REVUE DU MONDE
PS
Ko 7
VOLUME H
MUSULMAN
l'ub
III.-CJ par
LA MISSION SCIENTIFIQ
MAI igoj
WMERO y II
L'hlam en Bosnie et Iler-yê^ovine .
La Révolution persane. . .
Un sermon de A. Seyyéd DJémal-ed-Dine
l.\l/\ .\L\IIFOÙZ
A. L. C.
A.-L.-.\L Nicolas
Cl. If I art
Quelques aspects de i Islam clw:^ les Berbères maro-
'■'^'"^^ E. Mic.tArx-RK,,,.v,p,.:
Le Droit de la guerre
Noies et Nouvelles.
Le Quinzième Congrès international des Orientalistes. — Le Docteur Karl Fov — La Sou-
mission des Chrétiens de Syrie. - \]n Précurseur de la Société protectrice des animaux -
Kesearch Society of India. - L'Agitation au.x Indes. — A Aiigarh. - Chez les K-hodias -
Invitation pour la tète du Prophète, à Durban. -Le Régime parlementaire en Perse -Les
hcoles persanes. — Les Gouverneurs de provinces en Perse. — La Banque nationale per-^ane
— Petites nouvelles de Turquie. — Le Parti musulman russe. — Le Mouvement social
Russie. — Petites nouvelles de Russie. — Le Mad Muliah du (;omal
rique. — Les Musulmans d'Australie.
en
LIslam en Ame-
La Presse Musulmane
A. C. — L. Bouv
\T
Al-lmam. — A Zan/ibar. — Quelques mots sur la presse arabe de Syrie. — \ l'Exposition
de Louvain. — Sélanik.— Le Journalde Bender-Bouchir. —Le Journal d'Ourmiah — Is
Bey Gasprinsky. — 'aIÎ Mèrddn Bey ToptchibachelV. — Tà!{è ILiw^t
tabas. — Le Habl oiil-Slatin à Téhéran".
mail
Tckiàmul. — Al-Muk-
Les Livres et les Revues
A. L. C. — A. Fevri:t. — L. Bouvat.
U Croissant contre la Croix. — Le Soudan égyptien. — L'.Uhambra. — L'Annuaire du
caidat de Zaghouan. — Vn nouveau Calendrier. — Un Jubilé ma(,-onnique à Bombav. — Les
Abdâl de Pamàp. — Un .Manuscrit chinois en caractères arabes, - L^s l'ouillts duKhotan
Bibliographie
Livres. — Rcurs.
2«t)
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3i3
33i
3-17
A. L. C. — L. Amak. — L. B.x \Ai 35/
42t
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MUSULMAN
Publiée par
LA MISSION SCIENTIFIQUE DL' MAROC
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N. SLOUSCH.
BUREAU DE LA REVUE :
28, RUE BONAPARTE, 28
^
Revue du Monde Musulman
i"» Année. MAI N*» 7.
L'ISLAM
EN BOSNIE ET HERZEGOVJNE(')
I
Statistique.
La Bosnie et l'Herzégovine comptent, d'après un recen-
sement récent, 587.178 habitants appartenante la religion
musulmane, contre 548.(332 en 1895. Il y a donc une
augmentation d'environ 36. 000 Mahométans. Mais l'ac-
croissement des Chrétiens est proportionnellement plus
important. Il n'y a donc pas à enregistrer un progrès au
point de vue du nombre des .Musulmans. La plupart vivent
(i) Dans son numéro davril 1907 (VI, pp. 224-225), la Revue du Monde
Musulman a déjà signalé le mouvement qui se manifeste chez les .Musul-
mans de Bosnie et d'Herzégovine, d'après des renseignements Iburnis au
Pester Llovd par un .Musulman anonyme. L'auteur de l'important article que
nous donnons sur la même question, et dont la collaboration a déjà été
appréciée de nos lecteurs, conserve également l'anonymat. Le « point de vue »
auquel il se place n'a pas besoin d'être souligné. La thèse en est présen-
tée avec un talent qu'on ne manquera pas d'apprécier. Le remarquable
ouvrage publié par la Revue générale des Sciences : La Bosnie et l'Her-
zégovine (Paris, .\rmand Colin , présente le point de vue opposé, avec
une documentation dont on peut juger l'étendue par les clichés reproduits
ici. Sauf" la carte, qui nous a été adressée par l'auteur de l'article, nous devons
toutes ces reproductions à l'aimable obligeance de M. L. Olivier, l'éminent
directeur de la Revue générale des Sciences.
M. '9
l'islam en BOSNIE ET HERZEGOVINE
2gi
dans les villes et sont des commerçants, des ouvriers ou
des propriétaires, lis sont tous Sunnites-Hanéfi et, en
majorité, Slaves.
La capitale,iSarajévo (en turc : Bosna-Séraï), a 41 .543 habi-
tants, dont 17.158 xMusulmans. On trouve des Mahométans
en plus grand nombre dans les districts de Cajnica (Tchav-
nitsa), Foca (Fotcha), Rogatica iRogatitsa , Visoko ( Visoka';,
Prjedor (Priédor), Bihac (Bihatch, Bihké\ Cazin, Krupa
et Dolnja-Tuzla.
Les autres districts habités par un nombre plus ou moins
2g2
REVUE DU MONDE MUSULMAN
grand de Musulmans sont : Brcka, Gracanica, Gradacac,
Maglaj, Srebrenica(Srebrenik),Zvornik, Travnik, Bugojno,
Konjic et Zenica.
Le chiffre de la population musulmane a relativement
diminué depuis l'occupation austro-hongroise, à cause de
l'émigration. Beaucoup de Mahométans ne voulant pas se
laisser gouverner par des Chrétiens et se soumettre au
Cl . Rev. C' des Sciences
Musulman de Sarajevo.
Cl. Rev. C' des Sciences.
Citadin musulman.
gouvernement austro-hongrois, une émigration en masse
se produisit pendant les premières années de l'occupation.
Développée encore pendant les années 1882-1885, à la suite
du mouvement de 1882, l'émigration atteignit son maxi-
mum en 1900 et 1901 avec 7.684 et 4.069 émigrants, en
raison de l'opposition du gou\ ernement local auxdemandes
d'autonomie religieuse et intellectuelle des Mahométans.
Presque tous les émigrants ont trouvé une nouvelle patrie
L ISLAM EN BOSNIE ET HERZEGOVINE
2g:>
en Asie Mineure et dans les provinces européennes de
l'Empire ottoman, où le gouvernement turc les reçut avec
faveur, en leur offrant les plus larges facilités.
CL Riv. G'« des Sciences.
Turcs établis en Bosnie.
Cl. lieu. G" des Sciences.
Viliat'eois musulman de Bosnie.
Régime organique.
Chef religieux des Musulmans, le Réïs-ul-riCnua de Bos-
nie et Herzégovine est assisté par un conseil de quatre
membres, le « Medjliss-i-Uléma ». La sphère d'activité du
Réïs-ul-Uléma embrasse :
I" La nomination des fonctionnaires ecclésiastiques, tels
Mosquée de Jijce.
Cl, Rev. G'' des Sciences.
L ISLAM EN BOSNIE ET HEPZFXOVINE
295
que Imam (prêtre d'une mosquée); Mouallim (professeur
d'instruction religieuse); Mudériss (professeur de Mé-
dressé), etc. ;
2" L'établissement de l'avis doctrinal nécessaire pour la
nomination d'un professeur d'instruction reli^'ieuse dans
C' des Sciences.
Mosquée de Ustikolina.
une école d'État, ou pour l'admission des livres scolaires des-
tinés à l'instruction religieuse;
3« La surveillance générale de toutes les écoles musul-
manes : « Mekteb » (écoles la'i'ques) et « Médressé » (écoles
religieuses) ;
4" L'inspection générale de l'instruction religieuse dans
toutes les écoles d'État.
L'examen de Cadi ou de « Hakim-i-Chér'i » (juge religieux)
se passe devant le Réïs-ul-Lléma et de\ant deux membres
2g6
REVUE DU MONDE MUSULMAN
du Medjliss-i-Uléma. Le Réïs-ul-Uléma préside en ce cas
la Commission chargée de l'examen des candidats.
Le Réïs-ul-Uléma et les membres du Medjliss-i-Uléma
sont nommés à vie par l'Empereur d'Autriche et reçoivent
leurs appointements de la caisse d'État. Le Réïs-ul-Uléma
touche annuellement 16.000 couronnes, et
les membres du Medjliss-i-Uléma 4.000
couronnes chacun.
Il y a 5 Muftis dans différents chefs-
lieux de districts ; leurs fonctions consis-
tent à donner des « Fétva » (sentences
religieuses) et à inspecter les écoles mu-
sulmanes.
Une commission, la Landes-Wahuf-
Kommission, administre les biens de Va-
kouf fondations pieuses . Elle comprend
4 membres du Medjliss-i-Uléma, 2 Ha-
kim-i-Chér'i supérieurs, et 12 notables,
choisis pour 3 ans par le gouvernement
local, qui désigne deux des personnages
les plus marquants et les plus estimés
de chacun des six districts titulaires
de ce privilège. Il y a en outre un
président, un Muféttich inspecteur
et un Kiatib (secrétaire. Le prési-
dent est nommé à vie par l'Empereur
d'Autriche ; le Muféttich et le Kiatib
sont nommés par le Ministre com-
mun des Finances, de Vienne.
La Commission se réunit régulièrement une fois chaque
année en Assemblée générale ; elle dresse alors le budget,
et examine les comptes définitifs de l'administration des
Vakouf ou les autres affaires importantes se rapportant aux
Vakouf et aux Mekteb-i-Idadié écoles préparatoires musul-
manes).
Cl. Rev. G'» des Sciences.
Femme musulmane
de Sarajevo.
l'islam en BOSNIE ET HERZEGOVINE 297
L'expédition des affaires courantes des Vakouf est confiée
à plusieurs fonctionnaires et au Central-A usschuss (Comité
Central), qui se compose de 4 membres du Medjliss-i-Ulé-
ma, de 2 Hakim-i-Chér'i supérieurs et de 3 fonctionnaires
supérieurs de la direction des Vakouf.
Toutes les décisions prises par la Landes-Wakuf-Kom-
mission, par le Cenlral-Ausschuss et par la direction des
Vakouf doivent être soumises à l'approbation de la Landes-
i-egierung (Gouvernemenl de la Bosnie et de l'Herzégovine).
La Landesregierinig exerce un contrôle sévère sur toutes les
opérations faites avec les biens Vakouf.
Tous les actes de la direction des Vakouf doivent être
contresignés par la Regieriings-Kommission .Commission
du Gouvernement . Enfin, un commissaire de la Landesre-
gierung assiste à toutes les séances de la Landes-Wakuf-
Kommission.
III
Le Mouvement musulman.
La population musulmane de la Bosnie et de l'Herzégo-
vine n'est pas satisfaite de ses institutions organiques. On
leur reproche de laisser la communauté sans influence sur
l'administration de ses affaires religieuses et intellectuelles.
D'ailleurs, le Réïs-ul-Uléma actuel, ainsi que ses deux pré-
décesseurs, et le Medjliss-i-Uléma se sont montrés impuis-
sants à défendre les intérêts locaux de l'Islam. D'un côté,
le Medjliss-i-Uléma aurait tout à fait négligé l'éducation et
l'instruction des Musulmans, ne se préoccupant ni de la
fondation de nouvelles écoles ni de la réforme des Mekteb-
i-Ibtida'iyé (écoles primaires) et des Médressés. D'un autre
côté, il n'aurait pas tenté de défendre les intérêts de l'Islam
contre les empiétements illégaux de la propagande catho-
298
REVUE DU MONDE MUSULMAN
lique, ni même demandé l'application étroite des lois
mises en cause. Comment en serait-il autrement, puisqu'il
dépend de la Landesregierung.
Ci. Rev. G'' des Sciences.
Mosquée de Mostar.
On cite le cas d'évêques avant baptisé de force des per-
sonnes mineures ou idiotes, ou même majeures. Le gou-
vernement n'étant pas disposé à sévir avec assez de sévérité
l"iSLAM en BOSNIE ET HERZEGOVINE
299
contre ces atteintes à la liberté religieuse des Musulmans,
le Medjliss-i-Uléma n'entreprit aucune démarche active, se
bornant à de faibles protestations. Le baptême illégal et
arbitraire d'une Mahométane idiote a cependant provoqué,
en 1899, un mouvement musulman en faveur de l'autono-
mie religieuse et intellectuelle.
Cl. Rcv ,G'' des Sciences.
Médressé de la Grande Mosquée à Mostar.
Des mandataires élus à l'unanimité, par l'ensemble de la
population musulmane, soumirent à la Lajidesregierung
un mémorandum signalant les défauts les plus graves des
institutions actuelles, avec un projet de statut pour l'admi-
nistration autonome.
En prenant ce projet pour base, la Landesregieriing en-
treprit, en 1901, avec les délégués musulmans, des négocia-
tions, qui, au bout de trois mois, aboutirent à un échec
complet, les deux parties n'ayant pas pu se mettre d'accord
sur quatre points.
3 00
REVUE DU MONDE MUSULMAN
Le principal dissentiment portait sur la sanction de la
nomination du Réïs-ul-Uléma par le Cheikh-ul-Islam de
Constantinople. La. Landesregierung n'a pas voulu accepter
une mesure qui eût subordonné le choix du chef religieux
Cl. Rev. C des Sciences.
Turc établi en Bosnie.
des Musulmans de Bosnie et Herzégovine à la confirmation
du Cheikh-ul-Islam, tandis qu'elle était demandée par les
délégués, au nom de la population musulmane. A l'appui
de cette prétention, les Musulmans invoquaient naturelle-
ment le fait, que les évêques des catholiques et ceux des
Grecs orthodoxes sont confirmés, les premiers par le Pape,
l'islam en BOSNIE ET HERZEGOVINE
3oi
à Rome, les derniers par le Patriarche, à Constantinople.
Après la rupture des négociations, les délégués se rendirent
à Constantinople, pour y demander l'appui du « Khalife ».
Ils se virent alors interdire de rentrer dans leur patrie, et
restèrent à Constantinople, où ils sont entrés au service du
Gouvernement ottoman.
r"
Sibian .Mekteb à Trebinje.
De nouveaux représentants élus, dans ces derniers temps.
par la population musulmane, se sont adressés au parti
avancé de la « Chambre des députés hongroise ». Ine in-
terpellation a été alors adressée au ministre-président hon-
grois, qui a répondu que la Landesregieriing était prête à
accorder aux Musulmans une assez large autonomie reli-
gieuse et intellectuelle, mais qu'elle ne pouvait point accep-
ter que le Réïs-ul-Uléma dépendît d'une influence étran-
302 REVUE DU MONDE MUSULMAN
gère quelconque. La question de l'autonomie musulmane
n'a donc pas encore trouvé sa solution.
Au mois de janvier 1907, une assemblée de soixante no-
tables musulmans, réunie à Sarajevo, a examiné de nouveau
la situation faite aux Musulmans de la Bosnie et de l'Herzé-
govine. Cette assemblée a désigné, pour la représenter, un
grand propriétaire, Mahmoud Bey Fadilpasi'c, qui appar-
tient à une des familles les plus nobles et les plus estimées
du pavs, et un grand commerçant, Ahmed Agha Heuda.
Tous deux doivent organiser, dans les différentes villes, des
comités, qui se feront représenter de même. Pour chaque
ville de cercle, il y aura deux délégués et trois pour cha-
que ville de district. Le « comité populaire » formé ainsi
devra élaborer un projet de réformes qui sera soumis à la
Landesregierung, et celle-ci pourra employer l'intermé-
diaire du Comité pour mettre les réformes à exécution.
Ce mouvement remarquable n'a aucun rapport avec la
députation bosniaque mentionnée plus haut, et qui a subi
un échec complet. Le nouveau Comité des Musulmans
bosniaques exclut les paysans. Il ne se composera que des
représentants des grands propriétaires, des marchands et
des citadins.
IV
Organisation judiciaire, Vakouf.
Dans tous les districts, il y a des tribunaux spéciaux ap-
pelés « Mahkémé-i-Chér'ié » pour l'exercice de la juridiction
concernant les mariages, les héritages et les fondations
pieuses.
Le Mahkémé-i-Chér'ié est présidé par un « Cadi ». Les
cadis sont des fonctionnaires d'État. Ils sont nommés et
rétribués par l'État.
L ISLAM EN BOSNIE ET HERZEGOVINE
3o3
Pour former ces juf^es, on a fondé, en 1887, une école
nommée « Mahkémé-i-Chér'ié-Mektebi », avec cinq classes.
Les futurs cadis apprennent dans cette école, à côté du
Cher'i,' la théologie, les bases du droit romain et d'autres
'.V. Rev. G'° des Sciences.
Mosquée Pascha à Banjaluka.
sujets se rapportant à l'instruction générale. Les élèves qui
y achèvent leurs études sont attachés pour quelque temps
d'abord aux « Mahkémé-i-Chér'ié », puis ils sont nommés
cadi, après avoir subi l'examen de « Hakim-i-Chér'i ».
A Sarajevo, il y a, avec deux cadis supérieurs, un Mahké-
mé-i-Chér'ié » supérieur, qui exerce en seconde instance
3 04
REVLE DU MONDE MUSULMAN
la juridiction sus-mentionnée. Le Conseil du Mahkémé-i-
Chér'ié est composé des deux cadis supérieurs, de deux
conseillers de justice supérieurs et du président du trijjunal
supérieur de Sarajevo. Les conseillers et le président ne
sont pas des Musulmans.
En dehors de ces fonctions, les Cadis s'occupent main-
ii^s Scuitces
Médressé de Sarajevo.
tenant, dans quelques districts, de l'adm.inistration des
Vakouf.
Ils président en ce cas la commission des \'akouf, qui se
compose de deux notables, de l'Imam et du Mudériss du
district. Les quatre membres de cette commission sont
nommés par la Landesregierung.
Le nombre des Vakouf (fondations pieuses) s"élève dans
tout le pays à 912. Les recettes, après avoir été emplovées
selon les intentions du Vakif (fondateur, laissent presque
l'islam en BOSNIE ET HERZEGOVINE 3o5
toujours un petit excédent, avec lequel on a formé les « fonds
centraux des Vakouf ». Ceux-ci servent en partie à l'entre-
tien des mosquées ou aux autres institutions religieuses
qui n'ont pas de recettes suffisantes pour subvenir à leurs
besoins et en partie à l'entretien des « Mekteb-i-Ibtida'iyé
(écoles primaires).
Il faut ajouter à ces fonds tous les biens ayant appartenu
à des mosquées et autres institutions religieuses démolies
ou détruites.
Le budget de la Landes- Wakuf-Kommission et des \'akour
était, en igoS :
Dépenses 668.010 couronnes
Recettes 671.876 —
Excédent, 3.866 —
V
Mouvement intellectuel.
Les habitants entretenaient eux-mêmes, jusqu'à ces der-
niers temps, les « Mekteb-i-Ibtida'iyé », par souscriptions
volontaires. Les enfants apprennent, dans ces écoles, les
premières notions de la religion, surtout la lecture du
Qoran.
A côté des Mekteb-i-ibtida'iyé, dans lesquelles on enseigne
d'après une nouvelle méthode, on trouve encore, dans beau-
coup d'endroits, des « Sibian-.Mektebi », destinées également
aux enfants, et qui les instruisent d'après une vieille méthode
mo\en-ageuse.
De même, les Médressés ont encore une ancienne organi-
sation. Les méthodes d'enseignement v sont surannées et
très primitives.
Le nombre des Musulmans fréquentant les écoles d'État
3o6
REVUE DU MONDE MUSULMAN
est malheureusement assez restreint. Dans la plupart des
écoles primaires et moyennes, le nombre des élèves musul-
Cl. Rev. G'« des Scienca.
Musulman de Foïa en costume albanais.
mans ne répond pas à celui des Musulmans habitant la
contrée. On ne constate de progrès à cet égard qu'en Herzé-
L ISLAM EN BOSNIE ET HERZÉGOVINE
3o7
govine, pour le lycée supérieur de Mostar, où le nombre des
Musulmans s'élève au delà de 20 p. 100. Aussi celte école
ferme-t-elle maintenant ses portes les jours des fêtes musul-
manes.
Cl. Rev. C des Sciences.
Paysans musulmans de Bosnie.
Le chilTre restreint des lycéens, dans le pays même,
explique qu'on ne trouve que peu d'étudiants musulmans
aux Universités de Vienne et d'Agram. C'est en 1906-1907,
l'année scolaire actuelle, que ce chiffre a été le plus élevé :
il n'est que de 40 étudiants musulmans, proportion bien
faible par rapport au nombre des étudiants des autres reli-
gions.
On a fondé, en ujoS, à Sarajevo, l'association « Gaïret »
^Lo Zèle , pour aider les étudiants musulmans pauvres. La
3o8 REVUE DU MONDE MUSULMAN
fortune de l'association s'élève à 40.000 couronnes et ses
recettes annuelles montent à 20.000 couronnes. Elle a
donné, cette année, à environ 5o jeunes gens pauvres les
moyens de faire des études sérieuses, en dépensant à cet
effet 16.000 couronnes.
On trouve à Sarajevo quatre journaux rédigés par des
Mahométans :
i" Béhar :
2° Mussavat ;
3" Bosujak ;
4° Bosansho-hercegovacki Glasnik.
Le journal Béhar est littéraire et bi-mensuel, les trois
autres sont politiques et hebdomadaires.
VI
Situation économique.
Au point de vue économique, on peut dire que les Musul-
mans de la Bosnie et de l'Herzégovine forment la partie la
plus forte de la population. Ils ont cependant perdu une
grande partie de leur fortune depuis l'occupation, d'une
part, à cause de l'émigration, d'autre part, à cause de la mau-
vaise direction de leurs affaires. Les biens ruraux appar-
tenaient pour la plus grande partie aux « Beys » et aux
« Aghas », entre les mains desquels se trouve encore une
grande partie des terres de labours. Mais la valeur de la
propriété foncière a beaucoup diminué depuis l'occupation,
parce que la Landesregierung a accordé aux Kméténs
(cultivateurs) un droit nommé le Kméténrecht, au détri-
l'islam en BOSNIE ET HERZEGOVINE SoQ
ment des propriétaires. Ce droit ne permet pas à ceux-ci de
renvoyer les premiers.
Les différends entre propriétaires et Kmétén's doivent être
portés devant l'Administration politique, dont le jugement
n'est naturellement pas indépendant.
Imzâ Mahfoûz.
LA REVOLUTION PERSANE
5 il est un pays, en Europe, où les événements de Perse
doivent être suivis avec une prof onde sympathie, c'est assu-
rément la France, non seulement parce que la Révolution
persane semble, jusqu'ici, une reproduction fidèle , dans bien
des détails, de la Révolution française, mais parce quelle
représente aussi une partie décisive, peut-être, pour Cave-
nir de l'Islam. Déjà, dans tous les milieux musulmans où
la science moderne commence à revendiquer ses droits, on
imite r exemple des exégètes du christianisme moderne. Des
institutions de l'Islam primitif, celui du Prophète et des
Cheikhîn, se dégagent des altérations, qui les 07it si profon-
dément modifiées au cours des âges et des dominations
temporelles . Ce mouvement est bien la marque des temps
qui viennent : partout l'antagonisme des peuples musul-
mans contre leurs maîtres s'affirme dans la genèse des
natio7ialités. Bientôt viendront les démocraties.
On comprend l'intérêt très vif avec lequel la Revue
suit les progrès de la Révolution persane. On comprendra
tous ses regrets des manifestations par lesquelles les partis
de la réaction, de /'Ancien Régime, cherchent à entraver
la libération du peuple persan, par le désordre.
En voici quelques exemples : Un attar, parfumeur, du
quartier de Tcherandab, à Tauris, Keibelaié Sadaq,
passayit pour Babi, était insulté presque chaque jour par
son voisin, le boulanger Mechhedi Hassan. Le 25 avril
LA BÉVOLUTION PERSANE 3ll
dernier, celui-ci, après avoir prévenu uti autre voisin,
épicier, de disparaître, arriva à 7 heures et demie du soir
devant la boutique du parfumeur. Il était accompagné de
son beau-frère Khalil, de son Jrère, d'un domestique et
d'un ferrache. Tous cinq se mirent à insulter Kerbelaié
Sadaq, qui vendait à un client.
Sadaq les priant de le laisser tranquille, ils se précipi-
tèrent sur lui, l'arrachèrent de sa boutique et, après l'avoir
renversé et bâtonné cruellement, lui écrasèrent la tète avec
une pierre.
VEndjouman et le gouverneur, prévenus, se déclarèrent
iynpuissants à rien faire.
De telles violences en appellent d'autres, qui elles-mêmes
ont des répercussions multiples.
Si on assomme les Babis dans les rues à l^auris, les
Moudjtéheds ont été expulsés de la ville. Mais l'Assemblée
nationale de Téhéran, craignant qu'ils n'allassent ourdir
des intrigues à Xedjef et à Kerbela., écrivit à V Endjouman
de faire tous ses efforts pour les faire rentrer. Ils répon-
dirent aux ouvertures qu'on leur fit alors, en posaiit les
conditions suivantes :
1° Rentrée à Tauris de tous les Oulémas expulsés, sans
exception ;
2° Interdiction de traiter en chaire d'autres questio)is
que les questiois religieuses ;
3" Obligation pour V Endjouman de ne pas s'occuper des
matières religieuses:
4° Défense aux journaux de publier des articles hostiles
à la religion :
5° Garantie que les Oulémas ne seraient jamais forcés
par le peuple d'assister aux séances de l' Endjouman.
Ceci se passait au commencement de mai, huit jours
après le meurtre du Dabi, et voici maintenant que, au
milieu de mai, les Bazars se ferment de nouveau. La
poste est envahie par une foule énorme. On télégraphie
3 I 2 REVUE DU MONDE MUSULMAN
encore à l'Assemblée nationale pour réclamer que le Chah
confirme une fois déplus la Constitution. — De Tauris, di-
sent les derniers télégrammes 'ig mai], le mouvement s'est
propagé dans d'autres villes, à Recht, à Kerman, à Chi-
rac. « Les autorités sont en fuite, mais les troupes sont
encore fidèles », dit la dépêche. — A^e serait-ce déjà plus 89?
On lira avec un vif intérêt, en songeant à ces événe-
ments contemporains et à tous ceux dont ils rappel-
lent déjà ou préparent l'évocation, le sermon du cé-
lèbre Moudjtéhéd Djémal-ed-Dine, de Téhéran, dont nous
devons la traduction à Vobligeance deM. A .-L.-M. Nicolas.
Le bruit fait par ce sermon eîii suffi à le rendre intéres-
sant. Il jette un jour particulier sur la psychologie com-
plexe du mouvement persan.
A.L. C.
UN SERMON
DE A. SEYYÉD DJÉMAL-ED-Dl NE
Le mercredi soir, 14 moharrem i325 c'est-à-dire le jeudi
soir, i5, suivant le calendrier musulman et le 27 février,
suivant notre comput), A. Seyyéd Djémal-ed-Dine, prédica-
teur très aimé des Téhéranis, monta en chaire et prononça
le sermon que l'on va lire. Un journal, El-Djémal, s'est
fondé uniquement p©ur publier, dans toute la Perse, les
paroles de ce descendant de Mohammed, et c'est cette
feuille que nous traduisons.
Au nom de Dieu,
le Clément, le Miséricordieux,
le Créateur de l'Univers.
Je vous ai dit, ces jours passés, que le principe du progrès
et de la prospérité, de la richesse et du pouvoir, du bien en
ce monde et dans l'autre, réside en quatre choses. Tout
pays, tout peuple, qui possède ces quatre choses, s'avance
dans la voie du progrès et monte, des profondeurs obscures
des ténèbres, aux plus hauts sommets resplendissants de
lumières.
Toute nation, au contraire, où ne se trouvent pas ces
quatre choses, tout pays où il en manque, ne serait-ce
qu'une, les autres y étant, reste dans la ruine et la désola-
3 14 REVUE DU MONDE MUSULMAN
tion, comme actuellement la Perse. Les habitants en sont
pauvres et faibles, ignorants, ne sachant rien. C'est l'absence
de ces quatre choses qui fait l'homme ignare et incapable,
c'est elle qui le rend pauvre et misérable, et, dans cet état,
l'individu ne recherche plus rien, ses mains ne s'occupent
à aucun travail, et son cœur n'aspire plus qu'au néant.
Ces quatre choses sont : i° l'égalité ; 2" la sécurité ; 3° la
liberté ; 4° le talent et la science.
Je vous disais, la nuit dernière, que le mot « égalité » ne
veut pas dire que moi, par exemple, je doive m'asseoir
librement à côté du roi, protecteur de l'Islam ; cela ne veut
pas dire que les appointements du soldat doivent être les
mêmes que ceux du général ; cela ne veut pas dire que vous
ne deviez plus respecter les oulémas, ni leur baiser les
mains. Croire cela, serait errer profondément. Il en va de
même pour le mot « liberté », que d'aucuns détournent de
son sens primitif, et que je vous expliquerai, s'il plaît à
Dieu, en son temps.
Voici ce que signifie le mot « égalité » : les lois de Dieu
doivent s'appliquer d'égale façon à toutes les individualités
d'une nation : c'est-à-dire que, quiconque a volé, doit avoir
la main coupée; quiconque boit du vin, doit recevoir son
châtiment; quiconque a une propriété soumise à l'impôt (i)
doit paver cet impôt ; qui que ce soit, sans aucune excuse,
sans aucune exception, car dans le Qoran et dans les
« Hadis » il n'est établi aucune diff'érence entre le Chah et
le mendiant.
Le Qoran dit : « Accomplissez exactement la prière » (2).
Cet ordre est général et concerne chacun d'entre nous. Il
ne se peut que l'un dise : « Je suis seyyéd, donc je suis
exempt de prières», ou bien: « Je suis témoin de l'Islam »,
ou bien : « Je suis prince ». Tous doivent la prière, tous,
(i) Les esprits malintentionnés lont remarquer que les biens du clergé
sont exemptés d'impôts.
(2) Qoran, VI, 71.
LA RÉVOLUTION PERSANE 3 i b
sauf les personnes qui sont explicitement exceptées par la
loi, c'est-à-dire, par exemple, les femmes à l'époque de
leurs menstrues. Quelle que soit la femme, si elle se
prostitue, elle va en enfer, sauf en cas de repentir. Donc
« égalité » veut dire : l'ordre de Dieu est égal pour tous.
O homnie ! le Dieu qui établirait des différences parmi
ses créatures, ne serait pas Dieu, la loi qui ne confondrait
pas le haut et le bas ne serait pas la loi ! Dieu a dit : « O
croyants! le jeûne vous est prescrit » (i\ et dès lors qui
que ce soit doit jeûner, homme ou femme, jeune ou vieux,
riche ou pauvre, sauf, bien entendu, ceux qui sont exceptés,
comme les malades ou les voyageurs. Quelle différence peut-
il y avoir entre moi malade et toi malade? 11 en est de même
pour les aumônes obligatoires, pour le pèlerinage, pour la
guerre sainte ; voilà quel est le sens du mot « égalité »!
Actuellement, dans notre pavs, dans la Perse, cette loi
n'a plus cours : je ne veux pas dire qu'elle n'y existe pas
cette année seulement; elle n'v existe pas cette année, pas
plus qu'elle n'y existait l'année passée, ou il v a dix ou
cent ans. C'est pourquoi nous nous appauvrissons de jour
en jour et devenons de plus en plus malheureux, de plus en
plus misérables.
Les philosophes, les savants, ont tiré leur science du Pro-
phète : tout ce que nous avons nous vient donc du Pro-
phète. Or ceux-ci n'ont rien inventé d'eux-mêmes, et tout
ce qu'ils nous ont enseigné, ils l'ont appris de Dieu.
Notre faible intelligence ne peut, par le calcul, déterminer
les choses !
Elle ne peut qu'admettre le résultat de la science,
11 est certain que les arts proviennent de l'inspiration,
Celle-ci paraît d'abord, et l'intelligence la Completel
( I ) Qoran, II, 179.
3lt) REVLE DU MONDE MUSULMAN
L"astronomie, la médecine, viennent de la révélation faite
aux prophètes.
A quoi peuvent servir l'intelligence et la sensation dans
ce qui n'a pas de forme?''
Creuser une tombe demande peu de pénétration :
Qu'est-ce que la pensée et la science v ont à voir 'f
Si Dieu n'avait pas dit : « Enterrez vos morts », nous
n'eussions su que faire d'eux, comme Cabil [\ qui, long-
temps, ne sut que faire du corps d'Abil (2). Ce fut Dieu
qui lui apprit les rites de funérailles. Si les prophètes
n'avaient pas dit : « Lavez votre linge I », nous n'eussions
pas su le laver. Bref, tout ce que nous avons vient du Pro-
phète, et c'est de Dieu que celui-ci l'a appris :
« Il ne parle pas par suite de quelque mou\"ement de ses
passions.
« C'est une révélation qui lui a été faite (3 • »
Dieu parle par allégories, c'est-à-dire que, quand il veut
faire comprendre quelque chose d'obscur à nos intelli-
ge«ces, il nous l'expose sous la forme de paraboles, pour
que moi, comme toi, nous comprenions. Si, par exemple,
il veut nous faire entendre que ce monde est périssable, il
allégorise sa pensée et compare le monde à une toile d'arai-
gnée :
« Y a-t-il une demeure plus frêle que la demeure de
l'araignée » 4, ce qui veut dire que ce monde est aussi
fragile qu'une toile d'araignée.
Son Altesse Jésus, dans les évangiles, a beaucoup usé de
l'apologue ; de même Moïse dans ses livres, et Dieu encore
dans son Qoran :
« Dieu ne rougit pas d'offrir en paraboles soit un mou-
cheron (5 ... »
(1-2) Cabil et Abil, noms persans de Caïn et Abel.
(3) Qoran, LUI, 8-4.
(4) Qoran, XXIX, 40.
(5) Qoran, II, 24.
LA RÉVOLUTION PERSANE 3 I 7
«. Je parle ouvertement, en me mettant à la portée des
intelligences. »
« Et ce n'est pas là œuvre mauvaise 1 car c'est l'œuvre du
Prophète. »
« Quand c'est avec les enfants que l'on a affaire,
« II faut parler le langa^^'e des enfants. »
Le premier qui employa le langage de l'allégorie pour
nous expliquer la sagesse, c'est Dieu, et si nous voulions
nous étendre sur ce point, cela nous entraînerait trop loin.
Par exemple, ne dit-il pas :
« O hommes ! on vous propose une parabole, écoutez-la.
Ceux que vous invoquez à côté de Dieu ne sauraient créer
une mouche, quand môme ils se réuniraient tous; et si une
mouche venait leur enlever quelque objet, ils ne sauraient
le lui arracher (i . »
Dieu veut ici nous indiquer que l'idolâtrie est mauvaise,
et c'est par cette parabole qu'il nous l'indique. La seconde
partie de ce verset fait allusion à la coutume qu'avaient les
anciens idolâtres de cette époque d'enduire de moût leurs
idoles, moût qu'ils recueillaient ensuite, et dont ils se ser-
vaient pour les maux de gorge et autres maladies ; et les
mouches venaient se poser sur ce moût.
Un Arabe, possédant une idole, alla un jour au dehors,
raconte-t-on. pour s'occuper de ses affaires. Quand il revint
chez lui, il vit un renard qui urinait sur cette idole; il
s'écria :
« Est-ce donc un Dieu que celui sur la tète duquel
viennent pisser les renards ? »
Et c'est là un exemple qui peut servir encore de nos jours ;
qui peut ser\ ir, surtout pour ceux — et je demande pardon
I) Qoran, XXII. 72.
3l8 REVUE DU MONDE MUSULMAN
à Dieu de ce que je vais dire — pour ceux qui abandonnent
la religion de l'émir des Croyants (ij et s'en vont se faire
Babis ! Grand Dieu ! pardonne ! ils sont assez insensés pour
s'imaginer qu'un homme peut être Dieu (2) I Par mon très
saint aïeul, ceux-là sont pires que les impies du temps de
l'ignorance !
Allons donc ! vous vous imaginez qu'un homme qui a
d'abord été semence, puis grumeau de sang dans la matrice
de sa mère, qui sort du ventre de telle ou telle femme, qui
mange comme vous et moi, qui dort, qui se revêt de vête-
ments, qui peut tomber malade, qui subira les lavements
que lui donnera l'apothicaire, vous croyez que celui-là peut
être un Dieu I !
Bref, ces paraboles, que nous avons dans le Qoran, et
auxquelles les philosophes ont beaucoup ajouté, ont toutes
été écrites dans les voies de la sagesse. Les matières sérieu-
ses ont été revêtues des vêtements de la fable, afin que cha-
cun se plaise à les lire. Les premiers hommes qui ont écrit
allégoriquement sont les philosophes de l'Inde.
Trois choses proviennent de l'Inde. Tout d'abord, le jeu
d'échecs, qui apprend à conquérir des royaumes, par l'inter-
médiaire de la stratégie, et qui, de ce fait, est de la plus
grande utilité pour les souverains. Il habitue l'homme à
penser à bien des choses, et le force à réfléchir, avant d'ef-
fectuer un geste, à ceux qu'il devra accomplir beaucoup plus
tard. Mais ce jeu, aux yeux de notre loi religieuse, est illicite.
(i) Le seul Émir des Croyants, pour les Chiites, c'est Ali.
(2) Seyyéd Djémal-ed-Dine démontre ici qu'il ne connaît rien au babisme,
car les Babis font de la Divinité une entité parfaitement inaccessible à la
nature humaine. Le seul intermédiaire qui existe entre Dieu et la créature
est la « volonté primitive » — le Verbe créateur du monde, mais créature
de Dieu, un peu plus proche de Dieu que l'homme, mais encore inllni-
ment éloignée de lui. Ils repoussent donc avec indignation l'épithète de
« croyants à l'incarnation ».
LA RÉVOLUTION PERSANE SlQ
Deuxièmement, les mathématiques: Ce sont les Indiens
qui ont inventé les neuf chiffres, à l'aide desquels on peut
écrire des millions de nombres. L'adjonction d'un zéro suf-
fit à établir des différences considérables.
Troisièmement, les romans, c'est-à-dire les livres qui ca-
chent les problèmes de la sagesse sous les vêtements de
l'anecdote, de sorte que même les enfants, même les femmes,
ont le plus vif désir de les lire. Le meilleur des romans est
celui de Kalila et Dimnah, dont la traduction est VEnveri
Soheili. C'est un livre excellent; sachez qu'il a été traduit
dans toutes les langues du globe, et que nous en devons la
version persane à Anouchirévan^ qui fit venir le volume à
grands frais des Indes en Perse, et en fit exécuter la traduc-
tion dans notre langue.
Après les philosophes des Indes, les gens de TEurope et
du Frenghistan ont, comme ils ont fait d'ailleurs arriver
chaque chose à son degré de perfection, beaucoup d'excel-
lents livres de ce genre, qu'ils appellent « romans ».
Ce sont des livres profondément utiles; prenez-les, lisez-
les, ô vous qui connaissez les langues européennes!
Vraiment je ne sais si les Européens sont allés plus haut
que cela dans la civilisation.
Nous nous imaginions que le télégraphe était le sum-
mum de la science : un homme, ici, à Téhéran, remue la
main, et le bruit en retentit à Paris! Mais nous vîmes bien-
tôt qu'il y avait quelque chose de plus haut encore, et c'est
le téléphone. Tu parles ici, et ta voix, ta voix, ta propre
voix, se fait entendre à Casvine 1 Et ce n'était pas la fin,
car nous vîmes quelque chose de plus merveilleux encore,
« la télégraphie sans fil ». Tu parles et l'on t'entend à
Londres, et il n'y a ni fil, ni poteau télégraphique ! ce n"est
pourtant pas un oiseau qui te sert de messager ! ce n'est pas
le vent qui transporte tes paroles !
O hommes! o hommes ! d'où cela vient-il ? le savez-
320 REVUE DU MONDE MUSULMAN
VOUS ? Eh bien ! je vais vous le dire : de la Science ! de la
Science ! ! de la Science I ! 1 de la Science ! 1 ! I et celle-ci
n'existe pas en Perse !
Ah oui! nous avons par contre, chez nous, une science
qui a fait de singuliers progrès, c'est la science de la « ca-
naillerie et du vol ». Ce soir, tu rentres tranquillement chez
toi, dans ta maison, tu dors, et le lendemain on vient t'ex-
pulser, parce que quelqu'un a fabriqué des titres de proprié-
té et qu'on a vendu ta maison à autrui. Combien existe-il
de ces voleurs à Téhéran ! et combien ont-ils pris de peines
pour connaître, apprendre et appliquer toutes les ruses de
leur métier de voleur !
Les hommes de l'Europe ont conduit toutes les choses à
leur point de perfection : par exemple, la médecine. Ils ont
inventé un instrument par lequel on voit l'enfant dans le
ventre de sa mère ! si elle est malade, on voit où est son mal !
où git sa plaie ! Avec cet instrument, on voit ce qu'il v a
dans une boîte dont le couvercle est cadenassé, et tout cela
ne provient que de la science, j'en jure sur Dieu, de la
Science ! Ce n'est pas une magie I ce n'est pas une fantasma-
gorie! ce n'est pas un miracle ! Les sciences sont arrivées
aussi à un degré élevé dans l'économie politique et les ques-
tions sociales et gouvernementales. Combien de fois ne
vous ai-je pas dit qu'un pays qui a deux milliards d'impôts,
les voit payer par les sujets mêmes de ce pays ; et si, de ces
sommes immenses, un percepteur voulait détourner cinq
francs, on s'en apercevrait aussitôt, et cela, à cause du degré
de science où en sont les Européens!
Et maintenant que nous voulons une assemblée nationale
délibérative, ce n'est pas pour adopter les lois européennes.
Gloire à Dieu ! nous avons les meilleures lois du monde
puisque nous avons le Qoran, Mais ce que nous voulons
LA REVOLUTION PERSANE 32 1
leur emprunter, c'est leur mode de nomination des fonc-
tionnaires, les règles de leurs ministères, leur façon de per-
cevoir les impôts: de telle sorte que personne ne subisse
plus de \'iolences.
Je vous avais promis, la nuit dernière, de vous raconter
l'histoire du ketkhoda (i) Xorouz, et, plusieurs personnes
ayant insisté pour entendre ce récit, je vais m'exécuter:
Le ketkhoda Norouz était le ketkhoda d'un gros village de
l'Azèrbàïdjân, qui possédait au moins mille familles. Il en-
voya à la ville voisine chercher un professeur pour son
enfant.
Or, dans la ville, vivait un vieux MoUa, très saint et très
dévot, nommé Alolla Sefer Ali, dont la réputation était ar-
rivée jusqu'à notre ketkhoda. Celui-ci donna Tordre de le
taire venir et, "à son arrivée, le logea dans une chambre de
son biroun. Dès le lendemain, il lui présenta six élèves.
\ oici la con\ersation de nos deux personnages :
— Seigneur Akhound, le salut soit sur vous !
— Sur vous soit le salut ! la bénédiction de Dieu et sa
miséricorde !
— J'ai amené ces six enfants pour que vous les instrui-
siez. Celui-ci est mon fils, et j'ai pour lui une très grande
artèction, car sa mère est ma bien-aimée qui m'aime. Il vous
faudra prendre grand soin de lui.
— Que veut dire: sa mère est ma bien-aimée? Je ne
comprends pas !
— Cela veut dire que j'ai sept femmes et que celle que je
préfère par-dessus toutes est sa mère.
— Vous n'aimez donc pas les autres ?
— Ma toi non, je ne vais pas une fois par an chez elles.
'i) Maire.
322 PEVL'E DU MONDE MUSULMAN
— Malheureux ! mais ce que vous faites est absolument
contraire au Qoran ! Le Prophète a recommandé d'agir
vis-à-vis des femmes avec justice. Donnez à chacune son
tour! Regardez-les toutes d'un même œil. Si vous ne pou-
vez agir justement avec elles, n'en prenez pas deux ; si vous
ne pouvez pas acheter des \êtements pour les deux, vous
commettez un péché en en achetant pour l'une ; si tu dis à
l'une : « Je suis ton sacrifice ! » et qu'à l'autre tu dises des
injures, tu ne dois pas prendre deux femmes.
Le Prophète a encore dit : « Vous ne pourrez jamais trai-
ter également toutes vos femmes, quand même vous le dési-
reriez ardemment. Gardez-vous donc de suivre entièrement
la pente et d'en laisser une comme en suspens (i). » Songez
que celle-ci sera malheureuse; pensez que c'est une musul-
mane, qu'elle a été vierge, qu'elle aussi a le besoin légitime
de son mari. Quand tu l'as prise, ne l'as-tu pas trouvée à
ton goût?'' Eh bien, pourquoi te déplaît-elle aujourd'hui?
Son haleine n'est cependant pas devenue fétide?''
Ne dit-il pas « ne laissez pas l'une en suspens ». C'est-à-
dire que la femme désire alors que son mari meure, car, ou
bien elle cherchera à se remarier, ou bien elle restera tran-
quillement chez elle ; mais les hommes ! ! !
Ne prends pas deux femmes, pour aller chaque nuit
retrouver l'une et abandonner l'autre complètement. Cette
pauvre abandonnée allumera en vain, chaque nuit, sa lampe
et fixera ses veux sur la porte de sa maison, attendant l'ar-
rivée de son mari, qui viendra peut-être, tout au moins, la
saluer. Si quelqu'un \"eut faire des observations à un tel
époux, il répondra : « N'épousez, parmi les femmes qui vous
« plaisent, que deux, trois ou quatre (21. » Pourquoi un tel
homme ne lit-il pas la suite du verset, afin de comprendre
ce que veut dire le Prophète ?
(i) Qoran, IV, 128.
(2) Qoran, IV, 3.
LA HKVOUJTION PERSANE 323
Est-ce que celui-ci, durant la maladie dont il mourut,
o hommes ! ne fit pas mettre son lit, une nuit, dans la mai-
son de telle de ses femmes, et la nuit sui\ante dans la mai-
son de telle autre ?
— Mon cher Akhound Molla Sefer Ali ! je vous ai fait
venir ici pour donner des leçons aux enfants, et non pour
faire le bel esprit; cela ne convient guère à votre caractère.
Ce second enfant est le fils de Son Altesse; il faut donc lui
prêter la plus grande attention!
— Qui est Son Altesse?-'
— Le prince à qui ce \illage appartient en apanage; il
l'a reçu de S. M. le Chah, et les impôts doivent lui ser\ir
d'appointements.
— Habite-t-il à la ville ou à la campagne?'*
— 11 habite à la ville. Mon cher Akhound ! notre maître
a une bonne habitude : dans chaque village que le Chah lui
donne en apanage, il se marie avec toutes les jeunes filles
jolies et gracieuses, pour ne pas rester seul, quand il \- va
passer quelques jours. Après de telles confidences, \ous
serez, certes, le tombeau de nos secrets ! vous connaîtrez
toutes nos affaires ! mais surtout silence sur tout cela.
Si le bruit en revenait aux oreilles de Son Altesse, ma vie
ne pèserait pas lourd dans la balance ! Eh bien ! mon cher
Akhound, vous ne pouvez vous imaginer ce que cette parenté
du prince nous occasionne de tourments et de maux, et
quels incendies elle allume dans ce village! Personne, par
peur de Son .vitesse, n'ose s'opposer à ces gens-là. Me croi-
rez-vous quand je \ous dirai qu'ici, personne n'est proprié-
taire de son bien, personne n'est maître de sa vie ou de sa
réputation. 11 v a peu de temps, l'un des hommes de Son
Altesse a tué un de nos paysans : qui donc a eu l'audace de
lui faire une observation ? Ce joli garçon est le fils du khan
\abet ( I ). Il faut aussi l'entourer de tous vos soins.
(i) Le klian zabet est le collecteur d'impôts, charge aussi de l'administra-
tion du villai'e.
324 REVUE DU MONDE MUSULMAN
— Qui est le khan zabet?''
— C'est le personnage chargé des villages de Son Altesse.
C'est lui qui examine ce qui se passe, récompense et punit,
et se charge de percevoir les impôts.
— Son Altesse a donc de nombreux villages ?
— Une foule ! tous lui ont été donnés en apanage par le
Chah; et dans ces villages, ce qui fait la loi, c'est la volonté
du khan zabet! il ordonne ce qui plaît à sa fantaisie, et tous
lui doivent obéissance !
— Combien le khan zabet touche-t-il d'appointements
pour exercer ses fonctions î-*
— Il n'a pas d'appointements ; il n"a que les bénéfices de
sa charge et les « épices ».
— Je ne comprends pas! Qu'est-ce que cela veut dire?
— Voici ! Quand Son Altesse prend un village en apa-
nage, il le remet au khan zabet. Ils s'arrangent pour prendre
un toman de plus par toman, comme impôt pour la bourse
de Son Altesse ; le khan zabet prend donc deux tomans
pour un ; en outre, il prélève encore, sur la population,
cinq krans par toman pour lui-même et un kran pour le
ferrach.
— Oh! S'il fait parvenir aux caisses impériales l'argent
qui leur revient !
— Mais non ! est-ce que je ne vous ai pas dit que le ^ il-
lage est l'apanage de Son Altesse. Elle raconte simplement
qu'on lui a accordé une décharge d'impôt, et tout, tant en
argent comptant qu'en nature, va à Son Altesse.
— Combien prend-elle en nature?
— Un kharvar au nom du Chah, un kharvar au nom du
prince, cinquante men au nom du zabet, et dix à celui du
ferrach.
— Fort bien! mais on remet au Chah ce qui lui revient?
— Fichtre ! vous êtes bouché! ne vous ai-je pas dit que le
village est un apanage de Son Altesse? L'impôt en nature
est donc pour elle.
LA REVOLUTION PERSANE 32 5
Le quatrième de ces enfants est le fils de Akhound (i)
Molla Redjeb Ali, le moujtéhed du village, en même temps
que le chef des prières. Vous aurez donc pour lui la plus
grande attention.
— Sapristi ! Akhound et en même temps moujtéhed 1
C'est énorme !
— Pourquoi ?
— Où s'est-il instruit? auprès de qui 'f est-il allé à Nedjef
ou bien a-t-il étudié dans la capitale?
— Qu'est-ce que \ous chantez là! vous ne comprenez
rien à rien. Ce sont des moujtéheds qui se succèdent de père
en fils (2); ils sont fils de « maîtres » et moujtéheds de nais-
sance. Le père de lactuel l'était et son grand-père et son
aïeul ! Vous ferez lire à son fils la première partie des trente
parties du Qoran, et dès qu'il sera un peu plus grand et
qu'il pourra lire dans les livres, nous le conduirons à la
mosquée et il sera moujtéhed à la place de son père.
— C'est le seul akhound qui soit moujtéhed?
— Oui! c'est notre seul moujtéhed. Il v a bien ici une
espèce dakhound qui a étudié sept ans à Nedjef: il est arrivé
ici un beau matin, et, comme nous ne le connaissions pas,
nous n'avons pas fait attention à lui. Il a pris le sage parti
de se retirer dans son coin et ne sort jamais de sa maison.
Il étudie nuit et jour et donne des leçons chez lui. Mais on
dit qu'il ne sait pas lire et qu'il n'est pas moujtéhed.
Oh! gens de Téhéran! remerciez mille et mille fois
Dieu de ce que vous habitez la capitale. Le Prophète a dit :
(1,1 Akhound désigne un prêtre d'un ordre inférieur, et ce mot produit un
bizarre effet accouplé avec le titre de .Moujtéhed.
(2) On ne devient moujtéhed qu'après soutenance d'une ilièse auprès de
m )ujtéheds déjà revêtus de ce titre. Ceux-ci accordent ou refusent 1' « idjazé >,
c'est-à-dire la licence, sans laquelle on n'est pas moujtéhed.
320 REVUE DU MONDE MUSULMAN
« Habitez les grands centres, car si quelqu'un vous veut
tyranniser, vous pourrez aller vous plaindre à un autre. »
Vous n'êtes jamais allés dans des villes comme Chiraz ou
Esfahan, pour voir que ce que disent le ketkhoda Norouz et
Molla Sefer Ali est la réalité même. Là-bas, qu'un Molla
ait la science de Allamé Hélli et la piété de Moqaddes Arde-
bili, on ne le laisse pas entrer dans la ville. Ce n'est que par
héritage que se transmet la qualité de moujtéhed. Je vous
l'ai déjà dit et je vous le répète : j'en jure par Dieu, j'en jure
par l'imam du temps, j'en jure par le Qoran sacré, j'en jure
par le Seigneur des confesseurs, cette œu^■re de l'assemblée
était hors de la puissance de tous, et c'est l'imam Mehdi
qui l'a accomplie en vous réveillant du sommeil de l'insou-
ciance, pour que je puisse vous parler comme je le fais, du
haut de la chaire. Oh 1 hommes ! le molla doit être de mœurs
pures, il doit être religieux, il ne doit pas voler le bien
d'autrui, il doit suivre les progrès des hommes ! il doit
prendre sur lui les charges qui pèsent sur les épaules de ses
ouailles, au lieu d'ajouter encore un faix à ce fardeau.
Oh ! gens de Téhéran ! Je ne veux certes flatter personne,
mais le développement, le progrès de cette assemblée déli-
bérative, sont dus, après le Sahab Ouz Zeman, aux efforts
de deux grands Sevvéds, tous deux témoins et preuves de
l'Islam : je veux dire Agha Sevyéd Mohammed Moujtéhed
Tabatebahi et Agha Sevyéd Abd Oullah, qui vous ont à
tout instant crié : « O hommes! la tyrannie remplit le
monde; établissez une assemblée de justice! » Que Dieu
augmente le rang de tout Molla qui est venu à votre aide,
n''a pas pensé à lui-même et n'a pas songé à vous piller pour
établir son luxe sur vos ruines.
Oh! hommes! si vous entendez dire que certains traîtres,
certains pervers veulent marcher contre l'assemblée, ne
craignez rien 1 II en sera comme je \ous l'ai dit déjà tant
de fois! Ces gens sont au-dessous des moustiques! Dites-
leur : nous voulons rendre notre pays prospère, nous voulons
LA RÉVOLUTION PERSANE 3 27
exécuter l'ordre de Dieu, nous voulons vous rendre riches,
nous ne voulons plus qu'il y ait tant de mendiants, hommes
ou temmes,qui, nuit et jour, vaquent en détresse dans les
rues!
Un jour, les moustiques vinrent trouver Son Altesse Sou-
léiman, pour se plaindre à lui; ils lui dirent : « Ohl Xébi
de Dieu! que pouvons-nous faire contre le vent qui nous
tourmente et nous mart\rise? Que quatre de nous se réu-
nissent, le vent vient et les disperse. Salomon alors appela :
« Oh! vents! venez! » et quand le vent vint, les moustiques
disparurent.
« Le \"ent. dès qu'il entendit, \int \iolent, impétueux. »
« Et ie moustique, alors, prit la fuite. »
« Soléiman l'appela : où vas-tu, moustique! »
« Demeure afin que je rende mon jugement entre vous. »
« xMais le moustique : oh roi ! ma mort vient de sa vie. »
« Et son souffle noircit le miroir de mes jours. »
« Dès qu'il paraît, comment lui résister? »
« Hélas ! il me tourmente et me martvrise. »
« Eh bien ! ces gens pervers sont comme les mous-
tiques ! »
Oh ! hommes ! sachez que l'assemblée délibératrice chas-
sera les pots-de-vin (i), elle enverra en enfer le père des
tripots où l'on joue ; personne n'aura plus le droit de don-
ner des ordres injustes; personne n'aura plus le droit de
ramasser durant la nuit des billets de banque pour jeter, le
matin, le trouble dans la ville. Gloire à Dieu ! nous sommes
les serviteurs de la loi ! Gloire à Dieu ! Nous sommes les
serviteurs de la Perse! Nous joignons tous nos efl'orts pour
rendre la Perse prospère et Tempécher de tomber entre les
mains des ennemis. Le roi, protecteur de l'Islam, est par-
faitement d'accord avec l'assemblée, et plus que tout autre,
(i) [.e texte dit: fera sortir du tombeau le père des pots-de-vin. L'expres-
sion, très énergique, est tout à fait usuelle : elle signifie persécuter et frapper
quelqu'un au point que son père mort s'en émeuve dans le tombeau.
328 BEVUE DU MONDE MUSULMAN
il connaît le fruit et le but de cette institution. Efforcez-
vous donc de ne pas l'irriter, et quand le Medjliss sera
solidement établi, le moustique s'en ira de lui-même.
Je reprends mon récit.
— Ketkhoda ... Ce cinquième enfant est le fils du
moutevelli bachi : il faut prêter la plus grande attention à
ses études !
— Qui est le moutevelli bachi ?
— Le moutevelli bachi de l'imam zadé !
— D'où touche-t-il ses appointements?
— Des revenus qui appartiennent à l'imam zadé !
— Des revenus de l'imam zadé?
— Mais oui ! des revenus de l'imam zadé; revenus qui
lui appartiennent. Son père en faisait autant et son grand-
père de même.
— Ketkhoda Xorouz 1 que dites-vous là I Les revenus
d'un imam zadé ont des destinations précises. Celui qui
laisse son bien à un imam zadé veut que les intérêts en
soient dépensés dans un but spécial, comme Roouzé
Khand (i , aumônes aux pauvres et aux seyyéds, dépenses
d'illuminations. Dès lors, comment le Moutevelli peut-il
dépenser pour lui-même des revenus qui ne lui appar-
tiennent pas ?
— Akhound 1 tu fais de l'esprit. Ne t'ai-je pas dit que
je t'avais fait venir pour donner des leçons aux enfants, et
non pour faire le malin ?
— Le Moutevelli Bachi a-t-il d'autres bénéfices?
— Oui! mon cher Akhound, et j'ai presque honte de
vous le dire. Mais comme vous êtes mon confident, je ne
veux rien vous cacher. L'un de ses bénéfices consiste en
(i) Récitation du martyrologe chiite.
LA PÉVOLLTION PERSANE 829
ceci : Quand on apporte un cadavre pour l'enterrer dans
rimam zadé, si c'est le cadavre d'un pauvre diable, il
déclare : « Nous n'avons pas de place. » Mais si c'est celui
d'un homme riche et qui puisse payer, alors il exi^^e cinq
ou dix tomans. Un autre de ses bénéfices est qu'il s'est
entendu avec les laveurs de morts de la ville et le Darougha,
et quand on apporte un mort pour l'enterrer dans le tom-
beau de l'imam, comme forcément ces morts sont restés
longtemps couchés dans leurs lits avant de mourir, ils ont
le dos tout bleu ou tout meurtri, ah^rs il dit : « Je ne puis
enterrer ce cadavre, car c'est celui d'un homme empoi-
sonné, ou d'un homme assassiné», et le parent du mort,
dans la crainte de se voir soupçonné et compromis, donne
la forte somme pour qu'on enterre le cadavre.
Vous avez compris, oh hommes ! et ne crovez pas que je
vise ici certaines personnes. Non! Dieu m'esttémoin que je
parle en général et sans viser qui que ce soit. Un pavs qui
n'a pas de loi, dans lequel l'ordre de Dieu ne s'exécute pas
de façon égale, voit forcément se produire des choses de ce
genre.
— Ce sixième enfant est orphelin ! il n'a plus de père,
mais vous ne savez pas, Akhound, combien il est mauvais,
ni combien il a mauvais caractère! Il est destiné à recevoir
les coups que mériteront les autres enfants : si ceux-ci com-
mettent des fautes, tapez sur celui-ci. La meilleure preuve
de sa méchanceté est que Dieu l'a rendu orphelin!
— Qu'est-ce que ces enfants ont appris ?
— Mon fils va depuis un peu plus d'un an à l'école, et,
d'après ce qu'on dit, il en est arrivé à « er rahman er
rahim ».
Le fils du prince, il y a longtemps qu'il va à l'école, et
maintenant il sait « bism illah », et il va commencer « er
rahim ». Le fils du khan zabet a suivi les mêmes leçons
que mon fils, mais il ne lui arrive pas à la cheville. Le tils
du moujtéhed, non plus que celui de moutevelli. n'ont pris
33o KEVLE DU MONDE MUSULMAN
de leçons. Il faut maintenant que nous leur appreniez
toutes les parties du Qoran, pour qu'ils puissent lire le plus
vite possible le livre de la Souris et du Chat.
Quant à celui que je vous ai dit être orphelin, il est telle-
ment méchant et mauvais, qu'il a déjà lu tout le Qoran et
a commencé le persan. C'est pourquoi je vous ai dit qu'il
faut le frapper à la place des autres.
S'il plaît à Dieu, ô hommes ! je vous ferai connaître
par la suite la façon dont autrefois on élevait, on instrui-
sait les enfants dans les écoles, et vous comprendrez alors
combien nous avons été malheureux I Hélas I nos œuvres
étaient fautives et mauvaises, et de jour en jour nous avons
descendu la pente, jusqu'au point où nous sommes aujour-
d'hui.
Pour traduction :
A.-L.-M. Nicolas.
LE DROIT DE LA GUERRE
Parmi les de\oirs catégoriques qui s'imposent à la cons-
cience du Musulman, il en est un dont Timportance est
capitale pour les hommes qui ne rentrent pas dans l'en-
semble de la nation musulmane, qui sont en dehors de la
société formée par les adeptes de llslam. et qui n'admet-
tent pas les deux bases inséparables de la croyance isla-
mique : l'unité de Dieu et la mission de Mohammed. C'est
le djihâd, la guerre sainte, non une guerre quelconque, mais
la guerre en \ ue de contraindre les non-croyants à em-
brasser les doctrines unitaires, à moins que, se trou\ant
être de la religion de Moïse ou de celle du Christ, ils ne
soient autorisés à conser\er, mo\'ennant le pa\ement d'une
taxe de garantie, le droit de procéder aux cérémonies de
leur culte sur le sol devenu musulman par la conquête.
Telle est la théorie : l'histoire nous enseigne ce qu'en fut
la pratique. Quelle est la guerre qui n'est pas réputée guerre
sainte? Ou la guerre est portée hors des limites du terri-
toire, et c'est bien une guerre sainte, puisqu'elle est théori-
quement entreprise pour ramener les infidèles dans le sein
de la vraie foi; ou bien elle a lieu sur le territoire même, et
(i Hl-Ahkàm cs-Soullhàniwi. irahé de droit public musulman, d'ABOiL-
Hassan el-Mâwerdî, traduit de l'arabe et annoté par le comte Léon Ostro-
rog, t. Il, 1" partie : Paris, Leroux. 1906. — Kl-Bolkhâbî, 5j/ij7i. livre LVl ;
les Traditiuns islamiques, trad. Houdas et .Marçais, t. Il, pp. 280-379.
332 BEVUE DU MONDE MUSULMAN
c'est encore une guerre sainte, puisqu'il s'agit de réduire
des révoltés contre l'autorité suprême, contre le dépositaire
des droits que le Prophète tenait de Dieu même, contre son
vicaire ou khalife, personnage qu'en théorie on appelle
Vimajn, parce que sa fonction principale sera de présider à
la prière canonique des fidèles assemblés.
Les guerres des Musulmans contre les infidèles ou les
rebelles sont donc des guerres saintes. Lorsque les Arabes
envahissent la Syrie, faiblement gardée par les légions
romaines du Bas-Empire, l'Eg\pte qui ne reconnaissait plus
guère que nominalement Vautocrator de Constantinople,
la Perse défendue avec une constance malheureuse par le
dernier des Sassanides, l'infortuné Yezdeguerd III ; lors-
qu'ils poussent des raids dans le Turkestan et dans la région
de rindus; lorsqu'ils conquièrent l'Afrique du Nord et font
tomber en Espagne l'édifice du rovaume des Goths; lors-
qu'ils s'établissent en Septimanie et lancent de là des
colonnes aventureuses jusque dans les vallées de la Loire et
du Rhône; lorsque, plus tard, les Turcs Seldjoukides, s'in-
filtrant sur les hauts plateaux de l'Asie Mineure, y créent
un Etat musulman en lutte avec les débris de l'Empire grec;
quand, après eux, les Turcs Ottomans s'emparent de la
péninsule des Balkans, puis de Constantinople, de la Hon-
grie et vont assiéger Vienne ; quand ils essavent en vain de
reprendre l'Egypte au général Bonaparte; quand les pirates
des régences barbaresques razzient, non seulement la pleine
mer. mais encore les cités de la Méditerranée; quand Abd-
el-Kader soulève contre nous les populations de l'Algérie,
et que le Maroc essaie une infructueuse intervention, c'est
toujours la guerre sainte. Nous touchons du doigt, pour en
avoir été victimes, une force historique permanente, se
renouvelant sans trêve à travers les générations, indépen-
dante des races, des couleurs, des climats, de toutes les cir-
constances extérieures, jamais abattue, sans cesse renais-
sante. Cette force, c'est l'intime conviction, implantée dans
LE DROIT DE LA GUERRE 333
l'âme de tout Musulman sans aucune exception, qu'il est
créé pour combattre dans la voie de Dieu, et qu'à l'appel de
l'autorité suprême il doit se lever et partir, non avec rési-
gnation, mais avec joie, pour que la parole de Dieu ait le
dernier mot, pour que, suivant l'expression coranique, elle
soit toujours la plus haute.
Les juristes musulmans nous expliquent parfaitement cet
état d'âme. La guerre sainte est un devoir catégorique pur
et simple, dégagé de toute condition restrictive, telle que
par exemple le temps où il peut être rempli ou la nécessité
d'une agression occasionnelle. C'est un droit de Dieu, cela
fait partie du culte qui doit lui être rendu, puisque les doc-
teurs classent ce devoir dans la catégorie des 'ibâdâl ou
actes d'adoration. Le texte du Koran est formel. Il est vrai
que la révélation n'en est arrivée que par degrés. Mohammed
reçoit d'abord l'ordre de proclamer ce qui lui a été com-
mandé et de se détourner des infidèles XV, 94, puis de
discuter avec ceux-ci de la façon la plus persuasive, en les
con\iant à suivre la voie droite (X\'I, 126); ensuite, les
croyants eurent Tordre de combattre si on les attaquait
(II, 87), d'abord sous la condition que ce ne fût pas pen-
dant les quatre mois sacrés, ensuite sans aucune espèce de
condition; et c'est ce dernier texte (II, 245) qui a depuis
régi la matière, corroboré par une tradition du Prophète
qui annonce que la guerre sainte durera jusqu'à la résur-
rection.
Plus tard, à la réflexion, des scrupules sont \enus aux
casuistes musulmans, et ils ont adopté une explication que
l'on trouve dans les traités spéciaux. La guerre est mauvaise
en soi, car elle comporte deux conséquences indubitable-
ment mauvaises : la destruction du corps humain et la
dévastation de provinces entières. Le corps humain est
l'œuvre de Dieu, qui Ta façonné lui-même avec l'argile
empruntée à la terre; la contrée où il habite, et qui
lui est nécessaire pour sa nourriture, lui a été aflectée par
334 hevuf; du monde musulman
la prescience divine. Pri\er l'homme de la vie et des
moyens de l'entretenir, c'est aller contre la volonté de
Dieu, encourir sa réprobation et la malédiction de son Pro-
phète. La guerre est donc un mal, et le pire des maux;
comment a-t-elle pu devenir une chose bonne et, à ce titre,
être ordonnée aux hommes?'' C'est en considération de sa
fin. Cette fin étant l'exaltation de la vraie foi et la répression
de l'iniquité des infidèles (la véritable équité n'existant en
théorie que dans la société musulmane;, on comprend que
la guerre sainte soit un mal nécessaire tant qu'il y aura sur
la terre des esprits qui ne se rendront pas à l'évidence ni à
la persuasion. Aussi les casuistes ont-ils fini par ranger la
guerre sainte parmi les actes de plélé par accident et l'ont-
ils classée, en rang, après la foi, la prière, le jeûne et le
pèlerinage, qui sont des actes de piété par essence.
Telle est la théorie des théologiens ; mais le peuple ne va
pas chercher si loin. En réalité, le Musulman met la guerre
sainte sur le même pied que les autres devoirs primordiaux
de sa religion. Il y est entraîné par l'habitude des sacrifices
sanglants, consommés de sa propre main à certaines époques
de Tannée. Le fanatisme qui a ses bases dans ces couches
profondes, dans ces bas-fonds ténébreux de la conscience
dont a parlé Taine. est plus fort que tous les beaux raison-
nements des docteurs. Enfin il y a un appât puissant, qui
fait que les États musulmans ont toujours trouvé, pour
servir leurs ambitions, plus d'hommes qu'il ne leur était
nécessaire: c'est celui du gain. Le butin pris à la guerre a
sa fonction légale dans la société musulmane. Ce motif
puissant de l'intérêt est celui qui a soulevé des populations
entières, même au début, alors que la foi était toute-puis-
sante, et surtout plus tard, quand on ne combattit plus pour
mériter un paradis de délices en mourant les armes à la
main. Il a donc, dans les Etats et parmi les peuples mu-
sulmans, un rôle sociologique puissant, qu'il convient
d'étudier de près.
LE DROIT DE LA GLEPBE 335
I
« Les Musulmans forment, à l'origine, une étroite asso-
ciation, basée sur la communauté religieuse et sur la com-
munauté des intérêts matériels. Le but de cette association
est la propagation de l'islamisme. Le moven employé est la
conquête. Chaque membre de la communauté reçoit sa
part des bénéfices accordés par Dieu, c'est-à-dire réalisés
par la conquête. De ce principe découlent deux faits pri-
mordiaux relatifs aux biens acquis par celle-ci :
« I" Partage immédiat, en vertu du droit de la guerre, des
biens de tout genre conquis les armes à la main, entre ceux
qui ont pris part au combat; ces biens forment le butin
{ghanîma\ ;
« 2" Droit de la communauté tout entière aux biens acquis
par traité de paix, soit à la suite d'un combat, soit après
une soumission spontanée. »
C'est en ces termes excellents que M. Max van Ber-
chem ;' I a posé les principes qui régissent la matière. Nous
ne nous occuperons ici que des biens qui forment la pre-
mière catégorie, celle du butin, la seule qui puisse mettre
en mouvement l'intérêt individuel ; car il est bien clair que
personne ne trouvera, pour enrichir la communauté prise
en bloc, des motifs aussi puissants que pour accroître sa
fortune personnelle.
Tout ce qui appartient au vaincu, femmes, enfants, biens
meubles et immeubles, de^"ient la propriété du \ainqueur.
Seulement tout le butin individuel, sans aucune exception,
fait l'objet d'un rapport à la masse ; sur cette masse, on
prélève d'abord le quint, qui est la part de Dieu, fixée par
deux textes précis du Koran (LIX, 7, et plus tard \'II1, 42 1 ;
cette part de Dieu, dont le Prophète et ensuite son vicaire ont
(i) La Propriété territoriale et l'Impôt foncier sous les premiers califes.
Thèse de Leipzig, Genève, 18S6, p. 8.
336 REVIE DU MONDE MUSULMAN
radministration, reste indivise et forme un fonds d'entretien
pour les parents du Prophète, les orphelins, les pauvres et les
voyageurs; d'ailleurs, il est absolument interdit de réclamer
contre la manière dont ces revenus seront partagés: « Re-
cevez ce que le Prophète vous donnera, et ne prétendez
rien au delà », dit le texte sacré. On ne doit rien celer à la
masse; il est interdite tout combattant de s'approprier
aucun meuble avant le partage et la désignation spéciale
qui le rend propriétaire légitime de la part à lui affectée par
l'autorité supérieure: on n'autorise tout au plus que le pré-
lèvement de quelques aliments et de ce qui est nécessaire à
la nourriture de la monture du combattant, en vertu du
principe de nécessité.
Il y a cependant une catégorie d'objets qui ne peuvent
faire partie du butin ; ce sont ceux dont la propriété est in-
terdite au Musulman, par exemple le porc, qui doit être
détruit, et le vin, qui peut être converti en vinaigre.
Avant de procéder au partage, il est obligatoire de pré-
le\er un certain nombre de frais communs, qui doivent
être acquittés par la masse ; la seule question qui se pose est
de savoir si ces frais communs doivent être prélevés sur la
masse avant que celle-ci soit réduite d'un cinquième par le
prélèvement du quint, ou après la réduction aux quatre
cinquièmes du total. La seconde théorie a pour elle la lettre
même du texte coranique ; la première a toutefois été
adoptée parla plupart des jurisconsultes. Quels sont ces frais
communs? Les récompenses particulières promises par le
chef de l'armée dans un but d'utilité générale, pour Tindi-
cation, par exemple, des movens de pénétrer dans une
place ; l'affectation par préciput hors part, à ceux qui ont
tué des ennemis, des vêtements et des armes de ces ennemis,
mais seulement si cette condition a été stipulée avant le
combat; les frais nécessités par le transport et la garde du
butin, le salaire des gardiens et des convoveurs ; une légère
indemnité, en tout cas inférieure à la part du combattant.
LE DROIT DE LA GUERRE SSy
pour les femmes, les esclaves et les infidèles qui ont pris
part au combat avec l'autorisation du chef suprême ou de
son délégué.
Les quatre cinquièmes restants sont, après le prélèvement
du quint, partagés entre les combattants et toutes les per-
sonnes du sexe masculin présentes au combat, quoique n'y
ayant pas pris part, tels que les enfants en bas âge et les
auxiliaires arrivant dans le dessein de porter secours aux
Musulmans, pourvu que les premiers soient nés et que les
seconds rejoignent au plus tard dans Tintervalle compris
entre le pillage et le partage.
Le fantassin a droit à une part de butin, le cavalier à deux
parts, s'il n'a qu'un seul cheval ; à quatre parts, s'il en a
deux et au delà. Sont assimilés au fantassin l'infanterie
montée à chameau, âne ou mulet, le cavalier qui se sert
d'un cheval usé, fourbu, ou trop jeune ; au cavalier à deux
parts, le marin.
Le partage du butin doit être fait sur le champ de bataille ;
on doit éviter, à moins de nécessité absolue, de le retarder.
La partie la plus importante de ce butin, ce sont les
esclaves ; c'est pour s'en procurer qu'il n'y a pas bien long-
temps encore, des expéditions franchissaient l'Amoû-Deryâ
ou la frontière au sud des steppes et ravageaient les régions
orientales de la Perse, ou bien se lançaient en plein cœur
de l'Afrique inconnue et y mettaient à feu et à sang les con-
trées habitées par de paisibles populations fétichistes. La
règle du droit est formelle: « Il est permis de réduire en
esclavage tout infidèle avec la nation duquel la communauté
musulmane est en guerre, à l'exception des juifs et des
chrétiens, admis à capituler et qui se reconnaîtront tribu-
taires; mais, s'ils violent la capitulation, ils sont assimilés
aux ennemis de la communauté et peuvent être réduits en
servitude. » La qualité d'esclave est présumée, jusqu'à
preuve du contraire : quiconque se déclare esclave sera cru
sur sa déclaration, s'il ne peut être constaté qu'il est de con-
338 REVLK DU MONDE MUSULMAN
dition libre. Celte disposition s'applique à tout enfant trouvé
en pays ennemi.
La conversion à Tislamisme ne fait pas perdre cette qua-
lité, car la possession de personnes escla\es musulmanes
est légale. On ne peut en sortir que par l'affranchissement,
qui est de plusieurs sortes, énumérées dans les traités spé-
ciaux, question dont l'examen sortirait de notre cadre.
La conquête régulière a procuré jadis à la communauté
musulmane des propriétés immobilières ; le pillage des
biens meubles a enrichi les soldats des khalifes. La pour-
suite des esclaves a entretenu, pendant une longue suite de
siècles, l'ardeur guerrière des Musulmans et a motivé d'in-
cessantes expéditions hors des frontières, les raids des
âqyndjis turcs en Hongrie et dans le Frioul, les courses des
galères barbaresques dans la Méditerranée. Quand, après la
bataille de l'Islv, l'armée française s'empara, dans le camp
marocain, de ces carcans de fer conservés aujourd'hui au
Musée de l'artillerie, elle mettait la main moins sur des
liens préparés pour des prisonniers de guerre éxentuels que
sur des chaînes disposées pour les futurs esclaves.
II
Les théoriciens du droit musulman ont réglé les droits et
les devoirs des commandants en chef. Le généralissime,
muni de pleins pouvoirs par délégation de l'autorité suprême
de la nation (le khalife ou imam), est tenu de sept obligations
envers les troupes; la première est de conserver, dans la
marche, une allure modérée et de régler le pas sur le plus
mauvais marcheur, ce qui rappelle la vieille tactique de la
marine à voiles, dans laquelle, par le fait même des choses,
on était obligé de régler la marche sur celle du plus mau-
vais voilier, afin de ne pas se laisser produire, dans la iile
LE DHOn DE LA GLEKHE 33()
navale, d'interstice par où l'ennemi se serait aisément glissé.
Les auteurs, pour expliquer cette mauvaise stratéf^ie, invo-
quent des raisons d'humanité appuyées sur des hadïls du
Prophète. Le soldat le plus faible doit pouvoir suivre, et le
plus Tort ne pas épuiser ses forces. La sollicitude du chef ne
s'étend pas seulement sur les hommes, mais même aux
montures. « L'homme mal monté mène la troupe », a dit
Mohammed, formulant en un adage concis la règle mari-
time dont je viens de parler.
Le général doit inspecter les che\aux, tant les montures
que les bêtes de somme; rechercher la résistance et le fond
plus que la taille et la grosseur, rejeter absolument les che-
vaux malingres, fourbus par l'âge ou efflanqués; quant aux
bêles de somme, il veillera à ce qu'elles ne soient point
chargées au delà de ce qu'elles peuvent porter, moins par
compassion ou pitié que parce que des bêtes en mauvaise
condition seraient une cause d'infériorité. Il doit s'occuper
de nommer des ofliciers aux soldats des di\erses catégories
qu'il a sous ses ordres, et de surveiller le paiement de la
solde. Au temps des khalifes Abbassides, on comptait, selon
Mâwerdi, des soldats réguliers inscrits sur les registres de
l'administration et soldés par le Trésor sur le produit des
taxes de capitation et de la taxe foncière des tributaires
{kharâdj), et des volontaires qui n'étaient astreints à aucune
obligation militaire et qui se composaient, soit des Bédouins,
soit des habitants sédentaires des villes et \illages accourus
spontanément à la proclamation de la guerre sainte; ceux-ci
étaient rétribués sur le fond de la dîme aumônière. \ersée
au Trésor par les seuls .Musulmans.
L'institution d'un cri de ralliement, la sur\eillance étroite
de l'armée au moyen des officiers qu'il a lui-même choisis,
afin d'en expulser ceux qui poussent à la défection, sèment
l'alarme ou espionnent pour le compte de l'ennemi, sont
des de\()irs du général d'armée sur lesquels il est inutile de
s'étendre. Mais il est intéressant de constater que le septième
340 REVUE DU MONDE MUSULMAN
devoir du commandant est de ne point favoriser ses parents,
condamnation du népotisme, toute platonique d'ailleurs
probablement, et de ne point favoriser non plus celui qui
partage son avis ou suit sa doctrine, au détriment de quel-
qu'un de capable qui ne lui serait pas allié ou différerait
d'avis avec lui. Ces prescriptions sont très sages : elles n'ont
certainement jamais été suivies.
Quels sont les droits du générai en chef, relativement à
l'ennemi, en cas de guerre sainte ? Il faut distinguer. 11 v a
deux catégories d'infidèles, ceux auxquels est parvenue
l'invitation à embrasser l'islamisme, qui Font dédaignée et
s'y sont montrés récalcitrants, et ceux auxquels cette invi-
tation n'est pas parvenue. Contre les premiers, tout est per-
mis : le général a la liberté de les combattre « de la manière
qu'il trouve la plus avantageuse pour les crovants et la plus
nuisible pour les infidèles », comme par exemple de dévas-
ter le territoire ennemi par le fer et le feu, en des courses
soudaines de nuit et de jour Y , soit par des batailles ran-
gées. Aucune limite n'est ainsi fixée à la destruction : biens
de l'Etat, propriétés particulières, vie des citovens (il n'y en
a point dans les Etats asiatiques, mais il v en avait, au
moyen âge, dans bien des cités organisées sur le tvpe ro-
main), tout est à la merci du vainqueur, qui peut faire
irruption, sans déclaration préalable de guerre, sur le terri-
toire de paisibles populations coupables de préférer d'anti-
ques crovances à la religion nouvellement prêchée. L'obser-
vation du principe de la déclaration préalable de guerre
n'est recommandée que si les populations qu'il s'agit d'atta-
quer n'ont point encore été appelées à l'islamisme; on doit
d'abord, suivant l'imam Ech-Châfé'î, leur prêcher l'isla-
misme, mais s'ils refusent de se laisser convaincre, ils se
mettent eux-mêmes dans le cas des premiers, c'est-à-dire
qu'ils s'exposent à voir leur territoire attaqué par surprise,
(1) MÂwERDi, trad. Ostrorog, II, 16.
LE DROIT DE LA GUEPRE 34I
mis à feu et à sang, sans autre sommation que l'appel à
embrasser l'islamisme. L'imam Mâlek distingue entre les
infidèles dont le territoire est proche des États musulmans,
et qu'il tient pour suffisamment informés de la prédication,
et ceux dont le territoire est éloigné : ceux-ci devront être
sommés avant l'attaque, parce qu'on doute qu'ils aient eu
une connaissance suffisante de la prédication, Abou-Hanîfa
considère comme louable, suivant l'exemple donné par le
Prophète lui-même, la sommation préalable dans tous les
cas.
Le prisonnier de guerre ne peut se fîatter de l'espoir
d'avoir la vie sauve, car il est permis de tuer les infidèles,
habiles à combattre, tombés en la puissance des iMusul-
mans, que ces infidèles soient actuellement combattants, ou
qu'ils ne le soient point. Cette règle est générale, et on peut
dire qu'elle domine l'histoire des guerres musulmanes. Il
n'y a d'exception que pour les femmes, les enfants, les ser-
viteurs libres et les esclaves, et encore à la condition qu'ils
n'aient pas pris part au combat; s'ils combattent, on peut
les tuer tant qu'ils font face, mais non quand ils tournent
le dos pour fuir. En ce qui concerne les vieillards et les
moines des peuples infidèles, il y a controverse : les uns les
rangent dans la catégorie des femmes et des enfants, et
admettent qu'on ne peut les tuer que s'ils prennent part au
combat; les autres enseignent que leur mise à mort est
licite, môme s'ils ne combattent pas, à cause des avis nui-
sibles aux vrais croyants qu'ils seraient en mesure de donner
à leurs coreligionnaires.
Le général a encore, en matière de stratégie et de tac-
tique, un certain nombre de devoirs à l'égard de sa propre
armée; Mâwerdi les chitïre au nombre de dix et les énu-
mère sous la forme suivante : le général doit éviter les em-
buscades et \eiller à ce que les troupes se gardent bien,
choisir un terrain favorable pour la bataille, s'approvision-
ner de \ ivres et de fourrage, se procurer des informations
342 PF.VUE DU MONDE MUSULMAN
sur les dispositions de Tennemi et tâcher de pénétrer ses
mouvements, ranger son armée en bataille et envover à
propos des renforts sur le point où porte l'attaque de l'en-
nemi ; prononcer des discours de nature à enflammer Tesprit
de ses soldats, en leur faisant croire que l'ennemi qu'ils ont
devant eux est peu de chose, en leur rappelant leurs devoirs
religieux, les récompenses de l'autre \ïe et celles, plus immé-
diates, à espérer sur le butin ; tenir conseil de guerre sur les
difficultés qui l'embarrassent; veiller à ce que les prescrip-
tions de la loi religieuse soient obéies ; empêcher ses soldats
de s'occuper de commerce ou d'agriculture, pour qu'ils
n'aient pas l'esprit détourné de leur devoir militaire.
Quel est ce devoir militaire ? Tenir contre l'ennemi et ne
pas prendre la fuite devant des forces deux fois supérieures
(il est admis que le soldat peut s'enfuir quand ces forces sont
supérieures de plus du double), se proposer comme but le
triomphe de la religion (car, s'il ne songeait qu'au butin, il
serait privé des mérites attachés à la guerre sainte , rappor-
ter intégralement à la masse commune, sans en rien dis-
traire, le butin tombé entre ses mains et qui, légalement,
ne constitue qu'un dépôt ; et ne pas trahir les droits de Dieu,
supérieurs à tous les autres, en montrant de la faiblesse
pour ses parents ou pour les amis qu'il aurait dans les rangs
des infidèles.
Il ne faudrait pas croire qu'une fois la guerre sainte
entreprise, on puisse s'en tirer à bon compte et se contenter
de quelques succès, qui pourraient n'être que superficiels.
Le Koran 'III, 200; exige la persévérance, l'endurance et la
fermeté. Dans l'interprétation de Zéïd ben Aslam, exégète
de Médine, ces paroles s'appliquent à la guerre sainte, et ne
s'appliquent qu'à elle; or, l'école de Médine, tant pour
LE DROIT DE LA GUEBRE 34?
Pinterprétaiion que pour la jurisprudence, écho d'une tra-
dition qui remonte aux Ansârs, représente mieux que les
écoles rivales la véritable pensée des compagnons du Pro-
phète, et, par conséquent, a plus de chances de refléter la
réelle idée de celui-ci. El-Hasan de Bassora, dont on con-
naît les tendances mystiques, n'entend par ces mots que
l'endurance et la fermeté dans la soumission à Dieu, dans
la voie de Dieu; Mohammed ben Ka'b. qui était de Koûfa,
l'entend à peu près de même et n'y ^■oit que des conseils
de morale passive. Mâwerdi adopte l'opinion de Médine.
Quand la guerre sainte, menée avec endurance et persé-
vérance, prend-elle i\n ? Conduite avec une énergie que rien
ne doit lasser, même si la résistance se prolonge, car le
croyant ne doit jamais, tant qu'il lui reste des forces, tour-
ner le dos à l'ennemi, à quel moment s'arrête-t-elle ? La
guerre peut se terminer de quatre façons : par la conversion
de l'ennemi à l'islamisme, par la conquête intégraledu pavs
ennemi, par la conclusion de la paix, ou par celle d'une
trêve. La première des solutions est incontestablement la
plus heureuse. Devenus musulmans, les ennemis sont main-
tenus dans la propriété de leurs territoires et de leurs biens ;
les lois islamiques leur sont applicables, ils sont devenus les
frères des vainqueurs et sont traités comme tels. Mais si
l'ennemi refuse d'entrer dans la religion victorieuse, alors
on emmène les femmes et les enfants en escla\age, les biens
sont pris comme butin, et les hommes qui ne sont pas con-
servés comme prisonniers, destinés à être \endus comme
esclaves, on les met à mort, à moins qu'ils ne soient mis en
liberté moyennant le payement d'une rançon, ou échangés
contre d'autres prisonniers, ou même libérés purement et
simplement; mais il faut ajouter qu'Ech-Châfé'ï est seul à
soutenir les deux dernières alternatives, et qu'Abou-Hanîfa,
Màlek et Ibn-Ilanbal, ou tout au moins leurs disciples,
n'admettent que la mort ou l'esclaNage.
La paix peut être accordée à l'ennemi, movennant le
344 REVUE DU MONDE MUSULMAN
pavement d'une somme d'argent, soit versée une fois pour
toutes (et alors la sauvegarde, Vamàn. n'est valable que
pour la campagne en cours), soit acquittée tous les ans, ce
qui constitue un tribut perpétuel entraînant une sauvegarde
également perpétuelle; le pacte se rompt par l'interruption
du pavement. Si la paix est conclue sous la stipulation
d'un tribut, elle n'est plus qu'une trêve, dont la durée la
plus longue n'excédera pas dix ans ; mais pour qu'on
accorde cette dérogation au principe de la lutte éternelle
contre l'infidèle, il faut l'excuse de la nécessité ; sinon il ne
peut y avoir qu'un armistice, dont le plus long délai est de
quatre mois.
IV
Comment la guerre doit-elle être menée? Est-il permis de
détruire les movens d'existence de l'ennemi, par exemple
les vignes, les plantations de palmiers ? Oui, dès que le
général v voit un nioyen de réduire l'ennemi et de l'amener
à composition ; non, s'il n'y voit aucun avantage, parce que
ce serait une destruction sans nécessité. Le Prophète lui-
même fit couper les vignes des habitants de Tâïf, ce qui
détermina leur adhésion aux doctrines nouvelles ; il fit
aussi couper les belles plantations de dattiers que la tribu
juive des Benou-Xadîr possédait dans la plaine de Médine,
et qui fournissaient une datte jaune transparente, dont on
apercevait le novau à travers la pulpe ; les Musulmans eux-
mêmes ne procédèrent à l'exécution qu'avec regrets : aussi
fallut il qu'un serset du Koran LIX. 5; vînt justifier le Pro-
phète de la mesure terrible qu'il avait cru devoir adopter
pour réduire ses adversaires.
On peut aussi, comme moven de contraindre l'ennemi,
couper les conduits d'eau qui alimentent les villes et les for-
teresses, quand môme il s'y trouverait des femmes et des
LE DROIT DE LA GLERBE 845
enfants, ce moven étant reconnu excellent pour amener
soit le triomphe à main armée, soit une capitulation.
V
En dehors de la guerre sainte proprement dite, les
auteurs reconnaissent encore trois catégories de guerre:
contre les apostats, contre les schismatiques et contre les
rebelles. Cette distinction, qui avait une importance capi-
tale aux premiers siècles de Thégire, n'est plus d'actualité à
l'heure présente. A notre manière de voir, la guerre contre
les rebelles rentre plutôt dans l'application du Code pénal,
et le général chargé de diriger les hostilités est armé du pou-
voir de punir selon le degré de la faute, ce qui le constitue
en réalité un juge. Les rebelles sont considérés comme
voleurs de grand chemin et traités comme tels.
La guerre contre les infidèles est au contraire une ques-
tion actuelle, partout où l'Europe est en contact avec des
populations musulmanes, soit que celles-ci aient été réduites
à l'état de sujettes, soit qu'elles forment encore des États
limitrophes, indépendants ou vassaux. En se soumettant
à une puissance d'une religion différente de la leur, les
Musulmans n'ont cédé qu'à la force; à la moindre occasion,
à l'appel d'un prédicateur de rencontre, mais convaincu,
ils se soulèveront, courront aux armes et mettront en pra-
tique les droits de la guerre sainte. Les conventions inter-
nationales qui ont limité l'exercice du droit de guerre n'ont
aucune prise sur l'âme musulmane ; elle ignore et ignorera
toujours le pacifisme. L'état de paix lui est imposé par la
force ; elle le subit, mais ne le connaît pas, et ne peut le
reconnaître tant qu'il } aura sur la terre des mécréants à
convertir. Que cette force vienne à faiblir, par suite de
désastres extérieurs ou d'affaiblissement de la volonté dans
346 REVUE DU MONDE MUSULMAN
la conduite des affaires intérieures, le devoir impérieux se
réveille, agit sur la conscience du cro\ant et le pousse aux
fâcheuses extrémités de la violence. Qu'importe s'il n'est pas
le plus fort ? Il a du moins accompli son devoir, et s'il doit
mourir, il meurt content.
Y a-t-il moyen d'enrayer, pour si puissant qu'il soit, l'ex-
plosion d'un sentiment aussi profond? Je le crois. Xos
amis de la presse musulmane peuvent rendre à la civilisa-
tion ce grand service. Le cro\-ant ne saurait considérer
comme des frères ceux qui n'ont pas la même profession
de foi ; mais on peut faire appel à la solidarité, appuyée
sur le terrain ferme de l'instinct de conservation. Il est de
l'intérêt bien entendu des peuples musulmans de faire bon
accueil à ceux qui, par pur dévouement, ou pour gagner
leur vie, viennent leur offrir ce qu'ils ne possèdent pas en-
core, les inventions de la mécanique moderne, les bienfaits
de la médecine et de la chirurgie, les m_oyens puissants de
réalisation fournis par le groupement des capitaux, les mé-
thodes d'exploitation scientifiques, seules capables de leur
procurer un peu de bien-être et de tranquillité. Il faut que
la haine que ressent tout être peu cultivé pour tout ce qui
est étranger et nouveau disparaisse et fasse place à de meil-
leurs sentiments. L'école ne donnera que l'instruction ; les
progrès moraux dont je parle, il faut les attendre de la dif-
fusion de la presse, à la condition, bien entendu, que celle-ci
comprenne son de\oir d'éducatrice, au lieu de se borner à
refléter les passions de ses lecteurs. On ne saurait attendre
moins d'une foule de bons esprits, qui ne demanderont pas
mieux que de contribuer à une œuvre pacifique entre toutes,
celle de l'éducation de l'esprit musulman.
Cl. HUART.
QUELQUES ASPECTS DE L'ISLAM
CHEZ LES BERBÈRES MAROCAINS
Toutes les religions sont plus ou moins altérées par les
coutumes des peuples convertis. Sans doute, le culte peut
modifier, avec le temps, ceux qui le pratiquent; mais il y a
influence réciproque, adaptation d'un côté comme de l'autre.
L'Islam ne fait pas exception à cette règle générale. On ne
connaît pas tous les Musulmans parce que Ton connaît
ceux d'un pavs. Si le dogme reste le même théoriquement,
intangible et inaltérable, la manière d'en comprendre l'ap-
plication dans la vie se diversifie à l'infini. Cette vérité saute
aux veux, quand on étudie l'Islam marocain, et de même
rislam de tout autre milieu, à civilisation attardée.
Les Berbères ont abandonné facilement, pour s'islamiser,
toutes leurs anciennes religions, sauf le Judaïsme, qui a
résisté en partie. Mais, en s'islamisant, ils sont restés Ber-
bères et se sont fait un islam à l'image de leurs coutumes
et de leurs crovances particulières.
Les pratiques de sorcellerie se retrouvent encore à chaque
pas dans les traditions religieuses actuelles du Maghreb.
On peut citer comme exemple l'habitude d'aller tirer à la
courte paille, Dar^e/ A ouiY, dans tel ou tel sanctuaire, a\ant
de prendre une décision.
348 REVLE DU MONDE MUSULMAN
Voici comment se fait cette opération : L'intéressé prend
deux bâtons ; il fait à l'un d'eux une marque, de façon à le
reconnaître; si le sort lui fait choisir le bâton marqué, il
donnera ou ne donnera pas suite à son projet, selon ce qu'il
a décidé lui-même à l'avance. Il va porter ensuite ces deux
bâtons dans le sanctuaire du saint en qui il a mis sa con-
fiance, et les dépose sur le « darbouz », balustrade qui en-
toure le tombeau, puis, fait une invocation, récite quelques
versets du Qoran et, selon la gravité du cas, reprend ses
bâtons immédiatement ou les laisse passer la nuit sur le
« darbouz », pour ne les reprendre que le lendemain. Après
les avoir repris, il demande au premier Musulman qu'il
rencontre en sortant du sanctuaire d'en retirer un. Celui-ci
prend un des bâtons et le rend à l'intéressé, en lui disant :
« Votre bien est dans ce bâton. » C'est la courte paille
sanctifiée : un équivalent, sinon une provenance, de l'an-
cienne consultation du sort, chez les Arabes préislamiques,
par les sept flèches consacrées à l'idole Hobal.
La vénération des saints est devenue, au Maroc comme
en beaucoup d'autres pays d'Islam, un véritable culte, ins-
piré, semble-t-il, par la crainte des puissances célestes, plus
que par le respect religieux. Le saint est considéré comme
un être investi du pouvoir de récompenser et de punir,
plutôt que comme un intermédiaire entre l'homme et la
divinité. A cet égard, il rappelle également, dans une cer-
taine mesure, les divinités du Panthéon arabe.
L'ignorance profonde des Berbères, la défiance qu'ils
s'inspirent mutuellement et leur manque de volonté ont
contribué, dans une large mesure, à développer ce culte. Le
saint est devenu, pour les Berbères, l'appui nécessaire, qu'ils
ne croyaient pouvoir trouver ni parmi leurs semblables, ni
dans la divinité trop lointaine ou trop redoutable. Dieu reste
QUELQUES ASPECTS DE l'iSLAM 849
bien la source du pouvoir des saints, mais une source
éloignée, comme l'était Allah Tâala dans la religion anté-
islamique des Arabes (i).
La Mecque aussi est loin, et c'est ainsi que, de tous les
côtés, si le pèlerinage légal conserve sa valeur obligatoire
pour les gens instruits et indépendants des passions locales,
bien des Berbères se contentent de ceux qu'ils ont à leur
portée. Le saint du Djebel Alem, Moulay Abdesselam, a
deux grands pèlerinages (amara) par an : l'un, le jour de
« Enneskha », le i5 du mois de chaaban, qui est le plus
important : l'autre, le jour d" « 'Arafa », neuvième du mois.
« Dhou al Hidja », la veille de l'Aïd el Kebir. Le pèlerinage
à Moulav Abdesselam, auquel on se rend de tout le Maroc,
s'appelle, dans le pays, «El Hadj Eççaghir». C'est le « petit
pèlerinage », ce qui implique au moins une équivalence
avec VOmrah, ou visite du lieu saint en dehors du moissacré.
Le pèlerinage à Moûlay Bouselham Abou Saïd El-Maçri),
près de TOcéan et de la Merdja Ezzerga, au sud de Larache,
jouit du même privilège. Le terme de culte n'a donc rien
d'exagéré dans son application aux saints du Maroc.
Chaque « cité », pro\ince, tribu, clan, ville ou village, a
placé sa confiance dans le tombeau d'un saint personnage,
qui était, soit un chérif ou descendant du Prophète '2\ le
plus souvent, soit un oiiali salih, homme saint jouissant,
alors qu'il vivait, d'un pouvoir surnaturel, ou bien encore
du descendant d'un ouali. D'où la distinction usuelle entre
le « chéri fisme », pour le premier cas, et le « marabou-
tisme », pour les deux autres.
(i) Cf. Dozv, Iissji sur l'histoire de i'Islamistne. Trud. Chauvin. c!i. 1, p. 4.
'2) De son vivant, le chérîf baraka « qui procure la bénédiction » est
appelé, d'ordinaire, sid, et ce nom est donné, après sa mort, à son tom-
beau.
35o REVUE DU MONDE MUSULMAN
Les rivalités de tribus ont multiplié le nombre de ces
saints. Chacune voulait avoir le sien, plus puissant et plus
digne de vénération que ceux des tribus voisines. Tous sont
respectés; mais la plupart ne sont l'objet que d'un culte
local. Ceux dont la renommée s'étend au loin et sont l'objet
de pèlerinages deviennent, pour les habitants, une gloire et
une source de prolits. Aussi a-t-on vu des luttes sanglantes
s'engager entre Berbères d'abord, entre Arabes ensuite, pour
la possession du cadavre d'un saint en renom.
On cite mieux encore, et le fait suivant, qui est authen-
tique, montre, et la vénération qu'inspirent les saints du
chérifisme aux Berbères, et la \"i(jlence du désir qu'ils ont
de posséder, sur leur territoire, la koubba de l'un d'eux. 11
y a une quarantaine d'années, Sid El-Hadj Abdessalam El-
Ouazzani, étant en tournée de -yiara quête chez les Béni
Mguild, fut informé que, désirant passionnément avoir,
chez eux, la koubba d'un saint illustre, ses hôtes avaient
résolu de le tuer. Ils avaient fondu, dans ce but, une balle
d'argent, une balle de plomb, à leur avis, ne pouvant avoir
d'action sur un personnage d'aussi noble origine et pos-
sesseur d'une baraka aussi puissante ('i ). El-Ouazzani eut
beaucoup de peine à se soustraire au danger qui le mena-
çait, et se promit bien de ne plus revoir ses dangereux ado-
rateurs. Cette anecdote, absolument authentique, montre
la mentalité religieuse de certaines tribus berbères.
S'il y a lutte entre deux tribus pour la possession de la
dépouille mortelle du saint, le don d'ubiquité lui est parfois
attribué miraculeusement et fournit une solution pacifique
au débat. C'est ce qui est arri\'é pour Sidi Qasem Ellelouchi
Essefiani, célèbre par ses deux tombeaux également vénérés
(i) Un talisman écrit, dit tebrid, protégerait, dit-on, contre les balles de
plomb, mais non contre celles d'argent; Bou Hamara n'aurait été blessé que
par des balles de ce métal. Le tebrid est également inefficace contre les
balles des iMauser, qui sont recouvertes d'une enveloppe de métal blanc ;
aussi les Mauser sont-ils extrêmement recherchés au Maroc.
QUELQUES ASPECTS DE l'iSLAM 35 1
dans le Gharb. L'un d'eux est sur la rive droite du Sébou
et l'autre sur la rive gauche, plus au sud, près des Béni
Hassen. De là le nom de «; Sidi Qasem Moula Qoubtein »,
Sidi Qasem aux deux Qoubbas.
N'oublions pas le culte rendu aux Djinns, aux génies mâles
et femelles, bien\eillants ou hostiles; il joue un rôle impor-
tant, surtout dans la vie de la femme marocaine, et existait
bien avant rislam, chez les Arabes polythéistes. Les adeptes
de ce culte sont, d'ordinaire, les Guenaoua, confrérie com-
posée, en grande partie, de nègres. On en trouve aussi chez
les Djilala. Comme ceux-ci, les premiers font leurs cérémo-
nies sous l'invocation de Moulay Abdelqader, fondateur de
l'ordre des Qadriya, qui, d'après la légende, contraignait les
démons à lui obéir. En leur qualité de nègres, les Gue-
naoua ont adopté, pour patron, Sidi Blal. l'esclave abvssin
du Prophète.
Ce culte n'a ni zaou\as ni sanctuaires; on fait des évo-
cations dans des maisons particulières où sont appelés les
Guenaoua ou les Djilala, lorsque les habitants veulent se
rendre favorable tel ou tel Djinn ou en conjurer tel ou tel
autre.
La cro\ance aux génies est très répandue, même parmi
les hommes ayant une certaine instruction. Dernièrement,
quelques Marocains parlaient de la construction éventuelle
de chemins de fer dans leur pays. « Les maîtres du sol,
s'écria un chérîf, naqib (i) des Oulad El-Baqqal, ne le per-
mettront pas ! » Par « les maîtres du sol », El-Moualin el-
ard, il entendait les génies.
(i) Chef de tribu de Cliorfii ou de fraction de tribu, nommé par le Sultan
et servant d'intermédiaire entre les Chorfa et le Makhzen. Les fonctions du
naqib (chez les Berbères me^ouar, sont purement administratives et n'ont
rien de relitiieux.
352 REVUE DU MONDE MUSULMAN
C'est à la dispersion des descendants de Moulav Idris,
chassés de Fez, au quatrième siècle de l'hégire, par Mousa
ben Aby El-Afya, qu"il faut faire remonter Torigine du culte
des saints actuels. Les chérîfs, se répandant dans les pays
berbères, y furent bien accueillis; ils y firent pénétrer plus
avant la religion musulmane, dont l'action était restée, jus-
qu'alors, assez superficielle, et leurs tombeaux devinrent
l'objet de la vénération des habitants. Ceux-ci v tiennent
d'autant plus, qu'en défendant les privilèges qu'ils ont eux-
mêmes attachés à ces tombeaux, ils défendent aussi leur in-
dépendance, et que les offrandes des pèlerins, les revenus
des habous, leur constituent des trésors de guerre i .
Au sixième siècle, lors de l'avènement des Almohades, ce
culte prit une grande importance. A cette époque, vivaient,
en Orient, Moulav Abdelqader El-Djilani et, au Maroc, Mou-
lay Abdesselam ben Mechich, les fondateurs des « voies »
Qaderya et Chadelya, auxquelles se rattachent presque
toutes les confréries marocaines. La plupart dépendent de
l'ordre des Chadelya, Moulav Abdesselam ben Mechich
avant été l'introducteur du soufisme au Maroc (2 .
Deux siècles plus tard, aux débuts de la dynastie saadienne,
une scission se produisit entre les Qaderva, partisans des
Turcs et des Mérinides, et les Chadelya, qui, au contraire,
soutenaient la nou\eile dvnastie. L'antagonisme des deux
ordres n'avait, à ce moment, aucun caractère religieux. Il
(1) Aujourd'hui encore, chez les Djebala, les revenus des habous servent à
acheter des armes et des munitions.
(2) Une nouvelle confrérie Qaderya tente, depuis quelques années, de se
développer sous l'autorité du chérît" .Ma El 'Aïnîn Ech Changuî^i. .Malgré la fa-
veur du Sultan et l'affiliation des grands personnages de la Cour, elle a peu
de succès, L'n certain nombre de .Marocains y étaient entrés, croyant ainsi
être dispensés du payement des impôts: déçus, ils s'en sont retirés. — Cf.
Reloue du Monde musulman, n" 3, p. 348.
QUELQUES ASPECTS DE l'iSLAM 353
semble bien, aujourd'hui, que leur rôle politique ait pris fin
au point de vue organique (i). Quant à la suprématie des
Chadelya, elle n'a d'autre cause qu'un sentiment national, en
quelque sorte, au sens local, et n'a jamais fait obstacle à la
popularité de Moulay Abdelqader El-Djilani. La légende
prétend même que celui-ci a passé au Maroc une partie de
son existence ; son souvenir et son culte s'v retrouvent par-
tout. Il faut être en état de pureté et se déchausser pour en-
trer dans la caverne du Djebel Kourt, dans le Gharb, qui
lui aurait servi de demeure.
Plusieurs légendes font cependant du saint indigène Mou-
lay Abdesselam l'égal, sinon le supérieur, d'Abdelqader. On
raconte que, peu après sa naissance, le premier s'amusait à
troubler, du dchar de Lhasen (2) en Béni Arous, l'eau dans
laquelle le second faisait ses ablutions. Usant de son pou-
voir surnaturel, celui-ci se transporta au Maroc, où il pria
Sidi Mechich, père de Tenfant miraculeux, de mettre fin à
cet amusement. Mais Moulay Abdesselam donna à son père
une telle commotion en le touchant de sa petite main, que
celui-ci tomba sans connaissance. Épouvanté, Sidi Mechich
recommanda à sa femme de ne jamais allaiter leur enfant
qu'avec un seul sein, craignant de voir se développer une
force aussi redoutable.
Une autre tradition assure que Moulay Abdesselam, en-
core tout petit, alla, à travers les airs, enlever un saint
(0 Un personnage religieux important, contemporain de la chute des Mé-
rinides, à laquelle il fut mêlé, Sidi Ahmed ben Yousef El-.Miliani Er-Rachidi,
a été revendiqué pour chacun des deux ordres; il semble avoir appartenu
successivement à l'un et à l'autre. Ses disciples, partisans des Mérinides, puis
des Turcs, étaient accusés de pratiques abadites et même de tendances anti-
religieuses. Cela explique les accusations portées aujourd'hui contre ses
descendants, les Chorfa Melaïna, et leurs rapports avec les sectaires Beda-
doua, dont le souvenir évoque aussi celui des Zekkaras.
(2) Ce village, où le saint est né, et qui fait partie du Djebel .\lem. contient
une source dite Aïn .\bou El-Hassan Ech-Cliadeli, enfermée dans la maison
construite au début du dix-neuvième siècle par Moulay Yazid, fils de Sidi
.Mohammed ben Abdallah, lorsqu'il s'était enfui devant Moulay Sliman. Cette
maison est aujourd'hui ruinée.
". 23
354 REVUE DU MONDE MUSULMAN
d'Orient, que les Pôles ou Qotbs, réunis au mont de Qaf,
avaient choisi comme chef. Il le transporta au Maroc. Hu-
milié de trouver chez cet enfant un pouvoir surnaturel si
supérieur au sien, xMoulay Abdelqader. qui l'avait poursuivi
sans succès, retourna tristement à Bagdad, et, depuis cette
époque, le Pôle de l'Islam n"est plus en Orient, mais au
Maroc.
Toute la politique intérieure des Saadiens, comme des
Filala, a consisté à se ménager Tappui des Chorfa, en em-
pêchant leur influence de trop grandir.
Détruire leur autorité afin de fonder une unité de souve-
raineté était naturellement le programme de gouvernement
des deux dynasties.
Mais, rebelles à toute organisation régulière, les Berbères
savent trouver, dans la religion, un prétexte pour défendre
leur indépendance.
On avait bien vu, au moment des luttes contre les chré-
tiens, naître tous ces « marabouts » d'un chérifisme inégal
et qui, issus de la guerre sainte, se mirent à la tête des con-
fréries des Moudjahidin, tireurs « Errema », cavaliers « El-
khyala » et escrimeurs « Msaqrya ». Le tempérament ber-
bère n'en est pas moins opposé aux équilibres d'en-
semble.
Il lui convient mieux de se prêter aux traditions indivi-
duelles du chérifisme, soit que ses représentants se bornent
aux quêtes de ^iara, en pays insoumis, soit qu'en territoire
soumis au Makhzen, ils perçoivent les droits souverains
sur les a^c^aba (i).
Sans doute, l'idée religieuse existe au Maroc; mais, loin
de faire Tunité du pavs, elle favorise et entretient la divi-
(i) Indigènes des A^ibs, concédés par Dhaher aux Chorfa, qui les admi-
nistrent au nom du Sultan et en font toucher les impôts par des agents de
perception (Moqaddemin).
QUELQUES ASPECTS DE l'iSLAM 355
sion. Les tribus subissent, en effet, surtout l'influence lo-
cale des Chorfa, dont les intérêts répondent aux préférences
indigènes. La religion sert ainsi de prétexte pour résister au
souverain au profit du chérifisme.
A ce point de vue, on peut citer comme significatif le cas
du chérîf Moulay Ahmed Erraisouli, dont on a tant parlé et
qui, pour les uns, n'était qu'un vulgaire bandit, tandis que
d'autres en faisaient un grand seigneur. Les deux opinions
étaient également inexactes. Erraisouli est, en réalité, un ché-
rîf né pauvre, mais dont l'origine noble n'est pas contestée.
D'une mentalité assez primitive, comme les habitants de la
montagne, il a l'instruction d'un taleb marocain, celle d'un
homme ayant appris le Qoran par cœur. Certains person-
nages, le sachant énergique, ont voulu se servir de lui et,
grisé par ses premiers succès, il s'est cru invincible, alors
qu'il n'était pas capable — les faits l'ont montré — de tenir
têteplusd'unjouraux troupes chérifiennes.Maudit par le Sul-
tan, il s'est vu d'abord abandonné de tous et obligé de s'en-
fuir à la zaouya de ses ancêtres, à Tazerout. Il a dû s'v im-
poser d'abord, les habitants ne voulant pas le recevoir. Mais
il n'a pas été livré et continue, jusqu'ici, à tenir la campagne
impunément.
En etïet, il s'était réfugié chez les Béni Arous, sur le ter-
ritoire desquels se trouve le Djebel Alem, avec le tombeau
de Moulay Abdesselam. C'était territoire Horm, d'asile. En
livrant le fugitif, les Chorfa Béni Arous eussent fait preuve
d'un esprit politique s'étendant au delà de l'horizon local.
C'était le moment de graves difl^icultés, dans lesquelles le
«• point de vue » marocain et musulman recommandait
Tobéissance aux vues du souverain, de l'Émir el Moumi-
nm.
Mais, pour arriver au Djebel Alem, il faut traverser un
356 REVUE DU MONDE MUSULMAN
pays de montagnards, qui, en 1889, au moment de la visite
de Moulav Hassen, se montrèrent désillusionnés de ne pas
le trouver d'une taille surnaturelle ou avec plusieurs têtes,
en sa qualité de Sultan. Puis, le respect du Horm, du droit
d'asile, c'était la conservation d'une foule de profits: offran-
des des pèlerins et parts du butin des pillards de la région.
Raisouli fut peut-être menacé pour la forme. Il resta assez
maître de ses mouvements pour avoir pu reparaître un mo-
ment à Zinat et aux portes de Tétouan.
L'unité religieuse du Maroc n'est pas encore faite. Et,
précisément, en raison de l'éparpillement du culte des
saints, avec ses localisations, on peut dire que, sous le mas-
que apparent du fanatisme, il faut chercher d'autres cau-
ses aux mouvements populaires, aux agitations.
On en trouvera, le plus souvent, l'origine dans les agis-
sements ou les conflits d'intérêts particuliers ou locaux,
E. Michaux-Bellaire.
NOTES ET NOUVELLES
Le Quinzième Congrès international des Orien-
talistes.
Dans sa quatorzième session, le Congrès international des Orienta-
listes avait, à l'unanimité, exprimé le désir que la session suivante se
tînt à Copenhague. Les savants danois, qui sont nombreux et dont les
travaux sont universellement appréciés, se sont empressés d'accepter la
charge qu'on leur confiait ainsi; du reste, l'appui de leur gouvernement
et des hommes les plus en vue de leur pays ne leur a pas fait défaut.
La quinzième session du Congrès s'ouvrira donc à Copenhague, dans
la seconde quinzaine d'août 1908. .\L Vilh. Thomsen, l'éminent lin-
guiste, est à la tète du Comité d'organisation, avec M. Fr. Buhl pour
vice-président, AL Chr. Sarauw pour secrétaire général et M. J. Glùcks-
tadt pour trésorier; les autres membres sont .\l.\L Dines Andersen,
J. Ôstrup et Valdemar Schmidt. Voici comment le Congrès s'est orga.-
nisé, répartissant ses travaux en sept sections :
1° Linguistique, langues indo-européennes (AL Vilh. Thomsen);
2° Langues et archéologie des pays aryens (.\L Dines Andersen pour
l'Inde et M. Edv. Lehmann pour l'Iran) ; 3° Langues et archéologie de
l'Extrême-Orient (.\L J. Henningsen pour la Chine et le Japon,. NL A. de
Richelieu pour l'Indo-Chine et la .Malaisie) ; 4° Langues et archéologie
sémitiques (AL Fr. Buhl pour l'araméen, l'hébreu, le phénicien, l'éthio-
pien, etc. ; AL Vald. Schmidt pour l'Assyrie ; AL J. Ôstrup pour les
langues et l'archéologie musulmanes) ; 5° Egypte et langues africaines
(AL H.-O. Lange); 6" Grèce et Orient (.\L J.-L. Heiberg) ; 7" Ethnogra-
phie, Folk-lore de l'Orient (.M. Vilh. GrOnbech) (i).
L. B.
(i) Les adhésions doivent être adressées au trésorier, M. J. Giùckstadt,
conseiller intime, Landmandsbanken, Holmenskanal, 12. La cotisation est
fixée à 18 couronnes, soit 25 francs.
358 PEVUE DU MONDE MUSULMAN
Le Docteur Karl Foy.
L'émincnt professeur de turc du Séminaire des Langues orientales de
Berlin, le docteur Karl Foy, est mort à la fin du mois de mars. Né dans
le Mecklembourg, en i856, il s'était adonné, lors de ses débuts à l'Uni-
versité, à l'étude du grec; puis, au bout d'un an, il se consacrait à la
langue turque, qui lui avait inspiré une véritable passion, et partait
pour Constantinople, où il séjourna longtemps. Il rentrait en Allema-
gne, en 1890, pour occuper la chaire de turc du Séminaire des Langues
orientales. Les élèves qu'il a formés sont nombreux ; ses travaux, éga-
lement nombreux et embrassant presque tout le domaine des dialectes
turcs, sont des plus importants. Nous espérons avoir l'occasion d'en re-
parler; en attendant, il est impossible de passer sous silence les impor-
tantes études sur l'azéri auxquelles il avait consacré ses dernières an-
nées, et qui ont été publiées dans les Mitteiliingen du Séminaire de
Berlin.
L. B.
La Soumission des Chrétiens de Syrie.
Au cours de travaux pour le Fonds Salmon de la Mission scienti-
fique du Maroc, nous avons eu occasion de traduire le traité de paix,
passé, au nom de 'Oumar ibn al-Khattâb, avec les chrétiens de
Syrie.
Cet important document, dont les muftis marocains citent fréquem-
ment les clauses, est considéré par eux comme un texte fondamental,
qui doit s'appliquer, mutatis mutandis, dans les circonstances analo-
gues à celles où il était intervenu.
Selon le faqîh (jurisconsulte) Aboû 'Abd-Allah Mouhammad ibn
'Abd-Allah ibn 'Abd al-Djalil At-Tanassi (mort en 883 de l'Hégire : 1494
de J.-C), ce traité est la base des décisions de tous les jurisconsultes,
quant aux rapports des Musulmans avec les chrétiens.
Voici d'ailleurs ses propres paroles, telles que les reproduit. -l/-A7/'_\-tJr,
l'ouvrage de jurisprudence d'Ahmad al-\\'anscharîsi :
« Ce traité est également mentionné parl'Imâm.en matière de hadîth
(tradition) Aboû 'Oubayd. Les f agi hs de tous les rites l'ont pris aussi
comme base des règles applicables aux sujets tributaires (juifs ou chré-
tiens). C'est ainsi qu'on le trouve invoqué dans le rite malékite, par le
jurisconsulte Schaykh-oul-Islim Aboïï-Bakr a_l-Tortoûschî, dans son
ouvrage intitulé : Sirâdj-al-Mouloûk (dJ^XJl <rl,r^ : le Flambeau des
NOTES ET NOUVELLES 35g
rois); par le Schaykh, l'Imàm Aboïï 'Abd Allah ibn al-Munâsif, dans
son ouvrage intitulé : Al-Indjâd ( :>lf^ VI : le Secours) ; par le Hàfidh Ibn-
Khalaf de Grenade, dans son livre iniiiulé : l'anbih dhaouî-l-Albdb :
Avertissement aux intelligents); par l'historien et traditionniste Aboû-r-
Rabî 'ibn-Sàlim al-K.oulâ'î,dans son ouvrage intitulé : Al-lktifd( UlC VI :
la Suffisance) ; dans le rite schâfiile, par Ibn-al-Moundhir et Ibn-
Boûrân ; dans le 7-ite dhdhirite, par Ibn Hazni et beaucoup d'au-
tres. »
Voici maintenant la traduction du texte même du traité, d'après le
même auteur :
« Ceci est un écrit adressé à 'Abd-Allah 'Oumar ibn al-K.hattàb,
émir des Croyants, par les chrétiens de Svrie :
«. Lorsque vous êtes arrivés chez nous, nous vous avons de-
mandé Vamdn pour nos personnes, nos enfants, nos biens et nos
coreligionnaires. Nous nous sommes engagés envers vous à ne pas
construire, ni dans nos villes ni dans leur banlieue, de couvent,
église, chapelle, monastère (littéralement: retraite de cénobite, de
moine) (i) : de ne pas réédifier celles d'entre ces constructions qui
tombent en ruines ; de n'interdire à aucun Musulman de faire halte
dans nos églises de jour ou de nuit; de laisser leurs portes grandes
ouvertes aux passants et aux voyageurs.
« [Nous nous sommes engagés également^ à donner l'hospitalité à
tout Musulman qui passe par notre pays, pendant trois nuits, en
lui fournissant la nourriture ; à ne pas receler, dans nos églises ou
nos demeures, aucun espion ; à ne pas garder rancune aux .Musul-
mans ; à ne pas enseigner le Qoran à nos enfants ; à ne pas ma-
nifester publiquement notre religion ni y inviter qui que ce soit ;
à n'empêcher aucun de nos parents d'embrasser l'Islâm, s'il le dé-
sire ; à respecter les .Musulmans et à nous lever pour eux des
lieux de nos séances, s'ils désirent s'y asseoir.
«[Nous nous interdisonsMe leur ressembler par quoi que ce soit
de leur costume : bonnet (qalansoiiah), turban, souliers, raie dans
36o PEVL'E DU iMONDE MUSULMAN
les cheveux; de parler leur langue; d'adopter leurs kounyah (i\; dt
monter en selle; de ceindre les épées ; d'avoir aucune arme ou
d'en porter sur nous; de graver sur nos sceaux des inscriptions
arabes ; de vendre du vin.
« [De même, nous nous sommes engagés] à tondre la partie
antérieure de nos tètes ; à conserver notre costume distinctif par-
tout où nous nous trouverons ; à nous serrer le milieu du corps
avec des ceintures ( jlj pI.^Aj :;^oundnîr) ; à ne pas montrer pu-
bliquement nos croix et nos livres, dans aucune des rues des
Musulmans, ni dans leurs marchés (soûqsi ; à ne pas sonner nos
cloches, si ce n'est légèrement : à ne pas élever nos voix pendant
la lecture dans nos églises, en présence des Musulmans ; à ne pas
sortir en procession, le dimanche des Rameaux (2) ou à la Pente-
cote 2) ; à ne pas élever nos voix en accompagnant nos morts ;
à ne pas laisser paraître, dans aucune rue ou soùq des Musulmans,
les lumières avec lesquelles nous accompagnons nos morts ; à ne
pas porter ceux-ci dans le voisinage des Musulmans ; à ne pas
prendre comme esclaves ceux qui sont déjà tombés en la posses-
sion des Musulmans ; à ne pas monter voir par-dessus les maisons
des Musulmans. »
Lorsque 'Oumar reçut cet écrit, il y ajouta :
« Nous nous engageons aussi à ne léser aucun Musulman. Nous
nous soumettons à ces stipulations en votre faveur, nous et nos
coreligionnaires, et acceptons de vous Vamdm à ces conditions. Si
(i) La kounyah (<*1; ; est généralement composée du mot aboû ( _^', père
de^ajouté au nom du fils de l'individu auquel s'applique \di kounyah. Mais,
point nest besoin que ledit individu ait réellement un lils de ce nom. Ainsi,
quiconque se nomme 'Alî a nécessairement pour kounyah. .\boù-I-Hasan,
sans qu'on s'inquiète de savoir s'il est réellement père d'un lîls nommé Ai-
Hasan. Comme le laqab [ .^^, surnom honorifique;, la kounyah a quelque
chose de respectueux.
(2) L'exemplaire lithographie que nous avons entre les mains, porte
j»'^pc; i j 1^0111^, ce qui ne donne aucun sens. .Mais il est aisé de découvrir
l'erreur du copiste, qui, étant peu initié aux fêtes chrétiennes, a défiguré le
mot /»-'l»^ 5c/!a'ânîn. pl.de J k-*-.^ schou'noûn, rameau, en \^U^.
Quant au mot que, par conjecture, je suppose être la fête de la Pente
côte, il est écrit U-ft^lj « notre Bàghoùth •».
NOTES ET NOUVELLES 36 1
nous contrevenons à la moindre de ces clauses, dont nous nous por-
tons garants personnellement envers vous, nous cesserons d'avoir
droit à aucune protection (dhimma<*i ). Dans ce cas, il vous sera
permis de nous traiter comme il est permis de traiter les rebelles et
les révoltés. »
É. A.MAP.
Un Précurseur de la Société protectrice des
animaux.
Dans une longue et intéressante fétwa (i), relative à certains héré-
tiques marocains, le faqih (jurisconsulte) Aboû 'Abd-Allah Mou-
hammad ibn 'Abd-al-Moû'min, qui vivait au seizième siècle à Taxa,
petite ville marocaine entre OudjdaetFès, énumère toutes les pratiques
qui, selon lui, constituent des « innovations blâmables » (2) et doivent,
à ce titre, être sévèrement réprimées.
Il s'élève, en particulier, contre les mauvais traitements infligés aux
animaux. Voici la traduction du passage. On voit que \zfétu>a de ce
juriste marocain du seizième siècle aurait pu, sans qu'on v changeât
beaucoup, figurer, comme exposé des motifs, en tète de la « loi Gram-
mont ».
« Du nombre de ces pratiques blâmables est le fait par certaines per-
sonnes de considérer, comme sans aucune importance, les mauvais
traitements infligés aux animaux et la cruauté envers les bêtes de somme,
par exemple en leur faisant porter des charges qui dépassent leurs for-
ces, en les accablant de coups et d'injures pour les faire courir et obte-
nir d'elles un travail au delà de celui qu'elles peuvent donner. Telle est
aujourd'hui l'habitude de ceux qui font métier de transporter les ré-
coltes, les pierres, le gypse, qu'ils se servent de mulets ou d'autres
bêtes.
« Cette manière d'agir est du nombre des faits répréhensibles, dont il
(i) Voyez Mi'yAr-al-\yanscharisi (Recueil de fétwas émanant de juris-
consultes de l'Afrique du Nord, principalement du .Maroc», t. Il, p. 392.
(2) ^^■'Ki bi'dah, pi. P--^ t/^fa', employé souvent dans le sens d'hérésie.
Dans la jurisprudence religieuse, cela s'entend spécialement des pratiques
qui n'étaient pas en usage du temps du Prophète, de ses Ashàb (compa-
gnons), des Tabi' (disciples qui n'ont pas connu personnellement le Pro-
phète), en un mot, de ces générations qu'on appelle : rJLJ^^_J-LJI as-Sa-
lafas-Sàlili (les pieux ancêtres).
302 REVLE DU MONDE MUSULMAN
faut demander compte à ceux qui s'en rendent coupables et empêcher
la perpétration.
Le coupable invoquera vainement son droit de propriété sur la bête,
car les animaux ont aussi droit au respect, et la protection de la vie
s'impose. Cela est si vrai que, si l'on voyait quelqu'un s'astreindre lui-
même à un travail qui dépasse ses forces et faire ainsi violence à sa
personne, montrant le peu de soins qn'il en prend, on devrait le mettre
dans l'impossibilité de ce faire, l'astreindre à cesser ce travail et, s'il
refuse, l'v contraindre par la force. »
E. A.
Research Society of India.
Dans son numéro du i5 avril dernier, le Mulk and Milliit donne
l'organisation, pour l'année 1907, de la Research Society of India, de
Calcutta. Cette société, qui a pour président M. A.-C. Sen et pour vice-
président le professeur P.-C. Ray, forme trois sections : 1° du sanscrit
et des textes bouddhiques ; 2» arabe et persane ; 3° scientifique. Ces
sections n'existent que depuis l'époque où la Société a changé son
titre de Buddhist Text and Research Society contre le titre actuel.
A l'avenir, la Société aura un organe dit : Research Reriew, publié
chaque mois par deux « editors », dont l'un peut être pris parmi les
secrétaires. Cet organe formera, chaque année, une volume grand in-8
d'environ 1000 pages ; l'abonnement est fixé à 7 roupies.
Chaque mois, la Société tient une assemblée générale, destinée aux
communications littéraires et scientifiques, et dont les procès-verbaux
sont publiés par le secrétaire, Sarachandra Das.
La Société comprend deux catégories de membres: honoraires et titu-
laires. Les premiers, dont le nombre est limité, sont dispensés de
toute cotisation et reçoivent franc de port les publications. Les membres
'titulaires payent un droit d'admission et une cotisation annuelle, dont
le montant, dans l'un et l'autre cas, est de 10 roupies; ils reçoivent
aussi les publications de la Société. Ceux qui ont fourni dix articles au
journal et payé une cotisation de 100 roupies, plus un droit d'admission
de 10 roupies, deviennent « fellows » et membres à vie de la Société.
Les membres peuvent acheter, à moitié prix, toutes les publications
antérieures de la Société. Ils ont droit à la bibliothèque et peuvent s'en
faire adresser, chez eux, les livres, les frais de port étant à leur charge.
Quand le président, qui est nommé pour un an, est pris dans les
sections littéraires, le vice-président doit appartenir à la section scienti-
fique, et chaque année ces fonctions alternent. Les autres membres du
Conseil sont nommés pour deux ans.
NOTES ET NOUVELLES 363
Les procès-verbaux de la Société sont publiés séparément. Les droits
d'admission servent à accroître le fonds de réserve. Pour permettre les
délibérations du Conseil, il faut que quatre membres et le secrétaire
soient présents ; pour les séances générales, le quorum est de quinze
membres. Du 1*='' mai au i5 juin, la Société est en vacances.
Dans une assemblée générale e.xtraordinaire, tenue à Darjeeling le
1 3 novembre 1899, et à laquelle assistaient les plus hauts fonction-
naires de l'administration du Bengale, le directeur de l'enseignement
public, M. A. Earle, rendait hommage à Rai Saratchandra Das Baha-
dur, aujourd'hui encore secrétaire de la Société, qu'il avait fondée
en 1893, dans le but de faire connaître les précieux manuscrits sans-
crits et tibétains qu'il avait rapportés du Tibet. Depuis cette époque, la
Société n'avait cessé de prospérer; elle avait reçu les encouragements et
les félicitations de Max Mùller, de sir Monier Williams, des professeurs
Boden et Rhys Davids, et la Smithsonian Institution de New-York
avait demandé à échanger, avec elle, ses publications. Ajoutons enfin
que c'est Rai Saratchandra Das qui a donné, le 12 février dernier, une
si intéressante conférence sur l'Islam dans la Haute-.\sie, à la section
anglaise du Mosiem Institute.
En réalité, nous dit d'autre part V Homeward Mail (4 avril 1907), la
nouvelle InJian Research Society eslVaLncienne Buddhist Text Society
qui se développe. L'aristocratique et officieuse Asiatic Society n'a pas
su faire place à l'élément hindou. .Aux séances de la Société asiatique
du Bengale, on ne voyait jamais qu'un ou deux membres hindous. 11
est bien naturel qu'on songe enfin à combler cette lacune par le déve-
loppement d'une société où l'élément indigène aura un rôle actif. Ce
programme a eu pour sanction, dés la première séance, le 1 1 avril, la
lecture par le .Moulawi .Mustafa Rhan, d'une étude sur la «. Renaissance
des études arabes et persanes ».
C'est le Swadeshisme intervenant dans l'Orientalisme. Il se mani-
feste aussi dans la Théosophie, comme on le constate par la campagne
des membres indigènes de la Theosophical Society contre le choix
de Mrs. Besant pour la présidence, en raison de sa qualité d'étran-
gère (i).
A. L. C.
(i) Humeward Mail, 4 avril 1907, p. 568.
304 REVUE DU MONDE MUSULMAN
L'Agitation aux Indes.
On devait s'attendre, depuis longtemps, à voir l'agitation, si soigneu-
sement entretenue aux Indes, prendre, un jour ou l'autre, un carac-
tère de réelle gravité. De la « Partition » du Bengale, au cinquantenaire
de la grande Révolte, il s'est produit une succession d'incidents, dont
certains comiques, comme le couronnement de M. Surendra Nath
Bannerjee, et les autres plus sérieux, comme l'organisation des « Vo-
lontaires nationaux », qui ont accentué peu à peu un état de tension
générale.
Sans songer à synthétiser en matière aussi vaste, — puisque, si le
nom même de l'Inde n'a que quatre lettres, il représente, sans les dé-
pendances, une population de 270 millions d'habitants, — on ne peut
s'empêcher d'être frappé de l'importance prépondérante du milieu
musulman. Il semble que les Hindous se sentent incapables de pré-
parer et de réaliser à eux seuls un mouvement organisé et durable. Si
la « Partition » du Bengale a déchaîné leurs colères, ils se sont efforcés
avec ténacité d'entraîner les jMusulmans. Mais la campagne libérale,
dont Syed Ahmed Khan avait été l'initiateur, s'était donné pour but
précisément de faire regagnera l'élément islamique l'avance prise par
les non-Musulmans. Peut-être ne se tromperait-on pas beaucoup en
conjecturant que ce précédent a grandement contribué au « loyalisme »,
dont les principales personnalités des groupements musulmans avaient
donné l'annonce au vice-roi, le i'^'" octobre 1906.
Bien que la grande majorité des Anjumans et des sociétés de tout
ordre affiliées aux « Congrès musulmans de l'Instruction » se fussent
ainsi d'avance prononcées contre les Hindous, en faveur du gouverne-
ment britannique, malgré leur indépendance coutumière, on se trom-
perait en considérant que les Musulmans sont restés unanimement
étrangers à l'agitation actuelle.
Depuis un an, on avait vu les éléments musulmans populaires
prendre part aux désordres du Pendjab, en s'associant aux Mass Mee-
tings, et manifester leurs sentiments « nationalistes » par des protesta-
tions de dévouement télégraphiques au « Khalife ». Le choix de pro-
fesseurs d'arabe allemands pour le Collège Musulman d'/Migarh, par
ses « Trustées », n'avait pas laissé que de surprendre même l'opinion
parlementaire anglaise. On avait pu s'étonner en dernier lieu de voir
le Journal of the Moslem Institute faire place, parmi les sujets intéres-
sants pour l'Orient, à l'histoire de la maison de HohenzoUern (i).
(i) Journal 0/ the Mostem Instilute. \'û1. II, n° 3. — Janvier-mars 1907.
NOTES ET NOUVELLES 365
Il faut mentionner aussi, comme signe des temps, d'après \e Pioneer,
que si l'Émir d'Afghanistan parait lui-même avoir pris plus de souci de
l'automobilisme (i) que de l'Islam, au cours de son voyage, quelques
membres de son entourage se seraient, au contraire, convertis au
Swadeshisme religieux. Un meeting de Mullahs, saisi par eux, à Caboul,
de la question du sucre anglais, en condamna l'emploi, sans autres
résultats d'ailleurs que de faire interdire par le Sirdar Inayat Ullah les
meetings de ce genre.
Dès le 20 février, M. Morley avait été questionné à la Chambre des
Communes sur l'agitation qui se manifestait déjà à Lahore. Il avait
répondu, avec une ironie remarquée depuis, que rien ne faisait craindre
un mouvement général.
Nous ne suivrons pas ici les incidents qui ne concernent que les Hin-
dous. Mais bien des faits de détail sont à citer pour caractériser l'attitude
des Musulmans.
Ils semblent tout d'abord presqu'oublier qu'on s'agite autour d'eux.
Le 29 mars, la « Conférence musulmane d'éducation » du district de
Barisal se réunit sous la présidence de M. Mohammed Hussain, fils du
Nawab de Shaistabad. Il est venu des adhérents un peu de partout,
Musulmans, Européens et même Hindous. Dans son discours d'ou-
verture, le président remercie MM. Bell et Jack, bienfaiteurs de la Com-
munauté musulmane de Barisal, auxquels on doit la création d'un
établissement d'instruction, le BcU-Islami. Il recommande aux parents
d'envoyer leurs fils aux Mektebs, aux Médressés, puis aux écoles et
collèges oij les enfants peuvent recevoir l'éducation anglaise nécessaire,
mais à condition qu'elle se combine avec l'éducation orientale. Instruc-
tion technique, culture physique, voilà qui est indispensable, mais il
faut aussi savoir l'arabe, langue collective du Monde musulman.
Quant aux filles, elles doivent devenir de bonnes maîtresses de mai-
(i)A l'exposition d'automobiles de Calcutta. l'Émir s'était assis dans toutes
les voitures et avait fait sonner toutes les trompes, en annonçant des inten-
tions d'achat, qui avaient mis tous les exposants en émoi. Ne voulant pas
partir sans avoir rien acheté, il fit, après réflexions, l'acquisition d'une
lampe à acétylène {Indian Motor News). — Quoique l'Émir puisse sembler
ainsi n'être pas très confirmé dans ses idées, l'automobile s'avance jusque
dans les montagnes du pays Afj^han. Le record du « plus au nord » appar-
tient actuellement au colonel Godfrey, agent politique de iMalakand, qui
est arrivé en auto jusqu'au delà de Dir, sur la route de Chitral, plus au nord
que Caboul, et en pleine montagne. Homeward Mail (27 avril 1907).
366 BEVUE DU MONDE MUSULMAN
sons, pourleurs maris etieurs enfants. Ellesn'ontpas besoin de l'éduca-
tion anglaise, et elles doivent conserver le Purdah. Il n'y a besoin pour
elles que d'écoles répondant à cette condition (i).
Quelques jours avant, il y avait eu, à Poona, une manifestation géné-
rale des Musulmans de la présidence de Bombay, aux obsèques d'un
■des principaux membres de la Communauté, M. Ahmed Hissamuddin,
mort le 20 mars. Sachant également l'arabe, le persan, l'ourdou, l'an-
glais, il avait contribué à la fondation de l'Anjumani-Deccan et de l'Hi-
mayate-Islam de Poona. La Bibliothèque des écoles ourdoues de Poona
avait bénéficié aussi de sa sollicitude. C'est lui qui avait organisé les
distributions des prix aux élèves des écoles ourdoues, dans la « Mecca-
Mesjid » de la ville. D'accord avec le cheikh Alibhai Hamadani, Amil
des Bohras, il avait beaucoup travaillé au rapprochement des Sunnites
et des Chyytes. Le nawab Mohsin ul-.\lulk d'Aligarh et quelques autres
savants musulmans faisaient de temps à autre des conférences publi-
ques sur sa demande. Il avait lui-même contribué au succès de la« Con-
férence pour l'éducation » de Poona et était membre de la « Mecca-
Mesjid Jamat » et du Comité de la Médressé. Cette activité intellec-
tuelle et religieuse ne l'avait pas empêché de se faire connaître aussi
comme grand industriel, par la création d'une fabrique de soie très
prospère. Ce n'étaient pas les exemples donnés ainsi aux Musulmans
de la présidence de Bombay par AL Ahmed Hissamuddin, dont un fils
continue son œuvre scientifique, comme professeur d'ourdou et de
persan au « Government maie training Collège », qui pouvaient provo-
quer une agitation quelconque (2).
De l'autre côté de l'Inde septentrionale, à Calcutta, l'assemblée générale
de VAnjumani Khademul Islam, tenue le 12 avril, sous la présidence de
Moulana Zahed Hossain Sahed, ne dénotait pas non plus beaucoup de
préoccupations apparentes. On y décida l'acquisition d'un terrain, pour
la construction d'un bâtiment destiné à la Bibliothèque de la Khade-
mul Islam ; puis, dans un discours qui s'inspirait tout entier des souve-
nirs de Sir Syed Ahmed Khan, le président proposa de demander au
gouvernement la nomination d'inspecteurs musulmans des écoles du
Bengale, au profit de la jeunesse mahométane (3). Là encore c'est le
calme et la sérénité.
Un mois auparavant, la crise d'Aligarh avait causé une vive émotion.
Elle venait de se dénouer de la façon la plus heureuse, le 5 avril, par le
retrait de la démission du nawab Mohsin ul-Mulk. 11 semble, en vérité,
(i) Mulk and Milliit, g avril 1907.
(2) Ibid., 16 avril 1907.
{3) Ibid., 3o avril 1907.
NOTES ET NOUVELLES 867
que, dans tous les milieux où le développement de son œuvre permet-
tait de comprendre la valeur de sa doctrine, le grand souvenir de Sir
Syed Ahmed Khan, ait imposé le respect de sa politique, musulmane
d'abord, mais de sympathies anglaises. Il maintenait ainsi du côté de
l'Angleterre l'élite puissante et dirigeante de la société musulmane.
C'est ainsi qu'au Pundjab, dès les premiers troubles de Lahore (6 avril),
un mass meeting musulman se prononça énergiquement contre les
désordres, en insistant même pour qu'on sévît contre les « intellectuels ■»
indigènes qui prenaient part aux désordres. Dans lesN. W. provinces,
on avait vu avec satisfaction le Sénat de l'Université d'Allahabad créer
un doctorat és-arts, dont l'examen pourrait porter sur la philologie
arabe (i). Le Paisha akhbar, quotidien ourdou de Lahore, prenait vive-
ment à partie, après l'affaire du Pu;irf/a6j, les étudiants qui s'étaient
alors associés aux émeutiers (2). Le V^aA//, journal musulman ourdou
bi-hebdomadaire d'Amritsar, déclarait de son côté qu'il n'v avait pas de
rapports possibles entre Hindous et .Musulmans i3). .Mêmes déclarations
dans le Watan, hebdomadaire ourdou de Lahore 14). Enfin, renchéris-
sant sur ses confrères, la Shalima i Hind, hebdomadaire musulman
ourdou de Murut, donnait, dans une première réunion, un programme
catégorique : tout en reconnaissant sa médiocrité, il défiait qu'on le
dépassât «en style» et en loyauté envers le Gouvernement (5).
Point n'est besoin d'insister davantage, pour montrer ce qu'étaient les
paroles. Mais, pendant ce temps, qu'étaient les actes ? On peut les ran-
ger en deux catégories.
Tout d'abord, on constate çà et là, chez les .Musulmans des basses
classes, des sentiments très différents de ceux des hautes classes et une
véritable tendance au désordre.
A Comilla, oij, au commencement de mars, une tentative d'attentat
(i) Mulk and Millut, 16 avril 1007.
(2) Ibid., 24 avril 1907.
(3) Ibid., 27 avril 1907.
(4) Ibid., 20 avril 1907.
(5) Ibid., 27 avril 1907.
368 REVUE DU MONDE MUSULMAN
contre le Nawab de Dacca (i) avait été suivie de rixes entre les Hindous
et les Musulmans, qui eurent un des leurs tué, il semblerait que les se-
conds aient pris leur revanche un peu plus tard, d'après les débats du
Parlement. Au commencement d'avril, un soldat anglais est attaqué, à
Calcutta, par un Musulman. A peu près au même moment, les Sun-
nites de Lucknow attaquent et maltraitent les Chyytes, à la mosquée.
Plus tard, les Musulmans prennent part à des troubles sérieux, à
Dewangany. Une bande de 2.000 Dacoïts armés, composée de Musul-
mans et d'Hindous, se jette sur la ville, pille le bazar, brûle un temple.
Des femmes hindoues menacées doivent se réfugier chez les .Musulmans.
Enfin, au commencement de mai, le bruit courait dans l'Eastem Ben-
gal, que, comme les Hindous, les Musulmans s'armaient à Dacca et
dans la région de Mymesingh, oij S. X. Bannerjee prêchait ouvertement
la révolte depuis des semaines.
Il ne semble pas douteux, en résumé, malgré l'attitude des classes
supérieures, que la plèbe musulmane ait fourni spontanément un cer-
tain contingent aux troubles, aussi bien au Bengale qu'au Pundjab et
dans les provinces voisines. Mais, le plus souvent, les Musulmans ont
dû, au contraire, se tenir sur la défensive vis-à-vis des Hindous dans
des conditions caractéristiques.
A la fin de mars, dit VEnglishman, une véritable terreur régnait dans
tout le district du Brahmanharia. Les Hindous pillent les marchan-
dises des Musulmans, et coulent même des chalands chargés de riz ou
de chanvre qui arrivent par eau. En avril, des bandes armées parcourent
quelques districts, pillant et brûlant des villages et de préférence les
demeures des .Musulmans. .AJamalpore, à Burdwan, à Naraigunja, les
troubles, dans lesquels les iMusulmans sont molestés, nécessitent l'inter-
vention de la force armée. Systématiquement les Hindous cherchent à
provoquer les Musulmans, et ceu.t-ci ne cessent de se plaindre, de
demander qu'on les protège, d'écrire aux journaux anglais des Indes, à
la Civil and Military Galette, en particulier, pour signaler le piège
tendu ainsi au Gouvernement. Ne pouvant pas les entraîner avec eux
de plein gré, les agitateurs hindous cherchent à provoquer des conflits
à main armée, dans l'espérance qu'une répression sans ménagements
jettera les Musulmans du côté de la révolte.
C'est là un aspect des choses, mais il y en a un autre. Depuis deux
(i) Voir Revue du Monde Musulman, n» 5, p. 62, et n» 6, p. 233.
NOTES ET NOUVELLES 36q
mois le mouvemeni swadeshiste a repris très énergiquement chez les Hin-
dous, qui détruisent les marchandises anglaises mises en vente. Les
Musulmans au contraire les préfèrent aux produits indigènes : ils veu-
lent continuer à les acheter et les vendre librement. La hausse des
cours, due aux destructions swadeshistes, les exaspère, de même que
leur opposition au mouvement swadeshiste exaspère les Hindous.
Sur quelques points, cependant, les échanges de vues des personna-
lités dirigeantes des deux partis aboutissent à une entente. C'est ainsi
qu'à Calcutta on s'est mis d'accord pour limiter le Swadeshisme aux
non-Musulmans. Il ne s'en manifeste pas moins une assez vive
agitation dans les basses classes de la communauté musulmane. Les agi-
tateurs professionnels, comme Ajit Singh, le second de Lajpat Rai, dont
l'arrestation avait semblé ramener un peu de calme, répandent le bruit
que les Musulmans sont e.xcités contre les Hindous par le Gouverne-
ment même. C'est le même Ajit Singh, arrêté lui aussi maintenant, qui,
au début des troubles de Lahore, avait exhorté publiquement une bande
de 5oo Jat Sikhs à s'armer avec des gourdins et à s'en servir, ce qu'ils
firent en massacrant cinq passants. Au Bengale, les « Volontaires na-
tionaux » de M. Surendra Xath Bannerjee vont jusqu'à simuler des
agressions de Musulmans, pour préparer plus sûrement le conflit qu'on
cherche à provoquer par tous les moyens.
Ces « Volontaires nationaux », dit VEnglishman{i), formentdeux socié-
tés, les « Brathi Samity », relativement tranquilles,et la « Bande Mataram
Sampradga », très dangereuse. Ils sont armés et ne reculent devant
aucun coup de main. Ce sont probablement eux qui, à la fin d'avril,
d'après l'Empire, se montraient à Jamalpore, déguisés en .Musulmans de
Mymensingh, pour piller le bazar et faire croire ainsi à un soulèvement
des Musulmans contre les Hindous, puis tiraient eux-mêmes sur les
premiers. Six mille Musulmans des districts voisins se réunirent alors
à Mymensingh, et les agitateurs se le tinrent pour dit. Mais ailleurs,
comme à Delhi, les Hindous profitent de leur majorité pour attaquer
eux-mêmes les Musulmans.
La situation de fait au 20 mai pouvait se résumer ainsi : La masse
des Musulmans, calme au centre et dans le sud, où l'agitation ne s'est
pas répandue activement, témoignait dans le nord d'une grande inquié-
tude. Dans les milieux religieux, instruits, commerçants, on était
presque unanime en faveur du Gouvernement. Les Hindous recrutaient
cependant çà et là des auxiliaires dans la foule. Les chefs du parti hin-
dou cherchaient par tous les moyens à entraîner avec eux toute la
partie musulmane, allant même jusqu'aux provocations systématiques.
(i) Homeward Mail, 18 avril 1907.
1 1.
24
3/0 BEVUE DU MONDE MUSULMAN
afin de déterminer un cunllit, comptant sur la répression pour leur
donner les alliés sans lesquels ils ne se sentent pas assez forts.
Ils se livrent, d'ailleurs, à une extraordinaire propagande de fausses
nouvelles. L'n jour, c'est le Gouvernement anglais qui fait empoisonner
les puits et on arrête un « empoisonneur ». Un autre jour, le Patrika,
pour prouver les attentats des Musulmans, publie une photographie re-
présentant brisées les statues des dieux de Jamalpore, et on distribue
à profusion ce « document » dans les rues de Calcutta (i). Aussi,
comme le secrétaire de !'« Association musulmane » de Marainganj le
déclarait, le i"'' mai, au correspondant de VEmpire, les Musulmans se
préparent-ils à la défense.
Sans doute il ne faut pas s'exagérer la gravité de ces nouvelles, si
sérieuses qu'elles soient. C'est le ii mai seulement que le Gouvernement
des Indes a jugé nécessaire de supprimer les meetings populaires dans
la zone des troubles, et les mesures répressives prises, jusqu'ici, se sont
bornées à l'arrestation de quelques agitateurs. Elles sont restées très
modérées à l'égard des « étudiants hindous», qui semblent s'exercer à
imiter avec un autre objectif les étudiants russes, et forment le gros des
« Volontaires » de M. Surendra Nath Bannerjee. Aux dernières nou-
velles, celui-ci continuait à parcourir le Eastern Bengal à la tète de
ses cohortes.
Cette situation paradoxale doit donner lieu, en Angleterre, à bien des
réflexions. Les moins amères ne sont peut-être pas celles du membre
de la Chambre des Communes qui, le 2 mars 1906, écrivait à 1' «. impé-
rial » directeur du Bengali (2):
« Cher Monsieur Bannerjee,
« Continuez l'agitation et rendez-la effective. Le plus pratique est de
multiplier les meetings populaires. Vous avez la plus juste des causes
et j'espère que vous ferez le nécessaire pour quevotrevoix soit entendue.
Tout dépend de vous aux Indes. Souvenez-vous qu'un \N'hig ne fait
rien sans y être forcé.
« Sincèrement \'ôtre
« C. J. O. D. »
(i) Voir Homeward Mail, 18 avril 1907.
(2) Cf. Revue du Monde Musulman, n" i, p. jb. Cit.: Birmingham Post.
10 octobre 1906.
NOTES ET NOUVELLES ■}-,
Il n'est pas surprenant que les Musulmans des Indes puissent ne
pas b,en ccnprendre une situation à laquelle cette intervention "rle-
menta.re ajoute, au point de départ, quelque imprévu.
A. L. C.
A AJigarh.
On sait que la situation du Collège d'Aligarh a été un peu trou-
b ee ces dern.ers temps. On s'en est préoccupé même à la Chambre
H^eTr?; n' '' ''^:l^-^' ' ''' ^""^'°""^' '^ .9 février p
' tVu'st du roll n '" ' "" P'"''"""'" ''^"^^ ^"^--d P^^ 'es
trustées » du Collège. Il serait bien intéressant de connaître la oartie
onhdent.elle du rapport adressé, au commencement d'à r au ieu
tenant-gouverneur de la province, par la commission spéciale charge
de ,a,re une enquête sur les désordres qui amenèrent, semble-.' I
dem.ss.on de l'honorable secrétaire du Conseil du Col è'e T Va!'!
Mohsm ul-Mulk, sous prète.xte dage et de santé. Il v a^ï 's ns dTute
t^'ur ":?h' Z r '" """^^'-^^ '' '^ commission d nquTe
'eu; n ^''^^^. ^^^g' demanda la révocation immédiate du pro :
eur. Ln autre, le Nawab Vicar ul-Mulk, estima qu'il serait suffisant de
supprimer ses appointements. Mais ces conclusions parurn te lè-
vent iniques à un troisième membre de la commission M Had.
Ismael khan, qu'il donna sa démission d'administrateur e^ déclaran
qui aurait voulu devenir aveugle, avant de lire de telles monstruô i" s
nélTLTl '■ ''TT'' ""''' " '^ ^^^'^h Abdullah ;:
nerent qu .1 convenait de laisser les choses en l'état. C'est à cette
manière de voir que se rangea, en fin de compte, le Xawab .Mohsin u
Mulk lui-même, car il retira sa démission
Le Mulk a,ui Millut dit à ce sujet : « Le principal et le secrétaire une
m ortn!! '• " """"'^ " ^^"^ ^"^^' '^^"^-- S' --"^-ant l'é at
majo anglais agit avec plus de sagesse, se rapproche des élèves, met
de côte ses préjuges insulaires, son étroitesse d'esprit * raciale . le
causes de frictions disparaîtront (i). »
A. L. C.
Chez les Khodjas.
Les meetings des Musulmans Hindous, qui devaient aboutir à l'envoi
de la deputation présentée au vice-roi des Indes, le .«^ octobre ,900, à
(I) Mulk and MitUa, g a.sù\; Ilomeward Mail. 20 avril.
372 REVUE DU .monde: MUSULMAN
Simla par sa Hautesse l'Aga Khan (ij, n'ont pas été les seules réunions,
tenues, pendant le mois d'août, sous l'inspiration du descendant des
Fathimites. A peu près au même moment où se tenait au Punjab le
meeting du Khalifa Pir Bakhsh, on courait, le 23 août, à Poona la
coupe de l'Aga Khan, pour automobiles (2).
L'Aga Khan lui-même partait peu après pour faire un rapide tour
du monde, au lieu de se rendre au Congrès de Dacca, où on pouvait le
croire attendu (3). Au moment où paraissait, dans la National Re-
view de février, son dernier article: « Quelques réflexions sur le mé-
contentement aux Indes » (4), il arrivait à Londres, pour se rendre
compte de l'effet produit par ce nouvel exposé d'un programme for-
mulé déjà par .\L Malabari, en 1897, et suggéré aussi par le Gawkowar
de Baroda. — Ces noms seuls suffisent à montrer l'importance d'un
mouvement d'idées tendant au remplacement de la vice-royauté
actuelle par une régence permanente, confiée à un membre de la
famille royale d'Angleterre, avec le titre de « Prince Régent ». — C'est
pendant la traversée de la .Mer Jaune, nous dit une note de l'auteur,
qu'avait été écrit l'article de la National Review i5). Et en effet, au
lendemain de la réception de Simla, r.A.ga Khan était parti pour
l'Extrême-Orient. Reçu solennellement, en décembre, dans les ports
chinois, malgré son goût pour l'incognito, il se trouvait en janvier au
Japon, pour une audience spéciale du .Mikado. Puis, après la traversée
des États-Unis et une courte visite à Londres, il quittait l'Angle-
terre le 27 février « pour faire un tour sur le Continent et aller pro-
bablement à Tanger » suivant un avis publié alors. En réalité, après un
séjour dans le .Midi de la France, son projet avait été, semble-t-il, de se
rendre en .Algérie.
Depuis quelques années, la « politique musulmane » des pays où on
en fait, a mis à la mode, dans les milieux musulmans où on voyage,
d'aller voir la « France africaine » et, ce qui étonnera peut-être autant
les Musulmans algériens que leurs amis français, on en rapporte, pa-
raît-il, les pires impressions au point de vue de l'Islam. C'est, du moins.
( I ) Revue du Monde Musulman, n» i, p. 79.
(2) The Parsi, 26 août i 906. VIII. n" i 3, p. 23 i. — Gagnant de la Coupe:
lieutenant Rose du lo' hussards avec une ^enaw/ 10-12 H. P. — Second : .M.
Fazuibhai Laiii, avec une Darracq 12 H. P. — Sur 21 voitures classées, 12
de marques françaises; d'autre part, 10 appartenaient à des propriétaires
hindous, dont plusieurs conduisaient eux-mêmes.
(3) Revue du Monde Musulman, loc. cit., p. 85.
(4) Ibid., n« 5, p. 61.
{^) National Review, février 1907, p. 963.
NOTKS ET NOUVELLES SjS
ce qu'on ne manque pas de répéter dans les cercles « musulmans » en
contact avec des entreprises religieuses, hostiles à l'Islam, auxquelles
le régime français devient, assurément, de moins en moins favo-
rable.
Mais, fait curieux, pour qui connaît l'Algérie, ces enquêtes privées
sur la situation matérielle et morale de la population indigène où se re-
crutent les régiments de tirailleurs et de spahis, sont tellement discrètes,
qu'on n'en entend jamais parler sur piace.
Quels étaient les motifs de l'Aga K.han pour aller en Algérie ? On a
parlé de son désir d'étudier sur place l'organisation de l'instruction pu-
blique primaire. A-t-il réalisé son projet ? Nous ne saurions le dire
encore. Peut-être son attention a-t-elle été attirée par les dissensions
qui se manifestaient, à peu prés à la même époque, chez les Khodjas
de Zanzibar.
La construction de V « Ismaeli Jamat K.hanah ■», dont la Galette de
Zanzibar annonce l'achèvement dans son numéro du 24 avril (i), té-
moigne de l'importance et de la prospérité delà communauté locale des
K.hodjas. Mais le Zanzibar Samachar du 25 mars signalait dans le sein
de la communauté des antagonismes assez vifs, en termes qui méritent
une mention spéciale.
Voici un résumé de l'article consacré à cette question par l'organe
gudjarati, qui a la réputation de ne pas être une feuille d'opposition :
— Le fameux Concile ismaélite attire aujourd'hui l'attention générale.
On se demande comment il a été créé, quels sont ses pouvoirs et ce qu'il
peut juger.
Les Khodjas sont surtout des marchands. A l'exception de quelques
redevances fixes, ils sont, pour la plupart, absolument libres au point
de vue social et religieux, même après l'élection de l'illustre Aga Khan
comme leur chef. On les dit très avancés quant aux réformes et au
commerce. Et, en effet, quelques-uns ont reçu des titres nobiliaires
anglais; plusieurs d'entre eux sont avocats, docteurs, membres du Con-
seil législatif et juges de paix. Un milieu social jouissant d'une telle
liberté doit naturellement chercher à améliorer sa condition. Il se pro-
duit cependant, au contraire, un mouvement tendant à enlever au.'
Rhodjas toutes leurs libertés.
Ce mouvement, dont les origines remontent à un an, n'a pris corp-
que récemment, et il provoque des troubles non seulement chez les
Khodjas cultivés, mais aussi chez les autres. Créé par Sa Hautesse l'Aga
(1) Voir plus loin, p. 405, Presse viusutmane.
374 BEVUE DU MONDE MUSULMAN
Khan, le Concile ismaélite veut maintenant mettre en vigueur des lois
oppressives pour les Khodjas, auxquels elles enlèvent leur liberté reli-
gieuse et sociale. Quoique, en principe, le Concile ismaélite dût être
indépendant, il y a tout lieu de croire qu'il est dans la dépendance de
M. Mitha Jessa et soumis à son bon plaisir.
Cela tient à ce qu'ayant été longtemps le bras droit d'une des princi-
pales études d'avoué, M. Mitha Jessa connaît bien la loi et s'entend en
politique. On croit que c'est lui qui a la plus grande responsabilité
dans la situation actuelle. Par l'orientation donnée au Concile contre la
religion, il a amoindri toute la communauté khodja dans l'estime des
-Musulmans. 11 aurait, d'ailleurs, mécontenté les Khodjas eux-mêmes,
par ses reproches envers ceux qui fréquentent les mosquées, les jamat-
khanas, etc. Il s'est également servi de termes blessants à l'égard de
ceux qui prennent part aux assemblées commémoratives de Sa Sain-
teté rimâm Hossain.
11 a ainsi engagé le Concile dans une mauvaise voie et a compromis
la bonne renommée de l'Aga Khan parmi les Musulmans.
Si M. Mitha Jessa avait le moindre dévouement pour « namdar »
Aga Khan, il ne l'aurait pas mis dans une situation aussi fausse,
etc. (I). -
Quelle est exactement l'importance du parti d'opposition qui, au mo-
ment même où l'Aga Khan était en villégiature à Beaulieu, manifestait
ainsi son mécontentement contre la direction donnée à ce Concile des
Ismaéliya, assez inattendu lui-même ? nous l'ignorons. .Mais ce n'est pas
seulement cette tempête dans une île (2) ni l'envoi à Mazagon-Hall d'un
lion offert par le gouvernement de Zanzibar, qui ont pu rappeler l'at-
tention du chef des Khodjas vers l'Orient.
Le 21 février, on procédait, à Bombay, à l'élection de seize « juges
de paix » compris comme magistrats élus dans la « .Municipal Corpo-
ration ». Autant qu'on peut se rendre compte d'après les débats d'un
procès entamé devant la Cour de Bombay pour l'annulation de cette
élection, il y avait deux partis principaux en présence : celui de sirPhe-
rozeshah, membre du Conseil législatif de la Présidence, dont l'in-
fluence sur la municipalité était jugée excessive par le parti adverse,
et celui de M. Harrison, qui l'emporta.
Le 4 avril, la Bombay Government Galette publiait la nouvelle liste
des juges de paix de Bombay, modifiée par l'élection. Presque aussitôt, il
(i) Tous les remerciements et tous les hommaj^es respectueux de la Revue
à son aimable collaboratrice de Glascow.
(2) Mulk and Millut, 9 avril 1907.
NOTES ET NOUVELLES 3^5
se manifesta une émotion assez vive, car, le 8 avril, le Times of India
s'élève avec indignation contre un meeting de protestation tenu la
veille.
Dés le 12 avril, néanmoins, la llaute-Cour de Bombav était saisie
d'une plainte en annulation.
Klle se déclarait incompétente en c:)ndamnant les plaignants aux dé-
pens, le i8 avril. Mais, en même temps, la <. Cour des petites causes »
saisie, de son côté, d'une autre plainte tendant à l'annulation des élec-
tions comme viciées par des manœuvres illégales, procédait à une
enquête judiciaire.
Cette enquête révéla que le directeur du Times of India, .M. Phaser,
partisan de M. Harrison, s'était adressé, par télégraphe, à r.\ga Khan,'
alors en .Vmérique, et en avait reçu une réponse télégraphique, à la-
quelle on attribuait une certaine importance au point de vue du résul-
tat des élections.
En effet, .M. Fraser refusa tout d'abord de la communiquer et se
laissa condamner à 5o roupies d'amende par le tribunal avant de s'y
tfécider.
Voici cet intéressant télégramme, tel qu'il a été publié (i) :
« J'approuve entièrement la campagne électorale proposée. Si ma
sympathie peut avoir de l'influence sur les votes, veuillez la publier.
Pour ce qui est d'influencer directement les Khodjas, vous savez que
l'e-vtrème délicatesse des rapports religieux demande un grand tact.
Aussi me suis-je fait une loi de ne jamais user de l'influence religieuse
pour les aflaires temporelles. Je préfère donner l'exemple en prenant ou-
vertement parti comme à .Aligarh. Cependant, je câble à Jatfer Kassam
Moosa de voir les juges khodjas les plus dignes de confiance, et d'au-
ires bons Musulmans comme Adamji, et d'agir sur eux de façon qu'ils
vous suivent avec confiance. »
Autant qu'on peut s'en rendre compte, d'après des débats qui parais-
sent assez confus quand on m connaît pas le fond des choses, ce télé-
gramme aurait semblé. avant sa publication, l'indice d'une pression élec-
torale pouvant porter atteinte à la liberté des élections. Mais le jugement
rendu a débouté les plaignants, comme n'ayant même pas fourni un com-
mencement de preuve de leurs dires (2). Inutile d'ajouter que nous
n'avons pas d'opinion sur la question. Nous avons voulu seulement, par
un exemple ajouté à ceux qui précèdent, indiquer de nouveau ce que
devient réellement, à notre époque, la vie propre du monde musulman.
(1) Homeward Mail, iS mai 1907, p. 620. Cf., pour les renselynoments
qui précèdent, llomeward Mail, avril et mai.
(2) Humeward Mail, -ib mai i 907.
376 REVUE DU MONDE MUSULMAN
On se montre parfois disposé, en France, à perpétuer la politique des
Bureaux arabes et ses résultats. Même au « titre civil » cette politique
retarde.
Challenge d'automobiles, meetings et députations, tour du monde de
Bombay à Bombay par Hong-K.ong, Tokyo, New-York, Londres, Paris,
la Côte d'Azur, la Méditerranée, l'Egypte et Zanzibar; Concile des Is-
maéliya, et politique électorale par câble de New-Nork aux Indes : voilà
lé mouvement moderne.
A. L. C.
Invitation pour la Fête du Prophète, à Durban.
L'Invitation, en hindoustani et gudjarati, pour la Fête de la Nais-
sance du Prophète, dont nous donnons une reproduction aux deux cin-
quièmes, est adressée par Osman Ahmed Eflendi, au nom de la Muham-
medan Association, de Durban (Natal), à ses coreligionnaires. Elle est
lithographiée sur papier couché, en encre d'or, sauf la vue de la mos-
quée de Médine placée au-dessous du Tughra, qui est en violet.
Les deux textes (hindoustani à droite et gudjarati à gauche) com-
prennent chacun deux parties : l'invitation proprement dite en prose, et
quatre distiques qui la précédent. Dans la partie de droite, ces vers sont
en hindoustani. Ils sont simplement transcrits en gudjarati et non tra-
duits dans l'autre partie. Les deux caractères sont mêlés dans les titres.
M. Julien Vinson, l'éminent professeur de l'École des langues orien-
tales, a bien voulu traduire pour la revue le texte hindoustani, dont
l'impression assez défectueuse présente des caractères effacés. Voici la
traduction, que nous avons ainsi la bonne fortune de joindre, avec ces
indications préliminaires, à la reproduction.
THE MUHAMIVIEDAN ASSOCIATION
RÉUNION DE LA NOBLE NAISSANCE
(Distiques). — L'amour d'Ahmed Mustafa, dont le coeur ne serait
pas obtenu, — quand il y aurait cent mille Croyants, ne^serait pas par-
fait au sommet de la foi.
Cette réunion aura lieu à la Muhammedan Association ; il 'y [aura
des chants pour l'apôtre et des chants pour le prophète.
..- X
S*
«{L<^jLl.fl ^^li5«ll 'VCH.Hl ■ ^ .
iniM^ !3<CL Vil Âj^Ail A Vi \<.M*k'u\ *n\i:>}.%-
•ut*Ci»\ W^ (jS-Ht V-li-i *ii •ût-K'.<itf.V,«-ju»^u-
nO n" «l^^lV1Wl<^ fi^<1»ti-u «l'ut! I41J1 «ii'n. u'in
'H\.V(4l. ^ï »ft -H •îvtMi.^ . -i «in *ini K X
•fl^i-»A»iii«il»» i*. (i^JiHt M.'<''« ^u"»*» IHiu*
^n V^tHI <dLn>i/ Jl\<J «viu- >A<ii J«îl nii> •<'^iv nk*
«*ii. *i<i^i Jn,HJL Hitu «tchÀ^
"^i /^J»o -r^^^ ^'O e^c, ^'J^ >-o(w
^'r-y
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VtA>
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Cr^'i
/-i-ir*
^^i--
•^^^ - '-• u^.j:s^S'isj^^
J^> *'yt^- >■<•/'.
Mitft
r
^mM)^^wi^v;y;vVV/ivWy^^^^
3/8 BEVLE DU MONDE MUSULMAN
Croyanls, il faut venir dans celle assemblée sainle ! Amis ardenls de
Musiafa, veuillez l'honorer de votre présence I
Amis ardenls ! Là il convient de se prosterner! Veuillez venir! A de
telles réunions veuillez toujours donner de l'extension !
{Prose). — O amis ardents de la vraie pensée sur la terre, ô vous,
qui êtes prêts à sacrifier votre vie innocente, ô amis du prophète élu,
ô sectateurs de Mohammed Mustafa, béni de Dieu !
Paix et salut! Cent mille fois, cent mille bénédictions I dix millions
de fois, dix millions de faveurs !
Le Seigneur gracieux et miséricordieux nous a mis parmi le peuple
marqué du signe prophétique; il nous a accordé la bonne fortune de la
joie du jour de la Naissance de son bon ami, par qui tout Musulman
est favorisé.
A roccasion de cette illustre naissance du Prophète, il y aura une
réunion pleine de magnificence, dans la ville de Durban, au numéro iSy,
dans le local de la Muhammedan Association, le i6 mai 1906, à huit
heures du soir. Tous les gens honnêtes et purs v assisteront à l'expli-
cation de la pure doctrine et à l'exposition de la foi musulmane : ils
voudront donner de l'éclat à cette réunion musulmane ; ils se rappelle-
ront qu'on y chantera les louanges de Dieu, à la demande de tout Mu-
sulman, etc., ils le proclameront dans cette réunion pure.
Le Président : |Ch.\irman) sic)
Othman Ahmed Effendi.
Les Secrétaires : Ibrahim Ahmed .\L\tim.
Ghulam Ahmed Behari.
L"envoi de ce document était accompagné d'une lettre du corres-
pondant auquel nous le devons, et que nous remercions ici une fois
de plus, en regrettant de nouveau de ne pouvoir le faire autrement.
Osman Ahmed, nous dit notre collaborateur anonyme (i), est un
Hindou, comme presque tous les Musulmans du Natal. Le titre
d'Effendi qu'il prend, mérite d'être remarqué, « car il démontre avec
évidence que le système anglais, qui consistée traiter les natifs d'êtres
intérieurs, doit les pousser vers une nation de leur religion qui ne fait
point de distinction entre les Européens et les Asiates».
« El Muminouné ihvetun — Tous les Croyants sont frères », nous a
dit le Khalife Eumér. » .■\. L. C.
(i) Auteur également de l'article sur la Bosnie et l'her^égovine, publié en
tête de ce numéro, et de renseignements utilisés dans plusieurs notes anté-
rieures.
NOTES ET NOUVELLES 3 79
Le Régime parlementaire en Perse.
Dans son numéro du 3 avril, le Mèdjlis, organe de l'Assemblée
nationale, commençait la publication d'une série d'articles avant pour
but de démontrer qu'en adoptant le régime constitutionnel, la Perse
n'avait fait que revenir à l'ancien état de choses. Dés Keyomers, le
peuple nommait ses représentants; sous Khosro Perviz, une assemblée
générale se tenait le jour du nauroù^, et, aux débuts de l'Islam, con-
formément aux principes de cette religion, du reste, la nation intervenait
dans le gouvernement.
Cette question de la légitimité du nouveau régime a été plusieurs fois
soulevée. Les docteurs de Téhéran, consultés, ont répondu, de la façon
la plus formelle, que le régime constitutionnel était, en tout, conforme
aux régies et à l'esprit de l'Islam ; ses ennemis devaient être considérés
comme des traîlres (i). Peu après, ces docteurs adressaient à l'As-
semblée nationale des requêtes, dans lesquelles, après les avoir remerciés
et félicités, ils les priaient de donner au plus tôt, à la Perse, des tribu-
naux rendant réellement la justice, une bonne administration finan-
cière, des services publics bien organisés et des représentants capables
à l'extérieur (2).
Dans la première quinzaine d'avril, l'Assemblée nationale a abordé
l'examen de deux importantes questions : les assemblées provinciales
et les télégraphes. Les lois les concernant sont, de toutes parts, attendues
avec impatience. Le premier chapitre de la loi sur les assemblées pro-
vinciales avait été adopté ; mais l'Assemblé a rejeté le second, après
une discussion des plus vives. Les provinces étaient dans l'attente :
l'Azèrbaïdjàn voulait que sa situation devînt légale, et les habitants de
Recht, en attendant l'organisation de l'assemblée locale, réclamaient
l'envoi d'un délégué chargé de leur donner satisfaction.
Quant au télégraphe, les députés ne semblaient pas disposés à en laisser
la direction au gouvernement. Certains même trouvaient dangereux
de la confier à un seul homme.
La loi organisant les conseils municipaux a été votée. Un pri\ilége a
été accordé pour les manufactures de papier. Les partisans de l'I'nion,
de l'Azèrbaïdjàn, demandent aux députés de compléter la Constitu-
tion (3).
Des nouvelles relatives aux élections arrivent de différents côtés. A
(i) Ilabl oui-Matin. i5 avril 1907.
(2) Ibidem, 22 avril.
(3j Mèdjlis, 8, M et 1 5 avril.
380 REVUE DU MONDE MUSULMAN
Bender-Bouchir, où s'est formée une société dite Sirr ol-Matâleb
« Secret des Demandes », ayant pour but d'organiser les élections et de
stimuler le zèle des électeurs, des compétitions trop nombreuses n'ont
pas permis d'aboutir (i). A Kerman, où il ne restait plus à nommer
qu'un seul député, celui du clergé, des électeurs se sont retranchés dans
le bureau du télégraphe, d'où ils ont envoyé un télégramme à l'Assem-
blée nationale ; celle-ci, considérant que tous les autres députés avaient
été nommés, a engagé les réfugiés à ne pas persister dans leur atti-
tude (2).
A Enzeli, un groupe d'électeurs réclame le remplacement, par des
notables, d'un certain nombre de députés des divers ordres, ou bien, à
défaut, la création d'un Sénat, qui serait la « Chambre de la No-
blesse » (3).
Certains habitants de Kazvîn dont on ne recherchera pas les noms, leur
acte étant trop méprisable, ont pris douze chiens qu'ils ont attachés
ensemble, après avoir mis au cou de chacun d'eux une feuille de papier
sur laquelle on lisait ces mots, suivis d'un nom : « Nous ne voulons
pas de la Constitution! » Puis ils les ont lâchés dans le marché (4).
Des assemblées locales se sont formées dans plusieurs provinces ;
elles y déploient beaucoup d'activité. A Ispahan, V Assemblée Sanctifiée
tient ses séances chaque samedi, à trois heures, dans le palais des
Quarante-Colonnes. Elle comprend trois membres de chacune des caté-
gories 'suivantes : ulémas, notables, négociants, autres classes de la
société (5).
L. B.
Les Écoles persanes.
Le Mè'ârif, journal persan de l'instruction publique, dont nous avons
déjà parlé, publiait, dans son numéro du 27 mars, le nouveau règle-
ment sur les écoles primaires. Nous en résumons, ici, les dispositions
essentielles.
Les punitions corporelles sont atténuées dans une large mesure ,
sauf dans les cas très graves, elles seront données avec la main, sans
employer le bâton, et ne devront jamais compromettre la santé des
élèves punis.
il) Habl oui-Matin, i5 avril.
(2) Mèdjlis, 2 avril.
(3) Ibidem, 3 avril.
^4) Tamaddon, 21 moharrem 1325.
(5) Mèdjlis, i3 avril.
NOTES ET NOUVELLES 38 I
Une heure de récréalion est accordée après le déjeuner ; de i heure
et demie à 2 heures, repos complet; de même en été, quand il fait plus
de 25" dans les classes, et en hiver, quand le thermomètre descend
au-dessous de 8°.
Les professeurs doivent arriver avant les élèves et partir après eux ;
ils s'efforceront, par leur bienveillance et leur douceur, de leur inspirer
le goût de l'étude.
On évitera, pour les locaux scolaires, le voisinage des boutiques et
des endroits bruyants. Toutes les prescriptions hygiéniques y seront
observées ; le chauffage et l'éclairage devront être suffisants, et la pro-
preté la plus rigoureuse est prescrite.
L'accroissement continu du nombre des écoles nationales remplit de
joie un habitant de l'Irak; pour lui, les missionnaires « pratiquent une
mine pour faire écrouler le mur », et il a recueilli de la bouche de l'un
des directeurs des Missions américaines un aveu précieux. Pourquoi
les Américains n'avaient-ils pas fondé d'école à Senendedj (?), petite
localité située entre F^amadan et Kermanchah ? « Parce que les habi-
tants sont fanatiques (?) et ne tombent pas facilement dans le piège qui
leur est tendu (i). »
Chiraz n'est pas en retard. On y trouve actuellement quatre écoles,
organisées d'après les méthodes modernes : l'École Hoseïniyè, du nom
de son fondateur. Hadji Mohammed Hoseïn .\ga : l'École .Mes'oû-
diyè, etc.
En même temps que de l'instruction générale, on s'occupe de déve-
lopper le goût et la pratique de toutes les langues musulmanes. A Téhé-
ran, on vient d'ouvrir des cours publics d'arabe à l'École « Islam » et à
celle du quartier du Marché deKazvin (2). — Pourl'École du Grand Quar-
tier, on demande deux professeurs, l'un sachant le turc avec le persan,
la littérature et le droit musulman. L'autre doit savoir le russe, la
géographie, les mathématiques. L'Irchdd se charge de recevoir les can-
didatures (3).
L. B.
Les Gouverneurs de provinces en Perse.
A Bender-Abbas, le gouverneur a fait afficher dans les cafés un arrêté
interdisant, de la façon la plus formelle, de donner quoi que ce soit
aux emplovés de l'État, dont les traitements sont suffisants. Toute pcr-
(i) Ilabl oui-Matin. 8 avril 1907.
(2) Mèdjlis, 14 avril 1907.
(3) Irchàd, 24 avril 1907.
382 HEIVUE DU MONDE MUSULMAN
sonne ayant désobéi à cet ordre, soit en recevant de l'argent, soit en en
donnant, sera sévèrement punie, et le gouverneur donnera suite à
toutes les réclamations qui lui seront adressées (i).
Une longue lettre, adressée au Habl oul-Matîn (2), fait un tableau
lamentable du Louristan. Avide et cruel au delà de toute expression,
le gouverneur aurait complètement rumé la province; aucune religion
n'autorise, aucun pays ne peut endurer des actes semblables. Ses habi-
tants comptent sur le journal de Calcutta pour attirer l'attention sur
ces faits.
En revanche, le nouveau gouverneur de Chiraz, le prince .\loayyed
od-Dooulè, a été bien reçu par ses administrés, auxquels il inspire
confiance. Le parti constitutionnel lui est favorable (3).
L. B.
La Banque nationale persane.
La fondation d'une Banque nationale persane est décidée. Voici le
résumé des statuts, d'après le décret de dhoû'l-hidjdja 1824.
La Banque dépend d'une compagnie, dont les membres sont tous
Persans: chaque Persan peut être actionnaire. Elle reçoit les sommes
pavées à l'État dans tout le royaume, et lui fournit celles qui servent à
payer ses dépenses. En se coniormant aux lois, elle peut prendre part
à des entreprises commerciales ou agricoles, prêter sur hypothèque.
Seule, elle pourra émettre des billets, une fois le privilège de la Banque
impériale expiré. Elle pourra construire des routes et des chemins de
fer dans tout le rovaume, sauf là où des concessions ont été accordées
antérieurement; à offre égale, on lui donnera la préférence sur ses con-
currents. Elle peut exploiter des mines, en payant 10 p. 100 à l'État.
La préférence lui est accordée pour la fourniture des métaux précieux
à l'Hôtel des Monnaies. Deux inspecteurs, nommés par l'Étal, surveil-
lent toutes ses opérations. Aucun étranger ne peut avoir d'actions,
même par héritage ; un délai d'un an est accordé pour s'en défaire.
Dépôt des actions avant les assemblées générales. Seule, elle prête à
l'État; commission de 1-5. Le privilège est pour iio ans. renouve-
lable (4).
L. B.
(i) Habl oui-Matin, 22 avril 1907
(2) Ibidem.
(3) Mo^afferi, même date.
(4) Habl oui-Matin, 22 avril 1907.
NOTES ET NOUVELLES 383
Petites nouvelles de Turquie.
Les sports. — Chaque année, le 14 mai, onl lieu des luttes à Khairé
Boli, près d'Andrinople. Cette année, des lutteurs en renom sont venus
y prendre part, et les autres sports, course à pied, équitation, vélocipé-
pédie, etc., ont été représentés à la fête, particulièrement brillante cette
fois (i).
Les fouilles archéologiques. — Sur les instructions de Hamdi Bev,
directeur du Musée impérial de Constantinople, des fouilles sont exé-
cutées, pour le compte de cet établisement, sur divers points du vilavet
d'Adana, où elles paraissent devoir être fructueuses (2).
Ladminisîration ottomane. — Depuis longtemps déjà, quelques
diplômés de l'École Milkiyè Châhânè sont, tous les ans, attachés aux
valis et aux mutesarrifs. Le Gouvernement a décidé que les diplômés
de l'Ecole préparatoire bénéficieraient d'une mesure analogue; ils
pourront être nommés auxiliaires des kaïmakams, administrateurs de
cazas (3).
Lue amnistie. — A l'occasion de l'anniversaire de la naissance du
Prophète, le Sultan a amnistié tous les officiers et soldats de l'armée,
de la gendarmerie et de la police qui, ayant subi des condamnations,
avaient accompli les deux tiers de leur peine (4).
La poste. — Depuis le mois de mars, une poste à cheval fonctionne
régulièrement, chaque semaine, entre Bagdad et Damas. Le départ de
Bagdad a lieu tous les jeudis (5).
La Banque ottomane. — La Banque ottomane a informé le Gouver-
nement de son intention de fonder trois nouvelles agences, l'une pour
le vilayet de Mossoul, les deux autres pour les sandjaks de Kerbéla et
de Ben Ghazi (6).
Les assurances. — Le Ministère de l'Instruction publique avait fait
assurer contre l'incendie les bâtiments de plusieurs écoles officielles,
(i) Ikdam, 20 avril 1907.
(2) Ibid., 6 avril 1907.
(3) fbid., 3 avril 1907.
(4) Ibid., 26 avril 1907.
(5) Ibid., 21 avril 1907.
■Ifi) Ibid., 3 mai 1907.
384 REVUE DU MONDE MUSULMAN
telles que les orphelinats Dâr ul-Khaïr Ali et Dâr uch-Chefka. Il a dé-
cidé d'étendre cette mesure aux autres écoles (i).
Les titres de propriété. — Le Ministère de l'Enregistrement et des
Domaines a envoyé des instructions détaillées prescrivant d'enregistrer,
dés leur arrivée, tous les titres de propriété foncière avec le plus grand
soin, avant de les remettre aux personnes auxquelles ils sont des
tinés (2).
La circoncision. — Faute d'observer les prescriptions hygiéniques,
les praticiens chargés de circoncire les enfants donnaient parfois à
ceux-ci des maladies contagieuses, grâce aux instruments malpropres
dont ils se sen-aient. Des instructions ont été envoyées au personnel
médical, pour empêcher le retour de pareils faits. Les médecins donne-
ront aux praticiens les avis nécessaires pour prévenir tout danger; ceux
qui ne s'y conformeront pas seront poursuivis (3).
A Nedjef. — Une lettre de Nedjef signale la situation intolérable faite
aux habitants de cette ville par le gouvernement turc. Dix nouvelles
taxes ont été arbitrairement créées : droit de fumée, auquel sont sou-
mises toutes les maisons dans lesquelles on fait du feu ; droit de
balayage ; droit sur le beurre; droit sur la glace, etc. Et ces impôts sont
perçus de la façon la plus arbitraire : le contribuable, auquel on ne
délivre pas de quittance, n'a aucune garantie (4).
Les boulangers de Constantinople. — La municipalité vient de faire
procéder à une enquête dans les boulangeries de Constantinople. Cette
enquête avait pour but de vérifier si la fabrication du pain était ou non
défectueuse, et si la vente s'en faisait d'une manière régulière. Les bou-
langers ont été avertis qu'ils s'exposent à des poursuites en vendant du
pain nuisible à la santé et en débitant leurs produits sans les peser (5),
La pêche des éponges. — Bien que l'emploi du scaphandre soit for-
mellement interdit, sur plusieurs points des individus, munis de ces
appareils, se sont livrés à la pêche des éponges. Des ordres très sévères
ont été donnés par le ministre de la Marine à cet égard '6I.
Les forêts. — Un article consacré aux forêts, qui sont l'une des prin-
(i) Ikdam, 2 avril 1907.
(2) Terdjumân-i Haki/iet, i3 avril 1907.
(3) Ibid., I 3 avril 1907.
(4) Habl oul-Matïn. 22 avril 1907.
(5) Ikdam, 28 avril 1907.
(6) Ibid., 9 mai 1907.
NOTES ET NOUVELLES
385
cipales richesses de la Turquie, donne pour
évaluations suivantes :
llkDliagh 5o
Ouzoun Tcham, Kachli, Tèpè Keuy. .
Kerpitch Songik, Guemlek
Tchanghal
K.ara Dhagh
Umoijr Dhaghe
Derbend Dhaghe
Ibrahim Oghlou Dhaghe
Ilghaz Dhaghe, environ
Konkourdan et Yaz Dhaghe ....
Kâdî et Beuyuk Dhagh
Tourna
Kezel Yel et Aredjak
Ouran
Kara Tèpè
Khotlidja
Alaman
Ala Dhagh
Biklidja
Balakle, Sare Toprakie
Danik
Guenzi Dhaghe. ... ....
Aksou Bachi
l'ensemble de l'Empire les
Hectares
à 55.000
9.000
lo.Soo
22.800
3.7Ô0
4.320
2.652
1.680
So.ooo
3.58o
6.400
20.000
I 5.3oo
27.000
4.800
35.280
10.800
21.000
73.000
6.3oo
33.000
5.600
36.000
Bois
4.722.500 m. c.
396.900 —
577.800 —
2.280.000 —
608. 5oo —
282.350 —
149.000 —
52.920 —
281.250 —
105.840 —
39.200 —
5o.ooo —
3o.6oo —
183.600 —
70.490 —
705.600 —
1 56. 600 —
934.500 —
1.680.OUO —
191. 100 —
3.060.000 —
249.200 —
1.746.000(1) —
Une tentative de crémation à Constantinople. — Un journal heb-
domadaire arabe de Beyrouth, El-\Iahabhat, signale une tentative de
crémation à Constantinople. Deu.x Hindous, le père et le fils, y habitaient
ensemble. Le fils étant mort, le père voulut le brûler suivant les rites de
son pays, en remplaçant, faute de mieu.x, le bûcher de bois par le gaz,
ce qui décida le voisin à faire intervenir la police.
Les tapis de Turquie. — L'émotion causée, à Smyrne, par la forma-
tion du Syndicat étranger des tapis est aussi vive qu'au premier jour.
Les teinturiers indigènes sont, eux aussi, très menacés. Depuis vingt
ans environ, ils avaient abandonné les teintures végétales pour les tein-
tures minérales; or le Svndicat veut fonder une teinturerie anglaise,
qui amènera leur ruine; la maison qui organiserait cet établissement,
I ) Ikdam, 22 avril 1907.
25
386 REVL'E DU MONDE MUSULMAN
une des plus importantes de Smyrne, fournit à elle seule 774.000 ar-
choiins Carrés sur une production annuelle de 1. 164.000; elle accapare,
dans certaines localités, la totalité des produits. Les fabricants indigènes
s'organisent pour la résistance ; une Compagnie ottomane des tapis
d'Ochak, qui se chargera de la vente et de l'exportation, tiendra tète au
Syndicat (i).
La médecine en Tripolitaine. — Jusqu'à présent, les inspecteurs sa-
nitaires et les médecins n'avaient pas de locaux officiels à leur disposi-
tion. La municipalité et le gouverneur, maréchal Redjeb Pacha, se sont
entendus pour leur donner un local, servant, à la fois, de clinique et
de dispensaire. L'étage inférieur sera affecté aux services médicaux, et
une pharmacie installée au-dessus (2 .
L'agriculture. — L'Ikdam continue de signaler, 'presque chaque
jour, de nouvelles mesures prises en faveur de l'agriculture et des in-
dustries qui en dépendent. C'est ainsi que le Gouvernement envoie, dans
le vilayet de Khoudavendikiar, des alambics et d'autres appareils pour
la fabrication de l'essence de roses. Dans celui de Salonique, il encou-
rage la plantation des mûriers, nécessaires à l'élevage des vers à soie,
et dans celui d'Adana il cherche à propager l'emploi des machines
à battre le grain (3^.
La Banque agricole a avancé, avec l'autorisation du ministre du
Commerce, une somme de 100.000 piastres, destinée à fournir 491 atte-
lages de labour à autant de cultivateurs nécessiteux du sandjak de
Kenghri (4).
On étudie en ce moment la question du dessèchement des marais
d'Ergli; un crédit a été accordé pour les travaux des enquêteurs. Le
dessèchement, tout en donnant satisfaction à l'hygiène, enrichirait le
pays (5).
Les figuiers sont un élément essentiel de prospérité pour la région
d'Aïdin. Aussi la nouvelle, reproduite par quelques journaux, qu'un
Américain, M. West, après avoir fait étudier cette culture sur place,
avait fait planter en Californie 4 ou 5. 000 figuiers, qui allaient faire une
rude concurrence à ceux d'Aïdin, a-t-elle causé un vif émoi. On allait
jusqu'à dire que ces figuiers avaient donné leur première récolte,
dont les Américains de Smyrne avait reçu des échantillons; le seul
(i) Ikdam, 8 et i5 avril 1907.
(2) Terdjumàn-i Ilakiket, i3 avril 1907.
(3) Numéro du 2 avril 1907.
(4) 3 avril.
(5) Terdjumàn-i Hakiket, 14 mars 1907.
NOTES ET NOUVELLES 3g
«poir des cultivateurs ottomans résidait dans le climat des ft«. r ■
qu,, très différent de celui dAidin, ne donnera t qrdesprod^^n;!'
tours. M,s en cause, M. West a aussitôt protesté Les es^^s ^que "
uon^remonutent à plusieurs années et navaient donné, ue IZZ:
2b maisons et affecte une somme de 20.800 piastres à l'achat d-„n
^t;':; tu^d'r '- '-'r ^" '--- '-'^--^^^^ ----:
Hamid, Medjid.ye, .\âdir et Koz Aghadj (Ak Cheher)
La création de Bourses de l'alimentation, semblables à celle qui existe
Z:rtE::r^âT '- ^- ---- -^ -•- su..antr^:::
/--e./ra;,.a»A- ;;»6//c.. - Le 3o avril dernier, VJkdam publiait une
l.s e de souscription en faveur du chemin de fer du Hed^^z le toTa
s eleyau a 585.0,3 piastres .8 paras. Le ministère de la Marme ven
:H;ir7es";n;"o'^ "-^^^^ 'T''^ ^" ''--'^'^^' paimriLr î
1 Empire." '""^^'^""-^^ ^'^ ^-^ -militaires de tous les points de
ae source de Am Zobeida, qui alimente la .Mecque atteignait
3.024.45. piastres .5 paras. La commission chargée de cet'; îou c i^
t.on avau, a la même date, recueilli 412.689 piastres pou les vie ,me^
L'^r; iSr^ "^ '"■ "■';• "^ '''■■■''" ^^ de^houda^endill 4 . "
.tt :.'"'' '' ^^'"""' ^^'"''^'^' ^^^ adoptée pour l'écaira^e
e a traction des tramways à Smyrne. Une convention a été dansée
bu^ passée entre la Compagnie des tramways et la Compagnie ano
n me delectnate de Constantinople et de Salonique. Le Gouvernement
accorde un terrain pour la construction d'une usine élec r que a"
sera prête dans un an ; on fera venir d'Europe le matériel n s'air^ ,'^
1 en est de même à Andrinople, où on adopte l'électr tTpô ;
1 éclairage et la traction des tramwavs (6) ^
Satisfaction est donnée au.x habitants de Konia, qui réclamaient
depuis longtemps un tramway entre la ville et la gare 1 ,Tn -re
fait en ce moment étudier le tracé (7). -^imistcre
h) /kdam, 6 et 7 avril 1907.
(2) Terdjumàni Hakiliet, 14 avril.
(3) Ikdam, 5 mai.
(4) Ibidem . ~
(5) Ibidem, 9 avril 1907.
(6) Ibidem, 22 avril. "
(7) Ibidem, 5 mai.
388 REVLE DU MONDE MUSULMAN
On va construire un nouveau palais pour le gouverneur de Jérusalem;
il sera situé à Kafouriya, près de Bâb Al-Khalîl, dans un endroit
agréable et salubre, prés de bois d'oliviers. Les propriétaires du terrain
ont gracieusement offert l'emplacement nécessaire (i).
L'administration des wakfs fait restaurer la mosquée Arab, une des
plus anciennes de Constantinople (2).
Pour donner aux élèves-ingénieurs de l'École Milkiyè Châhâné l'en-
seignement pratique dont ils ont besoin et qui complétera les leçons
théoriques reçues à l'École, on leur fait visiter, sous la direction soit de
leurs professeurs, soit d'ingénieurs et d'architectes de l'État, les grands
travaux en cours d'exécution à Constantinople (3|.
L. B.
Le Parti musulman russe.
La politique musulmane doit, en toute occasion, s'inspirer des prin-
cipes de l'Islam; elle ne tiendra compte, ni des races, ni des langues.
Quant au socialisme, il doit être désapprouvé : telle est la conclusion
d'une longue lettre adressée à VIrchâd du 21 mars, 3 avril dernier.
L'union, entre Musulmans, est une question vitale. De nombreux et
de beaux exemples de solidarité ont été donnés; mais il s'en faut en-
core de beaucoup que cette union soit effective, dit un journal de
Crimée (4); les députés musulmans qui sont entrés dans les partis de
gauche ont donné un fâcheux exemple.
Union, déclarait quelque temps après le même organe (5), ne signifie
pas assimilation complète. Il est bien entendu que chaque groupe
conservera sa langue; toutefois, les Turcs, qui sont 20 millions en
Russie, 3o millions à l'étranger, qui ont un passé glorieux et une civi-
lisation ancienne, ont aussi une langue, des croyances et des usages
communs. Le sentiment national ne devrait-il pas se développer
parmi eux ?
Les députés faisant partie du groupe musulman étudient, d'une
manière active, les questions d'actualité, celles des écoles et des tribu-
naux musulmans par exemple. Tout en formant un groupe distinct,
ils agissent, à l'occasion, de concert avec d'autres partis. C'est ainsi
que, sur la question de l'autonomie, ils sont les alliés des Polonais.
Six députés musulmans, dont AL Schahtakhtinsky, font partie de la
(i) Terdjumân-i Hakiket, i3 avril.
(2) Ikdam, 6 avril.
(3) Ibidem, 'i et 23 avril.
(4} Terdjiimân, 6lig a\Til 1907.
(5) Numéro du 13/27 avril.
NOTES ET NOUVELLES 889
Commission agraire (i). Sur cette question, le parti était d'accord avec
les cadets, et demandait que les terres arables fussent à la disposition,
non plus du Gouvernement, mais des provinces. Prenez garde ! lui dit
alors Ahmed Bey Agayeff : Il faut éviter le retour des spoliations dont
les Musulmans ont été victimes (2).
Dans son numéro du 3o mars 12 avril, VIrchàd publiait le compte
rendu de la dernière séance de la Douma. Nous y relevons ces paroles
de M. .Maksoûdofî :
« Je déclare, au nom des Musulmans, que notre parti juge inutile de
discuter le budget en séance; il propose d'en soumettre, sans retard, le
projet à la Commission et se félicite de voir la Douma entrer tout à
fait dans la voie du régime parlementaire. »
Le lendemain, le même organe recevait deux télégrammes de la
Douma. L'un deux, signé Mahmoûdotî, annonçait la formation, dans
cette assemblée, d'un groupement ayant pour but de venir en aide aux
sans-travail et aux indigents ; les députés qui en faisaient partie sollici-
taient le concours de la presse et des personnes compétentes: inutile de
dire que celui de VIrchàd lui était acquis. Dans le second télégramme,
les députés entrés dans les partis de gauche se justifiaient : séparés de
leurs collègues par quelques dissentiments politiques, ils n'en restaient
pas moins Musulmans avant tout (3).
Aga Ismâ'il Takiyetî, député de Bakou, n'avait pas rejoint son
poste. Pourquoi .'' L'argent lui manquait. Ses électeurs avaient promis
de lui avancer les sommes nécessaires ; ils n'ont pas tenu parole. Le
député de Bakou devait aussi recevoir de l'argent de son père, qui ne
lui a rien donné. Les électeurs de notre ville, déclare VIrchàd (4), ne
peuvent rester sans représentant à la Douma; qu'ils fournissent à leur
élu les moyens de remplir son mandat, ou bien qu'ils lui demandent sa
démission !
L. B.
Le Mouvement social en Russie.
Le mouvement en faveur de l'union entre Sunnites et Chiites est
très marqué. A Khiva, le cadi d'Askhabad, Hâdjî Mîr Ibrahim, a pro-
noncé dans la mosquée une allocution dans laquelle il recommandait
l'union. Le Prophète n'a-t-il pas dit que tous les .Musulmans sont
frères ? .A. l'occasion des Teaziés, les Sunnites de K.hiva ont comblé les
(i) Terdjuman-i Hakiket.
(2) Irchàd, 16/: 9 avril.
(3) Ibidem, \"! 14 avril.
(4) Numéro du 417 avril.
3gO REVUE DU MONDE MUSULMAN
Chiites de prévenances et de témoignages d'amitié. Les Persans d'Ask-
habad s'organisent. Ils ont tenu plusieurs réunions et nommé un co-
mité de douze membres 'i).
Les animosités de races, entre Musulmans, tendent à disparaître;
toutefois on signale encore quelques heurts. A Balakhani, les ouvriers
avaient réuni lo.ooo roubles pour construire une mosquée ; mais tout
reste en suspens, les organisateurs ne voulant pas que celle-ci pût ser-
vir aux natifs de certaines régions du Daghestan. Rien de plus contraire
à l'Islam, leur fait observer Mollâ Habib ur-Rahmân Balakhanî (2).
Les nombreuses sociétés fondées à Bakou n'ont pas donné tous les
résultats qu'on pouvait en attendre. Pourquoi ? Vlrchâd (3) nous le
dira. Dans bien des cas, les hommes placés à la tète de ces associations
ne briguent leurs charges que par vanité; beaucoup sont incapables;
enfin, et voici la principale raison, les différences d'opinions, d'intérêts,
de situation sociale, sont trop accusées dans ces groupements.
On ne doit cependant pas méconnaître les services considérables ren-
dus par certaines de ces sociétés. Il faut citer, dans le nombre, la So-
ciété de bienfaisance musulmane, présidée par Hâdjî Zeïn ul-'Abidîn Ta-
kîveff, pour laquelle la presse sollicite de nouveaux adhérents et qui
reçoit, chaque jour, de nouveaux dons. C'est ainsi que les contremaîtres
et les ouvriers de la Compagnie Naktalan (?) lui faisaient p>irvenir, au
commencement du mois dernier, 122 roubles 98 kopeks (4).
La Société pour la propagation de l'instruction continue son œuvre.
Elle fonde de nouvelles écoles, améliore les anciennes, vient en aide
aa'x élèves nécessiteux, propage les méthodes modernes. On sait qu'elle
avait fondé une sorte d'École normale : les professeurs de quatorze
écoles de Bakou, qui sont libres à partir de trois heures, viennent
maintenant s'y perfectionner chaque jour, de quatre à six (5).
Guendjé, on s'en souvient, est un centre actif de progrès. La salle de
lecture Islam, où livres et journaux sont mis gratuitement à la di^po-
sition du public, est fréquentée et prospère, et la bibliothèque Islam va
publier les oeuvres du docteur Abdullâh Djevdet Bey. Elle a des repré-
sentants et des dépositaires partout; mais c'est en Egypte, de la part des
Jeunes Turcs, qu'elle rencontre le plus d'appuis. Il semblera peut-être
singulier qu'un ouvrage relatif à Guendjè, le Combat entre Arméniens
et Musulmans, ait été publié en Egypte (t").
{\] Habl oui-Matin, 22 avril 1907.
(2) Irchàd, 2 3 mars/5 avril.
(3) Numéro du 12 26 avril.
(4) Ibidem, 27 mars, 9 avril.
(5) Ibidem, 3o mars/12 avril.
(6; Ibidem, \^^; 14 avril.
NOTES LT NOUVELLES SqI
L'école du village de 'Alâ, dans le gouvernement de Boghoursian (Sa-
mara), possède une école ayant plus de cent élèves. Les professeurs
ayant attiré l'attention sur le sort de quinze de ceux-ci, orphelins et
sans ressources, la générosité de leurs coreligionnaires est aussitôt
venue à leur aide. Le Terdjumân (i; a ainsi reçu un mandat de
45 roubles, dont le montant devait être réparti entre eux, à raison de
3 roubles chacun.
Les annonces de Vlrchàd nous fourniront encore, sur Bakou, de>
informations intéressantes. Le 12/25 avril, il y était question d'une con-
férence de Mohammed Emîn Resoùlzâdé, qui devait avoir lieu, le len-
demain, sur le sujet suivant : Autour de l'Europe.
Plusieurs Musulmans exercent la médecine à Bakou. Ce sont les doc-
teurs Kara Bey Kara Beyolf, spécialiste pour les maladies secrètes,
Behrâm Bey Akhoûndoff et Hasan Bey Agayeff. On y trouva aussi une
doctoresse,EmînéK.hânoumBehâdourChâhzâdè, diplômée de l'L'niversité
féminine de Saint-Pétersbourg, ainsi qu'une autre musulmane, dont le
nom n'est pas donné, et qui exerce la médecine dentaire rue Kaminsky,
maison Hàdjinsky, en face de la mosquée de la Coupole verte (2).
Rue Gobernisky, s'est fondée une fabrique de limonade, la fabrique
Islàmiyè, qui n'emploie que des .Musulmans. Elle compte sur ce fait,
ainsi que sur la bonne qualité de ses produits, pour se créer une nom-
breuse clientèle musulmane (3).
Deux hôtels musulmans existent à Bakou ; ils se recommandent par
leur confort tout moderne (notons, en passant, qu'ils emploient l'éclai-
rage électrique), leur cuisine orientale et européenne. Ce sont les hôtels
Islàmiyè, tenu par Ismâ'îl Mahmoûdzâdè, et du Daghestan, tenu par
Mechhedî 'Alî. On trouve aussi àTiflis, rue Batanitcheskv, au centre de
la ville, l'hôtel Millet, tenu par Mechhedî Mohammed Moûsàyert" (4).
Hâdji Hasan 'Alizâdè tient, dans son magasin delà rue Nikolayefskie
la photographie des députés de l'Âzèrbaïdjàn à l'.Assemblée national,
persane, réunis aux notables de Bakou. 11 tient aussi la photographie
des élèves de l'École persane Ettehâd (5).
Un tailleur musulman, 'Ali Nakî Aslanoff, mettait en vente, du
20 mars au 10 avril, à l'occasion du printemps, un stock considérable
de vêtements pour hommes, femmes et enfants, en draps étrangers ou
indigènes des meilleures marques (6).
(1) Irchàd. i3 26 avril.
(2) Numéro des 23 mars/5 avril et 25 mars 7 avril 1907.
(3) Numéro des 23 mars 5 avril et 29 mars, 11 avril 1907.
'4I Numéro du 3o mars/12 avril 1907.
(5 Numéro du 28 mars/io avril 1907.
(6) Numéro du 28 mars 10 avril 1907.
L. B.
392 REVUE DU MONDE MUSULMAN
Petites nouvelles de Russie.
Un attentat à Bakou. — Vers le milieu d'avril, le bruit se répandait, à
Bakou, que l'ancien atabek, Emîn os-Sollân, devenu si impopulaire en
Perse, et cependant revenu au pouvoir il y a peu de temps, était arrivé
dans cette ville, sous un déguisement. Il se préparait à rentrer dans son
pays, où, grâce à l'appui des étrangers, il abolirait la Constitution, sup-
primerait la Chambre et rétablirait l'ancien état de choses. Une vive
émotion se répandit alors à Bakou.
11 s'agissait, en réalité, de l'ingénieur en chef Mîrzâ 'Abbâs Khân, an-
cien élève de notre École Polytechnique et officier de la Légion d'hon-
neur, qui revenait d'un voyage en Europe, voyage pendant lequel il
avait fait un certain séjour à Paris. Descendu à l'Hôtel Musulman, il
voyageait en compagnie de Chehâb ol-Molk et de Choouket os-Saltanè,
les fils d'Asef ol-Molk, ancien gouverneur du Khorassan, devenu odieux
par sa tyrannie et par la manière dont il s'était conduit à Kotchan, dit
Vlrc/idd.
Mîrzà 'Abbàs K.hàn ressemble beaucoup physiquement, parait-il, à
Emîn os-Soltân. Aussi les bruits les plus divers coururent-ils, dès son
arrivée à Bakou. Un certain nombre de personnes crurent la Consti-
tution persane menacée.
Le 3/16 avril dernier, comme il traversait un pont, un homme inconnu
tirait sur lui quatre coups de revolver. Deux balles portèrent, et, griève-
ment blessé, Mîrzâ 'Abbâs Khân était transporté au Consulat de Perse,
où il recevait les soins nécessaires. Un homme suspect a été arrêté par
la police, mais on ignore s'il est réellement l'auteur de l'attentat (i).
Le Pèlerinage. — Le journal Vakt, d'Orenbourg, publie, d'après
divers organes arabes, les doléances des pèlerins. Ceux-ci ont été mal-
traités, et surtout exploités, de la façon la plus indigne, par le gouver-
neur du Hedjâz, Râtib Pacha, qui, ayant acheté à Constantinople la
permission de pressurer les pèlerins, a tiré de ceux-ci tout ce qu'il a pu.
Les indigents se sont vu interdire l'accès des lieux saints. Pour le voyage
de Djedda à Médine, les chameliers, dont l'avidité n'avait pas de limites,
exigeaient 60 medjidiés. De plus, aucune sécurité pour le voyage ; les
Bédouins faisaient ce qu'ils voulaient; ils ont tué un Sarte de Boukhara,
sa femme et son fils ; un autre pèlerin a été tué, sa femme et son enfant
(i) Irchàd, 2 i5, 4/17 et 5/i8 avril 1907.
NOTES ET NOl.VELLES 3(^3
réduits en esclavage. On réclame avec instance le départ de Râtib
Pacha (i).
Au retour, le service sanitaire, dit le Terdjumdn (2), était mal orga-
nisé ; on n'a pris, pendant les quarantaines, aucun soin des malades qui
rentraient en Russie. Pour le seul mois de février, il y a eu cinquante
décès parmi les pèlerins du lazaret de Caffa.
Conversions. — Deux Jeunes filles russes, nommées toutes les deux
Yelcaterina, viennent d'embrasser l'Islamisme et d'épouser des Musul-
mans. La première, originaire du village de Tchalkak, dans le gouver-
nement de Bouri, s'appelle maintenant Durr ul-.\la'vâ (Perle de la
Demeure); l'autre, devenue Djennet u!-Esmà (Paradis des Cieux), est
du village de Kalmak (3).
♦
Le Khalifat en danger! — Tel est le titre d'unelettre du docteur 'Ab-
dullàh Djevdet à VIrchdd (4), lettre dans laquelleil faitune critique sévère
du gouvernement du Sultan. Aucun parallèle n'estpossibleentrelesquatre
khalifes « orthodoxes », gloires de l'Islam et ses propagateurs, et celui
qui, maintenant, s'arroge ce titre. Le gouvernement honteux que subit
la Turquie ne rappelle, en rien, celui des successeurs du Prophète.
Cette lettre, écrite, en quelque sorte, au nom des habitants de Xak-
hou, est accompagnée d'une autre lettre, dans laquelle un groupe d'ha-
bitants de Chamakhi, tout en déclarant désirer avec ardeur le réveil de
la Turquie, blâment les attaques dont son souverain a été précédem-
ment l'objet dans VIrchdd.
L'alcnolisme et les jeux de hasard. — Dernièrement, un .Musulman
allait à Titlis pour affaires. Passant dans le Bazar du Diable, il y voyait
avec stupéfaction cette enseigne : « Ici on vend toute sorte de boissons,
de vins et de spiritueux. A. 'Ali Ekber Oghii. ■»
Un ami lui donna des renseignements sur ce personnage. '.Alî Ekber
Oghli avait loué la maison en entier ; il faisait lui-même, au rez-de-
chaussée, son commerce de spiritueux ; l'étage supérieur était occupé
par un tripot fréquenté par les joueurs ; 'Alî Ekber Oghli ne disait pas
ce qu'il faisait de l'étage au-dessus, et avait, sans doute, de b mnes
raisons de se taire. O honte ! (5).
L. B.
(i) Irchdd, 8 21 avril 1907.
(2) Ibidem, 21 mars, 3 avril 1907.
(3) Numéro du 1 124 avril 1907.
■'4) Numéro du 27 mars 9 avril 1907.
(b) Ibid., i''l\.\ai\nl 1907.
394 REVUE DU MONDE MUSULMAN
Le Mad MuUah du Çomal,
Depuis la conclusion de la paix avec le Gouvernement anglais, le
Mad Mullah du Çomal a cessé de ravager l'hinterland des ports anglais
de Berbera, Bulhor et Zeila. Il vient, pour la première fois, d'envoyer
des marchandises à Aden. Une quinzaine de ses partisans y sont arri-
vés, avec environ 3.5oo peaux qu'ils ont vendues (i). Lui-même s'était
installé au port d'Illig, dans le pays des Méjourtin.
L'Islam en Amérique.
Un Hindou, Mahmoud Châl Saghrat (?), était parti pour les États-
Unis dans le but d'y propager l'Islam. Arrivé à Burnland (?) il y a ren-
contré un certain nombre de Babis : on sait que cette secte a des adhé-
rents en Amérique. D'accord avec ses coreligionnaires hindous, il s'ef-
forcera de les ramener à l'orthodoxie musulmane (2).
Les Musulmans d'Australie.
Le domaine de l'Islam en Océanie n'est pas limité aux Indes néer-
landaises. On trouve des Musulmans en assez grand nombre, en Aus-
tralie, dans le Queensland.
M. Hubert Jansen, in Verbreitiing des Islams, en compte 14.000 pour
cette province, d'après le recensement de i89[, avec un total de 17.702
pour toute l'Australie ou de 18.402, y compris la Nouvelle-Zélande et la
Nouvelle-Guinée anglaise. Ces chiffres sont inférieurs au total qu'admet
M. R.-G. Corbet, in Mohammedanism and the British Empire (3;,
soit 19.500, pour l'Australie et l'Océanie, au même recensement de
iSgi. On s'explique cette différence, en voyant que les chiff"res donnés
par le recensement pour le Queensland bloquent les .Asiatiques et Poly-
nésiens par provenances, sans distinction de religion. Les Hindous,
.Malais, Chinois, Polynésiens, Japonais, étaient au nombre de 17.434.
AL Jansen admet 14.000 Musulmans. Il esta peu près d'accord avec
AL Corbet.
(1) Mulk and Millut, 16 avril 1907.
(2) Irchàd, 11-24 avril 1907.
(3) « British Empire » Séries, vol. \', tir. à p.. p. 2.
NOTES ET NOUVELLES 3cjy
Mais, d'autre part, on trouve dans l'ouvrage du premier les chiffres
suivants, pour les autres provinces à colonies musulmanes :
Nouvelle-Galles du Sud 1.212
Victoria 2.340
Australie du Sud 100
Australie occidentale 25
Cesévaluations, qui résultent directement non du recensement de 1891,
mais des renseignements du ScobeTs Handbuch de 1896, semblent un
oeu exagérées. — Voici, en effet, les chiffres fournis par le recensement
de 1901 (i):
\'ictoria ^-j^
Australie méridionale ........ 440
Australie occidentale. . . 1-2
!1 n'y a pas d'indication de population musulmane pour les New South
Wales. D'autre part, pour le Queensland, le chiffre global est de
19.128 pour les Musulmans et les païens ensemble. En l'absence d'in-
dications sur la décomposition de ce total, il était intéressant de se
reporter à des données plus précises. The Queensland officiai year
Book i9oi,qui donne les résultats détaillés du recensement de 1901, ne
sépare pas les religions des différents immigrés asiatiques. .Mais voici la
répartition de leurs provenances :
Chinois g. 3,3
Indigènes des îles du Pacitiqui 9-327
Japonais 2.269
Hindous et Ceylanais gSy
Autres Asiatiques ' -Tt^J
23.635"
l.esindigénes australiens, au nombre de6.670,ne sont pas compris dans
ce total. On voit que le chiffre global indiqué par VAustralian Hand-
hook représente sensiblement le total des Chinois, des indigènes des îles du
Pacifique et des Hindous ou Ceylanais. — La proportion du nombre des
Chinois paraît rendre exagérée la proportion du nombre des .Musulmans
admise par .M. H. Jansen pour 189 1. Sans plus ample informé, il ne
semble pas qu'il faille compter pour le Queensland beaucoup plus de
8 à 10.000 .Musulmans, .Malais en majeure partie.
(1) V. The Australian llandbook. igcS, p. 179.
396 BEVUE DU MONDE MUSULMAN
Cependant quelques indices donnent à penser que le Census de 1901,
d'une extrême minutie en ce qui concerne les sectes et les églises
chrétiennes de tout ordre, est moins précis en ce qui concerne les
Musulmans. Le cas de l'Australie occidentale nous en fournit la
preuve.
Scobel et, après lui, Jansen admettent pour cette colonie 25 Musul-
mans, en 1895, probablement d'après le recensement de 1891, et le
Census de 1901 donne, d'après l'Australian Handbook, 12 Musulmans
seulement.
Or, M. F. Martin nous apprend, dans son récent ouvrage sur l'Afgha-
nistan (i), que l'introduction des chameaux dans la Western Australia,
pour les transports de la région désertique, y avait déterminé l'immi-
gration d'une petite colonie d'Afghans. Il nous raconte le retour à Caboul
d'un de ces Afghans australiens, qui s'était marié avec une Anglaise con-
vertie à l'Islam et qui, si elle ne savait ni lire ni écrire, avait des
«Voix » l'exhortant à persévérer dans sa nouvelle religion. Son époux,
qui serait mort de misère sans une petite pension obtenue de l'Émir, à
cause d'elle, se plaignait d'avoir quitté l'Australie, où ses compatriotes
et lui vivaient facilement de leur métier de chameliers.
Voilà donc un premier élément musulman plus important, semble-t-il,
que ne l'indiquent les statistiques, celles du moins auxquelles nous avons
pu recourir. Il existe encore un autre groupe de Musulmans dans la
Western Australia, ce sont les Hindous de Perth, capitale de la co-
lonie. Le Mulk and Millut (2) nous apprend que la communauté
musulmane de la ville s'était préoccupée, dès 1904, d'y construire une
mosquée. Un comité présidé par .\L\L Faiz Mohammed et Haffiz Moha-
med Hayat, tous deux négociants, s'entendit avec la municipalité pour
l'acquisition d'un terrain bien situé dans William Street et l'érection
d'une petite mosquée, dont les plans, préparés par .\L Din Mohammed,
ont été approuvés par le Conseil de la Colonie. La mosquée a été cons-
truite en 1906 et les habitants de Perth, après quelque surprise au début,
se sont habitués maintenant à entendre régulièrement l'appel à la
prière.
Les Musulmans de Perth n'ont fait ainsi que suivre l'exemple de ceux
de South Australia, qui possédaient déjà une mosquée construite et
en service.
(i) Under the absolute Emir, p. 283.
(2) 9 avril 1907, p. 740.
NOTES ET NOUVELLES 3û7
On peut inférer de ces indications que le mouvement d'immigration
des Musulmans commerçants et résidents, ou de passage, a plus d'acti-
vité que ne l'indiqueraient des statistiques limitées sans doute aux seuls
résidents fixes. Toutefois, les petites communautés, comme celle de
Perth, ont besoin d'aide quand elles veulent s'organiser. L'article du
Mulk and Millut fait appel à la générosité des Musulmans de l'Inde,
en exposant que, pour construire la mosquée, il a fallu emprunter
75.000 francs, indépendamment de souscriptions s'élevant à 20.000.
A. L. C.
l^f;:^^
A MOMTHLYPtJBLIOATIOr* l^
"f^ SitiGapore. W
■ '^'' (*') ..A- 25 yU vf^ (,-«•'»
\jy\À--j jj^ jljiL9i\2i)
LA PRESSE MUSULMANE
Al -Imam. jJ^J^ O^y^ jM'-^^-* r^"^'^
.1 Monthly publication. Singaporc.
Uliudm, dont nous venons de recevoir un assez volumineux fasci-
cule (1 ,, est une revue panislamique rédigée en malais.
De création assez récente, puisque cette publication mensuelle (2)
n'en est encore qu'à sa première année, Vlmâm est imprimé à Singa-
pore, 19, Wild Road, à son imprimerie particulière, sous la direction du
cheikh Mohammed ben Sàlem Al-K.elâlî ( ,j!>vO I JL- ^ -U^m ^it-tJi).
Destiné à la propagande, il se vend 25 cents le numéro ; l'abonne-
ment n'est que de 2 S 40 pour les Établissements du Détroit et 3 S 5o
pour les Indes néerlandaises.
Son caractère religieux s'affirme dès le titre intérieur, encadré ip. iqS)
de ces deux versets du Coran, très caractéristiques on arabe et en malais.
« Nous avons compté tout dans le prototype évident (3y » ; <*. Fais
que nous marchions à la tète de ceux qui craignent •» (4).
La profession de foi du journal s'étale au surplus au dos de la
couverture, où il est dit en substance : Vlmdm est la première revue
musulmane paraissant dans nos contrées dans le but de mettre en
lumière notre religion par des exhortations variées, des enseignements
et des nouvelles pour le plus grand profit des lecteurs, s'il plaît à Dieu...
{'Imdm se met à la disposition de tous ceux qui voudraient lui poser
(i) N" 7, pp. 193-224.
{2) Elle paraît le i" du mois arabe.
(3) Coran, .\.\.\VI, 2'-- partie du verset 11. Le livre ou prototype évident
€st celui où sont inscrites les actions de tout homme. Cf. Kasimirski, Le Ko-
ran, p. 356, note 3.
(4) Coran, XXV, fin du verset 74.
400 BEVUE DU MONDE MUSULMAN
des questions intéressant l'Islam, et s'ert'orcera de les éclairer : des
rubriques seront consacrées aux réponses. Vlmdm fera de son mieux,
la pénurie des savants et de ressources scientifiques en pays malais
étant connue de tous. Cette situation sera d'ailleurs étudiée ultérieure-
ment... Qu'on ne songe pas à voir dans Vlmâtn un agent de désordre (i) :
il aspire uniquement à porter la lumière dans les âmes par des exem-
ples et des paroles de vérité. II ne peut y avoir de trahison en ce qui
concerne le Dieu Très-Haut et digne d'être loué, et Vlmâm ne souhaite
que développer l'enseignement de nos autorités spirituelles (sur elles
soient la prière et la paix !) : « Quiconque, parmi vous, voit quelque
chose de répréhensible doit le changer avec la main; et si sa main est
dépourvue de vigueur, qu'il le fasse par la langue (2). »
Un petit avis d'ordre pratique rappelle que Vlmdm reçoit les annonces
qui n'ont rien de contraire à la religion, et fait entendre qu'on peut
toujours en débattre le prix avec le Directeur. La revue paraît réelle-
ment chaque mois et le nombre des abonnés s'élève déjà à plus de
mille. Cet avis est suivi d'une annonce, très orthodoxe, où Tuwan
(Monsieur) Seyid Hasan bin Ahvî offre aux gentlemen un beau choix
d'étotîes de Syrie et d'Egypte, à des prix défiant toute concurrence, et
de magnifiques bdtiks (3).
L'attitude confessionnelle de la Revue ne pouvait être marquée avec
plus de netteté; son but est de réveiller les Malais de leur torpeur reli-
gieuse et de les enrégimenter dans le mouvement qui, de la Perse et de
l'Arabie à l'Inde et à la Chine, du Maroc à la Turquie, veut unir dans
une puissante fraternité tous les adeptes de l'Islam.
Le numéro que nous avons sous les yeux s'ouvre par une sorte de
cours familier d'histoire de l'Islam, dont le ton sentencieux participe à
(i) Le philosophe Ibn Sina (Avicenne) recommande au vrai croyant de ne
point se mêler de commérage ni d'espionnage, et de ne pas se laisser entraîner
par l'ardeur de son zèle, mais de demandera la douceur et à l'amour de l'inspi-
rer dans l'accomplissement de son devoir. Cf. Introduction de I. Goidziher.
p. 89 (Voir note suivante).
(2; L'Imâm ajoute : « Et jusqu'à la fin du haditii. » Voici cette fin : « Si
cela encore lui est impossible, qu'il le fasse avec le cœur : c'est le minimum
de la religion. » Cl. l'Introduction au Livre de Mohammed ibn Toumert du
professeur I. Goidziher (traduite par Gaudefroy-Demombynes), p. 86.
(3) Toiles de coton pour langoutis ornées de dessins d'un bel effet artis-
tique.Pour faire ces sortes d'indiennes, on enduit partiellement i'étolTe d'une
mmce couche de cire, afin de préserver dune teinture de cuve, où on la
plonge, l'endroit voulu. L'application successive de cire et de couleurs per-
met d'obtenir les ornements les plus variés. Voir, sur ce sujet, le bel ouvrage
suivant: G. P. Rouffaer et docteur Juynboll, rArt du Baliq aux Indes néer-
landaises et son Histoire, Harlem, K.leinmann, 1900, gr. in 4.
LA PRESSE MUSULMANE
401
la fois de l'homélie et du midrasch I a nérp^it^ a
se justifie par la tiédeur de gens . quf "ou ' ''T' T''^^'"'''''
demeurent sur la route, de mTme pue d'am"'"^^
Mène à penser aux choses relieuses ! ^ , ^P^ouvent une sorte de
demandent toujours Tour c oi e d- '^^'^ '^'"'''^"'^ ^"^^'' """^ ^^^
des persécutas i'z^7:^^:T::::::'i: ^^'^T ''^^
Im réclamaient d'agrandir leur n.v 1 7 ^ ^-oreichites, qui
apporter dans les rapports sociauT e^V He !; °""°"'' *
-orau., presque .ous'^ppu.vérZVe "et'df cZ'^ développements
cette question si controversée n- ' " °" P""<'^= parti dans
prise patronné p rf ^ r lieuf'.'' r""'"' """" ""' ^"=-
plus grand nombre de fidis d fa re c V " ""LP"-"" * ™
souhaitable ? De l'autre 1 /„,!,„ n'il P' "'"âge de la Mecque, si
tribus bédouines que ruit^erânof ""l '" ""'"""^ ^'«"" ""
peu d'uttlité dudircheZ de fe Tp rrVs Cro ' '?"''"'' """ "^
malgré son désir de s^ n,^„, ^ / '^'"J'^n" asiatiques. Aussi,
Picu^ Musulml ',vr,° rrrit:e"4terrf "°''""^- '"'
ce qu'il sait sur la question enregistrer, de façon impartiale,
sousI^thrl^V^tX";::"""'" '■'''~"^"^' ^^"-" -<---'e,
procèdent ces v^r^ d^ Co^nr^^^rraX ^ ^■^ " ^ '^^ ' -=
«4°i"nru':èa':o:i;::,;n4:,Lrs::aV:Tbr' '^ -- -
vous serez heureux. y> ^ ' ^^stenez-vous-en et
* Satan désire exciter la haine et l'inimitié entre vous oar le vin .. .
Sieir-vr^d-^c^pas o7": " "'- " '^ " -" ™"-"
Tu^s tsZ^rZr" ' ^™^^- ^eligluse'mùsul^lnr :
dupro;r::"o':m\TulrdrC;/eT*.:r T""^"'^" '" "°-
découler des enseignement^de cli-là "" '""' '"'-"'^1''-"'
L-n aperçu succinct des événements politiques de Perse montre 17,„„„,
(0 Cl. U Koran, traduction Kasimirski, V, g,-g3, p. ,6
II. t' y •
26
402
REVUE DU MONDE MUSULMAN
dans sa neutralité voulue, à Fartùt de toute évolution des puissances
islamiques. Enfin, quelques brèves réponses à des questions d'ordre
casuistique posées dans les numéros précédents, et dix lignes sur la né-
cessité d'imiter les pays d'Occident, en multipliant les écoles, nous con-
duisent à la rubrique : « Questions et réponses » qui clôt la Revue, et
qui ont toutes trait à des points de doctrine délicats ou embarrassants.
Toutefois, la pièce de résistance du numéro est un article intitulé :
Navires de guerre de la Sublime-Porte ottomane. Voici le résumé
de cet article, avec les états de la Hotte turque que Vlmdm a emprun-
tés à la Géographie politique et statistique de S. E. Ibrahim Hilmî
Beg, « chefs des armées » de l'Empire ottoman:
« Le Commandeur des Croyants, le glorieux, l'illustre, l'auguste sultan
Abd-ul-Hamid K.han II», a reconnu qu'il était « nécessaire, important
et primordial » d'imiter les autres rois et de préserver son empire de la
défaite par l'augmentation de son matériel de guerre. Profitant de tout le
progrès moderne, il a rendu plus forte l'armée de terre, puis, tournant
ses regards vers l'armée de mer, il a voulu qu'au point de vue militaire
et maritime la Turquie pût soutenir la comparaison avec les puissan-
ces occidentales.
Parmi les navires de guerre que possède la Sublime-Porte, la moitié
se compose de cuirassés et l'autre moitié de torpilleurs. Les tableaux
suivants permettront de se faire une idée juste de la flotte ottomane. Le
nombre des matelots exercés s'élève à So.ooo hommes.
x°>
ÉTAT DES NAVIRES MODERNES
AU PRÉSENT MOIS (janvier 1907 ?)
NOMBRIi:
DE NAVIRES
NOMBRE
DE CANONS
1
2
3
4
5
Cuirassés
2
4
4
18
2
61
88
44
73
Corvettes |,j:*<"»j^ J
Croiseurs rapides.
Torpilleurs de tous modèles
Sous-marins
TOTAC'X
3o
266
Tonnage total des navires ci-dessus.. .. 36. 680 tonneaux.
Force des machines 102. 2 20 chevaux.
Lance-torpilles "3
LA PRESSE MUSULMANE
4o3
N»<
NAVIRES
QUI SOMT ENCORE DANS LKS DOCKS
NOMBRE
CANONS
I
2
3
Monitors blindés
Croiseurs cuirassés.. ...
Torpilleurs et navires diveis
Totaux
2
4
46
80
8.
206 '
5^
370
Tonnage total des navires ci-dessus.
2^.243 lonneau.x.
N-i
ÉTAT DES NAVIRES DIVERS
DE .MODÈLE ANCIEN DU SLI.TAN
NOMBRE
CANONS
I
2
3
4
5
6
Cuirassés
Corvettes
Frégates
Contre-torpilleurs
Navires en bois à batteries
Monitors
TOTALX
3
4
I
2
4
5 '")
35
108
12
8
34
i5
233
De ces derniers navires, les uns ont été transformés et réparés et les
autres sont en bon état, mais pourraient rendre encore des services. La
marine ottomane possède encore di.\ navires à aubes, transformés en
magasins de vivres flottants toujours armés, sept bâtiments à roues
d'arrière (?), trente bateau.x divers, si.x garde-côtes et soi.\ante-dix na-
vires de commerce réquisitionnables en temps de guerre. Les journaux
turcs annoncent qu'il a été commandé au Creusot [jjjy ) douze
sous-marins, et le Sultan se propose d'augmenter de huit unités le
nombre de ses vaisseau.x.
«. Espérons, après cela, ajoute Vlm.îin, que nos frères musulmans se
garderont d'écouter les gens malintentionnés qui comparent trop volon-
tiers « notre » Sultan à la grenouille sous une noix de coco (i). *
(i) Allusion au proverbe malais: Duiuh seperti katalt di bâwah tempomn.
404 REVUE DU MONDE MUSULMAN
Il va là un contraste assez piquant entre cette justification des arme-
ments formidables et coûteux qui écrasent toutes les puissances civi-
lisées, cette glorification de la prévoyance de la Sublime-Porte otto-
mane et le ton sentencieux et dévot des rédacteurs de Vlmdm.
Tel qu'il se présente, Vlmâm est une revue de propagande religieuse
et, nous l'avons dit, nettement panislamique. Renforçant son ortho-
doxie d'une couleur très moderne de progrès, il aspire à répandre le
plus possible l'Islam et à éveiller, particulièrement chez les Musulmans
malais, la fierté de leur religion et de l'énorme puissance morale et
mondiale à laquelle ils participent.
Alors que les Malais, jusqu'ici, paraissent avoir un médiocre recours à
la presse, pour faciliter chez eux la solution des questions pratiques, et
n'ont fondé qu'un nombre très restreint de journaux en leur langue,
on pourrait s'étonner de les voir subventionner une publication d'un
caractère si exclusif de prosélytisme religieux. Mais cette Revue nous
semble surtout malaise par destination : à en juger par l'esprit, la
forme, la vénération accordée à « Notre Auguste Sultan » dont le nom
apparaît presque aussi souvent que celui du Prophète, Vlmam doit être
d'inspiration turque et soutenu par les fonds de propagande panisla-
mique.
Ce qui permettrait encore de le croire, c'est que la rédaction paraît
due surtout à des Arabes ou Turcs savants en malais et non à des
Malais de race. Une telle origine et certains des sujets traités explique-
raient la contexture assez spéciale du style : le inalayou, d'une com-
plexité si fuyante et fluide, est débordé ici par des idées qui lui sont
trop étrangères, d'oi^i une orthographe flottante et un lexique aussi
riche que disparate, où les vocables étrangers étonnent, à chaque ins-
tant, l'œil et l'esprit : c'est d'une bizarrerie savoureuse, mais très arti-
ficielle et déconcertante au fond.
A. C.
A Zanzibar.
Nous devons aux obligeants envois d'un ami de la Revue, qui nous
permettra de le remercier tout particulièrement ici, plusieurs journau.x
fort intéressants de Zanzibar.
Tout d'abord The Ga\ette^ journal officiel « pour Zanzibar et
l'Afrique orientale », hebdomadaire, en anglais. Il est destiné surtout
auxrésidents anglaisde la côte et comprend, en premierlieu, les dépèches
« Être comme la grenouille sous une noix de coco », c'est-à-dire « être plongé
dans des difficultés d'où on ne sait comment sortir ».
LA PRESSE MUSULMANE
405
Reuter, puis des nouvelles locales, et ensuite des annonces en anglais,
en arabe et en gudjarati, ou une partie documentaire (tarifs de douanes).
Nous avons la collection complète de mars et avril. On trouve çà et
là, dans les nouvelles locales, quelques renseignements à retenir. Par
exemple :
6 tnars. — M. Heinrich Brode, l'auteur de Tippoo Tib : histoire
d'un def^pole africain, était consul d'Allemagne à Zanzibar. 11 connais-
sait bien Tippoo Tib, et tient de celui-ci les récits qu'il a reproduits.
i3 mars. — D'après African World, le bureau des voyages de
l'Hamburg American Line a décidé d'organiser une croisière de deux
mois et demi dans l'Afrique orientale. Départ au commencement de
septembre, retour au milieu de novembre. Coût probable du billet :
4.500 francs environ. Visite de la cote et excursions dans le territoire de
la colonie allemande.
27 mar.s. — Fêle et visite à l'école* Friend's industrial Mission » de
Pemba, pour la remise à trois élèves, arrivés au terme de leur instruc-
tion, de jeu.x complets d'outils de charpentiers, payés en partie avec
leur gain mis de côté à cet effet. Parmi les invités qui accompagnent
l'agent consulaire d'Angleterre, tous les Arabes de haut rang: Cheikh
Soliman ben Sa'i'd, « Kathi » Cheikh Sa'id, « K.athi Amam », etc. Après
le consul. Cheikh Soliman ben Sa'i'd et « Mwalimu » Mohammed adres-
sent quelques mots de félicitations aux lauréats, et on se retire au.x
sons du God save the King chanté en souahéli.
17 avril. — Mort à Bombay d".\bdul Aziz, frère de Scyyed Bargash.
Il y était interné depuis i85g.
24 avril. — On achève la construction de la « Jamat Khanah » des
ismaéliya. C'est une vaste construction de dimensions imposantes,
située au milieu de la vieille ville, et la plus belle de tout le pays, avec
sa fdçade qui rappelle quelque vieux palais de Venise, les énormes
piliers de pierres du grand hall, et la forêt de piliers de bois sculptés
du hal I supérieur.
»* »1 S
*5
OS
5
(V
LA PRESSE MUSULMANE
407
Cet immeuble esl destiné à servir aux Ismaéliya de lieu de prière et
de centre de réunions.
La sévère gazette officielle n'est pas naturellement l'organe attitré de
la population indigène. Dominé aujourd'hui par des éléments hin-
The
WEEKLY NEWSPAPER.
WITH REUTEK'S lELEGRAMS.
dous, son mouvement propre est représenté actuellement par la presse
gudjarati, qui est à fois politique et illustrée.
Là comme ailleurs, en Orient, les périodiques naissent et disparais-
sent rapidement. Nous n'avons pas pu nous procurer le Hindi, qui a
Esna Ashari meeting [Praja Punch du 20 janvier 1907.)
4o8
REVUE DU MONDE MUSULMAN
cessé d'exister en 1906, et ne faisait pas preuve, paraît-il, d'une réserve
suffisante dans ses propos.
Nous avons du moins sous les yeux deux numéros récents du Zan-
^ibar Samachar, qui, à la fin de mars, en était à son 6^ volume et à
son 660'' numéro, chiffres fort honorables pour une feuille journalière
publiée en gudjarati sur la côte d'Afrique. En même temps, nous avions
Le Gouvernement de ZdLnzib&r iPraja Punch, du 20 janvier 1907.;
eu la bonne fortune de recevoir la collection complète d'un Punch
local, le Fraja Punch, ne et disparu depuis le commencement de l'an-
née, après avoir fourni une carrière de six numéros.
Les reproductions qui suivent donnent une idée exacte de l'art sim-
pliste et peu sympathique aux Européens qui inspirait le« Punch des
Humbles» équatorial. Disons, pour être complet, quelles illustrations
précédaient une double feuille, donnant les dépêches Reuter en anglais
et en gudjarati.
Le Zanzibar Samachar, comme la Gazelle, fait une large place aux
LA PRESSE MUSULMANE
409
annonces et aux dépêches. On y trouve cependant aussi des articles
de fondsquile rendent particulièrement intéressant. Citons, entre autres,
dans le numéro du 25 mars, un curieux article sur les antagonismes
qui se manifestent au sein de la communauté K.hodja, et dont nous
W^-
Distribution de présents à propos de la Fcte Bénie. La part faite aux mu-
sulmans ' Praja Punch du 27 janvier l'.tojJ
parlons d'autre part (i). puis, dans le numéro du 2tjmars, la reproduc-
tion du discours prononcé à Lahore par l'honorable M. Gokkale pour
amener à s'entendre les Musulmans et les Hindous, ou encore des
« conseils à ceux qui veulent surpasser l'exemple du Japon ■* (2), etc.
(i; V. p. 373.
(2) Tous les hommages respectueux de la Revue avec tous ses remercie-
ments aux deux savantes traductrices de Paris et de Glasgow, qui ont bien
voulu suppléer à la lacune provisoire que son organisation présentait pour le
gudjarati.
410 BEVUE DU MONDE MUSULMAN
Quelques mots sur la presse arabe de Syrie.
Les débuts de la presse arabe, en Syrie, remonienl à cinquante ans.
C'est en iSSy que fut fondé, à Beyrouth, le Hadikat al-Akhbdr « Jardin
des nouvelles », organe hebdomadaire qui paraît encore aujourd'hui en
français et en arabe : ce doyen de la presse syrienne fut le journal offi-
ciel du vilayet jusqu'en 1869, époque à laquelle parut Bayroût Af-Ras-
miya « Beyrouth officiel ». La même année, l'Imprimerie catholique
éditait le Bachir « Porteur de bonne nouvelle », organe hebdomadaire
religieu.x et d'informations. L'année suivante, paraissaient les Djanân
« Jardins », revue littéraire et scientifique dirigée par M. Boutros Bos-
lani, et le Djanna « Paradis », journal politique dont les informations,
pendant la guerre franco-allemande, étaient particulièrement goûtées,
et dont le succès fut tel que, dans le Liban, le moi Djanna était devenu
synonyme de « journal » (i).
Beyrouth a été, non seulement le pays d'origine de la presse sy-
rienne, mais encore sa terre de prédilection. En 1897, M. W'ashington-
Serruys, dans l'ouvrage que nous venons de citer (2), énumérait neuf
journaux paraissant alors dans cette ville. C'étaient, par ordre chro-
nologique : Hadîkat al-Akhbâr (1857); Al-Bachîr (1869); Bayroût Ar-
Rasmiya (1869); Thamarât-al-founoùn « Fruits des sciences », jour-
nal politique (1874) ; Lisân-al-hdl « Langage de la situation » (1877),
organe quotidien ; Al-Misbâh « le Flambeau », hebdomadaire 1880);
Nachrat-al-ousboû'iya « le Bulletin de la semaine », feuille protes-
tante (1880), et Bayj-oùt « Beyrouth », journal politique (i885).
L'année suivante, l'Université Saint-Joseph fondait sa revue arabe bi-
mensuelle, religieuse, littéraire et scientifique, Al-Machriq « l'Orient»,
bien connue, non seulement en pays arabe, mais aussi en Europe.
On trouvait, à la même époque, les journau.v suivants dans d'autres
villes de Syrie : à Damas, Soùriya « Syrie » (i865), organe officiel, et
Ach-Cliam « la Syrie » (1896), politique; à Alep, Fourdt « Euphrate»,
officiel, et Ach-Chahbd « la Grise », surnom donné à Alep, poli-
tique, fondés tous les deux en 1866, et à Tripoli de Syrie, Tardbou-
loiis ach-Cham, journal politique (1892), dit maintenant Tardboxilous.
Nous emprunterons encore à AL W'ashington-Serruys (3) quelques
détails sur l'arrangement des journaux syriens. Ceux-ci commencent^
par un article de fonds ou une chronique, suivi de nouvelles de l'in-
(0 Washington-Sebruys, L'Arabe moderne, p. XIV.
(2) P. XIX, XX.
(3) P. XVI.
LA PRESSE MUSILMANE 4II
térieur oj locales, correspondant à nos faits divers, dans lesquelles on
trouve les faits les plus saillants, soit de la semaine, soit de la journée :
arrivées et départs, nominations officielles, crimes, sinistres, etc. Les
dépêches télégraphiques, les correspondances, et enfin les « Régions »
ou « D.rections» (i), c'est-à-dire les nouvelles venues des divers pomts
du vilayet, viennent ensuite; elles précédent les nouvelles de l'extérieur
ou Divers, qui ne sont autre chose que des traductions de journaux
européens.
Cette presse, ancienne et importante, qui a à sa tète des hommes de
valeur, parmi lesquels se recrute, depuis longtemps déjà, une partie du
personnel des journaux égyptiens, mériterait d'être l'objet d'une longue
étude. Nous aurons à parler, plus d'une fois, des organes qui la com.-
posent; aujourd'hui, nous ne nous occuperons que de quelques-uns
de ses plus importants organes, dont le R. P. Jalabert, recteur de
l'Université Saint-Joseph, à Beyrouth, a bien voulu nous envover des
spécimens.
Bayroùt, l'organe officiel du vilayet, paraît chaque samedi, en arabe
et en turc; les deux éditions, réunies, forment un numéro de quatre
pages in-folio; la partie turque, qui est à l'intérieur, ne fait que repro-
duire la partie arabe. Nous voyons, dans le numéro du lo mars, que
la souscription en faveur du chemin de fer du Hedjàz a produit, pour
le caza de Djenîn, S.ôgS piastres (2).
Les Thamardt al-founoùn paraissent chaque lundi, par numéros de
huit pages petit in-folio. Les matières les plus diverses y sont traitées :
littérature, sciences, politique et économie politique, agriculture, etc.
Les nouvelles locales y tiennent une large place; mais ce n'est pas au
détriment de celles de Constantinople, du reste de la Turquie et de
l'étranger. Elles sont dirigées par Ahmed Hasan Tabâra (3>
Al-Ikbdl « le Bonheur » est de fondation récente; il ne date que
de i320 et entre, par conséquent, dans sa sixième année. C'est un
organe national ottoman, ayant pour but de rendre service à la patrie
et de défendre ses intérêts. Assez varié, il consacre de nombreux
articles aux questions politiques et économiques, tout en faisant leur
part à d'autres travaux, parmi lesquels il faut relever une élude, parue
dernièrement (mars-avril), sur la Gcotrraphie dans l'Islam. Il est
( I) En arabe Djihàl.
(2) Direction et imprimerie : Soûk .\l-Nouzlia, en face le palais du '^o\i-
verneur, à Beyrouth. — .Vbonnements : 70 piastres l'année, ^o piastres pour
6 mois. — .\nnonces : 3 piastres la ligne.
(3) Direction : Imprimerie nationale. 83, rue Nouvelle, à Bevrouih. —
Abonnements d'un an : Beyrouth et Liban, 12 fr.; Turquie, i5 fr. :
Etranger, 18 fr. — Le numéro : 1 piastre et demie.
412 REVUE DU MONDE MUSULMAN
dirigé par 'Abd Al-Basît Al-Ounsî; son principal rédacteur est Mouhî
ad-Dîn Al-Kiiayyât (i).
Voici douze ans qu'Ach-Cham parait à Damas, ciiaque jeudi, par
numéros de quatre pages grand in-folio. C'est un journal bien rédigé
et riche en informations de toute nature, tant pour la Turquie que
pour l'étranger. En dehors des nouvelles politiques et des actes offi-
ciels, il donne des articles littéraires et scientifiques étendus et variés.
Il a pour gérant Moustafà Wâsif; pour rédacteur en chef, 'Abd Al-
Kâdir Badrân (2).
Soûriya, organe hebdomadaire du vilayet de Damas, est beaucoup
plus ancien; il est maintenant dans sa quarante et unième année. Il
donne, en arabe et en turc, les nouvelles, officielles ou non, de la
région de Damas, et appartient à cette presse officielle dont on a vu un
spécimen avec le Bayroût (3).
Le Fourât, journal officiel et hebdomadaire du vilavet d'Alep, est
conçu sur le même modèle; ce qui a été dit du Bayroût t\. du Soûriya
s'applique également à lui (4).
Tardboulous, enfin, paraît, depuis quinze ans, chaque mercredi, à
Tripoli de Syrie. Il est rédigé entièrement en arabe, et ses numéros,
de format in-folio, ont quatre pages. Ses informations sont variées et
intéressantes; elles tiennent au courant de ce qui se passe en Turquie,
ainsi que des principaux événements qui se produisent à l'étranger. 11
faut mentionner, dans le numéro du 6 mars du Tardboulous, un long
article sur les Musulmans chinois, écrit à l'occasion du voyage, à
Constantinople, du mufti de Pékin, 'Abdur-Rahmân (5).
(i) Adresse : Imprimerie des Sciences, à Beyrouth. — .Aibonnement d'un
an : Beyrouth et Liban, 2 medjidiés: Turquie. 2 medjidiés et demi; Étran-
ger, i5 fr. — Le numéro ; i piastre et demi. — On traite à forfait pour les
annonces.
(2) Abonnement d'un an et de 6 mois ; Damas, 2 et i medjidiés; Turquie,
3 et 2 medjidiés; Étranger, i5 fr. par an. — Annonces : 3 piastres la ligne
en première page;2 piastres et demie ailleurs ; des conditions spéciales sont
faites pour les annonces répétées.
(3) Ce journal est publié dans le palais même du gouverneur. — .•\bonne-
ments ; Un an, So piastres; si.x mois, 45 piastres. — Le numéro : 60 paras.
— Annonces : 2 piastres et demie la ligne.
(4) Le Fourdt a, lui aussi, son administration dans le palais même du
gouverneur. — Abonnements : Une demi-livre ottomane pour un an;
3o piastres pour si.x mois, et le port en sus à l'extérieur du vilayet. — Le
numéro : 40 paras. — Annonces : 3 piastres et demie la ligne.
(5) Abonnements d'un an et de si.x mois ; Tripoli, une demi-livre
ottomane et 40 piastres; Turquie, 76 et 45 piastres; Etranger (pour une
année , 16 fr. ou 9 roupies (Inde), ou 7 roubles (Russie). — Le numéro ;
I piastre et demie. — Annonces : 3 piastres et demie la ligne en première
LA PRESSE MUSULMANE 4l3
A l'Exposition de Louvain.
L'imprimerie de Vlkdam, de Constanlinople, bien connue par le
soin avec lequel elle a édité de nombreux et utiles ouvrages, a obtenu, à
l'exposition de Louvain, le grand prix de la section typographique. Ce
succès a été accueilli avec une satisfaction marquée par la presse otto-
mane (i).
« Sélanik ».
La presse provinciale, en Turquie, a comme principal élément, dans
les pays de langue turque (la presse arabe de Syrie a pris une exten-
sion assez considérable), les journaux officiels des vilayets, qui don-
nent, avec les informations de source officielle et les actes administra-
tifs, les nouvelles de Turquie et de l'étranger, en faisant, bien entendu,
une large place à celles qui intéressent le vilayet.
Sélanik « Salonique », dont nous avons sous les yeux le numéro
du 3 mars dernier, est un spécim:n de cette presse officielle. Son
administration a pour siège l'École professionnelle Hamidié, à Salo-
nique, où se trouve également son imprimerie. Sa fondation date de
trente-six ans : c'est dire que le Sélanik est un des doyens de la presse
ottomane (2).
La première place y est occupée parles « Nominations » (fonctions
publiques, promotions à la classe supérieure de divers fonctionnaires,
nominations et promotions dans l'ordre du Nicham, médailles), précé-
dant les nouvelles de la capitale et les événements du vilayet. On y
remarque, entre autres, la vente, au profit du chemin de fer du Hed-
jâZjdes peaux des animaux immolés à l'occasion de la fête des Sacri-
fices, une note relative à l'enseignement de la calligraphie dans les
écoles, enseignement auquel on parait attacher une importance par-
ticulière, les mesures prises pour remettre en état la mosquée de Le-
bano, et, enfin, deux rubriques assez chargées : « Répression du bri-
gandage » et « Tribunaux ».
Quelques « nouvelles des vilayets », venues d'A'idin, Scutari, Jéru-
salem, Alep, Bagdad, Gastamouni, précèdent les informations de
l'étranger, dans lesquelles il est question de la mort de AL et Mme Ber-
page; pour les autres pages, les prix sont de 2 piastres pour les abonnés et
de 2 et demie pour les non-abonnés.
(i) Ikdam, 9 mai 1907.
(2) Abonnements : un an, 48 piastres; six mois, 26 piastres.
414 BEVUE DU MONDE MUSULMAN
thelot et de la question agraire en Roumanie. Des annonces offi-
cielles occupent la plus grande partie de la quatrième page.
On voit, par cette analyse, que la presse ofncielle, en Turquie, ne se
borne pas à faire connaître les actes de l'autorité; elle donne encore,
avec les principaux événements du vilayet, les faits les plus intéres-
sants de la Turquie et, dans une mesure moindre, de l'étranger.
Le Journal de Bender-Bouchir.
Le 14 février, le Mo\afferî de Bender-Bouchir entrait dans sa
sixième année d'existence. Ce journal a été longtemps le seul organe
de la Perse méridionale ; le plus ancien de tous, il en reste, aujour-
d'hui, le plus important.
L'existence du Mo^afferî a été assez mouvementée. Dirigé par un
homme d'opinions libérales et qui a pris une part active à l'introduc-
tion du nouveau régime en Perse, Mirzâ 'Alî Aga Chîrâzi, il a eu, vers
la fin du règne de Mozaffer ed-Dîn Chah, bien des épreuves à subir. Sa
publication avait été interrompue par mesure administrative, et Mirzâ
'Alî Aga, arrêté arbit'airem. ent, avait été envoyé à Mohammera, d'où
il n'est revenu que pojr reprendre l'œuvre qui lui avait valu de telles
persécutions.
Journal indépendant, à tendances progressistes, le Mozarterî paraît
quatre fois par mois, par numéros ou fascicules de 16 pages grand in-8,
ayant plutôt l'aspect d'une revue que celle d'un journal dans l'accep-
tion ordinaire du mot. Contrairement à ce qui se fait pour beaucoup
d'organes de province, il est imprimé en caractères mobiles, avec
soin, et sur de bon papier. Son service d'informations paraît bien orga-
nisé; il donne, non seulement les nouvelles de la ville et de la région,
mais aussi celles de la capitale et des provinces, et tient ses lecteurs au
courant de ce qui se passe à l'étranger, en Europe comme en Orient.
Quant à la publicité, il lui fait peu de place.
Les séances de l'Assemblée nationale, la Banque nationale, les ques-
tions, si importantes à Bender-Bouchir, de la douane et des ports, l'ins-
truction, les écoles, le commerce et les moyens d'améliorer les condi-
tions économiques, sont les sujets les plus souvent traités.
On peut juger, d'après ces détails, et aussi d'après le passé de Mirzà
'Alî Aga, de ce que sera, dans l'avenir, le rôle du Mo^afferi. Nul doute
qu'il n'exerce une action considérable et salutaire dans l'oeuvre de la
régénération de la Perse, et ne contribue à répandre parmi ces popula-
tions du Sud, éloignées des centres où le mouvement actuel a pris
LA PRESSE MUSULMANE 4l5
naissance, et où la réforme s'est accomplie, les idées de liberté et de
progrès (i).
Le Journal d'Ourmiah.
Un journal persan, le premier organe périodique de la localité, vient
d'être fondé à Ourmiah, cette petite ville de l'Âzèrbàïdjân que nous
connaissons surtout, en Europe, comme un centre nestorien. C'est le
Fèryâd (Cri), dont M. Saheb-Nassagh a bien voulu nous communi-
quer le premier numéro, daté du 21 moharram i325 (21 février 1907).
Le Fèryâd est-il l'organe d'un parti ? Non. Kn Europe, où les grou-
pements politiques sont fractionnés à l'infini, on voit des journaux dé-
fendre des opinions diamétralement opposées; mais, en Perse, il n'y a,
pour ainsi dire, pas de partis. Tous les Persans sont d'accord pour
vouloir un régime de liberté, de justice, de civilisation et de progrès ;
tous désirent également voir l'instruction se répandre parmi eux, et
font, dans ce but, tout leur possible; le Fèrvarf se propose de travailler,
lui aussi, à l'œuvre de la régénération nationale. Ses idées sont celles
de la Perse d'aujourd'hui, et non celles d'un groupement politique.
Religion et patrie : ces deux mots pourraient résumer son programme.
Jusqu'au nauroû-^, c'est-à-dire jusqu'au 21 mars, époque à laquelle
son matériel tvpographique allait être complété, le Fèrydd devait pa-
raître tous les quinze jours ; à partir de cette date il devenait hebdoma-
daire. Il a pour directeur, Mîrzâ Habib Ouroùmî; pour rédacteur en
chef, Mîrzâ Mahmoud Ghanîzàdé Dîlmekânî, et pour gérant, Mîrzâ
'Abdol-Alî Harîrî Dîlmekânî. Ses numéros, de format in-8, ont quatre
pages; ils sont imprimés, d'une manière très soignée, en caractères
mobiles (2).
Ismaïl Bey Gasprinsky.
Longtemps malade, Ismaïl Bey Gasprinsky n'a pu, à son grand
( i) Adresse : direction du Mu'{aff'eri, Bender-Bouciiir. — Abonnements
d'un an et de six mois : Bender-Bouchir, 22 et i4krans; Perse, 28 et 16
krans; Inde, 8 et 5 roupies; Europe, Turquie et Egypte, 14 et 8 francs;
Russie et Turkestan, 7 et 3 roubles. — Annonces : 10 chahis la ligne.
12) Adresse : direction du Fèryâd, maison de Hàdjî Ibràhîm, à Ourmiah.
— Abonnements d'un an et de six mois : Ourmiah, 1 2 et 8 krans; Perse.
18 krans et i toran ; Russie, 4 roubles et 2 roubles et demi ; Turquie
5o et 3o piastres; Europe, lu et 8 francs. — Le numéro (paraissant le sa-
medi) : 4 chahis. — Annonces : i5 chahis la ligne. Toute personne ayant
accepté l'envoi de trois numéros est considére'e comme abonnée.
4l6 REVUE DU MONDE MUSULMAN
regret, faire paraître régulièrement le Terdjumân, et il s'en excuse au-
près de ses lecteurs. Son état de santé restant encore des plus pré-
caires, les médecins lui prescrivent de ne s'occuper de son journal
qu'une ou deux fois par mois, jusqu'à nouvel ordre. Pour concilier
leurs exigences, son devoir professionnel et les intérêts de ses abonnés,
il a adopté la solution suivante : Pendant quelque temps le Terdjumân
ne paraîtra qu'une fois par semaine: pour compenser les articles sup-
primés, il donnera, chaque semaine également, six pages d'un diction-
naire littéraire et scientifique. Aussitôt revenu à la santé, Ismaïl Bey
Gasprinsky fera paraître son journal trois ou quatre fois par semaine,
comme auparavant (i).
'Alî Mèrdân Bey Toptchibacheff.
L'ancien directeur du Kaspi, journal musulman en langue russe de
Bakou, aujourd'hui député de Mahkama à la Douma, 'Ali Mèrdàn Bey
Toptchibacheff, vient d'être élu président du comité de l'Union des
Musulmans russes, à Saint-Pétersbourg. Deux devoirs s'imposent
maintenant à lui : rétablir l'unité du parti musulman, menacée par
certaines défections, et fonder, dans la capitale, un journal en langue
russe pour défendre les intérêts musulmans (2).
« Tâzè Hayât ».
Nos lecteurs se souviennent que le journal Haydt (Vie), de Bakou,
avait dû, l'année dernière, à la suite d'embarras financiers, cesser sa
publication (3); ses rédacteurs, depuis cette époque, faisaient paraître
un journal hebdomadaire, littéraire et scientifique, intitulé: Fiiyoù^ât.
Dans son numéro du i^Vi4 avril, VIrchdd annonce l'apparition, le
jour même, d'une « Nouvelle Vie », Tâ^^^è Hayât, qui a pour directeur
et rédacteur en chef Hâchim Bey VézîroflF; le gérant, dont nous aurons
sans doute encore bien des occasions de citer le nom, est Hàdjî Zeïn ul-
'Abidin Takîyeff. Ce nouvel organe, quotidien, est littéraire, scienti-
fique et politique (4).
(1) Terdjumân, 6/19 avril 1907.
(2) /rc/zârf, 8/2 i avril 1907.
(3) Revue du Monde musulman, novembre 1906, p. 129, et janvier 1907,
pp. 427-428.
(4) Adresse : rue Nikolayefski, maison Takîyefl, à Bakou. — Abonne-
ments : Bakou, 7 roubles l'année, 4 roubles pour 6 mois, 2 roubles pour
3 mois ; Russie, 8 roubles 5o kopeks, 5 et 3 roubles ; Étranger, 12 et 6 rou-
bles. — Le numéro : 5 kopeks. — Annonces : 10 kopeks la ligne pour la
première page, 5 pour la dernière.
LA PRESSE MUSULMANE a\j
(( Tèkiâmul » .
Le Tèkiâmul, organe musulman démocratique de Bakou, dont
nous avons déjà eu l'occasion de parler, informe ses lecteurs, par l'in-
termédiaire de VIrchdd il), que diverses raisons le contraignent de
cesser quelque temps sa publication. Cette interruption, du reste, ne
serait que temporaire, et le Tèkiâmul compte reparaître prochaine-
ment.
« Al-Moktabas ».
N'os lecteurs connaissent déjà Al-Moiitabas (a), cette revue litté-
raire, scientilique et sociologique, qui, depuis moharram 1324
(février 1901")), paraît chaque mois au Caire, sous l,i direction de
M. Mohammed Kurd-Ali. Rédacteur au Mouayyad, auquel il fournit,
chaque semaine, deux de ses principaux a-ticles, et pour lequel il ira-^
duit dos études publiées dans les presses française et ottomane.
M. Mohammed Kurd-Ali est un des hommes les plus en vue du
journalisme arabe en général, de celui du Caire en particulier. Comme
nous l'avons fait il y a peu de temps pour un nouvel organe tunisien,
nous énumérerons, cette fois, les articles de documentation musulmane
parus, dans Al-Mohtabas, depuis l'origine.
Tome 1 .
N" I. — Ihn Hazm, 384-45Ô de l'hégire (étude ouvrant une série de
biographies des grands hommes de l'Orient et de l'Occident). —
L'ignorance et les écoles. — L'enseignement des langues (de l'arabe en
particulier). — L'assimilation dans l'Islam. — L'éducation et l'ensei-
gnement. — Pages oubliées; les conseils d'Ibn Hazm; les bons mots
d'Al-Wahrànî.
N" 2. — La presse arabe. — Le chant en Egypte, par .Mohammed
Loutfî Efendi Djoum'a. — Livres et manuscrits : L'arabe et ses pro-
nonciations. — Les journaux français et arabes. — La musique arabe.
— Histoire des Moros.
N» 3. — Ibn Ar-Roûmiya (biographie). — L'éducation et l'enseigne-
ment; L'effort et le travail. — Livres et manuscrits : Djawâhîr al-
balaghax Al-Moufrid bi'l-'ilm; Le journal Ad-Diyâ et Ibn Sarrâdj; Le
journal Ach-Chitâ. — Les journaux français et arabes. — Médecin et
(i) Numéro du 3/i6 avril 1907.
(2) Voir t. 1,11, p. 281, et IH, pp. 440-441.
37
4i8
REVL'E DU MONDE MUSULMAN
littérateur (sur feu le docteur Hasan Pacha Mahmoud et Ibrâhîm Bey
Al-Mawîlihî ?).
N" 4. — Le journal Al-Mouklataf. — L'Egypte et l'avenir de
l'Afrique. — Livres et manuscrits: Rapport sur l'Egypte. — Bulletin
de la Société des Refuges 'Abbâsî.
N° 5. — Al-Kâdî Ai-Fâdil (biographie). — L'ordre de cinq dans
Mohammed Kurd-Ali.
l'Ode d'ibn Zaïdoûn, par Fâris Efendi Al-Khoùrî. — Pages oubliées :
Deux lettres d'Al-Kâdî Al-Fâdil. — Livres et manuscrits : La corres-
pondance d'.M-Kâdî Al-Fâdil ; L'art de la rédaction chez les .arabes;
Les Séances de Harîrî; La Hamâsa, etc.
N"6 — Les collèges Nizâmiya et Mostansiriya de Bagdad. — Pages
oubliées : Les Chadhardt Hikmiya. — Livres et manuscrits : Les
citations; Les grandes Tabakât chaféites. — Les jeux et les instru-
ments de musique dans l'Andalousie maure.
LA PRESSE MUSULMANE 4I9
N" 7. — Ibn Al-Hannâl Al-K.atif (biographie). — La décadence
morale de l'Orient, par Rafik Bey Al-'Adhm. — Extraits du Kitâb al-
Nabrds. — L'enseignement et l'éducation; la volonté et la décision,
par 'Abd AI-Mou'in Efendi Khouloûsî. — Le songe d'Al-Wahrânî.
N" 8. — Le peuple oriental, par Hosein Wasfi Ridhâ. — Extrait
d'une étude de Moustafâ Efendi Sàdik sur la poésie arabe. — Extraits
des journaux.
N" 9. — Le domaine de la langue arabe. — Les jeux et les instru-
ments de musique dans l'Andalousie maure (suite). — L'évolution
intellectuelle et sociale en Egypte, par le docteur Georges Bey Samné.
— Pages oubliées : La morale d'Ibn Al-Moukaffa'.
N° 10. — Yàkoût Al-Hamawî (biographie). — Les écoles et les ca-
ractères, par i\L G. N. Baz. — Les commentateurs et les commen-
taires du Coran (extrait du Kitdb at-tâ'lîm waT-irchàd). — Réception
d'un lettré des Indes (il s'agit du docteur Sayyid Ziyà ud-Dîn Ahmed,
du Collège d'Aligarh).
N" II. — Al-Djahiz (biographie). — Une page d'histoire sur la Syrie,
par M. J. G. Zakhim. — L'Université d'Al-Moustanser billah à Bagdad.
— L'Afghanistan (à propos de livre du AL Angus Hamilton). — Né-
crologie (mort du professeur Robert West, de la Faculté américaine de
BevTouth)
N° 12. — La sévérité dans les écoles, par M. Georges Nicolas Baz.
— Le Schah de Perse. — Les .Musulmans des Philippines (d'après la
Revue du Monde Musulman, I, 11, décembre 1907). — Le cheikh
Ibrâhîm Al-YaziJji 'biographie).
Tome IL
N° I. — Koutb ad-Dîn Ach-Chîrâzi (biographie). — La tolérance des
rois (à propos du médecin chrétien Bakhtîchoû'). — L'autruche dans
la civilisation égyptienne. — La poésie arabe, par le cheikh 'Abd Al-
Mouhsin Al-Kâzimi. — L'.\mérique et les savants arabes, par .\L J.
G. Zakhim.
N° 2. — Les poètes chrétiens au temps du paganisme arabe. — La
tolérance des rois. — L'Orient en Occident. — Poème inédit d'Aboù-l-
'Alà Al-Ma'arrî.
N" 3. — La mise en garde (la takiya) chez les .Musulmans des
diverses sectes. — Les poètes chrétiens au temps du paganisme arabe
{suite). — L'enseignement en arabe. — Enseignement et éducation.
A ces articles consacrés aux questions purement arabes ou musul-
manes viennent s'en joindre d'autres, plus nombreux encore, qui tien-
nent le lecteur égyptien au courant de ce qui se passe en Europe, lui
permettent de suivre le mouvement littéraire, scientifique et social.
420 REVUE DU MONDE MUSULMAN
Une revue des livres el de la presse, tant en Orient qu'en Occident,
des traductions des périodiques d'Europe, complètent les informations
de cette excellente revue. Le Moktabas fait une place assez impor-
tante à la littérature; il publie des poésies, des romans, des études de
critique et d'histoire littéraire en assez grand nombre. Aux noms des
auteurs arabes donnés dans l'énumération qui précède, il faudrait
ajouter ceux de Goethe, Schiller, Shakspeare, Carlyle, Coleridge, etc.
L'histoire proprement dite, et surtout l'histoire ancienne, est encore
représentée dans Al-Moktabas.
Le (( Habl ouI-Matîn » à Téhéran.
LeHabl oui-Matin, de Calcutta, a maintenant une édition à Téhéran
comme journal quotidien, sous la direction de Haji Ismaïl AgaTabrizî^
supporté par l'Assemblée populaire. L'édition hebdomadaire du Habl
oul-Matîn continuera à paraître sous la rédaction de Moayid Islam,
Syed Jellaluddin Hosseini, qui est le propriétaire également de l'édition
quotidienne de Téhéran (i).
(i) Mulk and Millut, 3o avril 1907.
L. BOUVAT.
LES LIVRES ET LES REVUES
Le « Croissant contre la Croix » (').
A s'en tenir exclusivement au domaine religieux, il semblerait diffi-
cile d'opposer le Croissant et la O'oix. Le premier n'est pas un sym-
bole religieux, mais un emblème national ; l'autre, au contraire, est le
signe de la foi chrétienne; aussi M. Halil Hâlid prend-il le soin de nous
indiquer, dès les premières pages de son volume, qu'il se sert du terme
Croissant dans le sens abusif que lui donnent les Européens pour dési-
gner le monde de l'Islam. D'ailleurs, une autre raison lui est venue en
aide pour fixer son choix : dans leur essence, le musulmanisme et le
christianisme ne différent pas sensiblement : il ne pouvait donc être
question d'opposer la religion musulmane à la religion chrétienne,
mais bien d'expliquer l'antagonisme des deux sociétés.
Le dogme mahométan, nous dit l'auteur de l'ouvrage, est loin d'être
inférieur au dogme chrétien. Au point de vue religieux, il est plus intel-
ligible ; au point de vue social, il simplifie le rôle du sacerdoce, il le
diminue et, par suite, il évite une influence sur les foules qui peut
devenir néfaste pour elles-mêmes. D'autre part, il défend de forcer les
conversions, et les causes de sa puissante expansion sont moins dues
au prosélytisme des mollahs, qu'au caractère plus religieux des céré-
monies du culte et à la simplicité austère des mosquées, d'où toute
fashion et tout éclat mondain sont bannis.
(i) Halil Hâlid, The Crescent versus t/ie Cross {London,
Luzac and C°, 1907; in-i8 ; 240 p.).
42 2 REVUE DU MONDE MUSULMAN
Ces causes déterminantes d'orientation dans les esprits adeptes de
Tun ou l'autre dogme devaient fatalement se résoudre en conflit et
conduire à la lutte que l'Europe chrétienne soutient, depuis des siècles,
contre l'Islam sans pouvoir l'entamer. De tout temps, le monde occi-
dental a considéré les .Musulmans comme un peuple de barbares qu'il
fallait civiliser, cachant ainsi, sous des dehors humanitaires les buts
égoïstes de ses intérêts et la pensée d'anéantir ou d'enrayer à tout
jamais l'essort du Qoran.
Pour M. Halil Hàlid, l'expression française du langage diplomatique
Action civilisatrice devrait donner au.\ esprits une impression paisible,
mais l'emploi qu'en ont fait les politiciens et les journalistes l'ont
déviée de son sens primitif. De même, par sa répétition continuelle
dans la littérature politique anglaise, la phrase très honorable Our
good rule and justice est devenue un lieu commun. En réalité,
lorsqu'un des principaux États de la chrétienté trouve avantageux de
prendre sous son égide les affaires intérieures d'une nation musulmane,
incapable, soi-disant, de s'orienter elle-même, il commence par l'atta-
quer, sous prétexte d'y répandre la civilisation et d'améliorer sa situa-
tion politique en y apportant les idées de justice et de liberté. Comme
aide bienveillante, ajoute ironiquement l'auteur, il n'offre que la mort
ou l'asservissement ; dans cette voie d'ailleurs, la France n'a pas pu faire
de r.A.lgériequelque chose comme l'Australie et, malgré les mesures qu'elle
a prises, elle n'a pu éclaircir la population musulmane qu'en partie
seulement et dans les districts maritimes. 11 est vrai que le plus ardent
chauvinisme ne pourrait, quelque vigueur qu'il employât à infiltrer peu
à peu l'élément français dans cette contrée, espérer d'y contrebalancer
la supériorité numérique des Musulmans. \ ce point de vue aussi, on
peut conclure qu'une région orientale habitée par des Musulmans ne
sera jamais une colonie au vr^i sens du mot, quand elle tombera sous
le régime d'un pouvoir étranger. Le terme convenable sera celui de
possession.
Étant donnée une région soumise, que deviendra-t-elle entre les
mains du conquérant ? Telle est la question que se pose .\1. Halil Hâlid.
LIVBES ET PEVUES 423
La réponse qu'il donne est un peu pessimiste. Parfois, sans doute, les
spéculations entreprises par les Européens dans les contrées d'Orient
qu'ils ont assujetties y apportent un accroissement de richesses ; mais
c'est presque toujours aux dépens des anciens possesseurs du sol.
Exemple : le trésor est rempli par les taxes dont on accable les indi-
gènes, mais il est contrôlé et utilisé par les gouvernants étrangers. De
même, les ressources du sol ne sont développées qu'au seul profit des
conquérants ; et l'on est en droit de dire que le peu de bien-être, que
cette prospérité nouvelle apporte au peuple devenu sujet, est largement
compensé par l'obligation de se taire, devant ce crime social qu'est la
perte de l'indépendance.
Il est bien plus difficile encore de parvenir à la conciliation lorsque
la région conquise est placée sous le monopole administratif d'une com-
pagnie. Des millions d'Orientaux ont été gouvernes par des compagnies
européennes; d'où il résultait que, si en Europe le paysan pouvait
encore trouver quelques moyens légitimes de revendications centre la
tyrannie capitaliste, il n'y avait aucun autre moyen pour le sujet oriental
de réagir contre les exactions d'une Limited Company Riile que hi
rébellion, toujours vite réprimée par la puissance dont cette compagnie
dépendait. Et, devant un tel état de chose, il était inutile de solliciter
une sympathie quelconque de la presse d'Europe pour les indigènes,
habituée qu'elle est d'applaudir à tous ces glorieux exploits de la civili-
sation.
Avec une violence excusable à beaucoup d'égards, l'auteur continue
son réquisitoire contre la manière d'agir des grandes puissances de
l'Europe. Il est frappant, dit-il, qu'elles ne se contentent pas de refuser
aux mahométans tout droit à l'indépendance. Surveillant les symptômes
d'un réveil possible dans une grande partie de l'Orient, elles voudraient
briser les efforts des nations musulmanes qui travaillent à leur émanci-
pation. Maints exemples viennent mettre en lumière les méthodes
pratiquées par l'Europe chrétienne. Des réclamations continuelles sont
faites, à propos de rien, en pays musulman. Elles sont toujours accom-
pagnées de menaces, parfois d'une seule puissance, mais, très souvent
aussi, de plusieurs puissances réunies, et cela, toutes les fois que l'Europe
a besoin de cacher quelque but égoïste sous une apparence humani-
taire. Pour arriver aux concessions qu'elle désire, elle n'hésite pas, sous
les prétextes les plus futiles, à méconnaître périodiquement les droits
sacrés des peuples musuhv.ans. Les organes politiques démontrent la
légitimité de ce forfait et dénoncent le réveil de l'Orient islamique
comme un péril pour la marche de la civilisation.
424 REVUE DU MONDE MUSULMAN
Ainsi, le péril pan-islamique est inventé ; cette mystification d'un
correspondant du Times, selon le mot d'un orientaliste anglais, est
simplement, pour M. Halil Hâlid, la contre-partie du fameux péril
jaune. L'invention en est due beaucoup plus à la diplomatie moscovite
qu'à l'empereur d'Allemagne, malgré le vif intérêt qu'on le soupçonne
de porter à cette question. Le péril pan-islamique n'est au fond qu'une
sorte d'épouvantail agité par certaines personnes mal intentionnées
lorsqu'elles veulent commettre le crime de violer ou d'usurper quelque
territoire. Ces agitateurs publient fréquemment, dans les principaux
journaux d'Europe, des remarques qui montrent ce que sont leurs
procédés d'action. C'est ainsi, que l'un des hommes politiques français
les plus en vue écrivait un jour : « Le rôle d'un officier, qui voudrait
entreprendre de désagrégrer les forces de l'Islam, serait le plus noble et
le plus utile qui puisse se jouer en ce pays. » Cette opinion, ajoute
notre auteur, ne dénote pas seulement un chauvinisme poussé à l'extrême,
mais encore un esprit de férocité que l'on est en droit de considérer
comme incompatible avec une société qui se fait gloire de sa civilisation.
D'ailleurs, « elle est bien en rapport avec l'expansion de l'autorité de la
France dans les pays musulmans du nord de l'Afrique ». Elle n'en est
pas moins étrange dans la bouche d'un homme, qui, « au nom de
l'humanité et de la paix universelle, professe publiquement les plus
profondes sympathies pour les Arméniens et les Bulgares, sujets de la
Turquie (i ) ».
On a fait des Musulmans les plus grands fanatiques du monde. Mais
leur fanatisme n'est jamais plus clairement démontré, pourrait-on
ajouter, avec M. Halil Hàli'd, que par leur obstination à ne pas vouloir
changer la mauvaise administration de leur gouvernement, pour une
forme plus profitable, imposée par quelque puissance occidentale.
Prenons le cas de la France. Celle-ci n'ayant pas de religion d'État,
on pourrait supposer qu'aucune hostilité de sa part ne heurterait les
coutumes et les institutions musuhnanes. Puis, les Français se sont
toujours distingués, de tous les peuples colonisateurs d'Europe, par
leur remarquable prédilection pour donner plus d'étendue aux «progrès»
qu'ils ont accomplis dans les pays primitifs de l'Orient. Eh bien, l'in-
(i) Halil Hàlid, The Crescent versus the Cross, p. 210.
L1V[<ES ET BEVUES 425
troduction de la civilisation européenne en Algérie n'a pas été le
résultat de cette pénétration pacifique dont nous entendons tant parler
à propos des affaires du Maroc. La France a fait de longs et pénibles
efforts pour créer le casus belli qui devait motiver sa descente en Algé-
rie. Peut-on, ajoute l'auteur du volume, se fier aux apparences paisibles
du style des écrivains français.
L'ouvrage de M. Halil Hâlid est d'un satirisme aigu et, par suite,
enclin à l'exagération. .Mais il porte en lui-même un haut intérêt. Il est
animé d'un souffle généreux et le sujet est traité avec ampleur. Dédai-
gnant l'anecdote, .\L Halil Hâli'd s'en tient aux faits généraux, il les
analyse, pour mieux les grouper ensuite en une énergique synthèse, et
son titre, The Crescent versus the Cross, sonne un peu comme une
fanfare guerrière.
A. Fevret.
Le « Soudan égyptien »
Ce fut de 1897 à i qoS que M. Wallis Budge parcourut le Soudan et
réunit les matériaux de son ouvrage. Avant de commencer le récit ces
résultats obtenus au cours de sa mission, il nous donne, dans un long
chapitre préliminaire, le résumé des travaux accomplis par les explora-
teurs qui le précédèrent au Soudan. En 1698, Poncet y séjourna deux
ans ; puis Haggi Ali, fonctionnaire de l'empereur d'Ethiopie, le Père
Ch. -F. -Xavier de Brevedent la parcourent à leur tour. Peu de temps
après, Le Noir du Roule est chargé par Louis XIV de conduire une
mission près du souverain de l'Abyssinie. En outre, durant toute cette
fin du dix-septième siècle, une rivalité de prédominance s'établit entre
les missions italiennes de l'ordre de Saint-François et les Pères de
Jérusalem.
(i) Wallis Budge (E.-A.), The Egyptian Sùdân, ils his-
tory and monuments, with numerous illustrations. Lon-
don, Kegan Paul, Trench, Triibner and C° L*^ 1907; 2 vol.
in-8, 652 pages chaque. Prix net: 2 livres 2 sh.
426 REVUE DU MONDE MUSULMAN
Au dix-huilième siècle, en 1737, sur Tordre du roi Christian \'I de
Danemarlc, le capitaine Lewis Norden part pour l'Egypte. Il suit le cours
du Nil, de novembre 1787 à février 17^8, et consigne les résultats de
sa traversée dans un travail en deux volumes, qui fut traduit en 1757
à Londres par le docteur Peter Templeman. En 1768, James Bruce, un
des plus célèbres de ces voyageurs, atteignit la première cataracte et,
au mois de février de l'année suivante, il visita les mines d'émeraudes de
Gebel Zumrûd, décrites par Pline, puis, en 1770, il crut découvrir les
sources du Nil. En 1792, W.-G. Brown arrive à Assouan et se rend dans
le Darfour. Durant les années suivantes, les explorateurs se succèdent
sans interruption : Thomas Legh, en 1812 ; Burckhardt, en 181 3 ; Wad-
dington et Hanburg, en 1820. En 182 i, Caillaud parvient à la jonction
du Nil Blanc et du Nil Bleu et partage avec Bruce la gloire d'avoir soit-
disant découvert les sources du Nil, puis il parcourt toute la .'•égion au
sud-est de Senaar, glanant en route nombre de renseignements sur les
mœurs et coutumes des habitants de Karabîn, de Kilgû, de "^'ara, de
Fâzôgli, de Kamâmîl ; il pénètre dans la région aurifère d'Abkûlgen et
s'arrête un moment à Barta. En i833, Hoskins traverse la majeure par-
tie de l'Ethiopie. En i836, Russeergg voyage en Egypte et en Nubie. En.
1842, Leipsius est chargé d'une mission scientifique au Soudan. Nous
arrivons ainsi à .\L ijudge, l'auteur du travail que nous analysons.
Avant d'aborder, dans le tome second de son ouvrage, l'exposé com-
plet de l'histoire du Soudan, AL Budge nous donne quelques détails
sur les connaissances qu'en avaientles écrivains antiques, Diodore, Pline,
Strabon. Leurs dires sont sujets à caution, ils n'en contiennent pas
mioins des renseignements précieux sur l'ethnographie et la civilisation
de cette contrée importante de l'Afrique. Diodore, surtout, était bien
informé et nombre de ses remarques se trouvent contrôlées par des
preuves archéologiques.
D'après Diodore, les Éthiopiens furent le peuple autochtone, lis vi-
vaient en partie dans l'île de .Méroe, en partie sur les deux rives du Nil.
I3u côté de l'Arabie, la population se composait de troglodytes ; sur les
bords du fleuve ou dans les parties marécageuses étaient les Ichtyopha-
ges, les Chélonophages et les Rhizophages. La situation de ces peuples
toujours exposés aux attaques des bétes féroces était fort précaiie. Avec
Strabon et Pline, nous avons une idée plus générale sur l'étendue du
Soudan, sur ses caractères et ses produits.
LIVRES ET REVUES 427
Abandonnant, avec les dynasties égyptiennes, la partie archéolo-
gique, que M. Budge, en illustre égyptologue qu'il est, étudie de remar-
quable façon, nous suivrons seulement avec lui l'évolution soudanaise
depuis le premier siècle avant J.-C. jusqu'à nos jours (i).
Le premier préfet romain d'Egypte fut Cyallus, quila gouverna quatre
ans, Auguste étant empereur. Il pacifia la contrée, en s'entendant avec
les chefs nubiens, qui, presque tous, étaient d'accord avec les révoltés
égyptiens contre le pouvoir impérial et en leur persuadant que Rome
n'en voulait nullement à leur indépendance, mais désirait affermir ses
droits sur la vallée du Nil. Cyallus fut si vain de son succès et se ren-
dit si insupportable que, dénoncé à Rome, Auguste fut obligé de le faire
exiler par le Sénat. Mais, sous les successeurs de Cyallus, les Nubiens se
révoltèrent de nouveau, prirent Syène, Élephantine, Philœ et brisèrent
les statues de César. Après une lutte meurtrière contre la reine des
Éthiopiens Candace, Petronius, successeur de Cyallus, parvint à les
battre, et beaucoup furent réduits en esclavage.
Sous le règne de Claude, les Romains entreprirent divers essais se
rapportant au développement du commerce entre l'Arabie, l'Inde et
l'Egypte, et Néron médita une invasion de l'Ethiopie tout entière, afin de
se rendre maître absolu des richesses de la contrée. Les empereurs se
succédèrent, emplissant l'Egypte de monuments, établissant petit à petit
leur pouvoir, et entretenant des relations amicales avec les tribus de la
Nubie et de l'Ethiopie, utiles à leurs projets commerciaux.
Les tribus de l'Est, les Blemyes, plus sauvages et plus pillardes, ne se
soumirent pas; elles disposaient, dans la Haute-Egypte, de forces impor-
tantes, qui leur permirent, non seulement de conserver leur indépen-
dance, mais encore de maintenir toute la région sous leur autorité. Ce
ne fut qu'en 274 après J.-C. qu'.\urélien put les défaire, sans réussir
pour cela à les empêcher de poursuivre leurs incursions.
Dioclétien fut plus heureux ; il finit, à force de ruses et de ménage-
ments, par obtenir un certain calme de la part des Blemyes, et aussi
des NobateS) autre tribu guerrière venue du Darfour. Ni Juslinicn ni
Théodora ne suivirent cet exemple.
Les troubles recommencèrent jusqu'à ce que .Aristomaches, comman-
(i) Vol. II, pp. I à i5o. Tableau tout à fait complet de l'Iiistoire ancienne
du Soudan, avec une foule d'illustrations, reproduisant entre autres celles de
Lepsius et qui font de l'ouvrage un guide indispensable.
428 REVUE DU MONDE MUSULMAN
dant en chef les forces romaines en Egypte, eût écrasé la révolte sous le
règne de Tibère II 1578-582 après J.-C).
Ce fut en 641, nous dit AI. Budge, que la domination musulmane
fonda le premier établissement de sa puissance par la prise de la forte-
resse de Babylone, en Egypte. 'Amr ibn Ai-'Asî, général du khalife
Omar, s'en empara le 9 avril 642, et toute cette portion de la Nubie fut,
dès lors, regardée comme une province du nouvel Empire musulman.
Trop faibles encore pour organiser une lutte sérieuse contre les nègres,
les Arabes laissèrent, durant quelques années, le champ libre aux
invasions nubiennes; puis, en 652, 'Abd-AIIah revint, pour la seconde
fois, vers le Soudan et décima les noirs avec une impitoyable rigueur.
Dongola, la capitale nubienne, fut prise et les révoltés, en grand nombre,
se virent réduits en esclavage.
Pourtant, le pays n'était pas encore pacifié : en 854, les Nubiens refu-
sent de payer l'impôt consistant en esclaves, en chameaux, en éléphants
et en girafes, et commettent de nouvelles razzias.
.Muhammad de Kumm marcha sur K.ûs avec 7.000 hommes et battit
'Ali Bâbà, le roi du Soudan. La lutte continue ainsi durant plusieurs
années, en 87S, q56, 96g, sans résultats appréciables: malgré les dé-
faites continuelles des Nubiens, les Musulmans ne parviennent pas à les
soumettre à leurs croyances religieuses.
i^n 1275, après un refus de Dâwûd, roi de Nubie, de payer le tribut,
les Mahométans le poursuivirent, s'emparèrent de son frère, de sa mère
et de sa sœur; lui seul échappa, mais le Soudan fut annexé, sans pour
cela perdre complètement son indépendance ; il garda ses rois et ne se
soumit que le moins possible, comme en témoignent les intrigues des
Amaï, des Kerenlie, des Kanz ad-Do\vlah et autres souverains de la
Nubie pendant la durée du quatorzième siècle.
Comme le montre .M. Budge, un des principaux obstacles que les
Musulmans eurent à vaincre au Soudan, avait été le christianisme. Dès
la première moitié du sixième siècle, la religion chrétienne était devenue
officielle en Nubie et le royaume chrétien de Dongola arrêta pendant
700 ans les efforts de l'Islam.
Laissant à nos lecteurs que le développement de l'Islam au Soudan
pourrait intéresser, le soin d'en lire les étapes compliquées dans l'admi-
rable ouvrage de M. Budge, et afin de ne pas dépasser les bornes d'un
compte rendu, nous résumerons simplement les phases de son histoire
depuis le dix-huitième siècle, époque où le Soudan dut une pacification
LIVRES ET REVUES 429
relative à la domination osmanlie. En 1772, Muiiammad Abu Dha-
bàb, un des généraux du fameux 'Ali Bey qui avait essayé de s'affran-
chir du joug turc et de se créer un royaume indépendant en Egypte,
vers 1768, s'étant, à son tour, révolté contre son maître, fut fait pacha
d'Egypte par le Sultan. Après sa mort, le pouvoir se partagea provisoi-
rement entre Ismà'îl Bey et Mûrad Bey, qui voulurent aussi conserver
leur indépendance. En i 785, le Sultan envoya contre eux le grand
amiral Masan, qui fit reculer les rebelles jusque dans la Haute-Egypte ;
mais, rappelé par les hostilités russo-turques, il ne put terminer sa cam-
pagne et Ismà'îl revint au Caire, où il reprit son titre de Sheîkh al-Balad :
il muurut de la peste en 1790.
Au mois de mai 1798, l'expédition française, commandée par le géné-
ral Bonaparte, arrivait en Egypte et, le 5 juillet, prenait Alexandrie.
Deux années plus tard, Murâd Bey fut constitué gouverneur d'une par-
tie de la Haute-Egypte par Kléber et, au mois de septembre de la même
année, les Français évacuaient l'Egypte. Parmi ceux que le Sultan avait
envoyés pour combattre contre la France, se trouvait un Albanais du
nom de Muhammad 'Alî, né à Cavalla, en i7t">8. Il s'était marié avec la
fille du gouverneur de sa ville natale et en eut trois fils, Ibrahim, Tu-
sûn et Ismâ'îl. A làge de trente ans, il fut envoyé avec son beau-frère
'Ali Aghâ et trois cents hommes pour attaquer les Français. Ce fut,
d'ailleurs, la cause de l'anarchie qui régna après l'évacuation : les .\lam-
lùks ne reconnaissant comme chef que le leur, Al-Ghuzz, les Albanais
voulant s'imposer, Muhammad Khusrù, fait pacha d'Egypte après le
départ des Français, marcha contre eux avec une armée de 14.000 hom-
mes, mais il fut défait et ses armes et bagages tombèrent entre les mains
des ennemis.
Pendant deux ans, le Caire et la région du Delta furent le théâtre de
luttes et de désordres, qui ne s'arrêtèrent qu'apiès l'élection de Muham-
mad 'Aiî comme pacha d'Élgypte, parles habitants du Caire, à la fin de
mai i8o5.
En 1819, Muhammad 'Ali se résolut à conquérir le Soudan : 1° afin
de donner une occupation à ses troupes, et 2° pour se procurer l'or qui
passait pour y exister en quantité fabuleuse. Il espérait ainsi pouvoir
réunir une énorme quantité d'esclaves et fonder une puissance militaire
formidable. En 1820, il constitua une armée forte de 5. 000 Arabes et
Turcs et l'envoya en Nubie, sous le commandement de son jeune fils
Ismâ'il. Celui-ci s'avança jusqu'à Dongola, détruisit de fond en comble
le pouvoir des Mamlûks, multipliant de terribles atrocités. Il atteignit
ensuite Khartum et s'empara de Senaar sans combat.
^3o BEVUE DU MONDE MUSULMAN
Dès qu'Ismâ'îl fut devenu le maître du royaume de Senaar. Muham-
mad'Alî envoya Muhammad Bey vers le Kordofan. Après une longue
lutte, il réussit à mener à bien la mission qui lui était confié. Sur ces
«ntrefaites, Ismâ'il ayant été la victime d'une conjuration suscitée par
Nîmr, roi de Shendi, Muhammad revint jusqu'à cette ville et s'y livra
à d'épouvantables représailles.
A partir de 1825, les gouverneurs turcs se succèdent dans le Soudan.
Toujours en guerre contre les tribus soit des Shillùks, soit des Sab-
derât, soit des Abyssins, décimés par des épidémies de toutes sortes, ils
maintiennent opiniâtrement leur position, nous dit M. Budge, dans
cette contrée qui leur fournit l'or et les esclaves. Leur Gouvernement,
obligé de s'appuyer sur les forces militaires, est trop souvent d'une
rigueur e.xcessive. .Accablé d'impôts, que des soldats sont chargés de
percevoir, le pays, loin de prospérer, s'appauvrit encore. Le sol, ingrat,
difficile à cultiver, est complètement abandonné et sans l'ivoire, dont le
trafic se fait par le Nil Blanc, sans le commerce des esclaves, Khartoum
.aurait vite cessé d'exister.
Pourtant Ismâ'il Pâshâ, gouverneur en i852, essaya d'arrêter, sur la
prière des puissances européennes, le commerce des esclaves, mais, dès
qu'il eut donné des ordres à ce sujet, il fut accusé de nuire au.x inté-
rêts de la contrée, d'être un mauvais Musulman et de chercher un pré-
texte pour annexer le bassin du Nil tout entier. Pour remédier à cet
-état de choses déplorable, le khédive Ismâ'îl confia, en 1869, à sir Sa-
muel Baker le soin de réorganiser le Soudan : il devait entre autres
supprimer le trafic des esclaves, introduire un système de commerce
régulier, ouvrir les lacs équatoriaux à la navigation, et enfin établir à
travers l'Afrique Centrale une chaîne de stations militaires et de comp-
toirs, distants les uns des autres de trois jours de marche, Gondokoro
servant de base d'opérations. Baker, investi d'un pouvoir suprême et
illimité, arriva le i5 avril 1871 à Gondokoro; le 26 du même mois, il
annexait officiellement la contrée à l'Egypte; le 14 mai de l'année sui-
vante, à .Masinda, il prenait possession formelle, au nom du Khédive,
du pays d'Unyoro. En même temps, il rétablissait le commerce,
construisait des forteresses à Masinda, Fatikoet Fuwêra, et réorganisait
la justice. En 1873, il entra en relations amicales avec M'tesa, roi de
l'Uganda, et la domination égyptienne put s'étendre ainsi jusqu'à deu.x
degrés de l'Equateur. En avril 1873, le terme de son mandat étant ex-
piré, Baker revint au Caire, qu'il atteignit le24 août, après avoir com-
plètement réussi dans sa mission et aboli le trafic humain entre K.har-
toum et Gondokoro.
LIVRES ET REVUES 4 3 I
En 1874,1e colonel Gordon fut chargé d'achever ce que Baker avait
si bien commencé. Il arriva le i5 avril à Gondokoro tl s'occupa, de
suite, à consolider le pouvoir égyptien dans cette contrée. Il établit de
nouvelles garnisons, supprima le commerce des esclaves sur plusieurs
points du Bahr-az-Zaraf et fonda une station sur le Sabat, afin de con-
trôler le commerce en amont et en aval du Nil Blanc. A la même
époque, afin d'anéantir plus sûrement le commerce des esclaves, le
Khédive d'Egypte fit occuper le Darfour, centre du trafic, par Zubeïr et
Ismâ'il Yakùb Pàshà. Pendant ce temps, Gordon soumettait les trente-
cinq cheikhs de la région de Gondokoro. En mars 1876, Gyessi, sur
l'ordre de Gordon, parcourait le lac Victoria Nyanza, mais tous les
efforts, pour arrêter le commerce des esclaves, se brisèrent contre le
mauvais vouloir d'Ismâ'îl Yakùb Pâshâ, gouverneur du Soudan. Au
mois de février 1877, le Khédive nomme Gordon gouverneur général du
Soudan, ave; ordre d'arrêter à tout prix le trafic des esclaves et de s'allier
avec le roi Jean d'Abyssinie. Gordon parvient, au moins pour un
temps, à faire disparaître les convois des négriers. .Mais c'est vers cette
époque que Muhammad Ahmad se proclama Mahdî, au mois de mai
1881. Une lutte opiniâtre, dont M. Budge nous conte tous les détails,
commença entre .Muhammad Ahmad et le général Gordon; elle devait
se terminer, le 26 janvier i885, par la mort du glorieux gouverneur gé-
néral tué lors de la prise de Khartoum. La puissance du Mahdisme ne
disparut qu'après une difficile campagne au mois de décembre 1899.
Au mois d'août igoS, un autre religieux fanatique nommé Adam essaya
de se faire proclamer .Mahdî, mais il fut pris et tué par les Egyptiens.
Depuis 1904 les efforts du gouvernement soudanais, pour pacifier et
enrichir la contrée, semblent devoir aboutir : les districts sont surveil-
lés, des postes établis, par exemple, entre la rivière Setît et Kallâbàt,
et les incursions des pillards abyssins enrayées. Ces routes de com-
merce ont été ouvertes pour le plus grand bénéfice des naturels.
Donner un compte rendu d'une oeuvre de 1200 pages, dont toutes
les parties sont liées et découlent les unes des autres par une pensée
logique, n'est pas un travail facile. Nous avons tenu à résumer, bien
imparfaitement d'ailleurs, la partie historique du volume, qui met
en lumière combien la politique musulmane fut tenace et persévérante
dans le Soudan, avec quelle patience, depuis le septième siècle, elle
poursuivit, sans que rien put décourager ses efforts, son œuvre de
pénétration.
Nous ne voudrions pas cependant, abandonner tout à lait les autres
432 REVUE DU MONDE MUSULMAN
parties de l'ouvrage, véritable encyclopédie du Soudan, si l'on pouvait
donner ce titre à un travail si savant et d'un tel développement.
M. Budge nous décrit les provinces, leurs principales villes et leurs
habitants. La première classe des provinces groupe huit divisions,
dont la province de Khartoum, celles de Senaar, du Darfour, du Bahr-
al-Ghazal et de Dongola. La seconde classe comprend la province du
Nil Blanc, celles de la Rivière Rouge, de Mongallo, de Halfa, etc.
A propos de chacun de ces districts, M. Budge étudie l'histoire lo-
cale, les habitants : Denkas, Gûrs, Bongos, Golos, Ndoggos Niam-
Niam, etc.; le commerce: ivoires et peau.x dans le Bahr-al-Ghazal;
l'industrie des mines d'or comprises entre le 26^ et le 20^ parallèle de
latitude nord, c'est-à-dire depuis Kena jusqu'à l'est de la Rivière Rouge;
l'art architectural : la mosquée de K-hartoum par exemple; et l'art des
métaux, comme les célèbres filigranes d'or. Une à une, M. Budge
étudie toutes les questions, nous donnant des statistiques sur les
revenus et les budgets du Soudan, sur ses routes et ses voies ferrées :
C'est le chemin du Caire à Khartoum, celui de Khartoum au Kordofan,
et toutes les lignes de moindre importance qui relient entre elles les
stations de l'Est soudanais. En 1906, de nouvelles lignes furent inaugu-
rées : celle d'Atbara à Suwâkin et à Port-Sûdân, au mois de février ;
celle d'Abù Hamed à Karèma, au mois de mars.
Quels sont, à l'heure actuelle, les progrès du Soudan ? M. Budge, dans
le dernier chapitre de son deuxième volume, nous les indique, d'après
l'opinion de Slatin Pâshâ. Aujourd'hui, l'autorité du Gouvernement
est reconnue, aussi bien par les indigènes sédentaires, que par les
Arabes nomades; les populations sont devenues plus actives et envoient
leurs enfants aux écoles officielles ; le commerce a pris de l'exten-
sion, celui des esclaves ne se manifeste plus que par des cas isolés,
grâce à une police bien comprise. La sécurité s'établit à peu près par-
tout.
Les deux volumes de .\l. Budge sont ornés de multiples gravures et
reproductions d'une remarquable netteté, et qui résument pour ainsi
dire le texte. Les planches archéologiques ont été gravées avec un soin
extrême. De plus, une bibliographie complète du Soudan et un index
alphabétique ajoutent encore une plus grande valeur scientifique à cet
ouvrage fondamental.
A. Fevret.
LIVRES ET REVUES 433
L' « AJhambra ».
La presse espagnole donnait, il y a quelques jours, une nouvelle qui
a causé une vive émotion, à l'étranger tout autant qu'en Espagne. L'AI-
hambra menaçait ruine, et le danger était imminent. Déjà, le mur sep-
tentrional de la tour de Comarès s'était effondré, son magnifique salon
et ses alentours immédiats pouvaient, eux aussi, s'écrouler au premier
jour.
Dans une longue et intéressante chronique, le correspondant à Ma-
drid du Journal des Débats énumérait les dangers de destruction qui
menacent l'Alhambra; ces dangers, malheureusement, proviennent de
la nature du sol et de la structure même de l'édifice. Il est donc pos-
sible que cette destruction soit inévitable dans un avenir plus ou moins
éloigné; du moins le devoir de l'Espagne est de retarder, le plus long-
temps qu'elle pourra, la fatale échéance. Peu de chose, jusqu'ici, avait
été fait dans ce but; aussi tous les amis de l'art applaudiront-ils à la
campagne que vient d'entreprendre, en faveur du plus célèbre et du
plus élégant, sinon du plus parfait monument de la domination arabe
en Espagne, un journal local, El Defensor de Granada, qui a fourni,
avec preuves à l'appui, les détails les plus minutieux sur les dangers
que court l'Alhambra.
Au moment où cette triste nouvelle se répandait, une deuxième édi-
tion, dédiée au roi d'Espagne Alphonse XIII, du magnifique ouvrage
consacré par M. Albert F. Calvert à l'Alhambra (i), venait de paraître.
Ce livre, d'une importance capitale pour l'art musulman et la domi-
nation arabe en Espagne, devient, dans les circonstances actuelles, le
plus éloquent plaidoyer en faveur de la préservation du palais des rois
de Grenade.
(i) A. -F. Calvert, The Alhambra, being a brief record
of Ihe Arabian conqiiest ofthe Peninsula with a particular
account oj the Mohammedan Architecture and Décora-
tion. London, John Lane, 1907; in-4, Lvi-480 pp., avec
nombreuses figures dans le texte et hors texte, dont 80 en
or et en couleurs. 42 sh. net.
II. 28
434 REVUE DU MONDE MUSULMAN
Bien des ouvrages coûteux et recherchés existaient sur i'Alhambra.
Mais on cherchait vainement un « souvenir » de ce qu'on a pu
appeler, sans exagération, « la Mecque de l'art mauresque » et « le
glorieux sanctuaire de l'Espagne ». En d'autres termes, un livre com-
prenant une histoire concise de i'Alhambra, avec sa description et
accompagnée de planches représentant les chefs-d'œuvre d"art de ce
merveilleux monument, restait à fuire. Quand il eut visité I'Alhambra,
M. Calvert résolut de combler cette lacune.
Pour écrire The Alhambra, M. Calvert a utilisé, tant au point de
vue artistique qu'au point de vue historique, tout ce qui avait été pu
blié avant lui par Gayângos, Raphaël Contreras, Dozy, Stanley Lane
Pooie, le prince Dolgorouki, Owen Jones, eic: il a utilisé, à l'occa-
sion, les reproductions déjà faites des chefs-d'œuvre de I'Alhambra
et a eu recours à la vaste érudition du conservateur de ce monu-
ment. Don Mariano Contreras; mais son travail personnel n'en a
pas moins été considérable, et son œuvre présente un caractère vrai-
ment original. Elle a été, du reste, accueillie comme elle le méritait.
Une deuxième édition en étant devenue nécessaire, M. Calvert et s^n
intelligent éditeur n'ont pas voulu se borner à une réimpression. De
nombreuses planches, dont plusieurs en couleurs, empruntées pour
une partie à des ouvrages, tels que les Momnyientos Arquitectonicos
de Espafia, ont été ajoutées; elles montrent les rapports qui exis-
tent entre la décoration de I'Alhambra et celle des monuments de
Cordoue et de Séville, rapports que l'auteur avait signalés dans un
ouvrage qui est le complément de celui-ci, Moorish Remains in
Spain. Imprimée sur un papier spécial, la deuxième édition de The
Alhambra est, avec ses magnifiques illustrations, un véritable chef-
d'œuvre de typographie.
Dans l'introduction. M. Calvert résume rapidement l'histoire du
royaume de Grenade sous la domination musulmane, puis, entrant en
olein dans son sujet, il fait un exposé de l'art et de l'ornementation
arabes à cette période. Des figures, représentant des inscriptions, des
mosaïques, des chapiteaux, des colonnes, viennent appuyer et éclairer
cet exposé. 11 est à remarquer que, dans cette ornementation, les
formes géométriques dominent. Les couleurs primitives, bleu, rouge,
jaune (or), sont les plus fréquemment employées; le pourpre, le vert
et l'orange ne le sont que dans les mosaïques. Le vert, qu'on remarque
dans certaines décorations, semble avoir été, à l'origine, un bleu à
reflets métalliques, qui aurait changé de teinte avec le temps. Quant
aux nuances verte et pourpre, on les trouve souvent dans les « restau-
LIVRES ET PEVUES ^35
rations » opérées après la conquête chrétienne. On sait quel parti ont
su tirer, de ces nuances, les artistes musulmans, à quels merveilleux
résultats ils sont parvenus.
Le premier chapitre de l'ouvrage, l'Alhambra, est consacré à l'his-
toire des Maures d-Espagne, depuis leur entrée dans ce pays jusqu'aux
jours où leurs derniers descendants en furent chassés, pour le plus
grand malheur de l'Espagne, qui perdait en eux des sujets industrieux
et actifs. M. Calvert énumère les dégradations dont TAlhambra fut
I objet, une fois la domination musulmane détruite. Parmi les illustra-
tions, il faut citer celle de la Tour de la Captive (Isabelle de Solis).
Avec les chapitres suivants nous restons dans l'histoire. L'un retrace
la carrière du fondateur de l'Alhambra, Mohammed I" (1232-1272)
qui, à son retour du siège de Séville, en 1248, décidait la construction
de cet admirable monument, construction qui se Ht sous ses yeux, et
qu'il suivit avec intérêt. L'autre est consacré à Yoûsouf III (i333-i 354)
qui acheva l'Alhambra et à qui on attribue la construction de la Tour
du Vin, de la Salle des Deux Sœurs, du Bain du Sultan et de la Cour
des Myrtes.
Mais, avec les Tours, les Cours et les Salles de l'Alhambra, Fhistoire
cède la place à l'art et à l'archéologie. M. Calvert décrit successive-
ment la Porte de Justice, construite par Yoûsouf l" en i33S, la Salle
du Tribunal, la Fontaine et la Cour des Lions, dont les sculptures
représentant des êtres animés, ont été attribuées à des artistes chrétiens'
d après la conquête, commes les peintures de la Salle de Justice, dont
les reproductions sont données.
M. Calvert fait une description détaillée, accompagnée de plu-
sieurs planches, des Deux Sœurs; cette partie de l'Alhambra méritait
en effet, d'être décrite en détail, et il en est peu qui produisent une
impression pareille sur les visiteurs. Le balcon de Lindaraja est une
véritable merveille. On doit aussi une mention spéciale à El Jarro ce
beau vase arabe à reflets métalliques conservé au musée de l'Alhambra
Une série de planches en or et couleurs, d'une exécution tout à
fait remarquable, est intercalée dans cette partie du texte. Les planches
nous montrent les détails de l'ornementation mauresque et, mieux que
la description la plus e.xacteet la plus minutieuse, permetientde se rendre
compte de ce qu'était celte ornementation si curieuse et si originale
A la Salle des Abencerrages se rattache une légende tragique. Trente-
six chevaliers, les plus nobles de Grenade, v auraient été immolés pour
satisfaire la lalousie ou apaiser les craintes d'un tvran; on montre sur
le marbre dont la salle est pavée, la place où leur sang a coulé. Bien
que des restaurations nombreuses aient altéré son caractère, la Salle
436 REVUE DU MONDE MUSULMAN
des Abencerrages n'en est pas moins remarquable au point de vue
artistique.
Par la simplicité de son architecture, la Cour du Vivier, ou Cour des
Myrtes, contraste avec les autres parties de l'Alhambra; selon la
remarque de M. Calvert, on pourrait se croire transporté de Grenade à
Damas.
La Cour des Lions est peut-être, de toutes les parties de l'Alhambra,
la plus célèbre. Ses magnifiques mosaïques, sa décoration en or et en
couleurs, ses galeries, son temple, et surtout sa magnifique fontaine
supportée par les douze lions de marbre qui lui ont valu ce nom, en
font une des œuvres les plus remarquables de l'art musulman.
Toutes les ressources de cet art ont été déployées dans la décoration
de la Salle des .Ambassadeurs, qui présente une variété inouïe de com-
binaisons de couleurs et de dessins. Ses mosaïques sont de toute
beauté, et les ornements en relief de chaque dîwân sont aussi chan-
geants que les motifs de mosaïques.
Une galerie moderne défigure la Cour de la .Mosquée, dont on peut,
toutefois, reconstituer assez facilement le tracé, et dont les inscriptions
n'offrent pas d'intérêt. La grande mosquée, chef-d'œuvre d'architec-
ture construit, en i3o8, par Mohammed III, a été détruite sous l'occu-
pation française, dit Gayângos; Ibn Al-Khatîben a laissé la description.
Transformée en chapelle, l'ancienne mosquée, qui existe encore, a con-
servé des traces nombreuses de son ancienne destination.
Les Bains de l'Alhambra se font remarquer par leur caractère artis-
tique; mais leur disposition ne diffère pas de celle qu'ont, en Orient,
les édifices de ce genre.
Du Jardin et du Belvédère si pittoresque de la sultane Lindaraja,
nous passons au Cabinet de Toilette de la Reine, près duquel habitait,
en 1829, Washington Irving; aux Tours des Sept-Étages, des Pics, de
Comarès, de la Garde, des Infantes, du Captif, de l'Hommage, de
l'Aqueduc et des Dames. Le .Musée, salle voisine de la Cour des Lions,
où on a réuni un certain nombre d'œuvres d'art musulman, contient,
entre autres, des bas-reliefs représentant des animaux, et dans lesquels
on retrouve l'influence grecque et des survivances du culte mithriaque;
ces sculptures soulèvent un problème curieux, mais dont la solution
n'est pas encore donnée.
Le Palais de Charles-Quint, vaste construction dont l'idée grandiose
ne put être réalisée, contraste avec les édifices de la domination arabe.
Il n'en est pas de même du Quarto Real ou Généralife, maison de plai-
sance des rois de Grenade, dont les galeries, les jardins, les inscriptions
et les mosaïques transportent d'admiration le visiteur.
LIVRES ET REVUES 437
Avec la Maison du Charbon et la Maison Sanchez se termine la des-
cription de l'Alhambra. Dans un Appendice, M. Calvert a donné un
choix de ballades mauresques-espagnoles, prises dans les traductions
de John Gibson Lockbart. L'n index, enfin, vient faciliter les recherches.
Nous croyons pouvoir terminer cette analyse du beau livre de
M. Calvert par quelques mots sur ses illustrations, bien que nous en
ayons déjà parlé. Elles nous montrent quel parti les artistes musulmans
avaient su tirer, pour l'ornementation de l'Alhambra, de couleurs peu
nombreuses et qui souvent, à première vue, semblaient devoir produire
un ensemble désagréable à l'œil. Avec un goût des plus délicats, ils
ont obtenu de merveilleux effets, dans leurs mosaïques, de l'assemblage
du violet foncé, du bleu pâle et du vert foncé. D'autres combinaisons,
dans lesquelles le jaune orange, le rouge brun et le jaune viennent
s'ajouter à ces teintes, ne sont pas moins harmonieuses. Toutefois,
c'est, à notre avis, dans les ornementations architecturales, où le
bleu et le rouge sont, avec l'or, les seules couleurs employées, que les
artistes de Grenade sont arrivés à leurs plus remarquables résultats. La
délicatesse de leurs dessins révèle l'influence persane ; quant au rôle
que la calligraphie joue dans l'art musulman, aux motifs gracieux
qu'elle fournit, ils sont trop connus pour qu'il soit nécessaire d'insister
sur ce point.
L. BOLV.AT.
L' « Annuaire du caïdat de Zaghouan »(').
C'est M. P. Ducroquet, propriétaire à Zaghouan, qui a entrepris, en
1906, la publication de cet Annuaire, dans le seul but d'être utile
aux habitants de la région où il s'était fixé. L'accueil fait à son œuvre
montre que ce but a été atteint et, avec La Tunisie Française du
22 décembre 1906, nous souhaitons que chaque caïdat tunisien fasse
paraître, bientôt, un Annuaire semblable, conçu dans le même esprit
et rendant les mêmes services.
En dehors des renseignements généraux que fournit toute publica-
tion de ce genre, nous trouvons, dans l'Annuaire du caidat de Za-
ghouan pour 1907, une foule de notices, extrêmement variées, sur tous
les sujets pouvant intéresser les colons du caïdat. La législation local'
les actes administratifs et surtout l'agriculture y tiennent une larg
part; mais, à côté des pages qui leur sont consacrées, nous trouvons
(1) Tunis. Imprimerie Nouvelle A. Fouquet et C>^", et Zaghouan, librairie-
papeterie D'Amico, pet. in-8, 112 pp.. avec figures. Pri.\ : 0,60 cent.
438 REVUE DU MONDE MUSULMAN
des articles d'un réel inlérêt pour les personnes étrangères à la Tunisie;
il faut citer, entre autres, l'étude de M. Georges Houette, conducteur
des Ponts et Chaussées, sur l'aqueduc de Zaghouan, qui, construit par
l'empereur Adrien, vers fan i3o de notre ère, fournit d'eau la ville de
Tunis (i).
Un nouveau Calendrier.
Ahmed Bey Ismâ'il Beyoff, d'Aghdach, a composé et édité un calen-
drier pour une période de cent ans. Cette publication est imprimée en
couleurs, avec beaucoup de soin, et disposée de manière à pouvoir
être suspendue au mur. Son prix est des plus minimes, 3o kopeks : l'au-
teur accepte les timbres en payement et accorde 20 p. 100 de remise
aux personnes prenant plus de 10 exemplaires {2).
Un Jubilé maçonnique à Bombay
(3).
Nous avons déjà eu occasion de signaler le rôle important des Loges
hindoues du Rite écossais dans le mouvement qui s'accomplit aux
Indes, au profit des idées occidentales.
Celui des Loges de Perse n'est pas moins considérable, et l'Afghanis-
tan va peut-être imiter l'exemple des pays qui l'avoisinent, puisque
l'émir Habibullah s'est fait affilier à la Loge de Calcutta, par le général
Kitchener, grand-maître de district pour le Pendjab.
La dignité du général Kitchener nous est révélée (p. 9) dans la « Pré-
face », consacrée par .\L Jivanji Jamshedji Modi, le savant auteur de
nombreux travaux d'érudition sur les Parsis, leur histoire et leurs ins-
titutions, au volume qui vient d'être publié récemment à Bombav en
l'honneur du jubilé du « Cinquantenaire de la vie maçonnique » de
M. Kharhadji Rustamji Cama '4).
(i) P. 65-74.
(2) Irchâd, 29 mars, 'm avril 1907.
(3) The R.-C. Cama Masonic Jubilee volume, in iionour of Bro. Rhars-
hidji Rustamji Cama, publié par Jivanji Jamhedji Modi. Fellow de l'Univer-
sité de Bombay (1887) ; dipl. liiteris et artibus (Suède, 1889); shams ul
Ulama (gouvernement des Indes, 1893 | ; officier d'Académie (France, 1898);
officier de l'Instruction publique (France, 1902}. In-8, 296 pp., ill. Bombay,
Fort Printing Press, 1907.
(4) Most excellent companion, grand superintendant of Royal Arch Free-
masonery in India under Scotland, honorary députe, first grand principal
of the Suprême Grand Chapter of Scotland .
LIVRES ET BEVUES 439
Ce volume comprend une vingtaine de « Contributions » de diffé-
rents auteurs, anglais pour la plupart : épisodes de l'histoire de la
Franc-Maçonnerie, « Essais » et même poésies. Nous eussions sou-
haité y trouver beaucoup de renseignements sur la Franc-Maçonnerie
dans l'Islam moderne, question particulièrement intéressante dans ces
pays d'Asie où les Dais Ismaéliens ont joué un rôle si considérable et con-
servent une influence active. Notre espoir a été déçu. Il est peu ques-
tion des Musulmans dans la publication dédiée à M. Rustamji Cama,
qui est lui-même Parsi.
Voici, cependant, quelques indications notées çà et là.
L'introduction nous apprend (p. 26) qu'il y a des Loges parsies, hin-
doues et musulmanes, de même que des Loges européennes. Dans ces
dernières, ou du moins dans les « Loges chrétiennes », on lit les Écritures
saintes. On a suivi cet exemple dans une Loge parsie de Bombay, où
les réunions s'ouvrent par la récitation de quelques passages du Zend
Aresta. M. Cama ayant proposé, en 1906, qu'on en fit autant dans sa
propre Loge « The Rising Star of Western India », un frère musulman
réclama pour qu'il en fût du Qoran comme du Livre sacré des Parsis,
quoique la Loge ne comptât qu'un petit nombre de membres étrangers
à la religion de Zoroa.sire (ibid., p. 2-'..
D'après un passage d'un Essai de M. Pestonjee Nusservanjee W'adia,
ancien « Grand Master Députe », sur « The Origin and Universalily of
the Craft », les membres répandus aux Indes, en Perse et en Syrie se
trouveraient unis « en une commune fraternité» (p. 17).
Le même auteur revient encore, dans une autre forme, sur l'idée
générale d'une union maçonnique.
11 reconnaît comme frères tous les Maçons qui respectent la Loi, Chré-
tiens, Parsis, Juifs ou Musulmans, sans distinction de religion (p. 76).
Dans une étude beaucoup plus développée sur VHistoire légendaire
el actuelle de la Franc-Maçonnerie , AL Jivanji Jamshedji Modi éta-
blit un parallèle entre l'usage musulman qui donne un rang social élevé
au Hadji, et la loi d',\lfred le Grand qui donnait au marchand le rang
de « thane ou de gentleman » après trois grands voyages (p. i3o).
Plus loin, le même auteur dit qu'il faut être reconnaissant aux ancê-
tres des « Frères musulmans •» et surtout aux Musulmans de l'Occi-
dent de l'impulsion donnée durant le onzième siècle à l'enseignement
scholastique des « Sept Sciences » (p. HO). « La Philosophie, les Mathé-
matiques, la Physique, l'Astronomie et les autres sciences avaient leurs
traités écrits en arabe. L'École de l'Université de Salerne, dans le
Royaume de Naples, était bien connue à cette époque par son enseigne-
ment de la médecine... Nous voyons ainsi que les anciens Musulmans
440 REVUE DU MONDE MUSULMAN
ont eu une grande part à la propagation de la connaissance des « Sept
sciences libérales » dont fait partie notre branche spéciale, la Géométrie
ou Maçonnerie. Nous savons que le mot algèbre (i), qui désigne une
branche de mathématiques, est arabe. Quelques personnes prétendent
même qu'Euclide n'était pas un personnage réel, mais un être imagi-
naire et que ce nom d'Euclide est arabe, signifiant la Clef (Kilid aJ.j ) de
de la Géométrie» (p. 141).
Cette longue étude des légendes maçonniques forme à elle seule plus
de la moitié du volume (pp. 102-246). Elle contient encore quelques
brèves mentions de pays musulmans ou d'auteurs arabes et persans,
sans rien de particulier, au point de vue qui nous occupe.
La publication jubilaire se termine par quelques adresses de féli-
citation en l'honneur du « plus ancien maçon des Indes ». Nous trou-
vons encore, dans l'une d'elles due à M. Barrois, « ancien grand-
maître honoraire », que la Loge « Rising Star of Western India »,
autorisée le 1 5 décembre 1843, avait été fondée spécialement en vue
de l'admission des candidats Hindous. Pendant les premières années
cependant, le seul Hindou qu'elle reçut était un Jain, de caste Dulia,
quoiqu'elle comptât déjà, au même moment, un certain nombre de
Parsis et quelques .Musulmans (p. 274).
A. L. C.
Les Abdâl de Païnâp (2).
Il existe, au Turkestan chinois, un groupe ethnique signalé par
M. Grenard et connu sous le nom d'Abdàl. Cette population ne se
distingue de celle des Turcs environnants que par une langue spéciale,
dont le fond est persan.
M. Grenard n'avait trouvé qu'une cinquantaine de ces familles
près de K.éria, et sept ou huit à Chertchen. AL Pelliot en a découvert
de nouvelles au village de Païnâp, situé aux portes de Kachgar.
Si les Abdâl de Kéria et de Chertchen vivent à l'écart et méprisés
du reste de la population, il n'en est pas de même des Abdâl de
Païnâp, qui, eux, sont considérés avec respect et comme possédant
une puissance occulte.
(i) Le terme « algèbre » vient de l'arabe^^r*^ J ^^^ [Al-Djabr w'al-
Kasr), c'est-à-dire « l'action de briser et de rétablir », qui s'applique aux
opérations algébriques. En français, on n'a retenu que le premier mot.
E. A.
(2) Pelliot (M.), Les Abdâl de Païnâp. Journal asiatique, janvier-février
1907, p. I 15.
LIVRES ET REVUES
441
Pourtant, ils vivent à peu près comme tout le monde, cultivant la
terre et colportant leurs marchandises les jours de marché. Ce sont
des gens instruits, sachant presque tous le turc, et souvent plus
d'arabe que les Mollah de la région.
Malheureusement, aucun souvenir historique, aucune tradition, ne
viennent illustrer les origines de ce peuple.
Tandis que les Abdâl de Kéria se disent originaires de Roufah,
ceux de Païnâp prétendent que leurs ancêtres vinrent de Darvet. Les
Abdàl se donnent encore quelquefois les noms de Heinou et de
Gilaman, sur lesquels on ne possède aucune donnée.
A. F.
Un Manuscrit chinois en caractères arabes.
M. Hartmann, le savant orientaliste de Berlin, avait rapporté, du
voyage d'études si fructueux qu'il fit au Turkestan en 1902, un ma-
nuscrit en caractères arabes rédigé dans une langue inconnue. En
dehors des citations arabes et des expressions persanes qu'on y ren-
contrait, et qui dénotaient un traité religieux, le manuscrit restait
lettre morte pour ceux qui, les premiers, eurent l'occasion de le voir.
Un examen attentif du texte permit, cependant, d'y reconnaître
quelques mots chinois. Grâce au concours de deux lettrés musulmans,
dont un mirza de Yarkand, .M. A. Forke put reconnaître que le ma-
nuscrit était rédigé en chinois vulgaire; quant à l'écriture, elle était
visiblement celle en usage chez les Dounganes, ces descendants des
soldats de Timour restés en Chine, où, bien que mêlés à la population,
ils ont conservé leur religion et plusieurs marques de leur origine.
Reconstituer, d'après une transcription aussi défectueuse que celle
que pouvait donner l'alphabet arabe, le texte chinois primitif, entre-
mêlé, à chaque ligne, d'expressions empruntées aux langues musul-
manes, était certes un long et pénible travail; M. A. Forke a su le
mener à bien. Il a donné, dans le T'oung Pao (i), le texte du manu-
scrit reproduit par une double transcription, l'une en caractères chi-
nois, avec les mots arabes et persans en caractères latins; l'autre,
entièrement en caractères latins, avec les termes d'origine musulmane
en italique. Les sept légendes que renferme le manuscrit, et qui ont
pour héros, soit le Prophète, soit des saints personnages, ont, en outre,
été traduites. Si MM. Hartmann, Lippert et Kern ont aidé de leurs
conseils M. A. Forke, celui-ci n'en a pas moins eu à surmonter de
(1) Ein islamisches Tractât ans Turkextan, Chinesisch in Arabisclier
Schrift. Dans la livraison de mars 1907 (n" i) du Toung Pao, pp. 1-76.
442 REVUE DU MONDE MUSULMAN
très grandes difficultés; félicitons-le d'avoir su se tirer, à son honneur,
d'une tâche aussi ardue et de nous avoir fait connaître un texte des
plus curieux.
Les Fouilles du Khotan (').
Au moment où l'impression de ce numéro est presque achevée, nous
recevons VAncient Khotan, la grande publication annoncée depuis
quelques mois, et dans laquelle .\1. Aurel Stein expose les résultats
complets de son voyage de 1 900-1 901, dont le résumé avait déjà été
donné dans un premier volume : Sand-buried Ruins of Khotan (2).
II est tout à fait inutile de songer à faire un compte rendu au pied-
levé de la contribution si considérable que l'ouvrage actuel de M. Aurel
Stein apporte à l'exploration archéologique du Turkestan chinois,
comme à toutes les questions qui s'y rattachent : art, épigraphie, lin-
guistique, etc. Nous voulons seulement dire, sans plus attendre, que ces
deux volumes, l'un de texte, avec de nombreuses planches intercalées,
l'autre de planches hors texte, font le plus grand honneur à l'Educa-
tional Service de Flnde, comme à la « Clarendon Press » d"Oxford. Ne
serait-ce qu'au point de vue typographique, c'est une de ces publica-
tions qui datent par l'harmonie d'une vèture admirable, s'appliquant à
Une œuvre de premier ordre. Nous reviendrons en détail sur les don-
nées nouvelles qui s'ajoutent ainsi à l'histoire de l'Asie Centrale, dont
l'exploration scientifique est en train de préparer la rénovation politique
et sociale. A. L. C.
(i) M. Aurel Stein, Ancient Khotan.
Vol. I, texte, gd. in-4, 621 pp., avec catalogue descriptif
des antiquités recueillies par F. -H. Andrews, 72 illustra-
tions (37 pl.j et appendices par L.-D. Barnett, S.-W. Bu-
shell, E. Chavannes, A.-H. Church, A. -H. Francke, L. de
Loczy, D.-S. Margoliouth, E.-J. Rapson, F.-W. Thomas.
Vol. II : gd. in-4, ^17 pl- ^^ I carte.
(2) M. Aurel Stein, Sand-buried Ruins of Khotan, in-8, 5o2 pp., une
carte. London, Fisher Unwin, igoS. Prix: L. 5, 5 sh, net.
BIBLIOGRAPHIE
Livres.
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A. Fevpet.
Le Gérant: Drouard.
4-6-Û7. —Tours, Imp. E. Arrault et C''
i
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I. Département d'Alger, par G. Colin. In-8. . 12 »
II. Département de Constantine, par G. Mercier. In-8. ... 7 5o
Eudel (Paul). Dictionnaire des bijoux de l'Afrique du Nord : Maroc,
Algérie. Tunisie, Tripoiitaine. ln-8, nombreuses figures. . . 10 y>
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Hurtado O.;. Granada y sus monumentos arabes. In-8, 3 planches. i5 »
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matique. Monuments arabes. In-8, nombreux dessins et
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Radiot (Paul). Les vieux Arabes. L'art et l'âme. In-i8 3 5o
Saladin (Henri). Les monuments arabes de la Tunisie. — 1. La
mosquée de Sidi-Olcba à Kairouan. In-4, figures et 29 planches
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— Les monuments de Ghirza (Trrpolitainei. In- s. figures et
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Sauvaire (H.j. Matériaux pour servir à l'histoire de la numisma-
tique et de la métrologie musulmanes. — I. Monnaies. In-8. 10 «
— II. .Mesures de capacité. In-8 7 5o
"Van Berchem (Max). Corpus inscriptionum arabicarum. — I. Ins-
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