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COLLECTION
DE
DOCUMENTS INEDITS
SUR L'HISTOIRE DE FRANCE
PUBLIES PAR LES SOINS
DU MINISTRE DE L'INSTRUCTION PURLIQUE.
Par arrêté du a5 juin 1877, le Ministre de l'Instruction publique, sur la proposition
de la Section d'archéologie du Comité des travaux historiques et des Sociétés savantes, a
ordonné la publication de Y explication des planches de la Monographie de Notre-Dame de Chartres.
rédigée par M. Paul Durand, membre non résidant du Comité.
M. Anatole de Montaiglon , membre du Comité, a suivi l'impression de celle publication en
qualité de commissaire responsable.
C Ù 35
v. ??
MONOGRAPHIE
DE
NOTRE-DAME DE CHARTRES.
EXPLICATION DES PLANCHES
PAR
M. PAUL DURAND,
MEMRRE NON RESIDANT DU COMITE DES TRAVAUX HISTORIQUES
ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES.
PARIS.
IMPRIMERIE NATIONALE.
M DCCC LXXXI.
THE LIBRARY
BRIGHAM YOUNG UNIVERSITE
PROYO, UTAH
APERÇU CHRONOLOGIQUE
SUR LES DIFFÉRENTES PHASES
DE L'HISTOIRE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
Nous donnons cet Aperçu sans entrer dans la discussion des dates antérieures aux ivc et
ve siècles. Nous enregistrons purement et simplement les traditions acceptées par les chro-
niqueurs du moyen âge, et nous leur en laisserons la responsabilité. C'était l'opinion de leur
temps; ils l'ont adoptée et suivie, et nous la donnons dans le seul but de faire comprendre
les auteurs de ces anciennes chroniques.
Vers le milieu du i" siècle de notre ère, saint Saviuien et saint Potentien sont envoyés
dans les Gaules.
A Chartres, saint Potentien élève le premier temple chrétien au-dessus de la grotte drui-
dique; saint Aventin en fut le premier évêque.
Sous la protection des lois romaines concernant les sépultures, cette première église se
maintint jusqu'à la dernière persécution, appelée l'ère des martyrs, sous Dioctétien, en
3o3 ; elle fut alors renversée de fond en comble.
Dès que Constantin eut accordé la paix à l'Eglise , l'évêque de Chartres , Castor, s'empressa
de reconstruire le sanctuaire de Notre-Dame, en 3i3. 11 est à croire qu'à cette époque ce
n'était encore qu'un modeste oratoire élevé sur les ruines du monument primitif.
Il est question d'un sinistre en 5go; rien ne constate son importance.
En 7^3, Hunald, duc d'Aquitaine, révolté contre Pépin, brûla l'église de Chartres,
sous l'épiscopat de Godessald.
L'église épiscopale de Chartres est relevée l'année même de -jko par l'évêque Godessald.
Le 12 juin 858, Hastings , à la tête des Normands, assiège la ville de Chartres et incendie
la cathédrale.
L'évêque Gislebert, successeur de saint Frobold, ne larde pas à relever les ruines de sa
cathédrale.
En 876, le don de la sainte tunique de Notre-Dame, fait au sanctuaire de Chartres par
Charles le Chauve, fut une raison de donner plus de splendeur à l'édifice.
Le 5 août 963, les Normands et les Danois, conduits par Richard, duc de Normandie,
alors en guerre aVec Thibault le Tricheur, comte de Chartres, incendient la cathédrale sous
l'épiscopat de Hardouin , qui ne survécut pas à ce désastre.
ii APERÇU CHRONOLOGIQUE.
Le nouvel évêque , Wulfard , réédifie, dès la même année 963, son église cathédrale. Son
désir était qu'elle fût la plus belle église du monde.
Le 7 septembre 1020, le feu du ciel réduisit en cendres le sanctuaire élevé par Wul-
fard.
Saint Fulbert était alors évêque de Chartres.
Aidé par plusieurs princes de l'Europe auxquels il avait fait appel, saint Fulbert se hâta
de reconstruire sa cathédrale sur un plan plus vaste. Thierry, son successeur, continua
l'œuvre de Fulbert et en fit la dédicace le 17 octobre 1087.
Plus tard, de 1090 à 1 1 1 5 , saint Ives agrandit et embellit l'œuvre de ses prédéces-
seurs. Le jubé de saint Ives fut célèbre.
Le sinistre que des chroniqueurs attribuent à l'année io3o est sans doute le même que
celui de 1020.
Un grand incendie dévasta la ville de Chartres en 11 34 (magnum urbis excidium); mais
le texte ajoute : reservatâ per Dei grattant Eccksiâ.
Voici ce qu'on lit dans une lettre de Hugues d'Amiens , archevêque de Rouen : cr C'est à
Chartres que les hommes, par esprit d'humilité, ont commencé à traîner des charrettes et
des chariots pour aider à la construction de la cathédrale. C'est là aussi que Dieu a surtout
fait éclater des miracles pour récompenser l'humilité de ses serviteurs. Le bruit s'en est
répandu au loin et a mis la Normandie en émoi. Les fidèles de notre province sont d'abord
allés à Chartres porter le tribut de leurs vœux à la Mère de Dieu ; puis ils se sont habitués à
prendre leurs propres cathédrales pour but de ces pieux pèlerinages. Ils forment ainsi de
pieuses confréries dans lesquelles personne n'est admis sans confesser ses fautes , sans rece-
voir une pénitence et sans se réconcilier avec ses ennemis. Les confrères se donnent un chef,
à la voix duquel tous, soumis et silencieux, traînent sur des charrettes les offrandes qu'ils
portent aux églises et qu'ils sanctifient par leurs larmes et leurs mortifications. Pleins de con-
fiance en la bonté de Dieu, ils se font accompagner de leurs malades, qui souvent reviennent
guéris de toutes leurs infirmités.')
Haimon, abbé de Saint-Pierre-sur-Dive , confirme de point en point les assertions de
l'archevêque de Rouen. Comme le prélat, il atteste que l'église de Chartres fut le premier
édifice à la construction duquel on vit s'associer des pèlerins accourus de différents côtés. 11
ajoute que cet usage ne tarda pas à s'introduire en Normandie, et que, dans celte province,
il n'y eut bientôt pas de sanctuaire dédié à la Sainte Vierge qui ne devînt le but de pareils
témoignages.
Pour les moines de Saint-Pierre-sur-Dive, ce mouvement religieux fut un excellent
moyen d'achever leur église, dont les travaux étaient interrompus depuis de longues années.
Assurés que la foi enfanterait chez eux les mêmes prodiges que dans les pays voisins, ils
firent solennellement bénir des chariots à l'imitation de ceux de Chartres. Leur confiance ne
fut pas trompée. De toute part on répondit à leur appel. Chacun était jaloux d'aller rendre
hommage à la Vierge dans une église à peine ébauchée, mais où les cérémonies du culte
s'accomplissaient déjà avec pompe et régularité. C'était un généreux élan qui se commu-
niqua avec une merveilleuse rapidité dans toutes les classes de la société. Les femmes comme
les hommes, les riches comme les pauvres, les puissants comme les faibles, tous s'attelaient
APERÇU CHRONOLOGIQUE. hi
aux chars sur lesquels on portait à Saint-Pierre-sur-Dive la chaux, la pierre, le hois et les
vivres destinés aux ouvriers. Les populations s'ébranlaient en masse : chaque paroisse se
mettait en route avec ses vieillards et ses enfants; on emmenait même les malades, dans
l'espérance de leur faire miraculeusement recouvrer la santé. Les bannières ouvraient la
marche; des trompettes donnaient le signal des manœuvres. Les fardeaux étaient énormes :
parfois il fallait les efforts d'un millier de pèlerins pour imprimer le mouvement à un seul
char. Le convoi s'avançait au milieu d'un religieux silence. Dans les halles, on n'entendait
que les confessions, les prières et les chants des pénitents. A la voix des prêtres, les haines
s'apaisaient et la bonne harmonie renaissait dans les cœurs. Si un pécheur obstiné refusait
de pardonner à ses ennemis, on le chassait ignominieusement après avoir jeté à terre i'of-
frande qu'il avait mise sur le char.
Arrivés au terme du voyage, les pèlerins rangeaient les voitures autour de l'église et
formaient une sorte de camp dans lequel ils passaient la nuit en prières. Ils illuminaiant
leur char et faisaient retentir au loin le chant de psaumes et des cantiques. Ils demandaient
à la Vierge, avec une aveugle confiance, la guérison de leurs malades, et, si leurs vœux
tardaient à être exaucés, on les voyait, eux et leurs enfants, se dépouiller de leurs habits,
se traîner en gémissant jusqu'au pied des autels et supplier leurs prêtres d'être sans pitié et
de leur donner la discipline en expiation des fautes qu'ils pouvaient avoir commises. D'or-
dinaire, aux gémissements et aux supplications succédaient des cris d'allégresse. C'est que la
Vierge s'était laissé fléchir; des miracles venaient de s'accomplir. Un malheureux infirme
qu'on avait amené sur un char s'était tout à coup senti guéri. Plein de vigueur, il courait
remercier sa bienfaitrice. De toutes parts on criait au miracle ; de longues files de pèlerins se
rendaient processionnellement à l'autel, baisaient la terre, mettaient les cloches en branle
et entonnaient des chants de triomphe.
Tels furent les actes de foi qui s'accomplirent en 1 1 45 dans l'abbaye de Saint-Pierre-sur-
Dive et dans beaucoup d'autres églises de France. Mais ce ne fut pas seulement en 1 1 45 que
la construction des édifices religieux donna naissance à de pareilles manifestations. Les
mêmes transports d'enthousiasme durent souvent éclater sur différents points de la chré-
tienté pendant le cours du xn" et du xiuc siècle.
Un sinistre à l'église de Chartres est indiqué à la date de 1188, mais sans aucun détail ;
on peut en conclure qu'il eut peu de gravité.
Mais en no4, sous le règne de Philippe-Auguste et l'épiscopat de Regnault de Mouçon,
dans la nuit du 22 au 23 juin, un incendie accidentel anéantit l'œuvre de saint Fulbert,
de Thierry et de saint Ives, à l'exception de la crypte et des clochers.
La cité Chartraine revit alors des processions de pèlerins apportant leurs pieuses contri-
butions sur de lourds chariots. Un trouvère du xiii" siècle, Jean Le Marchant', s'est complu
à parler de ces processions dans un poème dont le manuscrit est conservé à la bibliothèque
de Chartres et qui a été imprimé par M. Gratet-Duplessis en i855.
Soutenu par les encouragements du légat du pape Mélior, et surtout par la conservation
1 Jean Le Marchant n'a fait que traduire en vers fiançais une relation latine, dont le texte, en-
core inédit, se conserve à la Bibliothèque du Vatican.
iv APERÇU CHRONOLOGIQUE.
miraculeuse de la relique insigne de la Tunique de Notre-Dame, Regnault de Mouçon se
mit en devoir, dès Tannée 1 îgi , de reconstruire sa cathédrale dans le vaste plan et avec
la splendeur que nous lui voyons encore aujourd'hui.
La dédicace de cet édifice eut lieu le 17 octobre 1260, en présence, dit-on, de saint
Louis , sous l'épiscopat de Pierre de Mincy. Un nouveau jubé fit oublier celui de saint Ives
(1260-1276). Une vaste sacristie fut ajoutée à la fin du xiii' siècle.
L'incendie de Chartres, en 1286, n'avait pas atteint la cathédrale : reservata majori
ecclesia.
La chapelle de saint Piat fut construite en i34g, la chapelle de Vendôme en iui3.
Incendie du clocher gauche du portail occidental, le 26 juillet i5o6.
Le clocher neuf s'élève en 1 5 1 3.
La clôture du chœur est commencée en i5i h et ses grandes sculptures ne sont terminées
qu'au xvne siècle.
i5 novembre 1670. Commencement d'incendie au clocher neuf, par le feu du ciel.
1763. Destruction du jubé, qui, suivant certains auteurs, tombait en ruines.
Les bas-reliefs du chœur sont placés de 1763 à 1789; le groupe de l'Assomption, de
Rridan, en 1773.
179/1. Enlèvement des plombs de la couverture, conformément à une loi du 6 août
1793. Les voûtes se trouvèrent ainsi pendant deux ans exposées aux injures de la pluie.
Le h juin i836, incendie, par l'imprudence des plombiers, de la Forêt, célèbre char-
pente en bois qui couvrait toute la cathédrale depuis le xivc siècle; les charpentes des deux
clochers furent alors aussi incendiées. Les principaux désastres étaient réparés en 1 84 1 ;
une charpente en fer remplaça la charpente en bois.
Nous n'avons pas à donner ici une bibliographie des manuscrits et des livres relatifs à
l'histoire et à la description de la cathédrale de Chartres. Deux érudits chartrains, MM. Merlet
et Lecoq, la préparent en ce moment, et comme leurs travaux doivent tous les deux être
très considérables, nous ne pouvons que les annoncer et en espérer la prochaine publication.
PRÉFACE.
La Monographie de la cathédrale de Chartres devait être le
commencement d'une série de travaux archéologiques sur tous
les monuments anciens et curieux de la France ; chacun d'eux
devait avoir son histoire et sa description à part. On voulait
procéder par département, pour arriver à former par l'ensemble
de ces travaux une collection qui fût aux monuments d'architecture
de notre pays ce que la collection des documents inédits était à
son histoire.
M. de Salvandy s'exprimait ainsi dans un rapport au Roi à la
date du 3i décembre 1 83 8 :
«Le Comité des arts et monuments a poursuivi ses travaux avec
un zèle particulier. Préoccupé de la pensée de sauver d'une des-
truction entière ce qui nous reste de monuments intacts ou de
ruines appartenant à l'architecture nationale, il s'est proposé de
faire des statistiques de tous les monuments et des monographies
des plus importants. Par ce double moyen , il a espéré dérober au
temps et aux chances d'accidents ces nobles reliques du génie fran-
çais, et, en même temps qu'il conservera les formes et les pro-
portions par le dessin, les monographies devront apprendre aux
plus ignorants à les respecter. Il se prépare en ce moment d'ex-
cellents travaux dans les deux genres, qui ont été confiés à des
mains habiles, n
vi PRÉFACE.
M. le Ministre, pour montrer l'importance qu'il attachait à ces
travaux, ajoutait qu'il s'était réservé le soin d'écrire l'histoire de
la cathédrale de Chartres.
Le plan de publication, en ce qui concerne ce monument, était
celui-ci :
i° Les dessins d'architecture devaient être faits par M. Lassus;
3° Le dessin des statues, par M. Amaury Duval, peintre;
3° La description archéologique, par M. Didron;
li° L'histoire proprement dite de la cathédrale, par M. le Mi-
nistre.
La cathédrale de Chartres lut désignée la première, dans l'ordre
des travaux indiqués par M. le Ministre, à cause non seulement de
l'importance et de la beauté du monument, mais par une circon-
stance qui rendit ce choix naturel.
Le Ministère de la justice venait d'ordonner des travaux dans
cette cathédrale; c'était au moment où la partie supérieure de
l'édifice venait d'être endommagée par un incendie.
On sait que, pour les monuments religieux, le soin des travaux
de restauration, en ce qui touche l'appropriation et la solidité,
appartenait alors à M. le Ministre de la justice, chargé aussi
de l'administration des cultes. C'était lui qui en appréciait la
nécessité et en décidait l'exécution lorsqu'il y avait lieu. Un crédit
était ouvert à cet effet sur le budget de son administration pour
la partie des dépenses qui doit être supportée par l'Etat, car une
partie doit rester à la charge du département ou de la commune,
suivant que l'édifice qu'il s'agit de réparer est considéré comme
appartenant à 1 un ou à l'autre.
D'après les ordres de M. le Ministre de la justice, les travaux
venaient de commencer. On avait dressé les échafaudages. M. Las-
sus, architecte, appliqué depuis longtemps à l'étude et à la res-
PREFACE. vu
taurationde nos édifices, jugea l'occasion favorable pour s'occuper
de la cathe'drale de Chartres. Il connaissait les intentions du Co-
mité au sujet des anciens monuments de la France. La Monogra-
phie de l'église de Chartres devant tôt ou tard prendre place dans
la suite des publications qu'on préparait, il valait mieux, disait-il,
l'entreprendre immédiatement pour éviter de nouveaux frais, les
constructions d'échafaudages déjà faites pouvant servir aux dessi-
nateurs en même temps qu'aux ouvriers employés pour les res-
taurations. Si l'on attendait que les travaux ordonnés par le Mi-
nistère de la justice fussent terminés, on s'exposait à arriver lorsque
les échafaudages auraient disparu. Il faudrait de toute nécessité en
établir d'autres, vu la distance et le point d'élévation des objets à
dessiner. Ce seraient des dépenses inutiles, puisqu'on pouvait pro-
fiter dès aujourd'hui de ce qui était fait. Il s'étendait dans sa lettre,
assez curieuse, sur la magnificence du monument, la beauté de ses
dispositions architecturales, son intérêt archéologique, le mérite
et la variété des détails qui se recommandent à l'attention de
l'artiste et du savant. La proposition de M. Lassus fut accueillie
presque immédiatement. Un arrêté, rendu le 29 août 1837, le
chargeait de publier la Monographie complète de la cathe'drale de
Chartres.
Il était dit que M. Lassus ne pourrait s'aider d'aucun artiste
sans en avoir référé préalablement au Ministre et avoir obtenu
son autorisation.
Il est à remarquer que cette lettre et l'arrêté qui la suit ne
concernent que M. Lassus. La lettre n'est signée que de lui, et il
ne parle d'aucune autre personne pour exécuter le travail avec
lui. L'arrêté également ne désigne que lui. Toutefois, dans la lettre
qui lui fut écrite pour lui notifier la décision du Ministre, on lui
annonce que M. Amaury Duval lui est adjoint à titre égal. La lettre
en effet dit « conjointement », ce qui emporte ce sens.
vin PRÉFACE.
C est M. le Ministre lui-même qui ajouta cette phrase relative à
M. Amaury Duval, ce qui prouve que ce n'est que quelques jours
après avoir donné ses ordres touchant M. Lassus qu'il songea à lui
adjoindre un collaborateur. Mais il oublia de faire la même recti-
fication sur l'arrêté; on ne la fit pas, ce qui aurait pu donner lieu
peut-être à des difficultés entre ces deux artistes, en admettant
que l'arrêté dût faire foi plutôt que la lettre, .si d'autres arrêtés
rendus un peu plus tard à propos d'indemnité n'établissaient
clairement leur position en les nommant tous les deux.
L'ouvrage porte leurs noms. On doit croire que M. Amaury Du-
val avait prié ou fait prier M. le Ministre de l'associer à M. Lassus.
car il n'existe de lui aucune demande au dossier.
On doit supposer également que la pensée de M. le Ministre,
en ce qui touchait le plan de cette publication, n'était pas encore
bien arrêtée au moment où il rendit sa décision, puisqu'il est dit.
ainsi qu'on vient de le voir, que M. Lassus sera chargé de la Mo-
nographie complète de la cathédrale de Chartres. Ce terme, qui est
absolu, indique évidemment l'ensemble du travail sans distinction
de ses parties. Ce n'est que plus tard, en effet, que M. le Ministre
songea à se réserver la partie du texte relative à l'histoire géné-
rale et à charger M. Didron de la description archéologique. L'ar-
rêté qui nomme M. Lassus est du 29 août i83y et celui qui
nomme M. Didron du 3i mai 1 838. Le rapport adressé au Roi,
où M. le Ministre désigne la tâche qu'il s'est attribuée, n'est que
du 3i décembre suivant.
En chargeant M. Lassus de ce travail, M. le Ministre fit écrire
au Ministre de la justice, l'avertissant du choix qu'il avait fait de
cet artiste pour la Monographie de Chartres. M. le Ministre insis-
tait sur le mérite de M. Lassus; sans demander expressément à son
collègue de lui laisser diriger les travaux exécutés par l'ordre du
PRÉFACE. ix
Ministère de la justice, il le représentait comme très en état de les
surveiller. Il le priait, dans tous les cas, de vouloir bien l'autori-
ser à faire les observations que lui suggérerait son expérience dans
ces sortes de travaux, ajoutant quelles ne pourraient que profiter
à l'œuvre de restauration entreprise par le Gouvernement.
Il y avait donc deux architectes employés en ce moment à l'église
de Chartres, l'un par le Ministère de la justice pour les travaux
de restauration, l'autre parle Ministère de l'instruction publique
pour la Monographie. Leurs attributions étaient clairement défi-
nies. Ils n'avaient aucune action officielle l'un sur l'autre, et
s'il leur convenait de demander ou de recevoir des conseils, c'était
uniquement à titre de confrères qui se consultent, mais non à titre
d'agent autorisé à les donner ou obligé de s'y soumettre. Leur
conduite sur ce point ne dépendait que de leurs relations person-
nelles; elle ne regardait qu'eux, sans toucher à leur indépendance
vis-à-vis l'un de l'autre.
M. Lassus ayant demandé un auxiliaire et indiqué pour cette
fonction M. Suréda, élève de M. Labrouste, on fit droit à sa de-
mande, et ce jeune architecte se mit aussitôt à l'œuvre.
Après une série de lettres et de rapports au Ministre, qui lui
furent adressés pendant l'espace de trois ans, le travail de M. Las-
sus continuait à s'avancer, mais rien n'avait encore paru; l'on
n'avait même encore rien arrêté au sujet de la publication qui de-
vait en être le résultat. Il n'avait été question ni de l'étendue de
l'ouvrage, ni du nombre de planches qui le composeraient, ni du
plan à suivre pour le texte. Il est vrai qu'on ne pouvait rien ap-
précier à l'avance. Il fallait attendre que les travaux de M. Lassus
fussent arrivés à un certain point pour juger et décider.
Le 2 3 octobre 18&0, on le pria de donner des explications.
Le Ministre désirait un rapport complet sur ce qui était fait et sur
ce qui restait à faire. On demandait de combien de livraisons se
x PRÉFACE.
composerait l'ouvrage et quel serait le prix de chacune des livrai-
sons.
M. Lassus envoya trois rapports et trois devis. Il est impossible
de donner une idée exacte de ces devis, hérissés de détails techni-
ques : rosaces, corniches, chapiteaux, bas-reliefs, etc., avec le prix
de chaque chose en regard. M. Lassus ne paraît pas se de-
mander s'il sera compris des personnes étrangères à sa profession ;•
il semble faire un mémoire pour un confrère ou pour un entre-
preneur capable de suivre ces détails et au fait de la langue par-
ticulière qui sert à les exprimer. Ce qu'on peut apercevoir au mi-
lieu de cette multitude de chiffres, de désignations de toutes sortes,
c'est que l'ouvrage, d'après le troisième devis, aura 79 planches,
formant 12 livraisons de 6 planches chacune, lesquelles coûteronl
ensemble 122,77/1 fr. 57 cent., tirées sans doute à 1,0 2 5 exem-
plaires, suivant l'usage.
Consulté en 1868 sur le pian de son ouvrage, il fixa le chiffre
à 12 livraisons de 8 planches, ou 96 planches, sk planches de
plus que dans sa dernière appréciation. Il n'indique pas de prix.
On relevait ces détails pour faire voir la confusion qui avait régné
dans cette affaire, et l'on ajoutait : Peut-être serait-il à propos
d'arrêter enfin, après tant d'essais, un plan qui permit de savoir
où l'on va et à quoi s'en tenir.
Nous avons vu , par le rapport au Roi ( 3 1 décembre 1 8 3 8 ) , que
M. de Salvandy s'était chargé d'écrire l'histoire de la cathédrale
de Chartres pour être jointe à la Monographie publiée sous les
auspices du Gouvernement.
M. de Salvandy n'avait pas encore eu le temps de s'occuper de
ce travail en 18/11. Il venait d'être nommé ambassadeur en Es-
pagne, et il écrivit une lettre pour annoncer que les obligations
de sa nouvelle position ne lui permettent pas de remplir la tâche
qu'il s'était imposée. Ne prévoyant pas qu'il ait désormais assez de
PRÉFACE. xi
loisirs pour s'en acquitter, il l'abandonne volontiers à la personne
que M. le Ministre jugera convenable de choisir.
Mgr Pie, alors correspondant du Comité' à Chartres, s'était
chargé de faire ce travail; mais, quand il eut été appelé à l'évêché
de Poitiers, ses nouvelles fonctions le détournèrent aussi de l'en-
treprendre, et rien ne fut fait.
M. Didron fut chargé, par arrêté du 3i mai 1889, de rédi-
ger le texte descriptif qui devait accompagner la monographie de
la cathédrale de Chartres. Il avait fait connaître son plan dans un
rapport imprimé très étendu et adressé à M. le Ministre à la date
du 17 novembre 1 838.
ce Mon travail, à l'image de la cathédrale, disait M. Didron, se
divise en trois parties distinctes : en description de l'architecture,
de la sculpture et de la peinture. La description de l'architecture
formera un volume, celle de la sculpture un volume, celle de la
peinture un volume, tous trois in-^°, dans le format des publica-
tions historiques de votre Ministère.^
Tous ces beaux projets ont fini par s'évanouir, sans laisser
même une page de texte historique. Seul, M. Didron avait fait
un texte descriptif, qui ne parut jamais, et dont la préface seule
fut imprimée, après sa mort, dans le dernier volume des Annales
archéologiques.
Pendant ce temps-là cependant, les dessinateurs continuaient
sans un ordre bien déterminé les travaux qui leur avaient été con-
fiés, les uns pour l'architecture, les autres pour la sculpture et
d'autres enfin pour la peinture (les vitraux).
Enfin, l'un des Ministres de l'instruction publique, M. Rou-
land, considérant la longue expectative où l'on était au sujet de
cet ouvrage, ne pouvant en prévoir la fin, et effrayé des dépenses
qu'entraînaient principalement les chromolithographies reprodui-
sant les vitraux, décida que l'ouvrage serait interrompu et en res-
xn • PRÉFACE.
terait au point où l'avait laissé M. Lassus, qui était mort depuis
déjà un certain temps.
Ce fut alors que l'on chargea M. Paul Durand de faire une
simple description des planches déjà parues et de celles qui étaient
en cours d'exécution. C'est cette description qu'on va lire.
MONOGRAPHIE
DE
LA CATHÉDRALE DE CHARTRES,
EXPLICATION DES PLANCHES.
PLANCHE I.
PLAN DE LA CRYPTE.
Quoique dans la table in-folio des planches ce plan soit indiqué
sous le n° II, nous croyons devoir commencer par lui notre description ,
parce qu'il représente le fondement sur lequel repose tout l'édifice, et
parce que ces parties inférieures et souterraines, plus anciennes que
l'église haute, ont eu une grande influence sur les dispositions de celle-
ci. C'est là, en effet, que se trouvent des restes considérables des fonda-
tions delà cathédrale antérieure à celle qui existe aujourd'hui et dont
nous avons à nous occuper; c'est là que l'on peut étudier diverses ques-
tions d'antiquité et de construction qui ont déjà exercé la sagacité des
antiquaires, et qui cependant sont restées obscures. Longtemps encore,
probablement, les archéologues seront embarrassés pour expliquer
certaines difficultés sur lesquelles on est loin d'être d'accord l.
1 Avant d'entrer en matière , et pour rendre citerai pas à chaque endroit qu'ils ont écîairci
justice à qui de droit, je dois faire connaître et expliqué; mais je préviens d'une manière
dès à présent que les auteurs modernes qui générale ceux qui voudraient approfondir les
m'ont été le plus utiles dans ce travail sont choses qu'ils trouveront dans les travaux de
M. l'ahbé Bulteau et M. Ad. Lecocq. Je ne les ces auteurs les meilleurs renseignements.
2 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
Il est à regretter que ce plan ne porte aucun signe, aucune marque, ni
chiffres ni lettres, qui puissent servir de points de repère à celui qui
l'examine ou à celui qui veut le décrire. Faute de ce secours, il nous
sera difficile de nous faire comprendre facilement; nous serons obligé
de revenir à plusieurs reprises sur les mêmes points et d'entrer dans
de fastidieuses explications. Que le lecteur veuille bien nous pardonner
ces redites indispensables.
Jetons d'abord un coup d'oeil général sur l'ensemble de cette planche.
Les parties blanches indiquent les vides, et les parties teintées celles
remplies par des maçonneries ou par le terrain. H sera bon de faire
cet examen, en ayant en même temps sous les yeux la planche II, ou
le plan au niveau du sol.
H est indispensable, avant tout, de bien se représenter la forme de
la crypte du xic siècle, parce que son plan a déterminé d'abord celui
de l'église supérieure bâtie à cette époque, et, plus tard, a eu une
grande influence sur celui de l'église du xni° siècle.
Or, si nous faisons abstraction des constructions postérieures qui
ont modifié cette église primitive, voici ce que nous trouvons :
i° Deux galeries latérales, partant des deux clochers situés à l'ouest;
— 2° trois chapelles apsidales, à l'est; les quatre autres sont du
xiuc siècle; — 3° deux transepts; — h° le martyrium ou confession,
à l'extrémité orientale du terre-plein occupant le milieu de l'église;
il est antérieur au xie siècle.
Les deux massifs latéraux que l'on voit de chaque côté sont formés
par les substructions des transepts de l'église du xmc siècle ; comme
ils n'existaient pas dans l'origine, aucune fenêtre de la crypte ne se
trouvait obstruée, et l'intérieur de ce monument était éclairé dans
toutes ses parties, d'autant plus que le terrain avoisinant l'église s'est
exhaussé par la suite des siècles.
Tel est, en résumé, l'ensemble de cette crypte, la plus grande que
l'on trouve en France. Nous allons maintenant la suivre dans toute
son étendue, ajoutant chemin faisant quelques réflexions sur les endroits
intéressants et sur les particularités que nous rencontrerons.
PLANCHE I. — PLAN DE LA CRYPTE. 3
L'escalier, d'une vingtaine de marches, partant au-dessous du clocher
neuf (côté du nord), nous introduit dans la longue galerie qui suit le
côté nord de l'église. A chaque travée, nous remarquerons des voûtes
d'arêtes, sans nervures, reposant sur des pilastres engagés, fort peu
saillants, terminés à leur partie supérieure par un tailloir extrêmement
simple. Les fenêtres sont petites et en plein cintre. Ces caractères nous
font reconnaître une construction du xic siècle , et sont conformes avec
les documents historiques qui nous apprennent que l'évêque Fulbert
fit bâtir cette crypte immédiatement après l'incendie de 1020.
La partie de cette galerie située au bas des marches est l'endroit
désigné, dans les anciennes descriptions et sur les anciens plans, de la
m'anière suivante : Lieux où demeurent les sœurs pour la garde des saints
lieux.
Suivant l'historien Roulliard, rcc'estoient au commencement des
r hommes ecclésiastiques qui gardoient ce S. Lieu, lesquels couchoient
rr et levoient dans icelui et demeuroient en de petites chambres qui
«sont encores à l'entrée de la Grotte. Du depuis y furent mises des
«filles dévotes qui s'appeloient les filles des SS. Lieux-forts. A présent
^(1609) y a une seule fille, ou veuve dévote, qui a des servantes
(rsoubselle, et gardent assiduellement ensemble les dicts SS. Lieux,
« faisant leur perpétuelle résidence es dictes chambrettes, dressées à
rr cet effet. Elle est vulgairement nommée la Dame des SS. Lieux-forts,
«ou des Grottes, et a un fort beau revenu de fondation pour sa nourri-
wture et entretenement. Aussi est-elle tenue d'avoir le soing des orne-
mnens de la dicte chapelle de Nostre-Dame, de fournir de tous orne-
cr mens, pour célébrer la messe, à tous les prebstres, quels qu'ils soient,
rr qui vont chanter au dict lieu, de leur bailler pain et vin, et autres
rr choses nécessaires à ce divin service.
trJe trouve par les anciennes chartres que les dictes personnes
rrestoient commises à la garde des dictes Grottes aussi pour autres
rr occasions, sçavoir : pour y recevoir les pellerins et malades qui y
«alloient en dévotion, comme on y ha toujours abordé de tous les
rr coings du monde. Et, tant pour cette cause qu'autres jà dessus dictes ,
k MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
cria dicte Grotte auroit été qualifiée Yhospital du S. Lieu-fort, comme
cr appert par un filtre du 3 octobre i/io3, auquel sont nommées les
« sœurs du dict hospital en cette sorte : Perrine la Martinelle, Mais-
ff tresse, Jehanne Laffidée, Laurence la Verrière et Julliote la Herbe-
rt relie, sœurs de l'hospital du S. Lieu-fort, en l'église de Chartres.
crCet hospital étoit pour recevoir les malades du feu sacré, qui
fc couroit fort en ce temps là, que l'on appeloit la maladie des ardents.
ce Ces malades estoient retenus durant neuf jours pour faire leurs dévo-
uions, puis ils s'en retournoient guéris. 11
Nous avons cité ces passages pour montrer l'importance que l'on
attachait au sanctuaire de Notre-Dame-sous-terre, dont nous appro-
chons. H faut remarquer que les anciens auteurs emploient toujours
l'expression de Grotte quand ils parlent de ce sanctuaire, ce qui est
l'indice de traditions suivant lesquelles l'emplacement de la cathédrale
était occupé par des grottes remontant à l'époque druidique. On ne
trouve aujourd'hui aucun vestige de celte église souterraine.
Ces appartements, où demeuraient les sœurs pour la garde des
saints lieux, étaient construits en bois; ils se composaient dune cellule
à gauche et de six autres à droite. Il ne reste aujourd'hui presque
rien de ces petites chambres, indiquées dans les auteurs anciens et
figurées sur les vieux plans de la cathédrale, si ce n'est un système
assez singulier de serrures et de petits guichets pratiqués dans les pan-
neaux de la porte placée au bas de l'escalier, et qui indique qu'on ne
pouvait pénétrer dans l'église souterraine, de ce côté, sans la permis-
sion de ces gardiennes.
Continuant à suivre notre route, nous passons devant les cinq fenê-
tres qui sont à gauche, en face desquelles sont des murs pleins, sans
aucun ornement architectural. Dans l'une des premières travées,
M. Lassus fit pratiquer une excavation horizontale d'environ deux
mètres, s'enfonçant sous le sol de la nef de l'église haute ; on reconnut
que c'était un massif de terre sans aucune construction ni excavation
souterraine.
Après les cinq fenêtres dont nous venons de parler se trouve (à la
PLANCHE I. — PLAN DE LA CRYPTE. 5
sixième (ravée) une grande arcade ou porte, qui, avant le xme siècle,
devait être une des entrées latérales de la crypte. Aujourd'hui, cette
porte donne dans un corridor voûté, qui règne sous un des bas côtés
du transept nord de l'église haute et aboutit à un escalier menant au
dehors. Il faut remarquer que cet escalier est pratiqué dans l'épaisseur
d'un contrefort, vice de construction qui est atténué par l'extrême ré-
sistance et par la dureté de la pierre dont la cathédrale est construite.
Après cette arcade on rencontrait, avant i85o, une grille et une
porte en bois qui, au xvne siècle, formaient la limite ouest de l'espace
consacré dans la crypte au pèlerinage de Notre-Dame-sous-terre.
Les trois travées suivantes, la septième, la huitième et la neuvième,
ont leurs fenêtres obstruées par l'emmarchement du porche septen-
trional; on aperçoit leurs contours sous l'enduit de maçonnerie et sous
les peintures qui les recouvrent. Derrière la troisième de ces fenêtres
bouchées il existe un corridor semblable à celui dont nous avons
parlé un peu plus haut ; il est sans usage, et forme un souterrain ou
une cave à l'usage de l'église.
L'endroit où nous arrivons ensuite n'a rien de particulier ni de
remarquable sous le rapport de l'architecture. C'est à un autre point
de vue qu'il mérite de fixer l'attention ; il a été pendant plusieurs
siècles le point le plus important de l'église souterraine, parce que
c'est là que se trouvaient le sanctuaire et l'autel du pèlerinage de
Notre-Dame de Chartres, dont la statue était placée en ce lieu.
Remarquons d'abord que la dixième travée a subi une grande mo-
dification. Il y avait précédemment à cette place une fenêtre semblable
aux autres; au xvue siècle, le mur fut largement ouvert pour former une
communication avec le dehors et donner accès au sanctuaire de Notre-
Dame-sous-terre. Les architectes qui firent ce changement laissèrent
visible le haut de l'ancienne fenêtre. Plus bas, et sur les côtés, ils dis-
posèrent la maçonnerie de manière à imiter une grotte taillée dans
un rocher, afin de rappeler et de maintenir l'idée et le souvenir de la
grotte druidique, dont on ne trouve cependant aujourd'hui aucun
vestige dans la crypte, ainsi que nous l'avons dit.
6 MONOGRAPHIE DE LA.CATHÉDRALE DE CHARTRES.
En face de celte porte, et faisant aussi partie de la dixième travée, il
y a un renfoncement pratiqué dans le terre-plein central : c'est la cha-
pelle des Saints-Forts, Savinien, Potentien et leurs compagnons, pre-
miers apôtres du christianisme dans cette partie des Gaules.
C'est dans la onzième travée que se trouvaient le sanctuaire et
l'autel de l'antique pèlerinage de Notre-Dame de Chartres. Une tra-
dition, dont l'origine se perd dans la nuit des temps, faisait remonter
la statue de la Sainte Vierge tenant le divin Enfant sur ses genoux à
l'époque druidique. Elle était accompagnée de la célèbre inscription :
VIRGINI PARITVRAE rappelant la prophétie d'Isaïe : Ecce virgo
concipiet el parietjilimn. Pareille tradition existait en Orient : sur le mont
Carmel, pays voisin de la Phénicie, il y avait, avant 1ère chrétienne,
un antique sanctuaire dédié à la vierge qui devait enfanter et avec la
même inscription.
Tout l'espace compris entre la septième et la onzième travée avait été
orné avec beaucoup de luxe en l'année 1690. L'autel avait été refait
et accompagné d'une balustrade en marbre, les murs revêtus de
plaques de marbres variés et les voûtes enrichies de peintures, où, au
milieu de rinceaux sur fond d'or, on voit encore des médaillons où
sont représentées des scènes de l'ancien et du nouveau Testament.
Deux artistes chartrains, ÎNicolas Pauvert et Pierre delà Ronce, avaient
exécuté les peintures, qui existent encore, quoique fort détériorées.
Quant aux marbres et aux autels de la Sainte Vierge et des Saints-Forts,
ils ont été détruits à la fin du dernier siècle; mais la piété des Char-
trains s'occupe depuis plusieurs années à rétablir ces lieux dans leur
première splendeur.
Le musée de Chartres possède une ancienne et rare gravure du
commencement du xvme siècle qui donne une idée de l'ensemble de la
décoration du sanctuaire de Notre-Dame-sous-terre tel qu'il était à
cette époque.
Nous avons dit que la onzième travée contenait le sanctuaire et l'au-
tel du pèlerinage. Le passage et la circulation auraient donc été inter-
ceptés si l'on n'eût pratiqué un couloir en perçant les murs sur le
PLANCHE I. — PLAN DE LA CRYPTE. 7
côté, comme nous le voyons sur cette planche. Nous suivrons ce pas-
sage, qui se courbe autour de l'autel et nous permet de passer derrière
le mur transversal (non marqué sur notre planche) et de pénétrer
dans la douzième travée.
Celle-ci, placée, comme nous venons de le dire, derrière le siège
vénéré du pèlerinage, est aujourd'hui complètement obscure, parce
que les constructions de la grande église du xme siècle ont obstrué
toutes les fenêtres. Cet endroit, et celui qui y correspond du côté du
midi, ont subi de tels changements et de telles modifications, qu'il est
fort difficile de se rendre compte de leur état primitif. Nous en sommes
réduits à faire des suppositions, sans pouvoir rien établir de certain.
L'examen de ces parties, fait sur place, conduit à penser qu'il y avait
ici un transept se reproduisant à l'étage supérieur dans la cathédrale
du xic siècle. Aujourd'hui cette partie carrée, dans laquelle est pris
le corridor recourbé dont nous parlions tout à l'heure, est aménagée
en caves et en magasins pour le service de l'église ; il y a là aussi un ré-
duit fort petit, entouré de murs qui lui sont propres, où sont percées
des fenêtres garnies de barreaux de fer comme le cachot d'une prison.
Immédiatement après, à gauche, est une porte qui dans l'origine
conduisait au dehors. Aujourd'hui , l'escalier que nous trouvons là
conduit à d'autres caves et à des réduits du xivc siècle, situés sous la
grande sacristie, et à un second escalier menant à cette sacristie et au
couloir par lequel elle communique avec la cathédrale.
Mais reprenons notre excursion sous terre. Nous voici arrivés main-
tenant à la partie semi-circulaire formant l'apside de la crypte.
La première chapelle, que nous rencontrons à gauche, est sous le
vocable de sainte Véronique; elle sert aujourd'hui de sacristie pour le
service de la crypte. C'est une adjonction construite au xme siècle. Elle
se trouve placée entre ce que nous regardons comme un ancien tran-
sept du xie siècle et la chapelle suivante, qui est de cette même époque.
Les fenêtres sont grandes et en ogives; la voûte est renforcée par de
grosses nervures carrées. Sur cette voûte et sur les murs sont des ves-
tiges de peintures du xuie et du xive siècle; elles sont fort détério-
8 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
rées, et les sujets ne peuvent plus se comprendre. On voit des hommes
conduisant des chevaux encore assez visibles; sur des bandeaux tracés
horizontalement on peut aussi distinguer des chevrons et des zigzags;
sur les nervures, des cercles entrelacés; sur les voûtes, un semis de
grandes fleurs de lis et de tours de Castille, et, au-dessus de l'endroit
où se trouvait l'autel, un buste de Jésus-Christ bénissant, entre deux
anges thuriféraires.
En face de cette chapelle, sur la droite du chemin que nous par-
courons, il y a une porte par laquelle on descend dans une petite
crypte plus basse et plus profondément enfoncée sous le sol.
11 faut examiner attentivement cet endroit. 11 est très intéressant
pour les archéologues, car c'est là que se trouvent les constructions les
plus anciennes de la cathédrale, et tout porte à croire que plusieurs
des murs de ce souterrain ont fait partie de substructions gallo-romaines
appartenant à l'ancienne enceinte de la cité des Carnutes. Sur une
portion notable de ces murs, la construction est en petit appareil ac-
compagnée de bandes horizontales de briques larges et épaisses.
Ce caveau a été bien probablement le martyrium ou la confession
des cathédrales qui ont précédé celle du xie siècle. Nous allons donner
un aperçu des particularités qu'on y rencontre.
Il faut savoir d'abord que la porte par où nous venons de passer
n'existait pas dans l'origine. On descendait dans cette petite crypte par
l'escalier que l'on voit sur la droite de la gravure et qui communiquait
avec le sanctuaire de l'église supérieure. Cet escalier et la porte que
l'on rencontre vers le milieu de son parcours paraissent du xiue siècle.
H fut supprimé et muré danssapartie supérieure lors des changements
que subit le chœur de la cathédrale à la fin du siècle dernier. Au bas
de cet escalier, à gauche, le pilier engagé dans le mur offre tous les
signes d'une construction romane primitive; à sa partie supérieure est
un tailloir orné de moulures feuilletées comme on en trouve dans les
monuments du vme au xe siècle. Ce pilastre engagé, les deux piliers
carrés isolés qui supportent la voûte, et la grosse colonne engagée qui
est au milieu contre le mur ouest, sont attribués à une époque anté-
PLANCHE I. — PLAN DE LA CRYPTE. 9
rieure au xie siècle. On y remarque, en effet, un caractère architecto-
nique qui n'existe qu'à cette époque. C'est une brique, quelquefois
deux , placées verticalement çà et là dans l'appareil entre deux pierres
de taille et accompagnées de joints fort épais. M. Alfred Ramé l a dé-
montré que ces briques ainsi disposées n'avaient jamais été observées
dans une construction postérieure ou antérieure au xc siècle , et que cette
particularité, rapprochée delà forme particulière du tailloir, donnait
ainsi la date précise de l'époque où avaient été construits les monuments
qui offraient ce signe caractéristique.
Le mur plan devant lequel eSt la grosse colonne engagée est une
construction gallo-romaine. H est formé d'une maçonnerie de moellons
noyés dans du mortier, interrompue de distance en distance par des
bandes de briques s'étendant horizontalement; cette construction peut
remonter au vc ou au vie siècle.
Dans le mur circulaire qui est en face, du côté de. l'est, sont creu-
sées de grandes et profondes niches ou arcades en plein cintre , sem-
blables à celles que l'on rencontre dans tous les monuments des époques
primitives; ce sont probablement des arcs de décharge.
Les voûtes et la partie supérieure des différents piliers de ce caveau
ont été refaites à neuf et surhaussées dans le siècle dernier afin de leur
donner une solidité capable de supporter le poids du nouvel autel et
du groupe colossal de l'Assomption, placés dans le nouveau chœur de
la cathédrale. Peut-être avant cette époque les piliers étaient-ils ornés
à leur partie supérieure de sculptures, ou au moins de moulures, qui
eussent pu nous fournir une indication précisant une époque d'une
manière certaine. Ce caveau central, avons-nous dit, était le martyrium
des cathédrales primitives détruites par les incendies ou par d'autres
causes de ruine; mais cette ancienne destination était depuis long-
temps tombée en désuétude, car la plupart des auteurs nomment cet
endroit le Trésor.
De ce caveau central on passe, en allant à droite, dans un autre un
peu plus petit, et l'on aperçoit en face, sur le côté ouest, un pare-
' Voir Bulletin monumental de M. de Cauniont, année 1860.
JO MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
ment de mur où le petit appareil romain et les bandes horizontales de
briques se montrent parfaitement conservés, ainsi que nous l'avons dit
plus haut. C'est le seul endroit de la ville de Chartres où l'on voie ce
système de construction, qui nous fait remonter peut-être jusqu'au
ive siècle. Dans ce même caveau il y a une fosse où l'on ne peut des-
cendre qu'à l'aide d'une échelle. C'était une cachette, où l'on pouvait,
pendant les sièges ou les troubles si fréquents au moyen âge, déposer
avec sécurité la Sainte-Châsse et les autres reliquaires précieux qui
faisaient la richesse de la cathédrale et composaient le trésor de Notre-
Dame. Cette fosse était alors recouverte d'une dalle, et l'entrée étroite
qui nous introduit ici étant murée, il était bien difficile de pénétrer en
cet endroit. Ce caveau communique aujourd'hui avec la crypte de Ful-
bert par la porte que nous avons prise pour y entrer, laquelle est
située en face de la chapelle de Sainte-Véronique. Cette porte n'existait
pas dans l'origine; les caveaux que nous venons de quitter n'étaient
accessibles que par l'entrée donnant dans le sanctuaire de l'église haute.
Quand cette entrée fut supprimée par suite des travaux qui ont modi-
fié le chœur, on perça grossièrement, par une trouée dans la muraille,
le mur d'enceinte du martyrium afin de pouvoir y accéder; ce n'est
que depuis quelques années, lorsque l'on fit ici une chapelle dédiée à
saint Lubin , que l'on régularisa l'ouverture, que l'on plaça des marches
et qu'on y adapta une grille qui puisse se fermer; mais, ne l'oublions
pas, c'est une disposition entièrement moderne.
Reprenant la galerie circulaire, que nous avons quittée pour visiter
le martyrium, nous trouvons après la chapelle de Sainte-Véronique
(xme siècle) une seconde chapelle dont la forme est différente. Elle
est allongée, voûtée en berceau et terminée en cul-de-four; c'est une
construction du xie siècle. Ses fenêtres sont petites et en plein cintre.
Au fond de cette chapelle, à gauche, il y a une très petite fenêtre qui
est d'une époque antérieure; auprès on voit des briques debout dans
les joints: c'est un reste d'une église antérieure. Les murs offraient,
d'un côté, des scènes de pèlerins presque entièrement effacées et, de
l'autre, des assises de pierre tracées eu ocre rouge; on les a rétablies
PLANCHE I. — PLAN DE LA CRYPTE. 11
semblables il y a peu de temps, ainsi que les semis de fleurs sur la
voûte, telles qu'on les voit sur la planche LXXII. Cette chapelle est
aujourd'hui dédiée à saint Joseph.
La troisième chapelle, dite de Saint-Fulbert, est de celles ajoutées au
xuic siècle. Sa forme est polygonale; elle ne présente rien de particulier.
La quatrième chapelle, dédiée à saint Jean-Baptiste, est la chapelle
qui se trouve dans l'axe de l'église; elle est du xie siècle et semblable
à celle de Saint-Joseph , dont nous avons parlé précédemment, et à celle
de Sainte-Anne, que nous verrons tout à l'heure. Ce sont les trois cha-
pelles faisant partie de la construction primitive; leur forme suffit sur
le plan pour les caractériser et les faire reconnaître.
Entre la chapelle de Saint-Jean et la suivante on voit, au delà de la
cathédrale et plus à l'est, les parties inférieures de la chapelle de
Saint-Piat, dont nous parlerons ailleurs.
La cinquième chapelle, dite de Saint-Yves, est du xiu6 siècle, comme
nous le reconnaissons à ses fenêtres en ogives, aux nervures de sa
voûte et à sa disposition sur notre plan.
La sixième est celle de Sainte-Anne; elle remonte au xie siècle,
comme nous l'avons dit il y a un instant. C'est une des chapelles pri-
mitives.
La septième chapelle est la dernière de la partie apsidale ; elle est
du xnic siècle, ainsi que nous le montrent ses fenêtres en ogives et ses
autres accessoires de cette époque. Dans le coin, à droite en entrant, on
trouve quelques vestiges d'une construction du xe siècle.
Ici finit la partie semi-circulaire de la crypte, et nous retrouvons,
comme du côté opposé, une galerie droite, que nous allons aussi par-
courir.
La première chose que nous rencontrons à gauche est une des en-
trées de l'église souterraine du côté méridional. La porte extérieure
est ornée d'une arcade avec une décoration dans le style du xie au
xnc siècle. Elle est accompagnée de deux colonnettes avec chapiteaux
richement sculptés, surmontés d'un tore et d'une moulure garnie de
dents de scie.
12 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES. •
Vient ensuite un espace carré ayant formé, comme nous l'avons dit
en parlant de l'autre côté, un transept primitif. Aujourd'hui, c'est la
chapelle de Saint-Martin.
On a déposé dans cette chapelle les fragments de sculpture de l'an-
cien Jubé, détruit pendant le siècle dernier. Ce sont de précieux échan-
tillons de l'art au xme siècle. Nous verrons plus loin (pi. XXXVII) les
dessins et reproductions de plusieurs de ces fragments de la sculpture
française au xme siècle.
C'est dans cette chapelle aussi que se trouve un sarcophage méro-
vingien dans lequel avait été inhumé le corps de Chalétric, évêque de
Chartres, mort au vie siècle (en 567).
On lit sur le couvercle du sarcophage une des plus anciennes in-
scriptions chrétiennes qui soient dans cette partie des Gaules :
f hic reqyiekit chaljtricy; epiicopy; cviy; dy^ci; memoria
pridie nona; octobri; vitam tran;portavit in coeij;
et sur laquelle on peut voir M. Edmond Le Blant, Inscriptions chrétiennes
de la Gaule avant le vme siècle, I, p. 3o& à 307.
Lors de la démolition de l'église de Saint-Nicolas-au-Cloîlre, portant
aussi le nom de Saint-Serge et Saint-Bacche, on trouva sous le maître
autel ce précieux et antique monument. Après avoir occupé divers
emplacements, il fut déposé ici il y a une quinzaine d'années.
Continuant notre exploration, nous rencontrons plus loin, du même
côté gauche, une chapelle carrée, disposée dans un endroit remanié à
une époque assez rapprochée. C'est aujourd'hui la chapelle de Saint-
Nicolas. Elle est en correspondance de symétrie avec l'escalier du côté
du nord.
En face, sur le côté droit, dans le renfoncement qui pénètre dans
le massif central, est la chapelle de Saint-Clément, où se trouve la
peinture reproduite en chromolithographie sur la planche LXXI.
En cet endroit, nous rencontrons une barrière formée par une
grille et par une porte en bois du temps de Louis XIII. Nous ne savons
PLANCHE I. — PLAN DE LA CRYPTE. 13
à quelle occasion elle a été placée là, car elle gêne la circulation dans
les cérémonies qui se font sous terre.
Après cette porte il y a, à gauche, une piscine en pierre où l'on
jette l'eau qui a servi à laver les linges de l'église. Au-dessus est une
peinture à fresque du xnc au xme siècle représentant la Nativité du
Sauveur; Jésus-Christ, la Sainte Vierge et saint Joseph remplissent le
tableau. Une petite draperie orne et complète cette peinture dans le
soubassement.
Viennent ensuite les fenêtres de l'église primitive , qui ont été bouchées
par la construction du porche méridional. La première donne sur un
souterrain dans lequel on accède par le dehors. La troisième est fort
curieuse : c'est encore un de ces échantillons où les signes caractéris-
tiques du xe siècle se manifestent à la vue. On remarquera qu'elle n'est
pas de la même forme que les autres; elle est beaucoup plus petite et
très étroite.
Nous rencontrons plus loin, à gauche, une porte qui, comme du
côté nord, entre dans un corridor sortant au dehors par une porte
pratiquée aussi dans l'épaisseur du contrefort, comme nous pouvons le
remarquer sur le plan que nous avons sous les yeux. C'est la quatrième
qui ait cette disposition.
Le reste de cette galerie, semblable à celle du nord, présente à
notre observation une belle cuve baptismale du xie au xne siècle. Elle
est flanquée de quatre colonnettes surmontées de chapiteaux variés et
très élégants. Des bancs en maçonnerie sont disposés le long des murs.
L'escalier où nous arrivons, au bout de cette galerie, tout à fait à
l'ouest, débouche au bas du vieux clocher.
En résumé, si nous examinons d'un coup d'œil cette belle crypte,
nous reconnaîtrons qu'elle a la forme d'un fer à cheval allongé, formé
par les deux galeries se réunissant du côté de l'est par une partie
courbe; elle est accompagnée, avons-nous dit, de chapelles et de tran-
septs, mais le noyau ou massif central est plein et ne contient pas de
traces d'une ancienne nef.
\k MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE II.
( Indiquée comme planche I dans la table in-folio. )
PLAN AU-DESSUS DU SOL.
Cette planche nous fait voir d'un seul coup d'oeil la disposition
complète de la cathédrale. Quoique ce plan soit facile à comprendre
et s'indique lui-même à la simple vue, nous devons cependant faire
quelques remarques et donner plusieurs explications.
Et d'abord, le titre gravé au has de la gravure nous indique que
ce plan n'est pas pris au niveau du sol, comme on le fait ordinaire-
ment, mais un peu plus haut. H en résulte que, la base des murs
n'étant pas marquée en noir, il faut une certaine attention pour dis-
tinguer la place des portes de celle des fenêtres. Nous aurons soin
tout à l'heure de donner cette indication d'une manière exacte.
Au premier abord, l'unité de ce plan nous paraît parfaite et nous
donne la preuve qu'un seul architecte en est l'auteur. Sauf les addi-
tions peu importantes que nous mentionnerons plus loin, la disposi-
tion symétrique de toutes les parties tracées sur le sol semble indiquer
que rien n'a gêné le maître de l'œuvre dans ses conceptions gran-
dioses. Il n'en est pas cependant tout à fait ainsi, et nous devons, dès
à présent, faire une remarque qu'il ne faudra pas oublier quand nous
parlerons de la façade occidentale. L'incendie de 119^, après lequel
fut commencée l'église actuelle, avait laissé subsister des parties im-
portantes de la cathédrale antérieure; la crypte tout entière avait
été épargnée parle feu, ainsi qu'une portion considérable de la façade
occidentale, à savoir les trois portes principales, la partie inférieure
du clocher neuf et le clocher vieux, depuis la base jusqu'au sommet.
Au lieu d'avoir le champ parfaitement libre pour s'étendre suivant la
liberté de sa pensée, l'architecte du xme siècle se trouvait donc enserré
dans un espace déterminé, dans lequel il devait se circonscrire. C'était
une sorte de problème proposé à la science et à la sagacité de l'artiste.
PLANCHE 11. — PLAN AU-DESSUS DU SOL. 15
On verra plus loin comment ce problème a été résolu.
L'ensemble de l'édifice est tourné vers le levant, non pas cepen-
dant d'une manière parfaitement exacte; il s'incline de 65 degrés vers
le nord et regarde la limite que le soleil atteint au solstice d'été. Un
usage fort ancien prescrivait cette orientation des églises, que les règle-
ments ecclésiastiques ont sanctionné. H ne faudra pas perdre de vue
cette mention de l'orientation, parce que nous emploierons fréquem-
ment, dans nos explications, les diverses appellations des points car-
dinaux, afin que le lecteur puisse facilement comprendre nos indi-
cations. Du reste, l'orientation des églises n'a jamais été assujettie à
une précision absolue.
Puisque nous parlons de cette direction des églises, faisons encore
une autre observation. On sait que, dans un grand nombre d'édi-
fices religieux, l'axe du cbœur n'est pas la prolongation exacte de
l'axe de la nef et que le chevet semble s'infléchir d'une manière plus
ou moins appréciable (vers le nord le plus souvent). On a voulu voir
dans cette disposition l'expression d'une idée symbolique, et l'on a
pensé que les architectes du moyen âge voulaient représenter par là
l'inclination de la tête du Sauveur au moment de sa mort sur la croix.
Quelques auteurs modernes ont d'autre part attribué cette inclinaison
à l'imperfection des moyens scientifiques employés à ces époques re-
culées. Ils ont pensé que, ces grands édifices étant souvent commencés
à la fois par les deux extrémités, il se produisait quelque erreur dans
le tracé du monument sur le terrain et que, les deux parties de la
construction venant à se rapprocher et à se rejoindre, les axes ne
se raccordaient pas suivant une ligne parfaitement droite, mais for-
maient un angle plus ou moins prononcé. Cependant il faut re-
marquer :
i° Qu'il serait injuste d'accuser d'impuissance les architectes du
moyen âge; ils ont donné assez de preuves de leur science, ils ont
résolu des problèmes bien autrement compliqués et difficiles que
celui de tracer d'une manière exacte sur le sol l'assiette d'un monu-
ment;
16 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
2° Que les idées symboliques étaient singulièrement en faveur et
qu'elles étaient suivies même en beaucoup de points dont les textes
anciens ne font pas mention;
3° Enfin que clans plusieurs églises dont les dimensions ne sont
pas considérables, comme, par exemple, celle du Blanc (Indre), où
le travail des entrepreneurs était certainement peu compliqué, on
observe cette singulière particularité de construction. L'inclinaison du
chevet nous semble montrer là avec évidence l'intention formelle du
constructeur d'agir ainsi de propos délibéré.
La cathédrale de Chartres ne s'est pas soustraite à cet usage, qu'il
soit intentionnel ou non. Les mesures, relevées avec un soin minu-
tieux et rigoureux, ont montré que le chœur s'infléchit d'une manière
très faible; car ce n'est que d'environ un mètre que l'axe du chœur
s'éloigne de la ligne droite.
Jetons maintenant un coup d'œii sur l'ensemble de ce plan; exami-
nons ses dispositions.
Suivant l'usage à peu près général de cette époque, il dessine sur
le sol la forme d'une croix s'étendant de l'ouest vers l'est. De chaque
côté du pied de cette croix, sont les substructions massives qui servent
de base aux deux grands clochers. Du côté du sud, c'est le clocher
vieux; du côté du nord, le clocher neuf ; ils contiennent, comme l'indi-
cation le fait voir, l'entrée des deux escaliers descendant dans l'église
souterraine. C'est entre eux que se trouve l'entrée principale de la ca-
thédrale, formée par trois portes, donnant toutes les trois dans la nef
centrale, disposition remarquable et même unique. Vient ensuitela grande
nef, accompagnée d'un bas côté simple , lequel se pourtourne le long des
deux transepts, puis le chœur, autour duquel le bas côté est doublé,
et enfin le chevet de l'église, entouré par sept chapelles. La cathé-
drale du xie siècle ne devait en avoir que trois, comme la crypte pri-
mitive et comme les églises, voisines de Chartres, Saint-Père-en-VaUée,
Saint-Cheron et Saint-Martin-au-Val. Ce nombre de trois chapelles à
l'apside se rencontre presque toujours aux xie et xue siècles; on pense
qu'il avait rapport à la Sainte Trinité. Un peu plus tard, comme ici
PLANCHE II. — PLAN AU-DESSUS DU SOL. 17
et dans un grand nombre d'églises, c'était le nombre sept qui était
suivi, tant pour les chapelles des apsides que pour les fenêtres hautes
du chœur; il symbolisait les sept esprits de Dieu, entourant la tête du
Sauveur comme on le voit dans les représentations de l'arbre de Jessé.
Notons encore en passant, au sujet des chapelles apsidales, qu'on en
trouve quelquefois neuf, autre nombre mystique, et qu'enfin dans la
cathédrale du Mans il y en a douze, en l'honneur des douze apôtres.
Les églises, pendant les premiers siècles, n'avaient pas de bas côtés
autour du chœur; ils apparaissent seulement vers le xe siècle, et ils ne
sont plus rares au xnc. Du reste, au xme siècle, où les bas côtés prennent
plus d'ampleur, ils sont rarement doubles dans tout le pourtour du
sanctuaire, comme nous le voyons ici. On peut penser que le maître
des œuvres, voulant permettre à la foule nombreuse des pèlerins de
circuler facilement dans cette enceinte, a, pour cette raison, diminué
la grandeur des chapelles. Au xive siècle, lors de la construction de la
chapelle de Saint-Piat, une des sept chapelles fut supprimée pour faire
place à l'escalier qui y conduit.
La nef et le chœur ont seize mètres de largeur; cette dimension
surpasse celle des plus grandes églises du moyen âge. Le chœur, sous
le rapport de sa longueur, l'emporte aussi sur les autres cathédrales,
et l'on n'a jamais été ici dans la nécessité d'empiéter sur le transept et
sur la nef pour augmenter le chœur, ainsi que cela s'est fait dans
plusieurs églises cathédrales et abbatiales.
A peu près au milieu de la nef on voit un labyrinthe, dont les cir-
convolutions en méandres en pierre noire se dessinent sur le sol de
l'église. Son développement est de près de 3oo mètres; les Chartiains
le nomment la lieue, le vulgaire lui donnant une dimension exagérée.
Ce labyrinthe et celui de la Collégiale de Saint-Quentin, beaucoup plus
moderne, sont les rares exemples subsistant encore aujourd'hui d'un
usage ancien sur lequel on n'est renseigné par aucun document con-
temporain. On croit généralement que cela avait rapport au pèle-
rinage de Terre-Sainte, si en vogue aux siècles des Croisades. D'autres
renseignements les font regarder comme se rapportant aux maîtres des
3
18 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
œuvres de l'édifice où ils se trouvent; leur adresse et leur science
étaient assimilées aux talents merveilleux de Dédale. La pierre qui
l'orme le centre de ce labyrinthe offrait une représentation qui nous
eût peut-être livré un secret bien précieux; malheureusement, une
mutilation regrettable a effacé à tout jamais ce renseignement. Sur
cette pierre était scellée une plaque de métal, en cuivre probablement,
sur laquelle était figuré un personnage. D'après les clous de scelle-
ment et des contours indécis, cependant encore visibles, on peut, en y
faisant bien attention, distinguer la silhouette d'un cavalier sur sa mon-
ture et se présentant devant un objet aujourd'hui méconnaissable, que
je suis porté à regarder comme une porte. Est-ce le maître des œuvres
arrivant au but désiré de l'achèvement de ses travaux? N'est-ce pas
plutôt le pèlerin chrétien arrivant comme un voyageur devant la porte
de la Jérusalem terrestre, image de la Jérusalem céleste?
Les voûtes qui recouvrent cette immense surlace de la cathédrale
reposent sur les points d'appui que lui fournissent les murs, renforcés
par d'énormes contreforts , et sur cinquante-deux piliers isolés qui
s'élèvent dans l'enceinte de l'église.
Ces piliers isolés affectent différentes formes et différents diamètres,
suivant les parties qu'ils ont à supporter. Au centre de la croisée, il y en
a quatre très volumineux qui semblent formés par un faisceau de colon-
nettes soudées entre elles et formant un massif unique; elles s'élèvent
d'un seul jet jusqu'à la voûte et permettent de supposer, vu la masse con-
sidérable qu'elles contribuent à former, qu'elles auraient pu servir de
base à une lanterne ou coupole s'élevant au milieu de l'édifice. Les piliers
de la nef, ceux des transepts et une partie de ceux du chœur sont com-
posés alternativement d'une colonne ronde, flanquée de quatre piliers
engagés, de forme octogonale, et d'un pilier octogonal flanqué de quatre
colonnes de forme cylindrique. A l'extrémité orientale du chœur les
piliers sont uniques et continuent leur alternance octogonale et cylin-
drique. On remarquera que la rangée de supports qui forme les bas
côtés du chœur est interrompue de chaque côté par deux piliers, de
forme et de dimensions pareilles à ceux de la nef et d'une partie du
PLANCHE II. — PLAN AU-DESSUS DU SOL. 19
chœur. Ces piliers supplémentaires sont destinés à soutenir les tours
qui, du côté du Nord et du Midi, flanquent le chœur de la cathédrale.
Nous avons dit que ces piliers, soit isolés, soit composés, étaient dis-
posés suivant le système d'alternance; or il faut savoir que, soit pour
la forme, soit pour la couleur, ce mode estime suite des habitudes de
l'architecture romane.
Pour ce qui est de la sculpture des chapiteaux et des bases, des
moulures, ainsi que pour tous les détails que nous offrent partout les
divers membres de l'architecture, le vaisseau intérieur de la cathé-
drale de Chartres est entièrement de la même époque, c'est-à-dire de
la première moitié du xme siècle. Les chapiteaux sont peu variés; ce
sont des feuilles recourbées en forme de crochets et, quoiqu'ils soient
tous variés, on ne s'aperçoit pas à première vue de leur différence. Com-
bien la sculpture du xf et du xne siècle était-elle plus riche, plus variée
et plus vivante! Les animaux fantastiques et l'élément humain tenaient
alors une grande place dans la décoration monumentale H y a cepen-
dant une chose où la sculpture chartraine du xme siècle l'emporte de
beaucoup sur celle des autres cathédrales : ce sont les clefs de voûte.
Quoique exécutée en pierre de Berchère, pierre fort dure et peu facile
à travailler, chacune des clefs de voûte est ici très remarquable, et la
grande clef qui reçoit le faisceau réuni des nervures du chœur à son
extrémité Est est un vrai chef-d'œuvre. On remarquera de plus que
c'est là seulement que s'est réfugiée la dernière trace de polychromie
dans notre cathédrale; ces clefs, et une petite partie de la nervure,
sont peintes et dorées avec un goût qui semble perdu aujourd'hui.
Le chœur a été entouré au xvie siècle par une clôture en pierre,
commencée par Jean de Beauce, architecte du clocher neuf. H eût
produit là aussi une autre merveille de goût, de finesse et de délicatesse
s'il eût pu finir ce qu'il avait entrepris. Après lui cette clôture fut conti-
nuée jusqu'à une époque où, le style gothique n'étant plus en usage, on
ne put lui donner la même originalité, ni pour l'architecture ni pour la
statuaire. Cette clôture du chœur contient dans son intérieur une suite
de chambrettes et.de chapelles, aujourd'hui abandonnées; elles sont
3.
20 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
remplies de détails sculptés avec une extrême délicatesse. Il était im-
possible d'indiquer sur le plan ces petits réduits; la dimension de la
gravure ne le permettait pas.
Nous avons dit plus haut que l'entrée principale de la cathédrale se
trouve entre les deux clochers. Nous avons fait remarquer, en parlant
de la façade occidentale, que les trois portes étaient primitivement en
retraite de toute l'épaisseur des clochers; c'est après la seconde travée
actuelle que se trouve cet emplacement. L'ancien porche à jour ayant
été détruit, on avança la nef vers l'Ouest, augmentant ainsi de deux
travées la longueur de l'église. Néanmoins la face interne de chacun
des clochers, se trouvant maintenant dans l'intérieur de l'église , ne
put être appropriée d'une manière semblable aux autres parties de la
nef. H y a là une disparate qu'il eût été impossible de faire disparaître
sans causer de grands dommages à ces faces de clochers; le moyen
âge a renoncé à corriger cette irrégularité, et probablement les temps
modernes en feront autant.
On voit sur le plan du clocher neuf (Nord) une porte percée dans
son côté Nord; le clocher Sud en a une pareille dans sa paroi Sud, que
la gravure n'a pas reproduite, parce qu'étant murée aujourd'hui elle
a échappé au dessinateur. La partie basse, ouïe rez-de-chaussée des
deux clochers, servait primitivement de vestibule. Ce n'est que depuis
une trentaine d'années qu'on y a établi des chapelles.
A l'extrémité et à l'extérieur de chacun des transepts il y a un vaste
porche, dont nous aurons occasion de parler un peu plus loin. Conten-
tons-nous de faire remarquer qu'ils donnent accès dans l'église, chacun
par trois grandes portes. En avant de ces portes , on voit la base des piliers
et des colonnettes qui supportent les arcades formant ces vastes por-
tiques, l'une des choses les plus remarquables de la cathédrale de
Chartres; plus en avant encore est l'indication de leur emmarchement.
Outre ces grandes et belles portes, qui livrent passage au public lors-
qu'il pénètre dans ce monument, il y en a d'autres qui servent au service
privé de l'église. En voici l'énumération :
La porte de la sacristie;
PLANCHE II. — PLAN AU-DESSUS DU SOL. 21
Une petite porte, plus à l'Est, conduisant à une sacristie accessoire
et de petites dimensions, portant le nom de chapelle des Sourds;
Deux petites portes basses, percées dans le mur du chevet et con-
duisant, l'une dans le palais épiscopal et l'autre dans la bibliothèque
du Chapitre, par de petites galeries pratiquées avec science et avec goût
dans l'épaisseur du mur.
Enfin, deux portes ont été percées au xive siècle pour aller, l'une à
la chapelle de Saint-Piat, au premier étage de cette construction,
l'autre dans la salle capitulaire, occupant le rez-de-chaussée de ce
même édifice; celle-ci est aujourd'hui murée.
Outre ces différentes portes qui desservent l'église, il y en a neuf
pour des escaliers conduisant aux parties supérieures de l'église, aux
galeries et aux combles.
Nous ferons remarquer, en terminant l'examen de cette planche, que
les années et les siècles ont fort peu modifié la simplicité primitive de
ce vaste monument.
Du côté du Nord, on a ajouté une sacristie au xive siècle. Elle est for-
mée d'une grande et haute salle à deux travées, éclairée par de larges
fenêtres à meneaux découpés avec élégance dans leur partie supérieure.
Du côté de l'Est, au commencement du xive siècle, les chanoines
firent élever la chapelle de Saint-Piat, édifice considérable et à deux
étages, qui contient la salle capitulaire au rez-de-chaussée et une
chapelle au premier étage.
Enfin, du côté du Sud, est la chapelle de Vendôme, qui fut con-
struite en 1 4 1 3 par Louis de Bourbon, comte de Vendôme, pour ac-
complir un vœu qu'il avait fait à la Sainte Vierge. Roulliard prétend
que sa statue et celle de sa femme étaient contre le mur en face de
l'autel; la description qu'il nous fait de ces sculptures nous fait penser
qu'il faut entendre par là les deux statues de ce comte et de Blanche
de Roucy, sa femme, qui se voient encore aujourd'hui contre la face
extérieure de cette chapelle.
Cette chapelle a été construite, entre deux contreforts, en hors-
d'œuvre de la cathédrale.
22 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
Le petit édifice que nous voyons indiqué au Nord au pied du clo-
cher neuf contient le mouvement de l'horloge. Sa base est du xme
siècle, et la partie supérieure, formant premier étage, date du com-
mencement du xvie siècle.
Les grandes et profondes citernes qui occupaient presque tous les
angles rentrants de ce plan de l'église, et qui se voient sur les plans
anciens, ont toutes été supprimées, à cause des infiltrations qui se pro-
duisaient dans la crypte et dans les substructions de l'édifice.
PLANCHE III. — PLAN A LA HAUTEUR DES GALERIES. 23
PLANCHE III.
(Planche II de la table in-folio.)
PLAN A LA HAUTEUR DES GALERIES.
Après les détails dans lesquels nous venons d'entrer au sujet de la
planche précédente, nous aurons peu de chose à dire sur ce second plau.
Ce qui frappe au premier coup d'ceil, c'est la forme si visihle de
la croix, résultant de la rencontre de la nef et du choeur avec les
transepts. L'intention symbolique étant connue et certaine, nous
n'avons pas à en parler.
Les contours de cette croix sont accompagnés dans toute leur étendue
par un triforium ou petite galerie garnie de colonnettes, supportant
des arcs en ogive et formant une décoration élégante tout autour de
l'intérieur du monument. Au moyen de cette galerie, fort étroite du
reste , on peut suivre avec sécurité le contour de la nef, des transepts
et du chœur, parties qui sont toutes de la même époque.
Ce triforium s'arrête à la grande façade Ouest, à l'extrémité de la
nef, du côté de l'Ouest. Là se trouve, à la même hauteur, la grande
rose occidentale, devant laquelle la galerie fait défaut, et l'on ne peut
passer d'un clocher à l'autre.
Nous trouvons sur cette planche l'indication des nervures des voûtes
hautes, qui n'ont point été indiquées dans la planche précédente. Nous
reconnaissons que la nef est formée de neuf travées, puis d'un carré
central, ensuite du chœur à quatre travées et d'un rond-point; enfin
des transepts, ayant chacun trois travées.
En dehors de ces parties, nous voyons le dessus des toits situés
au-dessous de ce plan. Les bas côtés de la nef et la première portion
du chœur sont simples et à une seule pente.
Les chapelles et la seconde portion des bas côtés du chœur sont
recouverts de toits, dont plusieurs sont de forme pyramidale.
24 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
Enfin, l'on domine la toiture des deux porches latéraux, celle de la
sacristie et celle de la chapelle de Saint-Piat.
Les contreforts et les arcs-boutanls, tranchés par les sections faites à
une hauteur déterminée, ne paraissent point ici avec le volume consi-
dérable qu'ils nous ont montré plus bas.
Cette même planche nous permet de saisir la disposition et l'empla-
cement des huit tours et des clochers qui accompagnent le vaisseau
de la cathédrale. On en voit ici la section qui, à chacune des tours,
interrompt l'indication des pentes des toits, des bas côtés et des cha-
pelles. En voici lénumération :
Les deux grands clochers à la façade occidentale; leurs dimensions
sont bien plus considérables que celles des six autres tours, comme le
plan le fait bien comprendre ;
Deux tours à l'extrémité du transept Sud ;
Deux tours à l'extrémité du transept Nord ;
Et enfin deux tours placées sur les deux flancs du chœur.
Ces tours nombreuses , si elles eussent toutes été terminées et surmon-
tées de flèches pyramidales, eussent produit un effet merveilleux. Elles
n'avaient pas pour unique but la décoration ou l'embellissement du
monument. Dans l'intention du constructeur, elles avaient une véri-
table fonction d'utilité : c'était de fournir, par des masses résistantes,
des points d'appui robustes qui venaient renforcer les contreforts et les
arcs-boutants. La hauteur considérable où s'élèvent les voûtes de la
cathédrale el leur immense largeur réclamaient des moyens énergiques
et d'une grande puissance pour résister à leur poussée considérable.
En ceci, comme en tant d'autres points , il faut reconnaître combien, à
cette époque reculée, la science de l'art de bâtir était perfectionnée en
France, et combien la disposition savante de ces différents membres
d'un monument avait pour résultat d'obtenir une solidité durable et
un aspect satisfaisant pour la vue. Ces deux conditions ne sont jamais
séparées dans les œuvres du moyen âge comme dans celles de l'anti-
quité ; en est-il de même dans les œuvres modernes ?
PLANCHE IV. — GRAND PORTAIL. 25
PLANCHE IV.
GRAND PORTAIL.
La porte d'un édifice est, de toutes ses parties extérieures, la plus
importante. C'est dans sa construction, dans sa disposition et dans sa
décoration que l'architecte met en œuvre toutes les ressources de la
science et de l'art. C'est là que se trouvent toujours les inscriptions
capitales; c'est là que la sculpture et la peinture déploient toutes leurs
richesses et captivent notre attention pour nous plaire et pour nous
instruire. Le nom même de façade donné à l'ensemble d'un portail ex-
prime bien l'idée que l'on-attache à cet ensemble de constructions; car,
de même que la face d'un personnage exprime et représente à elle
seule ce personnage tout entier parce que c'est sur le visage que se
peignent les passions et le caractère de chaque individu, de même sur
la façade d'un monument nous trouvons de suite des indications et des
avertissements, sorte de préparation nécessaire à quiconque va péné-
trer dans son intérieur.
La grandeur et la beauté d'une porte ont donc été, de tout temps et
en tout pays, l'indice de l'usage et de l'importance du monument auquel
elle donne accès. Le moyen âge en ceci, principalement en France, nous
offre des exemples d'une incomparable beauté. Cette époque, vraiment
extraordinaire, a produit à son origine des ouvrages qui l'emportent
sur tout ce que nous connaissons des œuvres, justement vantées, de l'an-
tiquité profane, grecque ou romaine. H nous semble permis d'affirmer
que, dans le monde occidental, rien ne saurait entrer en comparaison
avec les portails des cathédrales de Paris, de Reims ou d'Amiens.
Lorsque , par un faible effort de notre esprit, l'on se représente ces belles
constructions, telles que les avaient conçues leurs auteurs et avant
qu'elles n'eussent subi les outrages du temps et les injures, encore plus
funestes, de la main des hommes, notre imagination ne peut rien se
h
26 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
figurer de plus splendide et de plus magnifique que ces belles pages
d'architecture avec leurs innombrables statues et leurs décorations,
répandues avec abondance et profusion sur d'immenses surfaces.
La cathédrale de Chartres n'est pas de celles qui frappent la vue par
la magnificence et la splendeur de leur grand portail; ce sont les deux
porches latéraux qui exciteront notre admiration. Ici, la façade occi-
dentale forme comme un hors-d'œuvre à l'ensemble si harmonieux et si
homogène que le xme siècle a produit. L'incendie qui avait dévoré la pré-
cédente cathédrale (celle du xic et xnc siècle) n'avait point endommagé
la façade primitive; elle était encore en place, accompagnée des deux
clochers : l'un était entièrement achevé depuis une vingtaine d'années
seulement et devait être fort admiré; le second était privé d'une flèche
terminale. Quelque goût que l'on eût pour la nouveauté, on ne pou-
vait pas raisonnablement penser à refaire à neuf, au moins immédia-
tement, des constructions aussi énormes, et le maître des œuvres songea
plutôt aux moyens de souder ces portions de l'ancienne église à celle dont
il avait conçu le plan et qu'on devait désirer voir s'élever au plus tôt.
Quelles que soient les raisons qui nous aient conservé ces portions de
l'église du xuc siècle, nous devons nous en féliciter, car nous trouvons là
des détails très précieux et pleins d'intérêt pour l'histoire de l'art et du
symbolisme à ces époques reculées. Le public et surtout les antiquaires
trouvent ici des compensations et sont amplement dédommagés; ils ne
songent pas, en présence de tels objets d'étude, à s'affliger de la disparate
qui existe entre le frontispice de la cathédrale et le reste du monument.
Examinons sommairement, en les énumérant, les différentes parties
que reproduit cette gravure d'ensemble. D'autres planches nous donne-
ront des détails; nous pourrons les examiner alors avec plus de facilité.
La façade entière peut se diviser en trois parties : une médiane, et
deux latérales formées par les clochers.
Les trois grandes portes que nous voyons au milieu , et les trois
hautes fenêtres qui les surmontent, faisaient partie de la façade de
l'église du xne siècle. Il faut savoir tout d'abord que cette façade, beau-
coup moins élevée que celle qui existe aujourd'hui, n'était pas alors au
PLANCHE IV. — GRAND PORTAIL. 27
nu des faces antérieures des clochers. Elle était reportée en arrière de
toute l'épaisseur de ces clochers, c'est-à-dire d'une dizaine de mètres.
Entre ces deux clochers se trouvait à rez-de-chaussée un porche pro-
fond , s'ouvrant au dehors par trois arcades à jour, semblable aux porches
de Vézelay, de Saint-Benoît-sur-Loire, de Paray-le-Moniai et d'autres
églises du xicet du xnc siècle. C'est au fond de ce vestibule, et à l'abri des
intempéries atmosphériques, que s'ouvraient les trois belles portes,
entourées de statues, de bas-reliefs et d'ornements sans nombre, aujour-
d'hui pâles et décolorés, mais apparaissant autrefois resplendissants d'or
et enluminés des couleurs les plus vives et les plus harmonieuses. Des
traces nombreuses en sont encore visibles.
Lorsque l'on peut examiner le monument sur place, on reconnaît
avec évidence comment cette portion de façade a été transportée de sa
première place à celle qu'elle occupe aujourd'hui. Les assises de pierre
ne se suivent pas avec exactitude et n'ont aucune liaison avec les clo-
chers; on retrouve à l'intérieur de l'église, sur les clochers, les mêmes
moulures et les mêmes ressauts qu'à l'extérieur.
Au-dessus des trois portes règne une corniche supportée par des
modillons sculptés suivant le style du xne siècle; ce sont des têtes
humaines ou des animaux fantastiques.
Sur cette corniche reposent les bases de deux faisceaux de colonnettes
engagées, qui encadrent les trois fenêtres placées au-dessus des portes.
De plus, de chaque côté de la fenêtre du milieu , il y a aussi des pilastres
et des colonnettes qui supportent des groupes de sculptures à leur partie
supérieure. D'un côté, on voit un lion dévorant une tête humaine qu'il
tient entre ses griffes; de l'autre côté, il ne reste plus qu'une énorme
tête de taureau. Ce sont des imitations, lourdes et grossières de ces repré-
sentations si fréquentes en Italie à la porte des églises, mais rares en
France. La tradition et l'usage vonts'affaiblissant; ils existent cependant
encore ici, et rappellent à notre esprit l'avertissement de l'apôtre saint
Pierre : Sobrii eslote et vigilate quia adversarius vester Diabolus lanquam ko
rugiens circuit, qucerens quem devorel, avertissement que les Offices de
l'Eglise nous rappellent souvent et sous des formules variées.
u.
28 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
Les trois grandes fenêtres nous montrent aujourd'hui de grandes
surfaces, sans aucune division ni aucun compartiment. Ordinairement,
à cette époque, l'armature en fer qui supporte les panneaux est placée
en dehors et forme une sorte de décoration , ôtant à une grande super-
ficie la nudité qu'on peut blâmer ici. Nous attribuons cette imperfec-
tion à quelque restauration inintelligente faite autrefois à ces fenêtres :
le démon de la restauration a passé par là.
C'est à cette hauteur que se termine la partie de la façade apparte-
nant au xne siècle. Avant de nous élever plus haut, remarquons la
suite des claveaux qui, de chaque côté, se voient près des clochers. Ce
n'est pas, comme on pourrait le penser, le commencement d'inclinaison
du pignon primitif; il devait être un peu plus haut. C'est plutôt, pen-
sons-nous, un arc de décharge destiné à reporter en dehors, contre
la masse des clochers, le poids des constructions supérieures et à pro-
téger les arcs formant le haut des fenêtres.
Au-dessus du bandeau ou corniche qui est au-dessus devait être le
pignon de la façade primitive , qui laissait ainsi dégagée de toute construc-
tion la portion des clochers placée à cette hauteur. Qu'on se figure
combien le clocher vieux, ainsi isolé, devait paraître élancé et élégant.
A la place de ce pignon primitif on a placé une grande rose, des-
tinée à éclairer la nef de la nouvelle cathédrale, dont la hauteur sur-
passe de beaucoup celle de l'église du xnc siècle, soit que celle-ci eût une
voûte en pierre, soit, ce qui est plus probable, qu'elle fût surmontée,
comme l'église de Saint-Remy à Reims et d'autres églises contempo-
raines, d'une voûte en bois.
Nous aurons à nous occuper plus loin de cette rose, œuvre du com-
mencement du xmc siècle, en examinant la planche IX sur laquelle sont
réunis les détails de son architecture et de sa sculpture. Nous ferons
ici quelques remarques seulement. Ces immenses fenêtres circulaires
qui se voient aux extrémités des nefs de nos grandes églises en sont un
des plus beaux ornements. Celle-ci peut être mise au-dessus de tout ce
que nous montrent nos monuments du moyen âge. Nulle part on n'en
voit une aussi robuste, aussi ferme, et décorée avec autant de goût;
PLANCHE IV. — GRAND PORTAIL. 29
nulle part on n'en voit une offrant, comme celle-ci, les conditions de
solidité et de durée aussi savamment et aussi artistement combinées.
Ce ne sont pas de ces meneaux grêles et délicats qui nous surprennent
par leur élégance et leur légèreté; c'est une réunion de petites ouver-
tures, richement brodées sur les bords, dont l'ensemble forme à l'exté-
rieur une immense décoration, circonscrite dans un grand cercle de
moulures et de feuillage sculpté, tandis qu'à l'intérieur les vitraux qui
garnissent ces ouvertures semblent, par un effet d'optique, ne former
qu'une seule fenêtre.
H faut noter que le centre de cette rose n'est pas exactement au-
dessus de la porte principale. Il est reporté, d'une manière fort ap-
préciable à la vue , sur le côté gauche ; on ne saurait expliquer la cause
de cette irrégularité.
Au-dessus de la rose règne une corniche formée par des fleurons qui
datait du xive siècle. Depuis peu d'années, on les a refaits complètement
en se conformant au motif existant. Cette corniche supporte en encor-
bellement une balustrade derrière laquelle est un passage qui, à cette
hauteur, met en communication les deux clochers.
Au-dessus de ce passage se trouve la galerie des Rois. Cette rangée
de statues est un accessoire important et, pour ainsi dire, obligé des
portails des grandes cathédrales. Elle se compose ici de seize statues,
placées chacune sous une arcature ogivale et trilobée reposant sur des
colonnes. H faut convenir qu'ici l'effet est loin d'égaler celui de la galerie
des Rois de l'église Notre-Dame à Paris. Nos statues paraissent placées
à une trop grande hauteur; elles cachent une partie du pignon supé-
rieur et coupent d'une manière disgracieuse la base du grand triangle ou
pignon qui termine ordinairement les façades des églises du moyen âge.
Ces statues royales ont suscité bien des discussions et des contro-
verses. Quels sont les rois qu'elles représentent? Les archéologues ne
sont pas d'accord pour répondre à cette question. Pour les uns, ce
sont des rois de France; pour les autres, ce sont des rois de l'ancien
Testament, ancêtres de Jésus-Christ. On a souvent cité le passage d'un
manuscrit du xmc siècle dans lequel un paysan, prenant la parole en
30 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
regardant les rois de la cathédrale de Paris : r Voilà, dit-il, Pépin, voilà
Charlemagnen; mais on peut supposer qu'il faut prendre ces paroles
dans un sens ironique et qu'on a voulu rappeler une erreur populaire.
Le roi terrassant un lion serait alors David, et le roi tenant une croix
serait Salomon prophétisant le supplice du Sauveur, et non Pépin le
Bref ou Philippe Auguste.
11 nous semble que nous trouvons à Chartres même, dans la cathé-
drale, une représentation iconographique qui doit nous faire regar-
der ces statues comme des rois de Juda. La grande rose septentrio-
nale nous montre peints sur verre douze de ces rois; leurs noms écrits
auprès d'eux ne laissent à cet égard aucune incertitude, aucun doute
possible. Ces rois, solennellement rangés en cercle, entourent dans
les espaces célestes Jésus-Christ enfant, reposant sur les genoux de
sa sainte mère, la Vierge Marie.
Ne devons-nous pas voir dans cette galerie seize rois de Juda, for-
mant un cortège d'honneur auprès de Jésus-Christ et de la Sainte
Vierge, qui sont placés au-dessus d'eux, sous un édicule, renfermant
aussi deux anges?
Il faut noter que, parmi ces statues, la septième (en commençant
par la gauche) est moderne. Un accident avait fait disparaître celle
qui se trouvait là. Or, entre les mains de ce nouveau roi on a mis un
rouleau sur lequel on lit : CAPITULARIA, donnant à entendre que la
statue représentait Charlemagne, la restauration voulant consacrer
l'opinion qui voit ici les rois de France. Cette restitution pourra, dans
l'avenir, être une cause d'erreur pour les antiquaires, ce qui est certai-
nement regrettable.
Puisque je suis en train de censurer les restaurations, j'ajouterai
quelque chose encore à ce propos. La statue de la Sainte Vierge por-
tant l'Enfant Jésus, et les deux anges qui les accompagnent, et dont
nous venons de parler, sont aussi une œuvre moderne. Ces statues
étaient dans un tel état de destruction qu'il fallut, dans ces dernières an-
nées, les refaire à neuf. Il faut convenir que ce travail a été fait avec
grand soin et par un artiste de talent. Je me permettrai seulement de
PLANCHE IV. — GRAND PORTAIL. 31
demander pourquoi l'on a mis des flambeaux entre les mains des
anges au lieu des encensoirs que tenaient les statues anciennes? Il y
avait ici une particularité qu'il faut consigner dans notre travail. Ces
encensoirs étaient en cuivre, et leurs cordons formés par de fines tiges
de fer. On trouvait là un exemple de l'association du métal et de la
pierre dans la sculpture, association que les artistes contemporains
pourraient considérer et imiter utilement. Aux meilleures époques de
l'antiquité, et aussi assez fréquemment au moyen âge, ce procédé était
employé. Certains détails, certains accessoires des statues ou des bas-
reliefs présentent une grande fragilité et se cassent facilement s'ils sont
exécutés en pierre ou en marbre; l'emploi du métal permet d'exécuter
ces parties avec légèreté et solidité. Pourquoi l'art moderne n'admet-il
point cette ressource ingénieuse? L'exemple que nous donnent les âges
précédents ne pourrait-il pas être imité?
La pointe du pignon de cette façade supporte une grande statue de
Christ. Il est debout, enveloppé d'une simple draperie, qui laisse aper-
cevoir la plaie de son côté. Les mains ouvertes et étendues montrent,
la trace des clous dont elles furent transpercées. Lorsque l'on considère
cette belle et simple figure du Sauveur, la mémoire vous rappelle une
strophe de la Prose que l'on chantait il y a peu d'années dans nos églises
le jour de l'Ascension, avant le regrettable changement de liturgie,
cause de l'anéantissement de nombreuses traditions antiques dans les
églises de France. Le sculpteur du xivc siècle qui avait exécuté cette
statue avait probablement présente à l'esprit cette strophe, que nous
transcrivons ici :
Patri monstrat assidue
Quœ dura tulit vulnera ,
Et sic pacis perpetuœ
Nobis exorat fœdera.
Après avoir examiné la partie médiane de la planche IV, nous allons
porter nos regards sur les clochers qui l'accompagnent.
A droite, ou du côté méridional, est le clocher vieux. C'est une
des plus belles productions de l'architecture du xne siècle, et parmi
32 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
les nombreux clochers se terminant par une flèche en pierre, c'est
incontestablement celui de France qui occupe le premier rang.
Depuis sa base, qui repose sur un soubassement garni de moulures
d'une exécution fort remarquable, jusqu'au sommet de la pyramide,
on peut suivre une gradation de décorations qui accompagnent avec
goût et avec intelligence la construction et la disposition de l'intérieur.
L'étage inférieur, ou rez-de-chaussée, contient une vaste salle, dans
laquelle prend naissance un des deux escaliers descendant dans l'église
souterraine. On entre dans ce vestibule par une porte située du côté
du Midi et par deux autres situées côté du Nord. A l'extérieur, sur la
face occidentale, sont deux petites fenêtres et deux arcades aveugles
s'élevant assez haut et indiquant au dehors la hauteur de cette salle.
L'escalier dans sa partie supérieure est en hors-d'œuvre du côté Est.
Au-dessus de la corniche, ornée de modillons, est le sol d'un pre-
mier étage où se trouve encore une grande salle, dont la hauteur
s'élève jusqu'à la seconde corniche accompagnée, comme la première,
d'une rangée de modillons ou de corbeaux. Sur sa face extérieure nous
remarquons deux fenêtres encadrées dans des arcades supportées par
des colonnettes avec leurs chapiteaux; au-dessus, sont des arcades
appliquées contre un mur plein, et dont la destination est d'orner avec
simplicité une grande surface dont la nudité n'aurait rien de satisfai-
sant pour la vue.
Depuis le sol, que supporte la voûte de cette salle, jusqu'au sommet
de la flèche, l'intérieur de ce clocher est entièrement vide. Avant les
restaurations qui ont été faites après l'incendie de 1 836 , l'œil étonné
plongeait dans les profondeurs de ce cône immense sans rencontrer
aucun arrêt, aucun obstacle, aucun point saillant. Les parties infé-
rieures étaient éclairées par les fenêtres basses et par les grandes lu-
carnes situées au-dessus; mais, toute la partie haute dans l'intérieur
de la grande pyramide étant dans l'obscurité, on restait frappé d'éton-
nement par l'aspect fantastique de cette immense construction. Depuis
l'incendie de i836, un plancher en fer et en poterie, établi au bas de
la pyramide, s'oppose à ce coup d'œil extraordinaire.
PLANCHE IV. — GRAND PORTAIL. 33
Si nous examinons l'extérieur de ces parties élevées, nous ne pouvons
qu'admirer l'ingénieuse disposition des fenêtres et de leurs accessoires.
Des lucarnes , surmontées de pyramidions et de gables percés à jour, s'élè-
vent plus haut et accompagnent avec grâce la base de la grande pyramide.
Les faces de cette pyramide sont décorées d'écaillés et de gros cordons,
fort saillants, interrompus de distance en distance par des têtes de
monstres dévorants; ils se terminent à leur partie supérieure par des
fleurons en forme de lis. Les angles sont aussi garnis de ces cordons, sur
lesquels la lumière est comme accrochée, ce qui produit un effet des
plus heureux pour la vue.
La sculpture des chapiteaux, des animaux fantastiques et des ornements
les plus originaux, tout à fait remarquable, mérite d'attirer l'attention.
Nous sommes ici en présence d'une des merveilles de l'architecture
française au xne siècle, et nous devons tous admirer sans réserve ces
beautés extérieures; pour l'homme de l'art et pour le théoricien pou-
vant se rendre compte des difficultés de construction et d'exécution qui
se sont rencontrées pendant qu'on élevait dans les airs cette flèche
gigantesque, l'étonnement et l'admiration ne peuvent se lasser dans
leur contemplation.
La solidité de ce clocher n'est pas moins surprenante que sa beauté.
Voici près de huit siècles qu'il affronte les injures destructives des in-
tempéries, si violentes dans ces régions élevées de l'atmosphère, et
pendant ce laps de temps il a subi les épreuves de deux incendies
effroyables sans être ébranlé.
Lorsqu'on regarde attentivement sa partie supérieure, on aperçoit
au sommet des indices d'une restauration qui ne semble pas fort an-
cienne. La pierre n'est pas de la même couleur et les écailles ne sont
pas d'un travail aussi soigné que dans la partie inférieure de la pyra-
mide. Nous avons pu nous convaincre de ce fait, et nous pouvons en
donner la date.
Après l'incendie de i836, on fit faire à l'intérieur de cette flèche
des échafaudages afin d'examiner si la construction n'avait pas subi
quelque avarie. J'eus la curiosité de monter sur ces échafaudages, et
5
M MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
arrivé presque au sommet, à la hauteur où se trouve, du côté de l'Est,
une petite fenêtre et où commence l'échelle de fer qui va de ce point
au pied de la croix, j'ai pu copier l'inscription suivante, gravée sur
une des pierres qui font partie de la construction :
MDE-MONTIGNI-
ABBÉ • D'IGNI • ET
DOYEN DE- CETTE
ÉGLISE -M 'A -POSÉE •
LErJUILLETi753-
Je n'ai pu avoir la mesure exacte de la partie du clocher refaite à
cette époque; on peut l'évaluer à environ 12 mètres.
Nous n'avons pas mentionné au rez-de-chaussée de ce clocher une
statue d'ange, tenant un cadran solaire, parce qu'elle appartient autant
à la face Sud qu'à celle du couchant. La statue est du xup siècle, mais
le cadran a été refait au xvie. Il ne faut pas le passer sous silence.
Du côté gauche de la façade, ou au Nord, s'élève le clocher neuf.
La salle du rez-de-chaussée, comme celle du clocher que nous venons de
décrire, sert aussi de vestibule et contient un des deux grands esca-
liers par où l'on descend dans les cryptes, ainsi que nous l'avons dit
ailleurs. Les deux étages inférieurs sont contemporains du clocher
vieux et les dispositions en sont pareilles. La décoration des fenêtres et
des arcades qui les entourent est semblable aussi, quoique moins
riche et moins élégante.
A la hauteur de la galerie des Rois, la tour reste carrée, mais la
date de la construction n'est plus la même; à partir de ce niveau
jusqu'à l'arc de la grande fenêtre que nous voyons ici, c'est une œuvre
du xiv" siècle. Puis, le sommet de cette fenêtre et le haut de ce même
étage ont été exécutés au xvc siècle et font partie de la flèche qui
termine ce clocher. Précédemment, un clocher en bois, recou-
vert de plomb, occupait ce sommet du clocher Nord. Il fut dévoré
par un incendie en i5o6, comme cela se lit encore sur une table
PLANCHE IV. — GRAND PORTAIL. 35
de pierre placée à l'intérieur, sur laquelle est gravée l'inscription
suivante en trois strophes de huit vers :
Je • ftt • tabis • be • plomb • et ♦ bogs • conffrmt •
grant • banli • et « bean * tre ♦ fomptnenx • onoraïae •
m fanes • ab • ce • qne • tonnerre • et • oratge •
m'a • confnme • beaate • et • befrnit ♦
le • tonr • Mainte • 2tnne • uers ♦ ftx ♦ genres • be ♦ nngt .
en • lanee * mtl • cinq • cens ♦ et • fix •
le • fn • brnle • bemolg • et • reengf •
et • auec • moi ♦ be • groffes • cloches • fix •
après • mefftents • en • plant ♦ cfcajpiire • affts •
ont ♦ orbonne • be • pierre » me ♦ reffatre ?
a • grant • oonltes • et • pilhers • bien • mafCifs •
par • Jeban ♦ be * 25eanffe ♦ maçon * qm ♦ le • fnt • faire *
l'an • beffn • biff * après * ponr ♦ l'encre • fatre •
affonar ♦ firent • le * oint • qnatrtcme • tonr •
bn ♦ mogs ♦ be ♦ mars ♦ ponr ♦ le ♦ premier ♦ affaire •
première • pierre • et ♦ antres » fans • ce • tonr ' •
et • en * aoril • bntttefme • lonr • exprès •
Vent • b'Jliers • eoefqne • be • regnon •
parbiff . la • Die ♦ an • lien • bnqnel • après. •
fenst • érarb • mis • par ♦ poflnlacion ?
en ♦ ce • temps • la • qne • nons • aoons • neciffite(?) •
aooit • bes • gens • qni ♦ ponr • mog • lors • oeilloienï •
bn ♦ bon • bn • coenr • fenft • gocr • on ♦ effe •
XHcn • le • parbont • et • a • cenlx * qm • Tg * emploient
1 506
C'est sur le sol qui recouvre la voûte de cet étage ou de cette salle
que prend naissance la flèche du clocher neuf2. A cet endroit et der-
1 C'est-à-dire sans séjour. — - Les cloches de la cathédrale sont aujourd'hui à cet
étage.
36 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
rière la seconde balustrade elle a pour bases ou pour points d'appui
huit piliers, qui déterminent sa forme octogonale et que renforcent
quatre autres piliers, un à chaque angle de la tour. Chacun de ces
quatre piliers angulaires reçoit deux arcs-boutants, qui vont en remon-
tant s'appliquer contre la grande flèche et affermissent sa base. La flèche ,
depuis cet endroit jusqu'au sommet, est construite avec une extrême
élégance, et toutes ses surfaces, fort compliquées, sont couvertes de
sculptures à jour d'une extrême délicatesse. Au milieu de ces petites
pyramides, de ces clochetons et de ces pinacles, où les motifs d'archi-
tecture les plus variés sont répandus à profusion, on remarquera crue
l'élément hagiographique n'est pas absent et qu'il vient là, comme dans
toutes les productions du moyen âge, apporter la vie et la pensée.
Chacun des quatre piliers angulaires dont nous venons de parler abrite,
sous des dais très finement sculptés, trois statues de saints : ce sont les
Apôtres, accompagnés des signes caractéristiques qui les font recon-
naître. Toutefois, il y a ici une infraction à la nomenclature habi-
tuelle; car, parmi les personnages figurés, on reconnaît saint Jean-
Baptiste à son agneau et à la légende ecce agnus Dei qu'il tient en
main. Saint Jean étant l'un des grands patrons de la cathédrale, on
l'a mis à cet endroit à la place de l'un des douze Apôtres; il remplace
saint Jude. Aux pieds de chaque saint, il y a les écussons portant les
armoiries, fort mutilées aujourd'hui, d'un donateur.
Ce n'est pas tout. Si vous élevez votre regard un peu plus haut,
vous pourrez distinguer, sur cette planche IV, la statue de Jésus-
Christ, complétant cette assemblée sacrée. Cette statue est placée sur
le gable à jour qui surmonte l'arcade du milieu. Le Sauveur est repré-
senté bénissant de la main droite, et de la gauche tenant le globe
du monde. Sur ce globe est implantée une croix en fer, garnie de pointes
sur lesquelles on peut assujettir des cierges. Il est peu probable
que le vent, qui règne toujours avec violence à cette hauteur, ait ja-
mais permis d'y faire une illumination durable. Les pieds du Christ
écrasent un démon , dont la figure énergique et violente est sculptée
à cette place. Sur le soubassement de cette statue, à sa partie pos-
PLANCHE IV. — GRAND PORTAIL. 37
térieurc, on lit, écrite en beaux et grands caractères gothiques, cette
inscription :
'S '3
Jeftau te 25eance maçon qtu
a faxct ce clocher m'a faict faire
Que n'avons-nous pu trouver aussi en quelque coin la signature du
maître des œuvres, de l'architecte de la grande cathédrale du xiue siècle?
Malgré ce qui a été avancé au sujet de cette prétendue humilité si
fort admirée chez les artistes du moyen âge, je suis convaincu, pour ma
part, qu'il y a ici erreur et exagération. En aucun temps, en aucun pays,
un homme de génie et de talent ne s'est soustrait aux justes éloges que
ses œuvres méritaient. Que ces hommes aient donné des preuves de
désintéressement, on ne peut en douter; car, pour eux, les richesses de
ce monde n'étaient point ce qu'ils enviaient le plus : ils en faisaient bien
souvent le sacrifice avec générosité; ce dont ils étaient avares, c'était
de la gloire et des louanges, prœter laudem nullius avari. Ces louanges
et cette honorable réputation, on en était aussi désireux au moyen
âge que dans l'antiquité, et plus que de nos jours, où l'on met le profit
en première ligne. Nous accordons volontiers que parmi ces artistes la
vertu d'humilité et d'abnégation fut pratiquée par eux : mais comment
leurs contemporains ne les ont-ils loués et célébrés? Dès les temps les
plus anciens, nous voyons Moïse inscrire dans les livres saints et nous
transmettre avec de magnifiques éloges les noms des artistes Beséléel
et Ooliab, qui travaillèrent à la construction du tabernacle et de ses
accessoires. L'Italie du moyen âge nous a conservé avec un soin jaloux
beaucoup de noms de ses artistes et nous les cite avec orgueil. Comment
expliquer que nous n'avions de notre moyen âge, et surtout de la belle
époque des xue et xme siècles , le nom de presque aucun de ces hommes de
génie qui ont produit alors tant de chefs-d'œuvre dans tous les genres. Par
quelle inexplicable fatalité la France a-t-elle laissé tomber dans le gouffre
ténébreux de l'oubli le souvenir de ses artistes et de ses poètes, à la
plus belle période de sa gloire! Voilà un sujet d'études et de médita-
38 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
tions bien digne d'occuper les philosophes, et je ne puis douter que ces
questions ne soient éclaircies quand on daignera s'en occuper.
Achevons cependant notre description, en nous élevant dans les
plus hautes parties du clocher neuf.
L'étage qui se trouve à la même hauteur que la statue du Christ
est un chef-d'œuvre d'élégance et de légèreté qui séduit les regards;
le mérite de cette construction a d'autres avantages que de plaire
aux yeux. La science et l'art qui ont inventé et exécuté cette œuvre
satisfont notre esprit et augmentent notre admiration. Cette planche,
et d'autres que nous verrons plus loin, permettent de se rendre compte
des combinaisons et des moyens employés par Jean de Beauce dans
cette création de son génie. Toutefois, il nous semble indispensable, si
l'on veut en connaître tout le mérite , de venir faire cette étude sur
place, en présence du monument lui-même.
L'étage où nous sommes contient une salle octogonale, dont la voûte
en pierre a pu arrêter l'incendie de 1 836 et l'empêcher d'atteindre le
beffroi auquel est suspendu le timbre de l'horloge. H y a dans cette
salle une grande cheminée, dont le tuyau, disposé avec intelligence, tra-
verse les sculptures et les ornements supérieurs, sans se dissimuler et
sans nuire aux décorations environnantes. Une cheminée est indispen-
sable en cet endroit, car c'est là que se tiennent les guetteurs; ils sont
exposés pendant les longues nuits d'hiver à la rigueur du froid et du
vent, qui ne seraient pas supportables sans le secours d'un peu de
feu. En 167/1, la négligence de ces hommes occasionna un incendie
dont on a voulu conserver le souvenir dans l'inscription suivante,
fixée au mur :
OB VINDICATAM SINGULARI DEI MUNERE
ET A FLAJV1MIS ILLyESAM HANC PYRAMIDEM _
ANNO 1674 NOVEMB. 15 PER INCURIAM VIG1LÛ
HIC EXCITATO AC STATIM EXTINCTO INCENDIO
TANTI BENEFICII MEMORES SOLEMNI POMPA
GRATIIS DEO PRIUS PERSOLUTIS DECANUS
ET CAPITULUM CARNOTENSE HOC POSTERI
TATI MONUMENTUM POSUERE
PLANCHE IV. — GRAND PORTAIL. 39
On a aussi gravé, au-dessus d'une des deux portes de cette salle,
cette pensée que contient le psaume CXXVI (verset 1), et dont le sens
est bien applicable à ceux qui occupent ce poste d'observation :
NISI DOMINUS CUSTODIERIT
CIVITATEM FRUSTRA VIGILAT
QUI CUSTODIT EAM
Au-dessus de cette salle est le dernier étage, formé par une lanterne
ou galerie à jour, dans laquelle est une cbarpente supportant le timbre
de l'horloge. C'est une belle cloche, pesant environ 5,ooo kilogrammes,
et dont la circonférence dépasse six mètres; à sa partie inférieure, on
lit sur deux lignes l'inscription suivante, composée de trois distiques
écrits en beaux caractères gothiques :
jFacïa afo fignatttros Coïts hmcqne labotts
(3t>efcor afr ïattïe cttlmitta eelfa torons
2Unn«s rrat Confît millcfimns aî>k pnort
(iUtttttgenïos mtmero hf qttoqne mage team
JIIo qnigre antto qno Jfranctts conuemï 3lttglnm
Perpetttaqne fttnnl hlcnïmcrr fik
Au-dessus est le nom du fondeur : Pelrus Savyet mefecit. On voit
aussi , entre les vers, des ornements, tels que des monogrammes de Jésus
et de Marie, les armes de France, des dauphins, et la tunique de Notre-
Dame, telle quelle fut adoptée au xvc siècle pour les armes du Chapitre.
Cette inscription ne nous donne pas seulement la date de la cloche;
elle fait allusion à un fait historique, l'entrevue du Camp du drap d'or
entre François Ier et Henri VIII; elle nous apprend le nom du fondeur
et se pare d'ornements royaux et ecclésiastiques.
C'est au-dessus de cette lanterne à jour que commence la flèche
aiguë qui s'élance dans les airs avec élégance- et légèreté. Ses faces
sont recouvertes d'imbrications à nervures comme des feuilles, et les
angles sont renforcés par des cordons, d'où sortent de distance en dis-
tance des expansions végétales, en forme de crochets recourbés, qui
ôtent à cette pyramide l'uniformité de la ligne droite.
40 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
La pointe extrême de ce clocher ayant été ébranlée et fort endom-
magée par un violent ouragan le 12 octobre 1690, on fut obligé de la
refaire à neuf, ainsi que nous l'apprend Sablon , l'un des historiens de
la cathédrale. En 1691, cette pointe du clocher fut rétablie, en pierre
de Vernon, sous la conduite de Claude Auger, artiste lyonnais, qui
l'éleva de hi pieds plus haut qu'elle n'était, et, pour affermir davan-
tage son ouvrage, il reprit et reposa les assises à plus de 20 pieds au-
dessous de la fracture. Le même artiste fit exécuter un support en
cuivre pour la croix qui est au sommet du clocher. Autour de ce sup-
port, des serpents s'entrelacent et forment une garniture à jour. Sur
le renflement de ce support il y a, d'un côté , une Vierge assise sur des
nuages, portant l'Enfant Jésus sur ses genoux : le relief est assez peu
saillant; du côté opposé on lit l'inscription suivante :
OL1M LIGNEA TECTA PLVMBO DE CCELO TACTA DEFLAGRAVIT ANNO M D VI YIGILAN-
TIA VASTINI DES FVGERAIS SVCCENTORIS
ARTE JOANNIS DE BELSIA M D XVII AD SEXPEDAS LXII OPERE LAP1DEO EDYCTA STETIT
AD ANNVM M D C LXXXX QVO VENTORVM
VI CYRVATA AC PCENE DISJECTA SED INSEQVENTI ANNO M DC LXXXXI PARI MENSE
DIE PROPE PARI QYATVOR PEDIBVS AI.TIOR OPERE
MVNITIORI REFECTA JVSSV CAPITVL1 D. HENR1CO GOAVLT DECANO CVRA ROBERTI DE
SALORNAY CANONICI ARTE CLAVDI AVGÉ LVGDVNENSIS
CONFERENTE IN SVMPTVS MILLE LIBRAS PHILIP. GOVPIL CLERICO FABRICA SACRYM
NYBIBVS CVLMEN INFERT QYOD FAXIT DEYS ESSE DIVTVRNYM
IGNACE GABOIS FONDEYR
Cette inscription est formée de cinq lignes superposées. Les carac-
tères sont en relief, excepté la signature du fondeur, qui est gravée en
creux.
Après avoir ici examiné étage par étage les dispositions et la con-
struction de ces deux clochers, et après avoir passé plusieurs années à
leur pied, je demande la permission de résumer en peu de mots l'im-
pression qu'ils produisent sur notre esprit.
Premièrement : ces deux clochers, d'époques fort différentes, sonl
chacun dans leur genre une démonstration manifeste de la supériorité
de l'art français au moyen âge sur celui des autres pays. Strasbourg,
Vienne, Anvers, ont des flèches beaucoup plus élevées que celle de
PLANCHE IV. — GIIAND PORTAIL. SI
Chartres, on ne peut le nier; en Angleterre et en Suisse, on voit des
clochers tout à jour et d'une légèreté de sculpture extraordinaire. Cela
n'est pas contestable; mais sous le rapport du bon goût et du bon
sens nous ne connaissons rien qui l'emporte sur les œuvres françaises,
dont la cathédrale de Chartres nous donne des exemples si précieux.
Secondement : le clocher du xue siècle, œuvre simple, robuste et
inébranlable, rappelle à notre pensée la puissance épiscopale et ecclé-
siastique aux époques où cette puissance était si grande et si respectée,
aux époques où les sciences, les lettres et les arts étaient cultivés avec
ardeur et désintéressement dans les écoles et dans les monastères. Le
monde traversait en ce moment ce qu'on pourrait appeler la phase de
l'autorité et de la théocratie. Les hommes de ces temps héroïques
étaient soulevés et emportés par un enthousiasme qui leur a fait pro-
duire des merveilles en tout genre. C'est le siècle des grands poèmes,
des grands monuments et des Croisades!
Le clocher du xve siècle, construction élégante et légère, mais fra-
gile, nous transporte à ce moment brillant où toutes les connaissances
humaines, s'émancipant et secouant le joug de toute autorité, ont pro-
duit des œuvres élégantes et légères aussi, comme les monuments com-
temporains, dont le charme et la grâce captivent et enchantent ceux
qui les voient; mais elles ne présentent plus les mêmes conditions de
stabilité et de durée. Le monde s'est transformé; il se vante de. renaître.
Les traditions antiques sont abandonnées; elles tombent dans le dédain
et l'oubli. En pratique, en réalité elles ont cessé d'exister, quoiqu'on
théorie elles conservent une apparence de vie ; mais ce n'est qu'une vie
factice, et seulement un sujet d'occupation et de discussion pour les
savants et les érudits.
Pour nous, hommes du xixc siècle, faut-il se réjouir de cette évolu-
tion dans les habitudes humaines, ou faut-il en gémir? C'est une ques-
tion à laquelle je ne me permettrai pas de répondre. Je laisse à nos
maîtres la tâche de prononcer un jugement. Mais tous, nous sommes
obligés de méditer sur ces questions intéressantes.
H nous reste à examiner sur cette planche, avant de la quitter, les
G
42 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
deux parties que l'on aperçoit de chaque côté des clochers : ce sont les
extrémités des transepts qui se projettent en dehors du corps de la
cathédrale.
A chacun de ces deux côtés, nous voyons une des tours non terminées
qui flanquent les portails latéraux. Le parti de décoration adopté par
l'architecte n'est pas identique, comme l'examen le fait reconnaître.
Plus au dehors sont les profils des deux porches latéraux, pour les-
quels aussi la variété de composition existe pareillement. Le porche du
Midi est orné de statues et de clochetons sur sa partie supérieure : cela
n'a jamais existé du côté du Nord; il est vrai que ce dernier n'est pas
terminé.
Au sujet de ces deux porches, nous ferons deux remarques :
i° Par une exception fort rare (je n'en connais pas d'autre exemple
dans l'architecture du moyen âge) on trouve en ces deux constructions,
si remarquables à tous égards, l'emploi de la plate-bande remplaçant
l'arc en plein cintre ou l'arc en ogive;
2° Le contrefort qui s'élève jusqu'au haut de l'édifice est en porte-
à-faux et s'interrompt au niveau du toit des deux porches. Par ce
système d'allégement, la lourde masse de ces contreforts se trouvant
supprimée en approchant du sol, les sculptures avoisinant les portes
prennent une expansion et une importance que rien ne vient arrêter.
Du côté du Sud, on aperçoit au pied du clocher vieux la statue d'un
ange, surmontée d'un dais et soutenant un cadran solaire: nous en
avons fait mention plus haut.
Du côté du Nord, est un petit édicule refait au xvic siècle, contenant,
comme nous l'avons dit, le mouvement de l'horloge. Tout à fait à gauche
on aperçoit le bâtiment de la sacristie, dont on voit une des deux fenêtres.
N'oublions pas de mentionner, tant à droite qu'à gauche, deux de
ces petites portes, signalées dans notre description de la crypte, les-
quelles sont percées au bas dans le massif des contreforts.
Enfin, par une dernière observation, nous signalerons la crête qui
couronne le haut du toit dans cette planche et dans d'autres de ce
même ouvrage; c'est une chose projetée et non exécutée.
PLANCHE V. —TYMPAN DE LA PORTE CENTRALE. Û8
PLANCHE V.
TYMPAN DE LA PORTE CENTRALE.
On ne voit dans cette gravure que le tympan de la porte du milieu
de la façade occidentale représentant ce qu'au moyen âge on appelait
une MAJESTAS. C'est Jésus-Christ dans sa splendeur, bénissant le
monde de la main droite et soutenant de la gauche le livre des Evan-
giles posé sur ses genoux. La tête est entourée d'un large nimbe crucifère ;
le Sauveur est assis sur un trône fort simple et sans dossier; les pieds
sont posés sur un scabellum. Une auréole de forme elliptique entoure
le personnage tout entier et figure la splendeur de la gloire divine. Les
quatre signes des Évangélistes accompagnent cette grande figure et sont
placés près de lui. Tout autour de ce bas-relief on remarquera ces
ondulations que les artistes du moyen âge employaient pour représenter
les nuages; ils nous montrent ici que la manifestation glorieuse qui nous
apparaît est dans le ciel.
Ces sculptures étaient primitivement peintes et dorées. On en trouve
encore aujourd'hui des traces évidentes, et l'on peut apercevoir près
des nuages des bandes parallèles et ondulées ainsi disposées, allant de
dedans en dehors : une bande bleue, une rouge, une jaune, une rouge.
Elles sont nuancées et figurent l'arc-en-ciel, comme le dit l'Apocalypse:
Iris erat in circuitu sedis, similis visioni smaragdinœ.
La partie inférieure de ce tympan forme une bande horizontale dans
laquelle sont les douze Apôtres. Ils sont assis et rangés trois par trois sous
de petites arcades richement ornées et s'appuyant sur cinq colonnettes.
Leur tête est entourée du nimbe et leurs pieds sont nus. Aux deux bouts
de cette zone de personnages, il y a deux autres statuettes de même
dimension, représentant des hommes debout, non nimbés et les pieds
chaussés; aucun signe ne les caractérise. L'ensemble de ces figures,
rangées d'une manière hiératique, rappelle la disposition que nous trou-
6.
U MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
vous sur les sarcophages chrétiens des premiers siècles. H y a là une
tradition d'usages antiques que nous croyons importante à signaler.
Dans les voussures qui entourent ce grand bas-relief on voit des
anges et les vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse tenant un vase et
un instrument de musique. Ils forment la cour céleste qui environne
Je trône de Dieu et célèbrent sa gloire.
La sculpture de cette partie, comme celle des autres tympans et des
statues de ce portail, mérite d'attirer notre attention d'une manière
toute spéciale par son style hiératique et, au premier abord, étrange.
Les têtes sont pleines d'expression et vivantes. Les draperies sont traitées
avec un soin minutieux; les étoffes souples et légères forment des plis
fins et serrés ayant la plus grande analogie avec la sculpture grecque
des temps primitifs. Nous sommes fort porté à croire que les sculp-
teurs qui ont exécuté toute cette statuaire ont eu pour modèles des
dessins et des types fournis par des artistes grecs ou byzantins; cepen-
dant cela ne suffit pas pour expliquer comment ces œuvres ont une
ressemblance si grande avec le style éginétique qui se montre ici d'une
manière si frappante. La grande figure du Christ et la gloire elliptique
qui entoure sa personne sont taillées dans un seul bloc de pierre, laquelle
est plus dure et d'un grain plus fin que les autres parties de ce bas-relief.
On retrouve en plusieurs endroits, en France, des statues de ce
style singulier. Il y en a dans le Midi, à Saint-Gilles, et, dans le Nord,
au Mans, à Bourges et à Angers. Il y en a quelques échantillons à l'ab-
baye de Saint-Denis; mais, pour la finesse de l'exécution, nous ne
connaissons rien de comparable à ce que nous voyons à Notre-Dame
de Paris (porte Sainte-Anne) et à la cathédrale de Chartres. Nous
ajouterons que pour nous, comme nous espérons le démontrer dans
un travail spécial, ce sont les mêmes sculpteurs qui ont exécuté ces
statues, à Chartres et à Paris. Il y aurait à ce sujet des recherches cu-
rieuses à faire et, aujourd'hui où la photographie a fait de grands pro-
grès, il serait à désirer qu'elle fût largement employée à reproduire ces
types, qu'aucun dessinateur ne saurait parvenir à copier d'une manière
satisfaisante.
PLANCHE VI. — TYMPAN DE LA PORTE DE GAUCHE. &5
PLANCHE VI.
TYMPAN DE LA PORTE DE GAUCHE.
Le sujet que nous offre cette planche est encore aujourd'hui inex-
pliqué. C'est une composition symbolique, dont nous n'avons pas la
clef et dont nous ne connaissons pas un second exemple dans les mo-
numents du moyen âge. On ne le trouve ni en France, ni en Italie,
ni en Grèce, dans les peintures ou les sculptures des églises. Les mi-
niatures des manuscrits, mine si riche et si abondante, ne montrent
rien de semblable. Nos recherches dans les textes et nos informations
auprès de savants capables de nous renseigner n'ont pu nous donner
la signification de ce bas-relief. Nul doute que dans l'origine une page
de sculpture aussi importante, et par elle-même et par la place qu'elle
occupe, n'ait été accompagnée d'inscriptions; mais tracées simplement
au pinceau, le temps les a fait disparaître avec le reste de la coloration
qui rehaussait les sculptures. L'interprétation est devenue par suite
fort difficile, pour ne pas dire impossible. Espérons cependant qu'un
jour quelque texte ignoré de nous tombera sous les yeux d'un érudit
travailleur, et nous rendra la connaissance de ce que lisaient clairement
les fidèles au xne et au xuie siècle, lorsqu'ils s'arrêtaient devant ce portail
pour en admirer la beauté et se pénétrer de l'enseignement que leur
offraient ces splendides images. En attendant, nous devons signaler
cette lacune dans la science des symboles à tous ceux qui par leurs
études se trouvent en présence fréquente des œuvres du moyen âge;
nous souhaitons qu'ils puissent la combler, et nous avouons tout d'abord
notre ignorance à ce sujet.
Tous les auteurs qui ont décrit cette partie de la sculpture char-
traine ont cru voir ici la représentation d'une Ascension. Je vais essayer
de montrer que cette explication n'est pas admissible. La composition
que nous avons sous les yeux diffère complètement de toutes les As-
censions connues, et le nombre en est grand cependant. On sait, en
46 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
effet, que ce sujet est l'un de ceux qui ont été Je plus fréquemment
reproduits sur les monuments ecclésiastiques et dans les tableaux. Les
fidèles attachaient une grande importance à placer devant leurs yeux
cette scène qui termina la mission de Jésus-Christ parmi les hommes.
Depuis les premiers siècles de l'Eglise jusqu'à la fin du moyen âge, on
s'est conformé pour cette représentation, comme pour bien d'autres du
reste, à une sorte de type dont l'uniformité est digne de remarque.
L'ensemble de la composition et les détails sont à peu près identiques.
L'invention première appartient à la Grèce, et l'Occident l'a adoptée
sans l'altérer d'une manière notable. La cathédrale de Chartres ne
nous en offrant aucun autre exemple, il ne sera pas inutile d'exposer
ici en quelques mots l'ordonnance de cette composition, afin qu'on
puisse la mettre en parallèle et la comparer avec le bas-relief que nous
avons sous les yeux.
Il faut donc savoir qu'aux époques primitives et dans le haut moyen
âge on trouve deux manières de représenter l'Ascension.
La première est le type oriental ou byzantin. Voici en peu de mots
quelle marche suivaient ici les peintres et les sculpteurs:
Sur une sorte de montagne, indiquée par une légère éminence
du sol dans sa partie médiane, on voit les personnages suivants : au
milieu la Sainte Vierge debout, les bras étendus en signe d'admiration
et détonnement; elle lève la tête pour regarder le ciel, que semblent
indiquer d'un geste énergique deux hommes ou deux anges placés
à ses côtés. De droite et de gauche : les douze Apôtres formant deux
groupes; derrière eux, des arbres. Dans la partie haute du tableau,
Jésus-Christ, assis sur un trône ou sur un arc-en-ciel, entouré d'une
auréole, soutenue par des anges qui l'enlèvent dans les cieux.
Dans la seconde manière, que nous pourrions appeler latine ou
carlovingienne, on voit Jésus-Christ s'élevant (ordinairement de profil)
et quittant le sommet d'une colline , tenant d'une main une petite croix
et élevant l'autre vers le ciel , d'où l'on voit sortir des nuages la main
puissante de Dieu le Père, qui saisit celle de son fils pour l'introduire
dans le séjour de la gloire.
PLANCHE VI. — TYMPAN DE LA PORTE DE GAUCHE. kl
Tels étaient les deux principaux systèmes figurant l'Ascension dans
les temps les plus anciens. A une époque plus récente, ne remontant
pas plus haut que le vnic ou le ixe siècle, les artistes employèrent une
troisième manière, à laquelle se conformèrent, en Occident, les siècles
suivants. Le Christ, au lieu de monter avec majesté entouré d'une au-
réole de gloire, fut représenté au moment où il disparaît dans les
nuages; on aperçoit encore ses pieds et le bas de son vêtement, mais
la tête et la partie supérieure du corps ont déjà disparu dans la nuée
céleste. Cette modification semble moins conforme au récit évangélique
et n'a pas autant de dignité que la première manière.
Trouvons-nous dans le bas-relief que nous examinons quelque res-
semblance avec les tableaux ou compositions que nous venons de dé-
crire? Non, certainement. Et cependant l'espace où le sculpteur pouvait
représenter cette composition était bien favorable pour la disposition
de ses personnages; rien ne le gênait pour suivre dans son travail les
prescriptions auxquelles les artistes se soumettaient habituellement, par
suite d'un accord tacite, ou plutôt pour obéir à la règle imposée par
l'autorité ecclésiastique. Dans le haut moyen âge, les mêmes scènes
sont représentées d'une manière tellement identique, qu'il est impos-
sible de ne pas les reconnaître au premier coup d'œil.
Décrivons le bas-relief qui nous occupe, et nous pourrons mieux
nous convaincre qu'il n'a aucun rapport avec le type consacré pour
figurer une Ascension.
L'ensemble de ce bas-relief est formé par trois zones de sculptures.
Dans la partie supérieure, au sommet de l'ogive, on voit trois per-
sonnages : au milieu, le Christ; au-dessus de sa tête, une colombe (le
Saint-Esprit), et à ses côtés deux anges. Ces trois figures sont enca-
drées par une bande étroite de nuages, pour montrer que la scène
se passe dans le ciel. Dans la seconde zone, placée au-dessous, quatre
anges émergent avec symétrie d'une bande horizontale de nuages. Us
semblent par leurs gestes et par l'expression de leurs figures mettre en
communication la scène supérieure, où se trouve le Christ, avec les per-
sonnages qui occupent la zone inférieure; ceux-ci, en effet, élèvent
48 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
leurs têtes en se détournant comme pour jouir de cette apparition et
pour écouter les voix célestes qui les inspirent. Ce sont dix Prophètes
ou dix Apôtres assis sur une sorte de banc ou de trône continu. Leur
tête est nimbée, leurs pieds sont nus; ils tiennent dans leurs mains ou
une banderole, ou un volumen, ou un livre. Ces détails iconogra-
phiques caractérisent les personnages sacrés de l'ancienne et de la
nouvelle loi. Les petites arcades ornées de feuillage sous lesquelles
s'abrite leur tête forment une suite de dais honorifiques et confirment
leurs prérogatives de sainteté. Voilà ce que nous présente ce superbe
tympan; nous demandons encore une fois si Cela nous rappelle le type
d'une Ascension, et encore une fois nous répondons négativement.
H est nécessaire maintenant d'étudier en détail la partie supérieure
du bas-relief. Nous reconnaissons que de regrettables mutilations, suite
des injures du temps, ont fait disparaître les mains et une partie des
avant-bras des trois personnages. Cette altération de la sculpture con-
tribue à rendre le sujet plus difficile à expliquer, puisque l'on ne peut
plus voir comment les membres étaient disposés, ni savoir ce que les
deux anges tenaient dans leurs mains. La mutilation des mains du
Christ et des avant-bras des anges cause une lacune qui rend bien
difficile l'explication du bas-relief. L'examen attentif et minutieux de
certains détails techniques et matériels auxquels nous sommes réduits
va nous fournir des indications précieuses. En effet, lorsque l'on re-
garde avec soin les œuvres d'art de ces époques reculées, on reconnaît
que les peintres et les sculpteurs avaient adopté certains procédés de
pure convention, dont ils se servaient pour représenter les accessoires
de leurs compositions. Les arbres, les terrains, et surtout ces deux
choses mobiles et insaisissables, les eaux et les nuages, étaient repré-
sentés, dans la peinture et dans la sculpture ou la ciselure, d'une ma-
nière imaginaire et conventionnelle, mais toujours la même. Cette
similitude dans les procédés manuels.et matériels, semblables aux ex-
pressions d'un langage particulier, permettait de reconnaître les choses
sans peine et sans confusion. Ainsi, à partir du xne siècle, les nuages
sont figurés sous la forme d'ondulations interrompues de distance en
PLANCHE VI. — TYMPAN DE LA PORTE DE GAUCHE. U9
distance par des nœuds ou replis imitant d'une manière approximative
des trèfles ou des quatre-feuilles. L'eau est représentée aussi par des
lignes ondulées, mais sans replis ni festons; elles se suivent dune
manière à peu près parallèle et concentrique, imitant vaguement les
fluctuations d'une eau courante, tandis que les nuages présentent les
inégalités arrondies des cumulus ou des cirrhus tels qu'ils apparaissent
dans le ciel. Si nous portons notre attention sur certaines parties de
la sculpture qui nous occupe, nous pourrons nous convaincre que
les ondulations dans lesquelles plonge le Christ sont fort différentes de
celles qui représentent ici les nuages, soit dans l'encadrement de la
partie supérieure du bas-relief, soit dans la zone placée au-dessous
et d'où l'on voit émerger les quatre anges. D'autres planches de la
Monographie de la cathédrale de Chartres offrent des exemples qui
achèveront de nous convaincre. Ainsi, au sommet du grand vitrail
du xue siècle (la vie de Jésus-Christ, planche LU, pi. B, feuille e), on
voit, au bas de l'auréole entourant la Vierge et son Fils, plusieurs
couches de nuages; les figures du soleil et de la lune sont aussi en-
tourées de nuages. Or ces nuages, on peut facilement s'en convaincre
en examinant la planche indiquée-, ou le vitrail lui-même, sont exé-
cutés de la même manière dans le vitrail et dans la sculpture. Si
l'on examine ensuite les ondes, dans lesquelles est placée la figure de
Jésus-Christ, au panneau qui représente son baptême (même fenêtre,
planche LI, pi. B , feuille d) , et si on les compare avec les ondes placées
sous le Christ du tympan, on sera frappé de leur ressemblance. Prenons
encore comme points de comparaison plusieurs panneaux du vitrail
de Saint-Eustache; nous en trouverons (PI. LXV) deux dans lesquels le
peintre a dû représenter des nuages et des eaux; la différence est sen-
sible, on ne peut s'empêcher de la reconnaître. On pourrait multiplier
les exemples; les œuvres du moyen âge en offrent un grand nombre,
et l'on ne peut s'empêcher de regarder avec surprise cette persistance
dans le mode des procédés graphiques. Jusqu'à la Renaissance, dans
les gravures sur bois des incunables les nuages ont conservé cette
même apparence caractéristique de méandres repliés, festonnés ou
7
50 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
frisés, qui contribue souvent à former une sorte d'ornementation dans
les compositions de cette dernière période du moyen âge.
Cette petite étude des procédés des artistes nous permet donc d'éta-
blir que, dans le bas-relief de Chartres , le Christ n'est pas sur un nuage
pour monter au ciel ou pour en descendre, mais qu'il est placé dans
les ondes aqueuses dune fontaine ou d'un fleuve. D'où viennent ces
eaux? Quelle est la signification de cette scène? Si nous ne pouvons
répondre d'une manière satisfaisante à cette double question, du moins
nous essayerons de mettre sur la voie d'une interprétation.
i° D'où vient cette eau, avons-nous demandé? Suivant toute pro-
babilité, elle sortait des amphores qui se trouvaient entre les mains des
anges placés aux côtés du Christ. La position ou la posture de ces anges
est à remarquer; on ne reconnaît pas là des anges encensant ou s'in-
clinant pour adorer le Seigneur. Ils semblent se renverser en arrière et
en dehors du tableau comme pour faire contrepoids à un objet pesant
qu'ils auraient tenu dans leurs bras, et cet objet, comme nous venons
de le dire, était probablement une de ces urnes semblables à celles
que nous voyons dans la représentation des quatre fleuves du paradis
terrestre, personnifiés et répandant leurs ondes sur la terre.
20 Quelle est la signification de cette scène? Voilà un problème
dont la solution serait bien intéressante. Le champ est ouvert aux
suppositions. Je vais exposer celle qui m'a été suggérée par un anti-
quaire de mérite, l'abbé Launay, ancien vicaire de la Couture au Mans
et depuis curé de la Ferté-Bernard. Nous examinions ensemble les
sculptures de l'église de Chartres; arrivés devant la porte où se trouve
notre bas-relief, je lui témoignais mon embarras et mon éloignement
à le regarder comme une Ascension, suivant l'opinion commune. Je
lui demandais ce qu'il fallait penser? et Comment! me dit-il à l'instant
même, comment pouvez-vous hésiter? Ne reconnaissez-vous pas ici
Jésus-Christ porté sur les eaux du fleuve de vie? C'est le signe de la
fin des temps et l'accomplissement des dernières phases qui viendront
clore la série des siècles; c'est la consommation de l'univers. Ce bas-
relief est la traduction en sculpture du dernier chapitre de l'Apoca-
PLANCHE VI. — TYMPAN DE LA PORTE DE GAUCHE. 51
lypse. -n Cette explication me parut singulière et je me proposai de de-
mander plus tard des éclaircissements à mon savant interprète, puis
nous continuâmes notre exploration de la cathédrale. Hélas ! peu de
temps après, ce prêtre érudit fut enlevé pour toujours à ses travaux de
symbolisme et de liturgie. Livré à moi-même pour chercher le sens
complet de cette sculpture, je ne pus trouver les raisons qui avaient
donné à l'abbé Launay l'idée qu'il m'exposa brièvement, comme je
viens de le raconter. Le texte de saint Jean est fort court pour ce qui
nous occupe, et les commentaires que j'ai pu lire ne m'ont rien appris.
Le texte sacré ajoute, cependant, quelque chose qui s'accorde un peu
avec notre sculpture et l'interprétation de l'abbé Launay, lorsqu'il dit
que de chaque côté du fleuve est l'arbre de vie portant douze fruits
suivant les douze mois de l'année, et en effet, sur les voussures en-
tourant notre bas-relief, on voit les douze signes du zodiaque et les
occupations des hommes pendant ces douze parties de l'année.
Espérons, comme nous l'avons dit en commençant, que les textes du
moyen âge ou les commentaires de l'Ecriture sainte nous fourniront un
jour l'explication de la sculpture que nous venons d'étudier. C'est sur-
tout dans les auteurs contemporains qu'on pourrait avoir l'espérance de
trouver ce que nous cherchons. UHot-tus deliciarum de l'abbesse Herrade ,
célèbre manuscrit de la bibliothèque de Strasbourg, était rempli de
dissertai ions symboliques et mystiques sur des sujets semblables à
celui-ci. Le xne- siècle a été fécond eu auteurs dont la piété et l'ima-
gination se livraient avec un abandon plein de poésie au sens figuré
et allégorique qu'ils apercevaient dans l'Ecriture sainte. Leurs pensées,
leurs idées ingénieuses et originales, s'élevaient au-dessus des réalités de
la lettre et transportaient dans les régions les plus élevées de la théo-
logie et du mysticisme les âmes des fidèles qu'ils voulaient toucher et
instruire.
52 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE VII.
CÔTÉ OCCIDENTAL.
PORTE LATÉRALE DE DROITE (xll* SIECLE).
Le tympan de cette porte est partagé en trois parties. Il y a d'abord deux
zones ou bandes horizontales de bas-reliefs, qui sont surmontées par un
grand tableau, de forme ogivale, où l'on voit la Vierge entre deux anges.
Dans la première zone, ou l'inférieure, on voit les scènes suivantes :
L'Annonciation. L'archange salue et bénit Marie, qui est devant lui:
un livre ouvert est posé à terre entre eux.
La Visitation. La Sainte Vierge et sainte Elisabeth s'embrassent; on
remarquera ici une particularité fort rare dans cette scène évangé-
lique : la Vierge Marie y porte une couronne royale.
La Nativité du Sauveur. Sa sainte Mère est couchée sur un lit, imita-
tion élégante d'un meuble en bois semblable à ceux du xuc siècle. L'en-
fant, enveloppé de langes, est dans un berceau placé sur le ciel du lit.
Le bœuf et l'âne sont brisés et détruits ; ils adhéraient au mur, sur lequel
ils ont laissé leurs traces. Saint Joseph se tient à la tête du lit.
L'Adoration des bergers. Ils arrivent conduits par un ange; l'un d'eux
joue de la- flûte de Pan; leurs brebis les accompagnent.
La seconde zone ne contient qu'une seule scène : c'est la Présentation
de Jésus au temple. Au milieu, sur un autel, on voit le divin Enfant
entre sa Mère et le vieillard Siméon. Derrière ces deux personnages
arrivent, de chaque côté, les membres de la famille; ils portaient des
cierges et des couples de tourterelles que le temps a détruits.
La dernière statuette, à droite, a la tête brisée. A la richesse et
aux formes de son costume on reconnaît que c'est un roi. Ayant eu
occasion de monter sur les échafaudages pendant les travaux de res-
tauration de ces sculptures, j'ai pu voir que ce roi tient dans sa main
droite une pièce de monnaie. Est-ce un donateur que nous voyons ici ?
Quel est-il? Je suis porté à croire que c'est le roi Louis VII qui s'est
PLANCHE VII. — CÔTÉ OCCIDENTAL. 53
fait représenter ici, comme nous le voyons aussi à la cathédrale de Paris,
sur le tympan de la porte Sainte-Anne. Il y a, en effet, une telle
ressemblance entre la sculpture de ces deux portes des cathédrales de
Paris et de Chartres, qu'il semble à peu près certain qu'elles sont de
la même époque et décorées par les mêmes artistes. Pourquoi ne se-
raient-elles pas dues à la générosité du même roi? C'est surtout après
avoir eu l'avantage de voir de près et de toucher de la main ces bas-
reliefs des deux églises que j'ai pu me convaincre de cette similitude
parfaite. Je n'en citerai que quelques détails. Les mêmes ornements se
retrouvent sur le lit dont nous venons de parler et sur les trônes de la
Sainte Vierge à Paris et à Chartres. Le vêtement de dessous est iden-
tique en deux endroits sur la personne du roi Louis VII, et sur l'un des
Gémeaux qui se trouvent dans les voussures que nous examinerons toul
à l'heure. Enfin il y a une parfaite ressemblance entre les grandes
statues ou bas-reliefs de la Sainte Vierge et de l'Enfant, au sommet de
chacun des tympans de Chartres et de Paris.
Il est important de remarquer que ces deux zones de bas-reliefs que
nous venons d'examiner sont d'un travail de sculpture très différent et
très inférieur aux différentes parties de ce portail. Elles ont dû avoir été
refaites après coup, et copiées d'après un modèle ancien auquel on
se conforma, car elles sont complètement pareilles aux scènes que l'on
voit dans le tympan de la porte Sainte-Anne, à Notre-Dame de Paris.
Le troisième tableau occupant le haut de l'ogive est un magnifique
bas-relief représentant l'Enfant Jésus assis sur les genoux de sa Mère.
La Sainte Vierge est, à son tour, assise sur un trône richement décoré.
Elle est figurée dans cette position hiératique et symétrique qui ex-
prime en sculpture l'un des plus beaux titres que l'Église lui a décer-
nés: Sedes sapientiœ, et que viennent confirmer ces paroles :
In gremio matris sedet sapientia patris,
que nous fournit une ancienne représentation de Notre-Dame et de son
Fils. C'est le plus ancien type des représentations de la Mère de Dieu;
c'est ainsi qu'on la trouve à Rome dans les catacombes, dès les pre-
54 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
miers siècles du christianisme. Les plus anciennes images de Notre-
Dame, celles du pèlerinage de Chartres entre autres, sont exécutées
suivant ce modèle, qui est le plus beau, nous dirions volontiers le seul ,
que l'art chrétien devrait reproduire.
Un dais supporté par des colonnes protégeait autrefois ces deux pré-
cieuses figures. On voit encore, à gauche, une des bases de colonnes
supportant ce dais ou ciborium, aujourd'hui brisé.
Enfin, deux anges fléchissent le genou devant le divin Enfant et sa
Mère et les encensent.
Les voussures qui encadrent ce tympan contiennent des anges thu-
riféraires et les sept Arts libéraux, personnifiés par une suite de femmes
tenant en main les accessoires qui les caractérisent.
Chacune d'elles est, en outre, accompagnée d'un écrivain rappelant
l'inventeur ou le savant le plus célèbre dans l'art près duquel il est
placé. Nous allons en faire l'énumération, prenant soin d'indiquer leurs
caractéristiques lorsqu'ils sont conservés dans la sculpture.
i° Musica. — Musica sum late doclrix artis varietate1. La femme qui
personnifie la musique tient dans la main gauche, sur ses genoux, une
sorte de petite harpe et, de la droite, frappe sur les clochettes d'un
carillon fixé au mur, où l'on voit aussi accrochés divers instruments.
Au-dessous de la musique, Pythagore, penché sur son pupitre, écrit
sur cet art. Il se sert d'un grattoir pour effacer un mot; près de lui,
on voit contre le mur un petit râtelier avec une éponge et des plumes ,
ou calami, pour écrire.
2° Grammatica. — Per me quis discit vox, liltera, sijllaba, quid sit. La
Grammaire tient, d'une main , un livre ouvert et, de l'autre, une poignée
de verges pour stimuler les deux enfants accroupis auprès d'elle, s'ils
n'étudient pas avec zèle. Au-dessous d'elle, Chilon écrit.
3° Dialectica. — Argumenta sino concurrere more canino. La Dialec-
' C'est dans un précieux manuscrit de la manuscrit du xu" siècle a péri en 1870 dans
bibliothèque de Strasbourg que j'ai autre- l'incendie allumé dans la bibliothèque par
fois copié les vers léonins caractérisant ici les bombes prussiennes,
les sept Arts libéraux. Cet inappréciable
PLANCHE VII. — CÔTÉ OCCIDENTAL. 55
tique, placée au bas à gauche (les deux précédentes sont à droite), tien l
d'une main un dragon ailé et, de l'autre, une sorte de sceptre avec
des feuillages. Au-dessous d'elle est le prince des philosophes, Arislole,
écrivant sur un petit pupitre.
k° Rhelorica. — Causarum vires per me, Rhelor, aime requires. Son
geste est oratoire; on ne voit aucun symbole. Quintilien est au-dessous
d'elle; il taille une plume.
5° Arithmetica. — Ex numeris conslo quorum discrimina monslro.
L'Arithmétique ne présente plus aujourd'hui aucun signe qui puisse la
faire reconnaître. Dans les manuscrits, elle tient en mains une sorte de
bande avec des divisions, comme serait une toise. Près d'elle est le
savant Gerbert, qui passe pour avoir rapporté de chez les Maures d'Es-
pagne les chiffres arabes.
6° Geometria. — Terrœ mensuraspei' multas dirigo curas. La Géométrie ,
assise devant une table, devait tracer des figures à l'aide d'un compas,
comme on le voit sur d'autres monuments. C'est Archimède qui lui tient
compagnie.
7° Astronomia. — Ex aslris nomen traho, per quœ discitur omen. L'As-
tronomie contemple le ciel; elle tient un objet que l'on regarde comme
un boisseau ? Ptolémée est l'écrivain que nous voyons au-dessous.
Outre les sujets que nous venons d'énumérer, on trouve encore
ici deux signes du zodiaque qui complètent la série des douze signes,
dont les dix autres se trouvent à la porte de gauche de cette façade
occidentale. Ceux qui se trouvent ici sont les Gémeaux et les Poissons.
Au sommet de l'ogive contenant ces représentations allégoriques
nous voyons un petit nuage d'où émerge la colombe figurant le Saint-
Esprit. Le manuscrit d'Herrade, d'où nous avons tiré les vers cités plus
haut, s'exprime ainsi : Spirilus sanctus invenlor estseptem liberalium urlium.
Nous voyons par là combien toutes les sciences et les connaissances
humaines étaient en honneur au moyen âge. Elles étaient regardées
comme un don de Dieu : Omnis sapientia à Domino Deo est. La théologie
et la philosophie faisaient alors l'objet d'études dirigées dans les monas-
tères et dans les universités où les écoliers , ainsi qu'on le sait , se rendaient
56 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES,
par milliers. C'est là que se formaient ces légions de savants et d'artistes
qui n'oubliaient jamais l'importance de la philosophie et l'influence
qu'elle conservait pendant toute la durée de la vie humaine sur notre in-
telligence et nos œuvres : Philosophia omnium mater artium. L'histoire du
pays Chartrain nous apprend qu'au moyen âge l'étude de la philosophie
y était cultivée avec grand soin.
Le dernier cordon qui contourne ces voussures est décoré d'un rin-
ceau extrêmement élégant; il était dans un tel état de dégradation qu'il
a fallu le refaire à neuf. Après avoir moulé ce qui existait, on a pu, en
se conformant à ces précieux vestiges, obtenir un résultat satisfaisant.
Ce magnifique tympan et ces voussures sont supportés de chaque
côté de la porte par des colonnes contre lesquelles sont soudées de
grandes statues.
D'autres statues semblables sont de chaque côté des deux autres
portes et forment un ensemble admirable de décoration. Aucun in-
dice, aucune inscription, ne nous apprend d'une manière certaine quels
sont les personnages ici représentés. Les antiquaires s'accordent à
penser qu'il faut voir ici les ancêtres de Jésus-Christ et les person-
nages les plus célèbres de l'ancien Testament qui ont annoncé ou
figuré le Messie. Il ne serait pas impossible que parmi ces person-
nages on eût aussi placé quelques-uns des bienfaiteurs de l'Église
ou de ceux qui ont aidé à sa construction. Dès l'antiquité, et dans les
hautes époques de l'ère moderne, on a des exemples de cet usage,
comme on le voit dans les monuments primitifs de l'Italie, où les noms
se lisent encore auprès d'images de rois, de reines et de princes,
bienfaiteurs des monuments. La dernière figure, à droite, est celle
d'une princesse dont le costume est fort élégant. C'est la seule, de ce
côté, qui ne soit pas nimbée. Le nimbe est un caractère iconographique
dont on devra toujours tenir compte dans les recherches archéolo-
giques. Les dais placés au-dessus des têtes sont tous variés et res-
semblent beaucoup à l'architecture byzantine. .
Les chapiteaux des colonnes contre lesquelles s'appuient ces statues
sont ornés par des scènes de la vie de Jésus-Christ et surmontés par des
PLANCHE Vil. — CÔTÉ OCCIDENTAL. 57
motifs d'architecture très délicats. Nous sommes au plus beau moment
de l'architecture du xne siècle. Ce n'est qu'à cette période que l'on
trouve un pareil luxe de sculptures dans les chapiteaux. Ils sont variés
à l'infini, et la vie s'y manifeste de toute façon. Ce ne sont pas seule-
ment des animaux fantastiques que nous pouvons y observer; l'élément
humain y tient une grande place, et les chapiteaux offrent ici une suite
de scènes de la vie de Jésus-Christ, rendues avec un talent et avec une
patience des plus remarquables. Parmi les sujets représentés sur les
chapiteaux de cette planche, nous distinguons : la dernière Cène; —
le baiser de Judas, et saint Pierre coupant l'oreille de Malchus; — le
triomphe de Jésus-Christ, le jour des Rameaux; — Jésus mis dans le
tombeau; — le sépulcre gardé par les soldats, et les saintes femmes
apportant des aromates. Du côté droit de la porte, on voit : Jésus lavant
les pieds de ses apôtres; — les disciples d'Emmaùs; — Jésus appa-
raissant à ses apôtres, Thomas étant présent; — Jésus donnant à ses
Apôtres ses derniers avis avant de monter au ciel. Ces sujets ne se
suivent pas exactement dans l'ordre historique.
Entre chacune des grandes statues que nous venons d'examiner il
y a de minces colonnettes, couvertes d'ornements exécutés avec une
finesse et une verve incomparables. Ce sont des rinceaux dans lesquels
s'enlacent des figurines d'un travail qui semble exécuté par le burin
d'un orfèvre plutôt que par le ciseau d'un sculpteur. Sur l'une de celles
que nous entrevoyons il y a une série des signes du zodiaque.
L'ébrasement ou l'épaisseur de la porte est décoré de chaque côté
par des figurines assises : l'une d'elles a gardé sa tête intacte; sur la
banderole qu'elle tient entre les mains on lit : JEREMIAS.
Sur la gauche, nous apercevons d'autres statuettes qui peuvent
représenter des artisans. On voit un armurier; près de lui un sabre
est suspendu au mur avec son fourreau; — un marchand portant un
ballot bien ficelé, qu'un autre petit personnage semble perforer avec un
couteau. Un boucher, assommant un bœuf, est au haut de ce pilastre,
et derrière sa tête on lit : ROGERVS. On a voulu voir dans ce nom le
souvenir d'un des maîtres de l'œuvre. Cela nous semble fort douteux.
58 MONOGKAI'HIK DB bH CATHÉDRALE DE GHARTI1ES.
C est plutôt un artisan donateur : car ces figurines nous font penser
aux nombreuses représentations de corporations de métiers qui se
voient au-dessous des vitraux dans l'intérieur de l'église et qui ont
donné ces vitraux.
Enfin, sur le bord à gauche de cette planche, se voient une des
grandes statues de la porte centrale et les premières statuettes des
voussures.
PLANCHE VIII. — GROUPE DE LA PORTE ROYALE. 59
PLANCHE VIII.
GROUPE DE LA PORTE ROYALE.
Cette gravure représente l'ébrasemeut de l'un des côtés de la porte à
gauche de la grande façade et permet d'en examiner facilement le sys-
tème décoratif.
Après ce que nous avons dit dans l'explication de la dernière planche,
nous avons peu de choses à ajouter. Les trois statues que nous avons
sous les yeux sont sans nimbe et nous font persister dans la pensée de
voir ici des bienfaiteurs de la cathédrale, et non des saints ou des pa-
triarches, comme les autres statues de cette façade.
A gauche, ce sont deux rois1; leur costume est presque identique:
la tête porte la couronne royale, leurs mains droites tiennent un long
sceptre, et dans la gauche est une tablette, indiquant quelque charte
de donation.
La statue à droite est celle d'une princesse, ainsi que nous l'indique
la richesse de son costume, dont on retrouve l'analogue dans les pein-
tures sur verre et dans les manuscrits* du xitc siècle. La sculpture nous
fait comprendre que ses vêtements sont d'une étoffe très fine et très
souple. Les galons, les broderies et la passementerie sont ici rendus
avec un soin minutieux. Les manches de la robe de dessus sont si lon-
gues et si amples qu'il a fallu les raccourcir en faisant un nœud à leur
extrémité pour les empêcher de traîner à terre. La coiffure est aussi
fort curieuse à examiner : ce sont de longues mèches de cheveux entre-
lacées avec des rubans; elles pendent sur les côtés du corps.
Cette princesse tient entre ses mains une banderole, sur laquelle
' La première statue à gauche ayant eu puisqu'au lieu d'une tête d'homme cou-
la tête brisée a été restaurée à une époque ronnée on a placé ici une tête provenant
ancienne, d'une manière assez maladroite, d'une statue de Vierge datant du xm° siècle.
60 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
existait probablement une inscription peinte, que le temps a effacée,
emportant avec elle un renseignement qui nous serait aujourd'hui bien
précieux.
L'expression des deux têtes anciennes est d'une nature élevée et
d'une grande vérité; ce sont bien probablement des portraits.
La gravure ne peut arriver à rendre d'une manière satisfaisante les
qualités d'exécution savante et originale des artistes primitifs. La pho-
tographie seule pourrait donner un résultat sans reproche. Espérons
qu'un jour ses procédés perfectionnés permettront de répandre dans
le public, et surtout parmi les antiquaires et les artistes, ces vestiges
si précieux de l'art au xnc siècle dans notre pays.
Sous les pieds de ces trois statues sont les personnifications des vices
dont ces personnages ont triomphé : ce sont des monstres, des animaux
bizarres et même des figures humaines. Sous la première statue on
voit un personnage presque nu que plusieurs serpents enlaçaient;
cette sculpture est fort mutilée. Sous la seconde statue est une femme,
portant sur la tête un diadème orné de pierreries. Sa coiffure est
formée de deux tresses de cheveux et son vêtement semble recherché.
De la main droite elle tient la queue d'un dragon, qui passe sous ses
pieds, et dont la tête se redresse et va mordre le bout d'une manche
de cette princesse; de la main gauche, elle saisit l'une des tresses de sa
chevelure. Enfin, sous la troisième statue est un singe faisant des efforts
pour se débarrasser des hideux vampires dont il est environné. Sur sa
poitrine est un crapaud, que saisissent deux dragons; l'une de ses jambes
est prise par la gueule d'un quadrupède fantastique, que vient mordre
un autre dragon aux formes hideuses. Ces statues sont surmontées par
des dais, formant des monuments à jour d'une exécution aussi ingé-
nieuse qu'originale.
Plus haut, les chapiteaux des colonnes contre lesquelles ces statues
sont placées sont décorés, comme nous l'avons fait remarquer dans la
planche précédente, par des scènes de l'Evangile. Dans la plupart de
ceux que nous pouvons voir ici, on reconnaît plusieurs épisodes du
massacre des Innocents. Le personnage d'Hérode, que l'on ne fait
PLANCHE VIII. — GROUPE DE LA PORTE ROYALE. 61
qu'entrevoir, est, malgré ses petites dimensions, superbe de fierté et
de brutalité. La dernière scène à gauche est la Fuite en Egypte.
Les colonnettes entre les grandes statues sont semblables à celles
du reste de la façade quant à la disposition générale, car pour les
détails les motifs sont tous variés.
Contre l'épaisseur de la porte, une série de statueltes superposées
de bas en haut représentent divers personnages presque tous assis.
11 est impossible de leur imposer un nom; toutes sont mutilées et pri-
vées d'inscriptions.
Remarquons enfin que le soubassement des statues porte un orne-
ment tout à fait pareil à celui qui décore la base des colonnettes à l'entrée
de l'église de Saint-Germain-des-Prés, à Paris, et nous indique une
époque contemporaine de cette partie de la vieille basilique.
62 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE IX.
FAÇADE OCCIDENTALE.
DÉTAILS DE LA ROSE.
Dans un des articles précédents (planche V), lorsque nous avons
décrit la façade occidentale, nous avons déjà dit quelques mots sur
cette grande Rose qui en fait un des principaux ornements.
Nous voyons ici le quart de sa superficie dessinée à une échelle qui
permet de l'étudier avec facilité, d'autant plus que des détails de sa
construction, dans une proportion plus grande encore, sont dessinés
et gravés sur les marges de cette planche.
Ce qu'il faut remarquer ici, c'est que le principe qui a guidé l'archi-
tecte n'est pas le même que celui que l'on observe dans les autres grandes
Roses que nous observons ailleurs, ni même dans les deux autres que
nous offre la cathédrale de Chartres à l'extrémité des deux transepts.
En effet, dans toutes ces grandes fenêtres circulaires, c'est au moyen
de meneaux ajustés avec une singulière recherche d'élégance et de lé-
gèreté que l'on a obtenu cet effet extraordinaire produit sur le regard
et sur l'imagination par les grandes Roses de Notre-Dame de Paris, par
exemple. Ici, au contraire, les pierres, de petites dimensions et fort
épaisses, sont disposées de manière à former un mur solide et résistant,
malgré les ouvertures dont il est ajouré. Si l'on y fait bien attention,
cette Rose est formée par un oculus festonné, contre le cercle duquel
viennent s'appuyer douze cdlounettes trapues qui reçoivent une série
d'arcades: c'est là la partie vraiment légère de cette grande fenêtre,
car les douze petites rosaces à huit divisions qui sont autour, ainsi que
les quatre-feuilles intermédiaires, sont en réalité beaucoup moins ajou-
rées qu'elles ne paraissent; ce sont les diverses moulures et les sculp-
tures dont ces parties sont couvertes qui les font paraître aussi légères.
Tous les détails de cette fenêtre sont encore empreints de ce principe
PLANCHE [X. — FAÇADE OCCIDENTALE. 63
de force et de solidité qui caractérise les constructions du xne siècle.
Nous pensons, en effet, que cette grande Rose date des premières années
du xuie siècle et qu'elle est une des plus anciennes qu'il y ait en France.
Si vous examinez les deux autres et que vous les compariez à celle-
ci, vous reconnaîtrez facilement combien elles sont déjà différentes.
Ce n'est plus cette grâce forte et robuste qui nous étonne ici, mais une
recherche et une élégance toutes particulières qui en font le mérite.
Il est intéressant de remarquer le croquis tracé dans l'album de Vil-
lard de Honnecourt; c'est un dessin de convention qui nous fait com-
prendre comment cet architecte a compris le sens de notre Rose. Ce
qui l'a frappé, c'est son apparence de légèreté, et, en effet, son croquis
n'a pas la même fermeté que l'original; il représente une découpure à
jour telle qu'on l'observe à la fin du xiue siècle et aux xivc et xve dans
les fenêtres analogues.
64 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE X.
FAÇADE MÉRIDIONALE.
VUE GÉOMÉTRALE.
Cette belle planche nous donne la vue complète de tout le côté ou
flanc méridional de l'église.
Nous l'examinerons en détail. Commençant à gauche, au clocher
vieux, et nous dirigeant à droite vers la chapelle de Saint-Piat, qui se
trouve à l'extrémité de la planche, nous examinerons successivement
les diverses parties que nous rencontrerons.
Après ce que nous avons dit (planche IV) sur le vieux clocher, nous
n'avons pas besoin d'y revenir, et nous ne ferons que de courtes re-
marques sur certaines particularités de sa partie inférieure.
A l'angle ouest, nous voyons la statue d'ange dont nous avons
déjà parlé. Il est placé sur une console, la tête abritée sous un dais.
Le cadran solaire primitif n'existe plus. Il était probablement circulaire
comme celui qui est entre les mains d'un ange semblable et du même
temps placé dans une position pareille contre l'angle de la façade de
la cathédrale de Gênes. Le cadran actuel porte la date de l'année 1 578.
Deux autres statues sont placées à une même hauteur, sur la droite.
Ce sont de ces statues que le moyen âge nous offre quelquefois, dans
lesquelles on entremêlait des idées salyriques et symboliques dont le
sens nous échappe aujourd'hui. On les appelle à Chartres l'âne qui vielle
et la truie qui fde. C'est, en effet, d'un côté un âne se tenant appuyé
sur les jambes de derrière et tenant entre celles de devant une sorte
de harpe. Quant à l'autre animal qui lui fait pendant, on reconnaît
aisément que le sculpteur a représenté ici un verrat; il se tient aussi
debout sur ses pattes de derrière, mais sa quenouille et ses pattes de
devant sont brisées. Bien des suppositions ont été émises au sujet de
ces deux animaux; aucune ne nous paraît admissible. Ils personnifient
PLANCHE X. — FAÇADE MÉRIDIONALE. 65
certainement quelque idée, quelque proverbe ayant cours parmi la
population chartraine au moyen âge. Nous ferons observer que ces
deux sculptures faisaient partie d'un ensemble qui n'existe plus; elles
sont sur les côtés d'une arcade aveugle, au-dessus de laquelle il y en
a une autre, aveugle aussi. Or ce second arc, placé un peu plus haut,
nous montre à chacun de ses angles inférieurs une console, et de plus
il porte, sur sa partie médiane, une large pierre faisant saillie, et
brisée aujourd'hui. On ne peut douter que ces trois pierres saillantes
n'aient formé dans l'origine une composition complète, dont le sens
était connu aux époques anciennes1. Quant à l'âne musicien, les re-
présentations au moyen âge et aussi dans l'antiquité en sont fré-
quentes; les Latins avaient même un proverbe bien connu : Asinus ad
lyram.
Le dessinateur a commis une erreur à la base du clocher que nous
examinons. L'arcade placée entre l'ange à cadran solaire et l'âne mu-
sicien est une ancienne porte qui est murée aujourd'hui et est indiquée
comme telle dans la gravure; mais elle servait autrefois de passage. H
y a aussi dans la construction un léger indice à l'angle inférieur, à
droite, qui n'a pas pu être indiqué ici, et nous porterait à croire que,
dans l'origine, le clocher était séparé de l'église.
Plus à droite s'étend la masse imposante de la cathédrale, que nous
diviserons en trois sections : i° la nef; 2° le transept et le porche méri-
dional; 3° le chœur, les chapelles de l'apside et celle de Saint-Piat.
i° La nef. — Au bas sont les fenêtres de la crypte en plein cintre
(deux ont été omises par le dessinateur aux deux premières travées);
plus haut, à chaque travée, sont les fenêtres des bas côtés. Parmi
celles-ci se font remarquer les modifications apportées par la construc-
tion de la chapelle de Vendôme. Cette chapelle est plus saillante que
1 La face sud du vieux clocher se trou- tations des pièces ou des moralités qui se
vant à l'une des plus larges parties du cloître jouaient devant le peuple auprès des églises.
Notre-Dame, où se tenait au moyen âge une Ces figures bizarres et satyriques pouvaient
grande foire à l'époque de la fête de la Na- bien servir de décoration à ce naïf système
tivité de la Sainte Vierge , m'a toujours paru de théâtre en plein vent.
un endroit très favorable pour les représen-
66 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
les autres; elle a été bâtie entre deux contreforts; un arc surbaissé
en supporte le sol, et deux petites fenêtres éclairent les places où se
tenaient les seigneurs à l'intérieur. La fenêtre est ornée de meneaux
et de découpures garnies de vitraux. Sur les deux montants qui ac-
compagnent la fenêtre et l'encadrent il y a plusieurs statues. Les deux
inférieures sont intéressantes, parce qu'elles représentent des person-
nages historiques : c'est Louis , comte de Vendôme, et sa femme, Blanche
de Roucy, tous deux les mains jointes et les regards tournés vers
d'autres personnages placés au-dessus d'eux et représentant une Annon-
ciation; l'ange est d'un côté, la Sainte Vierge de l'autre, et au sommet
du pignon la statue du Père éternel bénit l'ensemble de cette composition.
Au-dessus des fenêtres des bas côtés, on voit le toit qui les re-
couvre, les contreforts, garnis de statues d'Evêques, et les fenêtres
hautes de la nef. Une balustrade est au bas du toit des bas côtés et au
bas du toit supérieur, lequel est garni d'une crête, fantaisie de dessi-
nateur qui n'a jamais existé. A l'extrémité orientale du toit (sur la
droite) une statue d'ange en bois revêtue de cuivre doré tourne sur
un pivot et indique la direction du vent.
Nous voyons ensuite le porche sud, qui se présente dans son entier.
Ses trois portes sont richement sculptées : au-dessus, cinq fenêtres
surmontées d'une grande Rose. Tout en haut, un pignon avec une
balustrade et une arcature aveugle et, dans le fronton, la statue de la
Sainte Vierge entre deux anges thuriféraires placés tous les trois dans
un édicule de style gothique; ces parties, depuis le dessus de la ba-
lustrade, sont du xive siècle. Sur les côtés sont les deux tours non
finies dont nous avons parlé en examinant le plan; elles sont accom-
pagnées de leurs escaliers, dont les toits se terminent par des pyra-
mides aiguës.
Les sculptures du porche que nous avons sous les yeux sont dis-
posées de la manière suivante. Sur le trumeau de la porte du mi-
lieu est Jésus-Christ debout, bénissant de la main droite et tenant de
la gauche le livre des Evangiles; à chacun de ses côtés est un groupe
composé de six Apôtres. Dans le tympan est représenté le Jugement
PLANCHE X. — FAÇADE MÉRIDIONALE. 67
dernier et le pèsement des âmes, avec les élus d'un côté et les damnés
de l'autre; dans les voussures, les neuf chœurs des anges.
La porte à gauche est décorée de grandes statues sur ses côtés :
saint Théodore, saint Etienne, saint Clément et saint Laurent, d'un
côté; de l'autre, saint Vincent, saint Denis, saint Piat et saint Georges.
Dans le tympan, l'histoire de saint Etienne.
La porte à droite est décorée, sur les côtés, des grandes statues qui
suivent : saint Laumer, saint Léon, saint Ambroise, saint Nicolas, saint
Martin, saint Jérôme, saint Grégoire le Grand et saint A vit. Dans le
tympan, quelques sujets de la vie de saint Martin et de saint Nicolas.
Sur les piliers qui supportent en avant les voussures profondes de
ce porche sont de petits bas-reliefs, d'un travail délicat, représentant
des sujets pris dans la vie des martyrs et d'autres saints; puis une
psychomachie ou personnification des Vertus combattant et terrassant
les Vices.
La toiture de ce porche est surmontée d'arcatures et de clochetons
abritant les statues des Rois de Juda; parmi eux on distingue David,
sous lequel est Jessé couché et donnant naissance à l'arbre généalogique
du Sauveur.
Un volume entier et des planches nombreuses seraient nécessaires
pour expliquer et représenter toutes les sculptures de ce porche, auquel
nous ne pouvons consacrer que ces courtes indications. Nous n'avons,
en effet, aucun moyen de les montrer aux yeux comme cela serait in-
dispensable pour une étude sérieuse. L'expression de ces centaines de
figures est si pénétrante qu'elles remplissent de sentiments de foi et
de piété ceux qui les considèrent avec attention, et depuis plusieurs
siècles elles font éprouver au peuple fidèle cette profonde et salutaire
émotion. Semblables à ces sources bienfaisantes qui, depuis des siècles
aussi, apaisent la soif des générations qui se succèdent, la vue de ces
sculptures procure un sentiment de bien-être et de satisfaction dont
l'âme altérée s'abreuve et se rassasie avec bonheur. N'est-ce pas le vé-
ritable but où doivent tendre les arts de la peinture et de la sculpture,
et le moyen âge ne l'a— t-il pas atteint?
9-
68 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
Après le porche méridional, on voit s'étendre vers l'Est le chœur et
les chapelles du chevet.
Les trois premières fenêtres des bas côtés du chœur sont doubles
et surmontées d'une petite Rose. Celles des chapelles sont simples et
en ogive.
Les toits de ces bas côtés et de ces chapelles sont de formes variées,
comme leur aspect nous le fait voir.
Vers le milieu du chœur, on voit la base d'une de ces tours qui
viennent donner plus d'assiette et donnent une grande résistance à
cette partie du monument; elle n'est pas terminée, non plus que celles
qui accompagnent le transept.
Les contreforts de la cathédrale du côté de l'Orient sont plus lé-
gers que ceux de la nef et présentent une différence dans leur partie
à jour.
Enfin, tout à fait à droite, cette grande planche nous donne une
élévation de la chapelle de Saint-Piat vue du côté méridional. Nous
comprenons plus facilement ici ce que nous avons expliqué ailleurs.
Cette construction a deux étages. Au rez-de-chaussée, c'est la salle ca-
pitulaire, dans laquelle on entre par le porche qui est sous l'escalier.
Au-dessus est proprement la chapelle dédiée à saint Piat; on y accède
de l'intérieur de la cathédrale par cet escalier à jour dont nous voyons
ici les fenêtres. La chapelle a quatre travées et se trouve flanquée à
son extrémité par deux tours. Avant 1793, un petit clocher en bois
surmontait sa toiture.
PLANCHE XI. — PORCHE DU MIDI. 69
PLANCHE XL
PORCHE DU MIDI.
STATUES DU CHRIST ET DES APÔTRES.
Cette superbe planche nous permet d'étudier une partie des sculp-
tures qui enrichissent le portail méridional.
A droite, nous voyons le trumeau de la porte centrale contre lequel
est appuyée une magnifique statue de Jésus Christ.
Il est debout, bénissant de la main droite et tenant l'Évangile de la
main gauche. Ses pieds sont posés sur un lion et sur un dragon sui-
vant le texte du Psalmiste : Conculcabis leonem et draeonem. 11 est vêtu
d'une robe au bas de laquelle on distingue encore deux bandes de cou-
leur, traces des anciennes peintures qui décoraient cette statue, et d'un
ample manteau d'une étoffe fort souple : c'est une des plus belles
statues du xinc siècle que nous trouvions sous les porches de Chartres;
elle représente avec noblesse et dignité la figure du Sauveur.
Sous ses pieds, nous voyons superposés deux groupes de person-
nages. Le groupe supérieur nous montre Pierre de Mauclerc, comte
de Dreux et duc de Bretagne, à genoux aux pieds de Jésus-Christ, et
faisant, avec l'assistance d'un serviteur, une distribution de pains
placés dans une corbeille devant lui. C'est probablement une allusion
ayant trait à quelque générosité qu'il fit à celte époque. Le groupe
inférieur est la suite du même fait. Alix de Bretagne, femme du pré-
cédent personnage, accompagnée d'un serviteur, est assise devant une
table couverte de pains et les distribue. Les costumes et les détails
d'habillements de ces personnages sont très intéressants à étudier:
C'est à l'aide des générosités de ces deux seigneurs de Dreux-Bre-
tagne que le porche méridional et peut-être même tout le transept
de ce même côté ont été construits. Leurs effigies et celles de leurs
enfants, ainsi qu'un grand écu à leurs armes, se trouvent dans les fe-
nêtres du transept sud.
70 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
A la droite du Christ sont six statues d'Apôtres. Le premier est saint
Pierre, tenant les deux clefs qui le caractérisent : . . .tibi dabo claves
regni cœlorum. Les autres Apôtres portent l'instrument de leurs supplices
et foulent aux pieds leurs persécuteurs.
Les six autres Apôtres sont en face et en pendant de ceux-ci; nous
ne pouvons les voir. Ils sont disposés de même; le premier est saint
Paul, reconnaissable à l'épée qui lui sert de signe caractéristique.
Ces statues sont placées sur des colonnes torses d'un travail très
beau et très original.
Au-dessus de la tête du Christ, sur la gauche, on aperçoit une
petite portion du tympan de la porte du milieu, sur lequel est repré-
senté le Jugement dernier et le pèsement des âmes. Ce sont les élus
qui sont ici; la composition se continue sur les voussures de la porte,
où nous voyons des anges emmenant les élus pour les déposer dans
le sein d'Abraham.
En avant du porche, du côté gauche, est la face Est d'un des piliers
de ce porche, et nous pouvons en remarquer l'extrême élégance. Les
bas-reliefs que nous voyons sont six des vingt-quatre Rois de l'Apoca-
lypse. Les autres sont sur d'autres faces du pilier ou de son pendant;
ils sont assis sur des trônes et tiennent un instrument de musique et
un vase, conformément au texte : ... in circuitu sedis sedilia viginti qua-
lu<n% et super thronos viginti quatuor seniores sedentes, circumamicti vesti-
mentis albis. . . habentes singuli citharas etphialas aureas, plenas odoramen-
torum, quœ sunt orationes sanctorum. Les six Rois qui sont ici sont placés
sous des édicules extrêmement intéressants et fort richement composés,
et l'ensemble de ces bas-reliefs est encadré dans des bordures de feuil-
lages qui enrichissent encore les détails de cette ornementation.
Les quatre personnages, assis sur des trônes, que l'on voit sous la
voussure font partie d'une suite de vingt-huit Prophètes situés en
avant de ces nombreuses figures hiératiques,
La grosse tête qui est à côté, à gauche, est celle d'une gargouille
pour l'écoulement des eaux supérieures.
Par-dessous la plate-bande qui est au milieu de cette planche nous
FLANCHE XI. — PORCHE DU MIDI. 71
apercevons plusieurs statues delà porte de gauche de ce même porche.
La première grande statue à gauche est celle de saint Théodore; la
seconde est saint Etienne, et la troisième, dont on ne voit qu'une
partie, est saint Clément. Nous les avons déjà mentionnées plus haut.
Au-dessus, dans les voussures, commence une série de Martyrs.
1-2 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XII.
PORCHE DU MIDI.
QUATRE STATUES.
Ces statues ornent l'ébrasement droit de la porte à gauche du porche
méridional.
La première, à gauche, représente saint Vincent, vêtu en costume
de diacre ; il tient un livre dans ses mains. La légende des saints nous
apprend qu'il subit le martyre et qu'après son supplice on le jeta dans
les flots une meule au cou; son corps fut repoussé sur la rive, où les
animaux sauvages, au lieu de le dévorer, veillèrent à sa conservation.
On représente ordinairement un aigle et un lion auprès de lui; ce
sont ces animaux qui se voient sous ses pieds.
La seconde statue est celle de saint Denis, évêque de Paris. 11 porte
le costume pontifical, bénit de la main droite et tient de la main gauche
une crosse. Sa tête est couverte avec la mitre. Sous ses pieds un lion,
rappelant qu'il fut exposé à la fureur de ces animaux, qui n'osèrent le
toucher.
La troisième statue est celle de saint Piat, en aube et en chasuble.
H tient à deux mains le livre des Evangiles. Sous ses pieds le proconsul
Rictius Varius, qui ordonna son supplice.
La quatrième statue représente saint Georges en costume de guerrier,
une cotte de mailles par-dessus laquelle est une tunique d'étoffe légère
et souple. Un large glaive pend au ceinturon qui est attaché à son côté;
sa main gauche est appuyée sur un bouclier sur lequel est une croix
accompagnée d'un fleuron central; sa main droite tient la hampe d'un
guidon dont le haut est brisé.
Sous ses pieds est représenté son supplice ; deux bourreaux le tor-
turent sur une roue.
PLANCHE XIII. — PORCHE DU MIDI. 73
PLANCHE XIII.
PORCHE DU MIDI.
QUATRE STATUES.
Ces quatre grandes statues se dressent sur le côté droit de la porto
à droite du porche méridional.
La première à gauche est celle de saint Martin, évêque de Tours.
H bénit de la main droite, et la main gauche, recouverte de son gant
brodé, tient une crosse, dont le bout va percer deux chiens qui sont
sous ses pieds. C'est pour rappeler que le saint, comme le rapportent
ses biographes, avait un pouvoir miraculeux sur les animaux, qui lui
obéissaient lorsqu'il leur commandait quelque chose. Jacques de Vora-
gine raconte : qu'un jour ayant vu des chiens poursuivre un lièvre, il
leur ordonna d'abandonner cette pauvre bête; aussitôt les chiens s'ar-
rêtèrent et restèrent comme liés à leur place.
La seconde statue est celle de saint Jérôme, habillé avec des vêle-
ments sacerdotaux. Sous ses pieds est la Synagogue personnifiée, qui
lui présente un rouleau que l'on voit s'élever vers le saint; c'est le
texte hébreu de la Bible, que la Synagogue ne comprend plus : c'est
pour cela qu'elle a les yeux bandés. Saint Jérôme présente aux fidèles
un livre ouvert : c'est sa traduction latine de l'Ecriture sainte ou la
Vulgate, qu'il a répandue dans le monde occidental.
La troisième statue est saint Grégoire le Grand, Pape. Il porte sur
la tête la tiare , telle qu'on la voit figurée au xuf siècle ; ce n'est pas
encore la triple couronne, qui ne parut qu'au xive siècle. Ses vêtements
et son pallium sont aussi de précieux renseignements sur les ornements
que portait alors le Pape. Sur son épaule on voit une colombe dont la
tête (brisée) se dirigeait vers son oreille. On lit, en effet, dans sa Vie
que, lorsqu'il composait ses commentaires sur l'Ecriture sainte, son se-
crétaire, étonné de la lenteur avec laquelle il les dictait, eut la curiosité
74 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
de soulever un rideau qui le séparait du saint, et qu'il vit alors une
colombe placée sur son épaule et semblant inspirer le saint docteur.
Sous ses pieds est ce secrétaire, relevant la tête pour voir ce fait mira-
culeux.
La quatrième statue est saint Avit, abbé de Micy, en costume sa-
cerdotal. Dans la main droite il tient un livre fermé, et dans la main
gauche sa crosse d'abbé. Le petit groupe qui est au-dessous représente
saint Avit donnant le froc à saint Lubin. Cette statue, d'un style plus
large et plus près de la nature, est du xive siècle. On sent que l'art se
modifie et produira bientôt ces gracieuses statues que l'on voit au
\v' siècle. Les trois premières, au contraire, nous montrent les tradi-
tions des époques hiératiques où l'imitation de la nature ne préoccupait
pas encore les sculpteurs. Leurs vêtements sont traités avec un soin
extrême, et les détails des galons et des broderies rendus avec une
patience et un talent qui méritent qu'on les examine avec soin. C'est le
beau moment de l'art au xiue siècle; les têtes ont un caractère grave
et sérieux qu'on ne saurait trop admirer. Ce sont des modèles d'une
valeur inappréciable pour les artistes chargés de décorer les monuments
religieux, et pour le public c'est un sujet inépuisable de réflexions et
de méditations.
PLANCHE XIV. — PORCHE DU MIDI. 75
PLANCHE XIV.
PORCHE DU MIDI.
VERTUS ET VICES.
Sur la partie médiane de la gravure on voit en haut le profil des
soubassements des piliers sur lesquels sont ces sculptures, et au-
dessous une coupe d'un de ces piliers avec les colonnettes qui l'envi-
ronnent.
Les bas-reliefs gravés sur cette planche sont ceux qui ornent la face
antérieure des deux piliers du milieu du porche méridional. Ils font
partie d'une Psychomachie qui se suit sur deux autres faces de ces
mêmes piliers.
A côté des bas-reliefs de Chartres on a eu la pensée de placer les
sujets analogues qui se trouvent peints sur verre dans la grande Rose
occidentale de Notre-Dame de Paris, où le combat entre les Vertus et
les Vices est figuré d'une manière plus évidente, puisque chaque Vertu
perce d'un coup de lance le Vice qui lui est opposé. A Paris, les Vertus
sont des reines couronnées, et leur bouclier a plutôt la forme d'un
disque que celle d'un écu, comme on le voit ici. Du reste, au moyen
âge, on a souvent représenté des boucliers ronds; alors ce ne sont ordi-
nairement pas ceux des chrétiens qui ont cette forme. Dans le vitrail de
la vie de Charlemagne (voir pi. LXVIII), les Français ont des boucliers
allongés en forme d'écu héraldique, et les Sarrasins des boucliers ronds.
Nous allons donc décrire successivement ces Vertus et ces Vices
comme ils se suivent sur ces piliers, en commençant à gauche et par le
haut :
La Chasteté, femme voilée, tenant d'une main une palme et de l'autre
un écu sur lequel est un oiseau dans les flammes. Le panneau du
vitrail de Paris offre le même symbole. Cette personnification de la Chas-
teté est opposée à
70 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
La Luxure. C'est un groupe composé d'un jeune élégant qui lie con-
versation avec une femme mise avec recherche.
Le panneau de Paris représente une femme richement vêtue et se
regardant avec complaisance dans un miroir.
La Prudence a pour emblème un serpent, et le panneau du vitrail
est semblable.
La Folie. C'est une femme aux vêtements en désordre, brandissant
une massue et faisant mine de manger une pierre.
Le vitrail de Paris (restauration) est semblable.
L'Humilité. Sur son écu, un oiseau s'élève dans les airs, suivant les
paroles de l'Evangile : Quiconque s'abaisse sera élevé.
Le panneau de Notre-Dame, à Paris, est pareil.
L'Orgueil, vice opposé à la vertu d'Humilité. C'est un cavalier tom-
bant à terre avec son cheval.
Le vitrail (restauration) représente le même sujet.
Du côté droit, les six bas-reliefs représentent les sujets suivants :
La Patience, que symbolise un bœuf dans le panneau de Notre-Dame
de Paris gravé à côté. Probablement c'était la même chose dans notre
sculpture, mais l'écu est complètement fruste.
L'Impatience, opposée à la Patience, est une femme avec un costume
de princesse, menaçant d'un glaive un vieillard (un moine probable-
ment) qui lui fait quelques réprimandes et lui montre le livre de la Loi.
Le vitrail reproduit la même composition.
La Douceur a pour insigne un agneau, dans le vitrail et dans le bas-
relief. Le vice qui lui est opposé est :
La Colère, représentée à Chartres et à Paris par une femme de haut
rang, à en juger par son costume, et renversant, d'un coup de pied
dans le ventre, un serviteur qui lui apporte à boire.
Le Courage. Cette vertu est représentée vêtue comme un guerrier;
elle a une cotte de mailles et un casque; sa main droite tient un glaive,
et sur son écu est l'image d'un lion. Dans le manuscrit d'Herrade, toutes
les Vertus étaient des femmes costumées comme des guerriers, ainsi
que le personnage représenté ici.
PLANCHE XIV. — PORCHE DU MIDI. 77
A Notre-Dame de Paris, le symbole que tient cette Vertu est une
tête de taureau.
La Lâcheté, opposée à la Vertu précédente. Ce Vice est représenté
sous la figure d'un jeune guerrier, comme l'indique son costume. Frappé
de terreur par le cri d'une chouette, il fuit devant un lièvre et jette à
terre le glaive dont il était armé. Le bas-relief est mutilé; on voit
mieux ce sujet dans le panneau du vitrail de Notre-Dame de Pans,
qui est à côté.
Les Vertus et les Vices non représentés dans la gravure sont ie.u
suivants :
La Persévérance, opposée à l'Inconstance;
La Tempérance, opposée à l'Intempérance;
La Concorde, opposée à la Discorde;
La Foi, opposée à l'Idolâtrie;
L'Espérance, opposée au Désespoir;
La Générosité, opposée à l'Avarice.
78 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XV.
DÉTAILS DU PORCHE MÉRIDIONAL.
XIIIe SIÈCLE.
Voici des détails de la sculpture du porche du midi. Nous voyons
en haut, au milieu, une tiare papale: c'est celle de saint Grégoire le
Grand, dont la statue se voit sur une des planches précédentes. Telle
était, au xiue siècle, la coiffure donnée, dans les peintures et les sculp-
tures, aux papes. Us ne portaient pas encore, avons-nous dit, le tri-
règne qui a été employé au xivc siècle. Ces tiares primitives semblent
faites en osier.
De chaque côté de cette tiare est une mitre épiscopale , dont l'orfroi
est d'une richesse de broderie exécutée avec un grand soin et un goût
parfait.
Au-dessous sont trois livres dont la reliure est couverte d'ornements
d'un goût exquis. Le livre du milieu représente celui que Jésus-Christ
tient dans la main gauche. Dans les petits trous qui sont pratiqués en
plusieurs endroits, il y avait des incrustations de pierres de couleur ou
des émaux. Les deux autres livres, d'une dimension moins grande,
nous offrent des exemples de reliures d'une grande richesse. On com-
prend que ces sculptures imitent ces couvertures de livres que le
moyen âge exécutait avec un art très raffiné. C'étaient des lames de
métal travaillées au repoussé et garnies de cabochons et d'émaux qui
en faisaient des objets splendides, comme on en voit de rares exemples
dans quelques trésors ou dans les bibliothèques et les musées.
PLANCHE XVI. — PORCHE DU NORD. 79
PLANCHE XVI.
PORCHE DU NORD.
Cette belle gravure nous représente en perspective le porche dont
nous verrons l'ensemble dessiné en géométral dans les planches XVIII
et XIX.
Nous allons examiner et énumérer, en allant de gauche à droite,
les diverses parties de l'architecture qui sont sous nos yeux, et nommer
les statues dont elles sont enrichies.
A gauche le grand bâtiment, avec une fenêtre ornée de meneaux.
est la sacristie de la cathédrale; la petite porte qui est au bas conduit
dans les souterrains dont nous avons l'ait mention dans l'explication
des plans.
Viennent ensuite les trois arcades qui composent le porche.
La première, à gauche, étant fort en raccourci, ne laisse voir qu'une
très petite partie de ses voussures. C'est là que se trouvent les plus
extérieures, où sont les béatitudes célestes et les travaux manuels de
la vie active, comme nous le verrons à la planche XVIII.
L'arcade centrale qui suit permet d'apercevoir en entier les vous-
sures extrêmes du côté gauche; c'est une partie de l'histoire de la
création et les premières phases de la vie de l'homme, après que Dieu
l'eut placé dans le paradis terrestre.
Les deux grandes statues, du côté gauche de cette arcade centrale, sont
celles de Philippe, comte de Boulogne, et de la clame Mahaut, son épouse.
Ces deux statues sont reproduites en lithographie (planches XXII
et XXIII), d'après les dessins de M. Amaury Duval. Ici, nous voyons
quelle place occupent dans le porche ces deux personnes et comment
elles s'arrangent sur leur piédestal. Au-dessous, de petites statuettes
dans des arcatures élégantes représentent l'histoire de David.
Après ces statues, on en voit une du côté droit, mais elle nous tourne
80 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
le dos; c'est un Prophète dont le nom n'est pas indiqué et qui nous
est inconnu.
Nous arrivons maintenant à l'arcade de droite, et les sculptures dont
elle est garnie se présentent dans une dimension plus grande.
Nous voyons les deux cordons des voussures extérieures, où sont
sculptés les signes du zodiaque et les occupations mensuelles qui y
correspondent.
Plus bas, deux grandes statues, un roi et un prophète. Le personnage
royal est Ferdinand de Castille.
Ces deux statues offrent la même disposition que celles du comte de
Boulogne et de Mahaut. Les petits sujets au-dessous nous montrent
Dieu (personnage en pied), Abel, Cain, Juhal et Tubalcaïn.
En face de ces grandes figures, nous en voyons une autre du côté
droit qui se montre tout à fait de côté : c'est un Prophète; à côté de
lui il y en a une autre qu'on regrette de ne pas voir du tout, car
elle est fort importante : c'est saint Louis; nous en parlerons à la
planche XIX.
Plus à droite, la partie antérieure de cette gravure nous représente
parfaitement bien l'effet pittoresque et savant de ce morceau d'archi-
tecture. Le pilier angulaire que nous voyons en avant est d'une élé-
gance qu'on ne peut se lasser d'admirer. Les colonnettes, les statues, les
parties à jour, sont disposées avec infiniment de talent. C'est une con-
struction remplissant les conditions de construction solide et légère,
avec une grande perfection, et comme le porche tout entier, c'est un
sujet d'étude des plus importants pour l'histoire de l'architecture et de
la sculpture.
Les deux statues que nous voyons au premier plan sont celles de
saint Savinien et de sainte Modeste; elles ont été lithographiées en
grand, et nous les retrouverons à la planche XXL
Un peu plus à droite, nous apercevons en arrière, par-dessous la
plate-bande, les statues qui accompagnent la porte de droite, savoir :
Samson, la reine de Saba et Salomon, et au-dessus d'elles le commence-
ment des voussures qui encadrent la porte.
PLANCHE XVI. — PORCHE DU NORD. 81
Les motifs d'architecture qui s'offrent à notre étude sont fort inté-
ressants. On remarquera, à droite, une colonne cannelée qui contribue
au soutien de la plate-bande; c'est une chose rare au xme siècle, sur-
tout dans le nord de la France.
82 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XVII.
PORCHE DU NORD.
Cette vue perspective peut nous donner une idée suffisante de la
disposition architecturale de ce porche, que nous reverrons un peu plus
loin dessiné en géométral (voir planches XVIII et XIX).
Nous sommes sous la grande arcade centrale dont nous voyous, en
haut de la planche, la partie inférieure venant reposer sur une plate-
bande, disposition fort rare et peut-être unique dans les monuments
du xme siècle.
En haut, et à gauche, sont les dernières figures des voussures qui
encadrent la porte médiane. On y reconnaît des rois d'un arbre de Jessr
et des personnages de l'Ancien Testament.
Puis, nous dirigeant sur la droite, il faut remarquer an fragment,
de voûte visible ici. Il est décoré de cordons de figures assises, alter-
nant avec des bandes de petites arcades que l'on pourrait appeler, en
se servant des termes de l'architecture antique, des caissons ou com-
partiments.
Tout à fait à droite sont quelques-uns des sujets de la création qui
apparaissent dans les deux cordons extérieurs : nous y reconnaissons la
suite du péché de nos premiers parents; comment ils sont chassés du
paradis terrestre et comment Dieu les condamne à gagner leur pain
à la sueur de leur front.
Les grandes statues qui sont plus bas sont les suivantes :
A gauche, c'est le vieillard Siméon tenant dans ses bras l'Enfant Jésus.
Sous ses pieds, un homme accroupi.
Saint Jean-Bapliste. Il tient dans un disque un agneau triomphant
qui figure Jésus-Christ ressuscité; il le montre, en disant : t: Voici
l'agneau de Dieu , » etc. Sous ses pieds, un dragon ailé, image du démon
vaincu par le Messie.
PLANCHE XVII. — PORCHE DU NORD. 83
Saint Pierre. Revêtu du costume papal, il porte devant sa poitrine
le rational, ce qui est l'insigne du souverain pontife dans l'ancienne
loi, lequel était une figure prophétique du chef de l'Église ou du Pape.
Sous ses pieds, un rocher [Tu es Petrus, etc.).
Le prophète Elie. H a les pieds posés sur un char de flammes contre
lequel s'appuie son disciple Elisée qui reçoit le manteau que le pro-
phète lui abandonne.
Ces statues sont placées contre des colonnes dont le chapiteau est
accompagné d'un dais recouvrant les grands personnages, et reposent
sur des colonnes torses et des bases fortes et robustes.
Du côté droit, nous trouvons les statues suivantes :
Le grand prêtre Zacharie , que caractérise un encensoir.
Isabelle de France, fille de Louis VIII et de Blanche de Castille, ab-
besse et fondatrice de l'abbaye de Longchamp. Elle est en costume de
religieuse. La guimpe, le bandeau et le voile couvrent sa tête; elle
porte une longue robe et tient dans la main gauche le livre renfermant
la règle de son monastère.
Le roi Louis VIII, père de saint Louis, en costume royal.
Un prophète.
Ces statues surmontent des pilastres d'une forme singulière et qui
ne se rencontrent dans aucun autre monument. C'est une suite de mo-
tifs variés entourant à diverses hauteurs toute la partie inférieure de
ces piliers. Sur un soubassement polygonal reposent des bases à plu-
sieurs faces et cylindriques. Un de ces motifs est formé de petites
arcatures trilobées dans lesquelles sont des scènes de l'Ancien Testa-
ment.
Au-dessous du grand prêtre Zacharie et de la statue d'Isabelle est
représentée l'histoire de l'arche d'alliance lorsqu'elle fut prise par les
Philistins, et l'histoire de Samuel à qui Dieu prédit la mort d'Héli.
Ces sujets sont accompagnés d'inscriptions, maison ne saisit pas faci-
lement quel rapport ces sujets de l'Ancien Testament ont avec l'his-
toire moderne. Au moyen âge, la connaissance et l'usage perpétuel de
l'Ecriture donnaient occasion d'y faire de continuelles allusions.
8li MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
On aperçoit, par-dessous cette partie que nous venons de décrire,
une petite portion de l'arcade à droite du porche du nord et les deux
dernières statues qui sont à droite de la porte de cette même arcade :
c'est Judith et Gédéon.
PLANCHE XVIII. - ELEVATION DU PORCHE NORD. 85
PLANCHE XVIII.
ÉLÉVATION DU PORCHE NORD.
Cette planche représente en géométral le porche qui forme la partie
inférieure de la façade septentrionale, laquelle termine le transept
Nord.
C'est une œuvre splendide et l'une des plus helles pages que l'ar-
chitecture du moyen âge ait produites. La richesse de l'ornementation,
la quantité innombrable de statues de diverses dimensions, frappent
d'étonnement et excitent au plus haut degré l'admiration. Les pensées
pleines d'imagination et de poésie qui ont inspiré ces sculptures et leur
disposition nous montrent chez les auteurs de ce monument un génie
vaste et profond, soutenu par un enthousiasme que nous comprenons à
peine , tant il est au-dessus de nos idées actuelles , et que nous ne pouvons
voir sans en être émerveillés. Les noms de ces artistes prodigieux sont
tombés dans l'oubli, mais ce qu'ils ont inventé et créé existe encore et
attestera pendant bien des siècles leur mérite, leur science et leur con-
naissance des arts qu'ils ont élevés à un degré aussi supérieur. H n'y a
que les pensées religieuses rapprochant l'homme de la divinité qui
soient capables de le porter aussi haut et de le maintenir dans les
régions idéales de cette vie intellectuelle si féconde et si puissante.
Nous trouvons, représentée dans ces nombreuses sculptures, l'his-
toire abrégée du monde entier : sa création, l'œuvre des six jours, la
chute de l'homme et sa rédemption par le Messie, point capital de
notre religion. Les prophètes et les hérauts qui l'ont annoncé et figuré
dans l'ancienne loi sont ici présents. Nous voyons sa généalogie remon-
tant aux premiers âges du monde et la suite de ses ancêtres se suivant
de génération en génération et se terminant à la bienheureuse Marie,
Mère du Sauveur. Comme c'est à elle que l'église cathédrale est dé-
86 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
diée, les artistes du moyen âge lui ont donné ici la place la plus im-
portante, puisque son triomphe dans le ciel occupe le tympan de la
porte du milieu et attire immédiatement les yeux de celui qui va pé-
nétrer dans son temple.
Sur le trumeau de la porte centrale il y a une grande statue de
sainte Anne portant dans ses bras la Sainte Vierge encore enfant qui
tient dans ses mains le Livre de la loi. Au-dessous, un bas-relief mu-
tilé représentait Joachim auquel apparaissait un ange lui annonçant
la naissance de la Sainte Vierge.
Sur les côtés de cette porte médiane , on voit à gauche les statues
suivantes :
Melthisedech , roi de Salem, en costume sacerdotal. De la main
droite il tient un encensoir, et de la gauche, un calice et un pain
pour en faire offrande à Dieu, car il était prêtre du Très Haut, dit la
Genèse. (Cettestatue n'est pas visible sur notre planche; elle est cachée
derrière une autre.)
Abraham. 11 tient devant lui, debout, pieds et mains liés, son fils
Isaac et lève sa main armée d'un glaive pour immoler ce fils qu'il ai-
mait tant. Un ange placé au-dessus dans un dais arrête la main
d'Abraham. Sous ses pieds, dans le socle, on voit le bélier qui va être
immolé; il est embarrassé dans un buisson.
Moïse. Il est reconnaissable aux Tables de la loi qu'il supporte et au
serpent d'airain placé sur le sommet d'une colonne. Sous ses pieds est
le veau d'or.
Samuel. Vieillard vénérable à longue barbe; il tient un agneau et
le couteau avec lequel il va consommer le sacrifice. Sur le socle est
David enfant.
David, en costume royal, la tête couronnée et tenant en la main
droite une lance. Dans la main gauche, il tenait les instruments de
la passion du Sauveur à cause de ses prédictions sur ce douloureux
événement. Sur le socle est un lion.
Du côté droit, on voit les statues suivantes :
haïe tenant en main la fleur qui sortira de la tige de Jessé, comme
PLANCHE X.VIII. — ÉLÉVATION DU PORCHE NORD. S7
il est annoncé dans la prophétie : Et egredielur virga de radice Jesse et
flos de radice ejus ascendel. H tient aussi une banderole sur laquelle sont
les traces de cette inscription : Isaïas projeta.
Urémie portant dans la main droite l'image d'une croix environnée
d'un cercle richement sculpté, à cause de ses prophéties sur la passion
de Jésus-Christ. Sous ses pieds, un personnage qui doit être un de ses
bourreaux.
Siméon. Le saint, vieillard porte l'Enfant Jésus et le montre , en disant :
Ecce positus est hic, in ruinam et in resurrectionem mullorum in Israël.
Sous ses pieds, un bourreau probablement.
Saint Jean-Baptiste. Sa robe est faite d'une peau de chameau, les
poils en dehors; la ceinture est en cuir; sa barbe est longue; la figure
et toute la personne amaigries par les jeûnes. Il porte un disque sur
lequel est un agneau tenant dans une patte l'étendard de la résur-
rection; il le montre du doigt et semble dire : Ecce agnus Dei qui
lollit peccata mundi. Sous ses pieds, un dragon ailé figure le démon
vaincu.
Saint Pierre. Il est vêtu en pape; il porte sur la tête une tiare pointue
et sur la poitrine le rational comme le grand prêlre des Juifs. De son
bras droit pendent les deux clefs, symbole de son pouvoir, pour ouvrir
ou fermer les portes de la vie future. Sa main gauche soutient une
croix (aujourd'hui brisée) à longue hampe suivant l'usage du moyen
âge. Sous ses pieds, un rocher, allusion aux paroles de Jésus-Christ :
Tu es pierre et sur celte pierre je bâtirai mon église.
Un peu plus loin de la porte et du même côté est la statue à'Elie,
sous lequel on voit son char de flammes et son disciple Elisée recueil-
lant son manteau. La planche XVII nous a montré plusieurs des statues
que nous venons de décrire.
Ces deux statues sont cachées par les parties placées en avant de la
porte. On les voit sur la planche suivante (XX), dans la partie de la
gravure qui est à droite.
Les voussures qui encadrent cette porte se voient et se comprennent
mieux dans la planche suivante, à laquelle il faut recourir pour un rao-
88 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
ment1. Cette planche XX (marquée X V 1 1 1 par erreur) nous permet de
comprendre la disposition des voussures de la porte centrale. H y a cinq
cordons de ces voussures qui sont adhérents à la porte. Les autres
sont plus en dehors; nous en parlerons plus loin. Le premier cordon,
ou le plus intérieur, est formé par une suite d'anges superposés. Les
quatre autres sont ou des personnages de l'Ancien Testament qu'il
est impossible de préciser, ou plutôt des ancêtres de Jésus-Christ;
ils sont disposés dans des rinceaux comme pour former un arbre de
Jessé.
Le tympan au-dessus de la porte est divisé en deux parties super-
posées. Au bas et à gauche , on voit la Vierge sur son lit rendant son
âme à Dieu; Jésus son lils est présent; il est accompagné des douze
apôtres et de plusieurs anges. Au bas et à droite, la Vierge est dans
son tombeau; mais les anges descendant du ciel soulèvent son corps
posé sur un linceul et se disposent à l'enlever dans les cieux. A
l'étage supérieur, formant le tableau principal de cette porte, on voit
Jésus-Christ bénissant la Sainte Vierge assise sur un trône auprès de
celui de son divin Fils; elle porte sur la tête une couronne de reine,
Regina cœli, Regina angelorum, et se baisse par respect en recevant ces
témoignages de gloire. Des anges sont prosternés à ses côtés, d'autres
plus haut encensent cette scène de glorification, qui est encadrée par
une sorte d'édicule d'une architecture élégante.
Nous avons encore plusieurs choses importantes à noter sur cette
partie centrale du porche nord. Ce sont les deux rangées les plus exté-
rieures des voussures, les deux qui sont intermédiaires, et enfin les
groupes de grandes statues que nous laisserons pour le moment; nous
n'en parlerons que plus loin.
Les deux rangées intermédiaires (voir la planche XX) sont formées
1 II y a ici une erreur dans la table des dont on a retranché les piliers et les statues
planches : la planche marquée XVIII doit qui sont en avant. Ces deux dessins ont in-
ètre la planche XX. Elle contient deux des- duit en erreur pour la notation des planches,
sins : i° une coupe du porche nord; a" une La planche XVIII n'existe pas.
élévation de la partie droite de ce porche,
PLANCHE XVIII. — ÉLÉVATION DU PORCHE NORD. 89
chacune de vingt-deux statuettes assises tenant des banderoles et sem-
blant chanter les louanges de Marie.
Les deux derniers cordons (les plus extérieurs) de la grande ogive
centrale représentent l'histoire de la création. Les sujets sont au nombre
de dix-huit :
i° La création du ciel et de la terre. — 20 La création du jour et
de la nuit. Le jour est un jeune homme tenant une torche enflammée;
la nuit est une femme tenant un croissant. — 3° Création du firma-
ment et des anges. — U° Création des plantes. — 5° Création des
astres. — 6° Création des poissons et des oiseaux. — 70 Création des
quadrupèdes. — 8° Création du paradis terrestre. — 90 Création
d'Adam.
Vient ensuite l'histoire d'Adam et d'Eve :
i° Adam considère les animaux de la terre, auxquels il impose des
noms. — 20 Les quatre fleuves du paradis terrestre personnifiés, te-
nant leurs urnes d'où sortent des ondes. — 3° Dieu, tenant un livre,
place Adam dans le paradis terrestre. — h° Création de la femme.
Adam est endormi ; Dieu lui ôte une côte et tient la femme par la main.
— 5° Adam et Eve près de l'arbre de la science du bien et du mal :
c'est un pommier couvert de fruits. Le serpent enlacé dans l'arbre
présente un fruit à Eve , qui l'accepte et en offre à son mari. — 6° Dieu
debout appelle Adam , mais celui-ci se cache sous un arbre avec sa
femme. — 70 Ils sont devant Dieu, cachant leur nudité avec des
feuilles. Dieu semble les réprimander ; ils se disculpent et accusent le
serpent. — 8° Un ange armé d'un glaive chasse Adam et Eve du pa-
radis terrestre. — 90 Dieu condamne nos premiers parents à gagner
leur pain à la sueur de leur front. Adam bêche la terre; Eve file avec
une quenouille.
Le grand fronton, ou pignon du milieu, contient au sommet le Père
éternel donnant sa bénédiction à toutes les personnes et à toutes les
choses contenues dans la porte centrale tout entière. Des anges l'en-
censent.
Passons maintenant à la droite de la porte. Les grandes statues qui
90 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
sont à gauche sont les suivantes (on les voit mieux sur la planche XX
que sur la planche XIX ) :
Samson. C'est l'un des personnages de l'Ancien Testament qui figure
et symbolise le Sauveur. Au-dessous est un âne, pour rappeler que
c'est avec une mâchoire d'âne que Samson tua mille Philistins.
La Reine de Saba. Son costume est riche et élégant. Sous ses pieds,
un esclave nègre porte un vase et un sac rempli de pièces de monnaie.
Salomon. Est aussi une figure de Jésus. Il en rappelle la sagesse et
la puissance. Au-dessous de ses pieds, un personnage fantastique et gro-
tesque : c'est la folie opposée à la sagesse.
De l'autre côté de la porte, c'est-à-dire à droite, il y a les statues
suivantes :
Jésus, fils de Sirach. C'est l'auteur de l'Ecclésiastique. Il tient une ban-
derole sur laquelle on lisait encore au siècle dernier : IHS FILIVS
SYRAG. Ce personnage est regardé comme une figure de Jésus-
Christ. Au-dessous de ses pieds on voit un maçon ou un architecte
tenant un fil à plomb et placé sur un petit temple en construction, par
allusion à un autre Jésus, fils de Josedec, qui rebâtit la maison du
Seigneur et releva son saint temple.
Judith. Elle fut la libératrice du peuple d'Israël, comme le Sauveur
a été le libérateur et le rédempteur des hommes. Elle est couronnée
comme une reine. Sous ses pieds est un chien, symbole de la fidélité,
ou par allusion à quelque fait que nous ne connaissons pas.
Gédéon. Homme jeune, portant les insignes de l'autorité suprême.
Il fut juge du peuple de Dieu, et figure aussi le Christ. Sous ses pieds,
un dragon parle à l'oreille d'une femme qui semble écouter ses mau-
vais conseils.
Le bas du tympan de cette porte représente la scène du jugement
de Salomon, exprimée avec un talent et un naturel que l'on ne saurait
trop admirer, et que nos deux planches donnent dans des dimensions
qui ne permettent pas de l'apprécier.
Au-dessus est Job, étendu sur son fumier, représenté avec vérité
conformément aux expressions du texte sacré. . . Satan. . . percussit Job
PLANCHE XVIII. — ÉLÉVATION DU PORCHE NORD. 91
ulcère pessimo a planta pedis usque ad verlicem ejus, qui testa saniem ra-
debat sedens in sterquilinio. On voit sa peau, couverte de pustules ou
d'ulcères, qu'il racle avec un tesson, et Satan met ses griffes sur la tête
et sous les pieds de sa victime. La femme et les amis de Job sont là lui
adressant leurs reproches.
Au-dessus, dans la partie supérieure du tympan, Dieu apparaît dans
les nuages tenant une banderole et une palme; deux anges sont à ses
côtés.
Les voussures qui encadrent ce tympan sont composées de scènes
ayant rapport à l'histoire de Samson et de Gédéon, types figuratifs
de Jésus-Christ. On y trouve aussi divers traits de la vie d'Esther, de
Judith et de Tobie, qu'il est impossible de distinguer dans cette gra-
vure, où ces sculptures sont peu visibles.
Le cordon le plus intérieur est formé par une suite d'anges placés
les uns au-dessus des autres.
Sur l'extrémité la plus extérieure du porche il y a encore une vous-
sure sur laquelle sont représentés les signes du zodiaque et les tra-
vaux ou occupations des mois de l'année. Nous avons exposé, dans une
des planches de la façade occidentale, quelle était la signification de
ces représentations zodiacales et quelles étaient les idées qu'elles de-
vaient inspirer aux chrétiens. Il est inutile d'y revenir en ce moment.
Nous ferons remarquer seulement que les signes que nous voyons ici
sont placés : à gauche, au-dessous de l'Hiver; à droite, au-dessus de
l'Eté. L'Automne et le Printemps n'ont pas été figurés.
Nous allons nous transporter maintenant à la porte de gauche de
ce porche septentrional.
Les grandes statues qui accompagnent la porte sont, à gauche :
haïe. Il tient une banderole sur laquelle on lit : Esaias prophâ. H pré-
dit que la Vierge enfantera un fils. Sous ses pieds un dragon, image
du démon que le Christ doit vaincre par son arrivée dans le monde.
L'archange Gabriel. Il prononce la salutation angélique en se tour-
nant vers la Sainte Vierge ; sa tête est brisée. Sous le socle est un démon ,
ange de ténèbres opposé à l'ange de lumière.
92 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
La Vierge Marie. Elle écoute les paroles de l'ange Gabriel, et par son
consentement va devenir la mère du Sauveur des hommes et parti-
ciper au grand mystère de l'incarnation. Sous ses pieds, un serpent,
enlacé sur un pommier couvert de feuilles et de fruits, rappelle la
chute d'Eve dans le paradis terrestre, que doit réparer Marie, la nou-
velle Eve.
A droite, sont les statues suivantes :
La Sainte Vierge et sainte Elisabeth formant un groupe qui représente
la Visitation. Sous la Vierge est l'image du buisson ardent, et sous
sa cousine Elisabeth, un individu verse de l'eau dans une urne; il peut
avoir rapport aussi à la Sainte Vierge, et fait penser au miracle de
Gana.
La troisième statue est un Prophète dont le nom n'est plus lisible.
Sous ses pieds, un dragon ailé, qui peut indiquer que le prophète est
Daniel.
Ces trois personnages se voient en grand sur la gravure, planche XXI.
Le tympan au-dessus de la porte est divisé en deux parties. Au
bas : la Nativité et l'Annonciation aux bergers. Le bas-relief placé
plus haut représente l'Adoration des Mages, à gauche; et à droite, les
Mages avertis en songe par un ange de s'en retourner par un autre
chemin. Au sommet de l'ogive, l'étoile miraculeuse et des anges.
Dans les voussures qui encadrent cette porte on a sculpté des anges,
puis les vierges sages et les vierges folles avec leurs lampes ; les vertus
foulant aux pieds les vices; ce sont : la prudence ou la sagesse écrasant la
folie, la justice opposée à l'injustice, la force opposée à la lâcheté, la
chasteté et la luxure, Y humilité et Yorgueil, la générosité et Y avarice, Yes-
pérance et le désespoir, la foi foulant aux pieds Y incrédulité.
La voussure suivante, suivant l'abbé Bulteau, représente les douze
fruits du Saint-Esprit qui ont orné l'âme de Marie et qui sont, suivant
saint Paul : la charité, la joie, la paix, la patience, la longanimité, Y hu-
milité, la honte, la douceur, Infidélité, la modestie, la continence et la chas-
teté.
Sur une autre voussure on a représenté d'un côté les travaux ma-
PLANCHE XVIII. — ÉLÉVATION DU PORCHE NORD. 93
nuels et de l'autre les travaux de l'esprit, ou la vie active et la vie con-
templative, qui étaient personnifiées et représentées en grandes statues
à l'entrée de l'arcade placée en avant de cette porte, à gauche.
Enfin, le dernier cordon, celui qui est tout à fait en avant et en de-
hors des autres, représente une suite fort intéressante de statuettes qui
ont été décrites et interprétées par Mme d'Ayzac. Elles personnifient les
béatitudes célestes, c'est-à-dire les joies spirituelles et corporelles dont les
justes seront comblés dans la vie future. Plusieurs auteurs anciens les
ont décrites et exposées dans des traités spéciaux. Saint Anselme, saint
Thomas et Vincent de Beauvais en ont fait mention d'une manière spé-
ciale. Les peintres et les sculpteurs les font paraître dans leurs œuvres,
et nous les trouvons ici avec leurs attributs et leurs noms.
i° La première béatitude est la Beauté, Pulcriludo. Elle tenait un
étendard de la main droite; sa main gauche s'appuie sur un bouclier
sur lequel sont quatre roses largement épanouies.
2° La Liberté, Libertas. Main droite brisée; deux couronnes sur son
écu.
3° L'Honneur, Honor, Main droite manque; deux mitres sur son
bouclier.
U° C'est la Joie céleste, Gaudium. Sur son bouclier, un ange sortant
d'un nuage et tenant un livre.
5° La Volupté, Voluptas. Sur son bouclier, un ange tenant un en-
censoir.
6° La Vélocité, Velocitas. Sur son bouclier, trois flèches sifflent en
abîme suivant le langage héraldique.
7° La Force, Forlitudo. Sur son bouclier, un lion.
8° La Concorde, Concordia. Sur son bouclier, deux couples de co-
lombes.
9° L'Amitié, Amicitia. Sur son bouclier on voit aussi deux couples
d'oiseaux.
î o° La Longévité, Longevitas. Sur son écu , un aigle tenant un sceptre
dans ses griffes.
il" la Puissance, Polentia. Sur son écu, trois sceptres fleuronnés.
94 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
1 2° La Santé, Sanilas. Sur son bouclier, trois poissons. Mmc d'Ayzac
cile le proverbe : Sain comme un poisson, comme pouvant avoir donné
l'idée de le prendre pour symbole de la Santé.
1 3° La Sécurité, Securitas. Sur son écu , un château fort.
ih° La Sagesse, Sapientia. Un dragon est sur son bouclier. Le dra-
gon, au moyen âge et dans l'antiquité, a plusieurs sens. On peut sup-
poser qu'il garde avec vigilance les trésors de la Sagesse, qu'on ne peut
acquérir qu'avec des peines et des travaux pénibles.
Sous le cordon se trouvaient autrefois deux grandes statues : la Sy-
nagogue et l'Eglise, accompagnant celles citées plus haut : la Vie active
et la Vie contemplative. Les piédestaux de ces quatre statues nous re-
présentent encore une fois la série des vertus terrassant des vices,
personnifiés, les vertus par de petites statuettes et les vices par des
animaux.
Les piliers isolés placés en avant de ce porche, comme on le voit
dans la planche XX, sont ornés de grandes statues représentant des
princes et des princesses dont la générosité a contribué à faire élever
ce porche magnifique. Dans les vitraux de la cathédrale on retrouve
plusieurs de ces grands personnages, avec leurs armoiries, ce qui per-
met de les désigner par leurs noms. Au-dessous de ces statues sont
des scènes' de héros de l'Ancien Testament auxquels on les a assimilés ,
à cause de leurs hauts faits ou de leurs vertus. A la base centrale
nous trouvons, en commençant par la gauche :
i° Philippe comte de Boulogne, oncle de saint Louis;
2° Mahaut, comtesse de Boulogne, près de son époux.
(Ces deux figures ont été reproduites en lithographie, planches XXIJ
et XXII bis.)
PLANCHE XIX. —COUPE DU PORCHE NORD. 95
PLANCHE XIX.
COUPE DU PORCHE NORD.
Nous plaçons sous le n° XIX la planche qui contient à gauche une
coupe du porche nord, prise dans l'axe d'avant en arrière, et à droite
une coupe transversale de la moitié de ce même porche.
Nous allons énumérer simplement les diverses parties que ces
coupes nous permettent de voir et que nous avons déjà indiquées pour
la plupart dans la planche précédente. Nous comprendrons mieux, par
ces répétitions, la place occupée par chacune des statues.
Tout à fait à gauche, nous voyons une partie de l'intérieur de la
cathédrale. Vient ensuite la coupe du porche, suivant son axe, ce qui
nous permet d'en voir, en allant de gauche à droite , les diverses par-
lies, qui se suivent dans l'ordre suivant :
i° Les cinq voussures de la porte médiane : la première est occupée
par des anges; la seconde, par des personnages de l'Ancien Testament;
la troisième et la quatrième, par les ancêtres de Jésus-Christ, disposés
dans des rinceaux et formant un arbre de Jessé; la cinquième est oc-
cupée par une nouvelle série de personnages de l'Ancien Testament.
2° La voûte médiane du porche reposant sur un appareil en plate-
bande. Elle est ornée de caissons ou compartiments interrompus par
deux cordons de figurines assises, qui n'ont aucun attribut pouvant
les faire reconnaître; puis, tout à fait à droite, deux autres cordons ou
voussures, représentation de l'œuvre des six jours, la faute d'Adam, etc.
3° Au-dessous, la statue de sainte Anne sur le trumeau (vue en
coupe); puis les statues du côté de la porte, savoir : Isaïe, Jérémie,
le vieillard Siméon, saint Jean-Baptiste et saint Pierre, en pape.
h° Un premier pilier portant les statues d'Isabelle et du grand
prêtre Zacharie.
5° Tout à fait à droite, les statues de Louis VIII et d'un prophète.
96 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
Sur le côté droit de la même planche il y a une coupe transversale
du porche nord. Nous y voyons une seconde fois les sculptures et les
statues que nous avons examinées ailleurs.
A gauche, c'est la moitié de la porte centrale. Son tympan et ses
voussures sont coupés par la moitié, et ses statues se présentent sous
un autre aspect, mais la statue du prophète Elie paraît ici en son
entier.
A droite, la porte de gauche du même porche, avec son tympan,
ses voussures et ses statues que nous avons décrits dans les planches
précédentes.
Tous les accessoires des bases et des colonnes supportant les statues
sont dessinés ici de manière à pouvoir s'en rendre compte complète-
ment. Les colonnes cannelées sur lesquelles j'ai attiré l'attention sont
aussi très visibles.
PLANCHE XX.
Dans la table in-folio elle porte ce titre : Porche Nord (Elévation). C'est
une erreur. Parmi les planches de la Monographie il n'y en a aucune
qui réponde à cette indication.
PLANCHE XXI. — PORCHE DU NORD 97
PLANCHE XXI.
PORCHE DU NORD.
GROUPE DE LA VISITATION.
La porte à gauche du porche septentrional est accompagnée de six
grandes statues (trois de chaque côté).
A gauche, elles représentent l'Annonciation; on y voit: i° l'archange
Gabriel annonçant à Marie qu'elle sera la mère du Sauveur des
hommes; a0 la Sainte Vierge acceptant cette mission divine; 3° Isaïe,
qui prophétisa ce mystère: on lit son nom , Isaias prophâ.
A droite, nous voyons les trois statues qui font face aux précédentes.
C'est la Visitation. La Sainte Vierge vient trouver sa cousine Elisabeth.
Ces deux grandes statues paraissent vivantes et sont pleines d'expres-
sion : elles semblent converser entre elles. La troisième est celle d'un
prophète; aucun signe ne le caractérise, et son nom, qui se lisait au-
trefois sur la banderole qu'il tient entre ses mains, n'est plus lisible.
Sous les pieds de la Sainte Vierge est le buisson ardent figurant,
suivant les anciens commentaires, la virginité de Marie; car, de même
que ce buisson était entouré de flammes sans en ressentir l'ardeur et
sans être consumé, de même Marie devait enfanter sans cesser d'être
vierge. Sous les pieds de sainte Elisabeth un homme remplit une
cuve avec de l'eau, et sous le prophète un dragon ailé figure comme
à l'ordinaire le démon foulé aux pieds et vaincu par l'arrivée du
Messie.
On remarquera les chapiteaux et les dais qui surmontent ces person-
nages; ils montrent combien sont variés les motifs employés par les
sculpteurs du xme siècle. Plusieurs de ces chapiteaux offrent de petits
personnages au milieu des feuillages entourant cette partie; c'est une
chose assez rare au xme siècle.
i3
98 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XXII1.
PORCHE DU NORD.
GROUPE.
Ces deux belles statues ont été dessinées avec beaucoup de soin
par M. Amaury Duval , et reproduites en lithographie avec une scru-
puleuse exactitude.
La première représente (suivant les descriptions anciennes complé-
tées par M. l'abbé Bulteau) Philippe kHurepel, comte de Boulogne-sur-
Mer, fils de Philippe -Auguste et d'Agnès de Méranie, frère de
Louis VIII et oncle de saint Louis, mort en 1233 et enterré à Saint-
Denis. Bon .et faible, il se laissa mettre, en 1227, à la tête des mécon-
tents : ff Et pour ce li baron de France -n, dit le sire de Joinville,
revirent le roy enfant et la royne, sa mère, femme estrange, firent-ils
d'un comte de Bouloingne, qui estoit oncles le roy, lour chièvetain
(leur chef) et le tenoient aussi comme pour signour2. u
Philippe est vêtu fort simplement : il porte une cotte ou tunique et
un manteau. Sa main gauche tient un sceptre, et sa droite, placée
contre la poitrine, est un peu mutilée et incomplète.
Sa femme, la comtesse de Boulogne, est Mahaut, fille de Renaud
de Dammartin. Cette statue est magnifique et d'un naturel plein de
vie. Il faut remarquer la noble simplicité de son costume et la sou-
plesse des étoffes de sa robe et de son manteau. Elle porte une coiffure
particulière aux femmes nobles du xme siècle et qu'on retrouve plu-
sieurs fois dans les vitraux de la cathédrale. Sa main gauche relève les
plis de sa robe, et la droite, suivant une mode que les sculpteurs du
xinc siècle ont suivie , a un doigt passé dans le cordon de son manteau.
1 Elle porte en petits caractères le n" XXVI. — s Natalis de Wailly, Histoire de saint
Louis.
PLANCHE XXII»". — PORCHE DU NORD. 99
PLANCHE XXIPS1.
PORCHE DU NOBD.
GROUPE.
C'est la partie inférieure de la planche précédente. Elle nous donne
dans des proportions assez grandes les détails singuliers des bases
et supports des deux statues que nous venons d'examiner. Au-dessus
d'un soubassement posant sur le sol, et dont on ne voit ici que la partie
haute , il y a une partie présentant les faces d'un polygone irrégulier. Sur
ce polygone s'appuient les deux colonnes contre lesquelles se soudent
plus haut les statues du comte et de la comtesse de Boulogne. Elles com-
mencent par une base garnie de pattes, sur laquelle repose sans aucun
intermédiaire un chapiteau, lequel à son tour supporte une sorte d'édi-
cule circulaire entouré de colonnettes sur lesquelles sont des arcs trilobés.
Entre ces colonnettes sont de petites statues (ici elles représentent des
scènes de la jeunesse de David). Cet édicule est recouvert par un toit à
cannelures d'où sort une partie cylindrique ornée de moulures et de
petites cavités de diverses formes et surmontée de grosses côtes en
spirales et très saillantes ; puis vient au-dessus de ces divers membres
d'ornementation un dernier chapiteau garni de deux rangs de feuilles ,
les unes profondément découpées, les autres en forme de crochets.
Ces ornements, se superposant et se succédant avec une liberté pleine
de fantaisie et de caprice, forment, sous nos belles statues, les supports
les plus originaux qu'on puisse imaginer. Nous avons là une nouvelle
preuve de la fécondité et de la variété extraordinaires du génie des
architectes et des sculpteurs du xmc siècle.
' Elle porte en petits caractères le n° XXIII.
i3.
100 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XXIII.
PORCHE DU NORD.
GROUPE DE SAINT SAVINIEN ET SAINTE MODESTE.
Ces deux statues rappellent au peuple chartrain les anciennes tra-
ditions qui avaient cours au moyen âge sur l'origine du christianisme
dans leur pays. Les légendes locales leur apprenaient en effet que dès
le icr siècle saint Potentien, saint Savinien et saint Altin avaient été
envoyés de Rome par saint Pierre pour évangéliser cette partie de la
Gaule. Après avoir répandu la lumière de l'Evangile à Sens et à
Orléans, ils étaient venus à Chartres, où ils consacrèrent au vrai Dieu,
sous l'invocation de la sainte Vierge, la première église chrétienne.
«Le nombre des adeptes de cette nouvelle religion étant devenu fort
grand, l'empereur Glaudius fit un édit contre les chrétiens. Cet édit
ayant été envoyé à Quirinus, président ou gouverneur de la province
chartraine, par l'Empereur susdit, il se mit incontinent à persécuter
lesdits saints martyrs, les ayant surpris dans la grotte où ils faisaient
leur sacrifice. . . La rage fut grande, puisque ce gouverneur n'épar-
gna pas sa propre fille convertie à la foi, et appelée Modeste par les
archives de la susdite église. Si la rage fut grande et l'impétuosité
véhémente, le procès fut court et l'exécution prompte et précipitée;
car il fit massacrer sa fille avec beaucoup d'autres de l'un et l'autre
sexe, forts et fermes en leur foi, et furent leurs corps jetés dans le
puits attenant à l'autel de la Vierge qui toujours depuis en a été
nommé le puits des Saints forts l.n
La statue à gauche représente saint Savinien en vêtements ponti-
ficaux et la mitre en tête. Sa main droite est brisée; la main gauche
tenait une crosse qui n'existe plus aujourd'hui. Au-dessous de ses
' Sébastien Roullinrd ; Parthénie, I, 118.
PLANCHE XXIII. — PORCHE DU MORD. 101
pieds, de petites statuettes rappellent des scènes de sa mission dans les
Gaules. On voit en avant saint Savinien administrant le baptême à
Victorin, qui est plongé dans la cuve baptismale. Un acolyte est à
droite.
La seconde statue (adroite) est celle de sainte Modeste. Elle porte
une robe longue et tort simple, un manteau et un voile qui laisse aper-
cevoir ses cheveux flottants sur les épaules ; sa main droite a le geste
de l'étonnement et la main gauche relève son manteau et tient un
livre. Elle semble écouter le saint évêque Savinien. Au-dessous de ses
pieds, la sainte est représentée jetée dans le puits des Saints forts
et deux anges élevant au ciel son âme sous la forme d'une petite
figure nue.
Les dais qui surmontent ces deux admirables statues, ainsi que les
feuillages des chapiteaux et autres parties de ce fragment d'architec-
ture, méritent d'être étudiés avec soin. Nous avons là un des meilleurs
exemples de la statuaire au xme siècle.
102 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XXIV.
PLANS DU VIEUX CLOCHER.
Le plan marqué n° i sur la gravure est le rez-de-chaussée du vieux
clocher.
Les deux ouvertures en avant sont les deux fenêtres que nous voyons
sur la façade.
Du côté gauche sont les baies ou arcades qui donnent aujourd'hui
dans la nef; primitivement elles donnaient dans le porche de la façade
occidentale.
Du côté droit, entre les trois contreforts, il y a deux parties en
retraite. La plus éloignée est une maçonnerie pleine ; celle qui est en
avant est percée par une arcade qui donnait accès dans cette partie
du clocher. Elle est murée par des matériaux de petites dimensions,
et c'est par erreur que cette porte n'est point indiquée sur notre planche.
Le côté opposé à la façade contient l'escalier donnant dans l'é-
glise; la partie à droite est extérieure, et dans l'angle rentrant qui se
trouve en cet endroit on a découvert il y a peu de temps, en arra-
chant quelques pierres ajoutées après coup, des indices qui donne-
raient à penser que cette belle pyramide ne touchait peut-être pas à
l'église du xne siècle et qu'elle en était séparée, ainsi que cela a lieu pour
le clocher de l'église de la Trinité, à Vendôme.
Le plan marqué n° 2 est le premier étage de notre clocher. Les
ouvertures qui sont en avant et à droite indiquent les fenêtres telles
que nous les voyons sur la façade occidentale et la façade méridio-
nale. Les deux ouvertures à gauche étaient primitivement aussi des
fenêtres donnant au dehors; aujourd'hui elles donnent dans l'intérieur
de la nef. Le côté opposé à la façade nous montre la suite de l'esca-
lier et le commencement de la balustrade au bas du toit des bas
côtés, ainsi qu'une porte conduisant sous les combles de ces bas côtés.
PLANCHE XXIV. — PLANS DU VIEUX CLOCHER. 103
Le plan marqué n° 3 est l'étage au-dessus du précédent. En avant
et à droite sont les fenêtres que nous voyons aussi dans les façades
occidentale et méridionale. Le côté gauche contient un petit escalier
qui conduit sur les combles de la grande toiture, et la face extérieure
du clocher à ce même niveau se trouve noyée dans les constructions
du xuie siècle ajoutées pour allonger la nef, ainsi que nous l'avons
dit plus haut.
La face postérieure de cet étage contient un petit réduit, causé par
les adjonctions dont nous venons de parler, et la fin de l'escalier du
clocher vieux qui finit ici; car, à partir de cet étage, le clocher et la
pyramide jusqu'à son sommet sont entièrement vides et ne contiennent
ni enrayement ni accessoire d'aucune sorte.
11 y a aussi une fenêtre percée sur le côté droit de cette face.
Le plan n° h est une coupe horizontale de cette partie du clocher,
là où commencent ces grandes lucarnes garnies de frontons et de clo-
chetons, comme nous l'apercevons sur les élévations de la flèche du
clocher vieux dans les planches où sont données les façades occiden-
tale et méridionale.
104 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XXV.
PLANS ET DÉTAILS DU VIEUX CLOCHER.
Nous voyons sur cette planche deux autres plans ou plutôt deux
tranches horizontales du clocher vieux. L'une de ces coupes horizon-
tales est prise près du sommet des grandes lucarnes, et l'autre, à la
hauteur des fenêtres percées dans chacun des pignons sur les quatre
faces principales. Il faut faire ici une remarque importante. Les côtés
de la base de la pyramide ne sont pas égaux et, par suite, les faces de
l'octogone sont de dimensions différentes ainsi que l'inclinaison de ces
faces. Il en résulte une singulière déformation dans toute la flèche.
Malgré leur grande habileté, les architectes du xnc siècle n'ont pas su
éviter la difficulté qui se présentait à eux, et toute la partie moyenne
de la pyramide est irrégulière. Du bas du clocher, on s'aperçoit que
les arêtes du clocher ne sont pas rectilignes, urais présentent un certain
angle dans la partie supérieure , les appareilleurs ayant rectifié et
redressé le sommet afin de le rendre plus régulier.
Cette planche contient aussi une coupe perpendiculaire de l'une
des grandes lucarnes et les profils de diverses moulures et colonnes
engagées dans les parties hautes du même clocher1.
1 11 ne sera pas inutile de consulter ici André Féhbien , etc., publies par M. A. de
les renseignements donnés par Félibien. Montaiglon pour la Société de l'histoire de
Voir : Mémoires pour servir à l'histoire des l'art français, année 187 4, p. 81.
maisons royalles et baslimeus de France , par
PLANCHE XXVI. — DETAILS DU VIEUX CLOCHER. 105
PLANCHE XXVI.
DÉTAILS DU VIEUX CLOCHER.
Les chapiteaux représentés ici sont pris à différentes hauteurs de
notre vieux clocher. Us sont tous variés et composés avec goût. Hs nous
montrent la fécondité d'imagination dont les artistes de cette époque
étaient doués. On remarquera qu'ils conservent une certaine ressem-
blance avec ceux de l'architecture romaine. Plusieurs feuilles rappel-
lent l'acanthe antique, et la volute à plusieurs circonvolutions s'y montre
en plusieurs endroits.
i4
106
MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XXVII.
DETAILS DU VIEUX CLOCHER.
Cette planche renferme des fragments de construction et d'orne-
mentation. On y voit les soubassements du vieux clocher, ainsi que
des bases et des chapiteaux , puis des modillons et des profils de mou-
lures et de corniches. Tous ces détails appartiennent au xue siècle et
sont empreints de ce caractère simple et grandiose qui caractérise
cette belle époque de l'architecture en France.
PLANCHE XXVIII. — DETAILS DU VIEUX CLOCHER. 107
PLANCHE XXVIII.
DÉTAILS DU VIEUX CLOCHER.
Nous voyons ici une collection de têtes fantastiques formant des
gargouilles ou des modillons, décorant la base de la pyramide du clo-
cher vieux; elles sont remarquables par leur caractère d'énergique
sauvagerie et semblent vivantes. On remarquera aussi deux chapiteaux
à feuillage ingénieusement disposé, et des moulures ornées de cavités en
forme de tètes de clous, accompagnées de rangées de dents de scie,
ornements simples et faciles à exécuter, mais dont l'effet est toujours
heureux.
On trouve encore sur cette planche la copie d'une inscription
placée sur l'épaisseur d'une des fenêtres des lucarnes, à la base du
clocher vieux, en face du clocher neuf. Ainsi qu'on peut le voir, cette
courte inscription nous donne, en lettres de forme romaine, le nom
d'un certain HARMANDV et la date de 116& en chiffres arabes.
Est-ce le nom d'un des maîtres de l'œuvre, et l'indice que le clocher
était arrivé à cette hauteur en l'année indiquée en ce lieu ? Au mo-
ment où ces inscriptions furent signalées on crut avoir fait une intéres-
sante découverte; mais une observation plus attentive et surtout l'opi-
nion des paléographes ne permettent pas d'admettre que ce nom
d'Harmandus, grossièrement gravé sur la pierre, ni que cette date de
11 6k d'une lecture douteuse, puissent être acceptés avec certitude.
L'emploi des chiffres arabes est à noter. Quoiqu'ils ne fussent pas
usuels à celte époque , ils étaient cependant connus. M. Michel Chasles,
de l'Académie des sciences, admet le fait, comme on peut le voir
dans ses travaux insérés dans les Mémoires de l'Académie des sciences.
ik.
108 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XXIX.
DÉTAILS DU VIEUX CLOCHER.
ORNEMENTS DIVERS.
Ce sont des têtes de monstres, des sommets et couronnements de
pinacles remarquables par leur originalité, des fragments des cordons
qui régnent sur les angles de la flèche ou sur le milieu des faces.
Ces êtres imaginaires et bizarres sont pleins d'expression et de vie.
PLANCHE XXX. — CHAPITEAUX DU CLOCHEP. NEUF. 109
PLANCHE XXX.
CHAPITEAUX DU CLOCHER NEUF.
On a réuni sur cette planche plusieurs groupes de chapiteaux du
xuc siècle, provenant de la partie ancienne du clocher neuf. On y trouve
encore la feuille d'acanthe peu altérée, persistance des traditions an-
tiques. La volute n'est pas complètement abandonnée; seulement elle
s'éloigne de la forme que lui donnait la sculpture romaine. Le sol
chartrain et ses environs devaient offrir au xne siècle de nombreux
fragments d'architecture antique dont les sculpteurs des églises ne
pouvaient manquer de s'inspirer.
HO MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XXXI.
DÉTAILS DU CLOCHER NEUF.
A gauche, et en haut de cette planche, est le plan du clocher neuf
pris à l'étage qui est au niveau de la galerie des Rois. Ce plan offre
la coupe des piliers prise à deux hauteurs différentes, comme l'in-
diquent les deux teintes de la gravure.
L'escalier que nous voyons en avant est celui qui conduit depuis
le tas du clocher jusqu'à la hase de la pyramide, comme on le voit
sur la planche XXXV, représentant la coupe longitudinale de la cathé-
drale.
L'autre escalier, en haut et à gauche, conduit de ce même étage
à la balustrade qui se voit sous la galerie des Rois.
Au-dessous de ce plan, il y a un détail à une plus grande échelle
de la pile marquée A. C'est l'un des quatre pilastres qui sont aux angles.
Ils sont tous les quatre semblables. Ce sont des constructions de la fin
du xme siècle, modifiées au xivc.
Le côté droit de la même planche est occupé par un plan de l'étage
au-dessus du précédent; il fait partie de la construction de Jean de
Beauce (xve siècle). Nous y voyons les huit piliers qui supportent la py-
ramide, et les quatre pilastres sur lesquels s'appuient les arcs-boutants
qui vont s'appliquer plus haut contre cette pyramide afin de la ren-
forcer.
L'escalier fait suite à celui que nous avons vu sur l'autre plan. En
avant, l'on voit à une échelle plus grande les détails d'un des huit
piliers de la pyramide et de l'un des quatre pilastres qui occupent les
angles de la partie carrée du clocher.
PLANCHE XXXII. — DETAILS DU CLOCHER NEUF. 111
PLANCHE XXXII.
DÉTAILS DU CLOCHER NEUF.
Ce sont les deux derniers étages du clocher neuf qui sont ici repré-
sentés.
A gauche, c'est l'étage qui passe derrière les gables de ces pignons
à jour qui surmontent les huit fenêtres ou arcades supportées par les
huit piliers que nous avons vus dans la planche précédente, à droite.
A cette hauteur, la construction forme une retraite et la pyramide de-
vient plus étroite. La partie extérieure de cet étage forme une petite
galerie qui permet de circuler tout autour du noyau rétréci de la py-
ramide. On voit en dehors le haut de l'escalier du clocher, et en dedans,
un autre escalier qui conduit à l'étage où se trouve le timbre de l'hor-
loge.
Au-devant de ce plan, et sur les côtés, sont des détails, à une échelle
plus importante, de diverses parties de la construction de ce même
étage.
Sur la droite de la planche est le plan, ou plutôt la coupe hori-
zontale, de la lanterne de l'étage supérieur à jour, que l'on aperçoit
dans la grande façade occidentale. En décrivant cette façade, nous
avons fait remarquer qu'à sa partie supérieure, immédiatement au-
dessous de la flèche terminale, il y a un espace où se trouve sus-
pendu le timbre de l'horloge; c'est cette partie que nous voyons in-
diquée ici, d'abord d'une manière complète, avec ses seize piliers,
puis, au-dessous, à une échelle plus grande, un détail de trois de ces
petites piles aux points d'appui de la flèche.
112 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XXXIII.
CHAPELLE DE SAINT-PIAT.
La chapelle de Saint-Piat date du commencement du xive siècle
et lut ajoutée en hors-d'œuvre au chevet de l'église cathédrale. On
a voulu en donner ici la porte, avec quelques détails, parce que
c'est une œuvre fort élégante, et afin de montrer comment le goût
si pur et si sévère du xme siècle s'est modifié dans le courant d'un
siècle.
Cette porte a été ouverte au-dessous d'une fenêtre dont elle a dé-
truit la partie inférieure; car le bas de la fenêtre que l'on aperçoit
aujourd'hui est beaucoup plus haut que n'était l'ancien.
Les colonnes que nous apercevons à droite et à gauche font partie
des bas côtés de l'église et datent du xme siècle, ainsi qu'il est facile
de le reconnaître à leurs détails et au style de la sculpture.
Un perron de sept marches conduit à l'ébrasement de la porte, dont
l'ouverture supérieure est carrée, l'ogive étant remplie par un tympan
décoré de statues. Au milieu est la Sainte Vierge debout, portant 1 En-
fant Jésus; de chaque côté est un ange thuriféraire : ces trois statues
sont posées sur des consoles ornées de feuillage. Les deux angles infé-
rieurs du tympan sont aussi supportés par des consoles semblables. Au
commencement du siècle, on enleva les vantaux primitifs et on les
remplaça par une porte du xvnc siècle provenant de la crypte. L'ou-
vrage sur les monuments français, par Willemin, reproduit l'ancienne
disposition, et j'ai vu chez un amateur chartrain le marteau en fer
forgé et ciselé que présente la planche de Willemin. Le fronton ou
gable et les pinacles qui forment le haut de cette porte , disposés sui-
vant le style de cette époque, sont sculptés avec goût et disposés d'une
manière qui fait prévoir ce que deviendra l'architecture légère du
xve siècle.
PLANCHE XXXIII. — CHAPELLE DE SAINT-PIAT. 113
Le sommet du pignon est surmonté par une statue du Christ. H est
debout et vêtu d'une simple draperie, comme s'il sortait de son tom-
beau à la résurrection; il est tellement semblable, pour la pose et pour
le sens qu'il présente à la vue et à l'intelligence, à la statue placée au
pignon occidental de la cathédrale, qu'il serait possible que ces deux
statues fussent du même artiste. Toutes les deux montrent les plaies
du côté, la draperie étant écartée à dessein de cette partie du corps.
De chaque côté, sur le sommet des pyramidions qui terminent les
montants de la porte, sont deux anges qui tiennent les instruments de
la Passion : la croix, les clous, la lance et la couronne d'épines (un
peu mutilés). L'ensemble de cette décoration représente donc ces su-
jets que le moyen âge aimait à reproduire si souvent, savoir : Jésus
fait homme, dans les bras de sa mère; le supplice de la croix et la
résurrection précédant le Jugement dernier.
Les marches que l'on aperçoit par le vide de la porte conduisent
à la chapelle de Saint-Piat, dont on voit le plan à plusieurs élévations
sur les planches de cette monographie donnant les plans de la cathé-
drale à diverses hauteurs.
Les murs de cet escalier sont formés par une claire-voie fort élé-
gante. Au sommet, après avoir monté une trentaine de marches, on
arrive à un palier et à une seconde porte, qui donne entrée dans une
belle et vaste chapelle, dont les ravages du temps et l'ignorance des
hommes ont enlevé toutes les décorations accessoires à la maçonnerie.
Il ne reste que des lambeaux d'une vitrerie qui font regretter ce qui
manque, car c'était une œuvre d'une grande finesse. Au fond de la
chapelle, du côté de l'Est, une grande fenêtre à meneaux fort décou-
pés laisse pénétrer largement la lumière. De chaque côté de l'autel,
une porte donne accès à des chambres placées dans des tours qui
renforcent les angles de cette construction du côté de l'Est.
Au-dessus de la voûte à nervures il y a une superbe charpente, et
à l'étage inférieur se trouve la salle capitulaire, dans laquelle on pou-
vait se rendre de la chapelle absidale de l'église même par une porte
située sous une des fenêtres de la cathédrale.
i5
114 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
On devra remarquer aussi, en examinant l'extérieur de cette belle
construction, que le mur oriental est concave, afin de présenter du
côté de la vallée, peu éloignée de ce côté, une force de résistance ca-
pable de résister à la poussée de cette chapelle, qui n'est pas appuyée
sur des contreforts.
PLANCHE XXXIV. — CHAPELLE DE SAINT-PIAT. 115
PLANCHE XXXIY.
CHAPELLE DE SAINT-PIAT.
Cette planche représente à une plus grande échelle les détails de
sculptures que nous avons déjà vus et décrits dans la planche pré-
cédente :
Le Christ enfant entre les bras de la Sainte Vierge ;
Lin des anges thuriféraires;
Le Christ ressuscité et montrant les plaies de son côté, de ses mains
et de ses pieds;
L'ange portant la lance et la couronne d'épines et celui qui tient la
croix, et, sur un voile", les clous de la crucifixion. Ils apparaissent ici
comme dans les représentations du Jugement dernier.
Nous voyons de plus ici des détails de la sculpture d'ornement,
dont la finesse et la délicatesse sont d'un goût aussi pur qu'élégant,
caractère particulier de l'art français au moyen âge.
i5.
116 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XXXV.
COUPE LONGITUDINALE.
Ce dessin, représentant le monument d'une manière géométrale,
est excellent pour celui qui veut se rendre compte des dimensions et
des rapports des diverses parties qui le constituent; mais il a l'inconvé-
nient de ne pas présenter aux yeux l'aspect réel que donne la per-
spective lorsqu'on se promène sous ses voûtes, au niveau du sol. Pour
ne signaler que quelques-uns des inconvénients de ce système, nous
ferons remarquer que le haut des fenêtres des bas côtés ne s'aperçoit
pas. Il en est de même pour les petites roses surmontant les fenêtres
hautes et la grande rose septentrionale : elles sont tronquées et mas-
quées par les nervures et une partie des voûtes, ce qui produit un
effet disgracieux que nous sommes obligé de rectifier par le raisonne-
ment; d'un autre côté, nous avons l'avantage de voir d'un seul coup
d'œil toute l'étendue de l'église et d'en saisir la belle économie.
Pour l'étudier avec ordre, nous examinerons successivement et sé-
parément, en allant de l'Ouest à l'Est : i° le clocher; — 2° l'église du
xme siècle; — 3° la crypte de Fulbert et celle qui fut le marlyrium.
i° Le clocher. C'est celui du nord, dont nous voyons ici une des
faces, au bas dans l'église : c'est la partie que le xmc siècle engloba
dans l'intérieur pour allonger la nef, ainsi que nous l'avons déjà dit,
et au haut il dépasse la toiture et nous montre une de ses faces, ainsi
que l'escalier situé par derrière; sur cette tourelle on a rétabli une
statue d'un ange debout, tenant en main une croix longue et fine.
La partie inférieure (du xuc siècle), qui se voit aujourd'hui dans
l'église et en a augmenté la longueur de deux travées, n'offre pas un
raccordement bien satisfaisant pour la vue.
A la hauteur des fenêtres de la nef, on a simulé par un motif d'ar-
chitecture la forme de deux de ces fenêtres; mais, outre qu'elles
PLANCHE XXXV. — COUPE LONGITUDINALE. 117
s'élèvent à une plus grande hauteur et changent la forme des voûtes,
elles sont aveugles et dépourvues de toute ornementation. Un faisceau
de colonnes engagées a été ajouté sur le milieu par des pierres lancées
dans un contrefort et supporte la retombée des nervures de ces deux
nouvelles travées; ces colonnes ne descendent pas jusqu'au sol, comme
dans le reste de l'église : elles s'arrêtent au niveau du premier étage
du clocher. On voit à côté les deux fenêtres du xue siècle, qui n'ont
subi aucune modification et sont restées comme des baies donnant à
l'extérieur et destinées à être vues du dehors; elles ne semblent pas
faites pour orner l'intérieur de l'église.
Plus bas sont deux arcades aveugles, qui paraissent une modifica-
tion faite à cette face de la tour après son achèvement au xnc siècle.
Enfin, à la partie inférieure, au niveau du sol, sont deux arcs
ouverts et en plein cintre qui communiquent avec le rez-de-chaussée
de cette tour et donnent accès à l'escalier de la crypte, du côté du
nord. Les chapiteaux de ces deux arcades ont des sculptures du
xue siècle avec des personnages et des êtres fantastiques ; ils sont
considérés comme des sujets symboliques, mais n'ont pu être expli-
qués l et sont restés rebelles aux interprétations des antiquaires.
On voit à gauche de cette partie du clocher, faisant partie de
l'église, la coupe de la porte principale, avec ses statues et ses vous-
sures; au-dessus est la fenêtre du milieu, et au-dessus encore la grande
rose occidentale.
Mentionnons ici, plutôt pour mémoire que comme objet d'étude, la
charpente en fer qui a partagé en deux ces deux parties du clocher et
qui s'étend d'un bout à l'autre de l'édifice. C'est une œuvre moderne
qui a remplacé la célèbre charpente en chêne , du xive siècle , surnommée
la forêt et qui fut détruite par l'incendie de i836.
2° L'église du xme siècle. Au niveau de la face postérieure du clo-
cher, là où devaient se trouver la façade et la porte principale de l'église
1 Le P. Cahier, dans ses Mélanges d'ar- parle de ces chapiteaux de la manière la plus
chéologie , volume des Curiosités mystérieuses, instructive.
1874, pages 191 à 195, est l'auteur qui
118 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
du xne siècle, un faisceau de colonnes engagées monte jusqu'à la
hauteur de la voûte pour recevoir un grand arc-doubleau; c'est là,
véritablement, que commence la grande église, ce chef-d'œuvre que
le génie d'un architecte du xme siècle a conçu et dont il a pu diriger
la construction.
Après ce faisceau de colonnes, on voit se suivre les arcades de la
nef: elles ne sont pas toutes de même largeur; au-dessous d'elles on
aperçoit les fenêtres des bas côtés. Nous avons mentionné, dans la
planche I, la forme et la disposition des piliers qui les séparent; il est
inutile d'y revenir ici : le dessin, du reste, le fait bien comprendre.
Au-dessus, le triforium, ou petite galerie de service, permet de cir-
culer autour de l'église, et plus haut encore sont les voûtes et les
fenêtres hautes, formées à chaque travée par deux ogives jumelles et
par une petite rosace.
Continuant notre examen vers la droite, nous rencontrons le tran-
sept nord, dans lequel est une grande porte (ouverte dans la gravure)
à laquelle des arcs aveugles servent d'accompagnement. Le haut de ce
transept est formé par cinq hautes fenêtres et par une grande rose
dont le tracé est fort singulier; nous voyons apparaître là cette légèreté
qui plus tard deviendra le but principal des architectes pour ces
grandes fenêtres circulaires.
A gauche de cette porte, on voit par-dessous la dernière arcade de
la nef une des portes latérales du porche nord (représentée ici fermée);
celle du côté opposé se trouve cachée par la clôture du chœur et par
les stalles.
Après le transept, s'étendent le chœur, le déambulatoire postérieur
et les chapelles de l'abside , au-dessus desquelles apparaissent les parties
extérieures, c'est-à-dire les contreforts du chœur, qui sont à double volée.
Dans le chœur, on n'a indiqué ni l'autel, ni le trône épiscopal, ni
aucune partie du mobilier sacré du sanctuaire, parce que, tous ces ac-
cessoires ayant été refaits à la fin du dernier siècle, on ne trouvait
pas d'intérêt à reproduire ici ce qui n'avait aucun rapport avec les
œuvres du moyen âge.
PLANCHE XXXV. — COUPE LONGITUDINALE. 119
N'omettons pas de remarquer que les fenêtres des bas côtés du
chœur sont différentes de celles de la nef; elles sont ici plus larges et
formées de deux ogives simples, au-dessus desquelles sont des oculus
de petites dimensions.
Ce dont la gravure que nous venons d'examiner ne peut donner la
plus faible idée, ce qu'elle n'a pas même essayé d'indiquer par un trait
incolore, c'est la collection de vitraux qui remplissent toutes les fenêtres
et produisent un effet dont la splendeur est incomparable. Le plus grand
nombre est de la meilleure époque du xme siècle ; quelques-uns seule-
ment peuvent être attribués au commencement du xive.
3° La crypte de Fulbert et le martyrium primitif.
Nous voyons peu de choses de ces deux cryptes. Pour l'une, cest
une portion de sa galerie circulaire, et la chapelle absidale dans toute
sa longueur; pour l'autre, c'est une section dans le sens de l'Ouest à
l'Est.
120
MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE XXXVI.
COUPE SUR LE TRANSEPT ET LES PORCHES.
Au milieu de cette planche nous voyons l'extrémité orientale du
chœur; sa disposition architecturale est semblable à celle dont nous
avons aperçu le commencement sur la planche précédente. On com-
prend mieux ici la forme des fenêtres : les arcades du chœur étant
fort étroites à l'abside, les fenêtres n'ont pu avoir la même largeur;
elles sont simples et ne sont pas surmontées de roses. Il y en a sept ainsi
disposées.
La partie inférieure du chœur ne présente aucune particularité à
observer. Il ne reste pas le moindre vestige de la décoration ancienne
du sanctuaire. Son autel avec ses accessoires, dont les descriptions
nous font une peinture intéressante, a complètement disparu. L'insta-
bilité du goût et l'admiration sans bornes de la nouveauté ont causé ces
destructions à tout jamais regrettables.
De chaque côté nous voyons les bras des deux transepts qui s'éten-
dent vers le Sud et vers le Nord, semblables en tout à la nef que nous
avons vue dans la planche précédente.
Puis en dehors, de chaque côté, nous apercevons en coupe les deux
porches immenses et profonds, œuvre de la fin du xme siècle; ils en
sont certainement une des plus merveilleuses productions.
Nous avons vu dans quelques-unes des planches de cet ouvrage
un certain nombre de ces belles statues sur lesquelles la louange est
intarissable.
Rappelons en deux mots que le porche Nord contient principalement
des faits ayant rapport à l'Ancien Testament, et le porche Sud les mer-
veilles de la nouvelle loi et le jugement dernier, ou la consommation
des siècles.
PLANCHE XXXVII. — JUBÉ. 121
PLANCHE XXXVII.
JUBÉ.
Ce sont des fragments du jubé du xme siècle, démoli d'une manière
si regrettable à la fin du siècle dernier. Au bas de la planche est un
bas-relief représentant la Nativité du Sauveur. L'Enfant Jésus, emmail-
loté avec soin au moyen d'une élégante bandelette qui serre ses
langes, est étendu dans une crèclie entre le bœuf et l'âne. Sa Sainte
Mère est couchée sur un lit dont la surface supérieure est inclinée en
avant d'une manière exagérée. Cette disposition, outrée et contraire à la
réalité, avait été adoptée avec intention par le sculpteur afin de per-
mettre aux fidèles de voir le personnage de N. D., qui, placée sur une
surface horizontale, aurait complètement disparu aux yeux, le bas-
relief étant placé à une hauteur trop grande. Au pied du lit, saint
Joseph s'approche en s'inclinant vers N. D. et lui présente une sorte
de voile. La crèche est supportée par de petites colonnettes alternati-
vement cylindriques et octogones, suivant le système suivi dans l'église
haute, comme nous l'avons déjà remarqué. Le travail de sculpture de
ce morceau est exécuté avec une extrême perfection, dans une pierre
de liais fort dure. Les deux figures de l'Enfant Jésus et de sa Mère ont
des traits pleins de grâce et sont animées des sentiments d'une douce
sympathie exprimés de la manière la plus touchante. 11 faut remarquer
avec quelle finesse sont élaborés les minuscules chapiteaux qui suppor-
tent la crèche, et les liens, sculptés à jour, du bœuf et de l'âne. L'un
des deux n'a été cassé que fort récemment, après avoir échappé
pendant plus de quatre cents ans à mille chances de destruction. Je
suppose que la tête de saint Joseph aura été brisée par un de ces stu-
pides collectionneurs d'œuvres d'art, pour satisfaire son goût particu-
lier au détriment des vrais amateurs et admirateurs du moyen âge.
Le sommet de cette planche nous montre une des clefs de voûte du
122 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
même jubé. Au centre est la Vierge assise sur un trône et portant son
Fils sur ses genoux. Elle est couronnée et n'a point de nimbe; elle se
détache sur un disque concave entouré de feuillages, et dans les inter-
valles des quatre nervures qui aboutissent à la clef de voûte sont
quatre anges qui s'agenouillent devant leurs maîtres et les encensent.
Comme au précédent bas-relief, les personnages ne sont pas nimbés.
Quoique les artistes du moyen âge fussent fort habiles à triompher
des difficultés, ils ont souvent omis, lorsque le bas-relief est fort sail-
lant, de placer des nimbes autour de la tête des personnages qui de-
vaient en être accompagnés, soit que cette trop grande saillie de la
sculpture rendit la chose difficile à exécuter, soit qu'ils n'apportassent
pas à cet accessoire symbolique la même importance que leurs con-
frères les peintres, soit pour toute autre raison qui nous échappe.
Au-dessous de cette clef de voûte présentée de face on en voit une
coupe. La partie supérieure, celle qui est derrière le dos du groupe de
la Sainte Vierge et de son Fils, est creusée profondément afin d'obtenir
par cet évidement une grande diminution dans le poids du bloc de
pierre.
Puis d'un côté, à droite, est un des quatre anges thuriféraires que
nous voyons plus haut de profil, et de l'autre, à gauche, un des cha-
piteaux faisant partie de l'architecture de notre jubé. Les feuillages
qui entourent et forment ce chapiteau sont travaillés avec la plus
grande habileté et avec un goût exquis.
De ce précieux monument il reste de nombreux fragments, mais ils
sont tellement incomplets et mutilés qu'il est presque impossible d'en
essayer, même sur le papier, une restauration satisfaisante. Ces mor-
ceaux concassés excitent au plus haut point les regrets, car ils ap-
prennent que nous avions là un véritable chef-d'œuvre, où l'architecture
et la sculpture, accompagnées de tous les charmes de la peinture, se
réunissaient avec une parfaite harmonie pour la satisfaction de nos
yeux et de notre esprit.
PLANCHE XXXVII. — JUBÉ. 123
Avant d'aller plus loin, nous interromprons nos explications pour
parler de deux immenses fenêtres dont on regrette de ne pas trouver
la reproduction parmi les planches publiées : ces deux fenêtres sont
celles qui, en forme de Roses, terminent les transepts Nord et Sud.
Les artistes, les archéologues, les savants, les contemplent avec admi-
ration; leur aspect enchante la vue par la beauté et l'harmonie des cou-
leurs; leur examen ne peut laisser indifférent, et l'on se trouve en-
traîné à chercher le sens de leur composition iconologique.
La Rose septentrionale représente la glorification de Jésus-Christ
sur la terre et dans le temps, et celle du côté méridional la glorifica-
tion de Jésus-Christ dans les cieux et dans l'éternité.
ROSE SEPTENTRIONALE
Au centre de cette grande fenêtre, clans un cercle entouré de festons
fleuronnés, nous voyons l'Enfant Jésus, le Messie, le Désiré des nations,
bénissant de la main droite le globe du monde, qu'il tient en sa main
gauche. Il est assis sur les genoux de Marie, sa mère, qui le soutient
de la main gauche. La couronne qu'elle porte sur la tête, le sceptre
qu'elle tient en sa main droite et le trône sur lequel elle est assise nous
indiquent ses prérogatives de Reine des Cieux et des Anges, ainsi
que la proclame la croyance de l'Eglise.
Autour du médaillon central, où sont Jésus et sa Mère, sont rangés
circulairement douze compartiments de forme ovoïde et terminés en
trèfle. Dans chacun d'eux, sur un fond en mosaïque, est un petit cercle.
Les quatre plus élevés contiennent des colombes avec nimbe croisé ;
elles se dirigent à tire-d'aile vers les deux figures centrales de Jésus
et de Marie. Ces colombes symbolisent l'Esprit Saint et rappellent ces
textes : Spirilum meum ponam super cum; Spirùus Sanctus superveniel in
1 Si l'on veut avoir une idée de la ma- Rose, vue par le dedans, apparaît presque
nière dont les panneaux de cette Rose sont entière. On voit aussi sur cette planche les
disposés et suivre notre description sur un cinq fenêtres placées au-dessous et dont nous
dessin, on aura recours à la coupe longitu- parlerons plus loin.
dinale de la cathédrale (pi. XXXV), où cette
16.
124 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
te. Les quatre compartiments au-dessous des précédents — ils occu-
pent les côtés du cercle central — renferment quatre Anges agenouillés;
deux tiennent des flambeaux allumés, et deux encensent Notre-Sei-
gneur et Notre-Dame. Dans chacun des quatre petits cercles inférieurs
on voit la représentation hiératique d'un Ange qui fait partie du pre-
mier ordre de ces esprits célestes et porte le titre de Trône. Chacun
d'eux paraît ici, comme en plusieurs endroits de la cathédrale, sous la
forme d'un jeune homme nimbé dont le corps est enveloppé de six
ailes. Les deux ailes supérieures entourent la tète; deux autres ailes,
partant au niveau du cou, descendent sur les côtés jusqu'aux pieds;
deux autres ailes enfin, partant aussi de la région cervicale, se croisent
devant la partie antérieure de son corps, qu'elles recouvrent presque
entièrement, car de ce personnage on ne voit que les deux bras nus,
étendant les mains à la manière des figures auxquelles on donne à tort
le nom à'Orantes. On voit aussi les jambes de ce même personnage,
qui sont nues ainsi que les pieds, lesquels sont posés sur une roue.
Cet Ange porte chez nous une cravate nouée autour du cou, laissant
pendre deux bouts d'étoffe jusqu'au bas de la poitrine. Ces Trônes, ou
Intelligences célestes, sont occupés, suivant les anciens textes, à chanter
la gloire de Dieu dans un Hosanna sans fin. Dans les églises Grecque et
Russe on les peint sous la forme de roues ocellées, ailées, enflammées
et entrelacées, sans y joindre rien de la forme humaine.
Autour de ces douze compartiments on voit rayonner, circulairement
aussi, douze panneaux de forme carrée et plus grande. C'est là que sont
rangés douze des Rois de Juda, ancêtres ou précurseurs du Messie, et
formant autour du médaillon central de cette Rose une auréole de
figures royales, analogue à la galerie des Rois des grands portails de
nos cathédrales, ainsi que nous l'avons dit plus haut. Ils forment là
comme une cour d'honneur autour du Roi des Rois. Tous sont assis
sur des trônes, portent la couronne en tête et le sceptre dans la main
gauche. La plupart indiquent de leur main droite, avec un geste éner-
gique, les figures centrales de Jésus et de sa Sainte Mère. Leurs noms
se lisent derrière eux dans un ordre conventionnel et sans exactitude
PLANCHE XXXVII. — JUBE. 125
orthographique. Ces noms, en allant de droite à gauche, sont : David.
Salomon. Abia. Josaphat. Osias. Acaz. Manases. Ezechias. Joatam. Joram.
Aza. Roboam.
La grande circonférence extérieure de cette Rose est garnie de douze
demi-cercles entourés de fleurons, et portant sur un fond de mosaïque
douze cercles de petites dimensions, dans lesquels on voit les figures
des douze petits Prophètes. Ils sont debout, portent sur la tête un
bonnet, et leur costume consiste en une robe, avec une ceinture, et en
un manteau ; ils tiennent en main une banderole comme un rouleau de
papyrus et indiquent leurs prophéties. Derrière eux se lisent leurs
noms, écrits sans ordre et sans orthographe : Ozias. Johel. Abdias. Mi-
cheas. Abbacuc. Ageus. Machias. Zacharias. Sepenias. Nahum. Jonas. Amos.
Entre les carrés, où sont rangés les Rois, et les derniers cercles, où
sont les douze petits Prophètes, il y a une suite de douze quatre-feuilles
où brillent sur un fond d'azur les Lis d'or de France.
La partie du mur qui supporte cette Rose est percée immédiatement
au-dessous de petites ouvertures trilobées, quatre de chaque côté.
Elles sont remplies de vitrages offrant alternativement les armoiries de
France et de Castille, afin de rappeler la mémoire des royaux dona-
teurs de toute cette face septentrionale de la cathédrale, le roi saint
Louis et sa mère Blanche de Castille. Sur la planche XXXV, à laquelle
nous avons renvoyé, ces petites fenêtres n'ont pas été indiquées par le
graveur.
LES CINQ GRANDES FENETRES DU TRANSEPT SEPTENTRIONAL.
Au-dessous de la grande Rose septentrionale il y a cinq hautes fe-
nêtres, formées chacune d'une simple ogive. Toutes les cinq sont garnies
de splendides vitraux, dont l'éclat après six siècles est encore merveil-
leux. Quatre des personnages qui y sont peints appartiennent à l'An-
cien Testament et personnifient une Vertu, ayant au-dessous d'eux
en petites dimensions la personnification d'un Vice qu'ils foulent aux
pieds.
La cinquième fenêtre renferme un personnage placé sur la limite et
126 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
le point de contact des deux Testaments. Nous le décrirons de suite,
en renvoyant à la planche lithographiée qui en donne une reproduc-
tion : c'est sainte Anne (pi. LIX). Elle est debout, ayant une couronne
royale sur la tête et tenant un sceptre fleuri dans sa main droite; de
la main gauche, elle porte la Sainte Vierge, encore petite enfant et
qui tient entre ses mains le Livre de la Loi : « Lex tua meditatio mea est-n ,
répétait cette humble servante de Dieu, dont les destinées devaient
être si illustres.
Au-dessous de sainte Anne portant la Sainte Vierge est un grand
écu où se voient glorieuses les grandes Fleurs de lis d'or sur fond
d'azur qui pendant des siècles ont symbolisé le Royaume de France
et accompagnaient sa gloire dans le monde entier.
Les quatre personnages de l'Ancien Testament qui garnissent les
autres fenêtres sont disposés de la manière suivante : à gauche, dans
la première fenêtre, est Melchisédech avec un vêtement moitié royal,
moitié sacerdotal. Sur sa tête est une couronne surmontée d'une tiare.
Prêtre et Roi, il porte d'une main un encensoir, et de l'autre une
coupe ou ciboire contenant le pain et le vin qu'il offrait au Seigneur.
Au-dessous de ce personnage de taille héroïque on voit le Roi Nabu-
choclonosor, d'une taille beaucoup plus petite, s'agenouillant pour
adorer la Statue d'or, d'argent et de bronze. Nous pensons que ces
deux personnages expriment la Foi au vrai Dieu et l'Idolâtrie.
Dans la seconde fenêtre est David en costume royal et tenant une
harpe. C'est la force, le courage et la confiance en Dieu qui vivent en
lui. Il foule aux pieds Saùl, qui se transperce le corps avec un large
glaive : c'est l'image du Désespoir.
De l'autre côté, en pendant avec ces deux grandes images, nous
voyons d'abord le Roi Salomon qui se montre dans sa gloire et sa ma-
jesté avec le costume que les rois portaient en ce temps-là, et tenant
un sceptre en sa main droite. Il présente à nos yeux la personnification
de la Sagesse dont il fut rempli. Au-dessous de lui Roboam, prosterné
devant deux Veaux d'or, symbolise la Folie humaine adorant des ani-
maux en place du vrai Dieu.
PLANCHE XXXVII. — JUBE. 127
La dernière fenêtre nous offre l'image d'Aaron portant ie costume
sacerdotal du grand prêtre des Juifs; il tient dans une main le livre
de la Loi et dans l'autre la tige verdoyante de la tribu de Lévi (Nom-
bres, XVII). Au-dessous de lui est le roi d'Egypte Pharaon tombant de
cheval. Ces personnages figurent l'Humilité et l'Orgueil.
ROSE MÉRIDIONALE K
Cette immense fenêtre circulaire représente la glorification de Jésus-
Christ dans les siècles futurs et l'éternité. Il nous semble entrevoir, en
levant les yeux et en considérant cette grande et belle verrière, une
faible esquisse des Visions d'Ezéchiel et de saint Jean dans son Apoca-
lypse. Ce sont leurs paroles qui ont inspiré cette belle peinture, et
nous ne pourrons nous empêcher de citer, en les décrivant, quelques
fragments du texte sacré.
Au centre est Jésus-Christ, assis sur un trône royal. Ses deux bras
sont levés et étendus. De la main droite il bénit le monde, et de la
gauche il tient une grande coupe d'or, indice de son sacerdoce éternel :
Ckristus rex et sacerdos. Deux grands flambeaux qui sont auprès de lui
rappellent les lampes que l'Apôtre Jean voyait allumées dans les cieux :
«Autour du trône, — dit saint Jean, — il y en avait vingt-quatre
autres sur lesquels étaient assis vingt-quatre vieillards avec des cou-
ronnes d'or sur leurs têtes, ayant chacun des harpes et des coupes
d'or pleines de parfums, qui sont les prières des saints, r, Nous retrou-
vons tout ceci dans notre vitrail.
Vis-à-vis et près du trône, il y avait quatre Animaux : le premier
animal était semblable à un Lion, le second était semblable à un Veau, le
troisième avait le visage comme celui d'un Homme et le quatrième était
semblable à un Aigle qui vole. Dans notre vitrail, chacun de ces êtres
mystérieux tient une banderole figurant les rouleaux des Evangélistes
dont ils sont le symbole. Ces quatre Animaux ne cessaient jour et nuit
de crier : Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu tout-puissant, qui était,
1 On peut voir sur la planche X (face méridionale) l'ensemble de cette Rose et les cinq
grandes fenêtres qui sont au-dessous.
128 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
qui est et qui doit venir. Et lorsque ces Animaux rendaient gloire, honneur
et actions de grâces à Celui qui est assis sur le trône et qui vit dans les siècles
des siècles, les vingt-quatre vieillards se prosternaient devant Celui qui est
assis sur le trône, et ils adoraient Celui qui vit dans l'éternité en lui disant :
«Nous vous rendons grâces , Dieu tout-puissant, de ce que vous êtes entré en
possession de votre grande puissance et de votre règne, v
Près des quatre Animaux, nous voyons dans la Rose quatre Anges:
deux tiennent des flambeaux et deux autres parfument l'air avec l'en-
cens dont la fumée sort de leurs encensoirs. Ces Anges, à genoux, sont
l'indication et la figure des anges nombreux qui paraissent dans ces
scènes pleines de mystères, en même temps que les vingt-quatre Rois
et les quatre Animaux ou symboles évangéliques. Tous ces êtres, dé-
peints dans l'Apocalypse, sont représentés ici dans des compartiments
circulaires qui forment de grands cercles concentriques autour du
médaillon central où se trouve Jésus-Christ.
Dans les intervalles des compartiments où sont les Rois, il y a douze
petits Oculus, en forme de quatre-feuilles, où sont peintes les armes de
Dreux-Bretagne, rappelant les hauts et puissants seigneurs à qui
l'on doit la construction de la plus grande partie du transept méri-
dional et dont nous trouverons les effigies au bas des grandes fenêtres
publiées dans une des planches que nous aurons bientôt à décrire.
Terminons la description de cette Rose en faisant remarquer que la
beauté et l'éclat de ses verres multicolores sont encore un souvenir
apocalyptique. Saint Jean, en effet, nous fait connaître que les murs de
la cité de Dieu étaient formés des pierreries les plus précieuses et les
plus brillantes. Le jaspe, le saphir, l'émeraude, la topaze, l'améthyste,
etc., composaient la clôture de la nouvelle Jérusalem, où les justes
serviront Dieu et verront sa face pendant tous les siècles.
ROSE OCCIDENTALE.
Elle représente le Jugement dernier.
Ces trois roses n'ont pas été reproduites; leur importance dans le
monument ne permettait pas de n'en pas parler.
PLANCHES XXXVIII-XLI. — LES QUATRE EVANGELISTES. 129
PLANCHES XXXVIII, XXXIX, XL, XLI.
LES QUATRE GRANDS PROPHETES ET EVANGELISTES.
Ces belles et grandes lithographies reproduisent quatre des fenêtres
placées sous la grande Rose méridionale1. Elles contiennent chacune
un groupe de deux personnages. Mais, comme dans la publication ces
diverses planches sont coupées en deux, il est nécessaire, pour rétablir
l'ensemble de chacune des fenêtres, de faire réunir et coller leurs par-
ties supérieures avec les inférieures : on aura pour résultat deux plan-
ches doubles (en hauteur), contenant chacune deux groupes de figures.
Ces deux grandes planches offriront alors aux regards un tableau dont
l'invention et la composition paraîtront d'une singulière hardiesse.
L'artiste a voulu représenter d'une manière figurée que l'ancienne loi
est le fondement et le support de la loi nouvelle, et voici le moyen
qu'il a employé pour que sa peinture présentât cette pensée aux yeux
et à l'esprit. Il a dessiné chacun des quatre grands Prophètes de la loi
de Moïse portant sur ses épaules un des quatre hérauts de l'Evangile
de Jésus-Christ. Cet énoncé n'a rien en lui qui justifie les mots de
singulière hardiesse employés plus haut, et cependant ne pourrait-on
pas être choqué de voir dans ces vitraux les Evangélistes à califourchon
sur les épaules des Prophètes? Car on ne peut se servir d'une autre
expression pour la posture commune et triviale dans laquelle ils se
montrent à nos yeux. Cependant rien ici n'est inconvenant ni ridicule,
parce que les poses sont naturelles et décentes, et que la dignité des
personnages n'est point altérée. L'expression de leurs figures est sé-
rieuse, calme et tranquille; rien dans leur attitude n'éloigne notre
esprit de la gravité d'une peinture religieuse, malgré le mode vulgaire
et peu relevé employé par le peintre. C'est une des prérogatives des
' La cinquième fenêtre, contenant la Vierge et l'Enfant Jésus, se trouve sur la planche LX.
>7
130 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
âges primitifs que cette naïveté et cette simplicité enfantines qui per-
mettaient d'employer, dans les arts comme dans la littérature, des
tournures desprit ou de pensée dont nos époques modernes et raffinées
n'oseraient pas se servir lorsqu'il s'agit d'exposer certaines pensées
morales et religieuses.
Ces figures de Prophètes et d'Apôtres ainsi réunies sont encore une
manière de nous montrer la connexion de l'Ancien et du Nouveau Tes-
tament. C'était au moyen âge un sujet que l'on aimait à montrer aux
fidèles, et dont nous trouvons de nombreux exemples. Cette allégorie
de la réunion de l'Ancien et du Nouveau Testament se retrouve non
seulement dans les œuvres savantes des théologiens, mais aussi dans
une foule de compositions littéraires et artistiques à l'usage du public
moins lettré. Elle s'y montre quelquefois développée avec des détails
fort étendus. Ainsi, dans les calendriers qui sont au commencement
de plusieurs magnifiques manuscrits de livres d'Heures dans notre Bi-
bliothèque nationale à Paris, on voit les Prophètes et les Apôtres tenant
en main des portions de texte où les deux Lois sont mises en parallèle.
Dans un autre manuscrit, où sont renfermées grand nombre d'histoires
et de moralités tirées de la Bible et de la Vie des Saints, on lit au com-
mencement que ce livre va nous parler du plus bel du Vieil Testament
et du Nouvel conjont ensemble. VHortus deliciarum de l'abbesse Herrade.
précieux manuscrit de la bibliothèque de Strasbourg, détruit en 1870
parles bombes ennemies, contenait une grande miniature qui portait
pour titre : Velus Testamentum cum novo conjunctum, et j'ai pu copier
dans ce même manuscrit quatre Médaillons dans lesquels on voit,
deux par deux, un Prophète et un Évangéliste (ou plutôt son symbole)
semblant converser ensemble : Isaïe, en face de l'Ange de saint Mat-
thieu; — Jérémie, en face de l'Aigle de saint Jean; — Ézéchiel et le
Lion de saint Marc; — Daniel avec le Bœuf de saint Luc.
Chacune des grandes cathédrales de France contenait autrefois un
vitrail dans lequel on pouvait contempler, dans une suite de compar-
timents, les principaux événements du Nouveau Testament mis en pa-
rallèle avec les événements de l'Ancien Testament qui en étaient la
PLANCHES XXXVIII-XLI. — LES QUATRE ÉVANGÉLISTES. 131
figure et l'annonce. Ces peintures, exposées aux regards du public,
présentaient aux fidèles, d'une manière quotidienne et perpétuelle, les
principales vérités de la religion que les faits historiques gravaient dans
leurs mémoires. Un semblable vitrail existe à Chartres; malheureuse-
ment il est incomplet. Il en existe un autre à la cathédrale de Bourges.
Les RR. PP. Cahier et Martin ont écrit, dans leur ouvrage sur les vi-
traux de Bourges, une savante dissertation sur ce vitrail. Ils lui ont
donné le titre de Vitrail de la nouvelle alliance, expression théologique
qui semble moins à la portée du public que celle de Vêtus Testamentum
cum novo conjunclum, dont se servent habituellement les auteurs an-
ciens dans leurs livres, et qui a été adoptée par les artistes dans les
peintures et les sculptures où ils nous ont montré ces diverses phases
de notre histoire religieuse.
Nous avons encore quelques mots à dire pour terminer la descrip-
tion de ces quatre fenêtres et pour indiquer la place occupée par les
divers personnages qui s'y voient représentés.
A la droite de la fenêtre médiane (pour celui qui est tourné vers
elle) est le Prophète Ezéchiel, portant saint Jean. Au-dessous d'eux
est Pierre Mauclerc, comte de Dreux, à genoux, les mains jointes, et
tourné vers l'image de Notre-Dame.
La fenêtre plus à droite nous montre le Prophète Daniel portant
saint Marc, et, au-dessous d'eux, un jeune Prince priant aussi la Sainte
Vierge. Il est debout.
Du côté opposé, c'est-à-dire à gauche du spectateur, on voit en
premier lieu Isaïe portant saint Matthieu, et, au bas de la fenêtre, Alix
de Thouars, duchesse de Bretagne, à genoux, les mains jointes, et
tournée vers la Sainte Vierge.
Dans la dernière fenêtre à gauche est Jérémie portant saint Luc, et,
au bas de la même fenêtre, une jeune Princesse debout, regardant
aussi Notre-Dame, vers laquelle elle se tourne en joignant les mains.
Dans les monuments du moyen âge, jusqu'au xvie siècle, on voit
ainsi dans les vitraux des familles de donateurs qui se sont fait peindre,
père et mère avec tous leurs enfants, se prosternant à genoux vers
«7-
182 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
Jésus- Christ ou sa Sainte Mère, en l'honneur desquels ils ont fait
quelque libéralité à l'église.
La lithographie n'ayant pas reproduit ici les couleurs des blasons
qui couvrent les habits des quatre seigneurs dont nous venons de parler,
on ne peut voir l'aspect original que leur donnent ces échiquiers d'or et
d'azur et ce quartier d'hermine qui enveloppent tout le corps de ces
princes et de ces princesses.
Ces vitraux sont exécutés très largement, avec une énergie un peu
sauvage, comme il convient à des figures décoratives placées à une
grande hauteur dans l'immense édifice de la cathédrale. Les yeux des
personnages sont d'une grandeur exagérée, et il ne faut pas s'en
plaindre puisqu'on a l'avantage de les voir du bas de l'église. Ce re-
gard pénétrant fait une grande impression sur le spectateur, avantage
qu'il ne trouve jamais devant les pâles et insignifiantes figures que nous
montrent trop souvent les peintures et les vitraux dans les édifices
modernes. Il ne faut pas oublier de faire remarquer que les noms des
Prophètes et des Apôtres sont écrits en grandes lettres, ainsi qu'on peut
le voir sur les planches lithographiées.
PLANCHE XLII-XLIV. — ARBRE DE JESSÉ. 133
PLANCHES XLII, XLIII, XLIV.
ARBRE DE JESSÉ OU GÉNÉALOGIE DE JÉSUS-CHRIST.
XIIe SIÈCLE.
Le premier sujet que nous offre l'iconographie chrétienne, dans
l'ordre qu'elle a coutume de suivre pour les représentations évangéliques,
est l'arbre de Jessé. Dans ce tableau, reproduit très fréquemment au
moyen âge dans les manuscrits et dans les peintures murales, dans les
vitraux et dans les sculptures des édifices, on ne fait ordinairement
remonter la généalogie du Sauveur qu'à son ancêtre Jessé; puis, le
plus souvent aussi, la descendance de ce personnage jusqu'à l'avène-
ment du Messie est représentée d'une manière abrégée, et non suivant
la série complète des générations. Le vitrail que nous avons sous les
yeux, et qui remplit trois planches, nous montre en premier lieu,
au bas de la fenêtre, Jessé comme point de départ et souche de cette
tige mystérieuse prophétisée par Isaïe; au-dessus s'échelonnent quatre
rois, puis apparaît la \ierge; plus haut encore enfin est le Christ ou
le Messie, entouré de la septuple manifestation de l'Esprit de Dieu.
Ces personnages forment une bande verticale ou colonne qui occupe
le milieu de la fenêtre; elle est accompagnée de chaque côté par deux
autres colonnes plus étroites où s'étage une suite de quatorze Prophètes;
enfin ce brillant et lumineux tableau tout entier est encadré par une
bordure d'une grande richesse.
Tel est l'ensemble de cette composition symbolique; mais il ne sera
pas inutile d'entrer dans quelques détails et d'ajouter quelques
remarques.
Nous voyons, dans le panneau placé au milieu et au bas de la fenêtre,
Jessé couché sur un lit très simple et garni d'une ample draperie
blanche. Il est revêtu d'habillements bordés de galons d'or; sur sa
tête est une sorte de bonnet phrygien; ses pieds sont nus; il semble
134 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
plongé dans ce sommeil surnaturel pendant lequel les Prophètes
recevaient les inspirations divines, et paraît plutôt enfoncé dans de
sérieuses réflexions que dormir véritablement; le Prophète Nahum,
placé près de lui, témoigne par un geste d'étonnement la part qu'il
prend à ces visions. En haut du panneau, une arcade s'étend au-dessus
du lit du prophète; une lampe et un rideau y sont suspendus; la bor-
dure supérieure de ce rideau est formée par un galon où l'on voit une
vague imitation de caractères arabes; c'est du milieu du corps de
Jessé que s'élance la tige qui doit porter à son sommet le Désiré des
nations. C'est de cette végétation robuste, dessinée avec fantaisie, que
s'épanouiront dans les panneaux supérieurs des branches et des rameaux
garnis de feuillages fantastiques, mais fort gracieux. Au milieu de ces
rameaux supérieurs sont assis successivement quatre rois occupant
quatre compartiments. Ils ont la couronne royale sur la tête; leurs
mains saisissent deux branches latérales et leurs pieds chaussés s'ap-
puient sur de grosses nodosités ou renflements de cet arbre mystique.
La Sainte Vierge dans la même disposition occupe le septième panneau,
et au-dessus de sa tête apparaît dans de plus grandes proportions
son divin Fils, celui que l'Ecriture appelle le Soleil de Justice, qui vient
éclairer l'univers plongé jusqu'alors dans les ténèbres de la mort. Sa
tête est entourée du nimbe crucifère et de sept colombes figurant les
sept dons du Saint-Esprit; elles sont placées dans des cercles autour
desquels se lisent leurs noms :
SAPIENTIA
INTELLECTUS
CONSILIUM
FORTITUDO
SCIENTIA
PIETAS
TIMOR
Le Sauveur tient, comme les personnages qui le précèdent, deux
branches de l'arbre qui l'a produit, une de chaque main, et ses pieds
sont nus.
PLANCHE XLII-XLIV. — ARBRE DE JESSÉ. 135
Cette colonne médiane qui est formée par l'indication des générations
précédant le Christ et se terminant à lui est flanquée, avons-nous dit,
de deux autres bandes verticales, où l'on voit se succéder des Prophètes
et d'autres personnages de l'Ancien Testament qui ont symbolisé le
Messie.
Du côté gauche, allant de bas en haut, nous voyons :
Nahum, Samuel, Ezéchiel, Zacharias, Moyses, Isaïas, Abacuc;
Du côté droit :
Osée, Amos, Michée, Joël, Balaam, Daniel, Sophonias.
Ces personnages se succèdent sans ordre ; le peintre ou celui qui a
mis les vitraux en place n'a tenu compte ni de leur importance rela-
tive ni de l'ordre où sont rangées leurs œuvres dans la Bible. Tous tien-
nent en main une banderole figurant le texte de leurs prophéties, sur
laquelle, ainsi que cela se faisait souvent, on s'est contenté d'écrire leurs
noms ; ils ont tous le titre de prophète , quoiqu'ils ne soient pas du nombre
des seize indiqués dans la Bible, mais ce n'est pas une erreur : Moïse,
Samuel et Balaam ont prophétisé. Souvent leur geste semble montrer
le fait de cette génération de Jésus-Christ que figurent ses ancêtres et
qu'ils ont sous les yeux. La tète de plusieurs d'entre eux est ceinte d'une
bandelette, vestige de la coiffure orientale, ou du turban, dont les
anciens monuments nous fournissent de fréquents exemples.
Au-dessus de leurs têtes, et sortant du ciel, une main divine, ou bien
une colombe, avec ou sans nimbe, indique l'inspiration qu'ils reçoivent
d'en haut.
Les ornements qui forment la bordure et remplissent tous les inter-
valles du vitrail méritent de fixer l'attention; ils sont d'une forme et
d'une composition riche et gracieuse, et sont exécutés avec une extrême
finesse. Je ne puis m'empêcher de réclamer les louanges que mérite
M. Emile Beau, dont la patience est parvenue à vaincre les difficultés
que présentait ce travail d'une délicatesse et d'une ténuité sans pareilles.
J'ajouterai encore quelques mots au sujet de ces belles planches en
chromolithographie. J'ai fait remarquer plus haut que Jessé avait les
pieds nus : dans l'état actuel du vitrail, Jessé n'a conservé intact que le
136 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
pied gauche; celui du côté droit est brisé. Nous avons pensé qu'on pou-
vait dans le dessin refaire ce dernier et le mettre nu comme le premier;
cependant nous ne pouvons affirmer que ce premier ne soit pas lui-même
une restauration, cette fenêtre en ayant subi une considérable au
xive siècle, comme cela est évident pour des fragments de vêtements,
pour des inscriptions et pour plusieurs têtes que nous avons aussi mo-
difiées et restaurées dans notre dessin. Dans le Psautier ou livre d'heures
de saint Louis, de la bibliothèque de l'Arsenal, le Jessé, d'une sem-
blable généalogie du Sauveur, a les deux pieds chaussés; mais dans
le dessin d'un arbre de Jessé à Cologne, publié par le P. Martin, Jessé
a les pieds nus comme celui de notre planche. Le vitrail de l'abbaye de
Saint-Denis, qui est fort semblable au nôtre pour la composition et la
disposition des figures, nous montre aussi un Jessé avec les pieds nus;
mais les nombreuses restaurations que ce vitrail a subies lui ont enlevé
toute autorité dans les questions d'iconographie, et lui ont fait perdre
complètement le prix attaché à une œuvre originale et pure de toute
altération. Le vulgaire, ne connaissant pas le mérite de l'authenticité
d'une œuvre d'art ou de science, approuve ces raccommodages; mais
le connaisseur sérieux n'y trouve plus son compte et déplore cette
détestable manie qui lui fait prendre en haine et en dégoût même les
choses anciennes, car il lui est impossible alors de pouvoir étudier les
monuments avec confiance puisqu'il ne peut distinguer ce qui est an-
cien de ce qui est moderne. Il y aurait long à en dire sur ce sujet. Bor-
nons-nous à cette sortie contre les restaurations et à demander grâce
pour celles, peu importantes du reste, faites seulement sur le papier;
elles n'altèrent pas l'original, et le public, étant prévenu, pourra par-
donner, car il sera possible à un autre de faire mieux. On trouvera tou-
jours les originaux dans l'état où les injures du temps les auront mis.
PLANCHE XLV-XLVII. — ARBRE DE JESSE. 137
PLANCHES XLV, XLVI, XLVII.
ARBRE DE JESSÉ.
Ces trois planches représentent le même vitrail que les trois pré-
cédentes, mais sans les couleurs. Elles sont imprimées en bistre à deux
teintes, ce qui permet à l'œil de mieux apprécier le dessin. On échappe
ainsi à la séduction de la couleur et à l'éclat du verre coloré, qui peut
quelquefois nous induire en erreur. Nous savons, en effet, que quelques
auteurs et critiques sur le moyen âge font bon marché du dessin des
vitraux anciens, et sont portés à croire que tout leur mérite consiste
dans leurs brillants reflets colorés. Pour celui qui pourra voir de près
ces vitraux, il lui sera facile de reconnaître que, sous le rapport du
dessin comme sous celui de la couleur, les vitraux du xue siècle sont
d'une beauté parfaite et irréprochable.
Malheureusement, par un oubli fort regrettable de l'imprimeur litho-
graphe, il manque ici une partie des traits; une planche de plus était
nécessaire pour indiquer les plis de certaines parties des vêtements et
les nervures de la tige de Jessé. L'absence de ce détail produit un
fâcheux effet; on est obligé d'avoir recours à la planche en chromo-
lithographie pour rectifier cette erreur, qui ôte à cette reproduction
du vitrail une grande partie de son charme.
18
138 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHES XLVIII, XLIX, L, LI, LU.
VITRAIL DE LA VIE DE JÉSUS-CHRIST.
XIIe SIÈCLE.
Voici la plus grande et la plus belle fenêtre de la cathédrale. On
n'a rien épargné pour la reproduire fidèlement, et l'on doit convenir
que les efforts ont été couronnés de succès. Cette fenêtre, qui occupe
le milieu du mur occidental, comme on peut le voir sur la planche
représentant la façade occidentale, a plus de dix mètres de hauteur
et renferme, en vingt-neuf panneaux, les principaux faits de la vie de
Notre-Seigneur et sa glorification. Ils sont bien reconnaissables, quoi-
qu'il n'y ait pas d'inscription. Nous ne pensons pas qu'on puisse hési-
ter à les nommer. En voici la liste, commençant par en bas et suivant
chaque tranche horizontale. Ils ne sont pas disposés dans un ordre
parfaitement conforme à la vie du Sauveur; les artistes du moyen
âge, à toutes les époques, ont commis de ces erreurs et de ces négli-
gences :
Annonciation.
Visitation.
Nativité de Jésus-Christ.
Les anges apparaissent aux bergers.
Le roi Hérode avec les Savants de la synagogue.
Les Mages arrivant devant Hérode.
Les Mages en route vers Bethléem; l'étoile apparail.
La Vierge et l'Enfant Jésus recevant les Mages.
Les Mages s'en retournant, dirigés par l'étoile.
La Chandeleur.
La présentation de Jésus au vieillard Siméon.
L'ange avertissant les Mages pendant leur sommeil.
PLANCHES XLVIII-LII. — VIE DE JÉSUS-CHRIST. 139
Hérode ordonnant aux soldats de massacrer les enfants.
Le massacre des innocents.
Suite du même sujet.
La fuite en Egypte (la Sainte Famille).
Le retour d'Egypte (populations allant au-devant de la Sainte Famille).
Le retour d'Egypte (la Sainte Famille).
Les idoles d'Egypte tombant à l'arrivée de Jésus en ce pays.
Le baptême de Jésus-Christ par saint Jean.
Joseph averti en songe par un ange.
Les Rameaux : groupe d'apôtres suivant Notre-Seigneur.
Les Rameaux : apôtres et Jésus-Christ sur l'ânesse.
Les Rameaux : les habitants de Jérusalem sortant de la ville et venant au-
devant du Sauveur.
Enfin, au sommet de la fenêtre, plusieurs panneaux sont occupés par une
grande figure de la Sainte Vierge tenant son Fils sur ses genoux, entre
des anges qui les saluent et leur présentent des sceptres; le Soleil et la
Lune personnifiés paraissent aussi sur les côtés.
Nous ne décrirons pas en particulier chacun de ces nombreux
tableaux; on peut les étudier sur ces planches aussi exactement que
sur l'original. Nous nous bornerons à quelques remarques, pour fixer
l'attention sur quelques points de détails.
Dans le panneau où les Mages arrivent devant la Vierge et son Fils
pour leur offrir des présents, ils tiennent chacun dans leurs mains
une sorte de pièce de monnaie ou un disque sur lequel sont des carac-
tères qui simulent des lettres arabes.
Le panneau des idoles égyptiennes tombant de leur piédestal nous
montre de petites figures dont l'anatomie fort remarquable est exécutée,
sinon avec une parfaite exactitude, au moins avec une singulière
apparence de vérité.
La ville de Jérusalem à la fête des Rameaux, avec ses murailles et
la foule de peuple paraissant par-dessus les murs et sortant des portes,
pleine de mouvement et d'enthousiasme, forme un tableau très
original.
18.
MO MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
Est-il nécessaire de recommander à l'admiration le groupe de la
Vierge et de son Fils ? Leur pose hiératique est pleine de grandeur et
de majesté; malheureusement, au xive siècle, une désastreuse restau-
ration a remplacé les deux têtes anciennes et la couronne posée sur la
tête de Notre-Dame. L'Enfant Jésus tient l'évangile d'une main, et de
la droite élevée il donne sa bénédiction. La Vierge, avec une symétrie
un peu exagérée et très rare , tient en chacune de ses mains un sceptre
fleuri d'une forme tout à fait insolite.
Quant aux draperies, qui dans tous les tableaux inférieurs de cette
grande fenêtre offrent ces petits plis fins et serrés que nous avons re-
marqués sur les statues de la porte Royale, elles sont plus faciles à voir
et à étudier ici parce que les figures sont plus grandes.
Les deux anges qui accompagnent ce groupe s'inclinent avec grand
respect vers leur souverain Seigneur et vers la Reine du ciel et des
anges : Regina cœli, Regina Angelorum; ils leur présentent des sceptres
et tendent leurs mains vers eux. Ce ne sont pas, comme on le verra
dans les siècles suivants, des anges thuriféraires ou céroféraires; ce
sont véritablement, comme on le voit dans les églises grecques en
Orient, les deux archanges Michel et Gabriel prononçant toujours ces
paroles : rcNous vous saluons, vous qui êtes notre Reine et aussi Celui
que vous avez enfanté, u
Le Soleil est figuré sortant des nuages, par la tête radiée d'un
jeune homme qui semble admirer Notre-Seigneur et sa Mère.
La Lune, du côté opposé, nous apparaît sous la forme d'un croissant,
que tient dans les replis de son manteau un buste de femme voilée,
sortant aussi des nuages.
La bordure qui enserre et encadre ce vaste et immense tableau est
d'un travail qu'il faut admirer. Entre ses entrelacs, pleins d'originalité
et d'une admirable finesse, apparaissent des animaux fantastiques, des
dragons à tête humaine, des oiseaux imaginaires et des échantillons
variés de cette faune que les artistes du moyen âge créaient et répan-
daient autour d'eux dans toutes leurs œuvres.
Je ferai remarquer aussi que le verre et l'exécution de la peinture ,
PLANCHES XLVI1I-LII. — VIE DE JÉSUS-CHRIST. 141
matériellement parlant, sont d'une qualité bien supérieure aux vitraux
des xme et xivc siècles; ayant passé plusieurs mois en présence de ces
œuvres précieuses, lorsque j'en faisais la copie, j'ai pu me convaincre,
surtout dans les parties hautes de ces trois fenêtres, de leur supério-
rité sous tous les rapports.
La ferrure de ces trois fenêtres du xne siècle est placée à l'intérieur.
Je ne saurais dire pourquoi; mais le fait est regrettable pour deux
raisons : ce réseau de barres de fer partage en panneaux cette grande
surface, qui, dans son état actuel, paraît vue au dehors nue et vide, au
lieu de montrer des compartiments multiples ; puis ces barres de fer
placées à l'intérieur dérobent aux yeux les bords inférieurs et latéraux
de tous les tableaux. C'est peut-être au xivc siècle que l'ancienne dis-
position a été altérée, car à cette époque la fenêtre que nous étudions
a subi de grandes et importantes restaurations.
142 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
PLANCHES LUI, LIV, LV.
VITRAIL DE LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST.
La troisième fenêtre à gauche, au-dessous de la grande Rose occi-
dentale, représente quatorze scènes de la vie de Jésus-Christ, ayant
rapport principalement à la Passion.
Ce sont, en allant de bas en haut :
t. La transfiguration.
2. Jésus-Christ descendant du Thabor avec les trois apôtres qui avaient
eu le privilège d'assister à ce prodige.
3. La cène.
k. Jésus-Christ lave les pieds des apôtres.
5. Jésus-Christ trahi par Judas et saisi par les envoyés du Grand Prêtre.
6. La flagellation.
7. La crucifixion.
8. La descente de croix.
9. Jésus-Christ mis au tombeau.
10. Les saintes femmes au tombeau.
1 1 . Jésus-Christ apparaît à sa mère.
12. Le Noli me tangere.
i3. Jésus-Christ avec deux disciples à la porte de l'auberge d'ËmmaÙ9.
\h. Jésus-Christ, à table, se fait reconnaître à ces deux disciples.
Peu de mots suffiront pour faire quelques remarques sur ces sujets
que tout le monde connaît. Et d'abord je ferai remarquer que la plu-
part des panneaux de cette fenêtre accusent une influence grecque ou
byzantine des plus manifestes. Le premier sujet, en bas à gauche, la
transfiguration, est tout à fait semblable aux nombreuses transfigura-
tions, ou métamorphoses, qui se voient en Orient et à celles qui nous
viennent de ces contrées. On peut en voir un exemple au Louvre, dans
les salles où sont les objets provenant de la collection Sauvageot. C'est
un petit tableau exécuté en mosaïque à fond d'or. Cette œuvre peut
PLANCHES LIII-LV. — LA PASSION DE JESUS-CHRIST. 143
remonter au xne siècle. Le Cabinet impérial et royal des médailles à
Vienne possède un petit bas-relief, vrai bijou, en jaspe sanguin; on
voit, comme ici, les personnages disposés de cette manière hiératique
que les Grecs ont adoptée, et de plus, comme ici, huit grands rayons
partant du corps de Jésus-Christ et formant une sorte de monogramme
à huit branches et semblant indiquer une croix placée sur la lettre
grecque X, ainsi qu'on en trouve des exemples fort anciens à Rome, à
Venise, à Ravenne, etc. La tête de Moïse ne porte pas les deux rayons
mentionnés dans l'Ecriture; ils sont rares en Grèce, et ne sont pas
indiqués dans les Guides de la peinture sacrée.
Au panneau de la cène, il faut remarquer, ce qui est très fréquent
en Orient, qu'il y a un poisson dans le plat et non un agneau pascal.
N'est-ce pas pour figurer le symbolique 1X0T2?
A la descente de croix, le personnage qui, à l'aide de tenailles,
arrache les clous des pieds du divin crucifié ne manque jamais en
Grèce dans cette image et est figuré de la même manière.
Le tombeau dessiné dans l'apparition de l'ange aux saintes femmes
n'est point une grotte ou un monument rond comme dans les ou-
vrages du ixe siècle ou antérieurs : c'est, comme en Occident, un sar-
cophage seul et vu indépendamment du monument dans lequel il
était renfermé.
Les derniers sujets, et surtout le Noli me tangere, sont tout à fait de
style byzantin, ainsi que bien des détails de cette verrière.
Est-il encore nécessaire d'attirer l'attention sur la richesse et le
goût si pur et si fin des ornements dont l'artiste a fait preuve dans la
bordure et dans les interstices qui séparent les cercles renfermant
chaque sujet? On doit faire une mention particulière et spéciale sur
l'exécution de cette fenêtre, aussi bien que sur sa reproduction.
144 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHES LVI, LYII, LVIII.
VITRAIL DE NOTRE-DAME DE LA RELLE VERRIÈRE.
XIIIe SIÈCLE.
Cette fenêtre présente à nos yeux, dans sa partie supérieure, la
glorification de la Sainte Vierge. La Reine du. ciel et des anges se
montre tenant son Fils sur ses genoux; elle est assise sur un trône que
les anges soutiennent daiis les airs, et entourée d'autres anges dont les
uns la saluent à la manière grecque; les autres l'encensent et d'autres
lui présentent, en signe d'honneur, des flambeaux avec des cierges.
L'Esprit Saint, sous la forme d'une colombe, descend sur ces person-
nages et semble les sanctifier par des rayons sortant de son bec : Spiri-
lus Sanctus superveniet in te, et virtus altissimi obumbrabit tibi (Luc, i, 35).
Spiritus Domini super me (Luc, iv, 18). Un dais d'une grande richesse
et non symétrique forme une sorte de pavillon d'honneur et repose sur
deux légères colonnettes. La Vierge et son Fils sont groupés suivant le
très ancien usage dont nous avons déjà parlé ; ils sont vus parfaite-
ment de face; cette manière hiératique fut abandonnée pendant le
xme siècle. La Vierge présente son Fils aux fidèles en le soutenant par
les deux épaules. L'Enfant, d'une taille svelte et élancée, bénit de la
main droite et, de la gauche, il tient appuyé sur son genou l'évangile
ouvert; les lettres sur les pages de ce livre n'ont aucun sens.
Il sera utile, pour l'étude iconographique, de comparer cette figure
de Notre-Dame avec celles qui se voient en d'autres endroits de la ca-
thédrale, savoir :
i° A la porte, à droite du grand portail, au sommet du tympan;
20 A la scène de l'adoration des Mages, au grand portail aussi, parmi
les bas-reliefs des chapiteaux;
3° Au sommet de la fenêtre médiane de la façade occidentale;
h° Au vitrail du chœur au milieu et au fond du sanctuaire;
5° Et enfin, à l'un des vitraux du chœur, du côté nord.
PLANCHES LVI-LVIII. — N.-D. DE LA BELLE VERRIÈRE. S&5
Toutes ces images reproduisent le plus ancien type de Jésus-Christ
enfant, assis tout à fait de face sur les genoux de sa Mère, à laquelle
ont été donnés les titres de Trône de Dieu, Siège de la sagesse, etc., etc.
Il faut savoir que dans notre vitrail la figure de la Vierge n'est pas
ancienne; la plaque de verre sur laquelle étaient peints ses traits
vénérés s'est trouvée altérée par le temps; probablement une cuisson
insuffisante n'avait pas fixé sur la surface de ce verre le dessin du verrier,
et le dessin que nous voyons reproduit un simple trait peint à l'huile.
Les couleurs de ce tableau sont d'une harmonie des plus agréables
et des plus brillantes. Il est à regretter que la chromolithographie
n'ait point été employée pour en donner une reproduction complète.
Cette belle Vierge, avec son entourage angélique, eût suffi pour la
décoration d'une fenêtre moins haute. Ici, il était nécessaire de rem-
plir la partie inférieure et d'y joindre d'autres scènes.
Le peintre a placé dans l'espace inférieur : i° l'histoire des noces de
Cana, qui occupe six compartiments; 2° trois scènes de la tentation de
Jésus-Christ dans le désert après son jeûne de quarante jours. Un théo-
logien pourra seul nous faire comprendre pourquoi ces sujets sont ici re-
présentés. L'abbé Bulteau nous fait remarquer d'abord qu'auprès d'une
représentation de la Sainte Vierge on a eu raison de placer l'histoire
du miracle de Cana. C'est, en effet, à la prière de sa Mère que Jésus
changea l'eau en vin; secondement, c'est à l'intercession de cette puis-
sante Mère de Dieu qu'il nous faut avoir recours pour triompher des
tentations du démon.
La troisième planche faisant partie de ce vitrail nous donne des
détails en couleurs de plusieurs de ses parties. Un sujet entier de l'his-
toire des noces de Cana: c'est celui où l'on voit Jésus-Christ se dirigeant
avec quelques apôtres vers la salle du festin. Puis des têtes de grandeur
d'exécution , qu'il est facile de retrouver sur les deux planches précé-
dentes; et enfin, des ornements du petit tapis placé sous les pieds de
la Sainte Vierge (ornements omis sur la planche LVl) et un détail de la
broderie de son vêtement.
»9
146 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE LIX.
VITRAIL DE SAINTE ANNE PORTANT LA SAINTE VIERGE.
Cette fenêtre, qui fait ici pendant à la planche LX, est formée
par la baie centrale au-dessous de la grande Rose septentrionale. Elle
nous montre, dans la peinture qui la décore, sainte Anne portant la
Sainte Vierge, sa fille. C'est véritablement une image de stature colos-
sale, et dans toute la cathédrale il n'y a pas dans les vitraux une
seule figure d'une aussi grande dimension. La tête seule, depuis le
sommet du crâne jusqu'au menton, a 60 centimètres. Peut-être a-t-on
voulu indiquer par une taille aussi élevée l'importance sacrée de cette
seconde patronne de la cathédrale, qui possède des reliques importantes
de cette sainte.
Elle est représentée debout; la Vierge, encore jeune enfant, est sur
son bras gauche, et sa main droite tient un sceptre qui s'épanouit à
son sommet en trois roses blanches. La Sainte Vierge tient entr'ou-
vert dans ses mains le livre de la Loi, qu'elle médita dès sa plus
tendre jeunesse. C'est probablement de cet usage, dans les temps an-
ciens, démettre un livre entre les mains de la Vierge enfant, qu'est
venue l'habitude moderne de toujours représenter sainte Anne mon-
trant à lire à la Sainte Vierge.
Comme dans l'image placée en face, où l'on voit la Sainte Vierge
soutenir sur son bras, enveloppé de draperie, le divin Enfant Jésus,
ici sainte Anne soutient aussi sa petite Fille avec une main cachée sous
son manteau. Dans les deux tableaux, les vêtements sont fort sem-
blables. La Sainte Vierge dans l'un, sainte Anne dans l'autre, ont cha-
cune une robe fort longue recouvrant les pieds, puis une autre robe
assez courte garnie d'un large galon orné de pierreries, et enfin, par-
dessus ces deux robes, un ample manteau qui recouvre la tête comme
un voile et descend ensuite aussi bas que l'extrémité inférieure de la
PLANCHE LIX. — LA VIERGE ET SAINTE ANNE. «7
robe de dessus. Au-dessus de sa tête, un motif d'architecture forme le
dais honorifique qui accompagne toujours les représentations des
saints au moyen âge. Deux consoles supportent ce dais; la place était
trop restreinte pour y placer des colonnes latérales. Sous les pieds de
la sainte, nous avons mis l'inscription : SANCTA ANNA. L'in-
scription ancienne avait été remplacée au xive siècle par une autre qui
est aujourd'hui fort mutilée et qui semble contenir ces mots : Ave mater
Anna.
Au bas de la fenêtre est placé un écu de France de grandes dimen-
sions : d'azur semé de fleurs de lis d'or sans nombre; il repose sur un
terrain verdoyant, garni de plantes et recouvert par une petite arcade.
Ce blason se trouve ici probablement à cause du roi saint Louis, que
l'on sait avoir largement contribué à la construction et à la décoration
du transept septentrional de notre cathédrale.
Je pense qu'il est superflu de recommander à l'attention les bor-
dures de ces deux fenêtres; leurs motifs sont simples et fermes comme
les ornements de la belle époque du xme siècle.
•9'
148 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE LX.
VITRAIL DE LA VIERGE PORTANT L'ENFAIN T JÉSUS '.
Cette grande figure de Notre-Dame debout, portant l'Enfant Jésus
sur son bras gauche et tenant de la main droite un sceptre terminé
par des feuillages, occupe la fenêtre médiane qui est sous la Rose du
midi. Enveloppée d'amples vêtements et portant sur sa tête une cou-
ronne royale, cette image est placée sous un dais supporté par des
colonnes engagées. Elle présente aux hommages des fidèles son Fils
encore enfant, mais dont la puissance se manifeste déjà par la béné-
diction qu'il nous envoie de la main droite, la main gauche étant ap-
puyée sur ses genoux. C'est le type ordinaire employé au xmc siècle
pour représenter la Vierge et son Fils; il se trouve maintes fois dans la
cathédrale, en peinture sur verre et en sculpture. Il faut remarquer
qu'à cette époque ce n'est plus cette reine majestueuse assise sur un
trône et les pieds sur un marchepied honorifique; les personnages de-
viennent moins imposants et les têtes se ressentent de cette décadence.
Sous les pieds de la Vierge on voit un écu où sont les armoiries des
seigneurs décrits aux planches XXXVIII et suivantes. Le champ de
l'écu est échiqueté d'or et d'azur (Dreux), au franc quartier d'hermine
(Bretagne), le tout entouré d'un ourlet de gueules. Par suite d'une
erreur de lithographie, ce quartier, qui se voit ici à droite, est en
réalité à gauche dans le vitrail. On remarquera la forme des queues
d'hermine, qui depuis ont singulièrement changé. Cet écu est censé
attaché avec une courroie à l'arcade qui le surmonte; deux vases
exhalent, en l'honneur de Dieu et de sa Mère, des vapeurs de parfum,
genre d'ornement fort rare au xiu1' siècle.
1 H y a une erreur dans la table in-t'olio. Cette planche y porte à tort le titre de Vitrail
de la Vierge et de sainte Anne.
PLANCHE LXI. — HISTOIRE DE L'ENFANT PRODIGUE. 149
PLANCHE LXI.
VITRAIL DE L'ENFANT PRODIGUE.
XIIIe SIÈCLE.
Parmi les vitraux de la cathédrale de Chartres, il y en a plusieurs
qui offrent un intérêt particulier, parce que les sujets qu'ils repré-
sentent sont assez rares dans l'iconographie chrétienne; ils ne se rap-
portent ni à l'Ancien ni au Nouveau Testament, ni à la vie des
saints, comme les autres peintures qui se voient sur les murs des
églises, mais ils nous offrent sous une forme allégorique des ensei-
gnements moraux : telles sont, par exemple, les paraboles du bon
Samaritain et de l'Enfant prodigue. On trouve ici la preuve que
l'enseignement des vérités chrétiennes formait un corps de doctrine
universellement répandu qui n'était pas sujet au caprice individuel, car
ces mêmes sujets se retrouvent aussi dans d'autres églises, peints
sur verre ou sur mur, et les idées qu'ils expriment se trouvent con-
signées dans les auteurs ecclésiastiques. Les savants, auteurs de la des-
cription des vitraux de Bourges, les RR. PP. Cahier et Martin, nous
ont fait connaître, ta l'aide de textes et de citations, combien ces idées
étaient répandues au moyen âge et combien elles étaient familières.
Dans chacun des petits tableaux qui composent l'ensemble du vi-
trail il faut voir non seulement le fait réel qu'il représente, mais
encore une idée dont le sens est enveloppé sous cette apparence,
et que le commentaire vient nous expliquer et graver dans notre
pensée.
Cette parabole de l'Enfant prodigue (Luc, xv), qui se déploie dans
la fenêtre que nous avons sous les yeux, a donc un double sens. Elle
nous montre, d'un côté, les différents événements racontés dans le texte
évangélique et, de l'autre, elle symbolise le sens caché de chacun de
ces événements.
150 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
Elle représente les félicités de l'homme en son innocence, les
malheurs et misères qui l'ont suivi après son péché, et les grâces et
laveurs qu'il reçoit en sa justification; en d'autres termes, nous pou-
vons observer dans ce tableau les divers états dans lesquels les théolo-
giens divisent la nature humaine. Le premier est celui de la justice
originelle, appelé Status naturœ integrœ; le second est celui du péché,
qui se nomme Status naturœ lapsœ, et le troisième celui de la grâce,
qui porte pour titre Status naturœ reparatœ ou restauratœ. Ces trois
états sont vivement et distinctement représentés en la peinture de l'En-
fant prodigue. Car qu'est-ce autre chose que cet enfant demeurant
paisible en la maison paternelle, sinon l'homme en l'état d'innocence?
Qu'est-ce de voir ce prodigue manger misérablement avec les porcs,
si ce n'est l'état de la nature viciée et corrompue par le péché? Et
qu'est-ce que cet enfant embrassé et chéri de son père à son retour
à la maison, sinon l'état de la nature réparée par la grâce?
Homo quidam habuit duosjilios, nous dit le texte évangélique en
commençant cette histoire. Que signifient ces deux enfants? Suivant
saint Jérôme, c'est le peuple judaïque et le peuple gentil. Suivant
saint Athanase, par le premier enfant il faut entendre les justes, et
par le prodigue les pécheurs, car les justes peuvent bien dire à Dieu,
comme le fils aîné : Numquam mandatum tuum prœterii.
L'homme, ayant donc reçu de Dieu toutes les perfections du monde,
s'en va dans une région éloignée, en un pays étranger, et dissipe toutes
ses richesses dans le désordre et la débauche. H nous représente l'état
infortuné et déplorable du pécheur, qui ne se contente pas de sortir
de la maison de Dieu par son vice, mais gagne les champs et s'éloigne
de lui par ses erreurs et par ses affections dépravées, par lesquelles il
adhère aux créatures.
Facta est famés valida in regione Ma. Ce sont les suites du péché ori-
ginel qui nous privent des grâces et des bénédictions dont nous de-
vrions être comblés, qui sont la véritable nourriture de notre âme et
peuvent l'entretenir en l'amour de Dieu.
Abiit et adhœsit uni civium regionis illius. Ce malheureux prodigue,
PLANCHE LXI. — HISTOIRE DE L'ENFANT PRODIGUE. 151
ce pauvre pécheur, va trouver un habitant de ce pays lointain et se
met à son service. Or cet homme dont il devient le valet et l'esclave,
c'est le démon, auquel il va se confier. Non seulement il a quitté le
royaume de Dieu, son père, et la compagnie des anges, mais il se livre
tout entier à Satan et se rend le compagnon des diables. Son sort
devient de plus en plus malheureux et pitoyable. Il manque de (oui
et porte envie aux animaux immondes qu'on lui a donné à garder.
La miséricorde et la bonté de Dieu lui sont rappelées à la mémoire
par l'inspiration du Saint Esprit; il s'écrie:
Surgam et ibo adpalrem meum, et dicam ei : * Pater, peccavi in cœlum et
coram te.n Un saint désir de faire pénitence s'empare de son cœur; il
veut abandonner les folies mondaines dans lesquelles il était plongé;
il va se jeter dans le sein de la miséricorde de Dieu et lui demander
pardon en reconnaissant qu'il était justement irrité contre lui. Voici
notre prodigue entrant dans la voie de la pénitence. Il reconnaît les
justes jugements de Dieu, qui l'affligeaient temporellement pour lui
ouvrir les yeux et lui faire reconnaître son désastre. H conçoit dans
son âme une espérance certaine que Dieu, qui est le père de la miséri-
corde, ne lui refusera pas son pardon et sa grâce. H se décide à re-
tourner vers lui en lui confessant ses fautes. Il ne faut pas avoir honte
de sortir de son vice, mais de l'avoir commis. Et ici, les commentaires
nous développent l'importance et la nécessité de la confession, de la
contrition et de la satisfaction.
Et, cum adhuc longe esset, vidit illum pater illius , et misericordia motus
est, et accurrens cecidit super collum ejus et osculatus est eum. Tels sont les
sentiments de compassion et de pitié que Dieu ressent pour l'homme
coupable et telle est l'affection qu'il ressent pour sa malheureuse créa-
ture déchue que la seconde personne de la Sainte Trinité descend
sur la terre et se fait homme. Le mystère de l'incarnation est le résultat
de cette immense affection de Dieu pour le genre humain coupable :
Sic Deus dilexit mundum utjîlium nuigenitum daret.
Cito proferte stohm primam et induite illum. La grâce lui rend son
innocence et ses vêtements sans tache.
152 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
Adducite vitulum saginalum, et occidite, et manducemus et epulemur. Ce
banquet nous représente la parfaite liberté et l'affranchissement du ser-
vage et de l'esclavage auxquels notre prodigue s'était asservi par sa dé-
bauche. Cette renaissance surpasse la première, car la naissance d'Adam
lui avait donné seulement l'être; la seconde le fait enfant de Dieu; il
retrouve la grâce spirituelle et devient digne de participer au festin
céleste : Beati qui ad cœnam nuptiarum agni vocali sunl. Beatus qui man-
ducabit panem in œternum. Justi epulenlur, et exultent in conspectu Dei et
delectentur in lœtitia.
Tel est le sens caché que recèlent les diverses petites compositions
si artistement disposées dans ce vitrail, et que représentent successive-
ment les scènes suivantes dans la suite des panneaux de cette fenêtre :
Le jeune homme demande à son père sa légitime.
Le père la lui donne; c'est un vase précieux et de l'argent qu'il tire
d'un coffre.
Deux scènes le représentent à cheval et partant en voyage.
Des courtisanes l'invitent à entrer dans leur maison.
U est à table avec elles.
Des serviteurs et des servantes préparent les mets et les apportent.
Les deux courtisanes couronnent de fleurs le jeune prodigue et l'em-
brassent.
Le prodigue perd son argent en jouant aux échecs.
Il est presque nu sur un lit d'où l'on veut le chasser.
Une courtisane le met à la porte à peine vêtu.
Une autre le chasse à coups de bâton.
11 va trouver un homme riche pour entrer à son service.
Il abat des glands pour les pourceaux qu'on lui a donné à garder.
Il est assis auprès de ces animaux et médite sur son triste sort.
Il se met en route pour revenir à la maison paternelle.
Il demande pardon à son père.
On lui apporte une robe neuve.
On tue le veau gras.
On fait rôtir le veau et l'on apprête le festin.
PLANCHE LXI. -^HISTOIRE DE L'ENFANT PRODIGUE. 153
Le fils aîné faisant des reproches à son père.
Le père à table avec ses enfants.
Des serviteurs apportent les mets, et des musiciens jouent des in-
struments et chantent.
Au sommet du vitrail, Dieu, assis sur un trône, bénit de la main
droite la boule du monde qu'il tient dans la main gauche; de chaque
côté, il est salué et adoré par un ange.
Au bas de la fenêtre, nous voyons des marchands de bœufs qui se
sont fait représenter comme donateurs du vitrail.
154 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE LXII.
VITRAIL DE SAINT JACQUES.
XIIIe SIÈCLE.
Saint Jacques le majeur, fils de Zébédée, fut un des apôtres de Jésus-
Christ. Après l'Ascension, il prêcha l'évangile en Judée, puis partit
pour l'Espagne, afin d'y porter la bonne nouvelle. Cette mission
ne fut pas heureuse, et l'on prétend qu'il ne fit en ce pays qu'une
seule conversion. Il s'était attaché neuf disciples et, en laissant deux
en Espagne, il revint en Judée avec les sept autres, et continua à ré-
pandre chez les Juifs la doctrine évangélique, malgré les persécutions
qu'ils lui faisaient subir. Après une vie laborieuse et pénible, il fui
décapité à Jérusalem par ordre d'Hérode Agrippa. Ses disciples lui
érigèrent plus tard une très belle église dans le lieu où il subit son
supplice, mais la crainte des Juifs empêcha de donner la sépultur.e à
son corps. On le mit dans un navire que l'on abandonna sur les flots
aux soins de la Providence. Le vaisseau, guidé par un ange, vint abor-
der en Galice, où, après plusieurs événements miraculeux, le corps
du bienheureux apôtre trouva enfin un lieu de repos. Les prodiges
qui se firent sur son tombeau attirèrent la foule des fidèles en cet en-
droit, qui devint le siège du célèbre pèlerinage de Compostelle. Le
récit des miracles de saint Jacques remplit des livres entiers et leur
renommée se répandit par toute la terre.
Les sujets qui sont représentés dans ce vitrail se rapportent pour
la plupart aux aventures d'un magicien juif, nommé Hermogène ou
Almoginès, qui persécuta le Saint, et qui finit par être converti par lui
au christianisme et être martyrisé avec lui, suivant la légende.
Nous allons énumérer ces divers sujets , faisant observer d'abord qu'ils
ne se suivent pas régulièrement, ainsi qu'il arrive quelquefois dans
les monuments du moyen âge, les artistes se permettant souvent des
licences dans la disposition des panneaux.
PLANCHE LXII. — LA VIE DE SAINT JACQUES. 155
Dans les deux angles inférieurs on voit deux tableaux représen-
tant les donateurs de la fenêtre : ce sont des pelletiers et des mar-
chands d'étoffes pour habillements. Ces scènes, d'une vérité et d'une
naïveté remarquables, nous fournissent de précieux renseignements
sur les costumes civils au xmc siècle. Dans celle de gauche, un jeune
bourgeois est revêtu du costume habituel à cette époque, une robe de
dessous, un pardessus à manches qu'on laissait pendre et garni d'un
capuchon ; il porte des gants. Le marchand lui montre une pièce de
fourrure, tandis que le commis du magasin ouvre un grand bahut pour
y chercher des étoiles.
A droite, un acheteur vient choisir des étoffes, et pendant que le
maître du magasin en fait valoir la qualité, son serviteur applique une
mesure (une aune?) sur la pièce qu'il déploie. On remarquera que
la robe de ce commis est mi-partie de rouge et de vert, ce que ne
peut représenter une gravure; derrière lui sont des piles d'étoffes en
pièces placées sur une table.
Les sujets qui sont disposés sur le reste de la fenêtre sont la repré-
sentation des faits relatifs à la vie de saint Jacques.
Au bas du vitrail, on voit le saint apôtre entre les mains duquel le
Christ remet un objet qu'on ne peut déterminer; un ange est derrière
le Christ.
Almoginès, sur l'épaule duquel est un démon, ordonne à son dis-
ciple Filetus d'aller convertir saint Jacques.
Saint Jacques assis discute avec un groupe d'auditeurs.
Filetus présente à saint Jacques le livre de la fausse doctrine.
Filetus, en présence de son maître Almoginès, que conseille le
démon.
Saint Jacques, emmené la corde au cou, guérit un paralytique sur
son chemin.
Saint Jacques envoie à Filetus son manteau pour le délivrer des
liens dont les démons l'ont lié.
On revêt Filetus du manteau de saint Jacques; le démon est mis
en fuite.
156 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
Almoginès, par la force de ses enchantements, envoie deux démons
se saisir de saint Jacques.
Les démons arrivent devant saint Jacques, qui leur ordonne à son
tour de s'emparer du magicien.
Les démons emmènent Almoginès.
Us l'amènent devant saint Jacques.
Saint Jacques discute avec Almoginès.
Almoginès brûle ses livres de magie.
H se prosterne devant saint Jacques.
Saint Jacques est conduit avec Almoginès devant Hérode.
Almoginès, en présence de saint Jacques, brise une idole.
Saint Jacques est mis en prison.
Almoginès parle à un groupe de Juifs.
Almoginès visite saint Jacques dans sa prison.
Filetus subit le joug des démons par l'incantation d'Almoginès
(sujet qui devrait se trouver dans une autre place).
Almoginès maltraité par les Juifs, après sa conversion.
Saint Jacques ordonne à Almoginès de jeter ses livres de magie
dans la mer.
Saint Jacques et Almoginès sont emmenés, la corde au cou, vers
le lieu du supplice; en chemin, saint Jacques guérit des boiteux et des
infirmes.
Autre sujet semblable : Saint Jacques et Almoginès, attachés avec
des cordes, sont menés au supplice.
Saint Jacques décapité par un bourreau.
Almoginès a la tête tranchée en présence de l'empereur.
Au sommet de la fenêtre, Dieu, assis sur les nuages entre des flam-
beaux, tient le globe du monde d'une main et, de l'autre, le bénit.
PLANCHE LXIII. — LA VIE DE SAINT JACQUES. 157
PLANCHE LXIII.
VITRAIL DE SAINT JACQUES.
Cette gravure reproduit à une échelle beaucoup plus grande huit
des panneaux que nous venons de voir rangés à leur place dans cette
verrière : ce sont ceux qui forment le bas de la fenêtre.
Les plus inférieurs représentent, comme nous l'avons dit plus haut,
les marchands d'étoffes et de fourrures au milieu de leurs marchan-
dises, pelleteries, etc., et les faisant voir à des acheteurs.
Au-dessus sont quatre panneaux où nous voyons :
i° Jésus-Christ, debout et accompagné d'un ange, remet entre les
mains de saint Jacques une sorte de masse ou de foulon ;
9° Le magicien Almoginès (le démon sur les épaules) envoie son
disciple Filetus vers saint Jacques : on lit leurs noms;
3° Saint Jacques faisant une allocution à plusieurs personnages
assis devant lui : il leur présente un vase (qui semble une restauration):
6° Filetus présente à saint Jacques un livre de magie.
En haut de la planche il y a deux autres panneaux. Dans l'un, on
voit Filetus revenant vers Almoginès lui rendre compte de sa commis-
sion. Dans l'autre, saint Jacques est emmené, la corde au cou, par
Almoginès : il rencontre un boiteux qui se jette à ses genoux et qu'il
semble guérir.
158 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
PLANCHES LXIV, LXV, LXVL
VITRAIL DE SA1JNT EUSTACHE..
XIIIe SIÈCLE.
Nous trouvons représentés sur les panneaux qui composent cette
fenêtre les traits principaux de la vie merveilleuse de saint Eustache,
et nous allons les suivre et les décrire dans l'ordre où ils se trouvent.
Eustache se nommait d'abord Placidas et commandait les gardes de
l'empereur Trajan, mais il était païen et adorait les idoles; cependant,
comme il était fort miséricordieux, Dieu voulut l'appeler à lui et lui
faire connaître la véritable religion. Un jour il était à la chasse et pour-
suivait une troupe de cerfs, comme cela est représenté dans le grand
panneau au bas de la fenêtre: on le voit avec son arc et ses flèches,
monté sur un cheval et accompagné d'un écuyer qui sonne du cor;
auprès sont les chiens et les cerfs; les quatre petits panneaux qui sont
autour contiennent des piqueurs tenant en laisse plusieurs couples de
chiens. Cependant un des cerfs entraîna Placidas dans un endroit
écarté et, étant monté sur un rocher, il se retourna vers le chasseur,
qui aperçut entre ses bois l'image du crucifix; frappé d'étonnement à
l'aspect de cette vision, il se précipite à bas de son cheval et s'age-
nouille devant la sainte image de Jésus. Le Christ alors lui parla, lui
ordonna de se faire baptiser et lui annonça qu'il aurait beaucoup à
souffrir pour conserver la foi, mais qu'il ne devait pas perdre courage,
parce qu'il obtiendrait par ce moyen la faveur d'une vie éternellement
heureuse; nous voyons cette scène représentée dans le panneau plus
haut et à gauche. Plus loin, nous assistons au baptême de notre chas-
seur, qui prend alors le nom d'Eustacius, comme cela est écrit au bas
de ce tableau. L'évêque est accompagné de ses acolytes et bénit le
saint, qui est plongé dans la cuve baptismale et sur lequel descend
sous forme de rayons la grâce céleste.
PLANCHES LXIV-LXVI. — LÉGENDE DE SAINT EUSTACHE. 159
Dans le panneau en forme de losange qui est au-dessus, Eustache
(on lit Eustacius) quitte sa ville natale, accompagné de sa femme Théo-
pista et de ses deux fils Agapitus et Théopislus, après avoir perdu
tous ses biens.
Les quatre petits panneaux circulaires renferment les images des
marchands d'étolfes et de fourrures, donateurs de ce vitrail.
Plus haut, sur le panneau à gauche, le saint, portant des hardes sur un
bâton de voyage et suivi de sa femme et de ses enfants, se présente
devant le patron d'un navire pour faire marché avec lui : on lit Eus-
tacius. Dans le tableau suivant, ils s'embarquent tous les quatre et
montent sur le navire : on lit Euslacius.
Dans le compartiment placé au-dessus, les deux enfants sont déjà à
terre, et le patron du navire en expulse le pauvre Eustache en lui as-
sénant des coups de poing, tandis qu'il retient sa femme qu'il convoite
et dont il veut s'emparer.
Les quatre petits sujets qu'on voit autour ne sont pas assez précis
pour que l'on puisse dire ce qu'ils représentent; sur l'un, un roi
donne des ordres à deux serviteurs.
Le saint, ayant ensuite rencontré un fleuve qu'il lui fallut traverser,
laisse un de ses enfants sur la rive et se mit à transporter l'autre de
ses fils; lorsqu'il l'eut déposé sur le bord opposé, il revint chercher le
second, et lorsqu'il fut arrivé au milieu du fleuve, un lion accourut
tout à coup, saisit dans sa gueule l'enfant qu'il venait de quitter et
l'emporta. Eustache, désespéré, se hâta de se diriger vers son autre en-
fant, mais un loup survint et emporta de son côté le pauvre petit. Le
malheureux père au désespoir étend les bras vers le ciel et implore
le secours de Dieu. Des pasteurs, voyant le lion emporter un enfant
vivant, le poursuivirent avec de grandes clameurs, et Dieu permit que
le lion abandonnât l'enfant sans lui avoir fait de mal. De leur côté, des
laboureurs poursuivirent le loup avec leurs chiens et lui arrachèrent
aussi l'autre enfant sain et sauf.
Dans le tableau qui est au-dessus de ces scènes extraordinaires, la
femme d'Eustache, à genoux devant son mari, lui raconte comment elle
160 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
a échappé à la méchanceté et aux mauvais desseins du maître du na-
vire, et les deux fils miraculeusement sauvés se présentent aussi devant
leur père; des spectateurs émerveillés assistent à cette scène.
Puis, deux petits panneaux représentent Théopista allant retrouver
son mari, et cette famille réunie se réjouit de ce bonheur, qu'elle
célèbre dans un festin.
Cependant l'empereur avait fait rechercher son ancien capitaine à
cause des services qu'il lui avait rendus autrefois et qu'une nouvelle
guerre lui rendait nécessaires. On l'avait retrouvé à grand'peine, et
grâce à Eustache l'empereur remporta la victoire. L'empereur voulut
la célébrer en offrant aux idoles des sacrifices de louanges; il ordonna
à Eustache de l'accompagner au temple. Le saint, n'ayant pas voulu
sacrifier aux faux dieux, fut condamné à périr avec toute sa famille.
Ils furent enfermés dans un taureau d'airain qui fut exposé sur le feu,
où ils restèrent pendant trois jours. C'est ainsi qu'ils méritèrent la cou-
ronne du martyre, que la main divine, sortant du ciel au sommet du
vitrail, dépose sur la tête d'Eustache.
PLANCHE LXVII. — VITRAIL DE SAINT GEORGES. 161
PLANCHE LXVII.
VITRAIL DE SAINT GEORGES.
XIIIe S1KCLE.
Ce vitrail se trouve dans une des hautes fenêtres de la nef. du côté
du nord.
Le saint est debout et revêtu d'un costume fort riche de guerrier;
une cuirasse d'écaillés très ornementées enveloppe tout le haut de son
corps, la poitrine et les bras; au-dessous, une sorte de jupe ou de
fustanelle recouvre les cuisses; les avant-bras et les jambes sont plus
à la légère. Il tient dans sa main droite un glaive, avec le ceinturon;
la gauche, appuyée sur un bouclier qui repose à terre, tient en même
temps une lance au sommet de laquelle est attachée une flamme; la
tête est nue. Dans les tableaux grecs, dont ce vitrail semble une copie
légèrement altérée, le casque est suspendu au côté du personnage.
Par derrière on lit le nom du saint, et le haut de la fenêtre est garni
d'un motif d'architecture riche et compliqué, formant le dais qui sur-
monte ordinairement les images des saints au moyen âge.
Au bas de la fenêtre, on voit le saint que deux hommes sont en
train de lier sur une roue pour le supplicier ; les jantes de cette roue
sont formées par des glaives, dont quelques-uns semblent pénétrer
clans le corps du saint.
162 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE LXVIII.
VITRAIL DE CUARLEMAGNE.
XIII* SIÈCLE.
Voici l'un des vitraux les plus intéressants de la cathédrale. 11 re-
présente une partie de la légende, bien connue au moyen âge, de Char-
lemagne et de son neveu Roland. La renommée du grand empereur
remplissait le monde. Ses hauts faits pendant la guerre, ses institutions
civiles et ses occupations littéraires pendant la paix avaient une célé-
brité qui l'entourait d'une auréole de merveilleux et même de sain-
teté. Les poëtesle célébraient ainsi que les héros de sa cour. Le temps, au
lieu d'affaiblir après la mort ces souvenirs, allait en les augmentant et
en les embellissant. Les arts, les sciences et les lettres avaient été cul-
tivés avec grande faveur à la cour de Gharlemagne et leur bienfaisante
influence s'était continuée après lui avec grand succès pendant plu-
sieurs siècles; mais à l'époque de la Renaissance cette ancienne gloire
de la France, qui avait rempli le monde, cesse de briller et finit par
tomber dans le discrédit, et plus tard dans le mépris et l'oubli. Ce
n'est que depuis peu d'années que les érudits ont fait sortir de la pous-
sière des bibliothèques notre ancienne littérature et ses merveilles,
tandis que les antiquaires et les archéologues nous dévoilaient, comme
un nouveau monde, les mérites et les beautés de notre art national.
Rien des poëmes ont été écrits sur Gharlemagne et ses pairs. L'un
des plus célèbres est celui qui porte pour titre : La Chanson de Roland.
Ce n'est cependant pas elle qui a servi au peintre de modèle pour
les représentations que nous voyons ici; c'est dans Vincent de Reauvais
et dans la chronique de Turpin qu'il a été chercher ses inspirations.
Le vitrail a été donné par les pelletiers fourreurs; au bas de la fenêtre
l'on voit un de ces marchands qui exhibe à un bourgeois de Chartres
une grande robe doublée de vair.
PLANCHE LXVIII. — HISTOIRE DE GHARLEMAGNE. 163
Dans le panneau au-dessus, adroite, Constantin, Empereur d'Orient,
est couché et dort; un ange l'avertit en songe d'avoir recours, pour
combattre les Sarrasins de Palestine, à Charlemagne, et en même
lemps l'on aperçoit celui-ci à cheval, revêtu de son coslume de combat.
le casque en tête, le grand bouclier sur le côté, et portant la cotte de
mailles.
Charlemagne assis entre deux évêques s'entretient avec eux. Il est
nimbé, car on lui donne le titre de saint à cette époque.
Charlemagne reçu aux portes de Constantinople par l'Empereur
d'Orient.
Combat des Français et des Sarrasins. Il faut remarquer la forme un
peu déprimée du casque des Français, leurs boucliers longs se ter-
minant en pointe à la partie inférieure et leurs cottes de mailles, tandis
que les infidèles ont un casque conique, un bouclier rond et des cottes
formées par des lamelles. Le combat est terrible. Le roi franc, recon-
naissable à la couronne qui accompagne son casque, tranche la tête du
roi son adversaire, tandis qu'un Sarrasin va assener un coup de hache
d'armes sur Charlemagne, que protègent ses compagnons. Le mouve-
ment rapide des chevaux est bien exprimé; ils sont au grand galop.
Dans le cours de ce vitrail, on rencontre plusieurs panneaux où les
guerriers se montrent dans un costume fort intéressant à étudier. Les
sujets militaires sont rarement représentés d'une manière aussi précise
et aussi détaillée que dans cette légende de Charlemagne. H y a ici
des observations très utiles à faire sur le costume des guerriers francs
et sarrasins et sur la manière dont les chevaux sont équipés.
Charlemagne pour prix de ses services reçoit des reliques précieuses,
renfermées dans trois châsses que lui offre l'Empereur d'Orient : c'est
un morceau de la vraie croix, un suaire du Sauveur et une tunique de
la Sainte Vierge.
Charlemagne offre ces trois châsses et la couronne du roi sarrasin à
l'abbaye de Saint-Denis et les fait porter à l'église de ce monastère.
Charlemagne assis à côté de deux personnages. Ils regardent dans le
ciel la voie lactée, nommée au moyen âge le chemin de saint Jacques.
m MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
Toutes les nuits Charles revoyait ce chemin d'étoiles, qui, commençant
à la mer de Frise et se dirigeant entre la Germanie et l'Italie, passait
à travers la Gascogne, le pays des Basques, la Navarre et l'Espagne,
jusqu'en Galice, où reposait le corps du bienheureux saint Jacques.
Comme notre héros était préoccupé de cette vision, saint Jacques lui
apparut en songe, lui annonçant que ce chemin d'étoiles signifie qu'il
doit aller en Galice, avec de grandes armées, combattre la race perfide
des Sarrasins et délivrer son tombeau.
Charles part avec l'archevêque de Reims Turpin et avec plusieurs
autres cavaliers.
En présence de son armée, Charlemagne, descendu de cheval et à
genoux, implore la protection de Dieu.
Prise de Pampelune. Le roi franc poursuit à cheval le chef ennemi,
qui s'enfuit au galop; au moment où il passe la porte de la ville, le
Sarrasin reçoit dans l'aisselle un coup de lance; un héraut sur les
remparts sonne de la trompe.
Charlemagne fait construire une église en l'honneur de saint Jacques.
Il est à cheval et montre le ciel aux ouvriers. A cette époque, les trois
églises les plus vénérées dans le monde étaient l'église de Saint-Pierre
à Rome, de Saint-Jean-1'Evangéliste à Ephèse et de Saint-Jacques à'
Compostelle. Nous ferons remarquer que le petit nuage qui est dans
le ciel à ce panneau est un vestige de l'ancien usage des peintres litur-
giques de représenter dans le ciel la main divine figurant la formule
Digitus Dei est hic. Le dessinateur employait ce moyen pour montrer
la puissance de Dieu, qui présidait à tout ce qui arrivait sur la terre.
Au xiuc siècle l'on commença à abandonner cet usage, mais on me!
encore un petit nuage dans le ciel.
Retourné une seconde fois en Espagne, Charles se prépare à com-
battre Aigoland. La veille de la bataille, les guerriers fichèrent leurs
lances en terre auprès d'eux et se couchent dans leurs grands bou-
cliers. Le lendemain, ils trouvèrent leurs lances couvertes d'écorce et
de feuillages, ce qui présageait qu'ils devaient recevoir dans la bataille
la palme du martyre pour la foi de Jésus-Christ. Comblés de joie
PLANCHE LXVIII. — HISTOIRE DE GHARLEMAGNE. 165
par un si grand miracle, ils arrachèrent leurs lances de terre, s'élan-
cèrent au combat et périrent ensemble au nombre de quatre mille,
après avoir tué un grand nombre de Sarrasins.
La bataille est représentée un peu plus loin; on y voit le roi sarrasin
renversé de cheval et traversé par la lance de Charlemagne.
Le médaillon suivant nous montre par anticipation l'archevêque
Turpin célébrant la messe en présence du roi et recevant d'un ange
qui lui apparaît la nouvelle de la mort de Roland.
Roland est vainqueur du géant Ferragus et lui passe son épée au
travers du corps.
Charlemagne et sa suite traversent les Pyrénées.
Roland veut briser son épée Durandal et fend le rocher sur lequel il
frappe ; Roland sonne du cor pour rappeler Charlemagne à Roncevaux.
Roland, sur le point de mourir, est secouru par Thierry, qui lui
apporte à boire dans un casque. Tous ces faits et détails se retrouvent
en partie dans la Chanson de Roland.
Thierry annonce la mort de Roland.
Au sommet du vitrail, on a placé, entre deux anges encenseurs, le
combat de Roland et de Ferragus, que la disposition du travail n'a pas
permis de mettre plus bas. Ces inversions sont fréquentes dans les
œuvres d'art à cette époque. Ainsi se termine ce vitrail, dont l'exécution
superbe répond à l'importance du sujet.
166 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE LXIX.
VITRAIL DU TRANSEPT MÉRIDIONAL.
Cette grisaille est précieuse parce qu'elle donne un échantillon de
l'état de la peinture sur verre au moyen âge avec une date cerlaine.
Un certain chanoine de la cathédrale fit une fondation pour un
autel qui fut placé en cet endroit. Le lieu ne paraît pas choisi d'une
manière satisfaisante, mais à cette époque il restait peu de place
libre. Il y avait des autels contre les murs et contre les piliers pres-
que sans intervalle. Les renseignements écrits ne nous laissent aucun
doute sur un état de choses dont il ne reste aujourd'hui aucune trace
matérielle. Voici un petit tableau peint sur verre qui nous sert de
témoin dans une question bien oubliée. Le chanoine , sans autre gêne,
fit supprimer le bas d'un vitrail du xmc siècle dans toute sa largeur
— c'est celui qui représente la vie de saint Appolinaire — et fit placer
dans cet endroit un motif de grisaille avec les images des saints et
saintes envers lesquels il avait une dévotion particulière. Au milieu,
le chanoine s'est fait représenter à genoux, élevant les mains vers une
Sainte Vierge debout et tenant l'Enfant Jésus, qui se tourne vers son
adorateur. Les traits du chanoine nous montrent qu'il était fort jeune :
un ancien, un vieillard, eût respecté la peinture du xuie siècle, qui fut
ainsi odieusement mutilée, et qui fut alors remplacée par une œuvre
charmante, mais qui console à peine des parties anciennes qu'elle fit
disparaître.
A gauche, on voit sainte Julitte tenant par la main son fils, saint
Cyr, qui n'avait que trois ans et parlait à peine, dil sa légende;
Puis saint Maur, semblant converser avec sainte Hadegondc, tous
deux en costume monacal : il a la crosse d'abbé dans la main droite.
A droite, saint Sulpice en vêtement épiscopal, avec la crosse et la
mitre, est en face d'un saint Mathurin, berger avec sa panetière et
PLANCHE LXIX. — TRANSEPT MERIDIONAL. 167
sa houlette; près de lui des animaux paissent; une chèvre se dresse
sur ses pattes pour brouter les feuilles d'un arbre, qui parait un chêne;
le chien du troupeau se tient en observation aux pieds de son maître.
Plus à droite est saint Liphart, vêtu en ermite et tenant de la
main gauche un livre, tandis que de la droite il perce avec une béquille,
ou canne monacale, la gueule d'un énorme dragon. Bien des saints
sont ainsi représentés, pour marquer leur triomphe sur le démon el
leur puissance bienfaitrice sur les populations, près desquelles ils
vivaient. L'orthographe de tous les noms est ici fort altérée.
Au-dessous de cette zone de saints, et accompagnée des deux côtés
par un motif d'une élégante et légère décoration de feuillages, on lit
I inscription suivante, qui est presque intacte :
$)onfeign • <ê> • (Tgern •: chanoine • ï>e
céans • Ceign * île • ïog : ton&a • ce
fï • atitel • en • lanenr • îre • J2fè i HDatne • eti
atns • et • ïies : Catnïes ♦ qt : ex • %>
anï * l'an • île l grâce ♦ mil :- ecc : xx ♦ mit
le • lonr i be • fton; : Ceins : p * n •
chapelains i pcrpeïnes •
C'est-à-dire «Monseigneur Guillaume Thyerry, chanoine de céans,
seigneur de Loens, fonda cest autel en l'oneur de Notre-Dame et aussi
des saints et des saintes qui ci sont, l'an de grâce MGCCXXVIII. h*
jour de tous saints pour deux chapelains perpétuels. »
168 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE LXX.
VITRAIL DU PASSAGE DE LA SACRISTIE.
La sacristie de la cathédrale de Chartres est une vaste et grandiose
salle, dont la construction, ainsi que l'indique son style d'architecture,
remonte au xive siècle. Ses hautes et larges fenêtres n'offrent plus
aucun vestige d'ancienne vitrerie; plusieurs même, celles du côté du
Nord, ont été murées et ne laissent apercevoir que le dessin de me-
neaux fort déliés.
L'étroit passage qui met l'église en communication avec la sacristie
est éclairé par une fenêtre garnie de vitraux dont cette planche donne
plusieurs parties, les unes réduites, les autres de grandeur réelle, ce
qui permet d'apprécier l'exécution du dessin. Il est composé de rin-
ceaux que forme, en s'élevant et en s'épanouissant, la tige d'une plante
dont les feuilles et les fleurs ressemblent à celles d'une ombellifère qui
croît tout près de là. Nous ne sommes plus au temps où la flore et la
faune qui apparaissent dans la décoration des monuments étaient le pro-
duit de l'imagination des artistes. Nous sommes à l'époque où l'imitation ,
exacte et spirituelle cependant, des plantes et des animaux va fournir
aux peintres et aux sculpteurs les modèles qu'ils suivront désormais.
Pour en revenir à notre vitrail , on remarquera dans le milieu de
chaque panneau un fleuron de couleur plus intense que le reste, et au
centre du quatre-feuilles qui est placé au sommet de la fenêtre est une
Vierge assise sur un trône et tenant son fds sur ses genoux. Ce petit
groupe est exécuté avec une grande finesse; malheureusement il est
fort détérioré. La bordure qui encadre ce vitrail est composé de rin-
ceaux et de fleurons en grisaille comme le reste, et au bas des pan-
neaux elle se termine par de petites figures dont plusieurs sont dessi-
nées ici. Ce vitrail est contemporain de celui du transept méridional,
donné planche LXIX.
PLANCHE LXX. — PASSAGE DE LA SACRISTIE. 169
On trouve dans ce couloir une particularité qu'il est bon de noter
en passant. Un faisceau de colonnettes, engagées dans le mur et sup-
portant les nervures de la voûte, est taillé dans une seule pièce de bois.
Les fûts et les chapiteaux sont pris dans le même morceau, et, le tout
étant peint couleur de pierre, ce n'est que par hasard que nous nous
sommes aperçu de ce fait, qui du reste se rencontre au xve et au
xvie siècle assez fréquemment.
170 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE LXXI.
PEINTURES DE LA CRYPTE.
On a réuni sur cette planche des fragments de peintures qui se
voyaient encore il y a quelques années dans la chapelle dite aujourd'hui
de Saint- Joseph.
Les enduits, dans cette partie de l'église souterraine, étaient dans le
plus déplorable état; presque partout ils se détachaient du mur, em-
portant avec eux ces restes intéressants d'une décoration des âges an-
ciens, et des réparations indispensables en firent disparaître les der-
niers vestiges. On a pu néanmoins en conserver le souvenir par le
dessin. Au fond de la chapelle, on voyait de chaque côté de la fenêtre
ces deux anges thuriféraires qui jadis avaient dû encenser un Christ
placé au-dessus, ainsi qu'on en a des exemples dans les chapelles voi-
sines. Autour de ces anges sont semées des fleurs de lys et des roses.
En s'éloignant du fond de la chapelle on voyait deux grands saints,
représentés sur cette même planche, et déjà détruits en grande partie.
Nous supposons que l'un était un saint Jean d'après notre planche ,
mais d'après mes notes on lisail encore . . . . COB' (Jacobus?) L'autre
saint était un autre Jacques, celui de Compostelle, à en juger d'après
les coquilles qui l'entourent et qui rappellent son célèbre pèlerinage.
Les murs de la chapelle, du côté droit, représentaient des scènes
devenues tout à fait méconnaissables : des personnages s'avançaient
vers le sanctuaire; quelques petits fragments sont indiqués ici. Du côté
gauche, un figuré de pierres de taille, portant une rose au milieu de
chacune d'elles, formait la décoration. Sur la voûte, il y avait un
semis de fleurs de lys renversées, ou de campanules, alternant avec
des rosettes. On a reproduit exactement ces mêmes décorations dans
la restauration des murs et de la voûte. Quant aux figures, on ne s'est
pas aventuré à une imitation, qui n'eût pu être que fort imparfaite et
fort contestable.
PLANCHE LXXI. — PEINTURES DE LA CRYPTE. 171
Ces peintures avaient été exécutées à la hâte et sans aucune re-
cherche par des décorateurs qui n'avaient d'autre but que de cacher
la nudité des murs. Pour cela, ils avaient employé les couleurs les plus
grossières et les plus communes, de l'ocre rouge, de l'ocre jaune, du
blanc et du noir, et par les procédés les plus simples, de l'eau alu-
minée probablement. Cependant, au moyen de ressources aussi bor-
nées, ils avaient obtenu un effet décoratif et monumental bien suffisant
dans ces galeries peu éclairées et dans ces chapelles, où, depuis le
xine siècle, la lumière ne pénétrait qu'à certains moments de la journée.
Dans toutes les parties de cette vaste crypte on a trouvé des traces
de peintures décoratives. En plusieurs endroits, elles consistent en
sujets qui font penser à des scènes de pèlerinage vers Notre-Dame de
Chartres.
Dans le fond de ces chapelles, sur la voûte au-dessus de l'au-
tel, on voit toujours un Christ entre deux anges qui lui rendent hom-
mage, ou qui l'encensent : les uns sont en pied, comme ceux de la
planche LXXI; les autres sont en buste et sortent des nuages. De ces
Christs glorieux, nous avons pu en conserver un. Il a été calqué, ainsi
que les anges, et sera reproduit en sa même place.
Ailleurs est la grande fresque que donne la planche LXXII; un peu
plus loin, on respecte, sans oser y toucher, une autre fresque de petite
dimension représentant une nativité de Jésus-Christ.
Dans une chapelle remise à neuf il y a peu d'années, la décoration
consistait en l'imitation d'une tenture formée de lais d'étoffes dont la
couleur alternait en suivant les murs et figurait des bandes rouges et
jaunes.
Il faut remarquer aussi que partout, dans les chapelles comme
dans les galeries, les voûtes, sans aucune exception, étaient à fond
blanc. Quant au procédé, il était fort simple et semblait consister en
une simple détrempe de couleurs dans de l'eau aluminée, ainsi que
nous l'avons dit. Ces couleurs, simples oxydes métalliques ou terres
ocreuses, n'avaient subi aucun changement; elles n'ont péri que parce
que les enduits, rongés par le salpêtre, se sont détachés des murs.
172 MONOGRAPHIE DE LA CATHEDRALE DE CHARTRES.
PLANCHE LXXII.
PEINTURE D'UNE CHAPELLE DANS LA CRYPTE.
La décoration peinte que reproduit cette planche, et qui remonte
à la fin du xuc ou au commencement du xme siècle, se trouve dans la
chapelle de l'église souterraine consacrée sous le vocable de saint Clé-
ment (voir le plan). Elle doit sa conservation à un retable en boi-
serie qui fut placé au-devant à l'époque où les peintures anciennes
n'attiraient que l'indifférence ou le mépris. Cette fresque représente
une suite de saints placés sous des arcades, surmontées de motifs d'ar-
chitecture : ce sont des toits quadrillés, des faîtages avec des tourelles
et des clochetons de diverses formes et dimensions. Sur ces hauteurs,
de petits guerriers se livrent des combats et des assauts, tandis que
près d'eux des oiseaux se jouent dans les airs. Les grands saints, rangés
au-dessous d'une manière hiératique, sont debout et se présentent aux
fidèles pour recevoir leurs hommages et leurs invocations. Leurs noms
sont effacés : on lit seulement encore celui de saint Nicolas. Près de
lui est saint Jacques, reconnaissable aux coquilles qui sont sur son
manteau. Il est placé dans une niche plus haute que celle de ses voi-
sins. Peut-être a-t-on voulu indiquer par là une plus grande dévotion
à ce saint apôtre, dont le pèlerinage était à cette époque en très grande
faveur.
Remarquons maintenant le dernier personnage dessiné à gauche
sur cette planche. Il est en dehors des arcades sous lesquelles sont les
autres saints. C'est un prêtre qui semble célébrer la messe devant un
petit autel placé devant lui. Sur cet autel, recouvert d'un parement
richement orné, sont posés deux flambeaux. Notre saint prêtre (le
nimbe qui entoure sa tête nous indique que c'est un saint) tient de
la main gauche une banderole qui se déroule vers sa droite. Au-
dessous, tout à fait à gauche et au bas de cette planche, il y a un
PLANCHE LXXII. — UNE CHAPELLE DANS LA CRYPTE. 173
personnage à genoux, portant une couronne sur la tête, et paraissant
diriger des regards suppliants vers les saints que nous voyons ici.
Mais comme la partie du mur où il se trouve est fort enfumée et cou-
verte de poussière incrustée, on ne distingue ce roi que pendant les
courts instants de la matinée où le soleil vient l'éclairer. Il n'est donc
pas surprenant que le dessinateur ne l'ait pas aperçu et qu'il ne l'ait
pas copié, non plus que les petites lampes qui pendent au-dessus de
sa tête, près de la main droite (si singulière!) de notre prêtre et au-
dessus de la banderole qu'il tient en main. Cette banderole portait
une inscription assez confuse; il y a peu d'années, on en lisait très
distinctement le dernier mot : R6X , en caractères du xnc siècle. Les
mots précédents disparaissaient sous une couche de poussière et de
salissure, mais on pouvait espérer de les faire reparaître au moyen
de quelque procédé chimique. Nous hésitions à faire des tentatives, de
peur de tout perdre. Mais un touriste moins scrupuleux, ayant aussi
remarqué cette inscription, eut la malheureuse idée de gratter avec un
canif dans l'espoir de découvrir quelque chose. Ce moyen n'eut d'autre
résultat que de faire disparaître non seulement le mot R6X, mais en-
core le nom qui le précédait et qui peut-être nous eût révélé quelque
fait historique ou personnel. Etait-ce Carolus, Ludovicus, Philippus,
Henricus, etc.? Cela est d'autant plus regrettable que c'est chose peu
commune dans les monuments de cette époque reculée de trouver une
signature ou une indication précise d'un personnage. Nous voyons ici
un roi prosterné à genoux devant les saintes images qu'il implore et
dont la générosité avait dû se répandre sur la cathédrale en quelqu'une
de ses parties.
Sous le rapport de l'exécution, cette peinture paraît fort grossière
et négligée; mais il faut observer que les injures du temps l'ont bien
défigurée. Ce n'était pas, il faut en convenir, une œuvre fort soignée,
ni très délicate; mais si nous pouvions la restituer dans son état pri-
mitif, nous pourrions y reconnaître un dessin ferme, grandiose et
d'une grande justesse de pose et de maintien. Ces saints, qui nous
paraissent aujourd'hui si mal exécutés, devaient être fort semblables à
174 MONOGRAPHIE DE LA CATHÉDRALE DE CHARTRES.
ceux qui décorent les vitres hautes de la cathédrale. Ils atteignaient
parfaitement le but que se proposaient les peintres d'offrir aux yeux
une décoration large et imposante, et des personnages dont les traits
du visage fortement accentués agissaient principalement sur le public
par des regards d'une expression pénétrante. Gela existe encore dans
les vitraux, mais a complètement disparu ici.
Le soubassement de ces peintures est décoré d'un motif de dra-
perie.
Le mur en retour imite une tenture qui serait faite avec une étoffe
orientale, byzantine ou persane; on y voit, dans des cercles formés
par des palmettes, des lions affrontés, d'un aspect sauvage et original,
comme le sont les animaux dont on trouve la représentation sur les
objets venant du Levant et dont le commerce ou les pèlerinages nous
ont apporté de si nombreux spécimens.
FIN.
TABLE DES PLANCHES.
(Comme la monographie de la cathédrale de Chartres avait été dès l'origine comprise sur un plan plus
vaste, celles des planches qui ont été exécutées ont des numéros se rapportant à un ordre qui a été
modifié à plusieurs reprises. Il a donc été utile dans cette table de lenir compte de ces diverses
indications.)
ARCHITECTURE ET SCULPTURE.
Plan de la crypte ; feuille double. — Gravure PI. 2
Plan au-dessus du sol ; feuille double. — Gravure PI. 3
Plan à la hauteur des galeries ; feuille double. — Gravure PI. 4
Grand portail de la façade occidentale. (La hauteur du clocher
neuf, du sol à l'extrémité supérieure de la croix, est de
no"", 17.) — Gravure PI. A
Tympan de la porte centrale. — Gravure PI. 28
Tympan de la porte de gauche. — Gravure PI. 27
Porte latérale de droite. — Héliogravure //
Trois statues de la porte de gauche. — Gravure PI. 30
Détails de la rose. — Gravure PI. 44
Ensemble et portail de la façade méridionale. Vue géométrale;
feuille double. — Gravure PI. 5 X 64
Porche du midi. Porte du milieu, avec le Christ et six Apôtres
à sa droite. — Gravure PI. 19 XI Ou
Porche du midi. Porte de gauche; les cruatre statues à gauche.
— Gravure PI. 20 Xll 72
Porche du midi. Porte de droite ; les quatre statues à droite.
— Gravure PI. 21 XIII 73
Porche du midi. Vertus et Vices, éclaircis par des exemples
empruntés à des verrières de Notre-Dame de Paris. —
Gravure PI. 22 XIV 75
Porche du midi. Détails de sculpture du xiue siècle (tiares,
mitres, couvertures de livres). — Héliogravure » XV 78
PLANCHES.
PACKS.
III
1
1
li
H
2 3
IV
y 5
V
A3
VI
45
VII
5a
VIII
S9
IX
69
176 TABLE DES PLANCHES.
Grand portail de la façade septentrionale. Porche du nord. Vue
perspective (extérieur). — Gravure PI. 38
Porche du nord. Vue perspective prise de l'intérieur du porche.
— Gravure PI. 39
Façade septentrionale. Élévation du porche du nord (mar-
quée XIX sur la table in-folio). — Gravure a
Coupe du porche du nord (marquée XVIII sur la table in-
folio). — Gravure «
Porche du nord. Elévation. (La planche n'a pas été faite.). ... è
Porche du nord. La Visitation (statues). — Gravure PI. 40
Porche du nord. Le comte de Boulogne et Mahaut (groupe,
deux statues). — Lithographie g
Porche du nord. Soubassement des deux statues précédentes.
— Lithographie s
Porche du nord. Saint Savinien et sainte Modeste (groupe).
— Lithographie n
( Il conviendrait d'appeler cette planche XXII bis. )
Plans du vieux clocher. (Plans n" i, a, 3 et 4.) — Gravure. . PI. 48
Plans et détails du vieux clocher. (Chapiteaux et plans de la flèche
à deux étages différents.) — Gravure PI. 49
Détails du vieux clocher. (Chapiteaux.) — Gravure PI. 46
Détails du vieux clocher. (Chapiteaux, corniches, etc.) — Gra-
vure PI. 47
Détails du vieux clocher. (Modillons, gargouilles, inscriptions.)
— Lithographie PI. 50
Détails du vieux clocher. (Pinacles, fleurons, fragments de cor-
dons sculptés. ) — Gravure PI. 51
Chapiteaux du clocher neuf. — Gravure PI. 45
Détails du clocher neuf. (Plans à deux étages différents.) — Gra-
vure PI. 42
Détails du clocher neuf. ( Etage de la galerie au bas de la flèche.
Etage de la lanterne. Détails d'architecture.) — Gravure . . PI. 43
Chapelle de Saint-Piat. (Elévation de la porte.) — Gravure. ... PI. 15
Chapelle de Saint-Piat. (Détails de la sculpture.) — Litho-
graphie PI. 53
Coupe longitudinale de la cathédrale ; feuille double. — Gravure. »
Coupe sur le transept et les porches latéraux. — Gravure //
Détails du jubé : la Nativité (bas-relief); une clef de voûte; un
ange. — Sculpture u
l'LISUL-,
PACSS,
XVI
79
XVII
82
XVIII
85
XIX
95
XX
96
XXI
97
XXII
98
XXIU.
99
XXIII
100
XXIV
102
XXV
io4
XXVI
io5
XXVII
106
XXVIII
107
XXIX
108
XXX
109
XXXI
XXXII
111
XXXIII
113
XXXIV
n5
XXXV
116
XXXVI
120
XXXVII
TABLE DES PLANCHES.
177
VITRAUX.
Les quatre grands Prophètes portant les quatre Evangélistes.
— Lithographies, bistre à a teintes.
! Feuille A. j j PI. 58
Feuille B. > Chromolithographies < //
_, l ° r j
Feuille C. I *
i Lithographies, bistre à deux teintes 1 «
( «
/ Feuille A. \ / PI. B
Vi • 1 de la vie) FeUiHe B" I
{ Feuille C. > Chromolithographies
de Jésus-Christ. 1 „ .„ ^ i
/ Feuille D. t
I Feuille E. J
„. .. , , _ . ( Feuille A. ) , . , , . / PI. H
Vitrail de la Passion \ ^ ... n I Lithographies, \ „. rn
, i , ™ • \ Feuille B. } , , • J PL 58
de Jésus-Lhnst. / ^ •„ r, l bistre a deux teintes. 1 „, „.
[ Feuille C. j ( PI. 61
Notre-Dame de la( Feuille A (haut). ) Lithographies. j «
belle Verrière. | Feuille B (bas). ) bistre à deux teintes. | n
— Détails du même vitrail. — Chromolithographie »
Vitrail de sainte Anne portant la Sainte Vierge et de la Sainte
Vierge portant l'Enfant Jésus. Feuille A (le bas des deux
sujets). — Lithographie à deux teintes PI. D
— Feuille B (le haut des deux sujets). — Lithographie à deux
teintes »
Vitrail de l'Enfant prodigue. — Gravure au trait PI. 65
Vitrail de saint ( Gravure au trait PI. 68
Jacques. j Détails. — Gravure au trait PI. 69
in
h
Vitrail de saint Georges. — Gravure i
Vitrail de Charlemagne. — Gravure »
W.HCIB.
PAG8S.
(XXVIII
129
XXXIX
a
XL
h
XLI
h
XLII
i33
XLIII
h
XLIV
h
XLV
i37
XL VI
«
XLVII
h
xlviii
i38
XLIX
h
L
a
LI
h
lu
7
LUI
i4a
LIV
h
LV
h
LVI
h
LVII
xhh
LVIII
«
LIX
i46
LX
i48
LXI
i&9
LX11
i54
LXIII
i57
LXIV
i58
LXV
h
LXVI
h
LXVI1
161
LXVIII
i6â
23
178 TABLE DES PLANCHES.
PLANCHES. PAGSS.
Vitrail du transept méridional ; grisaille du xiv* siècle. — Chro-
molithographie '/ LX1X 166
Vitrail du passage de la sacristie; grisaille du xiv" siècle. —
Chromolithographie PI. 66 LXX 168
Peintures de la crypte ; images de saints sous des arcades ; cha-
pelle de Saint-Clément. — Chromolithographie PL 56 LXXI 170
Peintures dans une chapelle de la crypte. — Chromolithographie. Pi. 57 LXXII 17a
**&
<?
■W/fs
V*
k . i*;^