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Full text of "Annuaire"

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canadien  de   Québec 


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a888) 


AS 
42 
15 
no  12 


ANNUAIRE 


DE 


L'INSTITUT  CANADIEN 

DE   QUÉBEC 


iSSS 


CrĂ©mazie  — D«  l'ancien  barresku   de  France  —  PompĂ©i  —  Notice  sur  Mademoiselle  de 

Verchùres— Relation  de  Mademoiselle  de  Verchùres— Adresse  à  Son  Excellence 

l'honorable  A.  R.  Angers  et  RĂ©ponse— Rapports  et  Appendice 


N"  12 


QUÉBEC 

ImpRIMBBIS   GÊNñBALB   A.    COTÉ    RT   C" 

1?88 


ANNUAIRE 


DE 


L'INSTITUT  CANADIEN 

DE    QUÉBEC 


is»s 


OrĂ©mazie  —  De  l'ancien  barreau   de   France  —  PompĂ©i  —  Notice  sur  Mademoiselle  de 

Verchùres— Relation  de  Mademoiselle  de  Ver  cher  es -Adresse  à  Son  Excellence 

l'honorable  A.  H.  Angers  et  KĂ©ponse— Rapports  et  Appendice 


N°  12 


QUÉBEC 

iMPRrMRRIK    GÉNÉRALE    A.    COTE    ET    C'^ 

1888 


IJ^K 


iAli  y '^> 


MAY  8     19^        p 


AVANT-PROPOS 


Les  directeurs  de  l'Institut  Canadien  sont  heureux 
de  continuer  aujourd'hui  la  publication  de  leur  an- 
nuaire interrompue  depuis  plusieurs  années.  Ils  ont 
pensé  consacrer  à  leurs  annales,  une  partie  de  l'aide 
que  le  gouvernement  a  bien  voulu  leur  accorder  Ă   la 
derniÚre  session  du  parlement.  C'était  remplir  le  désir 
si  souvent  manifesté  par  leurs  amis,  et  prouver  au 
public,  une  fois  de  plus,  l'oeuvre  utile  que  l'Institut  a 
mission  de  remplir. 

Nous  devons  profiter  de  cette  occasion  pour  remer- 
cier le  gouvernement  provincial  de  sa  générosité  à 
notre  Ă©gard  et  souhaiter  que  non-seulement  le  gouver- 
nement, mais  encore  le  public  comprenne  la  valeur 
des  sacrifices  que  nous  faisons  pour  faire  progresser 
notre  Ɠuvre,  et  pour  continuer  nos  travaux. 

Nous  avons  ajouté  dans  cet  annuaire  à  la  pu- 
blication de  quelques  conférences  :  «  La  relation 
«  des  faits  héroïques  de  mademoiselle  do  VerchÚres,  » 
rĂ©cit  fait  par  mademoiselle  de  VerchĂšres  elle-mĂȘme  au 
roi  de  France,  Ă   la  demande  du  comte  de  Boauharnois, 
alors  gouverneur  de  la  Colonie.  C'est  un  Ă©pisode 
trÚs-intéressant  de  notre  histoire,  et  nous  sommes  cer- 
tain que  le  public  nous  saura  gré  de  lui  faire  connaßtre 
cette  curieuse  et  intéressante  piÚce. 


IV 


Si  notre  sentiment  ne  nous  trompe  pas  et  que  nos 
amis  nous  encourligent  dans  la  marche  que  nous  sui- 
vons aujourd'hui,  nous  continuerons  dans  les  annuaires 
suivants  Ă   faire  connaĂźtre  la  richesse  des  archives 
canadiennes,  en  livrant  au  public  d'autres  piĂšces  histo- 
riques aussi  précieuses  que  celle  que  nous  lui  offrons 
aujourd'hui. 


CONFÉRENCES 

DANS  LES  SALLES  DE  l'iNSTITUT  EN  1886  ET  1887 


Les  Isles  de  la  Manche^  leur  histoire^  leurs  mƓurs  et  leurs 
institutions  ;  par  M.  Henri  Boland,  de  la  Revue 
Internationale. 

Le  Langage  du  geste  ;  par  Monseigneur  Hamel,  V.  G.,  de 
la  Société  Royale. 

Les  Grands  Centres  de  V  Ouest  Américain  ;  par  M.  N.  E. 

DiONNE. 

La  Presse  ;  par  M.  Georges  Lemay. 

Adventures  and  ScĂšnes  in  the  interior  of  florida  ;  par  M. 
J.  U.  Gregory. 

Pompeï  ;  par  M.  J.  Frémont. 

De  V Ancien  Barreau  de  France  ;  causerie  historique  par 
M.  J.  E.  Prince. 

U  Amérique  du  Nord  avant  Christophe  Colomb  ;  par  M. 
Alphonse  Gagnon. 

La  Belgique  ;  par  M.  B.  Lippens. 

Crémazie  ;  par  M.  N.  N.  Olivier. 

Whittier^  the  New  England  poet  ;  par  M.  George  Stewart, 
de  la  Société  Royale. 


—   VI  

La  SociĂ©lc  Canadienne  au  MĂȘme  siĂšcle  :  par  M.  T.  P. 
Bedard. 

La  vie  dans  les  mines;  RĂ©cit  d'un  voyage  Ă   trois  mille 
pieds  sous  terre,  par  M.  B.  Lippens. 

Vers  le  passé  ;  Notes  sur  le  Général  Richard  Mont- 
gomery,  par  M.  Faucher  de  Saint-Maurice,  de  la 
Société  Royale. 

Réalistes  et  décadents  ;  par  M.  Napoléon  Legendre,  de 
la  Société  Royale. 

Histoire  et  légende  ;  par  M.  L.  P.  Lemay,  de  la  Société 
Royale. 


OFFICIERS  ET  DIRECTEURS  DE  L'iSTlTL'T 

1888-1889 


MM.  L.  J.  G.  Fiset Président  honoraire. 

J.  Frémont Président  actif. 

Thomas  Chapais,  | Vice-Présidents. 

J.  E.  Prince,  J 

L.  P.  Sirois Trésorier. 

N.  E.  Gauvreau Assistant-trésorier. 

J.  G.  Couture Secrétaire-archiviste. 

J.  0.  Frenette.    | Assistants-secarch. 

F.  X.  Gosselin,    / 

Edouard  Taschereau  Secrétaire-correspondant. 

■    ■    ""^on  ler,  I Assistants-sec.-correspondants. 

Jos.  Ledroit,        J 

T.  A.  Venner Bibliothécaire. 

G,  de  Léry, Curateur  du  musée. 


BUREAU  DE  DIRECTION 

Le  président-actif  ;  les  vice-présidents  ;  le  trésorier  ;  le  secré. 
taire-archiviste  ;  le  secrétaire-correspondant  ;  le  bibliothécaire  '> 
le  curateur  du  musée  ;  Mgr  Légaré  ;  M.  le  Curé  de  Québec  ;  M.  le 
Curé  de  Saint-Roch  ;  l'honorable  Pierre  Garneau  ;  l'honorable  Jos. 
Shehyn  ;  l'honorable  Ed.  Remillard  ;  MM.  Siméon  Lesage  ;  D.  J. 
Montambault  ;  P.  J.  JolicƓur;  H.  J.  J.  B.  Chouinard;  T.  Ledroit  ; 
A.  Vallée  ;  Chas.  Joncas  ;  Alphonse  Pouliot  ;  Adj.  Turcotte  et 
E.  Huot. 


§— I. 


CRBMAZIB 


Conférence   faite   à   l'Institut   Canadien  par 
M.  N.  N.  OLIVIER. 


M.  h  Président 


Mesdames  et  Messieurs^ 

Ilya  quinze  ans  à  peine,  un  québecquois  écrivait 
que  le  nom  d'Octave  Grémazie  ne  devait  jamais  plus 
ĂȘtre  prononcĂ©  au  Canada.  Cependant,  en  l'an  de  grĂące 
1883,  la  plume  Ă©minemment  patriotique  d'un  de  nos 
écrivains  les  plus  distingués  faisait  mentir  cette  triste 
prophétie  en  nous  donnant  un  trÚs  beau  volume,  inti- 
tulé: «  Oeuvres  COMPLÈTES  d'Octave  Grémazie.»  Et  ce 
volume  était  publié  sous  le  patronage  de  l'Institut  Cana- 
dien de  QuĂ©bec.  Notre  temple  des  lettres,  qui  a  mĂȘlĂ© 
son  nom  Ă   toutes  nos  grandes  Ɠuvres  littĂ©raires  et 
nationales  (et  qui  doit  en  partie  son  existence  à  Gré- 
mazie lui-mĂȘme)  s'ouvrait  pour  recevoir  et  acclamer 
l'exilé  dont  le  souvenir  paraissait  un  peu  oublié. 

C'était  le  commencement  de  la  réhabilitation.  Au- 
jourd'hui, quand  on  évoque  le  souvenir  d'Octave  Gré- 


—  2  — 

mazie,  on  dit:  Crémazie  le  poÚte;  quelquefois  on 
ajoute  :  le  poĂšte  malheureux.  Mais  faire  allusion  au 
citoyen,  au  citoyen  coupable,  jamais  !  Le  sentiment 
que  ce  nom  réveille  dans  nos  ùmes  n'est  pas  de  la  haine, 
encore  moins  du  mĂ©pris;  c'est  de  la  pitiĂ©,  et  mĂȘme  de 
la  sympathie,  de  la  sympathie  pour  le  poĂšte  que  l'on 
aime,  de  la  pitiĂ©  pour  le  malheureux  que  l'on  plaint. — 
Avoir  été  poÚte  et  avoir  souffert,  n'est-ce  pas  d'ailleurs 
ce  qui  constitue  les  deux  plus  beaux  titres  Ă   l'indulgence 
et  au  pardon  ? 

La  postérité  ne  s'est  jamais  montrée  sévÚre  à  l'égard 
des  manquements  des  poĂštes,  et  en  cela  comme  toujours 
la  postérité  a  eu  raison.  Chez  eux  les  torts  ne  sont  sou- 
vent que  les  défauts  de  leurs  qualités.  Ils  pÚchent 
par  entrainement,  par  faiblesse,  par  excÚs  de  bonté. 

Ah  !  oui,  pardonnez  au  poĂšte  qui  a  failli  et  si  vous 
ĂȘtes  tentĂ©s  de  maudire  ses  erreurs,  songez  que  n'eĂ»t 
été  ses  défauts  vous  n'auriez  probablement  jamais  lu 
tant  de  beaux  vers  qui  vous  procurÚrent  de  délicipm 
instants. 

Ce  fut  l'histoire  de  notre  barde  canadien. 

Si  Crémazie  n'avait  pas  été  possédé  de  cette  folie 
d'écrire,  de  ce  démon  de  l'inspiration  qui  le  jetait  sans 
cesse  en  dehors  du  monde  réel  ;  si  au  lieu  de  courir 
aprĂšs  une  lime  il  avait  servi  le  client  qui  pestait  contre 
lui,  ou  avait  songé  à  solder  ses  billets  à  leur  terme; 
si  avec  cela  il  avait  eu  une  Ăąme  plus  positive^  moins 
confiante  dans  les  amis,  il  aurait  été  un  marchand 
accompli  et  faisant  honneur  à  ses  affaires.  Le  déficit 
ne  l'aurait  pas  poussé  à  !a  fraude,  le  nom  du  libraire 

gérait  re^lé   sans  tache Mais  aussi  pouf  la  mé- 

rnoiro  d<Ăź  ce  bon  bourgeois  que  les  annales  de  notre 
"ville  auraient  pu  enregistrer,  noire  litlĂšralure  aurait 
perdu  :  «  la  Promenade  de  trois  moi  ts,  n  et  vous  ne 
chanterii  z  pas  aujourd'hui   «  le  Drapeau  de  Garillon.u 

A  vt)Ub  (le  choisir  m.iintcnant. 

Je  dis:  A  vous  de  choisir  ;  car  remarquez  le  bien,  le 
C^oix  n\ipp;nti(Mit  pas  au  poĂšte  ! 

Lui,  n'i'sL  i)as  libre.  «  Malgré  moi,  rLifuii  me  t,our- 
mcnle,»  di>ail  Musset.  Demander  au  poÚie  de  peser 
d'abord  le  pour  et  lo  conlie  tl  de  choisir  ensuite  entre 
chanter  ou  se  taire,  autant  vaudiait  demander  ((  Ă   la 


—  3  — 

brume  qui  flotte  le  matin  sur  les  campagnes  de  s'in- 
former de  son  chemin  »  et  à  la  brise  de  souffler  de  tel 
cÎté  plutÎt  que  de  tel  autre. 

Outre  sa  qualité  de  poÚte,  Crémazie  peut  encore  in- 
voquer un  autre  titre  Ă   notre  bienveillance.  S'il  a  eu 
des  faiblesses,  ne  les  a-t-il  pas  expiées  surabondamment  ? 
Les  mallieureux  ont  des  droits  acquis  à  la  miséricorde, 
la  souffrance  lave  tant  de  choses  ! 

Laissons  lui  donc  dans  la  mort  le  repos  que  la  vie 
lui  refusa,  nous  rappelant  que  le  repro''-he  qui  s'adresse 
Ă   la  vie  privĂ©e  doit  s'arrĂȘter  en  face  d'un  tombeau,  et 
que, quand  Dieu  ajugé  une  ùme,  les  tribunaux  humains 
ont  perdu  leur  juridiction. 

Pourtant,  mesdames  et  messieurs,  si  le  citoyen  est 
oublié,  si  les  errements  de  l'homme  sont  ensevelis  dans 
la  mĂȘme  fosse,  quelque  chose  lui  a  survĂ©cu  qui  ne 
mourra  pas,  ce  sont  ses  Ɠuvres.  Le  poùte  vivra  de 
cette  vie  que  les  siÚcles  accordent  au  génie  et  qui  s'ap- 
pelle l'immortalité. 

C'est  de  lui  que  nous  voudrions  parler  dans  cette 
Ă©tude. 

La  marche  que  nous  allons  suivre  n'a  rien  de  com- 
pliqué. Elle  était  toute  tracée  d'avance  par  la  vie 
mĂȘme  de  notre  hĂ©ros  et  sera  simple  comme  elle. 

En  Crémazie,  il  y  eut  l'homme  heureux,  laissant 
couler  l'existence  comme  un  navigateur  qui  laisse 
doucement  aller  sa  barque  au  courant  d'un  fleuve  lim- 
pide; puis  il  y  eut  l'homme  coupable,  souffrant,  déses- 
péré ;  et  enfin  l'homme  repentant.  Dans  la  premiÚre 
phase  de  sa  vie,  le  poĂšte  chanta  le  patriotisme,  les 
gloires  nationales  et  la  beauté.  Coupable,  le  genre 
terrible  et  les  sujets  les  plus  sombres  occupĂšrent  exclu- 
sivement sa  plume.  Et  quand,  sur  la  fin,  le  repentir 
eut  touché  cette  grande  ùme,  restée  chrétienne  mÎme 
dans  ses  égarements,  sa  pensée  prit  une  teinte  de  rési- 
gnation et  de  douceur  qui  rappelle  dans  ses  lettres  nos 
beaux  couchers  de  soleil  aprĂšs  un  jour  d'orage. 

C'est  avec  justice  que  Crémazie  a  reçu  le  titre  envié 
par  plusieurs  de  poĂšte  national.  Nul  ne  s'est  mieux 
identifié  avec  le  caractÚre  de  notre  peuple  et  n'a  l'ait  de 
la  littéiature  l'expression  plus  fidÚle  de  nos  senlin)ent3 
nationaux.    Il  a  parié  de  nos  gloires  militaires  avec 


—  4  — 

le  cƓur  d'un  patriote  et  l'Ă©nergie  d'un  soldat.  Je  ne 
pense  pas  que  jamais  un  canadien  puisse  lire  «le  Vieux 
soldat  canadien),,  ou  entendre  chanter  «le  Drapeau 
de  Carillon  »,  sans  sentir  vib|i;er  jusqu'à  la  derniÚre  fibre 
de  son  patriotisme. 

N'entendez-vous  pas  les  sanglots  de  la  patrie  en  deuil  ? 
ne  voyez-vous  pas  le  Canada  orphelin  dans  ce  vieux 
soldat  qui, 

MutilĂ©,  languissant — coulait  en  silence 

Ses  vieux  jours  désolés,  réservant  pour  la  France 

Ce  qui  restait  encor  de  son  généreux  sang. 

Ses  regards  affaiblis  interrogeaient  la  rive. 
Cherchant  si  les  Français,  que  dans  sa  Toi  naïve, 
Depuis  de  si  longs  jours  il  espérait  revoir. 
Venaient  sur  nos  ramparts  déployer  leur  banniÚre  : 
Puis  retrouvant  le  feu  de  son  ardeur  premiĂšre, 
Fier  de  son  souvenir,  il  chantait  son  espoir  : 

«  Pauvre  soldat,  aux  jours  de  ma  jeunesse, 
»  Pour  vous,  Français,  j'ai  combattu  longtemps. 
»  Je  viens  encor,  dans  ma  triste  vieillesse, 
H  Attendre  ici  vos  guerriers  triomphants. 

))  Mes  yeux  Ă©teints  verront-ils  dans  la  nue 
»  Le  fier  drapeau  qui  couronne  leurs  mats  ? 
»  Oui,  pour  le  voir  Dieu  me  rendra  la  vue  ! 
))  Dis-moi,  mon  fils,  ne  paraissent-ils  pas  ? 

Quant  au  «  Drapeau  de  Carillon  »  on  ne  le  cite  plus 
devant  un  auditoire  canadien.  11  paraĂźt  que  ce  chant- 
lĂ   donna  longtemps  sur  les  nerfs  de  quelques-uns  de 
nos  amis  les  Anglais.  Il  est  malheureux  que  l'idée 
Ă©troite  de  nous  interdire  l'Ă©vocation  de  nos  souvenirs 
nationaux  se  soit  ainsi  enracinée  dans  l'esprit  de  nos 
alliés  d'aujourd'hui.  Ils  devraient  comprendre  que 
les  rejetons  de  deux  races,  de  tout  temps  en  anta- 
gonisme, ne  peuvent  pas  avoir  le  mĂȘme  passĂ©  et  les 
mĂȘmes  gloires  et  que  le  plus  qu'on  puisse  exiger  de 
l'une  c'est  de  ne  pas  insulter  l'autre. 


C'Ă©tait  une  tentative  folle  aiitiint  que  fanatique  de 
vouloir  ostraciser  '(  le  Drapeau  de  Carillon.»  Cette  poésie 
n'est  pas  seulement  l'Ɠuvre  d'un  grand  poùte,  c'est 
l'Ă©cho  du  sentiment  de  toute  une  nation.  11  est  au- 
jourd'hui dans  toutes  les  mémoires  et  il  vivra  aussi 
longtemps  que  sur  les  rives  du  Saint-Laurenc  battra 
un  cƓur  canadien.  Essayer  de  le  dĂ©truire,  autant 
vaudrait  tenter  l'anéantissement  de  notre  langue. 

«  Crémazie  n'a  été  vraiment  original,  dit  l'abbé 
Casgrain,  que  dans  ses  poésies  patriotiques  :  C'est  le 
secret  de.  sa  popularité,  et  son  meilleur  titre  devant 
l'avenir.  » 

C'est  aussi  dans  ce  genre  qu'il  a  donné  toute  la 
mesure  de  ses  forces  et  c'est  par  lĂ   qu'il  faut  le  juger. 

Le  vers  de  Crémazie  est  fier,  un  peu  raiile.  Il 
paraßt  taillé  dans  le  granit  du  Gap  Diamant  et  sent 
un  mĂąle  ciseau.  Il  n'a  pas  l'harmonie,  le  coulant,  la 
mesure  des  vers  de  Fréchette  ;  mais  à  rencontre  de  ce 
dernier,  on  dirait  que  la  pensée  chez  Crémazie  est 
sans  cesse  sur  le  point  de  faire  Ă©clater  l'expression. 

Fréchette,  c'est  un  fleuve  imposant,  aux  bords  fleuris, 
mais  au  lit  peut-ĂȘtre  un  peu  large  pour  son  volume 
d'eau.  Crémazie  rappelle  le  torrent  dont  les  falaises 
escarpées  sont  trop  resserrées  pour  contenir  la  masse 
des  flots  qui  s'y  précipitent.  «  Fréchette,  comme  on 
l'a  dit,  la  plus  française  de  nos  muses,  met  plus 
d'esprit  dans  son  Ɠuvre;  CrĂ©mazie,  le  plus  canadien 
de  nos  poĂštes,  Ă©crit  davantage  avec  son  cƓur»  (1). 

Chez  le  dernier,  lors  mĂŽme  que  l'expression  n'Ă©gale 
pas   la  pensée,  l'accent  nous  révÚle  toujours  une  ùme. 

Crémazie  aimait  à  répéter  aprÚs  Musset,  un  de  ses 
poĂštes  favoris  : 

"Mon  verre  n'est  pas  grand,  mais  je  bois  dans  mon  verre." 

Certes,  il  avait  raison,  il  ne  buvait  jamais  dans  le 
verre  d'autrui,  et  quand  il  Ă©crivait  c'Ă©tait  pour  exprimer 
sa  pensée  et  non  celle  des  autres,   c'est  encore  lui  qui 


(1)  Ces  quelques  mots  sur  le  compte  de  M.  L.  Fréchette  no  sont  peut- 
ĂȘtre  plus  justifiables  aujourd'hui,  aprĂšs  la  publication  de  "  la  L<'»gende 
d'un  Peuple,"  Ɠuvre  magistrale  oĂč  l'auteur  a  prouvĂ©  qu'il  avait  des 
idĂ©â‚Ź8  et  dxc  cƓur  autant  que  de  l'esprit. 


—  fi- 
le  (Ut.    J'en  connais  qui  ne   sauraient  s'attribuer  cet 
Ă©loge. 

Mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  aussi  que  son  verre 
n'Ă©tait  pas  grand. 

Avec  la  somme  presque  incroyable  de  connaissances^ 
qu'il  avait  déjà  acquises  et  le  travail  assidu  auquel  il 
se  livrait  chaque  jour,  son  talent  serait  certainement 
arrivé  à  une  plus  grande  fécondité,  mais  tel  qu'il  eut 
le  temps  de  se  révéler,  il  ne  connut  guÚre  que  deux 
genres.  Il  n'avait  dans  son  tiroir  que  deux  types:  le 
vieux  soldat  et  le  cadavre.  En  lui,  il  y  avait  le  poĂšte 
patriotique  et  le  chantre  de  rhorrible. 

Les  sourires  comme  celui  qu'il  intitula  «les  Mille-Ilest 
sont  des  exceptions  dans  sa  vie  et  on  les  attribuerait 
volontiers  Ă   un  moment  de  distraction.  On  regrette 
qu'il  ne  lui  soit  pas  arrivé  plus  souvent  de  ces  heu- 
reuses distractions  quand  on  lit  des  strophes  comme 
les  suivantes  : 

Quand  Eve  Ă   l'arbre  de  la  vie 
De  sa  main  eut  cueilli  la  mort. 
Sur  la  terre  à  jamais  flétrie 
On  vit  paraĂźtre  le  remords. 

Puis  Adam  s'en  fut  sur  la  terre, 
Qui  déjà  pleurait  avec  lui, 
S'abreuver  Ă   la  source  amĂšre. 
OĂč  nous  allrms  boire  aujourd'hui. 

Et  les  arclian^ucs  sur  leurs  ailes. 
Prenant  l'Eden  silencieux, 
Au  bout  des  sphĂšres  Ă©ternelles 
Le  déposÚrent  dans  les  cieux. 

Mais,  en  s'élançaut  dans  l'espace, 
Ils  laissĂšrent  sur  leur  chemin. 
Tomber  pour  indiquer  leur  trace, 
Quelques  fleurs  du  jardin  divin. 

Et  ces  fleurs  aux  couleurs  mobiles, 
Tombant  dans  le  fleuve  géant, 
Firent  Ă©clore  les  Mille-Iles. 
Ce  paradis  du  Saint-Laurent 


La  piÚce  se  termine  par  Télan  patriotique  qmé  voici 


Ô  platrie  !  î  rive  natale, 
Pleine  d'harmonieuses  voix  ! 
Ghants  Ă©tranges  que  la  rafale 
Nd"us  apporte  du  fonds  des  bois  ! 

O  souvenirs  de  la  jeunesse, 

Frais  comme  un  rayon  de  printemps 

O  fleuve,  témoin  de  l'ivresse 

De  nos  jeunes  cƓurs  de  vingt  ans  ! 

O  vieilles  forĂȘts  ondoyantes, 
Teintes  du  sang  de  nos  aĂŻeux  ! 
O  lacs  !  ĂŽ  plaines  odorantes 
Dont  le  parfum  s'Ă©lĂšve  aux  cieux! 

Bords,  oĂč  les  tombeaux  de  nos  pĂšres' 
Nous  racontent  le  temps  ancien, 
Vous  seuls  possédez  ces  voix  chÚres 
Qui  font  battre  un  cƓur  canadien  ! 


Toute  cette  poésie  est  pleine  de  grùce  et  de  fraßcheur.- 

Mais,  nous  l'avons  dit,  Grémazie  n'aimait  pas  I6^. 
sujets  tendres,  surtout  quand  lui  aussi  se  fut  abreuvé' 
Ă   la  source  amĂšre  du  malheur. 

Et  sur  les  derniers  temps  qui  précédÚrent  la  catasi- 
trophe,  lorsqu'il  sentit  se  creuser  sous  ses  pas  le  gouffre 
qui  devait  l'engloutir,  son  génie  devint  de  plus  en  plus 
sombre. 

La  oĂč  son  Ăąme  souffrante  se  trouvait  dans  soa, 
élément,  c'est  quand,  saisissant  l'arme"  de  ruborrible^r: 
il  donnait  libre  cours  aux  idées  lugubres  de  son  esprit 
et  à  l'amertume  de  son  cƓur.  Dans  ces  moments  sa 
plume  devenait  le  pic  du  fossoyeur,  il  fouillait  le  cime- 
tiĂšre, Ă©cartait  les  linceuls  et  prenait  un  amer  plaisir  a 
contempler  le  cadavre  dans  toute  sa  réalité,  dans  tout 
son,  réalisme. 

d'est  sous  l'influence  de  ces  sinistres  impressions  que 
u  la  Promenade  de  trois  morts  »  vit  le  jour. 


—  8  — 

On  y  trouve  des  peintures  comme  celle-ci  : 

La  femme  a  sa  beauté  ;  le  printemps  a  ses  roses 
Qui  tournent  vers  le  ciel  leurs  lĂšvres  demi-closes  ; 
La  foudre  a  son  nuage  oĂč  resplendit  l'Ă©clair  ; 
Les  grands  bois  ont  leurs  bruits  mystérieux  et  vagues  ; 
La  mer  a  les  sanglots  que  lui  jettent  les  vagues  ; 
L'Ă©toile  a  ses  rav(,:is,  mais  le  mort  a  son  ver  ! 

Le  ver,  c'est  la  couronne  Ă©pouvantable  et  sombre 
Qui  brille  sur  nos  fronts  comme  un  Ɠil  noir  dans  l'om- 
G'est  le  baiser  reçu  dans  ce  lugubre  jour  [bre  ; 

OĂč  la  mort  nous  a  dit  :  Viens,  je  suis  ton  Ă©pouse  ! 
Et  ce  baiser  fatal,  cette  reine  jalouse 
Veut  que  nous  le  gardions  comme  un  gage  d'amour  I... 


Dans  le  temps  ce  cauchemar  poétique  prit  tout  le 
monde  par  surprise.  Les  faits  ne  vinrent  que  trop  tĂŽt 
livrer  le  mot  de  l'Ă©nigme.     L'analoiric  Ă©tait  parfaite. 

Mesdames  et  messieurs,  je  vous  avais  promis  en  com- 
mençant de  ne  vous  parler  que  du  poÚte  et  de  laisser 
dans  l'ombre  les  malheurs  du  libiciire.  Vous  me  par- 
donnerez si  je  dois  encore  uihĂź  fois  poser  un  doigt 
timide  sur  cette  plaie.  L'explication  de  la  piĂšce  qui 
nous  occupe  maintenant  l'exige.  Car,  si,  comme  on  l'a 
dit,  il  est  permis  aux  poĂštes  de  ne  pas  dater  leurs 
Ɠuvres,  ceci  est  vrai  seulement  dans  la  grande  poĂ©sie 
qui  n'a  rien  de  commun  avec  la  réalité  brutale  de 
chaque  jour.  Les  poĂštes  qui  veulent  ĂȘtre  de  leur  temps, 
comme  sont  les  contemporains,  ne  cherchent  pas  l'ins- 
piration exclusivement  dans  l'art  qui  se  nourrit  de  lui- 
mĂȘme,  mais  ils  Ă©tudient  en  mĂŽme  temps  les  Ă©vĂ©nements 
qui  se  dĂ©roulent  sous  leurs  yeux  et  ils  prĂȘtent  l'oreille 
aux  battements  de  Iciiis  propres  cƓurs.  Si  CrĂ©mazie 
fut  si  vrai  dans  ses  «Trois  morts,»  c'est  que  la  tragédie 
qu'il  y  représente,  la  lutte  qu'il  y  peint  s'était 
d'abord  livrée  en  lui-mÎme  et  qu'il  en  connaissait  les 
Téritables  héros. 

Entraßné  par  des  amis  dont  l'histoire  enregistrera 
les  noms  pour  les  maudire,  mais  qu'il  n'est  pas  encore 
lemps  de  livrer  à  la  publicité,  l'infortuné  s'était  laissé 


—  9  — 

extorquer  des  sommes  considérables  pour  des  fins 
d'Ă©lection.  Mais  cette  classe  d'individus  qu'on  appelle 
«  meneurs  d'élection,»  la  plus  vile  de  toutes,  et  la  plus 
fatale  à  une  société  d'hommes  libres,  puisqu'ils  font 
métier  de  vendre  leur  conscience  et  d'acheter  celle 
d' autrui,  se  montra  sourde  quand  il  fallut  rencontrer 
toutes  ces  obligations.  Ces  gens,  dont  la  main  terne 
semble  n'avoir  d'autre  but  que  d'Ă©teindre  la  confiance 
et  la  bonne  foi  dans  les  cƓurs  honnĂȘtes,  sont  trop  affa- 
més pour  avoir  des  oreilles. 

L'ami  trompé,  poussé  par  le  désespoir,  eut  la  faiblesse 
de  recourir  aux  expédients.  Il  ne  voulait  que  gagner 
du  temps,  comptant  toujours  qu'on  viendrait  Ă   son 
aide  : vaine  attente  ! 

Il  ouvrit  enfin  les  yeux  sur  f  horreur  de  sa  position. 
Il  vit  que  l'on  avait  surpris  sa  conscience  d'honnĂȘte 
homme,  qu'on  l'avait  odieusement  exploité.  Il  était 
trop  tard.  La  honte  Ă©tait  Ă   ses  portes  et  avec  elle  entra 
un  hĂŽte,  jusque  lĂ   inconnu,  le  remords.  La  fuite  lui 
apparut  comme  derniĂšre  ressource.  C'est  alors  qu'il 
songea  à  sa  vieille  mÚre  octogénaire  qu'il  lui  faudrait 
quitter. 

Comprenez-vous  à  présent  l'intrigue  de  «  la  Prome- 
nade de  trois  morts  »  ?  Devinez-vous  ce  qui  se  cache 
sous  l'apparence  du  cadavre,  cet  autre  exilé  qui  sent 
pour  la  premiĂšre  fois  la  morsure  du  ver,  c'est-Ă -dire  du 
remords  ? 

L'analogie  est  frappante,  depuis  ces  reproches  que  le 
pauvre  mort  adresse  à  ses  amis  qui  l'ont  oublié  tout  en 
jouissant  de  ses  bienfaits,  jusqu'Ă   cette  goutte  d'eau 
qu'il  prend  pour  une  larme  de  sa  mĂšre. 

Au  point  de  vue  des  principes  littéraires,  «  la  Pro- 
menade de  trois  morts  "  a  attiré  à  son  auteur  de 
sévÚres  censures  et  avec  raison.  Il  y  a  de  certaines 
horreurs  qu'il  n'est  pas  permis  de  peindre,  ou  au 
moins  il  ne  faut  pas  que  l'horrible  y  soit  trop  vrai  ou 
la  vérité  trop  crue. 

Ainsi,  que  pensez-vous  de  ces  strophes-ci  : 


Heureux  de  se  revoir,  trois  compagnons  de  vie 
Se  donnent,  en  pressant  leur  main  roide  et  flétrie, 
De  leur  bouche  sans  lĂšvre  un  horrible  baiser. 


10  — 


Silencieux,  ils  vont  ;  seuls  quelques  vieux  squelettes 
GĂ©missent  en  sentant  de  leurs  chairs  violettes 
Les  restes  s'attacher  aux  branches  des  buissons. 


Ecoutez  l'un  des  morts  parlant  Ă   son  voisin.  Ce 
:o'est  rien  moins  que  gracieux  : 

Mon  ami,  lui  dit-il,  je  vois  sur  votre  joue 
Un  ver  qui  vous  dévore,  et  quand  le  vent  se  joue 
Dans  vos  cheveux  blanchis,  à  ses  frémissements, 
On  dirait  qu'il  a  peur  de  perdre  sa  pĂąture. 
Arrachez  donc  ce  ver  et  cachez  sa  morsure. 
Peut-ĂȘtre  pourrait-il  effrayer  les  vivants... 

Le  fait  est  que  c'est  assez  effrayant.  Ceci  sent  Ă©vi- 
demment le  dieu  nouveau  et  rév(Me  le  grand  principe 
à  la  mode  du  jour,  le  réalisme.  Ce  n'est  pas  le  réalisme 
de  Zola,  Celui-lĂ   on  ne  s'amuse  pas  Ă   le  discuter,  mais 
c'est  au  moins  le  réalisme  et  rhorri[»ilant  de  Hugo,  et 
c'est  déjà  beaucoup  trop.  Tous  les  analhÚmes  lancés 
contre  Victor  Hugo  atteignent  l'auteur  de  telles  des- 
criptions. 

Dans  une  lettre  à  M.  l'abbé  Casgr;iin,  Grémazie  sent 
le  besoin  de  défendre  son  poÚme  contre  les  attaques 
auxquelles  il  Ă©tait  en  proie.  Nous  ne  voudrions  pas  le 
suivre  dans  ce  plaidoyer  pas  plus  qu(.*  nous  ne  répéte- 
rons les  reproches  qui  lui  étaient  adressés.  Pourtant 
nous  ne  saurions  nousdissimuler  la  poilée  incalculable 
que  pouvait  avoir  l'introduction  dan<  notre  littérature 
de  ce  çenre  jusque  là  ignoré,  genre  que  l'Eglise  a 
considéré  comme  l'application  littéraire  de  principes  de 
morale  condamnés  par  elle.  Et  nous  avons  le  droit  de 
nous  arrĂȘter  devant  ces  peintures  d'une  rĂ©alitĂ©  matĂ©- 
rielle presque  brutale,  pour  nous  demander  si  c'est 
bien  là  le  beau  véritable,  le  beau  auquel  la  poésie 
comme  l'art  doit  tendre. 

Si  l'art  consiste  Ă   peindre  la  nature  telle  quelle,  le 
monstrueux  de  la  mĂȘme  maniĂšre  que  le  parfait,  ce  qui 
repousse  comme  ce  qui  charme  et  attire,  si  tout  est 
beau  qui  est  vrai,  nous  admettons  que  «  la  Promenade 
de  trois  morts  »‹  ne  sera  jamais  surpassĂ©e.     Mais  dans 


— 11  — 

ce  cas  il  faudrait  en  mĂȘme  temps  admettre  que  la 
photographie  et  la  galvafioplastie  sont  les  derniers 
degrés  de  la  perfection  en  fait  d'art,  ce  dont  il  nous 
sera  longtemps  permis  de  douter.  Il  ne  faut  pas  oublier 
qiie  si  Boileau,  le  poĂšte  de  la  Raison,  avait  raison  de 
dire  : 

Rien  n'est  beau  que  le  Vrai  ;  le  Vrai  seul  est  aimable, 

le  chantre  de  la  Beauté,  Musset,  n'a  certainement  pas 
tort  de  lui  répondre  :  «  Rien  n'est  vrai  que  le  Beau  ; 
rien  n'est  vrai  sans  la  Beauté.  » 

Certes,  il  faut  du  réel  dans  l'art,  non  du  réel  pour 
lui-mĂȘme,  mais  du  rĂ©el  transfigurĂ©,  du  rĂ©el  avec  un 
reflet  d'idĂ©al,  du  rĂ©el  qui  fasse  rĂȘver  Ă   Vau  de  lĂ . 

Ceci  rappelle  cette  célÚbre  pensée  de  .lÎubert  :  «  Plus 
une  Ɠuvre  d'art  ressemble  à  une  parole,  plus  cette 
parole  ressemble  Ă   une  Ăąme,  plus  c>  tte  Ăąme  ressemble 
à  Dieu,  plus  tout  cela  est  beau.  » 

«  L'idĂ©al  sans  le  rĂ©el  dans  les  Ɠuvres  de  l'art,  disait 
un  prédicateur  illustre,  ce  serait  comme  l'ùme  sans 
corps,  et  le  réel  sans  l'idéal,  ce  serait  comme  le  corps 
sans  ùme  ;  ce  serait  l'art  cadavre.  «  Tomber  dans  le 
pi:€mier  abus  c'est  se  tenir  sur  des  «  hauteurs  sans 
réalité,))  et  tomber  dans  le  second  c'est  descendre  à  des 
«  réalités  sans  hauteur.  » 

Lé  systÚme  qui  a  retranché  Dieu  dans  la  nature  n'a 
été  que  logique  quand  il  a  nié  l'idéal  dans  l'art.  Et 
celui  qui  a  dit  :  «  Le  beau  c'est  le  laid,  »  s'est  fait  l'écho 
de  la  théorie  de  Spinoza  : 

«  Dieu  c'est  la  nature.  » 

Je  ne  puis  résister  au  désir  de  vous  citer  une  page  de 
l'Ă©loquent  PĂšre  FĂ©lix  que  l'on  dirait  Ă©crite  aprĂšs  la 
lecture  de  «  la  Promenade  de  trois  morts.  » 

«  Ah  !  si  du  moins,  s'écrie  le  grand  orateur,  vous 
as-piriez  Ă   transfigurer  l'horrible,  et  Ă   lui  faire  une 
auréole  grandiose  qui  l'approche  du  sublime  !  Mais 
non,  la  transfiguration  répugne  au  réalisme  ;  l'essence 
du  réalisme  c'est  de  me  montrer  le  hideux,  comme 
hideux,  l'horrible  comme  horrible,  l'horrible  tel  qu'il 
sç,  présente  au  chemin  de  ma  vie,  en  me  forçant  de  dé- 
Ipurner  le  visage  et  de  fuir  son  aproche.  Est-ce  donc 
que  tout  est  à  voir,  tout  à  goûter,  tout  à  savourer  dans 


—  12  — 

la  nature?  Est-ce  que  tout  y  est  également  beau,  inté- 
ressant, sympathique  !  Et  si  votre  art,  en  touchant  Ă  
CCS  choses,  n'a  pas  le  don  de  la  transfiguration,  quelle 
sympathie  aura  pour  moi  votre  Ɠuvre,  et  que  voulez- 
vous  que  j'y  admire  et  que  j'y  applaudisse  ? 

«Quoi  !  vous  rencontrez  au  fond  d'une  taverne,  ou 
dans  la  boue  des  rues  un  homme  ivre,  laid  de  sa  dou- 
ble laideur,  prenant  devant  vous  des  attitudes  sauvages, 
des  poses  animales  et  faisant  des  gestes  innommés  : 
Vous  le  copiez  trait  pour  trait,  Ă   la  lettre,  vous  le  pho- 
tographiez, et  vous  me  dites  dans  une  statue,  dans  un 
tableau,  sur  la  scĂšne,  dans  un  roman  :  Regardez  et  ad- 
mirez ;  c'est  le  portrait  du  rĂ©el. — Vous  trouvez  dans 
un  rĂ©duit,  une  mansarde,  je  ne  sais  oĂč,  l'homme  cou- 
vert d'ulcĂšres,  personnifiant  toutes  les  horreurs  physi- 
ques dont  une  rhair  humaine  peut  offrir  le  spectacle  ; 
et  vous  voilĂ   chimiste  et  anatomiste  de  l'horrible  ma- 
tériel, faisant  devant  moi  la  dissection  et  J'analyse  de 
la  plaie,  du  chancre  et  de  l'ulcĂšre.  Et  vous  dites  ad- 
mirez ! Vous  voyez,  tout  y  est,  rien  n'y  manque  : 

la  copie  est  complÚte  ;  c'est  le  portrait  de  la  réalité. 

«  A  la  bonne  beure,  vous  ĂȘtes  un  homme  intrĂ©pide  ; 
vous  avez  dévoré  pour  tout  peindre  la  derniÚre  parcelle 
de  l'horreur  et  bravĂ©  l'extrĂȘme  puissance  du  dĂ©goĂ»t. 
8oit,  si  ces  spectacles  vous  plaisent  ;  mais  vous  qui 
promettiez  de  me  faire  cueillir  au  champ  de  l'art  nou- 
veau la  plus  belle  Heur  du  plaisir,  pourquoi  venez- vous 
me  demander  de  pousser  jusqu'à  l'héroïsme  la  victoire 
sur  mon  dégoût?  Vous  ne  deviez  que  me  charmer; 
pourquoi  vous  obstiner  Ă   ne  me  donner  que  des  nau- 
sées? 

'(A  quoi  bon,  je  vous  prie,  toutes  ces  exhibitions  re- 
poussantes, continue  le  PĂšre  FĂ©lix.  S'il  me  plaĂźt  de 
m'Ă©jouir  au  spectacle  de  l'homme  ivre,  laissez-moi  le 
regarder  dans  la  rue;  et  si  mon  goût  m'invite  à  sa- 
vourer l'étrange  volupté  de  voir  des  ulcÚres,  qu'avez- 
vous  besoin  de  me  les  peindre  !  J'irai  les  voir  Ă   l'hĂŽ- 
pital :  lĂ ,  du  moins,  je  les  trouverai  vivants  ;  et  vos  chefs- 
d'Ɠuvre  rĂ©alistes  ne  vaudront  jamais  pour  moi  ces 
vivantes  horreurs.» 

Changez  ies  noms,  et  mettez  les  laideurs  d'un  cime- 
tiĂšre Ă   la  place   des  laideurs  d'un  hĂŽpital  ou  d'une 


—  13  — 

taverne,  les  pourritures  d'un  cadavre  Ă   la  place  des 
ulcÚres  d'un  cancéreux,  et  vous  trouverez  que  cette 
fustigation  indignée  frappe  Grémazieen  pleine  poitrine 
et  au  cƓur  mĂȘme  de  ses  principes.  Bien  plus,  on  pas- 
serait ces  fredaines  à  des  auteurs  français  à  l'égard 
desquels  pourtant  l'orateur  se  montre  si  sévÚre.  Chez 
eux  liédifice  littéraire  est  parfait,  tout  ce  qu'on  y  ajoute 
désormais  n'est  que  de  l'enjolivure,  et  par  conséquent 
le  caprice  y  est  tolérable.  Mais  ici,  nous  en  sommes 
encore  Ă   poser  les  piemiĂšros pierres  Ă   notre  monument 
littéraire  ;  la  moindre  erreur  peut  donc  avoir  les  suites 
les  plus  funestes,  car  si  la  base  n'est  pas  solide  on  n'Ă©- 
lĂšvera jamais  rien  de  durable. 

Crémazie  avait  tenté  ici  la  révolution  littéraire  qui 
suivait  en  France  la  révolution  politique.  Mais  lui 
aussi  glissa  sur  la  pente.  Gomme  tous  les  révolution- 
naires il  ne  put  l'Ă©sister  Ă   son  propre  mouvement  et  la 
haine  d'un  abus  le  jeta  souvent  dans  l'extrĂȘme  opposĂ©. 

Heureusement  que  le  poùte  dans  son  Ɠuvre  ne  met 
pas  seulement  son  génie,  ses  idées  littéraires,  ses  prin- 
cipes artistiques  et  esthétiques  ;  il  s'y  met  lui-mÎme,  il 
y  met  de  son  cƓur,  il  y  met  de  sa  foi.  Ici,  avouons  le  à 
l'honneur  de  GrĂŽmazie,  il  crut,  il  voulut  tirer  une 
ligne  de  démarcation  entre  le  domaine  de  la  religion  et 
de  la  morale  et  le  domaine  de  l'art.  S'il  suivait  Flaubert, 
Hugo  et  Gautier  dans  leurs  théories  artistiques,  sa 
«  robuste  foi  canadienne,  »  d'aprÚs  une  expression  qui 
est  de  lui,  ne  leur  fit  jamais  de  concessions.  Plus  sage 
que  ses  maĂźtres  qui  s'Ă©garĂšrent  souvent  dans  les  sen- 
tiers de  l'irréligion  et  de  l'immoralité,  il  sut  respecter 
sa  plume  et  se  montra  jusqu'Ă   la  mort  aussi  fervent 
cĂźtholique  que  canadien  patriote,  deux  titres  dont  on 
ne  saurait  renier  l'un  sans  déshonorer  l'autre. 

D'ailleurs,  il  ne  faudrait  pas  juger  notre  auteur  seu- 
lement par  ses  «Trois  morts.»  On  ne  juge  pas  un 
homme  par  les  rĂȘves  qu'il  fait,  et  je  suis  portĂ©  Ă   croire 
que  quand  Grémazie  composa  cetf.e  piÚce,  la  douleur 
lui  donnait  le  cauchemar.  Et  s'il  l'a  défendue  ensuite, 
c'est  qu'un  pÚre  défend  toujours  ses  enfants,  mÎme 
quand  ce  sont  des  monstres,  surtout  quand  ce  sont  des 
monstres. 

Dans  le  poÚme  intitulé  :  «  Les  morts,  »  poésie  d'un 
genre  incomparablement  plus  doux  que  «  la  Prome- 


—  14  — 

nade  de  trois  morts,»  Crémazie  se  montre  bien  plus 
lui  mĂȘme.  M  l'abbĂ©  (^asgrain,  dans  une  comparaison 
qu'il  a  faite  de  celta  piĂšce  avec  celle  du  mĂȘme  titre 
de   Lamartine,    donnait  la  palme    au   poĂšte  de    son 

A  nos  yeux  la  tristesse  amere  qui  est  répandue  sur 
tout  ce  morceau,  a  acqnis  un  charme  de  plus  mainte- 
nant, car  on  y  tronvo  comme  une  prévision  du  sortqui 
attendait  Tanteur.  No  dirait-on  pas  que  c'est  du  fond 
de  sa  tombe  que  sa  voix  nous  adresse  la  priĂšre  suivante  : 

Priez  pour  l'exilé  qui,  loin  de  sa  patrie, 
Expira  sans  entendre  une  parole  amie; 
Isolé  dans  sa  vie,  isolé  dans  sa  iißort. 
Personne  ne  viendra  donner  une  priĂšre. 
L'aumĂŽne  d'une  larme  Ă   la  tombe  Ă©trangĂšre  ! 
Qui  pense  Ă   l'inconnu  qui  sous  la  terre  dort  ? 

Messieurs,  si  l'on  vous  demandait  de  graver  une 
Ă©pitaphe  sur  la  tombe  de  ce  poĂšte  national  dont  la 
patrie  n'eut  pas  les  os,  que  pourriez-vous  écrire  de  plu» 
appropiiÎ  ?  Le  génie  a  parfois  de  ces  inspirations:  il 
dé''hire  le  voile  qni  sépare  le  ])résent  de  l'avenir. 

Mais  cette  plainte  n'a  pas  été  entendue.  C'est  avec 
bien  (les(lifiicuUĂ©s;iujonrd'hni  qu'on  retrouve  l'endroit 
du  cimetiĂšre  du  Havre  ou  dort  Jules  Fontaine.  Des 
conipalrioles  l'ont  souvent  tenté  en  vain. 

Pi\s  un  ami  n'est  allé  déposer  un  souvenir  ou  une 
priÚre  sur  ce  coin  de  terre  (jue  l'infortuné  barde  cana- 
dien avait  mendiĂ©  au  pays  de  ses  ancĂȘtres.  Dan^s  cette 
mÚi-e-palrie  qu'il  avait  j)0urlant  adorée  et  chantée,  il 
rencontra  bien,  il  est  vrai,  quelques  sympathies  pré- 
cieuses comme  celle  de  la  famille  BosĂź^ange,  mais  j\  part 
ces  rares  exceptions,  pour  tout  le  niouile  il  fut  un  in- 
connu, un  Ă©tranger  or.linaiie.  Lui  aussi  aurait  pu  dire 
comuKß  Washin.i;lou  living  déharquanl  sur  les  ])lages 
anj^laises:  «  l  stepped  upon  Ihi'  l'Uti  uf  iny  forefalhers, 
but  I  felt  I  vvas  étranger  in  liu^  iand.  » 

El  (juaiid  tout  cela  l'eut  lue,  (juand  il  ont  fini  dé 
mourir,  l'diimĂŽnc  criuiP  larme  fui  refuse  Ă   In  tombe 
élKinfjÚrc  et  c'est  encoio  sou  liistoiio  que  CrémaziÎ 
Ă©crivait  quand  il  disait  : 


—  15  — 

«Hélas  ß  ce  souvenir,  que  l'amitié  nous  donne, 
Dans  le  cƓur  meurt  avant  que  le  corps  abandonne 

Ses  vĂȘtements  de  deuil. 
Et  roubli  des  vivants,  pesant  sur  notre  tombe, 
Sur  nos  os  décharnés  plus  rudement  retombe 

Que  le  plomb  du  cercueil  !  » 

Pour  peu  que  l'on  s'intéresse  au  sort  de  notre  litté- 
rature nationale,  il  serait  difficile  de  ne  pas  pleurer 
sur  la  perte  qu'elle  essuya  dans  le  désastre  qui  a  jeté 
Octave  Giémazie  sur  les  rivap:es  étrangers.  C'est  à  ce 
malheur  que  «la  Promenade  de  trois  morts»  doit 
d'ĂȘtre  restĂ©e  inachevĂ©e.  Que  d'autres  piĂšces  Ă   peine 
Ă©bauchĂ©es  ont  pĂ©ri  dans  le  mĂȘme  naufrage  !  Il  voulait 
aussi  essayer  de  la  prose.  Et  quelles  pages  délicieuses 
il  eût  pu  produire  si  l'on  en  juge  par  ses  lettres  ! 

L'impulsion  néanmoins  était  donnée,  et,  bien 
qu'éphémÚre,  la  carriÚre  de  Grémazie  laissa  une  trace 
profonde  dans  notre  littérature. 

Tout  en  gardant  son  cachet  spécial,  la  littérature 
canadienne  a  toujours  ressenti  et  reproduit  comme  un 
écho  des  mouvements  littéraires  de  la  France,  source 
naturelle  oĂč  elle  s'alimente  et  s'inspire.  Nos  premiers 
poĂštes,  comme  Michel  Bibaud,  ne  sont  que  des  imita- 
teurs assez  froids  des  classiques  du  XVIIe  siĂšcle. 
Turcotte,  Barthe,  Garneau,  Lenoir,  Derome,  prépa- 
rĂšrent le  mouvement  de  1860  et  servirent  de  transition, 
a  l'instar  de  Ghateaubriand  et  Lamartine  en  France, 
entre  le  classique  et  le  genre  moderne.  Le  chef  véri- 
table de  notre  romantique,  de  cette  Ă©cole  qui  trĂŽne 
aujourd'hui  ici  aprĂšs  s'ĂȘtre  tempĂ©rĂ©e,  notre  Victor 
Hugo,  c'est  Grémazie.  Libre  à  vous  maintenant  de 
juger  si  ce  titre  doit  lui  ĂȘtre  attribuĂ©  Ă   honneur  ou  Ă  
reproche. 

En  rĂ©alitĂ©,  il  peut  ĂȘtre  coiisidĂ©rĂ©  comme  le  pĂšre  de 
nos  poĂštes.  Avant  lui  il  y  avait  bien  eu  quelques 
essais  heureux,  quelques  strophes  bien  réussies,  mais 
il  n'y  eut  certainenußnt  pas  un  seul  poÚte  du  métier  et 
je  ne  crois  pasquci  i)arini  ceux  qui  agaçaient  alors  la 
muse  sans  aulie  inti.'ntion  que  de  badiner,  aucun  n'ait 
visé  au  tilre  de  pÚre  de  la  poésie  c.nadienue. 

Quant  à  ceux  qui  suivin-nt:  Fisct,  Lomay,  Fré- 
chette.  Suite,  Routliier,  Gingras,  Poisson  et  les  autres, 


—  16  — 

je  n'entends  pas  dire  qu'ils  sont  ses  Ă©lĂšves,  mais  il  est 
le  premier  en  date,  il  leur  a  tous,  en  quelque  sorte, 
frayé  la  route,  donné  l'essor,  et  ce  qui  est  indéniable, 
il  a  mĂȘme  eu  la  plus  grande  influence  sur  leurs 
talents.  Un  bon  nombre  reçurent  de  lui  leur  premier 
encouragement. 

Fréchette  reconnait  cette  paternité  littéraire,  quand 
il  écrit  dans  son  ode  de  «  la  Poésie,  »  dédiée  à  notre 
héros  : 

Quoique  faible  encor,  ma  muse  de  vingt  ans 
Peut  te  dire  aujourd'hui,  de  sa  voix  enfantine, 
Gomme  autrefois  Reboul  au  divin  Lamartine  : 
«  Mes  chants  naquirent  de  tes  chants.  » 

Je  crois  que  nous  pourrions  comparer  le  rÎle  deCré- 
mazie  dans  notre  littérature  à  celui  qu'a  joué  Mal- 
herbes dans  la  littérature  française,  et  dire  : 

"  Enfin  Crémazie  vint " 


Au  sujet  de  Malherbes  on  Ă©crivait  de  nos  jours  avec 
un  grain  de  malice  et  beaucoup  d'esprit  :  «  La  poésie 
française,  au  temps  de  Henri  IV,  était  comme  une 
demoiselle  de  trente  ans  qui  avait  déjà  manqué  deux 
ou  trois  mariages,  lorsque,  pour  nC  pas  rester  fille,  elle 
se  décida  à  faire  un  mariage  de  raison  avec  M.  de  Mal- 
herbes, lequel  avait  la  cinquantaine.» 

Ce  ne  fut  pas  un  mariage  de  l'aison  que  la  poésie  cana- 
dienne contracta  quand  elle  confia  son  sort  Ă   Octave 
Crémazie,  mais  bien  un  mariage  de  sentiment,  car 
tous  deux  Ă©taient  jeunes  et  dignes  l'un  de  l'autre. 

CrĂ©mazie,  que  l'on  dit  ĂȘtre  toujours  restĂ©  insensible 
aux  charmes  de  la  plus  belle  partie  du  genre  humain, 
n'eut  d'autre  passion  que  ce  culte  qu'il  avait  voué  à  la 
muse.  Avouons  qu'il  était  payé  de  retour  etque  de  son 
cÎté  elle  le  lui  rendait  bien. 

Hélas!  cet  heureux  commerce  fut  de  courte  durée. 
Non  pas  que  le  poÚte,  une  fois  tombé  dans  le  malheur, 
ait  oublié  cette  douce  fiancée  qui  lui  avait  procuré 
tant  d'heures  d'ivresse  et  de  délice.  Jusqu'à  la  fin  il 
resta  fidĂšle  Ă   son  souvenir.    Mais  le  coup  qui  l'avait 


—  17  — 

frappé  avait  été  si  rude,  qu'il  lui  fit  perdre  son  enthou- 
siasme et  il  crut  que  le  silence  convenait  mieux  que 
les  chants  Ă   sa  triste  position.  D'ailleurs,  ses  rapports 
avec  la  muse  auraient  pu  le  compromettre  et  pour  ne 
pas  trahir  son  secret  il  Ă©tait  contraint  de  voiler,  comme 
un  avare  qui  cache  son  trésor,  les  rayonnements  de 
son  génie. 

«  Je  ne  chante  que  pour  moi,  écrivait-il.  Dans  la 
solitude  qui  s'est  faite  autour  de  moi.  la  poésie  est  plus 
qu'une  distraction  :  c'est  un  refuge.  Quand  le  trappeur 
parcourt  les  forets  du  Nouveau-Monde,  pour  charmer 
la  longueur  de  la  route  solitaire,  il  chante  les  refrains 
naïfs  de  son  enfance,  sans  s'inquiéter  si  l'oiseau  dans 
le  feuillage  ou  le  castor  au  bord  de  la  riviĂšre  prĂȘte 
l'oreille  Ă   ses  accents.  Il  chante  pour  ranimer  son  cou- 
rage et  non  pour  faire  admirer  sa  voix:  Ainsi  de  moi.» 

Qui  pourrait  lire  sans  un  serrement  de  cƓur  la  page 
suivante  dans  laquelle  cette  ùme  brisée  nous  laisse 
deviner  ce  que  devait  ĂȘtre  l'amertume  de  ses  regrets? 

«  RĂȘver  en  Ă©coutant  chanter  dans  mon  Ăąme  l'oiseau 
bleu  de  la  poésie,  essayer  quelquefois  de  traduire  en  vers 
les  accords  qui  berçaient  mes  rĂȘveries,  tel  eĂ»t  Ă©tĂ©  le 
bonheur  pour  moi.  Les  hasards  de  la  vie  ne  m'ont 
malheureusement  pas  permis  de  réaliser  ces  désirs  de 
mon  cƓur.  Aujoud'hui,  j'ai  trente-neuf  ans  ;  c'est  l'ñge 
oĂč  l'homme,  revenu  des  errements  de  ses  premiĂšres 
années  et  n'ayant  pas  encore  à  redouter  les  défaillances 
de  la  vieillesse,  entre  véritablement  dans  la  pleine  pos- 
session de  ses  facultés.  Il  me  semble  que  j'ai  encore 
quelque  chose  dans  la  tĂȘte. 

«  Si  j'avais  le  pain  quotidien  assuré,  j'irais  demeurer 
chez  quelque  bon  curé  de  campagne,  et  là  je  me  livre- 
rais complĂštement  au  travail  :  Peut-ĂȘtre  est-ce  une 
ijlusion,  mais  je  crois  que  je  pourrais  encore  produire 
quelques  bonnes  pages.  J'ai  dans  mon  cerveau  bien  des 
ébauches  de  poÚmes,  qui,  travaillés  avec  soin,  auraient 
peut-ĂȘtre  une  valeur.  Je  vendrais  aussi  essayer  de  la 
prose,  ce  mùle  outil,  comme  l'appelle  Veuillot  ;  y  réus- 
sirais-je  ?  je  n'en  sais  rien.  Mais  tout  cela  est  impos- 
sible. Il  ne  me  reste  plus  qu'Ă   bercer  dans  mon  imagi- 
nation ces  poĂšmes  au  maillot,  et  Ă   chercher  dans  leurs 
premiers  vagissements,  ces  beaux  rĂȘves  d'or  qu'une 
2 


—  18  — 

mÚre  est  toujours  sûre  de  trouver  prÚs  du  berceau  de 
son  enfant.  » 

Ah  !  oui,  Crémaxie  avait  bien  raison  d'assimiler  sa 
situation  à  celle  de  Chénier  qui,  rendu  sur  l'échafaud, 
se  frappait  le  fronton  disant:  «  Il  y  avait  encore 
quelque  chose  là-dedans  !  » 

Crémazie  aussi  avait  encore  quelque  chose  dans  la 
tĂȘte.  Ce  quelque  chose,  son  nom  est  poĂ©sie,  chant, 
hymne,  mĂ©lodie  ;  c'Ă©tait  mĂȘme  un  rayon  de  ce  feu 
divin  qu'on  appelle  le  génie,  toutes  choses  qui  font 
tant  souffrir  quiconque  est  obligé  de  les  tenir  enfer- 
mées. Et  tout  cela  allait  mourir,  car  tout  cela  est 
une  flamme,  et  sans  air  la  flamme  est  étouffée.  Voilà 
ce  qui  faisait  son  principal  tourment. 

Comme  l'oiseau  qui  a  besoin  pour  chanter  du  grand 
air,  du  soleil  et  de  la  liberté,  Crémazie  ne  se  sentait 
inspiré,  qu'en  face  de  son  grand  fleuve,  des  pleines  et 
des  montagnes  de  son  pays.  Il  l'aimait  tant  ce  sol  cana- 
dien encore  chaud  du  sang  des  vieux  soldats  dont  il 
chantait  les  exploits!  Du  jour  oĂč  il  vit  que  sur  ce  sol 
il  n'y  avait  plus  de  place  pour  lui.  que  son  pays  et  ses 
compatriotes  le  repoussaient,  il  s'Ă©loigna  en  pleurant 
et  se  tut  pour  jamais.  Comme  les  juifs  Ă   Babylone,  il 
suspendit  sa  harpe  aux  saules  des  rives  Ă©trangĂšres.  Il 
ne  chanta  plus,  accepta  son  exil  comme  un  chĂątiment 
et  se  contenta  de  fairi;  pénitence. 

Ne  pourrait-on  pas  dire  de  lui  avec  plus  de  vérité 
encore  que  deGnrneau  c^motqu'il  prononçait  lui-mĂȘme 
au  sujet  de  notre  historien  : 

«Qui  dira  de  combien  de  déceptions,  de  combien  de 
douleurs  se  compose  une  gloire  ?» 

Mesdames  et  messieurs,  il  ne  nio  reste  plus  qu'un 
mot  à  ajouter.  Je  crois  exprimer  tout  haut  un  vƓu  que 
plusieurs  amis  des  lettres  ont  peut  ĂȘtre  formĂ©  souvent 
en  secret.  J'espÚre  que  bientÎt  une  voix  autorisée  aura 
le  courage  de  proposer  au  Canada  français  de  rendre 
au  sol  natal  les  os  du  premier  de  ses  poĂštes. 

Et  ce  jour  lĂ ,  si  j'en  juge  par  la  sympathie  avec  la- 
quelle vous  avez  accueilli  mes  paroles  ce  soir,  de  ton  tes  les 
poitrines  canadiennes-françaises  s'élÚvera  un  immense 
bravo.  AprĂšs  cela,  pour  ĂȘtre  complĂštement  rĂ©habilitĂ©  il 
ne  manquerait  plus  Ă   notre  cher  auteur  qu'un  monu- 
ment digne  de  ses  Ɠuvres,  de  son  gĂ©nie  et  de  sa  gloire. 


-II. 


DE  L'ANCIEN  BARREAU  DE  FRANCE 


Causerie    historique    prononcée    à    l'Institut- 
Oanadien  de  Québec  par  M.  J.  E.  PRINCE 


M.  le  Président, 

Mesdames  et  Messieurs, 

En  réunissant,  sous  ce  tilre,  quelques  traits  ou  parti- 
cularités historiques  de  l'ancien  barreau  de  France,  il 
n'est  pas  nécessaire,  je  crois,  d'avertir  que  je  n'ai  con- 
sulté ni  archives,  ni  manuscrits  originaux  et  n'ai  vu, 
de  ma  vie,  les  bibliothĂšques  de  "  Paris  la  grand'ville." 
J'ai  voulu  seulement  vous  présenter  quelque  résumé 
des  historiens  eux-mĂȘmes.  Encore  ne  me  suis-je  astreint 
à  aucun  ordre  préconisé  par  ces  écrivains.  J'ai 
pris  un  peu  partout,  m'appropriant  ce  bien  d'autrui 
avec  un  sans  gĂȘne  tout  Ă   fait  Ă   la  moderne,  n'ayant 
d'ailleurs  aucune  prétention  littéraire.  Aussi,  ceux 
qui  ont  lu  Fournel,  Oscar  Pinard,  Le  Berquier,  Camus, 
Liouville,  Berryer  pĂšre,  le  beau  dialogue  de  Loysel  et 
le  résumé  si  parfait  de  l'histoire  de  l'Ordre  des  avocats 
par  Boucher  d'Argis,  reconnaßtront  aisément  les  ma- 
tériaux qui  ont  servi  à  cet  humble  travail. 

J'ose  affirmer  que  le  sujet  est  digne  de  l'auditoire 
distinguĂ©  qui  m'Ă©coute.  Je  voudrais  seulement  ĂȘtre  Ă  
la  hauteur  du  sujet.  S'il  est,  toutefois,  une  excuse  pour 
vous  offrir  ce  fruit  d'une  Ă©tude  par  trop  hĂątive,  elle  est 


—  20  — 

sans  doute  dans  ces  souvenirs  que  ma  parole  va  tenter 
de  faire  revivre  devant  vous  et  qui,  souvent,  peuvent  se 
passer  de  l'Ă©loquence.  Elle  est  surtout  dans  cette  bien- 
vaillance  avec  laquelle  vous  accueillez  toujours  les 
jeunes  gens  et  sans  laquelle  le  causeur  le  mieux  doué 
ne  saurait  se  flatter  de  réussir. 


Il  n'est  aucun  pays  au  monde  oĂč  les  institutions  ju- 
diciaires aient  tenu  une  aussi  large  place  qu'en  France, 
et,  «  si  l'on  voulait,  dit  Oscar  Pinard,  auteur  de  l'ou- 
vrage «Le  Barreau  au  19»  siÚcle»,  exprimer  par  un  seul 
mot  ce  qu'il  y  a  de  plus  propre  à  notre  génie  et  à  notre 
ambition,  il  faudrait  nommer  le  barreau.  Tout  nous 
sert  au  barreau,  dit  cet  écrivain,  nos  qualités  et  aussi 
nos  défauts,  la  clarté,  la  facilité,  la  promptitude,  la 
raillerie,  la  légÚreté  et  l'indifférence.»  César,  qui  con- 
naissait nos  gaulois,  les  appelait  déjà,  dÚs  l'origine, 
M  un  peuple  de  soldats  et  d'avocats.»  Au  rapport  de 
Juvénal,  la  Gaule  était  la  pépiniÚre  des  avocats  et  ce 
serait  elle  qui  aurait  «  formé  à  l'éloquence  le  peuple 
naissant  de  l'Angleterre.'»  «  Les  Gaulois  s'estudient  à 
deux  choses,  remarque  Caton,  Ă   son  tour,  au  fait  de  la 
guerre  et  à  parler  subtilement,  rei  militari  et  arguté 
loqui.))  Enfin,  «de  tous  les  états  de  l'Europe,  écrit 
Fournel,  la  Gaule  est  celui  qui  a  montré  le  plus  de 
goût  et  de  dispositions  pour  l'exercice  du  barreau.  Vif, 
ingénieux  et  babillard,  le  Gaulois  se  faisait  un  spec- 
tacle amusant  de  cette  espĂšce  d'escrime  judiciaire.  Le 
barreau  gaulois  avait  étendu  si  loin  sa  renommée  que 
les  nations  Ă©trangĂšres  envoyaient  leurs  jeunes  gens 
pour  s'y  instruire  dans  l'art  de  plaider.» 

Ces  goûts  singuliers  et  ces  dispositions  que  l'on  re- 
marque à  l'origine,  se  sont  perpétués  jusqu'à  nos  jours 
au  milieu  de  la  société  française.  Les  français  ont 
toujours  été  sensibles  au  beau  langage  et,  de  fait, 
Tamour  de  l'Ă©loquence  comme  celui  des  armes  est  l'un 
des  traits  Ă©minemment  dislinctifs  de  la  grande  nation. 
Le  français  est  généralement  beau  diseur.    C'est  sa 


—  21  — 

vanité,  pour  ainsi  dire  sa  passion.  De  là  la  puissance 
de  cette  propagande  connue  par  tout  l'univers  et  si 
propre  à  la  dilfusion  des  idées. 

Le  barreau,  né  des  besoins  delà  société  et  ayant  subi 
les  mĂŽmes  phases  qu'elle,  n'a  pas,  par  lĂ   mĂŽme,  toujours 
présenté  l'organisation  et  le  caractÚre  que  nous  lui 
voyons  aujourd'hui,  en  France.  Mais,  s'il  a  marché 
avec  les  événements,  il  n'a  toutefois  jamais  perdu  sa 
physionomie  distincte.  A  travers  bien  des  changements 
survenus  dans  le  cours  des  siĂšcles,  soit  dans  les  usages 
et  les  coutumes,  soit  dans  les  lois  et  les  mƓurs,  le  bar- 
reau est  l'une  de  ces  institutions  qui,  chez  les  français, 
ont  le  moins  perdu,  qui  sont  restées  les  plus  entiÚres, 
les  plus  semblables  Ă   elles-mĂȘmes.  D'oĂč  vient  ce  fait 
sinon  encore  de  ce  qu'en  France,  la  société  se  dévelop- 
pant dans  des  conditions  normales,  et  d'ailleurs  mar- 
quée pour  les  destinées  les  plus  hautes,  l'administration 
de  la  justice  a  toujours  été  considérée  comme  l'une 
de  ses  plus  importantes  fonctions.  Au  reste,  des  goûts 
particuliers  Ă   la  nation,  un  sens  rigoureux  du  juste  et 
de  l'injuste,  des  traditions  fortes  que  tous  les  rĂšgnes 
n'ont  fait  longtemps  qu'affermir,  une  organisation 
puissante  et  essentiellement  conservatrice,  sont  cause 
aussi  que  le  barreau  a  survécu  à  tous  les  régimes  et 
ira,  selon  toute  apparence,  aussi  loin  que  la  société 
française  elle-mĂȘme. 

En  France,  le  barreau  ne  participe  pas  de  la  nature 
des  corporations  et  n'est  pas,  par  conséquent,  une  créa- 
tion de  la  loi.  S'il  tirait  d'elle  son  origine,  se  dit-on 
avec  raison,  il  pourrait  prendre  fin  avec  elle.  Il 
ne  serait  ainsi  qu'une  chose  soumise  au  caprice  des 
hommes  et  des  temps,  ce  qui  est  contraire  Ă   sa  nature. 
Le  barreau  ne  peut  donc  ĂŽtre,  suivant  qu'on  l'a  toujours 
défini,  «  qu'une  libre  et  volontaire  association  d'hom- 
mes que  des  motifs  communs  de  travaux  et  d'affection 
ont  rapprochés.))  Ainsi,  dans  ces  conditions,  le  nom  de 
profession  ou  ordre  est  le  seul  qui  lui  convienne  et  qu'il 
a  fini  par  garder  à  l'exclusion  de  tout  autre.  «  Le  nom 
de  profession  ou  ordre,  dit  le  chancelier  d'Aguesseau, 
est  celui  qui  exprime  le  mieux  la  condition  ou  l'Ă©tat 
des  avocats;  et  s'il  y  a  une  espĂšce  de  discipline  Ă©tablie 
entre  eux  pour  l'honneur  et  la  réputation  de  cet  ordre, 


90 


elle  n'est  que  l'effet  d'une  convention  volontaire  plutĂŽt 
que  l'ouvrage  de  l'autorité  publique.  )> 

L'on  a  dit,  en  France,  l'ordre  des  avocats  comme  l'on 
a  dit  l'ordre  de  la  noblesse,  celui  du  Tiers-Etat.  Aussi, 
la  révolution  ne  l'épargna  pas.  Il  lui  portait  ombrage 
comme  toutes  les  choses  de  l'ancien  régime  et  elle  l'a- 
bolit. Le  barreau,  trop  amoureux  de  son  indépendance, 
trop  fier  de  ses  traditions  pour  fléchir,  subit  alors  une 
espÚce  de  bannissement  temporaire  de  la  société  fran- 
çaise. Une  nuée  d'aventuriers  voulurent  en  saisir  les 
privilĂšges.  Leur  succĂšs  fut  sans  durĂ©e,  toutefois. — A 
travers  la  confusion  et  le  désordre,  les  avocats  de 
89  ne  pouvaient  manquer  de  surveiller  ce  rĂšgle- 
ment de  compte  que  la  révolution  demandait  à 
l'ancien  pouvoir.  Berryer  pĂšre  dit,  quelque  part 
dans  ses  «  Souvenirs  )>  ,  que  le  barreau  français,  en  89, 
imita  le  barreau  anglais  qui  avait  traversé  une  révo- 
lution avant  lui,  en  gardant  une  attitude  indépendante. 
Les  avocats  français  no  restÚrent  certainement  pas 
tous  à  l'écart  dans  la  luit»',  tant  s'en  faut.  Qu'on  se  rap- 
pelle les  travaux  de  l'assemblée  constituante.  Ceux  de 
codification  qui  naquirent  de  cette  époque  bouleversée 
attestent  une  Ɠuvre  imposante  etqu'aucun,'  nation  n'a 
jamais  égalée. 

De  mĂŽme  que  le  barreau,  l'avocat  n'a  pas  toujours 
présenté,  lui  non  ])lus,  si  ce  n'est  dans  l'ensemble  de 
ses  traits,  le  carartÚre  (ju'il  porte  aujourd'hui.  Cicéron 
a  donné,  de  son  temps,  une  définition  bien  connue  de 
l'avocat  romain.  «  C'est  un  homme  de  bien,  dit-il, 
habile  dans  l'arl  de  parler,  et  qui  emploie  la  parfaite 
éloquence  à  défendre  les  causes  publiques  et  privées.  » 
Gaton  ne  le  définit  pas  autrement:  Vir  j)robus  diccndi 
pcritus,  l'homme  de  bien  qui  connaĂźt  aussi  l'art  de  bien 
dire.  Il  n'est  donc  Ă   proprement  parler  qu'un  orateur. 
Or,  comme  chez  les  Romains,  Ă   l'origine,  c'est- 
à-dire  tant  que  la  loi,  6n  France,  disséminée  [)artout, 
ne  prend  pas  de  corps  régulier,  tant  qu'elle  n'est 
autre  chose  que  la  simple  équité  naturelle,  cette 
définition  convient  à  l'avocat  français  Mais  bientÎt  la 
jurisprudence  y  devient  une  Ă©tude  particuliĂšre  comme 
Ă   Rome,  et  mĂȘme  au  temps  des  coutumes,  la  fonction 
déjuger  conférée  à  l'avocat  de  France  par  les  ordon- 


—  23  — 

nances  de  ses  rois,  jointe  à  celle  spéciale  d'avocat  con- 
sultant, apportent  une  modification  importante  Ă   la 
classique  dĂ©finition  de  l'orateur.  L'avocat  revĂȘt  son 
caractĂšre  distinct  et,  suivant  un  historien  de  l'ordre, 
c'est  «  un  homme  de  bien  versé  dans  la  jurisprudence 
et  dans  l'art  de  bien  dire,  qui  concourt  Ă   l'administra- 
tion de  la  justice,  soit  en  aidant  de  ses  conseils  ceux 
qui  ont  recours  à  lui,  soit  en  défendant  en  jugement 
leurs  intĂ©rĂȘts  de  vive  voix  ou  par  Ă©crit,  soit  en  dĂ©ci- 
dant lui-mÎme  leurs  différends  lorsque  la  connais- 
sance lui  en  est  attribuée  )>.  C'est  enfin,  ainsi  que  le 
dit excellement Camus,  «un  homme  de  bien  capable  de 
conseiller  et  défendre  ses  concitoyens.» 

Je  ne  vous  dirai  pas  ce  que  les  philosophes  ont  pensé 
touchant  l'origine  de  cette  fonction.  En  cela  comme 
en  bien  d'autres  choses,  lo>  docteurs  sont  divisés  d'opi- 
nion. Chez  tous  les  peuples,  il  exista  Ă   l'origine  des 
hommes  vertueux,  plus  versés  les  uns  que  les  autres 
dans  la  connaissance  des  lois  et  les  principes  de  l'équité 
naturelle,  prĂȘtant  le  secours  de  leur  parole  Ă   ceux  qui 
se  trouvaient  dans  la  nécessité  de  défendre  leur  per- 
sonne ou  leurs  biens.  En  France,  la  fonction  exista 
longtemps  avant  qu'on  en  connût  le  vrai  titre.  Selon 
Le  Berquier,  auteur  de  l'ouvrage  «  Le  Barreau  mo- 
derne »,  pour  décider  cette  question,  les  écrivains  au- 
raient en  général  pris  pour  point  de  départ  dans  leur 
recherches  le  patronnĂąt  dju  droit  romain.  Un  magis- 
trat célÚbre,  Grellet-Dumazeau,  a  écrit  «  que  l'ori- 
gine du  ministĂšre  de  l'avocat  est  probablement  con- 
temporaine du  premier  procÚs  et  du  premier  tribunal.» 
Mais,  sans  nous  attarder  Ă   cette  discussion,  ne  convien- 
drait-il pas  de  remonter  plus  haut  que  les  faits  et  les 
actions  des  hommes  dans  l'histoire  pour  trouver  la 
source  de  cette  fonction?  Comment  celui  quiconcourtsi 
puissamment  Ă   l'administration  de  la  justice,  n'emprun- 
terait-il qu'aux  choses  transitoires  et  contingentes  le  ca- 
ractĂšre sacrĂ©  dont  il  est  revĂȘtu  ?  Non,  ce  n'est  pas 
lĂ   qu'il  faut  chercher  l'origine  de  ce  ministĂšre. 

Les  hommes  de  Dieu  ont  quelquefois  des  vues  bien 
profondes  en  ces  matiĂšres,  et  l'on  me  permettra  peut- 
ĂȘtre  de  rappeler  en  passant  un  nom  qui  n'est  Ă©tranger 
il  personne  dans  la  profession.  Je  veux  parler  de  Saint 


—  24  — 

Yves  Beatus  Yvus  advocaßus  et  non  lalro,  celui  gé- 
néralement considéré  comme  le  patron  des  avocats. 
Or,  Saint-Yves  de  Kaermartin,  qui  vivait  vers  le  I2e 
siĂšcle,  grand  avocat  devant  Dieu  et  devant  les  hommes, 
était  ((jjersuadé,  lui,  selon  qu'un  écrivain  nous  le  rap- 
porte, que  l'origine  de  la  profession  d'avocat  remon- 
tait jusqu'aux  it'inps  fortunĂ©s  oĂč  le  Verbe  divin,  aprĂšs  la 
faute  de  notre  jMVinier  pĂšre,  daigna  lui-mĂȘme  se  rendre 
auprÚs  de  Dieu  l.ivocat  du  genre  humain»  ;  et  un  avo- 
cat célÚbre  du  Parlement  de  Paris,  Husson,qui  vivait 
au  17«  siÚcle,  partageant  l'opinion  de  son  éminent 
patron,  a  écrit  un  traité  considérable  De  advocato^ 
dont  la  dédicace  est  comme  suit  :  <(  Au  Verbe  incréé 
fait  chair  pour  le  genre  humain.  Patron  du  monde 
dĂšs  l'origine  et  Avocat  auprĂšs  de  son  PĂšre  jusqu'Ă   la 
consommation  des  siÚcles.  »  Mais  n'est-ce  pas  le  lan- 
gage de  Saint  Yves  que  certain  dramaturge  du  moyen- 
ùge  a  fait  revivre  dans  cette  piÚce  fameuse  intitulée  :  «Le 
ProcÚs  de  Miséricorde  et  Paix  contre  Justice  et  Vé- 
rité ?  )) 

II 


L'histoire  du  barreau  de  France  peut  se  diviser  en 
trois  grandes  périodes.  La  premiÚre,  l'époque  gallo- 
romaine,  irait  jusqu'Ă   Philippe  LeBel,  Ă   la  fin  du  13e 
siÚcle  ;  la  deuxiÚme  de  Pliilipi)0  Le  Bel  à  la  révolution 
de  89,  et  la  troisiÚme  de  cette  révolution  à  nos  jours. 
Les  deux  premiĂšres  sont  du  barreau  ancien  ;  la  der- 
niĂšre appartient  au  barreau  moderne. 

L'origine  historique  de  la  profession  dans  les  Gaules 
est  peu  connue.  L'on  sait  seulement  que,  de  tout  temps, 
il  y  eut  d'habiles  pnrleurs  remplissant  la  fonction 
Ă©quivalente  Ă   celle  ilavocat.  Les  Commentaires  de 
CĂ©sar  nous  apprennent  que  les  druides  y  rendi- 
rent les  premiers  oracles  de  la  justice.  Mais,  Ă   part  ce  fait 
que  l'Ă©loquence  Ă©tait  en  grand  honneur  devant  ces 
premiers  tribunaux,  rien  n'est  connu  du  rĂŽle  de  ceux 
qui  défendaient  en  jugement.  Si  l'on  prend  toutefois 
en  considération  l'importance  de  tout  temps  attachée 
au  ministĂšre  des  orateurs,  mĂȘme  Ă   cette  Ă©poque  primi- 


—  25  — 

tive,  il  dut  y  avoir  des  rĂšglements  assez  positifs,  des 
usages  assez  précis  touchant  la  plaidoirie  et  le  barreau. 
Chose  remarquable,  ce  ministĂšre  fut  toujours  prĂȘtĂ© 
gratis.  Avant  le  14e  siĂšcle,  les  tribunaux  n'adju;4eaient 
jamais  quant  aux  frais.  Cette  coutume  existe  encore 
de  nos  jours  en  Angleterre. 

La  conquĂȘte  romaine  arrive  bientĂŽt,  apportant 
avec  elle  les  lois  du  vainqueur.  Les  Romains  lais- 
saient bien  aux  peuples  conquis  leurs  usages  et  leurs  cou- 
tumes, mais  la  sagesse  des  lois  romaines  Ă©tait  vite  re- 
connue, et  ces  peuples  recevaient  favorablement  les 
magistrats  de  Rome.  Le  barreau  gaulois  se  modifie  au 
contact  des  lois  nouvelles;  et  pendant  les  temps  qui 
suivent,  jusqu'au  5e  siĂšcle,  les  avocats  gaulois  ressem- 
blent Ă   ceux  de  Rome. 

Cet  Ă©tat  de  clioses  change  lorsque  les  Francs  par- 
viennent Ă   consolider  leur  domination  dans  les  Gaules. 
Le  systÚme  féodal  s'impose  avec  son  incorporation  au 
sol  et  sa  justice  naturelle,  le  Jugement  de  Dieu  ou.  le  Duel 
judiciaire. 

«  Les  anciens  allemands  dont  nos  Français  sont  venus, 
dit  Loysel,  pratiquaient  les  combats  pour  la  vidange 
de  leurs  diffĂ©rends.  Par  la  loi  Gombette  » — loi  ainsi 
nommée  à  cause  de  Gondebaud,  roi  des  Bourguignons, 
an  6e  siÚcle,  «  l'on  ne  recevait  aucune  preuve  par  té- 
moins, mais  que  toutes  causes  se  dĂ©mĂȘlaient  par 
combats,  bien  que  le  fait  eût  été  commis  en  la  pré- 
sence de  plusieurs,  voire  mĂȘme  en  plein  marchĂ©,  et 
suffisait  Ă   celui  qui  vivait  selon  cette  loi  de  desnier  le 
fait  et  d'offrir  le  combat  contre  celui  qui  se  plaignait. 
La  loi  salique,  plus  humaine,  ne  recevait  les  duels  que 
par  faute  de  preuve  légitime.  Et  pour  le  regard  des 
normans,  c'Ă©tait  chose  Ă©trange,  dit  encore  Loysel,  que 
si  l'appellant  Ă©tait  vaincu,  il  en  Ă©tait  quitte  pour  60 
sols  et  un  denier  d'amende  et,  au  contraire,  l'appelé 
encoui-ait  la  perte  de  sa  vie  et  de  ses  biens.  » 

Ce  n'est  que  vers  le  commencement  du  13e  siĂšcle, 
aprĂšs  la  conquĂȘte  de  la  Normandie,  sous  Philippe  Au- 
gu:Ăźte,  qu'en  ce  dernier  pays,  la  loi  dont  nous  parlons 
est  changée.  On  y  établit  en  retour  la  loi  du  talion 
observée  dans  le  reste  de  la  France.  Le  rÎle  de  l'avo- 
cat, dans  ces  temps  de  bouleversements  continuels,  doit 


—  56  — 

donc  ĂȘtre  bien  restreint.  Jusqu'aux  temps  de  Charle- 
ßnagne,  au  8*  siÚcle,  les  Francs,  beaucoup  plus  adonnés 
aux  armes  qu'Ă   l'Ă©tude  des  lois,  ne  connaissent  guĂšre 
autre  chose  que  la  justice  militaire.  La  noblesse  vide 
ses  dilTĂ©rends  en  champ  clos,  et  quant  au  peuple,  comme 
il  est  dans  un  Ă©tat  voisin  de  l'esclavage,  il  ne  possĂšde 
rien.  Ceux  qui  sont  de  condition  libre  embrassent 
l'état  ecclésiastique,  en  sorte  que  la  justice  se  rend 
rarement  devant  les  tribunaux  séculiers. 

Mais  il  en  est  autrement  sous  les  rois  de  la  seconde 
race.  Charlemagne  parle  fréquemment  des  avocats 
dans  ses  Gapitulaires.  Cet  homme,  appelé  à  de  si  grandes 
choses  et  dont  le  génie  embrassait  tout,  ne  pouvait 
traiter  légÚrement  ce  (jui,  de  prÚs  ou  de  loin,  concer- 
nait l'administration  de  la  justice  dans  son  royaume. 
Des  advocali  ou  avoues  sont  alors  donnés  aux  éjirlises 
métropolitaines,  aux  cathédrales,  aux  abbayes  et  aux 
grands  monastĂšres.  Pour  eux,  de  sages  rĂšglements  sont 
édictés.  Ils  doivent  aimer  la  vérité,  la  justice,  posséder 
un  caractĂšre  pacifique  et  doux,  ĂȘtre  connaissants  en 
législation.  Enfin,  on  les  soumet  à  une  ciiscipline  qui 
les  atteint,  chaque  fois  qu'ils  se  rendent  coupables  de 
quelque  faute  contre  l'honneur  de  la  profession. 

Suivant  certains  historiens,  le  pivuiier  Ă©tablissement 
des  avouĂ©s — qui  sont  vraiment  forigi  ne  de  nos  premiers 
avocats — daterait  du  4^'  siĂšcle.  D'autres  Ă©crivent  de 
Charlemagne  mĂȘme,  au  8^  Mais  il  en  est  parlĂ©  au  5« 
et  au  6«  siÚcle,  dans  la  loi  Gombette  et  dans  celle  des 
Lombards. 

On  appelait  les  avoués  défenseurs  d'église,  defen- 
sorcs  Ecclesiarum^  tuteurs  « /i<^o?t5»,  acteurs  ((actorcs))^ 
pasteurs  laïques,  tous  noms  équivalents  à  celui  de  dé 
fenseur.  Une  de  leurs  fonctions  Ă©tait  de  plaider  les 
causes  des  églises  auxquelles  ils  étaient  attachés 
comme  patrons.  Ils  en  avaient  l'administration  tempo- 
relle, acceptant  les  donations  qui  leur  Ă©'aient  faites, 
rendant  la  justice  oĂč  elles  Ă©taient  chargĂ©es  de  prononcer. 
Ils  se  battaient  quelquefois  en  duel  pour  les  monas- 
tĂšres, selon  la  coutume  du  temps.  Ils  conduisaient  Ă  
la  guerre  les  vassaux  de  ces  immenses  Ă©tablissements 
obligés  de  fournir  des  soldats  au  Roi.  Les  grands  sei- 
gneurs, les  Rois  mÎme  en  prenant  la  défense  des  nionas- 


—  27  — 

tÚres  se  faisaient  nommer  avoués.  Ce  titre  compor- 
tait donc  une  charge  aussi  honorable  qu'importante. 
Aussi,  la  Féodalité  érigea-t-eile  en  fiefs  héréditaires 
les  avoueries. 

Dans  la  suite,  Ă   l'imitation  des  Ă©glises  et  des  monas- 
tÚres, les  villes,  ies  communautés  et  mÎme  des  provinces 
entiÚres  veulent  avoir  leurs  avoués.  C'est  ainsi  qu'on 
en  voit  longtemps  dans  le  Brabant,  en  Alsace,  dans  les 
Pays-Bas,  à  Arras,  à  Thérouenne  et  ailleurs.  Il  en 
existe  encore  au  12«  et  au  13»  siÚcle. 

Mais,  à  cÎté  de  ces  avonés  qui,  dans  l'origine,  ont 
fait  la  fonction  d'avocat  pour  les  Ă©glises,  les  monas- 
tĂšres, les  villes  et  les  provinces,  il  y  en  a  eu  aussi  qui  ont 
rempli  les  mĂȘmes  fonctions  pour  le  public.  Ceux- 
ci  sont  nommés  ckwiatores  du  mot  celtique  clam  ou 
daim  qui  signifie  action.  Dans  le  langage  du  temps, 
ils  portent  encore  le  nom  de  plaidours. 

AprĂšs  Louis  le  DĂ©bonnaire,  successeur  deCharlema- 
gne,  qui  s'occupe  de  la  réglementation  de  l'ordre  des 
avocats,  les  faits  les  plus  remarquables  Ă   leur  sujet 
sont:  le  concile  de  Rheims,  en  1148,  qui  défend  la  sur- 
charge des  frais,  sous  peine  de  privation  de  la  sépul- 
ture ecclésiastique  ;  le  Concile  de  Latran,  en  1 178,  qui 
défend  aux  avocats  clercs  d'exercer  leur  profession  de- 
vant les  tribunaux  laĂŻques;  le  concile  de  Tours,  en 
1180,  qui  défend  aux  religieux  profÚs  de  quitter  le 
cloĂźtre  pour  Ă©tudier  la  loi  mondaine,  c'est-Ă -dire  ro- 
maine ;  enfin,  une  décrétale  d'Honorius  III,  défendant 
à  tout  ecclésiastique  d'enseigner  cette  loi  romaine. 


III 


Au  13e  siÚcle,  suivant  Loysel,  presque  la  moitié  des 
conseillers  du  Parlement  sont  d'Ă©glise.  Lajurisdic- 
tion  ecclésiastique  a  presque  tout  en  vertu  de  son  pri- 
vilÚge de  cléricature.  Voici  ce  que  dit  Fournel  à  l'occa- 
sion du  concile  de  Latran'  qui  a  lieu  Ă   la  fin  du  I2e 
siĂšcle  : 

«  Dans  les  neuviÚme,  dixiÚme  et  onziÚme  siÚcles, 
lorsque  les   laïques  ne  s'étaient  point  encore   adonnés 


—  28  — 

à  l'étude  des  lois  et  à  l'exercice  du  Barreau,  les  ecclé- 
siastiques s'étaient  emparés  de  la  profession  d'avocat^ 
non  seulement  pour  les  affaires  cĂ»?Ăźon2gĂź/es,  mais  encore 
pour  toutes  espÚces  de  discussions  civiles^  féodales^ 
mĂȘme  criminelles;  et  comme  ils  Ă©taient  en  petit  nom- 
bre, sans  concurrents,  et  qu'ils  joignaient  l'autorité 
importante  de  leur  caractĂšre  religieux  Ă   celle  qu'ils 
tiraient  de  leur  science  et  de  leur  expérience,  ils  se 
servaient  de  ce  double  moyen  pour  se  faire  une  grande 
fortune.  »  Le  Concile  voulut  prévenir  ces  excÚs.  Au 
reste,  l'usage  du  duel  subsiste  toujours.  Entre  sei- 
gneurs, les  procĂšs  se  jugent  par  guerres,  et  entre  les 
autres,  communautés  ou  particuliers,  mÎme  entre 
personnes  ecclésiastiques,  l'on  décide  par  gages  de 
bataille.  Car,  quoique  les  Papes,  Charlemagne,  Saint 
Louis  et  Philippe  Le  Bel  eussent  défendu  les  duels,  ce 
dernier,  par  une  ordonnance  de  1303,  se  crut  obligé  de 
les  l'établir  pour  éviter  de  plus  graves  inconvénients  en- 
core que  ceux  occasionnés  par  leur  existence. 

Le  duel  judiciaire  est  l'une  des  plus  singuliĂšres  cou- 
tumes de  l'ancien  ordre  de  choses.  FI  y  avait  un  code 
précis  du  duel  que  l'avocat  devait  savoir  parfaitement. 
La  moindre  déviation,  au  lieu  d'engager  la  partie,  pou- 
vait engager  le  dĂ©fenseur  lui-mĂȘme,  comme  cela  arriva 
quelquefois.  Le  malheureux  alors — style  du  temps — 
était  moqué  par  la  compagnie. 

Selon  l'écrivain  Dubreuil,  l'avocat  devait  «  proposer 
son  faist  au  mieux  qu'il  pouvait,  au  profit  de  sa  que- 
relle, par  les  plus  belles  paroles,  et  mieux  ordonnées 
qu'il  pouvait  et  plus  enleiidiblement,  puis  il  portait 
dĂ©fi  Ă   l'adversaire,  pour  les  cas  oĂč  il  nierait  les  faits, 
en  lui  jetant  le  gant.  L'avocat  de  la  partie  adverse 
présentait  ses  moyens  de  défense  et  terminait 'ainsi  : 
«Mon  client  nie  les  choses  proposées;  au  contraire,  il 
))  dit  que  celui  qui  les  a  fait  proposer  ment  et  qu'il  est 
))  par  lui  ou  par  son  ai*mé,  fait  retenue  et  baille  son 
Hgage.  »  C'était  le  contrat  judiciaire.  ProcÚs- verbal 
était  dressé  qui  liait  les  parties  pour  le  combat. 

Saint  Loui?;,  pendant  son  rĂšgne  publie  ses  Etablisse- 
ments en  127C).  Les  rĂšgles  les  plus  importantes  du 
Droit  romain  qui  n'avait  cessĂ©  d'ĂȘtre  Ă©tudiĂ©  Ă   travers 
la  féodalité  s'y  trouvent  résumées. 


—  29  — 
III 


Le  droit  romcain  est  à  cette  époque  le  complément 
ei  la  pratique  de  la  législation  française. 

«  Si  voulez,  Sire,  longuement  vivre  en  paix  et  au  gré 
de  votre  peuple,  soyez  droicturier  ß  »  avait  dit  un  moine 
cordelier  au  vertuenx  monarque,  encore  au  début  de 
son  rĂšgne.  Louis  IX  n'oublia  jamais  cette  parole.  Il 
ne  mit  pas  moins  de  zĂšle  Ă   faire  observer  la  justice 
parmi  ses  sujets  qu'Ă   l'observer  lui-mĂȘme.  Ses  scru- 
pules, Ă   l'Ă©gard  de  conquĂȘtes  qu'avaient  faites  ses  devan- 
ciers sur  Ifi  trĂŽn*.^  de  France,  sont  connus,  de  mĂŽme  que 
le  rĂšglement  qui  s'ensuivit  avec  le  roi  d'Angleterre, 
Henri  Plantagenet.  Quelques  traits  décÚlent  l'incom- 
parable droiture  et  la  bonté  du  saint  Roi.  Je  les  trouve 
dans  l'ouvrage  de  a  Saint  Louis  et  son  siÚcle»  par  le  vi- 
comte Walsh.  «La  délicatesse  du  pieux  monarque, 
nous  dit  cet  écrivain,  s'était  effrayée  de  l'influence  que 
les  parties  prennent  souvent  sur  leurs  juges  par  les  pré- 
sents qu'elles  leur  fonL»  Car,  il  parait  qu'on  ne 
négligeait  pas  toujours  les  moyens  de  faire  pencher 
en  sa  faveur  une  justice  rĂ©calcitrante.  ■  Aussi,  s'appli- 
qua-t-il  à  faire  un  choix  de  juges  probes  et  éclairés; 
et  les  hommes  qu'il  ne  trouva  pas  dignes  du  sacerdoce 
de  la  justice,  il  les  Ă©loigna  des  tribunaux.  En  sortant 
de  son  oratoire  de  Vinccnnes,  le  fils  de  Blanche  de 
Gastille  avait  coutume  d'aller  s'asseoir  dans  la  forĂȘt; 
et,  lĂ ,  tous  ceux  qui  avaient  affaire  Ă   luy  venaient 
Ă   luy  parler  ,  sans  que  aucun  huissier  ni  aultre  leur 
donnast  empeschement.  Et  demandait  haultement 
de  sa  bouche,  s'il  y  avait  nul  qui  eust  partie.  Et 
quand  il  y  en  avait  aucuns,  il  leur  disait:  «Amys 
taisez-vous,  et  on  vous  deslivrera  l'un  aprÚs  l'autre.  » 
Puis,  souventes  fois,  pour  répéter  le  langage  de  Join- 
vile,    <(  appelait   Monseigneur   Pierre   de   Fontaine  et 

Monseigneur  Geoffroy    de   Villette,  et  leur  disait  : 

Deslivrez-m.oi  ces  parties.»  Et  quand  il  veoit  quelque 
chose  Ă   amender  en  la  parole  de  ceulx  qui  parlaient 
par  autrui,  lui-mesme  tout  gracieusement  de  sa  bou- 
che   les  reprenait.     Aussi,  plusieurs  fois,  ay  veu  que 


—  30  — 

ou  dit  temps  d'esté  le  bon  roy  venait  an  jardin  de 
Paris,  une  cotte  de  camelot  vestue  ung  surecot  de 
tiretaine  sans  manches  et  un  mantel  pardessus  de 
sandal  noir;  et  faisait  lĂ   estendre  des  tapiz  pour 
nous  seoir  emprĂšs  de  luy  et  lĂ   faisait  despĂšscher  son 
peuple  dilige  mment,  comme  vous  ay  devant  dit  du 
bois  de  Vincennes.  »  Tels  étaient  les  délassements  du 
bon  roi. 

Saint  Louis  donna  lui-mĂȘme  des  dĂ©fenseurs  Ă   une 
partie  dans  une  circonstance  bien  mémorable.  Je  cite 
de  nouveau  :  <(  Le  comte  d'Anjou  Ă©tait  en  procĂšs  pour 
un  chĂąteau  avec  un  simple  chevalier.  Comme  il 
arrive  souvent,  le  plaidant  contre  le  prince  fut  com- 
damné  par  la  cour,  et,  cette  sentence  prononcée,  le 
frĂšre  du  Roi— «fit  saisir  le  pauvre  chevalier  qui 
croyait  à  une  justice  supérieure  à]  la  sienne,  et  le  fit 
mettre  en  prison.  Louis,  apprenant  cet  acte  d'arbi- 
traire et  d'injustice,  manda  son  frĂšre  devant  lui  et 
lui  dit  <(  que  il  ne  creust  pas... ce  il  estoit  son  frĂšre, 
que  il  l'espargnast  contre  droicte  justice  en  nul  chose. 
En  mÎme  temps,  il  fit  délivrer  le  gentilhomm.e  pour 
qu'il  vßnt  en  sa  cour  suivre  son  appel.  » 

«  Effrayé  d'avoir  à  lutter  contre  le  frÚre  du  roi,  le  che- 
valier arriva  seul  n'osant  pas  mÎme  se  défendre  contre 
tant  et  si  grant  et  si  saige  adversaire.  Cependant,  il 
requist  au  benoitst  roy  que  il  li  feist  avoir  conseil  et 
et  avocaz.  »— «Certes,  vous  les  aurez,  et  des  meilleurs 
encore»  lui  répondit  le  monarque;  et  aussitÎt  le  roy 
choisit  dans  son  conseil  les  plus  habiles,  et  leur  fit 
jurer  qu'ils  mestraient  loyal  conseil  en  la  hc soigne  du  dit 
chcvaliei\  L'affaire  fut  alors  bien  plaidée  et  la  sentence 
de  la  cour  du  comte  d'Anjou  fut  cassée  :  de  ijuoi,  dit 
le  confesseur  de  la  Reine  Marguerite,  fust  moult  loë 
le  benois  roy  qui  n'acceptait  de  nul  cz  jugement  »  c'est- 
Ă -dire  ne  faisait  acception  de  personne  devant  la  loi. 

L'on  comprend  qu'avec  de  telles  dispositions,  un  sens 
de  la  justice  aussi  délicat  et  aussi  élevé,  l'influence  du 
monanjue  en  ce  siÚcle  fut  extraordinaire.  Aussi  mérita- 
t-il  le  surnom  de  roi  justicier. 


—  31 
IV 


Jusqu'ici,  messieurs,  les  données  de  l'histoire  touchant 
la  profession  sont  trĂšs  rares  ;  car,  comme  le  dit  Loysel 
en  son  dialogue,  autantnous  somme  prodigues  Ă   Ă©crire 
et  à  laisser  des  mémoires,  aujourd'hui,  autant  nos  an- 
cĂȘtres ont  Ă©tĂ©  sobres,  autrefois. 

L'histoire  de  l'ordre  des  avocats  n'existe  pas,  parce 
que  l'histoire  de  la  société  française  est  encore  à  faire. 
L'ouvrage  classique  sur  ce  point  est  de  Fournel.  Mais 
son  rĂ©cit  encore  ne  commence-t-il  qu'Ă   l'Ă©poque  oĂč 
le  Parlement  devient  stable,  et  donne  lieu  par  lĂ  
mĂŽme  Ă   un  Ă©tablissement  stable  des  avocats  de  son  res- 
sort, c'est-Ă -dire  au  commencement  du  14e  siĂšcle. 

C'est  au  8e  siĂšcle,  sous  le  rĂšgne  de  PĂ©pin,  que  l'opi- 
pinion  générale  rapporte  la  date  d'érection  des  Parle- 
ments en  cours  de  justice.  Ils  furent  alors  composés  d'un 
certain  nombre  de  prélats  et  de  barons,  auxquels  vinrent 
s'unir  par  la  suite  les  Pairs  du  Royaume. 

Ce  premier  parlement  Ă©tait  ambulatoire  et  suivait  le 
Roi,  tantĂŽt  dans  une  ville,  tantĂŽt  dans  une  autre.  Mais,  Ă  
l'origine^  il  connaissait  Ă   peine  des  affaires  des  particu- 
liers. On  y  discutait  les  nouvelles  ordonnances  et, 
avant  tout,  les  affaires  ecclésiastiques.  Les  assem- 
blĂ©es se  tenaient  vers  le  temps  des  grandes  fĂȘtes,  Ă   la 
Toussaint,  à  Noël,  la  Chandeleur,  Pùques  et  la  Pente- 
cĂŽte. 

La  voie  de  l'appel  fut  longtemps  inconnue  dans  ces 
cours,  ce  qui  réduisit  à  peu  de  choses  les  affaires  con- 
tentieuses.  jLa  féodalité  l'ignora,  et  saint  Louis  la  dé- 
fendit lui-mĂȘme  dans  ses  justices  royales.  Il  y  avait 
seulement  prise  Ă   partie  contre  les  juges.  Mais,  peu 
aprĂšs  les  Etablisements qui  datentde  1270,  l'on  confond 
la  plainte  avec  l'appel,  et  les  affaires  se  multiplient 
au  Parlement. 

Philippe  le  Bel  rend  les  Parlements  sédentaires, 
le  25  mars  1302.  Vers  ce  temps,  le  duel  devient  moins 
fréquent,  mais  les  avocats,  par  contre,  plus  nombreux. 
Aussi,  dit  un  écrivain,  «  c'est  de  là  que  nous  avons 
appris  la  chicane.  »  Peu  d'années  aprÚs,  Philippe  le  Bel 


—  32  — 

ayant  donné  au  parlement  de  Paris  l'ancien  palais  des 
Rois  pour  y  tenir  ses  séances,  c'est  à  cette  libéralité  que 
remonte  l'appellation  fameuse  de  u  Palais  de  justice», 
(■ni  a  fait  fortune  depuis.  Les  affaires  croissaient  tou- 
jours et  la  révolution  marquée  au  temps  de  saint  Louis 
allait  ^'accentuant.  Le  droit  romain  Ă©tant  parvenu  Ă   do- 
miner, a  Ă©trangers  aux  arcanes  de  la  nouvelle  jurispru- 
dence, nous  dit  l'historien  de  saint  Louis, les  descendants 
des  chevaliers  s'Ă©loignĂšrent  bientĂŽt  des  Cours  et  Par- 
lements oĂč  des  hommes  spĂ©ciaux,  des  lĂ©gistes  experts 
venaient  de  faire  irruption.  Ces  bourgeois,  dévoués 
au  roi,  avaient  plus  de  sympathie  pour  les  institutions 
féodales.  Les  codes  deJustinien  furent  la  rÚgle  de  ces 
nouveaux  juges.  »  «  Ainsi  allait  bientÎt  se  terminer 
cette  lutte  des  légistes  avec  les  barons,  entre  les  hommes 
noirs,  les  hommes  de  plume  et  de  parole  et  les  hommes 
de  fer,  de  lance  oud'épée»,  suivant  l'expression  du 
mĂȘme  Ă©crivain. 


Les  gens  de  loi  étaient  appelés  par  les  gens  d'épée 
pour  leur  aider  Ă   administrer  la  justice.  N'ayant 
d'abord  que  voix  consultative,  ils  gagnent  avant  pc'U 
le  privilĂšge  de  juger  avec  eux  et  portent  le  mĂȘme 
costume  que  les  chevaliers  d'épée. 

Au  commencement  du  I5e  siĂšcle,  ces  chevaliers  ou 
barons,  complÚtement  rebutés  de  la  discussion  des 
lois,  pour  laquelle  ils  n'Ă©taient  point  faits,  cessent 
tout  Ă   fait  de  venir  au  parlement.  Les  gens  de  loi, 
appelés  par  assimilation  aux  gens  d'épée,  chevaliers  es 
lois,  pour  se  distinguer  d'eux,  prennent  aussi  le  nom 
de  magistrats. 

Suivant  Boucher  d'Argis,  historien  de  l'ordre,  et  qui 
a  Ă©crit  au  milieu  dn  18e  siĂšcle,  la  plus  ancienne  ordon- 
nance du  parlement  qui  fasse  mention  des  avocats  serait 
celle  dos  Etablissements  de  Saint-Louis,  en  1270.  Il 
fait  mention  d'une  autre  de  1344.  Il  existe  en  ce  temps 
des  avocats  plaidants  et  des  avocats  consultants.  Ces 
derniers  portent  le  nom  de  conseillers  et  possĂšdent,  en- 
tre autres,  le  privilÚge  de  séance  sur  les  fleurs  de  lys  au 


—  33  — 

barreau.  Cette  faveur  de  s'asseoir  sur  les  bancs  de  la 
cour  dont  l'étoffe  est  parsemée  de  fleurs  de  lys,  n'est 
conférée  qu'aux  anciens  choisis  parmi  les  plus  célÚbres. 
L'usage  en  existait  encore  Ă   la  fin  du  16e  siĂšcle.  Il 
continua  par  la  suite  quoique  la  cour  ne  les  nommĂąt 
plus  comme  autrefois.  C'est  dans  cette  mĂȘme  ordon- 
nance de  1344  que  le  stage  est  créé.  En  vertu  de  ce 
rĂšglement,  les  jeunes  avocats  ne  doivent  pratiquer 
qu'un  certain  temps  aprĂšs  leur  admission  au  barreau, 
temps  de  prĂ©paration  oĂč  ils  doivent  Ă©couter  les  an- 
ciens, assister  aux  audiences,  se  former  aux  conseils, 
enfin,  acquérir  la  connaissance  des  coutumes  et  du 
style  de  la  cour. 

En  1299,  Philippe  LeBel  défend  aux  excommuniés 
d'exercer  les  fonctions  d'avocat.  Jusqu'à  la  révocation 
de  l'Ă©dit  de  Nantes,  en  1685,  les  protestants  en  France 
sont  admis  au  barreau  ;  mais  il  n'en  est  plus  ainsi  aprĂšs, 
et  il  est  mÎme  défendu  aux  avocats  d'avoir  des  clercs 
protestants. 

Malgré  certaines  défenses  portées  contre  les  ecclé- 
siastiques de  se  mĂȘler  des  affaires  sĂ©culiĂšres,  il  ne  parait 
pas  qu'on  ait  entendu  leur  interdire  les  fonctions  de 
la  magistrature  et  du  barreau.  Depuis  l'institution  du 
parlement,  le  barreau  de  Paris  fut  rempli  presqu'u- 
niquement  d'ecclĂ©siastiques,  de  prĂȘtres,  de  curĂ©s,  de 
chanoines,  d'ofiiciaux  et  d'archidiacres,  comme  on  l'a 
vu  en  parlant  du  concile  de  Latran.  Car,  quoiqu'il  y 
eût  eu  jusque  là  et  qu'il  y  eût  encore  à  cette  époque  des 
laĂŻques  trĂšs  savants  en  droit  civil  et  en  droit  canon, 
tant  avocats  que  conseillers  des  Rois,  des  grands  sei- 
gneurs ei  des  nobles,  les  ecclésiastiques,  au  moins  pen- 
dant certaine  Ă©poque,  furent  Ă   peu  prĂšs  les  seuls  ayant 
quelque  teinture  des  lettres.  Leur  présence^  dans  les 
parlements  et  les  autres  cours  dejustice,  dura  jusqu'Ă   ce 
que  l'autorité  ecclésiastique  de  concert  avec  l'autorité 
civile,  intervint  de  nouveau  pour  faire  cesser  certains 
abus  qui  s'y  Ă©taient  introduits.  Toutefois,  le  parlement 
vit  encore  des  gens  d'Eglise  jusqu'au  milieu  dn  18e 
siĂšcle. 


—  34 
VI 


D'aprÚs  une  ordonnance  de  François  1er,  il  fallait, 
pour  ĂȘtre  avocat,  graduer  en  droit  canon   comme  en 
droit  civil.  Cette  derniĂšre  condition  Ă©tait  mĂŽme  secon- 
daire si  l'on  en  juge  par  une  ordonnance  de  Blois  et 
une   autre  de   1629  qui   défendent  à  l'Université  de 
Paris  de  donner  des  grades  en  droit  civil.  Mais  de  ce  que 
l'Université  de  Paris  défend  de  donner  des   grades  en 
droit  civil,  il  ne  s'ensuit  nullement  qu'il  doit  ĂȘtre  inu- 
tile Ă     apprendre,  loin   de   lĂ .     L'on   s'imagine  peu 
la    science  qu'il    faut  posséder  pour  pouvoir    exer- 
cer la  profession  d'avocat,  de  conseiller  ou  de  magistrat. 
Surtout,   il   est  entendu   que  l'on   doit    ĂȘtre   en  Ă©tat 
de    citer,    chez   les    anciens.    Un    avocat   n'eut    pas 
Ă©tĂ©  un   avocat  s'il  n'eut  eu  la  tĂȘte  garnie  de  connais- 
sances littéraires,  prises  tant  chez  les  anciens  que  chez 
les  modernes.     A  venir  au  14e   siĂšcle,  l'on  plaide  en 
latin   et  le  droit  s'Ă©tudie  dans  cette  langue.    Il  faut 
par  Ă©tat  savoir  le  grec,  le  latin  et  mĂȘme  l'hĂ©breu,  con- 
naĂźtre les  PĂšres  de  l'Eglise,  le  droit  canon  et  les  matiĂšres 
bénéficiùtes,  ne  pas  ignorer  l'histoire  et  avoir  appro- 
fondi tout  le  droit  romain.    Je  ne  parle  pas  du  droit 
français  d'alors  consistant  en  coutumes,  ordonnances 
et  arrĂȘts.     On  ne  se  demande  pas  non   plus  s'il  fallait 
ĂȘtre  bien   constituĂ©   pour  digĂ©rer   toute  cette   matiĂšre 
des  coutumes,  n'y   eut-il  qu'elles  Ă   s'assimiler.    Les 
savants  seuls  devaient  y  parvenir  si  l'on  songe  qu'il  y 
eut  un  temps,  en  France,  oĂč  l'on  ne   pouvait  respirer 
qu'à  travers  le  pur  atmosphÚre  de  240  coutumes  géné- 
rales, outre  les  coutumes  locales.    Celui  qui  aspirait  Ă  
ĂȘtre  Vadvocat  du  Roy  devait  en  outre,  suivant  Loysel, 
savoir  «  d'abondant  les  droicts  du  domaine,  les  appen- 
nages  et  assignats  de  Messeigneurs  et  Mesdames  les 
enfants  de  France,  des  RĂ©gales,   des  admortissements 
et  autres  droicts  de  la  Couronne,   les  généalogies  et 
alliances  de  nos  Roys  et  des  principales   maisons  de 
France,  et  nos  Histoires,  »  etc,  etc,  etc. 

Je  vous  tiens  quitte  du  dédale  inextricable  des  voies 
de  procédure  qui  faisaient  souvent  passer  les  fonds  rfV- 


—  35  — 

inde  de  génération  en  génération.  Malgré  cela,  dÚs  le 
14e  siĂšcle,  et  mĂŽme  avant,  il  existe  beaucoup  d'iiommes 
savants  au  barreau.  L'on  cite  avec  admiration  Saint 
Germain  l'Auxerrois  qui  vivait  au  5e  siĂšcle.  Il  avait 
été  avocat  et  savant  jurisconsulte.  Au  reste,  en  cela, 
il  ne  faisait  qu'imiter  Saint  Jean  Ghrysostome,  Saint 
Gyprien,  Saint  Athanase,  Saint  Augustin  lui-mĂŽrae  et 
Saint  Ambroise.  Guy  Foucault  vivait  au  temps  de 
Saint  Louis.  AprÚs  avoir  été  avocat,  il  eut  la  bonté 
de  ceindre  la  tiare  de  Saint  Pierre  sous  le  nom  de 
ClĂ©ment  IV.  Suivant  Loysel,  il  pourrait  bien  ĂȘtre  le 
capitaine  de  nos  avocats  au  parlement.  Je  vous  fais 
grĂące  aussi  de  l'aride  nomenclature  de  ceux  qui, 
à  part  ces  respectabilités  du  barreau,  sont  mis  au  nom- 
bre des  gloires  de  la  France,  mais  dont  le  procĂšs  de 

canonisation  n'est  pas  encore  terminé 

Quant  Ă   Saint  Yves,  il  vivait  aussi  au  temps  des 
parlements.  Une  légende  raconte  que  «deux  hommes 
qui  estaient  arrivés  ensemble  à  une  hostellerie  de  la 
ville  de  Tours,  ayans  baillé  une  bougette  »  (petit  sac 
de  voyage)  «  en  garde  à  l'hostesse  qui  était  une  femme 
veufve  et  luy  ayant  recommandé  qu'elle  ne  la  rendit 
Ă   personne  qu'Ă   eux  deux  ensemble  :  cinq  ou  six 
jours  aprĂšs  l'un  d'eux  la  luy  vint  redemander  tout 
seul  sous  prétexte  d'un  payement  qu'il  supposa  qu'ils 
avaient  Ă   faire  dans  la  ville.  L'hostesse  ne  se  souve- 
nant ou  ne  pensant  pas  à  ce  qui  avait  été  dit,  ne  fit 
aucune  difficulté  de  la  luy  bailler:  et  celui-ci  l'ayant 
incontinent  emportée  ne  retourna  plus  an  logis. 
Cependant  l'autre  s'y  rendit  sur  le  soir  et  n'y  trouvant 
point  son  compagnon,  il  s'enquit  de  l'hostesse  oĂč  il 
estoit.  L'hostesse  luy  répondit  ingénuëment  qu'elle 
ne  l'avait  point  vu  depuis  qu'elle  luy  avait  rendu 
leur  bougette.  Alors  cet  homme  faisant  de  Festonné, 
s'Ă©cria  qu'il  estoit  perdu,  et  qu'il  y  avait  dans  cette 
bougette  une  grande  somme  d'argent.  Puis  se  tour- 
nant vers  elle  il  luy  remonstra  que  c'estoit  au  préju- 
dice de  ce  qui  avoit  e^té  résolu  entre  eux,  qu'elle 
l'avoit  remise  entre  les  mains  de  l'un  en  l'absence  de 
Tautre,  et  luy  déclara  qu'il  se  pourvoirait  contre  elle 
en  justice.  Et  de  faict,  il  la  fit  adjourner  devant  le 
Baiiiy  de  Touraine,  Ă   ce  qu'elle  eut  Ă   luy  rendre  ce 


—  36  — 

dépost  ;  et  elle  ayant  comparu  à,  T assignation;  dc> 
meura  ingénuëment  d'accord  de  tout  ce  qui  s'estoii/ 
passé.  Surquoy  il  afferma  qu'il  y  avait  dans  cette^ 
bougette  cent  piÚces  d'or,  outre  plusieurs  scédules  et' 
autres  papiers  de  conséquence  :  de  sorte  que  cette 
pauvre  veufve  estoit  sur  le  point  d'estre  condamnée. 
Mais  le  bon  Saint-7ves  estant  survenu  fort  Ă   propos, 
la  délivra  de  celte  peine  par  un  expédient  non  moins- 
certain  que  prompt,  dont  il  s'advisa.  Car  aprĂšs  qu'il 
se  fus  instruit  de  l'affaire,  il  luy  donna  advis  de 
remonstrer  qu'elle  avoit  trouvé  moyen  de  recouvrer 
la  bougette,  et  qu'elle  estait  preste  de  la  représenter  ; 
mais  qu'aux  termes  de  la  reconnaissance  du  deman- 
deur, il  estoit  obligé  de  faire  comparoir  son  compa- 
gnon, afin  qu'elle  la  put  rendre  Ă   eux  deux  :  ce  que 
le  juge  ayant  trouvé  raisonnable  il  l'ordonna  ainsi. 
A  qnoi'le  demandeur  n'ayant  voulu  ou  pu  satisfaire, 
non-seulemenf  la  bonne  veufve  fut  renvoyée  absoute, 
mais  aussi  s'estant  découvert  que  ces  galandsestoient 
des  pipeurs  qui  coUudoient  ensemble  pour  ruiner 
leur  hostesse,  le  demandeur  en  fut  puny  extraordi- 
n  ai  rement.  )>- 

VII 


Dans  ces  temps  fortunés  du  15«  et  du  16e  siÚcle, 
aprÚs  les  études,  la  seule  formalité  pour  la  réception  à 
la  pratique — ce  qu'on  appelait  l'inscription  au  tableau 
— est  le  serment.  Le  licenciĂ©  Ă©tant  prĂ©sentĂ©  Ă   la 
cour,  celle-ci  est  priée  de  vouloir  bien  admettre 
le  récipiendaire  el  l'introducteur  ajoute  que  Messieurs 
les  gens  du  Roi  ont  vu  ses  leltirs.  Ce  n'Ă©tait  pas 
un  mince  honneur  que  cette  présentation.  Il  fallait 
avoir  10  ans  et  m^nie  20  ans  de  pratique  pour  le 
mériter.  Le  récipiendaire  se  tenait  debout,  le  bonnet 
carré  à  la  main. 

C«'tte  coiffure  du  bonnet  carré  complétait  un  cos- 
tume dont  les  avocats  de  nos  jours  en  France  n'ont, 
pas  conservé  toute  la  solennité. 

Les  anciens  romains  d'abord  portaient  la  toge,  et 
«'était  en  dehors  mÎme  des-  cours  de  justice,  l'hafeille- 


—  37  — 

«nent  usuel  de  Fun  ou  l'autre  sexe.  Cet 'hat)illeme!ßt 
tétait  long,  ample,  fermé  et  sans  manches,  en  sorte  que 
pour  faire  paraĂźtre  les  mains,  il  fallait  le  soulever  par 
le  cÎté  ou  le  devant.  Défense  aux  avocats  de  premiÚre 
année  de  hausser  la  toge. 

En  France,  jusques  vers  le  commencement  du  14* 
fiiĂšcle,  les  gens  de  robe  n'existent  pas. 

L'on  se  rappelle  que  les  juges  laĂŻcs  sont  tous  gens 
d'épée.  Au  parlement,  il  n'y  a  que  des  prélats,  des 
ibaronsou  des  chevaliers.  Ces  derniers  portent  des  habits 
longs,  mais  ces  mÎmes  habits,  nommésd'abord  saïes  et 
plus  tard  robes^  ne  sont  point  ceux  qui  deviennent  par 
la  suite  communs  aux  gens  de  justice.  Ce  sont  les 
habits  ordinaires  des  Français  de  cette  époque. 

Les  chevaliers  Ús-lois,  encore  récemment  appelés  à 
rendre  la  justice,  portent  Phabit  à  la  façon  des  barons 
et,  pardessus  leur  robe,  des  manteaux  assez  longs.  Le 
i'oi avait  coutume,  aux  grandes  fĂȘtes,  dĂ©faire  des  livrĂ©es 
d'habits  Ă   ses  officiers.  Les  barons  recevaient  des  robes, 
les  gens  du  parlement  des  manteaux.  C'est  ainsi  que 
le  manteau  long  devient  l'habillement  des  officiers  de 
justice.  Pardessous  le  manteau  est  portée  une  espÚce 
Se  soutane  par  les  magistrats.  Les  avocats  les  imitent. 
Enfin,  vers  la  fin  du  14e  siÚcle,  les  Français  quittent 
l'habit  long  et  prennent  les  pourpoints  courts,  tan- 
dis que  magistrats,  avocats  et  autres  officiers  de 
justice  conservent  leur  costume.  Avocats  et  ecclé- 
siastiques portent  donc  a  peu  prÚs  la  mÎme  livrée.  Serait- 
ce  en  ce  temps  qu'aurait  été  inventée  la  fameuse  maxime  : 
d'habit  ne  fait  pas  le  moine  ?  A  la  vérité,  celte  mode  finit 
par  s'altérer  avec  le  temps;  mais  comme  les  choses 
ne  sont  pas  au  changement  dans  ces  siĂšcles  de  fer,  Ă   la 
iin  du  17e  siĂšcle,  il  se  trouve  encore  un  brave  qui 
n'a  pas  lùché  prise.  L'histoire  a  conservé  son  nom. 
JMtre  Levasseur  portait  la  soutane,  le  manteau  tradi- 
tionnel, le  rabat  et  une  petite  perruque  comme  les  ecclé- 
siastiques. On  l'Ă©lut  bĂątonnier  en  1G85. — La  soutane, 
-Ă   son  tour,  disparait  pour  laisser  seul  le  manteau  que 
l'on  convertit  cette  fois  en  robe.  Celle-ci  est  noire, 
mais  la  robe  de  cérémonie  est  rouge  ou  écarlate  et 
les  femmes  des  avocats  ont  aussi  le  privilĂšge  delĂ  
porter.    Il  existe, plusieurs  ordonnances  des  Rois  oĂč 


—  38  — 

il  en  est  parlĂ©  et  mĂȘme  de  grandes  disputes  Ă   ce  sujet. 

François  I",  par  une  Ordonnance  de  1540,  enjoint  aux 
avocats'de  paraßtre  en  cour  en  habit  décent,  robe  longue 
et  bonnet  rond,  de  n'y  pas  porter  de  barbe,  de  pourpoints^ 
chausses  et  autres  habits  dissolus. 

Autrefois,  l'on  pouvait  voir,  dans  différentes  églises^ 
de  Paris,  d'anciens  portraits  d'avocats  peints  ainsi  avec 
leurs  robes  rouges  et  le  chaperon  noir. 

Il  parait  aussi  qu'anciennement,  les  avocats  Ă©taient 
souvent  revĂȘtus  de  la  redoutable  dignitĂ©  demarguilliers 
d'Eglise, — ĂŽ  temps  mĂ©morables  Ăź-mais  comme  rien 
n'est  parfait  en  ce  monde,  ainsi  que  Ta  dit  le  poëte^ 
nihil  est  ab  omni  parte  beatum^  Loysel  parle  d'un  Mtre 
Pierre  de  CugniÚres,  «duquel,  dit-il,  on  a  mis  un  por- 
traict,  ou  plutost  un  marmot,  en  un  coing  et  dehors 
le  chcBur  de  TĂ©glise  de  Notre-Dame  de  Paris  contre 
lequel  les  bonnes  femmes  et  les  petits  enfants  vont 
attacher  des  chandelles  afin  de  luy  brûler  le  nez 
par  dérision.  » 

Ce  Mtre  de  CugniĂšres  Ă©tait  pourtant  l'un  des  plus 
savants  hommes  de  son  temps.  Mais  la  postérité,  qui 
tient  compte  du  mal  comme  du  bien,  aura  sans  doute 
voulu,  par  là,  solder  un  petit  compte  oublié  de  Chi- 
caneau  Siwec  ses  contemporains. 


VIII 


Les  avocats  en  France  ont  toitjours  joui  des  plus 
grands  privilÚges.  Comme  à  Rome,  la  qualité  d'avocat 
était  le  grade  obligé  pour  parvenir  aux  plus  grandes 
dignités  de  l'état.  «  Au  16e  siÚcle,  dit  Loysel,  c'était 
encore  Teschelle  par  laquelle  l'on  montait  aux  plus 
grands  estats  et  dignitez  du  Royaume.  Et,  continue 
cet  auteur,  «  Testùt  d'avocat  était  si  honorable  que 
toute  la  jeunesse  la  mieux  instruite  de  la  ville  tendait 
Ă   faire  montre  de  son  esprit  en  cvHte  charge  avant  que 
de  se  mettre  aux  offices  do  conseillers  ou  autres.  i> 

Suivant  les  lois  lomaines,  les  avocats  jouissaient  de 
tous  les  privilÚges  accordés  aux  nobles.  Une  loi  la 
loi  suggestionem  place  au  rang  de  comtes  et  clarissimes^ 


—  39  — 

ceux  qui  ont  fourni  glorieusement  leur  carriĂšre  et  ils 
sont  aussi  placés  au  rang  de  sénateurs.  Or,  l'usage,  par- 
tout oĂč  a  prĂ©valu  le  droit  romain,  est  qu'ils  ont  joui 
du  titre  de  nobles  et  ont  possédé  une  noblesse  réelle  et 
transmissible.  On  le  remarque  encore  au  18e  siĂšcle, 
en  Savoie,  en  Italie,  Ă   Venise  et  en  Espagne.  Ce  titre 
Ă©quivaut  Ă   celui  d'Ă©cuyer.  Toutes  les  places  de  la  magis 
trature  donnaient  la  noblesse.  Suivant  Berryer  pĂšre, 
la  place  aussi  de  premier  huissier  au  parlement  donnait 
à  celui  qui  en  était  pourvu  la  noblesse  héréditaire. 
Exemption  pour  eux  de  la  collecte  des  tailles  et  autres 
impositions  publiques. 

IX 


Le  barreau  a  donné  à  la  France  des  jours  qu'elle  n'eut 
pas  eus  sans  lui,  et  il  faut  voir  ce  que  furent  cette  ma- 
gistrature et  ce  barreau  au  temps  des  parlements. 
Toutes  les  questions  de  religion,  de  guerre  et  de  paix,, 
passaient  par  lĂ .  Suivant  le  Berquier,  le  barreau 
meurt  en  France  avec  la  société  romaine,  et  prend  une 
nouvelle  vie  avec  les  parlements.  AuxEtatsde  1614,  ses 
membres  forment  la  plus  grande  partie  du  Tiers- 
Etat.  Il  tenait  une  espĂšce  d'Ă©quilibre  entre  les 
parlements  et  l'autorité  souveraine.  Quant  aux  parle- 
ments, leur  puissance  fut  Ă©norme  et  tint  souvent 
en  Ă©chec  la  monarchie  elle-mĂȘme.  S'ils  furent  ua 
obstacle  au  vrai  progrĂšs,  souvent  aussi  ils  servirent  de 
remparts  assurés  à  la  liberté. 

((  De  temps  a  autre,  nous  dit  Berryer  pĂšre,  dans  ses 
Souvenirs^  la  résistance  du  parlement  à  certaines 
innovations  trop  onéreuses  pour  les  peuples,  avait 
donné  lieu  à  la  tenue  de  lit  de  justice  au  Palais,  le  roi 
y  séant.  » 

«  J'ai  vu,  continue-t-il,  dans  toute  leur  magnificence 
les  appareils  de  l'un  de  ces  lits  de  justice.  Toutes  les 
chambres  du  parlement  y  étaient  assemblées;  tous  les 
Pairs  du  Royaume,  militaires,  civils  et  ecclésiastiques 
s'y  rendaient  dans  toute  la  pompe  de  leurs  dignités. 

«  La  noblesse  en  costume  à  la  Henri  IV,  les  cheveux 
naissant,   les-  aiguillettes  flottant  sur  l'Ă©paule,  les  cha- 


—  40  — 

peaux  à  plumet  blanc,  l'épée  au  cÎté  ;  le  clergé  avec 
ses  habits  sacerdotaux  ayant  Ă   sa  tĂȘte  l'archevĂȘque 
de  Paris,  comme  Pair  de  Saint  Cloud,  précédé  lui- 
mĂȘme  par  la  croix  et  la  banniĂšre.  Rien  n'Ă©tait  plus 
imposant  que  ce  spectacle  de  la  représentation  natio- 
nale ».  Ce  que  les  parlements  furent  pour  la  politique, 
ils  le  furent  pour  l'administration  de  la  justice,  revĂȘ- 
tant un  Ă©clat  que  seule  la  grande  sociĂ©tĂ©  d'alors,  oĂč 
tous  les  rangs  étaient  marqués,  pouvait  donner.  Les 
parlements  du  reste  ont  été  l'origine  des  familles  les 
plus  considérables  de  la  France  et,  si  j'entends  bien 
madame  de  Sévigné,  qui  était  au  fait  des  rivalités  et 
des  jalousies  des  filles  de  famille  de  son  temps,  Ă©pouser 
un  président  de  parlement  valait,  pour  le  nom,  un 
descendant  des  croisés.  Cela  valait  bien  souvent  beau- 
coup plus  pour  la  fortune  et  la  considération  person- 
nelle. 

Le  goût  pour  la  société  était  trÚs  vif  anciennement 
et  les  rapports  du  barreau  et  de  la  magistrature  Ă©taient 
des  plus  l)ienveillants.  11  était  aisé  de  reconnaßtre  la 
solidarité  existant  entre  les  deux  corps,  dont  l'un  était 
sans  cesse  recruté  parmi  l'autre.  De  son  temps,  le 
président  de  Lamoignon  vivait  dans  une  intimité  avec 
les  avocats  qui,  sans  blesser  les  convenances,  témoignait 
hautement  de  sa  considération  pour  eux.  Mais  tous 
les  présidents  ne  valaient  pas  Lamoignon  et  ces  grands 
personnagesne  laissaient  pas  que  de  révéler  parfois  une 
morgue  insupportable.  BerryerpĂšre  raconte  qu'un  avo- 
cat en  vacance  se  trouvant  «dans  les  terres  d'un  prési- 
dent de  la  cour,  s'Ă©tait  fait  un  devoir  d'aller  au  chĂąteau 
lui  présenter  son  hommage.  Le  président,  que  sa 
morgue  de  robin  suivait  Ă   la  campagne,  Ă©tait  dans 
sa  bibliothÚque  occupé  à  ranger  quelques  livres; 
à  peine  il  avait  daigné  s'apercevoir  de  l'arrivée 
de  l'avocat.  Il  Ă©tait  descendu  Ă   la  fin  de  son  Ă©chelle  et 
était  venu  avec  dignité  s'asseoir  dans  son  fauteuil,  sans 
offrir  un  siĂšge  Ă   l'avocat,  ni  l'inviter  Ă   en  prendre 
un.  Dissimulant  l'humeur  que  lui  causait  la  lourde 
fatuitĂ©  du  prĂ©sident,  l'avocat  avait  appochĂ©  de  lui-mĂȘme 
un  autre  fauteuil  d'honneur,  s'y  Ă©tait  assis,  avait  mis 
son  chapeau  sur  sa  tĂȘte  et  avait  poursuivi  sa  conversa- 
tion de  visiteur.     Le  président,  choqué  d'une  pareille 


—  41  — 

licence,  par  forme  de  leçon,  avait  dit  pour  le  licencié  : 
«  OĂč  est  le  temps  oĂč  les  avocats  n'auraient  jamais  osĂ© 
s'asseoir  ni  se  couvrir  devant  un  magistrat  sans  lui  en 
avoir  demandé  et  en  avoir  obtenu  la  permission.»  Mon- 
sieur le  président,  avait  répondu  l'avocat,  c'était  un 
un  temps  oĂč  les  avocats  n'avaient  ni ni  tĂȘte.  » 

Sous  l'empire  des  parlements,  le  barreau  sut  garder 
son  indĂ©pendance.  «  On  ne  s'y  sentait  ni  gĂȘnĂ©,  ni  ar- 
rĂȘtĂ©, dit  un  Ă©crivain.  Le  nom  seul  de  l'ordre  des  avocats 
marquait  une  profession  qui  ne  ressemblait  Ă   nulle 
autre.  C'Ă©tait  comme  une  chevalerie  avec  ses  traditions 
et  ses  mystĂšres.»  Souvent  mĂȘlĂ©  aux  luttesde  la  politique, 
dÚs  le  15«  siÚcle,  son  influenceest  visible  dans  tout  ce  qui 
touche  aux  libertés  publiques.  Avec  toute  sa  lati- 
tude dans  les  affaires  civiles,  il  sait  habilement  se 
mettre  Ă   couvert,  comme  il  lui  arrive  dans  les  luttesde 
ces  mĂŽmes  parlements  avec  la  monarchie. 

Royer  CoUard  aimait  Ă   redire  qu'il  avait  appris  le 
respect  Ă   la  grand'chambre  du  parlement  de  Paris. 
Dupin  affirmait  qu'il  n'y  avait  qu'un  lieu  oĂč  parler  libre- 
ment de  politique,  c'Ă©tait  le  Palais.  Louis  XIV  faisait 
servir  les  parlements  Ă   ce  qu'il  croyait  ĂȘtre  sa  gloire, 
et  il  les  aimait.  Louis  XV,  au  contraire,  les  exécrait. 
11  les  appelait  des  «assemblées  de  républicains  »  et  re- 
grettait que  le  régent  leur  eût  rendu  le  droit  de  remon- 
trance. 

X 


Pour  briller  au  Palais,  il  fallait  n'ĂȘtre  pas  moins  Ă©lo- 
quent que  savant.  LĂ   oĂč  les  ressources  du  beau  lan- 
gage sont  tout  puissantes,  un  avocat  seulement  disert 
est  bien  prĂšs  d'ĂȘtre  parfait.  C'est  ce  goĂ»t  innĂ©  chez 
nos  ancĂȘtres  qui  a  fait  de  la  langue  française  la  langue 
précise  du  droit  et  de  la  politique.  Au  barreau,  durant 
les  grands  siĂšcles  au  moins,  Ă   AthĂšnes  et  Ă   Rome, 
l'improvisation  était  inconnue.  Il  en  a  été  ainsi  en 
France.  Les  plus  grandes  célébrités  anciennes  et  mo- 
dernes du  barreau  français  ont  écrit  leurs  plaidoyers. 

L'on  récitait  de  mémoire  ou  l'on  disait  devant  la  cour 
ee  qui  avait  été  préparé  dans  le  silence  du  cabinet. 


—  42  — 

Toutefois,  la  langue  du  barreau  ancien,  en  France,  ne  fut 
jamais  populaire  comme  on  le  vit  Ă   Rome.  A  Rome, 
la  fonction  déjuger  fut,  dÚs  l'origine,  considérée  comme 
la  premiĂšre  et  ceux  qui  l'exercĂšrent  ne  voulurent 
pas  la  partager  avec  d'autres,  digne  sentiment  de  ceux 
qui  devinrent  plus  tard  les  maĂźtres  du  monde.  En 
France,  les  barons  et  les  chevaliers  d'épée  ont  trop  tenu 
à  honneur  d'ignorer  cette  langue.  Ils  la  dédaignÚrent 
pour  les  armes,  c'est  pourquoi  ils  quittĂšrent  vite 
cette  arĂšne  judiciaire  oĂč  la  connaissance  des  lettres 
était  aussi  nécessaire  que  celle  des  lois.  La  conséquence 
fut  que  les  gens  de  cour — qui  l'ignoraient — s'en  mo- 
quÚrent comme  d'une  science  pédante  et  les  gens  de 
lettres  comme  d'une  science  barbare.  Au  beau  milieu 
du  17e  siÚcle,  Racine  s'en  défend  et  ne  veut  pas  qu'on 
le  soupçonne  d'entendre  quelque  chose  à  un  pareil  lan- 
gage ;  puis  il  compose  sa  comédie  des  Plaideurs.  «  Je 
sais  grossiÚrement  qu'il  y  a  une  jurisprudence,  »  écrit 
Montaigne,  oubliant  qu'il  a  été  treize  ans  conseiller  au 
parlement  de  Bordeaux.  «  Quant  à  la  procédure,  nous 
avertit  Montesquieu,  je  n'y  entendais  rien.  >.  Cet  hom- 
me de  qualité  pouvait-il  parler  autrement  ? 

M.  de  Tocqueville  écrit  «  De  la  Démoratie  Amé- 
rique »  mais  il  veut  que  l'on  connaisse  bien  qu'il 
n'a  été  toute  sa  vie  qu'un  magistrat  médiocre.  Le 
célÚbre  Roman  de  la  Rose  confond  dans  ses  moqueries^ 
les  advocats  et  les  malicins^  c'est-Ă -dire  les  physiciens. 

De  tout  temps,  il  y  eut  rivalité  entre  la  littérature 
et  le  barreau.  D'un  cÎté,  les  brillants  parleurs  et  les 
hommes  d'affaires,  de  l'autre  les  artistes  de  la  phrase 
et  les  beaux  écrivains.  Mais  les  littérateurs  sont  encore 
dépassés,  il  semble,  par  les  philosophes.  -Ici,  c'est 
une  véritable  levée  de  boucliers  contre  les  avocats. 

Erasme,  dans  son  «  Eloge  de  la  folie  »,  dit  :  «  AprÚs  les 
médecins  marchent  immédiatement  les  légistes  et  les 
jurisconsultes.  Je  ne  sais  si  ces  suppÎts  de  Thémis  ne 
devraient  point  avoir  l'honneur  du  pas  sur  les  prĂȘtres 
d'Esculapc;  entre  eux  le  débat.  Ce  qu'il  y  a  de  vrai 
c'est  que  les  philosophes  presque  unanimement  se  mo- 
quent des  docteurs,  nommant  cette  profession  une 
science  d'ùnes.  »  Il  se  ravise  un  peu  pourtant  et  ajoute  : 
«Anes  tant  qu'on  voudra,  ce  sont  pourtant  les  interprÚtes 


—  4a— 

de  la  loi  qui  rĂšglent  toutes  les  affaires;  ces  messieurs 
s'enrichissent  à  leurs  métiers  pendant  que  le  pauvre 
théologien  est  réduit  à  manger  des  fÚves.  » 

Montaigne,  avec  ce  tour  particulier  qui  lui  est  propre, 
décrit  ainsi  ces  avocats  consciencieux  :  «  Vous  récitez 
simplement  une  cause  aTadvocat;  il  vous  y  répond 
chancelant  et  doubteux  ;  vous  sentez  qu'il  luy  est  indif- 
férent de  prendre  à  soustenir  l'un  ou  l'autre  party; 
l'avez- vous  bien  payé  pour  y  mordre  et  pour  s'en  for- 
maliser, commence-t-ild'en  ĂȘtre  intĂ©ressĂ©  il  y  a  eschauffĂ© 
sa  volonté.  Sa  raison  et  ?a  science  s'y  eschauffent 
quand  et  quand  ;  voilĂ   une  apparente  et  indubitable 
vérité  qui  se  présente  à  son  entendement.  Il  y  découvre 
une  toute  aultre  lumiĂšre  et  le  croit  Ă   bon  escient,  et  se 
le  persuade  ainsi.  » 

))  Ce  qu'on  gagne  au  barreau,  dit  Grotins,  c'est  de  la 
haine  de  la  part  des  adversaires,  de  l'ingratitude  de  la 
part  des  clients  et  pas  de  gloire.  »  Grotins  avait  été 
avocat,  mais  se  souvenait  de  n'avoir  pas  réussi  au 
métier,  à  ce  qu'on  assure. 

Duaren.  qui  vivait  au  t6e  siÚcle,  quoique  célÚbre 
jurisconsulte,  tout  en  estimant  les  avocats,  n'aimait 
guĂšre  le  barreau.  Il  ne  pouvait  comprendre  que  tant 
d'hommes  trÚs  graves  et  trÚs  distingués  se  donnassent 
Ă   de  telles  misĂšres. 

«  Gomme  vous  scauez,  dit  Rabelais,  qu'il  n'est  si 
malvaise  cause  qui  ne  trouve  son  advocat  sans  cela  ne- 
serait  jamais  procez,  au  monde»  . 

Montesquieu  que  nous  avons  déjà  cité,  et  qui  a  tant 
peur  de  passer  pour  connaissant  dans  le  langage  du 
Palais,  ne  daigne  pas  mĂŽme  citer  les  avocats  dans  son 
fameux  ouvrage  «  De  l'esprit  des  lois  ».  S'il  en  parle 
dans  ses  Lettres  Persanes,  c'est  pour  s'en  moquer 
comme,  du  reste,  tout  magistrat  qu'il  est,  il  se  moque 
des  magistrats  eux-mĂȘmes.  Ainsi,  Rica  Ă©crit  Ă   Usbeek,- 
deux  personnages  des  Lettres  : — «  J'allais,  l'autre  jour, 
diner  chez  un  homme  de  robe  qui  m'en  avait  prié  plu- 
sieurs fois.  AprÚs  avoir  pailé  de  bien  des  choses,  je 
lui  dis  :  Monsieur,  il  me  parait  que  votre  métier  est 
bien  pĂ©nible. — Pas  autant  que  vous  l'imaginez  rĂ©pond-il. 
Si  vous  connaissiez  le  Palais,  reprit  le  magistrat,  vous 
ne  parleriez  pas  comme  vous  faites  ;    nous  avons  de&. 


—  44  — 

livres  vivants  qui  sont  les  avocats;  ils  travaillent  pour 
vous  et  se  chargent  de  nous  instruire. — Et  ne  se  char- 
gent-ils pas  aussi  quelquefois  de  vous  tromper,  lui  re- 
parlis-je  ?  Vous  ne  feriez  donc  pas  mal  de  vous  garantir 
de  leurs  embûches  ;  ils  ont  des  armes  avec  lesquelles 
ils  attaquent  votre  équité  ;  il  serait  bon  que  vous  en 
eussiez  pour  la  défense  et  que  vous  n'allassiez  pas  vous 
mettre  dans  la  mĂȘlĂ©e,  habillĂ©  Ă   la  lĂ©gĂšre,  parmi  des 
gens  cuirassés  jusques  aux  dents.  « 

Et  Voltaire:  «Tous  ces  vieux  avocats  étaient  flottants 
dan?  leurs  opinions,  ils  alléguaient  cent  lois,  ils  regar- 
daient l'alTaire  par  cent  cÎtés  ;  les  juges  décidÚrent  plus 
vite  que  les  avocats  ne  doutÚrent  ».  Voltaire  les  aimait 
pourtant,  Ă   ce  qu'on  dit,  mais  Voltaire  n'Ă©crit  toujours 
que  suivant  son  humeur,  le  caprice  du  moment.  Est-il 
d'humeur  chagrine  ?  «  "Un  avocat  est  un  homme,  dit- 
il,  qui  n'ayant  pas  assez  de  fortune  pour  acheter  un 
de  ces  brillants  offices  sur  lesquels  l'univers  a  les  yeux, 
étudie  pendant  trois  ans  les  lois  de  Théodose  et  de  Jus- 
tinien  pour  connaĂźtre  la  Coutume  de  Paris  et  qui,  enfin, 
étant  immatriculé,  a  le  droit  de  plaider  de  l'argent,  s'il 
a  la  voix  forte.  Les  esprits  de  Voltaire  sont-ils  a  la 
gaitĂ©  ?  «  J'aurais  voulu  ĂȘtre  avocat,  Ă©crit-il,  c'est  le 
plus  beau  métier  du  monde.  » 

Ces  préjugés  durÚrent  longtemps.  Mirabeau,  qui 
devait  plus  tard  mériter  le  surnom  de  DémosthÚues 
français,  se  présentait  devant  le  parlement  d'Aix  pour 
plaider  avec  M.  de  Portails.  Son  pÚre  au  désespoir, 
écrit  à  son  frÚre  :  «  Voilà  donc  M.  le  comte  à  son  apo- 
gĂ©e ;  il  va  plaider  lui-mĂȘme  et  sans  doute  on  lui  dit 
que  c'est  beau  et  qu'il  est  autant  audessus  de  ses  com- 
pĂšres, les  autres  marchands  de  paroles,  que  les  Ă©toiles 
sont  audessus  des  coquelicots  ».    Voilà. 


XI 


Faut-il,  messieurs,  chercher  Ă   combattre  ce  c^ue  l'hu- 
meur, l'ambition  et  les  rivalités  ont  inspiré  contre  l'or- 
fdre  des  avocats,  exposé  par  la  nature  de  ses  travaux  et 
ide  ses  fonctions  Ă   tous   les  sarcarmes  de    l'opinion  .? 


--45- 

Bans  ces  traits  que  la  main  du  littérateur  sait  déco- 
cher trop  légÚrement,  ces  sentences  que  la  bonne 
volonté  du  philosophe  sait  trop  bien  édicter,  l'on  ne 
reconnaßt  guÚre  «  un  ordre  aussi  noble  que  la  vertu, 
aussi  nécessaire  que  la  justice  ;  qui  se  distingue  par 
un  caractĂšre  qui  lui  est  propre,  et,  seul,  entre  tous  les 
Ă©tats,  se  maintient  toujours  dans  l'heureuse  et  paisible 
possession  de  son  indépendance.»  L'homme  illustre 
qui  prononçait  ces  paroles  avait  été,  lui  aussi,  avocat, 
conseiller,  magistrat  et  Ă©crivain.  C'est  le  grand  d'A- 
guesseau. 

«  Quelle  est  la  classe,  dit  Oscar  Pinard,  oĂč 
les  relations  soient  plus  sûres,  les  opinions  plus 
tolérantes,  les  esprits  plus  libres,  les  caractÚres  plus 
ouverts,  les  Ăąmes  plus  fiĂšres,  le&  cƓurs  plus  Ă©mus  ? 
Les  causes  de  divisions  n'y  manquent  pas.  La  poli- 
que,  la  religion,  la  renommée,  la  fortune,  tout  s'en 
mĂȘle.  A  quoi  tient-il  qu'il  y  ait  si  peu  de  haine  dans 
une  profession  livrée  à  toutes  les  rivalités,  si  peu  de 
déchirements  pour  des  hommes  qui  ont  leurs  passions 
d'abord  et  ensuite  les  passions  d'autrui  ;  qui  sont  acces- 
sibles Ă   toutes  les  impressions  ;  au  milieu  desquels  les 
partis  ont  tous  été,  les  uns  aprÚs  les  autres,  depuis  bien- 
tĂŽt un  siĂšcle,  chercher  leurs  instruments,  leurs  inter- 
prÚtes et  bien  souvent  leurs  chefs?»  Ce  que  l'éloquent 
Ă©crivain  vient  de  dire  du  barreau  moderne  peut  sans 
peine  s'appliquer  au  barreau  ancien.  On  ne  peut  rien 
ajouter  à  l'autorité  de  cette  parole. 

Avant  de  terminer  cette  esquisse  historique  si  incom- 
plĂšte, j'eusse  voulu  vous  faire  connaĂźtre  quelques 
figures  remarquables  de  la  magistrature  et  du  barreau 
anciens.  J'eusse  voulu  parler  de  l'Ă©loquence  des  maĂź- 
tres. Mais  j'ai  été  trop  long  déjà.  Il  faudrait  parler  de 
Budée  (1467-1560)  surnommé  le  prodige  de  la  France. 
Outre  la  science  du  droit  qu'il  possédait,  il  pouvait  en- 
core ĂȘtre  comparĂ©  au^  plus  excellents  orateurs  da  la 
GrĂšce  ancienne,  pour  la-  connaissance  qu'il  avait  du 
grec.  Il  faudrait  nommer Gujas  (1520-1 590)  le  plus  grand 
jurisconsulte  de  son  temps.  A  Bourges,  oĂč  il  ensei- 
gne, le  nombre  ae  ses  Ă©lĂšves  est  prodigieux.  Dans 
les  Ă©coles  publiques  d'Allemagne,  les  Ă©lĂšves  ne  pronon- 
cent plus  son  nom  qu'en  ĂŽtant  leurs  chapeaux.  A  force 


—  46  — 

'de  s'accroupir  devant  les  infolio,  Giijas  avait,  parait-il^ 
fini  par  user  de  ses  genoux  le  plancher  de  sa  chambre. 
Il  me  faut  Ă   regret  passer  sous  silence  Pasquier,  Loysel, 
Brisson,  Ferey,  Doneau,  Hotman,  Duaren,  surtout 
Dumoulin,  Martin,  etc,  mĂŽme  Beaumarchais  !  Chez 
ce  dernier,  on  ne  dira  pas  que  la  variété  des 
talents  manquait.  «  Horloger,  musicien,  chansonnier, 
dramaturge,  auteur  comique,  hommede  plaisir,  homme 
de  cour,  homme  d'affaires,  financier,  manufacturier, 
éditeur,  armateur,  fournisseur,  agent  secret,  négocia- 
teur, publiciste,  tribun  par  occasion,  homme  de  paix 
par  goût  et  cependant  plaideur  éternel,  faisant  comme 
Figaro  tous  les  métiers,  Beaumarchais  a  mis  la  main 
dans  la  plupart  des  événements,  grands  ou  petits,  qui 
ont  précédé  la  révolution.»  Tel  est  le  portrait  que 
Loménie  en  fait. 

Nous  n'avons  pas  mentionné  Domat,  ce  jurisconsulte 
qui  réussit  «  à  imprimer  à  la  loi  civile  la  droi- 
ture d'une  science  morale  et  la  précision  d'une  science 
mathématique,  »  et  Pothier  dont  la  science  et  l'admi- 
rable droiture  aussi  ont  fait  de  lui  le  modĂšle  inimitable 
des  Ă©crivains  jurisconsultes. 

Je  dois  finir.  Messieurs,  et  vous  remercier  de  l'atten- 
tion que  vous  m'avez  prĂȘtĂ©e.  Je  n'ai  fait  qu'effleurer  le 
plus  large  des  sujets.  A  un  autre  de  traiter  h  fond  cette 
matiĂšre  qui  touche  aux  plus  beaux  souvenirs  de  la 
France  ancienne.  Le  barreau,  par  ses  nombreuses  illus- 
trations, a  contribué  sa  part  à  la  grandeur  et  à  la  renom- 
mée de  notre  ancienne  mÚre  patrie.  Et  puisque  c'est  la 
loi  qui  fonde  les  Ă©tats,  aimons  cette  interprĂšte  du 
droit  et  de  la  justice.  Cette  prérogative  a  fait  de  nos 
ancĂȘtres  les  instituteurs  de  la  libertĂ©  et  de  la  civilisation 
dans  le  monde. 


§-3. 


POMPÉI 


Conférence  par  M.  J.  FREMONT 


C'était  par  une  belle  journée  du  mois  de  mai  en 
Tannée  1884.  Le  soleil  venait  de  se  lever,  et  ses  rayons 
jetaient  des  lueurs  dorées  sur  les  vagues  bleues  du 
golfe  de  Naples. 

L'antique  cité  de  Pompéï  semblait  avoir  secoué  tout- 
Ă -coup  la  poussiĂšre  de  dix-huit  siĂšcles.  On  aurait  dit 
que,  grĂące  Ă   la  baguette  magique  de  quelque  puissante 
l'Ă©e,  les  morts  de  Fan  79  Ă©taient  revenus  reprendre 
leurs  anciennes  occupations  parmi  les  ruines  d'un  autre 
Ăąge.  Au  milieu  d'un  immense  concours  de  curieux, 
la  vieille  Pompéï  avait  repris  sa  vie  silongtemps  inter- 
rompue. 

Quelles  sont  donc  ces  fĂȘtes,  que  l'administration  des 
fouilles  de  Pompéi  célÚbre  pour  rappeler  l'anniversaire 
de  la  reprise  des  travaux  ? 

C'est  d'abord,  le  cortĂšge  de  l'empereur  Vespasien 
que  défile  majestueusement,  à  travers  les  places  publi- 
ques, et  les  rues  de  Pompéï  en  se  rendant  à  l'amphi- 
thĂ©Ăątre. Quinze  jeunes  PompĂ©iens  revĂȘtus  de  la  toge 
romaine,  et  portant  les  images  des  divinités  protectrices 
de  la  ville  précÚdent  le  lit  impérial.  C'est  Venus,  Bac- 
chus  et  le  divin  Auguste  qui  s'avancent.    Les  prĂȘtres 


-.48  — 

d'Isis,  en  costume  oriental  accompagnent  leur  idole^^ 
ainsi  que  les  enfants  chargés  des  vases  sacrés,  et  des- 
trĂ©pieds d'oĂč  s'Ă©lĂšvent  des  nuages  d'encens.  Viennent 
ensuite  les  prétoriens  suivis  des  musiciens  avec  leurs 
tambours,  leurs  cimbales,  et  leurs  trompettes  de  toute» 
formes.  Enfin  s'avance  majestueusement  la  litiĂšre 
impériale,  magnifiquement  décorée,  et  suivie  par  les 
sénateurs,  les  prétoriens,  la  foule  des  clients,  des  magis- 
trats et  des  Ă©diles  de  la  ville. 

Les  curieux  accompagnent  cette  procession  jusqu'Ă  
l'amphithéùtre,  pour  assister  aux  luttes  des  gladiateurs 
et  entendre  le  cĂ©lĂšbre  :  Ave^  CƓsar^  morituri  te  salu- 
tant^  signal  du  combat. 

Plus  loin,  dans  la  ville,  les  anciennes  boutiques  sont 
rouvertes  ;  on  y  débite  comme  autrefois  le  vin  de  la 
Campa  nie. 

Mais  voici  que  d'un  autre  point  de  la  Cité,  défile  le 
cortĂšge  funĂšbre  par  lequel,  la  ville  rend  ses  derniers 
devoirs,  Ă   l'un  de  ses  citoyens  marquants.  La  marche 
s'ouvre  par  des  joueurs  de  flûtes  et  de  trompettes, 
suivis  par  des  porteurs  de  torches.  En  avant,  un  per- 
sonnage revĂȘtu  des  habits  du  dĂ©funt  et  portant  un 
masque,  danse  en  représentant  les  principales  actions 
de  celui  dont  on  pleure  la  perte.  Quatre  hommes  por- 
tent lentement  sur  un  brancard  la  dépouille  mortelle. 
Puis  viennent  les  affranchis  revĂȘtus  du  bonnet  de  la 
liberté,  les  parents  et  les  amis  du  défunt.  Pour  ter- 
miner le  cortĂšge,  la  foule  des  pleureuses  Ă   gages, 
toujours  prĂȘtes  Ă   verser  des  larmes  pour  les  hĂ©ritiers 
qui  n'en  ont  point. 

Enfm  le  soir  de  cette  journée,  (c'était  le  temps  de  la 
célébration  des  noces  chez  les  anciens  romains),  à  la 
lueur  des  llambeaux  de  pins,  s'avance  sur  le  seuil  de 
la  maison  paternelle,  la  jeune  fille  parée  de  sa  toi- 
lette nuptiale.  Sa  coiffure  est  ornée  de  fleurs,  et  elle 
est  recouverte  d'un  long  voile.  Sa  robe  est  blanche 
comme  la  neige.  On  vient  l'arracher  des  bras  de  sa 
mĂšre  afin  qu'elle  ne  paraisse  pas  aller  d'elle-mĂȘme  Ă  
son  mari.  Elle  est  alors  conduite  Ă   la  demeure  de  son 
fiancé  précédée  par  un  jeune  garçon  portant  le  flambeau 
de  l'hymen,  soutenue  par  ceux  qui  l'ont  enlevée,  et 
suivis  par  d'autres  enfants  portant  la  quenouille  el  le 


-49- 

Tuseaii.  Les  chants  de  l'hymenée  les  accompagnent. 
"Cette  procession  arrive  Ă   la  maison  du  futur,  dont  la 
porte  est  ornée  de  guirlandes  de  fleurs.  On  jette  à  la 
jeune  fille  de  l'eau  lustrale  pour  qu'elle  entre  purifiée. 
Enfin,  elle  est  enlevée  de  force  et  portée  dans  son  nou- 
veau domicile,  dont  les  clefs  lui  sont  alors  remises. 
Le  tout  se  termine,  comme  chez  nous,  par  le  repas  de 
noces. 

Telles  sont  en  partie,  les  curieuses  fĂȘtes  qui  ont  eu 
lieu  à  Pompéï  et  qui  ont  attiré,  de  nouveau,  l'attention 
<lu  monde  vers  cette  antique  cité,  la  plus  grande  curio- 
sité archéologique  de  toute  l'Italie,  si  remplie  pourtant 
de  ruines  et  de  monuments  d'un  autre  Ăąge. 

C'est  mon  intention,  ce  soir,  de  vous  entretenir  quel- 
ques instants  de  Pompéï,  de  cette  ville  qui  sort  peu  à 
peu  de  ses  cendres,  aprÚs  y  avoir  été  enfouie  pendant 
dix-huit  siĂšcles. 

Gomme  on  le  sait,  c'est  dans  une  mĂȘme  catastrophe 
que  périrent  Pompéï  Herculanum  et  Stabies,  trois 
petites  villes  de  la  Campanie  romaine. 

Depuis  des  siĂšcles,  la  puissance  volcanique  du 
VĂ©suve,  Ă©tait  endormie.  Aussi  les  fertiles  rivages  du 
golfe  de  Naples,  depuis  la  pointe  de  Sorrente  jusqu'aux 
hauteurs  de  Pausiilippe  avaient  attiré  une  population 
considérable.  De  riantes  petites  villes  y  avaient  été 
fondĂ©es  ;  Stables  Ă   l'endroit  oĂč  est  maintenant  Castel- 
lamare,  dont  le  nom  officiel  Gastellamare  di  Stabia, 
rappelle  encore  l'ancienne  ville  détruite;  Pompéï  et 
Herculanum.  Cette  derniĂšre,  Ă   l'endroit  mĂȘme  oĂč 
est  aujourd'hui  RĂ©sina  et  Portici,  aux  portes  mĂȘme  de 
Naples. 

Pompéï  était  certainement  la  plus  florissante  de  ces 
trois  villes  et  devait  avoir  une  population  de  30,000  Ă  
40,000  Ăąmes. 

L'histoire  mentionne  rarement  le  nom  de  ces  petites 
villes.  Tacite  ne  cite  qu'une  fois  le  nom  de  Pompéï. 
C'est  Ă   propos  des  jeux  du  cirque. 

Les  petites  villes  ont  à  cƓur  d'imiter  les  grandes. 
C'est  là  une  remarque  qui  était  vraie  dans  l'antiquité, 
€t  qui  ne  manque  pas  de  vĂ©ritĂ©  de  nos  jours.  Les 
temples  et  les  monuments,  les  théùtres  et  surtout  les 
«amphithĂ©Ăątres  de  Rome,  devaient  ĂȘtre  parconsĂ©quent 
4 


—  so- 
dés objets  d'envie  pour  les  villes  de  province.  Aussi, - 
la  siipnmie  ambition  des  petites  villes  devait  ĂȘtre^ 
d'avoir  en  petit,  ce  qu'il  y  avait  de  grand  et  de  célÚbre- 
à  Rome.  C'est  ainsi  qu'à  l'imitation  du  Cotisée  de 
Rome,  l'on  voit  encore  l'amphithéùtre  de  Nimes,  si 
magnifiquement  restauré  par  le  gouvernement  fian- 
çais, et  les  restes  de  ceux  d'Arles,  de  Fié^ole  et  d'une 
foule  d'autres  villes  de  l'antiquité, 

Pompéß,  grùce  à  sa  prospérité  avait  aussi  soi»  amphi- 
théùtre. Il  était  situé  à  l'extrémiléde  la  vilk.  Inutile' 
de  dire  que  les  pompĂ©iens  devaient  ĂȘtre  passionnĂ©s 
pour  les  jeux  du  cirque,  et  les  comhats  de  gladiateurs. 
L'histoire  nous  apprend  qu'on  les  avait  toujours  aimé 
Ă   Rome.  Dans  les  peliles  villes  de  province,  oĂč  les 
amusements  devaient  ĂȘtre  moins  nombreux,  oĂč  la  vie 
devait  ĂȘtre  plus  tranquille,  et  par  consĂ©quent  plus 
monotone,  on  devait  les  aimer  encore  davantage. 

Si  on  en  veut  la  preuve,  on  n'a  qu'Ă   parcourir  les 
ruesdePompéï.  Les  inscriptions  sur  les  murs  annonçant 
les  spectacles,  avec  promesse  qu'ils  auront  lieu  sans 
ĂȘtre  retardĂ©s  en  cas  de  mauvais  temps,  sine  ulla  dila- 
tione  ;  ou  bien  au  contraire,  mandant  qu'en  cas  de 
pluie  la  fĂȘte  sera  n  mise  au  lendemain.  D'autres  rĂ©- 
clames annonçant  que  les  spectateurs  et  les  gladiateurs 
seront  également  protégés  par  une  toile  veLarium 
contre  les  rayons  du  i^oleil,  alléchante  promesse  pour 
un  climat  du  midi.  Ces  inscriptions  et  une  foule  d'au- 
tres du  mĂȘme  genre,  voilĂ   autant  de  preuves  de  la 
passion  que  les  pompéiens  avaient  pour  les  jeux  du 
cirque,  ainsi  que  les  antres  peupU  s  de  l'empire  romain, 
car  Pompéß  n'est  p;is  une  exception. 

Les  enfants  et  les  nanenrs,t0H3  ceux  qui  n'avaient  rien 
Ă   faire,  (ju'Ă   pensera  leurs  plaisirs,  s'amusaient  Ă char- 
boiiner  les  murs.  Qut^ls  sont  les  sujets  de  leurs  dessins  ? 
Des  combats  d(i  gladiateurs  ;  ou  encore,  ce  qu'ils  appel- 
lent Tin  héros,  c'est-à  dire,  un  homme  qui  a  remporté 
de  nombreuses  victoires  à  l'amphithéùtre.  Les  traits 
de  sa  personne  sont  repioduits  grossiĂši-ement,  son  nom 
est  inscrit  au  bas  avec  le  nombre  de  ses  victoires. 

Lps  pom[)éiens  aimaient  donc  passionnément  les 
exercices  de  ramphilhĂ©Ăą're.  Aussi  pour  ĂȘtre  invitĂ©s 
aux  jeux  qui  se  donnaient  dans   les  villes  voisines,  ils 


—  51  — 

invitaient  leurs  voisins,  Ă   leurs  cirques.  Or  un  jour, 
c'était  les  habitants  de  Nucérie  qu'ils  recevaient. 
Gomme  ces  représentations  n'avaient  pas  précisément 
pour  but  de  porter  les  spectateurs  à  la  tranquillité  et 
Ă   la  paix,  les  voisins  se  prirent  de  querelle,  et  aprĂšs 
avoir  commencé  par  s'injurier,  ils  finirent  par  se  don- 
ner des  coups.  Naturellement,  les  Nucériens  étaient 
en  bien  plus  petit  nombre,  et  il  y  en  eut  beaucoup  de 
tués.  C'est  à  ce  propos  que  Tacite  parle  de  Pompéï  ; 
il  nous  dit  que  les  pompéiens  furent  pris  par  leur  cÎté 
sensible  ;  les  jeux  leur  furent  interdits  pour  dix  ans. 
C'Ă©tait  en  59  aprĂšs  JĂ©sus-Christ. 

Quelques  années  plus  tard,  le  5  Février  63  une  érup- 
tion du  Vésuve  détruisit  une  partie  notable  de  la  ville. 
Aussi  Pompéï  fut-elle  reconstruite  sur  des  plans  alors 
tout  Ă -fait  nouveaux. 

Cette  reconstruction  n'était  pas  achevée,  lorsque  la 
terrible  éruption  du  24  août  79  vint  engloutir  les  trois 
villes  de  Pom[.Ă©ĂŻ,  de  Stables  et  d'Herculanum.  Une 
pluie  de  cendres  et  de  pierres  ardentes  recouvre  entiĂš- 
rement Pompéï  et  Stables,  tandis  que  la  lave  engloutit 
Herculanum,  Les  habitants  ont  le  temps  de  s'enfuir, 
mais  tous  ne  sauvent  pas  leur  vie.  Un  grand  nombre, 
restés  en  arriÚre,  par  peur,  par  hésitation,  quelques 
uns  peut-ĂȘtre  pour  sauver  leurs  trĂ©sors,  y  pĂ©rissent  et 
restent  enfouis  sous  la  couche  de  cendres  et  de  scories 
qui  recouvre  toute  la  ville. 

Immédiatement  aprÚs  l'éruption,  on  fit  des  travaux 
pour  en  retirer  des  objets  précieux,  et,  probablement 
aussi,  les  cadavres  d'un  bon  nombre  de  citoyens.  Mais 
beaucoup  restÚrent  sous  les  décombres,  car,  de  18G1  à 
1871  seulement,  on  a  trouvé  87  squelettes  humains. 

Des  éruptions  subséquentes  vinrent  ensevelir  plus 
complĂštement  la  ville,  et  aujourd'hui,  dans  ses  parties 
non  fouillées,  Pompéï  est  recouverte  de  prÚs  de  trente 
pieds  de  matiĂšres  volcaniques. 

Le  souvenir  du  site  de  la  ville  Ă©tait  disparu,  lorsque, 
dans  le  siÚcle  dernier,  un  paysan  découvrit  par  hasard 
des  bronzes  et  des  statues.  Charles  HT,  alors  roi  de 
Naples,  à  qui  la  chose  fut  racontée,  entreprit  de  nou- 
velles fouilles,  mais  simplement  pour  se  procurer  des 
objets  précieux.     On  découvrit  l'amphithéùtre,  le  thé- 


—  52  — 

Ăątre  et  d'antres  Ă©difices.  Mais  on  ne  travaillait  que 
pour  obtenir  des  objets  de  prix,  de  telle  sorte  qu'on 
laissait  tomber  les  murs  en  ruines  ;  ou  mĂȘme,  en  faisant 
de  nouvelles  fouilles,  on  comblait  les  anciennes. 

11  y  une  vingtaine  d'années  un  nouveau  systÚme 
fut  adoptĂ©.  M.  Fiorelli,  qui  est  Ă   la  tĂȘte  de  l'ad- 
ministration, a  fait  prévaloir  l'idée  que  le  principal 
intĂ©rĂȘt  des  fouilles  Ă©tait  PompĂ©ĂŻ  mĂŽme  ;  qu'il  fallait 
surtout  ressusciter  une  ville  romaine,  non  seulement 
avec  ses  palais  et  ses  trésors,  mais  encore  avec  ses  ma- 
sures pour  pouvoir  y  retracer  la  vie  intime  de  ses  habi- 
tants, les  classes  pauvres,  comme  celles  qui  Ă©taient 
douées  sous  le  rapport  de  la  fortune. 

C'est  dans  cet  esprit  que  les  travaux  se  sont  faits.  L'on 
a  cammencé  par  étayer  les  murs  chancelants,  et  l'on  a 
continué  à  déblayer  les  endroits  non  encore  fouillés. 
PrÚs  d'une  moitié  de  Pompéï  est  maintenant  sortie 
de  ses  cendres.  Le  Forum,  la  basilique,  les  temples, 
le  théùtre,  les  thermes,  et  les  autres  principaux  édifices 
de  la  ville  ont  peu  Ă   peu  surgi  des  dĂ©combres,  oĂč  ils 
Ă©taient  ensevelis  depuis  des  siĂšcles.  C'est  le  quartier 
riche.  Aussi  plusieurs  archéologues  ont-ils  prétendu 
qu'il  Ă©tait  Ă   peu  prĂšs  inutile  de  continuer  les  fouilles. 
Qu'y  trouverez-vous,  si  ce  n'est  des  masures?  disaient- 
ils.  Ils  oubliaient  que  le  but  des  travaux  n'Ă©tait  plus 
uniquement  d'y  trouver  des  objets  d'art,  mais  encore 
d'y  reconstituer  en  quelque  sorte  une  ville  antique, et 
de  pouvoir  y  retracer  la  vie  de  ses  habitants.  Les 
fouilles  continuent,  et  les  derniÚres  découvertes  ont 
prouvé  que  M.  Fiorelli  avait  raison. 

*  * 

Pour  vous  faire  part  des  résultats  obtenus,  il  me 
fnnt  d'abord  vous  faire  connaĂźtre  la  topographie  d'une 
ville  romaine,  et  en  particulier  de  Pompéï,  avec  ses 
Ă©difices  et  ses  constructions.  Je  pourrai  alors  vous 
parler  des  arts  de  ce  peuple,  ainsi  que  de  ses  cultes 
religieux.  Dans  l'antiquité,  les  Italiens  lorsiju'ils 
construisaient  une  ville,  en  formaient  d'abord  l'en- 
ceinte ;  puis  ils  traçaient  deux  lignes  qui  la  traversaient, 
l'une    du    nord    au   sud,   l'autre    de  l'est   Ă   l'ouest. 


I 


—  53  — 

La  premiĂšre  prenait  le  nom  de  cardo  ;  la  seconde  decu- 
manus.  C'est  le  plan  qui  fut  suivi  dans  la  construction 
de  Pompéï.  Un  mur  entourait  la  ville  qui  communi- 
quait avec  les  bourgs  voisins  par  huit  portes.  Le 
cardo  et  le  decumanus  sont  encore  visibles  dans  le  plan 
de  Pompéï  et  nous  font  deviner,  en  quelque  sorte,  la 
topographie  de  ce  qui  est  encore  enfoui  sous  les  cen- 
dres. Les  autres  rues  viennent  s'embrancher  sur  ces 
premiÚres,  et  elles  se  coupent,  en  général,  à  angle  droit. 
Elles  sont  toutes  trÚs-étroites,  et  bordées,  la  plupart, 
d'un  trottoir  encore  plus  étroit.  Elles  sont  pavées  de 
grands  blocs  de  pierre,  sur  lesquels  on  voit  encore  les 
orniÚres  creusées  par  les  chariots  et  les  chevaux.  De 
disfance  en  distance,  un  cube  de  pierre  est  placé  au 
milieu  de  la  rue  pour  permettre  aux  passants  de  tra 
verser  sans  se  mouiller  en  temps  de  pluie. 

La  place  publique  par  excellence,  à  Pompéï  comme 
dans  la  capitale  de  l'empire,  c'est  le  Forum;  c'est  lĂ  
le  lieu  de  rĂ©union  oĂč  se  font  les  dĂ©libĂ©rations  du  peu- 
ple ;  c'est  le  centre  de  la  cité.  Le  Forum  sert  à  tous  les 
usages.  C'est  lĂ   que  le  peuple  Ă©tablit  ses  lois;  c'est  lĂ  
qu'il  choisit  ses  officiers.  On  y  rend  la  justice  le  jour  ; 
on  y  vend  toutes  sortes  de  denrées  ;  on  y  transige  toute? 
espÚces  d'affaires  ;  on  s'y  réunit  le  soir  pour  la  prome- 
nade. 

Six  rues  aboutissent  au  Forum;  des  pierres  dressées 
à  l'extrémité  de  ces  rues  rendent  la  place  inaccessible 
aux  voitures.  Le  Forum  est  entouré  d'un  grand  nombre 
de  piédestaux  qui  servaient  de  bases  aux  statues  des 
citoyens  qui  s'étaient  distingués.  Plusieurs  de  ces 
piédestaux  portent  encore  leurs  inscriptions  destinées 
à  perpétuer  la  mémoire  d'un  duumvir  ou  d'un  censeur 
de  la  ville.  On  y  voit  aussi  les  restes  d'un  arc  de  triom- 
phe qui  était  surmonté,  dit-on,  d'une  statue  équestre  de 
NĂ©ron. 

Comme  c'est  le  lieu  de  rendez-vous  des  citoyens,  et 
que  tout  le  monde  y  vient,  c'est  autour  de  cette  place 
que  se  trouve  le  plus  grand  nombre  d'Ă©difices  publics. 
Ce  sont  :  la  Basilique  oĂč  s'administrait  la  justice  ;  le 
temple  de  VĂ©nus;  celui  de  Jupiter  ;  un  autre  qu'on 
croit  ĂȘtre  un  temple  de  Mercure  ;  un  Ă©difice  oĂč  siĂ©gaient 
les  tribunaux  inférieurs  ;  le  temple  d'Auguste;  la  salle 


—  54  — 

du  SĂ©nat.  Enfin  un  Ă©difice  public  connu  sous  le  n-om 
de  Chalcidicum  qui  Ă©tait  une  espĂšce  de  bourse.  Au 
dessus  de  l'entrée  latérale  se  lit  l'inscription  suivante  : 

Eumachia^  lucii  fiUa^  sacerdos  publica^  numine  suo  et 
Numistn  Frontonis  fili^  Chalcidicum^  criptam  porticus  sua 
pecufiia  fecit^  eademquc  dedicavit. 

«  La  prĂȘtresse  Eamachie.  ta  fille  de  Luclus,  construisit 
M  ce  Chalcidique  Ă   ses  frais^  avec  sa  criple  et  son  portique.)) 
Est-ce  pour  récompenser  Eumachie  de  ce  maL^uifique 
don  à  la  cité  que  les  foulons  de  Pompéï  lui  élevÚrent 
une  statue  dont  l'inscription  porte  Eumachix  L.  F. 
Sacerdoti  puhlicƓ^  Fullones.  Cette  statue  se  trouvait 
à  l'intérieur  mÎme  du  Chalcidique.  Elle  forme  partie 
maintenant  du  musée  de  Naples. 

Outre  ces  édifices,  Pompéï  avait  aussi  son  amphi- 
théùtre. J'ai  déjà  eu  occasion  de  parler  précédemment 
de  la  passion  que  les  pompéiens  avaient  pour  les  amu- 
sements qui  s'y  doiniaient.  La  j^randeur  de  la  cons- 
truction qui  contenait  15  Ă   20,000  spectateurs  en  est 
une  autre  preuve. 

Mais  les  pompéiens  ne  se  contentaient  pas  des  com- 
bats de  gladiateurs  et  de  bĂȘtes  fĂ©roces;  ils  possĂ©daient 
aussi  dans  leur  ville,  deux  théùtres. 

L'un  d'eux,  connu  sous  le  nom  de  grand  théùtre, 
Ă©tait  une  vaste  construction,  assise  sur  le  sol  mĂȘme 
d'une  colline.  Les  gradins  étaient  posés  sur  le 
versant  du  monticule  de  maniĂšre  Ă   Ă©conomiser  les 
frais  de  construction.  Les  degrés  étaient  places  vis-à- 
vis  le  golfe  de  Naples,  et  pendant  la  représeiitalion,  les 
spectateurs  les  plus  élevés,  avaient  une  vue  magnifique 
de  la  baie,  et  des  cĂŽtes  environnantes.  En  bas,  le  plus 
prĂšs  de  la  scĂšne  se  trouvait  V orchestra,  oĂč  sur  des 
siĂšges  de  bronze,  les  principaux  magistrats  de  la  ville 
assistaient  à  la  représentation.  Ce  sont  nos  siÚges 
d'orchestre.  Puis,  sur  les  premiers  gradins,  ima  cavea 
étaient  d'autres  places  privilégiés  pour  l'aristocratie  ; 
le  parterre  chez  nous.  Enfin  les  gradins  les  plus 
élevés,  le  paradis  de  nos  théùtres  modernes,  étaient 
destinés  au  peuple,  à  la  plÚbe,  de  beaucoup  la  popu- 
lation la  plus  nombreuse  dans  les  villes  de  province 
comme  dans  la  capitale  de  l'empire  romain.  Chaque 
classe  de  spectateurs  possédait  son  entrée  particuliÚre. 


—  55  — 

'^ne  porte  privée  conduisait  à  une  galerie  spéciale 
(-qu'on  croit  ĂȘtre  celle  des  femmes.  C'est  lĂ   que  les 
4ames  de  Pompéï  assistaient  au  spectacle  derriÚre  une 
grille  de  fer.  Dans  le  principe,  les  femmes  Ă©taient 
exclues  des  représentations  de  l'amphithéùtre  et  de  la 
‱scùne.  Ce  ne  fut  qu'nu  commencement  de  l'empire 
^u'on  leur  permit  d'assister  au  spectacle. 

Les  gradins  du  théùtre  étaient  en  marbre  de  Paro?. 
Ces  gradins  portaient  des  numéros  correspondants  à 
chaque  siÚge.  Beaucoup  de  ces  numéros  sont  encore 
visibles.  En  en  faisant  le  calcul,  on  estime  que  ce 
théùtre  était  capable  de  recevoir  5000  spectateurs. 
Ajoutez  Ă   cela  les  1500  personnes  que  contenait  le 
petit  théùtre,  qu'on  appelle  communément  F Oc/eon,  et 
les  20,000  spectateurs  admis  à  l'amphithéùtre  ;  vous  en 
arrivez  Ă   la  conclusion,  que  dans  une  petite  ville  de 
province,  qui  avait  une  population  de  30  Ă   40,000  Ăąmes 
dl  y  avait  place  dans  le  théùtre  et  le  cirque  pour  26,500 
personnes,  -c'est-Ăą-dire  presque  FentiĂšre  population 
ayant  l'ùge  nécessaire  pour  assister  au  spectacle,  et 
^certainement  beaucoup  plus  que  la  population  des 
hommes  libres  de  la  cité. 

Les  anciens  ne  connaissaient  pas  le  théùtre  à  toiture 
fixe.  Les  deux  théùtres  de  Pompéï,  de  mÎme  que 
l'amphithéùtre,  n'étaient  pas  couverts.  Une  immense 
‱voile,  le  velarium^  Ă©tait  quelquefois  Ă©tendue  au-dessus 
4es  spectateurs,  pour  les  protéger  contre  le  soleil  et 
la  pluie.  Les  murs  extérieurs  ont  encore  les  anneaux 
oij  se  mettaient  les  poutres  destinés  à  soutenir  le  vp.la- 
rium.  C'Ă©taient  les  naults^  matelots,  qui  debout  sur  le 
plus  haut  gradin  de  l'amphithéùtre,  avaient  charge 
«de  poser  le  velarium.  On  se  demande  encore  par  quel 
prodige,  celte  immense  toile  Ă©tait  ainsi  Ă©tendue  sans 
support  au  centre,  et  comment  elle  pouvait  résister  à 
la  pluie  et  au  vent  ! 

La  scÚne  est  longue  et  étroite  ;  le  fonds,  jadis  orné 
‱de  statues,  a  trois  portes,  comme  l'exigeait  la  tragĂ©die 
-antique. 

Il  me  faut  aussi  mentionner  le  temple  d'Isis  entouré 
‱d'un  portique  à  colonnes.  Au-dessus  de  l'autel  et  du 
trépied  sacré,  était  la  statue  de  la  divinité.  Un  escalier 
iiecret  permettait  aux  prĂȘtres  de  s'introduire  derriĂšre 


—  56  — 

l'idole  pour  lui  faire  rendre  des  oracles.  Plusieurs  sque- 
lettes de  prĂȘtres  ont  Ă©tĂ©  trouvĂ©s  dans  les  dĂ©pendances 
de  ce  temple.  La  mon  a  surpris  l'un  d'eux  lorsqu'il  Ă©tait 
encore  Ă   table,  et  il  vivait  assez  largement  si  l'on  en 
juge  par  le  poisson,  le  poulet,  le  pain,  les  Ɠufs,  le  vin 
dont  les  restes  furent  trouvés  auprÚs  de  lui.  Son  com- 
pagnon d'infortune  travailla  plus  fortement  pour  sauver 
sa  vie.  Grùce  à  sa  hache,  il  avait  déjà  réussi  à  percer 
deux  murs,  mais  il  ne  put  aller  plus  loin;  on  le  décou- 
vrit au  pied  du  troisiĂšme  mur.  Et  la  hache  qu'il 
tenait  à  la  main  fut  trouvée  à  ses  cÎtés. 

C'est  dans  ce  temple,  que  se  passent  plusieurs  des 
scĂšnes  du  fameux  roman  de  Bulw^er  Lytton  Les  der- 
niers jours  de  Pompéï^  que  tout  le  monde  a  lu,  et  qui 
dépeint  d'une  maniÚre  si  palpitante  la  catastrophe  de 
la  ville. 

Les  recherches  ont  amené  au  jour,  plusieurs  thcrnus 
on  maisons  de  bains.  Les  thermes  jouaient  un  grand 
rÎle  dans  l'antiquité.  Les  auteurs  romains  en  font 
mention  assez  souvent.  On  comprend  facilement  que, 
dans  un  climat  chaud,. comme  celui  de  l'Italie  méri- 
dionale, les  maisons  de  bains  n'Ă©taient  pas  seulement 
un  luxe,  mais  une  nécessité.  Les  hommes  libres 
fréquentaient  les  bains  ;  leurs  esclaves  devaient  aussi 
avoir  les  leurs;  car  c'Ă©tait  lĂ   un  besoin  pour  conserver 
la  santé. 

La  maison  de  Pompéï  différait  beaucoup  de  la  nÎtre. 
Elle  devait  avoir  plusieurs  Ă©tages  comme  celle  de  nos 
jours.  On  croit  que  les  étages  supérieurs  étaient  en 
bois,  et  auraient  éié  incendiés  dans  la  catastrophe  qui 
a  détruit  la  ville  car, dans  les  ruines,il  n'y  aqu'une  seule 
maison  qui  conserve  encore  son  second  Ă©tage.  Je 
ne  compte  pas  celle  de  DiomÚde  située -en  debors- 
de  la  cité,  qui  avec  ses  vastes  caves,  a  sou  rez-de- 
chaussée,  un  entresol  et  un  étage  supérieur.  Les  nom- 
breux escaliers  que  l'on  voit  dans  les  maisons  de- 
PompĂ©ĂŻ  n'auraient  pas  leur  raison  d'ĂȘtre,  si  l'on  n'admet 
pas  l'existence  d'étages  supérieurs. 

Je  viens  de  dire  que  nos  habitations  diißÚrent  essen- 
tiellement des  maisons  de  Pompéï.  Nos  maisons  sont 
grandes,  vastes,  bien  Ă©clairĂ©es  par  de  larges  fenĂȘtres 
qui  nous  mettent  en  communication   constante  avix 


--57  — 

rextérienr  et  la  rue.  Au  contraire,  la  maison  pon?- 
péïenne  communique  avec  le  reste  de  la  ville  par  la 
porte  seulement.  Toute  la  maison  est  éclairée  par  les 
cours  intérieures. 

«  Le  maßtre  du  logis,  dit  Bossier,  ne  tient  pas  à  voir 
dans  les  rues;  surtout,  il  ne  veut  pas  que  de  la  rue,  on 
regarde  chez  lui.  Dans  sa  maison  mĂŽme,  il  a  des 
divisions  et  des  distinctions.  La  partie  oĂč  il  accueille 
les  Ă©trangers  n'est  pas  celle  oĂč  il  se  retire  avec  sa 
famille.  On  ne  pénÚtre  pas  aisément  dans  ce  sanc- 
tuaire qui  est  séparé  du  reste  jjar  des  corridors,  fermé 
par  des  portes  ou  des  tentures,  et  gardé  par  des  con- 
cierges. Le  maßtre  reçoit  quand  il  veut  ;  il  s'enferme 
chez  lui,  quand  il  lui  plait  ;  et  si  quelque  client  plus 
ennuyeux,  et  plus  tenace,  l'attend  Ă   sa  sortie,  dans  son 
vestibule,  il  a  une  porte  de  derriĂšre  posticum  sur  une 
rue  étroite  qui  lui  permet  de  s'échapper.» 

L'habitation  pompéienne  consiste  en  de  petites  cham- 
bres trĂšs  nombreuses,  mais  aussi  trĂšs  petites.  La 
chambre  oĂč  le  maĂźtre  se  retire  pour  la  nuit,  celle  oĂč 
il  fait  sa  sieste  ne  reçoivent  de  lumiÚre  que  par  la 
porte. 

Presque  toutes  ces  habitations  sont  remarquables  par 
une  grande  surcharge  d'ornementation.  Cette  orne- 
mentation consiste  sui^out  dans  les  peintures  murales 
et  les  statues. 

AprÚs  avoir  ainsi  examiné  quelle  était  cette  antique 
cité,  nouspotivons  nous  demander,  quelle  était  la  popu- 
lation qui  l'habitait,  quelles  Ă©taient  les  mƓurs  de  ce 
peuple,  son  commerce,  son  industrie,  et  comment  il 
cultivait  les  arts  ;  enfui  quels  Ă©taient  ses  cultes  reli- 
gieux. 

Comme  à  Rome,  il  y  avait  à  Pompéï  une  aristocratie, 
une  bourgeoisie  ou  le  peuple,  la  classe  pauvre  et  enfin, 
les  esclaves.  C'Ă©tait  un  endroit  charmant,  oĂč  les  riches 
patriciens  de  Rome  venaient  passer  les  chaleurs  de 
l'été  ;  une  place  d'eau  telle  que  la  Malbaie,  Cacouna  el 
Kainoui'aska,  chez  nous.  Peut-ĂȘtre  la  jeunesse  Ă©lĂ©- 
gante de  Rorne  a-l-elle  contribué  à  y  amener  le  luxe 


—  58  — 

et  la  dissolution  de  mƓurs  qui  y  rĂ©gnait.  Mais  il 
ne  faut  pas  oublier  que  Pompéï  était  située  dans  un 
pays  charmant  oĂč  tout  porte  Ă   la  sensualitĂ©,  oĂč  Â«  l'Ă©clat 
veioulé  de  la  campagne,  dit  un  auteur,  la  tiÚde  tempé- 
rature de  l'air,  les  contours  arrondis  des  montagnes, 
les  molles  inflexions  desfleuves  et  des  valléessont  autant 
de  séductions  pour  tous  les  sens  que  tout  repose  et 
rien  ne  blesse.  »  Il  faut  donc  dire  que  ces  deux  causes 
ont  dĂ»  grandement  amener  cette  dissolution  de  moeurs. 
On  doit  se  rappeler  aussi  que  l'oisivité  est  mÚre  de  tous 
les  vices.  La  population  pompéienne  ne  se  plaisait 
que  dans  le  repos.  Les  riches  qui  avaient  leur  vie  toute 
gagnée,  ne  songeaient  qu'à  s'amuser  ;  et  dans  ce  climat 
enchanteur,  la  terre  produisait  presque  spontanément 
et  tout  portait  Ă   la  nonchalance  et  Ă   la  paresse.  Toute 
la  population  devait  donc  s'en  ressentir, comme  on  voit 
un  exemple  de  nos  jours  dans  l'indolence  prov.-rbiale 
des  napolitains.  Et  c'Ă©tait  tellement  le  casque  mĂȘme  Ăą 
cette  époque  on  qualifiait  déjà  la  ville  de  Naples  de 
fainéante  otiosa  Neapolis. 

J'ai  dit  que  les  mƓurs  Ă©taient  dissolues;  tout  dans 
la  ville  nous  l'enseigne  ;  chaque  maison  avec  ses  célÚ- 
bres peintures  murales,  ses  statuettes,  qui  ne  tendent 
qu'Ă   plaire  aux  sens;  voilĂ   des  preuves  suffisantes  sans 
que  je  sois  forcé  à  venir  dévoiler  ici  les  abominations 
que  nous  révÚle  les  chambres  secrÚtes  du  musée  de 
Naples. 

La  vie  des  habitants  de  cette  fameuse  cité,  nous  est 
en  partie  révélée  par  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler 
les  graffiti.  On  appelle  ainsi  les  différents  écrits  trouvés 
dans  les  fouilles. 

Il  y  a  d'abord  Iss  inscriptions  aux  frontispices  des 
temples,  ou  sur  le  pied  d'une  statue,  destinées  à  perpé- 
tuer le  souvenir  d'un  bienfaiteur  de  la  cité.  Mais  je 
désire  vous  parler  plus  particuliÚrement  d'une  autre 
classe  de  graffiti.  Ce  sont  les  écrits  crayonnés  partout 
sur  les  murs  en  noir  ou  en  rouge,  Ă   l'aide  d'un  pinceau 
ou  d'une  pointe  de  fer. 

Ce  sont  en  premier  lieu,  les  avis  publics  ayant  rap- 
port au  municipe,  au  gouvernement  de  la  ville,  les 
annonces  des  théùtres,  des  jeux  de  l'arÚne.  On  ne  peut 
.aller  loin    dans    Pompéï    sans    rencontrer    des    avis 


—  59  — 

Ă©lectoraux.  Dans  les  petites  villes  de  l'empire 
romain,  on  caLalait,  on  faisait  jouer  toutes  les  inlluen- 
ces  pour  obtenir  le  succĂšs  d'une  Ă©lection.  Aussi  la 
ville  est-elle  remplie  d'inscriptions  par  lesquelles,  tel 
patricien  recommande  son  candidat  Ă   ses  amis  et  Ă   ses 
clients.  Le  candidat  lui-mĂȘme,  connaissant  le  cĂŽtĂ© 
faible  de  la  population,  promet  des  jeux  et  des  gladia- 
teurs. Chez  nous,  avec  nos  lois  draconiennes,  nous 
dirions  que  c'est  lĂ ,  une  influence  indue. 

Puis  viennent  les  annonces  des  boutiques  et  des 
hĂŽteliers.  Le  maĂźtre  d'une  auberge  invite  les  voya- 
geurs Ă   venir  chez  lui,  en  leur  promettant  un  bon 
dĂźner,  et  toutes  espĂšces  de  conforts  : 

Omnia  commoda  prƓstantur. 

Plus  loin  c'est  le  malheureux  propriétaire  d'une  maison 
vacante  qui  l'offre  Ă   loyer.  C'est  encore  par  ces 
annonces  qu'on  réclame  les  objets  volés  :  «Une  urne 
))  de  vin  a  disparu  de  la  boutique  ;  celui  qui  la  rappor- 
»  tera  aura  65  sesterces  ;  s'il  amÚne  le  voleur,  il  aura 
n  droit  au  double.  » 

Enfin  la  derniÚre  catégorie  de  ces  graffiti  comprend 
toute  inscription  charbonnée  ou  marquée  par  une 
pointe  de  fer  ou  un  couteau  par  les  oisifs  et  les  passants. 
Ces  inscriptions  sont  trĂšs  nombreuses,  et  traitent  d'une 
infinité  de  sujets.  C'est  quelquefois  une  simple 
remarque  faite  par  un  passant,  ou  bien,  c'est  un  extrait 
de  quelque  poëte.  L'amour  est  bien  souvent  l'objet  de 
ces  inscriptions.  C'est  ainsi  qu'un  amant  passionné 
s'Ă©crie  : 

i4/i,  peream^  sine  te^  si  deus  esse  velim. 

u  Que  je  meure,  si  jamais  sans  toi,  je  consentais  Ă  
devenir  un  dieu.  »  Un  autre  nous  fait  connaßtre  le 
teint  de  son  amante  : 

Candida  me  docuit.  nigras  odisse  puellas. 

«  La  blancheur  de  ma  fiancée  me  fait  détester  les 
brunes.  » 

«  Muletier,  s'écrie  un  troisiÚme,  si  tu  sentais  les  feux 
de  l'amour,  tu  te  hĂąterais  davantage  pour  retrouver  ta 
belle.  Je  t'en  prie,  presse  le  pas  ;  tu  as  assez  bu  ; 
prends  ton  fouet  et  agite-le  ;  mÚne-moi  vite  à  Pompéï 
oĂč  m'attendent  mes  chers  amours.  « 


—  60  — 

Enfin,  voici  un  conj^Ă©  formel  qu'une  certaine  Vir- 
gula  donne  Ă   son  ami  Tertius  :  Virgula  Tertio  suo  : 
indecens  es.     «Tu  es  trop  laid,  Tertius.  » 

Il  y  a  beaucoup  de  ces  inscriptions  qui  sont  emprun- 
tées à  des  auteurs  en  renom,  à  Properce,  à  Virgile,  à 
Ovide  surtout,  l'auteur  de  l'Art  d'aimer.  Mais  ce  qui 
est  remarquable,  c'est  que  l'on  ue  trouve  pas  une 
seule  citation  d'Horace 

Toutes  ces  inscriptions  ne  se  rapportent  pas  Ă   l'amour. 
Ainsi  c'est  un  gamin  qui  nous  apprend  que  la  mar- 
chande de  vins  a  toujours  soif,  ou  qu'un  nommé 
Oppius  est  toujours  en  possession  du  bien  d'autrui  ; 
maniĂšre  indirecte  de  qualifier  un  ivrogne  et  un  voleur. 

Pompéï  était  une  ville  commerciale.  Les  auteurs 
ont  mentionné  souvent  son  commerce  maritime  ;  les 
fruits,  les  vins  et  tous  les  produits  de  la  mer,  frulti 
di  mare,  telles  en  Ă©taient  les  principales  branches. 
Le  nombre  extraordinaire  des  boutiques  de  la  ville 
indique  qu'on  y  transigeait  des  affaires  considé- 
rables. 

Mais  l'indnstrie  pompéienne  était-elle  prospÚre,  et 
quelles  étaient  les  différentes  branches  d'industrie  en 
opération  ?  La  réponse  à  cel'e  question  va  nous  faire 
examiner  le  véritable  état  social  des  populatians 
anciennes. 

En  parcourant  les  ruines  de  Pompéï  et  en  examinant 
les  richesses  du  musée  de  Naples,  ce  qui  doit  frapper 
l'observation  du  visiteur,  c'est  le  progrĂšs  Ă©tonnant  de 
certaines  indnstries,  comme  le  travail  des  métaux  et  des 
objets  d'art,  à  cÎté  des  moyens  primitifs,  et  des  mé- 
thodes arriérées  employées  pour  la  fabrication  de  cer- 
taines chosrs  de  premiÚre  nécessité. 

J'ai  pnrlĂ©  tout  Ă   l'heure  de  l'amour  du  bien-ĂȘtre  et 
du  luxe  de  la  population  riche  et  aristocratique  de  la 
ville.  Eh  bien,  tout  ce  qu'il  lui  faut  pour  satisfaire 
ses  goûts  de  luxe  est  dans  un  état  avancé  de  progrÚs. 

Lés  dames  de  Pompéï,  semblables  aux  dames  de  nos 
jours,  aimaient  les  parures  et  les  joyaux.  Les  orfĂšvres 
de  Pompéï  étaient  assez  habiles  poiu-  leur  fabrii|uer 
des  bagues,  des  bracelets,  des  colliers  certainement 
auFsi  Ix^aux  que  ceux  qui  sortent  de  l'atelier  de  nos 
meilleurs  orfÚvres  contemporains.     Les  bijoux  trouvés 


—  61  — 

dans  une  boutique  de  Pompéï,  et  qui  sont  exposés  au 
musée  de  Naples,  en  sont  la  meilleure  preuve. 

Les  habitants  de  Pompéï  étaient  sujets  aux  maladies 
comme  nous  le  sommes.  Aussi  les  instruments  de 
chirurgie  sont  là  pour  faire  foi  de  ce  que  leurs  médecins 
n'Ă©laient  pas  tout-Ă -fait  des  ignorants.  Je  crois  mĂȘme 
que  nos  chirurgiens  modernes  ont  du  recourir,  il  y 
a  quelques  années,  à  un  instrument  découvert  à  Pom- 
péï comme  étant  plus  parfait,  et  meilleur  que  l'instru- 
ment que  nos  pĂšres  nous  avaient  transmis. 

Une  industrie  qui  était  un  besoin  impérieu.x  pour  la 
ville,  c'est  celle'  des  thermes  ou  bains  publics.  Nos 
maisons  de  bains  modernes  ne  sont  guÚre  supérieures 
à  celles  de  l'antiquité. 

Un  métier  qui  devait  tenir  une  place  trÚs-importante 
dans  l'industrie  pompéïenne,  c'était  celle  de  foulons. 
On  sait  que  tous  les  citoyens  romains  revĂȘtaient  la  toge 
Gens  togata.  Ce  vĂȘtement  qui  devait  ĂȘtre  si  Ă©lĂ©gant, 
avait  un  grand  défaut.  Sa  blancheur  avait  le  désa- 
vantage de  se  salir  aisément.  Alors  on  l'envoyait; 
chez  le  foulon.  On  vient  de  mettre  au  jour  à  Pompéï 
une  nouvelle  boutique  de  foulon.  Cette  boutique  est 
recouverte  de  peintures  fort  intéressantes,  qui  nous 
font  voir  les  difïerentes  opérations  du  métier. 

La  toge,  lorsqu'elle  était  apportée  chez  le  foulon 
était  d'abord  jetée  dans  une  cuve  pleine  d'eau,  conte- 
nant en  solution  de  la  craie  et  d'autres  ingrédients. 
Elle  était  ensuite  lavée,  non  pas  à  la  main,  mais  le  fou- 
lon la  foulait  véritablement  avec  ses  pieds,  en  exécu- 
tant une  sorte  de  danse  à  trois  temps,  appelée  tvipudium. 
C'Ă©tait  lĂ   une  danse  trĂšs  populaire.  Ce  devait  ĂȘtre 
aussi  de  gais  et  joyeux  compagnons  que  ces  foulons  si 
on  en  juge  par  le  nombre  des  peintures  qui  les  repré- 
sentent à  Pompéï,  parmi  lesquelles,  il  ne  faut  pas 
oublier  celle  des  foulons  en  bonne  humeur,  fullones 
feriati. 

Telles  Ă©taient  quelques-unes  des  industries  dans  les- 
quelles excellait  ce  peuple  antique.  Mais  à  cÎié  de 
ces  métiers  en  vogue,  il  en  existait  d'autres  qui  n'avaient 
pas  fait  un  pas  dans  la  voie  du  progrĂšs.  C'Ă©tait  lĂ   la 
pensée  qui  m'occupait  en  visitant  le  détail  d'une  bou- 
langerie pompéïenne, sortie  des  fouilles  depuis  plusieurs 
années. 


-GĂą- 
chez les  anciens  romains,  le  boulanger  non  aetile' 
nnenl  fabriquait  le  pain,  mais  il  convertissait  aussi  le 
grain  en  farine;  il  n'Ă©tait  pas  seulement  boulanger, 
mais  il  était  aussi  meunier.  La  boulangerie  de  Pompéï 
contenait  quatre  moulins  a  bras.  «Chaque  moulin 
consiste,  dit  Dupays,  en  deux  pierres  de  lave;  l'infé- 
rieure solidement  Ă©tablie  sur  le  sol,  conique  et  s'adap- 
tantàun  cÎne  creusé  dans  la  pierre  supérieure  ;  celle- 
ci,  ayant  la  forme  d'un  sablier  étranglé  au  milieu, 
présente  deux  cavités  opposées  par  leurs  sommets."  La 
cavité  supérieure  était  destiné  à  recevoir  le  grain,  qui 
passait  de  lĂ ,  entre  les  deux  pierres  oĂč  il  Ă©tait  Ă©crasĂ©. 
La  pierre  supérieure  était  percée  de  quatre  trous  des* 
tinés  à  y  placer  des  leviers  au  moyen  desquels  des 
esclaves  donnaient  à  la  machine  le  mouvement  néces- 
saire pour  Ă©craser  le  grain.  Gomme  on  le  voit,  c'Ă©tait 
lĂ ,  un  moulin  Ă   farine  bien  primitif,  et  le  voyageur  est 
surpris  de  voir  cet  art  utile  si  arriéré,  aprÚs  avoir 
admiré  l'élégance  des  maisons  de  Pompéï,  le  luxe  dis 
meubles  et  des  objets  d^art.  Et  cependant  il  eut  été  si 
facile  de  se  servir  du  pouvoir  moteur  des  vents  qui 
parcouraient  le  littoral  de  la  Méditerranée;  ou  encore 
d'utiliser  le  cours  du  Sarnus  qui  coulait  Ă   deux  pas  de 
lĂ ,  aux  iDortes  mĂŽmes  de  la  ville. 

Mais  non,  pourvu  que  le  pain  fut  fabriqué,  peu 
importait  le  mode.  On  ne  s'est  jamais  donné  la  peine 
de  chercher  une  amélioration  qui  aurait  allégé  le  travail 
de  la  classe  pauvre  et  des  esclaves  alors  considérés 
comme  des  bĂȘtes  de  somme.  Le  travail  esclave  devait 
ĂȘtre  dans  l'antiquitĂ©  le  plus  grand  obstacle  au.  perfec- 
tionnement d'un  grand  nombre  de  ces  arts  utiles. 
Les  gens  riches  se  disputaient  la  possession  des  objets 
d'art,  mais  ils  ne  s'intéressaient  en  rien  à  ce  qui  pouvait 
améliorer  la  position  de  leurs  esclaves.  Il  ne  s'agis- 
sait pas  lĂ   d'orner  leurs  jardins  de  statues,  et  leurs 
murs  de  ces  fresques  dont  les  pompéiens  paraissent  si 
friands,  et  dont  je  dois  vous  dire  un  mot. 

Les  peintures  murales  sont  trÚs  nombreuses  à  Pompéï. 
Pre!?que  toutes  les  maisons  en  possĂšdent  plusieurs.  Ces 
peintures  représentent  en  grande  partie  des  sujets 
mythologiques.  Quelques  uns  reproduisent  des  paysa- 
ges^  et  des  animaux,  ou  des  tableaux  de  la  vie  réelle. 


Ce  sont  Ces  derniers  que  l'on  regarde  avec  plus  de 
curiosité  en  parcourant  Pompéi,  car  ils  nous  font  con- 
naütre les  mƓurs  de  ses  habitants.  Ce  sont  des  foulons^ 
des  marchands  de  poissons,  ou  encore  des  scĂšnes  d'au- 
berges, ou  de  l'amphithéùtre. 

Les  tableaux  mythologiques  qui  sont  de  beaucoup 
les  plus  nombreux  et  les  mieux  faits  représentent  prÚs* 
que  tous  des  histoires  d'amour,  Jupiter  tĂąche  de  gagner 
les  bonnes  grĂąces  de  LĂȘda,  d'Io,  ou  de  DanaĂ©.  VĂ©nits 
est  dans  les  bras  de  Mars  ;  ou  c'est  le  bel  Adonis  qui 
est  captivé  par  les  charmes  de  la  déesse. 

On  se  demande  si  les  peintres  pompéiens  ont  réelle-' 
ment  inventé  ces  tableaux  ou  s'ils  n'ont  fait  que  repro- 
duire des  artistes  qui  alors  Ă©taient  connus.  D'abord, 
quant  aux  tableaux  de  la  vie  réelle,  on  est  d'accord  a 
dire  que  les  peintres  de  Pompéi  n'ont  fait  que  repro- 
duire ce  qui  leur  passait  tous  les  jours  sous  les  yeux. 

Quant  aux  autres  peintures  qui  forment  prĂšs  des 
neuf-dixiĂšmes,  les  savants  semblent  croire,  qu'en  les 
exécutant,  les  artistes  de  Pompéi  n'ont  fait  que  repro- 
duire des  maĂźtres  grecs  qu'ils  nous  font  connaĂźtre 
quelque  peu. 

La  littérature  que  les  pompéiens  nous  ont  laissée  se 
rĂ©duit  Ă   peu  de  choses.  A  Herculanum,  oĂč  l'on  a  fait 
trÚs  peu  de  travaux,  l'on  a  trouvé  une  bibliothÚque  con- 
sidérable, tandis  qu'à  Pompéi,  l'on  a  rien  découvert, 
que  les  livres  de  compte  du  banquier  Jucundus.  Ces 
documents  n'ont  été  utiles  qu'à  ceux  qui  étudient  le 
droit  romain.  Pourtant,  il  devait  y  avoir  des  livres  Ă  
Pompéi,  puisque  l'on  y  a  trouvé  l'enseigne  d'une 
librairie  qui  était  tenue  par  quatre  associés,  ainsi  qu'une 
ou  deux  maisons  d'Ă©cole. 

Il  et^t  probable  que  la  cendre  chaude  qui  a  recouvert 
Pompéi  a  dévoré  le  papyrus  et  fondu  les  tablettes 
de  cire,  tandis  que  le  torrent  de  boue  qui  a  enseveli 
Herculanum  a  tout  conservé  intact. 

Mais,  puisqu'on  y  possédait  des  librairies  et  des  écoles^ 
on  devait  posséder  plus  que  les  livres  de  compte  de 
Jucundus.  Quels  Ă©taient  les  livres  qui  Ă©taient  lus  pai* 
cette  population  ?  Leur  littérature  devait  ressembler 
Ă   leurs  tableaux;  l'amour  devait  en  ĂȘtre  le  sujet  le  plus 
ordinaire.     Les  nombreux  extraits  d'Ovide  reproduit» 


"Sur  les  murs  en  sont  nne  preuve,  ainsi  que  d'autres 
fragments,  qui  semblent  empruntés  à  des  auteui'sdont 
les  Ɠuvres  ne  sont  pas  parvenues  jusqu'à  nous.  Il  semble 
certain,  que  dans  une  ville  d'eau,  peuplée  eu  grande 
partie  par  des  joyeux  viveurs,  les  auteurs  sérieux  n'aient 
pas  eu  grande  faveur. 

La  religion  des  pompéiens  dont  on  a  trouvé  la  prin* 
cipale  trace  dans  les  temples  et  les  peintures,  semble 
ĂȘtre  un  panthĂ©isme  qui  cherchait  Ă   dĂ©ifier  tous  les 
vices,  surtout  ei  on  en  juge  par  les  peintures  et  les 
sculptures  de  la  ville.  Non  content  des  dieux  de  Rome 
et  de  la  GrÚce,  on  avait  emprunté  Isis  aux  Egyptiens  ; 
et  peu  Ă   peu,  la  mythologie  de  tous  les  peuples  conquis 
par  les  légions  romaines  s'était  implantée  dans  les 
villes  d'Italie,  et  en  particulier  Ă   PompeĂŻ.  Tous  ces 
dieux,  toutes  ces  déesses,  n'ont  qu'une  occupation. 
Toutes  leurs  aventures  ont  trait  Ă   des  histoires  d'amour. 
Et  si  ou  lit  les  enseignements  de  ces  dieux  dans  les 
fres<|ues  de  Pompéï,  on  voit  que  cette  prétendue  reli- 
gion n'était  plus  qu'une  école  d'immoralité,  et  une 
apothéose  de  tous  les  vices. 

Mais  à  cÎté  de  ces  religions  païennes  la  religion  du 
Christ  commençait-elle  à  jeter  ses  fondements  dans  les 
villes  d(^  la  Campanie  ?  Jusqu'à  présent,  on  n'a  pu 
arriver  Ă   aucune  preuve  certaine  de  ce  fait.  Il  reste 
Ă   fouiller  une  moitiĂ©  de  la  ville,  et  peut-ĂȘtre  dĂ©cou- 
vrira-t-on  quelque  preuve  palpable.  Mais  il  est  pro- 
bable que  le  travail  gigantesque  des  apĂŽtres  avait 
déj-fi  jeté  la  bonne  semence  dans  cette  terre  pleine 
d'ivraie. 

Saint  Paul  venait  de  faire  le  voyage  de  PouzzolesĂ  
Rome  en  prĂȘchant  le  Dieu  Inconnu.  Il  est  donc  pro- 
bable que  quelques  chrétiens  avaient  déjà  visité  la 
ville  qui  devait  périr  si  subitement.  Certainement 
que  le  nom  de  la  religion  nouvelle  n'y  était  pas  ignoré 
puisqu'on  vient  de  trouver  sur  une  muraille  une  ins- 
cription faite  au  charbon  oĂč  l'on  a  lu  le  mot  de  chrĂ©- 
tien, r/jr/s//fl7n<.s.  Mais  il  ne  doit  pas  ĂȘtre  bien  Ă©tonnant 
?U(*  l'on  n'ait  pas  encore  découvertde  preuves  positives, 
l  faut  se  rappeler  que  les  chrétiens  ne  pouvaient  pas, 
Ă   cette  Ă©poque,  aflirmer  ouvertement  leur  religion 
sans  s'exposer  à  des  persécutions   trÚs  cruelles,  et  (jue 


—  65  — 

les  rites  du  nouveau  culte  ne  pouvaient  s'accomplir 
qu'eu  des  lieux  cachés  et  secrets.  Si  l'on  prend  en 
considération  ces  faits,  il  ne  parait  pas  aussi  extraordi- 
naire que  l'on  n'ait  pas  eu  plus  de  succĂšs  dans  les  re- 
cherches faites  jusqu'à  présent.  Il  ne  faut  pas  surtout 
s*en  Ă©tonner,  si  l'on  considĂšre  que  les  fouilles  du  Mont 
Palatin  Ă   Rome,  oĂč  il  y  a  eu  certainement  un  grand 
nombre  de  chrétiens,  n'ont  pas  été  plus  heureuses. 
Quoique  le  christianisme  ait  pénétré  de  bonne  heure 
dans  le  palais  des  CĂ©sars,  le  seul  souvenir  qui  en  reste 
est  la  fameuse  caricature  conservée  au  musée  Kircher. 
Elle  représente  une  croix  sur  laquelle  est  étendu  un 
homme  Ă   tĂȘte  d'Ăąne.  Un  autre  personnage  se  tient  au 
dessous  les  mains  levées  vers  la  croix.  L'inscription 
qui  est  en  grec,  nous  dit  que  c'est  AlexamĂȘne  qui  adore 
son  Dieu.  C'est  donc  un  blasphÚme  dirigé  contre  un 
chrĂ©tien.  AlexamĂȘne  supporta  l'affront  avec  courage^ 
et  les  rires  et  les  sarcasmes  de  ses  compagnons  ne  lui 
firent  pas  renier  sa  foi,  puisqu'on  a  trouvé  une  ins- 
cription qui  nous  dit  qu'il  demeura  fidĂšle  :  Alexamenos 
fidelis. 

Quels  ont  du  ĂȘtre  les  sentiments  de  terreur  et  d'effroi 
de  toute  cette  population  si  légÚre,  lorsque  le  Vésuve 
a  commencĂ©  sa  grande  Ɠuvre  de  destruction  ? 

Seize  ans  auparavant,  le  dangereux  cratÚre  avait  déjà 
montré  sa  puissance  aux  populations  de  la  Campanie. 
Une  grande  partie  de  PompĂ©ĂŻ  mĂȘme,  avait  Ă©tĂ©  dĂ©truite. 
Les  murs  s'étaient  écroulés,  à  la  suite  de  tremblements 
de  terre,  et  les  projectiles  enflammés  qu'avait  lancés  le 
volcan  avaient  incendié  une  partie  de  la  ville.  Aussi, 
lorsque  la  terrible  éruption  de  l'an  79  commença,  la 
population  devait  connaĂźtre  les  dangers  affreux  qui  la 
menaçaient. 

C'était  le  vingt-troisiÚme  jour  d'août.  Vers  une 
heure  de  l'aprĂšs-midi,  il  s'Ă©leva  au-dessus  du  VĂ©suve 
un  nuage  d'une  grandeur  extraordinaire.  Tel  un 
pin  géant  dont  le  corps,  dénué  de  branches,  s'é- 
lance Ă   une  grande  hauteur,  et  dont  la  cime  s'Ă©tend 
comme  un  immense  parasol:  «On  aurait  dit,  lit-on  dans 
Pline  le  Jeune,  qu'un  vent  souterrain  le  poussait  avec 
force,  et  le  soutenait  ensuite  dans  les  régions  éthérées, 
mais,  soit  que  l'impulsion  diminuĂąt  peu  Ă   peu,  soit  que 
5 


—  66  — 

ce  nuage  fut  affaissé  par  son  propre  poids,  on  le  voyait 
se  dilater,  et  se  répandre.  Il  paraissait  tantÎt  blanc, 
tantĂŽt  noirĂątre,  et  tantĂŽt  de  diverses  couleurs  selon 
qu'il  était  plus  chargé  de  cendres  ou  de  terre.  » 

Pendant  plusieurs  jours  un  tremblement  de  terre 
s'Ă©tait  fait  sentir,  mais  cette  aprĂšs  midi,  il  redoubla  de 
violence,  et  Ton  eĂ»t  dit  que  tout  allait  ĂȘtre  englouti. 

Quelle  nuit  terrible  dut  succéder  à  cette  aprÚs-midi 
pleine  d'eftroi.  Partout  tombait  une  cendre  Ă©paisse  et 
chaude,  des  pierres  calcinées,  des  cailloux  tout  noirs, 
tout  brûlés,  tout  pulvérisés  par  la  violence  du  feu. 
«  La  mer,  dit  Pline  le  Jeune,  battue  par  un  ouragan  qui 
venait  du  large  semblait  refluer  sur  elle-mĂȘme.  On 
aurait  dit  qu'elle  était  comme  chassée  du  rivage  par 
l'Ă©branlement  de  la  terre.  La  plage  Ă©tait  devenue  pJus 
spacieuse,  et  était  couverte  de  poissons  demeurés  à  sec 
sur  le  sable.  Une  nuée  noire  et  horrible,  crevée  par 
des  feux  qui  s'Ă©lan(^'aient  en  serpentant,  s'ouvrait  et 
laissait  échapper  de  longues  fusées  semblables  à  des 
éclairs.  » 

Ajoutez  Ă   cela  la  lueur  des  incendies,  les  cris  des 
parents,  des  amis  se  cherchant  dans  l'obscurité,  les 
plaintes  et  les  pleurs  des  blessés  et  des  mourants,  et 
l'on  peut  se  faire  une  faible  idée  de  cette  terrible  nuit 
qui  devait  se  prolonger  prĂšs  de  trois  fois  vingt-quatre 
heures. 

Le  peuple  s'enfuit  par  la  campagne,  car  il  Ă©tait  impos- 
sible de  s'aventurer  sur  la  mer  en  fureur.  C'eût  été 
tomber  de  Charybde  en  Scylla.  Ils  sortent  donc  de  la 
ville,  la  tĂšte  couverte  d'oreillers  et  de  coussins  pour  se 
proléger  contre  les  projectiles  qui  tombent  de  tous 
cÎtés.  Mais  tous  ne  prennent  pas  la  fuite.  Quelques- 
uns  sont  terrifiés  par  la  peur,  et  ne  font  i)robablement 
aucun  effort  pour  Ă©chapper  Ă   leur  malheureux  sort. 
D'autres,  se  croyant  en  sûreté  dans  leurs  caves,  y  restent 
dans  l'espoir  que  l'Ă©ruption  aura  une  Gn,  et  qu'ils  pour- 
ront quitter  leurs  refuges.  Malheureusement  les  cendres 
et  les  autres  matiĂšres  volcaniques  s'amoncelaient  de 
plus  en  plus  jusqu'Ă   ce  qu'il  leur  fut  impossible  de 
prendre  la  fuite.  Ce  fut  le  cas  pour  les  dix- sept  per- 
sonnes dont  les  cadavres  furent  trouvés  dans  Its  cel- 
liers de  DiomÚde.     Ils  s'y  étaient  réfugiés  avec  des 


—  67  — 

amphores  de  vin  et  des  provisions  qu'ils  ne  purent 
terminer  et  dont  les  restes  forment  maintenant  partie 
"du  musée  de  Naples. 

D'autres  encore,  moins  honnĂȘtes,  voyant  tout  Ă   l'a- 
bandon et  sans  maĂźtres,  entrĂšrent  chez  les  riches  et 
dans  les  temples  et  s'y  gorgĂšrent  de  vins  pour  noyer  leur 
frayeur.  Tels  les  deux  mauvais  prĂȘtres  trouvĂ©s  dans  le 
temple  d'Isis,  et  dont  j'ai  parlé  ci-dessus. 

Enfin  d'aucuns  périrent  dans  leur  fuite,  comme  ces 
deux  personnages  que  l'on  trouva  cĂ   la  porte  de  leur 
jardin,  l'un  tenant  une  clef,  et  l'autre  ayant  prĂšs  de 
lui  une  centaine  de  piÚces  d'or  et  des  vases  précieux. 

Mais  quels  ont  du  ĂȘtre  les  sentiments  de  terreur  et 
de  désespoir  des  pauvres  prisonniers  enchaßnés  dans 
les  cachots  de  la  Basilique,  abandonnés  à  leur  triste 
sort  par  les  geĂŽliers  qui  cherchĂšrent  leur  salut  dans 
une  fuite  Ă©goĂŻste. 

On  a  voulu  faire  un  rapprochement  entre  la  conduite 
de  ces  derniers  et  celle  de  la  prétendue  sentinelle  qui 
périt  plutÎt  que  d'abandonner  son  poste.  C'est  la  re- 
marque que  me  faisait  un  compagnon  de  voyage  qui 
parcourait  avec  moi  la  Voie  des  Tombeaux,  et  exami- 
nait la  fameuse  guĂ©rite  oĂč  fut  trouvĂ©  le  squelette  en 
question  ;  et  il  ajoutait  que  c'Ă©tait  lĂ   le  seul  trait  mo- 
ral qu'il  pouvait  trouver  dans  tout  Pompéï.  Malheu- 
reusement la  prétendue  guérite  n'est  qu'un  tombeau 
romain  et  la  sentinelle  est  probablement  un  fuyard 
harassé  de  fatigue  qui  s'y  serait  réfugié  et  y  aurait 
trouvé  la  mort. 

Mais  suivons  le  peuple  en  fuite  et  écoutons  le  récit 
que  nous  en  a  laissé  un  témoin  oculaire.  C'est  un  ha- 
bitant d'une  ville  voisine  qui  parle. 

«  Nous  prenons  le  parti,  dit-il,  de  quitter  la  ville  ; 
le  peuple  épouvanté  nous  suit  en  foule,  nous  presse, 
nous  pousse  :  Ă   peine  Ă©tions-nous  arrĂȘtĂ©s  dans  la  cam- 
pagne, que  là,  nous  sommes  témoins  de  nouveaux  pro- 
diges et  essuyons  de  nouvelles  frayeurs.  Les  voitures 
que  nous  avions  amenées  avec  nous,  étaient  à  tout 
moment  si  agitées  qu'on  ne  pouvait  mÎme  en  les  ap- 
puyant avec  de  grosses  pierres,  les  arrĂȘter  en  une  place. 
Une  nue  noire  et  horrible  tombe  Ă   terre  et  couvre  les 
mers.    La  pluie  de  cendres  continue  toujours  de  plus 


—  68  — 

en  plus  forte.  Je  tourne  la  tĂȘte  et  j'aperçois  derriĂšre* 
nous  une  épaisse  fumée  qui  nous  suivait,  en  se  répan- 
dant sur  la  terre  comme  un  torrent.  Vous  n'eussiez; 
entendu  que  plaintes  de  femmes,  que  gémissements 
d'enfants,  que  cris  d'hommes.  L'un  appelait  son  pĂšre; 
l'autre  son  fils  ;  l'autre  sa  femme;  ils  ne  se  reconnais- 
saient qu'à  la  voix.  Celui-là  déplorait  son  malheur; 
celui-ci  le  sort  de  ses  proches,  il  s'en  trouvait  Ă  
qui  la  crainte  de  la  mort  faisait  invoquer  la  mort 
mĂȘme.  Plusieurs  imploraient  les  dieux  ;  et  plusieurs 
croyaient  qu'il  n'y  en  avait  plus,  et  comptaient  que 
cette  nuit  Ă©tait  la  derniĂšre  et  l'Ă©ternelle  nuit  dans  la- 
quelle le  monde  devait  ĂȘtre  enseveli.  Il  parut  une 
lueur  qui  nous  annonçait  non  le  retour  du  jour,  mais 
l'approche  du  feu  qui  nous  menaçait.  L'obscurité" 
revint,  et  la  pluie  de  cendres  recommença  plus  forte 
et  plus  épaisse.  Nous  étions  réduits  à  nous  lever  de 
temps  en  temps  pour  secouer  nos  habits  car  sans  cela^ 
elle  nous  eut  accablés  et  engloutis 

Et  l'Ă©crivain  continue  : 

«  Enfin  cette  épaisse  et  noire  vapeur  se  dissipa  peu  à^ 
peu,  et  se  perdit  tout-à-fait  comme  une  fumée.  BientÎt 
aprĂšs  parut  le  jour  et  le  soleil,  mais  jaunĂątre  et  tel 
qu'il  a  coutume  de  luire  dans  une  Ă©clipse.  Tout  se 
montrait  changé  à  nos  yeux  troublés  encore,  et  nous 
ne  trouvions  rien  qui  ne  fut  caché  sous  des  monceaux 
de  cendres.» 

Tel  est  le  récit  que  nous  a  laissé  un  écrivain  de- 
l'Ă©poque. 

Lorsque  le  soleil  se  leva  pour  la  troisiĂšme  fois  depuis 
le  commencement  de  cotte  terrible  Ă©ruption,  la  nature 
avait  repris  son  Ă©tat  normal.  Seul  le  trem"blemenl  de 
terre  continuait  sourdement,  et  le  Vésuve  lançait 
encore  dans  les  airs  son  panache  de  fumée,  menace 
constante  pour  le  pays  d'alentour.  Les  trois  villes  de 
Pompéï  d'Herculanum  et  de  Stables,  n'étaieni  plue 
qu'iwie  ruine  enfouie  sous  les  cendres. 


§-4 


NOTICE 

Sur  Mademoiselle  de  VEROHÊRES 


Marie  Magdeleine  de  VerchÚres  est  née  en  1678.  Son 
acte  de  baptĂȘme  est  datĂ©  Ă   Sorel  le  17  Avril.  Son  pĂšre, 
François  de  Jarret,  Sieur  de  VerchÚres,  officier  du  régi- 
ment de  Garignan,  avait  épousé  en  1669  Marie  Perrot 
dit  Viidaigre.  Décidé  à  s'établir  dans  la  Nouvelle 
France,  il  se  fit  concéder  la  seigneurie  de  VerchÚres  par 
iĂŻntendant  Talon,  le  29  octobre  1672.  Plus  tard  les 
nombreux  services  de  M.  de  VerchÚres  reçurent  une 
nouvelle  récompense.  Le  comte  de  Frontenac  fit  une 
autre  concession  en  sa  faveur,  «  d'une  lieue  d'augmen- 
tation dans  la  profondeur  de  sa  seigneurie  pour  ĂȘtre 
unie  et  jointe  à  cette  derniÚre.  »  (l) 

A  cette  Ă©poque  dans  la  plupart  des  seigneuries,  on 
construisait  des  espÚces  de  forts  ou  camps  retranchés 
pour  se  garantirdes  attaques  des  Iroquois.  A  la  premiĂšre 
alarme  les  habitants  pouvaient  s'y  réfugier  et  s'y 
défendre  avec  avantage.  M.  de  VerchÚres  suivit 
cette  coutume.  Sa  seigneurie  était  une  des  plus  exposés 
aux  incursions  des  sauvages.  Elle  était  située  entre  le 
St.  Laurent  et  la  RiviĂšre  des  Iroquois,  et  cette  der- 
niĂšre Ă©tait  le  chemin  que  suivait  cette  nation  guerriĂšre 
pour  descendre  dans  la  colonie  française.    Bien  plus. 


,.(1)  Registre  d'Intendance  No.  1,  folio  23  ;  No.  let.  E,  folio  4. 


—  vo- 
le roi  de  France  avait  voulu  fermer  ce  passage  ans 
Iroqiiois  en  construisant  le  fort  Richelieu  Ă   l'embou- 
chure de  la  riviÚre.  Les  Iroquois  devaient  en  consé- 
quence Ă©viter  Sorel  et  se  replier  sur  les  seigneuries  de 
Verchùres,  de  ContrecƓur,  et  de  St-Ours. 

Mais  il  ne  faut  pas  croire  que  le  fort  de  VerchĂšre& 
fut  une  citadelle  bien  ledoutable.  Charlevoix  nous 
fournit  des  renseignements  sur  ces  forts.  «  On  y  entrete- 
nait nuit  et  jour,  dit-il,  un  ou  deux  fonctionnaires,  et 
tous  avaient  quelques  piĂšces  de  campagne,  ou  tout  au 
moins  quelques  pierriers,  tant  pour  Ă©carter  Tennemi^ 
que  pour  avertir  les  habitants  d'ĂȘtre  sur  leurs  gardes, 
ou  pour  demander  des  secours»  Ces  forts  n'étaient  que 
de  grands  enclos  fermés  de  palissades  avec  quelques 
redoutes  :  l'Eglise  et  la  maison  du  seigneur  y  Ă©taient 
renfermées,  et  il  y  avait  encore  assez  d^espace  pour  y 
retirer  en  cas  de  besoin,  les  femmes,  les  enfants  et  les 
bestiaux.  C'en  Ă©tait  assez  pour  se  mettre  hors  d'insulte.u 

En  1690,  Madame  de  VerchĂšres  eut  Ă   subir  un  siĂšge 
de  la  part  des  Iroquois,  les  continuels  ennemis  de  la 
Nouvelle  France.  Sa  bravoure  et  son  sang  froid  furent 
tels  que,  quoique  seule,  elle  réussit  à  faire  retirer  les 
assiégeants. 

«  L'espérance  que  les  assiégeants  avaient  conçue,,  dit 
Charlevoix,  d'avoir  bon  maiché  d'une  place,  qu'ils  sa- 
vaieiU  ĂȘtre  dĂ©garnie  d'hommes,  les  fit  retourner  plu- 
sieurs fois  Ă   la  charge,  mais  la  dame  les  Ă©carta  toujours. 
Elle  se  battitde  la  sorte  pendant  deux  jours,  avec  une  bra- 
voure et  une  présence  d'esprit,  qui  auraient  fait  honneur 
Ă   un  vieux  guerrier,  et  elle  contraignit  enfin  l'ennemi  de 
se  retirer,  de  peur  d'ĂȘtre  coupĂ©,  bien  honteux  d'ĂȘtre 
obligé  de  fuir  devant  une  femme.» 

Deux  ans  j)lus  tard,  ce  fut  au  tour  de  mademoiselle 
de  VerchĂšres  de  s'illustrer.  Presque  seule,  avec  ses 
deux  frÚres,  elle  sut  résister  pendant  huit  jours  aux 
Iroquois  qui  Ă©taient  revenus  Ă   la  charge.  Ce  fait  eut  un 
grand  retentissement  dans  la  colonie,  et  mérita  à  son 
auteur,  le  litre  d'héroïne  de  VerchÚres,  titre  qu'elle 
devait  si  bien  mériter.  Il  est  rapporté  au  long  dans 
le  récit  de  mademoiselle  de  VerchÚres. 

On  attribue  à  noire  héroïne  plusieurs  autres  exploits» 
glorieux. 


—  Tl  — 

«  Un  nouveau  trait  de  courage,  écrit  M.  l'abbé  Daniel 
(1),  en  achevant  de  lui  gagner  tous  les  cƓurs,  confirma 
la  bonne  opinion  qu'on  avait  conçue  de  son  mérite. 
M.  de  la  PĂ©rade  Ă©tait  Ă   la  poursuite  des  Iroquois  aux 
environs  de  la  riviĂšre  Richelieu,  d'autres  disent 
de  la  riviĂšre  Ste-Anne.  Tout  Ă   coup  une  multi- 
tude de  ces  barbares  qui  jusque-lĂ   s'Ă©taient  tenus 
cachés  dans  les  broussailles,  se  précipite  sur  lui,  au 
moment  oĂč  il  s'y  attendait  le  moins.  Il  est  sur  le  point 
d'ĂȘtre  saisi.  Mademoiselle  de  VerchĂšres  voit  le  danger. 
AussitĂŽt  s'armant  d'un  mousquet,  elle  vole  Ă   son  se- 
cours, et,  aidée  de  quelques  hommes,  elle  parvient  à  le 
dégager  et  à  mettre  les  Iroquois  en  fuite.  C'est  alors 
qu'elle  devint  Ă   son  tour,  la  conquĂȘte  de  celui  dont 
elle  avait  sauvé  les  jours.» 

En  effet,  elle  Ă©pousa  en  1706  Pierre  Thomas  Tarieu 
de  LanaudiĂšre,  sieur  de  la  PĂ©rade. 

Un  manuscrit,  la  propriété  de  l'honorable  Georges 
Baby,juge  de  la  Cour  du  Banc  de  la  Reine,  rapporte  une 
autre  circonstance  dans  laquelle  cette  femme  héroïque 
sauva  la  vie  de  son  mari. 

C'Ă©tait  au  manoir  de  Ste-Anne  de  la  PĂ©rade,  long- 
temps aprĂšs  son  mariage.  M  de  la  PĂ©rade  Ă©tait  devenu 
vieux  et  malade.  Il  Ă©tait  Ă©tendu  dans  son  lit,  incapable 
de  tout  mouvement. 

Les  Iroquois  pensant  qu'il  est  temps  d'assouvir  leur 
vengeance  si  longtemps  concertée,  s'approchent  du 
manoir,  et  trouvant  la  porte  barricadée,  ils  crient  de- 
mandant à  voir  M.  de  la  Pérade.  Notre  héroïne  leur 
répond  dans  leur  idiome  que  son  mari  est  occupé,  et 
qu'ils  ne  peuvent  le  voir.  Leur  insolence  s'accroit, 
lorsqu'ils  voient  qu'ils  ont  affaire  Ă   une  femme  seule. 
Ils  commandent  qu'on  ouvre  sans  délai.  Mais  madame 
de  la  Pérade  sait  trop  bien  le  sort  qui  lui  est  destiné, 
Ă   elle  et  Ă   son  pauvre  mari,  pour  se  laisser  intimider. 

Vainement  s'attaquent-ils  Ă   la  porte.  Le  manoir 
Ă©tait  construit  comme  on  les  construisait  alors  ;  la 
porte  était  capable  de  résistera  des  assauts  de  ce  genre. 

Ils  veulent  alors  escalader  une  fenĂȘtre,  aprĂšs  avoir 
lancé  une  volée  de  balles  qui  vont  se  loger  dans  les 


(1)  Uistoire  des  graaden  familles  françaises  du  Janada  p.  519. 


—  74  — 

Vierge  sainte,  mĂšre  de  mon  Dieu,  vous  savez  que  je 
vous  ai  toujours  honorée  et  aimée  comme  ma  chÚre 
mĂšre,  ne  m'abandonnez  pas  dans  le  danger  oĂč  je  me 
trouve;  j'aime  mille  fois  mieux  périr  que  de  tomber 
entre  les  mains  d'une  nation  qui  ne  vous  connaĂźt  pas. 
Cependant  les  Iroquois  qui  me  poursuivaient^  se  voyant 
trop  éloignés  de  moi  pour  me  prendre  en  vie  aupara- 
vant que  je  pusse  entrer  dans  le  fort,  et  se  sentant 
assez  proches  pour  me  tuer  Ă   coups  de  fusil,  s'arrĂȘtĂšrent 
pour  faire  leur  décharge  sur  moi.  Je  l'essuyai  pendant 
longlems,  ou  du  moins  elle  m'ennuya  fort.  Les 
balles  de  45  fusils  qui  me  sifflaient  aux  oreilles  mo 
faisaient  paraĂźtre  le  tems  bien  longetl'Ă©loignement  du 
fort  bien  considérable,  quoique  j'en  fusse  bien  proche. 
Etant  à  portée  de  m'entendre,  je  criai  aux  armes, 
aux  armes!  espérant  que  quelqu'un  sortirait  pour  venir 
me  secourir,  mais  en  vain.  Il  n'y  avait  dans  le  fort  que 
deux  soldats  qui,  saisis  de  frayeur,  s'étaient  retirés 
dans  la  redoute  pour  se  cacher.  Enfin,  arrivée  à  la 
porte,  je  trouvai  deux  femmes  qui  pleuraient  leurs 
maris  qui  venaient  d'ĂȘtre  tuĂ©s.  Je  les  lis  entrer  malgrĂ© 
elles  dans  le  fort  dont  je  fermai  moi-mĂȘme  les  portes  (1.) 
alors  je  pensai  Ă   me  mettre  moi  et  le  petit  nombre  de 
personnes  qui  m'accompagnaient  Ă   couvert  des  insultes 
des  Barbares  ;  je  lis  la  visite  du  fort,  je  trouvai  plusieurs 
pieux  tombĂ©s,  qui  faisaient  des  brĂšches  par  oĂč  il  Ă©tait 
facile  aux  ennemis  d'entrer.  Je  donnai  mes  ordres  pour 
les  faire  relever  et  sans  avoir  Ă©gard  Ăź\  mon  sexe  ni  Ă   la 
faiblesse  de  mon  Ăąge,  je  prenais  un  pieu  par  un  bout 
en  encoui'ageant  les  personnes  qui  Ă©taient  avec  moi 
Ă   le  relever,  j'Ă©prouvai  quand  Dieu  donne  des  forces, 
il  n'y  a  rien  d'impossible.  Les  brÚches  du  fort  réparées, 
je  m'en  allai  Ă   la  redoute  qui  servait  de  corps  de  garde 
oĂč  Ă©taient  les  munitions  de  guerre.    J'y  trouvai  les 

(1)  "  Les  sauvages  la  poursuivirent,  dit  le  PĂšre  do  Charicvoix,  et  l'un 
d'eux  la  joignit  dans  le  temps  qu'elle  mettait  le  pied  sur  la  porte,  mais 
Tayaut  saisie  par  un  mouchoir  qu'elle  avait  au  ool,  elle  lo  détacha,  et  ferma 
la  porto  sur  elle  " 

"  Il  y  en  eut  un  autre,  dit  la  Potherie,  qui  la  poursuivit  jusqucs  h  l'entrée 
du  fort  oĂźj  il  crut  l'avoir  arrĂȘtĂ©  par  son  mouchoir  de  col  qui  lui  resta  dans 
les  mains.  Elle  conserva  assez  de  présence  d'esprit  pour  fermer  la  porte 
du  fort  sur  l'Iroquois  qui  n'osa  risquer  d'y  entrer  Ă   cause  du  bruit  qu'il 
y  entendait." 


—  75  — 

deux  soldais,  Pim  caché,  l'autre  qui  tenait  une  mÚche 
allumée;  je  demandai  à  celui-ci:  que  voulez-vous 
faire  de  cette  mĂšche  ?  C'est  pour  mettre  le  feu  aux 
poudres,  me  rĂ©pondit-il,  pour  nous  faire  sauter. — Vous 
ĂȘtes  un  malheureux,  lui  repartis-je — Retirez-vous,  je 
vous  le  commande;  je  lui  parlai  d'un  ton  si  ferme  et 
si  assuré  qu'il  m'obéit  sur  le  champ.  Je  jetai  ma  coiffe, 
j'arborai  un  chapeau,  et  prenant  un  fusil,  je  dis  Ă   mes 
deux  jeunes  frÚres  (l)  :  «  Battons-nous  jusqu'à  la  mort, 
nous  combattons  pour  notre  patrie  et  pour  la  religion.' 
Souvenez- vous  des  leçons  que  mon  pÚre  vous  a  si  sou- 
vent données,  que  des  gentilshommes  ne  sont  nés  que 
pour  verser  leur  sang  pour  le  service  de  Dieu  et  du  Roi. 
Mes  frÚres  et  les  soldats,  animés  par  mes  paroles,  firent 
un  feu  continuel  sur  l'ennemi.  Je  fis  tirer  le  canon  (2) 
non  seulement  pour  effrayer  les  Iroquois  en  leur  faisant 
voir  que  nous  étions  en  état  de  nous  bien  défendre, 
ayant  du  canon,  mais  encore  pour  avertir  nos  soldats, 
qui  Ă©taient  Ă   la  chasse,  de  se  sauver  dans  quelque  autre 
fort. 

Mais  que  n'a-t-on  pas  à  souffrir  dans  ces  extrémités  ! 
Malgré  le  bruit  de  notre  artillerie,  j'entendais  les  cris 
lamentables  des  femmes  et  des  enfans  qui  venaient  de 
perdre  leurs  maris,  leurs  frĂšres  et  leurs  pĂšres,  je  crus 
qu'il  Ă©tait  de  la  prudence,  pendant  que  l'on  faisait  feu 
sur  l'ennemi,  de  représenter  à  ces  femmes  désolées  et 
Ă   ces  enfans,  le  danger  d'ĂȘtre  entendus  de  l'ennemi, 
malgré  le  bruit  des  fusils  et  du  canon,  je  leur  ordonnai 
de  se  taire  afin  de  ne  pas  donner  lieu  de  croire  que 
nous  étions  sans  ressources  et  sans  espérances  (3). 

Pendant  que  je  leur  parlai  de  la  sorte,  j'aperçus  un 
canot  sur  la  RiviĂšre  vis-Ă -vis  du  fort:  c'Ă©tait  le  Sieur 
Pierre  Fontaine  (4)  avec  sa  famille  qui  venait  débar- 

(1)  Probablement  Louis  de  VerchĂšres  qui  avait  juste  douze  ans  Ă   cette 
Ă©poque,  et  Alexandre  de  VerchĂšres  Ăągd  de  dix  ans  et  demie.  Comme  on  le 
Terra  plus  loin,  mademoiselle  de  VerchÚres  dit  qu'ils  étaient  ùgés  de  douze 
ans. 

(2)  "  Elle  chargea  elle-mĂȘme,  dit  do  la  Potherio,  un  canon  do  huit 
livres  de  balles,  s'Ă©tant  servi  d'une  serviette  pour  tampon,  qu'elle  tira 
sur  eux.  Ce  coup  les  Ă©pouvanta  do  frayeur  et  en  mĂŽme  temps  fit  un  signal 
Ă   tous  les  forts  nord  et  sud  du  fleuve.  " 

(.S)  Charlevoix  rapporte  qu'elle  renferma  toutes  ces  femmes  sous  clefs. 
(4)  Ce  Pierre    Fontaine   doit    ĂȘtre    Pierre    Fontaine    dit   Bienvenu,   do 
Varennes,  marié  à  la  veuve  d'Audré  Jarret,  Marguerite  Anthiaume^ 


—  76  — 

quer  dans  l'endroit  oĂč  je  venais  d'ĂȘtre  manqnĂ©e  par  les 
Iroqiiois,  qui  y  paraissaient  encore  Ă   droite  et  Ă   gauche. 
Cette  famille  allait  ĂȘtre  dĂ©faite,  si  on  ne  lui  eĂ»t  donnĂ© 
un  i)romj)t  secours.  Je  demandai  aux  deux  soldats  s'ils 
voulaient  aller  au  devant  de  cette  famille  pour  lui 
favoriser  le  débarquement  qui  était  à  cinq  arpens  du 
fort;  leur  silence  me  fit  connaßtre  leur  peu  de  résolu- 
tion. Je  commandai  Ă   la  Violette,  notre  domestique, 
de  faire  sentinelle  Ă   la  porte  du  fort  et  de  la  tenir 
ouverte  pendant  que  j'irais  moi-mĂŽme  au  bord  de  la 
RiviĂšre,  le  fu.>il  Ă   la  main  et  le  chapeau  sur  la  tĂšte. 
J'ordonnai  en  partant  que  si  nousétions  tués,  l'on  fermùt 
la  porte  du  fort  et  que  l'on  continuĂąt  toujours  Ă   se  bien 
défendre.  Je  partis  dans  la  pensée  que  Dieu  m'avait 
inspirée,  que  les  ennemis  qui  étaient  en  présence  croi- 
raient que  c'Ă©tait  une  feinte  que  je  faisais  pour  les 
engager  de  venir  au  fort,  d'oĂč  l'on  ferait  une  vive  sor- 
tie sur  eux.  Ils  le  crurent  effectivement,  et  ainsi  j'eus 
lieu  de  sauver  ce  pauvre  Pierre  Fontaine,  sa  femme  et 
ses  en  fan  s.  Etant  tous  débarqués,  je  les  fis  marcher 
devant  moi  jusqu'au  fort  Ă   la  vue  de  l'ennemi.  Une 
contenance  si  fiĂšre  fit  croire  aux  Iroquois  qu'il  y  avait 
plus  Ă   craindre  pour  eux  que  pour  nous.  Ils  ne  scavaient 
pas  qu'il  n'y  avait  dans  le  fort  de  VerchĂšres  que  mes 
deux  jeunes  frÚres,  ùgés  de  12  ans,  noire  domesli(]ue, 
deux  soldats  et  un  vieillard  ùgé  de  80  ans  avec  quelques 
femmes  et  quelques  enfans. 

Fortifiée  de  la  nouvelle  recrue  que  me  donna  le 
canot  de  Pierre  Fontaine,  je  commandai  que  l'on  con- 
tinuĂąt Ă   faire  feu  sur  l'ennemi.  Cependant  le  soleil  se 
couche  ;  un  nord-est  impétueux,  qui  fut  bientÎt  accom- 
pagnĂ© de  neige  et  de  grĂȘle,  nous  annonça  la  nuit  la 
plus  aifreuse  qui  se  puisse  imaginer.  Les  ennemis, 
toujours  en  présence,  bien  loin  de  se  rébuter  d'un 
tems  si  fĂącheux  me  firent  juger  par  leurs  mouvemens 
qu'ils  voulaient  escalader  le  fort  Ă   la  faveur  des 
ténÚbres.  J'assemble  toutes  mes  troupes,  c'est-à-dire 
six  personnes  auxquelles  je  parlai  ainsi  :  ''  Dieu  nousa 
sauves  aujourd'hui  des  mains  de  nos  ennemis,  mais  il 
faut  prendre  garde  de  ne  pas  tomber  cette  nuit  dans 
leurs  filets.  Pour  moi,  je  veux  vous  faire  voir  que  je  n'ai 
point  de  peur;  je  prends  le  fort  pour  mon  partage,  avec 


_77- 

tin  homme  ùgé  de  80  ans  et  un  soldat  qui  n*a  jamais 
tiré  un  coup  de  fusil  ;  et  vous,  Pierre  Fontaine,  La 
Bonté  et  Gachet  (noms  des  deux  soldats),  vous  irez  à 
la  redoute  avec  les  femmes  et  les  en  fans,  comme  Ă©tant 
l'endroit  le  plus  fort;  si  je  suis  prise,  ne  vous  rendes 
jamais,  quand  mÎme  je  serais  brûlée  et  hachée  en 
piĂšces  Ă   vos  yeux  ;  vous  ne  devez  rien  craindre  dans 
cette  redoute,  pour  peu  que  vous  combattiez. 

A  l'instant  je  place  mes  deux  jeunes  frĂšres  sur  deux 
bastions,  le  jeune  homme  de  80  ans  sur  le  troisiĂšme 
et  moi  je  pris  le  quatriĂšme.  Chacun  fit  bien  son  person- 
nage. Malgré  le  sifflement  de  nord-est  qui  est  un  vent 
terrible  en  Canada  dans  cette  saison,  malgré  la  neige 
et  la  grĂȘle,  Ton  entendait  a  tout  moment:  Bon  quart, 
de  la  redoute  au  fort,  et  du  fort  a  la  redoute,  bon  quart. 
On  aurait  cru  Ă   nous  entendre  que  le  fort  Ă©tait  rempli 
d'hommes  de  guerre.  Aussi  les  Iroquois,  gens  d'ail- 
leurs si  rusés  et  si  belliqueux,  y  furent-ils  trompés, 
comme  ils  l'avouĂšrent  dans  la  suite  Ă   M.  de  CalliĂšres  Ă  
qui  ils  déclarÚrent  qu'ils  avaient  pris  conseil  pour 
prendre  le  fort  pendant  la  nuit,  mais  que  la  garde  que 
l'on  y  faisait  sans  relĂąche  les  avait  empĂȘchĂ©s  d'exĂ©cuter 
leur  dessein,  surtout  ayant  déjà  perdu  du  monde  par 
le  feu  que  mes  deux  jeunes  frĂšres  et  moi  avions  fait 
sur  eux  le  jour  précédent. 

Environ  une  heure  aprĂšs  minuit,  la  sentinelle  du 
Bastion  de  la  porte  cria  :  Mademoiselle,  j'entends 
quelque  chose.  Je  marche  vers  lui  pour  découvrir  ce 
que  c'était  :  j'aperçus  au  travers  des  ténÚbres  et  à  la 
faveur  de  la  neige  quelques  bĂȘtes  Ă   cornes,  tristes  restes 
de  nos  ennemis:  l'on  me  dit,  il  faut  ouvrir  la  porte 
pour  les  faire  entrer.  A  Dieu  ne  plaise,  repartis-je,  vous 
ne  connaissez  pas  encore  tous  les  artifices  des  Sauvages  : 
ils  marchent  sans  doute  aprĂšs  ces  bestiaux  couverts  de 
peaux  de  bĂȘtes  pour  entrer  dans  le  fort,  si  nous  sommes 
assez  indiscrets  pour  en  ouvrir  la  porte.  Je  craignais 
tout  d'un  ennemi  aussi  fin  et  aussi  rusé  que  l'iroquois. 
Cependant  aprĂšs  avoir  pris  toutes  les  mesures  que 
demande  la  prudence  dans  ces  circonstances,  je  jugeai 
qu'il  n'y  avait  point  de  risque  Ă   ouvrir  la  porte.  Je 
fis  vf-nir  mes  deux  frÚres  avec  leurs  fusils  bandés  eu 
cas  de  surprise,  et  ainsi  nous  usines  entrer  ces  bestiaux 
dans  le  fort* 


—  78  — 

Enfin  le  jour  parut,  et  le  soleil  en  dissipant  les  ténÚ' 
brcs  db  la  nuit,  sembla  dissiper  noire  chagrin  et  noĂŽ 
inquiétudes.  Je  parus  au  milieu  de  mes  soldats  avec 
un  visage  gai,  en  leur  disant:  Puisqu'avec  le  secours 
du  ciel  nous  avons  bien  passé  la  nuit,  toute  affreuse 
qu'elle  a  été,  nous  en  pourrons  bien  passer  d'autres  en 
continuant  notre  bonne  garde  et  faisant  tirer  le  canon 
d'heure  en  heure,  pour  avoir  du  secours  de  Montréal, 
qui  n'est  éloigné  que  de  huit  lieues.  Je  m'aperçus 
que  mon  discours  avait  fait  une  pression  sur  les  esprits. 
Il  n'y  eut  que  Mademoiselle  Marguerite  Antiome, 
femme  du  Sieur  Pierre  Fontaine,  qui  extrĂȘmement  peu- 
reuse, comme  il  est  naturel  Ă   toutes  les  femmes  Pari- 
siennes de  nation  (1),  demanda  Ă   son  mari  de  la 
conduire  dans  un  autre  fort,  lui  représentant  que  si 
elle  avait  été  assez  heureuse  pour  échapper  la  premiÚre 
nuit  Ă   la  fureur  des  Sauvages,  elle  ne  devait  pas  s'atten- 
dre au  mĂȘme  bonheur  la  nuit  suivante;  que  le  fort  de 
VerchĂšres  ne  valait  rien,  qu'il  n'y  avait  point  d'hommes 
pour  le  garder,  et  que  d'y  demeurer  c'Ă©tait  s'exposer  Ă   un 
danger  Ă©vident  ou  de  tomber  dans  un  esclavage  per- 
pétuel ou  de  mourir  à  petit  feu.  Le  pauvre  mari,  voyant 
que  sa  femme  persistait  dans  sa  demande  et  qu'elle 
voulait  se  retirer  au  fort  de  ContrecƓur,  Ă©loignĂ©  de 
trois  lieues  de  celui  de  VerchÚres,  lui  dit  :  «  Je  vas  vous 
armer  un  canot  d'une  bonne  voile  avec  vos  deux 
enfans  qui  savent  bien  canoter.  Pour  moi  je  n'aban- 
donnerai jamais  le  fort  de  VerchĂšres,  tant  que  Made- 
moiselle Magdelon  y  sera  (c'est  ainsi  que  l'on  m'ap- 
pelait dans  mon  enfance).  Je  lui  fis  réponse  que  je 
n'abandonnerais  jamais  le  fort,  que  j'aimais  mieux 
périr  que  le  livrer  aux  ennemis  ;  qu'il  était  d'une  con- 
séquence infinie  qu'ils  n'entrassent  dans  aucun  fort 
français,  qu'ils  jugeraient  des  autres  par  celui-ci,  s'ils 
s'en  emparaient  et  qu'une  pareille  connaissance  ne 
pourrait  servir  qu'à  augmenter  leur  fierté  et  leur  cou- 
rage. (2) 

(1)  En  effet  la  femme  de  Pierre  Fontaine  <5tait  parisienne,  fille  de  Michel 
Anthiaumc,  exempt  du  grand  prévost  de  l'IIotol  do  Paris. 

(2)  "  Je  ne  sache  pas,  dit  Cliarlcvoix,  que  les  Iroquois  aient  janinis  prié 
aucun  de  ces  forts.  Us  se  sont  mĂȘme  rarement  arrĂȘtĂ©s  Ăźl  les  tenir  bloqué», 
|)lu8  rarement  encore  les  ont-ils  attaqués  à  force  ouverte.     L'un  cet  trop 


-79  — 

Je  puis  dire  avec  vérité  que  je  fus  deux  fois  vingt 
quatre  heures  sans  dormir  ni  manger,  je  n'entrai  pas 
une  seule  fois  dans  la  maison  de  mon  pĂšre,  je  me 
tenais  sur  le  bastion  ou  j'allais  voir  de  quelle  maniĂšre 
l'on  se  comportait  dans  la  redoute  :  je  paraissais  tou- 
jours avec  un  air  riant  et  gai  ;  j'encourageai  ma  petite 
troupe  par  l'espérance  que  je  leur  donnais  d'un  prompt 
secours. 

Le  huitiÚme  jonr  (car  nous  fûmes  huit  jours  dans 
de  continuelles  alarmes,  toujours  Ă   la  vue  de  nos  enne- 
mis et  exposés  à  leur  fureur  et  à  leur  barbarie),  le 
huitiĂšme  jour,  dis-je,  M.  de  la  Meunerie,  lieutenant 
détaché  de  M.  de  CalliÚres,  arriva  la  nuit  avec  40 
hommes,  ne  sachant  point  si  le  fort  Ă©tait  pris  (I).  Il 
faisait  son  approche  en  grand  silence  ]  une  de  nos  sen- 
tinelles entendant  quelque  bruit  cria  :  qui  vive  !  J'Ă©tois 
pour  lors  assoupie,  la  tĂȘte  sur  une  table,  mon  fusil  de 
travers  dans  mes  bras.  La  sentinelle  me  dit  qu'elle  en- 
tendait parler  sur  l'eau  ;  sans  perdre  de  tems  je  montai 
sur  le  bastion  pour  reconnaĂźtre  Ă   la  voix  si  c'Ă©taient 
Sauvages  ou  Français.  Je  leur  demandai  :  qui  etes- 
vous?  Ils  me  répondirent  :  Français.  C'est  la  Monnerie 
qui  vient  vous  donner  du  secours.  Je  fis  ouvrir  la 
porte  du  fort,  j'y  plaçai  une  sentinelle  et  je  m'en  allai 
au  bord  de  l'eau  pour  les  recevoir.  AussitĂŽt  que  je 
l'aperçus,  je  le  saluai  par  ces  paroles  :  «xM.  vous,  soyez 
le  bienvenu,  je  vous  rends  les  armes.  — Mademoiselle, 

périlleux  pour  des  sauvages,  qui  n'ont  aucune  arme  défensive,  et  n'aiment 
point  une  victoire  teinte  de  leur  sang.  L'autre  ne  convient  pas  Ă   leur 
maniĂšre  de  faire  la  guerre.  Deux  attaques  du  fort  do  VercbĂšres  sont 
néanmoins  fameuses  dans  les  fastes  canadiens,  et  il  semble  que  les  Iro- 
quois  ne  s'y  soient  attachés  par  deux  fois,  contre  leur  coutume,  que  pour 
faire  éclater  la  valeur  et  l'intrépidité  de  deux  Amazones." 

(1)  Suivant  Charlevoix,  ce  fut  le  Chevalier  de  Crisasi  qui  vint  porter 
secours  à  notre  héroïne.  Il  confond  probablement  les  deux  siÚges,  le  pré- 
sent avec  celui  que  subit  en  1690  madame  dej  VercbĂšres.  l)o  la  Potherie 
parlant  de  ce  dernier  siĂšge,  dit  "  Le  choc  dura  deux  fois  vingt  quatre 
heures,  et  M.  le  Marquis  de  Crisasi  vint  Ă   soj  secours,  qui  manqua 
d'un  moment  les  Iroquois  qui  avaient  quitté  prise."  Puis  parlant  de 
l'exploit  de  Mademoiselle  do  VerchÚrcs  "  on  détacha  cent  hommes  pour 
lui  donner  du  secours  qui  arriva  peu  de  temps  aprĂšs  que  les  Iroquois  se 
furent  éclipsés  dans  les  bois.  "  Il  nous  semble  donc  probable  que  ce  fut  le 
Marquis  do  Crisasi,  ou  son  frĂšre  le  Chevalier  qui  vint  au  secours  do 
madame  de  VerchĂšres  en  1690,  et  M.  do  la  Monnerie  qui  vint  prĂŽter 
main  forte  à  notre  héroïne  en  1692. 


-80  — 

me  répondit-il  d'un  air  galant,  elles  sont  en  bonnes 
mains. — Meilleures  que  vous  ne  croyez,  lui  rĂ©pliquai-je. 
Il  visita  le  fort,  il  le  trouva  en  trĂšs  bon  Ă©tat,  une  sen- 
tinelle  sur  chaque  Bastion.  Je  lui  dis:  M.  faites  relever 
mes  sentinelles  afin  qu'ils  puissent  prendre  un  peu  de 
repos,  il  y  a  huit  jours  que  nous  n'avons  point  des- 
cendu de  dessus  nos  bastions. 

J'oubliais  une  circonstance  qui  pourra  faire  juger 
de  mon  assurance  et  de  ma  tranquillité.  Le  jour  de  la 
grande  bataille,  les  Iroquois  qui  environnaient  le  fort 
faisant  brûler  les  maisons  de  nos  habitans,  saccageant 
et  tuant  leurs  bestiaux  Ă   notre  vue,  je  me  ressouvins  Ă  
ime  heure  de  soleil  que  j'avais  trois  poches  de  linge 
avec  quelques  couvertures  hoi's  du  fort.  Je  demandai  Ă  
mes  soldats,  si  quelqu'un  voulait  venir  avec  moi,  le 
fusil  Ă   la  main,  chercher  mon  linge.  Leur  silence 
accompagné  d'un  air  sombre  et  morne  me  faisait  juger 
de  leur  peu  de  courage.  Je  m'adressai  Ă   mes  jeunes 
frĂšres  en  leur  disant  :  Prenez  vos  fusils  et  venez  avec 
moi,  pour  vous,  dis-je  aux  autres,  continuez  Ă   tirer 
sur  les  ennemis  pendant  que  je  vas  chercher  mon 
linge.  Je  fis  deux  voyages  a  la  vue  des  ennemis  dans 
le  lieu  mĂŽme  oĂč  ils  m'avaient  manquĂ©e  quelques 
heures  auparavant.  Ma  démarche  leur  parut  sans 
doute  suspecte,  car  ils  n'osĂšrent  venir  pour  me  prendre 
ni  mĂŽme  tirer  pour  m'ĂŽter  la  vie.  J'Ă©prouvai  que 
quand  Dieu  gouverne  les  choses,  l'on  ne  peut  que  bien 
réussir. 

Depuis  que  je  suis  mariée  (i'an  1722)  (1)  je  me  suis 
trouvée  dans  une  occasion  assez  délicate  <)ßi  il  s'agis- 
sait de  sauver  la  vie  Ă   M.  de  la  PĂ©rade,  mon  mari  et  Ă  
moi.  Deux  Abénaquis  des  plus  grands  hommes  de 
leur  nation  étant  entrés  chez  nous,  cherchÚrent  que- 
relle Ă   M.  de  la  PĂ©rade.  Il  leur  dit  en  Iroquois  :  sortez 
d'ici.  Ils  sortirent  tous  deux  trÚs  fùchés  :  Leur  sortie 
qui  fut  fort  brusque  nous  fit  croire  la  querelle  finie. 
Nous  n'examinùmes  point  leur  démarche,  persuadés 
qu'ils  avaient  pris  le   parti  de  s'en   aller.    Dans  un 


(1)  Évidemment,  mndnrac  de  la  Pdrado  donne  ici  la  date  de  l'action 
qu'elle  raconte.  YA\o  avait  quarante-quatre  ans  en  1722,  et  d'ailleurs 
la  date  do  son  mariage  __^c8t  connue  j  c'est  1706  comme  noua  l'avoDĂŻ 
mentionné  ci-deesus. 


—  81-. 

'moment  nous  fûmes  fort  surpris  de  les  entendre  tous 
iians  le  tambour  de  la  maison,  faisant  le  cri  de  mort 
et  disant  :  Tagariauguen  qui  est  le  nom  iroquois  de 
mon  mari,  tu  es  mort.  Ils  étaient  armés  l'un  d'un 
casse-tĂŽte  et  l'autre  d'une  hache  ;  celui-ci  enfonce, 
brise  la  porte  Ă   coups  de  hache,  entre  comme  furieux, 
la  rage  peinte  sur  le  visage,  lĂšve  la  hache  sur  la  lete 
de  M.  de  la  Perrade,  qui  fut  assez  adroit  et  assez  heu- 
reux pour  parer  le  coup  en  se  jetant  Ă   corps  perdu  sur 
le  sauvage;  mais  il  Ă©tait  trop  faible  pour  pouvoir 
résister  longtemps  à  un  sauvage  d'une  slalure  gigan- 
tesque et  dont  les  forces  répondaient  à  la  haute  taille. 
Un  homme  de  résolution  qui  se  trouva  fort  à  propos  à 
la  porte  de  la  maison  donna  du  secours  Ă   M.  de  la 
Perrade.  Le  sauva<?e  qui  était  armé  d'un  casse-tete 
voyant  son  compagnon  en  presse  entre,  lĂšve  le  bras 
pour  dĂ©charger  son  coup  sur  la  tĂȘte  de  mon  mari; 
résolue  de  périr  avec  lui  et  suivant  les  mouvements  de 
mon  coeur,  je  sautai,  ou  plutĂŽt,  je  volai  vers  ce  sauvage, 
j'empoigne  son  casse-tete,  je  le  désarme.  Il  veut  monter 
sur  un  coffre,  je  lui  casse  les  reins  avec  son  casse-tete 
et  je  le  vois  toinbiĂźr  Ă   mes  pieds.  Je  ne  fus  jamais  plus 
surprise  que  de  me  voir  enveloppée  à  l'instant  par  qua- 
tre sauvagesses  ;  l'une  me  prend  Ă   la  gorge,  l'autre  aux 
cheveux,  aprÚs  avoir  arraché  ma  coiffe;  les  deux  autres 
me  saisissent  par  le  corps  pour  me  jeter  dans  le  feu.  A 
ce  moment  un  peintre  me  voyant  aurait  bien  pu  tirer 
le  portrait  d'une  Magdeleine  ;  décoiffée,  mes  cheveux 
épars  et  mal  arrangés,  mes  habits  tous  déchirés  n'ayant 
rien  sur  moi  qui  ne  fût  par  morceaux,  je  ne  ressem- 
blais pas  mal  Ă   cette  saip.te,  aux  larmes  prĂšs,  qui  ne 
coulĂšrent  jamais  de  mes  yeux.  Je  me  regardais  comme 
la  victime  de  ces  furieuses  outrées  de  douleur  de  voir. 
Tune  son  mari,  les  autres  leur  parent,  Ă©tendu  sur  la 
place  sans  mouvement  et  presque  sans  vie.  BientĂŽt, 
j'allais  ĂȘtre  jetĂ©e  dans  le  feu,  lorsque  mon  fils  Tarrieu, 
ùgé  seulement  de  douze  ans,  animé  comme  un  lion  à 
la  vue  de  son  pĂšre  qui  Ă©tait  encore  aux  prises  avec  le 
sauvage  et  de  sa  mĂšre  prĂȘte  Ă   ĂȘtre  dĂ©vorĂ©e  par  les 
flammes,  il  s'arme  de  ce  qu'il  rencontre,  frappe  avec 
tant  de  force  et  de  courage  sur  la  tĂȘte  et  sur  les  bras 
de  ces  sauvagesses,  qu'il  les  obligea  Ă   lĂącher  prise. 
6 


—  82  — 

Débarrassée  de  leurs  mains,  je  cours  au  seconrsde  M^ 
de  la  Perrade,  passant  sur  le  ventre  de  celui  que  j'avais"- 
Ă©tendu  par  terre.  Les  quatre  Sauvagesses  s'Ă©taient* 
déjà  jetées  sur  M.  de  la  Perrade,  pour  lui  arracher  la"- 
hache  qu'il  tenait  et  dont  il  voulait  casser  la  léle  aii' 
malheureux  qui  venait  de  le  manquer.  Prenant  le- 
sauvage  par  les  cheveux,  je  lui  dis:  Tu  es  mort,  je' 
veux  avoir  ta  vie.  Le  Français  dont  j'ai  parlé  qui  don-- 
nait  secours  a  M.  de  la  Perrade  me  dit  :  Madame,  ce 
sauvage  demande  la  vie,  je  crois  qu'il  laut  lui  donner 
quartier.  En  mĂȘme  tems  ces  sai>vagesses  qui  jus-- 
qu'alors,  avaient  toujours  poussé  des  cris  effioyables 
qui  nous  empĂȘchaient  de  nous  entendre,  demandĂšrent 
aussi  la  vie.  Nous  voyant  les  maßtres,  nousciûmes- 
qu'il  Ă©tait  plus  glorieux  de  laisser  la  vie  Ă   notre  ennemi 
vaincu  que  de  le  faire  mourir.  Ainsi  je  sauvai  la  vie- 
à  mon  maii,  et  mon  fils  ùgé  de  douze  ans  sauva  la  vie 
Ă   sa  mĂšre.  Cette  action  lut  aux  oi-eilles  de  M.  de  Vau- 
dreuil,  il  voulut  s'informer  du  fait  par  lui-mĂȘme,  il 
vint  exprÚs  sur  les  lieux,  il  vit  la  porte  cassée,  il  parla 
au  Français  témoin  de  l'action  et  sut  dans  la  s\iite  des 
Sauvages  mÎmes  la  véfité  de  ce  que  je  viens  d'exposer.- 
VoilĂ   la  narration  simple  et  juste  de  mon  aventurCy 
qui  m'a  déjà  procuré  des  grùces  de  Sa  Majesté  (1)  et 
que  je  n'aurais  pas  pris  la  liberté  de  rédiger  p^ir  écrit^ 
si  M.  le  Marquis  de  Beauharnois,  notre  illustre  Gou- 
verneur, qui  n'a  point  d'autre  attention  que  de  mettre 
notre  colonie  Ă   couvert  de  l'irruption  des  Barbares,  et 
d'y  faire  fleurir  la  gloire  du- nom  français,  en  rendant 
redoutable  le  nom  de  notre  invincible  ruonarque 
Ă   tous  ses  ennemis  et  respectable  Ă   tous  ses  sujets  ne 
m'avait  engagée  à  faire  ce  détail.  Sa  sagesse  ne  se 
contente  pas  de  contenir  toutes  les  nations  sauvages 
dont  nous  sommes  environnĂ©s,  dans  le  respect  et  dans  ■ 
la  crainte  et  de  tenir  éloignés  à  quatre  ou  cinq  cent- 
lieues  le»  ennemis-  de  l'Etat.    Son  infatigable  applica- 


(\)  Madame  de  la  P<*rnde  fait  ici  allusion  à  la  pension  qa»  loi  serrait' 
le  Koi  lie  France.  "  Je  vous  dirai,  madame,  lit-on  dans  de  la  Potherief- 
que  niudnme  la  comtesse  do  Pont-Chartrain  a  pris  les  intĂ©rĂȘts  de  cette^ 
demoiselle  avec  tant  de  gĂ©nĂ©rositĂ©,  qu'elle  lui  a  procurĂ©  pour  tout»  ■«â–ș* 
vie  une  pension.  " 


—  83  — 

tion  aux  affaires  les  plus  sérieuses  n'étant  interrompue 
que  par  l'attention  qu'il  donne  à  ce  qu'il  s'est  passé  de 
plus  considérable  depuis  l'établissement  de  cette  colo- 
nie. 11  le  fait  valoir  avec  cette  bonté  et  cet  air  noble  et 
grand  qui  lui  sont  si  naturels.  Il  le  propose  pour 
exemple,  afin  d'animer  de  plus  en  plus  les  sujets  du 
Roi  Ă   se  distinguer  par  des  actions  Ă©clatantes  lorsque 
l'occasion  s'en  présentera. 


§-6. 


PRÉSENTATION 

DE  L'aDBESSE  a  son  EXCELLENCE 

L'HONORABLE  AUGIJSTE-RÉAL  ANGERS, 

LIEUTENANT-GOUVERNEUR  DE  LA 

PROVINCE   DE  QUÉBEC 


SĂ©ance  solennelle  du  17  janvier  1888. 


§.— 1.  Adresse  de  l'Institut 


A  Son  Excellence  l'Honorable  Auguste  RĂ©al  Angers, 

LIEUTENANT  GOUVERNEUR  DE  LA  PROVINCE  DE  QuÉBEC. 

Excellence^ 

Permettez  aux  membres  de  rFiislilut  Canadien  de 
Québec,  do  vous  offrir  leurs  hommages  respectueux  et 
leurs  félicitations  sincÚres,  à  l'occasion  de  votre  éléva- 
tion au  poste  Ă©minent  de  lieutenant  gouverneur  de 
cette  province. 

C'est  pour  eux  un  devoir  d'autant  plus  agréable  que 
Votre  Excellence  a  été  l'un  des  membres  actifs  de  l'Ins- 
titut, et  que,  s'ils  remontent  encore  plus  haut  dans  leurs 


—  85  — 

annales,  votre  nom  leur  rappelle  le  souvenir  d'un  de 
leurs  premiers  et  de  leurs  plus  illustres  présidents. 

Notre  Institut,  Votre  Excellence  le  sait,  est  né  d'une 
pensée  patriotique.  Créer  un  centre  de  ralliement 
intellectuel  oĂč  les  jeunes  Canadiens  puissent  venir 
exercer  les  facultés  de  leur  esprit,  raviver  en  eux  l'a- 
mour des  sciences  et  des  lettres,  et  méditer  l'histoire 
au  foyer  mĂŽme  des  glorieuses  traditions  de  leur  natio- 
nalité :  tel  a  été  le  but  des  hommes  distingués  à  qui 
notre  société  doit  l'existence. 

A  travers  bien  des  vicissitudes,  l'Institut  Canadien 
s'est  constamment  efforcé  de  remplir  ce  noble  pro 
gramme.  Et,  dans  l'accomplissement  de  sa  tĂąche,  il 
a  eu  le  bonheur  d'ĂȘtre  continuellement  encouragĂ©  par 
la  sympathie  des  citoyens  éminents  qui  ont  marché 
tour  Ă   tour  Ă   la  tĂȘte  de  notre  nationalitĂ©. 

Nous  nous  rappelions  avec  un  plaisir  tout  particu- 
lier que  c'est  grĂące  Ă   l'appui  de  Votre  Excellence,  pen- 
dant qu'Elle  Ă©tait  ministre  de  la  Couronne,  que  nous 
avons  reçu  du  gouvernement  un  aide  nécessaire  à  la 
continuation  de  nos  travaux.  Cettesympathie,dont  nous 
avons  reçu  des  preuves  si  souvent,  nous  nous  flattons 
qu'elle  nous  sera  continuée  par  Votre  Excellence,  appré- 
ciateur éclairé  des  travaux  de  l'esprit,  patriote  ardem- 
ment Ă©pris  des  splendeurs  de  notre  histoire,  homme 
public  toujours  dévoué  aux  progrÚs  intellectuels. 

Cette  persuasion  ne  pourrait  que  rendre  plus  com- 
plĂšte la  satisfaction  avec  laquelle  l'Institut  Canadien 
salue  en  votre  personne  le  représentant  de  sa  Majesté, 
le  lieutenant  gouverneur  de  cette  province,  dont  l'en- 
trée en  office  a  été  accueillie  avec  une  faveur  univer- 
selle. 

Comme  témoignage  de  sa  haute  considération, 
rinstitut  serait  heureux  si  Votre  Excellence  voulait  ac- 
cepter le  plus  haut  titre  que  notre  société  puisse  con- 
férer, celui  de  membre  honoraire. 

Veuillez  agréer,  encore  une  fois.  Excellence,  nos 
fĂ©licitations  respectueuses,  ainsi  que  nos  vƓux  pour 
votre  bonheur  et  le  succĂšs  de  votre  administration. 

J.  Frémont,  président. 

J.  G.  Couture,  Sec.  archiviste. 


—  86  — 

§.—2.   RĂ©ponse  de  Son  Excellence  l'honorable 
Auguste  Real  ANGERS 


ifonsieur  le  président 

de  l'Institut  Canadien  de  Québec, 

Messieurs^ 

Je  constate  avec  un  vif  plaisir  que  votre  influence 
a  su  rĂ©unir  Ă   une  fĂȘte  de  l'esprit  l'Ă©lite  de  la  sociĂ©tĂ© 
française  de  Québec. 

Avec  un  rare  succÚs  vous  avez  inspiré  à  la  jeunesse 
le  goût  de  s'instruire,  à  l'ùge  mûr  le  désir  de  se  perfec- 
tionner ;  goût  qui  absorbe  les  entrainemenls  premiers 
de  l'adolescent,  désir  qui  captive  l'ambition  de  l'homme 
fait. 

C'est  par  vos  soins  que  nous  voyons  rangés  dans 
votre  bibliothÚque  et  classés  dans  votre  catalogue,  les 
plus  beaux  produits  du  génie  de  l'homme  dans  les 
sciences  et  dans  les  lettres.  Vous  avez  fait  le  travail 
de  l'essaim  qui  envahit  la  plaine,  cueillant,  des  prés 
€n  fleurs,  les  meilleurs  parfums,  les  sucs  les  plus 
purs.  Ainsi  butinant,  vous  avez  comblé  vos  rayons  de 
livres  prĂ©cieux,  honnĂȘtes  et  charmants,  miel  dont  se 
nourrit  l'intelligence,  manne  que  nouspouvons ramasser 
Ă   toutes  les  heures. 

Du  haut  de  leurs  cases,  combien  d'amis  me  recon- 
naissent et  me  sourient  comme  si  je  ne  les  avais.depuis 
longtemps  délaissés.  Comme  je  me  sens  tenté  d'entre- 
prendre avec  vous,  monsieur  le  président,  un  voyage 
autour  de  votre  bibliothĂšque  !  Il  nous  faudrait  passer 
Ă   travers  l'histoire  contemporaine,  nous  arrĂȘtant  aux 
hauts  laits  de  nos  incomparables  annales  canadiennes; 
voyager  au  moyen-age  oĂč  resplendit  l'hĂ©roĂŻque  Ă©popĂ©e 
delĂ   chevalerie  et  des  croisades,  et  remonter  presqu'aux 
temps  anciens,  faisant  halle  auxThermopyles,  nom  qui, 
au  Canada,  depuis  1813,  se  prononce  Chateauguay. 

Dans  un  si  long  retour  vers  des  temps  envolés, 
nous  nous  verrions  délaissés  des  dames  dont  l'esprit 


—  87  — 

'Oommc  le  charme,  est  toujours  au  présent,  jamais  au 
^passé. 

Puis,  conduits  par  Tordre  alphabétique  du  catalo- 
gue, nous  arriverions  devant  la  porte  close  de  la  philo- 
sophie, et  la  clef  en  est  aux  mains  du  maĂźtre  Ăšs-sciences. 
33ans  le  catalog.ue,  la  poésie  est  sa  voisine.  Similitude 
-des  choses  de  la  vie  réelle,  c'est  auprÚs  des  buissons 
inextricables  qu'il  faut  chercher  les  fleurs.  La  poésie 
‱est  une  fĂ©e  qui  connaĂźt  tous  les  accents.  Dans  son 
-domaitie,  à  cÎlé  des  plus  riches  moissons,  que  de  per- 
venches, de  muguets  et  de  violettes  pour  vos  parures, 
mesdames  !  mais  la  discrétion  de  Tùge  me  soupire  à 
l'oreille  :  passez,  passez  ! 

Comment  éviter  ce  secrétaire  en  bois  de  santal 
dncruslé  de  filigranes  d'argent,  ce  sachet  capitonné  de 
soie  bleue  oĂč  repose  l'art  Ă©pistolaire  ?  ces  lettres  dont 
récriture  courante  reconstruit  les  traits,  le  regard,  le 
sourire  des  chers  absents,  Ă©voque  l'image,  la  person- 
nalitĂ© entiĂšre  d'ĂȘtres  aimĂ©s.  Lisez  des  lettres,  surtout 
♩des  lettres  de  femmes.  Elles  sont  comme  ces  mĂ©dailles 
d'un  autre  Ăąge,  ces  portraits  sur  ivoire,  qui,  par 
la  délicatesse  des  lignes,  la  carnation  des  chairs,  le  re- 
lief des  figures,  font  revivre  des  causeries  à  cƓur  ouvert 
«t  remettent  sous  la  main  le  velouté  des  meilleures 
heures  de  l'existence.  Nous,  le  grand  nombre,  nous 
»gui  n'aurons  jamais  cette  seconde  viequi  attend  l'auteur, 
cultivons  l'art  de  la  correspondance.  Quelques  lettres 
seront  peut-ĂȘtre  tout  ce  qui  restera  de  nous  aux  soins 
discrets  de  l'amitié. 

Votre  catalogue  révÚle  le  choix  judicieux  des  livres 
/qu'il  contient  et  ne  me  laisse  rien  Ă   dire  de  ceux  qu'il 
faut  Ă©viter-  Vous  inviter  Ă   l'Ă©tude  et  Ă   la  lecture  se- 
rait aussi  un  hors  d'oeuvre. 

Le  goijt  des  lettres  uous  pénÚtre  dans  cette  salle 
.avec  l'atmosphĂšre  qu'on  y  respire,  et  nous  en  voyons 
les  brillants  résultats  au  dehors.  Au  printemps  der- 
nier, un  phare  allumé  aux  terres  d'Evangéline  a  percé 
les  brumes  qui  enveloppaient  l'histoire  du  Bassin  des 
Mines.  Une  revue  nouvelle.  Le  Canada  Français^  l'ajeu- 
nira  de  jets  de  lumiÚre  bien  des  feuilles  détachées  et 
oubliées  de  nos  annales.  La  religion,  les  sciences  et 
ies  lettres  entreront  aussi  dans  le  cadre  de  cette  publi- 


—  88  — 

cation.  An  nombre  des  ouvriers  de  la  pensée  qui  lui 
ont  promis  leur  concours,  je  trouve  plusieurs  des  mem- 
bres de  votre  institut.  Un  autre  a  clos  l'année  1887 
par  la  LĂ©gende  d'un  Peuple^  que  Jules  Claretie  a  tenu 
sur  les  fonts  et  que  le  secrétaire  perpétuel  de  l'Aca- 
démie française  a  saluée  d'un  carillon  joyeux.  188y 
va  commencer  par  la  venue  prochaine  d'un  autre  livre, 
fils  du  talent  d'un  des  vÎtres.  11  est  de  noble  lignée  ;. 
sa  source  remonte  Ă   nos  plus  vieux  parchemins.  Il 
a  nom  :  Noël  1535,  sous  Jacques  Cartier^  Nouvelle- 
France.  Vous  le  reconnaĂźtrez,  j'espĂšre,  Ă   son  Ă©tat,  il 
est  roman,  histoire  ;  roman  par  la  grĂące  du  style,  la 
mise  en  scĂšne  et  l'intĂ©rĂȘt  ;  histoire  par  l'exactitude  des- 
faits, des  lieux  et  des  dates.  Il  a  les  yeux  azurés,  et  le 
timbre  de  sa  voix  est  patriotique. 

Voilà,  entre  plusieurs,  des  fruits  que  le   goût  litté- 
raire que  vous  avez  inspiré  a  fait  croßtre. 

Pour  ne  pas  vous  imposer  l'ennui  d'un  entr'acte  au. 
début  de  cette  soirée,  je  dois  restreindre  ma  réponse  et 
taire  le  sentiment  filial  que  vous  avez  touché  en  moi  en 
rappelant  votre  troisiÚme  président.  Vous  m'avez  remis, 
en  mémoire  la  bonne  fortune  que  j'ai  eue  de  faire  ins- 
crire votre  nom  sur  le  budget  de  l'Etat  au  nombre  des 
institutions  bien  méritantes.  Pour  toutes  ces  bonnes- 
paroles,  rehaussées  de  l'éclat  de  votre  loyauté,  je  vous 
remercie.  RevĂȘtu  du  titre  insigne  de  membre  hono- 
raire de  votre  Institut,  je  verrai  toujours  avec  fierté  vos- 
progrĂšs  croissants,  et  comptez  que,  dans  les  limites  de;- 
mes  attributions,  mon  concours  vous  est  acquis. 
Québec,  17  janvier  1888. 

A.  R.  Angers 


§-7. 


QuarantiĂšme  rapport  du  bureau  de  direction  de  l'Insti- 
tut-Canadien  de  Québec,  pour  l'année  terminée  le 
septiÚme  jour  de  février  1887. 

Le  président  et  les  directeurs  de  l'Institut-Ganadien 
de  Québec  ont  l'honneur  de  vous  présenter  le  rapport 
suivant  : 

L'annéequi  vientde  se  terminerne  compte  pas  parmi 
les  plus  brillantes,  mais  il  ne  faut  pas  la  placer  parmi 
les  moins  prospĂšres. 

La  salle  de  lecture  continue  Ă   ĂȘtre  frĂ©quentĂ©e  par 
nos  membres  avec  plus  d'assiduité  que  jamais.  Pour 
rencontrer  les  désirs  du  public  nous  avons  déposé  sur 
nos  tables  plusieurs  nouveaux  journaux  et  revues. 

La  circulation  de  nos  livres  dépasse  celle  des  années 
précédentes.  Aussi  vos  directeurs,  malgré  la  pénurie 
des  temps,  ont  compris  la  nécessité  de  faire  venir  de 
France  une  centaine  de  nouveaux  livres.  Une  souscrip- 
tion volontaire  s'est  faite  parmi  les  membres  de  llns- 
litut.  Et,  grùce  à  votre  bon  vouloir  et  à  votre  généro- 
sité, messieurs,  dans  quelques  semaines,  nos  succes- 
seurs pourront  placer  sur  les  rayons  de  la  bibliothĂšque 
les  ouvrages  demandés. 

Malgré  le  nombre  de  brillantes  conférences  don- 
nées à  l'Université  Laval  et  chez  nos  sociétés  soeurs, 
dans  le  cours  de  l'année,  nous  avons  pu  donner  plu- 
sieurs soirées  qui  ont  toutes  réuni  un  auditoire  d'élite. 
Nous  devons  spécialement  mentionner  les  noms  de  Mon- 
seigneur Hamel,  protonotaire  apostolique,  de  MM.  N. 
E.  Dionne,  Georges  Lemay,  J.  U.  Gregory,  J.  E.  Prince 


—  90  — 

et  Henri  Boland,  de  la.  Revue  Internationale,  qui  nous 
ont  donné  d'intéressantes  conférences.  Une  liste  com- 
plÚte des  conférences  est  annexée  au  présent  rapport. 

La  mort  qui  ne  se  lasse  pas  de  faucher  parmi  nous, 
nous  a  enlevé,  pendant  cette  année,  plusieurs  membies 
distinp:ués.  Ce  sont  : 

M.  Jean  Langlois,  Conseil  de  la  Reine  et  ancien 
professeur  de  droit  à  l'Université  Laval. 

MM.  William  G.  Sheppard,  Abraham  Hamel,  Isaac 
Dorion,  Vincent  Cazeau,  J.  V.  Dugas,  Léonidas  Noël 
et  Adolphe  Ilamel. 

L'Ă©tat  financier  de  l'Institut  est  bon.  Vos  directeurs 
ont  pris  un  soin  particulier  de  ne  pas  augmenter  les 
dépenses  d'administration,  tout  en  maintenant  la  pro- 
priété dans  un  excellent  ordre.  Vous  verrez  par  le 
ra[)port  que  M.  le  trésorier  vons  soumettra,  que  notre 
dette  flottante  a  diminué.  Mais  il  faut  trouver  moyen 
de  l'Ă©teindre  complĂštement. 

Une  demande  a  été  adressée  derniÚrement  à  vos  di- 
recteurs Ă   l'effet  d'ouvrir  Ă   l'Listitutunesalle  de  billard. 
Nous  avons  examiné  la  question  minutieusement,  et 
sommes  en  mesure  de  vons  donner  tous  les  renseigne- 
ments désirables;  mais,  à  la  veille  d'une  assemblée 
générale  des  membres  de  Tlnslitut,  nous  avons  ciii 
qu'il  valait  mieux  soumettre  la  chose  à  votre  considé- 
ration que  de  prendre  nous-mĂȘmes  une  dĂ©cision  aussi 
importante,  Ă   l'expiration  de  notre  mandat. 

L'Ɠuvre  si  bienfaisante  du  Patronage  a  cĂ©lĂ©brĂ©,  en 
avril  dernier,  le  vinpt-cinquiĂšme  anniversaire  de  sa  fon- 
dation à  Québec.  L'Institut  Canadien  en  a  profité  pour 
lui  prouver  toutes  ses  sympathies  en  Ini   auvrant  ses 
;«alles,  pour  une  soirée  solennelle  à  cette  occasion. 

Un  événement  qui  a  eu  un  retentissement  dans 
tout  le  monde  catholique,  pendant  l'année  qui  vient  de 
finir,  est  l'Ă©lĂ©vation  du  vĂ©nĂ©rable  archevĂȘque  de  QuĂ©bec 
ii  la  trÚs  hautedignitéde  cardinal  de  l'Eglise  Romaine. 
Si  tout  le  Canada  en  a  tressailli  d'allégresse  quels  n'ont 
pas  duétre  les  sentimentsde  joie  desmembresde  flns- 
litut  dont  son  Eminence  le  cardinal Taschereau  est  un 
des  fondateurs  et  un  des  protecteurs  constants.  Aussi 
le  li  jnin  dernier,  les  membres  de  l'Institut  se  réunis- 
saient pour  aller  déposer  aux  pieds  de  son  Eminence 


—  91  — 

leurs  hommages  et  leurs  sentiments  de  joie  et  de  féli- 
citations. 

En  terminant,  vos  directeurs  désirent  exprimer 
leurs  sentiments  de  sympathie  pour  l'Institut  Canadien 
‱Français  d'Ottawa,  si  cruellement  Ă©prouvĂ©  par  le  sinis- 
tre qui  a  détruit  complÚtement  leur  local.  Espérons 
que  leur  malheur  réveillera  le  zÚle  de  quelque  nou- 
veau MĂ©cĂšne,  et  que  notre  sƓur  d'Ottawa  se  relĂšvera 
d'une  perte  aussi  cruelle. 

Mais  nous  devons  aussi  espérer  que,  dans  cette  bonne 
ville  de  Québec,  si  amie  des  lettres  et  des  arts,  il  sur- 
gira en  faveur  de  notre  Institut  quelque  autre  MĂ©cĂšne, 
suivant  les  pas  si  généreusement  tracés  par  M.  L.  J.  C 
Fiset,  notre  digne  président  honoraire,  par  M.  T.  Le- 
droit  et  M.  L.  G.  Baillargé,  qui  nous  procurera  le 
jnoyen  d'Ă©teindre  une  partie  de  notre  dette,  et  qui  nous 
assurera  aussi  pour  l'avenir  une  Úre  de  prospérité  et 
de  succĂšs. 

Le  tout  humblement  soumis. 

Le  bureau  de  direction 

J,  Frémont,  président. 


—  92  — 


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§.-9. 


Quarante-uniĂšme  rapport  du  bureau  de  direction  de 
l'Institut-Canadien  de  Québec  pour  l'année  se  ter- 
minant le  sixiÚme  jour  de  février  1888. 

Avant  de  remettre  le  mandat  qui  leur  a  été  confié, 
le  président  et  les  directeurs  de  l'Institut  Canadien  de 
Québec  ont  l'honneur  de  présenter  le  rapport  suivant  : 

L'année  qui  vient  de  s'écouler,  n'a  pas  été  malheu- 
reuse pour  notre  institution. 

Notre  dette  hypothécaire  étant  devenue  exigible  dans 
le  cours  du  mois  de  juin  dernier,  nous  avons  facilement 
trouvé  les  capitaux  nécessaires  à  des  conditions  favora- 
bles. 

C'est  avec  plaisir  et  reconnaissance  que  nous  cons- 
tatons que  le  gouvernement  provincial  a  écouté  la  re- 
quĂȘte de  vos  directeurs,  et  nous  a  accordĂ©  un  octroi  de 
cinq  cents  piastres.  Le  gouvernement  a  pris  en  consi- 
dération les  circonstances  particuliÚres  dans  lesquelles 
nous  nous  trouvions.  Lorsque  nous  avons  fait  l'acqui- 
sition de  l'immeuble  que  nous  occupons  aujourd'hui, 
nous  comptions  sur  la  €ontinuation  des  faveurs  que 
nous  avions  obtenues  depuis  1875,  et  sans  cet  espoir, 
l'Institut  n'aurait  pas  entrepris  cet  achat.  Aussi  som- 
mes-nous heureux  de  voir,  qu'enfin,  une  aide  généreuse 
qui  nous  permet  de  continuer  notre  Ɠuvre,  nous  a  Ă©tĂ© 
accordée  à  la  derniÚre  session.  Espérons  que  les  faveurs 
ministérielles,  si  nécessaires  à  nos  travaux,  nous  seront 
continuées  dans  l'avenir. 

Espérons  aussi  que  le  public  comprendra  les  services 
que  notre  institution  rend  aux   lettres  canadiennes,  et 


--94  — 

que  de  nouteaux  bienfaiteurs  viendront  faire  enregis' 
trer  leurs  noms  dans  nos  annales.  C'Ă©tait  lĂ   le  souhait 
par  lequel  le  rapport  des  directeurs  de  l'Institut  se  ter- 
minait, l'année  derniÚre. 

Aujourd'hui,  nous  devons  mentionner  avec  reconnais- 
sance le  nom  et  la  mémoire  de  feue  Madame  Fran- 
çois Roy,  née  Alzire  Romain,  décédée  dans  le  cours  de 
cette  année,  qui  a  légué  à  l'Institut  une  somme  de 
quatre  vingts  piastres  sous  la  condition  d'admettre 
comme  membre  Ă   vie  Monsieur  Arthur  Balzaretti,  son 
neveu. 

Voici  la  lettre  adressée  au  président  de  l'Institut,  lui 
faisant  part  de  ce  don  généreux. 

Québecj  3  décembre  1887 
J.  J,  T.  Frémont,  Ecr., 

Président  de  V Institut 

Canadien  de  Québec^ 

Cher  Monsieur^ 

L'honorable  J.  G.  Blanchet  et  l'honorable  Jules  E. 
LaRue,  tous  deux  exécuteurs  testamentaires  de  feue 
dame  Alzire  Romain,  veuve  de  feu  François  Roy,  me 
prient  d'informer  l'Institut  que  par  son  testament  passé" 
devant  moi,  le  douze  janvier  dernier  (  1887  ),  Madame 
Roy  lĂšgue  Ă   l'Institut  Canadien  une  somme  de  quatre 
vingts  piastres  dans  les  termes  suivants  : 

(lA  l'Institut  Canadien  de  Québec  une  somme  de 
quatre  vingts  piastres  Ă   la  charge  par  cette  institution" 
d'admettre  mon  neveu  Arthur  Balzaretti  Comme  un 
de  ses  membres,  sa  vie  durant.» 

Si  ce  legs  est  accepté  vous  voudrez  bien  m'en  infor- 
mer. 

Je  dois  ajouter  que  les  exécuteurs  testamentaires  ne 
sont  pas  tenus  de  délivrer  les  legs  faits  par  Madame 
Roy  avant  l'expiration  d*une  année  aprÚs  son  décÚs. 

J'ai  l'honneur  d'ĂȘtre, 

Votre  trĂšs  humble  serviteur. 

J.  G.  Couture,  Notaire. 
Ce  legs  a  été  accepté  avec  reconnaissance/ 


ÎDans  le  Cours  de  TannĂ©e  qui  finit  aujourd'hui,  l'Ins^ 
titut  a  fait  une  perte  trÚs  sensible  par  la  mort  du  Révé- 
rend M.  Joseph  Auclair,  curé  de  Notre  Dame  de  Québec 
et  directeur  de  l'Inslilut  Canadien,  constamment  réélu 
depuis  1864.  Il  a  emporté  dans  la  tombe  les  regrets 
les  plus  sincĂšres  de  tous  ses  concitoyens  et  en  particu- 
lier, des  membres  de  cette  institution.  Il  fut  «  un  pa- 
tron iniluent  et  éclairé,  un  ami  zélé  de  notre  oeuvre, 
un  bienfaiteur  généreux  qui,  dans  bien  des  circons- 
tances, a  donné  à  l'Institut  de  précieux  encourage- 
ments. 

La  mort  comme  toujours  a  frappé  sans  merci  parmi 
nous,  car  il  faut  ajouter  à  cette  perte  déjà  si  sensible 
celles  de  M.  M.  Elzéar  Fiset  député  greffier  de  la  Cour 
de  Circuit,  John  Langelier,  dĂ©putĂ©  rĂȘgistraire  de  la 
province,  Amedée  Roberge^  le  docteur  B^rançois  E.  Roy, 
Louis  Turgeon,  et  enfin  François  M.  Lachaine,  noyé  si 
tra,2iquement  Télé  dernier. 

Nous  avons  dû  celte  année  reviser  avec  soin  la  liste 
de  nos  membres.  Plusieurs  avaient  laissé  la  ville.  D'au- 
tres tout  en  voulant  profiter  des  avantages  de  l'Institut, 
lui  refusaient  le  secours  d'une  contribution  juste  et 
nécessaire.  Nous  avons  du  retrancher  32  noms.  Vingt- 
quatre  personnes  ont  envoyé  leur  démission.  Il  y  a  eu 
trente  deux  nouvelles  admissions  Ă   l'Institut  dans  le 
cours  de  l'année. 

L'Institut  compte  aujourd'hui  346  membres  actifs  et 
6  membres  titulaires.  Le  personnel  de  l'Institut  a  donc 
diminué.  Il  est  regrettable  que  dans  une  ville  fran- 
çaise et  amie  des  lettres  comme  Québec,  on  ne  puisse 
recruter  un  plus  grand  nombre  de  membres.  Aussi 
devons-nous  faire  un  appel  chaleureux  Ă   tous  nos  amis 
Quel  beau  résultat,  à  tous  les  points  de  vue,  n'atteigne-- 
riofis-nous  pas  si  chacun  de  nous  se  faisait  devoir  de 
faire  inscrire  un  ami  sur  la  liste  de  nos  membres? 

Plusieurs  projets  ont  été  mis  à  l'étude  pendant  le 
cours  de  la  présente  année.  Celui  de  construire  une 
bibliothÚque  fixe  et  permanente  dans  nos  salles  a  attiré 
particuliĂšrement  l'attention  de  vos  directeurs.  Des 
plans  et  devis  ont  été  préparés  par  M.  F.  X.  Berlinguet, 
architecte.  Mais  les  frais  de  cette  amélioration  sont 
trop  considĂ©rables  pour  le  moment.     GrĂące  Ă   la  gĂȘnĂ©- 


—  96  — 

rosité  de  certains  donateurs,  nous  avons  pu  acquérir 
de  nouvelles  tablettes  pour  les  nombreux  livres  qui  ne 

Bouvaient  ĂȘtre  placĂ©s  sur  les  rayons  de  la  bibliothĂšque, 
â–șes  aniĂ©liorations  considĂ©rables  sont  en  voie  d'exĂ©cu- 
tion. Vos  directeurs  font  Ă©riger  un  escalier  condui- 
sant aux  appartements  situés  audessus  de  Testrade, 
oĂč  seront  faites  des  additions  importantes  jugĂ©es  nĂ©- 
cessaires. 

Au  point  de  vue  intellectuel  l'année  a  été  également 
heureuse. 

Plusieurs  nouveaux  journaux  ont  été  déposés  sur  les 
tables  de  nos  salles  de  plus  en  plus  populaires.  La 
bibliothĂšque  s'est  enrichie  de  plus  de  deux  cents  vo- 
lumes, grĂące  Ă   une  souscription  volontaire  et  Ă   la 
libéialilé  de  nombreux  donateurs. 

Mais  nous  regrettons  de  constater  que  notre  biblio- 
thĂšque des  documents  publics  est  loin  d'ĂȘtre  coniplĂšte. 
Il  est  d'intĂ©rĂȘt  gĂ©nĂ©ral,  que  ces  documents  soient  dis- 
tribués léguliÚrement  aux  sociétés  littéraires.  On  sait 
que  ces  documents  sont  répandus  à  grande  profusion. 
Cependant,  elles  sont  rares,  les  sociétés  qui  peuvent  se 
vanter  d'avoir  la  collection  complĂšte  des  documents 
publics. 

Sous  l'Union,  la  bibliothĂšque  du  parlement  fut  deux 
fois  incendiée.  Dejmis  la  confédération,  la  province 
de  Québec  eut  le  malheur  de  perdre  une  bibliothÚque 
considérable.  Ce  sont  là  des  pertes  énormes,  mais  ces 
perles  auraient  été  moins  sensibles  et  plus  facilement 
réparées,  si  les  sociétés  liltéiaires  avaient  possédé  dÚs 
cette  Ă©poque  les  collections  de  documents  publics. 

Formons  donc  l'espoir  que  les  autorités  compren- 
dront que  la  distribution  réguliÚre  de  ces  documents 
aux  sociétés  littéraires  n'est  pas  une  gratuité  sans 
avantage,  mais  plutÎt  un  placement  et  un  dépÎt  pour 
l'avenir. 

Les  amis  de  l'Institut  ont  été  conviés  comme  par  le 
passé  à  venir  entendre  dans  nos  salles  de  brillantes 
conlérences.    En  voici  la  liste  par  ordre  de  date  : 

1er  février  1887.  De  l'Ancien  Barreau  de  France, 
par  M.  J.  E.  Prince. 

25  lévrier.  L'Amérique  du  Nord  avant  Christophe 
Colomb,  par  M.  Alphonse  Gagnon. 


—  97  — 

1 1  mars.    La  Belgique,  par  M.  B.  Lippens. 

23  mars.    Crémazie,  par  M.  N.  N.  Olivier. 

30  mars.  Whittier,  the  New  England  Poet,  par  M. 
George  Stewart. 

5  avril.  La  Société  Canadienne  au  17Úme  siÚcle, 
par  M.  T.  P.  BĂ©dard. 

lu  avril.  La  vie  dans  les  mines — RĂ©cit  d'un  voyage 
Ă   trois  mille  pieds  sous  terre,  par  M.  B.  Lippens. 

23  avril.  Vers  le  passĂ© — Notes  sur  le  gĂ©nĂ©ral  Ri- 
chard Montgomery,  par  M.  Faucher  de  Saint-Maurice. 

Enfin  le  18  Janvier  1888. 

Réalistes  et  décadents,  par  M.  Napoléon  Legeudre  et 
Histoire  et  LĂ©gende  par  M.  L.  P.  Lemay. 

Cette  derniÚre  soirée  a  été  remarquablement  belle. 
Tout  Québec  littéraire  y  assistait.  Le  Septuor  Haydn 
se  chargea  de  la  partie  musicale  de  la  séance.  L'Ins- 
titut présenta  une  adresse  à  son  Excellence  l'Honorable 
Auguste  Real  Angers,  lieutenant  gouverneur  de  la  pro- 
vince de  Québec.  La  réponse  de  Son  Excellence,  véri- 
table bijou  littéraire,  fait  autant  d'honneur  à  son  auteur 
qu'à  l'Institut  et  sera  précieusement  conservée  dans 
nos  archives. 

Vous  serez  appelés,  ce  soir,  à  ratifier  la  nomination 
de  Son  Excellence  comme  membre  honoraire.  Ce  titre 
ne  pouvait  ĂȘtre  accordĂ©  Ă   un  personnage  plus  distin- 
gué. L'honorable  monsieur  Angers  joint  à  sa  position 
officielle,  la  plus  élevée  de  la  province,  les  qualités  de 
l'homme  de  lettres  dans  la  vraie  acception  du  mot. 

Vos  directeurs  recommandent  en  terminant  la  pu- 
blication d'un  annuaire.  Ils  croient  que  cela  ne  fera 
qu'augmenter  le  prestige  de  notre  institution,  tout  en 
rendant  un  service  aux  lettres  et  en  nous  assurant  les 
faveurs  ministérielles. 

Le  tout  humblement  soumis. 

Le  bureau  de  direction, 

J.  Frkmont. 
Président. 


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i-11. 


Dons  faits  à  l'Institut  Canadien  de  Québec,  depuis  iû 
publication  du  dernier  annuaire. 


BibliothĂšque 


Baillairgé,  M.  Charles. 

Essay  on  the  contracted  liquid  vain,  by 

R.  Seckel. 
Report  of  the  City   Enginecr   on  the 
5th  10  mih^s,  Québec  and   Lake  St. 
John  Railroad. 
Le   Storeometricon,  nouveau  systĂšme 
de  toiser  tous  les  corps  par  une  seule 
et  mĂŽme  rĂšgle  (don  de  l'autour). 
Mémoire   lu  devant   la  Société   Royale 

du  Canada  (don  de  l'auteur). 
Dictionnaire  biographique. 
Blanchet,  l'hon.  J.  G. 

Deux  cartes  de  chemins  de  fer. 
Galerie  nationale. 
Bryraner,  M.  Douglas. 

Rapports  sur  les  Archives  Canadiennes, 
1885et188G.      - 
Caron,  Sir  Adolphe,  C.  B.,  K.  C.  M.  G. 

Rapports  du  département  de  la  milice. 
Divers  documents. 
GarroU  Institute,  Washington. 
Annual  Report. 


—  101  — 

‱Beedham,  M.,  Boston. 

Proceedings  of  the  New  England  His- 
torié Geneaiogical  Society,  1874. 
Belleau,  Sir  Narcisse. 

Société    Royale    du    Canada,    Séance 

d'inauguration. 
Courrier  des  Etats-Unis,  1841  Ă   1855,  17  vols 

Blanchet,  l'iion.  Jean. 

Collection  de  documents  relatifs  Ă   l'his- 
toire de  la  Nouvelle  France,  4  vols. 
Rapports  du  Surintendant  de  l'Instruc- 
tion Publique,  1855  Ă   1882,                       27  vols. 
Jugements  et  délibérations  du  Conseil 

Souverain  de  la  Nouvelle  France,       vols  I  et  II. 
Discours  sur  l'autonomie  des  provinces 
(don  de  l'auteur). 
Chauveau,  l'hon.  P.  J.  O. 

F.  X.  Garneau,  sa  vie  et  ses  Ɠuvres,  (don 
de  l'auteur). 
CollĂšge  de  LĂ©vis. 

Annuaire  1883-1884. 
Costigan,  l'hon.  John. 

The  third  volume  of  the  census  of  1881 
and  its  critics. 
Desaulniers,  M.  L.  A. 

Dictionnaire  de  droit  et  de  procédure 
(don  de  l'auteur). 
Dionne,  Dr  N.  E. 

Etats-Unis,  Manitoba    et    Nord-Ouest, 
notes  de  voyage  (don  de  l'auteur). 
Donateurs  inconnus. 

Catalogue  des  livres,  manuscrits  et  auto- 
graphes sur  la  révolution  française 
composant  la  bibliothĂšque  de  M.  Po- 
chet  DĂ©roche. 
La  Revue   des  questions    historiques. 
Canadian    Parliamentary  Corapanion, 

1883. 
Litterary  Societies,  an  essay  by  Fallan. 
Gazette  des  Beaux  Arts  1872. 
Bibliotheca  Americana,  1883. 
Histoire  de  l'art  contemporain,  par  Ar- 
sĂšne Houssaye. 


—  102  — 

L'Ɠuvre  des  Opuscules. 
Editorial  Committee  of  the  Norvegian  North 
Atlantic  Expedition—Christiana. 
Reports  8,  9,  14a,  146,  16,  17,  18a,  186. 
Filteau,  M.  J.  0. 

Aide-mémoire  du  carabinier  volontaire. 
Stratowich,   esquisse   sur  le  dualisme 

austro-hongrois,  par  M.  A.  Lefaivre,    six  copies. 
Griinewald,  réminiscences  d'Allemagne 

par  le  mĂŽme,  six  copies. 

L'Anglicisme,  voilĂ   l'ennemi,  par  M.  J. 

P.  Tardivel,  six  copies. 

Stolen  Feathers,  par  le  mĂŽme,  six  copies. 

Frémont,  M.  J. 

Compendium  of  the  Dominion  Laws  of 

Canada. 
Le  divorce  et  la  sĂ©paration  de  corps — 
ThĂšse  pour  le  doctorat  (dons  de  Fau- 
teur). 
Gagnon,  Thon.  G.  A.  E. 

Jugements  et  délibérations  du  Conseil 

Souverain  de  la  Nouvelle-France,  vol.  IIL 

Municipalités  et  paroisses,  par  M.  Des- 
champs. 
Gouvernement  Fédéral  du  Canada. 
Documents  de  la  Session,  1887. 
Recensement  des  Territoires  du  Nord- 
Ouest. 
Statuts  du  Canada. 

Un  grand  nombre  de  documents  publics. 
Gouvernement  de  Québec. 
Documents  de  la  session. 
Rapports  de  la  Commission  de  refonte 

des  Statuts. 
Statuts  de  Québec. 

Un  grand  nombre  de  documents  publics. 
Gradmaalings  Kommission. — Christiana. 

Vandstansobservationer  I,  II,  III. 
Hudon,  lient.  J.  A.  G. 

Notes  sur  l'artillerie  (don  de  l'auteur). 
Institut  Canadien-Français  d'Ottawa. 

Les  forĂŽts  du  Canada  et  leurs  produits^ 
par  M.  Small. 


—  103  — 

Guide  du  Français  au  Canada. 

Les  pĂȘcheries  du  Canada,  par  M.  L.  Z. 

Joncas. 
L'Agriculture  dans  le  Nord-Ouest. 
Industries  et  manufactures  par  H.  B. 

Small. 
A  ti  avers  le  Canada,  notes  par  M.  J.  P. 
Sheldon. 
JolicƓur,  M.  P.  J. 

Les  Canadiens-Français  aux  Etats-Unis. 
Lafrance,  M.  C  J.  L. 

Comptes    du    trésorier  de  la  cité  de 
Québec. 
Langlais,  M.  J.  A. 

Tablettes  chronologiques  de  l'histoire 
du  Canada  par  M.  l'abbé  Gosselin. 
Langevin,  Sir  Hector,  C.  B.,  K.  C.  M.  G. 
Plusieurs  rapports    et  documents  pu- 
blics. 
Larochelle,  M.  Ed. 

Nos  hommes  forts,  par  M.  A.  N.  Mont- 
petit. 
Code  de  l'Instruction  publique  par  M. 
Chouinard. 
Lemay,  M.  Georges. 

Fantaisies  littéraires  (don  de  l'auteur). 
Livernois,  M.  Victor. 

La  Chartreuse  de  Notre-Dame  des  Prés. 
Mallet,  M.  Edmond,  Washington. 

Catholic  grievances  in  relation  to  In- 
dian  affairs. 
Mongredien  Augustus. 

Pleas  for  protection  (don  de  l'auteur.) 
Montpelit,  A.  N. 

Biographie  du  major  L.  N.  Voyer. 
L'Amiante. 
Norwegishen  Commission  der  EuropĂ ischen 
Gramissing. 
Geodiilische  Arbeiten.  Heft,  I,  II,  III,. I\r,  V. 

Proulx,  M.  Firmin  H. 

Papiers  et  lettres  sur  l'agriculture  re- 
commandés à  l'attention  des  cultiva- 
teurs canadiens. 


—  104  — 

Roy,  M.  Alfred. 

Dowing's  fruits  and  fruit  trees  of  Ame- 
rica. 
Roy,  Mlles  Alice  et  HĂ©lĂšne. 

Vick's  monthly  magazine. 
SĂ©minaire  de  Ghicoutimi. 

Annuaires  1881-1882,   1883-1884,   1885- 
1886,  1886-1887. 
Séminaire  de  St  Charles  Borromée,  Sher- 
brooke. 
Annuaire  1885-1886. 
SĂ©minaire  de  Nicolet. 

Années  académiques  1881,  1882,  1885, 
1886,  1887. 
Société  Littéraire  et  Historique  de  Québec 

Transactions  1881-1882,  1882-1883. 
Société  de  Géographie  de  Québec. 

Bulletins  1882,  1883,  1884. 
Société  Royale  du  Canada. 

Transactions,  vols  I,  H,  Hl,  IV. 

Siliery,Madame  la  Supérieure  du  couvent  de. 
«L'instruction  publique»  1887,    revue 
française. 
Sirois,  M.  L.  P. 

Pouvoirs  et  obligations  du  tuteur,  ThĂšse 
pour  le  doctorat  (don  de  l'auteur). 
Université  Laval. 

Annuaires  1885-1886,  1886-1887,   1887- 
1888. 
University  CollĂšge,  Toronto. 

The  calendar  of  University  collĂšge  1886. 
Vekeman,  M. 

Voyage  au  Canada. 
Verret,  M.  A.  H. 

Rapport  de  la  Commission  du  Havre. 
Walsh,  M.  F.,  Ottawa.  , 

Trialsof  the  Fenian  Prisoners  at  Toronto, 
who  were  captured  at  Fort  Erie  G.  W. 
in  June,  1866. 


§.—12. 


LISTE  DES  MEMBRES 

DS 

L'INSTITUT  CANADIEN  DE  QUÉBEC 

AD    1"   MARS    1888. 


Membres  actifs 


Ahern,  Dr  M  J 

Allard,  N 

Amyot,  Guillaume,  M  P 

Arcand,  Dosithé 

Audelte,  Rodolphe 

Audy,  F  X 

Auger,  Jacques 


Baby,  W  G 
Baillairgé,  L  de  G 
Baillargeop,  l'abbé  Ghs 
Balzaretli,  Arthur 
Barry,  H  D 
Barthe,  Ulric. 
Bazin,  P  I 
Beaudet,  Elisée 
Beaudet,  EugĂšne 
Beaudry,  Auguste 
Beautey,  Henri 
BĂ©dard.  H  A 
Bégin,  Honoré 
Bégin,  l'abbé  L  N 
BĂ©langer,  EugĂšne 


BĂ©langer,  L  J 

Bélanger,  l'abbé  F  H 

Belleau,  Dr  A  G 

Belleau,  J  F 

Bellerive,  George 

Benoit,  Severin 

Bergevin,  Ghs 

Berlinguet,  F  X 

Bertrand,  J  B 

Bertrand,  Victor 

Bigaouette,  J  E 

Bilodeau,  Louis 

Blagdon,  John 

Blanchet,  l'hon.  Jean,  M  P  P 

Blanchet,  l'hon.  J  G 

Blouin,  Jean 

Boily,  J  E 

Boivin,  Louis 

Bolduc,  Dr  J  E 

Bouffard,  Arthur 

Boulanger,  Cap  L  J 

Boulet,  Elisée 

Bossé,  H  G 

Brailn,  Fred 

Breen,  Thomas 

Brisson,  N 

Brousseau,  J  D 


—  106  — 


Brousseau,  LĂ©ger 
Brunet,  J  G 
Brunet,  W  E 
Bureau,  Emile 
Burroughs,  John 
Buteau,  EIzéar 


Cahill,  JH 
Campeau,  FĂ©lix 
Campeau,  0  F 
Garbray,  FĂ©lix 
Garon,  Achille  P 
Garon,  Sir  A  P,  K  G  M  G 
Garon,  l'hon  L  B,  J  G  S 
Garrell,  James 
Garrier,  Gustave 
Carrier,  L  M 
Gasault,  Honoré 
Gasault,  l'hon  L  N,  J  G  S 
Casgrain,  l'abbé  René 
Casgrain,  Dr  II  E 
Gasgrain.  P  B,  M  P 
Gasgrain,  T  G,  M  P  P 
Gatellier,  Dr  Laurent 
Ghaloner,  H  J 
Ghapais,  Thomas 
Gharlebois,  J  A 
Chassé,  Félix 
Chassé,  Honoré 
Ghateauvert,  Victor 
Chauveau,  l'hon  Alex 
Ghinic,  l'hon  E 
Ghouinard,  H  J  J  B,  M  P 
Chouinard,  Mathias 
Gloutier,  Albert 
Gloutier,  Alfred 
Gloutier,  L  A 
Gorriveau,  Philias 
CÎté,  Augustin 
CÎté,  Jos  Eudora 
Couture,  J  G 


Dagneau,  J  F 
Digneau,  Joseph 
Darveau,  Chs 
Darveau,  Joseph 
DeBlois,  l'hon.  P  A 


DechĂȘne,  F  M 
DechĂȘne,  Gilbert  M,  M  P  P 
DechĂȘne,  Pierre  M 
DelĂąge,  J  B 
Delagrave,  Henri 
Deléry,  Gustave 
Dehsle,  Arthur 
Delisle,  Ferdinand 
Delisle,  P  G 
Demartigny,  GPL 
Demers,  A  J 
Demers,  L  J 
Demers,  Robert 
Dénéchaux,  Oscar 
Derouin,  François 
Déry,  Napoléon 
Desforges,  Anathole 
Dessane,  LĂ©on 
DeVarennes,  F 
Dion,  Arthur 
Dion,  Ezique 
Dion,  F  X 
Dion,  J  B 
Dion,  R  E 
Dionne,  Adolphe 
Donati,  Joseph 
Dorion,  G  E 
Doucet,  EugĂšne 
Doyle,  William 
Drolet,  Désiré 
Drolet,  EugĂšne 
Drolet,  Gaspard 
Drouin,  F  X 
Dubeau,  E  J 
Duchesnay,  Arthur 
Duchesnay,  E  J 
Dufresne,  L  N 
Dumontier,  J  F 
Dumoulin,  P  B 
Dunn,  Thomas 
Dupré,  Edmond 
Dupuis,  l'abbé  J  B  G 
Duquet,  Cyrille 
Dussault,  A 
Dutil,  J  B 
Dyonnet,  L. 


E 


Edge,  Auguste 


—  107  — 


Faguy,  l'abbé  F  X 
Fiset,  Albert 
Fiset,  L  J  G 
P'iset,  Pierre 
Fitzpatrick,  Ghs 
Flynn,  Thon  E  J,  MPP 
Fonier,  Dr  J  E 
Fortier,  FĂ©lix 
Frémont,  Joseph 
Frenetle,  Adolphe 
Frenette,  J  O  A 
French,  W  H 

G 

Gagnon,  Gustave 
Garneau,  J  George 
Garneau,  L  H 
Garneau,  l'hon  P,  M  G  L 
Garneaa,  NemĂšse 
Gaumont,  A 
Gauvreau,  Etienne 
Germain,  Joseph 
Gilbert,  Joseph 
Gingras,  Arthur 
Gingras,  Philippe 
Giroux,  G  A 
Giroux,  Edmond 
Giroux,  Joseph  B 
Giroux,  Rosario  L 
Gosselin,  F  X 
Goujon,  LĂ©on 
Gouin,  Ghs 
Grenier,  Alfred 
Grenier,  Napoléon 

H 

Hamel,  Alphonse 
Hamel,  EugĂšne 
Hamel,  F  E 
Hamel,  Joseph 
Hamel,  Joseph  A 
Hardy,  N  S 
Hudon,  F  E 
Huot,  Edouard 
Huot,  Emmanuel 
Huot,  Philippe 


Jacques,  LĂ©onidas 


JolicƓur,  P  J 
JolicƓur,  P  J,  jnr 
Joly,  l'hon  H  G 
Joncas,  Ghs 

K 

Kirouack,  Frs,  jnr 


LabrĂšque,  Cyprien 
LabrĂšque,  M  A 
Lafrance,  G  J  L 
Lafrance,  P  G 
Lafrance,  Victor 
Laliberté,  J  B 
Lamontagne,  Louis 
Landry,  A  G  P  R 
Langelier,  Ghs,  M  P 
Langelier,  l'hon  F,  M  P 
Langevin,  A  E 
LariviĂšre,  Thomas,  jnr 
LaRochelle,  Edouard 
LaRue,  George 
LaRue,  George,  jnr 
Laurin,  J  0 
Laurin,  L  N 
Lavigne,  Arthur 
Lavoie,  Dr  J  P 
Leclerc,  V  N 
LeDroit,  Joseph 
LeDroit,  Théophile 
Lefaivre,  George 
Légaré,  Mgr  G  E,  Prot.  Apos 
Lemay,  Albert 
Lemay,  L  P 
Lemieux,  Joseph 
Lemieux,  TĂ©lesphore 
Lemoine,  Edouard 
Lemoine,  Gaspard 
Lemoine,  L  A 
LeSage,  Siméon 
Letellier,  Biaise 
Lindsay.  Alexandre 
Lippe,  Ghs 
Livernoi',  J  E 
Lortie,  Edmond 

M 
Maheux,  EusĂšbe 


—  108  — 


Maloum,  Albert 
Malouin,  Jacques 
Marmette,  Alphonse 
Martin,  Joseph 
Marlineau,  J 
Martineau,  J  E 
Matte,  Napoléon 
McLean,  John 
Methot,  J  O 
Michaud,  C  R 
Montambault,  D  J 
Montminy,  Ghs 
Moreau,  Edouard 
Morin,  J  B 
Morin,  L  D 
Murphy,  John  E 

N 

Nadeau,  Joseph 
Nagant,  H 
Noël,  Lazare 
Normand,  Fabien 


O'Donnell,  J  G 


Pageau,  J  0 
Pampalon,  Avila 
Pampalon,  l'abbé  D 
Pampalon,  Thomas 
Paquet,  Arthur 
Paquet,  Elzéar 
Paquet,  Thon  E  T 
Paradis,  G  A 
Paradis,  Jules 
Paradis,  L  L 
Parant,  F  X 
Parant,  Louis 
Paré,  Edmond 
Paré,  G  E 
Patry,  Eudora 
Peachy,  J  F 
Pelletier.  L  P 
Penny,  Frank 
Picard,  Arthur 
Pichette,  Ovide 


Pinault,  L  F 
Poitras,  Edouard 
Poliquin,  0 
Potvin,  Olivier 
Potvin,  Thomas 
Pouliot,  Alphonse 
Pourtier,  Dr  M 
Prémont,  Joseph 
Prendergast,  Godfroid 
Prince,  J  E 

il 

Rancour,  Noël 
Redmond,  John 
RĂ©millard,  L'hon  E 
Richard,  Frédéric 
Rinfret,  TancrĂšde 
Robitaille,  Amédée 
Robitaille,  Ghs  I 
Robitaille,  Dr  0 
Robitaille,  L  A 
Rochette,  TĂ©lesphore 
Rouillard,  0  E 
Roumilhac,  Edouard 
Rousseau,  Cléophas 
Rousseau,  David 
Rousseau,  H  B 
Roy,  Alfred 
Roy,  George 
Roy,  Rodolphe 
Roy,  Thomas 
Roy,  Thomas  E 


Shehyn,  l'hon  Jos  M  P  P 
Simard,  Dr  L  J  A 
Simard,  Fiançois 
Sirois,  L  P 


Talbot,  Aimé 
Tanguay,  G  E 
Tardivel,  J  P 
Tarte,  Israël 
Taschereau,  Edouard 
Taschereau,  L'hon  J  T 
Taschereau,    Son    Eminence 
Cardinal 


le 


—  109  — 


Tessier,  Cyrille 
Tessier,  Jules,  M  P  P 
Tessier,  Ulric 
Tessier,  Ihon  U  J,J  GBR 
TĂȘtn,  Mgr  D  H,  C  S 
Thibaudeau,  Ghs 
Thibaudeau,  Thon  I 
Tourangeau,  A  G 
Tousignant,  J  0 
Toussaint,  F  X 
Toussaint,  F  X  Jnr 
Trudelle,  Ghs 
Trudelle,  Edmond 
Trudelle,  Edouard 
Trudelle,  T  A 
Turcot,  Dr  E 
Turcotte,  H  A 
Turcotte,  Israël 
Turcotte,  Nazaire 


Vallée,  Dr  A 
Vallée,  L  P 
Vallerand,  André  B 
Vallerand,  F  0 
Vandry,  Joseph 
Vandry,  ZĂ©phirin 
Venner,  Dr  T  A 
Verret,  A  H 
Verret,  B 
Vezina,  Adolphe 
Vezina,  J  B 
Vignault,  FĂ©lix 
Vohl,  L  P 


W 


Walsh,  John  E 


Membres  Titulaires 


Fortin,  Madame  Achille 
Hudon,  Madame  Théop. 
Huot,  Délie.  Eugénie 


LabrĂšque,  DĂ©lie.  Aima 
Routhier,  Madame  F  X 
Uoy,  DĂ©lie.  Alphousine 


Membres  correspondants 


AU  CANADA» 


Benoit,  M.  Alphonse Ottawa. 

Benoit,  M.  Samuel " 

BoNPART,  M.  A.  de Montréal. 

Boucher  de  la  BroĂšre,  l'honorable  P., 

M.  G.  L ..«. Saint- Hyacinthe. 

Brdchési,  m.  l'abbé  P.  N Montréal. 

Campeau,  m.  F.  R.  E Ottawa. 

Cannon,  m.  Lawrence Arlhabaskaville. 

David,  M.  L.  O «Montréal. 

Decazes.  m.  Paul Québec. 

Drapeau,  M.  Stanislas Ottawa. 

Garneau,  m.  Alfred «' 

LaperriĂšre,  M.Augustin „ ‹« 

LusiGNAN,  M.  Alphonse ‱* 

Panet,  l'honorable  EugĂšne w.. " 


—  110  — 

pROVANCHER,  M.  l'abbĂ©  L... „,#.♩... Saint-FĂ©lix  du  Cap  Rouge. 

St.  Cyr,  m.  D.  N Champlain. 

SuLTK,  M.  Benjamin Ottawa. 

Tassé,  M.  Joseph Montréal, 

Vanasse,  m.  F Montréal. 


Membres  honoraires 
A  l'Ă©tranger 

Barbaro,  m.  le  Marquis  Ramiro Rome  (Italie). 

BoNNECHOSE,  M.  Charles  de Paris  (France). 

Campo-Grande,    Son  Excellence  le  vi- 
comte de Madrid  (Espagne). 

Foucault,  M.  le  comte  de , Paris  (France). 

Frary,  M.  Raoul "  '♩ 

Jannet,  M.  Claudio "  " 

JovELLAR.  Son  Excellence  le  général.. ..Madrid  (Espagne). 

LePlay,  M.  F Paris  (France). 

Leroy,  M.  Alphonse,^^ LiĂšge  (Belgique). 

Mallet,  m.  Edmond Washington,  D.  G.  (E.-U.). 

Martinez  de  Campos,  Son  Excellence  le 
général Madrid  (Espagne). 

MoRET,  Son  Excellence  M.  Segismundo.      "  " 

O'Reilly,  M.  l'abbé  Bernard,  L.  D New-York  (E..U.). 

Palacio,  m.  Manuel  del Madrid  (Epagne). 

Prendergast.Sou  Excellence  M.  Jacobo.      "  " 

Rameau,  M.  E Paris  (France). 

Sagasta,  Son  Excellence  M.  Praxùdes  ‱ 

Mateo Madrid  (Espagne). 

Sesmaisons,  m.  le  comte  de Paris  (France). 

SiLVELA,  Son  Excellence  M.  Manuel Madrid  (Espagne). 

Toreno,  Son  Excellence  le  comte  de....      "  " 

AU  canarĂą 

Angers,  Son    Excellence    l'honorable 

Auguste  Real,  lieutenant-gouverneur 

de  la  province  de  Québec Québec. 

Bady,  l'honorable  L.  F.  G.,  J.  C.  B.  R... Montréal. 

Bois,  M,  l'abbé  L.  E Maskinongé. 

Caron,  1  honorable  L.  B.,  J.  C.  S Québec. 

Chauveau,  l'honorable  P.  J.  O.,  ancien 

ministre.  - Montréal. 

FouBNiER,  l'honorable  T.,  juge  de    la 

cour  SuprĂȘme Ottawa. 

Howells,  l'honorable  W.  C,  consul  dos 

Etats-Unis Toronto 


—  111  — 

Landrt,  l'honorable  A.  P Dorchester,  N.  B. 

Lefaivre,  m.  Albert,  consul-général  de 
France New- York. 

Lepebvre,  R.  p.,  g.  s.  g Memramcook,  N.  B. 

Masson,  L'Hon.  L.  R Terrebonne. 

MoTHON,  R.  P.  A.  L.,  des  FrĂšres  PrĂȘ- 
cheurs  ^Paris. 

Pelletier,  l'honorable  G.  A.  P.,  ancien 
ministre,  Sénateur. Québec. 

Plamondon,  l'honorable  M.  A.,  juge  de 

Cour  Supérieure Arlhabaskaville. 

Premio-Real,  Son  Excel,  le  comte  de, 
consul-général  d'Espagne  au  Ganada. Québec. 

Richard.  RĂ©v.  L.  F St-Louis,  N.-B, 

Routhier,  l'honorable  A.  B.,  J.  G.  S Québec. 

Royal,  rhou.Jos.,M.  P., ancien  ministre. St-Boniface,  Man. 

Taché,  M.  J.  G.,  M.  D Ottawa. 

Taschereau,  l'hon.  Henri  T.,  J.  G.  S«...Montréal. 

"Verreau,  M.  l'abbé  H ^ '* 


§—13. 


Présidents  honoraires  et  Présidents  actifs  de  Tlnstitut* 
Canadien  depuis  sa  fondation 


PRESIDENTS  HONORAIRES. 


1848-49- 

1849-50 

1850-51 

1851-52 

1852-53- 

1853-54- 


-L'honorabĂźe  R.E.Garon 


L'honorable  Ls  Panet. 
L'honorable  Sir  N.   F, 

Belleau. 
1854-55 — L'honorable    Jos.  Cau- 

chon. 
M.  F.  X.  Garneau. 


1855-56 
1856-57 
1857-58 
1858-59 
1859-60 
1860-61 
1861-62 
1862-63 
1863-64 

1864-65 

1865-66 

1866-07 

1867-68 

1868-69 

1869-70 

1870-71» 

1871-72- 

1872-73- 

1873-74- 


— M 


P.  A.  DeGaspé. 


-M.  J.  B.  Meilleur. 
-M.  Cyrille  Delagrave. 
-M.  L.  G.  Baillairgé. 


PRESIDENTS    ACTIFS. 

.  L'honorable  M.  A.   Plamondon. 
M.  J.  B.  A.  Chartier. 
M.  F.  R.  Angers. 
L'honorable  P.  J.  0.  Chauveau. 
M.  F.  X.  Garneau. 

L'honorable  U.  J.  Tessier. 

L'honorable  N.  Gasault. 
M.  Cyrille  Delagrave. 
M.  L.  J.  C.  Fiset. 
M.  Octave  Crémazie. 
M.  P.  J.  JolicƓur. 
M.  Gaspard  Drolet. 
L'honorable  L.  B.  Garon. 
M.  R.  J.  Z.  Leblanc. 
M.  Jacques  Auger. 
L'honorable  Sir  H.  L.  Langevin, 
C.  B.,  K.  C.  M.  G. 
»  > 

M.  J.  G.  Taché, 

L'honorable  H.  T.  Taschereau. 
L'honorable  Frs  Langelier. 

M.  D,  J.  Montambault. 
M.  T.  LeDroit. 

i  > 

L'honorable  Jean  Blanchet. 


—  113  — 

1874-75— L'honorable   P.    j     o 

Î875-76        ,^^^"^«a"-'      *       'M.J.F.BelIeau. 

1876-77        ,                !  T,Ă»           * 

1877-78        ,               .  L  honorable  Ed.  RĂ©miUard. 

‱  B-ro^^  M.  J.  0.  Fontaine. 

1878.79-M.  L.  J.  G.  Fiset.  /  ^-  ^-  P-  Turcotte. 

1879-80        ,  \  Dr  A.  Vallée. 

1880-81        ,                *  *            » 

1881-82        ,               ;  M- H.  J.  J.  B.  Ghouiaard,  M.  P 

1882-83        ,               .  '                      .                     * 

1883-84        .  '                       » 

1884-85 


1885-86        ,  ^^  A.  Turcotte. 

1886-87        ,  *  *^.  Alphonse  Pouiiot. 

1887-88        ,  *  ^■'^-  FrĂ©mont. 


1888-89 


.—14. 


Liste  des  revues  et  des  journaux  reçus  à 
rinstitut-Canadien 


RKVUES. 

Les  Nouvelles  Soirées  Cana- 
diennes. 

Revue  Britannique. 

Revue  du  Monde  Catholique. 

Revue  Catholifiue  des  Institu- 
tions et  du  Droit. 

Le  Correspondant. 

Le  Naturaliste  Canadien. 

The  Musical  Times. 

Revue  littéraire  de   i  l'Univers.  » 

La  Revue  Canadienne. 

L'Album  Musical. 

Le  Ganada-Fraiir-ais. 

Revue  ))0litiquH  et  littéraire. 

Revue  Scienlilique. 

Le  Tour  du  Monde. 

The  Ctilic,  New  York. 

Revue  littéraire. 

The  Saturday  Era,  New  York. 

L'Intermédiaire  des  chercheurs 
et  des  curieux. 

La  Nature. 

La  Lyre  d'Or. 

Impérial  Fédération. 

Canadidn  Journal  of  Fabrics, 

La  Gazette  GĂ©ographique,  Paris. 

JOUKNAU.X  ILLUSTRÉS. 

The  Mechanical  News. 
L'Illustration,  Paris. 
L'Univers  illustré. 
The    Illustrated    London   News, 
(Angleterre.) 


Frank  Leslie's  Illustrated  News- 

Paper. 
Scientific  American. 
The  Graphie. 
Punch. 
Grip. 

Le  .journal  d'Apriculture. 
The  American  Poultry  Y'ard. 
Machinery  Exporter. 

FRANCE, 

Le  Journal  des  DĂ©bats. 

L'Univers. 

Paris-Canada. 

CANADA. — TORONTO. 

The  Globe  (hebdomadaire.) 
The  Mail,  (hebdomadaire). 
The  Monetary  Times. 

MONTnÉAL. 

La  Minerve. 

La  Patrie. 

Le  Monde. 

The  Gazette. 

The  Herald. 

Journal  of  Commerce. 

Moniteur  du  Commerce. 

The  Daily  Star. 

La  Presse. 

L'Etendard. 


115  — 


QUEHEC. 

Le  Canadien. 

Le  Journal  de  Québec. 

Le  Courrier  du  Canada. 

L'F.venemenl. 

The  Qu-bec  Daily  Mercury. 

Daily  Telegraph. 

L'Er^cleur. 

The  Morning  Ghronicle. 

La  Vérité. 

La  Gazette  OlBcielle  de  Québec. 

La  Justice. 

L'Artisan. 

DIVERS. 

Le  Journa.  des  Trois-RiviĂšres. 
Le  Coiislilulionnel,  i 

La  CoĂźicorde,  c 


La  Gazette  de  Joliette. 

Le  Courrier  de  Saint-Hyacinthe. 

Le  Sorellois. 

La  Gazette  Officielle  d'Ottawa. 

Le  Canada,  Ottawa. 

Le  Quotidien,  LĂ©vis. 

Le  Moniteur  Acadien,    Shédiac, 

N.B. 
Le  M mitoba,  St  Boniface,  Man. 
The  Weekly  Fre^^man's  N.-Y. 
The  New  York  Weekly  Herald. 
La  Paix,  Trois-HiviĂšres. 
La  Feuille  d'Erable,  New  York. 
Le  Nord. 

L'Evangéline,  Digby,  N.-E. 
Le  ProgrĂšs  du  Sa^'  lenay,   Chi- 

coutimi. 
Le  Courrier  de  Louiseville. 
Le  Courrier  de  Fraserville. 


TABLE    DES    MATIÈRES 


Paokb 
Ayant-propos III 

3  iticdes  conférences Y 

Officiers  de  l'Institut ; VII 

i. — I.  CRĂ©uAZiE,  par  M.  N.-N.  Olivikr 1 

§. — II.  D«  l'ancien  barrkau  de  France,  par  M.  J.-E.  Prince 19 

§. — m.  PoMPÉï,  par  M.  J.  FrĂ©mont 47 

§. — IV.  Notice  sur  Mademoiselle  de  Vkrchkrks 69 

§. — V.  Relation  de  Mademoiselle  de  Verchùres 73 

§. — VI.  PrĂ©sentation   de   l'adresse  Ă   Son  Excellence  le  lieutenant- 
gouverneur  Angers 84 

1.  Adresse 84 

2.  RĂ©ponse 86L 

§. — VIL  Rapport  des  directeurs  de  l'Institut  pour  l'annĂ©e  1886-1887.  89 

§. — VIII.  Rapport  du  TrĂ©sorier  pour  lamĂȘme  annĂ©e 92 

§. — IX.  Rapport  des  directeurs  de  l'Institut  pour  l'annĂ©e  1887-1888....  93 

§. — X.  Rapport  du  TrĂ©sorier  pour  la  mĂȘme  annĂ©e 98 

§. — XL  Dons   faits    à   l'Institut   depuis    la  publication  du  dernier 

annuaire .^.‱-  100 

§. — XII.  Liste  des  membres  de  l'Institut 105 

1 — Membres  actifs 105 

2 — Membres  titulaires 109 

3 — Membres  correspondants 109 

4 — Membres  honoraires. 110 

§.— XIIL  PrĂ©sidents  de  l'Institut 112 

§. — XIV.  Revues  et  journaux  reçus  à  l'Institut 114 


AS 

15 
no  12 


Institut  canadien  de  Québec 
Annuaire 


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