Skip to main content

Full text of "Oeuvres de Monsieur de Montesquieu Volume 2"

See other formats


5 DE 

C H A P I T R E XIX. 

Dpopulation de l'univers. 
To u T E S ces petites rpubliques furent englou,les dans 
une grande, & l'on vit infenfiblement l'univers fe d- 
peupler : il n'y a qu' voir ce qu'toient l'ltalie & la 
Grece  avant & aprs les vkqoires des Romains. 
, On me demandera, dit Tire Live (a), oh les Volf- - 
 ques ont pu trouver affez de foldats pour faire la guerre, 
 aprs avoir t fi fouvent vaincus. II falloit qu'il y et 
 un peuple infiui dans ces contres, qui ne feroient 
 jourd'hui qu'un dfert, fans quelques foldats & quel- 
 ques efclaves Romains. - 
, Les oracles ont ceff, dit Plutarque (b), parce 
 que les lieux o ils parloient font dtruits ; : peine trou- 
 verok-on aujourdhui da,s la Grece tro,s mille hom- 
 rues de guerre. - 
, Je ne d$crirai point, dit Strabon (), l'Epire & 
 les lieux circonvoifins, parce lue ces pays font enti& 
 rement dferts. Cette dpopulation, qu.i a commenc 
 depuis long-temps, continue tous les ]ours ; de forte 
 que les foldats Romains ont leur camp dans les maitbns 
 abandonres. ,, II trouve la cauf, e de ceci dans Po, Iybe, 
qui dit, que Paul Etnile, apres fa vi&oire, detruifi 
foixante-dix villes de l'Epire, & en e,nmera cent cin- 
/uante mille efclaves. 

(a) Liv. VI. 
(b) (Euvres morales, des oracles qui o,t 
(e) Liv. VII  pae 496- 



IO ]') E LE $ P i I T D  $ L 0 1X 
des iddes acceffoires tirdes de ces temps-l, qui puif- 
tent les contredire. Les Ioix humaines, au contralre, 
tirent avantage de leur nouveautd, qm annonce une 
attention part'culiere & a&uelle du ldgiflateur, pour 
faire obferver. 

CttAPITRE IIl. 

Des Ioix civiIes qui nt contraires  Ia Ioi naturelle. 
St un efclave, dlt Platon, fe dfend, & tue wn 
homme libre, il dolt &re trait comme un parricide (a), 
Voilh une loi civile qui punit la dfenfe naturelle. 
La loi qui, fou Henri 1/711, condamnoit un homme 
fans que les tmoins lui euffent t confronts, &oit 
contraire  la ddfenfe naturelle : en effet, pour qu'on 
puiffe condamner, il faut bien que les t&noins fqachent 
Iue I'homme contre qui ils dpofent eft celui que l'on 
accufe, & que celui-ci puiffe dire : Ce n'efi pas moi 
dont vous parlez. 
La loi paffde fous le mdme regne, qui condamnoit 
route fille qm, ayant eu un mauvms commerce avee 
quelqu'un, ne ie dclareroit point au roi, avant de 
l'pou(er, violoit la d,fenfe de la pudeur namrelle :il 
eft auffi draifonnable d'exiger d'une fille qu'elle faffe 
cette dclaration, que de demander d'un homme qu'il 
ne cherche pas :i dfendre fa vie. 
La loi d'Henri II, qui condamne  mort une fille 
dont l'enfant a pri, en cas qu'elle n'ait point d$clar 
au ma,iflrat fa groffeffe  n'eff pas moins contraire  la 
dfenfe naturelle. I1 fuffifoit de l'obliger d'en inflruire 
une de fes plus proches parentes, qui veillt  la con- 
fervation de l'enfant. 
Quel autre aveu pourroit-elle faire, dans ce fupplice 

(a) Liv. IX des loix. 



CH.A. PITRE XXV. 

O..ou'il ne faut pas &lyre les difpofitions gdndrales d, 
droit civil, lorfqu'il "agit de chores qui doivent gtre 
]bumi]bs  des regles ioarticulieres, tirdes de letw 
propre nature. 
g s'r-c tne bonne loi que routes les obligations 
civiles parries dam le cours d'un voyage entre les 
telots dans un navire, foient nulles ? Francois Pyra.rd 
nous dit (a) que, de fon temps, elle n'toit point 
obferv, par les Portugais mais qu'elle l'toit par 
Francois. Des gens qui ne font enfemble que pour peu 
de temps; qui n'ont aucuns heroins, puifque le prince 
y pourvot ; qui ne peuvent avoir qu'un obiet , qui eft 
celui de Jeur voyage ;. qui ne font plus dans la focit, 
mais citoyens de naw, re ne doivent point contraer 
de ces obligations, qui n'ont t imroduites que pour 
foutenir les charges de la focit civile. 
C'ef dans ce mme e'prit que la loi des Rhodiens, 
faite pour un temps off l'on fnivoit toujours les c6tes, 
vouloit que ceux qui, pendant la tempte  refoient 
dans le vaiffeau, euffent le navire & la charge ; & que 
ceux qui l'avoient quitt  n'euffent rien. 

(a) Chapitre XIV, part. XlI. 



L'pitome de Tire Live, off il e parl de cette loi, 
n'en dit pas davantage (0" I1 parok, par Ccron (a), 
 par fltint t(tin (b), que la lille, & m&ue la 
fille unique, toient comprifes dans la prohibition. 
ton l'ancien conttibua de tout fon pouvoit  falre 
recevoir cette Ioi (c). ulugelle cite un fragment de 
la harangue qu'il fit dans cette occafion. (d). En em- 
pdchant les femmes de fuccdcr, il voulut prvenir 
caulks du luxe, comme, en prenant la dfenfe de la 
Loi Oppenne, il voulut arr&er le luxe m&ne. 
Dans les inflitutions de )flinien (e) & de Tldo- 
hik (f), on parle d'un chap,re de la Ioi Voconienne, 
qm reflreinoit_ la facult de lguer. En lifant ces au- 
teurs, il n'y a perfonne qui ne penfe que ce chapitre 
fur fair pour viter que la fi, eceon ne ffit tellement 
puife par des legs que l'hritier refi, ffqt de l'accep- 
ter. Mais ce n'&oit point I l'efirit de ia ioi Voco- 
nienne. Nous venons de voir qu'elle avoit pour objet 
d'emp&her les femmes de recevoir aucune ficceon. 
Le chapitre de cette loi qui mettoit des bornes h la 
flcult de lguer, entroit dans cet objet ; car, fi on 
avoit pu guer autant que l'on auroit voulu, les 
rues auroent pu recevoir comme legs, ce qCelles ne 
pouvoient obtenir comme fucceon. 
La loi Voconienne tht fake pour prvenir les trop 
grandes richeffes des femmes.' Ce fur donc des fuccelZ 
fions confidrables dont il fallut les priver, & non pag 
de celles qui ne pouvoient entretemr le luxe. La loi 
fixoit une certaine fomme, qui devoit dtre donn& aux 
femmes qu'elle privoit de la fucceon. Cic/ron (g), 
qui nous apprend ce fait, ne nous dit point quelle 6toit" 

(z) Legem tulit , ne quis 
redem mulierem inflitueret, li- 
vre XLI. 
(a) Seconde harangue con- 
tre lerrOs. 
(h) Liv. III de la cit6 de dieu. 
(c) Epitome de "l)'te Live, 
liv. XLI: 

(d Liv. XVII chap. vl. 
(e) lnftit, liv. l', tit. ,,. 
(.f) l,iv. II, tit. 
(g) iVemo cenfitit plus Fa- 
di, e dandum , qu?tm po_[/bt ad 
ram le l'oconid pervenire. I)e 
fitfibus boni & mv.li, lib. 1I. 



XX[  'III, C    ^v  xRr XXXIV. 
nouvelle dtoit propre au gouvernement qui fur &abli 
depuis. 
Le commentateur de Boutillier fixe  l'ordonnance 
de i539, l'poque de ce changement. Je crois qu'il fe 
fit peu a peu,  qu'il paffa de feigneurie en feigneu- 
tie,  mefure que les feigneurs renoncerent : l'ancienne 
pratique de juger, & que celle tire des tabliflemens 
de faint Louis vint  fe perfe&ionner. En effet, Beau- 
maoir dit que.ce n'&oit que dam les cas off on pouo 
volt donner des gages de bataille, qu'on entendoit pu- 
bliquement les tmoins (d) : dans les autres, on 
yoit en fecret, & on rddigeoit leurs dpofitions par 
crit. Les procedures devinrent donc fecrettes, lorfqu'il 
r?y eut plus de gages de bataille. 

(d) Chap. xxxx, pag. I8. 

C H A P I T R E XXXV. 

ANCIENNEMENT en France, il n'y avoit point 
de condamnation de d6pens en cour laye (a). La pattie 
qui fuccomboit 6toit affez punie par des condamnations 
d'amende envers le feigneur & fes pairs. La maniere 
de procdder par le combat judiciaire faifoit que, dans 
les crimes, la pattie qui fuccomboit,  qui perdoit la 
vie & les biens, dtoit punie autant qu'etle pouvoit |''tre ; 
Ik, dans les autres cas du combat iudiciaire, i| y avoit 
des amendes quelquefois fixes, quelquefois d6pendantes 
de la volontd du feigneur, qul faifoient affez craindre 
les e enemens des proces. I1 en &oit de mcme dans 
les affaires qui ne fe dtcidoient que par le combat. 

(a) Dntahws  dans fon confeil, chap. xxn, art. 3 & 
& Beaumanoi:-. chap. xxxm ; tabliflmens, liv. I, chap. 
P 



-40 D E, L'E $ P R I T D E, $ L 0 IX 
rite des louanges., Tout homme qui inouroit fans don; 
net une pattie de fes biens / l'glife, ce qui s'appel- 
loit mourir deconfs, toit priv de la communion & de 
la fdpulture. Si l'on mouroir thns faire de teflament il 
falioir que les patens obtinffent de l'6vque qu'il nora- 
mat, concurremment avec eux, des arbitres, pour fixer 
ce que le ddfunt auroit dfi donner, en cas qu'il efit 
fait un tefament. On ne pouvoit pas coucher enfemble 
la premiere nuit des noces, ni mdme les deux ftfivan- 
tes, fans en avoir achet6 la permiflion " c'6toit bien 
ces trois nuits-lA qu'il falloit choifir ; car, pour les au- 
tres, on n'auroit pas donn6 beaucoup d'argent. Le par- 
lement corrigea tout cela. On trouve, dans le glof- 
faire du droit Franqois de Ragau (b), l'arrd:t qu'il ten- 
dit contre l'vdque d'Amiens (c). 
Je reviens au commencement de mon chapitre. Lorf- 
que, dans un fiecle ou dans un gouvernement, on vok 
les divers corps de l'dtat chercher  augmenter leur au- 
rorit6, &  prendre les uns fur les autres de certains 
avantages, on fe tromperoit fouvent fi l'on regardoit 
leurs entreprifes comme une marque certaine de leur 
corruption. Par un malheur attach6  la condition hu- 
maine, les grands hommes moddr6s font rares; &, corn- 
rne il eli toujours plus aif6 de fuivre fa force que de 
l'arrdter, peut-dtre, dans la claffe des gens fup6rieurs, 
efi-il plus facile de trouver des gens extrdmement ver- 
tueux, que des hommes extr6mement fages. 
.L ame goute rant de d611ces  dominer les autres ames; 
ceux mdme qui aiment le bien, s'aiment fi fort eux-md- 
rues, qu'il n'y a perfonne qui ne foit affez malheureux 
pour avoir encore  fe d6fier de fes bonnes intentions: 
& en v6rit6, nos a&ions tiennent A rant de chores, 
qu'il ef mille fois plus aif6 de faire le bien, que de le 
bien faire. 
CHA- 

f b) Au mot excutettrs teflame;taires. 
c) Du 9 mars x4o9. 



Ltv XXIX, CHAPITRE I. 

L I V R. E xXIX. 

De la maniere de compofer les loix. 

CHAPITRE PREMIER. 

De l'efprit du lggiflateur. 
J. le dis, & il me retable que je n'al flit cet ou- 
vrage que pour le prouver. L'eorit de moddration dolt 
Ore celui du ldgiflateur ; le bien politique, comme le 
bien moral, fe trouve toujours entre deux limites. En 
voici un exemple. 
Les formalitds de la juice font nceffaires  la li- 
bert& Mais le hombre en pourroit &re fi grand, qu'i[ 
choqueroit le but des loix m'mes qui les auroient ta- 
blies: les affaires n'auroient point de fin ; la propridt6 
des biens refleroit incertaine ; on donneroit h l'une des 
parties le bien de l'autre fans examen, ou on les rui- 
nerolt toutes les deux  force d'examiner. 
Les citoyens perdroient leur libertd & leur ffiretd; 
les accufateurs n'auroient plus les moyens de convain-- 
cre, ni les accufds le moyen de fe juflifier. 
\ 
, _ . :.. , _. - .. 

CH APITRE II. 

Continuation du mgme fujet. 
{..'iclvs, dam 4ulu.gelle (a), difcourant r Ia 
loi des douze.-tables  qm permetto,t au crdancier de 

(a) Liv. XX, chap. 



LI'R. XXIX, Ca^,,tTr. e. IV. "-5 

CHAPITRE IV. 

Des loix qtd cboquent les ues du [giflateur. 
I L y a des loix que le lgiflateur a fi peu connues, 
qu'elles font contraires at, but mdme qu'il s':fl propofd. 
Ceux qui ont dtabli chez les Franqois que, lorflu'un 
des deux pr6tendans  un bdn6fice meurt, le bndfice 
retie A celui qui filrvit, ont cherch6 fans doute  dteindre 
les aft:aires. Mais il en rlhlte un efft contraire" on voit 
les eccidfiafliques s'attaquer & fe battre comme des do- 
gues Anglois, jufqu'h la mort. 

CHAPITRE V. 

Continuation du mgme fitjet. 
LA 1o] dont je vais parler fe trouve dans ce ferment, 
.qui nous a td confervd par Efchines (a). ,, Je jure que 
le ne dtruirai jamais une ville des Amphi(tions, & 
que je ne dtournerai point fes eaux courantes ; fi quel- 
que peuple ore faire quelque chore de pareil, je lui dcla- 
rerai la guerre, & je dtruirai fes villes. - Le dernier 
article de cette loi, qui paroit confirmer le premier, 
lui eft rellement contraire. 4mphicTion veut qu'on ne 
dtruif,e jamais les villes Grecques, & fa loi ouvre la 
porte a la detiru(tion de ces villes. Pour &ablir un bon 
droit des gens parmi les Grecs, il falloit les accoutu- 
met  penfer que c'toit une chore atroce de ddtruire 
une vil!e Grecque ; il ne devoit pas mdme dtruire les 
deflruc')eurs. La loi d'4mFhicTion &oit jufie, mais elle 

(a) De fM-,'d legatione, 



C It A P I T R E XIII. 

Qu'il ne faut point fe'parer les loix de l'objetpour lequd 
elles font ]aim. Des loix Romaines fur le vol. 
go as Qur. le voleur &oit furpris avecla chore vo- 
14e, avant qu'il l'et portde dans le lieu o, il avoit r& 
folu de la cacher, cela &oit appelld chez les Romaitas 
un vol manifele ; quand le voleur n'&oit d&ouvert 
qu'apr&, c'dtoit un vol non manifette. 
La Ioi des douze-tables ordonnoit qre le voleur ma- 
nifelte ffit battu de verges & r4duit en fervimde, s'il 
dtoit pubere ; ou feulement battu de verges, s'il dtoit 
impubere : elle ne condamnoit le voleur non manifelte 
qu'au paiement du double de la chore volde. 
Lorfque la loi Porcia eut aboli l'ufage de battre de 
verges les citoyens, & de les rdduire en fervitude, 
le voleur manifette fur condamnd au quadruple (a), 
& on continua & punir du double le voleur non ma- 
rfifefle. 
II parot bizarre que les loix miffent une telle diff4- 
fence dans la qualitd de ces deux crimes, & dans la 
peine qu'elles infligeoient : en effet, que le voleur ffit 
firpris avant, ou apr& avoir portd levol dans le lieu 
de fa dettination, c'&oit une circonttance qui ne chan- 
geoit point la nature du crime. Je ne faurois dou-- 
ter que route la thdorie des loix Romaines fur le vol, 
ne ffit tir4e des inflitutions Lacddmoniennes. Lycur- 
gue, dans la vue de donner  fes citoyens de l'a-. 
dreffe, de la rule & de l'a&ivit4, voulut qu'on exer- 
t les enfans au larcin, & qu'on fouettat rudement 
ceux qui s'y laifferoient furprendre : cela dtablit chez 
les Grecs, & enfuite chez les Romains, une grande 

(a) Vorez ce que dit Favorinus fur Aulugelle, liv. XX ch. 



2 ) E L"  $ P R I T D E S L 0 I X 
les ferfs affranchis en &oient abfolument exclus. M. l'abb 
.Dubos (a), qui va en Turquie, pour nous donner une 
idde de ce qu'dtoit l'ancienne nobleffe Franqoife, nous 
dira-t-il qu'on fe foit jamais plaint en Turquie de ce 
qu'on y devoit aux honneurs & aux dignitds des gens 
de baffe naiffance, comme on s'en plaignoit fous les re- 
gnes de Louis le dbonnaire & de Charles le chauve ? 
On ne s'en plaignoit pas du temps de Charlemagne, parce 
que ce prince diflingua toujours les anciennes families 
d'avec les nouvelles ; ce que Louis le d/bonnaire & Char- 
les le chauve ne firent pas. 
Le public ne doit pas oublier qu'il ef redevable ?, 
monfieur l'abb Dubos de plufieurs compofitions excel- 
lentes. C'efi fur ces beaux ouvrages qu'il dolt le juger, 
& non pas fur celui-ci. M. l'abb Dubos y et tomb 
dans de grandes fautes, parce qu'il a plus eu devant le$ 
.yeux monfieur le comte de Boulainvilliers, que fon tia- 
let. Je ne tirerai de toutes mes critiques, que cette 
rflexion : Si ce grand homme a errS, que ne dois-je 
pas craindre ? 
(a) Hiloire de l'6tabliffement de la monarchie Fran.  tom. III, 
l, iv. VI  chap. v  pag. 3o_0. 



R  MERCIMENT 

A 

Attrit, ud 

SINCEKE 
UN HOMME 
C tI A R I T AB LE 
 tYlonEeur de F o r. r a t z 



LYS IM  kQU E. 

G ij 



i . 

;- 



La Bibliothque 
Universit d'Ottawa 
chance 

The Library 
University of Ottawa 
Date due 



o