canadien de Québec
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42
15
no 12
ANNUAIRE
DE
L'INSTITUT CANADIEN
DE QUĂBEC
iSSS
CrĂ©mazie â D« l'ancien barresku de France â PompĂ©i â Notice sur Mademoiselle de
VerchĂšresâ Relation de Mademoiselle de VerchĂšresâ Adresse Ă Son Excellence
l'honorable A. R. Angers et RĂ©ponseâ Rapports et Appendice
N" 12
QUĂBEC
ImpRIMBBIS GĂNĂąBALB A. COTĂ RT C"
1?88
ANNUAIRE
DE
L'INSTITUT CANADIEN
DE QUĂBEC
is»s
OrĂ©mazie â De l'ancien barreau de France â PompĂ©i â Notice sur Mademoiselle de
VerchĂšresâ Relation de Mademoiselle de Ver cher es -Adresse Ă Son Excellence
l'honorable A. H. Angers et KĂ©ponseâ Rapports et Appendice
N° 12
QUĂBEC
iMPRrMRRIK GĂNĂRALE A. COTE ET C'^
1888
IJ^K
iAli y '^>
MAY 8 19^ p
AVANT-PROPOS
Les directeurs de l'Institut Canadien sont heureux
de continuer aujourd'hui la publication de leur an-
nuaire interrompue depuis plusieurs années. Ils ont
pensé consacrer à leurs annales, une partie de l'aide
que le gouvernement a bien voulu leur accorder Ă la
derniÚre session du parlement. C'était remplir le désir
si souvent manifesté par leurs amis, et prouver au
public, une fois de plus, l'oeuvre utile que l'Institut a
mission de remplir.
Nous devons profiter de cette occasion pour remer-
cier le gouvernement provincial de sa gĂ©nĂ©rositĂ© Ă
notre Ă©gard et souhaiter que non-seulement le gouver-
nement, mais encore le public comprenne la valeur
des sacrifices que nous faisons pour faire progresser
notre Ćuvre, et pour continuer nos travaux.
Nous avons ajouté dans cet annuaire à la pu-
blication de quelques conférences : « La relation
« des faits héroïques de mademoiselle do VerchÚres, »
rĂ©cit fait par mademoiselle de VerchĂšres elle-mĂȘme au
roi de France, Ă la demande du comte de Boauharnois,
alors gouverneur de la Colonie. C'est un Ă©pisode
trÚs-intéressant de notre histoire, et nous sommes cer-
tain que le public nous saura gré de lui faire connaßtre
cette curieuse et intéressante piÚce.
IV
Si notre sentiment ne nous trompe pas et que nos
amis nous encourligent dans la marche que nous sui-
vons aujourd'hui, nous continuerons dans les annuaires
suivants Ă faire connaĂźtre la richesse des archives
canadiennes, en livrant au public d'autres piĂšces histo-
riques aussi précieuses que celle que nous lui offrons
aujourd'hui.
CONFĂRENCES
DANS LES SALLES DE l'iNSTITUT EN 1886 ET 1887
Les Isles de la Manche^ leur histoire^ leurs mĆurs et leurs
institutions ; par M. Henri Boland, de la Revue
Internationale.
Le Langage du geste ; par Monseigneur Hamel, V. G., de
la Société Royale.
Les Grands Centres de V Ouest Américain ; par M. N. E.
DiONNE.
La Presse ; par M. Georges Lemay.
Adventures and ScĂšnes in the interior of florida ; par M.
J. U. Gregory.
Pompeï ; par M. J. Frémont.
De V Ancien Barreau de France ; causerie historique par
M. J. E. Prince.
U Amérique du Nord avant Christophe Colomb ; par M.
Alphonse Gagnon.
La Belgique ; par M. B. Lippens.
Crémazie ; par M. N. N. Olivier.
Whittier^ the New England poet ; par M. George Stewart,
de la Société Royale.
â VI
La SociĂ©lc Canadienne au MĂȘme siĂšcle : par M. T. P.
Bedard.
La vie dans les mines; RĂ©cit d'un voyage Ă trois mille
pieds sous terre, par M. B. Lippens.
Vers le passé ; Notes sur le Général Richard Mont-
gomery, par M. Faucher de Saint-Maurice, de la
Société Royale.
Réalistes et décadents ; par M. Napoléon Legendre, de
la Société Royale.
Histoire et légende ; par M. L. P. Lemay, de la Société
Royale.
OFFICIERS ET DIRECTEURS DE L'iSTlTL'T
1888-1889
MM. L. J. G. Fiset Président honoraire.
J. Frémont Président actif.
Thomas Chapais, | Vice-Présidents.
J. E. Prince, J
L. P. Sirois Trésorier.
N. E. Gauvreau Assistant-trésorier.
J. G. Couture Secrétaire-archiviste.
J. 0. Frenette. | Assistants-secarch.
F. X. Gosselin, /
Edouard Taschereau Secrétaire-correspondant.
â â ""^on ler, I Assistants-sec.-correspondants.
Jos. Ledroit, J
T. A. Venner Bibliothécaire.
G, de Léry, Curateur du musée.
BUREAU DE DIRECTION
Le président-actif ; les vice-présidents ; le trésorier ; le secré.
taire-archiviste ; le secrétaire-correspondant ; le bibliothécaire '>
le curateur du musée ; Mgr Légaré ; M. le Curé de Québec ; M. le
Curé de Saint-Roch ; l'honorable Pierre Garneau ; l'honorable Jos.
Shehyn ; l'honorable Ed. Remillard ; MM. Siméon Lesage ; D. J.
Montambault ; P. J. JolicĆur; H. J. J. B. Chouinard; T. Ledroit ;
A. Vallée ; Chas. Joncas ; Alphonse Pouliot ; Adj. Turcotte et
E. Huot.
変 I.
CRBMAZIB
Conférence faite à l'Institut Canadien par
M. N. N. OLIVIER.
M. h Président
Mesdames et Messieurs^
Ilya quinze ans à peine, un québecquois écrivait
que le nom d'Octave Grémazie ne devait jamais plus
ĂȘtre prononcĂ© au Canada. Cependant, en l'an de grĂące
1883, la plume Ă©minemment patriotique d'un de nos
écrivains les plus distingués faisait mentir cette triste
prophétie en nous donnant un trÚs beau volume, inti-
tulĂ©: « Oeuvres COMPLĂTES d'Octave GrĂ©mazie.» Et ce
volume était publié sous le patronage de l'Institut Cana-
dien de QuĂ©bec. Notre temple des lettres, qui a mĂȘlĂ©
son nom Ă toutes nos grandes Ćuvres littĂ©raires et
nationales (et qui doit en partie son existence à Gré-
mazie lui-mĂȘme) s'ouvrait pour recevoir et acclamer
l'exilé dont le souvenir paraissait un peu oublié.
C'était le commencement de la réhabilitation. Au-
jourd'hui, quand on évoque le souvenir d'Octave Gré-
â 2 â
mazie, on dit: Crémazie le poÚte; quelquefois on
ajoute : le poĂšte malheureux. Mais faire allusion au
citoyen, au citoyen coupable, jamais ! Le sentiment
que ce nom réveille dans nos ùmes n'est pas de la haine,
encore moins du mĂ©pris; c'est de la pitiĂ©, et mĂȘme de
la sympathie, de la sympathie pour le poĂšte que l'on
aime, de la pitiĂ© pour le malheureux que l'on plaint. â
Avoir été poÚte et avoir souffert, n'est-ce pas d'ailleurs
ce qui constitue les deux plus beaux titres Ă l'indulgence
et au pardon ?
La postérité ne s'est jamais montrée sévÚre à l'égard
des manquements des poĂštes, et en cela comme toujours
la postérité a eu raison. Chez eux les torts ne sont sou-
vent que les défauts de leurs qualités. Ils pÚchent
par entrainement, par faiblesse, par excÚs de bonté.
Ah ! oui, pardonnez au poĂšte qui a failli et si vous
ĂȘtes tentĂ©s de maudire ses erreurs, songez que n'eĂ»t
été ses défauts vous n'auriez probablement jamais lu
tant de beaux vers qui vous procurÚrent de délicipm
instants.
Ce fut l'histoire de notre barde canadien.
Si Crémazie n'avait pas été possédé de cette folie
d'écrire, de ce démon de l'inspiration qui le jetait sans
cesse en dehors du monde réel ; si au lieu de courir
aprĂšs une lime il avait servi le client qui pestait contre
lui, ou avait songé à solder ses billets à leur terme;
si avec cela il avait eu une Ăąme plus positive^ moins
confiante dans les amis, il aurait été un marchand
accompli et faisant honneur à ses affaires. Le déficit
ne l'aurait pas poussé à !a fraude, le nom du libraire
gérait re^lé sans tache Mais aussi pouf la mé-
rnoiro d<Ăź ce bon bourgeois que les annales de notre
"ville auraient pu enregistrer, noire litlĂšralure aurait
perdu : « la Promenade de trois moi ts, n et vous ne
chanterii z pas aujourd'hui « le Drapeau de Garillon.u
A vt)Ub (le choisir m.iintcnant.
Je dis: A vous de choisir ; car remarquez le bien, le
C^oix n\ipp;nti(Mit pas au poĂšte !
Lui, n'i'sL i)as libre. « Malgré moi, rLifuii me t,our-
mcnle,» di>ail Musset. Demander au poÚie de peser
d'abord le pour et lo conlie tl de choisir ensuite entre
chanter ou se taire, autant vaudiait demander (( Ă la
â 3 â
brume qui flotte le matin sur les campagnes de s'in-
former de son chemin » et à la brise de souffler de tel
cÎté plutÎt que de tel autre.
Outre sa qualité de poÚte, Crémazie peut encore in-
voquer un autre titre Ă notre bienveillance. S'il a eu
des faiblesses, ne les a-t-il pas expiées surabondamment ?
Les mallieureux ont des droits acquis à la miséricorde,
la souffrance lave tant de choses !
Laissons lui donc dans la mort le repos que la vie
lui refusa, nous rappelant que le repro''-he qui s'adresse
Ă la vie privĂ©e doit s'arrĂȘter en face d'un tombeau, et
que, quand Dieu ajugé une ùme, les tribunaux humains
ont perdu leur juridiction.
Pourtant, mesdames et messieurs, si le citoyen est
oublié, si les errements de l'homme sont ensevelis dans
la mĂȘme fosse, quelque chose lui a survĂ©cu qui ne
mourra pas, ce sont ses Ćuvres. Le poĂšte vivra de
cette vie que les siÚcles accordent au génie et qui s'ap-
pelle l'immortalité.
C'est de lui que nous voudrions parler dans cette
Ă©tude.
La marche que nous allons suivre n'a rien de com-
pliqué. Elle était toute tracée d'avance par la vie
mĂȘme de notre hĂ©ros et sera simple comme elle.
En Crémazie, il y eut l'homme heureux, laissant
couler l'existence comme un navigateur qui laisse
doucement aller sa barque au courant d'un fleuve lim-
pide; puis il y eut l'homme coupable, souffrant, déses-
péré ; et enfin l'homme repentant. Dans la premiÚre
phase de sa vie, le poĂšte chanta le patriotisme, les
gloires nationales et la beauté. Coupable, le genre
terrible et les sujets les plus sombres occupĂšrent exclu-
sivement sa plume. Et quand, sur la fin, le repentir
eut touché cette grande ùme, restée chrétienne mÎme
dans ses égarements, sa pensée prit une teinte de rési-
gnation et de douceur qui rappelle dans ses lettres nos
beaux couchers de soleil aprĂšs un jour d'orage.
C'est avec justice que Crémazie a reçu le titre envié
par plusieurs de poĂšte national. Nul ne s'est mieux
identifié avec le caractÚre de notre peuple et n'a l'ait de
la littéiature l'expression plus fidÚle de nos senlin)ent3
nationaux. Il a parié de nos gloires militaires avec
â 4 â
le cĆur d'un patriote et l'Ă©nergie d'un soldat. Je ne
pense pas que jamais un canadien puisse lire «le Vieux
soldat canadien),, ou entendre chanter «le Drapeau
de Carillon », sans sentir vib|i;er jusqu'à la derniÚre fibre
de son patriotisme.
N'entendez-vous pas les sanglots de la patrie en deuil ?
ne voyez-vous pas le Canada orphelin dans ce vieux
soldat qui,
MutilĂ©, languissant â coulait en silence
Ses vieux jours désolés, réservant pour la France
Ce qui restait encor de son généreux sang.
Ses regards affaiblis interrogeaient la rive.
Cherchant si les Français, que dans sa Toi naïve,
Depuis de si longs jours il espérait revoir.
Venaient sur nos ramparts déployer leur banniÚre :
Puis retrouvant le feu de son ardeur premiĂšre,
Fier de son souvenir, il chantait son espoir :
« Pauvre soldat, aux jours de ma jeunesse,
» Pour vous, Français, j'ai combattu longtemps.
» Je viens encor, dans ma triste vieillesse,
H Attendre ici vos guerriers triomphants.
)) Mes yeux Ă©teints verront-ils dans la nue
» Le fier drapeau qui couronne leurs mats ?
» Oui, pour le voir Dieu me rendra la vue !
)) Dis-moi, mon fils, ne paraissent-ils pas ?
Quant au « Drapeau de Carillon » on ne le cite plus
devant un auditoire canadien. 11 paraĂźt que ce chant-
lĂ donna longtemps sur les nerfs de quelques-uns de
nos amis les Anglais. Il est malheureux que l'idée
Ă©troite de nous interdire l'Ă©vocation de nos souvenirs
nationaux se soit ainsi enracinée dans l'esprit de nos
alliés d'aujourd'hui. Ils devraient comprendre que
les rejetons de deux races, de tout temps en anta-
gonisme, ne peuvent pas avoir le mĂȘme passĂ© et les
mĂȘmes gloires et que le plus qu'on puisse exiger de
l'une c'est de ne pas insulter l'autre.
C'Ă©tait une tentative folle aiitiint que fanatique de
vouloir ostraciser '( le Drapeau de Carillon.» Cette poésie
n'est pas seulement l'Ćuvre d'un grand poĂšte, c'est
l'Ă©cho du sentiment de toute une nation. 11 est au-
jourd'hui dans toutes les mémoires et il vivra aussi
longtemps que sur les rives du Saint-Laurenc battra
un cĆur canadien. Essayer de le dĂ©truire, autant
vaudrait tenter l'anéantissement de notre langue.
« Crémazie n'a été vraiment original, dit l'abbé
Casgrain, que dans ses poésies patriotiques : C'est le
secret de. sa popularité, et son meilleur titre devant
l'avenir. »
C'est aussi dans ce genre qu'il a donné toute la
mesure de ses forces et c'est par lĂ qu'il faut le juger.
Le vers de Crémazie est fier, un peu raiile. Il
paraßt taillé dans le granit du Gap Diamant et sent
un mĂąle ciseau. Il n'a pas l'harmonie, le coulant, la
mesure des vers de Fréchette ; mais à rencontre de ce
dernier, on dirait que la pensée chez Crémazie est
sans cesse sur le point de faire Ă©clater l'expression.
Fréchette, c'est un fleuve imposant, aux bords fleuris,
mais au lit peut-ĂȘtre un peu large pour son volume
d'eau. Crémazie rappelle le torrent dont les falaises
escarpées sont trop resserrées pour contenir la masse
des flots qui s'y précipitent. « Fréchette, comme on
l'a dit, la plus française de nos muses, met plus
d'esprit dans son Ćuvre; CrĂ©mazie, le plus canadien
de nos poĂštes, Ă©crit davantage avec son cĆur» (1).
Chez le dernier, lors mĂŽme que l'expression n'Ă©gale
pas la pensée, l'accent nous révÚle toujours une ùme.
Crémazie aimait à répéter aprÚs Musset, un de ses
poĂštes favoris :
"Mon verre n'est pas grand, mais je bois dans mon verre."
Certes, il avait raison, il ne buvait jamais dans le
verre d'autrui, et quand il Ă©crivait c'Ă©tait pour exprimer
sa pensée et non celle des autres, c'est encore lui qui
(1) Ces quelques mots sur le compte de M. L. Fréchette no sont peut-
ĂȘtre plus justifiables aujourd'hui, aprĂšs la publication de " la L<'»gende
d'un Peuple," Ćuvre magistrale oĂč l'auteur a prouvĂ© qu'il avait des
idĂ©âŹ8 et dxc cĆur autant que de l'esprit.
â fi-
le (Ut. J'en connais qui ne sauraient s'attribuer cet
Ă©loge.
Mais il n'en est pas moins vrai aussi que son verre
n'Ă©tait pas grand.
Avec la somme presque incroyable de connaissances^
qu'il avait déjà acquises et le travail assidu auquel il
se livrait chaque jour, son talent serait certainement
arrivé à une plus grande fécondité, mais tel qu'il eut
le temps de se révéler, il ne connut guÚre que deux
genres. Il n'avait dans son tiroir que deux types: le
vieux soldat et le cadavre. En lui, il y avait le poĂšte
patriotique et le chantre de rhorrible.
Les sourires comme celui qu'il intitula «les Mille-Ilest
sont des exceptions dans sa vie et on les attribuerait
volontiers Ă un moment de distraction. On regrette
qu'il ne lui soit pas arrivé plus souvent de ces heu-
reuses distractions quand on lit des strophes comme
les suivantes :
Quand Eve Ă l'arbre de la vie
De sa main eut cueilli la mort.
Sur la terre à jamais flétrie
On vit paraĂźtre le remords.
Puis Adam s'en fut sur la terre,
Qui déjà pleurait avec lui,
S'abreuver Ă la source amĂšre.
OĂč nous allrms boire aujourd'hui.
Et les arclian^ucs sur leurs ailes.
Prenant l'Eden silencieux,
Au bout des sphĂšres Ă©ternelles
Le déposÚrent dans les cieux.
Mais, en s'élançaut dans l'espace,
Ils laissĂšrent sur leur chemin.
Tomber pour indiquer leur trace,
Quelques fleurs du jardin divin.
Et ces fleurs aux couleurs mobiles,
Tombant dans le fleuve géant,
Firent Ă©clore les Mille-Iles.
Ce paradis du Saint-Laurent
La piÚce se termine par Télan patriotique qmé voici
Ă platrie ! ĂŽ rive natale,
Pleine d'harmonieuses voix !
Ghants Ă©tranges que la rafale
Nd"us apporte du fonds des bois !
O souvenirs de la jeunesse,
Frais comme un rayon de printemps
O fleuve, témoin de l'ivresse
De nos jeunes cĆurs de vingt ans !
O vieilles forĂȘts ondoyantes,
Teintes du sang de nos aĂŻeux !
O lacs ! ĂŽ plaines odorantes
Dont le parfum s'Ă©lĂšve aux cieux!
Bords, oĂč les tombeaux de nos pĂšres'
Nous racontent le temps ancien,
Vous seuls possédez ces voix chÚres
Qui font battre un cĆur canadien !
Toute cette poésie est pleine de grùce et de fraßcheur.-
Mais, nous l'avons dit, Grémazie n'aimait pas I6^.
sujets tendres, surtout quand lui aussi se fut abreuvé'
Ă la source amĂšre du malheur.
Et sur les derniers temps qui précédÚrent la catasi-
trophe, lorsqu'il sentit se creuser sous ses pas le gouffre
qui devait l'engloutir, son génie devint de plus en plus
sombre.
La oĂč son Ăąme souffrante se trouvait dans soa,
élément, c'est quand, saisissant l'arme" de ruborrible^r:
il donnait libre cours aux idées lugubres de son esprit
et Ă l'amertume de son cĆur. Dans ces moments sa
plume devenait le pic du fossoyeur, il fouillait le cime-
tiĂšre, Ă©cartait les linceuls et prenait un amer plaisir a
contempler le cadavre dans toute sa réalité, dans tout
son, réalisme.
d'est sous l'influence de ces sinistres impressions que
u la Promenade de trois morts » vit le jour.
â 8 â
On y trouve des peintures comme celle-ci :
La femme a sa beauté ; le printemps a ses roses
Qui tournent vers le ciel leurs lĂšvres demi-closes ;
La foudre a son nuage oĂč resplendit l'Ă©clair ;
Les grands bois ont leurs bruits mystérieux et vagues ;
La mer a les sanglots que lui jettent les vagues ;
L'Ă©toile a ses rav(,:is, mais le mort a son ver !
Le ver, c'est la couronne Ă©pouvantable et sombre
Qui brille sur nos fronts comme un Ćil noir dans l'om-
G'est le baiser reçu dans ce lugubre jour [bre ;
OĂč la mort nous a dit : Viens, je suis ton Ă©pouse !
Et ce baiser fatal, cette reine jalouse
Veut que nous le gardions comme un gage d'amour I...
Dans le temps ce cauchemar poétique prit tout le
monde par surprise. Les faits ne vinrent que trop tĂŽt
livrer le mot de l'Ă©nigme. L'analoiric Ă©tait parfaite.
Mesdames et messieurs, je vous avais promis en com-
mençant de ne vous parler que du poÚte et de laisser
dans l'ombre les malheurs du libiciire. Vous me par-
donnerez si je dois encore uihĂź fois poser un doigt
timide sur cette plaie. L'explication de la piĂšce qui
nous occupe maintenant l'exige. Car, si, comme on l'a
dit, il est permis aux poĂštes de ne pas dater leurs
Ćuvres, ceci est vrai seulement dans la grande poĂ©sie
qui n'a rien de commun avec la réalité brutale de
chaque jour. Les poĂštes qui veulent ĂȘtre de leur temps,
comme sont les contemporains, ne cherchent pas l'ins-
piration exclusivement dans l'art qui se nourrit de lui-
mĂȘme, mais ils Ă©tudient en mĂŽme temps les Ă©vĂ©nements
qui se dĂ©roulent sous leurs yeux et ils prĂȘtent l'oreille
aux battements de Iciiis propres cĆurs. Si CrĂ©mazie
fut si vrai dans ses «Trois morts,» c'est que la tragédie
qu'il y représente, la lutte qu'il y peint s'était
d'abord livrée en lui-mÎme et qu'il en connaissait les
Téritables héros.
Entraßné par des amis dont l'histoire enregistrera
les noms pour les maudire, mais qu'il n'est pas encore
lemps de livrer à la publicité, l'infortuné s'était laissé
â 9 â
extorquer des sommes considérables pour des fins
d'Ă©lection. Mais cette classe d'individus qu'on appelle
« meneurs d'élection,» la plus vile de toutes, et la plus
fatale à une société d'hommes libres, puisqu'ils font
métier de vendre leur conscience et d'acheter celle
d' autrui, se montra sourde quand il fallut rencontrer
toutes ces obligations. Ces gens, dont la main terne
semble n'avoir d'autre but que d'Ă©teindre la confiance
et la bonne foi dans les cĆurs honnĂȘtes, sont trop affa-
més pour avoir des oreilles.
L'ami trompé, poussé par le désespoir, eut la faiblesse
de recourir aux expédients. Il ne voulait que gagner
du temps, comptant toujours qu'on viendrait Ă son
aide : vaine attente !
Il ouvrit enfin les yeux sur f horreur de sa position.
Il vit que l'on avait surpris sa conscience d'honnĂȘte
homme, qu'on l'avait odieusement exploité. Il était
trop tard. La honte Ă©tait Ă ses portes et avec elle entra
un hĂŽte, jusque lĂ inconnu, le remords. La fuite lui
apparut comme derniĂšre ressource. C'est alors qu'il
songea à sa vieille mÚre octogénaire qu'il lui faudrait
quitter.
Comprenez-vous à présent l'intrigue de « la Prome-
nade de trois morts » ? Devinez-vous ce qui se cache
sous l'apparence du cadavre, cet autre exilé qui sent
pour la premiĂšre fois la morsure du ver, c'est-Ă -dire du
remords ?
L'analogie est frappante, depuis ces reproches que le
pauvre mort adresse à ses amis qui l'ont oublié tout en
jouissant de ses bienfaits, jusqu'Ă cette goutte d'eau
qu'il prend pour une larme de sa mĂšre.
Au point de vue des principes littéraires, « la Pro-
menade de trois morts " a attiré à son auteur de
sévÚres censures et avec raison. Il y a de certaines
horreurs qu'il n'est pas permis de peindre, ou au
moins il ne faut pas que l'horrible y soit trop vrai ou
la vérité trop crue.
Ainsi, que pensez-vous de ces strophes-ci :
Heureux de se revoir, trois compagnons de vie
Se donnent, en pressant leur main roide et flétrie,
De leur bouche sans lĂšvre un horrible baiser.
10 â
Silencieux, ils vont ; seuls quelques vieux squelettes
GĂ©missent en sentant de leurs chairs violettes
Les restes s'attacher aux branches des buissons.
Ecoutez l'un des morts parlant Ă son voisin. Ce
:o'est rien moins que gracieux :
Mon ami, lui dit-il, je vois sur votre joue
Un ver qui vous dévore, et quand le vent se joue
Dans vos cheveux blanchis, à ses frémissements,
On dirait qu'il a peur de perdre sa pĂąture.
Arrachez donc ce ver et cachez sa morsure.
Peut-ĂȘtre pourrait-il effrayer les vivants...
Le fait est que c'est assez effrayant. Ceci sent Ă©vi-
demment le dieu nouveau et rév(Me le grand principe
à la mode du jour, le réalisme. Ce n'est pas le réalisme
de Zola, Celui-lĂ on ne s'amuse pas Ă le discuter, mais
c'est au moins le réalisme et rhorri[»ilant de Hugo, et
c'est déjà beaucoup trop. Tous les analhÚmes lancés
contre Victor Hugo atteignent l'auteur de telles des-
criptions.
Dans une lettre à M. l'abbé Casgr;iin, Grémazie sent
le besoin de défendre son poÚme contre les attaques
auxquelles il Ă©tait en proie. Nous ne voudrions pas le
suivre dans ce plaidoyer pas plus qu(.* nous ne répéte-
rons les reproches qui lui étaient adressés. Pourtant
nous ne saurions nousdissimuler la poilée incalculable
que pouvait avoir l'introduction dan< notre littérature
de ce çenre jusque là ignoré, genre que l'Eglise a
considéré comme l'application littéraire de principes de
morale condamnés par elle. Et nous avons le droit de
nous arrĂȘter devant ces peintures d'une rĂ©alitĂ© matĂ©-
rielle presque brutale, pour nous demander si c'est
bien là le beau véritable, le beau auquel la poésie
comme l'art doit tendre.
Si l'art consiste Ă peindre la nature telle quelle, le
monstrueux de la mĂȘme maniĂšre que le parfait, ce qui
repousse comme ce qui charme et attire, si tout est
beau qui est vrai, nous admettons que « la Promenade
de trois morts »⹠ne sera jamais surpassée. Mais dans
â 11 â
ce cas il faudrait en mĂȘme temps admettre que la
photographie et la galvafioplastie sont les derniers
degrés de la perfection en fait d'art, ce dont il nous
sera longtemps permis de douter. Il ne faut pas oublier
qiie si Boileau, le poĂšte de la Raison, avait raison de
dire :
Rien n'est beau que le Vrai ; le Vrai seul est aimable,
le chantre de la Beauté, Musset, n'a certainement pas
tort de lui répondre : « Rien n'est vrai que le Beau ;
rien n'est vrai sans la Beauté. »
Certes, il faut du réel dans l'art, non du réel pour
lui-mĂȘme, mais du rĂ©el transfigurĂ©, du rĂ©el avec un
reflet d'idĂ©al, du rĂ©el qui fasse rĂȘver Ă Vau de lĂ .
Ceci rappelle cette célÚbre pensée de .lÎubert : « Plus
une Ćuvre d'art ressemble Ă une parole, plus cette
parole ressemble Ă une Ăąme, plus c> tte Ăąme ressemble
à Dieu, plus tout cela est beau. »
« L'idĂ©al sans le rĂ©el dans les Ćuvres de l'art, disait
un prédicateur illustre, ce serait comme l'ùme sans
corps, et le réel sans l'idéal, ce serait comme le corps
sans ùme ; ce serait l'art cadavre. « Tomber dans le
pi:âŹmier abus c'est se tenir sur des « hauteurs sans
réalité,)) et tomber dans le second c'est descendre à des
« réalités sans hauteur. »
Lé systÚme qui a retranché Dieu dans la nature n'a
été que logique quand il a nié l'idéal dans l'art. Et
celui qui a dit : « Le beau c'est le laid, » s'est fait l'écho
de la théorie de Spinoza :
« Dieu c'est la nature. »
Je ne puis résister au désir de vous citer une page de
l'Ă©loquent PĂšre FĂ©lix que l'on dirait Ă©crite aprĂšs la
lecture de « la Promenade de trois morts. »
« Ah ! si du moins, s'écrie le grand orateur, vous
as-piriez Ă transfigurer l'horrible, et Ă lui faire une
auréole grandiose qui l'approche du sublime ! Mais
non, la transfiguration répugne au réalisme ; l'essence
du réalisme c'est de me montrer le hideux, comme
hideux, l'horrible comme horrible, l'horrible tel qu'il
sç, présente au chemin de ma vie, en me forçant de dé-
Ipurner le visage et de fuir son aproche. Est-ce donc
que tout est à voir, tout à goûter, tout à savourer dans
â 12 â
la nature? Est-ce que tout y est également beau, inté-
ressant, sympathique ! Et si votre art, en touchant Ă
CCS choses, n'a pas le don de la transfiguration, quelle
sympathie aura pour moi votre Ćuvre, et que voulez-
vous que j'y admire et que j'y applaudisse ?
«Quoi ! vous rencontrez au fond d'une taverne, ou
dans la boue des rues un homme ivre, laid de sa dou-
ble laideur, prenant devant vous des attitudes sauvages,
des poses animales et faisant des gestes innommés :
Vous le copiez trait pour trait, Ă la lettre, vous le pho-
tographiez, et vous me dites dans une statue, dans un
tableau, sur la scĂšne, dans un roman : Regardez et ad-
mirez ; c'est le portrait du rĂ©el. â Vous trouvez dans
un rĂ©duit, une mansarde, je ne sais oĂč, l'homme cou-
vert d'ulcĂšres, personnifiant toutes les horreurs physi-
ques dont une rhair humaine peut offrir le spectacle ;
et vous voilĂ chimiste et anatomiste de l'horrible ma-
tériel, faisant devant moi la dissection et J'analyse de
la plaie, du chancre et de l'ulcĂšre. Et vous dites ad-
mirez ! Vous voyez, tout y est, rien n'y manque :
la copie est complÚte ; c'est le portrait de la réalité.
« A la bonne beure, vous ĂȘtes un homme intrĂ©pide ;
vous avez dévoré pour tout peindre la derniÚre parcelle
de l'horreur et bravĂ© l'extrĂȘme puissance du dĂ©goĂ»t.
8oit, si ces spectacles vous plaisent ; mais vous qui
promettiez de me faire cueillir au champ de l'art nou-
veau la plus belle Heur du plaisir, pourquoi venez- vous
me demander de pousser jusqu'à l'héroïsme la victoire
sur mon dégoût? Vous ne deviez que me charmer;
pourquoi vous obstiner Ă ne me donner que des nau-
sées?
'(A quoi bon, je vous prie, toutes ces exhibitions re-
poussantes, continue le PĂšre FĂ©lix. S'il me plaĂźt de
m'Ă©jouir au spectacle de l'homme ivre, laissez-moi le
regarder dans la rue; et si mon goût m'invite à sa-
vourer l'étrange volupté de voir des ulcÚres, qu'avez-
vous besoin de me les peindre ! J'irai les voir Ă l'hĂŽ-
pital : lĂ , du moins, je les trouverai vivants ; et vos chefs-
d'Ćuvre rĂ©alistes ne vaudront jamais pour moi ces
vivantes horreurs.»
Changez ies noms, et mettez les laideurs d'un cime-
tiĂšre Ă la place des laideurs d'un hĂŽpital ou d'une
â 13 â
taverne, les pourritures d'un cadavre Ă la place des
ulcÚres d'un cancéreux, et vous trouverez que cette
fustigation indignée frappe Grémazieen pleine poitrine
et au cĆur mĂȘme de ses principes. Bien plus, on pas-
serait ces fredaines à des auteurs français à l'égard
desquels pourtant l'orateur se montre si sévÚre. Chez
eux liédifice littéraire est parfait, tout ce qu'on y ajoute
désormais n'est que de l'enjolivure, et par conséquent
le caprice y est tolérable. Mais ici, nous en sommes
encore Ă poser les piemiĂšros pierres Ă notre monument
littéraire ; la moindre erreur peut donc avoir les suites
les plus funestes, car si la base n'est pas solide on n'Ă©-
lĂšvera jamais rien de durable.
Crémazie avait tenté ici la révolution littéraire qui
suivait en France la révolution politique. Mais lui
aussi glissa sur la pente. Gomme tous les révolution-
naires il ne put l'Ă©sister Ă son propre mouvement et la
haine d'un abus le jeta souvent dans l'extrĂȘme opposĂ©.
Heureusement que le poĂšte dans son Ćuvre ne met
pas seulement son génie, ses idées littéraires, ses prin-
cipes artistiques et esthétiques ; il s'y met lui-mÎme, il
y met de son cĆur, il y met de sa foi. Ici, avouons le Ă
l'honneur de GrĂŽmazie, il crut, il voulut tirer une
ligne de démarcation entre le domaine de la religion et
de la morale et le domaine de l'art. S'il suivait Flaubert,
Hugo et Gautier dans leurs théories artistiques, sa
« robuste foi canadienne, » d'aprÚs une expression qui
est de lui, ne leur fit jamais de concessions. Plus sage
que ses maĂźtres qui s'Ă©garĂšrent souvent dans les sen-
tiers de l'irréligion et de l'immoralité, il sut respecter
sa plume et se montra jusqu'Ă la mort aussi fervent
cĂźtholique que canadien patriote, deux titres dont on
ne saurait renier l'un sans déshonorer l'autre.
D'ailleurs, il ne faudrait pas juger notre auteur seu-
lement par ses «Trois morts.» On ne juge pas un
homme par les rĂȘves qu'il fait, et je suis portĂ© Ă croire
que quand Grémazie composa cetf.e piÚce, la douleur
lui donnait le cauchemar. Et s'il l'a défendue ensuite,
c'est qu'un pÚre défend toujours ses enfants, mÎme
quand ce sont des monstres, surtout quand ce sont des
monstres.
Dans le poÚme intitulé : « Les morts, » poésie d'un
genre incomparablement plus doux que « la Prome-
â 14 â
nade de trois morts,» Crémazie se montre bien plus
lui mĂȘme. M l'abbĂ© (^asgrain, dans une comparaison
qu'il a faite de celta piĂšce avec celle du mĂȘme titre
de Lamartine, donnait la palme au poĂšte de son
A nos yeux la tristesse amere qui est répandue sur
tout ce morceau, a acqnis un charme de plus mainte-
nant, car on y tronvo comme une prévision du sortqui
attendait Tanteur. No dirait-on pas que c'est du fond
de sa tombe que sa voix nous adresse la priĂšre suivante :
Priez pour l'exilé qui, loin de sa patrie,
Expira sans entendre une parole amie;
Isolé dans sa vie, isolé dans sa iißort.
Personne ne viendra donner une priĂšre.
L'aumĂŽne d'une larme Ă la tombe Ă©trangĂšre !
Qui pense Ă l'inconnu qui sous la terre dort ?
Messieurs, si l'on vous demandait de graver une
Ă©pitaphe sur la tombe de ce poĂšte national dont la
patrie n'eut pas les os, que pourriez-vous écrire de plu»
appropiiÎ ? Le génie a parfois de ces inspirations: il
dé''hire le voile qni sépare le ])résent de l'avenir.
Mais cette plainte n'a pas été entendue. C'est avec
bien (les(lifiicuUĂ©s;iujonrd'hni qu'on retrouve l'endroit
du cimetiĂšre du Havre ou dort Jules Fontaine. Des
conipalrioles l'ont souvent tenté en vain.
Pi\s un ami n'est allé déposer un souvenir ou une
priÚre sur ce coin de terre (jue l'infortuné barde cana-
dien avait mendiĂ© au pays de ses ancĂȘtres. Dan^s cette
mÚi-e-palrie qu'il avait j)0urlant adorée et chantée, il
rencontra bien, il est vrai, quelques sympathies pré-
cieuses comme celle de la famille BosĂź^ange, mais j\ part
ces rares exceptions, pour tout le niouile il fut un in-
connu, un Ă©tranger or.linaiie. Lui aussi aurait pu dire
comuKß Washin.i;lou living déharquanl sur les ])lages
anj^laises: « l stepped upon Ihi' l'Uti uf iny forefalhers,
but I felt I vvas étranger in liu^ iand. »
El (juaiid tout cela l'eut lue, (juand il ont fini dé
mourir, l'diimĂŽnc criuiP larme fui refuse Ă In tombe
élKinfjÚrc et c'est encoio sou liistoiio que CrémaziÎ
Ă©crivait quand il disait :
â 15 â
«Hélas ß ce souvenir, que l'amitié nous donne,
Dans le cĆur meurt avant que le corps abandonne
Ses vĂȘtements de deuil.
Et roubli des vivants, pesant sur notre tombe,
Sur nos os décharnés plus rudement retombe
Que le plomb du cercueil ! »
Pour peu que l'on s'intéresse au sort de notre litté-
rature nationale, il serait difficile de ne pas pleurer
sur la perte qu'elle essuya dans le désastre qui a jeté
Octave Giémazie sur les rivap:es étrangers. C'est à ce
malheur que «la Promenade de trois morts» doit
d'ĂȘtre restĂ©e inachevĂ©e. Que d'autres piĂšces Ă peine
Ă©bauchĂ©es ont pĂ©ri dans le mĂȘme naufrage ! Il voulait
aussi essayer de la prose. Et quelles pages délicieuses
il eût pu produire si l'on en juge par ses lettres !
L'impulsion néanmoins était donnée, et, bien
qu'éphémÚre, la carriÚre de Grémazie laissa une trace
profonde dans notre littérature.
Tout en gardant son cachet spécial, la littérature
canadienne a toujours ressenti et reproduit comme un
écho des mouvements littéraires de la France, source
naturelle oĂč elle s'alimente et s'inspire. Nos premiers
poĂštes, comme Michel Bibaud, ne sont que des imita-
teurs assez froids des classiques du XVIIe siĂšcle.
Turcotte, Barthe, Garneau, Lenoir, Derome, prépa-
rĂšrent le mouvement de 1860 et servirent de transition,
a l'instar de Ghateaubriand et Lamartine en France,
entre le classique et le genre moderne. Le chef véri-
table de notre romantique, de cette Ă©cole qui trĂŽne
aujourd'hui ici aprĂšs s'ĂȘtre tempĂ©rĂ©e, notre Victor
Hugo, c'est Grémazie. Libre à vous maintenant de
juger si ce titre doit lui ĂȘtre attribuĂ© Ă honneur ou Ă
reproche.
En rĂ©alitĂ©, il peut ĂȘtre coiisidĂ©rĂ© comme le pĂšre de
nos poĂštes. Avant lui il y avait bien eu quelques
essais heureux, quelques strophes bien réussies, mais
il n'y eut certainenußnt pas un seul poÚte du métier et
je ne crois pasquci i)arini ceux qui agaçaient alors la
muse sans aulie inti.'ntion que de badiner, aucun n'ait
visé au tilre de pÚre de la poésie c.nadienue.
Quant à ceux qui suivin-nt: Fisct, Lomay, Fré-
chette. Suite, Routliier, Gingras, Poisson et les autres,
â 16 â
je n'entends pas dire qu'ils sont ses Ă©lĂšves, mais il est
le premier en date, il leur a tous, en quelque sorte,
frayé la route, donné l'essor, et ce qui est indéniable,
il a mĂȘme eu la plus grande influence sur leurs
talents. Un bon nombre reçurent de lui leur premier
encouragement.
Fréchette reconnait cette paternité littéraire, quand
il écrit dans son ode de « la Poésie, » dédiée à notre
héros :
Quoique faible encor, ma muse de vingt ans
Peut te dire aujourd'hui, de sa voix enfantine,
Gomme autrefois Reboul au divin Lamartine :
« Mes chants naquirent de tes chants. »
Je crois que nous pourrions comparer le rÎle deCré-
mazie dans notre littérature à celui qu'a joué Mal-
herbes dans la littérature française, et dire :
" Enfin Crémazie vint "
Au sujet de Malherbes on Ă©crivait de nos jours avec
un grain de malice et beaucoup d'esprit : « La poésie
française, au temps de Henri IV, était comme une
demoiselle de trente ans qui avait déjà manqué deux
ou trois mariages, lorsque, pour nC pas rester fille, elle
se décida à faire un mariage de raison avec M. de Mal-
herbes, lequel avait la cinquantaine.»
Ce ne fut pas un mariage de l'aison que la poésie cana-
dienne contracta quand elle confia son sort Ă Octave
Crémazie, mais bien un mariage de sentiment, car
tous deux Ă©taient jeunes et dignes l'un de l'autre.
CrĂ©mazie, que l'on dit ĂȘtre toujours restĂ© insensible
aux charmes de la plus belle partie du genre humain,
n'eut d'autre passion que ce culte qu'il avait voué à la
muse. Avouons qu'il était payé de retour etque de son
cÎté elle le lui rendait bien.
Hélas! cet heureux commerce fut de courte durée.
Non pas que le poÚte, une fois tombé dans le malheur,
ait oublié cette douce fiancée qui lui avait procuré
tant d'heures d'ivresse et de délice. Jusqu'à la fin il
resta fidĂšle Ă son souvenir. Mais le coup qui l'avait
â 17 â
frappé avait été si rude, qu'il lui fit perdre son enthou-
siasme et il crut que le silence convenait mieux que
les chants Ă sa triste position. D'ailleurs, ses rapports
avec la muse auraient pu le compromettre et pour ne
pas trahir son secret il Ă©tait contraint de voiler, comme
un avare qui cache son trésor, les rayonnements de
son génie.
« Je ne chante que pour moi, écrivait-il. Dans la
solitude qui s'est faite autour de moi. la poésie est plus
qu'une distraction : c'est un refuge. Quand le trappeur
parcourt les forets du Nouveau-Monde, pour charmer
la longueur de la route solitaire, il chante les refrains
naïfs de son enfance, sans s'inquiéter si l'oiseau dans
le feuillage ou le castor au bord de la riviĂšre prĂȘte
l'oreille Ă ses accents. Il chante pour ranimer son cou-
rage et non pour faire admirer sa voix: Ainsi de moi.»
Qui pourrait lire sans un serrement de cĆur la page
suivante dans laquelle cette ùme brisée nous laisse
deviner ce que devait ĂȘtre l'amertume de ses regrets?
« RĂȘver en Ă©coutant chanter dans mon Ăąme l'oiseau
bleu de la poésie, essayer quelquefois de traduire en vers
les accords qui berçaient mes rĂȘveries, tel eĂ»t Ă©tĂ© le
bonheur pour moi. Les hasards de la vie ne m'ont
malheureusement pas permis de réaliser ces désirs de
mon cĆur. Aujoud'hui, j'ai trente-neuf ans ; c'est l'Ăąge
oĂč l'homme, revenu des errements de ses premiĂšres
années et n'ayant pas encore à redouter les défaillances
de la vieillesse, entre véritablement dans la pleine pos-
session de ses facultés. Il me semble que j'ai encore
quelque chose dans la tĂȘte.
« Si j'avais le pain quotidien assuré, j'irais demeurer
chez quelque bon curé de campagne, et là je me livre-
rais complĂštement au travail : Peut-ĂȘtre est-ce une
ijlusion, mais je crois que je pourrais encore produire
quelques bonnes pages. J'ai dans mon cerveau bien des
ébauches de poÚmes, qui, travaillés avec soin, auraient
peut-ĂȘtre une valeur. Je vendrais aussi essayer de la
prose, ce mùle outil, comme l'appelle Veuillot ; y réus-
sirais-je ? je n'en sais rien. Mais tout cela est impos-
sible. Il ne me reste plus qu'Ă bercer dans mon imagi-
nation ces poĂšmes au maillot, et Ă chercher dans leurs
premiers vagissements, ces beaux rĂȘves d'or qu'une
2
â 18 â
mÚre est toujours sûre de trouver prÚs du berceau de
son enfant. »
Ah ! oui, Crémaxie avait bien raison d'assimiler sa
situation à celle de Chénier qui, rendu sur l'échafaud,
se frappait le fronton disant: « Il y avait encore
quelque chose là -dedans ! »
Crémazie aussi avait encore quelque chose dans la
tĂȘte. Ce quelque chose, son nom est poĂ©sie, chant,
hymne, mĂ©lodie ; c'Ă©tait mĂȘme un rayon de ce feu
divin qu'on appelle le génie, toutes choses qui font
tant souffrir quiconque est obligé de les tenir enfer-
mées. Et tout cela allait mourir, car tout cela est
une flamme, et sans air la flamme est Ă©touffĂ©e. VoilĂ
ce qui faisait son principal tourment.
Comme l'oiseau qui a besoin pour chanter du grand
air, du soleil et de la liberté, Crémazie ne se sentait
inspiré, qu'en face de son grand fleuve, des pleines et
des montagnes de son pays. Il l'aimait tant ce sol cana-
dien encore chaud du sang des vieux soldats dont il
chantait les exploits! Du jour oĂč il vit que sur ce sol
il n'y avait plus de place pour lui. que son pays et ses
compatriotes le repoussaient, il s'Ă©loigna en pleurant
et se tut pour jamais. Comme les juifs Ă Babylone, il
suspendit sa harpe aux saules des rives Ă©trangĂšres. Il
ne chanta plus, accepta son exil comme un chĂątiment
et se contenta de fairi; pénitence.
Ne pourrait-on pas dire de lui avec plus de vérité
encore que deGnrneau c^motqu'il prononçait lui-mĂȘme
au sujet de notre historien :
«Qui dira de combien de déceptions, de combien de
douleurs se compose une gloire ?»
Mesdames et messieurs, il ne nio reste plus qu'un
mot Ă ajouter. Je crois exprimer tout haut un vĆu que
plusieurs amis des lettres ont peut ĂȘtre formĂ© souvent
en secret. J'espÚre que bientÎt une voix autorisée aura
le courage de proposer au Canada français de rendre
au sol natal les os du premier de ses poĂštes.
Et ce jour lĂ , si j'en juge par la sympathie avec la-
quelle vous avez accueilli mes paroles ce soir, de ton tes les
poitrines canadiennes-françaises s'élÚvera un immense
bravo. AprĂšs cela, pour ĂȘtre complĂštement rĂ©habilitĂ© il
ne manquerait plus Ă notre cher auteur qu'un monu-
ment digne de ses Ćuvres, de son gĂ©nie et de sa gloire.
-II.
DE L'ANCIEN BARREAU DE FRANCE
Causerie historique prononcée à l'Institut-
Oanadien de Québec par M. J. E. PRINCE
M. le Président,
Mesdames et Messieurs,
En réunissant, sous ce tilre, quelques traits ou parti-
cularités historiques de l'ancien barreau de France, il
n'est pas nécessaire, je crois, d'avertir que je n'ai con-
sulté ni archives, ni manuscrits originaux et n'ai vu,
de ma vie, les bibliothĂšques de " Paris la grand'ville."
J'ai voulu seulement vous présenter quelque résumé
des historiens eux-mĂȘmes. Encore ne me suis-je astreint
à aucun ordre préconisé par ces écrivains. J'ai
pris un peu partout, m'appropriant ce bien d'autrui
avec un sans gĂȘne tout Ă fait Ă la moderne, n'ayant
d'ailleurs aucune prétention littéraire. Aussi, ceux
qui ont lu Fournel, Oscar Pinard, Le Berquier, Camus,
Liouville, Berryer pĂšre, le beau dialogue de Loysel et
le résumé si parfait de l'histoire de l'Ordre des avocats
par Boucher d'Argis, reconnaßtront aisément les ma-
tériaux qui ont servi à cet humble travail.
J'ose affirmer que le sujet est digne de l'auditoire
distinguĂ© qui m'Ă©coute. Je voudrais seulement ĂȘtre Ă
la hauteur du sujet. S'il est, toutefois, une excuse pour
vous offrir ce fruit d'une Ă©tude par trop hĂątive, elle est
â 20 â
sans doute dans ces souvenirs que ma parole va tenter
de faire revivre devant vous et qui, souvent, peuvent se
passer de l'Ă©loquence. Elle est surtout dans cette bien-
vaillance avec laquelle vous accueillez toujours les
jeunes gens et sans laquelle le causeur le mieux doué
ne saurait se flatter de réussir.
Il n'est aucun pays au monde oĂč les institutions ju-
diciaires aient tenu une aussi large place qu'en France,
et, « si l'on voulait, dit Oscar Pinard, auteur de l'ou-
vrage «Le Barreau au 19» siÚcle», exprimer par un seul
mot ce qu'il y a de plus propre à notre génie et à notre
ambition, il faudrait nommer le barreau. Tout nous
sert au barreau, dit cet écrivain, nos qualités et aussi
nos défauts, la clarté, la facilité, la promptitude, la
raillerie, la légÚreté et l'indifférence.» César, qui con-
naissait nos gaulois, les appelait déjà , dÚs l'origine,
M un peuple de soldats et d'avocats.» Au rapport de
Juvénal, la Gaule était la pépiniÚre des avocats et ce
serait elle qui aurait « formé à l'éloquence le peuple
naissant de l'Angleterre.'» « Les Gaulois s'estudient Ă
deux choses, remarque Caton, Ă son tour, au fait de la
guerre et à parler subtilement, rei militari et arguté
loqui.)) Enfin, «de tous les états de l'Europe, écrit
Fournel, la Gaule est celui qui a montré le plus de
goût et de dispositions pour l'exercice du barreau. Vif,
ingénieux et babillard, le Gaulois se faisait un spec-
tacle amusant de cette espĂšce d'escrime judiciaire. Le
barreau gaulois avait étendu si loin sa renommée que
les nations Ă©trangĂšres envoyaient leurs jeunes gens
pour s'y instruire dans l'art de plaider.»
Ces goûts singuliers et ces dispositions que l'on re-
marque à l'origine, se sont perpétués jusqu'à nos jours
au milieu de la société française. Les français ont
toujours été sensibles au beau langage et, de fait,
Tamour de l'Ă©loquence comme celui des armes est l'un
des traits Ă©minemment dislinctifs de la grande nation.
Le français est généralement beau diseur. C'est sa
â 21 â
vanité, pour ainsi dire sa passion. De là la puissance
de cette propagande connue par tout l'univers et si
propre à la dilfusion des idées.
Le barreau, né des besoins delà société et ayant subi
les mĂŽmes phases qu'elle, n'a pas, par lĂ mĂŽme, toujours
présenté l'organisation et le caractÚre que nous lui
voyons aujourd'hui, en France. Mais, s'il a marché
avec les événements, il n'a toutefois jamais perdu sa
physionomie distincte. A travers bien des changements
survenus dans le cours des siĂšcles, soit dans les usages
et les coutumes, soit dans les lois et les mĆurs, le bar-
reau est l'une de ces institutions qui, chez les français,
ont le moins perdu, qui sont restées les plus entiÚres,
les plus semblables Ă elles-mĂȘmes. D'oĂč vient ce fait
sinon encore de ce qu'en France, la société se dévelop-
pant dans des conditions normales, et d'ailleurs mar-
quée pour les destinées les plus hautes, l'administration
de la justice a toujours été considérée comme l'une
de ses plus importantes fonctions. Au reste, des goûts
particuliers Ă la nation, un sens rigoureux du juste et
de l'injuste, des traditions fortes que tous les rĂšgnes
n'ont fait longtemps qu'affermir, une organisation
puissante et essentiellement conservatrice, sont cause
aussi que le barreau a survécu à tous les régimes et
ira, selon toute apparence, aussi loin que la société
française elle-mĂȘme.
En France, le barreau ne participe pas de la nature
des corporations et n'est pas, par conséquent, une créa-
tion de la loi. S'il tirait d'elle son origine, se dit-on
avec raison, il pourrait prendre fin avec elle. Il
ne serait ainsi qu'une chose soumise au caprice des
hommes et des temps, ce qui est contraire Ă sa nature.
Le barreau ne peut donc ĂŽtre, suivant qu'on l'a toujours
défini, « qu'une libre et volontaire association d'hom-
mes que des motifs communs de travaux et d'affection
ont rapprochés.)) Ainsi, dans ces conditions, le nom de
profession ou ordre est le seul qui lui convienne et qu'il
a fini par garder à l'exclusion de tout autre. « Le nom
de profession ou ordre, dit le chancelier d'Aguesseau,
est celui qui exprime le mieux la condition ou l'Ă©tat
des avocats; et s'il y a une espĂšce de discipline Ă©tablie
entre eux pour l'honneur et la réputation de cet ordre,
90
elle n'est que l'effet d'une convention volontaire plutĂŽt
que l'ouvrage de l'autorité publique. )>
L'on a dit, en France, l'ordre des avocats comme l'on
a dit l'ordre de la noblesse, celui du Tiers-Etat. Aussi,
la révolution ne l'épargna pas. Il lui portait ombrage
comme toutes les choses de l'ancien régime et elle l'a-
bolit. Le barreau, trop amoureux de son indépendance,
trop fier de ses traditions pour fléchir, subit alors une
espÚce de bannissement temporaire de la société fran-
çaise. Une nuée d'aventuriers voulurent en saisir les
privilĂšges. Leur succĂšs fut sans durĂ©e, toutefois. â A
travers la confusion et le désordre, les avocats de
89 ne pouvaient manquer de surveiller ce rĂšgle-
ment de compte que la rĂ©volution demandait Ă
l'ancien pouvoir. Berryer pĂšre dit, quelque part
dans ses « Souvenirs )> , que le barreau français, en 89,
imita le barreau anglais qui avait traversé une révo-
lution avant lui, en gardant une attitude indépendante.
Les avocats français no restÚrent certainement pas
tous à l'écart dans la luit»', tant s'en faut. Qu'on se rap-
pelle les travaux de l'assemblée constituante. Ceux de
codification qui naquirent de cette époque bouleversée
attestent une Ćuvre imposante etqu'aucun,' nation n'a
jamais égalée.
De mĂŽme que le barreau, l'avocat n'a pas toujours
présenté, lui non ])lus, si ce n'est dans l'ensemble de
ses traits, le carartÚre (ju'il porte aujourd'hui. Cicéron
a donné, de son temps, une définition bien connue de
l'avocat romain. « C'est un homme de bien, dit-il,
habile dans l'arl de parler, et qui emploie la parfaite
éloquence à défendre les causes publiques et privées. »
Gaton ne le définit pas autrement: Vir j)robus diccndi
pcritus, l'homme de bien qui connaĂźt aussi l'art de bien
dire. Il n'est donc Ă proprement parler qu'un orateur.
Or, comme chez les Romains, Ă l'origine, c'est-
à -dire tant que la loi, 6n France, disséminée [)artout,
ne prend pas de corps régulier, tant qu'elle n'est
autre chose que la simple équité naturelle, cette
définition convient à l'avocat français Mais bientÎt la
jurisprudence y devient une Ă©tude particuliĂšre comme
Ă Rome, et mĂȘme au temps des coutumes, la fonction
déjuger conférée à l'avocat de France par les ordon-
â 23 â
nances de ses rois, jointe à celle spéciale d'avocat con-
sultant, apportent une modification importante Ă la
classique dĂ©finition de l'orateur. L'avocat revĂȘt son
caractĂšre distinct et, suivant un historien de l'ordre,
c'est « un homme de bien versé dans la jurisprudence
et dans l'art de bien dire, qui concourt Ă l'administra-
tion de la justice, soit en aidant de ses conseils ceux
qui ont recours à lui, soit en défendant en jugement
leurs intĂ©rĂȘts de vive voix ou par Ă©crit, soit en dĂ©ci-
dant lui-mÎme leurs différends lorsque la connais-
sance lui en est attribuée )>. C'est enfin, ainsi que le
dit excellement Camus, «un homme de bien capable de
conseiller et défendre ses concitoyens.»
Je ne vous dirai pas ce que les philosophes ont pensé
touchant l'origine de cette fonction. En cela comme
en bien d'autres choses, lo> docteurs sont divisés d'opi-
nion. Chez tous les peuples, il exista Ă l'origine des
hommes vertueux, plus versés les uns que les autres
dans la connaissance des lois et les principes de l'équité
naturelle, prĂȘtant le secours de leur parole Ă ceux qui
se trouvaient dans la nécessité de défendre leur per-
sonne ou leurs biens. En France, la fonction exista
longtemps avant qu'on en connût le vrai titre. Selon
Le Berquier, auteur de l'ouvrage « Le Barreau mo-
derne », pour décider cette question, les écrivains au-
raient en général pris pour point de départ dans leur
recherches le patronnĂąt dju droit romain. Un magis-
trat célÚbre, Grellet-Dumazeau, a écrit « que l'ori-
gine du ministĂšre de l'avocat est probablement con-
temporaine du premier procÚs et du premier tribunal.»
Mais, sans nous attarder Ă cette discussion, ne convien-
drait-il pas de remonter plus haut que les faits et les
actions des hommes dans l'histoire pour trouver la
source de cette fonction? Comment celui quiconcourtsi
puissamment Ă l'administration de la justice, n'emprun-
terait-il qu'aux choses transitoires et contingentes le ca-
ractĂšre sacrĂ© dont il est revĂȘtu ? Non, ce n'est pas
lĂ qu'il faut chercher l'origine de ce ministĂšre.
Les hommes de Dieu ont quelquefois des vues bien
profondes en ces matiĂšres, et l'on me permettra peut-
ĂȘtre de rappeler en passant un nom qui n'est Ă©tranger
il personne dans la profession. Je veux parler de Saint
â 24 â
Yves Beatus Yvus advocaßus et non lalro, celui gé-
néralement considéré comme le patron des avocats.
Or, Saint-Yves de Kaermartin, qui vivait vers le I2e
siĂšcle, grand avocat devant Dieu et devant les hommes,
était ((jjersuadé, lui, selon qu'un écrivain nous le rap-
porte, que l'origine de la profession d'avocat remon-
tait jusqu'aux it'inps fortunĂ©s oĂč le Verbe divin, aprĂšs la
faute de notre jMVinier pĂšre, daigna lui-mĂȘme se rendre
auprÚs de Dieu l.ivocat du genre humain» ; et un avo-
cat célÚbre du Parlement de Paris, Husson,qui vivait
au 17« siÚcle, partageant l'opinion de son éminent
patron, a écrit un traité considérable De advocato^
dont la dédicace est comme suit : <( Au Verbe incréé
fait chair pour le genre humain. Patron du monde
dĂšs l'origine et Avocat auprĂšs de son PĂšre jusqu'Ă la
consommation des siÚcles. » Mais n'est-ce pas le lan-
gage de Saint Yves que certain dramaturge du moyen-
ùge a fait revivre dans cette piÚce fameuse intitulée : «Le
ProcÚs de Miséricorde et Paix contre Justice et Vé-
rité ? ))
II
L'histoire du barreau de France peut se diviser en
trois grandes périodes. La premiÚre, l'époque gallo-
romaine, irait jusqu'Ă Philippe LeBel, Ă la fin du 13e
siÚcle ; la deuxiÚme de Pliilipi)0 Le Bel à la révolution
de 89, et la troisiÚme de cette révolution à nos jours.
Les deux premiĂšres sont du barreau ancien ; la der-
niĂšre appartient au barreau moderne.
L'origine historique de la profession dans les Gaules
est peu connue. L'on sait seulement que, de tout temps,
il y eut d'habiles pnrleurs remplissant la fonction
Ă©quivalente Ă celle ilavocat. Les Commentaires de
CĂ©sar nous apprennent que les druides y rendi-
rent les premiers oracles de la justice. Mais, Ă part ce fait
que l'Ă©loquence Ă©tait en grand honneur devant ces
premiers tribunaux, rien n'est connu du rĂŽle de ceux
qui défendaient en jugement. Si l'on prend toutefois
en considération l'importance de tout temps attachée
au ministĂšre des orateurs, mĂȘme Ă cette Ă©poque primi-
â 25 â
tive, il dut y avoir des rĂšglements assez positifs, des
usages assez précis touchant la plaidoirie et le barreau.
Chose remarquable, ce ministĂšre fut toujours prĂȘtĂ©
gratis. Avant le 14e siĂšcle, les tribunaux n'adju;4eaient
jamais quant aux frais. Cette coutume existe encore
de nos jours en Angleterre.
La conquĂȘte romaine arrive bientĂŽt, apportant
avec elle les lois du vainqueur. Les Romains lais-
saient bien aux peuples conquis leurs usages et leurs cou-
tumes, mais la sagesse des lois romaines Ă©tait vite re-
connue, et ces peuples recevaient favorablement les
magistrats de Rome. Le barreau gaulois se modifie au
contact des lois nouvelles; et pendant les temps qui
suivent, jusqu'au 5e siĂšcle, les avocats gaulois ressem-
blent Ă ceux de Rome.
Cet Ă©tat de clioses change lorsque les Francs par-
viennent Ă consolider leur domination dans les Gaules.
Le systÚme féodal s'impose avec son incorporation au
sol et sa justice naturelle, le Jugement de Dieu ou. le Duel
judiciaire.
« Les anciens allemands dont nos Français sont venus,
dit Loysel, pratiquaient les combats pour la vidange
de leurs diffĂ©rends. Par la loi Gombette » â loi ainsi
nommée à cause de Gondebaud, roi des Bourguignons,
an 6e siÚcle, « l'on ne recevait aucune preuve par té-
moins, mais que toutes causes se dĂ©mĂȘlaient par
combats, bien que le fait eût été commis en la pré-
sence de plusieurs, voire mĂȘme en plein marchĂ©, et
suffisait Ă celui qui vivait selon cette loi de desnier le
fait et d'offrir le combat contre celui qui se plaignait.
La loi salique, plus humaine, ne recevait les duels que
par faute de preuve légitime. Et pour le regard des
normans, c'Ă©tait chose Ă©trange, dit encore Loysel, que
si l'appellant Ă©tait vaincu, il en Ă©tait quitte pour 60
sols et un denier d'amende et, au contraire, l'appelé
encoui-ait la perte de sa vie et de ses biens. »
Ce n'est que vers le commencement du 13e siĂšcle,
aprĂšs la conquĂȘte de la Normandie, sous Philippe Au-
gu:Ăźte, qu'en ce dernier pays, la loi dont nous parlons
est changée. On y établit en retour la loi du talion
observée dans le reste de la France. Le rÎle de l'avo-
cat, dans ces temps de bouleversements continuels, doit
â 56 â
donc ĂȘtre bien restreint. Jusqu'aux temps de Charle-
ßnagne, au 8* siÚcle, les Francs, beaucoup plus adonnés
aux armes qu'Ă l'Ă©tude des lois, ne connaissent guĂšre
autre chose que la justice militaire. La noblesse vide
ses dilTĂ©rends en champ clos, et quant au peuple, comme
il est dans un Ă©tat voisin de l'esclavage, il ne possĂšde
rien. Ceux qui sont de condition libre embrassent
l'état ecclésiastique, en sorte que la justice se rend
rarement devant les tribunaux séculiers.
Mais il en est autrement sous les rois de la seconde
race. Charlemagne parle fréquemment des avocats
dans ses Gapitulaires. Cet homme, appelé à de si grandes
choses et dont le génie embrassait tout, ne pouvait
traiter légÚrement ce (jui, de prÚs ou de loin, concer-
nait l'administration de la justice dans son royaume.
Des advocali ou avoues sont alors donnés aux éjirlises
métropolitaines, aux cathédrales, aux abbayes et aux
grands monastĂšres. Pour eux, de sages rĂšglements sont
édictés. Ils doivent aimer la vérité, la justice, posséder
un caractĂšre pacifique et doux, ĂȘtre connaissants en
législation. Enfin, on les soumet à une ciiscipline qui
les atteint, chaque fois qu'ils se rendent coupables de
quelque faute contre l'honneur de la profession.
Suivant certains historiens, le pivuiier Ă©tablissement
des avouĂ©s â qui sont vraiment forigi ne de nos premiers
avocats â daterait du 4^' siĂšcle. D'autres Ă©crivent de
Charlemagne mĂȘme, au 8^ Mais il en est parlĂ© au 5«
et au 6« siÚcle, dans la loi Gombette et dans celle des
Lombards.
On appelait les avoués défenseurs d'église, defen-
sorcs Ecclesiarum^ tuteurs « /i<^o?t5», acteurs ((actorcs))^
pasteurs laïques, tous noms équivalents à celui de dé
fenseur. Une de leurs fonctions Ă©tait de plaider les
causes des églises auxquelles ils étaient attachés
comme patrons. Ils en avaient l'administration tempo-
relle, acceptant les donations qui leur Ă©'aient faites,
rendant la justice oĂč elles Ă©taient chargĂ©es de prononcer.
Ils se battaient quelquefois en duel pour les monas-
tĂšres, selon la coutume du temps. Ils conduisaient Ă
la guerre les vassaux de ces immenses Ă©tablissements
obligés de fournir des soldats au Roi. Les grands sei-
gneurs, les Rois mÎme en prenant la défense des nionas-
â 27 â
tÚres se faisaient nommer avoués. Ce titre compor-
tait donc une charge aussi honorable qu'importante.
Aussi, la Féodalité érigea-t-eile en fiefs héréditaires
les avoueries.
Dans la suite, Ă l'imitation des Ă©glises et des monas-
tÚres, les villes, ies communautés et mÎme des provinces
entiÚres veulent avoir leurs avoués. C'est ainsi qu'on
en voit longtemps dans le Brabant, en Alsace, dans les
Pays-Bas, à Arras, à Thérouenne et ailleurs. Il en
existe encore au 12« et au 13» siÚcle.
Mais, à cÎté de ces avonés qui, dans l'origine, ont
fait la fonction d'avocat pour les Ă©glises, les monas-
tĂšres, les villes et les provinces, il y en a eu aussi qui ont
rempli les mĂȘmes fonctions pour le public. Ceux-
ci sont nommés ckwiatores du mot celtique clam ou
daim qui signifie action. Dans le langage du temps,
ils portent encore le nom de plaidours.
AprĂšs Louis le DĂ©bonnaire, successeur deCharlema-
gne, qui s'occupe de la réglementation de l'ordre des
avocats, les faits les plus remarquables Ă leur sujet
sont: le concile de Rheims, en 1148, qui défend la sur-
charge des frais, sous peine de privation de la sépul-
ture ecclésiastique ; le Concile de Latran, en 1 178, qui
défend aux avocats clercs d'exercer leur profession de-
vant les tribunaux laĂŻques; le concile de Tours, en
1180, qui défend aux religieux profÚs de quitter le
cloĂźtre pour Ă©tudier la loi mondaine, c'est-Ă -dire ro-
maine ; enfin, une décrétale d'Honorius III, défendant
à tout ecclésiastique d'enseigner cette loi romaine.
III
Au 13e siÚcle, suivant Loysel, presque la moitié des
conseillers du Parlement sont d'Ă©glise. Lajurisdic-
tion ecclésiastique a presque tout en vertu de son pri-
vilÚge de cléricature. Voici ce que dit Fournel à l'occa-
sion du concile de Latran' qui a lieu Ă la fin du I2e
siĂšcle :
« Dans les neuviÚme, dixiÚme et onziÚme siÚcles,
lorsque les laïques ne s'étaient point encore adonnés
â 28 â
à l'étude des lois et à l'exercice du Barreau, les ecclé-
siastiques s'étaient emparés de la profession d'avocat^
non seulement pour les affaires cĂ»?Ăźon2gĂź/es, mais encore
pour toutes espÚces de discussions civiles^ féodales^
mĂȘme criminelles; et comme ils Ă©taient en petit nom-
bre, sans concurrents, et qu'ils joignaient l'autorité
importante de leur caractĂšre religieux Ă celle qu'ils
tiraient de leur science et de leur expérience, ils se
servaient de ce double moyen pour se faire une grande
fortune. » Le Concile voulut prévenir ces excÚs. Au
reste, l'usage du duel subsiste toujours. Entre sei-
gneurs, les procĂšs se jugent par guerres, et entre les
autres, communautés ou particuliers, mÎme entre
personnes ecclésiastiques, l'on décide par gages de
bataille. Car, quoique les Papes, Charlemagne, Saint
Louis et Philippe Le Bel eussent défendu les duels, ce
dernier, par une ordonnance de 1303, se crut obligé de
les l'établir pour éviter de plus graves inconvénients en-
core que ceux occasionnés par leur existence.
Le duel judiciaire est l'une des plus singuliĂšres cou-
tumes de l'ancien ordre de choses. FI y avait un code
précis du duel que l'avocat devait savoir parfaitement.
La moindre déviation, au lieu d'engager la partie, pou-
vait engager le dĂ©fenseur lui-mĂȘme, comme cela arriva
quelquefois. Le malheureux alors â style du temps â
était moqué par la compagnie.
Selon l'écrivain Dubreuil, l'avocat devait « proposer
son faist au mieux qu'il pouvait, au profit de sa que-
relle, par les plus belles paroles, et mieux ordonnées
qu'il pouvait et plus enleiidiblement, puis il portait
dĂ©fi Ă l'adversaire, pour les cas oĂč il nierait les faits,
en lui jetant le gant. L'avocat de la partie adverse
présentait ses moyens de défense et terminait 'ainsi :
«Mon client nie les choses proposées; au contraire, il
)) dit que celui qui les a fait proposer ment et qu'il est
)) par lui ou par son ai*mé, fait retenue et baille son
Hgage. » C'était le contrat judiciaire. ProcÚs- verbal
était dressé qui liait les parties pour le combat.
Saint Loui?;, pendant son rĂšgne publie ses Etablisse-
ments en 127C). Les rĂšgles les plus importantes du
Droit romain qui n'avait cessĂ© d'ĂȘtre Ă©tudiĂ© Ă travers
la féodalité s'y trouvent résumées.
â 29 â
III
Le droit romcain est à cette époque le complément
ei la pratique de la législation française.
« Si voulez, Sire, longuement vivre en paix et au gré
de votre peuple, soyez droicturier ß » avait dit un moine
cordelier au vertuenx monarque, encore au début de
son rĂšgne. Louis IX n'oublia jamais cette parole. Il
ne mit pas moins de zĂšle Ă faire observer la justice
parmi ses sujets qu'Ă l'observer lui-mĂȘme. Ses scru-
pules, Ă l'Ă©gard de conquĂȘtes qu'avaient faites ses devan-
ciers sur Ifi trĂŽn*.^ de France, sont connus, de mĂŽme que
le rĂšglement qui s'ensuivit avec le roi d'Angleterre,
Henri Plantagenet. Quelques traits décÚlent l'incom-
parable droiture et la bonté du saint Roi. Je les trouve
dans l'ouvrage de a Saint Louis et son siÚcle» par le vi-
comte Walsh. «La délicatesse du pieux monarque,
nous dit cet écrivain, s'était effrayée de l'influence que
les parties prennent souvent sur leurs juges par les pré-
sents qu'elles leur fonL» Car, il parait qu'on ne
négligeait pas toujours les moyens de faire pencher
en sa faveur une justice rĂ©calcitrante. â Aussi, s'appli-
qua-t-il à faire un choix de juges probes et éclairés;
et les hommes qu'il ne trouva pas dignes du sacerdoce
de la justice, il les Ă©loigna des tribunaux. En sortant
de son oratoire de Vinccnnes, le fils de Blanche de
Gastille avait coutume d'aller s'asseoir dans la forĂȘt;
et, lĂ , tous ceux qui avaient affaire Ă luy venaient
Ă luy parler , sans que aucun huissier ni aultre leur
donnast empeschement. Et demandait haultement
de sa bouche, s'il y avait nul qui eust partie. Et
quand il y en avait aucuns, il leur disait: «Amys
taisez-vous, et on vous deslivrera l'un aprÚs l'autre. »
Puis, souventes fois, pour répéter le langage de Join-
vile, <( appelait Monseigneur Pierre de Fontaine et
Monseigneur Geoffroy de Villette, et leur disait :
Deslivrez-m.oi ces parties.» Et quand il veoit quelque
chose Ă amender en la parole de ceulx qui parlaient
par autrui, lui-mesme tout gracieusement de sa bou-
che les reprenait. Aussi, plusieurs fois, ay veu que
â 30 â
ou dit temps d'esté le bon roy venait an jardin de
Paris, une cotte de camelot vestue ung surecot de
tiretaine sans manches et un mantel pardessus de
sandal noir; et faisait lĂ estendre des tapiz pour
nous seoir emprĂšs de luy et lĂ faisait despĂšscher son
peuple dilige mment, comme vous ay devant dit du
bois de Vincennes. » Tels étaient les délassements du
bon roi.
Saint Louis donna lui-mĂȘme des dĂ©fenseurs Ă une
partie dans une circonstance bien mémorable. Je cite
de nouveau : <( Le comte d'Anjou Ă©tait en procĂšs pour
un chĂąteau avec un simple chevalier. Comme il
arrive souvent, le plaidant contre le prince fut com-
damné par la cour, et, cette sentence prononcée, le
frĂšre du Roiâ «fit saisir le pauvre chevalier qui
croyait à une justice supérieure à ] la sienne, et le fit
mettre en prison. Louis, apprenant cet acte d'arbi-
traire et d'injustice, manda son frĂšre devant lui et
lui dit <( que il ne creust pas... ce il estoit son frĂšre,
que il l'espargnast contre droicte justice en nul chose.
En mÎme temps, il fit délivrer le gentilhomm.e pour
qu'il vßnt en sa cour suivre son appel. »
« Effrayé d'avoir à lutter contre le frÚre du roi, le che-
valier arriva seul n'osant pas mÎme se défendre contre
tant et si grant et si saige adversaire. Cependant, il
requist au benoitst roy que il li feist avoir conseil et
et avocaz. »â «Certes, vous les aurez, et des meilleurs
encore» lui répondit le monarque; et aussitÎt le roy
choisit dans son conseil les plus habiles, et leur fit
jurer qu'ils mestraient loyal conseil en la hc soigne du dit
chcvaliei\ L'affaire fut alors bien plaidée et la sentence
de la cour du comte d'Anjou fut cassée : de ijuoi, dit
le confesseur de la Reine Marguerite, fust moult loë
le benois roy qui n'acceptait de nul cz jugement » c'est-
Ă -dire ne faisait acception de personne devant la loi.
L'on comprend qu'avec de telles dispositions, un sens
de la justice aussi délicat et aussi élevé, l'influence du
monanjue en ce siÚcle fut extraordinaire. Aussi mérita-
t-il le surnom de roi justicier.
â 31
IV
Jusqu'ici, messieurs, les données de l'histoire touchant
la profession sont trĂšs rares ; car, comme le dit Loysel
en son dialogue, autantnous somme prodigues Ă Ă©crire
et à laisser des mémoires, aujourd'hui, autant nos an-
cĂȘtres ont Ă©tĂ© sobres, autrefois.
L'histoire de l'ordre des avocats n'existe pas, parce
que l'histoire de la société française est encore à faire.
L'ouvrage classique sur ce point est de Fournel. Mais
son rĂ©cit encore ne commence-t-il qu'Ă l'Ă©poque oĂč
le Parlement devient stable, et donne lieu par lĂ
mĂŽme Ă un Ă©tablissement stable des avocats de son res-
sort, c'est-Ă -dire au commencement du 14e siĂšcle.
C'est au 8e siĂšcle, sous le rĂšgne de PĂ©pin, que l'opi-
pinion générale rapporte la date d'érection des Parle-
ments en cours de justice. Ils furent alors composés d'un
certain nombre de prélats et de barons, auxquels vinrent
s'unir par la suite les Pairs du Royaume.
Ce premier parlement Ă©tait ambulatoire et suivait le
Roi, tantĂŽt dans une ville, tantĂŽt dans une autre. Mais, Ă
l'origine^ il connaissait Ă peine des affaires des particu-
liers. On y discutait les nouvelles ordonnances et,
avant tout, les affaires ecclésiastiques. Les assem-
blĂ©es se tenaient vers le temps des grandes fĂȘtes, Ă la
Toussaint, à Noël, la Chandeleur, Pùques et la Pente-
cĂŽte.
La voie de l'appel fut longtemps inconnue dans ces
cours, ce qui réduisit à peu de choses les affaires con-
tentieuses. jLa féodalité l'ignora, et saint Louis la dé-
fendit lui-mĂȘme dans ses justices royales. Il y avait
seulement prise Ă partie contre les juges. Mais, peu
aprĂšs les Etablisements qui datentde 1270, l'on confond
la plainte avec l'appel, et les affaires se multiplient
au Parlement.
Philippe le Bel rend les Parlements sédentaires,
le 25 mars 1302. Vers ce temps, le duel devient moins
fréquent, mais les avocats, par contre, plus nombreux.
Aussi, dit un écrivain, « c'est de là que nous avons
appris la chicane. » Peu d'années aprÚs, Philippe le Bel
â 32 â
ayant donné au parlement de Paris l'ancien palais des
Rois pour y tenir ses séances, c'est à cette libéralité que
remonte l'appellation fameuse de u Palais de justice»,
(â ni a fait fortune depuis. Les affaires croissaient tou-
jours et la révolution marquée au temps de saint Louis
allait ^'accentuant. Le droit romain Ă©tant parvenu Ă do-
miner, a Ă©trangers aux arcanes de la nouvelle jurispru-
dence, nous dit l'historien de saint Louis, les descendants
des chevaliers s'Ă©loignĂšrent bientĂŽt des Cours et Par-
lements oĂč des hommes spĂ©ciaux, des lĂ©gistes experts
venaient de faire irruption. Ces bourgeois, dévoués
au roi, avaient plus de sympathie pour les institutions
féodales. Les codes deJustinien furent la rÚgle de ces
nouveaux juges. » « Ainsi allait bientÎt se terminer
cette lutte des légistes avec les barons, entre les hommes
noirs, les hommes de plume et de parole et les hommes
de fer, de lance oud'épée», suivant l'expression du
mĂȘme Ă©crivain.
Les gens de loi étaient appelés par les gens d'épée
pour leur aider Ă administrer la justice. N'ayant
d'abord que voix consultative, ils gagnent avant pc'U
le privilĂšge de juger avec eux et portent le mĂȘme
costume que les chevaliers d'épée.
Au commencement du I5e siĂšcle, ces chevaliers ou
barons, complÚtement rebutés de la discussion des
lois, pour laquelle ils n'Ă©taient point faits, cessent
tout Ă fait de venir au parlement. Les gens de loi,
appelés par assimilation aux gens d'épée, chevaliers es
lois, pour se distinguer d'eux, prennent aussi le nom
de magistrats.
Suivant Boucher d'Argis, historien de l'ordre, et qui
a Ă©crit au milieu dn 18e siĂšcle, la plus ancienne ordon-
nance du parlement qui fasse mention des avocats serait
celle dos Etablissements de Saint-Louis, en 1270. Il
fait mention d'une autre de 1344. Il existe en ce temps
des avocats plaidants et des avocats consultants. Ces
derniers portent le nom de conseillers et possĂšdent, en-
tre autres, le privilÚge de séance sur les fleurs de lys au
â 33 â
barreau. Cette faveur de s'asseoir sur les bancs de la
cour dont l'étoffe est parsemée de fleurs de lys, n'est
conférée qu'aux anciens choisis parmi les plus célÚbres.
L'usage en existait encore Ă la fin du 16e siĂšcle. Il
continua par la suite quoique la cour ne les nommĂąt
plus comme autrefois. C'est dans cette mĂȘme ordon-
nance de 1344 que le stage est créé. En vertu de ce
rĂšglement, les jeunes avocats ne doivent pratiquer
qu'un certain temps aprĂšs leur admission au barreau,
temps de prĂ©paration oĂč ils doivent Ă©couter les an-
ciens, assister aux audiences, se former aux conseils,
enfin, acquérir la connaissance des coutumes et du
style de la cour.
En 1299, Philippe LeBel défend aux excommuniés
d'exercer les fonctions d'avocat. Jusqu'à la révocation
de l'Ă©dit de Nantes, en 1685, les protestants en France
sont admis au barreau ; mais il n'en est plus ainsi aprĂšs,
et il est mÎme défendu aux avocats d'avoir des clercs
protestants.
Malgré certaines défenses portées contre les ecclé-
siastiques de se mĂȘler des affaires sĂ©culiĂšres, il ne parait
pas qu'on ait entendu leur interdire les fonctions de
la magistrature et du barreau. Depuis l'institution du
parlement, le barreau de Paris fut rempli presqu'u-
niquement d'ecclĂ©siastiques, de prĂȘtres, de curĂ©s, de
chanoines, d'ofiiciaux et d'archidiacres, comme on l'a
vu en parlant du concile de Latran. Car, quoiqu'il y
eût eu jusque là et qu'il y eût encore à cette époque des
laĂŻques trĂšs savants en droit civil et en droit canon,
tant avocats que conseillers des Rois, des grands sei-
gneurs ei des nobles, les ecclésiastiques, au moins pen-
dant certaine Ă©poque, furent Ă peu prĂšs les seuls ayant
quelque teinture des lettres. Leur présence^ dans les
parlements et les autres cours dejustice, dura jusqu'Ă ce
que l'autorité ecclésiastique de concert avec l'autorité
civile, intervint de nouveau pour faire cesser certains
abus qui s'y Ă©taient introduits. Toutefois, le parlement
vit encore des gens d'Eglise jusqu'au milieu dn 18e
siĂšcle.
â 34
VI
D'aprÚs une ordonnance de François 1er, il fallait,
pour ĂȘtre avocat, graduer en droit canon comme en
droit civil. Cette derniĂšre condition Ă©tait mĂŽme secon-
daire si l'on en juge par une ordonnance de Blois et
une autre de 1629 qui défendent à l'Université de
Paris de donner des grades en droit civil. Mais de ce que
l'Université de Paris défend de donner des grades en
droit civil, il ne s'ensuit nullement qu'il doit ĂȘtre inu-
tile Ă apprendre, loin de lĂ . L'on s'imagine peu
la science qu'il faut posséder pour pouvoir exer-
cer la profession d'avocat, de conseiller ou de magistrat.
Surtout, il est entendu que l'on doit ĂȘtre en Ă©tat
de citer, chez les anciens. Un avocat n'eut pas
Ă©tĂ© un avocat s'il n'eut eu la tĂȘte garnie de connais-
sances littéraires, prises tant chez les anciens que chez
les modernes. A venir au 14e siĂšcle, l'on plaide en
latin et le droit s'Ă©tudie dans cette langue. Il faut
par Ă©tat savoir le grec, le latin et mĂȘme l'hĂ©breu, con-
naĂźtre les PĂšres de l'Eglise, le droit canon et les matiĂšres
bénéficiùtes, ne pas ignorer l'histoire et avoir appro-
fondi tout le droit romain. Je ne parle pas du droit
français d'alors consistant en coutumes, ordonnances
et arrĂȘts. On ne se demande pas non plus s'il fallait
ĂȘtre bien constituĂ© pour digĂ©rer toute cette matiĂšre
des coutumes, n'y eut-il qu'elles Ă s'assimiler. Les
savants seuls devaient y parvenir si l'on songe qu'il y
eut un temps, en France, oĂč l'on ne pouvait respirer
qu'à travers le pur atmosphÚre de 240 coutumes géné-
rales, outre les coutumes locales. Celui qui aspirait Ă
ĂȘtre Vadvocat du Roy devait en outre, suivant Loysel,
savoir « d'abondant les droicts du domaine, les appen-
nages et assignats de Messeigneurs et Mesdames les
enfants de France, des RĂ©gales, des admortissements
et autres droicts de la Couronne, les généalogies et
alliances de nos Roys et des principales maisons de
France, et nos Histoires, » etc, etc, etc.
Je vous tiens quitte du dédale inextricable des voies
de procédure qui faisaient souvent passer les fonds rfV-
â 35 â
inde de génération en génération. Malgré cela, dÚs le
14e siĂšcle, et mĂŽme avant, il existe beaucoup d'iiommes
savants au barreau. L'on cite avec admiration Saint
Germain l'Auxerrois qui vivait au 5e siĂšcle. Il avait
été avocat et savant jurisconsulte. Au reste, en cela,
il ne faisait qu'imiter Saint Jean Ghrysostome, Saint
Gyprien, Saint Athanase, Saint Augustin lui-mĂŽrae et
Saint Ambroise. Guy Foucault vivait au temps de
Saint Louis. AprÚs avoir été avocat, il eut la bonté
de ceindre la tiare de Saint Pierre sous le nom de
ClĂ©ment IV. Suivant Loysel, il pourrait bien ĂȘtre le
capitaine de nos avocats au parlement. Je vous fais
grĂące aussi de l'aride nomenclature de ceux qui,
à part ces respectabilités du barreau, sont mis au nom-
bre des gloires de la France, mais dont le procĂšs de
canonisation n'est pas encore terminé
Quant Ă Saint Yves, il vivait aussi au temps des
parlements. Une légende raconte que «deux hommes
qui estaient arrivés ensemble à une hostellerie de la
ville de Tours, ayans baillé une bougette » (petit sac
de voyage) « en garde à l'hostesse qui était une femme
veufve et luy ayant recommandé qu'elle ne la rendit
Ă personne qu'Ă eux deux ensemble : cinq ou six
jours aprĂšs l'un d'eux la luy vint redemander tout
seul sous prétexte d'un payement qu'il supposa qu'ils
avaient Ă faire dans la ville. L'hostesse ne se souve-
nant ou ne pensant pas à ce qui avait été dit, ne fit
aucune difficulté de la luy bailler: et celui-ci l'ayant
incontinent emportée ne retourna plus an logis.
Cependant l'autre s'y rendit sur le soir et n'y trouvant
point son compagnon, il s'enquit de l'hostesse oĂč il
estoit. L'hostesse luy répondit ingénuëment qu'elle
ne l'avait point vu depuis qu'elle luy avait rendu
leur bougette. Alors cet homme faisant de Festonné,
s'Ă©cria qu'il estoit perdu, et qu'il y avait dans cette
bougette une grande somme d'argent. Puis se tour-
nant vers elle il luy remonstra que c'estoit au préju-
dice de ce qui avoit e^té résolu entre eux, qu'elle
l'avoit remise entre les mains de l'un en l'absence de
Tautre, et luy déclara qu'il se pourvoirait contre elle
en justice. Et de faict, il la fit adjourner devant le
Baiiiy de Touraine, Ă ce qu'elle eut Ă luy rendre ce
â 36 â
dépost ; et elle ayant comparu à , T assignation; dc>
meura ingénuëment d'accord de tout ce qui s'estoii/
passé. Surquoy il afferma qu'il y avait dans cette^
bougette cent piÚces d'or, outre plusieurs scédules et'
autres papiers de conséquence : de sorte que cette
pauvre veufve estoit sur le point d'estre condamnée.
Mais le bon Saint-7ves estant survenu fort Ă propos,
la délivra de celte peine par un expédient non moins-
certain que prompt, dont il s'advisa. Car aprĂšs qu'il
se fus instruit de l'affaire, il luy donna advis de
remonstrer qu'elle avoit trouvé moyen de recouvrer
la bougette, et qu'elle estait preste de la représenter ;
mais qu'aux termes de la reconnaissance du deman-
deur, il estoit obligé de faire comparoir son compa-
gnon, afin qu'elle la put rendre Ă eux deux : ce que
le juge ayant trouvé raisonnable il l'ordonna ainsi.
A qnoi'le demandeur n'ayant voulu ou pu satisfaire,
non-seulemenf la bonne veufve fut renvoyée absoute,
mais aussi s'estant découvert que ces galandsestoient
des pipeurs qui coUudoient ensemble pour ruiner
leur hostesse, le demandeur en fut puny extraordi-
n ai rement. )>-
VII
Dans ces temps fortunés du 15« et du 16e siÚcle,
aprĂšs les Ă©tudes, la seule formalitĂ© pour la rĂ©ception Ă
la pratique â ce qu'on appelait l'inscription au tableau
â est le serment. Le licenciĂ© Ă©tant prĂ©sentĂ© Ă la
cour, celle-ci est priée de vouloir bien admettre
le récipiendaire el l'introducteur ajoute que Messieurs
les gens du Roi ont vu ses leltirs. Ce n'Ă©tait pas
un mince honneur que cette présentation. Il fallait
avoir 10 ans et m^nie 20 ans de pratique pour le
mériter. Le récipiendaire se tenait debout, le bonnet
carré à la main.
C«'tte coiffure du bonnet carré complétait un cos-
tume dont les avocats de nos jours en France n'ont,
pas conservé toute la solennité.
Les anciens romains d'abord portaient la toge, et
«'était en dehors mÎme des- cours de justice, l'hafeille-
â 37 â
«nent usuel de Fun ou l'autre sexe. Cet 'hat)illeme!ßt
tétait long, ample, fermé et sans manches, en sorte que
pour faire paraĂźtre les mains, il fallait le soulever par
le cÎté ou le devant. Défense aux avocats de premiÚre
année de hausser la toge.
En France, jusques vers le commencement du 14*
fiiĂšcle, les gens de robe n'existent pas.
L'on se rappelle que les juges laĂŻcs sont tous gens
d'épée. Au parlement, il n'y a que des prélats, des
ibaronsou des chevaliers. Ces derniers portent des habits
longs, mais ces mÎmes habits, nommésd'abord saïes et
plus tard robes^ ne sont point ceux qui deviennent par
la suite communs aux gens de justice. Ce sont les
habits ordinaires des Français de cette époque.
Les chevaliers Ăšs-lois, encore rĂ©cemment appelĂ©s Ă
rendre la justice, portent Phabit à la façon des barons
et, pardessus leur robe, des manteaux assez longs. Le
i'oi avait coutume, aux grandes fĂȘtes, dĂ©faire des livrĂ©es
d'habits Ă ses officiers. Les barons recevaient des robes,
les gens du parlement des manteaux. C'est ainsi que
le manteau long devient l'habillement des officiers de
justice. Pardessous le manteau est portée une espÚce
Se soutane par les magistrats. Les avocats les imitent.
Enfin, vers la fin du 14e siÚcle, les Français quittent
l'habit long et prennent les pourpoints courts, tan-
dis que magistrats, avocats et autres officiers de
justice conservent leur costume. Avocats et ecclé-
siastiques portent donc a peu prÚs la mÎme livrée. Serait-
ce en ce temps qu'aurait été inventée la fameuse maxime :
d'habit ne fait pas le moine ? A la vérité, celte mode finit
par s'altérer avec le temps; mais comme les choses
ne sont pas au changement dans ces siĂšcles de fer, Ă la
iin du 17e siĂšcle, il se trouve encore un brave qui
n'a pas lùché prise. L'histoire a conservé son nom.
JMtre Levasseur portait la soutane, le manteau tradi-
tionnel, le rabat et une petite perruque comme les ecclé-
siastiques. On l'Ă©lut bĂątonnier en 1G85. â La soutane,
-Ă son tour, disparait pour laisser seul le manteau que
l'on convertit cette fois en robe. Celle-ci est noire,
mais la robe de cérémonie est rouge ou écarlate et
les femmes des avocats ont aussi le privilĂšge delĂ
porter. Il existe, plusieurs ordonnances des Rois oĂč
â 38 â
il en est parlĂ© et mĂȘme de grandes disputes Ă ce sujet.
François I", par une Ordonnance de 1540, enjoint aux
avocats'de paraßtre en cour en habit décent, robe longue
et bonnet rond, de n'y pas porter de barbe, de pourpoints^
chausses et autres habits dissolus.
Autrefois, l'on pouvait voir, dans différentes églises^
de Paris, d'anciens portraits d'avocats peints ainsi avec
leurs robes rouges et le chaperon noir.
Il parait aussi qu'anciennement, les avocats Ă©taient
souvent revĂȘtus de la redoutable dignitĂ© demarguilliers
d'Eglise, â ĂŽ temps mĂ©morables Ăź-mais comme rien
n'est parfait en ce monde, ainsi que Ta dit le poëte^
nihil est ab omni parte beatum^ Loysel parle d'un Mtre
Pierre de CugniÚres, «duquel, dit-il, on a mis un por-
traict, ou plutost un marmot, en un coing et dehors
le chcBur de TĂ©glise de Notre-Dame de Paris contre
lequel les bonnes femmes et les petits enfants vont
attacher des chandelles afin de luy brûler le nez
par dérision. »
Ce Mtre de CugniĂšres Ă©tait pourtant l'un des plus
savants hommes de son temps. Mais la postérité, qui
tient compte du mal comme du bien, aura sans doute
voulu, par là , solder un petit compte oublié de Chi-
caneau Siwec ses contemporains.
VIII
Les avocats en France ont toitjours joui des plus
grands privilÚges. Comme à Rome, la qualité d'avocat
était le grade obligé pour parvenir aux plus grandes
dignités de l'état. « Au 16e siÚcle, dit Loysel, c'était
encore Teschelle par laquelle l'on montait aux plus
grands estats et dignitez du Royaume. Et, continue
cet auteur, « Testùt d'avocat était si honorable que
toute la jeunesse la mieux instruite de la ville tendait
Ă faire montre de son esprit en cvHte charge avant que
de se mettre aux offices do conseillers ou autres. i>
Suivant les lois lomaines, les avocats jouissaient de
tous les privilÚges accordés aux nobles. Une loi la
loi suggestionem place au rang de comtes et clarissimes^
â 39 â
ceux qui ont fourni glorieusement leur carriĂšre et ils
sont aussi placés au rang de sénateurs. Or, l'usage, par-
tout oĂč a prĂ©valu le droit romain, est qu'ils ont joui
du titre de nobles et ont possédé une noblesse réelle et
transmissible. On le remarque encore au 18e siĂšcle,
en Savoie, en Italie, Ă Venise et en Espagne. Ce titre
Ă©quivaut Ă celui d'Ă©cuyer. Toutes les places de la magis
trature donnaient la noblesse. Suivant Berryer pĂšre,
la place aussi de premier huissier au parlement donnait
à celui qui en était pourvu la noblesse héréditaire.
Exemption pour eux de la collecte des tailles et autres
impositions publiques.
IX
Le barreau a donné à la France des jours qu'elle n'eut
pas eus sans lui, et il faut voir ce que furent cette ma-
gistrature et ce barreau au temps des parlements.
Toutes les questions de religion, de guerre et de paix,,
passaient par lĂ . Suivant le Berquier, le barreau
meurt en France avec la société romaine, et prend une
nouvelle vie avec les parlements. AuxEtatsde 1614, ses
membres forment la plus grande partie du Tiers-
Etat. Il tenait une espĂšce d'Ă©quilibre entre les
parlements et l'autorité souveraine. Quant aux parle-
ments, leur puissance fut Ă©norme et tint souvent
en Ă©chec la monarchie elle-mĂȘme. S'ils furent ua
obstacle au vrai progrĂšs, souvent aussi ils servirent de
remparts assurés à la liberté.
(( De temps a autre, nous dit Berryer pĂšre, dans ses
Souvenirs^ la résistance du parlement à certaines
innovations trop onéreuses pour les peuples, avait
donné lieu à la tenue de lit de justice au Palais, le roi
y séant. »
« J'ai vu, continue-t-il, dans toute leur magnificence
les appareils de l'un de ces lits de justice. Toutes les
chambres du parlement y étaient assemblées; tous les
Pairs du Royaume, militaires, civils et ecclésiastiques
s'y rendaient dans toute la pompe de leurs dignités.
« La noblesse en costume à la Henri IV, les cheveux
naissant, les- aiguillettes flottant sur l'Ă©paule, les cha-
â 40 â
peaux à plumet blanc, l'épée au cÎté ; le clergé avec
ses habits sacerdotaux ayant Ă sa tĂȘte l'archevĂȘque
de Paris, comme Pair de Saint Cloud, précédé lui-
mĂȘme par la croix et la banniĂšre. Rien n'Ă©tait plus
imposant que ce spectacle de la représentation natio-
nale ». Ce que les parlements furent pour la politique,
ils le furent pour l'administration de la justice, revĂȘ-
tant un Ă©clat que seule la grande sociĂ©tĂ© d'alors, oĂč
tous les rangs étaient marqués, pouvait donner. Les
parlements du reste ont été l'origine des familles les
plus considérables de la France et, si j'entends bien
madame de Sévigné, qui était au fait des rivalités et
des jalousies des filles de famille de son temps, Ă©pouser
un président de parlement valait, pour le nom, un
descendant des croisés. Cela valait bien souvent beau-
coup plus pour la fortune et la considération person-
nelle.
Le goût pour la société était trÚs vif anciennement
et les rapports du barreau et de la magistrature Ă©taient
des plus l)ienveillants. 11 était aisé de reconnaßtre la
solidarité existant entre les deux corps, dont l'un était
sans cesse recruté parmi l'autre. De son temps, le
président de Lamoignon vivait dans une intimité avec
les avocats qui, sans blesser les convenances, témoignait
hautement de sa considération pour eux. Mais tous
les présidents ne valaient pas Lamoignon et ces grands
personnagesne laissaient pas que de révéler parfois une
morgue insupportable. BerryerpĂšre raconte qu'un avo-
cat en vacance se trouvant «dans les terres d'un prési-
dent de la cour, s'Ă©tait fait un devoir d'aller au chĂąteau
lui présenter son hommage. Le président, que sa
morgue de robin suivait Ă la campagne, Ă©tait dans
sa bibliothÚque occupé à ranger quelques livres;
à peine il avait daigné s'apercevoir de l'arrivée
de l'avocat. Il Ă©tait descendu Ă la fin de son Ă©chelle et
était venu avec dignité s'asseoir dans son fauteuil, sans
offrir un siĂšge Ă l'avocat, ni l'inviter Ă en prendre
un. Dissimulant l'humeur que lui causait la lourde
fatuitĂ© du prĂ©sident, l'avocat avait appochĂ© de lui-mĂȘme
un autre fauteuil d'honneur, s'y Ă©tait assis, avait mis
son chapeau sur sa tĂȘte et avait poursuivi sa conversa-
tion de visiteur. Le président, choqué d'une pareille
â 41 â
licence, par forme de leçon, avait dit pour le licencié :
« OĂč est le temps oĂč les avocats n'auraient jamais osĂ©
s'asseoir ni se couvrir devant un magistrat sans lui en
avoir demandé et en avoir obtenu la permission.» Mon-
sieur le président, avait répondu l'avocat, c'était un
un temps oĂč les avocats n'avaient ni ni tĂȘte. »
Sous l'empire des parlements, le barreau sut garder
son indĂ©pendance. « On ne s'y sentait ni gĂȘnĂ©, ni ar-
rĂȘtĂ©, dit un Ă©crivain. Le nom seul de l'ordre des avocats
marquait une profession qui ne ressemblait Ă nulle
autre. C'Ă©tait comme une chevalerie avec ses traditions
et ses mystĂšres.» Souvent mĂȘlĂ© aux luttesde la politique,
dÚs le 15« siÚcle, son influenceest visible dans tout ce qui
touche aux libertés publiques. Avec toute sa lati-
tude dans les affaires civiles, il sait habilement se
mettre Ă couvert, comme il lui arrive dans les luttesde
ces mĂŽmes parlements avec la monarchie.
Royer CoUard aimait Ă redire qu'il avait appris le
respect Ă la grand'chambre du parlement de Paris.
Dupin affirmait qu'il n'y avait qu'un lieu oĂč parler libre-
ment de politique, c'Ă©tait le Palais. Louis XIV faisait
servir les parlements Ă ce qu'il croyait ĂȘtre sa gloire,
et il les aimait. Louis XV, au contraire, les exécrait.
11 les appelait des «assemblées de républicains » et re-
grettait que le régent leur eût rendu le droit de remon-
trance.
X
Pour briller au Palais, il fallait n'ĂȘtre pas moins Ă©lo-
quent que savant. LĂ oĂč les ressources du beau lan-
gage sont tout puissantes, un avocat seulement disert
est bien prĂšs d'ĂȘtre parfait. C'est ce goĂ»t innĂ© chez
nos ancĂȘtres qui a fait de la langue française la langue
précise du droit et de la politique. Au barreau, durant
les grands siĂšcles au moins, Ă AthĂšnes et Ă Rome,
l'improvisation était inconnue. Il en a été ainsi en
France. Les plus grandes célébrités anciennes et mo-
dernes du barreau français ont écrit leurs plaidoyers.
L'on récitait de mémoire ou l'on disait devant la cour
ee qui avait été préparé dans le silence du cabinet.
â 42 â
Toutefois, la langue du barreau ancien, en France, ne fut
jamais populaire comme on le vit Ă Rome. A Rome,
la fonction déjuger fut, dÚs l'origine, considérée comme
la premiĂšre et ceux qui l'exercĂšrent ne voulurent
pas la partager avec d'autres, digne sentiment de ceux
qui devinrent plus tard les maĂźtres du monde. En
France, les barons et les chevaliers d'épée ont trop tenu
à honneur d'ignorer cette langue. Ils la dédaignÚrent
pour les armes, c'est pourquoi ils quittĂšrent vite
cette arĂšne judiciaire oĂč la connaissance des lettres
était aussi nécessaire que celle des lois. La conséquence
fut que les gens de cour â qui l'ignoraient â s'en mo-
quÚrent comme d'une science pédante et les gens de
lettres comme d'une science barbare. Au beau milieu
du 17e siÚcle, Racine s'en défend et ne veut pas qu'on
le soupçonne d'entendre quelque chose à un pareil lan-
gage ; puis il compose sa comédie des Plaideurs. « Je
sais grossiÚrement qu'il y a une jurisprudence, » écrit
Montaigne, oubliant qu'il a été treize ans conseiller au
parlement de Bordeaux. « Quant à la procédure, nous
avertit Montesquieu, je n'y entendais rien. >. Cet hom-
me de qualité pouvait-il parler autrement ?
M. de Tocqueville écrit « De la Démoratie Amé-
rique » mais il veut que l'on connaisse bien qu'il
n'a été toute sa vie qu'un magistrat médiocre. Le
célÚbre Roman de la Rose confond dans ses moqueries^
les advocats et les malicins^ c'est-Ă -dire les physiciens.
De tout temps, il y eut rivalité entre la littérature
et le barreau. D'un cÎté, les brillants parleurs et les
hommes d'affaires, de l'autre les artistes de la phrase
et les beaux écrivains. Mais les littérateurs sont encore
dépassés, il semble, par les philosophes. -Ici, c'est
une véritable levée de boucliers contre les avocats.
Erasme, dans son « Eloge de la folie », dit : « AprÚs les
médecins marchent immédiatement les légistes et les
jurisconsultes. Je ne sais si ces suppÎts de Thémis ne
devraient point avoir l'honneur du pas sur les prĂȘtres
d'Esculapc; entre eux le débat. Ce qu'il y a de vrai
c'est que les philosophes presque unanimement se mo-
quent des docteurs, nommant cette profession une
science d'ùnes. » Il se ravise un peu pourtant et ajoute :
«Anes tant qu'on voudra, ce sont pourtant les interprÚtes
â 4aâ
de la loi qui rĂšglent toutes les affaires; ces messieurs
s'enrichissent à leurs métiers pendant que le pauvre
théologien est réduit à manger des fÚves. »
Montaigne, avec ce tour particulier qui lui est propre,
décrit ainsi ces avocats consciencieux : « Vous récitez
simplement une cause aTadvocat; il vous y répond
chancelant et doubteux ; vous sentez qu'il luy est indif-
férent de prendre à soustenir l'un ou l'autre party;
l'avez- vous bien payé pour y mordre et pour s'en for-
maliser, commence-t-ild'en ĂȘtre intĂ©ressĂ© il y a eschauffĂ©
sa volonté. Sa raison et ?a science s'y eschauffent
quand et quand ; voilĂ une apparente et indubitable
vérité qui se présente à son entendement. Il y découvre
une toute aultre lumiĂšre et le croit Ă bon escient, et se
le persuade ainsi. »
)) Ce qu'on gagne au barreau, dit Grotins, c'est de la
haine de la part des adversaires, de l'ingratitude de la
part des clients et pas de gloire. » Grotins avait été
avocat, mais se souvenait de n'avoir pas réussi au
métier, à ce qu'on assure.
Duaren. qui vivait au t6e siÚcle, quoique célÚbre
jurisconsulte, tout en estimant les avocats, n'aimait
guĂšre le barreau. Il ne pouvait comprendre que tant
d'hommes trÚs graves et trÚs distingués se donnassent
Ă de telles misĂšres.
« Gomme vous scauez, dit Rabelais, qu'il n'est si
malvaise cause qui ne trouve son advocat sans cela ne-
serait jamais procez, au monde» .
Montesquieu que nous avons déjà cité, et qui a tant
peur de passer pour connaissant dans le langage du
Palais, ne daigne pas mĂŽme citer les avocats dans son
fameux ouvrage « De l'esprit des lois ». S'il en parle
dans ses Lettres Persanes, c'est pour s'en moquer
comme, du reste, tout magistrat qu'il est, il se moque
des magistrats eux-mĂȘmes. Ainsi, Rica Ă©crit Ă Usbeek,-
deux personnages des Lettres : â « J'allais, l'autre jour,
diner chez un homme de robe qui m'en avait prié plu-
sieurs fois. AprÚs avoir pailé de bien des choses, je
lui dis : Monsieur, il me parait que votre métier est
bien pĂ©nible. â Pas autant que vous l'imaginez rĂ©pond-il.
Si vous connaissiez le Palais, reprit le magistrat, vous
ne parleriez pas comme vous faites ; nous avons de&.
â 44 â
livres vivants qui sont les avocats; ils travaillent pour
vous et se chargent de nous instruire. â Et ne se char-
gent-ils pas aussi quelquefois de vous tromper, lui re-
parlis-je ? Vous ne feriez donc pas mal de vous garantir
de leurs embûches ; ils ont des armes avec lesquelles
ils attaquent votre équité ; il serait bon que vous en
eussiez pour la défense et que vous n'allassiez pas vous
mettre dans la mĂȘlĂ©e, habillĂ© Ă la lĂ©gĂšre, parmi des
gens cuirassés jusques aux dents. «
Et Voltaire: «Tous ces vieux avocats étaient flottants
dan? leurs opinions, ils alléguaient cent lois, ils regar-
daient l'alTaire par cent cÎtés ; les juges décidÚrent plus
vite que les avocats ne doutÚrent ». Voltaire les aimait
pourtant, Ă ce qu'on dit, mais Voltaire n'Ă©crit toujours
que suivant son humeur, le caprice du moment. Est-il
d'humeur chagrine ? « "Un avocat est un homme, dit-
il, qui n'ayant pas assez de fortune pour acheter un
de ces brillants offices sur lesquels l'univers a les yeux,
étudie pendant trois ans les lois de Théodose et de Jus-
tinien pour connaĂźtre la Coutume de Paris et qui, enfin,
étant immatriculé, a le droit de plaider de l'argent, s'il
a la voix forte. Les esprits de Voltaire sont-ils a la
gaitĂ© ? « J'aurais voulu ĂȘtre avocat, Ă©crit-il, c'est le
plus beau métier du monde. »
Ces préjugés durÚrent longtemps. Mirabeau, qui
devait plus tard mériter le surnom de DémosthÚues
français, se présentait devant le parlement d'Aix pour
plaider avec M. de Portails. Son pÚre au désespoir,
écrit à son frÚre : « Voilà donc M. le comte à son apo-
gĂ©e ; il va plaider lui-mĂȘme et sans doute on lui dit
que c'est beau et qu'il est autant audessus de ses com-
pĂšres, les autres marchands de paroles, que les Ă©toiles
sont audessus des coquelicots ». Voilà .
XI
Faut-il, messieurs, chercher Ă combattre ce c^ue l'hu-
meur, l'ambition et les rivalités ont inspiré contre l'or-
fdre des avocats, exposé par la nature de ses travaux et
ide ses fonctions Ă tous les sarcarmes de l'opinion .?
--45-
Bans ces traits que la main du littérateur sait déco-
cher trop légÚrement, ces sentences que la bonne
volonté du philosophe sait trop bien édicter, l'on ne
reconnaßt guÚre « un ordre aussi noble que la vertu,
aussi nécessaire que la justice ; qui se distingue par
un caractĂšre qui lui est propre, et, seul, entre tous les
Ă©tats, se maintient toujours dans l'heureuse et paisible
possession de son indépendance.» L'homme illustre
qui prononçait ces paroles avait été, lui aussi, avocat,
conseiller, magistrat et Ă©crivain. C'est le grand d'A-
guesseau.
« Quelle est la classe, dit Oscar Pinard, oĂč
les relations soient plus sûres, les opinions plus
tolérantes, les esprits plus libres, les caractÚres plus
ouverts, les Ăąmes plus fiĂšres, le& cĆurs plus Ă©mus ?
Les causes de divisions n'y manquent pas. La poli-
que, la religion, la renommée, la fortune, tout s'en
mĂȘle. A quoi tient-il qu'il y ait si peu de haine dans
une profession livrée à toutes les rivalités, si peu de
déchirements pour des hommes qui ont leurs passions
d'abord et ensuite les passions d'autrui ; qui sont acces-
sibles Ă toutes les impressions ; au milieu desquels les
partis ont tous été, les uns aprÚs les autres, depuis bien-
tĂŽt un siĂšcle, chercher leurs instruments, leurs inter-
prÚtes et bien souvent leurs chefs?» Ce que l'éloquent
Ă©crivain vient de dire du barreau moderne peut sans
peine s'appliquer au barreau ancien. On ne peut rien
ajouter à l'autorité de cette parole.
Avant de terminer cette esquisse historique si incom-
plĂšte, j'eusse voulu vous faire connaĂźtre quelques
figures remarquables de la magistrature et du barreau
anciens. J'eusse voulu parler de l'Ă©loquence des maĂź-
tres. Mais j'ai été trop long déjà . Il faudrait parler de
Budée (1467-1560) surnommé le prodige de la France.
Outre la science du droit qu'il possédait, il pouvait en-
core ĂȘtre comparĂ© au^ plus excellents orateurs da la
GrĂšce ancienne, pour la- connaissance qu'il avait du
grec. Il faudrait nommer Gujas (1520-1 590) le plus grand
jurisconsulte de son temps. A Bourges, oĂč il ensei-
gne, le nombre ae ses Ă©lĂšves est prodigieux. Dans
les Ă©coles publiques d'Allemagne, les Ă©lĂšves ne pronon-
cent plus son nom qu'en ĂŽtant leurs chapeaux. A force
â 46 â
'de s'accroupir devant les infolio, Giijas avait, parait-il^
fini par user de ses genoux le plancher de sa chambre.
Il me faut Ă regret passer sous silence Pasquier, Loysel,
Brisson, Ferey, Doneau, Hotman, Duaren, surtout
Dumoulin, Martin, etc, mĂŽme Beaumarchais ! Chez
ce dernier, on ne dira pas que la variété des
talents manquait. « Horloger, musicien, chansonnier,
dramaturge, auteur comique, hommede plaisir, homme
de cour, homme d'affaires, financier, manufacturier,
éditeur, armateur, fournisseur, agent secret, négocia-
teur, publiciste, tribun par occasion, homme de paix
par goût et cependant plaideur éternel, faisant comme
Figaro tous les métiers, Beaumarchais a mis la main
dans la plupart des événements, grands ou petits, qui
ont précédé la révolution.» Tel est le portrait que
Loménie en fait.
Nous n'avons pas mentionné Domat, ce jurisconsulte
qui réussit « à imprimer à la loi civile la droi-
ture d'une science morale et la précision d'une science
mathématique, » et Pothier dont la science et l'admi-
rable droiture aussi ont fait de lui le modĂšle inimitable
des Ă©crivains jurisconsultes.
Je dois finir. Messieurs, et vous remercier de l'atten-
tion que vous m'avez prĂȘtĂ©e. Je n'ai fait qu'effleurer le
plus large des sujets. A un autre de traiter h fond cette
matiĂšre qui touche aux plus beaux souvenirs de la
France ancienne. Le barreau, par ses nombreuses illus-
trations, a contribué sa part à la grandeur et à la renom-
mée de notre ancienne mÚre patrie. Et puisque c'est la
loi qui fonde les Ă©tats, aimons cette interprĂšte du
droit et de la justice. Cette prérogative a fait de nos
ancĂȘtres les instituteurs de la libertĂ© et de la civilisation
dans le monde.
§-3.
POMPĂI
Conférence par M. J. FREMONT
C'était par une belle journée du mois de mai en
Tannée 1884. Le soleil venait de se lever, et ses rayons
jetaient des lueurs dorées sur les vagues bleues du
golfe de Naples.
L'antique cité de Pompéï semblait avoir secoué tout-
Ă -coup la poussiĂšre de dix-huit siĂšcles. On aurait dit
que, grĂące Ă la baguette magique de quelque puissante
l'Ă©e, les morts de Fan 79 Ă©taient revenus reprendre
leurs anciennes occupations parmi les ruines d'un autre
Ăąge. Au milieu d'un immense concours de curieux,
la vieille Pompéï avait repris sa vie silongtemps inter-
rompue.
Quelles sont donc ces fĂȘtes, que l'administration des
fouilles de Pompéi célÚbre pour rappeler l'anniversaire
de la reprise des travaux ?
C'est d'abord, le cortĂšge de l'empereur Vespasien
que défile majestueusement, à travers les places publi-
ques, et les rues de Pompéï en se rendant à l'amphi-
thĂ©Ăątre. Quinze jeunes PompĂ©iens revĂȘtus de la toge
romaine, et portant les images des divinités protectrices
de la ville précÚdent le lit impérial. C'est Venus, Bac-
chus et le divin Auguste qui s'avancent. Les prĂȘtres
-.48 â
d'Isis, en costume oriental accompagnent leur idole^^
ainsi que les enfants chargés des vases sacrés, et des-
trĂ©pieds d'oĂč s'Ă©lĂšvent des nuages d'encens. Viennent
ensuite les prétoriens suivis des musiciens avec leurs
tambours, leurs cimbales, et leurs trompettes de toute»
formes. Enfin s'avance majestueusement la litiĂšre
impériale, magnifiquement décorée, et suivie par les
sénateurs, les prétoriens, la foule des clients, des magis-
trats et des Ă©diles de la ville.
Les curieux accompagnent cette procession jusqu'Ă
l'amphithéùtre, pour assister aux luttes des gladiateurs
et entendre le cĂ©lĂšbre : Ave^ CĆsar^ morituri te salu-
tant^ signal du combat.
Plus loin, dans la ville, les anciennes boutiques sont
rouvertes ; on y débite comme autrefois le vin de la
Campa nie.
Mais voici que d'un autre point de la Cité, défile le
cortĂšge funĂšbre par lequel, la ville rend ses derniers
devoirs, Ă l'un de ses citoyens marquants. La marche
s'ouvre par des joueurs de flûtes et de trompettes,
suivis par des porteurs de torches. En avant, un per-
sonnage revĂȘtu des habits du dĂ©funt et portant un
masque, danse en représentant les principales actions
de celui dont on pleure la perte. Quatre hommes por-
tent lentement sur un brancard la dépouille mortelle.
Puis viennent les affranchis revĂȘtus du bonnet de la
liberté, les parents et les amis du défunt. Pour ter-
miner le cortĂšge, la foule des pleureuses Ă gages,
toujours prĂȘtes Ă verser des larmes pour les hĂ©ritiers
qui n'en ont point.
Enfm le soir de cette journée, (c'était le temps de la
célébration des noces chez les anciens romains), à la
lueur des llambeaux de pins, s'avance sur le seuil de
la maison paternelle, la jeune fille parée de sa toi-
lette nuptiale. Sa coiffure est ornée de fleurs, et elle
est recouverte d'un long voile. Sa robe est blanche
comme la neige. On vient l'arracher des bras de sa
mĂšre afin qu'elle ne paraisse pas aller d'elle-mĂȘme Ă
son mari. Elle est alors conduite Ă la demeure de son
fiancé précédée par un jeune garçon portant le flambeau
de l'hymen, soutenue par ceux qui l'ont enlevée, et
suivis par d'autres enfants portant la quenouille el le
-49-
Tuseaii. Les chants de l'hymenée les accompagnent.
"Cette procession arrive Ă la maison du futur, dont la
porte est ornée de guirlandes de fleurs. On jette à la
jeune fille de l'eau lustrale pour qu'elle entre purifiée.
Enfin, elle est enlevée de force et portée dans son nou-
veau domicile, dont les clefs lui sont alors remises.
Le tout se termine, comme chez nous, par le repas de
noces.
Telles sont en partie, les curieuses fĂȘtes qui ont eu
lieu à Pompéï et qui ont attiré, de nouveau, l'attention
<lu monde vers cette antique cité, la plus grande curio-
sité archéologique de toute l'Italie, si remplie pourtant
de ruines et de monuments d'un autre Ăąge.
C'est mon intention, ce soir, de vous entretenir quel-
ques instants de PompĂ©ĂŻ, de cette ville qui sort peu Ă
peu de ses cendres, aprÚs y avoir été enfouie pendant
dix-huit siĂšcles.
Gomme on le sait, c'est dans une mĂȘme catastrophe
que périrent Pompéï Herculanum et Stabies, trois
petites villes de la Campanie romaine.
Depuis des siĂšcles, la puissance volcanique du
VĂ©suve, Ă©tait endormie. Aussi les fertiles rivages du
golfe de Naples, depuis la pointe de Sorrente jusqu'aux
hauteurs de Pausiilippe avaient attiré une population
considérable. De riantes petites villes y avaient été
fondĂ©es ; Stables Ă l'endroit oĂč est maintenant Castel-
lamare, dont le nom officiel Gastellamare di Stabia,
rappelle encore l'ancienne ville détruite; Pompéï et
Herculanum. Cette derniĂšre, Ă l'endroit mĂȘme oĂč
est aujourd'hui RĂ©sina et Portici, aux portes mĂȘme de
Naples.
Pompéï était certainement la plus florissante de ces
trois villes et devait avoir une population de 30,000 Ă
40,000 Ăąmes.
L'histoire mentionne rarement le nom de ces petites
villes. Tacite ne cite qu'une fois le nom de Pompéï.
C'est Ă propos des jeux du cirque.
Les petites villes ont Ă cĆur d'imiter les grandes.
C'est là une remarque qui était vraie dans l'antiquité,
âŹt qui ne manque pas de vĂ©ritĂ© de nos jours. Les
temples et les monuments, les théùtres et surtout les
«amphithĂ©Ăątres de Rome, devaient ĂȘtre parconsĂ©quent
4
â so-
dés objets d'envie pour les villes de province. Aussi, -
la siipnmie ambition des petites villes devait ĂȘtre^
d'avoir en petit, ce qu'il y avait de grand et de célÚbre-
à Rome. C'est ainsi qu'à l'imitation du Cotisée de
Rome, l'on voit encore l'amphithéùtre de Nimes, si
magnifiquement restauré par le gouvernement fian-
çais, et les restes de ceux d'Arles, de Fié^ole et d'une
foule d'autres villes de l'antiquité,
Pompéß, grùce à sa prospérité avait aussi soi» amphi-
théùtre. Il était situé à l'extrémiléde la vilk. Inutile'
de dire que les pompĂ©iens devaient ĂȘtre passionnĂ©s
pour les jeux du cirque, et les comhats de gladiateurs.
L'histoire nous apprend qu'on les avait toujours aimé
Ă Rome. Dans les peliles villes de province, oĂč les
amusements devaient ĂȘtre moins nombreux, oĂč la vie
devait ĂȘtre plus tranquille, et par consĂ©quent plus
monotone, on devait les aimer encore davantage.
Si on en veut la preuve, on n'a qu'Ă parcourir les
ruesdePompéï. Les inscriptions sur les murs annonçant
les spectacles, avec promesse qu'ils auront lieu sans
ĂȘtre retardĂ©s en cas de mauvais temps, sine ulla dila-
tione ; ou bien au contraire, mandant qu'en cas de
pluie la fĂȘte sera n mise au lendemain. D'autres rĂ©-
clames annonçant que les spectateurs et les gladiateurs
seront également protégés par une toile veLarium
contre les rayons du i^oleil, alléchante promesse pour
un climat du midi. Ces inscriptions et une foule d'au-
tres du mĂȘme genre, voilĂ autant de preuves de la
passion que les pompéiens avaient pour les jeux du
cirque, ainsi que les antres peupU s de l'empire romain,
car Pompéß n'est p;is une exception.
Les enfants et les nanenrs,t0H3 ceux qui n'avaient rien
Ă faire, (ju'Ă pensera leurs plaisirs, s'amusaient Ă char-
boiiner les murs. Qut^ls sont les sujets de leurs dessins ?
Des combats d(i gladiateurs ; ou encore, ce qu'ils appel-
lent Tin héros, c'est-à dire, un homme qui a remporté
de nombreuses victoires à l'amphithéùtre. Les traits
de sa personne sont repioduits grossiĂši-ement, son nom
est inscrit au bas avec le nombre de ses victoires.
Lps pom[)éiens aimaient donc passionnément les
exercices de ramphilhĂ©Ăą're. Aussi pour ĂȘtre invitĂ©s
aux jeux qui se donnaient dans les villes voisines, ils
â 51 â
invitaient leurs voisins, Ă leurs cirques. Or un jour,
c'était les habitants de Nucérie qu'ils recevaient.
Gomme ces représentations n'avaient pas précisément
pour but de porter les spectateurs à la tranquillité et
Ă la paix, les voisins se prirent de querelle, et aprĂšs
avoir commencé par s'injurier, ils finirent par se don-
ner des coups. Naturellement, les Nucériens étaient
en bien plus petit nombre, et il y en eut beaucoup de
tués. C'est à ce propos que Tacite parle de Pompéï ;
il nous dit que les pompéiens furent pris par leur cÎté
sensible ; les jeux leur furent interdits pour dix ans.
C'Ă©tait en 59 aprĂšs JĂ©sus-Christ.
Quelques années plus tard, le 5 Février 63 une érup-
tion du Vésuve détruisit une partie notable de la ville.
Aussi Pompéï fut-elle reconstruite sur des plans alors
tout Ă -fait nouveaux.
Cette reconstruction n'était pas achevée, lorsque la
terrible éruption du 24 août 79 vint engloutir les trois
villes de Pom[.Ă©ĂŻ, de Stables et d'Herculanum. Une
pluie de cendres et de pierres ardentes recouvre entiĂš-
rement Pompéï et Stables, tandis que la lave engloutit
Herculanum, Les habitants ont le temps de s'enfuir,
mais tous ne sauvent pas leur vie. Un grand nombre,
restés en arriÚre, par peur, par hésitation, quelques
uns peut-ĂȘtre pour sauver leurs trĂ©sors, y pĂ©rissent et
restent enfouis sous la couche de cendres et de scories
qui recouvre toute la ville.
Immédiatement aprÚs l'éruption, on fit des travaux
pour en retirer des objets précieux, et, probablement
aussi, les cadavres d'un bon nombre de citoyens. Mais
beaucoup restĂšrent sous les dĂ©combres, car, de 18G1 Ă
1871 seulement, on a trouvé 87 squelettes humains.
Des éruptions subséquentes vinrent ensevelir plus
complĂštement la ville, et aujourd'hui, dans ses parties
non fouillées, Pompéï est recouverte de prÚs de trente
pieds de matiĂšres volcaniques.
Le souvenir du site de la ville Ă©tait disparu, lorsque,
dans le siÚcle dernier, un paysan découvrit par hasard
des bronzes et des statues. Charles HT, alors roi de
Naples, à qui la chose fut racontée, entreprit de nou-
velles fouilles, mais simplement pour se procurer des
objets précieux. On découvrit l'amphithéùtre, le thé-
â 52 â
Ăątre et d'antres Ă©difices. Mais on ne travaillait que
pour obtenir des objets de prix, de telle sorte qu'on
laissait tomber les murs en ruines ; ou mĂȘme, en faisant
de nouvelles fouilles, on comblait les anciennes.
11 y une vingtaine d'années un nouveau systÚme
fut adoptĂ©. M. Fiorelli, qui est Ă la tĂȘte de l'ad-
ministration, a fait prévaloir l'idée que le principal
intĂ©rĂȘt des fouilles Ă©tait PompĂ©ĂŻ mĂŽme ; qu'il fallait
surtout ressusciter une ville romaine, non seulement
avec ses palais et ses trésors, mais encore avec ses ma-
sures pour pouvoir y retracer la vie intime de ses habi-
tants, les classes pauvres, comme celles qui Ă©taient
douées sous le rapport de la fortune.
C'est dans cet esprit que les travaux se sont faits. L'on
a cammencé par étayer les murs chancelants, et l'on a
continué à déblayer les endroits non encore fouillés.
PrÚs d'une moitié de Pompéï est maintenant sortie
de ses cendres. Le Forum, la basilique, les temples,
le théùtre, les thermes, et les autres principaux édifices
de la ville ont peu Ă peu surgi des dĂ©combres, oĂč ils
Ă©taient ensevelis depuis des siĂšcles. C'est le quartier
riche. Aussi plusieurs archéologues ont-ils prétendu
qu'il Ă©tait Ă peu prĂšs inutile de continuer les fouilles.
Qu'y trouverez-vous, si ce n'est des masures? disaient-
ils. Ils oubliaient que le but des travaux n'Ă©tait plus
uniquement d'y trouver des objets d'art, mais encore
d'y reconstituer en quelque sorte une ville antique, et
de pouvoir y retracer la vie de ses habitants. Les
fouilles continuent, et les derniÚres découvertes ont
prouvé que M. Fiorelli avait raison.
* *
Pour vous faire part des résultats obtenus, il me
fnnt d'abord vous faire connaĂźtre la topographie d'une
ville romaine, et en particulier de Pompéï, avec ses
Ă©difices et ses constructions. Je pourrai alors vous
parler des arts de ce peuple, ainsi que de ses cultes
religieux. Dans l'antiquité, les Italiens lorsiju'ils
construisaient une ville, en formaient d'abord l'en-
ceinte ; puis ils traçaient deux lignes qui la traversaient,
l'une du nord au sud, l'autre de l'est Ă l'ouest.
I
â 53 â
La premiĂšre prenait le nom de cardo ; la seconde decu-
manus. C'est le plan qui fut suivi dans la construction
de Pompéï. Un mur entourait la ville qui communi-
quait avec les bourgs voisins par huit portes. Le
cardo et le decumanus sont encore visibles dans le plan
de Pompéï et nous font deviner, en quelque sorte, la
topographie de ce qui est encore enfoui sous les cen-
dres. Les autres rues viennent s'embrancher sur ces
premiÚres, et elles se coupent, en général, à angle droit.
Elles sont toutes trÚs-étroites, et bordées, la plupart,
d'un trottoir encore plus étroit. Elles sont pavées de
grands blocs de pierre, sur lesquels on voit encore les
orniÚres creusées par les chariots et les chevaux. De
disfance en distance, un cube de pierre est placé au
milieu de la rue pour permettre aux passants de tra
verser sans se mouiller en temps de pluie.
La place publique par excellence, à Pompéï comme
dans la capitale de l'empire, c'est le Forum; c'est lĂ
le lieu de rĂ©union oĂč se font les dĂ©libĂ©rations du peu-
ple ; c'est le centre de la cité. Le Forum sert à tous les
usages. C'est lĂ que le peuple Ă©tablit ses lois; c'est lĂ
qu'il choisit ses officiers. On y rend la justice le jour ;
on y vend toutes sortes de denrées ; on y transige toute?
espÚces d'affaires ; on s'y réunit le soir pour la prome-
nade.
Six rues aboutissent au Forum; des pierres dressées
à l'extrémité de ces rues rendent la place inaccessible
aux voitures. Le Forum est entouré d'un grand nombre
de piédestaux qui servaient de bases aux statues des
citoyens qui s'étaient distingués. Plusieurs de ces
piédestaux portent encore leurs inscriptions destinées
à perpétuer la mémoire d'un duumvir ou d'un censeur
de la ville. On y voit aussi les restes d'un arc de triom-
phe qui était surmonté, dit-on, d'une statue équestre de
NĂ©ron.
Comme c'est le lieu de rendez-vous des citoyens, et
que tout le monde y vient, c'est autour de cette place
que se trouve le plus grand nombre d'Ă©difices publics.
Ce sont : la Basilique oĂč s'administrait la justice ; le
temple de VĂ©nus; celui de Jupiter ; un autre qu'on
croit ĂȘtre un temple de Mercure ; un Ă©difice oĂč siĂ©gaient
les tribunaux inférieurs ; le temple d'Auguste; la salle
â 54 â
du SĂ©nat. Enfin un Ă©difice public connu sous le n-om
de Chalcidicum qui Ă©tait une espĂšce de bourse. Au
dessus de l'entrée latérale se lit l'inscription suivante :
Eumachia^ lucii fiUa^ sacerdos publica^ numine suo et
Numistn Frontonis fili^ Chalcidicum^ criptam porticus sua
pecufiia fecit^ eademquc dedicavit.
« La prĂȘtresse Eamachie. ta fille de Luclus, construisit
M ce Chalcidique Ă ses frais^ avec sa criple et son portique.))
Est-ce pour récompenser Eumachie de ce maL^uifique
don à la cité que les foulons de Pompéï lui élevÚrent
une statue dont l'inscription porte Eumachix L. F.
Sacerdoti puhlicĆ^ Fullones. Cette statue se trouvait
à l'intérieur mÎme du Chalcidique. Elle forme partie
maintenant du musée de Naples.
Outre ces édifices, Pompéï avait aussi son amphi-
théùtre. J'ai déjà eu occasion de parler précédemment
de la passion que les pompéiens avaient pour les amu-
sements qui s'y doiniaient. La j^randeur de la cons-
truction qui contenait 15 Ă 20,000 spectateurs en est
une autre preuve.
Mais les pompéiens ne se contentaient pas des com-
bats de gladiateurs et de bĂȘtes fĂ©roces; ils possĂ©daient
aussi dans leur ville, deux théùtres.
L'un d'eux, connu sous le nom de grand théùtre,
Ă©tait une vaste construction, assise sur le sol mĂȘme
d'une colline. Les gradins étaient posés sur le
versant du monticule de maniĂšre Ă Ă©conomiser les
frais de construction. Les degrés étaient places vis-à -
vis le golfe de Naples, et pendant la représeiitalion, les
spectateurs les plus élevés, avaient une vue magnifique
de la baie, et des cĂŽtes environnantes. En bas, le plus
prĂšs de la scĂšne se trouvait V orchestra, oĂč sur des
siĂšges de bronze, les principaux magistrats de la ville
assistaient à la représentation. Ce sont nos siÚges
d'orchestre. Puis, sur les premiers gradins, ima cavea
étaient d'autres places privilégiés pour l'aristocratie ;
le parterre chez nous. Enfin les gradins les plus
élevés, le paradis de nos théùtres modernes, étaient
destinés au peuple, à la plÚbe, de beaucoup la popu-
lation la plus nombreuse dans les villes de province
comme dans la capitale de l'empire romain. Chaque
classe de spectateurs possédait son entrée particuliÚre.
â 55 â
'^ne porte privée conduisait à une galerie spéciale
(-qu'on croit ĂȘtre celle des femmes. C'est lĂ que les
4ames de Pompéï assistaient au spectacle derriÚre une
grille de fer. Dans le principe, les femmes Ă©taient
exclues des représentations de l'amphithéùtre et de la
âąscĂšne. Ce ne fut qu'nu commencement de l'empire
^u'on leur permit d'assister au spectacle.
Les gradins du théùtre étaient en marbre de Paro?.
Ces gradins portaient des numĂ©ros correspondants Ă
chaque siÚge. Beaucoup de ces numéros sont encore
visibles. En en faisant le calcul, on estime que ce
théùtre était capable de recevoir 5000 spectateurs.
Ajoutez Ă cela les 1500 personnes que contenait le
petit théùtre, qu'on appelle communément F Oc/eon, et
les 20,000 spectateurs admis à l'amphithéùtre ; vous en
arrivez Ă la conclusion, que dans une petite ville de
province, qui avait une population de 30 Ă 40,000 Ăąmes
dl y avait place dans le théùtre et le cirque pour 26,500
personnes, -c'est-Ăą-dire presque FentiĂšre population
ayant l'ùge nécessaire pour assister au spectacle, et
^certainement beaucoup plus que la population des
hommes libres de la cité.
Les anciens ne connaissaient pas le théùtre à toiture
fixe. Les deux théùtres de Pompéï, de mÎme que
l'amphithéùtre, n'étaient pas couverts. Une immense
âąvoile, le velarium^ Ă©tait quelquefois Ă©tendue au-dessus
4es spectateurs, pour les protéger contre le soleil et
la pluie. Les murs extérieurs ont encore les anneaux
oij se mettaient les poutres destinés à soutenir le vp.la-
rium. C'Ă©taient les naults^ matelots, qui debout sur le
plus haut gradin de l'amphithéùtre, avaient charge
«de poser le velarium. On se demande encore par quel
prodige, celte immense toile Ă©tait ainsi Ă©tendue sans
support au centre, et comment elle pouvait rĂ©sister Ă
la pluie et au vent !
La scÚne est longue et étroite ; le fonds, jadis orné
âąde statues, a trois portes, comme l'exigeait la tragĂ©die
-antique.
Il me faut aussi mentionner le temple d'Isis entouré
âąd'un portique Ă colonnes. Au-dessus de l'autel et du
trépied sacré, était la statue de la divinité. Un escalier
iiecret permettait aux prĂȘtres de s'introduire derriĂšre
â 56 â
l'idole pour lui faire rendre des oracles. Plusieurs sque-
lettes de prĂȘtres ont Ă©tĂ© trouvĂ©s dans les dĂ©pendances
de ce temple. La mon a surpris l'un d'eux lorsqu'il Ă©tait
encore Ă table, et il vivait assez largement si l'on en
juge par le poisson, le poulet, le pain, les Ćufs, le vin
dont les restes furent trouvés auprÚs de lui. Son com-
pagnon d'infortune travailla plus fortement pour sauver
sa vie. Grùce à sa hache, il avait déjà réussi à percer
deux murs, mais il ne put aller plus loin; on le décou-
vrit au pied du troisiĂšme mur. Et la hache qu'il
tenait à la main fut trouvée à ses cÎtés.
C'est dans ce temple, que se passent plusieurs des
scĂšnes du fameux roman de Bulw^er Lytton Les der-
niers jours de Pompéï^ que tout le monde a lu, et qui
dépeint d'une maniÚre si palpitante la catastrophe de
la ville.
Les recherches ont amené au jour, plusieurs thcrnus
on maisons de bains. Les thermes jouaient un grand
rÎle dans l'antiquité. Les auteurs romains en font
mention assez souvent. On comprend facilement que,
dans un climat chaud,. comme celui de l'Italie méri-
dionale, les maisons de bains n'Ă©taient pas seulement
un luxe, mais une nécessité. Les hommes libres
fréquentaient les bains ; leurs esclaves devaient aussi
avoir les leurs; car c'Ă©tait lĂ un besoin pour conserver
la santé.
La maison de Pompéï différait beaucoup de la nÎtre.
Elle devait avoir plusieurs Ă©tages comme celle de nos
jours. On croit que les étages supérieurs étaient en
bois, et auraient éié incendiés dans la catastrophe qui
a détruit la ville car, dans les ruines,il n'y aqu'une seule
maison qui conserve encore son second Ă©tage. Je
ne compte pas celle de DiomÚde située -en debors-
de la cité, qui avec ses vastes caves, a sou rez-de-
chaussée, un entresol et un étage supérieur. Les nom-
breux escaliers que l'on voit dans les maisons de-
PompĂ©ĂŻ n'auraient pas leur raison d'ĂȘtre, si l'on n'admet
pas l'existence d'étages supérieurs.
Je viens de dire que nos habitations diißÚrent essen-
tiellement des maisons de Pompéï. Nos maisons sont
grandes, vastes, bien Ă©clairĂ©es par de larges fenĂȘtres
qui nous mettent en communication constante avix
--57 â
rextérienr et la rue. Au contraire, la maison pon?-
péïenne communique avec le reste de la ville par la
porte seulement. Toute la maison est éclairée par les
cours intérieures.
« Le maßtre du logis, dit Bossier, ne tient pas à voir
dans les rues; surtout, il ne veut pas que de la rue, on
regarde chez lui. Dans sa maison mĂŽme, il a des
divisions et des distinctions. La partie oĂč il accueille
les Ă©trangers n'est pas celle oĂč il se retire avec sa
famille. On ne pénÚtre pas aisément dans ce sanc-
tuaire qui est séparé du reste jjar des corridors, fermé
par des portes ou des tentures, et gardé par des con-
cierges. Le maßtre reçoit quand il veut ; il s'enferme
chez lui, quand il lui plait ; et si quelque client plus
ennuyeux, et plus tenace, l'attend Ă sa sortie, dans son
vestibule, il a une porte de derriĂšre posticum sur une
rue étroite qui lui permet de s'échapper.»
L'habitation pompéienne consiste en de petites cham-
bres trĂšs nombreuses, mais aussi trĂšs petites. La
chambre oĂč le maĂźtre se retire pour la nuit, celle oĂč
il fait sa sieste ne reçoivent de lumiÚre que par la
porte.
Presque toutes ces habitations sont remarquables par
une grande surcharge d'ornementation. Cette orne-
mentation consiste sui^out dans les peintures murales
et les statues.
AprÚs avoir ainsi examiné quelle était cette antique
cité, nouspotivons nous demander, quelle était la popu-
lation qui l'habitait, quelles Ă©taient les mĆurs de ce
peuple, son commerce, son industrie, et comment il
cultivait les arts ; enfui quels Ă©taient ses cultes reli-
gieux.
Comme à Rome, il y avait à Pompéï une aristocratie,
une bourgeoisie ou le peuple, la classe pauvre et enfin,
les esclaves. C'Ă©tait un endroit charmant, oĂč les riches
patriciens de Rome venaient passer les chaleurs de
l'été ; une place d'eau telle que la Malbaie, Cacouna el
Kainoui'aska, chez nous. Peut-ĂȘtre la jeunesse Ă©lĂ©-
gante de Rorne a-l-elle contribué à y amener le luxe
â 58 â
et la dissolution de mĆurs qui y rĂ©gnait. Mais il
ne faut pas oublier que Pompéï était située dans un
pays charmant oĂč tout porte Ă la sensualitĂ©, oĂč « l'Ă©clat
veioulé de la campagne, dit un auteur, la tiÚde tempé-
rature de l'air, les contours arrondis des montagnes,
les molles inflexions desfleuves et des valléessont autant
de séductions pour tous les sens que tout repose et
rien ne blesse. » Il faut donc dire que ces deux causes
ont dĂ» grandement amener cette dissolution de moeurs.
On doit se rappeler aussi que l'oisivité est mÚre de tous
les vices. La population pompéienne ne se plaisait
que dans le repos. Les riches qui avaient leur vie toute
gagnée, ne songeaient qu'à s'amuser ; et dans ce climat
enchanteur, la terre produisait presque spontanément
et tout portait Ă la nonchalance et Ă la paresse. Toute
la population devait donc s'en ressentir, comme on voit
un exemple de nos jours dans l'indolence prov.-rbiale
des napolitains. Et c'Ă©tait tellement le casque mĂȘme Ăą
cette époque on qualifiait déjà la ville de Naples de
fainéante otiosa Neapolis.
J'ai dit que les mĆurs Ă©taient dissolues; tout dans
la ville nous l'enseigne ; chaque maison avec ses célÚ-
bres peintures murales, ses statuettes, qui ne tendent
qu'Ă plaire aux sens; voilĂ des preuves suffisantes sans
que je sois forcé à venir dévoiler ici les abominations
que nous révÚle les chambres secrÚtes du musée de
Naples.
La vie des habitants de cette fameuse cité, nous est
en partie révélée par ce qu'on est convenu d'appeler
les graffiti. On appelle ainsi les différents écrits trouvés
dans les fouilles.
Il y a d'abord Iss inscriptions aux frontispices des
temples, ou sur le pied d'une statue, destinées à perpé-
tuer le souvenir d'un bienfaiteur de la cité. Mais je
désire vous parler plus particuliÚrement d'une autre
classe de graffiti. Ce sont les écrits crayonnés partout
sur les murs en noir ou en rouge, Ă l'aide d'un pinceau
ou d'une pointe de fer.
Ce sont en premier lieu, les avis publics ayant rap-
port au municipe, au gouvernement de la ville, les
annonces des théùtres, des jeux de l'arÚne. On ne peut
.aller loin dans Pompéï sans rencontrer des avis
â 59 â
Ă©lectoraux. Dans les petites villes de l'empire
romain, on caLalait, on faisait jouer toutes les inlluen-
ces pour obtenir le succĂšs d'une Ă©lection. Aussi la
ville est-elle remplie d'inscriptions par lesquelles, tel
patricien recommande son candidat Ă ses amis et Ă ses
clients. Le candidat lui-mĂȘme, connaissant le cĂŽtĂ©
faible de la population, promet des jeux et des gladia-
teurs. Chez nous, avec nos lois draconiennes, nous
dirions que c'est lĂ , une influence indue.
Puis viennent les annonces des boutiques et des
hĂŽteliers. Le maĂźtre d'une auberge invite les voya-
geurs Ă venir chez lui, en leur promettant un bon
dĂźner, et toutes espĂšces de conforts :
Omnia commoda prĆstantur.
Plus loin c'est le malheureux propriétaire d'une maison
vacante qui l'offre Ă loyer. C'est encore par ces
annonces qu'on réclame les objets volés : «Une urne
)) de vin a disparu de la boutique ; celui qui la rappor-
» tera aura 65 sesterces ; s'il amÚne le voleur, il aura
n droit au double. »
Enfin la derniÚre catégorie de ces graffiti comprend
toute inscription charbonnée ou marquée par une
pointe de fer ou un couteau par les oisifs et les passants.
Ces inscriptions sont trĂšs nombreuses, et traitent d'une
infinité de sujets. C'est quelquefois une simple
remarque faite par un passant, ou bien, c'est un extrait
de quelque poëte. L'amour est bien souvent l'objet de
ces inscriptions. C'est ainsi qu'un amant passionné
s'Ă©crie :
i4/i, peream^ sine te^ si deus esse velim.
u Que je meure, si jamais sans toi, je consentais Ă
devenir un dieu. » Un autre nous fait connaßtre le
teint de son amante :
Candida me docuit. nigras odisse puellas.
« La blancheur de ma fiancée me fait détester les
brunes. »
« Muletier, s'écrie un troisiÚme, si tu sentais les feux
de l'amour, tu te hĂąterais davantage pour retrouver ta
belle. Je t'en prie, presse le pas ; tu as assez bu ;
prends ton fouet et agite-le ; mÚne-moi vite à Pompéï
oĂč m'attendent mes chers amours. «
â 60 â
Enfin, voici un conj^Ă© formel qu'une certaine Vir-
gula donne Ă son ami Tertius : Virgula Tertio suo :
indecens es. «Tu es trop laid, Tertius. »
Il y a beaucoup de ces inscriptions qui sont emprun-
tĂ©es Ă des auteurs en renom, Ă Properce, Ă Virgile, Ă
Ovide surtout, l'auteur de l'Art d'aimer. Mais ce qui
est remarquable, c'est que l'on ue trouve pas une
seule citation d'Horace
Toutes ces inscriptions ne se rapportent pas Ă l'amour.
Ainsi c'est un gamin qui nous apprend que la mar-
chande de vins a toujours soif, ou qu'un nommé
Oppius est toujours en possession du bien d'autrui ;
maniĂšre indirecte de qualifier un ivrogne et un voleur.
Pompéï était une ville commerciale. Les auteurs
ont mentionné souvent son commerce maritime ; les
fruits, les vins et tous les produits de la mer, frulti
di mare, telles en Ă©taient les principales branches.
Le nombre extraordinaire des boutiques de la ville
indique qu'on y transigeait des affaires considé-
rables.
Mais l'indnstrie pompéienne était-elle prospÚre, et
quelles étaient les différentes branches d'industrie en
opération ? La réponse à cel'e question va nous faire
examiner le véritable état social des populatians
anciennes.
En parcourant les ruines de Pompéï et en examinant
les richesses du musée de Naples, ce qui doit frapper
l'observation du visiteur, c'est le progrĂšs Ă©tonnant de
certaines indnstries, comme le travail des métaux et des
objets d'art, à cÎté des moyens primitifs, et des mé-
thodes arriérées employées pour la fabrication de cer-
taines chosrs de premiÚre nécessité.
J'ai pnrlĂ© tout Ă l'heure de l'amour du bien-ĂȘtre et
du luxe de la population riche et aristocratique de la
ville. Eh bien, tout ce qu'il lui faut pour satisfaire
ses goûts de luxe est dans un état avancé de progrÚs.
Lés dames de Pompéï, semblables aux dames de nos
jours, aimaient les parures et les joyaux. Les orfĂšvres
de Pompéï étaient assez habiles poiu- leur fabrii|uer
des bagues, des bracelets, des colliers certainement
auFsi Ix^aux que ceux qui sortent de l'atelier de nos
meilleurs orfÚvres contemporains. Les bijoux trouvés
â 61 â
dans une boutique de Pompéï, et qui sont exposés au
musée de Naples, en sont la meilleure preuve.
Les habitants de Pompéï étaient sujets aux maladies
comme nous le sommes. Aussi les instruments de
chirurgie sont là pour faire foi de ce que leurs médecins
n'Ă©laient pas tout-Ă -fait des ignorants. Je crois mĂȘme
que nos chirurgiens modernes ont du recourir, il y
a quelques années, à un instrument découvert à Pom-
péï comme étant plus parfait, et meilleur que l'instru-
ment que nos pĂšres nous avaient transmis.
Une industrie qui était un besoin impérieu.x pour la
ville, c'est celle' des thermes ou bains publics. Nos
maisons de bains modernes ne sont guÚre supérieures
à celles de l'antiquité.
Un métier qui devait tenir une place trÚs-importante
dans l'industrie pompéïenne, c'était celle de foulons.
On sait que tous les citoyens romains revĂȘtaient la toge
Gens togata. Ce vĂȘtement qui devait ĂȘtre si Ă©lĂ©gant,
avait un grand défaut. Sa blancheur avait le désa-
vantage de se salir aisément. Alors on l'envoyait;
chez le foulon. On vient de mettre au jour à Pompéï
une nouvelle boutique de foulon. Cette boutique est
recouverte de peintures fort intéressantes, qui nous
font voir les difïerentes opérations du métier.
La toge, lorsqu'elle était apportée chez le foulon
était d'abord jetée dans une cuve pleine d'eau, conte-
nant en solution de la craie et d'autres ingrédients.
Elle était ensuite lavée, non pas à la main, mais le fou-
lon la foulait véritablement avec ses pieds, en exécu-
tant une sorte de danse à trois temps, appelée tvipudium.
C'Ă©tait lĂ une danse trĂšs populaire. Ce devait ĂȘtre
aussi de gais et joyeux compagnons que ces foulons si
on en juge par le nombre des peintures qui les repré-
sentent à Pompéï, parmi lesquelles, il ne faut pas
oublier celle des foulons en bonne humeur, fullones
feriati.
Telles Ă©taient quelques-unes des industries dans les-
quelles excellait ce peuple antique. Mais à cÎié de
ces métiers en vogue, il en existait d'autres qui n'avaient
pas fait un pas dans la voie du progrĂšs. C'Ă©tait lĂ la
pensée qui m'occupait en visitant le détail d'une bou-
langerie pompéïenne, sortie des fouilles depuis plusieurs
années.
-GĂą-
chez les anciens romains, le boulanger non aetile'
nnenl fabriquait le pain, mais il convertissait aussi le
grain en farine; il n'Ă©tait pas seulement boulanger,
mais il était aussi meunier. La boulangerie de Pompéï
contenait quatre moulins a bras. «Chaque moulin
consiste, dit Dupays, en deux pierres de lave; l'infé-
rieure solidement Ă©tablie sur le sol, conique et s'adap-
tantà un cÎne creusé dans la pierre supérieure ; celle-
ci, ayant la forme d'un sablier étranglé au milieu,
présente deux cavités opposées par leurs sommets." La
cavité supérieure était destiné à recevoir le grain, qui
passait de lĂ , entre les deux pierres oĂč il Ă©tait Ă©crasĂ©.
La pierre supérieure était percée de quatre trous des*
tinés à y placer des leviers au moyen desquels des
esclaves donnaient à la machine le mouvement néces-
saire pour Ă©craser le grain. Gomme on le voit, c'Ă©tait
lĂ , un moulin Ă farine bien primitif, et le voyageur est
surpris de voir cet art utile si arriéré, aprÚs avoir
admiré l'élégance des maisons de Pompéï, le luxe dis
meubles et des objets d^art. Et cependant il eut été si
facile de se servir du pouvoir moteur des vents qui
parcouraient le littoral de la Méditerranée; ou encore
d'utiliser le cours du Sarnus qui coulait Ă deux pas de
lĂ , aux iDortes mĂŽmes de la ville.
Mais non, pourvu que le pain fut fabriqué, peu
importait le mode. On ne s'est jamais donné la peine
de chercher une amélioration qui aurait allégé le travail
de la classe pauvre et des esclaves alors considérés
comme des bĂȘtes de somme. Le travail esclave devait
ĂȘtre dans l'antiquitĂ© le plus grand obstacle au. perfec-
tionnement d'un grand nombre de ces arts utiles.
Les gens riches se disputaient la possession des objets
d'art, mais ils ne s'intéressaient en rien à ce qui pouvait
améliorer la position de leurs esclaves. Il ne s'agis-
sait pas lĂ d'orner leurs jardins de statues, et leurs
murs de ces fresques dont les pompéiens paraissent si
friands, et dont je dois vous dire un mot.
Les peintures murales sont trÚs nombreuses à Pompéï.
Pre!?que toutes les maisons en possĂšdent plusieurs. Ces
peintures représentent en grande partie des sujets
mythologiques. Quelques uns reproduisent des paysa-
ges^ et des animaux, ou des tableaux de la vie réelle.
Ce sont Ces derniers que l'on regarde avec plus de
curiosité en parcourant Pompéi, car ils nous font con-
naĂźtre les mĆurs de ses habitants. Ce sont des foulons^
des marchands de poissons, ou encore des scĂšnes d'au-
berges, ou de l'amphithéùtre.
Les tableaux mythologiques qui sont de beaucoup
les plus nombreux et les mieux faits représentent prÚs*
que tous des histoires d'amour, Jupiter tĂąche de gagner
les bonnes grĂąces de LĂȘda, d'Io, ou de DanaĂ©. VĂ©nits
est dans les bras de Mars ; ou c'est le bel Adonis qui
est captivé par les charmes de la déesse.
On se demande si les peintres pompéiens ont réelle-'
ment inventé ces tableaux ou s'ils n'ont fait que repro-
duire des artistes qui alors Ă©taient connus. D'abord,
quant aux tableaux de la vie réelle, on est d'accord a
dire que les peintres de Pompéi n'ont fait que repro-
duire ce qui leur passait tous les jours sous les yeux.
Quant aux autres peintures qui forment prĂšs des
neuf-dixiĂšmes, les savants semblent croire, qu'en les
exécutant, les artistes de Pompéi n'ont fait que repro-
duire des maĂźtres grecs qu'ils nous font connaĂźtre
quelque peu.
La littérature que les pompéiens nous ont laissée se
rĂ©duit Ă peu de choses. A Herculanum, oĂč l'on a fait
trÚs peu de travaux, l'on a trouvé une bibliothÚque con-
sidérable, tandis qu'à Pompéi, l'on a rien découvert,
que les livres de compte du banquier Jucundus. Ces
documents n'ont été utiles qu'à ceux qui étudient le
droit romain. Pourtant, il devait y avoir des livres Ă
Pompéi, puisque l'on y a trouvé l'enseigne d'une
librairie qui était tenue par quatre associés, ainsi qu'une
ou deux maisons d'Ă©cole.
Il et^t probable que la cendre chaude qui a recouvert
Pompéi a dévoré le papyrus et fondu les tablettes
de cire, tandis que le torrent de boue qui a enseveli
Herculanum a tout conservé intact.
Mais, puisqu'on y possédait des librairies et des écoles^
on devait posséder plus que les livres de compte de
Jucundus. Quels Ă©taient les livres qui Ă©taient lus pai*
cette population ? Leur littérature devait ressembler
Ă leurs tableaux; l'amour devait en ĂȘtre le sujet le plus
ordinaire. Les nombreux extraits d'Ovide reproduit»
"Sur les murs en sont nne preuve, ainsi que d'autres
fragments, qui semblent empruntés à des auteui'sdont
les Ćuvres ne sont pas parvenues jusqu'Ă nous. Il semble
certain, que dans une ville d'eau, peuplée eu grande
partie par des joyeux viveurs, les auteurs sérieux n'aient
pas eu grande faveur.
La religion des pompéiens dont on a trouvé la prin*
cipale trace dans les temples et les peintures, semble
ĂȘtre un panthĂ©isme qui cherchait Ă dĂ©ifier tous les
vices, surtout ei on en juge par les peintures et les
sculptures de la ville. Non content des dieux de Rome
et de la GrÚce, on avait emprunté Isis aux Egyptiens ;
et peu Ă peu, la mythologie de tous les peuples conquis
par les légions romaines s'était implantée dans les
villes d'Italie, et en particulier Ă PompeĂŻ. Tous ces
dieux, toutes ces déesses, n'ont qu'une occupation.
Toutes leurs aventures ont trait Ă des histoires d'amour.
Et si ou lit les enseignements de ces dieux dans les
fres<|ues de Pompéï, on voit que cette prétendue reli-
gion n'était plus qu'une école d'immoralité, et une
apothéose de tous les vices.
Mais à cÎté de ces religions païennes la religion du
Christ commençait-elle à jeter ses fondements dans les
villes d(^ la Campanie ? Jusqu'à présent, on n'a pu
arriver Ă aucune preuve certaine de ce fait. Il reste
Ă fouiller une moitiĂ© de la ville, et peut-ĂȘtre dĂ©cou-
vrira-t-on quelque preuve palpable. Mais il est pro-
bable que le travail gigantesque des apĂŽtres avait
déj-fi jeté la bonne semence dans cette terre pleine
d'ivraie.
Saint Paul venait de faire le voyage de PouzzolesĂ
Rome en prĂȘchant le Dieu Inconnu. Il est donc pro-
bable que quelques chrétiens avaient déjà visité la
ville qui devait périr si subitement. Certainement
que le nom de la religion nouvelle n'y était pas ignoré
puisqu'on vient de trouver sur une muraille une ins-
cription faite au charbon oĂč l'on a lu le mot de chrĂ©-
tien, r/jr/s//fl7n<.s. Mais il ne doit pas ĂȘtre bien Ă©tonnant
?U(* l'on n'ait pas encore découvertde preuves positives,
l faut se rappeler que les chrétiens ne pouvaient pas,
Ă cette Ă©poque, aflirmer ouvertement leur religion
sans s'exposer à des persécutions trÚs cruelles, et (jue
â 65 â
les rites du nouveau culte ne pouvaient s'accomplir
qu'eu des lieux cachés et secrets. Si l'on prend en
considération ces faits, il ne parait pas aussi extraordi-
naire que l'on n'ait pas eu plus de succĂšs dans les re-
cherches faites jusqu'à présent. Il ne faut pas surtout
s*en Ă©tonner, si l'on considĂšre que les fouilles du Mont
Palatin Ă Rome, oĂč il y a eu certainement un grand
nombre de chrétiens, n'ont pas été plus heureuses.
Quoique le christianisme ait pénétré de bonne heure
dans le palais des CĂ©sars, le seul souvenir qui en reste
est la fameuse caricature conservée au musée Kircher.
Elle représente une croix sur laquelle est étendu un
homme Ă tĂȘte d'Ăąne. Un autre personnage se tient au
dessous les mains levées vers la croix. L'inscription
qui est en grec, nous dit que c'est AlexamĂȘne qui adore
son Dieu. C'est donc un blasphÚme dirigé contre un
chrĂ©tien. AlexamĂȘne supporta l'affront avec courage^
et les rires et les sarcasmes de ses compagnons ne lui
firent pas renier sa foi, puisqu'on a trouvé une ins-
cription qui nous dit qu'il demeura fidĂšle : Alexamenos
fidelis.
Quels ont du ĂȘtre les sentiments de terreur et d'effroi
de toute cette population si légÚre, lorsque le Vésuve
a commencĂ© sa grande Ćuvre de destruction ?
Seize ans auparavant, le dangereux cratĂšre avait dĂ©jĂ
montré sa puissance aux populations de la Campanie.
Une grande partie de PompĂ©ĂŻ mĂȘme, avait Ă©tĂ© dĂ©truite.
Les murs s'étaient écroulés, à la suite de tremblements
de terre, et les projectiles enflammés qu'avait lancés le
volcan avaient incendié une partie de la ville. Aussi,
lorsque la terrible éruption de l'an 79 commença, la
population devait connaĂźtre les dangers affreux qui la
menaçaient.
C'était le vingt-troisiÚme jour d'août. Vers une
heure de l'aprĂšs-midi, il s'Ă©leva au-dessus du VĂ©suve
un nuage d'une grandeur extraordinaire. Tel un
pin géant dont le corps, dénué de branches, s'é-
lance Ă une grande hauteur, et dont la cime s'Ă©tend
comme un immense parasol: «On aurait dit, lit-on dans
Pline le Jeune, qu'un vent souterrain le poussait avec
force, et le soutenait ensuite dans les régions éthérées,
mais, soit que l'impulsion diminuĂąt peu Ă peu, soit que
5
â 66 â
ce nuage fut affaissé par son propre poids, on le voyait
se dilater, et se répandre. Il paraissait tantÎt blanc,
tantĂŽt noirĂątre, et tantĂŽt de diverses couleurs selon
qu'il était plus chargé de cendres ou de terre. »
Pendant plusieurs jours un tremblement de terre
s'Ă©tait fait sentir, mais cette aprĂšs midi, il redoubla de
violence, et Ton eĂ»t dit que tout allait ĂȘtre englouti.
Quelle nuit terrible dut succéder à cette aprÚs-midi
pleine d'eftroi. Partout tombait une cendre Ă©paisse et
chaude, des pierres calcinées, des cailloux tout noirs,
tout brûlés, tout pulvérisés par la violence du feu.
« La mer, dit Pline le Jeune, battue par un ouragan qui
venait du large semblait refluer sur elle-mĂȘme. On
aurait dit qu'elle était comme chassée du rivage par
l'Ă©branlement de la terre. La plage Ă©tait devenue pJus
spacieuse, et était couverte de poissons demeurés à sec
sur le sable. Une nuée noire et horrible, crevée par
des feux qui s'Ă©lan(^'aient en serpentant, s'ouvrait et
laissait échapper de longues fusées semblables à des
éclairs. »
Ajoutez Ă cela la lueur des incendies, les cris des
parents, des amis se cherchant dans l'obscurité, les
plaintes et les pleurs des blessés et des mourants, et
l'on peut se faire une faible idée de cette terrible nuit
qui devait se prolonger prĂšs de trois fois vingt-quatre
heures.
Le peuple s'enfuit par la campagne, car il Ă©tait impos-
sible de s'aventurer sur la mer en fureur. C'eût été
tomber de Charybde en Scylla. Ils sortent donc de la
ville, la tĂšte couverte d'oreillers et de coussins pour se
proléger contre les projectiles qui tombent de tous
cÎtés. Mais tous ne prennent pas la fuite. Quelques-
uns sont terrifiés par la peur, et ne font i)robablement
aucun effort pour Ă©chapper Ă leur malheureux sort.
D'autres, se croyant en sûreté dans leurs caves, y restent
dans l'espoir que l'Ă©ruption aura une Gn, et qu'ils pour-
ront quitter leurs refuges. Malheureusement les cendres
et les autres matiĂšres volcaniques s'amoncelaient de
plus en plus jusqu'Ă ce qu'il leur fut impossible de
prendre la fuite. Ce fut le cas pour les dix- sept per-
sonnes dont les cadavres furent trouvés dans Its cel-
liers de DiomÚde. Ils s'y étaient réfugiés avec des
â 67 â
amphores de vin et des provisions qu'ils ne purent
terminer et dont les restes forment maintenant partie
"du musée de Naples.
D'autres encore, moins honnĂȘtes, voyant tout Ă l'a-
bandon et sans maĂźtres, entrĂšrent chez les riches et
dans les temples et s'y gorgĂšrent de vins pour noyer leur
frayeur. Tels les deux mauvais prĂȘtres trouvĂ©s dans le
temple d'Isis, et dont j'ai parlé ci-dessus.
Enfin d'aucuns périrent dans leur fuite, comme ces
deux personnages que l'on trouva cĂ la porte de leur
jardin, l'un tenant une clef, et l'autre ayant prĂšs de
lui une centaine de piÚces d'or et des vases précieux.
Mais quels ont du ĂȘtre les sentiments de terreur et
de désespoir des pauvres prisonniers enchaßnés dans
les cachots de la Basilique, abandonnés à leur triste
sort par les geĂŽliers qui cherchĂšrent leur salut dans
une fuite Ă©goĂŻste.
On a voulu faire un rapprochement entre la conduite
de ces derniers et celle de la prétendue sentinelle qui
périt plutÎt que d'abandonner son poste. C'est la re-
marque que me faisait un compagnon de voyage qui
parcourait avec moi la Voie des Tombeaux, et exami-
nait la fameuse guĂ©rite oĂč fut trouvĂ© le squelette en
question ; et il ajoutait que c'Ă©tait lĂ le seul trait mo-
ral qu'il pouvait trouver dans tout Pompéï. Malheu-
reusement la prétendue guérite n'est qu'un tombeau
romain et la sentinelle est probablement un fuyard
harassé de fatigue qui s'y serait réfugié et y aurait
trouvé la mort.
Mais suivons le peuple en fuite et écoutons le récit
que nous en a laissé un témoin oculaire. C'est un ha-
bitant d'une ville voisine qui parle.
« Nous prenons le parti, dit-il, de quitter la ville ;
le peuple épouvanté nous suit en foule, nous presse,
nous pousse : Ă peine Ă©tions-nous arrĂȘtĂ©s dans la cam-
pagne, que là , nous sommes témoins de nouveaux pro-
diges et essuyons de nouvelles frayeurs. Les voitures
que nous avions amenées avec nous, étaient à tout
moment si agitées qu'on ne pouvait mÎme en les ap-
puyant avec de grosses pierres, les arrĂȘter en une place.
Une nue noire et horrible tombe Ă terre et couvre les
mers. La pluie de cendres continue toujours de plus
â 68 â
en plus forte. Je tourne la tĂȘte et j'aperçois derriĂšre*
nous une épaisse fumée qui nous suivait, en se répan-
dant sur la terre comme un torrent. Vous n'eussiez;
entendu que plaintes de femmes, que gémissements
d'enfants, que cris d'hommes. L'un appelait son pĂšre;
l'autre son fils ; l'autre sa femme; ils ne se reconnais-
saient qu'à la voix. Celui-là déplorait son malheur;
celui-ci le sort de ses proches, il s'en trouvait Ă
qui la crainte de la mort faisait invoquer la mort
mĂȘme. Plusieurs imploraient les dieux ; et plusieurs
croyaient qu'il n'y en avait plus, et comptaient que
cette nuit Ă©tait la derniĂšre et l'Ă©ternelle nuit dans la-
quelle le monde devait ĂȘtre enseveli. Il parut une
lueur qui nous annonçait non le retour du jour, mais
l'approche du feu qui nous menaçait. L'obscurité"
revint, et la pluie de cendres recommença plus forte
et plus épaisse. Nous étions réduits à nous lever de
temps en temps pour secouer nos habits car sans cela^
elle nous eut accablés et engloutis
Et l'Ă©crivain continue :
« Enfin cette épaisse et noire vapeur se dissipa peu à ^
peu, et se perdit tout-à -fait comme une fumée. BientÎt
aprĂšs parut le jour et le soleil, mais jaunĂątre et tel
qu'il a coutume de luire dans une Ă©clipse. Tout se
montrait changé à nos yeux troublés encore, et nous
ne trouvions rien qui ne fut caché sous des monceaux
de cendres.»
Tel est le récit que nous a laissé un écrivain de-
l'Ă©poque.
Lorsque le soleil se leva pour la troisiĂšme fois depuis
le commencement de cotte terrible Ă©ruption, la nature
avait repris son Ă©tat normal. Seul le trem"blemenl de
terre continuait sourdement, et le Vésuve lançait
encore dans les airs son panache de fumée, menace
constante pour le pays d'alentour. Les trois villes de
Pompéï d'Herculanum et de Stables, n'étaieni plue
qu'iwie ruine enfouie sous les cendres.
§-4
NOTICE
Sur Mademoiselle de VEROHĂRES
Marie Magdeleine de VerchÚres est née en 1678. Son
acte de baptĂȘme est datĂ© Ă Sorel le 17 Avril. Son pĂšre,
François de Jarret, Sieur de VerchÚres, officier du régi-
ment de Garignan, avait épousé en 1669 Marie Perrot
dit Viidaigre. Décidé à s'établir dans la Nouvelle
France, il se fit concéder la seigneurie de VerchÚres par
iĂŻntendant Talon, le 29 octobre 1672. Plus tard les
nombreux services de M. de VerchÚres reçurent une
nouvelle récompense. Le comte de Frontenac fit une
autre concession en sa faveur, « d'une lieue d'augmen-
tation dans la profondeur de sa seigneurie pour ĂȘtre
unie et jointe à cette derniÚre. » (l)
A cette Ă©poque dans la plupart des seigneuries, on
construisait des espÚces de forts ou camps retranchés
pour se garantirdes attaques des Iroquois. A la premiĂšre
alarme les habitants pouvaient s'y réfugier et s'y
défendre avec avantage. M. de VerchÚres suivit
cette coutume. Sa seigneurie était une des plus exposés
aux incursions des sauvages. Elle était située entre le
St. Laurent et la RiviĂšre des Iroquois, et cette der-
niĂšre Ă©tait le chemin que suivait cette nation guerriĂšre
pour descendre dans la colonie française. Bien plus.
,.(1) Registre d'Intendance No. 1, folio 23 ; No. let. E, folio 4.
â vo-
le roi de France avait voulu fermer ce passage ans
Iroqiiois en construisant le fort Richelieu Ă l'embou-
chure de la riviÚre. Les Iroquois devaient en consé-
quence Ă©viter Sorel et se replier sur les seigneuries de
VerchĂšres, de ContrecĆur, et de St-Ours.
Mais il ne faut pas croire que le fort de VerchĂšre&
fut une citadelle bien ledoutable. Charlevoix nous
fournit des renseignements sur ces forts. « On y entrete-
nait nuit et jour, dit-il, un ou deux fonctionnaires, et
tous avaient quelques piĂšces de campagne, ou tout au
moins quelques pierriers, tant pour Ă©carter Tennemi^
que pour avertir les habitants d'ĂȘtre sur leurs gardes,
ou pour demander des secours» Ces forts n'étaient que
de grands enclos fermés de palissades avec quelques
redoutes : l'Eglise et la maison du seigneur y Ă©taient
renfermées, et il y avait encore assez d^espace pour y
retirer en cas de besoin, les femmes, les enfants et les
bestiaux. C'en Ă©tait assez pour se mettre hors d'insulte.u
En 1690, Madame de VerchĂšres eut Ă subir un siĂšge
de la part des Iroquois, les continuels ennemis de la
Nouvelle France. Sa bravoure et son sang froid furent
tels que, quoique seule, elle réussit à faire retirer les
assiégeants.
« L'espérance que les assiégeants avaient conçue,, dit
Charlevoix, d'avoir bon maiché d'une place, qu'ils sa-
vaieiU ĂȘtre dĂ©garnie d'hommes, les fit retourner plu-
sieurs fois Ă la charge, mais la dame les Ă©carta toujours.
Elle se battitde la sorte pendant deux jours, avec une bra-
voure et une présence d'esprit, qui auraient fait honneur
Ă un vieux guerrier, et elle contraignit enfin l'ennemi de
se retirer, de peur d'ĂȘtre coupĂ©, bien honteux d'ĂȘtre
obligé de fuir devant une femme.»
Deux ans j)lus tard, ce fut au tour de mademoiselle
de VerchĂšres de s'illustrer. Presque seule, avec ses
deux frÚres, elle sut résister pendant huit jours aux
Iroquois qui Ă©taient revenus Ă la charge. Ce fait eut un
grand retentissement dans la colonie, et mérita à son
auteur, le litre d'héroïne de VerchÚres, titre qu'elle
devait si bien mériter. Il est rapporté au long dans
le récit de mademoiselle de VerchÚres.
On attribue à noire héroïne plusieurs autres exploits»
glorieux.
â Tl â
« Un nouveau trait de courage, écrit M. l'abbé Daniel
(1), en achevant de lui gagner tous les cĆurs, confirma
la bonne opinion qu'on avait conçue de son mérite.
M. de la PĂ©rade Ă©tait Ă la poursuite des Iroquois aux
environs de la riviĂšre Richelieu, d'autres disent
de la riviĂšre Ste-Anne. Tout Ă coup une multi-
tude de ces barbares qui jusque-lĂ s'Ă©taient tenus
cachés dans les broussailles, se précipite sur lui, au
moment oĂč il s'y attendait le moins. Il est sur le point
d'ĂȘtre saisi. Mademoiselle de VerchĂšres voit le danger.
AussitĂŽt s'armant d'un mousquet, elle vole Ă son se-
cours, et, aidée de quelques hommes, elle parvient à le
dégager et à mettre les Iroquois en fuite. C'est alors
qu'elle devint Ă son tour, la conquĂȘte de celui dont
elle avait sauvé les jours.»
En effet, elle Ă©pousa en 1706 Pierre Thomas Tarieu
de LanaudiĂšre, sieur de la PĂ©rade.
Un manuscrit, la propriété de l'honorable Georges
Baby,juge de la Cour du Banc de la Reine, rapporte une
autre circonstance dans laquelle cette femme héroïque
sauva la vie de son mari.
C'Ă©tait au manoir de Ste-Anne de la PĂ©rade, long-
temps aprĂšs son mariage. M de la PĂ©rade Ă©tait devenu
vieux et malade. Il Ă©tait Ă©tendu dans son lit, incapable
de tout mouvement.
Les Iroquois pensant qu'il est temps d'assouvir leur
vengeance si longtemps concertée, s'approchent du
manoir, et trouvant la porte barricadée, ils crient de-
mandant à voir M. de la Pérade. Notre héroïne leur
répond dans leur idiome que son mari est occupé, et
qu'ils ne peuvent le voir. Leur insolence s'accroit,
lorsqu'ils voient qu'ils ont affaire Ă une femme seule.
Ils commandent qu'on ouvre sans délai. Mais madame
de la Pérade sait trop bien le sort qui lui est destiné,
Ă elle et Ă son pauvre mari, pour se laisser intimider.
Vainement s'attaquent-ils Ă la porte. Le manoir
Ă©tait construit comme on les construisait alors ; la
porte était capable de résistera des assauts de ce genre.
Ils veulent alors escalader une fenĂȘtre, aprĂšs avoir
lancé une volée de balles qui vont se loger dans les
(1) Uistoire des graaden familles françaises du Janada p. 519.
â 74 â
Vierge sainte, mĂšre de mon Dieu, vous savez que je
vous ai toujours honorée et aimée comme ma chÚre
mĂšre, ne m'abandonnez pas dans le danger oĂč je me
trouve; j'aime mille fois mieux périr que de tomber
entre les mains d'une nation qui ne vous connaĂźt pas.
Cependant les Iroquois qui me poursuivaient^ se voyant
trop éloignés de moi pour me prendre en vie aupara-
vant que je pusse entrer dans le fort, et se sentant
assez proches pour me tuer Ă coups de fusil, s'arrĂȘtĂšrent
pour faire leur décharge sur moi. Je l'essuyai pendant
longlems, ou du moins elle m'ennuya fort. Les
balles de 45 fusils qui me sifflaient aux oreilles mo
faisaient paraĂźtre le tems bien longetl'Ă©loignement du
fort bien considérable, quoique j'en fusse bien proche.
Etant à portée de m'entendre, je criai aux armes,
aux armes! espérant que quelqu'un sortirait pour venir
me secourir, mais en vain. Il n'y avait dans le fort que
deux soldats qui, saisis de frayeur, s'étaient retirés
dans la redoute pour se cacher. Enfin, arrivée à la
porte, je trouvai deux femmes qui pleuraient leurs
maris qui venaient d'ĂȘtre tuĂ©s. Je les lis entrer malgrĂ©
elles dans le fort dont je fermai moi-mĂȘme les portes (1.)
alors je pensai Ă me mettre moi et le petit nombre de
personnes qui m'accompagnaient Ă couvert des insultes
des Barbares ; je lis la visite du fort, je trouvai plusieurs
pieux tombĂ©s, qui faisaient des brĂšches par oĂč il Ă©tait
facile aux ennemis d'entrer. Je donnai mes ordres pour
les faire relever et sans avoir Ă©gard Ăź\ mon sexe ni Ă la
faiblesse de mon Ăąge, je prenais un pieu par un bout
en encoui'ageant les personnes qui Ă©taient avec moi
Ă le relever, j'Ă©prouvai quand Dieu donne des forces,
il n'y a rien d'impossible. Les brÚches du fort réparées,
je m'en allai Ă la redoute qui servait de corps de garde
oĂč Ă©taient les munitions de guerre. J'y trouvai les
(1) " Les sauvages la poursuivirent, dit le PĂšre do Charicvoix, et l'un
d'eux la joignit dans le temps qu'elle mettait le pied sur la porte, mais
Tayaut saisie par un mouchoir qu'elle avait au ool, elle lo détacha, et ferma
la porto sur elle "
" Il y en eut un autre, dit la Potherie, qui la poursuivit jusqucs h l'entrée
du fort oĂźj il crut l'avoir arrĂȘtĂ© par son mouchoir de col qui lui resta dans
les mains. Elle conserva assez de présence d'esprit pour fermer la porte
du fort sur l'Iroquois qui n'osa risquer d'y entrer Ă cause du bruit qu'il
y entendait."
â 75 â
deux soldais, Pim caché, l'autre qui tenait une mÚche
allumée; je demandai à celui-ci: que voulez-vous
faire de cette mĂšche ? C'est pour mettre le feu aux
poudres, me rĂ©pondit-il, pour nous faire sauter. â Vous
ĂȘtes un malheureux, lui repartis-je â Retirez-vous, je
vous le commande; je lui parlai d'un ton si ferme et
si assuré qu'il m'obéit sur le champ. Je jetai ma coiffe,
j'arborai un chapeau, et prenant un fusil, je dis Ă mes
deux jeunes frÚres (l) : « Battons-nous jusqu'à la mort,
nous combattons pour notre patrie et pour la religion.'
Souvenez- vous des leçons que mon pÚre vous a si sou-
vent données, que des gentilshommes ne sont nés que
pour verser leur sang pour le service de Dieu et du Roi.
Mes frÚres et les soldats, animés par mes paroles, firent
un feu continuel sur l'ennemi. Je fis tirer le canon (2)
non seulement pour effrayer les Iroquois en leur faisant
voir que nous étions en état de nous bien défendre,
ayant du canon, mais encore pour avertir nos soldats,
qui Ă©taient Ă la chasse, de se sauver dans quelque autre
fort.
Mais que n'a-t-on pas à souffrir dans ces extrémités !
Malgré le bruit de notre artillerie, j'entendais les cris
lamentables des femmes et des enfans qui venaient de
perdre leurs maris, leurs frĂšres et leurs pĂšres, je crus
qu'il Ă©tait de la prudence, pendant que l'on faisait feu
sur l'ennemi, de représenter à ces femmes désolées et
Ă ces enfans, le danger d'ĂȘtre entendus de l'ennemi,
malgré le bruit des fusils et du canon, je leur ordonnai
de se taire afin de ne pas donner lieu de croire que
nous étions sans ressources et sans espérances (3).
Pendant que je leur parlai de la sorte, j'aperçus un
canot sur la RiviĂšre vis-Ă -vis du fort: c'Ă©tait le Sieur
Pierre Fontaine (4) avec sa famille qui venait débar-
(1) Probablement Louis de VerchĂšres qui avait juste douze ans Ă cette
Ă©poque, et Alexandre de VerchĂšres Ăągd de dix ans et demie. Comme on le
Terra plus loin, mademoiselle de VerchÚres dit qu'ils étaient ùgés de douze
ans.
(2) " Elle chargea elle-mĂȘme, dit do la Potherio, un canon do huit
livres de balles, s'Ă©tant servi d'une serviette pour tampon, qu'elle tira
sur eux. Ce coup les Ă©pouvanta do frayeur et en mĂŽme temps fit un signal
Ă tous les forts nord et sud du fleuve. "
(.S) Charlevoix rapporte qu'elle renferma toutes ces femmes sous clefs.
(4) Ce Pierre Fontaine doit ĂȘtre Pierre Fontaine dit Bienvenu, do
Varennes, marié à la veuve d'Audré Jarret, Marguerite Anthiaume^
â 76 â
quer dans l'endroit oĂč je venais d'ĂȘtre manqnĂ©e par les
Iroqiiois, qui y paraissaient encore Ă droite et Ă gauche.
Cette famille allait ĂȘtre dĂ©faite, si on ne lui eĂ»t donnĂ©
un i)romj)t secours. Je demandai aux deux soldats s'ils
voulaient aller au devant de cette famille pour lui
favoriser le débarquement qui était à cinq arpens du
fort; leur silence me fit connaßtre leur peu de résolu-
tion. Je commandai Ă la Violette, notre domestique,
de faire sentinelle Ă la porte du fort et de la tenir
ouverte pendant que j'irais moi-mĂŽme au bord de la
RiviĂšre, le fu.>il Ă la main et le chapeau sur la tĂšte.
J'ordonnai en partant que si nousétions tués, l'on fermùt
la porte du fort et que l'on continuĂąt toujours Ă se bien
défendre. Je partis dans la pensée que Dieu m'avait
inspirée, que les ennemis qui étaient en présence croi-
raient que c'Ă©tait une feinte que je faisais pour les
engager de venir au fort, d'oĂč l'on ferait une vive sor-
tie sur eux. Ils le crurent effectivement, et ainsi j'eus
lieu de sauver ce pauvre Pierre Fontaine, sa femme et
ses en fan s. Etant tous débarqués, je les fis marcher
devant moi jusqu'au fort Ă la vue de l'ennemi. Une
contenance si fiĂšre fit croire aux Iroquois qu'il y avait
plus Ă craindre pour eux que pour nous. Ils ne scavaient
pas qu'il n'y avait dans le fort de VerchĂšres que mes
deux jeunes frÚres, ùgés de 12 ans, noire domesli(]ue,
deux soldats et un vieillard ùgé de 80 ans avec quelques
femmes et quelques enfans.
Fortifiée de la nouvelle recrue que me donna le
canot de Pierre Fontaine, je commandai que l'on con-
tinuĂąt Ă faire feu sur l'ennemi. Cependant le soleil se
couche ; un nord-est impétueux, qui fut bientÎt accom-
pagnĂ© de neige et de grĂȘle, nous annonça la nuit la
plus aifreuse qui se puisse imaginer. Les ennemis,
toujours en présence, bien loin de se rébuter d'un
tems si fĂącheux me firent juger par leurs mouvemens
qu'ils voulaient escalader le fort Ă la faveur des
ténÚbres. J'assemble toutes mes troupes, c'est-à -dire
six personnes auxquelles je parlai ainsi : '' Dieu nousa
sauves aujourd'hui des mains de nos ennemis, mais il
faut prendre garde de ne pas tomber cette nuit dans
leurs filets. Pour moi, je veux vous faire voir que je n'ai
point de peur; je prends le fort pour mon partage, avec
_77-
tin homme ùgé de 80 ans et un soldat qui n*a jamais
tiré un coup de fusil ; et vous, Pierre Fontaine, La
BontĂ© et Gachet (noms des deux soldats), vous irez Ă
la redoute avec les femmes et les en fans, comme Ă©tant
l'endroit le plus fort; si je suis prise, ne vous rendes
jamais, quand mÎme je serais brûlée et hachée en
piĂšces Ă vos yeux ; vous ne devez rien craindre dans
cette redoute, pour peu que vous combattiez.
A l'instant je place mes deux jeunes frĂšres sur deux
bastions, le jeune homme de 80 ans sur le troisiĂšme
et moi je pris le quatriĂšme. Chacun fit bien son person-
nage. Malgré le sifflement de nord-est qui est un vent
terrible en Canada dans cette saison, malgré la neige
et la grĂȘle, Ton entendait a tout moment: Bon quart,
de la redoute au fort, et du fort a la redoute, bon quart.
On aurait cru Ă nous entendre que le fort Ă©tait rempli
d'hommes de guerre. Aussi les Iroquois, gens d'ail-
leurs si rusés et si belliqueux, y furent-ils trompés,
comme ils l'avouĂšrent dans la suite Ă M. de CalliĂšres Ă
qui ils déclarÚrent qu'ils avaient pris conseil pour
prendre le fort pendant la nuit, mais que la garde que
l'on y faisait sans relĂąche les avait empĂȘchĂ©s d'exĂ©cuter
leur dessein, surtout ayant déjà perdu du monde par
le feu que mes deux jeunes frĂšres et moi avions fait
sur eux le jour précédent.
Environ une heure aprĂšs minuit, la sentinelle du
Bastion de la porte cria : Mademoiselle, j'entends
quelque chose. Je marche vers lui pour découvrir ce
que c'était : j'aperçus au travers des ténÚbres et à la
faveur de la neige quelques bĂȘtes Ă cornes, tristes restes
de nos ennemis: l'on me dit, il faut ouvrir la porte
pour les faire entrer. A Dieu ne plaise, repartis-je, vous
ne connaissez pas encore tous les artifices des Sauvages :
ils marchent sans doute aprĂšs ces bestiaux couverts de
peaux de bĂȘtes pour entrer dans le fort, si nous sommes
assez indiscrets pour en ouvrir la porte. Je craignais
tout d'un ennemi aussi fin et aussi rusé que l'iroquois.
Cependant aprĂšs avoir pris toutes les mesures que
demande la prudence dans ces circonstances, je jugeai
qu'il n'y avait point de risque Ă ouvrir la porte. Je
fis vf-nir mes deux frÚres avec leurs fusils bandés eu
cas de surprise, et ainsi nous usines entrer ces bestiaux
dans le fort*
â 78 â
Enfin le jour parut, et le soleil en dissipant les ténÚ'
brcs db la nuit, sembla dissiper noire chagrin et noĂŽ
inquiétudes. Je parus au milieu de mes soldats avec
un visage gai, en leur disant: Puisqu'avec le secours
du ciel nous avons bien passé la nuit, toute affreuse
qu'elle a été, nous en pourrons bien passer d'autres en
continuant notre bonne garde et faisant tirer le canon
d'heure en heure, pour avoir du secours de Montréal,
qui n'est éloigné que de huit lieues. Je m'aperçus
que mon discours avait fait une pression sur les esprits.
Il n'y eut que Mademoiselle Marguerite Antiome,
femme du Sieur Pierre Fontaine, qui extrĂȘmement peu-
reuse, comme il est naturel Ă toutes les femmes Pari-
siennes de nation (1), demanda Ă son mari de la
conduire dans un autre fort, lui représentant que si
elle avait été assez heureuse pour échapper la premiÚre
nuit Ă la fureur des Sauvages, elle ne devait pas s'atten-
dre au mĂȘme bonheur la nuit suivante; que le fort de
VerchĂšres ne valait rien, qu'il n'y avait point d'hommes
pour le garder, et que d'y demeurer c'Ă©tait s'exposer Ă un
danger Ă©vident ou de tomber dans un esclavage per-
pétuel ou de mourir à petit feu. Le pauvre mari, voyant
que sa femme persistait dans sa demande et qu'elle
voulait se retirer au fort de ContrecĆur, Ă©loignĂ© de
trois lieues de celui de VerchÚres, lui dit : « Je vas vous
armer un canot d'une bonne voile avec vos deux
enfans qui savent bien canoter. Pour moi je n'aban-
donnerai jamais le fort de VerchĂšres, tant que Made-
moiselle Magdelon y sera (c'est ainsi que l'on m'ap-
pelait dans mon enfance). Je lui fis réponse que je
n'abandonnerais jamais le fort, que j'aimais mieux
périr que le livrer aux ennemis ; qu'il était d'une con-
séquence infinie qu'ils n'entrassent dans aucun fort
français, qu'ils jugeraient des autres par celui-ci, s'ils
s'en emparaient et qu'une pareille connaissance ne
pourrait servir qu'à augmenter leur fierté et leur cou-
rage. (2)
(1) En effet la femme de Pierre Fontaine <5tait parisienne, fille de Michel
Anthiaumc, exempt du grand prévost de l'IIotol do Paris.
(2) " Je ne sache pas, dit Cliarlcvoix, que les Iroquois aient janinis prié
aucun de ces forts. Us se sont mĂȘme rarement arrĂȘtĂ©s Ăźl les tenir bloqué»,
|)lu8 rarement encore les ont-ils attaqués à force ouverte. L'un cet trop
-79 â
Je puis dire avec vérité que je fus deux fois vingt
quatre heures sans dormir ni manger, je n'entrai pas
une seule fois dans la maison de mon pĂšre, je me
tenais sur le bastion ou j'allais voir de quelle maniĂšre
l'on se comportait dans la redoute : je paraissais tou-
jours avec un air riant et gai ; j'encourageai ma petite
troupe par l'espérance que je leur donnais d'un prompt
secours.
Le huitiÚme jonr (car nous fûmes huit jours dans
de continuelles alarmes, toujours Ă la vue de nos enne-
mis et exposés à leur fureur et à leur barbarie), le
huitiĂšme jour, dis-je, M. de la Meunerie, lieutenant
détaché de M. de CalliÚres, arriva la nuit avec 40
hommes, ne sachant point si le fort Ă©tait pris (I). Il
faisait son approche en grand silence ] une de nos sen-
tinelles entendant quelque bruit cria : qui vive ! J'Ă©tois
pour lors assoupie, la tĂȘte sur une table, mon fusil de
travers dans mes bras. La sentinelle me dit qu'elle en-
tendait parler sur l'eau ; sans perdre de tems je montai
sur le bastion pour reconnaĂźtre Ă la voix si c'Ă©taient
Sauvages ou Français. Je leur demandai : qui etes-
vous? Ils me répondirent : Français. C'est la Monnerie
qui vient vous donner du secours. Je fis ouvrir la
porte du fort, j'y plaçai une sentinelle et je m'en allai
au bord de l'eau pour les recevoir. AussitĂŽt que je
l'aperçus, je le saluai par ces paroles : «xM. vous, soyez
le bienvenu, je vous rends les armes. â Mademoiselle,
périlleux pour des sauvages, qui n'ont aucune arme défensive, et n'aiment
point une victoire teinte de leur sang. L'autre ne convient pas Ă leur
maniĂšre de faire la guerre. Deux attaques du fort do VercbĂšres sont
néanmoins fameuses dans les fastes canadiens, et il semble que les Iro-
quois ne s'y soient attachés par deux fois, contre leur coutume, que pour
faire éclater la valeur et l'intrépidité de deux Amazones."
(1) Suivant Charlevoix, ce fut le Chevalier de Crisasi qui vint porter
secours à notre héroïne. Il confond probablement les deux siÚges, le pré-
sent avec celui que subit en 1690 madame dej VercbĂšres. l)o la Potherie
parlant de ce dernier siĂšge, dit " Le choc dura deux fois vingt quatre
heures, et M. le Marquis de Crisasi vint Ă soj secours, qui manqua
d'un moment les Iroquois qui avaient quitté prise." Puis parlant de
l'exploit de Mademoiselle do VerchÚrcs " on détacha cent hommes pour
lui donner du secours qui arriva peu de temps aprĂšs que les Iroquois se
furent éclipsés dans les bois. " Il nous semble donc probable que ce fut le
Marquis do Crisasi, ou son frĂšre le Chevalier qui vint au secours do
madame de VerchĂšres en 1690, et M. do la Monnerie qui vint prĂŽter
main forte à notre héroïne en 1692.
-80 â
me répondit-il d'un air galant, elles sont en bonnes
mains. â Meilleures que vous ne croyez, lui rĂ©pliquai-je.
Il visita le fort, il le trouva en trĂšs bon Ă©tat, une sen-
tinelle sur chaque Bastion. Je lui dis: M. faites relever
mes sentinelles afin qu'ils puissent prendre un peu de
repos, il y a huit jours que nous n'avons point des-
cendu de dessus nos bastions.
J'oubliais une circonstance qui pourra faire juger
de mon assurance et de ma tranquillité. Le jour de la
grande bataille, les Iroquois qui environnaient le fort
faisant brûler les maisons de nos habitans, saccageant
et tuant leurs bestiaux Ă notre vue, je me ressouvins Ă
ime heure de soleil que j'avais trois poches de linge
avec quelques couvertures hoi's du fort. Je demandai Ă
mes soldats, si quelqu'un voulait venir avec moi, le
fusil Ă la main, chercher mon linge. Leur silence
accompagné d'un air sombre et morne me faisait juger
de leur peu de courage. Je m'adressai Ă mes jeunes
frĂšres en leur disant : Prenez vos fusils et venez avec
moi, pour vous, dis-je aux autres, continuez Ă tirer
sur les ennemis pendant que je vas chercher mon
linge. Je fis deux voyages a la vue des ennemis dans
le lieu mĂŽme oĂč ils m'avaient manquĂ©e quelques
heures auparavant. Ma démarche leur parut sans
doute suspecte, car ils n'osĂšrent venir pour me prendre
ni mĂŽme tirer pour m'ĂŽter la vie. J'Ă©prouvai que
quand Dieu gouverne les choses, l'on ne peut que bien
réussir.
Depuis que je suis mariée (i'an 1722) (1) je me suis
trouvée dans une occasion assez délicate <)ßi il s'agis-
sait de sauver la vie Ă M. de la PĂ©rade, mon mari et Ă
moi. Deux Abénaquis des plus grands hommes de
leur nation étant entrés chez nous, cherchÚrent que-
relle Ă M. de la PĂ©rade. Il leur dit en Iroquois : sortez
d'ici. Ils sortirent tous deux trÚs fùchés : Leur sortie
qui fut fort brusque nous fit croire la querelle finie.
Nous n'examinùmes point leur démarche, persuadés
qu'ils avaient pris le parti de s'en aller. Dans un
(1) Ăvidemment, mndnrac de la Pdrado donne ici la date de l'action
qu'elle raconte. YA\o avait quarante-quatre ans en 1722, et d'ailleurs
la date do son mariage __^c8t connue j c'est 1706 comme noua l'avoDĂŻ
mentionné ci-deesus.
â 81-.
'moment nous fûmes fort surpris de les entendre tous
iians le tambour de la maison, faisant le cri de mort
et disant : Tagariauguen qui est le nom iroquois de
mon mari, tu es mort. Ils étaient armés l'un d'un
casse-tĂŽte et l'autre d'une hache ; celui-ci enfonce,
brise la porte Ă coups de hache, entre comme furieux,
la rage peinte sur le visage, lĂšve la hache sur la lete
de M. de la Perrade, qui fut assez adroit et assez heu-
reux pour parer le coup en se jetant Ă corps perdu sur
le sauvage; mais il Ă©tait trop faible pour pouvoir
résister longtemps à un sauvage d'une slalure gigan-
tesque et dont les forces répondaient à la haute taille.
Un homme de rĂ©solution qui se trouva fort Ă propos Ă
la porte de la maison donna du secours Ă M. de la
Perrade. Le sauva<?e qui était armé d'un casse-tete
voyant son compagnon en presse entre, lĂšve le bras
pour dĂ©charger son coup sur la tĂȘte de mon mari;
résolue de périr avec lui et suivant les mouvements de
mon coeur, je sautai, ou plutĂŽt, je volai vers ce sauvage,
j'empoigne son casse-tete, je le désarme. Il veut monter
sur un coffre, je lui casse les reins avec son casse-tete
et je le vois toinbiĂźr Ă mes pieds. Je ne fus jamais plus
surprise que de me voir enveloppée à l'instant par qua-
tre sauvagesses ; l'une me prend Ă la gorge, l'autre aux
cheveux, aprÚs avoir arraché ma coiffe; les deux autres
me saisissent par le corps pour me jeter dans le feu. A
ce moment un peintre me voyant aurait bien pu tirer
le portrait d'une Magdeleine ; décoiffée, mes cheveux
épars et mal arrangés, mes habits tous déchirés n'ayant
rien sur moi qui ne fût par morceaux, je ne ressem-
blais pas mal Ă cette saip.te, aux larmes prĂšs, qui ne
coulĂšrent jamais de mes yeux. Je me regardais comme
la victime de ces furieuses outrées de douleur de voir.
Tune son mari, les autres leur parent, Ă©tendu sur la
place sans mouvement et presque sans vie. BientĂŽt,
j'allais ĂȘtre jetĂ©e dans le feu, lorsque mon fils Tarrieu,
ĂągĂ© seulement de douze ans, animĂ© comme un lion Ă
la vue de son pĂšre qui Ă©tait encore aux prises avec le
sauvage et de sa mĂšre prĂȘte Ă ĂȘtre dĂ©vorĂ©e par les
flammes, il s'arme de ce qu'il rencontre, frappe avec
tant de force et de courage sur la tĂȘte et sur les bras
de ces sauvagesses, qu'il les obligea Ă lĂącher prise.
6
â 82 â
Débarrassée de leurs mains, je cours au seconrsde M^
de la Perrade, passant sur le ventre de celui que j'avais"-
Ă©tendu par terre. Les quatre Sauvagesses s'Ă©taient*
déjà jetées sur M. de la Perrade, pour lui arracher la"-
hache qu'il tenait et dont il voulait casser la léle aii'
malheureux qui venait de le manquer. Prenant le-
sauvage par les cheveux, je lui dis: Tu es mort, je'
veux avoir ta vie. Le Français dont j'ai parlé qui don--
nait secours a M. de la Perrade me dit : Madame, ce
sauvage demande la vie, je crois qu'il laut lui donner
quartier. En mĂȘme tems ces sai>vagesses qui jus--
qu'alors, avaient toujours poussé des cris effioyables
qui nous empĂȘchaient de nous entendre, demandĂšrent
aussi la vie. Nous voyant les maßtres, nousciûmes-
qu'il Ă©tait plus glorieux de laisser la vie Ă notre ennemi
vaincu que de le faire mourir. Ainsi je sauvai la vie-
à mon maii, et mon fils ùgé de douze ans sauva la vie
Ă sa mĂšre. Cette action lut aux oi-eilles de M. de Vau-
dreuil, il voulut s'informer du fait par lui-mĂȘme, il
vint exprÚs sur les lieux, il vit la porte cassée, il parla
au Français témoin de l'action et sut dans la s\iite des
Sauvages mÎmes la véfité de ce que je viens d'exposer.-
VoilĂ la narration simple et juste de mon aventurCy
qui m'a déjà procuré des grùces de Sa Majesté (1) et
que je n'aurais pas pris la liberté de rédiger p^ir écrit^
si M. le Marquis de Beauharnois, notre illustre Gou-
verneur, qui n'a point d'autre attention que de mettre
notre colonie Ă couvert de l'irruption des Barbares, et
d'y faire fleurir la gloire du- nom français, en rendant
redoutable le nom de notre invincible ruonarque
Ă tous ses ennemis et respectable Ă tous ses sujets ne
m'avait engagée à faire ce détail. Sa sagesse ne se
contente pas de contenir toutes les nations sauvages
dont nous sommes environnĂ©s, dans le respect et dans â
la crainte et de tenir éloignés à quatre ou cinq cent-
lieues le» ennemis- de l'Etat. Son infatigable applica-
(\) Madame de la P<*rnde fait ici allusion à la pension qa» loi serrait'
le Koi lie France. " Je vous dirai, madame, lit-on dans de la Potherief-
que niudnme la comtesse do Pont-Chartrain a pris les intĂ©rĂȘts de cette^
demoiselle avec tant de gĂ©nĂ©rositĂ©, qu'elle lui a procurĂ© pour tout» â «âș*
vie une pension. "
â 83 â
tion aux affaires les plus sérieuses n'étant interrompue
que par l'attention qu'il donne à ce qu'il s'est passé de
plus considérable depuis l'établissement de cette colo-
nie. 11 le fait valoir avec cette bonté et cet air noble et
grand qui lui sont si naturels. Il le propose pour
exemple, afin d'animer de plus en plus les sujets du
Roi Ă se distinguer par des actions Ă©clatantes lorsque
l'occasion s'en présentera.
§-6.
PRĂSENTATION
DE L'aDBESSE a son EXCELLENCE
L'HONORABLE AUGIJSTE-RĂAL ANGERS,
LIEUTENANT-GOUVERNEUR DE LA
PROVINCE DE QUĂBEC
SĂ©ance solennelle du 17 janvier 1888.
§.â 1. Adresse de l'Institut
A Son Excellence l'Honorable Auguste RĂ©al Angers,
LIEUTENANT GOUVERNEUR DE LA PROVINCE DE QuĂBEC.
Excellence^
Permettez aux membres de rFiislilut Canadien de
Québec, do vous offrir leurs hommages respectueux et
leurs félicitations sincÚres, à l'occasion de votre éléva-
tion au poste Ă©minent de lieutenant gouverneur de
cette province.
C'est pour eux un devoir d'autant plus agréable que
Votre Excellence a été l'un des membres actifs de l'Ins-
titut, et que, s'ils remontent encore plus haut dans leurs
â 85 â
annales, votre nom leur rappelle le souvenir d'un de
leurs premiers et de leurs plus illustres présidents.
Notre Institut, Votre Excellence le sait, est né d'une
pensée patriotique. Créer un centre de ralliement
intellectuel oĂč les jeunes Canadiens puissent venir
exercer les facultés de leur esprit, raviver en eux l'a-
mour des sciences et des lettres, et méditer l'histoire
au foyer mĂŽme des glorieuses traditions de leur natio-
nalité : tel a été le but des hommes distingués à qui
notre société doit l'existence.
A travers bien des vicissitudes, l'Institut Canadien
s'est constamment efforcé de remplir ce noble pro
gramme. Et, dans l'accomplissement de sa tĂąche, il
a eu le bonheur d'ĂȘtre continuellement encouragĂ© par
la sympathie des citoyens éminents qui ont marché
tour Ă tour Ă la tĂȘte de notre nationalitĂ©.
Nous nous rappelions avec un plaisir tout particu-
lier que c'est grĂące Ă l'appui de Votre Excellence, pen-
dant qu'Elle Ă©tait ministre de la Couronne, que nous
avons reçu du gouvernement un aide nécessaire à la
continuation de nos travaux. Cettesympathie,dont nous
avons reçu des preuves si souvent, nous nous flattons
qu'elle nous sera continuée par Votre Excellence, appré-
ciateur éclairé des travaux de l'esprit, patriote ardem-
ment Ă©pris des splendeurs de notre histoire, homme
public toujours dévoué aux progrÚs intellectuels.
Cette persuasion ne pourrait que rendre plus com-
plĂšte la satisfaction avec laquelle l'Institut Canadien
salue en votre personne le représentant de sa Majesté,
le lieutenant gouverneur de cette province, dont l'en-
trée en office a été accueillie avec une faveur univer-
selle.
Comme témoignage de sa haute considération,
rinstitut serait heureux si Votre Excellence voulait ac-
cepter le plus haut titre que notre société puisse con-
férer, celui de membre honoraire.
Veuillez agréer, encore une fois. Excellence, nos
fĂ©licitations respectueuses, ainsi que nos vĆux pour
votre bonheur et le succĂšs de votre administration.
J. Frémont, président.
J. G. Couture, Sec. archiviste.
â 86 â
§.â2. RĂ©ponse de Son Excellence l'honorable
Auguste Real ANGERS
ifonsieur le président
de l'Institut Canadien de Québec,
Messieurs^
Je constate avec un vif plaisir que votre influence
a su rĂ©unir Ă une fĂȘte de l'esprit l'Ă©lite de la sociĂ©tĂ©
française de Québec.
Avec un rare succÚs vous avez inspiré à la jeunesse
le goût de s'instruire, à l'ùge mûr le désir de se perfec-
tionner ; goût qui absorbe les entrainemenls premiers
de l'adolescent, désir qui captive l'ambition de l'homme
fait.
C'est par vos soins que nous voyons rangés dans
votre bibliothÚque et classés dans votre catalogue, les
plus beaux produits du génie de l'homme dans les
sciences et dans les lettres. Vous avez fait le travail
de l'essaim qui envahit la plaine, cueillant, des prés
âŹn fleurs, les meilleurs parfums, les sucs les plus
purs. Ainsi butinant, vous avez comblé vos rayons de
livres prĂ©cieux, honnĂȘtes et charmants, miel dont se
nourrit l'intelligence, manne que nouspouvons ramasser
Ă toutes les heures.
Du haut de leurs cases, combien d'amis me recon-
naissent et me sourient comme si je ne les avais.depuis
longtemps délaissés. Comme je me sens tenté d'entre-
prendre avec vous, monsieur le président, un voyage
autour de votre bibliothĂšque ! Il nous faudrait passer
Ă travers l'histoire contemporaine, nous arrĂȘtant aux
hauts laits de nos incomparables annales canadiennes;
voyager au moyen-age oĂč resplendit l'hĂ©roĂŻque Ă©popĂ©e
delĂ chevalerie et des croisades, et remonter presqu'aux
temps anciens, faisant halle auxThermopyles, nom qui,
au Canada, depuis 1813, se prononce Chateauguay.
Dans un si long retour vers des temps envolés,
nous nous verrions délaissés des dames dont l'esprit
â 87 â
'Oommc le charme, est toujours au présent, jamais au
^passé.
Puis, conduits par Tordre alphabétique du catalo-
gue, nous arriverions devant la porte close de la philo-
sophie, et la clef en est aux mains du maĂźtre Ăšs-sciences.
33ans le catalog.ue, la poésie est sa voisine. Similitude
-des choses de la vie réelle, c'est auprÚs des buissons
inextricables qu'il faut chercher les fleurs. La poésie
âąest une fĂ©e qui connaĂźt tous les accents. Dans son
-domaitie, à cÎlé des plus riches moissons, que de per-
venches, de muguets et de violettes pour vos parures,
mesdames ! mais la discrĂ©tion de TĂąge me soupire Ă
l'oreille : passez, passez !
Comment éviter ce secrétaire en bois de santal
dncruslé de filigranes d'argent, ce sachet capitonné de
soie bleue oĂč repose l'art Ă©pistolaire ? ces lettres dont
récriture courante reconstruit les traits, le regard, le
sourire des chers absents, Ă©voque l'image, la person-
nalitĂ© entiĂšre d'ĂȘtres aimĂ©s. Lisez des lettres, surtout
âŠdes lettres de femmes. Elles sont comme ces mĂ©dailles
d'un autre Ăąge, ces portraits sur ivoire, qui, par
la délicatesse des lignes, la carnation des chairs, le re-
lief des figures, font revivre des causeries Ă cĆur ouvert
«t remettent sous la main le velouté des meilleures
heures de l'existence. Nous, le grand nombre, nous
»gui n'aurons jamais cette seconde viequi attend l'auteur,
cultivons l'art de la correspondance. Quelques lettres
seront peut-ĂȘtre tout ce qui restera de nous aux soins
discrets de l'amitié.
Votre catalogue révÚle le choix judicieux des livres
/qu'il contient et ne me laisse rien Ă dire de ceux qu'il
faut Ă©viter- Vous inviter Ă l'Ă©tude et Ă la lecture se-
rait aussi un hors d'oeuvre.
Le goijt des lettres uous pénÚtre dans cette salle
.avec l'atmosphĂšre qu'on y respire, et nous en voyons
les brillants résultats au dehors. Au printemps der-
nier, un phare allumé aux terres d'Evangéline a percé
les brumes qui enveloppaient l'histoire du Bassin des
Mines. Une revue nouvelle. Le Canada Français^ l'ajeu-
nira de jets de lumiÚre bien des feuilles détachées et
oubliées de nos annales. La religion, les sciences et
ies lettres entreront aussi dans le cadre de cette publi-
â 88 â
cation. An nombre des ouvriers de la pensée qui lui
ont promis leur concours, je trouve plusieurs des mem-
bres de votre institut. Un autre a clos l'année 1887
par la LĂ©gende d'un Peuple^ que Jules Claretie a tenu
sur les fonts et que le secrétaire perpétuel de l'Aca-
démie française a saluée d'un carillon joyeux. 188y
va commencer par la venue prochaine d'un autre livre,
fils du talent d'un des vÎtres. 11 est de noble lignée ;.
sa source remonte Ă nos plus vieux parchemins. Il
a nom : Noël 1535, sous Jacques Cartier^ Nouvelle-
France. Vous le reconnaĂźtrez, j'espĂšre, Ă son Ă©tat, il
est roman, histoire ; roman par la grĂące du style, la
mise en scĂšne et l'intĂ©rĂȘt ; histoire par l'exactitude des-
faits, des lieux et des dates. Il a les yeux azurés, et le
timbre de sa voix est patriotique.
Voilà , entre plusieurs, des fruits que le goût litté-
raire que vous avez inspiré a fait croßtre.
Pour ne pas vous imposer l'ennui d'un entr'acte au.
début de cette soirée, je dois restreindre ma réponse et
taire le sentiment filial que vous avez touché en moi en
rappelant votre troisiÚme président. Vous m'avez remis,
en mémoire la bonne fortune que j'ai eue de faire ins-
crire votre nom sur le budget de l'Etat au nombre des
institutions bien méritantes. Pour toutes ces bonnes-
paroles, rehaussées de l'éclat de votre loyauté, je vous
remercie. RevĂȘtu du titre insigne de membre hono-
raire de votre Institut, je verrai toujours avec fierté vos-
progrĂšs croissants, et comptez que, dans les limites de;-
mes attributions, mon concours vous est acquis.
Québec, 17 janvier 1888.
A. R. Angers
§-7.
QuarantiĂšme rapport du bureau de direction de l'Insti-
tut-Canadien de Québec, pour l'année terminée le
septiÚme jour de février 1887.
Le président et les directeurs de l'Institut-Ganadien
de Québec ont l'honneur de vous présenter le rapport
suivant :
L'annéequi vientde se terminerne compte pas parmi
les plus brillantes, mais il ne faut pas la placer parmi
les moins prospĂšres.
La salle de lecture continue Ă ĂȘtre frĂ©quentĂ©e par
nos membres avec plus d'assiduité que jamais. Pour
rencontrer les désirs du public nous avons déposé sur
nos tables plusieurs nouveaux journaux et revues.
La circulation de nos livres dépasse celle des années
précédentes. Aussi vos directeurs, malgré la pénurie
des temps, ont compris la nécessité de faire venir de
France une centaine de nouveaux livres. Une souscrip-
tion volontaire s'est faite parmi les membres de llns-
litut. Et, grùce à votre bon vouloir et à votre généro-
sité, messieurs, dans quelques semaines, nos succes-
seurs pourront placer sur les rayons de la bibliothĂšque
les ouvrages demandés.
Malgré le nombre de brillantes conférences don-
nées à l'Université Laval et chez nos sociétés soeurs,
dans le cours de l'année, nous avons pu donner plu-
sieurs soirées qui ont toutes réuni un auditoire d'élite.
Nous devons spécialement mentionner les noms de Mon-
seigneur Hamel, protonotaire apostolique, de MM. N.
E. Dionne, Georges Lemay, J. U. Gregory, J. E. Prince
â 90 â
et Henri Boland, de la. Revue Internationale, qui nous
ont donné d'intéressantes conférences. Une liste com-
plÚte des conférences est annexée au présent rapport.
La mort qui ne se lasse pas de faucher parmi nous,
nous a enlevé, pendant cette année, plusieurs membies
distinp:ués. Ce sont :
M. Jean Langlois, Conseil de la Reine et ancien
professeur de droit à l'Université Laval.
MM. William G. Sheppard, Abraham Hamel, Isaac
Dorion, Vincent Cazeau, J. V. Dugas, Léonidas Noël
et Adolphe Ilamel.
L'Ă©tat financier de l'Institut est bon. Vos directeurs
ont pris un soin particulier de ne pas augmenter les
dépenses d'administration, tout en maintenant la pro-
priété dans un excellent ordre. Vous verrez par le
ra[)port que M. le trésorier vons soumettra, que notre
dette flottante a diminué. Mais il faut trouver moyen
de l'Ă©teindre complĂštement.
Une demande a été adressée derniÚrement à vos di-
recteurs Ă l'effet d'ouvrir Ă l'Listitutunesalle de billard.
Nous avons examiné la question minutieusement, et
sommes en mesure de vons donner tous les renseigne-
ments désirables; mais, à la veille d'une assemblée
générale des membres de Tlnslitut, nous avons ciii
qu'il valait mieux soumettre la chose à votre considé-
ration que de prendre nous-mĂȘmes une dĂ©cision aussi
importante, Ă l'expiration de notre mandat.
L'Ćuvre si bienfaisante du Patronage a cĂ©lĂ©brĂ©, en
avril dernier, le vinpt-cinquiĂšme anniversaire de sa fon-
dation à Québec. L'Institut Canadien en a profité pour
lui prouver toutes ses sympathies en Ini auvrant ses
;«alles, pour une soirée solennelle à cette occasion.
Un événement qui a eu un retentissement dans
tout le monde catholique, pendant l'année qui vient de
finir, est l'Ă©lĂ©vation du vĂ©nĂ©rable archevĂȘque de QuĂ©bec
ii la trÚs hautedignitéde cardinal de l'Eglise Romaine.
Si tout le Canada en a tressailli d'allégresse quels n'ont
pas duétre les sentimentsde joie desmembresde flns-
litut dont son Eminence le cardinal Taschereau est un
des fondateurs et un des protecteurs constants. Aussi
le li jnin dernier, les membres de l'Institut se réunis-
saient pour aller déposer aux pieds de son Eminence
â 91 â
leurs hommages et leurs sentiments de joie et de féli-
citations.
En terminant, vos directeurs désirent exprimer
leurs sentiments de sympathie pour l'Institut Canadien
âąFrançais d'Ottawa, si cruellement Ă©prouvĂ© par le sinis-
tre qui a détruit complÚtement leur local. Espérons
que leur malheur réveillera le zÚle de quelque nou-
veau MĂ©cĂšne, et que notre sĆur d'Ottawa se relĂšvera
d'une perte aussi cruelle.
Mais nous devons aussi espérer que, dans cette bonne
ville de Québec, si amie des lettres et des arts, il sur-
gira en faveur de notre Institut quelque autre MĂ©cĂšne,
suivant les pas si généreusement tracés par M. L. J. C
Fiset, notre digne président honoraire, par M. T. Le-
droit et M. L. G. Baillargé, qui nous procurera le
jnoyen d'Ă©teindre une partie de notre dette, et qui nous
assurera aussi pour l'avenir une Úre de prospérité et
de succĂšs.
Le tout humblement soumis.
Le bureau de direction
J, Frémont, président.
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§.-9.
Quarante-uniĂšme rapport du bureau de direction de
l'Institut-Canadien de Québec pour l'année se ter-
minant le sixiÚme jour de février 1888.
Avant de remettre le mandat qui leur a été confié,
le président et les directeurs de l'Institut Canadien de
Québec ont l'honneur de présenter le rapport suivant :
L'année qui vient de s'écouler, n'a pas été malheu-
reuse pour notre institution.
Notre dette hypothécaire étant devenue exigible dans
le cours du mois de juin dernier, nous avons facilement
trouvé les capitaux nécessaires à des conditions favora-
bles.
C'est avec plaisir et reconnaissance que nous cons-
tatons que le gouvernement provincial a écouté la re-
quĂȘte de vos directeurs, et nous a accordĂ© un octroi de
cinq cents piastres. Le gouvernement a pris en consi-
dération les circonstances particuliÚres dans lesquelles
nous nous trouvions. Lorsque nous avons fait l'acqui-
sition de l'immeuble que nous occupons aujourd'hui,
nous comptions sur la âŹontinuation des faveurs que
nous avions obtenues depuis 1875, et sans cet espoir,
l'Institut n'aurait pas entrepris cet achat. Aussi som-
mes-nous heureux de voir, qu'enfin, une aide généreuse
qui nous permet de continuer notre Ćuvre, nous a Ă©tĂ©
accordée à la derniÚre session. Espérons que les faveurs
ministérielles, si nécessaires à nos travaux, nous seront
continuées dans l'avenir.
Espérons aussi que le public comprendra les services
que notre institution rend aux lettres canadiennes, et
--94 â
que de nouteaux bienfaiteurs viendront faire enregis'
trer leurs noms dans nos annales. C'Ă©tait lĂ le souhait
par lequel le rapport des directeurs de l'Institut se ter-
minait, l'année derniÚre.
Aujourd'hui, nous devons mentionner avec reconnais-
sance le nom et la mémoire de feue Madame Fran-
çois Roy, née Alzire Romain, décédée dans le cours de
cette année, qui a légué à l'Institut une somme de
quatre vingts piastres sous la condition d'admettre
comme membre Ă vie Monsieur Arthur Balzaretti, son
neveu.
Voici la lettre adressée au président de l'Institut, lui
faisant part de ce don généreux.
Québecj 3 décembre 1887
J. J, T. Frémont, Ecr.,
Président de V Institut
Canadien de Québec^
Cher Monsieur^
L'honorable J. G. Blanchet et l'honorable Jules E.
LaRue, tous deux exécuteurs testamentaires de feue
dame Alzire Romain, veuve de feu François Roy, me
prient d'informer l'Institut que par son testament passé"
devant moi, le douze janvier dernier ( 1887 ), Madame
Roy lĂšgue Ă l'Institut Canadien une somme de quatre
vingts piastres dans les termes suivants :
(lA l'Institut Canadien de Québec une somme de
quatre vingts piastres Ă la charge par cette institution"
d'admettre mon neveu Arthur Balzaretti Comme un
de ses membres, sa vie durant.»
Si ce legs est accepté vous voudrez bien m'en infor-
mer.
Je dois ajouter que les exécuteurs testamentaires ne
sont pas tenus de délivrer les legs faits par Madame
Roy avant l'expiration d*une année aprÚs son décÚs.
J'ai l'honneur d'ĂȘtre,
Votre trĂšs humble serviteur.
J. G. Couture, Notaire.
Ce legs a été accepté avec reconnaissance/
ĂDans le Cours de TannĂ©e qui finit aujourd'hui, l'Ins^
titut a fait une perte trÚs sensible par la mort du Révé-
rend M. Joseph Auclair, curé de Notre Dame de Québec
et directeur de l'Inslilut Canadien, constamment réélu
depuis 1864. Il a emporté dans la tombe les regrets
les plus sincĂšres de tous ses concitoyens et en particu-
lier, des membres de cette institution. Il fut « un pa-
tron iniluent et éclairé, un ami zélé de notre oeuvre,
un bienfaiteur généreux qui, dans bien des circons-
tances, a donné à l'Institut de précieux encourage-
ments.
La mort comme toujours a frappé sans merci parmi
nous, car il faut ajouter à cette perte déjà si sensible
celles de M. M. Elzéar Fiset député greffier de la Cour
de Circuit, John Langelier, dĂ©putĂ© rĂȘgistraire de la
province, Amedée Roberge^ le docteur B^rançois E. Roy,
Louis Turgeon, et enfin François M. Lachaine, noyé si
tra,2iquement Télé dernier.
Nous avons dû celte année reviser avec soin la liste
de nos membres. Plusieurs avaient laissé la ville. D'au-
tres tout en voulant profiter des avantages de l'Institut,
lui refusaient le secours d'une contribution juste et
nécessaire. Nous avons du retrancher 32 noms. Vingt-
quatre personnes ont envoyé leur démission. Il y a eu
trente deux nouvelles admissions Ă l'Institut dans le
cours de l'année.
L'Institut compte aujourd'hui 346 membres actifs et
6 membres titulaires. Le personnel de l'Institut a donc
diminué. Il est regrettable que dans une ville fran-
çaise et amie des lettres comme Québec, on ne puisse
recruter un plus grand nombre de membres. Aussi
devons-nous faire un appel chaleureux Ă tous nos amis
Quel beau résultat, à tous les points de vue, n'atteigne--
riofis-nous pas si chacun de nous se faisait devoir de
faire inscrire un ami sur la liste de nos membres?
Plusieurs projets ont été mis à l'étude pendant le
cours de la présente année. Celui de construire une
bibliothÚque fixe et permanente dans nos salles a attiré
particuliĂšrement l'attention de vos directeurs. Des
plans et devis ont été préparés par M. F. X. Berlinguet,
architecte. Mais les frais de cette amélioration sont
trop considĂ©rables pour le moment. GrĂące Ă la gĂȘnĂ©-
â 96 â
rosité de certains donateurs, nous avons pu acquérir
de nouvelles tablettes pour les nombreux livres qui ne
Bouvaient ĂȘtre placĂ©s sur les rayons de la bibliothĂšque,
âșes aniĂ©liorations considĂ©rables sont en voie d'exĂ©cu-
tion. Vos directeurs font Ă©riger un escalier condui-
sant aux appartements situés audessus de Testrade,
oĂč seront faites des additions importantes jugĂ©es nĂ©-
cessaires.
Au point de vue intellectuel l'année a été également
heureuse.
Plusieurs nouveaux journaux ont été déposés sur les
tables de nos salles de plus en plus populaires. La
bibliothĂšque s'est enrichie de plus de deux cents vo-
lumes, grĂące Ă une souscription volontaire et Ă la
libéialilé de nombreux donateurs.
Mais nous regrettons de constater que notre biblio-
thĂšque des documents publics est loin d'ĂȘtre coniplĂšte.
Il est d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, que ces documents soient dis-
tribués léguliÚrement aux sociétés littéraires. On sait
que ces documents sont répandus à grande profusion.
Cependant, elles sont rares, les sociétés qui peuvent se
vanter d'avoir la collection complĂšte des documents
publics.
Sous l'Union, la bibliothĂšque du parlement fut deux
fois incendiée. Dejmis la confédération, la province
de Québec eut le malheur de perdre une bibliothÚque
considérable. Ce sont là des pertes énormes, mais ces
perles auraient été moins sensibles et plus facilement
réparées, si les sociétés liltéiaires avaient possédé dÚs
cette Ă©poque les collections de documents publics.
Formons donc l'espoir que les autorités compren-
dront que la distribution réguliÚre de ces documents
aux sociétés littéraires n'est pas une gratuité sans
avantage, mais plutÎt un placement et un dépÎt pour
l'avenir.
Les amis de l'Institut ont été conviés comme par le
passé à venir entendre dans nos salles de brillantes
conlérences. En voici la liste par ordre de date :
1er février 1887. De l'Ancien Barreau de France,
par M. J. E. Prince.
25 lévrier. L'Amérique du Nord avant Christophe
Colomb, par M. Alphonse Gagnon.
â 97 â
1 1 mars. La Belgique, par M. B. Lippens.
23 mars. Crémazie, par M. N. N. Olivier.
30 mars. Whittier, the New England Poet, par M.
George Stewart.
5 avril. La Société Canadienne au 17Úme siÚcle,
par M. T. P. BĂ©dard.
lu avril. La vie dans les mines â RĂ©cit d'un voyage
Ă trois mille pieds sous terre, par M. B. Lippens.
23 avril. Vers le passĂ© â Notes sur le gĂ©nĂ©ral Ri-
chard Montgomery, par M. Faucher de Saint-Maurice.
Enfin le 18 Janvier 1888.
Réalistes et décadents, par M. Napoléon Legeudre et
Histoire et LĂ©gende par M. L. P. Lemay.
Cette derniÚre soirée a été remarquablement belle.
Tout Québec littéraire y assistait. Le Septuor Haydn
se chargea de la partie musicale de la séance. L'Ins-
titut présenta une adresse à son Excellence l'Honorable
Auguste Real Angers, lieutenant gouverneur de la pro-
vince de Québec. La réponse de Son Excellence, véri-
table bijou littéraire, fait autant d'honneur à son auteur
qu'à l'Institut et sera précieusement conservée dans
nos archives.
Vous serez appelés, ce soir, à ratifier la nomination
de Son Excellence comme membre honoraire. Ce titre
ne pouvait ĂȘtre accordĂ© Ă un personnage plus distin-
gué. L'honorable monsieur Angers joint à sa position
officielle, la plus élevée de la province, les qualités de
l'homme de lettres dans la vraie acception du mot.
Vos directeurs recommandent en terminant la pu-
blication d'un annuaire. Ils croient que cela ne fera
qu'augmenter le prestige de notre institution, tout en
rendant un service aux lettres et en nous assurant les
faveurs ministérielles.
Le tout humblement soumis.
Le bureau de direction,
J. Frkmont.
Président.
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i-11.
Dons faits à l'Institut Canadien de Québec, depuis iû
publication du dernier annuaire.
BibliothĂšque
Baillairgé, M. Charles.
Essay on the contracted liquid vain, by
R. Seckel.
Report of the City Enginecr on the
5th 10 mih^s, Québec and Lake St.
John Railroad.
Le Storeometricon, nouveau systĂšme
de toiser tous les corps par une seule
et mĂŽme rĂšgle (don de l'autour).
Mémoire lu devant la Société Royale
du Canada (don de l'auteur).
Dictionnaire biographique.
Blanchet, l'hon. J. G.
Deux cartes de chemins de fer.
Galerie nationale.
Bryraner, M. Douglas.
Rapports sur les Archives Canadiennes,
1885et188G. -
Caron, Sir Adolphe, C. B., K. C. M. G.
Rapports du département de la milice.
Divers documents.
GarroU Institute, Washington.
Annual Report.
â 101 â
âąBeedham, M., Boston.
Proceedings of the New England His-
torié Geneaiogical Society, 1874.
Belleau, Sir Narcisse.
Société Royale du Canada, Séance
d'inauguration.
Courrier des Etats-Unis, 1841 Ă 1855, 17 vols
Blanchet, l'iion. Jean.
Collection de documents relatifs Ă l'his-
toire de la Nouvelle France, 4 vols.
Rapports du Surintendant de l'Instruc-
tion Publique, 1855 Ă 1882, 27 vols.
Jugements et délibérations du Conseil
Souverain de la Nouvelle France, vols I et II.
Discours sur l'autonomie des provinces
(don de l'auteur).
Chauveau, l'hon. P. J. O.
F. X. Garneau, sa vie et ses Ćuvres, (don
de l'auteur).
CollĂšge de LĂ©vis.
Annuaire 1883-1884.
Costigan, l'hon. John.
The third volume of the census of 1881
and its critics.
Desaulniers, M. L. A.
Dictionnaire de droit et de procédure
(don de l'auteur).
Dionne, Dr N. E.
Etats-Unis, Manitoba et Nord-Ouest,
notes de voyage (don de l'auteur).
Donateurs inconnus.
Catalogue des livres, manuscrits et auto-
graphes sur la révolution française
composant la bibliothĂšque de M. Po-
chet DĂ©roche.
La Revue des questions historiques.
Canadian Parliamentary Corapanion,
1883.
Litterary Societies, an essay by Fallan.
Gazette des Beaux Arts 1872.
Bibliotheca Americana, 1883.
Histoire de l'art contemporain, par Ar-
sĂšne Houssaye.
â 102 â
L'Ćuvre des Opuscules.
Editorial Committee of the Norvegian North
Atlantic ExpeditionâChristiana.
Reports 8, 9, 14a, 146, 16, 17, 18a, 186.
Filteau, M. J. 0.
Aide-mémoire du carabinier volontaire.
Stratowich, esquisse sur le dualisme
austro-hongrois, par M. A. Lefaivre, six copies.
Griinewald, réminiscences d'Allemagne
par le mĂŽme, six copies.
L'Anglicisme, voilĂ l'ennemi, par M. J.
P. Tardivel, six copies.
Stolen Feathers, par le mĂŽme, six copies.
Frémont, M. J.
Compendium of the Dominion Laws of
Canada.
Le divorce et la sĂ©paration de corps â
ThĂšse pour le doctorat (dons de Fau-
teur).
Gagnon, Thon. G. A. E.
Jugements et délibérations du Conseil
Souverain de la Nouvelle-France, vol. IIL
Municipalités et paroisses, par M. Des-
champs.
Gouvernement Fédéral du Canada.
Documents de la Session, 1887.
Recensement des Territoires du Nord-
Ouest.
Statuts du Canada.
Un grand nombre de documents publics.
Gouvernement de Québec.
Documents de la session.
Rapports de la Commission de refonte
des Statuts.
Statuts de Québec.
Un grand nombre de documents publics.
Gradmaalings Kommission. â Christiana.
Vandstansobservationer I, II, III.
Hudon, lient. J. A. G.
Notes sur l'artillerie (don de l'auteur).
Institut Canadien-Français d'Ottawa.
Les forĂŽts du Canada et leurs produits^
par M. Small.
â 103 â
Guide du Français au Canada.
Les pĂȘcheries du Canada, par M. L. Z.
Joncas.
L'Agriculture dans le Nord-Ouest.
Industries et manufactures par H. B.
Small.
A ti avers le Canada, notes par M. J. P.
Sheldon.
JolicĆur, M. P. J.
Les Canadiens-Français aux Etats-Unis.
Lafrance, M. C J. L.
Comptes du trésorier de la cité de
Québec.
Langlais, M. J. A.
Tablettes chronologiques de l'histoire
du Canada par M. l'abbé Gosselin.
Langevin, Sir Hector, C. B., K. C. M. G.
Plusieurs rapports et documents pu-
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Larochelle, M. Ed.
Nos hommes forts, par M. A. N. Mont-
petit.
Code de l'Instruction publique par M.
Chouinard.
Lemay, M. Georges.
Fantaisies littéraires (don de l'auteur).
Livernois, M. Victor.
La Chartreuse de Notre-Dame des Prés.
Mallet, M. Edmond, Washington.
Catholic grievances in relation to In-
dian affairs.
Mongredien Augustus.
Pleas for protection (don de l'auteur.)
Montpelit, A. N.
Biographie du major L. N. Voyer.
L'Amiante.
Norwegishen Commission der EuropĂ ischen
Gramissing.
Geodiilische Arbeiten. Heft, I, II, III,. I\r, V.
Proulx, M. Firmin H.
Papiers et lettres sur l'agriculture re-
commandés à l'attention des cultiva-
teurs canadiens.
â 104 â
Roy, M. Alfred.
Dowing's fruits and fruit trees of Ame-
rica.
Roy, Mlles Alice et HĂ©lĂšne.
Vick's monthly magazine.
SĂ©minaire de Ghicoutimi.
Annuaires 1881-1882, 1883-1884, 1885-
1886, 1886-1887.
Séminaire de St Charles Borromée, Sher-
brooke.
Annuaire 1885-1886.
SĂ©minaire de Nicolet.
Années académiques 1881, 1882, 1885,
1886, 1887.
Société Littéraire et Historique de Québec
Transactions 1881-1882, 1882-1883.
Société de Géographie de Québec.
Bulletins 1882, 1883, 1884.
Société Royale du Canada.
Transactions, vols I, H, Hl, IV.
Siliery,Madame la Supérieure du couvent de.
«L'instruction publique» 1887, revue
française.
Sirois, M. L. P.
Pouvoirs et obligations du tuteur, ThĂšse
pour le doctorat (don de l'auteur).
Université Laval.
Annuaires 1885-1886, 1886-1887, 1887-
1888.
University CollĂšge, Toronto.
The calendar of University collĂšge 1886.
Vekeman, M.
Voyage au Canada.
Verret, M. A. H.
Rapport de la Commission du Havre.
Walsh, M. F., Ottawa. ,
Trialsof the Fenian Prisoners at Toronto,
who were captured at Fort Erie G. W.
in June, 1866.
§.â12.
LISTE DES MEMBRES
DS
L'INSTITUT CANADIEN DE QUĂBEC
AD 1" MARS 1888.
Membres actifs
Ahern, Dr M J
Allard, N
Amyot, Guillaume, M P
Arcand, Dosithé
Audelte, Rodolphe
Audy, F X
Auger, Jacques
Baby, W G
Baillairgé, L de G
Baillargeop, l'abbé Ghs
Balzaretli, Arthur
Barry, H D
Barthe, Ulric.
Bazin, P I
Beaudet, Elisée
Beaudet, EugĂšne
Beaudry, Auguste
Beautey, Henri
BĂ©dard. H A
Bégin, Honoré
Bégin, l'abbé L N
BĂ©langer, EugĂšne
BĂ©langer, L J
Bélanger, l'abbé F H
Belleau, Dr A G
Belleau, J F
Bellerive, George
Benoit, Severin
Bergevin, Ghs
Berlinguet, F X
Bertrand, J B
Bertrand, Victor
Bigaouette, J E
Bilodeau, Louis
Blagdon, John
Blanchet, l'hon. Jean, M P P
Blanchet, l'hon. J G
Blouin, Jean
Boily, J E
Boivin, Louis
Bolduc, Dr J E
Bouffard, Arthur
Boulanger, Cap L J
Boulet, Elisée
Bossé, H G
Brailn, Fred
Breen, Thomas
Brisson, N
Brousseau, J D
â 106 â
Brousseau, LĂ©ger
Brunet, J G
Brunet, W E
Bureau, Emile
Burroughs, John
Buteau, EIzéar
Cahill, JH
Campeau, FĂ©lix
Campeau, 0 F
Garbray, FĂ©lix
Garon, Achille P
Garon, Sir A P, K G M G
Garon, l'hon L B, J G S
Garrell, James
Garrier, Gustave
Carrier, L M
Gasault, Honoré
Gasault, l'hon L N, J G S
Casgrain, l'abbé René
Casgrain, Dr II E
Gasgrain. P B, M P
Gasgrain, T G, M P P
Gatellier, Dr Laurent
Ghaloner, H J
Ghapais, Thomas
Gharlebois, J A
Chassé, Félix
Chassé, Honoré
Ghateauvert, Victor
Chauveau, l'hon Alex
Ghinic, l'hon E
Ghouinard, H J J B, M P
Chouinard, Mathias
Gloutier, Albert
Gloutier, Alfred
Gloutier, L A
Gorriveau, Philias
CÎté, Augustin
CÎté, Jos Eudora
Couture, J G
Dagneau, J F
Digneau, Joseph
Darveau, Chs
Darveau, Joseph
DeBlois, l'hon. P A
DechĂȘne, F M
DechĂȘne, Gilbert M, M P P
DechĂȘne, Pierre M
DelĂąge, J B
Delagrave, Henri
Deléry, Gustave
Dehsle, Arthur
Delisle, Ferdinand
Delisle, P G
Demartigny, GPL
Demers, A J
Demers, L J
Demers, Robert
Dénéchaux, Oscar
Derouin, François
Déry, Napoléon
Desforges, Anathole
Dessane, LĂ©on
DeVarennes, F
Dion, Arthur
Dion, Ezique
Dion, F X
Dion, J B
Dion, R E
Dionne, Adolphe
Donati, Joseph
Dorion, G E
Doucet, EugĂšne
Doyle, William
Drolet, Désiré
Drolet, EugĂšne
Drolet, Gaspard
Drouin, F X
Dubeau, E J
Duchesnay, Arthur
Duchesnay, E J
Dufresne, L N
Dumontier, J F
Dumoulin, P B
Dunn, Thomas
Dupré, Edmond
Dupuis, l'abbé J B G
Duquet, Cyrille
Dussault, A
Dutil, J B
Dyonnet, L.
E
Edge, Auguste
â 107 â
Faguy, l'abbé F X
Fiset, Albert
Fiset, L J G
P'iset, Pierre
Fitzpatrick, Ghs
Flynn, Thon E J, MPP
Fonier, Dr J E
Fortier, FĂ©lix
Frémont, Joseph
Frenetle, Adolphe
Frenette, J O A
French, W H
G
Gagnon, Gustave
Garneau, J George
Garneau, L H
Garneau, l'hon P, M G L
Garneaa, NemĂšse
Gaumont, A
Gauvreau, Etienne
Germain, Joseph
Gilbert, Joseph
Gingras, Arthur
Gingras, Philippe
Giroux, G A
Giroux, Edmond
Giroux, Joseph B
Giroux, Rosario L
Gosselin, F X
Goujon, LĂ©on
Gouin, Ghs
Grenier, Alfred
Grenier, Napoléon
H
Hamel, Alphonse
Hamel, EugĂšne
Hamel, F E
Hamel, Joseph
Hamel, Joseph A
Hardy, N S
Hudon, F E
Huot, Edouard
Huot, Emmanuel
Huot, Philippe
Jacques, LĂ©onidas
JolicĆur, P J
JolicĆur, P J, jnr
Joly, l'hon H G
Joncas, Ghs
K
Kirouack, Frs, jnr
LabrĂšque, Cyprien
LabrĂšque, M A
Lafrance, G J L
Lafrance, P G
Lafrance, Victor
Laliberté, J B
Lamontagne, Louis
Landry, A G P R
Langelier, Ghs, M P
Langelier, l'hon F, M P
Langevin, A E
LariviĂšre, Thomas, jnr
LaRochelle, Edouard
LaRue, George
LaRue, George, jnr
Laurin, J 0
Laurin, L N
Lavigne, Arthur
Lavoie, Dr J P
Leclerc, V N
LeDroit, Joseph
LeDroit, Théophile
Lefaivre, George
Légaré, Mgr G E, Prot. Apos
Lemay, Albert
Lemay, L P
Lemieux, Joseph
Lemieux, TĂ©lesphore
Lemoine, Edouard
Lemoine, Gaspard
Lemoine, L A
LeSage, Siméon
Letellier, Biaise
Lindsay. Alexandre
Lippe, Ghs
Livernoi', J E
Lortie, Edmond
M
Maheux, EusĂšbe
â 108 â
Maloum, Albert
Malouin, Jacques
Marmette, Alphonse
Martin, Joseph
Marlineau, J
Martineau, J E
Matte, Napoléon
McLean, John
Methot, J O
Michaud, C R
Montambault, D J
Montminy, Ghs
Moreau, Edouard
Morin, J B
Morin, L D
Murphy, John E
N
Nadeau, Joseph
Nagant, H
Noël, Lazare
Normand, Fabien
O'Donnell, J G
Pageau, J 0
Pampalon, Avila
Pampalon, l'abbé D
Pampalon, Thomas
Paquet, Arthur
Paquet, Elzéar
Paquet, Thon E T
Paradis, G A
Paradis, Jules
Paradis, L L
Parant, F X
Parant, Louis
Paré, Edmond
Paré, G E
Patry, Eudora
Peachy, J F
Pelletier. L P
Penny, Frank
Picard, Arthur
Pichette, Ovide
Pinault, L F
Poitras, Edouard
Poliquin, 0
Potvin, Olivier
Potvin, Thomas
Pouliot, Alphonse
Pourtier, Dr M
Prémont, Joseph
Prendergast, Godfroid
Prince, J E
il
Rancour, Noël
Redmond, John
RĂ©millard, L'hon E
Richard, Frédéric
Rinfret, TancrĂšde
Robitaille, Amédée
Robitaille, Ghs I
Robitaille, Dr 0
Robitaille, L A
Rochette, TĂ©lesphore
Rouillard, 0 E
Roumilhac, Edouard
Rousseau, Cléophas
Rousseau, David
Rousseau, H B
Roy, Alfred
Roy, George
Roy, Rodolphe
Roy, Thomas
Roy, Thomas E
Shehyn, l'hon Jos M P P
Simard, Dr L J A
Simard, Fiançois
Sirois, L P
Talbot, Aimé
Tanguay, G E
Tardivel, J P
Tarte, Israël
Taschereau, Edouard
Taschereau, L'hon J T
Taschereau, Son Eminence
Cardinal
le
â 109 â
Tessier, Cyrille
Tessier, Jules, M P P
Tessier, Ulric
Tessier, Ihon U J,J GBR
TĂȘtn, Mgr D H, C S
Thibaudeau, Ghs
Thibaudeau, Thon I
Tourangeau, A G
Tousignant, J 0
Toussaint, F X
Toussaint, F X Jnr
Trudelle, Ghs
Trudelle, Edmond
Trudelle, Edouard
Trudelle, T A
Turcot, Dr E
Turcotte, H A
Turcotte, Israël
Turcotte, Nazaire
Vallée, Dr A
Vallée, L P
Vallerand, André B
Vallerand, F 0
Vandry, Joseph
Vandry, ZĂ©phirin
Venner, Dr T A
Verret, A H
Verret, B
Vezina, Adolphe
Vezina, J B
Vignault, FĂ©lix
Vohl, L P
W
Walsh, John E
Membres Titulaires
Fortin, Madame Achille
Hudon, Madame Théop.
Huot, Délie. Eugénie
LabrĂšque, DĂ©lie. Aima
Routhier, Madame F X
Uoy, DĂ©lie. Alphousine
Membres correspondants
AU CANADA»
Benoit, M. Alphonse Ottawa.
Benoit, M. Samuel "
BoNPART, M. A. de Montréal.
Boucher de la BroĂšre, l'honorable P.,
M. G. L ..«. Saint- Hyacinthe.
Brdchési, m. l'abbé P. N Montréal.
Campeau, m. F. R. E Ottawa.
Cannon, m. Lawrence Arlhabaskaville.
David, M. L. O «Montréal.
Decazes. m. Paul Québec.
Drapeau, M. Stanislas Ottawa.
Garneau, m. Alfred «'
LaperriĂšre, M.Augustin â âąÂ«
LusiGNAN, M. Alphonse âą*
Panet, l'honorable EugĂšne w.. "
â 110 â
pROVANCHER, M. l'abbĂ© L... â,#.âŠ... Saint-FĂ©lix du Cap Rouge.
St. Cyr, m. D. N Champlain.
SuLTK, M. Benjamin Ottawa.
Tassé, M. Joseph Montréal,
Vanasse, m. F Montréal.
Membres honoraires
A l'Ă©tranger
Barbaro, m. le Marquis Ramiro Rome (Italie).
BoNNECHOSE, M. Charles de Paris (France).
Campo-Grande, Son Excellence le vi-
comte de Madrid (Espagne).
Foucault, M. le comte de , Paris (France).
Frary, M. Raoul " 'âŠ
Jannet, M. Claudio " "
JovELLAR. Son Excellence le général.. ..Madrid (Espagne).
LePlay, M. F Paris (France).
Leroy, M. Alphonse,^^ LiĂšge (Belgique).
Mallet, m. Edmond Washington, D. G. (E.-U.).
Martinez de Campos, Son Excellence le
général Madrid (Espagne).
MoRET, Son Excellence M. Segismundo. " "
O'Reilly, M. l'abbé Bernard, L. D New-York (E..U.).
Palacio, m. Manuel del Madrid (Epagne).
Prendergast.Sou Excellence M. Jacobo. " "
Rameau, M. E Paris (France).
Sagasta, Son Excellence M. PraxĂšdes âą
Mateo Madrid (Espagne).
Sesmaisons, m. le comte de Paris (France).
SiLVELA, Son Excellence M. Manuel Madrid (Espagne).
Toreno, Son Excellence le comte de.... " "
AU canarĂą
Angers, Son Excellence l'honorable
Auguste Real, lieutenant-gouverneur
de la province de Québec Québec.
Bady, l'honorable L. F. G., J. C. B. R... Montréal.
Bois, M, l'abbé L. E Maskinongé.
Caron, 1 honorable L. B., J. C. S Québec.
Chauveau, l'honorable P. J. O., ancien
ministre. - Montréal.
FouBNiER, l'honorable T., juge de la
cour SuprĂȘme Ottawa.
Howells, l'honorable W. C, consul dos
Etats-Unis Toronto
â 111 â
Landrt, l'honorable A. P Dorchester, N. B.
Lefaivre, m. Albert, consul-général de
France New- York.
Lepebvre, R. p., g. s. g Memramcook, N. B.
Masson, L'Hon. L. R Terrebonne.
MoTHON, R. P. A. L., des FrĂšres PrĂȘ-
cheurs ^Paris.
Pelletier, l'honorable G. A. P., ancien
ministre, Sénateur. Québec.
Plamondon, l'honorable M. A., juge de
Cour Supérieure Arlhabaskaville.
Premio-Real, Son Excel, le comte de,
consul-général d'Espagne au Ganada. Québec.
Richard. RĂ©v. L. F St-Louis, N.-B,
Routhier, l'honorable A. B., J. G. S Québec.
Royal, rhou.Jos.,M. P., ancien ministre. St-Boniface, Man.
Taché, M. J. G., M. D Ottawa.
Taschereau, l'hon. Henri T., J. G. S«...Montréal.
"Verreau, M. l'abbé H ^ '*
変13.
Présidents honoraires et Présidents actifs de Tlnstitut*
Canadien depuis sa fondation
PRESIDENTS HONORAIRES.
1848-49-
1849-50
1850-51
1851-52
1852-53-
1853-54-
-L'honorabĂźe R.E.Garon
L'honorable Ls Panet.
L'honorable Sir N. F,
Belleau.
1854-55 â L'honorable Jos. Cau-
chon.
M. F. X. Garneau.
1855-56
1856-57
1857-58
1858-59
1859-60
1860-61
1861-62
1862-63
1863-64
1864-65
1865-66
1866-07
1867-68
1868-69
1869-70
1870-71»
1871-72-
1872-73-
1873-74-
â M
P. A. DeGaspé.
-M. J. B. Meilleur.
-M. Cyrille Delagrave.
-M. L. G. Baillairgé.
PRESIDENTS ACTIFS.
. L'honorable M. A. Plamondon.
M. J. B. A. Chartier.
M. F. R. Angers.
L'honorable P. J. 0. Chauveau.
M. F. X. Garneau.
L'honorable U. J. Tessier.
L'honorable N. Gasault.
M. Cyrille Delagrave.
M. L. J. C. Fiset.
M. Octave Crémazie.
M. P. J. JolicĆur.
M. Gaspard Drolet.
L'honorable L. B. Garon.
M. R. J. Z. Leblanc.
M. Jacques Auger.
L'honorable Sir H. L. Langevin,
C. B., K. C. M. G.
» >
M. J. G. Taché,
L'honorable H. T. Taschereau.
L'honorable Frs Langelier.
M. D, J. Montambault.
M. T. LeDroit.
i >
L'honorable Jean Blanchet.
â 113 â
1874-75â L'honorable P. j o
Ă875-76 ,^^^"^«a"-' * 'M.J.F.BelIeau.
1876-77 , ! T,Ă» *
1877-78 , . L honorable Ed. RĂ©miUard.
âą B-ro^^ M. J. 0. Fontaine.
1878.79-M. L. J. G. Fiset. / ^- ^- P- Turcotte.
1879-80 , \ Dr A. Vallée.
1880-81 , * * »
1881-82 , ; M- H. J. J. B. Ghouiaard, M. P
1882-83 , . ' . *
1883-84 . ' »
1884-85
1885-86 , ^^ A. Turcotte.
1886-87 , * *^. Alphonse Pouiiot.
1887-88 , * ^â '^- FrĂ©mont.
1888-89
.â14.
Liste des revues et des journaux reçus Ă
rinstitut-Canadien
RKVUES.
Les Nouvelles Soirées Cana-
diennes.
Revue Britannique.
Revue du Monde Catholique.
Revue Catholifiue des Institu-
tions et du Droit.
Le Correspondant.
Le Naturaliste Canadien.
The Musical Times.
Revue littéraire de i l'Univers. »
La Revue Canadienne.
L'Album Musical.
Le Ganada-Fraiir-ais.
Revue ))0litiquH et littéraire.
Revue Scienlilique.
Le Tour du Monde.
The Ctilic, New York.
Revue littéraire.
The Saturday Era, New York.
L'Intermédiaire des chercheurs
et des curieux.
La Nature.
La Lyre d'Or.
Impérial Fédération.
Canadidn Journal of Fabrics,
La Gazette GĂ©ographique, Paris.
JOUKNAU.X ILLUSTRĂS.
The Mechanical News.
L'Illustration, Paris.
L'Univers illustré.
The Illustrated London News,
(Angleterre.)
Frank Leslie's Illustrated News-
Paper.
Scientific American.
The Graphie.
Punch.
Grip.
Le .journal d'Apriculture.
The American Poultry Y'ard.
Machinery Exporter.
FRANCE,
Le Journal des DĂ©bats.
L'Univers.
Paris-Canada.
CANADA. â TORONTO.
The Globe (hebdomadaire.)
The Mail, (hebdomadaire).
The Monetary Times.
MONTnĂAL.
La Minerve.
La Patrie.
Le Monde.
The Gazette.
The Herald.
Journal of Commerce.
Moniteur du Commerce.
The Daily Star.
La Presse.
L'Etendard.
115 â
QUEHEC.
Le Canadien.
Le Journal de Québec.
Le Courrier du Canada.
L'F.venemenl.
The Qu-bec Daily Mercury.
Daily Telegraph.
L'Er^cleur.
The Morning Ghronicle.
La Vérité.
La Gazette OlBcielle de Québec.
La Justice.
L'Artisan.
DIVERS.
Le Journa. des Trois-RiviĂšres.
Le Coiislilulionnel, i
La CoĂźicorde, c
La Gazette de Joliette.
Le Courrier de Saint-Hyacinthe.
Le Sorellois.
La Gazette Officielle d'Ottawa.
Le Canada, Ottawa.
Le Quotidien, LĂ©vis.
Le Moniteur Acadien, Shédiac,
N.B.
Le M mitoba, St Boniface, Man.
The Weekly Fre^^man's N.-Y.
The New York Weekly Herald.
La Paix, Trois-HiviĂšres.
La Feuille d'Erable, New York.
Le Nord.
L'Evangéline, Digby, N.-E.
Le ProgrĂšs du Sa^' lenay, Chi-
coutimi.
Le Courrier de Louiseville.
Le Courrier de Fraserville.
TABLE DES MATIĂRES
Paokb
Ayant-propos III
3 iticdes conférences Y
Officiers de l'Institut ; VII
i. â I. CRĂ©uAZiE, par M. N.-N. Olivikr 1
§. â II. D« l'ancien barrkau de France, par M. J.-E. Prince 19
§. â m. PoMPĂĂŻ, par M. J. FrĂ©mont 47
§. â IV. Notice sur Mademoiselle de Vkrchkrks 69
§. â V. Relation de Mademoiselle de VerchĂšres 73
§. â VI. PrĂ©sentation de l'adresse Ă Son Excellence le lieutenant-
gouverneur Angers 84
1. Adresse 84
2. RĂ©ponse 86L
§. â VIL Rapport des directeurs de l'Institut pour l'annĂ©e 1886-1887. 89
§. â VIII. Rapport du TrĂ©sorier pour lamĂȘme annĂ©e 92
§. â IX. Rapport des directeurs de l'Institut pour l'annĂ©e 1887-1888.... 93
§. â X. Rapport du TrĂ©sorier pour la mĂȘme annĂ©e 98
§. â XL Dons faits Ă l'Institut depuis la publication du dernier
annuaire .^.âą- 100
§. â XII. Liste des membres de l'Institut 105
1 â Membres actifs 105
2 â Membres titulaires 109
3 â Membres correspondants 109
4 â Membres honoraires. 110
§.â XIIL PrĂ©sidents de l'Institut 112
§. â XIV. Revues et journaux reçus Ă l'Institut 114
AS
15
no 12
Institut canadien de Québec
Annuaire
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