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Harvard Collège
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MUSIC LIBRARY
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J. B. WECKERLIN 2
MUSICIANA
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ANECDOTES» LETTA«S, ETC.»
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AVEC FIGURES ET AIRS NOTÉS
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PARIS
GARNIER FRÈRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
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MUSICIANA
CLICRY. -^ IMPR. PAUL DGPONT, 12, RLE DU BAC-D*ASNiÈRES.
J.-B. WECKERLIN
MUSICIÂNÂ
EXTRAITS
d'ouvrages rares ou bizarres
ANECDOTES, LETTRES, ETC.
CONCERNANT LA MUSIQUE ET LES MUSICIENS
AVEC FIGURES ET AIRS NOTÉS
PARIS
GARNIER FRÈRES, ÉDITEURS
6, RUE DES SAINTS-PÈRES, 6
1877
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BsoiiaiiQfQ
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Une excellente Préface , suivie d'un livre
ïàédiocre , peut être comparée à un air vàrik ,
dont le thème est d'un grand maître.
TABLE GÉNÉRALE,
Chapitre I.
Origine, Définitions et Esthétique H
Chapitre II.
Titres, Préfaces et Dédicaces. 25
Chapitre IH.
Systèmes de notation '., .. 41
Chapitre IV.
Bibliographie et Variétés musicales 45
Chapitre V.
Les Instruments de musique 85
Chapitre Vf.
Utilité, Puissance et Applications diverses de la musique... 123
Chapitre VU.
Anecdotes biographiques 137
Chapitre VIII.
Variations musicales .... 227
Chapitre IX.
Lettres 289
Chapitre X.
Mémoires d'outre-tombe de H. Berlioz 323
Chapitre XI,
Mélanges 341
MUSICIANA
CHAPITRE PREMIER
ORIGINE, DÉFINITIONS ET ESTHÉTIOUE
Le chant est né avec le monde habité ; les instru-
ments n'ont dû paraître que bien plus tard, leur
structure, même informe, exigeant déjà une cer-
taine habileté de mains, et ne pouvant venir qu'après
Tobservation des sons musicaux produits par la
voix humaine ou celle des animaux.
Jubal devait être un de ces premiers observateurs.
Les temples d'Isis et d'Osiris résonnaient au son
des cythares canopîennes. D'après Strabon, les
prêtres de Cybèle n'offraient de sacriflces à la déesse
qu*au son des instruments. De même, à Délos, tous
les .sacriflces étaient accompagnés de musique.
4 MUSIGIANA.
Dans TArcadiè on apprenait aux enfants, dès Tâge
le plus tendre, à chanter des hymnes, des péans^ en
l'honneur des dfeux.
Les disciples de Zoroastre commençaient leur
journée par le chant, afin de préparer leur âme à
des impressions nobles et élevées ; ils terminaient
également leurs travaux par des chants dans le
mode lydien, pour se recueillir.
Ainsi chantaient tous les peuples pour honorer
leurs divinités, ainsi ils chantent encore.
Les sages, en Perse, saluent le lever du soleil
au son des harpes d*argent.
Le brahmine célèbre l'aurore au bord du Gange
par des chants.
En dehors de Tusage de se servir de la musique
pour honorer la Divinité, les premiers peuples po-
licés ont été unanimes à l'adapter et à la joindre à
leur lois ; ils lui doivent môme une partie de leur
culture. . .
Lyciirgue, l'austère législateur grec, était per-
suadé que la musique seule pouvait contenir,
un peuple iarouche. 11 gagna le chanteur Tha-,
lès, qu'il attira de Crète à Sparte, afin. de l'aider
dans Tapplicatiou de ses lois. Terpandre avait noté
ces lois en musique. .
Eu uii mot, la musique... législative, forme sous
laquelle nous rie la connaissons plus, joua un rôle
important lors de la fondation de cette héroïque
république de Lacédémone. !
Lô grand Orphée, avec sa lyre, adoucissant la
ORIGIMES, DËFINITIONS ET ESTHETIQUE. 5
fureur des lions et des tigres, émbûvant les pierres
çUês-Qiêmes, ti'art*il pas vainCuIes esprits infernausL
eux-rmênies? Et movit Amphion lapides canendo.
C'est aux sons de la musique que les. Israélites
TP&t au cQmbat. Josué se présente devant Jéricho»
les ^pt grands prêtres embouchent la ti^mpette,
dont le son enflamme le courage des combattants ^
et Jéricho tombe.
. Nous ne, possédons que les cantiques ou psaumes
du roi David, mais il a dû faire des chants de
giierrei non parvenus jusqu'à nous ; peut-être cer-
tains psaumes en tenaient-ils lieu (1).
Les Spartiates, couronnés de fleurs, marchaient
au combat en chantant les hauts faits de Castor;
leurs danses mêmes savaient inspirer le courage et
la valeur à la jeunesse. Leur corps de bataillé était
divisé en trois chœurs : celui des vieillards chan-
tait: c Nous avons été de vaillants combattants au
temps de notre jeunesse. » Les guerriers répon-
daient: « Nous vous imiterons, » et les plus jeunes
disaient : « Nous vous dépasserons. » - •
Ce.même.peuple fut vaincu. plnsieursiois par les
Me§séniêns,mais Tyrtée. releva, si bien te oouraga
des Spartiates que, retournant èFattaque, ils triom*.
phèrent à leur tour et réparèrent leurs défaites.
Thèbes, bâtie par Amphion, au son de la mu-
sique, ne pouvait être détr^iite que par elle, et c^^t
eti effet par elle qu^Alexandre s'en rendît maître.
On remarquera que, même en faisant la part lé-
(i) Exaud jatte DomjDus, ps.xix.— Feuedic^us Doi» /mis» çxciiis
6 MUSICIANA.
gendaire ou fabuleuse de ces traditions, le rôle de
la musique n'en reste pas moins Tun des plus
importants dans Thistoire des temps anciens. Cet
art, même dans son enfance, a charmé tous les
peuples ; tous se sont approprié la musique et lui ont
donné le degré de culture que leur permettaient
leurs mœurs et l'état de leur civilisation.
Nous n avons pas le dessein d'écrire Thistoire de
la musique, ce projet immense a été mis à exécu-
tion bien des fois ; le sujet ne sera jamais épuisé.
Il est à regretter que parmi toutes les histoires de
la musique, celle de M. Fétis ait été interrompue
dès les quatre premiers volumes ; l'auteur, quoique
dans un âge déjà très-avancé, était en droit de nous
promettre une œuvre beaucoup plus complète que
celle de tous ses devanciers (1).
Les notes qui forment ce volume ont été glanées
un peu partout, et c*est plutôt le fruit de nos
lectures qu'un ouvrage prémédité, dont la forme
et le fonds eussent été arrêtés d'avance.
Notre préférence a été souvent accordée à des
livres anciens, devenus rares, et dont la bizarrerie
nous a frappé. A ce double titre nous citerons d'a^
bord un :
Fragment de la description des sept arts libéraux
peints en T église d'Aix par ordre du roi Char-
(1) Un cinquième volume est venu clore celte publication restée
incomplète.
ORIGINES, DEFINITIONS ET ESTHETIQUE. 7
lemagne. (Chronique de Turpin, in -4" goth.,
1527.)
LA MUSIQUE.
« Musique qui là était peinte en plus haut état
que les autres sciences est un art de bien et droi-
tement chanter fort ingénieux et difficile à com-
prendre : par laquelle science les divins offices de
Téglise sont célébrés, par quoi elle est tenue la plus
chère de toutes autres.
c Par celui art les chantres en Téglise de Dieu or-
ganisent et chantent, lequel qui Tignore est venu
hurler comme un bœuf ou ours de Savoie, car il ne
peut apprendre les modulations de la voix et les
degrés d'icelle science, ni mettre différence entre
ton et demi-ton. Il est à savoir que le chant n*est
point selon musique s'il n'est décrit par quatre
lignes. Par celui art le roi David avec ses compa-
gnons chantait les psaumes dedans les instrumens
musicaux, à l'honneur de notre sauveur Jésus-
Christ faits formés et composés : c'est à savoir le
psaltérion, le décacorde^ la harpe, les trompettes
ductibles, les cymballes, le tympane, la musette et
les orgues qui plus sont accoutumés aux églises
que tous autres instrumens. Tous instrumens de
musique généralement ont été tous faits par cette
science.
c Celui art a été composé par les voix et chants
a MUSICUNA.
angéliques divinement inspirés au commencement
du monde. Qui est-ce donc qui doute que les voix
des chantans ne soient entremêlées aux voix des
chants mélodieux divins là-haut au ciel quand on
chante dévotement et sans orgueil devant le grand
autel de Dieu en son église. Je le prouve par le livre
des sacremens qui dit : cum quitus et nostras vo-
oes ut admïtti jùbeâs deprecaihur, c'est^Si-dire
nous te prions, Seigneur Dieu, commander nos" voix
adinettre avec tes benoîts anges. Donc depiiis la
terre jusques aux cieux et aux oreilles du souve-
rain roi éternel la voix de ceux qui chantent hon-
nêtement et dignement est transportée.
« En celui art grands sacremens et mystères sont
contenus quant au sens moral,' allégorique et mysti-
que : car ces quatre lignes esquefles musique est
écrite, et les huit tons esquéllè elle est contenue,
dénotent, les quatre vertus cardinales, prudence,
force, tempérance et justice avec les huit béatitudes
par lesquelles Tàme est garnie et honorée, 'Qui
voudrait à plain déclarer l'honneur et profit de mu-
sique oane le pourrait faire aucunement, à cause "dé
sa dignité : par quoi je dis seulement avec le royal
psalmiste que bien heureux est le peuple qui sait
1 art de jubilation ! disant : Beatus popùlus qui scil
jupilationem. »
^ Le bon moine qui a écrit cette chronique de Tur-
piii Vêtait pas, selon toute probabilïlë, un fort
music^n, même pour son époque. Si, après tes dé-
finitic^, ûljiires, et , copj^^ises que uous venons dé
ORIGINES, DÉFINITIONS ET ESTHETIQUE. 9
transcrire, il y a encore des personnes qui ne.com-,
prennent pas ce que c'est que la musique, elles
pourront lire avec fruit f ouvrage suivant : Essay
des merveilles de nature et dos plus nobles arti^
ffces^ pièce très- nécessaire à tous ceux qui font
profession d'éloquence^ par René François^ prédi-
cateur du Roy. Rouen, 1621. (Le vrai nom de l'au-
teur est Es tienne Binet.)
« La musique est un chant recueillant harmo-
nieusement en soy des paroles bien dites, mesurées
en quelque gracieuse cadence de rime, ou balancées
en une inégale égalité, doycement pèleihêlant les
sons graves et aigus, bas et haut, fendans et per-
çans, ou rabbatus, etc.
% La gamme est une échelle assise sur les join-*
tures de la main, gauche, où sont les clefs qui font
l'ouverture du chant !
« Cônsonnance est un heureux rencontre de deux
sons ou plus, qui sont mesurables, et ont je nesçay.
quelle affinité et bonne intelligence, d'où se fait une
alliance ou douce confusion, et un heureux mes-
lange d'où naist la coiisonnance et accord qui con-
tente l'oreille : mais s'ils ne s'accordent et que
chacun fasse son cas à part, se voulant porter tout
entier a roreille, sans s'allier à Tautre, à l'heure ils
sont receus aigrement de l'oreille, et font un fa's-
cheux discord et dissonnance qui blesse l'oreille et
effarauche l'ouye.
■::M Les anciens compositeurs (1) ne faisaient que
(i)' I^'àdUur v6ut dira los pbëtos.
1.
10 MUSICIANA.
des carmes (1) a certaine cadence de pieds, puis y
adjoustaient quelque air, et c*estoit tout ; depuis on
y adjousta des loix harmoniques, puis des modes
Doriennes, Phrygiennes et Lydiennes, et avec des
tourdions (2), meslant cela de bonne grâce. »
« La belle forme estoit jadis fort simple, car peu
de chordes, la simplicité et gravité estoit Texcellenee
de la musique ; ils n*aimoient point ces chansons
fretillardes, ces fredonssur fredons, ces voix forcées
qui se guindent jusqu'au ciel, et se précipitent jus-
qu'aux abysmes d'enfer, dévalant par mille crochets,
défigurant le visage au^iasard de perdre l'haleine
et la vie, et mille telles singeries qu'ils ne pouvoient
souffrir, nommant cette musique effemmée et af-
fectée : ainsi ils s'abstenoient des chants rompus et
diminuez, n'estimant rien que la bonne grâce.
« Pour desaigrir les amertumes de nostre pauvre
vie, Dieu nous a donné les douceurs de la musique,
qui est le refrain et l'écho des chansons harmo-
nieuses du ciel, et un ingénieux amas de toutes les
proportions et plaisirs que la nature a semez par
Testendue de cet univers, qui ne vit qu'à la cadence
et au bransle des cieux. Au reste, quand cette divine
harmonie sort du jubé de nature, comme si c'estoit
la princesse de tous nos sentimens, habillée de ses
(1) Carme, vers, du latin earmen.
(2) D'après Furetière; tourdion, terme populaire. Mouvement
du corps qui lui fait faire plusieurs contorsions, le plus souvent
déshonnêles. L'auteur ayant pris ce mot au fleuré, veut dire, sa^s
doute des Ja la la, des vocalises, enHn.
ORIGINES, DÉFINITIONS ET ESTHETIQUE. 11
accords, et parée de ses fredons, elle manie et me&-
nage nos pensées avec une puissance souveraine.
Tout y tressant de joye, tout y bondit et rebondit ,
et danse le bransle qu'elle commande; elle deslie nos
langues, les emparlant puissamment, elle efface tout
les enntiys, et bannit aussi tost ces esprits familiers
des chagrins qui tyrannisent nostre vie, elle désenfle
les enflures de nos choléres qui nous grossissent
le cœur, addoucit nos cruautez, recalme les orages,
donne pointe à nos conceptions, esveille nos cou-
rages, ouvre nos appétits, desserre la vivacité en-
dormie de nos beaux esprits et les resjouyt, allumé
le chaste amour de l'innocence, et par une bien
heureuse et divine pharmacie, par le miel deé plai^
sirs, elle chasse le fiel dé nos passions qui pourris-
soie4t en l'impureté de nostre sang.
c Qui le croirait que chaque son eust son partage, sa
puissance et domaine à part ? Le Dorique coule dans
nos cœurs Tamour de chasteté, et allume les flam-
mes innocentes de la virginité. Le son Phrygien met
le cœur au ventre, l'espée au poing et au vent, fait
bouillonner le ôœur, ardre les esprits, roidir les
bras, et jette tant de soulfre dans nos veines qu'on
ne désire rien plus éperduement que le choc et le
chamaiUis de la guerre. Là où l'harmonie Eolïenne
calme les orages des esprits qui sont en tourmente,
y glisse la bonace, abbat les vents, et froisse la
roideur de leur violence, dont ilç renversoient Testât
de nos àmes^ endort nos malheurs par là douceur
de ses enchàntemehs sacrez. Lq n^ix Ionien esveille
if MUSICIANA.
les eçprits assopis et assomez^ donne pointct-à lewr^
peaséesj. ^t sur Taisle de ses h^u^niomesles^ em-
porte ver? :le\ciel, les eiJevant de la boue et de la
fKmssière qu'ils couvaient, et d'un beau vol 1^
guindé à ramour des choses qui ne sentent que fe
ciel et la saincte divinité. Là musique chantée "a. la
Lydienne châsse les ennuys qui tenaillent le cœur^
çouppe ces limes, et rebouche leurs dents dont elles
rongent le fil de riostre pauvre vie,-jelte dans la
poictrine le jour et la joye qui trenche les nuages,et
les nuicts des ennuys, dissoud les monopoles dés
chagrins qui minutoient nostre ruine; bon grè mal
gré imprime le ris au visage, la sérénité aiî front,
la gayeté aux yeux, le chant sur la langue, les sous-
pirs* donnent air au cœur : et quand on auroit là
mort entre les dents, et Tâme fuyante sur le bord
des lèvres, si faut-il rire d'aise.
: « Quelle fascherie se peut trouver qui nie se
laisse enlever lorsqu'un gentil Superius s'envole
jusques au ciel et s'emporte soy-mesme, dardant
les mignardises de sa voix à perte d'haleine et
d*ouye ; ou lorsqu'un Bassus^ après avoir longtemps
poursuivy le Superius^ en ne le pouvant atteindre^
quasi ^se despitant contre soy-mesme, se -précipite
et s'enfonce jusques au centre de là terre, faisant
du tintamarre de sa voix trembler les vitres elles
murailles? ,
m hdi Taille et T/feu^e-^co/ï/re vont voltigeant par
l'air,, ondoyant par Bscendens et descendons,, tan-
tosL 5!accordant- volent si haut, qu'ils attaquent de
ORIGINES, DÉFINITIONS ET ESTHÉTIQUE. 13
près le plusbraye Super ius, et qui esC presque aui^
plus hautes entreprises, tantôt sê fondent sur la
Basse-coDtré eti^ui faisant tourner le dos, le jpour^
suivent tousjours battant, jùsquès à tant, qu'il
s'abymé. S'ils s'accordent tous quatre ensemble, ô
Dieu quelle douceur ! ils pëslent-meslent leùrs.voix,
et, conspirant ensemble d'un accord heureusement
désaccordé, ils meslangent haut et bas, aigre et
doux, art et nature, et Jb liiol et i quarre, et si vous
n'y préneiê garde, ils ^ous raviront Tàmé par lès
oreilles. Puis tout à coup ils se mutinent, un gagne
aii pied et trois vous le talonnent; aussitôst il
tourne le visage, et ces trois à gagner pays, pen-
dant qu'un seul lés galoppe, puis se mipartissâiil
deux "contré deux, ils choquent si rudement qu*îl y
en a pour rîre. Le plaisir est quand ils chantent à
Tenvy à deux où à trois chœurs (1). »
- _ LA MUSIQUE CÉLESTE.
, On nous parle en maint endroit, dans des livres
pieux, de la beauté des chœurs ou de la musique
céleste; voici sur cet ensemble vocal et instru-
mental des renseignements plus ^tendus, ils se
trouvent dans le très-rare Hvret qui a pour titre :
Du Paradis et de ses merveilles, où est ample-
/J (IX L'ûuvrage den merveilles de nature i dû àvdir un ftuccèt
prodigieux, oousjiTonscollaUoniié ee texte sur une 1S« édition,
ei peut-être n'est^e pas la derniçrej
14 MUSIGIANA.
ment traicté de la félicité éternelle et de sesjoyes,
par Fr. Ârnoulx, chanoine de la cathédrale de
Riez, en Provence ; Rouen, 1665.
Après avoir raconté toutes les belles choses qui
viennent enivrer les yeux dans le séjour des bien-
heureux, l'auteur continue ainsi :
« Si la béatitude de la vue a tout ce qu'elle peut
désirer, aussi aura Touye en la musique très mélo-
dieuse, en rharmonîe très plaisante, aux fredons
très gentils, et aux très délectables, douces et belles
voix. Là il y a maistre de chapelle; il y a là les
chantres et musiciens en toute abondance, il y a là
mille millions de très belles voix qui s'accordent en
tons divers et en très parfaicte observation de toutes
les règles de la musique. Le maistre de chapelle, c'est
Jésus-Christ ; les chantres sont les anges avec tous
les bienheureux. Il y a là trois escadrons d'anges,
et chacun d'iceux fait trois chœurs : les chérubins,
les séraphins et les Throsnes font le Dessus et V Al-
tos; les Dominations et les Principautez font la
Contre^baute ; les Vertus et les Puissances font le
Ténor; lés archanges et les anges, qui sont au
plus bas chœur, font les Bassus : les saincts mesme
sous-entrent aussi avec ces chantres pour chanter
ensemble avec eux. Jésus-Christ donne la voix
(le ton) à tous, et entonne le motet , lequel est
tout nouveau. Parmi cette céleste musique et tant
de si mélodieuses voix par espèces infuses, il y
a encore pour l'entière perfection d'icelle le son de
la harpe, des flûtes, des violes, de l'espinette, du
ORIGINES, DEFINITIONS ET ESTHETIQUE. 15
luth et de toute autre * sorte d'instrumens , qui
chatouilleront à merveille la délicatesse de nos
oreilles. »
Un petit livre pour le moins aussi rare que le
précédent est celui qui a pour titre : F Entretien
des musicienSj par Gantez; Auxerre, 1643 (1).
C'est l'auteur qui parle :
c< Dans le iv' chapitre de la Genèse est dit : Ju-
bal est pater canentiuniy citbara et organo, et
encores quelques melancholiques et ponstipés de
cervelle ont voulu croire que la musique a esté in-
ventée par l'harmonie de quelques gouttes d'eau
qui tombaient dans une citerne.
« Si vous voulez sçavoir que c'est que musique,
je pense que c'est l'art de bien chanter et bien comr
poser, et quelques uns veulent dire qu'elle n*est
point science mais que c'est un des arts libéraux,
toutesfois je croy que véritablement le chant n'est
qu'un art, mais la composition est science, c'est
pourquoy on pourroit dire que la musique est un
art et une science tout ensemble, ainsi que les her-^'
maphrodites, qui tiennent de Tuïie et de l'autre na-
ture. »
*
¥ ¥
Si, après tant de citations tirées de traités miri-
fiques sur la musique, il y a encore des melancho-
liques qui n'ont pas compris, saisi, digéré ces
(1) Cet ouvrage de Gantez-, va être réédité prochainement par
\t% 0oin8 de M. thoinan.
16 MUSIGIA^NA..
prolégomènes de Part, ils .pourront compléter leur
éducation par la définition suivante, donnée par
Luther dans une lettre au compositeur Senfl.:
c La musique est une demi-discipline qui rend
les gens plus patients et plus doux, plus modestes
et plus raisonnables. Celui qui la méprise, comme
font tous les fanatiques, ne saurait en convenir. Elle
est un don de Dieu et non pas des hommes ; aussi
chasse-t-elle le démon et rend -elle joyeux. Avec
elle on oublie la colère et tous les vices. C'est pour-
quoi, j'en suis pleinement convaincu, et je ne crains
pas de le dire, après la théologie, aucun art ne
peut être égalé à la musique. » . -
Ces différentes façons d'apprécier la musique se
ressentent naturellement de l'époque où elles furent
écrites.
Non-seulement le style, mais aussi la pensée
quitte les vieux haillons des siècles passés, et dans
la bouche de madame do Staël nous allons avoir
enfin sur la musique une petite dissertation esthé*
tique, compréhensible et en bon français :
c De tous les beaux-arts,, dit madame de Staël (1),
la musique est celui qui agit le plus immédiate-
ment sur l'âme. Les autres la dirigent vers telle
du telle idée; celui-là ^eul s'adresse à la source
intime de rexistencè, et change en entier la dîspo-
(i) Cofinàé ou tJtalioy
ORIGINES, DÉFINITIONS ET ESTHETIQUE. il
sition intérieure. Ce qu*on a dit de la grâce divine,
qui tout à coup transforme les cœurs, peut, humai-
nement parlant, s^appliquer à la puissance de Ja
méloiSie ; et parmi les pressentiments dq la vie à
venir, ceux qui naissent de la musique ne sont pas
a dédaigner.
« Là musique est un plaisir si passager, on le
sent tellement s'échapper à mesure qu'on l'éprouve;
qu'une impression mélancolique se mêle à la gaieté
qu'elle cause! Mais aussi^ quand elle exprime la
douleur, elle fait encore naître un sentiment doux:
Le coeur bat plus vite en l'écoutant; la satisfaction
que causé la régularité de la mesure, en rappelant
la brièveté du temps, donne le besoin, d'en jouir.. 11
n'y à plus de vide, il n'y a plus de silence autour
de vous; là vie est. remplie, le sang coule rapide-
ment; vous sentez eh vous-même le mouvement
que donné ùné existence active, ef vous n^avez point
à craindre, au dehors de vous, tes obstacles qu'elle
rencontré.
« La musique double l'idée que nous avons des
facultés de noire âme; quand on rehtend,'6n se
sent capable des plus nobles efforts. C'est par elle
qu'on marche à lai riiôrf avec enthousiasme; éUe' à
l'heureuse impuissance d'exprimer aucun Fèntiméht
bas, aucun artifice, aucun mensonge. Le malheur
même, dans le langage de la musique, est sans
amertume, sans déchirement, sans irritation. .
« La ûHisIque soulève doucement le poids qu!on
à jirèsque toujours survie cœur, quand on est ca-
18 MUSIGIANA.
pable d'affections sérieuses et profondes, ce poids
qui se confond quelquefois avec le sentiment même
de Texistence, tant la douleur qu*il causé est
habituelle. Il semble qu'eri écoutant des sons
purs et délicieux^ on est prêt a saisir le secret du
Créateur^ à pénétrer le mystère de la vie. Aucune
parole ne peut exprimer cette impression, car les
paroles se traînent après les impressions primitives,
comme les traducteurs en prose sur les pas des
poètes.
« Le vague de la musique se prête à tous les mou-
vements de Tàme, et chacun croit retrouver dans
une mélodie, comme dans Tastre pur et tranquille
delà nuit, l'image de ce qu'il souhaite sur la terre. »
Tout cela est dit d'une façon charmante et at-
trayante, c'est une page dictée par le cœur et le
talent de l'écrivain ; mais pour arriver enfin à une
définition artistique, concise et heureuse, nous de-
vons citer M. Fétis : tLa musique est Fart d* émou-
voir par la combinaison des sons. »
C'est court, mais complet. Nous allons consigner
ici quelques autres notes empruntées à la Musique
mise à la portée de tout le monde, de l'illustre mu-
sicologue que nous venons de nommer.
¥ *
Les quatre tribus helléniques (1) qui succédèrent
aux Pélasges et furent la souche du peuple grec,
à savoir les Doriens, les Eoliens, les Lydiens et
(1) Pu plutôt les Pélasges.
ORIGINES, DÉFINITIONS ET ESTHÉTIQUE. Id
les Phrygiens^ avaient chacune une gamine particu-
lière, appelée mode.
(400 ans avant Vère chrétienne,)
Mode Lydien : ut, ré, mi, fa, sol, lo, si, ut.
— Phrygien: re, mi, fa, sol, la, si, ut, re.
— Dorien : miTia, sol, la, si, ut, re, mi.
— Eolien : fa, sol, la, si, ut, re, mi, fu.
Plus tard, les Grecs réunirent ces différents modes
et les modifièrent pour en former le système géné-
ral de leur musique.
¥ ¥
Limma^ dans le système harmonique de Pytha-
gore, est un intervalle représenté par la proportion
243 : 246 (c'est un demi-ton).
¥ ¥
Les lyres grecques ont eu depuis trois jusqu'à
sept cordes ; ce n'étaient donc que sept sons diffé-
rents que pouvaient faire entendre ces instruments.
¥ ¥
Le nom de gamme vient de ce que la note la
plus grave de l'échelle des sons était représentée
par la troisième lettre de l'alphabet grec, appelée
gamma. Quoiqu'on attribue souvent l'invention de
la gamme à Gui d'Ârrezzo, celui-ci en parle comme
d'une chose connue avant lui.
2<) MUSICUNA.
*
¥ ¥
En Italie les diapasons, appelés corisla, donnent
le (/o, tandis qu'en France c'est le la.
¥^¥
Les musulmans n'ont point de signes pour expri-
mer leur musique.
¥ ¥
11 serait difficile de fixer Uépoque où leô notes de
plain- chant ont été inventées.
4 ¥
L'appellation de double croche ^triple crocAe, etc.,
n'est pas logique ; il serait plus exact de dire demi-
croche^ quart de croche^ etc.
¥ ¥
Autrefois toutes les pièces dé musique instru-
mentale composées par les plus célèbres musiciens,
portaient les noms de danses connues, tels que ceux
d'allemandes, sarabandes^ courantes, gigues^ etc.,
non qu'elles eussent le caractère de ces soi'testle
danses^ mais parce qu'elles «n avaient fe moiive-»
ment.
*
¥ ¥
La clé de fa troisième ligne disparut lors de l'in-
ORIGINES, DEFINITIONS ET ESTHETIQUE. 2i
véntion des portées supplémentaires ^carsàorsla. clé
de fa quatrième ligne pouvait la remplacer ; il en fut
de même de la clé de sol première ligne qui servait
aux violons et aux hautbois/instruménts alors phis
élevés que la voix, du moins dans la manière de
les écrire.
. - ■ ¥ ¥
- ■ /■ ■ ' ■■
Les premières traces de Tharmonie se font aper-
cevoir, chez les écrivains du moyen âge, vers le
IX* siècle. Les Grecs ne connaissaient point l'har-
monie. ' ' -
— (r • " - ..
¥ ¥ ^ '
Le son grave commence à être perceptible à
64 vibratiqns par seconde (1).
*■ * ...
; .. • - ' . . . ^
* ■ ■ ■'
¥ ¥
L'origine des instruments à cordes pincées et à
manche paraît se trouver dans l'Orient. Le luth des
(1) Le son le plus grave de Torgue.a 32 yibrati<^n§p^Pr seconde,
cela s'appelle un tuyau de 32 pieds; c'est plutôt un bruit sourd
et saccadé qu'un son musical. On a trouvé moyen de faire des
tuyaux minuscules dont le son (d'après le calcul) doit avoir
10,000 vibrations par seconde; il est si aigu qu'on peut le ranger
dans la même série que le tuyau de 32 pieds, celte des sons non
âpipréciables. - '
^ Pfi;^ei|t, généralement, appeler sons perceptibles ceux qui se
produisent entre 60 et 4,000 vibrations.
^ MUSICIANA.
Arabes, importé en Europe par les Maures d*Es-
pagne, a servi de modèle à tous les instruments de
cette espèce : théorbe, mandore, pandore, mando-
line, guitare, etc.
Vers le xv* siècle, on réduisit en France la viole
à de plus petites proportions, pour en faire le violon.
¥ ¥
Le violoncelle fut introduit en France par un
Florentin nommé Jean Batistini, et remplaça défi-
nitivement la basse de viole vers 1720.
¥ ¥
On ne sait d'où vient le nom de Trio dans les
menuets, valses, etc.
¥ ¥
Les barres de mesure ne furent en usage qu'à
partir de la fin du xvi* siècle.
n
¥ ¥
Vers 1640, Duni, savant musicien, substitua do
à ut comme plus doux 'à prononcer et à entendre
dans lasolmisation.
ORIGINES, DEFINITIONS ET ESTHETIQUE. 2d
Tierce de Picardie. — On donnait quelquefois
ce nom à la tierce majeure qui terminait souvent
des morceaux de musique d'église écrits en mode
mineur.
*
¥ ¥
D'après les Epithètes françaises du révérend
père Daire, sous-prieur des Géleslins de Lyon
(1759), la musique peut être chatouilleuse y chro-
matique, diatonique, écorchante, enragée, moel-
leuse, organisée, recommandable, vigoureuse^ etc.
La chanson peut être falote, gaillarde, goin^
fre, etc. Quant au chantre, voici ses epithètes :
aboyeur, altéré, plaintif, quinteux, téméraire. On
appelle air de cheval un air relevé, violent.
Pour ce qui est des tons, les musiciens ne seront
peut-être pas fâchés d'apprendre qu'il y a le ton
collatéral, impair, regalis, serf, subjugal, subor-
donné et enfin transposé. Le musicien n'a qu'une
seule épithète : joyeux. Et dire qu'il y a des ar-
tistes qui se plaignent encore après cela !
Déjà, au xiv"" siècle, Guillaume de Machault
avait dit :
La musique est une science,
Qui veut qu'on rie, et chante, et dence.
¥ ¥
Je possède une Élégie pour le piano ^ précédée
d'une notice aussi curieuse que le morceau lui-*
U MUSICIANA.
môme ; le maître de pension de qui émane cette
pièce littéraire, trace d'abord une analyse poétique
du morceau, puis il ajoute : Cette œuvre convient
parfaitement à toutes les intelliffences ; les pia^
nistesy les violonistes ^ les violoncellistes y trou-
veront des beautés d'exécution facile (et le
trombone ? ?)
Voici les différents sentiments que le copaposi-
teur' dépeint dans sa musique et qu'il a eu soin
d'indiquer en leur place, au-dessus des notes, afin
qu'on ne s'y trompe point :
Douleur. — Elan de Tàme vers Dieu. — Soulagement* —
Ivresse. — Calme, piété et langueur.— Angoisses. — Grand
affaissement. — Espérance en le Seigneur tout-puissant et
tout miséricordieux.— Prière à la glorieuse sainte Thérèse.
Douleurs t — Oéchiremeot de cœur. — Plaintes ani ères . -^
Bienfaits de la religion. — Pleurs et sanglots. — Majesté
et résignation, -r Douleur. — Dévouement chrélien. — Dé-
tresse. — .Égarement. — Défaillance. — Douleur. — Pro-
fonde mélancolie. -^ Exaltation. — Profond accablement.
— Ëvàùoùis'seméut. — Râle de la mort. — L*âme monte
au ciel. ..... (sur un point d'orgue).
Et dire qu'il y a des êtres assez peu favorisés du
côté de l'intellect pour soutenir que la musique ne
peut pas tout exprimer, tout dire, aussi bien que
la parole. Mi sol si mi : l-âme monte au ciel, qui
ne comprendrait cela du premier coup?
Grand Haydn ! Illustre Félicien David ! allez à Té-
cole: la musique descriptive n'a pas encore dit son
dernier mot. !
CHAPITRE II
f *■
TITRES/ PRÉFACESET DÉDICACES
Dans la plupart des ouvrages allemands, les
titres ont Tair d*être payés à la ligne, tellement ils
sont développés ;• c'est souvent le résumé de tout le
livre, et l'on voit sans peine jusqu'où cela peuj
mener, quand on songe à «ette phraséologie alle-
mande, interminable, où le verbe arrive enfln- au
bas de la page, après qu'on a eu le temps^ d'oublier
Ja moitié des choses que ce verbe est diargé de
relier entre elles. ^ ,■'■
Ce ne serait donc que rembarras, du choix, si
Ton. tenait, à citer heaucoup^ d'exemples. Un -titre
des plus curieux comme longueur et comme con^
strubtion est celui du second volume de Mattheson
sur la musique. M. Fétis en cite le commencement,
«licorë eè comiftêncément ii'est-iï pas bien exaèt ;
voici notre essai de traduction :
2
26 MUSICIANA.
La défense de ïorchestre ou deuxième commu-
nication sur ce sujet, dans laquelle on explique
non^seulement à un galant homme qui n'est pns
apparenté à la profession, mais même à bien des
musiciens^ le tableau clarissime et véridique des
connaissances musicales; comment celles-ci , vi-
goureusement débarrassées de la poussière scho-
lastique, se comportent; on y donne un éclaircis-
sement complet et concis^ dénué de foute formule
nauséabonde et surcharge forcée, puis enfin on y
mène au tombeau de :
ut mi sol
i
re fa la
(Tota miisica (1).)
accompagné en grande pompe des douze modes
grecs f comme parents honorables et conduisant le
deuil avec un monument^ pour conserver son éter-
nel souvenir, par Mattheson. Hambourg, chez
Schiller, 4747.
Gomme frontispice il y a une planche qui se
déploie, elle représente un monument funéraire
bordé de douze ifs sur lesquels sont inscrits les
douze modes grecs. Au bas de la planche il y a :
Mattheson invenit, Holst pinxit, Mentzel sculpsit.
(1) Ici il y a un jeu de mots sur l'expression Todt qui veut dire
mort en allemand.
TITRES, PREFACES ET DEDICACES. 27
¥ ¥
Si nous citons quelques titres originaux, nous
pensons faire plaisir a nos lecteurs en y joignant
aussi quelques notes sur l'ouvrage même; c'est
ainsi que nous procéderons pour le Traité d'accom-
pagnement pour le tbéorbe et le clavessin qui
comprend toutes les règles nécessaires pour ac-
compagner sur ces deux instruments, avec des
observations particulières touchant les différentes
manières qui leurs conviennent^ par D. Delair. Se
vend à Paris, chez Fauteur, rue Saint-Honoré,
proche la Croix-du-Tiroir, vis-à-vis T hôtel d'Aligre
à PÉcouvette.
Nous donnons l'adresse bien exactement pour
que les jeunes joueuses de théorbe n'aillent pas
s'adresser à côté, ou se fourvoyer chez quelque éta-
lagiste du quai.
L'ouvrage est dédié à madame la marquise d'Es-
trades. Entre autres jolies choses il y a : « Un autre
que moy prendroit cette occasion pour faire votre
éloge : ce noble extérieur^ cette beauté acomplie
dont vous este pourvue, un esprit juste et poli, un
cœur sincère et généreux, et mille autres belles
qualitez qu'on admire en vous, fourniroient un
ample sujet à de légitimes louanges, mais un res-
pectueux silence m'a paru plus convenable à ce que
je vous dois! »
Quoique un peu étourdi par la fumée de cet
2a . MUSICIANA.
encens, nous passons à la Petite méthode pour
apprendre la musique aux enfans et même aux
personnes plus avancées en àge^ composée par
M. Monteclair, 1736.
Page 11 : « Le <re/22/>/eiûéi2(, à qui Ton dojuie
lé notsx impropre dé cadence, est l'un des plus
beaux agréments dû chant, il so marque par une.
croix -[-dans la musique écritte à la main et dans
la musique . gravée, et par lin t dans la musique
imprimée. Il est presqu'impossible d'enseigner par
écrit. là manière de le bien faire, il s'^apprend par
imitation, <5*est pôûrquoy je laisse aux mâitrés lé
soin de le faire exécuter de vive voix. »
' Page 29 : « On ne doit jamais mettre" plus de
cinq bémols lii plus de cinq diêzes après les clefs. »
L'auteur dit dans sa préface : c J'ay fait exprès
cette pjstitte méthode pour ma filleule et petitte
niepce, fille du sieur Boivin, mon neveu, marchand
à Pariff à la Règle d'Or. J'ay renfermé dans ce petit
livre les principes dans un ordre si simple, que
cette enfant, âgée de trois ans et demi, y fait un
progrès étonnàrrt, etc. »
. Entre autres recommandations il y a : '
«De ne point chanter proche ou y isrà-yîs d'une
porté ou d'une fenêtre entrouverte ;
«* He ' chanter le moins qu'il sera possible pe/2-
(fefl/ ou immédiatement après le repas ;
« P[exerçer la voix lé matin à jeun ;
« He lié point chanter vis-à-vis d'un grand feu
sans mettre quelque chose devant sa bouçhQ;
TITRES, PRÉFACES ET DÉDICACES. t9
. c De ne jamais chanter le 3oir aa serein, etc. »
U parait qa'en 1 736 on était bien peu généreux pour:
les professeurs, car un peu plus loin, Monteclafr,'
après avoir rappelé qu'en Italie on fait des petits
présents auxjmaitres les jours de féte^ ajoute ;. f Au
lieu qu'en France on est toujours à l'afftit pour
trouver une occasion de disputer au maître une leçon
justement gagnée, qu'on luy fait perdre très-sou-
vent. Ce maître peut-il s'affectionner? Je dis cecy
plus au profit des écoliers qu'à celuy des maîtres
et qu'au mien particulier, estant ôur le point die ne
plus enseigner ^t presqù'en état de m'en passer
absolument.»
L'auteur ne dit pasbémoliser.une note, maisJ^éino-
/er une note, ce qui est plus logique, puisqu'on dit-
diézer.
Comme oeuvre moderne, nous mentionnerons
F Art de -moduler dans les régions les plus inouïes
et les plus délicieuses de V harmonie ^ ^hv Turi>ri.
Le môme auteur a aussi publié une Méthode de
violon sympathique.
LES DÉDICACES DE LULLY AU ROI LOUIS XIV.
Ces extraits des partitions de LuUy trouvent ici
leur place, afin de bien faire sentir aux composi-
teurs de nos 4oursL le prosaïsme de leurs dédicaces,
espérant aussi qi^e ce i)eau jstyle de. cour, à la fois
noble et modeste, profitera auimoins à la génération'
future des compositeurs demusiqueu
80. MUSIGIANA.
On sait que Lully dédiait exclusivement, ou a peu
près, ses opéras au roi Louis XIV, son grand pro-
tecteur.
•
Dédicace de F opéra Acis et Galatée (1687) :
Sire,
c Toutes les productions de mon génie vous sont
consacrées dès le moment que je commence à les
imaginer, et de quelque fécondité que le public me
flatte, il me serait impossible de rien exécuter dans
mon art, si je n'étais uniquement animé par le désir
de vous plaire. Vous avez eu la bonté de me dire
qu'en travaillant pour Monseigneur le Dauphin j'al-
lais en quelque manière travailler pour Votre Ma-
jesté. Cette assurance m*a élevé au-dessus de moi-
mesmé, et m'a rempli de ces divines fureurs que je
je ne puis sentir que pour le service de Votre
Majesté. »
Amadis (1684) :
« Dès qu'il a fallu faire paroistre un héros d'une
nation à la gloire et au divertissement de laquelle
j'ai consacré toutes mes veilles, je me suis plus
senty d'entouziasme et de fureur divine, qu'il ne
s'en élevait autrefois des trépieds d'Apollon. »
TITRES, PRÉFACES ET DÉDICACES. 31
Armide (1686) :
(Le roi n'avait pu assister à la première repré-
sentation .)
c J'avoueray qub les louanges de tout Paris ne
me suffisent pas ; ce n*est qu'à vous, Sire, que je
veux consacrer toutes les productions de mon génie ;
je ne puis aspirer à un moindre prix qu'à la gloire
de vous plaire, et sans l'approbation de Votre Ma-
jesté, je compte pour rien celle de tout le reste 4u
monde. »
Idylle sur la Paix (1685) :
« A la vérité. Sire, il m*eust été bien difficile de
ne pas rédssir sur un sujet aussi heureux et aussi
propre à échauffer mon génie que les louanges de
Votre Majesté. »
Persée (1682) :
« Si tost que j'y ay jette les yeux, j'y ay décou-
vert l'image de Votre Majesté. Mais, Sire, ce n'est
pas seulement pour moy que vostre éloge est un
sujet trop élevé, il est même au-dessus de la plus
sublime éloquence. »
Pbaéton (1683) :
« Ce n'est pas seulement une musique de ma
composition que je vous offre, c'est aussi une nom-
breuse académie de musiciens que je vous pré-
.«2 MUSICIANA.
ôente. Vous m'avez permis de la former, je me suià
appliqué à Tinstruire, et après Tavoir fait exercer
deya^t le peuple, de la .plus florissante ville du
mondé, j*ay enfin la satisfaction de voir que le plus,
grand roy qui fut jamais ne la juge pas indigne de
paraitre devant lui I i
Proserpine (1680) : -
c Je. dois Tavouer, Sire, j*ay un secret infaillible
pour trouver de nouvelles forces, et pour m'élever
au-dessus de moy-méme, c*est de considérer que
les concerts que je prépare seront entendus de
Votre Majesté, et que je dois m'effpreer de les
rendre dignes, s'il est possible, de Tattention du
vainqueur de mille nations différentes, du pacihca-
teur de rEurope, do l'arbitre souverain du monde. »
Le Triomphe de P amour (1681).
« J'ai bien jugé que j'avais besoin d'un puisisant
secours, et j'ay voulu suivre l'exemple des muses,
qui, toutes savantes qu elles étaient dans le bel art
de l'harmonie, ont eu recours à un dieu qui les
éclairait de ses lumières, et qui présidait à leurs,
concerts; mais j*ay ressenty dès mes plus jeunes,
années que l'Apollon qui me devait inspirer les
chants que j'avais dessein de composer n'était ny
dans les lieux de ma naissance ny sur les sommets
■ • ■ ■ . . .j
du Parnasse; j*ày crû le pouvoir trouver dans le.
plus florissant empire dé la térre/et je n*ày pas eu.
TITRAS, PREFACES ET DEDICACES. %a
de .peine à le reconnoistre aussitost que j'ay esté
assez heureux pour voir Votre Majesté, i
Après la dédicace de Roland (1685), il y aune
pièce de poésie signée de LûUy. J'ignore si elle
est réellement de lui ; en voici quatre vers :
Charlemagne vous cède, il vainquit ; mais I9 suit^
Détruisit après luy cos grands évènemens :
Maintenait cet Empire a par vostre conduite
D'inébranslables fondemens.
Quand Thésée parut, LuUy était mort, aussi
l'inévitable dédicace au Roy est-elle signée par la
veufve et les enfans Lully.
-■"■*■
Une dédicace non moins curieuse que celles de
Lully, quoique à un tout autre point de vue, se
trouve dans la Pasilogie^ ou de là musique cùnsi^
dérée comme langue universelley par Anne-Pierre-
Jacques De Vismes y i80&.
Devismes fut directeur de l'Opéra de 1777 à 1779,
et sa femme, élève de Steibelt, était une excellente
pianiste. On trouverait difficilement dans les fastes
des directeurs de l'Opéra des choses aussi gra-
cieuses et aussi galantes, pour leur chaste moitié,
que celles de De Vismes : -
Épitre dédicatoire à ma femme* -
c A qui puis-je miei|x qu'à toi . dçdier cet
S4 MUSIGIAXA.
ouvrage, ma chère Hypolite ? fille chérie d* Apollon,
tous les talents sont ton apanage : tu réunis à toi
seule ce qui ferait le partage d*un grand nombre de
personnes, Qt, par un charme qui t'est particulier,
les Grâces, d'un même accord, se sont fixées près
de toi : oui, tes aimables compagnes t'environnent
sans cesse, et lorsque tu composes à ton piano,
Euphrosine t'écoule, Aglaé te sourit,^ et Thalie
enchantée applaudit au brillant de tes doigts.
c Plus on a de talents, et plus on en doit compte
a la société ; c'est un larcin qu'on lui fait de ne pas
les produire, ainsi donc :
Livre-toi sans réserve au transporl qui Tinspire,
Ne cesses de chanter, fais résonner ta lyre,
Et le dieu qui préside au sommet du Parnasse,
Pour te récompenser y marquera ta place.
J'y vois déjà ton nom ; avec des fleurs d'élite
L'es Grâces ont tracé le chiffre d'Hypolyle :
Esprit, beauté, talents; oui, tu possèdes tout,
Les neuf sœurs t'adoptent pour la muse du goût :
Voilà l'heureux destin que mon cœur te présage,
Et l'immortalité deviendra ton partage ».
Puis ce galant directeur continue en proso pen-
dant deux pages encore. Â la fin de ces gracieusetés
conjugales^ on lit :
« Nota. Madame Jeanne-Hypolite Moyroud De
Vismes, descendante par son grand-père Genève
des anciens comtes souverains de ce nom, a com-
posé la musique de Topera de Praxitelles, qui a
été exécuté sur le théâtre de l'académie impériale
TITRES, PRÉFACES ET DEDICACES. 85
de musique le 5 thermidor, an viii. Cet opéra a eu
seize représçntaiions, et a été justement applaudi
par les artistes et les connaisseurs. »
* *
Les dédicaces qui précèdent ressemblent certai-
nement fort peu a F avis au lecteur que Caresana a
placé en tête de la seconde édition de ses duos ou
leçons de solfège à deux voix, publiée à Naples en
1693 :
« Lecteur bienveillant,
« L'accueil fait au livre de duos que je fis impri-
mer en 1680 m'a décidé à en publier un second.
Tu trouveras dans ce dernier diverses frivolités
convenables au temps actuel : danses, airs, taren-
telles, sauteuses, et autres pièces semblables, bonnes
à contenter le goût dépravé de ce siècle. Elles sont
si peu du mien, que si elles étaient de nature à être
entendues hors des écoles et des chambres d'étude,
jamais je ne me serais appliqué à les écrire. En
outre, ne les ayant jamais prises que pour sujet
(ainsi que Tout fait des auteurs graves), tu pourras
excuser Terreur de ma plume, sachant fort bien
que de pareilles billevesées, qui garnissent aujour-
d'hui le papier de musique, méritent plutôt la risée
que les applaudissements ; etc. »
(Extraits d'une Petite bibliothèque miïsicùU^
par Ad. de La Fage, page 37.)
86 MUSIGIANA.
4
UNE PRÉFACE DE J.-B. SAMBER.
Un chef-d'œuvre de style ampoulé, de phrases
et d'idées amphigouriques, de bassesse rampante,
a. été mis au jour par Forganiste de Salzbourg, Jean-
Baptiste Samber^ valet de chambre de Tarchevér
que. Ce musicien s'était fait connaître àyaniageuse-
menty dit M. Fétis, en publiant un traité, sur
l'art de jouer de l'orgue en 1704. Il donna- une
suite à cet ouvrage en 1707, sous le tiire : Conti-
nuatio ad manaductionum. orgrâfli/ca/n, c*^st-à-dire
Continuation au guide^main pour jouer de l'or-
^«e, etc.
Voici la. pompeuse dédicace qui se trouve à la
tête de ce second ouvrage, offert à l'archevêque de
Salzbourg, Jean-Érnest^ prince sérénissime du
Saint Empire Romain, etc., etc. :
EPISTOLA DEDICATORIA.
« Monseigneur,
. € De même que j'ai appendu, il y a trois ans, à
l'autel glorieux et privilégié des grâces de A^otre
gracieuse Seigneurie le modeste travail artistique,
Introduction de celui-ci, comme un faible témoi-
gnage de mon dévouement et de ma soumission
pleine et entière, de même je m'enhardis à me pré-
senter de nouveau dans le temple d'honneur de
Votre Seigneurie avec les pages que voici ; et quoi-
TITRES, PRÉFACES ET DEDICACES. 87
que la douce musique^ comme souveraine toute-
puissante des cœurs, et trésor des Églises, je dirai
même comme manifestation surnaturelle, devrait
paraître devant le trône d'un prince de l'Empire
portant la pourpre, en plus haute parure que celle
qui la couvre dans ces présentes lignes, elle se
prosterne néanmoins dans son modeste habit aux
pieds d'un père du peuple, qui la surpasse de beau-
coup comme souverain des cœurs : il est vrai qu'elle
n'eût osé paraître si mal parée dans le temple
d'honneur d'un prince si sage, si la bonté natu-*
relie et la mansuétude de Votre Grandeur sérénis-
sime, en acceptant mon modeste petit ouvrage
récemment offert, ne lui avait rappelé que la mer,
riche de son corail purpurin et de ses perles, reçoit
dans son sein les plus petits ruisseaux, quoiqu'ils
ne lui apportent comme tribut que de l'eau claire ;
que les temples et les autels ne dédaignent pas les
sacrifices infimes; que Dieu, ainsi que les plus
grands rois, se contente d'une poignée d'eau ou
d'une once d'encens, lorsque le cœur en est le sup-
plément ; aussi est-ce lui que j'offre à Votre séré-
nissime Grandeur princiôre bien plus que ces pages.
c Oui, cette musique ou science du clavier, parais-
sant dans un si modeste habit de notes, espère
acquérir de Votre Grandeur l'éclat et la parure, de
même que le brillant soleil attire à lui les sombres
vapeurs terrestres et les transforme en beaux arcs-
en-cieL . -
c Je me prosterne donc de nouveau aux pieds dé-
8
MS MUSIGIANA.
ments de Votre Grâce sérénissime avec autant de
milliers de souhaits du cœur que le présent livre
renferme de notes, de chiffres et de lignes, afin que
Votre Grâce sérénissime atteigne les années heu-
reuses et dorées de Nestor, ainsi que cela est dû à
un père du peuple, à un pieux David , à un grand
jprêtre Melchisédech !
« Que les cordes sonores du doux régne de Votre
.Seigneurie et de sa vie heureuse résonnent jusque
idans les temps les plus éloignés^ et que récho
jbienheureux d'une musique éternelle et céleste leur
réponde à son tour.
, « De Votre Grâce sérénissime, mon prince et sei*
gneur, ^
€ Le tout dé voué et très-humble
' ' ' ' . -
* •
; r ■■■■'■ \ Jean-Baptiste Samber. p
DEDICACE A UN CHEF DE SAUVAGES.
. La biographie des musiciens cite un Jean-André
•Golizzi, né vers 1740; M. Fétisne lui attribue que
•des morceaux de piano. Est-ce le même que celui
dont nous allons rapporter une dédicace, ou celui-ci
rcsst'^il un fïls du premier? Il s'appelle G.-A.-K. dch'
•^lizzi, et voîciletître dé son ouvrage, dédié à un chef
sauvage :
» T
f>
TITRES, PREFACES ET DÉDICACES
sa*
Quattro concerii barbari a due
. violini, viola e bassi, dedicati
al Gran* Sole diNatchez, sulle
rive del Mississipi. ^Leyde,
• Amsterdam, La Haye.)
OUAGHIL,
Lascia che in yoto a te io con-
sacri qnesti ancor' barbari miei
concenti. Che tu solo sei, Si-
gner, a cul senza qabale od im-
postura si possano dedicare le
primitie d'un nascente e debole
talento.
Ricevi le benîgnamente, e s'au-
viene mai cho a qualche veneflco
Blatterona délia tua corte selvag-
gîa gnariscano il morso dl Taran-
toi a, tornerb allor' a far il viag-
gio del Mississipi per imparar'
da' Esso in mercede a medicar
un mal commune degli Orfel
nostri Europe! . .
r
' ouachilI
L'obbediente
Tuo servilor,
l'Autore.
r'
tt J'en ai dit assez pour ceux
qui m'entendent; Je n'en dirais
jamais assez pour les autres. »
V^.-J. Rousseau, Dictionnaire de
ZLUsique,) ■
Quatre concertos barbares pour
deux violons, alto et basses,
dédiés au Grand Soleil des
Natcbez , sur les rives dû
Mississipi.
OUAGUIL,
Permets que je te voue et con-
sacre ces concerts qui, eux aussi,
sont barbares. Car tu es le seul,
ô Seigneur, à qui l'on puisse
dédier sans cabales et sans im-
posture, les prémices d'un talent
naissant et. encore faible.
Reçois-les avec bienveillance,
et s'il arrive par hasard, qu'ils
guérissent quelque venimeux
hâbleur de ta cour sauvage de-
là morsure de la tarentule, je
referai le voyage du Mississipi,
afin d'apprendre de lui, pour
toute récompense, à guérir un
mal qui est commun à tous' nos
Orphées européens.
* OUACHIL !
Ton obéissant serviteuri
l'Auteur.
L'œuvre, .très-ordinaira , ne répond pas à une
dédicace aussi bizarre que prétentieuse, surtout
pour un commençant.^
40 MUSIGIANA.
Dans YInstitution harmonique de Salomon de
Caus, 1615, le Proème (la Préface) contient en-
tre autres choses : « Saûl estant oint Roy, Samuel
lui prédit que quand il rencontreroit une compa-
gnie de Prophètes , aiant devant eux une harpe,
un psalterion, un tabourin et fleute, que l'esprit de
Dieu tomberoit sur luy, et qu'il prophetiseroit avec
eux.
c Elisée ayant à prophétiser à la requête de
trois Rois, fit venir un joueur d'instrumens devant
luy, et incontinent qu'il l'eut ouy, l'esprit du Sei-
gneur le saisit et prophétiza.
c Le Roy Saûl estant délaissé du Seigneur, le ma-
lin esprit le possédoit, et à la requeste de ses servi-
teurs, on Ijii fit venir un joueur d'instrumens, qui
estoit le bergier David, lequel fut Roy du depuis,
et quand le mauvais esprit estoit sur Saûl, David
jouait de sa harpe, et Saûl estoit guari. »
c Homère fait récit que la pudicité de Cliten-
nestre, femme du Roy Âgamemnon, fut conservée
aussi longtemps qu'un certain musicien Dorien de«
meura avec elle. Cicérôn et Valère le Grand ré-
citent que Gracchus, homme de grande éloquence,
toutes les fois qu'il avoit à parler devant le peuple
avoit un musicien à propos derrière luy, lequel avoit
ordre de son maistre de sonner d'une flûte certaines
modes de chante, quand besoing seroit de faire
eslever sa vois, ou la faire abbaisser. >
CHAPITRE III
SYSTÈMES DE NOTATION
On ne se doute pas du grand nombre d'inven-
teurs de notations nouvelles. C^est une collection
qui commence à faire figure à la bibliothèque du
Conservatoire, et encore avons-nous bien peur...
(une peur douce et calme) que tout n*y soit pas.
La plupart de ces génies incompris, mais con.-
vaincus, entonnent d'abord à coups de grosse caisse
leur propre éloge, et critiquent leurs devanciers
avant de disséquer leur poule aux œufs d'or.
Je cite : « Sous prétexte qu^il faut respecter des
signes pratiqués par nos aïeux et nos grandes illus-
trations musicales, il faudrait laisser tous les
42 MUSIGIANA .
hommes dans l'ignorance complète de cet art divin,
de cet art enchanteur ! ! ! »
Autre :
c L'excessive simplicité de mon système, sa ré-
gularité remarquable lui assurent une immense
supériorité sur tous les systèmes nouveaux qui ont
paru jusqu'à ce jour. »
Voici un Christophe Colomb qui a des titres : il
est déjà inventeur d'un piano à trois rangs de cla-
viers (à ce qu'il croit du moins), « invention qui rend
ces instruments supérieuriâ à tous ceux existants,
permettant de jouer des morceaux de musique à
quatre mains avec deux.,. »
Oh ! naïveté d'inventeur !
Il y en a beaucoup qui se servent des chiffres,
mais d'autres les méprisent profondément, comme
celui-ci : Les vingt-six vices de la notation par
chiffres inventée par J.-J. Rousseau, et enseignée
par Emile Chevée.
L'idée de ne se servir que de trois ou quatre por-
tées a été inventée par plusieurs, je ne dirai pas à
la fois, mais à peu d'années de distance, ne se
doutant pas que leur invention avait déjà été in-
ventée (ou éventée) avant eux...
Ces facéties musicales font tellement de bruit
dans le monde musical !
En voici un qui met bravement : « Plus de bé-
LES SYSTEMES DE-NOTATION. 4*
mois, plus de doubles béinols, plus de bécarres,
plus de diôzes, plus de doubles dièzes, pitïsde*
clefs, plus d'armatures, plus d'accidents, plus d*in-
térçalations, plus de suppositions, plus de* trans-
positions, plus de... » (Il y en a encore une bonne
liste, finissant par : « Plus de papier réglé. *)
En tête de la brochure d'un inventeur qui n'^st
rien moins qu'un comte, il y a une approbation de-
Rossini que nous n'avons pas très-bien saisie : « Je
souhaite donc, monsieur le comte, aux jeunes gens
qui s'en serviront (de sa méthode) pour l'érudition
d'un art, qui se propage très-heureusement partout-
(atquidëvra^ au moins je l'espère, adoucir l'exal-;
taiion des mœurs actuelles), l'ardeur que l'on doit ;
apporter dans l'art prati<iue.
« Agréez, etc. . .
c Gioachino Rossini. »
Une jolie invention est celle<5i :.
Notation musicale appliquée à F histoire.
Consultez les deux pages où Ton raconte^en notes
de musique : les événements principaux de PhiS"
taire de France, ei^nis vous redirez cela à ceux
de vos amis qui ont les mœurs exaltées. •
Plusieurs sténographies musicales ont été es-
sayées.
Enfin, pour en finir, citons le Panorama d'un
nouveau système de notation, ou procédé sténo-'
graphique et verbotonique pour la musique et le
plain-chant.
44 IfUSIGIANA.
Cela ôômmence par : « Salut, conçue sans pé^
cbé. »
Mais ce n*est pas long, il n'y a que deux
feuilles. Voici, au reste, quelques litres d'ouvrages
sur les notations nouvelles :
Adorno, mélographie.— Amyoty odogramnie. —
Arno. nuova sistema di tastiera e musicografia. —
AzevedOy nouveau signe pour remplacer les trois
clefs.de la notation musicale. — Borip, diuna nuova
segnatura musicale. — Nouvelle notatÎQn par Cher-
pentieri. — Autre piar Delaruelle et Qossart. —
Autre par H. Dessiner.— Notation de la musique,
par M. YàbhéDepierre. — Les lettres harmonieuses,
par Cb. de Franciosi — Système de Heeriagen. —
.Ftitscbj enseignement par l'aspect. — Le ClaviÙ-
îgûe, par Gibelini-Tornielli. — Gpssarty nouviBau
système de notation musicale. — De LA ulnaye, id. —
MeereDSy la notation simplifiée. — Miquelj arithmo-
graphie musicale . — Nicbetti, nnovo modo di scritture
musicale. — Perrot^ système de notation. — H. Pre-
vosty sténographie musicale. — De Rambures^ no-
tation alphabétique.— Système de Raymondi.—
RomanOy grafica musicale. — Seymat^ panorama
de notation. — Systèmes de Striby, Sudre, Tan-
cioni^ Van SyngbeU Lunn^ etc., etc, (1).
(1) M. Georges Becker, de Genève, prépare, en ce moment, un
livre spécial sur les diverses inventions de notation musicale.
CHAPITRE IV
BIBUOfiRAPHIE ET VARIÉTÉS MUSICALES
LES MUSICIENS DU TEHPS DE RABELAIS
(1495-1553.)
€ Et me soubvient (car j'ai mentule, voire di*je,
mémoire, bien belle, et grande assez pour emplir
un pot beurrier) avoir un jour du tubilustre, es fé-
riés de ce bon Vulcan en mai, ouï jadis en un beau
parterre Josquin des Prés, Ockeghem, Hobrecht,
Agricola, Brumel, Camelin, Vigoris, de la Fage,
Bruyer, Prioris, Seguin, De la Rué, Midy, Moulu,
Mouton, Gascogne, Loysel, Compère, Penet, Fevin,
Rouzée, Richardfort, Rousseau, Consilion, Gons-
tantio Festi, Jacquet Bercan, chantants mélodieuse-
ment.
c Neuf olympiades, et un an intercalare après
(ô belle mentule, voire di-je, mémoire : je solœcise
souvent en la symbolisation et ooUiguance de ces
s.
40 MUSIGIANA.
deux mots), je ouï Adrian Villart, Gombert, Jane-
quin, Arcadeit, Glaudin, Gerton, Manchicourt,
Auxerre, Villiers, Sandrin, Sohier, Hesdin, Mo-
rales, Passereau, Maille, Maillart, Jacotin, Heur-
ieur, Verdelot, Garpentras, THeritier, Gadeac,
Doublet, Vermonf,Bouteiller,Lupi, Pagnier, Millet,
du Moulin, Alaire, Marault, Morpain, Gendre et
autres joyeux musiciens, en un jardin secret soubs
belle feuillade autour d*up rempart de flacons, jam-
bons, pastés et diverses cailles coiphées, mignon-
nement chantants. »
Rabelais.
. . • * - - ■ •
Sous le règne de Gharles IX, Jean-Antoine de
Baïf, aussi fameux poète qu'excellent musicien (1),
établit une académie de musique dans sa maison
paternelle au faubourg Saint-Marcel, où tous les-
musiciens étrangers étaient bien reçus pour y con-
certer. Le roi assistait aux conceris de Baïf une fois
la semaine avec toute sa cour, et il en sortait tou-
jours très- satisfait; les concerts étaient alors un
divertissement fort rare à Paris (1566).
Dans les Statuts agréés en 1570 par Gharles IX,
on lit : <r Quand aucun après avoir ouy un ou deux
concerts de l'Académie, auroit regret à son argent
(1) Baïf n'.était pas leseuld^s illustres poètes, qui s' inléressaîenk
alors à la musique, ma bibliothèque personnelle renferm© un
exemplaire de Arisloxeni niusici antiquiss. • harmoàicôrum .c/e*
'mentorum, «tel, 1562, avec l'ex libris de Philippe Despbrtea.
- .. .. • .... . *♦ B. w,. .
9 f
VARIETES MUSICALES. 4^7
qu'il auroit advancé, luy sera rendu et sera son
nom effacé du livre. » . c
: Dans r//jstoire comique de Francion^pav Charles
Sorel, 1633^ Hortensius s'exprime ainsi : « L'humi^ -
lité chante la jBâsse, et Tambiticm chante le Dessus;
la colère fait la Taille, et ta vengeance la: Contre'^''
taille^ la modestie tient le racôi;. là prudence bat la:,
mesure et conduit le concert: L^ nature va leptain-
chant ; rartiflcé fredonne^ la douleur fait deis sort*-
pirs^ et la dissimulation les feintes (altération) et :
les dièses. : . c:::.
- € Et pour les instruments de musique : ravaricei
joue de la Aârpa/ la prodigalité du cor/2e<-; maïs ce'
n'est, pas du cornet- à-bouquin, c'est du cornet* â
jeter les dés. L'amour joue de la viole ; la trahison'
joue de. la trompe^ et la justice joue du ïâui-
bois.: » . <:'
Pour compléter cette énumération philosophico--
musicale, ajoutons qu'en. 1411 la vio/on (la prison)
s'appelait le ps57/drio/2. : ::...;-
Les concerts de Baïf en 1566 annoncent un pro-
grès immense, si nous le^ comparons à ce que
nous révèle l'anecdote suivante, qui nous reporte à
quelques siècles en arrière : Louis IV, dit dlOutre-
Mer, étant à: Tours avec toute sa cour (en 940),
quelques-uns de ses courtisans entrèrent dâtts:.
l'-églisje. de Saint-Martin dans le temps que l'on y
chantait l'office. Ils furent surpris d'y voir lecotrtte-
* d'Anjou^: nommé Foulques II, placé au rang des
chanoines et chantant T office aveiB eux, parce qu'il î
48 MUSICIANA.
aimait la musique. Ces courtisans vinrent dire au
roi que le comte était devenu prêtre ; il se moqua
un peu de la dévotion du comte, sur le récit qu'ils
lui en firent. Cette raillerie tiéplut si fort au comte
d'Âi]jou, qu'il écrivit le lendemain au roi la lettre
suivante : < Sachez j sire, qu*un roi sans musique
n*est qu'un âne couronné. >
Dans une ordonnance, datée du mois d*août IGTS,
Louis XIV défend aux comédiens français de se
servir déplus de 6 musiciens et de plus de 12 vio-
lons et joueurs d'instruments de musique (ce n'est
pas trôs-clair, comme on voit), mais les 6 musi-
ciens sont censés des acteurs, c'est-à-dire jouant
stir la scène, et les 12 autres sont ceux de Vor^
chestre*
LuUy trouva sans doute qu'on avait accordé trop
de musiciens aux comédiens ; car, au mois d'avril
1673, il obtînt du roi une nouvelle ordonnance, qui
ne permettait aux comédiens que deux voix et six
violons ou joueurs d'instruments.
SPAN6ENBERG.
M. Keller, président de la Société littéraire de
Stut%ardt, a publié l'ouvrage de Cyriacus Spân-
genberg, conservé en manuscrit au gymna^se de
Strasbourg et intitulé : Von der Musica (De là mtp^
sique).
Il faut, certes, une grande dose de patience et de '
persévérance pour lire jusqu'au bout ce prêche bi--
VARIETES MUSICALES. 49
blique qui n*a pas moins de 170 pages. N*y cher-
chez pas des renseignements sur la musique en
1542, vous chercheriez en vain. C'est rénumération
interminable de tous les psaumes qui renferment :
chantez les louanges du Seigneur; tous les commen-
tateurs de la Bible y passent ; ajoutez-y les saints
pères, les auteurs profanes, puis Luther; comptez
jusqu'à 1 81 , et vous aurez le chiffre exact des au-
teurs cités.
Tout cela pour prouver :
i<^ Que la musique est uu art ;
2» Qu'elle est un art noble ;
3<> Qu'elle est un art délectable ;
i^ Qu'elle est un art digne de louanges ;
5® Qu'elle est un art honorable ;
&* Qu'elle est un art gracieux ;
7® Qu'elle est un art puissant;
9» Qu'elle est un art utile;
9^ Qu'elle est un art nécessaire ;
10^ Qu'elle est un art divin ;
il* Qu'elle est un art prodigieux.
Au chapitre m, il est dit : < Comment pourrait-on
ne pas appeler la musique un art délectable, puis-
qu'elle aide à chanter les louanges du Seigneur?
Aussi le diable le sait bien, et la musique employée
comme elle doit Tétre le brûle jusqu'aux os. C'est
pourquoi il est tant son ennemi et qu'il fait voir sa
haiiie et sa rage amères contre ce bel art, en le
faisant mépriser par ses affidés, en le persécutant
par les tyrans, desquels il se sert effrontément pour
10 MUSIGIANA.
> • ..... <
biiillonner ceux qui chantQut les louanges du Sei-
gneur! »
Dans le chapitre des chanteurs du Nouveau Tes-
tament, Spangenberg s'évertue à nous prouver
(mal, il est vrai) que Jésus-Christ et la sainte.
Vierge ont dû savoir chanter, même avec talent,
li est à regretter qu'un homme aussi savant par
ses lectures comme l'était Spangenberg ne nous ait
pas donné une histoire de la musique au lieu de
citations de la Bible, et de .critiques acerlDes contre
les pratiques et usages des catholiques. Son analyse
des anciens modes grecs et son chapitre sur. les
Meistersànger^ les maîtres -chanteurs allemaiids,
renferment des pages intéressantes et prouvent que
l'auteur était en état de faire un livre conformé au
titre : Von der Musica^ de la musique.
•Cyriacus Spangenberg, né en 1528 à Herden,
dans la principauté de Kalenberg, mourut à Stras-
bourg en 1604.
Il fut longtemps prédicateur de l'Évangile à Eis-
leben.
■ V ¥ " -
LA BIOGRAPHIE DES MUSICIENS PAR M. FÉTIS.
Lors de la publication de la Bioffrapbie des nm^
siciènSy.^^vJA^ Fétis (2** édition), j'écrivis à l'au-
tejir pour le féliciter sur son immense travail, tout
enregrettant l'omission de notnbreux corapositeurs.
français, qui sont représentés par plusieurs mor-
VARIETES MUSICilLES.
51,
eeaux de cbant à quatre voix, dans les Recueils
publiés^ au milieu du seizième siècle par Pierre At-
teignant, Adrian Le Roy et Ballard.
Voici les noms d'une grande partie de ces com-
positeurs :
Allaire (ses chansons non citées).
Aotraigues (non cité).
Arcadet.
Beaumont (non cité).
Billon(J. de).
Bouchefort (J. de) (non cité).
Basbi idê) (non cité).
Beaulieu (1).
Câmbefort. (Ce n'est pas celui
cité par M. Félis.)
Cerion.
Ciron (G.-J.) (non cité).
Claudin.
GoBsiliam. -
Cochet (R.) (non cité).
Cybot (non cité).
Courtoys.
Desleuges. -
Dqrlé.
Ou Croc (noncilé).
Diiloi' (non cité).
Dumoulin (non cité)-.
l)u Tertre (non cité).
Françoys (non cité).
Gascogne."
Godard.
Gombert.
Grouzi .(non cité).
Hérîssantr
Hesdin;
Heuneur (G. Le).
Jacotin.
Janequin.
Lalo (non citél. ■ ■ " -,
Le Fèvre (Denis) (non cité).
Lemaire
Le Roy.
Leschènet.
Lupi. . .
Maillard.
Millot.
Mitthou (non cité).
Mornable.
Moiillu (ses chansons non citées).
Mouton.
Pagnier (non cité).
Passereau.
Penet (Hilàire) (ses chansons
- non citées).
Quinot (non cité).
Rennes (N.) (non cité).
Roche (F. de la) (non cité).
Rore (Cyprian). -
Sandrin.
Santerre (ses chansons non ci-
tées).
Soyer ou Sohier. - ■
Touteau (non cité). -
Vermont.
Villers (A. de). ' '
Yzore (non cité).
, (lyC'eài un autre Beaulieu que celui qui est cité par M.Féti»^
52 MUSIGIANA.
M. Fétis me répondit une longue et intéressante
lettre que je joins ici, et Ton m'en saura gré, cer-
tainement.
«c Bruxelles, le 16 juillet 1865.
« Mon cher monsieur,
c Je saisis Toccasion d*un moment de repos pour
répondre à votre lettre de dimanche dernier et vous
remercier du cadeau que vous m'avez fait de vos
Poèmes de la mer. Je n'ai guère Tespoir de les lire
avant la fin des concours du Conservatoire ; mais
lorsque le temps des vacances sera venu , . ce sera
une de mes premières occupations.
« Je vous remercie aussi des renseignements bi-
bliographiques qui remplissent la plus grande partie
de votre lettre. Je connais depuis environ 50 ans
les volumes de la Bibliothèque Impériale dont vous
avez bien voulu me donner l'indication, et j'en ai
pris des notes avec tous les premiers mots des
chansons et des auteurs ; mais d'une part, on ne
sait rien sur les personnes de ceux-ci, et de l'autre,
tout cela est de si peu de valeur, que j'ai un peu
de regret d'être obligé de garder le silence à leur
égard. J'ai dépensé récemment quelques milliers
de francs pour l'acquisition de la plus considérable
collection de chansons en musique qui, je crois, a
jamais été rassemblée, mais j'aurais pu mieux em-
ployer mon argent. Par-ci par-là, je trouve cer-
taines pièces qui ont le mérite d'un sentiment naïf;
VARIÉTÉ^ MUSIGALEi^ 68
mais, en général, tout cela est vulgaire et assez
mal écrit.
« Pour quelques noms de valeur qu'on trouve dans
ces rarissimes recueils d'Âttaignant, de Jacques
Moderne, de Nicolas Du Chemin, d'AdrianLe Roy,
des deux Phalése, de Jean Bellère et des Ballard,
il y a des centaines de noms obscurs, et très-dignes
de Tétre.
« Les personnes qui prennent la peine de signaler
certaines omissions, assez indifférentes, de la Bio-
graphie universelle des musiciens^ ignorent qu'il
existe environ 1,500 compositeurs allemands dont
le plus grand nombre ont un mérite réel, et qui
néanmoins ne sont pas mentionnés dans les biogra-
phies musicales publiées dans leur pays. J'ai dû
souvent faire de grands efforts pour les tirer de
l'oubli. T^Qui ce qui a été publié en Italie sur les
musiciens de ce pays fourmille d'erreurs et
d'inexactitudes que j'ai éclaircies et corrigées. Les
musicien^ fielges des xiv* et xvi* siècles repré-
sentent toûtel'histoire de la musique de ces épo-
ques ; or, àiiie les conaissait que par leurs œuvres,
ou plutôt pai^ leurs noms; c^est la Biographie uni-
ver selle des musiciens qui, pour la première fois,
donne sur eux des renseignements complets et fait
connaître leur énorme influence dans toute TEurope.
En Espagne, on ne savait rien en quelque sorte
sur les musiciens de cette contrée ; les maîtres de
chapelle et lés artistes les plus remarquables de
Barcelone, de Madrid, de Séville et de Cadix m'ont
5* MUSïCIANA, /
éerit que c'est par mon livre qu'ils ont appris à
connaître les gloires musicales de leur patrie.
c En France, on ne lit pas même les livres qu'on a
sous la main, et je pose en fait qu'il n'y a pas dans
ce pays trois personnes qui se doutent des lumières
répandues dans la Biographie universelle des
musicii^ns snv toutes les questions importantes
d'art, de science et de philosophie du bçau. Un
journaliste priait un jour M. Farrenc de lui faire
une liste des principaux articles de ce livre, parce
qu'il désirait les citer lorsqu'il en parlerait dans
son journal. « Qu'avez-vous besoin de cela, lui dit
« mon pauvre ami, puisque M. Fétis vous a donné
«son ouvrage? — Oh! je n'ai pas le temps de
«parcourir celte énorme bibliothèque musicale. »
• « Eh bien ! ce même journaliste, qui ne m'est pas
hostile, écrivait naguère cette phrase, à propos du
T^ême ouvrage : travail colossal, mais incomplet !
Qu'en sait- il î
« Un illustre philosophe m'a écrit à propos de ce
travail et de mes autres ouvrages : « Taltention que
« j'ai mise à vous lire m'a donné sur yotre art des
flc lumières que je cherchais depuis longtemps et
« que je n'espérais plus ; mais cette lecture m'a
« attristé en songeant que vous êtes venu trop tard.
« La génération actuelle ne peut plus vous com-
a prendre au point de vue élevé où vous vous êtes
« placé : elle est occupée d'autre chose, et l'art
« n'est plus pour elle qu'un amusement, dans les
« moments perdus où l'on ne peut pas s'occupeç de
VARIÉTÉSl MUSICALES. i5
§ $a fortune ou de sa ruine. Peut-être espérez-^ous
« dansTavenir? Hélas ! je crains qu'il n'y ait pas
« d'avenir pour ce qui vous intéresse : la nature
1 me paraît épuisée pour le beau, pour l'idéal chez
« Jes peuples européens. Si une génération nouvelle
« peut rentrer dans ce domaine, dans l'avenir, elle
c. viendra de l'Amérique ; mais cela est. douteux. »
« Quoi qu'il en soit, il est hors de doute que la
Biographie universelle des musiciens est imparfaite
dans un certain nombre de faits et de dates : je Fai
dit dans jna préface. 11 en est nécessairement ainsi
de tous les ouvrages du même genre. Si dix per-
sonnes se mettaient à l'ouvrage pour faire dispa-
raître ces imperfections, et si elles y employaient
dix années de recherches, il en resterait encore.
« Veuillez agréer, monsieur, l'assurance de mes
sentiments les plus distingués.
« FÉTIS. »
On parle souvent des concerts historiques que
M. Fétis donna à Paris il y a quarante-cinq ans,
mais on en parle comme d'un écho si lointain, si
lointain, qu'il nous a paru intéressant d'en repro-
duire les programmes.
Ces concerts ont eu un véritable retentissement,
succès qui s'explique d'ailleurs autant par le nom
des artistes éminents qui prêtèrent leur concours à
ces séances, que par le talent de M. Fétis lui-même,
dont i'élocution brillante et le grand savoir ont dû
contribuer pour une bonne part à l'attrait de ces
56 MUSIGIANA.
concerts. On retrouve dans ces programmes les
noms de toutes les célébrités dealers, et si l'on vou-
lait renouveler aujourd'hui cet essai sur un pied
semblable, on aurait probablement de la peine à
réunir en une même salle, une après-dinée de di-
manche, tous les Phénix du chant qui tiennent en
ce moment le premier rang aux théâtres lyriques
de Paris.
PROGRAMMES DES CONCERTS HISTORIQUES
DE M. FETIS, EN 1832, 1833 ET 1855.
SALLE DU CONSERVATOIRE.
i«' CONCERT (8 avril 1832), à â heures.
1r* PARTIE.
1® Discours sur Porigine et les progrès de repéra, depuis
ibSijasqu*en iQbO, par M. Fétis.
20 Fragments du Ballet comique de la Reine, représenté
aux noces du duc de Joyeuse, sous le règne de Henri III,
en 15K1.
3<* Fragments d'^ur/rfjce (premier opéra composé en Italie,
en 15901, musique de Péri et de Caccini, et d'Or/eo,
musique de Monteverde (1606), chantés par M"** Ginti
Damoreau, Dabadie, Mori et par MM. Bordogni, A. Du-
pont, Levasseur et Rubini, accompagnés par des violeSi
basses de viole, clavecin, orgue, guitares et harpes.
4® Scène de Xerxès^ musique de Cavalii (1649), chantée par
M"« Mori et M. Lablache.
2« PARTIE,
5« Discours sur les progrés de Fopéra en Italie, en France
et en Allemagne, depuis i^bO jusqu'en 1750, par M. Fétis.
/ f
VARIETES MUSICALES. 57
6® Monologue à'Armide (1686), musique de Lully^ chanté
par M^ Dorus, suivi d'un chœur de Peraée (1682) par le
même.
1^ Air de BasiJias (opéra allemand), musique de Kaiaer
(1694), chanté par M"»« Schrœder'Devrient.
S^ Scène de Darius ^ musique d*A. Scarlatti (1701), chantée
par M. Rubini.
9® Duo de Bérénice, musique de Haëndel (1723), chanté par
M»« Mori et M. A. Dupont.
10^ Duo bouffe de la Serva padrona, musique de Pergo-
lèse (1734), chanté par M»« Raimbaux.et M. Ijablache.
il* Chœur de Zoroastre^ musique de Rameau (1749).
8« PARTIE.
î^ Discours sur les révolutions de la musique dramatique,
depuis ilQOjusqu^en 1830, par M. Fétis.
18* Duo de la Fausse Magies musique de Grétry (1775),
chanté par MM. Nourrit et Lablache.
14* Air de Zémir et Azor, musique de Grétry^ chanté par
M"** Ginti-Damoreau.
15* Duo d'ilr227i(fe, musique de Gluck (1777), chanté par
M. et M»« Dabadie.
16* Rondo de Don Juan^ musique de Mozart (1786), chanté
par M. Rubini.
17* Quintette de Paisiello (1788), chanté par M'^Schrœder-
Devrient, M^ Mori, MM. Bordogni, Lablache et Levas-
seur.
18* Air de la Cenerentola, musique de Rossim (1816),
chanté par M. Lablache.
19* Scène du Freyschutz^ musique de Weber, chantée par
M™ Schrœder-Devrient.
20* Trio de Guillaume-Tell , musique de Rossiûi, chanté par
MM. Dabadie, Lafont et Levasseur.
. Cette séance, malgré le choléra qui sévissait
alors, eut beaucoup de succès. U parait que la Ion-
58 BlUaiCIANA, '
gueur du programme n'effraya pas non plus le pu-
blic, car nous voyons le 2* concert réunir 28 mor-
ceaux. Après avoir fait une espèce d'histoire de la
musique, M. Fétis se restreint à une seule époque
dans cette deuxième séance.
DEUXIEME CONCERT HISTORIQUE.
La musique au xvi« siècle^ à Véglise, au concert,
au bal.
Dimanche 18 novembre 1832, salle de concert, n? 13, rue
Neuve-des-Capucinos (à 2 heures).
l'e PARTIE.
1® Discours prononcé par M. Fétis sur la situation de la mu-
sique religieuse au xvi« siècle, en Italie, en France, en
Allemagne et en Angleterre,
^ Laudi spirituali, cantiques en chœur à la Vierge, exé^
cutés par les confréries italiennes au commencement du
xvi« siècle (1).
3^ Kyrie de la messe dite de V Homme- Armé, de ^iosquin"
Després, exécutée dans la chapelle du pape Léon X
.(1510).
4^ Ave Maria à 5 voix, par Nicolas GouJ>ert, maître de
chapelle de l'empereur Charles V (1520). . . 1
5® Premier cantique de la Réformation, à 4 voix, composé
par Luther.
(1) Cette LaudsL : alla Trinila, et non pas Alla Trinita, a été
souvent chantée aux concerts du prince de la Moskowa ; son' har-
monisation est moderne. .... ■". : .';..';
VARIETES MUSICALES. B9
^^ Motet à 5 voix, par Jean Mouton^ exécuté dans la cha<
pelle de François I®', roi de France (1525) .
1® Motet à 6 voix, composé par le roi d'Angleterre
Henri VIII, et exécuté dans sa chapelle (1538).
8^ Sanctus de là messe Beatœ VirginsB^ à 6 voix, par Pa^
lestrina, exécutée dans la chapelle du pape Sixte V
(1575).
2- PARTIE.
1® Discours prononcé par M, Fétis sur la musique de con-
cert vocale et instrumentale y au xvi« siècle,
2* Vilanella à 4 voix, chantée dans les sérénades napoli-
taines (1520J.
3^* Chansons françaises à 4 et à 5 voix, par Clément Man-
nequin et Claude Goudimel (1530 à 1572).
4" Pièce de viole à 5 parties, par Gervaise (1556).
5" Vilhancicos espagnols, à 6 voix de femmes, avec 8 gui-
tares obligées, composés par Soto de Puebla et exécutés
dans un concert à la cour de Philippe II (1561).
6® Pièce d'épinette, tirée du Virginal book, de la Veine
Elisabeth.
7<* Madrigal à 5 voix, sans accompagnement, par Pales-
trina(imb).
8* Concerti passegiati pour violes, violon français, harpe,
orgue et théorbe, composés par Emilie del Cavalière»
3- PARTIE.
1® Discour sr prononcé par Af. Fétis sur la danse au xvi«
siècle et sur la musique qui lui était destinée.
2<^ Airs de danse grave, dansés à la cour de Ferrare, au
mariage du duc Alphonse d'Est.
3<> Sarabandes, pavanes et passamèzes espagnoles, airs de
danse chantés et joués par les instruments.
A^ Basses danses françaises^ exécutées à la cour de Henri II,
roi de France, par Catherine de Médicis et ses filles
d'hoûneup. ^' : ,c .;;:." ? .: v *
60 MUSICIANA.
5* Branles de Poitoa et bourrées d'Auvergne, sous le règne
de Charles IX.
&> Allemandes, courantes et gigues, dansées en Allemagne
vers 1575.
*?* La Romanesca^ fameux air de danse italien de la fin du
XVI" siècle.
8® Airs de la mascarade des Enfanta fourrés de malice et
des Chambrières mal avisées^ composés par Chevalier
et exécutés dans les rues de Paris pendant la nuit de
Saint-Julien (1587).
TROISIEME CONCERT HISTORIQUE
DONNÉ PAR M. FETIS.
Le dimanche 24 mars 1888, à la salle Yentadour (1).
iw PARTIE.
1* Discours de M. Fétis sur le caractère général de la mu-
sique au dix'septième siècle,
p* Motet avec solos et chœur, par Lalande, surintendant
de la chapelle de Louis XIV.
8^ Air de la Didona, par Cavalli (Venise, 1689).
4fi Concerto de chambre pour une mandoline, un luth, une
viole d'amour, une basse de viole à sept cordes et un cla-
vecin, par Jean Strobach (1698) •
5*! Duo de Vabbé Steffani, pour voix de soprano et de con-
tralto (1690).
Q^ Air et double chœur de Toratorio de Jonas, par Caris-
5i2E2i(1611).
7» Chanson française à voix seule, par Guédron, composi-
teur de la cour de Louis XIII (1614).
{{) Ce concert avait d'abord été annoncé pour le 24 février 1833.
f /
VARIETES MUSICALES. fti
%"* Lied (chanson allemande) à trois voix, par Samuel
Scbeidt (1625).
9^ Air d'église, pour voix de ténor, avec accompagnement
de deux violes et de deux basses de viole» par StradelJa
(1667).
M. Fétis fera l'histoire de ce beau morceau (1).
2« PARTIE.
1<» Symphonie de Lally, exécutée aux Tuileries (en 1671) par
la bande des Petits violons de Louis XIV.
2^ Déclinaison du pronom latin hic, hwc, boc, plaisanterie
musicale à quatre voix, par Carissimi (1609).
Z^ Petit air de cour en duo, par Lambert (1656).
4o Madrigal à quatre voix de soprano et contralto, par Fabbé
F. Rossi (1683).
6^ Miserere à deux chœurs et à neuf parties, par 'AUegri
(1631).
M. Fétis fera l'histoire de ce morceau célèbre.
1^ Concerto grosso pour violon, avec accompagnement, par
Corelli,
S^ Scène de l'opéra dUrène^ par Kaiser (1697).
QUATRIÈME CONCERT HISTORIQUE
DONNÉ PAR M. FÉTIS
Le 2 avril 1833, dans l'ancienne salle de rOpéra-GomiquQ,
rue Ventadour (2).
!'• PARTIE.
i^ Discours sur F origine et les progrès de repéra, depuis
1581 jusqu'en 1833, par M. Fétis.
(1) Cet air d'église n*est pas de Siradella. C'est un morceau de
musique qui date tout au plus de la fin du dix-huitième siècle, à
moins qu'il ne soit du dix -neuvième, ce qui est plus probable; on
l'attribue généralement à Niedermeyer, ou bien à Rossini.
(2) Ce programme est en grande partie la reproduction du pre-
mier concert historique de M. Fétis.
4
6Î MUSieiANA.
2« Fragment du Ballet comique, représenté à Paris aux
noces du duc de Joyeuse, sous le règne de Henri III, en
1581.
3® Fragments de VEuridice, musique de Péri et de Caocini,
premier opéra italien (1590), et d*Orfeo, musique deMon-
teverde (1606), chantés par M"«* Doras, Massy, M"*« Bap-
tiste Qainey, MM. Bordogni, A, Dupont, Wartèl et Le-
vassenr, accompagnés par des violes, des basses de
viole, clavecin, orgue, guitares et harpes.
4® Air de la Didùna, par CavaJli (Venise, 1639), chanté par
W^^ Dorus.
2* PARTIE.
lo Air de Topera de Mitrane, pour contralto, par Fabbé
F. Rdssi (1683).
2<^ Monologue à'Armide, musique de LuHy, chanté par
Mlle Dorus, suivr d'un chœur du môme opéra (1686), avec
des solos chantés par M. WarteL
S^ kir de Laodicea e Bérénice^ avec accompagnement de
violon obligé, par Alex, Scarlatti (1703), chanté par
M. Rubini et accompagné par M. Baillât.
4® Duo bouffe de la Serva Padrona, musique de Pergolèse
(1734), chanté par M"** Damoreau et M.. Tamburini.
b^ Chœur de HaêndeL
_ - . . * . . .........
3e PARTIE.
1* Duo de la Fausse magie ^ musique de Grétry (1775), chanté
par MM. Nourrit et Levasseur,
2» Air de Zémire et Azor, musique dé Grétry, chanté par
M"*« Damoreau,
So Duo d'Iphigénie en Tauride, musique de Gluck (1777),
chanté par MM. Nourrit et Dabadie,
4® Air de Don Juan, musique de Mozart (1786), chanté par
M. Rubini.
VARIETES MUSICALES. :Ç.1
5? Trix) du Matprmonio segreto, musique de CUnarosa (1796),
chanté par M"« Julia Grisif M"* TadoUni et M"« Bap^
liste Quiney.
6® Air de Sémiràmis, musique .de Hossini, chanté par
M. TamburinL
7® Quatuor de VJralo, musique de Méhul (1802), chanté par
M"« Damoreau, M*^« Dorua, MM. Nourrit et Levasseur.
8«>'Duo de Mosé, musique de Hossini, chanté par MM. /?a-
bini et Tamburini.
On s*est demandé quelquefois pourquoi ces con-
certs historiques, qui ont eu un retentissement si
marquéj se sont arrêtés à la troisième séance. M. Fé-
tis nous l'explique lui-même, dans le numéro de
samedi 6 avril 1833, de sa Revue musicale. Il s'était
vu forcé de quitter la salle du Conservatoire; à cette
époque tout succès dans cette salle portant ombrage
à la Société des concerts.
« La salle Ventadour, dit M. Fétis, de dimen-
sion plus grande, s'est trouvée encombrée d'audi-
teurs, parmi lesquels il s'était glissé des per-
sonnes qui ne pouvaient comprendre le but que
se proposait le professeur, faute d'une éducation
musicale assez avancée; M""* Damoreau et M"' Do-
rus étaient indisposées le jour de ce concert et n'ont
pu y prendre part ; toutes ces causes ont occasionné
dans l'assemblée une agitation destructive de l'in-
térêt d'une telle séance. »
Voilà, d'après M. Fétis lui-même, pourquoi, dé-
couragé, il s'arrêta là.
Il s'écoula même vingt ans quand M. Fétis, alors
directeur du Conservatoire de Bruxelles, eutlayel-
64 MUSIGIANA.
léité, à l'un dé ses voyages à Paris, de faire un
nouvel essai. Nous joignons ce programme comme
complément à ceux qui précèdent :
CONCERT HISTORIQUE DONNE PAR M. FËTIS
Direeleur du Conservatoire royal de Bruxelles et maître de
chapelle du roi des Belges.
SALLE HERZy LE SAMEDI 14 AVRIL 183S.
!»• PARTIE (Musique rtiligieuse).
{** Cantique à la Vierge, des confréries italiennes, à la fin
du XV* siècle, en chœur et sans accompagnement.
2® Kyrie (en chœur) de la messe de Josquia Després^ in-
titulée la sol fa te mi^ laquelle fut chantée dans la cha-
pelle du roi de France Louis XII (1504).
3<* Ave Maria, à 6 voix, sans accompagnement, par Nicolas
Gombert^ maître de chapelle des empereurs Charles-Quint
et Ferdinand (1534).
4<^ Salve Mater^ hymne en choeur, sans accompagnement,
par Palestrina, maître de chapelle des papes (1577).
2« PARTIE {Musique de cbtunbré),
{^ Yillanelle napolitaine à 4 voix, par Balthasar Donati
(1555).
2® Frottolle vénitienne à 5 voix, par Gastoldi (1594).
3° Dialogue sentimental pour violon, viole, basse de viole
et violon, par Schûtz (1596), exécuté par MM. Alard et
Cbevillard,
A^ Madrigal romantique à 5 voix, par Roland de LassuSy
maître de chapelle du duc de Bavière (1579).
5^ Cbant espagnol (appel aux armes) pour 6 voix de fem-
mes, avec accompagnement de guitare, par Soto de Pue^
bla, compositeur de la cour de Philippe II.
VARIETES MUSICALES. 65
3« PARTIE {Musique de danse).
1*» Ronde française à 4 voix, par Jacques Aroadet (1517).
2^ BasseS'dances de la cour de France au temps de Cathe-
rine de Médicis (1553) exécutées par des violes.
do La Ronaanesca, fameux air de danse pour violon solo,
avec accompagnement de violes, basses de viole, viole
bâtarde et guitare (fin du xvi« siècle).
4« Branle de Poitou pour violes, hautbois et bassons.
b** Airs de danse de la Mascarade des enfants fourrés de
malice^ passe-pied et bourrée d'Auvergne, exécutés dans
les rues de Paris,. pendant la nuit de Saint-Julien (1587).
M. Fétis donnera des renseignements historiques sur cha-
que genre de musique.
Les exécutants de ce concert, auquel j'assistai,
furent M"* Deligne - Lauters^ M"' Borghèsey
M"' Blanchi, W^ Rey - Balla, M»« Bourgeois,
M"" Zolobodjan et MM. Archainbaudy Kœnig et
Noir.
■
D'après mes souvenirs, l'exécution de ce splen-
dîde programme laissa un peu à désirer, à part
les deux morceaux joués par M. Àlard, et le chant
espagnol Appel aux armes (à las arm^s), qui eut
un grand succès et qui fut redemandé.
M. Fétis eut le tort à* arranger beaucoup des an-
ciennes pièces qu'il fît entendre à ses concerts his-
toriques ; on peut consulter à ce sujet une intéres-
sante brochure de M. Farrenc: Les Concerts his-
toriques de M. Fétis à Paris. C'est la réunion de
plusieurs articles parus dans la France musicale.
A ces renseignements nous pourrions en ajouter.
4.
66 . MUSIGIANA.
beaucoup d'autres, un seul en tiendra lieu : on de^
vait donner quelques Concerts historiques à l'Ex-
position universelle de Paris; je faisais partie de
-la commission instituée dans ce but, et j*ai re-
ligieusement conservé un madrigal d*Orlando de
Lassas y envoyé par notre président M. Fétis : cette
pièce n'est autre chose qu'une imitation, composée
par M. Fétis lui-même, et l'imitation est de telle
nature, qu'elle ne pourrait tromper que des igno-
rants en archéologie musicale.
¥ ¥
QUELQUES ADI\ESSES DE COMPOSITEURS DE MUSIQUE
ET DE CHANTEURS EN 1822.
«
Adolphe Adam, élève de l'Ecole royale de musique, répé-
titeur de solfège, rue Sainte-Croix, n® 1.
D. F,'E, Auber^ compositeur-amateur, rue Saint-Lazare',
Baillot^ premier violon de TOpéra, rue Rochechouarl,
no 31.
Barbereàu, élève et répétiteur de contre-point et fugue, a
l'Ecole royale de musique, rue Sainte-Avoie, n® 16.
Berion (Henri-^fontan), boulevard des Invalides, n*» 17.
Bqieldièu^ professeur de composition à l'Ecole royale de
musique, rue du Helder, n® 23.
Amédée de Beauplaa, compositeur-amateur^ rue Saiot-
Lazare, n® 41.
Le chevalier Caraffa, compositeur dramatique, boulevard
- Montmartre, n® 1(L . .
Çhawpeiû^ compositeur dramatique, rue Sainte-Ânne,
. .no 14.
VARIETES MUSICALES. 67
Cberubiniy professeur de composition à TEcole royale de
musique, rue du Faubourg-Poissonnière, n** 19.
M^i* Cinti (depuis M">« Damoreau), rue Neuve-des-Petits-
Champs, n« 26. -
Gilbert Duprez, compositeur, rue Christine, n<» 8.
FétiSf professeur de piano, de contre-point et fugiie à VE-
cole royale dé musique, rue Cadet, n<* 9 bis.
Garât aîné, professeur de chant à l'Ecole royale de mu-
siqne, rue Montmartre, n<* 182.
Garcia, acteur du Théâtre-Italien, rue Richelieu, n® 93.
Gossec^ de PAcçidémie royale des Beaux- Arts, rue de Ma- ,
rivaux, n« 1. *.:.'.'.
Habeneck aîné, directeur de TOpéra, rue des Filles-Saint-
Thomas, n® 21.
Halévy, professeur de solfège à TEcole royale de musique,
élève de M. Cherubini, rue Sainte-Avoye, n« 33.
Héroldf compositeur dramatique, pianiste de TOpéra-l ta-
lion, rue Marivaux, n» 13.
Herz, professeur de piano, rue Joubert, n® 24,
Hodclpbe Kreutzer, professeur à TEcole royale de mu-
sique, rue de Provence, n® 45.
Lesaeur, compositeur, rue Sainte-Anne, n® 18.
Afoscbelès, compositeur de musique, rue Notre -Dame-des-
Victoires, h<* 7.
Nourrit, premier ténor de l'Opéra, rue Rameau, n® 6.
M. et M™« Orâla, amateurs, rue Saint-Germaindes-Prés.
F, Pâér,' compositeur. de la musique du roi, place des Vic-
toires, n® 10.
Pernej inspecteur général et bibliothécaire de FEcole
royale de musique, rue Bergère, n? 2.
/ Pleyelj compositeur, rue Grange-Batelière, n® 13.
Popebardy professeur . de chant à l'Ecole royale de mu-
sique, rue Montmartre, n* 179.
A<^ic/rà,. professeur à l'Ecole. royaje de musique, ruade la
Corderie, n^ 2.
68 MUSIGIANA.
Rouget de Lisle, compositeur, rue Notre-Dame-des-Vic-
toires, n^ 46«
Sarrette, fondateur et ancien directeur général du Conser-
vatoire, rue du Faubourg-Poissonnière, n^ 7.
ViotU, ex-directeur de l'Opéra, rue Neuve-des-Mathurins,
n«44.
ZimmermanD, professeur de piano et de conlre-point à l'E-
cole royale de musique, rue Saint-Louis-au-Marais, n®64.
BËMETZRIEDER. •
Ce professeur de piano, né en Alsace vers 1743,
a publié différents ouvrages théoriques qui, parait-
il, ont eu un succès de vogue dans leur temps. Nous
ne parlerons que des Leçons de clavecin et Prin-
cipes d'harmonie. Ce traité est écrit en dialogue;
les personnages sont le maître^ le disciple et le
philosophe. Ce dernier est Diderot, le protecteur de
Bemetzrieder, et le disciple est la fille de Diderot ;
ce dernier, d'après ce qu'il dit lui-même dans la
préface, a francisé un peu le style de Bemetzrieder.
III* LEÇON.
Enchaînement de modulations relatives par
quinte.
LE DISCIPLE.
Qui est-ce qui vient m'interrompre?... ah! c'est
une invitation d'aller passer quelques jours à la
# /
VARIETES MUSICALES. 6»
campagne... Dites que je ne saurais... J'aime mieux
rester... Trois jours!... Au bout de trois jours j'au-
rai tout désappris.
LE MAITRE.
N'y aurait-il pas un clavecin à cette campagne?
LE DISCIPLE.
Oui, mauvais, désaccordé; et je n'en perdrai pas
moins trois leçons... Dites que je ne saurais.
LE MAITRE.
Si, pendant ces trois jours, vous vous exerciez
au point d'exécuter un peu couramment ce que je
vous laisse, je serais content, et vous auriez raison
de l'être.
LE DISCIPLE, aa valet.
J'irai donc... Mais priez votre maître de ma part
de faire accorder le clavecin, entendez-vous?...
Non, non; ne lui dites rien Il vaut mieux que
j'écrive ; e*est le plus sûr... Il n'aurait qu'à oublier
ma commission ou la faire de travers, comme c'est
leur usage ; il y aurait de quoi me désespérer.
LE MAITRE.
Il fait beau, amusez-vous bien. Fatiguez, le plus
que vous pourrez, vos pieds et vos mains. Prome-
nez~vous beaucoup, et jouez d'autant.
\
70 MUSICIANÀ. '
LE DISCIPLE.
C'est mon projet. \
LE MAITR@.
: Après les fêtes.
LE DISCIPLE.
Après les fêtes.
; . IV LEÇON. :
LE MAITRE.
Eh bien ! comment vous trouvez -vous de votre
campagne?
LE DISCIPLE.
A merveille. Liberté, gaieté, bonnes gens, bon
vin, jolies femmes, et belles promenades.
LE MAITRE.
Et par conséquent nos gammes et nos modula-
tions relatives bien oubliées.
LE DISCIPLE.
Vous vous trompez.
LE MAITRE.
Tant pis pour vous. Nous sommes donc fort
habile ?
VARIÉTÉS MUSICALES. 71 :
LE DISCIPLE.
Les mains vont bien; mais la tête va mal.
LE MAITRE.
Qu'est-il arrivé à cette chère tête ? En effet vous
paraissez triste.
LE DISCIPLE.
C'est que je le suis ; mais laissons cela et parlons .
d'autre chose. J'exécute la première roulade pres-
que allegro de la main droite ; pour la gauche...
LE MAITRE.
Un peu andante.
. yp LEÇON.
(L'élère joue en la bémol et en mi bémol,)
L.'ÉLÉ\É.
Eh bien?
LE MAITRE
• • • - . . - _ -
Eh bien, je vois que vous allez, et que vous allez^.
vite sans vous fatiguer.
L ELEVE.
* N!en croyez rien; j'y ai mis du temps; mais.auçsi
je possède, votre première. suocessîQfî à l'exéçut^j
7« MUSIGIANA.
en causant d'autre chose... Essayons... Allons,
parlez...
LE MAITRE.
Mademoiselle, vous n'avez pas borné toutes vos
études à la musique?
l'élève.
Non assurément*. • Je fais des ourlets, du tri
Je connais le prix des choses... J'ordonne très-bien
un dîner, un souper... Je n*ai besoin de personne
pour me coiffer, pour veiller à mon linge, à mes
vêtements... Qu'en dites-vous, en vais-je moins
sûrement ?
LE MAITRE.
Non, continuez.
VIP LEÇON.
L ELEVE .
Et d'où sortez-vous, monsieur? Il y aura demain
huit jours que vous n'êtes apparu.
LE MAITRE.
Je me suis un peu fourvoyé ; et qu'est*ce qui ne
se fourvoyé pas un peu dans ce monde-ci ?
9
VARIETES MUSICALES. 73
l'Élève.
Vous ne vous êtes pas douté que votre absence
m'a fort souciée ?
LE MAITRE.
Je n'ai point eu cette vanité-là.
l'élève.
•
Si vous saviez les idées fâcheuses qui m'ont passé
par la tête. Je me disais : Mon maître est mécon-
tent. Je suis une petite cruche. Je n'avance pas ; il
m'aura quittée. L'extrême patience avec laquelle
vous enseignez achevait d'étayer mon soupçon.
J'sgoutais : Il lîe gronde pas comme les autres ; mais
quand cela ne va pas à sa fantaisie, il vous plante
là tout doucement.
LE MAITRE.
Vous vous êtes dit tout cela ?
VHP LEÇON.
{Le papa rentre et demande une sonate à sa ûUe ;
celle-ci lui prouve par A plus B qu'elle n'a pas
envie déjouer.)
LE PHILOSOPHE.
Mademoiselle, tout comme il vous plaira.
5
MUSICIANA.
l'Élève.
Mademoiselle!... Voilà comme on dit quand on
veut obtenir la chose, et vous ôter le mérite de la
complaisance.
LE PHILOSOPHE.
En as-tu vraiment assez?
l'élève.
Papa, en pouvez-vous douter?
le philosophe.
Allons» point de sonate, je n'en veux point ; met-
tons-nous à table, et soupons gaiement. Monsieur,
si vous vouliez en être ?
LE MAITRE.
Très- volontiers ; vous êtes si rare chez vous, qu'il
y faut rester, quand on a le bonheur de vous y
surprendre.
XP LEÇON.
LE MAITRE.
Vous serez en majeur de ré avec sdeux dîèzes...
Allez dans sa quinte et vous aurez trois dièzes.
l'élève.
Laissez-moi faire^, l'oiseau est parti. Je mêle
ensemble deux passages. D'abord je vais simple-
/ t
VARIETES MUSICALES. 75
ment par la sixte et quarte. Je m'engage dans le
passage de la double dissonance qui s'ouvre par la
petite sixte. J'ai donc pour basse mi^ fa dièze^sol
dièze^ la.
LE MAITRE»
Je vois qu'il est tems de vous révéler les mys--
tères. Sachez donc qu'il y a deux noruvelles harmo-
nies.
l'élève.
Quelles?
LE MAITRE.
L'harmonie d'emprunt et Tharmonie superflue !!!
XIP LEÇON.
LE PmLOSOPHE.
Où en sommes-nous ? sommes-nous un peu satis-
faite de nous-même?
l'élève.
Dans les choses de mœurs, point de suffrage que
je préfère au mien. C'est celui de mon cœur qu'il
me faut d*abord. En affaires de sciences et même
de goût, sans votie éloge j'aurais peu de confiance
en celui que je m'accorderais. Monsieur Bemetz...
76 MUSIGIANA.
LE MAITRE.
Je ne vous entends pas. Parlez net, de quoi
s'agit-il?
l'élève.
Mon papa, tout est fini, tout. Monsieur prétend
qu'il n'a plus rien à m'apprendra, mais rien.
LE LENDEMAIN DE LA XIP LEÇON.
LE PHILOSOPHE, soHant de son cabinet.
Que fais- tu là de si bonne heure?
L ELEVE.
Je repasse quelque chose que je veux savoir
supérieurement... Votre nuit a-t-elle été bonne?
LE PHILOSOPHE.
Bonne.
L ELEVE»
Point incommodé?
LE PHILOSOPHE.
Non; mais je crains qu'il n'en soit pas de même
de M. Bemetz, qui a voulu faire les honneurs de
ma table et de son pays... mais le voilà.
L EL£iV£i.
Arrivez donc.
P 9
VARIETËS MUSICALES. 77
LE PHILOSOPHE.
Bonjour, monsieur, comment va la tête ?
LE MAITRE.
Mal, très-mal. Me voilà brouillé avec le Cham-
pagne mousseux, et pour longtems.
LE PHILOSOPHE.
Pourquoi donc? vous avez le vin charmant.
LE MAITRE.
Mais le lendemain je suis très-maussade... Ce
sont ces trois rasades qu'on m'a versées après le
café qui m'ont perdu.
LE PHILOSOPHE.
N'en dites point de mal ; ce sont elles aussi qui
vous ont tiré de votre sérieux.
l'élève.
Oh ! pour cela, vous avez été bien fou !
LE MAITRE.
Tant pis.
LE PmLOSOPHE.
Tant mieux.
l'élève.
Vous avez dit à madame... des choses tout à
fait honnêtes et galantes, et que j'écoutais avec le
plus grand plaisir.
78 MUSIGIANA.
LE MAITRE.
Cela était si aisé et si naturel avec une femme
pleine d'esprit/de douceur, de grâces, de modestie
et de talents.
LE PHILOSOPHE.
Et croyez-vous qu'aujourd'hui elle vous laissât
baiser ses mains comme hier? Le vin a ses privi-
lèges.
l'élève.
Où allez-vous, mon papa?
LE PHILOSOPHE.
Ordonner du thé pour monsieur et pour moi .
UN DOMESTIQUE.
Le thé est...
LE PHILOSOPHE.
Plus de thé. J'espère, monsieur, que vous vou-
drez bien m'accorder un demi quart-d'heure de
votre tems, dans la matinée.
LE MAITRE.
Très-volontiers, monsieur.
l'élève.
Papa..
VARIETES MUSICALES. 79
LE PHILOSOPHE.
Que veux-tu ?
L ELEVE»
Que vous disiez à maman que vous êtes un peu
content de moi.
LB PHILOSOPHE.
Je t*aime à la folie. (Au maître.) Vous passez le
reste de la journée avec nous, sans doute? Le
tems est doux, nous sortirons après dîner. Un peu
d'air nous fera du bien à tous les trois.
Que mademoiselle Diderot a dû être forte sur le
clavecin ! Et en harmonie donc!...
J. RIEPEL.
Bemetzrieder, francisé par Diderot, n'a pas in-
venté l'application du burlesque dans un traité de
musique, voici un devancier qui le vaut pour le
moins : Principes élémentaires de composition mu-
sicalCy non pas, il est yrai, selon T ancienne manière
fantaisiste et mathématique des harmonistes cir^
culaires, mais entièrement rédigés avec des exem-
pies visibles ; de Rhythmopeïa, ou de F ordonnance
de la mesure, publié pour Futilité probable de
beaucoup de gens, par Joseph Riepel, musicien de
chambre de Son Altesse le prince de Thum et
Taxis ; Ratisbonne, 1754 (2' édition). La première
a paru en 1752.
80 MUSIGIÂNA.
M. Fétis fait un grand éloge de ce théoricien,
dont il n'a pas lu les œuvres, ne sachant pas la
langue allemande, mais il reproduit fidèlement
m
l'opinion de Forkel (Littérature générale de la mu-
sique). M. Fétis traduit inexactement le titre de
l'ouvrage de Riepel, en mettant : Eléments de la
composition musicale^ non absolument d'après F an-
cienne invention mathématique nu cercle des har-
monistes, etc. Il n'y avait alors pas le moindre
cercle des harmonistes, mais il y avait les harmo-
nistes circulaires^ le circolo di quinte e di quarte ^
autrement dit mouvement circulaire ou passage
daais tous les douze modes majeurs ou mineurs, au
moyen d'une modulation sur la quinte, ou en par-
courant les tons dans un ordre rétrograde en modu-
lant sur la quarte ; et c'est de quoi se moque Riepel.
Le circolo^ chez les Italiens, désignait le petit
cerclé ou TO qu'on voit dans Tancienne musique
après la clé.
Voici la traduction de l'entrée en matière de
l'ouvrage de Riepel :
CHAPITRE PREMIER,
DU RHYTHME.
LE DISCIPLE (1).
c Monsieur, le msdtre d'école de Monsberg vous
(1) L'auteur l'appelle tout le temps le premier dessus, c'est-à-
dire celui qui cliante la partie de soprano.
VARIÉTÉS MUSICALES. 81
fait ses compliments, et vous prie de m'enseigner
quelque chose dans la composition.
LE PRÉCEPTEUR.
Je me réjouis de la confiance que le maître d'é-
cole me témoigne.
LE DISCIPLE.
Il aime beaucoup monsieur, d*après ce que je
sais.
LE PRÉCEPTEUR.
Je lui suis obligé pour cela. Mais peut-être que
les cérémonies ne feraient que nous entraver, dès
ma naissance j'ai eu en horreur le titre de monsieur.
Si cela vous plaît, nous allons nous tutoyer Tun
l'autre.
LE DISCIPLE.
De tout mon cœur ; de cette façon je sais qu'on y va
sincèrement. Voici quelques feuilles de papier, que
le maître d'école m'a remises, afin que tu puisses
m'y transcrire les règles au complet.
LE PRÉCEPTEUR.
Renfermer en quelques feuilles de papier toutes
les règles de la composition est moins possible, eu
5.
82 MUSIGIANA.
égard a la mer inépuisable de la musique, que de
faire passer ici le Danube par un jet d'eau (1).
LE DISCIPLE.
Mais mon maître m*a dit de tâcher d'en finir le
plus vite possible avec toi ; qu'après cela il con-
tinuera lui-môme ma cure, pour faire de moi un
homme complet.
LE PRÉCEPTEUR.
Je le crois; je connais beaucoup de maîtres
d'école qui pourraient donner à deviner à bien des
maîtres de chapelle, et surtout à moi. Je pense que
ton maître n'est pas le dernier d'entre eux. Mais je
puis te dire ceci : en deux ou trois jours nous n'en
aurons pas fini avec nos écritures, surtout n'ayant
pas assez de temps à moi pour m'astreindre à une
brièveté claire et nette. Ainsi j'aime mieux écrire
un peu par-ci, un peu par-là quelque peu de ces
règles, puis étendre à mon aise ce quelque chose,
que rien du tout. Bref, en quinze jours tu appren-
dras de moi ce que je n'ai appris qu'en quinze ans
des autres, nota bene^ à la condition que tu com-
prennes bien. Maintenant dis-moi, as-tu de bonnes
idées et pensées dans la tète, pour les coucher sur
le papier?
(1) Ici Tauteur met en note : oc Verum guUa cavat lapîdem. Je
ne fais ces observations que comme passe-temps y parce que je
n^aime pas rester oisif quand je trouve à badiner. a>
9^1
VARIETES MUSICALES. 8»
LE DISCIPLE.
Oh ! oui, si seulement je pouvais y joindre la
basse.
LE PRÉCEPTEUR.
Tu apprendras cela de moi en un seul jour. Pour-
tant je voudrais savoir d'abord si tu as une connais*
sance suffisante de la division du chant. Car celui
qui veut bâtir des maisons doit d'abord en avoir les
matériaux.
LE DISCIPLE.
Eh bien! je vais composer tout de suite quelques
danses françaises ou menuets, coinme on les appelle,
pour montrer ma capacité.
LE PRÉCEPTEUR.
Ce n'est pas, il est vrai, un grand honneur que
de savoir composer des menuets; mais comme,
selon l'exécution, un menuet n'est pas autre chose
qu'un concerto, un air, une symphonie, ce que tu
verras très-clairement dans quelques jours, nous
allons d'abord commencer petitement et mesquine-
ment, rien que pour en tirer quelque chose de plus
grand et de plus digne d'éloges.
LE DISCIPLE.
Selon moi il n'y a au monde rien de plus facile
que de faire un menuet ; même je me ferais fort
d'en écrire couramment toute une douzaine ! »
84 MUSIGIANÂ.
Là*-dessus Félève écrit plusieurs menuets, et le
professeur les corrige*
Comme il y trouve beaucoup de fautes, il lui dit :
c Mais, de par le ciel ! tu distingues à peine une note
d'une autre. Dans tout ce menuet, si on peut rap-
peler ainsi, il y a à peine quelques mesures chan-
tantes ; le reste plaira à qui il voudra, quant à moi
je ne t*en donnerais pas seulement une bonne pipe
de tabac ! »
Et il y en a sur ce ton tout le contenu <l'ùn în-
folio.
¥ ¥.
€ Pourquoi répéter sans cesse que Thomme ne
peut atteindre à la perfection? Je connais, quant à
moi, trois choses parfaites : Le 4^ chant de Y Enéide,
la colonnade du Louvre et l'ouverture àHpbigénie.r»
(J.-J. Rousseau.)
¥ ¥
Le chant est l'œuvre du génie,
Lui seul pénètre au fond du cœur ;
La mélodie est un« fleur
Dont la racine est l'harmonie*
(M. Fayolle, Almanacb desmUses, 1833.)
CHAPITRE V
LES INSTRUMENTS DE MUSIQUE
On a souvent reproché à notre génération son
amour pour la musique bruyante, pour le cuivre
enfin ; mais tout bien examiné, nous restons de
plusieurs coudées au-dessous de nos aïeux, de nos
aïeux d'il y 'a quelques siècles. Voici, d'après
M. Bottée de Toulmon, ce que les anciens possé-
daient en variétés de trompettes seulement :
V Tuba. — C'est le nom générique et désignant
la trompette droite.
2* Lituus. — Trompette de cavalerie, en forme
de bâton augurai, un peu recourbé au bout.
3* Buccina^ — Trompette recourbée en cercle.
Comme instruments semblables il y avait en outre
les suivants :
4** Taurea,
5® Carnyx.
86 MUSICIANA.
6"* SalpJDX,
T Claro \
8"* Clarasius > Espèces de clairons.
9^ Clario )
10° Hadubba \
11** Licinia I Noms de trompettes cités par
là"" Siticines i Ducange.
13* Tubesta )
Voilà donc treize espèces de trompettes et il
en manque. Aujourd'hui on n'approcherait même
pas de ce chiffre, tout en y comprenant les trom-
pettes droites (avec un piston) introduites par l'il-
lustre maître Verdi dans sa marche d'Aïda.
En tambours, les anciens étaient aussi riches
qu'en trompettes ; en voici une liste d'à peu près :
TaborelluSj Tabornum^ Tympanum^ Tympanellum^
Tympaniolum et enfin Flagellum, La Symphonie
était également un grand tambour, mettons une
grosse caisse.
M. Bottée de Toulmon observe judicieusement
qu'il faut un peu se méfier des tnonuments, renou-
velés de l'antiquité à l'époque de la Restauration, et
dans lesquels les divinités anciennes sont repré-
sentées avec de^ habitudes modernes.
Les Hébreux avaient un grand nombre d'instru-
ments. Les enfants d'Asaph jouaient du NébéU qui
paraît avoir été le même instrument que le Phesan-
therin dont parle Daniel; les enfants d'Idilhun
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. 87
jouaient du Kinnor, et ceux d'Héman des Metsil-
thaïm.
Outre ces instruments, les Hébreux en avaient
neuf autres : YAsor ou le Gitbros de Daniel, les
Minnim, le Schophar, la Cbatsotserah, le Chalilj
VOugaby le Topb, les Tsitselim et les Scbaliscbim.
Pendant la captivité de Babylone, les Hébreux
empruntèrent des Ghaldéens la Soumpboneia, le
Sabeka et la Mascberoqitba (1).
Au moyen âge l'instrument qu'on appelait Vielle
n'avait aucun rapport avec celui qui porte aujour-
d'hui ce nom ; l'ancienne vielle était un instrument
génératement monté de cinq cordes et se jouant
avec un archet ; ce que nous appelons vielle portait
alors le nom de cbifonie^ syfonie ou sipboine.
L'ancienne vielle, qui paraît être l'origine de notre
violon, avait des sillets, et Agricola, dans son traité
de Musica instrumentalis {i5^9)^ conseille d'enlever
les sillets avec le couteau, et déjouer d'oreille.
Au XIV* siècle la harpe avait vingt-cinq cordes ;
Guillaume de Machault, dans son poème du Dict.
de la Harpe, chante les perfections de sa maîtresse :
elle en avait vingt-cinq, une par corde.
Le Liitb était monté de 11 à 24 cordes, il se jouait
à la façon de la guitare, le fond ou le dos de l'in-
strument était voûté comme celui de la mandoline.
Cet instrument a été très à la mode au xviii* siè-
cle ; nous parlerons plus loin des joueurs de luth.
|1) Traité sur la poésie et la musique des Hébreux^ par Con-
stant de la Molette, 1781.
88 MUSICIÂNA.
Le Tempérament était déjà connu au xvi* siècle :
dans son Toscanello^ Aaron enseigne la manière
d'accorder un clavecin diatonique, et Zarlino (Insti-
tuzioni barmoniché) donne là-dessus des détails
suffisamment étendus.
Il n'y a pas jusqu'au vulgaire Mirliton qui ne
puisse invoquer son antique origine. Guillaume
Machault (xiy" siècle) parle de la Flûte brébaigne
ou chalumeau eunuque ; or, c'est tout simplement
notre mirliton.
¥ ¥
c Gargantua s'esbaudissoit à chanter musicale-
ment à quatre et cinq parties, ou sus un thème à plai-
sir de gorge. Au regard des instruments de musique,
il apprint jouer du luth, de Tespinettè, de la harpe,
de la flûte d'alleman et à neuf trous, de la viole et
de la saqueboute. » (Rabelais.)
¥ ¥
Quelques auteurs prétendent que l'invention
du clavecin date d'environ 1505, et que. les pre-
miers ont été construits en Italie. M. Fétis, dans
la Musique mise à la portée de tout le monde,
constate que le clavecin existait déjà en 1530. Or,
sans remonter jusqu'à l'Ancien Testament avec le
Père Bonani, qui prétend trouver des traces du clar
vecin dans le psaume cl, il résulte d'une pièce
authentique, qu'on avait déjà en 1404 un clavecin à
Bruges, clavecin mis au Mont-de-Piété par Thô-
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. 89
pital Saint-Jean de cette ville. Voici l'extrait des
notes de M. Van de Gasteele, que le journal la
Plume a publié à ce sujet : « A Tannée 1404-1405
figure dans le compte de l'hôpital Saint-Jean une
somme de 8 Ib. payée au Mont-de-Piété, pour l'en-
gagement, pendant huit semaines, d'un clavecin de
grande dimension. » On lit plus loin : « En 1412-
1413, une somme de 7 Ib. et 4 escalins est payée
pour des leçons d'orgue et de chant données à Jean
Wauters ainsi qu'à Guillaume Spikinc. »
Nous aurons sans doute de nouveaux rensei-
gnements sur l'histoire du clavecin, à la suite de
l'exposition qui a eu lieu cette année (1876) à Flo-
rence^ à l'occasion des fêtes en l'honneur de Cris-
toforo, l'inventeur du clavecin.... pour les Italiens.
En. 1636, les instruments de musique dont on se
servait en France étaient les suivants, d'après Ma-
rin Mersenne :
Instruments à cordes :
Luth.
Tuorbe.
Pandore.
Mandore.
Guiterre.
Golachon.
Cestre.
Psaltérion.
Epinetta.
Clayecin.
Manichorde.
Epine tte organisée.
Harpe.
Trompette marine.
Violon.
Viole.
Lyre.
Vielle.
90 MUSIGIANA.
Instruments à vent :
Sifflet de chaudronnier.
Chalumeau.
Tornebut.
Flûte eunuque.
Flageolet.
Flûte douce.
Flûte d'allemand.
Fifre.
Cornet à bouquin.
Chalemie.
Cornemuse.
Musette.
Grand hautbois.
Basson ou Bombarde.
Fagot.
Gourtaut. /
Cervelat.
Serpent.
Saquebute.
Trompette.
Cor de chasse.
Les plus anciens instruments mentionnés dans
l'histoire sont la lyre, lacythare, la harpe. La lyre,
(fui n'avait d'abord que trois cordes, finit par en
avoir sept. Quant à la harpe, tant de peuples en
ont réclamé l'invention avec autant de droits les
uns que les autres, qu'on ne sait véritablement pas
auquel accorder la préférence ou la palme.
Les perfectionnements de la harpe sont relative-
ment modernes.' En 1660, on avait déjà dans le Tyrol
des harpes à crochets, mécanisme informe, il- est
vrai, car il fallait se servir des mains pour les faire
mouvoir. En 1720, un luthier de Donauwôrth (à
10 lieues d'Augsbourg), eut l'idée de faire mouvoir
avec les pieds ces crochets qui montaient la corde
d'un demi-ton; cet inventeur se nomme Hoch-
brucker.
En 1740, Stecht, musicien allemand, introduisit la
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. 91
harpe à pédales en France. Un second Hochbruc-
ker, neveu du premier, perfectionna le mécanisme
en 1770 ; puis Nadermann, luthier de Paris, amé-
liora à son tour le système des crochets. Enfin
Sébastien Erard y mit la dernière main, en créant
la harpe à double mouvement, qui, à peu de chose
près, est celle dont on se sert aujourd'hui.
M. Fétis, dans la Musique mise à la portée de
tout le monde^ où Ton trouve des renseignements
intéressants sur les instruments, dit que les archéo-
logues font monter les variétés de la Mte au nom-
bre de deux cents.
Les ménétriers se servaient déjà du hautbois a
la fin du xv!"" siècle, mais quel hautbois ! Huit trous
et pas de clés : dans cet état il est même probable*-
ment antérieur au xvi* siècle. On sait que le cor
anglais est la basse du hautbois ou plutôt son pro-
longement dans les notes graves.
Un instrument qui est encore de la famille des
hautbois, le basson^ fut inventé en 1539 par un
chanoine de Pavie nommé Afranio. La clarinette
n'apparaît qu'en 1690 et son invention est attribuée
à J.-C. Donner de Nuremberg. Il est bien entendu
que tous ces instruments, lors de leur invention,
étaient dans un état n'approchant guère de ce que
nous les voyons aujourd'hui ; la clarinette, par
exemple, n'avait alors qu'une clé.
Le cor de chasse, quoique inventé en France dès
1680. ne parut guère dans les orchestres avant 1756
ou 1757. Le cor d'harmonie, c'est-à-dire celui dont
92 MUSIGIANA.
on se sert actuellement, fut perfectionné par les
Allemands ; Hampl découvrit, à ce que dit M. Fétis,
les sons bouchés.
Uorffue de Barbarie fut mis en vogue par un
habile fabricant de Modène, Barberi^ dont il con-
serva le nom, un peu corrompu, car la Barbarie
n'a rien de commun avec cet instrument.
Il fut perfectionné en France par Marchai, orga-
niste à Nancy, par Bénard à Mirecourt, par Richard
à Paris, et enfin par le Père Engramelle, qui publia
en 1775 un ouvrage intitulé : La Tonoteobnie ou
Fart de noter les cylindres et tout ce qui est sus-
ceptible de notage dans les instrumens de concerts
mecbaniqueSy par le Père Engramelle^ Religieux
augustin de la Reine Marguerite. Or, comme il le
dit dans son avertissement, la Tonotecbnie ne se
borne pas seulement au notage des serinettes^ des
carillons, des orgues portatifs (1), des automates
et des autres petits instrumens usités jusqu'à ce
jour, mais elle embrasse tout ce que la musique peut
produire d'intéressant.
L'auteur parle d'un fabricant de carillons, nommé
StoUwerck, établi place Dauphine, à Paris, et dont
les carillons jouissaient alors d'une grande réputa-
tion.
Cet ouvrage est accompagné de planchés de mu-
(1) On ne les appelait donc pas orgues de Barbarie en 1775.
INSTRUMENTS DE MUSIQUE.
9S
sîque, ce qui nous permet de dire aux amateurs de
l'orgue de Barbarie quels étaient les airs favoris
sur cet instrument en 1775 : V La Marche du Roy.
— 2" Badine d'Alarius. — S*» Menuet de Zélindor.
— 4° Le Bûcheron. — ^ 5** La Fontaine de Jouvance.
— 6"" Le Menuet du Roy de Prusse. — 7* Les Por*
traits à la mode.
Voici le Menuet du Roy de Prusse :
éw L/i-r cjT
i«
94 MUSIGIANA.
LES JOUEURS DE VIELLE, DE LUTH, DE MUSETTE
ET LES MÉNÉTRIERS.
■
Ces virtuoses avaient soin de compter Jubal parmi
leurs ancêtres, et pour cela citaient la Genèse.
Vers l'an 1330 la confrérie de Saint- Julien des
ménétriers fut établie, et alors l'instrument à la
mode était la vielle (1). Le titre des confrères était
compagnons, jongleurs^ ménestreux ou ménétriers^
et au lieu de dire un vielleux, on disait un mènes-
trel.
Plus tard, le rébec (2) succéda à la vieille jus-
qu'à ce que le violon abolît à son tour le rébec.
Les plus anciens jongleurs-ménétriers compo-
saient une cohue nombreuse qu'on nommait la Mé-
nestrandie. Leur emploi était de faire des tours de
gibecière, de faire sauter des singes, et d'exercer
dans les cercles ou devant la populace les autres
fonctions de bateleur, au son des vielles dont ils
se faisaient accompagner. Ces occupations détermi-
nèrent l'ignorante et pieuse simplicité des confrères
à choisir saint Genest pour leur patron. Ils crurent
entrevoir une conformité avec ce saint, qui de ba-
teleur païen, se fit chrétien, et fut martyrisé à Rome
en plein théâtre, en présence de l'empereur Dio-
clétien (an 303).
Les jongleurs et appointeurs de vielle, ayant fait
(1) La vielle se jouait alors avec un archet, voyez page 87.
(2) Le rébec était une espèce de violon à trois cordes.
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. 95
divorce avec les singes après rérection de leur
confrérie, firent des règlements en 1397, sous le
titre de ménestrels. En 1407 ces règlements furent
renouvelés, et comme il y avait des dessus et des
basses de rébec, ils s'intitulèrent ménestrels^
joueurs d'instrumens tant hauts que bas. Us de-
mandèrent en cette qualité la confirmation de leurs
statuts au roi Charles VI, qui les approuva par
Lettres, portant :
€ Charles j par la grâce de Dieu, Roi de France^
sçavoir faisons à tous présens et à venir^ nous
avons reçu l'humble supplication du Roi des mé-
nestrels et des autres ménestrels^ Joueurs des in-
strumens tant hauts comme baSj contenant^ comme
dès Fan 1397, pour leur science de ménestrandisCj
faire et entretenir selon certaines ordonnances^
par eux autrefois faites, ' et que tous ménestrels,
tant Joueurs de hauts instruments comme bas, se-
ront tenus d'aller par-devant ledit Roi des ménes-
trels, pour faire serment d'accomplir toutes les
choses ci-après déclarées. (Suivent les ordonnances,
qui ne parlent que des noces et des ménestrels.)
« Donné à Paris, le 24 avril 1407 (1). »
La dynastie des Rois des ménèstriers n'est pas
exactement connue. On sait seulement qu'après la
mort de Constantin, fameux violon de son temps, la
(1) Recueil d'édits, arrêts du conseil du roi, lettres patentes,
en faveur des musiciens du royaume. Paris, Ballard, 1774.
96 MUSIGIÂNA.
couronne passa en 1657 à Dumanoir.V', ensuite à
Dumanoîr II, qui, par une abdication volontaire et
généreuse, occasionna une anarchie en 1685.
Louis XIV vit indifféremment l'extinction de cette
royauté, et il déclara même qu'il ne jugeait pas à
propos de la ressusciter.
Nous trouvons à cette époque une chanson à ce
sujet dans la Suite de la muse guerrière ^ ou nou-
veau recueil de chansons^ sur les afaires du tems,
comme aussi des airs d'opéra et autres^ à Cré-
mone, chez Pasquin le Savoyard ^ à la rue des Pri-
sonniers^ 1708 :
Messieurs les maîtres violons
Jouez maintenant des chansons
A l'honneur de ce roy de France,
Car, puisqu'il a su de votre art
Augmenter encor sa Finance,
Qu'il en ait part, qu'il en ait part,
Qu'il en ait part, qu'il en ait part.
Gomme messieurs les savetiers.
Et comme les maîtres Fripiers,
Votre corps s'érige en Maîtrise,
Vous pourrés jouer hardiment
Toujours sottise sur sottise
Gaillardement, gaillardement {bia).
Vous ne devez plus craindre rien,
En ayant un Roy très chrétien
Pour protecteur de la canaille;
Joués ainsi qu'il vous plaira
A Paris ou bien à Versaille
Les opéras, les opéras (bis).
Ma Foy, si vous n'oubliés pas
De lui présenter vos ducats.
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. 97
Un joar, il tous fera tous nobles ;
Car la noblesse d'aujourd'hui
Auprès de luy sans Rosenobles
N'a plus d'appuy, n'a plus d'appuy {bis),
La Noblesse et les Parlemens
Savent bien depuis quelque temps
Qu'aucun d'entre eux n'ose rien dire;
Ce sont des ours emmuzelés.
Que Louis fait très bien conduire
Tous par le nez, tous par le nez (bis).
Mais joués surtout un beau ton
A l'honneur de la Maintenon,
Quand Louis n'en devroit point rire,
Car la sultane d'aujourd'hui
N'a pas sur le Turc tant d'empire
Qu'elle a sur luy, qu'elle a sur luy {bis).
Nous quittons les ménétriers et leur roi, sur les-
quels on trouvera d'amples détails dans l'ouvrage
cité : Recueil dédits^ etc., et nous revenons aux
joueurs de luth.
Piganiol de la Force, dans sa Description de Pa^
ris, en parlant de Saint-Germain-l'Auxerrois et des
personnes illustres qui y sont enterrées, cite Jacob^
connu sous le nom de Polonais^ parce qu'il était né
en Pologne. Il vint fort jeune en France et y fut re-
gardé comme le plus excellent joueur de luth de
son siècle. Ballard imprima quantité de pièces de
sa composition, et parmi ces pièces ses gaillardes
sont celles que les musiciens estimaient le plus. Il
mourut l'an 1605, âgé de soixante ans.
René François, déjà cité au commencement de ce
livre, n'a garde d'oublier le luth dans son Essai des
6
98 MUSIGIANÂ .
merveilles de nature : « On fait dire au tuth tout ce
qu'on veut, et fait-on des auditeurs tout ce qu'on
veut. Quand un brave joueur en prend un, et pour
taster les cordes et les accords, se met sur un bout
de table à rechercher une fantaisie : il n'a si tost
donné trois pinçades et entamé l'air d'un fredon qu'il
attire les yeux et les oreilles de tout le monde ; s'il
veut faire mourir les chordes sous ses doigts, il
transporte tous ces gens, et les charme d'une gaye
melancholie, si que Tun laissant tomber son men-
ton sur sa poictrine, l'autre sur sa main, qui lasche-
ment s'étend tout de son long comme tiré par Tau-
reille ; l'autre a les yeux tous ouverts, ou a bouche
ouverte, comme s'il avait cloué son esprit sur les
chordes ; vous diriez que tous sont privez de senti-
ment» horsmis Touye, comme si Tame ayant aban-
donné tous les sens, se fut retirée au bord des au-
reilles, pour jouyr plus à son aise de sa puissante
harmonie : mais si, changeant son jeu, il ressuscite
ses chordes, aussi tost il remet en vie tous les assis-
tans, et leur remettant le cœur au ventre, et l'âme
es sentimens, à qui elle avoit esté volée, ramène
tout le monde avec estonnement, et faict ce qu'il
veut des hommes. »
M. Michon est l'auteur d'un livre de musique
pour vielle ou musette qui se trouve à la biblio-
thèque du Conservatoire. Gela s appelle : Amuse-
mens de chambre avec basse continue^ dédié à
M. Lerebours, conseiller au Parlement.
En tâte du premier morceau se trouve rauto*
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. 99
graphe, je devrais dire l'orthographe que voici :
Lon lïora labonter de jouer tous sais air sur la
premier lignne atandus que le graveur sais
tromper.
M. Fétis a oublié ce professeur de vielle et de
musette dans sa Biographie des musiciens.
Il paraît, au reste, que les joueurs de vielle et de
ôiusetle n'étaient pas généralement des aigles pour
le style et l'orthographe. A la même bibliothèque du
Gonservatoire,on trouve de nombreuses compositions
de Chédeville le Cadet, entre autres la Fôte de
Cléopâtre pour deux musettes. Dans cette Fête de
Cléopâtrej ou Double de Baccbus^ on lit: Uon ob-
servera que les deux chalumeaux sois biens dacord
ensemble pour que les deux partye touche plus
agréablement Voreille.
Le Mercure de France^ juin 1739, cite des
fragments d'une lettre de l'abbé Carbasus, lettre
que quelques auteurs ont faussement attribuée à
Gouget.
Carbasus est évidemment un nom supposé. Quoi
qu'il en soit, il y a dans la lettre de cet abbé : « La
musette et la vielle n'ont pour principal objet qu'un
dessus; tout le bruit qui les accompagne est un cha-
rivari continuel, auquel on peut ajouter le croasse-
ment des grenouilles pour accompagnement; et
pour contre-basse le murmure ou ronflement que
fait la roue d'un coutelier. •
€ Si l'on dépouille la vielle de ses bourdons, on
entendra un dessus maigre et déplaisant, quand il
100 MUSIGIANA.
sera privé de la confusion cpii cachait ses défauts,
et la méprise serait grave de comparer ce dessus à
la beauté de celui d'un violon, tout autrement arti-
culé avec l'archet. On doit donc conclure que la
vielle en tout ou en partie est très inférieure,
et qu'elle ne peut convenir qu'à des villageois tota-
lement ignares de bonne musique.
« Que peut-on penser du goût de plusieurs sym-
phonistes qui, loin de refuser de concerter avec ces
instruments, se confondent volontiers avec le corne-
ment perpétuel de leurs insupportables bourdons?
Ignorent-ils que le sérieux est l'antipode de ces in-
struments burlesques?
c Ce n'est point le goût, encore moins la raison,
mais la mode qui a arraché ces instruments de la
main des aveugles et des pâtres, chez lesquels nos
ancêtres les avaient relégués. Leur facilité les a
rendus communs, sans leur donner plus de mérite.
€ Il faut même devenir pantomime pour leur atti-
rer quelque succès, et sans les grimaces de ceux
qui en jouent, ilsvue seraient pas supportables aux
oreilles musiciennes, après qu'on les a écoutés pen-
dant plus d'un quart d'heure.
LA MARQUISE.
c J'ai joué autrefois de la guitare... et j'en ai là
une très ornée qui m'a coûté bien de l'argent...
LE ilAÎTRE.
c Comme il est nécessaire d'avoir deux vielles,
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. 101
et que la guitare n'est plus à la mode, je vous en
ferai faire une vielle organisée.
LA MARQUISE.
« Quoi ! sacrifier cet instrument pour...
LE MAITRE.
c Eh ! madame, votre scrupule m'étonne ; vous
n'êtes donc pas informée que c'est le seul usage
que Ton fait aujourd'hui des théorbes, des luths et
des guitares ? Ces instruments gothiques et mépri-
sables sont en dernier ressort métamorphosés en
vielles : c'est là leur tombeau. »
Traité delà Viole ^ par Jean Rousseau, maître de
musique et de viole, demeurant rue des Bouché^
rieSj proche le petit marché^ devant la barrière^
au Soleil-d'Or^ chez un bonnetier, faubourg Sainte
Germain. (Paris, Ch. Ballard, 1687.)
Ce traité est précédé d'une dissertation curieuse
sur l'origne de la viole, où l'auteur n'hésite pas à
dire que si Adam avait voulu faire un instrument,
il aurait fait une viole, et s'il û'en a pas fait, c'est
que le paradis terrestre était un lieu si ôharmant et
si rempli de délices, que toutes les inventions des
sciences et des arts en auraient plutôt diminué les
charmes que de les augmenter ; ainsi, il ne faut pas
demander pourquoi Adam n'y a point fait d'instru-
ment. En second lieu, après avoir été chassé du
6.
i02 MUSICIANA.
paradis terrestre, il en pouvait faire, à la vérité,
mais pouvait-il le vouloir dans la douleur qu'il
conçut du malheur o.ù son péché l'avait réduit ?
N'osant, d'après cela, mettre l'invention de la
viole sur le compte du premier homme, l'auteur la
met sur celui de ses enfants, et il est convaincu que
l'instrument appelé Cithara dans l'Ecriture Sainte
était, sinon une viole parfaite, du moins quelque
chose d'approchant, que la suite des siècles a per-
fectionné, mais, (jui à coup sûr, a été en usage
longtemps avant le déluge...'., c Et, quoiqu'il
semble que le déluge universel en ait dû ensevelir
la mémoire dans ses eaux, il suffit que quatre
hommes, leurs femmes et leurs enfants en aient été
préservés, pour que le souvenir des instruments en
usage avant ce désastre ne permît pas qu'ils fus-
sent longtemps sans en faire et en jouer. »
Plus loin, Rousseau invoque le témoignage de
Folengius, qui dit positivement que « l'instrument
que l'on nommait nablum ou psalterium parmi les
Hébreux était ce que nous appelons présentement
viole, et qu'il était estimé le plus noble de tous les
instruments, parce que quand les soixante et dix
symphonistes qui jouaient de la trompette, des
tymbales, de la lyre et autres instruments étaient
rassemblés pour faire leur concert, le roy seul
jouait de celui-ci. »
L'auteur tient si âprement à l'antiquité de la viole,
qu'il la reconnaît non-seulement dans la cithare et
le psaltérion, comme noiis venons de le dire, mais
INSTRUMENTS DE MUSIQUE/ 108
dans le m^chul^ dans le minnim de Torchestre du
roi David, y compris le baghniugab; puis encore
c'est l'instrument appelé sambuca ; bref, s'il Tavait
osé, il aurait sans doute représenté Dieu jouant de
la viole, tandis qu'il créait le monde.
Parmi les célèbres joueurs de viole, il faut citer
Maugars (1), Hottmann, le Père André, Sainte-
Colombe, Marais, etc.
Parmi les instruments nouvellement inventés
en 1780, nous ne pouvons omettre la viole dOr^
phé0. Le monde musical f\it initié à cette nouveauté
de la façon suivante : Méthodes pour apprendre à
jouer de la contre-basse àS^àietàb cordes^ de
la quinte ou alto et de la viole d'orphée, nouvel
instrument ajusté sur Fancienne viole^ utile au
concert pour accompagner la voix et pour jouer
des sonates, etc., par M. Corrette (2).
A dire vrai, ce n'était qu'une demi-invention,
comme celle de faire des guêtres avec des pantalons
sur le retour. Voici l'auteur qui parle : « L'ancienne
Basse de viole, après avoir brillé à la cour et à la
ville, à la fin du xvii* siècle et au commencement
de celui-ci, se vit préférer le violoncelle. Malgré la
défense qu'en prit M . Tabbé Le Blanc, docteur en
droit, dans son livre intitulé : Défense de la basse
de viole contre les entreprises du violon et les pré-
(1) Voîp le livre d'Ernest Thoinan : Maugars^ célèbre Joueur de
v/o/e.Paris, Glaudin, 1866, in-i2.
(2) M. Fétis no cite pas cette Méthode dans sa nouvelle édition
de la Biographie des musiciens. Voyez Gorrclle.
104 MUSIGIANA.
tentions du violoncelle^ elle périt d'orgueil à ses
yeux, et fut trop heureuse de se retirer dans un
petit sentier des Champs-Elysées (1), où elle a fait
sa cinquantaine dans un silence perpétuel, et sans
être regrettée d*aucun amateur.
< L'essai que je fais aujourd'hui de la retirer de
son exil dans la manière d'en jouer expliquée au
chapitre dixième, me fait croire qu'elle durera pré*
sentement aussi longtemps que le jeu de l'Oie re-
nouvelé des Grecs.
< Je la présente au public sona le nom de viole
d'Orphée^ parce que je suppose qu'Orphée, pour
charmer la cour infernale quand il fut pour retirer
des enfers sa chère Euridice, choisit l'instru-
ment le plus mélodieux, le plus touchant et le plus
analogue à la voix^ telle qu'est en effet notre viole
d'Orphée, sur laquelle oii pourra jouer non-seule-
ment la basse continue, mais encore des sonates,
sans avoir l'embarras de démancher à tout moment,
car ce n'est que la différence des sons aigus qui
peut faire plaisir à l'oreille et non la difficulté de
les exécuter.
€ Les dames, en jouant de notre viole d'Orphée^
n'en paraîtront que plus aimables, l'attitude en
(1) C'est sans doute là qu'habitait Tabbé Leblanc. M. Fétisneus
raconte que cet auteur bizarre et enthousiaste, ne trouvant pas
d'imprimeurs à Paris pour sa Défense de la viole , l'envoya à
Amsterdam. Lorsqu'il apprit que Pierre Mortier consentait à l'im-
primer, il en fut si transporté de joie, qu'il partit pour la Hollande
en rétat oîi il se trouvait quand la nouvelle lui parvint^ c'est-à-
dire en robe de chambre, en pantoufles et en bQnnet de nuit.
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. 105
étant aussi avantageuse que celle du clavecin. Si
les dames n'ont point adopté le violoncelle, c'est la
difficulté de démancher pour exécuter les clés d'ut
et la dureté des cordes qui en sont cause ; aussi les
instruments agréables comme clavecins, orgues,
harpes^ guitarres, mandolines, quintons, cistres et
la viole d'Orphée» sont plus analogues à la douceur
de leur caractère (vil flatteur !) que les hautbois,
bassons, trompettes, cors de chasse et timballes. »
Voici le passage le plus curieux de cette préface :
< Je crois qu'il est inutile d'avertir ceux qui portent
des lunettes et qui jouent à côté du clavecin, d'en
avoir de longue vue. Je me souviens d'avoir été dans
un concert d'une petite ville d'Angleterre, où je vis
un trio de lunettes au clavecin, dont chacun des con-
certants se disputait la préséance du pupitre avec
la tète : de sorte qu'après que les têtes se furent
heurtées l'une contre l'autre, le chanteur, qui était
un castrat nouvellement arrivé d'Italie, ne se trou-
vant pas à son aise pour voir, quoique avec trois
paires de lunettes sur le nez, s'avisa de se mettre à
califourchon sur la bosse du claveciniste ; mais cet
avantage ne lui dura guères, parce que celui qui
jouait de l'archiluth, à côté de ce groupe grotesque,
avait (malheureusement pour lui) une jambe de
bois : comme il jouait debout et (malgré le télescope
qu'il portait sur son nez de betterave) ne voyant
pas mieux que les deux autres, à force de battre la
mesure» tantôt sur le dos du castrat et tantôt sur
celui du bossUy leur faisant signe de tourner le
106 MUSIGIANA.
feuillet au Da Capo à la manière hébraïque (en ré-
trogradant), sa jambe de bois vint à glisser, ce qui
leur fit faire à tous la chute de Phaéton. Un ama-
teur de la nouveauté, qui était là spectateur, se mit
à crier : BravOj bravo ! »
LE VIOLON.
En parlant du violoniste Woldemar, M. Fétis dit
que le manuscrit des Commandements du violon
s'est égaré. Il en cite pourtant une douzaine de
vers, de mémoire, mais ce n'est pas bien exact.
Quoi qu'il en soit, et comme cette facétie a été im-
primée, ce que paraît ignorer M. Fétis, nous allons
la transcrire en entier :
COMMANDEMENTS DU VIOLON
Par Woldemar.
Premier Décalogue^
1. Le son jamais ne hausseras,
Ni baisseras aucunement.
2. Mesure tu n'altéreras.
Mais frapperas également.
3. L'archet toujours tu maintiendras
Permanent et solidement.
4. Symphonie tu sabreras
Hardiment, vigoureusement.
5. Doucement accompagneras,
La femme principalement. •
8. Le grand Allegro joueras
Fièrement, mais modérément.
7. Romance tu soupireras
Tendrement, amoureusement.
INSTRUMENTS Dli MUSIQUE. 1.07
8. Dans TAdagio (lieras
Le son purement, largement,
9. Pour le Largo, tu gémiras
Tristement, mais sensiblement.
10. Le Rondo tu caresseras
Vivement et légèrement.
Second Décalogue.
. 1. En Concertos tu choisiras
Viotti préférablement.
2. Le faible tu n'écraseras.
Afin d'agir honnêtement.
3. Dans le Duo ne chercheras
A briller exclusivement,
4. La Sonate tu chanteras
Sagement et correctement.
5. Dans le Trio ne broderas,
L'auteur suivras exactement.
6. A l'orchestre tu ne feras
Que la note tout uniment. •
7. Sur toutes clefs transposeras.
Pour accompagner sûrement.
8. En Quatuor ne forceras
Que pour la chambre seulement.
9. Au chef d'orchestre obéiras
Docilement, aveuglément.
10. En public tu ne trembleras,
Ni devant les Rois mêmement.
LA GUIMBARDE,
L'histoire des instruments de musique a été l'ob-
jet des recherches de beaucoup de savants. Les pre-
miers documents dont on se soit servi sont la Genèse,
puis quelques peintures d'anciens vases égyptiens
et étrusques. Ces documents incomplets expliquent
les nombreuses et diverses interprétations aux-
108 MUSIGIANA.
quelles ces sources premières ont donné lieu. N'a-
ton pas été jusqu'à vouloir démontrer que la guim-
barde est Tun des plus anciens instruments de
musique, et n'est autre chose que la Ijre dont l'in-
vention est attribuée à Tubalcain par l'Écriture
Sainte ? Le livret qui renferme ces choses a pour
titre : Essai sur r antiquité et le mérite de Vinstru-
ment nommé communément bombarde (1), petite
lyre ou trompe d'Allemagne, par M. D**\ des aca-
démies de, etc., etc. Nancy, F* Leclerc^ 1779.
(24 pages in-12.)
L'auteur, s'appuyant sur le métier même de Tu-
balcain, dit que cet ouvrier forgeron a dû inventer
un instrument qui se rapportât à son métier, un ins-
trument en métal enfin, et non une lyre en bois avec
des cordes de boyaux, ce qui exigeait nécessaire-
ment des connaissances beaucoup plus étendues que
celles nécessaires pour la fabrication d'une guim*
barde.
Le facétieux auteur de cette dissertation dit qu'il
est probable que c'est sur la petite lyre (guim-
barde) qu'a été chanté le cantique de Moïse, lors-
qu'il eut fait passer la mer Rouge à son peuple. Il
n'est pas naturel d'imaginer qu'une nation qui
fuyait avec précipitation, dont le départ s'opéra
dans une seule nuit, qui était surchargée d'une
multitude de choses nécessaires à la vie, se soit
amusée à emporter des inutilités ; au lieu qu'il est
/
(1) La guimbarde s'appelait alors bombarde.
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. iOI»
possible de croire qu'ils emportèrent dans leurs
poches des bombardes, dont le poids et le volume ne
devaient pas beaucoup les incommoder. Nous de-
vons encore avoir à peu près la même idée relative-
ment à l'instrument dont se servait le Roi-Prophète
lorsqu'il chantait et dansait devant l'Arche. Les in-
terprètes l'ont nommé harpe ; les peintres le pei-
gnent avec cet instrument, mais il est plus plausible
que c'était la bombarde. Le dessinateur du bon ton
l'aura par la suite convertie en lyre, et cette der-
nière forme se sera encore altérée sous le pinceau
des peintres, qui auront voulu exercer leur
talent dans la variété ; elle sera devenue harpe.
Quelle apparence, en effet, que ce roi, déjà vieux,
ait pu sauter et danser devant l'Arche pendant un
espace de temps assez considérable, s'il eût porté
une harpe suspendue à son cou! car, si légère
qu'elle eût pu être, à la longue elle serait devenue
très-pesante, sans y ajouter l'embarras que devait
procurer son volume et qui aurait nécessairement
beaucoup gêné la cadence du pas.
« Est-il instrument moins volumineux*, plus por-
tatif que la guimbarde ? A peine s'apercevrait-on du
poids d'une douzaine. A la ville, à la campagne,
dans les combats même, on peut en porter une.
Achille s'en servait à la guerre de Troie, et les
soldats romains en portaient toujours. »
C'est ce qu'on appelle chérir, non pas l'histoire ou
la vérité, mais la guimbarde/ -
110 MUSIGIANA.
CÉRÉMONIAL DES JOUEURS DE TROMPETTES
ET DE TIMBALES.
Imprimé à Dresde (Saxe) sans date.
Ce livret rare, écrit en allemand, a pour titre :
Çeremoniel und Privilégia derer Trompeter und
Paucker.
{Observations utiles sur l'art libéral et privilégié
des joueurs de trompette.)
1 . Qu'y a-t-il à connaître sur Tinvention de cet art ?
— Qu'il est très-célèbre« vu son antiquité.
2. Comment peut-on prouver son antiquité?
— Tant par l'Écriture Sainte que par le témoi-
gnage de beaucoup de divins écrivains.
3. Comment prouve-t-on l'antiquité de cet art
par l'Écriture Sainte?
— Moïse, d'après Tordre du Tout-Puissant, fit
fabriquer par Bezaleel deux trompettes en argent,
comme on voit au x® chapitre du IV* livre de Moïse.
A. l'aide de ces trompettes on rassemblait autour du
tabernacle. le peuple d'Israël, et elles remplissaient
alors le même office que les cloches d'aujourd'hui.
4. Trouve-t-on d'autres preuves dans l'Écriture
Sainte?
— A la consécration du temple fastueux con-
struit par Salomon, cent vingt lévites se tinrent
près de l'autel en jouant de la trompette.
5. Qu'observe-t-on encore dans TÉcriture Sainte?
— Que les murs de la ville de Jéricho s'écrou-
lèrent miraculeusement au son des trompettes jouées
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. 111
par les lévites, après avoir fait sept fois le tour des
remparts de cette ville.
6. Y a-t-il encore d'autres citations dans l'Écri-
ture Sainte?
*
— On y apprend que non-seulement saint Jean
dans l'Apocalypse entendit sept anges jouer de la
trompette, mais aussi que le jugement dernier sera
annoncé à tous les peuples morts et vivants au son
des trompettes, jouées par la troupe des anges.
7. Est-ce qu'on parle aussi des timbaliers dans
l'Écriture Sainte?
— Oui, car nous trouvons dans le xv* chapitre
du IP livre de Moïse cette nouvelle positive, que la
prophétesse Miriam, sœur d'Aaron, après le pas-
sage de la mer Rouge, entonna avec toutes les
femmes en Thonneur du Très-Haut un chant sur
les timbales.
8. Dans quel endroit fait-on encore mention des
timbales?
— Dansle xi* chapitre des Juges on dit qu'après
une grande victoire remportée par Jephta sur les
enfants d'Ammon, sa fille vint à sa rencontre avec
des timbales. De même le roi David engage le
peuple juif à célébrer la fête des Tabernacles, dans
le Lxxxi* psaume : « Faites venir les timbales, que
la trompette résonne à l'arrivée de la nouvelle
lune (1). »
9 • Qu'y a-t-il à retenir parmi les écrivains profanes ?
— Qu'au commencement la trompette n'était pas
(1) Il n'y a rien de semblable dans le psaume lxxxi
112 MUSICIANA.
connue des Grecs, c'est pourquoi ils se servaient
du coquillage en forme de spirale, appelé Bucci-
naSi consacré aux dieux marins chez les poètes.
Higinus nous apprend aussi que TyrrbenuSy fils
d'Hercule, fut le premier qui sonna de ces conques*
marines, afin de rassembler de nouveau le peuple
des campagnes qui s'était enfui.
10. Qu'y a-t-il de plus à observer sur l'invention
des trompettes?
— Qu'un poète difforme et boiteux nommé Dir-
caeus ou Tyrtaeus apprit aux Lacédémoniens l'art de
faire les trompettes dont ils se servirent dans leurs
combats contre lès Messéniens, et qu'ils rempor-
tèrent la victoire.
11. A part cela à qui attribue- t-on l'invention
des trompettes ?
— Pline et Virgile disent que cet instrument a
été révélé et enseigné aux Tyrrhénéens par Piseus^
aux Lacédémoniens par Dircseus, et enfin aux Dor
riens par HelegiuSy fils de Tyrrhenus. En même
temps Pausanias nous apprend qnOsiris fit con-
naître cette invention aux Egyptiens.
12. Trouve-t-on un artiste célèbre parmi les an-
ciens?
— Le père du célèbre Isocrate^ qui vivait 420 ans
avant Jésus-Christ, était un fabricant de trompettes,
et acquit avec cet art beaucoup de richesses; il
avait de nombreux ouvriers.
13. Pourquoi l'art de la fabrication des trompettes
n'ést-il pas répandu chez nous ?
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. 113
— Pendant longtemps on a laissé, sans aucune
loi ni règlement, un chacun faire des trompettes,
quoiqu'on ne puisse pas dire que parmi les paysans
et les niais il n'y ait pas moyen de rencontrer d'ha-
biles artisans.
14. Où et quand cet art a-t-il eu des lois?
— L'an 1635 les fabricants de trompettes de
Nuremberg ont obtenu de bons règlements et de
bonnes lois, donnés par de nobles et sages conseil-
lers, et mis leur art sur un bon pied.
15. Quelles espèces de trompettes fabrique-t-on?
— Différentes espèces, entre autres : 1° des trom-
pettes allemandes et ordinaires ; -^ 2® des trom-
pettes françaises^ qui sont un ton plus haut que les
premières ; — 3* des trompettes anglaises qui sont
d'une tierce entière plus hautes que les allemandes ;
— 4« des trompettes italiennes et formant des cir-
convolutions ; il faut cgouter aussi les marteaux
d'armes, les cannes à trompette, de même que les
cors de chasse.
16. En quoi les trompettes rendent-elles service?
— Aussi bien pour les événements joyeux que
tristes : aux temps de guerre et aux temps de paix .
17. Expliquez- vous davantage.
— Les fêtes du Seigneur, au dedans et au dehors
de la communauté, sont annoncées par des trom-
pettes, ainsi que Dieu l'ordonne dans l'Ancien Tes-
tament : « Si vous êtes joyeux à vos fêtes et à vos
nouvelles lunes, faites entendre le son des trom-
114 MUSIGIANA*
pettes. » (IV* livre de Moïse, x* chapitre.) Les trom-
pettes se font aussi entendre joyeusement aux en-
trées solennelles, aux tournois et autres divertisse-
ments des grands seigneurs. On sait que le son des
trompettes n'anime pas seulement les soldats, mais
qu'il leur rappelle ce qu'ils ont à faire. Dans quel-
ques 'grandes villes il est d'usage qu'une trompette
annonce les exécutions capitales, ainsi que M. Dœ-
pler nous l'apprend dans son Théâtre des peines,
corporelles et capitales. Même on se sert de lai
trompette à l'enterrement de grands seigneurs et
officiers et à celui de vaillants soldats à cheval.
18. Ne peut-on pas citer, d'après l'histoire an-
cienne, des exemples d'après lesquels on voit qu'on
tenait les joueurs de trompette en grand honneur ?
— On voit dans Cicéron que de tout temps les
joueurs de trompette ont été exempts de tout ser-
vice, quand cet auteur fait l'éloge de Sextus Nœrîus
pour sa belle voix. De même Hérodote parle avan-
tageusement de TalthyMus, joueur' de trompette
d'Agamemnon ; AcAias un joueur de trompette grec,
dpuronné trois fois aux jeux Olympiens pour sa
façon de jouer, eut une statue érigée en son hon-
neur. La fille d'Aglaidi Megaclès jouait si supé*
sieurement de la trompette, que tout le monde s'en
extasiait. Les poètes donnent beaucoup d'éloges à
MisènCj le trompette d'Enée, que les dieux marins
provoquèrent à une lutte sur la conque marine.
Homère célèbre Stentor comme un excellent
joueur de trompette.
INSTRUM;ENTS de musique. H5
49. Qu'y a-t-il en outre de remarquable à signa-
ler sur les joueurs de trompette?
— Ceci : 1** Le savant italien Porta, dans sa Ma-
gia naturaloy a décrit les trompettes à feu (Feuer
Trompeté), qui produisent un son terrible et un
grand dommage dans les combats. — 2** A Nurem-
berg on a fabriqué pour Sa Majesté impériale et
royale un cor de chasse en argent. — 3® Charle-
magne avait un cor, suspendu très-haut, avec lequel
il rassemblait ses armées environnantes. — 4** La
Fama (renommée) des païens est représentée avec
deux trompettes. — 5® Les Juifs ont appelé le nou-
vel an {festum clangoris tubarum) la fête du son
des trompettes, parce que dans le temple, les prêtres
excitaient le peuple à remercier Dieu pour les
bienfaits reçus dans le courant de Tannée écoulée,
au son des trompettes. — 6** Le mot trompette est
également le nom qu'on donne au château fort de
Bordeaux en France, dans lequel on enferme les pri-
sonniers d'État. — 7** Les joueurs de trompette ont
la même liberté que possédaient anciennement les
hérauts d'armes, et peuvent passer en toute assu-
rance à travers les troupes ennemies^ après avoir
donné leur signal. — 8* Il n'est que trop connu que
les joueurs de trompette et les ménétriers {Stadt-
Pfeiffer) n'ont jamais pu coucher ensemble dans la
même écurie, comme on dit. De même les Latins,
dans les temps anciens, ont fait sentir la différence
des deux professions, par le proverbe : Tibiam
tubœ comparas (tu compares la flûte à la trompette),
116 MUSIGIÀNA.
en d'autres mots : lu compares un joueur de flûte,
ou quelque chose de peu, avec un joueur de trom-
pette» ou quelque chose de meilleur. — 9*" Enfin, il
est à remarquer qu'une forte tête a rangé côte à
côte quelques timbales de différentes grosseurs selon
la gamme connue ut re mi fa sol 7a, et a orné ce
cientifique jeu de timbales de la suscription :
Ul relevet iZ2/serum faium so/ilosque /abores
JEyï : sic dulcis musîca noster amor,
(Quand le sort et le destin nous écrasent, le cœur abattu se re-
lève par la douce harmonie.)
Quel dicton les amateurs de cette profession doi-
vent-ils avoir constamment dans leur pensée ?
Psaume xxxiv, verset 4 : Je veux toujours louer
le Seigneur j sa louange doit être constamment dans
tna bouche; et psaume cl, versets 3-6: Louez-le
avec des timbales : ce qui respire loue le Seigneur.
Alléluia.
(Suivent les privilèges, lois et ordonnances con-
cernant la noble société des joueurs de trompettes
et de timbales, leur apprentissage, etc.)
Le volume a 43 pages.
¥¥'■•■ :
LE TAMBOURIN.
On a publié en 1864 à Aix un livre qui a pour
titre Lou Tambourin. Cet in-octavo renferme l'his-
toire de Tinstrument provençal, une méthode du
galoubet ei du tambourin, et enfin des airs natio-
naux de la Provence.
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. 117
L*auteur, F. Vidal cadet, est un homme non-seu-
lement convaincu, mais enthousiaste de son instru-
ment (le tambourin), qui lui a valu une couronne
d'olivier aux jeux floraux de Sanlo Ano d'At
(Sainte- Anne d'Apt).
• Il nous dit que les lettrés et les savan-
tassés de notre époque font remonter le tambourin
à 600 ans avant Jésus-Christ, mais cela ne lui pa-
raît pas suffisant^ il préfère en attribuer l'origine
aux Saliens qui, en langue celtique, rappelaient
Tabulin.
Le galoubet et le tambourin se jouent par le
même instrumentiste. Ghéde ville, élève du célèbre
Chateauminois, a publié une méthode de galoubet
que M. Vidal critique fort, prétendant qu'il n'y en-
tendait rien, c Qu'on se figure un Francihot en-
seignant à un Provençal à jouer du galoubet :,
autant vaudrait-il apprendre à parler frajiQais d'un
Chinois. -»
Pauvre Chédeville !
L'auteur, pénétré de son sujet, n'approuve natu-
rellement que les opéras où il y a des solos de tam-
bourin, et à ce sujet il ajoute : « Il est à regretter,
juste au moment où j'imprime ces pages (1), que
l'auteur de Faust j le compositeur Charles Gounod,
après s'être venu inspirer de notre poésie et de nos
chanfs au pied des Alpines, n'ait pas introduit sé-
rieusement le tambourin dans sa nouvelle œuvre
' (1) M. Vidal est typographe ou plutôt compositeur-imprimeur,
comme il le dit lui-même.
7.
118. MUSICUNA^
de Mireille. Il en a bien mis un pour la farandole
que Ton danse au deuxième acte, mais la musique
qu'il est censé jouer est tout bonnement exécutée
par l'orchestre. Voilà la profanation, la pensée anti-
provenQale qui fait mettre un joueur postiche à la
place d'un véritable tambourinaire, s'accoridant si
aisément avec les autres musiciens ! ! ! »
Une des plus belles fôtes musicales (à la façon,
provençale) eut lieu en 1852, à l'archevêché d'Âix,
pourie passage du prince*président : « quarante.
bâchas (gros tambours) et soixante tambourins y
firent un tapage à mettre en danse tous les soldats
de l'Empire ! »
Pecoaïre !
Après avoir cité quelques vers célébrant les in-
struments de la Provence, le flûtet, les palets, les
timbalons, les timbales et cymbalettes, M. Vidal
conclut : « On voit donc que nos ancêtres ne se
privaient pas de musiquer sans l'aide des sax-
horns^ saxophones (1) et sax-trombas ^ musique
mécanique qui vient tout révolutionner, et sans la
voix formidable des bourdons et des bombardons
formant aujourd'hui l'artillerie musicale par les
sons qu'ils vomissent de leur narines de cuivre. »
Tout cela n'est pas très-français, mais on de-
vine de reste ce que l'auteur veut dire.
Le tambourin, non-seulement comme instru-
(1) U ignorait sans doute que le saxophone est un instrument,
d'une sonorité très-dpuce.
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. fl9
ment, mais comme objet d'art, devrait se trouver
dans tous les salons bien hantés : c Nous ne serions
pas étonné, continue l'auteur, de le voir à Paris,
la capitale universelle des beaux-arts, figurant
parmi les autres appareils musicaux, soit au Con-
servatoire des Ârts-et-Métiers dans la salle des
instruments, soit au musée instrumental du Conser-
vatoire de musique, où il devrait avoir une place
honorable. »
M. Vidal semble ignorer que le musée du
Conservatoire possède depuis fort longtemps le tam-
bourin de la reine Pomaré.
Encore deux souhaits de M. Vidal :
l'' Que la ville d'Aîx ait une rue du Tambourin ;
f" Qu'au Conservatoire de la susdite ville il y ait
une classe de galoubet et de tambourin.
Enfin nous arrivons à la conclusion qu'on- croi-
rait sortie de la plume de Castil-Blaze : « Des mu-
siciens fanfarons, ayant plus de jactance que de
savoir-faire, ont affiché un air de dégoût et de mé-
pris, et ces petits messieurs-artistes croiraient
s*humilier en jouant de notre instrument (ni plus
facile ni moins agréable et important qu'un autre),
et ce serait hors de saison, sans doute, pour ces
hâbleurs, d'apprendre gentiment à en toucher.
€ Pauvres freluquets ! qui ne savent que bavar-
der à tort et à travers ; espèces de Francbimans
bâtards, mauvaises greffes desséchées dans nos
rameaux reverdis, fils ingrats qui renient leur vieille
langue romane, ce parler sonore et harmonieux
120 MUSICIANA.
comme une musique, le doux langage du berceau. ••
Mais, dans bien des siècles encore, le frémissement
du tambourin sera de plus en plus agréable à
Toreiliédetoutbon Provençal, avec sa compagne la
poésie provençale, que nous conserverons comme
un rayon d'amour reflété d'en haut par le ciel de
notre chère Provence ! »
¥ ¥
Les parties des instruments à cordes ne se
jouaient autrefois pas rigoureusement comme elles
étaient écrites, chaque musicien y ajoutait les (or-
tuions que son mauvais goût lui inspirait.
Qaantz, dans sa méthode de flûte, publiée en
français à Berlin (1752), s'élève fortement contre cet
abus : « Le joueur de violoncelle se gardera de broder
la basse, comme quelques grands joueurs ont eu au-
trefois cette mauvaise coutume : c'est faire montre
de son habileté fort mal à propos. En voulant mettre
dans la basse des broderies arbitraires, on fait en-
core plus de mal qu'un joueur de violon n'en peut
faire dans une partie d'accompagnement. Il est
absurde do vouloir faire une partie supérieure de la
basse, qui ne doit avoir pour seul et unique but que
de soutenir et do rendre harmonieux les ornements
de l'autre partie. »
Une sortie humoristique sur le même sujet se
trouve gravée à la fin d'un morceau de musique
publié vers 1750, sous ce titre : Mêdêe travestie
INSTRUMENTS DE MUSIQUE. 121
OU r Amour enragé y parodie de la cantate de Médée
de Clérembault ; les paroles et le choix des airs
sont de M. Çarolet. Sur la dernière page on lit :
€ On reprend la simphonie (1) pour finir. Les vio-
lons brodeurs pourront cette seconde fois Torner
de tous les fredons dont ils se servent pour rendre
à la musique la plus ancienne les grâces de la nou-
veauté, et donner aux pièces les plus simples et les
plus gracieuses un air diabolique* »
Dans un Avertissement^ l'auteur nous prévient
que cette cantate aurait été intitulée V Amour diable
à quatre ; mais le sieur Corrette l'ayant fait graver
sous ce titre, à Tinsu de l'auteur, celui-ci a jugé à
propos, se voyant défiguré dans les paroles et dans
la bienséance de ses expressions, de la donner sous
un autre titre.
Que devait être le texte publié par le sieur Coir-
rette? L'exemplaire manque, mais quant aux paroles
bienséantes de M. Garolet, en voici un échantillon :
MÉDÉE.
Que ce suborneur (il s'agit de Jason)
Eprouve ma fureur;
Fût-il dans le Tonquin,
J'irai soudain
De ce lâche coquin,
Percer le sein,
Fûl-il dans le Congo^
A mon gogo,
.Je veux mettre en haricot
Ce magot.
(1) Ce sont vingt mesures d'un mouvement à-ppour les inslru-
monts seuls.
Itt fifUSIGlANA.
Si J'attrape Jason
Et sa guenon,
Je ferai carillon
Dans la maison.
Je suis Médée, allons
Vite attelons
Mes deux gros dragons.
ARRÊTE ADMINISTRATIF
« Nous, maire de la commune de Mireval,
t Vu les lois des, etc., etc. ;
« Considérant que la musique instrumentale est
une provocation permanente au désordre et une
excitation à la haine des citoyens les uns contre
les autres, et qu'il convient, dans l'intérêt de la
sûreté publique, d'en arrêter les effets ,
« Avons arrêté ce qui suit :
: « Art. 1*'. — Il est défendu de faire delà musi-
que dans le village, cabarets, cafés, estaminets et
autres lieux publics, sans notre permission.
« Art. 2. — Il est également défendu de donner
des bals, soirées, concerts dans les mêmes lieux,
sans notre autorisation.
« Fait à Mireval, le 26 septembre 1869.
« Le maire. »
CHAPITRE YI
tJTlUTi PUISSANCE ET APPLICATIONS DIVERSES
DE LA MUSIQUE
' Thaïes tie Crète trouva dans la musique un puis-
sant auxiliaire contre la peste. En Béotie, Isménias,
par son jeu sur la flûte^ guérissait les maux de
reins. Âsclépiade, au moyen de la trompette, rendit
rouïe à un sourd ; ce traitement n'a rien d'étonnant,
c'est l'homœopathie, puisqu'il y a des gens qui se
trouvent assourdis par la trompette.
Que de nos jours on se serve de la musique pour
rendre aux fous la raison perdue, ce n'est encore
iju'un vieux moyen, Martianus Capella de Carthage
l'avait déjà employé avec succès au v* siècle (1).
Théophraste affirme que les morsures des serpents
venimeux ne sont guérissables que par la musique.
(1) Musica curai corpus per animam.
^mpédoclè s'est a\|ssi servi 4^ c^ moyen de ^uérison de la folie*
124 MUSIGIA.NA..
Galion parle aussi de jouer ^de la flûte sur les parties
souffrantes du corps ; ce 'même illustre médecin
nous apprend qu'une joueuse de flûte, rencontrée
par des jeunes gens ivres et furieux, les calma en
leur jouant un air dans le mode Dorien. Alexandre le
Grand avait deux musiciens, dont l'un; Antigénide,
joua un jour devant son maître son Carmen bar-
matium avec tant d'expression, que le prince devint
furieux, saisit ses armes, et eût fait un mauvais parti
aux personnes présentes, si Timothée n'avait en-
tonné immédiatement son Carmen ortbïum^ avec
non moins d'expression, ce qui calma heureusement
le conquérant. C'est sur ce fait que Dryden a bâti
son célèbre poëme la Puissance de Viiarmonie (ou
la Fêle d'Alexandre) illustré en musique par Haan-
del (1).
Un jour, à Laoédémone, Terpandre, l'illustre
Lesbien, apaisa un soulèvement populaire par lo
jeu de sa flûte; pourquoi donc, en Franôe, où l'on
possède tant d'excellents virtuoses, ne se sert-
on pas de ce moyen contre les émeutes et autres
désagréments qui se passent en temps de révolu-
tion? Ne serait-il pas infiniment moins coûteux de
faire jouer sur la flûte un air dans le mode Dorien
devant des barricadeurs, que d'envoyer contre eux
un bataillon d'infanterie? que de sang épargné des
(1) Plutarque lui-même avoue qu'un jour la musique l'a telle-
ment exaspéré qu'il a couru après ses armes : quel pouvait être
eë diabU d'air?
APPLICATIONS DIVERSES DE LA MUSIQUE. 125
deux côtés ! Ah ! messieurs Tulou, Doras, Taffanel,
Donjon, etc., etc., vous n'êtes pas de vrais citoyens,
et vous ne comprenez qu'à demi les grandes desti-
nées de la flûte ! Lisez les anciens.
Cette pauvre musique ! à quoi n'a-t-elle pas servi !
Elle anime le courage des soldats dans la bataille...
Elle aide à prier Dieu et à pardonner à nos en^
nemis... Elle inspire l'amour terrestre, et trouve
ces phrases mystérieuses que les poètes n'ont
jamais trouvé dans leurs vers... Elle sert au
pauvre aveugle, aux pauvres en général, pour
inspirer la pitié.... Elle sert à calmer les fous
furieux... Elle sert... Mais à quoi ne sert-elle pas?
Lisez plutôt une brochure qui a pour titre : Essai
en plaitt'Chant musical sur rutilité de Tagricul-
ture^ suivi d'une méthode par le même procédé
pour apprendre la carte géographique de France^
par M. Fourtou, instituteur communal à Auterive
(Haute-Garonne); Toulouse, 1845.
Observation de l'auteui* :
•
fl On peut donner à un morceau de chant plus ou moins
de lenteur; mais je dois faire observer que mes composi-
tions doivent être exécutées avec un certain degré de vitesse
et de légèreté, car le mouvement qui a un cei*t&in degré de
vitesse ou de précipitation aide puissamment à la mémoire. »
Au lieu de faire une analyse de ce traité d'agri-
culture, nous croyons préférable de copier le cha-
pitre des fumiers :
126
MUSICIANA.
L«4l'gfl**tlU
f '-..' '- -4
Vou? re . oiar . qiiifj'es qu'iuiie char.
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APPLICATIONS DIVERSES DE LA MUSIQUE. 1*7
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I ■ I I ■ Il ., , II... ' ■ ■ ■ ■■! . I ■ I ■ > .. I
meu • lion ^ ués* quf. lef trois
der « oiers mf^n . tien * nés.
1t8 MÙSIGIANA.
L*auteur cgoule qu'il a obtenu des résultats satis-
faisants, et que si cet Essai est favorablement
accueilli, il livrera au public de nouveux opuscules,
et fera connaître les méthodes qu'il emploie pour
faire exécuter le chant en trois parties sans répé-
tition préalable.
Si mon livre tombe entre les mains de MM. les
directeurs de l'Opéra, des Italiens et de TOpéra-
Comique, j'ose espérer qu'ils me sauront gré de les
avoir mis sur la voie d'un perfectionnement qui me
parait de la plus haute importance pour leurs théâ-
tres : je me suis toujours douté que la lumière nous
viendrait tôt ou tard de la province.
¥ ¥
Un Lyonnais, G.-R. Brijon, publia en 1782 un
livre intitulé l'Apollon moderne, ou le développe-
ment intellectuel par les sons de la musique. (Lyon.)
On y trouve (page 35) un moyen simple et pratique
pour capturer l'hyène. Cet animal féroce, d'après
l'auteur, a un goût particulier pour la chair hu-
maine; voici le procédé qu'il emploie pour s'en pro-
curer : il retient un nom qu'il a entendu prononcer,
puis, sur le tard, va gémir ce nom près d'un ha-
meau ; le malheureux qui s'entend appeler croit
qu'un de ses semblables implore son secours, il
s'approche de la voix, et l'hyène le croque. Par
contre, les hommes rende/it à l'hyène ruse contre
ruse. L'hyène aime la musique à la folie, ce que
beaucoup de personnes ignoraient peut-être, moi
APPLICATIONS DIVERSES DE LA MUSIQUE. 129
du moins je ne Iq, savais pas. Or, on va non loin de
la tanière de l'animal lui jouer un petit air ; aussi-
tôt Thyène se présente à Touverture. Alors les voix
s'unissent aux instruments, l'hyène n'y résiste plus,
s'approche des musiciens, les flatte, se laisse ca-
resser ; on lui jette un licou, une muselière, et le
tour est fait. '
M. Brijon, après avoir inventé plusieurs ma-
nières d'enseigner la musique, a fini par s'arrêter
à raurillette. C'est une simple serinette sur la-
quelle on joue aux enfants en bas âge l'accord cf u/,
en notes consécutives; puis l'accord de fa, puis
ré mineur, etc. En pratiquant cela pendant trois
ou quatre ans, Tauteur affirme que l'oreille des
enfants se formera.
M. Brijon a encore essayé d'écrire en notes le
discours parlé, exercice utile à toute personne vou-
lant se perfectionner dans la prosodie.
« Dans rîmitation exacte sur les instrumens des voîx^
dQS chants, des cris de toutes personnes, même des sau-
vages de tout âge, des ramages des oiseaux, les aboiemens,
miaulemens, hurlemens, braiemens, bêlemens des quadru-
pèdes vieux et jeunes, les fibres les plus rétifs dans tous
ces différens sons suivant leur ordre, doivent y trouver des
rapports ; et il n'y a que les violons, altos et basses qui
puissent imiter ce qui vient d*être dit, et tout autre instru-
ment ne peut y être propre. »
V Ce n'est peut-être pas d^unè limpidité irréprocha-
ble, mais en reproduisant l'un des exemples notés,
nous avons pensé que nos lecteurs saisiront sans
peine le procédé ;
ÎSO
MUSICIANA.
(La fiD».).
DIALOGDB
■ > T T ii i
Ma . oian» ma ch^re ma^man,
rherr
fOtt.drais*tu bien, fi^il te piait
^^
i
!
I
=t
^
me doo • ner
(La mer»)
ma
pou • . pée? —
i
o
i
:^
iXb.
ui
ma fille.
mais U faut
que vous me pro . met . tiei
(la petite arec action)
'L^ Il ^ iti^i^
iTe^tw»
d*8-tr
bieo ^ aa^ Hof ma • man»
on o«* pHif pas pius.
o* peut
'^ A» mot aiv^ ^^^ apinle f« f sans faire scsiir b di»rnl*r» Wttm
APPLICATIONS DIVERSES DE LA MUSIQUE. iSl
Quoique dans le courant du livre il y ait beau-
coup de choses raisonnables, étonnées sans doute
de se trouver au milieu d*un fatras ridicule et
indigeste. Fauteur, au point de vue du style, écrit
le français d'une façon déplorable.
Malgré cela, r Apollon moderne est un livre peu
commun.... .... qualité qu'il doit à sa rareté.
*
¥ ¥
La musique curative a été le but des recherches
de beaucoup de savants anciens et modernes ; aussi
trouve-t-on un assez grand nombre de brochures
ou de traités sur la puissance de la musique
pour guérir les maladies du corps et de Tâme.
Porta f dans sa Magia naturalisa prend la musique
pour une panacée universelle, ou à peu près. Ainsi,
il affirme que des instruments faits avec le bois des
plantes médicinales produisent une musique em-
preinte des propriétés relatives à ce bois ; de façon
que , pour guérir de la fièvre, il ne s'agit qUe
de jouer ou de faire jouer quelques airs sur une
flûte construite avec une branche de quinquina,
garnie de son écorce.
En 1835 le docteur Schneider fit paraître à Bonn
un Traité complet de musique médicale^ en 4 vo-
lumes in-S"*. Ce précieux ouvrage ne se trouvant
pas entre nos mains, nous allons parler de la Nou^
velle méthode facile et curieuse pour connaître le
pouls par les notes de la musique, par F.-N. Mar-
queta Paris, Didot, 1769 (2' édition). Dans la pré-
132 MUSICIANA.
face on lit : c Comme il y a des mouvements et des
accords dans le sang et dans les autres humeurs,
il ne faut pas s'étonner si la symphonie peut quel-
que chose sur notre corps, pour la santé : le méde*>
cin Hermophile rapportait le battement du pouls à
de certaines mesures, comme les poètes rapportent
leurs vers à certains pieds, et Ton peut dire que la
connaissance du pouls et du battement des artères,
qui est une des plus belles et des plus nécessaires
parties, de la médecine, dépend en quelque façon
des divers tons de musique. On a remarqué que
ceux qui sont accoutumés à toucher le luth ou d'au-
tres instruments, ayant le tact plus délicat et plus
sûr^ jugent mieux du pouls des malades ou des per-
sonnes passionnées que les autres qui n'ont pas
cette habitude. » {Vigneul de Marville.)
« Si en chantant ou jouant un menuet sur quelque
instrument, l'on touche un pouls tempéré, il en bat-
tra la mesure, comme il est marqué à la planche I. »
L'auteur a en effet accompagné son ouvrage de
planches de musique qui font voir clair comme le
jour qu'un bon pouls a cinq battements durant une
mesure de menuet (il y a même un assez joli me-
nuet comme exemple). .
N'allez pas croire que les pouls se ressemblent ;
il y a : le pouls naturel, le pouls non naturel, le
pouls grand ou plein, le pouls petit ou vide, le
pouls profond, le pouls superficiel, le pouls diu*^
tendu ou élevée le pouls mou, le pouls à deux
temps, celui à trois temps, à quatre temps (il y eu
APPLICATIONS DIVERSES DE LA MUSIQUE. 1S3
a même à un temps), le pouls lent, intermittent,
éclipsé ou intercadant, intercurrent, caprisant, con-
vulsif, tremblant, défaillant, vermiculaire , four-
millant. D'aucuns prétendent qu'il y a aussi les
pouls raboteux, ondes, raisonnants, arrondis, pétil-
lants, enflés, évaporés, suffoqués, solides ou mas-
sifs, dissipés, à queue de souris mais rassurez-
vous, ce sont des pouls imaginaires, d'après ce
que dit l'auteur.
Par exemple, si vous vous sentez dix-huit mille
battements par heure, faites votre testament, vous
courez à la mort eu poste y toujours cpmme le dit
l'auteur.
Cet ouvrage eut ses adeptes et ses critiques ; le
baron Duhaler le critiqua même en vers.,, assez
incorrects, quoiqu'il remonte jusqu'à Adam :
La fièvre qui le prit à Talerte qu'il eut,
Dans ses veines nota mi fa sol la si ut.
Et Dieu fit à Adam au sortir de la grotte,
Danser sur le même ton la première gavotto.
Conclusion. — c Personne n'a pu douter jusqu'à
présent que la musique ne fût d'un grand secours,
non-seulement pour conserver la santé, mais aussi
pour guérir les infirmités ; elle convient à tous les
âges, elle est de toutes les conditions : au milieu
d'un tumulte, elle impose le silence ; elle égayé la
solitude, elle réjouit les hommes, elle dissipe les
nuages qui souvent éclipsent leurs esprits, elle
éloigne les soins rongeurs ; c'est elle qui est l'âme
de toutes les fêtes, elle en bannit la tristesse et les
8
1S4 MUSIGIÂNA*
ennuis : c*est la raison pour laquelle les anciens
révéraient Apollon, non-seulement comme le dieu
de la musique, mais aussi comme celui de la méde-
cine; elle métamorphose la tristesse en joie, la
crainte en confiance, la férocité en clémence, elle
seule désarme les plus intrépides et les plus or-
gueilleux. Les animaux les plus féroces, lorsqu'ils
ressentent quelque mouvement de . douceur et de
plaisir, ont une. espèce de chant qui leur est propre :
Ton ne connaît la barbarie d'un peuple que par le
mépris qu'il fait de la musique.
« Ce n'est que par la musique qu'on peut parvenir
à la guérison du tarentisme. Les tarentules sont des
espèces d'araignées, qui, semblables à des abeilles,
piquent l'épiderme et y distillent un venin pestilen-
tiel ; au même moment la peau se raidit, elle s'enfle,
les membres s'engourdissent, les yeux s^ohscurcis-
sent, l'esprit est plongé dans un état affreux de
mélancolie et de tristesse. Nul autre antidote à cette
maladie que la musique. Elle ne se fait pas plutôt
entendre, qu'à l'instant le malade commence à
s'agiter, ses membres se dégourdissent, il crie, il
chante, il danse, il saute pendant deux ou trois
heures, suivant le temps que dure la musique
(mais si on lui jouait les Niebelangen qui durent
trois jours ! ! !). Ensuite vous mettez le malade dans
un lit où il transpire abondamment (il y a de quoi!),
puis vous recourez de nouveau à la symphonie;
pour lors le malade recommence ses chants, ses
sauts et ses danses, et bientôt après il se trouve
APPLICATIONS DIVERSES DE LA MUSIQUE. 185
parfaitement guéri. Il faut cependant varier la mu-
sique, suivant les différentes tarentules et les divers
tempéraments. »
Ancina^ dans ses thèses de philosophie et de
médecine (1565), soutient que le pouls battant à trois
temps annonce la mort, et à quatre la santé (1).
¥ ¥
Sans doute que l'histoire de Stradella est émou-
vante, on en a fait un opéra en France ; mais voici,
une anecdote qui affirmera encore bien plus le pou-
voir de la musique : Palma était un musicien napo-
litain ; surpris un jour dans sa maison par un de
ses créanciers, qui voulait à toute force le faire ar-
rêter, il ne répond à ses injures et à ses menaces
que par une ariette : on l'écoute; Palma chante,
l'air : Sentocbe son yicino de son opéra la Pietra
simpatica en s'accompagnanl; au clavecin. Le
créancier s'attendrit Jusqu'à verser des larmes,
il n'est plus question de payement; bien mieux, on
prête encore au musicien une somme qu il demande
pour se délivrer de qjaelque autre embarras.
Ordinairement, quand on vend un secret, on y
joint la manière de s'en servir; malheureusement je
ne donne que la manière de s'en servir, car je ne
possède pas Tair Sento che son vicinOy mais si ja-
mais je mets la main sur cette panacée musicale, je
(1) Adrien de La Page» Essais de dipbtbérograpbie musicale,
Paris, 1864 (page 345).
186 MUSICIANA.
promets à mes lecteurs de la leur livrer sans frais
et avec accompagnement de piano.
M. Fétis, dans la Musique mise à la portée de
tout le inonde^ cite quelques cas sur la puissance
de la musique : « On connaît l'histoire de Farinelli,
dont la voix et Texpression touchantes guérirent
le roi d'Espagne Philippe V d'un accès de mélan-
colie noire qui faisait craindre pour sa raison;
Raff (1), sauvant la vie de la princesse Belmonte,
mise en danger par les suites d'un chagrin violent,
en lui faisant répandre un torrent de larmes; Séné-
sino, chanteur d'un mérite extraordinaire, oubliant
son rôle pour embrasser Farinelli qui venait de
chanter un air avec une perfection miraculeuse ; la
Gabrielli, touchée jusqu'à laisser paraître l'émotion
la plus vive, après avoir entendu Marchesi chanter
un cantabile, et Grescentini faisant verser des lar-
mes à Napoléon P et à toute sa cour dans Roméo
et Juliette y musique de Zingarelli.
(1) Ne pas confondre avec le Raff, compositeur vivant actuelle-
ment à Berlin, et dont la musique n'a pas encore produit de sem-
blables miracles jusqu'à ce jour, à ce que nous sachions.
J
CHAPITRE VII
ANECDOTES BI08RAPHIQUES (1)
Anecdote ne s'emploie que fort rarement dans le
cas suivant :
Lettre à F empereur Napoléon III.
« Sire,
« J*ai contracté sous votre cher oncle deux blessu-
res mortelles qui depuis 38 ans font Tornement de
mon existence, Tune à la cuisse droite et Tautre à
Wagram. Si ces deux anecdotes vous paraissent
(1) Ménage ne cite pas ce mot , mais Furetière nous apprend
qu^aaecdotes se dît des mémoires qui n'ont point paru au jour e
qui n'y devraient point paraître.
Proc ope. s'est. servi le premier de ce terme dans son livre contre
Justinien et sa femme Tliéodora. D'après Rivarol, les anecdotes
sont l'esprit des vieillards, le charme des enfants et des femmes.
8.
It8 MUèlGIANÂ.
susceptibles de là Légion d'honneur, j*ai bien celui
de vous en remercier à l'avance.
« Madame Bonniot sera sensible à cette amabilité
de votre part.
€ Charles Bonniot, trompette-msgor. »
CONFUCIUS.
Koâng-fa-tzé^ que nous appelons Confucius et
que M. Fétis a eu la distraction d'omettre dans sa
Biographie des mi/sieieiis, était non-seulement un
grand philosophe, mais un savant très-versé dans
les connaissances musicales, si versé qu'il composa
dès variations pour la guitare sur l'air célèbre de,
Li-POj }Q dis célèbre de confiance, car je ne
connais pas l'air de Li^Po. Ce qu'il y a de certain,
c'est que les variations de Confucius, jouées d'un
bout à Tautre du Céleste-Empire, ne contribuèrent
pas peu à la moralisation de ses nombreux habi-
tants, et c'est depuis ce temps-là que le peuple chi-
nois est éminemment moral.
Koang-fu-tzé ne se contenta pas de produire les
célèbres variations en question, mais il composa en-
core un grand nombre de cantates morales et des
opéras : d'après . l'opinion de tous les savants et
musiciens chinois, ce sont des chefs-d'œuvre de
style simple et mélodique, où le sentiment de la
tendresse et de l'expression est porté au plus haut
degré. On raconte même qu'une femme chinoise.
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 1S9
assistant à la représentation d'un de ces ouvrages,
se mit à répandre d'abondantes larmes à une scène
où Koang-fu-tzé avait dépeint avec un charme
extraordinaire Tamour maternel. La dame chinoise,
questionnée sur son attendrissement, répondit: ifH^
las ! j'ai donné iajour à neuf enfants, et je les ai tous
noyés; maintenant je me repens de n*en avoir pas;
gardé au moins un, je l'aimerais si tendrement! »
Les législateurs chinois ont, avec grande raison,
édicté des peines sévères contre les directeurs de
théâtres qui laissaient niai exécuter ces belles œuvres
lyriques de Koang-fu^tséy comme aussi bien contra
les chanteurs et chanteuses qui, dans des concerts,
ne diraient pas d'une façon convenable les fragments
de ces pièces.
Le mandarin directeur de la police surveille
avec soin l'exécution de cet édit, et quand par hasard
une chanteuse ne so tient pas à la hauteur de ces
compositions remarquables, elle reçoit un avertis-
sement. «... c'est-à-dire qu'on lui coupe l'oreille gau-
che. Au renouvellement de ce méfait, c'est le tout
de l'oreille droite. Le cas revient rarement pour la
troisième fois, car alors c'est le nez qui disparaîtrait.
La législation chinoise est par trop sévère, s'il
m'était permis de dire mon avis : comment peut-on
exiger une exécution sans faute de la part d'une
chanteuse qui n'a plus d'oreilles?
*
¥ ¥
140 • MUSIGIANÂ.
LOUIS XIIK
« II composait en musique, et ne s*y connaissait
pas mal. Il mit un air à ce rondeau sur la mort du
cardinal :
• * -
Il a passé, il a plié bagage, eic,
« Mison , maître des comptes » Tavait fait..
Louis XIII, rebuté des débauches de Moulinier et
de Justice, deux musiciens de la chapelle, qui ne le
servaient pas trop bien, leur fît retrancher la moitié
de leurs appointements. Marais, le bouffon du roi,
leur donna une invention pour les faire rétablir. Ils
allèrent avec lui au petit coucher danser une mas-
carade, demi-habillés : qui avait un pourpoint n'avait
point de haut de chausses... « Que veut dire cela?
dit le roi. — C'est, sire, répondirent-ils, que gens,
qui n*ont que la moitié de leurs appointements ne^
s'habillent aussi qu*à moitié, i» Le roi en rit et le$;
reprit en grâce. »
- (Historiettes de Tallemant des Réaux. )
BOESSET.
Bourdelot, dans son Histoire de la musique j parle
de Boésset le père, qui était très-estimé de LuUy ;
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 14 i
c Boésset, dont la mémoire sera immortelle chez les
musiciens, par cet air fameux :
Si c'est un crime de l'aimer, etc.
que le cardinal de Retz fit un jour recommencer
trois fois à Lambert qui le chantait devant lui, et
qne nos connaisseurs en musique égalent encore
à nos meilleurs airs. »
Voici cet air, dont les paroles sont de Lingendes ;
il trouvera sans doute peu d'enthousiastes de la
force du cardinal de Retz.
c^est un cri . me que d'nî.
,iner. L'on n'en doit jus . lempnt blas.
ij I I I i| I J'ir rr '
.mer Qut If h beau .tés qui Mint en d -
.!♦*,
La faute
est aux
dieux Qui la fi . rent si bel . le.
i; r r I ! '■ I
l|ais Qoo pas h tto» yeux.
ÎMi MUSIGIANA.
DE NIERT ET MICHEL LAMBERT.
«Quand M. de CréquifutàRomepourrambas-
sade d'obédience du feu roi, de Niert , qui rac-
compagnait, prit ce que les Italiens avaient de boit
dans leur manière de chanter, et le mêlant avec ce
que notre manière avait aussi de bon, il fit cette
nouvelle méthode de chanter, que Lambert pra-
tique aujourd'hui, et à laquelle peut-être il a ajouté
quelque chose. Avant eux on ne savait guère ce que
c'était que de prononcer bien les paroles. Lambert
est de Champigny ; il était enfant de chœur à Cham-
pigny même, où il y a une saînte-chapelle, quand
Moulinié, qui était maître de la musique de Mon-
sieur, le prit et le fit page de la musique de la
chambre de Monsieur. Lambert, ayant quitté les
couleurs (1), se trouva un tel génie pour la belle
manière de chanter, que de Niert, en peu de temps,
n'eut plus rien à lui montrer. Ni l'un ni l'autre ne
sont de ces belles voix, mais la méthode fait tout.
Lambert étudia soigneusement et à composer et a
exécuter, et encore présentement (1660) il chante
tous les matins pour lui-même, afin de se perfec-
tionner d'autant plus. Un de ses chagrins, â ce qu'il
dit, c'est de ne pouvoir laisser par écrit sa science,
car tout cela dépend de la manière qu'on ne saurait
exprimer. >
(1) Etant sorti de page, les pages de la chapelle portaient les
couleurs ou la livrée du Roi.
ANECDOTES BIOQRAPHIQUES. 148
« Lambert commença à montrer et à chanter dans
les compagnies : on l'appelait le petit Michel^ le
petit maître^ Champignyei Lambert, i
{Historiettes de Tallemant des Beaux,)
A cette époque, le théorbe avait remplacé le luth
comme instrument d'accompagnement.
LÉOPOLD i*%
L'empereur Léopold /", roi de Hongrie, roi de
Bohême, élu empereur en 1658 et mort en 1705,
aimait passionnément la musique et même en com-
posait d'agréable, telle que le menuet parodié: Quel
caprice j etc. Étant près de mourir (dit Duclos), après
avoir fait ses dernières prières avec son confesseur,
il fit venir sa musique et expira au milieu du con-
cert.
Cet empereur mélomane, qui ne fut pas précisé-
ment Tami de Louis XIV, occupe une place assez
importante dans l'histoire, quoique M. Fétis l'ait
oublié dans sa Biographie des musiciens. Léopold P'
ayant eu trois femmes, composa sans doute diverses
pièces galantes pour accaparer tant de cœurs fémi-
nins.
Voici toujours le menuet impérial en question ; on
en trouve l'air dans le Théâtre de la Foircy ainsi
que dans le Recueil de chansons publié en 1732 à
La Haye par Gosse et Jean Neaulme.
144
MUSICIANA.
MBHUET de lEmptiteur LEOPOID 1
I
i
QuA ca . prijcel Quelle fû.jus.b . ce. Quoi!
> 'I f U J J IM ^11 l| j I
ta Cb - ri .ce Tra . hi-rait Ips feun'i Quel ca.
4^ Jj'i \f r'-' -I ^^'^'^
. prLce! Ou<«0<» m . jus -li . ce! Won, ta Cla .ri -ce Veut».
-1
if^yi'l I' 11'^
-te rendre hHf.reux Et de quoi pt*ux4u ro'acciisw?
Ly.cas me dé^itib^» un baijter, CVst maLgré moi.
i[i I r iii III" rii II nrr
mon cher tyr - cis, rap» pel -le - toi Ce dm^t - reuibo.
19-
4' rrr i :
.ca.ge,0i9^ pour le prix de ton tendre faomma.g«slb.
4' I M I l| l | I l'I I II , | l
— re.çut»ma foi: Mais que voi8.je«Ton dé.pit
fi ' M l ' ' l HHIi' ' J | iM
ces « se. De ta ten.dre8.se Mon ccmiy* va jou.n*;
if^'r ni i Ji | I 1 1 I II
A vafh tranf:pon.s tu t'a . ban . don . nés, Tù *
S ' I 'M I f ll 'J' I I I !■ I
me par . doa • oeii, Que^.. de plai « si ri
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. i45
L'empereur Lépold I*' n'avait, au reste, pas in-
venté la volupté de mourir en musique ; bien long-
temps avant lui, M""* de Limeuil, fille d'honneur de
la reine Catherine de Médicis, s'était fait donner un
concert suprême de ce genre. Voici comment Sau-
vai, dans ses Galanteries des rois de France, ra-
conte le fait :
M"® de Limeuil, quand l'heure de sa mort fut
venue, fit venir son valet Julien: «Julien, lui dit-
elle alors, prenez votre violon et sonnez-moi tou-
jours, jusqu'à ce que vous me voyez morte, la Z)é-
faite des Suisses. Et quand vous serez sur le mot ;
Tout est perduy sonnez le pas quatre ou cinq fois le
plus piteusement que vous pourrez. » Ce que fit
Julien, et elle-même aidait de la voix; et quand ce
vint : Tout est perdu^ elle réitéra par deux fois ;
puis, se retournant de l'autre côté du chevet, elle
dit à ses compagnes : « Tout est perdu à ce coup ! »
Et à bon escient, car elle décéda à l'instant. »
On sait que la Bataille de Marignan (1), aussi
appelée la Défaite des Suisses^ ou la Guerre, est
un célèbre chœur de Jannequin, que, dans ces der-
nières années, on a entendu maintes fois aux con-
certs du prince de la Moskowa. Dans la chanson de
Jannequin, les Suisses, mis en scène, ne disent pas ;
Tout est perdu^ maïs bien : Tout est verlore^ en y
ajoutant Bigottl un gros juron.
(i) Ce chœur, en style imitatif^ se trouve dans la collection du
prince de la Moskowa ; il a été publié isolément par les éditeurs
Durand et Schœnewerk. — Le mot frelores se trouve déjà dans
la Farce de Patelin, qu'on fait remonter au xiii« siècle.
9
140 MUSIGIANA.
La reine Elisabeth d'Angleterre, étant sûr le
point de mourir, assembla près de son lit des musi-
ciens, afin, disait-elle, de pouvoir mourir aussi
gaiement qu'elle avait vécu, et c'est ainsi qu'elle ren-
dit le dernier soupir.
Mirabeau mourant, demanda également à s'en-
tourer de musiciens, afin d'entrer agréablement
dans ce sommeil dont on ne se réveille plus ici -bas.
*
¥ ¥
HiENDEL.
Ce maître illustre, jeune encore, fit un voyage
en Italie, à l'exemple de tous les grands artistes de
ce temps-là.
D'après rEncycIopédiana, HaDudel se trouvant à
Venise, au moment du carnaval, joua de la harpe
dans une mascarade. Domenico Scarlatti, le plus
habile musicien sur cet instrument, l'entendit et
s'écria : Il n'y a que le Saxon (surnom de Hsendel) (1)
ou le diable qui puisse jouer ainsi.
Haendel ne pouvait supporter le bruit d'un or-
chestre qui s'accorde ; cette antipathie était si connue
des musiciens, qu'ils prenaient leurs précautions,
de façon que, quand le grand artiste paraissait, tout
se trouvait en état, et Ton pouvait commencer.
(1) Le surnom d'il Sassone (le Saxon) est bien plus généralement
Appliqué ft Hasse»
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 147
Un jour, c'était la première exécution d'un nou-
vel oratorio, un page de la suite du prince se glissa
dans l'orchestre et, tout en batifolant avec les mu-
siciens, trouva moyen de tourner les chevilles de
plusieurs violons.
Le prince parut dans sa loge, Haeadel en. même
temps s'assit à l'orgue et fit signe de commencer.
On entendit un accord épouvantable ; Hsendel
s'élance de son siège, et sans songer à la présence
du prince, renverse une contre-basse, saisit une
timbale et la jette à la tète d'un premier violon,
tandis que sa perruque s'accroche à un pupitre.
Le public se mit à rire à gorge déployée, et le
calme ne fut rétabli qu'après que le prince, s'étant
dérangé de sa place, eut fait accroire à Haendel que
c'était lui-même qui lui avait joué ce mauvais tour.
*
¥ ¥
LE PEHE KmCHER.
Ce savant rapporte, dans une relation de ses
voyages, que revenant de Goa en Europe, et étant
arrivé à l'embouchure du fleuve Indus, il entra dans
un marécage rempli de roseaux, du milieu desquels
sortit tout à coup un crocodile énorme, qui vint à
lui pour le dévorer. En même temps il aperçut aussi
un tigre qui s'apprêtait à faire de même. Le
pauvre Père, placé entre deux périls inévitables,
recommanda son- âme à Dieu, quand soudain le
i\% MUSIGIANA.
tigre, s'étant élancé avec furie, tomba danâ la gueule
du crocodile, qui, occupé de sa nouvelle proie,
donna au missionnaire le temps de s'échapper.
Credat Judeas Apella.
Quand Sébastien Bach essayait un orgue, il com-
mençait par 1^ grand jeu, et se servait aussi puis-
samment que possible des plus grandes sonorités.
Il disait en plaisantant : « Il faut que je sache avant
tout si rinstrument a de bons poumons. »
Nicolas-Adam Strunck^ violon d'Ernest-Auguste,
électeur de Hanovre, étant à Rome, alla voir Co^
relli. Celui-ci lui demanda de quel instrument il
jouait. « Du clavecin, répondit l'Allemand.-, et un
peu du violon; mais je serais ravi.de vous en-
tendre. »
Corelli le satisfit sur-le-champ, et joua un air que
Strunck accompagna sur le clavecin. Ce dernier
prit ensuite le violon ; et, s'amusant à le désaccor-
der, il préluda avec tant de justesse, en parcourant
les tons chromatiques, que Corelli lui dit en mau-
vais allemand : c On m'appelle archange, mais on
peut bien vous appeler arcbidiable (1). »
¥ ¥
TARTINI.
L'anecdote qui a donné lieu à la Sonate du. diable
a été ainsi racontée par Tartini lui-même au célèbre
astronome Lalande :
(1) Le prénom de GoretU était Areangela.
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 149
« Une nuit (en 1713), je rêvais que j'avais fait
un pacte, et que le diable était à mon service. Tout
me réussissait au gré de mes désirs, et mes vo-
lontés étaient toujours prévenues par mon nouveau
domestique.
« J'imaginai de lui donner mon violon, pour voir
s'il parviendrait à me jouer quelques beaux airs ;
mais quel fut mon étonnement lorsque j'entendis
une sonate si singulière et si belle, exécutée avec
tant de supériorité et d'intelligence, que je n'avais
même rien congu qui dût entrer en parallèle.
J'éprouvai tant de surprise, de ravissement, de
plaisir, que j'en perdais la respiration. Je fus ré-
veillé par cette violente sensation. Je pris à l'instant
mon violon, dans l'espoir de retrouver une partie
de ce que je venais d'entendre ; ce fut en vain. La
pièce que je composai alors est, à la vérité, la
meilleure que j'aie jamais faite, et je l'appelle
encore la Sonate du diable; mais elle est tellement
au-dessous de celle qui m'avait si fortement ému,
que j'eusse brisé mon violon, et abandonné pour
toujours la musique, s'il m'eût été possible de me
priver des jouissances qu'elle me procurait. »
¥ ¥
GAVINIÊS.
Gaviniès, un des bons violonistes de l'ancienne
école française, naquit à Bordeaux en 1726.
150 MUSIGIANA.
Il vint jeune à Paris, à 14 ans il débuta avec
succès au Concert spirituel.
A vingt ans environ il eut une intrigue d'amour,
aggravée d'un enlèvement, ce qui lui procura une
année de prison. Il y travailla son violon et jeta les
fondements de la réputation brillante qu'il sut acqué-
rir depuis, comme il se plaisait lui-même à le répé-
ter. C'est alors qu'il composa la fameuse Romance
de Gaviniès, qui eut une vogue prodigieuse. Il la
chantait sur son violon avec un charme inimitable,
et en improvisant des variations qui ne l'étaient pas
moins. Peu de temps avant sa mort, il l'exécuta
dans un concert public, et tira des larmes de tous
les auditeurs. Il était alors dans sa 73* année.
F. Fayolle.
¥ ¥
JOSEPH HAYDN.
A l'âge de quinze ans Haydn était enfant de
chœur à la cathédrale de Saint-Étienne à Vienne.
Il avait une belle voix de contralto, et chantait si
bien que les amateurs de Vienne s'empressaient
d'accourir à l'église où il chantait.
Haydn ne connaissait du monde que l'étroit sen-
tier qui l'avait conduit à l'école des enfants de
chœur : il n'aimait encore que la musique, et sa
gloire lui semblait résider toute entière dans sa
îelle voix de contralto.
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 151
Avec cette persuasion, avec sa simplicité et ses
mœurs pures, il était facile de le séduire. Le maître
de chapelle de Saint-Étienne, Reuter, qui pré-
voyait avec chagrin la perte prochaine du virtuose,
approchant de sa mue, lui apprit qu'il existait un
moyen de conserver toujours cette voix admirée,
et, dissimulant les conséquences graves qu'un
pareil moyen devait avoir , ne lui offrit à dé-
libérer que sur un instant de douleur. Haydn y
consentit aussitôt. Le jour et l'heure fixés, les pré-
cautions prises, la victime impatiente d'être immolée,
arrive le matin même le charron de Rohrau, c'est-
à-dire le père de Haydn, qu'un hasard heureux
amenait à Vienne. On croira sans peine qu'il ne
partagea pas la sécurité, encore moins la joie de
son fils, et que le sacrifice n'eut point lieu.
Cette anecdote se trouve dans une Notice sur la
vie et les ouvrages de Joseph Haydn, lue à Tln-
stitut le 6 octobre 1810 par Joachim Lebreton.
M. Fétis qui, dans une note de la Biographie des
musiciens^ rapporte également ce fait, observe qu'il
n'est pas vraisemblable que, dans un pays où la cas-
tration n'a jamais été pratiquée, un maître de cha-
pelle tel que Reuter ait voulu s'exposer aux consé-
quences graves d'un tel fait, dans le seul intérêt
de conserver au chœur une belle voix ..
Quoi qu'il en soit, cette anecdote est citée par
Lebreton et par Framery également, d'après les
affirmations d'Ignace Pleyel, élève et ami de Haydn ;
il la tenait de la bouche de son maître.
152 MUSICIANA.
Joseph Hadyn, à une époque de sa vie, ne pou-
vant pas très-bien s'entendre avec sa chère moitié,
en vivait séparé. Un jour Krantz, le maître de con-
certs de Weimar, entra chez lui et vit tout un
paquet de lettres non décachetées, adressées à
Haydn. II en demanda la raison au maître. Celui-ci
répliqua, en les ôtant : t Oh ! ce n'est rien, la corres- .
pondance de ma femme, qui m'écrit régulièrement
tous les mois; je n'ouvre pas ses lettres, mais je
réponds régulièrement. Aussi je pense qu elle fait
comme moi. >
¥ ¥
LOUIS XIV.
Un des musiciens du roi avait tenu quelques pro-
pos contre un prélat qui était alors maître de la
chapelle. Le prélat offensé, se trouvant un jour
dans la tribune du roi, voulut, après que ce musi-
cien eut chanté, faire observer à Sa Majesté qu'il
perdait sa voix et ne chantait plus aussi bien qu'au-
trefois. Le roi, prévenu des motifs qui indisposaient
le prélat, répondit : « Dites qu'il chante bien, mais
qu'il parle mal. »
*
¥ ¥
LE TESTAMENT DE MADEMOISELLE DUPUY.
Mademoiselle Dupuy était une célèbre joueuse de
harpe. Entre autres clauses originales de son testa-
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 158
ment, il y a celle-ci : « Je demande qu*à mon enter-
rement il n'y ait ni bossus, ni boiteux, ni borgnes. »
Elle ordonne que sa maison ne soit louée, pen-
dant vingt ans, qu'à des personnes qui feront preuve
de noblesse ; elle donne une place pour faire un
jardin, à condition qa'on n'y fera point planter
d'arbre nain.
Une rente est léguée à ses chats. Quant à sa
harpe, qui lui avait fait gagner tant d'argent, elle la
laissa à un aveugle des Quinze-Vingts, ayant en-
tendu dire qu'il jouait admirablement de cet instru-
ment. ^Mercure galant, 1677.)
*
* ¥
LULLY.
Jean-Baptiste Lully avait douze ans quand il fut
amené en France par le chevalier de Guise, qui le
donna à mademoiselle de Montpensier.
En quittant Tltalie, Lully n'avait probablement
jamais été au théâtre. Sa naissance, à Florence ou
aux environs, n'a jamais été bien éclaircie; mais il
y a heu de présumer qu'elle n'était pas ïissez dis-
tinguée pour nous faire supposer que les parents
de ce musicien en herbe fussent des habitués du
théâtre de Florence ; ils ne l'auraient pas donné
au chevalier de Guise pour en faire un gâte-sauce
9.
154 MUSICIANA.
en France, ce qui, surtout à cette époque, ne s'har-
monise pas trop avec le titre de gentilhomme ou
fils de bonne maison que M. Fétis accorde à LuUy.
On peut conclure de là que ce musicien n*a pu en
aucune façon, comme certains auteurs le préten-
dent, nous apporter dans ses opéras le style italien ^
que lui-même ne connaissait pas.
Les premiers opéras que Lully entendit furent
les essais de Cambert à Paris (1).
Quoi qu'il en soit, arrivé en France, et au service
de mademoiselle de Montpensier, Lully fut d'abord
relégué aux cuisines où il raclait tant bien que
mal des carottes, et du violon dans ses moments
perdus. Son violon le fit monter au grade de page.
Il entendit un jour la princesse de Montpensier, se
promenant dans le parc de Versailles, dire à sa
compagnie : « Voilà un piédestal vide sur lequel on
aurait dû mettre une statue. »
La princesse ayant continué son chemin, Lully
se déshabilla entièrement, monta sur le piédestal,
et attendit le retour de'sa maîtresse. Surprise, n'en
pouvant croire ses yeux, elle avança jusqu'au pied
de la statue... et ce fui le commencement de la for-
tune de Lully.
Louis XIV^ comme témoignage de son contente-
ment de Topera d'/sis, fit rendre un arrêt du Con-
seil, par lequel il est permis à un homme de condi-
(i) Il n'a certainement pas 'entendu la Finta Pazza en 1645,
mais peut-être VOrfeo de Monteverde ou de Rossi, et à coup
sûr le Xerxès de Cavalli en 1660^ puisqu'il y a mis des 9irs 49
ballet.
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 156
tien de chanter à l'Opéra sans déroger. Cet arrêt fut
enregistré au Parlement de Paris (1).
< Lalouette, compositeur de musique, avait été
secrétaire de LuUy, et il l'avait été avec beaucoup
de distinctions et d'agréments, que son intelligence
et son habileté lui avaient attirés ; mais Lully crut
s'apercevoir que son secrétaire faisait un peu trop
du maître, et il était homme à ne pias s'accommoder
de ces manières. Il revint à Lully que Lalouette
s'était vanté d'avoir composé les meilleurs mor-
ceaux d'/sis, et il le congédia. Il le remplaça par
Colasse (autre compositeur), qu'il garda jusqu'à sa
mort, et dont il était si coûtent qu'il lui laissa^ par
son testament, un logement et cent pistoles de pen-
sion. Mais Colasse ayant quitté les enfants de Lully,
auxquels leur père avait prétendu l'attacher, ils
plaidèrent ensemble, et Colasse perdit sa pension
et son logement.
« Cependant il ne perdit pas quantité d'airs de vio-
lon de Lully, qu'il avait gardés, et dont il a su faire
un bon usage dans les Quatre Saisons et ailleurs.
Il ne l'a pas caché. Souvent Lully faisait un jour un
air de violon; le lendemain il en faisait un second
(1) Ce fait, avancé par divers auteurs, est à rectifler, car on lit
dans le Privilège accordé en 1669 à Perrin, par Louis XIV : « VoU"
Ions et nous plait, que tous gentilshommes, damoiselles et autres
personnes puissent chanter audit opéra, sans que peur ce ils
dérogent au titre de noblesse , ni à leurs privilèges, charges,
droits et Immunités. »
Dans le privilège accordé à Lully en 1672, cette clause se trouve
reproduite mot à mot, mais elle n'est pas nouvelle, comme on voit.
l&Q MUSIGIANA.
sur fe môme .sujet; ce second lui revenait davan-
tage. Il disait à Celasse : Brûlez Fautre^ et Celasse
se dispensait quelquefois de lui obéir scrupuleuse-
ment.
c Lully faisait lui-môme toutes les parties de ses
principaux chœurs, de ses duos, trios, quators im-
portants. Hormis dans ces grands morceaux, dans
ces pièces importantes, Lully ne faisait que le Des-
sus et la Basse, et laissait faire par ses secrétaires
la Haute- contre {\e contralto), la Taille (le ténor) et
la Quinte (le baryton), c'est-à-dire les parties inter-
médiaires.
. « Ces parties intermédiaires s'appelaient des
fiches. Cependant, lorsque c'étaient des chœurs par
fugues, Lully en marquait toujours toutes les. en-
trées. > (Bourdelot^ Histoire de la musique.)
Ce musicien dressait lui-même les chanteurs et
les chanteuses qui devaient se produire dans ses
opéras. Il leur enseignait même à marcher sur le
théâtre, à se donner la grâce du geste et de Fac-
tion ; dans les répétitions il leur regardait sous le
nez, la main haute sur les yeux, aQn d'aider sa vue
courte, et d'examiner leur physionomie. 11 ne pas-
sait aucune broderie ni aux chanteurs ni aux instru-
mentistes de l'orchestre ; il a rompu plus d'un violon
sur le dos de celui qui ne le conduisait pas à son
gré. La répétition finie, Lully l'appelait, lui payait
son violon au triple et l'emmenait diner avec lui.
Avant de recevoir un violoniste nouveau à son
orchestre, il lui faisait jouer la partie des Songes
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 157
funestes (TA lys. En examinant cela de nos jours»
on hausse les épaules, le dernier des violonistes
jouerait cette partie à première vue sans hésiter.
LuUy se mêlait de la danse presque autant que
du reste. Il réformait les entrées, imaginait des pas
d'expression et qui convinssent au sujet, et quand il
en était besoin, il se mettait à danser devant ses
danseurs, pour leur faire mieux comprendre ses
idées.
Lully aimait si passionnément sa propre musique,
que, de son propre aveu, il aurait ttié un homme
qui lui eût dit qu elle était mauvaise. II Fit jouer
pour lui seul un de ses opéras que le public n'avait
pas goûté.
Cette singularité fut rapportée au roi, qui jugea
que, puisque Lully trouvait son opéra bon, il devait
Têtre. IL le fît exécuter. La cour et la ville chan*
gèrent de sentiment : cet opéra était Armide.
A la convalescence de Louis XIV en 1686, les
Te Deum retentirent de toutes parts ; Lully flt aussi
le sien, pour être exécuté aux Feuillants de la rue
Saint-Honoré.
Il dirigeait la répétition et y battait la mesure;
mais ce qui nous prouve la singulière manière dont
cette mesure se battait, c'est que Lully, dans la
chaleur et Temportement, se donna sur le bout du
pied un coup de canne (1).
(1) L'origine du bâton de mesure doit être ancienne ; voici ce
qu'on lit dans la Science et la pratique du p lain^cbanty de Dom
Le Clerc, 1678: «Les plus illustres églises de l'Orient et de l'Oo*
158 MUSICIANA.
Cette blessure, légère d'abord, finit par s'enveni-
mer et coûta la vie à LuUy. Gravement malade, son
confesseur exigea qu'il jetât au feu son dernier
opéra. Cet auio-dafé eut lieu. Quelques instants
après, le chevalier de Lorraine, venant voir le mo-
ribond, lui dit : c Comment ! tu as été assez fou pour
brûler ton opér^ ? — Paix, monseigneur, » lui dit
Lully, et il lui souffla à Toreille : « J'en ai une
copie, et bien plus belle encore. »
Lully laissa six cent trente mille livres en or à
ses héritiers*
l'abbé pellegrin.
L'abbé Pellegrin était assez pauvre, sa messe
ne pouvait guère suffire qu'à le faire dîner. Il s'oc-
cupait le reste de la journée à composer des pièces
de théâtre pour avoir de quoi souper. Un poète peu
connu, nommé Rémi, fit sur lui ces deux vers sou-
vent répétés :
Le malin catholique et le soir idolâtre,
Il dînait de l'autel et soupait du théâtre. «
Des occupations si peu convenables à son carac-
cident ont établi un chantre d'office, et lui ont mis un bâton en
main, pour marquar qu'elles ne Tout pas estimé moins nécessaire
à la conduite du chant, qu'est le doyen ou l'abbé au gouvernement
du chapitre ou du monastère. »
Berlioz et Richard Wagi^er ont écrit des opuscules sur la ma-
nière de diriger, mais ni l'un n) l'autre ne parlent de l'origine du
bâton de mesure.
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 159
tère de prêtre le firent interdire par le cardinal de
Noailles.
L'abbé Pellegrin avait composé un opéra inti-
tulé Loth^ commençant ainsi :
L*amour a vaincu Lolh. . .
Comme tout le monde connaissait la détresse de
Fauteur, et que d'ailleurs sa toilette la trahissait de
reste, surtout sa culotte, un mauvais plaisant dit
qu'il devrait bien en emprunter une à l'Amour.
Ajoutons à réloge de Pellegrin qu'une grande
partie de ce qu'il retirait de ses travaux passait à sa
famille, pour laquelle il se refusait quelquefois le
nécessaire.
¥ ¥
RAMEAU.
{Mémoires de Bachaumont, 12 septembre 1764.)
« Rameau^ sans contredit, un des plus célèbres
musiciens de l'Europe, et le père de l'école française,
est mort aujourd'hui d'une fièvre putride, accom-
pagnée de scorbut. Il avait 83 ans.
c Le roi lui avait accordé des lettres de noblesse
pour le mettre en état d'être reçu chevalier de
Saint-Michel; mais il était si avare, qu'il n'avait
pas voulu les faire enregistrer, et se constituer en
une dépense qui lui tenait plus à cœur que la no-
blesse.
160 MUSICIANA.
e II est mort avec fermeté. Différents prêtres
n'ayant rien pu en tirer, M . le curé de Saînt-Eus-
tache s'y est présenté, a péroré longtemps, au point
que le malade, ennuyé, s'est écrié avec fureur: Que
diable venez-vous me chanter 7à, monsieur le curé?
vous avez la voix fausse! »
« Tous les amis de M. Rameau le sollicitaient
depuis longtemps de travailler à un opéra, il s'en
excusait sur le défaut de paroles. L'abbé Pellegrin
lui fut indiqué ; il l'alla voir, lui déclarant le motif
de sa visite. Mais l'abbé^ qui vivait de ses ouvrages,
et qui ne connaissait pas M. Rameau, exigea une
reconnaissance de cinq cents francs, pour prévenir
le mauvais succès. Le marché conclu, l'abbé Pelle-
grin donna les paroles d'HippoIyte et Aricie.
« Quelque temps après, M. Rameau fit exécu-
ter un acte chez M. de la Popelinière (un Mécène
d'alors).
c Au milieu de la répétition, le poète, qu'on y avait
invité, se lève avec transport, court à M. Rameau
et lui dit : Monsieur, quand on fait de la musique
de cette beauté , on n'a pas besoin de caution. Aus-
sitôt il prend le billet et le déchire devant tout le
monde. » {Mercure de France.)
¥ ¥
LE GRAND FRÉDÉRIC.
Une chanteuse italienne que le roi de Prusse
Frédéric II aimait beaucoup, mécontente de san
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 16t
directeur, prit la fuite. Frédéric fit courir après
elle; on la joignit sur les frontières du Tyrol; des
hussards la ramenèrent à Potsdam.
On la conduisit dans la chambre du roi, qui lui
dit : « Madame, pourquoi vous êtes-vous enfuie ? »
La pauvre femme, à demi-morte de frayeur, ne
put trouver la parole pour répondre et se jeta aux
pieds du roi.
— Ne craignez rien, lui dit Frédéric, je vou-
lais seulement vous dire adieu ; maintenant vous
pouvez aller où bon vous semble.
Il a peut-être dit : Vous pouvez aller au diable !
Le compositeur allemand Benda venait de ter-
miner un air pour son Roméo et Juliette, il était
deux heures du matin. Tout ravi de la réussite de
son morceau, il prit son piano sous le bras (on avait
alors des pianos portatifs) et courut chez Gotter,
l'auteur des paroles, le réveilla en s'écriant : « Voici
mon air, je vais vous le chanter. » Il posa- son
piano sur la table, exécuta son morceau, puis ren-
tra chez lui, avec son instrument sous le bras.
Cette anecdote m'en rappelle une presque pareille
d'Auber, je yourrais dire plusieurs pareilles, car
madame Cinti-Damoreau m'a conté bien des fois
qu'Auber, après un air terminé pour elle, accourait
chez elle au milieu de la nuit, et la faisait réveiller
pour le lui faire entendre.
162 MUSICIANA.
Le duc Guillaume-Maurice de Saxe-Merseboupg,
qui vivait dans la première moitié du siècle dernier,
avait une telle passion pour la contre-basse, que
dans son château de Mersebourg une grande salle
était entièrement garnie de ces instruments. Une
contre-basse monstre trônait au milieu, et pour la
jouer il fallait monter sur une échelle assez haute.
Beaucoup d'étrangers visitaient ce duc, hospitalier
et d'un commerce facile, mais chacun d'eux était
obligé d'écouter un ou plusieurs morceaux de contre-
basse, exécutés par le duc, et ne pouvait se dis-
penser de lui témoigner son ravissement. A tous
ses voyages, même à ses promenades, le duc était
accompagné par une contre-basse, appelée la Favo-
rite ; de temps en temps il s* arrêtait, en jouait un
peu^ puis continuait son chemin. Il avait épousé une
princesse aimable, charmante, mais il lui préféra
sa contre-basse !
Lorsque Quantz (dont la méthode de flûte est
encore consultée) mourut en 1777, il venait d'écrire
le premier Allegro et l'Adagio de son 300* con-
certo pour la flûte.
Le roi Frédéric II se fit remettre le dernier ma-
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 168
nuscrit de Quantz, remplit les quelques lacunes
laissées dans Tadagio, et enfin y ajouta, de sa com-
position, le dernier Allegro, écrit dans le style de
Quantz. Le roi exécuta ce concerto avec sa musique
de chambre ; TÂdagio de cette composition est sim-
ple et très-touchant. A la fin de ce morceau, le
royal virtuose dit à Benda, son maître de chapelle :
€ On voit bien que Quantz a quitté ce monde dans
d'excellents sentiments. »
Le compositeur anglais Kelly, trouvant que son
talent de musicien n'était pas récompensé au taux
de son mérite, résolut de se faire marchand de
vin.
Ayant consulté là-dessus son ami Sheridan, ce-
lui-ci lui répondit : « Je suis de votre avis, mais je
vous conseille de mettre sur votre enseigne: Kelly ^
marchand de musique et compositeur de vins. »
Que sont donc les petits prodiges artistiques
d'aujourd'hui à côté de William Grotch, né à Nor-
wich en 1775.
Il avait deux ans, lorsqu'un soirune voisine delà
famille vint leur jouer de l'orgue comme passe-temps.
164 MUSIGIANA.
L*«nfant, tenu dans le giron de sa mère, devint
inquiet, et on ne sut comment le calmer. En vou-
lant le porter dehors, et en passant devant Tinstru-
ment, Tenfant étendit vers lui ses petits bras avec
tant de véhémence, qu'on lui laissa toucher le cla-
vier. Quel fut l'étonnement de l'assemblée quand
on vit cet enfant jouer avec suite un grand frag-
ment d'air que la voisine avait chanté en s'accom-»
pagnant ! Ce prodige de deux ans fit accourir tous
les curieux de Norwich ; car, non content de jouer
les airs qu'il avait entendus, il y mêlait, aussi des
choses de sa composition et le chroniqueur dit
que c'était très-remarquable.
A
¥ 4
MOZART.
Comment Mozart composait-il ?
Le mieux est de le laisser dire à Mozart lui-
même. Voici comment il s'exprime dans une lettre :
« Quand je me trouve bien disposé, de bonne
humeur, comme en voyage dans une voiture, ou
bien à la promenade après un bon repas, ou bien la
nuit quand je ne puis dormir, c'est alors que les
idées me viennent en foule et le mieux Celles qui
me plaisent, je les retiens, et même je les fredonne,
comme d'autres m'ont dit du moins. Quand je tiens
cela, il me vient de ci de là des bribes dont on
pourrait se servir et en faire un pâté, selon les exi-
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. <65
gences du contre-point, de la sonorité des instru-
ments, etc., etc. Cela m*échauffe l'âme et grandit
toujours, quand aucun empêchement ne se met en
travers; je développe la chose de plus en plus, et
vraiment l'œuvre se termine complètement dans
ma tète.
< Quelque long que ce soit, d'un coup d'œil j'em-
brasse le tout en esprit, comme on considère un
beau tableau. C'est là un vrai régal.
c Les combinaisons, la facture, tout cela passe
comme un rêve bien senti, mais le meilleur est
d'entendre 1& tout ensemble. Ce qui s'est fait de
cette manière, je ne l'oublie pas aisément, et c'est
peut-être le plus beau don que Dieu m'ait fait.
' € Quand après cela je me mets à écrire, je n*ai
qu'à prendre dans la poche du cerveau tout ce qui
s'y est rassemblé, comme je viens de le dire. Par
cela même aussi l'écriture s'accomplit vivement, et
reproduit, sans changement aucun, ou au moins
fort rare, tout ce qui s'était logé dans mon esprit.
Voici pourquoi on peut me déranger tandis que
j'écris, je puis même causer, surtout parler de
jioules et d'oies, de Margierite, de Babette, et
d'autres choses, j'écris toujours! »
Les six quatuors dédiés à Haydn par Mozart en
1785 furent d'abord méconnus, comme beaucoup
d'autres de ses œuvres. D'Italie on les renvoya à
l'éditeur allemand Artaria, en disant qu'il y avait
tant de fautes de gravure qu'on n'y pouvait rien
comprendre. On traitait de fautes de gravure les
<66 MUSICIANA.
nouvelles richesses d'harmonie et les hardiesses du
compositeur.
En Hongrie, le prince Grassalkowitch fit exé-
cuter ces quatuors par sa chapelle et s'écria à tout
instant : « Mais, messieurs, vous jouez faux ! »
On lui soumit la musique, et le prince, tout hors
de lui, en voyant que ce qu'il appelait des absur-
dités existait réellement, déchira la musique en
mille morceaux.
L'ouverture de Don Juan.
Deux jours avant la représentation, Mozart n'avait
pas encore livré son ouverture ; la répétition géné-
rale eut lieu, toujours sans ouverture. Enfin, on
insista, et Mozart promit de la faire en rentrant.
Les amis de Mozart furent désagréablement surpris^,
croyant le maître à l'ouvrage, de le voir laprés-
dînée se promener en voiture ; il avait Tair de s'amu-
ser de leur inquiétude.
Enfin, la veille de la représentation, il rentra av^c
une forte dose de vin et de punch, pour se mettre
au travail. Il était minuit. La fatigue Tempécha
d'écrire, il dut se coucher, en recommandant à sa
femme de réveiller une heure plus tard. Quand la
pauvre veilleuse vint pour s'acquitter de la recom-
mandation, elle trouva que son mari dormait si
bien qu'elle hésita... tant et si longtemps qu'il était
deux heures quand elle le tira de son sommeil.
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 167
Mozart se mit à écrire, sa femme lui fit du punch,
tout en lui narrant des contes de Barbe-Bleue et
autres enfantillages ; le compositeur riait aux larmes,
mais il écrivait toujours. De temps en temps pour-
tant sa tète retombait sur le manuscrit et il se
redressait en sursaut.
En quelques heures il termina l'étonnant chef-
d'œuvre.
A sept heures du matin les copistes vinrent cher-
cher l'ouverture, et copièrent jusqu'à l'heure de la
représentation; les parties furent mises, encore
humides, sur les pupitres.. On pouvait oser cela
avec le vaillant orchestre de Prague : l'ouverture
fut exécutée à première vue, et quelle exécution !
les applaudissements ne pouvaient tarir.
Rochlitz raconte qu'un soir, se trouvant avec
Mozart chez Doles, un musicien de l'église Saint-
Thomas à Leipzig, très-aimé de Mozart, et le
maître' devant partir le lendemain pour Dresde,
Doles lui demanda quelques lignes de souvenir.
Mozart se moqua d'abord de ce qu'il appelait de la
sensiblerie^ puis demanda un chiffon de papier;
on lui donna une feuille qu'il déchira en deux, écri-
vit pendant cinq ou six minutes, puis remit un des
manuscrits à Doles et l'autre à son fils.
La première feuille contenait un canon à trois
voix, avec ce texte : Adieu, nous nous reverrons.
On déchiffra le morceau, qui fut trouvé admirable
et plein de mélancolie. On lut après cela le second
manuscrit, c'était également un canon à trois voix
f6d MUSIGIANA.
avec ce texte : Ne pleurnichez donc pas comme de
vieilles femmes; on rit à se tordre, tellement il y
avait de verve comique. On s'aperçut alors seule-
ment que les deux canons pouvaient se chanter en
même temps, et formaient un tout à six parties. On
recommença, Teffet en fut inexprimable, et comme
on ne tarissait pas en éloges, en étonnement sur
cette prodigieuse facilité, Mozart prit son chapeau,
se sauva en leur criant : Adieu, mes enfants !
LE REQUIEM.
L'histoire du Requiem de Mozart^ sur lequel on
a tant écrit, surtout dans le journal allemand La
Cécili^ (Voy.^ vol. XXIII et les précédents), peut se
résumer ainsi : Le comte Wallsegg avait fait deman-
der ce Requiem à Mozart par son intendant Leutgeb
de Schotwien, avec Tarrière-pensée de se l'attri-
buer. Les choses se passèrent ainsi, et à l'enterre-
ment de la femme du comte, le Requiem fut exécuté
comme une composition de Wallsegg. Mozart, qui
probablement se doutait de cela, s'était servi de
quelques morceaux composés durant sa jeunesse
et il n'écrivit comme œuvre nouvelle que l'introduc-
tion. Le Requiem et le Kyrie sont du nombre des
morceaux rhabillés à neuf, et faits en 1784. Le n** 2,
Dies iraBy n'était qu'esquissé par Mozart et a été
achevé par Sûssmayer. Il n'existait que les dix-huit
premières mesures du n<> 3, Tuba mirum , Sûss-
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 469
mayèr Ta complété. Ce dernier a écrit le Rex, —
Recordare — Confutatis,
Du Lacrymosa il n'existait de Mozart que huit
mesures. A partir de là tout le reste de Touvrage
est de Sùssmayer ; mais Toeuvre entière a été pu-
bliée sous le nom de Mozart.
Qu'est devenu l'exemplaire du comte de Wall-
segg? On Ta bien cherché, mais sans le trouver. Si
jamais on met la main dessus, ce qui n'est pas pro-
bable, alors seulement on aura le véritable Re--
quiem de Mozart.
La façon romanesque dont ce Requiem fut com-
mandé est racontée par F. Rochlitz dans la Gazette
musicale allemande (1798-1799) c'est-à-dire sept
ans après la mort de Mozart.
L'illustre maître répéta à différentes reprises que
c'est pour lui qu'il écrivait cette œuvre funèbre; il
était en effet déjà bien malade alors^ et ses forces le
trahissaient parfois .
Voici le tableau final, tracé par M. Fétis: « Sùss-
mayer était debout près du lit de son maître; il
soutenait de ses mains la partition du Requiem en-
Ir'ouverle. Après en avoir regardé et feuilleté toutes
les pages avec des yeux humides, Mozart donna à
voix basse ses instructions à son élève pour termi-
ner l'œuvre. »
Un peintre devrait reproduire cela sur une toile,
quoique les personnages ne semblent pas fidèle-
ment indiqués par M. Fétis. Il se trouve, en effets
dans Touvrage du chevalier de Nissen, une note
10
170 MUSICIANA.
d'après laquelle le compositeur Bénédict Schack, lié
intimement avec Mozart, raconte qu'à mesure que
le maître avait achevé un morceau du Requiem, il
en écrivait les parties de chant, puis on Texécutait
au piano. Il en arriva ainsi la veille de la mort de
Mozart; il se fit apporter sa partition. Schack chan-
tait le soprano, Mozart Y alto ^ Hofer le ténor et
Gerle la basse. Aux premières mesures du Lacry^
mosay Mozart se mit à verser d'abondantes larmes ;
on ôta la partition : onze heures après il expirait.
Nous allons donner un fragment de la lettre que
M. Sûssmayer, maître de chapelle à Vienne, écrivit
à MM. Breitkopf et Hàrtel, éditeurs à Leipzick :
c 8 septembre 1800.
« La veuve de Mozart pouvait bien prévoir que
les ouvrages de son mari seraient recherchés. La
mort rayant surpris au milieu de ce travail (le /îe-
quiem)^ on s'adressa à différents compositeurs pour
y mettre la dernière main. Les uns s'excusèrent,
sous prétexte d'affaires, d'autres convenaient fran-
chement qu'ils n'oseraient compromettre leur talent
avec le génie de Mozart.
« On s'adressa enfin à moi, parce qu'on savait que
j'avais exécuté et chanté avec Mozart plusieurs
morceaux de cette composition ; qu'il s'en était
souvent entretenu avec moi, et m'avait communi-
qué ses idées sur la partie de l'instrumentation qui
était encore à faire. Je désire que les connaisseurs
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 171
retrouvent dans mon travail les traces des pré-
cieuses leçons de Mozart.
« Les morceaux que Mozart avait à peu près ter-
minés sont le Requiem seternam, le Kyrie y le Dies
irœ et le Domine Jesu'^Christe, Les quatre parties
chantantes et la basse fondamentale de ces quatre
morceaux sont entièrement de la main de Mozart ;
mais la partie de Tinstrumentation n'était qu'indi-
quée par-ci par-là. Le dernier vers du Dies irœ
qu'il a composé est : Quâ resurget ex favilla. A
partir de la strophe Judicandus homo reus, etc., le
reste du Dies irse^ le SanctuSy le Benedictus et
VAffnus Dei sont entièrement de ma composition ;
pour donner plus d'uniformité à l'ouvrage, je me
suis seulement permis de répéter la fugue du Kyrie
à la strophe Cum sanctiSy etc. {Gazette de Leipzig ,
4* année, 1*' numéro.)
On a reproché à Mozart de s'être trop bien sou-
venu d'un thème de fugue de Hsendel, dans le Kyrie
de son Requiem ; peut-être l'a-t-il fait avec inten-
tion. Il faut plutôt regarder cela comme une ren-
contre; d'ailleurs chez Mozart le thème est en
mineur y tandis qu'il est en majeur chez Haendel.
Les développements s'écartent complètement l'un
de l'autre, comme on doit s'y attendre. Nous allons
transcrire, au reste, le début de cette fugue, tel que
ces deux maîtres l'ont écrit :
172
MUSIGIANA.
JOSEPH. Oratorio de BAENDEl
Wewillre.
Wewill re- joice—
ilal . l« - lu - i»W
Hal
^
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ANECDOTES BIOGRAPHIQUES.
178
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Te-
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rfi ■ ^
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10.
174
MUSIGIANA.
Quant au second rapprochement, celui du pas-
sage de basson avec une antienne de Haendel, cela
n*est pas bien frappant ; puis Haendel à son tour a pu
connaître la Pavane dont nous reproduisons le
commencement (page 175).
ANTIEM
Por the fbiMral of qaen
BàBMEL;
émOROSAU.
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O ' |* rJ I g ■ M I
The wajS of Zioti do
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES.
175
INTRODUCTION du REQUIEM tfe MOZART.
Baesofl. ^--^ " *Vi
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PAVANS publiée «ol695 dans l'ORCHÉSOGlAAPBiB.
i
i
iS
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4te
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i^
Bel . le qui tiens ind vi.
On lit dans une des lettres de Mozart :
« On a publié des quatuors d'un certain PleyeL,
qui est un élève de Joseph Haydn. Si vous ne les
avez pas encore, tâchez de vous les procurer, cela
en vaut la peine. Ils sont Irès-bien écrits et très-
agréables; vous reconnaîtrez aussitôt son maître.
Quel bonheur pour la musique, si Pleyel pouvait
nous renxplacep Haydn! »
L'album de Thalberg renfermait l'autographe
suivant :
176
MUSICIANA.
ALLEGRO de MOZART.(è fV de 5 aos.)
PIANO
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'P iCèiirl'D'-'t-'^'^ ^
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ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 177
GLUCK.
« C'est le bailli du Rollet, qui a amené de
Vienne en France le chevalier Gluck, et qui a fait la
coupe de la tragédie de Racine d'une manière propre
à être mise en musique. On commence à suivre les
répétitions de cet opéra à'Iphigénie avec une fureur,
présage de celle qu'on aura à courir aux représen-
tations. Cet étranger, au surplus, est enchanté de
nos acteurs, et surtout de notre orchestre, qui exé-
cute son ouvrage avec la plus grande précision.
« Le sieur Gluck est un Allemand, élève de Técole
de Naples, d'où sont sortis les grands musiciens de
l'Italie, les Pergolèse, les Orlandini. Il débuta à
Rome, il y a environ dix-huit ans, par deux opéras
Irès-accueillis du peuple de cette ville, dont Toreille
superbe est réputée la plus délicate, la plus fine de
ces contrées. On adopte sans examen sur les autres
théâtres toute musique honorée des suffrages de
cette nation.
. « Le sieur Gluck a passé depuis à Vienne, d'où il
a arrive. (Mémoires de Bachaumont,2i mars 1774.)
¥ ¥
VIOTTI.
Marie-Antoinette, l'élève de Gluck, fit inviter le
célèbre Viotti à se faire entendre à Versailles. Le
jour convenu arrivé, toute la cour^st présente, ou
à peu près. Viotti commence, on l'écoute avec un
178 MUSIGIANA.
silence religieux quand tout à coup la voix
glapissante d'un huissier se met à crier : « Place
pour M. le comte d'Artois ! » A cette interruption on
se lève, on se dérange, on salue, on se donne
même des poignées de mains. Enfin, après dix
minutes d'interruption, le calme se rétablit, M. le
comte d'Artois est arrivé à sa place et s'apprête à
écouter comme un simple mortel Malheureuse-
ment, Viotti, outré de cette scène blessante pour lui,
avait mis son violon sous son bras durant le tinta-
marre, et avait disparu. C'est à partir de cette épo-
que qu'il résolut de ne plus jouer en public.
Les choses se sont encore passées de même,
absolument de même, il y a quelques années.
C'était aux Tuileries, dans la salle des Maréchaux.
L'empereur Napoléon III donnait une fête à l'occa-
sion du Congrès de la Paix. Entre autres morceaux
du programme, il y avait : Tout est bien qui unit
bien, petit opéra de salon, qui était joué se soir-là
par madame Gaveaux-Sabatier et M. Jules Lefort.
On en était à peu près au milieu de la pièce,
l'impératrice présente, et une salle brillamment
garnie ; je dirigeais mon petit ouvrage. En ce mo-
ment pathétique où Jules Lefort, je le vois encore,
était à genoux à côté de son panier renfermant un
lapin, et lui adressant un monologue des plus tou-
chants en langage normand, on annonce : L'Empe-
reur ! Tout le monde se lève, et durant un bon
quart d'heure, ^nême scène que celle du comte
d'Artois. Je ne pouvais pas faire comme Viotti et
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 179
m'en aller, quoique j'en eusse bien envie. Durant ce
temps le lapin, beaucoup moins patient que le com-
positeur, s'était livré à des incongruités qui ont pro-
duit une telle hilarité que tout le reste de la pièce
fut à peine écoulé.
L'anecdote suivante est-elle vraie? est-elle fausse?
J'ai lu quelque part qu'un mardi gras, sous
Louis XVIII, les bouchers et le bœuf gras venant sa-
luer Leurs Majestés aux Tuileries, selon une antique
coutume, le roi les complimenta avec beaucoup de
grâce, du haut de son balcon. Les braves bouchers en
étaient touchés jusqu'aux larmes ; le boeuf gras lui-
même, comme aussi bien les sauvages, avaient les
yeux humides. Les musiciens, tenant à ne pas rester
les derniers dans cet attendrissement où le vin bleu
jouait son rôle, se mirent à entonner : Où peut-on
être mieux qu'au sein de sa famille ? Le chœur des
bouchers, des sauvages, y mit les paroles, et la fête
fut complète (1).
¥ ¥
GRÉTRY,
Le docteur Tronchin dit un jour à Grétry, qui le
consultait sur sa santé :
(1) Il y a dans les mémoires de Grétry une anecdote du même
genre. Dans une ville de province des magistrats du Parlement
Maupeou assistaient, en loge, à une pièce burlesque où on voyait
un dindon poursuivant Arlequin. Arlequin se sauve dans la loge
des magistrats ; le dindon l'y suit, et le parterre entonne : « Où
peut-oh être mieux, etc. »
180 MUSICIANA.
— Comment faites- vous quand vous composez de
la musique?
— Mais, comme on fait des vers, un tableau ; je
lis, je relis vingt fois les paroles que je veux pein-
dre avec des sons; il me faut plusieurs jours pour
échauffer ma tête; enfin, je perds Tappétit; mes
yeux s'enflamment, l'imagination se monte : alors
je fais un opéra en trois semaines ou en un mois.
— E'.h bien ! laissez-là votre musique, ou vous ne
guérirez jamais.
— Je le sens; mais aimez-vous mieux que je
meure d'ennui que de chagrin?
GARAT.
{Mémoires de Bacbaumont^ 31 octobre 1782.)
« Un jeune Bordelais, nommé Garât, fils d'un
avocjtt et neveu de Garât, homme de lettres (1), qui
s'est établi à Paris, y est venu trouver son oncle. Il
est doué de lorgane le plus beau et le plus merveil-
leux, et s'est flatté en conséquence avec raison de
se produire ici avec succès.
« Sans savoir une note de musique (2), il contre-
fait, à s'y tromper, toutes les voix des acteurs et des
(1) L'oncle Garât était littéraleur, puis fut ministre de la justice
aous la Convention et chargé, en cette qualité, de signifier à
Louis XVI son arrêt de mort; membre de l'Inslitut et sénateur
sous l'Empire. Garât le chanteur était ardent royaliste.
(2) Garât n'a jamais été ce qu'on appelle un musicien, un /ec-
teur.
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 181
actrices, tous les instruments d'un orchestre, et â
lui seul il exécute successivement un opéra entier. '
■ « Les premiers compositeurs de cette capitale,
MM. Piccini:, Sacchini, Grétry, Philidor, ne pou-
vaient croirie à ce prodige, et s'en sont convaincus
par leurs propres oreilles.
- « Ce talent unique l'a bientôt faufilé parmi les ac^
trices célèbres, les filles du grand ton de cette capi-
tale, et c'est à qui l'aura. Il n'a que dix-huit ans;
il n'est pas tnal de figure, et en outre, passe pour être
doué d'une vigueur à toute épreuve auprès du sexe.
« C'est atijourd'hui madame Dugazon qui s'en est
emparée. Ceux qui s'intéressent à lui sont fâchés
qu'il s'énerve de la sorte. Quoi qu'il en soit, avant
Cpi'il ait perdu sa voix et son talent, ce qui ne man-
quera pas de lui arriver bientôt, on voudrait le faire
paraître à la cour, et il est grandement question
•d'engager la reine à l'entendre. »
Garât fut envoyé par son père à Paris, pour y
faire son droit, afin d'embrasser la carrière pater-
nelle. Sa mère, qui chantait bien, lui avait dès son
enfance inculqué un certain goût pour le chant;
puis le directeur du théâtre de Bordeaux, François
Beck, s'en était également occupé à ce point de vue.
O^ qui avait surtout enflammé le jeune Garât pour
la musique était une représentation à Bordeaux de
y Orphée de Gluck (1) ; il se plaisait à raconter sou-
(1) Garat a toujours chanté avec une prédilection marquée la
musique de Gluck. . . ^
11
y^t MUSIGIÂNA.
vent rimpression qae cette musicjue noble et pleine
de génie avait produite sur lui.
Mais, revenons aux Mémoires de Bachaumont;
à la date du 13 janvier 1783, on y lit :
« Ce qu'on avait prévu est arrivé : la reine a
voulu entendre M. Garât. Hier, un carrosse à six
chevaux est venu le prendre chez lui^ d'après l'in-
vitation qu'il en avait reçue ; et après s'être relayé
à Sèvres, il est arrivé à Versailles, et est descendu
chez madame la duchesse de Polignac. Il a trouvé
dans l'antichambre toute la musique prête à rece-
voir les ordres de Sa Majesté. M. Garât, au con-
traire, a été introduit sur-le-champ.
« La reine était déjà arrivée, et l'attendait avec le
comte d*Ârtois et une foule de seigneurs et de dames .
Il ne prévoyait pas ce spectacle, et la pompe de
la majesté Ta frappé au point de l'interdire et de
suspendre ses facultés. La reine et M. le comte.
d'Artois, qui se sont aperçus de son embarras, l'ont '
rassuré par un accueil rempli de bonté; ils l'ont
encouragé. Il s'est remis; il a eu l'honneur d'ac-
compagner la reine et son auguste frère ; il a chanté
seul, il a contrefait les différentes voix de l'Opéra,
surtout de Le Gros, et il a eu le bonheur de plaire
et de ne point tromper la haute idée qu'on avait
donnée à Sa Majesté de son talent naturel.
« Durant la séance, M. Garât, ou enthousiasmé, ou
tremblant du rôle qu'il jouait, et surtout de la bouf-
fonnerie à laquelle il venait de se livrer, s'est écrié
comme involontairement : Ah! si mon père me
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 483
voysiit ici^ qu'est-ce qu'il dirait ? Le maréchal de
Duras lui a répondu : Monsieur, on fera en sorte
qu'il n'ait pas lieu de s'en repentir.
« Du reste, M. de Vaudreuil avait apporté toute
sorte de délicatesses dans son invitation, jusqu^à lui
écrire que la reine l'autorisait à choisir le jour et
l'heure qui lui convenaient ! »
Le père de Garât n'ambitionnait pas ce genre de
succès pour son fils ; quand il apprit que le droit
avait été mis de côté par le futur avocat, il lui sup-
prima sa pension.
La réception flatteuse que le Jeune chanteur avait
eue à la cour ne changea en aucune fagon Tavis du
père, qui répondit à cette nouvelle par la lettre sui-
vante : Je n'ignorais pas, mon Sis, que dans Rome
dégénérée, des baladins et des histrions avaient
été les favoris des empereurs.
Garât le fils était fort embarrassé, quand le comte
de Vaudreuil le fît heureusement nommer secré-
taire du comte d'Artois ; Tannée suivante il obtint
de la reine uïle pension de six mille livres.
Lors de la fondation du Conservatoire de musique,
Garât y fut attaché comme professeur de chant. Il
est assez curieux de voir comment il enseignait à sa
classe ; nous emprunterons ce détail à M. Miel, qui
a écrit une notice sur ce chanteur :
« Lorsque Garât voulait régler un air pour un
élève, il ne jetait jamais les yeux sur la musique,
ne la lisant que difficilement. Il faisait chanter le
morceau par son disciple, qu'il écoutait avec une
Î84 MUSIGIANA.
attention profonde ; il le faisait redire une secondé
fois, sans y placer la moindre observation, mais en
redoublant, pour ainsi dire, de surveillance ; puis,
imposant silence du geste, il parlait tout à coup, la
figure animée, Tœil étincelant, et chantait le mor-
ceau à sa manière avec la verve la plus véhémente
et la chaleur la plus expansive, en corrigeant les
fautes de prosodie, en accentuant le style, en im-
provisant les traits les plus convenables, les points
d'orgue les plus hardis et les plus élégants, enfin
en donnant la vie à cet air dont on venait de lui
faire entendre la lettre morte. »
Parmi les élèves de Garât il faut citer Nourrit^
Dérivis, Ponchard, Levasseur, mesdames Branchu,
Saint- Aubin, Boulanger, etc.
BEETHOVEN.
Seyfried était très- lié avec Beethoven, surtout à
l'époque où le maître produisit pour la première fois
ses symphonies et Fidelio, dans ces concerts à bé^
néfice dont Seyfried dirigea les répétitions et les
exécutions, d'après les indications de Beethoven.
Ce qui préoccupait le plus Seyfried, comme il le
raconte, c'était d'être invité par Beethoven à lui
tourner les pages quand il jouait un concerto avec
orchestre. « Tourner où et quand? Dieu du ciel!
s'écrie^Seyfried. C'étaient des pages blanches ; par-
ci par-là quelques indications illisibles, que Beet-
hoven seul comprenait, car il jouait par cœur ; je
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. *8&
ne pouvais tourner que sur un clignement d'œil du
maître, que ma préoccupation amusait beaucoup. »
On ne s'étonnera pas qu'un génie de cette taille
connût peu les choses de la vie, et encore moins
les nouveautés de la mode.
Il ignorait par exemple celle des jabots, très en
usage alors.
Une amie lui fit faire des devants de chemises à
jabots, afin qu'il parût convenablement mis devant
ses élèves. En apercevant cet ornement, il dit :
« A quoi bon cela ?... Ah ! oui, je devine, c'est pour
tenir chaud; » et il renfonça les jabots sous sa
veste.
Zelter, dans sa correspondance avec Gœthe, ra-
conte le trait suivant de Beethoven, qui se trouvait
alors à Vienne : le grand artiste entre un jour dans
un restaurant, s*attable, et finit bientôt par s'oublier
dans ses rêveries. Une heure se passe ainsi, puis
tout à coup, Beethoven appelle le garçon : « Que
dois-je ? — Mais. . . monsieur, vous n'avez encore rien
mangé, que dois-je vous servir? — Apporte -moi ce
que tu voudras, et qu'on me tonde le moins pos-
sible. »
LA MAISON DE BEETHOVEN A BONN.
. Bonn est une jolie ville sur les bords du Rhin.
Ce fleuve offre un tableau splendide au spectateur
placé sur l'esplanade {Zollhœhë), à l'une des extré-
186 MUSIGIANA.
miles du Hofgarten^ le parc du château. L'œil s'étend
à perte de vue sur les Siebengebirgey immense
paysage dont le premier plan est le Rhin ; puis des
coteaux, des vallons^ des montagnes, un ensemble
merveilleux, enfin !
Peut-être est-ce là que Beethoven (né à Bonn) a
rêvé ses plus belles symphonies, ses œuvres les plus
grandioses ; car on sait qu'entre la conception et
Téclosion des créations de Tintelligence il se passe
souvent des années.
Beethoven a habité Bonn jusqu'à l'âge de vingt-
trois ans, c'est-à-dire qu'il y a vécu ces heureuses
années où l'imagination, dans toute sa vivacité,
dans toute sa naïveté, nous montre à travers ce
prisme magique, qui est la poésie elle-même, les
objets dont les formes ne seront nettement tracées
dans notre esprit que beaucoup plus tard, mais dont
Tèmpreinte, prise dès lors, reste ineffaçable.
A Bonn (et il en est de même dans beaucoup
d'autres villes de l'Allemagne) le numérotage des
maisons ne recommence pas à chaque rue. Les nu-
méros partent d'un point convenu et continuent jus-
qu'à épuisement. Ainsi la Rheingasse (rue du Rhin),
où se trouve la maison natale de Beethoven, offre
d'abord à Tune de ses extrémités le numéro 883 ;
de l'autre côté, elle commence par une maison
d'assez belle apparence sans numéro, mais la mai-
son suivante porte le numéro 943. La Rheingasse
est étroite et tortueuse : sa quatrième maison, avant
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. Ifl?
d'arriver au Rhin (numéro 984), a une façade en
briques ; elle est à Irois étages.
W^iion *v ^eeVtjovtt^tSt n^
188 MUSIGIANA.
. Sur un long tableau, accroché à la hauteur du
premier élage, on lit.: Gewirthschaft von J<)b. Jos.
Stepbani,.. C'est, en effet, une auberge ou restau-
rant de troisième ordre. On a quelque peine à dé-
couvrir, auprès de cette enseigne, une pelite plaque
en marbre sur laquelle sont gravés ces mots : Ici
EST NÉ Beethoven.
Il n'y a de cela qu'un siècle, Beethoven étant
venu au monde le 17 décembre 1770, et pourtant
ce n'est déjà plus la maison d'alors. La façade a été
entièrement reconstruite depuis peu d'années ; mais
l'arrière-maison, et son aménagement intérieur ont
été respectés, y compris l'escalier de bois condui-
sant au premier étage où se trouve la chambre dans
laquelle est réellement né Beethoven. Cette petite
pièce est aujourd'hui en assez mauvais état : blan-
chie à la chaux, elle reçoit le jour par une fenêtre
carrée, sorte de châssis à petits vitraux, dont la
partie inférieure ne peut être ouverte ; la moitié su-
périeure s'enlève tout d'une pièce à Taide de deux
loquets. Cette fenêtre est du temps ; elle a, dans le
coin de droite (en haut), un petit carreau grand
comme la main, qui s'ouvre à charnière et sert à
donner de l'air: il n'en fournit guère, hélas !
La chambre vénérable est actuellement habitée
par la servante de la maison. Comme meubles, elle
renferme un grabat et une espèce de caisse où la
servante peut serrer ses bardes : à cela se borne la
description mobilière. Une autre pièce, encore plus
petite et lambrissée, communique avec la première
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 189
OU la continue ; il n'y a jamais eu de porte entre leis
deux. Cette arrière-pièce est un débarras : fouillis
de paniers, de boîtes, de chiffons, etc.
. La pauvreté de cette chambre, où règne le sou-
venir d'une si grande gloire, jette dans Tâme une im-
pression de trisiesse ; le besoin d'ak qu'on éprouve
en la visitant y contribue pour une boîine part. On
sait, d'ailleurs, que les parents de Beethoven
étaient pauvres : son père faisait partie de la cha-
pelle de l'électeur de Cologne en qualité de ténor (1).,
Sur le même carré, et contiguë aux deux petites
pièces dont on vient de parter, se trouve une cham-
bre plus convenable, tapissée en vert : c'est là qu&
Beethoven travaillait dans sa première jeunesse.
Cette chambre, modestement, mais proprement
meublée, est pour le moment habitée par un étu-
diant ; elle forme donc un petit logement qui se loue,
et, par suite de sa destination, change souvent d'oc-
cupant.
Les parents de Beethoven n'étaient eux-mêmes
que les locataires de cette maison. Depuis lors, elle
a été revendue plusieurs fois ; son propriétaire ac-
tuel ne la possède que depuis quatre ans.
Il né reste plus aucun meuble, aucun objet qui
mi appartenu à la famille Beethoven ; c'est là un
fait regrettable, car de ces objets on aurait pu créer
un petit musée, ou plutôt un petit sanctuaire, que
(1) Voir le» Notices biographiques sur Beethoven ^ par Wege-
1er et RieSy truduclion par A. Lcgenîil, 1862.
11.
190 MUSICIANA.
bien des admirateurs du grand homme seraient al-
lés visiter. En l'absence de ces souvenirs intimes,
on saura gré certainement à l'un de nos amis de
nous avoir rapporté de Bonn le croquis du modeste
toit sous lequel naquit et grandit ce puissant génie.
Bien que contesté, ce fait est de tradition popu-
laire à Bonn, et confirmé d'ailleurs par la plaque de
marbre, sur laquelle la municipalité de cette ville a
fait graver Tinscription : Ici est né Beethoven, Il
est hors de doute que c'est bien là l'heureuse et
modeste maison qui vit naître les premiers chefs-
d'œuvre de ce génie grandiose, sublime. (Ecrit en
1865.) ^ .
CHARLES-MARIE DE WEBER.
Après rimmense succès du Freyschatz^ le direc-
teur du théâtre de Covent-Garden à Londres, com-
manda à Weber un opéra. L'illustre compositeur
écrivit à cette intention sa partition d'Obéron, à
laquelle il travailla dix-huit mois.
Il arriva à Londres le 6 mars 1826 ; son ouvrage
fut représenté le 12 avril.
Weber était déjà souffrant d'une affection de la
poitrine, en quittant Dresde pour se rendre en An-
gleterre. Sa santé s'altéra de jour en jour. Voici
la lettre qu'il écrivit de Londres à sa femme, le
30 mai, quelques jours avant sa mort :
ANECDOTES BIOGRAPHIQUKS. ^ I9i
« Chère Lina,
« Il faut que je m'excuse encore une fois sur ma
brièveté et le décousu de ma lettre : j'ai tant à faire!
Il m'en coûte aussi d'écrire, parce que ma main
tremble... Et puis aussi, l'impatience de partir s'em-
pare de moi. Tu ne recevras plus guère de lettres
de moi, car apprends mon ordre cruel : Ne me ré-»
ponds plus à Londres, mais bien à Francfort, poste
pestante. Tu t'étonnes? Oui, oui, je ne passerai
point par Paris ; que dois-je y faire? je ne puis ni,
marcher, ni parler. Je bannirai le travail pendant
une année entière. Ainsi, le chemin, le plus court
vers mon chez moi : de Calais par Bruxelles, Co-
logne, Coblentz, puis le Rhin, jusqu'à Francfort;
quelle délicieuse navigation !
« Quoique obligé de voyager un peu lentement, et
de me reposer de temps en temps une demi-journée,
nous gagnerons toutefois au moins quinze jours, et
j'espère me trouver dans tes bras à la fin de juin.
« Si Dieu le permet, je partirai d'ici le 12 juin ;
si seulement Dieu voulait me donner un peu plus
de force... Enfin ! je suis sûr qu'une fois en voyage,
tout ira. pour le mieux ; mais que je quitte ce climat !
Je vous.embrasse tendrement, mes bien-aimés !
« Votre père Charles, qui ne vit que pour vous. »
Weber mourut trois jours après cette lettre, le
5 juin 1826, sans avoir pu quitter Londres.
192 ^ MUSIGIÂNA.
Tout le monde sait que la Dernière pensée de
Weber est une composition de Reissiger,; c'est le
n° 5 d'un recueil de douze valses pour le piano, m-
tiiulées : Danses brillantes , op^ 26. Reissiger était
jeune alors, et ses valses probablement peu con-
nues. C'est un éditeur de Londres, Wessel (d'ori^
gine allemande), demeurant alors à Hano ver-Square,
qui eut l'idée de faire paraître la valse de Reissiger
sous le nom de Weber, qui venait de mourir* Dans
ces dernières années, Reissiger se plaignit encore
à mon ami Barthe de cette substitution de nom d'au-,
teur.
Le journal le Gaulois a publié une anecdote sur:
Weber, durant son séjour à Londres, anecdote peu
probable, surtout avec la date de 1811, qui est à
rectifier. Quoi qu'il en soit, la voici:
Un jour que Weber se promenait en nombreuse
compagnie sur les bords de la Tamise, la fantaisie
lui prit de jouer un air de flûte.
Survient un groupe déjeunes officiers qui sor-
taient probablement de fort bien déjeuner.
Weber s'arrête et, sans ostentation, remet l'ins-
tï*ument dans sa poche.
— Pourquoi ne jouez-vous pas ? lui demanda un
des officiers,
— Par la même raison qui m'a fait jouer,
— Et laquelle ?
— C'est que cela me plaît.
— Eh bien ! si vous ne vous remettez à jouer,
nous allons vous jeter à l'eau.
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 193;
Les officiers étaient animés et faisaient sonner
• ■■■(■■■ • ,
leur ferraille d'un air menaçant^ Il y avait des
dames. W^ber crut sage de s'exçcuter de bonne
grâce. Seulement, quand il eut fini, il glissa dans
Toreille de son provocateur qu'il serait heureux de
le rencontrer le lendemain dans Hyde-P^rk.
L'officier fut exact au rendez- vous. Weber, qui
l'y attendait, s'approcha de lui et, l'ajustant avec
un pistolet :
— Vous m'avez fait jouer de la flûte, hier ; eh
bien ! dansez, maintenant.
L'officier se fit un peu tirer Toreille ; mais, devant
L'attitude résolue de son adversaire, il se mit à exé-
cuter, de l'air le plus grave,, une gigue nationale .
— Maintenant, monsieur, dit Weber, nous som-
mes quittes, et je suis prêt à vous donner telle sa-
tisfaction qu'il vous plaira.
. — Ma foi non, répliqua le jeuiiè homme , vous
êtes un garçon d'esprit, et j'aurais tort de vous en
vouloir,.. Touchez là, je vous en prie.
Depuis ce jour, Weber n'eut pas de plus fervent
ami que son adversaire.
(Gaulois.)
RÉBEL ET FRANCŒUR.
Ces deux compositeurs de musique, liés dès
leur jeunesse, ont toujours travaillé en commun ;
ils ont eu ensemble la direction de l'Opéra et la
surintendance de la musique du roi.
194 MUSIGIANÂ.
Quels que fussent leurs siiccés au théâtre, on
n'a jamais pu savoir, ni de l'un ni de l'autre, au-
quel appartenait tel ou tel morceau dont le public
faisait un cas particulier.
En vain la marquise de Pompadour, leur protec-
trice commune , les interrogea -t- elle chacun en
particulier, et en leur promettant le secret, jamais
elle ne put obtenir d'autre réponse que : iTest PoU'-
vrage de tous les deux.
Rébel, mort depuis dix ans, et Francœur ayant
alors 87 ans, les amis de ce dernier, lorsqu'ils l'in-
terrogeaient sur cet article, n'obtinrent jamais d'au-
tre réponse que celle qui avait été faite à la mar-
quise de Pompadour.
DAQUIN.
M. Fétis semble écrire à regret les quelques li-
gnes flatteuses accordées à l'organiste Daquin ,
mort en 1772. Que n'a-t -il consulté Mercier dans
son Tableau de Paris !
« Tout a changé au jour que j'écris (1781). On
joue durant l'élévation des Ariettes et des Sara-
bandes ; au Te Deum et aujc Vêpres y des Chasses,
des Menuets y des Romances ^ des Rigaudons. Où
est donc cet admirable. Daquin qui m'a ravi tant de
fois!
€ Il est mort en 1772, et l'orgue avec lui.
« Son ombre semble pourtant voltiger quelque-
f(>iç,sur la tête de Gouperin.
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 195
c Daquin composa à l'âge de huit ans un motet
à grand chœur et symphonie. On fut obligé de le
mettre sur une table pour en battre ^a- mesure.
« Organiste des chanoines réguliers de Saint-
Antoine, Daquin, à une messe de minuit de Ncél,
imita si parfaitement sur Torgue le chant du rossi-
gnol, sans que le couplet dans lequel il le faisait
entrer parût gène en rien de cette addition, que
la surprise fut universelle. Le trésorier de la pa-
roisse envoya le suisse et les bedeaux à la décou-
verte dans les voûtes et sur le faîte de l'église :
point de rossignol, c'était Daquin.
« Quand Torgue de Saint-Antoine fut réparé et
augmenté de Bombardes, on annonça dans les pa-
piers publics la fête de Saint-Paul, nous y étions ;
prodigieuse aflluence ! Tout était plein à ne pou-
voir se ramuer, chœur, nef, bas-côtés, chapelles la-
térales, chapelles éloignées, les deux sacristies, les
galeries d'en haut, l'escalier de l'orgue, les pas-
sages, le devant du portail. Les caresses tenaient
toute la rue Saint- Antoine jusqu'aux Gélestins. Ce
fut ce jour-là que Daquin, plus sublime que jamais,
tonna dans le Judex creéefris, qui porta dans les
cœurs des impressions si vives et si profondes, que
tout le monde pâlit et frissonna.
t M. Dauvergne, actuellement à la tête de l'opéra,
fut si vivement frappé, qu'il sortit des premiers et
courut vite confier au papier les traits sublimes
qu'il venait d'entendre. Il les a tous placés dans son
beau Te Deum à grand chœur.
tas . MUSICIANA.
« Il y a eu des organistes, mais Daquin est Da-
qùin.
GHÉRUBINI.
. Un phfénolôgue, Ch. Place, a publié en 1842 une
brochure biographique, accompagnée d'une analyse
phrénologique de Ghérubioi. A la ConstructivUé
nous lisons : « Cet instinct, dont le développement
m'avait frappé à la première vue, a joué ua rôle
très-grand dans la parfaite exécution des œuvres
de ce maître ; mais il était si irrésistible qu'il se
trahissait incessamment. Chérubini passait un temps
infini à élever de petites constructions à Taide dé-
partes à jouer ; il faisait aussi, avec des cartes dé-
coupées, de petits dessins fort bizarres : c'étaient
des parades italiennes, des charlatans sur leurs
tréteaux vendant leur orviétan, ou d'autres scènes
burlesques. Les personnages, la maison, le paysage
étaient pris dans la figure ou même les signes du
jeu : cœur, carreau, trèfle, pique, habilement taillés
et façonnés, puis complétés avec l'encre de Chine
pour l'exigence de certains détails. Ces petites fan-
taisies se rapprochaient de la mosaïque : œuvres 4d
patience et de fermeté, elles démontraient le déve-
loppement instinctif du coloris et de la forme,
dirigés par V imitation et souvent par la gaieté, mais
pointpar l'idéalité, qui résume toutes les perceptions
e^t crée avec elle des êtres nouveaux, gracieux et
intelligents. La veille de sa mort, il se livrait une
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 197
dernière fois à ce travail avec une adresse et une
sûreté d'exépution remarquables.
« En résumant ces diverses combinaisons , on
peut juger des différences dans les formes et le
coloris dans ces petits travaux, entre lui et son
élève Boïeldieu ; celui-ci dessinait aussi, mais avec
cette grâce et cette vivacité que Tesprit et Timagi-
nation façonnent. Boïeldieu^ en effet, mêlait à ses
lettres, à ses compositions, de petits dessins qui en
étaient les commentaires, ou pour mieux dire, en
me servant d'une expression à la mode, il illustrait
les pages que sa plume parcourait- »
BBRTON. *
Sous, le titre : Histoire d'un chef-d'œuvre >.
M. Edouard Monnais (sous le pseudonyme de-
P. Smith), a publié en 1841 , dans la Gazette musicale^
une suite d'articles fort intéressants sur Berton et
sur son opéra de Montano et Stéphanie. Le poème,
reçu à T Opéra-Comique, fut d*abord offert par son.
auteur, Dejaure., à Grétry. Celui-ci, s'excusant:
sur son âge, proposa au parolier dé le faire mettre
en musique par Berton, qui n'avait pas alors:
trente ans. Après quelques hésitations, Dejaure.y
consentit et le porta au jeune compositeur,; qui
fut enchanté et touché jusqu'aux larmes du procédé
de Grétry. C'était à la fin de 1798, Berton, marié
et père de deux enfants, avait bien de la peine à
vivre : il vendit jusqu'à, son piano pour que le pain
Id8 MUSIGIÂNA.
ne manquât pas chez lui. Dans ces circonstances
pénibles, Montano et Stéphanie fut composé en
moins de six semaines.... Laissons la parole à Ber-
ton lui-même : « Je dis moins de si^ semaines, car
je fus contraint de rester inoccupé pendant une
semaine entière, faute de papier réglé à vingt-hi it
portées, papier qui, selon le dire du marchand,
n'existait ni chez lui ni chez ses confrères, et qu'il
faudrait régler pour moi, moyennant payement en
argent (1) et d'avance, au prix de 3 francs le
cahier. Comme il m'en fallait trois cahiers pour
écrire le grand crescendo du final de mon second
acte, cela portait à 9 francs le prix de l'acquisi-
tion, et n'ayant plus rien à vendre, il m'était im-
possible de réaliser pour le moment la somme néces-
saire. Ma philosophie allait me faire défaut, lorsque
par bonheur les frères Ga veaux, marchands et édi-
teurs de musique, se présentèrent chez moi pour
me prier de leur arranger tout de suite l'ouverture
de Démophon de Vogel, pour deux flageolets!!!
J'hésitai un moment à prendre rengagement de
commettre ce crime de lèse-musique^ mais la voix
de Montano eut plus de force sur moi que celle de
ma conscience artistique, et j'acceptai. En deux
heures, le chef-d'œuvre de Vogel fut travesti par
moi ; j'en remis le manuscrit aux frères Gaveaux,
à Texpresse condition de faire graver §ur le litre :
Arrangé pour deux flageolets, par J.-B. Figeac^
(1) On ne voulait pas d'assignats.
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 199
citoyen de Pézénas. Comme mes chers éditeurs
étaient tous deux des bords de la Garonne, je crois
que rheureuse idée d'avoir fait de l'arrangeur un
citoyen de Pézénas produisit un effet magique sur
les cordons de leur bourse, car au lieu des deux
écus de 6 francs, dont nous étions convenus pour
le prix de mon bel arrangement, ils s'empressèrent
de m'en offrir quatre. Possesseur de mon petit
trésor, je pris promptement congé d'eux pour aller
retrouver mon marchand de papier. puissance
de ce vil métal ! En entrant dans le magasin, la main
dans le gousset, j'avais eu soin de faire entendre
le son argentin de mes quatre écus. Le marchand,
qui n'était pas sourd, se hâta de me dire : < Citoyen,
par un heureux hasard, et dans le but de vous être
agréable, après de grandes recherches, nous avons
enfin trouvé dans notre arrière- magasin douze
cahiers réglés à vingt-huit. — Bien obligé, citoyen,
je ne vous en ai demandé que trois: voici 12 francs,
rendez-m'en 3, et faites-moi livrer le papier. »
Et voilà comment ce beau final put voir le jour.
Ce que nous venons de citer n'est qu'un petit frag-
ment de V Histoire d'un chef-d'œuvre, une des plus
charmantes productions de M. Edouard Monnais,
qui en a fait bien d'autres.
PAGANINI.
En 1817, Paganini se trouvait à Vérone ; ses con-
certs avaient un succès prodigieux. On lui dit un
200 MUSICIANA.
jour que le chef d'orchestre de cette ville, Valda-
brini, un excellent violoniste, se vantait d'avoir
composé un concerto que Paganini ne serait jamais
en étal de jouer. Paganini se pique au jeu : il fait
prévenir Valdabrini que non-seulement il jouerait
son concerto, mais que ce serait devant le public, à
gon dernier concert.
La répétition eut lieu. Paganini laissa aller Tor-
eheslre, préludant là-dessus des bribes de phrases
qui n'étaient pas de Valdabrini, mais qui, à la ri*
gueur, s'ajustaient assez bien sur l'accompagnement.
Les artistes, et surtout Valdabrini, étaient fort
ijatrigués. Le jour du concert (ce morceau était le_
dernier du programme), Paganini pour le jouer,
parut avec un roseau à la main, et ce fut avec ce
roseau, en guise d'archet, qu'il joua tout le con-
certo de Valdabrini, en y ajoutant même des dif-
ficultés de son invention.
Guhr, dans sa préface sur l'école du violon de
Paganini, raconte.que l'idée déjouer des morceaux
entiers sur la quatrième corde n'est pas due à Paga-
nini seul, mais qu elle appartient, en partie, à la
sœ\iT de Napoléon, la princesse Élise, duchesse de
Toscane..
Paganini s'éprit fort d'une dame de la coUr de
Toscane, et, pour exprimer sa passion, il composa
un morceau pour la corde de sol et la chanterelle^
en supprimant les autres cordes. C'était une con -
versation entre deux amoureux. Le morceau eut le
{dus grs^nd suQcès, et c'est alors que la princesse
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. SOI
Élise demanda à Paganini unmorceau dans lequel
rhomme parlât tout seul. Le grand virtuose saisit
cette idée et composa plusieurs morceaux qui élon-^
nèrent au plus haut point, tant par leur originalité
que par leur belle exécution.
OLE BULL.
Le virtuose norwégien était fort jeune quand il
vint à Paris, avec l'espoir de s'y faire un avenir.
Malheureusement c'était au moment où le choléra
décimait la population. Il n'y avait rien de mieux à
faire que de s'en aller au plus vite chercher son
bonheur ailleurs. C'est aussi le parti que prit Ole
Bull, après avoir discuté avec lui-même sur ce qu'il
allait faire, pendant un long après-dîner, en errant
dans les rues à moitié désertes de la grande ville*
Il rentra pour faire son modeste paquet. Mais
quelle ne fut pas sa surprise, son désespoir, en se
voyant complètement dévalisé ! Ses habits, son peu
d'argent, son violon, tout avait été emporté parles
voleurs.
c
Se voyant sans ressources, ne connaissant d'ailr
leurs pas une âme à Paris, il résolut d'en finir avec
la vie, et se jeta dans la Seine. Un batelier l'en
retira à moitié asphyxié. Près de là se trouvait une
mère qui avait récemmeùt perdu son fils, ravi par
la maladie contagieuse. La vue de ce jeune homme,
<iui lui rappelle son enfant, l'attendrit, et Ole Bull
dut à cette circonstance de retrouver une secondé
102 MUSIGUNA.
mère qui s'occupa de lui avec affection, et par ses
relations, parvint à lui monter un concert qui rap-
porta 1,200 francs. Avec cette somme il fît un voyage
artistique en Italie, où son talent fut goûté, puis
il revint à Paris, où le succès ne lui fit point défaut.
ME I ERBEER •
J*aurais désiré donner les notes de Meyerbeer
sur les élèves du Conservatoire, mais des amis, qui
ont tous les droits possibles pour me donner de bons
conseils, m'en ont dissuadé. Il est certain qu'à côté
des éloges il y a aussi le revers de la médaille pour
beaucoup d'artistes, dont le nom est d'ailleurs bien
connu au théâtre. Je puis dire toutefois que Meyer-
beer a, dès leur entrée au Conservatoire, mis avan-
tageusement en relief les noms de mademoiselle La-
voye, de madame Ivsreins d'Hennin, de Jourdan, de
Baltaille, de madame Lefébure-Wély, de mademoi-
selle Boulard et de madame Carvalho. Cette der-
nière, dès le second examen, a pour note : c de
l'élégance et de la grâce : ce sera une excellente
acquisition pour TOpéra-Comique. »
Ce pauvre Ketterer n'est plus, je puis donc dire
que le 9 octobre 1843 (Ketterer avait alors douze ans),
il y a : « médiocre, il ne lit pas du tout. >
Comme note à mademoiselle***, Meyerbeer met :
c elle a un r extrêmement disgracieux. » Il en faisait
donc aussi... des calembours !
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 208
M. HAUssMANN, ancien préfet de la Seine.
On connaît le goût musical de M. Haussmann,
mais peu de personnes savent que dans son jeune
temps il cultivait le violoncelle.
D'après les registres du Conservatoire, le 22 dé-
cembre 1825 M. Haussmann y était élève dans la
classe de violoncelle de M. Baudiot; le jeune artiste
avait alors 17 ans et 6 mois.
Il fréquentait en même temps la classe de contre-
point et fugue, dont les professeurs étaient Seuriot
et Jehlensperger. En 1826, M. Haussmann est en-
core inscrit comme élève dans cette dernière classe.
La femme d'un de nos acteurs célèbres, voyant
sa fin approcher, recommanda à son mari de ne pas
mettre son âge sur les lettres de faire-part.
, M. Farrenc, je le nomme en toutes lettres, car je
serais capable d'en faire autant, donc M. Farrenc
le bibliophile, se sentant bien malade, appela ma-
dame Farrenc, et, lui désignant un livre rare de sa
bibliothèque, la conjura de ne pas le laisser vendre
à moins de 500 francs.
ROSSINI.
Dans la Bibliographie musicale^ 1822, volume
^04 MUSIGIANA.
attribué à Gardeton, on lit à la page 466 : « Un grand
scandale arrive dans l'empire musical. Depuis ce
matin, 20 octobre 1821, on voit aux vitraux des
marchands d'estampes une lithographie dont le dessin
hardi et léger attire tous les regards ; elle porte
pour titré : Il signor Tambourossîni, ou la Nouvelle
Mélodie (chez Villain, rue de Sèvres, n*» 9).
« Le centre est occupé par un personnage en
costume mauresque, , dont le bras vigoureux bat
une grosse caisse, tandis que sa bouche fait résonner
une trompette attachée par un fil à son turban. Sur
cette trompette est perchée une pie, tenant dans son
bec une cuillère et une fourchette. L'un des pied3
du terrible Maure vient de briser une basse et un
hautbois ; de l'autre, il écrase un violon.
« A sa gauche est Midas, qui, à ce bruit formi-
dable, dresse ses longues oreilles; sa large facQ
s'épanouit de plaisir, ses pieds épais foulent des
partitions. Sur Tune se lit le nom de Mozart; sur
l'autre, celui de Cimarosa. D'une main ce Midas
tient un miroir.
« Dans le lointain, Apollon traverse les airs en se
bouchant les oreilles : il s'efforce de regagner lé
sommet du Parnasse. Pégase, effrayé, se cabre et
veut s'envoler.
« Est ce bien un musicien qui lance parmi les
(fi7ef/ai2^i cette pomme de discorde? Non, nous ne
le croyons pas, pour l'honneur du corps. Certes, il
n'est pas un homme de goût qui ait dissimulé son
opinion sur la grosse caisse et les deux tambours
, ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 205
de la Gazza ladra; pas un connaisseur qui rfait
regardé comme un trait d'ignorance insigne d'oser
prétendre que Rossini est plus dramatique que
Mozart ; mais nous aurions plus de peine encore à
penser que ce soit un ami de Fart qui ait eu Tidée
de verser le ridicule sur un artiste auquel nous avons
dû et nous devons encore tant de soirées agréables,
en un mot, sur l'auteur du Barbiere, du Turco et
d'Otello.
c Et, pour comble d'injustice^ ou plutôt de mala*
dresse, c'est sous le costume du héros de ce dernier
ouvrage, que le dessinateur a représenté son Tam^
bouros^ini ! Est-ce afin de mieux nous rappeler tous
ses droits à l'estime pour de grandes beautés, tous
ses titres à l'indulgence pour quelques folies ? »
N'en a-t-on pas fait de même pour Torchestration
d'Halévy, depuis ce temps-là, pour celle de Mejer-
beer,et de tant d'autres compositeurs illustres? Si
Richard Wagner avait paru alors, on aurait sans
doute cru a la fin du monde !
Or, après Richard Wagner, il y aura d'autres
étonnements, d'autres ébahissements, et il en sera
de même jusqu'à la fin des siècles.
Les contradicteurs et les faiseurs de charges ne
firent pas grand tort à Rossini, dont la réputation
était alors déjà solidement fondée. La lettre suivante
prouve d'ailleurs que ce n est pas un jeune homme
inconnu qui écrit cela (1).
(i) CoUe pièce est tirée de la collection de M. Tiioinan.
12
206 MUSICIANA.
c Bases de rengagement que M. Rossini pense
pouvoir proposer au gouvernement français :
c 1"* Il se chargera de composer un grand opéra
pour l'Académie royale de musique, se réservant
de choisir le poème et de jouir des droits d'auteur.
« 2* Il composerait aussi un opéra semi-seria ou
bouffon pour le Théâtre-Royal-Italien, et mettrait en
scène à ce théâtre un opéra de lui déjà donné ailleurs,
tel que la Semiramide, la Zelmira^ ou tout autre
qu'il arrangerait pour la troupe de Paris.
c 3"" Pour le bénéfice qui serait accordé à M. Ros-
sini, libre de tous frais, et qui aurait lieu à l'Aca*
demie royale de musique, il montera un opéra
italien de lui qui n'aura jamais été donné à Paris.
Cet opéra restera au répertoire du Théâtre Italien.
< On permettra à M. Rossini de choisir, dans le
répertoire du Grand-Opéra, le ballet qui sera donné
le jour de son bénéfice.
« 4» Il s'engagera à remplir telles fonctions dont Sa
Majesté voudrait bien l'honorer, en l'attachant à son
service.
< En raison des engagements que M. Rossini se
propose de prendre avec le gouvernement, il pense
qu'il pourrait lui être alloué une somme de qua-
rante mille francs, qui serait répartie suivant le
bon plaisir de Son Excellence, soit comme prix de
ses ouvrages, soit comme appointements attachés
aux fonctions dont il serait chargé.
c* Gioacchino Rossini.
« Paris, le !•' décembre 1823. 9
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 207
Souvenirs personnels.
Rossini n'aimait pas les traductions; selon lui
les opéras italiens devaient être chantés en italien
et les ouvrages français' en français. Le génie de
ces deux langues est si différent que les traduc-
tions réciproques ne rendent plus la pensée du
compositeur.
Méry voulait faire voir à Rossini sa traduction
de Sémiramis.
Le maître lui dit : c Je vous regarde comme mon
ami, vous m'avez assuré que vous teniez à mon
amitié Eh bien ! si vous y tenez réellement, ne
me montrez rien . »
Un jour je rencontrai mademoiselle Plessy chez
Rossini ; elle s'y présentait, je crois, pour la pre-
mière fois. A un moment, mademoiselle Plessy lui
dit : « Comment faut-il donc que je vous appelle?
monsieur est bien froid, et maître me parait bien
sévère. » Rossini, lui frappant amicalement sur
1 épaule : « Eh bien ! ma chère, appelez-moi mon
petit lapin, »
Madame Rossini m'a dit elle-même que son
mari, malade en Italie, s'était si bien trouvé de ses
soins, que, lui demandant un jour ce qui lui ferait le
plus de plaisir, elle demanda les manuscrits de ce
qu'il composerait à l'avenir. Rossini y accéda sans
peine.
D'après le conseil des médecins, et comme chan-
208 MUSIGIANA.
gement d*air, Rossini arriva à Paris, Il était alors
assez morose ; je lui avais été présenté par ma-
dame Cinti-Damoreau, et je le voyais assez fré-
quemment. Rossini ne me parlait que de sa mala-
die, de ses insomnies, c'étaient des gémissements
continuels.
Ici, à Paris, on lui conseilla la distraction mo-
rale ; par exemple de composer quelque chose
tous les jours. Le maître exécuta le remède, ma-
chinalement d'abord, puis, peu à peu il prit goût
au remède lui-même.
La vérité est que dans peu de temps Tétat moral
du maitre changea totalement ; il redevint gai, cau-
seur, et tout en simulant un air assez indifférent,
tandis qU'on exécutait ses compositions de piano
aux soirées du samedi, pour un observateur il s'y
intéressait vivement et n'en perdait pas une note.
Durant ces réunions il se tenait toujours dans la
salle à manger attenante au salon, vêtu d^une ja-
quette qui tranchait étrangement sur les habits
noirs. Au commencement des Téceptions de Ros-
sini, c'était un péle-méle incroyable ; tous les chan-
teurs de chansonnettes y passèrent, devant un pu-
blic des plus hétéroclites. Peu à peu on fît un triage,
mais il n'y avait toujours qu'une lampe pour tout
éclairage ; quant à des rafraîchissements, jamais il
n'en paraissait.
Rossini, sans vouloir en avoir l'air, prenait donc
grand plaisir à entendre exécuter à ses samedis,
par nos meilleurs virtuoses, les nombreux mor-
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 20^
ceaux de piano qu'il composait et qui sont encorB)
inédits.
Meyerbeep avait dîné un jour chez Rossini et
assistait à Tune de ces réunions, où trois morceaux
nouvellement éclos venaient d'être exécutés. C'était
le lendemain d'une nuit d'insomnie ^t, Rossini s'en-
plaignant à Meyerbeer, celui-ci répliqua finement:
« Ah ! voyez-vous, cher maître, vous vous écoutez
trop. » Ce mot charmant avait d'autant mieux son
à-propos que Rossini n'avait pas soufflé une syllabe
sur le Prophète, qu'on répétait en ce temps-là.
Le prince Belgiojoso venait de déchiffrer admi-
rablement l'air des Titans, que Rossini avait achevé
la veille. Comme on le remarquait, le mailre ré-
pliqua : € Les Belgiojoso sont tous ainsi faits, ce
sont des fausses couches de Beethoven. » (Passy,)
19 juillet 1859.)
La première fois qu'on alluma le lustre et qu'on
loua des banquettes ce fut le 18 décembre 1858.
On y joua la Laitière de Trianon, opéra de salon
en un acte et à deux personnages de Galoppe d'On-
quaire. J'en avais composé la musique, et à la fin
nous introduisîmes, la veille même de l'exécution,
des couplets en l'honneur de Rossini, au retour des-
quels entrait la prière de Moïse en double thème ;
cela fut très-goûté. Ce petit opéra fut joué par
mademoiselle Mira et M. Biéval, et suivi d'un frag-
ment de ballet de Guillaume Tell (Toi que P oiseau)
dansé par madame Taglioni et Petitpas. Inutile de
12.
210 MUSIGIANA.
dire la grande sensation produite par la réappari-
tion de madame Taglioni.
Un mot à propos de ce chœur de ballet de Guil-
laume Tell: Toi que F oiseau, etc., M. H^ Bis,
Tun des collaborateurs du poème, apporta un jour
à Rossini les paroles de cette tyrolienne :
Toi que l'oiseau ne suivrait pas, etc.
Mais alors ces vers étaient ainsi :
Toi que l'aiglon
Ne suivrait pas.
Le mot aiglon plut médiocrement au compositeur,
et ce fut Nourrit qui le remplaça par Poiseau^ mot
plus sonore et par suite plus chantant. Il parait, au
reste, d'après ce que m'a dit Rossinî, que plus
d'un vers de Nourrit s'est glissé dans Guillaume
Tell. (Raconté par Rossini en juillet 1860, à Passy.)
Voici une pièce de vers inédite de Nourrit, si-
gnée, donnée à madame Cinti-Damoreau, de qui je
la tiens en autographe :
Pourquoi donc aujourd'hui m'en vais-je avee tristesse?
D'où vient que mes enfants voulaient me retenir,^
Et qu'ils me caressaient avec plus de tendresse,
Et que j'étais ému quand il fallut partir ?
Au loin le vent s'élève,
Et ma mère, tantôt.
M'a montré sur la grève
Les débris d'un canot.
Puis au ciel, en silence,
Elle a levé les yeux...
Et malgré moi je pense
A nos tristes adieux.
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 2H
Cependant, bien des fois j'ai bravé la tempêle.
Et les vents déchaînés^ et la mer en fureur.
Et bien souvent la foudre a passé sur ma tête
Sans voir pâlir mon front, sans émouvàir mon cœur.
Toujours le vent s'élève,
Et ma mère tantôt,
M'a montré sur la grève
Les débris d'un canot.
Puis au ciel, en silence,
Elle a levé les yeux...
Et malgré moi je pense
A nos tristes adieux.
Il partit inquiet, et pendant le voyage.
Avec crainte il luttait contre les éléments.
Pourtant, après six mois, il touche le rivage,
Et rit au souvenir de ses pressentiments.
Mais là-bas, sur la grève.
Que Voit-il, au retour?
Une croix qui s'élève
Et des enfants autour...
Hélas! sa pauvre mère,
Dont l'âme était aux cieux.
Reposait sous la pierre
Témoin de leurs adieux !
Ad olphe Nourrit.
TESTAMENT DE ROSSINI.
Paris, 5 juillet 1858.
t Ceci est mon testament. Au nom du Père, du
Fils, du Saint-Esprit. Ainsi soit-il !
< Dans la certitude de devoir laisser cette vie
mortelle, je me suis déterminé à faire mes der-
nières dispositions.
212 MUSICIANA.
c A ma mort, il sera employé une somme de deux
mille francs au plus pour mes funérailles ; mon
corps sera déposé où ma femme jugera convenable.
< A titre de legs, et pour une fois seule, je laisse
à mon oncle maternel François-Marie Guidanni,
demeurant à Pesaro, six mille francs ; à Maria Ma-
zolti, ma tante maternelle, demeurant à Bologne,
cinq mille francs, et à mes deux cousins demeurant
à Pesaro, Antoine et Joseph Gorini, deux mille
francs à chacun ; ces legs sont ma seule et unique
volonté ; ils seront payés aussitôt ma mort , si
j'aurai Targent opportun ; en supposition contraire,
mes exécuteurs testamentaires prendront le temps
nécessaire en payant le cinq pour cent d'intérêt. Si
lesdits légataires fussent morts avant moi, les som-
mes seraient l'héritage des fils masculins et fémi-
nins en partie égale.
€ A ma bien-aimée femme Olympe Descuilliers,
qui a été une affectueuse et fidèle compagne, et de
laquelle tout aulre éloge serait inférieur à son mé-
rite, je lui lègue en toute propriété tous les meubles
meublant, lingerie, tapisserie, draps, porcelaine,
vases, mes autographes de musique, voitures, che-
vaux, tous les objets d'écurie et de sellerie, de
caves, cuivre, bronze, tableaux et autres; enfin,
tout ce qui se trouvera dans ma maison, , soit de
ville et de campagne, en exceptant les objets que je
vais dire ci-dessous.
. € Je déclare, en outre, être d'exdusive et absolue
propriété de ma femme, toutes les argenteries,
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 248
comme je veux qu'on reconnaisse pour sa propriété,
quel que soit Tobjet qu'elle affirmera être à elle
appartenant, bien que ces objets se trouvent dans
ma chambre ou dans mes effets, les boîtes, les ba-*
gués, les chaînes, les épingles, les armes, cannes,
pipes, médailles, les montres (exclue pourtant une
petite montre de la fabrique de Bréguet, qui appar-
tient à ma femme), une petite bataille en argent de
Benvenuto Cellini, cadre or et ivoire; autre objet
en argent, bas-relief; mes violons, alto, flûte, haut-
bois, seringue en ivoire, nécessaires de toilette,
dessins et albums, seront vendus en prisée ou par
le moyen de vente publique, de la manière que mes
exécuteurs trouveront convenable et plus profitable.
Cet argent qu'on tirera de cette vente sera placé au
profit de l'héritage. Je donne entière et pleine fa-
culté à ma femme de choisir et d'opter entre mes
propriétés foncières ou mes mobilières, valeurs^^
celles ou ceux qui seront le plus à sa convenancet
en restitution de la dot qui m'a été constituée à
l'époque de notre mariage ; tous mes autres biens,
effets et substances, j'institue et nomme comme hèr
ritière usufruitière, ma bien ' chère et bien-aimée
femme, à vie naturelle durant. Je nomme pour mon
héritier de la nue propriété la communauté de Pe-^
saro, ma patrie, pour nommer et doter un lycée
musical dans cette ville, après la mort de ma femme
seulement.
« Je défends à la magistrature, ou à. ses repré-;
sentants, communale de ladite ville, toute espèce de^
214 MUSIGIANA.
contrôle et d'intervention dans mon héritage, exi-
geant que ma femme jouisse, en toute liberté abso-
lue, ne voulant même pas qu'elle donne une caution
ou soit obligée de faire un emploi à raison des biens
que je laisserai après moi et dont je lui lègue l'usu-
fruit.
c Je nomme pour mes exécuteurs testamentaires,
en Italie, le marquis Carlo Bevilaqua et le cheva-
lier Marco Minghetti, de Bologne, où ils habitent,
leur donnant la plus grande faculté, en les priant
d'accepter les charges que mon choix leur impose,
çn me donnant cette preuve ultérieure de bienveil-
lance et d'amitié.
t Je nomme de plus, pour mes exécuteurs testa-
mentaires en France, M. Vincenso Buffarini, de-
meurant ruo Basse-du-Rempart, 30, et M. Aubry,
boulevard des Italiens, 27, les priant de vouloir
bien agréer, à titre de souvenir, onze cents francs
d'argent pour chacun d'eux, dans. Tespace d'une
année, à compter du jour de mon décès.
« Je veux qu'après mon décès et celui de mon
épouse, il soit fondé à Paris et exclusivement pour
les Français, deux prix de chacun 3,000 fr., pour
être distribués annuellement, un à Fauteur d'une
composition de musique religieuse ou lyrique, le-
quel devra s'attacher principalement à la mélodie,
si négligée aujourd'hui ; l'autre à l'auteur des paro-
les (prose ou vers) sur lesquelles devra s'appliquer
la musique et y être parfaitement appropriée, en
observant les lois de la morale dont les écrivains ne
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. S15
tiennent pas toujours assez de compte; ces produc-
tions seront soumises à Fexamen d'une commission
spéciale prise dans TAcadémie des Beaux-Arts de
l'Institut qui jugera celui des concurrents qui aura
mérité le prix dit Rossini, qui sera décerné en
séance publique, après l'exécution du morceau, soit
dans le local de Tlnstitut, ou au Conservatoire.
Mes exécuteurs testamentaires devront obtenir du
ministre^r autorisation d'immobiliser en 3 0/0 un
capital nécessaire pour former une rente annuelle
de 6,000 francs.
« J'ai désiré laisser à la France, dont j'ai reçu un
si bienveillant accueil, ce témoignage de ma grati-
tude et de mon désir de voir perfectionner un art
auquel j'ai consacré ma vie.
c Je laisse à mon valet de chambre Antoine Sca-
navini, qui m'a servi avec exactitude et fidélité, la
somme mensuelle de cinquante francs sa vie durant
et tout mon vieux vestiaire, à partir du jour de mon
décès. Je me réserve le droit de faire des additions
ou modifications au présent testament ; j'entends
et je veux qu'elles soient exécutées littéralement,
comme si elles étaient écrites dans le présent acte.
c J'annule tout autre testament.
« Fait, écrit et signé de ma main aujourd'hui,
€ Paris, 5 juillet 1858.
« Signé : Gioacchino- Antonio Rossini.»
Î16 MUSIGIANA.
c Ceci est mon codicille :
c J'ajoute ce qui suit aux dispositions que j*ai
déjà faites en faveur de ma chère femme par mon
testament.
c Je lui transmets et lègue tous mes droits et ac-
tions sur la propriété de Passy et résultant de notre
contrat avec la ville de Paris ; en conséquence,
tout ce qui peut ou pourrait revenir à moi ou â mes
ayants droit à quelque titre que ce soit, par suite
des acquisitions d'usufruit, constructions, travaux,
on pom* telle cause ou à tel titre que ce puisse être,
appartiendra à ma femme en toute propriété, et si
même, de notre vivant, nous avions fait à la ville
de Paris rétrocession de notre usufruit en vertu des
dispositions de notre contrat, ma femme prélève-
rait sur ma succession le prix que j'en aurais reçu.
« J'annule les dispositions que j'ai faites au proflt
de Antoine Scanavini, mon valet de chambre, les-
quelles seront sans effet.
« Paris, ce 4 février 1860.
« Siffné : Gioacchino-Anlonio Rossini. »
AUBER.
Après les premières représentations de 7a Muette
de Portici d'Auber, le roi Charles X, pour té-
moigner aux auteurs sa satisfaction, envoya a
MM, Scribe et Delavigne un exemplaire de l'édî-
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 2)7
tion de luxe de Tacite, et à M. Âuber une statuette
en bronze de Henri IV.
Les derniers moments d' Auber.
(Notes écrites en 1871 .)
Les compositeurs octogénaires apparaissent en
très-petit nombre dans les fastes de Thistoire musi-
cale, surtout ceux qui à cet âge possédaient,
comme Âuber, Tentière jouissance de leurs facul-
tés.
Bach y mort à 66 ans.
Hœndel 74
Haydn 77
Beethoven.,. 57
Mozart 35
Weber 40
Rossini 76
Âuber atteignit 89 ans et 3 mois. Il a composé
jusqu'au moment où la plume lui tomba des mains,
c'est-à-dire cinq ou six jours avant sa mort.
En 1869 il ressentit une légère atteinte de la ma-
ladie (1) qui devait le faire succomber deux ans
plus tard.
D'après le dire du médecin, le siège de Paris,
durant lequel M. Âuber dut renoncer à ses habitu-
des de locomotion et de distractions journalières, a
pu contribuer à ramener le mal et à l'aggraver.
(1) M. Auber est mort d'un catarrhe à la vessie.
18
8i8 MUSICIANA.
L'illustre malade ne garda réellement le lit que les ^
cinq derniers jours.
Dès le commencement de la Commune, il défen-
dit au cocher de sortir son cheval Figaro : c'était le
seul qui lui restait, Âlmaviva ayant été mangé du-
rant le siège.
Un matin il me dit : c Mon ami, rapportez-moi
de la bibliothèque du Conservatoire quelques qua-
tuors de maîtres. »
J'étais assez intrigué par cette demande. Le len-
demain je fis un choix dans les œuvres de Haydn,
de Mozart et de Beethoven, et je revenais avec
cinq partitions sous le bras (c'était le jour de la
démonstration de la paix) . Au coin dû faubourg
Montmartre et du boulevard Lafayetteje me trouvai
arrêté par cette nombreuse procession, dont le si-
gne de ralliement était un ruban bleu à la bouton-
nière. A peine quatre ou cinq rangs avaient-ils dé-
filé, que je m'entendis appeler par mon nom : c'é-
taient M. Perrin, alors directeurde l'Opéra, et M. de
Beauplan, commissaire du gouvernement auprès des
théâtres. Sur leur demande, je me joignis à eux.
Mes partitions me gênaient beaucoup, si bien
qu'arrivés à la rue Saint- Georges (où habitait
M. Auher) (1), M. Perrin me conseilla d'aller porter
mes volumes et de venir rejoindre le cortège qui se
rendait rue de la Paix. Je me rendis à cet avis.
(1) Je demeurais moi-même chez lui depuis douze ans... et j'y
suis encore.
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 219
En entrant chez M. Auber, je voulus lui narrer
ma rencontre, mais sans me prêter la moindre at-
tention, il s'assit au piano, en disant : « Commenl
trouvez-vous cela ?» Il se mit à jouer les Quatuors
pour instrumenta à cordes qu'il avait composés
durant le siège.
Je tournais les pages d'une main frémissante, et
j'avoue que la démonstration paciûque (qui se ter-
mina par des coups de fusil, comme on sait) me
sortit complètement de la mémoire •
Ces quatuors n'ont ni la forme, ni, la coupe des
quatuors classiques : c'est, par exemple, un andante
suivi d'une barcaroUe^ et voilà tout pour l'un deux.
Ce sont en réalité des espèces de fantaisies instru-
mentales pour deux violons, alto et basse> ne res-
semblant nullement aux quatuors des maîtres qui
ont illustré ce genre de compositions : c'est de la
musique gracieuse, fraîche et mélodique. M. Auber
voulait continuer ce travail, qui a été son dernier ;
quatre jours avant sa mort, il me dit qu'il s'en-
nuyait beaucoup de ne pouvoir travailler, que dès
qu'il avait écrit cinq ou six mesures, la plume lui
tombait des mains. Une amie dévouée, et qui l'a été
jusqu'à la fin, ne le quittait pas de toute la journée;
elle a rempli ses fonctions de garde-malade avec
une abnégation et une énergie qu'on ne trouve que
chez une femme.
Aujourd'hui, 6 mai, le malade ne parle plus que
par saccades, la voix est très-altérée, la respiration
difficile : il s'est affaibli d'une manière effrayante
820 MUSIGUNA.
depuis trois jours. Jusqu'ici M. Àuber ne se préoc- *
cupait guère des coups de canon, retentissant nuit
et jour, mais maintenant (9 mai) chaque détonation
le fait tressaillir. Il ne se plaint pas pourtant.
M. Ambroise Thomas, que j'ai averti de l'état du
malade, a quitté Argenteuil et est revenu à Paris
habiter la rue Saint-Georges, en voisin affectueux
et dévoué.
Il y a trois jours, M. Auber, recevant la visite de
mademoiselle Marie Roze, qui lui racontait que les
communeux étaient venus lui demander de chanter
pour leurs bleôsés, lui avait répliqué : c Ma petite. ••
il ne faut pas chanter pour la Commune je ne
l'aime pas ! »
Une après-dinée, mademoiselle Marie Roze avait
en effet été surprise par la visite de trois généraux
ou commandants de la Commune, leur état-major
s'était arrêté dans la cour. Il s'agissait de chanter
pour des blessés, mais l'artiste était enrhumée ; au
milieu de son refus, elle se ravisa et dit à ces
messieurs : « Au fait, j'ai remarqué que le matin,
j'avais un peu de voix ; si donc, au lieu d'un con-
cert, vous organisiez une messe^ je pourrais peut-
être y chanter. » Le plus jeune des chefs s'écria :
c Tiens, c'est une idée ! » Mais un vieux brûlé, un
Razoua quelconque, dit nettement : « Non, non,
une messe, ce n'est pas notre affaire. » Et l'on par la
d'autre chose ; les trois citoyens de haut grade se
mirent à faire gorge chaude de la Commune.
9 mai, au soir. — Voyant que la tête du malade
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 22!
était prise et qu'il n*y avait plus aucune volonté
chez lui, j'ai dit au cocher de mener le lendemain
do bonne heure le cheval Figaro à la maison Pleyel,
d'où, par les soins de M. Wolff, on l'a attelé à une
voiture de planches, et de cette façon il a pu arri-
ver sain et sauf à Saint-Denis. Il n'était que temps,
on est venu le réquisitionner le soir même.
10 mai. — Dans son délire, j'entends M. Auber
demander le copiste... c Gourez vite... » Puis un
instant après: « Mettez la pédale douce... Ah!
mon Dieu! que je souffre! je ne puis donc pas
mourir! »
C'est le commencement de l'agonie, qui est lon-
gue, effrayante, avec des crispations nerveuses
durant lesquelles quatre personnes sont obligées de
le tenir, pour l'empêcher de s'élancer hors du lit.
Jeudi, 11 mai. — Terrible journée, mêmes con-
vulsions que la veille, le malade n'a plus dit un
mot et a gardé les yeux fermés ; il est minuit passé
de quarante minutes, le mourant se dresse sur son
séant, ouvre les yeux tout grands, puis retombe...
tout est fini. J'ai passé cette nuit-là à son chevet,
assis sur le tabouret du piano. M. Ambroise Tho-
mas voulait rester également, mais comme il avait
une violente migraine, j'ai insisté pour qu'il allât
so reposer.
Le lendemain, le valet de chambre, âans pré-
venir personne, en allant porter à la mairie la con-
statation de décès du médecin, avait signé la décla-
Fation concurremment avec le concierge de l'Opéra.
221 MUSIGIÂNA.
Quand nous vînmes à la mairie, M. Yver père et
moi, pour faire cette déclaration, on nous apprit la
maladresse du valet de chambre. Or, comme sous
la Commune toutes choses se passaient d'une façon
particulière, sur nos instances on biffa la décla-
ration, et on en fit une autre que nous avons si-
gnée. Ce registre a été refait depuis et on nous a fait
signer de nouveau, M. Yver et moi.
13 mai. — Le corps, non embaumé, a été mis
dans un cercueil de plomb soudé : j'ai assisté à cette
opération* A quatre heures, une voiture est venue
prendre le cercueil pour le transporter dans le ca-
veau de l'église de la Trinité, jusqu'à ce qu'on
puisse faire des funérailles convenables. Dans le
coupé de cette voiture se trouvaient M. Ambroise
Thomas, M. Yver et moi. C'était là tout le convoi,
et cela se comprend du reste : durant ce temps on
arrêtait dans la rue tous les hommes, jeunes et vieux,
pour les faire marcher. Une dizaine de personnes
se trouvaient à l'église de la Trinité, entre autres
MM. Bazin et Marmontel.
Dans un premier testament, fait il y a une quin-
zaine d'années, M. Auber léguait les partitions
manuscrites de ses opéras à la bibliothèque du Con-
servatoire ; il s'en était ouvert à différentes per-
sonnes. Malheureusement M. Auber avait refait son
testament le 6 avrils c'est-à-dire cinq ou six semaines
avant sa mort, et cette clause fut oubliée.
Ayant doniié le testament de Rossini, je devrais
donner celui-ci, mais il n'a vraiment rien d'artis-
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES. 223
tique : quelques legs à ses anciens domestiques,
voilà tout ; les légataires universels sont deux nièces
de M. Auber.
Mon ami Ed. Fournier, dans ses Légendes des
rues de Paris, entretient ses lecteurs des cèdres du
Liban : qu'on me permette de dire un mot du
platane que M. Auber a planté il y a 40 ans dans la
cour de son hôtel, 24, rue Saint-Georges. Ce platane
avait tout au plus deux pieds quand l'illustre com-
positeur le porta chez lui ; il venait de le déraciner
lui-même dans le jardin de madame Ginti-Damo-
reau, qui s'était bien amusée de sa plantation, la
seule qu'il ait jamais faite. L'arbuste prospéra et
devint un arbre aussi ha«t que l'hôtel ; il se trouvait
devant les fenêtres de mon pavillon, et en été les
pierrots y chantaient avec une gaieté folle. Maintes
fois M. Auber m'a dit avec satisfaction : «G*est pour-
tant moi qui l'ai planté !... ^ Je ne manquais pas d'a-
jouter: « Et vu naître. » Eh bien! ce souvenir du
grand artiste a été impitoyablement détruit par un ar-
chitecte barbarci et cela sans aucune nécessité ; je
ne le nommerai pas, car je lui ferais honte. J'étais
alors en Normandie, au mois d'août après la mort
de M. Auber, A mon retour j'ai été désolé de ce
vandalisme.
VERDI.
Un original de Reggio, qui s'en était allé voir à
Parme une représentation d'Aïda et qui ne s'y était
884 MUSIGIANA,
pas plu» écrivit à Verdi pour lui réclamer ses frais
de déplacement, de billet et même de nourriture
pendant cette petite excursion. Le maestro a poussé
la bonté d'âme jusqu'à lui faire remettre la somme
qu'il demandait, en le priant toutefois de ne plus
assister à Favenir à la représentation de ses ou-
vrages nouveaux. L'habitant de Reggio envoya un
reçu en règle, s'engageant à ne plus aller entendre
les opéras de Verdi qu'à ses risques et périls. {Uart
musical.)
IIANIES DE QUELQUES COMPOSITEURS <
Gluck, pour échauffer son imagination et se
transporter en Tauride, à Sparte ou dans l'Erèbe,
avait besoin de se placer au milieu d!un pré. Là,
au grand air, exposé à Tardeur du soleil, ayant son
piano devant lui, et deux bouteilles de Champagne
à côté, il écrivait les deux Ipbigénie^ les plaintes
à' Orphée et l'amour téméraire de Paris.
Sarti, au contraire, préférait une chambre vide,
vaste, obscure, éclairée d'une façon lugubre par
une seule lampe suspendue au plafond ; il ne
trouvait de pensées musicales qu'au milieu de la
nuit et dans le plus profond silence. Il écrivit de
cette manière le Medonte^ le rondo Mia speranza^
et le bel air : Dolce campagna.
Saubri, le musicien de la raison, était obligé,
ANECDOTES BIOGRAPHIQUES* 225
pour féconder son imagination, de sortir de chez
lui, de parcourir les rues les plus fréquentées de
la ville, en mangeant des bonbons, et d'avoir tou-
jours à la main ses tablettes et son crayon pour
noter sur-le-champ et saisir au vol les heureuses
idées qui lui passaient par la tète.
Paer, en plaisantant avec ses amis, en parlant de
mille choses diverses, en grondant ses enfants, en
commandant ses domestiques, en se disputant avec
sa femme et sa cuisinière, en caressant son chien et
son copiste, écrivit Camille, Sargines et Achille.
t
CiMAROSA aimait aussi le bruit et voulait, lorsqu'il
composait, être entouré de ses amis. Il fit ainsi les
Hqraces et les Curiaces et le Mariage secret^ célè-
bres tous les deux, mais surtout le dernier, dans les
annales du théâtre italien.
Sacchini ne pouvait trouver un chant s'il n'était
auprès de sa Dulcinée, et si ses petits chats ne
folâtraient pas autour de lui. Sa musique, gra-
cieuse et séduisante, se ressent de cette tendre et
joyeuse société.
Paisiello ne pouvait s'arracher de son lit quand
il composait. Là naquirent entre deux draps Nina,
la Barbier de Séville, la Molinara et tant d'autres
charmants ouvrages.
La lecture d'un passage des saints pères ou de
c(uelc[ue classique latin était nécessaire à Zingarelli
13.
tt6 MUSIGIANA.
pour improviser et développer ensuite, en moins de
(juatre heures, un acte entier de Pyrrhus on de
Julietta e Romeo.
Anfossi avait un frère qui promettait beaucoup,
mais qui mourut très-jeune. Ce compositeur ne
pouvait écrire une note qu'entouré de chapons rôtis,
de saucisses fumantes, de jambons d'étuvées.
Haydn, comme Newton, solitaire et recueilli,
voyageait dans les cieux, sans abandonner sa chaise,
avec Tanneau de Frédéric au doigt, comme si c'eût
été celui d'Angélique qui, en laissant tout voir,
rendait invisible celui qui le portait. Haydn, dans
ces moments, était toujours habillé de son costume
de cérémonie.
Sans avoir besoin d'autre excitation, son imagi-
nation le transportait au milieu des anges et lui
faisait découvrir les sources de la divine harmonie.
Quand il revenait dans le monde réel, le temps
qu'il dérobait à l'étude était partagé entre la chasse»
la Bosselli, sa maîtresse, et ses amis. Cette vie mo*
notone, mais douce, dura pendant trente ans ; c'est-
à-dire jusqu'à la mort du prince Nicolas Esterhazy,
son vieux maître.
(Album alsacien^ 1838.)
■HMta
CHAPITRE YIII
VARIA TIONS MUSICALES
PARIS MUSICAL EN 1770
D'après le livre de voyage de Burney
C'est Fauteur qui parle :
• Le beau monde se donne ici rendez-vous au
Vauxhallj où l'on danse des menuets, des alle-
mandes, des cotillons et des contredanses.
c Dans les cafés des boulevards, qui sont une pro-
menade en dehors de la ville, on entend des chan-
teuses ambulantes, qui passent l'assiette après avoir
chanté des airs à r italienne; leur exécution ne vaut
pas mieux que celle des chanteuses anglaises.
« Au Théâtre-Italien, on vient de jouer -47var et
Mincia, musique de Saint-Amans, opéra en 3 actes,
qui a été sifflé ; pourtant Touverture était bien, et lo
chanteur Caillot y jouait un rôle.
€ Au concert spirituel du Louvre, le programme
228 MUSIGIANA..
était composé ainsi : Dominas regnavit^ motet de
LalandOy très-applaudi. — Un concerto pour haut-
bois, deBesozziy succès médiocre. — Exaudi Deus^
crié par mademoiselle /)e7caiMj&re , très-admirée
néanmoins. — Concerto pour violon, exécuté par
Traversa, premier violon solo du duc de Carignan,
peu goûté. — Motet de Pbilidor^ chanté par ma^
dame Pbilidor^ succès calme. — Le dernier mor-
ceau fut un Beatus vir^ motet avec solos, duos
et chœur, grand succès, quoique médiocrement
exécuté.
« L'Opéra finit toujours entre sept et huit heures
du soir (1). En sortant de là, en été, le beau monde
va se promener au jardin des Tuileries, et forme
dans la grande allée une assemblée comme on n*en
voit pas dans l'univers entier.
« Il y a quatre organistes à Notre-Dame, leur ser-
vice respectif est de trois mois ; ce sont MM. Cou-
per in^ Balbastre, D'Aquin et Foucquet.
€ L'organiste Balbastre m'a mené dans sa mai-
son, pour me montrer son beau clavecin de Rûckert ;
il y a fait mettre des peintures admirables. Â l'exté-
rieur on voit la naissance de Vénus^ et sur la partie
intérieure du couvercle se trouvent les principales
scènes de Castor et Pollux, le chef-d'œuvre de
Rameau : la terre, l'enfer, les Champs-Elysées y
sont représentés; on voit le célèbre compositeur
lui-même, assis sur un banc de gazon dans les
(1) A celte époque, l'Opéra était au Palais- Royal. Les représen-
tations commençaient à cinq heures.
VARIA... 2W
Champs-Elysées, il tient une lyfê à lamâiA; ce
portrait est frappant de ressemblance, car je vis
Rameau en 1764.
c Les sons de ce clavecin ont plus de douceur que
de force. Le toucher est facile, et c'est le cas gêné*
rai des clavecins français, où les plumets sont fort
légers (1).
« Je viens de faire la connaissance de Grétry,
jeune compositeur lyrique de beaucoup d'avenir; il a
déjà fait représenter plusieurs opéras-comiques. Il
est tout à fait de mon avis relativement aux paroles
destinées à être mises en musique, et il m'a répété
que les bons poètes jie manquaient ni en France ni
à l'étranger, faisant de beaux vers, pleins d'esprit,
mais destinés plutôt à être lus qu'à être chantés :
le seul poète lyrique de nos jours est probablement
Métastase. »
¥ ¥
Burney, à propos de l'Italie, s'exprime ainsi :
« A Venise, quand la loge d'une famille noble
reste vide, les directeurs y font entrer des gon-
doliers, pour remplir la salle. » Burney attribue
à cette circonstance la bonté du chant des gon*
doliers, qui font leur éducation musicale de cette
façon.
(1) Dans les clavecins, la corde n'était point frappée par un
marteau, mais le son se produisait par un plumet qui frisait la
corde.
liO MUSIGIANA.
< Â Bologne il y a tous les ans une espèce de
concours entre les compositeurs italiens; ces séances ,
fondées en 1666 par la société philharmonique de
Bologne^ ont lieu à Téglise de San Giovanni in
monte (1). A la réunion de cette année, j'ai aperçu
le jeune Mozart avec son père ; nous l'avons entendu
il y a quelques années à Londres comme enfant
prodige. Il a été très-admiré depuis ce temps à
Rome let à Naples ; le pape lui a donné Y Éperon
(Tor.
c A la chapelle Sixtine à RomO; on ne se sert ni
de l'orgue ni d'aucun autre instrument pour accom-
pagner les voix. Celles-ci sont au nombre de 32,
savoir 8 soprani, 8 contralti, 8 ténors et 8 basses.
Aux grandes fêtes, ce nombre de voix est presque
doublé, tant par les aspirants ou voix supplémen-
taires que par les grands artistes qui sont dans les
théâtres d'Italie et qu'on utilise ici durant la semaine
sainte.
« A Naples, au Conservatoire ou collège de Saint-
Onofrio il y a 16 jeunes castrats ; leur dortoir est
séparé de celui des autres jeunes garçons : il est
tenu plus chaud, de crainte de refroidissements qui,
non-seulement pourraient nuire à leurs exercices
de la voix, mais leur faire perdre entièrement leur
voix.
« A Florence, la musique est établie et appréciée
depuis un temps immémorial : le Dante, né dans
(1) Cette église renferme la Sainte^ Cécile de Raphaël et la Ma-
done du Dominicain.
VARIA... 8S1
cette ville en 1265, parle de Forgue et du luth comme
instruments déjà bien connus de son temps. Il loue
particulièrement un musicien de ses amis, Casella,
dans le deuxième chant de son Purgatoire. »
¥ ^
LA MARSEILLAISE
D'après le livre dd Wilhelm Tappert : Musikaliscbe Studien
(Études musicales). Berlin, 1868.
L'auteur commence par affirmer, du ton d*un
homme qui est sûr de son affaire, que la MarseiU
laise n'est autre chose qu'un thème pillé à la Prusse,
comme (d'après lui] à peu près tout ce que nous
possédons en musique.
Naturellement une pareille affirmation deman-
dait quelque petite preuve, l'auteur n'hésite pas à
vous la donner de la façon la plus péremptoire :
€ J'ai entendu rapporter par un de mes amis qu'un
de ses oncles avait entendu raconter à un de ses
parents, qui le tenait de seconde main, que cette
dernière personne avait entendu affirmer que ce
thème {la Marseillaise) se trouvait dans l'une des
vingt et une messes inconnues et non gravées d'un
auteur tout aussi inconnu, nommé Holzbauer. » L'au-
teur part de là pour raconter tout ce qu'il sait sur
la naissance et sur la mort de Holzbauer, à peu près
autant que vous et moi, peu de chose, bien entendu ;
quant à h Marseillaise, pas un mot. Il nous apprend
281 MUSIGIANA.
par contre que ce sieur Holzbauer a fait une immense
quantité d'opéras aussi inconnus et aussi injoués
que ses messes. Puis M. Tappert igoute c qu^il ne
doute pas qu'à une époque plus ou moins reculée
on ne découvre dans quelque coin cette messe in-
connue et inédite qui renferme la Marseillaise. >
Cherchez donc encore un peu, chers petits agneaux,
cela doit se trouver dans VAgnus Dei, car le style
de la Marseillaise indique clairement que ce chant
patriotique a été fait sur les paroles : «Seigneur,
ayez pitié de nous, miserere nobis. » S'il y avait
encore après cela des personnes assez rétives pour
ne pas être suffisamment convaincues, ce qui nous
paraît difficile, l'auteur Tappert leur réserve cette
dernière preuve sans réplique, c'est « qu'il a en-
tendu chanter dans un village un Gloria sur l'air
de la Marche du Couronnement^ de Meyerbeer. »
Donc la Marseillaise est de Holzbauer.
: On doit chanter de jolies messes dans ce pays-là !
N'y aurait-il pas un Kyrie sur Vlnvitation à la
valse, de Weber ?
¥ ¥
LE CHANT DU ROSSIGNOL.
Ge virtuose champêtre a dû naturellement occu-
per sa place dans un livre d'esthétique musicale
VARIA... 2S8
transcendante comme celui-ci, dans ce Musiciàna,
où Ton parle de toutes les écoles, même de celle du
rossignol.
Ce n'est pas uniquement pour son talent de vir-
tuose que nous citons ce gentil petit animal, c'est
surtout pour mieux faire connaître son école aux
compositeurs de musique, qui lui empruntent vo-
lontiers quelqueô bribes de vocalises pour les insi-
nuer dans leurs opéras-comiques.
Que de ritournelles d'airs de soprano où la flûte
s*évertue à reproduire le chant du rossignol plus ou
moins exactement, depuis Rameau jusqu'à Victor
Masses depuis Haydn jusqu'à Beethoven : cette pré-
férenee a dû faire mourir de jalousie bien des fau-
vettes et des chardonnerets (1).
Le texte du chant rossignolien a été maintes fois
déjà l'objet des recherches des savants ; nous pou
vous citer : Marco Bettini, Dupont de Nemours^
Bechstein, Ch. Nodier^ Peignot, etc., etc.
René François, dans ses Merveilles de nature^
ouvrage déjà cité, après avoir énuméré les quinze
modes grecs^ continue ainsi : « Le petit rossigno-
let, choriste de nature, sgait tout cela par nature,
(1) C'était à une soirée parisienne où Geraldy, alors au milieu de ses
succès, se trouvait du nombre des exécutants. Louis Muller, le grand
peintre qui porte ce nom, mais alors jeune et inconnu, demanda
à Geraldy : « Aimez- vous le chant du rossignol? — Géraldy : Gom-
ment, si je l'aime ? Mais je l'admire cette finesse de vocalisations, ces
trilles inimitables, ces... — M. Muller, interrompant : Comme cela
doit vous eontrarier de voir une si petite béte en savoilr plus que
vous !»
2S4 MUSICrANA.
esclattant d'une voix qui gringotte en haute et basse
note tout ce qu'il veut, et d'un sifïlettis trenchant,
hachant, coupant, entrerompant ses chansons, dé-
goise cent f redons, et en chantant il charme ses
soucys, et addoucit ses aigreurs et ses cuisans
regrets qui autrement le liment. »
Les rossignols reparaissent encore un peu plus
loin, quand Fauteur parle du chant à plusieurs par-
ties : « Tantost deux petits rossignols s'envoyent le
cartel de deffl, pour se battre en duel, l'un pré-
sente la première estocade de sa langue, l'autre la
renvoyé et redouble, coup sur coup, fredon sur fre-
don, passe sur passe; l'un se feint, l'autre sous-
pire, qui crie, qui se tait, puis se dardent tout à
coup, puis se retirent, tantost ils se flattent par mi-
gnardises, tantost se menacent rudement ; souvent
vous diriez que le cœur faut à l'un, et que l'autre
vueille rendre son ame : souvent vous cuydez qu'ils
soient d'accord, aussitost ils se faschent, mesmes
qu'ils contrefont rescho,.un dit, l'autre redit sans
y faillir d'un seul poinctj l'un se plaint, l'autre
pleure; l'un rit et l'autre esclatte; je pense qu'ils
mourraient en duel^ n'estoit que par compassion
quelque farouche basse-contre avec le tonnerre
de sa voi;x les espouvante et les sépare l'un de
l'autre ou plustost que chaque chœur, espousant le
party de son superius^ ne se mit en bataille rangée,
teste à teste, dix contré dix, entrechoquant voix
contre voix, haut contre bas, taille contre taille^ à
son de trompettes et de fiffres, flustes, cornets et
VARIA... 285
tabourins, avec les coups de canon des orgues, les
mousquets des saquebutes, qui bat, qui crie, qui
sue, qui souspire et rend Tame, qui se cache en
embuscade, et ayant demeuré coy longtemps, en un
clin d'oeil fend la presse au moindre signe qu'on
luy donne, et se jette dans la meslée à corps perdu ;
enfin trestous sont si bien acharnés et enveloppez
si avant au chamaillis, qu'ils y lairraient tous, ou
la vie, ou au moins la voix, n'estoit qu'on sonne la
retraite, avec une douzaine d'allelnya^ et lors les
ralliant et faisant paix, s'en vont boire un coup
de compagnie, et sont plus grands cousins que ja-
mais, lorsqu'essuyant leurs visages, arrousant leurs
flustes, ils racontent leurs tirades^ leur prouesse,
et leurs ruses miraculeusement harmonieuses. >
Je suis bien convaincu d'avoir vu le chant du
rossignol noté en musique quelque part, mais où?
En attendant que je retrouve cette notation musi-
cale, voici toujours le texte imitatif donné par
M. Bechstein :
Tiou, tiou, tiou, tiou,
Shpe, tiou tokoua,
Tio, tio, lio, tîo,
Koutio, koutiou, koutiou, koutiou,
Tskouo, tskouo, iskouo, tskouo,
Tsii, tsii, tsii, tsii, tsii, tsii, tsii, tsii, tsii, tsil,
Kouorror, tiou, tskoua pipitskouisi,
Tso, tso, tso, tso, tso, tso, tso, tso, tso, tso, tsirrhadinng,
Tsi, si si tosi si si si si si si,
Tsopre, tsorre, tsorre, tsorrehi ;
TsatD, tsatn, tsatn, tsatn, tsato, tsatn, tsatn tsi,
Dlo dlo dlp dla, dlo dio dio dlodlo;
IS6 MUSIGIANA.
Kouioo trrrrirritzt,
Lu lu lu lu, ly ly ly, li lî lî li,
Kouîo didl li loulyli,
Ha gouor, gouor, koui, kouio!
Koui, koui, koui, koui, koui, koui, koui, koui^ ghi, ghî, ghi;
GhoU, gholl, gholl, ghoU, ghia, hududoï,
Koui, koui, horr ha, dîa, dia, dîUhi!
Hets, hets, hets, hets, hets, hets, hets, hets, hets.
Touarrho hotstehoï;
Kouia, kouia, kouia, kouia, kouia, kouiati;
Koui, koui, koui, io io io io io io io koui.
Lu lyle lolo didi io kouia.
Higuai, guai guai guai guai guai kouior, tsis tsiopi.
Bien entendu que ce texte doit être lu avec volu-
bilité, et de préférence par une voix de femme : les
incrédules pourront d'ailleurs vérifier eux-mêmes,
un beau soir de mai, dans quelque bois silencieux,
par une nuit profonde et le texte en main.
Quant aux personnes que ce sujet pourrait inté-
resser plus particulièrement, celles-là pourront lire
avec profit le Nouveau traité des serins de Cana-
rie, contenant la manière de les élever et les
appareiller pour en avoir de belles races; avec des
remarques sur les signes et causes de leurs, mala-
dies, et plusieurs secrets pour les guérir^ dédié à
S. A. S. madame la Princesse^ par M. J.-C. Her-
viEux DE Chanteloup, doycu et premier des an-
ciens syndics de messieurs les commissaires des
bois à bâtir. Paris, J. Saugrain, 1745. (Le prix
est de quarante sols.)
L'auteur parle de 29 espèces de serins, puis
viennent les accouplements avec les linotes, les
VARIA... «87
chardonnerets, etc. Il penche à préférer le serin au
rossignol ; cela nous paraît un pur amour-propre
d'auteur. Quoi qu'il en soit, l'éducation musicale du
serin doit commencer quinze jours après son se-
vrage, c'est-à-dire quand il commence à gazouiller,
ce qui prouve que c'est un mâle et qu'il est en
bonne santé.
Alors on lui joue un air de flageolet, dont les
tons ne seront pas trop élevés (absolument comme
pour les chanteurs), car si votre flageolet est trop
haut, votre serin se desséchera si fort les poumons
que, maigrissant peu à peu, il mourra (toujours
comme les chanteurs).
« Cinq ou six leçons par jour suffisent pour iû-^
struire un serin ; » il n'est donc pas étonnant de
Voir des chanteurs, qui ne prennent que deux ou
trois legons par semaine, rester des serins toute
leur vie.
« On peut jouer aux serins un petit prélude en
u/, ton que tout le monde sait être fait pour les
oiseaux, avec une marche, comme celle des Zur-
laubes, ou des Gardes du corps, qui est du môme
ton que le prélude. »
Comme tout^le monde, je veux dire tous les ama-
teurs de serins, ne connaissent pas la marche des
ZurlaubeSy et que je ne la connaissais pas moi-
même, je vais en donner la copie :
288
MUSIGIANA.
f^f r CJ | rr f f r- f g
$
rr
n existe encore bien d'autres ouvrages de haute
volée sur le chant des oiseaux, comme le Manuel
sur Fart de prendre vivants et d'élever les rossi-
gnols^ par GoNORT, pâtissier à Saint-Denis; puis
le Traité des oiseaux de chant, etc.; mais, pour ne
pas abuser de la patience du lecteur bénévole,
nous remettrons l'analyse de ces ouvrages sur le
chant des bêtes à une autre édition du Musiciana.
¥ ¥
FRAGMENTS D UNE LETTRE DE GANTEZ A UN MUSICIEN
QUI VOULAIT VOYAGER.
« Lorsque vous serez en condition dans quelque
chappitre, soyez courtois à tous et familier à peu ;
boire parfois avec les camarades, car comme Ton
ne prend le poisson qu'avec Tameçon, on ne sçau-
. VARIA. •• 289
roit gaigner l'amitié des musiciens qu'avec le verre ;
aussi la table fait les amis, dit Plutarque ; toutes
fois prenez garde que cène soit pas trop souvent, car
outre que vous feriez éclipse en votre bourse, ceste
grande familiarité engendrerait quelque mespris,.et
puisque les choses rares sont estimées précieuses,
vous le ferez le moins souvent que vous pourrez,
mais vous vous y gouvernerez si sagement que vous
ferez la guerre à Tœil comme ceux qui mangent
une teste de veau. Et tachez de ne pas acquérir la
réputation que beaucoup de chantres ont d'estre
sujets au vin, car encores qu'on die que tous les
musiciens sont des yvrongnes, sachez aussi que
tous les yvrongnes ne sont pas musiciens. »
« -J'ay conneu un chantre si peu retenu, que fai-
sant la leçon de musique à une damoyselle de bonne
condition, en lui tenant la main pour lui apprendre
la mesure, la luy grattoit dedans la paume, ce qui
fut cause qu'il eut un grand soufflet, lequel fut si
bien mesuré qu'elle ne le manqua pas, et fit sentir
à son maistre que, s'il savoit plus de musique qu'elle,
en revenche elle savoit mieux tenir la mesure que
luy, et en cela semblable à beaucoup des compositeurs
de nostre temps, lesquels feront une bonne pièce et
ne la sçauroient faire chanter. »
{Gantez y Entretiens des musiciens.)
140 MUSIGIANA.
DE l'enseignement MUSICAL DANS LA MAISON ROYALE
DE SAINT-CYR
(XVII* et XVIII* SIÈCLES.)
Ces jours derniers, décembre 1868, avait lieu, à
Versailles^ la vente des partitions de musique se
trouvant en double dans la bibliothèque de la ville.
Cette vente, annoncée à grands coups de tam-
tam dans les journaux, a renouvelé l'histoire de la
montagne qui accouche dune souris. Je suis
convaincu que les trois marchands de Paris qui se
sont dérangés de leurs affaires pour aller à Versailles,
seraient restés chez eux s'ils avaient connu d'avance
le peu de valeur des livres mis à l'encan avec tant
de bruit.
Le public acheteur se composait donc de trois mar-
chands ci-dessus mentionnés, plus quatre amateurs
fourvoyés, dont moi, le tout gelant et battant discrè-
tement la semelle sous la table, vu le froid sibérien
qui régnait dans cette grande salle non chauffée.
Le catalogue de la vente portait 125 numéros.
Ce qui avait alléché les quatre amateurs, c'étaient
ces petites indications perfides : Aux armes de Mes*
dames de France^ aux armes de la maison de Saint"
Cyr^ aux armes... aux arnies! Voilà ce qu'on
lisait à peu près à chaque numéro du catalogue. Il
est vrai que quelques-unes de ces partitions avaient
eu autrefois des armes gravées sur les plats, mais
VARIA... 241
on les avait soigneusement grattées à la Révolution.
Pour être complètement dans la vérité, il aurait
donc fallu mettre : Aux armes grattées de Mes^
dames de France, aux armes grattées de la maison
de Saint'Cyr. Nous ne parlerons pas des quelques
partitions peu rares et généralement en mauvais état
de Gampra, Golasse, Dalayrac, Desmarets, Des-
touches, Duny, Grétry, des quelques LuUy et des
quatre Rameau.
Le numéro 95 du catalogue, c'est-à-dire les Inter-
mèdes en musique de la tragédie d'Estber^ composés
par Moreau, était bien certainement l'article le plus
recherché de toute la vente. Moreau, Angevin,
maître de musique de la chambre du roi, fît ces
intermèdes à la demande de Racine. Ce petit in-4^
est assez rare, et chacun des huit exemplaires pro-
venant de Saint-Gyr s'est vendu quarante à cin-
quante francs, quoique ce ne fût qu'une seconde
édition.
La communauté de Saint-Gyr, fondée, comme on
sait, par Louis XIV en 1686, se composait de
50 dames, de 36 sœurs converses et de 250 demoi-
selles. Les sœurs converses faisaient les trois vœux
de religion, les dames en faisaient un quatrième,
celui de consacrer leur vie à Tinstruction des demoi-
selles de leur communauté.
Les demoiselles de Saint-Gyr étaient nommées
par le roi ; elles devaient avoir sept ans accomplis
à leur entrée et de plus faire preuve de quatre rfe-
grés de noblesse du côté paternel. Au-dessus de
14
241 MU8IGIANA.
13 ans, on n'était plus admis ; Téducation se ter-
minait à 20 ans. Lorsque ces jeunes personnes
avaient Tâge susmentionné (20 ans), on les renvoyait
à leurs parents, ou bien on les mariait à quelque
noble époux, agréable au roi (c'est ainsi que s'ex-
prime Piganiol de la Force). Quant à celles que le
roi ne trouvait pas à marier (devaient-elles être
laides !), elles entraient en religion. Cqs dernières
étaient choisies^ à la pluralité des suffrages, pour
remplir le nombre des 50 dames professes, lorsqu'il
y avait des places vacantes ; il fallait qu'elles eussent
18 ans accomplis.
Une curiosité (bien naturelle à un bibliomane)
nous a fait acquérir tous les traités qui servaient à
l'enseignement musical, les cantiques, recueils
divers, etc., en usage dans l'établissement de Saint-
Gyr.
On y trouve : la Nouvelle méthode pour appren-
dre en peu de temps la musique et Part de chanter^
par M. DeniSf dédiée aux dames de Saint-Cyr. Ce
volume renferme d'excellentes choses, entre autres
des solfèges en clés d'ut qui ne sont pas à dédai-
gner, même aujourd'hui. L'introduction contient
quelques notes curieuses ; citons : « On n'ignore pas
que la chaconne, la villanelle, les airs vifs en général
sont marqués par un 3 simple (indication de me-
sure) ; la passacaille, la sarabande par le 3/4. »
Puis, plus loin : « L'abus dans lequel je crois qu'on
est tombé consiste en ce qu'on a choisi le 2 pour le
rigaudon, la gavotte, la bourrée et plusieurs autres
VARIA... 243
pièces de ce genre, au lieu qu'il aurait été plus à
propos de se servir du 2/4. •
Nous pensons que ce traité est l'un des premiers
qui aient donné au bécarre la signification qu'il a
aujourd'hui : « Le bécarre supprime le bémol et le
dièze, en faisant revenir la note qui la suit à son
ton naturel. » Encore faut-il ajouter que la force de
l'habitude fait oublier à M. Denis son propre prin-
cipe : dans les exemples en sol ou en ré majeur, on
trouve, comme cela se pratiquait anciennement, les
fa et les do dièzes précédés d'un bémol au lieu d'un
bécarre pour les rendre naturels.
Voici la manière de battre la mesure à quatre
temps : c Le premier baissé se fait en battant ; le
premier levé, qui suit immédiatement après, s'exé-
cute en portant la main vers l'épaule gauche, c'est
le second temps ; le second baissé, qui fait le troi-
sième temps, doit être jeté à Topposite vers le genou
droit ; le quatrième temps, qui forme le second levé
et finit la mesure, s'élance en haut vers Toreille. »
Cela devait être une véritable leçon de gymnas-
tique pour ces jeunes demoiselles, nobles à
quatre degrés !
On se servait encore d'un autre traité intitulé :
la Musique théorique et pratique dans son ordre
naturely^diV M. Borin, auteur de TArt de la ianse^
imprimé par J.-B.-G. Ballard, 1746. Ce sont prin-
cipalement des règles pour la transposition ; on y
parle également de la manière de noter la mu-
sique de mémoire, ce que l'auteur appelle 120/er
«44 MUSIGIANA.
d'oreille (1). Ce volume contient beaucoup d'exem-
ples de musique : payanea^ passepieds, bourrées,
gayotteSy musettes, gigues , passacailles ^ sara-^
bandes, courantes, chaconnes, menuets, etc.
Nous avons trouvé une troisième méthode, ma-
nuscrite, sans nom d'auteur, servant aux demoi-
selles de Saint-Gyr ; notre exemplaire était celui de
la classe verte, dixième rang. Il y a dans ce petit
volume des notes assez intéressantes sur la signi-
fication de r accent, du port de voix^ du balance-
ment, du tremblement, de la feinte, du pincé^ etc.
Le service religieux de Saint-Cyr se trouve réunf
dans deux gros in-8®, gravés, ayant pour titre :
Chants et motets à Pusage de Véglise et commu-
nauté des dames de la Royale Maison de Saint-
Louis, à Saint-Cyr, contenant les messes, vespres,
cérémonies, avec les litanies ; le tout composé par
feu M, Nivers, organiste du Roi, etc. Mis en ordre
et augmenté de quelques motets par M. Cléram-
bault, organiste de ladite maison Royale ; 1733.
Ces deux volumes renferment le service religieux
complet, avec les fêtes de l'année, etc., le tout en
latin; les plain-chants conservés y sont reproduits
en nolatioii rhythmée.
On sait que la composition du God save tbe King
a été attribuée à maint compositeur, à Hsendel, à
LuUy , etc. Voici d'où provient l'erreur, quant à Lully :
(1) Cette vieille nouveauté a été introduite dans les classes de
solfège du Conservatoire, en 1872.
VARIA... 245
*
lorsque le roi d'Angleterre Jacques II visita Saint-
Cyr, en 1690, on voulut lui faire la gracieuseté de
chanter le God save the King avec des paroles
françaises ; ce cantique fut inséré à partir de cette
époque dans le répertoire religieux de Saint-Cyr,
ce qui amena plus tard la confusion sur sa véri-
table provenance. Les religieuses de Saint-Cyr
ayant toujours prétendu, de bonne foi d'ailleurs, que
ce cantique était né à Saint-Cyr, bien des historiens
ont adopté cette version (4).
Il est à remarquer qu'aucun des .cinq ou six
Domine salvum fac regem que renferment ces deux
volumes ne mentionne le nom du roi. Nous igno-
rons à quelle époque ou à quelle occasion le nom
du roi de France fut introduit dans le Domine sal-
vum^ mais il est constant qu'alors cet usage n'exis-
tait pas ; tous les textes disent simplement : Domine
salvum fac regem y et exaudi nos in die quainvoca-
yerimus te (2).
Une exception cependant : nous trouvons le nom
de Louis XIV dans le seul morceau ayant pour
titre : Motet pour le roi en temps de guerre : « Ecce
reges terrsa commoti sunty conturbati sunty salvum
fac regem nostrum Ludovicum, Deus meus. »
Outre le service pour les fêtes régulières de l'an-
née, il y a quelques annexes dans ces deux volumes,
(1) On trouvera des renseignements très-développés sur le God
save dans ; Popular muaic ot tbe olden time by, U^. Chappell.
Londres, 1859, 2 vol. gr. in-8«. Le God save est de Carrey.
(2) Le nom du roi n'a été vraisemblablement joint au Domine
salvum qu'à partir de 1830.
14.
t46 MUSICIANA.
comme la cérémonie pour là prise d'habits des
novices f et celle pour la profession. Tous les faits
et gestes des postulantes y sont minutieusement
décrits : la bénédiction des habits, la prise dlceux,
quand on donne le voile (les postulantes étant de
retour auprès de la grille), le baiser de paix à la
profession y les demandes et réponses des novices,
les vœux, la remise des croix aux professes, quand
on met les sœurs professes sous le drap mortuaire.
Il y a également des motets pour les temps de
guerre, pour les nécessités publiques, pour la paix;
puis ceux en Thonneur d'une bienfaitrice quelcon-
que. Vu le grand nombre des voix, on les divisait
parfois en deux chœurs, le grand et le petit chœur.
Nous terminerons cette revue des livres de mu-
sique de Saint-Gyr en parlant d'un recueil de can-
tiques intitulé : les Charmes de la musique sacrée.
Alors, comme aujourd'hui,. existait ce mauvais goût
de chanter des paroles sacrées sur des airs d*opéras
ou de ballets ; le siècle de Louis XIV n'avait pas
inventé cet usage, et le nôtre n'en verra pas la fin.
Nous trouvons, par exemple, dans ce volume,
un six'huit, véritable air de contredanse, intitulé
air italien léger, avec les paroles suivantes :
Le rossignol ne chante
Qu'au large et dans les bois,
Esclave on se lamente,
On est comme aux abois.
liberté charmante,
Sans toi l'âme est dolente,
Sans forces et sans voix.
VARU... t47
Parfois aussi, la mythologie se glisse dans les
cantiques de Saint-Cyr :
Mais dans le Tsrtare
Quel sort se prépare?
Hélas ! que de peines,
D'accablantes chaînes,
De cruelles gênes 1
Ces -derniers versicules se trouvent dans un me-
nuet de Lully, que les dames professes avaient sans
doute dansé à la cour, au temps heureux de leur
jeunesse.
Sous le titre la Précaution^ dont l'air porte l'in-
dication léger et gratieux^ cette jeupe noblesse
chantait à Dieu :
Le carpillon toujours alerte,
Tire, nage vers l'autre bord ;
Quand il voit qu'on pense à sa perte,
n s'enfuit et penae à son sort.
Nul doute qu'une fois lancées dans le monde,
mesdemoiselles de Saint- Cyr ne se rappelassent
avec profit le cantique du Carpillon.
On sait que le règne de Louis XIV nous a doté
d'un bagage de chansons très-tendres assez consi-
dérable. Aussi avait-on soin de prémunir ces jeunes
filles contre de telles légèretés poético-musicales,
qui jettent les esprits à la renverse ^ comme il est
dit dans les Caquets de F accouchée.
848 MUSIGIANA.
Contre la licence des chansons :
discours imprudents I non jamais Babilone
A l'excès du chrétien ne porta ses fUreurs,
Et quand le ciel souffre encor ces horreurs,
Que sa douceur m'étonne 1
Grand Dieu! tu vois ton saint nom profané.
Un rimeur insolent dans ses vers le chansonne.
Arme-toi contre un forcené.
Et pour le réprimer, au moins menace, tonne.
Décidément, ces vers ne sont pas de Racine ; il
faut ajouter que sur le mot tonne^ il y a des voca-
lises en doubles croches pendant une douzaine de
mesures : c'était pour imiter le tonnerre, musique
descriptive. On n'a garde d'omettre le joli air de
Rameau, dans HippoIyti&; et Aricie :
Rossignols amoureux !
. (.
Seulement, on a mis rossignols enchanteurs;
le reste des paroles est à peu près le mot à mot de
celles de F air profane.
Ces airs profanes devaient causer quelques lé-
gères distractions à mesdemoiselles de Saint-Cyr,
et comme l'a dit un poète, qui n'était pas Racine
non plus :
Au chœur mainte pensionnaire
Disant le chant de Débora,
Avait les yeux au sanctuaire
Et la pensée à l'opéra. •
VARIA... . 249
¥ ¥
LA CENSURE THEATRALE A ROME.
En Italie il y a toujours eu deux espèces de cen-
seurs : les politiques et les ecclésiastiques, c'est-à-
dire le point de vue de TAutriche et le point de vue
du Vatican. Tous deux ont offert jusqu'à ces der-
niers temps de nombreux et curieux matériaux
pour celui qui en écrira un jour Thistoire.
Non-seulement aucun manuscrit ne s'imprimait
s'il n'était revêtu de trois autorisations : celle du
Saint-Office, celle de l'évéché et celle de l'autorité
politique ; mais il arrivait même souvent qu'un livre
déjà paru avec cette triple consécration était saisi
plus tard et détruit par ordre supérieur.
Quant à la censure des pièces de théâtre, les
anecdotes divertissantes abondent tant à Milan qu'à
Rome, àNaples et même à Paris. Nombre de libretti
ont dû être changés pour faire passer la partition :
Guillaume Tell^ par exemple, s'appela Wàllace à Mi-
lan; Lucrèce Borgia devint la Rinnegata à Rome (1);
la Battaglia di Legnano fut VAssedio di Leida à
Venise. La censure, à Rome, ne souffrit même pas
le titre de Norma, parce que ce mot qui, dans le
langage usuel, signifie gruicfe ou régleuse trouve
imprimé sur des brochures de sacristie, telles que
Norma per vivere devotamente ; Norma délia
prima communione, etc.
(1) On Vîntîtula anssi Elîaa da Foaeo.
250 MUSICIANA.
Le chef-d'œuvre de Bellini fut donc baptisé h
Foresta d'Irminsul.
Si le libre tto était inoffensif quant au sujet, on
épluchait les mots. Dans la strette du fameux duo
des deux basses des Puritains : Suoni la tromba
intrepido^ le quatrième vers : Gridando liberta^ fut
changé par la censure autrichienne en Gridando
lealtâ, en 1837. Ronconi chantait ce duo à la Scala
et dut se soumettre à la règle. Quelques jours après
le spirituel artiste, ayant à chanter YEIisire da-
more (rôle de Dulcamara), au lieu de dire à Nemo-
rino : Vende la liber ta si fè soldato, fit ce raison-
nement : Puisque la censure veut qu'on dise loyauté
au lieu de liberté dans les Puritains^ elle ne peut
vouloir autre chose dans YEIisire^ et il chanta bra-
vement : Vende la lealtà si fè soldato et le pu-
blic d'applaudir à outrance. Seulement, en rentrant
dans la coulisse, le facétieux chanteur trouva le
commissaire de police qui l'admonesta vertement
avec menace de le faire coucher au violon en cas
de récidive.
Quelquefois l'autorité politique mettait le veto
non sur l'œuvre, mais sur l'artiste.
Pendant plusieurs années le grand tragédien
Gustave Modena ne put paraître sur aucun théâtre
de l'Italie, hors le Piémont,
En 1857, à San Carlo de Naples, on avait engagé
madame Sanchioli, et l'impressario comptait beau-
coup sur cette éminente prima donna ; mais la po*
lice, ayant eu vent que madame Sanchioli était une
VARIA...
t51
patriote, donna l'ordre à la frontière de lui faire
rebrousser chemin.
Il nous a semblé curieux de reproduire quelques
déclarations d'auteurs^ copiées dans des pièces ita-
liennes du siècle dernier et même de celui-ci, où
le poète, selon les usages de la censure romaine,
affirme sa foi catholique ; nous aurions pu faire des
citations par centaines.
Le parole Fato, CîelOt Des-
tina, Stelle, Deitk o altre simili
sono frasi poetiche^ non senti-
ment! dell' autore, che pregian-
dosi d*esser buon catholico, se-
risse conforme ail' uso, ma
crede conforme deve.
¥*¥
Protesta.
L'autore si dichiara, che le
parole Fato^ Deitày Idolo, adO'
rare ed altre simili, intanto lejha
inscrite nel présente Drama, in
quanto poeticamente le consi-
déra in bocca dl personaggi
gentili, sapendo ben egli, che
si devono per altro detestare
corne le dedesta, professando la
vera Religîone Catholica Ro-
mana, in difesa délia quella è
sempre pronto a spargere il
sangue.
Les mots Destin, CieL Desti-
née. Etoiles, Divinités et autres
semblables, sont des expressions
poétiques, étrangères aux sen-
timents de l'auteur, lequel s'es-
timant bon catholique, écrit selon
l'usage, mais croit selon le de-
voir.
¥*¥
Déclaration,
L'auteur déclare que les mots
Destint Divinité, Idole ^ adorer
et autres semblables, n'ont été
employés par lui dans le pré-
sent Drame que parce qu'il
les a considérés poétiquement,
comme sortant de la bouche de
personnages païens, Fauteur sa-
chant très-bien d'ailleurs que
l'on doit les détester ainsi qu'il
les déteste, attendu qu'il pro-
fesse la vraie religion catholi-
que romaine, pour la défense de
laquelle il est toujours prêt à
répandre son sang.
252
MUSIGIANA.
¥*¥
Protesta.
Le parole Fato^ adorare e si-
mili son expression! délia penna,
non sentimenti delF autore, il
quale si gloria di esser vero ca-
tolico.
¥*¥
Protesta delV autore.
Le parole Fato, Destina^ Na-
me, adorarct Idoli ed altre si-
mili piacciati considerarle come
sfoghi di penna poetica, non
come sensi di un core che nac-
que, vive, e vuol morire buon
caitollco.
¥*¥
Protesta al lettore.
Incontrerai nella letlura di
queslo Drarama le solite voci
IdoJo, Numiy FatOf adorare e
simili, usurpate da nostri Tealri
par disprezzo' sempre maggiore
dcgl' Elnici, e alcune Massime
contrarie non meno alla le^ge
Naturale che alla Divina, adat-
tate a persone immerse negli
érrori délia cieca geniilità^ con-
¥*¥
Déclaration.
Les mois Destin, adorer et
autres semblables sont des
expressions de la plume, non
des sentiments de l'auteur, le-
quel se fait gloire d'être un vrai
catholique.
¥*¥
Déclaration de Fàutear,
Les mots Destin^ Destinée,
Divinitéf adorer. Idoles et au-
tres semblables, tu voudras bien,
lecteur, les considérer comme
des élans de la plume poétique
et non comme les sentiments
d'un cœur qui est né, qui vit et
qui veut mourir bon catholique.
¥*¥
Protestation au lecteur.
Tu rencontreras dans la lec-
ture de ce Drame les mots usités
d'Idole f Divinité, Destin, ado-
rer et autres semblables, usur-
pés par nos théâtres pour mé-
priser de plus en plus les païens,
ainsi que quelques maximes con-
traires à la loi naturelle, non
moins qu'à la loi divine, mais
convenant à des personnages
.^^^
VARIA...
S5S
daniia le sudette voci e i con*
cetti espressi cou quelle, corne
menzogne, è détesta le sudette
massime corne inganni di coloro,
che non erano illuminati délia
vera e santa Fede cattolica.
plongés dans les erreurs de
l'aveugle idolâtrie; condamne
ces dits mots et les pensées
qu'ils expriment comme des
mensonges et déteste lesdltes
maximes comme des tromperies
de ceux qui n'étaient pas éclai-
rés par là vraie et sainte foi ca-
tholique.
LA SICILIENNE DE PERGOLESE.
Mademoiselle Pauline Garcia, nouvellement ma-
riée à M. Viardot, se trouvait à Rome en 1840.
Accompagnée de son époux, elle alla voirTabbé
Santini etsa bibliothèque, qui renfermait des trésors.
L'abbé avait fait passer sous les yeux de ses
visiteurs plusieurs curiosités et raretés musicales,
quand madame Viardot avisa au bout de la table
un volume manuscrit dePergolése. Elle le feuilleta,
et tomba sur la ravissante Sicilienne, maintenant
célèbre, alors tout aussi inconnue des Italiens que
des Français. Madame Viardot demanda à l'abbé
Santini la permission de copier ce morceau, qui
l'avait frappée ; Tabbé y consentit de la meilleure
grâce du monde, et voilà comment la Sicilienne de
Pergolèse vit réellement le jour, car jusque-là il
n'existait que l'autographe possédé par l'abbé
Santini, et personne ne Tavait jamais examiné.
Cette bibliothèque, précieuse à plus d'un titre,
devait revenir à la France après la mort de Santini,
254 MU&ICIANA.
auquel le gouvernement français aurait payé jusque-
là une pension de 1,200 francs par an. Gomme ga-
rantie, cette bibliothèque devait être transportée à
rÉcole française de Rome,rabbé Santini en gardait
la clé.
Toutes ces convenlions, arrêtées par l'entremise
de M. Viardôt, attendaient les formalités réglemen-
taires, quand le ministère changea.
Le nouveau ne s'en occupa plus : trois ans après
l'abbé Santini mourut, et sa bibliothèque ? ? ?
Fétis dit qu'après la mort de Santini sa biblio-
thèque* fut acquise par un amateur qu'il ne nomme
point, mais il convient que, d'après un catalogué
manuscrit et in extenso de cette bibliothèque, ce
devait être une des plus belles qui fût au monde.
En 1854 M. Wladimir Strassoff publia à Florence
une brochure : F Abbé Santini et sa collection musi-
cale à Rome, Il s'y trouve un catalogue de cinq ou
six pages, ne donnant nullement l'idée d'une grande
bibliothèque musicale.
ORIGINE DE l'abonnement DE MUSIQUE.
Cette origine ne remonte pas bien loin; elle date
de cent ans. Les extraits qui suivent sont tirés
d'une pièce assez rare^ intitulée : Mémoire signi--
lié pour le sieur Péter s et le sieur Miroglio^ dé-
Tendeur et demandeur, contre Christophe Lemenu
et CIiarleS'NicoIas Lechrc, marchands merciers;
VARIA... 255
L.'B. de La Chevardière et T. Bordety marchands
papetiers; Pierre Gavinicr (1), Michel Corrette^
Antoine Bailleux et J.-B. Vcnier, musiciens ^ op-
posants à la continuation du bureau et défen-
deurs (2).
« Pour faciliter l'agrément de la musique, la
multiplicité des personnes qui cherchent à l'ap-
prendre ou à s'en occuper, il est nécessaire de pro-
curer le moyen de la lire et de l'exécuter, aux uns
par le prêt, aux autres par l'achat des livres mu-
sicaux.
« tiO sieur Péters a imaginé deux établissements
qui procureront ce double avantage, et même beau-
coup d'autres, par exemple aux musiciens d'être
connus, l'occasion de publier leurs ouvrages et de
les faire prendre, conséquemment aux ouvriers
Toccasion de travailler, et aux marchands celle de
vendre de la musique. »
Le premier de ces établissements parut le
4 juin 1765; il fut annoncé par un prospectus et un
catalogue de livres de musique approuvés par le
sieur Marin, censeur royal, et imprimés par Delor-
mel, avec la permission de M. le lieutenant de po-
lice.
(1) C'est OavÎDÎès qu'il faut lire, c'est-à-dire le célèbre violo-
niste que Viotti appela le Tartini français. Il dirigea, avec Gossec,
le Concert spirituel , et fut le premier professeur de violon lors
de la fondation du Conservatoire de musique, on 17^4.
(2) Ce factum se trouve dans la collection de mon ami E. Tfaoi*
nan» qui me Ta communiqué.
256 MUSICIANA.
Cet établissement consiste à prêter ^ moyennant
vingt-quatre livres par an pour chaque abonné^ la
musique vocale et instrumentale qu'il voudra.
Chaque abonné pourra changer d* œuvre aussi
souvent qu'il le désirera; mais^ s'il le déchire ou
perd une partie de l'exemplaire prêté, ou qu'il le
garde plus de huit jours, il payera le prix de
Vexemplaire.
Cette invention trouva des opposants en la per-
sonne de deux merciers (1), deux papetiers et
quelques musiciens, qui implorèrent, pour se liguer
avec eux, quelques potier^ détain (2) et quelques
chaudronniers; finalement, cette armée d^oppo-
sants parvint au chiffre vingt.
Le sieur de Péters avait encore inventé un se-
cond établissement qui consistait : à livrer chaque
mois, moyennant la somme de quarante-huit livres
par an, à chaque abonné, un exemplaire d'un nou-*
vel œuvre de musique.
L*un des plus ardents opposants fut le sieur Cor*
rette, organiste du collège des Jésuites de la rue
Saint-Antoine. Ce Corrette avait ouvert une école
de musique, mais sans produire d'élèves bien dis-
tingués, de sorte que les musiciens les appelaient
les anachorètes (les ânes à Corrette). A. Toccasion
du débat contre le bureau d'abonnement, Corrette
(1) Les merciers vendaient de la musique à cette époque.
(2) Les potiers d'étain et les chaudronniers étaient les fournis-
seurs des planches qui servaient à la gravure de la musique; 11 n'y
en avait alors que trois à Paris, voy, p. 3, Mémoire cité*
VARIA... 257
écrivit la lettre suivante à son éditeur : c Je vous
prie de ne point compter sur l'impression de mes
deux nouveaux livres ; ainsi renvoyez tous les com-
pagnons que vous auriez retenus pour ces ouvrages.
Comme un nommé Mirogîio vient d'avoir la per-
mission de louer les livres de musique, vous com-
prenez bien qu^avec quatre ou cinq exemplaires
qu'il fera acheter, il contentera la curiosité des
amateurs, et que moi j'en serais pour mes frais.
Je suis seulement fâché d'avoir dépensé si gros.
N'achetez point non plus de papier : Fart de la
musique est à T agonie; à moins qu'il ne nous
vienne une main secourable, tout est perdu. »
Le sieur Péters cite contre le sieur La Ghevar-
dière cette petite anecdote : « En 1754, le sieur Mi-
rogîio a composé une ariette française et italienne ;
la demoiselle Piccinelli devait la chanter, au mois
de novembre de la même année, au théâtre Italien.
Le sieur Mirogîio a vendu cet ouvrage au sieur -de
Péters ; celui-ci l'a fait graver avec renonciation
que la demoiselle Piccinelli F avait chantée, afin de
faire paraître cette pièce dans le moment même où
elle l'aurait chantée effectivement. La demoiselle
Piccinelli étant tombée malade, la publication de
l'ariette a été retardée pour l'année suivante ; mais
le sieur La Chevardière l'en a dispensé ; voici com-
ment :
« Un exemplaire donné en présent tomba entre
les mains du sieur La Chevardière ; ce marchand
de papier, qui est en même temps éditeur d'un jour-
258 MUSICIANA.
nal hebdomadaire de musique, Ta fait graver pour
sa vingt -quatrième feuille de Tannée 1765, même
sans y mettre le nom de Fauteur, n
Il paraît qu'à cette époque la législation n'avait
pas encore établi d'une façon bien nette les droits
du simple débitant ou vendeur de musique y car, à
la page 12 de ce curieux mémoire on lit : « Le mer-
cier comme le papetier, le luthier comme le bour-
geoiSy peuvent vendre de la musique, tout le monde
enfla, qui en a, peut ouvrir une boutique, tenir un
magasin et inscrire sur sa porte : Magasin de mu-
sique, sans que qui que ce soit puisse s'en plaindre,
parce que, qui ce soit n'a le droit exclusif de vendre
ou de faire vendre la musique qui lui appartient ou
lès exemplaires qui lui sont confiés pour le débit,
ou enfin les exemplaires qu'il a achetés. Le petit
nombre de marchands qui vendent de la musique
fournit la preuve de cette vérité. »
« Le seul droit que Ton connaisse, mais que l'on
ne saurait appeler qu'improprement un privilège,
est celui de ï auteur ou de V éditeur àe yenàve par
lui-même les exemplaires de ses ouvrages, ou de
choisir qui il veut pour le premier débitant; alors
tous les aulres ne les revendent qu'en regrat ; mais
dès que Taùteur ou l'éditeur ou le premier débi-
teur a vendu des exemplaires d'un ouvrage de
musique, chaque exemplaire vendu est entré dans
le commerce ; les nouvaux propriétair-es peuvent le
revendre ou le faire revendre par qui ils jugent à
propos. »
VARIA., i 259
V.
« Le premier vendeur n'a qii'un parti à prendre,
s'il est curieux d'être le seul débitant : qu'il no
fasse aucune remise aux autres marchands; il sera
certain que qui que ce soit ne voudra acheter un
exemplaire la somme de 3 livres ou de 6 livres pour
le revendre au même prix. » Celte logique de l'épo-
que est confirmée par ce qui suit : « Les associés
n'ont dans leur bureau que deux sortes' de musi-
ques : Pune qui leur appartient, parce qu'ils l'ont
achetée de Tauteur ; l'autre est composée des exem-
plaires achetés par les associés ; personne ne peut
les empêcher de les revendre, parce qu'ils leur ap^
partiennent. Cependant les associés ont annoncé
dans leur prospectus qu'ils ne feront que les
prêter. »*
Considéré sous ce dernier point de vue, c'est un
commerce qui n'existe pas encore sur la plaça de
Paris, du moins en grand, car cela devrait s'appeler
Cabinet de lecture pour la musique, en un mot,
une immense bibliothèque musicale où l'on prêterait
les exemplaires au public pour de l'argent, sans
y joindre le commerce et l'édition de la musique.
Ce mémoire nous apprend aussi qu'alors la Biblio-
thèque royale fournissait aux lecteurs papier , plu-
mes^ encre, des savants pour accueillir le public.
De nos jours on a rogné les plumes et le papier :
heureusement que Vencre et les savants sont restés.
En 1765, le dépôt des ouvrages de musique se
faisait ainsi : la remise du manuscrit et un exem-
plaire au chancelier du bureau de la librairie, deux
260 MUSIGIANÂ.
eiçemplaires à la bibliothèque du Roi, et un exem-
plaire à la bibliothèque du Louvre. Aujourd'hui,
le dépôt consiste en trois exemplaires.
La musique ne portait alors que le prix net^ et,
de marchand à marchand, on faisait la remise du
quart : un ouvrage de 36 sols se vendait 27 sols.
Très-souvent, les auteurs éditaient eux-mêmes
leurs œuvres. Quand un amateur voulait exécuter
un morceau de musique, les trois pu quatre éditeurs
existant alors le lui prêtaient moyennant la somme
de 3 livres, quelquefois davantage, pour une après-
midi.
Maître Oudet, auteur du factura dont nous ex-
trayons ces notes, nous apprend qu'alors on fraudait
déjà souvent le dépôt, en n'y mettant paà certains
ouvrages, pour en empêcher la copie à la biblio-
thèque du Roi ; cela s'est reproduit de nos jours,
pour certaines partitions à orchestre, qui n'ont
été déposées qu'avec l'accompagnement du piano.
Voici un petit trafic 'qui se faisait en 1765 : Le
marchand mettait d'abord sur le titre du morceau
nouveau le nom d'un auteur accrédité dans le pu-
blicj dont il donnait quelques mesures pour com-
mencer, quelquefois même la première page en
entier ; ensuite, il faisait remplir tout le surplus du
livre de la mauvaise musique qu'il avait achetée.
Et l'auteur du factum s'écrie : t Y a-t-il quelques
musiciens qui aient eu le bonheur de ne pas éprou-
ver cet abus ? »
Plus loin : t Les concerts sont rares ; la difficulté
VARIA... 261
d'y exécuter la musique, la dépense de Tachât sont
l'unique cause de cette rareté. »
Heureux aïeux qui vous plaignez de la rareté
des concerts !
c Un père de famille désire toujours donner à ses
enfants- une éducation relative à ses mœurs ; la
musique en fait partie. Ce père a son plan d'éduca-
tion, et, quoi qu'on dise, le diatonique, le chroma-
tique, l'enharmonique sont des genres qui appro-
chent plus ou moins du goût de l'instituteur ; tel
aimera la marche simple, mais majestueuse du ton
diatonique ; tel autre aimera l'harmonie et craindra
que des sons mélodieux ne découvrent ou ne nour-
rissent dans ses élèves la volupté, que le composi-
teur exprime quelquefois plus ou moins dans ses
sons, suivant qu'il en est plus ou moins affecté, et
que les paroles sous la musique semblent l'indi-
quer. »
On se croirait presque au temps d'Apollon, élevant
des villes au son de sa lyre !
« Grâce à ce bureau d'abonnement et à la faciUté
de se procurer de la musique, les ouvriers se réuni-
ront pour faire des petits concerts les jours de repos,
et on verra successivement en France l'agrément
dont la Hollande, et surtout Amsterdam, l'Italie et
l'Allemagne jouissent depuis longtemps. Le peuple
s'y occupera plutôt du chant et des instruments que
de se livrer à la mélancolie ou à l'oisiveté. »
Pour bien établir ce fait, l'auteur met en note :
€ A Amsterdam, les bourgeois et les ouvriers s'as-
15.
2G5 MUSICIANA.
semblent ordinairement, même chez les marchands
de bière, pour y faire des concerts. »
Une réclame bien gentille et bien naïve se trouve
à la page 20 du factura : « On a vu des maîtres gé-
néreux (entre autres le sieur Simon, maître de
clavecin, porte Montmartre) donner à des élèves
malaisés beaucoup d'exemplaires de leurs œuvres,
pour faire briller un jour des talents que la misère
eût étouffé. »
On connaissait et Ton pratiquait déjà, entre au-
teurs et éditeurs, ce qu'on appelle compte à demi.
Pour éditer un ouvrage nouveau, les fondateurs
du bureau d'abonnement proposent l'audition de
l'œuvre devant une censure de deux musiciens ,
choisis par le compositeur parmi les plus remar-
quables d'alors ; et, à ce propos, on met en avant les
noms de Duni, Philidor, Schobert, Mondonville,
Hochbruker, Grosset, Schmith,qui tenaient alors le
haut du pavé.
Malgré tant de discussions et de procès, il parait
que cet établissement ne fit pas fortune, car nous
lisons dans les annonces de la Bibliographie mu-
sicale de la France et de l'étranger en 4822:
« Depuis longtemps les élèves et les amateurs de
musique désiraient qu'il se formât un abonnement
complet de lecture musicale pour le piano, où se
trouverait aussi tout ce qui existe pour cet instru-
ment, tels qu'ouvrages élémentaires, symphonies,
concertos, septuors, etc.
« M. Meysenberg, éditeur et marchand de musique,
.VARIA... 263
rue Richelieu n** 23, vient de former cet abonne-
ment, composé des compositions musicales des
grands maîtres, tels que démenti, Cramer, Dus-
seck^ Haydn, Mozart, Hummel, Beethoven, etc. »
Les droits de propriété sur les ouvrages de mu-
sique n'ont été bien établis que depuis 1800, nous
pourrions même ajouter que depuis quelques an-
nées.
Dans un recueil d'ariettes publié en 1749 sous le
titre : 1'* Suite des fragments lyriques ^ on trouvé
la note suivante :
« Le sieur Daumont, demeurant à Paris, rue de
la Féronnerie, à l'Aigle d or, fera la recherche de
tout ce qui paraîtra nouveau en musique et qui ne
sera point imprimé, pour en faire un Recueil tous
les mois, qui seront cotés (les morceaux) à la suite
l'un de l'autre, ce qui fera un volume à la fin de
Tannée.
m
€ Il prie les auteurs qui auront des paroles nou-
velles et qui voudront bien les faire insérer dans
cette Suite, de les lui envoyer ; il se charge de la
musique, pourvu que lesdites paroles soient présen-
tables à d'honnêtes gens.
« Il prie les maîtres de musique qui auront du
nouveau de lui en faire part ; il mettra leur nom à
la tête de leur ouvrage et les reconnaîtra chaque
fois par deux exemplaires du Recueil dans lequel
ils auront mis du leur. >
On voit par laque les mélodies, romances, chan-
sons, ariettes etc., ne se payaient pas fort cher
264 MUSIGIÂNA»
en 1749 : deux exemplaires , de plus rhonneur
d'avoir son nom en tête de son œuvre, ce qui ne se
faisait pas toujours, à ce qu'il paraît.
Tallemant des Réaux nous raconte dans ses His-
toriettes que € La Serre fît plusieurs pièces en prose,
et que, quand on les représentait à l'hôtel de Bour-
gogne, il y donnait les violons ; c'est-à-dire qu'il y
avait dix à douze violons dans les loges du bout, qui
jouaient devant, après, et entre les actes. »
Cette nouveauté pourrait bien être l'origine des
entr'acteSy si l'on ne préfère remonter au temps
des Mystères.
APPLAUDISSEMENTS.
Les applaudissements, chez les Romains, accom-
pagnaient les acclamations, et se faisaient en ca-
dence. On applaudissait aussi en se levant, en por-
tant les deux mains à la bouche, et en les avançant
vers ceux qu'on voulait applaudir. Quelquefois on
croisait les pouces enjoignant et élevant les mains.
Tantôt on faisait voltiger un pan de sa toge; mais
comme cela était embarrassant, l'empereur Auré-
lien s'avisa de faire distribuer au peuple des bandes
d'étoffes destinées à cet usage.
L'Am DU CARNAVAL DE VENJSE.
«Là Ci7b7e775, contredanse de Gif olelli, gravée en
Italie vers 1745, prit le nom de Carnaval de Fe-
VARIA... 265
mse, lorsque R. Kreutzer la fit entendre en 1816,
dans le ballet, qu'il donna, sous le même titre à
Paris. Ornée de variations d'une merveilleuse au-
dace, la Cifolella avait fait le tour de l'Europe
avec Paganini; mais sa joyeuse et simple mélodie
était restée dans l'oreille et le cœur des Vénitiens,
qui la chérissaient. Rossini s'en empara, la fit mur-
murer a mezzo tuonoy ' con dolcezza^ et, par une
adroite galanterie, éveilla des souvenirs charmants,
caressa l'amour-propre des Vénitiens, et sut exci-
ter, conquérir toutes leurs sympathies.
c Un tonnerre d'applaudissements éclata, lorsque
le public reconnut, sous le masque, l'espiègle Cifo-
lella ^ se glissant au milieu d'une scène d*horreur,
de larmes et de désespoir. Tant la musique se mon-
tre complaisante et prête à dire, sempre bene^ tout
ce qu'on veut lui faire dire ! Voyez Semiramide :
Giorno d'orror e di contento^ dans le duo : Ebben l
a me ferisce.
(Castil-Blaze , Revue de musique ancienne et
moderne, 1856, page 31.)
M. Vallier, dans le Nain Jaune^ indique l'origine
de la marche militaire intercalée dans F Étoile du
Nord et connue sous le nom de Marche du Czar :
« La mélodie est d'origine italienne, et fut impor*
tée en Allemagne par les troupes prussiennes qui
combattaient, en 1706, en Italie, sous les ordres du
duc Léopold de Dessau, le fameux général de Fré-
déric P'. Bientôt, du régiment elle passa dans le
peuple et, après avoir fait le tour de tous les régi-
2i^G MUSIGIÂNA.
ments, de tous les ateliers et de toutes les univer-
sités, la fanfare joyeuse du vieux Dessau alla se
loger dans une partition de Meyerbeer, où elle fut
baptisée solennellement : la Marche sacrée du
Czar. »
QUELQUES ANNONCES DE 1761.
Tirées du journal V Avant- Coureur,
I
« Le sieur Gerson, luthier, vient d'ajouter une
cinquième corde aux violons qu'il fabrique. » (On
ne dit pas si^c'est au grave ou* à l'aigu.)
II
« Le 15 juin, jour du landi, jour de vacances
pour les écoliers. Un grand nombre se trouvaient
dans le parc de Saint-Gloud à s'amuser, quand le
duc de Chartres et la comtesse de la Marche paru-
rent dans le parc, pour voir jouer les grandes eaux.
Les écoliers leur chantèrent des couplets, et obtin-
rent deux jours de congé de Leurs Altesses. >
VARIA... 267
III
Novembre. — « Clavessin électrique^ avec une
nouvelle théorie du mécanisme et des principes dé
l'électricité, par le père de La Borde. »
On y dit explicitement que c'est un clavecin que
l'électricité fait jouer
MM. les inventeurs du télégraphe électrique au-
raient bien dû se donner la peine de fire ce livre,
et nous doter de leur invention quelques soixante
ans plus tôt.
IV
Avril. — « Pianos du sieur Silbermann, de Stras-
bourg; entre autres avantages et de Doavelle inven-
tion, les cordes sont frappées par de petits mar-
teaux garnis de peau. — Des sauteraux étouffent à
volonté le son de la corde frappée. — Le son est
nuancé selon qu'on appuie le doigt sur la touche.
— Ce piano est transpositeur, par suite de son cla-
vier mobile. »
^ Voilà une date pour le piano. On sait que dans
le clavecin la corde était pincée ou frôlée par un
bec de plume de corbeau. Dans les premières édi-
tions allemandes des œuvres de Beethoven on trouve
^'indication : pour le piano-forté à marteaux.
r
268 MUSICIANA.
Novembre. — c Depuis que la mode a banni
l'usage de porter le chapeau sur la tête, le parasol
est devenu un meuble indispensable, et nos artistes
eherchent tous les jours à les rendre plus légers et
plus portatifs, etc. »
Plus loin. « Un perruquier vient d'inventer des
calottes de plomb (dégagé de ses parties arsenica-
les) presque aussi légères qu'un bonnet piqué. » Le
journaliste ajoute : « Ce sera un remède contre les
rhumes. Les auteurs des pièces nouvelles surtout,
pour qui la toux du parterre est d'un si funeste
augure, devront une reconnaissance éternelle à
l'auteur de ces calottes. On les trouve place du
Vieux-Louvre, près la rue du Chantre. > (Ce der-
nier voisinage parait aussi de bon augure.)
En 1761, on jouait encore de la vielle, car le
9 février on annonce une Nouvelle méthode de
Vielle j sous le titre : la Vielleuse /2aJbi7e,par M. Bo-
nin, maître de vielle.
Les annonces de cantatilles fourmillent dans ce
volume ; c'était le moment florissant des ariettes et
des cantatilles; leur règne commence à LuUy et
s'éteint à la Révolution, où la romance vient les
remplacer. Les dédicaces paraissent en beaucoup
plus grande estime en l'an de grâce 1761 que de
nos jours; même un sieur Simon, ayant dédié des
VARIA..» 269
pièces de clavessin à son élève M"*' la marquise de la
Mézangère, le journal, en annonçant cette impor-
tante nouvelle aux dilettantes, ajoute que cette
œuvre se trouve chez l'auteur, à rentrée du fau-
bourg Montmartre, 'chez M"* la marquise de la
Mézangèrey et aux adresses ordinaires.
Allez donc, ô artistes do 4877, dédier des mor-
ceaux de piano à des marquises, en les chargeant
de les vendre ! même à quinze- douze l
QUELQUES NOTES GLANEES . DANS LES TABLETTES
DE RENOMMÉE DES MUSICIENS (1785).
* - •
Dalayrac (le chevalier), amateur, garde de mon-
seigneur le comte d'Artois.
Haydn (Joseph) a fait exécuter au Concert spi-
rituel un superbe Stabat mater ^ dont la réussite la
plus éclatante et le succès le plus déterminé Font
fait juger digne d'être mis en parallèle avec celui
de Pergolèse qui", jusqu'alors, avait été regardé
comme un chef-d'œuvre inimitable.
Monsigny, maître d'hôtel de S. A. S. monsei-
gneur le duc d'Orléans, amateur et célèbre compo-
siteur.
Pratiy maître de vocale (chant) pour le goût ita-
270 MUSICIANA.
lien, a fait plusieurs sonates pour le clavecin, dm-
baies et cor de chasse.
Saint-Georges (le chevalier), amateur, écuyer et
directeur de la musique de M"® la comtesse de Mon-
tesson, excellent violon et compositeur agréable-
Ce célèbre virtuose est d'autant plus étonnant
qu'il réunit presque tous les talents et les exer-
cices de corps au même degré de perfection. Il joue
supérieurement du violon, danse avec grâce, monte
à cheval avec légèreté, chasse avec adresse, et s'est
toujours mesuré avec avantage contre les plus ha-
biles maîtres d'armes de l'Europe ; il est d'autant
plus estimable que sa modestie et son affabilité
égalent sa bravoure.
Vogler (l'abbé). Cet habile compositeur est par-
ticulièrement renommé par la facilité et la rapidité
avec laquelle il enseigne la composition et l'accom-
pagnement à ses élèves, par une méthode de son
invention qui lui est particulière.
Bailleul, maître de vocale, tient une collection
complète d'opéras-comiques, avec les partitions, et
se charge de conduire l'orchestre et les acteurs dans
les' fêtes parliculières où il est mandé.
Barbella, a fait plusieurs duos et sonates ; il de-
meure rue du Bout-du-mondey au coin de la rue
Montmartre, chez Fhorloger.
UAudimont (fabbé), maître de vocale des Saints-
Innocents, est connu avantageusement par ses
superbes motets et généralement estimé par ses
qualités morales. . .
VARIA... 271
Gozargue (l'abbé), ancien maître de musique de
la Chapelle du roi, est regardé comme'un des plus
savants compositeurs du siècle pour les motets.
Larrivéy première basse- taille à l'Opéra, met
dans son jeu tant d'intelligence, de noblesse, de
force et de sentiment, que le public, quoique accou-
tumé à l'entendre, ne peut souvent s'empêcher de
suspendre la scène par des transports d'applaudis-
sements.
Legros, pensionnaire du roi et de l'Académie
royale de musique, entrepreneur et directeur gé-
néral du Concert spirituel, ci-devant première
haute-contre à l'Opéra, réunit au mérite de la com-
position et aux qualités physiques du personnel,
une des plus belles voix qui se soient jamais fait en-
tendre sur la scène lyrique de cette capitale.
Martin, haute-contre à l'Opéra, et digne élève de
M. Parent. Sa manière de chanter toujours simple,
mais prononcée avec un art fini et un goût enchan-
teur, fait concevoir à son égard les plus flatteuses
espérances.
Roze (l'abbé), ancien maître de musique des
Saints-Innocents, est singulièrement renommé pour
le goût du chant. (U fut bibliothécaire au Conser-
vatoire de 1807 à 1820.)
Torlez, a fait des Principes pour la voix, la vielle
et l'instruction des serins. (Ce système uniforme
d'enseignement devait être bien flatteur pour ses
élèves de chant.)
M"' Duplantj célèbre cantatrice, pensionnée de
f7l MUSIGIANÂ.
r Académie royale de musique, a rendu tous les rôles
majestueux ou à baguette dont elle était chargée
avec ce degré d'expression et de sensibilité qu'exige
la musique théâtrale et imitative.
Lebrun (M"**), ci- devant connue sous le nom de
M"* Dantzi. Cette célèbre cantatrice, une des plus
parfaites qui se soient jamais fait entendre au Con-
cert spirituel^ a osé y défier un hautbois dans un
concerto dialogué.
Sa voix, non moins rapide que l'instrument, aussi
juste dans ses intonations, aussi hardie dans ses
écarts, s'est élancée à la même hauteur, et y a battu
la même cadence. Cet effort surnaturel de la voix
lui a mérité du public les applaudissements les plus
vifs et les plus bruyants. (Elle montait au coi2-
tre-fa.)
Saint-Huberti (M"*). Première cantatrice de
rOpéra. Cette actrice, sublime dans tous les rôles
qu'elle rend sur la scène, s'est surpassée elle-même
dans celui de Didon, où elle peint tour à tour, par
l'expression la plus vraie et la plus touchante, le
délire et l'accablement du cœur.
Toc/i (M"'). Une des plus célèbres cantatrices de
l'Europe, s'est fait entendre plusieurs années avec
un égal succès au Concert spirituel. Cette virtuose
joint au plus bel organe une âme sensible et un
goût exquis. Sa voix tendre et plaintive fait retentir
au fond du cœur le cri de la nature et met en ac*
tion tous les ressorts de l'âme.
VARIA... 278
Mozart^ compositeur du Concert spirituel^ a fait
une méthode pour le violon et plusieurs sonates et
concertos de clavecin. (G*est tout l'article sur Mo-
zart, et encore le compilateur se trompe : la mé-
thode de violon est du père de Mozart.)
¥ ¥
Il existe un rarissime tout petit livret intitulé :
Le chant desseraines^ avec plusieurs compositions
nouvelles, à Paris^ par Gilles Corrozet^ en la
grandsalle du Palays^ 1548.
Ce petit volume est suivi d'une espèce d'appen-
dice : Extrait d'un petit traicté^ contenant soixante
et troys articles^ sur le faict de la reformationr de
la superûuité des habitz des dames de Paris, et
comment elles se doivent honnestement gouverner ,
composé par Alphonce de Beser, j^dis abbé de
Livry, à la requeste de sœur Alix, lors recluse aux
Sainctz Innocentz , ledict traité trouvé en la librai-
rie de Vauluysant, entre plusieurs cayers de par-
chemin attachez ensemble.
Pour un joli titre, c'est un joli titre ! Après avoir
longuement parlé de Thabillement d'une femme
honnête, de sa chaussure, lui avoir conseillé d'évi-
ter le hantement des prothenotaireSy etc., l'auteur
continue ainsi :
Ta quenoille et rouet auras
Pour singulier esbatement,
Et dans ton moil]oir tremperas
Tes doigtz pour filer proprement.
STli MUSICIANA.
Je té permectz, quand fileras.
Chanter, non pas follastrement,
Ces quatrinSf mais dégoiseras :
La Péronnelle (1) pleinement;
Et aussi : Ne reprouvons pas,
Allons, allons gay, gayemeni.
Sus, BastiennCy pas à pas,
Dis-'nïoi More, aussi la Norm&nU
Les festes le temps passeras.
Non pas à jeux musiciens;'
Ne ÏEcatomphile (2) liras,
Mais les saincts livres anciens.
Si danses, tu ne crouleras
Le cropion aucunement: .
Et Gaillardes ne danseras,
Mais la Vergaye seulement.
Toutesfois ne refuseras
Au cbappellet (3) le baisement,
Pourveu que ne Tendureras
Fors qu'en la joue honteusement.
Puis, quand à tes fermes iras,
Le limonnior tant seulement
1
(1) J*ai vainement cherché ces anciens timbres de chansons.
Sous le règne de Louis XII, une chanson commençait par : A-vous
point vu la péronnelle?
(2) Il suffira de citer le titre de ce livre rare et singulier pour
donner une idée du contenu :
rh'Hecatompbile (1536). « Hecatompie, ce sont deux dictions
a grecques signifiant centiesme amour, sciemment appropriées à.
K la dame, ayant en elle autant d'amour que cent autres damos en
oc pourraient comprendre, dont à présent est fait mention. »
(3) On lit dans la 3» journée du Printemps cTYver:
« Puis cstans lassez de dancer en cbappellet, commencèrent la
gaillarde, » — La daiise en cbappellet était ce que nous appelons
que Ronde. ...... ... -
.VAttCA./. ' ÉTR
Avec le chârtier manderas,
Pour, te conduire seurement;
Sur lequel en croupe sera
Ta chambrière au sein branlant :
Mais sur le chârtier veilleras
Qu'il ne s'amourache en allant.
Le Printemps d* Fver, cité dans la note précé-
dente, est un petit livre curieux et ennuyeux à la
fois, je voulais dire alternativement. Il contient
cinq histoires discouraes en cinq journéeSypar une
noble compagnie^ au château du Printemps^ par
Jacques Fver, seigneur de Plaisance et de la Bi-
gottrie, homme Poictevin; Lyon, 1572.
En ce temps-là on ronsardinisait, tant en vers
qu'en prose.
Il est question de deux jeunes filles : « Adonc,
se remplissant le sein de diverses fleurettes, ravies
impétueusement à leur douce mère (la terre), s'al-
laient écarter parmi Tépaisseur d'un bois, où en
plein midi l'on pensait être au crépuscule du soleil
couché, et sous la fraîcheur de cette feuillade ttiille:
oisillons babillaient de leurs amourettes, accordant
leurs mignardes plaintes au gazouillis enroué des
ruisselets voisins, ou se réjouissaient de voir saute-
ler lés agnelets sur la verdure, » etc.
Cet ouvrage est divisé par journées, comme l'in-
dique le titre. A la seconde journée, le sieur de Bel
accueil vdLOonie que Dieu envoya deux de ses anges,
liour venir voir ici-bas comment fout se portait. Il
faut vous dire qu'il s'agit dû paradis dés Tûrds, par
suite c'est le dieu Maihomet qui, d'après le Coran,
176 MUSIGIANA.
possède aussi des anges, ce qui contredirait cer-
tains auteurs excluant les femmes du paradis des
Turcs.
Quoi qu'il en soit, voilà nos deux anges battant
r estrade au pays cT Egypte, où ils rencontrent une
femme d'une merveilleuse beauté. Tous deux en
sont ravis, au point d'oublier complètement le ciel
d'où ils viennent, et, devenant de plus en plus ter-
restres à la vue de cet objet charmant, ils la prièrent
d'amour^ ne lui celant nullement qui ils étaient.
La beauté égyptienne, flattée de cette attention
angélique, promet de^se rendre, à la condition toute-
fois qu'on lui accordât le vœu ou le souhait qu'elle
formerait, ce qui fut concédé sans peine. Lors donc
elle leur fît cette requête : « Apprenez-moi l'oraison
que vous dites pour monter au ciel. » Les anges
la lui récitèrent, et elle, la répétant mot à mot, se
sentit peu à peu enlevée de terre par une force
inconnue : ce que les anges voyant, reconnurent
trop tard leur faute.
Ce petit conte, moitié païen, moitié chrétien,
pouvait s'arrêter là. L'auteur ne Ta pas jugé à pro-
pos. Cette jeune femme, poursuivie, mais non atteinte
par les anges trompés dans leur attente, arrive à
la région des étoiles, où on ne veut pas la laisser
passer. Le conseil assemblé, craignant de semer la
division dans son sein, en laissant entrer une femme,
l'envoie dans la lune. Or, c'est depuis ce temps-là
(d'après le sieur de Bel accueil) que cette pauvre
lune est tellement tourmentée par sa charmante
VARIA. . . 877
compagne, qu'elle ne montre sa figure que par quart,
moitié, ou pas du tout, honteuse de se faire voir
tout entière. De là aussi vient le mot lunatique^
plus spécialement appliqué aux femmes.
Il est un petit volume fort recherché par les bi-
bliophiles, et que bien peu d^entre eux ont sans
doute eu le courage de lire jusqu'au bout. Il n'a
pas moins de 428 pages ; son titre, le voici : Remar-^
ques curieuses sur Fart de bien chanter^ et parti-
culièrement pour ce qui regarde le chant Iran-
çaiSy etc., par B. D. B. (lisez Bénigne de Bacilly).
iPariSy chez Pautheur, rue des Petits Champs^ vis
à vis la croix, chez un chandelier^ 1668.
Son plus grand mérite, à nos yeux, est de donner
une idée assez exacte de Técole du chant en 1668.
Nous laissons dire Fauteur : « Je parle de Tart de
bien chanter, comme practique, et je dis qu'il con-
siste à bien entonner les tbns dans leur justesse, à
bien soutenir la voix, à la bien porter ; à bien faire
les cadences et tremblemens ; à bien marquer du
gosier quand il le faut ; à ne pas tant marquer quand
il ne le faut pas, mais glisser certains tons à propos ;
à bien faire les accens, que Ton appelle vulgairement
plaintes ; à bien former les passages et les diminu-
tions ; et comme le chant ne se pratique guêres sans
paroles, à les bien prononcer, à les bien exprimer
16
2*8 MUSICIANA.
OU passionner à propos ; et surtout à bien observer
la quantité des syllabes longues ou brèves, qui est
la principale fin de cet ouvrage.
« De tous les instrumens, ceux qui sont à présent
le plus en usage pour soutenir la voix, c*est le cla-
vessin, la viole et le théorbe, car pour la lyre on ne
s'en sert plus. La viole mesme et le clavessin n'ont
point la grâce, ny la commodité qui se rencontre
dans le théorbe (1), qui est propre pour accompagner
toutes sortes de voix, quand ce ne serait que pour
la seule raison de sa douceur, qui s'accommode aux
voix foibles et délicates, ati lieu que les autres in-
strumens les offusquent. »
L'auteur n'aime pas les leçons données avec un
instrument, mais avec la voix seule, car il dit :
« L'accompagnement d'une voix juste, et qui chante
à lunisson ou à l'octave d'une autre voix, est bien
plus propre à inspirer la justesse que l'instrument,
qui n'en est que le singe, et qui d'ailleurs ne produit
pour l'ordinaire que des quartes, des quintes, des
sixtes et autres accords, qui ne se discernent que
par des personnes sçavantes en composition de mu-
sique!!
« Les belles voix sont plus communes parmy les
femmes, à cause de la pituite qui domine en elles.
(1) La ibêorbe ou taorbet comme dit le père Mersenne {iGsU&j
avait 10 cordes doubles et une simple, la chautcrelle. Cet instru'*
ment à cordes pincées différait par son double manche du luth
qui n*eQ avait qo'un simple, xlont le haut était renversé en arrière.
VARIA... 279
et qui cause cette lenteur et cette douceur inani-
mée ! . . .
« II faut remarquer qu'il y a plusieurs espèces
d'oreilles dans le chant, et qui ne se rencontrent
pas toutes à la fois dans une mesme personne ; d'où
vient que souvent on se pique mal à propos d'avoir
bien de l'oreille pour le chant, à cause que l'on
danse fort bien suivant la cadence du violon.
« Il est très-dangereux, de se servir d'un mais-
tre qui chante du nez et exécute de la langue,
d'autant que ces défauts se communiquent facile-
ment.
€ La musique est encore nécessaire à un mais-
Ire, c'est-à-dire la connaissance des notes et des
mesures, non pas dans une perfection si grande
qu'il faille qu'il chante à l'improviste, mais il suffit
qu'il sache déchiffrer un air, soit à loisir soit tout
d'un coup.
« Un air ne doit pas estre censuré pour estre de
pièces rapportées, ou si vous voulez, emprunté
des autres airs; car, outre qu'on ne peut rien dire
qui n'ait été dit, et que toute la musique ne roule
que sur six ou sept notes, on croit souvent un
chant emprunté, qui ne Test point dans l'intention
de l'autheur, qui, bien qu'il ait tombé dans la même
pensée qu'un autre, ça esté sans le sçavoir, et sans
avoir jamais ouy parler de l'ouvrage dans lequel
on l'accuse d'avoir puisé.
« Le mouvement donne Tàme au chant ; il ins-
pire dans les cœurs telle passion que le chantre
280 MUSICIANA.
voudra faire naistre, principalement celle de là
tendresse; d'où vient que lapluspart des femmes
ne parviennent jamais à acquérir cette manière
d'expression, qu'elles s'imaginent estre contre la
modestie du sexe, et tenir du théâtre, et rendent
par ce moyen leur chant tout à fait inanimé, faute
de vouloir un peu feindre.
« Le* plus grand ornement du chant et le plus
usité, principalement dans les seconds couplets
des airs, est C3 qu'on appelle vulgairement dimi^
nation, lequel nom luy a esté donné, à cause que
l'on diminue la longueur d'une note en plusieurs
brefves ; ainsi Ton pourroit en quelque façon par un
nom contraire l'appeller augmentation, puisqu'elle
augmente le nombre des notes (1).
« Dans le chant on conserve encore une estime
si grande pour un certain nombre d'ouvrages an-
ciens de la manière de M. Le Bailly, à qui Ton doit
la première invention des passages et diminutions,
que Ton n'a osé y changer quoy que ce soit, si ce
(1) Los ornements des seconds couplets, ou diminution, n'étaient
pas du goût de LuIIy. Quand les pages du roi, dont il était sur-
intendant, venaient chanter devant lui, il aimait qu'ils lui chao-
tassent des airs de Lambert (son beau-père) et les écoutait avec
application. Mais lorsqu'ils voulaient ajouter le double au simple,
suivant l'usage de ce temps, de quoi le bonhomme Bacilly, qui
appelle le double la diminution de l'air, est si entêté, Lully ar-
rêtait d'un signe de main et de tête les pages de la musique. C'est
bien, leur disait-il, c'est bien, garder le double pour mon beëu-
père, (Le Cerf de la Vieville, Comparaison de la musique ita-
lienne, etc.)
' VARIA... 281
n'est pour l'exécution, qui est présentement un peu
plus polie ; et quoy qu'il y ait bien des fautes con-
tre la quantité des syllabes, on ne laisse pas de les
chanter tels qu'il les a composés, comme des ori-
ginaux et des diamans de la vieille roche. »
A propos des défauts de prononciation, l'auteur
critique vertement un professeur de chant ignare,
qui, au lieu de dire :
Et rembarras nous semble doux,
Quand il est causé par la presse
De ceux qui soupirent pour nous.
Chantait effrontément :
Et les barons nous semblent doux, etc.
« Dans le vers :
Ha 1 qu'il est doux d'aimer !
il faut ouvrir la bouche en souriant, et plus en
large qu'en long, je veux dire sur la de Ha !
« Dans :
Je veux briser mes fers i
il faut faire entendre Ts (ferse) de même que
dans Fleurs (jHeurses) qui naissez^ etc.
La mort à fini son martyre.
« Prononcez : la morA-a uni son martyre. »
16.
282 MUSIGIANA.
D'après les nombreuses citations que nous avons
faites de ce célèbre traité de chant, on s'aperçoit
sans peine de la grossièreté où en était encore
Tart vocal. Voyez pourtant nos pauvres illusions!
M. de Bacilly dit, page 250 :
« Mais à présent qu'il semble que le chant est venu
au plus haut degré de perfection qu'il puisse jamais
estre, il ne suffit pas de prononcer simplement,
mais il le faut faire avec la force nécessaire, » etc.
Bourdelot, dans son Histoire de la musique, re-
vient à plusieurs reprises sur les doubles ou les
diminutions.
« Quelques années avant que Lully vinten France,
Bacilly, ce maître de musique qui a travaillé un des
premiers à la propreté et à la netteté de notre chant,
avait mis les doubles à la mode, non pas en faisant
les airs qui ea fussent pleins, maison brodant, en
doublant les airs du vieux Guédron, de Boesset et
de quelques autres. Lambert, dès son entrée dans
le monde, composa des airs et en fit les doubles. Il
donna une vogue si grande à ces pelits agréments,
que Lully n'osa pas lai-méme s'en priver complè-
tement pour ses premiers opéras. De Bacilly ad-
met très-bien que le chanteur se produise sans ac-
compagnement aucun, car il dit que c'est Taire le
précieux ou la précieuse de se piquer de ne point
chanter sans théorhe.i^
Ne croirait-on pas, en lisant ces principes, as-
sister a un diner de g^la de nos aïeux, ou chaque
VARIA . 283
convive disait son couplet. .. mais sans se passer
le myrle ?
*
L*ART MUSICAL RELATIF A l' ACCORD DU PIANO.
Suivi de deux sonnels, de trois stances et de Tart de faire la
conquête des belles, por M. Tournatoris, facteur d'instruments.
Nota. — On ne trouvera ce petit ouvrage que
chez l'auteur, rue de TEperon-Saint-André-des-
Arls, n** H, ou dans la même maison, chez le fabri-
cant de bas.
Je veux épargner la peine aux nombreuses per-
sonnes qui se décideront sans doute à courir rue do
l'Eperon, pour chercher cet ouvrage publié en 1810,
en apprenant à ces zélés amateurs que M. Tour-
natoris est mort en 1813, d'après M. Fétis; quant
au marchand de bas, il a dû suivre son exemple.
Au reste il n'y a de curieux que le titre dans ce chef-
d'œuvre de poésie, car le tout est en vers, et quels
vers ! voici le début de FArl musical relatif à l ac-
cord du piano :
C'est en vain qu'à Paris un novice accordeur
Pense être demandé chez un ambassadeur,
S'il n'a reçu du ciel une oreille divine ;
284 MUSIGIANA.
S'il croit faire un accord, comme on fait la cuisine,
Dans les moyens qu'il prend il est toujours captif,
Pour lui tout obéit comme un cheval rétif.
En voilà assez, je pense.
¥ ¥
On a observé maintes fois que les animaux, ou
du moins certains animaux, aimaient non-seulement
la musique, mais qu'ils avaient un certain senti-
ment ou instinct durhythme. Suétone rapporte que
l'empereur Galba, après son retour d'Espagne,
donna dans Rome un spectacle où il fit voir des élé-
phants qui marchaient en cadence sur la corde au
son des instruments. L'empereur Domitien fit aussi
dresser une troupe d'éléphants pour danser un bal-
let avec des figures assez difficiles à retenir. Un de
ces animaux ayant été battu pour n'avoir pas bien
retenu sa leçon, on remarqua que la nuit suivante
il la répéta de son propre mouvement au clair de la
lune, pour éviter un nouveau châtiment. Bourde-
lot, dans son Histoire de la musique^ nous apprend
qu'il a vu des rossignols tomber pâmés aux pieds
d'une personne douée d'une belle voix, et qu'il al-
lait souvent prendre ce divertissement avec elle
dans un bois à sa maison de campagne.
Ce même auteur ajoute encore une phrase qui
donnera bien à réfléchir aux virtuoses sur la flûte :
VARIA. •• 285
« M. de la Mothe le Vayer rapporte qu'en Guinée
il y a des singes qui jouent de la flûte et de la gui-
tare dans la dernière perfection. »
*
¥ ¥
Le Chroniqueur de Francfort nous donne sur
la musique japonaise des détails dont nous lui lais-
sons naturellement la responsabilité.
Au Japon^ les musiciens se divisent en quatre
classes : la première est formée de musiciens ne
jouant que de la musique religieuse^ la seconde de
musiciens se contentant de la musique profane , la
troisième de musiciens aveugles, et la quatrième
enfin se compose de femmes faisant de la musi-
que.
Les musiciens religieux et les musiciens pro-
fanes forment certaines tribus, se réunissant à des
époques déterminées dans le but d'exécuter de la
musique religieuse et de la musique profane.
Autrefois, les princes se donnaient le luxe de cha-
pelles privées ; inutile de dire qu'il existe nombre de
musiciens jouant, pour de l'argent» chez les particu-
liers.
Dans les tribus, il .y a différents grades, de-
grés et distinctions. Outre les tambours, etc., il y a
des instruments à cordes et des instruments à vent ;
tH\i MUâlGlANA.
parmi ces derniers il n en existe pas en cuivre ni des
instruments compliqués, à clés, à coulisses et au-
tres accessoires; il n'y a que des instruments purs
pour la musique religieuse, et des instruments im-
purs pour la musique profane.
On distingue douze espèces de modes, un pour
chaque mois ; chacun a cinq tons.
Les instruments servant à donner l'accord sont de
formes diverses ; il en existe un dans le genre de la
flûte de Pan. Les cordes sont faites de soie enduite
de cire. Les notes indiquent simplement le numéro
delà corde qu'il faut loucher ou, pour les flûtes, le
trou qu'il faut bouclier. Le nom ou le numéro du
ton peuvent également se désigner. Pour les tons
intermédiaires, il y a à côté du signe indiquant le
ton un second signe qui dit s'il faut appuyer ou
céder. Il y a,'en outre, des désignations particulières
pour la valeur des notes.
La mesure et le rhytme ne sont pas indiqués ; mais
il paraît que la mesure à deux temps et la mesure
à quatre temps sont de beaucoup les plus fréquentes.
Les notes s'écrivent de haut en bas ; le texte
se met sur le côté gauche. Le chant est toujours à
l'unisson avec l'instrument principal.
La musique japonaise a, en général, beaucoup
d'analogie avec la musique chinoise, qui déchire les
oreilles^- comme on sait; les Japonais trouvent la
musique européenne encore plus affreuse que nous
ne trouvons la leur détestable.
VARIA... • 287
Dans les théâtres japonais il n'y a pas de contre-»
marques, mais quand un spectateur sort avant la
fin, on lui imprime le timbre bleu dans le creux
de la main, pour qu'il puisse rentrer sans payer dé
nouveau.
LA QUINTE SUPERFLUE.
Un amateur qui devait faire la parlie d'alto dans
un concert, étant arrivé un peu tard, et voyant son
pupitre occupé par deux autres personnes, s'en al-
lait. Eu sortant il réittontre un premier violon qui
lui demande pourquoi il ne se met pas avec ces
Messieurs. — Je m'en vais , répondit-il, ne pouvant
être d'aucune-utilité, nous serions trois au même pu-
pitre, et vous savez aussi bien que moi que trois
quintes de suite ne sont pas supportables.
•k
¥ ¥
Une dame, s'excusant d'être en relard pour son
abonnement, commence sa lettre ainsi :
« La maladie qui m'a enlevée subitement de
Paris, m'a empêchée de rapporter la musi [ue, etc, »
¥ ¥
Un monsieur de Sauvât (Arîège), adressant à
M. Auber une méthode de musique de son inven-
tion, s'exprime ainsi :
288 MUSICIANA.
c Monsieur,
« Si vous n'aimez pas le progrès, jetez au feu
sans la feuilleter, la méthode qu'accompagne ma
lettre ; si, au contraire, une dynamique accélérée,
surtout dans votre art, vous met en extase, daignez
la parcourir, cette méthode, etc. »
LISTE DES CHEFS d'oRGHESTRE A l'opÉRA DE PARIS.
4671, Gambert; 1672, Lalôuette; 1677, Celasse;
1687, Marais; 1703, Rebel; 1710, Lacoste; 1714,
Mouret; 1733, Rebel et Francœur, en partage;
1744, Niel; 1749, Ghéron; 1750, La Garde; 1751,
Dauvergne; 1755, Aubeft; 1759, Berton; 1767,
Louis Francœur; 1776, Rey ; 1810, Persuis; 1815,
Kreutzer; 1824, Habeneck et Valentino, en par-
tage; 1831, Habeneck seul; 1847, Girard; 1860,
Dietsch; 1863, Georges Hainl, 1873, Deldevez.
Ainsi, en 202 ans, 25 chefs d'orchestre se sont
succédé à T Académie de musique.
CHAPITRE IX
LETTRES (1)
Chargé, il y a quelques années, de mettre en
ordre la correspondance du compositeur et éditeur
Ignace Pleyely j'ai trouvé quelques lettres de com-
positeurs célèbres, lettres inédites et méritant d'être
connues, soit comme compléments biographiques,
soit comme simples notices sur les relations des
compositeurs et des éditeurs au commencement de
ce siècle.
Le classement n'a pu être fait rigoureusement
selon les dates, beaucoup de ces lettres ne portant
pas de millésime, à commencer par celles de Mé^
huL J'omets une demi-douzaine de billets par les-
(1) L'usage d'écrire des lettres doit être aussi ancien que l'écri-
ture ; quant à celle-ci, les plus savants archéologues n'ont pas
encore pu nous fournir une date exacte pour son invention.
Les Grecs et les Romains mettaient leur nom au haut de la
lettre, puis celui de la personne à laquelle ils écrivaient; après
cela on se souhaitait joie^ prospérité^ santé: oublier cette for-
n)ule était une insulte. Ces lettres se terminaient par vale (portez-
vous bien), sans autre compliment.
17
890 MUSIGIANA.
quels cet illustre maître recommande à Ignace
Pleyel de jeunes compositeurs à l'entrée de leur
carrière, et, chose plus rare encore de nos jours,
nous voyons Méhul s'employer comme intermé-
diaire pour arranger les affaires de ses confrères et
rivaux.
« Mon cher Pleyel,
A G*e8t aujourd'hui la fête de Martin ^ et je veux lui faire
le cadeau de VIrato et de la Folie. Fais-moi le plaisir de
remettre ces deux ouvrages à mon commissionnaire et d'en
choisir deux beaux exemplaires.
« MÉHUL.»
Au citoyen Pleyel.
« J'ai parlé à Boïeldieu ; il m'a paru fort content de tes
offres. Ainsi, après le succès de son ouvrage, tu pourras le
voir.
« Voici le deuxième acte d'Adrien, Partout où le mot bon
se trouve sur des choses rayées, elle doivent être regar-
dées comme bonnes.
« Adieu, je faime de tout mon cœur, et je suis pour la
vie ton ami.
C MÉHUL. » ' .
AUTRE.
«c Ce mercredi 42 août.
« Mon cher Pleyel, tu me ferais un grand plaisir si» dans
les premiers jours du mois prochain, tu pouvais me don-
ner les deux cents francs que tu me dois sur les intérêts
de l'année dernière et de celle-ci. Je serais aussi fort ai^e
que nous puissions, terminer un vieux compte de dix ans,
LETTRES. 291
qui 68t relatif à un ouvrage que j'ai mis en dépôt chez toi,
et un autre compte relatif aux airs de chani et aux airs de
danse de mon opéra à^ Adrien. Je n'ai rien reçu de ces deux
objets, parce que tu sais bien que je m'occupe peu de mes
intérêts, et que tu as dû oublier une chose que j'oublierais
moi-même ; mais, en ce moment, je suis obligé de ramasser
tout ce qu'on peut me devoir pour faire face à quelques
dépenses que j'ai été contraint de faire pour agrandir mon
jardin et réparer ma petite maison de Pantin. Invite ton
fils, mon «her Pleyel, à songer à mes demandes et à se
rendre compte des deux vieilles affaires que j'ai besoin de
terminer d'ici à la fin d'octobre.
« Tout à toi,
« MÉHUL.»
Un petit billet du même :
« Mon cher Pleyel, fais-moi le plaisir de ne point oublier
que tu m'as promis de chercher dans tes papiers des airs
écossais dont j'ai grand besoin.
« Ton ami,
« MÉHUL. »
L'opéra d'Adrien a été donné en 1799. Ce n'est
donc pas s'écarter beaucoup de l'ordre chronolo-
gique, que placer, ici une lettre de Joseph Haydn^
datée de Vienne, 4 mai 1801. L'adresse est ainsi
conçue :
Monsieur Pleyel, compositeur très-célèbre y
à Paris.
« Très-cher Pleyel,
« Je voudrais bien savoir quand paraîtra ta belle édition
de mes quatuors, cl si tu as, oui on non, reçu par Artaria
298 UUSIGUNA.
l*exemplaire de ma Créatioù, ainsi que mon portrait ; si l'oo
peut vraiment avoir chez vous là Création^ aussi bien- la
partition que rédition pour piano. Dis-moi en môme temps'
si on Ta bien . accueillie, et s'il est digne de foi que. les
membres de Torchestre réuni ont exprimé le désir de m.'of-
frir une médaille d'or. Sur tout cela, je te prie de me ren-
seigner le plus vite possible» parce qu'ici, à Vienne, on le
tient pour une fanfaronnade.
< La semaine passée, on a joué trois fois mon nouvel
ouvrage les Quatre Saisons devant notre haute noblesse,
avec un succès sans partage ; dans quelques jours on le
donnera, soit au théâtre, soit dans la grande salle de la
Redoute, à mon profit. Pour changer un peu, nous aimons
mieux exécuter les Saisons que la Création» Gela a déjà été
traduit en français et çn anglais, d'après Tompson {sic), par
notre grand baron de Swieten. Tout réclame une prochaine
publication ; mais cela paraîtra un peu plus lard, parce que
je. veux faire imprimer a parte les paroles anglaises et
françaises, afin qu'on puisse l'exécuter plus aisément.
c Je te rei^ouyelle mes souhaits, et je me rappelle au
souvenir de ta femme, très-cher Pleyel.
« Ton bien sincère ami,
. « Joseph Haydn.' *
< P.-5. -^ Il y a déjà un an que j'ai perdu ma pauvre
femme. »
¥ ¥
Voici maintenant démenti, dont les compositions
sont si estimées encore dans Técole du piano, dé-
menti fut un des plus remarquables exécutants de
son temps, et, selon M. Fétis, le chef de la meil-
leure école de doigter et de mécanisme. Clemcnii
LETTRES. 293
,était alors éditeur de musique à Londres ; sa cor-
respondance avec Ignace Pleyel est presque toute
en anglais, langue que Clementi possédait parfaite-
ment, quoique né à Rome. La lettre suivante est en
français et entièrement de là main de Clementi.
A Monsieur PlcyeL
« Londres, le 29 juin 1802.
« Mon cher ami,
« Mes affaires dans ce pays me retiennent encore quel-
que temps, et, pour dire la vérité, je nesais^«a/2c/ je pour-
rai partir pour la France. Je suis très-sensible à votre poli-
tesse et honnêteté en m'offrant un lit dans votre maison ;
mais je vous prie de ne plus le garder pour moi, n*étant pas
sûr du tout de mon voyage. Cependant; recevez-en tous
mes rem€u*ciements. Mon intention, en venant à Paris, était
de traiter pour les manuscrits de votre composition; mais,
comme je ne puis (à présent) faire ce voyage, je vous prie
de m' écrire le plus tôt possible vos conditions, pour pou-
voir faire mes arrangements en conséquence.
« Je voudrais posséder un livre de trois sonates pour le
piano, et si vous vouliez composer six sonates pour le
piano avec des airs écossais pour adagios, andantes ou
rondeaux, Vous me feriez grand plaisir, en vous priant de
me dire le irrix, soit en argent, soit en instruments. Enfin,
j'espère que vous me donnerez la préférence pour Londres,
pour tout ce que vous composerez. Je vous prie instamment
de me donner réponse le plus tôt possible, et je serai tou-
jours
« Votre grand admirateur et ami et serviteur,
a Muzio Clementi. »
ÈH MUSICIANA,.
La coutume de fdire sigaer par les auteurs les
exemplaires de leurs oeuvres mises en vente est an-
cienne; nous la trouvons dôs le commencement du
xvm* siècle; les partitions de Monteclêdr, Des-
touches^ Blamonty etc., portent la signature de ces
auteurs. Cela pouvait se faire à une époque où la
vente des partitions était assez limitée. Nous re-
trouvons encore cette coutume en 1808, et pour des
romances! Voyez plutôt :
« Vous m* aviez promis, Pleyel, qu'il ne se vendrait pas
d'exemplaires de ma musique sans ma signature; je vois
avec beaucoup de peine que vous n'avez pas tenu votre pro-
messe. Donnez-moi donc un jour, une heure, pour que
nous terminions nos arrangements.
« Je vous salue.
ce Fabry Garât.
« Paris, le 47 mai 1808. »
Ce Fabry Garât, compositeur et professeur de
chant, était frère du célèbre chanteur qui eut pour
élèves M""* Branchu, MM. Nourrit, Ponchard et Le-
vasseur.
La lettre suivante est de Dalayrac :
« Mon cher Pleyel, vous m^avez écrit ce matin que votre
intention était de ne pas passer le prix de deux mille francs
pour la partition de Lina et que vous me laissiez la liberté
d-en disposer si je ne vous la laissais pas K ce prix-là.
LETTRES. 205
« Mon désir de traiter avec vous et de vous donner la
préférence m'a engagé à vous récnlre et à suspendre ma
décision jusqu'à une nouvelle réponse de vous.
5 Maintenant que votre silence semble me dire que vous
vous en tenez aux termes de votre lettre, et que je reçois
des propositions de beaucoup au-dessus de celles que je
vous avais faites, c'est-à-dire de ht somme de cent louJs,
j'userai de la liberté que vous m'avez donnée, et je vous
prie de croire que mes sentiments d'estime et d'amitié pour
vous seront toujours les mêmes.
« Je vous salue.
« Dalayrac.
« Le 8, au matin.
« P.-S. — Voilà deux heures que j'attends; je renvoie
chez vous, et si vous y êtes et que je reçoive par le por-
teur une autre réponse, je m'en tiendrai toujours au prix
que je vous ai proposé ce matin. »
Je joins à cela une lettre de M"" Dalayrac; Tor-
thographe en était un tant soit peu fantastique , je
me suis permis de la rectifier sans toucher au style.
Cette lettre est adressée à M™' Ignace Pleyel.
« Madame,
« Je vous envoie le billet que vous avez demandé hier ;
je l'ai mis de première galerie^ pour que vous puissiez vous
placer plus facilement. A la fin de la répétition d'hier,
Dalayrac s'est mis en colère avec justice. Les auteurs de
Talicien Feydeau ont trouvé à propos de ne pas donner de
billets, c'est-à-dire au lieu de deux cents qu'ils donnent
aux autres auteurs, ils en ont offert vingt à -Dalayrac.
Dans tous les siècles, les hommes modestes ont toujours
été victimes des autres.
v J'ai l'honneur d'être, madame, votre très-humble ser-
vante,
€ Dalayrac. »
896 MUSIGIANA.
*
Parmi les nombreuses lettres adressées à Pleyel
par Steibelt, il n'en est guère où le compositeur ne
demande de l'argent. Ces lettres sont de véritables
parterres de ronces, semés de pâtés et de fautes
d'orthographe, le tout agréablement ciçaenté par un
style à l'avenant. Steibelt avait traduit la Création
de Haydn, traduction qui fut mise en vers par
M. de Ségur. L'exécution de cette œuvre eut lieu à
l'Opéra le 3 nivôse an ix, et c'est en s y rendant
que Napoléon I"* faillit être victime de la machine
infernale.
Les œuvres de Steibelt dénotent certainement du
talent, quoique le désordre de sa vie s'y fasse sen-
tir sous forme d'inégalités, de diffusion, de manque
de suite. Steibelt avait surtout la mauvaise habitude
de revendre à différents éditeurs, quelquefois aux
mêmes, des ouvrages qu'ils lui avaient déjà achetés
et payés, mais qu'il travestissait un peu par quel-
ques changements. Voici donc une de ses lettres,
à laquelle ressemblent à peu de chose près toutjes
les autres :
A Monsieur PleyeL
« Mon ami, je te demande pardon de tHncommoder si
souvent, tnais cet la dernière foix et je te demanderai plus
j*usque je me suis acquitter. — Il me manque encor 2 louis
pour acheté du vin. — Gomme j'ai une bonne occasion
d'en acheté chez M. Herold qui est a Sevré chez M. Erard,
LETTRES. 297
je lie vouderavpas manquer *^ je compte touché de Targent
hier chez un de mes Ecolié me& elle ne m*a pas payé. —
Je te demandere bien 3 louis, mais je crains d'être indis-
cret. — Mais comme je te portere la sonate sûrement sa-
medi, cela fera que tu me devera que 36 livres. — Je pars
pour Sève et reviens samedi. — Aiye l'autre sonate prêt.
c Tout à toi,
« Steibelt.
(f N» B, — Envoie moi l'argent comme hier. »
A, - • ■
¥ ¥
« Hambourg, le 2 février 1802.
« Mon cher Pleyel,
« Madame de Lannoy, dont tu avais fait connaissance pen-
dant tpn. séjour à Hambourg, voudrait faire imprimer un
concerto de sa composition. Lorsque tu auras regardé la
partition, tu verras qu'il est fort brillant et pas difficile, de
sorte qu'il pourra avoir un assez joli débit ; de sorte que
tu ne risques rien à le faire graver chez toi» et, outre cela,
tu m'obligeras infiniment.
« Gomment es-tu content de Himmel ? Je vois par la Ga-
zette qu'il fait très-bien ses affaires à Paris. Je pars pour
Londres sous peu de temps, pour y faire entendre un nou-
veau concerto, et vers la fin de juin je viendrai certaine-
ment à Paris ; ainsi prépare une bonne provision de vin
de Bourgogne, que tu me dois encore, et qu'enfin je boirai
chez toi.
« Mille amitiés à ta femme et ta petite famille,
<' Ton ami,
« DUSSEK. »
>
17,
296 MUSIGUNA.
«
Les billets de Dussek sont très-humôristiques,
généralement bien écrits et amusants. En voici
deux :
a Vendredi, ce 12 août 1808.
< Cher Camille, je ii*ai le temps que de vous dire un mot,
c'est de vous prier de m'eavoyer sur-le-champ uae livre de
tabac (du même que le précédent) et un exemplaire de mon
Élégie. Mettez tous les deux dans le môme paquet, à mon
adresse» et envoyez-le à la grande poste pour être remis
au grand courrier de Blois. f
« Votre sincère ami,
« DussEK. »
AUTRE.
A Monsieur Camille Pleyel{l).
« Mon cher, je vous envoie ci-inclus 15 louis; c'est tout,
ce que je possède dans ce moment. Tâchez d'arranger cela
tout de suite, car cette femme est une diablesse incarnée.
. « Votre ami,
f Dussek. »
A Monsieur Pleyel.
« Leipzig-, 4 juin 1806.
« P. -S. Je viens d'acheter une toute charmante œuvre de
J. Haydn, qu'il a composée à sa plus brillante' époque (y
compris les symphonies composées pour Salomon).
(1) Fils du compositeur Ignace Pleyel, et chef de rimportanf^
fabrique do pianos qui porte encore son nom; mort on 185y,
LETTRES. 299
< Ce sont des pièces de chant italiennes^ ce qa'il à écrit de
mieux pour le chant : des airs, des duos, des trios, eta.,
ensemble 11 pièces. Elles font partie d'un opéra, mais que
Haydn, pour des raisons particulières, n'a jamais fait pa-
raître; il tenait à ce qu'elles le fussent après sa mort, car
il les estimait tout particulièrement. Vous devez connaître
des morceaux, de ses opéras antérieurs, mais on ne peut
les comparer à ceux-ci.
c Voulez- vous la copropriété de cela pour la France (je
suis convaincu que ce sont des choses à succès)? et je vous
laisserai cela contré 8 exemplaires de la collection des
quatuors d'Haydn ; je l'ai payé fort cher.
« Hartel. »
(Maison Breitkopf et Hartel.)
AU temps OÙ Ignace Pleyel faisait le commerce
de la musique, on ne se contentait pas, comme au-
jourd'hui, d'envoyer aux correspondants de la pro-
vince le titre des nouveautés ou ces nouveautés
elles-mêmes, consistant en mélodies et en morceaux
de piano ; les éditeurs faisaient parfois des voyages
dans rintérét de leurs éditions, surtout quand il
s'agissait de partitions d'opéras, de conceVtos, de
sonates ou de quatuors. Nous plaçons ici un bout de
lettre de Charles Mansui. C'était au moment où
Ignace Pleyel fondait sa fabrique de pianos, et
Mansui recommande aune dame Petitot de Nantes:
< M. Camille Pleyel, fils du célèbre auteur de ce nom,
jeune homme de mes amis, parfaitement élevé, possédant
un très-beau talent sur le piano. Il ne professe d^aucune
façon la musique", le but de son voyage est d'étendre les
relations commerciales de M. Pleyel, son père, qui est mainr
SOO MUSIGIANA.
tenani à la tète de la première fabrique dé France pour les
pianos, > etc.
Il signe alusi i
« G. Mansui, •
u Empereur des pianistes, roi des organistes, protecteur
des guiiarristes et médiateur des harpistes. »
Les deux lettres de Beethoven que je vais citer
sont écrites en allemand ; la première traite unique-
ment d'affaires et n*est que signée de Beethoven ;
la seconde est entièrement de sa main. En lisant
ces deux pages d'un homme illustre, on se convainc
sans peine que le génie n'est pas aussi au-
dessus des choses terrestres qu'on veut bien le dire,
et que Beethoven savait traiter les affaires avec une
clarté, une précision dignes d'un commerçant con-
sommé. La seconde lettre est remarquable par une
petite boutade contre les Français, et quoique Beet-
hoven aît fait sa Symphonie héroïque à l'inteiition
de Napoléon I**" (avant qu'il fût empereur), ses sen-
timents patriotiques se sont fait jour aussi bien
dans sa Symphonie militaire de la victoire de
Wellington ( Victoria) que dans cette lettre intime :
« Vienne, le 26 octobre 1807.
« J'ai l'inteiition de confier à la fois le dépôt des six œu-
vres ci-dessous à une maison dé Paris, à une maison de
Londres et à une maison de Vienne, à ia condition -que
LETTRES. 901
dans'chacuiio de ces trois villes elles parMtront ensemble
à un jour déterminé. De cette façon je crois satisfaire mon
intérêt en faisant connaître rapidement mes ouvrages, et,
sous le rapport de^ Fargent, je crois concilier mon propre
intérêt et celui des différentes maisons de dépôt.
c Les œuvres sont :
!• Une symphonie.
2» Une ouverturCf écrite pour
la tragédie de Coriolan de Col-
in,
3" Un concerto de violon.
4* Trois quatuors.
5* Un concerto pour piano,
6* Le concerto pour violon,
arrangé pour le piano avec des
notes additionnelles.
t Je vous propose le dépôt de ces œuvres à Paris ; et,
pour éviter de traîner la chose en longueur par des cor-
respondances, je vous Toffre tout de suite au prix modéré
de 1,200 florins d^Augsbourg contre la réception des six
œuvres, et votre correspondant aurait à s'occuper de l'ex-
pédition. — Je vous prie donc de me donner une prompte
réponse, afin que, ces œuvres étant toutes prétes; on puisse
les remettre sans retard à votre correspondant.
« Quant au jour où vous devrez les faire paraître, je crois
pouvoir vous fixer, pour les trois ouvrages de la première
colonne, le 1^' septembre, et pour ceux de la seconde co-
lonne, le i** octobre de la présente année.
a Signé : Lu'lwig Van Beethoven. »
- SECONDE LETTRE.
Mon cher et honoré Pleyel,
« Que devenez- vous, vous et votre famille ? J'ai souvent
eu déjà le désir d'aller vous voir; jusqu'ici cela n'a pas été
possible : la guerre en a été cause en partie. S'il faut que
802 MUSIGIANA.
cela continue à être un obstacle, oi^ si cela doit durer loag-^
temps on pourra bien ne jamais voir Paris mon cher
Gamillus; c'était le nom, si je ne me trompe, de ce Romain
qui a chassé de Rome les barbares gaulois; à ce prix, je
voudrais bien m'appeler ainsi pour les chasser de partout
où ils ne sont pas à leur place. — Que faites-vous de votre
talent, cher Camille ? J'espère que vous ne le gardez pas
pour vous seul ; je pense que vous en faites quelque chose
de plus. Je vous embrasse de cœur tous les deux, le père et
le filSj et j*espère qu'en plus des choses commerciales que
vous avez à m'écrire, vous me direz beaucoup de choses
sur vous et votre famille.
« Âdicu, et n'oubliez pas votre véritable ami.
« Beethoven. )>
Ces deux lettres sont de la même date : l'une
occupant le prenner feuillet, l'autre le second.
En 1808, Maelzl était venu à Paris soumettre à la
curiosité publique son automate le Joueur de trom-
pette, La lettre qui suit, adressée à Ignace Pleyel ,
est écrite en allemand :
« Strasbourg, 27 décembre, 1808.
« Mon cher ami,
« Je me hâte de vous envoyer d'ici mes excuses sur mon
départ précipité de Paris, sans avoir pu vous faire mes
adieux, comme je le souhaitais, à cause de mes occupa-
tions.
« Je viens donc votts remercier^ par écrit, pour le bien-
veillant accueil que vous m'avez accordé et, une fois à
LETTRES. SOS
Vienne, j'espère avoir l'occasion de vous prouver combien
votre amitié est vivante dans mon souvenir.
c Mon Joueur de trompette a causé ici un plaisir univer-
sel ; ce succès m'a flatté, je vous en dois une partie, d'après
l'affection qu'on a ici pour vos œuvres : car à peine €ivait-on
annoncé une Marche de vous, que déjà les applaudisse-
ments partaient avant que mon joueur de trompette eût
embouché spn instrument. Votre musique a fait passer mon
automate pour un artiste, et c'est à elle qu'il doit ses pro-
grès. Je dois sans doute encore à votre fils le transport du
piano, si on ne le lui a pas payé, comme j'en avais donné
Tordre.
a Dites-moi ce que je vous dois quand vous m'enverrez
la lettre pour le prince Esterhazy, et adressez-moi-la chez
MM. Bethmann frères, à Francfort-sur^le-Mein, où je me
rendrai dès demain.
« Mes compliments respectueux à votre chère femme.
« Dès mon arrivée à Vienne, je vous expédierai les cap-
sules et le cuir.
« Votre reconnaissant ami,
< Jean Maelzl. »
Je passe à un compositeur dont la gloire a sou-
levé des contestations jusque dans ces derniers
temps : il n'y a que des Français moitié Prussiens
capables de vouloir enlever à Rouget de Lisle sa
Marseillaise. Heureusement que cette paternité est
établie sans réplique et recevra une nouvelle et
intéressante confirmation par le travail que Georges
Kastner avait terminé quand la mort interrompu
sa studieuse carrière, mais qui sera mis au jour par
les soins de madame Kastner.
96A MUSIGIANA ,
Rouget de Lisle a publié en 1796 un volume inti-
tulé : Essais en vers et en prose. Ce petit in-8* est
devenu une rareté bibliographique. Peu de temps
après la prise de la Bastille, il écrivit à Besançon
un chant patriotique sur un air connu. Cette poésie,
augmentée de deux strophes, fut chantée par les
Strasbourgeois sur une nouvelle mélodie composée
et orchestrée par Ignace Pleyel le jour de l'accep-
tation de la Constitution, le 25 septembre 1791,
avec le titre Hymne à la liberté.
Rouget de Lisle a enôore écrit trois livrets d'opé-
ras : Almanzor et Féline^ en 3 actes ; F Aurore d'un
beau Jour, ou Henri de Navarre, en 2 actes; enfin
Bayard en Bresse, comédie en 4 actes, musique
de Cbampein. Celte pièce, jouée une seule fois le
21 février 1791, renferme quelques airs de Rouget
de Lislé. Les deux précédentes n'ont pas été repré-
sentées, et se trouvent dans la collection d'auto-
graphes de M. Pochet-Deroche.
. La publication musicale la plus importante de
Rouget de Lisle est un recueil in-folio de 48 chants
français, paroles de différents auteurs, musique de
Rouget de Lisle. (Paris, Maurice Schlesinger.) Ce
volume, qui n'est pas facile à rencontrer, renferme
de bonnes choses ; les morceaux patriotiques, sur-
tout, me paraissent les mieux réussis. A côté de
la Marseillaise, le Chant chevaleresque d*Emma et
Eginard, ainsi que le Vengeur, ne font pas dispa-
rate. C'est dans le Vengeur que se trouve le refrain ;
. . liSTTRËB. 505
Mourons pour la patrie,
i^ C'est le sort le plus beau, le plus digne d'envie!
refrain pillé pour le chant des Girondins en 1848;
avec cette différence que la musique de Rouget de
Lisle sur ces deux vers est une phrase noble et
inspirée.
Je ne crois pas que Fauteur de ces 48 chants
français (1) en ait fait les accompagnements. Rouget
de Lisle jouait du violon, bien ou mal, je l'ignore :
ses relations assez intimes avec plusieurs composi-
teurs célèbres de son temps devaient au reste lui
faciliter les moyens d'avoir des accompagnements
de piano pour les chants qu'il composait. Vous verrez
par le billet suivant qu'Ignace Pleyel était très-lié
avec l'auteur de la Marseillaise,
Voici ce billet : .
« Vendredi, 6 mai.
« Depuis que tu m'as promis un autre violon, mon cher
amî, je ne rêve plus que duos : on devient bête à la cam-
pagne, et j'y aurai moins de peine qu'un autre.
« Si tu ne m'as pas oublié, fais-moi le plaisir de remettre
au porteur l'instrument que tu me destines. S'il n'est pas
prêt, dis à mon Homme quand il pourra Palier prendre.
Sois sûr que j'en aurai le plus grand soin.
« Adieu. J^ai quelque espérance de te placer un piano è
tambourin.
f J.-R. DE Lisle.
« Aux Thermes, bappière du Roule, n® 233. »
(i) Il y a même une autre édition qui renferme 50 chants ftan-
çàis. ■
aee musigiana.
Il y a en note : Remis un archet et un violon .
Pour compléter ce petit entrefilet sur Rouget de
Lisle, j'ajouterai cette lettre de Béranger, également
trouvée en autographe dans les papiers d'Ignace
Pleyel :
Monsieur, Monsieur Rouget de Lisle,
rue Sâint^Honoré.
« J'ai rhonneur de présenter mes salulations respec-
tueuses à monsieur Delille, et m'empresse de répondre à
sa lettre obligeante.
« Le titre de ma chanson est : la Sainte-Alliance» Si
monsieur Delille a pris cette chanson dans le Journal gé-
néral, il lui manque un couplet, sans lequel il ne me serait
pas agréable de la voir reproduire ; le voici :
« Après : « Aucun épi n'est pur de sang humain. »
4« COUPLET.
« Des potentats, dans vos cités en flammes,
a Osent, du bout de leur sceptre insolent,
« Marquer, compter et recompter les âmes
« Que leur adjuge un triomphe sanglant.
« Faibles troupeaux, vous passez sans défense
« D'un joug pesant, sous un joug inhumain.
« Peuples, clc »
tt Ce couplet se trouve dans l'imprimé que M. le duc de
La Rochefoucauld a fait faire et distribuer, et la chanson
paraîtra ainsi dans la Minerve, sous les auspices de ce duc.
Par conséquent, aucune considération de crainte ne peut
en empêcher la publication en musique.
c Je remercie monsieur Delille de la bonté qu'il a eue de
m'envoyer la jolie idylle, et je l'en aurais remercié plus tôt
LETTRES. 307
si je n'avais eu Tespoir de le rencontrer pour lui témoi-
g ler tout le plaisir qu'elle m'a fait.
« Son très -dévoué serviteur,
a Brranger. »
Rouget de Lisle n'a eu garde d'oublier le couplet
en question ; il se trouve dans le recueil cité plus
haut. Du reste, sept ou huit poésies de Béranger y
sont mises en musique.
*
¥ ¥
Sans aucune modulation intermédiaire, nous pas-
sons de Bérangor à Reiclia.
a Paris, le 24 juin 1813.
fc Mon cher Pleyel,
« Vous rendrez un double service, et à moi et à la mu-
sique, en cherchant des souscripteurs pour mon Traité de
Mélodie, lequel je me verrais forcé de garder dans mon
portefeuille sans cela. Le texte de cet ouvrage contiendra à
peu près 300 pages in-4<' et 80 planches de musique.
« J'ose avancer que c'est peut-être Touvrage le plus in-
structif qui ait paru en musique ; il a encore cet avantage
que tout le monde est en état de le comprendre, pourvu
qu'on sache ce que c'est que les gammes musicales.
« 3 francs par exemplaire et le treizième gratis, c'est ce
que je puis accorder à ceux qui veulent bien me chercher
des souscripteurs. Si par hasard vous n'avez pas le temps
suffisant dans votre tournée pour cela, ayez l'amitié d'en
faire la proposition aux différents libraires et marchands
de musique des villes par lesquelles vous passerez ; ce ne
sera pas seulement pour mol un service, mais c'est en
môme temps encourager une branche do notre art [et la
909 MUSIGIAiNA.
plus importante] qui, jusqu'à nos jours, a demeuré si né-
gligée. Je vous embrasse de cœur et reste à toute épreayo
votre véritable ami.
c Reicha. »
« P.'S. — La liste des souscripteurs sera fermée vers la
fîn du mois de septembre. Si vous jugez à propos d'avoir
beaucoup d'exemplaires du prospectus, il vaudrait peut^tre
mieux d'en faire imprimer à Bordeaux que de les envoyer
de Paris?
« J'attends une réponse de votre part à cet égard. »
Reicha a-t-il fait des coupures dans son Traité
de mélodie ? Je ne sais ; toujours est-il qu'au lieu
de 300 pages de texte projetées, il n'y en a que 116,
avec 75 planches.
Cette lettre confirme ce que j'ai avancé plus haut
sur les voyages en province des éditeurs dans l'in-
térêt de leurs publications. Aujourd'hui, la musique
■mêmesefait, comme tout le reste, àla vapeur, je veux
dire d'une manière fiévreuse et souvent trop précipi-
tée; l'auteur d'un opéra n'a plus le temps d'en faire la
réduction au piano pour l'éditeur : c'est l'accom-
.pagnateur du théâtre qui est généralement chargé
de ce soin. La lettre suivante nous montre l'illustre
maître Chérubini ne dédaignant pas de faire lui-
même son arrangement de piano :
« Voici, mon cher Pleyel,.rouverture d'Épicure arrangée.
J'ai fait de mon mieux, surtout au commencement» où elle
n'était pas facile à arranger. J'ai tâché qu'elle soit facile
d'exécution, afin qu'elle puisse être jouée par tous les pia-
nistes, .de quelque force qu'ils soient. *
i* Si le duo était gravé, je désirerais en avoir quelques
LETTRES. 809
eocemplaires ; je te prie de me faire cadeau d'une ou deux
romances.
a Fais-moi, je te prie, donner des nouvelles de ta santé ;
la mienne est encore faible. Cela a été cause que je ne t'ai
envoyé Fouverture plus tôt, attendu que ces jours passés
je n'ai pas pu travailler,' ayant élé souffrant.
« Adieu ; mes civilités respectueuses à madame Pleyel.
« Tout à toi, avec l'estime et la considération qui te sont
dues.
« Chérubini (1). »
m
*
¥ ¥
La lettre qui suit est de Berlioz, qui avait alors
seize ou dix-sept ans :
u La Côte-Saint-André (Isère), 6 avril 1819.
« Monsieur,
c Ayant le projet de. faire graver plusieurs œuvres de
musique de ma composition, je me suis adressé à vous,
espérant que vous pourriez remplir mon but. Je désirerais
que vous prissiez à votre compté l'édition d'un pot-pourri
concertant, composé de morceaux choisis, et concertant
pour flûte,: cor, deux violons,, alto et basse. Voyez si vous
pouvez le faire, et combien d'exemplaires vous me donne-
rez. Répondez-moi au plus tôt, je vous prie, si cela peut
vous convenir, combien de temps il vous faudra pour le
graver, et s'il est nécessaire d'affranchir le paquet. ,
« J'ai l'honneur d'être, avec la plus parfaite considéra-
tion, votre obéissant serviteur.
« Berlioz. »
Entre deux lettres de Berlioz, il est tout naturel
de placer une lettre de Spontini au roi Louis XViil;
(1) Qnolque Italien, Chérubini met un accent sur Te' dans sa
signature.
s 10 HUSIGIANA.
Berlioz a eu toute sa vie une haute estime pour
Spontini ; elle n'était certes pas mal placée.
c Sire,
« Un étranger (qui ne Test plus) et qui a tâché par ses
travaux, que la France Tadoptât, consacrant à ce pays,
depuis quinze ans, le tribut de ses faibles talents, établi et
lié par les noeuds du mariage avec une famille française,
dépose aux piqds de Votre majesté le plus ardent et le
plus cher de ses vœux.
a Jeune encore, j'ai composé, non sans quelque gloire»
vingt-quatre opéras, dont quinze exécutés sur tous les
premiers théâtres d'Italie et neuf sur ceux de France.
» L'Institut de France a déclaré, par trois décisions con-
sécutives, que mon opéra de la Vestale était digue du
grand prix décennal que le gouvernement avait promis à
la meilleure des compositions dramatiques musicales,
jouées dans l'espace de dix années, sur le théâtre de TAca-
démie royale.
« J'ai dirigé pendant deux ans, à Paris, l'opéra bouffon
italien, et j'y ai fondé Vopéra séria.
c La France, sous le règne de Votre Majesté, va voir
tous les arts refleurir, avec la félicité publique; que je se-
rais heureux, Sire, si Votre Majesté daignait m'accorder
la place de directeur de sa musique particulière {poar.ies
concerts) et de l'opéra séria buffa italien.
« Cette place a toujours été remplie par un compositeur
italien, et sous les règnes de Louis ^V et de Louis XVl^
vos augustes prédécesseurs , cinq maîtres de chapelle
étaient employés pour le service de la chapelle et de la
chambre.
« Si Vopéra séria et buffa italien étaient supprimé en
France, j'oserais mettre à vos pieds. Sire, mes humbles
supplications pour obtenir de Votre Majesté la surinten-
dance de la musique de l'Académie royale, me trouvant le
LETTRES. 311
seul compositeur à Paris privé d'une place et d'.une exis-
tence assurée.
c Je passerai le reste de ma vie, Sire, à bénir votre heu-
reux retour et vos bienfaits, à m'efforcer de m'en rendre
digne, et je crois sentir s'élever et s'accroître mon faible
génie, par la seule pensée de pouvoir en consacrer les
efforts, avec mon étemelle reconnaissance, au chef tant
chéri et si longtemps désiré de Tauguste maison des
Bourbon.
' '< Je suis avec un profond respect,
€ Sire,
f De Votre Majesté,
« Le tout dévoué sujet,
« Spontini,
V Rue du Mail,no 13. »
Cette lettre, quoique non datée, est de 1814. La
Vestale avait été représentée pour la première fois
en 1807, et malgré le succès de cet opéra, la lettre
qu'on vient de lire ne fit obtenir à son auteur aucune
des places qu'il demandait à Louis XVIII. Lesueur,
directeur de la chapelle impériale, dirigea la cha-
pelle rojaley conjointement avec Martini,
Paër également passa de la direction des spec-
tacles et des concerts de la cour impériale à celle
du roi.
Le roi de Prusse s'attacha Spontini en 1819
comme directeur général de la musique à la cour.
Lettre de Berlioz à son fils.
a Mon cher Louis,
4 Ta mère va un peu mieux, mais elle est toujours obli-
gée de garder le lit et de ne pas parler. La moindre émo-*
312 MUSIGIANA.
lion, en outre, lui serait fatale. Ainsi, ne lui écris pas âe
lettre comme la dernière que tu m'as adressée . Rien n'est
plus désolant que de te voir toi-même à Tinaction et à la
tristesse ; tu arriveras à dix-huit ans sans pouvoir entrer
dans une carrière quelconque ; je n*ai point de fortune, lu
n'auras point d'état, de quoi vivrons-nous ?
Tu me parles toujours d'être marin (1) ; tu as donc bien
envie de me quitter !... car une fois sur mer, Dieu sait quand
je te reverrais. Si j'étais libre et entièrement indépendant,
je partirais avec toi et nous irions tenter la fortune aux
Indes ou ailleurs ; mais pour voyager il faut déjà une
certaine aisance, et le peu que j'ai m'oblige à rester en
France . D'ailleurs ma carrière de compositeur me fixe en
Europe, et il faudrait y renoncer entièrement si je quittais
l'ancien monde pour le nouveau. Je te parle là comme à un
grand garçon. Tu réfléchiras et tu comprendras. En somme
quoiqu'il arrive, je serai toujours ton meilleur ami et le
seul entièrement dévoué et plein d'une affection inaltérable
pour toi. Je sais que tu m'aimes et cela me consolern de
tout. Cependant ce sera bien triste si tu restes à vingi «as
un garçon inutile à toi-même et à la société.
« Je t'envoie des enveloppes pour écrire à tes tantes. Ma
sœur Nanci me parle de toi, je t'envoie sa lettre. Il n'y a
pas besoin de cire noire ; comment veux-tu que je l'envoie?
On ne met pas des bâtons de cire à la poste.
a Parle-moi encore de tes dents, les a-t-on soigneusement
nettoyées?.. .
(( Adieu, cher enfant, je t'embrasse de toute mon ftme.
« H. Berlioz.
« Samedi 25. »
Point de date. Le fils de Berlioz était alors au
lycée national de Rouen.
(1) Le fils de Berlioz a embrassé en effet la carrière de la ma-
rine; il est mort avant son père.
LETTRES. 8fS
Voici maintenant l'élève de Beethoven, Ferdinand
Ries, âgé de vingt-cinq ans, et qui débute par rien
moins qu'un sextuor.
c Londres, 28 décembre 1819.
a Messieurs Pleyel et fils aîné,
« Comme je désire faire graver bientôt : 1<> un NoUurno
pour le piano-forte et flûte accompagnant; 2<> un grand
Sextuor pour le piano-forte principal, avec accompagne-
ment de violons, alto, violoncelle et contrebasse, arrangé
pour qu'on puisse le jouer aussi sans accompagnement ;
2i° une Introduction et Rondo pour le piano-forte, sur un air
favori de Rossini; je vous les offre, si vous voulez en avoir
les droits de propriété pour la France, en les faisant pa-
raître le même jour qu*ici. L'honoraire sera de 30 napoléons
ou pour 1,500 francs de musique (prix marqué) de votre
catalogue, pour les trois.
« Vous m'obligerez. Messieurs, infiniment en me répon-
dant le plus tôt possible, comme les compositions sont
toutes prêtes. Et si la sonate en sol, avec flûte obligée, a
rendu à Paris comme ici, je n'ai pas de doute, la réponse
sera comme je désire.
« J'ai l'honneur de rester, Messieurs,
a Votre obéissant serviteur.
c Ferd. Ries. »
J'ajoute un petit billet non daté, quant à l'année :
« Nicole souhaite le boi^our à M. Camille, et lui envoie
trois partitions, le priant de lui en renvoyer trois autres.
a Nicole a le plus grand soin de ces chefs-d'œuvre, il
prie M. Camille d'observer qu'il les lui prôte avec des taches
et qu'il ne peut les rendre autrement.
18
314 MUSIGiANA.
« MM. Pleyel père et ûls sont priés d'agréer l'assurance
des sentiments les plus distingués de la part de l'écri-
vant.
« Ce 29 octobre. »
*
Il est assez étonnant que M. Fétis, qui se con-
sacre à lui-même vingt-cinq colonnes in-8** dans sa
dernière édition de la Biographie des musiciens,
n*ait pas fait celle de son père, qui était pourtant
organiste à Mons, professeur de musique et direc-
teur des concerts en cette ville.
M. Fétis dit qu'il acheva son Traité d'harmonie
en 1816, et le présenta à l'Académie, qui n'en fit
point de rapport. Plus loin il dit encore qu'il fit
commencer l'impression de ce Traité par M. Eber-
hardt, en 1819, mais que, par égard pour son pro-
fesseur Catel, il en arrêta l'impression, déjà avancée
de cinq feuillets, qu'il retira, et ne publia son ou-
vrage qu'en 1844, chez Schlesinger. A quelle épo-
que faudrait-il donc mettre la lettre suivante, que
M. Fétis semble avoir oubliée? Elle ne peut être
placée qu'entre 1816 et 1819, M. Fétis n'ayant dû
se mettre à faire imprimer son Traité à ses propres
frais qu'après avoir vainement frappé à la porte des
éditeurs.
« Paris, ce 28 novembre.
« Monsieur,
« Je VOUS prie de me pardonner mes importunités relatives
à mon Traité d* harmonie ; mais, ayant formé un noavel
LETTRES. 31»
établissement, chose fort dispendieuse, étant peu connu
comme professeur, et n'ayant encore en quelque sorte que
des espérances, je suis dans la nécessité de tirer parti de
mes ouvrages le plus promptement possible, surtout depuis
que j'ai toute ma famille près de moi. Tous ces motifs
pourront, je Tespère, me servir d'excuses auprès de vous.
«Toutefois, comme il s'agit ici d'un ouvrage important, je
sens que vous ne pouvez vous décider légèrement et qu'il
vous faut examiner avant de conclure.] Ne pourrais-je pas,
Monsieur, vous sauver l'ennui d'un long examen ? Il me
semble que dans une séance de deux heures au plus je
pourrais vous exposer Tensemble de mon système, qui n'est
autre chose que la réduction en un corps de doctrine de la
pratique des grands maîtres, et voue développer les nom-
breuses améliorations que je crois avoir introduites dans
le système général. En faisant l'exposé de toutes les parties
de mon Traité, il me semble que vous le connaîtriez aussi
parfaitement que si vous l'eussiez lu plusieurs fois.
< Si vous adoptiez mon idée et que vous pussiez dispo-r
ser de deux heures dans la matinée de demain dimanche,
j'aurais l'honneur de vous attendre chez moi, où j'ai une
planche noire préparée pour les démonstrations musicales.
J'aurais l'honneur de vous attendre à l'heure qui vous con-
viendrait le mieux.
a Gomme il serait possible, Monsieur, que le mauvais
état des affaires commerciales fût un obstacle à ce que nous
pussions terminer ensemble pour cet objet, j'ai l'honneur
de vous prévenir qu'il me suffirait de votre bon à trois ou
quatre mois, si nous tombons d'accord sur le prix de l'ou-
vrage. Je saurais où le placer.
« Je ne sais si l'amour-propre m'aveugle, mais il me
semble que la publication de mon livre ne serait pas une
mauvaise opération pour vous ; je crois que cet ouvrage
est destiné à tenir un jour un rang distingué parmi les di-
dactiques.
SI 6 MUSIGIANA.
« Voudriez*vdù8 avoir la complaisance de me donner un
mot de réponse sur ma proposition ?
c Agréez, Monsieur, l'assurance de ma parfaite considé-
ration.
« FÉTIS.
« Rue de Buffaalt, no 12.»
« -
En tête de cette lettre, Ignace Pleyel a écrit ces
mots : c Répondu le 29 novembre, et annoncé que
nous ne pouvions pas nous charger du Traité. »
* ■
Je terminerai ces correspondances par une lettre
de Fabre d'Olivet, littérateur et musicien, mort en
1825. L'ouvrage dont il est question dans cette
lettre n'a pas été publié à ce que je sache, et comme
l'auteur en donne un aperçu assez complet, j'ai
pensé qu'il ne serait pas sans intérêt de citer
cette lettre, assez étendue d'ailleurs, pour figurer
comme un renseignement complet,
A Messieurs Pleyel et ûls aîné.
«Paris, le 13 août 1822.
«c Messieurs,
. tt Quoiqu'il soit très-possible que la lettre que vous m*a>
vez écrite le 11 de ce mois ne soit qu'une honnête défaite,
ou que vous ayez d'autres raisons que j'ignore pour n'en-
treprendre aucune spéculation, je ne laisserai pas que de
vous donner quelques nouveaux détails au sujet de l'offre
que je vous ai faite, afin de ne conserver aucun regret en
supposant que vous n'ayez énoncé qu'un simple prétexte •
« ^L'ouvrage que j'ai à vous proposer, Messieurs, sort
'entièrement de l'ordre vulgaire des publications musicales;
ce n'est point une œuvre de musique proprement dite, c'est
LETTRES. 817
un ouvrage- considérable, littéraire et musical, plein d'éru-
dition et de recherches savantes, .dans lequel la musique
est considérée en théorie et en pratique, comme science et
comme art. On y remonte jusqu'à ses principes constitutifs
ignorés: jusqu'ici, et on les démontre avec évidence et ri-
gueur. On examine les systèmes musicaux de tous les peu-
ples de la terre ; on les compare, on en dévoile l'origine
commune ; on recherche pourquoi la musique, qui a exercé
une si grande influence sur les nations antiques, a perdu
cette influence sur les nations modernes. On dit à cet égard
des choses aussi extraordinaires qu'intéressantes.
« Après avoir vu ce que la musique a été, on voit ee
qu'elle est et ce qu'elle pourrait être. On s'arrête sur les
principes de Part que l'on suit pas à pas depuis la simple
existence de la gamme, dont on dévoile pour la* première
fois la cause cachée et nécessaire,. jusqu'aux combinaisons
les plus compliquées de l'harmonie, qu'on explique et dont
on montre les raisons. Enfin on donne un échantillon de la
musique originelle de tous les' peuples, tant anciens que
modernes, en les soumettant' aux régies mélodiques et
harmoniques ci-devant posées. Ainsi se termine cet im-
mense travail. L'ouvrage entier se compose de deux vo-
lumes in-4^. Il doit être publié conjointement par un
libraire réuni à un éditeur, afin d'en assurer le succès. Je
croyais que vous pourriez être cet éditeur, et j'aurais été
flatté de voir une seconde fois le nom de Pleyel figurer à
côté du mien L'époque de la publication n'importe pas.
J'attendrai volontiers au mois de janvier et même plus tard
si vous me donnez votre parole. Il faut d'ailleurs émettre
un prospectus, à l'effet d'dblenir des souscripteurs, tant*
dans la ligne littéraire que musicale.
* Voilà, Messieurs, ce que j'ai cru devoir vous dire ; je
ne ferai aucune démarche nouvelle d'ici à huit jours.
et J'ai l'honneur d'être avec une sincère considération,
« Votre dévoué serviteur,"
« Kabrb d'Olivet, »
18.
918 MUSIGIANA.
V ¥
M. Auber, durant une séance du comité des
études, au Conservatoire, reçut la lettre suivante :
< M. Brette, receveur de renregistrement à Falaise, offre
une caisse de Champagne à Tartiste qui viendra lui don net*
une leçon de guitare pour Fexécution de quelques airs va-
riés de GaruUi, Sor et Garcassi, désireux, dans Tintérèt de
l'art musical, de faire revivre un instrument dont les res-
sources sont restées ignorées, pour n'avoir pas été suffî-
samment pratiqué 1 »
Quelque artiste de Paris a-t-il gagné la caisse de
Champagne? Le bruit n'en est pas venu jusqu'à
nous ; en tout cas le cachet était tentant pour un
musicien, car de date ancienne on leur a fait la
réputation d'aimer la dîve bouteille.
En m'oyant chanter quelque fois
Tu te plains qu'estre je ne daigne
Musicien, et que ma voix
Mérite bien que l'on m'enseigne,
Voire que la peigne je preigne
D'apprendre uty re, mif fa, sol^ la
> Que diable veux-tu que j'appreigne
Je ne bpis que trop sans cela.
(67. Marot à Maurice Sève.)
CHAPITRE X
MÉMOIRES irOUTIiE-TOMBE DE H. BERLIOZ
En 1865, M. Berlioz fit déposer dans son cabinet
de bibliothécaire au Conservatoire de musique,
mille à quinze cents exemplaires d'un livre intitulé :
Mémoires d'Hector Berlioz^ Paris, chez tous les
libraires, 1865.
Un nombre très-restreint d'exemplaires fut dis-
tribué en ce moment-là à quelques amis intimes
qui gardèrent le secret jusqu'à la mort de Fauteur.
L'ouvrage, acquis par là librairie Michel Lévy,
parut en 1870.
Le commencement^ ou plutôt les premières pages
de ces Mémoires, furent écrites en 1848 à Londres,
où Berlioz avait été tenter la fortune. Le 12 juillet,
même année, il met : c Je repars pour le malheu-
S80 MUSIGIANA.
peux pays qu'on appelle encore la France, et qui
est le mien, après tout. Je vais voir de quelle façon
un artiste peut y vivre, ou combien de temps il lui
faut pour y mourir^ au milieu des ruines sous les-
quelles la fleur de l'art est écrasée et ensevelie. »
Quel sentiment a pu inspirer la déclaration sui-
vante ? c Je n'ai pas besoin de dire que je fus élevé
dans la foi catholique, apostolique et romaine. Cette
religion charmante, depuis qu'elle ne brûle plus
personne, a fait mon bonheur pendant sept années
entières ; et, bien que nous soyons brouillés ensem-
ble depuis fort tongtemps, j'en ai toujours conser\'é
un souvenir fort tendre. »
Après cet aveu, vient celui du premier amour ;
le jeune Berlioz était très-précoce : à treize ans, il
tomba amoureux d'une belle jeune fille de dix-huit
ans, aux yeux armés en guerre, et chaussée de bro-
dequins roses qui se gravèrent éternellement dans
le cœur du jeune Hector.
Un flageolet et l'air de Malborough démontrèrent
jusqu'à l'évidence les prédispositions musicales du
futur compositeur.
Les maîtres de musique de Berlioz furent un
certain Imbert^ de Lyon, auquel succéda un nommé
Durant, Alsacien de Colmar; il eût été bien plus
étonnant que ce fût un Alsacien de Lyon ou de Paris.
Quoi qu'il en soit, cet Alsacien de Colmar lui apprit
la flûte et la guitare, même le tambour et l'au-
teur avoue « qu'il n'£^ jamais possédé d'autres
talents d'exécution. »
MEMOIRES d'outre-tombe. Hi
' Il y a là une petite phrase peu élogîeuse pour les
pianistes et les compositeurs qui ont le malheur de
savoir jouer du piano : c Je ne puis m'empêcher de
rendre grâce au hasard qui m*a miç dans la néces-
sité de parvenir à composer silencieusement et libre-
ment, en me garantissant ainsi de la tyrannie des
habitudes des doigts, si dangereuse pour la pensée,
et de la séduction qu'exerce toujours plus ou moins
«sur le compositeur , la sonorité des . choses vul-
gaires* »
Un curieux chapitre est celui où Fauteur parle
de sa première entrée à l'amphithéâtre de Paris;
Berlioz était venu à Paris pour étudier la médecine^
conformément à la volonté de son père, médecin
lui-même. Cette étude ne fut pas de longue durée;
elle inspirait une répulsion profonde au jeune étu-
diant, qui finit par entrer à la classe de compo-
jsition de Lesueur (1823).
Une scène comique, presque grotesque, est celle
qui se passa entre Berlioz et Chérubini à la biblio-
thèque du Conservatoire. Chérubini voulait que les
élèves, hommes et femmes, entrassent à Técole .par
*des portes différentes; Berlioz avait enfreint cet
ordre ^ et fut mis à la porte, il ne dit point laquelle
des deux, mais on ne pourra lire ce chapitre sans
rire : un vrai tour de gamin.
A la fin de ce même chapitre, Berlioz pousse un
soupir mal déguisé de n'avoir pas été nommé le suc-
cesseur de Chérubini comme directeur du Conser-
vatoire, car c'était l'avis de son garçon d'orchestre
92i MUSIGIANA.
et sans doute lésion aussi. Cela se termine ainsi:
« J'aurai d'autres anecdotes à raconter sur Ghéru-
binî, où Ton verra que s'il m'a fait avaler bien des
couleuvres, je lui ai lancé en retour quelques ser-
pents à sonnettes dont les morsures lui ont oui ! ! >
Bon cœur, va !
Le directeur des Nouveautés reçoit M. Berlioz
comme choriste à son théâtre ; cette scène de récep-
tion est assez comiquement racontée, et à ce mo-
ment l'auteur se paye un piano, quoique n*en sa-i
chant pas jouer, mais c'est pour lui tenir société. Il
avoue que, s'il était riche, il aurait toujours autour
de lui un grand piano à queue, deux ou trois harpes
d'Erard (aurait-il pincé des trois à la fois ?), des
trompettes de Sax et une collection de basses et de
violons de Stradivarius.
Le chapitre xiv ne se termine pas d'une façon
très-élogieuse pour Rossini, mais on sait la pas-
sion... presque malheureuse de Berlioz pour les
œuvres de Gluck.
L'arrangeur Gastil-Blaze est bien arrangé à son
tour*. ..à une sauce des plus piquantes, mais il n'est
plus, qu'il repose en paix ; d'ailleurs, Berlioz ne dit*
que des choses parfaitement fondées sur les tra-
ducteurs et arrangeurs, et l'on sait, en fait d'arran-
gements, jusqu'où allait Gastil-Blaze : il délayait
Weber et Mozart avec du Gastil-Blaze, et, sous ce
rapport, il faut se méfier de tout ce qu'il a publié,
y compris l'in-folio : Théâtres lyriques, de 1100
i 1855, où Lully, Rameau et tutti quanti sont à la
MËMOIHES D OUTBë-TOMBE. 329
sauce Castil-Blaze ; le baron Brisse n*a pas parlé de
oelle-là.
En..., des acteurs anglais vinrent à Paris, et
firent entendre aux Français les pièces de Shakes-
peare, dans la langue originale. L'amour de Berlioz
pour les œuvres du grand Shakespeare, mélangé à
celui qu'il voua à Tune des interprètes anglaises,
Henriette Smithson, opérèrent si bien, que cinq ans
plus tard Berlioz épousa cette dernière. Il déclare
que ces représentations shakespeariennes le révo-
lutionnèrent de fond en comble, quoique ne sachant
pas un mot d'anglais. Croira qui voudra.
Le premier serpent à sonnettes que Berlioz lit
avaler à Ghérubini fut qu'il obtint, contre sa volonté,
la salle du Conservatoire pour y donner un concert,
grâce à la protection de M. de Larochefôucauld,
alors surintendant des beaux-arts \ ce chapitre, où
Tauteur rapporte sa conversation avec Chérubini,
est des plus amusants. Ce concert eut lieu le
26 mai 1828.
Avant d*aborder le chapitre xx, Berlioz dit :
« Quant à Haendel et à Rossini, leur éloignement
pour Gluck et pour Weber est, je crois, dansTim-
possibilité où ces deux hommes de ventre se sont
trouvés de comprendre les deux hommes de cœur. »
'■ En ce qui touche Haendel, mort en 1759, il n'est
pas très-étonnant qu'il ait peu apprécié Weber, né
en 1786.
A la page 79, Berlioz parle du Prix de Rome, qui
est une pension annuelle de 3,000 francs pendant
324 MUSIGIANA.
cinq ans : ce n'était donc pas le vrai moment de dire
que le jeune lauréat, revenu à Paris (où il jouit
encore de ses 3,000 francs pendant trois ans, fait
ce qu'il peut pour ne pas mourir de faim...
Plus loin, continuant à parler des prix de Rome
et des jugements des membres de l'Institut : c Je
sens en mon âme et conscience que, si j'avais l'hon-
neur d'appartenir à ce docte corps (1), il me serait
bien difficile de motiver mon vote en donnant le prix
à un graveur ou à un architecte, et que je ne pour-
rais guère faire preuve d'impartialité qu'en tirant le
plus méritant à la courte paille. M. Berlioz, une fois
membre de l'Institut, a-t-il voté ainsi? M. Pingard
doit savoir combien de bottes de paille y ont passé.
Au chapitre XXIII, Berlioz, lié avec le concierge
de l'Institut, dévoile, par le moyen de cet afiidé, les
conversations des juges qui ne lui adjugèrent qu'un
second prix. On lira cela, certes, avec empresse-
ment ; il est impossible d'ailleurs d*en faire un ré-
sumé, et nous nous garderons bien d'y toucher.
L'année suivante, le premier prix de l'Institut fut
encore manqué. Suit une conversation avec Boiêl-
dieu sur ce sujet, et l'auteur termine ainsi son cha-
pitre : < Où diable le bon Dieu avait-il la tète quand
il m'a fait naître en ce plaisant pays de France ? et
pourtant je Taime, ce drôle de pays, dès que je
parviens à oublier l'art et à ne plus songer à nos
(1) Berlioz fût nommé membre de l'Institut en 1856; on ne peut
donc savoir à quelle époque il a écrit ces lignes; il est toutefois
assea bizarre que Berlioz les ait imprimées en 1865.
MÉMOIRES d'outre-tombe. S25
sottes agitations politiques. Gomme on s'y amuse
parfois ! comme on y rit ! quelles dépenses d'idées
on y fait (en paroles du moins) ! Gomme on y dé-
chire l'univers et son maître avec de jolies dents
bien blanches, avec de beaux ongles d'acier poJi !
comme l'esprit y pétille! comme on y danse sur la
phrase ! comme on y blague royalement et républi-
cainement !... Gette dernière manière est la moins
divertissante !... »
On dirait que les pages de ces Mémoires ont été
livrées, à l'imprimeur à mesure qu'elles furent écri-
tes ; le volume, comme nous l'avons déjà remarqué,
porte la date de 1865, et page 130 on lit cette note
(il s'agit de l'empereur Napoléon III) : II est aujour^
d'hui Président de la République française^ et il
fait son triste métier avec autant de dévouement
que de bon sens et d'énergie.
Puisque nous citons, allons à une note qui se
trouve quelques pages plus loin, où il s'agit delà mu-
sique de la chapelle Sixtine : « Barbare ! barbare !
Le pape est un barbare comme presque tous les
autres souverains. Le peuple romain est barbare
comme tous les autres peuples. »
Puis vient le carnaval romain décrit avec cet es-
prit hypocondriaque, spleenique, hargneux et mor-
dant si connu de l'auteur. 11 y a surtout une petite
nofe en parlant des personnages qui paraissent à la
place Navone : M. Belle ou Bayle ou Baile^ qui a
écrit une vie do Rossini, sous le pseudonyme de
8:*6 • MUSICIANA.
Slendahl^ cl les plus irritantes stapidités sur la
musique; dont il croyait avoir le sentiment.
Pour en revenir à la chapelle Sixtine, M. Berlioz
refuse complètement le génie à Palestrina ; il admet
que € le goût et une certaine science aient guidé le
musicien ; mais du génie ! allons donc, c'est une
plaisanterie. » Pauvre Palestrina ! être ainsi bafoué!
L'auteur des Mémoires joua un fameux tour aux
membres de l'Académie de Paris, en leur envoyant
(selon le règlement) un morceau,. c'était un Resur-
r.exit, avecchœur et orchestre: on trouva un pràffrès
sensible. .
. C'était un fragment de sa messe, exécutée à Saint-
Roch bien longtemps avant qu'il eût le prix de
Rome. Aussi, Tauteur, tout glorieux, de sa gami-
nerie, s'écrie.: t Fiez- vous donc au jugement des
immortels ! » Plus loin, en parlant du théâtre en
Italie, il dit que les musiciens y sont routiniers
comme on ne f est même pas à F Académie. Evi-
demment, l'auteur ne comptait pas être un jour
membre de l'Institut, sans, quoi il en aurait parlé
avec, plus de respect. Ces choses lui échappaient
peut-être aussi durant ses ciùses, dont voici le dia-
gnostic donné par lui-même : « C'est une aptitude
prodigieuse au bonheur, qui s'exaspère de rester
sans application, et qui ne peut se satisfaire qu'au
moyen de jouissances immenses, dévorantes, fa-
rieuses, en rapport avec l'incalculable surabondance
de sensibilité dont on est pourvu ; c'est TébuUition,
Tévaporalion du cœur, des sens, du cerveau, du
MEMOIRES d'oUTRK-TOMBE. 827
lluide nerveux, etc. » Si un médecin ne reconnaît
pas la folie à ce diagnostic, à quelle maladie fauMl
rappliquer ?
Un bon petit chapitre est celui qui renferme la
description du concert que Berlioz donna à son re-
tour de Rome, et oùmissSmithson; Tactrice anglaise,
s'éprit de Tauteur en entendant le solo de grosse
caisse qui se trouve à la trois cent quarante^deux-
millième mesure de Lélio on le Retour à la vie,
monodrame. Dans le m0me chapitre, l'auteur des
Mémoires entreprend M . Féti», qui avait voulu
corriger les œuvres de Beethoven. Furieux de cela,
M. Berlioz lui lâcha dans son monodrame de Lélio
(c'était un passe-partout) quatorze lignes de prose
bien senties sur un incisif trémolo de violon. Quelle
œuvre multiforme que cet heureux drame de Lélio !
n'y àvait-il pas aussi l'adresse du bottier de M. Ber-
lioz, toujouns avec grosse caisse et cymbales, entre-
lardée de quelques déclarations à miss Smithson ?
Quoi qu'il en soit, l'auteur épousa miss Smithson^
qui était ruinée et avait une jambe cassée ; l'apport
du fiancé consistait dans la somme de 300 francs
que lui avait prêtés son ami Gounet.
Au chapitre xlv sont décrits les heurs et mal-
heurs du Requiem de Berlioz, au détriment des
petits compositeurs qui s'appelaient Chérubinî et
Halévy : « Ainsi le bon Ghérùbini, qui avait déjà
vdiflii me faire avaler t&iit de couleuvres, dut se ré-
signer à recevoir dé ma main un boa eùnsitictor
qu'il ne digéra jamais. •»
8t8 MUSIGIÂNA.
Et Habeneck donc ! onKra ce qu'il en dit.
On lira beaucoup de choses que nous n'osond re-
produire ici : les jeunes compositeurs y trouveront
surtout un moyen simple, facile^ et doux d'obtenir
quelque faveur au ministère des beaux-arts.
M. Berlioz, on le sait, était un écrivain de grand
talent ; ses articles de critique au Journal des Débats
ont été fort appréciés... non pas préciséoient parles
compositeurs, dont il n'a jamais dit grand bien ; et
pourtant il y mettait de Tindulgence, de la béâi-
gnité, de la longanimité, lisez plutôt : < Et l'on me
trouve emporté, méchant, méprisant ! Eh ! malotrus
qui me traitez ainsi, si je disais le fond de ma pri-
sée, voiis verriez que le lit d'orties sur lequel vous
prétendez être étendus par moi n*est qu'un lit de
roses, en comparaison du gril où je vous rôtirais !!! »
Quelle bonté ! Il est mort trop tôt, et les compo-
siteurs n'étaient pas cuits à point ; il a dû le re-
gretter, lui ! mais eux ?
Les gens qui donnaient le plus sur les nerfs de
M. Berlioz étaient ceux qui prétendaient qu'il ne
comprenait pas Shakespeare ...
Il aurait eu le droit de se fâcher, mais il leur dit
tranquillement : « Crapauds gonflés de sottises \
quand vous me prouverez cela ! ! ! *
À la page 231, commence une nouvelle division
de ces curieux mémoires : ce sont les voyages de
Tauteur en Allemagne. En revenant à Paris, il
trouve que la ville a un air triste et découragé :
MÉMOIRES P'OUTRË-TOMBE. 329
Berlioz Tavail abandonné à son malheureux sort,.
ce vortex parisien. •
Vortex : conchyliologie, division générale établie pour
quelqi^es espèces d'hélices, dont Pouverture est circonscrite
par un bord tranchant*.
Est-ce à dire que tous les Parisiens sont des
huîtres quand M. Berlioz n'est pas avec eux? .0
pontife ! pourquoi aussi abandonnas-tu ce Paris, qui
aspirait ta musique par tous ses pores, et qui, sans
elle, ne faisait que vivoter?
Les lettres d'Allemagne sont très-belles, et excès-
sivément flatteuses pour la plupart des orchestres
qui ont exécuté la musique de M. Berlioz. A propos
de Berlin (7* lettre à mademoiselle Bertin), on ne
sait trop si l'auteur parle sérieusement ou non quand
i! dit : c Mozart, dont les opéras se ressemblent
tous, et dont le beau sang-froid fatigue et impa-
tiente!... Quant à Gimarosa, j'enverrais au diable
son éternel et unique Mariage secret^ presque aussi
ennuyeux que le Mariage de Figaro^ sans être à
beaucoup près aussi musical; je vous prouverais
que le comique de cet ouvrage réside seulement dans
les pasquinades des acteurs ; que l'invention mélo-
dique en est assez bornée ; que la cadence parfaite,
revenant à chaque instant, forme à elle seule près
des deux tiers de la partition ; enfin, que c'est un
opéra bon pour le carnaval et les jours de foire. Si,
choisissant un exemple du style opposé, vous aviez
recours à quelque œuvre de Sébastien Bach, je
340' MU81GiAiNA.
serais capable de prendre la fuite devant ses fugues
et de vous laisser seule avec sa Passion. >
Le trait final pourrait être comique, assurément,
s*il n'était préparé si péniblement et de si loin.
L'auteur des Mémoires répète a satiété combien
il lui était antipathique d'écrire des articles de cri-
tique musicale. Chapitre ui : « Je restai à Paris,
occupé presque uniquement de mon métier, Je ne
dirai pas de critique^ mais de feuilletoniste, ce.
qui est bien différent. Le critique (je le suppose
honnête et intelligent) n'écrit que s'il a une idée,
s'il veut éclairer une question, combattre unsys-^
tème, s'il veut louer ou blâmer. Alors il a des motifs
qu'il croit réels pour exprimer son opinion, pour
distribuer le blâme ou l'éloge. Le malheureux feuil-
letoniste, obligé d'écrire sur tout ce qui est du do-
maine de son feuilleton (triste domaine^ marécage
rempli de sauterelles et de crapauds !) ne veut rien
que l'accomplissement de la tâche qui lui est impo-
sée ; il n'a bien souvent aucune opinion au sujet des
choses sur lesquelles il est forcé décrire; ces
choses-là. n'excitent ni sa colère ni son admiration,
elles ne sont pas. Et pourtant il faut qu'il ait Tàir
de croire à leur existence, etc. »
Les cantatrices deviennent rares : « Nous trou-
vons un assez bon nombre de cantatrices aimées du
public, parce qu'elles chantent d'une façon brillante
de brillantes niaiseries. Elles ont la voix^ le savoir
musical, un larynx agile; il leur manque Tàme, le
MÉMOIRES d'oCJTRE-TOMBE. 331
cerveau et le cœur : de telles femmes sont de véri-
tables monstres. »
,.. Mais il est mort, avant de s*ètre fait arracher
les yeux... parles cantatrices ! ! !
Et cette pauvre Académie française, à chaque
instant elle reçoit un coup de griffe ou un croc-en-
jambe de son futur associé. Berlioz vient de parler
de l'incapacité de la plupart des directeurs de théâ-
tre, puis arrive la question des Conservatoires
(5* lettre à M. H. Ferranid). L'auteur nous dit que
l'Académie des beaux-arts de l'Institut pense que la
musique, en général, n'est bien connue, bien sen-
tie, bien comprise, et, parlant, bien jugée que par
les peintres, les sculpteurs, les architectes et les gra-
veurs ! Hâtons-nous de dire qu'après cette facétie
Fauteur fait des observations précieuses sur les Con-''
servatoireà de musique. Quelques-unes des lacunes
mentionnées sont comblées depuis longtemps au
Conservatoire de Paris, mais ce qu'il dit sur les
classes de chant, de rhythme, sur la classe d'ins-
trumentation et sur les instruments a percussion
nous parait plein de bonnes choses , et mérité
certainement grande attention.
Le voyage de Russie est des plus intéressants à
lire dans ces Mémoires ; des détails originaux sur
des mœurs bizarres et originales accaparent l'atten-
tion d'ua bout à l'autre.
Le tout semé par ci *par là de choses incom-
préhensibles, comme cette visite à une institution de
demoiselles à Moscou : « Trois des meilleures pia-
982 MUSIOIANA.
nistes m'y firent entendre un vieux triple concerto
en ré mineur pour le clavecin, de **\ ce qui est fort
grave, on en conviendra. Je suis même persuadé
que M. Reinhart, en faisant exécuter ce moroeau
par ses élèves, n'avait pas l'intention de m'étre dé-
sagréable, i
Parbleu! que fallait-il donc à M. 'Berlioz? Bien
d'autres que nous se feront cette question, quand
ils sauront que le vieux tripleConcerto en ré mineur
de *** est tout simplement du grand Sebastien Bach !
M. Berlioz Tignorait-il ?
A mesure qu'on approche de la fin de ces Mé-
moires, le cœur se serre : ce sont des souvenirs et
des tableaux funèbres, au milieu desquels rayonne
comme un diamant cette admirable description de
Meylan^ où l'auteur éprouva son premier amour (à
douze ans); si ce n'était touchant, cela ferait rire.
JPuis reviennent Iqs tableaux sombres, des ana-
thèmes, des blasphèmes... des folies...
« Destruction, feux et tonnerres, sang et larmes! ! ! »
(comme dans les mélodrames).
« Shakespeare ! Shakespeare ! où est-il? où est-
tu? tu dois avoir été humain ; si tu existes encore,
tu dois accueillir les misérables! C'est toi qui es
notre père, toi qui es aux cieux, s'il y a des cieûx.
Dieu est stupide et atroce dans son indifférence in-
finie ; toi seul es le Dieu bon pour les âmes d'ar-
tistes ; reçois-nous sur ton sein, père, embrasse-
nous ! De Profundis adte clamo. La mort, le néant,
MÉMOIRES d'outre-tombe. 3S3
qu'est-ce que cela ? L'immortalité du génie ! . . .
Wbat?... fool... fool... fooL.. »
r
Si tout cela n'est de la folie, qu'est-ce donc ?
Le droit des pauvres reçoit plus d'un coup de
patte dans ces Mémoires, et ceci i^est certes pas de
la folie^ puisque ces richards d'artistes musiciens
sont obligés de soutenir les pauvres de Paris et de
la province, tandis qu'on empêche les peintres, les
sculpteurs, qui se croient artistes aussi, pourtant ,
qu'on les empêche, disons-nous^ de faire œuvre pie
en payant le droit des pauvres, droit inique s'il en
fut jamais, parce que ce sont les plus pauvres qui le
payent.
Chapitre lix : « J'ai hâte d'en finir avec ces
Mémoires ; leur rédaction m'ennuie et me fatigue
presque autant que celle d'un feuilleton ; d'ailleurs,
quand j'aurai écrit les quelques pages que je veux
écrire encore, j'en aurai dit assez, je pense, pour
donner une idée à peu près complète des principaux
événements de ma vie et du cercle de sentiments,
de travaux et de chagrins dans lequel je suis des-
tiné à tourner,., jusqu'à ce que je ne tourne plus. »
Les théâtres de musique ne sont pas oubliés, t Je
sens bien ce que je pourrais produire en musique
dramatique, mais il est aussi inutile que dangereux
de le tenter. D'abord, la plupart de nos théâtres
lyriques sont d'assez mauvais lieux, musicalement
parlant; l'Opéra surtout, à cette heure, est ignoble! »
Rien que cela !
Puis reviennent les ennemis, qui se cachent dans
19.
S94 MUSICIANA.
f ombre, etc. Au reste ils reviennent souvent ces.
ennemis, tant Allemands, Anglais que Français :
il y en a même quelques-uns nommés par leur nom..
Item, les ennemis du feuilletoniste, comme par
exemple ceux qui ne goûtèrent pas cette innocente
plaisanterie: « J'eus ^^nprudenoe, il y a dix:-huit
ou vingt ans, de faire la suivante à propos d*un trèsr
plat petit ouvrage de Rossini. Ce sont trois cantiques
intitulés : La Foi, l'Espérance et la Charité. Après
les avoir entendus, j'écrivis je ne sais où, en parlant
de Fauteur : Son Espérance a déçu la nôtre ^ sa
Foi ne transportera pas des montagnes ^ et quant à
la Charité qu 'il nous a faite , elle ne le ruinera pas . »
Rossini avait eu toute sa vie la prétention de
faire de la mélodie, même dans ces trois cantiques ;
prétention exagérée, car l'auteur des Mémoires dit :
« Je n*ai jamais songé, ainsi qu'on Ta si follement
prétendu en France, à faire de la musique sans
mélodie. Cette école existe maintenant en Alle-
magne, et je l'ai en horreur. Il est aisé de se con-
-vaincre que, sans même me borner à prendre uae
mélodie très-courte pour thème d'un morceau,:
comme Tout fait souvent les plus grands maîtres,
j'ai toujours soin de mettre un vrai luxe mélodique
dans mes compositions... Il est vrai que ces mélo-
dies sont si dissemblables des petites drôleries ap-
pelées mélodies par le bas peuple musical, qu'il ne
peut se résoudre à donner le même nom aux unes
et aux autres. »
Il est vraiment dommage que le pauvre petit mu-
MEMOIRES D OUTRE-TOMBE. 386
sicien qui s'appelait Rossini soit mort si jeune, il
aurait pu aller à l'école chez M. Berlioz, pour ap-
prendre un peu ce que c'est qoie la mélodie.
L'épilogue de ces Mémoires est un retour aux.
premières amours, une correspondance entre ma-
dame Estelle F... et l'auteur. L'amoureux a soixante
et un ans ; la jeune fille, qui est une femme sensée
et qui écrit fort bien, touche les soixante-cinq ou
soixante- sept ans. On lira les deux grandes lettres
de cette dame inconnue ; ce sont deux chefs-d'œuvre ,
de style, de sentiment, de raison et de convenance.
Voici la conclusion de l'auteur : « Il faut me con-
soler d'avoir été connu d'elle trop tard, comme je
me console de n'avoir pas connu Virgile, que j'eusse
tant aimé, ou Gluck, ou Beethoven... ou Shakes-
peare..... qui m'eût aimé peut-être. (Il est vrai que
je ne m'en console pas. )
« Laquelle des deux puissances peut élever
l'homme aux plus sublimes hauteurs, l'amour ou la
musique?. .. C'est un grand problème. Pourtant il me
semble qu'on devrait dire ceci : L'amour ne peut pas
donner une idée de la musique, la musique peut
en donner une de l'amour... Pourquoi les séparer
l'un de l'autre^? Ce sont les deux ailes.de l'âme. »
Ces Mémoires, comme on Ta déjà observé, ont
été écrits à différentes époques delà vie de Berlioz.
Le projet de les publier date de loin, car la préface
est de 1848 : « On a imprimé et on imprime encore
de temps en temps à mon sujet des notions biblio-
336 MUSICIANA.
graphiques sî pleines d'inexactitudes et d'erreurs,
que ridée m'est enfin venue d'écrire moi-môme ce
qui, dans ma vie laborieuse et agitée, me paraît sus-
ceptible de quelque intérêt pour les amis de l'art. »
Berlioz n'éprouvait pour la République qu'une
affection contenue, il en parle dans cette même pré-
face : « La République passe en ce moment son
rouleau de bronze sur toute l'Europe; l'art musical,
qui depuis si longtemps partout se traînait mou-
rant, est bien mort à cette heure ; on va l'ensevelir,
ou plutôt le jeter à la voirie. »
CHAPITRE XI
MÉLANGES
LES SALONS ORFILA.
On sait que dans un temps, les salons de M. et
de madame Orfila eurent un certain lustre artistique.
Bien des personnes ont cherché en vain la cause de
cet empressement désintéressé des virtuoses à assis-
ter aux réunions de la rue Saint- André-des-Àrts.
L'origine de cette réputation^ la voici : M. Orfila,
médecin célèbre, professeur à l'Académie, avait une
jolie voix, il chantait agréablement, ainsi que sa pre-
mière femme : c'étaient d'ailleurs des personnes ai-
mables, ayant des relations nombreuses et donnant
de bons dîners ; voilà donc des éléments pour des
réceptions charmantes dans un hôtel merveilleu-
sement bien disposé pour cela.
Madame Orfila profita de la clientèle existante,
c'est-à-dire de la réputation établie.
Les conditions étaient bien changées pourtant.
S38 MUSICIANA.
M. Oriila vint à mourir, et, voyez la ténacité des
choses établies, des vieilles habitudes, les réunions
du dimanche ne moururent pas pour cela.
Il est vrai qu'on avait soin de nommer d'avance
les critiques influents qui assisteraient à ces fêtes
musicales, poétiques, dramatiques, dansantes* 1. il
y avait de tout. Certain journal de musique consa-
crait régulièrement tous les dimanches un alinéa
bien senti en l'honneur du salon Orfila et réchauffait
d'avance l'ardeur des exécutants.
Une avant-veille de dimanche- gras mademoi-
selle X... vint me demander quelque chose de bien
gai, de bien bouffon : on voulait rire à se tordre ce
jour-là.
— Mais, mademoiselle, permettez-moi de vous
observer qu'en si peu de temps je ne vois pas trop...
— Allons donc, avec votre facilité bien connue,
vous trouverez bien quelque chose.
-^ C'est bien vague... mais encore, auriez-vous
• • • > .• • •
quelque idée ?
— Attendez donc... comme nous aurons à notre
disposition un chœur nombreux, tous les artistes
d'un peu de nom qui hantent Paris. ; .
— Ce sont les moyens, mais le sujet ?
— Vous ne me laissez pas finir r si vous preniez
donc, par exemple, un morceau de Gluck bien as^
sommant, bien lent, qu'on chanterait ^n allegro^
et... en finissant par félicita, félicita, félicita.
(Je regardai le plafond comme font les gens dont
la compréhension est en défaut.)
MELANGES. Sd9
— Gela ne me parait pas d'une gaieté fdle...
Mademoiselle X... prenant son manchon et s*en
allant : .
— Vous trouverez, vous trouverez... réfléchissez
un peu. ,. avec votre facilité. . .
— Bien connue. . .
-^ Arrangez cela, nous répéterons demain soir ;
je vais convoquer les artistes; à demain soir !
Et la voilà partie.
Je sortis pour vaquer à mes occupations, et ne
rentrai qu'à l'heure du dîner. Ce soir-là il y avait à
rOpéra-Gomique la première représentation de
Manon Lescaut d'Auber, si je me souviens bien :
j*y assistai.
Le lendemain, en me levant, la visite de la veille
me revint à l'esprit : « Ah ! mais, sapristi ! c'est ce
soir la répétition... la répétition de quoi ? »
En ce moment j'aperçus, traînant sur mon cla-
vecin de travail, un des volumes des Chansons po^
pul aires publiées par Du Marsan.
J'ouvris le volume à la chanson de Malbrough et,
discontinuant ma toilette, j'entrepris cette chanson,
en caractérisant chacun des personnages, tout en
conservant l'air, mais le modulant, l'harmonisant,
le travestissant, le développant avec de folles va-
riantes, fioritures et vocalises.
Le soir on répétait Marlbovough, qui eut un vrai
succès, grâce aux exécutants :
840 MUSIGIANA .
M"^ Marlborough . . . M"* Ugalde.
La suivante M"' Charles Ponchard.
Le page M, Charles Ponchard.
Uécuyer M. Battaille.
Goria, habillé en bébé, tenaille piano, et le chœur
était chanté par tout ce qui avait un nom à Paris.
Et voilà rhistoire de la scène de Marlborough^ pu-
bUée depuis dans les Soirées parisiennes.
*
LE DEY d' ALGER A L^OPERA.
Meyfred, professeur de cor au Conservatoire pen-
dant de longues années, était poète à ses moments.
 un banquet donné à Habeneck (qui avait été
malade) par les artistes de l'orchestre de TOpéra,
Meyfred lut une grande pièce de vers intitulée :
Voyage et Retour ^ dont nous extrayons l'anecdo te
suivante, parfaitement historique :
Ecoutez : un coup d'éventail
Fut un signal de guerre, et Ton nous vit descendre
Sur des bords africains qu'un dey ne sut défendre.
Obligé de quitter les douceurs du sérail.
Ce prince infortuné (comme sont tous les princes)
Voulut un jour visiter nos provinces,
Juger nos mœurs, nos arts, et cœtera...
On le conduit à l'Opéra.
9
MELANGES. 341
L'adroit Véron (1) veut qu'il crie au miracle;
Riche alors en talents, il ouvre son trésor,
Et lui compose un magique spectacle...
Kn ce temps-là c'était possible encor...
« S*il n*est pas soprd, dit-il, s'il n'a pas la berlue.
Il doit être ravi!!...» Mais l'impassible dey,
Sur son balcon, mollement accoudé.
Ne quitte point notre orchestre de vue.
Le rideau tombe enfin, le médecin Véron,'
Comme un triomphateur se présente à la loge;
Du geste, du regard, de la voix interroge.
Et l'interprète lui répond :
a Ce spectacle, monsieur, vivement intéresse ;
Voici les mots qu'à Son Altesse
Je viens d'entendre prononcer :
Allah me donnerait encore cent ans à vivre.
J'y songerai toujours... Je n'ai pu me lasser
De voir ces trois messieurs avaler tant de cuivre
Sans se blesser!!!...»
On comprend que ces trois messieurs étaient les
trois joueurs de trombone.
*
SALVADOR DANIEL
Directeur du Conservatoire de musique sous la Commune.
Salvador Daniel était fils d'un émigré espagnol,
bon musicien également, qui a publié uae Gram-
maire philharmonique en 2 volumes.
(1) Alors directeur de l'Opéra.
34i? MUSICIANA.
Quant au lils, il a été pendant plusieurs années
attaché à Torchestre du Théâtre-Lyrique comme
alto. Après la faillite dé ce théâtre, il émigra en
Algérie, où il devint professeur du musique à l'école
arabe d*Âlger et directeur de l'orphéon dé cette
même ville. Il y resta trois ou quatre années, puis,
â la suite de la mort d'une jeune personne qu'il
devait épouser, il revint à Paris, cherchant des
élèves et, je crois, n'en trouvant guère.
A cette époque, et sur ma demande, Salvador
Daniel fit deux conférences à la Société des corn-
positeurs de musique^ l'une sur la Facture des in^
struments primitifs pendant les premiers âges du
monde^ Tautre intitulée : Les chants de la race
cabirique ou gallique ; cette dernière conférence a
été reproduite dans les bulletins de la Société. C'est
entre ces deux séances qu'il faut placer la lettre
suivante, que je viens de retrouver :
« Mou cher maître,
f Depuis votre charmant concert, j^ai été pris par des
douleurs névralgiques si violentes, provoquées par le froid,
qu'il m*a été impossible d'allervous remercier. C'est à peine
si depuis quelques jours je sors vers midi pour prendre ua
rayon du pauvre soleil parisien; aussi n^ai- je pu aller non plus
à la réunion du 29 janviejr. J'espère bien cependant ({ue, le
froid cessant, je reprendrai mon état normal, et alors je me
et vous demande si je dois me tenir prêt pour la séance de
ce mois-ci. ...
Pardonnez-moi de ne pas aWev peciibnn vum jmnbis ^^qn'ii
MELANGES. 348
la rue'St-Georges,' mais je trouve que c'est déjà bien beau
d'ailef jusqu'au Palais-Royal quand il fait du soleil.
• Ua petit mot^ s'il vous platt, à un pauvre frileux qui
^^relotte au coin de son feu, et croyez-moi, malgré cela,
votre bien chaleureux admirateur et ami.
( Salvador Danibl,
« tl, rue Villcdo.
<( Je rêve de la mélodie sur une note,
« Jeudi, 7 février 1867. «
Nous nous perdîmes de vue jusqu'à Tépoque de
la Commune. J'ai su depuis que Salvador Daniel
s'était trouvé, durant le siège, parmi les agresseurs
de l'Hôlel-de-Ville, le 31 octobre, et qu'il y avait été
blessé au bras.
Durant la Commune, il se fit nommer directeur
ou délégué des beaux-arts, et c'est en cette qua-
lité qu'il convoqua les professeurs du Conservatoire
par la fettre suivante :
Le délégué de la Commune à renseignement invite les
professeurs à se réunir au Conservatoire, le samedi, 13. du
courant, à 2 heures, à l'effet de les consulter et de leur de-
mander de formuler leurs vœux (mai 1811). «
Cette convocation n'ayant réuni que quatre per-
sonnes, dont deux dames, on la renouvela, abso-
lument dans les mêmes termes, pour le samedi
suivant*
844 MU8IGIANA.
Cejonr-là, Salvador Daniel vînt me trouver-à^la
bibliothèque, où j'étais à mes fonctions. II était ae-
compagne de deux autres délégués : Tun, nommé
Chollet, élevé au Conservatoire et neveu d*ûn aii-'
cien surveillant des classes ; l'autre, dont j'ignore le
nom. Les trois délégués me demandèrent poliment
de les suivre à la petite salle des réunions, où je
trouvai deux professeurs, les seuls qui eussent ré-
pondu à l'appel. Ce n'était sans doute pas bien mo^
deste, mais je parlai le premier, pour demander
qu'on élaguât de la cour du Conservatoire les réu-
nions qui s'y tenaient, depuis trois jours, par Un
ramassis de toute sorte, sous le nom de Fédération
artistique ; ils étaient trois à quatre cents, et quel-
ques-uns avaient déjà demandé à coucher dans les
classes. J'ajoutai que le Conservatoire était un éta-
blissement purement artistique, complètement en
dehors de la politique, qu'il fallait garantir et sàu-'
vegarder les instruments de musique et la belle
bibliothèque, sa plus grande richesse.
Je pensais bien que parmi les trois délégués, le
bibliophile ne resterait pas sourd à cette invocation.
Salvador Daniel, en effet, très-calme jusque-là, s'a-
nima et fit appeler le capitaine commandant la Fé-
dération artistique. Ce capitaine était un jeune
homme d'assez bonne mine ; il exhiba tout d'abord
une autorisation de la mairie du IX* arrondisse-
ment.
Salvador : « Je m'en f . . . , je suis maître ici. »
MÉLANGES.' S45
_ Le capitaine : c Je reçois des ordres, et je m'en
veL.. à mon tour, *
- Ljà-rdessus, les deux interlocuteurs eurent, pen-
dant dix minutes environ, ce qu'on appelle une
conversation de crocheteurs, montée au dernier dia-'
pason.
Voyant qu'aucun des deux n'était disposé à céder,
je ils observer que, la réunion de cette Fédération
ayant lieu précisément en ce moment (il y avait déjà.
deux cents personnes dans la cour), il serait diffi-
cile défaire sortir tout ce monde, mais qu'à l'avenir
on pourrait leur indiquer un autre lieu de réunion.
Salvador : « Voyons, capitaine, si je vous don-
nais le palais du Luxembourg ?»
Le capitaine: € Le Luxembourg... attendez donc,.
eli bien, oui, ça peut m' aller. »
On se calma ; les deux personnages prirent ren-
dez-vous à cinq heures, et le capitaine redescendit
dans la cour. Les deux autres délégués ne dirent *
pas grand'chose ; mais Salvador Daniel, s' expri-
mant facilement, usa largement de cette facilité. Il
fit un tableau de l'aurore nouvelle qui allait se le-
ver sur les beaux-arts, il parla de la régénération
du Conservatoire, et son discours aboutit à cette
idée lumineuse, éblouissante : « Citoyens, il faut
que sous la Commune le soleil luise pour tout le
inonde ! Plus de privilèges, plus de professeurs qui,
en petit nombre, absorbent à eux seuls ce litre de
professeur du Conservatoire, s'en prévalant, et écra-
sant par là le reste des talents de la France. Chaque
S4G MUSIGIANA.
classe, au lieu d'avoir un seul professeur, en auria
dix, vingt, qui, à lourde rôle, exposeront leurs prin-
cipes et inculqueront leur talent, leur science aux
élèves. »
L'un des professeurs présents prit la peine de dis-
cuter sérieusement celte théorie, en affirmant que les
élèves ne gagneraient rien à une telle diffusion d'en-
seignement, qu'il fallait pour chaque instrument
un professeur toujours le même pour les mêmes
élèves, etc. •
Cela durait depuis assez longtemps quand je tirai
ma montre et, la tournant du côté de Salvador Da-
niel, vis-à-vis de moi : « Vous voyez, i\ est quatre
heures et demi, vous ne serez jamais à cinq heures
au Luxembourg, y^
On se sépara, et sur le trottoir, devant la porte du
Conservatoire, me trouvant seul avec Salvador Da-
^niel, je lui observai qu'il jouait uhjèù dangereux.
Il répliqua : « Oh ! je sais bien que je risque d'être
fusillé, mais j'agis selon mes convictions.; » Sur ces
mots, nous noiis séparâmes ; c'était le samedi
20 mai. Le mardi, 23, il fut passé par les armes.
Ici, j'invoque le témoignê^e de M. Parfait, pro-
fesseur de droit, qui, demeurant vis-à-vis de Sal-
vador Daniel (celui-ci habitait le n*» 13 de la rue
Jacôb), a jpn raconter de visu les dernieirs moments
dfe l'artiste dont nous parlons.
Quand la troupe arriva dans ce quartier, un sous-
lieutenant, avec dix honunes, entra dans la maison
du 13. Salvador Daniel finissait de s'habiller,. et il
MELANGES. 317
i'aiit croire que l'idée de se sauver n'entrait pas
dans son plan. Le sous-lieutenaht constata son
identité, que Daniel ne nia nullement. On lé con-
duisit dans la rue, où Salvador Daniel, défaisant
sa cravate et montrant le, cou, dit : « Visez là. »
Deux hommes seulement eurent ordre de tirer, et
le malheureux tomba mort. Trois ou quatre heures
après, le corps fut porté à l'amphithéâtre de rhôpi-
talde la Charité, dirigé par le docteur Bourdon (4).
En retrouvant la lettre de Salvador Daniel rejïro-
duite plus haut, j'ai mis également la main sur celle-
ci, qui a rapport à PascHal Grousset ; je la joins
comme appendice:
« Paris, le 8 janvier 1868.
a Mon cher Weckerlin, -
t Voici M. Paschal Grousset qui a quelque chose d'assez sérieux
à vous demander. Il s'agirait de faire quelques conférences sur
V Histoire de la musique. Ma besogne à TOpéra ne me permet-
tant en aucune façon de faire quelque chose de semblable, je
vous l'adresse, espérant que vous n'aurez pas les mêmes empê-
chements que moi. Si vous pouvez acquiescer à sa demande, j'en
serais personnellement enchanté et je vous en saurai gré.
a Merci d'avance él tout à vous.
« y. A. Gevaert. »
A cette époque, Paschal Grousset vint me voir
plusieurs fois, il m'a même écrit deux ou trois let-
tres que je n'ai pu retrouver. J'étais alors trop
(1) s. Daniel a publié, en 1863, une intéressante brochure : Ja
Musique arabe. Cet opuscule est devenu rare.
S48 MUSIGIANA.
occupé pour faire les conférences dont il était ques-
tion, et c'est M. Delsarte qui s'en chargea, sur
ma demande.
*
¥ ¥
MUSIQUE DIABOLIQUE.
Quand le roi d'Espagne, Philippe II, vint à
Br;Hiell(^s ^n 4549, poi;r.yisUer .sf)n .péirA l'ôiBp^
reur Gharleô-Quiril, on yit entrè-aiiittès ic^oUisfis^
ces, une procession dès plusiingUlièreSi\Eni.tê
marchait, un énorme taureau qui lançait du.feti phv
ses cornes, entre lesquelles était assis un: petit
diable. Devant le taureau caracolait un jeune gar-
çon cousu dans une peau d'ours et ihonté sur un
chevd auquel on avait coupé la queue et lesoreilles.
Puis venait rarchahge saii^t Michel dans de. bril-
lants atours, et tenant une balance à la main.
Le plu« curieux était un chariot qui renf^errnait/
la plus singulière musique qu'on puisse iinaginer.;
Il y avait là mn ours qui jouait de l'orgue ; en*
guise de luyfCux, ,une vingtaine de boîtes^assez
étroites renfermaient chacune un chat ; les queues
sortaient et étaient , repliées aux touches - du , cla*
vier par; une jfiçelle, .si, bi^n :qvie,ïq^and • qiî .pres-
sait l'iine de oejs>touçhe§, la quQue correspondante
se trouvait .fortement tirée, et produisait chaque
fois uii miaulement lamentable. Lé chrohiqueilr
MiLANOBS. 94B
Juan Christoval Calvète, ^oule que les chats
étaient rangés de façon à produire la succession
des notes de la gamme... (chromatique, j'aime à.
croire).
Cet orchestre abominable était suivi d'un théâ-
tre sur lequel dansaient au son de cette musique
infernale des singes, des loups, des cerfs et d'au-
tres animaux.
On peut lire la relation de cette procession dans
950 MUSIGIANA.
le livre sur les Représentations en musique du
Père Ménestrier (1681), et dans les Denkwûrdig-
keiten de Samuel Baur (1830, tome XI).
On a vu page précédente la réduction d'une gra-
vure par de La Vigne (attribuée à Callot), que
G. Kastner analyse longuement dans sa Parémiolo-
gie, page 23.
Ce n'est pas Forgue aux chats de- la procession
de Bruxelles en 1549, puisque l'ours est remplace
par un Iruand, et que le reste de l'entourage eut un
peu changé; mais cette musique harmonieuse eut un
succès si prodigieux qu'on en renouvela l'audition
dans la suite, par exemple à Saint-Germain en 1753,
à Prague en 1773.
L'artiste a sans doute reproduit la scène musico-
féline, décrite par Krunitz dans son Encyclopédie,
cet orchestre de chats si merveilleusement disposé
selon le .diapason des voix et qui fonctionnait d*une
manière très-agréable.
■
*
¥ ¥
Une dame qui, dans une compagniet faisait la
belle chanteuse, et qui ne pouvait pas achever son
air, dit à un homme d'esprit/ assis à côté d'elle: « Je
vais le prendre en si. — Non, piadame, restez en 7d. »
L'auteur de ce livre va en faire autant.
Va le te ^
FIN
> X
TABLE DES NOMS ET DES CHOSES
Abonnement de musique (1*) 254
Adresses de compositeurs
et de chanteurs en 1822. 66
Adresses de musiciens en
.1785,, , 269
ATranio 91
Alexandre le Grand 124
Amphion 5
Ancina . 135
Aufossi... 226
Annonces de 1761 266
Apollon moderne (L') 128
Applaudissements 264
Arnoulx •.... 14
Auber..... ... . 21 é, 287 321
Audimont(D') 270
A'urillette (L*) ...,...'.. 129
B
Bach (S.) 148. 333 336
Bachaumont. — Ses Mémoi-
res 155, 177 180
Bacilly 277
Baïf. — Son académie dé
musique. 46
Balbastre 228
Barres démesure 22
Barthe : 192
Basson (Le) 91
Bâton de mesure 158
Bazin (M.) 222
Bechstein 235
Beethoven 184 301
Boraetzrieder. — Son en-
seignement ... 68
Benda 161
Berlioz f\\\^ tiU 323
Berton (H.) 197
Bérrnger '. . . . 308
Beser (Alphonse dc^' £71
Biéval (xM.) 209
Binet (Etienne) 9
Uoësset 140 282
Bœuf-Gras aux Tuileries. . 179
Boïeldieu 290
Bonîn • 268
Borin. 243
Bottée de Toulmon 85
Bourdelot. . . . 140, 156. 282 284
Brette (M.).... 321
Brijon .....' 128
Burney 227
Caquets de roccoirchée,-. . . 247
Carbasus' • . . 99
Caresana 85
Carnaval de Veiiide (air du). 264
Carolet 121
Castil-Blaze 265
Castrats à Naples 230
Caus ($alomon de). Instiiu-.
tion .l^arm.onique 40
Censure théâtrale à Rome. 249
Cérémonial des joueurs de -
trompettes et de timbales 110
Chanson sur les ménétriers 96
Chant (L'art du) eu 1668. . . 277
Chapelle Sixtine 230 330
Charlemagne 115
Charmes de la nmsique
sacrée •••••. ^46
ChédeviUe 117
352
MUSICIANA.
Chérabini. 196,311, 825,327
Christoval
Cicôron
Cifolelli
Cimarosa 225
Circolo
Clarinette (La)
Clavocin (Le) . . . . 88, 228,
Clavecin électrique
Clément!
Ciérembault
Clés
Colasse..
Concert spirituel
Confrérie de Saint- Julien..
Confucius
Conort ... :
Consonnance ^ . .
Contre-marques japonaises.
Cor de chasse (Le)
Corelli
Corrette.. 103, 121
Corrozet (Gilles)
Crescentini. . • . • •
Crotch
Dalayrac
Daquin...
Delair, Traité de théorbe.
Delsarte
Denis
Denner.^ ,
Dépôt delà musique (Le)..
Description des sept arts
libéraux
Dessau
Devismes, pasilogie
Dey d'Alger à rOpéra (Le).
Diapason ...%....
331
353
114
264
333
80
91
267
267
293
244
20
155
227
94
138
238
9
287
91
148
256
273
136
163
295
194
27
352
242
91
259
6
265
33
344
20
Diderot 68
Diminutions 281
Do et ut...." 22
Doles 167
Donjon... 125
Dorus 125
Dryden 124
Duhaler 133
Duplant (Mlle) 271
Dupuy(Mlle) 152
Dussek 298
E
Elégie 24
Eléphants musiciens .* 284
Elisabeth d'Angleterre.... 146
Engramelle.-La tonotechnie 92
Entr'actes 264
Epithètes Arançoises de
Daire 23
Erard (S.). 91
Essay des merveilles de
nature 9 233
i
F
Fabre d'Olivet 319
Farinelli 136
Farrenc (A.) 208
Félis, Musique mise à la
portée de tout le monde. 18
— Biographie des musiciens 50
— Programmes de ses con-
certs historiques 56
Fétis... 136,151, 194, 317 831
Flûte 91
Folengius 102
Foulques II 47
Fournier (Ed.) 223
Fourtou (M.) 125
Frédéric le Grand.... 160 162
Fumier en plain-cbant (Le) 126
TABLE.
S5a
G
Gabrîelli (La), 13G
Galien 124
Galpubet (Le). H6
Gamme 9 19
Ganlez 15, 238 322
Garât, 180
— (Fabry) ^95
Gardeton 204
Gaveaux-Sabatier(Mme)... 178
Gavinîès. 149
Gevaept 351
Gluck 177 224
Gode save (Le) 244
Gozargue (L'abbé) ,..,.... 271
Grassalkowitsch 166
Grétpy.... 179 229
Guédron 282
Guhp 200
Guimbarde (La) 107
H
Habeneck 344
Haendel 164
Happe (La).... 87 90
Hâptel 300
Haussmami (M.) 203
Hautbois (Le) 91
Haydn ( J.) 150, 226, 269, 292 . 300
Hepmophile 132
Hépodote 114
Hcpvieux de Chanteloup.. 236
Hochbpuckep ' 90
Holzbauep 231
Homèpe 114
Hyène (L'j 128
I
Instpumeiïts de musique
en 1636 89
Instpumcnls des Hébpeux. 86
Intermèdes d'Esther 241
Isocrate ....*..... 112
J
Jannequin.^La Bataille de
Marignan 145
Jubal. 3 15
Kastner (G.) 305 354
Kelly 163
Kipchep 147
Krantz 152
Kreutzer (R) 265
L
La Borde..... 267
La Ghevardière.' 257
Laitièpe de Trianon (La). . . 209
Lalouette 155
Lambept 141,142 282
Lappivé 271
La Seppe 264
LeBailly 280
Leblanc. — La basse de
viole 104
Lebretou 151
Lebpun (Mme) 272
Le Cepf de la Vieville 280
Legentil (A.) •.... 189
Legpos 271
Léopold I«' 143
Levasseup 184
Limeuil (Mlle de) 145
Lîmma 19
Louis XIII 140
Louis XIV.... .... 152
Lully. — Ses dédicaces au
roi 29
— Anecdotes sur sa vie. 153
354
MUSieiANA.
Luth (Le) ^7, 94, 97 230
Luther 16
Lycurgnc. .* 4
Lyre 19 90
M
Maelzl 304
Maison de Beelhpyen (La). 185
Manies de quelques compo-
siteurs 225
Mansui 301
Marais 141
Marche du czar 265
Marchesi 136
Mariage du Figaro, de Mo-
zart 333
Marmontel (M.) 222
Marquet 131
Marseillaise (La> 231
Martin 271 290
Mattheson. — Défense de
l'orchestre 26
Maurice de Saxe-Merse-
bourg 162
Médée travestie 120
Méhul 290
Ménesirandie 94
Menuet du roi de Prusse 93
Menuet de l'empercur Léo-
poldl*'.... 144
Merveilles de nature, pnr
René François, V, Essay .
Métastase 229
Meyerbeer 202 232
Meyfred 344
Meysenberg 262
Michon 98
Mira (Mlle) .209
Mirabeau 146
Mirliton * 88
Miroglio. 257
Modes grecs il
Monteclair. — Méthode de
musique 28
Monnais (Ed.^ 197
Moreau 241
Moulinié 142
Mozart 164 -
— composition faite à l'âge
de 5 ans. 176 230,273 333
Musette (La) .99
Musique (son origine.* ..... 3
— Définition........ 7 49
— céleste 13
— descriptive 24
— (Arrêté contre la).... 122
— curâtive 133 131
~ agricole Iîi5
— diabolique 352
— japonaise 285
— théorique et pratique
dans son ordre na-
turel 243
Nicolo 316
Niert (De) 14*
Nivers . .' < 244
Noblesse ne déroge pas au
théâtre (La' 155
Nourrit 184
Ole Bull 201
Opéra (L*) ^ 228
— (Liste des chefs d'or-
chestre de 1') 288
Orfila (Les salons) 341
Orgues 231
— de Barbarie • 92
Orphée 4
TABLE.
355
Oiidet 260
Ouverture de don Juan (L') 166
P
Pàër 225
Paganini i09 265
Paisiello 225
Palestrina 330
Pahna 135
Paradis et de ses mer-
veilles (Du) •. .. 12
Parfait ^M) :;...-. 350
Paschal Groussel 351
Pellegrin (l'abbé;...- 158
Pergolèse (la Sicilienne) , . 253
Pélers ■ 254
Philippe V. .. , 1.36
Piano 267
Piecinelli (Mlle) . . . .- 257
Piganiol de la Force. ...... 242
Plessy (Mlle^ 237
Pleyel (J.) 175 289
Polonais (Le) 97
Ponchçird. 184
Porta, magia naturalis. 115 131
Propriété musicale 263
9
Quantz..^ 120 162
Quinte superflue (La) 287
R
Rabelais 45 88
Raff 136
Rameau 150 228
Rébec(Le) 94
Hébel et Francœur 193
Reichâ 309
Reissiger 192
Rémi 158
Réminiscences (Les 279
Requiem (Le) de Mozart. . 168
Retz (Lo cardinal de) 141
Reuter 151
Riepel. — Principes de
composition ,. . . 79
Hies (F.) 315
liochlitz 1^9
Roi des ménétriers (Le) .... 95
Rossignol (Le chant du).. 232
Rossini 203,265; 338
Rouget de Lisle 905
Rousseau (Jean) 101
Roze (L'abbé) 271
Hoze (Mlle Marie) 220
Riickert ... 228
ii
Sacchini. 225
Sqint-Çyr , ....... 240
Saint- Georges 270
Saint-Huberti (Mlle) 272
Salieri 224
Salles de spectacle çn Italie 229
Salvador Daniel 345
Samber 36
Santini (l'abbé)... 253
Sarti 224
Sauvai 145
Scarlatti 146
Schneider 131
Sénésino 136
Serins (Nouveau traité des) 236
Sheridan 163.
Silbermann 267
Simon (M.) 262, 268
Sonate du Diable (La). . . . 149
Son grave et son aigu 21
Sorel 47
Spangenberg 48
Spontini 312
856
MU^IGIÀNA.
SiaêKMme de)
Steibelt
StoUwerck
Strunck. «...
Suétone
Sûssmayer
— Lettre sur le Requiem,
T
Taffnnel
Taglioni (Mme)
Tallemant des Réaux 140,
143
Tambourin (Le)
Tambours (Les)
Tarentule (La),
Tappert(W)
Tartinî.....
Tempérament
Terpandre . . .^ 4
Thaïes 4
Théorbe
Thomas (A.) 220
Tierce de Picardie
Timbales
Todi(Mme)
Torlez
Tourdion
Tournatoris
Tout est bien qui finit oien.
Trafic musical.
Tremblement
Trompettes anciennes.. ...
Trompettes (cérémonial) ..
Tulou.....
Turbri.: '.
16
29e
92
148
284
168
170
125
209
264
116
86
134
231
148
8S
124
123
278»
221
23
110
272
271
16
283
178
260
82
85
110
125
29
Turpin . .
Tyrtœus
Tyrtée . .
Valdabrinî.
Vallier
Verdi
Véron
Viardot (Mme)
Vidal
Vielle 87,94, 98,98
Vîgneul de Marville
Viole (La)
Viole d'Orphée ,.[]
Violon 22
Violoncelle
Violons à la Comédie fran-
çaise
Viotti
Vogler (L'abbé)...
W
Wallsegg
Wegeler et Ries.
Weber (G. M. de)
Woldemar. — Les com-
mandements du violon..
Wolff (M.A.)
Yver (Le Printemps de
Jacques)
Zingarelli
Zoroastre
Zurlaubes (Marche des)...
111
5
20a
265
223
345
253
117
268
132
101
103
106
22
48
177
270
168
189
190
106
221
275
225
4
238
Clicut. - Imp. Paul Ddfost, rue da fiac^^AsDièWB, 12. (leiO, 1-7)
Musiciana; extraits d'ouvrages rare
BDI7494
3 2044 041 192 527