Henry  III  la  nouvelle  de  la  mort  de  M.  de  Morvilliers,  le- 
quel deceda  en  1577  a  Tours,  le  roy  estant  a  Blois,  et  que 
le  roy  ne  fut  pas  fasche  se  rejouissant  en  son  amc  d'avoir 
perdu  le  contj-oleur  de  ses  actions.  II  arrive  tres-rarement 
qu'un  mesme  personnage  soitagreable  a  deux  roys  de  suite. 
L'office  de  tresorier-general  de  France  en  Picardie  fut  par 


BIOG.    D'OLIV.    b'oRMESSON.  331 

mon  pere  vcndu  a  M.  Picart  millc  escus  meillcur  marche 
qu'on  ne  luy  en  oifroit;  mais  reconnoissant  le  dit  sieur  Picart 
homme  de  bien  et  aime  dans  la  province,  il  prefera  le  con- 
tenlement  de  la  province  a  son  propre  interest ;  ce  qui  ne 
s'est  gucre  veu  de  rios  jours  oil  les  offices  se  vendentau  plus 
offrantsansaucun  esgard  des  personnes,  tant  chacun  est  ar- 
dent a  son  profit  et  peu  curieux  de  Futilite  et  honneslete 
publiques ! 

Mon  pere,  ayant  vendu  ses  offices,  faisoitestat  d'achever 
ses  jours  paisiblement,  sans  aucune  charge,  et  vivre 
homme  prive  tantostaux  champs  a  Ormesson,  tantost  a  Pa- 
ris, et  s'amuser  a  faire  bastir  Eaubonne  qu'il  avoit  achete 
quelque  temps  auparavant.  Mais  il  reconnut  incontinent  par 
experience  1'ennuy  de  Toisivete,  le  pauvre  mestier  que  c'est 
de  n'avoir  rien  a  faire  pour  homme  qui  n'est  plus  rien  et 
qui  ne  peut  rien  dans  le  monde.  II  changea  done  de  des- 
sein,  et,  desirant  de  rentrer  dans  les  charges,  il  n'y  en  avoit 
aucune  qui  luy  fust  propre  que  celle  de  president  des 
comptes.  Toutefois  ayant  este  comptable  longuement,  il 
craignoit  d'y  trouver  de  la  difficulte.  Avant  que  de  1'entre- 
prendre  il  fit  sonder  par  quelques  amis  en  quelle  reputa- 
tion il  estoit  envers  Messieurs  de  la  chambre  des  complcs 
et  s'ils  auroient  agreable  qu'il  fust  leur  president.  Ses  amis 
Tayant  sonde  ils  trouverent  les  volontes  si  disposees  aux 
contentement  et  desir  de  mon  pere  qu'il  Iraita  de  1'office 
de  president  dont  estoit  pourvu  maistre  Rene  Crcspin  sieur 
du  Guast,  ct  1'eust  pour  quarante  mille  livres.  II  fut  recu 
avec  telle  allegresse  que  M.  le  president  Nicola'i  (Antoine,  pcre 
de  Jean)  en  fit  une  forme  de  remerciement  a  mon  pere  de 
ce  qu'il  estoit  entrc  dans  la  chambre,  laquelle  se  ressentoit 
honoreedel'avoii'pour  president.  MaislreBenoistMilon,  sieur 
dc  Videville,  qui  imitoit  et  suivoit  mon  pere  pas-a-pas, 
voulut  a  son  exemple  entrer  dans  la  chambre.  11  y  cut 


332  APPENDICE    I. 

toutes  les  peines  du  monde  et  n'y  fut  jamais  entre  sans  la 
grande  instance  qu'en  fit  la  reyne-mere  Catherine,  et  y 
eslant  entre  on  ne  luy  fit  aucun  honneur  qui  approchast 
de  celuy  qu'avoit  recu  mon  pere,  lequelfut  recu  a  la  charn- 
bre  le  7  mai  1579,  et  depuis  espargna  tous  les  ans  2,000 
escus  deson  revenu.  Ce  qui  faisoit  aisement  reconnoistre 
comme  il  vivoit  dans  sa  charge  et  com  me  sa  facon  de  vivrc 
estoit  eloignee  de  celle  qui  a  suivi ;  chose  estrange  qu'un 
homme  puisse  plus  espargner  retire  de  lacour  que  dans  la 
cour,  president  des  comptes  qu'intendant  des  finances.  Aussy, 
tant  qu'il  fut  intendant,  il  n'avoit  aucun  profit  extraordi- 
naire Dutre  ses  gages  que  mille  escus  par  an  que  le  roy  luy 
donnoit  et  ne  scavoit  ce  que  c'estoit  que  gain  illegitime  ni 
de  prendre  argent  sans  donner  quittance,  de  maniere  que 
travaillant  a  la  chambre  des  comptes  par  commissaires,  il 
s'estonnoit  de  voir  qu'on  y  prist  des  vacations  sans  signer, 
tant  il  tenoit  cette  maxime  necessaire  pour  bien  vivre  et 
sans  reproche. 

Le  sieur  Ludovic  d'Ajacet,  comte  de  Chasteauvilain, 
ayant  obtenu  un  rabais  a  Lyon  pour  quelque  ferme,  offrit 
a  mon  pere  une  piece  de  velours  tout  entiere,  mon  pere 
la  refusa.  II  luy  dit  qu'il  estoit  le  seul  qui  1'avoit  refuse,  et, 
comme  on  s'estonnoit  qu'un  sien  compagnon  d'office,  inten- 
dant de  finances,  estoit  si  riche  aupres  de  luy,  il  repondit : 
c'est  que  run  prend  tout  et  I'autre  refuse  tout. 

Les  annees  1582,  1 583  et  1584,  il  recueillit  les  suc- 
cessions de  mademoiselle  de  Lezeau  sa  belle-mere  (M.  de 
Lezeau  estoit  decede  des  1'annee  1573),  de  1'evesque  d'Or- 
leans,  Mathurin  de  la  Saussaye  frere  de  mademoiselle 
de  Lezeau,  de  M.  de  Liesse  frere  de  M.  de  Lezeau,  de 
M.  Evrard  son  frere  uterin  et  encore  de  Madelainc  Gau- 
dard  sa  mere  qui  montoient  toutes  ensemble  a  9,400 
escus.  De  la  succession  dc  mademoiselle  de  Lezeau ,  il  eut 


BIOG.  D'OLIV.  D'ORMESSON.  333 

Lezeau,  en  compensant  scs  coheri tiers,  en  argent,  de  leur 
part  et  portion  de  ladite  terre. 

Encore  qu'il  eust  quitte  la  cour  des  Tan  1577,  le  roy 
Henri  III  ne  laissa  pas  de  le  venir  voir  par  plusieurs  fois 
a  Ormesson  et  d'y  amener  toute  la  cour  es  anne'es  1 584, 
1585  et1586,  et  il  prenoit  tarit  de  plaisir  et  trouvoit 
cette  maison  tcllement  a  son  gre  qu'il  cut  envie  de  1'a- 
voir  et  fit  scavoir  de  mon  pere  s'il  la  vouloit  vendre.  Mon 
pere  qui  1'avoit  acquise,  accrue,  plan  tee  et  bastie,  et  qui 
1'aimoit  comme  1'ouvrage  de  ses  mains,  et  y  avoit  mis  son 
nom  et  son  affection,  en  destourna  le  coup  et  en  fit  divertir 
le  roy.  M.  le  mareschal  de  Souvre  qui  y  est  venu  depuis 
avec  le  roy  Louis  XIII,  me  I5a  confirme  et  m'a  dit  que  le 
roy  luy  avoit  promis  de  la  lui  donner  apres  1'avoir  achetee. 

En  1'annee  1 588,  survint  la  journee  des  barricades  qui 
ouvrit  la  porte  aux  guerres  civiles  de  la  Ligue  et  fut  cause 
de  la  mort  de  M.  Guise  aux  estats  de  Blois  et  de  la  revolte 
d'une  grande  partie  de  la  France  contre  son  roy  et  d'au- 
tres  grands  accidents,  qu'on  peut  voir  dans  1'histoire.  Pa- 
ris se  desclara  pour  le  parti  de  la  Ligue.  line  partie  des 
officiers  sortirent  et  s'en  allerent  a  Tours,  1'autre  partie 
ne  bougea.  Mon  pere,  qui  estoit  lors  age  de  soixante  ans 
et  qui  ne  respiroit  que  d'achever  ses  jours  paisiblement 
et  en  repos,  suivit  le  parti  de  saville,  nepouvant  quitter  sa 
maison  et  son  lit  sans  mettre  sa  sante  en  danger,  resolu 
neanmoins  de  rechercher  les  occasions  de  servir  son  roy  et 
sa  patrie  et  surtout  sa  religion  sur  le  sujet  de  laquelle 
le  parti  et  les  guerres  civiles  estoient  fondes  principale- 
ment. 

M.  du  Maine  (1)  vint  a  Paris  en  1589  pour  y  prendre 
conseil  et  donner  ordre  au  general  des  affaires;  il  fut  des- 

(1)  Charles  de  Lorraine,  plus  connu  sous  le  nom  de  due  de 
Mayenne. 


334  APPBNDICti  I. 

clare  lieutenant-general  de  1'Estat  royal  et  couronne  de 
France.  II  trouva  un  conseil  compose  de  gens  de  peu  et 
factieux,  la  plupart  gaignes  par  le  roy  d'Espagne,  sur  les- 
quels  il  n'avoit  guere  d'autorite.  II  s'advisapourle  bien  ge- 
neral du  parti  et  son  interest  particulier,  pour  rendre  ce 
conseil  plus  illustre  et  luy  donner  plus  de  poids,  d'y  mettre 
quelques  gens  d'honneur.  II  y  mit  MM.  de  Villeroy  pere 
et  fils,  M.  le  president  Jeannin,  M.  d'Amours ,  MM.  d'Or- 
messon  et  de  Videville,  presidents  des  comptes.  Ce  con- 
seil cut  tant  d'autorite  que  M.  du  Maine  en  devint  jaloux  et 
le  rompit  pour  attirer  a  luy  seul  la  connoissance  et  la  di- 
rection entiere  de  toutes  les  affaires.  Ce  conseil  s'appeloit 
le  conseil  des  guarante  (1)  et  estoit  reconnu  par  toutes 
les  villes  de  la  Ligue.  Mon  pere,  pendant  ces  fascheux 
temps,  se  trouva  le  plus  ancien  president  des  comptes  a 
Paris,  et  il  estoit  capitaine  de  son  quartier.  Ce  qui  estoit 
cause  qu'il  estoit  appele  en  toutes  les  grandes  assemblies 
de  la  ville. 

En  1 590 ,  Paris  fut  assiege  par  le  feu  roy  Henry-lc- 
Grand  et  endura  une  telle  famine  qu'ou  ne  la  peut  ima- 
giner  plus  grande.  Mon  pere  eut  plus  de  peine  et  de  fas- 
cherie  pendant  les  quatre  mois  de  ce  siege  qu'il  n'en  avoit 
eu  en  toute  sa  vie.  II  fut  a  la  veille  de  voir  ses  enfanls 
mourir  de  faim  en  sa  presence  et  nous  a  dit  qu'il  n'avoit 
jamais  ressenti  d'affliction  semblable.  M.  de  Nemours, 
gouverneur  de  Paris,  faisoit  sou  vent  des  assemblies  pour 
aviscr  aux  affaires  de  la  ville.  Mon  pere  y  estoit  toujours 
appele'  et  parloit  toujours  libremcnt  et  conseilloit  la  paix 
ouvcrtement,  en  priant  le  roy  de  se  faire  catholique  par 
unc  ambassade  publique,  proposition  fort  odieusc  aux  es- 

(1)  Ge  conseil  e"tait  en  eiTet  compost  de  quarante  membres ;  mais, 
coinme  ils  elaient  choisis  dans  les  seize  quartiers  de  Paris,  on  1'ap- 
pelle  ordinairement  conseil  des  seize. 


woe.  D'OLIV.  b'oRMESsoN.  335 

prits  faclieux  et  turbulents  de  la  Ligue  et  partisans  du  roy 
d'Espagne,  Philippe  II. 

Pendant  ce  siege,  mon  pere  me  vint  voir  au  college 
du  cardinal  Lemoine,  ou  je  demeurois  chez  ML  Le  Dieu, 
ct  ayant  scu  quo  je  n'y  mangeois  quo  du  pain  de  son  et  de 
la  chair  de  cheval,  il  m'envoya  querir  pour  demeurer  a  sa 
maison  et  ne  retourner  plus  au  college  pour  y  estre  si  mal 
traite  ct  si  mal  nourri. 

Apres  que  le  siege  fut  leve ,  ma  mere  tomba  malade  de 
la  fascherieet  necessite  et  apprehension  qu'elle  avoit  cues,  et 
mourut  vers  le  commencement  du  mois  de  novembre  1 590. 
Mon  pere  fut  si  afflige  et  estonne  de  sa  mort  qu'il  ne  trou- 
voit  aucun  moyen  de  se  consoler.  Enfm  il  avisa  pour  se 
divcrtir  d'aller  voir  les  dames  veuves  de  son  temps  et  de  sa 
connoissance  et  tascha  a  passer  son  temps  doucement,  et, 
pour  ce  que  le  malheur  des  guerres  lui  ostoit  la  liberte 
de  sortir  la  ville  et  s'aller  promener  a  Ormesson,  il  loua  un 
petit  jardin  proche  sa  maison,  oil  il  s'alloit  promener 
sou  vent. 

En  1 591  ,  mon  frere  d'Eaubonne  se  maria  avec  da- 
moiselle  Marie  Hennequin,  seconde  fille  de  madame  la 
prcsidente  Hennequin.  Mon  pere  s'y  laissa  porter  voyant 
1' affection  de  mon  dit  frere  et  le  logea  avec  tout  son  train 
chez  lui  et  montra  par  le  jugement  qu'il  faisoit  des  per- 
sonnes,  que  nous  avons  depuis  trouve  veritable,  qu'il  s'y 
connoissoit  et  qu'il  estoit  heureux  a  bien  rencontrer  aux 
predictions  qu'il  faisoit  de  1'avenir. 

En  1 592 ,  la  ville  de  Paris  ne  voyant  point  de  remede 
aux  malheurs  dont  elle  estoit  travaillee,  soupiroit  aprcs  la 
conversion  du  roy  de  Navarre.  La  chambre  des  comptes, 
ou  mon  pere  presidoit,  ordonna  que  M.  du  Maine  seroit 
supplie  de  convier  le  roy  de  Navarre  a  se  faire  catholique 
et  luy  promettre  en  ce  faisant  1'obeissance  de  ses  sujets  et 


336  APPENDICE   1. 

• 

de  le  reconnoistre  pourroy.  M.  du  Maine,  qui  vouloit  tous- 
jours  regner  dans  cetle  confusion  et  aimoit  raieux  estre 
chef  d'un  parti,  mesme  miserable,  que  simple  sujet  dans  un 
Estat  paisible  sousun  roy  autre  que  lui,  trouva  cette  haran- 
gue mauvaise  et  le  temoigna  a  mon  pere  qui  luy  avoit  porle 
la  parole.  Ce  qui  affligea  grandement  mon  pere  qui  ne 
vouloit  fascher  personne.  Mais  a  1'instant  M.  du  Maine, 
s'estantenquis  des  moaurs  et  condition  de  mon  pere,  luy  en 
fit  des  excuses,  luy  donnant  a  entendre  qu'il  falloit  qu'il 
parlast  ainsy  pour  conserver  son  autorite  et  luy  fit  dire  par 
M.  Ribaut,  sieur  de  Breau,  son  tresorier,  qu'il  seroit  le 
bien  venu.  Mon  pere  en  fut  bien  aise,  et  qtielque  temps 
apres  fut  voir  M.  du  Maine  qui  avoit  aupres  de  luy  M.  de 
Villeroy  et  M.  le  president  Jeannin  et  luy  dit  qu'il  avoit 
este  bien  fasche  d'avoir  este  charge  par  sa  compagnie  de 
luy  porter  cette  parole;  que  s'estant  trouve  le  premier  il 
n'avoit  pu  s'excuser ,  non  pas  qu'il  voulust  dire  que  la 
compagnie  eust  failly  de  1'ordonner.  M.  du  Maine  1'em- 
brassa  et  luy  fit  caresses,  et  1'a  tousjours  bien  aime  depuis. 

J'oubliois  a  dire  qu'en  1589  mon  pere  fut  contraint 
pour esviter  pis  et  n'estre  pas  estime  politiquede  prestermille 
escuspour  aider  a  racheter  leprevost  desmarchandsde  Paris 
Marteau,  arreste  prisonnier  aux  Estats  de  Blois.  Mon  pere 
fut  encore  contraint  de  s'obliger  pour  M.  du  Maine,  avec  les 
principaux  de  son^parti,rpour  dix-huit  mille  escus,  dontil 
estoiten  grand  souci,  voyant  sa  maison  si  nette  auparavant 
s'embrouiller  pour  un  si  mauvais  sujet.  De  deux  maux  il 
choisit  le  moindre;  autrement  on  1'eust  chasse  de  Paris, 
pille  ses  meubles  et  confisque  ses  biens. 

En  1 593,  M.  du  Maine,  pour  amuser  son  parti,  tint  des 
Estats  a  Paris.  Mon  pere  se  degoustant  grandement  du 
gouvernement  de  M.  du  Maine  hantoit  ceux  qu'on  appeloit 
Politiqucs,  qui  avoient  intention  de  reduire  Paris  en  To- 


BIOG.  D'OLIV.  D'ORMESSON.  337 

beissance  du  roy.  M.  Langlois,  lors  eschevin,  et  dcpuis 
maistre  des  requestes,  m'a  dit  souvent  que  mon  pere  1'alloit 
voir  pour  apprendre  Festal  des  affaires,  et  1'ayant  scu  s'en 
retournoit  content  et  le  tenoit  secret. 

Au  mois  de  juillet  1593,  le  roy  alia  a  la  messe  dans 
Saint-Denys.  Sur  la  fin  de  cetle  annee  deceda  M.  de  Vide- 
ville,  autrefois  intendant  des  finances,  lors  president  des 
comptes,  ancien  compagnon  d'oflice  de  mon  pere,  lequel 
laissa  mon  pere  sonlegataire  universe!,  avec  maistre  Denis 
Godefroy  avocat  aux  monnoies,  lequel  mon  pere  desira 
d'avoir  pour  compagnon  pour  soutenir  les  proces  et  les 
demandes  des  heritiers  du  dit  sieur  de  Videville,  a  la 
charge  de  rendre  tout  a  sa  femme.  Mon  pere  lui  tint  pro- 
messe,  et,  en  reconnoissance  de  cette  bonne  foi  la  dite  dame 
de  Videville  luy  donna  uneindemnitepour  toutes  les  dettes 
oil  il  estoit  entre  pour  le  parti  de  1'Union.  Mon  pere  aima 
mieux  cette  descharge  qu'un  grand  present  ne  songeant 
qu'a  conserver,  non  a  acquerir,  et  neanmoins  M.  du  Maine 
a  acquitte  toutes  ses  dettes  des  deniers  du  roy,  de  facon 
que  cette  indemnite  n'a  rien  coustea  la  dite  dame  de  Vide- 
ville et  a  tenu  lieu  de  beaucoup  a  mon  pere.  Pendant  les 
cinq  annees  des  troubles  mon  pere  ne  bougea  de  Paris.  Sa 
maison  d'Ormesson  fut  conservee  (1). 

(1)  Dans  une  note  annexed  a  cette  biographic,  Andre  d'Ormes- 
son a  ajoute"  les  details  suivants  sur  la  conservation  de  la  maison 
d'Ormesson  :  «  Pendant  les  cinq  anne"es  de  troubles  de  la  Ligue  de- 
puis  I'ann^e  1589  jusques  au  mois  de  mars  159/i,  Ormesson  fut  con- 
serv6  sain  et  entier,  sans  avoir  est6  pille  des  gens  de  guerre,  comme 
le  furent  toutes  les  maisons  des  champs  aux  environs  de  Paris  et 
dans  les  autres  provinces,  mon  pere  ayant  de  bons  amis  du  coste  du 
Roy  et  du  coste"  de  la  Ligue.  M.  d'Alincour,  fils  de  M.  de  Villeroy, 
commandoit  dans  la  ville  de  Pontoise  pour  la  Ligue,  et  M.  de  Vic 
dans  la  ville  de  Saint-Denys  pour  le  Roy  et  garantissoient  la  maison 
d'Ormesson,  de  maniere  que  tous  les  paysans  des  villages  d'alenlour 
s'y  vinrent  rei'ugier  avec  tous  leurs  meubles  et  bestiaux,  et  y  es- 


338  APPENDICE   I. 

En  ce  temps,  il  y  eut  treve  et  conference  a  Suresnes 
entre  le  roy  et  M.  du  Maine,  pendant  laquelle  mon  pere 
m'envoyaa  Orleans  pour  y  faire  mes  etudes  dedroit,et  m'y 
escrivit  quelques  vingtlettres  de  samain,  quej'ai  tousjours 
garde'es  fort  soigneusement.  Pendant  que  j'estois  a  Orleans, 
cette  ville  se  reduisit  a  1'obeissance  du  roy,  sous  M.  de  la 
Chastre,  gouverneur.  Paris  tenoit  cependant  encore  pour  la 
Ligue,  et  ne  fut  reduit  que  le  22  mars  1 594.  Mon  pere  alia 
le  jour  mesme  faire  la  reverence  au  roy  avecla  chambre  des 
comptes  et  fut  bien  recu  de  Sa  Majeste.  Toutes  les  cours 
souveraines  furent  restablies  des  le  lendemain  avant  le  re- 
tour  des  officiers  du  roy  qui  estoient  encore  a  Tours. 
M.  L'Huillier,  prevost  des  marchands,  maistredes  comptes, 
eut  un  office  de  president  des  comptes  de  nouvelle  crea- 


toient  plus  de  deux  cents  manages,  et  toutes  les  chambres,  galeries 
et  cours  estoient  pleines,  et  fut  seulement  reservee  la  chambre  de 
mon  pere,  ou  personne  ne  logeoit  par  respect  pour  le  maistre  de  la 
maison,  et  s'y  faisoit  la  garde  comme  dans  une  place  de  guerre  pour 
se  defendre  des  coureurs  et  des  soldats  sans  aveu.  II  ne  fut  rien  oste  ni 
gaste  dansla  maison.  Ce  quimontroit  combien  mon  pere  estoitaime" 
et  respecte,  n'ayant  jamais  offense"  personne,  et  fait  plaisir  a  tous 
ceux  qu'il  avoit  pu,  dont  il  recevoit  lors  le  fruit  et  la  recompense  de 
la  douceur  de  ses  moeurs,  de  sa  moderation  et  bonne  conduite ,  ces 
pauvres  paysans  se  trouvant  dans  la  seurete  a  Tombre  de  ses  ailes 
et  de  sa  protection,  luy  donnoient  mille  et  mille  benedictions  et  il 
estoit  honore"  comme  le  Dieu  tuteiaire  du  pays.  »  Andre  d'Ormesson 
a  ajoute  apres  la  Fronde  la  note  suivante  :  «  Relisant  le  mercredy, 
iU  mars  1654,  cette  page  qui  parloit  de  la  conservation  de  la  maison 
d'Ormesson  pendant  la  Ligue,  je  crus  que  je  devois  dire  aussy  que 
cette  mesme  maison  a  este  conservee  par  deux  fois  miraculeusement 
et  par  une  pure  grace  de  Dieu,  aux  mois  de  Janvier,  fevrier  et 
mars  16&9,  pendant  le  siege  de  Paris  par  1'armee  du  Roy  comman- 
dee  par  M.  le  prince  de  Conde,  et,  en  1652,  pendant  que  Parm£e 
du  Roy  et  celle  des  princes,  due  d'Orieans,  prince  de  Conde  et  due 
Lorraine,  estoient  aux  environs  de  Paris,  et  furent  tous  les  pauvres 
gens  d'Epinay  et  des  environs  qui  s'y  estoient  retires  conserves  avec 
leurs  meubles  et  leurs  bestiaux.  Us  ne  perdirent  rien,  encore  que 
i'annee  du  Hoy  fut  campe'e  dans  Ormesson  et  dans  les  environs.  » 


BIOG.  D'OMV.  D'ORMESSON.  339 

lion,  pour  recompense  du  service  qu'il  avoit  rendu  a  la  re- 
duction de  Paris,  et  fut  recu  a  la  chambre  des  comptes  par 
mon  pere  qui  y  presidoit,  avant  que  ceux  de  Tours  fussent 
revenus  et  eussent  fait  difficulteet  refus. 

Le  roy,  incontinent  apres ,  fit  une  procession  generate 
pour  remercier  Dieu  d'une  si  heureuse  reduction.  Toutes 
les  reliques  de  la  Sainte-Chapelle  y  furent  portees.  Mon 
pere  en  gardoit  les  clefs  comme  le  plus  ancien  president 
des  comptes  qui  fust  a  Paris,  et  M.  de  Lezeau,  mon  frere, 
les  vit  de  fort  pres,  lorsque  mon  pere  les  fit  rernettre  sous 
la  clef;  il  vit  la  couronne  d'epines,  oil  U  y  a  du  sang  etdes 
cheveux  de  Nostre-Seigneur,  et  autres  reliques  precieuses 
etadorables.  Mon  pere  ob tint  du  roy  une  confirmation  de 
la  survivance  de  son  office  de  president,  eten  obtint  lettres 
patentes  qu'il  fit  enregistrer  en  la  chambre  des  comptes, 
qui  servirent  grandement  depuis  pour  la  conservation  de 
son  office  a  mon  frere  aisne,  Cette  survivance  lui  avoit  couste 
dix  mille  francs,  des  Tan  1584  que  fut  fait  1'edit  des  sur- 
vivances  pour  tous  les  officiers  de  France. 

Depuis  le  retour  du  roy  dans  Paris,  mon  pere  passa 
tousjours  sa  vie  fort  doucement.  II  arriva  qu'es  annees  4  598, 
1599  et  1600,  on  se  mit  a  danser  les  hivcrs.  M.  le  comte 
d'Auvergne,  Charles  de  Valois  (1),  bastard  du  roy  Charles, 
mcttoittout  le  monde  en  train  et  masquoit  fort  souvent.  Je 
jouois  quelquefois  a  la  paume  contre  luy,  et  il  faisoit  prier 
mon  pere  de  sa  part  d'assembler  compagnie.  Mon  pere  le 
faisoit  volontiers  et  disoit  que  le  roy  Charles  1'ayant  bien 
aime  il  no  pouvoit  rien  refuser  a  son  fils. 

Les  compagnies  que  mon  pere  assembloit  souvent  ohez 
luy  (il  estoit  loge  en  la  rue  de  Beaubourg,  vis-a-vis  la  rue 
des  Menestriers),  estant  toujours  grandes  et  remplies  de 
belles  dames ,  le  feu  roy  Henry  IV  y  vint  plusieurs  fois ,  et 

(1)  II  fut  appele*  dans  la  suite  comte  d'Angoul&ne. 


340  APPENDICE    I. 

en  1'annee  1600  y  amena  tin  soirM.  le  due  de  Savoie,  tous 
les  princes  et  princesses.  Mon  pere  1'alloit  toujours  recevoir 
et  avoit  tres-bonne  grace  ayant  accoutume  de  jeunesse  d'ap- 
procher  les  roys.  Le  feu  roy  dit  un  jour  en  entrant :  «  Sans 
le  president  d'Ormesson  ,  on  ne  se  rejouiroit  point  a  Pa- 
ris; c'est  le  pere  de  la  jeunesse.  »  Apres  que  mon  pere 
avoit  conduit  le  roy  dans  la  salle,  il  se  retiroit  et  s'alloit 
coucher,  aimant  mieux  son  repos  etsasanteque  les  faveurs 
de  la  cour  et  personne  ne  le  trouvoit  mauvais  de  luy,  at- 
tendu  son  grand  age  et  son  naturel  peu  ambitieux  et  retire. 
Puisque  la  mor-t  fait  partie  de  la  vie  et  1'acheve,  je 
suis  contraint  de  dire  qu'ayant  passe  les  festes  de  la  Pente- 
coste  a  Ormesson,  il  revenoit  a  Paris,  le  26  mai  1600, 
monte  sur  son  mulet.  II  arriva  qu'entre  le  village  de  la 
Cliapelle  et  le  faubourg  Saint-Martin ,  des  chiens  vinrent 
aboyer  son  mulet,  lequel  se  cabrant  et  ayant  peur  fit  tom- 
ber  mon  pere  par  terre,  duquel  coup  il  fut  grandement 
blesse  et  principalement  au  derriere  de  la  teste.  On  nous 
vint  dire  a  Paris  ces  piteuses  nouvelles.  J'y  courus  inconti- 
nent, et  mon  pere  fut  rapporte  dans  une  chaise  en  sa  mai- 
son  et  couche  dans  son  lit.  II  avoit  comme  perdu  la  parole. 
II  recut  la  benediction  de  M.  le  cure  de  Saint-Merry  etdon- 
noit  des  marques  qu'il  entendoit  bien  ce  qu'onluy  disoit  et 
qu'il  songeoit  a  Dieu  et  non  au  monde,  et  en  cet  estat  il 
rendit  1'esprit  a  Dieu,  le  samedy  27  mai  1600,  en  plein 
midi,  par  un  temps  fort  clair  et  fort  serein,  comme  il  avoit 
tousjours  somhaite,  s'imaginant  qu'il  en  iroit  plus  aisement 
vers  le  ciel.  Son  corps  fut  porte  aux  minimes  de  Nigeon, 
[ouNijon,  anciennom  de  Chaillot],dans  lachapelledesd'A- 
lesso,  oil  estoient  enterres  ma  mere  et  ses  parents,  et  il  y 
fut  mis  une  epitapheavec  son  portrait  au-dcssus.  On  luy  fit 
des  funerailles  fort  cclebres  et  solennelles  a  Saint-Merry, 
sa  paroisse,  et  elles  cousterent  plus  de  six  inille  livres. 


344 

Le  lundi  d'apres  sa  mort,  M.  d'Eaubonne,  son  filsaisne, 
fut  prendre  sa  place  de  president  en  la  cour  des  comptes, 
et  quelque  instance  que  fit  M.  de  Suilly,  surintendant  des 
finances,  envers  lefeu  roy  pour  faire  perdre  et  vaquer  cet 
office  a  cause  de  la  revocation  des  survivances  et  que  le 
terme  d'opter  pendant  six  mois  estoit  expire,  jamais  le  roy 
n'y  voulut  entendre,  et  il  dit  ces  paroles  a  M.  de  Suilly  : 
«  J'aimois  le  bonhomme;  le  fils  est  recu;  ne  m'en  parlez 
plus.  »  Ce  nous  fut  une  grande  grace  de  Dieu  que  la 
conservation  de  cet  office.  Si  nous  1'eussions  perdu,  mon 
frered'Eaubonnese  fust  tenu  a  son  contrat  de  mariage  fort 
avantageux,  et  mon  frere  de  Lezeau  et  moi  n'eussions  eu 
pour  partage  que  des  pretentious  et  des  proces.  Jamais 
nous  n'eussions  eu  le  moyen  d'avoir  des  offices  et  de  nous 
pousser  et  avancer  dans  le  monde,  comme  nous  avons 
fait. 

Mon  pere  et  ma  mere  eurent  ensemble  sept  garcons  et 
huit  filles.  Olivier,  Andre  et  Nicolas  ont  seuls  survecu  a 
mon  pereet  partage  sa  succession.  Olivier  estoit  maistre  des 
requestes  lors  du  deces  de  son  pere  et  fut  fait  president  des 
comptes ;  Andre  estoit  conseiller  de  la  cour  et  commissaire 
aux  requestes  du  palais ;  Nicolas ,  age  d'environ  dix-neuf 
ans,  etudioit  a  Orleans  ,  lequel  depuis  a  este  conseiller  au 
grand  conseil,  puis  conseiller  de  la  cour  et  commissaire  aux 
requestes  du  palais  en  la  premiere  chambre,  depuis  president 
en  la  mesme  chambre,  et,  en  Tan  1 61 8,  maistre  des  requestes 
de  Thosteldu  roy.  Mon  pere  mourant  laissadans  sa  succes- 
sion les  biens  qui  en  suivent,  scavoir:  lesterres  d'Ormesson, 
d'Eaubonne  et  de  Lezeau  et  une  maison  a  Paris,  dans  la 
ruede  Beaubourg  oil  il  est  decode;  les  offices  de  president 
des  comptes  et  de  secretaire  des  finances,  de  maistre  des  re- 
questes, de  conseiller  a  la  cour  et  commissaire  aux  requestes 
du  palais;  en  rentes  constitutes,  obligations,  meubles  et 
i.  23 


342  APPENDICE   I. 

argent  comptant,  la  valeurde  quatre-vingt-dix  mille  livres, 
J'oubliois  a  dire  qu'apres  son  deces,  M.  le  president  de 
Charmeaux  fit  son  oraison  funebre  en  la  chambre  des 
comptes.  M.  Nicolai  (Jean),  premier  president,  fit  la  re- 
ponse,  et  tous  deux  n'oublierent  rien  des  louanges  de  feu 
mon  pere,  et  rendirent  a  sa  memoire  tout  1'honneur  que 
Ton  pouvoit  desirer,  et  la  chambre  temoigna  un  tres-grand 
regret  de  sa  perte. 

Mon  pere  estimoit  les  biens  qu'il  laissoit ,  au  prix  que 
toutes  choses  valoient  en  Tan  1600,  trois  cent  quinze  mille 
livres,  lesquelles  choses,  en  Tan  1615,  eussent  valu  six 
cent  mille  livres,  vu  1'exces  oil  toutes  choses  ont  monte, 
principalement  les  offices.  II  ne  nous  laissa  aucun  proces 
important  ni  aucune  restitution  a  faire.  II  nous  recom- 
nianda  la  paix  et  1'amitie  et  de  nous  garder  de  discord,  afin 
que  nous  puissions  jouir  en  repos  de  ce  qu'il  nous  avoit  ac- 
quis.  Nous  trouvasmes  un  papier  qui  portoit  ce  commandc- 
ment;  ce  que  nous  avons  execute,  Dieu  merci,  et  avons  par- 
tage  sa  succession  sans  aucun  proces  ni  differend,  encore 
qu'il  y  en  eust  eu  assez  d'occasion.  Mais  le  commandement 
d'un  si  bon  pere  et  la  benediction  que  Dieu  avoit  donnee  a 
ses  travaux  nous  ont  garantis  de  proces,  et  tout  ce  que 
mon  pere  a  laisse  est  dans  sa  maison  et  a  este  plutost  aug- 
mente  et  accru  par  sesenfants  quediminue.  » 

L'auteur,  apres  avoir  rappele  toutes  les  qualites  de  son 
pere,  termine  ainsi  :  «  Voila  qtiel  a  este  mon  pere.  Tous 
ceux  qui  1'ont  connu  en  parlent  avec  reverence  et  honneur, 
et  disent  qu'il  ne  s'en  trouveplus  guere  au  monde  qui  luy 
ressemblent.  Je  ne  scais  si  1'affection  que  je  luy  porte  m'a 
transporte  a  en  dire  plus  qu'il  n'y  en  avoit,  mais  je  puis 
assurer  que  je  n'ai  rien  ecrit  que  je  n'aie  cru  tres-veri table. 
Je  ne  luy  ai  attribue  aucune  vertu  qui  ne  fust  en  luy  et  n'ai 
deguise  ni  oublie  aucun  de  ses  defauts.  Je  1'ai  depeint  tel 


BIOG.  D'OLIV,  D'ORMESSON.  343 

qu'il  estoit,  estant  plus  arnoureux  dc  son  vrai  portrait  pour 
cc  qu'il  luy  ressemblc  quc  jc  ne  serois  du  plus  beau  et  du 
plus  excellent  portrait  du  monde  qui  ne  luy  ressembleroit 
pas.  J'ai  estime  quo  la  verite  luy  suffisoit  et  qu'il  n'avoit 
que  faire  de  mensonge  ni  de  deguisement  pour  estre  ho- 
nore.  D'ailleurs,  1'honneur  estant  fonde  sur  la  verite,  je  n'ai 
point  cherche  d'autre  fondement,  etpour  unevie  commune 
d'un  homme  de  mediocre  condition,  je  trouve  qu'il  a  aussi 
bien  joue  le  personnage  qu'il  avoi't  plu  a  Dieu  lui  donner 
en  ce  monde  qu'aucun  autre  de  son  temps.  Ceux  qui  des- 
cendent  de  luy  en  doivent  avoir  la  memoire  en  grande  re- 
verence pour  ses  verlus  et  merites,  et  pour  avoir  jete  les 
premiers  fondements  de  sa  fortune  et  de  la  leur,  et  donne 
le  commencement  et  1'ouverture  a  tout  ce  que  ses  succes- 
seursbastiront  a  jamais,  et  prier  Dieu  toute  leur  vie  pour  le 
salut  de  son  ame  (1).  » 

(1)  Cette  biographie  fut  probablement  composed  en  1615.  Andre" 
(TOrmesson  la  relut  plusieurs  fois,  a  des  e"poques  difKrentes,  et  y 
ajouta  des  notes.  «  J'ai  relu,  ecrit-il  au  f°  281  de  ses  Memoires,  j'ai 
relu  toute  cette  vie  le  samedi  28  juillet  1657,  ne  la  pouvant  relire 
trop  souvent  a  mon  gre  pour  1'affection  que  je  luy  ai  portee,  et  que 
j'ai  du  lui  porter  comme  son  fils  qu'il  a  bien  aime".  »  Au  f°  282 : 
«Maistre  Estienne  Pasquier,  avocat  du  Roy  en  la  chambre  des  comp- 
tes,  fit  ce  dyslique  sur  mon  pere  qui  se  nommait  Otivier  Lef&vre, 
en  latin  Olivarius  Faber : 

«  Cui  natalitium  nomen  donarat  Oliva, 
Hie  fuit  assiduus  pacis  ubique  Faber.  » 

Et  il  disoit  vrai ;  car  mon  pere  avoit  un  esprit  tres-pacifique  et  con- 
servoit  la  paix  et  la  tranquillite,  non-seulement  dans  son  Sine,  mais 
travaillant  a  mettre  la  paix  partout,  a  rdconcilier  les  ennemis  en- 
semble, les  maris  avec  leurs  femmes,  les  peres  avec  leurs  enfants ;  il 
avoit  la  contenance  rassise  et  Fesprit  foil  tranquille  et  patient,  Beati 
pad  fid  quoniam  filii  Dei  vocabuntur.n 


APPENDICE. 
ii. 

ORGANISATION   DU   CONSEIL   D'ETAT, 


Les  Mcmoires  d'Andre  d'Ormesson  fournissent  beaucoup 
de  details  sur  1'organisation  du  conseil  d'Etat.  Ce  magis- 
tral, qui  pendant  soixanteans  (1605 — 1665)  fut  attache  au 
conseil  en  qualite  de  maitre  des  requetes,  et  ensuite  de 
conseiller  quatrimestre,  semestre  et  enfin  ordinaire,  fit  dcs 
recherches  scrupuleuses  sur  les  attributions  et  les  regle- 
ments  de  cette  assemblee.  II  donne  en  meme  temps  des  de- 
tails sur  les  membres  qui  composerent  ce  conseil  de  1560  a 
1657,  pendant  pres  d'un  siccle.  Comme  c'est  precisempnt 
dans  cet  intervalle  que  s'est  organise  le  conseil  d'Etat  de 
1'ancienne  monarchic ,  il  ne  sera  pas  inutile  de  publicr  ces 
extraits;  ils  eclaireront  peut-etre  1'histoire  d'une  des  plus 
importantes  institutions  de  1'ancienne  monarchic,  qui 
est  loin  d'etre  suffisamment  connue.  II  est  ne'ccssaire 
d'examiner  d'abord  1'origine  de  cette  institution  et  lesprin- 
cipales  modifications  qu'elle  a  subies. 

Le  conseil  d'Etat  de  1'ancienne  monarchic  a  ete  appele 
aussi  conseil  du  roi,  conseil  prim,  conseil  elroit,  con- 
seil secret,  grand  conseil;  quelquefois  il  a  porte,  d'apres 
les  sections  dans  lesquelles  il  se  subdivisait ,  les  noms  de 
conseil  des  depeches,  conseil  de  direction  ou  des  li- 


CONSE1L   D'fiTAT.  345 

nances,  conseil  des  parties.  11  importe,  pour  ne  pas  tom- 
bcr  dans  des  erreurs  souvent  reproduites,  d'etablir,  des  le 
principe,  que  ces  divers  noms  s'appliquaient  a  une  meme 
assemblee.  II  faut  aussi  distinguer  tout  d'abord  trois  pe- 
riodes  dans  1'histoire  de  1'ancien  conseil :  \  °  1'epoque  oil  le 
conseil  du  roi  etait  a  la  fois  assemblee  politique,  chambre 
des  comptes  et  cour  de  justice ;  la  chambre  des  comptes  en 
f ut  separee  en  1 302,  et  le  grand  conseil  en  1 498 ;  2°  1'e- 
poque  oil  se  prepara  1'organisation  definitive  du  conseil  par 
une  serie  de  reglements  dont  les  plus  importants  sont  dus 
a  Richelieu  (4498—1630);  3°  de  1630  a  1789,  le  conseil 
d'Etat  n'a  fait  que  suivre,  avec  de  legeres  modifications,  les 
reglements  qui  1'avaient  constitue  sous  Louis  XIII. 

§  1.  Premiere  e'poque. 

On  trouve  dans  les  ternps  les  plus  recules  un  conseil  du 
roi.  Les  rois  Merovingiens  et  Carlovingiens  s'entouraientde 
referendaires.  Sous  le  regime  feodal,  les  grands  vassaux  se 
reunissaient  aupres  du  roi  a  des  epoques  determinees ,  et 
formaient  a  la  fois  un  conseil  politique  et  une  cour  de  jus- 
tice. Cette  assemblee  ne  comprenait  primitivement  que  les 
vassaux  du  duche  de  France ;  mais,  lorsque  1'autorite  des  rois 
s'ctendit,  les  grands  feudataires  qui  relevaient  directement 
du  souverain  formerent  la  cour  des  pairs ,  telle  qu'on  la 
voit  sous  Philippe-Auguste.  A  1'epoque  de  Louis  VIII,  les 
officiers  du  palais  (ministeriales  palatii  domini  regis) 
siegerent  dans  le  conseil  du  roi,  et  ils  obtinrent,  en  1 224, 
malgre  Topposition  des  pairs,  ledroitde  juger  les  proces  des 
grands  feudataires  (1).  La  cour  oil  conseil  du  roi  se  con- 
fondit  ainsi  peu  a  peu  avec  la  cour  des  pairs  et  en  exerca 
les  fonctions.  Saint  Louis  adjoignit  aux  grands  feudataires 

(1)  Voy.  Ducange,  v.  pares. 


346  APPfeNDlCE   11. 

et  aux  principaux  dignitaircs  de  la  couronne  dcs  legistes 
instruits  dans  le  droit  remain .  Pierre  des  Fontaines  et  Phi- 
lippe de  Beaumanoir  siegeaient  a  ce  titre  dans  le  conseil 
du  roi,  a  cote  des  hauts  barons.  Cette  assemblee,  dont  les 
Olim  ou  anciens  registres  du  parlement  (1)  nous  ont  con- 
serve les  arrets,  etait  tout  a  la  fois  cour  de  justice,  chambre 
des  comptes  et  conseil  politique. 

Ce  fut  seulement  sous  Philippe-le-Bel  que  la  diversite 
des  attributions  et  la  multiplicity  des  affaires  amenerent  la 
division  du  conseil  du  roi.  Le  parlement  eut  les  attribu- 
tions judiciaires;  la  chambre  des  comptes,  les  attributions 
financieres.  Le  conseil  d'Etat  ou  conseil  etroit  resta  specia- 
lernenl  charge  des  affaires  politiques  :  il  recut  un  premier 
reglement  de  Philippe-le-Long,  en  1318  (2) ;  outre  les  at- 
tributions administratives  et  poliliques  qui  lui  etaient  con- 
fiees,  il  etait  charge  dujugement  de  certaines  causes  evo- 
quees  par  le  roi.  Les  membres  du  conseil  d'Etat  pouvaicnt 
remplir  d'autres  fonctions  au  parlement,  a  la  chambre  des 
comptes,  etc.  line  ordonnance  de  1 41 3  reduisit  a  quinze  le 
nombre  des  membres  du  conseil  d'Etat  qui  devaient  delibe- 
rer  avec  le  chancelier,  le  connetable  et  les  autres  grands 
officiers  de  la  couronne. 

Comme  les  proces  portes  au  conseil  d'Etat  devenaient  de 
plus  en  plus  nombreux,  on  fut  oblige,  pour  les  juger,  dc 
crccr,  a  la  fin  du  xve  siecle(1497),  un  tribunal  special,  qui 
prit  le  nom  de  grand  conseil  et  fut  un  nouveau  demcnibrc- 
mcnt  du  conseil  d'Etat.  Les  proces  des  archeveques,  eve- 
ques,  abbayes,  communautes  religieuses,  qui  etaient  por- 
tes anterieurement  au  conseil  d'Etat,  furent  de  la  compe- 
tence du  grand  conseil.  A  une  epoque  ou  les  benefices  ec- 

(1)  Les  Olim  ont  6t6  publics  dans  la  collection  des  Documents 
nedits  de  t'histoire  de  France. 
(2)  Ordonn.  des  rois  de  France,  I,  656  et  669. 


CONSEIL   D'ETAT.  347 

clcsiasliqucs  couvraienl  leroyaume,  cetlc  juridiction  acquit 
promplcment  une  haute  importance. 

§  2.  Conseil  d'Etat  de  1 498  a  1 661 . 

Leconseil  d'Etat  conserva  encore,  apres  la  creation  du 
grand  conseil,  certaines  attributions  judiciaircs  pour  la  so- 
lution de  questions  administratives  et  la  decision  des  con- 
flits  entre  les  tribunaux.  On  appela  conseil  des  parties 
la  section  qui,  sous  la  presidence  du  chancelier,  exerca  les 
attributionsjudiciaires.  Une  autre  section,  nommee  conseil 
des  depeches,  expediait  les  affaires  relatives  a  Pinterieur 
du  royaume.  Elle  est  deja  mentionnee  sous  Francois  Ier 
et  Henri  II,  quoiqu'on  en  ait  quelquefois  recule  1'organi- 
sation  jusqu'a  1'epoque  de  Henri  IV  ou  de  Louis  XIII.  Ca- 
therine de  Medicis,  dans  un  memoire  ou  elle  donne  a  son 
petit-fils  Charles  IX  des  conseils  sur  la  maniere  de  gouvei- 
ner,  lui  recommande  de  voir  lui-meme  les  depeches  qui  lui 
sont  adressees  :  «  Si  ce  sont  choses,  dit-elle  (1 ),  de  quoi  le  con- 
seil vous  puisse  soulager,  il  fautles  y  envoyer  eten  faire  un 
commandement  au  chancelier  pour  jamaisqu'avant  que  les 
maistres  des  requestes  entrent  au  conseil,  il  ait  adonner  une 
heure  pour  les  depesches,  et  apres  faire  entrer  les  maistres 
des  requestes  et  suivre  le  conseil  pour  les  parties.  C'est  la 
forme  que,  durant  les  rois  messeigneurs  vostre  pere  ct 
yrand-pere,  tcnoit  monsieur  le  connetable  et  ceux  qui  as- 
sistoient  audit  conseil;  et  les  autres  choses  qui  ne  depen- 
dent quede  vostre  volonte,  apres,  comme  dessus  est  dit,  les 
avoir  entendues,  commander  les  depesches  et  reponses,  se- 
lon  vostre  volonte,  aux  secretaires,  et  le  lendemain,  avant 
que  rien  voir  de  nouveau,  vous  les  faire  lire  et  commander 

(1)  Avis  de  Catherine  de  Medicis  &  Charles  IX,  dans  les  Archives 
curieuses  de  Chistoirc  de  France,  lre  se"rie,  torn.  V,  p.  250-251. 


348  APPEND1CE    II. 

qu'ellcs  soicnt  envoyecs  sans  delai ,  et  en  ce  faisant  n'en 
viendra  point  d'inconvenient  a  vos  affaires,  et  vos  sujels 
connoistront  le  soin  qu'avez  d'eux  etque  voulez  estre  promp- 
ternent  et  bien  servi.  Cela  les  fera  plus  diligents  et  soi- 
gneux,  et  ils  connoistront  davantage  combien  voulez  conser- 
ver  votre  Etat  et  le  soin  que  prenez  de  vos  affaires.  » 

Une  troisieme  section  s'occupait  des  finances  et  elail  de- 
signee  sous  le  nom  de  conseil  de  direction.  Enfm  les  af- 
faires d'Etat,  qui  primitivement  occupaient  le  conseil  tout 
entier,  fmirent  par  etre  reservees  a  un  conseil  prive  qu'on 
appela  conseil  d'enhaut,  oil  siegeaient  les  princes,  les 
grands  officiers  de  la  couronne  et  les  secretaires  d'Etat.  Cos 
derniers  y  remplissaient  les  fonctions  de  rapporteurs,  qui 
dans  le  conseil  d'Etat  ordinaire  etaientconfiees  aux  maitres 
des  requetes. 

Les  memoires  d' Andre  d'Ormesson  fournissent  beaucoup 
de  renseignements  sur  celte  epoque  de  1'histoire  du  conseil 
d'Etat.  Les  conseillers ,  peu  nombreux  en  1 560 ,  s'accru- 
rent  par  la  faiblesse  du  gouvernernent,  et  ('assembles  elait 
surcharged  de  membres  a  la  fin  du  regne  de  Henri  III. 
Andre  d'Ormesson  fait  connaitre  leurs  noms  d'apres  les 
registres  memes  du  conseil,  et  remarque  qu'en  general ,  a 
cette  epoque,  les  conseillers  etaient  des  ambassadeurs,  des 
marecbaux  de  France,  des  gouverneurs  de  province  et  au- 
tres  grands  seigneurs  plutot  que  des  gens  de  robe.  Sous 
Henri  IV,  Tordre  rentra  dans  le  conseil ,  comme  dans  la 
France  entiere;  il  fut  reduil  a  un  petit  nombre  de  mem- 
bres. L'anarchie  reparut  sous  la  regence  de  Marie  de  Me- 
dicis,  et  la  regie  avec  Richelieu.  C'est  ici  surtout  que  les 
memoires  d'Andre  d'Ormesson  deviennent  precieux;   ils 
donnent  tous  les  reglements  du  conseil  de  1622  a  1630. 
L'organisation  de  1630  est  la  plus  remarquable;  les  attri- 
butions de  cbaque  section  du  conseil  sont  determinees  avec 


CONSEIL  D'STAT.  349 

precision.  La  minorite  de  Louis  XIV  ramcna  la  confusion 
dans  le  conseil  qui  se  remplit  d'une  foule  de  magistrals,  et, 
malgrc  de  nombreux  reglements,  cette  anarchic  dura  jus- 
qu'a  1'epoqueoii  Louis  XIV,  vainqueur  de  la  Fronde,  reta- 
blit  1'ordre  dans  toutes  les  parties  du  gouvernement.  Le 
reglement  de  1657  reduisit  les  conseillers  d'Etat  a  vingt- 
six,  dont  douze  ordinaires  et  quatorze  semestres.  Plus  de 
cent  furent  supprimes ;  enfin  une  ordonnance  de  1661  rc- 
gularisa  le  service  du  conseil.  II  y  eut  quatre  sections  : 
1  °  le  conseil  des  parties,  oil  les  maitres  des  requetes  rap- 
portaient  les  proces  d'evocation  ou  de  conflitsquejugeaient 
les  conseillers  d'Etat ;  2°  le  conseil  de  grande  direction  , 
que  presidait  le  chancelier  et  qui  jugeait  les  questions  con- 
tentieuses  en  matieres  de  finances ;  3°  le  conseil  de  petite 
direction  qui  etait  preside  par  le  surintendant  et  dans  la 
suite  par  le  president  du  conseil  des  finances,  et  qui  jugeait 
les  proces  relatifs  aux  fermes  des  impots ;  4°  le  conseil  des 
depeches,  qui  etait  charge  de  I'administration  interieure.  Le 
conseil  d'Etat  n'avait  plus  aucune  attribution  politique. 
Louis  XIV,  qui  comprenait  si  bien  1'importancc  du  secret 
et  de  la  promptitude  dans  la  deliberation  et  1'execution  , 
concentra  la  direction  du  gouvernement  dans  un  conseil  de 
trois  membres,  de  Lyonne ,  Colbert  et  Le  Tellier,  qui  fut 
dans  la  suite  remplace  par  Louvois  (I).  Mais,  en  enlevant 
au  conseil  d'Etat  les  affaires  politiques,  il  ajouta  a  son  au- 
torite  dans  les  questions  dont  il  lui  laissait  la  decision.  II 
voulut  que  les  parlements  lui  fussent  subordonnes.  «  Jc 
leur  defendis,  dit-il  dans  ses  memoires  (2),  de  donner  des 
arrets  contraires  a  ceux  de  mon  conseil,  sous  quelque  pre- 
texte  que  ce  put  etre.  »  Le  conseil  d'Etat  rcsla,  jusqu'a  la 
revolution  de  1789,  a  peu  pres  organise  comme  sous 

(1)  Memoires  dc  Louis  XIV,  I,  32-38. 

(2)  Ibid.,  I,  49-50. 


350 


APPENDICE   II. 


Louis  XIV;  d'ailleurs  nous  n'avons  pas  a  nous  occuper  ici 
de  1'histoire  de  I'administration  et  des  institutions  au  xvmc 
siecle. 


Conseil  du  roi  Francois  II  au  commencement  de 

Z'atw(fe1560  (1): 
Le  Roy. 

Ses  trois  freres  (Orleans,  Anjou,  Alencon). 
La  reine-mere,  Catherine  de  Medicis. 
La  reine  de  France  et  d'Ecosse,  Marie  Stuart. 
Le  due  de  Guise,  Francois  de  Lorraine. 
Anne  de  Montmorency,  connetable. 
Jacques  d'Albon,  mareschal  de  Saint-Andre. 
Francois  Olivier,  chancelier  de  France. 
Michel  de  1'Hospital,  chancelier  de  Sancy. 
Jean  de  Morvilliers,  evesque  d'Orleans. 
Charles  de  Marillac,  archevesque  de  Yicnne. 
Jean  de  Montluc,  evesque  de  Valence. 
Andre  Guillart,  sieur  du  Mortier. 
Francois  d'Avau  son. 

Voila  ceux  qui  se  trouverent  a  1'assemblee  de  Fonlaine- 
bleau,  en  1 560,  pour  composer  et  apaiser  les  troubles  de 
la  religion.  M.  de  Morvilliers  mourut  a  Tours  en  1577  ;  il 
avoit  este  evesque  d'Orleans  et  avoit  resigne  cet  evesche  a 
son  neveu,  Mathurin  de  la  Saussaye,  oncle  de  ma  mere, 
Anne  d'Alesso,  fille  de  Marie  de  la  Saussaye. 


Conseil  du  roi  Francois  II  en  aoui  \  560  (2) : 
Michel  de  L'Hospital,  chancelier  de  France. 

(1)  Memoires  d' Andre  d'Ormesson,  f°  5  verso. 

(2)  Ibidem,  f°  13  recto. 


D'ETAT. 


351 


Jean  de  Morvilliers,  evesque  d'Orleans. 

Charles  de  Marillac,  archevesque  de  Vicnne. 

Jean  de  Montluc,  evesque  de  Valence. 

Francois  d'Avauson. 

Andre  Guillart,  sieur  du  Mortier. 

Les  grands  princes  et  les  grands  seigneurs  estoient  les 
trois  freres  du  roy,  le  roy  de  Navarre,  les  cardinaux  de 
Bourbon  et  de  Lorraine,  le  due  de  Guise,  le  due  d'Aumale, 
le  conne' table  de  Montmorency,  les  mareschaux  de  Saint- 
Andre  et  de  Brissac,  1'amiral  de  Chastillon  (Gaspard  de 
Coligny).  

Conseil  d'Etat  (1578)  (1). 

Conseil  du  Roy  Henry  III  suivant  son  reglement  du  11  aoust  1578, 
signe"  HENRY,  et  plus  bas  de  NEUFVILLE  DE  VILLEROY. 

Les  conseillers  d'Estat  de  robe  courte  estoient : 

Le  due  d'Uzes.  Le  sieur  de  Puigaillard. 

Le  sieur  d'Escars.  Le  sieur  d'Aumont. 

Le  sieur  de  Chavigny.  Le  sieur  d'Estree. 

Le  sieur  de  la  Vauguion.  Le  sieur  de  Malicorne. 

Le  sieur  de  Saint-Supplice.  Le  sieur  de  Fonts. 

Le  sieur  de  la  Chapelle-aux-  Le  sieur  de  La  Mothe-Fene- 

Ursins.  Ion. 

Le  grand  prieur  de  Cham-  Le  sieur  de  Maintenon. 

pagne  (de  Serre).  Le  sieur  de  Combault. 

Conseillers  d'Estat  de  robe  longuc  : 

L'evesque  de  Valence  (Jean  Le  sieur  de  Roissy  (Henri  de 

de  Montluc).  Mesmes). 

LesieurdeLenoncour(abbe).  L'evesque  de  Paris  (Pierre 

L'evesque  de  Limoges  (L'Au-  de  Gondy) . 

bespine).  Le  sieur  de  Pibrac  (Guy  du 

Le  sieur  de  Foix  (Paul).  Faur). 

Le  sieur  de  Bellievre  (Pom-  Le  grand aumosnier  (Jacques 

ponne). 

(I)  M6moires  d'Andr6  d'Ormesson,  f°  5  verso. 


352  APPENDICE   II. 

Amiot),  evesqued'Angers,    L'archevesque    de    Vienne 
etabbe  de  Bellozanne.  (Charles  de  Marillac). 

Le  roy  veult  que  le  sieur  de  Regnault  de  Beaune,  depuis 
archevesque  de  Bourges,  et  1'evesque  de  Mende  entrcnt  au 
dit  conseil  comme  chancellors  de  la  reyne  sa  mere  ei  du 
due  d'Anjou  sonfrere,  comme  aussi  le  sieur  de  Ruzeayant 
este  secretaire  du  roy  a  son  avenement  a  la  couronne ,  et 
Chantereau  comme  secretaire  de  la  reyne  sa  mere. 

Tous  ces  conseillers  d'Estat  furent  departis  en  trois  qua- 
tremestres  sous  messieurs  de  Villeroy,  Pinart,  de  Bruslart, 
secretaires  d'Estat ,  et  furent  departies  entre  eux  toutes  les 
provinces,  afiri  que  les  affaires  fussent  mieux  entenducs  ot 
plus  tost  expedites. 

En  ce  temps,  les  sieurs  Olivier  Lefevre,  sieur  d'Ormesson, 
et  Benoist  Milon,  sieur  de  Vieuville,  estoient  intendans  et 
controleurs-generaux  des  finances.  Les  reglements  du  con- 
seil etaient  exacts  et  exactement  observes. 


Conseil  du  Roi  (1586)  (1)  : 

Le    cardinal  de  Vendosme  de  Gontaut). 

(Charles).  Marcschal  d'Aumont. 

Le  cardinal  de  Guise  (Louis  Mareschal  de  Matignon. 

de  Lorraine).  Messirc   Philippe    Huraull, 

Les    quatre   marechaux  de  comte  de  Chiverny,  chan- 

France.  celier  de  France  el  premier 

Mareschal  de  Retz  (Albert  de  chancelier  de  1'ordre  du 

Gondy) .  Saint-Esprit  (1 578) . 
Mareschal  de  Biron  (Armand 

Secretaires  d'Estat  : 

De  Villeroy  de  Neufville.         Pinart  de  Comblisi. 
Bruslart,  sieur  de  Crosne. 

11  n'y  avait  alors  que  trois  secretaires  d'Etat. 
(1)  M&noires  d'Andr6  d'Ormesson,  f°  13. 


CONSEIL  D'ETAT. 
Les  deux  tresoriers  de  Vepargne : 


353 


Pierre  Molart,  sieur  de  St-    Jacques  le  Roy,  sieur  de  la 
Ouin  en  Touraine.  Grange-le-Roy. 


Conseillers  d'Estat  : 


MM. 


MM. 


De  Gondy,  evesque  de  Paris. 
La  Chapelle-aux-Ursins. 
La  Mothe-Fenelon. 
D'Espignac,  archevesque  de 

Lyon. 

Des  Chasteliers. 
Miron-Lermitage,     premier 

medecin  du  roy. 
De  Biron. 
Larchant. 

Clermonl  d'Antragues. 
Comte  de  Cerny. 
De  Cornuson. 
De  Poigny. 
D'O. 

Combault. 
Beaune,     archevesque     de 

Bourges. 
Beaulieu-Ruzc. 
Maral,  intendanl. 
Ris  (Faucon). 
Amiot,  grand  aumosnier. 
De  Pressins. 
De  Rambouillet    (d'Angcn- 


De  Pons. 

D'Escars-la-Vauguion . 

Miron-Chenailles,  intendant. 

De  Thou,  president. 

Rostaing. 

Chavigny. 

Dabin. 

Lenoncour. 

Chasteauvieux. 

De  Lage. 

Schomberg. 

Du  Bee,  evesque 

tes. 

Evesque  du  Puy. 
Maintenon-Rambouillet. 
D'Escars,  evesque  de  Lan 

gres. 

Beaufort-D'Escars. 
Lagny. 
de  Bellievre. 
Vibraye-Hurault. 
Bochart-Champigny. 
Castelnau-Mauvissiere. 
De  Rieux. 


de  Nan- 


nes  . 


Secretaires  du  Conseil  : 


De  Villequier.  Martin. 

Polier  de  Gesvres.  Beaulieu-Ruze. 

Guibert,  sieur  de  Bussy-St-    Fresnes-Forget. 

Tons  les  noms  de  ces  seigneurs  ont  este  tires  par  moi  du 
regislrc  du  conseil  de  cette  annee  1586  qui  avoit  esle 
preste'  a  M.  de  Lezeau,  mon  frere,  par  monseigneur  lc 


354 


APPENDICE   II. 


garde  des  sceaux  de  Marillac  au  mois  de  novembre  1 629. 
On  peut  remarquer  comme  le  conseil  estoit  presque  tout 
compose  d'ambassadeurs,  de  grands  seigneurs,  de  mares- 
chaux  de  France,  gouverneurs  de  province,  gens  d'epee, 
el  de  cardinaux,  de  prelats,  evesques  et  archevesques  et 
peu  de  gens  de  robe  longue.  Je  vis  par  les  registres  qu'au- 
cun  maistre  des  requestes  n'y  entroit  ni  ne  rapportoit,  mais 
seulement  tous  ces  seigneurs  dont  les  noms  sont  ci-dessus 
ecrits.  Force  requestes  s'y  rapporloierit  et  fort  peu  d'in- 
stances.  Maintenant  1'ordre  du  conseil  est  bien  different, 
presque  en  toutes  choses.  Ce  sont  toutes  robes  longues  qui 
tiennent  le  conseil,  aucun  homme  d'epee,  et  fort  peu  d'e- 
vesques  y  entrent.  J'entends  parler  du  conseil  des  parties, 
des  finances  et  de  la  direction.  Les  princes  du  sang  tien- 
nent le  conseil,  scavoir  est  M.  le  due  d'Orleans  et  M.  le 
prince  de  Conde,  quand  il  leur  plaist,  estant  chefs  des  con- 
seils  du  roy  pendant  sa  minorite.  Fait  ce  2!  mai  1 649  a 
Ormesson. 


Conseillers  du  roi  (1596), 

Lorsque  messire  Maximilian  de  Be*thune,  marquis  de  Rosny,  fut  fait  seul 
surintendant  des  finances  par  le  feu  Roy  Henri-le-Grand  (4). 

Sur  intend  ants  des  finances  : 

MM.  Le  due  de  Nevers  (Ludovic  de  Gonzague). 
Le  conne  table  Henry  de  Montmorency. 
Philippe-Hurault  de  Chiverny,  chancelier  de  France. 
Le  mareschal  de  Retz,  Pierre  de  Gondi,  due  et  pair. 
Le  mareschal  de  Matignon. 
De  Sancy  (Nicolas  de  Harlay). 
Le  comte  de  Schomberg. 

(1)  Memoires  <T  Andre"  Lefevre  d'Ormesson,  f°  7  verso. 


CONSEIL  D'ETAT.  355 

Hnranlt,  seigneur  de  Maisse,  conseiller  d'Estat. 
De  la  Grange-le-Roy  (Jacques-le-Roy). 

Intendants  des  finances  : 

MM.  D'Incarville  (Saldaigne). 
D'Heudicour  (Sublet). 
Maral,  seigneur  de  Villeneuve-le-Roy. 
Vallee,  sieur  des  Barreaux. 
Guibert,  sieur  de  Cussy. 
Doin  d'Attichy. 
Pi  cot,  sieur  de  Senteny. 
De  Vienne. 

Voila  ceux  dont  le  roy  se  servoit  pour  la  direction  de  ses 
finances  es-annees  1 595  et  1596,  lesquels  ne  menageant 
pas  les  finances  a  son  gre,  il  mit  en  leur  place  M.  le  marquis 
de  Rosny;  ils  furent  tous  desappointes,  ostesde  ladite  admi- 
nistration et  renvoyes  en  leurs  maisons.  Les  huit  premiers 
prenoient  qualite  de  surintendans,  les  huit  derniers  d'in- 
tendans.  Les  intendans  supprimes  avoient  chacun  donne 
douze  mille  escus  au  roy  pendant  1'annee  1 592,  le  roy  es- 
lant  a  Tours;  ils  eurent  bien  de  la  peine  a  s'cn  faire  reni- 
bourser,  M.  de  Suillyles  meprisant  et  se  moquant  d'eux. 
En  leurs  places  furent  mis  le  sieur  de  Vienne,  le  sieur  de 
Maupeou  et  le  sieur  Isaac  Arnault,  avocat  au  parlement  de 
Paris,  de  la  religion  pretendue  reformee,  comme  estoit 
aussi  M.  de  Maupeou  et  Maximilien  de  Bethune,  marquis 
de  Rosny,  lequel  fut  fait  ducde  Suilly  en  1605  et  sortit  de 
sa  charge  en  1 61 1 ,  apres  la  mort  du  roy  Henri  IV,  par  1'a- 
vis  du  chancelier  de  Sillery,  de  M.  de  Villeroy  et  du  presi- 
dent Jeannin,  qui  ne  pouvoient  le  souffrir  (tant  il  estoit 
hautain  et  audacieux  en  ses  paroles !),  en  ayant  beaucoup 
souffert  du  temps  du  roy  Henri  IV,  qui  le  soutenoit  a 


356  APPENDICE   II. 


cause  de  sa  rigueur  centre  les  particuliers,  et  qu'il  estoit 
grand  menager  des  deniers  du  roy  et  fort  laborieux  dans 
sa  charge,  et  mettoit  force  argent  dans  la  Bastille  pour  le 
service  du  roy. 


Cons  oil  du  roy  au  mois  de  fevrier  1 605  (4 )  : 

MM.  Pomponne  de  Bellievre,  chancelier  de  France. 

Nicolas  Bruslart  de  Sillery,  garde  des  sceaux,  sans 

sceaux  (2). 
Maximilien  de  Bethune,  marquis  de  Rosny,  surintcn- 

dant. 
De  Chasteauneuf  (Claude  de  L'Aubespine),  doyen  du 

conseil. 

Huraultde  Maisse. 
De  Pontcarre  (Camus). 
DeVic  (Mery). 
Le  president  Jeannin. 
De  Calignon,  chancelier  de  Navarre. 
DeBoissise  (Turnery). 
De  Caumartin  (Lefevre). 
De  Fresne  (Canaye). 
Quandje  fust  recu  maistre  des  requestes  en  fevrier  1605, 

(1)  M&noires  d'Andre"  d'Ormesson,  f°  2    (seconde  pagination). 
Note  d' Andre"  d'Ormesson  :  «  Je  fus  recu  maistre  des  requestres  au 
mois  de  Janvier  1605,  par  M.  le  chancelier  de  Bellievre,  dans  sa 
maison,  rue  de  Betisy.  » 

(2)  Note  d' Andre"  d'Ormesson  :  «  Et  est  a  observer  que  M.  de 
Sillery,  garde  des  sceaux,  se  mettoit  au-dessous  de  M.  le  chancelier, 
du  mesme  coste,  et  le  marquis  de  Rosny  de  Tautre  coste",  vis-a-vis 
de  M.  le  chancelier  de  Bellievre.  Ge  que  ne  fit  pas  M.  du  Vair,  en 
Fann6e  1617;  car  il  se  mil  vis-a-vis  du  chancelier  de  Sillery,  dont 
les  grands  s'offensferent,  entre  autres  le  due  d'Espernon,  en  1'an- 
n^e  1618.  » 


CONSEIL  D'ETAT.  357 

il  n'y  avoit  que  ces  messieurs  qui  entrassent  dans  les  con- 
seils.  Les  lundi,  mercredi  et  vendredi  matin,  conseils  des 
parties;  les  mardi,  jeudi  et  samedi  matin,  conseils  de  fi- 
nances. II  n'y  avoit  point  de  direction  autre  que  la  personne 
seule  du  marquis  de  Rosny,  qui  travailloit  assiduement  et 
estoit  fort  laborieux  et  exact,  et  si  rude  a  ceux  qui  avoient 
a  parler  a  luy  que  Ton  apprehendoit   de   1'approcher, 
disant  souvent  de  tres-mauvaises  paroles  et  des  injures,  et 
estoit  fort  ha'i  et  abhorre ;  ce  qui  estoit  cause  que  le  roy 
Henry  IV  Ten  aimoit  davantage,  estant  fort  avaricieux  de 
son  naturel  et  croyant  qu'il  mesnageoit  fort  sa  bourse.  II 
avoit  pour  intendans  sous  luy  :  M.  Jean  de  Vienne,  M.  Gil- 
les  deMaupeou  el  Isaac  Arnault,  qui  avoit  este  avocat  a  la 
cour.  II  les  gourmandoit  quand  bon  luy  sembloit ;  il  estoit 
fier  et  arrogant,  avec   une  mine  renfrongnee  et  fort  rebar- 
bative.  II  fut  fait  due  de  Suilly  des  1'annee  1 605.  M.  le  chan- 
celier  et  M.  de  Sillery  avoient  fort  a  souffrir  de  luy,  s'estant 
rendu  absolu  dans  les  finances  et  ne  voulant  estre  contre- 
dict  par  personne  dans  leconseil.  Voilaquel  estoit  1'estat  du 
conseil  en  ce  temps-la  et  jusques  a  la  mort  du  roy  Henry  IV 
que  le  dit  marquis  de  Rosny  fut  disgracie,  et  au  lieu  de 
luy  la  direction  fut  etablie  consistant  en  sept  ou  huict  per- 
sonnes  qui  travailloient  ensemble,  etle  samedi  rapportoient 
a  M.  le  chancelierde  Sillery  ce  qu'ils  avoient  fait  pendant 
toute  la  semaine.  Ceux-la  estoient,  en  1611,  messieurs  : 

De  Chasteauneuf  pere  (Claude  de  1'Aubespine). 
President  de  Thou  (Auguste). 
President  Jeannin,  controleur-general . 
Maupeou  (Gilles), 


Arnault  (Isaac), 


intendans. 


Cbevry  (Louis  Duret), 

Dole, 

Bulion  (Claude),  conseiller  (VEstat. 

L  24 


APPENDICE    II. 


Avec  le  temps  cette  direction  s'est  accrue,  et  tout  a  change 
<le  forme  et  changera  selon  les  temps.  Escript  ce  que  des- 
sus  le  dimanche  29  Janvier  4645. 


Conseil  du  Roy  h-anne'es  \  61 4  et  \  61 5,  tenu  pour 

les  finances  (1). 

Le  roy  et  la  reyne,  sa  mere  estoient  au  bout  de  la 
table,  le  roy  a  la  main  droite,  la  reyne-mere  a  la  main 
gauche. 


Au  coste  droit,  du  coste  de 
la  cheminee,  estoient  : 

MM. 

Le  prince  de  Conde. 

Le  chancelier  de  Sillery. 

Le  due  d'Epernon. 

De  Bellegarde,  grand-ecuyer. 

De  Chasteauneuf. 

Le  president  de  Thou. 

Le  president  Jeannin. 

Le  president  de  Jambeville. 

Le  president  de  Bragelonne. 

Le  president  de  Boulencour. 

De  Refuge. 

Le  president  de  Seve. 

De  Marillac. 

Vignier. 

De  Monthelon. 

De  Leon. 

De  Beaumont-Menardeau. 

De  Courson-Hue. 

De  la  Boderie. 

Le  president  d'Atis. 

De  Poret  Seguier. 

Le  president  Miron. 


Au  coste  gauche  : 

MM. 

Le  cardinal  de  Bonzi,  eves- 
que  de  Beziers  et  grand- 
aumosnier  de  la  reyne- 
mere. 

Le  due  de  Guise. 

Le  cardinal  de  Guise. 

Le  due  de  Chevreuse. 

Le  chevalier  de  Guise. 

Le  marechal  d'Ancre  (Con- 
chino  Conchini]. 

De  Pontcarrc. 

De  Vic. 

De  Catimartin. 

DeBoissise. 

De  Champigny. 

De  Roissy. 

De  Bulion. 

De  Miron,  evesque  d'Angers. 

Hurault,  archevesque  d'Aix. 

De  Chevrieres ,  cvesijue  do 
Grenoble. 

De  Bisseaux. 

Haligre. 


(1) 


'Andre  d'Ormesson,  f° 5  recto. 


CONSEIL  D'ETAT. 

MM.  MM. 

Oilier.-  De  Berny,  frere  du  chance- 
De  Preaux  de  Chasteauneuf       Her. 

fils.  De  Courmoulin. 

Ladvocat.  D'Espaignet. 

Le  president  de  Villeneuve.  Fremion ,    archevesque    de 
De  Treslon.  Bourges. 

Le  president  de  Chavigny. 

Ce  conseil  estoit  fort  celebre ;  les  conseillers  d'Estat  et 
les  maistres  de  requestres  y  rapportcient  les  grandes  affai- 
res, et  [cetordre]  fut  introduit  parM.  le  chancelier,  lequel, 
pour  empescher  que  M.  le  Prince  qui  se  rendoit  ordinaire 
aux  conseils  n'y  prit  trop  d'autorite,  conseilla  le  roy  et  la 
reyne  de  s'y  trouver,  et  a  leur  suite  tous  les  princes  et 
grands  seigneurs  prenoient  a  faveur  d'y  assister.  La  mai- 
son  de  Guise  y  prenant  place  en  excluoit  tous  les  autres 
princes,  fors  les  princes  du  sang, 

Mais,  depuis  que  M.  le  Prince  fut  arreste  prisonnier,  qui 
fut  le  premier  septembre  1616,  le  roy  et  la  reyne-mere  ni 
les  princes  n'y  sont  plus  venus. 

Les  quatre  secretaires  d'Estat  estoient  lors  MM.  dePisieux 
(Bruslart),  de  Sceaux  (Potier),  Lomenie  (pere)  et  Ponchar- 
train-Phelipeaux. 

Au  lieu  de  M.  de  Suilly,  surintendant  disgracie  en  1 61 1 , 
fut  introduicte  la  direction  composee  de  MM.  de  Chasteau- 
neuf, de  Thou  et  Jeannin;  de  MM.  de  Maupeou,  Arnault, 
Dole,  intendansdes  finances,  et  de  M.  de  Bulion,  et  estoient 
sept  et  rapportoient  tous  a  la  semaine  devant  M.  le  chan- 
celier de  Sillery,  qui  estoit  par  dessus  ladite  direction  et 
qui  avoit  attire  a  luy  seul  toute  1'autorite  dans  les  affaires 
d'Estat  et  des  finances  et  des  estrangers,  a  cause  de  M.  de 
Pisieux,  secretaire  d'Estat,  son  fils,  qui  estoit  de  haute  fa- 
veur et  avoit  la  guerre  et  les  estrangers,  ayant  succede  a 
1'employ  de  feu  M.  de  Villeroy,  son  beau-pere. 


360 


APPENBICE    II. 


Le  Conseil  du  Roy  a  la  fin  du  mois  de  may  1616  (1). 

Messire  Guillaume  du  Vair,  garde-des-sceaux  par  la  dis- 
grace du  chancelier  de  Sillery ,  retire  en  la  maison  de 
M.  Desmaretz,  son  gendre. 

MM.  les  conseillers  d'Estat  servant  actuellement  dans 
le  conseil  : 


MM. 

De  Chasteauneuf  pere. 

De  Pontcarre. 

Le  president  de  Thou. 

De  Vic. 

De  Boissise. 

De  Cau martin. 

De  Jambeville. 

De  Champigny. 

De  Refuge. 

De  Roissy. 

De  Marillac. 

De  Monthelon. 

Oilier. 

Viguier. 

Haligre. 

Le  president  de  Bragelonne. 

De  Berny. 

Menardeau-Beaumont. 

Pericart. 

De  Preaux-Chasteauneuf. 

De  Treslon. 

Ladvocat. 


MM. 

De  Courson. 
De  Bonlencour. 
De  Courmoulin. 
Miron,  evesque  d' Angers. 
De  Vi  1  lemon  t  re. 
De  Bulion. 
De  Castille. 
Barentin. 
De  Fondriac. 
De  Bisseaux. 
D'Espaignet. 
De  Chevrieres,   evesque  de 

Grenoble. 
Bertier,   evesque  de  Rieux 

[Riez]. 

Hurault,  evesque  d'Aix. 
Le  president  de  Chavigny. 
Seguier. 

De  Leon  (Bruslart). 
L'abbede  Bourgueil  (d'Es- 

tampes,  Valence)  (2). 


(1)  Me"moires  d' Andre*  d'Ormesson,  f°  57  verso. 

(2)  Note  d'Andr6  d'Ormesson :  «  De  toute  celte  liste  de  conseil- 
ers  d'Estat  il  n'y  en  avail  plus  que  quatre  en  vie  au  mois  de  Jan- 
vier 1645  :  Preaux,  Le"on,  Courmoulin  et  Valence".  »  —  Andre"  d'Or- 
messon a  ajoute"  en  1654  :  «  Tous  ces  quatre  estoient  de"cedes  en 
Fan.  165/i.  II  n'y  en  a  plus  aucun  en  vie  de  toute  celte  liste.  Les 
homines  ne  durenl  guere.  Vila  homninm  brevis,  regum  brevier, 
pontifwim  brevissima.  » 


CONSEIL  D'ETAT. 


361 


Finances  : 


MM. 


M.  Le  president  Jeannin,  sur- 

intendant  des  finances.       Henry  de  Lomenie,  pere  et 
MM.  Les  intendansestoient :         fils. 


MM. 

Barbin,  controleur-general. 
De  Maupeou. 
Arnault. 

Duret  de  Chevry. 
De  Castille. 

MM.  Les  tresoriers  de  1'es- 
pargne  estoient : 

Vincent  Bouhier  de  Beau- 
march  ais. 

Remond  Phelippeaux-d'Er- 
bault. 

Thomas  Morand  du  Mesnil. 

Secretaires  d'Estat  : 

Pierre  Bruslart  de  Pisieux. 
Bene  Potier  de  Sceaux. 
Paul   Phelippeaux  de  Pont- 
chartrain. 


Secretaires  du  conseil : 

DuHoussay-Malier  (Janvier). 
De  Fontaines-Boner  (avril). 
Des  Portes-Baudoin  (juillet). 
De  Flecelles  (octobre). 

Greffiers  du  conseil  : 

De  la  Grange-Trianon  (Jan- 
vier) . 

Potel  (avril). 
Moreau  (juillet). 
Le  Tanneur  (octobre). 

Tresoriers  des  parties  ca~ 
suelles  : 

Hardier. 
Barantin. 
De  Nouveau. 


Voila  tous  ceux  qui  venoient  au  conseil;  ils  ne  sont  pas 
escrits  selon  1'ordre  de  leurs  seances,  lesquelles  aussi  n'es- 
toient  pas  reglees,  aucuns  voulant  prendre  seance  selon 
1'antiquite  de  leur  brevet,  les  autres  selon  leur  service  ac- 
luel  au  conseil,  et  cette  confusion  et  desordre  engendrerent 
les  brevets  de  Montpellier,  de  Chasteaubriant,  de  Compie- 
gne,  de  la  Rochelle,  pour  regler  le  nombre,  les  seances  et 
les  appointements.  Chaque  siecle  y  apporte  sa  regie ;  chaque 
chancelier  et  garde-des-sceaux  veult  estre  obei  et  meprise 
les  reglements  de  ses  predecesseurs,  sihonen  tant  qu'ils  luy 
sont  agreables  et  conformes  a  son  desir,  et  luy  servent  de 
prelexle  pour  refuser  les  importuns. 


APPENDICE   H. 


J'ay  escript  cette  page  a  Ormesson  le  jour  de  Saint- 
Louis,  25  aoust  1642,  sur  un  petit  memoire  que  je  trouve 
escript  dema  main  audit  mois  de  may  1616,  afm  d'en  con- 
server  la  memoire,  et  me  resouvenir  du  temps  passe  et  de  tous 
ceuxque  j'ai  connus,  frequentes,  aimeset  honores.  J'estois 
lors  maistredes  requestes  et  avois  fait  serment  de  conseiller 
d'Estat  entre  les  mains  de  monseigneur  de  Sillery,  chance- 
lier  de  France,  au  mois  d'avril  1615;  mais  je  n'ai  pris  ma 
place  qu'en  Janvier  1616. 


Discours  sur  les  rdglements  du  Conseil  cy-apres 
transcripts  (1). 

Je  veux  en  cet  endroit  dire  tous  les  motifs  des  reglements 
du  conseil  qui  sont  transcripts  cy-apres  pour  m'en  souve- 
nir un  jour.  Avant  le  brevet  de  Montpellier  du  2  octobre 
1622,  il  y  avoit  des  disputes  ordinaires,  dans  le  conseil, 
pour  le  rang  et  service  entre  les  conseillers  d'Estat,  sur  ce 
que  ceux  qui  venoient  des  compagnies  et  estoient  anciens 
en  brevets  vouloient  prendre  leur  rang  du  jour  de  leurs 
brevets  au  prejudice  de  ceux  qui  servoient  ordinairement 
dans  le  dit  conseil  et  y  estoient  employes  dans  les  plus  gran- 
des  affaires  et  en  possession  et  exercice  de  leurs  charges  du 
conseil.  Ceux  qui  tenoient  pour  1'antiquite  des  brevets 
estoient  MM.  de  Blancmesnil,  president  au  parlement; 
Tambonneau,  president  a  la  chambre  des  comptes ;  Henne- 
quin,  president  au  grand  conseil;  d'Atis,  president  a  la 
cour  des  aides;  Beaumont-Menardeau,  doyen  des  maistres 
des  requestes;  Fouquet,  president  de  Bretagne;  Le  Bret, 
avocat-general ;  de  Maupeou,  intendant  des  finances,  et 
Fremion,  archevesque  de  Bourges.  Ceux  qui  tenoient  qu'il 

(1)  Memoires  d'Andn*  d'Ormesson,  f"  87  et  suiv. 


ialloit  regarder  le  service  actuel  et  la  possession  estoient 
MM.  de  Bulion,  de  Roissy,de  Bisseaux,dePreaux,  de  Leon, 
Haligre  et  de  Marillac,  qui  avoient  a  deplaisir  de  se  voir 
preceder  par  les  premiers  nommes,  et  pour  y  pourvoir  ils 
obtinrent  le  brevet  de  Montpellier,  M.  le  chancelier  de  Sil- 
lery  estant  a  Paris  et  de  son  consentement,  et  de  fait  le 
brevet  est  signe  BRUSLART,  de  M.  dePisieux  son  fils.  M.  de 
Caumartin  estoit  lorsgarde-des-sceaux,et  M.  de  Schomberg 
surintendant  des  finances.  Ce  brevet  futlu,  au  mois  de  Jan- 
vier 1623,  dans  la  direction,  en  ma  presence,  et  fut  ap- 
porte  par  M.  de  Courten vault,  premier  gentilhomme  de  la 
chambre ;  et,  apres  qu'il  cut  este  lu,  M.  le  chancelier  dit  au 
sieur  de  Courtenvault :  «  Vous  direz  au  roy  que  son  brevet 
a  este  lu  et  qu'il  sera  observe  dans  son  conseil,  »  et  en- 
suite  tous  ces  anciens  officiers  furent  recules  de  leur  ancien 
rang,  et  se  depiterent  et  ne  se  pouvoient  resoudre  d'y  obeir 
et  de  se  mettre  au-dessous  de  ceux  qu'il s  avoient  autrefois 
precedes ;  ce  qui  leur  fut  une  douleur  bien  sensible  et  bien 
amere  et  une  grande  mortification  qui  alloit  a  1'honneur. 

Le  second  reglement  fait  a  Compiegne,  le  1er  juin 
1624,  procede  du  desordre  qu'avoit  apporte  celuy  de  Mont- 
pellier; et,  pour  faire  cesser  et  oster  le  grand  nombre 
de  conseillers  d'Estat  qui  servoient  ensemble  toute  1'annee, 
les  conseillers  d'Estat  furent  divises  en  trois  classes  :  en  or- 
dinaires,  en  semestres  et  en  quatrimestres.  Les  ordinaires, 
au  nombre  de  huit,  servoient  toute  1'annee  et  precedoient 
tous  les  autres  presents  et  a  venir.  C'estoientMM.  de  Roissy, 
de  Bulion,  de  Bisseaux,  de  Preaux,  de  Leon  et  Marillac ; 
MM.  de  Chasteauneuf,  doyen,  et  de  Champigny,  contro- 
leur-general,  estoient  au-dessus  d'eux  des  auparavant, 
comme  leurs  anciens.  Les  ordinaires  eurent  six  mille  livres 
de  gages,  les  semestres  trois  mille  livres  de  gages;  les  qua- 
trimestres eurent  seulement  deux  mille  livres.  Ce  qui  a  este 


364  APPENDICE    II. 

observe  et  entretenu  toujours  depuis  sans  hausser  ni  bais- 
ser  jusques  en  1'aiinee  1642,  que  le  roy  retrancha  tin  quar- 
tier  de  gages  a  tous  les  officiers  et  conseillers  d'Eslat  aussi 
bien  qu'aux  autres  (ce  qui  est  demeure  depuis),  M.  Bou- 
thillier  estant  alors  surintendant  des  finances  tout  seul, 
M.  de  Bulion  estant  decede.  Les  semestres  estoient  compo- 
ses de  dix,  cinq  pour  le  semestrede Janvier,  cinq  pourceluy 
de  juillet,  comme  Ton  peut  voir  dans  le  dit  reglement.  Les 
quatrimestres  estoient  treize,  quatre  en  celui  de  Janvier, 
quatre  en  celuy  de  mai,  et  cinq  en  celuy  de  septembre,  et 
prenoient  leur  place  les  semestres  et  quatrimestres,  comme 
ils  faisoient  auparavant  suivant  le  brevet  de  Montpellier, 
et  il  fut  dit  que  les  maistres  des  requestes  prendroient  leur 
rang,  lorsque  le  roy  les  appelleroit  au  conseil,  du  jour 
de  leur  brevet;  ce  qui  fut  une  exception  a  la  regie  gene- 
rale,  de  laquelle  ils  ont  joui  sans  aucun  contredit;  ce  qui 
leur  a  este  un  grand  privilege,  qui  m'a  servi  ayant  pre- 
cede, dans  le  conseil,  beaucoup  de  conseillers  d'Estat  qui 
avoient  pris  leurs  places  devant  moy  dans  le  conseil.  Ce 
reglement  fut  fait  a  Compiegne  sous  M.  Haligre,  garde  des 
sceaux.  Le  marquis  de  la  Vieuville  estoit  lors  surintendant 
des  finances  et  le  chancelier  de  Sillery  relegue  dans  sa 
maison  de  Sillery.  Le  vrai  auteur  et  promoteur  de  ce  der- 
nier reglement  fut  M.  de  Marillac,   conseiller  d'Estat,  au- 
quel  le  ditsieur  Haligre  n'osoit  contredire.  Le  sieur  de  Ma- 
rillac avoit  un  esprit  porte  a  faire  des  reglements  dans  le 
conseil  et  avoit  pris  de  1'ascendant  sur  1'esprit  de  M.  Ha- 
ligre et  le  fortiiioit  contre  ceux  qui  estoient  interesses. 

Le  brevet  de  Chasteaubriant  du  26  aoust  1626  fut  fait 
par  M.  de  Marillac,  iors  garde  des  sceaux,  qui  voulant  re- 
trancher  le  nombre  des  conseillers  d'Estat  plutost  que  de 
1'accroistre,  ayant,  au  voyage  de  Bretagne,  fail  quatre  nou- 
veaux  ordinaires,  scavoir  M.  le  president  Le  Coigneux,  clian- 


CONSEIL  D'ETAT.  365 

ceiicr  de  Monsieur,  frere  du  roy,  MM.  Vignier,  Oilier  et 
Aubery,  porta  les  ordinaires  au  nombre  de  douze,  et  crai- 
gnant  qu'en  la  place  de  ces  quatre  monies  a  1'ordre  des 
ordinaires,  quatre  autres  ne  demandassent  leurs  places  do 
semestres,  il  fut  ordonne  que  ceux  qui  auroient  les  dites 
places  n'entreroient  point  dans  la  direction  etn'y  entreroient 
que  ceux  qui  y  estoient  auparavant,  et  pour  ce  que  M.  Au- 
bery avoit  este  malade  a  1'extremile,  il  voulut  reduire  les 
douze  ordinaires  au  nombre  de  huit  et  fermer  la  porte  aux 
demandes.  Ce  brevet  estoit  signe  de  LE  BEAUCLERC  ,  secre- 
taire d'Estat,  le  26  aoust  1626. 

Le  reglement  de  La  Rochelle  du  3  Janvier  1628  fut 
encore  fait  par  M.  de  Marillac,  garde  des  sceaux,  lequel 
vovant  les  inconvenients  des  reglements  precedents  desiroit 
d'y  remedier  par  ce  dernier  reglement,  par  lequel  il  oste 
aux  ordinaires  que  le  roy  feroit  a  1'avenir  1'avantage  de  la 
preseance  sur  les  plus  anciens  qu'eux,  pour  ce  qu'il  avoit 
envie  d'y  en  placer  de  jeunes  et  trouvoit  injuste  que,  par 
cette  promotion,  ils  passassent  au-dessus  des  semestres  et 
quatrimestres  plus  anciens  qu'eux;  ce  qui  feroit  murmurer 
les  anciens  avec  raison  et  chargeroit  d'envie  les  nouveaux 
ordinaires,  lesquels  devoient  estre  assez  satisfaits  de  leur 
qualite,  qui  leur  donnoit  plus  d'employ  et  d'appointements 
qu'aux  semestres  et  quatrimestres,  sans  oster  a  leurs  an- 
ciens 1'avantage  de  la  seance  et  de  I'antiquite  dans  le  con- 
seil,  qui  leur  devoit  estre  conserve  avec  justice.  II  reduit 
tous  les  conseillers  d'Estat  en  ordinaires  servant  par  quar- 
tier,  permettant  aux  semestres  de  servir  deux  quartiers, 
mais  non  consecutifs;  veut  qu'il  y  ait  quatre  evesques  et 
quatre  gentilshommes  qui  y  servent  ordinairement.  Les 
quatre  evesques  furent  Messieurs  de  Bourges,  de  Cahors,  de 
Lisieux,  dc  Senlis ;  les  quatre  gentilsbommes  Messieurs  de 
Breves,  de  Bethune,  de  llambouillet  et  de  Marillac,  son 


366 


APPENDICE    II. 


frere,  donnerang  et  seance,  au  conseil,  aux doyens  desquatre 
quartiers  des  maistres  des  requestes,  et'les  gages  aux  deux 
plus  anciens  de  chaque  quartier.  Ce  reglementfut  signe  de 
M.  POTIER,  sieurd'Ocquere,  secretaire  d'Estat. 

Depuis,  par  les  ordonnances  que  le  roy  fit  verifier  en 
1 629  en  sa  presence  au  Parlement,  il  y  avoit  un  article  qui 
portoit  que  le  roy  revoquoit  tous  les  brevets  cy-devant  ac- 
cordes  et  qu'il  feroit  expedier  des  lettres-patentes  a  ceux 
dont  il  entendoit  estre  servi  dans  ses  conseils,  et  ensuite 
M.  de  Marillac  en  envoya  a  tous  les  conseillers  d'Estat  qui 
servoient  lors  au  conseil  et  m'en  envoya  aussi  qui  sont  en 
bons  termes  et  tres  honorables,  le  29  novembre  1 629,  si- 
gnees  DE  LOMENIE,  secretaire  d'Estat,  qui  a  la  mai^orT 
du  roy  en  son  departement. 

J'ai  escript  ce  que  dessus  a  Ormesson  le  mercredi  matin 

10  septembre  1636,  afin  de  me  souvenir-4ifljour  de  la 
vraie  histoire  du  temps,  etde  quel  mouvement  sont  precedes 
tous  ces  divers  reglements  ce  que  chacun  ne  peut  pas  de- 
viner;  et  ce  que  j'ai  reconnu,  c'est  que  les  homines  sont 
fort  amateurs  de  leurs  inventions  et  de  se  faire  valoir  et 
i'aire  parler  d'eux,  quand  ils  sont  dans  I'autorite;  maisceux 
qui  leur  succedent  meprisent  les  reglements  de  ceux  qui 
les  ont  precedes,  passent  par  dessus,  s'en  moquent,  et 
prennent  plaisir  a  les  renverser,  et  de  fait,  nonobstant  tous 
ces  beaux  reglements,  et  toutes  ces  reductions  ordonnees, 

11  y  a  maintenant  dix-huit  ordinaires  dans  le  conseil,  et 
pour  le  moins  vingt-cinq  semestres,  sans  ceux  qui  y  entre- 
ront  encore  par  la  facilite  qui  s'y  rencontre  maintenant. 

En  1'annee  1643,  1644  et  suivantes,  la  grande  poiie 
du  conseil  a  este  ouverte  et  y  sont  entres  tous  ceux  qui 
Font  desire,  tant  la  facilite  y  a  este  grande  de  la  part  de  la 
rcyne-regente  et  de  M.  le  chancelier ;  de  maniere  que  le 
nombre  de  ceux  qui  avoient  droit  d'y  prendre  place  mon- 


<:ONSEIL  D'ETAT. 

(oil,  en  1647,  a  plus  desix  vingt  conseillers  d'Estat,  et  les 
derniers  recus  estoient  assis  hors  le  rang  des  anciens ,  et 
beaucoup  demeuroient  deboutfautede  sieges  et  c'estoit  une 
grande  confusion. 

Fait  et  escript  ces  dernieres  lignes  a  Ormesson  en  avril 
1647. 


Reglement  du  Cornell.  —  Montpellier  (12  octobre  1622). 

Aujourd'huy  12  octobre  1622,  le  roy  estant  au  camp  de- 
vant  Montpellier  sur  ce  que  Sa  Majeste  a  esteavertiequ'au- 
cuns  de  ses  officiers  des  parlements  et  autres  cours  souve- 
raines,  apres  avoir  recu  de  grandes  commodites  de  la  resi- 
gnation de  leurs  offices,  se  retirent  au  conseil  et  pretendent 
prendre  rang  du  jour  qu'ils  ont  este  recus  en  iceluy  en 
vertu  des  brevets  qui  leur  ont  este  expedies  plus  tost  pour 
honorer  leurs  charges  que  pour  y  servir  au  prejudice  de 
ceux ,  lesquels,  apres  avoir  este  employes  aux  ambassades 
et  autres  charges  importantes  a  1'Estat  tant  dedans  que  de- 
hors  le  royaume,  sont  ordonnes  pour  y  servir  actueliement 
et  y  ont  vieilli ;  ce  qui  apporte  de  la  confusion  en  i'ordre 
des  seances  qui  y  doit  estre  plus  soigneusement  garde  qu'en 
nul  autre  lieu;  Sa  Majeste,  memorative  des  plaintes  qui 
luy  en  furent  fuites  en  1'assemblee  des  notables  a  Rouen  et 
de  ce  qui  fut  lors  arreste,  a  declare  et  declare  qu'elle  ne 
veut  et  n'entend  que  les  dits  officiers  ou  autres  qui  ont  este 
honores  do  semblables  brevets  aient  rang  et  seance  en  son 
conseil  que  du  jour  qu'ils  auront  servi  ou  serviront  actuel- 
iement, apres  avoir  resigne  leurs  offices ,  et  qu'ils  sont  ou 
seront  employes  dans  1'estat  des  appointements  ordonnes 
par  Sa  Majeste  a  ceux  desquels  elle  veult  estre  ordinaire- 

(1)  Memoires  d'Andred'Ormesson,  i'°  89  recto. 


368 


APPENDICE    II. 


meat  servie.  En  ternoin  de  quoy,  Sa  elite  Majeste  m'a  com- 
mande  d'cn  expedier  toutes  lettres  necessaires. 

Signe  LOUIS. 
Et  plus  bas :  BRUSLART. 

Reglemenl  que  le  Roy  veut  estre  doresnavant  observd  en  son 
conseil  de  la  direction  des  finances,  en  celui  d'Estat  et 
des  finances  et  en  son  conseil  prive"  ou  des  parties  (1624). 

Sa  Majeste  desirant  establir  un  bon  ordre  pour  la  con- 
duite  de  ses  affaires  et  administration  de  ses  finances  et  dc 
la  justice,  a  voulu  commencer  par  la  reformation  de  son 
conseil,  tant  par  diminution  du  nombre  de  cetix  qui  y  sont 
entres  depuis  la  mort  du  feu  roy,  son  pere,  qu'en  dechar- 
geant  ses  conseils  de  toutes  les  matieres  qui  gisent  en  ju- 
ridiction  contentieuse  et  peuvent  estre  renvoyees  aux  parle- 
ments,  grand  conseil,  cour  des  aides  ou  autres  juges,  oil 
les  proces  pourront  estre  juges  plus  commodement  et  avec 
plus  de  soulagement  pour  ses  sujets,  et  pour  cet  effet  Sa 
Majeste  fera  dresser  un  bon  reglement  des  choses  qui  doi- 
vent  estre  traitees  en  chacun  de  ses  conseils  pour,  iceux 
vus  et  examines  sommairement,  en  estre  fait  le  renvoi  ainsi 
qu'il  est  dit  ci-dessus; 

Pour  parvenir  a  laquelle  reformation,  Sa  Majeste  a  voulu 
premierement  ordonner  les  personnes  desquelles  elle  veut 
estre  servie  es  dits  conseils,  mesme  en  celuy  de  la  direction 
et  des  finances,  avec  M.  le  garde  des  sceaux  et  M.  de  la 
Vieuville,  surintendant  de  ses  finances,  les  sieurs  de  Chas- 
teauneuf ,  de  Champigny,  controleur-general  de  ses  finan- 
ces, de  Boissy,  de  Bulion,  de  Preaux,  de  Bisseaux,  de  Leon 
et  de  Marillac,  lesqucls ,  comnie  ordinaires,  precederont  en 
tous  conseils ,  et,  en  cas  que  Sa  Majeste  appelle  cy-apres 


CONSEIL   D'tiTAT.  369 

quelques  autres  pour  estre  ordinaires  en  ses  conseils,  ils 
n'auront  rang  et  seance  que  du  jour  qu'ils  y  seront  appe- 
les,  encore  qu'ils  eussent  preste  le  serment  auparavant; 

Lesintendans  des  finances  et  tresoriersde  1'espargne  ser- 
viront  pareillement  comme  ils  ont  accoustume. 

Le  secretaire  du  conseil  des  finances  aura  son  entree  aux 
dits  conseils  de  la  direction  et  des  finances,  et  celuy  des 
parties  au  dit  conseil,  lesquels  seront  en  quartier; 

Le  tresorier  des  parties  casuelles  estant  en  exercice  aura 
entree  au  conseil,  lorsqu'il  sera  besoin  de  taxer  les  of- 
fices ; 

Auxquels  conseils  serviront  aussi  par  semestre,  asscavoir: 
en  celuy  de  Janvier  les  sieurs  presidents  Fouquet,  Vignier, 
Aubry,  Ribier  et  Haligre,  et  en  celuy  de  juillet  les  sieurs 
Fremion,  ancien  archevesque  de  Bourges,  le  Bret,  Oilier, 
Barentin  et  la  Rochehabert  ; 

Outre  lesquels  cy-dessus  nommes  serviront  aux  dits  con- 
seils des  finances  et  des  parties,  chacun  par  1'espace  de 
quatre  mois,  asscavoir  :  au  service  de  Janvier  les  sieurs  de 
Treslon,  Grangier,  Fiebrun  et  Gueffier,  et  en  celuy  demai, 
les  sieurs  Ladvocat,  Courmoulin,  Chaumont  et  du  Manoir, 
et  en  celuy  de  septembre,  les  sieurs  Pericard,  de  la  Poterie, 
Boissise,  Tonnelier  et  Lesongere. 

Lesquels,  ensemble  ceux  du  service  de  six  mois,  auront 
1'entree  et  seance  aux  dits  conseils,  respectivement  selon 
1'ordre  porte  par  le  brevet  de  Sa  Majeste,  du  12t  octobre 


Les  maistres  des  requestes  ordinaires  de  1'hostel  de  Sa  Ma- 
jeste rapporteront  aux  dits  conseils  des  finances  et  des  par- 
ties les  affaires  dont  ils  seront  charges,  chacun  en  son  quar- 
tier, sinon  que  pour  aucunes  considerations  en  quelques 
affaires  particulieres,  iVen  soit  par  messieurs  les  chancelier 
et  garde  des  sceaux  aulrement  ordonne,  et  ne  laisseront 


370  APPENDICE   II. 

neantmoins  d'avoir  1'entree  et  voix  deliberative  es  dits  coa- 
seils  des  finances  etdes  parties,  mesme  s'estant  defaits  de 
leurs  charges,  Sa  Majeste  les  appelant  en  ses  conseils.  Elle 
trouve  bon  que  ceux  des  dits  maistres  des  requestes,  qui  ont 
este  honores  de  brevets  de  retenue  pour  servir  en  ses  con- 
seils et  ont  preste  le  serment  suivanl  iceulx,y  aient  1'entree 
et  seance  du  jour  de  leur  serment ;  mais  ils  ne  pourront 
preceder  ceux  qui  seront  ordinaires  pour  toute  1'annee. 

Les  princes  du  sang,  cardinaux,  autres  princes,  dues, 
pairs  et  officiers  de  la  couronne,  gouverneurs  et  lieutenants 
generaux  des  provinces  et  autres  principaux  seigneurs,  qui 
ont  fait  le  serment  de  conseillers  au  dit  conseil,  y  auront 
entree  ainsi  qu'ils  ont  accousturne. 

Les  secretaires  d'Estat  et  des  commandements  de  Sa 
Majeste  auront  aussi  1'entree  et  seance  en  tous  les  dits  con- 
seils, du  jour  du  serment  par  eux  preste  suivant  leurs  bre- 
vets. 

Et  pour  le  regard  des  archevesques  et  evesques,  Sa  Ma- 
jeste veut  et  entend  que  ceux  qu'elle  a  honores  de  la  qua- 
lite  de  conseillers  en  ses  conseils  y  aient  entree  et  seance 
ainsi  qu'ils  ont  accoutume,  lorsqu'ils  se  trouveront  pres  de 
Sa  Majeste,  laquelle  n'a  voulu  en  specifier  aucun  particu- 
lierement,  pour  ne  leur  donner  sujet  de  manquer  a  leurs  re- 
sidences, et  neantmoins  Sa  dite  Majeste  aura  bien  agreable 
que,  de  ceux  qui  se  trouveront  en  sa  cour,  il  en  assiste 
quelques-uns  ordinairement  aux  dits  conseils  des  finances 
et  des  parties,  lesquels,  ensemble  les  gouverneurs,  lieute- 
nans-generaux  et  seigneurs  sus-mentionnes  auront  rang 
et  seance  du  jour  du  serment  par  eux  preste  au  dit  conseil, 
en  consequence  des  brevets  qu'ils  en  ont  obtenus. 

Et,  quant  a  present,  pour  tous  les  autres  qui  ont  des 
brevets  de  conseillers  au  dit  conseil,  ils  n'y  auront  pas  en- 
tree, si  Sa  Majeste  ne  leur  accorde  pas  un  nouveaujjrevet, 


CONSEIL  D'STAT.  371 

et  ne  sera  aucun  pave  des  gages  de  conseiller  an  dit  conseil, 
sinon  ceux  qui  seront  employes  dans  les  estats  de  Sa  Ma- 
jeste servant  actuellement. 

Fait  aCompiegne,  1er  jour  de  juin  1624. 

Signe  LOUIS. 
et  plus  has :  DE  LOMENIE, 


Reglement  de  Chdteaubriand  (1626). 

Aujourd'huy  26  aoust  1 626,  le  roy  estant  a  Chasteau- 
briant,  considerant  combien  il  importe  a  la  dignite  et  auto- 
rile  de  ses  affaires  de  regler  son  conseil  et  que  le  nombre 
de  huit  personnes  que  Sa  Majeste  avoit  cy-devant  choisies 
pour  y  servir  ordinairement  ne  peut  pas  suffire,  a  cause 
que  Sa  Majeste  les  emploie  ordinairement  aux  plus  grandes 
et  importantes  affaires  de  son  Estat,  tant  dedans  que  de- 
hors  le  royaume,  Sa  Majeste  a  arreste  de  croistre  le  nombre 
jusques  a  douze,  suivant  le  choix  qu'ellea  fait  de  quatre  de 
ceux  qui  servoient  par  semestre  au  dit  conseil,  par  les 
brevets  qu'elle  en  a  fait  expedier  a  chacun  d'eux.  A  cette 
cause,  Sa  dite  Majeste  a  voulu  et  ordonne  que  son  conseil 
de  la  direction  de  ses  finances  soit  compose  du  nombre  de 
douze,  sans  qu'il  puisse  estre  augmente  pour  quelque 
cause  et  occasion  et  en  faveur  de  quelque  personne  que  ce 
soit,  sans  prejudicier  toutesfois  a  ceux  qui  seroient  a  present 
au  dit  conseil  de  la  direction,  outre  les  dits  ordinaires,  des- 
quels  les  places  demeureront  supprimees  par  rnort  jusques 
a  la  reduction  au  nombre  de  douze,  sans  qu'aucun  autre  y 
puisse  cy-apres  pretendre  entree  sous  couleurde  brevets  de 
semestre  qu'il  pourroit  obtenirdeSa  Majeste  ou  autrement, 
en  quelque  sorte  que  ce  soit.  En  temoin  de  quoy,  Sa  dite 
Majeste  m'a  commarule  d'expedier  le  present  brevet  signe 


372  APPENDICE    II. 

de  sa  main  et  contresigne  par  moy,  son  conseiller  ef,  secre- 
taire d'Estat,  etde  ses  commandements  et  finances. 

Signe  LOUIS. 
Et  plus  has  :  LE  BEAUCLERC. 


Reglement  de  la  Rochelle  (Janvier  1628)  (1). 

Le  roy  s'estant  fait  representer  les  estats  et  reglemenls 
faits  par  SaMajeste  et  par  les  roys  ses  predecesseurs  pour 
1'ordreet  etablissement  de  ses  conseils,  conside'rant  que  les 
desordres  causes  en  toutes  conditions  par  les  guerres  et 
mouvements  publics  ont  atteint  mesme  jusques  a  ses  con- 
seils par  la  multitude  deceuxqui  en  ont  obtenu  des  brevets 
poury  seoir,  aucuns  avec  choix  et  les  autres  sans  choix, 
par  la  facilite  qu'ils  y  ont  trouvee,  en  sorte  que,  nonobslant 
les  reglements  cy-devant  faicts  a  Montpellier  en  1622,  a 
Compiegne  en  1624,  eta  Ghasteaubrianl  en  1626,  il  se 
trouve  encore  un  si  grand  nombre  de  conseillers  aux  dits 
conseils,  que  cela  diminue  grandement  la  dignite  de  cetle 
charge  au  prejudice  de  1'autorite  que  Sa  Majeste  doit  avoir 
aux  dits  conseils  et  du  fruit  qui  en  doit  resulter  pour  le  bon 
gouvernement  de  ses  affaires  etde  celles  de  ses  sujets  qui  y 
ont  recours;  quecet  accroissement  et  cette  facilite  sont  entre 
les  principales  causes  de  la  cherte  des  offices,  si  domma- 
geable  a  ses  sujets  en  ce  que  1'esperance  que  plusieurs  ont 
de  parvenir  a  cette  dignite  de  conseiller  en  ses  conseils  et  se 
preparer  par  ce  moy  en  une  honorable  retraite,  avec  lacom- 
modite  des  appointements  qu'ils  en  recoivent,  fait  que  plu- 
sieurs achetent  a  prix  excessifs  les  offices  de  maistres  des 
requestes  de  son  hostel,  qui  sont  les  plus  proches,  faisant 

(1)  Memoires  d' Andre  d'Ormesson,  f°  95  recto. 


CONSBIL  D'fcTAT.  373 

etat  que  ce  n'est  qu'une  avance  de  quelques  annees,  la- 
quelleils  retireront  avec  interest,  revendant  plus  cherement 
les  mesmes  offices, 'apres  qu'ils  auront  obtenu  les  dits  bre- 
vets et  la  faculte  de  seoir  aux  dits  conseils ;  que  la  mesme 
raison  porte  encore  la  cherte  aux  offices  de  conseillers  dans 
les  cours  souveraines  pour  ce  qu'ils  servent  de  degre 
pour  parvenir  a  ceux  des  maistres  de  requestes,  par  les- 
quels  ils  se  promettent  1'acces  et  1'entree  aux  dits  con- 
seils, et  de  la,  par.  exemple,  se  com.muniquent  a  tous  les 
autres  offices,  selon  la  liaison  et  relation  qu'ils  ont  ensem- 
ble; que  ce  mesme  desordre  cause  encore  un  tres-grand 
mal,  d'autant  que  plusieursdes  officiers  de  Sa  Majeste,  par 
suite  deces  esperances,  ne  tiennent  plus  compte  de  vieillir 
dans  les  charges,  ce  qui  apporte  une  grande  diminution 
aux  compagnies,-  prejudice  a  la  justice  eta  1'autorite  de  Sa 
Majeste  en  icelle. 

A  quoy  Sa  Majeste  desirant  pourvoir  en  attendant  un  plus 
grand  reglement,  pour  Tordre  et  les  matieres  desquelles  il 
pourra  estre  traite  en  ses  conseils,  disposant  quant  a  pre- 
sent des  personnes  qui  y  auront  entree  et  seance,  a  ordonne 
que  doresnavant  il  ne  sera  expedie  aucun  brevet  pour  ap- 
peler  et  retenir  quelqu'un  ,  en  la  qualite  de  conseiller  en 
ses  conseils,  que  le  dit  brevet  ne  soit  signe  de  la  propre 
main  de  Sa  Majeste,  avec  addition  de  ces  mots,  de  la  mesme 
main,  pour  un  tel;  ce  qu'elle  defend  tres-expressement  a 
tous  les  secretaires  de  ses  commandements,  defend  pareil- 
lement  au  chancelier  et  garde  des  sceaux  d'admettre  au- 
cun, de  quelque  qualite  et  de  quelque  condition  qu'il  soit, 
a  faire  le  serment  de  la  dite  qualite,  que  le  brevet  qu'il  en 
aura  obtenu  ne  soit  expedie  en  cette  forme,  et  qu'outre  ce 
ils  n'aient  eux-mesmes  recu  la  volonte  de  Sa  Majeste,  de  sa 
propre  bouche,  et  de  recevoir  le  dit  serment  ailleurs  qu'en 
plein  conseil,  apres  lecture  faite  publiquement  en  iceluy  de 
L  25 


374 


APPENDICE   II. 


leur  brevet  en  la  presence  de  tous  les  assistans,  dont  il 
sera  fait  mention  par  les  actes  des  dits  serments,  auxquels 
seront  inseres  les  noms  des  six  plus  anciens  conseillers  du 
dit  conseil  qui  s'y  seront  trouves  presents,  dont  les  greffiers 
du  dit  conseil  tiendront  registre,  et  les  dits  chancelier  et 
garde  des  sceaux  parapheront  les  actes  qui  y  seront  inse- 
res. Ge  que  Sa  Majeste  en  joint  a  tous  les  dessus  dits  a 
peine  d'encourir  son  indignation,  denullitedes  dits  brevets, 
receptions  et  serments,  nonobstant  la  possession  que  ceux 
qui  les  auront  obtenus  pourroient  acquerir  par  nonchalance 
ou  autrement ; 

Veut  et  ordonne  Sa  Majeste  que  les  dits  reglements  de 
Montpellier,  Compiegne  et  Chasteaubriant  aient  lieu  pour 
Fordre,  seance,  condition  et  entree  de  ceux  qui  en  ont  la 
faculte  par  iceux,  et  que  nul  ne  puisse  servir  en  la  dite 
qualite,  sinon  apres  qu'il  se  sera  defait  des  charges  dont  il 
poilrroit  estre  pourvu,  suivant  le  dit  reglement  de  Montpel- 
lier, lesquels  reglements  Sa  Majeste  confirme  par  le  pre- 
sent en  ce  que  n'y  est  point  de'roge  et  en  les  interpretant 
pour  le  regard  de  ceux  qui  cy-apres  y  seront  appeles  pour  y 
servir  comme  ordinaires,  veut  Sa  Majeste  qu'ils  aient  rang 
et  seance  au  conseil  du  jour  qu'ils  1'avoient  auparavant, 
sans  qu'en  consequence  de  la  clause  portee  par  le  dit  regle- 
ment de  Compiegne,  ilspuissent  pretendrela  preseance  sur 
tous  les  autres  en  qualite  d'ordinaires,  et  quant  a  ceux 
qui  n'y  ont  pas  la  seance  ordinaire  ni  par  temps  certain  et 
limite,  veut  Sa  Majeste  qu'il  en  soit  use,  selon  qu'il  est 
porte  par  le  dit  reglement  de  Compiegne,  remettant  ala  pru- 
dence du  chancelier  et  garde-des-sceaux,  pour  le  regard  de 
ceux  desquels  pourroit  avoir  este  obtenu  de  faire  mention, 
de  leur  permettre  1'entree  et  seance,  lorsqu'ils  seront  pres 
de  Sa  Majeste,  appeles  ou  envoyes  de  leurs  provinces  ou 
autrement;  en  sorte  toutesfois  qu'il  en  soit  use  modeste- 


CONSEIL  D'fiTAT.  375 

ment  et  sans  que  cela  puisse  apporter  confusion  ni  seance 
ordinaire  et  frequente,  et  d'autant  que  tous  ces  reglements 
n'ont  pu  encore  apporter  Tordre  qui  estbien  requis  pour  la 
dignite  et  autorite  desdits  conseils,  et  que  les  choses  si 
eloignees  de  leur  principe  n'y  peuvent  pas  estre  ramenees 
tout-a-coup;  considerant  aussy  que  la  distinction  apportee 
par  le  dit  reglernent  de  Compiegne  en  ordinaires,  semestres 
et  quatrimestres,  non-seulement  diminue  en  1'esprit  de 
plusieurs  1'estime  de  leur  condition  par  la  comparaison  des 
autres,  et  est  cause  qu'ils  tendent  et  pressent  pour  parvenir 
ace  qu'ils estiment  le  plus,  mais  aussy  empeschede  reduire 
la  multitude  desdits  conseillers  d'autant  que  chacun  des 
dits  degres  est  par  necessite  rempli  de  quelque  nombre ; 
que  tous  ensemble  en  composent  un  excessif  et  mal  seant, 
ordonne  Sa  dite  Majeste  que  doresnavant  ses  dits  conseils 
ne  seront  composes  que  de  conseillers  ordinaires  et  servant 
par  quartier,  suivant  1'estat  particulier  que  Sa  Majeste  en  a 
fait  dresser,  asscavoir  des  douze  ordinaires  qui  sont  de  pre- 
sent, outre  les  surintendant,  controleur-general  et  inten- 
dans  de  ses  finances,  lesquels  ordinaires  Sa  Majeste  veut  et 
entend  estre  reduits  par  mort  jusques  au  nombre  de  huit, 
et  ne  veut  estre  pourvu  a  aucun  de  ceux  qui  pourroient  de- 
ceder  ou  se  retirer  jusques  a  la  reduction  au  dit  nombre. 

Et,  pour  le  regard  de  ceux  qui  servent  a  present  par  six 
et  quatre  mois,  veut  Sa  Majeste  qu'ils  soient  tous  distribue's 
pour  servir  trois  mois  seulement,  y  ayant,  en  chacun  quar- 
tier, un  du  corps  de  1'eglise,  compris  ceux  qui  en  sont  a 
present,  et  un  du  corps  de  la  noblesse,  selon  le  choix  que 
Sa  Majeste  en  a  fait,  sans  prejudicier  aux  conseillers  des 
conseils  qui  servoient  cy-devant  durant  six  mois,  auxquels 
Sa  Majeste  voulant  conserver  ce  mesme  temps  de  leur  oc- 
cupation, veut  qu'ils  servent  pareil  temps  de  six  mois  leur 
vie  durant,  mais  en  deux  quartiers  diflerents  et  non  conse*- 


376 


APPENDICE    II. 


cutifs,  si  bon  leur  semble;  ce  qui  ne  pourra  avoir  lieu  que 
pour  eux  et  non  pour  ceux  qui  en  pourroient  estre  pourvus 
par  leur  deces  ou  autrement,  reservant  aussy  Sa  Majeste, 
suivant  le  dit  reglement  de  Chasteaubriant,  1'entree  et 
seance  au  conseil  de  la  direction  des  finances,  leur  vie  du- 
rant,  a  ceux  qui  1'avoient  cy-devant,  sans  qu'autres  qu'eux, 
outre  les  ordinaires,  y  puissent  pretendre  Ten  tree  cy-ap  res; 
a  la  charge  aussy  que  tous  les  dessus-dits  servant  par  qu ar- 
tier en  vertu  du  present  reglement  seront  reduits  par  mort 
jusqties  au  noinbre  de  quatre  par  chacun  quartier,  outre 
ceux  du  corps  de  1'eglise  et  de  la  noblesse,  selon  qu'il  est 
ditcy-dessus,  voulant  Sa  Majeste,  pour  le  regard  de  tous  les 
autres,  que  le  dernier  article  du  dit  reglement  de  Compie- 
gne  soitentierement  garde  et  observe,  et  en  outre  que,  sui- 
vant iceluy,  nul  ne  soit  paye  des  gages  du  dit  conseil,  s'il 
n'est  employe  dans  lesdits  etats,  fors  les  deux  plus  an- 
ciens  de  chacun  quartier  de  maistres  des  requestes  de  son 
hostel,  auxquels  Sa  Majeste,  pour  en  rendre  le  corps  plus 
honorable  et  en  faire  estimer  1'antiquite,  veut  que  les  ap- 
pointements  cy-devant  payes  a  huit  du  dit  corps  indifferem- 
ment  soient  doresnavant  payes  aux  deux  plus  anciens  de 
chacun  quartier,  et  que  le  doyen  de  chacun  des  dits  quar- 
tiers  prenne  seance  au  dit  conseil  durant  les  trois  mois  pro- 
chainement,  suivant  le  quartier  de  son  exercice  audit 
conseil. 

Fait  au  camp  devant  La  Rochelle,  le  troisieme  jour  de 

Janvier  1628. 

Signe,  LOUIS. 

Et  plus  has  :  POTIER. 

Andre  d'Ormesson  a  ajoute  :  «  Ce  reglement  a  este  fait 
par  Messirc  Michel  de  Marillac,  garde-des-sceaux.  M.  le 


CONSEIL  D'ETAT.  377 

marquis  Antoine  d'Eiliat  estoit  lors  surintcridant  des  fi- 
nances » 

Reglement  du  Conseil  fait  et  arrfae'  par  Monseigneur  de  Ma- 
rillac,  garde-des-sceaux  de  France  (1  }  (18  Janvier  1630). 

Le  roy  ayant,  par  le  soixante  et  unieme  article  de  ses 
ordonnances  du  mois  de  Janvier  dernier,  reserve  de  pour- 
voir  par  un  reglement  a  ce  qui  concerne  1'ordre  de  ses  con- 
seils  et  des  affaires  qui  y  seront  traitees,  et  s'estant  a  cette 
fin  fait  representer  les  reglements  arrestespar  les  roys  ses 
predecesseurs  et  par  Sa  Majeste,  mesme  celuy  fait  par  le 
commandementde  Sadite  Majeste  en  1'annee  1615,  ensem- 
ble ceuxfaitsdepuis,  tant  a  Montpellier  le  12octobre  1622, 
qu'a  Compiegne  le  1er  juin  1624,  a  Chasteaubriant  le  26 
aoust  1626,  eten  son  camp  devant  La  Rochelle  le  3  Janvier 
1 628  pour  le  bon  ordre,  conduite  et  administration  de  la 
justice,  finances  et  affaires  de  son  Estatqui  se  traitent  en  ses 
conseils,  iceux  revus  et  examines,  et  de  1'avis  de  son  con- 
seil,  tant  sur  le  contenu  aux  dits  reglements  que  sur  plu- 
sieurs  autres  points  importans  que  Tetat  present  et  1'expe- 
rience  ont  fait  juger  necessaires,  a  fait  et  ordonne  le  regle- 
ment qui  ensuit,  lequel  Sa  Majeste  veut  et  ordonne  estre 
exactement  garde  et  observe  par  tous  ceux  qui  ont  1'hon- 
neur  d'entrer  et  servir  a  ses  conseils,  outre  ce  qui  est  com- 
pris  par  les  dites  ordonnances. 

Pour  parvenir  a  I'e'tablissement  du  dit  ordre,  Sa  Majeste 
ayant,  par  les  reglements  precedents,  pourvu  a  la  reforma- 
tion de  son  conseil  en  ce  qui  regarde  la  diminution  du 
nombre  de  ceux  qui  y  estoient  entres  pendant  les  guerres 
et  lechoixde  ceux  qui  y  seroient  employes  cy-apres,  dispo- 
sant  a'present  de  1'ordre  des  dits  conseils  et  des  affaires  qui 

(1)  Memoires  d'Andr6  d'Ormesson,  f°  99. 


378 


APPEMHCE   II. 


y  seront  traitees,  VEUT  etoaooNNE,  pour  decharger  ses  con- 
seils  detoutes  les  matieres  et  affaires  qui  gisent  en  juridic- 
tion  contentieuse,  qu'elles  soient  renvoyees  aux  parlements, 
grand  conseil,  cours  des  aides  et  aulres  juges  ordinaires, 
oil  les  proces  pourront  estre  juges  plus  commodement  pour 
le  soulagement  de  ses  sujets,  et  qu'a  cette  fin,  au  commen- 
cement de  chacun  quartier,  il  soit  fait  un  role  de  tous  les 
proces  qui  seront  pendans  et  indecis  es-dits  conseils  pour, 
iceux  vus  et  examines  sommairement,  en  estre  faitlerenvoi 
oil  il  appartiendra. 

Et  d'autant  qu'a  cause  des  troubles,  en  divers  traites  et 
edits,  baux  a  ferme  pour  les  gabelles ,  aides  et  autres  reve- 
nus,  et  plusieurs  establissements  et  diverses  affaires,  il  a 
este  fait  reservation  au  dit  conseil  de  la  connoissance  des 
matieres  qui  en  dependoient  pour  plusieurs  occasions  qui 
ont  este  jugees  necessaires,  et  que  ces  dits  conseils  sont  pour 
raison  de  ce  charges  d'un  grand  nombre  d'affaires,  Sa  Ma- 
jeste  veut  et  entend  que  la  connoissance  de  tous  les  diffe- 
rerids  qui  pourroient  survenir  en  1'execution  des  edits  et 
declarations  de  SaMajeste,  qui  souloient estre  traites  en  son 
conseil  soient  renvoyes  aux  cours  de  parlement  et  autres 
cours  ou  les  edits  auront  este  verifies  pour  estre  juges  et 
examines  conformement  a  ce  qui  est  ordonne  par  les  dits 
edits. 

Que  toutes  les  causes  qui  pourroient  estre  entre  les  fer- 
miers  du  roy  et  entre  leurs  sous-fermiers  ou  autres  pour 
raison  des  baux  a  termes  ou  trailes  faits  pour  les  affaires 
et  finances  de  Sa  Majeste  soient  renvoyees  aux  cours  des 
aides  pour  y  estre  jugees  et  decidees  suivant  le  contenu 
aux  dits  baux  et  traites,  sinon  qu'il  fut  question  des  droits 
du  roy  qui  pourroient  estre  perdus  ou  dummies  pour  la 
collusion  ou  mauvaise  conduite  des  dits  ferraiers  ou  sous- 
fermiers,  auquel  cas  il  est  besoin  d'en  retenir  la  connois- 


379 

sance  ct  a  toujours  cstre  ainsy  use  pour  le  fait  dcs  finances 
tie  Sa  Majeste. 

Par  le  moyen  de  ces  reglements  et  renvoi  le  conseil  du 
roy  estant  descharge  de  la  pluspart  des  proces  qui  estoient 
pendans  au  dit  conseil,  il  ne  sera  pas  besoin  de  tenir  tant 
de  conseils  et  il  suifira  de  tenir  le  conseil  prive  pour  les 
parties  une  fois  la  semaine,  qui  sera  le  samedi  a  huit 
heures  du  matin,  remettant  neantmoins  tant  pour  celui-la 
que  pour  le  conseil  d'Estat  et  finances,  au  jugement  de 
messieurs  les  chanceliers  et  gardes  des  sceaux,  selon  1'af- 
fluence  des  affaires,  d'assembler  quelques  autres  fois  le 
conseil  extraordinairement,  selon  qu'ils  verront  egtre  a 
propos  pour  1'expedition  des  affaires  et  soulagement  des 
sujets  de  Sa  Majeste.  Le  conseil  d'Estat  et  de  finances  sera 
tenu  le  jeudi  a  pareille  heure  de  huit  heures  du  matin,  et 
le  conseil  des  finances  le  mercredi  a  pareille  heure  et  le 
conseil  des  affaires  et  depesches  le  mardi  a  pareille  heure. 

L'ordre  que  le  Roy  veut  estre  tenu  en  ses  Conseils  des 
finances  et  privd. 

Pour  etablir  un  meilleur  ordre  au  conseil  du  roy  qui  se 
tiendra  pour  les  affaires  d'Estat  et  finances  le  jeudi  matin, 
Sa  Majeste  veut  et  ordonnc  qu'ii  y  ait  un  certain  nombre 
depersonnageschoisisde  qualite,  preudhommie,  experience 
et  capacitequi  servent  d'ordinaireen  son  conseil  et  d'autres 
par  quartier  suivant  1'estat  particulier  que  Sa  Majeste  en  a 
fait  dresser  et  le  reglement  arresie  au  camp  devant  La  Ro- 
chelle  le  3  Janvier  \  628,  et  n'entreront  au  dit  conseil  au- 
cuns  autres  que  ceux  qui  y  ont  droit  d'entree  ou  seance 
par  les  estats  et  reglements,  fait  Sa  Majeste  defense  aux 
htiissiers  du  dit  conseil  d'y  laisser  entrer  aticun  autre,  sans 
en  avertir  auparavant  messieurs  le  chancelier  ou  garde  des 


380  APPENDICE    II. 

sceaux  pour  faire  selon  qu'il  sera  par  eux  ordonne  a  peine 
de  suspension  de  leurs  charges. 

Les  conseillers  qui  sont  ordonnes  pour  servir  au  dit  con- 
seil  seront  tenus  de  s'y  trouver  sans'y,  faillir,  sinon  pour 
legitimes  excuses  dont  ils  feront  avertir  M.  le  chancelier 
ou  M.  le  garde  des  sceaux. 

Bien  que,  par  le  reglement  fallen  1615,  1'entree  au 
dit  conseil  nesoit  donnee  qu'a  Irois  maistres  des  requestes , 
neantmoins  a  cause  de  I'affluence  des  affaires  de  beaucoup 
augmentees  depuis  la  dite  annee  1615,  tous  ceux  des  dits 
maistres  des  requestes  estant  en  quartier  entrerontau  con- 
seil et  y  feront  rapport  des  requestes  et  instances ,  aux- 
quelles  auront  este  coramis. 

Au  commencement  de  chaque  annee  sera  fait  depar- 
tement  aux  conseillers  du  conseil,  qui  seront  en  service, 
des  provinces  du  royaurne,  dont  chacun  d'eux  rapportera 
les  cahiers,  articles,  remontrances  et  affaires,  afm  que 
ceux  qui  en  feront  les  poursuites  scachent  a  qui  s'adres- 
ser  pour  estre  plus  promptement  expedies,  ainsy  qu'il  a 
este  fait  entre  les  intendans  et  controleurs  generaux  des 
finances  pour  les  affaires  concernant  les  finances  de  cha- 
cune  generalite. 

Les  requestes  qui  seront  presentees  au  conseil  seront 
signees  paries  parties  ou  par  leurs  avocats,  et,  s'il  se 
trouve,  apres  qu'une  requeste  aura  este  respondue,  que 
la  partie  qui  en  aura  este  deboutee  presente  aucune  sem- 
blable  requeste,  sans  faire  mention  de'  la  premiere,  elle  sera 
condamnee  en  1'arnende  de  cent  cinquante  livres  envers 
la  partie,  et,  s'il  n'v  a  partie,  I'amende  sera  neantmoins 
payee,  la  moitie  aux  pauvres  et  Tautre  moitie  aux  huis- 
siers  du  conseil  pour  en  faire  les  poursuites  et  diligences. 

Et  afm  qu'il  ne  soit  contrevenu  au  reglement  porte  par 
le  precedent  article,  et  qu'aux  diilicultes  qui  se  rencontrent 


CONSKIL  D'ETAT.  381 

dans  les  affaires,  Ton  tire  eclaircissement  par  les  resolu- 
tions prises  aux  conseils  sur  semblables  affaires,  il  sera  tenu 
registre  par  chacun  des  secretaires  et  greffiers  du  conseil 
qui  sera  en  quartier  tant  des  dites  requestes  dont  les  par- 
ties auront  este  deboutees  que  de  tout  autres  affaires  pro- 
posees  et  deliberees  en  chacun  conseil,  lequel  ils  seront 
tenus  mettre  sur  la  table  du  dit  conseil  devant  messieurs 
les  chancelier  ou  garde  des  sceaux  pour  servir  dans  les 
occurrences. 

Nul  n'opinera  aux  dits  conseils  et  n'y  demeurera,  quand 
il  sera  traite  d'affaires  qui  touchent  aluyouasesparents  et 
principaux  amis. 

Nul  n'assistera  au  jugement  d'aucun  duquel  il  ait  este 
recuse  pour  cause  jugee  valable  par  le  conseil. 

Chacun  sera  assis  au  dit  conseil  selon  1'anciennete  de 
son  service  et  reception,  suivant  les  reglements  de  Com- 
piegne  et  de  la  Rochelle,  cedant  le  siege  et  la  place  a  son 
ancien ,  excepte  ceux  qui,  parl'eminence  de  leurs  qualites 
et  charges,  ensemble  ceux  auxquels,  a  raison  de  la  charge 
de  superintendant  des  finances,  Sa  Majeste  a  voulu 
faire  expedier  des  brevets,  lesquels  tiendront  le  mesme 
rang  qu'ils  ont  fait  jusques  a  present. 

II  ne  sera  rien  resolu  au  dit  conseil  que  par  la  pluralite 
des  opinions,  lorsque  le  roy  n'y  sera  pas  present,  et  les 
arrests  qui  auront  este  resolus  en  un  conseil  seront  lus  et 
signes  au  commencement  du  conseil  suivant  oil  1'on  trai- 
tera  de  mesme  nature  d'affaires  et  incontinent  delivres 
aux  parties  en  la  forme  ordinaire,  sans  qu'ils  puissent 
estre  revoques  ni  retractes  ni  1'execution  sursise  par  re- 
queste  ou  remontrance,  sinon  paries  moyens  de  droit, 
comme  il  est  accoustuine. 

Et  d'autant  qu'il  peut  arriver  contestation  entre  les  se- 
cretaires et  greffiers  du  conseil  et  les  parties  a  cause  de  la 


382  APPENDICE    II. 

recompense  qui  leur  est  due  pour  1'expedition  des  arrests, 
baux,  traites,  contrats  et  autres  actes  dont  le  prix  n'a  pas 
este  jusques  icy  entierement  regie,  S.  M.  veut  et  ordonne 
qu'il  en  soit  dresse  estat  en  son  conseil,  toutes  choses  ces- 
santes,  pour  estre  observe  des  la  presente  annee  4630. 

Les  arrests  donnes  aux  cours  souveraines  ne  pourrorit 
estre  casses  ni  sursis,  sinon  par  les  voies  de  droit  qui  sont 
portees  par  les  ordonnances. 

Affaires  que  S.  M.  ordonne  estre  traitees  et  re'solues  au 
conseil  d'Estat  et  des  finances  qui  se  tiendra  le  jeudi. 

Les  request es  concernant  1'observation  et  entretenement 
ou  les  contraventions  qui  seront  faites  aux  edits  et  or- 
donnances de  S.  M.  sur  lesquelles  y  aura  differend  ou 
proces  entre  les  particuliers  et  ceux  qui  auront  traite  de 
1' execution  des  dits  edits; 

Les  requestes  concernant  les  affaires  du  clerge; 

Les  differends  ou  proces  qui  surviendront  a  cause  des 
suppressions  et  remboursements  d'officiers  auxquels  S. 
M.  aura  interest; 

Comrae  pareillement  ceux  qui  surviendront  en  execution 
de  pareils  faits  pour  le  rachat  des  rentes,  domaines  et 
aides  de  S.  M ; 

Les  adjudications  des  fermes  au  plus  offrant  et  dernier 
encherisseur; 

Les  adjudications  des  grands  ponts  et  autres  grands  ou- 
vrages  publics  au  rabais  et  moins  disans; 

Celles  des  baux  et  marches  pour  le  renouvel lenient  et 
rafraichissement  des  vivres  et  munitions  des  places  fron- 
tieres. 

Ce  que  S.  M.  veut  et  ordonne  pour  le  conseil  prive, 
le  samedi. 

Les  requestes  presentees  par  les  parties  aiin  d'evoquer  du 


CONSEIL  D'STAT.  383 

parlement  et  autres  cours  souveraines ,  suivant  les  ordon- 
nances, seront  rapportees  au  dit  conseil  par  les  maistres  des 
requestes  estant  en  quartier  et  non  par  autres ,  ensemble 
toutes  requestes  pour  reglements  de  juges  a  cause  de  la  con- 
tention de  juridiction  entre  les  parlements,  chambres  de 
1'edit,  grand  conseil,  cour  des  aides  et  autres  cours  souve- 
raines ; 

Les  requestes  concernant  les  arrests  et  cas  permis  par  les 
ordonnances  et  reglements  sur  ce  faits ; 

Les  remontrances  des  parlements  et  autres  cours,  et  af- 
faires concernant  la  justice  et  fonction  de  leurs  charges ; 

Les  oppositions  forrnees,au  sceau,  al'expedition  des  let- 
tres  d'office  et  autres  qui  seront  renvoyees  au  conseil  par 
messieurs  les  chancelier  et  garde-des-sceaux. 

Tous  differends,  qui  pourroient  estre  au  dit  conseil  tou- 
chant  les  evesches  et  abbayes  et  autres  benefices  estant  a  la 
nomination  du  roy,  seront  renvoyees  au  grand  conseil,  en- 
core qu'il  soit  question  du  titre ;  enjoint  S.  M.  au  dit 
grand  conseil  de  juger  lesdits  proces  selon  le  droit  de  no- 
mination, et  comme  jusques  a  present  en  a  este  use. 

Les  maistres  des  requestes  qui  seront  en  quartier  auront 
1'entree  au  susdit  conseil  eten  celui  d'Estat  et  finances  pour 
en  rapporter  toutes  les  requestes  et  instances,  auxquelles  ils 
auront  este  commis. 

Les  maistres  des  requestes,qui  ne  seront  eri  quartier, seront 
envoyespar  les  provinces  pour  faire  leurs  visitations  et  che- 
vauchees,  comme  il  est  porte  par  les  ordonnances.  Deux 
desdits  maistres  des  requestes  ne  faudront  lesjoursdefestes 
d'aller  devant  S.  Mv  quand  elle  ira  a  la  messe,  pour 
recevoir  les  requestes  qui  seront  presentees,  quand  il  leur 
sera  commande,  et  assisteront  pres  de  MM.  les  chancelier 
ou  garde-des-sceaux,  quand  besoin  sera. 


384  APPENDICE   II. 

Pour  le  conseil  des  finances  qui  se  tiendra  le 
mercredi. 

Le  roy  veut  et  ordonne  que,  dans  le  conseil  etabli  pour 
les  finances,  soit  arreste  le  brevet  de  la  taille,  la  commis- 
sion, l'estat  de  la  crue  extraordinaire  des  garnisons,  les  es- 
tats  de  S.  M.  de  chacune  generalite ,  les  estats  des 
fermes  et  les  conditions  qui  doivent  estre  inserees  dans  les 
baux  qui  en  seront  faits,  l'estat  general  des  finances  ettout 
ce  qui  dependra  de  I'observation  et  entretenement  des 
dits  estats,  apres  qu'ils  auront  este  commandes  par  S.  M. 

Tous  articles  et  contrats  de  baux  a  ferme  ou  partis  se- 
ront vus  et  arrestes  au  dit  conseil,  et  neantmoins  1'adjudi- 
cation  et  delivrance  d'iceux  remise  au  conseil  d'Estat  et  fi- 
nances qui  se  tient  le  jeudi  matin,  ainsy  qu'il  est  accous- 
tume; 

Les  articles,  cahiers  et  remontrances  des  provinces  en- 
voyes  et  presentes  a  S.  M.  tant  par  les  gouverneurs  et 
lieutenants-generaux  que  par  les  villes  et  communautes ; 

Les  requestes  qui  concernent  l'estat  des  provinces,  des 
communautes  et  des  villes ,  ensemble  les  levees  des  de- 
niers  qui  seront  par  eux  requises ; 

Les  premieres  instructions  et  commissions  de  ceux  qui 
seront  envoyes  par  S.  M.  dans  les  provinces  pour  pren- 
dre  quelque  connaissance  du  fait  des  finances. 

Aucune  levee  de  deniers  ne  pourra  estre  faite  pour  le 
roy  qui  n'ait  este  deliberee  et  resolue  au  dit  conseil. 

Les  lettres  escriptes  par  les  tresoriers  de  France  portant 
avis  considerables  et  importants  au  fait  des  finances  de  S. 
M.  y  seront  aussi  lues,  et  il  sera  delibere  sur  la  reponse 
qui  y  devra  estre  faite. 

Le  mesme  sera  fait  des  requestes  qui  seront  presentees 


CONSEIL  D'ETAT.  385 

pour  fairc  employer  gages,  en  attribuer  de  nouveaux  ou 
augmenter  les  anciens,  comme  aussi  pour  employer  rentes 
ou  autres  charges  dans  les  Estats  de  S.  M. 

Les  rabais ,  diminutions  et  remises  qui  seront  demandes 
sur  les  tailles,  sur  la  subvention  des  villes,  sur  les  fermes 
ou  autrement. 

Les  requestes  presentees  a  S.  M.  par  ceux  qui  auront 
este  par  elle  commis  et  employes  pour  son  service  pour 
avoir  paiement  de  leurs  vacations  seront  examinees  par  les 
intendants  et  controleurs-generaux  des  finances  et  par  eux 
rapportees  au  dit  conseil,  oil  la  taxe  des  vacations  sera  ar- 
restee  et  assignee,  comme  les  autres  arrests,  la  minute  re- 
mise au  greffe  du  conseil  et  la  grosse  delivree  aux  parties 
qui  seront  en  vertu  d'icelle  payees  des  sommes  y  contenues. 

Les  roles  des  taxes  des  offices  seront  arrestes  au  dit  con- 
seil en  la  presence  de  ceux  qui  y  assisteront  et  non  ailleurs, 
defendant  S.  M.  au  secretaire  des  finances  de  signer 
aucuns  roles  des  dites  taxes  qu'ils  n'aient  este  arrestes  au 
dit  conseil. 

L'ordre  que  le  Roy  veut  estre  tenu  en  son  conseil  des 
affaires  et  depesches,  le  mardi. 

Au  dit  conseil  seront  lues  toutes  les  depesches  du  dedans 
du  royaume  et  delibere  des  reponses  et  ce  qui  sera  a 
faire  a  1'occasion  d'icelles. 

Seront  aussi  lues  les  reponses  et  les  instructions  qui  se- 
ront baillees  a  ceux  qui  seront  employes  dans  les  provinces 
pour  les  affaires  de  S.  M. 

Au  dit  conseil  tous  ceux  qui  auront  este  en  commission 
pour  le  service  de  S.  M.  seront  tenus  rendre  compte  de  ce 
qu'ils  auront  fait,  negocie  et  gere  en  leurs  voyages. 

II  sera  traite  au  dit  conseil  de  1'estat  des  garnisons,  es- 


386 


APPENDICE   II . 


tat  et  paiement  des  gens  de  guerre  tant  de  cheval  que  de 
pied  et  autres  affaires  de  la  guerre ,  et  generalement  de 
toutes  les  affaires  importantes,  ainsi  qu'il  plaira  a  S.  M. 
I'ordonner. 

Et  afin  que  tout  ce  qui  aura  este  resolu  au  dit  conseil 
soit  promptement  et  precisement  execute,  S.  M.  ordonne 
que  toutes  resolutions  qui  se  prendront  au  dit  conseil  en 
chaque  journee  seront  reduites  par  escript  par  celuy 
des  secretaires  d'Estat  qui  sera  en  mois,  lequel  en  fera  un 
acte  contenant  par  article  tout  ce  qui  aura  este  resolu, 
quelles  personnes  en  sont  chargees,  quelles  en  doivent 
prendre  soin.  II  sera  bailie  extrait  a  chacun  des  secretaires 
des  commandements  selon  leur  departement,  afin  qu'ils 
tiennent  la  main  a  1'execution  de  ce  qui  aura  este  avise, 
apres  qu'il  en  aura  este  fait  rapport  a  S.  M.  et  qu'elle  aura 
donne  son  commandement  sur  ce  specialement  es  choses 
plus  importantes. 

Fait  a  Paris,  le  18me  jour  de  Janvier  1630. 


APPENDICE. 
m. 

SURINTENDANTS   DES   FINANCES   D«   1594   A   1653. 

Le  morceau  suivant  est  tir5  des  M&noires  in£dits  d'Andrg  d'Ormesson, 
od  il  porte  pour  titre  :  Lea  Surintendcms  des  finances  que  fai  vus  et 
connus  (1). 


Quand  le  roy  Henry  IV  entra  dans  Paris  au  mois  de 
mars  1 594,  il  fit  messire  Francois  d'O,  seigneur  de  Fres- 
nes,  gouverneur  de  Paris  et  surintendant  des  finances,  le- 
quel  mourut  en  Tan  1595.  Apres  sa  mort,  plusieurs  fu- 
rent  employes  aux  finances  :  messire  Nicolas  de  Harlay, 
seigneur  de  Sancy,  luy  succeda  en  cette  charge  et  ayant 
parle  trop  librement  au  roy  sur  son  mariage  avec  la  du- 
chesse  de  Beaufort  il  fut  disgracie,  et  fut  mis  en  sa  place, 
en  1'annee  \  598,  messire  Maximilien  de  Bethune,   mar- 
quis de  Rosny,  qui  estant  fort  rude  et  fort  mesnager  paya 
les  dettes  du  roy,  tant  envers  les  estrangers  que  les  Fran- 
cois, remplit  son  arsenal  de  canons  et  d'armes  pour  ar- 
mer  cinquante  mille  hommes,  et  la  Bastille  dont  il  estoit 
gouverneur,  de  quantite  d'or  et  d'argent.   II  fut  aussy 
grand  maistre  de  1'artillerie  et  due  de  Suilly  et  ayant 
gouverne  les  finances  avec  un  pouvoir  absolu,  le  roy  Hen- 
ry IY  decede  en  may  1 61 0,  il  fut  disgracie  en  1'annee 
1611  par  messieurs  de  Sillery,  chancelier,  Villeroy  se- 

(1)  M6moires  d'Andr6  d'Ormesson,  f°  9  et  suiv. 


388  APPENDICE    111. 

cretaire  d'Estat  et  le  president  Jeannin  qui  ne  le  pouvoient 
soufFrir  a  cause  de  sa  rudesse  et  paroles  insolentes. 

En  la  place  du  due  de  Suilly,  au  lieu  de  surintendant, 
fut  composee  une  direction  de  finances  de  sept  personnes, 
messieurs  de  Chasteauneuf,  president  de  Thou,  president 
Jeannin,  Maupeou,  Arnault,  Bulion  et  Villemontee.  Cette 
direction  rapportoit  tous  les  samedis  ce  qu'elle  avoit  fait 
pendant  la  semaine,  devant  M.  le  chancelier  de  Sillery,  oil 
toutes  les  depenses  estoient  arrestees.  M.  Dole  y  fut  ajoute 
par  le  marechal  d'Ancre,  en  1'annee  1612.  Get  ordre  dura 
jusques  au  inois  de  may  1616,  que  le  present  Jeannin, 
lequel  avoit  tousjours  este  controleur-general  des  finances 
depuis  1'establissement  de  la  direction  fut  fait  surintendant 
des  finances  et  son  gendre,  M.  de  Castille,  intendant.  Pierre 
Jeannin,  autrefois  president  en  Bourgogne,  estant  devenu 
surintendant,  bailla  son  controle  general  a  Claude  Barbin 
favori  et  confident  du  marechal  d'Ancre,  lequel  Barbin  usurpa 
toute  1'autorite  dans  les  finances  et  les  affaires  d'Estat  et 
demeura  ainsy  jusques  au  14  avril  1617  que  le  marechal 
d'Ancre  fut  tue  sur  le  pont  du  Louvre.  Auquel  jour,  Bar- 
bin  fut  arreste  prisonnier  et  mis  dans  la  Bastille.  Le  pre- 
sident Jeannin  reprit  la  surintendance  des  finances  et  fit 
son  gendre  M.  de  Castille  intendant  et  controleur-gene- 
ral. 

Le  comte  de  Schomberg  fut  fait  surintendant  des  finan- 
ces au  mois  de  septembre  1619  et  y  demeura  jusques 
au  mois  de  Janvier  1 623  qu'il  fut  disgracie  et  renvoye  en 
sa  maison.Messire  Charles,  Marquis  de  la  Vieuville,  fut  mis 
en  sa  place;  ilestoit  fort  entendu  aux  finances  et  tres  puis- 
sant dans  1'esprit  du  roy,  et  estant  encore  fort  jeune  il 
faisoit  tres  bien  sa  charge.  II  avoit  este  capitaine  des  gar- 
des et  lieutenant  du  roy  en  Champagne  et  gouverneur  de 
la  ville  de  Reims.  II  demeura  en  grande  autorite  depuis 


SURINTENDANTS    DES    FINANCES.  389 

Janvier  1623  jusques  en  I 'an  1624  que  M.  le  cardinal  de 
Richelieu  fut  fait  chef  du  conseil,  lequel  ayant  pris  le  des- 
sus  le  fit  disgracier  a  Saint-Germain-en-Laye  au  mois 
d'aoust  1624;  M.  de  laVieuville  fut  envoye  prisonnier  dans 
le  chasteau  d'Amboise,  dont  il  se  sauva  au  mois  d'aoust 
1625. 

Messire  Jean  Boschart,  seigneur  de  Champigny,  et  mes- 
sire  Michel  de  Marillac  furent  faits  surintendans  des  fi- 
nanqes- ensemble  au  dit  mois  d'aoust  1624  et  demeurerent 
ensemble  jusques  au  commencement  de  1'annee  1 626  que 
le  dit  sieur  de  Champigny  fut  mis  au  conseil  des  depenses. 
Messire  Michel  de  Marillac  demeura  seul  surintendant 
jusques  au  mois  de  juin  de  Tannee  1626  qu'il  fut  fait 
garde  des  sceaux  de  France  par  la  disgrace  de  M.  le  chan- 
celier  Haligre  renvoye  en  sa  maison  de  La  Riviere,  pres 
de  Chartres. 

Par  la  promotion  de  M.  de  Marillac  en  la  charge  de 
garde  des  sceaux,  messire  Antoine  de  Ruze,  marquis  d'Ef- 
fiat,  fut  fait  surintendant  des  finances  au  mois  de  juillet 
1626,  par  la  faveur  du  cardinal  de  Richelieu,  et  exerca 
cette  charge  jusques  en  Tan  1 632  qu'il  mourut  marechal 
de  France,  commandant  une  armee  du  roy  dans  1'Alle- 
magne,  pres  la  ville  de  Strasbourg. 

Par  son  deces  furent  fails  ensemble  surintendans  mes- 
sire Claude  de  Bulion,  ancien  conseiller  d'Estat  et  mes- 
sire Claude  Bouthillier,  secretaire  d'Estat.  Us  exercerent 
cette  charge  ensemble  jusqu'a  la  fin  du  mois  de  decembre 
1 641 ,  que  M.  de  Bulion  mourut. 

M.  Bouthillier  demeura  seul  surintendant,  et  estoit  un 
des  ministres  qui  ne  croyoit  estre  change  pendant  la  re- 
gence  (1).  Neanmoins,  au  mois  de  juillet  1644,  il  fut  dis- 

(1)  Note  d'Andr6  d'Ormesson :  « Les  ministres  qui  ne  pou- 
voient  estre  changes  pendant  la  re'gence  estoient  monseigneur  le 

I.  26 


390  APPENDICE   III. 

grade  et  sa  charge  clonnee  a  messire  Nicolas  le  Bailleul, 
president  de  la  cour  et  chancelier  de  la  reyne  regente,  qui 
futfait  surintendant,  au  mois  de  juillet  1644.  La  princi- 
pale  conduiteet  direction  estoit,  sous  M.  le  president  de  Bail- 
leul, entre  les  mains  du  sieur  Michel  Particelle,  seigneur 
d'Emery,  controleur-general  des  finances,  et  du  sieur  Jac- 
ques Tubeuf,  president  des  comptes,  intendant  des  finan- 
ces. Les  sieurs  de  Mauroy,  le  Charon  et  Mallier,  intendans, 
n'approchoient  pasde  leur  employ  et  auctorite. 

Au  mois  de  juillet  1647,  le  president  le  Bailleul  donna 
sa  demission  de  sa  charge  de  surintendant  des  finances,  de 
laquelle  fut  pourvu  messire  Michel  Particelle,  sieur  d'E- 
mery, controleur-general  des  finances,  qui  en  presta  leser- 
ment  entre  les  mains  de  Leurs  Majestes,  dans  la  ville  d'A- 
miens,  le  jeudi  16  juillet  1647.  Pour  le  regard  de 
M.  d'Avaux,  il  estoit  en  ce  mois  a  Munster,  plenipotenliaire 
pour  la  paix  generate  avec  M.  le  due  de  Longueville  et 
M.  Servien,  plenipotentiaire  comme  luy.  M.  d'Avaux  fut 
disgracie  en  juin  1648  et  relegue  dans  Roissy.  Le  9  juillet 
de  la  mesme  annee,  M.  d'Emery  fut  disgracie  et  envoye 
en  sa  maison  de  Tanlay.  Le  marechal  de  la  Meilleraye 
fut  fait  surintendant  des  finances,  et  messieurs  Haligre 
et  Morangis  faits  directeurs  le  mesme  jour.  En  mars 
1649,  le  marechal  de  la  Meilleraye  quitta  la  surinten- 
dance.  En  octobre1649,  messieurs  d'Avaux  et  d'Emery  fu- 
rent  restablis  dans  leur  charge  de  surintendans,  et  lors  les 


due  cTOrteans,  monseigneur  le  prince  de  Conde  (Henry),  monsei- 
gneur  le  cardinal  Mazarin,  M.  le  chancelier,  M.  Bouthillier  surin- 
tendant des  finances,  M.  Bouthillier-Chavigny  son  fils,  secretaire 
d'Estat.  Mais  a  la  cour  il  n'y  a  rien  de  certain  et  nulle  stabilite  en 
la  condition.  M.  Bouthillier  fils  est  demeure"  dans  le  conseil  d'en 
haut,  mais  a  est6  contraint  de  re"signer  sa  charge  de  secretaire 
d'Estat  a  M.  de  Lomenie,  comte  de  Brienne,  qui  1'exerce  encore. 
Escrit  a  Onnesson,  le  dimanche  30  avril  16/i6.  » 


SURINTENDANTS  DBS  FINANCES.  391 

directeurs-generaux  signoient  les  arrests  du  conseil  des  fi- 
nances avec  eu\.  MaisM.  de  Chasteauneuf  ayant  este  resta- 
bli  dans  sa  charge  de  garde  des  sceaux,  au  mois  de  mars 
1650,  les  directeurs  n'ontplus  signe  les  arrests  ni  este  ap- 
peles  aux  affaires  de  consequence  concernant  les  finances, 
messieurs  d'Avaux  et  d'Emery  resolvant  tout  sans  eux, 
toute  1'autorite  estant  entre  les  mains  de  M.  d'Emery,  en- 
encore  qu'il  fust  tousjonrs  malade. 

Au  mois  de  mai  1650,  M.  d'Emery  estant  decede,  la 
reyne  donna  la  charge  de  surintendantdes  finances,  vacante 
par  sa  mort,  a  M.  le  president  de  Maisons  (Rene  de  Lon- 
gueil),  president  de  la  cour,  et  au  mesme  temps  M.  d'A- 
vaux remit  volontairement  sa  charge  de  surintendant  entre 
les  mains  de  la  reyne,  ne  se  voyant  pas  aux  bonnes  graces 
de  M.  le  cardinal  Mazarin,  qui  ne  communiquoit  ses  secre- 
tes intentions  qu'au  president  de  Maisons,  son  bon  ami.  II 
fit  une  action  de  prudence  et  de  generosite  tout  ensemble, 
et  en  a  este  fort  estime.  Satius  est  cum  dignitate  cadere 
quam  cum  ignominia  sermre. 

Le  8  septembre  1 651  M.  le  marquis  de  la  Vieuville  fut 
retabli  en  sa  charge  de  surintendant  des  finances,  vingt- 
sept  ans  apres  en  avoir  este  depouille,  en  la  place  de 
M.  le  president  de  Maisons. 

Le  marquis  de  la  Vieuville  estant  decede  le  vendredi 
2t  Janvier  1653,  messieurs  Servien  et  Fouquet  furent  faits 
surintendans  des  finances,  le  samedi  8  fevrier  1653,  et 
M.  Mesnardeau  Champre,  tresorier  directeur,  avec  messieurs 
Haligre  et  Morangis.  II  se  trouva  huit  intendans  des  fi- 
nances :  Mauroy,  Tillier,  Bordier,  Foule,  Bordeaux,  Gar- 
gan,  d'Erval,  Marin.  De  nouveaux  intendans  furent  nom- 
mes  en  1 654,  Paget,  Housset,  Brisacier  et  Boisleve. 

TIN   DU   PREMIER  VOLUME. 


TABLE  DES  MATIERES 

DU  PREMIER  VOLUME. 


PREFACE.  Pages  i-iv 

INTRODUCTION.  Pages  V-LXXI 

§   I.   —  Caracteres  et  conditions  d'une  bonne  administration;  division 

generate  de  1'histoire  administrative  de  la  France  en  quatre 

e"poques.  Pages  i-xn 

§  II.  —  Administration  romaine  dans  les  Gaules.  —  Prosperity  et 
misere  de  la  Gaule  sous  1'empire  remain.  Pages  XIII-XXIY 

§  III.  —  Les  barbares  et  1'figlise.  —  Imitation  grossiere  de  1'admini- 
stration  romaine  par  les  barbares.  —  Services  rendus  par 
rfiglise ;  affranchissement  des  esclaves.  Page  xxiv-xxxm 

§  IV.  —  Charlemagne.  —  Les  capitulaires.  —  Efforts  de  Charlemagne 
pour  retablir  I'unitg  administrative.  Pages  XXXIII-XLVII 

§  V.  —  Feodalite".  —  Opposition  de  principes  entre  la  Feodalit6  et  la 
monarchic;  elle  se  manifeste  dans  toutes  les  parties  de  Tad- 
ministration.  Pages  XLVII-LXI 

§  VI.  —  Revolution  communale.  —  La  royaute  a  pour  auxiliaires 
centre  la  fe"odalit6  la  bourgeoisie,  le  clerg6  et  le  saint-siege. 
—  Premiers  avantages  obtenus  par  la  royautg  sous  Louis  VI. 

Pages  LXI-LXXI 


HISTOIRE  DE  L'ADMINISTRATION  MONARCHIQUE  EN  FRANCE. 

CHAP.  I.  —  Philippe-Auguste  (1180-1223).  —  Etat  de  la  France  b.  1'ave"- 
nement  de  Philippe-Auguste  (1180).  —  Union  de  la  royaute 
avec  1'Eglise  et  les  communes.  —  Testament  de  Philippe-Au- 
guste (1190);  organisation  administrative  duduch^  de  France. 
—  Suppression  de  la  dignitt§  de  grand-s6"ne"chal  (1191).  — 
Des  grands  officiers  de  la  couronne  a  cette  epoque.  —  Cour 
des  pairs.  ~*-Lutte  de  la  royaute  contre  la  fe'odalite' ;  reunions 
territoriales,*,  victoire  de  Bouvines  (1214).  —  Troupes  mer- 
cenaires;  flotte  de  Philippe-Auguste.  —  Fondation  de  1'uni- 
versite  de  Paris  (1200).  —  Relations  entre  les  puissances 
temporelle  et  spirituelle.  —  Louis  VIII  (1223-1226) ;  reunions 
terri  tori  ales.  —  Arret  de  1224  qui  modifie  Torganisation  de 
la  cour  des  pairs.  Pages  4-21. 

CHAP. II.  —Louis  IX  ou  Saint-Louis  (1226-1270).—  Blanche  de  Castille, 
mere  de  Saint-Louis,  affermit  1'autorit^  royale;  la  royautd 
reconnuecomme  puissance  souveraine  daus  la  France  entiere; 


394  TABLE   DES    MAT1ERES. 

influence  du  droit  remain.  —  Du  parlcment  sous  Saint-Louis; 
introduction  desiegistes  dans  la  cour  du  roi;  Olim;  puissance 
du  parlement.  —  Administration  locale :  baillis  et  s^n^chaux ; 
ils  reunissent  les  fonctions  judiciaires,  militaires  et  financie- 
res;  precautions  prises  par  Saint-Lonis  pour  restreindre  1'au- 
torite  des  baillis  et  des  se"ne"chaux ;  enquesteurs  royaux.  —  R6- 
pression  des  guerres  privies :  quarantaine-le-roi ;  assurement  ,• 
interdiction  absolue  des  guerres  privies.  —  Reformation  de  la 
justice  :  abolition  du  duel  judiciaire;  appels;  cas  royaux; 
suppression  des  mauvaises  coutumes.  —  Administration  finan- 
ciere :  etablissement  d'une  monnaie  royale;  repartition  de 
I'impot  par  les  eius ;  commissaires  charges  de  surveiller  les 
comptes  des  baillis  et  senechaux.  —  Reforme  des  communes 
et  de  la  prevote  de  Paris  par  Saint-Louis;  fitienne  Boyleau; 
le  Livre  des  Metiers.  —  Resultats  de  1'administration  de 
Saint-Louis  pour  le  commerce,  1'industrie,  1'agriculture,  les 
lettres  et  les  arts.  —  Legislation  religieuse  :  durete"  &  1'egard 
%  des  Juifs,  des  heretiques  et  des  blasphemateurs;  pragmatique 
sanction.  Pages  23-45. 

CHAI>.  III.— Philippe  III  (1270-1285) ;  reunions  territoriales ;  premier  ano- 
blissement.  —  Philippe  IV  (1285-1314);  puissance  des  legistes; 
reunions  territoriales.  —  Mesures  fiscales.  —  Division  de  la 
cour  du  roi  en  trois  conseils  :  parlement  pour  la  justice, 
chambre  des  comptes  pour  les  finances,  grand  conseil  pour 
les  affaires  politiques.  —  Organisation  du  parlement  :  les 
ecclesiastiques  en  sont  exclus;  grand'chambre ;  enquetes; 
requetes;  ministere  public;  avocats;  notaires;  huissiers,  etc. 

—  Administration  financiere  :  chambre  des  comptes;  compta- 
bilite  financiere;  hierarchic  de  fonctionnaires  charges  de  la 
perception  de  I'impot.  —  Clercs  du  secret.  —  La  bourgeoisie 
soutient  Philippe-le-Bel  ;  etats-generaux  de  1302,  130/i,  1308 
et  1314.  —  Louis  X  (1316-1316) ;  reaction  contre  1'adminis- 
tration monarchique  ;  charte  normande.—  Affranchissement  des 
serfs  du  domaine  royal;   loi   salique.  —  Philippe  V  (1316- 
4322);  ordonnances  relatives  au  grand  conseil,  au  parlement 
et  &  la  chambre  des  comptes.  —  Surintendant  des  finances.  — 
Le  domaine  est  declare  inalienable.  — -  Comptabilite  de  1'ar- 
mee;  capitaines  royaux   etablis  dans  les  villes.  —  Droits 
d'aubaine,  d'epave  et  de  batardise  declares  droits  royaux.  — 
Charles  IV  (1322-1328);  rachat  de  droits  feodaux;  supplice  de 
Jourdain-de-1'Isle.  Pages  47-64. 

CHAP.  IV.— Philippe  deValois  (1328-1350).  —  Mesures  fiscales.  —  Puis- 
sance de  la  chambre  des  comptes  depositaire  de  1'autorite 
souveraine  en  1'absence  du  roi.  —  Organisation  du  parle- 
ment; egalite  entre  les  conscilters-juges  et  les  conscUlers- 
rapportcurs ;  commencement  de  separation  entre  les  fonctions 
judiciaires  et  militaires.  —  MaUieurs  de  la  France  devastee 
par  la  guerre  et  la  peste.  —  Reunions  territoriales.  —  Plai- 
doyer  de  Pierre  deCugni^res  (1329J;  appels  comme  d'abus. 

—  (Jean  1350-1364).  —  Mesures  fiscales.  —  Reformes  tentees 
par  les  etats-generaux  (1355-1357).  —  Origine  des  generaux 
des  finances  et  des  clus.  —  Retour   aux  principes  monarchi- 
qucs;  ordonnancede  Compiegne(1358) ;  prudence  du  dauphin 
Charles;   reforme  du  parlcment;  il  est  considere  des  cette 
G"poque  comme  le  premier  corps  de  1'fitat.  —  Charles  V  (1364- 
1380) ;  etat  deplorable  de  la  France  a  ravcnement  de  CharlesV; 
depopulation.  —  Charles  V  termine  les  guerres  civiles  et  e"loi- 


TABLE    DBS   MATIERES. 

gne  les  grandes  compagnics.  —  Asscmblee  de  1369 ;  vote  de 
subsides  (taille,  aides,  fouages) ;  arme'e  permanente  organis&j 
par  1'ordoiiiiaiice  de  Vincenncs  (1374);  impot  permanent. — 
Reforme  de  1'adrainistration  financiere;  imp6ts  afferme's;  les 
elus  dcviennent  magistraux  royaux;  fixitd  des  monnaies;  re- 
forme  de  la  chambre  des  comptes.  —  Permanence  du  parle- 
ment.  —  Prospe>ite  du  commerce; progresde  lamarine;  projet 
de  canal  entre  la  Seine  et  la  Loire.  —  Monuments  construits 
par  Charles  V.  —  Protection  accordee  aux  lettres.  —  S(5para- 
tion  des  puissances  temporel leetspirituelle;  Sow i?e  du  vcrgier. 

—  Majority  des  roisfixe'e  ft  quatorze  ans.  — Abolition  des  foua- 
ges ou  de  1'impot  territorial  par  Charles  V  mourant  (1380).— 
Charles  VI  (1380-1422) ;  caractere  general  de  ce  rfegne;  mal- 
heurs  et  anarchie  de  la  France.  —  Mesures  administrates  : 
Election  des  membres  du  parlemeut  par  ce  corps;  cham- 
bre des  vacations.  —  Re"formes   tente"es  par   le  parti  de~- 
mocratique;  ordonnance  cabochienne  (1413) ;  elle  n'est  pas 
execute.  —  La  France  de"chiree  par  les  guerres  civiles  et 
e"trangeres  (1/113-1/122).  Pages  65-90. 

CHAP.  V.  —  Charles  VII  (1422-1461).  _  Situation  deplorable  de  la 
France  a  l'ave"nement  de  Charles  VII ;  reaction  favorable  a 
la  royaute ;  la  Pucelle.  —  ReTorme  des  armies  et  des  abus 
feodaux  (1438-1439).  —  Praguerie  (1440-1641).  —  Com- 
pagnies  d'ordonnance  (1445).  —  Francs-archers  (1448).  — 
Progres  de  1'artillerie.  —  ReTormes  financieres.  —  ReTormes 
judiciaires  :  ordonnance  de  Montils-les-Tours  (1453);  re"- 
forme  du  parlement  de  Paris  et  des  tribunaux  inferieurs ; 
institution  des  parlements  de  Toulouse  et  de  Grenoble.  — 
Chambre  des  comptes  a  Montpellier.  —  Reforme  eccl^sias- 
tique;  pragmatique- sanction  de  Bourges.  —  Reforme  de 
1'Universite.  —  Prosp^rit6  du  commerce;  Jacques  Coaur. — 
Agriculture.  —  Charles  VII  choisit  ses  principaux  ministres 
dans  le  tiers-<§tat.  Pages  91-109. 

CHAP.  VI.  —Louis  XI  (1461-1483).  —  Caractere  de  Louis  XI;  lutte 
soutenue  par  ce  prince  contre  la  feodalite  apanage^ ;  re"u- 
nions  territoriales  sous  ce  regne.  —  Institution  des  postes 
f!464).  —  Ordre  de  Saint-Michel.  —  Projet  de  Louis  XI 
d'etablir  une  loi  unique  en  France;  in amovibilite  des  mem- 
bres du  parlement;  loi  contre  les  non- revel  ate  urs  du  crime 
de  lesc-majeste ;  arbitraire  dans  1'administration  de  la  jus- 
tice ;  e~tablissement  des  parlements  de  Bordeaux  et  de  Dijon. 

—  Gouverneurs  de  provinces;  division  des  pouvoirs.  — Admi- 
nistration financiere;    accroissement  des  impdts.  —  Admi- 
nistration militaire  :  grand-maitre    de  1'artillerie ;  tentatives 
pour  ameliorer  1'institution  des  francs-archers  etreorganiser 
1'infanterie  frangaise  ;    garde  ecossaise  ;    gentilshommes-a- 
bec-de-corbin.    —  Protection  accordee  au  commerce;  projet 
de  port  sur  les   cotes  de  Normandie ;  navigation  de  la  Seine. 

•  Mesures  favorables  a  1'industrie ;  plantation  de  muriers ; 
fabriques  d'tHoffes  d'or  et  de  soie ;  Louis  XI  songe  a  e~tablir 
Tunite  de  poids  et  de  mesures.  —  Introduction  de  1'impri- 
merie  en  France;  nouvelles  universites.  —  Charles  VIII 
(1483-1498).  —  Reaction  contre  1'administration  monar- 
chique.  — ;  fitats -g6n6raux  de  1484.  —  Administration 
d'Annc  de  Bcaujcu.  —  Reunion  do  la  Bretagne  pr^paree 
par  le  mariage  du  roi  avec  1'heritiere  du  duch6.  —  Publi- 
cation de  plusieurs  coutumes.  —  Zelede  Charles  VIII  pour 


396  TABLE    DES    MATIERES. 

r  administration  de  la  justice  dans  les  derniers  temps  de  son 
regne ;  nouvelle  organisation  du  grand  conseil.  —  Chauge- 
ment  qui  s'opere  dans  les  ide"es  et  dans  les  mreurs  pendant 
le  regne  de  Charles  VIII ;  les  jeunes  nobles  s'attachent  &  la 
cour;  filles  d'honneur  d'Anne  de  Bretagne.  Pages  111-132. 

CHAP.  VII.  —  Louis  XII  (1/198-1515).  —  Caractere  ge^ral  de  1'admi- 
nistration  monarchique  pendant  le  xvie  siecle.  —  Ordon- 
nance  de  Blois  (1499);  organisation  du  grand  conseil; 
creation  de  parlements  a  Rouen  et  a  Aix ;  publication  des 
coutumes.  —  Repression  de  la  licence  des  arme~es.  —  Di- 
minution des  impots  ;  venalite  des  offices  de  finances  et  de 
judicature.  —  Protection  accorded  a  1'agriculture,  au  com- 
merce, aux  lettres  et  aux  arts.  —  Prosperite  de  la  France  a 
cette  e"poque  attestee  par  Machiavel.  Pages  133-144. 

CHAP.  VIII.  —  Frangois  I*r  (1515-1547).  —  Premiere  partie  du  regne  de 
Francois  Ier  :  la  royaut<5  devient  absolue;  elle  domine  le 
clerge  par  le  concordat  (1516),  et  la  noblesse  par  I'esprit  de 
cour.  —  Administration  centrale  :  abaissement  des  grands 
officiers  de  la  conronne ;  commencement  de  la  puissance 
des  secretaires  d'fitat.  —  Administration  locale  :  gouver- 
neurs  de  provinces;  surveillance  organised  dans  tout  le 
royaume ;  despotisme.  —  Administration  de  la  justice  : 
publication  des  coutumes;  ordonnances  de  Cre"mieu  (1536) 
et  de  Villers-Cotterets  (1539)  ;  grands  jurisconsultes  de 
cette  Opoque ;  preVots  des  marechaux  et  mare'chausse'e ; 
abus  dans  1'administration  de  la  justice;  v6nalit6  des  offi- 
ces. —  Administration  des  finances  :  augmentation  des 
impots ;  emprunts  force's ;  mesures  adopters  par  Frangois  le* 
pour  rendre  1'administration  des  finances  plus  r^guliere; 
institution  de  I'^pargne  ou  tre~sor  central;  division  de  la 
France  en  g£ne>alite's ;  budget  prepare".  —  Administration 
militaire  :  ravages  exerc^s  par  les  bandes  d'aventuriers ; 
organisation  des  legions  provinciales  en  1534  ;  peu  de  suc- 
ces  de  cette  institution;  gloire  militaire  sous  le  regne  de 
Francois  ler.  Pages  145-161. 

CH\P.  IX.  —  Suite  du  regne  de  Francois  Ier.  —  De  la  marine  francaise 
a  cette  epoque  ;  fondation  du  Havre ;  flottes  £quipees  par 
Francois  Ier;  expeditions  maritimes  des  Francais;  decou- 
vertes  sur  les  cotes  de  1'Amerique  septentrionale.  —  In- 
dustrie et  commerce  encourages  par  Francois  Ier ;  protec- 
tion accorded  aux  lettres  et  aux  arts ;  fondation  du  college 
des  trois  langues  ou  college  de  France. — Persecutions  contre 
les  protestants.  —  Resume  de  ce  regne  :  progres  de  Tunite 
politique  et  civile;  influence  personnelle  du  roi.— Henri  II 
(1547-1559).  —  Reglement  relatif  au  conseil  d'fitat  (15/i7). 
—  Administration  de  la  justice  :  institution  des  pr^sidiaux 
(1551);  leur  juridiction ;  parlement  e"tabli  a  Rennes  (1553); 
prevots  des  mare"chaux ;  puissance  supi5rieure  attribute  au 
grand  conseil.  —  Administration  des  finances  :  le  nombre 
des  recettes  ge"ne>ales  est  porte  in  dix-sept;  juridiction 
de  la  chambre  des  monnaies.  —  Armee ;  marine ;  expedi- 
tions maritimes.  —  Commerce  et  Industrie  :  fabrique  de 
glaces  e"tablie  en  France  par  le  Bolonais  Mutio.  —  Protec- 
tion accorded  aux  lettres  et  aux  arts.  —  Mesures  liscales ; 
misere  et  mecontenternent  du  penple  a  la  fin  du  regne  de 
Henri  II.  —  Progres  de  la  bourgeoisie,  Pages  163-185. 


TABLE    DES    MATURES.  397 

CHAP.  X.  —  Francois  II  (1559-1560) ;  edit  de  Romorantin.  —  Charles  IX 
(1560-1 57/i).  —  R61e  du  chancellor  de  L'H&pital.  —  Ordon- 
nance  d'Orh'ans  (1  561) ;  reTorme  ecciesiastique  et  reforme  ju- 
diciaire.  —  Plaintes  provoqu^es  a  cette  6poque  par  la  vena- 
lite  des  charges.—  Efforts  du  chancelier  de  L'Hdpital  pour  re- 
medier  aux  abus  :  suppression  de  la  venalite  des  charges; 
mesures  adoptees  pour  la  bonne  administration  de  la  justice; 
etablissement  des  juges-consuls.  —  tidit  de  Roussillon  (1564) ; 
le  commencement  de  1'annee  civile  est  fixe  &  Paques.  —  Or- 
donnance  de  Moulins  (1566) ;  elle  embrasse  toutes  les  parties 
de  1'administration;  reTorme  de  la  justice;  droit  de  remon- 
trances  limits ;  mercuriales  prescrites;  chevauchees  ou  inspec- 
tions imposees  aux  maitres  des  requetes ;  conditions  d'age  et 
de  capacite  exige"es  pour  les  offices  de  judicature;  organisation 
des  sieges presidiaux.  —  Des  gouverneurs  de  provinces;  sepa- 
ration  des  fonctions  militaires  et  judiciaires. —  Mesures  pour 
la  bonne  police  du  royaume.  —  fidit  des  meres.  —  Impuis- 
sance  du  chancelier  de  L'Hopital  au  milieu  des  factions;  sa 
retraite  (1568).  —  Etat  deplorable  de  la  France  d6vastee  parla 
guerre  civile.  —  Dilapidation  des  finances.  —  Decadence  de 
la  marine.  —  Construction  des  Tuileries  et  de  plusieurs  au- 
tres  palais.  Pages  186-210. 

CHAP.  XI.  —  Henri  III  (1575-1589).  —  Faiblesse,  prodigality's  et  misere 
de  ce  prince.  —  Le  chancelier  de  Birague.  —  Anarchie  dans 
le  royaume.  —  Ordonnance  de  Blois  (1579)  :  reTorme  du 
clerge ;  conditions  d'age  et  de  capacity  imposees  pour  parve- 
nir  aux  dignites  eccle'siastiques ;  institution  d'un  theologal 
dans  chaque  eglise  catherale;  la  juridiction  eccle"siastique  est 
soumise  au  controle  des  parlements ;  administration  des  ho- 
pitaux ;  surveillance  exerc^e  par  I'fit&t  sur  les  universit^s ; 
articles  relatifs  a  1'administration  de  la  justice;  reduction  du 
nombre  des  offices ;  les  juges-consuls  sont  maintenus  malgrd 
les  reclamations,  des  fitats;  defense  d'usurper  lestitres  de  no- 
blesse; nombre  des  gouverneurs  de  provinces  r^duit  k  douze; 
les  fonctions  judiciaires  leur  sont  interdites;  organisation  de 
rarme~e;  police  de  la  cour;  les  domaines  alie"ne"s  sont  repris; 
mesures  pour  1'entretien  des  grand es routes,  pour  I'election  des 
officiers  municipaux  et  la  police  des  auberges.  —  L'ordon- 
nance  de  Blois  est  viole"e  par  Henri  III ;  v£nalit6  des  charges ; 
licence  des  armies;  mesures  fiscales  et  dilapidation  des  de- 
niers  publics.  —  ReTorme  de  quelques  coutumes.  —  Creation 
des  bureaux  de  finances.  —  Institution  de  1'ordre  du  Saint- 
Esprit.  —  Pensions  pour  les  Invalides.  —  Le  monopole  des 
corporations  est  modfie.  —  Rdglement  relatif  aux  secretaires 
d'Etat.  —  Conseil  d'Etat.  —  Progres  de  1'opinion  publique 
sous  ce  regne.  Pages  211-229. 

CHAP,  XII.  —  Henri  IV  (1569-1610).  —  fitat  de  la  France  a  l'av<5nement 
de  Henri  IV  et  apres  sa  conversion  (1593) ;  preventions  des 
gouverneurs  de  provinces;  insolence  de  la  noblesse;  misere  et 
maladies  pestilent! elles  dans  Paris.  —  Ministres  de  Henri  IV; 
Sully.  —  Retour  aux  principes  d'ordre  (1596-1598) ;  edit  de 
Nantes  (1598) ;  reforme  de  1'Universite.  —  Reformes  finan- 
cieres  entreprises  et  executees  par  Sully ;  augmentation  des 
recettes  et  diminution  des  depenses.  —  Chambres  de  justice 
etablies  en  1602  et  1604  pour  poursuivre  les  financiers.  — 
Reduction  de  1'interet  de  1'argent  du  denier  10  au  denier  16. 
—  Revision  des  creances  de  1'fitat  (1604).  —  fitablissement 


398  TABLE   DES   MATIERES. 

de  la  paulette  ou  droit  annuel.  —  Asile  ouvert  aux  soldats  es- 
tropies.  —  ReTormes  judiciaires.  Pages  231-248. 

CHAP.  XIII.  —  Suite  du  regne  de  Henri  IV.  —  Conseil  du  commerce  con- 
voque'  par  Henri  IV  en  1602 ;  progresde  1'industrie  francaise  : 
plantation  demuriers;  fabrication  d'e'toffes  d'or  et  desoie; 
manufactures  de  crepes,  de  cuir  dor£,  d'armes,  de  cristal;  r£- 
tablissement  des  anciennes  verreries ;  fabriques  de  tapis  de 
Turquie.  —  Projets  soumis  au  gouvernement  par  le  conseil 
du  commerce  pour  le  developpement  de  1'industrie  fran- 
francaise.  —  Fondation  de  nombreuses  manufactures  par 
Henri  IV.  —  Exploitation  des  richesses  minerales  de  la  France. 

—  Nouvelles  communications  ouvertes  pour  le  commerce;  ca- 
nal  de   Briare.  —  Trails  de  commerce.  —  Colonie  du  Ca- 
nada. —  Efforts  tenths  pour  rclever  la  marine  franchise;  af- 
front fait  a  Sully  par  un  amiral  anglais.  —  Protection  accor- 
dee  a  1'agriculture.  —  Monuments  construits  sous  le  regne  de 
Henri  IV.  —  Jurisconsultes  de  cette  epoque;  tendance  vers 
1'unite  legislative  et  administrative.  —  Repression  des  duels. 

—  Projets  de  Henri  IV  pour  1'affermissement  de  1'autorite 
monarchique  ;  son  assassinat  (1610).  Pages  249-269. 

CHAP.  XIV.  — Louis  XIII  (1610-1643).  — Troubles  pendant  la  minority  de 
Louis  XIII ;  faiblesse  de  Marie  de  Medicis ;  sterilite  del'histoire 
administrative  pendant  cette  <§poque ;  creation  d'un  parlement 
a  Pau  (1620).  — Reformes  demandeespar  les  etats-generauxde 
1614etparl'assenibieedes  notables  de  1617.— Ministere  de  Ri- 
chelieu (162/1-1642)  ;assemblee  des  notables  (1626)  ;lapolitique 
de  Richelieu  approuv^e  par  les  notables  et  louee  par  les  prin- 
cipaux  ecrivains  de  cette  epoque.  —  Forteresses  rashes ;  sup- 
pression des  dignites  d'amiral  et  de  connetable.  —  Richelieu 
triomphe  des  protestants,  des  courtisans  et  des  gouverneurs 
de  provinces.  —  II  organise  le  conseil  d'fitat :  institution  des 
intendants.  —  Resume  des  premieres  annees  de  1'administra- 
tion  de  Richelieu  jusqu'en  1635.  Pages  271-294. 

CHAP.  XV,  —  Suite  du  regne  de  Louis  XIII.  —  Administration  de  la  jus- 
tice :  commissions  institutes  pour  juger  les  crimes  politiques; 
reforme  tentee  par  Michel  de  Marillac  (1630).  —  Administra- 
tion militaire:  discipline  introduite  dans  les  armees;  inten- 
dants speciaux  etablis  pres  des  armees  pour  en  assurer  1'ap- 
provisionnement;  institution  du  ministere  de  la  guerre  en 
1636;  projets  de  Richelieu  pour  Pameiioration  de  Torgauisa- 
tion  militaire.  — Marine  :  ports  creusds;  flottes  sur  1'Ocean 
et  la  Mediterranee ;  succes  maritimes  des  Francais.  —  Fi- 
nances :  memoire  de  Colbert  sur  1'administration  des  finan- 
ces de  1610  a  1630;  situation  deplorable  du  tresor;  accrois- 
sement  des  impots ;  vnes  de  Richelieu  sur  la  nature  des  im- 
pots  et  sur  le  credit  public.  —  Du  commerce  et  de  1'industrie  : 
compagnie  du  Morbihan  (1626-1628);  compagnie  des  Indes 
occidentales ;  etablissementsfrancais  dans  les  Antilles;  relations 
commerciales  avec  1'Asie  et  I'Afrique ;  le  canal  de  Rriare  est 
aclieve ;  canalisation  de  plusieurs  rivieres.  —  Organisation 
de  la  poste  aux  lettres.  —  Affaires  religieuses.  —  Protection 
accord ee  aux  lettres  et  aux  arts.  —  Attaques  dirigees  centre 
Richelieu  apres  sa  mort  (4  decembre  1642);  il  est  defendu 
par  Mazarin.  Pages  295-318. 


TABLE    DES    MATIERES,  399 

APPENDICE. 

I.  —  Discours  dela  vie  d'OIivier  Lefevre,  seigneur  d'Ormesson,  d'Eau- 

bonne  et  de  Lczeau,  con>eiller  du  roi  en  son  conseil  d'etat  et  pr<5- 
sidcnt  en  la  chambrc  des  comptes  de  Paris.  Pages  319-343. 

II.  —  Reglements  rclatifs  ;\  1'organisation  du  conseil  d'Etat  auxXVI*  et 

XVIIe  siecles.  Pages  34  i-386. 

III.  —  Surintendants  dcs  finances  de  1593  h  1653.  Pages  387-391. 


FIN    DE   LA    TABLE   DU   PREMIER    VOLUME. 


COULOKMIERS.  —  IMPRIMERIB  PE  A.  MOUSSIN. 


ERRATA  DU  PREMIER  VOLUME. 


Page  IV,  derniere  ligne,  1228,  lisez  :  1328. 

Page  XXVI,  ligne  \  9,  ton  pere,  lisez  :  son  pere. 

Page  6,  note  2 ,  §  VIII,  lisez  :  §  VI. 

Page  12 ,  ligne  2,  XII*  siecle,  lisez  :  .Y//7C  siecle. 

Page  15,  derniere  ligne,  1290,  lisez:  1200. 

Page  18,  ligne  10,  Paris,  lisez  :  VUniversitede  Paris. 

Page  38 ,  ligne  3,  trouvoit,  lisez :  trouvai. 

Page  42  ,  ligne  27,  commande,  lisez  :  commander. 

Page  60,  ligne  20,  avocats,  huissiers,  lisez  :  avocats  el  huissiers. 

Page  63 ,  ligne  1 2  ,  Jean  XII,  lisez  :  Jean  XXII. 

Page  72,  ligne  1,  1352,  lisez  :  1353. 

Page  77,  1'indication  de  chapitre  doit  etre  supprime"e  et  le  sommaire 
report^  a  la  page  65. 

Page  86,  ligne  9,  exigeaient  consentement,  lisez  :  exigeaient  le  consen- 
temen  t. 

Ibid.,  ligne  10,  i'c'tabissement  nouveaux  impots,  lisez  :  Cetablisse- 
ment  de  nouveaux  impots. 

Page  88,  ligne  10,  le  nombreet  Ics  fonctions  des  offlciers  dc  justice , 
lisez  :  le  nombre  et  les  fonctions  desofficiers  dc  justice  deter- 
mines, 

Page  93  ,  ligne  15,  la  predication,  lisez  :  les  predications. 

Page  113,  ligne  9,  prommeltant,  lisez  :  promettant. 

Page  128,  ligne  4,  supprimez  le  mot  reunies. 

Page  129,  note,  aulici  consilii,  lisez  :  aulici  concilii. 

Page  1&3,  note  I,  commme,  lisez  :  comme. 

Page  147,  ligne  12  ,  I'aministration,  lisez  :  /' administration. 

Page  153,  note  h,  Journal  d'un  bourgeois  da  Paris,  lisez  :  Journal  d'tin 
bourgeois  de  Paris. 

Page  233,  note  2,  ne  se  trouvent  que,  lisez  :  ne  se  trouvcnt  pas. 

Page  239,  ligne  15,  «  cet  esprit  fort,  general  et  laborieux,  lisez  :  «  cet 
esprit,  fort  general  et  laborieux. 

Page  286,  note  5,  ibid.,  lisez:  voy.  dans  ce  volume. 

Page  312  ,  ligne  49  ,  en  1601,  lisez  :  en  1631. 

Page  317,  ligne  7,  bien  quenepusse,  lisez  :  bien  que  jene  pusse. 

Ibid.,  note  :  ce  n'est  plus  temps,  lisez  :  ce  n'en  est  plus  le  temps. 

Page32A,  derniere  ligne,  deux  ans,  lisez  :  deux  ans  apres. 


-7 

vX  ^ 

4&  2358 

C5 
T.1 


Cheruel,   Pierre  Adolphe 

Histoire  de  1! administration 
monarchique  en  France 


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