MOSAIQ^UES ROMAINES
DES
MUSÉES DE LYON
mosaïques romaines
des musées de lyon
PAR
PHILIPPE 'FABIA'
PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE LYON
CORRESPONDANT DE L ' I N S i I T U T
LYON
M CM XXIII
AVANT-PROPOS
La belle collection de mosaïques romaines que possèdent les musées de
Lyon, commencée sous François Artaud, le véritable initiateur de la transfor-
mation du Palais Saint-Pierre en Palais des Arts, s'est accrue au temps de ses
successeurs Comarmond et Martin-Daussigny, et encore dans les dernières
années. Non seulement donc la série des notices d'' Artaud est aujourd'hui
incomplète, mais même celle de Comarmond. Il s'agissait d'abord de les complé-
ter. Il s'agissait aussi et surtout de compléter chacune de leurs notices et de les
corriger, en tenant compte, pour l'historique, des documents que le parti-pris de
l'un et la paresse de l'autre ont négligés, pour la description, du progrès des
connaissances archéologiques.
Toutes les pièces qui composent notre collection ne sont pas d'origine lyon-
naise ; plusieurs, la moitié presque, furent découvertes à Vienne ou dans le
faubourg antique de Vienne, à Sainte-Colombe et Saint- Romain-en-Gal.
Quelques morceaux sont de provenance inconnue ou incertaine.
Outre les mosaïques lyonnaises recueillies et conservées dans nos musées, il
existe ou il existait dans le sous-sol de Lyon un nombre considérable de pave-
ments romains qui ont été détruits ou laissés en place, un nombre beaucoup plus
considérable qu'on ne le croirait d'après la liste fournie par /'Inventaire des
mosaïques de la Gaule, f espère pouvoir publier bientôt Vensemble des rensei-
gnements que je me suis procurés sur ces monuments perdus ou abandonnés, mes
Recherches sur les mosaïques romaines de Lyon.
LA MOSAÏQUE MACORS
(Jeux du Cirque'
Bibliographie. — Archives municipales de Lyon, série R^, Musées (acquisi-
tions, recherches archéologiques, travaux, collections) = Arch. mun.,
R2 a. — Ibid., série M^ Palais des Arts (architecture, restauration et
travaux divers) = Arch. mun., M^ a. — Ibid., même série, Palais des
Arts (architecture, secours contre l'incendie. École des Beaux- Arts,
Musées, collection Bernard) = Arch. mun., M ^ b. — Ibid., même série.
Palais des Arts (architecture, expositions et réunions, toiture, continua-
tion du Palais sur la rue de l'Hôtel-de- Ville) = Arch. mun., M^ c. —
Ibid., même série. Palais des Arts (correspondance) = Arch. mun.,
M^ e. — F. Artaud, Histoire abrégée de la peinture en mosaïque, suivie de
la description des mosaïques du Midi de la France, in-4, et Mosaïques
de Lyon et des départemens méridionaux de la France (album), in-folio,
Lyon, 1835 = Artaud, 1835. — Idem, Description de la mosaïque de
M. Macors, in-8, 1806 = Artaud, 1806, in-8. — Idem, Description
d'u?îe mosaïque représentant des jeux du cirque, in-folio, Lyon, 1806 =
Artaud, 1806, in-fol. — B. Vermorel, Historique et statistique des
voies publiques comprises dans les quartiers de Bellecour, Ainay, Perrache
et presqu'île Perrache, 2 vol. gr. in-8 (manuscrit déposé aux archives
municipales de Lyon) = Vermorel, Historique. — Idem, plusieurs
volumes de notes manuscrites, aux mêmes archives = Vermorel,
Notes. — CoMARMOND, Description des antiquités et objets d'art contenus
dafis les salles du Palais des Arts de la ville de Lyon, in-4, Lyon, 1855-
1857 = CoMARMOND, Description... — Le surplus de la bibUographie
sera donné dans les notes.
I
I. Il y a un siècle, Lyon ne dépassait point, au midi, entre Rhône et
Saône, la ligne des vieux remparts d'Ainay. Encore les espaces non bâtis,
des remparts à Bellecour, étaient-ils nombreux et vastes. Parmi ceux que les
constructions neuves entamaient déjà, se trouvait le clos Macors. Vers 1821,
Fortis ï écrit que, si l'on pénètre dans la ville par la rue de Puzy — portion
médiane de l'actuelle rue Auguste-Comte — , on aperçoit à l'entrée deux
pavillons, dont «l'un était celui d'une habitation agréable, appelée pendant
plusieurs années jardin des Mosaïques «, parce que le propriétaire y avait
découvert, en 1806 et 1809, quelques-uns de ces pavements, vestiges du
passé romain, entr'autres la mosaïque des Jeux du cirque et celle de Méléa-
gre. Il ajoute : <( Le jardin a été détruit et l'on y a élevé des maisons ». Quelles
étaient l'origine et l'étendue de ce domaine ?
Lorsque les Jésuites furent expulsés du royaume, en 1762, ils possé-
daient à Lyon, dans le quartier d'Ainay, une grande propriété, le noviciat
de Saint- Joseph et ses dépendances, bâtiments et jardins, laquelle, avec
I. Voyage pittoresque et historique à Lyon, 1, 182 1, p. 130 et suiv.
— 3 —
l'établissement des Chevaliers de l'Arc en main, ou maison de la Flèche,
qui la confinait au sud, avait pour limites au nord la rue Sainte-Hélène, au
couchant la rue d'Auvergne, au midi les remparts de la ville — plus tard rue
Laurencin, maintenant rue des Remparts-d'Ainay — , au levant un mur de
clôture correspondant à l'actuelle rue de la Charité ou plus exactement à la
face postérieure de ses maisons occidentales. Les biens des Jésuites furent
d'abord mis sous séquestre, puis vendus en 1775 à la Compagnie Pierre
Rogé. Les créanciers de celle-ci, par suite de la transaction du 23 vendé-
miaire an XI (15 octobre 1802) avec M. de Laurencin, représentant la Com-
pagnie Perrache, les revendirent en neuf lots, en y comprenant la maison de
la Flèche ^ et réserve étant faite du terrain nécessaire à l'ouverture ou au
prolongement de certaines rues. Le 16 brumaire an XII (8 novembre 1803),
Paul Macors, pharmacien, acquit les quatre lots II, III, V et VI, c'est-à-dire
tout le terrain compris entre les bâtiments des Jésuites au nord, la rue
d'Auvergne au couchant, les remparts au midi, au levant la rue Neuve-
Saint- Joseph, ou rue de Puzy, ouverte dès 1803. Mais, le jour de l'adjudica-
tion, il « élut en amis » pour les lots II et III Cohert ou Couhert et pour le lot
V Boirié 2. Donc, à vrai dire, il ne possédait que le lot VI, l'espace entre la
rue de Puzy, les remparts et le tracé idéal des deux rues projetées, au nord
la rue Rogé — maintenant portion orientale de la rue Jarente — , au cou-
chant la rue de la Direction, plus tard partie de la rue Bourbon et mainte-
nant de la rue Victor-Hugo.
Néanmoins nous verrons bientôt qu'il agissait en propriétaire dans le
lot III, et que les contemporains regardaient ce lot comme lui appartenant,
puisqu'ils désignaient sous les noms de clos Macors et jardin des Mosaïques
tout l'espace entre la rue de Puzy, les remparts, la rue d'Auvergne et la rue
projetée Rogé ou mieux la lisière nord de celle-ci, Macors jouissant précai-
rement du terrain réservé pour la rue Rogé, de même qu'il jouissait de la
1. Voir le plan, fig. i. L'original de ce plan est aux arcli. mun., série O', rues, acquisitions ; dossier de la
rue Bourbon, liasse Dépierre.
2. Arch. mun., série dossier et liasse cités : 9 avril 1812, cahier des charges rédigé par Desgranges aîné...;
18 décembre 181 8, mémoire pour les s's Dépierre ; 1824 (?)» analyse des pièces fournies par les s''^ Dépierre.
— Vermorel, Historique, p. 433 et suiv., 468 et suiv. ; Notes, 5, p. 994 et suiv. — L'assertion de Comarmond,
Description..., p. 686, est totalement fausse : « Ce jardin dépendait du clos du couvent Saint-Michel, avant
1793/ époque où il fut vendu comme propriété nationale •>.
4 —
— 5 —
rue future Bourbon ^ C'est ce qui explique l'assertion de Cochard, en 18172^
que la rue des Mosaïques — ainsi nomme-t-il la rue_Rogé 3 — « vient d'être
percée à travers le jardin de M. Macors ». S'il fallait en croire Artaud, ce
jardin aurait été beaucoup plus grand et aurait compris pour le moins l'en-
semble des quatre lots ; car il situe 4 « dans le jardin de M. Macors » la
mosaïque Vial qui se trouvait, nous le verrons, sur le lot II, au nord de la
rue Rogé, et affirme 5 que sa planche XVII, où figurent des mosaïques pla-
cées à l'est de la rue de Puzy et à l'ouest de la rue d'Auvergne, <■< offre le plan
des mosaïques que l'on voyait près d'Ainay, sous le règne de Napoléon,
dans le clos de M. Macors, appelé jardin des Mosaïques ». En ce qui con-
cerne la mosaïque Vial, Cochard le contredit formellement, puisqu'il la
situe , ^en 18 10, « dans le jardin attenant à celui de M. Macors » et 7, en
181 7, dans « le jardin Vial ». D'autre part. Dépierre, acquéreur du seul lot
VI après le décès de Macors, exagérait en sens inverse, quand il s'intitulait
« propriétaire du jardin dit des Mosaïques » s.
2. C'est sur le lot VI que la mosaïque des Jeux du cirque fut remise au
jour, « le 18 février 1806, par des ouvriers qui faisaient un réservoir ; elle
était à un mètre (3 pieds) de profondeur, sous un lit de terre végétale, sans
indices de ruines. Nous avons remarqué qu'elle avait été recouverte, avec
intention de la conserver. On a trouvé à sa surface une légère couche de
gravier rougeâtre, provenant d'un ciment décomposé, et, par dessus, un
1. Voir le plan du lot VI, fig. 2. L'original de ce pian est aux Archives municipales (série et liasse citées).
2. Description historique de Lyon, p. 46. C'est sans doute aussi pour cela que (Petites Affiches de Lyon,
7 mars 1810, p. 7), « les jardiniers du jardin des Mosaïques », offrant de recevoir et soigner tous arbustes
en pots et en caisses, indiquent l'entrée de la rue d'Auvergne, '< vis-à-vis la rue Jarente >, dont la rue Rogé
sera l'exact prolongement.
3. « On ne saurait donner un nom plus convenable à la rue qui vient d'être percée... ». Il y insiste dans le
Guide du voyageur et de l'amateur à Lyon, 1826, p. 549 : « Rue des Mosaïques... conserve le souvenir de la
découverte faite dans ce local... de la mosaïque des jeux du cirque... et de celle représentant Atalante et
Méléagre... '.
4. 1835, p. 63.
5. Ibid., p. 77.
6. Indicateur de Lyon pour 1810 ; Curiosités..., p. 12. Cette notice n'est pas signée ; mais Cochard s'en
déclare l'auteur dans la préface de la Description historique de Lyon.
7. Description historique..., p. 47. Dans « le jardin Vial qui aboutit également à la rue des Mosaïques... n
8. Arch. mun., série R-'a, 15 novembre 1815, lettre de Dépierre au maire.
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rang de débris de tuiles romaines à rebords ». Ainsi parle Artaud ^ Un
autre témoin contemporain, Delandine, qui, dans le Bulletin de Lyon ^,
informa le premier le public de la découverte, nous apprend que les fouilles
étaient dirigées par un architecte « plein de douceur et de lumières, M.
Querville ». D'après Artaud, la conservation du pavement était « entière à
part quelques légères dégradations qui ne nuisent cependant point au déve-
loppement du sujet » ; mais d'une grecque ou méandre qui l'entourait et
« servait à l'agrandir », il n'y avait plus que des « restes infiniment dégra-
dés » 3. Il ajo.ute que « sa direction est du nord au sud avec une légère décli-
naison sud-ouest » 4, ce qui veut dire que les grands côtés du rectangle
qu'elle forme avaient sensiblement la direction nord-sud. Delandine spéci-
fie que le petit côté où l'on voit « la barrière du cirque », les carceres, était au
nord 5.
Le témxoignage d'Artaud ne fournit qu'uae indication approximative
du lieu de la découverte s...: « dans son jardin » — le jardin de M. Macors —
« situé près de l'abbaye d'Ainay... La place qu'elle occupe est à deux cents
pas du local où s'élevait jadis le temple d'Auguste à l'ancien confluent du
Rhône et de la Saône », c'est-à-dire à deux cents pas de l'église d'Ainay que
Ton croyait alors bâtie sur l'emplacement du temple de Rome et d'Auguste.
1. Sur la date, le lieu et toutes les circonstances de la découverte, voir Artaud, i8o6, in-8° (= Magasin
encyclopédique, i8o6, IV, p. i6o et suiv.) ; i8o6, in-fol ; 1835, p. 41 et suiv. Les variantes de ces trois textes,
en ce qui concerne la découverte, sont négligeables.
2. 8 mars 1806, p. 74 et suiv. Voir aussi ibid., p. 82 et suiv. La mention de l'architecte Querville est à la
p. 84.
3. L'architecte Querville, qui avait promis et commença, mais n'acheva point, devancé par Artaud, une
description détaillée de la mosaïque, écrit, après en avoir donné les mesures : « Le surplus de son étendue se
termine par des dégradations qui n'ont pas permis de découvrir les véritables limites de son premier état »
(Bulletin deLyon, 1806, p. 175).
4. De même Querville, ibid. Voir aussi Delandine, ibid., p. 76.
5. Ibid., p. 83.
6. M. Adrien Blanchet la reproduit en substance dans son Inventaire, n° 712, et ajoute, ce qui est faux :
« sur l'emplacement de la rue des Remparts-d'Ainay ". La source directe de l'erreur est sans doute Duruy,
Histoire des Romains, IV, 1882, p. 43, note i : « sur l'emplacement de la rue des Remparts-d'Ainay « ; la source
indirecte, Comarmond, Description..., p. 686 : « dans ce jardin qui appartenait à M. Macors... ; il était situé
dans le pâté de maisons compris entre les rues Rogé et des Remparts-d'Ainay, au nord et au sud ; à l'est et à
l'ouest, entre celles de Puzy et de Bourbon >. Ces limites, d'ailleurs, ne sont pas celles du jardin Macors, mais
du lot VI seulement. Martin-Daussigny, Dissertation sur l'emplacement de l'autel d'Auguste, 2*= édit., 1853,
p. 9, situe la propriété Macors « rue du Rempart -, désignation aussi insuffisante que celle de Cochard,
Indicateur de 1810 ; Curiosités, p. 12 : « Dans le jardin de M. Macors sur les remparts d'Ainai •<. Comarmond
ajoute que « la mosaïque était vis-à-vis la maison Micoud '. Il veut dire la maison Michoud, rue de Puzy.
— 8 —
Mais le plan du même Artaud ^ permet de préciser : la mosaïque y est placée
dans l'angle sud-est des rues Bourbon (Victor-Hugo) et Rogé (Jarente).
Steyert ^ la localise sous l'actuel n" 24 de la rue Jarente, et Vermorel 3 sous
le n" 39 de la rue Victor-Hugo. La première localisation est sans doute la
plus exacte, quoique l'avantage paraisse revenir à la seconde, quand on exa-
mine et le plan d'Artaud et le plan inédit du lot VI que j'ai cité plus haut
(fig. 2). Mais il faut savoir que, postérieurement à la date de celui-ci, l'axe
de la rue Bourbon fut reporté de façon définitive à une quinzaine de mètres
vers l'ouest 4. Si donc le plan inédit met à bon droit la mosaïque presque
en bordure de la rue projetée, Artaud n'aurait pas dû la mettre presque en
bordure de la rue ouverte. Le mieux serait peut-être de dire qu'elle était
située sous la partie occidentale du vaste immeuble que désigne Steyert.
3. « Pharmacien distingué » 5, Paul Macors, au jugement d'Artaud,
était aussi « un ami éclairé des arts '. Ami zélé, tout au moins. Il le prouva
d'abord en s'apphquant à procurer la conservation sur place de sa mosaïque
et à lui donner le cadre qu'il estima digne d'elle. Il fit élever pour l'abriter
« un petit temple d'ordre dorique grec » dédié « aux amis des arts » ^. Elle lui
valait, en échange, des satisfactions d'amour-propre auxquelles il n'était
pas insensible. Sa belle découverte, que la double monographie d'Artaud fit
promptement connaître hors de Lyon, avait été, affirme-t-il au début d'une
lettre écrite en 1809 7, « honorée... de la visite de tous les grands personna-
ges » qui passaient dans cette ville. U Indicateur de 18 10 s, parlant des deux
mosaïques alors exposées dans le clos Macors, celle des Jeux du cirque et
celle de Méléagre, lui décernait cet éloge : « Il n'a épargné non plus aucune
dépense pour en assurer la conservation... Aussi voit-on chaque jour des
1. 1835, planche XVII.
2. Nouvelle histoire de Lyon, I, p. 262.
3. Historique, p. 862.
4. Idem, p. 861 Pt suiv., Notes, 5, p. 996.
5. Voir sa biographie dans Poidebard, Baudrier et Galle, Armoriai des bibliophiles du Lyonnais, 1907,
p, 336. Sur le sirop de Macors, voir Bull, de Lyon, 1807, p. 233.
6. Artaud, 1806, in-fol., note 24; cf. 1835, p. 55; Indicateur de Lyon pour 1810, Curiosités..., p. 13 ;
Cochard, Description historique de Lyon, p. 46.
7. Celle qui sera analysée un peu plus bas.
8. Ci'rio<-''é';..., p. 13.
— 9 —
étrangers et des savans )) se rendre pour les admirer dans ce jardin « dessine
avec goût » I. Le public lyonnais y fut admis une première fois du 5 au 20
juin 18065 moyennant « une modique rétribution » destinée en partie « aux
ouvriers qui ont travaillé et travaillent encore ^ à la conservation du précieux
monument, et en partie aux œuvres paroissiales d'Ainay. La journée du
26 juin, un jeudi, fut réservée aux maîtres de pension, instituteurs et insti-
tutrices, ainsi qu'à leurs élèves ; chaque chef ou conducteur de groupe reçut
gratuitement un exemplaire de la petite monographie d'Artaud, en vente
pour le public « chez le jardinier de M. Macors )> -. Puis, le jardin est fermé,
afin que la mosaïque reçoive « les dernières réparations dont elle est suscep-
tible » 3. Il s'agit sans doute de la construction du temple. Les entrées
payantes recommencèrent-elles ensuite ? Probablement. Quoi qu'il en soit,
le 15 octobre 1808 4, « M. Macors prévient qu'à compter du i^^' novembre
jusqu'au i^r mai prochain, on ne pourra se présenter pour voir sa mosaïque ;
que pendant ce temps il sera fait de nouvelles fouilles derrière sa maison, sur
les ci-devant remparts d'Ainai et dans les jardins dont la vente a été annon-
cée par affiches 5, et que la dite vente sera différée jusqu'au retour de la
belle saison ».
Le plan du lot VI (fig. 2) montre la maison en question presque en
bordure de la rue projetée nord-sud (rue Bourbon ou de la Direction), la
façade tournée à l'est. Macors se dispose donc à explorer le terrain du lot
III. Sur la marche et les résultats de ces fouilles, autre manifestation de son
zèle pour les arts, nous sommes renseignés par lui-même. Dès le 16 novem-
1808, il écrit 6 au maire, M. Fay de Sathonnay : « Depuis quatre jours j'ai
1. « Le jardin où elles sont a été dessiné avec goût >. Pour le rédacteur des Curiosités, Cochard, les deux
mosaïques, l'une dans le lot VI, l'autre, nous allons le voir, dans le lot III, sont dans un seul et même jardin.
Il a dit un peu plus haut, parlant des fouilles qui ont produit la découverte des deux mosaïques : < On ne peut
que savoir gré à M. Macors du zèle avec lequel il s'est livré à faire des fouilles dans sa propriété '.
2. Bulletin de Lyon, 1806, p. 173 et 199.
3. Ibid., p. 199.
4. Ibid., 1808, p. 329. — Le 12 mai 1808, « en présence des sociétés savantes, dans le jardin de M. Macors,
rue de Pusy, à la Mosaïque >, il y avait eu des expériences de < dépuration et prompte bonification des eaux
même les plus corrompues « par les fontaines à filtres Smith et Ducommun. Ibid., p. 148 et 153.
5. Les Petites Affiches de Lyon, 20 juillet 1808, p. 2, contiennent l'annonce suivante relative sans doute à
ce projet de vente : < Terrain à Saint- Joseph, quartier d'Ainai, qui pourra être divisé en huit lots ; s'adresser à
Me Desgranges, notaire, place des Carmes, n" 85 «. Il s'agissait apparemment des lots II et III, les anciens lots
Cohert, possédés alors par sa fille, la dame Laurent.
6. Arch. mun., R-a.
- 10 —
commencé mes fouilles dans le jardin faisant suite aux prisons de Saint-
Joseph ^ Huit hommes sont employés à cet ouvrage et, à l'instant où j'ai
l'honneur de vous écrire, une nouvelle mosaïque se présente à nos regards.
Je n'en connais pas encore le sujet ; mais j'ai cru devoir vous en prévenir le
premier. Je continuerai mon travail avec le même zèle, espérant de votre
justice et de la parole que vous avés bien voulu me donner que vous en par-
tageriés les frais... ». Le 24 février 1809 2, il adresse un rapport détaillé au
préfet, M. d'Herbouville, qui lui envoie, le i^'' mars 3, ses remerciements et
ses félicitations. Macors atteste qu'il a fait ces nouvelles fouilles entraîné
par le zèle que lui inspirèrent les désirs du préfet et du maire, « autant que
par un penchant naturel à les seconder ». Il a soulevé la terre à dix pieds de
profondeur « sur une surface présentant dans sa longueur deux cents pieds
et dans sa largeur cinquante-six », suivant de l'est à l'ouest la route que lui
avait tracée sa première découverte, jusqu'au mur de la rue d'Auvergne.
Quant aux résultats de l'investigation et aux hypothèses de l'investigateur,
ce n'est pas ici le lieu de les exposer en détail ; disons seulement que sa
découverte la plus intéressante fut celle de la mosaïque de Méléagre, à
l'extrémité occidentale du terrain fouillé. Bientôt, par ses soins, un pavillon
la garantit des « injures de l'air » 4.
4. Si le maire de Lyon « partagea », comme il l'avait promis, les frais des
fouilles de 1 808-1 809, nous l'ignorons. Mais un article de journal 5, évidem-
ment inspiré par Macors, nous prouve que, tout ami des arts qu'il était,
une aide pécuniaire lui semblait indispensable. Les découvertes passées
en laissent prévoir d'autres, « lorsque la munificence du gouvernement
suppléera à l'insuffisance de la fortune d'un particulier ». En attendant,
Macors fait appel au concours des Lyonnais. « C'est pour conserver ce
monument national » — la mosaïque des Jeux du cirque — « à la ville de
1. Les prisons de Saint- Joseph n'étaient autre chose que les anciens bâtiments des Jésuites. Voir Ver-
morel, pass. cités plus haut.
2. Bulletin de Lyon, 1809, p. 66 et suiv. Rapport reproduit textuellement, mais non daté, dans le Ma(;asin
encyclopédique de 1809, II, p. 364 et suiv. ; abrégé par Fortis, Voyage... à Lyon, II, 1822, p. 137 et suiv., qui le
date de février 1809.
3. Bulletin de Lyon, 1809, p. 71.
4. Indicateur de Lyon pour 1810, Curiosités, p. 13 ; Cochard, Description... deLyon, p. 47.
5. Bulletin deLyon, 1809, p. 185 ; cf. 203.
— 11 —
Lyon, que M. Macors a conçu le projet de faire de son jardin un lieu de
réunion, une promenade agréable et bien décorée, où les amis des lettres
et des arts viendront cultiver les sciences, objet de leurs études, où les
citoyens trouveront un délassement dans les belles soirées de l'été, où les
voyageurs savans et curieux recevront accueil... ». Ce projet a rencontré
l'approbation d'une société nombreuse « et choisie qui s'est réunie le 7 »
juin 1809 « dans la maison attenant au jardin ». Ainsi fut constitué le
« Cercle du Jardin des Mosaïques », lequel, durant l'unique année de son
existence (i^^ juillet 1809 — 30 juin 18 10), fut en fait beaucoup moins un
Athénée qu'un lieu de plaisance dont les attractions ne différaient pas
essentiellement de celles que les grandes brasseries du voisinage offraient
alors à leur clientèle ^
Exploité par l'artificier Arban, le lieu de plaisance survécut au cercle
deux ou trois mois seulement. Le décès de Paul Macors, arrivé le 12 mars
181 12, entraîna bientôt la disparition du jardin lui-même des Mosaïques.
5. Quelques jours après, le 26 mars 181 1 3, le préfet, comte de Bondy,
écrit au maire de Lyon que la « mort du sieur Macors doit occasionner la
vente du jardin des Mosaïques » ; le conseil municipal est invité à délibérer
« sur la conservation de ces mosaïques intéressantes sous le rapport de l'art
et de l'histoire de Lyon ». Le pluriel, que nous retrouverons assez souvent
dans les pièces du dossier des archives, désigne évidemment la mosaïque
de Méléagre et Atalante avec celle des Jeux du cirque : tout le monde ne
savait pas que la première n'était point la propriété de Macors. Dans la
séance du 29 mai, M. de Vauxonne, premier adjoint, « fait lecture » de
cette lettre préfectorale « relative aux mosaïques du jardin Macors, qui,
par la mort de ce particulier, peuvent être alHénées (sic) et perdues pour
la ville, si une acquisition de sa part ne lui conservait ce monument ».
Le conseil renvoie l'examen de la question à une commission « chargée de
lui faire un rapport sur la convenance d'acquisition, le prix et le placement
1. Voir Ph. Fabia, le Jardin des mosaïques au quartier d'Ainay, à Lyon {1806-1812), dans ; Comptes ren-
dus des séances de l'Acad. des Inscriptions ", 1917, p. 262 et suiv.
2. Arch, munie, registres de l'état-civil. Notice nécrologique dans le Journal deLyon, 14 mars 181 1, p.i.
La date donnée par le journal est à peine inexacte : 1 1 mars ; Macors mourut le 12, à une heure du matin.
3. Arch. munie, R-'a.
— 12 —
de cette mosaïque », entendons celle des Jeux du cirque K Dans la séance
du 5 juillet, la commission propose d'ajourner à la session de 1812 « le
projet d'acquisition des mosaïques du défunt s'" Macors ~ >k Le 26 octobre,
le préfet écrit de nouveau au maire, le priant de l'informer si le conseil
municipal a délibéré « sur les mosaïques qui existent dans le jardin du
s^ Macors et les moyens de les conserver » 3. Le maire, qui avait donc
négligé de tenir le préfet au courant, répond, le 5 novembre, que l'affaire a
été ajournée 4. Arrive la session de 1812. Dans la séance du 20 avril,
« M. de la Chassagne fait lecture d'un rapport ou projet de délibération
sur la proposition qui a été faite d'acheter, au nom de la ville, les mosaï-
ques découvertes dans le jardin de M. Macors. Le conseil, conformément
au rapport... ajourne l'acquisition qui lui a été proposée» 5. Nous avons la
minute du rapport La Chassagne ^ ; il envisage à la fois un projet d'achat
de la mosaïque — des Jeux du cirque — au prix de 5.000 francs, et un
projet d'achat des terrains. Ce deuxième ajournement est un renvoi sine
die. Le maire ne se hâte point d'en aviser le préfet, qui, par une troisième
lettre, celle-ci du 29 avril 18 12 7, l'invite à lui soumettre la délibération,
dès qu'elle aura été prise.
Les choses en étaient là, lorsque fut vendue, non pas la totalité du
jardin des Mosaïques, mais la partie seule dont Macors était véritable-
ment propriétaire, l'ancien lot VI, subdivisé lui-même, cette fois, en deux
lots s, qui comprenaient, l'un, au sud, la maison d'habitation, l'autre, au
nord, '< un temple renfermant une belle mosaïque » 9. L'adjudication
préparatoire est annoncée pour le 12 mai 18 12 ; l'adjudication définitive
1. Registre des délibérations du conseil municipal.
2. Ibid.
3. Arch. mun., R-a.
4. Ibid.
5. Registre des délibérations...
6. R-a.
7. Ibid.
8. Cf. le plan, fig. 2.
9. Le cahier des charges rédigé par M'' Desgranges (Arch. mun., O', rues ; dossier de la rue Bourbon ;
liasse Dépierre) et l'annonce légale spécifient que l'ensemble est confiné à l'occident par les terrains et bâti-
ments de Madame Laurent — fille et héritière de Cohert, élu en ami pour le lot III — ,1a rue projetée sous le
nom de la Direction entre deux ; au nord, par la propriété ci-devant Boirier — ou Boirié, élu en ami pour le
lot V. Voir V annonce dans Petites Affiches de Lyon, 2, mai 1812, p. 7 etsuiv. ; 30 mai, p. 9 ; 2 septembre, p. 7.
— 13 —
pour le 10 juin ; mais celle-ci n'a lieu que le i8 septembre ^ Les deux lots
sont adjugés à Vincent Dépierre père et Charles Dépierre fils, domiciliés
grande-rue Sainte-Catherine, n^ 4, à Lyon 2. Les nouveaux propriétaires
firent une offre, par l'entremise d'Artaud, à la Ville, s'il faut les en croire 3,
mais plus exactement, sans doute, à l'administration préfectorale, sur
laquelle Artaud comptait pour vaincre le mauvais vouloir du conseil
municipal. C'est, selon toute vraisemblance, à la suite de cette démarche
que le préfet, le 19 novembre 18 12 4, écrivit au maire qu'on pourrait
acquérir et transporter les belles mosaïques 5 du jardin Macors pour
6.000 francs, et le pria d'inscrire cette somme au projet de budget de
l'année 181 3, afin de « ne pas laisser échapper l'occasion de conserver à la
Ville ce précieux monument de l'art ». En outre, le 22 décembre 6, il lui
fit savoir que le ministre de l'Intérieur aurait égard aux propositions
contenues dans le budget de 1813 « pour l'acquisition et le transport au
musée de la mosaïque des Jeux du cirque». A cette date, il ignorait donc
que, l'adjoint de Vauxonne ayant saisi le conseil de sa lettre du 19 novembre
dans la séance du 25 et proposé, dans celle du 17 décembre, au nom de la
commission du budget, l'achat « de la mosaïque ancienne découverte, il y
a quelques années, dans les jardins dus^ Macors », acquisition qui n'excé-
derait pas 6.000 francs, y compris le transfert au musée de la mosaïque
intacte aux frais et risques des vendeurs, « le conseil, à la grande majorité »,
vu l'état des finances de la Ville et les difficultés du déplacement, avait
encore une fois ajourné la question 7. Le rapport sur le compte adminis-
1. Voir ibid. Vermorel, Historique, p. 442, donne à tort la date du 10 juin pour celle.de l'adjudication.
Cf. au surplus les pièces citées à la note suivante.
2. Arch. mun., R-'a : traité du 15 octobre 181 3 entre le maire d'une part, Riffaut et Rivoiron, d'autre part ;
ihid., G', rues ; dossier de la rue Bourbon, liasse Dépierre : extrait (sans date) de l'adjudication au profit de
MM. Dépierre ; analyse (1824?) des pièces fournies par les s''* Dépierre ; 1818, mémoire des s"" Dépierre
au préfet.
3. Arch. mun., R^a : Dépierre au maire, 25 août 181 3.
4. R-a.
5. Pluriel bizarre, ici et plus bas : le préfet et le maire devraient savoir maintenant que la mosaïque de
Méléagre ne va pas avec celle des jeux du cirque. Le pluriel s'appliquerait-il à la mosaïque des jeux du cirque
et au petit pavement de péristyle qui la précédait vers l'occident ?
6. R»a.
7. R-a et registres des délibérations du conseil.
— 14 —
tratif de 1813 constate que le préfet inscrivit d'office, au budget de cette
année, le crédit refusé et que le gouvernement le maintint ^
Mais la Ville arriva trop tard pour traiter avec les Dépierre et pour
payer la mosaïque seulement 6.000 francs. Elle avait été vendue, le 10
août 1813, à Victor Riffaut, architecte, grande-rue des Capucins, et
Jacques Rivoiron, place des Jacobins, au prix de 4.900 francs 2. Ceux-ci
avaient déjà fait démolir le temple et se disposaient à faire enlever le
pavement pour le faire transporter à Paris, lorsque le maire, M. d'Albon3,
en vertu de la loi du 8 brumaire an III pour la protection des monuments,
et en vertu des droits que pouvait avoir la Ville sur cette découverte, prit,
le 16 août, un arrêté, revêtu de l'approbation préfectorale le 20 4, inter-
disant « l'enlèvement des deux mosaïques qui existent dans le jardin
Macors », et chargeant M. Artaud, directeur du musée, de pourvoir aux
mesures pour en assurer la conservation. Les sieurs Dépierre accusent
réception de cet arrêté au maire le 25 août, et, dès le 10 septembre, le
charpentier Barbara présente un devis pour la construction d'un hangar
destiné à remplacer le temple. Le 15 octobre, le maire d'Albon signe, avec
Riffaut et Rivoiron, un traité par lequel ceux-ci cèdent à la Ville leurs
droits (sur la mosaïque des Jeux du cirque) moyennant une somme de
7.000 francs, 4.900 qui représentent le prix payé aux propriétaires du
terrain, et 2.100 « à titre de remboursement des frais et indemnité conve-
nable ». La Ville s'engage à déplacer la mosaïque dans les trois mois ou à
prendre arrangement avec les sieurs Dépierre. Le préfet approuve ce
traité le 16 octobre et autorise le maire à disposer d'une somme de i.ooo
francs pour compléter le crédit de 6.000 inscrit au budget de 1813. Le
compte administratif nous montre qu'il fut déboursé sur les fonds de cet
exercice, non pas 7.000, mais 7.535 francs, le surplus s'appliquant au
hangar de Barbara et à d'autres ouvrages ou travaux exécutés par le même
pour la préservation de la mosaïque 5.
1. Registres des délibérations (séance du 13 janvier 1815).
2. R-a.
3. /ftic/. ; y voir aussi la lettre de Dépierre au maire (15 novembre 181 5).
4. Ibid., ainsi que les pièces suivantes.
5. Registres des délibérations, séance du 13 janvier 1815. D'après le dossier R-a, le 28 octobre 1813, la
préfecture autorisait le paiement à Barbara de 300 fr. du hangar ; le 20 novembre et le i''"' décembre, Barbara
présentait deux devis, l'un de 177 fr. 53, l'autre de 197 fr. 29 ; le 21 juillet 1814, la préfecture autorisait le
paiement de 175 fr. (travaux exécutés pour préserver la mosaïque des eaux).
— 15 —
Il n'était pas superflu de remonter jusqu'aux sources, je veux dire
aux archives municipales, afin de connaître exactement cette histoire de
l'acquisition. Les quelques lignes que lui consacre Comarmond sont rem-
plies de grosses erreurs : « M. Macors... ayant vendu cet emplacement à
un entrepreneur, en 1814, pour y élever des constructions, cet entrepre-
neur céda la mosaïque à la ville en 18 15 « K Artaud était mieux à même
que personne de savoir la vérité ; il ne l'altère pas, à proprement parler,
dans sa notice de 1835 2, mais on y voudrait un peu plus de précision :
« M. Macors... A la mort de cet amateur distingué, la propriété fut vendue
et même divisée 3 ; le lot de la mosaïque échut en partage à un artisan qui
la vendit à un architecte. Celui-ci voulut la déplacer pour en faire un objet
de spéculation. Le temple fut abattu. Déjà on procédait à l'exécution du
déplacement du pavé ; mais, comme alors on ne connaissait pas les procé-
dés de M. Belloni, la Ville craignit un essai infructueux et, partant, la
perte de ce précieux monument ; elle proposa un bénéfice à l'architecte et
le marché fut conclu ». Outre les dates et les noms propres, ce que cette
narration nous laisse ignorer, c'est que, si la Ville intervint au dernier
moment, elle avait longtemps refusé d'intervenir, et qu'un homme joua
un rôle considérable dans toute l'affaire, soit spontanément, soit, hypo-
thèse beaucoup plus probable, à son instigation à lui Artaud, le préfet de
Bondy. Une note rédigée par le même Artaud 4 en 1821, mentionne ce
rôle, mais d'une façon inexacte : « Déjà le temple venait d'être abattu,
lorsqu'un préfet passionné pour les arts, M. le comte de Bondy, employa
tout son crédit pour en faire faire l'acquisition au conseil municipal ». Le
comte de Bondy n'attendit pas la démolition du temple pour s'intéresser à
la mosaïque et tâcher d'y intéresser le conseil municipal ; il employa non
seulement tout son crédit, mais aussi les pouvoirs que lui conférait la loi,
pour en faire faire l'acquisition. Disons le mot qu'Artaud n'a pas osé dire :
il l'imposa.
1. Description.,., p. 686. De là l'erreur de Steyett, Nouvelle histoire de Lyon, I, p. 262, et du Catalogue
sommaire des Musées de Lyon, 1887, p. 132, n° 9 = 1899, p. 204, n» 11 : « Acquise en 1815 ',
2. P. 55.
3. Inexact, nous l'avons vu : le lot III se sépara du lot VI, mais non par une vente qui n'avait pas raison
d'être.
4. La minute sans date de cette note est à la bibliothèque de l'Académie de Lyon, M 201, fol. 517-518.
Elle fut écrite, lorsque la mosaïque Michoud était déjà posée, lorsque la mosaïque Cassaire ne l'était pas
encore, c'est-à-dire dans les derniers mois de 1831 ou les premiers de 1822.
— 16 —
II
I. Acquise en 1 813, la mosaïque des Jeux du cirque fut enlevée, non
pas dans les trois mois qui suivirent la vente, comme le prévoyait le traité,
mais seulement en 1818 ; et, l'arrangement amiable qu'il prévoyait, pour
le cas d'un retard, avec les propriétaires du terrain n'ayant jamais été
conclu, ce laps de temps fut troublé par de nombreux incidents. Dès le
16 avril 1814 ^ Artaud signale au maire des agissements nuisibles à la
mosaïque : les Dépierre comblent les fossés établis pour la préserver de
l'humidité ; ils ont la prétention de clore le terrain qui la contient. Le 17,
Dépierre écrit au maire pour l'inviter à le débarrasser le plus tôt possible
de la mosaïque. Le 9 juillet, un vieux soldat invalide que la Ville a chargé
de la garder se plaint au préfet d'être molesté et menacé par Dépierre,
plainte que le préfet transmet au maire le 18. Il est encore question de ces
« difficultés " entre Dépierre et le gardien Monnard dans une lettre d'Ar-
taud au maire, en date du 14 mai 1815. De son côté. Dépierre, dans une
lettre du 15 novembre, récrimine auprès du maire contre cette mosaïque
toujours en place qui lui suscite des ennuis avec son voisin. Le 21 septem-
bre 18 16 2, Dépierre père et fils adressent une pétition au maire pour
réclamer à la fois l'ouverture de la rue de la Direction (rue Bourbon,
aujourd'hui rue Victor-Hugo) et l'enlèvement de la mosaïque qui «paralise
la propriété des exposants, les gêne dans les constructions qu'ils vou-
draient faire, les empêche de se clorre chez eux, et en résultats (sic) ne
profitte qu'au sieur Arthaud, directeur du musée, qui en tire seul un
excellent parti '. La situation s'aggrave en 18 17. Le 26 juillet 3, par
acte extrajudiciaire. Dépierre père et fils font signifier à la Ville qu'à
défaut d'enlèvement dans la quinzaine, ils considéreront la mosaïque
comme objet abandonné et continueront la construction qu'ils ont entre-
prise sur leur terrain. Cette construction menaçait évidemment l'existen-
ce du pavé, puisque, le i^^ août, le préfet, accusant réception au maire de
1 . Voir R-'a, ainsi que pour les pièces suivantes.
2. Arch, mun., série O', rues ; dossier de la rue Bourbon ; liasse Dépierre.
3. Ibid., R'i, ainsi que les pièces suivantes.
— 17 —
ses deux lettres du 25 et du28 juillet, relatives au différend de la Ville avec
les Dépierre, lui annonce un arrêté « qui remplira le but que se propose
l'administration dans l'intérêt des arts et de l'histoire ». Cet arrêté préfec-
toral est aussi en date du i^^ août. Il vise d'abord l'acte de vente avec
délai de trois mois pour l'enlèvement ; puis un rapport du 25 juillet, où le
maire constate qu'il a été « reconnu par des personnes de l'art que l'enlè-
vement ne pouvait se faire sans détériorer entièrement n la mosaïque ;
ensuite l'acte extrajudiciaire ; enfin la loi du 8 brumaire an III pour « la
protection des monuments d'arts et de sciences », et celle du 8 mars 18 10
concernant l'expropriation pour cause d'utilité publique. Il considère que
les tentatives faites par la Ville pour amener Dépierre à vendre le terrain
nécessaire à la conservation de la mosaïque ou accepter en échange un
terrain adjacent ont échoué. Il porte : 1° interdiction formelle de conti-
nuer provisoirement les travaux ; 2^ avis que sommation sera faite par le
maire à Dépierre de vendre à la ville une parcelle du terrain dont les
dimensions sont fixées ; 3° qu'à défaut de soumission dans les trois jours
l'autorisation royale de poursuivre l'expropriation pour cause d'utilité
publique sera immédiatement sollicitée et qu'en attendant il ne sera rien
changé à l'état des choses. Le 5 août, l'arrêté est signifié par le commissaire
de police à Dépierre père et fils qui « ont dit qu'ils feraient incessamment
connaître l'expert choisi par eux avec leurs observations ». Celles-ci font
l'objet d'une lettre au maire, où ils exposent les désagréments que le man-
que de clôture les oblige à subir, la rue de Bourbon étant alors ouverte. Ils
demandent qu'il leur soit permis de se clore sur cette rue et que la Ville
fasse clore la partie du terrain qu'elle réclame, en attendant la décision.
L'affaire s'arrangea sans vente forcée ou expropriation, la Ville ayant trouvé
moyen, en 18 18, comme nous allons le voir, de déplacer sa mosaïque, mais
non avant que les Dépierre eussent adressé au préfet un nouveau mémoire
où ils récapitulaient tous leurs griefs ^ « La Ville, devenue propriétaire de
cet objet, disaient-ils, au lieu de remplir les conditions de la vente, a com-
mencé par s'emparer de la propriété des s" Dépierre, leur a deffendu
aucuns travaux, a établi des agens pour surveiller, a fait combler les travaux
I, Arch. mun., O', rues ; dossier de la rue Bourbon ; liasse Dépierre.
— 18 —
d'enlèvement commencés par Riffaut et Rivoiron, fait construire un bâti-
ment en bois pour clorre et mettre à couvert cette mosaïque et en a remis les
clefs à un gardien pour la montrer aux amateurs, qui, à tel effet, sont obligés
pour y parvenir de traverser en entier la propriété des s" Dépierre ». Ils
supportent « depuis cinq années la stagnation de cette antiquité sur leur
propriété «. Ce ne fut pas encore, à notre connaissance, la dernière manifes-
tation de leur caractère peu conciliant. L'enlèvement commencé, trouvant
que les choses n'allaient pas assez vite, ils firent, le 23 octobre ^, signifier par
huissier au maire qu'ils se réservaient de demander indemnité pour le
retard.
La prolongation interminable du délai prévu dans l'acte de vente ne
fut pas seulement une cause permanente de tracas pour la préfecture et la
mairie ; elle fut aussi une source de dépenses supplémentaires. Nous avons
déjà noté les plus anciennes. A la date du 12 février 181 7, on trouve au
dossier - un état estimatif, dressé par l'architecte Flacheron, « des ouvrages
les plus urgents à faire pour la conservation de la mosaïque représentant les
jeux du cirque » ; il se monte à i.ooo francs 3. Mais ceci n'était rien en
comparaison du dommage de plus en plus grave infligé à la mosaïque. Le
hangar de Barbara, comme le temple de Macors, la laissait « encore exposée
aux intempéries des saisons », parce qu'elle gisait « dans un endroit profond
et humide, sujet à recevoir en outre les eaux pluviales » 4. Artaud afiirme,
dans sa note de 1821, qu'« exposée aux dégradations, presque toute décom-
posée, elle allait périr », lorsque le moyen de l'enlever apparut enfin. « Si on
eût attendu encore une année pour la déplacer, elle aurait été entièrement
perdue , écrit-il, en 1835 5. Même s'il exagère un peu le mal pour augmenter
i./èi<f.,R-a.
2. Ibid.
3. Le hangar de Barbara est solide : Artaud le certifie au maire le 14 mai 181 5. Il n'aura besoin que d'une
serrure de rechange, fournie par Aguettant, le 6 février 1818, au prix de 9 francs, « pour la porte de la grande
mosaïque d'Enay ". — Le gardien Monnard ne reçoit aucun traitement et il se plaint que la générosité des
visiteurs compense mal la parcimonie de la ville ; il demande (19 septembre 1818) qu'elle tienne au moins
sa promesse d'un logement gratuit dans le voisinage.
4. Artaud, 1835, p. 55.
5. Comp. Cochard, Description historique de Lyon, 1817, p. 46 : « Ce morceau précieux disparaîtra bien-
tôt, si l'administration ne se hâte de le soustraire aux ravages du temps '. Il ne parle pas de la démolition du
temple ; il dit seulement qu' " on néglige de le réparer ->.
— 19 —
le mérite de celui qui en conjura, selon lui, les effets irréparables, « M. le
baron Rambaud », il y a sans doute une bonne part de vérité dans son asser-
tion. L'on n'avait pu prolonger impunément, cinq années durant, le séjour
en cette excavation d'une mosaïque déjà soumise depuis sept ans à la même
épreuve, avec une protection insuffisante, non seulement contre les tempé-
ratures extrêmes, mais aussi contre la curiosité indiscrète de visiteurs dont
beaucoup, pour la mieux voir, ne se privèrent pas de la piétiner.
2. Comment expliquer ce long et si fâcheux retard ? Dans son livre de
1835, Artaud ne l'explique pas ; dans sa note de 1821, il met en cause «les
circonstances politiques », excuse qui serait spécieuse si elle s'appliquait
seulement aux années i8i4eti8i5.La véritable raison nous est donnée par
l'arrêté préfectoral du i^r août 18 17 : des « personnes de l'art » reconnurent
« que l'enlèvement ne pouvait se faire sans détériorer entièrement » la
mosaïque. M. de Bondy avait affirmé à la légère que « pour 6.000 francs on
pourrait acquérir et transporter les belles mosaïques du jardin Macors », et
M. de Vauxonne avait risqué l'affirmation devant le conseil municipal que,
pour un prix qui n'excéderait pas 6.000 francs, la mosaïque des Jeux du
cirque serait acquise et transportée intacte aux frais et risques des vendeurs.
La grande majorité du conseil avait très sagement prévu « les difficultés du
déplacement ». Les tentatives que l'on fit sans doute après l'acquisition
démontrèrent que sa résistance n'était pas le moins du monde déraisonna-
ble; les «personnes de l'art » reconnurent la justesse de sa prévision. Faut-il
donc penser qu'Artaud, dont M. de Bondy n'avait fait, selon toute vraisem-
blance, que reproduire l'avis optimiste, était dupe d'une illusion ? Non ; car
il ne connaissait encore qu'un procédé pour l'enlèvement des mosaïques,
celui de Schneyder, applicable seulement « lorsque le ciment... est sain » ; et
il avait tout lieu de croire que le ciment de la mosaïque Macors n'était pas
sain, même en 18 13. Rappelons-nous, en effet, qu'il avait constaté que le
temple garantissait mal le monument, depuis 1806, contre « les intempéries
des saisons ». Mais il s'était pris d'un bel amour pour sa mosaïque ; il en
désirait passionnément l'acquisition ; les obstacles qui se rencontreraient
ensuite, il affectait de les ignorer et il s'efforçait de les dissimuler à autrui.
— 20 —
Voicij du reste, exposé par lui, le procédé de Schneyder ^ : « Il com-
mençait par miner le terrain sur lequel reposait la mosaïque ; il étayait le
pavé au fur et à mesure ; il avait un grand cadre en bois de sapin, de la
grandeur de la mosaïque, qu'il serrait à volonté ; il passait en dessous deux
traverses en forme de croix qu'il faisait adhérer au cadre par de grosses
chevilles ; il coulait sur la mosaïque une couche de plâtre fort mince pour
contenir les cubes ; il en mettait une autre très épaisse en dessous du pavé
après l'avoir bien balayé ; il le relevait à moitié pour le faire porter de champ
et pour le placer sur le sol qui devait le recevoir ; il mouillait le plâtre de
dessus ; puis, avec un ciseau, il le faisait disparaître entièrement ». Artaud
ajoute, reprenant et précisant sa réserve initiale, que ce « procédé un peu
hasardeux ne peut réussir que quand le ciment des mosaïques n'a pas été
altéré par l'humidité ».
III
I. Voici maintenant, exposé par le même Artaud 2, « le procédé de
M. Belloni », celui dont Belloni fit lui-même l'application aux mosaïques
Macors et Cassaire, et que les marbriers lyonnais appliquèrent ensuite à
beaucoup d'autres, en premier lieu à la mosaïque Michoud : « Déterminez
les panneaux ou bandes que vous voulez diviser. Tâchez que ce soit dans
les endroits où il y a le plus de lacunes et qui sont les plus faciles à restaurer.
Enlevez avec un petit ciseau un rang de cubes autour de la pièce que vous
voulez détacher ; mettez-les à part pour les replacer ensuite. Faites tailler
des feuilles d'ardoise épaisses ou des tablettes de marbre minces en raison
de la surface du panneau que vous voulez enlever, c'est-à-dire dans les
mêmes formes ou contours. Préparez le ciment ci-joint... : cire jaune,
térébenthine, sable fin ou plutôt ocre jaune ; faites fondre le tout ensemble;
chauffez la mosaïque et le marbre ou l'ardoise qui doit couvrir les panneaux
désignés et contenir les cubes ; sciez ensuite avec une sciotte de marbrier
tout autour ; faites un fossé en dehors ; minez, creusez par dessous le
panneau, détachez-le du sol, dégagez le ciment avec un ciseau jusqu'à ce
1. 1835, p. 132.
2. Ibid./p. 131 etsuiv.
— 21 —
que vous ayez atteint le dessous des cubes. Brossez, lavez, séchez avec le
grillage en fer ; doublez encore la pièce en dessous avec un marbre plus
fort que vous mastiquez à chaud comme ci-dessus ; puis promenez la grille
ardente dessus jusqu'à ce que le marbre supérieur se détache. Laissez
refroidir ; enlevez avec le ciseau le ciment qui reste, passez la meule et
polissez comme on polit le marbre. Ainsi vous pouvez emmagasiner vos
panneaux et les assembler sur le sol quand vous voulez ; remettez les rangs
de cubes que vous avez détachés ; réparez les parties qui peuvent être dégra-
dées, en employant le même mastic chaud que nous avons indiqué ».
2. Comment vint-il à la connaissance d'Artaud que Belloni, directeur
de la manufacture royale de mosaïques à Paris, avait inventé ^ un procédé
nouveau pour l'ablation de ces pavés ? Nous ne le savons pas. Toujours est-il
que, consulté par le maire de Lyon, qui était alors le comte de Fargues, sur
la possibilité de l'enlèvement, du transport et de la repose, en ce qui concer-
nait la mosaïque des Jeux du cirque, Belloni répondit, au mois de septembre
1817, que l'opération lui semblait délicate, mais non impossible 2. Le 2 avril
1818, le comte de Fargues informait le conseil municipal que « le sieur
Bellony, antiquaire de Paris )>, proposait de venir à Lyon et s'engageait,
pour une somme de 6.000 francs, frais de voyage compris, à enlever, trans-
porter et replacer intacte au Palais Saint-Pierre la mosaïque Macors, et que
M. le préfet, par lettre du 20 janvier, l'autorisait à entretenir le conseil de
cette dépense, lui promettant de l'approuver ; à son tour donc, il demandait
au conseil l'autorisation de traiter avec Belloni et l'inscription du crédit au
budget de 1818. Plus docile cette fois, le conseil prenait séance tenante une
déhbération conforme, approuvée par le préfet le 10. On était encore un peu
sceptique, malgré les assurances de Belloni ; aussi la dépense fut-elle prévue
soit pour l'enlèvement, soit pour la conservation sur place, c'est-à-dire pour
l'achat du terrain. Après le vote du conseil municipal, Artaud ayant été
chargé par l'adjoint Nolhac d'écrire à Belloni « qui s'était flatté d'enlever
ce pavé sans le dégrader, quoique le ciment soit fort décomposé », le mo-
1. Ou mieux introduit en France, car ce procédé était déjà connu en Italie.
2. Voir R-a, ainsi que pour les pièces suivantes. Comp. Artaud, note de 1831.
— 22 —
saïstc avait répondu, le 29 mai, en répétant qu'il croyait l'opération possible
et acceptait de la faire pour 6.000 francs ; si cependant, à l'épreuve, il la
jugeait impossible, il se contenterait de ses frais de voyage. Sur quoi Ar-
taud avait reçu du même adjoint Nolhac commission d'écrire de nouveau
pour prier Belloni de venir à Lyon.
Les choses en étaient là, lorsque le baron Rambaud prit les fonctions
de maire. Dans une lettre du 17 juin, Artaud le met au courant de l'affaire,
recommande « ce précieux monument à son amour pour les arts » et conseille
de pourvoir à l'ablation avant la saison pluvieuse et froide. Le baron Ram-
baud et Belloni correspondent ensuite sans intermédiaire. Celui-ci fait
savoir qu'il accepte de venir à Lyon et que, si l'opération était jugée sur
place impossible ou trop dispendieuse, il se contenterait d'une indemnité
qui ne dépasserait pas 500 francs. Celui-là, prenant acte de ses offres, l'in-
vite à demander au ministre de l'Intérieur le congé nécessaire (15 et 21 juil-
let). Belloni a répondu le 16 août qu'il viendrait le plus tôt possible ; le
27 septembre, il annonce son voyage pour la semaine prochaine ; par une
lettre sans date, il avise le maire de son arrivée à Lyon, Hôtel du Parc, place
des Terreaux. Entre le baron Rambaud et « François Bellony, en ce moment
à Lyon > >, il est convenu, le 26 octobre, que Belloni se charge de restaurer la
mosaïque dans toutes ses parties à Paris ; qu'il lui sera payé une somme de
4.000 francs, dont un acompte immédiat de 1.500 francs et le solde après la
repose, pour frais du premier voyage et séjour, soins déjà donnés au dépla-
cement et à donner au replacement, restauration avec fournitures, frais du
deuxième voyage et séjour afin de présider au replacement ; que restent à la
charge de la Ville les frais du déplacement et du replacement, ainsi que ceux
de l'emballage et du transport à l'aller et au retour. Les travaux eurent lieu
du 8 octobre au 3 novembre. Le total des mémoires produits par Janicot
« pour marchandises, ustensiles, outils et journées » ; par Duchamp, Augier,
Domy, Raymond et Depaulis pour fournitures de marbres ; par Godiot
pour caisses d'emballage ; par Bernard et Jamey, marbriers, pour mise en
caisses après spéciale préparation et pour chargement sur les voitures, s'élève
à 3.024 fr. 90 et concorde donc à peu de chose près avec un bordereau sans
date de 3.049 fr. 40 « des sommes dépensées pour enlever la mosaïque
représentant les jeux du cirque ». La facture du transport à Paris ne se
— 23 —
trouve pas au dossier ^. La mosaïque enlevée, Barbara offre 80 francs des
matériaux du hangar qu'il se charge de démolir (20 janvier 18 19) et un arrêté
du maire l'y autorise dans ces conditions (8 février).
« La conservation de cette mosaïque est due à M. le baron Rambaud,
ancien maire de Lyon «^ affirme Artaud dans sa notice de 1835 2. Non ; elle
est due pour une part seulement, et nous venons de voir laquelle, au baron
Rambaud ; mais elle est due aussi, nous l'avons vu, à d'autres avant lui.
Cette affirmation absolue choque comme une inconséquence, lorsqu'on se
rappelle l'hommage rendu, dans la même notice et ailleurs, au zèle pieux de
Paul Macors ; comme une injustice, quand on a étudié, toutes pièces en
mains, l'histoire de la mosaïque, injustice envers le maire de Fay-Sathon-
nay, le préfet de Bondy et Artaud lui-même, Artaud que le dossier des ar-
chives nous a souvent montré en scène et nous a laissé constamment deviner
dans la coulisse.
3. Au bout de huit ou neuf mois, Belloni avisa le maire et Artaud que la
restauration, plus longue et plus difficile qu'il ne l'avait prévu, était achevée
ou presque et très bien réussie. Il demandait, d'une part, qu'une personne
compétente fût désignée pour examiner le travail dans ses ateliers et faire
emballer les pièces ; d'autre part, qu'à Lyon, où il ne pourrait séjourner que
le temps strictement nécessaire, tout fût préparé pour la repose avant son
arrivée, le sol bétonné et bien sec, les bandes de bordure, etc. (18 septembre
1819). Artaud, informé quelques jours avant le maire, le prie d'inviter
l'architecte à faire diligence et se met à la disposition du baron Rambaud
pour surveiller les préparatifs (17 septembre) ; celui-ci lui répond qu'il a
chargé l'architecte Flacheron de s'entendre avec lui pour le choix du sol et
des marbres d'entourage et pour l'établissement des devis de repose. Il lui
confie la surveillance des travaux et la mission de vérifier la restauration à
Paris, de présider à la mise en caisses, de traiter du transport par voitures
qui devront aller directement des ateliers de Belloni au Palais Saint-Pierre,
sans manutention intermédiaire (18 septembre). Artaud, ne pouvant se
1. Mais on va voir que nous avons celle du transport au retour.
2. J. B. Dumas, Hist. de l'Académie royale de Lyon, II, 1839, p. 360, constate simplement qu'elle fut
transportée au Musée sous ^< l'administration et par les soins de M. le baron Rambaud, maire ».
— 24 —
rendre lui-même à Paris, confiera la mission à « un de ses amis » (25 septem-
bre). L'entreprise de roulage veuve Souplet et Cie fournit, le 29 octobre, un
compte de 1526 fr. 74, dont 667 pour matériel et pour main-d'œuvre de
l'emballage en 24 caisses, et 879,74 pour transport et timbre.
L'emplacement fut préparé dès septembre par Janicot, « au milieu de
la salle des Antiques «, dit Flacheron \ Artaud dira, dans sa note de 1821 :
« La mosaïque des Jeux du cirque vient d'être fixée sur le plancher de la salle
des Antiques >>, et son inventaire de 18332 la situera dans le « Cabinet des
Antiques ». Cette salle était à l'extrémité orientale de l'aile sud ; elle s'éten-
dait depuis la façade sur la rue Clermont, où elle prenait jour, jusqu'à ce
qui est maintenant le mur occidental du grand escalier neuf ; là elle com-
muniquait par trois hautes ouvertures à plein cintre avec la « grande galerie »
proprement dite 3. Comarmond4 s'exprime donc inexactement : « Elle fut
placée dans la grande salle du musée ». Vers 1823, une momie ayant été
exposée dans la salle des Antiques, on l'appela « salle de la Momie ». La
suite du dossier relatif à notre mosaïque nous fournira des exemples de
cette appellation. La repose se fit en décembre 18 19 et janvier 1820. Le
total des factures présentées par Janicot pour préparation du sol et pour
pose et réparation de la mosaïque, par Bernard et Jamey, marbriers à Lyon,
pour « restauration de la mosaïque placée au Palais des Arts ; » par Grimes,
marbrier à Montpellier, pour fourniture et transport de la bordure en
marbre griote, s'élève à 3.367 fr. 50, à quoi il faut ajouter le coût de la
balustrade fabriquée et posée par Despierre, serrurier, i.ooo francs.
4. Le crédit de 6.000 francs que le conseil avait voté en 1817 était de
beaucoup dépassé. Le prélèvement de 1.500 francs que le préfet autorisa le
maire, le 25 mars 1820, à faire sur le budget de cette année-là, au chapitre
des dépenses imprévues, « pour complément de la dépense de restauration
de la mosaïque Macors », ne représentait qu'une partie du dépassement.
1. Devis du 20 septembre 1819 (R-a).
2. P. 32 (manuscrit aux archives de la conservation des Musées).
3. Voir Eug. Vial, dans les Musées de Lyon, Lyon, 1906, p. 14.
4. Description..., p. 686. — Martin-Daussigny, dans Revue du Lyonnais, 1867, I, p. 172, dit qu'elle fut
placée " dans la troisième travée de la grande galerie de peinture \ La première travée, en partant de l'ancien
grand escalier occidental, était l'ancien chauffoir (cf. Vial, ibid.),la deuxième la « grande galerie >, la troisième
la salle des Antiques.
— 25 —
Mais la satisfaction de tous était si grande, on admirait tellement le tour de
force réalisé par « le talent merveilleux de M. Belloni « s que le baron Ram-
baud soumit au préfet l'idée de voter à celui-ci une gratification de 500
francs « pour soins particuliers donnés à la restauration de la mosaïque
Macors '). Le préfet, comte de Lezay-Marnesia, approuve volontiers cette
idée et le conseil municipal vote avec empressement ce crédit supplémen-
taire, le 4 décembre 18 19. Plus tard, lorsque le premier émerveillement fut
passé, lorsque d'autres acquisitions coûteuses de mosaïques eurent grevé le
budget de la Ville, il se trouva sans doute des gens pour récriminer contre
cette sorte de dépenses, et surtout contre le prix excessif auquel revenait,
tout compte fait, la mosaïque des Jeux du cirque. Artaud, qui se sentait
responsable et visé, ne recula pas devant un gros mensonge afin de donner
le change à l'opinion publique. Il affirma, dans sa notice de 1835 2, que le
prix d'achat et de restauration avait été de huit mille francs, et il ajouta que
le roi de Prusse, ayant vu la mosaïque restaurée chez Belloni, en avait offert
dix fois plus, quatre- vingt mille francs. Croira qui voudra à l'offre du roi de
Prusse. Pour ce qui est du coût total, à quelques centaines de francs près,
Artaud, en 1835, le connaissait aussi bien que nous après notre examen du
dossier. Il ne fut pas sensiblement inférieur à vingt-trois mille francs, sans
y comprendre les frais de la seconde repose, dont il me reste à parler.
IV
Le 18 mai 1863, le préfet du Rhône approuve un devis de l'architecte
Desjardins (23 avril), qui concerne, pour une somme de 1.445 francs, le
déplacement, la restauration et le replacement de la mosaïque « à l'orient du
musée », dans la partie à démolir pour l'agrandissement du Palais Saint-
Pierre sur la rue de l'Impératrice (aujourd'hui rue de l'Hôtel-de- Ville) 3. Il
semble bien que, dès lors, on n'avait pas l'intention de rendre sa place à
cette mosaïque, le jour où les réparations seraient terminées. Du moins, le
7 mai, le préfet transmet-il à l'architecte de la ville. Desjardins, une lettre
1. Artaud, 1835, p. 55 ; cf. note de 1821.
2. P. 55.
3. Arch, mun,, M'b. — Cf. Martin-Daussigny, dans Revue du Lyonnais, 1867, 1, p. 172.
— 26 —
du conservateur des Musées archéologiques, Martin-Daussigny, sur l'inté-
rêt qu'il y aurait à exposer dans les salles toutes les mosaïques acquises à
diverses époques, et lui fait part d'une combinaison, nous ne savons laquelle,
qui réaliserait ce dessein, en le priant de prévoir dans les travaux d'aména-
gement du palais restauré les moyens de la mettre à exécution. L'architecte
répond, le i6 mai, que les emplacements désignés lui paraissent convena-
bles et que l'ensemble du projet pourra être exécuté sans trop grands frais K
Ce qu'il y a de sûr, c'est que la mosaïque des Jeux du cirque ne vint pas
reprendre sa place dans la nouvelle salle de la Momie. Le 4 février 1867,
Martin-Daussigny annonce aux lecteurs de la Revue du Lyonnais qu'elle sera
placée « dans la salle des statues antiques, au milieu de deux autres fort
remarquables >> ; nous allons voir lesquelles -.
Un rapport de l'architecte Desjardins au sénateur préfet, du 26 avril
1869, constate que la mosaïque des Jeux du cirque, autrefois placée dans la
grande salle des tableaux, « dans la partie dite de la Momie )^, mais déplacée
« au moment de la construction du prolongement du palais sur la rue de
l'Impératrice », a été remplacée, les travaux achevés, par « la grande mosaï-
que de Vienne », qui, en raison de ses dimensions, ne pouvait être mise
ailleurs 3. Nous verrons plus tard que la mosaïque ainsi désignée est celle de
V Ivresse de Bacchus et qu'elle fut posée dans la salle de la Momie en 1867.
Le même rapport contient un devis et une demande de crédits spéciaux
pour la restauration préalable et la pose de deux mosaïques, celle des «Jeux
d'enfants » ou de la palestre et celle des Jeux du cirque, la dépense prévue
pour celle-ci étant de 1.570 francs. Du devis de 1863, nous ne devons
retenir, pour l'ajouter à cette somme, que le prix de la dépose ; nous le
connaissons exactement par une pièce d'un autre dossier 4, 475 francs. Le
nouvel emplacement proposé est dans la salle des plâtres antiques, installée
depuis 1839 au premier étage de l'aile orientale et communiquant avec la
salle de la Momie 5.
1. Arch. mun., Me.
2. Revue du Lyonnais, pass. cité. Le i*^"" février, il avait annoncé au Comité lyonnais des travaux archéo-
logiques qu'elle avait été mise en état de conservation ' et qu'elle serait prochainement rétablie dans une
autre salle ; voir Travaux archéologiques extraits des mémoires de l'Académie de Lyon, p. 158.
3. Arch. mun., M'a. Même raison invoquée par Martin-Daussigny, dans Revue du Lyonnais, pass. cité.
4. M'e. Devis de E. Mora père et fils, 20 octobre 1882.
5. Voir Eug. Vial, dans les Musées de Lyon, p. 16.
— 27 —
Le préfet transmet le rapport le 7 juin ^ à la commission des Musées,
qui est saisie de la question dans sa séance du 12 juin -. Martin-Daussigny
rappelle les nombreuses réclamations venues de Lyon, de Paris, de l'étran-
ger, contre l'interminable relégation aux dépôts d'une œuvre d'art si inté-
ressante, et son espoir déçu de la placer dans l'ancienne salle des cours
demandée comme annexe du musée archéologique. Ces deux mosaïques,
« des courses de chars » et « des jeux d'enfants », qui se dégradent chaque
jour davantage et sont menacées de ruine, iront, si le projet est approuvé,
dans la salle des plâtres antiques fermée depuis six ans. La commission
reconnaît sur les lieux mêmes la parfaite possibilité et l'urgence de réaliser
ce projet. Mais elle s'estime incompétente pour discuter les prix du devis
fourni à l'architecte par le mosaïste Mora, « le seul qui peut mettre en place
les deux mosaïques et les réparer ». Le 16 septembre, le budget étant
approuvé, le préfet prie l'architecte de faire procéder aux travaux et il
lui renouvelle cette invitation le 30 octobre 3, Le 20 mars 1870, Mora père
et fils signent le reçu d'une somme dont une partie est à valoir sur la restau-
ration des deux mosaïques posées dans la salle des plâtres 4. Mais les
travaux ne sont pas terminés ; car Martin-Daussigny écrit le 21 juin 5 :
« Vous savez peut-être que nos mosaïstes nous ont abandonnés, il y a trois
semaines... », et déplore ce retard fâcheux.
Lorsque la mosaïque Macors vint prendre place dans cette salle, il y en
avait déjà une autre, la mosaïque Cucherat ou des Poissons, posée en 1845.
Celle-ci et la mosaïque des Jeux de la palestre quittèrent le premier étage de
l'aile orientale pour le rez-de-chaussée de l'aile méridionale, pour l'ancien
réfectoire, lorsque la transformation de la salle des plâtres en musée Ber-
nard nécessita la division de la galerie en compartiments. Mais celle des
Jeux du cirque y resta ; elle y est encore aujourd'hui. Le nom seul du local a
changé : c'est maintenant la galerie des peintres contemporains.
I. Arch.mun.,R-a.
3. Registre de la commission des Musées (i 847-1870), aux archives de la Conservation.
3. Arch.mun., M'e.
4. M'a.
5. M'e.
28
I. Artaud a publié trois fois, avec des variantes, la même description
détaillée de la mosaïque Macors, dans ses deux monographies de 1806 ï,
dans son livre de 1835 2 ; description à peu près complète, mais diffuse et
mal ordonnée, condensée par A. de Caumont dans son Abécédaire d'Archéo-
logie 3. Celle que Comarmond a insérée dans son luxueux et médiocre
ouvrage de 1857 4, outre qu'elle ne distingue pas Tétat primitif et la restau-
ration, renferme, avec beaucoup d'erreurs et de sottises, très peu de chose
qui soit à retenir. Le Bulletin monumental de 1861 5 lui a fait l'honneur bien
immérité de la reproduire. Les notices descriptives, plus courtes ou très
courtes, de Delandine dans le Bulletin de Lyon ^, de Millin dans son Voyage7
— celle-ci contenant des erreurs graves — , d'Artaud lui-même dans son
Inventaire de 1833 s, de Bazin dans Vienne et Lyon gallo-romains 9, d'Adrien
Blanchet dans V Inventaire des mosaïques de la Gaule ^°, du Catalogue som-
maire des Musées de Lyon ^^ sont toutes insignifiantes.
La belle planche en couleurs, dessinée et gravée par Artaud pour sa
monographie in-folio de 1806, figure en tête de son album de 1835, où cette
image d'ensemble est suivie de trois autres reproduisant des détails, en
couleurs aussi et en grandeur réelle : un quadrige, le deuxième de la série
inférieure à partir de la gauche ; un angle de la tresse ; un lobe du rinceau.
Une mauvaise réduction polychrome de la première planche se trouve dans
Duruy, Histoire des Romains ^~, et se retrouve dans Meynis, Grands souve-
1 . Voir la bibliographie initiale.
2. P. 41 etsuiv.
3. Ère gallo-romaine, z" édit., 1870, p. 278 et suiv
4. Description..., p. 683 etsuiv.
5. i86i,p. 115 etsuiv.
6. 1806, p. 74 et suiv.
7. Voyage dans les départemens du midi de la France, 1 807, 1, p. 467 et suiv.
8. P. 32.
9. P. 380. A la p. 327, Bazin donne en frontispice une partie de la bordure.
10. N**7i2.
11. 1887, p. 132, n^g; 1899, p. 204, n" 11.
12. IV, 1882, p. 44.
— 29 —
nirs de F Eglise de Lyon ^ ; le dessin en est inexact et le coloris faux. Une
bonne réduction en noir se voit dans Steyert, Nouvelle histoire de Lyon 2.
Directement ou indirectement, la planche d'Artaud a fourni le modèle de
plusieurs im.ages au trait, plus ou moins fidèles, dont la meilleure, à ma
connaissance, est celle du Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines 3 ;
elle ne représente que le tableau central ; de même celles de la Grande
Encyclopédie'^ et de Camille Jullian, dans sa Gallia^. De Caumont a dessiné
par à peu près ce tableau central avec la tresse qui lui sert de première
bordure ; mais il a eu l'idée bizarre de rétablir, d'après la restauration, le
cavalier mutilé de la série inférieure ^. Le Bulletin monumental 1 a pris l'image
telle quelle dans V Abécédaire. Pareille bizarrerie nous choque et provient
sans doute de la même source dans les dessins au trait du tableau central
sans bordure de Mùller-Wieseler ^ et de Guhl-Koner9. Comarmond a don-
né une médiocre image noire et blanche de toute la mosaïque restaurée ï°.
Allmer fils a fait un bon dessin au trait du tableau central restauré, pour le
Trion d' Allmer et Dissard " ; il a été reproduit dans le Musée de Lyon ^^, des
mêmes, et dans le Catalogue sommaire des Musées de Lyon ^3.
2. La première planche d'Artaud est, en somme, le seul document
figuré qui nous fasse connaître l'ensemble de la mosaïque telle qu'elle était
à l'époque de la découverte. Si la planche est bien exacte, il a eu le droit de
dire : « Sa conservation est entière, à part quelques légères dégradations qui
ne nuisent cependant point au développement du sujet... ». Or il affirme ^4
I. Nouv. édit., 1886, p. 12.
2. 1, fig. 2, après la page 262.
3. Article Circus, p. 11 92, fig. 1523.
4. XI, p. 460.
5. 1892, p. 167 (sans l'oppidum).
6. Ouv. cité, p. 280. Cf. Cours d'antiq. monnm., atlas, pi. XLI.
7. Pass. cité.
8. Denkmaeler ah. Kunst, I, pi. 74, n" 429.
9. La vie antique, trad. Trawinski, 1885, II, p. 425.
10. Description..., pi. 25.
ii.P.CXXXVII.
12. Musée de Lyon, Inscriptions antiques, II, p. 301.
13. Pass. cité.
14. i8o6,in-fol.
— 30 —
qu'elle est exacte : « Nous nous sommes appliqué à mettre la plus grande
exactitude dans le dessin de cette mosaïque, et nous avons en conséquence
laissé subsister les incorrections qui se trouvent dans la frise qui l'entoure,
ainsi que les fautes de perspective que l'on apperçoit dans le tableau : les
monuments antiques doivent être considérés comme ces vieillards vénéra-
bles dont on respecte même les imperfections ». Et après l'avoir ainsi
affirmé dans l'avertissement, il l'affirme de nouveau en tête de la descrip-
tion : « L'exactitude étant le principal mérite de ce genre d'ouvrage, nous
avons pris soin de dessiner et graver nous-même ce monument avec la plus
scrupuleuse attention ». Seulement il ajoute : « Mais ce n'est pas sans peine
que nous avons apperçu des figures et des objets de détail qui se trouvent
détériorés ou mal rendus ; dans ce cas, si un dessinateur n'est pas un peu
antiquaire S loin de jeter du jour sur certaines parties, il ne fait que les
obscurcir ». Il avoue, en d'autres termes, que sa reproduction com-
porte une part de divination et d'interprétation. L'aveu revient deux fois,
s'appliquant à deux points précis, au cours de la description : là où nous
voyons en entier le cocher bleu du quatrième quadrige de la série inférieure,
il n'y avait que « des traces de couleur bleue » ; là où nous voyons en partie
l'homme qui manœuvre les œufs de la spina, il n'y avait que « quelques
pierres bleues » 2. Habile dessinateur encore plus que docte archéologue, à
la tentation de combler dans ses images les lacunes de ses originaux Artaud
ne savait pas bien résister. Ce qu'il reconnaît avoir fait ici en petit, nous
constaterons, malgré son silence, qu'il l'a fait en grand dans ses planches
des mosaïques Cassaire et Montant. Son respect de la vérité ne tenait pas
toujours devant son horreur du vide. Pour défendre contre ces raisons et
ces présomptions la fidélité de sa première planche, on ne peut invoquer la
ressemblance parfaite de la mosaïque actuelle avec cette image, partout où
le rapprochement est possible : elle signifie que l'auteur de la restauration a
utilisé la planche. Quoi de plus naturel? Lorsque la mosaïque vint aux
mains de Belloni, en 1818, après douze années de dégradation croissante.
1. Cf. 1835, p. 41 : " Si un dessinateur n'est pas instruit dans les usages antiques... '. Le passage est
identique pour l'essentiel dans 1806, in-8, p. 4, et dans 1806, in- fol, p. i.
2. La comparaison de la planche I (ensemble) avec la pi. II (deuxième quadrige de la série inférieure en
grandeur réelle) permet de constater une autre inexactitude qui ne saurait être que le résultat d'une négli-
gence : l'aurige n'a pas dans la première la ceinture qui faisait partie du costume normal.
— 31 —
elle était à coup sûr beaucoup moins complète qu'en 1806, lorsqu'elle fut
dessinée par Artaud. A qui demander la notion des éléments perdus depuis,
sinon à l'image contemporaine de la découverte ? La prudence nous conseille
donc de tenir pour un minimum le dégât qu'elle nous montre.
3. Ces réserves faites, je vais décrire la mosaïque d'après la planche
d'Artaud^ en m'aidant de sa notice 2. Pour éclairer la description, j'aurai
recours, comme Artaud, mais dans de meilleures conditions grâce aux
progrès des recherches sur l'antiquité classique, à la connaissance générale,
que nous devons aux textes et aux monuments, des cirques et des courses de
chars de l'époque romaine 3.
« Sans y comprendre les restes infiniment dégradés d'une grecque ou
méandre » qui l'entourait et qui ne fut pas enlevée, ses dimensions étaient,
selon Artaud qui les avait mesurées sur place, 5 m. 035 et 3 m. 086, ou
15 pieds 6 pouces et 9 pieds 6 pouces. Les deux évaluations sont données
dans la grande monographie de 1806 4, la seconde seule dans le livre de
1835. Comarmond, qui les mesura dans la salle de la Momie, avait trouvé
4 m. 97 et 3 m. 02, dimensions reproduites par M. Adrien Blanchet. Le
Catalogue sommaire donne 4 m. 97 et 3 m., mesures prises sans nul doute
sur la deuxième repose et qui concordent, à un centimètre près, avec celles
que j'y ai prises moi-même.
Le champ rectangulaire de la mosaïque est noir, le décor polychrome.
L'encadrement du tableau principal comprend, du dehors au dedans, une
rangée de denticules blanches ; un filet blanc de deux pierres ; un grand
rinceau dont les lobes sont garnis de fleurs à quatre pétales, plus large sur le
petit côté droit au milieu duquel il aboutit à un riche motif d'ornementa-
tion végétale, et sortant d'une coupe évasée au milieu de l'autre petit côté ;
I. Voir fig. 3 (hors texte), une réduction de cette planche.
3. Sauf avis contraire les citations textuelles d'Artaud sont empruntées à la grande monographie de 1806.
3. Voir l'article Circus, dans le Dictionnaire des antiq. gr. et rom., de Daremberg et Saglio ; — Fried-
laender, dans Mommsen et Marquardt, Manuel des antiq. romaines, trad. française, XIII, p. 274 et suiv. ; —
E. Huebner, Musaico di Barcellona raffigurante giuochi circensi, dans Annali delV Institato di Corrisp. ar-
cheologica, 1863, p. i35etsuiv.; — K.Z2ingii.mzistzt,RilievodiFolignorappresentante giuochi circensi ;ihid.,
1870, p. 232 et suiv.
4. La petite donne, p. 5, 14 pieds 1/2 P^r 9 pieds y2. L'architecte Querville, qui présidait aux fouilles,
avait mesuré 14 pieds 9 pouces de longueur et 9 pieds de largeur (Bulletin de Lyon, 1806, p. 175). Ces mesu-
res sont reproduites par J.-B. Dumas, Hist, de l'Académie royale de Lyon, II, 1839, p. 359.
— 32 —
puis un filet blanc de trois pierres, une grande tresse, un autre filet pareil.
Le tableau principal représente, non pas un cirque tout entier — les monu-
ments où l'on voit l'ensemble d'un cirque avec les gradins des spectateurs
sont très rares — ,mais seulement l'arène avec V oppidum, c'est-à-dire avec la
partie de l'édifice qui contenait, au rez-de-chaussée, les remises des chars
ou carceres et, au-dessus, la loge (pulvinar) du président des jeux. Encore
faut-il remarquer que, dans la réalité, cette partie du cirque reposait, non
pas comme ici sur un rectangle, mais sur une base dont les deux grands
côtés étaient des lignes droites parallèles, le petit côté de V oppidum une ligne
légèrement concave, l'autre petit côté une demi-circonférence. Cette double
déformation de la réalité est normale dans les monuments figurés. Le côté
de V oppidum y occupe d'ordinaire la gauche, comme dans notre mosaïque.
Mais il est ici en charpente, non en maçonnerie, singularité sans autre
exemple, je crois. Au milieu du rez-de-chaussée s'ouvre la grande entrée, la
porta pompae, par laquelle pénétrait dans le cirque la procession religieuse
qui précédait les jeux. Deux piliers la limitaient ; celui de gauche a disparu,
compris dans une lacune étroite qui se prolonge en fissure jusque sous le
vase du rinceau. Devant le pilier droit se tenait debout un piéton, dont il ne
reste que la tête coiffée d'une calotte rouge et les jambes vêtues de braies
bleues. « Il est à présumer, conjecture Artaud, que c'était l'inspecteur des
jeux ou le héraut qui devait proclamer le vainqueur ». Aucune autre repré-
sentation ne comporte un personnage qui lui corresponde exactement. A
droite et à gauche de l'entrée, il y a quatre carceres, en tout huit, nombre
égal à celui des chars qui courent sur la piste, mais nombre anormal dont je
ne connais que deux autres exemples ^ Le nombre varie dans les monu-
ments ; dans les cirques de Rome il était de douze à la fin de l'époque impé-
riale et même, sans doute, dès le temps de Domitien, mais probablement de
huit jusqu'à cet empereur, les quatre remises de droite servant pour le
départ des quatre chars qui composaient une course normale, et les quatre
de gauche pour leur arrivée ; ce qui n'est point le cas dans notre mosaïque.
I. Voir Zangemeister, p. 237. Ces deux monuments, un relief et une lampe, qui ne représentent qu'une
moitié du cirque, ont quatre carceres. Zangemeister affirme faussement que le cirque du relief de Foligno
n'en avait que huit. Il n'y en a que huit sur le relief, mais il ne représente pas toute la façade de l'oppidum ;
cf. la planche LM.
— 33 —
Au dessus de la porte, la loge présidentielle, surmontée d'une draperie à
festons, est occupée par trois personnages, les trois juges de la course,
trinité exceptionnelle ^ : presque toujours le président est seul dans sa
tribune. Il tient ici, dans sa main droite, la mappa, le linge qu'il lançait
dans l'arène pour donner le départ (missus) aux concurrents. Il est en toge
bleue, comme l'assesseur de droite. L'assesseur de gauche est réduit à son
contour. De part et d'autre de la loge s'étend une galerie ; celle de gauche
est vide ; dans celle de droite, il n'y a qu'un personnage en tunique bleue,
« penché sur un bâton..., que nous avons soupçonné devoir représenter
celui qui vient de fermer les barrières », en manœuvrant, au moyen d'un
levier, la machine qui permettait de les ouvrir et de les fermer toutes à la
fois. Ce personnage est une nouvelle singularité sans autre exemple. Il est
coiffé de la même calotte rouge que les juges.
La spina, le massif de maçonnerie qui partageait dans presque toute sa
longueur l'arène des cirques romains, est formée ici de deux parallélipipè-
des, le plus rapproché des carceres un peu plus long que l'autre et portant
vers son extrémité droite l'obélisque qui se trouve ainsi au milieu de la
spina. L'obélisque ne manque presque jamais dans les monuments ; mais de
la spina divisée en deux parties je ne connais qu'un autre exemple, celui du
sarcophage de Foligno, où la plus longue est à droite avec l'obélisque à son
extrémité gauche 2. Dans le passage qui sépare les deux parties de la nôtre
se tiennent deux personnages, coiffés de rouge et vêtus de bleu, dont il ne
reste que les bustes; l'un des deux porte une palme. Ces personnages sont
une troisième singularité de la mosaïque lyonnaise. Deux autres passages
étroits séparent, selon la règle, la spina proprement dite des bornes, metae,
qui se présentent sous la forme habituelle d'une base arrondie en dehors et
servant de piédestal à trois cônes allongés ; d'où leur nom de tribornes. La
décoration de notre spina proprement dite est anormale. « On n'y voit pas
cette multitude d'autels, de statues et de petits temples qui se trouvent sur
celle des cirques de Rome » ; disons mieux, sur celle d'à peu près tous les
monuments figurés. Cette anomalie est expliquée par une autre anomalie :
I. On la retrouve dans le relief de Foligno.
3. Zangemeister, p, 248, affirme à tort que c'est la plus courte.
— 34 —
au lieu d'être pleins, les deux parallélipipèdes sont ici creusés en bassins.
Des spinae de cette sorte ont certainement existé dans les cirques romains
après la suppression, sous Néron, de l'euripe ou canal qui entourait l'arène
et fournissait l'eau nécessaire à l'arrosage de la piste ; le nom d^euripus est
même plus fréquent que celui de spina pour cet élément du cirque. Mais
sur aucun autre monument il n'est manifeste que la spina soit un bassin.
Nos deux bassins sont traversés, du côté des tribornes, par une architrave
que soutiennent trois piliers et qui supporte une rangée de sept dauphins
jetant de l'eau, et, plus près du centre de la spina, par deux barres horizon-
tales fixant à mi-hauteur et en haut sept piliers qui portent une rangée de
sept boules ovales ; plus exactement, les deux rangées de dauphins sont
intactes, mais la charpente qui supporte celle de droite est mutilée; de même
les deux charpentes qui portent les œufs ; en outre, à la rangée de gauche, il
manque trois œufs. Sous cette dernière, on voit le haut d'un personnage,
mais Artaud n'avait vu qu'un fragment bleu « qui paraît avoir fait partie
d'une figure que nous soupçonnons être Verector ovorum », celui qui manœu-
vrait les œufs. Ces boules ovales, comme les dauphins, servaient, d'après les
textes, à marquer le nombre des tours (curricida) déjà courus ou com-
mencés ; pour chaque tour, on abaissait un œuf, nous le savons, et certains
monuments nous induisent à croire qu'on faisait pivoter un dauphin. La
représentation des dauphins et celle des œufs sont très fréquentes ; leur
nombre varie, mais il est souvent, comme ici, de sept qui était le nombre
normal des tours d'une course. Notre mosaïque se distingue de tous les
autres monuments, d'abord en ce qu'elle nous montre, non pas une rangée,
mais deux, soit de boules, soit de dauphins ; puis en ce que, si la restitution
d'Artaud est juste, nous y voyons l'employé chargé de la manœuvre, celui
qu'il appelle Verector ovorum, comme si chaque tour était marqué par
l'érection d'un œuf, et qu'il aurait dû appeler Vereptor ovorum. S'il y avait,
sous la rangée droite des boules ovales un autre personnage pareil, nous
l'ignorons, la place qu'il aurait pu occuper étant comprise dans une assez
grande lacune dont nous aurons à reparler.
Du sommet de la spina le plus proche des carceres, une ligne blanche
coupe la piste normalement au grand côté du rectangle. Au droit de l'obé-
lisque, une autre ligne blanche tombe parallèlement à la première. Encore
— 35 —
une singularité de notre monument lyonnais. Longtemps, semble-t-il, le
départ eut lieu des carceres mêmes. Cependant Cassiodore ^ atteste qu'à son
époque il avait lieu d'une ligne blanche située non loin des portes ; ce serait
notre première ligne. Quant à l'arrivée, en l'absence de tout témoignage
précis, on est amené à supposer qu'elle avait lieu sur une ligne prolongeant
celle du départ de l'autre côté de la piste ; et Cassiodore dit en effet que la
ligne blanche était tirée dans toute la largeur du cirque, in utrumque podium.
Ce n'est pas le cas ici. Notre seconde ligne pourrait donc bien être la ligne
d'arrivée ; remarquons que l'homme qui porte la palme destinée au vain-
queur se tient tout près de cette ligne, chose naturelle dans la dernière
hypothèse, bizarre dans la première 2. On peut aussi conjecturer que c'était
une autre ligne de départ, que les quadriges étaient divisés en deux groupes
et rangés sur deux lignes, quand on en faisait courir à la fois, comme ici,
huit, course double, au lieu de quatre, course simple.
Notre course est donc un certamen hinarum ( quadrigarum ) ; deux qua-
dTiges y représentent chacune des quatre factions, la blanche, albata, la
rouge, russata, le verte, prasina, le bleue, veneta, qui existaient dans tous les
cirques de l'époque impériale romaine et que l'on nommait ainsi parce que
leurs cochers (aurigae, agitatores) portaient respectivement ces quatre cou-
leurs. La course double est une exception rare dans les monuments figurés.
Des chevaux du quadrige réel, les deux moyens étaient sous le joug du
timon, les deux extrêmes attelés seulement par des traits ; les uns s'appe-
laient jugales, les autres fimales. Les artistes ont quelquefois rendu avec
exactitude ce détail de la réalité ; le plus souvent leurs œuvres ne montrent
pas distinctement l'attelage ; sur notre mosaïque il n'est visible que pour le
quatrième quadrige de la série inférieure où le cheval de droite est fimalis,
les trois autres étant jugales. Artaud a remarqué justement que tous nos
chevaux ont la queue coupée très court ; la remarque convient à tous les
chevaux de course que nous connaissons par les monuments. Quant à la
couleur, « presque tous les chevaux, dit-il, sont d'un bai pâle ou plutôt
1. Far., m, 51.
2. Le relief de Foligno nous montre un piéton en toge adossé à la spina un peu à droite de l'obélisque et
tenant peut-être une palme ; dans le relief Vescovati, vers la même place, il y a un piéton vêtu en anriga qui
tient une grande palme. Cf. Zangemeister, p. 255 et suiv.
— 36 —
couleur de chair, quelques-uns sont blancs, d'autres gris, selon que l'artiste
l'a jugé nécessaire pour faire fuir ou détacher ses groupes ». Les cochers ont
tous, à la couleur près, le même costume, casquette avec visière occipitale ;
double tunique, celle de dessus sans manches ; ceinture ^ ; braies collantes ;
ils ne diffèrent pas essentiellement de ceux que nous voyons partout ail-
leurs 2.
Le premier quadrige, sur la ligne même de départ, est de la faction
verte ; il a sans doute heurté la borne en tournant : les chevaux se sont
abattus, le char est fracassé, le cocher renversé. La localisation d'un acci-
dent plus ou moins grave à cet endroit de l'arène est de règle dans les monu-
ments figurés. Le second quadrige (faction rouge) et le troisième (faction
blanche) 3 courent en bon ordre, presque de front, celui-ci un peu en avant,
plus près de la spina sur la deuxième linea alba. Un cavalier dont nous
n'apercevons plus que la jambe droite avec l'arrière-train et le ventre de son
cheval, précède le troisième quadrige. Le quatrième, au bout de la spina,
était détérioré dans sa partie postérieure. Il semblait « appartenir à la
faction bleue par les traces de couleur bleue » qui subsistaient et Artaud l'a
restitué en conséquence. Outre Vagitator proprement dit, un piéton, vêtu
à peu près comme les auriges 4, stimule les chevaux, courant à côté d'eux,
un fouet dans la main droite, dans la gauche « un instrument blanc à deux
pointes », peut être « des forces pour couper les traits en cas d'accident ». Le
cinquième quadrige (faction rouge), à la même hauteur, mais au-delà de la
spina:, vient de verser en tournant ; cependant le mal n'est pas irréparable et
le cocher, tombé sur ses chevaux abattus, paraît vouloir les remettre sur
pieds. Le sixième quadrige (faction bleue) est le seul dont le cocher soit
démuni de fouet ; il court en bon ordre. A sa droite, et le dépassant un peu,
galope un cavalier vêtu d'une tunique verte et monté sur un cheval blanc.
1. Hormis le blanc (série inférieure) et le bleu (série supérieure). Nous avons noté plus haut que dans
la planche I Artaud l'avait omise par négligence pour le rouge de la série inférieure.
2. D'ordinaire les auriges portent, non des braies, mais des bandes molletières et jambières. Quand ils
n'ont qu'une tunique visible, elle est à manches.
3. De ces deux quadriges, Artaud l'a déjà noté, on n'aperçoit pas les chars, que l'artiste a supposés
cachés par les jambes des chevaux.
4. Artaud dit que sa tunique est blanche et languetée en bas, dans la monographie in-8, p. ii. Blanche
manque dans la monographie in-fol., p. 9. Il nous semble bien qu'elle est mi-partie blanc et verdâtre. Il n'a ni
tunique de dessous ni braies.
— 37 —
Le septième quadrige, au droit de l'obélisque, est mutilé ; le cocher a
complètement disparu. Du huitième, mutilé aussi, on ne voit plus guère
que les têtes des quatre chevaux, avec une jambe et un arrière-train, à
l'extrémité de la spina, tout près de la borne. Ces deux derniers concurrents
étaient, sans aucun doute, l'un de la faction blanche, l'autre de la faction
verte. En avant du huitième et à sa droite, un piéton court dans le même
sens que les chars, vêtu d'une tunique verte et tenant des deux mains un
vase plat : c'est un sparsor, un arroseur, chargé de jeter de l'eau soit sur les
roues, pour les empêcher de prendre feu, soit sur les chevaux, pour les
rafraîchir. La présence de cette sorte de comparses est fréquente dans les
monuments ; mais leur place et leur nombre varient.
S'ils étaient partout, comme sur le relief de Foligno, en nombre égal à
celui des factions y on les tiendrait pour des employés de celles-ci ; tel n'étant
pas le cas, il vaut peut-être mieux les ranger parmi les employés de la
présidence des jeux, circensium ministri. A cette catégorie appartenaient
certainement l'homme qui referme les barrières, celui qui est debout près
de la porte, celui qui manœuvre les boules, celui qui tient la palme et son
compagnon ; probablement, puisque sa couleur n'est pas celle du quadrige
qu'il stimule, notre agitator à pied, et les piétons plus ou moins analogues
d'autres monuments figurés. Comme les sparsores, les cavaliers sont parfois
en nombre égal à celui des factions. Dans ce cas, l'hypothèse est spécieuse
que c'étaient des entraîneurs, lesquels, à la fin de la course, si la victoire
favorisait leur faction, acclamaient joyeusement le vainqueur (jubilatores ) .
Mais, le plus souvent, ils sont en nombre inférieur ; on a donc proposé de
les ranger parmi les circensium ministri : ce seraient des commissaires et
surveillants de la course, moratores ^ ludi. Notons que la couleur du cavalier
intact de notre mosaïque n'est, pas plus que celle de Vagitator à pied, la
couleur du quadrige qu'il accompagne. On a conjecturé enfin, mais sans
grande vraisemblance, que c'étaient des champions se disputant le prix
d'une course montée, accessoire de la course attelée : leur attitude signifie
presque toujours assez clairement qu'ils s'occupent en quelque façon de
celle-ci et non d'autre chose.
I. Moderatores serait d'une bien meilleure latinité.
— 38 —
4- Quel moment de la course notre mosaïste a-t-il voulu figurer ?« Cette
peinture, dit Artaud, indique le commencement de la course, si l'on en juge
par le signal du départ ; mais il semble que le premier tour est presque
terminé, cette disposition ayant paru nécessaire à l'artiste pour l'ordonnance
et l'intérêt de son tableau » ^ Les deux assertions sont contradictoires : si le
premier tour est presque terminé, ce n'est plus le commencement de la
course. D'ailleurs, elles sont évidemment fausses toutes les deux : les
concurrents ne se répartissent sur toute la longueur de la piste, ni au com-
mencement de la course, ce qui veut dire, en bon français, au moment du
départ, ni lorsque le premier tour s'achève pour le premier concurrent ; une
telle répartition à la queue leu leu ou peu s'en faut n'est possible qu'après
plusieurs tours. Au surplus, pourquoi serait-ce le com.mencement de la
course? Parce que le président des jeux tient encore la mappa qu'il lançait
dans l'arène pour donner le départ. A ce compte, ce ne serait même pas le
commencement, mais l'instant qui le précédait. Artaud incline aussi à
croire, quoiqu'il appelle erector ovorum le préposé à la manœuvre des bou-
les, que chaque tour était marqué par l'ablation d'une boule ; or elles sont
toutes en place. N'attachons pas, comme lui, une importance excessive à ces
détails et nous ne tomberons pas dans cet embarras inextricable. Le tableau
représente la course vers son milieu ou vers son terme ^ ; le peintre ne pou-
vait pas en figurer le début. Mais il a sacrifié sur deux ou trois points
l'exactitude minutieuse à la convenance artistique : il a estimé que les
rangées d'œufs seraient d'un meilleur effet, si elles étaient complètes 3, et
les rangées de dauphins, s'ils étaient tous dans le même sens ; que le prési-
dent serait mieux caractérisé comme tel, s'il avait en main l'insigne de sa
fonction 4.
Ce n'est pas la seule fantaisie qu'il se soit permise. Il a réduit le cirque
1. i8o6, in-fol., p. g.
2. Comarmond, Description..., p. 685 : « La course est commencée ; peut-être en est-on déjà au deuxième
ou au troisième tour . — De Caumont, p. 279 : « Trois œufs sont plus élevés que les autres, ce qui paraît
annoncer que déjà trois tours ont été faits par les chars ■. S'il est vrai qu'on ôtait ou qu'on abaissait un œuf à
chaque tour, c'est quatre tours qu'il eût fallu dire. Mais cette particularité de la rangée droite, qui a frappé de
Caumont, n'est sans doute qu'une incorrection du dessin, un effet de perspective mal calculé : de la rangée
gauche, il reste quatre œufs seulement et tous sont à la même hauteur.
3. Elles sont complètes dans tous les monuments figurés qui en comportent ; cf. Zangemeister, p. 254.
4. Dans la mosaïque de Girone (voir plus bas) le président tient aussi en main la mappa.
— 39 —
à une échelle bien moindre que les occupants, quadriges ou personnages.
L'esthétique l'obligeait à ne point garder les proportions réelles. S'il les
avait gardées, ceux-ci, presque imperceptibles, eussent tenu dans celui-là
une place infime et la piste aurait paru vide. Puisque le plan cavalier a
déformé en parallélogramme le double rectangle de la spina^ il aurait dû
faire subir la même déformation au rectangle de l'arène et — pour ne point
parler de l'autre petit côté du cirque, qu'il faut supposer, ainsi que les
deux grands côtés, hors des limites du tableau — la bande des carceres
devrait être parallèle au petit côté de la spina, la double ligne blanche qui
coupe la piste devrait être perpendiculaire au grand côté de la spina. Afin
d'éluder ces conséquences, la première surtout, qui eût imposé au tableau la
figure disgracieuse d'un trapèze, le peintre s'est soustrait à l'unité du point
de vue. La spina et la course qui se développe autour d'elle sont vues d'un
point surplombant la droite du grand côté inférieur, ou droit par rapport aux
juges, lequel était le grand côté occidental de la mosaïque en place. Car
rappelons-nous que, selon le témoignage d'Artaud ^ et de Querville -, le
grand axe était dirigé du nord au sud et, selon le témoignage de Delandine 3,
le petit côté où se voient les carceres situé au nord. Donc, « d'après le sens
général du tableau », comme parle Artaud, c'est-à-dire pour bien suivre le
développement de la course, « le spectateur » devait « avoir la face tournée
vers l'Orient » 4. Et il ajoute : « Il paraît que cette position appartenait à
l'entrée principale du lieu où était ce pavé, puisque l'on trouve vis-à-vis, et
à quelques pas de là, du côté du couchant, un petit carré de mosaïque qui
semble en avoir formé le péristile » (sic) 5, Mais V oppidum, y compris le
piéton debout à la porte, est vu en perspective d'un point surplombant le
milieu du petit côté opposé, du petit côté sud. C'est pourquoi les poutrelles
horizontales qui désignent la galerie au dessus des carceres font deux grou-
pes symétriques et convergents de parallèles. Telles étaient, à coup sûr, les
« fautes de perspective » qu'Artaud, dans l'avertissement de sa monographie
1. i8o6, in-fol., p. I.
2. Bulletin de Lyon, 1806, p. 175.
3. Ibid., 1806, p. 83.
4. Cf. Gay, ibid., p. 78 : « Pour regarder le tableau qui en fait le milieu, il faut avoir le visage tourne au
soleil levant, preuve certaine que la principale entrée de cet endroit était à l'occident ».
5. C'est la mosaïque de la planche XIV bis.
— 40 —
in-folio, affirmait avoir respectées et qu'il mentionnait encore, sans préciser
non plus, dans sa notice de 1835 ^ : « On pourrait avec raison reprocher
quelques défauts de perspective à ce bel ouvrage ; mais on s'aperçoit que
l'artiste n'a pas eu l'intention de l'observer partout, afin de présenter son
tableau sous deux points de vue différents, occasionnés vraisemblablement
par deux entrées de l'appartement '). L'existence de l'entrée principale à
l'occident paraît bien démontrée ; quant à celle de l'entrée secondaire, au
sud, elle est hypothétique. L'architecte Querville constate lui aussi, mais
sans expliquer pourquoi, que l'unité du point de vue manque à notre
mosaïque : « Le dessin qui la compose, dit-il, appartient à trois points de
vue différents. L'un exige que le spectateur, en la regardant, ait la face
tournée vers le midi, l'autre... vers l'orient et le troisième enfin... vers le
nord. Le premier aspect est pour le cadre, le second pour les objets princi-
paux du cirque et le troisième pour la galerie où se trouvent placés les
magistrats qui président.» Mais il n'est pas vrai que l'on doive se poster face
au midi pour regarder le cadre : dans cette position on verrait à l'envers le
vase qui occupe l'extrémité nord du grand axe. Le premier « aspect » de
Querville n'existe pas : si l'on veut bien voir tous les détails du cadre, il faut
se déplacer autour du tableau, et spécialement se porter à un bout du grand
axe pour bien voir le vase, à l'autre pour bien voir la touffe d'acanthes.
« Les figures et les chevaux ont de l'élégance et du mouvement. Sans
doute le trait en eût été plus correct sans la difficulté de l'exécution ; néan-
moins, on y reconnaît toujours un bon principe de dessin... » 2. Nous pou-
vons souscrire à cette appréciation d'Artaud, et à la suivante aussi : « La
composition du sujet annonce du goût et de l'intelligence, soit dans la
disposition et le balancement des groupes, soit dans la manière dont sont
remplis les angles du tableau ». Mais nous la voudrions plus précise. Les
huit quadriges sont répartis autour de la spina avec un souci de la symétrie
qui n'exclut pas celui de la variété : à chaque bout, de part et d'autre, un
quadrige, les deux intacts et les deux renversés en diagonale ; les quatre
autres garnissent la région moyenne ; mais ceux d'en bas courent presque
1.P.42.
2. 1806, in-fol., p.2.
— 41 —
sur la même ligne, ne font qu'un groupe ; ceux d'en haut sont nettement
séparés ; un cavalier garnit le vide qui les sépare, en bas un autre cavalier
l'intervalle assez long entre les deux chars groupés et le quatrième ; les deux
piétons de la piste, Vagitator et le sparsor, se correspondent en diagonale.
Les quatre factions sont représentées de part et d'autre de la spina, mais
dans un ordre différent : en bas, de gauche à droite, nous voyons la verte, la
rouge, la blanche, la bleue ; en haut, de droite à gauche, la rouge, la bleue. Il
est probable que la verte venait ensuite, puis la blanche ; car, avec l'ordre
relatif inverse, les deux auriges verts se seraient fait pendant, et les deux
auriges blancs auraient eu la même place, la troisième, dans les deux séries,
ce qui n'est point le cas pour les bleus et les rouges. Dans la plupart des
monuments qui montrent les deux côtés de la spina, la course est divisée,
comme ici, en deux parties égales, équilibre un peu factice, mais recom-
mandé par une raison de convenance artistique ^ .
5. Après avoir décrit la mosaïque selon la planche d'Artaud, jetons un
coup d'oeil sur la mosaïque restaurée 2. Voici quelles sont les parties com-
plétées ou refaites. Pour ce qui est de Voppidum, Belloni a refait le juge de
gauche en suivant le contour visible ; il a complété les tentures et le devant
de la loge, le personnage qui masque le bas du pilier droit de la porte, mais
sans lui mettre aux mains aucun objet, la porte elle-même par la réfection
du pilier gauche, mais sans y adosser, comme Artaud le suggérait, un per-
sonnage analogue à celui du pilier droit. Sur le parallélipipède gauche de la
spina, il a complété la rangée des boules ovales et leurs supports ; il a pres-
que totalement refait Vereptor ovorum dont la planche d'Artaud lui présen-
tait déjà une image retouchée ; sur le parallélipipède droit, il a complété la
charpente des dauphins et celle des œufs, il a supposé un second ereptor
ovorum et il l'a fait de toutes pièces ; pour les deux parallélipipèdes, il a
complété les margelles et l'eau des vasques ; dans l'intervalle des deux il a
I. Pourtant le relief de Foligno nous présente une course de huit chars composée d'une autre manière :
sept chars d'un côté, en bas, un seul en haut, distribution qui donne un tableau moins régulier, mais sans
contredit plus naturel et plus vivant. Si, malgré cette inégale distribution, l'espace au-dessus de la spina ne
paraît pas vide, c'est d'abord qu'il fuit à l'arrière plan et ensuite que, le cirque étant vu de biais, la masse
importante de V oppidum garnit l'angle supérieur gauche du tableau, celui où manquent les chars.
' 2. Voir fig. 4 (hors texte), d'après une photographie toute récente. Les conditions du local où se
trouve la mosaïque n'ont pas permis d'obtenir les bords extrêmes des deux petits côtés.
— 42 —
complété les deux personnages debout et aux mains de l'un il a mis une
couronne, à bon droit sans doute, la couronne étant, concurremment avec
la palme, le prix honorifique du vainqueur. Dans la région inférieure de
l'arène, il a complété le cavalier, auquel il a donné, mais en bleu, le costume
de l'autre, complété son cheval et le char du quatrième quadrige ; il a refait
presque totalement, suivant l'exemple d'Artaud, le cocher de ce quadrige.
Dans la région supérieure, il a complété le septième et le huitième quadri-
ges, attribuant fort raisonnablement le septième à la faction verte, le huitiè-
me à la blanche. Enfin, il a comblé les lacunes du champ noir de la spina et
réparé deux fissures de l'encadrement, l'une qui prolongeait l'étroite lacune
de la porte et de la loge ; l'autre, dans le grand côté du haut, un peu en
arrière du sparsor. Notre énumération ne représente, bien entendu, qu'un
minimum. Nous avons déjà remarqué qu'entre 1806, date de la planche
d'Artaud, qui est notre seul terme de comparaison, et 18 18, époque où
Belloni enleva la mosaïque, elle avait subi certainement un surcroît considé-
rable de dommage. Pour le surplus de restauration correspondant à ce
surcroît que nous ne pouvons préciser, Belloni s'est conformé à la planche
d'Artaud, nous l'avons déjà constaté. C'est justice de dire qu'il a rempli sa
tâche avec autant de discrétion que d'habileté, qu'il n'a pas amoindri sensi-
blement la valeur documentaire de notre mosaïque.
VI
I. Martin-Daussigny regardait la mosaïque de Lyon comme le seul
monument qui retraçât les jeux du cirque et en donnât l'explication vraie ^
Il commettait une double erreur grossière : cette mosaïque ne suffit pas,
hélas! à donner l'explication vraie des jeux du cirque ou, pour mieux dire,
des courses de chars, dans tous leurs détails ; elle n'est pas, et tant s'en faut,
le seul monument qui les retrace. Ces monuments sont très nombreux et
très variés, fresques, mosaïques, reliefs, monnaies et contorniates, pierres
gravées 2. Artaud, qui le savait, s'est exprimé avec beaucoup plus de mesure
1. Selon un procès-verbal de la Commission des Musées, séance du 12 juin 1869 (Archives de la Conser-
vation).
2. On en trouvera l'énumération dans les ouvrages cités plus haut, spécialement dans les articles de
Hùbner et de Zangemeister.
— 43 —
que Martin-Daussigny : « La mosaïque nouvellement découverte à Lyon...
donne l'idée des jeux du cirque, qui ne nous étaient pas entièrement con-
nus ». Elle nous en donne,, il est vrai, une idée ; mais, aujourd'hui encore, ils
ne sont pas entièrement connus, malgré bien des découvertes et des études
ultérieures. De Caumont va trop loin, quand il affirme qu'elle « jette un
grand jour sur les Jeux du cirque ». Elle a, certes, son originalité, dont je
me suis appliqué à dégager les traits au cours de la description ; mais ils
sont tels qu'on n'en saurait déduire avec certitude aucun renseignement
nouveau d'une portée générale. La plupart des singularités qui distinguent
notre cirque des cirques par ailleurs connus, je veux dire la matière et la
forme de V oppidum, le nombre des carceres, la manœuvre des barrières et des
œufs, la décoration si simple et même si pauvre de la spina, la double rangée
de dauphins et de boules, ne doivent pas être tenus pour des fantaisies de
l'artiste ; elles furent des cas réels, mais aussi des cas exceptionnels. Où
existèrent-elles ? A Lyon ? Vraisemblablement. Ailleurs, dans d'autres cir-
ques provinciaux ? C'est possible. La double ligne blanche de l'arène, que
l'artiste n'a pas non plus inventée, à coup sûr, n'existe point toujours et
partout, nous le savons. Et que signifie-t-elle au juste ; que signifie la double
rangée de dauphins et d'œufs ? Problèmes nouveaux que pose la mosaïque
de Lyon. Qui sont ces cavaliers galopant avec les quadriges? Problème
ancien que la mosaïque de Lyon ne résout point. Parce qu'elle est très
agréable à voir, pardonnons-lui de n'être pas aussi instructive à consulter
que nous le voudrions, et gardons-nous surtout d'y trouver ce qu'elle ne
contient pas. Les juges et presque tous les comparses sont vêtus de bleu ;
Artaud en conclut sans hésitation que « cette couleur était celle de l'uni-
forme national des Gaules », et de Caumont adopte sa conclusion. N'est-il
pas plus sage de croire que, pour le choix des couleurs, l'artiste a suivi
seulement son goût, hormis les morceaux dont la couleur lui était imposée,
comme la tunique des auriges? Voilà sans doute pourquoi la tunique du
sparsor est verte, celle de Vagitator à pied mi-partie.
2. On ne s'attend pas à lire ici une description, même sommaire, de
tous les monuments qui peuvent être comparés avec notre mosaïque. Je ne
m'occuperai que des autres mosaïques représentant les jeux du cirque ou.
— 44 —
pour mieux dire, une course de chars dans un cirque. Je négligerai donc
celles où sont figurés quelque personnage isolé ou quelque épisode d'une
course, par exemple la mosaïque de Sainte-Colombe ^ qui est ornée à ses
quatre angles d'un quadrige. Comme tableau d'ensemble répondant à ma
définition, Artaud ne connaissait et ne pouvait connaître que la mosaïque
d'Italica, découverte aux environs de Séville, vers la fin du xviii^ siècle,
très gravement détériorée à l'époque de l'exhumation et détruite depuis.
Par bonheur, Alexandre de Laborde en avait fait l'objet d'une belle mono-
graphie illustrée 2. Le tableau central, entouré d'une vaste et riche bordure
dont la surface était de beaucoup supérieure à la sienne, reproduisait le plan
exact du cirque romain, moins les gradins des spectateurs. Il se terminait
donc, à une extrémité, par un demi-cercle, à l'autre par la ligne concave de
V oppidum. Cet oppidum^ la partie la mieux conservée du tableau, était un
édifice en pierre, comprenant onze carceres, six à gauche de l'entrée, cinq à
droite. Au dessus de l'entrée, le président siégeait seul dans sa loge, la main
droite levée à hauteur de la tête. L'unique vestige de la spina était le sommet
d'une colonne surmontée d'un génie tenant une couronne et un rameau.
Dans l'arène il ne restait aucun quadrige intact ; on y voyait en bas, de
gauche à droite, deux cavaliers à casaques vertes, l'un galopant, l'autre —
desulîor ou voltigeur — renversé sous deux chevaux ; puis les débris d'un
quadrige mis en pièces ; en haut, de droite à gauche, un sparsor vêtu d'une
longue souquenille à larges manches, portant un vase de ses deux bras
tendus ; un cocher blessé, un vert, soutenu par deux hommes à tunique
rouge ; un homme à tunique verte conduisant en main un cheval ; un char
retourné, avec un seul cheval attelé au timon en l'air ; un autre piéton vêtu
1. Georges Lafaye, Inventaire, n" 217 (^sans nul doute n" 232) ; Héron de Villefosse, dans Bulletin
archéologique du Comité, 1894, p. 224 et pi. XIV (reproduite dans l'album de l'Inventaire) . — Je néglige aussi
la mosaïque de Sans, près Sennecey-le-Grand (Saône-et-Loire), dont le tableau central représente quatre
chars se poursuivant dans un lieu désigné comme un cirque simplement par une borne ; voir Héron de
Villefosse, dans Comptes rendus de l'Acad. desinscr., 1898, p. 16 ; Adrien Blanchet, Inventaire, n^ 785. - J'ai à
peine le droit de négliger un petit tableau de celle de Horkstow-Hall (Grande-Bertagne ) ; voir Gauckler,
art. I' Musivum , dans Dict. des antiq. ,çr. et rom., p. 2.1 10, fig. 5.247. Il n'y manque que Voppidum. Autour
de la spina, simple mur terminé par de doubles bornes, courent en bas trois biges ; en haut l'on voit, de droite
à gauche, deux cavaliers et un quatrième bige. L'un des cavaliers, ayant mis pied à terre, se porte au secours
du cocher de ce bige, victime d'un accident.
2. Description d'un pavé en mosaïque découvert dans l'ancienne ville d'Italica (Descripcion d'un pavimento
de mosayca descubierto en las ruinas d'Italica), Paris, Didot, 1803.
— 45 —
comme le sparsor et qui tendait vers la droite un morceau d'étoffe. Cette
mosaïque, telle quelle, donnait mieux que la nôtre l'idée d'un cirque, moins
la spina ; mais elle ne donnait pas l'idée de l'ensemble d'une course dans le
cirque.
En 1860, on découvrit, à Barcelone, et l'on y conserve depuis après
réparation, une mosaïque ^ de sujet analogue, représentant, non pas toute
une arène de cirque, mais une moitié longitudinale de l'arène avec la spina
au dessus. L'oppidum, qui était figuré à gauche, comme dans celles de Lyon
et d'Italica, manque entièrement. La spina est du type normal, maçonnerie
pleine avec une décoration très riche, très singulière d'ailleurs par certains
de ses détails que je ne saurais mentionner ici. Elle ne ressemble presque en
rien à la spina de Lyon. Cependant l'on y voit un obélisque ; sur le toit plat,
où l'on accède par une échelle, d'une édicule de la moitié droite, reposent
sept boules ; sur une architrave de la moitié gauche, portée par deux colon-
nes, trois dauphins vomissent de l'eau. Les bornes sont séparées de la spina ;
celle de droite, très ornée, est seule intacte. Dans l'arène, quatre quadriges.
Le premier à gauche, mutilé à l'arrière, est renversé ; il appartenait à la
faction bleue. Le deuxième, le blanc, mutilé à l'avant, court en bon ordre et
le cocher regarde vers le concurrent malheureux ; du troisième, le rouge,
l'aurige fait effort pour retenir les chevaux, tandis que celui du quatrième,
le vert, lève le bras pour fouetter les siens. L'attelage du troisième et sans
doute aussi celui du deuxième étaient conformes à la règle : les deux che-
vaux du milieu jugales, les deux extrêmes funales ; celui des deux autres
chars ne se distingue pas. Des noms de cochers et de chevaux sont inscrits
dans le champ. A la tête des chevaux du quatrième char, gesticule un
sparsor vert muni d'une amphore. Plus loin, presque au delà de la borne, un
autre piéton, en tunique longue, abaisse de la main gauche une banderolle
blanche, rouge et bleue, et fait flotter, de la droite, une banderole verte, la
couleur du quadrige qui tient, à notre connaissance, la tête de la course. On
remarquera que le quadrige renversé occupe dans la série la même place que
sur notre pavement. Pour le surplus, cette moitié d'arène ne rappelle guère
la moitié correspondante de la nôtre que par le nombre des concurrents.
I. Voir E. Hûbner, article cité plus haut.
— 46 —
Une troisième mosaïque ^ des jeux du cirque fut découverte dans une
localité d'Espagne aussi, à Girone, en 1876, ou plus exactement une mosaï-
que dont l'un des deux grands tableaux a pour sujet les jeux du cirque. Ce
tableau est un rectangle, comme dans les trois mosaïques précédentes ;
mais ici Voppidum en garnit le petit côté à notre droite. C'est un édifice
rectiligne, en pierre, qui comporte, au rez-de-chaussée, six carceres et
l'entrée, laquelle, par une maladresse de l'artiste, se confond avec la loge où
siège tout seul le président qui élève la mappa de sa main droite. Au dessus
des carceres^ il y a, non pas des galeries, mais deux reliefs. On voit que cet
oppidum ne ressemble en rien au nôtre. L'artiste a si mal pris ses mesures
que l'espace libre entre les carceres et la borne apparaît beaucoup trop
étroit pour le passage des chars. La spina, massif plein, est ornée de statues
et d'autres objets, parmi lesquels l'obéHsque qui nous y rappelle seul la
spina de Lyon. Les bornes sont normales. Quatre quadriges prennent part
à la course ; les chars et les cochers sont nommés. En haut, à droite, c'est-à-
dire à la place habituelle, puisque ce quadrige serait en bas, à gauche, si
Voppidum était orienté comme dans les précédentes mosaïques, le quadrige
de la faction verte est renversé : chevaux, char, aurige ont roulé pêle-mêle.
En haut, à gauche, le quadrige de la faction bleue court en bon ordre.
Devant lui, à la hauteur de la borne, galope un cavalier dont la partie anté-
rieure du cheval manque, tout le petit côté gauche du tableau étant fort
endommagé. Manque aussi le char du troisième quadrige, celui de la faction
rouge ; le cocher fait effort pour retenir ses chevaux devant lesquels un
piéton gesticule, pour l'y aider, sans doute. Ce groupe garnit la région
inférieure gauche. La région inférieure droite appartient au quatrième qua-
drige, celui de la faction blanche ; le cocher retient lui aussi, de toutes ses
forces, les chevaux et regarde les spectateurs. Son attelage, le seul qui se
voie nettement, est régulier : deux jiigales au milieu, denxfunales aux extrê-
mes. Devant ce quadrige, à la hauteur de la borne, un piéton, tourné vers le
public comme le cocher qu'il acclame peut-être. A part l'accident et le
cavalier qui précède l'un des concurrents, la course n'offre pas de ressem-
blance notable avec celle de notre mosaïque.
I. Voir J. de Laurière, " la mosaïque romaine de Girone > (Espagne), dans Bulletin monumental, 53,
1887, p. 236etsuiv.
— 47 —
Je dois mentionner enfin une mosaïque découverte à Gafsa (Tunisie)
en 1888, « travail naïf et grossier de l'époque byzantine «, dit Gauckler qui
la décrit sommairement ainsi ^ : « Vue intérieure d'un cirque, au moment
d'une course de chars. En haut et en bas, sur les côtés de l'arène, les gradins,
sous arcades, garnis de spectateurs ; à droite, au fond de l'arène, les carceres,
à la porte desquels se tiennent des palefreniers nègres ; au milieu, la spina
avec les metae et les cages des lions, entourée de l'arène ovale où circule le
personnel à pied et à cheval, et où courent quatre quadriges aux couleurs
des quatre factions du cirque ». L'originalité de ce pavement, par rapport
aux autres mosaïques du même sujet et à presque tous les monuments
figurés qu'on en peut rapprocher, consiste dans la représentation des gra-
dins et des spectateurs. Il ne ressemble en rien, de façon frappante, au
nôtre.
VII
I. On a déjà vu que la mosaïque Macors, malgré les singularités qui la
distinguent, n'enrichit d'aucune donnée sûre la connaissance imparfaite,
dont l'archéologie romaine a dû se contenter jusqu'ici, des cirques et des
courses de chars en général, mais que cette mosaïque fournit sans doute une
image vraie, sinon complète, du cirque de Lyon à une certaine époque et
des courses de chars, telles qu'elles s'y pratiquaient alors 2. La simplicité
originale, mais peu décorative, de Voppidum et de la spina^^ se conçoit fort
bien, si l'artiste a peint la réalité contemporaine et locale. Au contraire, si
elle avait été plus riche, pourquoi l'aurait-il appauvrie ou bien négligée en
faveur d'un autre monument moins spécieux, exposant son œuvre à pâtir
d'une comparaison désavantageuse ? Quant à suivre Delandine 3 et Artaud 4
1. Inventaire des mosaïques de la Gaule et l'Afrique (II, Afrique proconsulaire, n" 321, fig.)- Cf. Bull. arch.
du Comité, 1906, p. 1 3, n° 39 et pi. 26.
2. Opinion formulée, d'abord dubitativement, puis catégoriquement, par AUmer et Dissard, Trion,
p. CXXXVI =iW^usee de Lyon, II, p. 301 : < Si c'est le cirque de Lyon... Sans doute, il est représenté tel qu'il
aura été reconstruit après le sac de Lyon, l'an 197 >, sous Septime Sévère. — Trion, CXLVI = Musée, II,
p. 320: «...la précieuse mosaïque qui représente le cirque de Lyon >. Voir encore Bazin, Vienne et Lyon gallo-
romains, p. 213.
3. Bulletin de Lyon, 1806, p. 75 etsuiv.
4. 1806, in-fol., p. 10 ; 1835, p. 52 et suiv.
— 48 —
plus loin, dans l'arbitraire des conjectures où leur imagination les emporte,
je m'en garderai bien, quoique l'une d'elle ait séduit Allmer lui-même.
« Caligula résida longtemps à Lyon, où il institua des jeux. Il aimait
passionnément les chevaux : comme Néron, il excellait à conduire un char
dans la carrière. Il serait à présumer qu'ayant fait ériger un cirque pour son
amusement, on ait voulu en consacrer le souvenir par une peinture inalté-
rable. Qui sait même si le prince ne s'y trouve pas représenté ? ». Artaud, à
qui Delandine avait suggéré l'hypothèse, écrivait ces lignes en 1806 ; en
1835, il n'avait renoncé à aucune partie de son idée. Se rappelant que Cali-
gula, comme Néron, était de la faction verte, il soupçonnait que le cavalier à
tunique verte monté sur un cheval blanc représentait l'empereur. Ce qui lui
fit toujours paraître vraisemblable le surplus de la conjecture, c'est qu'il
croyait pouvoir, nous le verrons bientôt, dater notre mosaïque du premier
siècle et de l'époque antérieure à Domitien. Or nous verrons aussi qu'elle
est, selon toute probabilité, du second siècle, par conséquent d'un temps où
personne, à coup sûr, ne se souciait plus de commémorer les excentricités
lyonnaises de Caligula. D'ailleurs, Artaud jugeait plus vraisemblable enco-
re ^ l'autre hypothèse de Delandine : « Ce savant pense que cette mosaïque
a dû appartenir à la demeure de Ligurius, intendant des jeux à Lyon et
souverain pontife du temple d'Auguste, dont elle ne devait pas être éloignée.
On sait que Ligurius donna des jeux du cirque à toutes les corporations de
la ville, qui, en reconnaissance, lui firent graver une inscription très curieuse
que nous possédons encore, où l'on remarque ces mots : Item liidos circen-
ses dédit ».
A la traduction déjà fautive de Menestrier, qu'il cite pour faciliter
l'intelligence de ce texte épigraphique « aux personnes qui ne sont pas fami-
lières avec le style lapidaire », Artaud ajoute plusieurs autres erreurs dont
trois favorisent son opinion. Il fait de Ligurius l'intendant des jeux à Lyon ;
d'après le texte -, Ligurius était summiis curator c(iviiim) r(omanorum)
prov(inciae) Liig ( dunensis ) , curateur suprême des citoyens romains de la
province lyonnaise. Il fait de Ligurius le souverain pontife du temple
I. En 1806. Il ne la mentionne plus en 1835.
a. Allmer et Dissard, Musée de Lyon, II, p. 361 ; Corp. inscr. lat., XIII, n° 1.921.
— 49 —
d'Auguste ; d'après le texte, Ligurius n'était nullement prêtre de ce temple
ou mieux de cet autel, situé hors du territoire de Lugudunum et dont le
sacerdoce n'avait rien de commun avec ceux de la colonie lyonnaise ;
Ligurius était pontife perpétuel de la colonie (oh honorent perpetiii pontif-
(icatus). Si Ligurius n'était pas intendant des jeux, est-il vrai du moins que
toutes les corporations de la ville lui firent graver une inscription en recon-
naissance des jeux du cirque, mémorables par conséquent, exceptionnelle-
ment beaux, qu'il leur avait donnés ? Non ; le texte dit que Ligurius, en
reconnaissance de l'honneur à lui conféré du pontificat perpétuel, fait don à
la cité d'un monument — nous ignorons lequel — , le monument qui portait
l'inscription, et qu'à l'occasion de la dédicace il fait une largesse pécuniaire à
tous les ordres et offre — à tout le peuple, évidemment — des jeux du
cirque : oh honorem... dat, cuius dont dedicatione... dédit. Telle étant la
vérité, rien ne nous invite à localiser la demeure de Ligurius dans le voisi-
nage de l'autel d'Auguste, aucune raison plausible ne nous recommande
l'hypothèse d'une mosaïque des jeux du cirque dans la demeure de Ligu-
rius. D'ailleurs, si nous donnions à Ligurius la qualité de prêtre de l'autel et
si nous admettions qu'en cette qualité il résidait non loin de l'autel, l'hypo-
thèse n'en vaudrait pas mieux, au contraire, puisque nous savons aujour-
d'hui que l'autel n'était pas dans la région d'Ainay. Néanmoins elle a trouvé
grâce devant Allmer qui, dans sa traduction et son commentaire du texte
épigraphique, n'a commis, cela va sans dire, aucune des bévues de Menes-
trier et d'Artaud. « On a à se demander, dit-il s si Ligurius Marinus
n'aurait pas habité la ville basse, et si la mosaïque qui représente une
course de chars dans le cirque de Lyon et qui a été découverte près de
l'église d'Ainay n'aurait pas décoré son habitation en souvenir des ludi cir-
censés qu'il avait donnés ».
2. Artaud 2 fixe « le temps où cette mosaïque a été faite à peu près vers
le milieu du i^^ siècle de l'ère chrétienne. Auguste décora d'un obélisque la
spina des cirques, et, dans le même temps. Agrippa y fit rétablir les dau-
phins. Cette peinture ne peut être postérieure à Domitien, puisqu'elle
1. Ouvr. cité, p. 365.
2. 1806, in-fol., p. g ; 1835, p. 51 et suiv.
— 50 —
n'offre que quatre livrées, et l'on sait que cet empereur en fit ajouter deux
aux précédentes, la pourpre et la dorée ». Il n'était pas besoin de démontrer
que la mosaïque n'est pas antérieure à Auguste : avant Auguste, et même
sans nul doute sous son règne, l'actuel quartier d'Ainay ne comptait que
des constructions trop simples et trop pauvres pour avoir de tels pavements,
les canabae, huttes ou baraques, dont le nom lui resta, même après qu'il se
fut couvert de riches habitations. Mais Artaud, nous venons de le voir, y
situait le temple d'Auguste et ses dépendances, c'est-à-dire de beaux édifi-
ces qui existaient déjà au début de notre ère. Quant à la raison que l'innova-
tion de Domitien lui fournit d'affirmer que la mosaïque n'est pas postérieure
à cet empereur, elle est de valeur nulle. Les deux nouvelles factions, la
piirpurata et Vaureay n'eurent qu'une existence éphémère ; Domitien une
fois mort, «il n'en est plus question. Nous avons, par contre, une raison
excellente de croire que notre mosaïque ne remonte pas à l'époque augus-
téenne, ce qui veut dire au premier siècle de l'ère chrétienne : la nature du
tableau central et ses dimensions relativement à celles de la bordure ^ Au
premier siècle, les tableaux sont des pièces de rapport, des embîemaîa,
établis sur dalles de marbre ou de brique, en très petites pierres, très variées
de forme (opus vermiculatum), puis encastrés dans un pavement décoratif
fait de cubes plus gros (opus tessellatum), ce pavement couvrant une surface
beaucoup plus vaste que celle de Vemhlema ou des emblemata qu'il contient.
Au début de l'époque antoninienne, le vermiculatum et le tessellatum se
mélangent, le tableau n'est plus une pièce de rapport, il s'agrandit aux
dépens du décor ornemental qui l'encadre et il le réduit à une simple bor-
dure. Tels sont bien les caractères de notre mosaïque. Elle fut composée,
selon toute vraisemblance, dans la première moitié du second siècle. Plus
tard, et surtout à partir des Sévères, c'est de nouveau le décor ornemental
qui s'agrandit aux dépens du tableau, qu'il rétrécit, qu'il pénètre même et
morcelle. La suite de ces études nous fera connaître plusieurs spécimens
remarquables de cette espèce. Sous les premiers Antonins, la virtuosité des
mosaïstes romains est très grande ; elle dépasse parfois celle des maîtres de
I. Voir Gauckler, article " Musivum •, dans le Dict. des ant. gr. et rom., p. 2.096 et suiv. — L'encadre-
ment de noire tableau était un peu plus large à l'origine qu'aujourd'hui, puisqu'à l'extérieur il y avait, d'après
e témoignage d'Artaud, ■ une grecque ou méandre ».
— 51 —
l'époque précédente. Notre mosaïque des jeux du cirque, par la finesse du
travail, se révèle tout à fait digne de l'âge que nous lui assignons ^ Hûbner ^
prétend qu'elle n'est certainement pas antérieure au troisième siècle, à cause
du style, de l'exécution grossière. Mais le contexte de son jugement prouve
qu'il n'a vu ni l'original ni même la planche d'Artaud.
La destruction de l'édifice qui abritait la mosaïque serait imputable,
d'après Artaud 3, soit à l'incendie qui ravagea la ville sous Néron, soit « aux
malheurs qu'elle éprouva sous Sévère ». Nous mettons l'incendie hors de
cause, puisque nous le croyons antérieur à la confection du pavement, et
nous le mettrions hors de cause même sans cette raison chronologique : il
ravagea la ville proprement dite, Lugudunum, la colline de Fourvière4;
mais traversa-t-il la Saône, atteignit-il le quartier des Canabae ? C'est bien
improbable. Contre la seconde hypothèse d'Artaud, je ne vois aucun argu-
ment péremptoire. Mais que l'abri de la mosaïque se soit écroulé au temps
de Septime Sévère ou seulement plus tard, il était dupe d'une illusion quand
il croyait que « des barbares ou des ignorants » s'acharnèrent à la dégrader
parmi les ruines pour satisfaire leur cupidité. « Ce qui nous a confirmé dans
cette idée, c'est que tous les vêtements formés avec des pierres précieuses
ont été enlevés, tandis que le reste est intact » 5. La phrase est équivoque.
Artaud n'a sans doute pas voulu dire que tous les vêtements avaient été
enlevés, ce qui le mettrait en contradiction avec sa planche et nous oblige-
rait à tenir son témoignage ou celle-ci pour outrageusement infidèle ; il n'a
pas voulu opposer les vêtements au reste. Il a voulu opposer au reste une
partie des vêtements formée, selon lui, de pierres précieuses, et dire que
toute cette partie avait été enlevée ; assertion, d'ailleurs, émise à la légère et
qu'un simple coup d'oeil jeté sur la planche réduit à néant. Par exemple,
1. Artaud, 1835, ?• 55 ' « Pour ce qui est du mérite de l'exécution, M. Belloni prétend qu'elle est sem-
blable à celle des Centaures du Vatican ».
2. Article cité, p. 138 et suiv.
3. 1806, in-fol., p.8.
4. Sénèque, Lettres à Lucilius, 91, 10 : Civitas arsit... uni... imposita... monti. Les assertions de Steyert,
ouv. cité, I, p. 236, sont manifestement fausses. Cf. Revue d'histoire de Lyon, III, 1904, p. 18.
5. 1806, in-fol., p. 8 ; cf. in-8, p. 13 : « Ce qui m'a confirmé dans cette idée, c'est que tous les vêtements
formés avec des pierres précieuses ont été dégradés, surtout les bleus, en lapis, tandis que tout le reste est
intact ». Au bas de ce passage, reproduit dans le Mag. encycl. de 1806, IV, p. 165, Millin se demande en note
s'il est bien sûr que ce soit du lapis et non pas plutôt de l'émail, le lapis n'étant pas assez dur pour être foulé
aux pieds.
— 52 —
tandis que le président et l'assesseur de droite sont intacts, l'assesseur de
gauche a disparu : admettrons-nous que les vêtements de celui-ci seul
étaient en pierres précieuses ? Admettrons-nous que la tunique détruite du
cavalier d'en bas était d'une autre matière que celle du cavalier d'en haut,
intacte ? Il n'est pas vrai non plus, si l'on s'en rapporte à la planche, que,
hormis les vêtements ou une partie des vêtements, le reste soit intact ; par
exemple, les quadriges et le champ ont souffert à plusieurs endroits. A la
réflexion, Artaud se rendit compte qu'il avait dit, en 1806, une sottise ; il ne
la répéta point en 1835. Il ne croyait plus alors aux pierres précieuses de la
mosaïque ; aussi corrigea-t-il une autre phrase erronée de 1806 ^ : « Elle est
composée de petits cubes de marbre et quelquefois de pierres précieuses »,
par la substitution à ce dernier mot du mot « factices » 2.
En vérité, la mosaïque des jeux du cirque subit, comme tant d'autres,
les conséquences d'accidents fortuits ou de méfaits dont les auteurs ne la
visaient pas spécialement. D'abord l'édifice qui la contenait s'écroula ou
fut démoli, et des blocs de maçonnerie tombèrent sur elle d'une chute lour-
de. Puis les pans de murs qui l'entouraient et le tas de pierres qui la cou-
vrait furent exploités pour de nouvelles constructions, si bien qu'à l'époque
où Paul Macors l'exhuma, il n'y avait plus là « indices de ruines » 3. Non
seulement nous n'avons aucun motif de croire que des barbares ou des
ignorants s'acharnèrent jadis contre elle, mais nous apprenons d'Artaud
lui-même qu'après les mains brutales qui, sans parti pris de la détruire,
n'eurent néanmoins aucun égard pour elle, vinrent des mains pieuses qui
la protégèrent : « Nous avons remarqué, dit-il, qu'elle avait été recouverte
avec intention de la conserver. On a trouvé à sa surface une légère couche de
gravier rougeâtre... et, par dessus, un rang de tuiles romaines à rebords j; 4.
i.p. 2.
2. p. 41.
3. 1806, p. I ; 1835, p. 41
4. Ibid.
— 53
II
mosaïque cassaire
(Lutte de l'Amour et de Pan)
Bibliographie. — Ajouter seulement à la bibliographie du chapitre I :
Archives municipales de Lyon, série M^^ Palais des Arts, travaux ; an III
— 1820 = Arch. mun., M^f ; et, pour le surplus, voir les notes.
I
I . Spon est le premier témoin qui parle de cette mosaïque, à laquelle, peu
d'années après la découverte, il consacra deux notices presque identiques,
l'une en français dans ses Recherches curieuses d'antiquités S l'autre en latin
dans ses Miscellanea eruditae antiquitatis 2. La principale différence entre les
deux porte sur la date de l'exhumation : 1676, selon le texte français,
1670, selon le texte latin ; elle résulte sans doute d'une faute d'impression
dans celui-ci. Depuis lors jusqu'à nos jours, les auteurs ont donné, d'après
lui, tantôt l'une, tantôt l'autre de ces dates 3. Car Spon est notre source
unique pour le temps, pour le lieu et les circonstances de la découverte. Il
indique le lieu un peu trop vaguement, « dans la vigne de M. Cassaire 4^
pharmacien de Lyon », — « ad collem Divi Justi », ce que Colonia 5 traduira :
1. Lyon, 1683, p. 39 et suiv.
2. Lyon, 1685, p. 15.
3. 1676 : Colonia, Millin, Steyert, ouv. cités plus bas; Cochard, Indicateur de 1810, Curiosités, p. 12,
Description historique de Lyon, p. 298, le Guide du voyageur et de l'amateur à Lyon, p. 1 19 ; Artaud, Inventaire
de 1833, p. 32; 1670: Montfaucon, Comarmond, Bazin, Blanchet, ouv. cités plus bas ; Artaud, 1835;
Catalogue sommaire des Musées de Lyon, pass. cité plus bas.
4. Cochard, Description, p. 298, et Guide, p. 119, l'appelle Vital Cassaire ; de même Artaud, Inventaire
de 1833, p. 32. Vital Cassaire participe, en qualité d'ancien juré de la communauté des « maistres apoticaires »
de Lyon, à un acte du 18 juin 1682 (Arch. mun., série HH, Arts et Métiers : Apothicaires). Il figure dans la
liste des « maistres apoticaires » de Lyon en 1660, annexée aux Statuts et règlemens des marchands et maistres
apoticaires de la ville de Lyon, Lyon, 1700, p. 30 ; mais il ne figure plus dans la même liste pour 1697 (ihid.,
p. 31).
5. Histoire littéraire de la Ville de Lyon, 1728, l, p. 237 et suiv. ; Antiquités de la Ville de Lyon, 1733,
II, p. 394 et suiv. Colonia n'est que l'écho de Spon. De même Furietti, De Masivis, 1752, p. 59-
— 54 —
« au pié de la montagne de Fourvière ». Mais, facilement, d'autres ont pu
le préciser. Artaud ^ situe la maison de M. Cassaire « au milieu de la montée
du Gourguillon » ; Comarmond^, « dans le haut du Gourguillon, à gauche
en montant et au-dessus de la montée des Épies ». Steyert^ identifie la vigne
Cassaire avec le clos Vendôme, montée du Gourguillon. Enfin l'acte de
vente conservé aux archives municipales 4 constate que la mosaïque se
trouvait « dans la maison dite de Vendôme, montée du Gourguillon, n" 33 » 5.
Des ouvriers remuant la terre, continue Spon, découvrirent là, à cinq
ou six pieds de profondeur, un pan de muraille revêtu ^ et un pavé tout
orné de mosaïque. Dans leur travail ils rompirent et gâtèrent le revêtement
mural, mais le pavé resta entier, long d'environ 20 pieds et large de 10. Le
propriétaire, pour le conserver et le montrer aux curieux, le fit recouvrir
d'une voûte 7.
Il était toujours en place sous la même voûte au commencement du
xix^ siècle, mais non pas en sûreté. « Ce local, explique Artaud s, après
avoir servi de loge à des francs-maçons, fut destiné à l'usage d'un cellier.
Nous l'avons vu plusieurs fois inondé de vin dans les parties les plus basses,
ce qui n'a pas peu contribué à le dégrader ; d'autre part, une demoiselle
Mine, qui avait ensuite acquis cette maison, persuadée que le sol... renfer-
mait quelque trésor, cherchait de temps en temps à l'interroger avec une
1 . 1835, p. 60. — Bazin, Vienne et Lyon gallo-romains, p. 380 : « A Fourvière, dans le haut de la montée
du Gourguillon >- ; Ad. Blanchet, Inventaire des mosaïques, II, n° 709 : « Montée du Gourguillon, à la maison
Cassaire ; Catalogue sommaire des Musées de Lyon, 1887, p. 133, n° 10 = 1899, p. 206, a9 12 : « Dans le haut
de la montée du Gourguillon ».
2. Comarmond, Description..., p. 690.
3. Nouvelle histoire de Lyon, I, 262. Déjà Cochard, Indicateur de 1810, Curiosités, p. 12 : « A la descente
du Gourguillon, dans les jardins de la maison de Vendôme > ; cf. Description, p. 298.
4. R'a, 6 décembre 1819.
5. Aujourd'hui, n° 39.
6. Artaud, 1835, p. 60, fait sans doute allusion à ce revêtement mural signalé par Spon : « La mosaïque
dont il est ici question semble d'autant mieux avoir appartenu à une salle de bains, que les parois des murs
qui restaient étaient également incrustées de cubes de mosaïques... ». Cf. Allmer et Dissard, Musée de Lyon,
II, 307 : « De cette salle de bains provient la... mosaïque... qui représente une lutte entre Éros et un Satyre ».
7. Toujours d'après Spon. Cf. Cochard, Description.. ., p. 298 : « Vital Cassaire... fit jeter une voûte sur
cette mosaïque - . — Par acte du 20 avril 1768, la Dlle Lavetizon, héritière indirecte de Cassaire, vend plu-
sieurs immeubles en un seul tènement, dans l'angle de la montée des Épies et du Gourguillon, entre autres la
« maison appellée de Vendosme » qui a parmi ses dépendances « une cave pavée en mosaïque, ouvrage des
Romains ■ (Arch. dép. du Rhône, fonds Saint- Jean, armoire Adam, vol. 10, pièce 17).
8. 1835, p. 60.
— 55 —
sonde ». Millin ^3 qui vit la mosaïque en 1804, dans « la maison Cassaire
qui appartient aujourd'hui à M. Mine », écrit : « La chambre où est cette
mosaïque est ordinairement embarrassée par des tonneaux qui la dégra-
dent. Il faut espérer que le préfet du département obtiendra la permission
de Tenlever pour la placer au Musée ». Effectivement, le conseiller de
préfecture faisant fonction de préfet mandait, le 4 vendémiaire an XIV
(26 septembre 1805), à M. de Fay-Sathonay, maire de Lyon 2 : « Il existe
chez les demoiselles Minet, à la montée du Gourguillon, une pièce de
mosaïque qu'on m'assure être un monument curieux. Il paraît que cet
ouvrage... qui représente des figures et même des tableaux, pourrait être
placé avec avantage soit au musée de cette ville soit dans quelque autre
établissement public... Je vous donne cet avis. Monsieur, afin que vous en
tiriez le parti que réclament l'intérêt des arts et le bien de la ville ». Pour des
motifs que nous ignorons, la démarche n'eut aucun résultat. Les Petites
Affiches du 4 juin 1808 3 contiennent une offre de vente qui se rapporte
certainement au clos Vendôme et à sa mosaïque : « Maison rue des Farges,
au dessus du Gourguillon, n^ 128, avec cour, mosaïque, parterre, terrasses,
tonnelles, jardin, verger, pavillon... ». Cette annonce fait commencer 4 la rue
des Farges, qui prolonge le Gourguillon, un peu plus bas qu'aujourd'hui.
C'est également au n^ 128 de la rue des « Farches » que Millin a vu notre
mosaïque 5. Cochard, dans V Indicateur de 1808 et dans sa Description de
1817 ^, la signale toujours en place.
2. Plus efficace que la démarche préfectorale fut, heureusement, l'in-
tervention d'Artaud en 18 19. « Affligé, dit-il 7, devoir une mutilation sem-
blable, nous engageâmes M. le baron Rambaud, maire de Lyon, à la faire
1. Voyage dans les départemens du Midi de la France, 1807, 1, p. 466. Millin arrive à Lyon le 10 mai 1804
(ibid., p. 410 et suiv.).
2. Arch. mun., R-a.
3. P. 2.
4. A tort ; d'après les recensements annuels (Arch. mun.,séTieF\ années 1808 à 1811, Ouest, t. 2, 5®
section), le n" 128 appartenait à la montée du Gourguillon. Les maisons étaient alors numérotées par section
ou quartier.
5. Pass. cité. Exactement : «... dans la vigne de la maison Cassaire... Elle est située rue des Farches, au
Gourguillon, n° Y 128 ». J'ignore ce que signifie cet Y.
6. Pass. cités.
7. 1835, p. 60.
— 56 —
acheter par la ville ». Le traité S signé le 6 décembre 1 8 19 et approuvé par le
préfet le 13 janvier 1820, confirme le prix de vente indiqué par Artaud,
3.000 francs, prévoit que l'enlèvement aura lieu dans les six mois et nous
apprend que le propriétaire était alors Million André, marchand chapeHer,
rue Sirène, i, à Lyon ~. Le succès tout récent des opérations concernant la
mosaïque des Jeux du cirque n'avait pas seulement fait naître chez Artaud
une passion durable, une prédilection peut-être excessive, pour ce genre de
monuments antiques ; il lui avait donné en cette matière une grande auto-
rité, et il avait impressionné de la façon la plus favorable l'opinion lyon-
naise 3. Aussi, tandis que l'administration préfectorale avait dû imposer
l'achat de la première mosaïque au conseil municipal de 18 13, celui de
1820, dans sa séance du 4 janvier, émit d'emblée le vœu qu'une somme de
10.000 francs, laquelle d'ailleurs, nous le verrons bientôt, se trouva fort
insuffisante, fût affectée à l'acquisition, à l'enlèvement, à la restauration et à
la repose de la mosaïque du Gourguillon. Bien entendu, la préfecture se-
conda de son mieux ce bon vouloir. Le préfet était alors le comte de Lezay-
Marnesia, « adorateur des beaux-arts », au témoignage d'Artaud, et qui ne
cessait « d'enrichir leur temple » 4.
L'enlèvement se fit cette fois dans le délai prévu, ou peu s'en faut 5,
grâce à l'expérience acquise. Le dossier des archives contient un état esti-
matif, dressé par la mairie, des plaques de marbre nécessaires à l'ablation
(27 avril 1820) ; une soumission sur laquelle Bernard et Jamey sont déclarés
adjudicataires de cette fourniture au prix de 1.365 francs 63, au lieu de
1.500, prix prévu (18 mai); un mémoire des journées des mêmes pour le
déplacement et le transport, soit 1708 francs (22 août) ; deux comptes sans
date de l'entrepreneur Janicot pour l'enlèvement, 2038 fr. 69 et 227 fr. 13.
1. Arch. mun., R-a. Toutes les pièces d'archives citées plus bas sont de la même série, sauf avis contraire.
2. Ce nouveau propriétaire apparaît pour la première fois dans le recensement annuel de 1811 (Arch.
mun., F'). Il avait acheté de la veuve Vert qui figure aux recensements de 1810, 1809, 1808. Ici la série de
ces documents s'interrompt.
3. Artaud, ihid. : « On fut d'autant plus encouragé à cet achat que M. Belloni venait de déplacer et de
réparer d'une façon merveilleuse la mosaïque des jeux du cirque %
4. Artaud, note manuscrite de 1821, déjà citée à propos de la mosaïque Macors.
5. Dans son inventaire de 1833, p. 32, Artaud dit faussement : « Déplacée en 1822 ». C'est " replacée »
qu'il aurait dû dire. La même erreur est déjà dans Cochard, le Guide du Voyageur et de l'amateur à Lyon,
1826, p. 119.
— 57 —
Mais Comarmond se trompe, et se trompe doublement, lorsqu'il affirme ^
que cette mosaïque fut « restaurée par des marbriers lyonnais, sous l'ins-
pection de M. Belloni, qui avait restauré les deux premières ». D'abord,
elle fut restaurée à Paris par Belloni, la notice d'Artaud pouvait le lui
apprendre 2 ; puis, Belloni avait jusque-là restauré pour le musée de Lyon
une seule mosaïque, celle des Jeux du cirque ; car la seconde qui entra au
palais Saint-Pierre, achetée après celle du Gourguillon, mais reposée avant,
fut, nous le verrons, restaurée par les marbriers lyonnais, non « sous l'ins-
pection )), mais selon les procédés et les leçons de Belloni. C'était la mosaï-
que Michoud, de Sainte-Colombe, qui ressemble à la mosaïque Cassaire
par le sujet du tableau central. D'où la méprise de Comarmond.
Au début d'août 1820, Belloni informe le maire qu'il se charge « de
prendre soin de la restauration ». Mais, avant de fixer un prix, il voudrait
examiner si l'opération de l'enlèvement, à laquelle il n'a point présidé cette
fois, a été faite avec toute la précision nécessaire. Il connaît la mosaïque,
non seulement par la gravure d'Artaud 3, mais aussi par l'original, et il se
souvient que la conservation de celui-ci est beaucoup moins bonne que ne
le laisserait croire celle-là. Nous reviendrons plus loin sur ce passage très
intéressant de sa lettre. Le 10 août, Artaud avise le maire que la mosaïque
est toute prête à être « encaissée » en vue de son expédition à Paris. Bernard
et Jamey présentent le 4 septembre une facture de 85 francs, réduite par
l'architecte Flacheron à 79 fr. 05, pour la mise en caisses. Le transport à
Paris de ces 24 caisses, par Dupré et Lambert, coûte 492 fr. 99. Belloni,
ayant pu examiner la mosaïque, s'engage à la restaurer dans ses ateliers et à
venir présider au placement pour 5.000 francs, frais de voyage et de séjour
compris. Le baron Rambaud signe le traité à Lyon le 24 janvier 1821,
Belloni à Paris le i^r février 4. Plusieurs mois se passent. Enfin, le 15 no-
vembre, Belloni annonce au maire que la mosaïque, restaurée en 58 mor-
ceaux et emballée dans 27 caisses, a été chargée sur la voiture qui doit la
1 . Description..,, p. 690.
2. 1835, P- 60 : « Comme cette première (la mosaïque des Jeux du cirque), elle fut envoyée à Paris dans
1 es ateliers de cet habile artiste (Belloni) «.
3- Fig- 5-
4. Bernard et Jamey envoient à Belloni des marbres pour la restauration (47 fr. 40; mémoire du ai mars
1821).
— 58 —
transporter à Lyon '. Il prie qu'on le prévienne quand tout sera prêt pour la
repose. Le 2 décembre, il écrit qu'il ne pourra venir avant le 15 janvier 1822
et demande que les travaux de pose soient commencés en attendant. Ces
travaux furent non seulement commencés, mais achevés en son absence. Le
10 janvier, Artaud lui faisait savoir que la mosaïque, parfaitement restau-
rée, était arrivée à Lyon, que l'assemblage des 58 morceaux avait été facile
et qu'il allait la faire poser selon ses indications. Des lettres ultérieures
d'Artaud 2 l'informèrent que tout marchait bien et que sa présence n'était
pas nécessaire. La repose fut exécutée par Bernard et Jamey au prix de
3.400 francs 3. Le 29 mai 1822, Belloni demande le paiement de la somme
convenue, et le 3 juin Artaud certifie que la mosaïque a été parfaitement
restaurée. Le dossier renferme deux autres pièces relatives à la repose, une
note de 1750 francs, réduite à 1.625, pour la balustrade par Benoît (14 juin
1823), et une note de 71 fr. 05 pour la main-courante en bois de noyer par
Godiot(2mai 1824)4.
Le règlement de comptes avec Belloni donna heu cette fois à un mar-
chandage long et fâcheux 5. Le baron Rambaud prétendit lui imposer une
réduction de 1.500, puis seulement de i.ooo francs, sur le prix convenu,
parce qu'il s'était affranchi de la clause qui l'obHgeait à présider en per-
sonne au placement. Belloni alléguait qu'en fait la perfection de son travail
avait rendu sa présence inutile, ce qui était vrai ; qu'en droit il s'était cru
dispensé de venir, puisque le directeur du musée lui avait répondu à plu-
sieurs reprises, quand il offrait de le faire, que sa présence n'était pas néces-
saire; ce que Rambaud ne contestait pas non plus, mais refusait de tenir
pour une excuse légitime, Artaud, qui avait écrit sans l'ordre du maire,
n'ayant pas eu qualité pour délier Belloni de son obligation et ne l'ayant
d'ailleurs pas formellement déUé. A vrai dire, le caractère administratif des
1. La facture du transport au retour n'est pas dans le dossier des archives.
2. Visées dans une lettre de Belloni au maire (13 juin 1822).
3. D'après le bordereau récapitulatif des sommes votées et dépensées pour cette mosaïque. Les mar-
briers en question avaient présenté deux devis estimatifs, l'un de 3.614 fr. 10, l'autre de 3.751 fr. 50, tous
deux sans date.
4. Ces deux pièces sont dans une autre série des Arch. mun. : M'f.
5. R'a; lettres de Belloni au maire, 13 juin, 26 juin, 11 septembre 1822 ; 14 janvier, 21 janvier i823"
cttrcs (minutes) du maire à Belloni, 6 juin, 19 juin 1822, et sans date en réponse à celle de Belloni du
II septembre 1822.
— 59 —
lettres d'Artaud, la valeur officielle des communications faites par lui à
Belloni n'étaient guère niables ; mais le mosaïste, qui manifestement n'était
point désireux de venir, avait forcé volontiers le sens de ces communica-
tions pour y trouver une dispense formelle. Restait en outre contre lui qu'il
avait économisé les frais du voyage et du séjour. Sans doute, arguait-il,
mais il avait appris à la ville de Lyon son secret, le mécanisme pour enlever
les mosaïques les plus compliquées, la méthode pour les replacer, si bien
que la ville avait déjà pu, sans son intervention, en faire enlever et replacer
une — la mosaïque Michoud, évidemment — ; et cela valait bien les 4 ou
500 francs économisés. Néanmoins, pour prouver son désintéressement et
non par crainte d'une décision de l'autorité compétente, il consentait à
subir ce minimum de réduction. Le bordereau récapitulatif nous apprend
que cette offre fut acceptée. Belloni reçut 4.500 francs au lieu de 5.000. Il
remboursait ainsi la gratification qu'il avait touchée pour la mosaïque des
Jeux du cirque.
3. D'après ce bordereau, le total des crédits votés pour la mosaïque
Cassaire fut de 20.500 francs, dont 10.000 au budget de 1820 et 10.500 au
budget de 1823 ; le total des dépenses fut de 19.414 fr. 40, comprenant,
avec des variantes, celles que nous avons énumérées et quelques autres
moindres.
La mosaïque avait pris place « dans la grande salle des tableaux »,
« dans la grande salle du musée », disent respectivement avec imprécision
Artaud et Comarmond. Elle y venait après la mosaïque Michoud, posée
quelque temps auparavant dans la partie de cette salle qui communiquait
par trois arceaux ^ avec la salle de la Momie où se trouvait alors la mosaïque
des Jeux du cirque. Elle n'a jamais été délogée de son emplacement, non
plus que sa voisine à l'occident, la mosaïque d'Orphée. On la voit donc
aujourd'hui dans la deuxième section de la galerie des peintres lyonnais,
lorsqu'on y accède par le grand escalier oriental, le nom et l'aménagement
des lieux ayant changé depuis son entrée au Musée. Artaud avait un mo-
ment destiné la place qu'elle occupe à la mosaïque de Méléagre et Atalante.^
qui en définitive ne fut point acquise 2.
1. Voir Eugène Vial, dans les Musées de Lyon en 1906, p, 14.
2. Note manuscrite de 1821, déjà citée.
- 60 -
II
I. Je vais d'abord décrire la mosaïque Cassaire telle que nous la
voyons après la restauration de Belloni. C'est un rectangle très allongé, qui
mesure 8 m. 57 et 4 m. 07 ^ Le décor, polychrome sur champ blanc, com-
prend, au centre, un petit tableau à personnages, au pourtour, un vaste
encadrement ornemental qui se divise en une bordure et un système de
panneaux carrés. L'élément principal de la bordure est un rinceau, plus
large sur les deux petits côtés au milieu desquels il rejoint deux motifs
pareils de végétaux stylisés, tandis qu'au milieu des grands il sort de deux
vases pareils. Le long des grands côtés, ses lobes sont garnis alternative-
ment d'une fleur à quatre pétales et d'une feuille cordiforme qui garnit
aussi les lobes extrêmes des petits côtés, dont les quatre autres lobes présen-
tent symétriquement soit une feuille en forme de pelte terminée par deux
volutes, soit un fruit en forme de boule écartelée par deux diamètres. Le
rinceau court entre deux filets noirs d'une seule pierre, au dehors, et trois
filets noirs, au dedans, le premier et le troisième d'une seule pierre, le se-
cond de deux pierres. Le reste de la surface, hormis le tableau central, est
quadrillé par une tresse qui délimite dix rangées transversales et quatre
rangées longitudinales de caissons, soit trente-six caissons, le tableau central
occupant la place de quatre. Tous ces panneaux carrés ont pour cadre
intérieur un double filet noir d'une pierre et pour ornement une rosace.
Huit rosaces, presque toutes avec des différences de coloris, apparaissent
deux fois, trois apparaissent trois fois, mais sans symétrie de places ni
régularité d'intervalles. Pour les désigner plus commodément, je numé-
roterai en chiffres romains les rangées longitudinales de gauche à droite, en
chiffres arabes les rangées transversales de haut en bas. Les rosaces à double
exemplaire sont : I, i=IV, 7 ; I, 6=111, 8 ; 1,7=111, 7 ; I, 8=11,2 ; II, 1 =
IV, 2 ; II, 7=111, 4 ; II, 9=111, 10 ; II, io=IV, 6 ; les rosaces à triple exem-
plaire : 1, 10=111, 3=IV, I ; III, i=IV, 4=IV, 9 ; III, 3=111, 9=IV, 10.
I. Artaud n'a pas mesuré la mosaïque ; il répète, sans les donner comme approximatives, les mesures de
Spon, 20 pieds par lo (1835, p. 60). Comarmond, Description..., p. 690, et, d'après lui, Bazin, le Catalogue
sommaire, l'Inventaire des mosaïques, pass. cités, donnent 8 m. 57X4 m. 12.
— 61 —
Le cadre intérieur du tableau central est aussi un double filet noir ; un
troisième filet pareil existe à la base, avec deux brefs retours verticaux. Les
figures sont posées sur un terrain inégal. Au premier plan, à notre gauche,
un enfant nu, ailé, l'Amour, se présente la poitrine et le visage de trois
quarts, le pied gauche en avant, les deux bras étendus vers la taille de son
adversaire ; à droite. Pan, barbu, cornu, capripède, le dos de trois quarts, le
visage de profil, le pied gauche en avant, la main gauche ramenée sur les
reins et attachée par un lien qui fait le tour de son corps, atteint de sa main
droite l'épaule de l'enfant. Au deuxième plan, un peu à gauche de l'Amour,
se dresse un hermès, le front ceint d'une bandelette dont les bouts retom-
bent sur sa poitrine ; un peu à droite de Pan, Silène, vu de face, la tête
couronnée de feuillage, pampre ou Herre, la barbe grise, le torse nu, les
jambes drapées dans un manteau que supporte son bras gauche, tient dans
sa main gauche une palme et du bras droit, étendu horizontalement au-des-
sus de Pan, fait un geste d'exhortation. Le haut du tableau, dans son miheu,
est décoré d'un demi-médaillon circulaire contigu au cadre, renfermant une
face de bélier, et d'où pendent, flottants, les deux bouts d'une bandelette.
2. Dans quelle mesure cette mosaïque a-t-elle été restaurée? Des
textes et des images vont nous l'apprendre. Examinons d'abord la planche
V d'Artaud S dessinée en 1 815, lorsque le pavement était encore à sa place
primitive. Avant cette planche, qui est une image d'ensemble, il n'existait
qu'une reproduction partielle, la gravure de Spon 2, représentant avec une
exactitude approximative le tableau central intact, et plusieurs répliques de
cette gravure, l'une 3 fidèle au point d'avoir gardé les inscriptions ajoutées
par Spon sur le cadre, en haut la légende Musivum antiquum Lugduni apud
D. Cassaire, en bas les noms qu'il attribuait aux personnages, Herma,
Genius, Satyrus, Silvanus ; les autres 4 sans ces inscriptions. La planche
d'Artaud 5 nous montre, elle aussi, le tableau central intact, de même
i.Fig.5.
2. Recherches..., p. 27 ; Miscellanea..., p. 15 et 38.
3. Colonia, Histoire littéraire...,!, p. 2^(j.
4. Montfaucon, l'Antiquité expliquée, 2° éd., Paris, 1722 ; I, 2p partie, pi. CLXXVII, n° 4 ; Bergier,
Histoire des grands chemins de l'empire romain, éd. de Bruxelles, 1736, I, p. 191 ; Ciampini, Opéra, Rome,
1747, 1, pi. XXX, fig. 2 ; cf. p. 81, col. I.
5. Reproduite partiellement en noir dans Steyert, ouv. et pass. cités (le tableau central, les caissons qu
le flanquent, une rangée de caissons au dessus, deux au dessous, pas de rinceau).
— 62 —
toute la décoration ornementale au-dessous de lui et à son niveau. En haut
manque la partie médiane de la bordure, lacune considérable qu'une brèche
irrégulière prolonge parmi les trois premières Hgnes transversales de cais-
sons. Sur les douze panneaux de cette région, quatre sont intacts, I, 3 ;
IV, I et 2 (moins la tresse verticale gauche du quadrillage) ; IV, 3 ; — six
détruits en majeure partie, I, i et 2 ; II, 2 et 3 ; III, 2 et 3 ; — deux entière-
ment détruits, II, i et III, i. Dans cette image nous ne trouvons plus aucu-
ne rosace à triple exemplaire ; nous en trouvons dix à double exemplaire :
I, I (mutilée, mais reconnaissable)=IV, 5 ; I, 6=111, 8 ; I, 7=111, 7 ; 1, 10=
IV, I ; II, 3 (mutilée)=IV, 7 ; II, 7=111, 4 ; II, 9=111, 10 ; II, io=IV, 6 ;
III, 9= IV, 10 ; IV, 4= IV, 9. On remarquera que deux de ces identités
n'existent pas dans la mosaïque actuelle, I, i=IV, 5 ; II, 3=IV, 7. En
outre, le caisson II, 8 de la mosaïque a permuté dans l'image avec IV, 8.
Comarmond avait vu la planche d'Artaud; mais il ne prit pas la peine
de la revoir, lorsqu'il eut à écrire sa notice ; c'est pourquoi sa définition,
d'ailleurs vague, du dommage renverse les termes de la réalité ^ : « Le haut
était bien conservé, mais la partie centrale du bas était dégradée... ». Quant
à la notice d'Artaud 2, elle se contente, pour les manques, de signaler que
Belloni dut refaire « à neuf quelques panneaux dont l'exécution se confond
avec celle des artistes des temps antiques » ; mais on y lit, pour le surplus,
l'indication d'un fait que la planche ne laisse point soupçonner : « Il nous a
paru que ce pavé avait été réparé anciennement dans quelques parties avec
peu de succès. Il appartenait à M. Belloni de faire disparaître cette mauvai-
se restauration... ». S'agit-il bien, à vrai dire, d'un fait? Nous venons de
constater que deux panneaux de la mosaïque actuelle ne concordaient
point pour la rosace avec ceux qui occupent les places correspondantes
dans la planche ; nous constaterons tout à l'heure d'autres discordances du
même genre qui ne se rencontrent que dans la partie supérieure du pave-
ment, aux abords de la grande lacune. Cette prétendue mauvaise restaura-
tion ancienne que Belloni fit disparaître, ne serait-elle pas une restauration
moderne, opérée non sur le pavement, mais sur son image ? Artaud ne pro-
1. Description..., p. 690.
2. 1835, p. 60.
— 63 —
teste pas cette fois de la rigoureuse exactitude de son dessin ^ ; nous allons
fournir la preuve qu'il est sérieusement inexact ; nous allons trouver dans
cette inexactitude certaine l'explication vraie des différences. Artaud en a
imaginé pour le public une autre explication qui lui épargnait un aveu trop
pénible pour son amour-propre.
C'est Belloni lui-même qui dénonce l'infidélité de l'image. Il avait vu
la mosaïque Cassaire à la montée du Gourguillon, lors de ses voyages pour
l'enlèvement et la repose de la mosaïque Macors. Il se souvient, dit en
substance sa lettre au maire plus haut citée 2, que tout un côté de la bordure
était enterré dans le mur, tandis que la gravure de M. Artaud montrait
cette bordure entière ; il se souvient qu'en outre plusieurs lacunes exis-
taient dans diverses parties du pavé, comme dans le milieu du tableau et
dans le centre (?) 3 de quelques rosaces ; que la mosaïque dont on lui
propose la restauration, était en somme, plus dégradée que la mosaïque
déjà restaurée par lui. Le témoignage de cette pièce inédite s'accorde si bien
avec celui d'une seconde image 4 du pavement non restauré, qu'il garantit
la ressemblance de celle-ci. C'est un dessin-aquarelle anonyme que j'ai en
ma possession, provenant de la collection Grisard. Le dommage figuré y est
sensiblement plus grave que dans la planche d'Artaud. Un trait oblique à
peu près droit, au-delà duquel le dessinateur n'a pas même indiqué le
ciment de support par la teinte rougeâtre dont il se sert ailleurs, coupe la
mosaïque dans le haut, de sorte que l'angle gauche et presque tout le petit
côté supérieur de la bordure manquent. Ce trait n'est autre chose que là
limite de la maçonnerie dans laquelle, d'après Belloni, était enterré tout un
côté de la bordure. Au-dessous, la surface nue, mais teintée, représente une
lacune plus large et plus longue que la brèche d'Artaud. Elle intéresse non
pas huit, mais douze panneaux. Trois, et non pas deux, manquent totale-
ment : I, I ; II, I ; III, i ; six sont détruits à très peu de chose près : I, 2 ;
1. Mais Cochard, Description historique de Lyon, 1817, p. 298, s'en porte garant : « (M. Artaud) l'a fait
graver avec la plus grande exactitude » Comp. Indicateur de Lyon, 1810, p. 12 : « M. Artaud grave dans ce
moment (cette mosaïque)... avec beaucoup de soin et d'exactitude ».
2. Lettre du début d'août 1820 : " Depuis plusieurs années je connaissais le pavé antique en mosaïques
représentant le combat de l'Amour et du dieu Pan, qui se trouvait à Lyon à la montée du Gourguillon... ;
... quoique j'aie vu cette mosaïque plusieurs fois pendant mon séjour à Lyon... ».
3. Belloni a écrit ceintre. La correction cintre n'aurait pas de sens.
4. Fig. 6.
— 64 —
II, 2 ; 3 et 4 ; IH? 2 et 3 ; trois sont mutilés à gauche : III, 4 ; I V, i et 2, dont
la tresse verticale seule aurait souffert d'après Artaud. La pointe de la
brèche entame ici jusqu'à la tresse supérieure du tableau central. En outre,
cinq caissons de la région inférieure sont détériorés : II, 8 et 10 ; III, 7 et 10 ;
IV, 10. L'angle inférieur gauche est écorné jusqu'au double filet du pan-
neau correspondant. Dans le grand côté droit de la bordure, à la hauteur de
IV, 3, il y a un vide exigu. Enfin, dans le tableau central, deux lacunes ont
emporté, l'une l'épaule et le bras gauche de Silène, laissant subsister seule-
ment en bas une partie de la main, en haut le sommet de la palme ; l'autre la
base de l'hermès, toute la jambe droite de l'Amour, sa jambe gauche jus-
qu'au-dessus du genou et la partie antérieure de la jambe gauche de Pan
jusqu'au même endroit. Ce sont, en dehors de la principale, les brèches que
Belloni se souvenait d'avoir vues dans diverses parties du pavé, spéciale-
ment dans le milieu du tableau. Le nombre des rosaces à double exemplaire
n'est plus ici que de huit : I, 6=111, 8 ; I, 7=111, 7 ; I, 10= IV, i ; II, 7=
m, 4 ; II, 9=111, 10 ; II, io=IV, 6 ; III, 9=IV, 10 ; IV, 4=IV, 9. Les
caissons II, 8 et IV, 8 n'ont pas échangé leur place.
3. Nous voici donc en état de distinguer dans notre mosaïque restaurée
les éléments primitifs et la restauration. Belloni a refait presque tout le côté
supérieur de la bordure d'après le côté inférieur, et les deux angles gauches
d'après le seul angle intact, l'inférieur droit ; il a comblé le vide du grand
côté droit. Dans la région au-dessus du tableau, il a complété quatre cais-
sons et il en a refait entièrement ou presque entièrement huit, sans comp-
ter les morceaux manquants de la tresse du quadrillage. Dans la région
au-dessous, il a complété cinq caissons. Enfin il a réparé les deux lacunes du
tableau. De tous les caissons à compléter, hormis un seul, la reconstitution
ne risquait pas d'être arbitraire, plus de la moitié de la rosace étant connue ;
or, un quartier eût suffi, les rosaces étant toutes à huit pièces de deux sortes
qui alternent. Pour celui qui ne remplissait pas cette condition, l'incertitude
concernait le cœur seulement de la rosace. Il s'agit de II, 4. Belloni l'a
reconstitué en tenant compte des éléments conservés, au lieu qu'Artaud
l'avait refait à peu près de fantaisie. Il a négligé de même toutes les sugges-
tions d'Artaud pour la réfection des panneaux entièrement ou presque
entièrement détruits. Elles s'appliquaient à six panneaux. Du caisson I, 2,
— 65 —
subsistait, d'après le dessin anonyme, à l'angle inférieur gauche, une amorce
de rosace que nous voyons développée verticalement dans la planche d'Ar-
taud ; la rosace que Belloni a construite presque de toutes pièces sur
l'amorce n'emprunte rien à cette addition. Pour le caisson I, i, Artaud
avait amorcé arbitrairement une réplique de IV, 5 ; Belloni y a mis une
réplique de IV, 7. Pour le caisson II, 3, Artaud avait amorcé, non moins
arbitrairement, toujours si l'on s'en réfère au dessin anonyme, une répli-
que de IV, 7; Belloni y a mis une réplique de I, io=IV, i, sans tenir
compte d'ailleurs, s'il les a vus, des vestiges insignifiants que présente le
dessin anonyme. Avec une répHque del, 8, il a comblé la lacune de II, 2 ; avec
une réplique de III, 9= IV, 10, la lacune de III, 3 ; avec une rosace inven-
tée de toutes pièces, la lacune de III, 2, sans tenir compte des vestiges insi-
gnifiants, mais différents, indiqués par le dessin et par la planche. Restaient
à combler les lacunes de II, i et III, i, les seules qui soient totales dans la
planche ; Belloni a mis dans la première une réphque de IV, 2, dans la se-
conde une réplique de IV, 4= IV, 9. En somme, des huit caissons à refaire,
six l'ont été au moyen d'une répétition, un au moyen d'une invention
presque totale, un au moyen d'une invention totale. En répétant une rosace
et assignant au nouvel exemplaire une place quelconque, le mosaïste mo-
derne n'a pas méconnu l'esprit de la composition primitive ; mais, selon
toute vraisemblance, il l'a méconnu en répétant une rosace déjà répétée,
en créant des cas de triples exemplaires. Ce détail à part, la restauration n'a
diminué ni la valeur artistique du monument, les praticiens de Belloni s'étant
montrés les égaux de leurs confrères gallo-romains, ni son intérêt docu-
mentaire, telles étant les lacunes du tableau central qu'elles furent for-
cément réparées sans arbitraire appréciable K
III
I. Pour le sujet de ce tableau central, Spon 2 ne propose ou n'enregistre
pas moins de trois explications, non sans avoir prévenu le lecteur qu'elles
I. Notre figure 7 montre le tableau central et ses abords tels qu'ils sont aujourd'hui. Ce tableau n'avait
jamais été photographié, à notre connaissance. La photographie toute récente dont notre figure est une repro-
duction réduite n'a pu malheureusement atteindre, et tant s'en faut, la limite de la mosaïque, vu les condi-
tions du local où elle est fixée.
3. Recherches curieuses, p. 49 et suiv. ; Miscellanea, p. 41 et suiv.
— 66 —
sont toutes conjecturales : « Quelques personnes ont travaillé à expliquer
cet emblème ; mais ces sortes de peintures énigmatiques sont ordinaire-
ment comme des nés de cire que l'on peut tourner du côté que l'on veut. En
attendant quelque explication plus plausible... ». Rappelons d'abord les
noms qu'il attribue aux figures : Herma — « Terme ou Herme » — ; Genius
— on croirait que c'est « un Cupidon, s'il avait quelqu'une des marques de
cette divinité ; je le crois plutôt un génie » — ; Satyrus — « un satyre ou le
dieu Pan » — ; Silvanus. Voici maintenant sa première interprétation : « Il
semble que l'action de ce génie est d'amener ou d'inviter le satyre qui est
près de lui à venir adorer le dieu Mercure ou Hermès... Tout doit céder à
l'éloquence dont Mercure était le symbole ; elle entraîne les hommes à elle
malgré eux-mêmes ». Quant à Silvain, « qui était un dieu des champs et du
bestail », sans doute exhorte-t-il le satyre à suivre l'invitation du génie.
Mais Spon continue : « On pourrait aussi penser que les anciens Romains
qui ont fait ce tableau voulaient marquer par là le respect qu'on devait avoir
pour les termes et les limites dont Mercure et Silvain étaient les protecteurs,
puisque les satyres eux-mêmes étaient contraints d'avoir pour eux de la
vénération et qu'ils leur venaient rendre hommage les mains liées ». Spon ne
cache pas sa préférence pour la seconde interprétation. Cependant la meil-
leure était la troisième, qu'il mentionne dubitativement : « Faut-il penser
avec certains que le tableau signifie la toute puissance de l'Amour ? Mais
alors quel est le rôle de Mercure ? ».
Menestrier ^ rejette ces trois explications : « C'est un emblème que
M. Spon n'a pu démêler. Il représente le combat de l'amour lascif et de
l'amour honnête. Le lascif est représenté par un satyre... L'Hermathène...
représente la partie supérieure de l'âme ou la raison et l'étude des bonnes
lettres, comme le Silvain figure le travail corporel, deux moyens de répri-
mer l'amour lascif..., n'y ayant rien qui porte plus aux passions scandaleuses
que l'oisiveté ». — Colonia 2 n'a pas d'opinion personnelle ; il juxtapose
simplement la première explication de Spon et celle de Menestrier : « Il y en
a qui l'expliquent de la force de l'éloquence à qui tout doit céder et qui est
1 . Histoire civile ou consulaire de la ville de Lyon, 1 696. p. 38.
2. Histoire littéraire..., p. 240.
— 67 —
ingénieusement représentée par l'Hermathène. D'autres croient qu'on a
voulu représenter le combat de l'amour honnête avec l'amour déréglé ».
Montfaucon ^ ne s'occupe pas de trouver un sens allégorique à la
scène ; mais il identifie avec justesse tous les personnages, un seul excepté :
« Silvain en forme humaine est à l'extrémité, tenant d'une main une bran-
che et étendant la droite vers un Herme qui est à l'autre extrémité... Entre
l'Herme et le Silvain sont un Cupidon et le dieu Pan dans l'attitude de deux
athlètes qui vont lutter ensemble ».
Il y a une grande part de vérité, mais aussi des erreurs, dans l'exégèse de
Millin 2. Spon, dit-il, n'a pas bien compris le sujet qui est très simple. (( C'est
une espèce de caricature des exercices gymnastiques. On y voit une Herme
de Mercure, dieu de la palestre, et dont les images décoraient les gymnases.
Auprès de cette Herme sont deux lutteurs. L'un est un génie ailé, sans doute
Acratus ou Ampelus, compagnons assidus de Bacchus... Il lutte contre un
vieux Silvain chévripède et cornu. Auprès est un homme grave vêtu du
pallium, costume qui indique suffisamment Silène ; il fait l'office de gymna-
siarque ou maître des exercices. Il étend la main droite pour exciter les
combattants et tient la palme qu'il doit présenter au vainqueur ».
Artaud intitule sa notice et sa planche : « Combat de l'Amour et du
dieu Pan > ; et c'est le titre donné à la mosaïque dans toutes les pièces du
dossier des archives où on veut la désigner par le sujet du tableau principal 3,
en particuHer dans la lettre de Belloni 4 ; d'où il résulte clairement que
Belloni et Artaud s'étaient trouvés d'accord pour définir ce sujet à l'époque
de l'ablation et de la repose. Le début de la notice 5 nous laisserait croire
qu'en 1835 Artaud n'avait pas changé d'opinion, j'entends le titre lui-même
et le commentaire qui le suit immédiatement. Rien n'est plus fréquent,
nous dit l'auteur, que les monuments antiques, peintures et reUefs, « où l'on
1. Ouv. cité, p. 274.
2. Voyage..., I, p. 466.
3. Traité entre le maire et Million André (6 déc. 1819) ; traité entre le maire et Belloni (24 janvier —
févirer 1821) ; comptes des marbriers Bernard et Jamey ; note de Belloni, 29 mai 1822 (Arch. mun., R-a).
4. Août 1820 (ibid.).
5. Artaud, 1835, p. 56 et suiv.
— 68 —
voit le dieu Pan capripède qui combat avec Cupidon » S et il cite un autre
exemple de « ce sujet allégorique et gymnique tout à la fois )>, une fresque
d'Herculanum, dont nous aurons à reparler, tableau qui appelle en effet
une comparaison avec le nôtre. « Excepté l'Hermès, la composition est la
même » ; affirmation inexacte ; non seulement l'Hermès est absent, mais
deux autres personnages sont présents, Bacchus et Ariane. Pour le surplus,
le rapprochement est juste : « Le vieux Silène est drapé de la même maniè-
re ; c'est un combat entre Pan et l'Amour, dont Silène paraît être le juge ».
Comment, après avoir vu la vérité, après l'avoir affirmée de façon si nette,
Artaud en vient-il, dans la suite de sa notice 2, à connaître la perplexité et à
se décider pour une interprétation fausse? Ayant fait une enquête, très
superficielle d'ailleurs, sur les opinions de ses devanciers, il n'a pas su main-
tenir la sienne contre leur autorité. L'erreur qui l'a séduit et qu'il attribue à
Spon est celle de Menestrier 3 : « Spon est le premier qui a expliqué la
peinture de cette mosaïque... Il a cru voir dans le sujet le combat de l'amour
divin et de l'amour profane... Revenant donc à la première idée de Spon,
nous aimerions bien voir dans le sujet de notre peinture le combat de
l'amour divin et de l'amour profane, c'est-à-dire le génie du bien et le gé-
nie du mal sous les traits d'Éros et d'Antéros ». Lorsqu'il s'exprimait ainsi,
Artaud avait oublié le nom de son auteur et le texte exact de Menestrier
que sa glose défigure ; on se demande même s'il n'avait pas oublié qu'il
parlait de la mosaïque Cassaire, non de la mosaïque Seguin, celle des Jeux
de la palestre, où nous verrons en effet la lutte d'Éros avec un autre génie
auquel le nom d'Antéros convient certainement mieux qu'au monstre
capricorne et capripède du tableau maintenant en question. Avant d'adop-
ter, non sans l'avoir altérée, cette prétendue première idée de Spon, Artaud
lui en prête une autre qui rappelle vaguement sa véritable première idée
1. Comp. Cochard, Description historique de Lyon, p. 298 : »... tableau sur lequel on a représenté la lutte
de l'Amour avec Pan ; une divinité faisant les fonctions de gymnasiarque tient d'une main la palme destinée
au vainqueur, tandis qu'elle montre de l'autre l'Hermathène en face . . De même, à peu près textuellement.
Guide du voyageur et de l'amateur à Lyon, p. 119. Comp. aussi Indicateur de 1810, Curiosités..., p. 12.
2. P. 57etsuiv.
3. Avec cette différence, pourtant, que Menestrier avait dit: «Combat de l'amour lascif et de l'amour
honnête . Delandine, qui adoptait la même opinion, la traduisait plus fidèlement (Bulletin de Lyon, 1806,
p. 74) : Le tableau ■'■ offre l'emblème de l'amour déréglé et de l'amour pudique >. La définition de Bazin en
est une variante assez libre (Vienne et Lyon..., pass. cité) : i; On a cru reconnaître dans cette représentation,
qui d'ailleurs n'est pas rare, la lutte des penchants bons et mauvais u
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que « tout doit céder à l'éloquence»; mais bien vaguement, on va le voir :
« D'autre part, il a pensé que ce combat pouvait avoir trait aux jeux et aux
disputes d'éloquence fondés par Caligula devant l'autel d'Auguste. Il y
reconnaît même, selon les règles d'Aristote, les trois genres d'éloquence et
de poésie ». Le démonstratif serait représenté par le satyre, le délibératif
par Silène, le judiciaire par l'Amour; Minerve ou Hermathène, déesse de
l'éloquence, présiderait le concours. J'ignore à qui appartiennent réellement
ces sottises qu'Artaud met au compte de Spon. Pour le sien propre, il pré-
sente ensuite comme une addition une idée toute différente : « Notre
archéologue aurait pu ajouter encore que les jeux inventés par Caligula se
faisaient en l'honneur du dieu Silvain, que, ce dieu étant présent, le génie
de l'éloquence a vaincu la nature sous les traits du dieu Pan qu'on voit
enlacé ^ et l'Hermès ou le dieu de la palestre serait la statue qu'on avait
coutume de placer dans les Ueux du combat... ». Ne retenons de toute la
divagation que ce dernier détail -.
La notice de Comarmond 3, dont la partie descriptive n'est point mau-
vaise, constitue pour l'exégèse une aberration non moins déplorable. Il
commence par se déclarer très embarrassé ; il conclut, son explication
donnée : « Cette scène allégorique est difficile à interpréter et nous devons
laisser le lecteur libre de l'expUquer à sa manière. « Son idée à lui, la voici.
L'Amour est aux prises avec un satyre; mais il s'agit d'une rencontre «sen-
timentale » plutôt que d'une lutte ; il s'agit « de l'expansion d'une passion
que fait naître Cupidon et qu'il encourage de tous ses efforts». L'Amour
porte ses deux bras en avant, « non dans le geste de la défense ou de l'atta-
que, mais dans celui d'accorder une faveur ». Le satyre, son partenaire,
« est dans une pose à lui demander une faveur plutôt qu'à vouloir entrer en
lutte ». Rien ne prouverait que le personnage debout, à droite, soit Silène ou
1. Plus loin, p. 59, en expliquant pourquoi « le satyre capripède qui combat avec l'Amour paraît n'avoir
qu'une main libre », Artaud propose une nouvelle interprétation du tableau, qui est une variante de celle-ci :
« Pan ou la nature, enchaîné et vaincu par l'amour honnête, semblerait le caresser de la main qui lui reste
libre, et le sujet serait bien rendu par le vers d'Ovide : Omnia vincit amor, et nos cedamus amori ». Nous
verrons que ce vers n'est pas d'Ovide et qu'il faut l'appliquer à la toute puissance de l'amour sans épithète.
2. Mazade d'Aveize, Lettres à ma fille sur mes promenades à Lyon, 1810, 1, p. 136, affirme que la mosaïque
du Gourguillon « donne des lumières sur le culte que les anciens Celtes rendaient à Mercure et à Minerve,
unis ensemble sous le nom d'Herm-Athènes ».
3. Description,.., p. 688 et suiv.
— 70 —
Silvain ; ce serait peut-être un bacchant quelconque. Pourquoi tient-il une
palme ? Comment son bras, étendu au-dessus du satyre vers le « personna-
ge de gauche », pourrait-il faire le geste d'indiquer à l'Amour et à ce satyre
que ce personnage est juge « de leur différend », puisqu'il n'y a pas entre eux
de différend, puisque l'Amour accorde la faveur que le satyre demande ?
Comarmond a négligé ces deux difficultés. Dans l'herme, non « coiffé du
pétase ailé », il refuse de reconnaître Mercure « plutôt qu'une autre divini-
té », par exemple le dieu Terme. Puis, à cause de « ses mamelles volumi-
neuses », il préfère l'identifier avec Hermaphrodite. Mais ce choix n'est pas
définitif. « Ne pourrait-on pas avancer que c'est une figuration du dieu
Priape, dont les ailes de l'Amour masquent le bas de la ceinture et cachent
le caractère spécial ? ».
L'influence de Comarmond, heureusement très atténuée, persiste —
j'ai souligné les mots qui en marquent la trace — dans les brèves notices du
Catalogue sommaire des Musées et de VInventaire des Mosaïques, où d'ailleurs
les deux adversaires sont bien identifiés. Voici l'essentiel de la première :
« Mosaïque dite du Combat de l'Amour et du dieu Pan... Cette belle
mosaïque se compose de trente-six caissons... autour d'un tableau central
représentant la rencontre de l'Amour et de Pan, en présence d'un Terme et
de Silvain.. » ; et de la seconde : « Au centre, carré avec lutte de l'Amour et
du dieu Pan devant un terme et Silvain ». On s'étonne de lire encore, dans
l'une et dans l'autre, comme aussi dans celle de Steyert S Silvain au lieu de
Silène. La confusion de ces deux personnages mythologiques n'est plus
permise aujourd'hui. Qu'il s'agisse en l'espèce de Silène et non de Silvain,
d'un hermès et non d'un terme, de Pan et non d'un satyre, de l'Amour et
non d'un génie quelconque, l'étude approfondie et comparative - des nom-
breux monuments, fresques, mosaïques, bas-reliefs, pierres gravées, qui
représentent la même scène, a supprimé toute incertitude sur ces identifica-
1. Steyert, au surplus, définit très bien le sujet : - lutte de l'Amour et du dieu Pan '.Pour l'interprétation
symbolique, il s'inspire à la fois de Spon (troisième hypothèse) et d'Artaud (dernière hypothèse) : •■ Cette
allégorie indique que l'Amour rivalise avec les forces de la nature ou triomphe de tout... > (Ouv. et pass.
cités).
2. Voir O. lahn, Ueber ein romisches Deckengemalde des Codex Pighianus, dans Berichte... der K. sàch-
sischen Gesellschaft der Wissenschaften zu Leipzig; Philol. histor. Classe; 21, 1869, p. i et suiv. ; O. Bie,
Ringkampf des Pan und Eros, dans Jahrbuch der k. d. archaeol. Instituts, IV, 1889, p. 129 et suiv. ; Wernicke,
dans Roscher, Lexikon der gr. und rom. Mythologie, III, i, col. 1456 et suiv.
— 71 —
tions, comme sur la nature propre et le sens allégorique de l'action qui met
en présence les quatre figures de notre tableau.
2 Le thème du combat d'Éros et de Pan est une invention de la poésie
et de l'art hellénistiques pour illustrer au moyen d'un exemple concret la
vérité générale formulée en style lapidaire par le poète latin ^ : Omnia
vincit amor, rien ne résiste à l'Amour. Les deux adversaires sont inégaux;
l'inégalité paraît être en faveur de Pan, le plus grand, le plus robuste ; il
semble raisonnable de prévoir la défaite de l'Amour, et Pan se croit telle-
ment sûr de vaincre qu'il rend des points, que, comme un champion plein
de force et d'expérience devant un concurrent faible et novice, il s'engage à
lutter d'un bras seulement, à tenir l'autre immobile sur ses reins, ou même
à se le laisser attacher 2. Mais le plus petit, le moins bien doué en apparence,
est aussi le plus rusé 3. L'inégalité réelle est en sa faveur ; le dénouement
du combat sera sa victoire paradoxale. On comprend que cet épisode nou-
veau, inséré dans la légende mythologique par les poètes 4 et les artistes
alexandrins ait eu chez eux le plus grand succès et soit devenu populaire
chez les Romains. Outre qu'elle contient une allégorie très expressive, la
fiction avait toute la vraisemblance requise en l'espèce. Pan, querelleur,
batailleur, était souvent représenté en lutte avec un bouc, son demi-sem-
blable, et baissant comme lui le front pour cosser 5. Qu'un jour il provoquât
l'Amour ou qu'il acceptât le défi de l'Amour, rien de plus naturel. Enfin, la
mise en œuvre de l'idée comportait un mélange très piquant d'éléments
fournis les uns par la fable, les autres par la réahté, par la vie contemporai-
ne. C'était un exercice de la palestre transposé dans le domaine de la
mythologie. Les acteurs et les spectateurs de la scène appartenaient au
monde légendaire, mais le jeu se faisait selon les principes de l'école, sous
la direction d'un gymnasiarque, parfois même devant l'effigie du dieu des
1. Virgile, fîuco/., IX, 69.
2. Fresque d'Herculanum ; cf. Helbig, Campanische Wandgemàlde, n° 404 ; mosaïques Cassairc,
Michoud et de la Déserte, voir plus bas.
3. Coupe d'Atalanti (Éros paralyse son adversaire en lui accrochant la jambe droite et lui enserrant le
bras droit dans ses deux mains) ; voir O. Bie, ouv. cité, p. 129, fig.
4. Servius, à Virg., BucoL, II, 31 : «Pan... poetis fingitur cum amore luctatus et ab eo victus... ». De cette
littérature il ne reste qu'une épigramme grecque au bas d'une fresque campanienne ; voir O. Bie, p. 131.
5. O. lahn, ouv. cité, p. 2 et suiv.
— 12 —
gymnases K Nous disons transposition, il serait excessif de dire caricature
des exercices de la palestre. Le caractère palestrique devint de plus en plus
manifeste, semble-t-il. La lutte se passa d'abord, sans doute, en présence
soit d'un autre Amour et d'un autre Pan 2, soit de Vénus 3, témoins tout
désignés par leur qualité, ceux-là de frères et compagnons familiers des
lutteurs, celle-ci de mère de l'Amour. De spectatrice, Vénus se transforma
en directrice du combat 4 et reçut le bâton, insigne de l'agonothète. Puis
répisode fut transféré dans le cycle de Bacchus, ce qui n'était pas illogique,
Pan faisant partie de son cortège, du thiase. Le dieu se donnait 5 un diver-
tissement palestrique et en confiait la direction à Silène ^. La plupart de
nos monuments figurent la lutte à son début ou dans son plein, mais on y
voit aussi d'autres phases de l'aventure, la défaite de Pan, la punition du
vaincu, la réconciliation des adversaires 7. Certains nous montrent tout ce
qu'il faut de personnages pour que la scène soit complète, les deux lutteurs, le
gymnasiarque, un ou plusieurs spectateurs ; ailleurs elle est réduite aux trois
personnages principaux ; ailleurs encore aux deux personnages essentiels.
3. De tous ces monuments, y compris les mosaïques, les deux qui
offrent la plus grande ressemblance avec notre tableau central, une ressem-
blance frappante, non pas au point cependant qu'elle puisse nous faire
songer à une communauté d'archétype, sont un camée de Berlin ^ et une
fresque d'Herculanum 9, L'un et l'autre différent du tableau lyonnais par
l'absence de la tête de béher, qui, avec le buste de Mercure auquel cet
animal est consacré, sert à signifier le caractère palestrique de la scène ; et
surtout par la présence de Bacchus et d'Ariane, spectateurs attentifs de la
lutte, au centre du second plan. Sur le camée, Ariane tient dans sa main
1. Mosaïque Cassaire et camée de Berlin ; voir plus bas. Sur l'emploi de Thermes dans les monuments
pour signifier la palestre, voir O. lahn, p. 30, note 79.
2. Sarcophage de Naples ; voir O. lahn, p. 28.
3. Coupe d'Atalanti, déjà citée ; coupe de Calène, voir Bulletino delV Imtituto di Corrisp. archeol., 1874,
p. 88.
4. Fresque pompéienne, Annali delVInstituto, 1876, p. 294, et Monumenti dell'Inst., X, pi. 36.
5. Sarcophage de Salerne, Annali, 1856, p. 34, pi. 6 ; fresque d'Herculanum, Helbig, n'^ 404 ; camée de
Berlin, voir plus bas.
6. Outre la mosaïque Cassaire, fresque de Pompei, Helbig, 406 ; fresque d'Herculanum, Helbig, 404;
camée de Berlin et mosaïque de Baccano, voir plus bas.
7. Voir O. lahn, p. 32, 34 et suiv.
8. Annali dell'Instituto, 1856, pi. 6.
9. Helbig, n" 404. C'est la fresque citée par Artaud.
— 73 —
droite la palme destinée au vainqueur, que porte notre Silène, à la fois
directeur et juge du combat. Ainsi que le nôtre, le Silène du camée et celui
de la fresque occupent la droite, en arrière de Pan ; ils ont le torse nu et les
jambes drapées. Celui-ci tient dans sa main gauche le bâton, insigne de son
autorité, que l'on ne saurait confondre avec la palme, et pose sa main
droite sur la tête de Pan, comme pour le ramener vers soi. Celui-là vient,
ainsi que le nôtre, de donner le signal ; son bras droit, dirigé vers les lut-
teurs, achève le geste dont s'est accompagnée l'invitation orale ; mais ce
bras est armé du bâton. L'hermès de notre mosaïque se retrouve sur le
camée seul, à la même place, à gauche, en arrière de l'Amour. Quant aux
personnages du premier plan, aux lutteurs, ceux du camée se tiennent les
bras étendus l'un vers l'autre ; ils commencent à peine la lutte, en quoi le
groupe ressemble au nôtre ; mais Pan a les deux mains libres. Le Pan de la
fresque a rendu le bras gauche, comme celui de notre mosaïque ; la lutte est
plus avancée ; de sa main droite il saisit l'Amour à la nuque ; il termine le
mouvement commencé par notre Pan dont la main droite n'a pas encore
atteint l'épaule de son adversaire.
Le camée et la fresque appartiennent à la première des trois catégories
plus haut définies, la mosaïque du Gourguillon à la deuxième. La mosaïque
de Baccano ^ rentre dans la première ; car la lutte y a un spectateur, un
satyre peut-être. Elle est déjà engagée et l'Amour prend l'avantage ; sou-
riant d'un air malicieux et triomphant, il tient par une corne son rival qu'il
attire à soi et qui, de douleur et de frayeur, écarquille les yeux. Les deux
mains de Pan sont libres ; Silène surveille le combat. Dans la troisième
catégorie, se rangent les deux autres mosaïques de même sujet : la scène y
est réduite aux lutteurs. La mosaïque Michoud 2, découverte à Sainte-
Colombe et conservée au musée de Lyon, ressemble à celle de Baccano, en
ce qu'elle montre aussi la lutte engagée. Mais Pan saisit de la main gauche, à
la tête, son adversaire qui étend les deux bras vers lui sans l'atteindre ; il
paraît avoir momentanément l'avantage. Son bras droit est, non pas atta-
ché, mais ramené, immobiHsé derrière son dos. Sur la mosaïque de la
Déserte (place Sathonay, à Lyon) 3, dont il existe des fragments au palais
1. Bulletino delVInstituto, 1873, p. 133
2. Artaud, pi. VI ; G. Lafaye, Inventaire des mosaïques, I, n° 199. Voir le chapitre suivant.
3. Adrien Blanchet, Inventaire des mosaïques, II, n" 734.
— 74 —
Saint-Pierre et dans l'église Saint-Martin-d'Ainay, mais dont le tableau
central est perdu, au moins en partie, la scène, si l'on s'en rapporte à la
planche LII d'Artaud, rappelait celle de la mosaïque Michoud par le nombre
des personnages, leur position relative. Pan à gauche, l'Amour à droite, et
l'immobiHsation du bras droit de Pan — encore verrons-nous plus loin 2 que
ces deux derniers points ne sont pas bien certains — ; celle de la mosaïque
Cassaire, par le geste du bras libre de Pan dirigé vers l'épaule de l'Amour
et par la bandelette liant son autre bras, laquelle forme ceinture autour de
sa taille. Les deux poses de l'Amour, dans les mosaïques Michoud et Cas-
saire, sont presque symétriques ; elles seraient presque identiques, dans les
mosaïques de Sainte-Colombe et de la Déserte, si le dessin d'Artaud faisait
foi pour la seconde ; mais la silhouette par laquelle il a complété ce person-
nage fragmentaire n'est que vraisemblable 3.
4. Je ne crois pas que personne ait encore assigné une époque à la
mosaïque du Gourguillon. Elle est sans doute moins ancienne que la mo-
saïque Macors. Si l'on veut bien se reporter aux indices chronologiques
mentionnés à propos de celle-ci, peut-être jugera-t-on que l'autre fut
composée au milieu ou vers la fin du deuxième siècle, lorsque les mosaïstes
de la période antoninienne, qui avaient d'abord restreint l'encadrement au
profit du tableau, eurent laissé celui-là se développer derechef au préjudice
de celui-ci. Elle est antérieure à l'âge des Sévères, au troisième siècle, si l'on
estime justes ces observations de Gauckler 4 : « Au temps des Antonins, les
mosaïstes d'Italie, de Provence, de Bétique et d'Afrique s'en tiennent pres-
que toujours au type quadrangulaire » (pour le tableau et les panneaux qui
l'encadrent) « et subordonnent encore l'encadrement au tableau en donnant
au carré central un côté double ou triple ou quadruple de celui des carrés
qui l'entourent ». La mosaïque d'Orphée nous fournira bientôt l'exemple
d'un type qui fut en grande vogue au siècle suivant, le type octogonal.
2. Au chapitre sur les mosaïques composites du vestibule des Antiques ; on y verra également pourquoi
je ne mentionne pas ici le Pan de la collection personnelle d'Artaud, « tableau en mosaïque représentant le
dieu Pan dans l'action de combattre ".
3. L'un des six tableaux latéraux d'une mosaïque de Lambése (Inventaire des mosaïques..., III, n° 191)
représentait une lutte de l'Amour et de Pan. Mais il en reste peu de chose ; voir Héron de Villefosse, dans
Bull, archéol. du Comité..., 1905, p. CLXXXV, et 1906, p. CCIX, pi. LXXXVI. Pan était à droite, comme
dans la mosaïque Cassaire.
4. Article Musivum, dans Diction, des Antiq. gr. et rom., p. 21 1 1.
75 —
III
mosaïque michoud
(Lutte de l'Amour et de Pan)
Bibliographie. — Ajouter à la bibliographie du chapitre I : Archives muni-
cipales de Lyon, série M^, Palais des Arts : travaux divers, faculté des
lettres, musées et autres = M^d. Pour le surplus, voir les notes.
I
I . Sur la découverte de cette mosaïque nous avons deux témoignages,
celui de Cochard et celui d'Artaud, le premier plus précis quant au lieu, le
second quant à la date. Elle fut trouvée, nous apprend la Statistique de
Sainte-Colombe, par Cochard, publiée en 1 813 ^ « il y a quelques années,
dans une terre sur Saint- Jean » — quartier de la dite commune — « appar-
tenant à M. Michoud père, à un mètre du sol » ; et, d'après la notice d'Ar-
taud 2 « en 1803, à Sainte- Colombe-lès- Vienne, à quatre pieds de profon-
deur, dans une vigne située près du Rhône, appartenant à Mlle Michoud ».
Michoud père et Mlle Michoud sont évidemment les deux propriétaires
successifs du terrain ; mais Artaud se trompe, nous allons le voir, lorsqu'il
affirme que Mlle Michoud voulut bien céder la mosaïque au musée de
Lyon : ni le terrain ni la mosaïque ne lui appartenaient plus au moment de
l'achat. Savigné, dans son Histoire de Sainte-Colombe 3, et Georges Lafaye,
dans l'Inventaire des mosaïques de la Gaule 4, ont emprunté leurs indications
sur la découverte à la notice d'Artaud. Si Comarmond avait pris la peine de
la lire, au heu de s'en tenir à un catalogue 5 où Artaud ne donne ni l'année.
1. Dans VAlmanach de la ville de Lyon pour l'année 1813, p. LXXIII. Cf. Guide du voyageur et de l'ama-
teur à Lyon, 1826, p. 119.
2. 1835, p. 61.
3. P. 186.
4. N" 199.
5. Inventaire manuscrit de 1833, p. 32.
— 76 —
ni l'endroit précis, il n'aurait pas eu besoin de s'en rapporter à ses souve-
nirs et il n'aurait pas défiguré le nom du propriétaire ^
2. « C'est encore, continue Artaud ^^ à M. le baron Rambaud, ancien
maire de Lyon, que Ton doit l'achat de ce pavé >\ Il néglige modestement de
dire que la chose fut faite à son instigation, mais nous n'en douterions
point, même si le dossier des archives municipales 3 ne nous révélait qu'il y
eut un rôle. L'acquisition est en projet dès 1820, quelques mois après celle
de la mosaïque Cassaire. Le 22 septembre, Artaud informe Évesque,
adjoint au maire, que le propriétaire de la mosaïque de Sainte- Colombe,
M. Revel, fabricant, « rue Puits- Gaillot, à côté de M. PhiHppon, au 2^ »,
demande un modèle de compromis ; il y serait stipulé que l'enlèvement
n'aurait Heu qu'après la Saint- Jean, par conséquent en 1821 ; que le pro-
priétaire s'engagerait à faire déblayer lui-même et à fournir, pendant toute
l'opération,, les abris, planches ou toiles. Le 23, nouvelle lettre à Évesque
pour lui envoyer le devis estimatif des marbriers qui feraient l'enlèvement
et la repose. Mais les pourparlers n'aboutirent que Tannée suivante. Le
30 mars 1821, entre le maire de Lyon, baron Rambaud, et Louis Revel, rue
de l'Enfant-qui-pisse, n^ 11, propriétaire d'un domaine à Sainte-Colombe-
lès- Vienne, il est convenu que celui-ci cède, pour la somme de 1.500 francs,
la mosaïque située dans sa vigne et représentant le combat de l'Amour et du
dieu Pan ; le propriétaire fera déblayer lui-même ; si la mosaïque ne semble
pas en état d'être enlevée, restaurée et transportée au musée, question dont
le maire sera seul juge, la Ville ne payera que les frais du déblayage et du
remblayage, évalués à l'amiable ou par experts; si elle est jugée acceptable,
elle sera dès ce moment au compte et aux risques de la Ville. Selon le désir
déjà connu de Revel, l'enlèvement n'eut lieu qu'après la Saint- Jean.
C'était l'époque où Belloni restaurait à Paris, dans ses ateliers, la mo-
saïque Cassaire. Quoiqu'en dise Comarmond 4, qui, nous l'avons vu, inter-
vertit le cas de cette mosaïque et celui de la mosaïque Michoud, la seconde
1. Description, p. 686 : < Autant que nos souvenirs peuvent nous le rappeler, c'est en 1803, dans une
vigne appartenant à M. Micoud, qu'elle a été trouvée ».
2. 1835, p. 63.
3. Série R'a.
4. Description..., p. 690.
— 11 —
ne fut point restaurée par Belloni. Il n'intervint directement ni pour l'abla-
tion ni pour la repose, mais les marbriers lyonnais qui en furent chargés
avaient été ses collaborateurs pour les mêmes opérations concernant la
mosaïque des Jeux du cirque, et mettaient ses leçons à profit. C'est sans
doute ce que veut dire Artaud : « Les sieurs Bernard et Jamey, marbriers
distingués de cette ville, l'ont déplacé et replacé (ce pavé) d'après les docu-
ments de M. Belloni » ^ Le 3 août 1821, Bernard et Jamey signaient avec le
maire un traité par lequel ils s'engageaient à enlever, transporter par eau et
placer au musée la mosaïque représentant le combat de l'Amour et du dieu
Pan, d'environ huit pieds sur six, pour la somme de 1.800 francs, tous frais
et fournitures compris, sauf les plates-bandes en marbre dont on voudrait
l'entourer. Le traité constate qu'elle est en très bon état et sans dégradation.
Pour le transport, elle sera divisée en six parties au plus. La réparation de
toutes les « écornures », quelle qu'en soit la cause, incombera aux marbriers.
L'ensemble des opérations sera fait selon les procédés de Belloni. Le 30
août 2, la fourniture des plates-bandes d'entourage en marbre griote fut
adjugée aux mêmes marbriers pour 325 francs, et le 14 décembre ils pro-
duisirent un compte de 388 fr. 37, visé le 16 par l'adjoint Évesque, réglé le
21 à 380 francs par l'architecte Flacheron, pour la pose de cette bordure et
les raccords au pavé de la salle. La récapitulation de toutes les sommes ci-
dessus mentionnées fait ressortir le coût de la mosaïque en place, balustra-
de 3 non comprise, à 4.505 francs.
Elle entra donc au musée dans les derniers mois de 182 1, un peu avant
la mosaïque Cassaire. Cela résulte non seulement des pièces analysées, mais
aussi de la place qui lui fut assignée. Bien que les indications d'Artaud
soient vagues, comme d'habitude — « sur le sol de la galerie des tableaux »,
dit la notice de 1835 4 ; « dans la grande salle des tableaux », dit l'inventaire
de 1833 5 — nous savons qu'elle fut placée dans la partie de cette salle la
1. 1835, p. 63.
2. D'après cette pièce, la mosaïque représente « un combat entre l'Amour et le dieu Pan ».
3. Le 28 février 1823, Artaud écrit à l'adjoint Évesque : « On ne s'est point encore occupé de la balus-
trade de la petite mosaïque ni de la peinture de celle (<) qui est achevée » (Arch. mun., série R-, Conservation
des Arts, administration).
4. P. 62.
5. P. 32.
— 78 —
plus rapprochée de la salle des Antiques ou de la Momie, dans celle qui
est aujourd'hui le premier compartiment oriental de la galerie des peintres
lyonnais (ancienne galerie Chenavard) et qui contient la mosaïque de
VIvresse de Bacchus. L'emplacement est défini avec toute la précision dési-
rable dans le dossier d'une seconde repose dont nous allons parler. Par
conséquent, l'inventaire de 1833 énumère les trois pavements qui déco-
raient alors le sol de la grande salle des tableaux, mosaïques Michoud,
Cassaire et Montant, ces deux dernières encore à la même place, en allant
de l'est à l'ouest et en suivant l'ordre chronologique de la pose. La note
manuscrite d'Artaud, déjà plusieurs fois citée au cours de ces études, ne
mentionne que deux mosaïques au musée, celle des Jeux du cirque, « fixée
sur le plancher de la salle des Antiques », et celle de l'Amour et de Pan,
« qui est dans la galerie des tableaux ». Lorsqu'il écrivait cette note, Artaud,
avons-nous vu S songeait pour faire pendant à la mosaïque Macors de
l'autre côté de la mosaïque Michoud, non à la mosaïque Cassaire, qui prit
effectivement cette place, mais à la mosaïque de Méléagre et Atalante, qui
n'entra jamais au musée. Il n'oubliait certainement pas la mosaïque Cassai-
re ; mais, sachant que les réparations à y faire étaient considérables, il
croyait qu'elle séjournerait encore de longs mois 2 dans l'ateHer de Belloni
et lui destinait sans doute la place que la mosaïque de Méléagre, beaucoup
moins vaste, eût laissée disponible à l'extrémité occidentale de la galerie. La
rédaction de la note et, par conséquent, la mise en place de la mosaïque
Michoud, ont précédé l'arrivée à Lyon de la lettre en date du 15 novembre
1821 3j où Belloni annonçait que la mosaïque Cassaire, restaurée, avait déjà
quitté son ateUer.
3. Nous aurons à raconter, dans le chapitre de la mosaïque Contamin,
pourquoi la mosaïque Michoud fut déplacée et transférée là où elle est
maintenant, sur le sol jusqu'alors inoccupé du quatrième compartiment de
la galerie, l'ancien chauflFoir des Dames de Saint-Pierre 4. Disons seulement
1. Chap. II, §1,1103.
2. La mosaïque Macors, beaucoup moins grande et moins endommagée, y avait séjourné huit ou neuf
mois.
3. ATch. mun., R-'a.
4. Voir Eug. Vial, dans les Musées de Lyon en 1906, p. 1 3 et suiv.
— 79 —
ici que le transfert, projeté dès 1882, fut exécuté en 1888 ; que deux pièces
du dossier ^ indiquent avec précision la place primitive — « dans la premiè-
re salle de la galerie Chenavard » — et la place nouvelle — « dans la quatriè-
me et dernière salle de la même galerie » — ; que, par un premier devis des
mosaïstes Mora 2, la surface de notre pavement, la surface du Faune, est
évaluée à 5 m. 20, et la dépense pour l'ablation et la repose à 245 fr. 80, non
compris les frais de restauration, soit une somme de 300 francs d'après une
note au crayon ; que, par un deuxième devis des mêmes 3, la surface est
évaluée en nombre rond à 6 mètres et la totalité des frais à 672 francs ; par
un troisième devis 4, cette dépense totale à 726 francs.
II
I. Nous avons déjà parlé du tableau central de la mosaïque Michoud
pour le comparer avec d'autres tableaux de sujet pareil et spécialement avec
celui de la mosaïque Cassaire 5. Décrivons-le maintenant pour lui-même et
décrivons le surplus de la pièce. Elle est rectangulaire, à champ blanc et
décor polychrome. Dans un médaillon circulaire, sur un sol inégal, deux
personnages sont en présence, la poitrine et la face vues de trois quarts, un
enfant ailé, l'Amour, le pied droit en avant, les deux mains étendues vers
son adversaire ; un homme imberbe, à cornes et jambes de bouc. Pan, le
pied gauche en avant, la main droite ramenée derrière le dos, la gauche
touchant la tête de l'Amour. Celui-ci occupe, par rapport à nous, la droite
du tableau. Pan la gauche. Leur combat déjà commencé n'a pas de témoin.
Qu'il s'agisse d'une lutte, que les deux lutteurs soient l'Amour et Pan, Ar-
taud 6, dont l'interprétation de la même scène dans la mosaïque Cassaire
1. Arch. mun., M'd et M'e ; rapport d'Aynard, 8 juillet 1887 ; soumission de Mora père et fils,
8 novembre 1887.
2. Ibid., M'e, 28 octobre 1882. D'après ce devis, le « Faune » doit être reposé « à l'entrée de la galerie du
côté du grand escalier ». Il s'agit du grand escalier occidental ou escalier de la Minerve. Le grand escalier
oriental était alors de construction récente.
3. Ibid., M^d et M'e, 19 octobre 1887.
4. Ibid., 27 octobre 1887.
5. Chap. II, § III, nP 2.
6. Outre que sa notice a pour titre : « Mosaïque Michoud — Autre combat de l'Amour et du dieu Pan »
(1835, p. 61), on y lit que le tableau central contient « le groupe de Cupidon et du dieu Pan dans l'action
de combattre » (p. 62).
avait mis l'esprit à la torture, ne semble pas en douter, et cette fois il ne
s'inquiète pas de découvrir le sens allégorique de la scène. Comarmond S
sans dire formellement qu'il s'agit selon lui d'une « rencontre sentimenta-
le », entendons erotique, le laisse aisément comprendre à qui connaît sa
notice sur la mosaïque Cassaire. « Ce n'est point une lutte, comme le dit
Artaud. L'Amour, en s'approchant, étend le bras gauche sur la tête du
satyre avec un geste protecteur ; tout indique un parfait accord. Nous ne
pensons point non plus qu'on ait voulu représenter le dieu Pan ». Outre sa
persévérance dans l'erreur, on remarquera ici encore sa négligence ; il
décrit le tableau de mémoire, sans se donner la peine de le revoir, si bien
qu'il attribue à l'Amour le geste de Pan. Le rédacteur du Catalogue som-
maire des Musées ~ a subi cette fois encore son influence : « Mosaïque dite de
la lutte de l'Amour et de Pan... Au centre, médaillon de forme ronde repré-
sentant un satyre debout en face de l'Amour ».
2. Le médaillon central est dessiné par un filet noir et encadré par une
torsade sur fond noir. La même torsade délimite plus loin un grand carré
et, dans l'intervalle qui sépare le médaillon de ce grand carré, sur les diago-
nales quatre pentagones à base curviligne, sur les axes quatre triangles, cha-
cnn des pentagones contenant un pentagone semblable, chacun des triangles
un triangle semblable, à filet noir. Les triangles sont vides. Dans les penta-
gones nous voyons quatre oiseaux 3, qui, d'après Artaud, symboHseraient
les quatre saisons, et seraient, pour le printemps, une perdrix mangeant
des cerises \ pour l'été, un étourneau devant une noix ; pour l'automne,
une pintade becquetant une figue ; pour l'hiver, un pic-vert et une petite
branche de bois mort 4. L'identification des oiseaux est plausible, quoique
Comarmond ne l'accepte pas 5. Quant au symbole, on se sent beaucoup
moins disposé à l'admettre : ni les oiseaux ni les fruits ne semblent caracté-
1. Description..., p. 687.
2. 1887, p. 135, n° 18 = 1899, p. 207, n'^ 19.
3. Le Catalogue sommaire dit avec une double inexactitude : » A chaque angle, dans un espace triangw
laire, un oiseau devant un fruit , et ne mentionne pas le surplus du décor. De même Bazin, Vienne et Lyon
gallo-romains, p. 381.
4. 1835, P- 62 : " ... un pic-vert que l'on pourrait prendre pour une perruche, si la branche morte qui
raccompagne n'annonçait la saison rigoureuse '.
5. Pass. cité. Il prétend que les quatre oiseaux sont : une perruche, une autruche, un oiseau de la famille
des loriots et un autre de celles des gallinacées.
— 81 —
ristiques des saisons auxquelles Artaud les assigne. D'ailleurs, cette figura-
tion allégorique des quatre saisons serait, à ma connaissance, un cas sans
autre exemple. Le nombre des mosaïques où elles sont figurées symboli-
quement est très grand ; nous en trouverons deux dans la suite de ces
études K Mais toujours ce sont des personnages qui les représentent, quel-
quefois en pied, le plus souvent en buste. Au delà du carré de torsade, et
seulement sur ses deux côtés verticaux, règne une large bande formée par
deux lignes contigûes de fleurs noires à quatre pétales ovales, posées en
biais, une croisette de quatre points rouges ornant les vides. Enfin, les
quatre faces ont pour bordure une tresse en chaînette -. Si l'on s'en rap-
porte à la planche VI d'Artaud 3, cette bordure aurait été elle-même enca-
drée d'un carrelage de rectangles alternativement jaunes et bleus, sur une
seule ligne, quatre carreaux pour les petits côtés, six pour les grands.
« Nous ignorons, dit Comarmond 4, si c'est un caprice de l'artiste », du des-
sinateur de la planche, « ou si cette bande a réellement existé >\ Il suppose, si
elle a existé, qu'elle était trop gravement endommagée pour être restaurée.
Rappelons-nous que tel avait été le cas de la grecque qui agrandissait la
mosaïque des Jeux du cirque 5.
3. Artaud, dans sa notice ^, affirme que la mosaïque Michoud était
« d'une conservation parfaite », et sa planche la montre intacte. Son double
témoignage est corroboré par le traité entre le maire et les marbriers, où la
mosaïque est dite « en bon état et sans dégradation ». Comarmond, qui ne
connaissait pas ce document, met en doute qu'elle (( n'ait pas nécessité quel-
ques restaurations ». Intacte au moment de l'exhumation, elle a pu souffrir
un léger dommage par le fait de l'enlèvement et du transport. Mais le
travail de réparation, si réparation il y eut, fut à coup sûr très peu de chose
et, comme il se fit à Lyon, le délai de l'enlèvement à la repose se trouva
1. Une des mosaïques de la Déserte et la mosaïque de Bacchus et des Saisons.
2. La notice de l'Inventaire des mosaïques, I, n° 199, définit bien le sujet du tableau central : « Au centre,
dans un médaillon circulaire, combat de Pan et d'Éros ». Pour le surplus, elle ne donne qu'une idée vague,
incomplète et parfois même fausse de la mosaïque : « Dans les angles quatre oiseaux divers. Torsades en
bleu, blanc, rouge. Rosaces blanches et noires en haut et en bas ».
3. Reproduite en format réduit dans l'album de l'Inventaire des mosaïques et par notre figure 8.
4. Pass. cité.
5. Chap. I, § I, n» 2.
6. 1835, p. 61.
— 82 —
beaucoup plus court que pour les mosaïques Macors et Cassaire, si court
qu'enlevée plusieurs mois après la mosaïque Cassaire elle était reposée plu-
sieurs semaines avant.
Comarmond ^ donne les dimensions de la mosaïque avec et sans la
bordure en marbre dont elle fut entourée par Bernard et Jamey. Sans la
bordure, elle a 2 m. 63 de longueur et i m. 94 de largeur ; avec la bordure,
2 m. 91 et 2 m. 22. Comme ces plaques de marbre ne font en aucune façon
partie du pavement, les dernières mesures n'ont aucun intérêt. On s'étonne
donc de les trouver reproduites, au lieu des autres, celles de la mosaïque,
dans le Catalogue sommaire des Musées et VInventaire de M. Georges La-
faye 2. En surface, elle n'excède guère 5 mètres que d'un dixième ; la pre-
mière évaluation des mosaïstes Mora, 5 m. 20, était presque exacte, la
seconde, 6 mètres, beaucoup trop forte.
2. De même, Bazin^ Vienne et Lyon gallo-romains, p. 38]
83
IV
LA MOSAÏQUE MONTANT
(ORPHÉE CHARMANT LES ANIMAUX)
BIBLIOGRAPHIE. — Voir Celle du chapitre I et les notes.
I
I. Le témoignage le plus précis que je connaisse relativement à la
découverte de cette mosaïque est celui de Cochard, dans le manuscrit de
sa notice sur St-Romain-en-Galles ^ Il y rapporte qu'au mois d'octobre
1 822 un habitant de la commune, le nommé Montant, dit Paret, rencontra
dans le sous-sol de sa vigne, qui faisait partie de la Chantrerie, une fort
belle mosaïque à environ deux pieds de profondeur. Il en donne les mesu-
res et la description. Dans la même notice imprimée 2 la date de la décou-
verte manque. C'est pourquoi elle manque aussi dans Savigné 3 plagiaire
1. Bibliothèque municipale de Lyon, carton 2.381, liasse 3 ; p. 13 (addition marginale. Une première
rédaction avait été lue en 1818 à la Société d'Agriculture de Lyon; voir les Comptes rendus de cette société,
année 1818, p. 155 et 163, et la Revue du Lyonnais, 1836, III, p. 469.
2. P. 13. Je connais cette notice imprimée par deux exemplaires d'un tirage à part sans lieu ni date com-
pris dans deux recueils factices (Biblioth. mun. de Lyon, n° 353270 et n° 450683). L'imprimeur est celui de
VAlmanach historique et statistique de la ville de Lyon, c'est-à-dire Rusand ; la justification et les caractères
sont ceux de VAlmanach. Cochard a publié dans VAlmanach, de 1813 à 1825, ses autres notices sur les com-
munes du canton de Sainte-Colombe. Celle-ci n'aurait pu être insérée que dans VAlmanach de 1823, parce
qu'elle est visée dans celui de 1824 (P- XXXIII et suiv.) et à cause de son contenu qui en situe la publication
entre octobre 1822, date de la découverte, et mai 1823, date de l'acquisition par la ville. Or, je ne l'ai trouvée
dans aucun des exemplaires que j'ai pu consulter. Destinée peut-être à y figurer, elle en aura sans doute été
exclue pour une raison quelconque après composition et publiée à part. J. B. Dumas n'en donne la date ni
dans son Éloge historique de N. F. Cochard, p. 22 (lu dans la séance publique du 23 juin 1834 à l'Académie de
Lyon), ni dans son Histoire de l'Académie de Lyon, Lyon, 1839, II, p. 64 ; et il a tout l'air de l'ignorer. Col-
lombet. Étude sur les historiens du Lyonnais, 2*^ série, Lyon, 1844, P- 254 et suiv., affirme faussement qu'elle
parut avec les notices sur Saint-Cyr et Loire dans VAlmanach de 1824. — J'exprime ici ma reconnaissance à
M. Marius Audin, grâce à l'érudition et au zèle obligeant de qui j'ai pu conduire cette recherche bibliogra-
phique.
3. Histoire de Sainte-Colombe -Jès-VienncVienne, 1903 ; p. 187. Si Savigné avait lu un peu plus attenti-
vement la brochure de Cochard, dont il n'indique même pas le titre, il n'aurait pas dit qu'elle parut » vers
1815 ». A la page 11 est mentionnée une découverte de 1822.
— 84 —
de Cochard. Quant au lieu de la découverte, on croirait, à lire Savigné,
qu'elle fut faite sur Ste- Colombe, comme on le croirait pour plusieurs
autres, cet écrivain ayant fondu, sans avis préalable, l'histoire de St-Romain
avec celle de la commune limitrophe. D'ailleurs, le langage courant désigne
inexactement par le nom de Ste-Colombe tout l'espace que couvrait le
faubourg antique de Vienne. Comarmond S pour la date, indique simple-
ment 1822 et, pour le lieu, exactement, à une faute d'impression près,
« St-Romain-en-Gal, dans la propriété de M. Montant >\ Artaud n'a pas
commis l'inexactitude vulgaire dans son inventaire de 1833 -, mais il
l'a commise dans son livre de 18353: «...territoire de Ste-Colombe, chez
un agriculteur nommé Montant ». De la part d'un contemporain, qui fut,
nous allons le voir, mêlé à toute l'affaire de l'acquisition, la date qu'on y
lit, 1830, serait une erreur bizarre, s'il en était tout à fait responsable ;
mais son manuscrit 4 laisse en blanc la place des deux derniers chiffres.
Quelque typographe ne les a-t-il pas ajoutés d'office sur une épreuve que
l'auteur n'a pas vue ou n'a pas assez attentivement corrigée ?
2. « M. le comte de Tournon, préfet du Rhône, sentant la nécessité
de conserver un monument aussi précieux par son antiquité, la délicatesse
du travail et le choix du sujet, avait donné l'ordre d'en faire l'acquisition,
afin de le placer au musée de Lyon, à côté de ceux qui y sont déjà déposés.
Il faut espérer que son successeur s'empressera de remplir une intention
aussi louable et que les arts n'auront pas à gémir d'un abandon qui en
entraînerait la ruine prochaine > 5. Une lettre du nouveau préfet, le comte
de Brosses, au baron Rambaud, maire de Lyon, en date du 24 janvier
1823 6, confirme cette assertion de Cochard et montre que son espoir
n'était pas vain. En décembre 1822, y est-il dit, le maire de St-Romain
en Gai ayant informé le préfet du Rhône qu'un habitant de sa commune,
1. Description..., p. 690. — Le Catalogue sommaire des Musées de Lyon, 1887, p. 135, n" 17-^1899, p. 207,
n" 18, dit d'après Comarmond : " ... trouvée en 1822, à Saint-Romain-en-Gal (Rhône) '.
2. P. 32.
3. P. 121.
4. Bibliothèque de l'Académie de Lyon, M 106, f. 100.
5. Cochard, p. 13 (de la notice imprimée).
6. Cette pièce et tout le dossier concernant la mosaïaue d'Orphée sont aux archives municipales, série
R^a.
— 85 —
le nommé Montant^ avait découvert dans sa vigne une mosaïque très
intéressante, Orphée attirant les animaux au son de sa lyre, M. de Tournon
promit à ce propriétaire peu fortuné une indemnité de loo francs, à con-
dition de déblayer la mosaïque et de la laisser en état jusqu'à ce que la
ville de Lyon en pût conclure l'achat pour son musée. Artaud se trans-
porta sur les lieux, fit faire un dessin de la mosaïque, la jugea fort digne
d'être acquise et fut autorisé à négocier l'achat. Les choses en étaient là
au départ du comte de Tournon. Le comte de Brosses, par la même lettre
et une autre du 12 février 1823, priait le maire d'envoyer de nouveau
Artaud à St-Romain pour traiter de l'acquisition, le propriétaire devant
recouvrir la mosaïque ou la détruire, si elle ne trouvait pas acquéreur.
Il autorisait en même temps le paiement de l'indemnité promise et celui
des honoraires du dessinateur (25 francs).
On voit déjà, et l'on verra mieux encore tout à l'heure, que, comme
il était bien naturel, Artaud eut un rôle important dans cette affaire ; mais
il en exagère l'importance, lorsque, se mettant seul en scène, il affirme ^ :
« La ville de Lyon, à notre persuasion, l'acheta...», affirmation reproduite
et aggravée par Comarmond^: « Ce ne fut qu'en 1823 que, sur les instances
d'Artaud, elle fut achetée par la ville ».
La démarche du préfet de Brosses eut pour résultat l'envoi à St-
Romain, non pas d'Artaud lui-même, mais de marbriers qui, ayant exa-
miné le pavement, jugèrent qu'il n'était pas possible d'en tirer parti.
Artaud protesta contre cette condamnation. Il n'avait pas revu la mosaïque ;
mais il avait sous les yeux le dessin exécuté par ses soins. D'après ce dessin,
il écrivit au maire, le 15 février 1823, que l'on pourrait sauver le tableau
central et les animaux les moins endommagés pour en faire un tout de la
même grandeur que la mosaïque de Ste-Colombe (Lutte de V Amour et
de Pan), à laquelle il servirait de pendant. Au lieu de 600 francs dont il
avait été question, 300 suffiraient pour l'acquisition, si elle était partielle.
C'est évidemment à des pourparlers concernant cette affaire que Cochard
fait allusion, quand il écrit au baron Rambaud, le 10 février, qu'il se rend
1. 1835, p. 121.
2. Description,.., p. 690.
— 86 —
à Ste-Colombe, « dans l'unique objet de remplir la mission dont il vous
a plu m'honorer par votre lettre du 7 au sujet d'un monument qui ne le
cède en rien à ceux de même nature qui décorent le musée de Lyon ».
Mais ces pourparlers n'aboutirent pas, puisque, le 17 mars, le préfet écrit
au maire: « M. Cochard m'informe que la belle mosaïque d'Orphée, de
St-Romain-en-Gal, n'a pas été enlevée, quoique offerte pour 500 francs ».
Si la ville ne traite pas, la perte de ce monument est certaine. Il invite le
baron Rambaud à lui faire part des dispositions prises pour en assurer
la possession à la ville.
Cette fois, sur l'ordre du maire, Artaud lui-même se déplace avec
les marbriers. Il revoit la mosaïque et constate que les gelées de l'hiver
lui ont fait perdre « au moins un quart de sa conservation », et que, si on
en veut tirer parti, on doit l'enlever sans délai. On n'en pourra d'ailleurs
tirer parti que dans les Hmites déjà indiquées par lui et qu'il précise davan-
tage, c'est-à-dire en la composant de treize panneaux, le grand tableau
central et quatre petits tableaux sur chaque face, avec les entrelacs,
bordures, etc. Pour la reconstituer en entier, il faudrait l'envoyer à Paris
(chez Belloni) et en refaire la moitié ; pour la rétablir aux trois quarts,
il y aurait beaucoup de panneaux à refaire, dont les fonds et les entrelacs
sont noirs comme charbon. Le rapport d'Artaud sur cette mission est
du 29 avril 1823. L'acte de vente fut signé dès le 7 mai à Lyon par le
baron Rambaud, et le 13 mai à St-Romain-en-Gal par Montant. Il fut
revêtu de l'approbation préfectorale le 20 mai. L'acquisition était conclue
au prix de 500 francs, non compris les 100 francs d'indemnité promis par
M. de Tournon et déjà versés. Le propriétaire s'engageait à donner toutes
facilités pour l'enlèvement qui se ferait aux frais et par les soins de la ville.
Artaud insista ^ pour que l'opération eût lieu le plus tôt possible, à cause
de la gêne subie jusque là par Montant et du surcroît de dommage que
les intempéries inffligeaient chaque jour à la mosaïque.
3. Il avait tout de suite préparé un projet de compromis avec les
marbriers et un plan pour la reconstitution -. Le 9 juin les marbriers
1. Note écrite sur l'exemplaire même de l'acte de vente.
2. Artaud à Rambaud, 25 mai 1823. Voir ce plan, fig. 9.
87 —
lyonnais Bernard et Jamey s'engagent envers le maire à déplacer la mosaïque,
à la transporter, à la replacer au musée, le tout selon les procédés de Bello-
ni. La totalité des pièces et des cubes utilisables ou non sera transportée à
Lyon. Les cubes des parties non utilisées serviront à réparer les autres.
S'il y en a trop, le surplus restera la propriété de la ville -, s'il n'y en a pas
Fig. 9. — Projet d'Artaud pour la réduction de la mosaïque Montant
assez, les marbriers combleront le déficit à leurs frais. Ils fourniront aussi
les plates bandes de bordure, pareilles à celles des mosaïques qui sont
déjà dans la galerie du musée, et ils feront les raccords au pavé de la salle.
Rétablie, la mosaïque aura dix pieds sur chaque face. Elle comportera.
— 88 —
au milieu, Orphée ; autour de lui, douze animaux, ceux qui figurent sur
le dessin d'Artaud contresigné par eux et annexé à l'acte. La restauration
sera conforme en tout au dit dessin. Le prix forfaitaire pour le travail et
les fournitures est fixé à 6.000 francs, réduction d'un devis estimatif de
6413 francs. Les marbriers en avaient fait un autre pour l'éventualité
d'une restitution intégrale ; il s'élevait à 14.972 francs. Le 9 juillet, Artaud
certifiait que l'enlèvement avait été opéré avec succès et que Montant
avait rempli toutes ses obligations.
La mosaïque, réduite et restaurée, prit place « dans la grande salle du
musée >', dit vaguement Comarmond ^ « à l'entrée de la galerie du musée »,
selon l'indication plus précise d'Artaud ~. Mais, pour la bien comprendre,
il faut se rappeler qu'on accédait alors dans cette galerie par le grand
escalier occidental ou escalier de la Minerve, et qu'avant la galerie pro-
prement dite, il y avait une petite salle, l'ancien chauffoir, laquelle forme
aujourd'hui le premier compartiment de la « galerie des peintres lyonnais »,
le quatrième, si l'on part du grand escalier neuf ou oriental. La mosaïque
d'Orphée se trouve dans le compartiment suivant, à la place même où elle
fut posée en 1823. Par rapport à la mosaïque Cassaire, elle faisait alors,
comme l'avait projeté Artaud, pendant à la mosaïque Michoud. Mais
nous avons déjà vu 3 que cette symétrie n'existe plus depuis 1888 et pour-
quoi. Balustrade non comprise, la mosaïque Montant a coûté 6625 francs,
somme qui se décompose ainsi: indemnité au propriétaire et salaire du
dessinateur, 125 ; achat, 500 ; enlèvement, restauration et repose, 6000.
II
I . La mosaïque primitive, selon Cochard 4 et selon Artaud dans son
inventaire de 1833, avait plus de 20 pieds de long sur 12 à 15 de large. Le
compromis du baron Rambaud avec Bernard et Jamey lui en attribue
19 sur 13 ; Artaud, dans son livre de 1835, 21 sur 14. Comarmond dit
1. Description..., p . 690.
2. 1835, p. 121.
3. Chap.III,§II,n"3.
4. Ouv. cité et Guide du voyageur et de l'amateur à Lyon, p. 120.
— 89 —
qu'elle mesurait plus de 7 mètres sur 5. Cochard l'a décrite d'après nature,
mais incomplètement ; le plagiaire Savigné, d'après Cochard ; Artaud et
Comarmond, d'après la planche LVIII d'Artaud \ dont l'original fut le
dessin levé par les soins de celui-ci ^, lorsqu'elle était encore à St-Romain.
C'est d'après la même planche que je la décrirai à mon tour, aucune de
leurs descriptions ne me semblant satisfaisante.
Le pavement était rectangulaire, à décor polychrome sur champ
jaunâtre. Le tableau central représentait Orphée, nu, de profil, coiffé du
bonnet phrygien, assis sur un rocher entre deux arbres et pinçant les
cordes de sa lyre que soutenait sa cuisse gauche. Autour de ce panneau
carré que limitaient deux filets, l'un noir, l'autre rouge, une torsade divi-
sait le champ de la mosaïque, qu'elle bordait aussi, en six rangées longi-
tudinales et huit rangées transversales, de caissons octogonaux, soit 48
octogones, dont quatre échancrés par les angles du tableau central et
44 complets. Tous ces caissons avaient, en deçà de la torsade, le filet noir
et le filet rouge. Les intervalles des octogones et de la bordure étaient de
petits triangles vides ; ceux qui séparaient les octogones, de petits carrés
garnis d'une fleur à quatre pétales; les uns et les autres limités par un
simple filet noir. Un rinceau identique décorait tous les octogones tron-
qués ; chacun des octogones complets encadrait un animal différent posé
sur une étroite bande de sol. L'orientation des animaux était symétrique
par rapport aux deux axes de la mosaïque, c'est-à-dire que ceux des quatre
rangées transversales inférieures étant posés dans le même sens que le
personnage du milieu, ceux des quatre rangées transversales supérieures
étaient posés en sens contraire, et que, pour les rangées longitudinales, les
animaux de droite regardant à gauche, ceux de gauche regardaient à droite.
Ainsi les 44 animaux avaient la tête, non seulement tournée du côté
d'Orphée, mais aussi proche que possible d'Orphée ; disposition dont
Cochard n'a ni saisi l'ensemble ni compris le dessin pourtant manifeste.
« Par une bizarrerie, dit-il, dont il est difficile de se rendre compte, plu-
sieurs des sujets sont disposés en sens contraire des autres )^ Il y a 20
1. Fig. 10.
2. Voir Artaud à Rambaud, 15 février 1823.
— 90 —
quadrupèdes et 24 oiseaux ^ Artaud - croit avoir remarqué qu'en général
les animaux amis de l'homme sont plus rapprochés d'Orphée. C'est une
illusion. L'entourage immédiat d'Orphée comprend douze quadrupèdes,
parmi lesquels le renard, le cerf, l'hyène, le sanglier, le loup et le tigre.
Ce qu'il faut noter, c'est que les quadrupèdes et les oiseaux ne sont pas
mélangés. Ceux-ci occupent les deux lignes transversales du haut et les
deux lignes longitudinales extrêmes ; les quadrupèdes ont les six autres
lignes transversales, moins, dans chacune d'elles, les deux places extrêmes.
Dans ces conditions, quadrupèdes et oiseaux ne pouvaient être en nombre
égal 3, mais on a réduit l'écart au minimum. Cochard observe que le
mouton « paît tranquillement entre le loup et le sanglier, allégorie extrê-
mement ingénieuse et qui peint la puissance de la musique même sur les
animaux » 4. Après la torsade par laquelle était dessiné le grand rectangle,
la mosaïque avait pour bordure un rinceau à tiges grêles et très allongées,
dont les lobes étaient tous garnis de la même petite feuille cordiforme.
Sur la face d'en haut ses enroulements avaient plus d'ampleur ; il était
double dans la partie moyenne de cette face, au miheu de laquelle il
jailHssait d'une sorte de vase.
2. Examinons maintenant si la planche d'Artaud est une image bien
fidèle de la mosaïque telle qu'on l'exhuma. Autour du tableau principal
elle nous montre 44 petits tableaux et nous trouvons sa notice exphcative
d'accord avec sa planche. Mais ce double témoignage est en désaccord
avec tous les autres. Dans le compromis entre le maire de Lyon et
les marbriers il est dit que la mosaïque présente au milieu Orphée,
« autour de lui quarante-huit animaux de diverses espèces, chacun dans
un encadrement ou tableau séparé ». Artaud lui-même, dans son inventaire
de 1833, parle de « 50 petits tableaux accompagnant le tableau principal ».
Comarmond affirme qu'elle se composait primitivement de cinquante
1. Artaud, 1835, p. 121 et suiv., énumère les 20 quadrupèdes ,mais seulement 18 oiseaux, n'ayant pu
<' reconnaître les autres ■ .
2. 1835, p. 122.
3. Ils seraient en nombre égal, si le tableau du centre ne réduisait pas deux rangées transversales à quatre
animaux et, par conséquent, à deux quadrupèdes, chacune.
4. Comp. Artaud, 1835, p. 121 (note) : - Il paraît que c'est avec intention qu'on a mis en opposition le
loup avec l'agneau ; bien avant les Romains, Isaïe avait déjà dit : Habitabit lupus inter agnos (XI, 6-9) ».
— 91 —
caissons, dans le centre de chacun desquels était représenté un animal S
et il ajoute : « Nous ne retrouvons aucune des six rosaces qui existaient dans
le bas ». Cochard avait écrit d'abord: « Le reste du pavé «, hormis le tableau
principal, « est occupé par 50 tableaux 2 représentant des rosaces, des
oiseaux et des quadrupèdes» ; texte qu'il a ainsi modifié en l'imprimant:
« Le reste du pavé comporte cinquante tableaux plus petits, offrant quel-
ques-uns des rosaces, d'autres des oiseaux et les autres des quadrupèdes» 3.
Écartons d'emblée le nombre 48, qui est impossible : s'il y avait plus
de 44 animaux, il y en avait au moins 50, une rangée transversale, soit six
de plus, les seules rangées transversales à quatre places se trouvant à la
hauteur du tableau central et ne pouvant être que deux. Non seulement
l'erreur est certaine, mais sa cause est évidente : la mosaïque comportait
bien 48 octogones, complets ou tronqués. Restent donc contre le nombre
44 trois témoignages seulement, ceux d'Artaud, de Cochard et de Comar-
mond. Notons d'abord que les deux premiers ne concordent pas avec le
troisième. Artaud parle de 50 petits tableaux accompagnant le grand,
Cochard de 50 panneaux secondaires, animaux ou rosaces, Couiarmond
de 50 caissons contenant un animal et de six rosaces, ce qui ferait
56 panneaux secondaires. Outre que celui-ci est le seul garant du nombre
56, le contexte de son témoignage nous le révèle sans valeur. C'est d'après
la planche d'Artaud qu'il décrit la mosaïque. « Il entrait , dit-il, dans sa
composition première cinquante caissons, dans le centre de chacun des-
quels, était représenté un animal. Des rinceaux décoraient la bordure qui
l'entourait. Artaud, qui l'avait fait dessiner, l'a représentée ainsi dans son
ouvrage. Nous remarquons même que dans la restauration de cette
mosaïque il y a des caissons ou médaillons qui ont été transposés et que
ceux qui se trouvaient le moins dégradés sont venus prendre la place de
ceux qui l'étaient davantage. On peut s'en rendre compte en comparant
la planche qui nous montre le monument dans l'état où il était lors de sa
1. De même, et d'après lui, le Catalogue sommaire.
2. Dans son Guide du voyageur et de l'amateur à Lyon, p. 130, il donne ce même nombre.
3. Savigné, après avoir reproduit dans son texte cette phrase de Cochard, non sans la défigurer, écrit
dans une note, p. 188 : • Des 58 panneaux il n'en reste pas même la moitié ■. Je néglige de discuter ce nom-
bre, qui n'est qu'un lapsus. Bazin, Vienne eï Lyon ga/Zo-romains, p. 381, fait entrer le tableau central dans le
compte des 50 panneaux. Comment s'y prendrait-il pour distribuer les 49 animaux autour d'Orphée ^
— 92 —
découverte et celui où il est actuellement. La bordure n'existe plus et on a
supprimé trente-huit caissons ; nous ne retrouvons aucune des six rosaces
qui existaient dans le bas ». En fait, Comarmond n'a vu ni les cinquante
animaux ni les six rosaces. Ses souvenirs le trompent, comme ils le trompe-
ront un peu plus loin, lorsque, décrivant sans l'avoir sous les yeux l'entou-
rage d'Orphée réduit à douze animaux, il le subdivisera en cinq quadrupè-
des et sept oiseaux. Je ne discerne pas l'origine de son erreur en ce qui con-
cerne les six rosaces. Quant au nombre 50, il avait pu le lire dans l'inventaire
de 1833 par Artaud ; sa mémoire lui aurait ainsi joué le double mauvais tour
de retenir le nombre faux après avoir oublié le nombre juste. Le cas d'Ar-
taud rédigeant cet inventaire fut sans doute pareil. Pas plus que Comar-
mond il ne prit la peine de se reporter à la planche, ce qu'il eut soin de faire
lorsqu'il rédigea sa notice de 1835 ; et je croirais volontiers que le nombre
50 lui a été suggéré par Cochard, avec lequel sa notice de l'inventaire offre
une autre concordance frappante, l'évaluation des mesures, « plus de 20
pieds par 12 à 15 ». Cochard, lui, a vu la mosaïque primitive. Mais l'a-t-il
bien vue ? L'a-t-il regardée aussi attentivement et détaillée aussi soigneuse-
ment que le dessinateur d'Artaud ? Ce qui prouve que non, c'est sa remarque
bizarre que quelques-uns des animaux — et non pas la moitié des animaux
— sont disposés en sens contraire des autres. A-t-il compté les caissons ? De
leur nombre il ne semble pas avoir été bien sûr, car il avait d'abord écrit
'( une quarantaine de tableaux )-. Quant aux rosaces, dont il a cru voir qu'une
partie des caissons étaient ornés, il aura pris pour telles les fleurs qui gar-
nissaient les intervalles des octogones ou bien les rinceaux qui décoraient
les quatre octogones tronqués par le tableau central. Bref, 44 me paraît
infiniment plus probable que 50, pour ne pas dire certain.
3. Au reste, la planche d'Artaud laisse beaucoup à désirer sous le rap-
port de la fidélité. Elle nous montre dans un état parfait de conservation le
pavement que les marbriers jugèrent à première vue inutilisable ; dont on
ne pouvait, de l'aveu même d'Artaud, sauver que le tableau central et les
animaux les moins endommagés ; dont, toujours d'après Artaud, on aurait
eu, si on avait voulu le rétablir intégralement, à refaire la moitié. Entre le
moment où elle fut exhumée et celui où elle fut enlevée, la mosaïque eut à
souffrir des intempéries ; sans doute : Artaud affirme que pendant l'hiver
— 93 —
1 822-1 823, par suite de la gelée, elle perdit « au moins un quart de sa con-
servation )) ; soit. Mais ce n'étaient pas la gelée et les pluies de cet hiver seul
qui avaient rendu noirs comme charbon les fonds et les entrelacs d'un grand
nombre de panneaux. Le demi-aveu du mauvais état primitif est dans un
autre passage d'Artaud ^ : « Malheureusement, on l'avait laissée trop long-
temps exposée à la pluie dans un lieu bas, et le ciment qui était déjà décom-
posé en partie, le fut encore davantage, lorsqu'on voulut la détacher du sol" .
Quand le ciment d'une mosaïque est décomposé en partie, il n'y a guère
chance qu'on la découvre intacte et il est bien difficile qu'on ne la dégrade
pas davantage en la découvrant. Artaud a donc réparé sur l'image les dom-
mages subis par l'objet. Nous savons déjà qu'il est coutumier de ces hber-
tés 2. La comparaison des panneaux utihsés pour la restitution avec les
parties correspondantes de la planche nous fournit une autre raison de
croire que cette image n'est pas exacte dans le détail. Entre la figure et
l'objet, animal ou sol, il y a souvent de sensibles différences. Inexactitude
plus grave, tous les animaux n'occupent point dans l'image la place qu'ils
avaient dans l'original. La chouette, qui n'a pas été utiHsée pour la restitu-
tion, mais existe encore, je dirai tout à l'heure où, regarde à droite, quand elle
est posée normalement. Par conséquent, dans l'original, elle faisait partie,
soit de la moitié inférieure gauche, soit, posée en sens inverse, de la moitié
supérieure droite. Or, sur la planche, elle est le troisième animal, en partant
du bas, de la première rangée longitudinale droite ; elle regarde à gauche.
De même qu'il nous trompe, dans son album, en nous faisant voir
intacte la mosaïque à peine remise au jour, de même Artaud, dans sa notice
de 1835, exagère le délabrement de la mosaïque sur le point d'être enlevée.
« Nous ne pûmes sauver que le tableau du milieu et quelques panneaux
dont nous fîmes une moins grande mosaïque... >. Si l'on prenait ce témoi-
gnage à la lettre, douze panneaux seulement auraient été sauvés, les douze
qui, dans la mosaïque réduite, entourent le tableau central. Or, en considé-
rant le dessin annexé au traité de Bernard et Jamey avec la ville, dessin
conformément auquel ils s'engagent à effectuer la restauration, nous consta-
1. 1835, p. 131 ; comp. Comarmond, Description..., p. 690.
2. Chap. I, § V, no 2, et surtout chap. II, § II, n" 2.
— 94 —
tons qu'il diffère notablement de la mosaïque actuelle. Celle-ci comporte
huit oiseaux et quatre quadrupèdes ; le dessin nous présente quatre oiseaux
et huit quadrupèdes. Des douze animaux qui figurent dans ce projet de res-
tauration, neuf ne figurent pas dans la restauration. Il y avait donc plus de
douze animaux utiHsables ; il y en avait au moins vingt et un. Il y en avait
même vingt-deux, puisque la chouette, qui n'est comprise ni dans le projet
ni dans la restauration, existe cependant encore, dégradée sans doute, mais
réparable. Elle fut appliquée telle quelle, parmi d'autres débris de mosaï-
ques, sur le soubassement ^ du couloir qui sépare les salles de la sculpture,
lorsque Martin-Daussigny le fit décorer en 1877. Des neuf animaux compris
dans le projet d'Artaud, et en définitive éliminés, huit n'existent plus, à ma
connaissance ; le lion, remis à neuf, se voit dans la décoration composite
que le même Martin-Daussigny imagina pour le vestibule des Antiques, en
1868 : il est au-dessus de la porte qui met ce vestibule en communication
avec la galerie. Du grand rinceau de pourtour, dont il n'y a trace ni dans le
dessin d'Artaud ni dans la mosaïque actuelle, il ne reste rien ailleurs, que je
sache.
III
I. La mosaïque actuelle 2 forme un carré parfait. Le côté, approximati-
vement évalué à 10 pieds dans le compromis des marbriers avec le maire,
est exactement de 2 m. 58 3. La surface n'atteint donc pas sept mètres,
tandis que celle de la mosaïque primitive dépassait 35 mètres. Le pavement
comporte, ainsi qu'il avait été prévu et convenu, le tableau central et douze
animaux, mais non pas, nous venons de le voir, tous les douze animaux
qu'Artaud avait choisis et désignés. La torsade qui encadre les octogones
est aussi la seule bordure de la mosaïque restituée. La restitution est-elle,
comme l'affirme Artaud 4, « une moins grande mosaïque toujours dans le
même esprit » que la primitive ? Oui, en ce sens, et c'est l'essentiel, que les
douze animaux, quatre sur chaque face, sont posés symétriquement par
rapport aux deux axes et ont ainsi tous la tête dirigée vers le tableau central.
1. A gauche en venant du cloître et dans la partie qui précède la porte de l'ancien réfectoire.
2. Voir fig. II.
3. Mesure donnée par le Catalogue sommaire. Comarmond : 2,60 X2,58.
4. 1835, p. 121.
— 95 —
vers Orphée, semblant donc « se plaire à entendre l'harmonie de ses sons » ^
Non, en ce sens que les deux catégories sont numériquement très inégales,
huit oiseaux contre quatre quadrupèdes ; que leur disposition relative n'a
aucune régularité géométrique ; bien plus, qu'elles ne forment pas deux
groupes distincts, l'un des quadrupèdes se trouvant isolé parmi les oiseaux.
Rien n'était plus facile, cependant, avec les ressources dont nous connais-
sons l'existence, que de se conformer en tout point aux principes qui avaient
réglé la composition originale. Pour réahser l'égalité numérique des deux
catégories, il suffisait de remplacer deux oiseaux par deux des six quadru-
pèdes disponibles. On aurait pu effectuer la séparation des deux catégo-
ries, soit dans le cas de l'égalité numérique, en assignant aux oiseaux la
moitié supérieure et aux quadrupèdes la moitié inférieure ; soit, dans le
cas de l'inégalité actuelle, en alignant tous les quadrupèdes sur la rangée
transversale la plus basse. Mais notons que, même dans ce cas, il aurait
fallu avoir recours aux disponibilités, afin de substituer, si on ne voulait
pas enfreindre la règle essentielle de l'orientation, deux des quadrupèdes
éliminés à deux des quadrupèdes choisis : car ceux-ci regardent tous à
gauche dans la position normale ; et deux oiseaux regardant à gauche dans
cette position aux deux oiseaux délogés de la plus basse ligne transversale,
lesquels regardant à droite, ne pouvaient occuper, un coup d'oeil jeté sur
la figure le démontre, les deux places devenues vacantes hors de cette
ligne.
2. Si l'on se demande pourquoi Artaud ne veilla point à ce que, dans
la restitution, les règles secondaires fussent respectées comme la règle
essentielle, on ne trouve à la question qu'une réponse plausible: il n'avait
pas étudié la composition originale d'assez près pour les apercevoir. On
peut se demander aussi pourquoi une restitution plus grande ne fut ni
exécutée ni projetée, puisque la comparaison de la mosaïque restituée avec
le projet d'Artaud nous a prouvé l'inexactitude de son affirmation réitérée 2,
que l'original fut réduit à un si petit nombre de caissons outre le tableau
du milieu, parce qu'il n'était pas possible d'en sauver davantage. Nous
5. 1833, p. 32.
I. 1835, pass. cités ; cf. Inventaire de 1833, où il est dit que les petits tableaux de la mosaïque ont été
'réduits à douze à cause de son état de dégradation ».
— 96 —
savons qu'il existait, non pas douze, mais au moins vingt-deux animaux
utilisables, douze oiseaux et dix quadrupèdes. Onze de ces animaux étaient
tournés à droite dans la position normale, dont sept oiseaux et quatre
quadrupèdes ; onze à gauche, dont cinq oiseaux et six quadrupèdes. D'où
il résulte qu'en tenant compte de toutes les règles auxquelles l'auteur de
la composition originale s'était astreint, seize animaux pouvaient prendre
place dans la restitution, les huit oiseaux sur une ligne simple au-dessus et
une ligne double aux côtés d'Orphée, les huit quadrupèdes sur une ligne
double au-dessous ; arrangement qui n'aurait pas nui à la beauté de l'en-
semble et qui lui aurait rendu la forme rectangulaire de l'original. Et si
l'on n'avait observé, comme l'auteur de la restitution, que la règle essen-
tielle de la double symétrie, on aurait pu aller jusqu'au nombre de vingt
animaux, c'est-à-dire en placer deux rangées transversales et au-dessus et
au-dessous d'Orphée, outre les deux couples latéraux. L'unique et mau-
vaise raison donnée par Artaud ^ éveillait déjà la légitime défiance de
Comarmond ^ : il soupçonne que deux considérations non avouées inter-
vinrent, d'abord le parti pris de faire une mosaïque qui pût servir de pen-
dant à la mosaïque Michoud 3 ,ensuite le souci de restreindre les frais :
la ville de Lyon venait de dépenser beaucoup d'argent pour les autres
mosaïques du musée. Quant au rinceau, cadre extérieur du pavement
primitif, Artaud n'en prévoyait pas l'utilisation et il fut effectivement
supprimé, soit parce qu'il était dans son ensemble en trop mauvais état,
soit plutôt parce que sa largeur parut en disproportion avec la surface
réduite au cinquième.
3. Lorsqu'il dessina son projet de restauration, Artaud ignorait, non
seulement les règles secondaires, mais la règle essentielle, en un mot tout
« l'esprit » de la composition primitive 4. Non seulement donc ses quatre
oiseaux et ses huit quadrupèdes sont mélangés, mais les six animaux de la
1. C'est la seule aussi que donne Cochard, Guide du voyageur et de l'amateur à Lyon, p. 120 : « Son état
de dégradation a déterminé l'artiste qui l'a rétablie à réduire à 12 les 50 petits tableaux qui accompagnaient le
tableau principal ".
2. Description..., pass. cité.
3. Voir Artaud à Rambaud, 15 février et 29 avril 1823; compromis entre Rambaud et les marbriers,
9 juin 1823 ; toutes pièces déjà citées.
4. Notons en outre que dans les petits carrés qui séparent les octogones Artaud a dessiné par inadver-
tance, au lieu d'une fleur à quatre pétales ,un nœud de torsade.
— 97 —
moitié supérieure ne sont pas posés à l'envers et sept animaux sur douze,
mal orientés, semblent s'éloigner d'Orphée, comme si sa musique n'avait
pas le don de les charmer. Ce grossier contre-sens, Artaud l'aperçut à la
réflexion, avant qu'il fut trop tard. Mais ceci n'explique pas, tant s'en faut,
toute la différence entre la mosaïque du dessin et celle du musée. Cinq
animaux de la première regardent à droite et sept à gauche. Donc, pour
obtenir le résultat que nous avons sous les yeux au musée, la double symé-
trie des poses, il n'aurait pas suffi de changer l'ordre relatif des animaux
d'abord choisis ; il aurait été nécessaire, mais suffisant aussi, de remplacer
un de ces animaux. Pourquoi en a-t-on remplacé, non pas un, mais neuf?
Sans doute, parce que les mosaïstes, en les examinant de près, trouvèrent
qu'ils n'étaient point, comme l'avait cru Artaud, parmi les mieux conservés.
Ainsi seulement nous concevons qu'on ait éliminé, par exemple, le lion
dont nous pouvons apprécier l'effet décoratif dans le vestibule des An-
tiques ; et le coq, alors que, selon Cochard, « le paon et le coq se distin-
guaient par l'éclat de leurs plumages ». Le dossier des archives ne renferme
aucune pièce qui mentionne les nouvelles instructions données aux mosaïstes
qu'il fallut bien délier de leur engagement strict : elles furent, selon toute
vraisemblance, verbales.
IV
I. Dans V Inventaire des mosaïques de la Gaule S une planche de
l'album reproduit en noir la mosaïque telle qu'elle est au musée, avec
renvoi au n° 242 du texte, dont la notice est ainsi conçue: « St-Romain-en-
Gal..., 1822. La composition primitive comprenait cinquante caissons,
dans le centre de chacun desquels était représenté un animal différent^
Reste le sujet principal, Orphée assis jouant de la lyre, et un entourage
composé de douze médaillons (2 m. 58X 2 m. 58). Musée de Lyon (1823)» 2.
Mais d'après le même Inventaire ^ nous aurions au musée une autre mo-
saïque d'Orphée, le n^ 201 : «Ste-Colombe. Dans la vigne de Montant 3
1. I. Narbonnaise et Aquitaine, par M. Georges Lafaye.
2. Bibliographie : » Comarmond, op. cit., p. 690-691 ; Catalogue sommaire des Musées de Lyon, 1887
p. 135, n» 17».
3. M. Lafaye a laissé passer la même faute d'impression que Comarmond. I s'agit bien d'une faute
d'impresson, puisque cette notice dérive ,non de Comarmond, mais de Savigné qui a imprimé correctement
Montant.
— 98 —
dit Paret, à o m. 60 de profondeur ; environ 7 m. < 4 ou 5 m. Le tableau
central et quelques-uns des autres ont été rétablis ; mais ce n'est pas la
disposition primitive. Orphée assis entre deux arbres sur un rocher.
Quarante-quatre compartiments octogonaux séparés par une torsade et
ornés chacun d'un animal différent. « Nous ne pûmes sauver que le tableau
du milieu et quelques panneaux (Artaud). Musée de Lyon» ^ La pre-
mière notice dérive directement du Catalogue sommaire, indirectement de
Comarmond. Or, si l'auteur avait pris la peine de remonter jusqu'à cette
source, il aurait vu que le passage et la planche d'Artaud, auxquels il se
réfère pour la seconde notice, sont clairement visés par Comarmond, et
reconnu tout de suite l'identité du tïP 201 avec le n" 242, malgré certaines
divergences insignifiantes des témoignages. Artaud et Savigné, le deuxième
témoin cité pour le n^ 201, donnent comme lieu de la découverte Ste-
Colombe, et Comarmond St-Romain-en-Gal, mais Artaud ajoute : «chez un
agriculteur nommé Montant » : Comarmond, avec une faute d'impression,
«dans la propriété de M. Montant », Savigné précise: « Le nommé Mon-
tant ditParet rencontra dans sa vigne... ». Artaud et Savigné s'expriment avec
l'inexactitude du langage courant où Ste-Colombe, la plus peuplée des deux
communes limitrophes, supplante St-Romain pour la désignation de
faubourg de Vienne antique. La divergence relative au nombre des petits
tableaux aurait paru néghgeable, en ce qui concerne la question d'identité,
si l'on avait remarqué que Savigné lui-même donne 50 pour la prétendue
mosaïque de Ste-Colombe. Le désaccord des témoignages quant à la date
n'a non plus aucune valeur, puisque le 1830 d'Artaud est, comme nous
l'avons vu en commençant, une erreur manifeste. Que l'on ne cherche
donc pas, sur la foi de V Inventaire:, une seconde mosaïque d'Orphée au
musée de Lyon.
2. Notre pavement n'est d'ailleurs pas la seule représentation en mo-
saïque d'Orphée charmant les animaux, qu'ait rendue le sol de Vienne et
de sa banlieue romaine. Une autre fut découverte à Vienne, dans le Champ
de Mars, en 1859 ; elle est conservée en grande partie au musée de cette
Bibliographie : « Artaud, op. cit., p. 121-122, pi. LVIII, en couleur ; Savigné, op. cit., p. 187-
— 99 —
villes Elle comportait primitivement cinq rangées de trois caissons séparés
par un cadre riche et complexe, les uns octogonaux, les autres carrés,
disposés en damier, sept octogones et huit carrés, ceux-là beaucoup plus
grands que ceux-ci, mais tous égaux entre eux. Dans l'octogone central,
Orphée, de face, vêtu, assis sur un rocher entre deux arbres et jouant de
la lyre ; dans chacun des six autres un quadrupède ; dans chacun des carrés
un oiseau ; ea tout quatorze animaux. Une troisième fut exhumée à Ste-
Colombe, dans la propriété Grange, en 1899, puis recouverte 2. Orphée,
dans un cadre hexagonal, y est entouré de six animaux dans des hexagones
aussi. L'ensemble de ces caissons a comme bordure un cercle de torsade
inscrit dans un carré. Entre la torsade et le carré, aux quatre angles, on
voit les bustes des quatre saisons. Pour les autres régions de la Gaule, fron-
tière germanique comprise, nous connaissons sept mosaïques de ce même
sujet 3. Hors de ce domaine, nous en connaissons sept également pour
l'Afrique 4, deux pour l'Allemagne et l'Autriche, quatre pour l'Italie,
six pour l'Angleterre 5. Tous ces pavements appartiennent à l'époque
impériale — le plus ancien paraît être la mosaïque de Pérouse, qui remon-
terait à l'âge augustéen^ — ; tous aux contrées occidentales de l'empire.
Tantôt Orphée et les animaux forment un seul tableau, par exemple dans
la mosaïque d'Aix-en-Provence ; tantôt, comme dans la nôtre, ils sont
séparés de lui et isolés chacun dans son cadre, au préjudice du naturel,
au bénéfice de l'effet décoratif 7.
« Il n'est point de sujet qui ait été plus souvent répété sur les mosaï-
ques des anciens», dit à bon droit, dès 1835, Artaud ^; puis, après avoir
cité quelques exemples, il affirme que celle de St-Romain est « une des
1. Inventaire des Mosaïques de la Gaule, I, n" i8i (tableau central dans l'album).
2. Ibid., n° 2ig.
3. Ibid., n° 55 (Aix-en-Provence) ; 1032 (forêt de Bretonne, Seine-Inf.) ; 1 122 (Blanzy-Iez-Fismes, Aisne) ;
1386 (Yverdon, Suisse); 1387 (Yvonand, Suisse); 1403 (Avenches, Suisse) ; 1611 (Rottweil, Wurtemberg).
Je ne compte pas le n° 223 qui est un double de 181, et je rappelle que 201=242 (notre mosaïque).
4. Inventaire des mosaïques de la Gaule et de l'Afrique, II, n°" 88, 374, 381, 32a ; III, n'^' 221, 440, 458.
5. Roschet , Lexikon der griech. und rœm. Mythologie' , III, i, col. 1189 et suiv.
6. Notizie degliscavi, 1877, pi. XI ; Bulletino delV Instituto di Corrisp. archeoL, 187Ô, p. 234.
7. Parfois aussi, il y a des animaux et dans le même tableau qu'Orphée et dans les tableaux séparés
p. ex., mosaïque d'Yvonand.
8. 1835, p. 119'
— 100 —
plus capitales et des plus belles qui soient » à sa connaissance ^ ; jugement
plausible, si on le rapporte au pavé primitif, remarquable par ses dimen-
soins, tout au moins, et le nombre de ses tableaux ; mais que l'on ne saurait
appliquer à notre mosaïque réduite. L'œuvre était d'une époque assez
tardive, du iii^ siècle sans doute, et plutôt de sa fin que de son début.
Alors le système hexagonal, puis le système octogonal, ont remplacé le
système quadrangulaire ; le cadre géométrique a pénétré et morcelé le
tableau central. « A mesure que ses lignes se multiplient et s'étalent, les
motifs qu'elles isolent se rétrécissent et se simplifient... Comme les figures
ne sont plus assemblées, l'artiste cède à la tentation de les isoler tout à fait,
même quand elles font partie d'un ensemble. Par exemple, il n'hésite pas
à séparer par un large tresse d'encadrement deux gladiateurs qui se meu-
vent l'un contre l'autre ou un chasseur et la bête qu'il poursuit » ; ici, le
chanteur et les animaux qu'il attire vers lui. « Tantôt le mosaïste dissémine
les images analogues dans les divers compartiments d'un vaste casier géo-
métrique, tantôt il les aligne sur des registres... ou bien les dispose en
frises concentriques autour du motif principal » -.
3. Si le thème d'Orphée charmant les animaux semble avoir été fami-
lier surtout aux peintres en mosaïque, il n'a pas été négligé dans les autres
sortes de monuments. « C'est de beaucoup la plus populaire de toutes les
scènes où figure le héros. Elle est reproduite par des centaines de monu-
ments qui datent presque tous de l'époque hellénistique on gréco-romaine:
des fresques, des bas-reliefs et des sarcophages, des patères à libations, des
miroirs, des plaques de bronze, des lampes, des pierres gravées, des mon-
naies de Thrace et d'Alexandrie... 3 ». Bien que le sujet fût tiré de la légende
païenne, l'art chrétien primitif se l'est approprié. « Les chrétiens... n'ont
pas craint d'avoir recours à la fable d'Orphée pour faire de ce poète subli-
me la figure symbohque de notre Seigneur Jésus-Christ attirant à lui
les cœurs les plus endurcis et les plus rebelles par l'harmonie de ses divines
paroles » 4.
1. Ibid.,p.i2i.
2. Gauckler, article Musivum, dans Dict. des Antiq. gr. et romaines, IV, p. 2.1 12.
3. Monceaux, article Orpheus, Ibid., IV, p. 244. Voir aussi Roscher, Lexikon der griech. und rœm. Mytho-
logie, III, I, col. 1.172, 1.177, i.iSgetsuiv., 1.201.
4. Artaud, 1835, p. 120. Comp. Monceaux, ifcjJ., p. 245 et suiv. ; Roscher, iiic/., col. 1.202 etsuiv.
— 101 —
V
LA MOSAÏQUE SEGUIN
(ÉROS ET ANTÉROS OU LES EXERCICES DE LA PALESTRE)
BIBLIOGRAPHIE. — Voir celle du chapitre I et les notes.
I
I. Cette mosaïque, découverte quelques mois avant la mosaïque d'Or-
phée, fut acquise et enlevée à la même époque, mais ne trouva que beau-
coup plus tard une place dans les salles du musée.
Le 22 janvier 1822, Artaud écrivait au baron Rambaud, maire de
Lyon, qu'on venait de découvrir à Vienne une mosaïque de 16 pieds sur 11,
très fine, très soignée, n'ayant que de légères dégradations. Elle compor-
tait un labyrinthe avec des figures « relatives au combat de l'Amour » et
analogues à celles des mosaïques de Ste- Colombe (Michoud) et du Gour-
guillon (Cassaire). Le propriétaire la céderait, pensait-il, pour 1000 ou
1.500 francs. Mais on devait se hâter, de peur que M. de Forbin ne l'acquît
pour la Capitale. Point ne serait besoin de la faire restaurer à Paris, comme
les mosaïques Macors et Cassaire. La dépense totale à prévoir pouvait se
calculer d'après celle qu'avait causée récemment la mosaïque Michoud.
Une seconde lettre du même au même (i^^ mars) nous fait connaître
qu'il était alors en pourparlers avec le propriétaire. Celui-ci demandait
1500 francs, Artaud en offrait 600. Autorisé par le maire, il se transportait
à Vienne pour négocier et aussi pour constater quelques dégâts, que,
depuis l'exhumation, les curieux avaient faits au pavement. Dans ces deux
lettres, l'endroit précis de la découverte n'est pas indiqué et le propriétaire
n'est pas nommé. Nous avons ces renseignements par les lettres ulté-
rieures d'Artaud et par d'autres pièces du dossier des archives munici-
pales ^ : la mosaïque fut trouvée dans la vigne d'un nommé Seguin, au
plan de l'Aiguille. Artaud fournit une désignation équivalente du lieu en
sa notice de 1835 2, avec un détail nouveau, mais sans indication de date:
1. R-a.
2. P. 85.
— 102 —
« Ce beau pavé... a été trouvé dernièrement près de la Pyramide de Vienne,
dans la vigne d'un nommé Seguin, à quatre pieds de profondeur ». V In-
ventaire des mosaïques de la Gaule ^ reproduit ces données, mais en y rem-
plaçant l'adverbe de temps, vague et inexact, par la date qu'il doit à
Cochard 2. Quoique celui-ci appelle le propriétaire d'un autre nom, sim-
ple lapsus sans doute, le surplus du passage prouve qu'il s'agit bien de la
même mosaïque : « Près de là (de la Pyramide) le nommé Charlin en a
déterré une dans sa vigne en 1822, représentant un labyrinthe. Elle a été
acquise pour le musée de Lyon >.
Un an après le voyage d'Artaud à Vienne en vue de négocier, le mar-
ché n'était pas encore conclu. M. de Mirmont, maire de cette ville, avait
obtenu de Seguin, moyennant une somme de i .000 francs, une promesse de
vente en faveur du musée local. Mais, faute de pouvoir déplacer la mosaï-
que, il lui donne décharge de sa promesse, et Seguin, le 5 février 1823, vient
à Lyon reprendre les pourparlers avec Artaud. Il demande 1.200 francs,
Artaud estime toujours qu'on pourra traiter à 600. La lettre 3 par laquelle il
met le baron Rambaud au courant de ce qui précède annonce qu'il lui
envoie les deux planches déjà gravées qui portent dans son album de 1835
les numéros 30 et 31. Pour le moment il ne s'agirait, dit-il, que d'enlever la
mosaïque sur plaques de marbre, selon le procédé de Belloni, afin de la
mettre en réserve dans les dépôts du musée. On la reposerait, quand la
nouvelle salle des Antiques, au premier étage de l'aile orientale, serait ter-
minée. Le baron Rambaud hésitait-il encore ? Peut-être : la ville avait déjà
beaucoup dépensé, plus de 40.000 francs, pour les mosaïques de son musée.
Quoi qu'il en soit, dans sa lettre du 29 avril, Artaud vante la beauté « de la
mosaïque Seguin, au plan de l'Aiguille à Vienne », et sa conservation par-
faite. Deux personnes, assure-t-il, ont fait des offres. Comme il fallait se
hâter, sauf approbation du maire il a conclu pour 600 francs et un louis
d'étrennes à la femme Seguin.
L'acte de vente « de la mosaïque du labyrinthe, récemment décou-
verte » par Seguin « dans sa vigne du plan de l'Aiguille à Vienne », fut signé
i.N°i6i.
a. Dans Chorier, Recherches sur les antiquités de Vienne ; nouv. éd., 1828, p. 3, note i.
3 5 février 1823.
— 103 —
le 7 mai à Vienne, le 13 à Lyon, c'est-à-dire les mêmes jours que l'acte
concernant la mosaïque d'Orphée. Le prix est fixé à 600 francs, plus 40
francs d'étrennes pour la femme Seguin. Le propriétaire donnera toutes
facilités aux ouvriers chargés par la ville de l'enlèvement. A la même date
aussi que pour la mosaïque d'Orphée, le 9 juin 1823, les marbriers Bernard
et Jamey s'obHgent à enlever, emballer, transporter, préparer selon les
procédés Belloni et déposer au musée de Lyon, la mosaïque Seguin. Le prix
convenu pour toutes ces opérations, fournitures comprises, est de 1.600
francs. Si la ville veut ensuite la faire placer, ils s'engagent à la restaurer,
poser dans le pavé, entourer d'une bordure de marbre, etc., pour 2.600
francs ^ La stipulation restera valable trois ans. Le 9 juillet, Artaud certifie
que les deux mosaïques Seguin et Montant ont été enlevées avec succès et
que les propriétaires ont rempli leurs obligations. Il n'exagérera pas cette
fois l'importance de son rôle, quand il écrira dans sa notice de 1835 2 :
« Cette belle mosaïque de Vienne, que nous avons fait acheter par la ville de
Lyon, se trouve maintenant dans les dépôts du Palais des Arts, prête à être
placée par panneaux dans une des salles du musée ».
2. Mais les trois années du compromis avaient passé sans qu'elle quit-
tât les dépôts, et beaucoup d'autres devaient passer encore. Pendant plus de
quarante ans il n'est même pas, d'une façon certaine, question d'elle dans
les dossiers des archives. Le récolement d'inventaire de 183 1 3 la mentionne
peut-être : « Dans les dépôts du musée sont quelques fragments de mosaï-
ques trouvées à Vienne et à la Déserte... ». Elle est sans doute parmi celles
que l'on transfère au rez-de-chaussée en 1834. Le marbrier Domy reçoit
alors 44 francs, « pour temps employé à assembler les mosaïques du nou-
veau musée, les avoir changées de place, etc. » ; et l'architecte explique qu'il
s'agissait d'enlever les mosaïques placées — en dépôt, évidemment, la
1. Ce prix global comprend les 1.600 francs stipulés pour la première série d'opérations. La restaura-
tion, la repose, etc., sont donc évaluées à i.ooo francs, évaluations que nous retrouverons plus loin dans un
devis du mosaïste Mora.
2. P. 86. — Cochard écrit en 1826, dans son Guide du voyageur et de l'amateur à Lyon, p. 120, après avoir
énuméré les quatre mosaïques qui ornent « le pavé de la salle du Musée > : On doit encore placer une autre
mosaïque venue de Vienne, dont les compartiments offrent la forme d'un labyrinthe. On est occupé dans ce
moment à la restaurer '.
3. Récolement de l'inventaire fait le 11 juillet 1831 ; R'a.
— 104 —
dépense minime le prouve — au premier étage du palais, dans l'aile orien-
tale, pour débarrasser la partie du bâtiment destinée à la nouvelle salle des
Antiques K Cette salle, où nous avons vu que, dès 1823, Artaud projetait de
placer la mosaïque Seguin, fut achevée en 1836 et inaugurée en 1839 2. Mais
on n'y plaça, dans les années qui suivirent immédiatement, que la seule
mosaïque Cucherat ou des Poissons, en 1845. Enfin, notre mosaïque est,
sans aucun doute, au nombre de ces « mosaïques acquises par la ville à
diverses époques » qu'en 1 863 un rapport du conservateur signale au préfet
comme devant être « mises en évidence dans les salles du musée » et pouvant
y être installées sans trop de frais 3. C'est l'époque où le prolongement du
Palais des Arts sur la nouvelle rue de l'Impératrice (rue de l'Hôtel-de- Ville)
exige des modifications considérables et, en particulier, comme nous l'avons
dit plus haut 4, le déplacement de la mosaïque des Jeux du cirque. Celle-ci
est comprise avec la mosaïque Seguin dans une combinaison — sur laquelle
nous n'avons aucune donnée précise — proposée par le conservateur, que
l'architecte de la ville examine à la demande du préfet, juge convenable et
croit réalisable sans trop de frais.
Pour la première fois, en 1867, nous rencontrons une mention expli-
cite de notre pavement. Un devis d'Edouard Mora père et fils, daté du
17 juillet 5, concerne la « mosaïque trouvée à Vienne par M. Arthaud », qu'il
s'agit de réparer et de poser dans la « galerie des Statues », autre appellation
de la nouvelle salle des Antiques ou salle des Plâtres ou musée des Moula-
ges. La dépense est évaluée à i.ooo francs, dont 694 pour la mosaïque et
306 pour la balustrade. Le moment approche, mais il n'est pas encore venu.
Le 26 avril 1869 ^, l'architecte de la ville, sans indiquer d'emplacement ni
pour l'une ni pour l'autre, soumet au préfet la proposition de replacer la
mosaïque des Jeux du cirque, déplacée en 1863, et de placer la mosaïque
« des Jeux d'enfants », qui n'a jamais été posée faute de place ou d'argent.
1. Même série.
2. Voir Vial, dans les Musées de Lyon (en 1906), p. 16.
3. Arch. mun., M'c. Le préfet à l'architecte en chef, 7 mai ; l'architecte au préfet, 16 mai.
4. Chap. I, § IV.
5. M'a.
6. M'a.
— 105 —
Le crédit demandé pour la restauration et la pose de celle-ci s'élève à 1.502
francs, le devis comprenant cette fois les travaux supplémentaires qui n'in-
comberont pas aux spécialistes. La question des emplacements dut être
résolue entre l'architecte et le préfet ; car, ce dernier, le 7 juin, transmet au
président de la commission des musées un rapport du premier — M. Des-
jardins — tendant à faire placer « dans la salle des Plâtres « deux mosaïques
— les mêmes, à coup sûr — dont la restauration et la pose coûteront 3.300
francs ^ Nous avons vu, dans le chapitre sur la mosaïque Macors, que la
commission prit le 12 juin une déHbération favorable ; que, le 16 septembre
et le 30 octobre, le préfet invita l'architecte à faire placer sans retard à l'en-
droit convenu « les mosaïques des Jeux du cirque et des Jeux d'enfants » ;
mais que le travail fut exécuté néanmoins avec une certaine lenteur, puis-
que, le 21 juin 1870, le conservateur Martin-Daussigny se plaignait qu'il ne
fût pas encore achevé.
3. La mosaïque des Jeux du cirque n'a pas quitté depuis cette place, sa
seconde place au musée; mais la mosaïque des «Jeux d'enfants « eut bientôt
à subir un déplacement. Lorsque la salle des Plâtres fut transformée en
musée Bernard 2, il fallut, pour installer les innombrables ta bleaux de cette
collection médiocre, diviser la galerie en compartiments, et certaines cloi-
sons eussent coupé les deux pavements qui flanquaient la mosaïque Macors.
M. Bernard, qu'ils intéressaient beaucoup moins que ses toiles, proposait
tout simplement de les couvrir. Martin Daussigny 3 fit remarquer que ce
sacrifice n'irait pas sans soulever les justes protestations des archéologues,
et l'architecte de la ville soumit au préfet 4, qui l'approuva le 8 janvier 1875,
le projet d'enlever les deux mosaïques Seguin et Cucherat pour les reposer
dans l'ancienne salle de la Bourse, au rez-de-chaussée, transformée en gale-
rie des Bustes 5. Le mosaïste Mora présentait, dès le 28 décembre 1874 ^,
pour la réparation et la repose des deux pièces, un devis global de 4.100.
1. R-a.
2. Vial, i&îcf., p. 17.
3. M'b, 32 décembre 1874, Martin-Daussigny à l'architecte en chef.
4. Ibid., 29 décembre 1874.
5. Vial,z6id.
6. M'a.
— 106 —
L'architecte avait prévu pour la mosaïque Seguin une dépense égale à celle
de 187O5 soit 1.800 francs. Le 23 avril 1875, les deux pavés ne sont pas enco-
re replacés. Le 24 janvier 1876, ce travail est terminé, puisque nous trou-
vons à cette date une lettre de Mora père et fils relative au règlement de
comptes.
II
I. Les planches XXX et XXXI d'Artaud, qui furent gravées au plus
tard dans les premiers jours de 1823 S nous montrent, l'une l'ensemble,
l'autre le tableau principal intacts. Elles ne sont donc pas, au moins celle-là,
d'une exactitude rigoureuse. Car, si dans une de ses lettres au baron Ram-
baud 2, il vante la conservation parfaite de la mosaïque, c'est pour les besoins
d'une cause : dans deux lettres antérieures 3, il constatait qu'au moment de
la découverte elle avait « quelques légères dégradations » et que, depuis, les
curieux lui avaient fait subir « quelques dégâts ». Par une approximation
fortement exagérée, il en évaluait la surface à 16 pieds sur 11 4. Les dimen-
sions indiquées dans le compromis des marbriers et du maire 5, 14 pieds sur
9, sont plus justes. Martin Daussigny, qui a dû prendre les mesures dans la
salle des Plâtres, donne 4 m. 81 x 3 m. 24, avant la seconde repose ^ ; le
rédacteur du Catalogue sommaire des Musées 7, qui les a prises dans l'ancien
léfectoire, et, d'après lui, celui de V Inventaire des mosaïques de la Gaule 8,
4 m. 82 :<3 m. 30. J'y ai mesuré moi-même 4 m. 86 x 3 m. 28. Toutes les
descriptions jusqu'ici publiées sont trop sommaires ; aucune n'est suffisam-
ment exacte. Artaud 9 après avoir dit en général : « Dans chaque carré qu'en-
tourent les entrelacs du labyrinthe, on voit un sujet gymnastique, c'est-à-dire
des génies dont les uns s'exercent à la lutte, d'autres au pugilat, d'autres à la
1. Artaud les envoie au baron Rambaud le 5 février : R-a
2. 29 avril 1823 ',ibid.
3. 22 janvier et i"' mars 1882 ; ibid.
4. Lettre du 22 janvier 1822.
5. Cité plus haut.
6. Martin-Daussigny à l'architecte en chef, 23 avril 1875 ; M'b.
7. 1887, p. 135, n" 16^^1899, p. 207, n" 17.
8. Pass. cité.
9. 1835, p. 85 ; cf. sa lettre du 22 janvier 1822 : « ...labyrinthe avec figures relatives au combat de
l'amour... ».
— 107 —
chasse, etc. », signale spécialement « un des tableaux où l'on voit Éros et
Antéros dans l'action de combattre, comme s'ils étaient au milieu du gym-
nase ». La description du Catalogue sommaire n'est qu'un extrait de celle-là,
sans mention particulière du tableau principal : « Dessin formant labyrin-
the ; dans chaque carré qu'entourent des entrelacs, des génies s'exercent à
la lutte, au pugilat ou à la chasse » ^ Celle de V Inventaire des mosaïques ne
dérive ni de l'une ni de l'autre et n'est pas meilleure : <( Lutte d'Hros et
d' Antéros. Scènes de chasse. Labyrinthe (?) formé de triangles noirs et
blancs séparés par des torsades. Bordure formée par une torsade polychro-
me ».
Le champ 2 est blanc, le décor polychrome. Dans le double labyrin-
the d'une suite de triangles noirs ou têtes de diamants et d'une torsade,
l'une et l'autre bordées de filets noirs, s'encadrent, posés en damier sur
trois lignes longitudinales et cinq lignes transversales, huit petits tableaux
carrés, déhmités par un filet noir et par une torsade identique pour tous,
mais différente de celle du labyrinthe. Les deux panneaux de la base con-
tiennent des rosaces différentes ; les six autres, des figures humaines ou ani-
males ; les deux panneaux que traverse le grand axe, et ceux-là seulement,
des génies ; le panneau supérieur, deux génies qui luttent, Éros et Antéros,
si l'on veut ; le panneau inférieur, un génie, dans l'attitude du lutteur vain-
cu qui demande grâce, le genou gauche à terre, la main gauche derrière le
dos, la main droite en l'air ; les deux panneaux que traverse le petit axe,
celui de droite, un jeune chasseur, le pedum dans la main gauche, le bras
droit allongé horizontalement, accompagné d'un chien et courant vers la
gauche ; celui de gauche, la bête qu'il poursuit, un lièvre, avec l'arbre que le
lièvre va dépasser dans sa fuite ; enfin, les deux tableaux du sommet, deux
figures presque symétriques, chacun un enfant, lutteurs isolés qui se font
face. Toute cette décoration est entourée d'abord par une hgne de triangles
noirs identiques à ceux du labyrinthe, bordée également de filets noirs ;
puis par une Hgne de dents de scie noires ; ensuite par une tresse entre deux
filets noirs ; enfin par une étroite bande noire.
1. Comp. Bazin, Vienne et Lyon gallo-romains, p. 382 : « Elle représente, avec les attitudes les plus
variées, dans les détours d'un labyrinthe, des petits génies s'exerçant à la lutte, au pugilat, à la chasse ».
2. Voir la fig. 12, qui est une réduction en noir de la planche XXX d'Artaud.
— 108 —
2. Quel titre faut-il donner à la mosaïque Seguin? L'appeler « mosaï-
que du labyrinthe » ^ dire qu'elle représente un labyrinthe 2, c'était choisir
pour la désigner un élément accessoire et banal. Artaud l'intitule dans sa
notice « mosaïque des exercices de la palestre » et le Catalogue sommaire 3
reproduit cette appellation qui est doublement impropre, d'abord en ce
qu'elle ne convient pas à deux des tableaux, la chasse n'étant pas un exerci-
ce de la palestre, puis en ce qu'elle n'indique pas le caractère fantaisiste des
exercices : une palestre où luttent des génies est-elle une palestre réelle ? Le
titre adopté par M. Héron de Villefosse 4, « les Lutteurs «, a le premier de
ces défauts : tous nos personnages ne sont pas des lutteurs ; en outre, il est
par trop vague. Celui qu'on rencontre plusieurs fois dans le dossier des
archives municipales, « mosaïque des Jeux d'enfants », n'a pas non plus
toute la précision désirable : les jeux sont-ils quelconques ou bien la nudité
de tous les personnages est-elle spécifique? Les joueurs sont-ils tous de la
même sorte, du même monde ? Peut-être faudrait-il dire « exercices gym-
nastiques de génies et d'enfants » 5. Non seulement ce titre serait une défi-
nition à peu près complète du sujet, mais il en indiquerait le manque d'unité
rigoureuse, le rapprochement bizarre des deux mondes, humain et divin.
Je dis rapprochement et non pas mélange, le divin occupant la place
d'honneur, toute la région centrale de la composition. A ce point de vue, on
peut comparer notre mosaïque avec celle d'Oudna ^, dont le grand tableau
pittoresque nous montre aux quatre angles des hommes péchant à la ligne,
assis sur les rochers du rivage, et, au centre, sur la mer, des barques mon-
tées par des Amours rameurs et pêcheurs. Ici encore il y a juxtaposition et
non mélange des deux mondes ; mais ce n'est point un cadre qui les sépare :
à chacun son élément, au divin la mer, qui est aussi la place d'honneur, à
l'humain la terre. Tout le sujet ne forme donc qu'un tableau, tandis qu'il en
forme plusieurs dans la nôtre.
1. Traité du maire avec les marbriers, cité plus haut.
2. Cochard, pass. cité.
3. De même Bazin, pass. cité.
4. Dans Bulletin archéologique du Comité, 1894, p. 227.
5. Encore la chasse n'est-elle pas un exercice gymnastique, au sens ancien du mot. « Sportifs » vaudrai t
mieux, si le mot était français.
6. Inventaire des mosaïques de la Gaule et de l'Afrique, II, n° 402.
— 109 —
Disons même qu'il en forme plus que de raison. Le chasseur et la bête
qu'il poursuit en font deux et n'en devraient faire qu'un. Je n'ose affirmer
catégoriquement que tel est aussi le cas des deux athlètes du sommet;, qui
ont l'air de s'affronter par delà leurs cadres et les méandres : on peut les
concevoir comme une paire de lutteurs et c'est sans doute la conception la
plus naturelle ; mais on peut à la rigueur soutenir qu'ils se livrent chacun
pour soi à l'exercice d'entraînement qui consistait en la manœuvre des
poings dans le vide ^ Il n'en restera pas moins que l'artiste a isolé, une fois
sinon deux, des figures faites pour être réunies. C'est la seconde bizarrerie
de notre mosaïque, beaucoup moins rare que la première. Nous avons déjà
constaté dans les mosaïques d'Orphée charmant les animaux l'usage fré-
quent de ce procédé arbitraire, absurde, mais jugé favorable à l'effet déco-
ratif. La célèbre mosaïque des promenades de Reims 2 nous en fournit un
autre exemple tout à fait caractéristique : les trente-cinq panneaux dont elle
se compose renferment, soit un bestiaire séparé par un double cadre du
fauve qu'il combat, soit un gladiateur que le même obstacle éloigne de son
adversaire ; soit un chasseur, deux chiens et les deux bêtes qu'ils poursui-
vent, répartis en cinq cases contiguës, mais distinctes. Les mosaïstes ro-
mains n'ont pu en venir à ce dédain de la vraisemblance qu'assez tard, après
avoir pris l'habitude mauvaise de développer outre mesure le cadre orne-
mental, qui exigeait beaucoup moins de savoir-faire, au détriment du
tableau pittoresque, lequel fut tantôt seulement rétréci, comme dans notre
mosaïque Cassaire, tantôt seulement morcelé, comme dans notre mosaïque
Montant, parfois rétréci tout ensemble et morcelé, comme dans notre
mosaïque Seguin, où la surface totale des six tableaux à figures est infime par
rapport à celle que garnissent les méandres et les bordures. S'étant laissé aller
à fragmenter la scène pittoresque, à disperser les figures, à les isoler, à traiter
chaque groupe ou chaque figure comme un tout indépendant, le peintre en
mosaïque finit par ne plus se faire scrupule de séparer même ce qui était
logiquement inséparable 3. Bref, la mosaïque Seguin appartient sans doute,
comme la mosaïque Montant, au déclin du iii^ siècle.
1. Dict. des antiq. gr. et rom., art. pugilatus, IV, p. 755.
2. Inventaire des mosaïques de la Gaule, n^ 1072. Figure dans A. de Caumont, Abécédaire d'archéologie,
Ère gallo-romaine, z^ éd., p. 67.
3. Voir Gauckler, art. Musivum, dans Dict. des antiq. gr. et rom., III, p. 21 13.
— 110 —
Nombreux sont, en Afrique surtout S les pavements où l'on voit des
scènes de chasse ; rares, au contraire, ceux qui représentent des scènes de
lutte. Les combats de l'Amour et de Pan mis à part ainsi que d'autres sujets
mythologiques 2, V Inventaire des mosaïques n'en cite qu'un exemple 3, outre
celui-ci, pour l'ensemble des Gaules, une mosaïque de Reims, dont le
tableau central, médaillon circulaire, contient deux pugilistes aux prises. Il
n'en cite que cinq pour l'Afrique 4. La figuration la plus importante et la
plus curieuse des jeux de la palestre, dans le domaine de la peinture en
mosaïque, est le pavé de Tusculum ^. Elle comprend la lutte proprement
dite, ou lutte à mains plates, représentée par plusieurs couples ; le pugilat
ou boxe avec cestes ou gantelets ; le pancrace, lutte qui tient de la boxe en
ce que les coups de poing y sont permis, mais les coups de poing nu ; la
course, le saut, le jet du disque; en un mot la série à peu près complète des
exercices palestriques ^ ; et, outre les acteurs de ces divers jeux, des gymna-
siarques, des athlètes au repos, des accessoires qui signifient clairement le
lieu de la scène. Dans notre pavement, les deux petits athlètes du tableau
principal sont des lutteurs. Nous devrions, en bonne règle, appeler pancra-
tiastes ceux de la rangée la plus haute, qui ont les poings fermés et nus. Mais
ce sont plutôt des pugilistes dont le peintre aura négligé ou ne se sera pas
cru capable de figurer les cestes. L'athlète agenouillé de la quatrième ran-
gée transversale n'a pas non plus les poings armés ; cependant, son attitude
ne convient qu'à un pugiliste 7.
On ne saurait dire, à la nudité près, que notre chasseur enfant, qui,
avec son chien, court le lièvre, sa houlette ^ à la main, soit un personnage de
fantaisie. C'est aussi la réalité qui a fourni le prototype de nos petits athlètes
1 . Voir les tables de l'Inventaire des mosaïques.
2. P. ex., le combat des boxeurs Darès et Entelle (Inventaire des mosaïquei de la Gaule, n°^ 44 et 104).
3. Ibid.. n° 1077.
4. Inv. des mos. de la Gaule et de l'Afrique, II, i, 18, 71 /, 929 ? ; III. 409.
5. Annali dell' Instituto, 1863, p. 397 et suiv. ; Monumenti delV Instituto, VI, pi. 82.
6. Voir les articles Gymnastica, Gymnasium, Lucta, Pugilatus, du Dict. des ant. gr. et rom.
7. An. pugilatus, p. 758.
8. « Le pedum n'était d'abord qu'une massue moins lourde et légèrement recourbée, à laquelle son
affectation particulière à la chasse au lièvre a valu en grec le nom de lagobolon... Son nom indique qu'on
pouvait la lancer sur la bête pour l'assommer ou l'étourdir < (Art. Venatio, p. 684, dans le Dict. des ant
gr. et rom. ; comp. ibid., art. Pedum, p. 369, fig. 5539, chasseur armé du pedum).
— 111 —
sans ailes. Les Grecs se livraient dès l'enfance, du moins dans les palestres
privées, aux exercices gymnastiques, et dans plusieurs de leurs grandes
solennités nationales il y avait des concours d'athlètes enfants K Au do-
maine de la fiction sont empruntés seulement les deux génies lutteurs et le
génie pugiliste. Des génies en lesquels s'est multiplié l'Amour, fils de Vénus,
on sait que l'art hellénistique et gréco-romain a fait l'usage le plus large,
pour représenter sous une forme badine et gracieuse, ou plutôt transposer
dans un monde imaginaire, toutes les occupations, toutes les distractions de
la vie humaine. Les amours abondent, par exemple, dans les fresques cam-
paniennes et les mosaïques africaines, amours musiciens, danseurs, auriges,
gladiateurs, bestiaires, cavaliers, chasseurs, vendangeurs, pêcheurs, ra-
meurs, artisans de tous les métiers. Les sculpteurs et les peintres ont aussi
transformé en Éros les acteurs des divers exercices de la palestre, spéciale-
ment ceux de la lutte. Nous connaissons un bas-rehef qui figure une scène
palestrique à plusieurs personnages, parmi lesquels un couple de lutteurs,
où tous les rôles sont joués par des amours 2. Mais les groupes réduits à
deux amours lutteurs sont la règle 3. Des exemples que j'ai vus aucun n'est
une peinture en mosaïque. Aucun, les attitudes y étant variées, ne ressem-
ble exactement ni approximativement au groupe de notre tableau, où le
lutteur de droite, porté par sa seule jambe gauche, le pied droit en avant et
en l'air, serre dans sa main gauche la droite et avec sa droite repousse la tête
de son rival, tandis que le lutteur de gauche, posé sur ses deux pieds, le
gauche en avant, semble vouloir de son bras hbre, invisible en partie der-
rière la cuisse de l'adversaire, atteindre la taille de celui-ci.
3. Faut-il admettre que l'un des deux — dans l'affirmative il sera im-
possible de dire lequel — figure Antéros? Et d'abord qui est, au juste, ce
1. Dict. des a nt.gi.it rem., art. Athleta, l, p. 517.
2. Schœne, Griechùche Reliefs, pi. XIV, n° 70. Le lutteur de gauche a une attitude de pancratiaste, celui
de droite une attitude de pugiliste. — Dans le relief cité comme exemple par Clarac, Musée de sculpture,
pi. 187, n° 223, la scène palestrique (Hermès juge, discobole, lutteurs, pancratiastes, pugilistes) est jouée
par des enfants, non par des génies.
3. Reliefs : du Louvre, Clarac, pi. 187, n^ 223 ; de Métaponte, Gazette archéologique, 1883, p. 68 ; —
miroir à reliefs trouvé en Russie méridionale. Comptes-rendus de St-Petersbourg, 1869 ; pi. I, 29 ; Dict. des
antiq. gr. et rom., Lucta, p. 1432, fig. 4618 ; — terres cuites, Pottier et Reinach, La nécropole de Myrina, I,
p. 337 et suiv. ; pi. XVII, 4 ; catalogue n'^ 82, 83 ; 84 ; — etc.
— 112 —
personnage ^ ? Étymologiquement, suivant la valeur que l'on donne au pré-
fixe, Antéros signifie soit le réciproque de l'amour, l'amour qui répond à
l'amour, l'amour partagé ; soit l'adversaire de l'amour, c'est-à-dire ou bien
la résistance à l'amour, ou bien un amour qui s'oppose à un autre, les deux
pouvant être de même espèce, comme lorsque deux amants, l'éraste et
l'antéraste, se disputent la posesssion d'une amante, mais aussi l'un, Éros,
pouvant être l'amour naturel de l'homme pour la femme, l'autre, Antéros,
l'amour contre nature de l'homme pour l'homme. La première signification,
garantie par les textes, ne se révèle dans aucun monument. Ceux qui repré-
sentent d'une façon certaine cette allégorie mythologique se rapportent à la
seconde et, selon toute probabilité, à sa dernière variante, à la passion vicieu-
se si commune dans le monde grec et si impudemment avouée. C'est dans
les gymnases, parmi la jeunesse masculine, que le culte d' Antéros semble
avoir pris naissance et avoir prospéré. La tradition écrite et peut-être la tra-
dition monumentale ^ attestent un troisième sens, Antéros vengeur de
l'amant dédaigné, moins conforme à l'étymologie, mais qu'on y peut ratta-
cher avec quelque effort : le vengeur se dresserait contre Éros pour châ-
tier son dédain, sa cruauté. Amour étant tenu responsable du mauvais
accueil fait à l'amoureux.
Les monuments qui représentent d'une façon certaine Antéros sont
fort rares, si l'on applique la règle qu'on doit le reconnaître là seulement où
il se distingue d'Éros par un caractère spécifique, la forme de ses ailes, con-
tournées et recoquillées, comme celles des sphynx, des harpyes, des grif-
fons, etc. Qu'une convention artistique lui ait d'abord assigné cet attribut,
cela n'est point douteux. Tel nous le voyons sur un relief d'Ischia 3 où il
1. Voir Boettiger, Éros und Antéros, dans ses Kleine Schriften, I, p. 159 et suiv. ; Welcker, Griechische
Gœtterlehre, II, 727 ; III, 195 et suiv. ; Furtwaengler, dans Roscher, Lexikon d. gr. mythol., I, col. 1343 et
1 367 et suiv. ; Wernicke, dans Pauly-Wissowa, Real. EncycL, I, col. 2354 et suiv.
2. Si l'on admet qu'Antéros châtie Éros pour ce motif, et non pour quelque autre, sur la gemme citée
par Hinck, dans Annali delV Instituto, 1866, p. 92, note 2 ; sur les autres gemmes citées par Hinck, p. 85,
note 4, p. 91, note 7, p. 92, note i, les deux génies dont l'un châtie l'autre ayant des ailes pareilles, on ne
saurait dire au juste si l'un est Antéros ou si l'un et l'autre sont des Éros. Même observation pour la fresque
pompéienne (ibid., pi. EF' ; Helbig, Campanische Wandgemslde, n" 827) où un Éros assiste moqueur
au châtiment d'un autre.
3. Museo borbonico, XIV, pi. 34 ; Mueller-Wieseler, Denkmxler, II, pi. 52, n» 664 ; Braun, Antike
Marmorreliefs, 2, 5 6 ; Baumeister, Denkmœler, fig. 542. Cf. Montîaucon, Antiquité expliquée, I, i"^ partie
p. 194, pi. après la planche 122.
— 113 —
dispute une palme à Éros, réplique du même type que le monument con-
templé par Pausanias ^ dans le gymnase d'Élis ; tel sur un relief du palais
Colonna 2, où il court avec Éros la course du flambeau ; tel sur une gemme 3
où il attache Ëros au tronc d'un arbre, soit après l'avoir vaincu à la lutte
soit pour le punir de quelque méfait. Mais, sur tous les autres monuments 4,
et ils sont assez nombreux, qui nous montrent deux Éros aux prises, leurs
ailes sont pareilles. Ou bien donc la distinction conventionnelle fut négligée
avec le temps, ce qui est fort vraisemblable, ou bien ces figures sont, non
pas Éros et Antéros, mais deux Éros, mis en conflit, non par quelque anti-
pathie de nature, mais par le simple caprice d'un artiste. Le tableau princi-
pal de notre mosaïque étant l'un de ces monuments, le nom que chacun
donnera aux lutteurs dépendra du choix qu'il aura fait entre les deux hypo-
thèses.
A supposer qu'ils soient Éros et Antéros, le sol romain de Vienne a-t-il
rendu un autre exemplaire de la même lutte, comme le pense M. Héron
de Villefosse ? 5 Ce serait le groupe, détruit dans l'incendie de la bibliothè-
que, mais connu par un moulage, des deux enfants qui se disputent une
colombe, oiseau de Vénus, présent usuel de l'éraste à l'éromène, de l'amant
à l'aimé. La conjecture est spécieuse, mais improbable. Selon toute vrai-
semblance, non seulement l'un de ces deux rivaux, qui n'ont pas d'ailes,
notons le bien, ne figure pas Antéros, mais tous deux figurent des enfants
quelconques ^.
1. VI, 23, 4. Passage connu d'Artaud, 1835, p. 58.
2. Braun, 2, 5a ; Baumeister, fig. 541 .
3. Hinck, ouv. cité, p. 92, note 2.
|. Cités plus haut, à part notre mosaïque.
5. Gazette archéologique, 1878, p. 115, pi. XX. Dans ce même article, p. iio et suiv., M. Héron de
Villefosse identifie avec Antéros l'un des Amours qui, selon lui, donnent à Vénus la représentation du retour
d'Adonis blessé après l'accident de chasse, sur la pyxis de Vaison {ibid. pi. XIX), et l'un de ceux qui figurent
sur la fresque pompéienne (Helbig, n" 340, pi. C) d'Adonis mourant entre les bras de Vénus. Sur la pyxis de
Vaison, Allmer (Bull, de la société départ, d'archéol. et de stat. de la Drôme, 1876, p. 300) avait cru recon-
naître l'issue de la lutte entre Éros, vainqueur, mais blessé à la jambe, et Antéroj. La parité du ailes rend
toutes ces hypothèses très fragiles.
6. C'est l'opinion de Millin, Voyage dans les départemens du midi de la France, II, p. 55.
— 114 —
VI. MOSAÏQUE CUCHERAT (LES POISSONS)
Bibliographie. — A celles des chapitres précédents ajouter : Archives
municipales, série M^ Palais des Arts (travaux, dossiers de Tarchitec-
ture, 1850- 1870) -=^ Arch. mun., M^g ; et, pour le surplus, voir
les notes.
I. Selon le témoignage de Comarmond ^, alors conservateur des
musées archéologiques, ce pavement fut découvert « à Lyon, en 1843, dans
la rue Jarente, n^ 4, près de la rue Vaubecour, en creusant la cave de la
maison de M. Cucherat, avocat, qui a eu la générosité d'en faire hommage à
la ville... Cette mosaïque se trouvait à quelques centimètres au-dessous
d'une cave de la maison en construction, dont les fondations ne l'avaient
heureusement pas coupée ; elle occupait les deux tiers, en superficie, de
cette cave et était enfouie à environ cinq mètres de la surface du sol «. Elle
« fut transportée au musée peu de temps après sa découverte et placée dans
la grande salle des plâtres moulés sur l'antique ». Comarmond ajoute 2 :
« Quelques parties de cette mosaïque avaient été dégradées avant sa décou-
verte ; elles ont été restaurées avec soin et l'œil ne peut démêler la partie
moderne d'avec la partie ancienne )>. Le dossier des archives municipales
est ici exceptionnellement pauvre. D'un mémoire du maître maçon Quin-
ty 3, il résulte que l'ablation eut lieu en juin-juillet 1844. Ce mémoire, qui
concerne, non l'ablation elle-même, mais la remise en état de la cave.
1. Description..., p. 691. La découverte est annoncée dans le Revue du Lyonnais, 1843, l, p. 499. Le
pavement gisait, d'après l'auteur de la note, à « environ 3 mètres de profondeur ". « Il serait à désirer,
ajoute-t-il, que cette mosaïque... soit achetée par la ville et conservée pour notre musée... ».
2. P. 693.
3. R^a.
— 115 —
s'élevait à 304 fr. 80. L'architecte de la ville, Dardel, le réduisit à 93 fr. 70,
alléguant que la majeure part des travaux représentait des améliorations
faites par le propriétaire à son local. Or, « la ville n'a accepté la mosaïque de
M. Cucherat qu'à titre gratuit et aux seules conditions de réparer les dom-
mages causés par son enlèvement ». Cucherat protesta ^ contre « une erreur
dont il ne pouvait être dupe » et menaça de recourir à la justice. Mais le
maire l'informa 2 qu'après nouvel examen du mémoire la ville consentait à
lui payer une somme de 260 fr. 52, et son acceptation 3 mit fin à l'incident.
Comarmond ne donne pas la date de la repose. Elle aurait eu lieu au com-
mencement de 1845, d'après une annotation marginale à la lettre du 5 août
1856 4 par laquelle le préfet annonce à l'architecte que le conseil municipal
a ouvert au budget un crédit de 600 francs pour entourer d'une barrière « la
mosaïque Cucherat dans la grande salle des plâtres ». C'est la date la plus
probable, quoique deux autres pièces indiquent 1 847, le devis de Mora, du
28 décembre 1874 5^ pour le déplacement dont nous allons parler, et la
lettre de l'architecte ^ transmettant le lendemain ce devis au préfet.
Quoi qu'il en soit, ce fut la première mosaïque posée dans cette galerie
installée en 1839 au premier étage de l'aile orientale 7. Nous avons vu que la
mosaïque des Jeux du cirque et celle des Exercices de la palestre vinrent l'y
rejoindre en 1870 ; mais qu'une des trois seulement, la mosaïque des Jeux
du cirque, se trouve encore aujourd'hui dans cette partie du palais Saint-
Pierre s, devenue la galerie des peintres contemporains après avoir été le
musée Bernard 9. Lorsque la première transformation s'accomplit, il fallut
diviser le local en plusieurs compartiments et certaines des cloisons eussent
coupé les deux autres mosaïques. L'inconvénient paraissait négligeable à
M. Bernard, qui proposait tout simplement de les couvrir. Mais le direc-
teur, Martin-Daussigny, fit observer que ce sacrifice n'irait point sans pro-
1. /6ii., 7avril 1845.
2. Ibid., 5 mai 1845.
3. /ôid., -26 juin 1845.
4. Mig.
5. M«a.
6. M'b.
7. Voir Eug. Vial, dans les Musées de Lyon (en IQ06), p. 16
8. Voir ch. I, § IV.
9. Vial, ibid., p. 17 et 30. -
— 116 —
voquer le mécontentement des archéologues ^ et une solution plus favorable
fut adoptée. La mosaïque des Jeux du cirque, qui tenait le milieu, gardant
sa place, les deux autres furent enlevées pour être reposées au rez-de-chaus-
sée de l'aile méridionale, dans l'ancien réfectoire du monastère, lequel
avait été, depuis 1795, la salle de la Bourse et devenait la galerie des bustes,
ouverte au public vers la fin de 1877 2. Le devis de Mora père et fils, pour
l'enlèvement des deux pièces, s'élève à 4.100 francs. Il est du 28 décembre
1874 3. En le transmettant au préfet, le 29 décembre 4, l'architecte réduit la
dépense à 4.000 francs, dont 1.800 francs pour la mosaïque des Exercices de
la palestre et 2.200 pour celle des Poissons. Il résulte d'une lettre de Martin-
Daussigny à l'architecte 5, que la repose n'est pas encore faite le 23 avril
1875, et, d'une lettre de Mora ^, concernant le règlement de comptes,
qu'elle est faite le 24 janvier 1876.
2. La mosaïque Cucherat est un rectangle assez voisin du carré. Mais
les dimensions données par Comarmond 7, 3 m. 73 x 3 m. 63 ; par Mar-
tin-Daussigny ^, 3 m. 75 X 3 m. 64; par le Catalogue sommaire des Musées 9
et r Inventaire des Mosaïques ^°, 3 m. 75 et 3 m. 63, ne sont pas exactes ; du
moins ne conviennent-elles point au pavement tel qu'il existe dans la salle
du rez-de-chaussée. Les grands côtés mesurent 4 m. 08 et 4 m. 06 ; les
petits, 3 m. 66. Comarmond en a fait une description presque complète ",
la meilleure sans conteste parmi ses descriptions de mosaïques, lesquelles
sont, en général, confuses et diffuses, bien qu'elle ne soit ni tout à fait
exempte de ce double défaut, ni assez précise sur la plupart des points. Par
contre, l'auteur du Catalogue sommaire néglige entièrement la presque
totalité de l'œuvre et ne donne même pas une idée pleine de la seule partie
dont il s'occupe : « La décoration de cette ;9lie mosaïque comprend deux
I. M'b ; Martin-Daussigny A l'architecte en chef de la ville, 22 décembre 1874.
a. Vial, ibid,, p. 17 et suiv.
3. M'a.
4. Mib.
5. Mia.
6. Ibid.
7. P. 693. Le chroniqueur de la Revue du Lyonnais dit qu'elle a 4 mètres de enté..
8. Lettre du 23 avril 1875, arch. mun., MIa.
9. 1887, p. 133, n° II 1899, p. 206, n° 13.
10. I, n° 728.
11. Le chroniqueur de la Revue du Lyonnais l'a décrite fort sommairement : « Elle est composée d'une
rosace autour de laquelle régnent des ornements de différente nature et une bordure où se jouent des pois-
sons, des dauphins et des canards becquetant des cerises «.
— 117 —
chevaux, un bœuf et un griffon marins, trente et un poissons, sept dau-
phins, deux sarcelles, un crabe, une crevette, quatorze coquillages et sept
oursins ». Au lieu de recourir à Comarmond, s'il ne pouvait examiner l'ori-
ginal, le rédacteur de V Inventaire des mosaïques s'est contenté de cette
source ^ et, en outre, il a omis par mégarde un mot nécessaire, l'aajectit
marins. Nous allons voir que la mosaïque des Poissons constitue un ensem-
ble très complexe où tiennent leur place, avec les animaux ci-dessus énu-
mérés, mais non situés, beaucoup d'autres éléments 2.
Le décor, polychrome sur champ blanc, se compose de cinq parties.
Au milieu, un espace circulaire, délimité par une torsade entre deux cou-
ples symétriques de filets noirs, renferme deux motifs séparés par un filet
noir : une rose centrale formée de quatre boutons de lotus alternant avec
quatre feuilles cordiformes, puis sept zones concentriques de triangles
curvilignes, les uns noirs, les autres blancs, disposés en damier. Entre la
première torsade et une deuxième accompagnée d'un seul filet noir de part
et d'autre, celle-ci parallèle aux côtés de la mosaïque, sauf qu'elle dessine
des quarts de cercle rentrants aux quatre coins et des demi-rectangles
rentrants vers ses intersections avec les deux axes, se répètent en diagonale,
d'une part, deux cratères, accostés chacun d'une palme, et une double
feuille d'acanthe qui les relie ; d'autre part, un rinceau à feuilles cordifor-
mes, qui se replie sur lui-même, avec une double feuille d'acanthe analogue à
la précédente et posée symétriquement. Tous les quarts de cercle dessinés
par la deuxième torsade contiennent, dans le cadre d'un filet noir, un motif
en éventail qui paraît être la stylisation d'une grande nageoire, tous les demi-
rectangles un autre motif qui paraît être la stylisation d'un aviron de
gouverne. Au-delà règne une large bande rectangulaire, bordée à l'inté-
rieur d'une tresse en chaînette, à l'extérieur d'une troisième torsade, l'une
et l'autre comprises entre deux filets noirs ; cette bande figure, sur les
quatre faces de la mosaïque, une portion continue de mer dans laquelle
nagent les animaux que le Catalogue et l'Inventaire se bornent à énumérer :
au milieu d'un grand côté, un cheval marin adossé à un bœuf marin ; au
I. Hipp.Bazin, Vienne et Lyon gallo-romains, p. 380, s'en est contenté aussi et l'a reproduite encore moins
exactement.
3. Voirnotrefig. 13.
— 118 —
milieu de l'autre, un griffon marin adossé à un cheval marin ; le reste
des animaux est distribué sans symétrie ; les deux sarcelles vont ensemble ;
des trente et un poissons, vingt-deux ont la taille d'une petite carpe,
neuf sont de taille moindre. Après la troisième et dernière torsade, mais
seulement sur les deux petits côtés de la mosaïque, se développe, enca-
drée d'un filet noir, une étroite frise rectangulaire dont le décor est un
rinceau de feuilles cordiformes.
Ce qui fait l'originalité de la mosaïque Cucherat, c'est sa composition.
Les divers motifs ornementaux qu'on y trouve, se retrouvent dans d'autres
mosaïques ; par exemple, on en retrouve même deux — le cratère et la
nageoire stylisée — dans la mosaïque de Sainte-Colombe qui figure l'enlè-
vement d'Hylas \ Mais aucune, à ma connaissance, ne présente un ensem-
ble rappelant de près celui que borde ici la mer poissonneuse. Les pavements
à monstres marins, à poissons et autres bêtes aquatiques, sont nombreux en
Gaule 2 et en Afrique. Par la densité ou le pêle-mêle des animaux qui peu-
plent la nappe liquide, plusieurs peuvent être rapprochés du nôtre, ceux de
Sousse et de Dougga (Tunisie) 3, ceux de Jurançon (Basses-Pyrénées), de
Theus (Lot-et-Garonne), de Gée-Rivière (Gers) % celui de Saint- Cricq-de-
Maureilhan (Landes), fond de piscine avec « monstres marins, poissons et
insectes de mer posés dans tous les sens comme un semis » 5. La nappe
d'eau sous la forme d'un cadre rectangulaire est plus rare. Dans une mosaï-
que de Pompéi 6, elle entoure un carré central à dessins géométriques ; dans
une mosaïque de Fourvière 7, que nous avons découverte en 19 14, M. Ger-
main de Montauzan et moi, elle entourait jadis un tableau détruit avant nos
fouilles. Mais les animaux qui nagent dans celle de Pompéi sont tous des
monstres marins, tandis que dans celle de Fourvière, comme au pourtour
de la mosaïque Cucherat, se mêlent monstres, poissons et coquillages. Ce
1. Inventaire des mosaïques, 1, 224 ; cf. l'album.
2. Voir Héron de Villefosse, la Mosaïque de Rouquet près de Tarascon, dans Bulletin archéologique du
Comité,.., 1908, p. 138 et suiv.
3. Inventaire des mosaïques, II, 142 et 560 ; cf. l'album.
4. Ibid., l, 409 (cf. l'album), 444 et 529.
5. /6zd.,I,435.
5. Gauckler, article Musivum, p. 2.105, fig. 5.245, dans Dict. des Antiq. gr. et rom.
7. Voir Germain de Montauzan, les Fouilles de Fourvière en 1913-1914 ; Lyon-Parts, 1915 (Annales de
V Université de Lyon, nouv. série, II, fasc. 30), p. 42 et suiv.
— 119 —
qui la distingue de ce pourtour, ce sont les coupes marquant les extrémités
des axes, et les bateaux, montés par des pêcheurs, qui occupent les angles.
3. N'oublions pas de noter qu'il y avait une deuxième mosaïque Cuche-
rat. Au-dessous de celle que nous avons décrite, Comarmond ^ remarqua
sur le sol vierge « un pavé cyclopéen en granité », puis, à quelques centi-
mètres plus haut, « un carrelage en briques romaines » ; à côté de la mosaï-
que, mais à deux mètres environ en remontant vers le niveau moderne,
« une seconde mosaïque mutilée d'une assez grande dimension, d'un travail
grossier et qui nous a paru, dit-il, ne dater que du très bas empire ; les
ornements en cubes de marbre noir étaient placés sur un fond blanc et
représentaient des filets et la tige d'une plante formant des rinceaux >k Cette
superposition 2 est sans nul doute l'une des deux auxquelles il faut rapporter
ce témoignage du même : « Nous avons vu à Ainay et à la Déserte ...des
mosaïques du viii® ou ix^ siècle, superposées chacune à une distance d'un
mètre et demi environ sur une mosaïque des deux premiers siècles » 3.
1. Description..., p. 683.
2. Il y avait eu superposition ; mais, seule, la partie débordante du pavement supérieur existait encore,
une excavation moins profonde que celle de 1843 ayant déjà fait disparaître le reste. Le chroniqueur de la
Revue du Lyonnais affirme inexactement que la mosaïque des Poissons était « recouverte à un demi -mètre
d'une autre mosaïque d'un travail grossier ».
3. Nous faisons, bien entendu, toutes réserves quant aux assertions chronologiques de Comarmond,
— 120
VII. MOSAÏQUE CONTAMIN (L'IVRESSE DE BACCHUS)
Bibliographie. — A celles des chapitres précédents ajouter : Archives
municipales, série R^, Musées (règlement, conseil d'administration,
fouilles, affaires diverses) = Arch. mun., R^b. Pour le surplus, voir les
notes.
I
I. Le 7 septembre 1 841, le Congrès scientifique de France, qui tenait à
Lyon sa neuvième session, fit à Vienne l'excursion d'usage et presque de
rigueur. « Deux mosaïques remarquables avaient été reconnues, en 1840,
dans les propriétés de M. Claude Contamin..., lieu dit des Gargattes »•
Mais c'est à l'époque de cette visite « qu'elles furent entièrement mises à
découvert par les soins bienveillants de M. Donat, maire de Vienne, et ceux
du propriétaire... Ces deux mosaïques reposent dans le sol, à environ un
mètre et demi de profondeur ; elles se trouvent placées sur un même plan et
distantes l'une de l'autre de cinq à six mètres. » Ainsi parle Comarmond S
témoin oculaire. Le Courrier de Lyon du 9 septembre 1841 confirme son
témoignage et le complète sur deux ou trois points : « A une heure les
mosaïques de M. Contamin ont été découvertes. Ces mosaïques sont à
quelques pas seulement l'une de l'autre, au midi du Champ de Mars, au
milieu d'un pré, et enterrées à un mètre et demi environ au-dessous du sol...
La première, la plus rapprochée du Champ de Mars, est la moins remar-
quable » 2.
1. Quelques explications sur des mosaïques de Vienne et en particulier sur celle dont la lithographie se trouve
dans ce volume, dans Congrès scientifique de France, g*^ session, tenue à Lyon en septembre 1841 ; t. II, p. 440 et
suiv. — Comp. Martin-Daussigny, dans Travaux archéologiques extraits des mémoires de l'Académie de Lyon,
1859-1867 ; Lyon, 1868 ; p. 165 : « ... la grande mosaïque trouvée à Vienne en 1840 au quartier des Gargat-
tes •; — Catalogue sommaire, 1887, p. 135, n° 15 1899, p. 207, n° 16 : « Trouvée en 1841, à Vienne (Isère),
au quartier des Gargattes ; — Georges Lafaye, Inventaire des Mosaïques, I, n°s 173 et 174 : « Vienne. Aux
Gargattes, dans la propriété de M. Claude Contamin, septembre 1841, à l'époque de l'excursion du Congrès
scientifique à Vienne 5.
2. J. Leblanc, les Mosaïques de Vienne, dans Bull, monum., 33, 1867, p. 383, se trompe manifestement :
« La première mosaïque, qui est aussi la plus petite..., a spécialement attiré leur attention » (il parle des
congressistes).
— 121 —
Nous sommes fort mal renseignés sur cette première mosaïque, acquise
comme l'autre, on le verra tout à l'heure, par la ville de Lyon, enlevée et
transportée en même temps, mentionnée dans VInventaire de M. Georges
Lafaye ^ comme étant au Musée, mais dont je n'ai point, jusqu'à présent,
retrouvé la trace certaine. J'en connais trois descriptions extrêmement
vagues et qui ne se ressemblent d'ailleurs guère entre elles. Comarmond ^
affirme qu'elle était en général mieux conservée que la seconde, qu'elle
mesurait 6 mètres en longueur et 2 m. 33 en largeur 3, qu'elle était « décorée
de médaillons à masque de théâtre avec des ornements variés de vases, de
tiges de plantes », et qu'une grecque entourait « les principaux sujets ».
Branche 4 lui attribue 32 caissons contenant « des losanges, des têtes de
Bacchus couronnées de pampre et de Cybèle couronnées de tours ». Le
Courrier de Lyon dit que « son dessin est une suite de petits compartiments,
des losanges, des carrés, des circonférences, s'enchassant entre des lignes
parallèles qui se croisent ». Je conjecture, surtout d'après cette dernière
description, qu'une bonne partie de ses morceaux utilisables est entrée dans
la décoration composite de notre vestibule des Antiques, et que presque
tous les éléments dont l'identification m'échappe lui appartiennent, toute la
frise de la paroi qui fait face à la Table Claudienne, toute celle de la paroi
qui porte cette table, hormis le caisson central où il est facile de reconnaître
le Pan d'Artaud, enfin celle de la paroi intermédiaire, hormis les trois pan-
neaux du milieu qui sont le lion à^ Orphée charmant les animaux et deux
rosaces de la Déserte 5.
2. La seconde mosaïque, la plus grande et la plus remarquable, telle
qu'elle était au moment de la découverte, ne nous est guère connue que par
la médiocre notice de Comarmond et par la figure qui l'accompagne, litho-
graphie de Storck d'après un dessin de Drivet et Pirouelle ^. La comparai-
1. N° 173.
2. P. 441. Reproduit par G. Lafaye.
3. La Revue archéologique, XV, 1858, p. 187, donne inexactement 6 m. X 4.
4. Compte rendu de l'excursion que le Congrès a faite à Vienne (Isère), le 7 septembre 1841, dans Congrès
scientifique..., p. 436. Ce compte rendu a été imprimé aussi dans la Revue du Lyonnais, XIV, 1841, p. 366 et
suiv., et dans le Bulletin monumental, VII, 1841, p. 618 et suiv.
5. Voir le chapitre IX, § II, n" 2.
6. Mentionnée par G. Lafaye dans le texte de son Inventaire, n" 174, et réduite au sixième environ dans
l'album où cette planche porte le sous-titre erroné : d'après Artaud. Notre fig. 14 en est aussi une réduction.
122
son de la figure avec ce qui reste aujourd'hui de l'original montre déjà,
comme il fallait bien s'y attendre, qu'elle n'a pas la fidélité rigoureuse d'une
photographie : le tableau central est traité fort librement et on relève un
grand nombre de détails inexacts dans les motifs accessoires de l'ornemen-
tation, laquelle était fort riche et compliquée. De plus, au témoignage de
Comarmond ^ la conservation de la petite mosaïque était en général meil-
leure que celle de la grande ; donc celle de la grande laissait beaucoup à
désirer. Or, si les dessinateurs ont marqué le vide du seul caisson entière-
ment détruit, ils ont négligé toutes les menues dégradations, qui devaient
être nombreuses. Mais cette comparaison et les données précises de la
notice montrent aussi que la lithographie nous offre pour l'ensemble une
image suflftsamment fidèle.
La mosaïque, à champ blanc et décor polychrome, rectangulaire hor-
mis qu'elle avait sur un de ses petits côtés un seuil qui en bordait la partie
médiane, les deux tiers environ, était entourée et quadrillée par un double
chapelet de petits losanges noirs qui la divisait en cinq rangées longitudi-
nales et neuf rangées transversales de compartiments, ou plutôt 44 de ces
compartiments avaient ce cadre, un seul, ne l'ayant pas, dépassait ainsi
quelque peu l'étendue des autres, celui qui contenait le sujet principal et
qui occupait la place du milieu dans la septième rangée transversale à partir
du seuil. Les autres cases quadrangulaires contenaient toutes un sujet orne-
mental différent, avec alternance des sujets dérivant du cercle et du carré.
Quelques-uns de ces caissons comportaient des effigies humaines ou anima-
les, la plupart seulement des figures géométriques ou des ornements divers.
Des motifs accessoires très variés, masques, vases, fleurs, oiseaux, etc.,
garnissaient les écoinçons des panneaux à sujets circulaires. Un seul pan-
neau manquait complètement, le premier à gauche de la cinquième ligne
transversale. Une rangée de deux sortes alternantes de fleurons décorait le
seuil que soulignait un rang de peltes. Les dimensions du pavement, non
compris ce seuil qui l'excédait d'environ o m. 58 -^ étaient 10 m. 33 3 et
1.P.441.
2. Nous verrons plus loin que ce seuil existe encore dans le vestibule des Antiques.
3. La différence entre la longueur primitive et la longueur actuelle de la mosaïque (lo m. 33 — 9 m. 56
o m. 77) représente une rangée transversale de caissons ( celle qui fut supprimée, nous le verrons, lors de
la deuxième repose) et une double ligne de losanges du quadrillage. — Le Rhône du 9 sept. 1841 et la Revue
archéoL, pass. cité, donnent par approximation 10 m. et 6 m.
— 123 —
6 mètres. Il mesurait donc, à très peu de chose près, 62 mètres en surface,
auxquels on peut ajouter approximativement deux mètres et un tiers pour
le seuil ^
Comarmond 2 croit avoir observé que « les caissons les plus mar-
quants » occupaient la rangée longitudinale du centre. Pour que l'observa-
tion soit juste, il faut la corriger ainsi : la plupart des caissons les plus mar-
quants occupaient cette rangée au-dessus du tableau principal. Immédiate-
ment au-dessus, il y avait un sujet circulaire accosté de quatre petits oiseaux;
dans le milieu, un satyre accroupi tenait un enfant enchaîné qui s'appuyait
sur ses épaules ; une zone de bustes et de sphinx qui les séparaient for-
maient le pourtour. Puis, en remontant, on voyait d'abord un lion parmi
six oiseaux ; ensuite, un Silène portant sur son épaule gauche un bâton avec
deux cistes de vendange aux extrémités ; plus haut, six poissons dans un
encadrement à rinceaux et rosaces ; plus haut encore, un oiseau dans un
cercle de biges et de cariatides avec quatre oiseaux différents aux écoinçons ;
enfin, les bustes des sept divinités de la semaine dans une bordure quadran-
gulaire commune et sept médaillons octogonaux de torsade. A droite et à
gauche de ce dernier caisson, il s'en trouvait deux autres assez marquants :
à droite, dans une couronne de chêne, deux oiseaux accouplés ; à gauche, un
labyrinthe circulaire, le labyrinthe de Crète, avec les têtes de Thésée et
d'Ariane au centre. En dehors de la rangée médiane que nous venons de
suivre, on remarquait aussi, à gauche des six poissons, un panneau à sujet
circulaire dont le motif central était une tête de Méduse. Quant à l'affirma-
tion de Comarmond 3 que tous les caissons les plus marquants « se ratta-
chent à la pensée de l'artiste », que « tous les objets représentés se rapportent
plus ou moins au sujet principal » 4, elle est manifestement fausse sous cette
forme générale. Quelques-uns des sujets secondaires étaient bien dans ce
cas ; mais l'artiste, pour le surplus, ayant donné carrière à sa fantaisie,
n'avait pas eu souci de ramener tous les détails de la composition à l'unité.
1. o ,58 X4(puisque le seuil bordai environ les deux tiers de la largeur du pavé)=^-2,32.
2. P. 443.
3. Ibid.
4. P. 444.
— 124 —
3- Quel était le sujet principal? Le jour de la découverte, séance te-
nante, d'après le Rhône du 9 septembre 1841, il fut « expliqué par un mem-
bre de l'Académie de Lyon ^ et par M. Thierriat^ d'une manière qui a reçu
l'assentiment de M. le sous-préfet, de M, Delorme 3 et de toutes les autres
personnes présentes. La force vaincue par le vin et la volupté^ tel est le sujet
de ce tableau allégorique où l'on voit Hercule ivre et fléchissant au milieu de
bacchantes dont les unes cherchent à lui ôter sa massue qu'il tient de la
main gauche, tandis qu'une d'elles, excitée par Silène, lui passe la main
sous le menton et donne à l'autre une direction qu'un reste de pudeur, chez
le héros, lui fait détourner de la main droite. Une foule de bacchantes
armées de thyrses aux bandelettes de toutes couleurs remplissent le fond du
tableau et regardent en riant la dernière résistance d'Hercule ». La même
explication est proposée, avec une variante malencontreuse, par Dominique
Branche \ l'un des assistants : « Le principal tableau semble représenter le
désarmement d'Hercule, tandis que, du haut de l'Olympe, regardent les
dieux étonnés ». Comarmond 5 refuse à bon droit de l'accepter. Selon lui,
« on a voulu tout simplement représenter une scène de bacchanale ; le héros
de la scène est Bacchus ivre, soutenu par le jeune « Empélus » ^. Si sa
description n'est pas toujours fidèle, ni son interprétation juste de tout
point, en somme il a raison sans doute et son opinion a prévalu 7. Un seul
détail du tableau peut faire songer à Hercule plutôt qu'à Bacchus, la massue
que porte le personnage. Mais le surplus révèle d'une façon manifeste
Bacchus et son cortège. « Bacchus chancelant et soutenu par un groupe de
bacchantes », telle est la définition, fort inexacte d'ailleurs, que donne la
Revue archéologique ^ : le cortège de Bacchus ne se compose pas ici de
1. M. Grandperret (Revue du Lyonnais, XIV, 1841, p. 266, note).
2. Conservateur des Musées de Lyon.
3. Inspecteur des monuments historiques de l'Isère et conservateur du Musée de Vienne.
4. Compte rendu..., p. 426.
5. P. 441 etsaiv.
6. J. Leblanc, dans Bulletin monumental, 1867, p. 383, reproduit cette explication avec la graphie vicieuse
« Empélus ".
7. Cependant M. Héron de Villefosse. dans Bulletin archéologiçue du Comité. 1804, p. 327, intitule
notre mosaïque l'Ivresse d'Hercule.
8. Pass. cité.
— 125 —
bacchantes seulement. Celle de M. Georges Lafaye ^ n'est pas exacte non
plus : « Bacchus soutenu par le jeune Ampélus et entouré de bacchantes et
de faunes » : dans le cortège de Bacchus, il n'y a ici aucune faune. C'est, à
ma connaissance, Martin Daussigny 2, bientôt suivi par Allmer 3, qui a, le
premier, formulé le titre reproduit dans le Catalogue sommaire des Musées
de Lyon et en tête de notre notice : « L'ivresse de Bacchus ».
Le tableau 4 comprend deux groupes de personnages, huit au premier
plan, huit à l'arrière-plan, tous couronnés, les uns de pampre et de lierre,
les autres de lierre seulement, plusieurs portant le thyrse. Au premier plan,
Bacchus se présente de face, nu, hormis que la pardaHde, ou peau de pan-
thère, nouée à son cou, retombe sur son dos, une massue dans sa main
gauche. Il se démène et titube en proie au transport de l'ivresse. Un jeune
bacchant, nu aussi — Ampélus, si l'on veut — , le soutient sous le bras
gauche ; à sa droite, une bacchante vêtue, de même que presque tous les
autres personnages des deux groupes, mais plus richement parée qu'aucun
autre, un voile sous la couronne, un rang de perles au cou, — Ariane peut-
être — essaie de le calmer en lui caressant le menton de la main gauche. Il
l'a saisie par le poignet droit pour l'écarter de son chemin ou pour prendre
appui sur elle. Trois autres comparses regardant vers lui se tiennent à sa
droite, derrière Ariane, dont un vieillard drapé dans son manteau, le thyrse
en main. Silène sans doute ; deux autres à sa gauche, regardant aussi vers
lui, un bacchant nu qui soutient la pardalide, une bacchante vêtue, le corps
vu de dos, la tête de profil, élevant une torche de sa main droite invisible et
portant, de sa gauche abaissée, un tympanum. Au second plan, derrière un
pli très nettement indiqué du terrain accidenté, émergent les bustes de huit
figurants, en groupe compact, qui contemplent la scène. Devant ce deuxiè-
me groupe, un grand thyrse enrubanné, que nulle main ne supporte, garnit
diagonalement l'angle supérieur droit par rapport à nous ; à l'angle supé-
1. Inventaire des mosaïques, , n° 174.
2. Revue du Lyonnais, 1867, 1, p. 173.
3. Bulletino delV Instituto arch. rom., 1867, p. 193.
4. Je le décris d'après l'original, tel qu'on le voit au musée . Cf. fig. 15. La lithographie de Storck le
traite, ai-je dit plus haut, fort librement. Quant à l'aquarelle communiquée par le commandant Espérandieu
et reproduite dans l'album de V Inventaire des mosaïques, le dessin en est inexact, le coloris faux.
— 126 —
rieur gauche, un rhyton est placé au-dessus d'un canthare, celui-là sur un
socle en l'air, celui-ci sur une base taillée dans la crête même du pli de
terrain.
Comarmond n'a pas vu que la pardalide était nouée par les deux pattes
antérieures au cou de Bacchus et lui servait de manteau. Il affirme que « des
bandelettes nouées sur le devant lui servent de collier » et que l'un des
comparses « tient une peau de tigre ou de panthère sur laquelle doit s'éten-
dre le héros ». Il a cru voir, à la droite du dieu, « deux bacchantes armées de
leur thyrse et deux faunes ». Il a pris la torche du dernier comparse à sa
gauche pour « une espèce de trident » et le tympanum pour « un bouclier à
tête de Méduse ». Il a situé le prétendu trident derrière le personnage
— « l'autre porte derrière lui )) — et le prétendu bouclier dans sa main
droite. Bref, il a fait preuve ici de l'inattention et de la négligence que nous
avons eu déjà souvent à lui reprocher. En outre, une fois de plus, sa manie
de la signification erotique a faussé son exégèse. Bacchus « semble attirer à
lui dans sa chute une jeune bacchante qu'il tient par le bras droit ; un senti-
ment d'amour semble n'être point étranger entre lui et cette femme dont la
main gauche lui caresse le menton... On se dispose à l'étendre sur une peau
de panthère... Il semble savourer les plaisirs du vin et ne point oublier ceux
de l'amour ». Si Comarmond a mieux identifié que Grandperret, Thierriat
et Branche le personnage principal, il a eu le tort, comme les deux premiers,
de le croire « vaincu », non seulement par l'ivresse, mais aussi par « la
volupté ».
Deux motifs dont les monuments figurés de l'antiquité grecque et
romaine offrent bien des exemples se combinent dans le tableau que nous
venons de décrire : d'une part, le thiase ou cortège de Bacchus ^ ; d'autre
part, Bacchus ivre, appuyé tantôt sur une seule, tantôt sur deux béquilles
vivantes 2. Pour l'ensemble, je ne connais aucune peinture en mosaïque ni
même aucun autre monument, qui rappelle de façon frappante la scène
pittoresque de notre mosaïque Contamin. Mais notre Bacchus, avec les
deux personnages qui le flanquent, est à rapprocher du trio analogue qui
1. Voir dans Daremberg et Saglio, Dictionnaire des Antiquités grecques et romaines, l'article Maenades
(vol. III, p. 1479 et suiv.).
2. Voir ibid., l'art. Satyri (vol. IV, 2, p. 1.095).
— 127 —
décore le panneau central d'un pavement de Carthage ^ : Bacchus ivre,
tenant d'une main un gros cep de vigne en guise de thyrse, un canthare de
l'autre, et appuyé à sa gauche sur un acolyte masculin nu, à sa droite sur une
femme drapée.
II
I. La pensée de faire acquérir par la ville de Lyon les mosaïques Conta-
min, surtout la plus grande, dut venir sur le champ à l'esprit des personnes
qualifiées. L'œuvre était de première valeur, et il y avait les précédents des
mosaïques Seguin, Michoud et Montant, acquises pour le Musée de Lyon à
Vienne ou sur le territoire de son ancien faubourg romain. Comarmond, le
9 juin 1842 2, adresse au maire un certain nombre d'exemplaires de la litho-
graphie Storck, (( en attendant que ce monument digne de figurer au musée
de Lyon vienne se placer à côté de celle de l'hyppodrome ». Quelles raisons
retardèrent plus de seize ans l'acquisition, je l'ignore. Elle fut négociée à la
fin de 1857 et conclue officiellement au début de 1858. Le 27 novembre
1857, les négociations étaient assez avancées pour que le sénateur préfet
Waïsse, les considérant comme réellement terminées, informât l'architecte
en chef de la ville Des jardins que les deux mosaïques « dont le congrès
scientifique avait fait l'objet de son examen», étaient acquises. Le 21 décem-
bre, il lui rappelait qu'il l'avait informé de l'acquisition et l'avait invité à se
rendre sur place afin de prendre ses mesures en vue de « l'extraction » qui
pouvait se faire tout de suite. Mais le crédit ne fut voté par le conseil muni-
cipal que le 19 février 1858. Le 20, le préfet en avisait l'architecte et le priait
de s'occuper le plus tôt possible des mosaïques achetées. Le 6 mars, il lui
écrivait : « Vous avez dû prendre les dispositions nécessaires pour mettre
sans retard la ville en possession de ces mosaïques », et lui renouvelait au
besoin l'invitation de procéder d'urgence à leur enlèvement 3. Le 26 mai, le
conservateur Martin-Daussigny 4 enregistrait l'arrivée au Palais des Arts
1. Inventaire des mosaïques,.., II, n" 744; fig. dans l'album. — Comp. Bulletin archéologique du Comité.,.
i9o8,p.CCXII.
2. Arch. mun., R'-a.
3. Arch. mun., M'b..
4. Musées archéologiques. Achats ,dons et notes particulières (Archives de la conservation des Musées).
— 128 —
« des deux mosaïques de Vienne vendues par M. Contamin aîné, rue des
Gargattes ». Le vendeur est aussi appelé Contamin dans les deux lettres
préfectorales des 20 février et 6 mars. Par contre, dans le devis estimatif de
l'architecte Desjardins (29 décembre 1857), il est dit que les mosaïques ont
été « acquises de M. Joufïray cadet fils, chemin de Vimaine, près le Champ
de Mars, à Vienne » ^ C'est sans doute une méprise : JoufFray intervint
dans l'affaire à un autre titre. Le 15 décembre 1857, il réclame une indem-
nité pour les dommages qui lui seront causés par l'enlèvement de Tune des
mosaïques. Le 9 mars 1858, entre Desjardins et lui il est convenu que la
ville de Lyon lui paiera une indemnité de 900 francs pour tous dégâts cau-
sés par l'enlèvement à faire des deux mosaïques, dont une se trouve dans
son terrain même, et pour remise en état de ce terrain 2. D'où semble
résulter que Jouffray était devenu propriétaire d'une partie de l'emplace-
ment occupé par les deux mosaïques, mais non des mosaïques elles-mêmes?.
Le prix d'achat fut, pour les deux, 1.700 francs, d'après Waïsse, Des-
jardins et Martin-Daussigny 4. L'acte de vente ne figure pas au dossier.
Pour l'enlèvement, le transport et la mise en place au Palais des Arts, on y
trouve 5 deux devis, l'un sans date, de Mora frères, mosaïstes, s'élevant à
6.754 francs 18 ; l'autre, de l'architecte Desjardins, en date du 29 décembre
1857, approuvé par l'administration préfectorale le 25 février 1858,
s'élevant à 6.757 fr. 96. Il est spécifié dans ce dernier que l'indemnité
à Jouffray et tous les travaux quelconques y sont compris. Les opéra-
tions relatives à la grande mosaïque sont évaluées à 3.080 francs pour une
surface approximative de 1 1 mètres par 7, celles qui concernaient la petite à
2.053 francs pour une surface des deux tiers. L'exécution du devis resta
partielle. Enlevées et transportées à Lyon, les mosaïques ne furent ni
l'une ni l'autre réparées et reposées. Pourquoi? La raison n'est pas dou-
teuse, du moins en ce qui regarde la grande, la seule dont la repose fût d'un
réel intérêt : on ne trouva pas dans les salles du musée, tel qu'il était alors.
1. Arch.mun., M'b,
2. Ibid.
3. Comp. J. Leblanc, dans Bail, monum., 1867, p. 384 : « A quelques mètres au sud (des mosaïques de
1841), et dans la même propriété, achetée quelque temp'. après par M. Joufïray, mécanicien... ».
4. La Revue archéologique, pass. cité, donne inexactement le chiffre de r.500 francs.
5. Arch.mun., M'b.
— 129 —
une place à sa mesure. Ce qu'il y a de bizarre, c'est que ni l'architecte ni le
conservateur ne paraissent avoir songé, au moment où furent établis les
devis, à cette difficulté, manifeste pourtant non moins que capitale.
2. Une dizaine d'années plus tard, la question d'emplacement fut enfin
résolue pour la grande mosaïque ; solution médiocre : car, si elle ramenait de
l'ombre à la lumière une œuvre intéressante, c'était au préjudice d'une autre
également digne, sinon plus digne, du grand jour, et que les circonstances
avaient condamnée à une rélégation provisoire dans les dépôts. Le 7 mai
1 863, le préfet communique à l'architecte de la ville un rapport du conser-
vateur des musées archéologiques sur l'opportunité de mettre en évidence
toutes les mosaïques acquises à diverses époques et non encore exposées.
Martin-Daussigny indiquait une combinaison que l'architecte, dans sa
réponse au préfet (16 mai), estime convenable et réalisable sans trop de
frais ^ Laquelle, nous ne savons pas. C'était le temps où des travaux impor-
tants étaient entrepris afin de prolonger le Palais des Arts sur la rue de
l'Impératrice (rue de l'Hôtel- de- Ville). Ces travaux affectant spécialement
l'angle sud-est du palais, la mosaïque des Jeux du cirque avait dû quitter la
salle de la Momie et entrer aux dépôts. Nous avons déjà vu ^ qu'elle y resta,
le remaniement de l'édifice terminé, et fut « remplacée par la grande mosaï-
que de Vienne, qui, en raison de ses dimensions, ne pouvait être mise
ailleurs « 3.
Cette opération se fit en 1867. Le 4 février, Martin-Daussigny 4 an-
nonce que la « célèbre mosaïque des Gargattes de Vienne » va prendre la
place autrefois occupée par celle des Jeux du cirque et qu'elle sera « un des
plus beaux ornements de notre grande galerie » ; le 21 juin 5, qu'elle est
« établie dans la grande salle des tableaux ». Il aurait pu dire, avec plus de
précision, à l'extrémité orientale de la grande galerie. Le dossier renferme ^
un mémoire des mosaïstes Edouard Mora et fils, en date du 19 juillet ; il
1 . Arch. mun., M'c.
2. Chap. I, § IV.
3. Arch. mun., M'a, l'architecte de la ville au préfet, 26 avril iSSg ; et. Martin-Daussigny, dans Revue
du Lyonnais, 1867, 1, o. 173.
4. Ihid.
5. Travaux archéologiques..., p 165.
6. Arch. mun., M'b.
— 130 —
s'élève à la somme de 5.319 fr. 75. Les travaux des spécialistes sont achevés ;
il ne reste plus qu'à poser la balustrade et à raccorder avec la mosaïque le
pavé de la salle. Un devis estimatif de la même année ^ prévoit pour la ba-
lustrade une dépense de 1.960 francs et une autre dépense de i.ooo francs
pour les raccords du pavé.
3. La mosaïque ainsi rétablie différait sensiblement de la mosaïque
primitive. D'abord elle n'avait plus son seuil ; nous verrons qu'il servit, en
1868, à décorer le vestibule des Antiques. Puis elle avait perdu une partie de
ses tableaux secondaires. « Il a fallu la réduire de plus d'un tiers «j dit Mar-
tin-Daussigny 2 ; ,( elle existe dans toute sa longueur ; mais un rang de
médaillons a été supprimé de chaque côté ; ce qui en réduit le nombre de
45 à 27 ». On pourrait même croire qu'il avait été question de l'amoindrir
encore davantage, à lire cette assertion d'Allmer 3 : « Dans quelques jours,
réduite à 18 tableaux, elle se verra dans une des salles du Palais Saint-
Pierre «. Mais il y a sans doute ici une faute d'impression : AUmer avait
écrit : « réduite de 18 tableaux ». Ainsi corrigé, son témoignage concorde
avec celui de Martin-Daussigny. Ils sont contredits par celui de l'architecte
Hirsch, écrivant au maire, le 23 juillet 1887 % quand on préparait la seconde
repose : « La mosaïque de Vienne, qui comportait primitivement 45 cais-
sons d'après la Hthographie, n'en avait plus que 24, quand elle figurait dans
l'ancienne salle de peinture ». Mais Hirsch ajoute : « Elle mesurait alors
10 m. 60 par 4 m. 20 ». Ce sont approximativement la longueur primitive de
la mosaïque, hormis le seuil, et sa largeur après suppression d'un rang de
médaillons à droite et à gauche. Hirsch aura mal compté les caissons sub-
sistants. Le devis du mosaïste Claudius Mora pour cette seconde repose 5
donne, à quelques centimètres près, les mêmes dimensions, 10 m. 50 par
4 m. 23, mesures qui n'ont pu être prises que sur la première restitution. Il
faut donc tenir pour certain le chiffre de Martin-Daussigny : la mosaïque de
r Ivresse de Bacchus reconstituée dans la salle de la Momie avait 27 caissons.
1. Arch.mun., M'a.
2. Travaux archéologiques..., p. 165.
r?. BuUetino delV Imtitato arch. rom., 1867. d. 193.
4. Arch. mun., M'd. ■
5. Ibid.
— 131 —
neuf rangées transversales de trois caissons, trois rangées longitudinales de
neuf caissons.
Pour expliquer la réduction, Martin- Daussigny n'allègue qu'une rai-
son : « Elle avait subi de telles avaries qu'il a fallu la réduire de plus d'un
tiers )). Son affirmation est corroborée par le mémoire du mosaïste Edouard
Mora S ainsi que par le témoignage oral de Claudius Mora. Beaucoup de
parties étaient endommagées à tel point, qu'elles parurent bonnes seule-
ment à fournir des cubes pour la réparation des parties mieux conservées.
Et cela se conçoit aisément. Nous avons vu que la conservation de la mosaï-
que laissait à désirer, lorsqu'elle fut exhumée, en 1841. Mal garantie sans
doute contre les intempéries pendant le laps de temps fort long qui s'écoula
jusqu'à l'enlèvement (1858), elle eut encore à souffrir d'un séjour prolongé
(i 858-1 867) dans les dépôts du musée. Il fallait donc ou refaire à peu près
de toutes pièces les panneaux hors d'usage ou réduire l'ensemble. Mais
cette première raison ne suffit pas à tout expliquer. Combien y avait-il au
juste de panneaux hors d'usage? Ce qui me fait douter que le mauvais état
du pavement à reconstituer ait été seul responsable des dimensions relative-
ment restreintes du pavement reconstitué, c'est que nous retrouverons
remployés ailleurs 2, sans compter le seuil, des panneaux éliminés de la
reconstitution, et qui étaient donc réparables. On aurait eu, semble-t-il, le
moyen de moins réduire et peut-être, par exemple, de ne réduire qu'en
longueur. La réduction en longueur pouvait ne supprimer que cinq, dix,
quinze panneaux, une, deux, trois rangées transversales, tandis que la
réduction en largeur, qui fut adoptée, en supprimait nécessairement à elle
seule, vu les exigences de la symétrie, un minimum de dix-huit. Cette
réduction avait l'inconvénient esthétique d'allonger encore et jusqu'à le
rendre disgracieux, le rectangle déjà très prononcé de la mosaïque primi-
tive, tandis que la réduction en longueur l'aurait, sans dommage au même
point de vue, rapproché du carré.
Il y eut donc une seconde cause, et ce fut l'exiguité relative de l'empla-
cement destiné à recevoir la mosaïque. La salle de la Momie était plus
1. Arch.mun., M^h.
2. Dans la décoration du vestibule des Antiques.
— 132 —
longue que celle où VIvresse de Bacchus figure maintenant, mais elle n'était
pas plus large ; elle n'était pas assez large pour que le pavement y fût placé
dans toute sa largeur primitive sans gêner la circulation du public autour de
la barrière qui le protégerait. Je n'attribue pas, bien entendu, à cette secon-
de cause une importance excessive : elle ne suffirait pas plus que la première
à tout expliquer. Si elle avait agi seule, on se serait naturellement borné,
pour rentrer dans les limites voulues, à supprimer les caissons qui compo-
saient les deux rangées longitudinales extrêmes. Et la comparaison de la
mosaïque actuelle avec la lithographie montre qu'on est bien parti de cette
idée très simple, mais aussi qu'on n'a pu la réaliser jusqu'au bout. La
plupart des caissons que leur place désignait pour être maintenus, l'ont
gardée ; si quelques-uns l'ont cédée à d'autres pris dans les rangées sacri-
fiées, c'est apparemment qu'ils ne semblèrent pas utilisables. « Il a fallu,
constate le mémoire d'Edouard Mora, déplacer plusieurs carrés de mosaï-
que..., scier certaines parties qui ont été placées dans les parties man-
quantes y<.
Nous ne possédons aucun dessin de cette première reconstitution.
M. Claudius Mora m'a raconté qu'elle fut faite d'après un schéma de
l'architecte Desjardins indiquant les caissons à maintenir et la place à leur
donner. Ce plan n'existe pas au dossier des archives municipales. Mais
nous connaissons tous les 27 caissons qui la composaient : il en reste 24
dans la seconde reconstitution et j'ai retrouvé les trois autres dans les dé-
pôts. Nous sommes donc en mesure d'affirmer que dès lors la mosaïque
avait perdu quatre de ses panneaux les plus intéressants : le labyrinthe de
Crète, les sept divinités de la semaine, l'oiseau dans un cadre de biges et de
cariatides, le lion parmi les six oiseaux. Trois autres panneaux, qui sont
aujourd'hui dépourvus de leur motif central, n'ont vraisemblablement pas
souff'ert ce dommage depuis, trois panneaux à décor circulaire, ceux qui
contenaient la tête de Méduse, le Silène portant deux cistes de vendange et
le satyre avec l'enfant enchaîné. Le vide a été comblé dans tous les trois
par un champ de cubes rougeâtres.
- 133
III
I. De la place qu'elle avait usurpée en 1867, notre mosaïque fut délo-
gée en 188O5 lors de la construction du grand escalier oriental destiné à
desservir, outre les salles du premier étage que desservait déjà l'escalier
occidental, les nouvelles salles du deuxième étage. La cage de Tescalier à
construire devait en effet couper la salle de la Momie. L'Ivresse de Bacchus
fut donc enlevée et rangée provisoirement au rez-de-chaussée, dans l'an-
cienne salle de la Bourse ^ Ce provisoire dura sept ou huit ans. Il s'agissait
encore une fois de résoudre la question d'emplacement, toujours difficile,
même après la réduction déjà opérée. Des quatre compartiments actuels de
la galerie qui sépare les deux escaliers et qui est aujourd'hui la galerie des
peintres lyonnais après avoir été la galerie Chenavard, le premier à l'est
était alors occupé par la mosaïque Michoud, le suivant par la mosaïque
Cassaire, représentant l'une et l'autre la lutte de l'Amour et de Pan, le troi-
sième par la mosaïque Montant (Orphée charmant les animaux). Le qua-
trième était libre 2. Dès 1882, on envisage le transfert de la mosaïque Mi-
choud dans ce dernier, beaucoup plus petit que celui qu'elle occupait, mais
largement suffisant pour elle, et la repose de VIvresse de Bacchus dans le
premier. Ce dessein ressort du rapprochement d'un devis de Mora père et
fils, en date du 28 octobre 1882 3, pour le déplacement de la mosaïque du
« Faune », avec une lettre du conservateur Dissard au président de la com-
mission des Musées, en date du 4 avril, transmise par celui-ci au maire le
8 avril 4. Une somme de 5.000 francs est nécessaire, y est-il dit en sub-
stance, si l'on veut assurer la conservation de la belle mosaïque antique qui
était placée avant les travaux dans l'ancienne salle de la Momie et repré-
sente « le triomphe de Bacchus ». Mais il ne fut donné suite au projet qu'en
1887.
1. Arch, mun., M'd. Aynard, président du conseil des Musées, au maire, 8 juillet 1887 ; ibid., R-b
Dissard, conservateur du Musée archéologique, au président de la commission des musées, 4 avril 1882.
2. Voir, Arch. mun.. M'd, le double plan du 22 août 1878 (avant la restauration et projet de restaura-
ion),
3. Arch. mun., Mie
4. Arch. mun., R*b.
— 134 —
2. Le 8 juillet, le président du conseil d'administration des Musées
écrivait au maire que, dans sa séance du 5, le conseil avait été saisi d'un
rapport du conservateur des Antiques signalant l'urgence de replacer la
grande mosaïque de Vienne « autrefois à l'extrémité de la galerie du musée
de peinture », qui s'effritait chaque jour davantage. Le conservateur propo-
sait de l'installer dans la première salle de la galerie Chenavard, à la place de
la mosaïque Michoud qui serait transférée dans la quatrième. Le devis
approximatif était de 7.000 francs pour l'ensemble de ces opérations.
Consulté par le maire, l'architecte Hirsch répondait le 23 juillet que la salle
indiquée était suffisamment large, mais longue seulement de 15 mètres,
qu'il serait donc peut-être bon de raccourcir la mosaïque d'une rangée
transversale en éliminant « trois des panneaux les moins précieux, soit
comme composition, soit comme conservation ». Sa longueur étant ainsi
réduite de 10 m. 60 à 9 m. 40 — mesures approximatives — elle serait
« plus en harmonie avec les dimensions de la salle » et la réduction « permet-
trait de réserver tout autour un passage pour la circulation du pubHc )>. Sur
le premier devis de Claudius Mora (19 octobre 1887) Hirsch a corrigé au
crayon 10 m. 50 en 9 m. 40, et sur le second (27 octobre) il a inscrit cette
note : « Ce devis est fait pour la mosaïque à 24 y> — lisons 27 — « motifs ; il
est probable qu'elle sera réparée seulement à 21 >' — lisons 24. Ainsi fut-il
fait. Dans son rapport au maire, pour justifier cette nouvelle mutilation,
l'architecte allègue subsidiairement que plusieurs panneaux sont en mau-
vais état. Mais l'excuse ne vaut rien : j'ai retrouvé les trois panneaux suppri-
més lors de la seconde repose ; ils sont aujourd'hui encore en très bon état.
Cette fois l'exiguité relative de l'emplacement fut donc seule cause de tout
le dommage. Jugée d'abord trop large et plus tard trop longue, la victime'
subit, en définitive, l'épreuve d'un lit de Procuste à deux dimensions.
Le crédit de 7.000 francs fut voté par le conseil municipal le 20 sep-
tembre. Après avoir présenté les deux devis légèrement différents que je
viens de mentionner, Claudius Mora et son fils firent le 8 novembre une
soumission de 4.500 francs pour l'ensemble des opérations concernant les
deux mosaïques, « les Joies de Bacchus » et « le Faune ». En proposant au
maire de l'accepter, le 10 novembre, l'architecte remarquait que la somme
de 4.500 francs représentait seulement les travaux de ces spécialistes et que
- 135 —
le surplus du crédit, soit 2.500 francs, serait applicable aux raccords des
parquets et autres travaux à exécuter par les entrepreneurs ordinaires de
l'entretien du palais. Toutes formalités accomplies, le maire prie l'archi-
tecte, le 19 décembre, de faire passer le plus tôt possible à l'exécution, et
celui-ci note au crayon sur la pièce : « M. Mora a commencé le travail des
mosaïques sur place le 13 février 1888 » ^ La deuxième restitution ne diffé-
rait de la première que par la suppression de trois panneaux, nous le
savons ; mais nous ignorons si les trois panneaux supprimés constituaient la
plus haute rangée transversale ou s'ils furent pris ça et là. Pour résoudre ce
petit problème, il n'y a rien à tirer du passage où l'architecte suggère qu'on
pourrait supprimer « trois des panneaux les moins précieux, soit comme
composition soit comme conservation )>. Les trois panneaux alors éliminés
et retrouvés récemment dans les dépôts sont, je l'ai déjà dit, en très bon
état ; ils n'offrent ni plus ni moins d'intérêt que plusieurs autres qui furent
maintenus. De toute façon, il fallait éUminer deux panneaux à motif circu-
laire et un panneau à motif quadrangulaire ; car, vu la règle de l'alternance,
certainement la plus haute rangée transversale était ainsi constituée. La
mosaïque actuelle mesure 9 m. 56 par 4 m. 25.
3. On a déjà vu que certains éléments exclus de la première ou de la
seconde restitution existent encore ; mais il convient de compléter et de
préciser ici les indications données incidemment plus haut. Le seuil,
d'abord, s'étale en bonne lumière dans le vestibule de la galerie des Anti-
ques, au-dessous de la Table Claudienne, tel, à fort peu de chose près que
le représente la lithographie, si ce n'est qu'on a cru devoir prolonger sur
ses deux petits côtés le rang de peltes qui le soulignait. Il fait partie de la
décoration composite qu'en 1868 Martin-Daussigny imagina pour les
parois de ce vestibule. Quatre caissons de notre pavement, moins bien
placés et moins faciles à reconnaître, y figurent aussi depuis la même épo-
que, en totalité ou partiellement ; ils forment la frise de la paroi où s'ouvre
la porte d'entrée. Trois autres caissons, ceux qui furent éliminés lors de la
deuxième repose et que j'ai retrouvés dans les dépôts, les viendront-ils
rejoindre quelque jour? Les deux caissons à décor circulaire pourraient
1. Le dossier de la seconde repose existe en double, arch. man., M'd — M'e.
— 136 —
être posés à mi-hauteur de part et d'autre de l'entrée, le caisson à décor
quadrangulaire posé de même en face de la Table Claudienne ; si bien que,
dans ce vestibule, serait enfin rassemblé tout ce qui reste de la mosaïque
primitive en dehors de la reconstitution actuelle, hormis cependant des
fragments de cinq caissons que l'on discerne, non sans quelque peine, dans
le pêle-mêle de débris dont Martin-Daussigny fit, en 1877, revêtir le sou-
bassement du couloir qui sépare l'ancien réfectoire des autres salles de la
sculpture, hormis aussi un fragment retrouvé par moi dans les dépôts, qui
complète, ou peu s'en faut, l'un de ces derniers caissons. Toutes déductions
faites, le total des panneaux entièrement disparus depuis 1841 s'élève donc
seulement à huit.
Le schéma ci-après (fig. 16) fait voir le rapport de l'original et de la
reconstitution actuelle, en même temps qu'il indique quelles parties n'ont
pas été comprises dans celle-ci et ce que chacune d'elles est devenue. Les
compartiments de la mosaïque primitive y sont numérotés de gauche à
droite et de haut en bas, en chiffres arabes ; les chiffres romains désignent
les places, numérotées selon le même ordre, que les panneaux conservés
occupent dans la mosaïque actuelle. Les panneaux perdus sont marqués
d'une croix, accompagnée de la date 1841 pour celui qui manquait lors de la
découverte. La lettre A marque les éléments utilisés pour la décoration du
vestibule des Antiques ; la lettre D les trois panneaux supprimés lors de la
seconde repose et retrouvés intacts aux dépôts ; la lettre S les caissons dont
les débris ornent le soubassement du rez-de-chaussée ; enfin les lettres DS
celui que j'ai en partie reconnu sur ce soubassement, en partie retrouvé aux
dépôts.
— 137 —
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Fig. i6. — La mosaïque Contamin
Schéma
— 138 —
VIII
MOSAÏQUE DES CHAZEAUX
Bibliographie. — Voir celle du chapitre I et les notes.
I. La découverte d'une mosaïque « au clos des Chazeaux, dépendant
de l'hospice de l'Antiquaille «, montée Saint-Barthélémy, fut annoncée à
l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres par Martin-Daussigny, alors
conservateur des Musées archéologiques, dans une communication du
21 juin 1865 ^ Mais le fait datait déjà de plusieurs semaines. Le 3 juin, le
même Martin-Daussigny avait donné au Comité lyonnais d'histoire et
d'archéologie « quelques détails sur la mosaïque trouvée aux Chazeaux » 2.
Dès le 20 mai, on lisait dans le Courrier de Lyon : <( Les travaux récemment
entrepris vers le haut de la montée Saint-Barthélémy pour réunir le dépôt
de mendicité des Chazeaux à l'hospice de l'Antiquaille par un nouveau mur
de clôture, ont fait découvrir dans les jardins qui séparent les deux établis-
sements » une mosaïque romaine sous « une couche de terre assez mince ».
Le 23 mai, ce journal indiquait, avec plus de précision encore, le lieu de la
découverte. « C'est en creusant les fondations d'un mur de soutènement
destiné à supporter la côte Saint-Barthélémy, qui doit être élargie à l'est 5
que l'on a fait cette découverte. La mosaïque gît en un point très rapproché
du mur à remplacer, au sud des bâtiments du dépôt de mendicité, dont
elle n'est séparée que par une distance de quelques mètres, et à une
profondeur d'environ quatre mètres 3. Le 26 mai, l'administrateur de
l'Antiquaille informait le conservateur des Musées qu'on pouvait procéder
à l'enlèvement de la « grande mosaïque des Chazeaux >> et le priait d'y faire
procéder d'urgence 4.
1 . Académie des Inscriptions ; Comptes rendus des séances, 1865, p. 210.
2. Travaux archéologiques extraits des mémoires de l'Académie de Lyon, 1859-1867 ; Lyon, 1868, p. 139.
3. Les deux articles du Courrier de Lyon sont reproduits presque en entier dans la Revue du Lyonnais,
1865, n, p. 160 et suiv. (livraison d'août). Dans la livraison de juin, 1865, l, p. 506, il est annoncé vague-
ment : 1 Des découvertes archéologiques importantes ont eu lieu ces temps derniers... On a mis au jour des
mosaïques très belles près du dépôt de mendicité... -.
4. Arch, mun., M'b.
— 139 —
Le Courrier de Lyon avait affirmé à bon droit que l'acquisition par la
ville se ferait sans obstacle, puisque la mosaïque était la propriété des
hospices communaux. Sans obstacle et gratuitement : la ville n'aurait à
débourser que la dépense des travaux d'enlèvement, de transport et de
réparation. Il semblait ignorer, ce que savent bien les lecteurs de nos précé-
dents chapitres, que l'achat d'une mosaïque romaine à rétablir dans un
musée représente la part de beaucoup la moindre des frais à prévoir. Le
journal affirmait ensuite, mais non plus à bon droit, que cette mosaïque des
Chazeaux « ornerait à souhait le plancher d'une des nouvelles salles du
Palais Saint-Pierre », du corps de bâtiment qui venait d'être édifié sur la rue
de l'Impératrice (rue de l'Hôtel-de- Ville), et il exprimait l'espoir que « l'édi-
Uté lyonnaise » prendrait sans doute des mesures afin que, «c onvenablement
restaurée, » elle reçut « une place honorable dans les galeries lyonnaises ».
Martin- Daussigny, qui avait, nous allons le voir, de ce pavement romain
une opinion moins avantageuse et plus juste que le journaUste, voulant le
préserver cependant « d'une ruine imminente », mais n'ayant pas, ou faisant
comme s'il n'avait pas, de place pour lui dans les locaux du musée, le desti-
nait, après entente avec l'architecte en chef de la ville, à décorer « un des
vestibules du nouveau palais des Facultés des sciences et des lettres » S
c'est-à-dire précisément du corps qui venait d'être ajouté au Palais Saint-
Pierre sur la rue de l'Impératrice, et qui, depuis 1896, depuis que s'est
achevé le transfert des deux Facultés dans les bâtiments neufs du quai
Claude-Bernard, est affecté à divers services municipaux. L'emplacement
choisi fut, en somme, non pas un vestibule, mais un palier du grand escalier,
celui de l'entresol. La mosaïque s'y trouve encore aujourd'hui, en assez
mauvais état, parce que le passage est très fréquenté. Elle y fut posée dès le
commencement de 1867 2, bien que le devis estimatif 3 qui prévoit une
dépense de 1.790 francs « pour rétablir à neuf la mosaïque du vestibule du
grand escalier des Facultés » soit du 17 juillet. Le 20 mars 1870 4, Mora père
I. rrayattx.^., pass. cité.
a. Martin- Daussigny, lettre du 4 février 1867, dans Revue du Lyonnais, 1867, 1, p. 173 : " La mosaïque
qui décore le vestibule de l'escalier du Palais des Facultés, rue de l'Impératrice, a été découverte, il y a deux
ans, dans les bâtiments des Chazeaux, montée Saint-Barthélémy .
3. Arch. mun,, M'a.
4. Jhid,
— 140 —
et fils signent un reçu de 2.612 francs, en partie solde de travaux relatifs à
« la mosaïque du vestibule des lettres », en partie somme à valoir sur la res-
tauration et la pose des deux mosaïques qu'ils plaçaient alors dans la salle
des Plâtres, celle des Jeux du cirque et celle des Exercices de la palestre K
Le Catalogue sommaire des Musées ne mentionne pas la mosaïque des Cha-
zeaux, vu qu'elle se trouve dans une partie du Palais Saint-Pierre affectée de
tout temps à d'autres services.
Martin- Daussigny ne la décrit point. Il se contente de dire 2, et M.
Adrien Blanchet de le répéter à peu près textuellement 3, qu'elle est « d'un
mérite ordinaire, mais assez bien conservée ". « C'est une œuvre d'art de
quatrième ordre », déclare le premier au Comité archéologique de Lyon 4.
Ni l'intérêt du sujet ne la recommande, en effet, ni la finesse du travail ; elle
n'a pour elle que son antiquité. L'appréciation admirative du journal
nommé plus haut démontre l'incompétence ou la légèreté de son rédacteur,
comme aussi la description qu'il donne du pavement ; mais celle-ci contient
quelques renseignements utiles. La mosaïque n'était certes pas « un magni-
fique spécimen du luxe artistique de notre ancienne cité gallo-romaine », ni
« un des plus beaux vestiges d'antiquité romaine » qui eussent été « depuis
plusieurs années exhumés des entrailles du vieux Lugdunum ». Il est même
exagéré de dire qu''< elle se fait remarquer par l'élégance du dessin de sa
décoration autant que par l'harmonieux coloris de sa marquetterie de mar-
bres , et que '< l'intérieur est occupé par des caissons qui, sans être d'une
ornementation recherchée, sont d'un bon style et ne sont pas sans élégance ».
La description suivante n'est ni complète ni exacte : ^< Le pourtour est orné
de deux larges bordures, l'extérieure en forme de grecque et l'intérieure
en forme d'enroulements ou de postes. Le champ renfermé dans ce double
cadre est divisé en compartiments arrondis groupés avec symétrie ». Nous
la trouvons dans le n° du 20 ; celle que nous trouvons dans le n^ du 23 est
encore moins bonne, sauf pour un détail : « Sa bordure extérieure ne pré-
1. Voirchap.I, §IV.
2. Dans sa note, citée plus haut, à l'Académie des Inscriptions.
3. Inventaire des mosaïques de la Gaule, I, n° 755.
4. Travaux..., pass, cité. Dans la Revue du Lyonnais, pass. cité : « Elle est de quatrième ou cinquième
ordre >.
— 141 —
sente aucun dessin. En dedans de celle-ci, un ornement en volute est
encadré entre deux filets. L'intérieur est occupé par des caissons à rosaces ».
Le journaliste annonce d'abord que la mosaïque avait « environ 3 mètres de
largeur sur 4 de longueur ». Mais il corrige son erreur : « Mesurée dans la
partie mise à nu par les fouilles exécutées, elle a six à sept mètres de côté.
Mais, comme la partie la plus rapprochée de la côte Saint-Barthélémy, qui
passe au-dessus, est encore enfouie sous les terres..., comme il est permis de
croire qu'elle formait un carré parfait, on peut estimer... que sa superficie
totale était de 40 à 45 mètres carrés ». Quant à la conservation de la mosaï-
que, elle était « presque parfaite, sauf une légère dépression au milieu », ou
plus exactement : <( La partie centrale présente une dépression sensible et
quelques autres offrent des traces de détérioration faciles à réparer -.
La mosaïque des Chazeaux est un carré de 6 m. 35 de côté, à champ
blanc et décor discrètement polychrome. Le décor se compose de neuf
panneaux quadrangulaires ornés d'une rosace, alignés sur trois rangs dans
les méandres d'un double filet noir, qui renferment aussi, entre les
panneaux et sur tout le pourtour de l'ensemble, des carrés moindres
du même filet noir. Un autre double filet noir encadre chaque panneau.
Une seule rosace est unique, celle du centre ; les autres se répètent deux à
deux. Un grand rinceau à tige grêle et feuilles oblongues borde ce décor ;
il est déUmité au dedans et au dehors par un filet noir. Un dernier filet
noir termine le champ.
L'une des mosaïques découvertes à Fourvière, dans le clos du Calvaire,
vers la fin de 19 12, par M. Germain de Montauzan ^ et moi, offre une res-
semblance assez grande avec la mosaïque des Chazeaux ; elle est en quelque
sorte une variante réduite du même type : au lieu de neuf caissons à rosaces,
les méandres du double filet noir n'en contiennent ici que cinq, et ils ne
contiennent pas de petits carrés au pourtour de l'ensemble ni dans les inter-
valles des caissons. L'insignifiance du décor est la même ; le travail est sen-
siblement plus fin.
I. Voir Germain de Montauzan, les Fouilles deFourvière en 1913 et 1914 ; Lyon-Paris, 1915 (Annales de
V Université de Lyon, nouv. séria, II, fasc. 30), p. 8 et suiv.
— 142 —
IX
mosaïques composites
et fragments
Bibliographie. — A celle du chapitre I ajouter : Archives municipales,
série R^, Musées (administration, personnel, aménagements, dons,
acquisitions, divers) = Arch. mun. R^e et, pour le surplus, voir les
notes.
I. On voit aujourd'hui, dans le vestibule de la galerie des Antiques, au
Palais des Arts, une table à dessus de mosaïque représenté par la planche
XXVII (en bas) d'Artaud et sur lequel sa notice ^ nous renseigne ainsi :
« Cette table en mosaïque a été faite avec des morceaux provenant d'un
pavé antique trouvé à Vienne, qu'on brisa en voulant le déplacer. Profitant
de l'expérience qu'avaient acquise les sieurs Bernard et Jamet, marbriers de
Lyon, sous la direction de M. Belloni, je leur fis exécuter ce dessus de table
que je possède dans mon cabinet d'antiquités ». Son catalogue 2 le mention-
ne, « une belle table en mosaïque antique », et en donne les dimensions,
longueur 4 pieds 8 pouces, largeur 3 pieds et demi. En voici l'exacte
desciiption. Dans un carré de filet noir est inscrite une étoile à huit pointes
du même filet, au milieu de laquelle un médaillon circulaire pareillement
dessiné contient un vase à deux anses. Un papillon opposé à un autre papil-
lon, un scarabée à un serpent, deux fleurs cruciformes à deux autres fleurs
1. 1835, p. 84.
2. Catalogue des antiquités du Cabinet de M. Artaud, ancien directeur du Musée de Lyon, p. 8 (Archives de
la Conservation des Musées ; manuscrit).
— 143 —
cruciformes, ornent les branches de l'étoile et font cercle autour du médail-
lon central. Les petits carrés dont l'étoile achève le dessin aux quatre angles
du grand sont garnis, en diagonale, par deux rosaces différentes et par deux
dauphins, l'un avec un coquillage, l'autre posé sur un trident. Les quatre
triangles dont elle achève le dessin aux axes sont garnis respectivement par
une feuille cordiforme, une fleur en bouton, deux demi-rosaces différentes.
Un cadre de torsade entoure tout ce décor. Au delà, mais sur deux côtés
seulement, s'ajoute une bande rectangulaire ornée d'un rinceau en sa partie
médiane et dont les deux extrémités sont un damier carré de plaques de
marbre. Le champ est blanc, la décoration polychrome.
Personne, jusqu'ici, n'a soupçonné le mensonge d'Artaud sur la prove-
nance de sa table. Co'marmond ^ note seulement qu'il tait l'endroit précis et
l'époque de la découverte. « Ce n'est, conjecture-t-il, qu'une portion d'un
pavé en mosaïque dont on a sans doute restauré l'un des caissons les moins
dégradés ». Certains détails de la décoration lui paraissent indiquer « qu'il
existait sur cette mosaïque un sujet principal placé dans le centre, où figu-
raient Neptune et Vénus ». M. Georges Lafaye compte cette pièce au nom-
bre des mosaïques de Vienne, et même la compte deux fois 2. H suffisait
cependant, pour apercevoir la supercherie, de confronter soit l'objet, soit la
planche XXVII, qui le représente, avec la planche XXVIII, datée de 182 1 :
Mosaïque de Lyon trouvée à la Déserte en MDCCCXX.
2. Le II juillet 1820 3, Louis Flacheron, architecte de la mairie, lit
1. Description..., p. 693. Il traduit ainsi les mesures données par Artaud : i m. 437 x 1,087.
2. Inventaire des mosaïques de la Gaule, n° 163 : « Étoile à six rais » (erreur) « dans un panneau carré
entouré d'une torsade. Vase au centre de l'étoile. Dauphins et rosaces dans les angles. Fragments réunis par
Artaud dans sa collection particulière >' (avec renvoi à la notice et à la planche d'Artaud) ; — n" 179 : < i m.43
X 1,08. Vases, papillons, reptiles. Fragment. Musée de Lyon '• (avec renvoi à la notice de Comarmond).
3. Artaud, reproduisant (1835, p. 109-112) le mémoire de Flacheron, le date du 11 juillet 1830, faute
d'impression certaine, puisque le manuscrit même d'Artaud (Bibliothèque de l'Académie de Lyon, M 106,
p. 79) donne la date vraie. Entre cette donnée fautive et celle de la planche, lorsque je ne connaissais encore
ni le manuscrit de Flacheron (voir note suivante) ni celui d'Artaud, j'ai malencontreusement choisi la
première (Journal des Savants, 1916, p. 274, note 4). Égaré par la même coquille et par le tait qu'Artaud
insère le mémoire de Flacheron, non dans sa notice de la pi. XXVIII, mais dans celle de la planche LU, qui
représente les trois mosaïques superposées découvertes en 1823, au voisinage immédiat de la mosaïque
Flacheron, M. Adrien Blanchet, Inv. des mos. de la Gaule, a décrit celle-ci deux fois, d'abord sous le n° 733 :
« La Déserte, en 1820. Cercles à fond noir avec étoile blanche à six pointes ; carrés à fond blanc avec rosaces,
bouquets ou vases polychromes entre bandes blanches et noires ; — puis sous le n° 735 : « Ibid. : 15 juin
1830, en construisant un bâtiment municipal, à l'extrémité de la place, sur un des côtés du nouveau perron
du Jardin des Plantes... Losanges, rosaces et dauphins. Torsade formant une bordure ; deuxième bordure
constituée par une plate-bande de marbre blanc ». Et, cette seconde fois, il l'a prise, nous le verrons plus loin,
pour l'une des mosaïques superposées de 1823.
— 144 —
devant l'Académie de Lyon une note ^ relative à deux pavés mis au jour « en
creusant les fondations du bâtiment que l'administration municipale fait
élever à l'entrée de la place de Sathonay, sur un des côtés du nouveau per-
ron du Jardin des Plantes )>. Le 15 juin d'abord 2, « une mosaïque, remar-
quable par la beauté du travail et par le choix des marbres, a été découverte.
Cette mosaïque était d'une grande étendue; car, bien que la surface décou-
verte eût environ cinq mètres dans un sens et quatre dans l'autre, on n'a pas
trouvé le tableau historique qui devait orner le centre de cet ouvrage, dont
la richesse ne permet pas de conjecturer qu'il ne fût embelli d'un tableau,
comme les autres mosaïques. Dans cette hypothèse, on n'aurait pas encore
découvert le quart de la surface. Des compartiments d'étoiles, de losanges,
de rosaces, de dauphins et de tridents, se répètent symétriquement et sont
renfermés par une bordure d'entrelacs bien conservée dans les deux parties
qui se rattachent à l'angle sud-est, les seules apparentes à présent. La
bordure elle-même est environnée d'une large plate-bande formée de ré-
seaux de marbre blanc. D'un côté la bordure s'engage dans le mur d'un
escaher et de l'autre sous la terrasse du Jardin des Plantes... «. Le pavement
ainsi décrit par Flacheron est celui que représente la planche XXVIII d'Ar-
taud. L'indication du lieu de la découverte a besoin d'être précisée. De
quel côté du perron en question veut parler Flacheron ? Du côté droit ou
oriental, puisque, d'après la notice d'Artaud 3, la mosaïque était située
« derrière la maison Giraudon > , c'est-à-dire, nous y reviendrons plus loin,
derrière le n" 3 de la place Sathonay. Pour que le pavement fût derrière la
maison Giraudon et que sa bordure s'engageât d'une part sous la terrasse
du Jardin des Plantes, nous devons le localiser à l'angle des rues Savy et
Poivre.
1. Bibl. de r Acad. de Lyon, manuscrits sur Lyon, M 139. toi. 183-184.
2. La mosaïque gisait à i m. 76 du sol moderne. Flacheron put constater ensuite à o m. 27 au-dessous la
présence d'un second pavement ' composé d'un cailloutage brisé, bien assemblé, bien poli, dont toutes le?
parties sont unies entre elles par un excellent mortier... .
3. 1835, p. 108. — Fortis, Voyage pittor. et hist. à Lyon, Paris, 1822, II, p. 212 : ' En 1820, M. Flacheron
a découvert une belle mosaïque... dans l'endroit où est le perron du Jardin des Plantes .
— 145 —
La description de Flacheron n'en donne pas une idée complète ni très
exacte ^ La planche d'Artaud nous montre un grand fragment, à peu près
rectangulaire, avec un seul angle intact, d'une mosaïque polychrome à
champ blanc. La bordure est une torsade entre deux filets noirs. Des ran-
gées contiguës de carrés posés en losanges alternant avec des cercles aux-
quels ils sont tangents par un de leurs sommets, et des rangées intermédiai-
res de carrés plus petits tangents par leurs quatre sommets à deux des
grands carrés et à deux des cercles, garnissent tout le champ, hormis que, le
long du filet noir qui le limite avant la bordure, au lieu de losanges, il y a des
demi-losanges, au lieu de cercles, des demi-cercles. Toutes ces figures géo-
métriques sont dessinées par un filet noir. Tous les petits carrés contien-
nent un carré noir ; tous les cercles un cercle noir, orné d'une fleur blanche
à six pétales ; tous les grands carrés un carré orné d'un motif en couleurs.
La plupart de ces motifs sont des rosaces ou des bouquets ; quatre sont des
vases ; deux sont des dauphins, l'un avec un coquillage, l'autre croisé par
un trident ; un seul est une nageoire stylisée. Dans l'un des deux sens, on
ne distingue entre les motifs aucune symétrie et l'on n'a aucun indice du
nombre des rangées, qui se réduisent maintenant à huit, la demi-rangée
contiguë à la bordure non comprise. Dans l'autre sens, chaque rangée
compte deux motifs qui alternent, hormis la quatrième, celle des dauphins,
et la sixième ; d'où la conjecture probable que l'axe passait par la cinquiè-
me. Comme il y en a neuf, la seule demi-rangée du bas manquerait dans ce
sens. Nous ne voyons aucune raison sérieuse de croire, avec Flacheron, que
le pavement avait une très grande étendue et qu'il comportait, en son milieu
ou ailleurs, un tableau pittoresque. Artaud ^ lui compare très justement la
mosaïque des Capucins de Vienne 3, représentée par sa planche XXIII,
mais va peut-être trop loin en affirmant « qu'elles ont été faites toutes les
deux par les mêmes ouvriers ». La « disposition ) est semblable ; elle n'est
pas « exactement semblable «. Les motifs polychromes sont plus variés dans
1. Les deux descriptions de M. Blanchet, la deuxième surtout, sont insuffisante? ; de inlme celle
d'Artaud, 1835, p. 85.
2. 1835, p. 85.
3. Cf. Inventaire des mosaïques de la Gaule, n^ : =;g.
10
— 146 —
la mosaïque de Vienne, et la loi de leur retour, s'il y en a une, est beaucoup
moins simple. Les carrés noirs des petits carrés y sont inscrits en losange. La
bordure est différente.
3 . « Cette mosaïque ^>, dit Flacheron parlant de celle de la Déserte, « a
été enlevée par les ordres de M. le maire et transportée au Palais des Arts )>.
Artaud, qui a reproduit, dans son texte de 1835 S tout le mémoire dont je
n'ai cité que des extraits, met cette note sous le passage relatif à l'enlève-
ment et au transport : « C'est-à-dire que, l'autorité n'ayant pas jugé à
propos de faire des frais pour enlever cette mosaïque par le procédé de
M. Belloni, on l'a portée au Palais des Arts toute brisée et incapable de
servir >. Bien qu'elle fût « incapable de servir », comme il dit en son langage,
la confrontation de sa planche XXVIII avec sa planche XXVII (en bas) ou
avec sa table plus haut décrite, montre qu'il trouva le moyen de l'utiliser
pour son usage personnel. Dans sa table, le vase du miUeu est le motif 2 ou 4
de la cinquième rangée 2 ; l'une des rosaces d'angle le motif i ou 3 de la
même rangée, l'autre le motif i ou 3 de la septième, les deux dauphins sont
ceux de la quatrième. La demi-rangée du haut a fourni (motif i ou 4) la
feuille cordiforme, (motif 3) la fleur en bouton, (motif 2) la demi-rosace, qui
décorent trois des triangles de la table ; la demi-rosace du quatrième trian-
gle est la moitié d'une rosace (m.otif 2 ou 4) de la deuxième rangée. La
torsade du cadre n'a très probablement pas une autre origine que les élé-
ments du décor. J'ignore la provenance du surplus. Quand elle acheta ce
dessus de table, avec tout le cabinet d'Artaud?, la ville ne fit guère qu'acheter
son propre bien.
Il
I. Dans ie voisinage immédiat de la mosaïque de Flacheron furent
trouvées, peu de temps après, trois mosaïques superposées, celles que
i.p. 109-113.
2. Dans le deuxième sens de ma description.
3. Voir Lechat, dans les Musées de Lyon en 1906, p. 31
— 147 —
représente la planche LU d'Artaud. Sa notice ^ très confuse ne fournit
aucune date et laisse deviner seulement que cette découverte fut postérieure
à celle de Flacheron 2. Les documents inédits des archives municipales 3
nous font connaître que le 17 juillet 1823, le maire, baron Rambaud, con-
vient, avec les marbriers Bernard et Jamey d'un prix forfaitaire de 400
francs pour l'enlèvement selon les procédés Belloni et le transport au
musée d'une partie de mosaïque « qui vient d'être découverte en fouillant
l'emplacement vendu par la ville aux sieurs Godiot et Giraudon dans l'an-
cien claustral de la Déserte ». Le croquis annexé au compromis ne laisse
aucun doute sur l'identité du pavement : c'est la mosaïque intermédiaire de
la planche LU et de la notice d'Artaud. La surface portée au devis estimatif
est de 5 m. 8. Le 29 août, Artaud informe le baron Rambaud que Giraudon
et Godiot viennent de mettre à découvert la troisième et dernière mosaïque
et que ce pavé mérite d'être enlevé avec soin. Le 30 août, le maire et les
marbriers traitent au prix de 550 francs pour l'enlèvement et le transport
des parties ci-après désignées de cette mosaïque : « Tête de Bacchus, tête de
Gérés, trois rosaces et trente pieds de bordure, dont l'assemblage fait une
mosaïque de sept pieds sur toutes les faces '. Une note d'Artaud, conservée
dans les manuscrits de l'Académie de Lyon 4, confirme que la troisième
mosaïque fut découverte le 29 août 1823 et précise qu'elle gisait, à sept
pieds du sol, dans la cour de la maison Giraudon et Godiot. « Elles ont été
découvertes, dit la notice de 1835 5, dans la cour de la maison de M. Girau-
don, entrepreneur de bâtiments ». C'est l'immeuble qui porte aujourd'hui
1. 1835, p. 108-112. — Guerre, Nouvelles preuves de l'existence de la ville de Lyon avant la présence de
L. M. Plancus dans les Gaules (très faible dissertation, et remplie d'erreurs, insérée dans Congrès scientifique
de France, g^ session, 1841, t. II, p. 411 etsuiv.), se sert d'Artaud, mais de mémoire.
2. Comme sa notice désigne pour celle-ci l'année 1830, Steyert, Nouv. hist. de Lyon, I, p. 276, dupe de Ig
laute d'impression que nous avons signalée plus haut, place l'autre découverte vers 1830, approximation que
M. Blanchet reproduit, Inv. des mos. de la Gaule, n° 734. L; rédacteur du Catalogue so-rnivre des Musées da
Lyon, 1887, p. 133, n°«i2 et 13 = 1899, p. 206, n°' 14 et 15, donne 1820 qu'il emprunte sans doute A la
légende de la planche XXVIII. De même Bazin, Vienne et Lyon gallo-romaine, p. 381 .
3. Série R^a.
4. M loi, notes manuscrites d'Artiud, I, fol. 147
5.P. 108.
— 148 —
le n^ 3 de la place Sathonay. Giraudon et Godiot en avaient acquis l'empla-
cement le 12 janvier 1821 ^
La plus récente des trois mosaïques est figurée sur la planche d'Ar-
taud 2, en bas, à gauche. Il ne la décrit pas dans sa notice et le dossier des
archives ne la mentionne pas expressément. « Champ orné de méandres
parallèles en forme de marches d'escalier ; bordure de rinceaux à feuilles
cordiformes », dit M. Adrien Blanchet 3. H faut ajouter que la figure nous
montre seulement un angle de mosaïque, une surface beaucoup moindre
que pour les deux autres pavements ; le champ est blanc, le décor noir ; le
champ est limité par une large bande, une seconde bande avant la bordure,
la bordure entre deux bandes.
La mosaïque intermédiaire, celle que M. Blanchet a cru décrire sous le
no 735 en décrivant la mosaïque Flacheron 4^ n'est pas décrite non plus dans
la notice d'Artaud. Elle est figurée sur la planche, en bas, à droite 5. Nous y
voyons un angle de mosaïque noire et blanche. Un quadrillage de filets
noirs divise le champ blanc en compartiments carrés ornés de dessins géo-
métriques. Des rangées longitudinales et transversales de ces caissons ornés
de losanges encadrent d'autres caissons à décor plus riche. Ceux-ci, au nom-
bre de quatre, comportent tous en leur milieu le même carré noir avec une
fleur blanche à six pétales et un cercle de points blancs où elle est inscrite,
1. Vermorel, notes, II, p. 243. Vermorel situe exactement la maison Giraudon • à la droite du Jardin des
Plantes , mais date la découverte, avec une légère inexactitude, de septembre 1823 (p. 244). Le 20 avril 1820
(Vermorel, p. 243), la ville avait vendu à Raymond l'emplacement de l'actuel n° 5, séparé du n° 3 par la rue
Poivre. Pourquoi Steyert, et d'après lui M. Blanchet (dont les passages vont être cités) affirment-ils que les
trois mosaïques superposées furent trouvées " en construisant la maison Giraudon et Raymond, place
Sathonay, n""^ 3 et 5 «* . Elles n'étaient pas assez vastes pour s'étendre depuis la cour Giraudon, à travers la
rue, jusqu'à l'emplacement Raymond. Mais Artaud, dans son Lyon souterrain (p. q5 et suiv.), compilation
indigeste et négligée, où le récit des trouvailles de la Déserte est encore plus confus que dans la notice de
1835, semble localiser les trois mosaïques ■ chez M. Raymond > et y localise formellement les emblemaia dont
nous reparlerons tout à l'heure, trouvés, d'après la notice, sur la plus ancienne des trois. La formule de
Steyert ne doit pas être autre chose qu'une conciliation, simple, mais illusoire, des deux témoignages d'Ar-
taud.
2. Image réduite dans Steyert, ouv. cité, p. 455.
3. Ouv. cité, n° 736.
4. Voir plus haut, § i, n° 2, note. — Méprise dont aurait dû le garder la précision du renseignement
topographique. Le pavement découvert < en construisant un bâtiment municipal... sur un des côtés du
nouveau perron du Jardin des Plantes ne pouvait pas être superposé au pavement découvert < en construi-
sant les maisons Giraudon et Raymond, n"* 3 et 5 de la place -. Il suffisait d'ailleurs à M. Blanchet de reo;ar-
der la planche LU, à laquelle il renvoie.
5- Image réduite dans Steyert, ouv. cité, p. 455.
- 149 —
mais ce carré noir central a pour cadre soit une grecque, soit une ligne de
têtes de diamants, soit une ligne de carrés posés en losanges, soit un système
très dense de triangles semblables, cadre toujours limité par un filet noir.
Les caissons plus simplement ornés, au nombre de douze, sont la juxtaposi-
tion de deux rectangles, dans chacun desquels est inscrit un losange décom-
posé en neuf petits losanges et accosté de quatre triangles noirs. La position
des couples de grands losanges constituant ces douze caissons alterne : ils
sont debout dans un caisson, couchés dans l'autre. Avec les seize caissons
complets, qui viennent d'être définis, il y en a huit incomplets. La bordure
consiste en deux lignes adossées de postes ou flots entre deux bandes noires.
La mosaïque la plus ancienne ^ la plus belle de beaucoup, est figurée
sur la planche, en haut. « On y remarque », dit la notice d'Artaud 2, « une
répétition du combat de l'Amour et du dieu Pan, dont nous avons parlé »
— mosaïques Cassaire et Michoud — « ainsi que les images de Bacchus et de
Vertumne, qui devaient être en regard de deux autres figures formant
ensemble les quatre saisons ». Description inexacte du tableau principal, tel
qu'il est sur l'image, et partielle du surplus. Sans être complète, celle de
Steyert 3 est beaucoup moins incomplète : la mosaïque « se composait d'un
labyrinthe de grecques enlacées encadrant onze carrés dont six à rosaces et
cinq représentant, celui du centre, la lutte de l'Amour et du dieu Pan, les
quatre autres, les saisons. Le printemps et l'hiver ont été détruits, ainsi que
trois des caissons à rosaces. M. Blanchet 4, qui reproduit à peu près Steyert,
ajoute : « Entourage avec ornements composés de S adossés, rouges ». La
mosaïque est à champ blanc et décor polychrome. Sur ce champ rectangu-
laire, limité du dedans au dehors par une torsade, puis par une bordure en
S adossés précédée d'un filet noir, enfin par une Hgne de festons noirs et un
filet noir, les méandres d'une torsade pareille à la première et soulignée d'un
filet noir enfermaient onze panneaux carrés égaux, posés en damier, un
1. C'est à elle sans nul doute et à la plus récente, l'intermédiaire étant oubliée, que fait allusion Comar-
mond, en même temps qu'aux deux mosaïques superposées de la rue Jarente, n" 4 (cf. chap. VI) : Nous
avons vu à Ainay et à la Déserte... des mosaïques du viii^ ou ix'- siècle ' (date au moins contestable) <'Super-
posées chacune à une distance d'un mètre et demi environ sur une mosaïque des deux premiers siècles »
(Description..., p. 683).
2. P. 109.
3. Ouv. cité, p. 276, avec réduction en noir de la fiçure d'Artaud.
4. Ouv. cité, n» 734.
— 150 —
tableau central représentant la lutte de TAmour et de Pan, réduite aux deux
personnages essentiels, comme dans la mosaïque Michoud ; à droite et à
gauche de ce tableau, quatre caissons ornés d'un buste symbolisant une des
saisons, ces bustes posés perpendiculairement aux figures du tableau, le
sommet de la tête vers le dehors ; au dessus et au dessous du tableau, six
caissons ornés de rosaces. Ceux-ci avaient pour cadre un filet noir et une
torsade pareille à celle des méandres ; les caissons à figures deux filets noirs,
l'un qui leur était propre, l'autre formé par les Hgnes du labyrinthe. L'ima-
ge nous montre le pavement mutilé. Si nous sommes orientés dans le sens
du panneau central, elle se termine en haut, sans vraisemblance aucune, par
une ligne droite qui paraît due au souci de ne pas envahir la marge ; à droite
par une ligne brisée. Le petit côté inférieur du rectangle est intact ; la plus
grande partie du côté gauche est conservée avec une petite partie du côté
droit. Des onze panneaux, il reste les trois rosaces d'en bas, les deux bustes
de gauche, c'est-à-dire Bacchus ou l'automne et Cérès ou l'été, la partie
gauche du tableau central. Pan marchant vers la droite, le pied droit en
avant, la main gauche attachée sur ses reins par une bandelette qui fait le
tour de sa taille, le tronçon de son bras gauche dirigé sans doute vers la tête
de l'Amour, dont on ne voit plus que la jambe droite et l'avant-bras gauche,
si l'on ne tient pas compte de la silhouette dessinée sur le ciment de sup-
port.
Artaud affirme ^ que cette mosaïque « rappelle les piemiers temps de
l'empire romain > et voit des « signes évidents de l'incendie général arrivé
sous Néron » dans les débris « de charbon, de tuileaux et de bois brûlés »
dont elle était recouverte. Il attribue la destruction de la mosaïque inter-
médiaire à Septime Sévère. « La troisième, dit-il, annonce un temps de
décadence et doit avoir été détruite sous le cruel Attila ». Pour la première
il se trompe certainement, et pour les deux autres sa conjecture est bien
aventureuse. Dans leur naïveté, les vieux historiens de Lyon et, après eux,
Artaud ont cru reconnaître un peu partout les traces du terrible incendie
commenté plutôt que raconté par Sénèque 2. Us oublient que notre ville,
I. p. 108.
a. Lettres à Lucihus, 91
— 151 —
comme toutes celles de l'antiquité, comme toutes celles des temps moder-
nes, eut à souffrir, au cours des siècles, de bien des sinistres paitiels. En
l'espèce, nous avons deux raisons péremptoires de n'incriminer point le
désastre arrivé sous le règne de Néron. D'abord, ainsi que nous l'avons fait
observer à propos de la mosaïque Macors, le feu ne ravagea point cette fois,
selon toute probabilité, les quartiers situés hors de la ville coloniale propre-
ment dite, au delà de la Saône ; il ne ravagea que Lugudunum, la ville bâtie
sur une seule colline, uni imposita monti ^ sur la colline de Fourvière. Puis,
la mosaïque en question n'existait pas au temps de Néron : elle est à coup
sûr de l'époque antoninienne, d'une époque où la fusion du tessellatum et du
vermiculatiim était accomplie, et non pas même du commencement de cette
époque, mais d'un âge où le cadre ornemental s'était développé au préjudice
du tableau pittoresque, où le tableau s'était morcelé, où l'unité de sujet ne
préoccupait guère les artistes 2. Y a-t-il le moindre rapport entre les saisons
et ce combat de l'Amour avec Pan, qu'elles flanquent? Notre mosaïque
appartient à une espèce nombreuse, où quatre figures allégoriques, en par-
ticulier celles des quatre saisons, « servent à meubler les coins des pave-
ments carrés « ou rectangulaires, « quels que soient le sujet et la disposition
du tableau central )^ 3. La mosaïque du Verbe Incarné nous fournira l'occa-
sion d'en parler plus longuement. Bref, le plus ancien des trois pavés su-
perposés de la Déserte ne remonte pas au delà du second siècle. Steyert 4
conjecture qu'il fut enseveli sous les décombres après la victoire de Septime
Sévère sur Albin, en 197 ; quant à l'édifice qui abritait le pavé intermédiaire,
les soldats d'Aurélien l'auraient détruit en 273. Ces deux hypothèses ne
sont pas invraisemblables, et l'assertion du même auteur qui place la ruine
du troisième édifice « dans la suite des temps » est aussi sage que vague.
2. Que sont devenues ces trois mosaïques fragmentaires, et d'abord
quelles parties en furent sauvées au moment de la découverte? Steyert 5
prétend que tout tut sauvé, puisqu'il prétend que la plus ancienne fut
« réservée pour le musée avec les deux autres débris ». Des deux témoigna-
1. Sénèque, ouv. cité, § lo.
2. Voir Gauckler, article Mmivum, dans Dict. des Antiq. gr. et rom., p. 2.1 lo-a.i 12.
3. /ôid., p. 2.119.
4. Ouv. cité, p. 455.
5. /ftid., p.a76.
— 152 —
ges d'Artaud, l'un, celui du Lyon souterrain S est imprécis : « De grands
panneaux de ces pavés précieux ont été recueillis avec soin et sont conser-
vés dans les dépôts du Musée ». L'autre, celui du livre de 1835 ^, est in-
exact : « Cette mosaïque ayant été abandonnée 3, nous avons recueilli pour
le musée ces deux portraits grands comme nature » — les « images de
Bacchus et de Vertumne ■, entendons Cérès. Les pièces des archives nous
renseignent mieux et cependant ne nous apprennent pas toute la vérité.
Elles ne mentionnent pas la mosaïque la plus récente, dont il ne semble pas
qu'on ait songé à rien recueillir. Le croquis des parties à enlever de la
mosaïque intermédiaire présente un carré de i m. 90 de côté, ou 3 m. 60 de
surface, comprenant neuf panneaux, huit à losanges et un seul à décor plus
riche. Nous n'en retrouverons pas davantage. Le devis estimatif pour l'en-
lèvement indique une surface de 5 m. 8. La différence correspond sans nul
doute à la surface des morceaux de la bordure ou double ligne de postes,
qui ne sont pas marqués sur le croquis, mais existent encore, nous allons le
voir. Pour la mosaïque la plus ancienne, on est surpris que même l'énumé-
ration la plus complète, celle du traité entre le maire et les marbriers, ne
contienne pas, avec la « tête de Bacchus, la tête de Cérès et les trente pieds
de bordure », le Pan du tableau central, figure à peu près intacte, facilement
réparable, et qui valait la peine d'être conservée. Rapprochons de cette
omission bizarre le silence non moins bizarre d'Artaud sur la provenance
d'une pièce qui faisait partie de son cabinet et que son catalogue 4 désigne
ainsi : « Tableau en mosaïque représentant le dieu Pan dans l'action de com-
battre ; hauteur i pied 5 pouces, largeur 10 pouces ». Au temps de Comar-
mond, qui traduit 5 ces mesures — 0 m. 44 x 0 m. 27 ^ — , ce tableau,
incorporé aux collections de la ville en 1835 avec l'ensemble du cabinet
d'Artaud, était dans un cadre de bois doré. Aujourd'hui, débarrassé de ce
1.P.97.
2. p. 109.
3. C'est comme entrepreneurs, et non comme propriétaires, pour l'enlèvement et non pour la vente, que
Giraudon et Godiot présentent, le 27 octobre 1823, un compte réglé par l'architecte de la ville à 75 fr. 96
(Arch. mun., Raa).
4. P. 3.
5. Description..., p. 694.
6. Égal à ceux qui le flanquent, le tableau central de la mosaïque avait (voir plus bas les mesures de la
Cérès et du Bacchus) o m. 50 de côté, à un centimètre près, y compris le filet noir de son cadre propre.
— 153 —
cadre, il est inséré dans la décoration murale du vestibule des Antiques. Le
maître mosaïste Claudius Mora, qui l'a mis en place, avait remarqué que les
cubes sont collés sur marbre ou ardoise, selon le procédé de Belloni. La
double bizarrerie que nous venons de constater nous sera expliquée par la
comparaison de ce Pan avec celui de la planche LIL La ressemblance des
deux personnages est frappante, jusque dans les moindres détails, la forme
de la barbe et des cornes, les mèches de cheveux qui tombent sur la nuque,
la touffe de poils qui pend entre les jambes, la couleur bleu pâle du lien qui
entoure la taille. Bref, ils seraient identiques, s'ils n'étaient symétriques. Le
Pan de la Déserte marche vers la droite, c'est-à-dire que la position relative
des lutteurs est la même que sur la mosaïque Michoud ; celui d'Artaud
marche vers la gauche, c'est-à-dire que les lutteurs étaient placés l'un par
rapport à l'autre comme sur la mosaïque Cassaire. Le Pan de la Déserte
marche vers la droite d'après l'image d'Artaud ; mais, en réalité, il marchait
vers la gauche, comme le Pan du vestibule des Antiques. Artaud a retourné
le dessin du personnage pour dissimuler la fraude par laquelle il s'était
adjugé ce morceau qui aurait dû, avec le reste, entrer directement au musée.
En tout état de cause, l'affirmation serait extrêmement probable ; elle est
certaine, le cas de la mosaïque Flacheron nous ayant révélé une supercherie
équivalente.
Voyons maintenant ce que sont devenus les morceaux recueillis pour
le musée. Steyert S parlant de la plus ancienne mosaïque, affirme qu'elle ne
figure dans aucune des salles du Palais des Arts. Son livre étant de 1895, il
se trompe : cela n'était vrai qu'avant 1868. Le Catalogue sommaire aurait pu
lui apprendre que les bustes de Cérès et de Bacchus (de l'Été et de l'Au-
tomne) sont dans le vestibule des Antiques. Mais il ne lui aurait appris ni
que les fragments de la mosaïque intermédiaire y figurent aussi, ni que les
deux bustes n'y représentent point seuls la première, ni qu'il en existe ail-
leurs, hors du musée, un autre fragment, ni certains détails curieux de son
histoire depuis le temps où ses débris quittèrent le terrain de la Déserte
jusqu'à celui où ils reçurent la place qu'ils occupent aujourd'hui.
La présence de « quelques fragments de mosaïques trouvées à Vienne
I. Ouv. cité, p. 276.
— 154 —
et à la Déserte » est constatée dans les dépôts par un récolement d'inven-
taire signé le II juillet 1831 K Le 30 mai 1834 2, l'architecte de la ville,
Dardel, réduit à quarante-quatre francs un compte du marbrier Domy
pour temps employé à transférer les mosaïques placées — c'est-à-dire
évidemment déposées — au premier étage de l'aile orientale. Cette partie du
palais étant destinée à la nouvelle salle des Antiques ou salle des Plâtres, les
fragments de la Déserte furent sans doute parmi ceux qui descendirent
alors au rez-de-chaussée. A une date que je ne puis fixer 3, après 1840 et
avant 1850, Comarmond fit transporter pour réparations toutes les pièces
de mosaïques rassemblées dans les dépôts chez un marbrier de la rue Sainte-
Hélène, le nommé Baratta, en qui, fort légèrement, il avait mis sa confiance.
Elles y séjournèrent longtemps et ne rentrèrent pas toutes au musée. Barat-
ta négligeait parfois de distinguer ce qui était chez lui de ce qui était à lui.
Il essaya de vendre le buste de Cérès au mosaïste Edouard Mora, son voi-
sin ; il le vendit avec une des trois rosaces au curé de Saint-Martin d'Ainay,
voici à quelle occasion. En octobre 1850, dans une cour de l'hospice des
Jeunes filles incurables, on exhuma une mosaïque fragmentaire qui fut
offerte à la ville 4, mais que Comarmond ne jugea pas digne du musée. Il
écrivit au maire que le curé d'Ainay voulait la faire placer « comme devant
d'autel » dans la chapelle de la Vierge et qu'il lui paraissait bon « de l'entre-
tenir dans cette pensée » 5 . La pensée se réalisa : la mosaïque des Incurables
servit à paver le chœur de la chapelle consacrée le 8 décembre 1851, après
réfection, par le cardinal de Bonald ^. Mais elle ne comportait que six pan-
neaux '7, et pour entourer les trois côtés de l'autel il en fallait neuf. Le buste
de Cérès et la rosace vendus par Baratta comblèrent les deux tiers de cette
lacune. Cérès eut la place d'honneur, devant le tabernacle ; la rosace fut
1. Arch.mun.fR^z.
2. Ibid.
3. Tout ce qui suit, d'après Procès-verbaux du Conseil de fabrique de Saint-Marlin d'Ainay (inédits,
archives de la paroisse) ; séance du 14 mars 1858 : lettre de Martin-Daussigiiy et délibération du conseil. Je
dois la connaissance de ce registre à mon savant ami, le regretté docteur Birot, qui avait fait de l'archéologie
et de l'histoire d'Ainay sa province. J'ai pu préciser quelques détails grâce au témoignage oral du maître
mosaïste Claudius Mora.
4. Lettre de Madame Garnier-Aynard au maire, 7 octobre 1850 (Arch. mun., R2a).
5. Lettre de Comarmond au maire, 11 octobre 1850 ; ibid.
6. Procès-verbaux,.., 8 décembre 1851.
7. Comarmond, lettre cité*.
— 155 —
posée à droite de l'autel, là où elle est encore ; une autre rosace pareille,
fabriquée de toutes pièces, lui fit pendant à gauche ^ Un détail révèle
d'emblée la contrefaçon : les deux rosaces ont un double cadre en torsade ;
mais dans la rosace moderne, le cadre extérieur est continu comme le cadre
intérieur ; dans la rosace antique, il est discontinu à deux angles, parce qu'il
représente simplement les tronçons de la grecque où ce panneau était jadis
encastré.
Lorsque Martin-Daussigny eut à faire vider les dépôts, en 1863, il
constata la double disparition qui avait échappé à l'insouciance de son pré-
décesseur. Mais en 1868 seulement, lorsqu'il combinait la décoration com-
posite du vestibule des Antiques et regrettait tout haut l'absence de la
Cérès, qui aurait si heureusement fait pendant au Bacchus, il apprit par le
mosaïste Claudius Mora, lequel tenait le renseignement de son père, où se
trouvaient les deux panneaux manquants. Le conseil paroissial d'Ainay,
mis au courant, s'empressa de restituer la Cérès, que le conservateur récla-
mait seule et qu'il offrait de remplacer, aux frais du musée, « par un médail-
lon de mosaïque antique plus en harmonie avec la sainteté du Heu qu'une
divinité païenne «. Ce médaillon est une rosace à deux cadres, l'intérieur en
torsade, l'extérieur en chapelet de triangles ou têtes de diamants. Je crois
pouvoir l'identifier avec un caisson de la mosaïque figurée sur la planche X
d'Artaud et trouvée par Paul Macors dans son jardin, vers l'angle sud-est
des rues d'Auvergne et de Jarente 2. Elle passait jusqu'ici pour entièrement
perdue. Quant à la Cérès, comme autrefois dans le pavement de la Déserte,
elle voisine, depuis 1868, avec le Bacchus dans le vestibule des Antiques, à
mi-hauteur de la paroi qui confronte la porte d'entrée. Mais au Heu qu'ils
s'encastraient jadis dans la torsade de la grecque, avec un filet pour seul
cadre, ils ont maintenant l'un et l'autre, au delà de ce filet, un cadre continu
I. Le pavé du sanctuaire de la Vierge est une mosaïque imitée de l'antique et faite d'après le dessin de
fragments trouvés dans le local de l'hospice des Incurables... Les artistes peuvent y admirer une tète de Cérès
en mosaïque découverte à Vienne, et que M. le Curé a fait placer dans la partie qui correspond avec le milieu
de l'autel (Abbé J. Roux, dans Revue du Lyonnais, nouv. série, II, 1850, p. 438). La première affirmation est
gravement inexacte, la seconde est fausse et reproduit sans doute un mensonge de Baratta.
a. Au cours des fouilles qu'il fit après la découverte de la mosaïque des Jeux du cirque ; voir chap. I,
— 156 -
ae torsade S qu'ils doivent à quelque Baratta 2. Les deux rosaces que celui
de la rue Sainte-Hélène n'a point vendues, se voient, depuis la même épo-
que, dans la frise de cette paroi, à droite et à gauche du beau lion, débris de
la mosaïque d'Orphée charmant les animaux, qui en occupe le centre. La
mosaïque intermédiaire a fourni tout le soubassement de la paroi : à gauche,
entre deux panneaux à losanges, le seul panneau à décor plus riche qui fut
enlevé, celui où le carré noir à fleur blanche avait pour cadre un chapelet de
petits carrés ; à droite, deux autres panneaux et un demi-panneau à losan-
ges. Elle a fourni aussi la moitié du soubassement de la paroi opposée, la
moitié droite par rapport à l'entrée, trois autres panneaux à losanges. Donc,
des neuf panneaux enlevés, huit et demi se retrouvent ici. Ce n'est pas tout :
la partie sauvée de la double Hgne de postes qui bordait cette mosaïque
ayant été scindée, une ligne couronne aujourd'hui le soubassement de la
première paroi, une autre sert de cadre à la Table claudienne sur la paroi
gauche par rapport à l'entrée 3. La torsade que l'on voit à la cimaise des
parois est, nord et ouest, a été fournie, sans doute, par les « trente pieds de
bordure », c'est-à-dire de torsade, qui furent sauvés avec le Bacchus et la
Cérès de la plus ancienne mosaïque.
3. Un devis estimatif, dressé en date du 14 mars 1867 4 par l'architecte
Desjardins pour la restauration du vestibule des Antiques, contient une
prévision de cent francs, « somme à valoir sauf règlement », applicable à la
pose d'une mosaïque romaine. Il ne s'agissait pas, en réalité, d'une seule
mosaïque, mais des fragments de plusieurs mosaïques, entrés dans les
dépôts du musée à diverses époques et au moyen desquels le conservateur
Martin-Daussigny avait combiné pour le vestibule une décoration murale
que les mosaïstes Edouard et Claudius Mora exécutèrent en 1868. Je tiens
du second que la durée des travaux fut de huit ou neuf mois. Ainsi le coût
dépassa certainement et largement la somme à valoir du devis estimatif.
1. Voir les fig. 17 et 1 8.
2. Avec ce cadre, les deux panneaux ont les dimensions indiquées dans le Catalogue sommaire des Musées
et l'Inventaire des mosaïques, o m. 97 en hauteur et en largeur ; mais le carré limité par le filet n'a que o m. 51
de côté.
3. Le surplus, qui est fort peu de chose, des lignes de postes enlevées a été employé, nous le verrotîs
plus bas, dans le soubassement du couloir entre les salles de la sculpture.
4. Arch. mun., M'a. La pièce se retrouve dans la série Mie, M'g.
— 157 —
Martin-Daussigny nous apprend lui-même ^ à quelle date fut ouverte au
public « la salle de Claude », ce vestibule des Antiques où il avait fait trans-
férer la Table claudienne. « Une nouvelle application de Vopus musaïvum
antique » — il veut dire musivum — « vient d'être réalisée au Palais des Arts.
De nombreux et magnifiques fragments de mosaïques romaines ont été
utilisés pour la décoration de la salle de Claude, ouverte au public depuis le
25 avril dernier » (1869). Cette salle « que sa décoration... rend unique en
Europe » est, affirme-t-il, « d'un aspect tout à fait Pompéien >, parce qu'elle
est « décorée de mosaïques antiques incrustées dans les murailles à l'imita-
tion des peintures pompéiennes ». L'énumération précise des morceaux
employés aurait mieux valu que cette annonce vague et emphatique. Dans
le contexte antérieur de ces études, nous les avons déjà mentionnés pres-
que tous ; mais, si nous avons pu identifier les uns avec certitude, pour les
autres nous en avons été réduits aux conjectures. Ce qu'il nous reste à faire
ici n'est d'ailleurs pas une simple récapitulation : nous avons à décrire
l'ensemble, tel que Martin-Daussigny l'avait conçu et le fit exécuter.
Il comprenait, sur chacune des quatre parois, une frise et un soubasse-
ment ; de plus, sur la paroi nord, celle qui confronte la porte d'entrée, deux
caissons fixés au centre des panneaux du mur. Analysons d'abord le revête-
ment de la paroi sud, pour lequel on utiUsa les morceaux les plus endomma-
gés et les moins décoratifs, parce qu'elle est mal éclairée. Tout ce côté de la
frise, que la porte d'entrée coupe en deux et qui a moins de hauteur que les
frises des autres parois, a été fourni par la primitive mosaïque de VIvresse de
Bacchus : ce sont les restes de quatre caissons non employés dans la premiè-
re reconstitution réduite, et numérotés i, 6, 15, 31, sur notre schéma 2.
Quant au soubassement, celui de droite par rapport à l'entrée consiste, nous
venons de le dire, en six demi-caissons à losanges de la mosaïque intermé-
diaire de la Déserte, celui de gauche comprend quatre panneaux ou débris
de panneaux quadrangulaires que je suppose identiques avec une partie des
huit fragments donnés au musée par l'hospice des Incurables d'Ainay, en
I. La salle de Claude au Palais des Arts, dans Rei'.ie du Lyo.ii li?, 1869, 1, p. 436.
3. Fig. 12. Voir chap. VII, § III, n° 2.
— 158 —
1867 ^ Le deuxième panneau en partant de la porte a été rapiécé : Tune des
pièces a été fournie par la mosaïque Flacheron, de la Déserte ; elle garnit
l'angle inférieur droit du panneau ; c'est le motif 2 de la sixième rangée 2.
La frise des trois autres parois fut constituée de telle sorte que l'en-
semble eût son unité. Le fond est blanc. Deux bandes rectangulaires déli-
mitées par un filet forment, en haut et en bas, une bordure horizontale,
interrompue seulement deux fois. Une série de bandes pareilles aux premiè-
res divisent verticalement la surface. Les parties libres des unes et des
autres sont des rectangles garnis d'un losange en filet noir avec un petit
losange noir au milieu et quatre triangles noirs aux écoinçons ; leurs inter-
sections sont des carrés garnis d'un carré noir posé en losange et marqué
d'une croix gammée blanche. Les bandes verticales alternent avec des
caissons que nous aurons à décrire, hormis qu'aux deux angles est et ouest
de la pièce deux d'entre elles sont reliées par une bande d'égale dimension,
mais dont le rectangle libre est garni d'un losange blanc sur champ noir, et les
deux carrés d'intersection d'un carré blanc posé en losange sur champ noir.
Dans la frise de la paroi orientale, qui fait face à la Table claudienne,
les bandes encadrent sept panneaux carrés à petit motif central polychrome,
les panneaux impairs ayant pour cadre intérieur un chapelet de triangles"
noirs ou têtes de diamants, les pairs un chapelet de carrés noirs en losanges,
tous chapelets compris entre deux filets noirs. Dans la frise de la paroi occi-
dentale, où la Table claudienne est encastrée, il n'y a que six de ces pan-
neaux — deux groupes de trois — , les cadres intérieurs correspondant pour
le groupe de droite à ceux des panneaux d'en face, puisque le deuxième a le
chapelet de carrés, le premier ainsi que le troisième le chapelet de triangles ;
mais ne leur correspondant pas pour le groupe de gauche, puisque le pre-
mier et le troisième ont le chapelet de carrés et le deuxième le chapelet de
triangles. Entre les deux groupes, la place du milieu est occupée par un
morceau rectangulaire assez haut pour interrompre les bandes horizontales :
le Pan d'Artaud 3, débarrassé de son cadre en bois et encadré par les mosaïs-
1. Arch. mun., R^a : lettre de Martin-Daussigny au préfet (26 juillet 1867). Le reste de ces débris a dû
servir pour le soubassement du rez-de-chaussée ; voir plus bas, n" 4.
2. Voir plus haut, § i, n° 2.
3. Voir plus haut, n" 2.
— 159 —
tes modernes d'une bande rectangulaire noire avec, au-dessus et au-dessous
de la figure, une ligne de carrés blancs posés en losanges. La frise de la
paroi septentrionale, qui regarde la porte d'entrée, est la plus complexe.
Au-dessus de la porte qui met le vestibule en communication avec la gale-
rie, les bandes horizontales sont interrompues par trois panneaux rectan-
gulaires couvrant toute la hauteur de la frise. Celui du milieu renferme le
lion de la mosaïque d'Orphée, sur son fond jaunâtre et dans son double
cadre octogonal, filet rouge, filet noir ^ ; quatre triangles de la même cou-
leur jaunâtre accostent l'octogone qu'ils ramènent à un carré au-dessus et
au-dessous duquel se développe une ligne de petits carrés noirs posés en
losanges. Les panneaux de droite et de gauche présentent deux rosaces qui
ont appartenu à la plus ancienne des trois mosaïques superposées de la
Déserte 2, dans leur cadre authentique de torsade et un cadre extérieur mo-
derne de filet noir. Au-dessus et au-dessous des rosaces ainsi encadrées,
une ligne de carrés noirs posés en losanges, plus petits que ceux du panneau
central, complète le décor du rectangle. Ces deux panneaux sont séparés du
panneau central par une bande verticale identique à celles que nous avons
décrites. A droite et à gauche de ce groupe moyen nous retrouvons, non
seulement les bandes verticales, mais aussi les bandes horizontales. Elles
encadrent, à gauche trois, à droite deux panneaux ornés d'une belle
rosace polychrome dans un filet noir. La plus originale de ces rosaces est
constituée par quatre cornes alternant avec quatre coupes.
Des cinq derniers panneaux de cette paroi, non plus que des panneaux
à petits motifs polychromes, fleur, feuille, fruit, oiseau, vase, etc., des deux
parois précédentes, je n'ai pu faire qu'une attribution conjecturale à la
seconde mosaïque Contamin, de Vienne, découverte et acquise en même
temps que la grande mosaïque de VIvresse de Bacchus 3. De là provien-
draient également les bandes qui quadrillent l'ensemble des trois frises, ou
au moins l'idée du dessin et ane partie de ce quadrillage. J'ignore absolu-
ment la provenance du grand rinceau polychrome, où de grosses fleurs
i.Chap.IV, §II,n''2àlafin.
2. Voir plus haut, n°* i et 2.
3. Chap.VII, §i.n"T.
— 160 —
oblongues alternent avec des feuilles en forme de peltes, qui sert de soubas-
sement à la paroi orientale^ et je ne vois aucun moyen de la conjecturer avec
la moindre probabilité. Facilement reconnaissable est, au contraire, celui
qui fait le soubassement de la paroi occidentale, sous la Table claudienne :
c'est le seuil de la première mosaïque Contamin S modifié seulement par
l'addition, à droite et à gauche, d'un rang vertical de peltes prolongeant
celles qui le soulignaient dans l'original. Quant au soubassement de la
paroi septentrionale, la mosaïque intermédiaire de la Déserte en a fait tous
les frais : à gauche de la porte, deux panneaux à losanges flanquant un
panneau plus orné, à droite cinq demi-panneaux à losanges posés verticale-
ment. Le rang de flots ou postes qui couronne ce soubassement des deux
côtés de la porte a la même origine, ainsi que le cadre pareil de la Table
claudienne. Rappelons enfin que la plus ancienne des trois mosaïques super-
posées a fourni sans doute la torsade qui règne à la cimaise de toutes les
parois hormis celle de la porte d'entrée, et sans aucun doute possible les
deux caissons appHqués de part et d'autre de la porte qui conduit à la
galerie, Bacchus ou l'Automne, Cérès ou l'Été, sauf qu'ils n'avaient jadis
qu'un cadre continu de filet noir auquel les mosaïstes modernes ont ajouté
un cadre extérieur de torsade fait avec des fragments du labyrinthe où ils
s'encastraient ^.
4. Dans la mosaïque composite qui revêt les deux soubassements du
couloir séparant, au rez-de-chaussée, les salles de la sculpture, les morceaux
de provenance inconnue sont en très grande majorité. Je conjecture qu'il y
a parmi eux le surplus des huit fragments donnés au musée par l'hospice
des Incurables en 1867 et employés en partie, je l'ai supposé du moins,
pour la décoration du vestibule des Antiques 3, Voici tout ce que je puis
identifier avec certitude dans ce double soubassement qui comprend huit
panneaux : dans le deuxième panneau du côté gauche en venant du cloître,
la chouette ai! Orphée charmant les animaux ; dans celui-ci et celui qui lui fait
i.lbid., §11, n" 3, et §111, n" 2.
2. A la fin du chapitre VII, j'ai exprimé l'espoir que les trois panneaux retranchés de la mosaïque Conta-
min lors de la seconde repose viendraient un jour rejoindre dans ce vestibule des Antiques les parties de la
même pièce qui y sont déjà. Il y a place pour eux : les deux panneaux à décor circulaire feraient face au
Bacchus et à la Cérès ; le panneau à décor quadrangulaire confronterait la Table claudienne.
4. Voir plus haut, n" 3.
— 161 —
face de Tautre côté, quelques débris du double chapelet de triangles noirs
qui encadrait les caissons de VIvresse de Bacchus ; dans ce dernier et son
voisin, c'est-à-dire dans les deux premiers du côté droit, quelques débris de
la double rangée de flots ou postes qui bordaient la mosaïque intermédiaire
de la Déserte ; dans les troisième et quatrième du côté gauche et dans le
quatrième du côté droit plusieurs fragments des caissons 9, lo, 17, 30, 36 ^,
de VIvresse de Bacchus. A remarquer le premier panneau du côté gauche,
que composent en majeure partie deux assez grandes pièces, le reste d'un
vaste caisson circulaire avec zones de triangles concentriques, et la presque
totalité d'un caisson quadrangulaire ayant au centre une fleur à quatre
pétales dans un cadre de filet noir entouré par un chapelet de têtes de
diamants. C'est le même Martin-Daussigny qui fit exécuter ce revêtement
composite, en 1877, lorsqu'il achevait l'organisation des salles de la sculp-
ture 2. Le dossier des archives municipales 3 mentionne à la date du 21 juin
une somme de 640 francs pour réparation et pose de mosaïques ^( dans le
petit vestibule du rez-de-chaussée ».
III
I. Dans le vestibule des Antiques, au-dessus de la porte qui communi-
que à gauche avec le cabinet du conservateur, on a fixé récemment un petit
tableau que M. Dissard enregistre ainsi au livre d'entrées, n^ 123, 13 janvier
1883 : « Don de M. Louis Carrand. Un compartiment de mosaïque antique
dans un cadre en bois doré ». Compartiment est trop vague : il s'agit d'un
emblema, c'est-à-dire d'une mosaïque destinée à être encastrée dans un
pavement plus vaste, d'où ce nom, et directement exécutée sur la tuile qui
la porte. Nous pouvons ajouter qu'il s'agit de la plus ancienne pièce de
mosaïque romaine que possède le musée de Lyon. Car à l'époque augus-
téenne seulement, au premier siècle de notre ère, quand Vopus vermiculatum
1. Voir le schéma, fig. i6. J'ai retrouvé au dépôt des mosaïques, dans une cave, un autre débris du cais-
son 36 .
2. Voir Eug. Vial, dans les Musées de Lyon (en 1906 J, p. 17 et suiv.
3. Série Mia.
H
— 162 —
ne s'était pas encore mêlé avec Vopus tessellatum, les mosaïstes composèrent,
dans l'atelier même, sur dalles de marbre ou de tuf ou encore sur tuiles,
enduites d'un ciment très fin à prise lente, ces petits tableaux en pierres
d'une extrême petitesse et de formes très variées, portatifs, pouvant être
insérés à volonté dans un pavé en cubes plus gros, exécuté directement sur
le sol ^ C'est bien dans cette catégorie que le range M. Gauckler ^ qui en
indique les dimensions et le sujet : « Au musée de Lyon, mosaïque inédite
de 0,50 sur 0,50, venant d'Italie et donnée en 1883 par L. Carrand. Triton
et Néréide donnant à boire à un tigre marin ». « Venant d'Italie ; n'est sans
doute qu'une conjecture probable : à l'époque augustéenne, on ne rencon-
tre que très peu de pavements historiés hors de l'Italie 3 ; cependant les
provinces en ont rendu quelques-uns, le sol de Lyon romain en a rendu
deux 4. Au témoignage d'Artaud 5, dans le remblai qui séparait, à la Déser-
te, la mosaïque intermédiaire de la plus ancienne, on trouva « deux pièces de
mosaïque établies sur des briques taillées en biseau y>. Le propriétaire du
terrain les lui remit. « On y voit, dit-il, des poissons et le bas d'une draperie,
dont le fini est admirable, attendu que les cubes sont extrêmement petits ».
Ces morceaux ne figurent pas dans le catalogue de son cabinet ; nous
ignorons ce qu'ils ont pu devenir. Les dimensions exactes de Vemhlema
Carrand sont 0,525 sur 0,515. En voici la desciiption précise. A gauche le
tigre, vu de face, tête, encolure et poitrail ; au miHeu la Néréide,qui lui
présente la coupe de la main gauche et tient de sa droite invisible un rameau
déployé horizontalement vers la tête du tigre ; la tête de profil vers le tigre,
elle est au surplus vue de dos, parée d'un collier et de bracelets, nue hormis
que ses jambes sont enveloppées dans une draperie qui s'envole en arc
devant elle . Cette draperie couvre aussi, sauf une extrémité de nageoir e
caudale, l'arrière-train, sur lequel la Néréide est assise, du Triton dont le
1. Sur les emblemata voir Gauckler, dans Dict. des antiq. gr. et rom., art. Mmivum, p. 2.098 et suiv.
2. /6id., p. 2.099, ntoe 5 ;cf. 2.101, note 11.
3. Ibid., p. 2.097, surtout note 14.
4. M. Adrien Blanchet les a omis dans son Inventaire ; mais ils n'ont pas échappé à M. Gauckler, ihid.,
p. 2.099, note 5 : ' A la Déserte, près Lyon, fragment (poissons et draperie) -.
5. 1835, p. 109. Cf. Lyon souterrain, p. 97 : « Chez M. Raymond ■ (inexact ; voir plus haut § II, n» i)
« on a déterré des fragments de briques taillées en bizeau, sur lesquelles on voit des poissons en mosaïque,
dont les pièces de rapport n'ont pas deux lignes de surface '.
— 163 —
torse s'érige à droite, de face, nu ; il regarde vers la nymphe ^ sa tête porte
des cornes de homard, sa main gauche tient un roseau. L'eau de la mer est
figurée au bas du tableau. Le décor polychrome s'enlève sur fond noir. Le
nombre est considérable, surtout en Afrique, des mosaïques romaines
représentant des scènes, sinon identiques, du moins analogues, Néréides
associées à des Tritons et à des animaux marins ^
2. Dans ce même vestibule des Antiques est déposé un panneau hexa-
gonal de mosaïque appliqué sur une épaisse dalle de ciment. Un double
filet noir y encadre, sur champ blanc, un buste polychrome, coupé aux
épaules, vu de face, les yeux regardant vers la gauche, le visage imberbe, la
tête couronnée de feuillage, de fleurs et de fruits, un thyrse appuyé à l'épau-
le gauche. C'est, comme le panneau de la Déserte appliqué sur une paroi de
ce vestibule, Bacchus ou l'Automne. D'un sommet de l'hexagone au som-
met opposé, on mesure extérieurement au cadre o m. 485, intérieurement
o m. 37. Je n'ai trouvé nulle part aucune indication sur la provenance de ce
fragment ; je conjecture qu'il appartenait à la petite mosaïque Contamin,
dans laquelle, selon la description de Branche, on voyait « des têtes de
Bacchus couronnées de pampres et de Cybèle couronnées de tours w^.
3. Dans une cave qui sert de dépôt, M. Focillon, directeur des Musées,
m'ayant donné le moyen de l'explorer en 1916, je découvris trois caissons de
la grande mosaïque Contamin, ceux qui furent supprimés lors de la deuxième
réduction 3 et qui sont maintenant au pied de l'escalier de la Minerve, et en
outre un fragment du caisson 36. J'y découvris aussi une trentaine de dalles
en ciment, la plupart entières, quelques-unes brisées, entoilées sur une de
leurs faces, où, la toile arrachée et cette face nettoyée, je reconnus sans
peine, en rapprochant d'un double rapport de Martin-Daussigny 4 un
I
P I. Voir les tables de l'Inventaire des Mosaïques. Je citerai seulement : I, 209 (Sainte-Colomba) : Triton,
Néréide sur un dauphin ; fig. dans Bazin, Vienne et Lyon gallo-romains, p. 9 ; — 376 (Saint-Rustice) : Nym-
phe et Triton ; — 1382 (Orbe) : Néréide et Triton ; — III, 437 (Cherchel) : Triton porteur du pedum ei
Néréide assise sur une panthère marine (enblemj) ; cf. Gauckler, ibid., p. 2.097, note 13, et 2.1 19, note 2 ; —
et surtout II, 798 (Carthage) : Triton vêtu, couronné de roseaux, portant une corbeille et un pedan ; Néréide
assise sur un des replis de sa queue, vêtue, parée de bijoux, tenant une corne à boire (embleina).
2. Voir ch. VII, § I ; cf. plus haut, § II, n» 3.
3. Voir le schéma, fig. 16.
4. Arch. mon., R2 c, 13 juillet et 18 août 1876.
— 164 —
dessin annoté du mosaïste Claudius Mora ^, ce qui fut sauvé d'une des
mosaïques exhumées place des Célestins, au mois de juillet 1876. M. Focil-
lon a fait depuis transférer ces dalles dans les sous-sol de la Faculté des
lettres, quai Claude-Bernard. Il y avait enfin, dans la même cave du Palais
Saint-Pierre, plusieurs fragments de mosaïque arrachés à la pioche avec le
bloc volumineux du béton de support. L'identification de ceux-ci ne sau-
rait être que conjecturale. Ils n'appartiennent pas tous à la même pièce. Les
uns proviennent, je pense, d'une mosaïque découverte place des Célestins
tout de suite avant la précédente et que Martin-Daussigny fit également
enlever en partie ^ ; les autres, d'une ou plusieurs mosaïques vues en 1884
dans la tranchée des égouts de la rue Jarente, entre les rues d'Auvergne et
Vaubecour 3 : Claudius Mora se souvenait d'en avoir fait arracher et trans-
porter au Palais Saint-Pierre des morceaux considérables. Comme les
divers fragments retrouvés dans cette cave ne figurent pas et ne semblent
pas destinés à figurer jamais dans les salles du Musée, je me borne à les
signaler ici, me réservant d'en parler avec plus de détail dans une autre
partie de ces études 4.
1. Je n'ai plus à ma disposition, malheureusement, ce dessin que le regretté maître mosaïste m'avait
communiqué.
2. Rapport du 13 juillet 1876. Cf. Inv. des mos. de la Gaule, n° 7 ^.5.
3. Témoignage oral de Claudius Mora ; cf. Salut public du 5 avril 1884.
4. Celle qui aura pour titre Recherches sur les mosaïques romaines de Lyon. — De la mosaïque en relief
appelée par .'Artaud (1835, p. 84 ; album, pi. 37) l'Espérance, je ne parlerai ni ici ni ailleurs ; car elle n'est
pas romaine. Voir Engelmann, Ueber Mosaïkrehefs, dans Rheinisches Muséum, n. f., ag (1874), p. 561 et suiv.;
cf. Gauckler, p. 2.089, avec la note 2.
— 165 —
X
mosaïques du verbe incarné
I
1 . A Fourvière, rue du Juge-de-Paix, 24, dans le clos du Verbe-Incar-
né, ainsi appelé aujourd'hui à cause d'une congrégation religieuse qui le
possède depuis 1833, mais connu auparavant sous le nom de clos Monta-
land, la Faculté des lettres de Lyon a pratiqué, dei9iiài9i4, des recher-
ches archéologiques sur l'emplacement d'une vaste et riche demeure qui
bordait jadis la voie d'Aquitaine. Elles ont procuré, entre autres découver-
tes, celle de neuf mosaïques romaines ^ Deux seulement doivent être
étudiées ici, parce que l'une figure déjà, l'autre est destinée à figurer pro-
chainement dans les musées de la ville.
2. La première fut exhumée au mois de juin 191 1, dans la cour d'entrée,
parmi beaucoup de vestiges moins intéressants. Elle gisait à deux mètres
environ du niveau actuel. Intacte 2, elle avait formé un carré dont le côté
mesurait 3 m. 85. Un autre carré, mesurant 0 m. 75 de côté, en occupe le
centre, tableau polychrome à fond noir qui représente Bacchus adolescent,
couronné de lierre ou de pampre, le torse et les jambes nus, le milieu du
corps couvert par la nébride ou peau de faon, le thyrse dans la main droite,
le bras gauche abandonné sur l'encolure de la panthère qui porte le dieu.
Celle-ci, ramassée et prête à bondir, tient entre ses pattes de devant le
sistre ou tambourin. Aux quatre angles, quatre tableaux carrés dont le côté
ne mesurait que 0 m.56, polychromes aussi, mais à fond blanc comme tout le
surplus du champ, présentaient quatre bustes plus grands que nature et
1. Voir les comptes rendus détaillés de ces fouilles, par M. Germain de Montauzan, dans Annales de
V Université de Lyon, nouv. série, II, fasc. 25, 28 et 30.
2. Notre figure 19 la montre telle qu'elle fut exhumée.
— 166 —
s'encadrant d*abord dans un étroit filet noir, puis dans les méandres d'un
double labyrinthe constitué par une torsade multicolore et un large filet
rouge. La même torsade et le même large filet servaient de cadre à l'ensem-
ble du décor et une ample bande noire de bordure aux quatre faces de la
mosaïque. Au-delà de cette bordure régnait, à la droite du tableau central
par rapport au spectateur, un bourrelet de ciment qui raccordait autrefois
le pavement à une paroi détruite. Au-dessous du tableau, ce pavement était
prolongé par un carrelage noir, blanc et rouge, en mosaïque aussi. Sur les
deux autres côtés, il avait de graves lacunes : tout le bord supérieur man-
quait, presque tout le bord gauche et une grande partie de l'angle supérieur
gauche. Outre des éléments du labyrinthe, un des quatre petits tableaux
était complètement détruit, celui qui avait occupé cet angle, et de celui qui
avait occupé l'angle supérieur droit il ne restait qu'un vestige de front et de
coiffure. Ce vestige suffit pour montrer que le buste de ce panneau et, par
conséquent, aussi celui du panneau entièrement effacé étaient en hauteur^
le sommet de la tête tourné vers le tableau principal. Au contraire, les deux
bustes des panneaux conservés, qui garnissent les angles inférieurs, sont en
longueur et s'opposent par leurs sommets. Quelques endroits du tableau
principal étaient endommagés : l'angle supérieur gauche du fond, le front
de Bacchus, la tête et le corps de la panthère, mais sans qu'il manquât rien
aux lignes de contour. En somme, la mosaïque avait perdu un quart à peu
près de sa surface primitive qui était d'un peu moins de 15 mètres.
Le sujet des tableaux secondaires est aussi certain que celui du tableau
principal : c'était une figuration symbolique des quatre saisons. Le buste de
femme au visage austère, voilée et couronnée d'un feuillage rigide, qui
occupe l'angle inférieur droit ^ c'est l'Hiver ; le buste de jeune homme au
visage langoureux, à la blonde chevelure tombant en boucles sur le cou et
les épaules, couronné de feuillages brillants, l'épaule droite nue, la gauche
couverte par les plis du manteau, c'est l'Automne 2, figure semblable, sinon
exactement pareille, à celle du Bacchus de notre vestibule des Antiques,
symbole qui représentait la même saison dans la mosaïque de la Déserte 3
I. Fig. 20.
3. Fig. 21.
5. Voir chap. IX, § II, et tig. i8.
— 167 —
Au-dessus de lui il y eut, dans la mosaïque du Verbe-Incarné, l'Été, un
buste de femme blonde, couronnée d'épis, analogue à la Cérès du même
vestibule des Antiques, qui représentait cette saison dans la même mosaï-
que de la Déserte \ Et, au-dessus de la femme voilée, il y eut jadis un buste
d'adolescent couronné de fleurs, le Printemps. Bacchus et les Saisons, tel
est donc dans son ensemble le sujet de notre mosaïque.
3. Si la représentation allégorique des quatre saisons n'était point pro-
pre à la seule peinture en mosaïque — on la retrouve dans les œuvres de la
sculpture, de la glyptique, de la céramique — , elle y était particulièrement
fréquente. M. Héron de Villefosse ^ a dressé en 1879 une liste de vingt-trois
pavements qui comportaient cette représentation, et M. Gauckler 3 y a fait
depuis un nombre considérable d'additions. Toutes les provinces de l'em-
pire romain ont fourni leur contingent ; celui des régions comprises dans
Vlnventaire des mosaïques. Gaule et Afrique, est d'une quarantaine. Le plus
souvent les saisons sont figurées par quatre bustes, beaucoup plus rarement
par des personnages en pied ou quelque autre symbole 4. Presque jamais elles
ne sont le sujet principal du pavement ou n'en occupent le centre 5. Parfois
elles sont rangées sur une ligne, seules ou avec une autre figure ^. En général,
elles garnissent les quatre angles, que le panneau central soit un tableau
pittoresque, ce qui est l'ordinaire, ou qu'il soit un motif ornemental ou un
dessin géométrique 7. Le sujet du tableau pittoresque autour duquel on les
a placées est variable : dans notre mosaïque de la Déserte s, elles accompa-
gnaient une lutte de l'Amour et de Pan ; dans une mosaïque de Sainte-
Colombe 9, le sujet principal est Orphée charmant les animaux ; dans une
autre de la même localité ï°, un jeune homme en pied avec un chien couché ;
1. /6id. etfig. 17.
2. La mosaïque des quatre Saisons à Lambèse (Algérie), dans Gazette archéologique, V, p. 144 et suiv.
3. Dans Dict. des antiq. gr. et rorn., art. Musivum, p. 2.1 19, note 10.
4. Par exemple, Saint-Romain-en-Gal, Inv. des mos., 1, 207 = 243 (quatre génies en pied) ; Henchir-
Thina, ibid., II, 18 (quatre amours à cheval) ; même localité, ibid., II, 29a (quatre cochers de cirque).
5. Exceptions : Saint-Romain-cn-Gal, ibid., 1, 246 ; Timgad, ibid., II, 166 ; etc.
6. Exemple : Saint-Romain-en-Gal, i6id.,1, 198.
7. Exemple : ibid., II, 73a, 3°, El-Djem (corbeille de fleurs) ; II, 18A, 11, Henchir-Thina (décor
géométrique).
8. Ibid., 1, 734. Voir chap. IX, § II.
9. Inv. des mes., 1, 219 ; cf., ibid., 1 .032 (Forêt de Bretonne).
10. Ibid., 220.
dans une mosaïque de ChebbaS Neptune sur son quadrige; dans une mosaï-
que de Sentinum 2, Apollon; etc. Mais souvent, plus souvent qu'à aucun autre
sujet, cette place d'honneur est réservée à Bacchus 3. D'ailleurs, cette même
place est aussi réservée à Bacchus dans beaucoup de mosaïques où ne figu-
rent pas autour de lui les saisons 4 ; et dans certaines de ces mosaïques,
comme dans la nôtre du Verbe-Incarné, le dieu est représenté avec une
panthère ou un tigre 5. Deux mosaïques spécialement doivent être rappro-
chées de la nôtre, parce que les saisons y entourent Bacchus et que le dieu y
est représenté avec une panthère ou des panthères : une mosaïque de Trê-
ves ^ montrant, au centre, Bacchus sur un char attelé de panthères et
conduit par un satyre ; aux angles, les saisons en des médaillons ovales,
d'autres sujets dans des carrés entre ces médaillons ; et surtout une mosaï-
que d'El-Djem 7, où l'on voit, au centre, Bacchus nu, un voile flottant
derrière lui, la tête couronnée de pampre, tenant des deux mains le thyrse
et allongé sur le dos d'une panthère qui court vers la droite.
4. Que la mosaïque du Verbe-Incarné, malgré le grave dommage subi,
méritât d'être conservée, c'est-à-dire détachée du sol où elle gisait, puis,
après discrète restauration, rétabHe dans un musée, c'était l'évidence même.
Depuis la mosaïque des Jeux du cirque, nul pavement romain qui l'empor-
tât sur celui-ci, du moins par la beauté de l'exécution, n'avait été remis au
jour à Lyon. La mosaïque de Méléagre et Atalante s, plus intéressante par
le sujet, n'offrait point, si l'on s'en réfère à la planche d'Artaud, la même
finesse de travail. La mosaïque du Berger 9, connue elle aussi seulement
grâce à l'album d'Artaud, si elle égalait la nôtre sous ce rapport, ne la sur-
passait point. Œuvre de techniciens habiles, reproduisant des modèles
excellents et travaillant à la bonne époque, à cette époque antoninienne où
i./fcid.,II,86,7''a.
2. Héron de Villefosse, pass. cité, p. 151 et 153.
3. Gauckler, pass. cité, p. 2.1 18, note 9.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. Inv. des mos., 1, 1.241.
7. Ibid., Il, 73.
8. Artaud, 1835, p. 64, pi. 9 ; Inv. des mos., I, n° 720.
9. Artaud, ibid., p. 106, pi. 5 1 ; Inv. des mos., aP 719.
— 169 —
la virtuosité des mosaïstes romains fut incomparable S la mosaïque lyon-
naise de Bacchus et des Saisons se recommandait par des qualités manifes-
tes de composition, de dessin et de polychromie, qui frappèrent d'emblée
tous nos visiteurs. Les juges les plus compétents trouvèrent à y louer, par-
tout, la sûreté savante de lignes et de teintes qui donnent l'illusion du relief;
dans le tableau principal, l'aisance élégante des attitudes et du mouvement ;
dans les deux tableaux secondaires, l'expression des physionomies et leur
contraste que relève la différence du coloris, si sobre dans la figure de
l'Hiver, si riche dans celle de l'Automne. Que Ton rapproche ces figures de
celles qui représentaient les mêmes saisons dans la célèbre mosaïque de
Saint-Romain ^ et que nous connaissons par la planche d'Artaud ; que l'on
rapproche surtout l'Automne de la Déserte, tel qu'on le voit dans le vesti-
bule des Antiques 3 et celui du Verbe-Incarné : la finesse des traits, la
noblesse du visage, la perfection du travail matériel rendent sans conteste
nos répliques de ces types supérieures à ces autres répHques.
5. La découverte fut portée à la connaissance et signalée à l'attention
du conseil municipal de Lyon par un rapport de M. l'adjoint Joseph Vial ;
puis, dans la séance du 31 juillet 191 1, M. le maire Herriot demanda et
obtint l'autorisation de négocier l'achat pour la ville 4. Une expertise
amiable confiée à M. Sainte-Marie Perrin, architecte de Fourvière, et au
maître mosaïste Claudius Mora, avait estimé la valeur de l'œuvre à 5.000
francs. La Faculté des lettres qui, en vertu d'une convention avec M. Egger,
avocat à Fribourg (Suisse), agissant au nom des propriétaires du clos, était
copropriétaire pour moitié de tous les objets précieux provenant des fouil-
les, fit cession de ses droits sur la mosaïque à la ville, laquelle devait donc
verser 2.500 francs à M. Egger. Dans sa séance du 25 septembre 5 le conseil
municipal, sur rapport du maire en date du 22 août, vota un crédit de 3.500
francs pour cette dépense et celle de l'ablation et du transport. Quant au
1. Gauckler, p. 2.112.
2. 1835, album, pi. XVIII ; cf. Inv, des mos., 1, 198 ; reproduction, dans l'album, de la planche d'Artaud.
3. Voir chap. IX, § II, n° 2, et le fig. 17.
4. Conseil municipal. Procès-verbaux des séances, 2' semestre 191 1, p. m.
5. /&t(f., p. iSaetsuiv.
— 170 —
coût de la restauration, il était impossible, disait le rapport ^, de l'évaluer
alors, même approximativement.
6. L'ablation, qui était urgente, fut faite au cours de Tété, sous la direc-
tion de Claudius Mora, selon le procédé de Belloni perfectionné. J'ai cité,
dans le chapitre relatif à la mosaïque Macors 2, la définition donnée par
Artaud de ce procédé lui-même. Voici celle que mon collaborateur M. Ger-
main de Montauzan ^, qui suivit le travail de Mora, donne de cette méthode
telle que l'appliquent aujourd'hui les spécialistes, héritiers de Belloni :
« Après un bon lavage de la surface et un séchage dont le degré absolu est
indispensable, la mosaïque fut cirée et frottée soigneusement à la façon
d'un parquet. Puis on détermina différentes lignes de sectionnement, divi-
sant la surface en un assez grand nombre de rectangles inégaux — une
quarantaine pour ce qui reste de la mosaïque et qui se réduit à 12 mètres
carrés — , ces rectangles étant calculés par la nécessité de ne couper aucun
motif essentiel et de suivre autant que possible... les zones neutres. Puis
chaque rectangle fut recouvert, d'abord d'une bande de papier Joseph
coupée exactement à sa mesure, enduite d'une colle forte appliquée à chaud,
(gomme arabique et farine de seigle cuite). Quand ce fut bien sec, le papier
fut doublé d'une bande de toile, de la même dimension, soigneusement
étirée et collée par-dessus. Toute la surface étant ainsi garnie, on découpa
avec un petit ciseau très tranchant le pourtour des rectangles, détachant et
conservant à part une rangée de cubes le long de chaque ligne, et entamant
ensuite le ciment sous cette ligne... Puis, par le côté ou les côtés libres dès
l'abord ou déjà dégagés, on creusait pour chaque rectangle sous le ciment,
de manière à dégager le bloc formé par la portion de mosaïque et son sup-
port découpés ; ce bloc enlevé et retourné, le ciment était décapé au ciseau
jusqu'à la face de dessous des cubes. A l'exception de quelques dizaines sur
des milliers, les cubes restèrent parfaitement adhérents à leur carapace de
papier entoilé... Le moment venu, on étendra, à l'emplacement désigné, un
ciment préparé à cet effet. On enfoncera chacune de ces larges galettes dans
I. Ce rapport est inséré au Bulletin municipal, 191 1, a" semestre, p. 141.
a. Chap.I, §III,n<'i.
3. Ann. de V Univ. de Lyon, nouv. série, II, 25, p. 65 et suiv.
I
i
— 171 —
la pâte avant qu'elle ait fait prise. La toile, chauffée, se décollera ensuite,
ainsi que le papier. Il ne restera plus qu'à rajuster les petits cubes des lignes
de contour et à faire les quelques restaurations indispensables ;-.
7. Dans son rapport du 22 août, le maire annonçait que la mosaïque de
Bacchus et des Saisons était « destinée au futur plancher du nouveau Musée
Guimet ». Un conseiller demanda, dans la séance du 25 septembre, pour-
quoi elle n'irait pas au Palais des Arts. Il lai fut répondu qu'aucun emplace-
ment n'était disponible dans ce musée et que, d'ailleurs, elle serait bien
placée au Musée Guimet ; car elle avait trait au culte dionysiaque. On ne
peut, en vérité, prendre au sérieux ni l'une ni l'autre assertion. La place ne
manquait pas, à la seule condition de la chercher avec le désir de la trouver,
dans les salles du Palais des Arts, pour un monument qui n'est point du
tout à sa place dans une salle du Musée Guimet \ Quoi qu'il en soit, la
chose fut décidée et faite. Il suffit de lire, au Guide illustré du Musée Guimet,
la légende de la planche III : Tombeau de Ramsès I^^ et Mosaïque de Four-
vière, pour sentir l'inconvenance de cet exil inutile. Sans doute, il y a autre
chose qu'elles dans les locaux du Palais Saint-Pierre où les mosaïques
romaines ont été reposées ; mais elles y sont ensemble, elles y forment une
collection dont il ne fallait pas séparer la dernière rendue au jour 2.
J'ai demandé ou fait demander s'il existait un dossier concernant cette
mosaïque, soit à l'architecture municipale, soit au bureau ou au contrôle des
travaux de la ville. Partout la réponse a été négative. Je n'ai pu avoir les
papiers ni de l'architecte Blein qui dirigea la transformation du Palais de
Glace en nouveau Musée Guimet, ni du maître mosaïste Claudius Mora
qui fut chargé de l'enlèvement 3. Si le crédit de i .000 francs voté pour cette
opération suffit ou non à la dépense, je l'ignore. Mais je connais le coût
exact de la restauration et de la repose, grâce au mémoire que m'a commu-
I. Galerie du rez-de-chaussée, salle égyptienne. Cf. Guide illustré du Musée Guimet de Lyon, 1913, p. 35
et suiv. Il est dit dans la notice que les « torsades se croisent à angle droit de manière à figurer des swasticas,
symboles de lumière , que « ces cordons qui s'enchevêtrent et n'ont ni commencement ni fin sont des sym-
boles d'éternité ". Pareille intention symbolique ne fut certainement pas dans l'esprit des mosaïstes romains,
qui voulurent donner un cadre élégant à leurs tableaux, et ne voulurent rien de plus.
I. On va voir, § II, qu'elle n'est plus maintenant la dernière ou, pour parler plus exactement, la dernière
de celles qui, rendues au jour, ont pris ou vont prendre place dans les collections de la ville ; mais aussi que
1 a dernière n'aura pas à subir un exil de cette sorte .
a. Ils sont décédés l'un et l'autre.
— 172 —
nique obligeamment M. Bertin. Avec son associé, M. Ciancia, il fut, du
vivant même de Mora, le successeur de celui-ci pour ces deux parties du
travail. Le devis se monte à 1.662 francs 70. Il est daté du 20 août 1913. La
mosaïque était déjà reposée en mai, lorsque se fit l'inauguration solennelle
du nouveau musée ; il ne restait plus qu'à substituer sur place, aux grands
cubes verts dont les vides du tableau central avaient été garnis provisoire-
ment, ceux de la restauration définitive. C'était, pour les mosaïstes moder-
nes, la phase la plus délicate de leur travail, non pas en ce qui regardait le
dessin, puisque toutes les lignes essentielles subsistaient, mais en ce qui
tenait aux nuances du coloris. Rien n'était plus facile, au contraire, que de
compléter la torsade et le filet du cadre et du labyrinthe. Quant aux deux
tableaux d'angle, dont l'un manquait tout entier, l'autre presque tout entier,
on a comblé les lacunes avec des cubes blancs pareils à ceux du champ. En
somme, la mosaïque a été restaurée habilement et discrètement. Elle est de
la sorte plus agréable à voir pour le commun des visiteurs d'un musée que
si on l'avait reposée telle quelle ou à peu près, c'est-à-dire en garnissant de
cubes blancs tous les vides intérieurs et en laissant les lignes brisées du
pourtour se dessiner, comme ses lignes intactes, sur le pavé de la salle. Les
esprits rigoureusement scientifiques eussent préféré cependant cette solu-
tion.
II
I. La mosaïque dont il me reste à parler fut découverte en juin et
juillet 191 3, dans le même clos du Verbe-Incarné, mais dans la partie de ce
clos qui est située entre les bâtiments modernes, au sud, et le terrain mili-
taire de la Sarra, au nord. Elle gisait, à une quarantaine de mètres de la
précédente mosaïque, sous trois et quatre mètres de remblai. Nous pûmes
constater dès lors, par des sondages latéraux, qu'elle n'était pas isolée.
Nos recherches, poursuivies à l'automne de 191 3 et achevées au printemps
de 191 4, démontrèrent qu'elle était flanquée, à l'ouest, de deux autres, à
l'est, de quatre autres pavements, moins beaux ou moins bien conservés.
Tous ceux-ci furent laissés en place et remblayés, hormis quelques frag-
— 173 —
ments enlevés, mais non pour entrer aux Musées de Lyon. Avant le rem-
blayage et les ablations partielles, tous ont été photographiés. Le plan géné-
ral de la fouille permettrait d'ailleurs de les retrouver sans peine, au besoin.
2. La seule mosaïque de ce groupe qui parut digne d'être enlevée tota-
lement et rétablie dans un musée, était un rectangle, long de ii m. 80 dans
la direction nord-sud, large de 7 m. 30 dans la direction est-ouest, couvrant
dont une surface d'environ 85 mètres, lorsqu'il était intact. Mais nous le
retrouvâmes fort endommagé dans sa partie sud, ayant perdu en somme à
peu près un tiers de sa surface ^ Dans le cadre d'une bordure à bandes
noires et blanches et d'une frise à rinceaux dont les lobes contenaient alter-
nativement une feuille cordiforme noire et une fleur polychrome è huit
pétales, double série interrompue aux quatre angles de la mosaïque et aux
quatre bouts de ses axes par deux autres motifs plus riches, le champ blanc
était coupé par huit bandes longitudinales et quatorze bandes transversales,
les plus extérieures contiguës à la frise, toutes à fond blanc et de la même
largeur, limitées par des filets noirs et divisées en cases alternativement qua-
drangulaires et rectangulaires, celles-ci inscrivant toujours des losanges
allongés, celles-là, c'est-à-dire les entrecroisements, des carrés posés en
losanges ; à l'exception pourtant des deux bandes longitudinales les plus
intérieures où chaque losange était placé entre un motif à huit fleurons et
une rose à huit pétales. Il y avait 314 de ces cases. Les figures des seules
bandes longitudinales i, 2, 7 et 8, c'est-à-dire des deux couples les plus
extérieurs, étaient toutes ou bien noires ou bien noires et blanches ; celles
des autres bandes longitudinales, presque toutes polychromes et d'une
polychromie de plus en plus riche à mesure que l'on s'éloignait des côtés.
Dans les 91 grands compartiments quadrangulaires que délimitaient les
deux séries de bandes, tels les caissons d'un plafond à poutres entrecroi-
sées, des motifs ornementaux circulaires ou dérivant du cercle alternaient
avec des motifs carrés ou dérivant du carré, hormis qu'à l'une des extrémi-
tés du grand axe, il y avait deux motifs carrés de suite. Les 27 sujets de ce
grand axe, c'est-à-dire la rangée des grandes et des petites cases comprise
I. Elle est figurée, telle qu'elle fut exhumée, dans Germain de Montauzan, ouv. cité, fasc. 30, p. 25,
tt dAtts Revue d'histoire de Lyon, 19 14, p. 403.
— 174 —
entre les deux bandes longitudinales les plus intérieures, 4 et 5, sont tous
différents et aucun ne se retrouve ailleurs dans le pavement. Au contraire^
dans le petit axe, rangée comprise entre les bandes transversales 7 et 8, par
rapport au huitième sujet, grand compartiment qui est à l'intersection des
deux axes et forme donc le centre de la mosaïque, les 14 autres sujets se
répartissent symétriquement en deux groupes. Du reste, le grand axe divise
toute la composition en deux parties symétriques ; mais il n'en est pas de
même du petit axe. L'extraordinaire variété des motifs ornementaux défie
et décourage la description. Le dessin, exécuté au moyen de pierres dont
aucune n'a un centimètre de côté, est partout d'une régularité remarquable.
La polychromie, à la fois riche et sobre, parfaitement harmonieuse, com-
porte, avec le noir et le blanc, le rouge sombre, le jaune foncé, le violet, le
vert. Un détail mérite d'être signalé : comme beaucoup de pavements
romains, la mosaïque a subi dès l'antiquité une réparation maladroite.
Dans l'une des bandes qui bordent le petit axe, le carré de la case 7 occupe
indûment la place d'une fleur pareille à celle de la case symétrique 9, et
le losange de la case 6 n'est pas identique, ainsi qu'il devrait l'être, à celui de
la case symétrique 10.
3. Malgré l'absence d'un tableau pittoresque parmi la multitude et la
vaiiété de ses motifs ornementaux, cette mosaïque était manifestement une
belle œuvre d'art, tout à fait digne de quitter l'excavation, où elle n'aurait
pu séjourner longtemps à découvert sans péril, pour l'abri sûr et clair d'une
salle de musée. Sur la proposition de M. l'adjoint Joseph Vial (23 juin) et
conformément à un rapport de M. le maire Herriot (7 juillet), le conseil
municipal de Lyon, dans sa séance du 18 août 1913, vote un crédit de
2.000 francs pour l'achat « d'une nouvelle mosaïque romaine provenant des
fouilles opérées à Fourvière par la Faculté des lettres ». Cette fois encore la
Faculté abandonne à la ville sa part de propriété et le crédit représente
celle de M. Egger. Comme l'enlèvement est urgent, dans la même séance,
conformément à un second rapport du maire (6 août), le conseil vote un
autre crédit de 2.980 francs, 480 francs pour le hangar qui protégera le pa-
vement et les ouvriers, 2.500 francs pour l'ablation elle-m!me et le trans-
port dans l'atelier des mosaïstes Claudius Mora, Bertin et Ciancia, chargés
en outre de la restauration et de la repose. Les crédits nécessaires pour cette
— 175 —
double opération seront demandés en temps utile ^ L'enlèvement se fit
avec plein succès, sinon sans difficulté — car le béton de support était d'une
solidité vraiment romaine — avant la mauvaise saison, ainsi que le rem-
blayage de l'excavation qui aurait rendu impossible la suite de nos recher-
ches. Par une soumission du i8 avril 191 4 2, le maître mosaïste Ciancia
s'engageait, moyennant une somme forfaitaire de 8.000 francs, à reconsti-
tuer sur dalles de ciment encadrées de fer, transporter à l'Exposition inter-
nationale de Lyon — , où il avait été décidé qu'elle figurerait avant d'aller
prendre sa place définitive au musée — , poser, enlever, transporter et repo-
ser à cette place définitive, la mosaïque qui était, depuis l'ablation, dans ses
ateliers, rue de la Villardière, 8. La reconstitution, qui pouvait se faire à
coup sûr, en raison de la symétrie du décor, et qui fut faite avec beaucoup
d'art et de soin sous la direction de Claudius Mora, était déjà terminée, la
mosaïque reconstituée se voyait déjà, en très bonne lumière, mais verticale-
ment ou presque, à l'Exposition internationale, lorsque le maire présenta
cette soumission au conseil, dans la séance du 29 juillet 1 914, et lui demanda
de régulariser la dépense 3. Après la clôture si malheureusement prématu-
rée de l'Exposition, la mosaïque fut transportée dans l'ancienne église
Saint-Pierre, devenue annexe du Palais des Arts ; c'est là, dans le pavé du
chœur, que doit avoir lieu, mais que les circonstances n'ont pas encore
permis, sa repose définitive. Le 30 juin 1920, le mosaïste Ciancia fournis-
sait un mémoire conforme à sa soumission, réglé le 10 août sur certificat de
paiement délivré à cette date par l'architecte en chef de la ville et rappelant
que la repose définitive était comprise pour une somme de 300 francs dans
le devis total de 8.000 francs 4. Enfin, le 26 octobre 1920, l'architecte en
chef, M. Meysson, écrivait à M. Focillon, directeur des Musées, pour que
l'emplacement exact lui fût désigné, où la mosaïque devait être placée 5. Il
est désirable qu'elle redevienne visible au public le plus tôt possible ; mais
elle a été reconstituée de telle sorte qu'il n'y a point péril en la demeure.
1. Conseil municipal, 1913, i^"" semestre, p. 274 et suiv. ; 2* semestre, p. 79 et suiv.
2. Dossier communiqué par l'architecture municipale.
3. Conseil municipal, 1914, 2® sem., p. 39.
4. Dossier de l'architecture municipale.
5.1bid.
TABLE DES MATIÈRES
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos vu
Chapitre premier. — La mosaïque Macors (Jeux du cirque).
^I. La découverte ;Vacqmsitwn par la Ville {1806-1S13) 2
1 . Le clos Macors ou jardin des mosaïques 2
2. Date et lieu de la découverte ; orientation de la mosaïque 5
3. Le temple ; les fouilles ultérieures de Macors 8
4. Le cercle du jardin des mosaïques ; décès de Macors . 10
5. Tergiversations du conseil municipal ; vente du terrain et de la mosaï-
que par les héritiers de Macors aux Dépierre ; vente de la mosaïque
par les Dépierre à Riffaut et Rivoiron ; acquisition de la mosaïque par
la Ville II
^ II, La mosaïque reste cinq années de plus en place {iSi^-1818) 16
1. Difficultés avec les Dépierre 16
2. Causes du retard ; le procédé Schneyder inapplicable pour l'ablation . . 19
\lll. U ablation, la restauration et la repose par Belloni {1818-1820) 20
1. Le procédé Belloni pour l'ablation 20
2. Belloni se charge de l'enlèvement et l'opère avec plein succès 21
3. Il repose la mosaïque après l'avoir restaurée à Paris 23
4. Coût total ; mensonge d'Artaud 24
^IV, La seconde repose 25
La mosaïque quitte la salle de la Momie, sa première place au Musée
(1863) ; elle est reposée dans la salle des Plâtres antiques (1870) . . . 25
^V , Notice descriptive et appréciation esthétique 28
1. Bibliographie des notices et des images 28
2. La planche I d'Artaud ne représente pas avec une exactitude absolue la
mosaïque telle qu'elle était avant la restauration 29
3. Description de la mosaïque d'après la planche d'Artaud 31
4. Quel moment de la course le peintre a voulu figurer ; quelles fantaisies
il s'est permises, spécialement la duahté du point de vue. Le dessin,
la composition du tableau 38
5. La restauration de Belloni. . 41
— i8o —
^ VI. La mosaïque de Lyon et les autres mosaïques des Jeux du cirque 43
1. Malgré son originalité, la mosaïque de Lyon n'enrichit pas sensible-
ment notre connaissance générale des jeux du cirque 43
2. La mosaïque d'Italica ; celle de Barcelone ; celle de Girone ; celle de
Gafsa 44
§ VIL La mosaïque des Jeux du cirque et Vhistoire de Lyon . 47
1. La mosaïque représente sans doute le cirque de Lyon à une certaine
époque, mais non pas les jeux de Caligula ou ceux de Ligarius, selon
la double hypothèse d'Artaud 47
2. Artaud se trompe aussi en l'assignant au premier siècle ; elle est de la
période antoninienne. Il se trompe donc aussi en imputant par con-
jecture son ensevelissement à l'incendie contemporain de Néron. Si
elle fut ensevelie au temps de Septime Sévère ou plus tard, nous
l'ignorons 49
Chapitre ii. — La Mosaïque Cassaire (Lutte de l'Amour et de pan).
^l. Notice historique. . 53
1. Le double témoignage de Spon sur la découverte ; désignation plus
précise du lieu. La mosaïque en place au début du xix^ siècle 53
2. Acquisition par la Ville (1819) ; ablation par les marbriers lyonnais
Bernard et Jamey (1820) ; restauration par Belloni à Paris (1821) ;
repose par les marbriers lyonnais (1822) ; le règlement de comptes
avec Belloni 55
3. Coût total ; la mosaïque occupe toujours la place qu'elle prit alors au
Musée (deuxième salle actuelle de la grande galerie) 59
§ IL Notice descriptive 60
1. Description de la mosaïque restaurée 60
2. La planche V d'Artaud n'est pas une image fidèle de la mosaïque avant
la restauration 61
3. La restauration de Belloni 64
§ III. Exégèse du tableau 65
1. Définitions et interprétations de Spon, Menestrier, Montfaucon,
Millin, Artaud, Comarmond 65
2. Le thème du combat d'Éros et de Pan dans l'art hellénistique et romain
3. La mosaïque Cassaire comparée avec un camée de Berlin et une fresque 71
d'Herculanum ; avec les autres mosaïques de même sujet 72
4. Elle fut composée au milieu ou vers la fin du deuxième siècle 74
— i8i —
Chapitre III. — La Mosaïque Michoud (Lutte de l'Amour et de Pan).
^l. Notice historique 75
1. Lieu et date (1803) de la découverte 75
2. Acquisition par la Ville ; enlèvement et repose par les marbriers lyon-
nais Bernard et Jamey(i82i) 76
3. De la première salle de la grande galerie, la mosaïque est transférée
dans la quatrième (1888) 78
§ II. Notice descriptive 79
1. Le tableau central 79
2. Le surplus de la mosaïque, spécialement les quatre oiseaux qui symbo-
liseraient, d'après Artaud, les quatre saisons 80
3. Si la mosaïque a subi une restauration 81
Chapitre iv. — La Mosaïque Montant (Orphée charmant les animaux).
^L Notice historique 83
1. Lieu et date (1822) de la découverte 83
2. Acquisition par la Ville (1823) 84
3. Enlèvement, réduction et repose par les marbriers lyonnais Bernard et
Jamey (1823). La mosaïque réduite prit place dans le troisième com-
partiment actuel de la grande galerie 86
§11. La mosaïque primitive 88
1 . Description de la mosaïque primitive d'après la planche LVIII d'Artaud 88
2. La mosaïque comportait quarante-quatre petits tableaux autour du
tableau central, ainsi que le montre cette planche, et non pas cinquan-
te 90
3. Mais la planche d'Artaud ne tient aucun compte des dégradations,
tandis que sa notice les exagère 92
§ III. La mosaïque réduite 94
1. En quoi la restitution est et n'est pas une mosaïque « dans le même
esprit » que Toriginal 94
2. Pourquoi une restitution moins réduite, qui était possible, ne fut ni
exécutée ni projetée 95
3. La restitution actuelle et la restitution d'abord projetée par Artaud . . 96
§IV. Les mosaïques de même sujet 97
I. Il n'y a qu'une mosaïque d'Orphée au musée de Lyon 97
— l82 —
2. La mosaïque de Vienne ; celle de Sainte-Colombe. Statistique et carac-
téristique des mosaïques d'Orphée
3. Le mythe d'Orphée charmant les animaux dans l'art païen et dans l'art
chrétien.
Chapitre v. — La Mosaïque Seguin
(Éros et Antéros ou les exercices de la palestre)
§1. Notice historique loi
1. Lieu et date (1822) de la découverte ; acquisition par la Ville (1823);
enlèvement par les marbriers lyonnais Bernard et Jamey 10 1
2. La mosaïque dans les dépôts du musée jusqu'en 1870 ; première repose
dans la salle des Plâtres. 103
3. Deuxième repose dans la galerie des Bustes, au rez-de-chaussée (1875) . 105
§ IL Notice descriptive 106
1. Description de la mosaïque 106
2. Quel titre faut-il lui donner î" Sujet sans unité rigoureuse, morcelé en
trop de petits tableaux; personnages empruntés, les uns au monde
réel, les autres au domaine de la fiction 108
3. Les deux génies qui luttent sont-ils Éros et Antéros î* m
Chapitre vi. — Mosaïque Cucherat (Les poissons).
1. Lieu et date (1843) de la découverte; la mosaïque, donnée à la Ville, fut enle-
vée en 1844, posée dans la salle des Plâtres en 1845, reposée dans la galerie
desBustes, aurez-de-chaussée, en 1875 114
2. Description, rapprochements. 116
3. La deuxième mosaïque Cucherat 119
Chapitre vu. — Mosaïque Contamin (l' Ivresse de Bacchus).
^l. La mosaïque primitive 120
1. Lieu et date (i 841) de la découverte des deux mosaïques Contamin ; ce
que nous savons de la plus petite 120
2. Description de la plus grande mosaïque, hormis le tableau principal,
d'après une lithographie qui la représente approximativement telle
qu'elle était lors de la découverte 121
3. Le tableau principal : l'ivresse d'Hercule ou l'ivresse de Bacchus î*. . . 124
- i83 -
§11. La mosaïque réduite; première repose 127
1. Acquisition des deux mosaïques par la Ville (1858); enlèvement et
transport à Lyon 127
2. Repose de la grande mosaïque à l'extrémité orientale de l'aile sud (1867) 129
3. En quoi et pourquoi elle fut alors réduite 180
§111. Deuxième repose; nouvelle réduction 133
1. Le déplacement (1880) 133
2. La repose dans le premier compartiment de la galerie Chenavard(i888);
importance et cause de la nouvelle réduction 134
3. Éléments exclus de l'une et de l'autre restitution, qui existent encore . 135
Chapitre viii. — La mosaïque des Chazeaux.
La mosaïque des Chazeaux : découverte (1865) ; repose (1867) dans l'escalier
des Facultés, rue de l'Hôtel-de-Ville ; description 138
Chapitre .IX. — Mosaïques composites et fragments.
§L La table d'Artaud 142
1. La table d'Artaud 142
2. La mosaïque Flacheron (1820) 143
3. La mosaïque Flacheron et la table d'Artaud 146
§ IL Décorations murales » 146
1. Les trois mosaïques superposées de la Déserte : découverte (1823) f
description d'après la planche d'Artaud ; hypothèses chronologiques. 14Ô
2. Ce que sont devenues les parties conservées des deux plus anciennes
mosaïques ; le Pan d'Artaud est un fragment de la plus ancienne. . . 151
3. La décoration murale du vestibule des Antiques ; description de l'en-
semble ; éléments fournis par les mosaïques superposées de la
Déserte ; autres éléments ; certitudes et conjectures 156
4. Soubassement d'un couloir du rez-de-chaussée 160
§ 111. L'emblemaCarrand; les fragments 161
i.L'emblemaCarrand 161
2. Buste de Bacchus ou de l'Automne 163
3. Fragments qui étaient en 1916 ou sont encore aux dépôts 163
— i84 —
Chapitre x. — Mosaïques du verbe-incarné.
§ I. La mosaïque de Bacchus et des Saisons 165
1 . La maison des neuf mosaïques 165
2. Découverte (191 1) et description de la mosaïque de Bacchus et des Sai-
sons 165
3. Rapprochements ; figuration des Saisons, de Bacchus, de Bacchus avec
les Saisons, dans les mosaïques romaines 167
4. Appréciation esthétique de la mosaïque du Verbe-Incarné 168
5. Acquisition par la Ville 169
6. L'ablation par le procédé de Belloni perfectionné 170
7. La repose au musée Guimet (1913) après discrète restauration .... 171
^11. La grande mosaïque ornementale 172
^.^ Elle faisait partie d'un groupe de sept mosaïques 172
2. Découverte (191 3) et description 173
3. Acquisition par la Ville ; ablation ; restauration ; repose provisoire à
l'Exposition de 19 14 ; transport dans l'ancienne église Saint-Pierre où
aura lieu la repose définitive 174
Table des matières 177
ILLUSTRATION HORS TEXTE
ta
Fig. 5. — La Mosaïque Cassaire non restaurée
(D'après la planche d'Artaud).
Fig. 6. — La Mosaïque Cassaire non restaurée
(D'après un dessin anonyme).
Fig. 7. — Le tableau central de la Mosaïque Cassaire restaurée
(D'après un cliché Silvestre).
3 <
an
Fig. lo. — La Mosaïque Montant complète
(D'après la planche d'Artaud).
Fig. II. — La Mosaïque Montant réduite
(D'après la planche de l'Inventaire des mosaïques).
Fig. 12. — La Mosaïque Seguin
(D'après la planche d'Artaud).
Fig. 13. — La Mosaïque Cucherat
(D'après un cliché Silvestre)
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Fig, 14. — La Mosaïque Contamin entière
(D'après la lithographie de Storck).
Fig. 15. — Le tableau de la Mosaïque Contamin
(D'après un dessin de M. Amable Audin).
Fig. 17. — Cérès ou l'Été
Fig. 18. — Bacchus ou l'Automne
Mosaïque de la Déserte
(D'après un cliché Silvestre).
^'j^u,3!l^if.t!Jgr.M-J>^yi.-J.JIJ.'J^.g
Fis". 20. — L'Hiver
Fig. 21. — L'Automne
Mosaïque du Verbe Incarné
(D'après un cliché Silvestre).
Fig. 19. — Bacchus et les Saisons
Mosaïque du Verbe Incarné
(D'après un cliché Silveslre .
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