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Full text of "Nos géants d'auterfoés; recits berrichons"

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PROFESSORJ.S.WILL 


NOS   GÉANTS    D'AUTERFOÉS 


PUBLICATION 

DK    LA 

SOCIÉTÉ  DES  ÉTUDES  RABELAISIENNES 


NOS    GÉANTS    D'AUTERFOÉS 

RÉCITS    BERRICHONS 

RECUEILLIS    PAR 

JEAN  BAFFIER 

AVEC    UNE    PRÉFACE    DE 

JACQUES     BOULENGER 
(Avec  sept  planches  hors  texte) 

1 


PARIS 
Edouard    CHAMPION 

LIBRAIRE    DE    LA   SOCIÉTÉ    DES    ÉTUDES    RABELAISIENNES 
5,     QUAI      MALAQUAIS 

Tél.  Gobelins  :  28.20 
1920 


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RECONNAJSSANCE 

Qu'on  và  fire.à  là  tradition    FàiSàlvne 
de  Tï-za    pttite   Région  ■nàtàU,de  !koù 
on    eiii'^'nd    «ftei-nto-    tes     coq 5   c^<?5 

de    ia  FRAWCE,   >l'H5eFo  Marî/îa/I 
•TîTi'a   soiireriu  "c/?  ses   co^isci/s    eb 
de   sa    bour>5e»~C2    très    chei-  e^4î 

y  adresse    k  sa  méii^oire  benj's 

*Q^i'i.it    dç  l'i^a.  vive    recoiviaais- 
sarïce    e')i    pptànt   son   fUs  j 
^^  bUn    ai-nté    JB.cciuç$  MAHÎf^Nl, 
^\i  de    \jQu.Coïp  niQ    pei^'^n^etlve 

cet'  hoin^^njaqo.  po^t^m^'ie    /^^r^U 


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ct/vyU. 


NOS  GÉANTS  D'AUTERFOÉS 


PREFACE. 


M.  Jean  Bafïier,  sculpteur  berrichon,  comme  il  aime  à  s'in- 
tituler, lutte  passionnément  pour  une  très  belle  cause  :  celle  du 
régionalisme.  Depuis  trente  ans,  il  a  consacré  sa  vie  à  défendre, 
par  la  parole,  par  la  plume  et  par  l'exemple  de  son  art,  les  tra- 
ditions du  pays  oii  il  est  né  et  toutes  les  beautés  morales  et 
physiques  qui  sont  propres  au  Berry  et  au  Nivernais.  Il  a 
répété  infatigablement,  il  a  écrit  sur  le  papier,  comme  aussi 
sur  le  bois,  la  pierre,  le  cuivre,  l'étain  et  le  marbre  que  nous 
devons  suivre  l'exemple  de  nos  ancêtres,  qui  construisaient, 
qui  soignaient,  qui  embellissaient  leurs  maisons,  leurs  châ- 
teaux, leurs  bourgs,  leurs  villes  et  leurs  domaines,  suivant 
le  sens  esthétique  et  moral  propre  à  leur  race.  La  laideur 
industrielle  et  sans  caractère  des  bâtisses  par  lesquelles  on 
remplace,  à  Nevers  et  à  Bourges  comme  dans  les  autres  villes 
françaises,  les  demeures  qu'y  avait  inspirées  la  nature  du  pays 
ne  le  révolte  pas  moins  que  l'abandon  de  la  terre  et  l'insouci 
que  font  paraître  ses  propriétaires  de  leur  devoir,  qui  serait  de 
s'y  tenir,  de  l'entretenir  avec  sagesse,  de  l'exploiter  avec  hon- 
nêteté, en  usufruitiers  conscients  de  leur  mission  sociale  et  de 
leur  destinée,  pour  la  transmettre  ensuite  à  leurs  enfants,  — 
au  lieu  d'en  abuser  de  toutes  les  manières  et  de  la  vendre  aux 
marchands  de  biens.  Gomme  naguère  Ruskin,  M.  Jean  Baffier 
ne  ressent  point  de  sympathie  pour  ces  perfectionnements 
industriels  que  nous  appelons  communément  le  progrès.  Il 
n'approuve  pas  ceux  «  qui  volent  dans  les  airs  comme  l'oiseau 
ou  qui  nagent  au  fond  des  mers  comme  les  poissons  ».  «   La 

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NOS    GEANTS    D AUTERFOES. 


terre,  s'écrie-t-il^,  pourra  être  enveloppée  d'aéroplanes,  per- 
forée, estropiée,  lardassée  de  lignes  de  chemins  de  fer  garnies 
de  trains  de  voyageurs  et  marchands,  les  automobiles  à  tou- 
touche  pourront  sillonner  nos  routes  poudreuses  pour  empous- 
siérer  nos  champs,  nos  jardins,  nos  prés,  nos  bois  et  nos 
vignes,  il  faudra  toujours  des  hommes  arrêtés  aux  champs, 
aux  prés,  aux  enclos,  pour  faire  pousser  le  blé,  l'herbe  et  la 
vigne  si  on  veut  manger  du  pain,  de  la  viande  et  si  on  veut 
boire  du  vin.  »  Certes,  et  l'on  ne  saurait  douter  de  l'avantage 
qu'il  y  a  pour  une  nation  à  ce  que  la  plupart  de  ses  enfants 
soient  sédentaires,  solidement  liés  au  sol  et  enracinés.  A  se 
détacher  de  la  terre,  la  vie  populaire  perd  beaucoup  de  santé 
et  de  beauté.  Les  générations  d'autrefois,  qui  mouraient  sur  le 
terroir  où  elles  étaient  nées,  se  trouvaient  enrichies  de  toute 
une  tradition  qui  leur  apportait  de  la  force  et  de  la  vertu  : 
coutumes  vénérables  qui  ordonnaient  l'existence  entière,  contes 
et  légendes,  dictons  et  proverbes,  chansons,  préceptes  fami- 
liers, enfantés  aux  travaux  rustiques,  aux  assemblées,  aux 
fêtes  de  la  rue  et  de  la  maison,  tout  cela  formait  pour  elles  un 
patrimoine  moral  et  esthétique  d'une  incontestable  valeur, 
dont  c'est  à  leur  dommage  qu'elles  se  trouvent  privées  à  pré- 
sent. Le  rythme,  si  l'on  peut  dire,  qui  naissait  du  pays,  ordon- 
nait l'aménagement  de  la  ville  et  des  campagnes,  et  réglait  les 
moindres  gestes  des  artisans  des  cités  et  des  laboureurs  des 
champs...  Aujourd'hui,  ces  harmonies  si  belles  de  l'homme  et 
de  sa  terre  natale,  ces  accords  du  passé  avec  le  présent  et  du 
présent  avec  l'avenir,  ces  trésors  de  traditions  orales  et  de 
coutumes,  le  citadin  les  a  perdus,  et  ce  n'est  plus  guère  que 
chez  les  campagnards  que  M.  Jean  Baffier  en  a  parfois  retrouvé 
le  souvenir;  aussi,  rien  ne  l'indigne  davantage  que  la  méses- 
time où,  sur  la  foi  de  livres  qu'il  appelle  «  de  mauvais  livres, 
comme  François  le  Champi  »,  d'aucuns  tiennent  le  paysan  en 
général,  et  singulièrement  celui  de  son  Berry. 


Lui-même  est  né,  il  y  a  quelque  soixante  années,  sur  les 
confins  du  Bourbonnais,  du  Berry  et  du  Nivernais,  au  village 
de   Neuvy-le-Barrois,  dans  le   canton  de   Sancoins.  Chaque 

I.  Voir  le  Réveil  de  la  Gaule,  5°  série,  n°  2.  J'emprunte  les  rensei- 
gnements qui  suivent  à  cette  Revue  que  rédige  M.  Baffier,  et  surtout 
aux  conversations  que  j'ai  eues  avec  lui. 


NOS    GEANTS   D  AUTERFOES. 


année  passaient  là  les  Morvandiaux  qui  allaient  rouler  dans 
les  bois  du  Berry  avec  leurs  bœufs  maigres  qu'on  assurait  forts 
comme  des  crics;  mais  c'étaient  plutôt  les  traditions  orales 
des  mariniers  de  la  Loire,  qui,  par  les  ports  de  l'Allier, 
venaient  enrichir  celles  de  la  contrée,  et  davantage  encore 
celles  des  moulins  de  la  Nièvre  dont  les  meuniers  se  donnaient 
rendez-vous  à  Nevers,  au  pont  Cizeau. 

Car  la  grande  ville  qui  aimantait  tous  ces  bourgs  posés  sur 
la  rive  gauche  de  l'Allier,  c'était  Nevers,  et,  pour  tâcher  de 
l'apercevoir,  le  petit  Baffier  grimpait  au  grenier  et  passait  le 
cou  par  la  boiiinote  qui  en  trouait  le  pignon.  Mais  il  avait  beau 
écarquiller  les  yeux  :  bien  que  son  père  lui  indiquât  de  son  doigt 
noueux  la  direction  de  la  ville,  il  ne  distinguait  que  les  fumées 
des  hauts  fourneaux  de  Fourchambault,  d'Imphy,  de  Guéri- 
gny  qui  s'élevaient  dans  le  ciel.  Et  il  ne  connut  la  cité  tant 
désirée  que  lorsqu'il  fut  devenu  assez  grand  pour  travailler 
aux  vignes  attenantes  à  la  régie  du  château  d'Apremont,  car 
c'était  un  voyage,  pour  ces  terriens,  que  de  se  rendre  «  à  la 
ville  ».  Aussi  la  regardaient-ils  mieux,  l'admiraient-ils  davan- 
tage, la  chérissaient-ils  plus  ardemment  :  pour  eux,  elle  était 
vraiment  une  capitale...  M.  Jean  Baflfier  se  souvient  encore 
avec  émotion  de  la  première  visite  qu'il  fit  à  Nevers  :  aussi 
bien  n'est-ce  pas  ce  jour-là,  en  admirant  l'église  jadis  bâtie 
par  les  géants,  à  ce  qu'on  disait,  qu'il  prit  la  résolution  de  se 
faire  imagier  et  tailleur  de  pierre? 

C'était  le  ii  janvier  i865.  Son  père  et  lui  menaient  à  la  foire, 
par  le  chemin  de  Gimouille,  deux  beaux  nourrins  aux  pieds 
tendres  qui  marchaient  avec  peine  sur  le  sable  gelé...  «  Quand 
la  belle  capitale  m'apparut,  rutilante  de  mille  feux  d'une 
aurore  resplendissante,  avec  sa  cathédrale  majestueuse,  sur- 
montée de  sa  superbe  tour,  plantée  comme  un  chef  comman- 
dant, selon  l'expression  de  mon  père,  j'oubliai  tout  pour  l'ad- 
mirer, ce  qui  me  valut  un  grand  coup  de  rouette  sur  les 
jambes  et  un  murmure  de  malédiction.  Cet  excellent  homme 
ne  me  comprenait  pas  restant  à  bailler,  anpres  ceste  cathédrale, 
coume  un  geai  privé  que  veut  son  caillé,  cependant  que  li  se 
qervait  le  corps  et  Vâme  pour  mener,  quasiment  pourter,  nos 
fameux  nourrins,  agravés,  comben-t-i,  par  ce  gneus  de  sable 
gelé,  ne  peuvant  mais  marcher,  que  j'avons  emplacés  après 
aveoir  :^i!^ouné  coume  c'est  pas  possible  de  le  dire,  que  j'avons 
vendu  et  livré  à  fine  fin  aux  petites  soeurs  sainte  Marie  de  la 
rue  Saint-Martin... 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


«...  Après  une  rapide  visite  de  la  cathédrale,  en  quittant  la 
communauté  des  petites  sœurs,  mon  bon  père,  qui  était  comme 
moi  affringalé,  me  mena  à  l'auberge  de  la  Croix-d'Or  (cheus 
Raizin),  où  nous  avons  fait  un  bon  petit  repas,  tant  pour  le 
vin  de  Marzy  que  pour  le  bon  fricot  de  la  dame  Raizin. 

«  Nous  en  retournant  à  Neuvy-le-Barrois,  par  la  levée  de 
Gimouille,  le  cher  homme,  enchanté  d'être  sorti  d'une  mau- 
vaise passe,  comme  il  le  répétait  souvent,  voulut  bien  contem- 
pler avec  moi  la  capitale  du  Nivernais.  Elle  n'avait  plus  sa 
splendeur  rutilante  du  matin,  mais  elle  apparaissait  encore 
très  avantagée,  du  point  de  vue  où  nous  étions. 

«  Après  m'avoir  démontré  que  la  corporance  d'une  ville 
devait  être  faite  en  imitation  des  chouses  de  la  terre  et  du  ciel, 
mon  bon  père  me  dit  coument  nos  villes  du  Berry,  du  Niver- 
nais et  du  Bourbonnais  étaint  bâties  aux  temps  lointains,  loin- 
tains, dans  trois  cèdes,  qu'arpresentaint  l'Iaue,  la  Terre  et  le 
Seule.  LTaue,  c'est  la  première  vartu,  la  Terre  que  s'est  for- 
mée de  l'Iaue  dans  ITaue,  c'est  la  deuxième  vartu,  et  le  Soulé, 
c'est  la  vartu  des  vartus,  le  saint  des  saints  esprits.  Dans  les 
temps  moins  lointains,  mais  avant  ceux  guerres  de  Sancerre  et 
de  Morront,  Bourges,  Sancerre,  Dun-le-Roy,  Issoudun  et 
Nevers  étaint  encore  bâties  dans  trois  cèdes  repounant  aux 
signes  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  Ça  a  l'air  d'être 
çangé,  mais  c'est  point  çangé! 

«  L'ayant  prié  de  me  dire  s'il  avait  entendu  parler  de  ces 
hommes  si  capables  qui  avaient  bâti  la  cathédrale  de  Nevers, 
il  ne  put  rien  me  préciser,  mais  il  me  donna  l'assurance  caté- 
gorique que  c'étaient  des  géants  qu'avaint  taillé  si  finement 
ceux  belles  pierres  et  maçonné  d'hardiesse  ceux  murs  si  hauts. 

«  Pour  l'époque  de  la  construction,  il  ne  put  donner  qu'une 
affirnjation  certaine  que  ceux  géants  étaint  garis  du  mal  de 
dents  depuis  des  centaines  d'an-nées.  Une  chouse  qu'il  avait  ouï- 
dire  par  les  anciens  de  dieux  nous,  c'est  que  la  première  focs  que 
le  Juif  errant  a  passé  à  l'adret  là  oii  est  Saint-Cyr,  y  avait 
un  grous  bouésson  d'épines  noires,  et  dans  ce  bouésson  d'épines 
noires,  y  avait  une  mère  sanghier  que  fasait  ses  petits.  A  la 
deuxième  foés  qu'il  a  repassé  à  ceste  mesme  place,  la  belle 
cathédrale  était  bâtie.  Dès  quante  i  repassera  là  pour  la  troi- 
sième foés,  ce  Juif  errant,  à  la  place  oii  est  Saint-Cyr,  on 
voiera  un  précipice  effréyâbe  et  tout  partout  alentour  sera  un 
désert  à  par  de  de  vue. 

«  M'ayant  renouvelé  l'assurance  que  c'étaient  des  géants  les 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  5 

bâtisseurs  des  belles  cathédrales,  des  forts  chatiaux  et  des  biaux 
clochers,  il  m'expliqua  ce  qii'étaint  les  géants  d'auterfoés.  C'était 
des  houynes  râls,  râlsl  grands,  grands!  des  fins!  des  primes! 
des  francs!  des  forts  que  battaint  le  Diâbe  pour  l'amour  de 
Dieu!  Tels  étaint  ceux  géants  qu'on  appelait  Gargantua,  Jean- 
de-l'Ours,  Tord-Châgne,  Tranche-Montagne ,  Saint-Éloi,  Saint- 
Martin  et  comben-t-i  d'autres... 

«  Jusqu'à  la  fontaine  du  lieu  Morat,  de  l'autre  côté  d'Apre- 
mont,  mon  bon  père,  animé  d'un  impérieux  désir  d'expansion, 
allant  du  ton  familier  au  plus  haut  degré  d'une  éloquence 
enthousiaste,  me  conta  plusieurs  faits  et  gestes  des  grands 
géants  d'auterfoés,  pour  établir  des  comparaisons  avec  les 
exploits  des  derniers  géants  de  cheux  nous,  qu'il  avait  connus  au 
temps  de  sa  prime  jeunesse,  et  que  battaint  pour  le  diâbe  autant 
que  pour  le  bon  Dieu. 

«  ...  Vers  le  lieu  Morat,  à  ma  demande,  le  père  Baffier  se 
mit  en  devoir  de  m'expliquer  comment  se  formaient  autrefois 
les  bons  géants  dans  le  monde  de  nos  contrées. 

«  Presque  aussitôt,  le  gros  Sadet,  de  Saint-Cyr-de-Neuvy, 
revenant,  lui  aussi,  de  la  foire  et  nous  joignant,  nous  fit  monter 
dans  sa  voiture  bourbonnaise.  Cette  occasion  nous  servait 
pour  assister  au  souper  de  la  noce  d'un  de  nos  voisins  et 
parents,  mais  la  démonstration  si  passionnante  concernant  la 
formation  des  bons  géants  fut  interrompue,  à  mon  grand 
dépit,  et  jamais  plus  mon  bon  père  ne  voulut  reprendre  ce  cha- 
pitre inachevé  de  ses  récits.  » 

Heureusement,  le  père  Baffier  fut  moins  discret  sur  d'autres 
contes,  et  c'est  de  sa  bouche  que  son  fils  a  recueilli  la  plus 
grande  partie  de  ces  belles  histoires  qui  se  transmettaient  ora- 
lement de  génération  en  génération  dans  les  campagnes  berri- 
chonnes, et  dont  l'épopée  de  Gargantua,  qu'on  va  lire,  n'était 
qu'un  fragment.  Hélas  !  il  soupçonne  que,  dans  la  mémoire 
des  gens  âgés  qui  les  lui  ont  contées,  déjà  elles  s'étaient  bien 
appauvries.  Du  moins  elles  y  vivaient  encore,  et  aussi  la  plu- 
part des  croyances  d'autrefois. 


Dans  les  premières  années  de  l'Empire,  au  temps  où  M.  Jean 
Baffier  était  un  petit  gars  dans  la  maison  du  vigneron  et  ton- 
nelier, son  père,  beaucoup  de  belles  fêtes  comme  le  Beriaud 
ou  Berluet  ne  se  célébraient  plus  à  Neuvy-le-Barrois.  C'avait 


NOS    GEANTS   D  AUTERFOES. 


été  jusqu'à  1793  la  fête  du  printemps.  Chaque  année,  à  la  pri- 
mevère, on  dressait  entre  deux  chênes,  à  l'entrée  du  grand 
pâtis  communal,  une  chapelle  de  mousse  et  de  feuillage.  Là, 
le  curé  disait  la  messe;  puis  il  bénissait  les  animaux  du  village 
qu'on  avait  rassemblés  dans  le  pacage.  Ensuite  on  faisait  un 
grand  repas,  où  chacun  apportait  du  pain,  du  vin,  de  la  pitance, 
du  fricot,  des  rôtis,  des  galettes,  selon  ses  moyens.  Cependant, 
on  dansait  au  son  des  musettes,  des  vielles  ou  des  flûtes 
douces;  les  vieilles  danses  villageoises  se  déroulaient  noble- 
ment; on  chantait  des  rondes,  des  romances  et  des  ballades; 
on  se  livrait  à  des  jeux  de  force  ou  d'adresse,  au  jeu  de  la 
chieuvre  (ou  chèvre)  et  à  celui  de  la  truie  ^;  et  les  anciens  criti- 
quaient les  jeunes  et  leur  enseignaient  à  faire  mieux.  Après  le 
repas,  on  menait  les  bêtes  à  Varsiet,  au  joli  petit  étang  pois- 
son, à  la  rive  ombragée  dont  la  chaussée  s'en  allait  en  pente 
douce  pour  former  une  grande  chaume,  «  fournie  et  four- 
rée d'herbe  fraîche,  sur  laquelle  on  dansait  pieds  nus  avec 
délices.  »...  Et  ce  sont  des  réjouissances  bien  semblables  à 
celles-là  qu'on  trouvera  dans  la  troisième  partie  de  ces  récits. 

Vers  1860,  le  Beriaud  n'était  plus  qu'un  souvenir  à  Neuvy-le- 
Barrois;  mais,  chaque  soir,  la  veillée  s'y  faisait  encore  à  la 
mode  d'autrefois.  C'était  tantôt  à  l'auberge,  tantôt  chez  le  tail- 
leur, un  infirme,  mais  jovial  et  beau  parleur,  dont  la  maison, 
une  vieille  demeure  du  xvf  siècle,  formait  en  quelque  sorte  le 
centre  intellectuel  du  village.  Hommes,  femmes  et  enfants  se 
rassemblaient  là  après  souper,  surtout  les  jours  de  fête,  à  cau- 
ser, à  chanter  des  romances,  à  écouter  les  récits.  Bien  entendu, 
il  n'y  avait  pas  de  programme  arrêté  à  l'avance;  selon  que  la 
conversation  amenait  tel  ou  tel  sujet,  un  des  anciens  qui,  si 
l'on  peut  dire,  présidait,  celui  à  qui  l'on  accordait  le  plus  d'au- 
toritéj  généralement  le  tailleur,  disait  à  tel  ou  tel  :  «  Toi,  tu  vas 
nous  chanter  ceci,  nous  narrer  cela.  »  Mais  déjà  il  était  diffi- 
cile de  décider  les  vieux  à  conter... 

Chacun  avait  sa  spécialité  :  récits  ou  chansons.  D'au- 
cuns étaient  doués  d'une  mémoire  surprenante,  comme  Jean 
Deloire  qui  aurait  pu  chanter  durant  trois  jours  et  trois  nuits 
sans  se  répéter  jamais,  tant  il  savait  de  complaintes  ;  aussi 
avait-il  le  droit  de  chanter  plusieurs  fois  dans  la  veillée;  mais 
on  n'aurait  permis  à  nul  autre  que  lui  d'en  user  de  la  sorte. 

I.  C'était  exactement  le  jeu  du  golf  qui  nous  est  revenu  d'An- 
gleterre. 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


Lorsque  l'auditoire  n'était  pas  captivé  par  la  ballade  ou  le 
récit,  les  conversations  particulières  continuaient;  d'ailleurs, 
les  anciens  ne  se  faisaient  pas  faute  d'intervenir,  rétablissant 
les  airs  des  chansons,  rectifiant  les  paroles,  et,  lorsque  l'un 
d'eux  contait  quelque  fragment  de  l'histoire  des  géants  et  des 
saints,  les  autres  ne  se  privaient  pas  de  discuter  les  faits  avec 
lui,  donnaient  leur  version,  expliquaient  comment  les  choses 
s'étaient  passées,  disant  :  «  C'est  pas  coume  ça!  C'est  pas 
coume  ça!...  »  La  plus  grande  marque  de  succès,  c'était  qu'un 
silence  complet  régnât  dans  toute  la  pièce,  «  coume  à  la  messe  »  ; 
mais  jamais  on  n'applaudissait. 

Les  enfants  assistaient  aux  veillées.  Souvent  on  les  interro- 
geait, on  leur  demandait  de  chanter,  de  danser,  et  quand  ils  ne 
le  faisaient  pas  de  la  bonne  façon,  les  anciens  les  reprenaient. 
Rien  n'était  écrit,  les  règles  se  transmettaient  oralement,  mais 
la  tradition  qui  ordonnait  tout  était  bien  observée.  Les  paysans, 
qui  faisaient  leurs  marchés  sans  contrats,  n'aimaient  pas  l'écri- 
ture, et  celui  qui  se  fût  levé  pour  chanter  ou  parler,  à  la  veil- 
lée, un  papier  à  la  main,  tout  le  monde  se  fût  gaussé  de  lui. 
Pourtant  les  usages  étaient  minutieusement  fixés  et  les  anciens 
veillaient  à  ce  qu'ils  fussent  respectés.  Ils  maintenaient  les 
coutumes,' les  croyances,  les  récits  et  les  chants  dans  leur 
pureté,  critiquaient  les  jeunes  gens  au  bal  ou  aux  jeux,  leur 
montraient  à  bien  faire  :  de  quels  reproches  ils  eussent  accablé 
celui  qui  n'eût  pas  dansé  la  bourrée  dans  le  vrai  style,  par 
exemple!...  Malheureusement,  vers  1860,  leur  autorité  était  un 
peu  entamée  déjà,  et  depuis  la  guerre  les  anciens  ont  perdu 
pied  à  Neuvy-le-Barrois.  A  l'auberge,  aujourd'hui,  on  n'en- 
tonne plus  que  des  refrains  de  cafés-concerts,  on  n'écoute  plus 
que  le  phonographe,  et  l'on  ne  cause  plus  que  des  élections. 


Les  chansons  étaient  de  deux  sortes  :  il  y  avait  les  chanson- 
nettes grivoises  et  comiques,  qui  ont  été  conservées  plus 
longtemps,  et  les  rondes,  les  longues  ballades,  romances 
sérieuses,  comme  la  Ballade  du  rosier  blanc,  VHistoire  de  la 
fille  d'un  prince,  etc.*,  dont  M.  Jean  Bafïier  retrouve  encore  des 

I.  Comme  on  sait,  Gérard  de  Nerval  a  été  le  premier  à  recueillir 
un  certain  nombre  de  ces  jolies  ballades  populaires.  De  l'une  d'elles 
qu'il   appelle  La  jeune  fille  de  la  Garde,  il  nous  dit  qu'on  l'a  gâtée 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


fragments    dans   sa  mémoire.   Et  les   récits   aussi  étaient  de 

«  en  y  refaisant  des  vers  et  en  prétendant  qu'elle  était  du  Bourbon- 
nais ».  Voici  comment  on  peut  la  reconstituer,  d'après  les  fragments 
qu'il  en  donne  dans  la  Bohême  galante  (p.  71-73),  dans  Angélique 
(p.  49-5i)  et  dans  Sylvie  (p.  i62-i63)  : 

«  Dessous  le  rosier  blanc, 
La  belle  se  promène... 
Blanche  comme  la  neige. 
Belle  comme  le  jour  : 
Au  jardin  de  son  père 
Trois  cavaliers  l'on  pris... 

(Trois  capitaines  qui  passaient  à  cheval  près  du  rosier  blanc.) 

Le  plus  jeune  des  trois 

La  prit  par  sa  main  blanche  : 

Montez,  montez  la  belle 

Dessus  mon  cheval  gris. 
(Ils  l'emmènent  à  une  hôtellerie,  à  Senlis.) 

Aussitôt  arrivée, 

L'hôtesse  la  regarde. 

Êtes-vous  ici  par  force 

Ou  pour  votre  plaisir.'* 

Au  jardin  de  mon  père 

Trois  cavaliers  m'ont  pris. 

Entrez,  entrez  la  belle, 

Entrez  sans  plus  de  bruit, 

Avec  trois  capitaines 

Vous  passerez  la  nuit!... 

Mais  le  souper  fini, 

La  belle  tomba  morte. 

La  belle  tomba  morte 

Pour  ne  plus  revenir... 

(«  Hélas!  ma  mie  est  morte!  s'écrie  le  plus  jeune  cavalier,  qu'en 
allons-nous  faire?  »  Et  ils  conviennent  de  la  porter  sous  le  rosier 
blanc,  «  au  jardin  de  son  père  ».) 

Et  au  bout  de  trois  jours 
La  belle  ressuscite  ! 
Ouvrez,  ouvrez,  mon  père, 
Ouvrez  sans  plus  tarder; 
Trois  jours  j'ai  fait  la  morte 
Pour  mon  honneur  garder.  » 

(«  Le  père  est  en  train  de  souper  avec  toute  sa  famille,  continue 
Gérard.  On  accueille  avec  joie  la  jeune  fille,  dont  l'absence  avait 
beaucoup  inquiété  ses  parents  depuis  trois  jours,  et  il  est  probable 
qu'elle  se  maria  plus  tard  fort  honorablement.  ») 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


divers  genres.  L'imagination  féminine  avait  enfanté  plutôt  des 
)  contes  de  fées;  mais  là-dessus  les  commères  étaient  intaris- 
sables :  le  fils  du  père  BaflRer  n'a  pas  oublié  comment,  tout  en 
travaillant  aux  vignes  et  durant  des  journées  entières,  depuis 
le  lever  jusqu'au  coucher  du  soleil,  ou  peu  s'en  faut,  la  mère 
Picarde  et  la  mère  Picauche  lui  en  faisaient  pour  l'amuser. 
Pourtant,  à  ces  fantaisistes  et  romanesques  récits,  trop  peu 
réalistes,  trop  sucrés  à  son  goût,  il  préférait  de  beaucoup  les 
grandes  légendes  des  géants  et  des  saints.  // 

Celles-là  formaient  toute  une  chronique  du  pays  :  car  il  ne  s'y 
trouvait  point  de  cité,  ni  de  château,  ni  de  cathédrale  qui  n'eût 
été  construit  par  un  géant  ou  par  un  saint,  point  de  rivière,  de 
rocher  surprenant,  de  site  imprévu  à  quoi  ne  se  rattachât  le 
souvenir  de  Tord-Châgne,  de  Tranche-Montagne,  de  saint 
Éloi,  de  saint  Martin,  et  surtout  de  Jean  de  l'Ours  ou  de  Gar-  , 

gantua.  Et  que  de  guerres  fabuleuses,  que  d'aventures  éton-  ' 

nantes  s'étaient  déroulées  jadis  dans  ces  régions!...  Tous  ces 
récits  étaient  assez  bien  fixés,  du  moins  quant  à  leur  fond,  car 
il  va  de  soi  que  l'allure  ou  le  détail  s'en  modifiait  un  peu  selon 
la  profession  et  les  préoccupations   ordinaires  du  narrateur, 

—  autrement  dit,  c'était  plutôt  à  des  coupes  prodigieuses  que 
s'adonnait  Gargantua  quand  le  conteur  était  bûcheron ,  à  des  tra- 
vaux de  tonnellerie  merveilleux  quand  il  était  tonnelier  comme  le 
père  Baffier  (on  s'en  apercevra  tout  à  l'heure),  et  ainsi  de  suite; 

—  mais  les  faits  principaux  restaient  matière  d'évangile  :  car  les 
paysans  voyaient  dans  ces  légendes  l'histoire  même  de  leur 
contrée.  Et  ainsi  qu'au  moyen  âge  on  citait  sans  doute  aux 
jeunes  nobles  les  prouesses  de  Renaud  ou  de  Guillaume,  de 
même,  à  chaque  instant,  on  donnait  les  géants  en  exemple 
aux  petits  gars  de  Neuvy,  car  Jean  de  l'Ours,  Gargantua,  la 
femme  de  Gargantua,  etc.,  étaient  les  parangons  des  vertus 
villageoises... 

Hélas!  beaucoup  de  ces  grands  récits,  qui  avaient  traversé 
les  siècles  et  que  les  anciens  du  pays  avaient  si  longtemps 
entretenus  de  veillée  en  veillée,  comme  un  feu  sacré,  s'étaient  i 
déjà  éteints  au  temps  de  l'enfance  de  M.  Jean  Baffier.  Néan- 
moins, pour  les  vieilles  gens,  la  terre  demeurait  encore  animée 
du  souvenir  des  bons  géants  et  des  saints,  et  peuplée  d'esprits 
et  de  fées,  tels  ces  menus  génies  qui  agitent  les  feuilles  du 
tremble  ou  les  malins  trigaux  qui  logent  sous  les  coudriers... 

De  tout  temps,  c'avait  été  là,  pour  les  paysans  du  Berry,  des 


10  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

divinités  familières,  plus  à  leur  main,  en  quelque  sorte,  que  le 
bon  Dieu,  voire  que  la  sainte  Vierge.  Les  anciens  de  Neuvy 
disaient  parfois  que  les  curés  leur  parlaient  trop  du  ciel  oîi  se 
tenait  le  Seigneur  et  pas  assez  des  choses  de  la  terre  :  eh  bien, 
à  celles-là  présidaient  les  héros  des  contes.  Or,  les  géants, 
bâtisseurs  des  villes,  des  clochers,  des  forts  châteaux,  des 
belles  églises,  experts  aux  travaux  champêtres,  amis  des  petites 
gens,  ennemis  du  diable,  étaient  les  serviteurs  de  Dieu,  et  la 
foi  qu'on  avait  en  leurs  histoires  n'empêchait  pas  les  paysans 
de  prier  avec  ferveur  Marie  et  son  Fils.  Toutefois,  M.  Baflfier 
a  souvent  entendu,  vers  1860,  le  curé  de  sa  paroisse  prêcher 
contre  les  contes  de  la  veillée,  voire  contre  les  danses,  les  chan- 
sons, les  dictons,  les  coutumes  du  pays  qu'il  regardait  comme 
des  superstitions  païennes.  Et  cette  malveillance  de  l'Église 
pour  les  légendes  et  les  anciens  usages  de  nos  provinces  cha- 
grine M.  Baffier.  Hélas!  c'est  bien  vainement  qu'il  s'en  désole, 
je  le  crains,  et  qu'il  exhorte,  au  nom  de  la  morale,  Mgr  l'évêque 
de  Nevers  et  son  clergé  à  admettre  ces  traditions;  j'entends 
bien  que  saint  Eloi  et  saint  Martin  faisaient  très  bon  ménage 
dans  l'âme  paysanne  avec  Gargantua  et  les  fées;  mais  l'Église 
romaine  ne  saurait  plus  fermer  les  yeux  aujourd'hui  sur  des 
liaisons  illégitimes  à  ce  point... 


Les  légendes  des  saints  étaient  souvent  fort  semblables  par  le 
fond  aux  histoires  des  géants;  toutefois,  les  bienheureux 
étaient  à  l'ordinaire  plus  badins  et  leurs  travaux,  pour  ainsi 
parler,  plus  féeriques;  ils  ne  détestaient  pas  de  se  railler  un 
peu  des  humains  et  d'étonner  leur  monde,  comme  fit  saint  Éloi, 
le  jour  que,  chez  un  maréchal  qui  doutait  de  son  habileté  pro- 
fessionnelle, il  coupa  froidement  le  paturon  d'un  «  chivau  », 
cloua  un  fer  au  sabot  en  moins  de  temps  qu'il  n'en  faut  pour 
le  dire,  et  rajusta  la  jambe  tranchée  de  telle  sorte  que  le  cheval 
s'en  alla  plus  gaillard  qu'il  n'était  venu.  Jean  de  l'Ours  et  Gar- 
gantua étaient  moins  facétieux  et,  parce  que  leurs  histoires 
avaient  plus  de  noblesse,  le  petit  Jean  s'y  intéressait  davantage. 

Le  père  Baffier  était  un  vrai  paysan.  11  savait,  car  les  anciens 
de  Neuvy  le  lui  avaient  appris  quand  il  était  petit,  que  la  terre, 
deux  foués  notre  mère,  est  un  grand  corps  qu'a  ses  oussements, 
ses  membrures,  ses  narfs,  ses  veines,  et  qu'il  ne  faut  pas  l'ex- 
ploiter aveuglément,  mais  l'aménager  avec  respect.  Comme  ses 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES,  I I 

ancêtres,  il  avait  la  religion  de  la  terre  :  c'était  un  homme  qui 
s'en  allait  greffer  les  sauvageons  de  poirier  et  de  cerisier  dans 
les  bois^.  Et  sa  dévotion  aux  pierres,  aux  sources,  aux  rivières, 
aux  prés,  aux  champs,  aux  vignes  était  grande,  et  il  n'ignorait 
pas  que  les  bonnes  fées  et  les  esprits  les  habitaient.  D'ailleurs, 
il  se  souvenait  d'avoir  vu,  dans  sa  prime  jeunesse,  des  familles 
de  géants  que  battaint  jà  pour  le  diâbe  autant  que  pour  le  bon 
Dieu,  et  il  en  avait  aperçu  d'une  autre  vacation  que  battaint 
pour  le  diâbe  contre  le  bon  Dieu.  Si  ça  contuine,  ajoutait-il,  ce 
menement  du  diâbe  incarné,  le  temps  venra  ben  tôt,  comme  ça 
marque  dans  la  porphétie,  quon  voira  un  précipice  effreyâbc 
à  la  place  de  la  cathédrale  de  Nevers.  Partout  à  l'entour  sera 
un  désert  à  parde  de  vue  ;  y  aura  mais  de  blé  dans  les  champs, 
mais  d'arbages  dans  les  prés,  mais  d'ârbes  dans  les  bois,  et  les 
vignes  seront  defunctées.  La  Loire,  l'Allier,  et  le  Cher  seront  tai- 
ris,  arié  toutes  les  fontaines,  les  petits  riots,  couleriots,  les 
étangs  et  les  biefs.  Les  enfants  s'en  iront  queriant,  maudissant 
père  et  mère  que  les  auront  mis  dans  le  monde.  La  terre  venra 
chesse  comme  de  l'amadou,  le  feu  du  ciel  tumbera  dessus,  et  la 
terre  et  le  monde  s'en  iront  en  poussier... 

Vers  1880,  M.  Jean  Baffier  entreprit  de  reconstituer  cette 
histoire  orale  de  son  pays,  dont  il  s'était  fait  raconter  bien  sou- 
vent des  fragments  quand  il  était  enfant.  Le  père  Baffier  était 
éclectique  en  quelque  sorte,  et  il  n'était  pas  aisé  de  lui  faire 
dire  ses  histoires  en  bon  ordre;  mais  il  se  mettait  volontiers 
sur  le  chapitre  des  géants,  et  son  fils  a  passé  de  longues  veil- 
lées à  l'écouter,  tandis  que  la  mère  Baffier  ne  se  faisait  pas 
faute  de  rectifier  les  détails  qui  lui  semblaient  erronés,  ni  le 
vieux  plemeux  de  brères-,  que  l'on  avait  grand  soin  de  convo- 
quer, d'y  ajouter  de  copieux  développements. 

Le  père  Baffier,  qui  avait  dit  à  son  fils,  lorsque  celui-ci 
lui  avait  annoncé  son  intention  de  se  faire  imagier  et  «  tailleur 
de  pierres  »,  qu'il  aimait  mieux  le  voir  querver  que  quitter  la 

1.  Beaucoup  de  ses  aïeux  avaient  fait  comme  lui,  aussi  le  pays 
abondait-il  en  arbres  fruitiers.  L'usage  traditionnel  était  que  cha- 
cun pût  cueillir  des  fruits  à  n'importe  quel  arbre,  public  ou  privé; 
on  en  pouvait  même  emplir  ses  poches,  voire  un  panier,  mais  non 
un  sac,  cela  seulement  était  défendu.  Aussi  M.  Baffier  se  rappellc- 
t-il  le  scandale  et  l'étonnement  que  causa  dans  le  pays  le  premier 
vol  de  fruits  qui  y  fut  signalé,  vers  1872  :  les  villageois  ne  com- 
prenaient pas... 

2.  Littéralement  :  le  peleur  de  bruyères,  le  défricheur. 


12  NOS    GEANTS   D AUTERFOES. 


terre,  aurait  été  scandalisé  de  ce  qu'au  mépris  de  toutes  les 

coutumes  on  couchât  ses  récits  par  écrit,  bien  plus  encore  s'il 

eût  jamais  deviné  qu'on  les  composerait  en  lettres  moulées.  Et 

f     M.  Jean  Baffier  lui-même  ne  songeait  guère  tout  d'abord  à 

î     imprimer  les  notes  qu'il  avait  prises  et  les  souvenirs  qu'il  avait 

)     gardés.  C'est  dans  l'hiver  de  1886-1887  qu'il  s'est  appliqué  à  les 

coordonner  en  partie.  Depuis  lors,  il  a  poursuivi  ce  travail  qui 

n'était  point  petit;  quelques  fragments  en  ont  paru,  et  voici 

X      ceux  qui  concernent  le  géant  Gargantua. 


Bien  qu'il  manque  beaucoup  à  ces  récits  que  l'auteur  a 
recueillis  de  la  bouche  de  ses  anciens,  on  aimera,  j'imagine, 
cette  geste  populaire  et  berrichonne  de  Gargantua.  Pour  les 
rabelaisants,  elle  a  cet  intérêt  de  rappeler  de  la  façon  la  plus 
frappante,  non  du  tout  par  l'affabulation,  mais,  ce  qui  est  plus 
intéressant,  par  le  tour  et  l'accent  du  récit,  le  roman  de 
Maître  François.  La  manière  du  narrateur,  ses  longues  et 
savoureuses  énumérations ,  ses  locutions  proverbiales  qui 
fleurent  si  bon  la  langue  française,  tout  cela  est  de  la  même 
veine  populaire  dont  l'auteur  de  Pantagruel  a  tiré  son  livre 
prodigieux.  Et  je  ne  puis  m'empêcher  de  rester  persuadé,  après 
avoir  lu  les  récits  du  père  Baffier,  que  Rabelais  s'est  proposé 
d'imiter  les  conteurs  villageois  qu'il  avait  certainement  entendus 
souventes  fois  à  la  veillée  et  d'écrire  dans  ce  style  parlé  et  tra- 
ditionnel les  aventures  de  ses  héros.  Ce  fut  cette  idée,  réalisée 
de  la  manière  qu'on  sait,  qui  assura  l'immense  succès  de  son 
œuvre  au  xvi^  siècle,  j'imagine...  Certes,  les  narrateurs  pay- 
sans dont  M.  Jean  Baffier  a  fixé  les  discours  n'avaient  pas  l'in- 
vention verbale  de  Maître  François;  mais,  puisque  ce  sont  des 
récits  .semblables  aux  leurs,  quant  au  tour,  que  Rabelais  a 
transposés  en  les  stylisant  par  son  génie,  à  ce  titre  leurs 
naïves  histoires  nous  offrent  un  exemple  précieux.  D'ailleurs, 
elles  représentent  ce  qu'une  longue  tradition  avait  enfanté  dans 
un  pays  de  France,  elles  sont  une  fleur  aussi  naturellement 
jaillie  de  l'âme  populaire  que  les  herbes  d'un  champ,  et  cela 
seulement,  à  notre  goût,  suffirait  à  leur  assurer  quelque  beauté. 

Jacques  Boulenger. 


Nos   GEANTS   d'aUTERFOÉS. 


Des  ouvrages  du  Grand  Gargantua, 

sus  LA  LISIÈRE    DU    BOURBONNAIS,  DU    BeRRI  ET  DU  NiVARNAIS. 

RÉCITS  DU  PÈRE  BaFFIER  s'aPPUYANT  SUR  LES  DIRES 

ET  OPINIONS  DE  LA  MERE  BaFFIER,  DITE  LA  MERE  A   UgÈNE, 

LE  GRAND  PERE   ReGNAUD, 

Girard  le  plemeus  de  brères%  le  père  Bordier, 

Charlot-Robet,  Bourdier,  ancien  facteur  de  Sagonne, 

Cœurier,  maître  tonnelier  a  Vallon  en  Sully 2. 

La  poêlée  de  Gargantua. 

Après  aveoir  fait  le  clocher  d'Igrande,  le  Grand  Gargan- 
tua était  don  venu,  cetelle  an-née  là,  bâtir  le  ceu  de  Vallon. 

1.  Défricheur  de  bruyères. 

2.  Conformément  aux  bienveillants  avis  de  MM.  Abel  Lefranc  et 
Jacques  Boulenger,  et  à  ceux  des  membres  de  la  Société  des  Études 
rabelaisiennes  qui  nous  ont  écouté  lorsque  nous  avons  présenté 
ces  récits  à  une  des  séances,  sous  le  patronage  de  M.  Georges  Len- 
seigne,  nous  avons  adopté  l'orthographe  qui  nous  a  paru  la  plus 
simple  pour  ce  verbe  oral,  de  manière  à  être  compris  du  lecteur  et 
à  traduire  pourtant  aussi  exactement  que  possible  la  prononciation 
et  le  dialecte  du  conteur. 

Au  premier  abord,  notre  résolution  fut  prise  d'éviter  les  élisions 
qui  rendent  les  mots  difficiles  à  comprendre,  parfois  même  impos- 
sibles à  déchiffrer.  Ayant  reconnu  la  difficulté  de  satisfaire  l'ensemble 
des  lecteurs  par  l'emploi  d'expressions  patoisantes  variant  de  vil- 
lage à  village,  nous  avons  cherché  à  nous  rapprocher  le  plus  pos- 
sible des  mots  utilisés  dans  le  langage  courant.  Par  exemple,  dans  les 
lettres  de  Cadet  Bartichon,  parues  jadis  dans  le  Réveil  de  la  Gaule, 
nous  écrivions  giiiàbe  pour  diable,  Gtiieu  pour  Dieu.  Des  patoisants 
très  sérieux  nous  conseillèrent  d'écrire  yabe  pour  diable,  ieu  pour 
Dieu.  Dans  cette  étude,  nous  avons  pris  le  parti  d'écrire  didbe  pour 
diable.  Dieu  pour  Dieu. 

Dans  notre  nouvelle  orthographe,  on  critique  les  adjectifs  nôtre, 
vôtre,  que  nous  terminons  devant  certaines  consonnes,  par  exemple  : 
nouter  temps,  voûter  bien.  En  écrivant  uniformément  noutre  temps, 
voutre  bien,  nous  imiterions  nos  soldats  revenus  du  service  après  un 
congé  de  sept  ans.  On  dit  plus  communément  noute  temps,  voûte 
bien,  sur  le  Berry.  A  trois  lieues  de  chez  nous,  au  Veurdre,  sur  le 
territoire  bourbonnais,  on  dit  nouté  temps,  voûté  bien.  L'origine  des 
Balïier  paraît  venir  du  haut  Bourbonnais,  ce  qui  expliquerait  pour- 
quoi notre   bon   père,  en   nombre  de   mots,  prononçait  e   avant  t\ 


14  NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 

Les  genss  de  cetelle  grousse  paroisse  étaint  si  tan'  aises 
de  veoir  anprès  leus  Eglise,  qu'est  une  pièce  râle,  un  clo- 
cher sans  pareil  qu'un  chacun,  du  petit  au  grand,  du  mais 
gueus  au  pus  riche  avont  évu  tous  la  mesme  idée  à  l'aveur 
du  Géant. 

De  tous  les  coins,  racoins,  rabicoins,  de  tous  les  carres 
et  les  cornes  de  la  coumune,  tous  se  sont  dit  au  mesme 
moument  :  Faut  que  je  fasaint  une  poêlée  à  Gargantua 
coume  on  n'en  a  point  vu  de  la  vie  des  vivants  en  depuis 
que  le  monde  est  monde,  et  coume  on  n'en  reveoira  pus 
janmais  dans  les  temps  que  vinront. 


Exemple  :  perfet,  entertennement,  entcrprise,  percieuseté;  enter 
pour  entre,  fender  pour  fendre,  câder,  pour  cadre,  etc.  Il  s'agit  de 
ne  pas  trop  appuyer  sur  1';-  final  pour  avoir  la  prononciation  du 
père  Baffier  que  nous  avons  tenu,  autant  que  possible,  à  con- 
server avec  son  tour  d'esprit  et  ses  appréciations  personnelles,  qu'il 
dénommait  ses  remarques.  L'intervention  de  notre  bonne  mère  (la 
mère  à  Ugène)  fut  heureuse  en  ce  qu'elle  tenait  en  haleine  le  conteur 
qui  avait  des  tendances  à  glisser  dans  l'arbitraire.  Il  faut  dire  que 
le  bon  père  Baffier  était  napoléonien  jusqu'à  extinction  de  chaleur 
vitale,  et  la  mère  à  Ugène  royaliste,  mais  dans  le  sens  de  la  royauté, 
puissance  supérieure,  régulatrice,  où  le  roi  règne  sans  dominer,  ce 
qui  est  le  sens  de  la  vraie  république.  Le  roi  c'est  le  plus  fort,  consé- 
quemment  celui  qui  est  le  plus  chargé.  Il  est  en  situation  pour  don- 
ner l'exemple  du  devoir;  il  doit  être  le  dernier  couché  et  le  premier 
levé.  «  Nos  géants  d'auterfoés  naissaient  pour  donner  l'exemple  du 
devoir  au  petit  peuple,  aux  seigneurs  et  aux  rois.  »  C'était  la  grande 
puissance  née  des  vertus  de  notre  belle  terre  et  éclairée  par  la 
lumière  divine  pour  entretenir  les  impulsions  généreuses  au  sein  de 
la  Famille,  de  la  Communauté,  de  la  Nation. 

Pour  la  conjugaison  des  verbes,  nous  avons  reçu  de  nombreux  et 
intéressants  conseils.  Nos  amis  de  Bourges  auraient  voulu  que  nous 
écrivions  :  j'étions,  j'allions,  pour  nous  étions,  nous  allions.  Si  nous 
nous  étions  laissé  tenter  par  ce  conseil  très  autorisé,  l'âme  du  père 
Baffier  serait  venue  nous  graffigner  asseurément  pendant  notre 
sommeil. 

Un  de  nos  voisins,  ancien  caporal  d'ordinaire  au  régiment,  disait 
j'étions,  j'allions,  et  notre  bon  père  lui  avait  donné  le  surnom  de 
«  J'étions-j'allions  »,  qui  lui  est  resté  toute  sa  vie  durant;  et  même 
encore  aujourd'hui  on  le  désigne  par  ce  surnom.  J'étaint,  j'allaint, 
donne  l'expression  du  vrai  campagnard  paysan  de  notre  canton,  et 
nous  espérons  n'y  être  point  blâmé  pour  avoir  conservé  cette  expres- 
sion un  peu  dure,  mais  fort  nécessaire  au  caractère  du  récit. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  i5 

Faut  vous  dire  que  le  clocher  de  Vallon  esi  d'une  venue, 
que  se  voit  pas  à  journée  faite.  Faurrait  marcher  des 
semaines,  des  mois,  des  an-nées,  peut-être  bcn,  dans  toute 
la  France  et  encore,  seurement  ailleurs,  pour  trouver  son 
pareil,  et  j'ai  idée  qu'on  le  trouverait  pas.  Y  a  que  le  ceu 
d'Igrande  que  l'approche  et  ceti  là  de  Saint-Pierre-des- 
Etieus'  que  pourrait  un  tant  si  peu  l'appareiller,  et  c'est 
ben  aisé  de  comprenre  la  cause  :  c'est  que  le  grand  Géant 
les  a  bâtis  d'une  affilée  san'  être  détorbé  de  soun  ouvrage 
par  le  mauvais  esprit  du  diâbe  que  le  tabustait  si  souventes 
foés  pour  l'empêcher  de  ben  faire. 


Oui,  pour  un  beau  clocher,  le  clocher  de  Vallon  c'est 
un  beau  clocher,  un  râle  clocher,  un  clocher  sans  pareil 
dans  toute  la  France,  peut-être  asseurément  dans  toute  une 
Erope,  coume  dit  la  mère  à  Ugène. 

Q'on  véne  du  coûté  de  Saint-Amand,  par  Ainnay-le- 
Vieus  et  Urçay,  par  les  chemins  d'hàlage  le  long  de  la 
rivière,  par  les  rue'  et  les  chemins  de  travarse  ou  ben  par 
la  grand'route  de  Paris  à  Clermont,  le  clocher  de  Vallon 
paraît  sus  le  ciel  bleu,  dans  les  nuages  moutounés,  sus  les 
cargniauds^  neoirs  emmi  les  brouées,  sus  les  fonds  épais 
de  grousses  orages  coume  une  œuvre  du  paradis,  plantée 
là  sus  cetelle  coûte  du  Cher. 

En  revenant  du  coûté  de  Montluçon,  par  Reugny  et 
Nassigny,  on  le  voit  dret,  tin,  nouri.  Par  Tronçay  et  Gosne- 
sus-l'Œil,  de  tant  loin  qu'on  l'aparçoit  cetelle  éguille  fine, 
ça  semble  qu'aile  enter  dans  le  ciel.  Du  coûté  d'Epineuil 
et  de  Saint- Vitte,  c'est  pareillement  un  bijou  céleste  qu'on 
voit  se  parfiler  dans  l'air.  Dès  quante  on  ven  par  la  route  de 
la  Ghappelaude  et  que  le  Soulé  couchant  dardele  ses  feus 
auprès  cetelle  flèche  suparbe  on  dirait  une  fusée  d'or,  de 

1.  Il  paraît  que  l'on  disait  autrefois  Saint-Pierre-aux-Étieux.  Le 
bon  père  Batiier  disait  Saint-Pierre-des-Étieux. 

2.  Nuages  très  épais. 


l6  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

parles  et  de  diamants,  que  jille  dans  la  demeurance  du 
grand  Dieu,  souverain  des  chouses  de  la  Terre,  du  Ciel  et 
Grand  Maître  du  Soulé  que  nous  rachauffe  et  nous  éclaire. 


Y  a  des  âbres  suparbes,  que  sont  plantés  bravement  du 
pied  dans  des  terrains  de  fond  et  que  montont  dret  leur 
tête  fière  vés  les  esprits  d'en  haut. 

Les  grands  sapins,  les  grands  pins,  les  grands  peupeliers, 
fâsont  des  aparçus  de  flèches  belles.  Les  joncs  marins,  que 
se  montront  si  finement  sus  les  iaues  claires  de  nos  étangs, 
c'es'  émouvant  à  regarder.  Y  a  mesme  des  petits  arbages 
comben  t'i,  selon  qu'on  les  voit  dans  des  positions,  qu'a- 
vont  des  fièrtises  inimaginantes  dans  leus  petitesse. 

Mais  dans  tous  ça  que  j'ai  vu,  du  depuis  que  j'étais 
gamin,  petit  garsouniot,  garson,  houme  fait  et  houme 
d'âge,  je  peus  ren  trouver  de  si  glorieus  que  le  clocher  de 
Vallon. 

Les  causes  de  fond  de  la  poêlée. 

Voéla  don  espliquée,  coume  un  poure  guerdaud*  tel  que 
je  sens  peut  le  faire,  bounes  gens!  la  cause  que  fasait  la 
grand'  ben-aiseté  des  Vallounais  en  voyant  auprès  leus 
Eglise,  qu'est  une  râle  Eglise,  un  clocher  d'une  si  Iblle 
grande  beauté. 

La  cause  de  fond  fasant  le  compourtement  de  tout  ce 
monde  de  Vallon  pour  faire  une  poêlée  sans  pareille  à  Gar- 
gantua, je  peus  pas  vous  dire  bravement  coume  i  faut  parce 
que,  coume  in  âne  que  je  seus,  j'ai  oublié  là,  queuque 
chouse  que  je  peus  point  artrouver  dans  ma  sacrée  gibarne 
de  mémoire.  J'ai  là  des  manques,  des  échardes,  mes  poures 
mondes,  et  faut  me  pardonner  si  vous  veoulez  que  je  con- 
tuine  à  causer  de  ceus  grands  travails  de  Gargantua,  auter- 
mentjefroumeraisles  croisées  de  ma  chambre  de  mémoire 

I.  Pauvre  hère. 


NOS    GEANTS    D AUTERFOES.  I7 

pace  que  je  me  sens  mal  à  moun  aise  de  me  trouver  ouvri 
à  tous  vents  sans  tenir  coume  i  faut  moun  orient. 

Y  a  une  chouse  que  faut  vous  dire,  à  coup  seûr,  c'est  que 
dans  ceus  temps  là,  le  monde  était  pourté  à  l'odorâtion  sus 
les  beaus  ouvrages  du  Bon  Dieu. 

Un  biau  châgne,  c'était  prisé  quasiment  pus  qu'une  par- 
soune,  et  j'ai  vu  moé,  que  vous  parle,  le  temp  qu'on  pour- 
tait  cheus  nous  des  crois,  des  coeurs  et  des  an-neaus  d'or 
à  des  fontaines  fraîches'.  Oui,  oui,  le  monde  auterfoés,  du 
temp  de  Gargantua  et  du  Géant  de  l'Ours,  était  pourté  sus 
les  beaus  ouvrages  du  Bon  Dieu,  et  arié,  coume  de  juste, 
vés  ceus  là  de  la  main  de  nos  Géants.  Le  livret  d'houneur 
de  l'artisan  de  jadis,  c'était  d'être  franc  et  quitte  !  Nos 
villes,  nos  bourgs,  si  ben  corporés  avont  été  faits,  dans 
l'ancien  temp,  par  tout  un  chacun  qu'appourtait  à  la  cou- 
munauté  sa  richesse,  ou  ben  soun  aisance,  son  courage  ou 
ben  sa  vartu.  On  fasait  point  d'emprêts  d'argent,  pour  bâtir 
un  clocher.  On  s'entendait  anvé  un  Géant,  et  tout  un  cha- 
cun le  sarvait,  selon  ses  moyens  et  ses  forces,  jusqu'ante 
au  moument  que  le  clocher  était  fini.  Et  ce  clocher  fini,  il 
était  franc  et  quitte  à  la  coumune.  Quante  nos  grands 
Géants  régnaint  auterfoés,  les  bousilleus,  les  arcandiers 
n'étaint  pas  ben  vu,  je  vous  en  réponds.  C'est  que  le  monde 
de  la  France,  était  fier  et  glorieus  des  beaus  ouvrages,  et 
ça  du  petit  au  grand.  Aujourd'hui,  il  est  âpre  au  lustre,  au 
vilain  lustre,  le  monde  de  la  France.  Il  est  trop  ben  âpre  au 
vilain  lustre 2,  le  monde  de  la  France,  et  il  en  sera  puni, 
mauvaisément  un  jour  que  vinra,  vous  m'entendez  ben  ! 

La  grande  ben-aiseté  des  Vallounais  était  don,  coume  je 
vous  ai  dit,  d'aveoir  auprès  leus  Eglise,  qu'est  une  râle 
Eglise,  un  clocher  sans  pareil,  mais  c'étai'  encore  et  sur- 


1.  Le  scribe  a  connu,  étant  gamin,  les  pratiques  de  ce  culte  qui 
mettait  sous  la  protection  des  géants,  des  fées,  des  saints,  des 
saintes,  les  arbres,  en  un  mot  toutes  les  beautés  de  la  Nature. 

2.  C'était  un  cri  général  chez  nos  grands-pères  et  encore  chez  nos 
pères  que  le  luxe  perdrait  notre  Nation.  Nos  anciens  avaient  très 
bien  la  compréhension  que  le  luxe  est  le  contraire  de  l'art. 

2 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


tout,  pace  que  ce  clocher  était  franc  et  quitte  à  la  coumune 
de  Vallon.  C'est  ça,  du  depuis  les  temps  lointains,  lointains 
d'avant  nouter  Seigneur  Jésus-Christ,  qu'a  été  la  grande 
ben-aiseté  du  monde  de  la  France  :  être  franc  et  quitte! 
Mon  poure  petit  garson  Ugène,  s'étoune  de  ne  pus 
entendre  chanter  dans  nos  bois,  dans  nos  champs,  dans 
nos  prés,  et  dans  nos  mainsons.  C'est  pace  que  le  monde 
de  nouter  temp  a  des  dettes  peu  ou  prou,  de  la  ven  la 
cause  que  l'empêche  de  chanter. 


Dès  quante  le  beau  clocher  de  Vallon  a  été  fini,  c'était  le 
moument  des  entounâilles.  Et  cetelle  an-née  là,  le  vin  et 
toutes  les  pidances,  c'était  venu  à  plaisir  partout,  seure- 
ment  à  Vallon  et  les  alentours,  c'était  foésounant  de  toutes 
chouses  de  nouriture,  si  ben  pour  les  bêtes  que  pour  le 
monde,  ça  qu'est  la  grande  marque  de  la  bénédiction  du 
Bon  Dieu. 

Ceus  Vallons  des  bords  du  Cher,  ça  été  du  depuis  les 
temps  lointains,  lointains  une  maignère  de  paradis  ^ 

Avant  les  ravages  du  viens  Çasaire  brise-tout,  à  ce  que 
dit  la  mère  à  Ugène,  qu'est  don  de  la  Marche,  y  avait  une 
riche  batellerie  sus  le  Cher;  pour  transpourter  d'un  Païsà 
in  autre,  des  pidances  de  toutes  vacations,  des  mairins, 
des  fers  au  bois,  des  charpentes,  des  poteries  et  tout  et 
tout.  Le  père  Girard  de  Mornay,  le  plemeus  de  brères, 
dit  ben  seurement  que  y  avait  des  vignes  sus  les  coûtes  de 
nouter  gente  rivière,  longtemps  avant  le  viens  Çasaire  brise- 
tout  et  la  venue  au  monde  de  nouter  seigneur  Jésus-Christ, 
mais  de  tous  ceus  dires,  moé,  je  peus  pas  en  repondre. 

Ce  que  je  veus  faire  assaveoir,  mes  chers  mondes,  c'est 
que  sitôt  la  poêlée  au  géant  Gargantua  a  été  convenue, 


I.  De  nombreux  châteaux,  des  monastères,  des  manoirs,  édifiés 
jadis  dans  nos  bourgs,  nos  villes,  ont  disparu  de  ces  côtes  du  Cher, 
et  de  temps  en  temps  on  retrouve  de  précieux  débris  de  monuments 
enfouis  dans  la  terre. 


NOS    GEANTS    D AUTERFOES.  IQ 

par  tout  le  monde  de  la  ville  assemblé  sus  le  champ 
de  foire  de  Vallon,  voéla  les  laboureus  que  s'en  sont 
allé  vitement  lier  les  bœus  pour  les  atteler  et  les  coubler 
aus  éguilles  des  chartes,  chariots,  tomberiaus  et  i'  sont 
partis  à  drete,  à  gauche  du  Cher  dans  les  vinées,  sus  les 
faits  et  à  demi-coûtes  cependant  que  les  mariniers  bais- 
saint  ou  montaint  leus  batiaus,  bachaus  sur  la  rivière, 
pour  prenre  les  bas  des  vallées...  En  ren  de  temp,  chartes, 
chariots,  tomberiaus,  batiaus,  bâchaus  avont  été  çargés. 
Les  uns,  qu'étaint  descendus  à  Urçay,  Ainnay-le-Vieus, 
mesme  à  Saint-Amand,  à  ce  que  dit  le  plemeus  de  brères. 
Les  autres  qu'étaint  remontés  vés  Nassigny,  Estivarelle, 
Maillet,  Givarlais,  Marmignolles  et  puis  je  sais  pus  là  où 
encore,  tous  et  toutes,  chariots,  chartes,  tomberiaus, 
batiaus,  bachaus,  mesmes  des  yoles,  à  ce  que  dit  le  ple- 
meus de  brères,  étaint  çargés. 


Tous  ceus  grands  clous,  moyens  clous,  petits  clous 
étaint  abondants  et  bons  cetelle  an-née  là  que  c'en  étai'  une 
bénédiction  du  bon  Seigneur  grand  Dieu  du  Ciel. 


Les  houmes  de  la  ville  et  des  faubourgs,  les  mais  resouts, 
anvé  les  garsons  des  domaines,  se  sont  mis  en  devoir  de 
tuer  les  bœus  gras,  les  bœus  de  bounes  viandes,  les  tau- 
rins frais,  les  viaus  de  lait,  les  cochons  de  viande  faite, 
les  grous  laitons,  les  moutons  chabins  ^  ramplis  et  une  foé- 
son  de  moutons  du  Berri  qu'on  avai'  attiffiés  sus  ceus 
coûtes  et  que  se  pourtaint  pas  mal. 

Ce  pendant  cetelle  heure,  les  moins  résouts,  des  houmes 
et  des  garsons,  se  son'  enterpris  à  monter  les  foyers  à  peu 
près  à  mi-coûte  du  talu  au  Champ  de  foire  pour  faire  roûtir 
dihors  des  bœus  entièrement,  des  taurins,  des  viaus,  des 

I.  Moutons  qui  avaient  le  poil  rude  comnne  du  poil  de  chèvre. 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


cochons,  des  moutons  et  toutes  espèces  de  poulâilles,  de 
volailles  et  mesme  des  mouciaus  de  sauvagine  que  des 
grands  seigneurs  chasseurs,  avaint  envoyés  de  tous  coûtés, 
d'après  le  dire  de  la  mère  à  Ugène. 

Y  avait  encore  d'auter  z'houmes,  que  s'étaint  empleyés 
à  trouver  des  vaisseaus  pour  faire  cuire,  roûtir,  toutes  ceus 
viandes.  Y  avait,  dans  le  port  d'Urçay  et  de  Vallon,  en 
ceus  temps  là,  de  toutes  maignières  d'epplettes  en  biau  et 
bon  fer  au  bois  et  des  fontes  de  première.  Songez  don, 
mes  mondes,  que  les  platiaus  et  les  coûtes  du  Bourbon- 
nais et  du  Berri,  mesme  les  coullines  de  la  Marche,  avaint 
des  futaies  de  toutes  beauté,  des  grands  taillis  fournis  et 
fourrés  à  pas  y  veoir  clair  dedans,  l'été,  en  plein  midi. 

Les  forges  de  Tronçay,  de  Morat,  et  comben  ti  d'autres, 
étaint  en  pleine  chauffe,  à  ce  moument  là,  et  on  y  fasait  de 
tout,  dans  ceus  grandes  forges  et  fourniaus^. 

Les  houmes  de  la  cuisine,  avaint  don  armonté  des  ports, 
une  douzaine  de  grand'marmit'es  de  quoé  tenir  chacune 
un  bœu  entièrement^. 

C'était,  ceus  cuissons  là,  pour  faire  ceus  bonnes  soupes 
grasses^  que  fasont  si  ben  l'estoumac  de  l'homme  et  qu'on 
a  trempée'  à  la  grand'féte  du  Géant  à  Vallon,  dans  ceus 
grands  mortiers  en  terre  du  Châtelet,  d'Allichamp  et  de  la 
Bornée 

1.  Dès  l'antiquité,  les  trois  grands  pays  du  centre  des  Gaules 
étaient  arrivés  à  un  degré  de  perfection  pour  la  fonte  des  métaux, 
l'application  des  émaux,  les  vernis  d'argent  et  l'étamage  à  l'étain. 
Les  fers  au  bois  du  Berry  étaient  renommés  encore  dans  le  xix"  siècle. 

2.  Nous  avons  encore  vu  chez  nous  des  marmites  de  grandeur 
respectable  dans  lesquelles  cuisaient  des  soupes  grasses  devant  des 
foyers  où  brûlaient  des  têtaux  entrés  avec  l'aide  de  deux  bœufs, 
dans  des  salles  de  domaines  ayant  porte  sur  le  jardin,  en  face  de  la 
porte  d'entrée  sur  la  cour. 

3.  La  soupe  grasse  était  un  plat  de  fête,  et  même  de  très  grande 
fête. 

4.  On  peut  voir  encore  quelques  spécimens  de  ce  bel  art  de  la 
poterie  de  terre  en  Berry.  M.  Vital  Coulhon,  directeur  de  l'Ecole  des 
arts  de  Bourges,  a  recueilli  un  moyen  mortier,  cuvier  d'une  grande 
beauté  de  lignes,  et  qui  peut  donner  une  idée  de  ces  poteries  géan- 
tcsques  qui  ont  vraiment  existé. 


NOS    GÉANTS    D AUTERFOES.  21 

Y  avait  itou  quatorze  ou  ben  quinze  chaudières  de  belle 
fonte  et  grandes,  grandes  pour  faire  cuire  les  fricassées, 
pace  que  en  Bourbonnais,  un  repas  sans  fricassée,  persente 
un  côrp  sans  àme.  Une  vingtaine  de  chaudrons,  avaint  été 
appourtés  sur  ce  plan  de  foire,  je  sais  point  par  qui,  ni 
quoé,  ni  coument!  Bourdier,  le  facteur  de  Sagonne,  le  sait 
peut-être  ben,  coument  que  ceus  chaudrons  de  cuive  ce 
sont  trouvés  sus  le  plan,  moé  je  le  sais  point.  Ça  que  je  peus 
dire,  c'est  que  ceus  chaudrons  étaint  appourtés  pour  faire 
dedans,  des  étuvées  de  viaus,  de  grous  laitons  de  cochons 
et  de  poulet.  Goume  de  juste  ceus  étuvées  là  ne  devaint 
point  détorber  de  mettre  en  œuvre,  les  étuvées  de  carpes 
et  de  brochets,  qu'on  avait  péchés  dans  la  rivière  et  d'autres 
qu'on  avait  été  quérir  dans  des  grand'tounes  et  à  châroès 
aus  étangs  de  Goule,  de  Pirot  et  de  Salout. 

Et  puis  encore,  y  avait  une  trentaine  de  poêles  à  frire  les 
jolis  petits  poissons  frais,  pêches  dans  le  Gher. 

Faut  dire  qu'auterfoés  nos  rivières,  nos  étangs,  nos  biefs, 
nos  gourds  et  nos  moinders  petits  riaus  étaint  poissouneus 
coume  c'est  pas  possibe  de  le  dire  et,  cetelle  belle  rivière  du 
Gher,  en  tenait  à  tou-touche  des  poissons  de  toutes  vaca- 
tions et  qu'étaint  arnoumés  autant  que  les  ceus  de  la  Loire 
et  de  l'Ailler.  Nos  iaues  de  fontaines  fraîches  et  coulantes, 
venues  des  rochers  de  la  Marche,  le  pais  de  la  mère  à 
Ugène,  ceutelles  là,  arié,  que  coulont  aus  flancs  des  coûtes 
du  Bourbonnais  et  du  Berri,  sus  ce  biau  lit  de  sable  fin  et 
de  caillons  polis,  pareillement  coume  on  voit  les  fonds 
de  la  Loire  et  de  l'Ailler,  çà  fait  du  poisson  prope  et  fin. 
Dès  quante  c'est  frit  à  point  bravement,  à  la  bonne  huile  de 
noix,  mesme  à  l'huile  de  graine,  c'est  bon  !  c'est  bon  !  coume 
on  peut  pas  le  dire  tout  son  soûl. 


Les  ouvrages  des  famés. 

Au  mesme  moument  que  les  houmes  travaillaint  àper- 
ment,  à  ceus  apprêts  des  cuisines,  les  famés  chômaintpàs, 


22  NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 

je  VOUS  en  réponds,  mes  amis.  Y  en  avait  un  foésounement 
de  ceus  fumelles,  auprès  les  volailles,  que  c'en  fasait  trem- 
bler de  veoir  ça.  Et  hardi!  je  te  tue!  je  te  saigne!  je  te  pleume! 
je  t'affondre!  je  t'étrippe!  les  jaus  de  la  grousse  race  et  de 
la  petite  espèce.  C'est  des  chapons!  des  poulets!  des  pou- 
lettes !  des  oies  grasses  !  des  oisons  de  l'an-née  !  et  des  oisilles 
ben  empleumées  !  des  canards  !  des  cannes  et  des  cannetons  ! 
des  pintades  !  des  pintadons  !  des  dindes  et  des  dindons  !  et 
des  sauvagines  à  tis,  à  tâs!! 

Une  autre  chioulée  de  fumelles  était  auprès  les  galettes. 
Et  hardi!  je  te  range!  je  te  tauge!  je  te  berdaugeM  je  te 
pitroune!  je  te  mitroune!  je  le  pétrie!  je  te  repétrie!  je  te 
doubele  !  je  te  dédoubele  !  et  je  te  rendoubele  !  je  te  billotte  et 
jeté  rebillotte^!  je  te  tire  et  je  te  retire!  jeté  beurre  et  je  te 
rebeurre  !  je  te  pleye  et  je  te  repleye  !  je  te  rebillotte  encore  et 
je  te  surbillotte!  je  te  retire  et  je  te  suretire!  je  te  rebeurre 
et  je  te  surebeurre!  je  te  repleye  et  je  te  surepleye!  je  te 
surbillotte  encore  et  je  te  surendoubele!  pour  faire  les 
tapons  des  galettes,  cependant  que  les  fours  chauffent  de 
tous  les  coûtés. 

C'est  des  allées  et  des  venues,  sans  fins  ni  sans  comptes  ! 
On  voit  des  cottes  que  flappont  !  des  mouchoés  de  cou  que 
s'envoulont!  des  caillons-^  le  devant  derrié!  des  bonnets 
anvé  les  brides  artroussées  sus  le  fait  de  la  tête  et  que  le 
vent  empourte  !  des  nez  enfarinés  !  des  joues  charbouillées  ! 
des  camisoles  bourdiesM  des  pans-fous^  qu'en  peuvent 
mais  et  qu'arfusont  de  tenir  les  tétons  que  brinballont  à 
tous  vents,  cependant  que  les  fentes  des  jipons  laissent 
veoir  des  chouses  que  sont  cachées  d'habitude! 

On  veoit  par  ci,  par  là,  des  jarretières  tumbées  à  terre 
aplâmies,  rendues!  à  force  d'aveoir  soutenu  les  jarrets 

1.  Je  te  touille!  je  te  retouille!  etc.,  dirait-on  aujourd'hui  en  lan- 
gage familier. 

2.  La  billette,  c'est  le  rouleau  à  rouler  la  pâte;  on  dit  billette  et 
billoter. 

3.  Caillon,  sorte  de  coiffe  de  nuit. 

4.  Bowdies,  usées  à  force  d'avoir  été  portées  en  travaillant. 

5.  Pans-fous,  sorte  de  camisole  à  pans. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  23 

raidis,  et  les  chausses  bourdies  s'acraisont  pâmées  sus  les 
sabots!  Mais,  ren  arrête  le  mouvement.  Ces' un  bouillon- 
nement sans  pareil!  Ça  ven!  ça  va!  ça  marche!  ça  saute! 
ça  tersaute  !  ça  tumbe  !  mais  ça  s'arleuve  et  ça  repart  au 
grand  galop!  Ça  cause!  ça  jabotte!  ça  jure!  ça  peste!  Ça 
ri!  ça  raige!  ça  pleure!  ça  chante!  C'est  un  fermillement, 
coume  ça  fait  quante  on  éburge  cens  grous  mazeriersM 
C'est  un  bourdonnement!  coume  on  entend  les  mouche'  à 
miel  quante  ailes  fiounont. 

Le  moument  qu'on  voyait  les  galettes  défournées. 

A  un  moument,  avont  sorti  de  cens  fours  des  galettes  à 
tis,  à  tas.  Y  avait  des  piles  de  bons  gatiaus  feuilletés  suant 
le  beurre,  si  grousses  et  si  hautes  que  des  mainsons.  Des 
galettes  aux  prunes  chesses  ^,  qu'on  peut  pas  dire  comben,  et 
on  les  a  empilées  pace  que  le  champ  de  foire  les  aurait  pas 
tenues  rangées.  Mais  asseurément,  c'était  doum.age,  pace 
que  ça  couven  pas  des  galettes  aus  prunes  chesses,  empilées 
les  unes  sus  les  autres.  Y  avait  des  couronnes  et  des  ber- 
rioches  pissant  le  beurre  et  d'une  si  belle  pâte  moelleuse, 
des  charoés;  des  pâtés  à  la  viande  de  viau,  h  la  viande  de 
cochon,  à  la  viande  de  sauvagine,  des  mouciaus^;  des 
pâtés  aux  poires  argorgés  de  boune  crème,  en  veus-tu,  en 
voéla  ;  des  galettes  à  la  semoule,  des  galettes  à  la  citrouille, 
des  galettes  à  la  rubarbe,  des  çargements!  des  bonnes 
gouères  et  des  pompiches"*  appétissantes,  a  foeson!  des 
myâs^  aus  poumes,  des  myâs  aux  poires,  des  meules!  Ben 
sûr,  qu'on  avait  point  vu  encore  une  si  telle  poêlée  en 
Bourbonnais  !  ni  dans  la  Marche  !  ni  dans  le  Berri  !  ni  dans 
le  Nivarnais! 

1.  Quand  on  démolit  [à  coups  de  pied  ou  de  bâton]  ces  grosses 
fourmilières. 

2.  Prunes  sèches,  pruneaux. 

3.  Monceaux. 

4.  Gouearre,  gâteaux  de  pâte  très  préparée  en  forme  de  cordages. 
Pompiches,  sorte  de  brioches. 

5.  Sorte  de  tartes. 


24 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


Et  ça  pourrait  ben  être  qu'on  n'y  reveoira  pas  de  sitôt, 
peut-être  seurement  janmais,  pace  que  le  monde  d'à  per- 
sent  a  idée  à  auters  chouses. 

Et  c'est  doumage,  mes  mondes,  je  vous  le  dis  sans 
malice,  ma  foi,  ma  loi,  que  j'en  jure.  Que  le  bon  Dieu  me 
pardoune  si  je  l'offense,  mais  je  vous  le  redi'  encore  :  c'est 
doumage  que  le  monde  de  nouter  Païs  et  de  nouter  temp 
n'aye  point  l'idée  de  perlongement  de  noutre  ancien  temp 
qu'était  de  bonne  chuche*  et  de  belle  fondation.  Vous  me 
crairez  si  vous  veoulez,  mais  je  vous  le  dirai  encore  et  tou- 
jours :  ça  n'est  point  bon,  voyez  vous,  quante  on  débesille 
un  coulant  d'idées  de  bonnes  chuches  et  bravement  acli- 
matées  de  long  temp  dan'  un  terroé.  pour  les  remplacer, 
tout  de  go,  par  d'autres  idées  d'emprèt  que  venons  du  cinq 
cent  diâbe,  là  où  ti?  Ça  ven  cheus  nous  coume  des  nou- 
veautés, cens  idées  du  lointain,  mais  ça  pourrai  ben  être  que 
ça  saye  viens  coume  le  monde.  Ça  peu'  èter  bon  d'ajouter,  à 
des  foés,  ça  je  veus  le  ouïr  dire,  mais,  seurement.  ça  vaut 
janmais  ren  d'artrancher  à  fonds  pardu  le  soutre,  la  chuche 
de  fondation.  Vous  en  ferez  ça  qu'où  vourrez,  mes  bons 
amis  que  m'acoutez,  et  pardounez  moé  si  je  vous  offusque. 

L'arrivée  des  voitures  et  des  batiaiis  çargés  de  vin. 

J'avais  point  songé  de  vous  dire,  mes  chérs  mondes, 
que  le  pain  pour  la  poêlée  du  Géant,  était  fait  dans  les 
domaines  environnants,  par  les  maîtresses  et  les  sarvantes 
que  se  fasaint  un  plaisir  de  travailler  pour  la  fête  de  Gar- 
gantua. 

Les  boyers,  les  charretiers,  qu'étaint  pas  partis  aus  vins, 
avont  çargés  cens  pains  à  pleins  chariots  à  baltiauts,  au  fur 
à  mesure  qu'ils  étaint  cuits  et  arrivés  à  point  de  raferdisse- 
ment  pour  être  maignes  et  empilés,  pace  que  faut  vous  dire, 
qu'en  Bourbonnais,  tout  coume  en  Berry  et  en  Nivarnais, 
une  parsoune  que  bousillerait  du  pain  chaud  serait  arcou- 
nue  coume  une  afïligeâtion  de  famille  et  de  coumunauté. 

I.  Souche. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  25 

Les  premières  voitures  de  pains,  ce  sont  quasiment  trou- 
vée' ensembe,  sus  le  champ  de  foire,  anvé  les  premières 
voitures  de  vin.  Ça  débouchait  par  toutes  les  routes  et  les 
chemins,  ceus  çargements  de  vin  que  sentait  bon  la  fraî- 
cheur des  entounâilles.  La  rivière  était  neoire  de  batiaus, 
de  bachaus,  mesme  des  yoles,  coume  je  l'ai  dit.  Tous  ceus 
petits  vaisseaus  étaint  pleins  râs  bords  de  ceus  belles  pièces 
garni',  à  tou-touche,  de  ceus  jolis  cecles  de  châtaigniers 
arriès  de  frais  anvé  des  gentes  ouzières  terluisantes'.  Ça 
fait  t'i  plaisir  à  regarder,  ceus  braves  poinsons  de  nos  Pais, 
quante  i  sont  coume  i  faut  arriés  de  frais  aus  temps  des 
entounâilles.  La  plisse-  de  chàtaigner,  c'est  dous  à  regar- 
der, à  maignier,  et  la  vardeur  de  l'ouzière  ça  vous  a  une 
senteur  âpre  que  fait  quiaper  le  palais  et  que  donne  l'en- 
vie de  mettre  la  champleure^,  ou  ben  le  guzi"*  au  poinson. 

Ceus  grousses  foudres  du  midi  et  mesme  ceus  barriques 
à  cecles  de  fer,  ça  ne  fait  point  quiaper  le  palais.  C'est  de 
la  grousse  explotation  que  je  seus  pas  capabe  de  comprenre 
sans  doute  moé,  pour  chétit  terlaud  ^,  guerdaud  guerdau- 
dant.  Je  veus  ben  arcounaître,  que  ceus  vins  couverts  du 
midi,  ça  a  pus  de  côrp  que  les  noutres,  mais  les  vins  du 
midi,  aparés,  n'avont  point  ce  bouquet  frais  que  chatouille 
si  gentement  le  corniller  tout  en  rejouissant  les  nâsiaus. 
Entendez  ben  que  je  n'ai  pas  idée  de  bauffuter®  ceus  vins  du 
midi.  Coume  disait  défunt  Mon-sieu  Luquet,  c'est  supé- 
rieur !  Je  veus  le  craire,  seurement,  que  veoulez  don  que  je 
vous  dise  de  pus  ?  Moé,  j'aime  les  vins  que  m'arpousont  de 
mes  lassitudes,  et  le  vin  du  midi  me  lasse  ren  que  de  le 
veoir.  J'aime  le  vin  que  me  doune  envie  de  chanter,  dan- 
ser et  rire,  moé,  et  ceus  vins  du  midi  ça  m'assoume. 

Quante  je  veois,  dans  mon  verre,  le  petit  vin  de  Neuvy  ^ 

1.  Liés  de  frais  avec  de  gentils  osiers  bien  luisants. 

2.  L'écorce. 

3.  La  cannelle. 

4.  Le  douzil. 

5.  Bêta. 

6.  Mépriser. 

7.  Les  vignes  de  Neuvy  sont  mortes;  les  hautes  futaies,  les  grands 
bois  ont  disparu;  les  étangs,  les  fontaines,  les  ruisseaux,  les  rivières 


26  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

OU  de  Mornay,  anvé  sa  petite  collerette  varmeille,  toute  gar- 
nie de  petites  parles  et  de  petits  diamants,  ça  me  met  le  cœur 
en  joie  et  moun  esprit  s'envoule  dans  l'air.  Une  musette 
jouant  in  air  de  chanson  de  bargère,  ou  ben  une  vielle 
jouant  une  bourrée,  je  me  sens  transpourté  dans  le  para- 
dis du  Bon  Dieu,  vés  les  anges  qu'arsemblontàdes  gentes 
famés  de  cheus  nous,  je  me  sens  pus  de  mal,  ni  dans  mon 
côrp,  ni  dans  mes  membres,  ni  dans  mes  narfs,  ni  dans 
mon  sang,  ni  dans  mes  ousements.  Je  sens  gari  de  tous 
mes  mais  de  cœur  et  d'âme,  je  seu  à  moun  aise  et  je  par- 
donne à  ceus  là  que  m'avont  offensé. 

L'ordon  des  étuvées  et  de  la  friture. 

Ah!  que  c'était  don  beau  à  veoir  le  champ  de  foire  de 
Vallon  au  moument  de  ceus  apprêts  inimaginabes,  pour  la 
poêlée  à  Gargantua.  Tous  ceus  grands  mortiers  de  grès 
pleins  de  pain  coupé  en  jolies  lichettes  fines,  devant  ceus 
grand'  marmites  de  fonte  pleines  de  ce  bon  bouillon  gras 
qu'avait,  à  ce  que  j'ai  ouï  dire,  des  grands  œils  dessus.  Ceus 
bœus  entiers,  ceus  taurins,  ceus  viaus,  ceus  cochons, 
ceus  moutons,  ceus  poulàilles,  volailles  et  sauvagines  que 
routissaint  devant  ceus  foyers  bonnement  ménagés,  là  où 
brûlaint  des  grous  âbres  enflammés,  que  c'était  don  un 
spectac  surpernant  et  râle.  Que  c'était  inimaginant!  que 
c'était  don  inimaginant!  Et  ceus  grousses  chaudières,  arié 
de  belle  fonte,  là  où  qu'envoyait  dedans  bouillotter,  trouil- 
lotter,  mijotter  les  fricassées.  Et  ben!  et  ceus  poêles,  en  place 
pour  arceveoir  la  bonne  huile  de  noix,  bravement  chauffée 
à  point,  à  fine  fin  de  surprenre  et  rissoler  les  jolis  poissons, 
qu'on  appourtait  par  millers  de  millons  frais  vuidés  et 
fertillants  encore  ans  mains  des  fumelles,  qu'étaint  là  une 
foéson  pour  écailler,  vuider,  enfariner  cetelle  friture  géan- 
tesque,  c'est  le  cas  de  le  dire. 

n'existent  qu'à  l'état  de  souvenir  ou  sont  en  voie  de  disparition.  Le 
glorieux  Mornay  est  presque  au  même  point  de  décadence  que 
Neuvy. 


NOS    GÉANTS    D  AUTERFOÉS.  27 

Le  pus  réjouissant,  à  moun  idée,  dans  toute  cetelle  cui- 
sine, c'était  l'ordon  des  étuvées.  C'était  des  houmes  et  des 
famés  de  chois,  que  lenaint  ceus  ordons  là  pace  que,  si 
l'étuvée  n'est  point  bellement  affrie'  dans  le  goût,  counie 
i  faut,  vaut  tant  ren  du  tout.  A  chacun  de  ceus  forts  chau- 
drons, y  avait  pour  le  sarvice,  trois  houmes  et  trois  famés. 
Une  famé  forte,  résoute '^,  en  grande  percieuseté,  quedécot- 
îait  pas  de  vciïler  le  travail  de  cuisson,  les  deux  autres, 
une  de  chaque  coûté  d'elle,  que  li  mettaint  en  mains  les 
agueryances^  de  toutes  maignières  d'assaisonnement,  à 
seul  fin  qu'aile  peuche  ne  point  détorber  ses  œils,  ni  son 
jugement  de  l'œuvre  qu'aile  tenait  sous  sa  maîtrise. 

In  houme  résout,  coume  on  dirait  le  ieutenant  de  la 
famé  capitaine,  fasait  le  feu  en  grande  percieuseté  cepen- 
dant que  les  autres  houmes,  sarvant  de  ceti  là,  minçaint 
percotiouneusement  du  bois  ramier'  de  charme,  mêlé  de 
sarments  de  vigne  et  d'ajonc,  le  tout  sec  coume  de  l'ama- 
dou pour  éviter  la  fumée.  A  genous  devant  le  chaudron, 
l'houme  ieutenant  fasait  le  feu,  dous  d'abord,  et  puis  un 
peu  pus  fort  jusqu'à  temp  que  la  flamme,  enlupant  tout  le 
côrp  du  chaudron,  descendait  dedans  pour  prenre  feu 
dans  l'étuvée,  au  bon  moument,  que  coumandait  la  famé 
chef.  Après  ce  temp  là,  fallait  baisser  le  feu  tout  dous,  tout 
dous,  anvé  grande  percieuseté  encore,  pour  mijautter  et 
rafiner  la  sauce  anvé  les  appêties,  les  haut-goûts^.  Je  vous 
doune  à  songer  si  c'était  plaisirs  et  passe-temp  agueryabes, 
pour  ceus-là  qu'avaint  ren  à  faire,  de  veoir  ceus  ordons 
des  étuvées. 

Y  avait  de  quoé  s'areuiller^  itou  devant  ceus  piles  de 
galettes  qu'étaint  là  si  grousses  que  des  mainsons,  je  veus 
dire  des  montagnes,  mes  poures  mondes. 


1.  Réussie. 

2.  Résolue. 

3.  Le  beurre,  les  ingrédients. 

4.  De  la  ramille. 

5.  Assaisonnements. 

6.  S'écarquiller  les  yeux. 


28  NOS    GKANTS    d'aUTERFOÉS. 

Ce  qu'était  encore  une  ben-aiseté  des  œils  c'était  toutes 
ceus  chartes,  chariots,  tomberiaus  çargés  de  ceus  belles 
pièces  de  vin.  Rangées  en  demi  rondiau  au  bas  de  la 
grand'place,  de  là  où  on  voyait  les  bachaus,  batiaus  et 
yoles  itou  çargés  et  amârés  au  port,  toutes  ceus  voitures 
pourtant  ceus  belles  pièces  de  vin,  c'était  réjouissant  à 
regarder,  je  vous  le  dis  et  vous  peuvez  me  craire.  Que 
c'était  don  beau  !  que  c'était  don  beau  ce  festin  du  grand 
Géant  Gargantua,  à  Vallon  en  Sully. 

Là  où  était  le  Géant? 

De  puis  que  les  apprêts  de  la  poêlée  avaint  coumencé 
on  n'avait  point  vu  le  Géant.  On  était  tout  un  chacun  si 
tellement  ben  occupé  d'ardeur  auprès  ceti  ordon,  que  par- 
soune  avait  songé  à  saveoir  ce  que  fasait  le  grand  Gar- 
gantua. Parsoune  l'avait  vu  dans  la  ville,  ni  dans  les  fau- 
bourgs, ni  dans  les  alentours,  et  y  avait  là  une  foulée  de 
monde  coume  janmais  on  avait  vu  telle  foulée.  De  tous 
les  coûtés  il  en  était  venu,  de  tous  les  coûtés  il  en  venait, 
et  parsoune  avait  vu,  parsoune  voyait  le  Géant. 

Tout  d'un  coup,  y  a  éva  coume  une  maignière  de  cri,  de 
cràillement  serait  mieus  dit,  qu'à  sortu  au  mesme  temp  de 
toutes  ceus  bouches  bâillantes.  Là  où  qu'est  Gargantua? 
Là  où  qu'est  Gargantua? 

La  peur  qu'i  soye  parti  se  voyait  sus  toutes  les  figures. 
Les  uns  sont  montés  vitement  su  les  couvartures  des  main- 
sons,  les  autres  avont  grimpé  su  les  grands  âbres  qu'om- 
brageaint  de  belle  maignière  le  fait  et  le  bas  de  la  place,  en 
ceus  temps  là,  pour  tacher  de  l'aparceveoir,  le  Géant,  soit 
dans  les  faubourgs,  soit  dans  les  alentours  de  la  ville.  Y 
en  avait  que  disaint  :  il  est  parti!  il  est  parti!  D'auters 
repounaint  :  non  !  non  !  il  est  pas  parti  ! 

Un  petit  jeune  gâs,  qu'était  monté  dans  le  clocher,  s'est 
mi'  à  querier  de  toutes  ses  forces  :  Voèla  Gargantua!  voèla 
Gargantua!  là  bas!  là  bas!  la  bas!  Les  ceus  qu'étaint  à 
pourtée  d'entendre  le  petit  gàs  et  de  veoir  son  bras  avont 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  29 


querié  et  le  temp  de  virer  la  main,  tout  le  monde  avait  les 
œils  pourtés  sur  le  fait  de  la  coûte  de  la  Grave  là  où  avait 
montré  le  petit  garson.  Y  en  avait  que  voyaint  queuque 
chouse  que  bougeait,  d'autres  voyaint  ren  du  tout  que  la 
cime  des  âbres  que  sont  sus  la  montagne.  A  fine  force  d'ar- 
garder,  on  a  vu  une  maignière  de  futaie  que  marchait  sus 
Vallon.  Ce  voyant,  y  en  avait  ben  que  coumençaint  d'être 
apeurés,  mais  seurement,  qu'on  a  évu  vitement  reconnu 
que  cetelle  futaie  c'était  simpelment  un  fait  de  bois  que 
Gargantua  avait  été  quérir  à  la  Forêt  de  Tronçay,  en  atten- 
dant le  moument  du  repas. 

Voèla  en  deux  mots,  coument  cetelle  avinture  était  venue. 

Le  Géant  Gargantua  qu'était,  coume  étaint  tous  nos  bon 
Géants  d'auterfoés,  d'une  grande  finesse  de  saveoir  vivre, 
avait  tenu  à  laisser  nos  bons  Vallounais  et  Vallounaises 
faire  leus  apprêts  de  poêlée  ben  à  leus  aise,  et  il  avait  été 
faire  un  petit  tour  de  pormenade  aus  carrières  à  la  coûte  de 
la  Grave  là  où  on  avait  tiré  cens  pierres  pour  faire  le  si 
beau  clocher.  Il  avait  idée  de  prenre  in  échantillon  de 
cetelle  pierre  pour  l'empourter  en  Berri,  là  où  i'  devait  se 
départir  en  quittant  Vallon. 

Tout  en  rouâtinant  le  long  de  la  grand'route  de  Clair- 
mont  à  Paris,  il  avait  remarqué  une  poure  chetite  cassine 
pas  loin  des  mainsons  de  carriers  là  où  étaint  deus  poures 
viens,  in  houme  et  une  famé,  qu'avaint  quasiment  ren, 
bonnes  gens,  pour  se  lester.  Ça  que  les  tormentait  par 
dessus  tout,  cens  pour  viens,  c'était  de  ne  point  aveoir  de 
bûcher  pour  leus  hiver.  Gargantua  en  à  fait  ni  une,  ni 
deus,  il  est  parti  leus  çarcher  queuques  nouritures  cheus 
des  genss  du  moyen,  au  fait  de  la  coûte,  et  d'un  coup  de 
pied  il  a  été  leus  quérir  un  fait  de  bois  à  la  forêt  de  Tron- 
çay, pour  monter  leus  bûcher. 


Vous  avez  vu  ce  monde  en  peine  de  ne  point  veoir  le 
grand  Géant  au  moument  que  les  apprêts  de  la  poêlée 
étaint  quasiment  faits.  Et  vous  avez  vu  la  joie  si  grande, 


3o  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

quante  on  a  évu,  arcounu  Gargantua,  pourtant  se  fait  de 
bois  qu'arsemblait  à  une  rouesse'  en  marche. 


Ah!  Seigneur  de  Dieu!  Seigneur  de  Dieu!  mes  poures 
mondes,  cetelle  joie!  c'est  ren  de  le  dire. 


Y  était  venu  à  Vallon  pour  la  fête  du  Géant  toutes  les 
musettes  de  la  contrée,  peut-être  pus  de  quarante.  On  peut 
pas  saveoir  au  juste.  La  mère  à  Ugène  dit  trente,  le  fac- 
teur de  Sagonne  dit  cinquante.  Chariot  Robet  disait  vingt  ; 
mettons  trente,  selon  le  dire  de  la  mère  à  Ugène.  Trente 
cornemuses  anvé  ceus  haubois  de  vingt  quatre  pouces  et 
des  bourdons  d'épaule  si  longs  que  des  parches  à  foin,  je 
vous  laisse  à  penser  le  raffut  que  ça  peuvait  faire.  Les 
joueurs  de  musettes  de  ceus  temp-là  auraint  bouffé  aisé- 
ment pour  enfler  un  bœu  mort,  ah!  ah!  ah!  mes  amis, 
mes  amis!... 

Voèla  don  ceus  cornemuses  enflées,  le  temp  de  virer  la 
main,  les  cornemuseus  d'accord  et  en  marche,  jouant  des 
airs  si  beaus  et  si  fort  que  c'en  ressounait  partout  dans  les 
mainsons,  dans  les  champs,  les  vignes  et  les  bois.  Tous 
les  Vallons  avont  été  si  ben  remplis  des  sons  de  ceus 
musettes,  que  des  an-nées,  après  la  poêlée  de  Gargantua, 
on  entendait  encore,  par  des  brunes  nuits  tranquilles,  les 
airs -si  beaus  se  pormenant  dans  le  ciel. 

Derrié  les  cornemuseus,  venait  une  porcession  de  monde 
sans  pareille,  qu'allai'  à  l'audevant  du  Géant  en  queriant  : 
vive  Gargantua  !  vive  Gargantua  !  vive  Gargantua  ! 


La  l'entrée  de  Gargantua  à  Vallon. 
Au  moument  qui  venait  de  pouser  son  fait  de  bois,  le 

I.  Petite  futaie. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  3i 

Géant  a  entendu  cens  biaus  airs  de  musettes  et  les  cris  de 
vive  Gargantua  !  F  veoulait,  tout  de  suite,  venirà  l'audevant 
de  ceus  braves  genss,  seurement,  i  s'est  aparçu  que  son 
fait  pousé,  peut  être  un  peu  fort,  avait  fait  casser  les 
rouettes  qu'étaint  pourtant  des  petits  châgnes  modarnes 
de  deuxième  coupe. 

Ceus  rouettes  cassées,  le  faît  avait  drille  %  et  tout  ce  bois 
épenâillé  encanchait  la  grand'route,  la  cassine  des  poures 
viens  et  d'autres  mainsons  de  carriers  qu'étaint  là  pas 
loin,  r  se  mettait  en  deveoir  de  décancher,  le  Géant,  mais, 
au  mesme  moument  la  porcession  des  Vallounais  l'encâ- 
rounait  prestement  en  queriant:  vive  Gargantua!  vive  Gar- 
gantua! vive  Gargantua!  Laissez  moé  don  une  minuite 
tranquille,  mes  braves  genss,  pour  debleyer  et  ranger  ce 
bois,  qu'il  a  dit,  le  bon  Géant,  au  monde,  mais,  le  monde 
n'a  ren  veoulu  entendre.  Vive  Gargantua  !  vive  Gargantua  ! 
i  vinra!  i  vinra!  i  vinra!,  et  i  se  sont  pendlés  toute  une 
chioulée  auprès  li  et  i  s'est  trouvé  empêché  de  faire  coume 
il  avait  dit,  de  crainte  de  faire  du  mal  à  ce  monde. 

Voyant  ça,  les  autorités  de  Vallon  avont  coumandé  sept 
ou  huit  passagers  maneuvres  des  carrières  pour  debleyer 
le  faît  de  bois  à  Gargantua.  Il  avont  travaillé  sept  à  huit 
semaines  à  pleins  bras,  ceus  maneuvres,  à  faire  le  bochetou- 
nage^  du  faît.  Y  a  évu  de  quoé  chauffer  copieusement  les 
poures  vieux,  pas  tant  seulement  l'hiver  que  venait,  mais 
encore  anvé  une  resarve  de  deus  auter  hivers.  Les  sept  ou 
huit  manœuvres  avont  pu  lever  leur  part  chacun,  les  main- 
sons  de  carriers,  je  veus  dire  les  bûchers,  avon  été  gar- 
nis coume  i  faut  et  tous  les  faubourgs  de  la  ville  avont 
pus  se  chauffer  leus  soûl  anvé  les  restes  de  ceti  faît  de  bois 
a  Gargantua. 

Sus  la  grand'  place  de  Vallon,  au  son  des  trente  corne- 
muses jouant  la  marche  des  Géants,  cependant  que  les 
cloches  sounaint  à  grand'voulée^,  selon  le  dire  de  la  mère 

1.  La  rouette,  c'est  le  lien  du  fagot.  Les  liens  étant  brisés,  les 
fagots  se  défont  et  recouvrent  les  maisons  alentour. 

2.  Le  bûcheronnage. 

3.  La  mère  à  Ugène  disait  que  le  curé  de  Vallon  avait  béni   la 


32  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

à  Ugène,  l'arrivée  de  Gargantua  a  causé  une  joie  que  je  seu 
ben  incapabe  de  vous  marquer,  mes  poures  monde.  Faut 
se  monter  ben  haut,  dans  la  compernoire  des  chouses,  si 
on  veu  asseyer  de  comprenre  une  telle  cérémounie.  Tout 
ce  brave  monde  était  hureus,  glorieus  d'aveoir  pu  montrer 
sa  joie,  sa  reconnaissance  au  bon  Géant,  et  Gargantua  en  a 
été  touché  jusqu'ante  au  parfond  et  terfonds  de  soun  âme 
et  de  son  cœur.  A  si  tel  point  qu'il  était  ben  aise,  il  a  laissé 
tumber  deus  larmes  de  joie.  Une  a  tumbé  par  mégarde 
sus  un  foyer  çargé  de  trois  grous  têtaus  de  châgnes  en  feu 
vif,  là  où  routissaint,  conter  ce  foyer,  un  grous  bœu,  deus 
taurins,  un  viau  et  un  cochon,  et  ce  foyer  a  été  éteindu 
tout  net.  L'autre  larme  de  Gargantua  est  tumbée,  hureuse- 
ment,  à  terre,  et  aile  a  fait  un  couleriau  qu'on  voit  encore,  à 
cetelle  heure,  et  que  sert  de  caniveau  pour  égouter  les  agâs 
d'iaue  que  venont  des  coullines  du  dessus  de  la  ville. 

La  poêlée  de  Gargantua.  Son  petit  coup  de  vin  blanc. 

Après  aveoir  marqué  tout  son  contentement  à  ceus 
braves  genss,  pour  les  apprêts  sans  pareils,  qu'il  avaint  fait 
à  soun  aveur,  il  a  dit,  le  grand  Géant,  qu'i  boirait  ben  un 
petit  coup  de  vin  blanc  pace  que  son  fait  de  bois,  appourté 
de  la  Forêt  de  Tronçay,  li  avait  un  peu  fait  mouiller  sa 
chemise  et  chesser  le  palais. 

Tout  de  suite,  le  monde  s'est  écarté  en  rondiau  pour 
li  faire  de  la  place  de  quoé  s'en  aller  à  l'aise  vés  les  poin- 
sons  qu'étaint  rangés  bravement  coume  je  l'ai  dit.  D'une 
petite  gambée,  il  a  été  vés  ceus  voitures.  Il  a  fait  sauter, 
anvé  l'ongue  de  son  petit  doégt,  le  bondon  d'un  poinson, 
il  a  parce  un  petit  trou  de  guzi  anvé  la  petite  alêne  de 
son  grous  coutiau  pour  faire  la  prise  de  vent,  tout  ça  le 
temp  de  faire  ouf!  Après,  il  a  pris  la  pièce  de  deus  cent 
pintes^  par  les  geables,  coume  moé  je  prenrais  un  plema 

poêlée  «  anvé  croés  et  ban-nière  ».  Les  autres  collaborateurs  ne 
partagent  pas  ce  dire. 

I.  Une  pièce  de  deux-cents  pintes  représentait  chez  nous  deux 
cent  vingt  litres  au  moins. 


32- 


tbt[otHoBETdefaBai^oU7ierie  Vf 

^^^S  chrups  otxbeyi  a  ses  vigi-ie?  TrepouTiaff  \ 
fàas  genss  quelifausam'-jnsrpoKrdirpfescnoiises  « 

:     -  </...  ..-]«_  .>-- ■ j  de  sain^niSciioa  - 

ver, ce  pe/^ida-iaf 
-'^-reemffffç 


que  falfatafaveup  d9s.l?ew5  c/e  sainaniscuoa  ^ 

fl,S\   .--,.. 

au  ïlir'c'eTài t  fe  îâVré 'de  son  cÔrp  ztdçsoun  i 


a  Lie  sa  fdmff,  son 


Il  pçH^  9ar5o-v?Pier 
'a  sâ-nre  d^  son  corp  e 


â-nie  dçw'uÇ?' anSPm  c^PS  qrâncf5DO!5- n 

PÇ\/an  t  h  qrà-n  d  brai  s  Jcr/aff-^fr  &  voin  5'5P  dessus;. 

l5ape?i7eÇSfâteCPecour)iç  îi^ro»  5us5orj  ;rb?ie.  ) 

h  p^tiVàJtâtsèiTaeitlrpâsser^Jeçjournèfs.aa  b^-soin^ 

desTiuifs  a  f^use^rfesfHousPS€<-de5e^^eçdli^lef^^ 

Jd€faTef/>e  ô^du  /WondeJ-^érai 'avise  jus  PaA/r?  c/?i>^ 

'"^  V;e5chaYirs,d?S  cfia^i  son  î.d^S  a  <  Tons,  a«s  coi  (Pi 
des  (iis foires  x'peuuàit  en  ciir    sarîsaVpefai'îfîl 


•  fo'nt  de  sa.  sioârne  a  Crîar/o, 


?^^j^^l/ 


.-(nvit^  r 


ie.i;î:?( 


1 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  33 

delardriche',  et  i  s'est  mis  à  boire  à  la  cloquette.  Ça,  par 
exemple,  ça  la  fasait  areuiller  toute  la  chioulée  de  monde 
qu'était  là  étardie,  abouaquèe,  jugée  devant  une  avinture 
si  telle.  Voyez  t'i  cetelle  pièce  de  deux  cent  vingt  litres,  au 
moins,  brandie  aus  bouts  des  bras  du  Géant  et  ce  trou  de 
bondon  coulant  à  plein  dans  ce  corniller  !...  En  moins  de 
temp  que  je  met  à  vous  conter  ceti  esploit,  le  poinson 
était  vuidé.  Et  hardi  don  !  en  voèla  deus,  en  voèla  trois,  en 
voèla  quatre,  en  voèla  cinq,  en  voèla  six  poinsons  vuidés. 
En  voèla  sept,  en  voèla  huit,  en  voèla  neuf,  en  voèla  dix. 
Il  a  pris  vent  le  temp  de  tirer  les  voitures  déçargées. 

Une,  deux,  le  bondon  saute,  le  guzi  est  parce  et  la 
onzième  pièce  est  vuidée.  En  voèla  douze,  treize,  quatorze, 
quinze,  seize,  dix  et  sept,  dix  et  huit,  dix  et  neuf,  vingt! 
On  retire  les  voitures  et  i  prend  vent  Gargantua.  Ah!  que 
c'était  don  plaisant  de  veoir  cens  biaus  poinsons  garnis 
bellement  de  cens  jolis  cecles  de  châtaigner,  arriés  de  frais 
anvé  des  gentes  ouzières  terluisantes  au  soulé,  cependant 
qui  virounaint  aus  doégts  du  Géant  et  au-dessus  de  sa  tète, 
coume  je  ferais,  moé,  d'une  aile  de  chavant^. 

Après  aveoir  beu  vingt  pièces,  il  a  pris  vent,  pour  dire 
que  ça  le  geinnait  que  les  bondes  étaint  tro'  étretes.  I'  se 
mettait  en  deveoir  de  les  agrandir,  mais,  i  s'est  arsongé  que 
ça  pourrait  offusquer  les  vignerons.  I'  n'en  a  fait,  ni  mais, 
ni  moins,  seurement,  il  a  contuiné  de  boire  en  défonçant 
les  poinsons  anvé  une  aisance  qu'a  étouné  la  foulée  de 
monde  qu'était  assemblée. 

Trente  et  sept  pièces  y  avont  passé  dans  son  garganet, 
au  Géant,  pour  son  petit  coup  de  vin  blanc,  avant  le  repas. 
Bon  Dieu!...  Ça  peut  s'appeler  boire  un  coup...  Ça  fait 
deus  pièces  de  pus  que  la  contenance  de  la  grand'cuve 
carrée  à  la  vinée  de  Saint-Caprais,  que  mon  grand  père 
Regnaud  a  fait  en  mil  et  huit  cent  huit,  sus  le  coumande- 
ment  de  la  grand'mère  marquise  de  Saint  Sauveur,  que  le 


1.  Plumeau  de  rouge-gorge. 

2.  Hibou. 


34  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

vieus  maignant  Centrentedeus  appelait  grand'  Jean-ne  de 
Barre,  en  quatervingtreize. 

Le  repas. 

Pendant  que  le  grand  Gargantua  beuvait  son  petit  coup 
de  vin  blanc,  parsoune  dans  l'assemblée  avait  songé,  ni  à 
boire,  ni  à  manger.  Seurement,  après  ce  coup  de  temp  là,  je 
vous  donne  à  songer  si  les  palais  quiapaint  et  si  chacun 
se  mettait  en  mesure  pour  soé  se  lester.  Après  aveoir 
mangé  trois  pleins  mortiers  de  boune  soupe  grasse,  trois 
bœus  bouillis,  six  grous  cochons  grillés,  trois  taurins  et  six 
viaus  routis,  pour  faire  un  soutre  à  soun  estoumac,  le 
bon  Géant  a  veoulu  découper  des  viandes  pour  le  monde 
qu'était  à  sa  pourtée.  D'abord,  il  a  demandé  si  on  avait 
songé  à  la  part  à  Dieu,  pour  les  malhureus  trop  malades  et 
estropiés,  que  peuvaint  pas  venir  à  la  poêlée.  Les  notables 
avont  repounu  qu'on  avait  songé  à  la  part  à  Dieu  pour 
tous  les  malhureus  tro'  affligés  et  empêchés  de  venir  au 
festin. 

Don,  Gargantua  s'est  mis  en  devoir  de  découper  des 
viandes  et  ça  été  encore  une  occasion,  pour  la  foulée  de 
monde,  de  s'areuiller. 

C'étai'  un  plaisir  de  le  veoir  et  de  l'entendre  riant,  chan- 
tonnant, plaisantant  anvé  une  grâce  sans  pareille  tout  en 
tenant  un  grous  bœu  entier  au  bout  de  sa  grand'four- 
chette,  qu'avait  été  forgée  en  biau  fer  au  bois,  par  trois 
marichaus  de  Vallon,  des  premiers  ferrouniers,  coume  y 
en  avait  dans  nos  païs  depuis  les  temps  lointains,  lointains, 
d'avant  nouter  Seigneur  Jésus-Christ,  d'après  les  dires  de 
la  mère  à  Ugène.  Son  grand  coutiau  li  avait  été  donné 
à  la  poêlée  d'Igrande  et  avait  été  coumandé,  par  spécial,  à 
Saint-Flour,  en  Auvargne,  la  coutellerie  la  pus  arnou- 
mée  de  la  France  en  ce  temp  là. 

Ah!  oui  mes  mondes!  y  avait  encore  là  le  de  quoé 
s'areuiller.  Voyez  t'i  ce  Géant,  piquant  sa  grand'fourchette 
au  flanc  d'un  grous  bœu  routi  et  qu'i  découpait,  à  la 
minuite,  en  petites  jolies  tranches,  pace  que  faut  vous  dire 
que  cetelle  lame  de  Saint-Flour,  coupante  coume  un  dia- 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  35 

mant,  passait  dans  les  oussements  des  aumailles  coume 
dans  du  beurre.  Ah!  oui,  ah!  oui,  ce  Géant,  tenant  un 
grous  bœu  entier  au  bout  d'une  fourchette,  anvé  autant 
d'aisance  que  moé  je  teinrais  une  daguenelle^  au  bout  de 
mon  chetit  coutiau,  c'était  un  spectac  que  se  voit  pas  à 
journée  faite  je  vous  le  garantis. 

On  avait  ben  monté  des  tabès,  esprès  pour  découper 
ceus  viandes  ;  des  bouchers  s'étaint  offri  esprès,  mais,  cha- 
cun voulait  aveoir  sa  petite  part  de  pidance  de  la  main  du 
bon  Géant.  Pensez,  que  c'était  in  honneur  grand'  d'être 
sarvi  par  Gargantua.  D'ailleurs,  si  faut  en  craire  le  dire  de 
la  mère  à  Ugène,  nos  grands  rois  des  temps  passés  per- 
nant  exemple  sur  nos  grands  Géants,  les  fins,  les  primes, 
les  francs,  les  forts,  que  battaint  le  Diâbe  pour  l'amour  de 
Dieu,  i  sarvaint  souventes  foés  les  petits  dans  les  assem- 
blées coumunes  des  villes  et  mesmement  des  campagnes. 

Fin  du  repas  de  Gargantua.  Sa  petite  rincette. 

On  était  venu  li  appourter  huit  pleines  resses  de  jolis 
poissons  frits,  gentement  rissolés  et  rangés  anvé  percieu- 
seté  sur  des  fines  toiles  de  chanve.  Il  en  a  goûté,  il  les  a 
trouvés  bonnement  frits  à  point,  ceus  jolis  poissons  et  bons 
de  la  vie  !  Seurement,  il  a  dit  que  fallait  resarver  ceus  gue- 
nuches  pour  les  petites  bouches.  Il  a  mangé  six  grous  bœus 
routi§,  douze  taurins,  vingt  quatre  viaus,  deus  douzaines 
de  moutons,  deus  douzaines  de  dindes,  autant  de  poulets, 
de  canards,  d'oies,  de  pintades  et  quantité  de  sauvagines. 

Il  a  goûté  aux  étuvées  qu'il  a  trouvées  fériandes,  coume 
janmais  encore  il  en  avait  mangé.  On  li  en  a  sarvi  vingt 
chaudrounées,  en  maignière  de  dessert,  coume  il  a  dit. 

Après  ce  temp  là,  il  a  voulu  se  dégraisser  les  dents  anvé 
queuques  petites  bouchées  de  galettes.  Il  a  trouvé  les 
gâtiaus  feuilletés  d'une  venue  râle,  et  il  en  a  mangé  un 
plein  chariot,  à  baltiauts^,  une  chârtée  de  gouères,  mêlées 


1,  Petite  poire  séchée  au  four. 

2.  Sorte  de  grandes  ridelles  tenant  toute  la   longueur  du  banc  du 
chariot. 


36  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

de  pompiches,  un  chariot  à  sâclots  ^  de  galettes  aux  prunes 
chesses  et  deux  tomberiaus  de  myâs.  Cependant  qu'i  man- 
geait i  resarvait  des  entermis  pour  boire,  coume  vous 
pensez  ben,  et  au  moument  de  son  repas,  que  je  vous 
marque  là,  y'avait  jà  trente  et  cinq  pièces  de  vin  rouge 
vuidées. 

F  beuvait  pus  à  la  cloquette^  par  les  trous  des  boudons, 
i  défonçait  les  pièces  anvé  une  adresse  inimaginabe  et, 
mettant  le  poinson  su  sa  main  drete,  cependant  que  la 
gauche  tenait  le  balant,  i'  beuvait  gentement  coume  mon 
cousin  Jean  Fontaine  boit  dans  sa  tasse  de  faïence  de 
Nevers.  Les  maîtres  vignerons  des  coûtes,  s'étaint  enten- 
dus pour  faire  un  chois,  nimero  un,  pour  la  rincette  du 
Géant,  et  il'  avont  fait  demandé  si  c'était  le  moument  de 
faire  approcher  les  voitures  là  où  étaint  cens  pièces  de 
première  marque.  Le  bon  Géant  a  trouvé  à  dire  des  gentes 
chouses  encourageantes  pour  marquer  sa  joie  à  cens 
braves  genss,  et  il  a  dit  encore  après  :  appourtéz  don  ma 
rincette. 

On  a  fait  avancer  quatre  chartes  à  bœus,  garnies  cha- 
cune de  six  belles  pièces,  et  Gargantua  les  a  beues  dévotieu- 
sement  en  fasant  lululer  sa  bouche  et  quiaper  son  palais  à 
tous  mouments. 

Y  avait  de  quoé  s'areuiller  encore,  su  ce  coup  de  temp  là, 
j'ai  pas  trop  besoin  de  vous  le  dire.  Y  en  avait,  de  ceus 
mondes  de  l'assemblée,  que  disaint  :  mais  c'est  don  un 
puits  pardu  ce  Géant?  Les  autres  disaint  ren  du  tout,  i  bail- 
laint,  grandes  ouvartes  et  toutes  rondes,  leus  bouches  de 
quoé  mettre  in  œu  d'oie. 


Mes  poures  mondes!  pour  conter  tout  çà  qu'on  a  vu  à 
Vallon  à  la  poêlée  de  Gargantua,  faurrait  des  journées.  Je 


1.  Chariot  à  côtés  eu  planches  pleines  tenant  la  longueur  du  banc. 

2.  A  la  régalade. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  Zq 

tâche,  de  mon  mieus,  de  vous  marquer  groussièrement 
les  pus  grandes  avintures  de  ce  festin  sans  pareil. 

Le  grous  exemple  que  sort  de  cetelle  poêlée  et  que  j'ai 
asseye  de  vous  montrer,  c'est  l'abondance  de  franchises, 
ceti  apport  de  vartus  de  famille  que  fasons  la  pus  grand' 
richesse  et  le  meilleur  compourtement  du  monde.  Si  j'ai 
pas  ben  dit,  coume  fallait,  pour  vous  montrer  icelle 
assemblée  de  Vallon,  dan'  une  ben-aiseté  de  Paradis,  c'est 
que  je  seu  incapabe. 

Pensez-vous  qu'un  lictin^  pourrait  mieus  que  moé  mar- 
quer, en  écriture  moulée,  les  chouses  inimaginantes  qu'on 
a  vu'  à  la  poêlée  de  Gargantua,  là-bâs  sur  le  champ  de  foire 
de  Vallon?  Si  vous  avez  cetelle  idée  là,  fautprenre  un  lic- 
tin,  moé  je  demande  qu'à  me  taiser  :  je  me  sens  pris  de 
lassitude,  pour  ben  dire,  je  seu  acraisé,  abouaqué^  devant 
une  tâche  si  tan'  au-dessus  de  mes  poures  chetits  moyens. 

Où  on  voit  Gargantua  ouvrir  le  bal. 

Quante  le  moument  a  été  venu,  les  trente  musettes  se 
sont  trouvées  d'accord  pour  jouer  des  airs  glorieus  à 
l'aveur  du  Géant,  des  airs  de  chansons  de  paix,  des  airs  de 
chansons  plaisantes,  et  enfin  des  airs  délicottés^,  pour 
appeler  le  monde  à  la  danse.  Les  fumelles  jeunes,  moins 
jeunes,  pas  trop  jeunes,  pas  trop  âgées  et  âgées,  toutes 
étaint  coiffées,  acquillaudées'',  bichounées  coume  si  aile 
étaint  sorties  d'une  boite  et  fringantes,  fertillantes,  prête' 
à  entrer  en  danse. 

Le  Géant  a  veoulu  danser  le  branle  anvé  la  pus  âgée  des 
famé  et  la  bourrée  anvé  la  pus  jeune  des  filles  faites.  P 
les  a  bichées  toutes  deus  anvé  la  mesme  gentesse,  ça  qu'à 
été  armarqué  par  toute  l'assemblée,  et  tout  un  chacun  a  si 
ben  saisi  en  soé  mesme  la  grâce  dij  Géant,  et  çà  du  petit 


1.  Un  écrivain. 

2.  Acraisé,  aboiiaqué  :  écrasé,  plus  qu'écrasé. 

3.  Frétillants. 

4.  Tirées  à  quatre  épingles. 


38  NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

au  grand,  que  toute  cetelle  foulée  de  monde  s'est  mi  à  que- 
rier  coume  un  seul  houme  :  vive  Gargantua!  vive  Gar- 
gantua! vive  Gargantua!  et  une  vois  a  repounu  fort, 
moins  fort  et  tout  dous,  dans  le  lointain  des  Vallons  :  vive 
Gargantua  !  vive  Gargantua  !  vive  Gargantua  ! 

Où  le  conteur  prend  vent. 

C'est  ben  possibe  que  sus  le  tard,  dans  la  nuit,  y  a  évu 
de  cens  jolis  devantiers  un  tant  si  peu  chiffounés,  des 
coiffes  avont  pu  se  trouver  de  guingois,  des  corsages 
dégraffés,  des  cheveus  dépignés  et  des  cottes  frippées  par 
des  accidents  qu'arrivont,  peu  ou  prou,  à  la  suite  de  cens 
grandes  assemblées.  On  dit  que  l'or  le  mais  pur  pourte 
des  déchets  et  que  les  pus  belles  vartus  avont  des  flâches^ 
Encore  une  foés,  je  veus  vous  dire  que  c'est  pas  à  moé  de 
vous  faire  entendre  des  petites  avintures  qu'avont  pu  se 
passer  dans  les  petits  coins  et  rabicoins,  nuitamment, 
puisque  je  peu  pas,  seurement,  vous  marquer  le  demi  quart 
des  avènements  de  la  journée. 

Pensez  donc  ça  qu'où  vourrez,  mes  poures  chérs 
mondes,  moé  je  laisse  cetelle  assemblée  se  devartir  pour 
prenre  vent  un  peu. 

Le  repos  du  Géant. 

En  su'  le  matin,  à  la  pique  du  jour,  les  musettes  avaint 
moindre  le  jeu.  Gargantua  s'est  accoté  doucement  au  long 
de  son  clocher,  pour  dormir  un  petit  som.  Au  jour,  i  s'est 
raveillé.  Ça  fasait  un  genti  temp.  Il  a  regardé  la  grand'- 
place  du  champ  de  foire,  là  où  s'était  passé  le  festin,  il  a 
souri  gentement  et  il  a  dit  :  voèla  t'i  du  bon  monde!  des 
braves  genss!  Que  le  grand  seigneur  Dieu,  souverain  tout 
puissant  des  chouses  de  la  Terre,  du  Ciel  et  maître  du 
Soulé,  les  bénisse^  ! 

1.  Trous. 

2.  Ce  paragraphe  est  issu  des  souvenirs  très  personnels  de  la  mère 
à  Ugène  et  du  père  Baffier. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS,  3g 


Y  en  avait  ben,  dans  cetelle  foulée  de  braves  genss,  qu'a- 
vaint  gagné  leus  mainsons,  d'autres  qu'avaint  le  lampâ 
s'étaint  arrêtés  en  chemin  pour  contuiner  à  boire.  Y  en 
avait  une  auter  vacation  qu'était  restée  sur  le  champ  de 
foire,  auterment  dit,  dans  la  chambre  du  festin.  On  en  a 
trouvé  endeurmis  vés  les  grand'marmites,  en  coûté  des 
grands  foyers  que  brûlaint  toujours  à  petit  feu  dous,  coume 
ça  fait  à  tous  les  feus  qu'on  n'attise  point.  Y  avait  un  jeune 
garson  que  deurmait  à  poings  froumés  dan'  une  de  ceus 
grand'marmites,  le  eu  trempé  dan'  un  fond  de  bouillon 
gras  qu'était  resté  par  mégarde,  ben  sûr,  pace  que  c'est 
pas  la  coutume,  dans  nos  francs  pais,  de  laisser  trainner 
le  butin  du  commun  pas  mais  que  le  ceu  des  familles.  In 
auter  houme  d'âge  moyen  avait  tourné  à  boucheton*  un 
poinson  là  où  Gargantua  avait  beu,  i  s'était  enfroumé  des- 
sous ce  poinson  et  endeurmi.  Hureusement,  qu'in  alardier 
s'était  trouvé  en  travarse,  par  hasard,  pour  faire  prenre 
vent  à  ce  poure  diâbe  qu'aurait  trouvé  le  terpâssement  à 
l'étouffé.  In  autre,  avait  évu  l'idée  de  parcer  une  pièce 
pleine  vés  le  bondon  anvé  le  parçon  de  son  coutiau,  pour 
boire  à  la  cloquette  en  emitation  de  Gargantua,  moins  la 
montée  du  poinson  aus  bouts  de  ses  bras,  aseurement;  il 
avait  beu  à  soun  idée  tout  son  soûl,  pus  que  de  son  soûl, 
à  telle  fin  qu'i  c'était  acraisé,  amiassé  sus  place,  et  le  vin 
que  contuinait  à  pisser  li  dégoulinait  tout  partout  sur  son 
corps.  Le  Jeune  gâs  que  s'était  sise  dans  le  bouillon,  et 
cetelle  pièce,  parcée  par  ceti  houme,  c'est  ce  que  y  a  évu 
de  malfaçon  dans  la  poêlée  inimaginabe,  du  moins  si  y 
a  évu  d'auters  petites  berdineries^,  ailes  ne  sont  point 
venu  à  ma  connaissance. 


1.  Sens  dessus  dessous. 

2.  Plaisanteries, 


40 


NOS    GEANTS   D  AUTERFOES. 


Le  petit  câsse-croûte  du  Géant. 

A  soulé  levant,  Gargantua  il  a  appelé  trois  foés  :  Val- 
lounais!  Vallounais!  Vallounais! 

Ah!  mes  amis!  en  un  ren  de  temp,  tous  et  toutes  sont 
arrivé  à  l'entour  du  Géant  coume  des  petits  poulets,  tout 
petits,  courront  en  transports  sous  les  ailes  de  leus  mère 
poule  couisse  quante  aile  les  appelle  quête!  quête!  quête! 
quête!  Il  avont  demandé,  tout  de  suite,  à  Gargantua,  cou- 
men'  allait  son  pourtement!  Ça  va  ben,  qu'il  a  repounu  le 
Géant,  et  vous  autres  ?  Ça  va  ben,  nous  autres,  qu'ils  avont 
repounu  aussi  tertous  à  la  foés,  coume  un  seul  houme  ! 

Veoulez  t'i  boire  un  bon  petit  coup  de  vin  blanc,  en  man- 
geant une  soupe  frite,  bon  grand  Gargantua,  qu'ils  avont 
demandé,  ceus  braves  Vallounais?  Je  veus  ben,  mes  bons 
amis,  qu'il  a  repounu,  le  bon  Géant. 

Beuvons!  beuvons  !  beuvons!  qu'il  avont  querié  tout 
d'une  vois,  et  i  sont  partis  tous  d'une  flotte,  marchant  au 
pas  redoublé,  délicottement  joué  par  les  trente  musettes 
que  remplissaint  de  joie  divine  toute  la  grandesse  des 
Vallons. 

Ceti  départiment  là,  s'était  pourté  au  port  pour  vuider 
queuquez'uns  de  ceus  batiaus  et  bachaus  qu'attendaint 
la  venue  du  Géant. 

Cependant  qu'on  fasait  frire  la  soupe,  Gargantua  a  beu, 
à  soé  tout  seul,  trente  et  cinq  pièces  de  bon  vin  blanc,  juste 
la  conte-nance  de  la  cuve  carrée  de  Saint-Caprais  qu'a  faite 
mon  .grand  père  Regnaud.  Au  moument  qui  venait  de 
lamper  la  dernière  de  ses  trente  et  cinq  pièces,  y  est  venu 
par  devant  li,  un  marinier  d'Urçay.  Ce  marinier,  montrant 
au  Géant  un  genti  petit  bâri  qu'il  avait  appourté  dessu'  son 
batiau  et  pousé  su  le  port,  il  a  dit  :  Seigneur  Gargantua! 
voyez  ce  petit  bâri  :  il  est  plein  de  vin  blanc  de  premier 
clous  de  terroé  et  de  première  main  de  vigneron.  C'est  in 
ancien  d'Urçay,  que  tire  ce  vin  d'une  vigne  qu'il  a  le  long 
de  la  coûte  du  Cher,  en  dévalant  à  main  gauche. 

Une  vigne^choisie  et  faite  properment  à  ce  point  qu'on 


NOS    GEANTS   D AUTERFOES.  4I 

vourrai'  y  demeurer,  tant  on  se  sent  à  Taise  dans  ce  petit 
clous. 

Ceti  ancien,  houme  du  Païs,  mais  pas  riche,  à  peine 
aisant,  se  fait  ainder,  dans  les  ouvrages  de  sa  mainson  et 
de  sa  vigne,  par  une  vieille  voisine  pas  trop  riche  non  mais, 
elle  itou,  et  i'  li  donne,  le  viens  vigneron,  empour  soune 
ainde  à  sa  vieille  voisine,  des  apports  de  son  petit  Bien. 

Ce  bâri  de  premier  vin  est  un  de  ceus  apports,  et  la 
bonne  vieille  vous  l'envoyé  pour  vous  faire  plaisir  d'abord. 
Seigneur  Gargantua,  et  itou  pour  vous  aminiauder,  je 
vous  avartis!  La  bonne  vieille,  m'a  ben  ençargé  de  vous 
faire  assaveoir  que  sa  petite  grange  a  brûlé  par  le  feu  du 
ciel,  y  a  deus  mois,  et  aile  vous  fait  perière,  par  ma 
bouche,  de  l'arlever,  sa  petite  grange,  en  passant  à  Urçay, 
pour  vous  en  aller  au  Berri  coume  c'est  voûter  ordon  à  ce 
qu'aile  a  ouï-dire  et  moé  itou.  Voûter  si  tant  grande  bonté, 
à  l'aveur  du  petit  monde,  l'a  encouragée,  la  poure  vieille 
fumelle,  à  vous  faire  dire  comben  vous  li  douneraint  de 
ben-aiseté  en  li  armégeant  son  petit  bâtiment  à  voûter  pas- 
sage cheus  nous. 

Gargantua  a  repounu  au  marinier  d'Urçay  :  Mon  brave 
houme.  Je  vous  remarci  de  m'aveoir  appourté  quasi  dévo- 
tieusement,  le  genti  petit  bâri  plein  de  bon  vin  que  je  vons 
boire  à  la  ronde,  à  la  santé  de  la  bonne  mère  famé  et  du 
bon  père  houme  de  vigneron  qu'avont  l'air,  si  ben  l'un 
que  l'autre,  d'être  de  la  bonne  chuche  de  monde. 

Vous  ranmenerez  le  bâri  vuide  su  voûter  batiau,  et,  en 
remarciant  la  bonne  famé  en  poure  moé,  vous  li  direz  que 
je  vas,  sans  faute,  arlever  sa  petite  grange,  peut  être  à  ce 
soir,  ou  demain  matin,  immanquabelment.  Seurement, 
dites  li  ben,  à  la  poure  vieille,  qu'aile  se  mette  point  en 
peine  pour  me  lester. 


J'ai  point  souvenance,  mes  bons  amis,  si  je  vous  ai  jà 
dit,  que  nos  grands  Géants  d'auterfoés,  pernaint  ren  en 


42 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


retour  des  sarvices  qu'i  rendaint,  pour  Dieu,  aus  poures^ 
Si  je  vous  l'ai  dit  jà,  je  vous  le  di  encore  à  seule  fin  de  bra- 
vement engraver,  en  la  gibarne  de  voûter  mémoire,  cetelle 
belle  vartu  de  ceus  glorieus  sarvants  de  la  justice  et  des 
grâces  divines,  que  compâtissaint  aus  douleurs  et  malheurs 
des  petites  genss,  quante  i'  peuvaint  pas  les  artirer  de  la 
mauvaise  passe.  Faut  dire,  pour  le  juste,  que  partout  et 
en  tout  i'  trouvaint  à  leus  profisse  les  utis,  les  materiaus, 
au  besoin  les  armes  que  leus  y  fallait  pour  mener  à  bonne 
fin  leus  grandes  œuvres,  leus  bonnes  œuvres  et  leus  bons 
esploits  contre  les  maléfices  du  Diâbe. 

r  n'avaint  point  d'argent  en  monnaie  dans  leus  poches, 
mais  ça  leus  pourtait  nullement  faute,  dans  les  temps  que 
les  apports  naturels,  les  grâces  et  les  beautés  de  nouter 
belle  Terre  étaint  prisés  coume  les  véritabes  trésors  du 
Monde. 

Le  moument  qu'on  voyait  Gargantua 
manger  la  soupe  frite. 

On  avait  fait  une  trempée  copieuse  de  boune  soupe  frite 
à  l'ognon,  et  le  bon  Géant,  que  sentait  le  bon  fumé  mon- 
tant de  l'ognon  frit,  faisait  quiaper  son  palais  en  chan- 
tonnant et  en  riant  de  bon  cœur  : 

J'aime  la  soupe  frite  à  l'huile, 
Friton,  fritaine,  frite  à  l'ognon, 
J'aime  la  soupe  frite  à  l'huile, 
Dan'  un  poêlon  quant  il  est  bon. 

Après  aveoir  mangé  huit  pleins  mortiers  de  cetelle  soupe 
frite  qu'il  a  trouvée  boune,  le  bon  Gargantua  a  ben  veoulu, 
coume  ça  au  matin,  croustiller  une  dizaine  de  pleines 
resses^  affaîtées  de  jolis  poissons  frits  arié  à  l'huile  et  risso- 
lés à  point,  dans  le  fin  goût  de  nos  usages.  Seurement,  icelle 
friture  rissolée  à  point,  après  la  soupe  frite,  ça  li  a  donné 

1.  Pauvres. 

2.  Grand  panier,  porté  par  deux  personnes. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  43 

la  pépie  au  Géant,  et  c'était  pas  du  lustre  de  li  appourter,  en 
grand'  deligence,  à  boire!  à  boire!  à  boire!  Il  en  a  vuidé 
trente  pièces  d'une  affilée,  de  bon  vin  blanc,  et,  après  ce 
temp  là,  i  s'est  misa  grignotter  un  chariot  à  baltiauts,  çargé 
en  bombement,  de  bons  gatiaus  feuilletés.  Deus  voiturées 
çargées,  en  ridelles  ^  anvé  guainbardes^,  de  galettes  aus 
prunes  chesses  avont  passé  par  son  corniller,  à  Gargan- 
tua, ainsi  que  quatre  tomberiaus  de  pompiches,  huit  pleins 
vans  de  goueares,  un  mouciau  de  bounes  couronnes  mol- 
leuses,  trois  quatre  meules  de  berrioches  et  une  montagne 
de  myas,  tout  en  beuvant  encore  une  trentaine  de  pièces  de 
bon  vin  rouge  pour  li  faire  sa  boîte,  qu'i  disait  en  riant  et 
chantonnant  : 

Beuvons  un  coup,  point  de  chagrin, 
Après  moesson,  j'aurons  la  vendange. 
Beuvons  un  coup,  point  de  chagrin, 
Après  moesson,  j'aurons  du  bon  vin. 

Après  ce  petit  repas,  le  bon  Géant  se  trouvant  ben  à 
l'aise  de  son  côrp,  il  a  ben  veoulu  chanter  une  belle  chan- 
son que  parle  des  belles  vartus  de  nouter  Terre,  des  belles 
œuvres  du  Bon  Dieu  et  des  beaus  ouvrages  de  la  main  de 
l'homme  franc  artisan.  Il  a  veoulu,  dans  son  tout  petit 
verre,  que  tenait,  paraît,  dix  pintes,  varser  le  vin  du  bâri 
à  la  vieille  veuve  d'Urçay. 

Et  levant  ce  verre  plein  au-dessus  de  ses  œils,  en  face  le 
grand  Soulé,  que  dardelait  ses  clairtés  jiglantes  anprès  la 
fine  collerette  de  parles  que  parait  le  bord  du  verre,  Gar- 
gantua a  dit  :  je  veus  boire  à  la  santé  de  la  vieille  veuve 
d'Urçay,  de  son  voisin  le  bon  vigneron,  de  toutes  les 
petites  genss  honnête,  à  vous  tous  mes  braves  et  bons 
amis.  Et  toute  la  foulée  a  répounu  :  vive  Gargantua! 
vive  Gargantua  !  vive  Gargantua  ! 


1.  Claies  formant  les  côtés  de  la  voiture. 

2.  Claies  formant  le  devant  et  le  derrière  de  la  voiture. 


44 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


J'ai  pas  besoin  de  vous  dire  que  tout  un  chacun  des 
Vallounais,  qu'étaint  à  tenir  compagnie  au  Géant,  a  trouvé 
à  son  goût  cetelle  santé  pourtée  au  petit  monde.  C'était 
vraiment,  d'ailleur,  une  ben-aiseté  saine,  franche,  que 
tout  chacun  tenait  en  soé  mesme. 

C'était  plaisir  de  paradis  à  veoir  une  coumunauté,  une 
paroisse,  fasant  une  famille  hureuse,  de  veoir  clair  et  glo- 
rieuse d'être  en  franchise  et  quitte,  à  l'aveur  des  forces  et 
des  puissances  qu'étaint  au  dessus  d'icelle,  dans  le  royaume 
de  la  France  et  dans  l'Empire  de  Dieu. 


Des  chanteurs  avaint  repounu  au  Géant,  et  on  parlait  de 
contuiner  à  boire,  mais  Gargantua  a  dit  de  sa  grande  vois 
de  coumandement  : 

En  avant  les  musettes,  vés  le  clocher! 

Et  toute  l'assemblée,  suivant  le  grand  Géant,  est  remon- 
tée sus  la  grand'place  de  la  ville,  au  son  des  trente  corne- 
muses jouant  la  grande  marche  des  gâs  de  Vallon,  qu'a  été 
jouée  dans  nouter  contrée,  dans  les  trois  Païs,  du  depuis 
ce  temp  là.  Le  grand  Gaumier  d'Aumery,  Morentin 
d'Igrande,  Fontarabier  de  Cerilly,  Constant  de  Mornay, 
la  jouaint  divinement,  aussi  ben  Compagnon  de  Nevers, 
Pardrigeaut  de  S'-Amand,  et  Blanchard  de  Sancoins. 

Les  adieus  du  Géant. 

Dès  quante  la  chioulée  de  monde  a  été  bravement 
rassemblée  sur  la  grand'place,  à  l'entour  de  Gargantua,  i 
s'est  pourté  vés  le  beau  clocher,  il  a  touché  de  sa  main 
cetelle  œuvre  sans  pareille  et  il  a  dit  : 

Vallounais,  grands  et  petits,  riches  et  gueus,  anciens, 
viens  et  jeunes,  vous  êtes  du  bon  monde,  du  brave 
monde.  .Te  sens  content  de  vous  !  Etes-vous  toujours  con- 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  45 

tent  de  moé?  Vive  Gargantua,  vive  Gargantua!  vive  Gar- 
gantua! qu'ils  avont  repounu  tertous. 

Mes  bons  àmis,  mes  chérs  amis,  qu'il  a  dit  le  bon 
Géant  :  Je  met  enter  vos  mains,  ce  clocher  qu'est  d'une 
boune  venue  et  que  vous  fera  houneur. 

Arcoumandez  à  vos  enfants,  que  le  diront  à  leus  enfants, 
à  leus  petits  enfants,  de  toujours  prenre  soins  de  cetelle 
œuvre  là. 

Ne  manquez  point,  non  mais,  de  dire  et  redire  que  les 
biaus  ouvrages,  de  la  main  de  l'homme  d'état  artisan, 
vcnont  des  belles  œuvres  du  Grand  Dieu,  puissant  Créia- 
teur  et  Maître  souverain  des  chouses  de  la  Terre,  du 
Ciel  et  du  Soulé.  Soyez  toujour  soigneus  et  bons  ména- 
gers de  la  Terre  qu'est  nouter  mère  deus  foés.  C'est  de 
son  côrp  que  je  tenons  nouter  côrp,  c'est  de  soun  âme  que 
je  tenons  noutre  âme  que  le  Soulé  rachaufîe,  que  le  Soulé 
éclaire. 

Ménageons!  Ménageons!  et  soignons  la  Terre  qu'est 
nouter  Mère  Nourisse  à  tous  et  que  nous  parmet  de  faire 
les  belles  poêlée,  après  aveoir  bâti  nos  mainsons  familières 
d'artisans,  les  forts  chatiaus  de  nos  seigneurs,  nos  clo- 
chers et  nos  églises  qu'arpresentont  les  mainsons  du  Bon 
Dieu,  les  mainsons  de  nos  Coumunautés,  les  mainsons  de 
nos  Paroisses,  les  mainsons  du  Peuple  ! 

A  persent,  mes  bons  amis,  je  vas  vous  souhaiter,  à  tous, 
un  bon  pourtement  et  je  vas  m'en  aller  au  Berri. 

Ce  disant,  il  a  pris  son  grous  martiau  par  le  manche, 
qu'étai'  un  châgne  modarne  centenaire.  I'  l'a  faitvirouner 
entour  de  sa  tête,  ce  martiau,  que  pesait  peut  être  pus  que 
deux  mille  livres,  coume  je  ferais  moé  anvé  une  petite  ma- 
luche'  de  tonnelier  à  faire  avenir  les  douelles  de  fond,  et 
i'  l'a  jitée,  cetelle  eplette,  sus  le  Berri  !  On  l'a  entendue  viou- 
ner^  longtemp,  après  l'aveoir  pardue  de  vue.  Et  il  a  dit 
Gargantua  :  Là  où  que  ce  martiau  va  tumber,  j'y  bâtirai 


1.  Très  petit  maillet  emmanché  d'osier  souple. 

2.  Ronfler. 


46  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

un  clocher  dans  le  modèle  de  celi  que  vous  douneicitantde 
joie,  mes  bons  amis.  Il  a  salué  le  monde  de  Vallon  encore 
une  foés  et  i  s'est  départi  su  Urçay  pour  arlever,  en  pas- 
sant, et  a  n'un  coup,  la  petite  grange  de  la  poure  vieille 
veuve  que  li  avait  envoyé  le  genti  petit  bâri  de  vin  blanc. 
La  grand'foulée  de  monde  est  restée  toute  jugée',  toute 
biblée^,  tumbant  en  vanigotterie^  de  veoir  en  aller  le  bon 
Géant,  que  les  avait  tant  et  si  ben  tenus  resouts,  pour  tout 
et  en  toutes  chouses  de  la  vie  du  Monde,  le  temp  qu'il  avait 
été  anvé  z'eus.  Semblait  qu'i  tenait  auprès  li  de  l'eumant 
que  hâpait  ce  foésounement  de  cretiens  et,  de  fait,  la  chiou- 
lée  a  suivu  le  Géant  à  une  pourtée  d'arbalète. 

Coumetit  Gargantua  ai'leva  la  petite  grange  de  la  poure 
vieille  veuve  et  coument  il  fit  les  entounâilles  du  poure 
vie  us  vigneron,  voisin  de  la  vieille. 

Arrivé  à  Urçay,  le  bon  Géant  s'est  fait  montrer  la  grange 
brûlée  de  la  vieille  veuve.  Aseurément,  i  n'a  point  trouvé  de 
materiaus  là  tout  prêts  pour  se  sarvir  et  les  voisins,  un  peu 
affaubertis''  d'abord,  en  voyant  le  Géant,  ne  songeaint 
point  à  li  montrer  les  êtres  de  la  coumune. 

En  regardant  les  chemins,  les  coins,  les  carres  et  les 
rabicoins,  aus  alentours  de  la  mainson  de  la  veuve,  il  a 
parçu  in  entoisement  de  moellon.  I  n'en  a  fait  ni  une,  ni 
deus,  i'  s'est  mi  auprès  ceti  entoisement  en  queriant  :  c'est 
pour  la  veuve!  et  il  a  empourté  dans  son  tabelier  ce  que  li 
fallait  pour  ses  ouvartures,  pasque  les  viens  murs  démolis 
peuvaint  sarvir  pour  les  remplages.  En  allant  à  cens  moel- 
lons, il  avait  vu  un  trou  de  chaus  émortie,  et  pas  loin  de  là 
où  était  la  chaus,  y  avait  un  biau  tas  de  sable  du  Cher. 

Il  a  pris  de  la  chaus,  du  sable,  ça  que  li  fallait  pour  le 
besoin  de  soun  ouvrage  en  queriant  :  c'est  pour  la  veuve  ! 
Parsoune  li  a  ren  dit,  li  non  mais  n'a  ren  dit  à  parsoune 

1.  Etonnée. 

2.  Plus  qu'étonnée. 

3.  Guenilles.  ■■''    ■       •     <    1       '"li;.  .'    ■  .1 

4.  Stupéfaits,  démoralisés,  anéantis. 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES.  47 

auterment  que  de  querier  coume  je  ven  de  le  redire  et, 
après  aveoir,  en  un  tour  de  mains,  débleyé  les  vieus  murs 
abîmés  par  le  feu,  il  a  évu  rebâti,  à  neu,  ceus  murs,  pres- 
tement et  dans  le  goût  et  la  comodité  que  fallait  pour 
l'usance  de  ce  petit  bâtiment. 

Le  Géant  sus  le  port  d'Urçay. 

Le  port  d'Urçay,  coume  je  l'ai  jà  dit,  tenait  en  ceus 
temp  là  toutes  maignières  de  belles  charpentes,  des  mai- 
rins,  des  fer  au  bois,  des  poteries  de  grès,  des  poteries  de 
terre  noire,  des  poteries  de  terre  rouge,  des  vaisselles  de 
bois  de  toute  beauté,  des  tuiles  de  premier  chois. 

Y  avait  itou  des  bardiaus^  de  toutes  vacations,  des  tuiles 
en  formance  de  faîtière  qu'on  dit  être  d'une  ancienneté 
si  grande  que  les  bardiaus.  On  voit  de  ceus  tuiles  en 
formance  de  faîtière  empleyées  pour  des  couvartures 
d'églises. 

Ça  conven  ben  pour  les  églises,  ceus  tuiles,  mais,  à  moun 
idée,  ça  paraît  moins  bon  et  moins  biau  pour  nos  petits 
bâtiments  de  famille,  que  nos  petites  tuiles  plattes,  que 
fasont  des  toits  si  gentis  quasiment  que  nos  couvartures  à 
pailles  courtes.  Y  a  ren  au  dessus  de  la  bonne  paille  courte 
pour  crouvir  une  mainson  de  petit,  mesme  de  moyen  paï- 
san.  Une  belle  couvarture  à  paille  courte,  ça  fait  pour  la 
mainson,  ce  que  la  bonne  limouzine  fait  pour  le  païsan,  ça 
crouve,  ça  enlupe  bravement.  Onpeut  dormir  à  l'aise  dans 
un  guernier,  crouvi  en  paille  courte,  anvé  les  jâgnes  bou- 
chées, si  ben  l'hiver  par  les  pus  grand'ferdures  que  l'été 
par  les  fortes  chaleurs. 

Des  quante  le  bon  blé,  bellement  van-né,  est  dans  les 
boutasses^,  rangées  coume  des  militaires;  que  les  pois  et 
les  fèves,  dans  les  gousses,  sons  pendlées  en  bottes,  sous 
la  faîtière,  ainssi  que  les  biaus  ognons  arié  en  bottes 
pendlées  emmi  les  boutrolles^  ans  prunes  chesses  et  aus 

1.  Bois  taillés  en  forme  de  tuiles  pour  les  toitures. 

2.  Récipients  en  paille  tressée. 

3.  Paniers  ronds  en  osier  ou  coudrier. 


48  NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

daguenelles,  le  païsan  peut  veoir  venir  les  frimas.  Et 
quante  la  neige  est  sus  le  eu  du  four,  li,  devant  son  feu  de 
bois  flambant,  i'  peu,  à  l'aise  de  son  côrp,  chapotter  ses 
manches  d'éplettes,  rempailler  ses  chaises,  faire  ses  resses 
et  ses  paniers,  regarder  et  van-ner  ses  petites  graines,  ins- 
truire ses  enfants,  bicher  sa  famé  au  besoin,  si  le  mou- 
ment  est  propice. 

J'ai  point  veoulu,  entendez  ben,  baufuter  les  couvartures 
à  tuiles,  au  contraire,  je  trouve  gentes  les  couvartures  à 
tuiles  plattes.  Anvé  ceus  pigeons  en  mortier  qu'étanchont 
les  joints  des  faîtières,  on  dirait  des  petits  an-nimaus 
vivants  que  marchont  su  le  fait  des  bâtiments  et  sus  les 
murs  enfroumant  les  parcs  et  les  jardins  de  nos  grous 
chatiaus,  de  nos  domaines,  et  mesme  de  nos  mainsons 
plaisantes  '. 

On  peut  pas  dire  comben  ça  donne  de  l'agrément  aus 
couvartures  des  mainsons  plaisantes,  des  grous  chatiaus 
et  mesme  des  églises  de  nos  Pais,  ceus  petites  tuiles  plattes. 
Et  je  me  sens  demandé  souvent  d'à  cause  qu'on  avait  évu 
l'idée  d'empleyer  l'ardoise  que  fait  mal  aus  dents  si  ben 
c'est  aigre,  et  ça  donne  la  ferdure  aus  œils,  mesme  en 
plein  été.  Pour  ben  dire  c'est  gelant  l'hiver  et  brûlant  l'été. 


Don,  Gargantua  a)^ant  monté  les  murs  de  la  petite 
grange  à  la  veuve,  i'  c'est  départi,  résout,  sus  le  port  d'Ur- 
çay  à  fine  fin  de  prenre  ça  que  li  fallait  de  charpente  pour 
derser  la  petite  farme,  et  les  tuiles  et  les  faitières  pour 
la  couvarture  de  cetelle  petite  grange,  toujours  en  que- 
riant  :  c'est  pour  la  veuve  ! 

Après  aveoir  fait,  à  virer  la  main,  sa  petite  épure,  il  a 
coupé  dessus  ses  charpentes,  i'  les  a  levé,  i'  les  a  chevillé, 
i'  les  a  moisé.  En  suite,  i  s'est  mis  tranquillement  à  latter, 
en  chantonnant  les  branles  et  les   bourrées   qu'il   avait 

I.  Maisons  de  plaisance. 


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jotfc(Vriinos  bÇî    -ft.#s  -?  (.  'I t .  i 

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NOS    GÉANTS   D  AUTERFOES.  49 

entendu  jouer  si  bellement  par  les  trente  musettes  à  la  poê- 
lée de  Vallon. 

On  était  venu  l'argarder  faire,  les  marchands  de  bois, 
de  tuiles  et  les  auters  marchands,  qu'étaint  en  cens  temps 
là,  point  des  grous  Mon-sieus  coume  à  persent,  mais  des. 
petits  sieus,  et  i'  n'avont  ren  dit  à  Gargantua.  Li  a  con- 
tuiné  soun  ouvrage,  sans  ren  dire  à  personne,  non  mais. 

Dès  quante  il  a  évu  fini  de  latter  sa  charpente,  il  a  pris 
de  ceus  petites  tuiles  plattes  si  gentes  et  il  a  crouvi  d'un 
bout  à  l'auter,  sa  pente  de  galarne.  Après,  il  a  crouvi  la 
jolie  petite  lucarne  en  formence  de  petit  auvent  pernant 
le  soulé  levant  et  ménagée  pour  le  sarvice  du  petit  châf- 
faus.  En  suivant,  il  a  crouvi  toute  sa  pente  de  soulère.  Il 
a  placé  tout  de  suite  ses  faîtières,  et,  après  ce  temps  là,  il 
à  été  quérir  de  l'iaue,  de  la  chaus,  du  biau  sable  du  Cher, 
et  il  a  fait  une  petite  boulayée  de  mortier  fin  qu'il  a  mis 
dans  son  petit  siau.  Il  a  pourté  son  petit  siau  vés  son  toit, 
il  a  pris  sa  petite  trouelle  et  i'  s'est  mi  gentement  à  faire 
ses  petits  pigeons,  en  chantonnant  toujours  les  branles  et 
les  bourrées  qu'il  avai'  entendu  à  la  poêlée  de  Vallon. 


Le  moument  qiCon  voit  les  libartins\  les  lictins-Jîsolofes- 
et  les  maignants^,  empoiissant  le  Peuple  conter  le  bon 
Géant. 

A  ce  moument  là,  que  le  grand  Gargantua  fasait  ses 
petits  pigeons  aus  faîtières  de  la  couvarture  à  la  grange  de 
la  vieille  veuve,  y  avait  à  Urçay  quasiment  une  si  grande 
chioulée  de  monde  qu'à  la  poêlée  de  Vallon. 

Il  avait  ben  arcoumandé  aus  Vallounais  de  ne  point  se 

1.  Esprits  pervers  qui  cherchent  des  jouissances  et  même  de  la 
gloire,  en  évitant  les  responsabilités  et  les  charges  que  commande 
le  sentiment  du  devoir. 

2.  Sophistes. 

3.  Chemineau,  demi-mendiant,  demi-sorcier,  flatteur,  trigaud, 
dont  il  faut  se  défier  comme  de  la  peste. 

4 


5o  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

détorber  de  leus  ouvrages  journalières  pour  le  suire  à 
Urçay,  mais  vous  savez  trop  ben  que  le  monde  est 
curieus!  Faut  dire,  pour  être  juste,  qu'après  un  festin 
sans  pareil,  cens  genss  étaint  ben  aise  de  flan-ner  un  peu, 
surtout  qu'à  la  saison  que  c'était  les  grand'ouvrages  des 
champs  étaint  finis.  En  campagne,  y  a  toujours  un  relais, 
une  armission  après  les  semailles  et  les  entounâilles. 

La  foulée  de  monde  avait  don  suivu  Gargantua  à 
queuques  centaines  de  toises,  faisant  suire  les  restes  de 
la  poêlée  enpilés  dans  les  chariots,  chartes,  tomberiaus 
et  itou  dans  les  batiaus,  bachaus  et  mesme  dans  les  yoles 
que  baissaint  sus  le  Cher.  Les  trente  cornemuses  jouaint 
de  mais  belle  que  c'en  ressounait  tout  partout  dans  les 
vallons,  su  le  faît  des  coullines  ou  dans  les  grands  bois 
jusqu'à  la  Forêt  de  Tronçay,  à  ce  que  dit  le  plemeus  de 
brères.  Y  avait  dans  la  contrée  tout  in  ébranlement  de  peu- 
pel  pour  veoir  de  près  le  grand  Gargantua,  qu'avait  bâti 
son  clocher  de  Vallon  ben  tranquillement,  vaut  tant  dire, 
sans  faire  causer  le  monde  aucunement. 

Y  avait,  sus  le  port  d'Urçay,  applotée  coume  arengs  en 
catillon,  une  foulée!  une  foulée!...,  le  bourg  était  plein 
satté,  les  environs  encanchés  à  telle  fin  qu'une  épingue 
jitée  sus  cetelle  chioulée  de  monde  n'aurait  point  tumbé 
à  terre  çartainement. 

Jusque  là,  le  bon  Géant  n'avait  point  évu  à  craindre  les 
dérangements  pour  mener  à  boune  fin  soun  ordon,  seure- 
ment,  voyant  ce  cecle  de  monde,  entour  li,  de  mais  en 
mais  foulé,  satté,  se  froument  envé  enserre,  il  a  évu  crainte 
d'accidents  mortel  pour  les  genss  et  de  doumaiges  à  l'aveur 
des  matériaux  marchands,  abondants  sus  le  port. 

Faut  dire  qu'en  suss  des  millers,  de  millons  de  parois- 
siens et  paroissiennes  venus  de  tous  les  coûtés  envi- 
ronnants pour  glorifier  le  Géant,  y  avait,  dans  la  foulée, 
qu'on  avait  janmais  vu  si  telle,  en  ceus  adrets  là  ben  sûr, 
toutes  vacations  de  passagers \  courandiers-,  libartins, 

1.  Marchands  forains  ou  bastiers,  lesquels  vendaient  de  la  mar- 
chandise de  mauvais  aloi. 

2.  Esprits  errants,  déséquilibres,  vivant  de  raccrocs  et  de  maléfices. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  5i 


bambocheurs^  caterres^,  patarins^  riscatout,  roulants'', 
maignants,  terbouleurs^  voleurs,  démolisseurs,  toute  la 
ganivelle  du  cinq  cent  dix  mil  diàbe! 

Et  les  chefs,  de  ceus  bandes  malfaisantes,  étaint  venus 
à  l'esprès  pour  asseyer  d'empousser  le  peuple  contre  le 
Géant  si  bon,  si  généreus,  si  capabe,  si  fort  et  si  prime, 
que  geinnait  les  manigances  de  ceus  mauvais  esprits  pos- 
sédés des  vices  du  viens  infâme  Georgeon,  et  de  la  malice 
du  grand  Satan  incarné,  père  de  tous  les  diâbes  d'enfer. 

Y  avait  là,  soi-disant,  de  ceus  malins  qu'avaint  point 
vu  encore  Gargantua  à  l'œuvre,  au  pied  du  mur,  coume 
on  dit  cheus  nous,  et  i'  se  gausaint  du  Géant  en  queriant 
tout  fort,  d'à  cause  qu'i  pardait  son  temps  à  crouvir  son 
toit  et  faire  ses  pigeons^,  puisque  forcément,  i' serait  obligé 


1.  Esprits  charmeurs  et  confus  n'ayant  point  d'autre  morale  que 
de  profiter  des  occasions  pour  s'amuser  ou  s'enrichir. 

2.  Nomades  exploiteurs  venus  des  déserts. 

3.  Cousin  germain  du  «  caterre  »  porte  en  soi  le  gotât  d'exploita- 
tion et  l'astuce  du  destructeur. 

4.  Qui  porte  aussi  le  titre  de  compagnon  passant,  espèce  de  désé- 
quilibré point  méchant  de  soi-même,  mais  facile  à  entraîner  dans 
les  plus  détestables  aventures. 

5.  Correspond  à  chambardeur,  révolutionnaire. 

6.  Ce  n'est  pas  arbitrairement  ni  par  fantaisie  que  Gargantua  est 
ici  représenté  montant  de  toutes  pièces  son  toit  par  terre,  avant  de 
le  poser  sur  les  murs. 

Notre  grand  art  de  la  charpente,  pratiqué  admirablement  par  nos 
ancêtres  de  la  Gaule  celtique  et  de  la  Gaule  française,  était  utilisé 
pour  toutes  sortes  de  bâtiments  publics  et  familiers.  Les  fortifications 
d'Avarie  (Bourges)  ont  été  appréciées  dans  les  Commentaires  de 
César.  On  voit  encore  à  Bourges  nombre  de  maisons  carcassées  en 
bois,  dont  la  solidité  éprouvée  ne  le  cède  en  rien  à.  la  beauté  des 
formes  en  harmonie  avec  le  milieu.  En  grande  majeure  partie,  nos 
maisons  des  villes  et  des  bourgs  étaient  donc  carcassées  en  bois. 
La  maçonnerie,  en  pisé  au  temps  de  la  Gaule  celtique,  plutôt  en 
mortier  à  notre  époque  médiévale,  constituait  les  remplages  et  se 
faisait  naturellement  une  fois  la  charpente  posée.  L'inversion  que 
l'on  remarque  dans  le  récit  du  père  Baffier  peut  être  un  sacrifice 
au  mode  de  bâtir  adopté  chez  nous  depuis  des  siècles. 

L'intérêt  dominant  était  de  voir  cette  œuvre  entre  les  deux  mains 
du  Géant,  pour  l'effet  saisissant  de  sa  démonstration  de  force  calme 
et  précautionneuse,  de  sa  finesse  de  charpentier,  d'habile  couvreur 
à  tuiles  plates,  après  s'être  montré  noble  maçon  et  grand  tailleur  de 


52  NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

de  démonter  sa  charpente  pour  la  mettre  au  levage,  je 
veus  dire,  la  pouser  sus  les  murs  de  la  grange,  brun  par 
brun.  Comben  t'i  de  sornettes  bêtasses,  mais  fricoté  à  la 
malice  du  diâbe,  par  ceus  esprits  mauvais,  venaint  de 
mais,  en  mais  fort  aus  oreilles  de  Gargantua.  Et,  chan- 
tonnant toujours  ses  branles  et  ses  bourrées,  en  rafinant 
les  petits  pigeons  en  mortier  de  sa  faîtière,  i'  ne  pardait 
point  de  vue  le  mènement  de  la  troupe  d'abattleus,  pas- 
sagers, enterperneurs  de  détruicion  que  voulaint  le  désou- 
trer,  lui,  Gargantua,  simpelment!  Et  de  sa  fine  oreille,  le 
bon  Géant  entendait  ben  que  les  propos  débâtardis  de 
ceus  infâmes  malfaisants  coumençaint  à  panêtrer  dans 
l'esprit  de  la  chioulée  de  monde  que  joutait  ceus  monstres. 

Sans  faire  semblant  de  ren,  i'  songeait  en  soi-mesme,  à 
ce  qu'il  a  dit  après,  que  si  il  avait  laissé  chapitrer  ceus 
possédés  de  l'enfer,  en  un  ren  de  temp,  la  foulée  de  peuple, 
maleficiée  par  ceus  sarvants  du  diâbe,  aurait  querier  :  à 
bas  Gargantua! 

Seurement,  il  avait  l'oreille  fine  et  l'œil  vif  le  grand 
Géant.  Tout  en  parant  son  biau  petit  toit  bounement,  i  ne 
pardait  pas  la  moinder  bertille  des  propos  que  se  disaint 
entour  li,  et  il  attendait  le  moument  de  chois  pour  mettre 
les  pieds  dans  le  plat,  coume  on  dit  cheus  nous,  parce 
que  dans  sa  sagesse,  i  sentait  que  y  avait  pas  moyen  de 
faire  auterment. 

La  foulée,  poussant  pour  approcher  du  grand  ouverier, 
le  cecle  se  serrait  fort,  fort,  et  les  coumis  du  Diâbe  étaint 
au  premiers  rangs  de  la  chioulée.  A  un  moument,  qu'il  en 
a  vu  un  foésounement  enserré  quasiment  vés  soé,  de  ceus 
infâmes  libartins,  le  bon  Géant  a  profité  d'une  grousse 
sornette  qui  queriaint  fort!  fort!  à  son  nez,  en  l'iriniant 
vilainement.  Il  a  répounu,  Gargantua  :  eh  oui  !  eh  oui  !  mes 

pierre  en  édifiant  le  clocher  de  Vallon.  Nous  avons  suivi  le  récit  du 
bon  père  BafBer  qui  affectionnait  particulièrement  l'arlévement  de 
la  petite  grange,  et  surtout,  en  sa  qualité  de  vigneron,  le  fonçage, 
l'arriage  des  poinçons  et  les  entonnailles  du  vin  au  père  Gilbert 
Nicolas,  que  Gargantua  fit  tout  de  suite  après  avoir  bâti  la  grange 
de  la  mère  Babé. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  53 

vieus  queutiauts^  vous  avez  raison  de  dire  que  je  seus  mal 
adret,  seuremeni,  faites  moé  don  le  plaisir  de  vous  auter 
de  mon  chemin,  que  je  vous  accraise  pas  en  passant. 

Ce  disant,  i'  pernait  le  toit  de  la  grange  à  la  vieille 
veuve,  tout  d'une  pièce,  à  ses  deux  mains,  ni  mais,  ni 
moins  coume  le  prêtre  pourte  le  saint  sacrement,  et  i  s'est 
mis  en  deveoir  de  le  pourter  su  les  murs  de  la  grange, 

Coume  vous  pensez  ben,  y  a  évu  une  surprise  pas 
mince,  dans  la  grand'foulée  de  monde,  mais  surtout  cheus 
les  arcandiers^,  mécréants  qu'avont  pardu  contenance  et 
jactance  le  temp  de  faire  ouf!  Quante  je  dis  qu'il  avont 
pardu  contenance  et  jactance,  ceus  propr'à  ren,  c'est  pas 
les  fins  mots.  Vaut  tant  dire  qu'ils  avont  pardu  vent! 

La  foultitude,  qu'avait  jà  coumencé  à  prêter  l'oreille  à 
leus  propos  infarnals,  les  a  encârounés^,  masiblés^,  piat- 
tés^,  et  Gargantua  en  a  accraise  six  à  sept  quarterons  en 
allant  pouser  sa  gente  couvarture  su  les  murs  de  la  petite 
grange,  pimpante  et  plaisante  à  veoir,  et  toute  la  foule  a 
querié  :  vive  Gargantua!  vive  Gargantua!  vive  Gargan- 
tua! trois  foès  fort!  fort!  et  le  nombre  neuf,  au  dire  de  la 
mère  à  Ugène,  et  arié  d'après  l'idée  de  mon  grand  père 
Regnaud,  avait  une  grande  vartu  auterfoès. 

C'était  une  joie!  une  joie!  pus  grande  encore  qu'à  Val- 

*lon,  pour  le  biau  clocher.  On  n'en  revenait  pas,  on  se 

soûlait  pas  d'argarder  la  petite  grange  de  la  vieille  veuve 

d'Urçay,  arlevée  si  prestement  et  si  bellement,  par  le  grand 

Gargantua. 

Toute  cetelle  joie,  malhureusement,  a  été  gâtée  par  le 
fouberyage  qu'a  fallu  faire  de  ceus  calâbres  de  mécréants 
qu'étaint  amiacés  par  terre,  les  tripes  au  vent,  coume  une 
litière  de  sale  marchandise  puante. 

On  a  ramassé  à  n'un  tâs  cetelle  viande  de  mauvais  chiens. 


1.  Bêtas. 

2.  Mauvais  ouvrier. 

3.  Enveloppés. 

4.  Brisés. 

5.  Piétines. 


54  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOES. 

On  a  fait  un  trou  creu;  on  a  encrotté  dedans  le  trou,  pèle 
mêle,  queus  bêches,  ceus  calàbres  de  mauvaises  bêtes  et  on 
a  jité  de  la  chaus  vive  dessus  en  abondance.  L'adret  qu'on 
voit  encore,  à  cetelle  heure,  s'est  appelé  la  fousse  mau- 
dite jusqu'ante  au  moument  du  régime  à  Robespierre,  mais 
janmais,  sou'  aucun  régime,  le  joli  bourg  d'Urçay  a  évu 
à  souffrir  de  ceti  accident.  Aujourd'hui,  le  monde  d'Urçay 
ne  veut  point  entendre  parler  de  cetelle  avinture,  pas  mais 
que  de  la  pierre  du  Géant,  que  Gargantua  a  pousée  à  la  tête 
du  cearcoeur  aus  viens  vigneron,  coume  je  voirons  ben 
tôt,  pace  que  cetelle  pierre  qu'on  voyait  encore,  parait,  y  a 
moins  de  cent  ans,  a  été  mincée  à  petite  pierrailles  pour 
mettre  su'  un  chemin  coumunal,  coume  on  a  fait,  malhu- 
reusement,  quasiment  partout  dans  nouter  contrée'. 

Le  reste  de  la  bande  de  mécréants,  n'a  point  ferdi  sus  le 
champ,  je  vous  en  répond,  et  vous  peuvez  me  craire. 
Cependant  la  fête  a  été  gâtée,  coume  je  l'ai  jà  dis,  par 
l'avinture  coume  ça  arrive  toujours,  en  cas  si  tels. 

Tout  un  chacun,  qu'avait  vu  et  entendu,  coume  les 
chouses  s'étaint  passées,  disait  :  Hé!  là!  Bon  Dieu,...  que 
c'est  t'i  ben  la  pièce  sus  le  trou  que  le  bon  Géant  a  su  mettre 
en  temp  et  heure;  et  on  s'artirait  pour  causera  voix  basse 
de  l'esprit  du  Diâbe  que  desarmera  janmais,  c'est  çartain. 
Y  a  pas  évu  moyen  d'artrouver  la  grande  joie  d'aupara-' 
vaut.  Gargantua  en  était  point  trop  fâché,  pace  que  ça  li 
fasait  une  occasion  de  dire  aus  uns,  aus  autres,  que  faut 
janmais  froumer  les  deus  œils  pour  dormir;  que  ça  fait 
bon  laisser  toujours  une  oreille  ouvarte  pour  entendre  les 
propos  desobligeants  afin  de  se  tenir  en  mesure  de  parer 
le  mal  qu'est  toujours  prêt  à  vous  jaspigner,  quante  i'  ne 
peu  point  vous  débésiller  à  fonds  pardu.  Et  cependant  que 
la  grand  foulée  de  peuple  se  disparsait  à  petits  coups,  le  bon 
Géant  se  rentrait  en  soé  mesme  pour  songer  à  ses  grands 

I.  En  mcme  temps  que  l'on  détruisait  nos  églises,  nos  châteaux 
et  nombre  de  nos  magnifiques  manoirs,  on  détruisait  les  pierres 
levées  et  couchées,  tout  en  saccageant  les  fontaines  qui  avaient,  en 
grande  partie,  des  entourages  en  pierre  d'une  réelle  valeur  d'art. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  55 

ouvrages,  et  l'avinture  que  venait  de  li  advenir  le  bourna- 
geait  comben  t'i  dans  le  fond  et  le  terfonds  de  soun  âme. 
Paraît  qu'il  a  dit  tout  bas,  à  des  genss  qu'étaintà  sa  pro- 
fisse, que  fallait  Janmais  aveoir  une  trop  grand'fiance  au 
jugement  des  agâs  de  foultitude.  Avez  t'i  vu,  mes  amis,  qui 
disait  le  bon  Géant,  un  ren  que  j'aurais  manqué  en  pousant 
ma  couvarture  sus  la  petite  grange,  c'était  la  fin  de  moun 
ordon  et  je  serais  tumbé  à  cetelle  heure  à  cent  pieds  sous 
terre. 


Cependant  que  le  bon  Gargantua  se  laissait  aller  à  des 
songeries  déplaisantes,  mais  comben  t'i  nécessaires,  la 
vieille  veuve  fasait  feu  des  pieds  et  des  mains,  san'  arrê- 
tance,  pour  montrer  sa  joie,  sa  grand'  ben-aiseté  à  tout 
le  monde,  et  au  bon  Géant,  qu'aile  savait  point  coument 
remarcier. 

Mon  bon  Gargantua!  mon  bon  Seigneur!  mon  bon 
Géant!  mon  Bon  Dieu!  et  aile  querriait  de  toutes  ses 
forces,  la  poure  famé,  en  riant  et  en  pleurant  tout  à  la  foés. 
Qui  que  je  vas  don  vous  faire,  pour  vous  remarcier  de  toute 
la  si  tant  grand'  benfaisance  que  vous  avez  évu,  pour  une 
guerdaude  telle  que  je  seus  ?  Vous  devez  aveoir  faim  et  soéf 
comben  t'i,  après  aveoir  tant  travaillé.  Seigneur  !  Seigneur  ! 
que  vous  êtes  don  adret  et  avançant,  hounéte  et  prope 
ouverier  dans  voûter  ouvrage. 

Et  dire  que  c'est  moé,  unepourasse  minabe,  qu'a  l'hou- 
neur  d'aveoir  une  grange  neu'  bâtie  par  le  pus  fin,  le  mais 
prime,  le  mais  franc,  le  pus  fort  des  maîtres  bâtisseurs 
dans  toute  la  France! 

Quoé  don  faire  mon  cher  Sauveur!  mon  cher  Dieu! 
pour  montrer  ma  recounaissance  au  grand  Gargantua?  Si 
j'étais  don  gente,  jolie  et  belle,  je  vourrais  vous  donner 
mon  cœur,  moun  âme  et  tout  moé-mesme!  Si  j'étais  don 
reine,  je  vous  donnerais  mon  royaume  et  mes  atours.  Si 
j'étais  la  Sainte  Viarge,  je  vous  donnerais  ma  place  dans  le 


56  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

paradis  du  Grand  Seigneur  Tout-Puissant.  Je  vourrais  être 
tout  et  je  seus  ren,  misère  de  moé  !  Je  seus  ren  du  tout, 
qu'une  vieille  fumelle  laide.  Seigneur!  que  je  seus  don 
malhureuse  d'être  si  hureuse.  Mon  Dieu  fauti!  Pardon- 
nez moé,  mon  cher  Sauveur  !  Je  deven  folle  de  joie  !  Je  vas 
mourir  de  bounheur!  Je  moure!  je  moure!  de  ben-aiseté 
d'aveoire  ma  petite  grange  si  gente,  bâtie  par  le  grand 
Géant  Gargantua,  le  maître  des  maîtres  bâtisseurs,  le  pre- 
mier dans  toute  la  France,  peut-être  asseurément  ben  de 
toute  l'Erope. 

Et  je  seus  là,  devant  ce  Grand  Seigneur,  ce  Grand  Saint, 
ce  grand  Bon  Dieu  coume  une  vieille  sotte,  une  vieille  ter- 
laude,  une  vieille  berdine,  une  vieille  bête  abarvigiée  '  peu- 
vant  ren  li  donner,  ren  li  dire,  à  ce  Grand  Géant,  pour  li 
marquer  ma  joie,  si  grande!  que  je  vas  en  mourir,  c'est 
çartain.  Mon  bon  Grand  Géant,  faut  que  vous  pernaint 
queuque  petites  chouses  pour  vous  lester.  J'ai  trempé  là,  à 
voûter  aveur,  une  bonne  soupe  grasse,  parceque  je  sais  que 
vous  l'eumez.  Y  a  un  bon  bouilli  et  suparbement  lardé. 
J'ai  fait  roùtir  une  bonne  grousse  oie,  que  j'ai  élevée.  C'est 
de  la  grousse  espèce  de  Saint-Pierre-des-Etieux,  en  Berri. 
Cetelle  espèce  d'oie,  est  arnoumée  dans  toute  la  France.  J'ai 
arié,  fricassé  deus  biaus  poulets  grous,  grous  et  nouris  par 
moé-mesme.  C'est  une  barboille  ^  de  première  main,  que  j'ai 
appris  à  faire  par  un  curé  du  Berri,  à  la  Celle,  là  où  j'étais 
sarvante  au  premiers  temps  que  je  seus  devenue  veuve. 
Veoulez  t'i  que  je  vous  fase  une  bonne  omelette  anvé  les 
bons  œufs  de  mes  poules  neoires  que  vous  voyez  là,  si 
fraîches  pour  la  saison,  anvé  leus  crête  rouge  et  leus  ouilles 
blanches?  Voulez  t'i  boire  du  bon  lait  de  ma  vache, 
eumez  ti  miens  iceli  de  ma  chieuve.  Voulez  ti  les  deus? 
Tout!  cheus  moé,  c'es'  à  vous! 

J'ai  du  bon  pain  frais,  deux  fournées,  que  j'ai  faites  à  ce 
matin,  à  la  pique  du  jour,  esprès  pour  vous.  J'ai  in  auter 

1.  Abrutie. 

2.  C'est  le  plat  le  plus  recherché  dans  la  contrée,  la  barboille. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  5/ 

bâri,  un  bon  grou  bâri!  de  vin  rouge  et  du  fin  bon  que 
vous  allez  parcer  vous  mesme,  coume  vous  avez  fait  pour 
ceus  belles  pièces  là-bâs,  à  Vallon.  Je  sais  ben  que  de  tout  ça, 
y  en  aura  pas,  asseurément,  pour  voûter  dent  creuse,  mais 
Je  vous  en  prie,  bon  Grand  Géant,  mangez!  et  beuvez!  cheus 
moé.  Voyez  tout  ça  qu'est  là  préparé,  c'est  prope  et  net. 
Si  vous  pernez  ren ,  je  crairais  que  je  vous  ai  ropigné 
par  ma  trop  grand'vieillesse.  Ah!  Seigneur!  faut  t'i  que  je 
saye  si  vieille.  Et  dire,  que  si  j'avais  été  là-bâs,*à  Vallon, 
c'est  anvé  moé  que  vous  auraint  dansé  le  branle  et  vous 
m'auraint  bichée.  Seigneur  de  Dieu  !  je  me  serais  trouvée 
mal  de  bounheur.  Cetelle  là  qu'a  dansé  anvé  vous,  je  la 
connais,  aile  est  moins  vieille  que  moé  de  trois  an-nées. 
Tout  le  monde  en  cause  de  voûter  grâce,  de  vos  bontés, 
de  vos  grands  talents,  de  voûter  finesse,  de  voûter  pri- 
meté,  de  voûter  force,  de  voûter  franchise  et  de  voûter  si 
tant  chermante  bounhoumie. 

Ah!  Grand  Géant!  Grand  Seigneur!  Vous  êtes  un  Bon 
Dieu! 

Vous  peuvez  pas  entrer  dans  ma  chetite  mainson,  je  vas 
vous  appourter  ma  grand'terrasse,  voyez  don  là,  su  le  grous 
plot.  J'avais  du  bon  pain  rassis,  pour  couper  ma  soupe, 
voyez,  c'est  tout  prêt!  et  regardez  coume  c'est  prope. 
Tenez,  je  vas  mettre  ma  grand'nappe  en  belle  toile  fine  de 
chauve  filée  par  ma  main  et  tissée  par  le  père  Baraton 
d'Ainay-le- Viens.  Baissez  vous,  je  vous  en  prie,  bon  grand 
Géant,  et  voyez  moun  armoise  garnie  de  biau  linge. 

J'en  avais  jà  en  me  mariant,  mais  j'ai  ben  raugmentée 
anvé  les  petites  épargnes  que  j'ai  rempourtées  de  cheus 
monsieu  le  curé  de  la  Celle.  C'étai'  un  bon  curé  !  Le  pour 
cher  houme  est  mort  saintement  et  je  sens  arvenue  là,  dans 
la  petite  cassine  de  mes  pères,  que  j'ai  tenu  à  consarver. 


Vous  êtes  une  boune  et  brave  famé,  qu'a  dit  Gargan- 
tua. C'est  bien!  c'est  bien!  ma  boune  mère.  Je  sens,  moé, 


58  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

ben  hureus  de  vous  aveoir  rendu  sarvice.  Vous  êtes  con- 
tente! C'est  tout  ce  que  faut!  ma  chère  bonne  maman. 
Allons!  allons!  ne  vous  douiez  point  d'êter  trop  hureuse. 
Vous  ofifenseraint  le  Bon  Dieu  !  Je  vous  ai  fait  dire  par  le 
marinier,  que  m'a  appourté  le  biau  petit  bâri  de  vin  blanc, 
de  voûter  part,  à  Vallon,  que  je  prenrais  ren  cheus  vous, 
que  le  plaisir  de  vous  render  sarvice;  faut  pas  me  con- 
treyer  boune  mère.  Entendez  bien! 

Où  on  voit  Gargantua  arrier  les  poinsons  d'un  poure 
viens  vigneron  malade  et  mourant  de  peur  de  voir 
aigrir  son  vin  dans  sa  cuve,  faute  d'être  entouné. 

Gargantua  avait  rangé  son  fourniment,  ses  éplettes  et  i 
se  mettait  en  deveoir  de  s'en  aller  sus  le  Berri  en  passant 
par  Ainnay-le-Vieus  pour  veoir  le  fort  chatiau.  Mais,  au 
moument  de  faire  ses  adieus  à  la  poure  vieille  mère 
Babé,  que  pleurait  à  chaudes  larmes,  ne  peuvant  point 
s'empêcher  de  se  douler  tout  fort  de  sa  trop  grande  ben-ai- 
seté,  il  a  entendu,  le  bon  Géant,  querier  aus  z'hauts  cris, 
dan'  une  petite  mainson  basse  qu'était  dans  le  fond  d'un 
genti  petit  jardin,  gentement  ménagé,  et  pleins  d'àbres  car- 
gés  de  fruits.  Y  avait  là  itou,  en  ce  petit  jardin  des  treilles 
en  franc  blanc  pourtant  à  çargement,  qu'on  peut  pas 
dire,  de  biaus  rasins  tout  dorés  et  varmeils.  Tout  ce  jar- 
din, paraît,  était  soigné  de  première  main,  prope  et  net, 
et  ordouné  anvé  une  si  telle  percieuseté  que  le  Géant  en  a 
évu  une  flambée  de  plaisir,  en  voyant  ce  ménagement  et 
entertenement  du  Bien-Fonds  qu'est  à  nule  âme,  hormis  à 
Dieu! 

C'était  le  poure  viens  vigneron  don  que  je  vous  ai  jà 
parlé,  qu'était  là  dans  cetelle  petite  mainson  basse,  crouvie 
à  paille  courte,  au  fond  de  ce  biau  petit  jardin,  un  peu  en 
arrié  de  la  cassine  à  la  vieille  Babé. 

Les  âbres  çargés  !  çargés  !  de  fruits  et  encore  feuillous, 
cachaint,  quasiment,  la  petite  mainson  couvarte  à  paille 
courte.  Les  avintures  des  libartins  et  des  caterres  avaint 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  Sq 

fai'  oublier  le  poiirc  hoiime,  et  le  Géant  en  a  été  un  peu 
mortifié,  à  ce  qu'on  a  dit,  pace  que  moé  J'y  ai  pas  vu,  vous 
m'entendez  ben  ! 

En  sourillant,  Gargantua  a  entendu  le  poure  viens  vigne- 
ron que  se  doulait  en  sanglots,  à  fender  l'âme.  Hélâ  !  Hélâ  ! 
Seigneur  faut  t'i!  qu'i  disait  le  poure  viens,  faut  t'i,  mon 
cher  Seigneur!  que  vous  m'eyaint  envoyé  une  si  grande 
aflfligeâtion! 

C'est,  dès  quante  il  a  entendu  l'ebattement  de  la  boune 
mère  famé,  que  queriait  tout  haut  et  fort  son  bounheur, 
que  ceti  houme  a  été  pris  d'un  chagrin  si  tel  et  i  s'est  mis 
à  se  douler  pitieusement. 

Le  bon  Géant  se  penchant  par  sus  les  âbres,  il  a  regardé, 
par  la  croisée  ouvarte,  dans  la  mainson  du  vieus  vigneron 
et  i'  li  a  dit  :  Qu'avez  vous  don  mon  poure  ami?  Hélâ! 
Hélâ!  bon  Géant,  Je  sens  là,  coume  vous  voyez,  en  misère 
et  j'ai  crainte  de  mourir  deus  foés  pour  une'.  Je  peus 
point  bouger  ni  pieds,  ni  mains.  Je  sens  maudit  du  Bon 
Dieu,  j'y  vois  à  persent.  J'ai  pourtant  fait  de  mal  à 
parsoune,  J'en  Jure,  mais  c'empêche  pas  le  mauvais  sort 
d'être  auprès  moé  h  me  carder  le  poil,  à  la  mode  du 
Diâbe.  J'ai  pardu  ma  poure  famé,  et  un  garson  que 
J'avais,  un  bon  sujet,  est  parti  dans  les  îles  du  lointain, 
anvé  le  seigneur  d'Ainnay-le- Vieus,  pour  tirer  le  cearcueur 
de  nouter  Seigneur  Jésus-Christ  des  mains  mécréantes. 
Hélâ  !  Hélâ  !  bon  Géant,  que  Je  seus  don  malhureus  !  Tout 
mon  poure  butin  que  se  perd,  faute  de  pouveoir  y  pourter 
soins. 

J'ai  pu,  à  grand  peine,  retapper  mes  poures  chetits  poin- 
sons,  et  la  vieille  voisine  m'a  eindée  à  faire  ma  petite  ven- 
dange, pace  que  faut  vous  dire,  grand  Gargantua,  que  J'ai 
sus  la  coûte  à  main  gauche,  en  dévalant  le  Cher,  une  gente 

I.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  le  point  d'honneur  était  au  moins 
aussi  vif  chez  l'artisan  des  campagnes  que  chez  l'artisan  des  villes,  et 
nous  avons  vu  un  jeune  boyer  pleurer  de  dépit  de  n'être  pas  reconnu 
par  les  anciens,  premier  de  son  bourg,  comme  constructeur  de  char- 
rois de  foin. 


6o  NOS    GÉANTS    D'AUTERFOÉS. 

petite  vigne,  bravement  ménagée  et  prope  coume  un  sou. 
C'est  du  bon  plant  de  nos  païs,  du  petit  pineau,  du  petit 
moreau,  et  du  franc  blanc,  coume  le  ceu  que  vous  voyez 
là,  si  beau,  anprès  mes  treilles  du  jardin.  C'est  de  ce  bon 
vin  blanc,  de  ma  petite  vigne  de  la  coûte,  que  J'avais  donné 
à  ma  voisine,  en  payement  de  ses  bons  sarvices,  et  qu'aile 
vous  a  envoyé,  dan'  un  biau  petit  bâri,  là  bas  à  Vallon,  par 
le  marinier  Colin,  et  pour  voûter  poêlée  sans  pareille. 

Vous  avez,  ben  sûr,  armarqué  ce  bon  petit  goût  de 
pierre  à  feu  qu'il  a,  mon  vin  blanc  ! 

Et  le  rouge!  que  je  vourrais  don  vous  en  faire  goûter, 
bon  Géant.  C'est  le  fin  des  fins,  de  toute  la  coûte  du  Cher. 
Hélâ  !  Héla  !  faut  t'i  que  je  saye  sus  ce  lit,  coume  un  viens 
carcàs.  Ceti  là  d'à  cetelle  an-née,  mon  vin  rouge,  il  est  dans 
la  cuve  encore.  Je  me  sens  train-né  hier,  vés  cetelle  cuve, 
que  vous  peuvez  veoir  là,  sous  l'auvent  de  mon  ceiller  et, 
par  la  guette,  j'ai  pu  le  goûter,  ce  cher  vin.  Il  est  dur  com- 
ben  t'i,  il  est  en  retard  d'être  antouné.  F  va  devenir 
aigre!  il  est  pardu  mon  vin!  mon  cher  petit  vin!  mon 
bon  petit  vin  genti...  Hélà  !  Hélà!  mon  cher  Seigneur, 
faut  i  que  je  souffre  tant  ! 

Nos  usages  et  nos  coutumes,  veoulont  que  la  moésson  de 
l'houme  en  souffrance  et  maladie  saye  levée  par  la  coumu- 
nauté.  Il  en  est  pareillement  pour  la  vendange  et  les  soins 
du  vin,  mais,  asseurément  à  cetelle  an-née,  qu'est  une  raie 
an-née,  tous  les  vignerons  avont  évu  à  faire  pus  que  de 
raison.  Les  tonneliers  ne  savont  point  là  où  douner  de  la 
tête,  voûter  si  grande  poêlée,  à  Vallon,  a  détorbé  tout  le 
monde  des  environs.  Pendant  tous  ceus  jours,  on  n'a  point 
songé  à  auter  chouses,  qu'à  vous  pourter  dans  la  gloire  et 
c'était  justice  à  vous  rendre,  bon  grand  Géant,  pour  le 
clocher  si  beau,  à  ce  que  j'ai  ouï  dire,  que  vous  avez  bâti, 
là-bâs,  anprès  cetelle  belle  Eglise,  qu'estait  jà  une  râle 
Église. 

Seurément,  c'est  pas  juste  que  mon  vin,  mon  joli  petit 
vin,  aigrisse  dans  la  cuve.  Que  je  moure,  si  c'est  la  volonté 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  6i 

du  Bon  Dieu,  mais  Je  li  demande,  au  grand  Seigneur  tout 
puissant,  de  me  parmettre  d'arrier  '  et  foncer  mes  poinsons 
et  d'entouner  mon  cher  petit  vin. 

Mon  si  joli  petit  vin  clair,  qu'a  si  biau  côrp  à  cetelle 
an-née,  et  si  biau  mantel  couleuré! 

Anvé  sa  si  tant  mignonne  collerette  rose,  pétillante  de 
cent  dix  mille  feus,  garnie  de  parles  fines  et  de  diamants 
suparbes  tout  autour  du  verre,  c'est  coume  un  seigneur 
riche,  paré  pour  une  porcession. 

Oui!  oui!  que  je  mour  deus  foés  pour  une,  mon  Bon 
Dieu  !  mais  après  aveoir  entouné  mon  vin,  mon  petit 
mignon  genti  vin.  Moé,  Gilbert  Nicolas,  mourir  anvé 
mon  vin  aigre  sus  le  cueur...,  y  a  pas  Dieu  possibe  qu'in 
avènement  si  tel  peuche  advenir.  Non,  non,  je  veus  pas 
mourir  en  songeant  que  j'ai  pu,  moé,  Gilbert  Nicolas, 
laisser  aigrir  sus  la  cuve  du  vin  de  ma  vigne,  ma  chère 
petite  vigne  que  j'aime  tant!  Ma  jolie  petite  vigne  si  ben 
ménagée  et  prope  comme  un  sou. 

Allons!  viens  carcâs,  levé  toé!  Levé  toé,  vieille  carne! 
Mais  levé  toé  don,  vieille  carrée!  ho!  ho!  ho!  ho!  Hélà! 
Hélâ!  Je  peus  pas!  Bon  Dieu!  Seigneur  faut  i  que  je 
souffre  tant.  Je  sens  pardu!  Je  sens  mort!  ha!  ha!  ha!  ha! 
Je  peus  pas!  Je  peus  pas!  me  lever.  Je  m'en  vas!  J'y  sens 
ben!  Et  mon  vin,  mon  petit  vin  genti,  mon  cher  petit  vin 
mignon  est  aigre.  Bouah  !  Ça  me  ropigne!  ha!  ha!  ha! 
ha!  ho!  ho!  ho!  ho!  Bon  Dieu!...  C'est  pas  juste!! 

Allons,  allons,  mon  brave  houme,  qu'a  dit  Gargantua, 
ne  vous  désolez  point  tant.  Ne  vous  empourtez  point  sur- 
tout auprès  le  Bon  Dieu.  Y  a  peut  être  moyen  d'arranger 
les  chouses  !  Voyons,  sayez  raisounabe  !  C'est  pas  genti  pour 
une  famé  de  se  douler  si  tellement,  mais  pour  in  houme 
ça  conven  pas  du  tout! 

Ecoutez  don  un  peu,  que  je  vous  dise  :  Avez  vous  des 
cecles  de  poinsons  et  des  ouzières?  Je  vas  vous  les  foncer 
et  les  arrier  à  n'un  coup,  moé,  vos  poinsons,  mon  bon 

I.  Le  liage,  l'attache  du  cercle  avec  l'osier. 


62  NOS    GÉANTS    D  AUTERFOÉS. 

père,  et  je  tirerai  voûter  vin  ben  vitement,  avant  qui  saye 
aigre. 

Vous  allez  ...  vous  allez  foncer  et  arrier  mes  poinçons! 
Vous!  Grand  Géant  Gargantua?...  Hé!...  mais  vous  savez 
don  tout  faire!... 

Vous  êtes  le  grand  Seigneur!  vous  êtes  le  grand  Saint! 
vous  êtes  un  gran  Bon  Dieu!  Ha!  oui!...  oui,  j'en  ai  des 
cecles  et  des  braves!  en  châtaigner,  bon  Géant!  en  châtai- 
gner  de  la  Marche.  C'est  le  roi  des  bois,  le  châtaigner,  pour 
faire  des  cecles  de  poinsons.  J'en  ai  itou  un  lien  de  la  forêt 
de  Meillan.  Vous  trouverez  tout  ça  que  vous  faut,  dans 
mon  petit  ceiller,  que  vous  peuvez  veoir  là,  à  voûter  main 
gauche.  C'est  la  porte  qu'est  là,  sous  le  genti  auvent, 
voyez  t'i,  bon  Géant,  le  genti  auvent  ?  Il  a  été  coupé  par  un 
fin  charpentier,  un  Nicolas  coume  moé,  mon  cousin 
gearmain.  Je  som  enfant  des  deus  frères.  Il  est  defuncté, 
mon  poure  cousin. 

Les  belles  couvartures  à  paille  courte  ^  de  ma  petite 
mainson,  de  mon  petit  ceiller  et  du  genti  petit  auvent 
avont  été  faites,  arié,  par  un  parent,  un  fin  crouveu,  itou 
defuncté,  et  je  seus  le  dernier  des  Nicolas  d'Urçay,  une 
famille  de  bons  artisans  de  cheus  nous,  que  date  de  loin, 
je  vous  en  répond.  Aux  confins  de  la  paroisse,  j'ai  des 
parents  du  coûté  des  famés,  mais  ça  me  pèse  sus  le  cueur 
dès  quante  je  songe  à  leus  y  faire  dire  ma  position. 

Allez  don  bon  Géant.  La  porte  est  froumée  simpel- 
ment  au  loquet,  vous  passerez  voûter  grande  main  et  à  sa 
pourtée  se  trouvera  tout  ce  que  faut  pour  le  fonçage  et 
l'arriage  de  mes  poinçons,  que  vous  voyez  propes  et  ran- 
gés sous  l'auvent.  J'avai'  apprêté  cens  affutiaus  pour  toi- 
letter mes  gentis  poinsons.  Vous  veoirez  cens  biaus  cecles 
de  châtaigner  que  venont  des  bois  de  la  Marche,  et  itou 
les  ceus  que  je  tens  des  forêts  de  Meillan.  Voyez  don  à 
main  drete,  dans  le  coin  du  jardin,  au  bord  de  mon  petit 

I.  Les  bons  couvreurs  à  paille  courte,  au  milieu  du  xix"  siècle, 
étaient  considérés  encore  chez  nous  comme  de  fiers  artisans,  et  on 
les  célébrait  à  l'égal  des  bons  charpentiers. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  63 

craut  entertenu  de  belle  iaue  claire  par  une  petite  source, 
ha!  un  tout  petit  tilet,  un  rusinement'  que  coule  si  gente- 
ment,  toujours  pareil,  dans  les  mais  grandes  chaleurs 
coume  dans  les  pus  grandes  ferdures. 

Y  a  là,  au  bord  de  mon  petit  crot^,  des  ouzeriers  de  pre- 
mière marque  et  vous  couperez  au  chois  tout  ce  que  vous 
convinra. 

A  pourtée  de  voûter  main,  dans  mon  ceiller,  y  a  mes 
eplettes,  mon  chevalet,  ma  plane,  ma  sarpe**,  ma  grousse 
maluche,  mon  chassoé'',  mes  chiens,  ma  chienne,  mon 
tire-fond,  ma  petite  maluche  à  faire  arvenir  les  douelles 
de  fond,  mon  fandoé,  et  de  la  raûche. 

Allez  don,  grand  Gargantua,  allez  don,  grand  Géant! 
Hé!  mais...  vous  avez  t'i  un  coutiau?  Foutue  bête  lourde 
que  je  seus,  je  songeais  ben  pas  à  vous  demander  si  vous 
avaint  un  coutiau?  Vous  en  avez  un,  ben  çartainement, 
mais  si  voulez  maignier  le  men,  voyez  lu,  là,  dret  devant 
vous,  sus  le  lessei  de  ma  croisée.  C'est  une  lumele  de 
Saint-Flour,  aile  coupe  coume  un  diamant. 

Ah!  bon  grand  Gargantua,  vous  êtes  le  pus  fort,  le 
mais  prime,  le  Grand  des  Grands,  le  Saint  des  Saints,  le 
Roi  des  Rois! 

Grâce  à  vous,  mon  vin,  mon  joli  petit  vin  ne  sera  point 
aigri  sus  la  grappe.  Ah!  que  je  seus  hureus!  Si  je  moure 
pas  aujourd'hui,  demain  je  courerai  dihors!  Hé!  mère 
Babé!  mère  Babé!  venez  don  que  je  vous  biche.  Ha!  ha! 
ha!...  je  von  entonner  arié  nous  autres!  Je  vas  faire  deman- 
der le  grand  Martignaud  pour  qu'i  venue  anvé  sa  vielle. 
Je  feron  itou  la  poêlée  à  l'aveur  du  grand  Géant  Gargan- 
tua, et  je  dirai  à  la  mère  Babé  :  mettons  nous  en  place 
belle  enfant,  pour  montrer  au  Grand  Géant  nos  grâces  à  la 
danse.  Et  hardi  Martignaud!  en  avant  la  bichottière!  et 
après,  en  avant  la  bourrée  de  la  mère  Cacotte.  Je  vous 

1.  Suintement. 

2.  Petite  fosse  alimentée  par  une  minuscule  fontaine, 

3.  Doloire. 

4.  Outil  servant  à  serrer  les  cercles. 


64  NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

danser  la  bourrée  de  la  mère  Cacotte  nos  deus  la  mère 
Babé  : 

Laridingau,  Hé  Martignaud, 

La  chieuv'  d'Ia  mère  Cacotte,  Appourte  don  ta  vielle, 

Laridingau,  De  mon  p'tit  vin 

Aile  a  cassé  l'bârriau.  J'boirons  jusquante  à  d'main. 

La  mère  Babé  Un  jau  roûti, 

Prenra  sa  coiffe  blanche,  Une  poulette  en  barboille, 

J'danserons  tou  deus  Du  bon  pain  bis 

La  belle  bourrée  des  vieux.  Calm'ront  nos  appétits. 

Hé!  que  je  vons  rire!  C'est  le  bon  Géant  qu'aura  du 
plaisir  à  nous  veoir  en  danse,  nos  deus  la  mère  Babé  !  Je 
sens  que  mes  forces  arvenont,  dans  mes  bras  et  dans  mes 
jambes. 

T'embarrasse  pas  mère  Babé!  Je  veux  li  faire  danser  le 
branle  et  je  la  ferai  sauter  que  son  caillon  s'en  tournera 
san  devant  derrié.  Cetelle  vieille  berdine,  que  me  disait 
ben,  l'auter  cens  jours,  que  je  vendangeins  à  ma  vigne, 
que  j'étais  bon  qu'a  mettre  aus  abertâs^  Attendez  un  peu, 
ma  Babé,  vous  allez  veoir  mes  capacités.  Veois  tu  ben 
cetelle  vieille  cancouelle^!  Je  vas  li  faire  montre  que  je 
seus  pas  encore  à  bout  de  vent,  à  la  Babé! 

Que  je  seus  don  hureus!  que  mon  bounheur  est  dous, 
que  ma  ben-aiseté  est  grande!  qu'i  disait  ce  poure  houme, 
cependant  que  Gargantua  fonçait  et  arriait  ses  poinsons. 

Tout  par  un  moument,  on  l'a  pus  entendu  s'éjouir. 


Vous  pensez  ben,  mes  mondes,  qu'enter  les  mains  du 
Géant,  cens  poinsons,  avont  été  foncés,  arriés  en  un  ren  de 
temp.  Il  avait  avindu^  les  six  pièces  et  les  trois  quarts "*, 

1.  Déchets,  rogatons,  choses  dont  on  ne  peut  plus  se  servir. 

2.  Hanneton. 

3.  Pris. 

4.  Ce  tonneau,  dénommé  quart,  est  en  réalité  une  demi-pièce. 


i 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  65 

qu'étaint  sous  l'auvent  et  tout  ce  que  li  fallait  pour  l'œuvre 
de  fonçage  et  d'arriage,  qu'était  préparé  dans  le  ceiller. 

r  s'était  mi  sus  le  plan  chemin  et  en  moins  de  temp 
que  je  mets  à  vous  conter  l'esploit,  l'œuvre  a  été  faite,  brave- 
ment faite,  coume  i'  faut  faite,  et  par  devant  le  restant  de 
la  chiouiée  de  monde  qu'était  enserrée,  encârounée  dans 
le  bourg,  le  port  et  les  environs.  Parsoune  li  a  ren  dit,  li 
n'a  ren  dit  non  mais  à  parsoune. 

Ce  monde,  s'est  areuillé  encore  un  coup,  en  voyant  Gar- 
gantua foncer  et  arrier  des  poinsons  après  aveoir  bâti  un 
clocher  et  une  grange. 

Vous  pensez  ben,  que  chacun  a  fait  ses  remarques,  et 
c'est  pas  aisé  de  saveoir  le  just,  just,  sus  la  maignière  qu'a- 
vait Gargantua  d'arrier  les  poinsons,  dans  cens  temps 
dont  je  vous  parle.  J'ai  ouï  dire,  qu'i  se  sarvait  point  de 
fandoé  pour  fender  ses  ouzières. 

C'était  en  bouffant^  doucement  dessus,  qu'ailes  s'écla- 
taint  en  trois  languettes. 

Mon  cousin  Pierre  Gaudin,  qu'était  un  fin  tonnelier,  se 
sarvait  point,  li  non  mais,  de  fandoé.  I'  marquait  l'ouzière 
de  soun  ongue,  i  mettait  une  languette  à  ses  dents,  les 
deus  autres  à  ses  deus  mains  et  brijte'^!  C'était  tiré  à  trois 
languettes.  Mon  grand  père  Regnaud,  qu'a  été  un  pre- 
mier vigneron  de  la  coûte  d'Ailler  et  le  maître  des  tonne- 
liers de  cheus  nous,  en  son  temp,  était  réputé  loin  pour  sa 
maignière  de  calander  un  cecle.  I'  se  sarvait  de  fandoé.  Les 
arriages  de  mon  cousin  Pierre  Gaudin  étaint  faits  dans  le 
vrai  bon  goût,  les  cens  de  mon  grand  ptre  c'était  à  se 
mettre  à  gênons  devant,  tant  ça  tenait  de  la  grâce  et  de  la 
gentesse,  cens  arriages.  Un  bon  vigneron  et  fin  tounelier, 
aussi  de  cheus  nous,  c'était  Audounet  de  Sattaud. 

Une  maignière  qu'avait  Gargantua,  pour  faire  arvenir  les 
douelles  de  fond,  paraît  que  c'était  inimaginant.  I'  mouil- 

1.  Soufflant. 

2.  Il  fendait  l'osier  de  son  ongle  (de  manière  à  le  partager  en  trois), 
mettait  un  des  trois  bouts  entre  ses  dents,  les  deux  autres  à  ses 
mains,  tirait  et  obtenait  trois  brins. 

5 


66  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

lait  son  pouce  anvé  sa  salive,  après,  il  applotait  ce  pouce 
sus  la  douelle  enfoncée,  et,  i'  la  fasait  arvenir  coume  i  vou- 
lait pour  l'ajuster  bravement  en  dreture.  I'  ne  se  sarvait 
pas  de  chiens,  ni  de  chienne,  pour  entrer  ses  cecles  de 
tête,  r  les  tenait  simpelment  à  ses  doégts  et  i'  les  entrait 
au  pouce.  Paraît  que  c'était  serré  coume  i'  faut,  ni  trop, 
ni  trop  peu.  Y  a  ben  des  tonneliers,  que  serront  trop  les 
cecles  de  tête  des  poinsons,  et  ça  fait  casser  les  douelles  de 
côrp,  dans  les  geablures. 

Gargantua  connaissait  toutes  les  finesses  des  états  arti- 
sans de  ville,  et  itou  les  ceus  des  états  artisans  de  cam- 
pagne. Faut  dire,  qu'ans  temps  de  nos  Grands  Géants 
d'auterfoés,  la  campagne  et  la  ville  c'était  tout  un,  tout 
uniment  quoé! 

C'est  ben,  coume  le  disait  le  bon  Gargantua.  «  Là  où 
se  trouve  la  cause  marquée  si  bellement,  c'est  que  les 
cathédrales,  les  palais,  les  grandes  et  petites  mainsons  de 
nos  villes,  si  ben  que  les  églises  et  les  clochers  de  nos 
bourgs,  les  forts  chatiaus  de  nos  campagnes,  ainssi  que  les 
petites  maisons  de  guerdaus,  ça  tenait  de  tout  en  tout  des 
fleurs  de  richesses  et  des  parements  de  beauté  de  nouter 
belle  Terre.  » 

Faut  dire,  c'est  moun  idée  entendez  ben  mes  amis,  que 
de  tous  nos  Géants  d'auterfoés,  Gargantua  et  Géant  de 
l'Ours,  étaint  les  pus  avisés.  F  tenaint,  çartainement,  selon 
ma  petite  jugeotte  à  moé,  poure  guerdaud,  toutes  les 
grand'vartus  géantesques,  ils  étaint  grands,  grands  de 
taille  et  d'esprit  sain,  il  étaint  forts!  forts!  d'une  force  mé- 
nagée, mesurée,  ils  étaint  dous,  dous  coume  des  égnaus, 
mais  primes  coume  des  ïons,  et  il  étaint  francs  janmais 
leur  soûl.  Il  étaint  tarribes  et  bounhoumes!  C'était  cetelle 
bounhoumie,  de  nos  grands  Géants  d'auterfoés,  qu'avait 
tant  de  vartus  et  tant  de  grâces  pour  les  accords  des  grands 
et  des  petits.  Nombre  de  seigneurs,  des  syres  et  mesme  des 
rois,  pernaint  modèle  sus  les  Géants  pour  leur  gouvarne 
et  le  gouvarnement  de  leus  genss  et  de  leus  sujets.  Je  crais 
ben  aveoir  jà  dis  ça,  c'est  pas  un  mal  de  le  redire. 


NOS    GKANTS    D  AUTERFOES. 


Les  entounâilles. 
La  mort  du  viens  vigneron. 

Sitôt  qu'il  a  évu  fini  de  foncer  et  arrier  les  six  pièces  et 
les  trois  quarts  du  bon  père  houme  de  vigneron,  le  Géant 
les  a  rince  à  Tiaue  bouillie  sus  la  feuille  de  pêcher*  qu'avait 
apprêtée  la  mère  Babé,  pleurant  toujours  de  veoir  ses  fri- 
cots, son  bon  repas  insarvabe.  Après  aveoir  égouté  les 
poinsons,  Gargantua  a  tiré  le  vin  anvé  grand  percieusté, 
et  ce  vin,  un  peu  dur,  n'avait  pardu  en  ren  de  ren,  mais, 
d'après  les  dirs,  c'était  grand  temp  de  l'antouner. 

Les  six  pièces  rempli'  et  les  trois  quarts,  restait  le  de 
quoé  faire  de  la  première,  deusième  et  troisième  boéte,  et 
encore  un  tour  de  temp  pour  boire  à  l'anse  de  la  cuve. 

Gargantua,  qu'était  avisé  sus  tout  et  en  tout,  il  a  pousé 
tout  de  suite  de  l'iaue,  si  claire  de  la  petite  source,  sus  la 
grappe  pour  l'empêcher  d'aigrir.  Après  aveoir  arrié  fine- 
ment le  guzy  à  l'anse,  par  la  fine  ouzière  qu'avait  sarvi  jà 
pour  la  cuvée  du  vin,  il  a  rangé  les  poinsons  pleins  bra- 
vement sous  le  petit  auvent  du  ceiller  et  il  a  veoulu,  en 
suite,  veoir  ce  que  devenait  le  père  Gilbert  Nicolas. 

On  n'avait  pus  ren  entendu,  du  poure  vieux  père 
houme,  ni  doulements  de  malheur,  ni  crâillements  de 
bounheur,  du  depuis  que  le  bon  Géant  s'était  mis  en 
deveoir  de  foncer  et  arrier  ses  poinsons. 

S'avançant  tout  doucement,  en  regardant  par  sus  les 
âbres  du  jardin,  par  la  petite  croisée  restée  enterouvarte, 
Gargantua  a  vu  le  bon  vigneron  bonnement  étendu  sus 
son  lit  tout  de  son  long,  dans  la  position  d'une  parsoune 
humaine  que  s'arpouse  de  ses  lassitudes  en  paix,  en  tran- 
quillité, en  deurmant  le  bon  som  du  just. 

Le  bon  Géant  a  ben  crû,  paraît,  que  le  bon  vigneron 
deurmait  hureus  et  paisibe,  sentant  soun  ordon  accompli 
par  une  main  et  une  grande  main  amie.  Cependant,  i 

I.  C'était  l'usage  chez  nous  que  le  conteur  prisait  fort,  mais  ce 
dire  n'engage  point  les  vignerons  des  côtes  du  Cher. 


68  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

voulait  pas  se  départir,  Gargantua,  avant  d'aveoir  sou- 
haité bon  pourtement  au  père  Gilbert  Nicolas. 

Passant  le  bout  de  sa  main  parla  croisée,  il  a  touché  du 
bout  de  son  doégt  Ficelle  main  du  père  houme.  Aile  était 
frede!  Il  était  mort  hureus,  le  bon  vigneron  hounéte  et 
franc,  en  songeant  que  le  bon  petit  joli  vin  de  sa  gente 
vigne  n'aigrirait  point,  sus  la  grappe,  par  l'effet  de  la  ben- 
faisance  du  Géant  Gargantua. 

L'enterrement  du  viens  vigneron. 

La  vieille  Babé,  que  savait  pus  là  où  douner  de  la  tête, 
s'est  mise  à  querier,  voyant  son  bon  voisin  defuncté.  Seu- 
lement, sous  le  coumandement  du  Géant,  aile  a  évu,  de 
belle  heure,  sorti  la  chemise,  le  drap  et  tout  ce  que  fallait 
pour  le  dernier  habillement  du  poure  houme. 

Deus  voisines  sont  venues  ainder  la  mère  Babé,  pour 
ensouvelir  le  bon  père  Nicolas,  pace  que  Gargantua  peu- 
vait  pas  entrer  dans  la  petite  mainson  à  cause  de  sa  taille 
géantesque.  Après  qu'il  a  été  ensouveli,  en  grand'percieu- 
seté,  le  bon  vigneron  était  là,  en  son  lit,  toujour  étendu 
tout  de  son  long  anvé  sa  bonne  figure  arpousée,  et  on 
sentait  la  tranquilité  en  tous  ce  côrp,  ce  bon  côrp  qu'avait 
si  ben,  si  bravement  travaillé  la  Terre  sa  vie  durant,  en 
bon  ménagier  père  de  famille,  songeant  toujours  au  deve- 
nir de  cens  là  que  vinraint  après  li. 

Gargantua  a  dit  à  la  mère  Babé  :  Allez  don  avartir  le 
curé  cependant  que  je  vas  garder  le  côrp.  Des  voisins,  des 
voisines  sont  venus  jiter  de  l'iaue  bénite,  on  a  fait  dire  aus 
parents  du  lointain  la  mort  du  père  houme. 

Le  curé  est  venu  tout  de  suite,  à  la  demande  du  Géant 
bâtisseur  de  clochers.  Seurement,  il  a  par  coumencé  à  bou- 
trouner  un  peu  à  cause  que  le  défunt  ne  s'était  point  con- 
fessé et  n'avait  point,  de  ce  fait,  reçu  l'estrême  onction. 

Ne  vous  mettez  point  en  peine,  mon-sieur  le  curé,  qu'a 
dit  le  bon  Géant.  Ceti  houme,  a  évu  toute  sa  vie  la  dre- 
ture  et  les  vartus  d'un  saint.  Je  m'y  connais!...  Regardez 
don   iceli  côrp  et  icelle  figure,  en  reposement  et  délice 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  69 

divins.  Râlement,  les  grands  de  la  Terre,  j'en  ai  vu  com- 
ben  t'i  vivants  et  morts,  avont  cetelle  beauté  de  l'âme 
épandue  sus  leus  calâbres,  quante  i'  sont  défunctés.  Cet! 
houme,  vous  le  savez  sans  doute,  n'avait  qu'un  fi'  qu'a 
trouver  le  terpâs  aus  lies  lointaines,  en  allant  tirer  le  cear- 
cueur  de  Jésus-Christ  des  mains  mécréantes.  D'ailleurs!  je 
vas  tout  vous  dire  en  deus  mots  :  je  l'ai  confessé  moé,  le 
poure  houme,  et  si  le  paradis  s'est  ouvri  devant  li,  coume 
vous  voyez,  c'est  grâce  à  moé.  Ne  vous  mettez  don  point 
en  peine,  mon-sieu  le  curé,  faites  souner  les  cloches  à 
toutes  voulées  et  dites  voûter  messe  et  vos  perières,  pour 
ce  bon  crétien,  qu'est  en  état  de  grâce,  je  vous  en  reponds, 
foi  de  Gargantua,  bâtisseur  de  clochers. 

Songeant  au  cearcueur,  le  bon  Géant  a  regardé  par  la 
porte  du  ceiller,  il  a  vu  à  pourtée  de  sa  main  des  belles 
planches  de  châgne,  i'  les  a  avindu  et,  le  temp  de  virer  la 
main,  il  a  fait  le  cearcueur.  Après  ce  temp  là,  dessous  la 
mais  belle  treille  du  biau  petit  jardin,  il  a  creusé  la  fousse 
du  viens  vigneron. 

Aindé  de  la  vieille  veuve,  il  a  placé  dévotieusement  le 
côrp  du  brave  houme,  dans  le  biau  cearcueur  en  châgne. 

Il  a  mis,  en  coûté  du  côrp,  la  bouteille  plate  en  grès  du 
Châtelet,  que  le  viens  vigneron  pourtait  à  sa  vigne,  du 
depuis  soixante  et  onze  ans  environs,  du  depuis  le  premier 
jour  qu'il  avait  coumencé  à  travailler  anvé  son  père,  à  ce 
qu'a  dit  la  mère  Babé.  Sa  jolie  petite  écuelle  en  bois  de 
fouéle,  sa  cuillère  en  bois  itou,  porvenant  de  la  forêt  de 
Meillan,  et  soun  auter  belle  écuelle  en  grès  de  la  Borne, 
le  biau  piché  aussi  en  grès  de  la  Borne,  qu'avait  été  au  ceil- 
ler depuis  pus  de  cent  ans.  Son  petit  plat  en  étain  et  sa 
tasse  itou  en  étain,  avont  été  mis  dans  le  cearcueur  en 
coûté  de  li,  le  bon  vigneron.  On  a  mis  arié  son  fin  bon 
coutiau  à  lumele  de  Saint-Flour.  Enfin,  on  a  mis  en 
grande  dévotion  le  verre!  que  venait  de  loin,  de  père  en 
fi',  et  que  sarvait  à  cetelle  ancienne  mainsounée  de  vigne- 
rons, pour  mirer,  à  la  lumière  du  grand  Soulé  de  Dieu,  les 
finesses  et  les  grâces,  les  richesses  et  les  parures  si  belles 


70  NOS    GÉANTS    D  AUTERFOES. 

du  joli  vin  de  la  gente  vigne,  qu'était  toujours,  hiver 
coume  été,  prope  et  nette  du  depuis  des  centaines  d'an- 
nées. 

Le  cearcueur  froumé,  un  biau  drap  blanc  en  fil  de 
chanve  dessus,  la  mère  Babé,  des  voisins,  des  voisines,  en 
grand'partie  le  monde  d'Urçay,  des  parents  du  défunt,  se 
sont  trouvés  persent  pour  l'enterrement. 

Gargantua,  pernant  dévotieusement  et  pitieusement  le 
cearcueur  sus  sa  main,  l'a  pourté  sous  le  porche  de  l'Église 
cependant  que  les  cloches  sounaint  à  grand'voulées. 

Le  curé,  qu'avait  dit  une  messe  à  la  perière  du  bon 
Géant,  pour  l'âme  du  viens  vigneron,  est  venu  sous  le 
porche  bénir  le  côrp  par  devant  Gargantua.  Après  la  céré- 
mounie  du  prêtre  faites,  le  Géant  a  repris  le  cearcueur  sus 
sa  main  coume  devant,  i'  l'a  rempourté  pour  l'enterrer 
sous  la  belle  treille  de  franc  blanc,  çargée  de  beaus  rasins 
varmeils,  et  pas  loin  de  la  petite  fontaine  là  où  rusinait  le 
petit  fil  d'iaue  claire. 

A  la  tête  du  cearcuer,  dans  la  fousse  creusée  à  fond 
sus  le  soutre  solide,  Gargantua  a  pousé  la  pierre  des  car- 
rières de  la  Grave,  qu'il  empourtait  en  Berri  pour  montre. 
Et  il  a  fait  tumber  la  terre,  dans  la  fousse. 

On  voyait  encore,  y  a  une  centaine  d'an-nées,  icelle 
pierre  qu'on  appelait  la  pierre  du  Géant.  Coume  tant  d'au- 
ter  pierres  levées  et  couchées  qu'on  vovait  dans  nos  Païs, 
y  a  pas  mais  de  soixante  ans,  cetelle  pierre  du  Géant  à  Urçay 
a  été  dégalainnée,  cassée,  brisée,  mincée  pour  mettre  sus 
un  chemin  vicinal. 

Cens  libartins,  ceus  begigis^,  ceus  maignants,  cens 
enfants  de  cattauds,  ceus  tnetteus  de  feu,  ceus  courandiers, 
ceus  sarvants  du  Diâbe,  ceus  enterperneurs  de  démolicion, 
ceus  forains  passagers  vont  tout  masibler,  émorcher,  ren- 
varser,  débiter,  débesiller,  dénaturer  les  ouvrages  de  reli- 
gieuseté,  d'honnêteté,  de  grandesse  et  de  beauté  naissues 
de  la  main  de  l'homme^  d'état  artisan  de  cheus  nous,  si  ben 

1.  Maléficier  se  cachant  sous  l'aspect  d'un  mauvais  rétameur,  rac- 
commodeur  et  fondeur  de  cuillères  à  pot. 

2.  C'est  avec  intention  que  le  scribe  a  écrit  houme  et  homme.  Le 


NOS   GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  7I 


que  les  œuvres  du  Grand  Maître  créiateur  de  l'Iaue,  de 
la  Terre  et  du  Soulé,  à  persent  que  sera  pardue  la  Race  des 
Grands  Géants  d'auterfoés,  les  Fins,  les  Primes,  les 
Forts,  les  Francs  que  battaint  le  Diâbe  pour  l'amour  de 
Dieu! 

Les  genss  de  Saint-Pierre-des-Etieus 
à  l'aiidevant  de  Gargantua. 

Au  moument  qu'i  se  mettait  en  chemin,  pour  aller 
arjoindre  son  grous  martiau,  le  bon  Gargantua  s'est  trouvé, 
nez  à  nez,  devan'  une  compagnie  de  genss  de  Saint-Pierre- 
des-Etieus  qu'était  venue  à  soun  audevant. 

Tout  de  suite,  mesme  avant  la  demande  du  pourte- 
ment,  le  bon  Géant  a  veoulu  saveoir  si  son  martiau  navait 
point  fait  de  dégâts  en  tumbant  cheus  eus.  Cens  mondes 
avont  répounu  que  c'a  c'était  ben  trouvé  ;  au  moument 
que  son  martiau  tumbait,  n'y  avait  parsoune  humaine  sus 
la  chaume.  D'ailleur,  on  l'attendait  par  la  perfetie  voûter 
martiau.  Seigneur  Gargantua,  qu'a  dit  le  chef  de  la  com- 
pagnie. Ceus  braves  genss,  avont  convenu  que  c'était  aisé 
de  se  mettre  en  coûté  de  l'epplette,  pace  qu'on  l'entendait 
venir  de  ben  loin,  et  on  la  voyait,  coume  de  juste, 

Malhureusement!  ben  malhureusement!  y  a  une  chiou- 
lée  d'oies,  quasiment  toutes  les  oies  de  la  coumunauté, 
qu'avont  été  prinses  sans  rémission.  Aile  étaint  là,  quasi 
toutes,  sortant  de  se  baigner  dans  le  riau,  aile  étaint  auprès 
à  s'éparpisser,  se  pouiller,  se  bichonner  que  c'était  plaisir 
à  les  voir  ainsi  en  délice. 

Dès  quante  on  a  vu  et  entendu  le  martiau  par- 
soune a  songé  aus  oies,  et  tout  d'un  coup!...  viounme!... 
blouchchch  !  flachchch!  brich.ch.ch.tte.  Toute  la  bande  a 
été  amiassée,  masiblée,  pilée,  moudue,  et  là  si  tellement, 
qu'on  n'en  a  artrouvé  ni  fric,  ni  frac,  sauf  queuques  che- 
tits  pleumas,  de  loin  en  loin,  en  debleyant,  et  queuques 
viandes  mâchées. 


père  Baffier  disait  lioume  dans  le  ton  familier,  mais  toujours  il  pro- 
nonçait homme  quand  le  re'cit  prenait  de  la  gravité. 


72  NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 

Cependant,  faut  dire  qu'une  petite  oisoune,  auchette 
bouscouate\  que  s'était  écartée  de  la  bande,  pour  aller 
rouâtiner-  et  barbotter  dans  le  riau,  est  sauve.  La  terre  a 
jillé  anvé  une  telle  force  que  les  âbres,  tout  partout  alen- 
tour de  la  chaume,  sont  échariniés',  erralés*,  écharpi- 
gnés^.  Y  avait  deux  petites  mainsons  de  poures  qu'étaint 
crouvies  de  terre,  j'avons  évu  ben  de  la  tablature  pour 
les  décancher,  et  y  a  encore  à  faire,  à  cetelle  heure  auprès, 
malgré  la  déligence  qu'on  a  mis,  tout  de  suite,  à  se 
pourter  au  déblais. 

Ce  voyant,  les  fumelles  ce  sont  mises  à  querier  aus 
z'hauts  cris  :  Nos  oies!  nos  poures  oies!  que  c'en  était  une 
compassion  de  les  entender  brailler  de  Charenton,  si  tant 
et  si  ben  que  le  Syre  a  demandé  de  là  où  ça  venait  ceus 
doulements  si  pitieus? 

Je  som  partis  à  voûter  au  devant  sus  ce  coup  de  temp  là 
nous  autres,  grand  Seigneur  Gargantua,  et  je  peuvons  ren 
vous  dire  auters  chouses  pour  le  moument. 

Gargantua  beuvant  d'une  lampée 
rétang  des  Belles  Fontaines. 

Le  bon  Géant,  anvé  les  houmes  de  Saint-Pierre-des- 
Étieus,  s'est  départi  par  Ainnay-le-Vieus,  là  où  il  a  donné 
un  coup  d'œil  au  fort  chatiau  suparbe  qu'est  là  planté, 
coume  in  ancien  guerrier  en  armure. 

Le  batelier  du  Bac  a  passé  le  Cher  aus  houmes  de 
Saint-Pierre;  mais  Gargantua,  li,  a  gambé  aisément  le 
coulant  d'iaue  assé  grous  à  ce  moument  là. 

Montant  à  châ-petit,  en  rouâtinant  la  coûte  un  peu 
raide,  mais  si  bellement  ombragée,  en  attendant  les 
houmes  qu'étaint  encore  à  moétié  de  la  rivière,  le  bon 
Géant  a  regardé  à  travers  ceus  ombrages  fournis,  le  joli 
moulin  des  Belles  Fontaines,  qu'était  et  qu'est  ben  encore 

1.  Auchette  boiiscouate,  petite  oie  retardée  dans  sa  croissance. 

2.  Marcher  en  zigzaguant. 

3.  Dépouillés  de  leurs  rameaux. 

4.  Privés  de  leurs  branches. 

5.  Mis  en  charpie. 


-  -  ^^  ,-^ii^vy^il 

avonsjinruAiscouT'î^  Si  forcf*  p^ce  quu'  Uâu  ^i  i' 

attf?>  su  h%  choM^s du Ci'çf.  <ie  raTerre  ç^du  iMo-ticiecoi/w^ 

P.e9'waUicL-/epèrpBûrdi?r  sayâir  des  nioî/spsde  F-'^rf^^f^ 
grandes  iiiaTquPS.ehdeRcr'fieu^Çtej  des  t«9T>f>s      #•  =?:>sAf^ 

|3,pr  c;(u  noi  vjiPre^  êhnosbourr/s  e^an■?f■s  Dr-> H's* ^05/-    ^^fj^iK^'l 


mi 


p.etifç  croc);<jpic;<tno«  bcrnrçî  ct";''  cy?jhoun>?iciu  P<5^s  ¥PAi^  'M 
r\o<i  ^30MçgeAn^î,1^osbo1•.<  sanifi^ôuloiS  tes  finjÈiios  onB-t:  'J^ 
forfs, tes  pFi.»M«Sftesfrdr?fS  qM«^  b3f-faKnM»D<âbe  f^ourMim 
J'awour  de  Dieu,  rsavait  'irpsj  fpsppsptpiTOO'^i^î^^jrîmr 
Iç-i  Pierres  couchées,  par?ipfe'|'nfn^  i  lU^nui  ^qK'^Wa 

uou5irP.^p5fite  poi-r?  desaiiifursi'io'  ctâir^  î M^j  ^'m, 
tSi/iS^  5uMesQradeîdesrnaiiiscn^darHsMi>t'T^*M^"^'^* 
Ml  ben  t es  perftf s  qu^  les  grandes  coTifor mail ^M-.J^ 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  7? 

SUS  un  flàche  à  la  mi-coûte.  I'  s'est  arrêté  pour  entendre 
son  mignon  tic  et  tac,  à  ce  joli  moulin,  et  ce  langaige  li  a 
mis  à  la  bouche  une  petite  chansounette  :  les  houmes  de 
Saint-Pierre,  qu'étaint  à  pourtée  de  l'entendre,  l'avont  arte- 
nue  et  on  l'a  chantée  du  depuis  ce  temps  là,  dans  toute 
nouter  contrée.  Aile  coumence  coume  ça  : 

Tout  en  mi  pourmenant, 

Long  d'ceus  coulants  ruisseaus, 

J'aparçois  la  meunière, 

Dans  son  moulin  à  l'iaue. 

Ho  !  va,  meunière, 

Tes  beaus  yeus  son'  amoureus, 

Ho!  va,  meunière, 

Si  tu  le  veus. 

Je  jouirons  d'un  sort  hureus. 

En  regardant  le  si  bel  étang  plein  d'iaue  claire,  venue  des 
Belles  Fontaines,  le  Géant,  qu'avait  son  four  chaud  encore 
du  festin  de  Vallon,  a  évu  envie  de  se  rafraîchir  en  humant 
une  petite  gorgée  d'icelle  belle  iaue  fraîche.  Mais,  asseu- 
rément,  d'une  lampée  il  a  vuidé  l'étang,  sauf  les  poissons, 
qu'il  a  resarvés  dès  quante  il  a  sentu  qu'il  allait  humer  tout 
jusqu'au  biau  sable  fin  que  fasait  le  fond  du  bel  étang  à  ce 
moument  là,  à  ce  que  j'ai  ouï  dire.  Pensez  ben,  que  c'était 
si  frais,  si  bon  à  son  palais  chauffé,  icelle  iaue  claire  et 
fraîche,  qu'i  peuvait  point  s'artenir,  une  foés  le  nez  dedans, 
et  on  peut  pas  le  blâmer.  Je  savons  trop  ben  ce  que  c'est 
nous  autres,  le  petit  monde.  Après  une  boune  ribotte 
vineuse  et  mangeoire  à  grous  goût,  c'est  l'iaue  fraîche 
que  fait  envie  et,  Dieu  me  pardoune,  semble  ben  qu'on 
boirait  la  mèr  et  les  poissons  à  ceus  mouments  là. 

Li  Gargantua,  a  resarvé  percieusement  les  poissons  de 
l'étang  des  Belles  Fontaines.  Cetelle  gentesse  a  été  remar- 
quée au  moument  don  que  je  vous  parle,  et  souventes  foés 
on  en  cause  encore  tout  partout  dans  nouter  contrée. 

Le  moulin  s'est  arrêté  net,  tout  naturellement. 

Le  meunier,  la  meunière,  le  farinier,  le  pourte  four- 
nées, la  sarvante,  le  vacher,  le  porcher,  les  chiens,  les 

G 


74  NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 

chats,  tous,  monde  et  bêtes,  qu'étaint  occupés  chacun  à 
sou  ordon,  sous  ceus  biaus  ombrages  des  grands  âbres, 
qu'on  voit  encore,  n'avaint  point  entendu,  ni  vu  venir  le 
Géant. 

r  se  sont  trouvés  jugés!  bibles!  saisis!  pensez  ben,  par 
une  avinture  si  telle,  et  tertous,  levant  les  bras  au  ciel,  i' 
sont  encourus  coume  des  coups  de  vent  sus  la  chaussée  de 
l'étang  vuidé,  anvé  une  chioulée  de  poissons,  petits  et 
grous,  le  ventre  en  l'air,  se  roulant  sus  le  sable  en  queriant 
aus  z'hauts  cris  que  c'en  était  une  compassion. 

Les  chiens  japaint!  les  chats  miâlaint!  les  chevaus 
archainnaint!  c'était  un  spectac  inpersiounant! 

Mais  voyant  sitôt  Gargantua,  que  s'était  artiré  un  peu 
dans  les  ombrages  pour  éparpisser  sa  barbe,  tenant 
queuques  petits  rouziaus  que  s'étaint  auprès  accrochetés, 
ils  avont  compris,  le  temp  de  faire  ouf!  que  c'était  li,  le 
bon  Géant,  qu'avait  beue  toute  l'iaue  de  leus  étang,  plein 
râs  bords.  Tous  se  sont  mis  à  querier  bounement,  d'ac- 
cord, les  maîtres  et  les  valets  :  vive  Gargantua!  vive  Gar- 
gantua! vive  Gargantua! 

Faut  vous  dire,  mes  bons  amis,  que  ceus  mondes  étaint 
à  la  poêlée  de  Vallon,  itou  à  Urçay  cependant  que  Gar- 
gantua arlevait  la  mainson  de  la  mère  Babé,  fonçait, 
arriait  les  poinsons  du  père  Gilbert  Nicolas  et  entonnait 
son  vin,  mesme,  on  a  dit  qu'ils  étaint  à  l'enterrement  du 
viens  vigneron  mais,  de  ceus  dires,  j'en  veus  point  ré- 
pondre. C'était  pour  ceus  braves  genss,  une  joie  inespé- 
rée, en  songeant  que  le  grand  ouvrier  avait  trouvé  plaisir 
à  boire  toute  l'iaue  de  leus  étang,  et  ils  avont  été  touchés 
de  son  percautionnement  a  resarver  leus  poissons  qu'a- 
vont  pus  s'armettre  à  flot  à  temp  par  le  coulant  du  riau  des 
Belles  Fontaines  que  dounait  fort,  fort  en  ceus  temps  là. 

Après  aveoir  armarcié  ceus  bons  païsans,  anvé  sa  bonne 
grâce  coutumière,  le  bon  Géant  s'est  départi  sus  le  chemin 
de  Coust  anvé  les  houmes  de  Saint-Pierre-des-Etieus  que 
l'avaint  rejoignu. 

Le  bourg  de  Coust  a  un  clocher  de  pierre  que,  soi- 
disant,  il  aurait  bâti  arié,  nouter  grand  artisan.  Je  veus  ben 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  yS 

l'entender  dire  mais,  asseurement  moé,  Je  peu  réponder 
de  ren  su  iceli  avènement. 

Où  on  voit  les  grand'vartus  du  Syre  de  Charenton. 

Cependant  que  cheminait  le  bon  Géant  anvé  les  houmes 
de  Saint-Pierre-des-Etieus,  par  Ainnay-le-Vieus,  le  passage 
du  Cher,  le  moulin  de  belle  Fontaine  et  Coust,  le  Seigneur 
de  Charenton  s'était  mis  en  deveoir  d'arméger  aus  dégâts, 
que  le  martiau  du  grand  Géant  avait  fait,  en  tumbant  sus  la 
chaume  de  Saint-Pierre. 

Il  avait  don  demandé,  la  cause  de  ceus  doulements  si 
pitieus,  que  venaint  jusquante  à  Charenton,  et  fort!  fort! 

On  li  a  espliqué,  bounement,  au  bon  Seigneur,  coument 
le  martiau  de  Gargantua  avait  fait  ceus  malheurs  en  tum- 
bant. lia  fait  demandé,  tout  de  suite,  son  premier  bâscou- 
rier  et  i  li  a  dit  : 

Un  malheur  pour  un  bounheur,  ven  d'advenir  aus 
braves  genss  de  Saint-Pierre-des-Etieus. 

Le  grous  martiau  de  Gargantua,  qu'est  tumbé  sus  la 
grand'chaume,  a  tué  quasiment  toutes  les  oies,  ceus  belles 
oies,  de  la  coumunauté  de  ce  bourg,  qu'étaint  assemblées 
sur  cetelle  chaume. 

De  tout  ce  troupiau  d'oies  râl,  râl,  i'  ne  reste,  paraît, 
qu'une  petite  oisoune,  auchette  bouscouatte. 

C'est  tout  ce  que  faut  pour  ratifier ^  le  troupiau. 

Entendez  ben,  bâscourier,  ce  que  je  vas  vous  dire  : 

Si  a  poulette  i'  faut  jeune  jau,  souvenez  vous  qu'à 
auchette  oisoune  i'  faut  viens  gear. 

Allez,  bâscourier,  mon  fidel  sarvant,  prenre  dans  ma 
bâscour  le  pus  viens,  le  mais  biau  de  mes  gears.  Vous  le 
pourterez  en  grand'percieuseté  aus  genss  de  Saint-Pierre- 
des-Etieux. 

Vous  ferez  souner  de  ma  grand'corne  à  douelles  pour  as- 
sembler tous  le  monde  de  la  paroisse  sus  la  grand'chaume 
là  où  le  martiau  de  Gargantua  n'a  point  dégarcillé^. 

1.  Reconstituer. 

2.  Bouleversé. 


yÔ  NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

Vous  direz  :  braves  genss  de  Saint-Pierre,  mon  Seigneur 
ven  d'apprenre  le  grand  malheur  que  vous  a  frappé,  i' 
compati  à  vos  doulements  et  i'  veus  vous  ainder  à  réparer 
les  doumaiges,  à  vous  causés,  par  la  venue  du  martiau  de 
Gargantua  que  vous  fait  jà  de  la  renoumée  persentement 
et  dans  les  temps  que  vinront,  vous  dounera  de  la  gloire. 

De  tout  voûter  troupiau  d'oies  sans  pareil,  dans  le 
Berri,  le  Nivarnais,  le  Bourbonnais  et  la  Marche,  i  ne 
reste  qu'une  petite  oisoune,  auchette  bouscouatte.  Ces'  une 
parde!  une  grande  parde!  asseurément,  ce  biau  troupiau 
d'oies  sans  pareil.  Ne  vous  découragez  point,  braves  genss. 
La  petite  oisoune  auchette  bousquouate  suffira  pour  rati- 
fier l'espèce,  pace  que  le  vieus  gear,  que  mon  Seigneur 
vous  envoyé,  ven,  coume  vous  le  savez,  de  la  race  fon- 
cière de  vos  si  tant  belles  oies. 


Le  premier  bâscourier  du  Syre  de  Charenton,  s'en  est 
été  à  Saint-Pierre-des-Etieux,  anvé  trois  piqueurs,  et  un 
valet  pourtant  le  vieus  gear,  dan'  un  cageaut  de  cueudre'. 

Par  les  trois  piqueurs,  il  a  fait  souner  de  la  grousse 
corne  à  douelles  de  son  Seigneur,  pour  appeler  tout  le 
monde  de  la  paroisse.  Et  le  monde  de  la  paroisse,  letemp 
de  virer  la  main,  a  été  en  rondiau  entour  li,  houmes, 
famés,  garsons  et  filles  et  z'enfants.  Et  le  premier  bâscou- 
rier a  dit,  bounement,  le  discour  de  son  Seigneur  qu'i 
tenait  Jà  engravé  en  sa  gibarne  de  mémoire. 

Après  le  discour,  il  a  fait  appourté,  dans  le  rondiau,  la 
petite  oisoune,  auchette  bouscouatte. 

L'assemblée  coumençait  de  se  sentir  en  confiance  et 
arconsolée  par  la  compâtisance,  les  bonnes  grâce  et  la 
bounhoumie  du  Syre  qu'avait  coulé  et  panétré  dans  leus 
eprits  et  dans  leus  cœurs,  par  la  bouche  de  son  premier 
bâscourier  qu'était  un  sarviteur  avisé  et  bon  ménagier  du 
Bien-Fonds  coumun. 

I.  Coudrier. 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOFS.  77 


Sitôt  la  petite  oisoune  auchette  bouscouatte,  pousée  au 
mitan  du  rondiau,  le  premier  bâscourier  a  coumandé  au 
valet  de  lâcher  le  vieus  gear  vés  la  petite  oisoune. 

Tout  de  suite,  i  se  sont  mis  à  verdiller  la  queue,  à  se  cau- 
ser, à  se  bicher.  Ce  voyant,  le  premier  bâscourier  a  fait 
auvrir  le  rondiau  du  monde,  du  coûté  du  riau.  Le  vieus 
gear  et  la  petite  auchette  oisoune  bouscouatte  avont  ben 
compris  tout  de  suite  le  mènement  du  bâscourier.  Sans 
barguiner,  ni  tourner,  ni  virer,  i  son  partis  dret  du  coûté 
du  riau  toujours  en  verdillant  la  queue,  causant,  se  bichant 
chemin  faisant,  coume  deus  amoureus  en  chair  et  en  ous 
de  parsounes  humaines. 

Et  sans  tambours  ni  trompettes, 
Sans  violons  ni  musettes, 
r  se  sont  mariés  gentement. 

Ce  voyant,  l'assemblée  se  sentant  à  l'aise  et  en  con- 
fiance s'est  mise  à  querier  :  vive  le  Syre  de  Charenton  ! 
vive  le  Syre  de  Charenton!  vive  le  Syre  de  Charenton! 

Deuxième  veillée. 
De  Saint-Pierre~des-Etieiix  au  Mont-Joï. 

Mes  bons  amis,  mes  chers  mondes,  je  vous  dirai  que 
j'étais  acqueni  à  la  fin  de  nouter  première  veillée  qu'a  été 
un  peu  fatiquante.  De  Vallon  à  Saint-Pierre-des-Étieux 
par  Urçay  et  Ainay-le-Vieux,  l'étang  des  Belles-Fontaines 
et  Coust,  c'est  un  peu  long  pour  in  houme  d'âge  coume 
je  sens,  .le  me  trouve  arpousé,  à  cetelle  heure,  et  je  vas 
pouveoir  arprenre  moun  ordon,  je  veus  dire  le  voyage  que 
je  fasons  ensembe  pour  suire  le  grand  Géant  Gargantua 
dans  ses  beaus  ouvrages  d'artisan  et  ses  belles  armon- 
trances  de  force,  de  grâce,  de  finesse,  de  primeté,  de  fran- 
chise et  de  bounhoumie,  qu'i  pourtait  en  sa  parsoune  des 


yS  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

pieds  à  la  tête  et  que  jiglaint  dans  la  température  de  l'air 
partout  là  où  i'  passait  et  çà  en  tenait  grand  je  vous  asseur. 
Je  crai  ben  vous  aveoir  Jà  dépeinturé  ceus  belles  vartus  de 
nouter  grand  Géant,  mais  je  vous  les  dirai  encore,  coume 
si  c'étai  un  refrain  d'une  chanson  de  cheus  nous.  D'ailleurs, 
c'est  ben  quasimentune  chanson  que  je  fasons  là,  Bon  Dieu  ! 
Si  on  y  mettait  en  lettres  moulées  sus  du  papier  et  que  des 
grous  lictîns  liraint  mon  parlage,  çà  les  amuserait  peut- 
être?  Dame!  on  peu  pas  saveoir?  Mais  ceus  grous  mon- 
sieus  de  Paris,  qu'avont  la  coutume  de  lire  des  jolis  livres 
ben  polisses,  ben  cirés,  i  trouveraint  sans  doutance  mes 
propos  cornillous  en  Diâbe.  Par  exemple,  si  la  mère  à 
Ugène  appernaitque  nos  histoires  sont  en  lettres  moulées 
sus  des  papiers,  aile  en  serait  toute  étardie  ^ 


Je  me  veois  forcé  de  ne  point  trop  vous  faire  rouâtincr 
à  Saint-Pierre-des-Étieux,  là  où  y  aurait  fort  à  veoir  cepen- 
dant. Y  a  tellement  à  faire  que  faurrais  s'y  arrêter  des  jour- 
nées pour  veoir  tout  çà  qu'est  beau.  Et  non  point  tant  seu- 
lement à  Saint-Pierre-des-Étieux,  mais  à  Charenton.  Les 
alentours  de  Charenton-du-Cher,  sus  la  Marmande,  c'est 
une  jolie  ville  qu'à  évu  des  Seigneurs  et  des  Syres,  pas 
toujours  raisounabes  et  bounhoumes,  à  ce  que  j'ai  ouï- 
dire,  mais  asseurément  aile  en  a  évu  des  bons  coume  ceti  là 
qu'à  fait  pourter  son  viens  geare  à  la  petite  hauchette 
oisaune  de  Saint-Pierre-des-Étieux.  C'est  plein  de  mar- 
veilles  à  veoir  sus  ceus  terroés  de  Charenton  et  de  Saint- 
Pierre-des-Étieux,  mais,  asseurément,  si  je  berlaisons  trop 
dans  ceus  parages,  j'irons  pas  à  Sancoing  et  faut  que  je 
gagnaint  Sancoing  au  coup  de  la  mi-nuit.  De  la  troisième 
veillée,  si  plaît  à  Dieu,  j'irons  au  Veurdre.  Je  volerons  gam- 
ber  l'Ailler  par  Gargantua  et  par  sa  mère  qu'il  a  artrouvé 
à  Sancoing  et,  cependant  que  le  bon  Géant  engraveradans 
la  montagne  de  Tâleaux  la  route  que  va  à  Saint-Pierre-du- 

I.  Interdite. 


NOS   GEANTS   D AUTERFOES.  79 

Moutier,  la  mère  à  Ugène  nous  sarvira  un  bon  routi  de 
cochon  cuit  au  four  en  mesme  temp  que  des  galettes 
qu'aile  va  faire  boune,  asseurément  paceque  son  petit 
garson  11  a  demandé  boune!  boune!  et  aile  sait  faire  une 
galette  la  marchoise,  je  vous  le  garantis,  pour  faire  plaisir 
à  ses  enfants,  un  peu  à  son  mauvais  houme,  mais  c'est 
surtout  pace  qu'aile  eume  fort  les  galettes,  ma  famé,  qu'aile 
les  fait  soupérieurement.  Entendez  ben ,  mes  mondes, 
que  Je  veois  point  de  mal  à  çà,  ben  le  contraire!  Moé,  j'ai 
idée  que  les  gens  qu'eumont  ren,  peuvont  ren  faire  de 
ben,  et  c'est  le  pourquoé  i'  s'adounont  au  mal,  au  bousil- 
lage,  à  la  détruicion  de  tout. 


Le  clocher  de  Saint-Pierre-des-Étieus  qu'a  été  bâti 
coume  le  grand  Gargantua  l'avait  dit  qu'il  le  ferait  en  par- 
tant de  Vallon ,  est  une  pièce  râle,  râle  ^  On  peut  dire  hardie- 
ment  que  c'est  la  deuxième  marveille  du  tenant  de  Terroé 
que  j'aurons  visité  de  Vallon  en  Suelly  à  Saint-Pierre-du- 
Moutier.  L'Église  qu'est  accoté  au  long  de  ceti  beau 
clocher  semble  un  peu  geain-née  de  se  trouver  vès  cetelle 
œuvre  si  belle. 

Y  aurait  ben  à  dire  sus  ceus  empêchements  que  sont 
advenus  pour  faire  l'arrêt  de  tous  les  corps  de  bâtiments 
suparbes  que  nos  Géants  avont  mis  en  œuvres  vives  cheus 
nous  pendant  des  centaines  et  des  centaines  d'an-nees. 
D'ailleurs,  y  a  cheus  nous  comben  t'i  d'églises  que  sont 
pas  naissues  de  mesme  veine  que  les  clochers,  et  c'est  un 
peu  la  cause  que  fait  dénoumer  Gargantua  le  grand  bâtis- 
seur de  clochers. 

Y  a  pas  qu'à  Saint-Pierre-des-Étieux  qu'on  voit  des 
manques.  Je  le  disais  en  coumençant,  ceus  manque  arpré- 

I.  Cette  œuvre  d'une  grande  envergure  a  été  découronnée  de  sa 
splendide  flèche,  en  pierre  de  taille,  depuis  quelques  années.  Elle 
menaçait  ruine,  dit-on.  Va-t-on  la  réparer  ?  Paraît  que  les  pièces 
d'appareil  ont  été  numérotées  et  démontées  avec  soin  et  rangées 
précieusement.  C'est  à  souhaiter  que  l'on  nous  rende  cette  mer- 
veille d'architecture  française. 


8o  NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

sentont  la  malice  du  Diâbe  qu'est  toujours  auprès  jaspi- 
gner  l'idée  de  Dieu  pour  la  dévoyer,  la  dénaturer,  au 
besoin  la  mascander  et  la  bousiller. 

Le  clocher  de  Saint-Pierre-des-Étieux  es'  une  œuvre  de 
grande  beauté  et  brâveté,  mais  l'église  ne  répond  point  à 
son  clocher.  Peut-être  y  avait  i'  une  belle  église  qu'a  été 
mascandée?  C'est  possibe  !  A  Chârost  y  a  itou,  à  ce  que  j'ai 
ouï-dire,  un  clocher  suparbe  et  l'église  n'est  point  en 
accordement.  C'est  pareil  aus  Aix  Dame  Angillon  et  à 
Chatiaumeillant.  Sembelrait  que  ceus  grands  clochers 
auraint  été  bâtis  à  n'un  voyage  du  grand  Géant  et  que  les 
églises  avont  été  œuvrées  d'un  voyage  de  moyens  Géants. 

A  Vereau  semble  que  c'est  de  la  mesme  veine  que  Val- 
lon et  Saint-Pierre-des-Étieux.  L'église  est  pus  belle 
œuvre,  à  cause  de  son  si  hiau  portai,  que  le  clocher  qu'est 
pas  si  brave  çartainement  que  les  deus  grands  de  Vallon 
et  de  Saint-Pierre.  Je  seus  qu'un  bourin,  moé,  mais  j'éma- 
gine  que  ceti  portai  de  l'église  de  Vereau  c'est  une  œuvre 
de  première  main.  J'en  ai  janmais  entendu  parler  par  des 
bourgeois  du  si  tant  bel  portai  de  Vereau,  mais  mon  grand 
père  Regnaud  le  connaissait  ben  et  itou  le  père  Bordier 
qu'en  parlait  souvent,  surtout  à  cause  de  ceus  si  belles 
petites  estâtues  que  son  là  bravement  pourtant  anvé  une 
grâce  inimaginabe,  le  ceintre  de  la  porte  qu'est  mouluré, 
esculté  et  festonné  qu'on  peu  ren  veoir  de  souperieure  à 
ceti  ouvrage.  A  Gearmigny-l'Exemp  on  crairait  que  l'église 
a  été  faite  par  le  grand  Géant  et  le  clocher  bâti  par  un 
moyen  Géant;  mais,  dans  les  premiers  des  deuxièmes 
serait  ceti  clocher. 

Au  Gravier,  sembelrait  que  le  clocher  et  l'église  c'est  de 
mesme  veine  que  les  grand' œuvres  que  j'ai  noumés.  Pour 
mon  compte  à  moé,  ceus  bâtiments  suparbes  de  Vereau, 
de  Gearmigny  et  du  Gravier  ça  ven  d'un  passage  de  Gar- 
gantua qu'est  pas  arrivé  à  la  connaissance  du  monde  de 
nos  parages  aussi  ben  que  la  tournée  de  Vallon  à  Saint- 
Pierre-du-Moutier  par  Sancoing  et  le  Veurdre.  Et  puis, 
faut  dire  une  chouse,  y  a  peut-être,  y  a  ben  çartainement 
des  genss  de  ceus  coûtés  là  que  savont  le  fin  mot  sus  ceus 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


grands  ouvrages  géantesques,  que  moé  je  counais  point, 
bounes  gens.  Si  un  biau  jour  vous  voyez  Mon-sieur  Cha- 
put  de  Charenton,  i'  vous  dira  que  le  père  Bâffier  es'  un 
viens  queutiaut  pace  que  j'aurai  passé  trop  vite  sur  l'ou- 
vrage que  j'ai  enterprise  de  vous  conter  là  pour  cens 
voyages  de  nouter  grand  Géant  Gargantua.  I'  vous  dira 
encore,  ceti  Chaput,  que  Gargantua  tenant  la  lisière  du 
Berry  à  Saint-Pierre-des-Étieux  a  veoulu  panêtrer  le 
plein  Berry,  et  il  a  jité  son  grous  martiau  en  tirant  sur 
Bourges.  Et  le  dit  martiau  est  tumbé  à  Charly,  auprès 
Blet,  là  où  a  été  le  Géant,  en  partant  de  Saint-Pierre-des- 
Étieux,  pour  bâtir  le  clocher  qu'on  voit  encore  au  jour 
d'aujourd'hui. 

Ce  serait  en  venant  de  Charly  pour  aller  à  Saint-Pierre- 
du-Moutier,  par  Sancoing,  qu'il  aurait  passé  faire  œuvre 
au  chàtiau  de  Sagonne  qu'était  une  place  forte  de  grands 
Syres  qu'avont  régné  sur  le  Mont-Joï,  sus  Sancoing  et 
sus  le  Veurdre,  à  ce  que  j'ai  ouï-dire,  ben  entendu,  pace 
que  je  peus  pas  en  mettre  mon  cou  sous  le  couperet  de 
Mon-sieu  Guillotin. 

A  persent,  si  in  houme  résout  venait  vous  dire  que  Gar- 
gantua, en  mesme  temp  qu'il  était  à  Sagonne  \  a  bâti  le 
châtiau  de  La  Mouthe,  qu'est  à  trois  cents  toises  de 
Sagonne,  qu'il  a  dû  bâtir  le  châtiau  de  Solon,  qu'est  à  six 
cents  toises  de  La  Mouthe,  qu'il  a  itou  bâti  la  Mainson-Fort 

I.  Sagonne,  bourg  gaulois,  gallo-romain,  devint  une  tête  de  com- 
mandement au  moyen  âge.  Les  sires  de  Sagonne  ont  commandé 
à  Sancoins  et  même  au  Veurdre.  Malgré  les  restaurations  ineptes 
que  Mansard  fit  subir  au  château  fort,  il  était  encore  imposant  il  y 
a  cinquante  ans.  La  ville,  qui  offrait  un  ensemble  remarquable  de 
maisons  des  xv"  et  xvi°  siècles,  tombe  en  ruine.  Un  entrepreneur 
de  dévastation  avait,  tout  récemment,  acheté  la  maison  dite  du 
Bailly,  pour  la  démolir  et  la  revendre  à  quelque  grossier  américain, 
sans  dotate.  Le  maire  de  la  commune,  M.  Gestat,  ayant  fait  appel 
aux  «  Etats  Généraux  du  Tourisme  »,  ceux-ci  adressèrent  une 
demande  de  classement  au  sous-secrétariat  d'Etat  des  Beaux-Arts. 
La  démolition  commencée  a  été  arrêtée.  Au  moment  où  nous  rédi- 
geons cette  note,  on  espère  sauver  l'œuvre,  qui  est  un  des  nombreux 
témoignages  de  notre  art  régional  qui  porta  de  si  belles  floraisons 
en  Berry.  Au  dernier  moment,  on  nous  apprend  que  la  maison 
vient  d'être  classée. 


82  NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

qu'est  à  trois  cents  toises  de  Solon  et  qu'il  a  fait  la  belle 
église  de  Vereau  que  touche,  je  veus  dire  que  touchait  le 
grous  châtiau  de  la  Mainson  Fort  qu'est  rasé  à  cetelle 
heure,  faurrait  pas  soutenir  que  c'est  pas  vrai. 

Mes  poures  amis,  moé  je  vas  vous  dire  :  Je  me  seus 
enterpris  là  auprès  in  ordon  qu'est  pas  coulant.  Tout  ça 
pour  faire  plaisir  à  mon  petit  garson  Ugène  qu'a  idée  çar- 
tainement  de  se  sarvir  de  mon  parlage  pour  ses  escul- 
tures.  Peut-être  qu'i  veut  mettre  en  estâtue  la  belle  pres- 
tance de  Gargantua  ou  du  Géant  de  l'Ours.  Peut-être 
veut  i'  se  sarvir  de  cetelle  prestance  de  nos  Géants  d'auter- 
foés  pour  ceti  monument  qu'i  fait  pour  Bourges  aus 
enfants  du  Berry.  D'un  sens,  c'est  ben  une  boune  idée,  mais 
sans  doutance  aucune,  ça  li  rappourtera  pas  groûs,  le  poure 
enfant,  ceus  idées  de  nos  Pays  à  l'heure  où  tout,  cheus 
nous,  est  à  la  mode  des  îles  du  lointain,  pour  mieus  dire 
à  la  mode  du  Diâbe. 

Asseurément  que  Mon-sieu  Chaput  sait  causer  mieux 
que  moé.  Si  voulez  Mon-sieu  Chaput,  allez  quérir  Mon- 
sieu  Chaput  qu'est  un  râle  bounhoume^  et  sa  famé  c'est 
une  gente  famé  que  pourte  encore,  et  bellement,  la  coiffe 
de  Saint-Amand.  Pour  une  fumelle  qui  sait  se  coiffer,  je 
vous  garantis  qu'aile  sait  se  coiffer,  et  c'est  une  famé  gra- 
cieuse, comme  i'  faut,  agueryabe.  Bon  Dieu  !  la  gente  famé  ! 
C'est  vraiment  deus  parsounes  gentement  appareillée  et 
on  peut  dire  que  c'est  la  vraie  boune  famille  de  monde  de 
cheus  nous,  qu'on  peut  donner  coume  modèle. 

Y  a  Mon-sieu  Gaulmier  qu'a  été  un  grand  magistrat  à 
Bourges  et  qu'est  vraiment  bounhoume,  coume  étaint  nos 
anciens  Seigneurs  que  counaissaint  les  noms  de  leus  bois, 
de  leus  près,  de  leus  champs  et  de  leur  genss,  et  i'  vous 
parlerait  ben  li  itou  de  nos  Géants  d'auterfoés.  Il  a  des 
garsons  que  sont  de  boune  venue,  coume  leu  père  et  boun- 
houmes  coume  nos  anciens  Seigneurs  ^  I'  sont  capabes 

i.Un  des  fils  de  «  Monsieur  Gaulmier,  Monsieur  Joseph  »,  est  devenu 
maire  de  Charenton,  et  il  est  encore  dans  l'exercice  de  cette  magis- 
trature au  moment   où  nous   préparons   notre  copie  pour  l'impri- 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  83 

de  vous  parler  mieus  que  moé,  ben  seur,  des  œuvres  du 
Grand  Gargantua  sur  le  Terroé  de  Saint-Pierre-des-Étieux 
et  de  Charenton.  Pour  le  moument,  c'est  souffisant  que 
vous  savaint  que  le  clocher  de  Saint-Pierre-des-Etieux, 
sans  être  la  marveille  des  marvcilles,  coume  ceti  là  de  Val- 
lon, c'est  une  marveille. 

Savez  don  que  le  bon  seigneur  de  Charenton,  qu'était 
un  grand  Syre  à  ce  moument  là,  a  donné  soun  ainde 
pour  Saint-Pierre,  mais  i'  coumandait  sus  Epineuil,  Meil- 
land,  Bruère,  Mont-Rond  et  il  a  évu  çartainement  de 
l'ainde  de  cens  Seigneuries  pour  l'œuvre  râle  qu'est  là 
plantée  comme  un  chef  coumandant  sans  que  je  penche 
saveoir  le  just  pour  quoé.  Mon-sieu  Gaulmier  ou  ben 
Mon-sieu  Chaput,  les  deus,  peut-être  ben,  vous  diront  le 
fin  mot  là-dessus  et  sus  le  festin  qu'a  été  douné  dès  quant 
la  croé  a  été  pousée  sur  le  fait  du  clocher  si  tant  beau. 

Mes  bons  amis,  cependant  que  le  bon  Géant  fait  ses 
apprêts  de  départiement  de  Saint-Pierre-des-Étieux  et  de 
Charenton,  si  voulez  me  suire  je  vons  nous  transpourter 
au  Mont-Joï  là  où  je  vons  causer  un  peu  des  ravages,  des 
saccages  que  les  brigands  avont  fait,  non  point  seulement 
au  Mont-Joï,  mais  dans  les  alentours. 

Coument  avai'  été  saccagé  le  châtiau  du  Mont-Joï. 

Gargantua  devait  remainier  le  fort  châtiau  du  Mont-Joï 
après  des  dégâs  abominabes  que  la  troupe  des  caterres,  des 
libartins  boèmes,  des  routiers  et  des  patarins  avaint  fait 
non  point  tant  seulement  auprès  le  dihors  et  le  dedans  du 
châtiau,  mais  itou  auprès  le  perieuré  et  les  bâtiments 
que  restaint  de  l'ancienne  ville.  Vous  dire  les  douleurs  et 
malheurs  qu'avaint  enduré  les  genss  qu'étaint  resté  à  Joï, 
c'est  ren  de  le  dire.  Sancoing  avait  souffri  comben  t'i  et  au 
mesme  temp  que  Joï.  On  dit,  les  uns  le  grand  Syre  de 
Courtenay,  les  autres  le  grand  Syre  de  Sancerre,  l'un  ou 
l'autre,  peut-être  l'un  et  l'autre,  avaint  envoyé  des  capi- 

meur.  Il  vient  de  nous  faire  visite  et  il  regrette  le  court  arrêt  du 
père  Baffier  à  Saint-Pierre-des-Etieux  et  à  Charenton. 


84  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

taines  et  des  gens  d'armes  pour  les  mettre  à  la  raison,  ceus 
caterres,  ceutis  boèmes  libartins,  ceus  routiers  qu'avaint 
mosîblé  Joï  et  Sancoing  et  asseurément  ben  ailleurs  dans 
les  alentours,  coume  le  marquait  mon  grand-père  Re- 
gnaud,  et  que  je  peus  pas  vous  marquer,  moé,  dans 
cetelle  histoire  qu'est  pour  le  bon  Géant  Gargantua. 

Coument  on  a  vu  la  prise  du  châtiait  de  Mont-Joï 
par  les  caterres^  les  boèmes  libartins  et  les  patarins. 

Asseurément,  c'est  besoin  que  je  vous  conte  coument 
cetelle  troupe  de  mange-pain  pardu  est  venue  au-dessus  de 
Joï  et  de  Sancoing  et,  malhureusement,  pas  qu'une  foés, 
pace  que  je  veoirons  ben  tout  Gargantua  prêcher  conter 
ceus  brigands  et  faut  ben  que  vous  soyaint  en  connais- 
sance des  brigandages  de  ceus  monstres  infarnals. 

C'était  par  les  Chaumes  Sauteriau  que  ceus  infâmes  gal- 
mandis  étrangers  avaint  panétré  dans  le  giron  du  Mont- 
Joï  qu'était  soi-disant  inpernabe  à  cause  de  sa  grand' 
ceinture  d'iaue  qu'était  la  pus  arnoumée,  paraît,  dans  nou- 
ter  Mitant,  après  Bourges.  Dum-le-Roi  venait  après  Joï. 

Cetelle  troupe  d'écumeurs,  de  détrouceurs  et  de  détrui- 
ceurs  avait,  à  ce  qu'on  dit,  un  chef  que  tenait  auprès  li 
toute  les  malices  du  grand  Loucifer.  Des  genss  disaint 
ben  que  c'était  grand  doumaige  que  ceutis  vices  infâmes 
étaint  au  sarvice  du  Diâbe,  pace  que  ceus  infamies  tour- 
nées dans  la  bonne  veine  ça  aurait  été  à  la  gloire  de  nos 
pays  du  Mitant  au  ïeu  d'être  à  leu  déveine. 

Moé  je  crais,  coume  le  crayait  mon  grand-père  Regnaud, 
que  ceti  chef  de  libartins  était  in  enfant  de  garse  engen- 
dré par  le  Vieus  Belzébuth  d'an'  un  bouzin  d'enfer,  ni 
mais,  ni  moins.  Point  ne  faut  tenter  Dieu,  point  ne  faut 
s'étouner  de  veoir  maintes  foés  les  apparences  de  vartus 
parer  en  dihors  les  pires  infamies  du  dedans.  Le  tout,  pour 
les  braves  gens,  est  de  soupeser  les  propos  en  grattant  dou- 
cement la  fleurs  de  pian  du  grous  malin  que  se  fait  boun 
apôtre.  On  tarde  point  à  veoir  monter  du  cœur  de  la  mau- 
vaise bête  le  vrin  empoésouné. 


NOS   GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  85 

Y  a  ren  que  me  met  pus  hors  de  moé  quante  j'entends 
dire  d'un  riscatout  :  «  C'est  doumaige  qu'i  soye  si  chétit, 
coume  i'  serait  bon  si  i'  veoulait  s'en  donner  la  peine.  » 

Le  bon  du  chétit,  le  chétit  du  bon,  ça  fait  le  jeu  des  lic- 
tins  fisolofcs  que  vivont  de  la  sottise  du  monde,  mais  nous 
autres  j'avons  besoins  d'appeler  un  chat  un  chat,  in  hou- 
nête  houme  c'est  pas  un  fripon  et  un  fripon  c'est  pas  un 
hounête  houme.  Asseurément,  c'est  le  devoir  d'un  chacun 
qu'a  de  l'hounêteté  véritabelment,  de  montrer  la  malice  du 
Diâbe  que  prend  souvent  la  formance  des  grâces  de  Dieu 
pour  faire  les  pires  malfaçons  et  mauvaisetés. 


Ceti  chef  des  lictins  fisolofes,  des  boèmes  libartins,  des 
caterres  et  des  patarins,  des  begigis  et  des  maignans  avait 
tué  un  rabouilleus  que  voyageait  sur  les  iaues  de  la  grand' 
ceinture  d'iaue  coume  i'  veoulait  anvé  une  neoire^  de 
joncs  et  de  rouziaus  qu'il  avait  fait  pour  pêcher  des  sang- 
suies,  cueillir  des  grands  joncs  et  des  grand'rauches  qui 
vendait  pour  faire  des  couvartures  de  mainsons. 

Après  aveoir  pris  les  habits  de  ceti  rabouilleus  et  jité 
son  calâbre  dan'  un  précipice,  i'  s'était  habillé  anvé  cens 
habits  du  pourâs  minabe  qu'il  avait  émité  tant  qu'il  avait 
pu  dans  son  parlage,  dans  sa  dégain-ne,  en  tout  et  pour 
tout. 

Après  aveoir  passé  la  ceinture  d'iaue  sur  la  neoire  de 
joncs,  de  rauches  et  de  rouziaus,  le  patarin  a  été  cogner  à 
une  petite  potarne  qu'était  à  une  avancée  du  fort  châtiau. 
Qui  qu'est  là  ?  a  querié  fort  le  garde  de  la  potarne.  Ami  !  qu'a 
répounu  le  brigand.  Quoé  veus-tu?  a  dit  le  garde,  et  le 
pourâs  a  répounu  :  Je  veus  parler  à  ton  Seigneur!  Passe 
ton  chemin,  ventrâille  du  diâbe,  qu'a  dit  encore  le  garde, 
ou  je  te  fait  dévoérer  par  mes  chiens.  Ne  t'avise  point  d'une 
si  telle  sottise,  maudit  valet,  qu'a  répounu  le  rabouilleus; 
j'appourte  ton  salut  et  ceti  là  de  ton  maître.  Va  t'en  te  faire 

I.  Radeau. 


86  NOS   GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

pendre  dans  l'enfer  du  Diâbe,  de  là  où  tu  deven,  mauvais 
hère,  et  laisse  moé  tranquille,  qu'a  dit  encore  le  garde.  Mais 
le  brigand  infâme,  fasant  l'émitation  de  la  voix  doulante  du 
rabouilleus,  a  dit  pitieusement  :  malhureus  !  malhureus! 
C'est  toé  que  sera  pendu  sans  rémission  si  tu  parmet  pas 
à  un  bon  sarvant  de  ton  Seigneur  de  sauver  le  châtiau  de 
Joï  que  l'armée  des  caterres,  des  libartins  boèmes  et  des 
patarins  va  prenre  demain  matin,  de  belle  heure  sans 
faute  '. 

Entendant  çà,  le  garde  a  évu  peur  et  il  a  songé  de  faire 
part  à  son  Seigneur  de  la  nouvelle  qu'i  venait  d'ouïr.  Le 
Seigneur  a  ri  en  entendant  ceus  propos  et  il  a  voulu  veoir 
ceti  là  que  les  tenait.  En  voyant  le  déchet  humain  que  li 
perdisait  sa  parde  pour  le  lendemain,  il  a  souri,  et  coume 
il  était  bounhoume,  il  a  fait  appourter  une  soupe  de  pois 
chiches  au  pourâs.  Par  mainière  de  badinage,  il  a  veoulu 
causer,  le  Seigneur,  anvé  le  guerdau  que  li  a  redit  l'asseu- 
rance  que  son  châtiau  serait  pris  le  landemain  par  l'armée 
des  caterre  et  des  boèmes  et  que  c'était  à  coup  seur  pour 
soé,  son  monde,  ses  capitaines  et  ses  gens  d'armes,  un 
grand  malheur  pace  que  li  pourâs  malhureus,  minabe, 
s'était  trouvé,  par  hasard,  à  pourtée  d'entendre  ceus  bri- 
gands que  se  sont  vantés  d'égorger  tous  et  toutes  parsounes 
humaines  qu'i  prenront  au  châtiau  de  Joï.  Et  c'est  pour  çà, 
mon  Seigneur,  qu'a  dit  le  misérabe,  que  je  me  seus  mi  en 
danger  de  parde  la  vie  pour  vous  avartir  de  ce  grand 
malheur  qu'est  en  décide  à  l'heure  que  j'en  parle,  pour 
vous  frapper  demain  à  mort,  vous,  vos  capitaines,  vos 
gens  d'arme  et  toutes  vos  genss. 

Rassurez-vous,  mon  poure  houme,  qu'a  dit  le  Seigneur, 
ne  vous  mettez  point  tant  en  peine,  à  cause  de  moé,  mais 
asseurément,  puisque  vous  savez  que  ceti  grand  malheur 

I.  Le  lecteur  est  prié  de  ne  pas  oublier  que  tous  ces  re'cits  étaient 
des  préceptes  d'instruction  et  d'éducation,  au  physique  comme  au 
moral,  et  des  digressions  se  faisaient  au  gré  du  conteur,  selon  le 
but  qu'il  voulait  atteindre.  J'ai  entendu  nombre  de  fois  conter  ce 
siège  du  «  châtiau  de  Joï  »  avec  des  détails  divers;  le  fond  restait  inva- 
riable. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  87 

es'  en  décide  de  m'advenir,  vous  savez  ben  sans  doute 
coument  i'  se  préparc!  Et  ben  seur  que  je  le  sais,  mon 
Seigneur,  coument  aile  se  prépare  la  prise  de  voûter  cha- 
tiau.  C'est  par  l'étranguellement  que  fait  le  Mont- Roi 
auprès  la  grand'  ceinture  que  ceint  le  Mont-Joï. 

Oh!  ben!  rassurez-vous,  poure  houme,  qu'a  dit  le  bon 
Seigneur,  je  crains  ren  de  ce  coùté-là.  Si  c'était  aus 
Chaumes-Sauteriau,  çà  serait  une  auter  paire  de  manches; 
et  faurrait  veoir,  mais  du  Mont-Roi  y  a  ren  à  faire.  Ren 
du  tout  !  Faites  en  çà  qu'où  vourrez,  mon  Seigneur,  qu'a  dit 
le  pourâs,  asseurément,  veillez  y  tout  de  mesme.  Un 
boun  avarti  en  vaut  deux,  vous  savez  ben  !  Moé  j'ai  veoulu 
vous  sarvir  pace  que  je  sais  que  vous  êtes  pour  la  bonne 
cause,  mon  cher  Seigneur,  à  persent  je  vous  demande  par- 
don de  vous  aveoir  été  à  çarge  et  je  vous  souhaite  bon 
pourtement  à  vous,  à  vos  capitaines,  à  vos  gens  d'armes  et 
à  toutes  vos  genss.  Et  que  le  bon  Dieu  vous  ainde! 


Dès  quante  le  pourâs  a  été  parti,  le  Seigneur  s'est 
arsongé  en  li  mesme  et,  s'en  pouveoir  s'en  empêcher,  la 
venue  dans  son  châtiau  de  cetelle  chiure  du  diâbe  li  sabou- 
lait  tout  son  calâbre  du  fait  de  sa  tête  aux  fins  de  ses 
artous^  Il  a  envoyé  de  ses  genss  veoir  si  on  artrouverait 
le  guerdau,  mais  on  n'a  ren  trouvé  qu'une  chetite  guenille 
de  mantiau,  vès  le  bord  du  lac,  que  le  garde  de  la  potarne 
et  le  Seigneur  avont  reconnu  pour  être  la  souquenille  que 
traîn'nait  le  gueu. 

Le  Seigneur,  de  mais  en  mais  tormenté  par  les  dire  du 
çarche-pain,  a  coumandé  doubel  garde  du  coûté  du  Mont- 
Roi,  et  li  mesme  a  veoulu  de  ses  œils  veoir  si  vraiment 
les  attaques  se  fasaint  coume  le  miteu  l'avait  dit. 

On  a  ben  vu,  vès  le  coup  de  la  mi-nuit,  des  houmes 
d'armes  et  d'auters  individus  que  pourtaint  et  plantaint 
des  pieus  dans  l'ieau  et  qu'attachaint  des  parches  anprès 

I.  Doigts  de  pieds. 


•NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


sans  se  presser.  D'auters  manœuvraint  des  bachaus,  tous 
çà  était  fait  vanigottement,  c'était  quasiment  risibe,  mais 
le  Seigneur  n'était  point  tranquille  malgré  cetelle  mollesse 
de  l'attaque.  Sa  tormentation  contuinant  de  le  sabouler  à 
la  mode  du  Diâbe,  il  a  coumandé  à  deus  compagnies  de 
pourter  leus  obsarvances  d'un  coûté-  sus  la  Rencontre, 
sus  Bessy,  Levigny  et  Varisson,  de  l'auter  coûté  sur  San- 
coing  et  Augy.  Les  deus  compagnies  arlevaint  les  gardes 
sus  leur  chemin  et  devaint  se  rencontrer  aus  alentours  des 
Chaumes-Sauteriau,  là  où  y  avait  doubele  gardes. 


Ailes  se  sont  ben  rencontrées  les  deux  troupes,  mais 
cetelle  là  de  Joï,  çà  été  pour  être  battue,  vaut  tant  dire  le 
fin  mot,  pour  être  tuée. 


Le  gueus,  trois  foés  gueus,  le  fi'  de  bousin,  l'esquerment 
du  Viens  Satan  incarné  n'avait  pas  amusé  le  terrain,  coume 
vous  pensez.  Dihors  du  châtiau,  dihors  des  anciens  rem- 
parts de  la  ville,  se  cachant  dans  les  petits  taillis,  les 
balais  et  les  genièvres,  pour  éviter  l'œil  du  veilleur  au  fait 
du  grous  donjon  qu'on  voit  à  cetelle  heure  à  mi-côrps, 
ceti  fi  du  Viens  infâme  Çasair,  coume  l'appel  la  mère  à 
Ugène,  a  gagné  les  Chaumes-Sauteriau  sur  la  neoire  de 
joncs  marins. 

Une  foés  hors  de  l'enceinte  des  iaues,  il  a  souné  du  cor 
qui'  pourtait  jour  et  nuit  pendlé  auprès  li,  et  le  temp  de 
virer  la  main,  une  petite  troupe  de  cavaillés  résouts  et  bons 
à  tout  s'est  mise  en  deveoir  de  pourter  le  coumande- 
ment  pour  faire  un  semblant  d'attaque  au  Mont-Roi, 
anvé  une  petite  troupe,  et  de  faire  l'assaut  véritabe  aus 
Chaumes-Sauteriau.  Tout  çà  a  été  fait  déligentement  anvé 
empourtement,  et  le  poure  Seigneur  de  Joï,  ses  capitaines 
et  ses  gens  d'armes  avont  été  quasiment  tous  tués. 

On  dit  que  les  dame  et  damoiselles  du  châtiau  de  Joï 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  89 

avont  été  forcées  et  tuées ^  Les  moines  qu'étaint  au 
perieuré  avont  été  tués  itou.  Les  genss  que  demeuraint 
dans  le  restant  des  mainsons  que  formaint  auterfoés  la  ville 
dans  les  temps  anciens  avont  évu  à  soufrir  les  mille 
misères  de  ceutis  brigands  passagers,  jusqu'à  temp  que 
les  grands  Syres  de  Sancerre  avont  envoyé  de  l'ainde  à 
nos  poures  malheureus  anciens  à  fine  fin  de  les  délivrer 
de  l'emprise  des  brigands  étrangers  que  tenaint  itou  San- 
coing. 

La  venue  de  Gargantua, 

Tous  cens  carnages  du  Mont-Joï  et  de  Sancoing,  sans 
compter  les  misères  qu'avont  endurées  les  alentours  par 
rapport  au  passage  et  surtout  au  séjour  dans  la  contrée, 
de  cens  enfants  du  Diâbe,  avaint  jité  dans  l'esprit  du  monde 
de  nos  coûtés  comme  une  mainière  de  quasi  aplâmisse- 
ment  que  fasait  peine.  Mais,  sitôt  que  le  bruit  a  couru  que 
Gargantua  vinrait  sans  faute  arméger  tous  ceus  dégâs 
qu'étaint  dans  l'âme  des  genss  aussi  ben  que  dans  les 
armées  de  guerre  et  les  remparts  des  villes  et  des  bourgs, 
y  a  évu  coume  une  flambée  d'arconsolâtion  et  la  vivacité 
de  chacun  a  retrouvé  soun  aplomb.  Dès  quante  on  a  su 
que  le  Géant,  venant  d'Igrande  par  Vallon  en  Seully,  Saint- 
Pierre-des-Etieux  et  Charenton,  passerait  au  Mont-Joï  et 
à  Sancoing,  le  réveil  s'est  fait  dans  les  esprits  et  on  s'est 
préparé,  chacun  de  son  mieus,  pour  arcevoir  le  grand 
Gargantua,  non  point  coume  des  aplâmis  en  décourage- 
ment, mais  au  contraire  en  houmes  résouts  à  réparer  les 
fautes  qu'avaint  fait  tumber  su  nouter  petit  Mitant  de  si 
tant  grands  malheurs  et  misères.  Je  sais  que  y  a  évu  des 
chârettes  brisées,  en  voulez  ti  en  voela,  pour  la  succes- 
sion du  Seigneur  de  Joï.  Les  Seigneuries  de  Sagonne.  de 
La  Mouthe,  de  Solon,  de  Vereau,  Mainson-Fort,  de  Grous- 

I.  Des  squeleUes  de  femmes,  avec  des  bracelets  restés  après  les 
ossements  et  enterrés  profondément  au  pied  du  château,  sont  évo- 
qués comme  témoignages  de  ces  récits  oraux. 


go 


NOS    GEANTS   d'aUTERFOÉS. 


souver,  de  lenesse  et  paraît  mesme  de  Bannegon  avont 
été  en  bisebille  au  sujet  de  cetelle  succession,  mais  je  veus 
point  entrer,  pour  le  moument,  dans  cetelles  affaires  pace 
que  mes  poures  mondes  çà  nous  mènerait  au  cinq  cents 
diâbes  là  où  t'i  ! 

Gargantua,  après  aveoir  quitté  Saint-Pierre-des-Étieux 
et  trois  petites  arrêtances  à  Charenton ,  Bannegon  et 
Ainay-le-Châtiau,  i'  s'est  départi  au  Mont-Joï  en  jitant  son 
petit  coup  d'œil,  en  passant,  aus  Chaumes-Sauteriau. 

Gargantua  au  Mo7ît-Joï. 

J'aurais  ben  à  dire  sur  le  petit  voyage  du  bon  Géant,  de 
Saint-Pierre-des-Étieux  à  Joï,  mais  faut  point  nous  arrê- 
ter même  à  marquer  l'arrivée  du  grand  artisan  à  Joï. 

Gargantua  avait  remainié  le  châtiau  de  Joï  pour  le  garan- 
tir conter  les  emprises  venant  du  coûté  des  Chaumes- 
Sauteriau,  là  oix  se  trouvaint,  soi-disant,  les  feublesses  de 
la  place  forte,  mais  asseurément  le  bon  Géant  a  dit  au  nou- 
veau Seigneur  et  à  ses  capitaines,  assemblés  vès  li,  que  sou- 
ventes  foésles  feublesses  des  places  étaint  dans  les  têtes  et 
les  cœurs  des  guerriers  qu'avaint  la  çarge  de  les  garder 
nettes.  «  Y  a  point  de  forts  châtiaus  que  sayaint  inpernabes, 
entendez  ben,  mes  Seigneurs,  qu'il  a  dit  fort!  Gargantua, 
c'es'  à  dire  que  faut  songer  à  se  garantir  par  de  bons 
garants,  mais  ça  nesoufïit  point.  La  nature  de  l'éplette,  sa 
formance  sont  percieuses  çartainement,  mais  faut  songer 
sans  rémission  au  manche'  qu'actionne  l'éplette.  Un  bon 
artisan  tenant  un  mauvais  uti  fera  quante  mesme  de  la 
bonne  ouvrage,  mais  une  bonne  éplette  mal  actionnée  çà 
dounera  ren  de  bon.  Par  ainsi,  mes  Seigneurs,  songez  la 
nuit  et  le  jour  que  l'en-nemi  vous  guette  sans  décotter 
et  que  c'est  au  moument  que  l'on  a  ren  à  crainder  que  faut 
aveoir  peur. 

Pernez  farme  de  l'exarcice  rude  à  contuiner  pour  l'en- 

I.  Sous-entendu  concernant  la  personne  qui  tient  l'arme  ou  l'outil. 


NOS    GÉANTS   D AUTERFOES.  CI 

tertenement  de  vos  narfs'  et  l'attrempe  de  voûter  esprit 
sans  parde  de  temp  à  écouter  les  propos  des  lictins  fiso- 
lofes  et  des  libartins  boèmes.  Dormez  que  d'in  œil  et  jan- 
mais  les  deus  pieds  dans  le  mesme  sabot^.  Arcoumendez 
voûter  àme  à  Dieu  du  fond  de  voûter  cœur,  mais  sans  jan- 
mais  croiser  vos  mains,  que  devron'  être  prête  à  toutes 
minuites  de  nuit  coume  de  jour  à  tirer  l'épée. 

Si  vous  avez  ben  tenu  voûter  ordon  de  voûter  vivant, 
on  vous  fera  croiser  les  mains  dès  quante  vous  serez  morts. 
Si  vous  tumbez  en  gloire,  sus  le  champ  de  bataille,  on  fera 
les  mains  jointes  à  voutre  estàtue  pour  voutre  arpousement 
céleste,  c'es'  à  dire,  qu'en  récompense  de  vos  œuvres  ter- 
restre, on  vous  mettra  en  délice  les  œils  vèsle  ciel,  et  encore 
et  encore,  vaut  çartainement  mieus  pour  exemple  que  le 
guerrier  soye  arprésenté  en  estâtue  l'œil  dret  à  hauteur  de 
l'œil  de  son  en-nemi  tarribe.  Et  l'en-nemi  le  pus  tarribe 
de  l'homme,  c'est  l'homme^.  J'ai  dit,  mes  Seigneurs,  bon 
pourtement  et  bon  compourtement  je  vous  souhaite. 

Le  Seigneur  a  répounu  :  «  Grand  Syre  Gargantua,  vous 
avez  parlé  coume  i'  faut  parler  à  des  guerriers.  Pour  mes 
gens  d'armes,  pour  mes  capitaines,  je  vous  donne  l'asseu- 
rance,  que  nouter  devoir  sera  fait.  »  Et  Gargantua  a  dit  : 
«  Brave  !  » 


Mes  chers  mondes!  mes  chers  mondes!  d'un  ren  j'allais 
oubelier  de  vous  marquer  que  Gargantua  a  mangé  une 
bouchée  après  aveoir  fini  soun  ordon  au  Mont-Joï.  C'est 
ben  asseurément  au  moument  de  ce  petit  goûter  qu'il  a 
fait  le  petit  prône  que  je  vous  ai  dit  et  je  songeait  ben  pas, 
Jean  fesse  que  je  seu,  à  vous  marquer  ceti  petit  repas.  On 
perd  la  coutume,  voyez,  de  dire  ceus  contes,  et  la  mémoire 

1.  C'est  du  muscle  qu'il  s'agit. 

2.  Nous  avons  cru  garder  cette  expression  particulièrement  chère 
au  conteur. 

3.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  Gargantua  représente  l'esprit  en 
même  temps  que  la  matière. 


gi  NOS    GÉANTS    D  AUTERFOÉS. 

ce  reuille^  coume  les  vieilles  casseroles  de  fer  battu  que 
sarvont  pas.  Faut  dire  aussi  pour  moun  escuse  que  le  petit 
goûter  du  grand  Géant,  au  Mont-Joï,  c'est  si  peu  de  chouse 
en  comparaison  de  la  poêlée  de  Vallon  que  j'avons  vue  et 
de  cetelle  là  de  Sancoing  que  je  veoirons  ben  tout  que  c'est 
pas  trop  étounant  qu'on  ne  songe  point  de  la  marquer, 
cependant  aile  en  mérite  la  peine.  Il  a  mangé  six  grous 
sanghiers,  six  grands  çarfs,  douze  biaus  chevreuils  et  une 
dizaine  de  marcassins  routis,  six  douzaines  de  canards 
sauvages  et  six  douzaines  de  judeles,  tout  ce  gibier  routi 
en  brochette,  et  pour  finir  quatre  tonnes  de  biaus  poissons 
frits,  bonnement  rissolés  et  sarvi  au  Géant  sur  des  claies 
de  cueudre.  Il  a  beu  une  bonne  lampée  d'iaue  claire  au 
bel  et  grand  étang  et  pour  se  refaire  la  bonne  bouche  il  a 
humé  et  lululé  une  vingtaine  de  pièces  de  vin  de  la  coûte 
de  Levigny  qu'était  un  vin  frais,  de  bonne  boete  et  feriand. 

Ceti  châtiau  du  Mont-Joï,  qu'on  voit  démantibulé  à  per- 
sent  et  qu'est  pourtant  fier  encore  d'apparence  ^,  devai'  être 
impersiounant  en  cens  temps  que  je  vous  parle,  anvé  le 
perieuré  et  le  bourg  qu'étaint  tapis  auprès  le  grous  calàbre 
de  pierre,  coume  des  marcassins  vès  leus  mère  laie.  Dans 
ma  jeunesse,  j'ai  été  deus  foés  à  une  assemblée  que  tenait 
le  jour  de  la  Saint-Jean  sus  la  grand'chaume  qu'était  la 
place  du  bourg  auterfoés  devant  le  châtiau,  sans  compter 
qu'i'  tumbait,  à  cetelle  assemblée,  ben  du  monde,  mais  du 
depuis  une  dizaine  d'an-nées  je  crai  que  c'est  étardi  cetelle 
apport^. 

Le  grand  étang  de  Javoulet  que  fai'  encore  quasiment 
une  moétié  de  ceinture  à  ceti  Mont  du  coûté  de  Varisson, 
de  Levigny,  de  Bessy,  de  la  Rencontre  et  du  Mont-Roi, 
anvé  le  grand  étang  de  Sancoing,  étardit,  que  pouriait  la 
rivière  l'Aubois  en  remontant  vès  Augy,  sus  l'Aubois, 

1.  Rouille. 

2.  Plusieurs  fois  remanié,  le  fort  château  actuel  présente  les  formes 
du  xiv  siècle. 

3.  Ce  mot  vient  du  Bourbonnais;  au  Veurdre  et  à  Saint-Liobar- 
din,  il  se  prononce  «  appaurt  ». 


NOS   GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  g3 

c'était  une  râle,  vraiment  râle  position  pour  une  forte- 
resse, et  la  mère  à  Ugène  a  ben  raison  de  dire  que  le  Vieus 
Casair  n'avait  point  manqué  de  faire  du  Mont-Joï  une 
mainière  d'affût  pour  prenre  ceti  gibier  humain  qu'il  appri- 
vait  pour  le  sarvice  de  ses  infamies  abominabes  coumc  on 
voit  des  braconniers  monstreus  qu'apprivont  des  cailles 
pour  les  faire  sarvir  à  prenre  les  auters  cailles.  Paraît  que 
Gargantua  trouvait  cetelle  position  suparbe,  ni  mais,  ni 
moins,  et  qu'il  a  dit  des  chouses  belles,  belles,  sur  ceti  spec- 
tac,  si  beau  qu'était  ofîri  aus  œils  de  ceus  guerriers  fourâches 
mais  point  en-nemis  des  vartus  et  des  beautés  de  nouter 
Terre,  coume  on  le  veut  faire  encraire,  ben  à  tort,  pace 
que  nos  anciens  Seigneurs  tenaint  tout  et  tout  de  nouter 
belle  Terre,  la  Terre  de  cheus  nous!  Je  vous  demande  un 
peu,  si  c'est  du  bon  sens,  de  venir  nous  dire  que  ceutis  Sei- 
gneurs masacraint  toutes  les  récoltes  des  campagnards, 
qu'à  des  foés  mesme  ils  empourtaint  les  éplettes  de  leus 
laboureus  dans  leus  châtiaus.  Faut  t'i'  aveoir  l'entende- 
ment encrassé  pour  artenir  coume  véridiques  de  tels  pro- 
pos. Voyez  ti  ceus  Seigneurs  ramassant  les  éplettes  de 
leus  houmes'  et  les  empourtant  dans  leus  châtiaus,  les 
enfroumant  sous  clés  pour  les  faire  arbonurer  à  fine  fin 
de  les  manger,  sans  doute,  à  la  vinaigrette,  ceutis  harnais 
de  laboureus. 

Gargantua  trouvait  réjouissant  à  regarder  la  belle  cein- 
ture d'iaue  naturelle  et  si  ben  aménagée  que  tenait  en  ceus 
temps-là  le  fort  châtiau  de  .Toi. 

Il  a  longtemps  parlé,  le  bon  Géant,  à  ce  que  disait  mon 
grand-père  Regnaud,  des  avantages  doubles  qu'on  peuvait 
tirer  de  cetelle  ceinture  d'iaue  suparbe,  tant  pour  se  garan- 
tir de  l'emprise  des  patarins,  des  lictins  fisolofes^,  des 

1.  Leurs  hommes  ou  métayers,  c'était  les  vassaux  qui  s'étaient 
donnés,  selon  le  contrat  synalagmatique,  et  non  pas  les  esclaves, 
comme  on  veut  nous  le  faire  croire. 

2.  Les  «  lictins  fisolofes  »,  qui  représentent  les  sophistes  sont  recon- 
nus par  la  tradition  orale  comme  ennemis  des  plus  dangereux  à 
cause  de  la  déformation  des  idées  et  des  faits  qu'ils  répandent  à 
profusion. 


94 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


boèmes  libartins  et  des  caterres ,  que  pour  l'aménage- 
ment du  pays,  la  consarvâtion  des  vartus  et  des  richesses 
naturelles  de  nouter  belle  Terre. 

Cetelle  ceinture  admirabe  que  se  voit  encore  du  coûté 
de  Varisson,  de  Givardon,  de  Sagonne,  de  Vereau,  de 
Groussouver  et  jus  au  dret  du  Mont-Roi,  on  peut  com- 
prenre  encore  la  grandesse  et  la  brâveté  du  spectac  que  çà 
devait  donner  au  moument  que  Gargantua  causait  anvé  le 
Seigneur  de  .Toi",  entouré  de  ses  capitaines  et  de  ses  gens 
d'armes. 

Du  coûté  de  Sancoing,  on  voit  davantage  à  cetelle  heure 
que  les  enterperneurs  de  détruicion  sont  tout-puissants 
maîtres.  L'étang,  le  grand  bel  étang  de  Sancoing,  que  for- 
tifiait la  rivière  Aubois  en  fasant  de  Tiaue  dans  le  pied  des 
remparts  de  la  ville  est  quasiment  pas  voyabe,  d'ailleurs, 
l'Aubois,  qu'était  une  gente  rivière  auterfoéset  comben  t'i 
sarvabe  pour  les  moulins,  les  forges  et  fourniaus,  poes- 
souneuse  et  pleine  d'agréments,  n'est  pus  qu'un  chétit  riau 
là  où  on  voit  couler  de  l'iaue  pendant  que  la  pluie  tumbe. 
Tard  à  tard  on  voit  des  pécheurs  résouts,  que  pâssont  des 
journées  à  tremper  des  petites  ficelés  dans  cetelle  iaue  boule, 
pour  prenre  de  loin  en  loin  des  malheureus  chétits  poes- 
sons  acquenis  et,  lâs  de  train-ner  la  misère  dans  ceus 
iaues  empestées,  i'  se  jitons  anprès  ceus  ficelés  ben  çartai- 
nement  pour  en  finir  anvé  la  vie  misérabe  qu'i  menont 
dans  des  iaues  que  les  guernoilles  bauffutont  et  abandon- 
nont  pour  aller  vivre,  i'  ne  sais  où,  peut-être  dans  les  rues 
de  Paris  qu'avont  tant  d'attirances. 


Tous  ceus  forts  châtiaus  de  Groussouver,  de  Garem- 
bey,  de  Mainson-Fort,  de  Solon,  de  la  Moûthe,  de 
Sagonne,  de  Bannegon,  d'Ainay,  de  lenesse  que  sont 
tous  ruinés,  démantibulés,  sauf  Groussouver  et  leness 
qu'avont  été  rebâtis,  étaint  t'i'  auterfoés  en  mouvance  du 
Mont-Joï  ou  ben  de  Sagonne  que  paraît  itou  aveoir  été 
une  tétc  de  coumandement  de  grand  Syre. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  qS 

Mon  grand-père  Regnaud  savait  ceus  chouses-là  et  i' 
m'en  parlait  souvent,  mais  dame,  mes  poures  amis,  çà  n'a 
point  tenu  accrocheté  en  ma  sacrée  gibarne  de  mémoire. 
Je  sais  que  y  a  évu  des  chârettes  brisée  en  voulez  ti  en 
voela,  entre  ceus  Seigneuries.  Je  sais  que  ceus  Seigneuries 
avont  été  armis  d'accord  devant  le  danger  coumun,  et  ceti 
danger  coumun  c'estait  la  troupe  que  j'avons  vue  à  Urçay 
cnpoussant  le  peuple  conter  Gargantua,  que  j'avons  vue 
tuant  l'ancien  seigneur  de  Joï,  ses  capitaines,  ses  gens 
d'armes,  sa  famille  et  ses  genss  en  pernani  position  au  châ- 
tiau  de  Mont -Joï  qu'a  été  repris  queuque  temps  après, 
coume  je  venons  de  le  veoir,  par  nos  Seigneurs. 

Compernez-vous  ben  les  chouses  que  je  vous  marque, 
mes  chers  mondes.  C'était  ceus  bandes  de  brigands  étran- 
gers que  saccageaint  tout,  que  massacraint  nos  familles, 
détruisaint  nos  récoltes  en  arbe,  en  bousillant  nos  harnais 
de  labourage,  et  tout  et  tout,  et  non  point  nos  Seigneurs 
qu'avaint  des  feublesses,  c'est  çartain,  mais  i'  n'étaint  pas 
des  affaubertis  brisacs,  des  mangeus  de  blé  en  arbe  et  des 
pitreus  de  garet,  coume  on  a  çarcher  à  nous  le  faire  craire, 
pour  leu  plaisir,  pace  que  le  mal  qu'i'  peuvaint  faire  à 
leus  genss  c'était  du  mal  pour  zeus  mesme.  Au  contraire, 
les  autres,  les  étrangers,  les  patarins,  les  caterres,  les 
boèmes  libartins,  les  begigis,  les  roulants,  les  maignans 
voulaint,  coume  i'  voulont  aujourd'hui  le  jour  pus  que 
janmais,  l'esplotâtion,  la  détruicion  des  richesses  natu- 
relles de  nouter  belle  Terre.  Mon  grand-père  Regnaud  m'a 
dit  que  Sancoing  a  été  prise  et  reprise^  souventesfoés  par 
ceus  troupes  d'enfants  de  cateau  que  se  làssaint  pas  d'ar- 
venir  malgré  les  fernàillées  qu'i'  recevaint. 

Asseurément,  les  beaus  remparts  qu'avait  fait  le  bon 
Gargantua  avec  l'ainde  des  artisans  de  ville  et  de  cam- 

I.  Les  documents  historiques  écrits,  ils  sont  assez  rares,  que  nous 
avons  pu  consulter  ne  sont  pas  d'accord,  conséquemment  pas  définis 
catégoriquement.  Avec  des  suppléments  d'étude,  on  pourrait  arri- 
ver à  établir  un  classement  des  faits  et  la  grande  lutte  des  races 
s'éclairerait  parfaitement. 


96  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

pagne  avont  évu  à  souffrir  affreusement,  ainsi  que  les 
belles  mainsons  à  grand' tourelles  et  à  fiers  pignons,  dans 
ceus  fernâillées  éffréyabes. 

A. un  moument  qu'est  venu,  la  Pervôté  des  marchands 
et  artisans  est  devenue  la  Pervôté  du  roi.  Mon  grand-père 
savait  pas  trop  ou  ne  voulait  pas  me  dire  le  fond  de  soun 
idée  là-dessus,  mais  je  crai  ben  qu'i'  sentait  en  dedans  de 
li  mesme  un  regret  de  la  première  Pervôté  qu'avait  virée 
les  caterres,  les  boèmes  et  les  patarins,  surtout  les  lictins 
fisolofes  que  la  Pervôté  royale  a  flattés  pour  son  malheur 
et  le  noûter^ 

Le  dépaj'tiemeyit  de  Gargantua  du  Mont-Joï 
pour  Sancoing. 

Si  faut  en  craire  mon  grand-père  Regnaud,  la  mère  à 
Ugène  et  le  père  Bordier  de  Goutière,  Sancoing^  était  jà 
une  ville  belle,  anvé  des  remparts,  avant  la  venue  du  Vieus 
Çasair  Brise-Tout,  et  paraît  que  çà  été  pour  tenir  en  res- 
pect cetelle  ville  que  ceti  cousin  gearmain  du  Vieus 
infâme  Belzébuth  avait  bâti  un  châtiau  sur  le  Mont-Joï, 
qu'avait  jà,  ben  seur,  un  fortin. 

Pendant  les  temps  glorieus  que  nos  grands  Géants  d'au- 
terfoés,  bâtissaintnos  villes  et  nos  bourgs,  nos  cathédrales, 
nos  clochers,  nos  forts  châtiaus,  nos  fiers  remparts,  tout 
en  comformant  nos  communautés  des  artisans  des  villes 


1.  Dans  les  derniers  Géants  de  cheus  nous,  le  grand-père  Regnaud 
se  prononce  plus  nettement.  Il  déplore  que  nos  Seigneurs  et  nos 
Rois  monarques  n'aient  pas  compris  le  Fais  ce  que  dois  tant  recom- 
mandé par  le  bon  Géant  Gargantua,  qui  est  en  définitive  l'Hercule 
gaulois  duquel  descendent  la  chevalerie  et  les  ordres  monastiques. 

2.  Son  nom  gaulois  présente  plusieurs  orthographes  :  Tincon,  Cin- 
con.  La  carte  de  Jehan  Chaumeau  porte  Xincon.  Sancoins,  ville 
gallo-romaine,  c'était  Tinconium,  Cinconium  ou  Xinconium.  Une 
lettre  patente  de  Louis  XIV  porte  l'orthographe  Cencoing.  Il  est 
évident  que  cette  ville  a  été  vouée  à  l'effacement  en  tout  et  pour 
tout  ce  qui  la  concerne  :  ses  remparts,  ses  monuments,  sa  citadelle, 
ses  maisons  et  jusqu'à  son  nom  devenu  méconnaissable  avec  l'or- 
thographe Sancoins,  qui  est  une  dérision. 


NOS    GEANTS   D  AUTERFOKS.  97 

et  des  campagnes,  pour  raménagement  et  rembellissement 
de  nos  pays,  dans  toute  la  France,  Sancoing  a  évu  à  souf- 
frir mille  et  mille  souffrances  pour  virer  les  patarins,  les 
caterres,  les  boèmes  libartins,  les  lictins  fisolofes,  les 
bédoins,  les  routiers,  les  maignands,  les  begigis,  les  for- 
rains,  les  bâstiers  et  la  coulée  des  mauvais  espris  de  malé- 
fices échappés  des  chaudières  infarnales  du  Vieus  Louci- 
fer  incarné.  Je  l'ai  jà  dis  çà,  mais  c'est  besoin  de  le  redire 
souventes  foés. 

Pendant  les  guerres  de  Sancerre,  et  encore  aus  temps 
des  guerres  de  Mont-Rond,  paraît  que  çà  chauffait  fort 
tout  partout  sus  nos  coûtés.  Sancoing  a  été  prise  et  reprise, 
comme  je  l'ai  jà  marqué  d'après  mon  grand-père  Regnaud. 
D'ailleurs,  y  a  pas  ben  longtemps  encore  qu'on  parlait 
couramment  cheus  nous  de  ceus  guerres  de  Sancerre  et  de 
Mont-Rond.  Le  vaillant  capitaine  Theuraut,  qu'a  défendu 
Ainay-le-Châtiau  conter  les  capitaines  du  grand  Syre  du 
Mont-Rond^  était  d'une  famille  encore  existante  à  cetelle 
heure  à  Ainay  etmesmement  à  Sancoing.  La  dame  Brucy 
Theuraut,  famé  de  Mon-sieu  Gaberiel  Brucy,  notaire  à 
Sancoing,  est  de  la  famille  Theuraut,  tenant  dans  son  sein 
le  fier  capitaine  qu'a  maintenu  nette,  pour  le  Roi  Mo- 
narque, cetelle  ville  d'Ainay-le-Chàtiau. 

Sancoing,  coume  Ainay,  a  évu  à  souffrir  comben  t'i' 
encore  au  moument  de  ceus  guerres  de  Mont-Rond,  et, 
bounes  gens,  çà  n'était  pus  pour  ses  franchises,  ses  cou- 
munautés,  sa  Pervôté,  ses  milices.  C'était  pour  le  Roi  qu'a 
veoulu  tout  prenre  à  son  compte,  le  poure  houme,  le  fond 
anvé  le  revenu,  la  dîme  et  l'impôt,  le  labour  et  la  semâille, 
la  moésson  et  la  boulangerie,  le  pain,  le  froumage  et  la 
poire,  la  chieuve  et  le  choux  et  tout  et  tout,  tant  et  si  ben 
qu'un  biau  matin  les  caterre  et  les  boèmes  libartins,  les 
lictins  fisolofes  et  les  forrains  n'avont  évu  qu'à  le  couper 
en  deus  morciaus  ceti  poure  Roi  Monarque  pour  mettre 
sa  puissance  dans  leus  sac. 

I.  C'était  le  prince  de  Condé. 


g8  NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

Et  la  ville  de  Sancoing,  qu'avait  été  prise  et  reprise, 
encore  prise  et  reprise,  au  nom  du  Roi,  avait  pardu  à 
châ  petit  sa  Pervôté  des  marchands  et  artisans,  ses  éche- 
vins,  ses  miliciens,  ses  biaus  remparts,  sa  citadelle 
suparbe,  son  perieuré,  ses  belles  mainsons  gradées  à  fières 
tourelles,  à  grands  pignons,  toutes  escultées  sur  le  devant, 
sus  le  derriè,  sus  les  coûtés,  en  dihors,  du  pied  jusquante 
au  fait  des  couvartures,  là  où  on  voyait  des  Jolies  girouettes 
en  fer  forgé  et  des  chous  frisés  ou  ben  des  échardons  que 
semblaint  Jiller  naturellement  des  têtes  de  fourniaus.  Les 
dedans  de  ceus  belles  mainsons  pareillement  aus  dihôrs, 
escultés  et  crépis  divinement,  anvé  les  planchers,  les 
combles,  de  belle  charpenteries,  étaint  bravés  de  la  cave  au 
guernier,  et  tout  çà  par  nos  fameus  artisans  d'auterfoés 
que  travaillaint  léaument  pour  la  gloire  de  leurs  commu- 
nautés, pour  rhouneur  de  leus  familles,  à  l'imitation  de 
nos  grands  Géants,  les  primes,  les  fins,  les  francs,  les  forts 
que  battaint  le  Diàbe  pour  l'amour  de  Dieu  ! 


A  ce  que  j'ai  ouï-dire  par  mon  grand-père  Regnaud,  j'ai 
souvenance  qu'après  aveoir  tourné  une  dernière  foés  sa 
regardure  autour  du  Mont-Joï,  le  grand  Gargantua  est 
tumbé  en  arrêt  devant  Sancoing.  Il  a  dit  aus  Seigneurs, 
aus  capitaines,  aus  gens  d'armes  et  autres  genss  qu'étaint 
la  assemblés,  entour  li,  anvé  résarve  d'un  grand  rondiau, 
que  .Sancoing  étai'  une  ville  d'importance  du  depuis  les 
temps  anciens,  anciens*  que  mon  grand-père  m'a  ben 
noumé,  mais  je  m'en  rappel  pus.  Asseurément,  ça  se  rap- 
pourte  anvé  les  dires  de  la  mère  à  Ugène.  Il  a  vanté,  glo- 
rifié mesme,  les  vartus  de  résistance  au  mauvais  sort  que 
cetelle  place  fortifiée  avait  montrées  maintes  et  maintes 
foés.  Paraît  qu'aile  a  évu  des  remparts  de  toutes  beauté, 

I.  C'était  vraisemblablement  avant  les  temps  gallo-romains. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  99 

la  ville  de  Sancoing,  et  d'une  attrempe  que  ça  fasait  pas 
bon  de  sy  forter  quand  on  n'avait  pas  envie  d'êter  pigné. 


Après  aveoir  fait  encore  queuques  remarques  sus  les 
devoirs  de  l'houme  de  guerre,  avisé  et  avarti  de  son  mieus 
le  Seigneur,  pour  le  tenir  en  garde  conter  les  emprises  de 
ses  en-nemis,  le  Géant  a  envisagé  son  départiement,  ceielle 
foés  pour  de  bon.  Visibelment,  il  était  attiré  vès  cetelle 
ville  arnoumée  que  l'attendait  pour  se  résoudre  à  saveoir 
si  aile  devait  simpelment  arlever  ses  remparts,  fortement 
endoumaigés,  ou  ben  les  renforcer  farme. 

Ce  voyant  la  décide  du  Géant,  le  Seigneur  de  Joï  li  a  dit  : 
«  Grand  Sire  Gargantua,  si  voulez  vous  départir  par  le 
Mont-Roi,  je  vas  vous  faire  derser  un  fort  pont  de  batiau 
à  virer  la  main.  » 

C'est  pas  la  peine,  mon  cher  seigneur,  qu'a  dit  le  bon 
Géant.  Et  après  avoir  salué  les  dames,  les  damoeselles,  le 
Seigneur,  ses  capitaines,  ses  gens  d'armes  et  une  foulée 
d'autres  genss  qu'étaint  là  venues  pour  être  dans  la  tem- 
pérature de  Gargantua  que  donnait  de  la  primeté,  de  la 
confiance  et  de  la  bounhoumie  à  tous  ceutis-là  que  le 
voyaint,  le  Géant,  d'une  petite  lancée,  il  a  gambé  aisé- 
ment sus  le  Mont-Roi.  De  là,  il  a  querié  en  douceur  au 
Seigneur  de  Joï  de  li  envoyer  aussi  vitement  que  possibe 
ses  éplettes,  son  martiau,  sa  cognie,  sa  pince  ringare,  son 
fourniement  par  ses  batiaus,  vès  les  remparts  de  Sancoing 
que  trempaint  leus  pieds,  en  ceus  temps-là,  dans  le  grand 
étang  que  remontait  l'Aubois-sus-Augy  en  joignant  les 
iaues  qu'enlupaint  le  Mont-Joï^  On  voit  encore,  à  cetelle 
heure,  la  chaussée  de  ceti  étang  que  formait  auterfoés, 

I.  Il  ressort  clairement  de  l'énumération  des  importants  châteaux 
environnant  le  Mont-Joï,  et  de  sa  relation  avec  Sancoing  par  la 
grande  ceinture  d'eau  qui  l'enveloppait,  que  cette  place  a  joué  un 
grand  rôle  aux  temps  gallo-celtiques,  aux  temps  gallo-romains  et  aux 
temps  gallo-français. 


100  NOS    GEANTS    D AUTERFOES. 

coume  aile  forme  à  persent,  la  grand  rout-e  de  Bourges 
à  Autun,  et  que  va  itou  sus  Lyon  par  Moulin. 

Après  aveoir  regardé  passer  les  batiaus  que  s'en  allaint 
de  .Tavoulet  sur  Sancoing,  Gargantua,  d'une  auter  gambée, 
il  a  été  sur  le  Mont-Carpeau,  de  là  où  il  a  vu  ses  batiaus 
que  navigaint  toujours  du  coûté  de  la  ville.  Il  a  contuiné 
à  tirer  ses  plans  pour  les  aménagements  des  bras  et  des 
queus  de  ceus  étangs  par  rapport  aus  fortifications  de  San- 
coing et  itou  à  l'aveur  des  positions  naturelles  du  fort  châ- 
tiau  de  Joï,  arié  des  alentours  du  coûté  de  Beauvais  et  en 
tiran  sur  Fred-Font  et  la  rivière  d'Arcueil  que  se  jitte  à 
Fred-Font  dans  l'Aubois. 

Dès  quante  il  a  évu  sa  flotte  amârée,  vès  la  porte  de  la 
ville,  la  porte  Saint-Martin,  que  joutait  don  la  chaussée  de 
l'étang,  formant  la  route  comme  je  l'ai  dit,  le  bon  Géant, 
tranquille  coume  Baptiste,  de  sa  troisième  gambée  il  a 
pousé  son  pied  gauche  jus  devant  le  grand  portai  de  l'hôtel- 
lerie de  la  Pardrix-Grise,  sur  la  place  d'arme  de  San- 
coing, qu'on  appelait  itou  la  place  de  la  Vieille-Église 
dans  ma  jeunesse. 

Gargantua  à  Sancoivg.  Cotiment  s'est  vue  la  grande  foiil- 
titude  de  peuple  qu'a  voulu,  coûte  que  cotite,  arlever  et 
renforcer  les  remparts  au  coumandement  du  grand 
Géant. 

Ces'  t'i'  de  partout  qu'on  savait  que  Gargantua  devait 
venir  à  Sancoing?  Ces'  t'i'  qu'on  l'avait  deviné  à  des 
remarques  dans  la  température  de  l'air?  ou  ben  par  des 
porféties?  Ces  t'i' pour  auter  chouse?  Moé,  mes  chers 
mondes,  j'en  sais  ren,  j'en  sais  ren  du  tout!  mais  c'em- 
pêche  pas  que  j'ai  toujours  ouï-dire  que  de  toutes  les 
paroisses  d'alentour  y  était  venu  à  Sancoing  un  monde  !  un 
monde!...  Paraît  qu'une  épingue  jitée  à  la  vouléc  dans  les 
rues,  sur  les  places  n'aurait  point  tumbé  à  terre  tant  c'était 
foulé!  satté!  C'était  ben  asseurément  pas  pour  enfiler  des 
parles  que  ce  monde  était  venu  en  si  grande  foultitude, 
mais,  sans  doutance  aucune,  c'était  Gargantua  qu'attirait 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOES.  IOÎ 


ce  peuple.  Oui,  mes  amis,  c'était  pour  le  grand  Géant, 
bâtisseur  des  clochers,  des  forts  châtiaus,  des  remparts 
suparbes,  des  glorieuses  citadelles,  que  cetelle  foulée  de 
monde  c'était  pourtéc,  enserrée  coume  des  arengs  en  catil- 
lon  sur  les  place  et  dans  les  rues  de  Sancoing, 


Nos  grand  Géants  d'auterfoés  étaint  francs,  boun- 
houmes,  mais  c'était  Gargantua  et  le  Géant  de  l'Ours  qu'é- 
taint  les  eûmes  du  peuple  de  cheus  nous,  par  leus  capa- 
cités, leus  primeté,  leus  franchise,  leus  grâces,  leus  vartus, 
leus  bounhoumie. 


Gargantua  épendait  entour  li,  i'  ne  sait  coument,  une 
grâce,  une  force,  une  grandesse,  une  primeté,  une  fran- 
chise, une  bounhoumie,  une  confiance  que  randait  résout 
et  content  de  vivre  tout  un  chacun  qu'était  dans  son 
rayon. 

Tout  le  monde  qu'était  venu  de  tous  les  coûtés  environ- 
nants pernait  asseurance  conter  la  mauvaise  Aire  en  voyant 
le  bon  Géant  si  généreus,  et  c'était  à  qui  voulait  le  sarvir 
en  tous  ses  moinders  besoins  et  désirs.  Asseurément, 
c'était  li  toujours  que  se  trouvait  sarvant  de  tout  le  monde. 

Gargantua,  par  sa  primeté,  par  sa  force,  par  sa  franchise, 
surtout  par  sa  finesse  gracieuse  et  sa  charmante  bounhou- 
mie, i'  s'était  mis  au  dessus  du  mazerier  '  humain  qu'i'  peu- 
vait  voir  d'un  peu  haut  à  cause  de  sa  grand'taille  mais  sur- 
tout à  cause  de  soun  entendement  divin  des  chouses  delà 
Terre  et  du  Monde.  Sans  tant  seulement  battre  les  pau- 
pières, i'  toisait  de  l'œil  la  capacité  d'une  foultitude  de 
peuple  et  i  savait  mainier  cetelle  foulée,  pour  li  faire  don- 
ner le  jeu  qu'i'  voulait,  ni  mais  ni  moins  que  Compagnon 

I.  Fourmillière. 


102  NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 

de  Nevers  savait  affiâter  son  cornet  de  musette  pour  le 
faire  flùtter  comme  les  petits  maries  ou  ben  le  faire  breuil- 
1er  coume  les  pus  grous  teriaus  vachers. 

Le  moument  qu  'on  voit  apparaître  le  Docteur  Bounet-Rond. 

Cependant  que  les  cloches  sounaint  à  toute  voulée, 
Mon-sieu  le  curé,  les  autorités  de  la  ville  étaint  là  sur  la 
place  d'armes  pour  souhaiter  la  ben  venue  au  grand  Géant. 

Le  coumandant  d'armes,  ses  capitaines,  ses  gens  d'armes 
étaint  à  leus  rangs.  Le  Pervôt  des  marchands  et  artisans, 
les  échevins  et  les  miliciens,  les  maîtres  aus  coumunau- 
tés  des  artisans  étaint  tous  là,  et  on  a  demandé  au  bon  Géant 
si  il  avait  besoin  de  prenre  queuques  petites  chouses  pour 
soé  se  lester. 

Et  le  bon  Géant  a  répounu  :  Seigneur  coumandant, 
capitaine  et  gens  d'armes,  Pervôt,  échevins,  miliciens, 
maître'  aus  coumunautés  d'artisans,  artisans  de  la  ville  et 
artisans  de  la  campagne,  entendez  ben  çà  que  je  vas  vous 
dire  :  «  Je  sens  venu  pour  travailler  au  relèvement  et  au 
renforcements  de  vos  remparts,  voulez-t'i  arlever  et  ren- 
forcer vos  remparts?  »  Vive  Gargantua!  vive  Gargantua! 
vive  Gargantua!  a  querié  la  foultitude  des  artisans  del  a 
ville  et  de  la  campagne. 

Les  autorités  sont  restées  penaudes... 

Une  mainière  de  cagot  pourtant  un  grand  bounet  rond 
et  que  parsoune  avait  vu  encore  à  Sancoing  s'es'  avancé 
et  il  a  dit  :  «  Syre  Géant,  Syre  coumandant,  mon-sieu  le 
Pervôt,  mes-sieus  les  Échevins,  mes-sieus  les  Maîtres, 
Bounes  genss  ». 

«  Ne  vous  mettez  don  point  en  peine  d'arlever  vos  rem- 
parts? Surtout  ne  les  renforcez  point.  Çà  vous  fera  mal 
aus  mains,  çà  vous  fera  peiner  et  çà  ne  vous  avancera  à 
ren  du  tout,  au  contraire,  çà  déplaira  à  vos  en-nemis,  que 
s'enmaliceront,  que  s'encolèreront;  i'  feront  peste  et  raige, 
et  i'  revindront  les  débesiller  vos  remparts  renforcés.  Vous 
serez  à  nouveau  pillés,  vos  famés,  vos  tilles,  vos  sœurs 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  Io3 

seront  forcées,  et  vous  autres  serez  tués  ou  brûlés  vivants 
ou  ben  écorchésà  vif. 

«  N'irritez  point  vos  en-nemis,  i  ne  vous  feront  point  de 
mal.  Si  vous  contuinez  à  derser  des  murailles  devant  z'eus 
i'  contuineront  de  s'irriter,  de  tout  briser,  de  tout  casser, 
de  tout  dévaster  dans  vos  villes  et  dans  vos  campagnes. 
Au  contraire,  si  vous  abattez  vos  murs,  si  vous  désarmez 
vos  guerriers,  vous  aurez  la  paix.  Laissez-les  bonnement 
entrer  dans  vos  villes  ouvartes  vos  en-nemis,  en  leus  don- 
nant tous  les  loisirs  de  panêtrer  cheus  vous,  à  seul  fin  de 
prenre  çà  qui  vourront,  sayez  asseuré  qu'i  seront  bons 
vivants.  Par  ainsi  vous  aurez  la  paix  asseurément,  la  paix, 
la  tranquillité  et  le  bounheur.  J'ai  dit!  » 

Les  autorités  étaint  de  mais  en  mais  penaudes.  Les 
guerriers  boutrounaint,  la  foultitude  avait  les  œils  sus 
Gargantua  que  regardait  en  souriant  le  sieu  au  bonnet 
rond,  ceti  la  regardait  ren. 

Gargantua  a  dit  :  «  Mon-sieu  le  docteur,  vous  avez 
causé  comme  un  livre,  un  biau  livre  de  lictin  fisolofe, 
pour  nous  raconter  anvé  une  grâce  parfaite  et  tous  les 
assaisonnements  des  esprits  charmeurs,  l'histoire  du  petit 
garson  qu'a  veoulu  se  salir  dans  l'ecuelle  du  chanvreu.  » 

«  Contez-nous  l'histoire  du  petit  gâs,  grand  Géant!  que 
la  foultitude  a  querié  fort!  fort!  »  Et  le  grand  Géant  a 
dit  :  «  C'était  une  foés  un  petit  gâs  qu'était  pas  élevé  et 
instruit  par  sa  famille  dans  la  dreture  et  léauté  de  la  race 
du  monde  glorieus.  Le  père  et  la  mère  de  ceti  enfançon 
étaint  pour  le  Fais  ce  que  veux  conter  le  Fais  ce  que  doés. 
Ce  petit  fasait  don'  çà  qu'i'  veoulait  et  on  li  donnait  tout 
çà  qu'i  veoulait.  Un  biau  jour,  il  a  demandé  à  son  père  de 
li  mettre  en  mains  la  lune  qu'i'  voyait  bréillant  dans  le 
temp   bleu.  Le  père  a  répounu  que  çà  se  peuvait  point. 

«  Et  le  petit  chermant  enfant  s'est  mis  à  piatter,  à  brailler 
anvé  une  si  telle  raige  qu'il  en  est  tumbé  mort.  On  a  évu 
mille  et  mille  peine  à  le  faire  arvenir.  Le  père  et  la  mère 
avont  juré  que  jan-mais,  au  grand  jan-mais  i'  contrayeraint 
pus  leus  petit  genti  enfant,  pour  aveoir  la  paix!  la  tran- 


104  NOS    GÉANTS    D AUTERFOES. 

quillité!  le  bounheur!  cheuz  eus.  Le  lendemain  de  ceti 
jour  penibe,  le  petit  garson  chéri  a  mis  un  petit  chat  vivant 
dedans  un  pot-au-feu  bouillant  et  il  a  veoulu  que  son 
papa  et  sa  maman  mangeaint  la  soupe  au  chat.  Li,  le  petit 
mignon,  n'en  a  point  veoulu  manger  delà  soupe  au  chat; 
le  père  et  la  mère  avont  mangé  la  soupe,  i'  l'avont  trouvé 
bonne,  cetelle  soupe,  pour  aveoir  la  tranquillité,  la  paix 
et  le  bounheur.  Deu'  ou  trois  jours  après  ceti  esploit, 
le  peti  mignon  genti  a  été  au  cellier  ouvrir  la  champleure 
d'un  poinson  à  peine  entaimé,  et  quasiment  deus  cent 
pintes  de  bon  vin  avont  été  pardues.  Le  bon  père  et  la 
bonne  mère  avont  ren  dit  pour  aveoir  la  paix,  la  tranquil- 
lité et  le  bounheur. 

«  Regardant  sa  grand'mère  que  filait  au  rouet  en  chantant 
une  chanson  de  cheus  nous,  que  li  plaisait  et  qu'il  avait 
demandé  le  petit  fi'  chou,  chou,  il  a  cassé  le  rouet  d'un 
grand  coup  de  maluche  à  fine  fin  de  veoir  l'étounement 
de  la  poure  famé,  qu'il  a  traitée  de  vieille  garse,  à  cause  des 
pleurs  qu'aile  a  varsés  sus  son  rouet  brisé  qu'était  une 
relique  de  famille. 

«  Un  biau  matin,  le  chanvreu  est  venu  en  cetelle  main- 
son  pour  forter  et  arriver  le  chanvre.  Le  petit  garçonnet 
charmant  a  été  le  voir  travailler  dans  l'étâbe  du  chevau  et 
sa  maman  li  a  querié  :  «  Mon  petit  amé  chéri,  veut-tu  dire 
«  au  chanvreu  de  venir  manger  la  soupe  !  » 

«  Et  le  petit  chéri  a  ben  veoulu  dire  au  chanvreu  de  venir 
manger  la  soupe.  Cependant  que  le  bon  chanvreu  s'épar- 
pissait,  s'époussetait,  se  lavait  les  mains,  le  petit  gâs  char- 
mant a  évu  une  idée  inconcevabe.  C'était  de  se  salir  dedans 
l'écuelle  du  chanvreu,  dans  sa  soupe,  et  le  pire  c'est  qu'il  a 
dit  qu'i  voulait  veoir  le  chanvreu  mangeant  sa  marde!  La 
poure  mère  est  tumbée  en  transes  mortelles  en  appernant 
une  si  telle  fantaisie  de  son  tant  amé  enfant  et  aile  s'est 
mise  à  fondre  en  larmes,  le  perlant,  le  supeliant  de  ne 
point  songer  à  une  si  telle  abomination. 

«  Mais  le  petit  ange  mignon  s'est  mis  à  brailler  affreuse- 
ment, en  tapant  des  pieds,  en  déchirant  les  ridiaus  des 


^l 'e  L  pcv. 


>î-^^îr^fc5^'^ 


|L  sus  bon!-  fç  qrous  Bougr.aulr.  Ce  sacré  Girard!, -DfavaifiuTit'^ 
rqibarnencrtié'inotrç  ggpnVe-  Sus  tout  f'ri '■0'-''"ciC5chotise$duCicf,de^a< 
>y?"f?«.!:c!L!A1o-ttfî«.,t7îeauaiî"  causer,.  Xe.taitpri'rne  à  louvm^ç  e.t  dur dîon^ 
i^afâb^e.ll•l1çfeés  an-iuèsafiffeia  qroii$5f  36'^''^-^?/i^BV'^iif''^fii2S,a  unefoit 
jr\  ç  .Nevers.sep-ï  cochons  cte  r^oi5wo^s;ef^'or^s,  dan'u-n  grousf)apsonC3^)lpbT^ 

^»an-nçpcii55s,>'au  cad?ca  l/o?^ure.^i'«  peutehçuwe  ffusaacheïè  fçs  cie^lS<è3.;A' 
'Ij'-uscoOersdefefJ-rtcuriTis.D  5oTi'arvenii5  «"5  CiraioiYiï'S  HeCUvippes  aiiv^  fesl!  |p' 


■ntj^reîUrits  d? 


jifaitbt'i  Quatorze  Vçus  dans  Lsusfoiapufg.  Jo(jstif5^eîavon(-iiMnap?rff 


;Q''?# 


■|^' 


HûiePlEMEU  de  BREF?  rs. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  I05 

lits,  en  brisant  à  grands  coups  de  bâton  les  vaisselles  du 
dersoé,  tant  et  si  ben  que  le  père  du  petit  gâs,  que  pieu- 
chait  au  jardin,  est  venu  en  courant,  épardu,  craiyant  à 
l'avènement  d'un  grand  malheur! 

«  Le  chanvreu  était  là,  ne  disant  mot,  jugé!  bible! 
étardi! 

«  La  poure  mère,  fondant  en  pleurs  et  doulante  à  faire 
pitié  à  un  chevau  de  bronss,  a  perié  le  bon  chanvreu 
coume  on  prie  le  Bon  Dieu.  En  li  pernant  les  deus  mains 
dedans  les  sennes,  se  rendant  à  li  supeliante,  aile  queriait, 
la  poure  créiature  :  mon  bon  chanvreu  !  mon  bon  chan- 
vreu! laissez  faire  mon  poure  petit  chéri!  Je  vous  en  prie, 
je  vous  en  suplie,  ayez  compassion  de  nous,  pouraveoire 
la  paix,  la  tranquillité  et  le  bounheur  cheus  nous.  Je  vous 
arcompenserai  mon  bon  chanvreu!  Et  le  père  du  chéri 
adoré  joignait  ses  doulances  à  cetella  de  sa  famé.  Le  bon 
chanvreu,  pleurant  de  compassion  de  veoir  ceti  poure 
monde  en  si  grands  torments,  a  ben  voulu,  à  fine  fin,  que 
le  ben  amé  chéri  adoré  mignon  enfant  libartin  se  salisse 
dedans  sa  soupe,  pour  la  paix,  la  tranquillité  et  le  boun- 
heur de  la  si  tant  charmante  famille  qu'a  été  aus  anges  dès 
quante  le  petit  garson  tant  cher  a  été  sise  dessus  l'écuelle 
du  chanvreu. 

«  Malhureusement,  le  bon  chanvreu,  que  paraissait 
résout  à  le  veoir  coume  çà,  a  bourdi.  C'est'i'  de  ropi- 
gnance?  C'est'i  de  malice?  Toujours  est  que  son  cuer  s'est 
soulevé  et  il  a  bomi  quatre  à  cinq  cueillerées  de  la  marde 
au  petit  enfant  chéri  à  la  figure  de  la  mère,  à  cetella  du 
père,  et  le  petit  gàs  a  été  crouvi  anvé  le  reste  de  l'écuellée, 
si  ben  que  la  charmante  famille  a  été  embernée,  sauf  la 
grand'mère  que  c'était  ensauvée  à  demi  morte  de  honte. 


«  Toutes  les  malfaisances,  les  chetivetés,  lesvilainiesque 
sont  advenues  dans  le  bourg  et  les  environs  par  le  fait  du 
si  tant  charmant  petit  gàs  libartin  son  pas  disabes.  I' met- 

8 


I06  NOS   GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

tait  le  feu  en  des  champs  de  blé  meuvre,  en  des  granges 
pleines  de  foin  et  de  gearbes.  I'  coupait  à  coups  de  goyard 
les  jarrets  des  chevaus  et  des  bœus  dans  les  prés.  F  tuait 
les  oies,  les  poules,  les  canes  et  les  petits  cochons  le  long 
des  chemins  ou  sus  les  chaumes.  F  coupait  les  entes  dans 
les  bouchures  des  jardins,  des  champs  et  des  prés,  i  cou- 
pait les  treilles  du  pied  anprès  les  murs  des  mainsons,  mes- 
mement  y  coupait  des  ceps  dans  les  clous  de  vignes.  Il 
écorçait  les  poiriers,  les  poumiers,  les  pruniers  en  fleurs. 
I  quervait  les  œils  des  petits  chats,  des  petits  chiens.  F 
pernait  des  aspics  vivants  pour  les  jiter  dans  les  mainsons 
des  genss  ou  ben  dans  les  étàbesdes  bestiaus.  F  volait  des 
fruits  dans  les  jardins,  des  rasins  dans  les  clous  de  vignes, 
F  robait  les  clairins  attachés  aus  cous  des  truies,  des 
vaches  et  des  chevaus.  Pour  dire  le  fin  mot,  i' fasait  tout, 
hormis  le  bien. 

«  Et  toujours  on  li  pardonnait  à  ceti  charmant  enfant  li  bar- 
tin  pour  avoir  la  paix,  la  tranquillité  et  le  bounheur.  D'ail- 
leurs, y  avait  comben  t'i  de  genss  de  la  paroisse  que  ceus 
ferdaines  du  petit  gâs  bicêtre  amusaint,  et  on  causait  des 
monstreusités  de  ce  petit  être  à  dis  ïeus  la  ronde,  ben  pus 
que  si  c'a  avait  été  des  actiounements  de  ben-faisance. 

«  Les  braves  genss,  cependant,  avont  coumencé  à  bou- 
trouner  dès  quand  on  a  vu  que  les  autres  gamins  du  bourg 
pernaint  modèle  sus  le  chéri  pour  coumander  leurs  parents. 
Y  avait  jà  une  troupe  formée  de  ceus  petits  libartins  et  il 
avaint  noumé  capitaine  le  prodige  pour  aller  tuer  en  grand 
les  poules,  les  oies,  les  canards,  les  cochons  en  attendant 
le  moument  de  tuer  les  genss  pour  leus  plaisir  simpel- 
ment.  » 

Le  maire,  qu'attendait  les  plaintes,  a  fait  sonner  de  la 
corne  à  douelle  un  jour  à  la  raie  de  la  nuit,  au  moument 
là  où  le  monde  renter  du  travail,  et,  sous  le  grous  marron- 
nier qu'était  sur  la  place  du  bourg,  le  monde  de  la  cou- 
mune  s'est  assemblé. 

Le  maire  a  dit,  après  aveoir  semondé  le  peuple  :  mes 
amis,  n'avez-vous  ren  à  me  faire  assaveoir?  In  ancien  s'es' 


NOS    GÉANTS    D AUTERKOKS.  IO7 

avancé  et  il  a  querié  :  «  La  vie  n'est  pus  vivabe  dans  nouter 
coumunauté.  »  In  autre  lioume  de  moyen  âge  c'est  derssc 
sus  le  bout  de  ses  pieds  et  il  a  grondé  :  «  Je  som  dan'  une 
mauvaise  passe,  dites-nous  coument  faire  pour  en  sortir, 
Mon-sieu  le  maire!  » 

Et  le  maire  a  dit  simpelment,  bonnement  :  «  Mes  braves 
genss,  mes  chers  amis.  Les  chouses  de  la  vie  du  monde 
dans  nouter  coumunauté  vont  de  mal  en  pire;  cependant, 
les  chouses  de  la  vie  ne  sont  point  mal  aisère  à  arranger, 
le  tou'  est  de  les  comprenre. 

«  Dites  moé  franchement  :  y  a  t'i  là,  dans  cetelle  assem- 
blée de  braves  genss  que  vous  êtes  tous  au  fond,  in  houme 
ou  une  famé,  je  veus  dire  une  parsoune  humaine,  qu'a 
vu  des  oisons  menant  des  oie  aus  champs?  »  Parsoune  a 
répounu. 

Et  le  maire  a  dit  encore  :  «  Mes  chers  amis,  Jan-mais 
parsoune  humaine  de  nouter  bourg,  ni  d'auters  bourgs, 
n'a  vu  des  oisons  menant  des  oie  aus  champs. 

«  Vous  n'avez  qu'a  prenre  modèle  sur  les  oies  poure 
voûter  gouvarne  et  voûter  compourtement  en  tout  et  pour 
tout,  et  vous  en  trouverez  du  repousement  et  de  la  ben- 
aiseté.  « 

Je  sens  pas  jeune,  jai  vu,  j'ai  ouï-dire. 

Y  a  une  chouse,  à  cetelle  heure  que  je  crais,  c'est  que 
toutes  les  bêtes  de  la  créiâcion  sont  bêtes.  Mais,  à  ma  cou- 
naissance,  je  peux  açartener  que  y  a  sus  la  Terre  qu'une 
archibête.  La  counaisez-vous  ?  De  dedans  le  mârrounier 
a  querié  une  voix  :  c'est  l'homme^  ! 


I.  La  grande  majorité  des  hommes  du  pays  affirmait  dans  nos 
bourgs  que  la  voix  venait  de  haut.  Irrité  de  la  sottise  humaine  pous- 
sée à  l'extrême,  et  froissé  de  voir  sa  créature  préférée  méconnaître 
à  ce  point  le  bon  sens  de  sa  loi  d'harmonie,  le  grand  dieu  du  ciel 
s'était  manifesté  pour  l'exemple  rude  du  maire  qui  ramenait,  sans 
effusion  de  sang,  l'équilibre  dans  les  esprits  troublés  et  les  juge- 
ments dévoyés. 

Les  modernistes  qui  ont  précédé,  chez  nous,  les  anarchistes, 
aujourd'hui  tout-puissants,  disaient  que  la  voix  provenait  tout  bon- 
nement d'une  comédie  du  maire,  qu'ils  approuvaient  d'ailleurs. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 


Gargantua  a  di  aus  autorités  et  au  peuple  de  Sancoing: 
«  Cetelle  famille  de  libartins  (fais  ce  que  veus)  que  je  vens 
de  vous  persenter,  mes  braves  amis,  c'est  un  biau  modèle 
à  sarvir  pour  la  paix,  la  tranquillité  et  le  bounheur  du 
monde.  C'est  çà  les  fins  devartissements  de  la  vie  cheus 
les  esprits  souperieurs  que  les  endormeurs  de  peuples 
sont  auprès  nous  fricotter  à  la  mode  des  cuisines  infar- 
nales. 

«  Cetelle  fricassée  à  la  bren,  que  les  esploteurs  de  la 
Terre  et  du  Monde  vont  nous  offrir  en  ieu  et  place  de  nos 
richesses  naturelles,  de  nos  richesses  naissues  des  mains 
d'hommes  francs,  vont  nous  tirer  aus  abîmes  de  la  biringue 
du  Diâbe,  entendez  ben  mes  braves  genss,  si  par  malheur 
je  tumbons  dans  le  trébuchet  de  ceutis  bracouniers  de 
gibiers  humains.  La  paix  que  vous  ferez  anvé  ceus  mau- 
vais esprits,  je  vous  le  redis,  c'est  l'esplotàtion  de  nos 
richesses  naturelles,  et  çà  jusqu'à  l'oussement  du  calâbre 
de  la  Terre,  vaut  tant  dire  que  c'est  la  détruicion  de  toutes 
les  vartus  de  créiation  de  nouter  Grand'Mère  nourisse, 
c'est  le  débésillement  de  nos  villes  et  de  nos  bourgs,  c'est 
l'abâtardissement  de  la  race  des  houmes  du  Pays.  C'est 
la  parde  de  nouter  Bien-Fond  qu'est  le  bien  de  Dieu  !  J'ai 
dis,  mes  braves  gens  et  chers  amis. 

C'est  qu'il  y  avait  déjà  dans  nos  bourgs  du  centre,  au  milieu  du 
siècle  dernier,  des  familles  de  passagers  libertins  installées  et  pra- 
tiquant sciemment  et  ouvertement  le  vol,  le  viol,  le  sabotage,  la 
calomnie,  le  mensonge,  la  déloyauté  contre  tout  ce  qui  était 
l'honneur  et  la  gloire  de  nos  familles  paysannes,  contre  nos  usages, 
nos  coutumes,  institués  par  l'expérience  des  siècles,  l'observation 
soutenue  et  réfléchie  de  la  nature  des  êtres  et  des  choses  de  chez 
nous. 

Ces  libertins  qui  étaient,  comme  ils  le  sont  de  plus  en  plus,  contre 
nos  lois  harmoniques  et  l'aménagement  du  pays,  sont  pour  les  lois 
arbitraires  et  spoliatrices  de  l'étranger,  conçues  et  promulguées 
pour  l'exploitation  des  hommes  et  des  choses  de  notre  territoire. 

Le  D"'  Bounet-Rond  a  triomphé  de  Gargantua  sur  tout  et  en  tout. 
Les  bouasous  ont  tué  les  géants. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  IO9 

A  persent  choisissez  !  Si  vous  êtes  anvé  le  docteur  Bou- 
net-Rond  pour  la  paix  que  vous  dounera  le  débésillement 
sans  rémission  de  vos  remparts,  si  tenez,  pour  voûter  tran- 
quillité, à  laisser  aisément  panétrer  cheus  vous  les  en-ne- 
mis  de  vos  franchises,  de  vos  usages,  de  vos  coutumes,  de 
vos  coumunautés  d'artisans  de  ville  et  de  campagne,  si 
enfin  voûter  bounheur  veut  que  vous  sayaint  anvé  le  doc- 
teur Bounet-Rond  (Fais  ce  que  veus)  pour  les  lictins 
fisolofes,  les  patarins,  les  begigis,  les  boèmes  libartins,  les 
maignants,  les  roulants,  les  bâstiers,  les  forains  passa- 
gers, vous  n'avez  pus  qu'à  vous  coucher  en  paix,  en  tran- 
quillité, en  bounheur.  Et  je  vas  vous  souhaiter  ben  du 
plaisir. 

Si  au  contraire  vous  êtes  pour  le  deveoir  accompli 
(Fais  ce  que  doés),  faurra  sans  rémission  cracher,  tout  de 
suite,  dans  vos  mains  sans  crainte  des  poulettes,  parce  que 
je  vous  avartis  qu'anvé  moé  faut  serrer  le  manche.  Faut 
raidir  itou  le  jarret  sans  aveoir  peur  de  mouiller  sa  che- 
mise. Si  c'est  là  voûter  idée,  je  vous  nous  prenre  à  l'ordon 
et,  résouts,  je  vons  arlever  vos  remparts  en  les  renforçant 
comme  j'ai  marqué  sur  mes  plans  que  j'ai  montré  à  vos 
autorité  et  à  vos  anciens. 

Dites  si  vous  êtes  pour  le  docteur  (Fais  ce  que  veus)? 
ou  ben  si  vous  tenez  au  Géant  (Fais  ce  que  doés)  ?  » 

Vive  Gargantua!  Vive  Gargantua!  Vive  Gargantua! 
A  bas  le  bouâsou  !  A  bas  le  bouâsou  !  A  bas  le  bouâsou  ! 
que  le  peuple  a  querié  fort!  Et  les  autorités  sont  venues 
remarcier  le  Grand  Géant  et  saluer  le  peuple  de  la  ville  et 
de  la  campagne  qu'était  là  assemblé  en  belle  humeur. 

Les  gueriers  avont  querié  brav' !  Gargantua! 

Les  cors  de  chasse,  les  cornadouelles  avont  souné  le 
rassembelment.  Et  après  Gargantua  a  querié  de  sa  grande 
voix  à  l'assemblée  du  peuple  :  Mes  amis,  chacun  à  soun 
ordon  !  et  l'assemblée  du  peuple  a  répounu  :  Vive  Gar- 
gantua! Vive  Gargantua!  Vive  Gargantua!  A  bas  le  bouâ- 
sou !  A  bas  le  bouâsou  !  A  bas  le  bouâsou  ! 


MO  NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


L'ceuvre  vive  des  ramparts  de  Sancoing. 

Vous  pensez  ben,  mes  chers  amis,  que  je  vas  pas  vous 
conter  par  le  menu  coument  toute  cetelle  belle  ouvrage  a 
été  faite.  D'abord,  j'étais  point  sus  le  tâs  pour  veoir  les 
actiounements,  les  allée  et  venues  du  parsounel.  D'ail- 
leurs, si  j'y  avait  été  moé,  sus  le  tâs,  j'aurais  fait  à  moun 
audret  çartainement  pâceque  si  j'ai  fauté,  dans  ma  poure 
chienne  de  vie,  y  a  un  flàche  que  parsoune  humaine  peu 
m'arprocher,  c'est  d'être  un  feugniant.  Je  veus  dire  à  ça 
que  j'aurais  regardé  à  moun  ordon  coumeles  auters  genss 
qu'étaient  là  sus  le  terrain,  là  où  parsoune  bâillait  le  bé', 
vous  peuvez  le  craire. 

Les  lictins  faseus  d'écriture  moulées  n'étaint  pas  inven- 
tés encore  dans  ceus  temps-là,  à  ce  que  j'ai  ouï-dire,  et 
mesme  les  écriveus  à  la  main  étaint  râls  à  ce  que  me 
paraît.  Faut  don'  nous  en  rappourter  aus  dires  des  anciens 
qu'avont  tenu  en  ordre  et  en  mémoire,  de  père  en  fi', 
cetelle  histoire  des  parements  de  force,  de  beauté  et  de 
brâveté,  qu'avont  glorifié  nouter  ville  de  Sancoing.  Fallait 
veoir  les  grand'  mainsons  à  fières  tourelles  et  à  grands 
pignons,  à  moyens  pignons  et  à  petits  pignons,  ainsi  que 
les  tours  de  nos  remparts  de  bise  et  de  galarne  anvé  des 
bribes  de  nouter  glorieuse  citadelle,  que  mon  grand-père 
Regnaud  a  vues  dans  sa  jeunesse  avant  la  Régie  à  Robes- 
pierre, et  que  j'ai  aparçue'  encore,  moé  que  vous  parle, 
quante  j'étais  gamin  sous  Charles  X  et  petit  garson  dans 
les  premiers  temps  du  régime  au  Roi  Louis-Phelippe. 
J'ai  vu  la  vieille  église,  moé,  et  l'ancien  portai  de  l'Hôtel- 
lerie de  la  Pardrix-Grise,  là  où  a  logé  Gargantua  et  sa 
mère.  Mesme  les  chitiés  de  bâtiments  qu'on  voi'  encore, 
à  cetelle  heure,  quante  ce  serai'  t'i  que  la  grand'  mainson 
là  où  est  le  père  Hittier  et  qu'a  été  l'ancienne  mainson  des 
échevins,  à  ce  qu'on  dit,  la  belle  tourelle  qu'était  de  la 
mainson  du  coumandant  d'arme  et  attenante  à  la  cita- 
delle, les  mainsons  là  où  était  Montrignat,  le  chapelier  que 
m'avait  fais  un  si  petit  genti  chapiau  a  eu  long  que  me 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES.  I I I 

bravait  si  ben  mon  chef  anvé  mes  cheveus  blouqués  et 
mes  favoris  gentement  pignés.  J'allai  oubelier  le  grand 
bâtiment  au  si  tant  beau  pignon  dounant  sus  la  grand'rue 
là  où  est  encore  le  vieux  Bayeron  que  ma  fait  bravement 
mes  premiers  souïers  de  garson.  C'était  paraît  la  mainson 
du  Pervôt.  Ren  que  cens  bertilles  là,  çà  peut  faire  com- 
prenre  que  Sancoing  a  été  une  brave  ville  et  une  ville 
brave  ! 

Malhureusement,  ceus  belles  œuvres  de  nos  Géants 
d'auterfoés  sont  mascandée  et  masquées  par  des  bâtisses 
qu'avont  ni  tournures  ni  façons,  ni  eu  ni  nez,  ni  côrp  ni 
âme.  C'est  blanchâtre,  noirâtre,  jaunâtre,  grisâtre  et  Je 
jure  ben,  ma  grand'  foi  ma  loi,  que  parsoune  humaine  ne 
pourra  dire  de  là  où  çà  deven  et  là  où  çà  veu'  aller.  C'est 
imparsounel,  coume  disait  mon-sieu  Raymond  du  Po- 
quain,  Çà  peu  figurer  aus  îles  du  lointain,  en  Californie, 
en  Anguelterre  ou  ben  en  Chine,  et  çà  sera  aussi  vilain  à 
une  place  qu'à  l'autre.  Çà  manque  de  naturel  et  de  boun- 
houmie.  Çà  raferdit  le  sang  dès  quante  on  pourte  sa  regar- 
dure  sus  ceus  placages  de  plâtre,  c'est  une  affligeation  pour 
les  braves  genss  de  cheus  nous  toutes  ceus  bâtisses 
affreuses  de  nos  villes  et  de  nos  bourgs  qu'on  fait  à  per- 
sent.  C'est  tout  le  contraire  de  la  brâveté,  de  la  force  et 
de  la  grandesse,  ceus  bâtisses  naissues  du  vilain  lustre  des 
forains  passager.  Nos  mainsons  de  ville  avont  l'air  d'être 
taillées  en  des  grous  mouciaus  de  graisse  et  nos  châtiaus 
de  campagne  semblont  être  coulés  d'une  pièce  en  des 
grands  fessielles  à  faire  les  froumages. 

Ailes  sont  pardue'  à  fond,  les  grâce'  et  les  beautés  que 
nos  Géants  d'auterfoés  avaint  trouvé  simpelment  pace 
qu'ils  eumaint  les  beautés,  les  grâce  et  les  grandesses, 
que  pourtait  le  bon  Terroé  de  cheus  nous,  et  ça  pour 
l'amour  du  grand  Dieu  du  ciel. 

Tous  nos  grands-pères  l'avont  dit,  que  ce  vilain  lustre 
des  marchands  bâstiers,  des  caterres,  des  boèmes  libar- 
tins,  des  esploteurs  de  démolicions,  des  forrains  passa- 
gers, des  patarins,   gâterait  tout.  Ah!  coume  il'  avaint 


112  NOS    GEANTS    D AUTERFOES. 

raison  ceus  grands  anciens  de  Neuvy,  le  père  Duval,  le 
père  Lechelon,  le  père  Deloire,  mon  grand-père  Regnaud, 
qu'alissaint  leus  chiens  anprès  les  marchands  bâstiers, 
les  bégigis  et  les  maignans  qu'approchaint  trop  près  de 
cheus  eus.  Le  père  Barberousse  disait  :  ceus  courandiers 
que  pourtont  dans  leus  bannes  le  débâtardissement  des 
païsans,  faurrait  les  pandler  anprès  nos  portes  de  granges 
coume  on  fait  pour  ceus  vilains  oisilleaus  de  carnage. 

C'était  ben  de  vrai  le  mauvai'  esprit  du  diâbe  que  pour- 
tait  ceus  arcandiers  detestabes  à  épendre  partout  dans  nos 
campagnes  ce  vilain  lustre  qu'a  fait  le  débâtardissement 
du  monde  de  nos  Francs  Pays.  C'est  visibe,  à  cetelle  heure, 
que  ceus  boèmes  libartins,  ceus  abâttleus  et  ceus  forains 
passagers  avont  enquerné,  anvé  leu  vilain  esprit,  leus  mau- 
vaise' idées  d'abâtardissement  pour  détourner  les  bons 
esprits  que  mettaint  arrêtance  aus  élans  des  esploteurs  de 
démolicion  et  enterperneurs  de  détruicion  de  toutes  les 
richesses,  de  toutes  les  beautés,  de  toutes  les  grâce'  et  de 
toutes  les  vartus  de  créiàtion  de  nouter  belle  Terre. 

Toutes  ceus  infamies  de  malfaçon,  de  bousillerie  qu'on 
voit  partout  se  faire  coume  des  dégâs  d'oragans,  ça  ven 
de  ceus  caterres,  de  ceus  libartins,  de  ceus  bédouins,  de 
ceus  forains  passagers  que  fasont  les  déserts  partout  là  où 
i'  pernont  tant  si  peu  arrêtance.  Le  détournement  de 
nouter  grand'  religion,  l'abandon  du  goût  des  houmes  de 
cheus  nous  pour  les  beautés,  les  vartus  de  créiâcion  de 
nouter  belle  Terre  et  l'amour  des  beaus  ouvrages  émités  de 
ceus  beautés  et  brevetés  naturelles,  ça  ven  de  l'enpestement 
que'le  mauvais  monde  d'étrange  a  épendu  dans  la  tempé- 
rature de  l'air  de  nos  Pays. 

Pourquoè  fau'  t'i  que  nos  grands  Géants  soyaint  morts? 
Et  i  sont  morts,  tués  par  les  bouâsous,  bon  Dieu! 


Le  bouâsou,  au  bounet-rond,  que  j'avons  vu  pernantïeu 
et  place  des  autorités  de  Sancoing  au  moument  que  j'avons 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  Ii3 

VU  Gargantua  se  mettant  en  devoir  d'arlever  et  renforcer 
nos  remparts,  était  venu  à  la  suite  des  bandes  d'esploteurs 
et  de  détruiceurs  qu'avaint  escoffié  le  Seigneur  de  Joï  et 
ses  genss,  pillé  et  assaffré  tous  les  environs,  démenti- 
bulé  les  remparts,  forcé  les  filles  et  les  famés,  massa- 
cré les  houmes  et  les  enfants  dans  la  ville  de  Sancoing. 
Ceti  bouâsou,  cagot  de  soun  état,  était  coumandé  pour 
épandre  dans  les  esprits  du  monde  de  cheus  nous  et  dans 
la  température  de  l'air  du  Pays,  l'empestement  de  la  malice 
du  Diàbe  conter  la  grâce  de  Dieu.  Le  saint  Jean  bouche 
"d'or  était  coume  ceus  chenilles  que  mangeont  nos  choux. 
r  tenait  non  point  anprès  sa  parsoune,  mais  dans  ses 
propos  vrineus  '  des  couleurs  voyantes  et  terluisantes  que 
charmaint  les  genss,  un  chitié  affeublies,  que  l'écoutaint. 
Et  ceus  genss  se  trouvaint  empoesonnés  pour  le  pire, 
endeurmis  pour  le  moins  dans  leus  jugemens  et  dans 
leur  actiounement  par  le  ramage  de  ceti  oisilleau  de  mau- 
vais augure. 

Si  le  grand  Géant  Gargantua  n'avait  pas  trouvé  à  point 
la  cheville  pour  boucher  le  trou  qu'avait  fait  ceti  rat- 
souris^  sortu  des  cavraudes  infarnales,  le  batiau  de  San- 
coing aurait  fait  auffrage  en  ce  temps  don'  Je  vous  parle 
dans  la  biringue  du  Diâbe  et  le  peuple  de  la  ville  et  des 
alentours  aurait  été  sitoùt  mécréant. 


Je  disai,  y  a  un  moument,  que  y  avait  pas  grand  monde 
pour  argarder  travailler  les  autres  sus  le  terrain  des  rem- 
parts. On  n'eumait  pas  trop  ben  cheus  nous  et  on  n'eume 
guère  encore  les  chandelles  allumées  en  plein  jour^,  et 
aus  temps  de  nos  Géants  d'auterfoés  on  voyait  râlement, 
je  crais,  des  bourgeois  vivant  la  canne  à  la  main.  C'est 
énimaginant  ceus  idées   qu'on   a  aujourd'hui  le  jour  de 

1.  Venimeux. 

2.  Chauve-souris. 

3.  Personnage  flâneur  regardant  travailler. 


114  NOS    GEANTS    D AUTERFOES. 

veouloir  glorifier  in  houme  que  sait  ren  faire  de  ses  mains. 
Houmes,  famés,  fille  et  garsons,  gamin  et  gamines  de 
la  campagne  si  hen  que  de  la  ville,  tout  un  chacun  était 
fier  de  pourter  sa  pierre  aus  remparts  à  fine  fin  de  tenir 
en  brâveté  et  en  force  la  ceinture  de  garde  de  la  grand' 
coumunauté,  itou  pour  dire  pus  tard  :  J'y  étais  moé!  J'y 
ai  travaillé  moé,  à  nos  beaus  remparts  !  sous  le  couman- 
dement  du  grand  Géant  Gargantua  qu'était  si  bounhoume 
anvé  le  mot  que  fallait  pour  flatter  ou  pour  arprenre  selon 
qu'on  avait  fait  mal  ou  ben.  Dès  quante  il  avait  fait  une 
armontrance,  c'était  si  ben  dit  de  la  parole  et  si  ben  mon- 
tré de  la  main,  qu'aurait  fallu  avoir  une  tête  de  mulet  en 
bronss  pour  ne  point  comprenre.  Et  il  était  si  content 
quante  i'  voyait  que  ça  joutait  et  que  ça  jointait  partout  i' 
chantonnait  une  bourrée  : 

La  ville  de  Cincoing 
Grant  Dieu  qu'aile  sera  belle! 
La  ville  de  Cincoing 
Se  moqu'ra  des  patarins. 

Il  avait  l'œil  à  tout,  le  bon  Géant,  et  tout  le  monde,  du 
petit  au  grand,  voyant  Gargantua  et  se  sentant  vu  par  li 
en  tout  ça  qu'i  fasait,  c'étaint  miracles  là  et  là  de  veoir  la 
vivacité,  l'adresse  et  la  brâveté  que  tenait  tout  ce  monde. 
Tout  était  ordonné  sus  le  bout  de  l'ongue. 

Le  moinderment  que  la  pus  petite  feublesse  se  montrait 
dans  un  tout  petit  rabicoin,  pour  un  ren  queuqu'un  disait  : 
Attention  là- bas!  Gargantua  veoira  la  mal  façon.  Ah! 
mon  poure  petit!  mon  poure  petit!...  Si  le  Géant  te  voyait 
zisouner  coume  tu  zisoune...  Et  le  Géant  était  là  pour 
faire  une  petite  leçon  au  poure  diâbe...  et  le  poure  diâbe 
éclairé,  se  lançait  dans  le  mieux-faire  à  côrp  pardu  à  en 
parde  le  boire  et  le  manger  jusqu'à  temp  que  le  Géant 
arcounaissait  soun  œuvre  de  bonnes  mains.  D'ailleurs, 
partout  là  où  il  était,  et  il  était  partout,  c'était  à  toutes 
minutes  pour  armontrer,  tracer,  mettre  en  chantier,  au 
besoin,  Pierre,  Paul  ou  Jacques.  C'était  un  chariot  çargé 


NOS    GÉANTS    d'aTITERFOÉS.  Ii5 


de  pierres,  accoté  jusquante  au  moyeu.  Gargantua  disait 
au  boyer  de  dételer  ses  bœus.  Après  la  dételée  faite,  le 
bon  Géant  pernait  d'une  main  le  train  de  derrié  du  chariot 
et  de  l'autre  le  train  de  devant,  la  pierre  et  le  tout,  i  sor- 
tait ça  coume  moé  je  tirerais  d'une  ornière  un  manche  à 
balai,  et  dame  je  vous  donne  à  songer  si  le  monde  qu'était 
là  à  tou-touche  s'areuillait.  Et  c'était  des  joies,  et  c'était  des 
chants,  et  c'était  à  qui  ferait  le  mieus  pour  être  armanqué 
et  complimenté  par  Gargantua.  C'était  la  gloire  que  ceti 
grand  Géant  épandait  entour  li,  ni  pus  ni  moins. 

Faurrais  faire  des  livres  et  des  livres  en  écriture  moulée 
pour  tout  marquer  les  avènements,  petits  et  grands,  que 
sont  advenus  cependant  que  cens  remparts  de  Sancoing 
avont  été  refait  et  renforcés  de  la  forte  et  belle  mainière, 
sans  compter  la  brâveté  qu'était  grande,  .grande. 

La  grande  joie  et  confiante  arcounaissance  des  Sancou- 
nais  et  des  genss  des  campagnes  environnantes  en  voyant 
les  si  tant  beaus  rem-parts  de  leiis  ville. 

Tous  les  aubargistes  de  Sancoing  auraint  voulu  aveoir 
l'honneur  d'arcevoir  Gargantua,  mais  li  n'a  point  veoulu 
se  départir  de  l'hostellerie  de  la  Pardrix-Grise. 

Après  la  grande  œuvre  faite,  Gargantua  s'est  sise  sus 
la  potarne  Beurrière,  il  a  regardé  de  corne  en  coin  et  il  a 
dit  dans  sa  barbe  :  Faurrait  là  une  avancée.  Au  mesme 
moument  les  cornadouelles,  les  cors  de  chasse,  les  trom- 
pettes, les  musettes  et  les  vielles  se  sont  mise  à  souner  de 
tout  partout.  La  foultitude  venant  vé  le  Géant  de  tous 
les  coûtés  s'est  mise  à  querier  :  Vive  Gargantua!  Vive  Gar- 
gantua !  Vive  Gargantua  ! 

Il  avait  demandé  simpelment  un  petit  goûter  sus  la 
place  d'Armes.  Les  autorités  devain'  otfrir  ce  petit  goûter, 
mais  de  tous  les  environs  et  de  Saincoing  mesme  chacun 
avait  songé  à  soun  audret  à  faire  les  persents  de  son 
mieus,  selon  ses  moyens  et  ses  capacités,  pour  le  bon 
Géant  que  mettait  autant  de  grâce  à  recevoir  la  moinder 


Il6  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

petite  politesse  faite  de  bon  cœur,  que  le  pus  fort  beau 
persent. 

Les  Seigneurs  de  lennesse,  de  Joï,  de  Sagonne,  de  La- 
mouthe,  de  Solon,  de  La  Mainson-Fort,  de  Groussouves, 
de  Garembey,  d'Apermont,  de  Neuvy,  de  Mornay-les- 
Barres,  avaint  envoyé  en  abondance  des  persents  en 
vivres  et  de  toute  grand'  beauté  marchande,  en  aumailles, 
poulâilles,  volailles,  sauvagines  à  plemes  et  sauvagines  à 
poil,  des  grand  tounes  de  poissons,  conben,  conben...,  des 
belles  farines  de  beau  seigle,  de  beau  froument,  pour 
faire  au  chois  du  bon  pain  frais  et  de  la  boune  galette 
chesse,  de  la  boune  galette  aus  perniaus,  et  tout,  et  tout... 


Les  coûtes  gauches  d'Ailler,  en  cens  temps-là,  du  depuis 
les  Veuillains  jusquanteau  cinq  cents  diâbes,  par  là-bâs  de 
l'auter  coûté  de  Saint-Liobardin,  dounaint  des  vins  feriant 
et  en  grande  abondance.  Les  petits  vins  blancs  de  Neuvy, 
de  Mornay,  de  Châtiau  étaint  arnoumés  pour  le  bouquet 
frais  et  le  fin  goût  de  pierre  à  feu  qu'i  tenaint,  qu'i  tenont 
ben  encore,  mais  J'ai  idée  que  y  aune  pardition  dans  ceus 
vignes  que  me  paraît  dangereuse. 

Dans  les  temps-là  où  regnaint  nos  grands  Géants  d'au- 
terfoés,  on  connaissait  point  de  maladies  aus  vignes  coume 
on  voit  à  persent.  Je  sens  qu'un  poure  viens  terlaud,  moé 
bounes  genss,  mais  c'empêche  pas  que  j'ai  idée,  je  dirais 
ben,  je  seus  seur!  qu'  c'est  le  manque  de  soins,  le  manque 
d'aménagement,  le  manque  de  percieuseté  amitieuse,  je 
veus  dire  le  fin  mot  :  c'est  le  manque  de  religion  pour 
nouter  si  tant  belle  Terre,  noutre  Mère  Nourisse,  que 
fasont  ceus  mauvais  compourtements  des  saisons-.  C'est  par 
tous  ceus  terboulements,  ceus  déboisements,  ceus  aches- 
sements  sans  raisons;  que  la  température  de  l'air  de  nos 
pays  est  çangée,  et  c'est  de  ceus  çangements  que  venont 
les  maladies  des  vignes,  la  maladie  des  âbres,  des  âbrustes 
et  des  arbages.  Et  ça  vinra,  vous  y  veoirez  mes  amis,  que 


NOS    GÉANTS   D AUTERFOES.  II7 

le  Monde  tumbera,  li  itou,  en  chetiveté  si  on  contuine  à 
débésiller,  à  dégalainner,  à  bousiller,  à  esplotter  sans  rai- 
son valabe  nouter  Mère  Nourisse  comme  on  le  fait  jà  du 
depuis  un  trop  long  temp.  Nos  anciens  le  disaint,  le  père 
Liger,  de  la  Croès-Varte,  le  dit  et  le  redit  :  «  Y  a  dans  la 
température  de  l'air  queuque  chouse  de  mal  sain,  jai  vu 
non  point  tant  seulement  les  grous  et  moyen  châgnes  se 
couronner,  mais  aussi  les  balivots  se  courounont  à  cetelle 
heure.  » 


Aus  temps  dont  je  vous  parle,  la  température  de  nos 
pays  du  Mitant  était  saine. 

Les  Seigneurs  de  Mornay,  de  Sancoing,  de  Châtiau, 
mesme  du  Veurdre,  s'étaint  entendus  anvé  leus  métayers 
pour  faire  conduire,  par  leurs  boyers,  des  chàroés  de  vin 
rouge,  devin  blancs  à  Sancoing,  pour  le  grand  Gargantua. 

J'ai  toujour  ouï-dire  que  les  boyers  de  Neuvy  en  s'en 
retournant  avont  vu  une  grand'  dame  blanche  sus  la 
chaussée  de  l'étang  des  coque  et  des  fées  toutes  blanches 
coume  la  dame,  grande!  grande!  dansaint  en  rond  alen- 
tour d'icelle^  Paraît  qu'au  mesme  moument  la  grand 
bête  s'ébattait  au  riau  gigot  et  les  fées  dansaint  à  la  rouesse 
des  ondines. 


Comment  le  petit  goûter  de  Gargantua 
est  devenu  un  grand  festin. 

Le  petit  goûter  de  Gargantua  à  Sancoing  est  devenu  un 
repas,  une  poêlée,  un  festin,  si  eumez  mieus,  coume  on  a 
vu  à  Vallon-en-Seully.  Le  monde  qu'a  virouné  dans  la  ville 
pendant  et  sitôt  après  l'arlevement  des  remparts,  c'est  pas 

I.  Nombre  de  personnes  de  Neuvy  croyaient  que  c'était  la  géante, 
qu'on  verra  à  l'hôtellerie  de  la  Pardrix-Grise. 


Il8  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

possibe  de  dire  coument  c'était.  Emaginez  don  des  fions 
de  mouche'  à  miel  s'ébattant  dedans  et  alentour  de  San- 
coing  et  vous  aurez  une  idée  de  la  foultitude  venue  d'en 
sus  le  Berri,  le  Bourbonnais,  le  Nivarnais  et  la  Marche. 

Ça  été  une  occasion  pour  les  autorités  de  la  ville  de 
s'armettre  un  peu  dans  leus  grands  souïers  et  de  faire 
montre  de  leus  vartus  d'aménagement  et  d'entendement, 
pour  la  consarvâcion  et  l'embellissement  de  leus  ville  en 
tout  et  pour  tout.  Vous  avez  vu  que  ceus  vartus  étaint  jà 
ben  entaimées  par  la  fisolofie  du  docteur  cagot  Bounet- 
Rond,  au  moument  que  le  grand  Gargantua  est  venu 
arranger  les  chouses  ben  hureusement  et  à  point. 

Ceus  autorités  qu'avaint  jà  baufuté  les  genss  des  cam- 
pagnes sus  les  conseils,  ou,  pour  mieux  dire,  par  couman- 
dement  du  bouâsou,  Bounet-Rond,  avont  montré  de  la 
grâce  et  de  la  bounhoumie  à  Faveur  des  artisans  des 
bourgs  et  des  pleines  campagnes  qu'appourtaint  pour  le 
sarvice  de  Gargantua  non  point  tant  seulement  le  sarvice 
de  leus  bras,  petits  et  grands,  mais  leus  vivres  et  tout  et 
tout. 

Cctelle  bounhoumie  des  autorités  de  Sancoing  à  Paveur 
des  artisans  de  campagne,  c'était  visibelment  en  émitâcion 
du  bon  Géant  que  savait  si  ben  se  faire  eumer  du  peuple 
sans  aveoir  besoin  de  le  flatter  coume  on  voit  aujourd'hui 
nos  lictins  fisolofes  et  nos  faseus  de  lois  en  papier  qu'avont 
pas  autre  idée  que  de  tromper,  en  les  baufutant,  les 
houmes  de  bien  que  ne  demandent  qu'à  se  querver  dans 
le  côrp  pour  sarvir  la  République. 


Sus  toutes  les  places  de  la  ville,  le  long  des  rues,  dans 
les  mainsons,  dans  les  cours  des  mainsons,  dedans  les 
chambres  du  bas  aussi  ben  que  dans  les  chambres  hautes, 
là  où  y  avait  des  poures  minabe  en  maladie  par  trop 
aplâmis,  c'était  fête,  grand  fête  en  l'houneur  du  bon 
Géant  qu'était  venu  pour  arlever  et  renforcer  les  remparts 
de  la  ville. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  I  19 

Tout  en  s'ébattant  gaieiement,  il  a  voulu  faire  le  tour 
des  remparts  en  dihors,  si  ben  qu'en  dedans  pour  veoir 
les  moyens  de  l'attaque  en  mesme  temps  que  les  tenants 
de  la  défense  et  pour  se  faire  il  avait  une  aisance  que  nous 
autres,  pour  chetits  verjons,  je  peuvons  poin'  aveoir,  je 
veus  dire  que  sa  grand'  taille  et  sa  vivacité  le  sarvaint  au 
mieus  pour  cens  examinacions  des  remparts  coume  pour 
ben  autre  chouses.  Ren  li  a  échapé  et  sus  le  coûté  de  la 
potarne  Beurrière  il  a  marqué  queuques  petits  flâche  à  ceus 
braves  remparts  pourtant  si  bellement  fait  à  ce  que  j'ai 
toujours  ouï-dire.  Y  a  don  ren  de  parfait,  parfait,  puisque 
le  génie  en  parsoune  ne  peu  point  faire  la  parfection.  Ce 
souvenant  de  l'affaire  du  fait  de  boi  à  Vallon,  il  a  pensé 
ben  faire  en  ne  mettant  point,  sus  le  moument,  la  main  à 
ceti  parfectiounement  par  devant  la  foultitude  qu'était  là 
en  joie  et  en  confiance  entièrement,  et  n'aurait  point  man- 
qué de  ouir  les  roçinements  des  boèmes  libartins  et  des 
caterres  que  rôdaint  alentour  de  cetelle  foulée  de  peuple 
coume  des  loups  qu'attendent  le  moument  de  s'abattre 
sus  le  troupiau  de  berbis. 

Comment  se  fasaint  les  ébattements  des  Sancounais 
et  des  gens  des  alentours. 

Ce  pendant  que  Gargantua  visitait  les  remparts  anvé 
les  maîtres  de  la  pierre  et  de  la  maçonnerie,  dans  les  rues, 
sur  les  places  de  la  ville  et  au  loin,  sus  les  routes,  sus  les 
chemins,  on  voyait  des  porcessionsde  monde  que  venaint 
fêter  le  Géant  et  glorifier  les  beaus  remparts  de  Sancoing. 
Chaque  petite  paroisse  formait  un  cortège  d'houmes,  de 
famés,  de  grands  âge,  de  moyen  âge,  des  jeunes  houmes, 
des  jeunes  famés,  les  garsons,  les  filles,  les  petits  garsons, 
les  petites  filles  conduisant,  escortant  les  persents  que  la 
paroisse  pourtait  pour  la  fête  du  Grand  Gargantua. 

En  tête  de  chacun  de  ceus  cortèges  étaint  les  sonneurs 
de  cornemuses,  de  vielles,  de  flûttes  douce  ou  ben  de 
chalumeaus,  que  s'arrêtaint  pour  laisser  le  brave  monde 
chanter  cetelle  bourrée  : 


120  NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 

Voyez  là  bas, 

Voyez  ceus  beaus  remparts, 

C'est  pour  Cincoing 

Conter  les  patarins. 

C'est  Gargantua 

Qu'a  fait  ceus  beaus  remparts. 

C'est  pour  Cincoing 

Conter  les  patarins. 

Les  Syres,  les  Seigneurs  et  leus  genss  venaint  à  chevau 
au  son  des  trompettes,  des  cornadouelles  et  des  cors  de 
chasse.  C'était  beau  de  la  vie! 

Mais  c'était  le  jeu  des  cornemuses  et  des  vielles  qu'en- 
flambait  le  pus  la  foultitude. 

C'est,  d'ailleurs,  ce  genti  jeu  de  nos  beaus  instruments 
qu'a  toujours  monté  haut,  cheus  nous,  la  sainte  ben-aiseté, 
fleur  de  grandesse,  de  franchise,  de  grâce  et  de  fraîcheur 
de  nouter  beau  Terroé  que  nos  anciens  Syres  et  Seigneurs 
d'auterfoés,  à  l'exemple  de  nos  grands  Géants,  se  fasaint 
un  deveoir  autant  qu'un  plaisir  de  mettre  en  vartu  de 
résistance  au  mauvais  sort  si  ben  qu'en  religion  glorieuse. 
Et  çà  pour  tenir  haut  et  farme,  du  petit  au  grand,  le  point 
d'houneur  dans  la  famille,  dans  la  mainson,  dans  le 
bourg,  dans  la  ville,  dans  le  palais  si  ben  que  dans  le 
chàtiau,  enfin  dans  la  coumunauté  sociale. 

Ah  !  que  nos  Seigneurs  d'aujourd'hui,  grands  et  moyens, 
ainssi  que  nos  bourgeois  hauts  et  bas,  avont  évu  tort  de 
beaufuter  toutes  nos  fleurs  de  richesses  naturelles,  les 
parements  de  beauté  divine  de  nouter  belle  Terre  pour 
courir  auprès  le  vilain  lustre  des  artifices  du  Diâbe  et  les 
plaisirs  mécaniques  de  l'enfer  que  menont  arié  le  peuple 
à  la  détruicion  des  vartus  et  des  beautés  de  noutre  Bien- 
Fonds. 

On  nous  a  arinié  comben,  comben,  pace  que  nos  cor- 
nemuseus  et  nos  vielleus  étaint  quasiment  tant  prisés, 
cheus  nous,  que  des  prêtres.  Et  bon  Dieu  !...  moé  je  seus 
consentant  qu'un  bon  sonneur  de  vielle  ou  de  cornemuse 
vaut  un  prêtre,  vaut  tant  dire  que  c'est  un  prêtre,  d'ail- 


NOS    GEANTS    D AUTERFOES.  121 

leurs!  Et  oui,  et  oui,  ma  foi,  ma  loi,  que  j'en  jure,  et  que 
le  bon  Dieu  me  pardoune  si  je  l'ofifense,  je  seus  résout  à 
dire,  à  redire,  à  soutenir,  à  querier  mesme  au  besoin  sus 
les  couvartures  des  mainsons,  qu'un  souneur  de  vielle  ou 
de  cornemuse  c'est  un  prêtre!  Et  pourqoé  pas?  Je  sais 
ben  :  on  dira  que  nos  poures  bougres  de  souneurs  de 
vielles  et  de  cornemuses  sont  en  piètre  équipage  pour  des 
prêtres.  Et  ben  :  les  autres  son'  t'i  si  rupins?  En  dihôrs 
des  marchands  d'argent  et  des  enterperneurs  de  détruicion, 
qui  don'  est  tant  que  ça  glorifié  aujourd'hui  le  jour?  A 
pied,  à  chevau,  en  voeture  ou  en  vagon,  je  vois  pas  ben,  à 
cetelle  heure,  les  grands  Guerriers,  les  grands  Rois,  les 
grands  Prêtres,  les  grands  Syres,  les  grands  Seigneurs,  les 
grands  Maîtres  peuvant  se  vanter  de  terluire  assé  pour 
attirer  à  z'eus  tous  les  rayons  du  grand  Soulé,  Dieu  marci  ! 
Çartainement  que  ceti  Soulé,  avant  d'être  éteindu  par  Mon- 
sieu  Rostchild,  pour  faire  des  pièces  de  monnaie,  luira 
encore  un  tour  de  temp,  j'émagine,  pour  éclairer  les  cou- 
leurs des  gâls  du  Berry  qu'a  inventées  mon  petit  garson 
Ugène.  Peut-être  ben  que  la  température  de  l'air  de  cheus 
nous  gardera,  queuques  saisons  encore,  assé  de  moëlleu 
et  de  fraîcheur  pour  transpourter  dans  le  temp  bleu  cens 
jolies  gearbes  de  parles  ferlinantes,  que  le  pouce  de  nos 
souneurs  de  musettes  fait  sortir  du  haubois  après  que  le 
petit  doeg  les  a  enfroumés  dedans  les  calibondes  souter- 
raines. 

Coume  je  les  avaint  auterfoés,  cens  maîtres  souneurs 
de  cornemuses,  que  sortaint  de  leus  piaus  de  bique  et  de 
leus  boîtes  de  vielles,  tous  les  esprits  de  nos  bois,  de  nos 
champs,  de  nos  prés,  de  nos  vignes,  toutes  les  grâces  de 
nos  fontaines  fraîches  et  de  nos  petits  riaus  coulants, 
toutes  les  jolivetés,  les  beautés,  les  grandesses  de  nouter 
belle  Terre,  ne  mériteraint  pas  d'être  glorifiés?  Ah!  que 
si  ben,  par  exemple! 

Ceus  artisans-là  valaint  la  peine  d'être  glorifiés  deux 
foés  pour  une  et  on  les  a  baufutés!  Ça  coûtera  cher,  c'est 
moé,  petit  Jean  Bâffier,  que  vous  le  dit  mes  mondes.  Oui, 

9 


122  NOS    GEANTS    D AUTERFOES. 

oui,  ça  coûtera  cher  cetelle  mécounaissance  de  la  primeté 
des  houmes  de  cheus  nous,  à  l'aveur  des  beautés  de  nouter 
Pays  et  des  vartus  de  créiâcion  de  noutre  belle  Terre. 

Les  vielleus  Pigny  de  Sancoing,  Picauche  du  Gravier, 
Finet  de  Sancoing,  Quesnet  de  la  Bazelle,  Brassière  de 
Mornay,  Leblanc  de  la  Chapelle-Hugon,  le  père  Bousset 
viens  du  Veurdre,  et  comben  d'autres;  les  souneurs  de 
cornemuses  coume  le  grand  Gaumier  d'Aumery,  Cons- 
tant de  Mornay,  Compagnon  de  Nevers,  Blanchard  de 
Sancoing,  Pardrigeaut  de  Saint-Amand,  Abel  Turigny  des 
Chaumes  de  Chantenay,  Laurent  d'Augy,  Bousset  jeune 
du  Veurdre,  Barnier  d'Azy,  Pâsset  de  Saint- Paryse, 
Phelouzat  de  Leurcy,  veoilà  des  noms  que  mon  petit 
garson  Ugène  devrait  engraver  sus  un  biau  quartier  de 
pierre  du  banc  gris  de  la  Rencontre  ^ 

Ah!  mes  amis,  mes  chers  mondes,  coume  ça  devait 
bravement  souner  nos  musettes  et  nos  vielles  aus  temps 
que  Sancoing  était  une  brave  ville  et  une  ville  brave. 
Sembele  que  je  sens  transpourté  au  moument  qu'on  fasait 
fête  au  Grand  Géant,  et  je  vois  tous  ceutis  cortèges  des 
bourgs  environnants  venant  par  cens  chemins  frais  que 
j'ai  vu  encore  moé  dans  ma  prime  jeunesse,  et  cens  jolies 
filles,  et  ceus  fiers  garsons,  toutes  cens  braves  genss  pas- 
sant sous  ceus  voûtes  des  grands  châgnes  en  forêt,  sous  les 
voûtes  des  grous  têtaux  en  lisière  des  champs,  després  et 
des  vignes,  coume  ça  devait  souner  bellement  nos  musettes 
et  nos  vielles  dans  la  température  de  l'air  de  cheus  nous. 
Et  dès  quante  ceus  biaus  cortèges  passaint  sous  ceus 
belles  voûtes  de  nos  portes  de  ville  et  dans  les  rues  bor- 
dées de  ceus  belles  mainsons  à  fières  tourelles  et  à  biaus 
pignons,  je  vous  doune  à  penser,  mes  chers  mondes,  si  ça 
devait  flûtter  glorieusement  nos  instruments  dedans  la 
brave  ville  de  Sancoing.  Et  ceus  biaus  abillements,  ceus 
biaus  parements,  coume  ça  parle  dans  nos  grandes  chan- 
sons, songez  un  peu  si  sa  devait  être  bréillant  et  brâvc! 

I.  Carrière  renommée  près  de  Sancoins. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  Î23 

J'en  ai  vu  encore,  moé,  de  ceus  toilettes  suparbes  anvé 
des  famés  et  des  filles  qu'étaint  dedans  ceus  toilettes 
magnifiques,  coume  disait  mon-sieur  Luquet. 

Bon  Dieu!  c'était  brave!  brave!...  Oui,  oui,  mes 
mondes,  c'était  brave  ceus  parements  de  toilettes  d'auter- 
foés  et  que  j'ai  aparçu  au  moument  que  ça  tirait  à  la  fine 
fin.  Dire  que  j'ai  vu,  je  peus  dire  que  j'ai  mainié,  moé  que 
vous  parle,  des  coiffes  de  cent  écus  à  quarante  pistoles,  et 
dans  ceus  si  tant  belles  coiffes  y  avait  des  têtes  de  filles  de 
toute  beauté.  Je  vous  dirai  mesme  que  je  les  ai  bichées 
ceus  belles  figures!  Bon  Dieu  de  bon  Dieu!  les  braves 
fumelles  que  c'étaint  les  Ballyte,  les  Charpyte  et  les  Ber- 
nadate  de  Mornays.  A  Neuvy  c'était  aussi  beau,  mais 
moins  riche. 

Dès  quante  je  songe  à  tout  çà  que  j'ai  vu  passer  et  repas- 
ser, j'émagine  que  j'ai  pus  de  mil  ans  d'âge. 

Ça  me  paraît  que  le  monde  bâtissant  et  rebâtissant  les 
remparts  de  Sancoing,  au  coumandement  de  Gargantua, 
c'est  le  mesme  monde  que  ceti-là  que  j'ai  connu  cheus 
nous  au  temps  de  ma  jeunesse. 

J'ai  idée  que  nos  maîtres  sonneurs  de  cornemuses,  qu'a- 
vont  joué  si  bellement  au  festin  de  Gargantua,  c'était  des 
houmes  pareils  à  Constant  de  Mornay  et  au  grand  Gau- 
mier  d'Aumery. 

Ah  !  mes  amis,  mes  chers  mondes,  ce  Gaumier  qu'a 
sarvi  la  fête  de  mariage  à  défunt  mon  père,  le  17  janvier 
i8i3,  c'était  un  rude  houme  et  un  premier  maître.  Par- 
tout là  où  i'  passait  en  jouant  de  sa  grand'  cornemuse, 
tenant  son  grand  bourdon  d'épaule,  tout  le  monde  des 
mainsons  courait  au  devant  de  li  et  on  le  suivait  en  fou- 
lées sattées.  Ceuti-là  qu'étaint  au  lit  malades  se  levaint, 
et  il'  étaint  garis  de  leu  mal  en  entendant  les  airs  si 
beaus,  si  dous,  si  frais,  si  gais  ou  pitieus,  que  ceti  grand 
maître  fasait  sortir  de  son  haubois  anvé  une  capacité  si 
telle  qu'on  n'a  point  vu  son  pareil,  du  depuis  ce  temps-là, 
pour  monter  le  jeu  dans  le  ciel  bleu,  en  gearbes  de  parles 
terlinantes,  par  l'actiounement  de  son  pouce,  après  l'aveoir 


124  ^^^    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

descendu,  par  son  petit  doeg,  dans  les  neoires  calibondes 
souterraines. 

Tous  les  laboureus,  les  vignerons  et  les  bochetons,  les 
pieucheus,  les  bineus,  les  râpeus,  les  faucheus,  les  fen- 
neus,  les  moessouneus,  et  tout  et  tout,  partout  là  où  i' 
passait  pour  conduire  les  confréries  en  porcessions,  ou 
ben  les  jeunes  mariés  à  la  Mairie  et  à  l'Église,  en  jouant 
ses  belles  marches  si  devotieusement  pour  aller  et  ses  airs 
joyeux,  frais,  jolis,  jiglants,  triomfants,  pour  arvenir. 
Tous  !  tous  !  les  jeunes,  les  viens,  mâle  et  fumelles,  qu'étaint 
au  travail  dans  les  champs,  les  bois,  les  prés,  les  vignes, 
se  mettaint  à  courir,  sautant,  coume  des  cabris,  par  sus  les 
échaillers,  les  murs,  les  bouchures,  les  rivières,  les  riaus, 
les  précipices,  les  taumurons,  pour  glorifier  (^e  près  le 
maître,  à  l'aveur  de  la  joie  qu'il  épendait  par  son  jeu  si 
tant  joli!  si  tant  beau!  si  tant  suparbe!  dans  la  tempéra- 
ture de  l'air  de  nouter  Pays  qu'est  si  bellement  en  accord, 
ou,  pour  mieus  dire,  c'est  nos  musettes  et  nos  airs  de 
chansons  que  son'  en  accord  anvé  la  température  de  l'air 
de  cheus  nous. 

Et,  pendant  l'élévation  de  la  messe,  i'  jouait  si  beau,  si 
grand,  si  dous,  que  tout  le  monde  à  l'Eglise  pleurait  de 
ben-aiseté,  et  on  se  sentait  si  ben  aise  et  si  content  que 
c'était  coume  si  le  paradis  du  grand  Dieu  du  ciel  avait  été 
descendu  sur  noutre  belle  Terre  pour  l'éclairer  de  tous 
ses  rayounements  glorieus. 

La  mère  Gargantua  à  Sancoing. 

Dès  quante  la  tournée  des  remparts  a  été  faite,  le  grand 
Géant  est  arvenu  à  l'hôtellerie  de  la  Pardris-Grise,  là  oià  il 
a  trouvé  une  famé  Géante  que  l'attendait,  à  ce  qu'aile  a  dit 
au  maître  hôtellier,  pour  se  départir  anvé  li  à  Saint-Pierre- 
du-Moutier,  par  le  Veurdre. 

Une  Géante  tumbant  à  Sancoing,  à  l'hôtellerie  de  la 
Pardris-Grise,  sans  querier  gare!  sans  que  parsoune  en 
soye  avarti,  c'es'  un  avènement  qu'a  étouné  ben  du  monde, 
vaut  tant  dire  tout  le  monde. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  125 

On  en  a  causé  fort  dans  le  temp  que  l'avènement  s'est 
accompli.  Souventes  foés,  étant  petit  gamin,  garsouniot, 
garson  et  houme  fait,  j'ai  évu  l'occasion  d'en  entendre 
parler,  de  ceti  avènement,  et  à  cetelle  heure  je  seu  inçar- 
tin  pour  dire  le  fin  mot. 

Ça  que  je  peus  açartener,  c'est  qu'une  dame  Géante 
est  venue  à  Sancoing  joinder  Gargantua  au  moument  dont 
je  parle. 

Y  a  des  mon-sieus  lictins  qu'avont  dit  à  mon  petit  gar- 
son Ugène  que  c'était  une  noumée  Gargamelle. 

Je  crais  que  c'est  itou  l'idée  du  facteur  Bourdier,  mais, 
asseurément,  c'est  pas  une  Gargamelle,  c'est  une  Gar- 
gantua! 

C'est  l'avis  de  la  mère  à  Ugène,  c'était  l'avi  itou  de  mon 
grand-père  Regnaud,  du  père  Bordier,  de  Chariot  Robet 
et.de  Girard  le  plemeu  de  brères.  Je  pourrais  dire  l'avis 
de  vingt  parsounes  tant  de  Neuvy  que  de  Mornay,  Châ- 
tiau,  Sagonne,  Givardon  et  Sancoing. 

Y  a  une  chanson,  sus  l'air  de  nouter  pus  belle  bourrée, 
que  j'ai  chantée,  étant  encore  en  bourasse.  Dieu  me  par- 
doune,  et  que  fait  foi.  Cetelle  gente  bourrée,  que  mon 
grand-père  Regnaud  chantait  et  qu'il  a  entendu  chanter 
par  son  grand-père,  je  vous  la  dirai  d'ici  un  moument. 

Dans  ma  jeunesse,  on  parlait  à  tous  moument  et  à  tous 
propos  de  nos  Géants  d'auterfoés  qu'étaint  donné  en 
modèle  pour  tous  ouvrages  des  métiers  de  campagnes  si 
ben  que  pour  les  états  de  villes. 


Les  ferluquets  et  les  farauds,  ainssi  que  nombre  de 
mon-sieus,  se  moquaint  de  toutes  ceus  histoires  anciennes 
et  de  nos  chansons  de  bounhoumes  qu'étaint,  que  sont  ben 
encore  paraît  trop  terre  à  terre.  Nos  cathédrales  de  villes, 
nos  églises  de  bourgs,  nos  mainsons  de  païsans  sont  itou 
trop  terre  à  terre.  Je  veoirons  ben  tout  si  ceus  écritures 
des  lictins  fisolofes  et  ceus  chansons  de  libartins  boèmes, 


126  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 


ainssi  que  ceus  châtiaus  et  ceus  mainsons  ciel  à  ciel  sont 
garantis  de  boune  venue.  J'ai  ben  peur  que  tous  ceus 
ouvrages,  qu'avont  coûté  quasiment  la  détruicion  des 
richesses  de  noutre  Terre,  soyaint  moindres  quasiment  à 
ren,  avant  que  nos  chants  et  chansons,  nos  châtiaus  debe- 
sillés  et  nos  clochers  branlants,  sayaint  pardus  dans  la 
remembrance  du  monde. 


La  Géante  de  Sancoing  c'est  pas  pus  une  émaginâtion 
que  la  lumière  du  Soulé.  Et  c'es'  aussi  vrai  que  la  Géante 
a  été  vue  à  Sancoing  que  le  Soulé  rachauffe,  que  le  Soulé 
éclaire. 

Girard,  le  plemeu  de  brères  de  Clavières  de  Mornay,  le 
père  Bordier  de  Goutière,  Chariot  Robet  de  la  Baroune- 
rie  sont  d'avis  que  Gargantua,  venant  d'Igrande  par  Vallon- 
en-Seully,  Ainay-le-Vieux,  Saint-Pierre-des-Etieux,  Ai- 
nay-le-Châtiau,  le  Mont-Joï,  a  joignu  sa  famé  à  Sancoing. 

Mon  grand-père  Regnaud  m'a  dit  maintes  foés  et  la 
mère  à  Ugène  asseure  que  la  Géante  que  s'est  trouvée  à 
l'hôtellerie  de  la  Pardris-Grise  à  Sancoing  c'est  la  Mère 
de  Gargantua. 

C'est  la  Mère  des  Géants  ! 

Aile  ne  moure  point! 

Aile  mourera  dès  quante  seront  mortes  les  vartus  de 
créiâtion  de  noutre  belle  Terre!  Ceus  vartus  de  créiâtion 
sont  tumbée'  en  periement,  cheus  nous,  et  la  Géante  n'en- 
fante pus  de  Géants  cheus  nous.  Si  le  monde  de  boune 
race  n'armège  pas  si  tout  les  dégâs  de  détruicion  des  var- 
tus et  des  beautés  de  noutre  Terre  en  aménageant  au  pus 
vite  nos  Pays,  avant  ren  de  temps  la  France  sera  un  désert 
là  où  on  veoira  pus  que  des  caterres,  des  boèmes  libar- 
tins,  des  bambocheurs,  des  patarins,  des  forains  passa- 
gers, des  maignans,  des  roulants,  des  begigis,  s'en  allant  à 
la  reçarche  d'autres  pays  à  foultager,  à  débesiller,  à  mas- 
cander,  à  détruire,  pace  que  ceus  mauvais  hères  sont  coume 


NOS    GEANTS   D AUTERFOES.  I27 

les  charençons  que  s'en  vont  d'un  guernier  dès  quante 
il  avont  vuidé  tous  les  grains  de  blé. 

Mon  grand  père  Regnaud  et  la  mère  à  Ugènesont  d'ac- 
cord pour  açartener  que  Gargantua  n'avait  point  pris 
famé  pas  pus  que  le  Géant  de  l'Ours.  Paraît  que  nos 
Géants  d'auterfoés  ne  s'enjipounaint  pas.  Moé  je  peus 
répondre  de  ren  dans  tous  cens  dires.  Ça  peut  ben  être 
que  ceus  grands  Géants,  qu'avaint  l'idée  de  se  pourter 
prestement  partout  là  où  c'était  besoin,  et  c'était  besoin 
partout,  ne  peuvaint  pas  ou  ne  veoulaint  pas  s'enjipouner 
à  fine  fin  d'être  prêts  à  tous  mouments,  à  toutes  minuites, 
à  faire  ce  devoir  rude  qu'i  tenaint  en  si  grande  léauté  et 
primeté  pour  la  gloire  de  Dieu  et  l'houneur  du  Monde. 


L'histoire  que  je  vous  conte-là,  mes  poures  amis,  coume 
je  la  sais,  et  je  la  sais  pus  trop  ben,  dit  ren  de  la  famé 
Gargantua  du  depuis  Igrande  jusqu'au  Mont-Joï,  cepen- 
dant qu'i  bâtit  des  clochers,  arlève  des  granges,  fonce  des 
poinsons,  entonne  du  vin,  enterre  un  vigneron,  boét 
l'iaue  d'un  étang,  arpare  des  forts  chàtiaus,  et  tout  et  tout. 

Ça  marque  la  persence  de  la  famé  Gargantua  à  l'hôtel- 
lerie de  la  Pardris-Grise  à  Sancoing,  là  où  aile  attend 
Gargantua  pour  se  départir  anvé  li  à  Saint-Pierre-du- 
Moutier,  par  Châtiau  et  le  Veurdre. 

Dans  la  cour  de  la  Pardris-Grise,  on  la  voit  dansant  la 
bourrée,  à  la  grande  joie  des  artisans  de  la  ville  et  de  la 
campagne,  au  grand  plaisir  des  autorités  de  la  ville,  des 
Syres,  des  Seigneurs  et  des  Bourgeois.  Bé  dame  et  bé 
dame,  mes  poures  mondes,  je  sens,  à  cetelle  heure,  embar- 
rassé pour  contuiner  moun  ordon.  Tout  pourte  à  craire 
que  la  Géante  était  ben  vraiment  à  Sancoing;  on  la  voit 
en  chaire  et  en  oûs  à  l'hôtellerie  de  la  Pardris-Grise,  man- 
geant, beuvant,  dansant  le  jour  du  festin,  on  la  voit  le 
lendemain  mangeant,  beuvant  et  chantant,  on  la  voit 
dans  le  cortège  de  départiement  au  Veurdre,  on  la  voit 


128  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

au  craut  de  la  Mardelle,  on  la  voit  à  Châtiau,  on  la  voit 
au  Veurdre,  on  la  voit  passant  le  gué  du  Veurdre  pour 
aller  en  Nivarnais. 

Tout  le  monde  est  consentant  qu'une  Géante  était  à 
Sancoing  au  moument  que  Gargantua  y  était,  cetelle  foés 
que  je  parlons.  Bon  !  Mais  c'était  t'i  la  famé  de  Gargan- 
tua? C'était  t'i  sa  mère? 

Le  père  Bordier,  Chariot  Robet,  Girard  le  plemeu  de 
brères,  disont  :  c'était  la  famé  de  Gargantua  ni  mais  ni 
moins,  sans  donner  aucunes  raisons. 

D'in  auter  coûté,  y  a  le  dire  de  mon  grand-père  Regnaud 
açartenant  que  cetelle  Géante  était  la  mère  de  Gargantua. 

La  mère  à  Ugène  est  de  l'avis  de  mon  grand-père  et 
aile  a  de  bonnes  et  tant  bonnes  raisons  pour  asseurer 
d'abord,  que  nos  grands  Géants  d'auterfoés  ne  s'enjipou- 
naint  pas;  à  coup  seur  Gargantua  et  le  Géant  de  l'Ours, 
aile  garantie  qu'i  n'avont  point  été  sarvants  de  jipons  par 
spécial. 

Ça  paraît  d'une  grand'  sagesse,  d'une  grand'  prudence 
cetelle  mainière  de  vivre  sa  vie  de  Géant  bâtisseur  de  clo- 
chers, rederseur  de  tort,  armégeus  de  maies  façons  et 
des  mauvaisetés  de  l'esprit  du  Diâbe. 

Une  famé  c'est  plein  de  vartus  admirabes,  de  patience 
angélique,  de  bonté  inestimabes.  Une  famé  pourte  auprès 
elle  des  agréments  sans  fin  ni  sans  compte.  Aseurément, 
c'est  le  diâbe  à  confesser  par  mouments,  je  veus  dire  à 
conformer,  et  je  crais  ben  que  mon  grand-père  Regnaud 
et  la  mère  à  Ugène  sont  dans  la  vérité  véridique.  D'ail- 
leurs, la  mère  à  Ugène  aile  donne  des  preuves  de  son  dire 
et  dès  quante  j'aurons  un  petit  loisir,  je  vous  pouserai, 
en  mains  ou  pour  mieus  dire  en  mémoire,  ceu  preuves. 
Pour  le  moument,  je  som  trop  occupés. 

Couinent  était  venue  et  de  là  où  était  venue  la  Géante. 

Parsoune,  à  cetelle  heure,  ne  peu  mettre  en  doutance  la 
venue  à  Sancoing  de  la  Géante.  Coument  aile  était  venue. 


NOS    GEANTS    D AUTERFOÉS.  I 29 

de  là  où  aile  était  venue?  Moé  j'en  sais  ren,  mais  ren 
du  tout! 

Chariot  Robet  disait  qu'aile  venait  de  Bertagne,  et  i' 
chantait  une  chanson  que  marquait  son  voyage  en  parlant 
des  Pays  qu'aile  avait  travarsés.  Je  m'en  rappelle  pus  de 
cetelle  chanson.  Le  père  Bordier  disait  qu'aile  venait  de 
Langres,  par  Autun  et  Nevers.  Girard  le  plemeu  de  brères 
asseurait  qu'aile  venait  de  TAuvargne,  par  Clermont  et 
Moulins,  le  père  Enault  m'a  açartené  qu'aile  venait  des 
Flandres,  par  Lille,  Paris,  Bourges. 

Mon  grand  père  Regnaud  la  tenait  pour  berruyère  sim- 
pelment,  et  la  mère  à  Ugène  crai  qu'aile  venait  de  la 
Marche.  Moé  j'ai  ben  mes  idées,  mais  ça  conven  pas  que 
je  me  mette  trop  en  avant,  j'aurais  l'air  de  prenre  une 
place  de  capitaine  étant  simpel  sargent.  On  dit  que  c'étai' 
une  formance  de  famé  corporée  de  première  main  et  for- 
tement, d'une  grande  beauté,  point  vieille,  ni  point  jeune, 
mais  belle!  belle! 

Le  portai  de  la  mainson  ancienne  des  échevins,  à  ce 
qu'on  dit,  et  qu'est  à  Monsieu  Hittier,  à  cetelle  heure,  est 
ben  un  biau  portai  qu'a  deus  toises  et  demie  de  haut,  et 
ben  c'es'  une  bouinotte  en  comparaision  du  portai'  de 
l'Hôtellerie  de  la  Pardris  Grise,  et  nouter  Géante  a  du  se 
baisser  en  passant  dessous  ceti  portai  de  la  Pardris  Grise. 

Ce  qu'était  l'Hôtellerie  de  la  Pardris  Grise. 

C'étai'  une  grousse,  grande  et  belle  mainson  cetelle 
Hôtellerie,  coume  un  biau  châtiau  que  tenait  des  chambres 
hautes  éclairées  par  des  grand'  croisées  en  ceintre  et  en 
pierres  finement  taillées  et  escultées. 

Les  planchers  en  châgne,  bellement  jointeyés,  étaint 
pourtés  par  des  solives  à  vives  arrêtes  et  blanchies^  pro- 
perment;  cetelles  solives  pourtaint  sus  des  murs  francs  et 

I.  Le  travail  de  la  cognée  à  blanchir  pare  l'équarrissage  de  la 
grosse  cognée. 


l30  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

SUS  des  poudres*  suparbes  équaries  et  blanchies  itou  à 
vives  arrêtes  coume  les  solives.  Ben  entendu,  les  solives 
et  les  poudres  étaint  en  biau  châgne  des  environs  de  San- 
coing  qu'étaint  boisés  en  cens  temps  là  de  première  futaies 
et  de  grands  taillis,  là  où  on  pernait  des  bois  de  marine 
fameus,  des  charpenteries  de  toute  beauté,  des  mairins 
arçarché  de  loins,  des  bois  de  brûle  à  pousser,  à  reculer, 
et  les  charbons  de  première  marque  que  chauffaint  six  ou 
sept  forges  et  hauts  fourniaus  sus  la  rivière  l'Aubois 
qu'était  auterfoés  une  vraie  rivière  entertenue  et  renforcée 
par  les  grands  étangs  de  Sancoing,  de  Grousouver,  de 
Traizy,  de  la  Guearche,  du  Chautey,  de  Torteron  et  de 
Jouet. 

Chacun  sait  que  cens  fers  du  Berri  avon'  été  arnoumés 
du  depuis  les  temps  lointains,  lointains,  d'avant  nouter 
Seigneur  Jésus-Christ,  dans  toute  la  France.  La  mère  à 
Ugène  dit  ben  asseurément  dans  toute  l'Erope. 

Ceutis  planchers  de  la  Pardris  Grise,  coume  toute 
l'œuvre  des  combles,  c'était  fait  dans  le  fin  goût  de  nos 
bâtiments  du  Pays  qu'avont  toujours  évu  biaus  parements 
pace  que  de  longtemps  nos  artisans,  dans  la  maçonnerie, 
la  taille  de  pierre,  la  charpenterie,  la  ferronnerie,  avon' 
été  premiers  dans  toute  la  France,  et  la  mère  à  Ugène  a 
peut  ête  ben  raison  de  craire  dans  toute  l'Erope,  pace 
que  je  me  sens  laissé  dire  que  c'était  marqué  en  écriture  à 
la  main  sus  des  livers  qu'avont  des  mils  ans  et  i'  sont  en 
des  puissances  loin  hors  de  nos  frontières,  je  me  souven 
pus  .là  où. 

La  grand'salle  coumune  de  l'aubarge,  que  tenait  tout  le 
bas  du  grand  côrp  de  bâtiment,  avait  sa  cuisine  à  mesme 
la  salle  conter  l'un  des  pignons  là  où  était  l'hotte  avan- 
çante d'une  grande,  grande  cheminée  bessoune  suparbe, 
en  pierre  de  taille  bellement  façonnée. 

Sus  le  mitant  de  l'hotte,  dan'  in'  encaderment  ménagé, 
par  spécial,  se  voyait  une  mainière  de  taque  que  Mon- 

1.  Poutre. 


NOS   GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  i3i 

sieu  Luquet  appelait  Técusson.  Et  dans  ceti  écusson  se 
voyait  une  pardris  grise  finement  escultée,  peinturée,  et 
que  les  parsounes  venan'  à  l'aubarge  regardaint  sans 
manquer,  à  ce  que  J'ai  ouï-dire.  Les  taques  en  fonte  des 
cheminées,  porvenaint  des  forges  de  Groussouver,  les 
landiers  de  biau  fer  arié  de  cheus  nous,  forgés  par  les  fer- 
rouniers  de  Sancoing,  c'était  fait  de  premières  mains, 
ainssi  que  les  barres  des  foyers,  les  pelles,  les  pincettes, 
les  crémaillères  et  les  broches  à  routir.  Sauf  les  barres 
de  foyer,  toutes  les  auters  pièces  étaint  forgées,  limées  et 
polies  et  toujour,  été  coume  hiver,  terluisantes  coume 
des  bijous  d'or.  Les  routissoés  étain'  en  fer  martelé  dans 
le  meilleur  goût  de  nos  ferronneries  qu'avaint  du  renom 
à  sis  cent  ïeues  la  ronde  auterfoés,  et  qu'avon  été  prisée' 
encore  un  tour  de  temps  mesme  après  la  régie  à  Robes- 
pierre qu'a  été  la  détruicion  finale  de  nos  corps  d'état  et 
de  nos  coumunautés  d'artisans  des  villes  et  des  campagnes, 
si  glorieuses  quante  nos  grands  Géants  les  tenaint  sous 
leus  deveoirs.  (Fais  ce  que  doés). 

Je  crais  que  j'ai  di  en  parlant  des  combles  du  grand 
corps  de  bâtiment  que  c'étai  une  oeuvres  admirabe,  la 
couvarture  à  petite  tuiles  plates  c'étai  un  plaisir  à  regarder, 
et  les  belles  coupes  des  pignons  affaîtés  par  des  têtes  de 
cheminées  suparbes  que  pourtaint,  paraît,  des  chicorées 
frisée  escultée' auprès  etentour  de  leus  corniches.  Ceutis 
pignons,  qu'avaint  le  grade  de  Maître,  montant  haut  par 
sus  les  bâtiments  d'en  coûté,  étaint  z'eus  mesmes  sur- 
montés par  la  grand'  tourelle  que  tenait  l'entrée  maîtresse 
de  l'hôtellerie.  Cetelle  tour  à  pans  coupés  dans  le  bas  et 
carrée  en  haut  tenait  une  couvarture  montante  à  petite 
tuiles  plates  coume  la  grand'  couvarture  de  la  mainson. 
Une  girouette  en  fer  forgé  et  arcuit,  de  toute  beauté, 
affaîtait  la  dite  belle  tour  que  tenait,  en  sus  de  l'entrée 
maîtresse  de  l'hôtellerie,  l'escailler  désarvant  les  chambres 
hautes  et  les  guerniers  qu'étaint  aménagés  bonnement  et 
properment.  Les  petites  croisées  moulurées  et  escultées 
de  la  grand'  tour,  paraît  que  c'était  d'une  grâce  et  d'une 


l32  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

gentesse  qu'on  peut  pas  veoir  mieus  à  Nevers  et  à  Bourges. 
D'ailleurs,  mon  grand  père  Regnaud  m'a  dit  souventes 
foés  que  ceus  brâvetés  de  l'hôtellerie  de  la  Pardris  Grise 
c'était  fait  dans  le  goût  du  grand  pignon  donnant  sus  la 
grand'  rue,  et  qu'était  l'hôtel  du  grand  Pervôt  et  tout  pareil 
au  jolivetés  qu'on  voit  auprès  les  murs  de  la  mainson, 
dite  des  échevins,  qu'est  à  Mon-sieu  Hittier  à  persent. 

En  tout  et  pour  tout,  on  peut  dire  hardiment  que  cetelle 
hôtellerie  de  la  Pardris  Grise  était  une  mainson  aménagée 
et  ordonnée  dans  l'usage  et  la  coutume  de  meilleure  tenue 
et  de  pus  haut  goût  de  brâveté  qu'on  peuvait  veoire  à 
vingt  l'eues  la  ronde.  C'était  cossu  de  tout  en  tout.  La 
boulangerie  qu'était  dans  la  cour  attenante  à  la  grand' 
mainson  avait  deus  grands  fours,  qu'étaint  bouchés  par 
des  bouche-fours  en  fer  forgé  et  martelé,  d'un  travail  de 
première  main,  et  tenant  des  poégnées  forgées,  limées  et 
polie  d'une  venue  râle. 

Le  moument  qu'on  voit  le  conteur  pris  d'émotion 
et  de  découragement. 

Mes  poures  chers  mondes,  je  me  sens  ton'  i'  ne  sais 
coument  émociouné  en  vous  parlant  de  toutes  ceus  gran- 
desses  et  ceus  brâvetés  que  fasaint  auter  foés  une  si  grande 
gloire  à  nos  Pays  du  Mitant  que  sont  tumbés  à  ren  à  per- 
sent. J'ai  grand  dépit  d'aveoir  éburgé  toutes  ceus  cendres, 
et  ça  me  prend  des  vanigotteries  dans  mon  calâbre,  coume 
si  j'avais  ouvri  une  fousse  pour  tirer  les  oussements  d'un 
côrp  enterré  du  depuis  longtemps.  Ça  m'émagine  que  je 
fais  mal  de  remettre  en  clairté  des  idée'  et  des  chouses 
qu'avon'  été  comdam-nées.  Pisque  nos  malhureus  pères 
n'avont  pas  pus  se  défendre  a  contuiner  conter  les  boua- 
sous,  c'est  don'  qu'ils  étaint  pas  forts,  bonnes  gens,  nos 
poures  chers  pères  !  Nous  autres,  je  som  encore  pus  feubles 
que  nos  anciens  et  je  me  demande  ce  que  va  être  le  deve- 
nir de  ceus  là  que  vinront  après  nous.  Bon  Dieu!  Vlez  t'i 
que  je  nous  arrêtaint  là? 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  i33 


Coument  le  conteur  se  remet  en  courage  pour  contuiner 
son  récit. 

Je  seus  touché  en  dédans  de  moé-mesme,  mes  chers 
mondes,  de  voûter  compassion  à  moun  aveur  et  je  veus 
ben  tâcher  de  contuiner  l'ordon.  Asseurément,  je  vous 
redis  :  je  seu  émociouné  comben  t'i  à  cause  de  ceus 
poussiers  d'idées  et  de  corps  defunctés  que  je  vois  danser 
devant  mes  œils  à  fur  et  à  mesure  que  je  tarbâtte  ma 
poure  vieille  gibarne  de  mémoire.  Je  me  demande  cou- 
ment ça  peut  se  faire  que  tant  de  chouses  vues  de  mes  œils 
à  moé,  et  vues  par  les  œils  de  mes  anciens,  avont  pu  s'en- 
graver  dans  ma  poure  çarvelle  de  guerdaud  guerdaudant? 
Et  dire  que  ceus  grous  bourgeois  de  ville  s'émaginons 
que  nous  autres,  chetits  campagnards,  je  pensons  à  ren  !. .. 
Bon  Dieu!...  Dès  quante  j'entends  dire  des  chouses  si 
telles,  ça  me  passe  des  frissounements  de  méchanceté  frede 
que  me  pernont  au  fait  de  ma  tête,  en  passant  par  mon 
cacoué,  et  mon  fil  des  reins,  s'en  vont  me  fernâiller  mes 
grous  artous,  et  ça  me  ven  l'envi  de  faire  du  mal,  aussi 
moé,  coume  les  autres,  puisque  c'est  en  fasant  le  mal 
qu'on  est  ben  vu  à  persent...  Pourtant,  je  me  seu  artenu 
jusque  là  d'être  un  bousilleus,  vau'  autant  tâcher  de  finir 
coume  ça.  A  la  garde  de  Dieu!  Mes  poures  enfants  feront 
coume  i'  pourront.  Je  crais  que  vous  avez  raison  de  m'ac- 
tiouner  à  contuiner  mes  récits  sans  trop  d'arrêtance,  pace 
que  je  crais  ben  que  si  une  foés  j'étai  arrêté  je  pourrais 
pus  m'arprenre. 

Je  seus  coume  ceutis  viens  chevaus  de  tomberiaus,  je 
vas  que  du  branle,  c'est  les  brancards  que  me  tenont, 
quoé!  C'est  la  cause  que  me  fait  rouatiner,  bonnes  gens! 
bonnes  gens!  C'empêche  pas  que  c'est  cuerieus,  tout  ça 
que  ten  ma  poure  vieille  çarvelle.  C'est  inimaginant  que 
tant  d'idée'  et  de  chouses  vues  peuvont  se  tapire  dans  la 
carmouche  d'un  poure  malhureus  campagnard  de  moun 
espèce. 


l34  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 


Je  seus  si  ben  attiré  par  tous  ceus  avènements  d'auter- 
foés  que  sont  adevenu'  à  Sancoing  et  aus  alentours,  et 
aussi  toutes  ceus  voyances  que  me  tenont  en  émocioune- 
ment,  sans  rémission,  que  c'est  pas  trop  étonnant  que  je 
rouâtine.  Je  rouâtineM  J'aurais  dû  vous  montrer  une  à 
une  les  beautés  de  l'hôtellerie  de  la  Pardris  Grise  que 
mon  cher  grand  père  m'a  souvent  dépeinturée.  Je  me  seu 
écarté.  J'arven  au  domaine,  escusez  moé-don  :  je  seus 
trop  çargé  mes  poures  amis. 

J'étaint  à  un  moument,  je  crais,  dans  la  grand'  salle  cou- 
mune  qu'avait  soun  entrée  maîtresse  sur  la  place  d'arme 
par  la  grand'  tourelle  que  fasait  tambour.  Dret  devant  le 
tambour  à  deus  portes,  y  avait  la  porte  que  sortait  dans  la 
cour.  Les  grand's  croisées  ceintrées,  coume  cetelles  là  des 
chambres  hautes,  fasaint  une  belle  clairté  dans  la  salle 
du  bas. 

Les  tabès  cirées,  terluisantes,  coume  des  miroirs,  étaint 
en  beau  châgne  dur  de  nos  belles  futaies  et  façonnées  en 
charpenterie  fine  dans  toute  la  force  et  la  grâce  de  nos 
belles  œuvres  géantesques,  coume  on  voyai  aus  chambres 
hautes  et  dans  les  combles. 

Le  plancher,  les  solives  et  les  poudres  de  cetelle  grand' 
salle  à  manger  étaint  en  châtaigner,  le  tout  façonné,  join- 
teyé  de  grandes  mains,  anvé  vives  arrêtes  aus  solives  si 
ben  qu'au  poudres  que  pourtaint  sous  leur  mitant  chacune 
un  piller  en  châgne  et  chamfriné.  Parait  que  c'est  çar- 
tain  pour  empêcher  les  araignées  de  bâtir,  le  châtaigner. 
Ceti  plancher,  le  solivage  et  les  poudres  avaint  don'  été 
faits  esprès  conter  les  araignées  pour  la  grand'  salle  à 
manger  de  l'Hôtellerie  de  la  Pardris  Grise  à  Sancoing, 
pace  que  ça  conven  pas  qu'une  araignée  venue,  mesme  en 
passant,  au  dessus  du  boire  et  du  manger. 

L'Hôtellerie  de  la  Pardris  Grise,  à  Sancoing,  aval'  une 
arnoumée  grande  à  vingt  ïeues  la  ronde  pour  ses  soupes 

I.  Aller  en  zigzag. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  i35 

grasses,  ses  bouillis  cuits  à  point,  ses  routis,  ses  fricots  et 
ses  barboilles  de  poulets,  et  tout  et  tout.  De  ses  galettes,  on 
en  causait  encore  dans  ma  jeunesse,  et  dès  quante  on  avait 
parlé  de  la  cave  de  cetelle  fameuse  hôtellerie,  on  avait 
tout  dit. 

Je  veus  point  vous  artarder  pour  vous  faire  montre  des 
meubles  et  du  linge  et  des  abillements  que  tenaint  les 
chambres  de  l'aubargiste.  Faut  vous  dire  simpelment  que 
c'étai  une  mainson  fournie  de  tout  et  pour  tout,  tant 
pour  la  cave,  qu'était  garnie  à  tou-touche  des  vins  de  nos 
coûtes  d'Ailler,  de  Loire  et  du  Cher,  du  depuis  l'Auvargne 
jusqu'à  l'Anjou,  que  pour  le  guernier  que  tenait  à  tàs  et 
en  boutasses  des  seigles,  des  frouments,  des  orges  et  des 
avoenes  de  premier  chois.  Les  fruits,  qu'étaint  en  cens 
temps  là  cheus  nous  une  richesse  et  une  source  de  joies, 
étaint  gardés  fraits  à  l'hôtellerie,  d'une  an-née  à  l'autre, 
dan'  un  fruitier  joutant  la  cave.  Les  fruits  secs,  tels  que 
perniaus  de  Sainte  Catherine,  reine  Claude,  Saint  Juillen, 
Damas,  Mirabelle,  Breugnon,  Potron,  et  tout  et  tout, 
Daguenelles  de  poumes,  de  poires,  que  faurrait  un  livre 
pour  vous  les  noumer,  étaint  en  boutrolles  d'ouzières  et 
de  cueudre  bonnement  rangées  et  nimérotés.  Y  avait  les 
agueryances,  les  hauts-goûts,  les  appêtis  secs  pour  les 
cuisines  qu'on  tenait  itou  en  grands  soins  en  coûté  des 
fruits  secs.  Les  arbages  et  les  fleurs  cueillis  en  temp  et 
heures,  chessés  anvé  percautiounement,  pour  les  beuvée 
adoucissantes  aus  estoumacs  fatiqués,  étaint  aussi  rangés 
percieusement  dans  le  biau  guernier  qu'était  réjouissant  à 
veoir  autant  que  les  salles  et  les  chambres.  C'était  sarvi 
properment,  sans  lustre,  mais  dans  la  dreture  de  la  bre- 
veté et  de  l'hounêteté.  Ceus  tabès,  en  châgne  dur  et  sain, 
bonnement  ajustées  à  tenons  et  mortaises,  chevillées  bra- 
vement en  léauté  de  charpenterie  fine,  étaint  dersée'  en 
accordement  anvé  les  piliers  et  les  dersoés,  là  où  se  voyaint 
des  vaisselles  de  grès,  d'étain,  de  cuive,  et  mesme  en  beau 
bois  de  fouéle  ^ .  Les  tasses,  les  gobelets,  les  pichets  d'étain 

I.  Hêtre. 


l36  NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

et  les  verres  pour  les  grands  vins  fasaint  des  clairtés 
jiglantes  dans  cetelle  brave  salle,  là  où  des  sarvantes  tou- 
jours pignées,  coiffées,  bichounées  et  tirées  à  quater 
épingues  fasaint.  Dieu  me  pardoune,  coume  des  bouquets 
marchant,  soutillant,  courant,  pimpants.  Les  cuisinières 
qu'on  voyait  à  mesme  la  salle,  c'était  itou  des  fumelles  de 
bounes  mines,  sans  lustre,  mes  détirées  et  donnant  appétit 
ren  qu'en  les  voyant  cuisiner  anvé  une  adresse  que  don- 
nait confiance  et  repousement.  L'auter  pignon  de  la  grand' 
salle  tenait  itou  une  cheminée  bessoune  anvé  l'hotte  avan- 
çante, qu'on  allumait  l'hiver,  anvé  des  grous  rondains  et 
des  tétaus,  au  moument  des  grand'  ferdures. 

Vés  la  cuisine  était  une  porte  que  donnait  dans  la  main- 
son  ménagère  du  maître  aubargiste,  des  enfants  et  des 
sarvantes.  Les  sarvants  de  la  mainson  étaint  logés  sur  la 
cour  anvé  les  garsons  des  écuries. 

La  porte  d'entrée  à  l'Hôtellerie  de  la  Pardris  Grise. 

Mes  poures  mondes,  voyez  ben  que  je  seu  un  vieus  ter- 
laud.  Je  vous  ai  fait  visiter  l'hôtellerie  et  je  vous  ai  point 
parlé  de  la  porte  d'entrée  qu'était  au  pied  de  la  grand' 
tourelle,  et  c'était,  à  ce  que  j'ai  ouï-dire,  un  travail  émo- 
ciounant.  Aile  était  appareillée,  taillée,  moulurée,  escul- 
tée,  festonnée  dans  le  grand  goût  de  beauté,  de  richesse, 
de  brâveté,  coume  les  grands  œuvres  de  nos  Géants.  Paraît 
qu'au  moument  de  ceti  passage,  de  Gargantua  cheus  nous, 
y  avait  au  dessus  de  cetelle  brave  porte  d'entrée,  à  l'Hô- 
tellerie de  la  Pardris  Grise,  une  belle  enseigne  en  fer  forgé 
et  arcuit.  J'ai  ouï-dire,  par  nombre  de  genss,  que  c'était 
une  marveille.  Mon-sieu  Luquet  asseurait  que  ren  de 
mieus  se  peuvait  veoir  à  Nevers  et  à  Bourges.  Il  avait  vu 
un  dessin  couleuré  de  cetelle  enseigne  sus  un  livre  écrit  à 
la  main  et  qu'était  dan'  un  bâtiment  brave  de  Paris. 
Autant  que  je  peus  me  souvenir,  l'œuvre  si  belle  aurait  été 
empourtée,  ans  temps  des  guerres  de  Sencerre^  par  les 

I.  Guerres  dites  de  religion  assurément. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  l3y 

patarins,  les  caterrcs  et  les  boèmes  libartins,  qu'avaint 
repris  le  Mont-Joï  et  Sancoing. 

Après  la  reprise  de  Joï  et  Sancoing  par  les  noûtres,  on 
aurait  refait  la  belle  enseigne  de  la  Pardris  Grise  en  regar- 
dant le  dessin  couleuré  sur  le  livre  écrit  à  la  main. 

Aus  temps  des  guerres  de  Mont-Rond*,  Sancoing  a  été 
prise  et  reprise  encore  et  encore.  Gargantua,  trop  occupé 
ailleurs  sans  doute,  n'a  pas  pus  arvenir  arlever  nos  rem- 
parts qu'avont  été  debesillés,  par  les  caterres  et  les  boèmes 
libartins.  Il'  avont  itou  démentibulé  nouter  tant  suparbe 
citadelle  et  masiblé  la  grand'  partie  de  nos  pus  belles 
mainsons  gradées.  Là  où  a  passé  la  belle  enseigne  de  la 
Pardris  Grise? 

Le  père  Enault,  le  garde  général  du  marquis  de  Saint 
Sauveur,  ainssi  que  mon  grand  père  Regnaud,  en  avon' 
entendu  parlé  de  cetelle  enseigne  qu'a  été  vue  à  Bourges 
aussi  ben  qu'à  Paris,  arié  sus  un  livre  en  écriture  à  la 
main,  qu'avait  fait  un  mon-sieu  de  Beaudreuil. 

Parait  que  le  côrp  de  cetelle  suparbe  enseigne  figurait 
des  treilles  que  partaint  des  deus  coûtés  de  la  porte,  mon- 
taint  dans  des  gorges  et  semblaint  transparser  la  faîtière 
de  la  porte  en  s'enroulant  coume  un  cordage  de  fer 
s'abaissant  en  équerre  pour  s'écarter  en  branchages,  en 
feuillages  et  en  rasins,  en  ménageant  in  encaderment  que 
tenait  une  plaque.  Je  veus  dire  in  écusson,  selon  que  disait 
mon-sieu  Luquet.  Ceti  écusson  forgé,  martelé,  paré  était 
doré,  sauf  un  petit  mitant,  là  où  était  peinturée  la  Pardris 
Grise,  en  sa  couleur  naturelle,  et  en  se  parfilant  dessus 
ceti  font  d'or  ça  fasait  un  peu  coume  on  voit  derrié  les 
têtes  de  nos  bons  Saints  peinturés  sus  des  murs  ou  sus 
des  toiles.  Dans  le  tympan  de  pierre  de  la  dite  porte,  on 
voyait  esculté  encore  là  une  pardris  grise,  peinturée  dans 
sa  couleur  naturelle  et  encadrée  de  vigne,  de  rasins  et 
d'épis  de  seigle,  de  froument,  d'orge  et  d'avoéne,  coume 
on  voyait  sus  les  hottes  des  deus  cheminées  bessounes  et 

I.  Guerre  de  la  Fronde  vraisemblablement. 


l38  NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

SUS  la  porte  de  la  cour  qu'était  pareille  à  l'entrée  de  la 
place  d'armes,  moins  la  belle  enseigne  de  fer  forgé,  dorée 
et  peinturée. 

De  la  grand'  cour  i'  n'en  reste  ren,  je  crais,  mais  d'après 
le  dire  de  mon  grand  père,  qu'a  vu  ceti  portai  d'entrée, 
de  cetelle  cour,  la  grand'  porte  de  l'ancienne  mainson  des 
échevins  là  où  est  monsieur  Hittier,  serai  une  bouinotte 
en  comparaision  du  portai  de  la  Pardris  Grise,  coume  je 
l'ai  jà  dis.  Par  ceti  grand  portai  de  l'hôtellerie,  on  entrait 
dan  une  cour  grande,  grande,  de  toute  beauté'  là  où  on 
peuvait  faire  maneuvrer  une  troupe  de  guerriers  à  chevau. 

En  sortant  de  la  grand'  salle  sus  le  seul  de  la  porte,  on 
voyait  une  étale  de  bâtiments  appentis  que  s'éclairaint  en 
grandesse  d'une  venue  râle,  râle. 

D'abord  la  grange  qu'avait  la  prestence  admirabe  d'un 
bâtiment  de  grand  Seigneur. 

Cens  bâtiments  de  la  cour,  c'était  d'un  sens  peut-être 
pus  brave  encore  que  la  grand'  mainson. 

Dret  en  face  la  belle  porte  de  la  grand'  salle  était  le 
grand  auvent  de  la  grange  se  persentant  en  pignon  de 
grande  beauté  et  majesté  anvé  des  assemblages  de  char- 
penteries  d'un  travail  de  coupe  hors  ligne.  Les  deus  tours 
poiverières  pigeonniers  que  flanquaint  ceti  auvent,  si  tan' 
admirabe  anvé  sa  charpenterie  de  belle  coupe  et  sa  formes 
montant  anvé  grâce  enter  les  deux  poiverières  suparbes, 
cétait  ben  çartainement,  coume  le  disait  mon  grand  père, 
beau  coume  tous  ça  qu'on  peu  veoir  de  beau. 

Paraît  que  les  portes  de  la  grange,  qu'étaint  en  fortes  et 
belles  planches  de  chàgne,  étaint  arriées'  à  leus  travarses 
par  des  chevilles  en  bois,  d'une  joliveté  pernante  pour  les 
genss  de  cheus  nous,  pace  que  cetelle  charpenterie  ven 
des  temps  anciens,  anciens.  Cens  têtes  de  chevilles  taillées 
en  pointe  à  diamant,  coume  disait  le  frère  de  la  mère  à 
Ugène,  qu'était  un  fin  charpentier,  dounont  à  des  grand' 
portes  une  figure  imperciounante,  parlante  et  arpousante, 

I.  Reliées. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  iSq 

qu'on  empourte  anvé  soé,  et  on  eume  y  songer  par  mou- 
ments.  Toutes  nos  anciennes  portes  de  grange  à  Neuvy, 
y  a  cinquante  an-nées,  étaint  encore  dans  ceti  genre. 

Ceus  portes  de  grange  de  la  Pardris  Grise,  si  bellement 
ouvrées,  pourtaint  pendlées  amprès  elles  des  têtes  de  loups, 
de  sanghiers,  de  renards,  et  des  oisilleaus  de  carnage,  des 
beuzes,  des  couaèles\  des  éparviers  et  tout  et  tout. 

Les  étâbes  des  vaches,  des  chevaus,  étaint  dans  le  grous 
côrp  de  bâtiment.  La  porcherie  était  derrié,  et  on  y  allait 
par  une  voûte  que  dounait  sus  les  remparts.  Les  coûtés 
tenaint  la  boulangerie,  la  buanderie,  des  étâbes  de  che- 
vaus, des  remises  pour  des  arnais  et  utillages  sarvant 
pour  les  remparts.  Des  biaus  appentis,  ouvrages  de  char- 
penterie  admirabe  autant  que  belles  œuvres  de  crouveus 
formaint  des  galeries,  auprès  ceus  corps  de  bâtiments 
qu'avaint  des  châffaus  et  des  guerniers  sains  et  ben 
coume  i'  faut  aérés.  Les  couchettes  des  valets,  des  gar- 
sons  d'écurie,  des  sarvants  de  l'Hôtellerie  mesme,  étaint 
soit  dans  les  étâbes,  soit  au-dessus  de  la  buanderie  ou  de 
la  boulangerie,  là  où  y  avait,  paraît,  des  chambres  de  voya- 
geurs, si  je  me  souven  ben,  coume  mon  bon  grand-père 
Regnaud  m'a  espliqué  tout  ceti  aménagement. 

Le  moiiment  qu'on  voit  le  coumandant  d'arme  anvé  ses 
capitaines^  le  Pervôt  des  marchands  et  artisans^  les  chefs 
de  la  milice^  les  maîtres  des  coumunautés  des  artisans 
de  ville  et  de  campagne,  venant  complimenter  la  Géante. 

C'est  dans  cetelle  cour,  à  l'Aubarge  de  la  Pardris  Grise, 
que  les  autorités  de  la  ville  de  Sancoing,  les  Syres,  les  sei- 
gneurs, les  bourgeois,  les  artisans  de  ville  et  de  campagne, 
sont  venus  pour  complimenter  la  Géante  en  li  remettant 
des  persents. 

A  fallu  paraît,  qu'aile  se  baisse  en  entrant  par  le  grand 
portai  qu'avait  ben  trois  toises  de  haut',  et  dès  quante 

1.  Corbeaux. 

2.  Six  mètres. 


140  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

aile  a  été  sisée,  se  fasant  toute  petite,  sus  une  mainière  de 
trône,  que  vitement  les  artisans  de  la  ville  avont  monté 
dans  l'acaderment  et  sous  le  bel  et  grand  auvent  de  la 
grange,  peut-éter  un  peu  petit  pour  le  cas,  c'était  tout  de 
même  imperciounant,  J'emagine,  de  veoir  un  si  tel  tableau. 
C'était  sous  ceti  auvent  que  Gargantua,  se  fasant  arié  tout 
petit,  s'artirait  queuques  petits  mouments  la  nuit  pour 
dormir  un  petit  som  pendant  son  séjour. 

On  dit  qu'aile  paraissait  en  beauté  et  à  soun  aise,  la 
dame  Gargantua,  pour  arceveoir  les  compliments,  hou- 
maiges  et  persents  que  li  son  venus  de  tous  les  coûtés,  et 
par  une  chioulée  de  monde,  une  chioulée  que  parsoune 
humaine  ne  pourrait  dire  le  dénomberment.  Ça  entrait 
par  le  grand  portai  et  ça  ressortait  san  arrétance  par  les 
portes  de  la  grand'  salle,  ce  pendant  que  les  cors  de 
chasse,  les  cornes  à  douelles,  les  trompettes,  les  vielles, 
les  musettes,  sounaint,  ainssi  que  les  cloches. 

Le  moument  qu'on  a  vu  Gargantua  arrêtant  l'hôtelier  que 
voulait  dépendler  les  têtes  de  sauvagines  et  les  oisilleaus 
de  carnages  accrochetés  aus  portes  de  la  grange. 

Y  a  évu  une  petite  avinture  qu'est  advenue  au  moument 
que  les  autorités  et  le  peuple  avont  passé  par  devant  la 
Géante,  et  je  crais  que  la  chouse  vaut  la  peine  d'être  con- 
tée, mes  chers  mondes,  et  je  vas  vous  la  dire. 

Auterfoés,  et  y  a  pas  longtemps  qu'on  le  fait  pus,  on 
pendlait  des  têtes  de  sauvagines,  des  oisilleaus  de  carnage 
auprès  nos  portes  de  grange. 

Je  me  seus  laissé  dire,  par  mon  grand-père  Regnaud, 
qu'étai'  in  houme  point  badin,  je  vous  le  garantis,  que 
dans  les  temps  anciens,  anciens,  on  pendlait  mesme 
auprès  les  portes  de  granges,  cheus  nous,  en  coûté  ou 
emmi  les  têtes  de  sauvagines,  des  têtes  d'houmes  qu'on 
avait  tué  en  loyale  bataille.  La  mère  à  Ugène  le  dit  itou 
que  ça  se  fasait  cetelle  cérémounie  là,  cheus  nous,  quante 
le  Vieus  Çasair  brise-tout  est  venu  ravager  nos  Pays  et 


NOS    GEANTS    D AUTERFOES.  I4I 

que  ça  aurai'  été  pain  bénit  de  pendler  la  tête  de  cet! 
infâme  démon,  si  on  avait  su  le  prenre  ce  grand  Diâbe, 
chef  de  tous  les  Diâbes.  Çà  aurai'  évité,  paraît,  de  grand 
malheurs  et  douleurs  à  nos  Pays  de  la  France. 

Les  portes  de  la  grange  à  l'Aubarge  delà  Pardris  Grise 
étaint  don  garnies,  coume  je  l'ai  marqué  devant,  de  toutes 
espèces  d'oisilleaus  de  carnage  et  de  têtes  de  sauvagines. 
Ces'  t'i'  qu'on  n'a  point  songé,  c'es'  t'i'  qu'on  n'a  pas  évu 
le  temps,  c'es'  t'i'  qu'on  n'a  pas  évu  l'idée  d'artirer  ceus 
reliques,  toujour  est  que  la  Géante,  sisée  sus  son  trône, 
débordant  à  demi  en  dihôrs  de  l'auvent,  avait  coume 
parement,  derrié  elle,  ce  font  arpresentant  une  image  de 
guerre.  Les  patarins,  les  caterres,  les  boèmes  libartins, 
les  maignants,  les  roulants,  les  begigis,  les  bambocheurs, 
les  bâstiers,  les  forains  passagers,  toute  la  bande  de 
mesme  famille  que  j'avons  vu  à  Urçay,  empoussant  le 
peuple  conter  le  grand  Géant,  était  à  Sancoing  en  nomber 
pus  grand  encore  qu'on  avait  vu  à  Urçay.  Ça  n'avait  point 
sarvi  sembel  d'en  tuer  une  dizaine  de  cartrons.  Le  fiso- 
lofe  docteur  Bounet-Rond  coumandait,  coume  vous  pen- 
sez ben,  cetelle  troupe.  Ce  parsounage,  que  parsoune  avait 
revu  à  Sancoing,  ce  pendant  qu'on  arlevait  et  renforçait  les 
remparts  de  la  ville,  était  arvenu  au  moument  de  la  fête 
pour  tâcher  de  mettre  à  point  queuques  mauvaisetés  que 
l'esprit  du  Diâbe  li  fournissait,  selon  ses  capacités  et  sa 
mesure. 

Saisissant  le  moument  propice,  ceti  enfant  de  cataud 
avait  sournoisement  glissé  à  l'oreille  du  maître  hôtellier 
que  c'étai'  horribe  de  tenir  en  vue  cetelles  images  de 
guerre  et  de  carnage  au  moument  des  réjouissances  d'une 
fête  de  la  paix.  L'hôtelier,  qu'était  sans  doutance  un  pas 
mauvai'  houme,  mais  in  esprit  feuble,  coume  je  som  qua- 
siment tous  en  Berri,  holà!  holà!  a  été  saisi,  empaumé 
par  cetelle  apparence  de  sagesse  que  venait  de  la  langue 
vrineuse  d'in  aspic,  et,  sans  faire  ni  ouf,  ni  af,  sans  veoir 
pus  loin  que  le  bout  de  son  nez,  bonnes  gens,  i'  s'en  fut 
en  coup  de  vent,  bousculant  le  cortège  des  braves  genss 


i^i  NOS    GÉANTS   D  AUTERFOÉS. 

d'Augy,  pour  aller  dépendler  les  têtes  de  bêtes  sauvages 
et  les  oisilleaus  de  mauvaise  augure. 

Hureusement  que  Gargantua  ne  pardait  ren  des  allée' 
et  venues  des  brigands  passagers.  Il  a  vu  le  Bouasou  par- 
lant à  l'aubargiste,  et  à  la  mine  de  ceti  là,  il  a  compris  tout 
de  suite  ça  que  fallait  faire  pour  empêcher  une  grousse 
bêtise.  Au  moument  que  le  poure  bêtiaud  d'hôtelier,  après 
aveoir  bouriaudé  les  braves  genss  d'Augy,  se  mettait  en 
deveoir  de  dépendler  ceus  têtes  de  sauvagines  et  ceus 
oisilleaus  de  carnage,  Gargantua,  touchant  de  son  grous 
doegt  l'épaule  du  poure  bougre  d'hôtelier,  qu'était  pour- 
tant un  grous  gâs,  paraît,  il  l'a  fait  virouner  coume  une 
toupie  en  disant  :  Bellement!  mon-sieu  l'aubargiste.  Là 
où  donc  courrez  vous  si  vite,  poure  cher  houme?  Vous 
allez  parde  vent!  Le  poure  bougre  était  étardi  au  premier 
moument,  il  a  repris  contenence  un  chitié  et  il  a  repounu  : 
Grand  Géant,  c'est  que  les  étrangers  m'avont  fait  armar- 
quer  que  c'était  horribe  de  montrer  cetelles  images  de 
guerre  pendant  les  réjouissances  de  la  paix  et  je  me  seus 
mis  en  deveoir  de  les  dépendler  ceus  imaiges  de  guerre. 
On  vous  a  payé  en  monnaie  d'or  pour  ceti  sarvice  à 
l'étranger?  J'ai  ren  touché  grand  Géant!  C'est  encore  pus 
dangereus  que  je  pensais,  qu'a  dit  Gargantua.  Si  vous 
étaint  un  criminel,  on  pourrait  vous  juger  et  faire  de  vous 
in  exemple.  Mais  vous  êtes  bête,  archi-bête,  pus  que  ça 
encore,  et  y  a  pas  moyen  de  tirer  la  moinder  bertille  d'in 
idiot.  Mon  poure  houme,  faurrait  vous  étardire  de  pourter 
culottes,  et  vous  seraint  ben  qu'enboursassé  coume  un 
pépé  de  six  jours.  Et  Gargantua,  fasant  semblant  d'êter 
courroucé,  a  querié  fort  en  regardant  le  triste  aubargiste. 
Malhureus  homme!  qu'allaint  vous  faire  là!  Savez  don 
pas  que  ceus  reliques  sont  sacrées  !  Et  regardant  du  coûté 
des  patarins,  des  boèmes  libartins  et  des  caterres,  tout  en 
montrant  les  portes  de  la  grange,  il  a  querié  encore  pus 
fort!  Ne  touchez  point  à  ceus  reliques!  que  nous  mettons 
en  garde  conter  les  esprits  mauvais  intéressé  à  cacher  nos 
maux  et  misère  pour  nous  endeurmir.   Et  regardant  le 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  1^3 

lamentabe  aubargiste,  il  a  encore  querié,  le  Géant:  Savez 
don  point,  malhureus,  que  ceus  têtes  de  bêtes  sauvages  et 
ceutis  calâbres  d'oisilleaus  de  carnage,  que  j'accrochetons 
à  nos  portes  de  granges,  c'est  pour  nous  mettre  en  garde 
conter  les  baumes  tranquilles  que  les  endormeurs  de 
peuples  fasont  filtrer  dans  nos  veines,  par  toutes  sortes  de 
moyens  des  pus  détestabes,  dans  le  but  de  nous  esploter 
honteusement  jusqu'au  ousementsen  détruisant  toutes  les 
vartus  de  créiâtion  de  noutre  belle  Terre. 

Laissez!  laissez!  mes  braves  amis,  ceus  images  natu- 
relles de  la  guerre  que  nous  tenons  éveillés  et  résouts, 
mesme  pendant  nos  fêtes  de  la  paix. 

C'est  surtout  dans  les  fêtes  de  la  paix,  entendez  ben, 
que  faut  songer  à  la  guerre. 

Vous  savez  ben  que  j'avons  un  diton  que  marque  : 
Quante  i'  fait  biau,  prends  ton  maniiau;  quante  i'  pleut, 
prends  le  si  tu  veus. 

Encore  une  foés,  mes  amis,  laissez!  laissez!  et  enterte- 
nez  toujours  l'image  de  la  guerre  auprès  vos  portes  de 
grange.  C'est  quante  vous  êtes  en  paix  que  faut  songer  à 
la  guerre  sans  faute.  Dès  quante  vous  êtes  en  guerre,  vous 
y  songez  si  voulez. 

Le  repas  du  Géant. 

Après  que  la  porcession  devant  la  Géante  a  été  passée, 
les  artisans  avont  monté  les  tabès  dans  la  cour  pour  le 
repas  des  Géants,  ce  pendant  que  nomber  de  petit  monde 
asseyait  de  se  loger  en  tous  les  coins,  rabicoins,  les  cornes 
et  les  carres,  de  la  cour,  des  étâbes,  des  guerniers,  des 
châffauds;  y  en  avait  mesme  qu'étaint  en  place  à  chevau 
su  les  crête  de  couvarture  des  lucarnes  pour  mieus  veoir 
les  Géants.  Gargantua  avait  voulu  montrer  la  ville  et  ses 
remparts  à  sa  mère,  et  quante  i'  sont  arvenu,  la  place 
d'armes,  les  abords  de  la  Pardris  Grise,  c'était  pus  un 
monde  c'était  un  myas,  c'était  une  tarte  humaine  et  leus 
y  fallait  grandes  percautions  pour  ne  point  marcher  sus 


144  ^^^    GEANTS    D  AUTERFOES. 


les  pieds,  veoir  sus  les  corps  de  ce  monde  empilé,  satté! 

Entrée  dedans  la  cour  de  la  Pardris  Grise  et  sisée  des- 
sus son  trône,  on  a  bravement  ajusté  la  grand'  tabe  devant 
la  Géante  et  aile  s'est  trouvée  ben,  ben,  bonnement  et 
bravement  à  soun  aise. 

Gargantua  li,  a  fait  coume  à  Vallon,  à  Saint-Pierre-des- 
Étieus  et  au  Mont-Joï,  i'  n'a  point  voulu  se  metter  à  tabe. 
Çà  li  fasait  envie  de  manger  la  bouchée  du  maçon.  Il  a 
demandé  des  pains  d'une  quinzaine  de  livres.  Il  en  a 
ouvri  deus  dans  le  dessous.  Il  a  rempli  les  creus  anvé  des 
poulets,  des  canards  roûtis,  des  tranches  de  petit  salé,  de 
jambon  fumé,  de  bon  lard,  de  viaus  et  de  cochons  roûtis, 
de  bœus  bouillis,  et  joignant  les  deus  plats  des  pains  i' 
pernait  enter  son  pouce  et  soun  index  la  bouchée,  i'  la 
croustillait  à  belles  dents  en  riant,  chantonnant,  causant  à 
l'un,  à  l'auter,  en  marchant  à  petit  pas  pour  ne  point  faire 
mal  au  monde.  On  a  dit  qu'il  avait  mangé  cent  deus  pains, 
je  veux  dire  cinquante  et  une  bouchées  semblabes  à  cetelles 
que  je  vous  ai  marqué. 

C'était  pus  trop  la  saison  du  boudin,  mais  coume 
Sancoing  a  toujours  évu  le  renom  du  bon  boudin,  on  li 
en  a  fait  une  quarantaine  d'aunes  pour  li  en  faire,  asseu- 
rément,  goûter. 

Il  a  voulu  garder  la  barboille  de  poulet  pour  son  petit 
coup  de  la  bonne  bouche  après  aveoir  mangé  sept  ou  ben 
huit  bœus  roûtis  et  autant  de  taurins.  Le  goût  de  pierre 
à  feu  des  vins  de  Neuvy,  de  Mornay,  de  Châtiau,  pour  la 
boète  i  les  a  trouvés  feriand,  et  il  en  a  bœu  une  cinquan- 
taine de  pièces  pour  arrouser  ses  bouchées  de  maçons,  sa 
douzaine  et  demie  de  bœus  ou  taurins  et  ses  quarante 
aunes  de  boudin.  Pour  les  barboilles,  il  a  ben  voulu  les 
arrouser  anvé  des  bons  Chantelle,  et  des  fameus  Saint- 
Pourçain  avont  mouillé  agueraybelment  cinq  à  six  voi- 
turées  de  galettes  de  toutes  vacations,  que  faurrait  des 
livres  pour  les  noumer  toutes.  Je  crais  que  c'est  souffisant 
de  dire  que  Sancoing  et  ses  environs  ça  été,  de  mémbire 
de  monde,  la  renoumée  de  la  bonne  galette  que  l'on  fasait 


NOS   GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  I45 

finement  bonne  dans  les  mainsons  de  campagne,  peut- 
ête  encore  mieus  qu'en  ville. 

Faut  dire  pour  le  juste,  juste,  que  Sancoing  a  évu  du 
depuis  les  temps  anciens,  anciens,  la  renoumée  de  tenir 
les  premiers  bouchons  de  la  contrée,  et  c'était  pas  râle 
que  des  grous  marchands  nigociants,  des  voyageurs  de 
grandes  routes,  se  détorbaint  pour  venir  à  Sancoing  faire 
un  bon  repas. 

L'Hôtellerie  de  la  Pardris  Grise  a  évu  du  renom  çartai- 
nement  dans  toute  la  France  pour  ses  soupes  grasses,  ses 
barboilles  de  poulet,  ses  étuvées  de  carpe,  ses  œufs  à  la 
maître-d'hôtel,  ses  fritures  de  gardons,  ses  froumages  à 
la  crème,  ses  pâtés  à  la  viande,  ses  galettes  au  beurre, 
et  tout  et  tout. 


On  se  pilait,  on  s'amiaçait  ans  alentours  de  la  Pardris- 
Grise,  c'était  surtout  pour  veoir  manger  la  Géante.  La 
coumunauté  des  tourneurs  faseus  de  vaisselles  en  bois,  li 
avait  appourté  une  belle  cuillère  et  une  belle  fourchette 
en  bois  de  fouéle',  les  fondeurs  étameurs  ferronniers 
avaint  appourté  itou  une  belle  cuillère  en  étain  et  une 
fourchette  en  fer  forgé,  limée,  polie,  étamée  de  première 
main,  dans  le  grand  goût  de  fonderie,  d'étamage  et  de  fer- 
ronnerie qu'a  fait  un  grand  renom  à  Sancoing,  coume  à 
tout  le  Berri,  d'ailleurs,  du  depuis  les  temps  anciens, 
anciens.  C'est  marqué  en  ceti  livre  qu'est  dan  une  puis- 
sance étrangère  don  j'ai  parlé  jà,  et  que  je  peu  pas  noumer 
pace  que  le  nom  m'arven  pas. 

,  La  dame  Gargantua  a  bravement  goûté 2,  paraît,  à  l'Au- 
barge  de  la  Pardris  Grise.  On  dit  qu'aile  a  trouvé 
fameuse  la  soupe  grasse  de  cheus  nous.  Aile  en  a  mangé 
six  pleines  cuves,  j'entends  de  cens  biaus  cuviers  en  grès 

1.  Hêtre. 

2.  C'est  le  grand  déjeuner  qui  porte  ce  titre  chez  nous  depuis  les 
temps  anciens. 


146  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

de  la  Borne.  Gargantua,  li  a  coupé  le  bouilli  en  belles 
tranches,  anvé  son  fameus  coutiau  de  Saint-Flour  et  i  s'est 
sarvi  itou  de  sa  belle  fourchette  en  fer  que  les  vallounais  li 
avaint  forgée  par  spécial,  pour  la  poêlée  de  Vallon.  Après, 
on  li  a  sarvi,  sus  de  belles  toiles  de  chauve,  six  pleines 
resses  de  boune  friture  de  petits  barbillons-garbaus  de 
l'Ailler,  rissolés  et  cuits  à  point,  et  la  grand'  Géante  a  été 
étonnée  du  goût  ferlant  de  cetelle  friture  d'Ailler  qu'on 
trouve  râlement  ailleurs. 

Dix  grand  chaudrounées  d'étuvée  de  carpes  venant  des 
grands  étangs  de  Javoulet,  de  Sancoing,  et  sentant  boules 
agueryances  de  hauts  goûts,  avont  été  sarvies  après  les  six 
ressées  de  fritures,  et  de  l'étuvée  de  carpe,  coume  de  la 
friture,  i'  n'en  a  resté  ni  fric,  ni  frac.  On  li  a  appourté  en 
suite  six  viaus  roûtis,  douze  oies  arié  roûtie'  et  deus  dou- 
zaines de  poulets  itou  roûtis.  Aile  a  voulu  goûter  aux 
œufs  à  la  maître  d'hôtel.  On  li  en  a  préparé  anvé  percieu- 
seté,  au  bon  beurre  frais  et  à  la  boune  crème  fine  et  fraîche, 
dix  douzaines.  Aile  a  dit  que  c'étai  un  met  de  délice 
qu'on  pourrait  offrir  aus  anges  du  Paradis,  si  les  anges 
mangeaint. 

Le  froumage  blanc  à  la  crème  li  fasait  grand'  envie  et 
aile  n'a  point  veoulu  tant  seulement  goûter  à  la  barboille 
de  poulet.  On  a  dit  qu'aile  s'en  était  privé  pour  que  son 
fi'  peuche  en  manger  sa  souffisance,  parce  qu'il  eumait  ce 
plat  que  l'on  fasait,  à  la  Pardris  Grise,  de  première  main. 

Les  froumages  blancs,  qu'aile  pernait  entièrement  dans 
sa  grand'  cuillère  d'étain  et  bounement  baignés  de  crème 
fine,  aile  en  était  en  ravissement,  et  si  on  avait  pu  la  four- 
nir, on  serait  peut-être  encore  auprès  li  en  préparer.  On 
a  janmais  pu  saveoir  le  just  nomber  de  ceus  bons  et  tant' 
bons  froumages  blancs  à  la  crème,  que  li  avont  passé  par 
son  garganet  à  la  grand'  Géante,  au  mpument  de  ceti  grand 
festin.  Pour  les  galettes,  j'ai  ouï-dire  qu'aile  avait  trouvé 
les  gâtiaus  délicieus,  et  aile  en  a  mangé  on  peu  pas  saveoir 
au  juste.   Paraît   qu'on   li  appourtait  ceus  si  tant  bons 


NOS    GÉANTS    D AUTERFOES.  I47 

gâtiaus  feuilletés  sus  des  claies,  des  grand'  claies  à  faire 
chesser  les  fruits,  et  deus  houmes  par  claie  pâssaint  de- 
vant la  Géante,  anvé  un  çargement  de  ceus  gâtiaus  suant 
le  bon  beurre  de  Sancoing  qu'est  si  tant  arnoumé  jusqu'à 
Paris,  puisqu'on  voit  les  coequetiers  de  la  grand'  Capitale 
encore  à  persent,  que  venont  le  soulever  au  nez  et  à  la 
barbe  des  coquetiers  de  Nevers  et  de  Bourges  que  semma- 
liçont  à  n'en  parde  respiration  de  veoir  prenre  et  enpour- 
ter  à  Paris  ceti  apport  de  noutre  terroé,  qu'a  encore  cetelle 
petite  richesse,  percieus  souvenir  de  sa  grand'  vartu  d'au- 
terfoés.  C'était  ben  vraiment  une  boune  idée  dé  cheus 
nous  ceus  claies  çargées  de  bons  gâtiaus  feuilletés,  dorés, 
rissolés  que  pâssaint  coume  une  porcession  devant  la 
Géante  que  les  débarrassait  en  riant  de  bon  cuer.  Pour 
le  nomber  de  claies  çargées  et  qu'a  déçargées  la  grand' 
Géante,  je  ne  le  sais  point.  Je  peus  pas  vous  dire  mieus  le 
nombre,  je  veus  dire  la  grand'  perfusion  de  galettes  aus 
prunes  chesses  qu'avont  passé  devant  la  grand  dame 
Gargantua.  On  était  si  tant  bible,  compernez-vous-ti,  que 
parsoune  a  songé  à  marquer  dans  sa  mémoire  le  nombre 
de  claies,  pas  pus  pour  les  galettes  aus  prunes  chesses  que 
pour  les  gâtiaus  feuilletés.  On  était  saisi,  entendez-vous, 
de  veoir  là  en  parsoune,  et  à  Sancoing,  la  Mère  des  grands 
Géants  de  cheus  nous. 

Je  crais  ben.  Dieu  me  pardoune,  que  j'ai  pus  songé  de 
vous  dire  qu'aile  beuvait  à  eu  sec,  au  fur  et  à  mesur  qu'aile 
mangeait,  mais  aseurément,  aile  n'a  point  veoulu  boire 
au  poinson  coume  son  fi'. 

Ceus  grands  cuviers  en  grès  de  la  Borne  li  plaisaint 
fort,  et  aile  a  veoulu  s'en  sarvir  pour  boire  sa  boète. 
Pour  trinquer  anvé  les  autorités  de  Sancoing  et  les  maîtres 
des  coumunautés  d'artisans  de  la  ville  et  de  la  campagne, 
aile  a  beu  dans  un  verre  que  les  verriers  d'Apermont  avaint 
fait  pour  elle  tout  à  l'esprès,  et  un  itou  pour  Gargantua 
qu'a  voulu  l'étrenner  pour  boire  à  la  santé  des  Sancounais, 
des  verriers  d'Apermont,  de  tous  les  braves  artisans  de  la 


148  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

campagne  et  de  la  ville,  des  autorités  militaires  et  civiles 
de  Sancoing.  Pour  sa  mère,  il  a  levé  son  verre  pus  haut 
et  il  a  dit  : 

«  Mère!  qu'avez  enfanté  toutes  les  forces,  toutes  les 
bontés,  toutes  les  grâces,  toutes  les  beautés,  toutes  les 
bràvetés,  toutes  les  vartus  de  créiàcion  naturelle. 

«  Mère!  qu'avez  enfanté  l'homme  humain,  moé  Gar- 
gantua voûter  fi'  obéissant,  que  vous  eume,  que  vous 
adore  coume  il  adore  le  temps  bleu,  les  étoiles  du  temps 
bleu,  l'étendard  du  ciel,  le  Soulé  que  nous  rachauffe,  le 
Soulé  que  nous  éclaire,  voûter  fi'  Gargantua,  sarvant  et 
soumis  à  vous,  se  rend  à  vous.  Et  ce  pour  que  vous 
periaint  le  Grand  Dieu  du  Ciel,  père  et  sarvateur  de  l'Uni- 
vers, de  ne  point  abandonner  le  monde  humain,  naissu  de 
sa  petite  fille  la  Terre,  et  qu'est  en  mauvaisse  passe  de 
varser  dans  les  calibondes  du  Diâbe  incarné,  à  cause  de  la 
fausseté  de  son  jugement  sus  les  vartus  de  sa  Mère,  à 
cause  de  sa  méconnaissance  des  Lois  Divines.  » 

Paraît  que  parsoune  a  pipé  mot  après  ceti  pourtement 
de  santé  qu'arsembele  un  sarmon,  et  tous  les  braves  genss 
de  cheus  nous,  qu'avont  pu  entendre,  avont  ben  compris 
que  ceti  sarmon  était  fait  à  l'aveur  du  prêche  au  Docteur 
Bounet-Rond,  et  itou  cetelle  affaire  du  dépendelment  des 
têtes  de  sauvagines  et  des  calâbres  d'oisilleaus  de  carnage, 
à  l'Hôtellerie  de  la  Pardris  Grise,  était  ben  pour  une 
bonne  part. 

Les  anciens  s'étaint  assemblés,  paraît,  pour  causer  de 
cens  avènements  advenus  coup  sus  coup,  et  il  avont  été 
d'accord  pour  arcounaître  que  y  avait  dans  la  température 
de  l'air  queuque  chouse  de  mal  sain.  Aus  temps  anciens, 
anciens,  au  moument  des  ravages  du  Viens  Çasair  brise- 
tout,  nos  grands-pères  avont  souffri  les  mille  misères, 
mais  nos  Géants  sont  naissus  des  vartus  de  créiation  de 
nouter  belle  Terre  et  les  mécréants  avont  été  renvoyés  au 
Diâbe. 

C'était  ben  vraiment  une  grâce  du  grand  Dieu  du  ciel 
cetelle  formance  de  nos  grands  Géants  d'auterfoés  qu'étaint 


NOS    GEANTS   D AUTERFOES.  I49 

si  forts,  si  primes,  si  fins,  si  capabes,  si  bons  et  si  francs. 
Leus  franchise,  leus  bonté,  leus  ben-faisance,  leus  boun- 
houmie,  mettaint  partout  et  en  tout  l'accord  sus  leus  pas- 
sage. Les  grands  ne  les  eumaint  pas  trop,  mais  il'  en 
avaint  besoin  et  i'  les  respectaint  en  les  quergnant,  les 
petits  les  adoraint  pace  que  leus  justice,  leus  dreture,  leus 
grâces,  leus  bounhoumie,  fasaint  n'aître  l'équiliberment 
dans  les  coumunautés  sociales  par  leus  conterpoids  à  la 
puissance  des  Seigneurs,  des  Syres,  des  Rois  et  des 
Évêques. 

Aussi  fallait  veoir  coume  on  était  hureus  de  pouveoir 
s'offrir  de  bon  cœur,  selon  ses  moyens  et  ses  capacités, 
pour  ainder  à  l'œuvre  de  nos  grands  Géants. 

Pour  ainder  l'œuvre  de  Gargantua  à  Sancoing,  ceus-là 
qu'avaint  des  talents  les  avont  offri,  ceus-là  qu'avaint  du 
courage  et  l'envie  de  ben  faire  sont  venus  et  on  les  a 
employés,  ceutis-là  qu'avaint  des  vivres  les  ont  appourtés, 
ceus-là  qu'avaint  ren  du  tout  sont  venus  itou  les  bras  bal- 
lants et  on  leus  a  trouvé  des  éplettes  et  in  emploi.  Et 
c'était  une  joie  dans  tout  Sancoins  de  veoir  cetelle  chiou- 
lée  de  monde  verdillant  sus  les  places,  dans  les  rues,  riant, 
chantant,  dansant,  de  belle  humeur,  marquant  la  gaieté 
saine  que  ven  du  deveoir  accompli. 

Le  moument  qu'on  voit  le  conteur  faire  des  réflexions 
sus  le  sarmon  de  Gargantua. 

Le  sarmon  de  Gargantua  avait  fait  passer  un  frissonne- 
ment au  fil  des  reins  de  la  foulée  de  monde  que  l'écoutait 
et  sa  grande  voix  passant  par  sus  les  mainsons  s'écartait 
loin. 

Vous  dire  que  toute  la  foulée  de  peuple  a  été  touchée  à 
la  bonne  filoche^  du  cœur,  par  ceti  discours,  serait  risquer 
grous.  Asseurément,  vous  savez  trop  ce  qu'est  le  monde 
humain;  sus  le  moument,  une  idée  belle  jitée  dans  la 
température  de  l'air  panêtre  par  une  oreille,  le  temps  de 

I.  Fibres. 


l5o  NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

virer  la  main,  aile  est  sortue  par  l'autre.  Sembel  vraiment 
que  le  mal  se  crampoune  mieus  que  se  prend  le  bien  dans 
l'esprit  de  la  foultitude.  Pourtant,  le  sarmon  de  Gargantua 
est  parvenu  jusque  vés  noutre  temps  et,  chouse  énimagi- 
nante,  c'est  un  guerdaus  guerdaudant,  tel  que  Je  seus,  que 
le  ten  de  ses  anciens  pères,  cependant  que  les  grand' 
familles  de  seigneurs,  de  bourgeois  riches,  riches  et  puis- 
santes, soi-disant  de  cheus  nous,  ne  savont  ren  et  ne 
veoulont  ren  saveoire  de  l'histoire  et  des  chouses  de  la 
vie  du  monde  de  cheus  nous,  ni  ren  de  ren  de  nos  grands 
Géants  d'auterfoés.  Ces  inémaginant  !  Gargantua  jan- 
mais  ne  se  départisait  de  sa  bounhoumie.  Il  accomplissait 
son  deveoir  simpelment,  bounement,  sans  prenre  des  airs 
de  crocquemitaine  pour  apeurer  le  monde.  Le  temp  était 
beau  et  dous.  C'était  dans  les  premiers  jours  de  Mai,  à  ce 
que  j'ai  ouï-dire,  pace  que  j'étais  pas  sus  place  pour  y 
veoir,  et  paraît  que  ça  fasait  bon  vive  ceus  mouments  à 
Sancoing.  A  l'aveur  du  prêche  au  Bounet-Rond,  itou  par 
rapport  à  l'affaire  des  sauvagines  et  des  oisilleaus  de  car- 
nage, on  avait  fait  un  peu  coume  ceus  ménagères  pres- 
sées que  balayont  leus  mitant  ^  de  mainson  en  poussant  les 
balayures  dans  les  rabicoins.  On  s'ébaudissait  dans  toute 
la  ville  et  aus  alentours.  Dans  ma  jeunesse,  et  mesme 
étant  de  moyen  âge,  et  houme  fait,  j'ai  évu  des  émociou- 
nements  que  m'avont  fait  songer  aus  œuvres,  aus  festins 
et  aus  propos  de  Gargantua  cheus  nous.  Faut  dire  que 
Gargantua  et  le  Géant  de  l'Ours  étaint  restés  les  modèles 
qu'on  montrait  à  journées  faites  en  tous  ouvrages  des 
champs,  des  prés,  des  bois  et  des  vignes  encore  au  temps 
du  Roi  Louis  Phelippe.  Y  a  guère,  d'ailleurs,  qu'une  tren- 
taine d'an-nées  qu'ont  veut  pus  ren  entendre  des  idées 
belles  et  des  œuvres  nobles  de  cheus  nous.  Les  idées 
belles  on  les  met  sous  l'éteignoir,  et  les  œuvres  nobles  on 
les  méconnaît  dès  quante  on  peu  pas  les  mettre  à  l'ancan 
ou  les  détruire.  Par  exemple,  les  amondices,  les  balayures, 

I.  Milieu. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  i5i 

les  verrues  que  nos  poures  anciens  pères  avont  laissé  en 
pagaille,  bounes  gens,  on  les  éburge,  on  les  soupaille, 
on  les  écarte  au  ïeu  de  les  ramasser  à  tapons.  Et  ceti 
exarcice  mal  propre  parmet  de  baufuter  tous  ça  que  ven 
de  nouter  Pays  qu'on  ne  songe  pus  d'aménager,  de  soigner 
coume  on  le  soignait  auterfoés,  mais  qu'on  ten  aperment 
à  déménager  et  à  débésiller  jusqu'à  l'oussement. 

Ben  çartainement,  dans  cetelle  foulée  de  peuple  qu'étai' 
à  Sancoing,  entour  de  Gargantua,  au  moument  dont  je 
parle,  on  pervoyait  pas  les  temps  que  la  Loire  et  l'Ailler 
seraint  tairies  quatre  mois  de  l'an-née,  que  nos  forêts 
seraint  dégalain-nées  et  nos  vignes  défunctées.  Mesme 
aus  temps  du  Roi  Louis  Phelippe,  de  la  deuxième  Répu- 
blique, et  sous  le  règne  de  Napoléon  trois,  moé  que  vous 
parle,  je  me  serais  pas  douté  que  les  chouses  en  vinraint 
là  où  aile'  en  sont  aujour  d'aujourd'hui.  Cependant,  les 
anciens  de  Neuvy  voyaint  le  mal  venir.  Souventes  foés, 
j'ai  tenu  en  compassion  la  mère  à  Ugène  quante  aile  disait 
que  c'est  la  bêtise  et  itou  la  méchanceté  du  monde  humain 
que  fasont  venir  les  mauvais  temps.  Ben  vrai,  qu'au  pre- 
mier moument,  on  peut  rire  de  si  tels  propos,  mais,  en  y 
ben  songeant,  à  tête  arpousée,  y  a  peut  être  une  grande 
part  de  vérité  dans  ceus  dire  de  ma  poure  famé,  que  j'ai 
traitée  de  bête  lourde  à  cause  de  ses  idées  et  de  ses 
remarques  que  manquont  pas  de  bon  sens  et  de  vartus. 

On  dit  que  c'est  le  progrès  que  veut  l'esplotation  de  la 
Terre  et  du  Monde.  Je  me  demande  l'intérêt  ou  l'agré- 
ment que  peut  ben  aveoir  ceti  sacré  bon  dieu  de  Progrès 
à  tout  dégalain-ner,  à  tout  débésiller,  à  tout  mascander,  à 
tout  enlaidir,  à  tout  salir,  à  tout  gaspiller  des  richesses 
naturelles,  des  vartus  de  créiation,  des  beautés,  des  brâ- 
vetés  de  noutre  belle  Terre? 

C'est  peut-êtes  l'ère  du  Diâbe  ceti  régime  du  Progrès? 
C'est  ben  cuerieus  tous  les  avènements  que  j'ai  vus,  moé, 
du  depuis  que  je  seus  naissu.  Y  a  pas  quarante  ans  que  les 
batiaus  marchands  et  les  trains  flottants,  navigaint  sus  la 
Loire  et  l'Ailler,  et  à  cetelle  heure  dont  je  vous  parle,  si 


l52  NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS. 

on  voulait  faire  passer  des  batiaus  sus  nos  grand'  rivières, 
faurait  les  faire  à  roulettes  ceutis  batiaus. 

Nos  bouchons^  de  Sancoing  sous  Louis  Phelippe,  étaint 
encore  en  renom,  à  vingt  ïeues  la  ronde,  et  on  vantait  fort 
nos  vins  du  Veurdre,  de  Châtiau,  de  Mornay,  de  Neuvy 
et  d'Apermont.  La  fameuse  coûte  de  Marzy,  que  donnait 
sur  nos  coûtés,  était  plantée  en  vigne  du  depuis  le  Bé-d'Ail- 
1er  jusquante  à  Nevers,  et  aile  avait  quasiment  autant  de 
renom  que  les  grands  vignobles  de  Sancerre. 

J'ai  ben  jà  dit,  mais  c'est  pas  un  mal  de  le  redire  :  cens 
vins  de  nos  coûtes  de  Loire  et  d'Ailler  venaint  en  si  telle 
abondance,  y  a  pas  encore  asseurément  quarante  ans, 
qu'on  ne  savait  pus  qu'en  faire  et  mon  petit  garson  Ugène 
qu'est  là  persent,  peu'  açartener,  coume  je  peu  arçartener 
moé-mesme,  que  j'avons  vu,  à  Neuvy,  à  la  vinée  de  Saint- 
Caprais,  là  où  était  la  grand'  cuve  carrée  de  mon  grand- 
père,  courir  le  vin  sur  les  chemins  faute  d'être  logé.  On 
en  mettait  dans  des  cuviers  à  faire  la  lessive,  en  des 
baquets  à  cochons,  en  des  terrasses,  en  des  marmites,  en 
des  pots  de  chambre,  et  y  en  avait  toujours  sans  logement 
que  se  train-nait  dans  les  rouins  des  chartes  ou  sur  les 
pelottes  de  fumiers  que  c'en  était  pitieu.  A  cetelle  heure, 
on  en  trouverait  pas  pour  se  metter  dans  l'œil,  du  vin  à 
Saint-Caprais,  et  c'est  bisquant,  je  vous  le  dis,  en  vérité, 
mes  chers  mondes. 

J'ai  ben  jà  dis  que  cens  vins  de  nos  coûtes,  que  venaint 
en  si  telle  abondance,  y  a  pas  quarante  ans  encore,  avaint 
une  finesse,  un  montant  de  terroé  fin  que  dounait  au  nez 
une  senteur  de  délice,  et  au  palais  une  fraîcheur  que  fasait 
à  l'homme,  ben  venu,  une  ben-aiseté  et  un  repousement 
de  paradis  que  c'est  pas  possibe  de  le  marquer,  ni  par 
parole,  ni  par  écriture,  ni  en  peinture,  ni  en  esculture. 

Y  a  que  la  musique  et  encore,  et  encore,  c'est  pas  ben 
çartain  que  ça  soye  bon  pour  glorifier  nouter  joli  vin,  cens 

I.  Dénomination  familière  des  auberges,  parce  qu'elles  portaient 
toutes,  grandes  ou  petites,  comme  enseigne,  un  genièvre  au-dessus 
de  la  porte  d'entrée. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  i53 

chansons  si  belles,  si  charmantes,  si  gracieuses,  si  tou- 
chantes, qu'avont  chanté  nos  anciens  pères  et  mères  si 
divinement. 

On  dit  que  c'est  pas  çartain  que  ça  soye  de  la  musique, 
nos  beaus  airs  de  chansons!  C'est  peut-êtes  pas  de  la 
musique?  Bon  Dieu  !  c'est  pourtant  pas  du  crottin  de  che- 
vau,  ni  de  la  bouse  de  vache.  C'est  ben  de  la  musique,  y 
a  pa'  à  dire  mon  bel  ami  !  C'est  de  la  musique!  !  Cepen- 
dant, je  songe  à  une  chouse...  que  je  me  seus  laissé  dire 
et  que  m'arven  en  mémoire...  Paraît  que  nouter  belle 
bourrée  que  pourrait  se  danser  au  paradis,  devant  Dieu  le 
père,  le  hls  et  le  saint  esprit,  par  devant  la  sainte  viarge 
Marie  et  les  anges,  aile  n'est  point  reconnue  coume  une 
danse  par  les  grand'  autorités  de  Paris.  Et  cens  grand' 
autorités  arcounaissont  toutes  les  danses  sauvages  des  îles 
les  pus  lointaines  que  des  malhureus  querv'- la- faim 
émitont  dans  ceus  comédies  de  nos  foires  en  mangeant 
des  piaus  de  lapins  qu'avont  des  vertaus  auprès  z'elles  si 
grous  que  mon  petit  doég.  La  vérité  est  qu'on  veut  pus 
ren  arcounaîter  en  France,  la  moinder  bertille,  le  moinder 
verjon,  le  pus  petit  crâillement,  le  moinder  enterchat  que 
venont  de  France.  Faut  que  tout  et  tout  saye  emprêté  à 
l'étranger,  aus  auters  Puissances  d'Erope,  surtou'  aus  Iles 
du  lointain. 

C'est  tout  de  mesme  fait  pour  douner  à  songer  des  avè- 
nements si  tels.  Bon  Dieu!  de  Bon  Dieu!  ça  terboule  tout 
mon  calâbre  dès  quante  je  songe  à  ça  et  j'y  songe  à  tous 
mouments...  C'est  ben  cuerieus!...  C'est  pas  arcounu  par 
le  gouvernement  de  la  République  de  cheus  nous,  les 
chansons  et  la  musique  de  cheus  nous.  C'est  ben  ça  par- 
dié!...  C'est  le  monde  de  l'étranger  qu'est  maître  cheus 
nous,  pour  tout  et  en  tout.  Bon  Dieu!  que  je  seu  en 
malice  ! 

Mon  poure  petit  garson  Ugène  est  baufuté  par  ceus 
grous  bourgeois  de  la  République,  pace  que  le  poure 
enfant  a  évu  l'idée  de  faire  en  esculture  des  bounhoumes, 
des  bounefames,  des  âbres,  des  fruits,  des  légumes,  des 


l54  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

bête'  à  poil,  des  bête'  à  pleumes,  des  bête'  à  laine  de 
cheus  nous.  Le  poure  enfant!  C'était  des  parsounages  des 
îles,  des  âbres  des  îles,  des  bêtes  des  îles  et  tout  et  tout 
des  îles  du  lointain  qu'il  aurait  dû  faire,  le  poure  petit 
bougre.  Y  a  ben  des  riches  houmes  de  cheus  nous  qu'au- 
raint  peut-être  idée  de  le  faire  travailler,  mon  petit  gar- 
son,  mais  paraît  qu'il  avont  peur  de  se  faire  montrer  au 
doég  en  mettant  cheus  eus  des  figures  de  parsounes  et 
des  portraits  de  légumes  que  venont  de  noutre  terroé.  Ah! 
je  som  pas  hureus!...  C'est  ben  aisé,  on  veut  ren  de  nous 
que  l'impôt.  F  savait  ben  ça  que  nous  pendlais  à  l'oreille 
le  grand  Géant  Gargantua.  Mais  coument  ça  a  t'i'  pu  se 
faire  que  nos  Géants  si  fins,  si  primes,  si  francs,  si  forts 
se  soyaint  laissé  prenre  au  trébuchet  des  lictins  fisolofes, 
des  caterre  et  des  patarins?  Nos  anciens  pères,  nos  pères 
avont  itou  tumbé  dans  la  trémie.  Nous  autres,  Je  som 
sous  la  meule  des  faseus  de  lois  en  papier  d'étrange,  des 
forains  passagers,  des  boèmes  libartins,  des  caterreset  des 
patarins,  et  je  som  moudus  simpelment!  Qu'y  faire! 
Qu'y  faire  ! 

Le  moument  qu'on  voyait  la  Géante  dansant  la  bourrée 
herruyère  anvé  le  coumandant  d'armes  de  Sancoing, 
au  son  des  vielles  et  des  cornemuses. 

On  s'était  pilé,  amiacé  pour  veoir  manger  la  Géante, 
mais  pour  la  veoir  danser  on  se  mettait  en  bouillie,  sitôt 
qu'on  a  entendu  perluder  la  bourrée  après  que  les  fins 
sonneurs  avont  joué  nos  beaus  airs  de  messe  ^  et  de  tabe, 
en  l'houmeur  de  la  grand'  Géante  et  de  son  fi'  Gargantua. 
On  a  chanté  les  grand'  chansons  glorieuses!  Ensuite  on 
a  pleyé  les  nappes  et,  les  tabès  retirées,  on  s'est  mis  en 
place  pour  la  bourrée.  Le  chef  capitaine  coumandant  la 


I.  Ce  qualificatif  est  probablement  tout  moderne,  mais  il  était 
très  usité  par  les  hommes  de  l'âge  de  mon  bon  père,  quand  ils  con- 
taient les  récits  d'autrefois. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  i55 


ville  a  invité  la  Géante  et  aile  a  dansé  neutre  bourrée 
berruyère,  paraît,  coume  si  aile  n'avait  fait  que  ça  du 
depuis  qu'aile  était  naissue.  C'est  ceti  petit  avènement  que 
ma  douné  à  songer  qu'aile  était  berruyère,  la  dame  Gar- 
gantua, ou  des  alentours,  pace  que,  de  mémoire  d'houme, 
on  a  vu  parsoune  humaine  en  dihôrs  de  nos  Pays  du 
Mitant,  danser  en  mesure  et  en  accordement  noutre  belle 
bourrée. 

A  persent,  y  a  à  songer  que  la  Mère  de  nos  grands 
Géants  devait  tenir  en  son  sein  tous  les  usages,  toutes 
les  coutumes,  tous  les  compourtements  des  chouses  et 
des  êtres  de  nos  Pays  de  toute  la  France.  C'était,  d'ailleurs, 
l'idée  de  mon  grand-père,  de  la  mère  à  Ugène,  et  pour 
cetelle  idée,  le  père  Bordier,  le  père  Girard,  le  père  Énault 
et  Chariot  Robet  étaint  d'accord. 

Je  vous  donne  à  songer,  mes  chers  mondes,  si  la  foul- 
titude  des  genss  de  cheus  nous  s'areuillait  d'in  avènement 
si  tel.  Le  chef  capitaine  coumandant  d'armes  de  la  ville 
de  Sancoing,  à  ce  moument-là,  était,  à  ce  que  j'ai  oui 
dire,  un  fier  guerrier,  et  ça  n'est  point  étounant  que  ceti 
guerrier  savait  danser  cetelle  danse  qu'a  été  auterfoés, 
paraît,  une  danse  guerrière  qu'on  dansait  à  Bourges  long- 
temps avant  la  venue  du  Viens  Çasair  brise-tout  cheus 
nous  '. 

Mon  grand-père  Regnaud,  que  savait  tant  et  tant  de 
chouses  belles,  me  disait  que  la  bourrée  étai'  une  danse 
sacrée  qu'avait  nombre  de  grand'  vartus  tant  pour  l'esprit 
et  l'âme  de  l'houme  du  Pais  que  pour  la  boune  tenue  et 
le  compourtement  de  son  côrp.  Faut  dire  qu'en  tous 
ouvrages  des  champs,  des  bois,  des  prés  et  des  vignes, 
mon  grand-père  avait  des  remontrances  que  souventes 
foés  i'  m'a  espliqué,  et  j'en  aurais  pardu  le  boire  et  le 
manger  à  l'écouter  tant  sa  parole  me  transpourtait.  Ah! 
si  nos  curés  avaint  su  faire  des  prônes  coume  les  savait 


I.  Ou  verra   plus  loin,  par  la   musique   forcément  adoucie,   que 
notre  bourrée  berruyère  était  d'origine  religieuse  et  guerrière. 


l56  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

faire  mon  grand-père  Regnaud,  asseurément  que  nos 
églises  seraint  encore  pleines,  du  chœur  aus  grand  portes, 
tous  les  dimanches  et  fêtes.  C'est  inémaginant  cetelle  idée 
qu'avont  évu  nos  prêtres  de  baufuter,  z'eus  itou,  nos  cou- 
tumes, nos  usages,  nos  vartus,  toutes  les  grâces,  les  beau- 
tés et  les  brevetés  que  tenaint  nos  belles  et  chermantes 
chansons,  nos  biaus  airs  et  jolis  airs  de  vielles  et  de 
musettes,  que  glorifiaint  si  bellement  les  grâces,  les  vartus 
et  les  beautés  de  noutre  belle  Terre. 

Au  moument  que  Gargantua  étai'  à  Sancoing,  il  en  était 
tout  auterment.  Je  veus  dire  que  c'était  le  contraire  de  ce 
qu'on  voit  à  persent. 

Coume  il  avait  raison,  mon  bon  cher  grand-père,  de 
dire  que  les  polkas,  les  masulkas  et  les  valses,  plantées 
cheus  nous  coume  des  abrustes  étrangers,  c'était  la  pire 
des  malefaisances  que  peuvaitnous  advenir.  Ah!  le  poure 
houme,  si  aujourd'hui  il  arvenait!...  Bon  Dieu!...  mais 
coument  ça  peu  t'i'  se  faire  que  les  houmes  de  cheus  nous 
se  sayaint  laissé  pitrer!  piler!  acraiserl...  Mais  coument 
ça  peut'  i  se  faire  que  je  nous  sayaint  pas  raidis,  brandis, 
nous  autre  païsans  conter  les  maléfices  des  mauvais  esprits 
du  Diâbe  étranger?  C'est  que  y  avait  pus  là  nos  bons 
Géants  pour  mettre  le  holà  !  sus  l'emprise  des  imfâmies  de 
la  mauvaise  ère,  et  surtout  pour  faire  l'accord  du  peuple, 
anvé  les  Bourgeois,  les  Seigneurs  et  les  Rois. 


Au  moument  dont  je  vous  parle,  la  grande  idée  des 
houmes  du  Pais  que  fasait  l'aménagement  du  Pais  tenait 
en  tout  et  pour  tout  à  la  veine  ^  qu'était  l'âme  du  Pais.  Un 
guerrier  qu'aurait  dansé,  coume  on  voit  de  nouter  temps, 
une  danse  des  îles,  aurai'  été  mal  vu  asseurément. 

Le  capitaine,  coumandant  d'armes  de  la  ville  de  San- 
coing, fier  guerrier,  était  naturellement  beau  danseur  de 

I.  Le  mot  veiJte  est  employé  comme  synonyme  de  direction,  bon 
jugement,  bon  sens  moral. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  \5j 

bourrée  pace  que  fier  guerrier!  Paraît  que  ses  avancées, 
ses  reculées,  ses  cârrements,  étaint  faits  dans  le  grands 
goût  des  mouvements  et  pour  la  grandesse  mâle  que  con- 
ven  à  cetelle  danse  suparbe  qu'était  la  danse  de  nos  grands 
anciens,  anciens  pères.  L'étounement  a  été  de  veoir  la 
Géante  du  depuis  le  premier  accord  qu'a  douné  le  per- 
lude  des  musettes  et  des  vielles,  qu'étaint  quarante  son- 
neurs à  ce  que  paraît,  jusqu'au  moument  de  l'appel  de  la 
bichottière  finale.  J'ai  toujours  ouï-dire  que  tous  ses  mou- 
vements de  tête,  de  côrp,  de  jambes,  de  pieds,  de  bras  et 
de  mains,  ça  été  la  parfection  des  parfections,  et  les 
anciens  avont  tenu  chapitre  à  l'esprès  pour  en  causer. 

Sancoing  a  évu  de  tous  temps  le  renom  des  fins  danseurs 
de  bourrée.  Et  à  ce  chapitre  des  anciens  il  a  été  dit  que 
la  dame  Gargantua  a  montré  une  grâce  dans  ses  mouve- 
ments d'avancée  et  de  reculée,  dans  ses  cârrements  et  ses 
virounements,  à  faire  envie  à  la  première  danseuse  du 
temp  don  je  parlons  là  et  qu'était  l'époque  là  oij  les  danses, 
les  abillements,  les  porcessions  des  coumunautés  d'ar- 
tisans de  campagne  et  de  la  grand'  paroisse  étaint  dan'  in 
état  de  bràveté  que  parsoune  humaine  de  nouter  temps  de 
démolicion  et  de  bousillage  peut  conceveoir. 

En  sus  des  mouvements,  des  cârrements,  des  viroune- 
ments qu'aile  savait  faire  anvé  une  grâce  et  une  aisance 
inimaginantes,  la  dame  Gargantua,  paraît  que  le  moindre 
petit  fléchissement  de  son  grand  si  beau  côrp,  le  pus  petit 
panchement  de  sa  si  belle  tête,  c'était  in  émociounement 
sans  pareil  dans  le  peuple,  dans  la  bourgeoisie,  dans  la 
noblesse,  et  les  guerriers  en  étaint  fort  imperciounés,  tant 
et  si  ben  qu'une  chanson  a  été  faite  sus  l'air  de  la  bourrée 
qu'a  toujour  été  appelée  la  bourrée  de  la  Géante  ou  ben 
de  la  dame  Gargantua,  et  qu'est  asseurément  la  pus  belle 
bourrée  connue  dans  le  Mitant  de  la  France.  Le  père 
Lyondon,  le  vieus  lictin,  l'a  écrite  à  la  Vignounerie  de  la 
Cure',  là  où  j'etains,  là  où  mon  petit  garson  Ugène  est 

I.  La  cure  de  Neuvy,  vacante  après  le  mariage  du  curé  en  lygS, 
devint  une  vignonnerie    de   la   régie   du   château   de   Neuvy.    Mon 


l58  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

venu  au  monde.  Je  m'en  rappelle  coume  si  la  chouse  s'était 
passée  à  ce  matin. 

Mon  grand-père  étai'  à  n'un  coin  du  feu  que  brûlait  à 
vif  un  bon  truffiaut  de  Noël,  et  accoté  vès  la  Mère  Angis, 
le  père  Lyondon  était  à  l'autre  coin  accoté  contre  le  père 
Touniaus.  Je  venains  de  goûter  le  goûter  de  la  fête  de 
Noël.  J'avains  beu  un  petit  coup  et  j'avains  causé  des 
chouses  et  des  êtres  de  cheus  nous.  J'avains  causé  de 
Gargantua,  ben  entendu.  On  causait  toujour  en  tout  et 
pour  tout  de  Gargantua,  que  tenait  cheus  nous  la  pus 
haute  place  du  pinacle,  après  le  grand  Dieu  du  Ciel,  parce 
qu'il  était  le  grand  esprit  de  la  Terre  de  cheus  nous.  Voéla 
don'  coument  le  père  Lyondon  \  le  viens  lictin,  a  mis  en 

grand-père  Baffier  fut  vigneron-métayer  du  marquis  de  Saint-Sau- 
veur en  cette  vignonnerie,  ainsi  que  mon  père.  Mon  grand-père 
bisaïeul  Regnaud,  très  âgé,  y  demeura,  mais  n'y  mourut  point. 
C'était  une  très  belle  maison,  des  grands  siècles  d'art  français,  la 
cure  de  Neuvy.  La  cheminée  que  tenait  la  salle  commune  était 
décorée  avec  des  statues  formant  cariatides  et  supportant  la  hotte. 
C'était  le  père  Touniaus  et  la  mère  Angis.  Ces  statues,  dont  il  nous 
fut  impossible  de  retrouver  la  trace,  demeurent  encore  dans  la 
mémoire  des  anciens  de  la  paroisse  depuis  la  démolition  de  la 
splendide  cure.  Le  bourg  de  Neuvy,  qui  était  une  merveille  d'art, 
est  aujourd'hui  à  peu  près  effacé,  sauf  l'église,  qui  a  un  portail 
remarquable  du  xvi"  siècle,  et  une  adorable  petite  maison  dénom- 
mée le  Pavillon,  qui  est  un  bijou  d'art  que  l'on  voudrait  mettre 
sous  son  bras  pour  le  retirer  d'où  il  est,  en  mauvaise  passe  d'être 
détruit  ou  saboté. 

I.  L'écrit  du  vieux  lictin  Lyondon  fut  consumé  par  un  incendie 
qui  détruisit  presque  tout  notre  ménage  dans  la  maison  où  nous 
étions  en  sortant  de  la  cure.  Cet  écrit  devait  porter  la  musique  en 
même  temps  que  les  paroles. 

Dans  «  les  derniers  Géants  de  cheus  nous  »,  on  voit  un  Monsieur 
Leroy,  célibataire,  le  premier  instituteur  établi  à  Neuvy,  qui  loge  et 
prend  ses  repas  chez  mon  père  encore  garçon,  et  qui  tient  la  vignon- 
nerie avec  sa  belle-mère,  seconde  femme  de  mon  grand-père  décédé. 

Monsieur  Leroy  chante  la  bourrée  de  la  Géante  à  la  Pardrix 
Grise,  le  Retour  du  Guerrier,  l'Histoire  de  la  Fille  d'un  Prince,  le 
Grand  Flamand,  et  des  chansons  de  Paris,  en  s'accompagnant  sur 
un  piano  apporté  de  Nevers  en  bateau,  par  la  Loire  et  l'Allier  jus- 
qu'à l'Ile-aux-Bœufs,  où  alla  le  quérir  le  grand  cousin  Baffier,  le 
laboureur,  avec  sa  charte  et  ses  deux  grands  bœufs,  Châtain  et 
Résolu. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  I  5g 

écriture  à  la  main  la  bourrée  de  la  Géante,  cependant  que 

mon  grand-père  la  disait  : 


Dedans  Cincoing 

L'y  a  la  Pardris  grise, 

Dedans  Cincoing 

Tout  l'mond'  la  connaît  ben. 

Dame  Gargantua 

Vin'  à  la  Pardris  grise, 

A  la  bourrée 

Qu'aile  a  fort  ben  dansée. 

Les  artisans 

De  ville  et  de  campagne, 

Tous  les  paisans, 

En  avaint  l'cuer  content. 

Les  grands  seigneurs, 

Les  bourgeois  de  la  ville, 

Tous  les  grands  sires 

En  avaint  du  plaisir, 


(bis) 


{bis) 


{bis) 


(bis) 


Tous  les  sargents 

Et  tous  les  capitaines,  r  ,^i^\ 

Tous  les  éch'vins 


Et  tous  les  miliciens. 
Le  grand  Pervot, 
Et  le  coumandant  d'armes. 
Tous  les  guerriers 
Étaint  émociounés. 


(bis) 


J'ai  toujour  ouï-dire  que  c'était  Gargantua  que  l'avait 
faite  sus  le  moument  cetelle  chanson  que  mon  grand-père 
Regnaud  m'a  chantée  souventes  foés,  et  il  y  mettait  queuque 

Il  est  dit  que  ce  Monsieur  Leroy  n'ayant  pu  payer  ledit  piano, 
qu'il  tenait  à  crédit,  le  grand  cousin  a  dû  le  retourner  à  l'Ile-aux- 
Bœufs,  où  il  fut  de  nouveau  embarqué  sur  un  bateau  faisant  route 
pour  Nevers.  Paraît  que  ce  Monsieur  Leroy,  pour  jouer  des  airs  ou 
pour  chanter,  était  obligé  de  regarder  des  écritures  sur  des  papiers. 
Il  jouait  cependant  très  bien  du  tambour,  sans  regarder  des  écri- 
tures, et  mon  père,  nommé  tambour  de  la  garde  nationale  à  Neuvy 
à  la  Révolution  de  Quarante-huit,  était  son  élève  assez  brillant 
pour  figurer  avec  honneur  à  une  grande  revue  à  Sancoins. 


l6o  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

chouse  de  si  tant  émociounant  et  transpourtant  que  si 
ben  par  sa  mainière  de  chanter  l'air  et  de  dire  les  paroles 
ça  m'enlevait  dans  l'air  sans  que  je  pourte  su  ren  et  je 
voyais  la  cour  de  la  Pardris  Grise,  les  bâtiments,  la  Géante, 
le  Géant,  le  coumandant  d'armes,  les  quarante  maîtres  sou- 
neurs  de  vielle  et  de  musette,  la  foultitude  qu'était  là  toute 
étardie,  biblée,  jugée,  pleurant  d'une  ben-aiseté  que  me 
pernait  itou  moé-mesme,  et  mon  grand-père  li  arié  s'arrê- 
tait, le  cuere  gonflé  d'émociounement  et  les  œils  tout 
trempés  de  pleurs  que  je  beuvais  en  le  bichant  de  tout 
mon  cœur,  à  cause  de  la  peine  si  grande  qu'i'  me  fasait 
puisque  je  pleurais  coume  un  riau. 

Le  moument  qu'on  voyait  Gaj^gantua  donnant  des  conseils 
ans  braves  genss. 

On  aurait  ben  voulu  veoir  danser  Gargantua,  mais  il 
était  pris  à  douner  des  conseils  à  ceus  braves  genss  que 
voulaint  l'entendre  causer,  si  ben  que  les  danses  avont 
été  transpourtées  dans  les  rues,  sur  les  places  de  la  ville. 

C'était  l'un  l'autre  que  li  demandait  avis  sus  des  chouses 
de  premier-ordre,  souvent  pour  des  rens.  I'  répounait  à 
tous  anvé  la  mesme  humeur  riante  et  sa  bounhoumie  si 
avenante,  c'était  coume  un  biau  rayon  de  soulé  luisant 
pour  tous  les  houmes  de  bon  vouleoir  qu'avont  la  pri- 
meté  du  deveoir  accompli.  Les  autres  reçarchons  les 
berouées  pour  faire  leus  mauvaisetés. 

Don'  le  bon  Géant,  son  deveoir  accompli,  était  joyeus 
et  bOunhoume,  causant  de  chouses  et  d'autres  anvé  ceus 
braves  genss  qu'étaint  entour  li.  On  avait  sans  doute  causé 
de  sa  mère  et  de  li,  et,  pour  veoir!  un  forgeon  de  Grous- 
souver  li  a  demandé  si  il  était  marié?  Gargantua,  tenant 
son  grand  verre  en  main,  a  répounu  souriant  : 


Je  seus  garson  vive  la  joie, 
J'ai  fait  l'amour  à  une  brune 
Je  li  ai  dit,  pus  de  cent  fois, 
Belle  eume  moi,  belle  eume  moi, 


{bis) 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  i6i 

Je  t'y  dounerai  pour  gageure 
Moun  an-nau  d'or  et  ma  ceinture. 

Y  a  évu  à  ce  moument  là  une  si  grand'  poussée  de  peuple 
que  voulait  veoir  le  Géant  de  près  et  l'entendre  que  le  bon 
Gargantua  a  évu  de  la  tablature  pour  empêcher  les  acrai- 
sements  des  côrp  humains. 

Après  un  moument,  un  vigneron  de  Mornay  est  venu 
li  demander,  au  bon  Géant,  si  d'hasar  i'  connaissait  des 
remèdes  pour  arméger  le  vin  bouté  ?  Et  Gargantua  a 
répounu  :  Mon  brave  houme,  j'en  connais  pas  deus 
remèdes  pour  arméger  le  vin  bouté,  mais  j'en  connais  un 
bon,  et  je  veus  point  vous  le  vendre,  mais  vous  le  donner 
de  bon  cuer.  Vous  dites  que  voûter  vin  est  bouté?  Oui, 
grand  Géant,  mon  vin  est  bouté  !  Et  ben,  mon  brave 
houme,  vous  avez  qu'une  chouse  à  faire  :  beuvez  voûter 
vin  !  Eh  !  mais,  grand  Géant,  vous  eumez  don  le  vin  bouté? 
Non  point,  mon  brave  houme,  mais  je  boés  le  vin  bouté 
dès  quante  j'en  ai  point  d'autre  à  boére  et  mesmement 
quante  j'en  ai  du  bon  à  ménager,  j'en  boés  du  chétit  pour 
épargner  le  bon,  voéla  mon  remède,  mon  bounhoume. 

Le  moument  qu'on  voyait  deux  berlassous  pourter 
un  différent  par  devajit  Gargantua. 

Deus  houmes  de  la  Berlasse  se  châmâillaint  au  sujet 
du  docteur  Bounet-Rond.  L'un  disait  que  ceti  bouasou 
était  in  honnête  houme  et  qu'il  avait  fiance  ans  idées  de 
paix,  de  tranquillité  et  de  bounheur  qu'il  épandait  dans  le 
pays.  L'autre  disait  que  la  fisolofie  du  Bounet-Rond  n'était 
que  l'appât  jité  ans  œils  du  peuple  pour  le  prenre  au  tré- 
buchet  de  l'esplotâcion  des  chouses  de  la  Terre  et  du 
Monde. 

Tous  deus  resouts,  dans  leus  idées,  étaint  sus  le  point 
de  se  tourer  quante  in  houme  d'âge  leus  a  donné  avis  de 
pourter  leu  différent  par  devant  Gargantua.  Et  ceutis 
deus  berlassiens,  penibelment  fendant  la  foultitude  anvé 


102  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

l'houme  d'âge  que  les  avait  conseillé,  i'  sont  parvenus 
devant  Gargantua.  Le  bounhoume  que  les  assistait  a 
expliqué  bounement  le  différent,  à  saveoir,  que  Jean-Jeân 
tenant  du  docteur  Bounet-Rond  soutenait  que  le  mou- 
ment  serait  vitement  venu  d'aveoir  la  paix,  la  tranquillité 
et  le  bounheur  si  on  voulait  s'entendre.  Oui,  oui,  j'ai  dit 
ça!  que  Jean-Jean  a  querié,  et  je  ten  que  l'idée  est  bonne  ! 
Grand  Géant  vous  peuvez  pas  nous  soutenir  que  l'idée  est 
mauvaise. 

Bellement!  mon  brave  houme,  qu'a  dit  Gargantua,  j'ai 
point  intention  de  vous  dire  que  voûter  idée  est  mauvaise. 
Au  contraire,  je  seus  consentant  qu'aile  est  soupérieure  ! 
Ainsi  voyez  don',  je  som  d'accord  pour  le  moument,  mais 
je  vous  avartis  que  j'irons  pas  loin  sans  nous  dessuparer. 
Je  vous  crai  ben  c[ue  la  paix  serait  enter  les  houmes  si  les 
houmes  voulaint  s'entendre.  Asseurément,  i'  s'entendront 
janmâis.  La  guerre  humaine  durera  autant  que  le  monde 
humain.  Et  vous  ne  voyez  pas  un  moyen  d'empêcher  la 
guerre  humaine.  Grand  Géant,  qu'a  dit  le  Jean-Jean.  Mon 
brave  camarade,  j'en  counai  un,  seur  et  çartain,  mais 
c'est  pas  aisé  de  le  mettre  en  œuvre,  d'abord,  et  ensuite  le 
remède  serait  pire  que  le  mal. 

Je  vourrais  ben  tout  de  mesme  le  connaître  ceti  remède 
qu'a  dit  l'houme  au  bounheur. 

Mon  poure  cher  camarade,  la  paix  du  monde  humain 
se  peut  faire  qu'en  détruisant  l'espèce  des  houmes  humain 
entièrement,  simpelment.  Si  deus  houmes  et  une  famé 
denieuraint  sus  la  Terre,  les  deus  houmes  se  battraint 
pour  la  famé.  Si  on  rangeait  la  femme  dans  les  oubliettes, 
les  deus  individus  se  battraint  pour  une  poire  jusqu'à 
temps  que  l'un  des  deus  soye  tué  par  l'autre  ou  ben  qu'i 
moure  de  sa  belle  mort.  Le  seul,  restant,  se  prenrait  en 
grippe,  se  cognerait  la  tête  auprès  les  pierres  ou  ben  i' 
tumberait  en  ennuyance,  en  chétiveté  et  periement.  Coume 
ça  la  paix  humaine  serait  faite,  asseurément,  mais  c'est 
pas  là,  je  crais,  le  but  des  réformacions  que  vous  deman- 
dez. La  guerre,  mon  brave  houme,  c'est  coume  la  fieuvre. 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  i63 

Ça  prend  le  monde  ben  souventes  foés  au  moument  qu'on 
s'y  attend  point. 

La  guerre,  c'es'  une  fieuvre,  d'ailleurs,  qu'on  peut  pas 
éviter,  mais  qu'on  peut  borner  anvé  des  percaucioune- 
ments.  Y  a  ben  des  espèces  de  fieuvres,  coume  on  voie 
nombres  de  sortes  de  guerres.  La  guerre  à  l'épée  que  fait 
saigner  les  corps  et  que  tout  le  monde  craint  le  pus  fort, 
c'est  point  la  pus  mauvaise  asseurément.  C'est  pas  la  guerre 
à  l'épée,  en  tous  cas,  que  tue  les  Nâcions  que  savont  rester 
resoutes  dans  les  défaites.  C'est  la  guerre  à  coups  de  lan- 
cerons de  sarpents  vrineus  qu'endeurmont  les  peuples  en 
les  empoésounant  sans  rémission  jusqu'à  periement  de 
corps  et  de  biens. 

Par  ainssi,  mon  brave  houme,  la  sagesse  des  gouvar- 
nements  n'est  pas  de  tuer  la  guerre  à  l'épée  par  la  guerre 
à  coups  de  lanceron  de  sarpent  vrineus.  La  sagesse  n'est 
pas  de  refaire  les  chouses  et  les  êtres  que  Dieu  a  faits, 
c'est  de  faire  pour  le  mieus  dans  l'ordre  des  êtres  et  des 
chouses  que  Dieu  a  faits. 

La  guerre,  qu'a  toutes  les  apparences  d'un  mal,  peut  se 
trouver  un  bien  si  aile  est  sainte,  et  y  a  la  guerre  sainte 
coume  y  a  la  guerre  impie.  Y  a  la  guerre  sage  coume  on 
voit  la  guerre  folle.  Y  a  le  bien,  y  a  le  mal.  Y  a  l'Esprit 
du  Diàbe  coume  on  voit  l'Idée  de  Dieu!  L'homme  de 
bien  que  renonce  à  son  devoir  [fais  ce  que  doés)  contre 
l'esprit  du  mal  pour  le  [fais  ce  que  veut)  n'a  pus  le  droét 
d'entrer  dans  la  gloire  de  Dieu! 

Un  laboureus  de  Neuvy  demande  à  Gargantua  de  dire  le 
juste  juste  pourquoé  on  pendele  à  nos  portes  de  grattges 
des  têtes  de  sauvagines  et  des  oisilleaus  de  carnage. 

Un  laboureus  de  Neuvy  a  fait  signe  qu'i  désirait  parler. 
Et  le  Géant  li  a  dit  de  parler. 

Grand  Gargantua,  qu'a  dit  le  bounhoume,  je  vourrais 
saveoir  de  vous  coument  pour  le  juste,  juste  je  devons 
envisager  la  coutume  de  pendler  auprès  nos  portes  de 


164  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

grange  des  têtes  de  loup  et  des  calâbres  d'oisilleaus  de 
carnage? 

Les  patarins  qu'avont  empoussé  le  maître  aubargiste 
pour  li  faire  dependler  cetelles  sauvagines  d'anprès  les 
portes  de  la  grange,  coume  je  les  vois  là,  avont  dit  que 
c'étai'  honteus  de  montrer  des  images  de  guerre  un  jour 
de  fête  de  la  paix.  C'est  ben  çà  que  avez  entendu,  bon 
Géant,  mais  moé  je  me  seus  trouvé  à  la  profisse  d'entendre 
auters  chouses  que  cens  bons  apôtres  avont  dites  pas  assez 
haut  pour  que  vous  les  entendaint,  mais  pas  trop  bas, 
pour  que  moé  je  peuch  les  ouïr,  à  l'aise  de  mon  corps,  je 
veus  dire  sans  m'avancer  pour  souriller  en  cuerieu.  Il 
avont  dit  que  nouter  marque  d'ahissance  des  loups  et  des 
oisilleaus  de  carnage  cachait  l'ahissance  des  hommes. 

Eh  !  eh  !  mon  brave  houme,  qu'a  répounu  Gargantua, 
ceus  bouasous  ne  sont  pas  ja  si  bêtes,  dans  l'entendement 
des  chouses  de  la  vie  du  monde,  et  faut  leus  douner  ce  que 
leus  advein;  si  leus  manigances  étaint  pourtées  pour  le 
bien  coume  ailes  sont  manipulées  pour  le  mal,  leus 
œuvres  seraint  de  bonne  venue  çartainement.  Et  vrai- 
ment leus  entêtement  à  faire  du  chétit  est  cent  foés  soupé- 
rieur  à  nouter  vouleoir  à  faire  le  bien,  et  cependant,  que 
de  nouter  coûté,  on  rouàtine  quant  on  s'empige  pas  z'eus, 
i'  marchons  dret  à  leus  but  sans  barguiner,  sans  rouâtiner 
aucunement  que  dès  quante  c'est  pour  leus  ruses  de  guerre 
qu'avont  toutes  les  malices  du  grand  Loucifer  incarné. 

Auter  foés,  mon  bounhoume,  on  pandlait  à  nos  portes 
de  grange  emmis  les  têtes  de  loups  et  d'oisilleaus  de  car- 
nage des  têtes  d'houmes  en-nemis  dangereus  qu'on  avait 
tué  en  loyale  bataille  et  de  cetelle  mainière  y  avait  pas 
besoin  de  faire  des  sarmounaires  pour  donner  des  expli- 
cations comme  je  fait  là,  en  ceti  moument. 

Ceus  caterres,  ceus  patarins,  ceus  libartins  boèmes, 
ceutis  saint-jean  bouche  d'or,  avont  ja  gagné  sus  nous, 
de  nous  faire  parde  la  pus  marquante  des  coutumes  de 
nouter  défense  cependant  que  z'eus  ne  se  fasons  point 
faute  de  nous  menacer  de  toutes  cruelleté  inimaginabes. 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  i65 

Par  exemple,  de  nous  hacher  à  petits  morciaus  pour  faire 
du  pâté  à  leus  chiens,  de  nous  pendler  au  fait  de  nos  clo- 
chers, de  nous  faire  brûler  tout  envie,  de  nous  faire  boire 
du  plomb  fondu,  ou  ben  de  nous  écorcher  à  vif,  et  ce  pen- 
dant que  cetclles  charmantes  flatteries  nous  sont  pro- 
mises, nous  autres,  bonnes  bêtes  abarvigiées,  je  sons  en 
décide  '  sur  tout  et  en  tout.  Jusque  là  ya  pas  trop  de  mal, 
vous  rendez  assez  ben  coups  pour  coups,  mais,  si  vous 
contuinez  à  rouâtiner,  à  berlaiser  dans  vos  attaques,  vous 
serez  un  biau  jour  débordés,  piles,  rasés!  C'est  moé, 
Gargantua,  que  vous  le  dis.  Pernez  des  percautionnements, 
mais  n'abusez  point  des  décides,  mes  bons  amis.  Pour  ça 
qu'est  de  voûter  demande  au  sujet  des  loups,  mon  brave 
houme  et  bon  laboureus,  je  vas  vous  dire  le  fin  mot  que 
vous  redirez  cheus  vous  et  alentour  de  cheus  vous  pace 
que,  entendez  ben,  tout  ça  que  vous  tenez  vès  vous  pour 
le  bien  de  la  coumunauté  ne  manquez  point  de  l'épendre 
tant  que  vous  pourrez,  au  contraire,  ça  qu'est  mauvais, 
tant  que  peuvez  ne  l'eburgez'^  point. 

Une  chouse  connue  auterfoés  cheus  nous,  et  que  je  vois 
tumber  en  oubliance,  c'est  que  les  loups  mangeont  les 
oueilles.  On  peu  et  mesme  on  doet  craindre  les  Iftups. 
C'est  de  boune  guerre  de  les  tuer,  les  loups,  et  de  pendler 
leus  têtes  auprès  nos  portes  de  grange,  mais,  asseurément, 
un  loup  n'est  point  ahissabe  pace  qu'i  mange  les  berbis. 
Ceutis  là  que  faut  détester,  que  faut  ahir,  coume  la  cinq 
cent  dix  mille  peste,  c'est  les  mauvais  bargers  que  laissont 
manger  leus  troupiaus  par  les  loups  !  Et  ceutis  mauvais 
bargers  que  sont  ahissabes,  coume  c'est  pas  possibe  de 
le  dire  assez,  on  ne  pendèle  point  leus  têtes  auprès  nos 
portes  de  grange,  je  veus  dire  qu'on  ne  les  pendèle  pus, 
et  c'es'  un  tort. 

Mon  bounhoume  et  mes  chers  amis,  faites  ben  atten- 
tion à  voûter  entendement  des  chouses  de  la  Terre  et  du 
Monde. 

1.  Hésitation. 

2.  Remuer  pour  étaler. 


l66  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

On  voit  des  loups  que  se  fasont  bargers,  pour  être  à 
mesme  les  troupiaus  de  berbis,  en  vue  de  les  manger  sans 
crainte  d'être  contrayé  dans  leus  jouissance.  Ouvrez  l'œil! 

Ceutis  loups,  sont  des  houmes  de  paix,  de  tranquillité 
et  de  bounheur,  pour  z'eus  ben  entendu,  puisque  les 
autres  sont  leus  pâture. 


Dans  les  temps  lointains,  on  a  vu  dans  nos  Pays  hauts 
des  chiens  émiter  les  loups  et  i'  sont  descendus  dans  nos 
Pays  bas  et  mesme  encore  pus  bas  que  je  som  ici.  C'est  le 
pour  quoé  on  voit  dans  nos  Pays  du  Mitant  de  la  France 
des  chiens  loups  et  pour  quoé  on  dit  ben  souventes  foés 
de  parsounages  qu'avont  pas  le  sens  de  la  dreture  de  cheus 
nous  :  r  sont  enter  chien  et  loup.  Cetelle  espèce  de  bêtes 
à  pain,  est  détestabe.  Vous  voyez  peut  être  pas  coument 
cetelle  bâtardise  de  bêtes  féroces  a  pu  venir  séant?  Je  vas 
vous  le  faire  entender  si  voulez  écarquiller  un  brin  voûter 
comperneoire  pour  ouïr  la  petite  parabole  que  vinra  après 
la  petite  histoire  que  voyez  ci. 

Y  avait  une  foés  un  Roi  de  nos  Pays  hauts  qu'avait  reçu 
des  passagers.  F  les  a  fait  siser  vès  li,  quasiment  dessus 
son  trône.  Dieu  me  pardonne  :  i'  les  a  caressés,  i'  les  a 
flattés  coume  des  petits  poulets  de  grains,  coume  on  voit 
encore  cetelle  coutume,  qu'a  ben  du  bon,  mais  pus  encore 
de  chetit,  en  Nivarnais,  en  Bourbonnais,  dans  la  Marche, 
an  Limouzin  et  dans  le  Berri  :  c'est  de  trouvé  biau, 
suparbe,  genti,  mignon,  charmant,  tous  et  tous  çà  qu'est 
pas  de  cheus  nous. 

Cens  étrangers  étaint  à  leus  aises  dans  ceti  palais  du 
Roi  que  se  mettait  en  quatre,  en  six,  en  dix  pour  com- 
plaire à  cetelle  compaignie.  Et  la  compaignie  s'égeonfflait, 
coume  vous  pensez  ben.  Le  chef  de  la  bande  s'est  mis  à 
faire  la  belle  jambe  en  grattant  soun  aile  coume  un  jau  et 
la  fille  du  Roi  a  évu  envie  de  ce  biau  coq,  chef  de  ceutis 
voyageurs  de  coumarce,  qu'avait  des  bagues  à  tous  ses 


NOS   GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  167 

doégs,  et  i'  tenait  du  bagout  et  de  la  jactance  à  revendre. 

Le  triste  père  qu'avait  toutes  les  feublesses  pour  sa  fille, 
qu'il  adorait  au  point  d'oubelier  pour  elle  son  dcveoir  de 
chef  de  peuple,  il  a  ben  veoulu  la  douner,  sa  drolière,  à 
ceti  meneus  de  courandiers. 

Ce  pendant,  le  fi'  du  Roi,  qu'était  en  veine  de  craindre 
rentrée  de  ceus  étrangers  dans  la  mainson  de  sa  famille, 
pour  arriver  peut  être  à  prenre  le  Pays  entièrement  pus 
tard,  a  veoulu  avartir  son  papa  en  li  contant  une  parabole 
que  je  vas  vous  dire,  et  je  vous  ençarge'de  la  tenir  engra- 
vée  percieusement  anprès  la  meilleur  languette  de  voûter 
gibarne  de  mémoire. 

Entendez  ben  le  fi'  à  son  père. 

Mon  cher  Syre  et  bon  papa  :  Y  aval'  une  foés  une 
chienne  louve  pleine  qu'était  prête  à  faire  ses  petits. 
Train-nant  les  chemins,  barrant  les  rues  sans  pouveoir 
trouvé  un  logis,  aile  a  rencontré  un  bon  vieux  barger  et 
aile  s'est  rendue  à  li,  le  perlant,  le  supeliant  de  li  prêter 
un  petit  coin  de  sa  cabane  pour  metter  bas  sa  pourtée.  Le 
barger,  boune  bête,  a  ben  veoulu  laisser  faire  la  chienne, 
asseurément,  i'  li  a  dit  :  dès  quante  tu  sera  délivrée, 
faura  décamper  de  là  pace  que  ça  conven  pas  une  bande 
de  chiens  loups  au  mitant  d'un  troupiau  d'oueïlles,  sur- 
tout que  j'ai  mon  chien  à  moé  qu'est  pas  loup. 

Cetelle  chienne  a  mis  bas  une  grousse  pourtée  et  aile 
s'est  rendue  au  bon  barger.  Mon  cher  barger!  qu'aile  y  a 
dit,  doulante,  prends  pitié  de  ma  triste  position,  tu  veois 
ma  misère!  aye  compassion  de  mon  sort  malhureus  et 
laisse  moé  dans  ta  cabanne  queuques  jours  à  fine  fin  de 
parmettre  à  mes  poures  petits  de  marcher  tout  seuls  pour 
que  je  peuche  les  emmener,  bonnes  gens,  sus  les  chemins 
là  où  je  çarcherons  nouter  pain,  puisque  tu  peus  pas  les 
endurer  ceus  poures  petits  malhureus  que  sont  pourtant 
jà  si  gentis.  Voit  don,  mon  bon  barger,  coume  i  sont 
gentis  mes  petits  chiens  ! 

Le  bon  barger,  tou'  attendri  et  pitieu,  a  ben  veoulu  lais- 
ser queuques  temp  encore  la  chienne  et  ses  chiens  dans  sa 


l68  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 

cabane  ce  pendant  que  li  couchait  dihôrs,  le  poure  houme, 
les  trois  quarts  du  temp  en  coûté  de  son  fidèle  Médor.  F 
dounait  la  grousse  part  de  ses  vivres  à  li  et  de  cetella  de 
son  compagnon  Médor  pour  la  bande  de  petits  affarés  que 
Jappaint  la  nuit  et  le  jour,  que  c'en  était  pas  rassurant  du 
tout.  Il'  avaint  coumencé  à  jouer  anvé  les  petits  égnaus. 
Après  i'  les  avont  mordu.  Une  auter  foés  il  en  avont 
mangé  un  tout  entièrement. 

Le  barger  a  dit  à  la  chienne  :  faut  partir  anvé  ta  chiou- 
lée  ou  ben  je  fais  un  malheur!  Aile  a  repounu  :  mon 
cher  barger,  mon  bon  barger,  laisse-nous  jusquante  à 
demain;  je  te  jure  que  je  nous  en  irons. 

Le  lendemain,  la  meute  jappait  pus,  aile  hurlait  !  Le 
barger,  affolé,  laissant  ses  berbis  à  la  garde  de  son  fidèle 
Médor,  s'es'  encouru  çarcher  des  vivres  pour  la  bande 
affamée.  Et  revenant  essoufflé,  courant  au  galop,  sa  che- 
mise trempée  coume  une  soupe,  de  loin,  il  a  parçu  la 
chienne  et  les  chiens  auprès  escoffier  Médor,  le  bon  gar- 
dien de  son  troupiau  d'oueilles. 

Le  poure  bougre,  arrivant  affolé,  n'a  évu  que  le  temp 
de  veoir  la  dernière  argardure  de  son  bon  chien  et  de 
querier  à  la  chienne  :  salope!  train-née!  bârre-les-rues! 
sale  fumelle,  infâme  cataud  !  monstreuse  garse!...  Ah! 
c'est  coume  ça  que  tu  te  compourte  anvé  moé  qu'a  évu  la 
bonté  de  te  tirer  des  ornières  là  où  tu  serais  quervée 
coume  une  carne  !  Sans  moé,  à  cetelle  heure,  tu  ne  serais 
qu'une  peste  dégoûtante,  une  puante  carrée,  une  cha- 
rogne !  J.-J...  i'  n'a  pas  évu  le  temp  d'en  dire  pus  long  le 
poure  malhureus,  la  meute  en  raige  est  tumbée  sus  li, 
entour  li  coume  un  déchainnement  de  monstres  sortant  de 
l'enfer  du  Diâbe.  Les  uns  avaint  sauté  sus  sa  tète,  li  arra- 
chaint  les  œils,  les  autres,  cramponnés  auprès  son  ventre, 
li  tiraint  les  tripes,  les  autres  déveoéraint  le  derrié  de  son 
corps,  les  auters  li  lardassaint  les  jambes  du  bas  en  haut. 
En  ren  de  temp,  il  a  évu  pardu  le  goût  du  pain  le  poure 
barger.  Après,  sans  rémission,  la  chioulée  affreuse  s'est 
enterpris  à  tuer  les  oueilles,  leus  égnaus  et  le  champ  de 


NOS    GÉANTS   d'aUTERFOÉS.  169 

carnage  épouvantabe  est  resté  à  la  meute  horribe  des 
chiens  loups. 

O  mon  Roi!  O  mon  père!  veoilà  l'histoire  que  sera  la 
voûtre  si  veoulez  douner  ma  sœur  au  chef  des  boèmcs 
libartins,  des  caterres  et  des  patarins,  esploteurs  des  terres 
et  des  peuples. 

Et  le  Roi  s'est  entêté  à  douner  sa  fille  au  chef  des  libar- 
tins boèmes,  des  caterres  et  des  patarins,  les  chiens  loups, 
que  sont  dévalés  sus  toute  la  Terre  de  la  France,  anvé 
les  loups  çarviers,  les  chats  tigres,  les  yènes  et  les  tigres  en 
suite  du  démon  des  démons,  le  chef  de  tous  les  Diâbes 
d'enfer,  le  cousin  Gearmain  de  Belzebuth,  le  vieux  Çasair 
brise-tout. 

Coument  Gargantua  montre  que  faut  toujours  se  méfier 
des  hounisseurs  d'honnêteté  et  des  prêcheurs  de  paix. 

Mes  braves  amis,  y  a  une  chouse  que  faut  vous  ben 
mettre  dans  l'idée,  en  bonne  place  et  mesmement  faurrait 
que  ça  saye  arpersenté  sus  vos  habits,  sur  les  murs  de  vos 
mainsons  en  dihôrs  et  en  dedans  :  Si  veoule:{  aveoir  la 
paix,  y  a  pas  deus  moyens,  y  en  a  qu'un,  c'est  d'êtres 
forts  ! 

Tant  ben  formés  que  vous  sayaint  les  un  et  les  autres, 
les  un  ou  les  auters,  un  seul  homme!  deux  hommes!  ou 
trois  hommes'  !  c'est  fameus  d'un  sens,  mais  c'est  ren 
d'une  auter  veine. 

En  tout  et  pour  tout,  noûter  force,  c'est  la  coumunauté! 
La  coumunauté  des  artisans  de  nos  campagnes  coume 
cetella  de  nos  villes.  C'est  la  Chuche^,  le  soutre-*. 

Le  jour  que  le  bounhoumedelaboureus  de  Neuvy,  que 
m'argarde  anvé  des  yeus  ronds,  aura  besoin  d'in  houme 
pour  l'ainder  a.  labourer   son  petit   champ,   à  tailler  sa 

1.  Le  conteur  affirmait  la  pensée  énergique  du  Géant  en  pronon- 
çant homme  !  au  lieu  de  houme  qui  lui  était  familier. 

2.  Base  de  doctrine  initiale. 

3.  Pierre  angulaire. 

12 


iyO  NOS    GEANTS    D AUTERFOES. 

vigne,  à  lever  sa  petite  moesson  ou  faire  sa  vendange,  ça 
va  de  l'intérêt  coumun  que  ceutis  ouvrages  sayaint  faits  en 
temp'  et  heures.  Pierre,  Paul  ou  Jacques,  de  la  paroisse  de 
Neuvy,  devront  aller  au  devant  de  la  perière  du  bon  gâs 
que  m'argarde  de  mais  en  mais.  Li,  par  contre,  devra  se 
décarcasser  pour  rander  la  pareille  à  Pierre,  Paul  ou 
.Tacques  de  la  coumunauté  paroissiale.  Le  meilleur  place- 
ment de  père  de  famille,  c'est  de  sarvir  la  communauté 
sociale  de  tout  son  cœur,  de  toute  soun  âme,  de  toutes  ses 
forces,  et  se  dire  toujours  :  Fait  ce  que  doés,  et  à  la  garde 
Dieu! 

La  ben-faisance  de  la  coumunauté  se  montre  don'  pour 
le  moindre  peti'  ordon  familier  aussi  ben  que  pour  la 
grande  œuvres  publique. 

Cependant  que  l'orage  gronde,  le  voisin  de  mon  labou- 
reus  de  Neuvy  que  li  tend,  deligentement,  un  charoé  de 
foin,  qu'on  va  mettre  à  l'écoué  vitement,  accomplit  un 
deveoir  social. 

Pour  telle  autre  œuvre  familière,  faurra  deus,  trois,  qua- 
ter  houmes.  Pour  arlever  et  renforcer  les  remparts  de 
Sancoing,  j'avons  été  mille,  deux  mille,  trois  mille,  quater 
mille,  cinq  mille,  six  mille. 

Pour  Nevers  et  Bourges  j'étaint  six  mille,  sept  mille, 
huit  mille,  neuf  mille,  dix  mille,  vingt  mille,  quarante 
mille,  cinquante  mille.  Nevers,  Bourges,  Sancoing  sont  des 
braves  villes  et  des  villes  braves,  par  la  grand'  vartu  de 
créiation  de  noutre  belle  Terre  et  aussi  par  la  vartu  de  nos 
coumunautés  d'artisans  de  nos  villes  et  de  nos  campagnes 
que  formolit  la  membrure,  l'oussement  maître,  je  veus 
dire  le  calâbre  de  la  grand'  famille  de  noutre  Nation. 

J'ai  grand  peur  que  nos  Rois  et  nos  Seigneurs  ne  gar- 
daint  pas  ben  en  mémoire  cetelle  conformâcion,  pour  la 
tenir  en  dévocion  et  la  garder  farme.  Si  un  tel  malheur 
advint,  il'  en  seront  punis  mauvaisement,  mais,  si  le  peuple 
de  nos  villes  et  de  nos  campagnes  se  laisse  prenre,  ou 
mesmement  laisse  défigurer  sa  loi  de  vivacité,  de  grandesse 
et  de  brâveté,  la  famille  de  l'individu,  aussi   ben  que  les 


NOS    GJÎANTS    D  AUTERFQÉS.  I7I 

familles  de  la  Nation,  tumbront  en  pardicion,  en  pcrie- 
ment. 

Entendez  ben.  mes  amis,  faut  garder  nos  usages,  nos 
coutumes,  nos  abillements,  nos  musiques,  nos  chansons, 
nos  récils,  nos  histoires,  nos  ditons,  surtout  ne  laissez 
point  toucher  nos  coumunautés!  La  coumunauté',  c'est  le 
Soutre  des  Soutres,  c'est  la  Chuche  des  Chuches,  c'est 
l'Arche,  si  veoulez  que  je  parle  coume  mon-sieu  le  curé  de 
Sancoing.  Oui,  c'est  l'Arche  sainte!  que  vous  tirera  tou- 
jours des  mauvaises  passes,  des  mauvais  courants,  des 
mauvais  vents  que  vinront  battre  vos  murs  de  villes  et  vos 
murs  de  mainsons,  çà  que  sera  demi  mal  en  comparai- 
sion  des  mauvais  filtres  que  les  docteurs  Bounet-Rond,  les 
lictins  fisolofes,  les  libariins  boèmes  feront  panêtrer  dans 
voûter  sang,  dans  vos  veines,  dans  vos  çarvelles,  pour 
vous  déformer  le  côrp  et  l'âme  et  bousiller  voûter  juge- 
ment et  voûter  entendment  des  chouses  de  la  Terre  et  du 
Monde. 

Gardez!  gardez!  nos  coumunautés  d'artisans  de  nos 
villes  et  de  nos  campagnes  coume  la  pernelle  de  vos  œils. 

Nos  anciens  avont  souffri  les  pus  misérabes  souffrances 
faute  de  cens  coumunautés  qu'avont  été  étardies,  un  çartain 
temps  cheus  nous,  au  moument  de  la  venue  des  loups 
çarviers,  des  chiens  loups,  des  chats  tigres,  des  yênes  et 
des  tigres,  que  sont  encourus  en  suite  de  Çasair  brise- 
tout. 

Par  la  remise  en  honneur  de  nos  grandes  coumunautés 
et  confréries,  nos  anciens  père  avont  refait  nouter  grand' 
famille  des  houmes  des  Pays  de  toute  la  France.  Et  i'  sont 
glorieus  nos  anciens  père,  et  dans  les  temps  que  vinront 
i'  seront  de  mais  en  mais  glorieus  malgré  les  infamies  des 
faseus  d'histoires  faussées,  malgré  les  abbatleus,  bounis- 
seurs  et  fourbisseurs  de  faus  génies,  de  fans  talents,  de 


I.  Nous  avons  déjà  dit,  et  il  faut  redire,  que  les  communautés 
des  campagnes  du  Centre  ont  existe  de  fait  jusqu'au  milieu  du 
xix'  siècle. 


172 


NOS    GEANTS    D  AUTERFOES. 


faus  renoms,  de  fausses  vartus,  de  fausses  gloires.  Malgré 
les  enterperneurs  de  détruicion  que  veoulont  effacer  nos 
villes,  nos  châtiaus,  la  grandesse,  la  noblesse  et  la  brâveté 
de  nos  Pays,  l'œuvre  glorieuse  de  nouter  Nâcion,  par  nos 
anciens  pères,  nos  père  et  un  peu  encore  par  nous  mesmes 
que  suivont  leus  traces,  sera  pourtée  loin  dans  le  Monde 
de  la  Planète. 

Et  nos  pères  avon'  été  glorieus,  et  nous,  peuvons  le  deve- 
nir par  la  religion  des  vartus,  des  beautés,  des  brâvetés,  de 
noutre  belle  Terre  que  donne  la  force  de  nos  corps,  la 
grâce  de  nos  âmes,  le  sentiment  de  nos  cuers  en  mesme 
temps  que  la  voyance  de  nouter  entendement  de  l'esprit 
pour  tenir  en  tout  et  pour  tout  le  bon  sens,  que  nous  par- 
mettra  de  ne  janmais  nous  départir  de  la  résolution  de 
garder  nettes  nos  coumunautés  d'artisans  des  villes  et  des 
campagnes  que  fasont  les  puissances  de  conterpoid  au 
pouvoirs  des  Seigneurs  et  des  Rois  et  que  seront  capabes 
de  tenir  l'acoup  et  mesme  la  tête  du  batiau,  au  besoin,  si 
nos  Seigneurs  venaint  à  faire  défaut  à  leus  pouvoirs  de 
chefs  et  si  nos  Rois  manquaint  à  leus  deveoir  de  père. 

Nos  grandes  et  belles  coumunautés,  cens  forces  admi- 
rabes  émitées  des  forces  naturelles,  arpresentont  nos 
familles  de  grands  châgnes  assemblées  pour  conformer 
nos  tant  suparbes  futaies,  que  fasont  à  noutre  belle  Terre 
les  pus  beaus  parements  de  beauté  et  de  brâveté  et  en  com- 
pourtant  en  sus  ceti  exemple  tan'  admirabe  et  si  touchant 
d'une  petite  famille  individuelle  là  où  le  père  est  le  Roi, 
et  eh  formant  le  modèlf  de  la  grand'  famille  de  la  Nâcion, 
là  où  le  Roi  est  le  père. 

Ne  vous  départissez  point  de  cetelle  vérité  de  fondation, 
mes  braves  amis,  et  méfiez-vous  des  genss  que  parlent  à 
tout  bout  de  champ  de  leus  honnêteté  et  du  désir  que  les 
pourte,  soi-disant  pour  faire  le  bounheur  du  Monde.  Vous 
peuvez  êtes  çartains  que  ceutis  là,  ça  n'est  point  la  gime 
des  houmes,  ben  le  contraire,  c'est  le  pus  souvent  la  lie. 

Compernez  ben  qu'un  vrai  hounête  houme,  c'est  qu'il  a 
du  goût  à  l'être,  ce  faisant  i'  ne  peu  pas  l'être  son  soûl,  et 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  lyS 

i'  ne  songe  point  à  se  vanter  à  Paveur  de  son  prochain. 
Ceti  là  qu'est  point  hounête  et  sans  désir  de  l'être  sais  ben 
que  besoin  est  à  li  de  dire,  de  quérier  mesme  soun  hounê- 
teté  pace  que  si  il  en  dit  ren,  parsoune  non  mais  dira  ren 
pour  le  mettre  en  renom  honorabe. 

Encore  un  mot  mes  amis  et  j'aurai  fini  de  vous  sar- 
mouner.  C'est  mon  deveoir  de  vous  avartir  que  tout  est 
mis  en  jeu,  par  les  races  parvarties,  pour  détruire  nos  cou- 
munautés  des  artisans  de  villes  et  des  campagne,  qu'arper- 
sentont  la  vraie  force  de  résistance  conter  les  exploeteurs 
de  peuple  et  les  enterperneurs  de  détruicion  des  richesses, 
des  beautés  et  des  brâvetés  de  noutre  belle  Terre,  la  grande 
mère  nourisse  du  monde,  Ceus  esprits  affarés  de  domi- 
nâcionvon'  encârouner  nos  Seigneurs  et  mesme  nos  Rois 
par  toutes  vacations  de  manigances  fisolofiques  assaison- 
nées à  la  chiure  du  Diàbe  pour  sarvir,  en  apparence,  la 
grandesse  des  Seigneurs,  des  Rois  et  pour  la  gloire  des 
Peuples,  en  vérité,  pour  la  pardicion  des  Seigneurs,  des 
Rois  et  l'esplotâtion  des  Peuples,  pour  l'esplotâtion  de 
la  Terre  jusqu'à  l'oussement,  jusqu'à  periement. 

Ceus  lictins  fisolofes,  ceus  esprits  dévargondés  vont 
montrer  à  nos  Seigneurs  et  à  nos  Rois  des  plans  de  socié- 
tés barlilicoités  d'agueryances  diaboliques,  et  varnissés 
par  l'astuce  du  grand  Loucifer  incarné. 

Cependant  que  ceutis  malhureus  vont  se  laisser  endeur- 
mir  et  embaumer  par  les  filtres  de  l'infâme  menée  des 
bounisseurs  de  paix,  lictins  fisolofes,  boèmes  libartins  et 
esploteurs  de  peuples,  veillez!  veillez,  mes  braves  amis, 
pus  que  j'anmais  à  la  garde  de  nos  coumunautés,  de  nos 
franchises,  de  nos  usages,  de  nos  coutumes,  ça  pour  l'en- 
tertenement  de  nos  vartus  familières  et  publiques,  pour  la 
léauté  de  nos  œuvres,  pour  la  sauvegarde  de  nos  villes  et 
de  nos  bourgs,  pour  la  consarvâcion  de  nos  mainsons,  de 
nos  églises  et  de  nos  clochers,  de  nos  châtiaus  et  de  nos 
cathédrales. 

Veillez!  veillez!  surtout  à  la  consarvâcion  de  la  grande 
oeuvre  du  créiateur  des  Mondes. 


174  '^OS    GEANTS    D  AUTERFOÉS. 

Veillez!  veillez!  à  consarver  les  vartus  de  noutre  belle 
Terre. 

Faut  vous  dire,  mes  amis,  que  le  deveoir  de  l'homme 
franc  ne  s'est  janmais  persenté  pus  rude  à  accomplir  que 
de  ce  temps.  Je  vous  avartis!  A  persent  c'es  à  vous  de 
saveoir  si  voulez  embrasser  la  face  de  Dieu  ou  bicher  le 
eu  du  Diàbe! 

J'ai  dit  que  la  guerre  humaine  sera  tant  que  les  humains 
seron'  en  vie  sus  la  Terre.  De  tous  temps  y  a  évu  la  guerre 
sainte  et  la  guerre  impie.  Nos  grands  capitaines  avon  été 
glorifiés  en  estàtues  de  pierre,  les  petits  capitaines  et  les 
sargents  sont,  en  des  livres,  marqués  à  l'encre  d'houneur. 
C'est  à  nous  de  glorifier  le  vaillant  guerrier,  sans  grade, 
que  va  sus  le  champ  de  bataille  travailler  bonnement  de 
l'épée  coume  nous  autres  artisans  je  travaillons  de  Tuti'. 

Mes  braves  camarades  et  chers  amis,  entendez  ma  chan- 
son que  fera  noble  le  simple  et  résout  guerrier  qu'arven 
de  guerre,  un  pied  chaussé  et  l'auter  nu. 

Gargantua,  artisan  de  l'uti,  au  fier  guerrier,  artisan  de 
l'épée  : 

Le  Retour  du  Guerrier. 


Ces  un  guerrier     )  (^^-^^ 

Q'arven  de  guerre  ] 
Un  pied  chaussé  et  l'auter  nu,  \    .  . 
Poure  guerrier  d'ià  où  ven  tu?  ) 

II. 

Ben  le  bonjour     (  ,r  •  > 
Dame  l'hôtesse,   i 
Appourtez  moé  du  bon  vin  blanc.  ) 


Guerrier,  avez  vous  de  l'argent 


,      i  (l^^s) 


NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS.  lyS 


III. 

Pour  de  l'argent  |  /^^-^^ 

Ah!  j'en  ai  guère,  ' 
Mais  j'engag'rai,  mon  chevau  gris,  )  ,,  ■  ^ 
Et  moun  armet,  et  moun  habit  '.  )  ^ 


IV. 

Et  le  guerrier 
Se  met  à  tabe 


(bis) 


Aussitôt  se  prend  a  chanter   i  ,,  .  , 
Et  1  hôtesse  s  met  a  pleurer.  ) 


Que  pleurez-vous  t  ^i  •,.. 
La  belle  hôtesse?  i 


Regrettez  vous  voûter  vin  blanc  } 
Que  le  guerrier  boi'  en  passant,  i 

VI. 

C'est  pas  mon  vin  |  ,,  •  > 

Que  je  regrette,       ) 
C'est  le  premier  de  mes  maris,     ) 
Mon-sieu,  vous  ressemblez  à  li.  \ 

VII. 


ibis) 


(bis) 


On  m'a  écrit         l  lu-  \ 
De  ses  nouvelles  i 
Qu'il  était  mort  et  enterré 
Et  je  me  seus  remariée 2. 


(bis) 


1.  Ce  vers,  qui  a  été  complètement  modernisé,  est  ainsi  cons- 
titué dans  notre  pays  de  Berry  : 

Mon  pistolet  et  mon  fusil. 

Le  pistolet,  dont  l'invention  remonte  au  commencement  du 
xvi"  siècle,  ne  pouvait  être  désigné  dans  une  chanson  de  l'époque 
dont  nous  parlons.  C'est  pour  cette  raison  que  nous  avons  adopté 
la  version  antérieure. 

2.  Entre  ces  deux  couplets,    il   y  a  eu,  chez  nous,  le  partage  des 


176  NOS    GÉANTS    d'aUTERFOÉS. 


VIII. 


< 


Brave  guerrier   I  ,,  •  > 

Vide  son  verre,  i 
Monte  à  chevau  tout  en  pleurant.  >  ,,  .  , 
Four  artrouver  son  coumandant.   ) 

Pour  le  père  et  la  mère  Baffîer,  leur  dévoué  scribe  et 
petit  garson  Ugène  prénommé  et  nommé  plus  communé- 
ment 

Jean  Baffier. 

enfants,  deux  du  premier  lit  et  deux  du  nouveau  mariage.  Cette 
excroissance  déplorable  nous  obligeait  toujours  à  nous  boucher  les 
oreilles  au  moment  où  le  chanteur  la  sortait.  Nous  avons  pris  le 
parti  d'adopter  la  version  du  Poitou  recueillie  par  le  poète  Gaud. 


TABLE   DES    MATIERES. 


Pages 
Préface,  de  Jacques  Boulenger i 

Des  ouvrages  du  Grand  Gargantua  sur  la  lisière 
du  Bourbonnais ,  du  Berri  et  du  Nivarnais.  Récits 
du  père  Baffier  s'appuyant  sur  les  dires  et  opi- 
îîions  de  la  mère  Baffier^  dite  la  mère  à  Ugène^ 
le  grand  père  Regnaud^  Girard  le  plemeu  de 
Brères,  le  père  Bordier,  Chariot-Robert,  Bour- 
dier,  ancien  facteur  de  Sagonne,  Cœurier,  maître 
tonnelier  à  Vallon  en  Sully. 

Première  veillée i3 

La  poêlée  de  Gargantua,  p.  i3.  —  Les  causes  de  fond 
de  la  poêlée,  p.  i6.  —  Les  ouvrages  des  famés,  p.  21. 
—  Le  moument  qu'on  voyait  les  galettes  défournées, 
p.  23.  —  L'arrivée  des  voitures  et  des  batiaux  çargés 
de  vin,  p.  24.  —  L'ordon  des  etuvées  et  de  la  friture, 
p.  26.  —  Là  où  était  le  Géant?  p.  28.  —  La  rentrée  de 
Gargantua  à  Vallon,  p.  3o.  —  La  poêlée  de  Gargan- 
tua. Son  petit  coup  de  vin  blanc,  p.  32.  —  Le  repas, 
p.  34.  —  Fin  du  repas  de  Gargantua.  Sa  petite  rin- 
cette, p.  35.  —  Où  on  voit  Gargantua  ouvrir  le  bal, 
p.  37.  —  Où  le  conteur  prend  vent,  p.  38.  —  Le  repos 
du  Géant,  p.  38.  —  Le  petit  câsse-croûte  du  Géant, 
p.  40.  —  Le  moument  qu'on  voyait  Gargantua  man- 
ger la  soupe  frite,  p.  42.  —  Les  adieus  du  Géant, 
p.  44.  —  Comment  Gargantua  arleva  la  petite  grange 
de  la  poure  vieille  veuve,  et  coument  il  fit  les  entou- 
nâilles  du  poure  viens  vigneron,  voisin  de  la  vieille, 
p.  46.  —  Le  Géant  sur  le  port  d'Urçay,  p.  47.  —  Le 
moument  qu'on  voit  les  libartins,  les  lictins-fisolofes 


lyS  TABLE    DES    MATIERES, 

et  les  maignants  empoussant  le  Peuple  conter  le  bon 
Géant,  p.  4g.  —  Où  on  voit  Gargantua  arrier  les  poin- 
sons  d'un  poure  vieus  vigneron  malade  et  mourant  de 
peur  de  voir  aigrir  son  vin  dans  sa  cave,  faute  d'être 
entouné,  p.  58.  —  Les  entounâilles.  La  mort  du  vieus 
vigneron,  p.  67.  —  L'enterrement  du  vieus  vigneron, 
p.  68.  —  Les  genss  de  Saint-Pierre-des-Étieus  à  l'au- 
devant  de  Gargantua,  p.  71.  —  Gargantua  beuvant 
d'une  lampée  l'étang  des  Belles-Fontaines,  p.  72.  — 
Où  on  voit  les  grand'  vartus  du  Syre  de  Charenton, 
p.  75. 

Deuxième  veillée 


De  Saint-Pierre-des-Étieus  au  Mont-Joï,  p.  77.  — 
Comment  avai'  été  saccagé  le  chàtiau  du  Mont-Joï, 
p.  83.  —  Comment  on  a  vu  la  prise  du  châtiau  de 
Mont-Joï  par  les  caterres,  les  boèmes  libartins  et  les 
patarins,  p.  84.  —  La  venue  de  Gargantua,  p.  89.  — 
Gargantua  au  Mont-Joï,  p.  go.  —  Le  départiement  de 
Gargantua  du  Mont-Joï  pour  Sancoing,  p.  g6.  —  Gar- 
gantua à  Sancoing.  Coument  s'est  vue  la  grande  foul- 
titude  de  peuple  qu'a  voulu,  coûte  que  coûte,  arlever 
et  renforcer  les  remparts  au  coumandement  du  grand 
Géant,  p.  100.  —  Le  moument  qu'on  voit  apparaître  le 
Docteur  Bounet-Rond,  p.  102.  —  L'œuvre  vive  des 
ramparts  de  Sancoing,  p.  iio.  —  La  grande  joie  et 
confiante  arcounaissance  des  Sancounais  et  des  genss 
des  campagnes  envirounantes  en  voyant  les  si  tant 
beaus  remparts  de  leus  ville,  p.  ii5.  —  Coument  le 
petit  goûter  de  Gargantua  est  devenu  un  grand  festin, 
p.  117.  —  Coument  se  fasaient  les  ébattements  des 
Sancounais  et  des  gens  des  alentours,  p.  119.  —  La 
mère  Gargantua  à  Sancoing,  p.  124.  —  Coument  était 
venue  et  de  là  où  était  venue  la  Géante,  p.  128.  —  Ce 
qu'était  l'Hôtellerie  de  la  Pardris  Grise,  p.  12g.  —  Le 
moument  qu'on  voit  le  conteur  pris  d'émotion  et  de 
découragement,  p.  i32.  —  Coument  le  conteur  se 
remet  en  courage  pour  contuiner  son  récit,  p.  i33.  — 
La  porte  d'entrée  à  l'Hôtellerie  de  la  Pardris  Grise, 
p.    i36.   —   Le   moument   qu'on   voit   le   coumandant 


11 


TABLE    DES    MATIERES.  1 79 

d'arme  anvé  ses  capitaines,  le  Pervôt  des  marchands 
et  artisans,  les  chefs  de  la  milice,  les  maîtres  des 
coumunautés  des  artisans  de  ville  et  de  campagne, 
venant  complimenter  la  Géante,  p.  iSq.  —  Le  mou- 
ment  qu'on  a  vu  Gargantua  arrêtant  l'hôtelier  qui  vou- 
lait dépendler  les  têtes  de  sauvagines  et  les  oisilleaus 
de  carnage  accrochetés  aus  portes  de  la  grange,  p.  140. 

—  Le  repas  du  Géant,  p.  143.  —  Le  moument  qu'on 
voit  le  conteur  faire  des  réflexions  sur  le  sarmon  de 
Gargantua,  p.  149.  —  Le  moument  qu'on  voyait  la 
Géante  dansant  la  bourrée  berruyère  anvé  le  couman- 
dant  d'armes  de  Sancoing,  au  son  des  vielles  et  des 
cornemuses,  p.  154.  —  Le  moument  qu'on  voyait  Gar- 
gantua donnant  des  conseils  aus  braves  gens,  p.  i6o. 

—  Le  moument  qu'on  voyait  deux  berlassous  pourter 
un  différent  par  devant  Gargantua,  p.  161.  —  Un  labou- 
reus  de  Neuvy  demande  à  Gargantua  de  dire  le  juste 
juste  pourquoé  on  pendele  à  nos  portes  de  granges  des 
têtes  de  sauvagines  et  des  oisilleaus  de  carnage,  p.  i53. 

—  Coument  Gargantua  montre  que  faut  toujours  se 
méfier  des  bounisseurs  d'hounêteté  et  des  prêcheurs 
de  paix,  p.  i6g.  —  Le  retour  du  guerrier,  p.  174. 


Illustrations  : 

1.  Frontispice  formant  page  de  garde  pour  le  corps 

du  texte Frontispice 

2.  Reconnaissance  à  Angelo  Mariani     .     .     .        Dédicace 

3.  Le  père  Chariot  Rob et  de  la  Baronnerie^  l'homme 

des  bois  évocateur  des  temps  druidiques    .     .       32 

4.  Le  grand  père  Regnaud  de  la  Ville  neii',  le  grand 

évocateur  des  beautés  et  des  vertus  créatrices 
de  la  terre  pour  l'ordre  de  son  aménagement 
et  des  soins  pieux  que  nous  devons  à  cette 
bonne  mère  Nourrice 48 


l80  TABLE    DES    MATIERES. 


5.  Le  père  Bordier  de  Goutiè?'e,  rhomme  des  rap- 

ports mystérieus  qu'ont  les  être  et  les  choses 

du  Ciel,  de  la  Terre  et  du  Monde      ....       72 

6.  Girard  le  plemeiix  de  Brères  des  chaumes  de  Cla- 

vière  ^  le  pionnier  des  rudes  tâches  et  des 
labeurs  extrêmes 104 

7.  Le  tombeau  du  Père  et  de  la  Mère  Baffier,  his- 

toriens de  nos  géants  d'auterfoés  et  des  der- 
niers géants  de  chez  nous,  au  cimetière  mo- 
derne de  Sancoing  d'où  l'on  voit  les  remparts 
de  Gargantua  reconstitués  d'après  des  reliefs 
existant  encore  et  des  documents  conservés 
par  la  tradition  orale i52 


Nogent-le-Rotrou,  impr.  Daupeley-Gouverneur. 


D 


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PN  Baffierj  Jean 

57  Ko s  géants  d'auterfoés 

G37B3 


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