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Full text of "Mon salon : Augmenté d'une dédicace et d'un appendice"

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I 


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University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/monsalonaugmentOOzola 


EMILE    ZOLA 


MON  SALON 


AUGMENTE 


D'UNE  DÉDICACE  ET  D'UN  APPENDICE 


Ce  que  je  cherche  avant  tout 
dans  un  tableau,  c'est  un  ho.nme, 
et  non  pas  un  tableau. 


PARIS 

LIBRAIRIE     CENTRALE 
24 ,  BOULEVARD  DES  ITALIENS 

1866 


I  4579.  Zola  (Emile).  Mon  Salon, augmen- 

1  to  d'uiiô  iié  Ucaoe  et  (i'ua  appeliclice. 

I  Paris.  Librairie  centrale,  18J6,  1  val . 

^  in-1-2,  br.                                      8  fr. 

EJiiioii  oi'^iagle.  Raje. 

1607.  Zola  (Emile).  Mon  Salon.  Aug-  ^ 

menlé  d'une  Dédicace   et  d'un  Ap-  .^ 

pendice.  P.,  186(3,  in-12,  cart.,    non   ■'; 

rogné.  (Couv.  conservée).        10  fr.  ^ 

Edition  originale.  nP' 


J71.  Zola  (Emile).    Mon    salon,    aug- 
menlé  d'une  dédicace  et  d'un  appen- 
'Vj      dice.  Paris,  1866,  iu-i2,  br.  8  fr. 

Rare. 


EMILE     ZOLA 


MON  SALON 


PARIS.  —  IMPREMERIE  GAITTET 

RUE   DU   JARDINET,    1 


EMILE    ZOLA\i^ 


MON  SALON 


AUGMENTE 


D'UNE  DÉDICACE  ET  D'UN  APPENDICE 


Ce  que  je  cherche  avant  tout 
dans  un  tableau,  c'est  un  homme, 
et  non  pas  un  tableau. 


PARIS 

LIBRAIRIE     CENTRALE 

24,  BOULEVARD  DES  ITALIENS 


1866 


A/ 
.  14. 


MON  AMI  PAUL  CEZANNE 


MON  AMI   PAUL  CÉZANNE 


'  J'éprouve  une  joie  profonde,  mon  ami,  à 
m'entretenir  seul  à  seul  avec  toi.  Tu  ne  sau- 
rais croire  combien  j'ai  souffert  pendant  cette 
querelle  que  je  viens  d'avoir  avec  la  foule, 
avec  des  inconnus;  je  me  sentais  si  peu  com- 
pris, je  devinais  une  telle  haine  autour  de  moi, 
que  souvent  le  découragement  me  faisait  tom- 
ber la  plume  de  la  main. 

Je  puis  aujourd'hui  me  donner  la  volupté 
intime  d'une  de  ces  bonnes  causeries  que 
nous  avons  depuis  dix  ans  ensemble.  C'est 
pour  toi  seul  que  j'écris  ces  quelques  pages, 
je  sais  que  tu  les  liras  avec  ton  cœur,  et  que, 
demain,  tu  m'aimeras  plus  affectueusement. 


—  8  — 

Imagine-toi  que  nous  sommes  seuls,  dans 
quelque  coin  perdu,  en  dehors  de  toute  lutte, 
et  que  nous  causons  en  vieux  amis  qui  se  con- 
naissent jusqu'au  cœur  et  qui  se  comprennent 
sur  un  simple  regard. 

Il  y  a  dix  ans  que  nous  parlons  arts  et  litté- 
rature. Nous  avons  souvent  habité  ensemble, 
—  te  souviens-tu?  —  et  souvent  le  jour  nous 
a  surpris,  discutant  encore,  fouillant  le  passé, 
interrogeant  le  présent,  tâchant  de  trouver  la 
vérité  et  de  nous  créer  une  religion  infaillible 
et  complète.  Nous  avons  remué  des  tas  ef- 
froyables d'idées,  nous  avons  examiné  et  re- 
jeté tous  les  systèmes,  et,  après  un  si  rude 
labeur,  nous  nous  sommes  dit  qu'en  dehors  de 
la  vie  puissante  et  individuelle,  il  n'y  avait 
que  mensonge  et  sottise. 

Heureux  ceux  qui  ont  des  souvenirs  !  Je  te 
vois  dans  ma  vie  comme  ce  pâle  jeune  homme 
dont  parle  Musset.  Tu  es  toute  ma  jeunesse  ; 
je  te  retrouve  mêlé  à  chacune  de  mes  joies,  à 
chacune  de  mes  souffrances.  Nos  esprits,  dans 
leur  fraternité,  se  sont  développés  côte  à  côte, 
et,  aujourd'hui,  au  jour  du  début,  nous  avons 
foi  en  nous,  parce  que  nous  avons  pénétré  nos 
cœurs  et  nos  chairs. 

Nous  vivions  dans  notre  ombre,  isolés,  peu 


—  9  - 

sociables,  nous  plaisant  dans  nos  pensées. 
Nous  nous  sentions  perdus  au  milieu  de  la  foule 
complaisante  et  légère.  Nous  chercliions  des 
hommes  en  toutes  choses,  nous  ^t)ulions  dans 
chaque  œuvre,  tableau  ou  poëme,  trouver  un 
accent  personnel.  Nous  affirmions  que  les  maî- 
tres, les  génies,  sont  des  créateurs  qui,  chacun, 
ont  créé  un  monde  de  toutes  pièces,  et  nous 
refusions  les  disciples,  les  impuissants,  ceux 
dont  le  métier  est  de  voler  çà  et  là  quelques 
bribes  d^'originalité. 

Sais-tu  que  nous  étions  des  révolutionnaires 
sans  le  savoir.  Je  viens  de  pouvoir  dire  tout 
haut  ce  que  nous  avons  dit  tout  bas  pendant 
dix  ans.  Le  bruit  de  la  querelle  est  allé  jusqu'à 
toi,  n^est-ce  pas?  et  tu  as  vu  le  bel  accueil  que 
Ton  a  fait  à  nos  pauvres  chères  pensées.  Ah  ! 
les  malheureux  enfants,  qui  vivaient  saine- 
ment en  pleine  Provence,  sous  le  large  soleil, 
et  qui  couvaient  une  telle  folie  et  une  telle 
mauvaise  foi  ! 

Car,  —  tu  ignorais  sans  doute,  —  je  suis 
un  homme  de  mauvaise  foi.  Le  public  a  déjà 
commandé  plusieurs  douzaines  de  camisoles 
de  force  pour  me  conduire  à  Gharenton.  Je  ne 
loue  que  mes  parents  et  mes  amis,  je  suis  un 
idiot  et  un  méchant,  je  cherche  le  scandale. 


—  40  - 

Lis  lés  quelques  lettres  qui  terminent  ce  petit 
volume. 

0  mes  pauvres  chères  pensées,  cjue  ne  vous 
ai-je  toujours  cachées  !  Nous  étions  heureux 
là-bas,  je  n'avais  que  faire  de  vous  montrer 
ainsi  dans  votre  sainte  et  belle  nudité.  Vous 
voilà  souillées  de  la  boue  qu'on  a  jetée  sur 
vous. 

Gela  fait  pitié,  mon  ami,  et  cela  est  fort 
triste.  L'histoire  sera  donc  toujours  la  même? 
Il  faudra  donctoujours  parler  comme  les  autres, 
ou  se  taire?  Te  rappelles-tu  nos  longues  con- 
versations? Nous  disions  que  la  moindre  véri- 
té nouvelle  ne  pouvait  se  montrer  sans  exciter 
des  colères  et  des  huées.  Et  voilà  qu'on  me 
siffle  et  qu'on  m'injurie  à  mon  tour. 

Vous  autres  peintres,  vous  êtes  bien  plus  ir- 
ritables que  nous  autres  écrivains.  J'ai  dit  fran- 
chement mon  avis  sur  les  médiocres  et  les 
mauvais  li^nres,  et  le  monde  littéraire  a  accepté 
mes  arrêts  sans  trop  se  fâcher.  Mais  les  artistes 
ont  la  peau  plus  tendre.  Je  n'ai puposer  le  doigt 
sur  eux  sans  qu'ils  se  mettent  à  crier  de  dou- 
leur. Il  y  a  eu  émeute.  Certains  bons  garçons 
me  plaignent  et  s'inquiètent  des  haines  que  je 
me  suis  attirées;  ils  craignent,  je  crois,  qu'on 
ne  m'égorge  dans  quelque  carrefour. 


—  11  — 

Et  pourtant  je  n'ai  dit  que  mon  opinion,  tout 
naïvement.  Je  crois  avoir  été  bien  moins  révo- 
lutionnaire qu'un  critique  d'art  de  ma  connais- 
sance qui  affirmait  dernièrement  à  ses  trois 
cent  mille  lecteurs  que  M.  Baudry  était  le  pre- 
mier peintre  de  l'époque.  Jamais  je  n'ai  for- 
mulé une  pareille  monstruosité.  Un  instant,  j'ai 
craint  pour  ce  critique  d'art,  j'ai  tremblé  qu'on 
n'allât  l'assassiner  dans  son  lit  pour  le  punir 
d'un  tel  excès  de  zèle.  On  m'apprend  qu'il  se 
porte  à  ravir.  Moi,  je  suis  plongé  dans  le  plus 
profond  étonnement. 

Il  paraît  qu'il  -y  a  des  ser^dces  qu'on  peut 
rendre  et  des  vérités  qu'on  ne  peut  dire. 

Nous  avons  tous  deux,  mon  ami,  des  remer- 
ciements à  faire  à  l'homme  courageux  et  intel- 
ligent qui  a  hébergé  pendant  quelques  joius 
nos  pauvres  chères  pensées.  Je  veux  parler  de 
M.  de  Villemessant.  Je  ne  trouverais  sans  doute 
jamais  à  Paris  un  second  journal  qui  tolère  ma 
façon  de  voir  en  matière  artistique.  M.  de  Vil- 
lemessant seul  a  osé  permettre  ma  liberté  de 
paroles  et  d'allures.  Il  m'a  maintenu  tant  qu'il 
Ta  pu,  contre  la  colère  toute  puissante  du  peu- 
ple, et,  au  dernier  instant,  lorsqu'on  demandait 
mon  abdication  à  grands  cris,  il  a  voulu  que 
mon  honneur  fût  sauf  et  il  m'a  encore  accordé 


-  12  - 

trois  articles.  Je  vieillis,  et  j'éprouve  le  besoin 
de  remercier  M.  de Villemessant  de  sa  conduite 
digne  et  toute  naturelle. 

Donc,  la  campagne  est  finie,  et,  pour  le  pu- 
blic, je  suis  vaincu.  On  applaudit  et  on  fait  des 
gorges-cbaudes. 

Je  n^ai  pas  voulu  enlever  son  jouet  à  la  fou- 
le, et  je  publie  ce  petit  volume,  Dans  quinze 
jours,  le  bruit  sera  apaisé,  il  ne  restera  aux 
plus  ardents  qu\ine  idée  vague  de  mes  arti- 
cles. C'est  alors  que,  dans  les  esprits,  je  gran- 
dirai encore  en  ridicule  et  en  mauvaise  foi.  Les 
pièces  ne  seront  plus  sous  les  yeux  des  rieurs, 
le  vent  aura  emporté  les  feuilles  volantes  de 
V Événement,  et  on  me  fera  dire  ce  que  je  n'ai 
pas  dit,  on  racontera  de  grosses  bêtises  que  je 
n'ai  jamais  formulées.  Je  ne  veux  pas  que  cela 
soit,  et  c'est  pourquoi  je  réunis  dans  cette  bro- 
chure les  articles  que  j'ai  donnés  à  YÉvéne- 
me7it  sous  le  pseudonyme  de  Claude.  Je  sou- 
haite que  «  Mon  Salon  »  demeure  ce  qu'il 
est,  ce  que  le  public  lui-même  a  voulu  ce 
qu'il  fût. 

Ce  sont  là  les  pages  maculées  et  déchirées 
d'une  étude  que  je  n'ai  pu  compléter.  Je  les 
donne  pour  ce  qu'elles  sont,  des  lambeaux  d'a- 
nalyse et  de  critique.  Ce  n'est  pas  une  œuvre 


-la- 
que je  livre  aux  lecteurs,  c'est  en  quelque  sorte 
les  pièces  d'un  procès. 

L'histoire  est  excellente,  mon  ami.  Pom'  rien 
au  monde  je  ne  voudrais  anéantir  ces  feuillets; 
ils  ne  valent  pas  grand  chose  en  eux-mêmes, 
mais  ils  ont  été,  pom-  ainsi  dire,  lapierre  de  tou- 
che contre  laquelle  j'ai  essayé  le  public.  Nous 
savons  maintenant  combien  nos  pauvres  chères 
pensées  sont  impopulaires. 

Puis,  il  me  plaît  d'étaler  une  seconde  fois 
mes  idées.  J'ai  foi  en  elles,  je  sais  que  dans 
quelques  années  j'am-ai  raison  poui'  tout  le 
monde.  Je  ne  crains  pas  qu'on  mêles  jette  à  la 
face  plus  tard.  Elles  sont  à  moi,  bien  à  moi, — 
et  je  le  crie  de  toutes  mes  forces. 

Et  maintenant,  mon  ami,  ne  lis  pas  les  pages 
qui  suivent,  car  tu  les  connais  :  pendant  dix 
ans  nous  les  avons  discutées  ensemble.  Le 
mieux,  vois-tu,  serait  peut-être  de  retourner 
là-bas,  sous  le  large  ciel,  et  de  vivre  seul  à 
seul,  en  compagnie  de  nos  pauvres  chères  pen- 
sées. 

EMILE  ZOLA. 
20  mai  1866. 


MON  SALON 


MON  SALON. 


LE  JURY. 


27  avril. 


Le  Salon  de  -1866  n'ouvrira  que  !e  ^^r  ^lai,  et  ce  jour-là 
seulement  il  me  sera  permis  de  juger  mes  justiciables. 

Mais,  avant  de  juger  les  artistes  admis,  il  me  semble 
bon  de  juger  les  juges.  Vous  savez  qu'en  France  nous 
sommes  pleins  de  prudence;  nous  ne  hasardons  point  un 
pas  sans  un  passeport  dûment  signé  et  contresigné,  et, 
lorsque  nous  permettons  à  un  homme  de  faire  la  culbute 
en  public,  il  faut  auparavant  qu'il  ait  été  examiné  tout 
au  long  par  des  hommes  autorisés. 

Donc,  comme  les  libres  manifestations  de  l'art  pour- 
raient occasionner  des  malheurs  imprévus  et  irréparables, 
on  place,  à  la  porte  du  sanctuaire,  un  corps  de  garde, 
un  sorte  d'octroi  de  l'idéal,  chargé  de  sonder  les  paquets 

2. 


—  18  — 

et  d'expulser  toute  marchandise  frauduleuse  qui  tenterait 
de  s'introduire  dans  le  temple. 

Qu'on  me  permette  une  comparaison,  un  peu  hasardée 
peut-être.  Imaginez  que  le  Salon  est  un  immense  ragoût 
artistique,  qui  nous  est  servi  tous  les  ans.  Chaque  peintre, 
chaque  sculpteur  envoie  son  morceau.  Or,  comme  nous 
avons  l'estomac  délicat,  on  a  cru  prudent  de  nommer 
toute  une  troupe  de  cuisiniers  pour  accommoder  ces  vic- 
tuailles de  goûts  et  d'aspects  si  divers.  On  a  craint  les 
indigestions,  et  on  a  dit  aux  gardiens  de  la  santé  pu- 
blique : 

«  Voici  les  éléments  d'un  mets  excellent;  ménagez  le 
poivre,  car  le  poivre  échauffe;  mettez  de  Teau  dans  le 
vin,  car  la  France  est  une  grande  nation  qui  ne  peut 
perdre  la  tête.  » 

Il  me  semble,  dès  lors,  que  les  cuisiniers  jouent  le 
grand  rôle.  Puisqu'on  nous  assaisonne  notre  admiration 
et  qu'on  nous  mâche  nos  opinions,  nous  avons  le  droit 
de  nous  occuper  avant  tout  de  ces  hommes  complaisants 
qui  veulent  bien  veiller  à  ce  que  nous  ne  nous  gorgions 
pas  comme  des  gloutons  d'une  nourriture  de  mauvaise 
qualité.  Quand  vous  mangez  un  beefsteack,  est-ce  que 
vous  vous  inquiétez  du  bœuf?  Vous  ne  songez  qu'à  re- 
mercier ou  à  maudire  le  marmiton  qui  vous  le  sert  trop 
ou  pas  assez  saignant. 

Il  est  donc  bien  entendu  que  le  Salon  n'est  pas  l'ex- 
pression entière  et  complète  de  l'art  français  en  l'an  de 
grâce  ^866,  mais  qu'il  est  à  coup  sûr  une  sorte  de  ragoût 
préparé  et  fricassé  par  vingt-huit  cuisiniers  nommés  tout 
exprès  pour  cette  besogne  délicate. 

Un  salon,  de  nos  jours,  n'est  pas  l'œuvre  des  artistes, 
il  est  l'œuvre  d'un  jury.  Donc,  je  m'occupe  avant  tout  du 


-  19  - 

jUfy,  l'auteur  de  ces  longues  salles  froides  et  blafardes 
dans  lesquelles  s'étalent,  sous  la  lumière  crue,  toutes  les 
médiocrités  timides  et  toutes  les  réputations  volées. 

Naguère,  c'était  TAcadémie  des  beaux-arts  qui  passait 
le  tablier  blanc  et  qui  mettait  la  main  à  la  pâle.  A  cette 
époque,  le  Salon  étatt  Un  mets  gras  et  solide,  toujours 
le  même.  On  savait  à  l'avance  quel  courage  il  fallait  ap- 
porter pour  avaler  ces  morceaux  classiques,  tout  ronds, 
sans  uû  malheureux  petit  angle,  et  qui  vous  étouffaient 
lentement  et  sûrènient. 

La  vieille  Académie,  cuisinière  de  fondation,  avait  ses 
recettes  à  elle,  dont  elle  ne  s'écartait  jamais  ;  elle  s'ar- 
rangeait de  façon,  quels  que  fussent  les  tempéraments  et 
les  époques,  à  servir  le  même  plat  au  public.  Le  bon  pu- 
blic, qui  étouffait,  finit  par  se  plaindre  ;  il  demanda  grâce 
et  voulut  qu'on  lui  servît  des  mets  plus  relevés,  plus  lé- 
gers, plus  appétissants  au  goût  et  à  la  vue. 

Vous  vous  rappelez  les  lamentations  de  celle  vieille 
cuisinière  d'Académie.  On  lui  enlevait  la  casserole  dans 
laquelle  elle  avait  fait  sauter  deux  ou  trois  générations 
d'artistes.  On  la  laissa  geindre  et  on  confia  la  queue  de 
la  poêle  à  d'autres  gâte-sauce. 

C'est  ici  qu'éclate  le  sens  pratique  que  nous  avons  de  la 
liberté  et  de  la  justice.  Les  artistes  se  plaignant  de  la 
coterie  académique,  il  fut  décidé  qu'ils  choisiraient  leur 
jury  eux-mêmes.  Dés-lors,  ils  n'auraient  plus  à  fâcher, 
s'ils  se  donnaient  des  juges  sévères  et  personnels.  Telle 
fut  la  décision  prise. 

Mais  vous  vous  imaginez  peut-être  que  tous  les  peintres 
et  tous  les  sculpteurs,  tous  les  graveurs  et  tous  les  archi- 


—  20  — 

tectes  furent  appelés  à  voler.  On  voit  bien  que  vous  aimez 
votre  pays  d'un  amour  aveugle.  Hélas!  la  vérité  est  triste, 
mais  je  dois  avouer  que  ceux-là  seuls  nomment  le  jury, 
qui  justement  n'ont  pas  besoin  du  jury.  Vous  et  moi, 
qui  avons  dans  notre  poche  une  ou  deux  médailles,  il 
nous  est  permis  d'aller  élire  un  tel  ou  un  tel,  dont  nous 
nous  soucions  peu  d'ailleurs,  car  il  n'a  pas  le  droit  de 
regarder  nos  toiles,  reçues  à  l'avance. 

Mais  ce  pauvre  hère,  jeté  à  la  porte  du  Salon  pendant 
cinq  ou  six  années  consécutives,  n'a  pas  même  la  per- 
mission de  choisir  ses  juges,  et  est  obligé  de  subir  ceux 
que  nous  lui  imposons  par  indifférence  ou  par  camara- 
derie. 

Je  désire  insister  sur  ce  point.  Le  jury  n'est  pas  nommé 
par  le  suffrage  universel,  mais  par  un  vole  restreint  au* 
quel  peuvent  seulement  prendre  part  les  artistes  exemptés 
de  tout  jugement,  à  la  suite  de  certaines  récompenses. 
Quelles  sont  donc  les  garanties  pour  ceux  qui  n'ont  pas 
de  médailles  à  montrer?  Comment!  on  crée  un  jury 
ayant  charge  d'examiner  cl  d'accepter  les  œuvres  des 
jeunes  artistes,  et  on  fait  nommer  ce  jury  par  ceux  qui 
n'en  ont  plus  besoin!  Ceux  qu'il  faut  appeler  au  vote,  ce 
sont  les  inconnus,  les  travailleurs  cachés,  pour  qu'ils 
puissent  tenter  de  constituer  un  tribunal  qui  les  com- 
prendra et  qui  les  admettra  enfin  aux  regards  de  la  foule. 

C'est  toujours  une  misérable  histoire,  je  vous  assure, 
que  Ihisloire  d'un  vote.  L'art  n'a  rien  à  faire  ici;  nous 
sommes  en  pleine  misère  et  en  pleine  sottise  humaines. 
Vous  devinez  déjà  ce  qui  arrive  et  ce  qui  arrivera  chaque 
année.  Tantôt  ce  sera  la  coterie  de  ce  monsieur,  et  tantôt 


-  21  - 

la  colerie  de  cet  autre  monsieur,  qui  réussiront.  Nous 
n'avons  plus  un  corps  stable,  comme  rAcadémic  ;  nous 
avons  un  grand  nombre  d'artistes  qui  peuvent  être  re'unis 
de  mille  façons,  de  manière  à  former  des  tribunaux  fé- 
roces, ayant  les  opinions  les  plus  contraires  et  les  plus 
implacables. 

Une  année,  le  Salon  sera  tout  en  vert;  une  autre  an- 
née, tout  en  bleu;  et  dans  trois  ans,  nous  le  verrons 
peut-être  tout  en  rose.  Le  public  qui  n'est  pas  à  l'office, 
qui  n'assiste  pas  à  la  cuisson,  acceptera  ces  divers  Salons, 
comme  les  expressions  exactes  des  moments  artistiques. 
11  ne  saura  pas  que  c'est  uniquement  tel  peintre  qui  a 
fait  l'Exposition  entière  ;  il  ira  là  de  bonne  foi  et  avalera 
la  bouchée,  croyant  s'ingurgiter  tout  l'art  de  Tannée. 

Il  faut  rétablir  énergîquement  les  choses  dans  leur  réa- 
lité. Il  faut  dire  à  ces  juges,  qui  vont  au  palais  de  l'In- 
dustrie défendre  parfois  une  idée  mesquine  et  person- 
nelle, que  les  Expositions  ont  été  créées  pour  donner 
largement  de  la  publicité  aux  travailleurs  sérieux.  Tous 
les  contribuables  paient,  et  les  questions  d'écoles  et  de 
systèmes  ne  doivent  pas  ouvrir  la  porte  pour  les  uns  et  la 
fermer  pour  les  autres. 

Je  ne  sais  comment  ces  juges  comprennent  leur  mis- 
sion. Ils  se  moquent  de  la  vérité  et  de  la  justice,  vrai- 
ment. Pour  moi,  un  Salon  n'est  jamais  que  la  constata- 
tion du  mouvement  artistique  ;  la  France  entière,  ceux 
qui  voient  blanc  et  ceux  qui  voient  noir,  envoient  leurs 
toiles  pour  dire  au  public  :  «  Xous  en  sommes  là,  l'esprit 
marche  et  nous  marchons;  voici  les  vérités  que  nous 


croyons  avoir  acquises  depuis  un  an.  »  Or,  il  est  des 
hommes  qu'on  place  entre  les  artistes  et  le  public.  De 
leur  autorité  toute  puissante,  ils  ne  montrent  que  le  tiers, 
que  le  quart  de  la  vérité;  ils  amputent  Tart  et  n'en  pré- 
sentent à  la  foule  que  le  cadavre  mutilé. 

Qu'ils  le  sachent,  ils  ne  sont  là  que  pour  rejeter  la  mé- 
diocrité et  la  nullité.  Il  leur  est  défendu  de  toucher  aux 
choses  vivantes  et  individuelles.  Qu'ils  refusent,  s'ils  le 
veulent,  —  ils  en  ont  d'ailleurs  la  mission,  —  les  acadé- 
mies des  pensionnaires,  les  élèves  abâtardis  de  maîtres 
bâtards,  mais,  par  grâce,  qu'ils  acceptent  avec  respect 
les  artistes  libres,  ceux  qui  vivent  en  dehors,  qui  cher- 
chent ailleurs  et  plus  loin  les  réalités  âpres  et  fortes  de 
la  nature. 

Voulez-vous  savoir  comment  on  a  procédé  à  l'élection 
du  jury  de  cette  année?  Un  cercle  de  peintres,  m'a-t-on 
dit,  a  rédigé  une  liste  qu'on  a  fait  imprimer  et  circuler 
dans  les  ateliers  des  artistes  votants.  La  liste  a  passé  tout 
entière. 

Je  vous  le  demande,  où  est  l'intérêt  de  l'art  parmi 
ces  intérêts  personnels?  Quelles  garanties  a-t-on  don- 
nées aux  jeunes  travailleurs?  On  semble  avoir  tout  fait 
pour  eux,  on  déclare  qu'ils  se  montrent  bien  diffi- 
ciles, s'ils  ne  sont  pas  contents.  C'est  une  plaisanterie, 
n'est-ce  pas?  Mais  la  question  est  sérieuse,  et  il  serait 
temps  de  prendre  un  parti. 

Je  préfère  qu'on  reprenne  cette  bonne  vieille  cuisinière 
d'Académie.  Avec  elle,  on  n'est  pas  sujet  aux  surprises; 
elle  est  constante  dans  ses  haines  et  dans  ses  amitiés. 
Maintenant,  ayee  ces  juges  élus  par  la  camaraderie,  on 
ne  sait  plus  à  quel  saint  se  vouer.  Si  j'étais  peintre  néces- 


—  23  - 

siteux,  mon  grand  souci  serait  de  dc\iner  qui  je  pourrais 
bien  avoir  pour  juge,  afin  de  peindre  selon  ses  goûts. 

On  vient  de  refuser,  entre  autres,  MM.  Manet  et  Brigol, 
dont  les  toiles  avaient  été  reçues  les  années  précédentes. 
Évidemment,  ces  artistes  ne  peuvent  avoir  beaucoup  dé- 
mérité, et  je  sais  même  que  leurs  derniers  tableaux  sont 
meilleurs.  Comment  alors  expliquer  ce  refus? 

Il  me  semble,  en  bonne  logique,  que  si  un  peintre  a  été 
jugé  digne  aujourd'hui  de  montrer  ses  œuvres  au  public, 
on  ne  peut  pas  couvrir  ses  toiles  demain.  C'est  pourtant 
celte  bévue  que  vient  de  commettre  le  jury.  Pourquoi? 
Je  vous  l'expliquerai. 

Vous  imaginez-vous  cette  guerre  civile  entre  artistes,  se 
proscrivant  les  uns  les  autres  ;  les  puissants  d'aujourd'hui 
mettraient  à  la  porte  les  puissants  d'hier^  ce  serait  un 
tohu-bohu  efTroyable  d'ambitions  et  de  haines,  une  sorte 
de  petite  Rome  au  temps  de  Sylla  et  de  Marins.  Et  nous, 
bon  public,  qui  avons  droit  aux  œuvres  de  tous  les  ar- 
tistes, nous  n'aurions  jamais  que  les  œuvres  de  la  faction 
triomphante.  0  vérité,  ô  justice! 

Jamais  l'Académie  ne  s'est  déjugée  de  la  sorte.  Elle 
tenait  les  gens  pendant  des  années  à  la  porte,  mais  elle 
ne  les  chassait  pas  de  nouveau  après  les  avoir  fait  entrer. 

Dieu  me  préserve  de  rappeler  trop  fort  l'Académie.  Le 
mal  est  préférable  au  pire,  voilà  tout. 

Je  ne  veux  pas  même  choisir  des  juges  et  désigner 
certains  artistes  comme  devant  être  des  jurés  impartiaux. 
MM.  Manet  et  Brigot  refuseraient  sans  doute  MM.  Breton 
et  Brion,  comme  ceux-ci  ont  refusé  ceux-là.  L'homme  a 
ses  sympathies  et  ses  antipathies  qu'il  ne  peut  vaincre; 
Or,  il  s'agit  ici  de  vérité  et  de  justice. 


--  24  - 

Qu'on  crée  donc  un  jur^,  il  n'importe  lequel.  Plus  il 
commettra  d'erreurs ,  plus  il  manquera  sa  sauce,  et  plus 
je  rirai.  Croyez-Yous  que  ces  hommes  ne  me  donnent 
pas  un  spectacle  réjouissant?  Ils  défendent  leur  petite 
chapelle  avec  mille  finesses  de  sacristains  qui  m'amusent 
énormément. 

Mais  qu'on  rétablisse  alors  ce  qu'on  a  appelé  le  Salon 
des  Refusés.  Je  supplie  tous  mes  confrères  de  se  joindre 
à  moi,  je  voudrais  grossir  ma  voix,  avoir  toute  puissance 
pour  obtenir  la  réouverture  de  ces  salles  où  le  public 
allait  juger,  à  son  tour,  et  les  juges  et  les  condamnés. 
Là,  pour  le  moment,  est  le  seul  moyen  de  contenter  tout 
le  monde.  Les  artistes  refusés  n'ont  pas  encore  retiré 
leuis  œuvres;  qu'on  se  hâte  de  planter  des  clous  et 
d'accrocher  leurs  tableaux  quelque  part. 


LE  JURY 

(Suite.) 


30  avril. 


De  tous  côtés  on  me  somme  de  m'expliquer,  on  me 
demande  avec  instance  de  citer  les  noms  des  artistes  de 
mérite  qui  ont  été  refusés  par  le  jury. 

Le  public  sera  donc  toujours  le  bon  public.  Il  est  évi- 
dent que  les  artistes  mis  à  la  porte  du  Salon  ne  sont 
encore  que  les  peintres  célèbres  de  demain,  et  je  ne 
pourrais  donner  ici  que  des  noms  inconnus  de  mes  lec- 
teurs. Je  me  plains  justement  de  ces  étranges  jugements 
qui  condamnent  à  l'obscurité,  pendant  de  longues  années, 
des  garçons  sérieux  ayant  le  seul  tort  de  ne  pas  penser 
comme  leurs  confrères.  11  faut  se  dire  que  toutes  les 
personnalités,  Delacroix  et  les  autres,  nous  ont  été  long- 
temps cachées  par  les  décisions  de  certaines  coteries. 
Je  ne  voudrais  pas  que  cela  se  renouvelât,  et  J'écris  jus- 
tement ces  articles  pour  exiger  que  les  artistes,  qui  seront 
à  coup  sûr  les  maîtres  de  demain,  ne  soient  pas  les 
persécutés  d'aujourd'hui. 

3 


—  26  — 

J'affirme  carrément  que  le  jury  qui  a  fonctionné  celle 
année  a  jugé  d'après  un  parti  pris.  Tout  un  coté  de 
l'art  français,  à  notre  époque,  nous  a  été  volontairement 
voilé.  J'ai  nommé  MM.  Manet  et  Brigot,  car  ceux-là  sont 
déjà  connusse  pourrais  en  citer  vingt  autres  appartenant 
au  même  mouvement  artistique.  C'est  dire  que  le  jury 
n'a  pas  voulu  des  toiles  fortes  et  vivantes,  des  études 
faites  en  pleine  vie  et  en  pleine  réalité. 

Je  sais  bien  que  les  rieurs  ne  vont  pas  être  de  mon 
côté.  On  aime  beaucoup  à  rire  en  France,  et  je  vous  jure 
que  je  vais  rire  encore  plus  fort  que  les  autres.  Rira  bien 
qui  rira  le  dernier. 

Eh  oui!  je  me  constitue  le  défenseur  de  Ja  réalité. 
J'avoue  tranquillement  que  je  vais  admirer  M.  Manet,  je 
déclare  que  je  fais  peu  de  cas  de  toute  la  poudre  de  riz 
de  M.  Cabanel  et  que  je  préfère  les  senteurs  âpres  et  saines 
de  la  nature  vraie.  D'ailleurs,  chacun  de  mes  jugements 
viendra  en  son  temps.  Je  me  contente  de  constater  ici, 
et  personne  n'osera  me  démentir,  que  le  mouvement 
qu'on  a  désigné  sous  le  nom  de  réalisme  ne  sera  pas 
représenté  au  Salon. 

Je  sais  bien  qu'il  y  aura  Courbet.  Mais  Courbet,  pa- 
rait-il, a  passé  à  l'ennemi.  On  serait  allé  chez  lui  en  am- 
bassade, car  le  maître  d'Ornans  est  un  terrible  tapageur 
qu'on  craint  d'offenser,  et  on  lui  aurait  offert  des  titres 
et  des  honneurs  s'il  voulait  bien  renier  ses  disciples.  On 
parle  de  la  grande  médaille  ou  même  de  la  croix.  Le 
lenflemain,  Courbet  se  rendait  chez  M.  Brigot,  son  élève, 
et  lui  déclarait  vertement  qu'il  «  n'avait  pas  la  philosophie 
de  sa  peinture.  »  La  philosophie  de  la  peinture  de  Cour- 
bet! 0  pauvre  cher  maître,  le  livre  de  Proudhon  vous  a 
donné  une  indigestion  de  démocratie.  Par  grâce,  restez 


—  27  — 

le  premier  peintre  de  Tépoque,  ne  devenez  ni  moraliste 
ni  socialiste. 

D'ailleurs,  qu'importent  aujourd'hui  mes  sympathies! 
Moi,  public,  je  me  plains  d'être  lésé  dans  ma  liberté 
d'opinion;  moi,  public,  je  suis  irrité  de  ce  qu'on  ne  me 
donne  pas  dans  son  entier  le  moment  artistique;  moi, 
public,  j 'exige  qu'on  ne  me  cache  rien,  j 'intente  j  ustement 
et  légalement  un  procès  aux  artistes  qui.  avec  parti  pris, 
ont  chassé  du  Salon  tout  un  groupe  de  leurs  confrères. 

Toute  assemblée,  toute  réunion  d'hommes  nommée 
dans  le  but  de  prendre  des  décisions  quelconques,  n'est 
pas  une  machine  simple,  ne  tournant  que  dans  un  sens 
et  n'obéissant  qu'à  un  seul  ressort.  Il  y  a  une  études  dé- 
licate à  faire  pour  expliquer  chaque  mouvement,  chaque 
tour  de  roue.  Le  vulgaire  ne  voit  qu'un  simple  résultat 
obtenu;  l'observateur  aperçoit  les  tiraillements,  les  sou- 
bresauts qui  secouent  la  machine. 

Je  vais  essayer  de  démonter  pièce  à  pièce  le  jury,  d'en 
expliquer  le  mécanisme,  défaire  bien  comprendre  le  jeu 
de  ses  ressorts.  Puisque  le  Salon  est  son  œuvre,  ai-je  dit, 
il  est  nécessaire  de  connaître,  dans  chacune  de  ses  par- 
lies,  cet  auteur  impersonnel  et  multiple. 

Le  jury  est  composé  de  vingt-huit  membres,  dont 
voici  la  liste  par  ordre  de  votes  :  membres  nommés  par 
les  artistes  médaillés  .  MM.  Gérôme,  Cabanel,  Pils,  Bida, 
Meissonnier,  Gleyre,  Français,  Fromentin,  Corot,  Robert 
Fleury,  Breton,  Hébert,  Dauzats,  Brion,  Daubigny,  Bar- 
rias,  DubulTe,  Baudry  ;  membres  supplémentaires  :  Isabey, 
de  Lajolais,  Théodore  Rousseau;  membres  nommés  par 
l'administration  :  MM.  Cottier,  Théophile  Gautier,  La- 
caze,  marquis  Maison,  Reisel,  Paul  de  Saint- Victor, 
Alfred  Arago. 


—  28  - 

Je  me  hA(e  de  mettre  radministration  hors  de  cause. 
C'est  ici  une  querelle  simplement  artistique,  et  je  tiens  à 
désintéresser  tous  ceux  qui  n'ont  pas  de  pinceaux  entre 
les  mains.  (^) 


Voulez-vous  que  nous  remontions  la  machine  et  que 
nous  la  faisions  fonctionner  un  peu.  Prenons  délicate- 
ment les  roues,  les  petites  et  les  grandes,  celles  qui  tour- 
nent à  gauche  et  celles  qui  tournent  à  droite.  Ajuslons- 
les  et  regardons  le  travail  produit.  La  machine  grince  par 
instants,  certaines  pièces  s'obstinent  à  aller  selon  leur 
bon  plaisir;  mais  en  somme,  le  tout  marche  convenable- 
ment. Si  toutes  les  roues  ne  tournent  pas,  poussées  par 
le  même  ressort,  elles  arrivent  à  s'engrener  les  unes  dans 
les  autres  et  à  travailler  en  commun  à  la  même  be- 
sogne. 

11  y  a  les  bons  garçons  qui  refusent  et  qui  reçoivent 
avec  indifférence  ;  il  y  a  les  gens  arrivés  qui  sont  en  de- 
hors des  luttes;  il  y  a  les  artistes  du  passé  qui  tiennent  à 
leurs  croyances,  qui  nient  toutes  les  tentatives  nouvelles; 
il  y  a  enfin  les  artistes  du  présent,  ceux  dont  la  petite 
manière  a  un  petit  succès  et  qui  tiennent  ce  succès  entre 


(I)  Je  prenais  ici  chaque  juré  k  part  et  j'étudiais  son  rôle 
dans  l'ensemble  des  votes.  Je  crois  devoir  supprimer  celte  partie 
de  l'article.  On  m'a  prouvé  le  peu  de  fondement  de  plusieurs 
détails  dont  auparavant  on  m'avait,  k  différentes  reprises,  af- 
firmé l'exactitude.  L'esprit  général  detait  être  vrai;  mais,  no  sa- 
chant où  le  faux  commence,  je  trouve  plas  simple  d'effacer  le 
tont  et  de  m'en  tenir  à  mes  seules  opinions  en  matière  d'art. 


-  29  — 

leurs  dents,  en  grondant  et  en  menaçant  tout  confrère 
qui  s'approche. 

Le  résultat  obtenu,  vous  le  connaissez  :  ce  sont  ces  sal- 
les si  vides  et  si  mornes  qne  nous  visiterons  ensemble. 
Je  sais  bien  que  je  ne  puis  faire  au  jury  un  crime  de  notre 
pauvreté  artistique.  Mais  je  puis  lui  demander  compte  de 
tous  les  artistes  audacieux  qu'il  décourage. 

On  reçoit  les  médiocrités.  On  couvre  les  murs  de  toiles 
honnêtes  et  parfaitement  nulles.  De  haut  en  bas,  de  long 
en  large,  vous  pouvez  regarder  :  pas  un  tableau  qui  cho- 
que, pas  un  tableau  qui  attire.  On  a  débarbouillé  Tart,  on 
l'a  peigné  avec  soin;  c'est  un  brave  bourgeois  en  panlou- 
lles  et  en  chemise  blanche. 

Ajoutez  à  ces  toiles  honnêtes  signées  de  noms  incon- 
nus, les  tableaux  exempts  de  tout  examen.  Ceux-là  sont 
l'œuvre  des  peintres  que  j'aurai  à  étudier  et  à  dis- 
cuter. 

Voilà  le  Salon,  toujours  le  même. 

Cette  année,  le  jury  a  eu  des  besoins  de  propreté  en- 
core plus  vifs.  11  a  trouvé  que  Tannée  dernière  le  balai 
de  l'idéal  avait  oublié  quelques  brins  de  paille  sur  le  par- 
quet. Il  a  voulu  faire  place  nette,  et  il  a  mis  à  la  porte 
les  réalistes,  gens  qui  sont  accusés  de  ne  pas  se  laver  les 
mains.  Les  belles  dames  visiteront  le  Salon  en  grandes 
toilettes  :  tout  y  sera  propre  et  clair  comme  un  miroir. 
On  pourra  se  coiffer  dans  les  toiles. 

Eh  bien!  je  suis  heureux  de  terminer  cet  article  en  di- 
sant aux  jurés  qu'ils  sont  de  mauvais  douaniers.  L'ennemi 
est  dans  la  place,  je  les  en  avertis.  Je  ne  parle  pas  des 
quelques  bons  tableaux  qu'ils  ont  reçus  par  inadvertance. 
Je  veux  dire  tout  simplement  que  M.  Brigol,  contre  le- 
quel on  a  pris  les  plus  grandes  précautions,  aura  pour- 

3. 


—  30  — 

tant  deux  études  au  salon.  Cherchez  bien,  elles  sont  dans 
les  B,  quoique  signés  d'un  autre  nom. 

Ainsi,  jeunes  artistes,  si  vous  désirez  être  reçus  Tan- 
née prochaine,  ne  prenez  pas  le  pseudonyme  de  Brigot, 
prenez  celui  de  Barbanchu.  Vous  êtes  certains  d'être  ac- 
ceptés à  l'unanimité.  Il  paraît  décidément  que  c'est  une 
simple  affaire  de  nom. 


LE  MOMENT  ARTISTIQUE. 


4  mai. 

J'aurais  dû  peut-être,  avant  de  porter  le  plus  mince 
jugement,  expliquer  catégoriquement  quelles  sont  mes 
façons  de  voir  en  art,  quelle  est  mon  esthétique.  Je  sais 
que  les  bouts  d'opinion  que  j'ai  été  forcé  de  donner, 
d'une  manière  incidente,  ont  blessé  les  idées  reçues,  et 
qu'on  m'en  veut  pour  ces  affirmations  carrées  que  rien 
ne  paraissait  établir. 

J'ai  ma  petite  théorie  comme  un  autre,  et,  comme  un 
autre,  je  crois  que  ma  théorie  est  la  seule  vraie.  Au  ris- 
que de  n'être  pas  amusant,  je  vais  donc  poser  cette  théo- 
rie. Mes  tendresses  et  mes  haines  en  découleront  tout 
natureltement. 

Pour  le  public,  —  et  je  ne  prends  pas  ici  ce  mot  en 
mauvaise  part,  —  pour  le  public,  une  œuvre  d'art,  un  ta- 
bleau, est  une  suave  chose  qui  émeut  le  cœur  d'une 
façon  douce  ou  terrible  ;  c'est  un  massacre,  lorsque  les 
victimes  pantelantes  gémissent  et  se  traînent  sous  les 
fusils  qui  les  menacent,  ou  c'est  encore  une  délicieuse 
jeune  fille,  toute  de  neige,  qui  rêve  au  clair  de  lune,  ap- 
puyée sur  un  fût  de  colonne,  Je  veux  dire  que  la  foule 


—  32  — 

voit  dans  une  toile  un  sujet  qui  la  saisit  à  la  gorge  ou  au 
cœur,  et  qu'elle  ne  demande  pas  autre  chose  à  l'artiste 
qu'une  larme  ou  qu'un  sourire. 

Pour  moi,  —  pour  beaucoup  de  gens,  je  veux  l'espérer, 
—  une  œuvre  d'art  est,  au  contraire,  une  personnalité, 
une  individualité. 

Ce  que  je  demande  à  l'artiste,  ce  n'est  pas  de  me 
donner  de  tendres  visions  ou  des  cauchemars  effroyables; 
c'est  de  se  livrer  lui-même,  cœur  et  chair,  c'est  d'affir- 
mer hautement  un  esprit  puissant  et  particulier,  une  na- 
ture âpre  et  forte  qui  saisisse  largement  la  nature  en  sa 
main  et  la  plante  tout  debout  devant  nous,  telle  qu'il  la 
voit.  En  un  mot,  j'ai  le  plus  profond  dédain  pour  les  pe- 
tites habiletés,  pour  les  flatteries  intéressées,  pour  ce  que 
l'étude  a  pu  apprendre  et  ce  qu'un  travail  acharné  a 
rendu  familier,  pour  tous  les  coups  de  théâtres  histori- 
ques de  ce  monsieur  et  pour  toutes  les  rêveries  parfu- 
mées de  cet  autre  monsieur. 

Mais,  j'ai  la  plus  profonde  admiration  pour  les  œuvres 
individuelles,  pour  celles  qui  sortent  d'un  jet  d'une 
main  vigoureuse  et  unique. 

Il  ne  s'agit  donc  plus  ici  de  plaire  ou  de  ne  pas  plaire , 
il  s'agit  d'être  soi,  de  montrer  son  cœur  à  nu,  de  for- 
muler énergiquement  une  individualité. 

Je  ne  suis  pour  aucune  école,  parce  que  je  suis  pour  la 
vérité  humaine,  qui  exclue  toute  coterie  et  fout  système. 
Le  mot  «  art  »  me  déplaît;  il  contient  en  lui  je  ne  sais 
quelles  idées  d'arrangements  nécessaires,  d'idéal  absolu. 
Faire  de  l'art,  n'est-ce  pas  faire  quelque  chose  qui  est  en 
dehors  de  l'homme  et  de  la  nature.  .Te  veux  qu'on  fasse 
de  la  vie,  moi;  je  veux  qu'on  soit  vivant,  qu'on  crée  à 
nouveau,  en  dehors  de  tout,  selon  ses  propres  yeux  et 


-  33  — 

son  propre  tempéramment.  Ce  que  je  cherche  ayant  tout 
dans  un  tableau,  c'est  un  homme  et  non  pas  un  tableau. 

Il  y  a,  selon  moi,  deux  éléraenls  dans  une  œuvre:  l'é- 
lément réel,  qui  est  la  nature,  et  l'élément  individuel, 
qui  est  l'homme. 

L'élément  réel,  la  nature,  est  Oxe,  toujours  le  même; 
il  demeure  égal  pour  tout  le  monde;  je  dirais  qu'il  peut 
servir  de  commune  mesure  pour  toutes  les  œuvres  pro- 
duites, si  j'admettais  qu'il  puisse  y  avoir  une  commune 
mesure. 

L'élément  individuel,  au  contraire,  l'homme,  est  varia- 
ble à  l'infini:  autant  d'œuvres  et  autant  d'esprits  diffé- 
rents; si  le  tempérament  n'existait  pas,  tous  les  tableaux 
devraient  être  forcément  de  simples  photographies. 

Donc,  une  œuvre  d'art  n'est  jamais  que  la  combinai- 
son d'un  homme,  élément  variable,  et  de  la  nature, 
élément  fixe.  Le  mot  réaliste  ne  signifie  rien  pour  moi, 
qui  déclare  subordonner  le  réel  au  tempérament.  Faites 
vrai,  j'applaudis;  mais  surtoui faites  individuel  et  vivant, 
et  j'applaudis  plus  fort.  Si  vous  sortez  de  ce  raisonne- 
ment, vous  êtes  forcé  de  nier  le  passé  et  de  créer  des  dé- 
finitions que  vous  serez  forcé  d'élargir  chaque  année. 

Car  c'est  une  autre  bonne  plaisanterie  de  croire  qu'il  y 
a,  en  fait  de  beauté  artistique,  une  vérité  absolue  et  éter- 
nelle. La  vérité  une  et  complète  n'est  pasfaite  pour  nous 
qui  confectionnons  chaque  malin  une  vérité  que  nous 
usons  chaque  soir.  Comme  toute  chose,  l'art  est  un  pro- 
duit humain,  une  sécrétion  humaine  ;  c'est  notre  corps 
qui  sue  la  beauté  de  nos  œuvres.  Notre  corps  change  selon 
les  climats  et  selon  les  mœurs,  et  la  sécrétion  change 
donc  également. 
C'est  dire  que  l'œuvre  de  demain  ne  saurait  être  celle 


—  34  - 

d'aujourd'hui  ;  vous  ne  pouvez  formuler  aucune  règle  n 
donner  aucun  précepte  ;  il  faut  tous  abandonner  brave- 
ment à  votre  nature  et  ne  pas  chercher  à  vous  mentir. 
Est-ce  que  vous  avez  peur  de  parler  votre  langue ,  que 
vous  cherchez  à  épeler  péniblement  des  langues  mortes! 
Ma  volonté  énergique  est  celle-ci  :  —  Je  ne  veux  pas 
des  œuvres  d'écoliers  faites  sur  des  modèles  fournis  par 
les  maîtres.  Ces  œuvres  me  rappellent  les  pages  d'écri- 
ture que  je  traçais  étant  enfant,  d'après  les  pages  litho- 
graphiées  ouvertes  devant  moi.  Je  ne  veux  pas  des  retours 
au  passé,  des  prétendues  résurrections,  des  tableaux 
peints  suivant  un  idéal  formé  de  morceaux  d'idéal  qu'on 
a  ramassés  dans  tous  les  temps.  Je  ne  veux  pas  de  tout  ce 
qui  n'est  point  vie,  tempérament,  réalité  ! 

Et,  maintenant,  je  vous  en  supplie,  ajez  pitié  de  moi 
Songez  à  tout  ce  qu'a  dû  souffrir  hier   un  tempérament 
bâti  comme  le  mien,  égaré  dans  la  vaste  et  morne  nullité 
du  Salon.  Franchement,  j  ai  eu  un  moment  la  pensée  de 
lâcher  la  besogne,  prévoyant  trop  de  sévérité. 

Mais  ce  n'est  point  les  artistes  que  je  vais  blesser  dans 
leurs  goûts,  ce  sont  eux  qui  viennent  de  me  blesser  bien 
plus  vivement  dans  mes  sympathies  !  Mes  lecteurs  com- 
prennent-ils ma  position,  se  disent-ils  :  «  Voilà  un  pauvre 
diable  qui  est  tout  écœuré,  et  qui  retient  ses  nausées  pour 
garder  la  décence  qu'il  doit  au  public  ?  » 

Jamais  je  n'ai  vu  un  tel  amas  de  médiocrités.  Il  y  a  là 
deux  mille  tableaux,  et  il  n'y  a  pas  dix  hommes.  Sur  ces 
deux  mille  toiles,  douze  ou  quinze  vous  parlent  un  lan- 
gage humain;  les  autres  vous  content  des  niaiseries  de 
parfumeurs.  Suis-je  trop  sévère?  Je  ne  fais  pourtant  que 
'  dire  tout  haut  ce  que  les  autres  pensent  tout  bas. 

Je  ne  nie  pas  notre  époque,  au  moins.  J'ai  foi  en  elle, 


—   35  — 

je  sais  qu'elle  cherche  et  qu'elle  travaille.  Nous  sommes 
dans  un  temps  de  luttes  et  de  fièvres,  nous  avons  nos  ta- 
lents et  nos  génies.  Mais  je  ne  veux  pas  qu'on  confonde 
les  médiocres  et  les  puissants,  je  crois  qu'il  est  bon  de  ne 
point  avoir  cette  indulgence  indifférente  qui  donne  un 
mot  d'éloge  à  tout  le  monde,  et  qui,  par  là  même,  ne  loue 
personne. 

Notre  époque  est  celle-ci.  Nous  sommes  civilisés,  nous 
avons  des  boudoirs  et  des  salons;  le  badigeon  est  bon 
pour  les  petites  gens,  il  faut  des  peintures  sur  les  murs 
des  riches.  Et  alors  a  été  créée  toute  une  corporation 
d'ouvriers  qui  achèvent  la  besogne  commencée  par  les 
maçons.  Il  faut  beaucoup  de  peintres,  comme  vous  pen- 
sez, et  on  est  obligé  de  les  élever  à  la  brochette,  en  mas- 
se. On  leur  donne,  d'ailleurs,  les  meilleurs  conseils  pour 
plaire  et  ne  pas  blesser  les  goûls  du  temps. 

Ajoutez  à  cela  l'esprit  de  l'art  moderne.  En  présence  de 
l'envahissement  delà  science  et  de  Tinduslrie,  les  artis- 
tes, par  réaction,  se  sont  jetés  dans  le  rêve,  dans  un  ciel 
de  pacotille,  tout  de  clinquant  et  de  papier  de  soie. 

Allez  donc  voir  si  les  maîtres  de  la  Renaissance  son- 
geaient aux  adorables  petits  riens  devant  lesquels  nous 
nous  pâmons;  ils  étaient  de  puissantes  natures  qui  pei- 
gnaient en  pleine  vie.  Nous  autres,  nous  sommes  nerveux 
et  inquiets-,  il  y  a  beaucoup  de  la  femme  en  nous,  et  nous 
nous  sentons  si  faibles  et  si  usés  que  la  santé  plantureuse 
nous  déplaît.  Parlez-moi  des  sentimentalités  et  des  miè- 


vreries 


Nos  artistes  sont  des  poètes.  C'est  là  une  grave  injure 
pour  des  gens  qui  n'ont  pas  même  charge  de  penser, 
mais  je  la  maintiens.  Voyez  le  Salon  :  ce  ne  sont  que 
strophes  et  madrigaux.  Celui-ci  rime  un  ode  à  la  Pologne^ 


—  36  — 

cet  autre  une  ode  à  Cléopâlre;ily  en  a  un  qui  chante  sur 
le  mode  de  Tibulle  et  un  autre  qui  tâche  de  soufller 
dans  la  grande  trompette  de  Lucrèce.  Je  ne  parle  pas  des 
hymnes  guerriers,  ni  des  élégies,  ni  des  chansons  gri- 
voises, ni  des  fables. 

Quel  charivari! 

Par  grâce,  peignez,  puisque  vous  êtes  peintres,  ne 
chantez  pas.  Voici  de  la  chair,  \oici  de  la  lumière  :  fai- 
tes un  Adam  qui  soit  votre  création.  Vous  devez  être  des 
faiseurs  d'hommes  et  non  pas  des  faiseurs  d'ombres.  Mais 
je  sais  que  dans  un  boudoir  un  homme  tout  nu  est  peu 
convenable.  C'est  pour  cela  que  vous  peignez  de  grands 
pantins  grotesques  qui  ne  sont  pas  plus  indécents  et  pas 
plus  vivants  que  les  poupées  en  peau  rose  des  petites 
filles. 

Le  talent  procède  autrement,  voyez-vous.  Regardez  les 
quelques  toiles  remarquables  du  Salon.  Elles  font  un  trou 
dans  la  muraille,  elles  sont  presque  déplaisantes,  elles 
crient  dans  le  murmure  adouci  de  leurs  voisines.  Les 
peintres  qui  commettent  de  pareilles  œuvres  sont  en  de- 
hors de  la  corporation  des  badigeonneurs  élégants  dont 
j'ai  parlé.  Ils  sont  peu  nombreux,  ils  vivent  d'eux  mêmes, 
en  dehors  de  toute  école. 

Je  l'ai  déjà  dit,  on  ne  peut  accuser  le  jury  de  la  mé- 
diocrité de  nos  peintres.  Mais,  puisqu'il  croit  avoir  charge 
d'être  sévère,  pourquoi  ne  nous  épargne-t-il  pas  la  vue 
de  toutes  ces  niaiseries.  Si  vous  n'admettez  que  les  ta- 
lents, une  salle  de  trois  mètres  carrés  suffira. 

Ai-je  été  si  révolutionnaire,  en  regrettant  les  quelques 
tempéraments  qui  ne  figurent  pas  au  Salon?  Nous  ne 
sommes  pas  si  riches  en  individualités,  pour  refuser 
celles  qui  se  produisent.  D'ailleurs,  je  le  sais,  les  tempe- 


—  37  — 

ramenls  ne  meurent  pas  d'un  refus.  Je  défends  leur 
cause,  parce  qu'elle  me  semble  juste;  mais,  au  fond,  je 
suis  bien  tranquille  sur  l'état  de  santé  du  talent.  Nos 
pères  ont  ri  de  Courbet,  et  Yoilà  que  nous  nous  exta- 
sions devant  lui;  nous  rions  de  Manet,  et  ce  seront  nos 
fils  qui  s'extasieront  en  face  de  ses  toiles.  Je  ne  tiens  pas 
du  tout  à  faire  concurrence  à  Nostradamus,  mais  j'ai 
bien  envie  d'annoncer  ce  fait  étrange  pour  un  temps 
très-prochain. 


M.  MANET 


7  mai. 

Si  nous  aimon«;  -  ^ire.  «"n  France,  nous  avons,  à  Toc- 
casion,  une  exquise  courtoisie  et  un  tact  parfait.  Nous 
respectons  les  persécutés,  nous  défendons  de  toute  notre 
puissance  la  cause  des  hommes  qui  luttent  seuls  contre 
une  foule. 

Je  Tiens,  aujourd'hui,  tendre  une  main  sympathique  à 
l'artiste  qu'un  groupe  de  ses  confrères  a  mis  à  la  porte 
du  Salon.  Si  je  n'avais  pour  le  louer  sans  réserve  la 
grande  admiration  que  fait  naître  en  moi  son  talent,  j'au- 
rais encore  la  position  qu'on  lui  a  créée  de  paria,  de 
peintre  impopulaire  et  grotesque. 

Avant  de  parler  de  ceux  que  tout  le  monde  peut  voir, 
de  ceux  qui  étalent  leur  médiocrité  en  pleine  lumière,  je 
me  fais  un  devoir  de  consacrer  la  plus  large  place  pos- 
sible à  celui  dont  on  a  volontairement  écarté  les  œuvres, 
et  que  l'on  n'a  pas  jugé  digne  de  figurer  parmi  quinze 
cents  à  deux  mille  impuissants  qui  ont  été  reçus  à  bras 
ouverts. 

Et  je  lui  dis  :  «  Consolez-vous.  On  vous  a  mis  à  part, 
et  vous  méritez  de  vivre  à  part.  Vous  ne  pensez  pas 


—  40  - 

comme  tous  ces  gens-là,  vous  peignez  selon  votre  cœur 
et  selon  votre  chair,  vous  êtes  une  personnalité  qui  s'af- 
firme carrément.  Vos  toiles  sont  mal  à  l'aise  parmi  les 
niaiseries  et  les  sentimentalités  du  temps.  Restez  dans 
votre  atelier.  C'est  là  que  je  vais  vous  chercher  et  vous 
admirer.  » 

Je  m'expliquerai  le  plus  nettement  possible  sur  M.  Ma- 
net.  Je  ne  veux  point  qu'il  y  ait  de  malentendu  entre  le 
public  et  moi.  Je  n'admets  pas  et  je  n'admettrai  jamais 
qu'un  jury  ait  eu  le  pouvoir  de  défendre  à  la  foule  la- 
vue  d'une  des  individualités  les  plus  vivantes  de  notre 
époque.  Comme  mes  sympathies  sont  en  dehors  du  Sa- 
lon, je  n'y  entrerai  que  lorsque  j'aurai  contenté  ailleurs 
mes  besoins  d'admiration. 

11  paraît  que  je  suis  le  premier  à  louer  sans  restric- 
tion M.  Manet.  C'est  que  je  me  soucie  peu  de  toutes  ces 
peintures  de  boudoir,  de  ces  images  coloriées,  de  ces 
misérables  toiles  où  je  ne  trouve  rien  de  vivant.  J'ai  déjà 
déclaré  que  le  tempérament  seul  m'intéressait. 

On  m'aborde  dans  les  rues,  et  on  me  dit  :  «  Ce  n  est 
pas  sérieux,  n'est-ce  pas?  Vous  débutez  à  peine,  vous 
voulez  couper  la  queue  de  votre  chien.  Mais,  puisqu'on 
ne  vous  voit  pas.  rions  un  peu  ensemble  du  haut  co- 
mique du  Dîner  sur  Vherbe^  de  V Olympia^  du  Joueur  de 
fifre.  » 

Ainsi  nous  en  sommes  à  ce  point  en  art,  nous  n'avons 
plus  même  la  liberté  de  nos  admirations.  Voilà  que  je 
pa;se  pour  un  garçon  qui  se  ment  à  lui-même  par  calcul. 
Et  mon  crime  est  de  vouloir  enfin  dire  la  vérité  sur  un 
artiste  qu'on  feint  de  ne  pas  comprendre  et  qu'on  chasse 
comme  un  lépreux  du  petit  monde  des  peintres. 


—  41   — 

L'opinion  de  la  majorilé  sur  M.  Manel  est  celle-ci  : 
M.  Manet  est  un  jeune  rapin  qui  s'enferme  pour  fumer 
et  boire  avec  des  galopins  de  son  Age.  Alors,  lorsqu'on  a 
vidé  des  tonnes  de  bière,  le  rapin  décide  qu'il  va  peindre 
des  caricatures  et  les  exposer  pour  que  la  foule  se 
moque  de  lui  et  retienne  son  nom.  Il  se  met  à  l'œuvre, 
il  fait  des  choses  inouïes,  il  se  tient  lui-même  les 
côtes  devant  son  tableau,  il  ne  rêve  que  de  se  moquer 
du  public  et  de  se  faire  une  réputation  d'homme  gro- 
tesque. 

Bonnes  gens  ! 

Je  puis  placer  ici  une  anecdote  qui  rend  admirable- 
ment le  sentiment  de  la  foule.  Un  jour,  M.  Manet  et  un 
littérateur  très-connu  étaient  assis  devant  un  café  des 
boulevards.  Arriv-e  un  journaliste  auquel  le  littérateur 
présente  le  jeune  maître.  «  M.  Manet,  »  dit-il.  Le  jour- 
naliste se  hausse  sur  ses  pieds,  cherche  à  droite,  cherche 
à  gauche;  puis  il  finit  par  apercevoir  devant  lui  l'artiste, 
modestement  assis  et  tenant  une  toute  petite  place.  «  Ah  ! 
pardon,  s'écrie-t-il,  je  vous  croyais  colossal,  et  je  cher- 
chais partout  un  visage  grimaçant  et  patibulaire.  » 

Voilà  tout  le  public. 

Les  artistes  eux-mêmes,  les  confrères,  ceux  qui  de- 
vraient voir  clair  dans  la  question,  n'osent  se  décider. 
Les  uns,  je  parle  des  sols,  rient  sans  regarder,  font  des 
gorges  chaudes  sur  ces  toiles  fortes  et  convaincues.  Les 
autres  parlent  de  talent  incomplet,  de  brutalités  voulues, 
de  violences  systématiques.  En  somme,  ils  laissent  plai- 
santer le  public,  sans  songer  seulement  à  lui  dire  :  «  Ne 
nez  pas  si  fort,  vous  ne  voulez  passer  pour  des  imbéciles. 
Il  n'y  a  pas  le  plus  petit  mot  pour  rire  dans  tout  ceci.  Il 

4. 


--   45>  — 

n'y  a  qu'un  artisle  sincère,  qui  obéit  à  sa  nature,  qui 
cherche  le  vrai  avec  fièvre,  qui  se  donne  entier  et  qui  n'a 
aucune  de  nos  lâchetés,  o 

Puisque  personne  ne  dit  cela,  je  vais  le  dire,  moi,  je 
vais  le  crier.  Je  suis  tellement  certain  que  M.  Manet  sera 
un  des  maîtres  de  demain,  que  je  croirais  conclure  une 
bonne  affaire,  si  j'avais  de  la  fortune,  en  achetant  au- 
jourd'hui toutes  ses  toiles.  Dans  dix  ans,  elles  se  ven- 
dront quinze  et  vingt  fois  plus  cher,  et  c'est  alors  que 
certains  tableaux  de  quarante  mille  francs  ne  vaudront 
pas  quarante  francs. 

Il  ne  faut  pourtant  pas  avoir  beaucoup  d'intelligence 
pour  prophétiser  de  pareils  événements. 

On  a  d'un  côté  des  succès  de  mode,  des  succès  de  sa- 
lons et  de  coteries;  on  a  des- artistes  qui  se  créent  une 
petite  spécialité,  qui  exploitent  un  des  goûts  passagers 
du  public;  on  a  des  messieurs  rêveurs  et  élégants  qui, 
du  bout  de  leurs  pinceaux,  peignent  des  images  mauvais 
teint  que  quelques  gouttes  de  pluie  effaceraient. 

D'un  autre  côté,  au  contraire,  on  a  un  bomme  s'at- 
taquant  directement  à  la  nature ,  ayant  remis  en  ques- 
tion l'art  entier,  cherchant  à  créer  de  lui-même  et  à  ne 
rien  cacher  de  sa  personnalité.  Est-ce  que  vous  croyez 
que  des  tableaux  peints  d'une  main  puissante  et  convain- 
cue ne  sont  pas  plus  solides  que  de  ridicules  gravures 
d'Epinal? 

Nous  irons  rire,  si  vous  le  voulez,  devant  les  gens  qui 
se  moquent  d'eux-mêmes  et  du  public,  en  exposant  sans 
honte  des  toiles  qui  ont  perdu  leur  valeur  première  de- 
puis qu'elles  sont  barbouillées  de  jaune  et  de  rouge.  Si 
la  foule  avait  reçu  une  forte  éducalion  artistique,  si  elle 
savait  admirer  seulement  les  lalents  individuels  et  non- 


—  43  ~ 

veaux,  je  yous  assure  que  le  Salon  serait  un  lieu  de  ré- 
jouissance publique,  car  les  visiteurs  ne  pourraient  par- 
courir deux  salles  sans  se  rendre  malades  de  gaîté.  Ce 
qu'il  y  a  de  prodigieusement  comique  à  l'Exposition,  ce 
sont  toutes  ces  œuvres  banales  et  impudentes  qui  s'étalent, 
montrant  leur  misère  et  leur  sottise. 

Pour  un  observateur  désintéressé,  c'était  un  spectacle 
navrant  que  ces  attroupements  bétes  devant  les  toiles  de 
M.  Manet.  J'ai  entendu  là  bien  des  platitudes.  Je  me  di- 
sais :  ce  Serons-nous  donc  toujours  si  enfants,  et  nous 
croirons-nous  donc  toujours  obligés  de  tenir  boutique 
d'esprit?  Voilà  des  individus  qui  rient,  la  bouche  ouverte, 
sans  savoir  pourquoi,  parce  qu'ils  sont  blessés  dans  leurs 
habitudes  et  dans  leurs  croyances.  Ils  trouvent  cela  drôle, 
et  ils  rient.  Ils  rient  comme  un  bossu  rirait  d'un  autre 
homme,  parce  que  cet  homme  n'aurait  pas  de  bosse.  » 

Je  ne  suis  allé  qu'une  fois  dans  l'atelier  de  M.  Manet; 
L'artiste  est  de  taille  moyenne,  plutôt  petite  que  grande  ; 
blond  de  cheveux  et  de  visage  légèrement  coloré,  il  pa- 
rait avoir  une  trentaine  d'années;  l'œil  est  "vif  et  intelli- 
gent, la  bouche  mobile,  un  peu  railleuse  par  instants  ;  la 
face  entière,  irrégulière  et  expressive,  a  je  ne  sais 
quelle  expression  de  finesse  et  d'énergie.  Au  demeurant, 
l'homme,  dans  ses  gestes  et  dans  sa  voix,  a  la  plus 
grande  modestie  et  la  plus  grande  douceur. 

Celui  que  la  foule  traite  de  rapin  gouailleur  vil  retiré, 
en  famille.  11  est  marié  et  a  l'existence  réglée  d'un  bour- 
geois. Il  travaille  d'ailleurs  avec  acharnement,  cherchant 
toujours,  étudiant  la  nature,  s'interrogeant  et  marchant 
dans  sa  voie. 

Nous  avons  causé  ensemble  de  l'altitude  (]u  public  à 


—  44  — 

son  égard.  Il  n'en  plaisante  pas,  mais  il  n'en  paraît  pas 
non  plus  découragé.  Il  a  foi  en  lui,  il  laisse  passer  tran- 
quillement sur  sa  tête  la  tempête  des  rires,  certain  que 
les  applaudissements  viendront. 

J'étais  enfin  en  face  d'un  lutteur  conyaincu,  en  face 
d'un  homme  impopulaire  qui  ne  tremblait  pas  devant  le 
public,  qui  ne  cherchait  pas  à  apprivoiser  la  béte,  mais 
qui  s'essayait  plutôt  à  la  dompter,  à  lui  imposer  son  tem- 
pérament. 

C'est  dans  cet  atelier  que  j  ai  compris  complètement 
M.  Manet.  Je  l'avais  aimé  d'inslinct  ;  dés  lors,  j'ai  pénétré 
son  talent,  ce  talent  que  je  vais  tâcher  d'analyser.  Au 
Salon,  ses  toiles  criaient  sous  la  lumière  crue,  au  milieu 
des  images  à  un  sou  qu'on  avait  collées  au  mur  autour 
d'elles.  Je  les  voyais  enfin  à  part,  ainsi  que  tout  tableau 
doit  être  vu,  dans  le  lieu  même  oîi  elles  avaient  été 
peintes. 

Le  talent  de  M.  Manet  est  fait  de  simplicité  et  de  jus- 
tesse. Sans  doute,  devant  la  nature  incroyable  de  cer- 
tains de  ses  confrères,  il  se  sera  décidé  à  interroger  la 
réalité,  seul  à  seule  -,  il  aura  refusé  toute  la  science  ac- 
quise, toute  l'expérience  ancienne,  il  aura  voulu  prendre 
l'art  au  commencement,  c'est-à-dire  à  l'observation  exacte 
des  objets. 

Il  s'est  donc  mis  courageusement  en  face  d'un  sujet,  il 
a  vu  ce  sujet  par  larges  taches,  par  oppositions  vigou- 
reuses, et  il  a  peint  àpremcnt  chaque  chose  telle  qu'il  la 
voyait.  Qui  ose  parler  ici  de  calcul  mesquin,  qui  ose  accu- 
ser un  artiste  consciencieux  de  se  moquer  de  lart  et  de 
lui-même?  11  faudrait  punir  les  railleurs,  car  ils  insultent 
un  homme  qui  sera  une  de  nos  gloires,  et  ils  l'insultent 
misérablement,  riant  de  lui  qui  ne  daigne  même  pas  rire 


-^  45  — 

d'eux.  Je  vous  assure  que  vos  grimaces  et  que  vos  rica- 
nements l'inquiètent  peu. 

J'ai  revu  le  Dî?ier  sur  l'herbe^  ce  chef-d'œuvre  exposé 
au  Salon  des  Refusés,  et  je  défie  nos  peintres  en  vogue  de 
nous  donner  un  horizon  plus  large  et  plus  empli  d'air  et 
de  lumière.  Oui,  vous  riez  encore,  parce  que  les  ciels 
violets  de  M.  Nazon  vous  ont  gâtés.  Il  y  a  ici  une 
nature  bien  bâtie  qui  doit  vous  déplaire.  Puis  nous 
n'avons  ni  la  Cléopâtre  en  marbre  de  M.  Gérôme,  ni  les 
jolies  personnes  roses  et  blanches  de  M.  Dubufle.  Nous 
ne  trouvons  malheureusement  là  que  des  personnages  de 
tous  les  jours,  qui  ont  le  tort  d'avoir  des  muscles  et  des  os, 
comme  tout  le  monde.  Je  comprends  votre  désappointe- 
ment et  votre  gaieté,  en  face  de  cette  toile  ;  il  aurait  fallu 
chatouiller  votre  regard  avec  des  images  de  boîtes  à 
gants. 

J'ai  revu  également  Y  Olympia,  qui  a  le  défaut  grave  de 
ressemblera  beaucoup  de  demoiselles  que  vous  connais- 
sez. Puis,  n'est-ce  pas?  quelle  étrange  manie  que  de 
peindre  autrement  que  les  autres  I  Si,  au  moins,  M.  Ma- 
net  avait  emprunté  la  houppe  à  poudre  de  riz  de  M.  Ca- 
banel  et  s'il  avait  un  peu  fardé  les  joues  et  les  seins 
d'Olympia,  la  jeune  fille  aurait  été  présentable.  Il  y  a  là 
aussi  un  chat  qui  a  bien  ajnusé  Je  public.  Il  est  vrai  que 
ce  chat  est  d'un  haut  comique,  n'est-ce  pas?  et  qu'il  faut 
être  insensé  pour  avoir  mis  un  chat  dans  ce  tableau.  Un 
chat,  vous  imaginez-vous  cela.  Un  chat  noir,  qui  plus  est. 
C'est  très-drôle...  0  mes  pauvres  concitoyens,  avouez  que 
vous  avez  l'esprit  facile.  Le  chat  légendaire  d'Olympia 
est  un  indice  certain  du  but  que  vous  vous  proposez  en 
vous  rendant  au  Salon.  Vous  allez  y  chercher  des  ehals. 


—  46  - 

avouez-le,  et  vous  n'avez  pas  perdu  votre  journée  lors- 
que vous  trouvez  un  chat  noir  qui  vous  égayé. 

Mais  l'œuvre  que  je  préfère  est  certainement  le  Joueur 
de  fifre,  toile  refusée  cette  année.  Sur  un  fond  gris  et  lu- 
mineux, se  détache  le  jeune  musicien,  en  petite  tenue, 
pantalon  rouge  et  bonnet  de  police.  Il  souffle  dans  son 
instrument,  se  présentant  de  face.  J'ai  dit  plus  haut  que 
le  talent  de  M.  Manet  était  fait  do  justesse  et  de  simpli- 
cité, me  souvenant  surtout  de  l'impression  que  m'a 
laissée  cette  toile.  Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  possible  d'ob- 
tenir un  effet  plus  puissant  avec  des  moyens  moins  com- 
pliques. 

Le  tempérament  de  M.  Manet  est  un  tempérament  sec, 
emportant  le  morceau.  Il  arrête  puissamment  ses  figures, 
il  ne  recule  pas  devant  les  brusqueries  de  la  nature;  il 
passe  du  blanc  au  noir  sans  hésiter,  il  rend  dans  leur 
vigueur  les  différents  objets  se  détachant  les  uns  sur  les 
autres.  Tout  son  être  le  porte  à  voir  par  taches,  par  mor- 
ceaux simples  et  énergiques.  On  peut  dire  de  lui  qu'il  se 
contente  de  chercher  des  tons  justes  et  de  les  juxtaposer 
ensuite  sur  une  toile.  Il  arrive  que  la  toile  se  couvre 
ainsi  d'une  peinture  solide  et  forte.  Je  retrouve  dans  le 
tableau  un  homme  qui  a  la  curiosité  du  vrai  et  qui  tire 
de  lui  un  monde  vivant  d'une  vie_  particulière  et  puis- 
sante. 

Vous  savez  quel  effet  produisent  les  toiles  de  M.  Manet 
au  Salon.  Elles  crèvent  le  mur,  tout  simplement.  Tout 
autour  d'elles  s'étalent  les  douceurs  des  confiseurs  artis^ 
tiques  à  la  mode,  les  arbres  en  sucre  candi  et  les  mai- 
sons en  croûte  de  pâté,  les  bons  hommes  en  pain  d'épi- 
ces  et  les  bonnes  femmes  faites  de  crème  à  la  vanille.  La 
boutique  de  bonbons  devient  plus  rose  et  plus  douce,  et 


—  47  — 

les  loiles  vivantes  de  Tailisle  semblent  prendre  une  cer- 
taine amertume  au  milieu  de  ce  fleuve  de  lait.  Aussi,  faut- 
il  voir  les  grimaces  des  grands  enfants  qui  passent  dans 
la  salle.  Jamais  vous  ne  leur  ferez  avaler  pour  deux  sous 
de  véritable  mnde  crue;  mais  ils  se  gorgent  comme  des 
malheureux  de  toutes  les  sucreries  écœurantes  qu'on 
leur  sert. 

Ne  regardez  plus  les  tableaux  voisins.  Regardez  les 
personnes  vivantes  qui  sont  dans  la  salle.  Eludiez  les  op- 
positions de  leurs  corps  sur  le  parquet  et  sur  les  murs. 
Puis,  regardez  les  toilesdeM.  Manet  :  vous  verrez  que  là 
est  la  vérité  et  la  puissance.  Regardez  maintenant  les  au- 
tres toiles,  celles  qui  sourient  bêtement  autour  de  vous  : 
vous  éclatez  de  rire,  n'est-ce  pas? 

La  place  de  M.  Manet  est  marquée  au  Louvre,  comme 
celle  de  Courbet,  comme  celle  de  tout  artiste  d'un  tem- 
pérament fort  et  implacable.  D'ailleurs,  il  n'y  a  pas  la 
moindre  ressemblance  entre  Courbet  et  M.  Manet,  et  ces 
artistes,  s'ils  sont  logiques,  doivent  se  nier  l'un  l'autre. 
C'est  justement  parce  qu'ils  n'ont  rien  de  semblable, 
qu'ils  peuvent  vivre  chacun  d'une  vie  particulière. 

Je  n'ai  pas  de  parallèle  à  établir  entre  eux,  j'obéis  à 
ma  façon  de  voir  en  ne  mesurant  pas  les  artistes  d'après 
un  idéal  absolu  et  en  n'acceptant  que  les  individualités 
uniques,  celles  qui  s'affirment  dans  la  vérité  et  dans  la 
puissance. 

Je  connais  la  réponse  :  «  Vous  prenez  l'étrangeté  pour 
l'originalité,  vous  admettez  donc  qu'il  suffit  de  faire  au- 
trement que  les  autres  pour  faire  bien.  »  Allez  dans  l'ate- 
lier de  M.  Manet,  messieurs;  puis  revenez  dans  le  vôtre 
et  tâchez  de  faire  ce  qu'il  fait,  amusèz-vous  à  imiter  ce 
peintre  qui,  selon  vous,  a  pris  en  fermage  l'hilarilé  pu- 


—  48  — 

blique.  Vous  verrez  alors  qu'il  n'est  pas  si  facile  de  faire 
rire  le  monde. 

J'ai  tâché  de  rendre  à  M.  Manetla  place  qui  lui  appar- 
tient, une  des  premières.  On  rira  peut-être  du  panégy- 
riste comme  on  a  ri  du  peintre.  Un  jour,  nous  serons  ven- 
gés tous  deux.  Il  y  H  une  vérité  éternelle  qui  me  soutient 
en  critique  :  c'est  que  les  tempéraments  seuls  vivent  et 
dominent  les  âges.  Il  est  impossible,— impossible,  enten- 
dez-vous,—que  M.  Manet  n'ait  pas  son  jour  de  triomphe, 
et  qu'il  n'écrase  pas  les  médiocrités  timides  qui  l'entou- 
rent. 

Ceux  qui  doivent  trembler,  ce  sont  les  faiseurs,  les 
hommes  qui  ont  volé  un  semblant  d'originalité  aux  maî- 
tres du  passé;  ce  sont  ceux  qui  calligraphient  des  arbres 
et  des  personnages,  qui  ne  savent  ni  ce  qu'ils  sont  ni  ce 
que  sont  ceux  dont  ils  rient.  Ceux-là  seront  les  morts  de 
demain;  il  yen  a  qui  sont  morts  depuis  dix  ans,  lorsqu'on 
les  enterre,  et  qui  se  survivent  en  criant  qu'on  offense  la 
dignité  de  l'art  si  l'on  introduit  une  toile  vivante  dans 
celte  grande  fosse  commune  du  Salon. 


LES  RÉALISTES  DU  SALON 


11  mai. 

Je  serais  désespéré  si  mes  lecteurs  croyaient  un  ins- 
tant que  je  suis  ici  le  porle-drapeau  d'une  école.  Ce  se- 
rait bien  mal  me  comprendre  que  de  faire  de  moi  un 
réaliste  quand  même,  un  homme  enrégimenté  dans  un 
parti. 

Je  suis  de  mon  parti,  du  parti  de  la  vie  et  de  la 
vérité,  voilà  tout.  J'ai  quelque  ressemblance  avec  Dio- 
gène,  qui  cherchait  un  homme  ;  moi ,  en  art,  je  cherche 
aussi  des  hommes,  des  tempéraments  nouveaux  et  puis- 
sants. 

Je  me  moque  du  réalisme,  en  ce  sens  que  ce  mol  ne 
représente  rien  de  bien  précis  pour  moi.  Si  vous  entendez 
par  ce  terme  la  nécessité  oîi  sont  les  peintres  d'étudier  et 
de  rendre  la  nature  vraie,  il  est  hors  de  doute  que  tous 
les  artistes  doivent  être  des  réalistes.  Peindre  des  rêves 
est  un  jeu  d'enfant  et  de  femme  ;  les  hommes  ont  charge 
de  peindre  des  réalités. 

Ils  prennent  la  nature  et  ils  la  rendent,  ils  la  rendent 
vue  à  travers  leurs  tempéraments  particuliers.  Chaque 
artiste  va  nous  donner  ainsi  un  monde  différent,  et  j'ac- 

5 


-  50  — 

ceplerai  volontiers  tous  ces  divers  mondes,  pourvu  que 
chacun  d'eux  soit  l'expression  vivante  d'an  cœur.  J'ad- 
mire les  mondes  de  Delacroix  etide  Courbet.  Devant  cette 
déclaration,  on  ne  saurait,  je  crois,  me  parquer  dans  au- 
cune école. 

Seulement,  voici  ce  qu'il  arrive  en  nos  temps  d'analyse 
psychologique  et  physiologique.  Le  vent  est  à  la  science  ; 
nous  sommes  poussés  malgré  nous  vers  l'étude  exacte  des 
faits  et  des  choses.  Aussi,  toutes  les  fortes  individualités 
qui  se  révèlent,  s'aflirment-elles  dans  le  sens  de  la  vérité. 
Le  mouvement  de  l'époque  est  certainement  réaliste,  ou 
plutôt  positiviste.  Je  suis  donc  forcé  d'admirer  des  hom- 
mes qui  paraissent  avoir  quelque  parenté  entre  eux,  la 
parenté  de  l'heure  à  laquelle  ils  vivent. 

Mais  qu'il  naisse  demain  un  génie  autre,  un  esprit  qui 
réagira,  qui  nous  donnera  avec  puissance  une  terre  nou- 
velle, la  sienne,  je  lui  promets  mes  applaudissements.  Je 
ne  saurais  trop  le  répéter,  je  cherche  des  hommes  et  non 
pas  des  mannequins,  des  hommes  de  chair  et  d'os,  se  con- 
fessant à  nous,  et  non  pas  des  menteurs  qui  n'ont  que  du 
son  dans  le  ventre. 

On  m'écrit  que  je  loue  «  la  peinture  de  Tavenir.  »  Je 
ne  sais  ce  que  peut  signifier  celte  expression.  Je  crois  que 
chaque  génie  nait  indépendant  et  qu'il  ne  laisse  pas  de 
disciples.  La  peinture  de  l'avenir  m'inquiète  peu;  elle 
sera  ce  que  la  feront  les  artistes  et  les  sociétés  de  de- 
main. 

Le  grand  épouvantail,  croyez-le,  ce  n'est  pas  le  réa- 
lisme, c'est  le  tempérament.  Tout  homme  qui  ne  res- 
semble pas  aux  autres,  devient  par  là  même  un  objet  de 
défiance.  Dès  que  la  foule  ne  comprend  plus,  elle  rit.  Il 


—  51  — 

faut  toute  une  éducation  pour  faire  accepter  le  génie. 
L'histoire  de  la  littérature  et  de  Fart  est  une  sorte  de 
martyrologe  qui  conte  les  huées  dont  on  a  couvert 
chacune  des  manifestations  nouvelles  de  l'esprit  hu- 
main. 

Il  y  a  des  réalistes  au  Salon,—  je  ne  dis  plus  des  tem- 
péraments,--il  y  a  des  artistes  qui  prétendent  donner  la 
nature  vraie,  avec  toutes  ses  crudités  et  toutes  ses  vio- 
lences. 

Pour  bien  établir  que  je  me  moque  de  Tobservation 
plus  ou  moins  exacte,  lorsqu'il  n'y  a  pas  une  individua- 
lité puissante  qui  fasse  vivre  le  tableau,  je  vais  d'abord 
dire  mon  opinion  toute  nue  sur  MM.  Monet,  Ribot,  Yol- 
lon,  Bonvin  et  Roybet. 

Je  mets  MM.  Courbet  et  Millet  à  part,  désirant  leur 
consacrer  une  étude  parliculicre. 

'  J'avoue  que  la  toile  qui  m'a  le  plus  longtemps  arrêté 
est  la  Camille,  de  M.  Monet.  C'est  là  une  peinture  éner- 
gique et  vivante.  Je  venais  de  parcourir  ces  salles  si 
froides  et  si  vides,  las  de  ne  rencontrer  aucun  talent  nou- 
veau, lorsque  j'ai  aperçu  cette  jeune  femme,  traînant  sa 
longue  robe  et  s'enfonçant  dans  le  mur,  comme  s'il  y 
avait  eu  un  trou.  Vous  ne  sauriez  croire  combien  il  est 
bon  d'admirer  un  peu,  lorsqu'on  est  fatigué  de  rire  et  de 
hausser  les  épaules. 

Je  ne  connais  pas  M.  Monet,  je  crois  même  que  jamais 
auparavant  je  n'avais  regardé  attentivement  une  de  ses 
toiles.  Il  me  semble  cependant  quejesuisun  de  ses  vieux 
amis.  Et  cela  parce  que  son  tableau  me  conte  toute  une 
histoire  d'énergie  et  de  vérité. 

Eh  oui  !  voilà  un  tempérament,  voilà  un  homme  dans 


—  52  — 

la  foule  de  ces  ennuques.  Regardez  les  toiles  voisines,  et 
voyez  quelle  piteuse  mine  elles  font  à  côté  de  cette  fe- 
nêtre ouverte  sur  la  nature.  Ici,  il  y  a  plus  qu'un  réaliste, 
il  y  a  un  interprète  délicat  et  fort  qui  a  su  rendre  chaque 
détail  sans  tomber  dans  la  sécheresse. 

Voyez  la  robe.  Elle  est  souple  et  solide.  Elle  traîne  mol- 
lement, elle  vit,  elle  dit  tout  haut  qui  €st  cette  femme.  Ce 
n'est  pas  là  une  robe  de  poupée ,  un  de  ces  chiffons  de 
mousseline  dont  on  habille  les  rêves;  c'est  de  la  bonne 
soie,  point  usée  du  tout  et  qui  serait  trop  lourde  sur  les 
crèmes  fouettées  de  M.  Dubuffe. 

Vous  voulez  des  réalistes,  des  tempéraments,  m'a-t-on 
écrit,  prenez  M.  Ribot.  Je  nie  que  M.  Ribot  ait  un  tempé- 
rament qui  lui  apparlienne,  et  je  nie  qu'il  rende  la  na- 
ture dans  sa  vérité. 

La  vérité  d'abord.  Regardez  cette  grande  toile  :  Jésus 
est  au  milieu  des  docleurs,  dans  un  coin  du  temple^  il  y 
a  de  larges  ombres;  des  lumières  s'étalent  par  plaques 
blafardes.  Où  est  le  sang,  où  est  la  vie?  Ça,  de  la  réalité  ! 
Mais  les  têtes  de  cet  enfant  et  de  ces  hommes  sont 
creuses  ;  il  n'y  a  pas  un  os  dans  ces  chairs  flasques  et 
bouffies.  Ce  n'est  pas  parce  que  les  types  sont  vulgaires, 
n'esi-ce  pas,  que  vous  voulez  me  donner  ce  tableau  pour 
une  œuvre  réelle?  J'appelle  réelle,  une  oeuvre  qui  vit, 
une  œuvr^  dont  les  personnages  puissent  se  mouvoir  et 
parler.  Ici,  je  ne  vois  que  des  créatures  mortes,  toutes 
pâles  et  toutes  dissoutes. 

Qu'importe  la  vérité!  ai-je  dit,  si  le  mensonge  est 
commis  par  un  tempérament  particulier  et  puissant. 
Alors,  M.  Ribot  doit  avoir  tout  ce  qu'il  faut  pour  me 
plaire.  Ces  lumières  blanchâtres,  ces  ombres  sales  sont 


—  53  — 

de  simplos  partis  pris;  l'arlisle  a  imposé  sou  indivi- 
dualité à  la  nature,  et  il  a  créé  de  toutes  pièces  ce 
monde  blafard.  Le  malheur  est  qu'il  n'a  rien  créé  du 
tout;  son  monde  existe  depuis  bien  longtemps.  C'est 
Ln  monde  espagnol  à  peine  francisé.  Non-seulement 
l'œuYre  n'est  pas  vraie,  ne  -vit  pas,  mais  de  plus  c'est 
qu'elle  n'est  pas  une  expression  nouvelle  du  génie  hu- 
irain. 

M.  Ribot  n'a  rien  ajouté  à  l'art,  il  n'a  pas  dit  son  mot 
propre,  il  ne  nous  a  pas  révélé  un  cœur  et  une  chair. 
C  est  ici  un  tempérament  inutile,  une  rencontre  mal- 
heureuse, si  Ton  veut.  Certes,  je  préfère  cette  puissance 
fausse,  cette  individualité  de  contrebande,  aux  déso- 
lantes gentillesses  dont  j'aurai  à  parler.  Mais,  tout  au 
fond  de  moi,  j'entends  une  voix  qui  me  crîe  :  «  Prends 
garde!  celui-là  est  perfide;  il  paraît  énergique  et  vrai  ; 
ya.  jusqu'aux  moelles,  tu  trouveras  le  mensonge  et  le 
néant,  r 

Le  réalisme,  pour  bien  des  personnes,  —  pour  M.  Yol- 
lon,  par  exemple,  —  consiste  dans  le  choix  d'un  sujet 
Yulgaire.  Cette  année,  M.  VoUon  a  été  réaliste,  en 
représentant  une  servante  dans  sa  cuisine.  La  bonne 
grosse  fille  revient  du  marché,  et  a  déposé  à  terre 
ses  provisions.  Elle  est  vêtue  d'une  jupe  rouge  et 
s'appuie  au  mur,  montrant  ses  bras  baies  et  sa  ligure 
épaisse. 

Moi,  je  ne  vois  rien  de  réel  là^dedans,  car  cette  ser- 
vante est  en  bois,  et  elle  est  si  bien  collée  au  mur  que 
rien  ne  pourrait  l'en  détacher.  Les  objets  se  comportent 
autrement  dans  la  nature,  sous  la  large  lumière.  Les  cui- 
sines sont  pleines  d'air,  d'habitude,  et  chaque  chose  n'y 

5. 


—  54  — 

prend  pas  ainsi  une  couleur  cuite  et  rissolée.  Puis, 
clans  les  intérieurs,  les  oppositions,  les  taches  sont  vi- 
goureuses, bien  qu'adoucies  ;  tout  ne  s'en  Tient  pas  sur 
un  même  plan.  La  vérité  est  plus  brutale,  plus  éner- 
gique que  cela. 

Peignez  des  roses,  mais  peignez-les  vivantes,  si  vous 
vous  dites  réaliste. 

M.  Bonvin  me  paraît  être  également  un  amant  plato- 
nique de  la  vérité.  Ses  sujets  sont  pris  dans  la  vie  réelle, 
mais  la  façon  dont  il  Iraile  les  réalités  pourrait  tout 
aussi  bien  êU'C  employée  pour  traiter  les  rêves  de  cer- 
tains peintres  en  vogue.  Il  y  a  je  ne  sais  quelle  séche- 
resse et  quelle  petitesse  dans  l'exécution  qui  ôte  toute 
vie  au  personnage. 

La  Grand' maman  que  M.  Bonvin  expose,  est  une  bonne 
vieille  tenant  une  bible  sur  ses  genoux  et  humant 
son  café,  qu'on  lui  apporte.  La  face  m'a  paru  tendue 
et  grimaçante;  elle  est  trop  détaillée;  le  regard  se 
perd  dans  ces  rides  rendues  avec  amour,  et  préférerait 
un  visage  d'un  seul  morceau,  bâti  solidement.  L'effet 
s'éparpille,  la  tête  ne  s'enlève  pas  puissamment  sur  le 
fond. 

Avant  l'ouverture  du  Salon,  on  a  fait  quelque  bruit 
autour  de  la  toile  de  M.  Roybet,  Un  Fou  sous  Henri  III. 
On  parlait  d'une  personnalité  fortement  accusée,  d'un 
réalisme  large.  J'ai  vu  la  toile,  et  je  n'ai  pas  compris  ces 
applaudissements  donnés  à  l'avance.  C'est  là  de  la  pein- 
ture honnêle,  plus  solide  assurément  que  celle  de  M.  Ha- 
mon,  mais  d'une  énergie  fort  modérée. 

La  personnalité  annoncée  ne  s'est  pas  révélée  à  mes 
regards. 


—  55  — 

Le  fou,  tout  de  rouge  habillé,  lient  en  laisse  deux 
dogues  qui  ont  Tair  de  deux  bons  enfants;  il  rit,  mon- 
trant les  dents,  et  on  dirait,  à  le  Toir,  un  satyre  ha- 
billé. 

Le  sujet  importe  peu  d'ailleurs,  et  le  pis  est  que  je 
trouve  ces  chiens,  surtout  cet  homme,  traités  d'une 
façon  petite.  Ici,  encore,  les  détails  dominent  l'ensem- 
ble ;  les  étoffes  manquent  de  souplesse,  les  mains  du  per- 
sonnage ressemblent  à  deux  palettes  de  bois,  et  la  face 
paraît  ciselée  avec  soin. 

Je  ne  sens  pas  la  chair,  dans  tout  ceci,  et  si  j'éprouve 
quelque  sympathie,  c'est  pour  les  deux  dogues  qui  sont 
plantés  beaucoup  plus  carrément  que  leur  maître. 

Voilà  donc  les  quelques  réalistes  du  Salon.  Je  puis  en 
omettre;  mais,  en  tous  cas,  j'ai  nommé  et  étudié  les 
principaux.  J'ai  voulu  simplement,  je  le  répète,  faire 
comprendre  que  je  ne  me  parque  dans  aucune  école,  et 
que  je  demande  uniquement  à  l'artiste  d'être  personnel 
et  puissant. 

J'ai  tenu  à  être  d'autant  plus  sévère  que  je  crai- 
gnais d'avoir  été  mal  compris.  Je  n'ai  aucune  sympathie 
pour  la  charge  du  tempérament,  --  qu'on  me  passe  ce 
mot,  —  et  je  n'accepte  que  les  individualités  vraiment 
individuelles  et  nettement  accusées.  Toute  école  me 
déplaît,  car  une  école  est  la  négation  même  de  la  li- 
berté de  création  humaine.  Dans  une  école,  il  y  a  un 
homme,  le  maître  ;  les  disciples  sont  forcément  des  imita- 
teurs. 

Donc  pas  plus  de  réalisme  que  d'autre  chose.  De  la 
vérité,  si  l'on  veut,  de  la  vie,  mais  surtout  des  chairs  et 
de*  cœurs  différents  interprétant  différemment  la  na- 


—  56  — 

ture.  La  définition  d'une  œuvre  d'art  ne  saurait  être 
autre  que  celle-ci  :  Une  œuvre  d'art  est  un  coin  de  la 
créatien  vu  à  travers  un  tempérament  (-1). 

(1)  Ici  le  peuple  proteste,  les  abonnés  se  fâchent.  Le  panégy- 
rique (le  M.  Manet  a  porté  tous  ses  fruits  :  un  critique  qui  admire 
un  tel  peintre  ne  peut  être  toléré.  On  demande  violemment  mon 
abdication  (voir  les  lettres  de  l'Appendice).  M.  de  Villemessant, 
pour  lequel  je  me  sens  la  plus  vive  reconnaissance, — je  ne 
saurais  trop  le  répéter,  —  est  obligé  de  céder  au  public.  11  est 
convenu,  entre  lui  et  moi,  qu'il  va  faire  droit  aux  réclamations, 
en  m'adjoignant  un  de  mes  honorables  confrères,  M.  Théodore 
Pelloquet,  et  en  nous  accordant  trois  articles  à  chacun.  L'Évé^ 
nement  contiendra  ainsi  des  jugements  pour  tous  les  goûts;  le 
public  n'aura  plus  à  se  plaindre  que  de  la  diversité  des  mets. 


LES  CHUTES 


15  mai. 

Il  y  a,  en  ce  moment,  une  excellente  comédie  qui  se 
joue,  au  Salon,  en  face  des  tableaux  de  Courbet.  Ce  que 
je  trouve  de  plus  curieux  à  étudier,  même  au  point  de 
vue  de  Tart,  ce  ne  sont  pas  toujours  les  artistes,  ce  sont 
souvent  Tes  visiteurs  qui  par  un  seul  mot,  par  un  simple 
geste ,  avouent  naïvement  où  nous  en  sommes  en  ma- 
tière artistique.  Il  est  bon  parfois  d'interroger  la  foule. 

Cette  année,  il  est  admis  que  les  toiles  de  Courbet  sont 
charmantes.  On  trouve  son  paysage  exquis  et  son  étude  de 
femme  très-convenable.  J'ai  vu  s'extasier  des  personnes 
qui,  jusqu'ici,  s'étaient  montrées  très  dures  pour  le  maître 
d'Ornans.  Voilà  qui  m'a  mis  en  défiance.  J'aime  à  m'ex- 
pliquer  les  choses,  et  je  n'ai  pas  compris  tout  de  suite  ce 
brusque  saut  de  l'opinion  publique. 

Mais  tout  a  été  expliqué,  lorsque  j'ai  regardé  les  toiles 
déplus  près.  Je  l'ai  dit,  la  grande  ennemie,  c'est  la  per- 
sonnalité, l'impression  étrange  d'une  nature  individuelle. 
Un  tableau  est  d'autant  plus  goûté  qu'il  est  moins  per- 
sonnel. Courbet,  cette  année,  a  arrondi  les  angles  trop 
rudes  de  son  génie;  il  a  fait  patte  de  velours,  e(  voilà  la 


—  58  — 

foule  charmée  qui  le  trouve  semblable  à  tout  le  monde 
et  qui  applaudit,  satisfaite  de  voir  enfin  le  maître  à  ses 
pieds. 

Je  ne  le  cache  pas,  j'éprouve  une  intime  volupté  à  pé- 
nétrer les  secrets  ressorts  d'une  organisation  quelconque. 
J'ai  plus  souci  de  la  vie  que  de  l'art.  Je  m'amuse  énormé- 
ment a  étudier  les  grands  courants  humains  qui  traver- 
sent les  foules  et  qui  les  jettent  hors  de  leurs  lits.  Rien  ne 
m'a  paru  plus  curieux  que  ce  fait  d'un  esprit  puissant, 
admiré  justement  le  jour  où  il  a  perdu  quelque  chose  de 
sa  puissance. 

J'admire  Courbet,  et  je  le  prouverai  tout  à  l'heure. 
Mais,  je  vous  prie,  reportez-vous  à  cette  époque  où  il  pei- 
gnait la  Baigneuse  et  le  Convoi  d'Ornans^  et  dites-moi  si 
ces  deux  toiles  magistrales  ne  sont  pas  autrement  fortes 
que  les  deux  délicieuses  choses  de  cette  année.  Et  pour- 
tant, au  temps  de  la  Baigneuse  et  du  Convoi  d'Ornans, 
Courbet  prêtait  à  rire,  Courbet  était  lapidé  par  le  public 
scandalisé.  Aujourdluii,  personne  ne  rit,  personne  ne 
jette  des  pierres.  Courbet  a  rentré  ses  serres  d'aigle,  il  ne 
s'est  pas  livré  entier,  et  tout  le  monde  bat  des  mains, 
tout  le  monde  lui  décerne  des  couronnes. 

Je  n'ose  formuler  une  règle  qui  s'impose  forcément  à 
moi  :  c'est  que  l'admiration  de  la  foule  est  toujours  en 
raison  indirecte  du  génie  individuel.  Vous  êtes  d'autant 
plus  admiré  et  compris,  que  vous  êtes  plus  ordinaire. 

C'est  là  un  aveu  grave  que  me  fait  la  foule.  J'ai  le 
plus  grand  respect  pour  le  public;  mais  si  je  n'ai  pas  la 
prétention  de  le  conduire,  j'ai  au  moins  le  droit  de  l'étu- 
dier. 

Puisque  je  le  vois  aller  aux  tempéraments  affadis,  aux 


—  59  — 

esprits  complaisants,  je  mets  en  doute  ses  jugements,  et 
je  songe  que  je  n'ai  pas  eu  un  tort  aussi  grand  qu'on  veul 
bien  le  dire,  en  admirant  un  paria,  un  lépreux  de  Tart. 

Et  comme  je  ne  veux  pas  qu'on  se  méprenne  sur  les 
sentiments  d'admiration  profonde  que  j'éprouve  pour 
Courbet,  je  dis  ici  ce  que  j'ai  déjà  dit  ailleurs,  il  y  a  un 
an.  lors  de  l'apparition  du  livre  de  Proudhon. 

Mon  Courbet,  à  moi,  est  simplement  une  personnalité. 
Le  peintre  a  commencé  par  imiter  les  Flamands  et  cer- 
tains maîtres  de  la  Renaissance;  mais  sa  nature  se  révol- 
tait, et  il  se  sentait  entraîné  par  toute  sa  chair,  —  par 
toute  sa  chair,  entendez-vous?  —  vers  le  monde  ma- 
tériel qui  l'entourait,  les  femmes  grasses  et  les  hommes 
puissants,  les  campagnes  plantureuses  et  largement  fé- 
condes. Trapu  et  vigoureux,  il  avait  1  âpre  désir  de  serrer 
entre  ses  bras  la  nature  vraie  5  il  voulait  peindre  en 
pleine  viande  et  en  plein  terreau. 

La  jeune  génération,  je  parle  des  jeunes  gens  de  vingt 
à  vingt-cinq  ans,  ne  connaît  presque  pas  Courbet.  Il  m"a 
été  donné  de  voir  rue  Hautefeuille,  dans  latelier  du 
maître,  pendant  une  de  ses  absences,  certains  de  ses  pre- 
miers tableaux.  Je  me  suis  étonné,  et  je  n'ai  pas  trouvé 
le  plus  petit  mot  pour  rire  dans  ces  toiles  graves  et  fortes 
dont  on  m'avait  fait  des  monstres.  Je  m'attendais  à  des 
caricatures,  à  une  fantaisie  folle  et  grotesque,  et  j'étais 
devant  une  peinture  serrée  et  large,  d'un  fini  et  d'une 
franchise  extrêmes. 

Les  types  étaient  vrais,  sans  être  vulgaires;  les  chairs, 
fermes  et  souples,  vivaient  puissamment  5  les  fonds 
s'emplissaient  d^air  et  donnaient  aux  figures  une  vigueur 
étonnante.  La  coloration,  un  peu  sourde,  a  une  harmonie 
presque  douce,  tandis  que  la  justesse  des  tons  et  l'am- 


—  60  — 

pleur  du  métier  établissent  les  plans  et  font  que  chaque 
détail  a  un  relief  étrange.  En  fermant  les  yeux,  je  revois 
ces  toiles  énergiques,  d'une  seule  masse,  bâties  à  chaux 
et  à  sable,  réelles  jusqu'à  la  vie  et  belles  jusqu'à  la 
vérité.  Courbet  appartient  à  la  famille  des  faiseurs  de 
chair. 

Certes,  je  ne  puis  être  accusé  de  mesurer  l'éloge 
au  maître.  Je  l'aime  dans  sa  puissance  et  sa  person- 
nalité. 

Il  m'est  permis  de  lui  montrer  la  foule  qui  se  groupe 
autour  de  ses  toiles  et  de  lui  dire  : 

—  Prenez  garde,  voilà  que  vous  passez  dans  l'admi- 
ration publique.  Je  sais  bien  qu'un  jour  votre  apothéose 
viendra.  Mais,  à  votre  place,  je  me  fâcherais  de  me  voir 
accepté  juste  à  l'heure  où  ma  main  aurait  faibli,  où  je 
n'aurais  pas  fouillé  au  fond  de  moi  pour  me  donner  dans 
ma  nature,  sans  ménagements  ni  concessions. 

Je  ne  nie  point  que  la  Femme  au  perroquet  ne  soit  ivie 
solide  peinture,  très-travaillée  et  très-nette;  je  ne  nie 
point  que  la  Remise  des  chevreuils  n'ait  un  grand  charm.o, 
beaucoup  d'air  et  beaucoup  de  vie;  mais  il  manque  à  c^s 
toiles  le  je  ne  sais  quoi  de  puissant  et  de  voulu  qui  est 
Courbet  tout  entier.  Il  y  a  douceur  et  sourire;  CourbL-t, 
pour  l'écraser  d'un  mot,  a  fait  du  joli  ! 

On  parle  de  la  grande  médaille.  Si  j'étais  Courbet,  je 
ne  voudrais  pas,  pour  la  Femme  au  perroquet,  d'une  ré- 
compense suprême  qu'on  a  refusée  à  la  Curée  et  aux 
Casseurs  de  pierre.  J'exigerais  qu'il  fût  bien  dit  qu'on 
m'accepte  dans  mon  génie  et  non  dans  mes  gentillesses. 
Il  y  aurait  pour  moi  je  ne  sais  quelle  pensée  triste  dans 
cette  consécration  donnée  à  deux  de  mes  œuvres  que  je 


—  61  — 

ne  reconnaîtrais  pas  comme  les  filles  saines  el  fortes  de 
mon  esprit. 

Il  y  a  encore  deux  autres  artistes  au  Salon  sur  lesquels 
j'ai  pleuré.  MM.  Millet  et  Théodore  Rousseau.  Tous  deux 
ont  été  et  seront  encore,  je  me  plais  à  le  croire,  des 
individualités  pour  lesquelles  je  me  sens  la  plus  vive 
sympathie.  Et  je  les  retrouve,  ayant  perdu  la  fermeté  de 
leurs  mains  et  l'excellence  de  leurs  yeux. 

Je  ne  sais  ce  qu'il  est  arrivé,  voilà  deux  de  mes  admi- 
rations qui  s'en  vont. 

Je  me  souviens  des  premières  peintures  que  j'ai  vues 
de  M.  Millet.  Les  horizons  s'étendaient  larges  et  libres-, 
il  y  avait  sur  la  toile  comme  un  souffle  de  la  terre.  Une, 
deux  figures  au  plus,  puis  quelques  grandes  lignes  de 
terrain,  et  voilà  qu'on  avait  la  campagne  ouverte  devant 
soi,  dans  sa  poésie  vraie,  dans  sa  poésie  qui  n'est  faite 
que  de  réalité. 

Mais  je  parle  en  poète,  el  les  peintres,  je  le  sais,  n'ai- 
ment pas  cela. 

S'il  faut  parler  métier,  j'ajouterai  que  la  peinture  de 
M.  Millet  était  grasse  et  solide,  que  les  différentes  taches 
avaient  une  grande  vigueur  et  une  grande  justesse.  L'ar- 
tiste procédait  par  oppositions  vives,  par  morceaux  sim- 
ples, comme  tous  les  peintres  vraiment  peintres. 

Celte  année  je  me  suis  trouvé  devant  une  peinture 
molle  et  indécise.  On  dirait  que  l'artiste  a  peint  sur 
papier  buvard  et  que  l'huile  s'esl  étendue.  Les  objets 
semblent  s'écraser  dans  les  fonds. 

C'est  là  une  peinture  à  la  cire  qu'on  a  chauffée  et  dont 
les  diverses  couleurs  se  sont  fondues  les  unes  dans  les 
autres. 

Je  ne  sens  pas  la  réalité  dans  ce  paysage.  Nous  sommes 

6 


—  62  -- 

au  bout  d'un  hameau,  et,  brusquement,  l'horizon  s'élar- 
git. Un  arbre  se  dresse  seul  dans  cette  immensité.  On 
devine  derrière  cet  arbre  tout  le  ciel.  Eh  bienl  je  le  ré- 
pète, la  peinture  manque  de  vigueur  et  de  simplicité, 
les  tons  s'effacent ^t  se  mêlent  et  du  coup  le  ciel  devient 
petit  et  l'arbre  paraît  collé  aux  nuages. 

Hélas!  l'histoire  est  la  même  pour  M.  Théodore  Rous- 
seau, peut-être  même  est-elle  plus  triste  encore. 

En  sortant  du  Salon,  j'ai  voulu  retourner  voir  le  pay- 
sage que  l'artiste  a  au  Musée  du  Luxembourg.  Vous 
rappelez-vous  cet  arbre  puissamment  tordu,  se  détachant 
en  noir  sur  le  rouge  sombre  d'un  coucher  de  soleil.  Il  y 
a  des  vaches  dans  l'herbe.  L'œuvre  est  profonde  et  tour- 
mentée. Ce  n'est  peut-être  pas  là  une  nature  bien  vraie, 
mais  ce  sont  des  arbres,  des  vaches  et  des  cieux  inter- 
prétés par  un  esprit  vigoureux  qui  nous  a  communiqué 
en  un  langage  étrange  les  sensations  poignantes  que  la 
campagne  faisait  naître  en  lui. 

Et  je  me  suis  demandé  comment  M.  Théodore  Rous- 
seau pouvait  en  être  arrivé  au  travail  de  patience  dans 
lequel  il  se  complaît  aujourd'hui.  Voyez  ses  paysages  du 
Salon.  Les  feuilles  et  les  cailloux  sont  comptés,  les  tableaux 
paraissent  peints  avec  de  petits  bâtons  qui  auraient  collé 
la  couleur  goutte  à  goutte  sur  la  toile. 

L'interprétation  n'a  plus  aucune  largeur.  Tout  devient 
forcément  petit.  Le  tempérament  disparaît  devant  cette 
lente  minutie  ;  l'œil  du  peintre  ne  saisit  pas  l'horizon 
dans  sa  largeur,  et  la  main  ne  peut  rendre  l'impression 
reçue  et  traduite  par  le  tempérament.  C'est  pourquoi  je 
ne  sens  rien  de  vivant  dans  cette  peinture;  lorsque  je 
demande  à  M.  Théodore  Rousseau  de  saisir  en  sa  main, 


—  63  — 

comme  il  l'a  fait  jadis,  un  morceau  de  la  campagne  et 
de  me  donner  ce  morceau  dans  son  tout,  il  s'amuse 
à  émietter  la  campagne  et  à  me  la  présenter  en  pous- 
sière. 

Tout  son  passé  lui  crie  :  Faites  large,  faites  puissant^ 
faites  vivant. 

Avant  de  signer,  il  me  prend  un  scrupule.  Le  titre  de 
cet  article  est  bien  dur.  Je  suis  obligé  de  juger  aujour- 
d'hui, peut-elre  un  peu  sévèrement,  des  artistes  que 
j'aime  et  que  j'admire.  Un  simple  fait  me  servira  d'ex- 
cuse. 

Après  la  publication  de  mon  article  sur  M.  Manet,  j'ai 
rencontré  un  de  mes  amis  auquel  je  communiquai  mon 
impression  toute  franche  sur  les  toiles  dont  je  viens  de 
parler. 

—  Ne  dites  jamais  cela,  s'est-il  écrié,  vous  frappez  sur 
vos  frères  5  il  faut  se  constituer  en  bande,  en  coterie,  et 
défendre  quand  même  son  parti.  Vous  levez  le  drapeau 
de  la  personnalité.  Louez  tous  les  gens  personnels,  dus- 
siez-vous  mentir. 

C'est  pourquoi  je  me  suis  hâté  d'écrire  ces  lignes. 


ADIEUX  D'UN  CRITIQUE  D'ART 


20  mai, 


J'ai  encore  droil  à  deux  articles.  Je  préfère  D'en  faire 
qu'un.  Dans  mon  idée  première,  Mon  Salon  devait  com- 
prendre seize  à  dix-huit  articles.  Puisque,  d'après  la  vo- 
lonté toute  puissante  du  peuple,  je  n'ai  pas  l'espace  né- 
cessaire pour  développer  nettement  mes  pensées,  je  crois 
bon  de  terminer  brusquement  et  de  tirer  ma  révérence  au 
public. 

Au  fond,  je  suis  enchanté.  Imaginez  un  médecin  qui 
ignore  où  est  la  plaie  et  qui ,  posant  çà  et  là  ses  doigts 
sur  le  corps  du  moribond  ,  Tentend  tout  fi  coup  crier  de 
terreur  et  d'angoisse.  Je  m'avoue  tout  bas  que  j  ai  tou- 
ché juste,  puisqu'on  se  fâche.  Peu  m'imporle  si  vous 
ne  voulez  pas  guérir.  Je  sais  uiainlcnaul  où  est  la  bles- 
sure. 

Je  ne  prenais  qu'un  médiocre  plaisir  à  lourmenlcr  les 
gens.  Je  sentais  toute  ma  dureté  envers  dts  artistes  qui 
travaillent  et  qui  ont  acquis,  à  grand'peine,  une  réputa- 

6. 


—  66  — 

lion  fragile  que  le  moindre  heurt  briserait.  Lorsque  je 
faisais  mon  examen  de  conscience,  je  m'accusais  verte- 
ment de  troubler  dans  leur  quiétude  d'excellents  hom- 
mes qui  paraissent  s'être  imposé  le  labeur  pénible  de  con- 
tenter tout  le  monde. 

J'abandonne  volontiers  les  notes  que  je  suis  allé 
prendre  sur  M.  Fromentin  et  sur  M.  Nazon,  sur  M.  Du- 
bufîe  et  sur  M.  Gérome.  J'avais  toute  une  campagne 
en  tête ,  je  m'étais  plu  à  aiguiser  mes  armes  pour 
les  rendre  plus  tranchantes.  Et  je  vous  jure  que  c'est 
avec  une  volupté  intime  que  je  jette  là  toute  ma  fer- 
raille. 

Je  ne  parlerai  point  de  M.  Fromentin  et  de  la  sauce 
épicée  dont  il  assaisonne  la  peinture.  Ce  peintre  nous  a 
donné  un  Orient  qui,  par  un  rare  prodige,  a  de  la  cou- 
leur sans  avoir  de  la  lumière.  Je  sais  d'ailleurs  que 
M.  Fromentin  est  le  dieu  du  jour;  je  m'évite  la  peine  de 
lui  demander  des  arbres  et  des  cieuxplus  vivants,  et  sur- 
tout de  réclamer  de  lui  une  saine  et  forte  originalité,  au 
lieu  de  ce  faux  tempérament  de  coloriste  qui  rappelle 
Delacroix  comme  les  devants  de  cheminée  rappellent  les 
toiles  de  Véronèse. 

Je  n'aurai  aucune  querelle  à  chercher  à  M.  Nazon  et 
aux  décors  en  carton  qu'il  nous  donne  pour  de  vraies 
campagnes;  ne  vous  senible-t-il  pas,  —  entre  nous,  — 
que  c'est  ici  une  apolliéose  de  féerie,  lorsque  les 
feux  de  bengnle  sont  allumés,  et  que  des  lueurs 
jaunes  et  rouges  donnent  à  chaque  objet  une  apparence 
morte. 

Quant  à  MM.  Gérùme  et  Dubuffe,  je  suis  excessivement 
satisfait  de  ne  pas  avoir  à  parler  de  leur  talent.  Je  le  ré- 
pète, je  suis  fort  sensible  au  fond,  et  je  n'aime  pas  à  faire 


—  67  — 

du  chagrin  aux  gens.  La  mode  de  M.  Gérôme  baisse; 
M.  Dubuffe  a  dû  prendre  une  peine  terrible,  dont  il  sera 
peu  récompensé.  Je  suis  heureux  ne  n'avoir  pas  le  temps 
dédire  tout  cela. 

Je  regrette  une  chose  :  c'est  de  ne  pouvoir  accorder  une 
large  place  à  trois  paysagistes  que  j'aime  :  MM.  Corot, 
Daubigny  et  Pissarro.  Mais  il  m'est  permis  de  leur  don- 
ner une  bonne  poignée  de  main,  —  la  poignée  de  main 
de  l'adieu. 

Si  M.  Corot  consenlait  à  tuer  une  fois  pour  toutes  les 
nymphes  dont  il  peuple  ses  l)ois,  et  à  les  remplacer  par 
des  paysannes,  je  l'aimerais  outre  mesure. 

Je  sais  qu'à  ces  feuillages  légers,  à  cette  aurore  hu- 
mide et  souriante,  il  faut  des  créatures  diaphanes,  des 
rôves  habillés  de  vapeurs.  Aussi  suis-je  tenté  parfois  de 
demander  au  maître  une  nature  plus  humaine,  plus  vi- 
goureuse. Celte  année  il  a  exposé  des  éludes  peintes  sans 
doute  dans  l'atelier.  Je  préfère  mille  fois  une  pochade, 
une  esquisse  faite  par  lui  en  pleins  champs,  face  à  face 
avec  la  réalité  puissante. 

Demandez  à  M.  Daubigny  quels  sont  les  tableaux  qu'il 
vend  le  mieux.  Il  vous  répondra  que  ce  sont  justement 
ceux  qu'il  estime  le  moins.  On  veut  de  la  vérité  adou- 
cie, de  la  nature  propre  et  lavée  avec  soin,  des  horizons 
fuyants  et  rêveurs.  Mais  que  le  maître  peigne  avec  vi- 
gueur la  terre  forte,  le  ciel  profond,  les  arbres  et  les  flots 
puissants,  et  le  public  trouve  cela  bien  laid,  bien  gros- 
sier. Celte  année  M.  Daubigny  a  contenté  la  foule  sans 
trop  se  mentir  à  lui-même.  Je  crois  savoir  d'ailleurs  que 
ce  sont  là  d'anciennes  toiles. 

M.  Pissarro  est  un  inconnu,  dont  personne  ne  parlera 
sans  doute.  Je  me  fais  un  devoir  de  lui  serrer  vigoureu- 


~  68  — 

sèment  la  main,  avant  de  parlir.  Merci,  monsieur,  votre 
paysage  m'a  reposé  une  bonne  demi-heure,  lors  de  mon 
voyage  dans  le  grand  désert  du  Salon.  Je  sais  que  vous 
avez  été  admis  à  grand'peine,  et  je  vous  en  fais  mon 
sincère  compliment.  D'ailleurs,  vous  devez  savoir  que 
vous  ne  plaisez  à  personne,  et  qu'on  trouve  votre  tableau 
trop  trop  nu,  trop  noir.  Aussi  pourquoi  diable  avez-vcus 
l'insigne  maladresse  de  peindre  solidement  et  d'étudier 
franchement  la  nature! 

Voyez  donc,  vous  choisissez  un  temps  d'hiver,  vous 
avez  là  un  simple  bout  d'avenue,  puis  un  coteau  au 
fond,  et  des  champs  vides  jusqu'à  l'horizon.  Pas  le 
moindre  régal  pour  les  yeux.  Une  peinture  austère  et 
grave,  un  souci  extrême  de  la  vérité  et  de  la  justesse, 
une  volonté  âpre  et  forte.  Vous  êtes  un  grand  maladroit, 
monsieur,  —  vous  êtes  un  artiste  que  j'aime. 

Donc,  je  n'ai  plus  le  loisir  de  louer  ceux-ci  et  de  blâ- 
mer ceux-là.  Je  fais  mes  paquets  à  la  hâte,  sans 
regarder  si  je  n'oublie  pas  quelque  chose.  Les  artistes 
que  j'aurais  attaqués  n'ont  pas  besoin  de  me  remercier, 
et  je  fais  mes  excuses  à  ceux  dont  j'aurais  dit  du 
bien. 

Savez-vous  que  ma  besogne  commençait  à  devenir 
fatigante.  On  mettait  tant  de  bonne  foi  à  ne  pas  me 
comprendre,  on  discuîait  mes  opinions  avec  une  naï- 
veté si  aveugle,  que  je  devais,  dans  chacun  de  mes  ar- 
ticles, rétablir  mon  point  de  départ  et  faire  voir  que 
j'obéissais  logiquement  à  une  idée  première  et  invin- 
cible. 

J'ai  dit  :  «  Ce  que  je  cherche  surtout  dans  un  tableau, 
c'est  un  homme  el  non  pas  un  tableau.  »  Et  encore  : 
«  L'art  est  composé  de  deux  cléments  :  la  nature,  qui  est 


—  69  — 

l'élément  fixe,  et  Thomme,  qui  est  réléraent  variable; 
faîtes  vrai,  j'applaudis;  faites  individuel,  j'applaudis 
plus  fort.  »  Et  encore  :  «  J'ai  plus  souci  de  la  vie  que 
de  l'art.  » 

Devant  de  telles  déclarations,  je  croyais  qu'on  allait 
comprendre  mon  attitude.  J'affirmais  que  la  personnalité 
seule  faisait  vivre  une  œuvre,  je  cherchais  des  hommes, 
persuadé  que  toute  toile  qui  ne  contient  pas  un  tempé- 
rament, est  une  toile  morte.  Ne  vous  êtes-vous  jamais 
demandé  dans  quels  galetas  allaient  dormir  ces  milliers 
de  tableaux  qui  passent  par  le  Palais  de  l'Industrie  ? 

Je  me  moque  bien  de  l'Ecole  française!  Je  n'ai  pas  de 
traditions,  moi;  je  ne  discute  pas  un  pan  de  draperie, 
l'attitude  d'un  membre,  l'expression  d'une  physionomie. 
Je  ne  saisis  pas  ce  qu'on  entend  par  un  défaut  ou 
par  une  qualité.  Je  crois  qu'une  œuvre  de  maître  est  un 
tout  qui  se  tient,  une  expression  d'un  cœur  et  d'une 
chair.  Vous  ne  pouvez  rien  changer  ;  vous  ne  pouvez  que 
constater,  étudier  une  face  du  génie  humain,  une  ex- 
pression humaine. 

Mon  éloge  de  M.  Manet  a  tout  gâté.  On  prétend  que  je 
suis  le  prêtre  d'une  nouvelle  religion.  De  quelle  religion, 
je  vous  prie?  De  celle  qui  a  pour  dieux  tous  les  talents 
indépendants  et  personnels?  Oui,  je  suis  de  la  religion 
des  libres  manifestations  de  l'homme;  oui,  je  ne  m'em- 
barrasse pas  des  milles  restrictions  de  la  science,  et  je 
vais  droit  à  la  vie  et  à  la  vérité;  oui,  je  donnerais  mille 
œuvres  habiles  et  médiocres,  pour  une  œuvre  même 
mauvaise,  dans  laquelle  je  croirais  reconnaître  un  accent 
nouveau  et  puissant. 

J'ai  défendu  M.  Manet,  comme  je  défendrai  dans  ma 
vie  toute  individualité  franche  qui  sera  attaquée.  Je  serai 


—  70  — 

toujours  du  parti  des  vaincus. ^11  y  a  une  lutte  évidente 
entre  les  tempéraments  indomptables  et  la  foule.  Je  suis 
pour  les  tempéraments,  et  j'attaque  la  foule. 

Ainsi  mon  procès  est  jugé  et  je  suis  condamné. 

J'ai  commis  Ténormité  de  ne  pas  admirer  M.  Dubuffe 
après  avoir  admiré  Courbet,  l'énormité  d'obéir  à  une 
logique  implacable. 

J'ai  eu  la  naïveté  coupable  de  ne  pouvoir  avaler  sans 
écœurement  les  fadeurs  de  Tépoque,  el  d'exiger  de  la 
puissance  et  de  Toriginalilé  dans  une  œuvre. 

J'ai  blasphémé  en  affirmant  que  toute  l'histoire  artisti- 
que est  là  pour  prouver  que  les  tempéraments  seuls  do- 
minent les  âges,  et  que  les  toiles  qui  nous  restent  sont 
des  toiles  vécues  et  senties. 

J'ai  commis  l'horrible  sacrilège  de  toucher  d'une  façon 
peu  respectueuse  aux  petites  réputations  du  jour  et  de 
leur  prédire  ime  mort  prochaine,  un  néant  vaste  et 
éternel. 

J'ai  été  hérétique  en  démolissant  toutes  les  maigres 
religions  des  coteries  et  en  posant  fermement  la  grande 
religion  artistique,  celle  qui  dit  à  chaque  peintre  :  «Ou- 
vre tes  yeux,  voici  la  nature  ;  ouvre  ton  cœur,  voici  la 
vie.  » 

J'ai  montré  une  ignorance  crasse,  parce  que  je  n'ai 
pas  partagé  les  opinions  des  critiques  assermentés  et  que 
j'ai  négligé  de  parler  du  raccourci  de  ce  torse,  du  mo- 
delé de  ce  ventre,  du  dessin  et  de  la  couleur,  des  écoles 
et  des  préceptes. 

Je  me  suis  conduit  *en  malhonnête  homme,  en  mar- 
chant droit  au  but,  sans  songer  aux  pauvres  diables  que 
je  pouvais  écraser  en  chemin.  Je  voulais  la  vérité,  et  j'ai 
eu  tort  de  blesserJes  gens  pour  aller  jusqu'à  elle. 


En  un  mot,  j'ai  fait  preuve  de  cruaule,  de  sollise, 
d'ignorance,  je  me  suis  rendu  coupable  de  sacrilège  el 
d'hérésie,  parce  que,  las  de  mensonge  el  de  médiocrité, 
j'ai  cherché  des  hommes  dans  la  foule  de  ces  enuuques. 

Et  voilà  pourquoi  je  suis  condamné  ! 


APPENDICE 


APPENDICE, 


Je  publie  ici  trois  lettres  prises  au  hasard 
parmi  celles  que  M.  de  Villemessant  a  reçues, 
au  sujet  de  mes  articles.  Je  tiens  à  constater 
quelle  a  été  Tattitude  de  certains  lecteurs  à 
mon  égard,  et  devant  quelles  protestations  j^ai 
dû  me  retirer. 

Ces  lettres  ne  sauraient  m^atteindre.  Il  me 
plaît  de  les  étaler  largement  pour  montrer  le 
bienveillant  accueil  que  Ton  fait  souvent  à  la 
franchise  et  à  la  bonne  foi.  L^histoire  est  cu- 
rieuse, n^est-ce  pas?  Je  dis  naïvement  ce  que 
je  pense,  j^affirme  mes  croyances,  je  crois  faire 
une  œuvre  de  justice  et  de  vérité,  et  voilà  des 
hommes  qui  écrivent  les  lettres  qu'ion  va  lire, 
parce  qu'ils  ne  pensent  pas  comme  moi. 


—  76  — 

D'ailleurs,  je  ne  veux  ni  commenter,  ni  dis- 
cuter de  pareilles  pièces.  Je  ne  veux  que  les 
joindre  à  ce  petit  volume,  pour  qu'elles  vivent 
autant  qu'il  vivra. 

Voici  ces  lettres. 


-  77  .- 


7  mai. 


Monsieur, 

En  lisant  ce  malin  le  numéro  de  voire  Journal,  je  me 
suis  demandé  si  vous  en  aviez  enrore  la  direction,  car  j'ai 
toujours  remarqué  que  \ous  r:\:oz  des  égards  pour  vos 
abonnés. 

Il  n'en  est  pas  de  même  anjuind'hui,  et  j'ai  rarement 
lu  un  article  où  l'auleur  se  moquât  de  ses  lecteurs  avec 
l'aplomb  de  celui  qui  signe  Claude  dans  votre  journal. 

Je  ne  sais  quel  lien  de  parenté  ou  d'amitié  lie  ce  ré- 
dacteur avec  M.  Manet,  mais  en  vérité,  c'est  abuser  étran- 
gement de  la  patience  de  son  public  et  se  jouer  imperti- 
nemment  de  lui,  que  de  déclarer  ce  barbouilleur  le 
premier  peintre  de  l'époque. 

C'est  de  plus  une  mauvaise  action  d'injurier  les  peintres 
les  plus  aimés  du  public,  pour  faire  de  ces  injures  un 
piédestal  au  misérable  croûton  dont  on  veut  faire  un 
artiste. 

La  mission  qu'il  me  semblait  que  vous  vous  étiez  pro- 
posée, en  créant  nos  divers  journaux,  était  d'éclairer  vos 
lecteurs  en  les  amusant,  et  c'est  ce  qui  en  a  fait  le  succès; 
mais  encore  (luelqucs  ariicles  dans  le  goùl  de  celui  que 
je  vous  signale,  et  je  ne  doute  pas  que  bon  nombre  de 
vos  lecteurs  intelligents  (et  quoi  qu'en  pense  M.  Claude, 

7. 


—  78  — 

il  y  en  a  encore  quelques-uns)  ne  renonce  à  un  journal 
qui  les  traite  ainsi  en  imbéciles  et  en  crétins. 

Je  suis  convaincu,  monsieur,  que  cet  article  a  passé 
sans  que  vous  en  ayez  eu  connaissance,  tous  avez  trop 
de  bon  goût  et  d'affection  pour  vos  abonnés,  pour  en  avoir 
autorisé  l'impression. 

Il  est  bien  d'avoir,  comme  vous  le  dites  souvent,  une 
tribune,  où  toutes  les  idées  et  les  opinions  puissent  se 
produiront,  mais  encore  faut-il  un  frein  au  dévergondage 
de  l'esprit  et  de  la  mauvaise  foi. 

J'espère,  monsieur,  que  vous  ne  verrez  dans  cette 
lettre,  que  l'expression  de  sympathie  qui  m'attache  à  vos 
publications  ei  mon  désir  qu'elles  ne  dégénèrent  pas,  en 
donnant  asile  à  des  œuvres  aussi  insensées. 

Recevez,  monsieur,  etc. 


—  79  — 


10  mai. 


Monsieur  le  directeur, 

Votre  *M.  Claude  est  exaspérant;  —  pas  de  théories, 
pas  de  connaissances  eslliéliques,  pas  de  crilique  rai- 
sonnée;  —  un  enthousiasme  dans  le  vide  et  des  injures, 
c'est  trop  et  trop  peu. 

Une  seule  qualité  de  M.  Manet  moti\e  ces  admirations 
querelleuses,  —  Jl  a  du  tempérament!  Qu'est-ce  que  le 
tempérament  en  peinture  sans  le  dessin,  la  couleur,  le 
goût  et  la  composition?  Ce  tempérament  équivaut  à  la 
vapeur  qui  pousse  une  machine.  —  Si  la  machine  est 
mauvaise  et  désemparée,  la  vapeur  se  perd  sans  pouvoir 
lui  donner  d'impulsion. 

M.  Claude  appelle  poliment  idiots  ceux  qui  rient  de- 
vant les  tableaux  de  M.  Manet.  —  Mais  pourquoi  M.  Ma- 
net ne  se  conlente-L-il  pas  d'être  médiore?  Pourquoi  est- 
il  vulgaire  et  grotesque?  Pourquoi  ses  figures  macuiées 
semblent-elles  sorlir  d'un  sac  de  charbon  ?  On  regarde 
avec  pitié  la  laideur  involontaire;  comment  ne  pas  rire 
de  la  laideur  prétentieuse? 

Que  les  Allemands  qui  ne  voient  pas  avec  les  yeux  du 
corps,  mais  a\ec  de  nébuleuses  rêveries,  gardent  leur 
sérieux  devant  une  composition  burlesque  pour  y  elier- 
cher  je  ne  siis  quelle  philosophie  mystérieuse;  cila  est 


—  80  — 

possible,  quoiqne  invraisemblable  devant  le  chat  de 
M  Manet.  Mais  en  France,  on  voit  vite  et  droit,  on  voit 
ce  qui  est  et  non  ce  qui  devrait  être,  et  jamais  un  sys- 
tème n'arrêtera  notre  vieux  rire  gaulois  devant  une  réa- 
lisation absurde. 

De  grâce,  monsieur  le  directeur,  épargnez  à  vos  nom- 
breux lecteurs  une  plus  longue  torture  morale  avec  votre 
M.  Claude,  —  ou  le  désabonnement  qui  est  une  réalité, 
commencera  bien  vile. 

Un  abonné  bourgeois  quoique  artiste. 


-  81    - 


21  mai 


Monsieur, 


Je  suis  ici  Torgane  de  plusieurs  de  vos  lecleurs,  en 
Tenant  tous  remercier  de  l'impartialité  dont  vous  avez 
fait  preuve  dans  VÈvénement,  au  sujet  de  M.  Claude. 
Vciià  de  la  vraie  et  bonne  justice.  Cela  nous  console  un 
peu  des  articles  que  nous  avons  eu  à  subir. 

-Aujourd'hui  nous  sommes  prévenus  que  YÉvénement 
n'accepte  pas  le  rôle  de  vulgarisateur  de  l'art  en  blouse, 
qu'il  sait  mettre  sous  les  yeux  de  ses  lecteurs  les  pièces 
du  procès  qui  doit  se  juger  entre  le  talent  quel  qu'il 
soit  et  à  quelque  genre  qu'il  appartienne ,  classique  ou 
non,  styliste  ou  non  styliste,  et  les  inGrmes  et  les  im- 
puissants qui  veulent  gloriûer  leurs  Infirmités,  nous 
savons  enfin  que  ces  critiques  de  bas§e  littérature  ont 
leurs  raisons  pour  tympaniser  les  artistes  de  bas  étage  cl 
nous  connaissons  ces  Taisons.  Sirriilia  similibus. 

Il  n'en  est  pas  moins  pénible  de  voir  traiter  avec  un 
cynisme  révoltant  les  artistes  qui  ont  fait  honneur  au 
pays,  et  d'entendre  des  messieurs  pousser  linconvenance 
jusqu'à  la  gageure,  en  voulant  nous  imposer  les  turpi- 
tudes de  leurs  camarades. 

Je  pense  donc  qu'il  appartient  à  vous,  M.  de  Ville- 
messant  qui  êtes  un  homme  de  progrès,  de  relever  un 


peu.  la  critique  en  la  con fiant  désormais  à  des  mains 
lavées.  Le  moyen  de  relever  les  arts  est  avant  tout  de 
relever,  d'ennoblir,  de  ingentilir^  comme  disent  les 
Italiens,  la  critique  et  de  la  rendre  sérieuse.  Renvoyez- 
moi  ces  rédacteurs  là  au  Hanneton  ou  à  la  Lune,  Les  opi- 
nions sont  libres,  mais  les  expressions  ne  le  sont  pas, 
partout  du  moins. 

Je  sais  bien,  pardonnez-moi  cette  petite  disgression, 
que  notre  époque  est  une  époque  rassasiée,  et  que  les 
tableaux  qui  ne  sont  que  bons,  se  font  tellement  vulga- 
riser par  la  production,  que  nous  ne  leur  accordons  pas 
toujours  l'attention  qu'ils  méritent  :  de  là  celte  recherche 
du  nouveau  à  outrance.  Mais  parce  que  le  bon  a  vieilli, 
est-ce  une  raison  pour  le  remplacer  par  le  mauvais?  Et 
puis  est-ce  bien  du  nouveau  que  ces  prétendus  rénova- 
teurs nous  donnent?  Quoi  (je  parle  ici  de  ceux  qui  ont 
du  talent),  quoi,  dis-je,  parce  que  ces  messieurs  sont  en- 
trés tout  vifs  dans  la  peau  des  maîtres  espagnols,  qu'ils 
en  imitent  à  s'y  méprendre  les  noirs  et  les  salissures  pro- 
duites par  le  temps  et  l'action  chimique,  ils  se  posent  en 
inventeurs  et  en  peintres  de  l'avenir. 

Mais  tout  ce  qu'ils  nous  servent  là  est  archi  vieux,  et  à 
tout  prendre  ce  n'est  que  la  piquette  de  Yelasquez  et  de 
Ribeyra.  Et  puis,  nulle  invention,  point  d'idéal,  ni  même 
d'idée,  toujours,  toujours  le  môme  bonhomme.  Voyez 
Bonvin  (qui  a  pourtant  du  talent,  Tliérésa  en  a  aussi), 
voici  quarante  ans  qu'il  refait  le  même  petit  tableau,  un 
porteur  d'eau,  ou  une  cuisinière. 

Je  crois  qu'il  existe,  dans  les  lettres  comme  dans  les 
arts,  une  certaine  fraucmaçonnerie  entre  les  pauvres  dia- 
bles des  deux  côlés,  qui,  sous  prétexte  de  les  démocra- 
tiser, s'efforcent  de  rabaisser  tout  au  niveau  de  leurigno  - 


—  83  — 

rance  et  de  leur  incapacité.  Ils  tentent,  et  pour  cause,  de 
jeter  de  la  déconsidération  sur  les  fortes  études  des 
grands  auteurs  et  des  grands  maîtres.  Pour  eux,  tout 
homme  instruit  est  un  fort  en  thème,  expression  qui,  par 
parenthèse,  est  familière  à  ceux  qui  ne  sont  forts  en 
rien. 

Vous  me  pardonnerez,  monsieur,  la  perte  de  lemps 
que  je  vous  cause,  je  n'ai  pas  la  prétention  de  vous  ap- 
prendre ce  que  vous  savez  aussi  bien  que  moi;  mon  but 
est  de  vous  montrer  que  le  public  se  préoccupe  un  peu 
de  ces  questions. 

J'ai  l'honneur  d'être,  monsieur,  avec  une  parfaite  con- 
sidération votre  très-humble  serviteur. 

A.  P.,  peintre. 


Il  m^est  bien  permis  maintenant  d^imprimer 
trois  autres  lettres  qui  m'ont  été  adressées. 
Puisque  j'ai  publié  les  injures,  je  dois  publier 
les  éloges. 


—  87  — 


14  mai, 


Monsieur, 


Lorsque  j'ai  lu,  dans  V Événement  du  4  mai,  Texposê 
succinct  de  votre  esthétique,  j'ai  éprouvé  un  grand  désir 
de  vous  féliciter.  Enfin ,  me  disais-je ,  voici  un  écrivain 
qui  parle  de  l'art  d'une  façon  émue  et  violente,  comme 
il  convient  et  comme  il  est  difficile  de  le  faire,  dans  ces 
temps  d'écaurement  général  et  de  pratique  sans  âme  et 
sans  idée  ! 

Après  l'article  d'hier  de  voire  spirituel  directeur,  je  ne 
puis  me  dispenser  de  me  joindre  à  cette  minorité  qui 
vous  apprécie,  et  je  viens  vous  crier  :  Courage  ! 

Vous  vous  êtes  placé,  j'en  ai  la  conviction,  sur  le  seul 
terrain  où  l'art,  qui  se  meurt,  puisse  retrouver  des  germes 
de  vie.  N'est-ce  pas.  Monsieur,  un  signe  du  temps,  que 
de  voir  la  majorité  des  artistes  s'étonner  et  rire  de  propo- 
sitions aussi  élémentaires  que  celles  que  Ton  vous  re- 
proche, et  les  traiter  d'hérésies  et  d'excentricités  de  pa- 
rade? 


—  88  — 

Ce  que  vous  dites  avec  tant  de  raison  et  avec  une  si 
grande  justesse  d'expression  sur  Tœuvre  d'art,  dont  Vêle- 
ment réel  est  la  nature  et  Vêlement  individuel^  l'homme, 
constitue,  en  peu  de  mots,  un  critérium  de  jugement,  qui 
arrêterait  les  rieurs,  s'ils  pouvaient  se  voir  eux-mêmes,  et 
comprendre  ce  qui  les  sépare  à  jamais  des  maîtres,  dont 
ils  ne  comprennent  plus  ni  la  constitution  ni  la  vir- 
tualité. 

Qu'est-ce  donc  que  le  Concert  champêtre  du  Louvre, 
sinon  un  tempérament  admirable  et  exclusif  qui  s'em- 
pare de  la  nature  et  la  force  à  chanter  l'air  qu'affectionne 
Giorgionc? 

Qu'est-ce  que  l'Anliope  du  Corrège?  Que  vous  font  ici 
les  récils  de  la  fable?  que  vous  importent  le  Satyre  ou 
Jupiter  ?N'êtes-vous  pas  saisi  d'abord  par  une  individua- 
lité  violente  el  persuadée  qui  s'affirme  et  vous  crie  :  Cor- 
rège? 

Et  Paul  Véronèse  et  Yélasquez,  Ribeyra,  Titien,  Tinto- 
rel?  Tous,  sauf  les  peintres  de  pi*atique  de  la  décadence, 
que  sont-ils  autre  chose  que  des  artistes  émus  qui  for- 
cent la  nature  à  passer  à  travers  le  crible  exclusif  de  leur 
impression  propre? 

Il  serait  facile  de  démontrer  cette  vérité  fondamentale, 
que  vous  ayez  émise  d'une  façon  hardie  et  originale, 
même  avec  l'œuvre  de  Raphaël,  bien  plus  humain  qu'on 
ne  le  pense  généralement,  avec  Michel-Ange,  dont  le 
rêve  se  solidifie  el  s'incarne  dans  une  sorte  de  cauchemar 
des  énergies  de  la  nature. 

Oui,  Monsieur,  vous  avez  raison  :  «  Faites  vrai,  j'ap- 
«  plaudis,  dites-vous;  mais  surtout  faites  individuel  et 
«  vivant,  j'applaudis  plus  fort.  » 


-  89  — 

Voilà  d'e'xcellentes  paroles  qu'il  est  triste  de  voir 
bafouer  par  des  sots  qui  croient  que  par  cela  seul 
qu'on  fait  de  la  peinture  habile  avec  le  modèle,  on 
est  forcément  interprèle  personnel  et  sincère  de  la  na- 
ture. 

Aveugles,  qui  ne  voient  pas  que  messieurs  tels  et  tels, 
que  je  ne  nomme  pas  et  que  vous  connaissez  bien,  tous 
admis  par  la  foule  comme  les  chefs  de  file  de  Tart  mo- 
derne, sont,  la  plupart,  dépourvus  de  toute  personnalité; 
qu'ils  sont  tous  cousins  et  de  même  san?,  et  que  pas  un 
d'eux  p.'ohJil  à  i.t  vi:ix  d'un  tempérament  absolu  e!  in- 
domplaLle.Ce  sont  des  peintres  de  décadence;  et  encore, 
quelle  décadence!  Si  c'était  celle  du  Carrache,  de  Carie 
Maratte  et  des  Josépins  ! 

Le  dernier  peintre  français,  passionné,  vivant  et  indi- 
viduel, a  été  Eugène  Delacroix. 

Que  n'a-t-on  pas  dit  et  que  ne  dit-on  pas  d'absurde  sur 
ce  grand  homme!  On  lui  a  reproché, entre  autres  choses, 
de  n'avoir  pas  fait  d'élèves.  Je  crois,  comme  vous  le  dites 
en  très  bons  termes,  que  chaque  génie  naît  indépendant  et, 
ne  laisse  pas  de  disciples. 

Delacroix  n'en  était  pas  moins  l'unique  et  dernier 
chaînon  se  rattachant  par  Géricault,  Gros,  David  (autre 
incompris).  Poussin,  Lesueur,  aux  individualités  vivantes 
et  personnelles  qui  ont  constitué  l'art  du  seizième 
siècle. 

On  en  a  fait  une  individualité  isolée  et  sans  tradition! 
Et  voi'à  011  nous  en  sommes! 

Maintenant,  il  est  évident  que  l'art  est  à   la  recherche 
plus  que  jamais  de  la  violente  réalité. 
Le  dégoût  justifié  de  la  mièvrerie  et  des  fadeurs  d'une 

8. 


-  90  — 

pratique  qui  va  s'énervaut  cle  plus  en  plus  et  tend  chaque 
jour  à  disparaître  sous  rcnnui  général  du  publie,  pousse 
quelques  rares  gens  de  cœur  vers  les  rugosités  âpres  et 
les  laides  mais  virginales  impressions  que  peut  fournir  la 
nature. 

Je  les  comprends  et  j'ai  applaudi,  quant  à  moi, 
dès  le  Salon  des  Refusés,  aux  sincères  et  énergiques 
efforts  de  M.  Manet  et  de  quelques  autres.  Cet  artiste 
est  loin  de  m'avoir  fait  rire  ;  il  m'a  fait  espérer  beau- 
coup. 

Courage,  donc,  Monsieur,  vo^re  irritation  et  vos  aspira- 
tions émanent  d'une  noble  source  ;  j'en  suis,  pour  ce  qui 
me  concerne,  certain. 

La  tâche  va  donc  se  partager,  on  Ta  voulu,  entre  vri3 
et  M.  Pelioquet,  qui,  à  l'époque  du  Salon  des  RefusJs, 
prit  avec  une  volonté  et  un  talent  dont  il  faut  lui  savoir 
gré,  la  d('fense  de  la  liberté  dans  l'art.  Il  nous  prédit,  à 
celte  époque,  la  maîtrise  future  de  M.  Briguiboul  ;  cet  pv- 
tiste  a  bien  trompé  son  prophète. 

Votre  critique  se  trompera  moins,  j'en  suis  sûr;  elle 
est  extrême,  elle  a  raison  de  l'être,  et  vos  principes  s'op- 
posent à  ce  qu'elle  soit  autre. 

Si  une  personnalité  ne  s'affirme  pas  d'une  façon  nette  et 
vivante,  vous  êtes  forcé  de  vous  taire  ou  de  rejeter 
l'œuvre  et  l'auteur  dans  la  foule  énorme  et  discipliné  des 
faiseurs  dont  vous  ne  pouvez  parler  qu'en  les  critiquant. 
Armé  de  ce  critérium,  il  vous  restera  évidemment  peu  à 
dire,  mais  vous  n'aurez  pas  rendu  à  l'art  moderne  ce  cruel 
service  de  faire  de  la  critique  inintelligente,  éclectique  et 
fusionnée. 
Cette  critique  peut  se  vanter  d'être  au  moins  autant  que 


—  9t  - 

la  contagion  académiqiio,  une  des  causes  qui  ont  contri- 
bué à  pourrir  sur  plante  l'art  européen  et  l'art  français 
en  particulier. 

Veuillez  recevoir,  monsieur,  l'assurance  de  ma  consi- 
dération la  plus  distinguée, 

Évarisle  de  Valérie. 


93 


3   mai. 


Monsieur, 


C'est  vraiment  curieux  de  résumer  Tinconséquence  qui 
dirige  le  monde  artiste  depuis  dix-huit  ans. 

En  ^848,  exposition  libre;  —  en  1849,  jury  nommé  à 
l'élection  par  tous  les  artistes  exposants;  —  après  -1851, 
jury  composé  d'une  commission  de  membres  de  rinslilul 
nommés  par  l'Empereur.  Plus  tard,  exaspération  des 
artistes,  dont  les  murmures  montent  jusqu'aux  'pieds  du 
trône.  Alors  on  revient  au  jury  électif,  mais  élu  seulement 
par  Varislocratie  artistique  des  décorés  et  médaillés,  avec 
adjonction  d'un  quart  de  membres  amateurs  nommés  par 
l'administration.  Création  du  salon  des  refusés  (idée  neuve 
et  juste,  mais  ce  n'est  pas  fini,  hélas!).  Deux  ans  après, 
suppression  de  l'exposition  des  refusés^  qui  taquinait  le 
jury  et  l'administration;  car  si  on  faisait  graud  bruit  des 
tableaux  ridicules,  il  y  avait  toujours  un  certain  nombre 
d'œuvres  que  le  public  eut  voulu  voir  dans  les  admis,  et 
comme  le  grand  principe  d'autorité  n'aime  pas  le  con- 
trôle, on  a  dit  aux  refusés  :  «  Venez  chercher  vos  ta- 
bleaux. »  Enfin,  maintenant,  on  revient  aux  vieilles  tra- 
ditions de  sévérités  'exagérées,  jusqu'à  ce  que  nous  reve- 
nions aux  expositions  libres. 


—  94  ~ 

Quel  gâchis!  et  quand  dégagerons-nous  Vinconnu^  comme 
disait  Proudhon. 

En  attendant,  voici  ce  qu'il  y  a  de  plus  rationnel  : 

Premièrement  :  Le  jury  doit  être  nommé  par  ions  les 
exposants^  car,  comme  vous  le  dites  avec  raison  dans 
votre  article  du  27  avril,  il  est  absurde  que  le  jury  soit 
élu  précisément  par  ceux  qui  sont  en  dehors  de  son 
action.  La  nomination  du  jury  n'a  d'importance  que  pour 
ceux  qui  peuvent  être  refusés;  eux  seuls  doivent  donc 
désigner  les  artistes  qui  leur  sont  sympathiques  et  dont 
ils  sont  résignés  à  supporter  le  jugement. 

Secondement  :  Tous  nos  jurys  jusqu'à  présent  ont  mal 
compris  leur  mandat  et  outreprassé  leurs  pouvoirs.  Que 
leur  demande-t-on?  Ce  n'est  pas  de  rejeter  les  œuvres 
obscènes  ou  politiques;  l'administration  se  chargera  très- 
bien  de  ce  soin.  On  leur  demande  simplement  d'éloigner 
de  l'Exposition  les  tableaux  ou  sculptures  qui,  par  leur 
trop  grande  infériorité,  compromettraient  la  dignité  du 
Salon.  Aussitôt  qu'un  artiste  est  arrivé  à  la  position  de 
membre  du  jury,  il  n'y  voit  qu'une  occasion  de  satisfaire 
ses  antipathies  et  ses  rancunes.  Le  réaliste  exclue  le  fan- 
taisiste., qui  exclue  le  primitifs  qui  exclue  le  coloriste,  etc. 
Les  membres  du  jury  ne  doivent  pas  perdre  de  vue  qu'il 
leur  faut  faire  abstraction  complète  de  leurs  goûts  et  de 
leurs  systèmes  personnels.  Comme  le  jury  de  cour  d'as- 
sises, ils  doivent  se  prononcer  sans  haine  et  sans  crainte. 
Le  président  devrait,  avant  d'exclure  une  œuvre,  dire  : 
«  Messieurs,  en  votre  âme  et  conscience,  ce  tableau  est-il 
assez  mauvais,  assez  ridicule  pour  compromettre  la  dignité 
de  l'Exposition^  »  et  les  jurés  répondre  avec  conscience  et 
gravité,  car  c'est  peut-être  un  arrêt  de  mo^t  qu'ils  pronon- 
cent. 


—  95  — 

Troisièmement  :  Que  font  les  amateurs  dahs  le  jury  du 
salon?  Ils  n'y  font  qu'user  de  leur  influence  en  faveur 
des  idées  étroites  et  bourgeoises.  N'aimant  que  deux  ou 
trois  maîtres  anciens  ou  modernes,  ils  sont  hostiles  à 
toutes  les  nouveautés  et  tentatives  hardies  ou  originales. 
Leur  pouvoir  sur  leurs  collègues-artistes  est  considérable. 
Les  sommités  artistiques,  impitoyables  entre  elles,  sont 
très-souples  vis  à  vis  des  grands  seigneurs.  On  me  par- 
iait d'un  noble  et  riche  amateur  faisant  partie  du  jury, 
qui,  à  chaque  tableau  un  peu  étrange  qu'on  lui  présen- 
tait, disait  :  «  En  voilà  encore  un  que  je  n'achèterai  jamais 
pour  ma  galerie!  »  Les  collègues-artistes  qui  avaient, eux, 
la  prétention  d'orner  la  galerie  de  monseigneur,  di- 
saient: «  Certainement  \  certainement]  »  et  le  tableau  était 
exclu. 

A.  un  point  de  vue  élevé,  l'exposition  des  Beaux  arts 
est  une  exhibition  faite  pour  montrer  le  niveau  de  l'art  et 
les  nouvelles  voies  que  les  chercheurs  ont  découvertes. 
Les  amateurs  n'y  comprennent  rien.  Ils  ne  se  risquent  à 
couvrir  un  tableau  de  billets  de  banque,  que  lorsque  le 
monde  artiste  a  fait  les  réputations  ;  car  l'amateur  riche, 
ne  s'y  connaissant  pas,  n'ose  risquer  son  argent  sur  une 
signature  inconnue.  Il  veut  montrer  avec  orgueil  un  De- 
camps  ou  un  Marilhat,  lorsqu'on  se  les  arrache  dans  les 
ventes  publiques;  mais  il  n'aurait  pas  donné  cent  sous 
de  ces  mêmes  tableaux  avant  la  réputation  de  leurs  au- 
teurs. 

C'est  pourquoi  je  suis  pour  les  expositions  libres^  car  le 
jury,  consciencieux,  conciliant,  bienveillant,  juste,  mais 
pas  sévère,  est  impossible  à  former  avec  des  artistes.  Je 
dis  plus,  je  ne  comprendrai  jamais  que  des  artistes  qui, 
eux  aussi,  ont  mangé  de  la  vache  enragée^  puissent  ac- 


—  96  — 

cepter  ce  rôle  de  bourreaux,  et  jeter  leurs  confrères,  sou- 
vent leurs  anciens  camarades,  dans  la  misère  et  le  dé- 
couragement. 

Antoine  Timok. 


^  97  — 


20  mai, 


Monsieur, 

Je  lis  à  l'instant  l'article  de  VÊvénement  par  lequel  vous 
terminez  la  revue  du  Salon  de  celte  année,  et  je  vous 
écris  sous  Timpression  de  rémolion  ressentie.  C'est  mon 
excuse. 

Ah  monsieur!  quelle  lâche  vous  vous  êtes  donnéel 
Montrer  à  chacun  ses  verrues,  placer  Tart  au-dessus  des 
considérations  de  colorie,  d'écoles  et  de  personnes,  fron- 
der les  préjugés  établis,  les  idées  reçues,  parler  avec  sa 
conscience  et  jeter  le  cri  d'alarme  I...  Vous  passeriez  votre 
existence  à  le  chercher  que  vous  ne  trouveriez  pas  de 
moyen  plus  simple  et  plus  prompt  pour  vous  faire  un 
vaste  corlége  d'ennemis! 

D'où  sortez-vous  donc,  monsieur?  Par  ces  temps  de 
critique  bénigne,  par  ces  temps  de  tolérance  apathique, 
il  est  curieux  vraiment  de  voir  un  homme  assez  auda- 
cieux pour  s'opposer,  tout  seul,  à  l'irruption  profane  du 
médiocre  et  du  maniéré  dans  l'enceinte  sacrée  du  beau 
et  du  vrai. 

C'est  curieux,  mais  c'est  un  beau  spectacle.  Encore 
meurtri  par  les  coups  reçus  dans  la  lutte,  vous  vous 
écriez  :  «  Je  suis  condamné!  »  Oui  sans  doute,  vous  sé- 
rie? condamné  si  vous  aviez  pour  juge  celte  foule  de  Pn- 

9 


—  98  — 

nurge  pour  qui  tout  est  beau,  pour  qui  tout  est  bien,  et 
que  la  moindre  secousse  imprimée  à  sa  torpeur  plonge 
dans  des  terreurs  paniques;  mais  vous  avez  pour  vous  les 
gens  qui  pensent  qu'il  nous  faut  sortir  à  tout  prix  du 
marasme  littéraire  et  artistique  dans  lequel  nous  végétons. 
Monsieur,  je  ne  suis  encore  qu'un  inconnu,  mais  je 
sers  la  même  cause  que  vous  et  je  regrette  l'obscurité 
qui  m'empêche  de  vous  serrer  la  main. 

Maurice  C. 


TABLE  DES  MATIERES. 


Pages. 

A  mon  ami  Paul  Cézanne 7 

Mon  Salon.  —  Le  Jury 17 

Le  Jury  (Suite) 25 

Le  moment  artistique 31 

M.  Manet 39 

Les  Réalistes  du  Salon 49 

Les  Chutes 57 

Adieux  d'un  Critique  d'Art 65 

Appendice 75 


EXTRAIT 

DU  CATALOGUE 

DE    LA 

LIBRAIRIE    CENTRALE 

24,  boulevard  des  Italiens 


L  AMIE  DE  LA  REINE,  parJcLEs  de  Saint-Félix,  ^  vol. 
j<r.  ia-^8  Jésus 3 

L'AMOUR  BOSSU,  par  He>ri  de  Kock.  \  vol.  grand 
in-'fS  Jésus,  orné  d'une  eau-forle  par  L.  Flameng.       3 

L'AMOUR  EST  UN  ENFANT,  opérette  en  un  acte  de 
Bernard  Lopez.  Grand  in-18  jésus ^ 

L'AN  5865,  ou  Paris  dans  quatre  riiiÇle  ons,  parle 
docteur  H.  Mettais.  ^  vol.  grand  in-18  Jésus.    .   ,       3 

L'ANNUAIRE  DE  LA  CHARITÉ,  contenant  un  précis 
de  Thistoireet  du  rr-gleraent  de  tous  les  établisse- 
ments de  bienfaisance  et  des  Sociétés  de  secours 
de  Paris,  et  plus  de  six  raille  noms  et  adresses  des 
fondateurs,  administrateurs  et  sociétaires,  par 
M.  ILD.  Koepflln.  1  vol.  grand  in-i8  Jésus  ....       3 

L'ANTI-PAPE  ET  L'ANTI-GUIZOT,  protestation  de 
l'esprit  moderne  contre  l'Encyclique  et  contre  les 
Méditations  de  M.  Guizot ,  par  un  solitaire  de 
Montmartre.  ^  vol.  in-8 3 

9- 


AVEZ-YOUS  BESOIN  ù'ARGElNT?  par  Pjerre  Vérox. 
i  Tol.  grand  in-i 8  Jésus 3    » 

LA  BELLE  FERONMERE ,  par  Albert  BlAxNqbet. 
^  voL  gr.  in-18  jésus,  orné  d'un  portrait  de  la  Fé- 
ronuière 3    w 

BIVOUACS  DE  VERA-CRUZ  A  MEXICO,  par  un 
ZorAYE.  ^  YoL  grand  18  jésus,  précédé  d'une  pré- 
face, par  Aurélien  Scholl 3    )> 

LA  BOUGIE  ROSE,  par  Ch.  Joliet.  ^  yoI.  grand  in-^8 
jésus 4  50 

LES  BRACONNIERS  DU  NOUVEAU  MONDE,  par 
Henry  Gaillard,  rédacteur  du  Journaf  des  chas- 
seurs. ■{   Yol.  grand  in-18  jésus 3    » 

LES  BUVEURS  D'ABSINTHE,  par  Octave  Féré  et 
Jules  Cabvakn.   I  vol.  grand  in-18  jésus 3     » 

CAMPAGNES  ET  STATIONS  SUR  LES  COTES  DE 
L'AMERIQUE  DU  NORD,  par  E.  du  Hailly.  I  vol. 
grflnd  in-18  jésus 3     » 

CES  PETITES  DAMES  DE  THEATRE.  I  yoI.  gr.  in-32 
jésus,  orné  d'une  phoîograpijie ^  50 

CE  QUR  JE  PENSE  D'HENRIETTE  MARECHAL,  de 

sa  préface  cl  du  théâtre  de  mon  temps,  par  Pipe- 
en-Bois.  Broch.  grand  in-8 -I     » 

LA  CHAMBRE  DES  AMOURS,  par  Paul  Féyal.  ^  yoI. 
grand  in-18  jésus 3     » 

LES  CHASSES  SAUVAGES  DE  LTNDE,  récits  pleins 
d  intérêt  et  de  vérité,  pui  GERMAirs  de  LAG^y.  j  yoI. 
grand  iii-18  jCôUs  (2®  êcit/iO/() 3     » 

LES  COCOTTES.    \    Yok  grand   in-32  jésus,  orné 

dune  photographie »   .    .    .       1  50 

LES  COMEDIENNES  ADOREES,  par  Emile  Gaboriau  ; 
études  anecdotiques  sur  les  actrices  françaises  les 
plus  célèbres,  i  vol.  gr.  in-i8  jésus,  orné  dun 
portrait  de  Sophie  Ari>oijld.  gravé  uur  acier  ...       3     » 


-  3  - 

CONTES  ET  CHRONIQUES  DLS  EAUX  ET  DES 
BAINS  DE  WER,  par  Jdles  CAïïVAm.  <<  v.  gr.  in-18 
Jésus 2 

LES  COTILLONS  CÉLÈBRES ,  par  Emile  Gaboriatj  ; 
études  historiques,  satiriques  et  anecdotiques  sur 
les  maîtresses  des  rois  de  France,  depuis  les  épo- 
ques légendaires  jusqu'à  la  fin  du  règne  de 
Louis  XY.  2  Yolumes  grand  in-^8  jésus,  ornés  de 
deux  portraits  gravés  sur  acier  (4^  édition 6 

L'immense  succès  obtenu  par  ce  livre,  qui  met  éner- 
giquement  en  relief  l'influeûce  de  la  galanterie  sur  les 
destinées  de  la  monarchie  en  France,  le  classe  au  nom- 
bre des  ouvrages  dignes  de  figurer  dans  toutes  les  bi- 
bliothèques historiques. 

LE  COUP  DU  .LAPIN,  par  A.  de  Lustières  et  Yizen- 
TiM.  Vaudeville  en  -i  acte -1 

LES  COUSINES  DE  SATAN,  par  Jules  de  SAI^T- 
FÉLix.  ^  vol.  gr.  in--18jésus  (2^  édition)  .   .   .   ,   ,      3 

LES  DAMES  DE  RISQUENMLLE,  par  Aurélien 
ScHOLL. 'I  vol.  gr.  in-'IS  Jésus 3 

LA  DERNIÈRE  NUIT  D'UNE  VEUVE,  comédie  en 
^  acte,  par  de  Najac \ 

LES  DRAMES  DU  MARIAGE,  par  Be.nj.  Gastineau. 
^  vol.  gr.  in-18  Jésus 2 

UN  DRAME  ÉLECTORAL,  parL.  M.  Gag>eur.  ^  vol. 
^  vol.  gr.  in-18  Jésus 3 

L'ÉCOLE  DES  LOUPS,  par   Octave  Féré  et  Jules 

Catjvain. -I  fort  volume  grand  in-18  Jésus 3 

L'ÉGLISE  UNIE  A  L'ÉTAT,  revue  d'antiques,  par 
Achille  Delobme.  ^  vol.  in-8 o 

L'ETE  d'UN  FANTAISISTE,  coméd.-vaudev.  en  un 
acte,  par  Ed.  Brisebarre.  -1  vol.  gr.  in--! 8  Jésus.  .  .      ^ 

U^E  FANTASIA,  opérette  en  -1  acte,  jouée  au  théâtre 
des  Variétés,  paroles  de  M.  Nijitter,  musique  de 
M.  Hervé i 


LES    FAUCHEURS   POLONAIS,    par    Hemu    Augu. 

\  YoL  grand  iri-^8  Jésus 4 

UNE   FEMME   DE   COEUR,   par  Aug.    M\rc  Bayetjx. 

^  fort  YoL  grand  in-18  Jésus  (2«  édition).  ....  3 
UNE  FEMME  HORS   LIGNE,   par  L.   M.   Gagneur. 

^  ^ol.  grand  in-^8  jésus 3 

LA  FOIRE  AUX  GROTESQUES,  YaudeYille  en  3  ta- 
bleaux, par  H.  RocHEFORT  et  Pierre  Véron.   ...       ^ 

LA    FOIRE    AUX  GROTESQUES,  par  Pierre  Véro>. 

^  YoL  gr.  in- 18  Jésus 3 

LES  FRANÇAIS  DE  LA  DÉCADENCE,  par  H.  Roche- 

FOUT.  ^  Yol.  grand  in--] 8  Jésus 3 

LA   GAMME  DES    AMOURS,  par  Oscar  Comettaxt. 

^  YoL  grand  in-^8  jésus 3 

LA  GIBECIÈRE  D'UN  BRACONNIER,  récils  de  chasse 

et  de  chasseurs,  par  Germain  de  Lagny.  ^  yoL  gr. 

in-'l8  Jésus 3 

LES  GRANDES  AMOUREUSES  AU  COUVENT,  par 
LaNiNai-Rolland  ;  éludes  anecdoliques  sur  les  hé- 
roïnes repenties  de  la  galanterie.  -I  vol.  gr.  in-18 
Jésus,  orné  d'un  beau  portrait  gravé  sur  acier.   .   .       3 

HELOISE  PARANQUET,  pièce  en  4  actes,  par  Armand 
Durantin,  1  Yol.  grand  in-18  jésus 2 

LES   HEURES    PARISIENNES,    par  Alfred  Delvau. 
1  beau  vol.  imprime  en  caractères  elzeviriens,  orné 
de  25  eaux-forles  de  Bénassit,  tirées  hors  texte.   .       6 
II  a  été  tiré  un  petit  nombre  d'exemplaires  sur  papier 
vergé  de  Hol.ande,  gravures  sur  Chine 12 

L'HOMME  AU  DRAP  MORTUAIRE  ou  les  Paroles 
d'un  maudit,  parlabbéA***;  protestation  éloquente 
contre  le  célibat  des  prêtres.  I  vol   in-16  ....       ^ 

LA  JEUNESSL:  AMOUREUSE,  par  J.  Diboys.  1  vol. 
gr.  in-18 3 

LA  JEINESSE  DE  JESUS,  jpar  Kirchen.  1  vol.  in-8.       5 

LES  JOUEUSES,  par  Mlle  Maximum.  4  vol.  gr.  in-^8 
iésus 3 


LEGENDAIRE  DE  LA  NOBLESSE  DE  FRANCE, 
devises,  cris  de  guerre,  etc.,  des  familles  souve- 
raines, princières  et  nobles,  au  nombre  de  plus  de 
six  mille,  recueillis  et  mis  en  ordre  par  h  comte 

0.  Bessasde  la  Mégie,  i  vol.  gr.  in-8 -J5 

—  Papier  vergé  de  Hollande 25 

LA  LEGENDE  DE  L'HOMME  ETERNEL,  par  A.  Du- 
RA.NTiN.  -I  vol.  gr.  in- 18 3 

LETTRES  D'AMOUR  DE  MIRABEAU  ET  DE  SOPHIE 
MONNIER,  précédées  d'une  notice  par  M.  Mario 
Proth,  el  accompagnées  d'un  beau  portrait  de  So- 
phie, gravé  sur  acier  d'après  un  dessin  du  temps. 
4  vol.  gr.  in-IS  Jésus.  (Nouvelle  édition.) 3 

LOUISA  ou  LES  DOULEURS  DUNE  FILLE  DE  JOIE, 
par  l'abbé  TiBERGE.  ^  vol.  gr.  in-I8jésus 3 

LOUISE  DE  GUZMAN,  par  Octave  Féré  et  De  Salnt- 
YvEs. -1  vol.  gr.  in-18  Jésus 3 

UNE  LUCRÈCE  DE  CE  TEMPS-CI,  par  Valéry  Ver- 
mer.  1  vol.  gr.  in-18 3 

LES  MAL-VIVANTS,  épisode  du  brigandage  contem- 
porain en  Italie,  par  Adrien  Paul.  H  vol.  gr.  in-18 
Jésus 3 

LES  MARIAGES  DE  PROVINCE,  par  J.  Duboys.  -I  vol. 
gr.  in-18  jésus 3 

LE  MARIAGE  DU  VICAIRE,  par  Pierre  Lefranc.  ^  vol. 
gr.  in-18 3 

LES  MAUVAIS  COTÉS  DE  LA  VIE,  par  Auguste  Luchet. 
^  vol.  gr.  in-18  Jésus 3 

MÉMOIRES  DU  BOULEVARD,  par  Alberv  Wolff. 
i  vol.  gr.  in--l8  jésus 3 

MÉMOIRES  D'UN  CHASSEUR  DE  RENARDS  (scènes 
de  la  vie  anglaise),  par  A.  de  Vaubicourt,  ^  vol.  gr. 
ia-18 3 

MERYEM,  scènes  de  la  vie  algérienne,  par  Camille 
Périer.  ^  vol.  gr.  in-<8 3 


MES  CHASSES  DANS  LES  DEUX  MONDES,par  Henry 

Gaillard.  1  vol.  gr.  in-fS. 3 

MONSIEUR  PERSONNE,  par  Pierre  Véron.  -I  vol.  gr. 

in-^ 8  Jésus 3 

LA  MORT  DE  JÉSUS,  tradition  essénienne,  traduite 
de  rallemand  par  Daimel  Ramée  (4^  édition^  revue 

et  corrigée).  ^  vol.  in-S 5 

Cet  ouvrage  excessivement  cHrieux  a  eu  plus  de 
quinze  éditions  en  Allemagne  et  s'est  vendu  à  plus  de 
100  000  exemplaires. 

LES  MORTS  VIOLENTES,  par  Etjgèine  Gru.  ^  fort  vol. 
gr.  in-^S  Jésus 3 

LA  MYE  DU  ROI,  par  Albert  Blanquet.  1  vol.  grand 
in-18  Jésus 3 

MYSTÉRIEUSES;  nouvelles,  par  Aimr  Giron.  -I  vol. 
gr.  in-l8  jésus.    .    .   .   .' 3 

LE  NID,  corn,  en  -1  acte,  par  G.  Bondo".  -I  vol.  gr. 
in-^ 8  Jésus. i 

LES  OISEAUX  DECLICHY,par  JuLESDESAmT-FÉLix. 
-J  vol.  gr.  in-18  jésus 3 

OU  EST  LA  FEMME  ?  par  Ad.  Dupeuty.  -I  vol.  gr.  inH  8 
jésus,  précédé  d'une  préface,  par  Jules  Noruc.  .   .      3 

LE  PALAIS  DE  SAINT-CLOUD.  Histoire  anccdotique 
et  description  pittoresque  des  appartements,  écrite 
d'après  l'ordre  de  l'Empereur,  par  MM.  Philippe 
de  Saiim-Albii>-,  bibliotliécaire  de  S.  M.  l'Impéra- 
trice, et  Arma>d  Duraml\.  1  vol.  in-8 ,.       6 

—  Le  même  ouvrage,  format  inH8  jésus,  également 
accompagné  du  plan 3 

LA  PANTOMIME  DE  L'AVOCAT,  par  Champfleury, 
pantomine  en  1   acte 50 

PAR  DEVANT  M.  LE  MAIRE,  par  Pierre  Véron*. 
^  vol.  gr.  in-18  jésus 3 

LES  PARIAS  DE  L'AMOUR,  par  C.  A.  Damezeuil.  ^  v*. 
gr.  in-18  jésus 2 

PARIS-ALBUM,  historique  et  monumental,  par  Léo 
Lespès  et  Ch.  Bertrand,  1  vol.  in-8,  illustré  de 
220  gravures  sur  bois.  , 3 


PARIS  AU  GAZ,  par  Julien  Lemer.  1  vol.  gr.  in-'IS.      3    » 

PARIS  AVANT  LE  DÉLUGE,  par  le  docteur  H.  Met- 
tais. -1  vol.  gr.  in-18  jésus 3    » 

PARIS  PARTOUT,  par  Nérée  Desarbres.  ^  vol.  gr. 
in-18  Jésus 2    » 

LE  PAVE  DE  PARIS,  par  Pierre  Véron.  ^  vol.  gr.  ia-18 
Jésus  (2e  édition) 3    » 

LES  PETITES  CAUSES  DE  NOS  MALADIES,  par  le 
docteur  Ed.  Féraud.  -I  fort  vol.  gr.  in-18  jésus.  .      o    » 

LES  PETITES  COMÉDIES  DE  L'AMOUR,  par  made- 
moiselle Léonide  Lebl.\kc.  \  vol.  gr.  in-18  jésus, 
accompagné  d'un  autographe  de  l'auteur.  ....       3     » 

LES  PETITES  COMÉDIES  DE  L'AMOUR,  opérette  en 
1  acte,  par  MM.  Dutertre  et  Lejignmer,  musique 
de  M.  A.  DE  Groot.  \  vol.  gr.  in-J8  jésus 1     » 

LES  PETITS-FILS  DE  TARTUFE,  par  Honoré  Pon-      3    » 
Tois.  i  vol.  gr.  in-i8jésus 3    » 

LES  PIEDS  QUI  R'MUENT.  I  vol.  gr.  in-32  jésus, 
orné  d'une  photographie* \  oO 

LES  PLAIES  LÉGALES,  par  Alex.  Laya,  ^  vol.  in-8.      5     » 

LES  PROSCRITS  DE  SICILE,  par  Emmanuel  Gonzalès. 
i  vol.  gr.  in-^8  jésus 3    » 

LA  PUDEUR,  par  Paul  Perret,  ^  vol.  gr.  inH8  jésus      3     » 

LES  QUATRE  COINS  DE  PARIS,  par  Leo  Lespès  (Ti- 
mothée  Trimm).  4  vol.  gr.  in-^8  jésus  (2^  édition.),      3    » 

LA  RÉVOLUTION  DU  JOURNALISME,  par  Arnould 
Fremy.  ^  vol.  in-8.   . 3    » 

DES  RÉVOLUTIONS  DU  MEXIQUE,  par  Gabriel 
Ferry.  4  vol.  gr.  in-18  jésus,  précédé  d'une  pré- 
face, par  George  Sand 3    » 

LE  ROI  VICTOR-EMMANUEL,  par  Ch.  de  la  Varekne. 
^  vol.  gr.  in-^8  jésus,  orné  d'un  beau  portrait  du 
roi  dltalie,  photographié  par  Caiuat. 3  50 

LE  ROMAN  DE  LA  FEMME  A  RARBE,  par  Pierre  Vé- 
ron. i  vol.  gr.  in-18  (3®  édition). 3    n 


-  8  - 

LE  ROMAN  DU  MARI,  par  Amédée  Achard.  4  vol.  gr. 
in-^8  Jésus  (2«  edifîon) 2    » 

ROMANS  ENFANTINS,  par  Paul  Féval.  \  vol.  grand 
in-18  Jésus,  illustré  de  gravures  sur  bois  et  orné 
de  ^13  eaux-fortes  de  L.  Flameng  et  d'un  beau  por- 
trait de  l'auteur,  photographié  par  Franck,  broché.    i5    » 

SAUVÉ I  MON  DIEU!  vaudeville  en 4  acte  de  H.  Ro- 
CHEFORT  et  Pierre  Véron.  ^  vol.  in-^8 -1     » 

SEPT  ANS  A  L'OPÉRA,  souvenirs  anecdotiques  d'un 
secrétaire  particulier,  par  Nérée  Desarbres.  \  joli 
volume  in-^ 8,  orné  de  nombreuses  vignettes.   .   .      3    » 

LA  SOEUR  AÎNÉE,  par  Aug.  Marc-Bayeux.  ^  vol.  gr. 
inH8jésus 3    » 

SOUVENIRS  D'UN  MÉDECIN  DE  PARIS,  par  le  doc- 
teur Mettais.  ^  vol.  gr.  in-18  Jésus .       3    » 

LES  TABLEAUX  VIVANTS,  par  Léo  Lespès  (Timothée 
Trimm).  1  vol.  gr.  in-18  jésus 3    » 

TARTUFE  SPIRITE,  par  Alfred  de  Gaston  ;  roman 
de  mœurs  contemporaines.  1  vol.  in-8 5    » 

LE  TREIZIÈME  HUSSARDS,  par  Emile  Gaboriau.  4  v. 
gr.  in-^8  Jésus  (-12^  édition) 3    » 

LA  VACHE  ENRAGÉE,  pièce  en  3  actes  et  8  tableaux, 
par  Ed.  Brisebarre.  Brochure  in-8 »  50 

LES  VENDEURS  DE  BONNE  AVENTURE,  par  Alfred 
DE  Gaston. -1  vol.  gr.  in-18  jésus 3    »> 

LA  VEUVE  DE  SOLOGNE.  -Histoire  d'un  couteau  de 
chasse^  par  le  vicomte  Ponson  du  Terrail.  ^  vol.  gr. 
in-18  jésus 3    » 

LA  VISITE  DU  MATIN,  com.  en  ]  acte,  par  Ed.  Bri- 
sebarre 4     » 

VOYAGE  AUTOUR  D'UNE  VOLIÈRE,  par  A.  Lacombe, 
contenant  les  précédés  les  meilleurs  pour  l'élève 
et  la  reproduction  des  oiseaux.  1  vol.  gr.  in-18, 
orné  de  5  eaux-fortes 5    » 

Paris.  —  Tjp.  Gaittet,  rue  da  Jardine',  i. 

470712O 


La  Bibliothèque 
université  d'Ottawa 
Echéance 


The  Library 
University  of  Ottaw 
Date  due 


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CE  N    5067 

.Z6  1866 

COC   ZOLA,  EMILE. 

ACC#  1171361 


MON  SALON