I
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EMILE ZOLA
MON SALON
AUGMENTE
D'UNE DÉDICACE ET D'UN APPENDICE
Ce que je cherche avant tout
dans un tableau, c'est un ho.nme,
et non pas un tableau.
PARIS
LIBRAIRIE CENTRALE
24 , BOULEVARD DES ITALIENS
1866
I 4579. Zola (Emile). Mon Salon, augmen-
1 to d'uiiô iié Ucaoe et (i'ua appeliclice.
I Paris. Librairie centrale, 18J6, 1 val .
^ in-1-2, br. 8 fr.
EJiiioii oi'^iagle. Raje.
1607. Zola (Emile). Mon Salon. Aug- ^
menlé d'une Dédicace et d'un Ap- .^
pendice. P., 186(3, in-12, cart., non ■';
rogné. (Couv. conservée). 10 fr. ^
Edition originale. nP'
J71. Zola (Emile). Mon salon, aug-
menlé d'une dédicace et d'un appen-
'Vj dice. Paris, 1866, iu-i2, br. 8 fr.
Rare.
EMILE ZOLA
MON SALON
PARIS. — IMPREMERIE GAITTET
RUE DU JARDINET, 1
EMILE ZOLA\i^
MON SALON
AUGMENTE
D'UNE DÉDICACE ET D'UN APPENDICE
Ce que je cherche avant tout
dans un tableau, c'est un homme,
et non pas un tableau.
PARIS
LIBRAIRIE CENTRALE
24, BOULEVARD DES ITALIENS
1866
A/
. 14.
MON AMI PAUL CEZANNE
MON AMI PAUL CÉZANNE
' J'éprouve une joie profonde, mon ami, à
m'entretenir seul à seul avec toi. Tu ne sau-
rais croire combien j'ai souffert pendant cette
querelle que je viens d'avoir avec la foule,
avec des inconnus; je me sentais si peu com-
pris, je devinais une telle haine autour de moi,
que souvent le découragement me faisait tom-
ber la plume de la main.
Je puis aujourd'hui me donner la volupté
intime d'une de ces bonnes causeries que
nous avons depuis dix ans ensemble. C'est
pour toi seul que j'écris ces quelques pages,
je sais que tu les liras avec ton cœur, et que,
demain, tu m'aimeras plus affectueusement.
— 8 —
Imagine-toi que nous sommes seuls, dans
quelque coin perdu, en dehors de toute lutte,
et que nous causons en vieux amis qui se con-
naissent jusqu'au cœur et qui se comprennent
sur un simple regard.
Il y a dix ans que nous parlons arts et litté-
rature. Nous avons souvent habité ensemble,
— te souviens-tu? — et souvent le jour nous
a surpris, discutant encore, fouillant le passé,
interrogeant le présent, tâchant de trouver la
vérité et de nous créer une religion infaillible
et complète. Nous avons remué des tas ef-
froyables d'idées, nous avons examiné et re-
jeté tous les systèmes, et, après un si rude
labeur, nous nous sommes dit qu'en dehors de
la vie puissante et individuelle, il n'y avait
que mensonge et sottise.
Heureux ceux qui ont des souvenirs ! Je te
vois dans ma vie comme ce pâle jeune homme
dont parle Musset. Tu es toute ma jeunesse ;
je te retrouve mêlé à chacune de mes joies, à
chacune de mes souffrances. Nos esprits, dans
leur fraternité, se sont développés côte à côte,
et, aujourd'hui, au jour du début, nous avons
foi en nous, parce que nous avons pénétré nos
cœurs et nos chairs.
Nous vivions dans notre ombre, isolés, peu
— 9 -
sociables, nous plaisant dans nos pensées.
Nous nous sentions perdus au milieu de la foule
complaisante et légère. Nous chercliions des
hommes en toutes choses, nous ^t)ulions dans
chaque œuvre, tableau ou poëme, trouver un
accent personnel. Nous affirmions que les maî-
tres, les génies, sont des créateurs qui, chacun,
ont créé un monde de toutes pièces, et nous
refusions les disciples, les impuissants, ceux
dont le métier est de voler çà et là quelques
bribes d^'originalité.
Sais-tu que nous étions des révolutionnaires
sans le savoir. Je viens de pouvoir dire tout
haut ce que nous avons dit tout bas pendant
dix ans. Le bruit de la querelle est allé jusqu'à
toi, n^est-ce pas? et tu as vu le bel accueil que
Ton a fait à nos pauvres chères pensées. Ah !
les malheureux enfants, qui vivaient saine-
ment en pleine Provence, sous le large soleil,
et qui couvaient une telle folie et une telle
mauvaise foi !
Car, — tu ignorais sans doute, — je suis
un homme de mauvaise foi. Le public a déjà
commandé plusieurs douzaines de camisoles
de force pour me conduire à Gharenton. Je ne
loue que mes parents et mes amis, je suis un
idiot et un méchant, je cherche le scandale.
— 40 -
Lis lés quelques lettres qui terminent ce petit
volume.
0 mes pauvres chères pensées, cjue ne vous
ai-je toujours cachées ! Nous étions heureux
là-bas, je n'avais que faire de vous montrer
ainsi dans votre sainte et belle nudité. Vous
voilà souillées de la boue qu'on a jetée sur
vous.
Gela fait pitié, mon ami, et cela est fort
triste. L'histoire sera donc toujours la même?
Il faudra donctoujours parler comme les autres,
ou se taire? Te rappelles-tu nos longues con-
versations? Nous disions que la moindre véri-
té nouvelle ne pouvait se montrer sans exciter
des colères et des huées. Et voilà qu'on me
siffle et qu'on m'injurie à mon tour.
Vous autres peintres, vous êtes bien plus ir-
ritables que nous autres écrivains. J'ai dit fran-
chement mon avis sur les médiocres et les
mauvais li^nres, et le monde littéraire a accepté
mes arrêts sans trop se fâcher. Mais les artistes
ont la peau plus tendre. Je n'ai puposer le doigt
sur eux sans qu'ils se mettent à crier de dou-
leur. Il y a eu émeute. Certains bons garçons
me plaignent et s'inquiètent des haines que je
me suis attirées; ils craignent, je crois, qu'on
ne m'égorge dans quelque carrefour.
— 11 —
Et pourtant je n'ai dit que mon opinion, tout
naïvement. Je crois avoir été bien moins révo-
lutionnaire qu'un critique d'art de ma connais-
sance qui affirmait dernièrement à ses trois
cent mille lecteurs que M. Baudry était le pre-
mier peintre de l'époque. Jamais je n'ai for-
mulé une pareille monstruosité. Un instant, j'ai
craint pour ce critique d'art, j'ai tremblé qu'on
n'allât l'assassiner dans son lit pour le punir
d'un tel excès de zèle. On m'apprend qu'il se
porte à ravir. Moi, je suis plongé dans le plus
profond étonnement.
Il paraît qu'il -y a des ser^dces qu'on peut
rendre et des vérités qu'on ne peut dire.
Nous avons tous deux, mon ami, des remer-
ciements à faire à l'homme courageux et intel-
ligent qui a hébergé pendant quelques joius
nos pauvres chères pensées. Je veux parler de
M. de Villemessant. Je ne trouverais sans doute
jamais à Paris un second journal qui tolère ma
façon de voir en matière artistique. M. de Vil-
lemessant seul a osé permettre ma liberté de
paroles et d'allures. Il m'a maintenu tant qu'il
Ta pu, contre la colère toute puissante du peu-
ple, et, au dernier instant, lorsqu'on demandait
mon abdication à grands cris, il a voulu que
mon honneur fût sauf et il m'a encore accordé
- 12 -
trois articles. Je vieillis, et j'éprouve le besoin
de remercier M. de Villemessant de sa conduite
digne et toute naturelle.
Donc, la campagne est finie, et, pour le pu-
blic, je suis vaincu. On applaudit et on fait des
gorges-cbaudes.
Je n^ai pas voulu enlever son jouet à la fou-
le, et je publie ce petit volume, Dans quinze
jours, le bruit sera apaisé, il ne restera aux
plus ardents qu\ine idée vague de mes arti-
cles. C'est alors que, dans les esprits, je gran-
dirai encore en ridicule et en mauvaise foi. Les
pièces ne seront plus sous les yeux des rieurs,
le vent aura emporté les feuilles volantes de
V Événement, et on me fera dire ce que je n'ai
pas dit, on racontera de grosses bêtises que je
n'ai jamais formulées. Je ne veux pas que cela
soit, et c'est pourquoi je réunis dans cette bro-
chure les articles que j'ai donnés à YÉvéne-
me7it sous le pseudonyme de Claude. Je sou-
haite que « Mon Salon » demeure ce qu'il
est, ce que le public lui-même a voulu ce
qu'il fût.
Ce sont là les pages maculées et déchirées
d'une étude que je n'ai pu compléter. Je les
donne pour ce qu'elles sont, des lambeaux d'a-
nalyse et de critique. Ce n'est pas une œuvre
-la-
que je livre aux lecteurs, c'est en quelque sorte
les pièces d'un procès.
L'histoire est excellente, mon ami. Pom' rien
au monde je ne voudrais anéantir ces feuillets;
ils ne valent pas grand chose en eux-mêmes,
mais ils ont été, pom- ainsi dire, lapierre de tou-
che contre laquelle j'ai essayé le public. Nous
savons maintenant combien nos pauvres chères
pensées sont impopulaires.
Puis, il me plaît d'étaler une seconde fois
mes idées. J'ai foi en elles, je sais que dans
quelques années j'am-ai raison poui' tout le
monde. Je ne crains pas qu'on mêles jette à la
face plus tard. Elles sont à moi, bien à moi, —
et je le crie de toutes mes forces.
Et maintenant, mon ami, ne lis pas les pages
qui suivent, car tu les connais : pendant dix
ans nous les avons discutées ensemble. Le
mieux, vois-tu, serait peut-être de retourner
là-bas, sous le large ciel, et de vivre seul à
seul, en compagnie de nos pauvres chères pen-
sées.
EMILE ZOLA.
20 mai 1866.
MON SALON
MON SALON.
LE JURY.
27 avril.
Le Salon de -1866 n'ouvrira que !e ^^r ^lai, et ce jour-là
seulement il me sera permis de juger mes justiciables.
Mais, avant de juger les artistes admis, il me semble
bon de juger les juges. Vous savez qu'en France nous
sommes pleins de prudence; nous ne hasardons point un
pas sans un passeport dûment signé et contresigné, et,
lorsque nous permettons à un homme de faire la culbute
en public, il faut auparavant qu'il ait été examiné tout
au long par des hommes autorisés.
Donc, comme les libres manifestations de l'art pour-
raient occasionner des malheurs imprévus et irréparables,
on place, à la porte du sanctuaire, un corps de garde,
un sorte d'octroi de l'idéal, chargé de sonder les paquets
2.
— 18 —
et d'expulser toute marchandise frauduleuse qui tenterait
de s'introduire dans le temple.
Qu'on me permette une comparaison, un peu hasardée
peut-être. Imaginez que le Salon est un immense ragoût
artistique, qui nous est servi tous les ans. Chaque peintre,
chaque sculpteur envoie son morceau. Or, comme nous
avons l'estomac délicat, on a cru prudent de nommer
toute une troupe de cuisiniers pour accommoder ces vic-
tuailles de goûts et d'aspects si divers. On a craint les
indigestions, et on a dit aux gardiens de la santé pu-
blique :
« Voici les éléments d'un mets excellent; ménagez le
poivre, car le poivre échauffe; mettez de Teau dans le
vin, car la France est une grande nation qui ne peut
perdre la tête. »
Il me semble, dès lors, que les cuisiniers jouent le
grand rôle. Puisqu'on nous assaisonne notre admiration
et qu'on nous mâche nos opinions, nous avons le droit
de nous occuper avant tout de ces hommes complaisants
qui veulent bien veiller à ce que nous ne nous gorgions
pas comme des gloutons d'une nourriture de mauvaise
qualité. Quand vous mangez un beefsteack, est-ce que
vous vous inquiétez du bœuf? Vous ne songez qu'à re-
mercier ou à maudire le marmiton qui vous le sert trop
ou pas assez saignant.
Il est donc bien entendu que le Salon n'est pas l'ex-
pression entière et complète de l'art français en l'an de
grâce ^866, mais qu'il est à coup sûr une sorte de ragoût
préparé et fricassé par vingt-huit cuisiniers nommés tout
exprès pour cette besogne délicate.
Un salon, de nos jours, n'est pas l'œuvre des artistes,
il est l'œuvre d'un jury. Donc, je m'occupe avant tout du
- 19 -
jUfy, l'auteur de ces longues salles froides et blafardes
dans lesquelles s'étalent, sous la lumière crue, toutes les
médiocrités timides et toutes les réputations volées.
Naguère, c'était TAcadémie des beaux-arts qui passait
le tablier blanc et qui mettait la main à la pâle. A cette
époque, le Salon étatt Un mets gras et solide, toujours
le même. On savait à l'avance quel courage il fallait ap-
porter pour avaler ces morceaux classiques, tout ronds,
sans uû malheureux petit angle, et qui vous étouffaient
lentement et sûrènient.
La vieille Académie, cuisinière de fondation, avait ses
recettes à elle, dont elle ne s'écartait jamais ; elle s'ar-
rangeait de façon, quels que fussent les tempéraments et
les époques, à servir le même plat au public. Le bon pu-
blic, qui étouffait, finit par se plaindre ; il demanda grâce
et voulut qu'on lui servît des mets plus relevés, plus lé-
gers, plus appétissants au goût et à la vue.
Vous vous rappelez les lamentations de celle vieille
cuisinière d'Académie. On lui enlevait la casserole dans
laquelle elle avait fait sauter deux ou trois générations
d'artistes. On la laissa geindre et on confia la queue de
la poêle à d'autres gâte-sauce.
C'est ici qu'éclate le sens pratique que nous avons de la
liberté et de la justice. Les artistes se plaignant de la
coterie académique, il fut décidé qu'ils choisiraient leur
jury eux-mêmes. Dés-lors, ils n'auraient plus à fâcher,
s'ils se donnaient des juges sévères et personnels. Telle
fut la décision prise.
Mais vous vous imaginez peut-être que tous les peintres
et tous les sculpteurs, tous les graveurs et tous les archi-
— 20 —
tectes furent appelés à voler. On voit bien que vous aimez
votre pays d'un amour aveugle. Hélas! la vérité est triste,
mais je dois avouer que ceux-là seuls nomment le jury,
qui justement n'ont pas besoin du jury. Vous et moi,
qui avons dans notre poche une ou deux médailles, il
nous est permis d'aller élire un tel ou un tel, dont nous
nous soucions peu d'ailleurs, car il n'a pas le droit de
regarder nos toiles, reçues à l'avance.
Mais ce pauvre hère, jeté à la porte du Salon pendant
cinq ou six années consécutives, n'a pas même la per-
mission de choisir ses juges, et est obligé de subir ceux
que nous lui imposons par indifférence ou par camara-
derie.
Je désire insister sur ce point. Le jury n'est pas nommé
par le suffrage universel, mais par un vole restreint au*
quel peuvent seulement prendre part les artistes exemptés
de tout jugement, à la suite de certaines récompenses.
Quelles sont donc les garanties pour ceux qui n'ont pas
de médailles à montrer? Comment! on crée un jury
ayant charge d'examiner cl d'accepter les œuvres des
jeunes artistes, et on fait nommer ce jury par ceux qui
n'en ont plus besoin! Ceux qu'il faut appeler au vote, ce
sont les inconnus, les travailleurs cachés, pour qu'ils
puissent tenter de constituer un tribunal qui les com-
prendra et qui les admettra enfin aux regards de la foule.
C'est toujours une misérable histoire, je vous assure,
que Ihisloire d'un vote. L'art n'a rien à faire ici; nous
sommes en pleine misère et en pleine sottise humaines.
Vous devinez déjà ce qui arrive et ce qui arrivera chaque
année. Tantôt ce sera la coterie de ce monsieur, et tantôt
- 21 -
la colerie de cet autre monsieur, qui réussiront. Nous
n'avons plus un corps stable, comme rAcadémic ; nous
avons un grand nombre d'artistes qui peuvent être re'unis
de mille façons, de manière à former des tribunaux fé-
roces, ayant les opinions les plus contraires et les plus
implacables.
Une année, le Salon sera tout en vert; une autre an-
née, tout en bleu; et dans trois ans, nous le verrons
peut-être tout en rose. Le public qui n'est pas à l'office,
qui n'assiste pas à la cuisson, acceptera ces divers Salons,
comme les expressions exactes des moments artistiques.
11 ne saura pas que c'est uniquement tel peintre qui a
fait l'Exposition entière ; il ira là de bonne foi et avalera
la bouchée, croyant s'ingurgiter tout l'art de Tannée.
Il faut rétablir énergîquement les choses dans leur réa-
lité. Il faut dire à ces juges, qui vont au palais de l'In-
dustrie défendre parfois une idée mesquine et person-
nelle, que les Expositions ont été créées pour donner
largement de la publicité aux travailleurs sérieux. Tous
les contribuables paient, et les questions d'écoles et de
systèmes ne doivent pas ouvrir la porte pour les uns et la
fermer pour les autres.
Je ne sais comment ces juges comprennent leur mis-
sion. Ils se moquent de la vérité et de la justice, vrai-
ment. Pour moi, un Salon n'est jamais que la constata-
tion du mouvement artistique ; la France entière, ceux
qui voient blanc et ceux qui voient noir, envoient leurs
toiles pour dire au public : « Xous en sommes là, l'esprit
marche et nous marchons; voici les vérités que nous
croyons avoir acquises depuis un an. » Or, il est des
hommes qu'on place entre les artistes et le public. De
leur autorité toute puissante, ils ne montrent que le tiers,
que le quart de la vérité; ils amputent Tart et n'en pré-
sentent à la foule que le cadavre mutilé.
Qu'ils le sachent, ils ne sont là que pour rejeter la mé-
diocrité et la nullité. Il leur est défendu de toucher aux
choses vivantes et individuelles. Qu'ils refusent, s'ils le
veulent, — ils en ont d'ailleurs la mission, — les acadé-
mies des pensionnaires, les élèves abâtardis de maîtres
bâtards, mais, par grâce, qu'ils acceptent avec respect
les artistes libres, ceux qui vivent en dehors, qui cher-
chent ailleurs et plus loin les réalités âpres et fortes de
la nature.
Voulez-vous savoir comment on a procédé à l'élection
du jury de cette année? Un cercle de peintres, m'a-t-on
dit, a rédigé une liste qu'on a fait imprimer et circuler
dans les ateliers des artistes votants. La liste a passé tout
entière.
Je vous le demande, où est l'intérêt de l'art parmi
ces intérêts personnels? Quelles garanties a-t-on don-
nées aux jeunes travailleurs? On semble avoir tout fait
pour eux, on déclare qu'ils se montrent bien diffi-
ciles, s'ils ne sont pas contents. C'est une plaisanterie,
n'est-ce pas? Mais la question est sérieuse, et il serait
temps de prendre un parti.
Je préfère qu'on reprenne cette bonne vieille cuisinière
d'Académie. Avec elle, on n'est pas sujet aux surprises;
elle est constante dans ses haines et dans ses amitiés.
Maintenant, ayee ces juges élus par la camaraderie, on
ne sait plus à quel saint se vouer. Si j'étais peintre néces-
— 23 -
siteux, mon grand souci serait de dc\iner qui je pourrais
bien avoir pour juge, afin de peindre selon ses goûts.
On vient de refuser, entre autres, MM. Manet et Brigol,
dont les toiles avaient été reçues les années précédentes.
Évidemment, ces artistes ne peuvent avoir beaucoup dé-
mérité, et je sais même que leurs derniers tableaux sont
meilleurs. Comment alors expliquer ce refus?
Il me semble, en bonne logique, que si un peintre a été
jugé digne aujourd'hui de montrer ses œuvres au public,
on ne peut pas couvrir ses toiles demain. C'est pourtant
celte bévue que vient de commettre le jury. Pourquoi?
Je vous l'expliquerai.
Vous imaginez-vous cette guerre civile entre artistes, se
proscrivant les uns les autres ; les puissants d'aujourd'hui
mettraient à la porte les puissants d'hier^ ce serait un
tohu-bohu efTroyable d'ambitions et de haines, une sorte
de petite Rome au temps de Sylla et de Marins. Et nous,
bon public, qui avons droit aux œuvres de tous les ar-
tistes, nous n'aurions jamais que les œuvres de la faction
triomphante. 0 vérité, ô justice!
Jamais l'Académie ne s'est déjugée de la sorte. Elle
tenait les gens pendant des années à la porte, mais elle
ne les chassait pas de nouveau après les avoir fait entrer.
Dieu me préserve de rappeler trop fort l'Académie. Le
mal est préférable au pire, voilà tout.
Je ne veux pas même choisir des juges et désigner
certains artistes comme devant être des jurés impartiaux.
MM. Manet et Brigot refuseraient sans doute MM. Breton
et Brion, comme ceux-ci ont refusé ceux-là. L'homme a
ses sympathies et ses antipathies qu'il ne peut vaincre;
Or, il s'agit ici de vérité et de justice.
-- 24 -
Qu'on crée donc un jur^, il n'importe lequel. Plus il
commettra d'erreurs , plus il manquera sa sauce, et plus
je rirai. Croyez-Yous que ces hommes ne me donnent
pas un spectacle réjouissant? Ils défendent leur petite
chapelle avec mille finesses de sacristains qui m'amusent
énormément.
Mais qu'on rétablisse alors ce qu'on a appelé le Salon
des Refusés. Je supplie tous mes confrères de se joindre
à moi, je voudrais grossir ma voix, avoir toute puissance
pour obtenir la réouverture de ces salles où le public
allait juger, à son tour, et les juges et les condamnés.
Là, pour le moment, est le seul moyen de contenter tout
le monde. Les artistes refusés n'ont pas encore retiré
leuis œuvres; qu'on se hâte de planter des clous et
d'accrocher leurs tableaux quelque part.
LE JURY
(Suite.)
30 avril.
De tous côtés on me somme de m'expliquer, on me
demande avec instance de citer les noms des artistes de
mérite qui ont été refusés par le jury.
Le public sera donc toujours le bon public. Il est évi-
dent que les artistes mis à la porte du Salon ne sont
encore que les peintres célèbres de demain, et je ne
pourrais donner ici que des noms inconnus de mes lec-
teurs. Je me plains justement de ces étranges jugements
qui condamnent à l'obscurité, pendant de longues années,
des garçons sérieux ayant le seul tort de ne pas penser
comme leurs confrères. 11 faut se dire que toutes les
personnalités, Delacroix et les autres, nous ont été long-
temps cachées par les décisions de certaines coteries.
Je ne voudrais pas que cela se renouvelât, et J'écris jus-
tement ces articles pour exiger que les artistes, qui seront
à coup sûr les maîtres de demain, ne soient pas les
persécutés d'aujourd'hui.
3
— 26 —
J'affirme carrément que le jury qui a fonctionné celle
année a jugé d'après un parti pris. Tout un coté de
l'art français, à notre époque, nous a été volontairement
voilé. J'ai nommé MM. Manet et Brigot, car ceux-là sont
déjà connusse pourrais en citer vingt autres appartenant
au même mouvement artistique. C'est dire que le jury
n'a pas voulu des toiles fortes et vivantes, des études
faites en pleine vie et en pleine réalité.
Je sais bien que les rieurs ne vont pas être de mon
côté. On aime beaucoup à rire en France, et je vous jure
que je vais rire encore plus fort que les autres. Rira bien
qui rira le dernier.
Eh oui! je me constitue le défenseur de Ja réalité.
J'avoue tranquillement que je vais admirer M. Manet, je
déclare que je fais peu de cas de toute la poudre de riz
de M. Cabanel et que je préfère les senteurs âpres et saines
de la nature vraie. D'ailleurs, chacun de mes jugements
viendra en son temps. Je me contente de constater ici,
et personne n'osera me démentir, que le mouvement
qu'on a désigné sous le nom de réalisme ne sera pas
représenté au Salon.
Je sais bien qu'il y aura Courbet. Mais Courbet, pa-
rait-il, a passé à l'ennemi. On serait allé chez lui en am-
bassade, car le maître d'Ornans est un terrible tapageur
qu'on craint d'offenser, et on lui aurait offert des titres
et des honneurs s'il voulait bien renier ses disciples. On
parle de la grande médaille ou même de la croix. Le
lenflemain, Courbet se rendait chez M. Brigot, son élève,
et lui déclarait vertement qu'il « n'avait pas la philosophie
de sa peinture. » La philosophie de la peinture de Cour-
bet! 0 pauvre cher maître, le livre de Proudhon vous a
donné une indigestion de démocratie. Par grâce, restez
— 27 —
le premier peintre de Tépoque, ne devenez ni moraliste
ni socialiste.
D'ailleurs, qu'importent aujourd'hui mes sympathies!
Moi, public, je me plains d'être lésé dans ma liberté
d'opinion; moi, public, je suis irrité de ce qu'on ne me
donne pas dans son entier le moment artistique; moi,
public, j 'exige qu'on ne me cache rien, j 'intente j ustement
et légalement un procès aux artistes qui. avec parti pris,
ont chassé du Salon tout un groupe de leurs confrères.
Toute assemblée, toute réunion d'hommes nommée
dans le but de prendre des décisions quelconques, n'est
pas une machine simple, ne tournant que dans un sens
et n'obéissant qu'à un seul ressort. Il y a une études dé-
licate à faire pour expliquer chaque mouvement, chaque
tour de roue. Le vulgaire ne voit qu'un simple résultat
obtenu; l'observateur aperçoit les tiraillements, les sou-
bresauts qui secouent la machine.
Je vais essayer de démonter pièce à pièce le jury, d'en
expliquer le mécanisme, défaire bien comprendre le jeu
de ses ressorts. Puisque le Salon est son œuvre, ai-je dit,
il est nécessaire de connaître, dans chacune de ses par-
lies, cet auteur impersonnel et multiple.
Le jury est composé de vingt-huit membres, dont
voici la liste par ordre de votes : membres nommés par
les artistes médaillés . MM. Gérôme, Cabanel, Pils, Bida,
Meissonnier, Gleyre, Français, Fromentin, Corot, Robert
Fleury, Breton, Hébert, Dauzats, Brion, Daubigny, Bar-
rias, DubulTe, Baudry ; membres supplémentaires : Isabey,
de Lajolais, Théodore Rousseau; membres nommés par
l'administration : MM. Cottier, Théophile Gautier, La-
caze, marquis Maison, Reisel, Paul de Saint- Victor,
Alfred Arago.
— 28 -
Je me hA(e de mettre radministration hors de cause.
C'est ici une querelle simplement artistique, et je tiens à
désintéresser tous ceux qui n'ont pas de pinceaux entre
les mains. (^)
Voulez-vous que nous remontions la machine et que
nous la faisions fonctionner un peu. Prenons délicate-
ment les roues, les petites et les grandes, celles qui tour-
nent à gauche et celles qui tournent à droite. Ajuslons-
les et regardons le travail produit. La machine grince par
instants, certaines pièces s'obstinent à aller selon leur
bon plaisir; mais en somme, le tout marche convenable-
ment. Si toutes les roues ne tournent pas, poussées par
le même ressort, elles arrivent à s'engrener les unes dans
les autres et à travailler en commun à la même be-
sogne.
11 y a les bons garçons qui refusent et qui reçoivent
avec indifférence ; il y a les gens arrivés qui sont en de-
hors des luttes; il y a les artistes du passé qui tiennent à
leurs croyances, qui nient toutes les tentatives nouvelles;
il y a enfin les artistes du présent, ceux dont la petite
manière a un petit succès et qui tiennent ce succès entre
(I) Je prenais ici chaque juré k part et j'étudiais son rôle
dans l'ensemble des votes. Je crois devoir supprimer celte partie
de l'article. On m'a prouvé le peu de fondement de plusieurs
détails dont auparavant on m'avait, k différentes reprises, af-
firmé l'exactitude. L'esprit général detait être vrai; mais, no sa-
chant où le faux commence, je trouve plas simple d'effacer le
tont et de m'en tenir à mes seules opinions en matière d'art.
- 29 —
leurs dents, en grondant et en menaçant tout confrère
qui s'approche.
Le résultat obtenu, vous le connaissez : ce sont ces sal-
les si vides et si mornes qne nous visiterons ensemble.
Je sais bien que je ne puis faire au jury un crime de notre
pauvreté artistique. Mais je puis lui demander compte de
tous les artistes audacieux qu'il décourage.
On reçoit les médiocrités. On couvre les murs de toiles
honnêtes et parfaitement nulles. De haut en bas, de long
en large, vous pouvez regarder : pas un tableau qui cho-
que, pas un tableau qui attire. On a débarbouillé Tart, on
l'a peigné avec soin; c'est un brave bourgeois en panlou-
lles et en chemise blanche.
Ajoutez à ces toiles honnêtes signées de noms incon-
nus, les tableaux exempts de tout examen. Ceux-là sont
l'œuvre des peintres que j'aurai à étudier et à dis-
cuter.
Voilà le Salon, toujours le même.
Cette année, le jury a eu des besoins de propreté en-
core plus vifs. 11 a trouvé que Tannée dernière le balai
de l'idéal avait oublié quelques brins de paille sur le par-
quet. Il a voulu faire place nette, et il a mis à la porte
les réalistes, gens qui sont accusés de ne pas se laver les
mains. Les belles dames visiteront le Salon en grandes
toilettes : tout y sera propre et clair comme un miroir.
On pourra se coiffer dans les toiles.
Eh bien! je suis heureux de terminer cet article en di-
sant aux jurés qu'ils sont de mauvais douaniers. L'ennemi
est dans la place, je les en avertis. Je ne parle pas des
quelques bons tableaux qu'ils ont reçus par inadvertance.
Je veux dire tout simplement que M. Brigol, contre le-
quel on a pris les plus grandes précautions, aura pour-
3.
— 30 —
tant deux études au salon. Cherchez bien, elles sont dans
les B, quoique signés d'un autre nom.
Ainsi, jeunes artistes, si vous désirez être reçus Tan-
née prochaine, ne prenez pas le pseudonyme de Brigot,
prenez celui de Barbanchu. Vous êtes certains d'être ac-
ceptés à l'unanimité. Il paraît décidément que c'est une
simple affaire de nom.
LE MOMENT ARTISTIQUE.
4 mai.
J'aurais dû peut-être, avant de porter le plus mince
jugement, expliquer catégoriquement quelles sont mes
façons de voir en art, quelle est mon esthétique. Je sais
que les bouts d'opinion que j'ai été forcé de donner,
d'une manière incidente, ont blessé les idées reçues, et
qu'on m'en veut pour ces affirmations carrées que rien
ne paraissait établir.
J'ai ma petite théorie comme un autre, et, comme un
autre, je crois que ma théorie est la seule vraie. Au ris-
que de n'être pas amusant, je vais donc poser cette théo-
rie. Mes tendresses et mes haines en découleront tout
natureltement.
Pour le public, — et je ne prends pas ici ce mot en
mauvaise part, — pour le public, une œuvre d'art, un ta-
bleau, est une suave chose qui émeut le cœur d'une
façon douce ou terrible ; c'est un massacre, lorsque les
victimes pantelantes gémissent et se traînent sous les
fusils qui les menacent, ou c'est encore une délicieuse
jeune fille, toute de neige, qui rêve au clair de lune, ap-
puyée sur un fût de colonne, Je veux dire que la foule
— 32 —
voit dans une toile un sujet qui la saisit à la gorge ou au
cœur, et qu'elle ne demande pas autre chose à l'artiste
qu'une larme ou qu'un sourire.
Pour moi, — pour beaucoup de gens, je veux l'espérer,
— une œuvre d'art est, au contraire, une personnalité,
une individualité.
Ce que je demande à l'artiste, ce n'est pas de me
donner de tendres visions ou des cauchemars effroyables;
c'est de se livrer lui-même, cœur et chair, c'est d'affir-
mer hautement un esprit puissant et particulier, une na-
ture âpre et forte qui saisisse largement la nature en sa
main et la plante tout debout devant nous, telle qu'il la
voit. En un mot, j'ai le plus profond dédain pour les pe-
tites habiletés, pour les flatteries intéressées, pour ce que
l'étude a pu apprendre et ce qu'un travail acharné a
rendu familier, pour tous les coups de théâtres histori-
ques de ce monsieur et pour toutes les rêveries parfu-
mées de cet autre monsieur.
Mais, j'ai la plus profonde admiration pour les œuvres
individuelles, pour celles qui sortent d'un jet d'une
main vigoureuse et unique.
Il ne s'agit donc plus ici de plaire ou de ne pas plaire ,
il s'agit d'être soi, de montrer son cœur à nu, de for-
muler énergiquement une individualité.
Je ne suis pour aucune école, parce que je suis pour la
vérité humaine, qui exclue toute coterie et fout système.
Le mot « art » me déplaît; il contient en lui je ne sais
quelles idées d'arrangements nécessaires, d'idéal absolu.
Faire de l'art, n'est-ce pas faire quelque chose qui est en
dehors de l'homme et de la nature. .Te veux qu'on fasse
de la vie, moi; je veux qu'on soit vivant, qu'on crée à
nouveau, en dehors de tout, selon ses propres yeux et
- 33 —
son propre tempéramment. Ce que je cherche ayant tout
dans un tableau, c'est un homme et non pas un tableau.
Il y a, selon moi, deux éléraenls dans une œuvre: l'é-
lément réel, qui est la nature, et l'élément individuel,
qui est l'homme.
L'élément réel, la nature, est Oxe, toujours le même;
il demeure égal pour tout le monde; je dirais qu'il peut
servir de commune mesure pour toutes les œuvres pro-
duites, si j'admettais qu'il puisse y avoir une commune
mesure.
L'élément individuel, au contraire, l'homme, est varia-
ble à l'infini: autant d'œuvres et autant d'esprits diffé-
rents; si le tempérament n'existait pas, tous les tableaux
devraient être forcément de simples photographies.
Donc, une œuvre d'art n'est jamais que la combinai-
son d'un homme, élément variable, et de la nature,
élément fixe. Le mot réaliste ne signifie rien pour moi,
qui déclare subordonner le réel au tempérament. Faites
vrai, j'applaudis; mais surtoui faites individuel et vivant,
et j'applaudis plus fort. Si vous sortez de ce raisonne-
ment, vous êtes forcé de nier le passé et de créer des dé-
finitions que vous serez forcé d'élargir chaque année.
Car c'est une autre bonne plaisanterie de croire qu'il y
a, en fait de beauté artistique, une vérité absolue et éter-
nelle. La vérité une et complète n'est pasfaite pour nous
qui confectionnons chaque malin une vérité que nous
usons chaque soir. Comme toute chose, l'art est un pro-
duit humain, une sécrétion humaine ; c'est notre corps
qui sue la beauté de nos œuvres. Notre corps change selon
les climats et selon les mœurs, et la sécrétion change
donc également.
C'est dire que l'œuvre de demain ne saurait être celle
— 34 -
d'aujourd'hui ; vous ne pouvez formuler aucune règle n
donner aucun précepte ; il faut tous abandonner brave-
ment à votre nature et ne pas chercher à vous mentir.
Est-ce que vous avez peur de parler votre langue , que
vous cherchez à épeler péniblement des langues mortes!
Ma volonté énergique est celle-ci : — Je ne veux pas
des œuvres d'écoliers faites sur des modèles fournis par
les maîtres. Ces œuvres me rappellent les pages d'écri-
ture que je traçais étant enfant, d'après les pages litho-
graphiées ouvertes devant moi. Je ne veux pas des retours
au passé, des prétendues résurrections, des tableaux
peints suivant un idéal formé de morceaux d'idéal qu'on
a ramassés dans tous les temps. Je ne veux pas de tout ce
qui n'est point vie, tempérament, réalité !
Et, maintenant, je vous en supplie, ajez pitié de moi
Songez à tout ce qu'a dû souffrir hier un tempérament
bâti comme le mien, égaré dans la vaste et morne nullité
du Salon. Franchement, j ai eu un moment la pensée de
lâcher la besogne, prévoyant trop de sévérité.
Mais ce n'est point les artistes que je vais blesser dans
leurs goûts, ce sont eux qui viennent de me blesser bien
plus vivement dans mes sympathies ! Mes lecteurs com-
prennent-ils ma position, se disent-ils : « Voilà un pauvre
diable qui est tout écœuré, et qui retient ses nausées pour
garder la décence qu'il doit au public ? »
Jamais je n'ai vu un tel amas de médiocrités. Il y a là
deux mille tableaux, et il n'y a pas dix hommes. Sur ces
deux mille toiles, douze ou quinze vous parlent un lan-
gage humain; les autres vous content des niaiseries de
parfumeurs. Suis-je trop sévère? Je ne fais pourtant que
' dire tout haut ce que les autres pensent tout bas.
Je ne nie pas notre époque, au moins. J'ai foi en elle,
— 35 —
je sais qu'elle cherche et qu'elle travaille. Nous sommes
dans un temps de luttes et de fièvres, nous avons nos ta-
lents et nos génies. Mais je ne veux pas qu'on confonde
les médiocres et les puissants, je crois qu'il est bon de ne
point avoir cette indulgence indifférente qui donne un
mot d'éloge à tout le monde, et qui, par là même, ne loue
personne.
Notre époque est celle-ci. Nous sommes civilisés, nous
avons des boudoirs et des salons; le badigeon est bon
pour les petites gens, il faut des peintures sur les murs
des riches. Et alors a été créée toute une corporation
d'ouvriers qui achèvent la besogne commencée par les
maçons. Il faut beaucoup de peintres, comme vous pen-
sez, et on est obligé de les élever à la brochette, en mas-
se. On leur donne, d'ailleurs, les meilleurs conseils pour
plaire et ne pas blesser les goûls du temps.
Ajoutez à cela l'esprit de l'art moderne. En présence de
l'envahissement delà science et de Tinduslrie, les artis-
tes, par réaction, se sont jetés dans le rêve, dans un ciel
de pacotille, tout de clinquant et de papier de soie.
Allez donc voir si les maîtres de la Renaissance son-
geaient aux adorables petits riens devant lesquels nous
nous pâmons; ils étaient de puissantes natures qui pei-
gnaient en pleine vie. Nous autres, nous sommes nerveux
et inquiets-, il y a beaucoup de la femme en nous, et nous
nous sentons si faibles et si usés que la santé plantureuse
nous déplaît. Parlez-moi des sentimentalités et des miè-
vreries
Nos artistes sont des poètes. C'est là une grave injure
pour des gens qui n'ont pas même charge de penser,
mais je la maintiens. Voyez le Salon : ce ne sont que
strophes et madrigaux. Celui-ci rime un ode à la Pologne^
— 36 —
cet autre une ode à Cléopâlre;ily en a un qui chante sur
le mode de Tibulle et un autre qui tâche de soufller
dans la grande trompette de Lucrèce. Je ne parle pas des
hymnes guerriers, ni des élégies, ni des chansons gri-
voises, ni des fables.
Quel charivari!
Par grâce, peignez, puisque vous êtes peintres, ne
chantez pas. Voici de la chair, \oici de la lumière : fai-
tes un Adam qui soit votre création. Vous devez être des
faiseurs d'hommes et non pas des faiseurs d'ombres. Mais
je sais que dans un boudoir un homme tout nu est peu
convenable. C'est pour cela que vous peignez de grands
pantins grotesques qui ne sont pas plus indécents et pas
plus vivants que les poupées en peau rose des petites
filles.
Le talent procède autrement, voyez-vous. Regardez les
quelques toiles remarquables du Salon. Elles font un trou
dans la muraille, elles sont presque déplaisantes, elles
crient dans le murmure adouci de leurs voisines. Les
peintres qui commettent de pareilles œuvres sont en de-
hors de la corporation des badigeonneurs élégants dont
j'ai parlé. Ils sont peu nombreux, ils vivent d'eux mêmes,
en dehors de toute école.
Je l'ai déjà dit, on ne peut accuser le jury de la mé-
diocrité de nos peintres. Mais, puisqu'il croit avoir charge
d'être sévère, pourquoi ne nous épargne-t-il pas la vue
de toutes ces niaiseries. Si vous n'admettez que les ta-
lents, une salle de trois mètres carrés suffira.
Ai-je été si révolutionnaire, en regrettant les quelques
tempéraments qui ne figurent pas au Salon? Nous ne
sommes pas si riches en individualités, pour refuser
celles qui se produisent. D'ailleurs, je le sais, les tempe-
— 37 —
ramenls ne meurent pas d'un refus. Je défends leur
cause, parce qu'elle me semble juste; mais, au fond, je
suis bien tranquille sur l'état de santé du talent. Nos
pères ont ri de Courbet, et Yoilà que nous nous exta-
sions devant lui; nous rions de Manet, et ce seront nos
fils qui s'extasieront en face de ses toiles. Je ne tiens pas
du tout à faire concurrence à Nostradamus, mais j'ai
bien envie d'annoncer ce fait étrange pour un temps
très-prochain.
M. MANET
7 mai.
Si nous aimon«; - ^ire. «"n France, nous avons, à Toc-
casion, une exquise courtoisie et un tact parfait. Nous
respectons les persécutés, nous défendons de toute notre
puissance la cause des hommes qui luttent seuls contre
une foule.
Je Tiens, aujourd'hui, tendre une main sympathique à
l'artiste qu'un groupe de ses confrères a mis à la porte
du Salon. Si je n'avais pour le louer sans réserve la
grande admiration que fait naître en moi son talent, j'au-
rais encore la position qu'on lui a créée de paria, de
peintre impopulaire et grotesque.
Avant de parler de ceux que tout le monde peut voir,
de ceux qui étalent leur médiocrité en pleine lumière, je
me fais un devoir de consacrer la plus large place pos-
sible à celui dont on a volontairement écarté les œuvres,
et que l'on n'a pas jugé digne de figurer parmi quinze
cents à deux mille impuissants qui ont été reçus à bras
ouverts.
Et je lui dis : « Consolez-vous. On vous a mis à part,
et vous méritez de vivre à part. Vous ne pensez pas
— 40 -
comme tous ces gens-là, vous peignez selon votre cœur
et selon votre chair, vous êtes une personnalité qui s'af-
firme carrément. Vos toiles sont mal à l'aise parmi les
niaiseries et les sentimentalités du temps. Restez dans
votre atelier. C'est là que je vais vous chercher et vous
admirer. »
Je m'expliquerai le plus nettement possible sur M. Ma-
net. Je ne veux point qu'il y ait de malentendu entre le
public et moi. Je n'admets pas et je n'admettrai jamais
qu'un jury ait eu le pouvoir de défendre à la foule la-
vue d'une des individualités les plus vivantes de notre
époque. Comme mes sympathies sont en dehors du Sa-
lon, je n'y entrerai que lorsque j'aurai contenté ailleurs
mes besoins d'admiration.
11 paraît que je suis le premier à louer sans restric-
tion M. Manet. C'est que je me soucie peu de toutes ces
peintures de boudoir, de ces images coloriées, de ces
misérables toiles où je ne trouve rien de vivant. J'ai déjà
déclaré que le tempérament seul m'intéressait.
On m'aborde dans les rues, et on me dit : « Ce n est
pas sérieux, n'est-ce pas? Vous débutez à peine, vous
voulez couper la queue de votre chien. Mais, puisqu'on
ne vous voit pas. rions un peu ensemble du haut co-
mique du Dîner sur Vherbe^ de V Olympia^ du Joueur de
fifre. »
Ainsi nous en sommes à ce point en art, nous n'avons
plus même la liberté de nos admirations. Voilà que je
pa;se pour un garçon qui se ment à lui-même par calcul.
Et mon crime est de vouloir enfin dire la vérité sur un
artiste qu'on feint de ne pas comprendre et qu'on chasse
comme un lépreux du petit monde des peintres.
— 41 —
L'opinion de la majorilé sur M. Manel est celle-ci :
M. Manet est un jeune rapin qui s'enferme pour fumer
et boire avec des galopins de son Age. Alors, lorsqu'on a
vidé des tonnes de bière, le rapin décide qu'il va peindre
des caricatures et les exposer pour que la foule se
moque de lui et retienne son nom. Il se met à l'œuvre,
il fait des choses inouïes, il se tient lui-même les
côtes devant son tableau, il ne rêve que de se moquer
du public et de se faire une réputation d'homme gro-
tesque.
Bonnes gens !
Je puis placer ici une anecdote qui rend admirable-
ment le sentiment de la foule. Un jour, M. Manet et un
littérateur très-connu étaient assis devant un café des
boulevards. Arriv-e un journaliste auquel le littérateur
présente le jeune maître. « M. Manet, » dit-il. Le jour-
naliste se hausse sur ses pieds, cherche à droite, cherche
à gauche; puis il finit par apercevoir devant lui l'artiste,
modestement assis et tenant une toute petite place. « Ah !
pardon, s'écrie-t-il, je vous croyais colossal, et je cher-
chais partout un visage grimaçant et patibulaire. »
Voilà tout le public.
Les artistes eux-mêmes, les confrères, ceux qui de-
vraient voir clair dans la question, n'osent se décider.
Les uns, je parle des sols, rient sans regarder, font des
gorges chaudes sur ces toiles fortes et convaincues. Les
autres parlent de talent incomplet, de brutalités voulues,
de violences systématiques. En somme, ils laissent plai-
santer le public, sans songer seulement à lui dire : « Ne
nez pas si fort, vous ne voulez passer pour des imbéciles.
Il n'y a pas le plus petit mot pour rire dans tout ceci. Il
4.
-- 45> —
n'y a qu'un artisle sincère, qui obéit à sa nature, qui
cherche le vrai avec fièvre, qui se donne entier et qui n'a
aucune de nos lâchetés, o
Puisque personne ne dit cela, je vais le dire, moi, je
vais le crier. Je suis tellement certain que M. Manet sera
un des maîtres de demain, que je croirais conclure une
bonne affaire, si j'avais de la fortune, en achetant au-
jourd'hui toutes ses toiles. Dans dix ans, elles se ven-
dront quinze et vingt fois plus cher, et c'est alors que
certains tableaux de quarante mille francs ne vaudront
pas quarante francs.
Il ne faut pourtant pas avoir beaucoup d'intelligence
pour prophétiser de pareils événements.
On a d'un côté des succès de mode, des succès de sa-
lons et de coteries; on a des- artistes qui se créent une
petite spécialité, qui exploitent un des goûts passagers
du public; on a des messieurs rêveurs et élégants qui,
du bout de leurs pinceaux, peignent des images mauvais
teint que quelques gouttes de pluie effaceraient.
D'un autre côté, au contraire, on a un bomme s'at-
taquant directement à la nature , ayant remis en ques-
tion l'art entier, cherchant à créer de lui-même et à ne
rien cacher de sa personnalité. Est-ce que vous croyez
que des tableaux peints d'une main puissante et convain-
cue ne sont pas plus solides que de ridicules gravures
d'Epinal?
Nous irons rire, si vous le voulez, devant les gens qui
se moquent d'eux-mêmes et du public, en exposant sans
honte des toiles qui ont perdu leur valeur première de-
puis qu'elles sont barbouillées de jaune et de rouge. Si
la foule avait reçu une forte éducalion artistique, si elle
savait admirer seulement les lalents individuels et non-
— 43 ~
veaux, je yous assure que le Salon serait un lieu de ré-
jouissance publique, car les visiteurs ne pourraient par-
courir deux salles sans se rendre malades de gaîté. Ce
qu'il y a de prodigieusement comique à l'Exposition, ce
sont toutes ces œuvres banales et impudentes qui s'étalent,
montrant leur misère et leur sottise.
Pour un observateur désintéressé, c'était un spectacle
navrant que ces attroupements bétes devant les toiles de
M. Manet. J'ai entendu là bien des platitudes. Je me di-
sais : ce Serons-nous donc toujours si enfants, et nous
croirons-nous donc toujours obligés de tenir boutique
d'esprit? Voilà des individus qui rient, la bouche ouverte,
sans savoir pourquoi, parce qu'ils sont blessés dans leurs
habitudes et dans leurs croyances. Ils trouvent cela drôle,
et ils rient. Ils rient comme un bossu rirait d'un autre
homme, parce que cet homme n'aurait pas de bosse. »
Je ne suis allé qu'une fois dans l'atelier de M. Manet;
L'artiste est de taille moyenne, plutôt petite que grande ;
blond de cheveux et de visage légèrement coloré, il pa-
rait avoir une trentaine d'années; l'œil est "vif et intelli-
gent, la bouche mobile, un peu railleuse par instants ; la
face entière, irrégulière et expressive, a je ne sais
quelle expression de finesse et d'énergie. Au demeurant,
l'homme, dans ses gestes et dans sa voix, a la plus
grande modestie et la plus grande douceur.
Celui que la foule traite de rapin gouailleur vil retiré,
en famille. 11 est marié et a l'existence réglée d'un bour-
geois. Il travaille d'ailleurs avec acharnement, cherchant
toujours, étudiant la nature, s'interrogeant et marchant
dans sa voie.
Nous avons causé ensemble de l'altitude (]u public à
— 44 —
son égard. Il n'en plaisante pas, mais il n'en paraît pas
non plus découragé. Il a foi en lui, il laisse passer tran-
quillement sur sa tête la tempête des rires, certain que
les applaudissements viendront.
J'étais enfin en face d'un lutteur conyaincu, en face
d'un homme impopulaire qui ne tremblait pas devant le
public, qui ne cherchait pas à apprivoiser la béte, mais
qui s'essayait plutôt à la dompter, à lui imposer son tem-
pérament.
C'est dans cet atelier que j ai compris complètement
M. Manet. Je l'avais aimé d'inslinct ; dés lors, j'ai pénétré
son talent, ce talent que je vais tâcher d'analyser. Au
Salon, ses toiles criaient sous la lumière crue, au milieu
des images à un sou qu'on avait collées au mur autour
d'elles. Je les voyais enfin à part, ainsi que tout tableau
doit être vu, dans le lieu même oîi elles avaient été
peintes.
Le talent de M. Manet est fait de simplicité et de jus-
tesse. Sans doute, devant la nature incroyable de cer-
tains de ses confrères, il se sera décidé à interroger la
réalité, seul à seule -, il aura refusé toute la science ac-
quise, toute l'expérience ancienne, il aura voulu prendre
l'art au commencement, c'est-à-dire à l'observation exacte
des objets.
Il s'est donc mis courageusement en face d'un sujet, il
a vu ce sujet par larges taches, par oppositions vigou-
reuses, et il a peint àpremcnt chaque chose telle qu'il la
voyait. Qui ose parler ici de calcul mesquin, qui ose accu-
ser un artiste consciencieux de se moquer de lart et de
lui-même? 11 faudrait punir les railleurs, car ils insultent
un homme qui sera une de nos gloires, et ils l'insultent
misérablement, riant de lui qui ne daigne même pas rire
-^ 45 —
d'eux. Je vous assure que vos grimaces et que vos rica-
nements l'inquiètent peu.
J'ai revu le Dî?ier sur l'herbe^ ce chef-d'œuvre exposé
au Salon des Refusés, et je défie nos peintres en vogue de
nous donner un horizon plus large et plus empli d'air et
de lumière. Oui, vous riez encore, parce que les ciels
violets de M. Nazon vous ont gâtés. Il y a ici une
nature bien bâtie qui doit vous déplaire. Puis nous
n'avons ni la Cléopâtre en marbre de M. Gérôme, ni les
jolies personnes roses et blanches de M. Dubufle. Nous
ne trouvons malheureusement là que des personnages de
tous les jours, qui ont le tort d'avoir des muscles et des os,
comme tout le monde. Je comprends votre désappointe-
ment et votre gaieté, en face de cette toile ; il aurait fallu
chatouiller votre regard avec des images de boîtes à
gants.
J'ai revu également Y Olympia, qui a le défaut grave de
ressemblera beaucoup de demoiselles que vous connais-
sez. Puis, n'est-ce pas? quelle étrange manie que de
peindre autrement que les autres I Si, au moins, M. Ma-
net avait emprunté la houppe à poudre de riz de M. Ca-
banel et s'il avait un peu fardé les joues et les seins
d'Olympia, la jeune fille aurait été présentable. Il y a là
aussi un chat qui a bien ajnusé Je public. Il est vrai que
ce chat est d'un haut comique, n'est-ce pas? et qu'il faut
être insensé pour avoir mis un chat dans ce tableau. Un
chat, vous imaginez-vous cela. Un chat noir, qui plus est.
C'est très-drôle... 0 mes pauvres concitoyens, avouez que
vous avez l'esprit facile. Le chat légendaire d'Olympia
est un indice certain du but que vous vous proposez en
vous rendant au Salon. Vous allez y chercher des ehals.
— 46 -
avouez-le, et vous n'avez pas perdu votre journée lors-
que vous trouvez un chat noir qui vous égayé.
Mais l'œuvre que je préfère est certainement le Joueur
de fifre, toile refusée cette année. Sur un fond gris et lu-
mineux, se détache le jeune musicien, en petite tenue,
pantalon rouge et bonnet de police. Il souffle dans son
instrument, se présentant de face. J'ai dit plus haut que
le talent de M. Manet était fait do justesse et de simpli-
cité, me souvenant surtout de l'impression que m'a
laissée cette toile. Je ne crois pas qu'il soit possible d'ob-
tenir un effet plus puissant avec des moyens moins com-
pliques.
Le tempérament de M. Manet est un tempérament sec,
emportant le morceau. Il arrête puissamment ses figures,
il ne recule pas devant les brusqueries de la nature; il
passe du blanc au noir sans hésiter, il rend dans leur
vigueur les différents objets se détachant les uns sur les
autres. Tout son être le porte à voir par taches, par mor-
ceaux simples et énergiques. On peut dire de lui qu'il se
contente de chercher des tons justes et de les juxtaposer
ensuite sur une toile. Il arrive que la toile se couvre
ainsi d'une peinture solide et forte. Je retrouve dans le
tableau un homme qui a la curiosité du vrai et qui tire
de lui un monde vivant d'une vie_ particulière et puis-
sante.
Vous savez quel effet produisent les toiles de M. Manet
au Salon. Elles crèvent le mur, tout simplement. Tout
autour d'elles s'étalent les douceurs des confiseurs artis^
tiques à la mode, les arbres en sucre candi et les mai-
sons en croûte de pâté, les bons hommes en pain d'épi-
ces et les bonnes femmes faites de crème à la vanille. La
boutique de bonbons devient plus rose et plus douce, et
— 47 —
les loiles vivantes de Tailisle semblent prendre une cer-
taine amertume au milieu de ce fleuve de lait. Aussi, faut-
il voir les grimaces des grands enfants qui passent dans
la salle. Jamais vous ne leur ferez avaler pour deux sous
de véritable mnde crue; mais ils se gorgent comme des
malheureux de toutes les sucreries écœurantes qu'on
leur sert.
Ne regardez plus les tableaux voisins. Regardez les
personnes vivantes qui sont dans la salle. Eludiez les op-
positions de leurs corps sur le parquet et sur les murs.
Puis, regardez les toilesdeM. Manet : vous verrez que là
est la vérité et la puissance. Regardez maintenant les au-
tres toiles, celles qui sourient bêtement autour de vous :
vous éclatez de rire, n'est-ce pas?
La place de M. Manet est marquée au Louvre, comme
celle de Courbet, comme celle de tout artiste d'un tem-
pérament fort et implacable. D'ailleurs, il n'y a pas la
moindre ressemblance entre Courbet et M. Manet, et ces
artistes, s'ils sont logiques, doivent se nier l'un l'autre.
C'est justement parce qu'ils n'ont rien de semblable,
qu'ils peuvent vivre chacun d'une vie particulière.
Je n'ai pas de parallèle à établir entre eux, j'obéis à
ma façon de voir en ne mesurant pas les artistes d'après
un idéal absolu et en n'acceptant que les individualités
uniques, celles qui s'affirment dans la vérité et dans la
puissance.
Je connais la réponse : « Vous prenez l'étrangeté pour
l'originalité, vous admettez donc qu'il suffit de faire au-
trement que les autres pour faire bien. » Allez dans l'ate-
lier de M. Manet, messieurs; puis revenez dans le vôtre
et tâchez de faire ce qu'il fait, amusèz-vous à imiter ce
peintre qui, selon vous, a pris en fermage l'hilarilé pu-
— 48 —
blique. Vous verrez alors qu'il n'est pas si facile de faire
rire le monde.
J'ai tâché de rendre à M. Manetla place qui lui appar-
tient, une des premières. On rira peut-être du panégy-
riste comme on a ri du peintre. Un jour, nous serons ven-
gés tous deux. Il y H une vérité éternelle qui me soutient
en critique : c'est que les tempéraments seuls vivent et
dominent les âges. Il est impossible,— impossible, enten-
dez-vous,—que M. Manet n'ait pas son jour de triomphe,
et qu'il n'écrase pas les médiocrités timides qui l'entou-
rent.
Ceux qui doivent trembler, ce sont les faiseurs, les
hommes qui ont volé un semblant d'originalité aux maî-
tres du passé; ce sont ceux qui calligraphient des arbres
et des personnages, qui ne savent ni ce qu'ils sont ni ce
que sont ceux dont ils rient. Ceux-là seront les morts de
demain; il yen a qui sont morts depuis dix ans, lorsqu'on
les enterre, et qui se survivent en criant qu'on offense la
dignité de l'art si l'on introduit une toile vivante dans
celte grande fosse commune du Salon.
LES RÉALISTES DU SALON
11 mai.
Je serais désespéré si mes lecteurs croyaient un ins-
tant que je suis ici le porle-drapeau d'une école. Ce se-
rait bien mal me comprendre que de faire de moi un
réaliste quand même, un homme enrégimenté dans un
parti.
Je suis de mon parti, du parti de la vie et de la
vérité, voilà tout. J'ai quelque ressemblance avec Dio-
gène, qui cherchait un homme ; moi , en art, je cherche
aussi des hommes, des tempéraments nouveaux et puis-
sants.
Je me moque du réalisme, en ce sens que ce mol ne
représente rien de bien précis pour moi. Si vous entendez
par ce terme la nécessité oîi sont les peintres d'étudier et
de rendre la nature vraie, il est hors de doute que tous
les artistes doivent être des réalistes. Peindre des rêves
est un jeu d'enfant et de femme ; les hommes ont charge
de peindre des réalités.
Ils prennent la nature et ils la rendent, ils la rendent
vue à travers leurs tempéraments particuliers. Chaque
artiste va nous donner ainsi un monde différent, et j'ac-
5
- 50 —
ceplerai volontiers tous ces divers mondes, pourvu que
chacun d'eux soit l'expression vivante d'an cœur. J'ad-
mire les mondes de Delacroix etide Courbet. Devant cette
déclaration, on ne saurait, je crois, me parquer dans au-
cune école.
Seulement, voici ce qu'il arrive en nos temps d'analyse
psychologique et physiologique. Le vent est à la science ;
nous sommes poussés malgré nous vers l'étude exacte des
faits et des choses. Aussi, toutes les fortes individualités
qui se révèlent, s'aflirment-elles dans le sens de la vérité.
Le mouvement de l'époque est certainement réaliste, ou
plutôt positiviste. Je suis donc forcé d'admirer des hom-
mes qui paraissent avoir quelque parenté entre eux, la
parenté de l'heure à laquelle ils vivent.
Mais qu'il naisse demain un génie autre, un esprit qui
réagira, qui nous donnera avec puissance une terre nou-
velle, la sienne, je lui promets mes applaudissements. Je
ne saurais trop le répéter, je cherche des hommes et non
pas des mannequins, des hommes de chair et d'os, se con-
fessant à nous, et non pas des menteurs qui n'ont que du
son dans le ventre.
On m'écrit que je loue « la peinture de Tavenir. » Je
ne sais ce que peut signifier celte expression. Je crois que
chaque génie nait indépendant et qu'il ne laisse pas de
disciples. La peinture de l'avenir m'inquiète peu; elle
sera ce que la feront les artistes et les sociétés de de-
main.
Le grand épouvantail, croyez-le, ce n'est pas le réa-
lisme, c'est le tempérament. Tout homme qui ne res-
semble pas aux autres, devient par là même un objet de
défiance. Dès que la foule ne comprend plus, elle rit. Il
— 51 —
faut toute une éducation pour faire accepter le génie.
L'histoire de la littérature et de Fart est une sorte de
martyrologe qui conte les huées dont on a couvert
chacune des manifestations nouvelles de l'esprit hu-
main.
Il y a des réalistes au Salon,— je ne dis plus des tem-
péraments,--il y a des artistes qui prétendent donner la
nature vraie, avec toutes ses crudités et toutes ses vio-
lences.
Pour bien établir que je me moque de Tobservation
plus ou moins exacte, lorsqu'il n'y a pas une individua-
lité puissante qui fasse vivre le tableau, je vais d'abord
dire mon opinion toute nue sur MM. Monet, Ribot, Yol-
lon, Bonvin et Roybet.
Je mets MM. Courbet et Millet à part, désirant leur
consacrer une étude parliculicre.
' J'avoue que la toile qui m'a le plus longtemps arrêté
est la Camille, de M. Monet. C'est là une peinture éner-
gique et vivante. Je venais de parcourir ces salles si
froides et si vides, las de ne rencontrer aucun talent nou-
veau, lorsque j'ai aperçu cette jeune femme, traînant sa
longue robe et s'enfonçant dans le mur, comme s'il y
avait eu un trou. Vous ne sauriez croire combien il est
bon d'admirer un peu, lorsqu'on est fatigué de rire et de
hausser les épaules.
Je ne connais pas M. Monet, je crois même que jamais
auparavant je n'avais regardé attentivement une de ses
toiles. Il me semble cependant quejesuisun de ses vieux
amis. Et cela parce que son tableau me conte toute une
histoire d'énergie et de vérité.
Eh oui ! voilà un tempérament, voilà un homme dans
— 52 —
la foule de ces ennuques. Regardez les toiles voisines, et
voyez quelle piteuse mine elles font à côté de cette fe-
nêtre ouverte sur la nature. Ici, il y a plus qu'un réaliste,
il y a un interprète délicat et fort qui a su rendre chaque
détail sans tomber dans la sécheresse.
Voyez la robe. Elle est souple et solide. Elle traîne mol-
lement, elle vit, elle dit tout haut qui €st cette femme. Ce
n'est pas là une robe de poupée , un de ces chiffons de
mousseline dont on habille les rêves; c'est de la bonne
soie, point usée du tout et qui serait trop lourde sur les
crèmes fouettées de M. Dubuffe.
Vous voulez des réalistes, des tempéraments, m'a-t-on
écrit, prenez M. Ribot. Je nie que M. Ribot ait un tempé-
rament qui lui apparlienne, et je nie qu'il rende la na-
ture dans sa vérité.
La vérité d'abord. Regardez cette grande toile : Jésus
est au milieu des docleurs, dans un coin du temple^ il y
a de larges ombres; des lumières s'étalent par plaques
blafardes. Où est le sang, où est la vie? Ça, de la réalité !
Mais les têtes de cet enfant et de ces hommes sont
creuses ; il n'y a pas un os dans ces chairs flasques et
bouffies. Ce n'est pas parce que les types sont vulgaires,
n'esi-ce pas, que vous voulez me donner ce tableau pour
une œuvre réelle? J'appelle réelle, une oeuvre qui vit,
une œuvr^ dont les personnages puissent se mouvoir et
parler. Ici, je ne vois que des créatures mortes, toutes
pâles et toutes dissoutes.
Qu'importe la vérité! ai-je dit, si le mensonge est
commis par un tempérament particulier et puissant.
Alors, M. Ribot doit avoir tout ce qu'il faut pour me
plaire. Ces lumières blanchâtres, ces ombres sales sont
— 53 —
de simplos partis pris; l'arlisle a imposé sou indivi-
dualité à la nature, et il a créé de toutes pièces ce
monde blafard. Le malheur est qu'il n'a rien créé du
tout; son monde existe depuis bien longtemps. C'est
Ln monde espagnol à peine francisé. Non-seulement
l'œuYre n'est pas vraie, ne -vit pas, mais de plus c'est
qu'elle n'est pas une expression nouvelle du génie hu-
irain.
M. Ribot n'a rien ajouté à l'art, il n'a pas dit son mot
propre, il ne nous a pas révélé un cœur et une chair.
C est ici un tempérament inutile, une rencontre mal-
heureuse, si Ton veut. Certes, je préfère cette puissance
fausse, cette individualité de contrebande, aux déso-
lantes gentillesses dont j'aurai à parler. Mais, tout au
fond de moi, j'entends une voix qui me crîe : « Prends
garde! celui-là est perfide; il paraît énergique et vrai ;
ya. jusqu'aux moelles, tu trouveras le mensonge et le
néant, r
Le réalisme, pour bien des personnes, — pour M. Yol-
lon, par exemple, — consiste dans le choix d'un sujet
Yulgaire. Cette année, M. VoUon a été réaliste, en
représentant une servante dans sa cuisine. La bonne
grosse fille revient du marché, et a déposé à terre
ses provisions. Elle est vêtue d'une jupe rouge et
s'appuie au mur, montrant ses bras baies et sa ligure
épaisse.
Moi, je ne vois rien de réel là^dedans, car cette ser-
vante est en bois, et elle est si bien collée au mur que
rien ne pourrait l'en détacher. Les objets se comportent
autrement dans la nature, sous la large lumière. Les cui-
sines sont pleines d'air, d'habitude, et chaque chose n'y
5.
— 54 —
prend pas ainsi une couleur cuite et rissolée. Puis,
clans les intérieurs, les oppositions, les taches sont vi-
goureuses, bien qu'adoucies ; tout ne s'en Tient pas sur
un même plan. La vérité est plus brutale, plus éner-
gique que cela.
Peignez des roses, mais peignez-les vivantes, si vous
vous dites réaliste.
M. Bonvin me paraît être également un amant plato-
nique de la vérité. Ses sujets sont pris dans la vie réelle,
mais la façon dont il Iraile les réalités pourrait tout
aussi bien êU'C employée pour traiter les rêves de cer-
tains peintres en vogue. Il y a je ne sais quelle séche-
resse et quelle petitesse dans l'exécution qui ôte toute
vie au personnage.
La Grand' maman que M. Bonvin expose, est une bonne
vieille tenant une bible sur ses genoux et humant
son café, qu'on lui apporte. La face m'a paru tendue
et grimaçante; elle est trop détaillée; le regard se
perd dans ces rides rendues avec amour, et préférerait
un visage d'un seul morceau, bâti solidement. L'effet
s'éparpille, la tête ne s'enlève pas puissamment sur le
fond.
Avant l'ouverture du Salon, on a fait quelque bruit
autour de la toile de M. Roybet, Un Fou sous Henri III.
On parlait d'une personnalité fortement accusée, d'un
réalisme large. J'ai vu la toile, et je n'ai pas compris ces
applaudissements donnés à l'avance. C'est là de la pein-
ture honnêle, plus solide assurément que celle de M. Ha-
mon, mais d'une énergie fort modérée.
La personnalité annoncée ne s'est pas révélée à mes
regards.
— 55 —
Le fou, tout de rouge habillé, lient en laisse deux
dogues qui ont Tair de deux bons enfants; il rit, mon-
trant les dents, et on dirait, à le Toir, un satyre ha-
billé.
Le sujet importe peu d'ailleurs, et le pis est que je
trouve ces chiens, surtout cet homme, traités d'une
façon petite. Ici, encore, les détails dominent l'ensem-
ble ; les étoffes manquent de souplesse, les mains du per-
sonnage ressemblent à deux palettes de bois, et la face
paraît ciselée avec soin.
Je ne sens pas la chair, dans tout ceci, et si j'éprouve
quelque sympathie, c'est pour les deux dogues qui sont
plantés beaucoup plus carrément que leur maître.
Voilà donc les quelques réalistes du Salon. Je puis en
omettre; mais, en tous cas, j'ai nommé et étudié les
principaux. J'ai voulu simplement, je le répète, faire
comprendre que je ne me parque dans aucune école, et
que je demande uniquement à l'artiste d'être personnel
et puissant.
J'ai tenu à être d'autant plus sévère que je crai-
gnais d'avoir été mal compris. Je n'ai aucune sympathie
pour la charge du tempérament, -- qu'on me passe ce
mot, — et je n'accepte que les individualités vraiment
individuelles et nettement accusées. Toute école me
déplaît, car une école est la négation même de la li-
berté de création humaine. Dans une école, il y a un
homme, le maître ; les disciples sont forcément des imita-
teurs.
Donc pas plus de réalisme que d'autre chose. De la
vérité, si l'on veut, de la vie, mais surtout des chairs et
de* cœurs différents interprétant différemment la na-
— 56 —
ture. La définition d'une œuvre d'art ne saurait être
autre que celle-ci : Une œuvre d'art est un coin de la
créatien vu à travers un tempérament (-1).
(1) Ici le peuple proteste, les abonnés se fâchent. Le panégy-
rique (le M. Manet a porté tous ses fruits : un critique qui admire
un tel peintre ne peut être toléré. On demande violemment mon
abdication (voir les lettres de l'Appendice). M. de Villemessant,
pour lequel je me sens la plus vive reconnaissance, — je ne
saurais trop le répéter, — est obligé de céder au public. 11 est
convenu, entre lui et moi, qu'il va faire droit aux réclamations,
en m'adjoignant un de mes honorables confrères, M. Théodore
Pelloquet, et en nous accordant trois articles à chacun. L'Évé^
nement contiendra ainsi des jugements pour tous les goûts; le
public n'aura plus à se plaindre que de la diversité des mets.
LES CHUTES
15 mai.
Il y a, en ce moment, une excellente comédie qui se
joue, au Salon, en face des tableaux de Courbet. Ce que
je trouve de plus curieux à étudier, même au point de
vue de Tart, ce ne sont pas toujours les artistes, ce sont
souvent Tes visiteurs qui par un seul mot, par un simple
geste , avouent naïvement où nous en sommes en ma-
tière artistique. Il est bon parfois d'interroger la foule.
Cette année, il est admis que les toiles de Courbet sont
charmantes. On trouve son paysage exquis et son étude de
femme très-convenable. J'ai vu s'extasier des personnes
qui, jusqu'ici, s'étaient montrées très dures pour le maître
d'Ornans. Voilà qui m'a mis en défiance. J'aime à m'ex-
pliquer les choses, et je n'ai pas compris tout de suite ce
brusque saut de l'opinion publique.
Mais tout a été expliqué, lorsque j'ai regardé les toiles
déplus près. Je l'ai dit, la grande ennemie, c'est la per-
sonnalité, l'impression étrange d'une nature individuelle.
Un tableau est d'autant plus goûté qu'il est moins per-
sonnel. Courbet, cette année, a arrondi les angles trop
rudes de son génie; il a fait patte de velours, e( voilà la
— 58 —
foule charmée qui le trouve semblable à tout le monde
et qui applaudit, satisfaite de voir enfin le maître à ses
pieds.
Je ne le cache pas, j'éprouve une intime volupté à pé-
nétrer les secrets ressorts d'une organisation quelconque.
J'ai plus souci de la vie que de l'art. Je m'amuse énormé-
ment a étudier les grands courants humains qui traver-
sent les foules et qui les jettent hors de leurs lits. Rien ne
m'a paru plus curieux que ce fait d'un esprit puissant,
admiré justement le jour où il a perdu quelque chose de
sa puissance.
J'admire Courbet, et je le prouverai tout à l'heure.
Mais, je vous prie, reportez-vous à cette époque où il pei-
gnait la Baigneuse et le Convoi d'Ornans^ et dites-moi si
ces deux toiles magistrales ne sont pas autrement fortes
que les deux délicieuses choses de cette année. Et pour-
tant, au temps de la Baigneuse et du Convoi d'Ornans,
Courbet prêtait à rire, Courbet était lapidé par le public
scandalisé. Aujourdluii, personne ne rit, personne ne
jette des pierres. Courbet a rentré ses serres d'aigle, il ne
s'est pas livré entier, et tout le monde bat des mains,
tout le monde lui décerne des couronnes.
Je n'ose formuler une règle qui s'impose forcément à
moi : c'est que l'admiration de la foule est toujours en
raison indirecte du génie individuel. Vous êtes d'autant
plus admiré et compris, que vous êtes plus ordinaire.
C'est là un aveu grave que me fait la foule. J'ai le
plus grand respect pour le public; mais si je n'ai pas la
prétention de le conduire, j'ai au moins le droit de l'étu-
dier.
Puisque je le vois aller aux tempéraments affadis, aux
— 59 —
esprits complaisants, je mets en doute ses jugements, et
je songe que je n'ai pas eu un tort aussi grand qu'on veul
bien le dire, en admirant un paria, un lépreux de Tart.
Et comme je ne veux pas qu'on se méprenne sur les
sentiments d'admiration profonde que j'éprouve pour
Courbet, je dis ici ce que j'ai déjà dit ailleurs, il y a un
an. lors de l'apparition du livre de Proudhon.
Mon Courbet, à moi, est simplement une personnalité.
Le peintre a commencé par imiter les Flamands et cer-
tains maîtres de la Renaissance; mais sa nature se révol-
tait, et il se sentait entraîné par toute sa chair, — par
toute sa chair, entendez-vous? — vers le monde ma-
tériel qui l'entourait, les femmes grasses et les hommes
puissants, les campagnes plantureuses et largement fé-
condes. Trapu et vigoureux, il avait 1 âpre désir de serrer
entre ses bras la nature vraie 5 il voulait peindre en
pleine viande et en plein terreau.
La jeune génération, je parle des jeunes gens de vingt
à vingt-cinq ans, ne connaît presque pas Courbet. Il m"a
été donné de voir rue Hautefeuille, dans latelier du
maître, pendant une de ses absences, certains de ses pre-
miers tableaux. Je me suis étonné, et je n'ai pas trouvé
le plus petit mot pour rire dans ces toiles graves et fortes
dont on m'avait fait des monstres. Je m'attendais à des
caricatures, à une fantaisie folle et grotesque, et j'étais
devant une peinture serrée et large, d'un fini et d'une
franchise extrêmes.
Les types étaient vrais, sans être vulgaires; les chairs,
fermes et souples, vivaient puissamment 5 les fonds
s'emplissaient d^air et donnaient aux figures une vigueur
étonnante. La coloration, un peu sourde, a une harmonie
presque douce, tandis que la justesse des tons et l'am-
— 60 —
pleur du métier établissent les plans et font que chaque
détail a un relief étrange. En fermant les yeux, je revois
ces toiles énergiques, d'une seule masse, bâties à chaux
et à sable, réelles jusqu'à la vie et belles jusqu'à la
vérité. Courbet appartient à la famille des faiseurs de
chair.
Certes, je ne puis être accusé de mesurer l'éloge
au maître. Je l'aime dans sa puissance et sa person-
nalité.
Il m'est permis de lui montrer la foule qui se groupe
autour de ses toiles et de lui dire :
— Prenez garde, voilà que vous passez dans l'admi-
ration publique. Je sais bien qu'un jour votre apothéose
viendra. Mais, à votre place, je me fâcherais de me voir
accepté juste à l'heure où ma main aurait faibli, où je
n'aurais pas fouillé au fond de moi pour me donner dans
ma nature, sans ménagements ni concessions.
Je ne nie point que la Femme au perroquet ne soit ivie
solide peinture, très-travaillée et très-nette; je ne nie
point que la Remise des chevreuils n'ait un grand charm.o,
beaucoup d'air et beaucoup de vie; mais il manque à c^s
toiles le je ne sais quoi de puissant et de voulu qui est
Courbet tout entier. Il y a douceur et sourire; CourbL-t,
pour l'écraser d'un mot, a fait du joli !
On parle de la grande médaille. Si j'étais Courbet, je
ne voudrais pas, pour la Femme au perroquet, d'une ré-
compense suprême qu'on a refusée à la Curée et aux
Casseurs de pierre. J'exigerais qu'il fût bien dit qu'on
m'accepte dans mon génie et non dans mes gentillesses.
Il y aurait pour moi je ne sais quelle pensée triste dans
cette consécration donnée à deux de mes œuvres que je
— 61 —
ne reconnaîtrais pas comme les filles saines el fortes de
mon esprit.
Il y a encore deux autres artistes au Salon sur lesquels
j'ai pleuré. MM. Millet et Théodore Rousseau. Tous deux
ont été et seront encore, je me plais à le croire, des
individualités pour lesquelles je me sens la plus vive
sympathie. Et je les retrouve, ayant perdu la fermeté de
leurs mains et l'excellence de leurs yeux.
Je ne sais ce qu'il est arrivé, voilà deux de mes admi-
rations qui s'en vont.
Je me souviens des premières peintures que j'ai vues
de M. Millet. Les horizons s'étendaient larges et libres-,
il y avait sur la toile comme un souffle de la terre. Une,
deux figures au plus, puis quelques grandes lignes de
terrain, et voilà qu'on avait la campagne ouverte devant
soi, dans sa poésie vraie, dans sa poésie qui n'est faite
que de réalité.
Mais je parle en poète, el les peintres, je le sais, n'ai-
ment pas cela.
S'il faut parler métier, j'ajouterai que la peinture de
M. Millet était grasse et solide, que les différentes taches
avaient une grande vigueur et une grande justesse. L'ar-
tiste procédait par oppositions vives, par morceaux sim-
ples, comme tous les peintres vraiment peintres.
Celte année je me suis trouvé devant une peinture
molle et indécise. On dirait que l'artiste a peint sur
papier buvard et que l'huile s'esl étendue. Les objets
semblent s'écraser dans les fonds.
C'est là une peinture à la cire qu'on a chauffée et dont
les diverses couleurs se sont fondues les unes dans les
autres.
Je ne sens pas la réalité dans ce paysage. Nous sommes
6
— 62 --
au bout d'un hameau, et, brusquement, l'horizon s'élar-
git. Un arbre se dresse seul dans cette immensité. On
devine derrière cet arbre tout le ciel. Eh bienl je le ré-
pète, la peinture manque de vigueur et de simplicité,
les tons s'effacent ^t se mêlent et du coup le ciel devient
petit et l'arbre paraît collé aux nuages.
Hélas! l'histoire est la même pour M. Théodore Rous-
seau, peut-être même est-elle plus triste encore.
En sortant du Salon, j'ai voulu retourner voir le pay-
sage que l'artiste a au Musée du Luxembourg. Vous
rappelez-vous cet arbre puissamment tordu, se détachant
en noir sur le rouge sombre d'un coucher de soleil. Il y
a des vaches dans l'herbe. L'œuvre est profonde et tour-
mentée. Ce n'est peut-être pas là une nature bien vraie,
mais ce sont des arbres, des vaches et des cieux inter-
prétés par un esprit vigoureux qui nous a communiqué
en un langage étrange les sensations poignantes que la
campagne faisait naître en lui.
Et je me suis demandé comment M. Théodore Rous-
seau pouvait en être arrivé au travail de patience dans
lequel il se complaît aujourd'hui. Voyez ses paysages du
Salon. Les feuilles et les cailloux sont comptés, les tableaux
paraissent peints avec de petits bâtons qui auraient collé
la couleur goutte à goutte sur la toile.
L'interprétation n'a plus aucune largeur. Tout devient
forcément petit. Le tempérament disparaît devant cette
lente minutie ; l'œil du peintre ne saisit pas l'horizon
dans sa largeur, et la main ne peut rendre l'impression
reçue et traduite par le tempérament. C'est pourquoi je
ne sens rien de vivant dans cette peinture; lorsque je
demande à M. Théodore Rousseau de saisir en sa main,
— 63 —
comme il l'a fait jadis, un morceau de la campagne et
de me donner ce morceau dans son tout, il s'amuse
à émietter la campagne et à me la présenter en pous-
sière.
Tout son passé lui crie : Faites large, faites puissant^
faites vivant.
Avant de signer, il me prend un scrupule. Le titre de
cet article est bien dur. Je suis obligé de juger aujour-
d'hui, peut-elre un peu sévèrement, des artistes que
j'aime et que j'admire. Un simple fait me servira d'ex-
cuse.
Après la publication de mon article sur M. Manet, j'ai
rencontré un de mes amis auquel je communiquai mon
impression toute franche sur les toiles dont je viens de
parler.
— Ne dites jamais cela, s'est-il écrié, vous frappez sur
vos frères 5 il faut se constituer en bande, en coterie, et
défendre quand même son parti. Vous levez le drapeau
de la personnalité. Louez tous les gens personnels, dus-
siez-vous mentir.
C'est pourquoi je me suis hâté d'écrire ces lignes.
ADIEUX D'UN CRITIQUE D'ART
20 mai,
J'ai encore droil à deux articles. Je préfère D'en faire
qu'un. Dans mon idée première, Mon Salon devait com-
prendre seize à dix-huit articles. Puisque, d'après la vo-
lonté toute puissante du peuple, je n'ai pas l'espace né-
cessaire pour développer nettement mes pensées, je crois
bon de terminer brusquement et de tirer ma révérence au
public.
Au fond, je suis enchanté. Imaginez un médecin qui
ignore où est la plaie et qui , posant çà et là ses doigts
sur le corps du moribond , Tentend tout fi coup crier de
terreur et d'angoisse. Je m'avoue tout bas que j ai tou-
ché juste, puisqu'on se fâche. Peu m'imporle si vous
ne voulez pas guérir. Je sais uiainlcnaul où est la bles-
sure.
Je ne prenais qu'un médiocre plaisir à lourmenlcr les
gens. Je sentais toute ma dureté envers dts artistes qui
travaillent et qui ont acquis, à grand'peine, une réputa-
6.
— 66 —
lion fragile que le moindre heurt briserait. Lorsque je
faisais mon examen de conscience, je m'accusais verte-
ment de troubler dans leur quiétude d'excellents hom-
mes qui paraissent s'être imposé le labeur pénible de con-
tenter tout le monde.
J'abandonne volontiers les notes que je suis allé
prendre sur M. Fromentin et sur M. Nazon, sur M. Du-
bufîe et sur M. Gérome. J'avais toute une campagne
en tête , je m'étais plu à aiguiser mes armes pour
les rendre plus tranchantes. Et je vous jure que c'est
avec une volupté intime que je jette là toute ma fer-
raille.
Je ne parlerai point de M. Fromentin et de la sauce
épicée dont il assaisonne la peinture. Ce peintre nous a
donné un Orient qui, par un rare prodige, a de la cou-
leur sans avoir de la lumière. Je sais d'ailleurs que
M. Fromentin est le dieu du jour; je m'évite la peine de
lui demander des arbres et des cieuxplus vivants, et sur-
tout de réclamer de lui une saine et forte originalité, au
lieu de ce faux tempérament de coloriste qui rappelle
Delacroix comme les devants de cheminée rappellent les
toiles de Véronèse.
Je n'aurai aucune querelle à chercher à M. Nazon et
aux décors en carton qu'il nous donne pour de vraies
campagnes; ne vous senible-t-il pas, — entre nous, —
que c'est ici une apolliéose de féerie, lorsque les
feux de bengnle sont allumés, et que des lueurs
jaunes et rouges donnent à chaque objet une apparence
morte.
Quant à MM. Gérùme et Dubuffe, je suis excessivement
satisfait de ne pas avoir à parler de leur talent. Je le ré-
pète, je suis fort sensible au fond, et je n'aime pas à faire
— 67 —
du chagrin aux gens. La mode de M. Gérôme baisse;
M. Dubuffe a dû prendre une peine terrible, dont il sera
peu récompensé. Je suis heureux ne n'avoir pas le temps
dédire tout cela.
Je regrette une chose : c'est de ne pouvoir accorder une
large place à trois paysagistes que j'aime : MM. Corot,
Daubigny et Pissarro. Mais il m'est permis de leur don-
ner une bonne poignée de main, — la poignée de main
de l'adieu.
Si M. Corot consenlait à tuer une fois pour toutes les
nymphes dont il peuple ses l)ois, et à les remplacer par
des paysannes, je l'aimerais outre mesure.
Je sais qu'à ces feuillages légers, à cette aurore hu-
mide et souriante, il faut des créatures diaphanes, des
rôves habillés de vapeurs. Aussi suis-je tenté parfois de
demander au maître une nature plus humaine, plus vi-
goureuse. Celte année il a exposé des éludes peintes sans
doute dans l'atelier. Je préfère mille fois une pochade,
une esquisse faite par lui en pleins champs, face à face
avec la réalité puissante.
Demandez à M. Daubigny quels sont les tableaux qu'il
vend le mieux. Il vous répondra que ce sont justement
ceux qu'il estime le moins. On veut de la vérité adou-
cie, de la nature propre et lavée avec soin, des horizons
fuyants et rêveurs. Mais que le maître peigne avec vi-
gueur la terre forte, le ciel profond, les arbres et les flots
puissants, et le public trouve cela bien laid, bien gros-
sier. Celte année M. Daubigny a contenté la foule sans
trop se mentir à lui-même. Je crois savoir d'ailleurs que
ce sont là d'anciennes toiles.
M. Pissarro est un inconnu, dont personne ne parlera
sans doute. Je me fais un devoir de lui serrer vigoureu-
~ 68 —
sèment la main, avant de parlir. Merci, monsieur, votre
paysage m'a reposé une bonne demi-heure, lors de mon
voyage dans le grand désert du Salon. Je sais que vous
avez été admis à grand'peine, et je vous en fais mon
sincère compliment. D'ailleurs, vous devez savoir que
vous ne plaisez à personne, et qu'on trouve votre tableau
trop trop nu, trop noir. Aussi pourquoi diable avez-vcus
l'insigne maladresse de peindre solidement et d'étudier
franchement la nature!
Voyez donc, vous choisissez un temps d'hiver, vous
avez là un simple bout d'avenue, puis un coteau au
fond, et des champs vides jusqu'à l'horizon. Pas le
moindre régal pour les yeux. Une peinture austère et
grave, un souci extrême de la vérité et de la justesse,
une volonté âpre et forte. Vous êtes un grand maladroit,
monsieur, — vous êtes un artiste que j'aime.
Donc, je n'ai plus le loisir de louer ceux-ci et de blâ-
mer ceux-là. Je fais mes paquets à la hâte, sans
regarder si je n'oublie pas quelque chose. Les artistes
que j'aurais attaqués n'ont pas besoin de me remercier,
et je fais mes excuses à ceux dont j'aurais dit du
bien.
Savez-vous que ma besogne commençait à devenir
fatigante. On mettait tant de bonne foi à ne pas me
comprendre, on discuîait mes opinions avec une naï-
veté si aveugle, que je devais, dans chacun de mes ar-
ticles, rétablir mon point de départ et faire voir que
j'obéissais logiquement à une idée première et invin-
cible.
J'ai dit : « Ce que je cherche surtout dans un tableau,
c'est un homme el non pas un tableau. » Et encore :
« L'art est composé de deux cléments : la nature, qui est
— 69 —
l'élément fixe, et Thomme, qui est réléraent variable;
faîtes vrai, j'applaudis; faites individuel, j'applaudis
plus fort. » Et encore : « J'ai plus souci de la vie que
de l'art. »
Devant de telles déclarations, je croyais qu'on allait
comprendre mon attitude. J'affirmais que la personnalité
seule faisait vivre une œuvre, je cherchais des hommes,
persuadé que toute toile qui ne contient pas un tempé-
rament, est une toile morte. Ne vous êtes-vous jamais
demandé dans quels galetas allaient dormir ces milliers
de tableaux qui passent par le Palais de l'Industrie ?
Je me moque bien de l'Ecole française! Je n'ai pas de
traditions, moi; je ne discute pas un pan de draperie,
l'attitude d'un membre, l'expression d'une physionomie.
Je ne saisis pas ce qu'on entend par un défaut ou
par une qualité. Je crois qu'une œuvre de maître est un
tout qui se tient, une expression d'un cœur et d'une
chair. Vous ne pouvez rien changer ; vous ne pouvez que
constater, étudier une face du génie humain, une ex-
pression humaine.
Mon éloge de M. Manet a tout gâté. On prétend que je
suis le prêtre d'une nouvelle religion. De quelle religion,
je vous prie? De celle qui a pour dieux tous les talents
indépendants et personnels? Oui, je suis de la religion
des libres manifestations de l'homme; oui, je ne m'em-
barrasse pas des milles restrictions de la science, et je
vais droit à la vie et à la vérité; oui, je donnerais mille
œuvres habiles et médiocres, pour une œuvre même
mauvaise, dans laquelle je croirais reconnaître un accent
nouveau et puissant.
J'ai défendu M. Manet, comme je défendrai dans ma
vie toute individualité franche qui sera attaquée. Je serai
— 70 —
toujours du parti des vaincus. ^11 y a une lutte évidente
entre les tempéraments indomptables et la foule. Je suis
pour les tempéraments, et j'attaque la foule.
Ainsi mon procès est jugé et je suis condamné.
J'ai commis Ténormité de ne pas admirer M. Dubuffe
après avoir admiré Courbet, l'énormité d'obéir à une
logique implacable.
J'ai eu la naïveté coupable de ne pouvoir avaler sans
écœurement les fadeurs de Tépoque, el d'exiger de la
puissance et de Toriginalilé dans une œuvre.
J'ai blasphémé en affirmant que toute l'histoire artisti-
que est là pour prouver que les tempéraments seuls do-
minent les âges, et que les toiles qui nous restent sont
des toiles vécues et senties.
J'ai commis l'horrible sacrilège de toucher d'une façon
peu respectueuse aux petites réputations du jour et de
leur prédire ime mort prochaine, un néant vaste et
éternel.
J'ai été hérétique en démolissant toutes les maigres
religions des coteries et en posant fermement la grande
religion artistique, celle qui dit à chaque peintre : «Ou-
vre tes yeux, voici la nature ; ouvre ton cœur, voici la
vie. »
J'ai montré une ignorance crasse, parce que je n'ai
pas partagé les opinions des critiques assermentés et que
j'ai négligé de parler du raccourci de ce torse, du mo-
delé de ce ventre, du dessin et de la couleur, des écoles
et des préceptes.
Je me suis conduit *en malhonnête homme, en mar-
chant droit au but, sans songer aux pauvres diables que
je pouvais écraser en chemin. Je voulais la vérité, et j'ai
eu tort de blesserJes gens pour aller jusqu'à elle.
En un mot, j'ai fait preuve de cruaule, de sollise,
d'ignorance, je me suis rendu coupable de sacrilège el
d'hérésie, parce que, las de mensonge el de médiocrité,
j'ai cherché des hommes dans la foule de ces enuuques.
Et voilà pourquoi je suis condamné !
APPENDICE
APPENDICE,
Je publie ici trois lettres prises au hasard
parmi celles que M. de Villemessant a reçues,
au sujet de mes articles. Je tiens à constater
quelle a été Tattitude de certains lecteurs à
mon égard, et devant quelles protestations j^ai
dû me retirer.
Ces lettres ne sauraient m^atteindre. Il me
plaît de les étaler largement pour montrer le
bienveillant accueil que Ton fait souvent à la
franchise et à la bonne foi. L^histoire est cu-
rieuse, n^est-ce pas? Je dis naïvement ce que
je pense, j^affirme mes croyances, je crois faire
une œuvre de justice et de vérité, et voilà des
hommes qui écrivent les lettres qu'ion va lire,
parce qu'ils ne pensent pas comme moi.
— 76 —
D'ailleurs, je ne veux ni commenter, ni dis-
cuter de pareilles pièces. Je ne veux que les
joindre à ce petit volume, pour qu'elles vivent
autant qu'il vivra.
Voici ces lettres.
- 77 .-
7 mai.
Monsieur,
En lisant ce malin le numéro de voire Journal, je me
suis demandé si vous en aviez enrore la direction, car j'ai
toujours remarqué que \ous r:\:oz des égards pour vos
abonnés.
Il n'en est pas de même anjuind'hui, et j'ai rarement
lu un article où l'auleur se moquât de ses lecteurs avec
l'aplomb de celui qui signe Claude dans votre journal.
Je ne sais quel lien de parenté ou d'amitié lie ce ré-
dacteur avec M. Manet, mais en vérité, c'est abuser étran-
gement de la patience de son public et se jouer imperti-
nemment de lui, que de déclarer ce barbouilleur le
premier peintre de l'époque.
C'est de plus une mauvaise action d'injurier les peintres
les plus aimés du public, pour faire de ces injures un
piédestal au misérable croûton dont on veut faire un
artiste.
La mission qu'il me semblait que vous vous étiez pro-
posée, en créant nos divers journaux, était d'éclairer vos
lecteurs en les amusant, et c'est ce qui en a fait le succès;
mais encore (luelqucs ariicles dans le goùl de celui que
je vous signale, et je ne doute pas que bon nombre de
vos lecteurs intelligents (et quoi qu'en pense M. Claude,
7.
— 78 —
il y en a encore quelques-uns) ne renonce à un journal
qui les traite ainsi en imbéciles et en crétins.
Je suis convaincu, monsieur, que cet article a passé
sans que vous en ayez eu connaissance, tous avez trop
de bon goût et d'affection pour vos abonnés, pour en avoir
autorisé l'impression.
Il est bien d'avoir, comme vous le dites souvent, une
tribune, où toutes les idées et les opinions puissent se
produiront, mais encore faut-il un frein au dévergondage
de l'esprit et de la mauvaise foi.
J'espère, monsieur, que vous ne verrez dans cette
lettre, que l'expression de sympathie qui m'attache à vos
publications ei mon désir qu'elles ne dégénèrent pas, en
donnant asile à des œuvres aussi insensées.
Recevez, monsieur, etc.
— 79 —
10 mai.
Monsieur le directeur,
Votre *M. Claude est exaspérant; — pas de théories,
pas de connaissances eslliéliques, pas de crilique rai-
sonnée; — un enthousiasme dans le vide et des injures,
c'est trop et trop peu.
Une seule qualité de M. Manet moti\e ces admirations
querelleuses, — Jl a du tempérament! Qu'est-ce que le
tempérament en peinture sans le dessin, la couleur, le
goût et la composition? Ce tempérament équivaut à la
vapeur qui pousse une machine. — Si la machine est
mauvaise et désemparée, la vapeur se perd sans pouvoir
lui donner d'impulsion.
M. Claude appelle poliment idiots ceux qui rient de-
vant les tableaux de M. Manet. — Mais pourquoi M. Ma-
net ne se conlente-L-il pas d'être médiore? Pourquoi est-
il vulgaire et grotesque? Pourquoi ses figures macuiées
semblent-elles sorlir d'un sac de charbon ? On regarde
avec pitié la laideur involontaire; comment ne pas rire
de la laideur prétentieuse?
Que les Allemands qui ne voient pas avec les yeux du
corps, mais a\ec de nébuleuses rêveries, gardent leur
sérieux devant une composition burlesque pour y elier-
cher je ne siis quelle philosophie mystérieuse; cila est
— 80 —
possible, quoiqne invraisemblable devant le chat de
M Manet. Mais en France, on voit vite et droit, on voit
ce qui est et non ce qui devrait être, et jamais un sys-
tème n'arrêtera notre vieux rire gaulois devant une réa-
lisation absurde.
De grâce, monsieur le directeur, épargnez à vos nom-
breux lecteurs une plus longue torture morale avec votre
M. Claude, — ou le désabonnement qui est une réalité,
commencera bien vile.
Un abonné bourgeois quoique artiste.
- 81 -
21 mai
Monsieur,
Je suis ici Torgane de plusieurs de vos lecleurs, en
Tenant tous remercier de l'impartialité dont vous avez
fait preuve dans VÈvénement, au sujet de M. Claude.
Vciià de la vraie et bonne justice. Cela nous console un
peu des articles que nous avons eu à subir.
-Aujourd'hui nous sommes prévenus que YÉvénement
n'accepte pas le rôle de vulgarisateur de l'art en blouse,
qu'il sait mettre sous les yeux de ses lecteurs les pièces
du procès qui doit se juger entre le talent quel qu'il
soit et à quelque genre qu'il appartienne , classique ou
non, styliste ou non styliste, et les inGrmes et les im-
puissants qui veulent gloriûer leurs Infirmités, nous
savons enfin que ces critiques de bas§e littérature ont
leurs raisons pour tympaniser les artistes de bas étage cl
nous connaissons ces Taisons. Sirriilia similibus.
Il n'en est pas moins pénible de voir traiter avec un
cynisme révoltant les artistes qui ont fait honneur au
pays, et d'entendre des messieurs pousser linconvenance
jusqu'à la gageure, en voulant nous imposer les turpi-
tudes de leurs camarades.
Je pense donc qu'il appartient à vous, M. de Ville-
messant qui êtes un homme de progrès, de relever un
peu. la critique en la con fiant désormais à des mains
lavées. Le moyen de relever les arts est avant tout de
relever, d'ennoblir, de ingentilir^ comme disent les
Italiens, la critique et de la rendre sérieuse. Renvoyez-
moi ces rédacteurs là au Hanneton ou à la Lune, Les opi-
nions sont libres, mais les expressions ne le sont pas,
partout du moins.
Je sais bien, pardonnez-moi cette petite disgression,
que notre époque est une époque rassasiée, et que les
tableaux qui ne sont que bons, se font tellement vulga-
riser par la production, que nous ne leur accordons pas
toujours l'attention qu'ils méritent : de là celte recherche
du nouveau à outrance. Mais parce que le bon a vieilli,
est-ce une raison pour le remplacer par le mauvais? Et
puis est-ce bien du nouveau que ces prétendus rénova-
teurs nous donnent? Quoi (je parle ici de ceux qui ont
du talent), quoi, dis-je, parce que ces messieurs sont en-
trés tout vifs dans la peau des maîtres espagnols, qu'ils
en imitent à s'y méprendre les noirs et les salissures pro-
duites par le temps et l'action chimique, ils se posent en
inventeurs et en peintres de l'avenir.
Mais tout ce qu'ils nous servent là est archi vieux, et à
tout prendre ce n'est que la piquette de Yelasquez et de
Ribeyra. Et puis, nulle invention, point d'idéal, ni même
d'idée, toujours, toujours le môme bonhomme. Voyez
Bonvin (qui a pourtant du talent, Tliérésa en a aussi),
voici quarante ans qu'il refait le même petit tableau, un
porteur d'eau, ou une cuisinière.
Je crois qu'il existe, dans les lettres comme dans les
arts, une certaine fraucmaçonnerie entre les pauvres dia-
bles des deux côlés, qui, sous prétexte de les démocra-
tiser, s'efforcent de rabaisser tout au niveau de leurigno -
— 83 —
rance et de leur incapacité. Ils tentent, et pour cause, de
jeter de la déconsidération sur les fortes études des
grands auteurs et des grands maîtres. Pour eux, tout
homme instruit est un fort en thème, expression qui, par
parenthèse, est familière à ceux qui ne sont forts en
rien.
Vous me pardonnerez, monsieur, la perte de lemps
que je vous cause, je n'ai pas la prétention de vous ap-
prendre ce que vous savez aussi bien que moi; mon but
est de vous montrer que le public se préoccupe un peu
de ces questions.
J'ai l'honneur d'être, monsieur, avec une parfaite con-
sidération votre très-humble serviteur.
A. P., peintre.
Il m^est bien permis maintenant d^imprimer
trois autres lettres qui m'ont été adressées.
Puisque j'ai publié les injures, je dois publier
les éloges.
— 87 —
14 mai,
Monsieur,
Lorsque j'ai lu, dans V Événement du 4 mai, Texposê
succinct de votre esthétique, j'ai éprouvé un grand désir
de vous féliciter. Enfin , me disais-je , voici un écrivain
qui parle de l'art d'une façon émue et violente, comme
il convient et comme il est difficile de le faire, dans ces
temps d'écaurement général et de pratique sans âme et
sans idée !
Après l'article d'hier de voire spirituel directeur, je ne
puis me dispenser de me joindre à cette minorité qui
vous apprécie, et je viens vous crier : Courage !
Vous vous êtes placé, j'en ai la conviction, sur le seul
terrain où l'art, qui se meurt, puisse retrouver des germes
de vie. N'est-ce pas. Monsieur, un signe du temps, que
de voir la majorité des artistes s'étonner et rire de propo-
sitions aussi élémentaires que celles que Ton vous re-
proche, et les traiter d'hérésies et d'excentricités de pa-
rade?
— 88 —
Ce que vous dites avec tant de raison et avec une si
grande justesse d'expression sur Tœuvre d'art, dont Vêle-
ment réel est la nature et Vêlement individuel^ l'homme,
constitue, en peu de mots, un critérium de jugement, qui
arrêterait les rieurs, s'ils pouvaient se voir eux-mêmes, et
comprendre ce qui les sépare à jamais des maîtres, dont
ils ne comprennent plus ni la constitution ni la vir-
tualité.
Qu'est-ce donc que le Concert champêtre du Louvre,
sinon un tempérament admirable et exclusif qui s'em-
pare de la nature et la force à chanter l'air qu'affectionne
Giorgionc?
Qu'est-ce que l'Anliope du Corrège? Que vous font ici
les récils de la fable? que vous importent le Satyre ou
Jupiter ?N'êtes-vous pas saisi d'abord par une individua-
lité violente el persuadée qui s'affirme et vous crie : Cor-
rège?
Et Paul Véronèse et Yélasquez, Ribeyra, Titien, Tinto-
rel? Tous, sauf les peintres de pi*atique de la décadence,
que sont-ils autre chose que des artistes émus qui for-
cent la nature à passer à travers le crible exclusif de leur
impression propre?
Il serait facile de démontrer cette vérité fondamentale,
que vous ayez émise d'une façon hardie et originale,
même avec l'œuvre de Raphaël, bien plus humain qu'on
ne le pense généralement, avec Michel-Ange, dont le
rêve se solidifie el s'incarne dans une sorte de cauchemar
des énergies de la nature.
Oui, Monsieur, vous avez raison : « Faites vrai, j'ap-
« plaudis, dites-vous; mais surtout faites individuel et
« vivant, j'applaudis plus fort. »
- 89 —
Voilà d'e'xcellentes paroles qu'il est triste de voir
bafouer par des sots qui croient que par cela seul
qu'on fait de la peinture habile avec le modèle, on
est forcément interprèle personnel et sincère de la na-
ture.
Aveugles, qui ne voient pas que messieurs tels et tels,
que je ne nomme pas et que vous connaissez bien, tous
admis par la foule comme les chefs de file de Tart mo-
derne, sont, la plupart, dépourvus de toute personnalité;
qu'ils sont tous cousins et de même san?, et que pas un
d'eux p.'ohJil à i.t vi:ix d'un tempérament absolu e! in-
domplaLle.Ce sont des peintres de décadence; et encore,
quelle décadence! Si c'était celle du Carrache, de Carie
Maratte et des Josépins !
Le dernier peintre français, passionné, vivant et indi-
viduel, a été Eugène Delacroix.
Que n'a-t-on pas dit et que ne dit-on pas d'absurde sur
ce grand homme! On lui a reproché, entre autres choses,
de n'avoir pas fait d'élèves. Je crois, comme vous le dites
en très bons termes, que chaque génie naît indépendant et,
ne laisse pas de disciples.
Delacroix n'en était pas moins l'unique et dernier
chaînon se rattachant par Géricault, Gros, David (autre
incompris). Poussin, Lesueur, aux individualités vivantes
et personnelles qui ont constitué l'art du seizième
siècle.
On en a fait une individualité isolée et sans tradition!
Et voi'à 011 nous en sommes!
Maintenant, il est évident que l'art est à la recherche
plus que jamais de la violente réalité.
Le dégoût justifié de la mièvrerie et des fadeurs d'une
8.
- 90 —
pratique qui va s'énervaut cle plus en plus et tend chaque
jour à disparaître sous rcnnui général du publie, pousse
quelques rares gens de cœur vers les rugosités âpres et
les laides mais virginales impressions que peut fournir la
nature.
Je les comprends et j'ai applaudi, quant à moi,
dès le Salon des Refusés, aux sincères et énergiques
efforts de M. Manet et de quelques autres. Cet artiste
est loin de m'avoir fait rire ; il m'a fait espérer beau-
coup.
Courage, donc, Monsieur, vo^re irritation et vos aspira-
tions émanent d'une noble source ; j'en suis, pour ce qui
me concerne, certain.
La tâche va donc se partager, on Ta voulu, entre vri3
et M. Pelioquet, qui, à l'époque du Salon des RefusJs,
prit avec une volonté et un talent dont il faut lui savoir
gré, la d('fense de la liberté dans l'art. Il nous prédit, à
celte époque, la maîtrise future de M. Briguiboul ; cet pv-
tiste a bien trompé son prophète.
Votre critique se trompera moins, j'en suis sûr; elle
est extrême, elle a raison de l'être, et vos principes s'op-
posent à ce qu'elle soit autre.
Si une personnalité ne s'affirme pas d'une façon nette et
vivante, vous êtes forcé de vous taire ou de rejeter
l'œuvre et l'auteur dans la foule énorme et discipliné des
faiseurs dont vous ne pouvez parler qu'en les critiquant.
Armé de ce critérium, il vous restera évidemment peu à
dire, mais vous n'aurez pas rendu à l'art moderne ce cruel
service de faire de la critique inintelligente, éclectique et
fusionnée.
Cette critique peut se vanter d'être au moins autant que
— 9t -
la contagion académiqiio, une des causes qui ont contri-
bué à pourrir sur plante l'art européen et l'art français
en particulier.
Veuillez recevoir, monsieur, l'assurance de ma consi-
dération la plus distinguée,
Évarisle de Valérie.
93
3 mai.
Monsieur,
C'est vraiment curieux de résumer Tinconséquence qui
dirige le monde artiste depuis dix-huit ans.
En ^848, exposition libre; — en 1849, jury nommé à
l'élection par tous les artistes exposants; — après -1851,
jury composé d'une commission de membres de rinslilul
nommés par l'Empereur. Plus tard, exaspération des
artistes, dont les murmures montent jusqu'aux 'pieds du
trône. Alors on revient au jury électif, mais élu seulement
par Varislocratie artistique des décorés et médaillés, avec
adjonction d'un quart de membres amateurs nommés par
l'administration. Création du salon des refusés (idée neuve
et juste, mais ce n'est pas fini, hélas!). Deux ans après,
suppression de l'exposition des refusés^ qui taquinait le
jury et l'administration; car si on faisait graud bruit des
tableaux ridicules, il y avait toujours un certain nombre
d'œuvres que le public eut voulu voir dans les admis, et
comme le grand principe d'autorité n'aime pas le con-
trôle, on a dit aux refusés : « Venez chercher vos ta-
bleaux. » Enfin, maintenant, on revient aux vieilles tra-
ditions de sévérités 'exagérées, jusqu'à ce que nous reve-
nions aux expositions libres.
— 94 ~
Quel gâchis! et quand dégagerons-nous Vinconnu^ comme
disait Proudhon.
En attendant, voici ce qu'il y a de plus rationnel :
Premièrement : Le jury doit être nommé par ions les
exposants^ car, comme vous le dites avec raison dans
votre article du 27 avril, il est absurde que le jury soit
élu précisément par ceux qui sont en dehors de son
action. La nomination du jury n'a d'importance que pour
ceux qui peuvent être refusés; eux seuls doivent donc
désigner les artistes qui leur sont sympathiques et dont
ils sont résignés à supporter le jugement.
Secondement : Tous nos jurys jusqu'à présent ont mal
compris leur mandat et outreprassé leurs pouvoirs. Que
leur demande-t-on? Ce n'est pas de rejeter les œuvres
obscènes ou politiques; l'administration se chargera très-
bien de ce soin. On leur demande simplement d'éloigner
de l'Exposition les tableaux ou sculptures qui, par leur
trop grande infériorité, compromettraient la dignité du
Salon. Aussitôt qu'un artiste est arrivé à la position de
membre du jury, il n'y voit qu'une occasion de satisfaire
ses antipathies et ses rancunes. Le réaliste exclue le fan-
taisiste., qui exclue le primitifs qui exclue le coloriste, etc.
Les membres du jury ne doivent pas perdre de vue qu'il
leur faut faire abstraction complète de leurs goûts et de
leurs systèmes personnels. Comme le jury de cour d'as-
sises, ils doivent se prononcer sans haine et sans crainte.
Le président devrait, avant d'exclure une œuvre, dire :
« Messieurs, en votre âme et conscience, ce tableau est-il
assez mauvais, assez ridicule pour compromettre la dignité
de l'Exposition^ » et les jurés répondre avec conscience et
gravité, car c'est peut-être un arrêt de mo^t qu'ils pronon-
cent.
— 95 —
Troisièmement : Que font les amateurs dahs le jury du
salon? Ils n'y font qu'user de leur influence en faveur
des idées étroites et bourgeoises. N'aimant que deux ou
trois maîtres anciens ou modernes, ils sont hostiles à
toutes les nouveautés et tentatives hardies ou originales.
Leur pouvoir sur leurs collègues-artistes est considérable.
Les sommités artistiques, impitoyables entre elles, sont
très-souples vis à vis des grands seigneurs. On me par-
iait d'un noble et riche amateur faisant partie du jury,
qui, à chaque tableau un peu étrange qu'on lui présen-
tait, disait : « En voilà encore un que je n'achèterai jamais
pour ma galerie! » Les collègues-artistes qui avaient, eux,
la prétention d'orner la galerie de monseigneur, di-
saient: « Certainement \ certainement] » et le tableau était
exclu.
A. un point de vue élevé, l'exposition des Beaux arts
est une exhibition faite pour montrer le niveau de l'art et
les nouvelles voies que les chercheurs ont découvertes.
Les amateurs n'y comprennent rien. Ils ne se risquent à
couvrir un tableau de billets de banque, que lorsque le
monde artiste a fait les réputations ; car l'amateur riche,
ne s'y connaissant pas, n'ose risquer son argent sur une
signature inconnue. Il veut montrer avec orgueil un De-
camps ou un Marilhat, lorsqu'on se les arrache dans les
ventes publiques; mais il n'aurait pas donné cent sous
de ces mêmes tableaux avant la réputation de leurs au-
teurs.
C'est pourquoi je suis pour les expositions libres^ car le
jury, consciencieux, conciliant, bienveillant, juste, mais
pas sévère, est impossible à former avec des artistes. Je
dis plus, je ne comprendrai jamais que des artistes qui,
eux aussi, ont mangé de la vache enragée^ puissent ac-
— 96 —
cepter ce rôle de bourreaux, et jeter leurs confrères, sou-
vent leurs anciens camarades, dans la misère et le dé-
couragement.
Antoine Timok.
^ 97 —
20 mai,
Monsieur,
Je lis à l'instant l'article de VÊvénement par lequel vous
terminez la revue du Salon de celte année, et je vous
écris sous Timpression de rémolion ressentie. C'est mon
excuse.
Ah monsieur! quelle lâche vous vous êtes donnéel
Montrer à chacun ses verrues, placer Tart au-dessus des
considérations de colorie, d'écoles et de personnes, fron-
der les préjugés établis, les idées reçues, parler avec sa
conscience et jeter le cri d'alarme I... Vous passeriez votre
existence à le chercher que vous ne trouveriez pas de
moyen plus simple et plus prompt pour vous faire un
vaste corlége d'ennemis!
D'où sortez-vous donc, monsieur? Par ces temps de
critique bénigne, par ces temps de tolérance apathique,
il est curieux vraiment de voir un homme assez auda-
cieux pour s'opposer, tout seul, à l'irruption profane du
médiocre et du maniéré dans l'enceinte sacrée du beau
et du vrai.
C'est curieux, mais c'est un beau spectacle. Encore
meurtri par les coups reçus dans la lutte, vous vous
écriez : « Je suis condamné! » Oui sans doute, vous sé-
rie? condamné si vous aviez pour juge celte foule de Pn-
9
— 98 —
nurge pour qui tout est beau, pour qui tout est bien, et
que la moindre secousse imprimée à sa torpeur plonge
dans des terreurs paniques; mais vous avez pour vous les
gens qui pensent qu'il nous faut sortir à tout prix du
marasme littéraire et artistique dans lequel nous végétons.
Monsieur, je ne suis encore qu'un inconnu, mais je
sers la même cause que vous et je regrette l'obscurité
qui m'empêche de vous serrer la main.
Maurice C.
TABLE DES MATIERES.
Pages.
A mon ami Paul Cézanne 7
Mon Salon. — Le Jury 17
Le Jury (Suite) 25
Le moment artistique 31
M. Manet 39
Les Réalistes du Salon 49
Les Chutes 57
Adieux d'un Critique d'Art 65
Appendice 75
EXTRAIT
DU CATALOGUE
DE LA
LIBRAIRIE CENTRALE
24, boulevard des Italiens
L AMIE DE LA REINE, parJcLEs de Saint-Félix, ^ vol.
j<r. ia-^8 Jésus 3
L'AMOUR BOSSU, par He>ri de Kock. \ vol. grand
in-'fS Jésus, orné d'une eau-forle par L. Flameng. 3
L'AMOUR EST UN ENFANT, opérette en un acte de
Bernard Lopez. Grand in-18 jésus ^
L'AN 5865, ou Paris dans quatre riiiÇle ons, parle
docteur H. Mettais. ^ vol. grand in-18 Jésus. . , 3
L'ANNUAIRE DE LA CHARITÉ, contenant un précis
de Thistoireet du rr-gleraent de tous les établisse-
ments de bienfaisance et des Sociétés de secours
de Paris, et plus de six raille noms et adresses des
fondateurs, administrateurs et sociétaires, par
M. ILD. Koepflln. 1 vol. grand in-i8 Jésus .... 3
L'ANTI-PAPE ET L'ANTI-GUIZOT, protestation de
l'esprit moderne contre l'Encyclique et contre les
Méditations de M. Guizot , par un solitaire de
Montmartre. ^ vol. in-8 3
9-
AVEZ-YOUS BESOIN ù'ARGElNT? par Pjerre Vérox.
i Tol. grand in-i 8 Jésus 3 »
LA BELLE FERONMERE , par Albert BlAxNqbet.
^ voL gr. in-18 jésus, orné d'un portrait de la Fé-
ronuière 3 w
BIVOUACS DE VERA-CRUZ A MEXICO, par un
ZorAYE. ^ YoL grand 18 jésus, précédé d'une pré-
face, par Aurélien Scholl 3 )>
LA BOUGIE ROSE, par Ch. Joliet. ^ yoI. grand in-^8
jésus 4 50
LES BRACONNIERS DU NOUVEAU MONDE, par
Henry Gaillard, rédacteur du Journaf des chas-
seurs. ■{ Yol. grand in-18 jésus 3 »
LES BUVEURS D'ABSINTHE, par Octave Féré et
Jules Cabvakn. I vol. grand in-18 jésus 3 »
CAMPAGNES ET STATIONS SUR LES COTES DE
L'AMERIQUE DU NORD, par E. du Hailly. I vol.
grflnd in-18 jésus 3 »
CES PETITES DAMES DE THEATRE. I yoI. gr. in-32
jésus, orné d'une phoîograpijie ^ 50
CE QUR JE PENSE D'HENRIETTE MARECHAL, de
sa préface cl du théâtre de mon temps, par Pipe-
en-Bois. Broch. grand in-8 -I »
LA CHAMBRE DES AMOURS, par Paul Féyal. ^ yoI.
grand in-18 jésus 3 »
LES CHASSES SAUVAGES DE LTNDE, récits pleins
d intérêt et de vérité, pui GERMAirs de LAG^y. j yoI.
grand iii-18 jCôUs (2® êcit/iO/() 3 »
LES COCOTTES. \ Yok grand in-32 jésus, orné
dune photographie » . . . 1 50
LES COMEDIENNES ADOREES, par Emile Gaboriau ;
études anecdotiques sur les actrices françaises les
plus célèbres, i vol. gr. in-i8 jésus, orné dun
portrait de Sophie Ari>oijld. gravé uur acier ... 3 »
- 3 -
CONTES ET CHRONIQUES DLS EAUX ET DES
BAINS DE WER, par Jdles CAïïVAm. << v. gr. in-18
Jésus 2
LES COTILLONS CÉLÈBRES , par Emile Gaboriatj ;
études historiques, satiriques et anecdotiques sur
les maîtresses des rois de France, depuis les épo-
ques légendaires jusqu'à la fin du règne de
Louis XY. 2 Yolumes grand in-^8 jésus, ornés de
deux portraits gravés sur acier (4^ édition 6
L'immense succès obtenu par ce livre, qui met éner-
giquement en relief l'influeûce de la galanterie sur les
destinées de la monarchie en France, le classe au nom-
bre des ouvrages dignes de figurer dans toutes les bi-
bliothèques historiques.
LE COUP DU .LAPIN, par A. de Lustières et Yizen-
TiM. Vaudeville en -i acte -1
LES COUSINES DE SATAN, par Jules de SAI^T-
FÉLix. ^ vol. gr. in--18jésus (2^ édition) . . . , , 3
LES DAMES DE RISQUENMLLE, par Aurélien
ScHOLL. 'I vol. gr. in-'IS Jésus 3
LA DERNIÈRE NUIT D'UNE VEUVE, comédie en
^ acte, par de Najac \
LES DRAMES DU MARIAGE, par Be.nj. Gastineau.
^ vol. gr. in-18 Jésus 2
UN DRAME ÉLECTORAL, parL. M. Gag>eur. ^ vol.
^ vol. gr. in-18 Jésus 3
L'ÉCOLE DES LOUPS, par Octave Féré et Jules
Catjvain. -I fort volume grand in-18 Jésus 3
L'ÉGLISE UNIE A L'ÉTAT, revue d'antiques, par
Achille Delobme. ^ vol. in-8 o
L'ETE d'UN FANTAISISTE, coméd.-vaudev. en un
acte, par Ed. Brisebarre. -1 vol. gr. in--! 8 Jésus. . . ^
U^E FANTASIA, opérette en -1 acte, jouée au théâtre
des Variétés, paroles de M. Nijitter, musique de
M. Hervé i
LES FAUCHEURS POLONAIS, par Hemu Augu.
\ YoL grand iri-^8 Jésus 4
UNE FEMME DE COEUR, par Aug. M\rc Bayetjx.
^ fort YoL grand in-18 Jésus (2« édition). .... 3
UNE FEMME HORS LIGNE, par L. M. Gagneur.
^ ^ol. grand in-^8 jésus 3
LA FOIRE AUX GROTESQUES, YaudeYille en 3 ta-
bleaux, par H. RocHEFORT et Pierre Véron. ... ^
LA FOIRE AUX GROTESQUES, par Pierre Véro>.
^ YoL gr. in- 18 Jésus 3
LES FRANÇAIS DE LA DÉCADENCE, par H. Roche-
FOUT. ^ Yol. grand in--] 8 Jésus 3
LA GAMME DES AMOURS, par Oscar Comettaxt.
^ YoL grand in-^8 jésus 3
LA GIBECIÈRE D'UN BRACONNIER, récils de chasse
et de chasseurs, par Germain de Lagny. ^ yoL gr.
in-'l8 Jésus 3
LES GRANDES AMOUREUSES AU COUVENT, par
LaNiNai-Rolland ; éludes anecdoliques sur les hé-
roïnes repenties de la galanterie. -I vol. gr. in-18
Jésus, orné d'un beau portrait gravé sur acier. . . 3
HELOISE PARANQUET, pièce en 4 actes, par Armand
Durantin, 1 Yol. grand in-18 jésus 2
LES HEURES PARISIENNES, par Alfred Delvau.
1 beau vol. imprime en caractères elzeviriens, orné
de 25 eaux-forles de Bénassit, tirées hors texte. . 6
II a été tiré un petit nombre d'exemplaires sur papier
vergé de Hol.ande, gravures sur Chine 12
L'HOMME AU DRAP MORTUAIRE ou les Paroles
d'un maudit, parlabbéA***; protestation éloquente
contre le célibat des prêtres. I vol in-16 .... ^
LA JEUNESSL: AMOUREUSE, par J. Diboys. 1 vol.
gr. in-18 3
LA JEINESSE DE JESUS, jpar Kirchen. 1 vol. in-8. 5
LES JOUEUSES, par Mlle Maximum. 4 vol. gr. in-^8
iésus 3
LEGENDAIRE DE LA NOBLESSE DE FRANCE,
devises, cris de guerre, etc., des familles souve-
raines, princières et nobles, au nombre de plus de
six mille, recueillis et mis en ordre par h comte
0. Bessasde la Mégie, i vol. gr. in-8 -J5
— Papier vergé de Hollande 25
LA LEGENDE DE L'HOMME ETERNEL, par A. Du-
RA.NTiN. -I vol. gr. in- 18 3
LETTRES D'AMOUR DE MIRABEAU ET DE SOPHIE
MONNIER, précédées d'une notice par M. Mario
Proth, el accompagnées d'un beau portrait de So-
phie, gravé sur acier d'après un dessin du temps.
4 vol. gr. in-IS Jésus. (Nouvelle édition.) 3
LOUISA ou LES DOULEURS DUNE FILLE DE JOIE,
par l'abbé TiBERGE. ^ vol. gr. in-I8jésus 3
LOUISE DE GUZMAN, par Octave Féré et De Salnt-
YvEs. -1 vol. gr. in-18 Jésus 3
UNE LUCRÈCE DE CE TEMPS-CI, par Valéry Ver-
mer. 1 vol. gr. in-18 3
LES MAL-VIVANTS, épisode du brigandage contem-
porain en Italie, par Adrien Paul. H vol. gr. in-18
Jésus 3
LES MARIAGES DE PROVINCE, par J. Duboys. -I vol.
gr. in-18 jésus 3
LE MARIAGE DU VICAIRE, par Pierre Lefranc. ^ vol.
gr. in-18 3
LES MAUVAIS COTÉS DE LA VIE, par Auguste Luchet.
^ vol. gr. in-18 Jésus 3
MÉMOIRES DU BOULEVARD, par Alberv Wolff.
i vol. gr. in--l8 jésus 3
MÉMOIRES D'UN CHASSEUR DE RENARDS (scènes
de la vie anglaise), par A. de Vaubicourt, ^ vol. gr.
ia-18 3
MERYEM, scènes de la vie algérienne, par Camille
Périer. ^ vol. gr. in-<8 3
MES CHASSES DANS LES DEUX MONDES,par Henry
Gaillard. 1 vol. gr. in-fS. 3
MONSIEUR PERSONNE, par Pierre Véron. -I vol. gr.
in-^ 8 Jésus 3
LA MORT DE JÉSUS, tradition essénienne, traduite
de rallemand par Daimel Ramée (4^ édition^ revue
et corrigée). ^ vol. in-S 5
Cet ouvrage excessivement cHrieux a eu plus de
quinze éditions en Allemagne et s'est vendu à plus de
100 000 exemplaires.
LES MORTS VIOLENTES, par Etjgèine Gru. ^ fort vol.
gr. in-^S Jésus 3
LA MYE DU ROI, par Albert Blanquet. 1 vol. grand
in-18 Jésus 3
MYSTÉRIEUSES; nouvelles, par Aimr Giron. -I vol.
gr. in-l8 jésus. . . . .' 3
LE NID, corn, en -1 acte, par G. Bondo". -I vol. gr.
in-^ 8 Jésus. i
LES OISEAUX DECLICHY,par JuLESDESAmT-FÉLix.
-J vol. gr. in-18 jésus 3
OU EST LA FEMME ? par Ad. Dupeuty. -I vol. gr. inH 8
jésus, précédé d'une préface, par Jules Noruc. . . 3
LE PALAIS DE SAINT-CLOUD. Histoire anccdotique
et description pittoresque des appartements, écrite
d'après l'ordre de l'Empereur, par MM. Philippe
de Saiim-Albii>-, bibliotliécaire de S. M. l'Impéra-
trice, et Arma>d Duraml\. 1 vol. in-8 ,. 6
— Le même ouvrage, format inH8 jésus, également
accompagné du plan 3
LA PANTOMIME DE L'AVOCAT, par Champfleury,
pantomine en 1 acte 50
PAR DEVANT M. LE MAIRE, par Pierre Véron*.
^ vol. gr. in-18 jésus 3
LES PARIAS DE L'AMOUR, par C. A. Damezeuil. ^ v*.
gr. in-18 jésus 2
PARIS-ALBUM, historique et monumental, par Léo
Lespès et Ch. Bertrand, 1 vol. in-8, illustré de
220 gravures sur bois. , 3
PARIS AU GAZ, par Julien Lemer. 1 vol. gr. in-'IS. 3 »
PARIS AVANT LE DÉLUGE, par le docteur H. Met-
tais. -1 vol. gr. in-18 jésus 3 »
PARIS PARTOUT, par Nérée Desarbres. ^ vol. gr.
in-18 Jésus 2 »
LE PAVE DE PARIS, par Pierre Véron. ^ vol. gr. ia-18
Jésus (2e édition) 3 »
LES PETITES CAUSES DE NOS MALADIES, par le
docteur Ed. Féraud. -I fort vol. gr. in-18 jésus. . o »
LES PETITES COMÉDIES DE L'AMOUR, par made-
moiselle Léonide Lebl.\kc. \ vol. gr. in-18 jésus,
accompagné d'un autographe de l'auteur. .... 3 »
LES PETITES COMÉDIES DE L'AMOUR, opérette en
1 acte, par MM. Dutertre et Lejignmer, musique
de M. A. DE Groot. \ vol. gr. in-J8 jésus 1 »
LES PETITS-FILS DE TARTUFE, par Honoré Pon- 3 »
Tois. i vol. gr. in-i8jésus 3 »
LES PIEDS QUI R'MUENT. I vol. gr. in-32 jésus,
orné d'une photographie* \ oO
LES PLAIES LÉGALES, par Alex. Laya, ^ vol. in-8. 5 »
LES PROSCRITS DE SICILE, par Emmanuel Gonzalès.
i vol. gr. in-^8 jésus 3 »
LA PUDEUR, par Paul Perret, ^ vol. gr. inH8 jésus 3 »
LES QUATRE COINS DE PARIS, par Leo Lespès (Ti-
mothée Trimm). 4 vol. gr. in-^8 jésus (2^ édition.), 3 »
LA RÉVOLUTION DU JOURNALISME, par Arnould
Fremy. ^ vol. in-8. . 3 »
DES RÉVOLUTIONS DU MEXIQUE, par Gabriel
Ferry. 4 vol. gr. in-18 jésus, précédé d'une pré-
face, par George Sand 3 »
LE ROI VICTOR-EMMANUEL, par Ch. de la Varekne.
^ vol. gr. in-^8 jésus, orné d'un beau portrait du
roi dltalie, photographié par Caiuat. 3 50
LE ROMAN DE LA FEMME A RARBE, par Pierre Vé-
ron. i vol. gr. in-18 (3® édition). 3 n
- 8 -
LE ROMAN DU MARI, par Amédée Achard. 4 vol. gr.
in-^8 Jésus (2« edifîon) 2 »
ROMANS ENFANTINS, par Paul Féval. \ vol. grand
in-18 Jésus, illustré de gravures sur bois et orné
de ^13 eaux-fortes de L. Flameng et d'un beau por-
trait de l'auteur, photographié par Franck, broché. i5 »
SAUVÉ I MON DIEU! vaudeville en 4 acte de H. Ro-
CHEFORT et Pierre Véron. ^ vol. in-^8 -1 »
SEPT ANS A L'OPÉRA, souvenirs anecdotiques d'un
secrétaire particulier, par Nérée Desarbres. \ joli
volume in-^ 8, orné de nombreuses vignettes. . . 3 »
LA SOEUR AÎNÉE, par Aug. Marc-Bayeux. ^ vol. gr.
inH8jésus 3 »
SOUVENIRS D'UN MÉDECIN DE PARIS, par le doc-
teur Mettais. ^ vol. gr. in-18 Jésus . 3 »
LES TABLEAUX VIVANTS, par Léo Lespès (Timothée
Trimm). 1 vol. gr. in-18 jésus 3 »
TARTUFE SPIRITE, par Alfred de Gaston ; roman
de mœurs contemporaines. 1 vol. in-8 5 »
LE TREIZIÈME HUSSARDS, par Emile Gaboriau. 4 v.
gr. in-^8 Jésus (-12^ édition) 3 »
LA VACHE ENRAGÉE, pièce en 3 actes et 8 tableaux,
par Ed. Brisebarre. Brochure in-8 » 50
LES VENDEURS DE BONNE AVENTURE, par Alfred
DE Gaston. -1 vol. gr. in-18 jésus 3 »>
LA VEUVE DE SOLOGNE. -Histoire d'un couteau de
chasse^ par le vicomte Ponson du Terrail. ^ vol. gr.
in-18 jésus 3 »
LA VISITE DU MATIN, com. en ] acte, par Ed. Bri-
sebarre 4 »
VOYAGE AUTOUR D'UNE VOLIÈRE, par A. Lacombe,
contenant les précédés les meilleurs pour l'élève
et la reproduction des oiseaux. 1 vol. gr. in-18,
orné de 5 eaux-fortes 5 »
Paris. — Tjp. Gaittet, rue da Jardine', i.
470712O
La Bibliothèque
université d'Ottawa
Echéance
The Library
University of Ottaw
Date due
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CE N 5067
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COC ZOLA, EMILE.
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MON SALON