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Full text of "Monologues comiques et dramatiques"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

Universityof  Ottawa 


littpV/www.archive.org/details/monologuescomiquOOgren 


Monologues 


COMIQUES   ET  DRAMATIQUES 


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E.  GRENET-DANCOURT 


Monologues 

COMIQUES  ET  DRAMATIQUES 

DITS    PAR    MM. 

GoQUELiN  aîné,  Mounet-Sully,  Worms,  Coquelin  cadet 

et  G\RMER,  de  la  Comédie-Française  ; 

PoREL,  Ama-ury,  Brémont,  Touzé^  Peutat   et   RiTEL,  de  VOdéon'^ 

DiEUDONNÉ  et  Léon  Ricquier,  du   Vaudeville; 

Galipaux,  du  Palais-Royal 'y 

Teryil,  des    Variétés;  G.  Ruef  et  Duard,  du  Conservatoire', 

M^^^  ScHMiDT,  de  l'Ambigu,  etc.,  etc. 


QUARANTE  ET  UNIÈME    ÉDITION 


PARIS 


Société      d'Éditions      Littéraires      et     Artistiques 

LIBRAIRIE    OLLENDORFF 

■  5o,  CHAUSSÉE  d'antin,  5o  I 


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201 


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MONOLOGUES 

COMIQUES   ET   DRAMATIQUES 


LE  POÈTE 

poésiK 
le  par  M.  Brémont,  du  théâtre  national  de  VOdéon, 


A  mon  ami  Emile  Gocdiav. 

Enfants,  tournez  un  peu  la  tête 
Vers  cet  homme  silencieux 
Qui,  là-bas,  contemple  les  cieui 
C'est  un  poète  I 

Si  jamais  son  regard  s'arrête 
Sur  vos  fronts  candides  et  dout 
Petits  enfants,  découvrez-Tous  : 
C'est  un  poète! 

i 


MONOLOGUES   COMIQUES   ET  DRAMATIQUES, 

Sa  mise,  hélas!  n'est  point  coquette. 
Son  vêtement  au  soleil  luit, 
Enfants,  ne  riez  pas  de  lui  s 
C'est  un  poète  I 

C'est  sous  les  toits  qu'est  sa  cnambrettd. 
L'hiver,  la  bise  y  souffle  dur, 
Mais  il  est  plus  près  de  l'azur  ; 
C'est  un  poète I 

Souvent,  il  n'a  pas  une  miette 
A  pouvoir  mettre  sous  ses  dents, 
Il  mâche  alors  des  vers  ardents  : 

C'est  un  poète  I 

Il  chante  la  nature  en  fête. 
L'ombre  des  nuits,  les  feux  du  jour. 
Les  oiseaux,  les  fleurs  et  l'amour  : 
C'est  un  poète! 

Lorsqu'il  va,  cheveux  en  tempôtt, 
Et  nez  au  vent,  sans  savoir  où. 
Tout  le  monde  dit  :  C'est  un  fou 
—  C'est  un  poète  I 


LE   POETE. 

Sans  que  sou  cœur  s'en  Inquiète, 
Il  sait  qu'il  ira,  c'est  fatal, 
Mourir  un  jour  à  l'hôpital  : 
Test  un  poète  l 

ïlais  lorsque  la  mort  qu'il  souhaite, 
Sur  son  aile  l'emportera, 
Le  ciel  devant  lui  s'ouvrir*  i 
Ceet  un  poèt^l 


CREDO  D'AMOUR 

POÉSIE 

Dite  par  M.  Dieudonné,  du  théâtre  du  Vaudeville. 


A  M.  Théodore  de  Banvilli* 

Lorsque  j'avais  vingt  ans,  je  croyais  que  l'amour 

N'était  qu'une  chimère,  un  caprice  d'un  jour; 

Ce  n'est,  pensais-je  alors,  qu'un  sentiment  frivole^ 

Un  charmant  oiselet  qui,  rapide,  s'envole 

Pour  toujours,  lorsqu'il  a,  souriant  et  moqueur, 

D'un  coup  d'aile  en  passant,  efûeuré  notre  cœur; 

Un  aimable  désir  quimpose  la  nature, 

Et  qui  varie  au  gré  de  la  température  ; 

Aussi,  quand  je  voyais  passer  sur  le  chemin. 

Les  yeux  au  fond  des  yeux  et  la  main  dans  la  maill| 

Des  groupes  enlacés,  leur  figure  ravie 

De  rire  me  donnait  tout  aussitôt  l'envie. 


6  Monologues  comiques  ëî  dramatiques. 

Je  suivais  dans  les  bois  leurs  pas  silencieux, 

Et  j'écoutais  —  blotti  dans  l'herbe  jusqu'aux  yeux, 

Les  serments  qu'échangeaient,  sous  les  voûtes  ombreuses, 

Avec  leurs  amoureux  les  pâles  amoureuses  : 

Tu  m'aimes? 

—  Je  t'adore. 

—  Est-ce  bien  vrai? 

—  Pourquoi 
Douter? 

—  Oui,  c'est  très  mal  et  je  veux  croire  en  toi. 
Ohl  vois  comme  là-haut  scintillent  les  étoiles, 
La  nuit  pour  nous  sourire  a  soulevé  ses  voiles. 

—  Il  fait  beau. 

—  N'est-ce  pas  qu'on  voudrait  mourir,  dis  ? 

—  J'y  pensais. 

—  S'en  aller  ensemble  au  Paradis, 
Quitter  sans  bruit  la  terre  et  sur  la  même  nue 
Monter  tout  doucement  vers  la  sphère  inconnue, 
Voir  l'univers  entier  dans  la  brume  du  soir 
S'effacer  lentement,  et  puis  ne  plus  le  voir, 
Envoyer  des  baisers  à  la  brise  qui  passe, 
Ravissant  les  secrets  des  mortels  dans  Tespacv, 
Et  se  dire  :  Je  t'aime,  et  le  redire  encor 

Au  milieu  de  l'azur  et  des  étoiles  d'orl 


CREDO  D'AMOUft.  1 

Veux-tu  mourir? 

—  Moi?  Non,  cher  amour,  je  veux  vif're, 
Pour  entendre  ta  voix  dont  le  charme  m'enivre. 
Pour  noyer  dans  tes  yeux  mes  yeux,  pour  écouter 
Près  de  mon  cœur  ton  cœur  frémir  et  palpiter, 
Pour  prendre  dans  ma  main  ta  petite  main  blanche, 
Et  courir  avec  toi  dans  les  bois,  le  dimanche  ;' 
Vivre,  pour  dénouer  et  baiser  tes  cheveux, 
Pour  étreindre  en  mes  bras  ton  corps  souple  et  nerveux, 
Et  t'entendre  à  la  fin  —  palpitante  et  ravie, 
Murmurer  doucement  :  Comme  c'est  bon,  la  viel 

Et  moi,  j'étais  toujours  couché  dans  les  genêts, 

Me  disant  :  Ces  amants  sont-ils  assez  benêts? 

Sont-ils  assez  naïfs,  l'homme  comme  la  femme. 

Toujours  môme  chanson  et  toujours  même  gamme! 

Pas  un  n'a  le  dessein  de  tenir  son  serment, 

Et  pas  un  cependant  ne  croit  que  l'autre  ment. 

Leur  ardeur?  —  feu  de  paille  1  Et  leurs  discours?  —  fumée 

Que  dissipe  en  son  vol  la  brise  parfumée. 

Ils  jurent  de  s'aimer  toujours?  —  Vienne  demain. 

Vous  ne  les  verrez  plus  sur  le  même  chemin. 

Éternité?  —  chimère I  Aimer,  être  aimé?  —  rôvét  ^ 

Qu'emporte  sur  son  aile,  en  fuyant,  l'heure  brève. 


ô  Monologues  comiques  et  dramatiques. 

C'est  ainsi  que  jadis  —  lorsque  j'avais  vingt  ans, 
Je  comprenais  l'amour.  —  On  change  avec  le  temps. 

C'est  dans  le  même  bois  tranquille  et  solitaire, 

Que  j'ai  compris  un  jour  l'adorable  mystère  : 

Du  sol,  Avril  avait  tiré  son  habit  vert, 

Et,  pimpant,  regardait  s'enfuir  au  loin  l'hiver; 

Les  fleurs  discrètement  sortaient  leur  nez  de  l'herbe; 

La  brise  caressait  la  cime  encore  imberbe 

Des  vieux  arbres  géants  et  courbait  les  roseaux, 

D'où  par  bandes  fuyaient  épeurés  les  oiseaux  ; 

Le  ruisseau,  dont  la  voix  chantait  douce  et  plaintive, 

Roulait  sous  le  ciel  bleu  son  onde  fugitive; 

Le  soleil  irisait  l'aile  des  papillons, 

Et,  prodigue  de  l'or  de  ses  premiers  rayons, 

Poudrant  et  pailletant  les  mousses  étalées, 

Les  ajoncs,  les  taillis,  le  sable  des  allées, 

A  tout  jetait  un  peu  de  son  ruissellement  : 

Aux  feuilles,  une  perle  ;  aux  fleurs,  un  diamant. 

Mais  des  voix  chuchotant  dans  la  sente  fleurie 

Viennent  subitement  troubler  ma  rêverie. 

Je  regarde,  et  je  vois  s'avancer  à  pas  lents, 

6ras  dessus,  bras  dessous,  deux  vieillards  chancelants, 


CREDO  b*AMOiJlt.  ^ 

^  femme  et  le  mari;  sous  la  verte  feuillée, 

Is  devisent  tout  bas,  et,  la  vieille,  égayée, 

lit  des  propos  badins  de  son  coquin  d'époux, 

ît  finit  par  lui  dire  :  «  Ah!  monsieur,  taisez-vous.  >» 

iais  monsieur  n'en  fait  rien;  de  ses  vieilles  mains  blanches, 

1  écarte  avec  soin  devant  elle  les  branches, 

ît  lui  montrant  un  banc  à  demi  vermoulu  : 

)i  l'on  s'asseyait  là  quelques  instants,  veux-tu? 

-  Non,  tu  vas  t'enrhumer. 

—  Et  toi  tu  seras  lasse  I 
Viens  donc  t'asseoir  avant  que  ce  bon  soleil  passe. 
Ht  les  voilà  tous  deux  côte  à  côte,  et  jasant 
)u  bon  vieux  temps  passé,  meilleur  que  le  présenti 
)u  temps  où  Ton  venait,  par  les  nuits  étoilées, 
5'égarer  tous  les  deux  dans  ces  mêmes  allées; 
)q  temps  trop  vite  enfui  des  premières  amours, 
)ù  Ton  n'avait  qu'un  mot  sur  les  lèvres  :  toujours! 
fout  revit  à  leurs  yeux  :  les  promesses  lointaines, 
^cs  serments  échangés,  les  bonheurs  et  les  peines, 
Les  projets  d'avenir  que  l'on  formait  tout  bas» 
Les  baisers  qu'on  volait  après  de  longs  débats, 
Et...  qu'on  rendait;  et  puis  leurs  noces,  en  décembre; 
Et  même  la  couleur  du  papier  de  la  chambre 
)ù...  naquit  leur  enfant;  —  un  homme  maintenant, 


40  MONOLOGUES  COMtOUES   ET  DRAMAtIQUES. 

Mais  qui  n'a  pas  écrit  depuis  le  jour  de  l'an. 

Puis  ce  sont  les  amis  couchés  ail  cimetière, 

Dont  l'ancien  souvenir  vi^nt  mouiller  leur  paupièrel 

C'est  qu'il  faudra  bientôt  les  rejoindre  là-bas, 

On  a  travaillé  dur,  on  est  vieux,  on  est  las. 

Et  chacun  devinant  tout  ce  que  l'autre  pense 

Ils  se  serrent  la  main  et  pleurent  en  silence. 

Puis,  s'essuyant  les  yeux,  mi-pleurant,  mi-riant, 

Ils  reprennent  bientôt  leur  route  en  babillant. 

Mon  regard  les  suivit  longtemps  sous  la  ramure, 
Et  longtemps  de  leurs  voix  j'entendis  le  murmure, 
Pais,  plus  rien,  j'étais  seul.  Et  c'est  depuis  ce  jour. 
Depuis  c«  jour  béni,  que  je  crois  à  ràmouri 


LES  VAGABONDS 

POÉSIE 

Oite  par  M.  'WoRUS, sociétaire  de  la  Comédie- Française» 


A  M.  BONJBAW. 

Un  enfant  est  conduit  devant  le  tribunal, 

On  l'a  pincé,  —  rôdant  sur  les  bords  du  canal j 

—  A  minuit,  et  l'agent,  que  ce  trait  hardi  pose. 
Le  narre  au  président,  et  gravement  dépose 
^-l'à  dormir  sous  un  pont  l'enfant  se  préparait. 

—  Eh  bien,  vous  entendez,  dit  le  juge,  il  paraît 
Que  l'on  est  sans  travail  et  que  Ton  vagabonde? 
Et  le  gamin  muet  penche  sa  tête  blonde, 

Se  demandant  pourquoi  ces  gens  ne  veulent  pas 
Qu'il  soit  libre  d'aller  où  le  portent  ses  pas?... 
Les  grands  bois  d'alentour  no  refusent  pas  l'ombre 
A  l'oiselet  blotti  dans  leur  feuillage  sombre.., 


l2  MONOLOGUES   COMIQUES   ET  DRAMATIQUES. 

Est-il  moins  qu'un  oiseau?  n'a-t-il  pas  comme  lui 
Un  peu  droit  de  chanter  lorsque  le  soleil  luit, 
Et  comme  lui  le  droit  de  clore  la  paupière, 
Sinon  sur  une  branche,  au  moins  sur  une  pierre? 

—  Voyons,  reprend  le  juge,  il  faut  parler  un  peu. 
L'enfant  lève,  inquiet,  son  œil  limpide  et  bleu. 

—  Ton  nom? 

—  Dam,  chez  nous,  c'est...  ÏAvorton  qu'on 

—  Que  fait  ton  père?  [me  nomme. 

—  Mort. 

—  Ta  mère  ? 

—   Avec    un 

—  Où  logent-ils  tous  deuxt  [homme. 

—  Oh  I  bien  loin,  tout  là-bas. 
~  A  Paris?...  Réponds  donci 

—  Monsieur,  je  ne  sais  pas. 

—  Tu  le  sais,  allons,  parle,  ou  crains  que  la  justice 
Dans  toute  sa  rigueur  sur  toi  s'appesantisse  I 
Parle,  à  rester  muet  tu  n'as  pas  d'intérêt. 

—  C'est  que... 

—  Quoi? 

—  C'est  que  l'homme  à  maman 

—  Il  te  bat?  [me  battrait 


LES  VAGABONDS.  IS 

—  Oui. 

■^  Pourquoi? 

—  Dam,  parce  que  je  mange. 
uis,  les  enfants,  il  dit  que  cela  le  dérange. 
faman  aussi  disait  que  j'ai  trop  d'appétit, 
SI  m'appelait...  un  monstref  alors,  moi,  j'ai  partie 

—  Enfin,  de  quoi  vis-tu? 

-  -  Du  pain  que  l'on  me  donne. 

—  Tu  n*es  pas  honteux  donc? 

—  Ça  fait  mal  à  persoun;^ 

—  On  trafaille  à  ton  âge  ! 

—  On  ne  m'a  pas  appris. 

—  Enfin  que  faisais-tu,  lorsque  l'agent  t'a  pris  ? 

—  Rien,  j'allais  me  coucher. 

—  A  terre? 

—  Oui,  par  terre 
•—  C'est  très  mal,  dit  le  juge,  avec  un  ton  sévère. 

Le  substitut  se  lève,  et,  d'un  ton  solennel, 
Dit  que  l'on  doit  punir  ce  jeune  criminel. 
Que  depuis  trop  longtemps  déjà  Paris  regorge 
De  bandits  qui  la  nuit  vous  prennent  à  la  gorge. 
Celui-là,  dira-t-on,  n'est  encor  qu'un  enfant. 
Qui  ne  sait  ce  qu'il  fait*  que  son  âge  défend! 


44  MONOLOGUES  COMIQUES  ET   DRAMATIQU£.S. 

Non,  non,  il  faut  qu'ici  la  justice  sévi&se, 
Et  tranche  sans  pitié  dans  son  germe  le  vice. 
Tous  les  bandits  d'ailleurs  sont  bandits  en  naissant. 
Et  l'âge  ne  fait  pas  que  l'on  soit  innocent. 
Quiconque  a  violé  la  loi,  qu'on  le  condamne  î 


Ah!  comme,  avec  plaisir,  j'aurais  giflé  cet  ùâe. 

Et  l'aurais  appelé  brute  en  plein  tribunal, 

Sans  le  respect  que  j'ai...  pour  le  municipaL 

Qu'on  le  condamne  I  Eh  non,  triple  sot,  qu'on  L'instruis 

Un  enfant  en  prison,  c'est  une  âme  qu'on  brisa. 

Une  fleur  qu'on  arrache,  un  pauvre  oiseau  blessé 

Qu*on  met  en  cage,  avant  que  de  l'avoir  pansé* 

C'est  un  cœur  commençant  à  palpiter  à  peine, 

Dans  lequel,  goutte  à  goutte,  on  fait  couler  1^  haine. 

Pour  vivre,  pour  aimer,  pour  croire,  pour  bénir, 

Et,  fuyant  le  passé,  marcher  vers  l'avenir, 

Il  faut  qu'il  ait  le  ciel  au-dessus  de  sa  tèfce, 

Et  ce  n'est  pas  pour  lui  que  la  prison  est  faite* 

C'est  une  immonde  école,  où  le  pauvre  être,  hélaal 

Apprend  bientôt  du  mal  tout  ce  qu'il  n'en  sait  pas. 

Oui,  c'est  là  qu'il  se  perd,  et  c'est  un  crime  en  somme 

D'y  jeter  un  enfant,  car  c'est  tuer  ua  komme" 


LES  VAGABONDS.  l6 

Ne  croyez  pas  au  moins  que  je  yeuille  aux  pavé» 
Rendre  les  vagabonds  par  les  faubourgs  baves  ; 
Non,  je  ne  prétends  pas  qu^l  faille  qu'on  délivre 
Un  enfant  que  de  vols  on  peut  supposer  vivr«  ; 
Je  dis  que  sur  la  pente  il  faut  le  retenir, 
Chercher  à  le  sauver  avant  de  le  punir, 
Remplacer  la  prison  par  l'asile  et  l'école, 
Et  les  coups  du  geôlier  par  la  saine  parole 
D'un  maître  qui,  cherchant  à  le  rendre  meilleur, 
Saura  bien  découvrir  le  chemin  de  son  cœur! 

Mais  j'entends  murmurer  que  je  heurte  l'usage, 

Et,  qu'en  tous  ses  arrêts,  la  justice  est  très  sage , 

Que  j'ai  tort  d'oublier  que  la  loi  c'est  la  loi, 

Et  devrais  bien  garder  ma  harangue  pour  moi. 

Je  sais  qu'à  discourir  en  vain  je  me  hasarde. 

Et  qu'on  continuera,  sans  même  y  prendre  garde, 

—  Pour  bien  prouver  à  tous  que  le  système  est  bop,  — 

A  faire  un  assassin  de  chaque  vaigabond. 

Cependant  je  ne  puis  me  résoudre  à  me  taire, 

Et  qu'ici  mon  avis  soit  ou  non  salutaire, 

Je  parlerai  (juand  même  :  Oui,  je  veux  prendre  en  mains 

La  cause  des  enfants  qui  vont  par  les  chemins^ 


le  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES- 

Saus  pain  et  sans  souliers,  errant  à  l'aventure, 
Et  n  'ayant  que  le  ciel  du  bon  Dieu  pour  toiture» 
C'est  parce  qu'ils  y  sont  souvent  trop  malheureux, 
Que  ces  pauvres  martyrs  s'en  vont  tous  de  chez  eux. 
Ah  I  vous  n'avez  jamais,  de  près,  vu  la  misère, 
Et  vous  ne  savez  pas,  quand  votre  enfant  se  serrf 
Doucement  contre  vous,  qu'il  est  de  noirs  taudis 
Où  ces  anges  du  ciel  en  naissant  sont  maudits; 
Vous  ne  vous  doutez  pas  qu'il  existe  des  mèreC 
P  our  qui  ces  chers  petits  sont  des  charges  amères  ; 
Qu'il  en  est  qui  n'ont  pas  l'instinct  de  l'animal, 
Et  dressent  leurs  enfants,  elles-mêmes,  au  mal; 
Que  tel  père  au  logis  revient  ivre  sans  cesse  ; 
Que  telle  mère  enfin  s'avilit  et  s'abaisse 
Jusques  à  recevoir  devant  eux  ses  amants, 
Et  les  rendre  témoins  de  ses  embrasse  mental 
Eh  bien!  répondez-moi  :  Peut-on,  je  le  demande^ 
Exiger  que  du  vice  un  enfant  se  défende, 
Et  ne  succombe  pas  dans  de  pareils  milieux? 
Hélas I  qui  donc  sait  si,  lorsqu'il  remonte  aux  cieux, 
Chassé  par  les  lueurs  de  l'aube,  leur  bon  ange 
N'emporte  pas  lui-même  à  l'aile  un  peu  de  fange î 

De  grâce,  ayons  pitié  de  ces  pauvres  petits 


LES  VAGABONDS.  i^ 

r  qui  tous  les  malheurs  se  sont  appesantis. 
1  nom  du  Dieu  puissant  qui  de  là-haut  nous  juge, 
(Irons  à  ces  enfants  un  asile,  un  refuge  ; 
ae  pour  eux  à  jamais  se  ferme  la  prison, 
clairons  leur  esprit  et  forgeons  leur  raison, 
en  grandes  ouvrons-leur  les  portes  de  l'école, 
ettons-leur  dans  la  main  le  livre  qui  console, 
ontrons-Ieur  le  respect  des  autres  et  de  soi, 
uis  leur  cœur  réveillé  faisons  germer  la  foi, 
ces  foyers  éteints  communiquons  la  flamme 
ai  soudain  fera  naître  et  grandir  en  leur  âme 
Bs  sentiments,  qu'en  lui,  tout  homme  doit  avoir  : 
amour  de  la  patrie  et  l'amour  du  devoir  I 

\ï\  oui,  tendons  les  mains  à  Tenfant  sans  demeura, 
ans  ouvrage,  sans  pain,  sans  famille,  et  qui  pleure 
uvrons-lui  bras  et  cœur,  et  cherchons  le  moyen  — 
i  bas  qu'il  soit  tombé  —  d'eu  faire  un  citoyen  I 


UNE  ENVIE 

MONOLOGUE 

JHt  par  M.  Porel,  du  théâtre  national  de  VOdéon, 

A  monsieur  Eudsl. 

Pins  je  yieillis,  mes  chers  amis, 
Et  plus  je  sens  grandir  rearie 
D'aller  loin,  bien  loin  de  Paris, 
If'enterrer  et  finir  ma  rie. 

Dans  qnelqne  coin,  je  choisirai 
Une  maisonnette,  un  cottage, 
Où,  sans  bmit,  je  me  blottirai 
Ainsi  qu'un  oiseau  dans  sa  cage 

Petite  sera  ma  maison,  — 

Deux  pièces?  —  Oui,  cuisine  et  chambre; 

Des  ilenrs  dans  la  belle  saison. 

De  bonnes  bûelies  en  décemlire? 


20  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Quelque  Jeanneton  de  là-bas 
Viendra  me  repriser  mes  nippes» 
Tandis  que  Tœil  sur  ses  appas... 
Eh  bien  I  non,  j'aurai  des  principes. 

Je  prierai  monsieur  le  caré 
De  m'adresser  quelque  dévote. 
Qui  marmottera  des  ave, 
En  raccommodant  ma  culotte. 

L'hiver,  assis  au  coin  du  feu, 
L'été,  sous  ma  verte  tonnelle, 
i* attendrai  que,  dans  le  ciel  bien, 
La  première  étoile  étincelle* 

Alors,  gagné  par  le  sommeil, 
Dans  mon  lit  aux  rideaux  de  serge^ 
J'allongerai  mon  corps  pareil 
Au  corps  nonchalant  d'une  vierge. 

ie  matin,  je  boirai  du  lait. 
Du  lait  que  je  trairai  moi-même, 
En  fredonnant  quelque  couplet. 
Ou  récitant  quelque  poème. 


tNfS  ÊNVIË.  21 

Taurai  toute  une  basae-cour, 
Des  poulets,  des  canards,  des  o'iet. 
Des  cochons  dont  avec  amour 
Mes  deux  mains  lustreront  les  soies. 

Tout  le  jour  je  jardinerai, 
Semant  navets,  poireaux,  cibouieS) 
Et  tous  les  dimanches  j'irai 
Sur  la  plac«  jouer  au  boules. 

Tous  les  dimanches,  c'est  plus  forU 
J'irai  grayement  i  la  messe, 
Peut-être  ferai-je  l'effort 
D'aller  quelquefois  à  confessa, 

le  suivrai  les  processions 
Ayee  une  chandelle  énorme. 
le  suis  plein  d'imperfections, 
U  est  temps  que  je  les  réforme. 

Parfois,  j'irai  faire  un  loto,  — 
Car,  il  faut  aussi  se  distraire, 
—  Un  whist  ou  bien  un  domino, 
Ches  le  docteur  ou  chez  le  maire* 


4^  lïONOLOGUES   COMIQUEîJ   ET  DRAMATIQUES. 

Je  vivrai  là-bas,  inconnu, 
Modeste,  chaste  et  bien  tranquille, 
Loin  de  ce  moude  saugrenu 
Qui  fourmille  dans  la  grand'ville. 

Oh  1  que  je  m'amuserai  bieni 
Je  lirai  Mathieu  de  la  Drôme  ; 
Ni  livres,  ni  journaux,  rien,  rien, 
De  Paris  m'apportant  l'arôme. 

Qael  plaisir  troufe-t-on,  Paris, 
A  chevaucher  sur  ton  bitume, 
Entre  des  arbres  rabougris 
Que  la  chaleur  du  gaz  consume? 

Ne  vaut-il  pas  mieux  sous  les  cieu» 
Voir  briller  le  soc  des  charrues, 
Qu'entendre  grincer  les  essieux 
De  tes  vieux  ûacres  dans  tes  raesf 

Ne  serai-je  pas  plus  heureux 
Avec  les  gens  de  la  campagne, 
Qu'avec  tous  tes  boursiers  véreux 
Qu'attend  la  prison  ou  le  baquet 


t'NE  EN  VIS.  ^ 

N'aurai-je  pas  plus  de  plaisir 
A  voir  quelque  robuste  fille 
Au  torse  impossible  à  saisir, 
Que  las  squelettes  de  Mabillet 

Paris  est  le  berceau  des  arts! 
Murmure-t-on  à  mei  oreilles  : 
Ses  beautés  lassent  mes  regards, 
En  demeurant  toujours  pareilles. 

Du  plus  humble  moulin  à  vent 
La  primitive  architecture 
Ne  channd-t-elle  pas  souvent 
Plus  que  tes  merveilles,  sculpture? 

Que  voit-on  de  nouveau  jamais? 
Rien  ne  change,  rien  ne  Tari« 
A  part  ministères,  préfett, 
Et  schakos  de  l'infanterie. 

Le  théâtre  devient  malsain  : 
Des  pièces  de  plus  en  plat  sales 
Sur  Tutilitô  du  vacciD, 
tcrites  dans  l'argot  des  halles. 


à4  MONOLOGUES  CÔMIOHES  ET  DRAMATIQUES. 

En  politique,  calme  plati 

Tout  ce  que  la  Chambre  décrète 

Est  repoussé  par  le  Sénat. 

L'une  dit  :  Marche I  Et  l'autre  :  Arrête^ 

Paris  ?  —  Paris  est  un  enfer, 
Un  profond  et  hideux  abîme  I 
Emporte-moi,  chemin  de  fer. 
Et  qu'un  peu  d'air  pur  me  ranime. 

Qu'ai-je  à  faire  avant  mon  départ? 

{Cherchant  dans  sa  mémoire,) 
Ce  soir  je  soupe  avec  Lucile 
A  six  heures...  suis  en  retard. 
Demain,  première  au  Vaudeville. 

Samedi,  bal  à  TÛpéra. 
Au  bois,  dimanche,  courses  plates. 
Le  soir,  chez  Jeanne,  on  dansera. 
Lundi,  reprise  des  Pirates. 

Boni...  promis  d'aller  dans  un  mois 
Pendre  crémaillère  chez...  Chose. 
Et  le  déjeuner  dans  les  bois, 
Depuis  trois  ans  promis  à  Rose  I 


tNE   ENVIÉ.  9S 


Allons!  il  faut  attendre  encor,"" 
Il  faut  encor  traîner  la  chaîne. 
Il  faut,  chassant  les  rêves  d'or. 
Attendre  la  saison  prochaine. 

Pins  je  yieillis,  mes  chers  amis. 
Et  plus  je  sens  grandir  l'envie 
D'aller  loin,  bien  loin  de  Paris, 
M'enterrer  et  unir  ma  vie  t 


A  L'AMPHITHEATRE 


Maurice  Rollihat. 

)e8  boyaux  déroulés  serpentent  sur  la  dalle. 
.es  cadavres  sont  mûrs  et  môme  déjà  verts. 
Jn  silence  pesant  règne  dedans  la  salle, 
i  pesant  qu'on  entend  presque  grouiller  les  vers. 

Jn  carabin  maigre  entre  et  plonge  sa  main  sale 
)ans  les  intestins  mous  et  les  ventres  ouverts  ; 
^uis  dans  un  coin  ramëisse  une  épine  dorsale, 
)u'il  dissèque  avec  soin  en  récitant  des  vers. 

i  est  là,  tout  entier  à  sa  noire  besogne, 
'ournant  et  retournant  son  morceau  de  charogne, 
it  moi,  je  le  regarde,  écœuré,  frémissant  : 

)estin  sombre  et  fatal  l  —  voilà  donc  où  tu  mènes? 
i'est  donc  là  votre  fin,  jouissances  humaines  ? 
Quelques  lambeaux  de  chair  ei  des  caillots  de  sang. 


PETITE  FERME 

POÉSIB 

Dite  par  M.  Albert  Rueff, 
nembre  de  la  Société  de  lecture  et  de  récitation» 


A  mon  ami  Lbloir,  de  la  Comédie-yrançaite* 

Assise  an  seuil  de  la  ferme^ 
La  grosse  servante  coud; 
Du  corsage  ouvert  au  cou. 
S'échappe  une  gorge  ferme. 

A  ses  pieds,  couchés  en  rond« 
Deux  matous  à  robe  rousse, 
Grisés  par  la  chaleur  douce 
Du  soleil,  font  leur  ronron, 

Pataud,  le  vieux  chien  de  garde, 
A  Tair  de  faire  la  cour 
Aux  coqs  de  la  basse-cour, 
fit  vaguement  les  regarde, 


30  MONOLOGUES  COMIQUES  ET   DRAMATIQUE». 

Sur  le  toit  de  la  maison, 
Un  jeune  pigeon  roucoule, 
Et  la  fontaine  qui  coule 
Accompagne  sa  chanson. 

Une  belle  vache  suisse 
Dans  l'herbe  haute  s'ébat  ; 
Sa  queue  en  cadence  bat 
Tantôt  son  flanc  ou  sa  cuisse. 

Plus  loin,  un  cochon  poursuit 
Sa  gente  dame,  mais  elle 
Récompense  mal  son  zèle^ 
Et  sans  répondre  s'enfuit. 

Une  poulette  coquette 
Lisse  son  manteau  soyeUx, 
Tout  en  faisant  les  doux  yeux 
A  certain  coq  en  goguette. 

L'âne,  attaché  par  le  ooti, 
Aperçoit  un  brin  de  paille, 
Et  pour  l'atteindre  il  tiraille 
J^ntj  c^u'il  casse  sou  licoii* 


PETITE    FERME.  Il 

Au  fond  du  verger  deux  homûMS 

Levant  le  nez  et  le  bec. 

Font  dégringoler,  avec 

Un  bâton  très  long,  les  pommes. 

Un  immense  peuplier 
Devant  la  maison  balance 
Son  corps  qui  tout  droit  s'élance. 
Et  que  rien  ne  peut  plier. 

Par  la  fenêtre  entr'ouverte, 
On  aperçoit  le  dressoir, 
Et  pour  le  repas  du  soir 
La  table  déjà  couverte. 

Et  dans  l'ombre  le  profil 
D'une  vieille  en  coiffe  blanchd, 
Qui  hache  sur  une  planche 
Des  oignons  et  du  persil. 

Au  feU)  le  ragoût  mijote, 
Et  pour  que  ça  soit  parfait, 
La  vieille  grand'mère  fait 

Uoe  saixce  ravigote  ^ 


32  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Trois  bébés  roses,  joufflus, 
Regardent  danser  la  sauc«^ 
Et  le  plus  petit  se  hausse 
^  Pour  voir  les  glougous  du  jus. 

Puis  Ton  saute  et  Ton  se  roule 
Avec  des  cris  de  bonheur  : 
Ça  sent  si  bon,  que  l'odeut 
De  la  cuisine  les  saoule. 

La  mère,  dans  son  fauteuil. 
Caresse  la  blonde  tête 
De  son  dernier  qu'elle  allaite, 
Et  suit  tout  du  coin  de  l'œil. 

Mais  le  ciel  devient  tout  rouge^ 
Et  le  soleil  radieux 
Éteint  lentement  ses  feux 
Dans  la  brume  où  rien  ne  bouge. 

Ding,  din,  don  1  Din,  don,  —  répond 
L*écho.  La  servante  laisse 
Là  son  aiguille,  et  se  baisse 
Pour  retrousser  son  jupo^. 


PETITE   FERME.  S3 

Elle  fait  une  cravache 
Avec  un  brin  de  bouleau. 
Et  conduit  au  bord  de  l'eaa 
Les  cochons,  l'&ne  et  la  rache* 

La  ferme  est  pleine  de  cris  ; 
C'est  un  bruit  épouvantable 
Autour  de  la  longue  table 
Où,  d'assaut,  les  plats  sont  prit. 

Au  milieu,  le  maître  jase 
Et  raconte  à  tous  comment 
Se  perd  un  gouvernement, 
Mais  sans  achever  sa  phrase. 

Tous  dorment,  car  ils  sont  las. 
Puis  bientôt  chacun  se  lève 
Et  court  achever  son  rêve 
Sur  le  dos  d'un  matelas. 

Et  le  reflet  des  chandelles. 
Le  bruit  des  pas  et  des  voix, 
Troublent  là-haut,  sous  les  toits. 
Le  sommeil  des  hirondelles. 


MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Tout  s'éteint  et  tout  s*endort  : 
Et  la  nuit,  une  par  unej 
Sur  sa  longue  robe  biua« 
Fixe  des  étoiies  d'or. 


ATTILA 


POÉSIE 


Dite  par  M.  Mounet-Sdlly,  sociétaire  de  la  Comédie- 
Française, 


A  M.  Henri  de  Bonniiiin 

Depuis  que  tu  n'es  plus,  à  farouche  Attila, 
Noir  guerrier  devant  qui  l'univers  recula, 
Les  fleurs  de  notre  sol  se  sont  souvent  fanées, 
Bien  des  ans  sont  venus  s'ajouter  aux  années. 
Notre  terre  a  reçu  dans  ses  flancs  bien  des  corps, 
Nourri  bien  des  vivants  et  bercé  bien  des  morts? 
Bien  souvent  le  soleil  a  brillé  sur  nos  luttes, 
Éclairant  tour  à  tour  nos  gloires.,,  et  nos  chutes; 
Car  les  prés  que  foula  ton  cheval  hennissant 
Ont  bu  depuis  ta  mort  bien  des  pleurs  et  du  sang. 
Le  temps  a  dans  son  vol  dénoué  bien  des  chaînes. 
Brisé  bien  des  amours«  fait  taire  bien  des  haines  ; 


3Ô  MONOLOGUES   COMIQUES   ET   DRAMATIQUES. 

Mais  il  n'a  pu,  ce  temps  qui  fuit  sans  revenir, 

Effacer  de  nos  cœurs  ton  hideux  souvenir. 

Bien  des  noms,  qu'a  tracés  en  lettres  d'or  l'histoire 

Ne  disent  aujourd'hui  rien  à  notre  mémoire... 

Non,  nous  ne  savons  plus  les  noms  môme  d'aïeux 

Dont  l'univers  chanta  les  exploits  glorieux  ; 

Mais  ton  nom,  Attila,  nous  le  savons  encore  : 

Enfant,  c'est  le  premier  qu'on  sait  et  qu'on  abhorre. 

Ce  nom,  c'est  le  premier  qu'en  notre  histoire  on  lit. 

C'est  aussi  le  premier  que  l'histoire  avilit. 

Attila,  roi  des  Huns,  regarde  cette  Gaule 

Que  tu  Toulais  briser,  comme  l'orage  un  saule  ; 

Regarde  tous  ces  Francs,  dont  tu  prétendais  voir 

La  race  entière  un  jour  soumise  à  ton  pouvoir  ; 

Regarde  nos  cités  oi!i  la  richesse  abonde. 

Nos  vaisseaux  surchargés  fendant  la  mer  profonde, 

Nos  fleuves,  nos  forêts,  nos  vallons  et  nos  prés. 

Et  nos  vignes  au  flanc  des  coteaux  empourprés  I 

Attila  le  lion,  Attila  le  superbe. 

Regarde  nos  moissons  I  —  Elle  a  repoussé,  l'herbe  I 

Pauvre  fou,  tu  disais  dans  ta  stupide  erreur. 

J'ai  pour  anéantir  ce  peuple  la  terreur 

Tu  comptais,  insensé,  sans  le  Dieu  des  armées. 

Qui  devait  secourir  nos  hordes  alarmées, 


ATTILA.  31 

Sans  le  Dieu  qui  devait,  de  tous  tes  crimes  las. 

Te  faire  enfin  sentir  la  vigueur  de  son  bras, 

A  peine  de  Lutèce  as-tu  touché  l'enceinte, 

^ue  ce  Dieu  fait  surgir  Geneviève,  la  Sainte, 

Et  l'on  te  voit  trembler,  toi,  guerrier  triomphant 

Devant  cette  humble  femme,  ainsi  qu'un  faible  enfant 

Tu  pensais  mettre  aux  pieds  de  ces  Francs  des  entraves! 

Comme  s'ils  étaient  nés  pour  faire  des  esclaves  1 

S'ils  avaient  été  même  abandonnés  du  sort, 

Ils  se  seraient  forgé  de  l'honneur  dans  la  mort. 

Vaincre  ou  mourir  I  telle  est  la  devise  de  France... 

Qu'importe  le  trépas,  qu'importe  la  souffrance. 

Pourvu  que  la  patrie  ait  un  nom  glorieux, 

Et  que  ses  ûls  soient  tous  dignes  de  leurs  aïeux  I 

Pauvre  patrie  ï  Ainsi  qu'un  vaisseau  qui  se  penche. 
Nous  avons  vu  souvent  sombrer  ta  voile  blanche  ; 
Car  d'autres,  Attila,  sont  venus  après  toi. 
Répandre  parmi  nous  le  carnage  et  l'effroi. 
Mais,  ainsi  que  le  roc  résiste  au  choc  de  l'onde. 
Notre  France  toujours  rayonne  sur  le  monde, 
Ah!  si  malgré  ses  deuils,  malgré  l'ambition. 
Elle  est  toujours  la  grande  et  sainte  nation. 
C'est  qu'elle  ss  relève  aussitôt  abattue. 


as  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUÉI. 

Et  qu'enfin,  pour  la  vaincre,  il  faudra  qu'on  la  tue. 
Et  c'est  toi  qui  voulais  la  détruire,  Attila  ? 
Dis-nous  donc  sur  quel  Dieu  tu  comptais  pour  cela? 
Ceux  qui  contre  les  Francs  ont  excité  tes  haines, 
T'avaient-ils  dit  quel  sang  circulait  dans  leurs  veines  î 
Toi,  les  vaincre  ?  Allons  donc,  tu  ne  l'as  pas  pensé  ; 
Tu  n'as  pas  fait  un  rêve  à  ce  point  insensé  : 
Tu  savais  ta  défaite,  et  que  le  poids  des  Gaules 
Eût  fait  craquer  les  os  de  tes  larges  épaules. 

Oui,  je  t'entends,  tu  dis  que  j'oublie  aisément, 

Qu'hier  je  n'aurais  pas  parlé  si  fièrement. 

Et  que  l'on  voit  encore  à  nos  flancs  la  blessure 

Qu'y  fit  d'un  nouveau  Hun  la  cruelle  morsure. 

Tu  t'étonnes,  dis-tu,  de  voir  sur  notre  front 

Le  signe  inefîacé  du  plus  sanglant  affront  ; 

Tu  demandes  enfin  si  le  peuple  de  France 

A  plus  d'orgueil  au  fond  du  cœur  que  de  vaillance, 

Et  s'il  croit,  pour  laver  les  outrages  reçus. 

Qu'il  suffit  que  les  ans  passent  dix  fois  dessus  ? 

Non,  mais  il  sait,  vois-tu,  ce  peuple  que  tu  railles 

Que  ce  n'est  pas  encor  l'heure  des  représailles  ; 

Il  sait  qu'il  ne  faut  pas,  pour  aller  aux  combats, 

Des  braves  seulement,  mais  aussi  des  soldats; 


ATTILA.  d9 

H  sait,  il  en  a  fait  Texpérience  sombre. 
Que  la  valeur  ne  peut  se  mesurer  au  nombre 
Que  pour  combattre  il  faut,  non  seulement  vouloir 
Mais  qu'il  faut  avant  tout  et  s'instruire  et  savoir  ; 
Que  îe  travail  peut  seul  rendre  un  pays  prospère, 
Qu'enfin  la  guerre  épuise,  et  la  paix  régénère, 

Il  n'a  point  abdiqué  son  légendaire  orgueil, 
Et  s'il  retient  les  cris  de  sa  pauvre  âme  en  deuilj 
Ce  n'est  pas,  Attila,  que  sa  fierté  chancelle, 
Non,  mais  que  d'un  passé  récent  il  se  rappelle. 
Autrefois,  sans  rien  voir,  il  allait  devant  lui  ; 
Sur  un  signe,  il  marchait.  Il  regarde  aujourd'hui. 
11  est  comme  jadis  prêt  à  donner  sa  vie, 
Mais  ne  veut  la  donner  qu'à  la  mère  Patrie. 
S'il  faut  demain  se  battre,  il  n'hésitera  pas  : 
I  Mais  avant  de  courir  à  de  nouveaux  combats, 
Il  veut  d'abord  savoir  si  les  jeunes  épées 
i  Sont  d'un  acier  plus  pur  que  les  autres  trempées. 
Il  veut,  plus  que  jamais  jaloux  de  sa  grandeur 
Savoir  en  quelles  mains  il  remet  son  honneur. 
Il  a  vu  se  creuser  au  sol  assez  de  tombes, 
Et  ne  veut  plus  enfin  (te  vaines  hécatombes. 
Mais  s'il  maudit  la  guerre  et  demande  la  paix» 


lu  MONOLOGUES   COMIQUE^   ET   DRAMATIQUEâ. 

Qu'on  ne  soit  pas  tenté  de  l'insulter  jamais, 

Qu'on  ne  lui  fasse  pas  désirer  la  revanche, 

Car  du  vase  il  se  peut  que  le  trop-plein  s'épanche; 

Il  se  peut  qu'un  jour  vienne  où  le  lion  qui  dort 

Écrase  tout  à  coup  l'insecte  qui  le  mord. 

A  d'imprudents  défis  s'il  fallait  qu'il  réponde. 

Ce  peuple  mâle  et  fier  saurait  prouver  au  monde 

Qu'il  honore  toujours  la  devise  qu'il  a. 

Et  qu'il  n'est  pas  de  ceux  qu'on  soufflette,  Attila  ) 


LA  CHASSE 


MONOLOGUE 


DU  par  M.  GoQUELiN  aîné,  sociétaire  de  la  Comédie- 
Française, 


A  M.  Edmond  GoNDiiftTi 


Tontaine  I  —  La  meute  égayée 
Poursuit  ayec  de  joyeux  cris, 
Dans  la  campagne  balayée. 
Cailles,  lapins,  lièvres,  perdrix. 

Voilà  quinze  jours  que  je  chasse. 
Et  je  n'ai  rien  tué  du  tout. 
J'ai  trouvé  du  gibier  en  masse, 
Mais  je  n'ai  pu  faire  an  seul  coup 

Vous  croyez  que  c'est  maladresse? 
Eh  bien  I  vous  êtes  dans  l'erreur  : 
Le  Gun-GIub  lui-même  confessa 
Que  je  suis  excellent  tireur. 


4S  MONOLOGUES  COMIQUES  Eî  DftAMATIOUÉS. 

Mais  quel  conte  alors  vous  nous  faites  î 
Jfe  vais  vous  le  dire  en  deux  mots  • 
J'aime,  j'idolâtre  les  bêtes, 
Oui,  je  suis  fou  des  animaux. 

C'est  en  vain  que  je  me  raisonne, 
En  vain,  je  cherche  à  m'endurcir, 
Dès  que  le  son  du  cor  résonne 
Je  sens  des  frissons  me  saisir. 

Pourtant,  je  m'arme  de  courage, 
Et  je  me  dis,  chaque  matin, 
Qu'il  faut  enfm  faire  un  carnage. 
Et  tuer  au  moins...  un  lapin. 

Je  tâcherai  que  ma  victime 
Soit  un  vieux  lapin...  de  vingt  ans. 
Tuer  un  jeune  serait  crime, 
Car  il  peut  avoir  des  enfant» 

Ahl  ma  tendresse  vous  fait  rire? 
Pour  vous,  un  lapin  mort,  c'est  peu. 
Et  même,  quand  on  le  fait  cuire, 
Au  besoin  vous  soufflez  le  feu. 


U  CHASSE.  Ù 

Vous  vous  riez  de  la  misère 
Des  enfants  que  laisse  le  mort; 
Mais,  si  l'on  tuait  votre  père, 
Vous  verrait-on  rire  aussi  fort? 

Oui,  je  sais,  votre  père  est  homme 
Et  non  lapin,  mais  pouvez-vou» 
Savoir  si  le  lapin,  en  somme, 
Aime  ses  parents  moins  que  nous? 

Qui  donc  sait  si,  sous  la  charmille', 
Cailles,  perdreaux,  lièvres,  lapins, 
Ne  goûtent  pas  mieux  la  famille 
Que  tout  le  reste  des  humain»? 

Le  lapin  met-il  en  nourrice 
Ses  petits  enfants  en  naissant. 
Pour  téter  un  lait  clair,  factice, 
Et  qui  leur  appauvrit  le  sang? 

Les  cailles  sont-^lles  coquettes? 
Ruinent-elles  leur  époux, 
Mesdames,  avec  leurs  toilettes, 
Ainsi  que  vous  le  faites,  vous? 


44  MONOLOGUES   COMIQUES  ET  DHAMATIQUE». 

A-t-on  jamais  entendu  dire 
Qu'un  lièvre  ait  porté  quelquefois 
Cette...  couronne...  du  martyre, 
ûu*à  tant  de  nos  maris  je  vois? 

Voit-on,  dans  de  folles  agapes, 
Des  perdreaux  boire  jusqu'au  jour, 
Et,  lourds  encor  du  jus  des  grappes^ 
Cogner  leurs  femmes  au  retour? 

Les  animaux  ont-ils  des  dettes? 
A  leur  logis  rentrent-ils  tard? 
Voyez-vous  des  perdrix  seulettes 
À  minuit  sur  le  boulevard? 

Au  coin  d'une  sente  embaumée» 
Avez-vous  jamais  entendu 
Un  lièvre  à  la  voix  enrhumée 
Crier  un  journal  dissolu? 

A-t-on  jamais,  je  le  demande^ 
Vu  des  animaux,  quelquefois, 
Préférer  dissoudre  leur  bandé 
Plutôt  que  d'obéir  aux  lois? 


LA   CHASSE.  4r) 


Les  voit-on,  dans  les  hautes  herbes, 
Aux  Grandes  Bêtes  de  chez  eux 
Dresser  des  colonnes  superbes, 
Pour  les  Casser  ensuite  en  deux? 

Les  Toit-on,  après  une  course, 
Se  passer  une  corde  au  cou, 
Ou  bien,  après  un  coup  de  bourse» 
Filer  bien  vite  on  ne  sait  où? 

Voyez-vous  à  la  préfecture 
Coffrer  des  bandes  d'animaux, 
Pour  avoir,  à  la  nuit  obscure, 
Dans  des  dos  planté  des  couteaux? 

Troublent-ils  donc  la  paix  publique? 
Cherchent-ils,  par  quelque  forfait, 
A  renverser  la  République, 
Comme  plus  d'un  chez  nous  Je  fait? 

Les  voit-on  dans  les  ministères 
Quêter  des  décorations. 
Ou  dans  de  sombres  monastères 
Tramer  des  révolutions? 


4^  MONOLOGUES   COMIQUES  ET   DRAMATIQUES, 

A  l'État  font-ils  des  requêtes? 
Lui  diseni^ils  dans  leurs  discourt 
De  vouloir  bien  couper  des  têtes, 
Oo  de  supprimer  lea  tambours? 

Non,  ils  demeurent  bien  tranquilles, 
Au  sein  des  plaines,  des  forêts, 
Loin  des  bruits  du  monde  et  des  villes^ 
Dans  les  sillons  ou  les  guérets. 

Pourquoi  leur  vouer  tant  de  haine? 
Est-ce  grand  crime,  s'il  vous  plaît, 
De  picorer  un  peu  de  graine, 
Ou  de  brouter  du  serpolet? 

Pour  moi,  plus  je,  les  envisage, 
Plus  je  les  trouve  bons  et  doux. 
Et  moins  aussi  je  trouve  sage 
De  les  poursuivre  de  nos  coups* 

Aussi,  lorsque  au  fond  d'une  allée» 

J'aperçois  parfois  un  lapin. 

Ou  quelque  perdrix  affolée, 

Je  suis...  je  sens...  je  pleure  enfin! 


LA  CUASSE.  47 

Et  puis  tout  à  coup...  je  me  mouche. 
Avant  d'armer  mon  Lefaucheux^ 
Alors,  quand  tonne  ma  cartouche, 
Us  sont  déjà  loin  de  mes  yeux. 

Et  tout  bas,  en  voyant  leur  fuite. 
Je  me  dis  :  cela  les  rendra 
Beaucoup  plus  prudents  dans  la  suite^ 
Et  de  la  mort  les  sauvera. 

L'herbe,  par  Tautomne  rouillée. 
Que  foule  mon  pas  cadencé, 
Sera-t-elle  jamais  mouillée 
Par  le  sang  que  j'aurai  versé? 

Je  ne  le  crois  pas,  car  en  somme, 
Je  vous  le  déclare  en  deux  mots  : 
Plus  j'étudie  et  connais  l'homme^ 
St  plus  j'aime  les  animaux. 


SOUPIRS    D'UN    NÈGRE 


A  mon  ami  Jdlbs  Lkvy. 


Bon  nègre  quitter  forêts, 
Pour  suivre  loin  caravane  ; 
Cœur  à  li  plein  de  regrets 
Li  toujours  pleurer  cabane. 

LasI  plus  d'ombrages  discrets, 
Plus  d'orange,  de  banane; 
Plus  pouvoir  conter  secrets 
Aux  oiseaux  de  la  savane. 

Plus  de  beau  ciel  indigo; 
Pour  cueillir  noix  de  coco 
Plus  se  suspendre  à  la  branche. 

Et  puis,  plus  jamais  pouvoir 

Dire,  à  la  brise  du  soir, 

y  bien  aimer  femme  blanche* 


us  ENFANTS  DE  L'IVROGNE 

POÉSIE 
Hte  par  M.  Léon  Rtcquier,  du  théâtre  du  Vaudeville, 


A  M.  Eugène  Mandbl. 

l'est  l'hiver,  il  est  nuit,  et  la  lueur  blafardt 

t  pâle  de  la  lampe  éclaire  la  mansarde, 

e  logis  est  muet.  Au  fond  du  galetas, 

)eux  enfants,  étendus  sur  un  vieux  matelas, 

lorment  de  ce  sommeil  dont  seuls  dorment  les  anges. 

,e  vent  sur  les  toits  a  des  sifflements  étranges, 

e  ciel  est  sans  étoile,  et  l'ange  de  la  mort 

emble  planer  là-haut  sur  Paris  qui  s'endort. 

îuel  froid  dans  cette  chambre  où  la  bise  pénètre 

*ar  la  porte  mal  close,  ainsi  que  la  fenêtre  ; 

/hiver  paraît  plus  dur  en  cet  obscur  réduit, 

lu  pas  le  moindre  feu  ne  pétille  et  ne  luit; 

)q  sent  que  la  misère  au  joug  épouvantable 


52  MONOLOGUES   COMIQUES   ET   DRAMATIQUES. 

Règne  en  ce  noir  taudis;  la  lampe  sur  la  table 
Se  meurt  et  semble,  ainsi  qu'un  funèbre  flambeaa, 
De  ses  derniers  reflets  éclairer  un  tombeau. 
Une  femme  est  debout  près  du  lit,  pâle,  sombre; 
Son  regard,  qui  fait  mal,  a  l'air  de  fouiller  l'ombre. 
C'est  la  mère.  Son  front  se  penche  soucieux  ; 
Parfois,  ses  yeux  rougis  se  tournent  vers  les  cieux. 
Comme  pour  implorer,  et  sa  bouche  livide 
Murmure  on  ne  sait  quoi,  qui  se  perd  dans  le  vide. 
Elle  pleure,  et  sa  Jeanne,  une  enfant  de  huit  ans, 
La  regarde  pleurer,  et  l'enfant,  par  instants, 
Sèche  avec  un  baiser  les  larmes  de  sa  mère. 
Ohl  ces  baisers,  qui  font  ta  douleur  moins  amère, 
Et  viennent  remuer  si  doucement  ton  cœur, 
Comme  tu  les  reçois,  6  mère,  avec  bonheuri 
Pauvre  femme,  six  mois  après  son  mariage, 
L'enfer  était  entré  déjà  dans  le  ménage. 
Chaque  soir  son  mari  rentrait  un  peu  plus  tard. 
Ne  l'embrassant  pas  plus  au  retour  qu'au  départ  ; 
Et,  sans  même  essayer  d'inventer  une  excuse. 
Quand  elle  se  plaignait,  disait  que  la  cambuse 
Lui  semblait  sombre,  triste,  enfin  qu'il  préférait 
Aux  douceurs  du,  foyer  celles  du  cabaret; 
Qu'il  entendait  d'ailleurs  vivre  tout  à  sa  guise. 


LES   ENFANTS   DE   l'iVROGNB.  53 

Tel  que  bon  lui  semblait,  quoi  que  sa  femme  en  dise. 

Et  c'était  chaque  jour  quelque  nouyel  affront  ! 

La  femme  était  craintive,  elle  courba  le  front. 

Une  espérance  encor  lui  restait,  la  dernière, 

C'est  yrai,  mais  la  plus  douce  :  elle  allait  être  mère^ 

Et  tout  le  long  du  jour  elle  songeait  tout  bas  : 

<  Oui,  quand  je  placerai  notre  enfant  dans  ses  bras, 

»  Alors  il  comprendra  les  saint»  devoirs  du  père, 

»  Et  l'enfant  lui  fera  peut-être  aimer  la  mère. 

»  Un  enfant,  c'est  si  beau  !  le  rayon  de  soleil 

»  Qui  vient  nous  saluer  chaque  jour  au  réveil, 

»  Est  moins  gai,  moins  fleuri,  que  cette  aube  riense 

»  Entrant  avec  l'enfant  dans  la  maison  joyeuse  I  » 

Elle  espérait.  Hélas,  sur  terre  il  le  faut  bien  ! 

Sans  l'espoir,  ici-bas,  que  sont  les  hommes?  Rien. 

Le  bonheur  n'est-il  pas  mobile  comme  l'onde?  — 

Le  jour  vint,  et  l'enfant,  ce  sphinx  à  tête  blonde. 

De  toutes  nos  douleurs  vint  réclamer  sa  part. 

Quelqu'un  dit  :  Une  ÛUe  1  Immobile  à  l'écart» 

Le  père  ne  dit  rien  ;  à  peine  ce  front  rose 

Reçut-il  un  baiser  de  sa  bouche  morose. 

La  mère  avait  tout  tu,  son  cœur  s'était  serré 

En  voyant  s'envoler  le  bonheur  espéré, 

Mais  ses  yeux  pleins  de  fièvre  étaient  restés  sans  larmes. 


54  MONOLOGUES   COMIQUES  Et   DRAMATIQUES. 

C'est  qu'elle  avait  senti  de  mortelles  alarmes 
Soudain  naître  en  son  âme,  et  qu'elle  avait  comprî? 
Qu'il  fallait,  pour  l'enfant,  vivre,  vivre  à  tout  prix 
Donc  elle  guérit  vite,  et  pleine  de  courage 
Se  mit  à  travailler  nuit  et  jour,  avec  rage 
.Sans  être,  hélas  !  jamais  sûre  du  lendemain  ; 
Lorsque  l'homme  au  logis  n'apporte  pas  son  gain, 
Ce  que  gagne  une  femme  est  peu  dans  un  ménage  ; 
Puis  ce  qui  fait  défaut,  bien  souvent,  c'est  l'ouvrage. 
Hélas  I  plus  de  travail,  plus  de  pain.  Noir  souci  1 
Seigneur,  qu'ont-ils  fait,  ceux  que  ta  main  frappe  ainsi? 

Mais  le  temps  a  passé,  le  destin  moins  sévère 

Aura  peut-être  enfin...  Non,  non,  la  pauvre  mère 

N'a  point  vu  s'adoucir  la  rigueur  de  ses  lois  ; 

Ce  n'est  plus  un  enfant  qu'il  faut  nourrir,  c'est  trois  I 

Trois,  qui  souvent  en  vain  réclament  leur  pâture, 

Et  déjà  de  la  faim  connaissent  la  torture  I 

La  tâche  est  maintenant  trop  lourde  pour  ses  bras, 

Et  le  corps  est  vaincu,  si  F  âme  ne  Test  pas. 

Pour  nourrir  ses  petits,  elle  a  vendu  ses  harde»^ 

Ses  meubles,  ses  oiseaux,  se-jl  luxe  des  mansardes. 

Il  ne  lui  reste  plus  que  quelques  vieux  débris. 

Pour  lesquels  les  marchands  n'ont  offert  aucun  prix; 


tES   ENFANTS   DE  l'iVROGNE.  tt 

Et  tandis  que  le  père  au  cabaret  s'eniTre, 
Ses  enfants  n'ont  pas  même  un  peu  de  pain  pour  vivre. 
Oh  !  mais  la  coupe  est  pleine,  et  c'est  assez  souifrir, 
II  faut  qu'elle  lui  parle,  oui,  son  cœur  Ta  s'ouvrir. 
Voilà  bien  trop  longtemps  déjà  qu'elle  balance, 
Il  faut  qu'elle  lui  dise  enfin  ce  qu'elle  pense. 
C'est  aujourd'hui  la  paye  et  monsieur  reviendra 
Tard,  encor  s'il  revient;  —  n'importe,  elle  attendra. 
Elle  attend  en  effet,  pâle  comme  une  morte, 
Elle  attend,  et  ses  yeux  ne  quittent  pas  la  porte. 
Tout  à  coup,  un  pas  lourd  fait  trembler  l'escalier, 
Quelqu'un  mante.  On  entend  jurer  sur  le  palier.  — 
C'est  lui.  La  porte  s'ouvre.  —  Il  est  là,  devant  elle. 
Maintenant  elle  a  peur  et  son  âme  chancelle. 
Elle  voudrait  parler,  mais  elle  ne  peut  pas. 

—  Ah  !  maman,  j'ai  bien  faim,  lui  dit  Jeanne  tout  bas. 

—  Tais-toi,  tais-toi,  ma  Jeanne.  Et  se  plaçant  en  face 
De  son  homme,  elle  dit  :  —  Il  faut  que  je  te  fasse 
Un  aveu  :  les  enfants,  ce  soir,  n'ont  pas  mangé. 

—  Pourquoi  ça? 

«i-  Je  n'ai  plus  d'argent. 

-  Bahl 

-  -  J'ai  changé 
Vingt  sous  hier  au  soir,  et  je... 


S6  MONOLOGUES  COMIQUKS  ET   DRAMATIQUE^. 

—  C'est  bon,  silence  I 
^  Donne-moi  de  l'argent. 

—  Ah  çàl  dis  donc,  je  pens 
Que  tu  vas  me  laisser  la  paix. 

^  Tu  devient  fou. 
Je  te  dis  que... 

—  Tais-toi. 

—  Mais... 

—  Je  n'ai  pas  le  soa 

—  On  t'a  payé  ce  soir. 

—  Possible,  mais  je  garda 
Tout. 

—  Ahl  tu  gardes  tout,  et  moi? 

—  Ça  te  regarde  I 

—  Et  tes  enfants? 

—  Assez,  j'aime  pas  les  discoars. 

—  Écoute,  jusqu'ici  je  n'ai  pas  eu  recours 

A  toi  pour  les  nourrir^  mais  il  m'est  impossible 
De  lutter  plus  longtemps.  Ne  sois  pas  insensible; 
Vois,  la  misère,  hélas  I  règne  en  notre  logis, 
Et  mes  yeux,  par  les  pleurs  et  les  veilles  rougis, 
Ne  verront  bientôt  plus  les  points  sur  mon  ouvrage^ 
Moi,  je  veux  bien  pâtir,  vois-tu,  —  j'ai  du  courage; 
Mais  eux,  ces  chers  petits  que  Dieu  nous  a  donnés, 


LÈS   ENFANTS   DE   l'ivR0GN8.  5? 

f*uis-je  les  voir  souffrir,  les  doux  abandonn(^s? 
■  -  J'ai  pas  le  sou,  voilà  le  plus  clair  de  l'histoire 

-  Tu  n'as  pas  le  sou  î 

—  Non. 

—  Non!  excepté  pour  boire  ! 

-  Je  fais  c«  que  je  veux. 

—  Hélas  I  je  le  lais  bien. 

-  Ce  n'est  pas  ton  argent  que  je  bois,  c'est  le  mien. 

-  Malheureux  1 

—  C'est  assez. 

—  Lâche I  sans  cœur!  ivrogne  I 
»  Ah!  pas  un  mot  de  plus,  la  vieille,  ou  bien  je  cogne. 

-  Je  parlerai. 

—  Prends  garde  1 

—  Allons,  regarde-moi  l 
'u  fis  trembler  longtemps  la  femme  devant  toi, 
rois  donc  un  peu  si  tu  feras  trembler  la  mère  1 

-  Tais-toi  I 

—  Je  ne  crains  plus  tes  coups  ni  ta  colère. 
'-  Assez,  te  dis-je,  assez! 

—  Va,  crie  encor  plus  fort, 
e  n'ai  plus  peur  de  rien,  pas  même  de  la  mort. 

-  Te  tairas-tu? 

-»  Me  tairai  Ah  ci  !  voyons,  tu  railles? 


58  M^INOLOGUES   COMIQUES   ET    DRAMATIQUES. 

Me  taire  I  mais  tu  n'as  donc  rien  dails  les  entrailles? 
Quoi  1  ce  soir,  mes  enfants  n'ont  pas  même  eu  de  painj 
Et  tous  les  trois  peut-être  ils  seront  morts  demain, 
Et  tu  voudrais  encor  me  contraindre  au  silence? 
Tais-toi  1  dis-tu?  voyons,  mais  c'est  de  la  démence, 
Tu  ne  m'as  pas  comprise,  ou  j'ai  mal  entendu; 
Je  veux  du  pain  pour  eux,  misérable,  entends-tu, 
Maintenant,  entends-tu? 

—  Tonnerre  1  cria  riiommc, 
Si  tu  ne  te  tais  pas  à  l'instant,  je  t'assomme. 
-  Ah!  frappe  si  tu  veux,  je  ne  me  tairai  pas. 
L'homme  leva  le  poing  et  murmura  tout  bas  : 

—  Pour  la  dernière  fois,  tais-toi. 

—  Non,  non. 

—  Prer 

—  Non.  [gar( 

Le  poing  s'abattit.  Elle  tomba,  hagarde, 
Sanglante,  et  s'en  alla  rouler  sur  le  carreau, 
Sans  un  cri,  sans  un  mot.  Sur  le  lit,  le  bourreau 
Transporta  sa  viol ime,  et,  la  terreur  dans  l'âme, 
Éperdu,  poursuivi  par  le  remords,  l'infâme 
S'enfuit. 

Les  trois  enfants  poussaient  des  cris  afl'reutj 
Et  leur  mère  mourante,  hélas  1  priait  pour  eux. 


LES   ENFANTS   DE   LIVROGXfi.  o9 

Les  voisins,  réveillés  par  l'infernal  tapage, 
Se  dirent  :  «  Allons  bon,  encore  le  ménage 
Du  sixième  !  Ils  n'en  font  pas  d'autres  chaque  soir. 
Je  plains  la  pauvre  femme.  »  Et  sans  plus  s'émouvoir, 
Chacun  se  rendormit.  Là-haut,  dans  la  mansarde, 
Le  calme  est  rétabli.  Jeanne,  en  pleurant,  regarde 
5a  mère,  et  les  petits  sommeillent  de  nouveau 
5ar  le  vieux  matelas  qui  leur  sert  de  berceau. 


Pauvres  petits  enfants!  Trois  jours  après,  leur  mère 
Les  quittait  pour  aller  dormir  au  cimetière. 
Désormais  plus  d'amour,  plus  de  dolents  refrains, 
Pour  les  faire  sourire  ou  bercer  leurs  chagrins  l 
5ien  plus,  comme  l'on  sait  que  leur  père  est  au  bagne, 
Dn  les  fuit,  le  mépris  partout  les  accompagne; 
St  lorsqu'ils  vont  tous  trois,  se  tenant  par  la  main, 
cherchant  leur  pauvre  vie  et  mendiant  leur  pain, 
5i  parfois  le  hasard  veut  qu'un  passant  les  plaigne, 
St  qu'auprès  des  voisins  sur  eux  il  se  renseigne, 
)n  lui  fait  aussitôt  quelque  récit  bien  noir, 
ït  si,  peu  convaincu,  le  passant  veut  savoir 
Zo  que,  dans  tout  cela,  «.es  enfants  ont  à  faire  : 
i  Bah!  graine  d'assassins!  »  répond  une  commère. 


60  MONOLOGUES   COMIQUES   ET   DRAMATIQUES. 

Assassins  1  Assassins  1  par  pitié,  taisez-vous, 

Et  devant  ces  martyrs,  jetez-vous  à  genoux  I 

Qu'ont-ils  fait,  ces  agneaux,  pour  que  nul  ne  les  aime? 

Et  pourquoi  leur  jeter  l'insulte  et  Tanathème? 

Ont-ils  donc  pu  de  Dieu  combattre  les  desseins? 

Que  diriez-Yous,  vous  qui  les  nommez  assassins, 

Et  qui  croyez  pouvoir  marcher  la  tête  haute. 

Si  ces  enfants  venaient  vous  dire  :  A  qui  la  faute? 

J'ignore  s'ils  seront  un  jour  bons  on  mauvais  : 

Ce  qu'ils  seront,  —  c'est  nens  seuls  qui  les  Aurons  faits. 


SONNET 


A  Madame  D...». 


En  doîs-je  croire  la  nouvelle? 
Est-il  vrai  qu'un  nouveau  bébé,  — 
Qu'on  dit  être  une  demoiselle, 

—  Du  ciel,  en  vos  bras  soit  tombé? 

De  cette  chute  accidentelle 
Je  demeure  tout  étonné  : 
Quelqu'un  Ta  donc  pris  sur  son  aile» 
Qu'il  ne  s'est  point  cassé  le  né  ? 

—  C'est  TOUS  qui  l'avez  été  prendre  f 
Je  ne  vous  dis  pat  de  le  rendre, 
C'est  trop  tardi  mais  je  dis...  je  dis..* 

Qui  donc  chantera  les  louanges 

Du  bon  Dieu  dans  le  paradis. 

Si  TOUS  lui  prenez  tous  ses  angesf 


UNE   DISTRACTION 

MONOLOGUE 

Oit  par  M.  Coquelin  cadet j  sociétaire  de  la  Comédie 
Française. 


A  M.  Eugène  LânicnE,  de  l'Académie  Française 

Elle  avait  de  beaux  cheveux  blonds 
Et  vingt  mille  livres  de  rente, 
Et  se  montrait  dans  les  salons 
Du  meilleur  monde  avec  sa  tante. 

La  tante  étant  d'un  âge  mûr. 
Il  était  clair  qu'un  jour  ou  l'autre. 
Elle  irait  chercher  dans  l'azur 
Un  monde  meilleur  que  le  nôtre. 

Or  la  tante  avait  de  l'argent, 
Beaucoup  d'argent  et  de...  vieillesse. 
Cela  devenait  engageant, 
Sa  fortune  était  pour  sa  nièce. 


MONOLOGUES  COMIQUES   ET   DRAMATIQUES. 

Elle  était  blonde,  je  l'aimai! 

Pas  la  tante,  —  la  jeune  fille, 

Oui,  tant  d'attraits  m'avaient  charmé  î 

Belle,  riche  et  pas  de  famille. 

le  commençai  bientôt  ma  cour; 
Je  craignais  un  peu,  mais  la  belle. 
Daignant  répondre  à  mon  amour, 
Ne  se  montra  pas  trop  rebelle. 

Sans  être  beau,  je  suis  pourtant, 
A  ce  que  je  crois,  présentable  j 
Oh  I  ce  n'est  pas  tentant,  tentant. 
Non,  mais  enfin  c'est  acceptable. 

Très  rangé,  caractère  égal, 
Et  ne  fumant  jamais  la  pipe, 
Je  n'ai  qu'un  défaut  capital  : 
Je  suis  distrait...  mais  j'anticipe. 

Donc,  je  plus,  et  beaucoup,  ma  foi? 
Berthe,  ainsi  s'appelait  la  belle, 
Laissait  très  volontiers  sur  moi 
§' abaisser  sa  noire  i)runell§. 


UNE  DISTRACTION.  6S 

La  tante  surtout  me  trouvait 
Parfait  et  répétait  sans  cesse 
Que  j'étais  ce  qu'elle  rêvait  I 
Je  nageais  en  plein  dang  l'ivreitt. 

On  me  recevait  tous  les  jours, 
Noos  goûtions  un  bonheur  extrême 
À  nous  voir.  0  chastes  amours, 
Qa'on  est  donc  heureux  quand  on  aime  l 

Beau  logement,  meubles  cossus, 
De  grands  fauteuils  en  palissandre, 
Avec  du  vrai  velours  dessus, 
Tout  cela  me  rendait  très  tendre. 

J'apportais  souvent  des  bouquets. 
De  deux  ou  trois  francs,  magnifiques! 
Je  les  achetais  sur  les  quais. 
C'est  moins  cher  que  dans  les  boutique!. 

Ou  j'offrais  à  Berthe  un  sonnet 
Copié  dans  quelque  poète 
Presque  pas  connu...  Ça  prenait. 
Et  ron  me  faisait  une  fêtel 


66  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES 

On  m'appelait  Hugol  Musset! 
Quels  jolis  vers  et  quelle  aisance I 
Vous  avez  appris...?  Moi?  Nonl  c'est 
Naturel,  ça  vient  de  naissance. 

Et  je  parlais  d'oiseaux,  de  fleurj» 
De  l'azur  du  ciel,  de  l'aurore 
Baignant  de  ses  humides  pleurs 
Les  épis  que  le  soleil  dore. 

le  crois  que  j'étais  amoureux, 
Du  moins,  j'avais  bien  l'air  de  l'être 
Avec  mes  regards  langoureux 
Et  mes  soupirs  à  fendre  un  hêtre* 

Le  plus  fin  n'aurait  rien  pu  ▼oir. 
Tant  j'étais  dans  la  peau  du  rêie. 
J'étais  gai...  comme  un  vent  du  soir 
Chantant  dans  les  branches  d'un  lault. 

Pendant  six  mois  ce  fut  ainsi* 
La  tante  n'était  pas  pressée; 
Je  m'ennuyais  et  Berthe  ai 
Enfin,  la  date  fut  fixée. 


UNE  DISTRACTION.  tt 

J'arrive  un  matin,  triomphant, 
En  disant  :  Voici  la  corbeille  l 
On  me  traite  de  fou,  d'enfant, 
C'est  trop  beau,  c'est  une  merreille^ 

Colliers,  bracelets,  diamants, 

Brillent  dans  la  corbeille  ouverte  : 

—  Les  beaux  bijoux,  qu'ils  sont  charmants  I 

-*  Mille  fois  moins  que  vos  yeux,  Berthe  l 

J'avais  pris  le  tout  à  crédit. 
Les  diamants  et  les  dentelles. 
Berthe  paiera,  m'étais-je  dit, 
Avec  sa  dot  ces  bagatelles. 

Ou  bien,  quand  nous  serons  unis. 
Aux  marchands  j'irai  les  revendre; 
Les  bijoux  faux  sont  mieux  finis, 
Et  le  soir  c'est  à  s'y  méprendre. 

Le  jour  arrive,  6  jour  maudit! 
Je  vais  pour  chercher  ma  future.. 
Je  suis  distrait,  je  vous  l'ai  dit,  — 
Jugez  de  ma  déconfiture  c 


6t  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

La  noce  était  pour  le  lundi, 
Et  moi  j'arrive  et  me  présente... 
Savez-vous  quel  jour?  —  Le  mardi, 
Damel  elle  n'était  pas  contente. 

Je  demeurai  là  sans  parler. 
Et  stupide  comme  une  bote, 
l'aurais  bien  voulu  m'en  aller. 
Hais  c'eût  été  trop  malhonnête. 

La  vieille  tante  rugissait. 
Brrr,  sa  colère  était  terrible. 
Berthe  pleurait  et  rougissait. 
Moi,  je  tremblais,  c'était  horrible. 

-~  Oser  nous  faire  un  tel  affront. 
Faire  attendre  ainsi  sa  future 
Le  voile  et  la  couronne  a»  front! 
Quelle  audace  et  quelle  imposture) 

Elle  avait  raison  :  Voyez-vous 
D'ici  tous  les  gens  de  la  noce 
Attendant  vainement  l'époux? 
Ahl  cela  devait  être  atroce  l 


tîNB  DISTRACTIOBI.  69 

—  Et  VOUS  avei  osé  venir 
Après  un  tour  de  cette  sorte? 
Ah  !  ne  passez,  à  l'avenir, 
Jamais  le  seuil  de  cette  porte. 

Saltimbanque,  Eroumir,  Zonloul 
Tels  sont  les  noms  qu'elle  me  donne. 
Gela  ne  me  va  pas  du  tout. 
Et  la  colère  en  moi  bouillonna. 

Je  laisse  échapper  malgré  moi 
Un  mot...  un  mot  qu'à  cette  place 
Je  n'ose  pas...  tant  pis,  ma  foi! 
Ce  gros  mot...  le  voici  :  Bécasse  1 

Là-dessus,  elle  fait  un  bond  : 

—  Bécasse l  oh!  c'est  trop  fort.  Bécassel 
Et  pourqnoi  pas  vieux  biberon. 
Masure,  tortue  ou  limace? 

Gris,  sanglots,  attaque  de  nerfs 
Avec  des  sauts  épouvantables; 
Avez-vous  vu  sauter  des  cerfs? 
Elle  faisait  des  sauts  semblables. 


7Ô  MONOLOGUES  COMtQUËS  ET   DRAMATIQUES, 

Sur  la  tête,  Berthe  en  tremblant 
Lui  vide  toute  une  carafe, 
Tandis  que,  suant  et  soufflant» 
De  mon  mieux,  moi,  je  la  dégrafe. 

Du  lit  on  écarte  les  draps... 
Sur  moi-même  je  me  ramasse, 
Et  je  soulève  dans  mes  bras 
Cette  inerte  et  pesante  masse. 

Mais  voilà  que  sur  le  parquet 
Mes  pieds  glissent...  en  vain  je  tente 
De  me...  je  lâche  le  paquet 
Que  la  nièce  appelait  sa  tante! 

Me  voyant  perdu  sans  retonr. 
Je  fis...  ce  que  je  devais  faire. 
Je  partis,  et,  depuis  ce  jour, 
Je  suis  resté  célibataire. 


IVRESSE  MANIFESTE 


I 


A  mon  ami  fiERTOL-GnAiriu 


Le  père  était  maçon,  un  gas  joyeux  et  fort, 
Aucun  autre  au  chantier  n'abattait  plus  d'ouvrage; 
Il  faut  bien,  disait-il,  faire  aller  le  ménage  I 
Lasl  un  jour,  à  sa  femme  on  le  rapporta  mort. 

Voilà  bientôt  deux  ans  que  soas  la  terre  il  dort  : 
Sa  veuve  a,  jusqu'ici,  luttant  av«c  courage. 
Pu  nourrir  ses  deux  fils,  deux  enfants  en  bas  âge  ; 
Mais,  si  vaillant  qu'on  soit,  le  corps  s'use  à  l'effort. 

Et  la  pauvre,  à  la  fin  par  les  veilles  minée. 
Dut  renoncer  quand  même  à  sa  tÂche  obstinée, 
Pour  aller  implorer  la  pitié  des  passants  : 

Elle  va,  ventre  creux,  sur  les  pavés  glissants. 
Chancelle...  et  tombe.  Qu'est-ce?  interroge  la  foule. 
Rien,  —  ricane  une  voix,  —  c'est  une  femme  saoule. 


LES  JOIES  MATRIMONIALES 


MONOLOGUE 


Dit  par  M  Jules  Lévy,  membre  de  la  Société 
de  lecture  et  de  récitation. 


A  mon  ami  Albert  Laurent 


Ma  tante,  laide  et  vieille  fille, 
Plate  comme  une  peau  d'anguille, 
Dépensait  ses  soins  obligeants 
A  vouloir  marier  les  gens, 
Et  déployait  tout  son  génie 
Pour  satisfaire  sa  manie. 
Un  jour,  elle  me  prit  la  main, 
Et  m'eniralnant  dans  sa  demeure. 
M'entretint,  pendant  plus  d'une  heure 
Des  douceurs  chastes  de  l'hymen. 
Or,  je  lui  répondis  en  termes 
Très  polis,  mais  aussi  très  fermes, 


li  MONOLOGUES   COMIQUES  ET  DRAMATIQUEà. 

Que  je  rae  souciais  fort  peu 
D'aller  brûler  mon  aile  au  feu; 
Qu'à  mon  avis  le  mariage 
N'était  qu'un  horrible  esclavage, 
Et  qu'ils  sont  loin  d'être  éternels, 
L«s  pompeux  serments  que  les  vierges, 
A  la  lueur  vague  des  cierges, 
Viennent  faire  au  pied  des  autels  I 
On  promet,  oui,  mais  la  promesse 
Souvent  s'otiblie  après  la  messe, 
Et  l'on  s'aperçoit  un  beau  jour. 
En  versant  des  larmes  amères. 
Que  le  nid  tout  plein  de  chimère», 
Est  tout  à  fait  vide  d'amour. 
Et  surtout,  n'allez  pas  vous  plaindre, 
Car  vous  auriez  alors  à  craindre 
Qu'on  vous  vînt  fredonner  tout  bas  s 
Tu  l'as  voulu,  ne  t'en  plains  pas  ! 
C'est  ainsi  qu'on  vit  côte  à  côte, 
Pleurant  chacun  de  son  côté. 
Et  son  irréparable  faute, 
Et  sa  bisn  chère  liberté. 
On  s'en  irait  bien,  mais  on  tremble. 
On  songe  à  tout  ce  qu'on  dira, 


tÉS  JOtES  MAtRIMONIALEÉ.  IS 

À  tout  ce  qu'on  inventera, 

On  a  peur,  et  l'on  reste  ensemble. 

Et  puis,  Us  enfants  sont  venus, 

Par  leur  douce  et  chère  présence. 

Diminuer  les  revenus, 

Et  presque  tripler  la  dépense. 

Alors,  on  redouble  d'ardeur, 

Et  l'on  voit  chaque  bénéfice 

Passer,  ineffable  bonheur, 

Dans  les  poches  de  la  nourrice  I 

Si  votre  femme  veut  nourrir. 

Alors,  c'est  bien  une  autre  affaire, 

Et  vous  préparer  à  mourir. 

C'est  tout  ce  qu'il  vous  reste  à  faire. 

Du  haut  en  bas,  dans  la  maison, 

Ce  n'est  plus  qu'un  fouillis  de  couches 

Dont  l'éloquente  exhalaison 

Attire  des  essaims  de  mouches.  — 

On  égorge  quelqu'un  là-bas  I 

D'oii  vient  donc  cet  affreux  tapage  T 

—  Mais  non,  —  ne  vous  dérangez  pas, 

—  C'est  bébé...  qui  prend  son  potage. 
Quoi,  ma  tante?...  C'est  infernal 
Vous  voulez  rire,  je  suppose? 


t6  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Ce  n*est  rien  ça  :  c'est  autre  chose 
Aux  heures  de  grand  bacchanal  ! 
Parfois,  c'est  à  perdre  la  tête  1 
Lapin  savant,  cheval  de  bois. 
Tambour,  sifflet,  clairon,  trompette. 
Tout  roule  et  glapit  à  la  fois. 
Hue  I  hope-là  !  faites  donc  place  î 
Allez  I  Ronflez,  roulez,  passez  I 
Oh  I  les  chaises  !  gare  la  glace  ! 
Bing  I  bon,  deux  carreaux  de  cassés  I 
Jeudi,  c'était  un  pied  de  table, 
Hier,  un  bras  du  canapé. 
Et  demain...  Tiens,  il  s'est  coupé  ! 
Ah  I  c'est  bien  fait,  va-t'en  au  diable  I 
—  Heul...  Va,  braillel...  quelle  maison I 
Comment?,..  Oui,  vous  avez  raison, 
Il  faut  que  les  enfants  s'amusent 
Puis  aussi...  que  les  meubles  s'usent. 
Vous  ne  vous  rendez  pas  encor  ? 
Alors,  je  vais,  doublant  la  dose. 
Vous  montrer,  ma  tante,  autre  chose. 
Tenez  !  changement  de  décor. 
Un  soir,  vous  rentrez  tout  maussade^ 
Votre  chef  vous  a  cramponné; 


tES   JOIES   MATRIMONIALES.  71 

On  i^ous  dit  :  Madame  est  madade. 

—  Qu'a-elle  donc?  —  Un  nouveau-né I 

—  Ça  fait  sept  I  bon  sang  I  quelle  veine  I 
Seigneur,  Dieu  clément,  juste  et  doux. 
Ah  I  suspendez  votre  courroux. 

Ne  complétez  pas  la  douzaine  !..• 
Une  autre  fois,  vous  revenez 
D'un  dîner,  d'un  bal,  d'une  fête, 
Paf  I  en  rentrant,  vous  apprenei 
Que  Bébé  s'est  cassé  la  tête, 
Qu'il  s'amusait  sur  le  palier. 
Qu'en  voulant  glisser  sur  la  rampt. 
Il  est  tombé  dans  Tescalier 
Et  s'est  fait  deux  trous  à  la  tempe. 
Ou,  qu'en  le  couchant,  on  a  vu 
Des  rougeurs  sur  son  petit  ventre, 
Que  le  médecin  est  venu 
Mais  qu'il  a  bien  peur  que  ça  rentre. 
Chaque  jour,  c'est  ennui  nouveau  : 
Vous  recevez  une  visite 
De  votre  chef?  —  Bébé,  bien  vite, 
L'appelle  âne  ou  tête  de  veau.  — 
H  fait  beau,  toute  la  nature 
Parait  en  fête  ;  vous  sortex. 


1S  MONOLOGUES  GOHIOUES  ET  DRAMATIQUES. 

Tout  à  coup,  vous  vous  arrête^ 
Voilà  bien  une  autre  aventure  ! 
Bébé  ne  veut  plus  avancer. 

—  Qu'as-tu  î  lui  denaande  sa  mère. 

—  Porter  I  —  Non  !  —  Si  !  —  Non  l  Cris,  colère, 
Il  faut  céder  sans  balancer. 

—  Dis,  petit  père,  fais  donc  l'âne. 
Un  coup  juché  sur  votre  dos, 

Il  saute,  vous  meurtrit  les  os, 
Et  vous  tambourine  le  crÂne. 
Vous  rentrez.  Bon  1  dtner  pai  prdi, 
La  bonne  a  reçu  des  visites. 
Chut  l  silence,  elle  planterait 
Là,  la  baraque  et  les  marmites* 
Enfin  le  couvert  est  dressé  : 
On  étend  ses  pieds  sous  la  table; 
Le  potage  est  mal  dégraissé. 
Le  rosbeef  est  épouvantable, 
Mais,  heureux  d'être  enfin  chez  soi^ 
De  jouir  d'un  peu  de  silence 
Et  de  repos,  on  se  tient  coi. 
Gardant  pour  soi  ce  que  l'on  pense. 
Bon,  l'on  sonne...  une  lettre...  Dieux] 
Qu'apprend-on?...  que  sa  belle-mère 


lES   JOIES   MATRIMONIALE*.  19 

Dont  le  médecin  désespère 

Depuis  huit  jours...  va  beaucoup  mieux  I 

Ou  bien  que  le  propriétaire, 

Avec  des  regrets  déchirants, 

A,  de  trois  ou  quatre  cents  franci 

Augmenté  chaque  locataire  1 

Ma  pauvre  tante  écoutait,  l'œil 

Fixe  et  la  bouche  si  béante, 

Qu'on  voyait,  —  je  meurs  si  j'invente. 

Jusqu'au  velours  de  son  fauteuil. 

Je  continuai  :  Non,  ma  tante, 

Appelez-moi  brigand,  bandit. 

Le  mariage  ne  me  tente 

Pas.  D'ailleurs,  je  n'ai  pas  tout  dit. 

'—  Assez,  dit-elle  d'un  ton  aigre. 

—  Assez?  repris-je.  Et  les  cousini. 

Les  couturières,  les  voisins, 

La  grand'messe  et  les  jours  de  maigre  ? 

Et  les  filles  à  marier? 

Et  leur  dot,  et  puis  leurs  toilettes? 

Et  les  fils,  dont  il  faut  payer 

L'éducation.. w  et  les  dettes? 

Et  plus  tard  enfin  les  vieux  jours, 

Pendant  lesquels,  entre  deux  quintes» 


80  MONOLOGUES   COMIQUES   ET  DRAMATIQUES 

On  parle  des  heures  éteintes, 

Catarrhes  et  jeunes  amours  I  — 

J'allais  en  dire  dayantage, 

Quoi  ?  —  Par  ma  foi,  je  ne  sais  plus,  — 

Quand  la  porte  livra  passage 

A  deux  personnes.  Je  me  tus. 

Deux  dames,  la  mère  et  la  fille,  — 

Venaient  d'entrer,  je  m'inclinai. 

La  mère  était  très  laide  I  un  né  1 

Un  nez  1  la  fille  était  gentille. 

On  causa  d'abord,  puis  on  prit 

Du  thé,  c'était  presque  une  fête. 

La  mère  était  tout  à  fait  bête; 

Mais  la  fille  avait  de  l'esprit. 

Elles  arrivaient  de  province. 

De  Marseille...  ou  de  Concarneau: 

La  mère  était  grosse...  un  tonneau  I 

Mais  la  fille  était  grande  et  mince. 

Elles  venaient  vivre  à  Paris. 

La  mère  avait  les  cheveux  gris, 

Et  la  figure  rubiconde; 

Mais  la  fille  était  blanche  et  blondft. 

Ma  tante  mit  son  logement,  — 

Tout  au  moins  jusqu'à  ce  qu'on  puisse 


LES   JOIES    iMATRIMONIALES  Si 

Leur  trouver  un  appartement, 
—  Entièrement  à  leur  service, 
'Je  pris  alors  congé.  Ma  main 
Ne  trembla  pas,  en  pressant  celle 

Que  me  tendit  la  demoiselle... 

Mais...  je  revins  le  lendemain, 

Bast  I  il  faut  bien  que  je  le  dise» 

L'amour  m'a  pris  dans  son  ûlet. 

N'allez  pas  croire,  s'il  vous  platt, 

Que  j'ai  commis  une  bêtise; 

L'hymen,  que  je  ne  pouvais  voir. 

Est  une  bien  étrange  chose  : 

Tout  ce  que  je  voyais...  en  noir. 

Maintenant...  je  le  vois  en  rose. 


DÉSESPOIh 


A  mon  ami  Fernand  CnisT. 

Je  souffrais,  je  pleurais.  Pourquoi  ?  je  ne  sais  pas. 
Je  souffrais,  voilà  tout.  Je  sentais  dans  ma  tête 
Se  heurter  mes  pensers,  effroyable  tempête  ! 
J'avais  besoin  d'agir,  et  pourtant  j'étais  las  1 

J'entendis  une  voix  qui  me  parla  tout  bas  : 
«  Qu'as-tu  donc?  me  dit-elle,  avec  un  accent  béte. 
»  Tu  pleures,  tu  gémis,  quand  la  nature  en  fête 
»  Te  sourit  et  répand  des  roses  sous  tes  pas  I 

»  Quand  l'amour  vient  t'offrir  ses  plus  chaudes  caresses  I 
»  Quand  l'avenir  pour  toi  s'ouvre  plein  de  promesses  I 
»  Lorsque  chacun  envie  et  jalouse  ton  sort! 

»  Enfsmtl  tout  t'appartient  :  Amour,  santé,  jeunesse  1 

»  Dieu  t'a  laissé  puiser  à  loisir  dans  sa  caisse. 

')  Que  manque-t-il  encore  à  ton  bonheur?  —  La  morti» 


LE  CONSCRIT 

POÉSIE 

Dite  par  M.  Georges  Ruëff,  lauréat  du  Conservatoire. 


A  M.  Paul  DéROULÂns. 

Ah  1  c'était  un  conscrit  peu  brave  que  Jean-Pierre  1 
Quand  il  fallut  quitter  son  village  et  les  siens. 
Bien  des  larmes,  hélas  !  ont  mouillé  sa  paupière. 
Mais  il  fallait  aller  combattre  les  Prussiens  I 

Les  anciens  avaient  beau,  pour  lai  rendre  courage, 
Proclamer  en  riant  que  la  guerre  n'est  rien, 
Lui,  se  disait  tout  bas  :  «  La  guerre  est  un  carnage, 
Et  l'on  va  me  tuer,  j'en  suis  sûr,  comme  un  chien  1  » 

Puis,  en  rêve,  il  voyait  sa  pauvre  vieille  mère, 
Au  dos  voûté  par  Tâge,  aux  cheveux  presque  blancs, 
Égrenant  chaque  jour,  aux  marches  du  Calvaire, 
Son  chapelet  de  buis,  entre  ses  doigts  tremblants. 


6è  MONOLOGUES   COMIQUES  ET   DRAMATIQUES. 

La  chère  et  sainte  femme,  elle  prie,  elle  pleure. 
Contre  le  désespoir  son  âme  se  défend, 
Mais  au  Dieu  qu*elle  implore  et  que  sa  lève  effleare 
La  pauvre,  nuit  et  jour,  demande  son  enfant. 

Et  le  conscrit  rêvait,  et  toute  sa  pensée 
Était  là-bas,  bien  loin,  avec  ceux  qu'il  aimait. 
La  guerre,  disait-il,  la  guerre  est  insensée  I 
G*est  un  crime,  et  pourtant  le  bon  Dieu  le  permet. 

Jean-Pierre  cependant  n'était  pas  trop  à  plaindre, 
Son  régiment  n'avait  pas  encor  vu  le  feu; 
A-ussi  se  disait-il,  commençant  à  moins  craindre  : 
Si  c'est  toujours  ainsi,  la  guerre  n'est  qu'un  jeu  ! 

Puis,  mon  bataillon  campe  en  haut  d'une  colline, 
Dans  un  vieux  château  fort;  pour  prendre  ce  château 
Il  faudrait  un  assaut,  et  ma  foi,  j'imagine 
Qu'ils  n'oseront  jamais  s'approchei  du  coteau. 

Mais  voilà  qu'un  matin,  la  roix  du  canon  tonne  I 
Les  ennemis  sont  là.  Des  cris  montent  dans  l'air  : 
Aux  armes  1  chargez  I  Feu  I  que  l'on  sabre  et  canonne  ! 
Les  coups  partent,  plus  prompts  que  la  foudre  et  Téclair 


LE   CONSCRIT.  M 

Ah  1  ce  fut  une  rude  et  sanglante  bataille; 

On  fit  des  deux  côtés  d'héroïques  efforts, 

Les  canons,  les  fusils  vomissaient  la  mitraille, 

Et  les  morts  s'entassaient,  horribles,  sur  les  morts. 

Mais  il  était  écrit,  destin  fatal  et  sombre, 
Que  nos  vaillants  soldats,  dans  ces  combats  maudits, 
Succomberaient  toujours  écrasés  par  le  nombre, 
Et  seraient  pourchassés  ainsi  que  des  bandits. 

0  rage  I  la  victoire  abandonnait  les  nôtres, 
Qui  pourtant  se  battaient  comme  de  vrais  héros  t 
Et  cette  fois  encor,  comme  toutes  les  autres, 
11  faut  fuir,  et  laisser  la  place  à  ces  lourdauds. 

Voyez-les,  nos  soldats,  courant  à  perdre  haleine. 
Se  sauvant  éperdus,  traqués,  la  rage  au  cœur, 
Allant  sans  savoir  où,  devant  eux,  dans  la  plaine. 
Suivis  par  les  hourras  insultants  du  vainqueur  ! 

Vont-ils  donc  tous  périr  ?  Non,  la  nuit  les  protège 
Et  les  cache...  Ils  sont  loin.  On  n'entend  plus,  hélas  l 
Que  les  cris  des  blessés  se  tordant  sur  la  neige 
Le  combat  est  fini,  les  ennemis  sout  las. 


88  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Pendant  qu'on  se  battait,  que  faisait  donc  Jean-Pierre  ? 
D'où  vient  qu'on  ne  l'a  pas  même  vu  dans  les  rangs  ? 
A-t-il  payé  sa  dette  et  mordu  la  poussière? 
Est-il  parmi  les  morts,  ou  parmi  les  mourants  ? 

—  Non,  Jean-Pierre  est  vivant,  et  très  bien  vivant  même 
Pendant  qu'à  coups  de  crosse,  on  tuait,  on  hachait 
Ses  compagnons,  lui,  pris  d'une  terreur  extrême 
Là-haut,  dans  les  greniers  du  château,  se  cachait. 

Maintenant,  il  est  là,  blotti  sous  une  bâche  ; 
Il  frissonne,  il  a  peur.  De  grands  fantômes  blancs 
L'étreignent  dans  leurs  bras,  et  gravent  le  mot  :  lâche, 
Sur  son  front  en  sueur,  avec  leurs  doigts  sanglants. 

Lâche  1  lâche  I  oh  1  ce  mot,  ce  mot  hideux,  terrible, 
Résonne  comme  un  glas  dans  le  fond  de  son  cœur  1 
Le  remords  le  déchire.  0  destinée  horrible. 
Tout  est  perdu  pour  lui  :  parents,  patrie,  honneur  I 

Au-dessous,  les  Prussiens  vont,  viennent,  dans  les  salles 
Jean-Pierre  entend  leurs  cris,  il  entend  leurs  chansons; 
Il  entend  résonner  leurs  sabres  sur  les  dalles, 
Et  ce  bruit  fait  courir,  dans  son  dos,  des  frissons  t 


lE  CONSCRlt.  89 

lais  ce  n'est  plus  la  peur  qui  fait  trembler  Jean-Pierre  : 
«e  conscrit  veut  laver  sa  honte  et  son  affron 
l  sent  en  lui  grandir  une  sainte  colère, 
l  ne  gardera  pas  cette  tache  à  son  front. 

It  dans  sa  tête,  il  cherche  un  moyen  de  Tengeance 
1  voudrait  que  ce  fût  diabolique,  infernal, 
.e  jour  approche,  il  faut  agir  en  diligence, 
St  les  surprendre  avant  la  un  du  bacchanaL 

5M1  mettait  le  feu  ?  —  Non,  ils  prendraient  tous  la  fuite 
ï,i  pas  un  ne  mourrait;  mais  comment  se  venger? 
fomber  au  milieu  d'eux  ?  Il  se  ferait  de  suite, 
hant  seul,  sans  profit,  ni  mérite,  égorger, 

3ue  faire  enfin?  Le  jour  avant  peu  va  paraître; 
Dn  n'entend  plus  de  bruit  dans  les  salles  du  bas; 
fean-Pierre  écoute.  —  Rien.  Il  ouvre  une  fenêtre  : 
Qu'aperçoit-il  au  loin,  sur  la  route,  là-bas  ? 

On  dirait  dans  la  brume  une  masse  qui  bouge. 

Ce  sont  des  hommes  l  —  Non.  ~  Mais  si,  c'est  bien  cela. 

Encor  des  ennemis  1...  Dieu,  le  pantalon  rouge  I 

Us  ne  savent  donc  pas  que  les  Prussiens  sont  là  t 


id  ItONOLOGUES   COMIQUES   ET  CUA^ÎATIQUËâ. 

0  ciell  les  malheureux  ne  sont  qu'un  petit  nombre. 
Ils  seront  massacrés.  Les  Prussiens  les  ont  vus, 
Et  déjà  les  vautours  guettent,  cachés  dans  l'ombre. 
Rien  ne  peut  les  sauver.  Trop  tard  1  Ils  sont  perdus  I 

Jean-Pierre  allait  crier,  quand,  plus  prompt  que  la  foudi 
Un  souvenir,  soudain,  traversa  son  cerveau  : 
Ses  chefs,  il  s'en  souvient,  ses  chefs  parlaient  de  poudr* 
Mise  en  réserve,  en  bas,  dans  le  fond  d'un  caveau. 

Il  quitte  sa  cachette  et  comme  un  fou  s^élance 
Dans  les  couloirs;  mon  Dieu,  si  le  bruit  de  ses  pas 
Allait  donner  l'éveil  1  —  Non,  il  se  glisse,  avance; 
Personne  ne  l'a  ?a;  c'est  fait,  il  est  en  bas. 

Frissonnant,  le  conscrit  cherche,  à  tâtons,  sa  route  $ 
Un  froid  noir  le  saisit  et  pénètre  ses  os, 
Mais  il  va  toujours;  l'eau  qui  tombe  de  la  voûte 
Fait  trembler  toat  ion  corps  en  coulant  dans  son  dos 

S'il  allait  maintenant  do  pas  trouver  la  porte! 
La  voici  grande  ouverte;  ohl  comme  son  cœur  bail 
Allons,  Jean-Pierre,  allons,  que  ton  âme  soit  forte  I 
Sauve  les  tiens  et  meurs  de  la  mort  d'un  soldat! 


tE  CONSCRlt.  M 

Il  rentre,  ^.llumt  un  feu  de  paille,  puis  s'arrête. 
Il  a  vu  les  Larils,  le  long  des  murs  rangés  ; 
H  approche  la  flamme  en  détournant  la  têle... 
C'en  est  fait,  le  conscrit  et  les  siens  sont  vengés. 

Aucun  n'a  jamais  su  que  le  pauvre  Jean-Pierre 
Était  mort  en  héros,  mort  sur  le  champ  d'honneur; 
Quand,  dans  son  bataillon,  l'on  cause  de  la  guerre, 
Les  vieux  disent  de  lui  :  «  S'il  est  mort!  —  c'est  de  peur.  » 

Et  là-bas,  au  pays,  sa  pauvre  vieille  mère, 
Le  dos  voûté  par  l'âge  et  les  cheveux  tout  blancs, 
Égrène  chaque  jour,  aux  marches  du  Calvaire. 
Son  chapelet  de  buis,  entre  ses  doigts  tremblants. 


LE  COMPLIMENT  DE  BÉBÉ 


Je  Toudrais  bien,  petit  papa» 
T'en  souhaiter  long  comme  ça, 

Ponr  ta  fête  ; 
Je  cherche  depuis  bien  longtemps 
Toutes  sortes  de  compliments, 

Dans  ma  tète. 

Hélas  I  je  ne  puis  rien  trouver, 
Et  ne  sais  comment  te  prouver 

Que  je  t'aime. 
Pourquoi  donc  que  l'on  ne  peut  pas 
Dire  ce  qu'on  pense  tout  bas 

En  soi-mômet 


04  MONOLOGUES   COMIQUES  ET   DRAMATIQUES. 

Quand  je  serai  plus  grand,  papa, 
Je  parlerai  mieux  que  cela 

Le  langage, 
Mais  je  ne  pourrai  jamais 
Te  chérir,  je  te  le  promet». 

Davantage. 

Tai  cherché  pendant  bien  longtemps 
Toutes  sortes  de  compliments. 

Dans  ma  tête. 
Mais  je  n'ai  trouvé  que  c«la  ' 
A  te  dire,  petit  papa, 

Pour  ta  fét^ 


LA  MÈRE  DU  SUPPLICIÉ 

POÉSIE 

Dite  par  M^-"  Schmidt,  du  théâtre  de  r Ambigu. 


A  Victor  Huoo. 

et  homme  avait  commis  je  ne  sais  quel  forfait, 
m  lui  coupa  le  cou;  chacun  dit  :  C'est  bien  fait! 
on  corps  tout  mutilé  fut  cloué  dans  la  bière, 
It  jeté  dans  un  coin,  au  fond  du  cimetière! 
lur  sa  tombe  sans  croix,  le  fossoyeur,  en  tas, 
lange  chaque  matin  ordures  et  gravats  ; 
i'est  un  entassement  de  raclures  d'allées, 
)e  vieux  bouquets,  débris  des  auties  mausolées, 
lui  ne  va  visiter  ce  tertre  abandonné 
Jous  lequel,  pour  toujours,  dort  le  guillotiné. 
Pourtant,  quand  le  jour  baisse,  à  l'heure  où  la  nuittombe« 
uelqu'un  vient  se  pencher  au  bord  de  cette  tomba. 


96  MONOLOGUES   COMIQUES  ET   DRAMATIQUES. 

Qui  donc  ose  venir  prier  pour  l'assassin? 

Femmes  qui  m'écoutez,  vous,  qui,  dans  votre  sein, 

Avez  d'un  chaste  hymen  porté  le  fruit  prospère, 

Vous  l'avez  deviné,  n'est-ce  pas?  —  C'est  sa  mère, 

La  mère  du  maudit,  qui  vient  là  chaque  soir. 

Cachant  tes  pleurs  dans  les  plis  de  son  voile  noir. 

Ce  qu'elle  pleure,  hélas  I  ce  n'est  pas  l'affreux  crime 

Qu'a  commis  son  enfant;  ce  n'est  pas  sa  victime; 

Non,  c'est  lui,  c'est  sa  mort  ;  c'est  son  trépas  brutal. 

Quand  il  tuait,  qui  sait  quel  démon  infernal 

Le  poussait?  0  Seigneur,  vous  qui  savez  les  causes 

De  tout,  pourquoi,  mon  Dieul  perjnettez-vous  ces  choses? 

Pourquoi  n'avez-vous  donc  pas  empêché  cela? 

Et  pourquoi  mon  enfant,  plutôt  que  celui-là? 

Quand  il  était  petit,  je  baisais  ses  mains  blanches; 

Plus  léger  qu'un  oiseau  voletant  dans  les  branches. 

Il  courait  dans  la  chambre  avec  des  cris  joyeux; 

Si  vous  saviez,  le  ciel  était  dans  ses  grands  yeux, 

Ses  cheveux  étaient  blonds  comme  l'or  de  la  plaine, 

Sa  bouche  était  petite  et  rose,  et  son  haleine 

Avait  un  parfum  doux  comme  celui  des  fleurs. 

S'il  me  voyait  pleurer,  il  essuyait  mes  pleurs 

Bien  vite,  et  me  disait  :  Bonne  petite  mère, 

i^ourquoi  t'as  du  chagrin?  —  Sois  pas  méchant.  Son  pèr^ 


LA   MÈRE    DU   SUPPLICIÉ.  Ô1 

L'adorail,  tous  les  deux  nous  étions  fous  de  lui. 
De  tout  cela  que  nous  reste-t-il  aujourd'hui? 
Rêver  pour  l'avenir  d'un  enfant  tant  de  choses, 
Kt  ne  rien  conserver  de  tous  ces  rêves  roses' 
Rien  qu'une  tombe,  hélas  I  tombe  de  meurtrier, 
Sur  laquelle  on  ne  peut,  qu'en  se  cachant,  prierl 
Un  meurtrier I  —  Non,  non  :  N'est-ce  pas,  ma  chère  âme, 
Que  ce  n'est  pas  toi  qui  commis  ce  crime  infâme? 
Non,  non,  ce  n'est  pas  toi.  —  Qui?  moi,  je  n'en  sais  rien 
Mais  ce  n'est  pas  lui,  non,  allez,  je  le  sens  bien  I 
Il  a  fait  des  aveux  !  —  Ce  ne  sont  pas  des  preuves. 
Les  juges  l'ont  soumis  à  de  telles  épreuves. 
Qu'il  leur  a  dit  :  C'est  moi!  Plutôt  que  tant  souffrir, 
.e  malheureux  enfant  a  préféré  mourir. 
Jn  crime,  —  luil  Mon  Dieu,  vous,  vous  en  qui  j'espère, 
^la  ne  se  peut  pas,  puisque  je  suis  sa  mèrel 

e  suis  folle  et  je  cherche  en  vain  à  m'abuser  : 
Ce  meurtre,  il  l'a  commis,  et  vouloir  l'excuser 
Vest  pas  possible,  non;  mais  enfin,  la  justice, 
ijuand  elle  le  condamne  au  suprême  supplice, 
Enlève  au  criminel  môme  le  repentir. 
3n  peut  bien,  sans  tuer  un  homme,  le  punir, 
ourquoi  donc  recourir  à  ce  jnoyen  extrême, 


98  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES 

Et  pour  venger  un  crime,  en  commettre  un  soi-même^. 

Punissez,  il  le  faut  et  vous  avez  raison, 

Vous  avez  pour  cela  le  bagne  et  la  prison, 

Mais  laissez-leur  la  viel  ahl  Dieu  même  l'ordonne! 

C'est  vous  qui  condamnez,  mais  c'est  lui  qui  pardonne 

Hélas!  lorsqu'en  plein  jour,  à  la  face  des  cieux. 
Vous  assemblez  les  bois  du  gibet  odieux, 
Vous  ne  sentez  donc  pas,  quel  que  soit  le  coupable, 
Que  vous  dressez,  spectacle  atroce,  épouvantable. 
Sur  un  nouveau  Calvaire  une  nouvelle  croix? 
D'ailleurs,  sachez-le  bien  :  c'est  excéder  vos  droits. 
C'est  frapper  dans  sa  chair  une  femme  innocente, 
Qu'oser  tuer  l'enfant,  quand  la  mère  est  vivante! 

0  juges!  cette  femme  a  raison,  et  sa  voix 

Devrait  vous  rappeler  la  plus  belle  des  lois, 

La  loi  du  Christ,  qui  dit  :  Toute  tête  est  sacrée. 

Cette  loi  vous  gênait,  vous  l'avez  massacrée. 

Et  depuis,  chaque  jour,  sans  honte  et  sans  remord, 

C'est  au  nom  de  ce  Christ  que  vous  donnez  la  mort. 

0  ciel!  c'est  donc  pour  vous  une  bien  belle  fête, 

De  voir  dans  un  baquet  grimacer  une  tête? 

On  prétend  que  rien  n'est  plus  hideux  cependant 


LA  MîlHE  du  supplicié.  99 

Vous  ne  comprendrez  donc  jamais,  en  entendant 

L'horrible  grincement  du  couperet  infâme, 

^u'en  mutilant  un  corps,  vous  violez  une  âme? 

Hélas I  non,  tout  cela  l'on  vous  Ta  dit  cent  fois, 

Et  vous  êtes  restés  sourds  à  toutes  les  voix. 

Rien  ne  peut  vous  fléchir;  c'est  en  vain  que  les  mères 

Viennent  à  vos  genoux  sangloter  leurs  prières; 

En  vain  que  Ton  vous  dit  :  L'humanité  défend 

De  tuer  sous  les  yeux  de  sa  mère  un  enfant; 

En  vain,  qu'à  votre  code  opposant  l'Évangile, 

On  vous  prouve  combien  la  justice  est  fragile  ; 

Donc,  il  vaut  mieux,  muets,  laisser  venir  le  jour 

Où,  juges,  vous  serex  ju^és  h  votre  tour. 


Un 


fi«6i/or^^ 


<*, 


DIPLOMATIE 


Au  petit  William  RiCQCzn. 

le  vous  aime,  chers  bébés  roses, 
Mais,  voyez-Yous,  je  ne  sais  pas,  ^ 
Pour  les  faire  rire  aux  éclats, 
—  Dire  aux  bébés  d«  folles  choses. 

Mes  pensem  sont  souTent  moroset» 
Et  souTent  je  pleare  tout  bas, 
Traînant  après  moi,  sur  mes  pas. 
Un  mal  dont  J'ignore  les  caas«t. 

Si,  quelquefois,  pour  mettre  on  p«a 
De  joie  au  fond  de  Totre  œil  bleu, 
radoucis  mon  regard  séyèrt ^ 

Si  ma  tristesse  se  défend. 
C'est  qu'an  sourire  de  Tenfant, 
Me  Tant  un  sourire  du  père. 


L'ACCROC 


MONOLOGUE 

Dit  par  M.  Tbrtil,  du  théâtre  des  Variétét 


A  mon  ami  FEPDiNANocic 

Il  7  «  quinze  Jourt,  Je  demande  un  congé, 
Pour  aller  yoir  mourir  un  vieil  oncle  que  j'il 
Dans  le  département  de  la  Meurthe-et-MoseI!<! 
Mon  chef  ne  parut  pas  oouper  dans  la  ûcelif  ; 
Pourtant  il  m'accorda  ce  que  je  souhaitaij« 
Le  lendemain  matin  dès  l'aube  je  partais. 
Gai,  content,  altéré  d'air  libre  et  de  Terdareî 
(Car  Tonele  n'était  bien  qu'une  simple  impastiirc.} 
)e  demande  à  la  gare  un  billet  pour  Mâcon, 
ït  je  court  mlnstaller  dans  le  dernier  wagon 
llspérant  être  seul,  mais  espérance  vaine  1 
In  outre  la  portière,  un  parfum  de  verveinr 


104  MONOLOGUES  COMIQUES   ET   DRAMATIQUES. 

M'arrive  dans  le  nez.  Le  froufrou  d'un  jupon 

Parvient  à  mon  oreille,  un  tout  petit  peton 

Se  montre,  puis  un  autre...  enfin  sur  la  banquette 

Une  dame  s'assied...  Je  flaire  une  conquête, 

J'aide  la  voyageuse  à  placer  ses  colis  : 

Elle  me  remercie  en  termes  très  polis, 

Tandis  que,  souriant,  je  regagne  ma  place. 

Je  ne  savais  pas  trop  comment  rompre  la  glace  ; 

J'essayai  cependant  :  —  Il  fait  un  bien  beau  temps, 

Madame,  et  les  fermiers  doivent  être  contents. 

—  Ohl  ouiy  monsieur. 

—  On  dit  pourtant  que  la  salade 
Ne  rend  pas,  et  de  plus,  que  l'avoine  est  malade. 

—  Tant  pis,  monsieur,  je  plains  les  malheureux  chevaux 

—  Oh!  madame,  voyez  les  jolis  petits  veaux, 
Juste  en  face  de  vous,  tout  là-bas,  sous  les  ornes  ! 

—  Je  croyais  que  les  veaux,  monsieur,  avaient  des  cornesl 
<—  Non,  pas  euxl  Leurs  papas  et  leurs  mamans  aussi. 

Ils  en  auront  plus  tard.  Nous  parlâmes  ainsi 
Longtemps.  Je  commençais  à  trouver  monotone 
La  conversation  de  la  jeune  personne. 
Avec  ça  j'étouffais  dans  ce  chemin  de  fer  I 
J'ouvre  un  peu  la  fenêtre  afin  de  prendre  l'air; 
Voilà  qu'en  me  penchant.  6  rage^  ô  coup  funeste, 


l  ACCROC.  105 

Je  sens  se  déchirer...  Ce  n'était  pas  ma  veste, 
Non,  c'était  ma  culotte  !  Immobile,  éperdu, 
Je  restais  là,  suant,  tremblant,  le  dos  tendu  I 
Je  craignais,  en  bougeant,  que  cette  déchirure 
S'augmentât,  et  n'osais  rentrer  dans  la  voiture. 
J'espérais  que  cela  ne  se  voyait  pas  trop. 
Que  du  moins  mon  veston  dissimulait...  raccroc; 
Mais  la  dame,  soudain,  tremblante  de  colère. 
M'ordonne  de  m'asseoir;  or,  la  chose  était  claire, 
Elle  avait  vu  ce  qui  venait  de  m'arriver. 
J'aurais  donné  cent  sous  pour  pouvoir  m'esquiver, 
Et  changer  de  wagon  pour  changer  de  costume. 
Avec  ça  j'avais  peur  d'attraper  quelque  rhume. 
Non,  voyez-vous  d'ici  ma  situation? 
Le  train  s'est  arrêté!  C'est  une  station I 
Je  prends  mon  sac  et  saute  en  bas  de  la  voitur 
it  je  cours  me  cacher  derrière  une  masure  ; 
J'enlève  vivement  le  maudit  pantalon, 
Je  cherche  dans  mon  sac,  je  fouille  jusqu'au  fond 
Je  ne  trouve  dedans,  ohl  l'angoisse  mortelle  1 
Qu'un  pantalon  de  femme  avec  de  la  dentelle  I 
Je  comprends  tout.  Ce  sac  n'est  pas  du  tout  le  mien 
C'est  celui  de  la  darael  II  faut  cependant  bien 
Que  j'endosse  cela,  pour  regagner  la  voie. 


106  ItONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Endossons  1  je  courrai  pour  ne  pas  qu'on  me  voie; 
Une  fois  en  wagon,  j'expliquerai  d'où  vient 
L'erreur  à  ma  voisine  et  lui  rendrai  son  bien. 
Je  revêts  donc  l'objet,  sans  mal,  c'est  assez  ample, 
Ce  n'est  pas  tout  à  fait  assez  long,  par  exemple. 
Enfin,  c'est  fait,  je  cours,  craignant  d'être  en  retard. 
J'aiTive  juste  à  temps...  pour  voir  le  train  qui  part. 
Je  ne  sais  où  me  mettre!  Enfin,  tant  pis!  je  m'arme 
De  courage  et  m'en  vais  trouver  un  grand  gendarme 
Que  j'aperçois  debout  devant  la  station. 
Je  veux  lui  raconter  ma  situation, 
Mais  aussitôt  voilà  ce  haut  fonctionnaire 
Qui  croit  que  je  plaisante  et  me  dit  de  me  taire* 
Moi  j'insiste,  il  se  fâche  :  Allez-vous  circuler. 
Polisson  I  Je  comprends  qu'il  va  me  bousculer 
Si  j'ose  résister.  Alors  je  prends  la  fuite. 
Entraînant  un  essaim  de  gamins  à  ma  suite. 
Je  suis  tout  en  sueur  I  je  vais  sans  savoir  où. 
Manquant  à  chaque  pas  de  me  rompre  le  cou, 
Fuyant  devant  la  meute  aux  clameurs  diaboliques 
Lorsque,  soudain,  je  vois  briller  ces  mots  magiques 
Au-dessus  d'une  porte  :  «  Au  Guide  du  Bon  Ton. 
Habillements  complets  !  *  •—  Je  tourne  le  boutoo. 
Je  produis  un  efifet  impossible  à  décrire. 


i'aCCROC.  107 

Les  commis  partent  tous  d'un  grand  éclat  de  rire^ 
La  patronne  se  pâme  au  fond  de  son  fauteuil, 
Mais  son  mari  m'indique,  avec  le  doigt,  le  seuil, 
St  me  jette  dehors.  Je  ne  sais  plus  que  faire  I 
Que  vois-je?  Le  fànal  rouge  d'un  commissaire! 
J'entre  sans  hésiter  dans  l'établissement. 
Je  veux  tout  raconter  sans  perdre  un  seul  moment; 
L'intègre  magistrat  me  dit  avec  malice 
Qu'il  sait  tout.  Il  paraît  que  déjà  la  police 
Savait  tout.  Un  agent  m'emmène  et  me  conduit 
Dans  on  grand  local  triste  et  noir  comme  la  nuit. 

—  C'est  un  tailleur  en  gros,  pensai-je...  Mais  la  porte 
Du  fond  s'ouvre.  Un  monsieur,  suivi  d'une  cohorte 
De  garçons  en  livrée,  entre,  et  me  met  ses  doigts 
Sur  le  crâne  en  disant  :  —  Très  bien,  parfait,  je  vois 
Ce  qu'il  faut.  —  Je  n'avais  jamais  vu,  je  le  jure, 
Pour  aucun  pantalon  prendre  ainsi  la  mesure. 

—  Déshabillez-vous  vite  I  ordonne  le  tailleur. 

—  C'est  drôle,  comme  il  a  le  sourire  railleur, 
Me  dis-je  en  retirant  la  fatale  culotte. 

—  Ehl  bien,  ce  pantalon,  quand  est-ce,  je  grelotte. 

—  Otez  d'abord  tout  ça. 

—  Gomment?  mais,  s'il  vous  plall, 
Je  n'ai  pas  demandé  le  costume  complet. 


168  MONOLOGUES   COMIQUES   ET   DRAMATiQUÈS. 

A  ces  mots,  il  fait  signe  aux  garçons  ;  on  me  roule 

Sur  le  plancher  ainsi  qu'on  eût  fait  d'une  boule. 

Puis  je  sens  tout  à  coup  une  avalanche  d'eau 

Qui  m'inonde  le  corps  en  me  glaçant  la  peau. 

J'ai  beau  crier,  hurler,  leur  jurer  qu'ils  se  trompent, 

Ils  n'entendent  rien,  rien,  et  pompent,  pompent,  pompent. 

Je  me  débats  toujours  comme  un  ?rai  forcené; 

Je  comprends  maintenant  qu'on  ne  m'a  pas  mené 

Du  tout  chez  un  tailleur,  mais  dans  quelque  Bicêtre 

De  province.  Il  fallut  vingt  jours  pour  me  remettre 

Et  prouver  que  j'avais  ma  complète  raison. 

Ah  I  si  vous  voyages,  retenez  la  leçon  I 

Souvenez-vous  de  mes  tragiques  aventures. 

Et  de  vos  pantalons  visitez  les  coutaresl 


IDYLLE 


JL  H.  Jean  Rionrai. 

Bile  tratne,  la  panrre  fille, 

Une  moustmease  guenille, 

Funèbre  épaye  des  salons, 

Qui  bat,  boneuse,  ses  talons, 

Et  qne  le  sirop  des  soirées 

Diapré  de  taches  moirées. 

Contente  d'avoir  sur  la  peau 

Cet  étrange  et  sale  oripean. 

Elle  rit,  gazouille  et  caquette 

Au  bras  d'un  grand  gas  en  casquette, 

Qui  se  donne  des  airs  vainqueurs, 

{!n  lissant  ses  accroche-coeurs. 


no  MONOLOGUES  COMIQUES  ET   DRAMATIQUES. 

Ils  vont,  sur  la  route  poudreuse, 
Lui,  gonflé  d'orgueil,  elle,  heureuse. 
La  nature  rit  à  ces  gueux 
Qui  passent,  les  yeux  dans  les  yeux, 
En  se  jurant,  folle  promesse. 
Que  leur  amour  vivra  sans  cesse. 
Mille  parfums  embaument  Tair  ;   . 
Tout  au  loin,  le  tintement  clair 
D'une  vieille  cloche  résonne, 
Et  Tangélus  du  matin  sonne  ; 
Les  papillons  boivent  les  pleurs 
De  Taube  au  calice  des  fleurs  ; 
Dans  le  ciel  bleu,  les  hirondelles 
S'entre-croisent  à  tire-d'ailes  ; 
Moineaux,  fauvettes  et  pinsons 
Chantent,  cachés  dan^  les  buissons^ 
Que  l'aurore  vermeille  azuré. 
Et  la  brise  bat  la  mesure. 
Et  nos  deux  pâles  amoureux, 
Poussant  des  soupirs  langoureux, 
Écoutent,  ravis,  ces  murmures, 
En  cueillant  aux  buissons  des  mûres. 
Puis,  lassés  «fentendre  et  de  voir. 
Ou  bien  seul<;menl  ^ouy  s^voif 


IDYLLE.  m 

SI  là,  tout  près,  dans  le  boîs  sombre. 
On  pourrait  trouver  un  peu  d'ombre, 
On  les  voit  sous  les  frais  arceaux 
Que  forment  les  verts  abrisseaux, 
Disparaître;  à  leurs  pieds,  la  mousse 
S'étale  verdoyante  et  douce, 
Et  les  invite  à  s'allonger 
Quelques  minutes  pour...  songer. 
Et  les  voilà  couchés  dans  l'herbe, 
Et  conjuguant  l'éternel  verbe. 
Les  oiseanx  roucoulent  toujours, 
Mais  nos  amants  sont  déjà  sourds. 
La  fille  minaude,  coquette, 
Et  dit  que...  non,  à  la  casquette. 
Se  débat...  puis  enfin  se  rend  ; 
Et  leur  regard  se  perd,  mourant. 
Au  milieu  de  ces  harmonies, 
Dans  des  extases  infinies. 


SUR  UN  LIT  D'HOPITAL 


POESIE 


Dite  par  M.  Jolly,  membre  de  la  Société  de  lecture 
€t  de  récitation. 


k  M.  le  dootonr  GÀMPiifON. 

Sur  son  lit  de  douleur,  vn  moribond  se  tord. 

L'air  manque  à  ses  poumons  :  il  râle,  étouffe  et  mord 

Ses  bras  nus  et  crispés.  Il  se  débat  ;  la  fièvre 

Glace  son  corps  morbide  et  dessèche  sa  lèvre. 

Ses  dents  claquent.  Ses  yeux  hagards,  secs  et  vitreux, 

Vacillent,  éperdus,  dans  leur  orbite  creux. 

Un  hoquet  le  secoue  et  s'éteint  dans  sa  gorge, 

Avec  un  bruit  pareil  au  soufflet  d'une  forge. 

La  crise  est  plus  aiguè.  Il  bat  l'air  de  ses  bras, 

Et  de  son  pied  nerveux  rejette  au  loin  les  draps 

Sous  lesquels  il  grelotte  et  dont  le  poids  F  écrase. 

Puis  il  se  calme,  il  cherche  à  parler...  mais  la  phrase 


li*  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Expire  en  son  gosier.  La  sueur  de  la  mort 
Perle  à  son  front.  Il  tente,  en  un  suprême  effort. 
De  s'arracher  d'un  bond  à  la  fatale  couche, 
Sur  laquelle  le  tient  cloué  le  mal  farouche  ; 
Mais  c'est  en  vain  qu'il  cherche  à  se  tenir  debout, 
Qu'il  s'accroche  aux  rideaux,  à  la  muraille,  &  tout  ; 
En  vain,  ses  doigts  tordus  cherchent  un  point  solide, 
Pour  appuyer  un  peu  sa  pauvre  tête  vide  ; 
Sur  ses  genoux  osseux,  son  corps  tremble  et  faiblit, 
Il  chancelle  et  retombe  épuisé  sur  son  lit 

C'en  est  fait  I  II  comprend  maintenant  que  son  heure 

Va  sonner.  Une  larme  à  ses  yeux  monte.  Il  pleure  I 

Il  pleure  son  enfance  et  ses  jeunes  amours  ! 

Il  pleure  ses  meilleurs  et  ses  plus  mauvais  jours! 

Il  pleure  les  grands  bois  pleins  d'ombre  et  de  silence 

Qu'affectionnait  tant  sa  rêveuse  indolence  1 

La  plaine,  où  méditaient,  penchés,  les  épis  blonds  ! 

L'herbe  haute  des  prés  !  Les  verdoyants  vallons  ( 

Tout  son  passé  revit  dans  un  lointain  mirage  : 

«  La  maison  paternelle,  au  milieu  du  village! 

h  Le  calvaire  où,  depuis  le  dernier  jubilé, 

»  Pourrissent  les  débris  d'une  gerbe  d*î  blé  ! 

i>  Le  vieuî^  clocher  perdu  daus  uti  fouillis  de  brauche|| 


I 


«UR  UN  LIT  d'hOPITAI  *15 

Les  ^à\Qi§  Yerts  ou  gris  des  maisonnettes  blanches  \ 
^'^<5oie,  dont  les  bancs  étaient  vit»  déserts, 
Q^and  le  printemps  posait  ses  premiers  tapis  rerta  I 
'  La  grand'place  où  les  vieux  faisaient  sauter  les  quilles^ 
•  Pendant  que  les  garçons  faisaient  danser  les  filles  I 

>  Les  ruines  de  granit  du  féodal  manoir, 

»  Qu'on  allait,  deux  par  deux,  visiter  chaque  soir  I 

>  Les  couples  se  glissaient  furtif»  comme  des  ombres, 

»  Sous  les  arceaux  voûtés  des  grands  corridors  sombres  ; 
>)  Là,  Técho  redisait  ces  mille  riens  charmants, 
•>  Que  l'amour  fait  fleurir  aux  lèvres  des  amants. 
»  Et  les  pas  résonnaient  sur  les  dalles  antiques, 
»  Où  les  corps  dessinaient  des  ombres  fantastiques. 

>  Puis  bientôt,  dans  la  nuit,  ces  ombres  s'effaçaient, 

»  Les  pas  ne  sonnaient  plus,  les  murmures  cessaient, 
»  D'autres  nids  s'élevaient  près  des  nids  d'hirondelles, 

>  Et  soupirs  et  baisers  se  mêlaient  aux  bruits  d'ailes. 


»  Mais  quand  venait  l'aurore  aux  reflets  diaprés, 
»  Lorsque  sonnait  l'heure  où  mille  insectes  nacrés 
»  Commencent  à  chanter  sous  les  vertes  fougères, 
»  Les  ombres,  tout  à  coup,  disparaissaient,  légèreç^ 
f  pélaissant  du  manoir  les  amoureux  abri», 


i 


M  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES, 

»  En  les  voyant  passer,  en  entendant  leurs  cris, 

»  Les  lourds  piliers  devaient  sentir  leur  cœur  de  pierre 

»  Tressaillir  de  plaisir  sous  leur  corset  de  lierre, 

»  Adorable  réveil  1  Le  parc  silencieux, 

M  S'emplissait  brusquement  de  mille  bruits  joyeux. 

»  Dans  les  airs,  dans  les  prés,  dans  les  bois  et  les  plaine 

»  Les  oiseaux  mêlaient  tous  leurs  voix  aux  voix  humaines 

»  Oui,  tout  chantait  :  Amants,  fauvettes  et  pinsons, 

•  Et  la  brise,  en  passant,  moissonnait  leurs  chansons  I  » 

Le  pauvre  moribond,  les  paupières  mi-closes. 

Regarde  vaguement  tous  ces  horizons  roses. 

Perdu  dans  le  passé,  —  le  présent,  Tavenir, 

Il  a  tout  oublié,  pour  se  mieux  souvenir. 

Et  comme  le  pécheur,  après  un  jour  d'oragt» 

Il  sent  renaître  en  lui  l'espoir  et  le  courage. 

Ses  maux  sont  terminés,  il  ne  sent  plus  son  mal» 

II  ne  voit  plus  les  lits  tout  blancs  de  l'hôpital. 

Ni  la  sœur  qui  sourit  doucement  sous  son  voile» 

Et  lui  montre,  à  travers  les  vitres,  une  étoile. 

Les  choses  qu'il  voit  sont  les  choses  d'autrefois. 

Et  les  bruits  qu'il  entend  sont  de  lointaines  voix  I 

Allons  !  dit-il,  allons  I  c'est  la  fin  du  martyre  1 

Et  son  &me  s'enfuit  dans  un  dernier  sourire. 


I 


LE  PAGE 


A  mon  ami  âlbouv. 

Sois  sage, 
Moqueur  ; 
Beau  pago 
Sans  peur.  ' 

Ménage 
Ton  cœur. 
Volage 
Vainqueur* 

La  rote 

Éclose 
Mourra; 

Vieillesse 

Suivra 

Jeunesse. 


coco 


A  Emile  Bovch». 

Ld  courert  tst  dressa  :  Monsieur  te  met  à  table. 
Madame  est  d'une  himeur  atroce,  épouvantable; 
£oco,  son  perroquet,  a  failli  se  casser  j. 

\es  pattes  en  roulant  sauter  pour  Tembrassêr* 
Dam  !  elle  lui  sourit,  le  caresse  et  le  baise 
Tant,  que  Coco  finit  par  la  trouver  mauvaise. 
W  donne  à  sa  maltresse  un  gentil  coup  de  bec. 
Emportant  et  la  chair  et  l'épiderme  avec, 
Et  s'en  va  se  percher  sur  le  bord  d'une  assiette. 
Monsieur  veut  lui  donner  un  coup  de  sa  serviette, 
Mais  madame  lui  dit,  —  qu'il  n'a  pas  fait  exprès, 
£t  que  c'est  en  jouant  ;  qu'il  est  toujours  après. 


(ÏO  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Et  qu'il  est,  en  un  mot,  plus  bête  que  la  bête. 

—  Viens,  mon  petit  Coco  ;  grrrater,  grrrater  la  tête. 

Coco,  se  sentant  fort,  se  met  à  fourrager 

Dans  les  plats,  comme  un  coq  dedans  un  potager. 

Enfin,  juché  dessus  le  bord  de  la  soupière. 

Il  aiguise  son  bec  comme  sur  une  pierre. 

Le  perroquet  s'en  donne  à  loisir,  mais  yoilà 

Qu'il  laisse  choir  sous  lui,  dans  le  tapioca. 

Une  substance  molle  et  visqueuse  et  verdâtre... 

C'est tout  juste,  c'en  est.  Alors,  coup  de  théâtre! 

Et  monsieur,  cette  fois,  de  colère  pâlit. 

Madame  en  souriant  prend  ie  corps  du  délit 

Dans  sa  cuiller  :  Tu  vois  que  c'est  bien  peu  de  chose* 

->•  C'est  trop  fort,  dit  monsieur;  tu  m'aimes,  je  suppose, 

Plus  que  ce  perroquet  ?  —  Je  gagerais  pourtant 

Que  tu  te  fâcherais  si  j'en  faisais  autant  l 


LA  VALSE  DES  FEUILLES 


A  mon  ami  Ernest  Roy. 

Tourbillonnez  I  Tombez,  feuilles  légères  I 
Obéissez  aux  caprices  du  vent. 
Ici  tout  passe  et  l'homme,  bien  souvent. 
Voit  fuir  ainsi  tes  rêves  éphémèrei. 

Envolez-vous,  feuilles  légères  I 

Envolez-vous  ! 

Dans  les  fougères» 
Vous  trouverez  un  lit  bien  doux* 

Feuilles  légères» 

Envolez-vous. 

L'hiver  a  mis  son  baiser  sur  tos  charmes» 
Et  vous  mourez  du  baiser  de  l'hiver. 
En  vous  voyant  tourbillonner  dans  l'air, 
On  croirut  voir  les  cieux  verser  des  larmes. 


1^  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMAtiQUËS. 

Envolez-vous,  feuilles  légères  I 

Envolez-vous  ! 

Dans  les  fougères 
Vont  trouverez  un  lit  bien  doux 

Feuilles  légères. 

Envolez-vous 

Qui  sait,  qui  sait,  si  la  feuille  qui  tombe 
N'est  pas,  bêlas  I  une  âme  qui  s'enfuit  ? 
Quand  on  la  voit  s'abîmer  dans  la  nuit 
On  croit  toujours  voir  s'ouvrir  une  tombe 

Envolez-vous,  feuilles  légères 

Envolez-vous 

Dans  les  fougères 
Vous  trouverez  un  lit  bien  doux 

Feuilles  légères. 

Envolez-vous. 

Vous  reviendrez  vous  balancer  aux  arbres, 
Car  votre  nuit,  ô  feuilles,  n'a  qu'un  temps. 
Vous  reviendrez,  mais,  hélas  I  le  printemps 
rie  rend  p^s  ceux  qui  dorment  sous  les  marbres. 


LA  VALSE  DES   FEUILLES.  123 

Envolez-vous,  feuilles  légères  ! 

Envolez-vous  1 

Dans  les  fougères, 
Vous  trouyerez  un  lit  bien  doux. 

Feuilles  légères, 

Envolei-vous. 


LE  LION 

POÉSIB 

ifite  pet*  M.  PfliuppE  GARNiBRjrftf  ta  Comédie-Française 


À  mon  ami  Matbivit. 

Un  jour,  certaîn  dompiear  de  foire, 
Dont  le  nom  flétri  par  Thistoire 
De  tous  est,  hélas,  trop  connu, 
Étant,  disait-il,  panrenu 
A  vaincre  un  lion  féroce, 
Avait  convié  ses  amis 
A  venir  contempler,  spectacle  infime,  atroce, 
L'animal-roi,  qu'à  coups  de  crosse. 
Le  lâche  avait  soomis. 

Terrible,  aveuglé  par  la  rage, 
Brisé  de  hopte  et  de  dpuleur. 


128  MONOLOGUES   COMIQUES   ET   DRAMATIQUES. 

Le  lion  bondit  dans  sa  cage, 
Sous  les  coups  de  son  fier  dompteur. 
Au-dessus  de  son  front  la  cravache  tournoie, 
Et  son  hideux  sifflement 
Le  fait  rugir  sourdement  ; 
Et  son  œil,  qui  la  suit  dans  l'espace,  flamboie* 
Ses  poils  se  sont  dressés 
Sur  son  dos  qu'elle  effleure. 
C'en  est  trop,  c'est  assez  l  ' 

Le  lion  veut  avoir  et  son  tour  et  son  heure. 
Allons  !  debout  I  lève-toi  l 
Défends  ton  titre  de  roi  l 
On  croit  ta  force  brisée. 
Va,  défends^  6  géant,  ton  pouToir  contesté  1 
Montre  à  la  foule  éleotrisée, 
Qui  de  ta  grandeur  fait  une  risée, 
Qu'on  ne  touche  pas  à  ta  majesté. 
Bondis,  comme  autrefois  dans  les  bois  et  les  jungles J 
Que  tes  cris,  qu'on  entend  la  nuit  dans  les  déserts, 
Déchirent  de  nouveau  les  airs 
0  lion,  aiguise  tes  ongles, 
Brise  tes  barreaux. 
Arrache  ta  chaîne, 
gt  crache  ta  haiue, 


LE  r'oiT.  m 

A  la  £aco  de  tes  bourreaux  I 

Ah  I  nains,  vous  n'osez  plus  rire, 
A  son  tour,  le  géant  vous  fait  trembler  de  peurl 

Et  toi,  superbe  dompteur, 
Ton-t-il  donc  perdu  tout  son  empire? 
Allons  donc,  affermis  ta  voix, 
Et  prends  ton  air  le  plus  bravache. 
Va,  va,  fais  siffler  ta  cravache, 
Frappe I  frappe  encore  une  fois! 

Mais  quoi,  la  terreur  les  glace? 
Tous  restent  cloués  à  leur  place, 
Et  regardent,  tremblants,  le  lion  furieux. 

Dont  les  yeux  fascinent  leurs  yeux  î 
Hourra  !  de  nouveau  dans  l'espace, 
Le  long  fouet  se  déroule  et  l'enlace. 
Ahl  malheur  à  vous,  imprudents! 
Cinglé  par  la  lanière. 
Le  lion  les  yeux  ardents, 
A  secoué  sa  royale  crinière, 
Et  va  TOUS  déchirer,  lâches,  avec  ses  dents* 

Sous  ses  griffes  de  fer  déjà  la  cage  cède. 
A  terre,  les  barreaux  tordus  gisent  épars^ 


i28  MONOLOGUES  COMIQUES   ET   DRAMATIQUES. 

Et  tous  les  spectateurs  que  la  terreur  possède, 
Cherchent  à  fuir  alors,  éperdus  et  hagards, 
Le  lion,  dressant  sa  noble  tête, 
Passe  au  milieu  d'eux, 
Calme  et  majestueux, 
St  devant  la  royale  bête, 
Tous  s'inclinent  épouvantés. 
Mais  voyant  qu'au  loin  il  va  disparaître. 
Ils  sentent  tout  à  coup  leur  audace  renaître. 

A  morti  hurle>t-on  de  tous  les  côtés 
Mais  la  foule  soudain  recule  frémissante  : 
Le  lion  s'est  arrêté, 
Et  de  sa  gorge  haletante. 
Sortent  ces  trois  mots,  dits  d'une  voix  éclatante  ; 
H  Salut,  sainte  Liberté  I  » 


TOINON 


A  M'i'K ,  del'Odéoo. 

Qui  donc  résisterait  à  ta  beauté,  Toinon!... 
Et  qui  n'aimerait  pas  tes  charmes  diaboliques? 
S'il  pouvait  de  sa  main  caresser  ton  menton, 
Argan  même  oublîrait  un  instant  ses  coliques. 

Tartuffe f  ce  dévot...  ou  plutôt  ce  fripon, 
Qui  rougit  saintement  à  toutes  tes  répliques. 
Si  tu  lui  disais  :  Oui,  —  ne  répondrait  pas  :  Non, 
J'en  jurerais,  malgré  ses  airs  évangéliques. 

Le  public  te  chérit,  il  aimeta  gaîté. 

Tes  ruses  de  gamin,  tes  airs  d'enfant  gâté, 

Il  aime  de  tes  mots  l'allure  cavalière. 

Et  tandis  qu'il  se  brûle  aux  flammes  de  tes  yeux, 

Les  sonores  éclats  de  ton  rire  joyeux 

Jusque  dans  son  tombeau  vont  réveiller  Molière I 


REVIENSl 


Elle  est  sourde  à  ma  voix  qui  l'appelle  et  soupire; 

Seuls  les  grands  arbres  verts 
Entendent  chaque  nuit  les  plaintes  de  ma  lyre, 

Mes  sanglots  et  mes  vers. 

Ahl  reviens  I  —  Loin  de  toi,  mon  âme  se  déchire* 
Viens  dans  mes  bras  ouverts, 

J'oublierai,  —  chère  amante,  en  voyant  ton  sourire^ 
~-  Tous  les  tourments  soufferts. 

L'onde  de  nos  ruisseaux  a  gardé  ton  image  ; 
Le  merle,  tes  chansons  ;  le  sable  du  rivage, 
L'empreinte  de  tes  pas. 

Àhl  reviens  à  ton  nid,  fugitive  hirondelle! 
A  nos  serments  d'amour  je  suis  resté  fidèU, 
Et  je  ne  t'en  veux  pasl 


CONTRASTES 


A  mon  ami  Ricouard 

La  femme  est  toujours  grosse  et  l'homme  toujours  plein  ; 

Elle  lutte  et  travaille,  et  lui»  gronde  et  se  plaint; 

Vaillante,  elle  accomplit  sans  murmurer  sa  tâche  ; 

Sans  honte,  il  dort,  il  mange,  et  se  saoule,  le  lÂche; 

Contre  la  pauvreté  la  femme  se  débat, 

Et  ça  fait  rigoler  son  homme  ^ui  la  bat; 

Elle  tient  avec  soin  sa  mansarde  proprette  ; 

Lui,  brise  tout,  quand  il  a  bu,  dans  la  chambrette  ; 

Elle  donne  à  ses  fils  de  morales  leçons  ; 

Lui,  braille  devant  eux  de  grivoises  chansons. 

Voilà  dix  ans  bientôt  qu'ils  demeurent  ensemble, 

Due  l'homme  jure  et  frappe,  et  que  la  femme  tremble. 


134  MONOLOGUES  COMIQUES  ET   DRAMATIQUES. 

Et  pourtant  quand  revient  le  soleil  du  printemps, 
Ils  s'en  vont  le  dimanche  avec  tous  leurs  enfants, 
Pleins  de  joie,  oublieux  et  des  coups  et  des  scènes, 
Courir  comme  des  fous  dans  le  bois  de  Vincennes. 
Ils  reviennent  le  soir,  en  se  tenant  la  main, 
Et  chantant  des  chansons  tout  le  long  du  chemin  ; 
Puis,  petit  à  petit,  îhomme  devient  plus  tendre, 
Et  la  femme,  penchée  afin  de  mieux  entendre, 
Écoute  en  souriant  parler  le  dieu  d'amour..., 
Et  met,  neuf  mois  après,  un  nouveau  fils  au  jour* 


ADAM  ET  EVE 


MONOLOGUE 


Dit  par  MM.  Coquelin  cadet,  sociétaire  de  la  Comédie- 
Française  et  TousÉ,  du  théâtre  national  de  rOdéon, 


mon  ami  Paul  Bilmàuo. 


Eve  ayant  mordu  dans  la  pomme, 
De  son  paradis  Jehovah 
La  chasse,  avec  Adam,  son  homme; 
Tous  deux  s'en  vont  cahin-caha. 

Après  avoir,  à  l'aventure, 
Erré  longtemps,  longtemps,  longtemps; 
Sans  feu,  sans  abri,  sans  pâture, 
Affamés,  moulus,  grelottants, 

Tous  deux  s'assirent  sur  la  moussé, 
A  l'ombre  d'un  jeune  bouleau; 
Adam,  brisé  par  la  secousse, 
Se  mit  à  pleurer  comme  un  veacu 


136  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Eve,  voyant  pleurer  son  homme, 
Épongea  les  pleurs  de  ses  yeux 
Avec  les  feuilles  de  la  pomme, 
Qu'elle  gardait  dans  ses  cheveux. 

Sa  main  caressa  Tépiderme 
D'Adam  très  amoureusement; 
Mais  lui  y  d'une  voix  rude  et  ferme» 
L'envoya  dinguer  brusquement. 

^  Va-t'en,  dit-il,  femme  adultère  I 
Toi,  qui  causas  tous  mes  malheurs  I 
Toi,  par  qui  je  vais,  sur  la  terre. 
Éprouver  toutes  les  douleurs. 

Eve,  n'osant  pas  lui  répondre, 
Mâchonnait  de  l'herbe  et  des  fleurs; 
Adam  continuait  à  fondre 
En  un  vrai  déluge  de  pleurs. 

—  Aht  Seigneur!  geignait-il,  c'est  elle 
Qu'il  fallait  frapper,  non  pas  moi. 
Pourquoi  donc  me  punir,  pourquoi? 
Votre  vengeance  est  trop  cruelle  I 


ADAM   ET  EVE.  131 

—  Tiens,  dit  la  mère  Eve,  as-tu  pas 
Mangé  de  la  pomme  que  l'ange.,.? 

—  C'est  vrai,  mais  lorsque  tu  me  l'as... 
Je  t'ai  dit  :  Zut!...  Tu  m'as  dit  :  Mange  i 

—  Ah!  tiens,  tu  me  pousses  à  bouti 
Je  ne  t'ai  pas  forcé,  j'espère? 

—  Mais  si...,  tu  m'as  fait  manger  tout. 
Oui  tout,  jusqu'au  trognon...,  vipère  1 

—  Dîs-donc,  tâche  d'être  poli. 

D'oii  sors-tu  donc?...  Est-ce  ma  faute. 

Si  t'es  à  moitié  ramolli, 

Depuis  qu'il  te  manque  une  cdte? 

t 

—  Ingrate  I  —  Va  donc,  désossé  I 

—  Dieu  voulait  que  j'eusse  une  femme. 
Nais  je  m'en  serais  bien  passé, 

Je  te  le  jure  sur  mon  âme* 

—  Ohl  menteurl  —  Je  vivais  en  paix^ 
Seul  avec  les  fleurs  et  les  bétes. 
Jamais  d'ennuis,  non,  rien  jamais. 
Tout  était  pour  moi  plaisirs,  fêtes  t 


i38  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES, 

J'avais  toujours  quelque  chanson 
Joyeuse  sur  la  bouche  1  ah!  damet 
En  ce  temps-là,  j'étais  garçon, 
Vous  n'étiez  pas  encor,  Madame  1 

Hélas!  un  jour  je  m'endormis 
Sur  le  gazon,  quelques  minutes, 
Au  côté  soudain  je  sentis 
Un  chatouillement...  et  vous  fûtes. 

Dès  lors,  le  céleste  courroux 
S'est  abattu  sur  moi,  terrible; 
Depuis  que  je  suis  avec  vous, 
Ce  que  j'ai  souffert,  c'est  horrible  l 

D'abord,  tout  au  commencement. 
Insensé  1  je  trouvais  ça  drôle 
D'être  mari;  mais,  promptement, 
Je  me  suis  lassé  de  mon  rôle* 

Vous  êtes  sotte,  propre  à  rien, 
Bavarde,  sale...  un  caractère! 

—  Mon  cher  époux,  je  vous  vaux  bien, 

—  Fais-moi  le  plaisir  de  te  taire. 


ADAM  ET  ÈVB.  130 

—  J*ai  bien  le  droit  de  parler?  —  Non. 
je  veux  parler  tout  seul,  Madame. 

^  C'est  le  moyen  d'avoir  raison. 

—  Je  suis  l'homme,  moi  ;  vous,  la  femme. 

Osez-vous  bien,  après  l'affront 
Que  vous  m'avez  valu,  traîtresse, 
Relever  encore  le  front, 
Et  venir  parler  en  maîtresse? 

Par  votre  faute,  j'ai  perdu 
La  paix,  le  bonheur,  l'espérance  I 
Mes  jours,  vous  l'avez  entendu, 
l^'écouleront  dans  la  souffrance  I 

Ah  I  si  du  moins  Dieu  m'avait  mis 
Seul,  hors  de  la  céleste  enceinte, 
Je  me  serais  alors  soumis. 
Sans  peine,  à  sa  volonté  sainte. 

Mais  non,  il  vous  chasse  avec  moi. 
Nous  attache  à  la  même  chaîne  1 
Il  faut,  me  courbant  sous  sa  loi. 
Qu'avec  moi,  toujours,  je  vous  traîne I 


1*0  MONOLOGUES  COMIQUES   ET   DRAMATIQUES. 

Il  gémit  ainsi  tout  le  jour, 
Eve,  se  sentant  bien  coupable, 
Dépensait  des  trésors  d'amour I 
C'était  beau,  touchant,  lamentable! 

Or,  vers  le  soir,  Dieu  descendit, 
Et,  frappant  Adam  sur  l'épaule. 
Il  le  fit  lever,  et  lui  dit  : 
«  Sèche  tes  larmes,  mauvais  drôle« 

»  J'ai  tout  entendu  de  là-haut. 
»  Ah  I  tu  m'accuses  d'injustice  ! 
9  Polisson  I  qu'est-ce  qu'il  te  faut, 
»  Et  que  voulais- tu  que  je  fisse? 

»  Réfléchis  un  peu.  Mon  courroux 
»  Fut  bien  moins  grand  que  votre  crime. 
»  Je  fus  certainement  trop  doux. 
M  Et  tu  te  poses  en  victime? 

»  Oui,  je  t'ai  dit  :  Tu  souffriras 

»  Dans  ton  corps,  tes  fils  et  ta  femme, 

»  Travailleras  et  gémiras, 

»  Jusqu'à  ce  que  tu  rendes  l'âme. 


ADAM   ET   EVE.  ^ 

»»  Mais  je  pouvais  doubler  tes  maux 
»  Et  te  donner,  dans  ma  colère... 
—  Quoi?  dit  Adam,  tendant  le  dos... 
»  Quoi,  Monsieur?  —  Une  belle-mère!  h 

Et  cela  dit,  Dieu  s'envola, 
Laissant  les  deux  époux  à  terre. 
C'est,  dit-on,  dans  rette  nuiL-là 
Qu'Adam  fut  notre  premier  Pèrel 


SUR  LES  EAUX 

POÉSIE 

Dite  par  M.  Albouy,  membre  de  la  Société  de  lecture 
et  de  récitation. 


A  mon  aini  Charles  OnniEH 


La  barque  se  balance 
Mollement  sur  les  eaux. 
Ainsi  qu'un  vol  d'oiseaux 
La  barque  se  balance. 
Charmante  d'indolence. 
Au  milieu  des  roseaux, 
La  barque  se  balance 
Mollement  sur  les  eaux. 

Le  matelot  fredonne 
Un  chant  doux  et  plaintif. 
Laissant  aller  l'esquif, 
Le  ir^tf'"^  '«-edonne. 


144  WCNOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Et  la  bise  d'automne 
Glace  son  front  pensif. 
Le  matelot  fredonne 
Un  chant  doux  et  plaintif. 

Sur  le  bord  il  se  penche 
Et  veille  à  l'hameçon. 
Sans  taire  sa  chanson. 
Sur  le  bord  il  se  penche. 
Accroupi  sur  sa  planche» 
11  guette  le  poisson. 
Sur  le  bord  il  se  penche^ 
Et  veille  à  l'hameçon. 

L'astre  de  feu  s'incline 
Et  descend  lentement. 
Dans  le  bleu  firmament» 
L'astre  de  feu  s'incline. 
Empourprant  la  collin« 
De  son  rayonnement, 
L'astre  de  feu  s'incline 
Et  descend  lentement. 

Le  vent  gonfle  les  voiles 
Avec  un  bruit  joyeux. 


8UR   lES   EAUX.  H5 

Soqffle  mystérieux, 

Le  veQt  gonfle  les  voiles^ 

Et  déjà  des  étoiles 

Se  montrent  dans  les  cieux. 

Le  vent  gonfle  les  voileSi 

Avec  un  bruit  joyeux. 

La  lune  argenté  Tombre, 

l)e  son  pâle  reflet. 

Autour  du  batelet, 

La  lune  argenté  Tombre. 

Le  pêcheur^  sans  encombre 

Retire  son  filet. 

La  lune  argenté  l'ombre 

b«  fion  mâle  reflet. 

Le  pêcheur  sur  la  rive 
Laisse  là  son  bateau, 
Puis  il  prend  son  manteau, 
Le  pêcheur,  sur  la  rive. 
Et  d'une  allure  vive, 
Gravissant  le  coteau. 
Le  pêcheur  sur  la  rive 
L^isbe  là  sou  bateau. 

iO 


U6  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES: 

Il  rentre  en  sa  chauminOt 
Et  dort  jusqu'au  matin. 
Chargé  de  son  butin, 
Il  rentre  en  sa  chaumine* 
Sur  la  route  il  chemine, 
Cîontent  de  son  destin, 
Il  rentre  en  sa  chaumine. 
Et  dort  jusqu'au  matin. 

Demain,  avant  l'aurore, 
L'onde  le  bercera 
Il  recommencera 

Demain,  avant  l'auror©; 
Sur  la  vague  sonore. 
Sa  barque  glissera. 
Demain,  avant  l'auror^ 
L'onde  le  bercers* 


A  VICTOR  HUGO 


26  février  !8S!. 

Ecoulez  ees  rumeurs,  écoutez  ces  longs  cris 

D'amour,  d'allégresse  et  de  fête  : 
C'est  l'antique  cité,  Paris,  le  grand  Paris, 

Qui  vient  saluer  son  poète. 

Oui,  les  fils  de  Paris,  ces  éternels  amants 

Des  sublimes  apothéoses, 
Viennent  au  grand  Hugo,  —  pour  ses  quatre-vingts  ans, 

—  Offrir  des  bleuets  et  des  roses. 

Oui,  Paris,  oui,  la  France,  un  peuple  tout  entier, 

Célèbre  son  anniversaire, 
Et  vient  orner  ici,  —  d'un  immortrel  laurier^ 

—  Le  fr^'  at  du  grand  octogénaire. 


t48  MONOLOGUES   COMTOUE»   ET   DRAMATIQUES. 

0  peuple,  tu  fais  bien  d'honorer  ce  vieillard. 

De  saluer  ce  fler  génie. 
Dont  loeuvre,  immense  et  forte,  a  régénéré  l'art 

Et  fait  plus  grande  la  Patrie. 

C'est  lui  qnî  hautement,  dans  sa  prose  et  ses  vers, 

Plaida,  peuple,  ta  cause  sainte, 
Qui,  le  premier,  souffrit  des  maux  par  toi  soufferts 

Et,  le  premier,  comprit  ta  plainte. 

Quand  il  parle  de  toi  comme  ils  sont  beaux  les  chants 

Tombés  de  sa  puissante  ]yre  : 
Indulgent  aux  petits,  implacable  aux  méchants, 

C'est  pour  toi  son  meilleur  sourire. 

Cest  pour  toi,  pour  toi  seul,  que  sa  terrible  voix 

A  toute  heure  s'est  fait  entendre  ; 
Et  lorsque  l'on  cherchait  à  violer  tes  droi  ts, 

Il  était  là  pour  les  défendre. 

Or,  tous  les  peuples,  tous,  se  tournèrent  vers  lui, 

Vers  le  grand  poète  de  France  ; 
Kt,  tels  que  des  marins,  lorsque  l'orage  a  fui, 

Tous  murmurèrent  :  Espérance  l 


A  VICTOR   HUGO.  li« 

Hugo  plaida  pour  eux.  Formidable,  sa  voix 

Eut  les  grands  éclats  des  tonnerres, 
Et  tout  à  coup  Ton  vit,  en  l'entendant,  des  rois 

Pâlir  d'effroi  dans  leurs  repaires. 

Ce  vaillant  défendit  le  faible  I  —  On  l'exiU. 

Va  sur  des  rives  étrangères, 
Quitte  le  sol  natal  ;  ton  souvenir  est  là, 

Vivant,  dans  le  cœur  de  tes  frères! 

Mais  ces  temps  ne  sont  plus,  et  les  rois  à  leur  tour 

Ont  enfin  passé  la  frontière. 
Pour  jamais  cette  fois,  l'ombre  a  fait  place  au  jour, 

Tu  peux  rayonner,  ô  lumière  1 

Peuple,  lu  peux  chanter,  tu  peux  jeter  des  fleurs 

À  celui  qui  prit  ta  défense, 
À  celui  dont  les  chants,  —  en  t'arrachant  des  pleurs, 

—  Ont  sa  consoler  ta  souilranct. 

Relis  son  œuvre  entière,  une  à  une  parcourt 

Les  pages  par  sa  main  tracées  : 
Qu'il  chante  les  enfants,  les  combats,  les  amours I 

—  Partout  d'immortelles  pensées  1 


iU  MOMOLOGUES   OOIHQLES   ET  DRAJtATlOCES, 

Uelis  les  Châtiments,  les  Odes,  les  Rayons. 

CromweU,  Ângélo,  Notre-Dame, 
Claude  Gueux,  Bug-Jargal,  les  Coniemplatioms: 
Partout,  nn  reflet  de  son  imel 

Relis  Mary  Tudor  et  la  Esmérali-a, 

Les  Burgraoes,  le  Roi  î'awui*, 
Marion,  Hernani,  Ruy  Bios,  Borgia, 

Ces  perles  que  pleora  sa  muse. 

Ohl  relis  cette  prose  et  ces  supeièes  vers. 

Cette  œuvre  est  si  forte  et  si  bdîc, 
Cetie  œuTre  que  tout  bas  jalouse  l'unifK^s, 

Parce  qu'il  la  sait  immorteLle. 

Tielis  enfin  ce  livre  où  sont  peints  tous  tes  aant. 

Relis,  peuple,  les  MitirmbksI 
Qui  jamais  exprima  des  sentiments  ^ns  beau. 

Bans  des  pages  plus  admirables? 

^t  toi,  Victor  Hngo,  poète  aux  chereux  bbucs. 
Quels  chants  nouveaux  vas- ta  nous  dire? 

0  chante,  chante  cncor  !  —  Oui,  dans  tes  doigts  tremblants, 
Grand  poète,  reprends  ta  lyr©* 


A  VICTOR  HUGO.  151 

Chante  1  —  Pour  écouler  ta  voix,  tout  l'univers 

Déjà  s'incline  et  fait  silence  I 
Il  faut,  poète,  il  faut,  —  avec  de  nouveaux  vers, 

—  Payer  le  bouc^uet  de  la  France  I 


NONl 

CHANSONNETTE 

Musique  de  M.  Cressonnois 


n  me  disait  :  Ma  Lucette, 
Je  t'aime  plus  qae  le  jour; 
Quand  donc,  cruelle  coquette, 
Me  paieras-tu  de  retour? 
Il  fait  nuit,  la  lune  brille 
Là-haut  dans  le  firmament, 
ÀTec  moi,  sous  la  charmille. 
Viens-t'en  jaser  ua  moment. 

Gela  me  semblait  bon,  bien  boOf 
D'entendre  de  si  douces  choses; 
Pourtant,  les  paupières  mi-close». 
Je  répondais  toujours  :  Non,  noal 
[Parlé]  Ohl  non. 


i54  MONOLOGUES   COMIQUES   ET   DRAMATIQUES. 

Il  disait  :  Viens  sur  la  mousse, 
Nous  asseoir  pour  écouter 
Le  bruit  de  i 'herbe  qui  pousse, 
Et  le  rossignol  chanter. 
Dans  leurs  nids,  les  hirondelles 
Font  place  à  leurs  amoureux, 
0  Lucette,  fais  comme  elles, 
Et  moi,  je  ferai  comme  eux. 

Cela  me  semblait  bon,  bien  bon. 
D'entendre  de  si  douces  choses; 
Pourtant,  les  paupières  mi-closes» 
Je  répondais  toujours  :  Non,  non' 
{Parlé)  Ohl  non. 

Puis  il  me  prenait  la  taille, 
Et  pour  le  faire  lâcher, 
•     Il  fallait  livrer  bataille, 
Et  tout  rouge  se  fâcher. 
Je  yeux  sur  ta  lèvre  rose. 
Disait-il,  prendre  un  baiser; 
Un  baiser,  c'est  peu  de  chose. 
Tu  peux  bien  me  l'accorder. 


NON  I  i:-5 

Cela  me  semblait  bon,  bien  bon, 
D'entendre  de  si  douces  choses  ; 
Pourtant,  les  paupières  mi-closes» 
Je  répondais  toujours  :  Non,  noni 
[Parlé)  Oh!  non. 

Aujourd'hui  je  suis  sa  femme» 

Il  a  mon  cœur  et  ma  main  ; 

Pour  deux,  nous  n*ayons  qu'une  àme, 

Et  Dieu  bénit  notre  Jiymen. 

Ah!  daml  c'est  lui  qui  commande. 

C'est  à  l'homme  d'ordonner, 

Et  ce  qu'un  mari  demande. 

Sa  femme  doit  lui  donner. 

Cela  me  semble  bon,  bien  bon, 
D'obéir,  et  pour  bonne  cause  ; 

Aussi,  lorsqu'il  veut quelque  chose. 

Je  ne  réponds  jamais  :  Non,  nonl 
{Parlé)  Ohl  non. 

Dans  notre  gentil  ménage, 
Tout  est  aimable  et  riant  ; 
Huit  gros  bébés  sont  le  gage 


â55  KONOLOGUES   COMIQtJES  ET    DRAMATIQUES 

D'un  bonheur  toujours  croissauU 
Tout  cela  rit,  cabriole, 
Chaque  soir  autour  de  nous, 
Et  mon  cher  époux  raffole 
De  ses  bambins  à  Toeil  doux. 

Cela  lui  semble  bon,  si  bon, 
Que  s'il  veut  avoir  la  douzaina, 
Pour  ne  pas  lui  faire  de  peine, 
Je  ne  répondrai  pas  :  Non,  nonl 
{Parlé)  Ohl  nfio. 


CHAUD  LES  MARRONS! 

POÉSIB 

PUe  par  M.  Peutat,  du  théâtre  national  de  VOh'on, 


A  mon  ami  Georges  [omn. 

Chaud  là,  les  marrons,  chaud  1  II  gèle.  Le  bitune 

Craque  sous  les  pieds  froids  du  passant  qui  s'enrhame. 

Chaud  là,  les  marrons,  chaud!  La  bise  en  sifflant  tord 

Les  arbres  dépouillés  du  boulevard  et  mord, 

Féroce,  tous  les  nez  qu'en  route  elle  rencontre. 

Chaud  là,  les  marrons,  chaud  1  Dans  l'ombre,  appuy*^  ooL-tre 

Un  réverbère  éteint  par  le  vent,  un  petit,  — 

Que  sans  doute  décembre  a  mis  en  appétit, 

—  Demande  en  grelottant  un  petit  sou  pour  vivre, 

Mais  il  voit,  un  par  un,  tous  les  passants  se  suivre, 

Et  pas  le  moindre  sou  ne  tombe  dans  sa  main. 

Chaud  là,  les  mairous,  chaud  1  II  mangera  demain. 


158  MONOLOGUES   COMIQUES   ET   DRAMATIQUES. 

Mais,  là-bas,  un  monsieur  —  qu'une  pelisse  immens© 
Enveloppe  des  pieds  à  la  tête,  —  s'avance. 
L'enfant  quitte  sa  place  et  court  à  lui  tout  droit  I 
— '^  Un  sou  ? 
—  Non. 

"  •  J'ai  faim  I 

—  Non. 

—  Monsieur  I 

—  Il  fait  trop  froid. 
Et  le  monsieur,  —  plongeant  son  museau  dans  sa  loutre, 

—  Fait  deux  petits  brrr,  brrr,  et,  guilleret,  passe  outre. 
Chaud  là,  les  marrons,  chaud  I  Le  savoyard  du  coin,  -- 
Le  marchand  de  marrons,  —  voit  la  scène  de  loin  : 
Approche  ici,  petiot  1  Viens-t'en  chauffer  tes  pattes  1 

Et  le  pauvret,  au  feu,  tend  ses  mains  écarlates. 

Il  rayonne  :  ohl  c'est  chaud I  ohl  ça  brûle!  oh!  c'est  bon! 

Et  puis  il  rit  tout  haut  des  tic-tic  du  charbon. 

—  Prends  des  marrons,  va,  mange;  un  peu  de  vin,  tiens. 

[liche. 
Dit  le  vieux  savoyard,  j'en  serai  pas  moins  riche. 
Et  l'enfant  mange  et  boit  en  regardant  le  vieux, 
\e  vieux  qu'il  remercie  en  clignotant  des  yeux. 

—  T'as  fini  ? 

—  Hopl  alors*  en  deux  temps,  passe  au  large! 


CHAUD   LES   MARRONS  f  159 

Et  tâche  de  De  pas  revenir  à  la  charge. 
—  Merci,  m'sieur. 

—  Pas  de  quoi,  va  te  coucher,  crapaud. 
Et  l'enfant  disparait.  Chaud  là,  les  marrons,  chaud l 


OANS  LES  PETITS  BATEAUX 


A  mon  ami  Dblacoup« 


Dans  les  petits  bateaux 
Qui  glissent  sur  les  eaux, 
On  voit,  quand  il  fait  sombre. 
Des  couples  enlacés. 
Et  ron  entend  dans  l'ombre 
Ces  mots  :  Chut  I  Finissez  I 
Quel  est  donc  ce  mystère  ? 
Qu'est-ce  qu'on  peut  bien  faire 
Dans  les  petits  bateaux 
Qui  glissent  sur  les  eaux  ? 

Dans  les  petits  bateaux 
Qui  glisse&t  sur  les  eaux. 


il 


162  MONOLOGUES   COMIQUES   ET  bRAMATIQ.UES. 

Parfois  une  voix  fraîche 
Roucoule  une  chanson, 
Pourtant  le  bruit  empêche 
Qu'on  prenne  du  poisson. 
Quel  est  donc  ce  mystère  ? 
Qu'est-ce  qu'on  peut  bien  faire 
Dans  les  petits  bateaux 
Qui  glissent  sur  les  eaux  ? 

Dans  les  petits  bateaux 
Qui  glissent  sur  les  eaux, 
L'on  rit  et  l'on  babille  ; 
Puis  chaque  matelot 
Bientôt  se  déshabille. 
Mais  aucun  n'entre  à  Teau. 
Quel  est  donc  ce  mystère  ? 
Qu'est-ce  qu'on  peut  bien  faire 
Dans  les  petits  bateaux 
Qui  glissent  sur  les  eaux? 

Mais  les  petits  bateaux, 
Qui  glissent  sur  les  eaux, 
S'éloignent  de  la  rive  ; 
^  les  gais  matelots 


DANS   LES   PETITS   BATEAUX,  163 

S'en  vont  à  la  dérive 
Sur  le  dos  bleu  des  flots. 
C'est  dangereux  peut-être, 
Mais  je  voudrais  bien  être 
Dans  les  petits  bateaux 
Qui  glissent  sur  les  eauxl 


AU  CASINO  DE  *•* 

POÉSIE 

Dite  par  M.  Duard,  da  Conservatoire* 


A  M.  Ernest  DAMâ. 

La  foule  des  danseurs  emplit  le  Casine. 

Violons  et  pistons,  trombone  et  piano, 

Geignent  avec  ensemble,  ohl  sans  pourtant  se  suivre, 

La  corde  ayant  fini  toujours  avant  le  cuivre. 

Sous  les  lustres  de  gaz,  les  fringants  cavaliers 

Jettent  de  longs  regards  sur  les  frais  espaliers 

Que  forment  deux  cents  miss  pimpantes  et  coquettes, 

N'attendant  qu'un  signal  pour  quitter  les  banquettes» 

L'orchestre  a  préludé.  Sur  le  parquet  ciré. 

Chaque  groupe  s'élance  et  tournoie  enivré; 

Les  jupes  en  tournant  battent  comme  des  ailef. 

Les  bijoux  et  les  yeux  lancent  des  étincelles* 


!66  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Et  le  troupeau  bavard  des  mères,  dans  un  coin, 

Surveille  en  souriant  chaque  groupe  de  loin. 

Mais  tout  à  coup,  Torchestre,  avare  d'harmonie. 

Geint  les  derniers  accords  et  la  valse  est  finie. 

Ma  foi,  mes  beaux  danseurs,  vous  me  semblez  si  laids, 

Que  je  vais  m'allonger  là-bas  sur  les  galets, 

Et  chercher,  solitaire,  à  reprendre  le  rêve 

Ébauché  ce  matin  sur  le  bord  de  la  grève. 

Voyez-vous,  je  préfère  à  vos  lustres,  la  nuit, 

A  vos  rires  joyeux,  je  préfère  le  bruit 

Plaintif  et  régulier  de  la  lame  mauvaise 

Qui  se  tord  courroucée  en  battant  la  falaise. 

Ici,  c'est  la  folie  agitant  ses  grelots, 

Là- bas,  la  mer  pleurant  de  lugubres  sanglols; 

Ici,  c'est  le  mensonge  et  la  haine  etrenvie, 

Là-bas,  c'est  le  pardon,  la  prière  et  Jajrij; 

Jciy  c*est  le  réel;  là-bas,  le  rêve  bleu; 

Ici,  Tenfer;  ici,  les  hommes;  là-bas^ JtoU 


PRIMA 

MONOLOGUE 

Dit  par  M.  Galtpaux,  du  théâtre  du  Palais- Roy  al. 


A  M.  le  docteur  Codrssb    RAXt 

C'était,  je  m'en  souviens,  par  un  soir  de  printemps  ; 
J'étais  tout  jeune  encor,  j'avais,  je  crois,  seize  ans. 
Depuis  longtemps  déjà,  j'endormais,  plein  de  crainte, 
Les  désirs  enfermés  en  mon  âme  contrainte; 
Mais,  à  les  endormir,  je  m'appliquais  en  vain, 
Un  instant  assoupis,  ils  renaissaient  soudain. 
Sur  le  point  de...  faillir,  la  crainte  de  mon  père 
Me  retenait  encor,  je  craignais  sa  colère  ; 
Puis  je  me  rappelais  ce  qu'il  m'avait  prédit 
Si  je...  Dieux I  Quel  tableau  I  Ne  m'avait-il  pas  dit 
Du  plaisir  convoité  toutes  les  perfidies? 
Ce  qu'il  en  résultait  de  maux,  de  maladies? 


*68  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

J'avais  peur...  et  pourtant,  vers  le  fruit  défendu, 

Malgré  moi  s'élançait  tout  mon  être  éperdu  I 

D'une  force  invincible  innocente  victime. 

Je  sentais  que  mes  pas  me  portaient  à  l'abîme I 

Puis,  sans  cesse  une  voix  me  répétait  tout  bas  : 

«  On  se  moque  de  toi  ;  crois-moi,  n'écoute  pas 

»  Ces  contes  inventés  pour  t'effrayer;  en  somme 

»  Tous  les  hommes  font...  ça.  N'es-tu  donc  pas  un  homme?» 

Et  moi,  je  répondais  :  «  Mais,  je  n'ai  que  seize  ans, 

»  Tout  au  plus,  et  papa  dit  que  j'ai  bien  le  temps.  » 

»  Non,  non,  le  temps  s'enfuit,  reprenait  plus  pressante 

»  La  voix  qui  harcelait  ma  vertu  chancelante, 

»  Et  l'on  doit  se  hâter  de  jouir  du  bonheur, 

»  Surtout  quand  on  est  jeune  et  qu'on  est  plein  d'ardeur.  » 

Puis,  en  passant,  je  la  voyais  chaque  jour,  ellel 

Et  chaque  jour,  hélas  1  je  la  trouvais  plus  belle  I 

Sa  grâce,  sa  blancheur,  tout  en  elle  attirait. 

Et  la  voir  seulement  un  instant  m'enivrait. 

Parfois,  il  me  semblait,  soit  rêve,  soit  délire. 

Qu'à  travers  les  vitraux,  elle  allait  me  sourire. 

Mais  je  luttais  toujours...  Enfin,  je  n'y  tins  plus. 

J'osai.  L'on  m'accorda  tout  ce  que  je  voulus, 

La  belle  fut  a  moi.  C'était  une  soirée 

De  mai;  contre  mon  cœur,  je  la  tenais  serrée. 


PRÎMA.  i69 

Je  marcliais  tout  tremblant,  d'un  pas  silencieux. 
Tandis  que  mes  regards  se  perdaient  dans  les  cieux. 
Mes  deux  mains  s'égaraient  tout  autour  de  sa  taille  ; 
Je  tâtais  le  terrain  sur  lequel  la  bataille 
S'allait  bientôt  livrer,  prudemment  toutefois, 
On  n'est  jamais  bien  brave  une  première  fois. 
Mais  petit  à  petit,  se  dissipa  ma  crainte, 
Jlt  la  pressant  soudain  d'une  dernière  étreinte, 
Je  m'enfuis  avec  elle  au  fond  du  bois  discret. 
Rien  n'est  tel  que  les  bois  pour  cacher  un  secret. 
Et  là...  vous  devinez,  c'tst  facile  à  comprendre; 
Doucement,  dans  mes  mains,  elle  se  laissa  prendre, 
Et  de  celle  qui  fut  mes  premières  amours, 
Je  pus,  tout  à  loisir,  admirer  les  contours. 
IPar  mes  lèvres  en  feu  longuement  embrassée, 
Par  mes  doigts  inexperts  tendrement  caressée... 
Mais,  faut-il  raconter  tout  ce  qui  se  passa? 
Sur  sa  bouche,  ma  bouche  à  la  fin  se  plaça; 
L'embrasant  cette  fois  d'une  brûlante  flamme, 
Je  sentis  tout  à  coup  passer  en  moi  son  âme. 
Tout  disparut  alors  :  Bois,  terre,  firmament  I 
0  la  charmante  ivresse!...  0  l'aimable  moment! 
Le  feu  divin  bientôt  me  consume  et  m'embrase, 
Et  je  ferme  les  yeux,  le  cerveau  plein  d'extase  I 


110  MONOLOGUES   COMIQUES   El    DRAMATIQUES. 


Soudain,  un  mal  subit,  de  mes  sens  s'empara, 

Et  de  mon  pauvre  cœur  le  trop-plein chavira, 

Alors,  pris  aussitôt  d'une  frayeur  soudaine,    ' 
Loin  de  moi,  sans  pitié,  je  chassai  Tinhumaine. 
A  dater  de  ce  jour,  l'objet  tant  désiré, 
Pour  moi  fut  à  jamais  un  objet  abhorré. 
Oui,  c'était  bien  fini,  je  l'avais  prise  en  grippe, 
St  ce  fut  ma  première  et  ma  dernière  pipe. 


iN  ANIMA  INGENIUM 


À  mon  ami  Auguste  SmoN. 

J'aime  de  tes  accords  la  douceur  infinie, 

Et  lorsque,  sous  l'archet  frémissant  dans  tes  doigts, 

Gémit  ton  Tiolon  si  docile  à  tes  lois, 

Je  sens  monter  vers  Dieu  mon  âme  rajeunie. 

L'âme  presque  toujours  nous  tient  lieu  de  génie. 
Qui  demande  aux  oiseaux,  —  dont  on  entend  les  voix 
Chanter  de  l'aube  au  soir  dans  les  prés  et  les  bois, 
—  S'ils  ont  soin  d'observer  le  rythme  et  l'harmonie? 

Artiste,  c'est  ton  cœur  qui  toujours  doit  parler. 
C'est  de  ton  âme  enfin  que  doivent  s'envoler 
Les  notes  que  redit  au  loin  l'écho  sonore. 

Lorsque  ton  violon,  joyeux  ou  bien  plaintif. 
Chante  on  pleure  avec  toi,  je  t'écoute,  pensif, 
Et  lorsque  tout  se  tait,  longtemps  j'écoute  encore. 


UN  RECIDIVISTE 

POÉSIE 

Dite  par  M.  Ritel,  du  théâtre  de  VOdéon, 


-^'/ 


A  M.  Desruss. 

Il  est  cinq  henres.  L'ombre  envahit  le  prétoire, 
Et  l'avocat  qui  parle  engourdit  l'auditoire. 
Lourdement  affaissés  sur  leurs  fauteuils  de  cuir. 
Les  juges  somnolents  regardent  l'heure  fuir, 
Et  le  greffier,  dont  l'œil,  de-ci,  de-là,  louvoie. 
Se  chatouille  le  nez  avec  sa  plume  d'oie. 
Au  fond,  le  long  du  mur,  un  Christ  à  l'huile  peiui, 
Se  détache  expirant  sur  sa  croix  de  sapin. 
L'avocat  a  parlé.  Bien  vite  on  délibère, 
On  condamne  et  l'on  passe  à  la  dernière  affaire  : 
Accusé,  levez-vous  I  —  Un  vieux,  horrible  à  voir, 
Bûit«ux«  la  barbe  inculte  et  le  visage  ooir» 


174  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Avec  un  œil  crevé  pendant  hors  de  l'orbite, 
Se  lève  avec  effort  et  lentement  débite 
Ses  nom,  prénoms,  son  âge,  et  puis  calme,  il  attend 
Qu'on  l'interroge.  —  Eh  bien!  glapit  le  président, 
Toujours  sans  domicile  et  toujours  sans  ouvrage  I 
Vous  n'êtes  pas  honteux?  Un  homme  de  votre  âge! 
On  vous  a  condamné  déjà  plus  de  vingt  fois, 
Mais  vous  vous  moquez  bien  des  juges  et  des  lois. 
N'est-ce  pas? 

—  Mais,  monsieur... 

—  Taisez-vous,  la  prudence 
Vous  commande,  je  crois,  de  garder  le  silence. 
Ne  vous  défendez  pas  :  Paresseux,  vagabond  I 
Votre  affaire  est  très  simple  et  votre  compte  est  bon. 

—  Je  suis  un  vagabond,  je  veux  bien,  mais  en  somme, 

Monsieur  le  président,  je  suis  pas  mauvais  homme  : 

Je  n'ai  jamais  tué,  jamais  volé,  jamais. 

Travailler!  —  Pardi,  moi  je  le  voudrais  bien,  mais 

9n  me  trouve  trop  vieux  et  puis  je  suis  infirme 

Et  pas  bon  à  grand'chose,  allez,  je  vous  l'affirme. 

Quand  je  demande  aux  gens  d'utiliser  mes  bras, 

On  me  dit  :  Vous  seriez  plutôt  un  embarras. 

D'un  vieillard  comme  vous,  que  voulez-vous  qu'on  fasse? 


UN  RÉCIDIVISTE.  175 

Passez  votre  chemin,  bonhomme...,  et  l'on  me  chasse. 

Pour  être  sans  travail  on  n'en  a  pas  moins  faim. 

Il  faut  bien  qu'on  demande  à  ceux  qu'en  ont,  du  pain, 

C'est  donc  bien  criminel  de  mendier  des  croûtes. 

Et  de  dormir  la  nuit  dans  les  fossés  des  routes? 

Je  suis  pas  assassin  et  je  suis  pas  voleur, 

Monsieur  le  président,  je  suis...  C'est  le  malheur 

Je  travaillais...  avant...  et  ferme,  allez  1...  mais  dame, 

Depuis  que  le  bon  Dieu  m'a  pris  ma  pauvre  femme, 

Cela  m'a  jeté  bas  et  rendu  bon  à  rien. 

Mon  garçon  m'a  d'abord  pris  chez  eux...  J'étais  bien. 

Je  les  aidais  un  peu,  je  lavais  la  boutique, 

Je  reportais  le  soir  l'ouvrage  à  la  pratique.  — 

Mon  fils  est  rétameur.  —  Puis  j'allais  quelquefois 

Promener  les  enfants  :  Chers  petits!  —  Ils  sont  trois 

L'aîné  va  sur  douze  ans,  il  ressemble  à  sa  mère, 

Mais  c'est  lui  qu'aimait  bien  son  pauvre  vieux  grand-père. 

Les  deux  autres  aussi.  —  Mais  lui,  le  cher  petit, 

À-t-il  pleuré,  mon  Dieu,  lorsque  je  suis  parti. 

Parce  qu'il  a  fallu  qu'à  la  fin  je  m'en  aille  : 

Je  devenais  infirme,  et  dam,  quand  on  travaille 

Et  qu'on  est  déjà  cinq,  sans  ce  qui  peut  venir. 

C'est  dur  d'avoir  encore  un  vieux  à  soutenir. 

Mon  gars  ne  disait  rien,  mais  ma  belle-fiUe,  elle 


176  MONOiôtJUES   COMIQUES   ET   DRAMATIQUES. 

S'emportait  chaque  jour  et  me  cherchait  querelle,   ' 

Disant  que  je  volais  le  pain  que  je  mangeais 

A  mes  petits-enfants  et  que  je  les  grugeais. 

Lorsqu'on  est  propre  à  rien,  me  disait- elle,  on  jeûne  1 

Ahl  voyez-vous,  les  vieux,  ça  devrait  mourir  jeune. 

Il  fallait  en  finir I  —  On  m'a  donc  dit  :  Va-t'en. 

J'obéis,  mais  j'avais  le  cœur  gros  en  partant. 

Je  cherchai  du  travail.  Ce  fut  peine  inutile. 

On  me  dit  non  partout,  aux  champs  comme  à  la  ville. 

C'est  alors  qu'un  beau  soir,  au  détour  d'un  chemin. 

Pour  la  première  fois,  j'osai  tendre  la  main. 

J'ai  senti  là,  combien  pesante  est  la  piécette 

Que  la  main  du  passant  avec  mépris  vous  jette. 

Je  fus  pris,  et  depuis,  j'ai  dû  de  la  prison 

Franchir  vingt  fois  le  seuil  pour  la  même  raison  1 

Je  sais  :  Les  lois  sont  là,  mais  les  lois  sont  mal  faites. 

Et  devraient  respecter  la  blancheur  de  nos  têtes. 

Vous  dites  chaque  jour  à  vos  petits  enfants, 

Que  l'on  doit  secourir  ceux  qu'accablent  les  ans. 

Et  ces  mômes  enfants  peuvent  voir,  à  toute  heure, 

Des  vieillards  mendier  au  seuil  de  leur  demeure. 

Dans  leurs  grands  yeux  on  lit  qu'ils  ne  comprennent  pas 

Que  personne  ne  vienne  au  secours  de  nos  pas, 

Et  lorsque  nous  passons,  ils  disant  à  leur  mère  ; 


tJN   RÉGUiXVISTE.  iTl 

Maman,  pourquoi  qu'il  est  malheureux,  le  graad-père  ? 

Car  cela  rembrunit  leur  front  pur  et  joyeux, 

A  ces  anges  du  ciel,  de  voir  pleurer  des  vieux, 

Et  les  juges  devraient,  —  vous  soit  dit  sans  offense, 

—  Protéger  les  vieillards  par  respect  pour  l'enfance  ; 

Se  souvenir  qu'ils  sont  au  déclin  de  leurs  jours, 

Et  loin  de  les  punir  venir  à  leur  secours; 

Faire  moins  de  prisons  et  faire  plus  d'asiles 

Où  les  déshérités  puissent  mourir  tranquilles. 

Peut-être  que  je  dis  des  choses  sans  raison, 

Mais,  ça  fait  tant  de  mal  de  mourir  en  prison  ! 

les  graves  magistrats,  comme  des  sphinx  de  glace, 
iSommeillent  doucement.  Le  président,  que  lasse 
Le  discours  du  vieillard,  élève  enfin  la  voix, 
Et  dit  :  Le  tribunal  vous  condamne  à  trois  mois. 
Puis  heureux,  satisfait  de  la  besogne  faite, 
Le  tribunal  se  lève  et  bat  vite  en  retraite. 
Et  ces  juges  n'ont  pas  môme  baissé  les  yeux 
Sous  les  regards  du  Christ  accroché  devant  eux. 


la 


LE  CLAQUE 


MONOLOGUE 

£Hi  par  M.  Galipaux,  du  théâtre  du  Palais^Royal, 


A  mon  ami  Français  Despr^. 


Elle  avait  à  peine  quinze  ans, 
Et  s'appelait,  je  crois,  Thérèse. 
Moi,  je  comptais  dix-sept  printemps, 
Depuis  le  retour  de  la  fraise. 
Hors  du  ûlet,  prenant  l'essor, 
Ses  blonds  cheveux  jusqu'à  ses  hanches 
Tombaient,  déroulant  leurs  flots  d'or 
Le  long  de  ses  épaules  blanches. 
Ses  yeux...  ils  étaient  bleus,  ses  yeux, 
Et  leur  nuance  était  si  belle, 
Qu'on  eût  dit  qu'elle  avait  aux  cieux 
Volé  l'azur  de  sa  prunelle. 


UO  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRÀMAÎlQtEâ* 

Son  front  du  lis  avait  Téclat, 

Sa  bouche  était  rose  et  riante^ 

Et  jamais  cou  plus  délicat 

Ne  berça  tête  plus  charmante. 

Une  main  longue,  un  pied  petit. 

Une  taille  souple,  adorable, 

Un  bon  petit  cœur,  de  l'esprit. 

Enfin,  belle  à  tenter  le  diable  I 

Mais,  moi,  ce  qui  m'avait  pincé, 

Et  presque  fait  perdre  la  tête, 

C'est  son  nez,  un  nez  retroussé, 

Mais  retroussé  !  —  presque  en  trompette. 

J'aime  ees  nez-là  :  c'est  gentil, 

C'est  folichon,  cela  réveille 

Un  visage  et  donne  au  profil 

Une  élégance  sans  pareille. 

C'est  galbeux,  c'est  zinc.  Le  nez  greo 

A  l'air  de  fendre  en  deux  la  tête  ; 

G*est  long,  c'est  aride,  c'est  sec, 

Cest  anguleux  comme  une  arête. 

Au-dessous  de  ce  nez  charmant. 

S'ouvrait  un  écrin  plein  de  perlas, 

Écrin  d'où  s'échappait  un  chant 

Plus  doux  que  le  doux  chant  des  merle». 


lE   CLAQUE.  Î8J 

Ah!  grands  dieux!  pour  pouvoir  poser 
Sur  ces  lèvres  fraîches  et  roses 
Un  baiser,  rien  qu'un  seul  baiser. 
Que  j'aurais  donc  donné  de  choses.' 
J'aurais  bien  donné,  voyez-vous, 
Sans  hésiter  une  seconde, 
Sans  marchander  le  moins  du  monde. 
Oui,  j'aurais  bien  donné...  cent  sous. 
Mais,  hélas!  l'or  dans  cette  vie 
Ne  fait  pas  toujours  le  bonheur, 
Je  dus  donc,  au  fond  de  mon  cœur 
Celer  mon  amoureuse  envie. 
J'aurais  voulu,  seul,  en  secret, 
Causer  un  instant  avec  elle  ; 
Mais  sa  mère  avait  l'œil  au  guet 
Et  faisait  bonne  sentinelle. 
C'est  affreux  de  ne  pas  pouvoir 
Dire  à  la  belle  que  l'on  aime  : 
Je  t  aime,  m'aimes-tu  toi-même? 
Ne  rien  dire  et  ne  rien  savoir! 
Et  mon  cœur,  débordante  amphore, 
A  cet  amour  s'abandonnait, 
Et  cet  amour  empoisonnait 
Ma  vie,  à  peine  à  son  aurore. 


482  MONOLOGUES   COMIQUES  ET   DRAMATIQUES, 

Mourir I  je  veux...  Non,  ça  fait  mal, 

Il  faut  vivre!  c'est  plus  stoïque, 

C'est  plus  grand,  c'est  plus  héroïque, 

3e  souffrirai...  Ça  m'est  égal. 

Et  mon  âme  désespérée 

Luttait,  luttait,  lorsqu'un  matin. 

J'appris  que  madame  Patin, 

ta  mère  de  mon  adorée, 

Allait  donner  une  soirée. 

Un  bal!  0  doux  rêvel  ô  bonlieurl 

Je  vais  donc  pouvoir  sans  contrainte 

•Près  du  sien  décharger  mon  cœur 

Et  lui  parler  enfin  sans  crainte. 

Ahl  quand  nous  serons  seuls  tous  deux. 

Lorsque  mes  regards  amoureux 

Iront  chercher  dans  son  corsage... 

Chut!  n'en  disons  pas  davantage. 

Le  fameux  jour  arrive  enfin. 

Je  m'habillai  dès  le  malin. 

Tout  était  neuf  :  habit,  manchette». 

Gants  paille,  claque  de  satin, 

Pantalon,  tout,  jusqu'aux  chaussettes. 

A  neuf  heures,  j'entrais  au  bal, 

Parfumé  des  pieds  à  la  tête. 


LE  CLAQUE.  <S3 

j'étais  beaul  BeauV  —  Non,  mais  pas  rnaU 

Pourtant  l'air  peut-être  un  peu  bête. 

En  entrant,  je  cherche  de  l'œil 

Ma  Thérèse,  ma  hien-aimée; 

Je  l'aperçois  sur  un  fauteuil, 

Vive,  souriante,  animée. 

Alors,  tremblant,  je  viens  m'asseoir 

Auprès  d'elle  et  j'ose  lui  dire  : 

—  Vous  êtes  bien  belle  ce  soir, 
Thérèse.  Elle  esquisse  un  sourire! 

—  Dansons-nous  cette  mazurka? 

—  Impossible,  elle  est  retenue. 

—  Alors,  la  prochaine  polka? 

—  Monsieur,  c'est  chose  convenue» 
0  délire  I  Ivresse  I  polker 

Avec...  Une  frayeur  mortelle 
Me  saisit  :  j'ai  senti  craquer 
Quelque  chose.  C'est  ma  bretelle. 
Je  la  quitte...  pas  ma  bret...  Non,  — 
Thérèse...  —  Je  reviens,  pardon, 
II  faut  que  j'aille...  je  vais  prendre 
Un  peu  de  punch.  Veuillez  m'attendi'd. 
Je  me  sauve,  hâtant  le  pas 
Vers  une  retraite  profonde 


48*  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES 

OÙ  d'ordinaire  on  n'entre  pas 
Quand  on  sait  qu'il  y  a  du  monde. 
Là,  je  répare  en  un  instant 
Le  désordre  de  ma  toilette, 
Je  m'ajuste,  je  m'époussète, 
Puis,  je  reviens,  joyeux,  content. 
Thérèse  m'attend,  je  m'élance  ! 

—  Pardon  1  pardon,  suis-je  en  retard? 
Lui  dis-je,  avec  un  doux  regard. 

—  Mais  non,  monsieur,  non,  l'on  commence. 

—  Ahl  tant  mieux  alors,  j'avais  peur. 
J'offre  mon  bras.  Pour  être  à  l'aise, 
Je  mets  mon  chapeau  sur  sa  chaise... 
0  dieux  I...  je  pâlis  et  Thérèse 
Éclate  de  rire 0  fureur! 

Jugez,  messieurs,  de  ma  déveine  : 
J'avais,  au  lieu  de  mon  chapeau, 
Pris  le  couvercle  en  bois  d'ébène 
Qui  recouvrait...!  J'étais  en  eau. 
Le  cœur  plein  d'angoisses  mortelle». 
Je  m'esquivai,  tant  bien  que  mal. 
Depuis,  je  ne  vais  plus  au  bal. 
Et  ne  mets  jamais  de  bretelles* 


PREMIER  AMOUR! 


•<e  l'aimais,  comme  on  n'aime  ici-bas  qu'une  fois! 
Ri  en  pour  moi  n'égalait  sa  noire  chevelure  ; 
Sa  voix  était  plus  douce  encore  que  la  voix 
D     l'oiseau  qu'on  entend  le  soir  dans  la  ramure. 

Hélas  1  quand  je  m'égare  au  plus  profond  des  bois, 
Seul  avec  mes  pensers,  errant  à  l'aventure, 
L'écho  de  cette  voix,  faible  comme  un  murmure, 
Le  soir,  à  mon  oreille  arrive  encor  parfois. 

Que  reste-t-il  de  vous,  à  mes  jeunes  années? 

Des  larmes...  des  regrets...  et  quelques  fleurs  fanée?, 

Qui,  comme  ses  serments,  n'ont  vécu  qu'un  seul  joui  ! 

Renferme  à  tout  jamais  ton  secret,  6  mon  âme! 
Retourne  dans  la  nuit,  éteins-toi,  chaste  flamme I 
Fuyez,  chers  souvenirs  de  mon  premier  amouri 


SUR  LE  BOULEVARD 

POÉSIB 

Dite  par  M.  Amaury,  du  théâtre  de  VOdéon 


A  M.  François  Coppée. 

Le  pauvre  vieux  vendait  un  joujou  ridicule, 

Un  horrible  pantin  qui  faisait  la  bascule. 

C'est  quatre  sousl  criait  le  vieux  tout  en  marchant. 

Mais  la  foule  passait  et  laissait  le  marchand 

Agiter  ses  pantins,  dont  la  robe  fanée 

Prouvait  qu'ils  n'étaient  pas  nouveauté  de  l'année. 

C'était  pitié  de  voir  ce  vieillard  chancelant 

Solliciter,  craintif,  les  regards  du  chaland. 

Parfois  quelques  farceurs,  —  idiots,  dont  la  race 

Est  chez  nous  plus  qu'ailleurs  florissante  et  vivace, 

—  S'arrêtaient  près  du  vieux,  et  là,  faisaient  semblant 

De  vouloir  acheter,  tandis  que  lui,  tremblant, 

Expliquait  aux  messieurs  le  jeu  simple  et  facile 


188  MONOLOGUES  COMIQUES   ET   DRAMATIQUES. 

D'un  bonhomme  de  bois  qui  gigotait,  docile. 

Et  les  messieurs  prenaient  le  joujou  dans  leurs  doigts, 

Le  tournaient  bêtement,  en  tous  sens,  plusieurs  fois, 

Non  sans  tenter  un  peu  de  casser  la  ficelle, 

Ou  bien  de  chiffonner  l'étoffe  et  la  dentelle. 

Puis,  sans  rien  acheter,  ils  partaient,  satisfaits 

Des  dégâts  qu'aux  jouets  du  vieux  ils  avaient  faits. 

Et  lui,  les  regardant  s'éloigner  sans  rien  dire. 

Cherchait  à  deviner  ce  qui  les  faisait  rire. 

Et,  ne  comprenant  pas,  reprenait  son  chemin 

Le  long  du  boulevard,  ses  pantins  dans  la  main. 

Des  bambins,  par  moments,  le  suivaient  dans  sa  course  ; 

Pour  mieux  voir  les  joujoux,  trop  coûteux  pour  leur  bourse, 

Ils  entouraient  le  vieux,  s'attachaient  à  ses  pas, 

Et  lui,  leur  souriait  et  ne  les  chassait  pas. 

Or,  il  se  faisait  tard.  La  foule  fondait  lente. 

Quelques  marchands  encor  criaient  :  Voyez  la  véniel 

Derniers  appels  jetés  aux  derniers  amateurs. 

Dans  les  cafés  déserts  plus  de  consommateurs. 

Sur  le  macadam  gras,  huit  ou  dix  fiacres  vides 

Dévorant  les  passants  de  leurs  deux  yeux  avides. 

Dans  l'ombre,  un  allumeur  glissant  rapide  avec 

Sa  perche,  et  ne  laissant,  sur  deux,  brûler  qu'un  bec. 

Minuit  sonnait  partout.  SvLv  le  seuil  des  boutiques, 


SUR  LE  BOULEVARD.  18& 

Les  commerçants  disaient  bonsoir  à  leurs  pratiques.» 

Minuit J  —  Il  faut  rentrer  ;  c'est  l'heure  où  les  agents 

Vont  cesser  de  veiller  sur  le  repos  des  gens 

Et  les  badauds  de  plus  en  plus  se  faisaient  rares. 

Quelques  rôdeurs  cherchant  à  terre  des  cigares. 

Au  milieu  du  trottoir  un  pochard  titubant. 

Un  peu  plus  loin,  un  autre,  endormi  sur  un  banc. 

C'était  tout.  Et  le  vieux  de  sa  voix  chevrotante, 

Gricût  toujours  :  Voyez,  Messieurs,  voyez  la  vente  I 

Il  allait  s'éloigner,  quand  deux  jeunes  époux 

Vinrent  à  lui  pour  voir  de  plus  près  les  joujoux. 

Us  semblaient  peu  pressés,  malgré  l'heure  tardive. 

La  femme  examina  les  pantins,  attentive, 

Et  dit  :  J'en  veux  prendre  un,  bébé  sera  content, 

Cela  l'amusera.  Puis  au  bout  d'un  instant  : 

Combien?  —  C'est  quatre  sous.  Timide,  elle  se  penche 

Et  dit  à  son  mari  :  Donne  une  pièce  blanche. 

Et  le  vieux  reste  là,  muet,  suivant  des  yeux 

Le  couple  qui  s'enfuit  et  disparaît  joyeux. 

Je  m'étais,  en  voyant  agir  la  jeune  femme, . 
Senti  bouleversé  jusques  au  fond  de  l'âme, 
Et  tout  ému,  je  vis,  —  comme  dans  un  brouillard, 
—  Et  sourire  l'enfant,  et  pleurer  le  vieillard  I 


LA  NUIT  TERRIBLE 

MONOLOGUE 

Dit  par  M.  Galipaux,  du  théâtre  du  Palais-Royal 


Honni  soit  qui  mal  y  pense. 

Prête-moi  tes  parfums,  ô  céleste  ambroisie  I 

Apprends-moi  tes  secrets,  6  chaste  poésie  I 

Apprends-moi  l'art  divin  de  raconter  en  vers 

Un  tour  que  m'a  joué  le  destin  trop  pervers  I 

Laisse-moi  chevaucher  sur  ton  dos,  ô  Pégase  1 

Toi,  pudeur,  prête-moi  cette  discrète  gaze 

Qui  dérobe  à  nos  yeux  tant  d'aimables  attraits, 

Et  souffle-moi  des  mots...  des  mots  faits  tout  exprès. 

Bastl...  Je  vais  de  mon  mieux  vous  narrer  mon  alTaire  : 
Avant  tout,  vous  saurez  que  je  suis  militaire, 
Et  de  plus,  capitaine.  Or,  l'an  passé,  mon  corp^ 
Était  dans  le  midi  de  la  France»  à  Gahors. 


|192  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Nous  avions  manœuvré  pendant  une  semaine, 
Et  nos  braves  soldats  succombaient  à  la  peine. 
Nous  étions  sur  les  dents.  Il  fut  donc  décidé, 
Par  notre  général,  qu'il  serait  accordé. 
Aux  hommes  un  congé  de  toute  une  journée. 
Le  lendemain  matin,  je  faisais  ma  tournée 
Dans  la  ville,  sans  trop  savoir  où  diriger 
Mes  pas,  lorsque  soudain  je  me  pris  à  songer 
Que  dans  les  environs,  un  ami  de  mon  père 
Possédait  un  château;  n'ayant  pas  mieux  à  faire, 
Et  tout  joyeux,  au  fond,  d'aller  revoir  des  gens 
Que  je  n'avais  pas  vus  depuis  au  moins  dix  ans. 
Je  partis.  Or,  je  fis  à  pied  tout  le  voyage. 
Le  chemin  était  beau,  pas  trop  long  ;  mon  bagage 
Léger;  et  puis  moi,  j'aime  à  courir  le  matin 
Les  champs  tout  parfumés  de  verveine  et  de  thym, 
Et  j'ai  surtout  toujours  beaucoup  aimé  l'automne  : 
J'aime  son  ciel  brumeux  et  presque  monotone, 
J'aime  sa  fraîche  brise  et  ses  gazons  jaunis, 
J'aime  son  soleil  blanc,  ses  arbres  dégarnis  ; 
Une  feuille  qui  tombe,  un  oiselet  qui  chante 
Dans  son  nid,  tout  cela  me  ravit  et  m'enchante. 
Poète  I...  Pourquoi  pas?...  Que  diable,  les  soldats 
Ne  peuvent  pas  toujours  rêver  gloire  et  combats  1 


LA   NUIT    TERRIBLE.  19Î 

Donc,  tout  eii  admirant  à  loisir  la  Rature, 

J'alteignis  le  château.  De  son  architecture 

Vous  dirai-je  le  style?...  Et  voulez-vous  savoir 

Si  c'était  un  castel  ou  bien  un  vieux  manoir? 

Non,  n'est-ce  pas?...  Passons  !...  Moderne  ou  bien  antique, 

La  chose  importe  peu.  Bientôt  un  domestique 

Ouvrait  à  deux  battants  la  porte  du  salon 

El  m'annonçait. 

—  Commentl...  quoi!...  Monsieur  du  Yalloiil 
Que  c'est  aimable  à  vous  I...  me  dit  la  châtelaine. 

—  Mais  on  vous  croyait  mort,  monsieur  le  capitaine  1 
Me  dit  le  châtelain.  —  Dans  le  sac  aux  oublis, 

Mon  cher,  vous  nous  aviez,  je  crois,  enseveli* 

—  Ohl  monsieur,  croyez  bien... 

—  C'est  bon,  Ton  vous  pardonne. 

—  Avant  de  m'accustfr... 

—  Taisez-vous,  je  l'ordonne. 

—  Vous  nous  restez  longtemps? 

—  Mais,  hélas  I  seulement 
Jusqu'à  demain,  madame. 

—  Ohl  c'est  trop  peu,  vraiment, 

—  Venez,  me  dit  monsieur,  venez,  ô  grand  coupable, 

Nous  allons  déjeuner,  puis,  en  sortant  de  table, 

Nous  irons  faire  un  tour,  si  cela  vous  sourit' 

13 


194  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Allons. 

A  ce  moment,  une  porte  s'ouvrit, 
Et  je  vis  apparaître,  au  seuil,  la  plus  gentille 
Dîonde  qu'on  puisse  voir. 

—  Mon  cher  ami  :  ma  fille. 
-  Mademoiselle  Emma? 

—  Quoi,  monsieur  du  Vallon^ 
Avec  qui  je  jquais  au  cheval,  au  ballon, 

Aux  quilles,  à  la  corde?  Ahl  que  je  suis  heureuse! 
Mais  elle  s'arrêta,  rougissante  et  honteuse. 
Sans  doute  elle  sentait  qu'elle  allait  un  peu  loio. 
Moi,  je  restai  muet,  ravi  d'être  témoin 
De  son  trouble  charmant,  mais,  pour  être  sincère, 
Tout  aussi  troublé  qu'elle.  Heureusement,  sa  mère. 
Voyant  notre  embarras,  de  mon  bras  se  saisit, 
Et  sans  attendre  plus,  elle  me  conduisit 
A  la  salle  à  manger.  Tout  d'abord,  la  cadence 
De  nos  fourchettes,  seule,  anima  le  silence. 
Puis  bientôt  l'on  parla  des  heureux  temps  passés. 
Et  des  vieux  souvenirs  un  instant  effacés. 
On  aime  à  réveiller  parfois  dans  sa  mémoire 
Les  jours  qu'on  a  vécus.  On  refait  son  histoire,.. 
Mais  je  vois  que  je  vais  me  remettre  à  rêver... 
Oh  l  pardon.  Nous  allons  maintenant  arriver 


I 


LA    NUIT   TERRIBLE  i)j 

A  notre  dénoûment  le  plus  vite  possible. 
Je  saurai  dominer  mon  âme  trop  sensible. 
Je  ne  vous  décrirai  ni  les  grands  arbres  verts 
Du  parc,  ni  le  dîner  qui  fut  de  vingt  couverts. 
Pourtant,  dans  l'intérêt  même  de  mon  histoire, 

me  faut  vous  parler,  tout  au  moins  pour  mémoir'' 
De  certain  cantaloup...  dont  moi,  sieur  du  Vallon, 
J'engloutis  à  peu  près...  cinq  tranches.  Le  melon 

Est  mon  péché  mignon 

A  dix  heures,  Morphée 
Répandait  ses  pavots  sur  ma  tête  coifTée 
D'un  superbe  bonnet  de  coton.  Mon  sommeil 
Était  calme.  Soudain,  quel  terrible  réveil  I 
Une  alTreuse  douleur  torture  mes  entrailles. 
J'ai  vu  bien  des  combats,  j*ai  vu  bien  des  batailles. 
Mais  jamais...  !  A  quoi  bon  cette  comparaison?... 
Vous  avez,  j'en  suis  sûr,  compris...  De  sa  prison 
Le  melon  demandait  à  s'échapper... 

Bien  vite 
Hors  de  mon  lit  je  saute,  et  je  me  précipite 
Vers  certain  meuble...  Horreur  I  le  meuble  était  ouvert, 
Mais  vide,  vide,  hélas  I  Alors  je  devins  vert. 
Je  cherchai  partout  :  rien.  Enfin  j'ouvris  la  porte; 
Je  tremblais,  comme  au  vent  tremble  une  feuille  morte. 


196  MONOLOGUES  COMIQUES    ET    DRAMATIQUES. 

Le  melon  dans  mes  flancs  se  débattait  toujours. 

J'invoquais  tous  les  dieux,  mais  les  dieux  restaient  sourds? 
*   Ohl  l'horrible  tourment,  les  effroyables  luttes  1 

J'errai  dans  les  couloirs  pendant  quelques  minutes. 

Tout  le  monde  dormait...  moi  je  ne  dormais  pas  ; 

J'avais  peur  de  mon  ombre  et  du  bruit  de  mes  pas. 

Et  rien,  rien,  toujours  rien  !  Les  portes  étaient  closes. 

J'étais  fou.  Je  voyais  passer  d'étranges  choses 

Devant  mes  yeux.  Le  sang  m'affluait  au  cerveau  ! 

Je  crus  l'instant  venu  de  descendre  au  tombeau. 

Je  rentrai  dans  ma  chambre,  et  la  lutte  acharnée 

Continuait  toujours...  quand  sur  la  cheminée. 

J'aperçus  tout  à  coup,  ô  bonheur  T.. .  Bonheur?...  non, 

J'avais  cru...  mais  c'était  un  vase  du  Japon. 

Perdu  ! 

{Apercevant  la  fenêtre) 
Sauvé  !  Merci,  mon  Dieu  1  Je  vais  renaître. 
Insensé  I  j'oubliais...  j'oubliais  la  fenêtre  ! 
J'y  vole.  Mes  désirs  sont  encore  déçus  ; 
Une  marquise  en  verre  établie  au-dessus 
Du  perron,  était  là,  formant  une  barrière  I 
Non!  non!...  je  ne  crois  pas  qu'à  son  heure  dernière 
L'on  souffre  plus.  Que  faire?...  Appeler?...  Me  couvrir 
De  ridicule?...  ohl  non...  plutôt  cent  fois  mourir!... 


LA  NUIT   TERRIBLE.  127 

On  eût  entendu  battre  et  mon  cœur  et  mes  tempes. 
Je  n*y  tins  plus.  Prenant  un  grand  album  d'estampes 
Qui  traînait  sur  la  table,  affolé,  j'arrachai 
Les  pages  dont  je  fis  un...  sac...  je  me  penchai... 
C'est  ici  qu'il  me  faut  tes  parfums,  ambroisie  1 
Et  qu'il  me  faut  parler  ta  langue,  ô  poésie! 

Quand  tout  fut...  consommé,  je  fermai  le  cornet, 

Et  j'attachai  le  tout  avec  du  cordonnet  ; 

Puis  je  me  recouchai.  Bercé  par  un  doux  rêve. 

Je  dormis  jusqu'à  l'heure  où  le  soleil  se  lève. 

Le  lendemain,  je  suis  très  doucement  surpris 

De  voir  déjà  sur  pied  mes  hôtes  ;  à  tout  prix 

L'on  veut  m'accompagner,  et  j'ai  beau  me  défendre, 

Il  me  faut,  malgré  tout,  aux  vœux  de  tous  me  rendre  ; 

Je  cède.  Un  domestique,  au  moment  du  départ. 

Avait  mis  dans  un  coin  mon  bagage  à  l'écart. 

Chacun  prétend  m'aider;  j'ai  beau  dire  et  beau  faire, 

On  me  prend  tout  :  caban,  jumelle,  nécessaire  ; 

Mon  sabre,  seulement,  m'est  laissé.  Nous  partons. 

Les  oiseaux  de  leurs  chants  emplissent  les  buissons. 

Le  soleil  resplendit!  Il  vous  monte  à  la  tdte 

Mille  parfums  divers! 

Tout  à  coup,  je  m'arrête, 


198  MONOLOGUES  COMIQUES  ET  DRAMATIQUES. 

Stupide,  ne  pouvant  croire...  à  ce  que  je  vois... 

Mademoiselle  Emma  portait  au  bout  des  doigts 

Le  paquet,  que  la  veille...,  et  que  cet  imbécile 

De  valet...  Aussitôt  je  veux...  mais  inutile  i 

Elle  me  dit  :  «  Monsieur,  ce  n'est  pas  lourd  du  tout, 

Et  je  veux,  s'il  vous  plaît,  le  porter  jusqu'au  bout.  »• 

Le  père  cause  seul,  car  tandis  qu'il  bavarde 

Sur  ceci,  sur  cela,  je  ne  vois,  ne  regarde 

Q'une  chose  ;  le  sac!...  qu'au  bout  d'un  de  ses  bras» 

Balance  Emma.  Je  suis  mourant,  mon  embarras 

S'accroît.  Je  veux  tâcher  de  lui  reprendre  encore. 

Mais  elle  se  défend.  Je  conjure,  j'implore  I 

Elle  est  sourde  à  ma  voix,  et  me  dit  en  riant, 

Sans  même  voir  ma  gêne  et  mon  trouble  croissant  : 

—  Enfin,  il  y  a  donc  là  dedans  quelque  chose?... 

—  Mais  non,  ce  sont... 

—  Ce  sont? 

—  Quelques  feuilles  de  rose. 
Qu'hier  dans  votre  parc... 

—  Ah  I  monsieur  est  coquet. 
Et  met  dans  son  linge... 

—  Oui...  rendez-moi  mon  paquet, 

Mademoiselle. 

—  Non. 


LA   NUIT  TERRIBLE.  499 

—  Ohl  si,  je  vous  en  prie. 
~  Non,  non. 

—  Eh  bien  I  de  force... 

—  OL  !  je  vous  en  défie. 
— -  Mademoiselle  Emmal 

—  Non,  vous  ne  l'aurez  pas. 
Je  me  tais,  mais  j'enrage,  et  je  me  dis  tout  bas, 
Comprenant  cette  fois  que  vainement  j'insiste  : 

—  Pourvu,  mon  Dieu,  pourvu  que  le  papier  résiste  1 
Mais  bientôt  Ton  s'arrête,  et...  l'objet...  m'est  rendu. 
Je  m'enfuis  à  grands  pas,  haletant,  éperdu. 

Et  lorsqu'enfîn  j'ai  mis  une  grande  distance 
Entre  eux  et  moi,  je  prends  le  paquet  et  le  lance 
Dans  un  grand  potager  qui  bordait  le  chemin. 
De  ce  conte,  en  deux  mots,  je  vous  dirai  la  fin  : 

—  Emma,  depuis  sept  mois  tout  à  l'heure,  est  ma  femme 
Pour  l'aimer,  je  n'ai  pas  assez  d'une  seule  âme, 

Je  l'adore,  et  je  crois  qu'elle  me  le  rend  bien. 
De  ma  triste  aventure  elle  n'a  jamais  rien 
Su.  Je  n'ai  plus  qu'à  vous  faire  part  d'une  chose  î 
C'est  que  j'aurai  bientôt  un  joli  bébé  rose. 
Jusque-là,  j'avais  cru  le  proverbe  menteur; 
Voua  le  voyez  :  parfois,  cela  porte  bonheur. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Le  poète 1 

Credo  d'amour 5 

Les  vagabonds il 

Une    envie 19 

A  l'amphithéâtre 27 

Petite  ferme 29 

Ataia 35 

La  chasse 41 

Soupirs  d'un  nègre 49 

Les  enfants  de  l'ivrogne *(*  îil 

Sonnet 61 

Une  distraction , 63 

Ivresse  manifeste "1 

'^es  joies  matrimoniales ,  .   .  .  "73 

Désespoir 83 

Le  conscrit « 85 

Le  compliment  de  Bébé 93 

La  mère  du  supplicié t^.'î 

Diplomatie 101 

L'accroc 103 


202  TABLE  DES  MATIÈRES. 

Idylle. 109 

Sur  un  lit  d'hôpital 113 

Le  page 111 

Coco 119 

La  valse  des  feuilles 121 

Le  lion 125 

Toinon 129 

Reviens!.  % 131 

Contrastes 133 

Adam  et  Eve , 135 

Sur  les  eaux 143 

A  Victor  Hugo 147 

NonI 153 

Chaud,  les  marrons  1 15"; 

Dans  les  petits  bateaux 161 

Au  Casino  de  *** 165 

Prima !6T 

In  anima  ingenium 171 

Un  récidiviste 173 

Le  claque 179 

Premier  amour 185 

Sur  le  boulevard 187 

L&  nuit  terrible 191 


e    e    o    o    Saint-Denis    o    e    •    e 
J.    DARDAI  LLON,    IMPRIMEUR 

o     o     47.  Boultoard  de  Châtcaadan     •    • 


La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

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P  2  2  1989 

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The  Library 

University  of  Ottawa 

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