Skip to main content

Full text of "Notices biographiques du Gard (Canton de Bagnols)"

See other formats


NOTICES 

BIOGRAPHIQUES 


DU   GARD 


B  A  G  N  C)  L  S 


I  M  P  R  1  M  E  R  i  i-:     \'-'      -v  L  BAN     B  R  O  C  H  E 


NOTICES 


v-^- 


^.^  ,^.. 


BIOGRAPHlCiUES 

DU     GARD 

(CANTON  DE  BAGNOLS  ) 

Par  Léon  alègre 

OFFICIER    d'académie, 

F0NDATEX:R  de  la   bibliothèque,  du  musée   et   de  l'école  de  dessin  de  BAGNOLS, 

MEMBRE    DE    l'aCADÉMIE    DE  NIMES  ET  DE  PLUSIEURS  SOCIÉTÉS   SAVANTES. 


«  L'amour  de  ma  patrie  et  le  désir  de 
»  lui  être  utile  ont  donné  naissance  à 
»  cet  ouvrage.  »    Ménabd. 

(Préface  de  i Histoire  ilt  Nimes). 

Cuii/tie  sxium. 


l'OM  t:  II 


BAGNOLS 

AUGUSTE    BAILE,    LIBRAIRE-ÉDITEUR 

3,  Place  Saint-Jean^  3 


i  ■>  :;  : 


?1974 

%/fS/7Y  Of  ^^ 


ûc 


3/¥â^f 


LACROIX     JEAN-PIERRE-JOSEPH-ANTOINE) 

PEINTRE 

Né  à  Bagnols  le  lo  septembre  i-jcSi 
Mort  à  Nîmes  le  g  août  nSS'j 


,Es  individualités  douées  d'une  aptitude  artistique  se 
(rencontrent  souvent,  mais  la  Providence  est  avare 
jd'hommes  de  génie.  L'intelligence  du  grand  art,  le 
'pouvoir  de  traduire  par  le  dessin,  la  plume  ou  la 
couleur,  par  le  burin  ou  le  ciseau,  une  pensée,  une  expres- 
sion, un  acte,  n'est  pas  donné  à  chacun  de  nous.  Le  Gard  a 
fourni  des  peintres  tels  que  Re3-naud,  Subleyras,  Sigalon,  Bou- 
coiran  et  plusieurs  artistes  modernes  renommés  (  i  )  ;  mais 
notre  canton  peut-il  citer  un  nom  réellement  illustre  ?  — 
Jusqu'ici  nous  disons  hardiment  :  non.  Toutefois,  il  est  bon 
de  faire  revivre  le  souvenir  d'un  compatriote  qui  a  essayé  de 
sourire  à  la  muse  de  la  peinture. 

Jean-Pierre-Antoine-Joseph  Lacroix,  était  négociant,  mar- 
chand drapier,  établi  à  la  Grande  rue  (2).  Sur  la  porte  de  sa 
maison  se  balançaient,  chaque  semaine,  des  numéros  en  série, 

(1)  JIM.  Jalabeit,  Jourdan^  Roybet,  Doze,  J.  Salles,  Simil  et  le  jeune  Bous- 
chet,  professeur  à  Paris,  etc.,  etc. 

(2)  Maison  Borie,  marchand  d'étoffes,  m  19,  Grande  rue. 

Le  nom  de  M,  Lacroix,  père,  est  souvent  cité  dans  nos  Annales  historiques  de 
Bdrjnols. 


6  NOTICES     BIOGRAPHIQUES 

lesquels  étaient  attendus  impatiemment,  observés  avec  convoi- 
tise et  anxiété.  C'était  là  le  bureau  de  Loterie  royale^  étrange 
institution  que  les  gouvernements  de  l'Europe  ont  fait  dispa- 
raître comme  immorale,  alors  que  l'Italie  seule,  la  conservait 
à  Rome  jusqu'à  ces  derniers  temps  (i).  Une  loterie  organisée 
qui  ruinait  des  familles  et  conduisait  à  la  misère  certains  fous 
que  la  crédulité  aux  oracles  des  songes  poussait  aux  dernières 
limites  de  la  prodigalité  !  !  ! 

M.  Lacroix  avait  ouvert,  au  Collège,  une  classe  de  dessin.  A 
cette  époque  les  prospectus  scolaires  portaient  encore  ces 
mots  :  «  Les  arts  d'agrément^  dessin,  musique,  sont  à  la 
charge  des  parents  ».  —  Comme  si  le  dessin  ne  devait  pas 
plutôt  être  compris  dans  les  études  de  première  utilité  !  Comme 
s'il  était  possible  de  se  passer  du  dessin  dans  toutes  les  pro- 
fessions de  la  vie  :  d'ignorer  les  principes  d'un  art  destiné  à 
former  le  goût  de  chacun,  celui  du  maître  qui  veut  com- 
mander, celui  de  l'ouvrier  qui  doit  exécuter  les  commandes  ? 

«  Le  dessin  est  la  langue  de  l'industrie  »,  a  dit  un  historien 
célèbre  (2). 

On  avait  donc  alors  des  «  maîtres  de  dessin  »  pour  les  enfants 
des  riches  ;  mais  à  quoi  se  bornaient  les  soins  du  professeur  ? 
—  à  faire  exécuter  un  joli  sujet;  à  faire  lui-même,  la  moitié 
de  l'ouvrage,  à  encadrer  le  beau  travail  et  à  l'olïrir,  pour  leur 
fête,  à  des  parents  vaniteux,  émerveillés...  Sur  vingt  élèves, 
deux,  tout  au  plus,  persévéraient  et  dix  ans  après,  pouvaient 
encore  se  souvenir  de  leurs  succès  \  les  autres  restaient  totale- 
ment étrangers   à   l'art  :    et    la    preuve   en   est    dans   le  goût 

(1)  A  Paris,  la  Loterie  fut  établie  eii17')7.  Les  })rodLiits  devaient  servira 
l'amorrissement  des  rentes  de  l'Hùtel-de-Ville. 

(2)  M.  Victor  Duruy,  depuis  niiuistre  de  riustruclion  publique. 

Au  Congrès  des  Ecoles  de  18G8  (Paris),  un  des  vœux  a  été  formulé  en  ces 
termes  : 

((  Comme  l'étude  du  dessin  est  d'une  utilité  générale,  son  enseignement  doit 
devenir  o])ligatoire  dans  un  système  bien  compris  d'instruction  publique,  au 
môme  titre  que  l'écriture  et  la  grammaire.  » 

On  devrait  dire  :  L'enseignement  de  la  science  etno/i  de  l'art  du  dessin., 


LACROIX  7 

déprave  qui  présidait  plus  tard,  à  la  décoration  ridicule  de  leur 
demeure,  à  l'achat  d'images  enluminées,  de  gravures  mons- 
trueuses et  bizarres.  De  là,  le  goût  faussé,  généralement  ré- 
pandu dans  un  pays,  où  ce  n'était  qu'à  de  rares  intervalles 
seulement  que  des  objets  d'art  perfectionnés  faisaient  leur 
apparition. 

On  appelait  cela  dessiner  et  faire  école  :  eh  bien,  nous  ne 
jetons  pas  brutalement  la  pierre  à  tous  les  professeurs  de  ce 
temps  :  s'ils  ont  fait  quelque  peu  de  mal,  ils  ont  fait  aussi 
beaucoup  de  bien,  car  le  bon  M.  Lacroix,  dont  nous  venons 
d'écrire  le  nom  était  assurément  le  plus  consciencieux  des 
maîtres.  Son  enseignement  fut  toujours  méthodique  et  pré- 
cis (i). 

Une  discipline  parfaite  régnait  dans  la  classe  :  les  conseils 
paternels  y  étaient  abondamment  fournis  et,  de  plus,  afin  de 
maintenir  le  silence,  le  maître  faisait,  lui-même,  la  lecture 
de  quelques  pages  de  l'histoire  des  Peintres.  Ainsi  tout  en 
esquissant  une  tête,  tout  en  crayonnant  patiemment  des 
hachures  correctes,  les  élèves  retenaient  le  nom  des  grands 
artistes  et  de  leurs  œuvres  capitales  '2'. 

M.  Lacroix  était  peintre...  Après  181 5,  lorsque  les  grandes 
guerres  furent  terminées,  la  France  sembla  retrouver  son  calme 
d'autrefois.  Le  clergé  reprenait  une  influence  favorable  aux 
beaux  arts  ;  nous  devrions  dire  :  à  la  décoration  des  églises. 
Alors    nos  peintres   de  la   province,  Calvier,    de  la  Drôme, 

(1)  Il  était  basé,  pour  le  tracé  d'ensemble,  sur  l'emploi  des  lignes  droites  et 
l'appréciation  de  l'ouverture  des  angles.  Lacroix  procédait  par  grandes  masses  et 
arrivait  progressivement  aux  détails.  L'étude  du  dessin  était  fondé  sur  la  géométrie. 

(2)  Dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  Lacroix  se  plaisait  à  citer  comme  son 
meilleur  élève,  Camille  iloipicplan.  M.  Roqueplan  père  (jui,  pendant  jtlusiéurs 
années  a  été,  à  lîagnols,  employé  des  contiibutions  indirectes,  lit  élever  ses 
fils  au  Collège,  L'un  et  l'autre  ont  conservé  de  ce  pays  un  excellent  souvenir, 
qui  s'est  traduit  par  le  don  à  la  Bii)liolhèque  de  (juelques  volumes,  de  la  part  du 
littérateur  Nestor  et  par  l'offrande  au  Musée  d'une  toile  de  Camille,  — don  de 
Madame  .\myot,  leur  sœur.  Camille  Roqueplan  a  laissé  au  Musée  de  Versailles 
quelques  tableaux  d'histoire  très  l'emarquables, 


8  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Fleuriot,  de  Vaucluse,  Jusky,  de  Pont-Saint-Esprit,  reçurent 
des  commandes  :  il  en  fut  de  même  à  Bagnols.  M.  Lacroix, 
pour  le  Gard  ou  pour  l'Hérault,  produisit  un  grand  nombre 
de  tableaux  d'église,  fit  de  bons  portraits,  couvrit  de  vastes 
carrés  de  toiles,  exécuta  beaucoup  de  copies  :  mais  ces  copies 
étant  faites  le  plus  souvent  d'après  des  gravures  noires, 
l'artiste  inventait  un  coloris  de  fantaisie  et  ne  pouvait,  de  la 
sorte,  faire  qu'une  œuvre  fort  incomplète. 

Cependant  nos  autels  étaient  parés  de  cadres  ainsi  exécutés  : 
rex  dono  aiictoris  les  accompagnait  généralement.  Cette  indi- 
cation n'a  pas  trouvé  grâce  devant  l'inflexible  rigueur  des 
fabriciens  et  des  curés  (i)  qui  peu  après  ont  fait  le  vide  :  ils 
ont  substitué  aux  œuvres  de  Lacroix  des  toiles  données  par 
l'État  et  traitées  par  des  peintres  plus  connus.  Pourquoi  n'a- 
t-on  pas  conservé  les  moins  imparfaites  de  ses  œuvres  ?  Ce 
manque  de  déférence  pour  les  auteurs  ne  peut  que  décourager 
les  donateurs  futurs  (2). 

Nous  le  disons  encore  une  dernière  fois  :  soumettons-nous 
au  contrôle  des  gens  de  goût  et  ne  substituons  plus  les  articles 
à  la  mode^  — aux  objets  d'une  valeur  réelle,  et  précieux  surtout 
par  les  souvenirs  qui  s'3^  rattachent. 

Aux  administrations  jalouses  des  progrès  artistiques  et  in- 
dustriels dans  les  masses,  à  ceux  qui  ont  à  cœur  de  voir  le 
génie  de  l'art  français  planer  au-dessus  des  nationalités  voi- 
sines et  rivales,  nous  dirons  :  créez  des  musées  cantonaux  ; 
dans  toutes  les  écoles,  mettez  sous  les  yeux  des  jeunes  élèves 
des  gravures,  des  tableaux  qui  attirent  les  regards  ;  propagez 
l'étude  des  arts  du   dessin,  vous  aurez  fait  naître  le  bon  goût. 

(i)  C'est  à  l'un  des  derniers  que  l'on  doit  la  dispersion  des  anciens  tableaux 
de  Romain,  de  Jean  Jean,  de  Coulon.  M.  B. . .  vendit  pour  cent  francs  au  curé 
de  Calvisson  (Gard)  le  Christ,  V Assomption,  de  Lacroix  et  la  sainte  Victoire,  de 
sa  fille  Sérapliine  !.. . 

(,2)  Le  fondateur  du  Musée  de  Bagnols,  ancien  élève  de  M.  Lacroix,  a  tenu  à 
posséder  une  œuvre  de  cet  artiste  de  mérite  :  un  saint  Gérôme  en  prière,  offert 
par  Mademoiselle  Lacroix  (sœur  saint  Benoît),  supérieure  de  Saint-Maur  à 
Toulon. 


LACROIX  9 

En  en  développant  les  principes  chez  les  adultes,  vous  aurez 
rendu  service  à  l'ouvrier,  vous  l'aurez,  pour  ainsi  dire,  enrichi, 
puisque  vous  abre'gerez  et  faciliterez  son  travail,  en  lui  rendant 
la  main  habile  et  le  coup-d'œil  juste.  Vous  aurez  empêché  des 
actes  d'un  regrettable  vandalisme  ;  vous  aurez  trouvé  un  agréa- 
ble passe-temps  pour  les  oisifs  ;  vous  aurez  peut-être  moralisé 
plus  d'un  indifférent,  en  faisant  respecter  les  objets  anciens  et 
estimer  les  œuvres  belles  et  parfaites  des  artistes  modernes. 

Lacroix  avait  épousé  Mademoiselle  Anne-Claire-Henriette 
Charamaule,  de  Montpellier.  La  famille  Lacroix  qui  a  disparu 
de  Bagnols,  alla,  vers  i83o,  se  fixer  au  château  de  Beau- 
champ  (i),  domaine  qui  fut  vendu  en  i85o.  Après  lui, 
Lacroix  n'a  laissé  qu'un  fils  :  Félix,  avocat,  qui  a  été  successi- 
vement magistrat  aux  colonies  et  notaire  à  Toulouse. 

Une  de  ses  filles  a  épousé  M.  Ollivault  du  Plessis,  ins- 
pecteur des  télégraphes  ;  une  autre,  religieuse  de  Saint-Maur, 
est  aujourd'hui  supérieure  à  Toulon  ;  Tainée  avait  épousé  le 
docteur  Chaffin. 

(1)  Le  domaine  de  Beauchamp,  commune  d'Ucliaux  (Vaucluse),  dépendait  de 
la  baroniiie  de  Sérignan,  appailenanl  à  Diane  de  Poitiei's  ;  il  fui  vendu  à 
la  famille  Lacroix  par  M.  de  iMassilian.  —  V.  Nut.  hist.  et  gcnéal.  sur  la 
famille  de  Massillan,  par  L.  d'AII)iousse.  Uzès,  1877,  p.  9.  —  M.  d'Aibiousse 
épousa  Mademoiselle  de  Massillan,  de  la  1  tranche  de  Monljtellier. 


LADROIT    (JEAN-BAPTISTE) 

DOCTEUR-MÉDECIN,    MAIRE 

A^é  à  Bagnols  le  lo  avril  ijjo 
Mort    à    Bagnols    le    8  juillet    i838 


rNCiEN  maire  de  la  ville  de  Bagnols,  médecin  habile  et 
^recherché  dans  la  contrée,  Jean-Baptiste  Ladroit 
(appartenait  à  une  honorable  famille  vouée  au  com- 
«merce.  En  1778,  son  père  était  marchand  de  soie.  Le 
négoce  n'était  alors  peut-être  ni  lucratif,  ni  favorisé  par  la 
clientèle,  puisque  le  i5  avril,  nous  voyons  MM.  Jean-Bap- 
tiste Ladroit,  père  et  fils,  concourir  aux  enchères  publiques 
pour  la  levée  de  la  taille.  Parmi  les  oblateurs,  ils  furent  ceux 
dont  l'offre  était  la  plus  profitable  à  la  communauté  :  c'est  à 
5  deniers  par  livre  qu'ils  consentirent  à  percevoir  les  im- 
pôts (i). 

L'emploi  de  collecteur  volontaire  était,  avant  1789,  fort 
recherché  \  des  nobles  même  prenaient  part  à  la  lutte  ; 
le  titre  témoignait  de  l'honorabilité  du  fonctionnaire  et  de 
plus,  celui-ci  était  assuré  de  jouir  d'un  bénéfice  réel. 

Donc,  le  jeune  Ladroit  ne  devait  point  être  destiné  au 
commerce  :  son  père   ambitionnait  pour  lui  une  position  qu'il 


(1)  V.  Bagnols  en  i781. 


12  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

estimait  supérieure  à  celle  de  négociant.  L'élève  se  mon- 
trant aussi  intelligent  que  laborieux,  on  en  fit  un  étudiant  en 
médecine.  Jean-Baptiste  fut  envo3''é  cà  Lyon  :  son  temps  était 
consciencieusement  emplo3^é  à  la  Faculté  et  dans  les  hôpitaux, 
où,  après  plusieurs  années  de  travaux  sérieux,  il  exerça  comme 
médecin-major. 

Jeune  encore,  Ladroit,  enthousiaste  et  novateur,  se  faisait 
remarquer  par  son  grand  sens  et  son  esprit  cultivé  :  ses  études 
favorites  étaient  la  philosophie  et  les  belles-lettres.  Il  se  sentait 
entraîné  vers  toutes  les  théories  séduisantes  de  l'école  moderne. 

Nous  le  voyons  à  cette  époque  ([8ot)\  pendant  les  quelques 
mois  de  vacances  qu'il  passait  à  Bagnols,  organiser  des  soirées 
charmantes,  dans  lesquelles  les  personnes  de  la  société  jouaient 
des  pièces  de  théâtre.  Acteur  très-distingué  lui-même,  on  cite 
le  rôle  d'Othello  qu'il  remplit  à  la  perfection,  grâce  à  la  façon 
magistrale  avec  laquelle  il  interpréta  la  tragédie  de  Ducis, 
et,  aussi,  grâce  aux  séductions  de  sa  personne  :  sa  tète  brune, 
accentuée,  expressive,  produisit  sur  l'auditoire  une  impression 
indescriptible.  C'était  bien  là  le  maure  de  J\'}usc. 

Mais  Ladroit  ne  devait  point  encore  se  fixer  à  Bagnols  :  il 
retourna  à  Lyon,  où,  bientôt  après,  il  choisit  une  compagne 
selon  son  cœur  (i'.  Le  séjour  d'une  grande  ville  allait  à  ses 
goûts  aristocratiques  et  libéraux  tout  à  la  fois.  Son  intérieur 
était  charmant,  heureux,  et  cependant  ses  amis  d'enfance 
l'engagèrent  à  revenir  à  Bagnols.  Abandonnant  alors  une 
clientèle  nombreuse  et  sympathique,  il  se  laissa  gagner  par 
les  Marsial,  par  les  Gensoul  et,  vers  1810,  nous  le  retrouvons 
dans  sa  ville  natale. 

La  réputation  de  chirurgien  habile  qui  l'avait  précédé,  se 
confirma  et  l'ancien  major  des  hôpitaux  de  Lyon  fut  fort  re- 
cherché, même  dans  la  banlieue.  A  Bagnols,  il  était  devenu 
populaire  et  il  jouissait  de  l'cstinie   générale,  aussi,   malgré  la 

(1)  Madame  veuve  Anne  Bihet,  sœur  de  la  mère  de  MM.  Flandrin,  peintres. 


LADROIT  l3 

menace  des  tapageurs  affolés  de  i8i5  (i),  quand,  en  1819,  le 
gouvernement  de  la  Restauration  l'appela  aux  honorables 
fonctions  de  maire,  le  pays  sut  exprimer  bruyamment  son 
enthousiasrne. 

Le  docteur,  comme  homme  politique  appartenait  cependant 
au  parti  avancé  :  ses  opinions  s'étaient  déjà  énergiquement 
manifestées,  au  sein  du  conseil  municipal  et  nous  expliquons 
le  remplacement  de  M.  Fourcheut,  maire,  par  l'influence  que 
prit  le  parti  libéral  dans  cette  année  mémorable  de  i8ig,  où, 
sous  le  ministère  Dessoles-Decaze,  le  système  de  bascule  eut 
tant  d'oscillations  variables. 

Au  mois  d'août,  M.  Ladroit  était  installé  :  dès  cette  époque 
les  affaires  prirent,  à  Bagnols,  une  toute  autre  activité.  Un 
des  premiers  soins  du  nouveau  maire  fut  de  s'occuper  de 
l'instruction  publique  :  de  l'école  primaire,  de  l'enseignement 
mutuel. 

Nos  compatriotes  ne  liront  pas  sans  intérêt  le  résumé  de  la 
séance  du  8  juillet  1819. —  «  Le  maire  dit:  —  que  les  avan- 
tages précieux  de  l'enseignement  mutuel  (2),  sont  connus  ;  — 
que  le  gouvernement  l'a  sanctionné,  et  qu'il  serait  profitable 
au  pays  de  propager  l'instruction  et  d'ouvrir  la  porte  des 
sciences  à  toutes  les  classes  des  citoyens,  sur  lesquelles  indif- 
féremment et  sans  prédilection  la  nature  a,  dans  l'ordre  moral, 
départi  les  mêmes  faveurs  ;  que  ce  serait  contrarier  ses  vœux 
et  créer  un  système  barbare  et  anti-social  d'empêcher  à  la 
classe  peu   fortunée  les  moyens  de  développer  ses  talents...  » 

«  Que  dans  le  siècle  des  lumières  et  sous  un  gouvernement 
constitutionnel  et  libéral,  il  est  très  intéressant  de  mettre  tous 


(1)  V.  ^'ot.  hiûg.  de  IJomparil,  T.  I.  p.  113. 

(2)  La  méthode  de  Lancasti'c  avait  réussi  eu  Augleterre  et  semblait  ue  pou- 
voir être  applicable  chez  nous.  Elle  a  été  cependant  préconisée  en  France  dès 
1815  par  des  prêtres  pieux  et  compétents...  Malgré  cela,  dès  1829,  le  nombre  des 
écoles  diminua  :  le  clergé  leur  était  opposé.  En  1830,  ce  mode  d'enseignement 
fut  mis  en  faveur  par  le  parti  libéral  ;  mais,  bientôt,  la  concurrence  de  l'ensei- 
gnement des  Frères  prévalut. 


14  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

les  sujets  à  même  de  connaître  l'étendue  de  leurs  droits,  ainsi 
que  de  leurs  devoirs,  pour  exercer  les  uns  avec  une  sage  mo- 
dération et  remplir  les  autres  avec  une  sévère  exactitude.  » 

Le  Conseil  adopta  à  l'unanimité  le  projet  présenté  par  le 
Maire  et  l'on  parut  se  mettre  à  l'œuvre. 

Le  25  juillet,  le  Conseil  délibère  de  réparer  le  pont  de  Bagnols, 
en  chaussant  la  voie  de  deux  mètres  et  en  établissant  des  en- 
corbellements, afin  de  faciliter  le  passage  des  voitures. 

On  changea  l'abattoir,  relégué  à  la  Poulagière,  près  des 
Récollets,  depuis  que  le  Banc-Clos  avait  été  enlevé  à  la  rue  de 
l'horloge.  L'établissement  fut  placé  au  Posterlon  ;  là,  il  était 
mieux  à  la  portée  des  eaux  du  ruisseau  et,  quoique  encore  trop 
rapproché  de  la  ville,  on  avait,  dans  le  nouveau  local,  plus  de 
ressources  et  surtout  plus  de  propreté.  L'inauguration  eut  lieu 
en  1820.  Un  grand  bal  fut  donné  dans  l'intérieur  et,  naturel- 
lement ce  furent  les  intéressés  des  deux  sexes  qui  en  firent  les 
honneurs  et  les  frais. 

En  la  même  année,  M.  Ladroit  proposa  d'élargir  l'entrée  de 
la  Grande  rue  du  côté  de  la  Place.  Il  s'agissait  d'abattre  la 
maison  Thibaud,  d'ouvrir  la  rue  de  l'Horloge  et  de  la  raccorder 
avec  la  place  du  Collège,  alors  moins  vaste  (i). 

Toujours  dans  la  même  année  1820,  la  ville  s'imposa  de 
2,000  francs  de  contributions  extraordinaires  et  1,000  francs 
ordinaires  pour  avoir  des  fonds  destinés  à  paver  les  rues.  Ce 
fut  là  une  excellente  mesure,  car  les  anciennes  pierres  ou 
cailloux,  ne  présentaient  partout  que  des  irrégularités,  des 
vides,  des  espaces  boueux,  impraticables  par  la  plus  petite 
averse. 

C'est  encore  M.  Ladroit  qui  voulut  élargir  la  rue  des  Péni- 
tents, allant  de  l'Église  à  la  Grande  place.  Cette  issue  n'avait 
alors  que  trois  mètres,  elle  en  a  aujourd'hui  cinq. 

Mais  comme  embellissement  de  la  ville,  une  des  améliora- 


(1)  V.  Not.  biog.  de  Samin.  —  Ce  projet  d'élargir  l'entrée  de  la  Grande  rue, 
en  achetant  la  maison  Thibaut,  couvait  depuis  longues  années. 


L ADR  OIT  l5 

tions  capitales  fut  l'ouverture  de  la  promenade  de  Bourgneuf, 
que  l'on  nomme  aujourd'hui  :  Cours  Ladroit.  A  cette  époque, 
la  plaifie  était  loin  de  présenter  l'animation  qu'elle  a  de  nos 
jours  :  on  voyageait  moins,  il  est  vrai  ;  la  malle  et  les  chaises 
de  poste,  sans  s'arrêter  sur.  la  place,  se  rendaient  par  la  porte 
de  la  Nation  —  petite  fontaine  —  à  la  station  du  relais  (i). 
Les  hôtelleries  n'offraient  pas  les  dehors  confortables  et  at- 
trayants d'aujourd'hui.  L'ancien  hôtel  de  Conty,  devenu  hôtel 
du  Louvre,  était  le  rendez-vous  aristocratique.  Uauberge  du 
Coq  (2)  était  fréquentée  par  le  petit  nombre  de  commerçants 
qui  venaient  à  Bagnols.  L'avenue  du  Pont,  bordée  de  quelques 
maisons  seulement,  n'existait  que  comme  grande  route,  et 
l'espace  vide,  devant  la  porte  de  la  Grande  rue  n'était  point 
égayé  par  les  ouvertures  pratiquées  dans  l'épaisseur  des  rem- 
parts; ce  côté  de  la  ville  était  appelé  à  cause  de  cela  :  la  plaine 
de  Bourgneuf.  M.  Ladroit  voulut  embellir  ce  quartier  qui 
semblait  encore  porter  trop  bien  son  nom  de  bourg  neuf, 
c'est  à  dire  un  faubourg  ébauché. 

A  l'ouest  de  la  Place,  était  une  vaste  terre  à  blé,  appartenant 
à  M.  Joseph  Vernet  :  c'est  là  que  le  Maire  avait  résolu  d'éta- 
blir un  cours.,  planté  d'arbres.  L'administrateur  avisé  s'était 
prémuni  des  fonds  nécessaires  à  cette  acquisition,  faite  le  3  mai 
1823,  en  employant,  là,  le  prix  de  la  vente  de  certains  terrains 
communaux  incultes,  dont  le  produit  ne  fut  point  placé  en 
rentes  sur  l'État.  Bientôt  tout  fut  achevé  :  les  jeunes  platanes 
nous  promettaient  des  feuilles  et  les  bancs  de  pierre  attendirent 
les  promeneurs. 

Mais  il  est  difficile  de  changer  les  habitudes  de  toute  une 
population  ;  nos  compatriotes  étaient  casaniers  alors  :  on  ne 
vint  à  la  promenade  que  par  curiosité;  puis,  peu  à  peu,  le  goût 
ne  pouvant  se  généraliser,  on  délaissa  bientôt  ce  cou?^s  ;  et 
l'espace  fut  envahi  pas  les  joueurs  de  boules.  Les  bancs  de 
pierres,  désormais  inutiles  ou  superflus,  ont  été  enlevés,  et  les 

(1)  V.  Not.  biog.  IVuno  Gensoul,  T.  I,  p.  251. 

(2)  Cotte  hôtellerie  n'avait  pas  alors  l'importance  d'aujourd'hui. 


l6  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

troncs  des  malheureux  platanes  sont  restés  exposés  aux  chocs 
des  globes  de  buis  lancés  par  des  joueurs  opiniâtre-s  et  mala- 
droits. Le  Maire  qui  ouvrit  la  promenade  ne  prévoyait  pas 
cette  façon  de  déshonorer  un  lieu  destiné  au  plaisir  plus  ou 
moins  innocent  d'exhiber  sa  toilette  et  de  faire  la  gymnastique 
du  va  et  vient,  parfois  monotone  (i). 

M.  Ladroit,  dans  son  enthousiasme  d'innovation  résolut  de 
bâtir,  entre  la  route  et  la  promenade,  un  café  :  Le  Pavillon 
chinois^  —  dont  la  location  est  une  source  de  revenu  pour  la 
ville.  A  côté  de  ce  café,  fut  creusé  un  puits  sur  lequel  on  éleva 
une  tour  chaperonnée  et  dans  la  tour  on  posa  une  pompe  (2). 

Notre  édile  ambitionnait  le  titre  de  :  curator  aquarum  ;  il 
s'occupa  de  la  petite  fontaine,  excavation  inférieure  de  deux 
mètres  au  sol  environnant  et  qui  rappelait,  en  petit,  le  beau 
bassin  naturel  de  \d.  grancCfont .  M.  Ladroit  fit  voûter  (3)  l'ori- 
fice qui  encombrait  les  abords  de  l'église  des  Carmes  et  éleva 
aussi,  sur  le  milieu  de  la  place  une  fontaine  monumentale 
alimentée  par  une  double  pompe  à  bras.  Une  inscription  com- 
mémorative  a  longtemps  relaté  l'époque  de  la  construction  et 
le  nom  de  M.  Ladroit,  maire,  mais  l'indifférence  des  bagnolais 
avait  négligé  de  conserver  ce  souvenir  à  nos  compatriotes  ; 
depuis  peu,  cependant,  l'administration  locale,  (M.  Vignal, 
maire),  a  voulu  s'occuper  du  monument  et  en  a  restitué  l'ins- 
cription en  même  temps  qu'on  améliorait  le  mécanisme  de  la 
pompe. 

Vers  cette  époque,  M.  Ladroit  prit  une  mesure  qui  ne  pou- 
vait qu'être  approuvée,  bien  qu'elle  réduisît  les  recettes  de  la 
ville.  Avant  qu'il  entrât  à  la  mairie,  il  existait  au   cimetière, 


(1)  A  cet  exercice  hygiénique  la  population  —  homine.s  —  préfèn;  stationner 
de  longues  heures  autour  d'une  table  de  café. 

(2)  Le  loyer  du  café  valait  à  celte  époque  400  fr.  Aujourd'hui  il  a  atteint  le 
chiffre  de  2,550  fr.  La  pompe  a  été  déplacée  et  la  fontaine  remaniée  en  1879. 

(3)  Un  se  demande  pourquoi  le  bassin  de  la  grande  fontaine  n'est  pas  voûté  ? 
Plusieurs  administrations  ont  cependant  évo(|ué  cette  mesure  urgente  et  obtenu 
des  votes  favorables. 


[-ADROIT  17 

comme  ligne  de  démarcation,  une  muraille  d'environ  un  mètre 
de  hauteur,  allant  de  l'ouest  à  l'est,  sur  toute  la  superficie  du 
terrain.  D'un  côté,  était  le  cimetière  des  riches;  de  l'autre,  celui 
des  pauvres.  Le  maire  voulut  niveler  le  champ  des  morts  :  il 
demanda  que  du  moins,  sur  cette  terre  bénite,  l'égalité  la  plus 
absolue  régnât  pour  tous  nos  compatriotes  qui  n'achète- 
raient pas  une  concession  :  la  ville  entière  applaudit  à  cet 
arrêté. 

Le  26  septembre  1824,  le  Conseil  délibéra  de  présenter  une 
adresse  à  Charles  X,  sur  la  mort  du  roi  Louis  XVIII  :  «  Ce  roi, 
était  l'amour  de  ses  sujets,  Charles  X  en  sera  l'idole...  »  la 
délibération  ne  porte  ni  le  nom  ni  la  signature  de  M.  Ladroit, 
maire. 

L'administrateur-médecin  s'était  fait  beaucoup  d'amis,  mais 
il  avait  aussi  plus  d'un  ennemi  acharné.  Hélas,  c'est  triste  à 
dire  :  mais  l'espèce  humaine  est  ainsi  faite,  que  ceux-là  même 
qui,  gratuitement  se  dévouent  pour  les  autres,  sont  vilipendés 
par  ceux  auxquels  ils  font  du  bien  ;  heureusement  que  les  na- 
tures d'élite  ne  se  laissent  point  arrêter  par  l'injustice  des 
appréciateurs  et  qu'elles  poursuivent  jusqu'au  bout  leur  tache 
avec  courage  et  dévouement. 

A  cette  époque,  l'on  désignait  M.  Ladroit  comme  un  libéral: 
cette  appellation,  incomprise  par  le  plus  grand  nombre,  signi- 
fiait pour  quelques-uns  :  sceptique,  voltairien,  révolutionnaire. 
Ses  opinions  lui  créaient  des  sympathies  parmi  les  gens  instruits 
et  éloignaient  de  lui  les  ignorants  que  l'on  endoctrinait. 
C'était  donc  pour  rallier  les  tièdes  qu'il  était  l'ardent  protecteur 
des  écoles.  Il  s'intéressait  vivement  au  Collège  et  partant  à 
l'Université.  En  1825,  c'est  lui  qui  défend  l'établissement  quand 
le  sous-préfet  dUzès  demande,  pendant  deux  fois,  la  suppres- 
sion de  l'allocation  communale.  En  cette  année,  le  Collège  était 
de  plein  exercice.  Le  jour  de  la  distribution  des  prix,  il  n'était 
pas  rare  d'entendre,  après  un  discours  latin  du  professeur  de 
rhétorique,  M.  Ladroit  prononcer  une  harangue  humanitaire 
T.  II  2 


15  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

qu'il  avait  déjà  adressée  aux  frères  de  la  loge  maçonique  :  La 
sincère  amitié  (i). 

M.  Ladroit  dut  quitter  la  gestion  des  affaires  de  la  ville  en 
1826  ;  l'avènement  du  roi  Charles  X  et  la  constitution  du 
ministère  Villèle  ne  laissant  plus  d'espoir  au  parti  libéral. 

Faisons  trêve  au  récit  des  actes  administratifs  de  M.  Ladroit, 
maire,  et  rentrons  discrètement  dans  quelques  détails  de  sa  vie 
privée.  Nous  l'avons  dit  plus  haut,  le  docteur  s'était  marié  à 
L3^on.  La  sœur  de  Madame  Ladroit,  Madame  Flandrin,  veuve 
d'un  peintre  en  miniature  assez  renommé,  avait  trois  fils  :  tous 
trois  étaient  nés  avec  des  dispositions  heureuses  pour  la  pein- 
ture. Déjà  poussés  par  l'amour  de  l'art,  deux  des  trois  neveux 
àt  M.  Ladroit,  après  leurs  premiers  succès  aux  écoles  de  Lyon, 
avaient  osé  s'aventurer  à  Paris,  où  ils  étaient  admis  à  l'école 
des  Beaux-Arts.  Déjà  le  cadet,  Hippolyte,  était  entré  dans 
l'atelier  de  M.  Ingres.  Ces  jeunes  artistes  aimaient  à  venir 
passer  leurs  vacances  à  Bagnols.  (2)  Nous  nous  souvenons  de 
les  avoir  vus,  alors  et,  de  loin,  nous  les  regardions  avec  une 
curiosité  respectueuse,  stationner  dans  la  campagne,  devant  un 
site  pittoresque,  en  compagnie  de  leur  ami  Tony  de  Roussel... 
La  réputation  des  artistes  Lyonnais  s'était  répandue  dans  la 
ville,  o\i  les  plus  heureux  pouvaient  admirer  les  portraits 
qu'ils  firent  alors  (3). 

Ce  ne  fut  que  vers  i835  que  nous  eûmes  l'honneur  de  faire 
la  connaissance  personnelle  de  MM.  Hippolyte  et  Paul  Flan- 
drin.  Avec  leur  bienveillance  habituelle,  ils  daignèrent  tous 

(1)  En  1825  la  loge  était  établie  à  la  Poulagière  (maison  et  jardin  Jullien,  de 
C.husclan).  Sous  l'Empire,  les  francs-maçons  se  réunissaient  au  Collège  au 
deuxième  étage,  salle  centrale,  côté  ouest. 

(2)  Les  frères  Flandrin  aimaient  beaucoup  fiagnols,  dont  ils  parlaient  avec 
enthousiasme.  Ils  y  avaient  passé  les  plus  belles  années  de  leur  vie^  Hippolyte 
était  trop  modeste  pour  rêver  alors  la  gloire  dont  son  nom  illustre  est  entouré  !... 
et  Paul,  encore  aujourd'hui,  ne  parle  jamais  sans  émotion  de  la  douce  quiétude 
qu'il  a  goûtée  dans  la  maison  de  son  oncle  Ladroit  aux  bords  paysagers  de  la  Cèze. 

(3)  M.  et  Madame  Marsial,  à  la  fabrique;  M.  de  Roussel,  consul  général  à 
Smyrne. 


LADROIT  ig 

deux,  nous  encourager  et  nous  donner  d'excellents  conseils... 
Nous  acquittons  ici  une  dette  de  reconnaissance,  en  remerciant 
ces  illustres  maîtres  de  l'amitié  dont  il  nous  ont  honoré  depuis. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  prouvera  assez  que  la  maison 
hospitalière  de  M.  Ladroit  était  le  rendez-vous  des  amis  des 
arts  et  de  toutes  les  personnes  de  distinction  de  Bagnols  ou  des 
environs. 

Mais  notre  compatriote  allait  de  nouveau  se  trouver  à 
la  tête  de  l'administration,  car  les  trois  glorieuses  journées^ 
comme  on  les  appelait  alors,  avait  lui  sur  la  France.  La 
révolution  de  Juillet  i83o  venait  d'ébranler  l'Europe  entière. 
A  M.  Ladroit,  patriote  éprouvé,  revenait  l'honneur  de  ceindre 
i'écharpe  tricolore.  A  une  période  de  calme  et  de  tranquillité 
apparente,  succédait  une  ère  de  mouvement  intellectuel  : 
M.  Ladroit  était  le  pilote  indiqué  pour  manœuvrer  sur  la 
Cèze    la  barque  de  notre  petit  Bagnols. 

Ici,  nous  retrouvons  le  même  homme.  En  reprenant  les 
affaires  municipales,  il  voulut,  comme  en  iSiq,  s'occuper  de 
l'instruction.  Il  engagea  M.  l'abbé  Salles,  à  accepter  une 
seconde  fois  la  direction  du  Collège,  qu'il  avait  été  forcé 
d'abandonner  depuis  deux  ans,  à  la  suite  des  demandes  de 
l'Evêque  de  Nîmes.  On  sait  qu'appuyé  par  l'administration 
locale,  Mgr  de  Chaffoy,  voulait  y  établir  un  petit  séminaire. 

A  peine  M.  Ladroit  a-t-il  réalisé  cette  notable  amélioration 
dans  l'intérêt  de  ses  administrés,  que  nous  remarquons  l'élan 
patriotique  du  premier  magistrat  dans  l'adresse  que  le  Conseil 
envoya  le  20  octobre  à  S.  M.  le  Roi  des  Français;  on  y  lit 
ces  mots  :  —  «  En  acceptant  la  couronne  vous  avez  sauvé 
la  France  de  l'anarchie  et  vous  avez  comblé  en  même  temps 
tous  les  vœux  des  Français...  En  France  et  en  Exil  vous  avez 
toujours  eu  l'âme  française...  Seul,  vous  avez  compris  la 
Nation...  V.  M...  s'est  empressée  de  proclamer  que  la  Charte 
serait  désormais  une  vérité...  C'est  le  palladium  de  notre 
bonheur...  Nous  saluons  lepremierroi  citoyen  dans  la  dynastie 


20  NOTICKS    BIOGRAPHIQL'ES 

générale  des  rois...  Comme  votre  aïeul  Henri  IV...  vous  êtes 
déjà  l'idole  des  Français...  » 

Le  maire  ne  visait  pas  exclusivement  aux  aspirations  poli- 
tiques? il  devenait  volontiers  administrateur  pratique,  intelli- 
gent, actif,  comme  les  maires  devraient  être  tous. 

La  sollicitude  de  l'autorité  municipale  inspira,  en  décembre, 
la  création  de  deux  ateliers  de  charité,  un  pour  les  travaux  de 
remblai  de  la  voie  publique,  Tautre  pour  le  cardage  des  fri- 
sons. ([)  M.  Ladroit  comprenait  que  la  vie  d'un  homme 
public  est  dans  les  actes  même  de  son  administration  :  il 
savait  (et  il  en  était  heureux),  se  multiplier  à  l'occasion.  On  le 
voyait  au  chevet  d'un  malade,  en  ville,  puis,  peu  après,  exer- 
çant son  talent  de  chirurgien  dans  une  localité  du  voisinage, 
puis  attelé  bravement  au  char  municipal  qu'il  dirigeait  à 
souhait. 

Une  délibération  du  3  mai  i832,  témoigne  de  sa  vive  préoc- 
cupation des  intérêts  de  ses  chers  bagnolais.  Le  maire  provo- 
qua un  vote  de  2,000  francs  en  prévision  de  l'invasion  du  choléra 
morbus  qui  désolait  alors  certaines  contrées  de  la  France...  le 
docteur,  parfaitement  secondé  au  sein  du  Conseil  municipal 
prévoyait  tous  les  soins  à  prodiguer  aux  pauvres  si  le  malheur 
venait  à  frapper  notre  ville. 

C'est  encore  sous  l'inspiration  de  M.  Ladroit  que  le  i*^'* 
juillet  i832,  le  Conseil  vota  une  adresse  au  Roi,  sur  les  évé- 
nements des  journées  de  juin,  5  et  6.  —  «  Deux  factions,  faibles 
mais  audacieuses  appellent  la  guerre  civile...  l'une  couverte  de 
sang  et  de  crimes  voulait  relever  cet  étendard  dont  le  souvenir 
épouvante  encore  la  France,  l'autre  incorrigible,  sans  pré- 
voyance, prétendait  nous  ramener  de  nouveau  une  famille  qui 
n'a  jamais  su  comprendre  nos  besoins,  ni  nos  vœux...  La 
France  veut  votre  dynastie.  Sire...,  il  faut  punir  les  factieux 
quelque  soit  le  masque  dont  ils  se  couvrent.  «  Voilà  quelle 
était  la  note  dominante  du  Conseil  municipal  d'alors. 

(1)  Nous  touchons  laux  dernirros  années  de  ce  commerce  lucralif. 


LA  DROIT  2  1 

Cependant  nos  édiles  ne  se  préoccupaient  pas  seulement 
d'embellir  la  cité,  ils  cherchaient  le  moyen  de  relever  son  in- 
fluence parmi  les  villes  voisines.  De  là,  la  demande  adressée 
le  14  janvier  i833  :  —  désigner  Bagnols  comme  le  centre  où 
il  serait  bon  d'établir  une  chambre  de  commerce.  Les  cantons 
de  Pont-Saint-Esprit,  Roquemaure  et  Villeneuve-les-Avignon 
seraient  groupés  au  nôtre.  Il  est  facile  de  deviner  qu'elle  était, 
alors,  la  haute  influence  de  laquelle  on  attendait  le  succès  : 
c'était  celle  de  notre  député,  le  légiste  éminent  qui,  deux  ans 
plus  tard,  devint  l'un  des  ministres  de  Louis-Philippe. 

M.  Ladroit  avait  à  cœur  de  parachever  l'œuvre  de  M.  Ma- 
dier,  son  prédécesseur,  en  appliquant  une  roue  hydraulique,  en 
fer  à  la  grande  fontaine  (i). 

C'est  encore  M.  Ladroit  qui  provoque  la  fondation  d'une 
quatrième  foire  :  le  premier  mercredi  de  janvier. 

C'est  le  maire  qui  songea  sérieusement  à  établir  trois  fon- 
taines, à  la  place  du  Puech,  à  Bourgneuf  et  à  la  Poulagière. 

C'est  lui  qui  augmenta  de  dix  le  nombre  des  réverbères, 
trop  rares,  moins  clairsemés,  pourtant,  qu'en  1787,  époque  où 
il  n'}^  en  avait  que  trois. 

Enfin  c'est  à  son  patriotisme  qu'est  due  l'adresse  du  Conseil, 
après  l'attentat  du  28  juillet  iS35,  où  nos  élus  disaient  :  — 
«  La  Providence  n'a  pas  permis  qu'un  crime  inirouvable  dans 
les  fastes  de  l'Histoire,  reçut  son  exécrable  exécution...  »  — 
(Machine  Fieschi). 

A  l'âge  de  soixante-huit  ans,  après  une  vie  honorable  et  la- 
borieuse, s'il  en  fut,  M.  Ladroit  s'éteignait  au  milieu  de  ses 
amis  et  de  ses  concitoyens  reconnaissants,  Dans  sa  famille,  les 
bons  soins  du  docteur  Dupin,  son  neveu,  ne  purent  lutter 
contre  le  mal  qui  l'enleva  à  toutes  ses  affections  intimes.  La 
mort  vint  le  frapper  le  8  juillet  i838.  On  lui  fit  des  funérailles 
dignes  d'un  maire  regretté  et  d'un  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur,  car  cette  haute  distinction  était  venu  récompenser 

(1)  Au-dessus  de  Tancien  abreuvoir.  —  V.  Biog.  Madier,  T.  II, 


22  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

sa  longue  existence  toute  dévouée  à  ses  concito3Tns.  Disons-le 
en  terminant  :  M.  Ladroit  avait  des  qualités  précieuses  :  — 
Administrateur,  il  était  serviable,  comme  nul  autre  ; —  Méde- 
cin on  le  voit  toujours  généreux  envers  les  pauvres  qui  le  con- 
sultaient :  précieux  exemple  dont  la  tradition,  dans  le  pays, 
ne  s'est  point  perdue  chez  ses  confrères,  (i)  En  un  mot,  nous 
avons  vu,  en  toute  occasion,  M.  Ladroit  encourager  les  idées 
de, progrès  et  couvrir  de  son  bienveillant  patronage  tous  ceux 
de  nos  compatriotes  qui  avaient  besoin  de  son  concours  ou 
de  son  appui. 

M.  Ladroit  mourut  sans  postérité.    Sa  maison   est  habitée 
par  Madame  Dupin,  sa  nièce  et  son  héritière  (2). 

(1)  Donnons  ici  un  souvenir  à  nos  amis  les  docteurs  Gensoul,  Dujiin,  Mailet, 
Boissin  et  Saint-Auban  qui  nous  ont  déjà  dit  adieu. 

(2)  Grande  rue,  n"  il. 


LEBRE    (ANTOINE) 

COLONEL 

A'é  à  BaL>-iioIs  le  25  novembre  ijya 
Mort    à    Pau     le     7    décembre    i86-j 


,E  16  juillet  1789  U1I  jeune  bagnolais  quittait  sa  ville 
I natale  pour  se  rendre  à  Nîmes,  afin  de  s'engager 
jdans  le  12^^  bataillon  de  chasseurs  de  Roussillon. 
■Nous  le  voyons  bientôt  à  la  frontière,  prenant  une 
part  active  aux  opérations  des  troupes.  Il  se  conduisait  en 
brave.  Ses  anciens  compagnons  d'armes,  qui  en  conservèrent 
le  souvenir,  applaudissaient  à  sa  belle  conduite  :  ce  jeune 
homme  se  nommait  Antoine  Lèbre.  Il  était  alors  d'un  carac- 
tère concentré,  assez  peu  communicatif  :  deux  ans  plus  tard, 
les  volontaires,  partis  avec  lui,  le  perdirent  de  vue,  on  en 
parla  peu  dans  le  pays,  il  n'}^  est  jamais  retourné  depuis  (i). 

Qu'était  devenu  Antoine  Lèbre  ?  —  Une  feuille  publique,  le 
Mémorial  des  Basses-Pyrénées  de  1867  nous  l'apprend  ;  et 
faute  de  relations  avec  la  famille  de  ce  glorieux  survivant  de  la 
grande  armée,  c'est  au  moyen  d'un  document  éphémère  que 
nous  établirons,  en  quelque  sorte,  les  états  de  service  de  cet 
oublieux  mais  illustre  compatriote. 

(1)  La  famille  Lèbre  est  aujourd'hui  représentée  à  Bagnols  par  MM.  Granier, 
Césarin  et  Raoux. 


24  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Antoine  Lèbre  naquit  à  Bagnols,  le  25  novembre  1772,  de 
Guillaume  et  de  Marie  Ventailla  ;  son  père  était  cultivateur. 
Agé  de  dix-sept  ans  à  peine  il  entrait  dans  la  carrière  des  armes. 
Grâce  à  son  intelligence  et  à  sa  bravoure,  dans  une  époque  de 
continuels  combats,  il  franchit  rapidement  les  grades  infé- 
rieurs ([)  et  mérita  les  épaulettesde  capitaine  au  siège  d'Ancône 
le  12  vendémiaire  an  VIII. 

Lèbre  lit  toutes  les  campagnes  de  1792  jusqu'à  Tan  VI,  à 
l'armée  du  Rhin  :  il  s'y  distingua  par  son  courage  et,  entr'au- 
tres  exploits,  il  fit,  de  sa  main,  cinq  prisonniers  à  Kaiserslau- 
tern.  Sachons  dans  quelle  circonstance  s'opéra  le  fait  d'armes, 
le  troisième  complémentaire  de  l'an  II,  —  19  septembre  1792, 
—  les  mémoires  du  temps  nous  l'apprennent  (2). 

«  On  sait  que  dès  la  veille  les  Prussiens,  voyant  que  l'armée 
de  la  Moselle  avait  dégarni  le  point  de  Kayserslautern  pour 
rapprocher  une  partie  de  ses  forces  de  Trêves,  se  détermi- 
nèrent à  s'ébranler  afin  d'aller  ruiner  les  boulangeries  et  les 
autres  établissements  français. 

«  D'autre  part,  dix  mille  Autrichiens  couvraient  le  flanc  de 
cette  expédition  :  le  prince  de  Hohenlohe  à  Goelheim  et  le 
général  Blucher,  au  pied  des  Voges,  attendaient. 

«  Les  Français,  s'apercevant  de  ces  mouvements  offensifs, 
résolurent  de  les  prévenir  en  attaquant  eux-mêmes  les  Autri- 
chiens. Six  bataillons  détachés  du  corps  d'armée,  se  portèrent 
le  18  septembre  sur  la  brigade  de  Woss,  campée  sur  le 
Schoerlberg.  Ne  s'attendant  pas  à  être  attaqués,  les  Autrichiens 
furent  d'abord  surpris,  les  Français  égorgèrent  les  avant-postes 
et  pénétrèrent  jusque  dans  le  camp,  sans  avoir  éprouvé  de 
résistance.  Mais  ce  succès  fut  de  courte  durée.  Les  Autrichiens, 
ralliés  fondirent,  à  leur  tour,  sur  les  assaillants  qui  furent 
obligés  d'abandonner  la  position  et  de  se  retirer. 

«  Les  Français  de  la  division  Desaix  se  retranchèrent  avec 

(1)  Voir  ci-apiès  la  noie  A. 

(2)  Victoires  H  anniuêtes  des  Français,  T.  jll,  p.  165, 


LEBRE  2D 

soin  sur  les  hauteurs  de  Kayserslautern,  où,  bientôt  accables 
par  le  nombre,  dans  un  combat  meurtrier  livre  à  la  baïonnette, 
ils  évacuèrent  les  deux  villages  qu'ils  occupaient.  » 

C'est  pendant  cette  retraite  glorieuse  que  notre  héros,  alors 
lieutenant,  accomplit  le  fait  d'armes  mentionné  dans  ses  états 
de  services.  Suivons  notre  brave  compatriote  à  l'armée  d'Italie. 

Il  était,  avons-nous  dit  plus  haut,  en  l'an  VIII,  à  Ancône, 
lorsque  cette  capitale  de  la  Délégation  pontificale  soutint  pen- 
dant trois  mois  un  siège  mémorable.  C'était  à  la  fin  de  1799, 
la  ville  et  le  port  étaient  en  la  possession  du  général  Victor 
depuis  deux  ans,  lorsqu'une  escadre  turco-russe,  un  corps 
nombreux  d'insurgés  italiens  et  une  armée  autrichienne 
vinrent  assiéger  la  faible  garnison  française. 

Encouragés  par  leur  digne  chef,  l'intrépide  Monnier,  les 
2,000  hommes  ne  consentirent  à  ouvrir  leurs  portes  que  lors- 
qu'il ne  fut  plus  humainement  possible  de  résister.  La  capitu- 
lation la  plus  honorable  leur  fut  accordée. 

Lorsque  le  commandant  de  l'artillerie  autrichienne  vint 
constater  l'état  des  forts  et  des  magasins,  les  brèches,  les 
décombres,  le  restant  de  la  poudre  avariée,  les  pièces  démon- 
tées, il  ne  put  s'empêcher  de  témoigner  son  admiration,  et  dit 
en  se  retirant,  aux  officiers  français  :  «  Il  n'y  a  pas  de  reçu  à 
vous  donner.  Messieurs,  vous  n'avez  conservé  que  la  gloire, 
nos  reçus  n'y  ajouteraient  rien.  » 

Lèbre  fut,  un  des  premiers,  créé  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur,  le  27  frimaire  an  XII. 

Le  5  pluviôse  an  XIII,  nous  le  trouvons  aide-de-camp  du 
général  Espagne.  Il  passe  capitaine  dans  l'ex-garde  de  Naples 
le  26  septembre  i8o(3,  et  il  est  promu  au  grade  de  chef  de 
bataillon  dans  le  régiment  des  voltigeurs  de  l'ex-garde  royale 
d'Espagne  le  14  mars  1809.  En  1812,  il  était  major  dans  ce 
même  régiment  ;  il  prend  part  à  toutes  les  opérations  de  la 
guerre  de  la  Péninsule.  Rentré  au  service  de  la  France  et 
admis  avec  son  grade  de  major,  Lèbre  reçoit  le  grade  de  co- 


26  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

loncl  dans  le  14*^  régiment  de  voltigeurs  de  la  garde  impériale, 
le  17  mars  1814. 

Louis  XVIII  le  nomma  chevalier  de  Saint-Louis  le  29  octo- 
bre de  la  même  année.  Du  14^  régiment  de  voltigeurs,  Antoine 
Lèbre  passa  colonel,  à  la  suite,  de  l'ex-yi'"'-^  de  ligne  et  le  17 
mars  181 5  le  roi  lui  remit  la  croix  d'officier  de  la  Légion 
d'honneur. 

Après  trente  ans  de  service,  notre  compatriote  fut  mis  à  la 
retraite  en  1820-,  mais  Theure  du  repos  n'avait  pas  sonné  dé- 
finitivement pour  lui,  et  onze  ans  plus  tard  le  Gouvernement 
de  Juillet,  appréciant  ses  mérites,  le  rappelait  en  activité  et  lui 
confiait  le  poste  de  Commandant  de  place  à  St-Jean-Pied-de- 
Port,  poste  qu'il  occupa  jusqu'en  iN35.  Ce  brave,  un  des  héros 
de  la  grande  épopée  de  la  République  et  du  premier  Empire, 
méritait  une  haute  récompense  :  elle  vint  le  trouver  dans  sa 
vieillesse.  Un  décret  impérial  du  3  octobre  i858,  lui  accorda 
la  croix  de  commandeur  de  la  Légion  d'honneur  et  couronna 
ainsi  une  carrière  toute  consacrée  au  paN's. 

Oui,  et  nous  ajouterons,  nous  :  «  consacrée  à  la  France  «  c'est 
le  devoir  de  tout  bon  cito3'en  et  le  colonel  Lèbre  l'avait 
accompli  !  !  !  Mais  sa  patrie  réelle,  mais  la  ville  qui  l'a  vu 
naître,  pourquoi  n'a-t-elle  jamais  pu  jouir  du  triomphe  d'un 
de  ses  plus  glorieux  enfants  :  Lèbre  n'était-il  pas  un  bel 
exemple  à  donner  à  la  génération  d'aujourd'hui,  si  peu  entraî- 
née vers  les  nobles  élans  patriotiques  !  Cette  réflexion  pleine 
d'amertume  et  de  regrets  nous  a  toujours  profondément  con- 
tristé...  Bagnols,  qui  ne  fut  jamais  ingrat,  ne  méritait  pas  ce 
semblant  d'iujure  et,  nous  le  disons  en  patriote  convaincu  :  le 
souvenir  des  hommes  tels  que  l'honorable  colonel  Lèbre  ne 
doit  point  être  oublié.  Si  de  nouveaux  liens  de  famille  semblent 
condamner  tels  de  nos  concitoyens  à  vivre  éloignés  de  nous, 
comme  en  une  sorte  d'exil,  rappelons  leur  mémoire  et  léguons 
à  la  postérité  l'exemple  de  leur  bravoure  militaire  et  de  leurs 
vertus  civiques. 

Le  colonel  Lèbre  est  mort  dans  sa  qô'"*^  année:  nous  savons 


LEBRE 


27 


qu'il  a  laissé  des  fils  et  des  petits-fils,  avocats  ou  militaires,  qui 
vivent  encore  et  ont  fait  souche  à  Pau,  où  ils  continueront 
les  traditions  d'honneur  qu'il  leur  a  léguées. 


NOTE 

(A,  p.  24.)  —  Lèbre  s'engagea  le  16  juillet  1789  au  12«ba(aillon  de  chasseurs 
de  Roussillon.  Incorporé  dans  la  12c  demi-brigade  d'infanterie  légère,  devenue 
le  16e  régiment  d'infanterie  légère,  il  devint  caporal-fourrier  le  1er  avril  1791, 
sergent  le  1er  juin  de  l'année  suivante,  et  fit  la  campagne  de  1792  à  l'armée  du 
Rhin.  Le  15  mars  1793,  promu  au  grade  de  sergent-major,  il  continua  à  servir 
à  l'armée  du  Rhin  pendant  les  camiiagnes  de  1793  à  Tan  II.  Sous-lieutenant  le 
8  brumaire  an  II,  il  fut  nommé  lieutenant  le  28  fructidor  suivant...  (Extrait  du 
Panthéon  de  la  Léijiua  dlioaneur,  T.  IV). 


LEVI    BEN   GERSON 

PHILOSOPHE,     ASTRONOME    ET    MEDECIN 

Né  à  Bagiiols  en  12S8 
Morl  à  Perpignan  l'ers  iSjo 


I  les  archives  municipales  de  Bagnols  se  taisent 
sur  la  colonie  israélites  qui,  pendant  le  moyen-âge, 
florissait  dans  la  cité,  la  tradition  et  le  nom  de  cer- 
taines rues  de  la  ville  en  perpétuent  le  souvenir.  En 
etlet,  dans  le  Balneolum  antique,  le  Baniolas  du  xiii^'  siècle,  le 
Baignolz  de  i63o  et  le  Bagnols  d'aujourd'hui,  on  a  conservé 
les  rues  de  Jérusalem  et  de  la  Juiverie. 

Nous  le  savons  par  l'histoire  générale  de  la  province  :  dans 
plusieurs  villes  du  midi  de  la  France,  les  Juifs  comptèrent  plus 
d'une  académie  célèbre;  depuis  Perpignan  jusqu'à  Valence. 
Pour  ne  parler  ici  que  de  la  région  languedocienne,  citons 
Narbonne,  Béziers,  Lunel  et  Posquières  (aujourd'ui  Vauvert). 
A  leur  tour,  Nimes,  Uzès,  Bagnols  et  Pont-Saint-Esprit,  (où 
une  synagogue  existait  encore  il  y  a  peu  d'années),  durent  être 
habités  par  des  rabbins  plus  ou  moins  distingués.  Nous  ne 
pouvons  nous  défendre  d'un  légitime  orgueil,  en  comptant 
parmi  nos  compatriotes,  un  des  philosophes  les  plus  illustres 
de  l'école  juive,  Levi  ben  Gerson^  dont  un  auteur  moderne  (i) 

(I)  S.  Munck,  Mélmujes  de  philosophie,  \^.  497,  501,  avec  notes. 


3o  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

n'a  pas  craint  de  dire  :  «  Celui  qui,  comme  philosophe  et 
exégète,  (i)  obscurcissait  tous  ses  contemporains  fut  Levi  ben 
Gerson,  de  Bagnols,  appelé  maître  Léon,  sans  contredit  un 
des  plus  grands  péripatéticiens  du  xiv'^  siècle,  et  le  plus  hardi 
de  tous  les  philosophes  juifs.  » 

On  ne  connaît  exactement  ni  l'année  de  sa  naissance  ni  celle 
de  sa  mort  ;  (2)  bien  plus,  certains  auteurs  n'ont  pu  préciser 
si  R.  Levi  était  né  en  France  ou  en  Catalogne.  Cependant, 
outre  les  assertions  de  plusieurs  écrivains  dignes  de  foi,  ce  que 
nous  établirons  plus  bas  en  faveur  de  notre  Bagnols,  permettra 
au  lecteur  de  se  prononcer,  avec  nous,  pour  l'affirmative. 

J.  B.  de  Rossi,  dans  son  Di^ionario  Storico  degli  autori 
ebrci  c  dellc  loro  opère  (3),  cite  notre  Rabbin  (4)  et  dit  : 
Gersonide  Levi,  appelé  encore  R.  Léon  de  Baniolas  ou  de 
Bagnols  (5)  parce  qu'il  est  né  cians  cette  ville  de  Propeuce.  » 
Nous  cro3'Ons  inutile  d'ajouter  ici  que  jadis  toute  la  contrée 
méridionale  portait  le  nom  de  Province  romaine,  d'où  nous 
est  venu  le  nom  de  Provence,  aujourd'hui  exclusivement  ré- 
servé au  territoire  situé  sur  la  rive  orientale  du  Rhône. 

J.  Fùrst,   dans    sa  bibliothéca  judaïca    (6)   parle    aussi  de 

(1)  Exégète,  se  dit  de  l'interprèle  (lui  se  consacre  à  rexplicalion  dos  diffé- 
rentes parties  de  la  Cible. 

(2)  Selon  le  livre  You^hasin,  dit  Munk,  Levi  serait  mort  à  Perpignan  en 
1 370  :  date  bien  reculée  puisque  ses  observations  astronomiques  s'arrêtent 
à  13/..0. 

{?>)  Parme,  1802,  2  vol.  in-8,  T.  I,  p.  12G.  De  Rossi  affirme  cette  date  sur 
la  loi  d'une  noie  trouvée  dans  un  manuscrit  de  l'aritbmétique  de  Levi. 

(4)  Rabbin,  litre  des  savants  Juifs,  équivalant  à  celui  de  docteur  :  écrivains 
qui  ont  commenté  la  Bible.  Aujourd'hui  ce  sont  les  docteurs  du  culte  judaïque, 
placés  à  la  tête  des  communautés  :  on  les  appelle  Rabbi  :  Rabbi  Aron,  à  Nîmes, 
que  nous  remercions  ici,  de  son  obligeance,  à  propos  de  cette  notice. 

(5)  Au  xiiie  siècle  les  noms  des  villes  ou  d'endroits  apparaissent  liés  à  ceux 
des  personnages.  Cela  tient,  dit  Basnage  {Hist.  des  Juifs,  L.  X,  cli.  ix),  à  ce 
qu'alors  on  commençait  à  prendre  des  surnoms,  et  comme  les  nobles  les  tiraient 
des  liefs  et  des  terres  qu'ils  possédaient,  les  gens  de  lettres  les  empruntaient  à 
l'endroit  où  ils  étaient  nés.  Les  commentateurs  juifs  citent  R.  Levi  sous  le  nom 
de  Ralbag,  initiales  de  Rabbi  Levi  ben  Gerson. 

(G)  T.  I,  p.  82. 


LEVI     BEN    GERSOX  3l 

Provence,  mais  par  une  singulière  contradiction,  cet  auteur 
allemand  ajoute,  en  note  :  «  Léon  de  Bagnols  est  né  en  1288  à 
Bagnolas,  non  loin  de  Girona  ».  Or  le  Balneolum  catalan, 
situé  à  quarante  kilomètres  de  Barceionne,  n'a  jamais  été  cité 
pour  avoir  possédé  de  colonie  Israélite.  Toutefois,  puisque 
nous  sommes  certain  d'une  date,  sachons  d'où  venaient  les 
juifs  du  midi  et  qu'elle  3'  était,  à  cette  époque,  la  position  des 
différents  groupes  Israélites  ? 

Au  temps  de  César  et  d'Auguste,  les  Juifs  étaient  déjà  im- 
plantés à  Rome,  mais  après  la  ruine  de  Jérusalem  par  Titus, 
ce  peuple  se  dispersa  dans  le  monde  entier  :  la  Gaule  narbon- 
naise,  à  cause  de  son  état  prospère,  attira  les  Israélites  de 
très  bonne  heure.  Leurs  établissements  commerciaux  et  leurs 
écoles  de  Lunel,  Narbonne,  Béziers,  paraissent  aussi  anciens 
que  ceux  de  Tolède  et  de  Cordoue.  Dès  1009  ils  ouvrirent  à 
Nîmes  une  synagogue,  (i)  Ce  fut  au  commencement  du  xi*" 
siècle  que,  de  l'Orient,  ils  vinrent,  en  grand  nombre,  chercher 
un  asile  en  Espagne.  Là,  voués  spécialement  à  la  culture  des 
arts  de  l'esprit  et  à  la  pratique  du  commerce,  ils  formaient  un 
lien  nécessaire  entre  les  chrétiens  et  les  mahométans.  On  sait 
que,  par  leur  intermédiaire,  surtout,  les  sciences  métaph3'si- 
ques  et  naturelles  se  répandirent  dans  l'Europe  occidentale. 

Les  Juifs  s'adonnaient  à  l'étude  de  la  médecine,  mais  ils 
avaient  une  préférence  pour  celle  des  livres  saints,  ils  étaient 
savants  dans  la  loi  avant  d'être  savants  médecins  et  savants 
astronomes.  Tel  était,  dit  l'abbé  Rouet  (2)  le  trait  qui  distingue 
les  écoles  établies  par  les  juifs  en  Espagne  et  dans  notre  Midi. 

Jusqu'au  xni^  siècle  les  Juifs  avaient  été  successivement 
chassés  et  tolérés  dans  le  nord  de  la  France.  ALais  lorsque  en 
1270  le  Languedoc  fut  réuni  au  domaine  de  la  Couronne,  les 

(1)  En  1161,  l'Université  de  Posquières  était  déjà  célèbre. 

Ci)  Élude  snr  V Ecole  juive  de  Lunel,  par  l'abbé  Rouët  ;  Montpellier,  !  vol. 
in-8.  L'auteur  a  bien  voulu  oflVir  à  la  Bibliothèque  de  Bagnols  un  exemplaire 
de  son  intéressant  volume.  —  lîemercîments  empressés.  L.  A. 


32  ^«JOTICFSBIOGRAPHIQUES 

mêmes  lois  régirent  les  synagogues  de  la  contrée  :  Montpellier 
était  alors  la  ville  de  prédilection  des  nombreuses  familles 
professant  le  culte  Israélite  (i). 

En  atteignant  le  xiv^  siècle  nous  voyons  Philippe-le-Bel 
favorable  aux  Juifs  :  il  défendit  de  les  emprisonner  et  les  dé- 
chargea de  quelques  impôts.  Cependant  en  i3ii  il  les  chassa 
de  France  et  par  le  fait  de  cette  proscription,  les  écoles  méri- 
dionales devinrent  désertes  et  les  jeunes  israélites,  durent  se 
diriger  momentanément  vers  le  sol  hospitalier  de  l'Espagne. 
Le  fils  de  Philippe  IV^,  Louis-le-Huttin,  rappela  les  juifs  par 
une  ordonnance  de  juillet  i3i5,  mais  ce  rappel  dissimulait  le 
désir  de  s'emparer  des  biens  qu'ils  possédaient. 

En  i3i8  Philippe  V,  le  Long,  leur  ordonna  de  porter  sur 
leurs  habits  des  marques  distinctives  :  une  rouelle  d'étoffes 
mi-partie  de  rouge  et  de  blanc,  de  la  grandeur  du  grand  sceau 
du  roi  (2). 

Si  les  rois  de  France  se  montraient  sévères  et  intéressés, 
les  papes  devinrent  bienveillants  et  protecteurs.  Jean  XXII,  à 
Avignon,  refusa  de  confisquer  les  biens  des  Juifs  convertis  au 
christianisme  et  les  défendit  contre  le  roi,  lequel,  malgré  l'in- 
tercession papale,  les  condamna  à  une  amende  de  i5o,ooo 
livres  parisis. 

Lorsqu'en  1348  la  peste  fit  de  si  effrayants  ravages  dans  le 
Midi,  (3)  on  accusa  les  Juifs  d'avoir  empoisonné  les  fontaines. 
La  population  crédule  manifesta  aussitôt  sa  haine  contre  les 
israélites  et  exerça  partout  une  terrible  vengeance  contre  eux. 
Le  roi  leur  ordonna  d'émigrer  ou  de  se  convertir  au  christia- 
nisme. Mais  dès  i352,  après  la  cessation  du  fléau,  les  esprits 
s'étant  calmés,  les  Juifs  furent  autorisés  à  rentrer  dans  Nîmes. 

(1)  Gallia  christiana,  T.  III,  p.  1143. 

(2)  Ménard,  Hist.  de  Nhnes {ordonnnnce  renouvelée  en13i3par  le  roi  Jean). 
Preuves. 

(3)  Histoire  des  Israélites,  par  Moïse  Schwab,  p.  178.  Nous  offrons  nos 
remercîments  à  M.  Schwab,  de  la  Bibliothèque  nationale  :  ce  savant  traductenr 
du  Talinud  a  bien  voulu  nous  fournir  des  renseignemenls  précieux. 


LEVI    BEN    GERSON 


33 


En  i3Go  le  roi  Jean  II  qui  avait  un  pressant  besoin  d'argent 
ordonna  leur  rentrée  en  France,  à  la  charge  de  payer  un 
nouvel  impôt  considérable. 

Une  ordonnance  du  roi,  — 27  décembre  i362,  — signée  à 
Nîmes,  permet  aux  Juifs  l'exercice  de  la  médecine.  On  sait  que 
pendant  longtemps  les  principaux  médecins  ont  été  des  Arabes 
et  des  Juifs;  ce  furent  surtout  ces  derniers  qui  fondèrent 
l'Université  de  Montpellier  (i). 

Malgré  que  les  conciles  de  Béziers,  en  1246,  et  d'Alby  en 
1255,  défendissent  aux  chrétiens  de  se  servir  de  médecins  Juifs, 
la  nécessité  les  fit  pourtant  rechercher  toujours,  car  l'igno- 
rance des  médecins  chrétiens  était  si  grande  qu'on  dut  exiger 
d'eux,  en  i352,  licence  de  la  Faculté  pour  leur  permettre 
d'exercer  (2). 

Ce  résumé  historique  nous  a  paru  nécessaire  pour  expliquer 
au  lecteur  les  diiférentes  phases  de  l'existence  de  notre  Rabbin; 
il  nous  semble  même  opportun  d'ajouter  ces  lignes  :  —  «  Dans 
le  cours  des  xf  et  xii*^  siècles,  l'histoire  nous  fait  connaître 
plusieurs  docteurs  juifs  lesquels  ont  laissé  des  manuscrits 
précieux.  Ce  fut  à  l'époque  de  ces  savants  commentateurs  des 
livres  saints,  que,  devant  le  développement  de  l'esprit  philoso- 
phique dans  les  académies  juives  de  T Espagne,  l'orthodoxie 
des  écoles  de  la  France  méridionale  se  jeta,  par  une  espèce  de 
réaction,  dans  le  mysticisme  (3).  » 

Il  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'au  xii^  siècle  aucune  école  juive 
en  renom  n'existait  ni  à  Bagnols  ni  à  Orange.  Benjamin  de 
Tudèle  qui  visita  les  différentes   régions   du   monde  afin  de 

(1)  Histoire  de  la  commune  de  Montpelliet',  par  Germain,  p.  lxx.  —  1284. 

(2)  Nostradamus  cite  Arles,  où  un  Juif  très  instruit  mérita,  par  son  savoir, 
d'entrer  comme  médecin  dans  la  maison  de  la  reine  Jeanne. 

(3)  Nous  pourrions  rappeler  les  longues  querelles  entre  les  écrivains  juifs 
d'alors,  se  commentant  et  se  réfutant  les  uns  les  autres  :  les  Abraham  ben  David 
levita  de  Posquières,  contre  Benjamin  de  Tudèle,  Abou-Alpliarage  ou  le  Cor- 
douan  Maïmonide, 

T.   II  3 


34  Norrci'S    biographiques 

connaître  le  nombre  des  juifs  disperse's  et  aiin  de  s'informer  de 
leur  état  moral  et  religieux,  parcourait  alors  le  Midi.  Il  aurait 
assurément  remonté  le  Rhône  jusqu'à  la  Cèze,  —  au  Cicer,  — 
au  lieu  de  suivre  les  parasanges  (i),  de  Lunel  à  Posquières,  à 
St-Gilles,  à  Arles,  à  Marseille.  Nous  pouvons  donc  préjuger 
qu'en  ces  temps  reculés,  les  jeunes  Israélites  de  la  contrée 
devaient  aller  au  loin  étudier  le  Talmud  (2)  et  les  sciences 
naturelles.  L'Université  de  Posquières  leur  ouvrit  ses  portes. 
Une  sorte  de  suzeraineté  des  seigneurs  des  bords  du  Vistre, 
planait  alors  sur  notre  pays,  puisqu'une  branche  de  leur 
famille  s'était  implantée  à  Uzès  et  que,  plus  près  de  nous, 
les  Posquières  possédaient  les  terres  de  Vénéjean  et  de  Lau- 
dun  (3). 

Mais  à  l'époque  que  nous  étudions,  l'école  du  Bourg,  qui, 
depuis,  a  pris  le  nom  de  Vauvert,  avait  cessé  d'exister.  Les 
Juifs  durent  fréquenter  si  non  l'Université  de  Lunel,  où  les 
étudiants  se  rendaient  des  pays  éloignés,  ainsi  que  le  relatent 
des  historiens  dignes  de  foi  14^  mais  mieux  encore  l'école 
d'Orange,  ville  qui  parait  avoir  eu,  avec  Bagnols,  des  relations 
suivies,  puisque  des  familles  marquantes  de  l'antique  Arausio 
avaient  fait  souche  dans  nos  murs  (5). 

(1)  Parasaïuje,  mesure  de  distance  é(iuivalant  à  une  lieue  de  5  kilom.  Ben- 
jamin de  Tudèle  était  un  juif  espagnol,  marchand,  architecte  ou  médecin  qui 
entreprit  un  grand  voyage  de  1159  à  1173.  Son  Itinéraire  a  été  traduit  par 
Carmoly.  (V.  Voyageurs  anciens  et  modernes,  par  E.  Charton,  T.  II,  p.  15G 
et  suiv.). 

(2)  Le  Talnmd  est  le  livre  renfermant  tout  le  corps  du  droit  civil  et  religieux 
des  Juifs,  les  règlements  de  toutes  les  cérémonies  de  leur  culte,  les  préceptes 
qu'ils  doivent  suivre  et  leurs  usages  particuliers  C'est  d'après  eux  le  code  le 
plus  complet  de  la  doctrine  traditionnelle  et  de  leur  religion. 

(3)  G.  Charvet.  Elwle  généalogique  de  la  iwemière  maison  d'Uzès,  —  les 
évêques.  —  Bulletin  de  la  Société  scientifique  et  littéraire  d'Alais  ;  1870,  p.  32. 
—  Guillaume  de  Vénéjean,  évèque  d'Uzès,  était  de  la  famille  de  Posquières,  et 
selon  d'autres,  de  Sahran.  11  fonda,  en  1201,  la  chartreuse  de  Valbonne.  — 
V.  la  monographie  de  la  chartreuse,  par  M.  L.  iJruguier-Roure,  de  Pont-St-Esprit. 

(4)  L'abbé  Koet...  Benj.  de  Tudèle.  Loc.  cit. 

(5)  En  1115  Guillaume  III,  prince  d'Orange,  était  co-seigneur  de  Bagnols.  — 
{Tabl.  del'Hist.  drs princes  et  de  la  principauté  d'07'ange,\^ai'  'io^i'\m  de  la  Pise. 


LEVr    DEX    GKRSOX"  O.T 

Issu  d'une  famille  très  distinguée  dans  laquelle  la  culture 
des  lettres  sacrées  était  tenue  en  haute  estime,  Levi  était  fils 
de  Gerson  ou  Gherschon,  connu  par  un  livre  intitulé  :  La 
porte  des  Cieiix^  —  Schaar-Haschamajim  —  (i).  Son  grand 
père  maternel  Moïse,  fils  de  Nachman,  appelé  par  les  Juifs 
Ramban,  nom  formé  des  initiales  des  mots  Rabbi  Mose  Ben 
Nachman,  a  été  une  des  plus  grandes  gloires  de  la  s3'nago- 
gue  (2). 

Celui  que  les  historiens  ont  appelé,  plus  tard,  Gersonide^  ou 
Léo  Hebrœus^  habita  tour  à  tour  Bagnols,  Orgon,  Avignon  et 
Perpignan.  Munk  ajoute  qu'il  résida  dans  une  ville  qu'il  ap- 
pelle :  ville  de  l'Hysopo,  qu'on  a  traduit  par  Vaison  (3).  Quant 
à  sa  vie  personnelle,  elle  n'est  guère  plus  connue  que  celle  de 
la  plupart  des  docteurs  juifs  du  mo3'en-âge.  Voué  tout  entier 
à  ses  études,  il  ne  cherchait  pas  à  faire  connaître  son  nom,  à 
jouer  un  rôle,  à  faire  briller  ses  connaissances  qui  étaient 
pourtant  variées  et  profondes.  Gersonide,  en  effet,  n'était  pas 
seulement  un  théologien  et  un  exégète  de  première  force,  il 
était  encore  médecin,  naturaliste,  astronome  et  un  des  plus 
grands  péripatéticiens  du   xiv^'  siècle.  Mais  malgré  son  grand 

—  La  Haye,  1C39).  —  Nous  rappellerons  ici  les  seigneurs  de  Lange  :  on  voit  à 
Bagnols  la  rue  de  Lange  et  à  Orange  un  faubourg  du  même  nom.  —  Au  com- 
mencement du  xive  siècle  les  princes  d'Orange  étaient  Bertrand  IV,  des  Baux  et 
après  lui  Raymond  V. 

(1)  Eist.  lift,  de  Nîmes,  par  Michel  Nicolas,  T.  I,  p.  130.  Remercîments  à 
l'auteur,  aujourd'hui  professeur  de  philosophie  à  Montauban.  —  V.  Bartoloccio. 
Magna  bibUoth.  rabbinica,  T.  I,  p.  733-731. 

(2)  V.  Bartoloccio.  Loc.  cit.  T.  iV,  p.  il  1 .  —  «  Il  était  d'une  famille  de  savants,  » 
comme  le  prouve  la  mention  qu'il  fait  souvent  dans  ses  commentaires  des 
remarques  sur  l'exégèse  de  son  père  et  bien  que  plus  rarement  de  son  grand- 
père.  »  V.  le  vol.  du  doc,  M.  Joël,  de  Breslau,  1862,  p.  6.  Documents  relatifs 
à  l'histoire  de  la  philosophie  de  l'Exégèse  philosophique  du  moyen-àge. 

(3)  Elle  a  donné  son  nom  à  plusieurs  auteurs  juifs  surnommés  Ezobi  (Bernard 
de  Valabrègue  a  émis  cette  opinion).  V.  la  notice  française  en  tète  du  manusc. 
hébreu  no  79  de  l'ancien  fond  de  la  Bibl.  de  Paris.  —  Joël  dit  «  que  Gersonide 
préférait  vivre  dans  les  localités  soumises  aux  rois  de  Provence^  aux  papes,  ou 
soumis  à  l'influence  de  ces  hommes  d'élite,  plutôt  que  de  rester  sous  la  domina- 
tion redouîable  dus  rois  de  France.  »  Loc.  cit. 


36  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

savoir  et  semblable,  en  cela,  aux  plus  hautes  illustrations  du 
moyen-àgc,  il  ne  brigua  et  n'accepta  jamais  aucun  poste 
rabbinique.  Il  mettait  à  un  plus  haut  prix  Tindépendance  de  sa 
personne  et  de  ses  idées  que  les  honneurs  et  les  émoluments 
attachés  au  rabbinat.  Au  lieu  de  se  faire  chef  d'académie, 
de  s'appliquer  à  l'enseignement  oral,  il  voulut,  comme  Mai- 
monide  et  tant  d'autres,  répandre  la  science  par  des  livres, 
afin  d'en  étendre  les  bienfaits  à  un  plus  grand  nombre  de 
personnes  (i). 

Dans  la  préface  de  son  Mirhamôth^  Levi  déplore  non  seu- 
lement les  malheurs  de  sa  nation  (la  France),  mais  ses  propres 
malheurs.  Parmi  les  différentes  causes  qui  auraient  pu  l'em- 
pêcher d'écrire  son  grand  ouvrage,  il  compte  la  misère  de  la 
situation  qui  est  telle,  dit-il,  qu'elle  semble  rendre  impossible 
la  moindre  méditation.  A  cette  époque  désastreuse  où  la  peste 
et  la  famine  ravageaient  la  contrée,  nul  n'était  sûr  du  lende- 
main. La  pratique  de  la  médecine  qui  était  sans  doute  le 
gagne-pain  de  R.  Levi,  était  généralement  interdite  aux  Juifs  : 
on  brûlait  sans  pitié  tous  les  livres  talmudistes.  La  désolation 
était  à  son  comble  parmi  les  Israélites  méridionaux.  On  ne 
saurait  donc  assez  admirer  la  force  d'àme  de  Gersonide  qui, 
au  milieu  des  plus  grandes  calamités,  au  bruit  des  orages  et 
des  tempêtes  déchaînées  contre  sa  nation,  a  pu  conserver  assez 
de  calme  et  de  liberté  d'esprit  pour  se  livrer  aux  spéculations 
les  plus  subtiles  et  les  plus  quintessenciées  (2). 

Les  biographes  rabbiniques  sont  d'accord  sur  la  durée  de 
la  carrière  littéraire  du  fils  de  Gerson  :  elle  commence  en  i32i 
et  se  termine  en  i328.  Déjà  même  en  i3i6  et  iSiy  certaines 
parties  de  son  MUliamôth-Adonaï  (3)  furent  rédigées  ou  tout 
au  moins  ébauchées.  Il  débuta  par  un  ouvrage  d'arithmétique 

(1)  Ses  ouvrages  sont  rédigés  en  hébreu;  il  connaissail  raral)e,  il  parlait  la 
langue  d'oc,  mais  on  croit  qu'il  ignorait  le  latin. 

(2)  V.  Isid.  Well,  Levi  ben  (Jerson;  introduct.,  p.  18.  —  V.  plus  bas^  p.  H. 

(3)  Q\x\q%  Combats  du  seigneur.  V.  l'édition  de  cet  ouvrage,  fol.  68G,  imprimé 
à  Trente,  par  Jac(i.  Markaria,  en   1560. 


LEVI    BEN    GERSON  :>'] 

termine  en  avril  i32i  et  consacra  tout  le  reste  de  cette  année 
et  les  deux  années  suivantes  à  l'explication  de  divers  com- 
mentaires ou  paraphrases  d'Ibn-Roschd  1 1',  sur  Aristote,  il 
aborda  ensuite  l'interprétation  de  certaines  parties  de  la  Bible 
qui  lui  permettaient  de  donner  une  libre  carrière  à  son  exégèse 
philosophique  comme  le  Cantique  des  Cantiques,  Job,  les  pre- 
miers chapitres  de  la  Genèse  et  l'Ecclésiaste  ;  en  même  temps 
il  travaillait  à  son  livre  de  MU'hamoth  dont  nous  parlerons 
plus  bas.  Après  avoir  achevé  cette  œuvre  magistrale,  il  com- 
menta successivement  les  livres  d'Esther  et  de  Ruth,  le 
Pentateuque,  les  premiers  Prophètes,  Daniel,  Ezra  et  Nehmia, 
les  chroniques  et,  en  dernier  lieu,  les  proverbes  qu'il  acheva  le 
3  iyyar  (23  avril)  i33S. 

Les  ouvrages  de  Gersonide  ont  eu  un  grand  succès  parmi 
ses  coreligionnaires  :  ils  ont  été  presque  tous  publiés  (2),  quel- 
ques-uns même  ont  eu  plusieurs  éditions  et  ce  succès,  dit 
Munk ,  est  d'autant  plus  étonnant  que  l'auteur  reconnaît 
ouvertement  la  philosophie  d'Aristote  (3)  comme  vérité  abso- 
lue et,  sans  prendre  les  réserves  que  Maimonide  avait  cru 
nécessaires,  fait  violence  à   la  Bible  et  aux    cro3'ances   juives 

(1)  Ou  AveiToès,  \\V  siî'cle  :  philosophe  arahe  dont  le  système  tendait  à  se 
répandre  dans  le  monde,  parce  qii"il  paraissait  être  l'interprète  fidèle  de  la 
pensée  d'Aristote.  I/Averroïsmepeul  se  résumer  en  deux  doctrines,  deux  grandes 
erreurs  :  lEternité  de  la  matière  et  la  théorie  de  l'intellect.  Les  chrétiens  le 
considèrent  comme  le  représentant  de  l'incrédulité  et  du  mépris  des  religions 
existantes. 

(2)  Les  œuvres  de  Levi  se  trouvent  en  grande  partie  parmi  les  manuscrits  de 
la  Bibl.  nat.  à  Paris.  Ceux  qui  se  rapportent  à  risagoge  de  Porphyre,  aux  caté- 
gories et  au  traité  de  Vinterprétatioii  ont  été  traduits  en  latin  par  Jacobo  Man- 
tino  et  imprimés  dans  le  T.  1  des  deuxièmes  éditions  latines  des  œuvres  d'Aris- 
tote avec  les  commentaires  d'Averroès. 

(3)  Aristote,  philosophe,  naturaliste,  médecin  célèbre,  vivait  384  ans  avant 
J.-G.  Sa  doctrine  repose  sur  la  perception  extérieure  et  sur  l'expérience,  par 
opposition  à  celle  de  Platon  qui  fait  naître  nos  perceptions  d'une  idée  prototype 
préexistante.  En  tout,  il  procède  par  l'analyse  et  arrive  à  la  synthèse;  c'est  là  le 
besoin  impéiieux  de  son  esprit,  le  trait  caracféi'islique  de  son  génie  II  a  fondé 
la  secte  des  Péripatéticiens,  mot  qui  signifie  :  promener  autour  ;  les  élèves  rece- 
vaient les  leçons  en  se  promenant  dans  les  salles  et  dans  les  jardins  du  Ivcée. 


38  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

pour  les  adapter  à  ses  idées  péripatéticiennes  .i).  Il  paraîtrait 
que  ses  mérites  comme  exégète  lui  firent  pardonner  ses  écarts 
comme  philosophe  et  théologien,  ou  bien  qu'à  une  époque  où 
l'étude  de  la  philosophie  était  tombée  en  décadence  et  où  les 
luttes  avaient  cessé,  on  lisait,  sans  en  comprendre  toute  la 
portée,  les  vastes  ouvrages  de  Levi,  attraj^ants  par  la  facilité  du 
style  et  la  variété  du  fond. 

L'ouvrage  le  plus  important  de  maître  Léon  de  Bagnols  est 
le  Mirhamoth-Adona'î\  le  Combat  du  Seig-iieur.  C'est  une  ex- 
plication philosophique  des  croyances  juives,  explication  bien 
autrement  hardie  que  celle  de  ]\ïahiionide  :2;.  L'auteur  y 
développe  son  système  qui  est,  en  général,  le  péripatétisme 
pur,  tel  qu'il  se  présente  chez  les  philosophes  arabes,  et  où 
il  cherche  à  démontrer  que  les  doctrines  du  judaïsme 
sont  parfaitement  d'accord  avec  ce  système.  Cet  ouvrage, 
achevé  le  8  janvier  i329,  est  divisé  en  6  livres  qui  traitent  :  — 
de  la  nature  et  de  la  destinée  de  l'âme,  du  songe,  de  la  divi- 
nation et  de  la  prophétie,  de  la  science  de  Dieu,  de  la  Provi- 
dence de  Dieu,  des  substances  célestes,  de  la  création  et  des 
miracles.  Dans  l'édition  qui  a  été  publiée  à  Rivo  di  Trento  en 
i56o  on  a  supprimé  la  première  partie  du  cinquième  livre, 
qui  forme,  à  elle  seule,  un  traité  d'astronomie  fort  étendu  et 
renferme  des  calculs  et  des  observations  propres  à  l'auteur. 

(1)  Le  docteur  de  Bagnols  s'applique  à  faire  ressortir  le  sens  littéral  du  texte 
biblique,  tel  que  le  donne  la  connaissance  des  mots  et  de  la  syntaxe  et,  en  même 
temps,  il  a  recours  à  l'Histoire  des  temps  où  chaque  livre  a  élé  écrit  pour  déter- 
miner la  signilicalion  qu'il  explique.  —  Mich.  Nicolas,  Hist.  litt.  de  Nhnes,  T.  I, 
p.  139. 

(2)  Maïmonide  médecin  du  sultan  Saladin,  publia  des  écrits  nombreux  embras- 
sant tout  le  domaine  scientifique.  Ses  deux  ouvrages  célèbres  sont  la  Main  morte 
et  le  Guide  des  égarés.  Ses  coreligionaires  l'ont  considéré  comme  la  lumière  de 
l'orient  et  de  Voccident.  Les  chrétiens  le  citent  comme  une  autorité  incontestée. 
En  1194  il  écrivit  une  lettre  au  Collège  rabbinique  de  Marseille  ;  M.  Jonas  Weyl, 
grand  rabbin,  en  a  donnée  le  premier,  une  traduction  française  :  nous  offrons  ici 
un  témoignage  de  gi'atitude  ta  ce  savant  docteur  (jui  a  bien  voulu  nous  adresser 
un  exemplaire  de  cette  lettre,  accompagnée  de  (juelques  détails  précieux  sur 
Gersonide,  Cette  lettre  est  une  critique  contre  les  superstitions  astrologiques, 
alors  en  faveur  dans  les  écoles  Juives  du  Midi. 


LEVI    BEN    GERSON 


^9 


«  Parmi  les  philosophes  juifs  du  moyen-àge  dont  les  ouvra- 
ges nous  sont  parvenus,  dit  Munk,  Levi  ben  Gerson  est  le 
premier  qui  ose  combattre  ouvertement  le  dogme  de  la  création 
ex  niJiilo.  Après  avoir  longuement  démontré  que  le  monde  ne 
peut  être  sorti  ni  du  néant  absolu  ni  d'une  matière  déterminée, 
il  conclut,  II)  qu'il  est  à  la  fois  sorti  du  néant  et  de  quelque 
chose  ;  ce  quelque  chose  c'est  la  matière  première,  laquelle 
manquant  de  toute  forme,  est  en  même  temps  le  néant.  C'est 
par  des  raisonnements  semblables  que  Levi,  sur  beaucoup 
d'autres  questions,  cherche  à  mettre  en  harmonie  sa  philoso- 
phie avec  les  dogmes  reçus  »   2). 

Une  note  de  ^lunk  ajoute  :  le  Miriiainoth  composé  en  i36 
chapitres  existe  dans  trois  manuscrits  de  la  Bibliothèque  na- 
tionale ,  dont  l'un  est  incomplet.  Après  les  observations 
générales  sur  l'utilité  et  la  difficulté  de  l'astronomie,  l'auteur 
fait  la  description  d'un  nouvel  instrument  inventé  par  lui  pour 
les  observations  astronomiques,  et  auquel  il  donne  le  nom 
de  :  découvrant  les  profondeurs.  Au  chapitre  IX  il  célèbre  cet 
instrument  par  deux  pièces  de  vers.  Dans  la  suite  de  l'ouvrage, 
il  expose  les  inconvénients  du  S3^stème  de  Ptolémée  et  de  celui 
qui  avait  été  invente  par  un  astronome  arabe  Abou-Is'hak  al 
Bitrodji  (Alpetraguis  ,  de  la  fin  du  xii'^  siècle.  Levi,  après 
avoir  montré  que  ce  svstème  est  impossible,  expose  longuement 
ses  propres  vues  sur  le  systènie  du  monde,  en  les  appuyant 
des  observations  qu'il  avait  faites  à  diverses  époques.  Il  acheva 
cet  ouvrage  le  21  kerleu  5o8c)  124  novembre  i328  ',  mais  il  le 
revit  plus  tard  et  le  compléta  dans  différents  endroits,  en 
inscrivant  successivement  ses  nouvelles  observations  qui  vont 
jusqu'à  l'an  1340.  Cet  ouvrage  devrait  occuper  une  place 
dans  l'histoire  de  l'astronomie  et  mériterait  un  examen 
approfondi  de  la  part  d'un   savant  spécial.  Pic  de    la  Miran- 


(1)  Livre  VI,  ]re  partie,  chap.  17. 

(2)  l\\m\i,  Mélawj.  de  philos.  Loc.  cit. 


40  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

dolc  (i)  qui  Is  cite  plusieurs  fois  dans  ses  disputationcs  in  astro- 
/o^mw  s'exprime  en  termes  élogieux.  «Léon  Hébreu,  homme 
distingué  et  célèbre  matJTématicien,  comme  quelqu'un  qui  a 
peu  de  confiance  dans  les  anciens,  imagina  un  nouvel  instrument 
dont  les  lois  sont,  pour  l'observateur,  d'une  subtilité  mathéma- 
tique par  excellence.  «  (2)  La  partie  qui  traite  de  l'invention  de 
R.  Levi(3),  avait  formé  un  ouvrage  à  part  lequel  fut  traduit  pour 
le  Pape.  Cette  traduction  se  trouve  à  la  Bibliothèque  natio- 
nale (4),  elle  est  terminée  par  la  note  suivante  :  —  «  un  traité 
d'instrument  astronomique  de  maître  Léon  de  Bagnols,  habi- 
tant Orange  ;5),  l'explique.  Ce  traité  a  été  traduit  de  l'hébreu 
en  latin  pour  le  souverain  pontife  et  seigneur  Clément  VI,  l'an 
de  l'incarnation  r342  et  la  première  année  du  Pontificat  du  dit 
seigneur  Clément.  » 

Pendant  la  période  qui  nous  occupe,  la  cour  pontificale 
d'Avignon  était  dans  toute  sa  splendeur  :  les  princes  de  l'Église 
choisissaient  pour  résidence  les  sites  les  plus  agréables  de  la 
contrée  ;  le  cardinal  Napoléon  — ■  Frangipani  —  des  Ursins, 
seigneur  de  Bagnols,  venait  de  mourir,  ses  neveux  se  prépa- 
raient à  vendre  leur  baronie  à  Roger  de  Beaufort  dont  le  frère 
Clément  VI  était  pape  (6). 

Notre  savant  compatriote  ne  devait  donc   point  se   trouver 


(1)  Liv.  IX,  chap.  8,  v.  Annales  de  philosoph.  chrét.  nov.  et  déc,  1878.  La 
litléralure  rabbinique  aux  moyen-âge.  Pic  de  la  Mirandole,  p.  Moïse  Schawb.  — 
Reuchlin  cite  Levi  ben  Gerson  dans  ses  œuvres. 

(2)  Léo  hehrwm  vir  insignis  et  celeber  mathcmalica  quasi  veterilms  jKtrum 
ftdeus,  excogilarit  norvm  iiistntmentuin  ciijns  vidimus  canones  muthcmatica 
suldilitnte  prœci'llentes .  » 

{?,)  Chap.  4  à  11. 

(4)  Manusc.  latins  n»  7293.  —  Le  doct.  M.  JorI  dit  (pie,  de  son  vivant,  Gersonide 
témoigna  de  la  reconnaissance  pour  le  pape  Clément  VI,  puisque  la  traduction  en 
latin  date  de  1342. 

(5)  La  ville  désignée  par  le  nom  (VAviriyca  est  Orange,  appelée  en  latin  Armi- 
sio,  et([uiau  moyen-àge  portait  aussi  lenomd'.4?irfl.s«fa  ou  Aurasinormn  civitas. 

(6)  V.  de  Baumefort.  —  Cession  de  la  ville  et  de  l'État  d'Avignon  au  pape 
Clément  VI.  —  1  v.  in-8,  1873. 


LEVI    BEN   GERSON  4I 

étranger  dans  cette  brillante  et  illustre  société  avignonaise. 
Pour  les  novateurs  tels  que  Levi  ben  Gerson,  l'époque  était 
mémorable  par  des  découvertes  et  des  événements  célèbres  :  — • 
l'usage  des  verres  à  fover,  au  profit  des  astronomes,  la  fa- 
brication des  glaces  coulées,  la  poudre  à  canon,  la  boussole 
perfectionnée,  les  notes  de  musique,  les  armes  à  feu.  Dans  un 
autre  ordre  d'idées,  le  Tiers  appelé  pour  la  preniière  fois  aux 
Etats  généraux,  l'abolition  de  l'ordre  du  Temple,  les  bandes  de 
routiers  et  de  pastoureaux  envahissant  nos  contrées  désolées 
par  la  peste  et  la  famine.  Près  de  nous,  les  pontistes  locaux 
achevaient  la  construction  du  Pont-Saint-Esprit.  Au  loin,  Ar- 
tevveld  dans  la  Flandre,  Guillaume  Tell  en  Suisse  soulevant 
les  populations  au  cri  d'indépendance  et  de  liberté.  En  ce  temps 
là,  les  échos  de  Vaucluse  retentissaient  du  nom  de  Pétrarque, 
et,  à  Rome,  ceux  du  Tibre  répétaient  le    nom   de  Rienzi. 

Depuis  le  xiv^  siècle,  l'œuvre  de  Gersonide  a  passionné  les 
philosophes  juifs  ou  chrétiens.  Il  ne  peut  entrer  dans  notre 
plan  de  donner  de  longs  développements  sur  ces  œuvres  :  outre 
ce  qu'en  ont  dit  Spinosa  qui  l'a  beaucoup  pratiqué  et  Keppler 
qui  l'a  prisé  très  haut  comme  astronome,  outre  ce  qui  a  été 
publié  de  nos  jours,  la  monographie  allemande  de  M.  Joël, 
professeur  à  l'Université  de  Breslau  (i',  un  travail  très  re- 
marquable de  philosophie  religieuse  a  été  écrit  sur  Levi  ben 
Gerson  par  M.  Isid.  Weil  ,  aujourd'hui  grand  rabbin  à 
Colmar  /i).  C'est  surtout  dans  ce   volume  intéressant  que  les 

(1)  Le  doct.  Moïse  Joël,  professeur,  a  publié  eu  186"2  à  ftreslau  (Pi'usse),  uu 
travail  —  Levi  beu  Gersou,  considéré  comme  philosophe  religieux  :  —  Ein 
Beilnig  zur  Geschichte  der  Philosophie  und  der  philosophischen  Exégèse  des 
MiUi'lalters.  iNous  remercions  ici  l'auteur  de  son  ofiVe  gracieuse  d'uu  exemplaire 
pour  la  Bibliothèque  de  Bagnols. 

(2)  Nous  devons  à  l'obligeance  de  ce  savant  théologien  un  exemplaire  de  son 
livre  ipi'il  a  bien  voulu  nous  offrir  pour  la  Bibliothèque  de  Bagnols.  Nous  sommes 
iieureux  de  rendre  ici  un  hommage  de  gratitude  à  l'auteur  d'un  livre  ([ui  a  eu 
les  honneurs  d'une  critique  élogieuse  et  sincère  de  la  part  de  M.  Frank,  de 
l'Institut.  —  ^.Journal  des  savants,  1869,  p.  157,  171. 


42  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

gens  du  monde  et  les  savants  de  profession  pourront  être  inities 
d'une  façon  toute  particulière  à  la  connaissance  de  la  phi- 
losophie encore  si  obscure  des  Arabes.  Le  lecteur  Jaloux 
d'approfondir  l'idée  Juive  du  moyen-àge,  saura  qu'elle  présente 
à  l'homme  le  spectacle  d'un  mouvement  rationaliste  qui  s'ac- 
complit au  sein  d'une  religion  positive  et  qui  devient  le  point 
de  Jonction  de  la  civilisation  arabe  et  chrétienne.  Ce  sont  les 
Juifs  qui  ont  fait  connaître  par  leurs  travaux  aux  docteurs 
chrétiens  des  xiii^  et  xiv^  siècles  les  écrits  d'Avempace,  d'Al- 
Faràbi,  d'Avicenne  et  d'Averroès.  Jamais,  dit  le  savant  R.  Is. 
Weil ,  Jamais  peut-être  St-Thomas  d'Aquin  n'eut  écrit  le 
Suinina  Tlieologia  s'il  n'avait  eu  connaissance  du  More  Ne- 
boîikhim^  de  Maïmonide,  traduit  en  latin  par  les  lettrés  d'Es- 
pagne (i). 

Si  Maïmonide  a  pendant  plus  d'un  siècle,  été,  dans  la  syna- 
gogue l'oracle  incontesté,  Levi,  le  penseur  renommé  de  l'école 
provençale,  mérite  une  étude  particulière,  non  seulement 
parce  qu'il  a  doté  la  littérature  Juive  d'un  grand  ouvrage  de' 
philosophie,  mais  encore,  et  surtout,  parce  que  le  premier,  il 
a  osé  se  soustraire  à  l'autorité  magistrale  du  fils  de  Maïmon, 
et  professer  des  doctrines  dont  la  hardiesse  n'a  Jamais  été 
égalée  par  aucun  théologien  rabbanite  du  moven-àge.  Le 
cordouan  est  constamment  théologien  et  philosophe,  chez  le 
bagnolais,  le  théologien  disparaît  plus  d'une  fois  pour  laisser 
parler  seul  le  philosophe.  Cependant,  quoique  novateur,  Levi 
n'était  point  un  enfant  rebelle  de  la  Thora,  (Écriture  sainte)  ; 
il  croyait  de  bonne  foi  pouvoir  rester  dans  les  limites  de  l'ortho- 
doxie, tout  en  admettant  avec  les  philosophes  une  matière 
première  dénuée  de  forme,  et  en  expliquant  naturellement  le 
phénomène  de  l'inspiration.  Peu  après  sa  mort,  Gersonide  a 
été  vivement  attaqué.  Déjà  au  xiv'^  siècle,  Isaac  ben  Schescheth 
d'Alger  disait  de  lui  :   le  savant  R.  Levi  était  un  homme  très 


(1)  Le  Tad  Hakiizakab.  —  La  Main  forte  et  le  More  nehouldm,  ou  le  Guide 
des  égarés  sont  les  priacipaiix  ouvrages  de  Maïmonide. 


LEVr    BEN    GERSON  4^» 

versé  dans  le  Talmud,  il  nous  a  légué  de  beaux  commentaires 
où  nous  le  voyons  marcher  sur  les  pas  de  Moïse  ben  Maimoun, 
mais  son  amour  de  la  spéculation  Ta  détourné,  lui  aussi,  du 
chemin  de  la  vérité,  et  il  a  professé  sur  la  prescience  de  Dieu 
et  de  la  Providence  des  idées  si  malsonnantes,  si  voisines  de 
l'hérésie  qu'il  est  même  défendu  de  les  entendre...  »  A  la  suite 
du  Rabbin  d'Alger,  R.  Chasda'i  Krescas  de  Saragosse  entre- 
prend une  campagne  contre  notre  phiolsophe  et  réfute  suc- 
cessivement les  doctrines  trop  osées,  du  MUliainôth.  Plus 
tard  encore,  au  xvii'=  siècle,  Menahem  Azarias  dit  dans  ses 
mémoires  :  «  Mon  iils,  garde-toi  de  suivre  les  opinions  du  fils 
de  Gerson,  ainsi  que  tous  ceux  qui  se  targuent  d'une  fausse 
gloire.  ))  Enfin  les  docteurs  de  1480  et  de  i636  sont  d'accord  à 
appeler  les  Guerres  du  Seigneur  :  des  Guerres  contre  le  Sei- 
gneur\ 

M.  Is.  Weil  ajoute  avec  beaucoup  d'à-propos  :  «  Rien  ne  nous 
paraît  donc  plus  intéressant,  plus  curieux  même,  que  de  voir 
un  homme  profondément  religieux  chercher,  à  tout  prix,  à 
accorder,  fondre  ensemble  deux  éléments  si  hétérogènes, 
l'averroïsmc  et  le  mosaïsme,  à  faire  coïncider  la  force  d'Aris- 
tote  et  la  Bible.  » 

Comme  l'a  dit  son  savant  commentateur  :  il  est  convenable 
de  faire  bonne  Justice  de  deux  appréciations  outrées  dont  sa 
trouve  entaché  le  nom  de  Gersonide.  —  R.  Levi  n'est  point  un 
libre-penseur  :  c'est-à-dire  un  homme  qui  prend  la  raison 
humaine  pour  la  mesure  de  la  vérité,  qui  entend  rester  libre 
et  indépendant  de  toute  tradition  historique,  de  tout  enseigne- 
ment révélé.  Notre  philosophe  n'a  qu'une  préoccupation  : 
mettre  la  Bible  d'accord  avec  la  raison.  Il  le  dit  lui-même  dans 
sa  préface  :  «  noire  méthode  consiste  à  approfondir  d'abord 
notre  sujet,  en  nous  servant  de  la  seule  raison,  puis  de 
démontrer  que  les  données  de  la  science  sont  précisément 
celles  de  la  Loi.  » 

Gn  l'a,  en  outre,  accusé  d'un  attachement  sans  bornes  aux 


44  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

systèmes  d'Aristotc  et  d'Avcrroès,  lequel  nie  le  progrès  hu- 
main. R.  Levi  soutient  au  contraire  que  le  progrès  est  un  des 
principes  fondamentaux  du  judaïsme,  la  base  sur  laquelle 
reposent  toutes  les  espérances  messianiques,  car  en  définitive 
qu'est-ce  que  la  foi  à  l'arrivée  d'un  messie,  sinon  la  croyance 
à  l'avènement  d'une  époque  où  l'humanité  sera  parvenue  à  son 
plus  haut  point  de  perfection,  où  la  connaissance  de  la  vérité, 
comme  dit  le  prophète,  sera  répandue  sur  la  terre  comme  les 
flots  sur  la  surface  de  l'Océan.  » 

Mais,  ajoute  M.  Isid.  Weil,  les  services  rendus  par  R.  Levi 
à  la  dogmatique  juive  se  trouvent  chèrement  payés  par  ses 
déplorables  vues  sur  la  nature  de  la  pensée  divine  à  la  quelle 
il  refuse  l'omniscience,  sur  le  phénomène  de  la  prophétie  dont 
il  fait  un  don  naturel,  sur  la  matière  dans  laquelle  il  voit 
l'étoffe  primitive  et  incréée  de  l'univers,  sur  le  miracle  dont  il 
circonscrit  le  théâtre  dans  le  monde  des  phénomènes.  Ce  sont 
ces  nouveautés  hétérodoxes,  ces  concessions  littéraires  et  in- 
tempérantes faites,  par  lui,  à  la  philosophie  de  l'école  qui  sont 
la  cause  que  son  nom  soit  si  mal  noté  dans  les  fastes  de 
l'orthodoxie.  R.  Levi  était  profondément  religieux,  veut-on 
savoir  à  quelle  fin,  au  sein  des  malheurs  et  des  misères  de  son 
temps  il  s'est  mis  à  composer  son  MU'hamôth  ?  —  Pour 
répandre,  direz-vous ,  parmi  ses  frères  les  lumières  de  la 
raison,  les  vérités  de  la  foi.  Sans  contredit,  c'est  là  un  de  ses 
buts,  mais  ce  n'est  pas  le  seul,  ce  n'est  pas  même  le  principal. 
En  entreprenant  ce  travail,  en  s'enfermant  dans  cette  étude,  il 
a  tout  d'abord  songé  à  lui-même,  à  ses  propres  intérêts.  Il  a 
voulu,  c'est  lui-même  qui  nous  le  dit  dans  sa  préface,  se 
ménager  par  là  une  place  élevée  dans  le  Ciel,  se  créer  un  titre 
à  une  éternité  bienheureuse.  » 

Concluons  :  Bagnols  a  tout  lieu  d'être  fier  d'avoir  donné  le 
jour  à  une  telle  personnalité  :  Levi  ben  Gerson,  homme  d'un 
génie  supérieur,  a  été   en  avant,  non  seulement  de  la  science 


LEVl    BEN    GERSON 


45 


judaïque,  mais  encore  de  la  science  chrétienne  de  son  époque. 
Gersonide  résume  pour  nous  l'élite  de  la  nation  juive  au 
moyen-àge  :  il  a  rendu  service  à  h\  philosophie,  à  la  critique 
des  livres  sacrés,  à  la  grammaire,  à  l'astronomie,  à  la  méde- 
cine, en  un  mot  à  la  Civilisation. 


MADIER    (JEAN-BAPTISTE) 

MÉDECIN 

Né    à    Bagnols    le    12    octobre    IJ40 
Mort     à      Bagnols     le     12     août    1824 


'Ussi  loin  que  nos  investigations  puissent  s'étendre 
jnous  trouvons  l'esprit  et  le  tempérament  bagnolais 
jinitiateurs  et  aventureux.  La  vie  de  plus  d'une  de  nos 
-illustrations  le  prouve.  Nous  allons  narrer  une  page 
d'histoire  locale  qui  confirmera  notre  dire.  Mais  toutefois  pour 
expliquer  ce  qui  va  suivre,  il  est  bon  de  riippeler  dans  quelle 
situation  se  trouvait  notre  petite  ville,  vers  1784. 

A  l'emplacement  de  l'ancien  château  de  Montmorcncv,  on 
venait  de  construire  un  Collège,  sur  les  terrains  donnés  depuis 
longtemps  déjà  par  le  prince  de  Conty  aux  Joséphites.  Non 
loin  de  là,  à  la  Citadelle,  l'Hùtel-Dieu  ouvrait  les  portes  de  ses 
vastes  salles  neuves,  aux  malades  et  aux  infirmes  du  pa3^s.  Les 
mêmes  hommes  qui  avaient  entrepris  ou  surveillé  ces  impor- 
tants travaux  vivaient  encore,  ils  devaient  être  désireux  de  ne 
point  rester  étrangers  à  ce  grand  mouvement  qui  se  faisait  alors 
dans  les  esprits,  lequel  semblait  être  le  précurseur  d'une  mo- 
dification prochaine,  imminente,  assurée. 

L'intéressante  découverte  d'Annonay  fit  grand  bruit  :  Mont- 


48  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

golfier  venait  de  trouver  disait-on,  le  moyen  de  s'élever  dans 
les  airs  à  l'aide  d'un  ballon  gontié  de  gaz.  Déjà,  — en  1783, — 
Pilàtre  des  Rosiers  et  le  marquis  d'Arlanges,  — languedocien, 

—  avaient  émerveillé  Paris  ;  déjà  Madame  Tible,  la  première 
femme  qui  ait  osé  s'aventurer  dans  les  airs,  préparait  une 
ascension  à  L3^on,  —  juin  1784,  —  lorsque  nos  hardis  compa- 
triotes eurent  la  pensée  d'expérimenter  à  Bagnols,  les  Mont- 
golfières (i). 

Il  ne  nous  est  pas  possible  de  recueillir,  ici,  tout  ce  qui  a 
été  écrit  et  imprimé  pour  ou  contre  ces  novateurs  ruraux  :  leur 
tentative  fut  ridiculisée  ;  on  les  persifla,  on  les  chansonna  ;  ils 
n'en  poursuivirent  pas  moins  jusqu'au  bout  leur  projet  : 
honneur  à  eux  ! 

Un  ballon  fut  construit  :  la  légende  d'une  gravure  du  temps 
s'exprime  ainsi  —  Lou  Globo  :  —  «  Il  était  en  toile  fine,  dite 
rebattue,  doublée  d'un  papier  exactement  collé  au  dedans.  On 
en  employa  840  mètres.  Son  diamètre  était  de  14  mètres  et 
5o  centimètres  et  la  hauteur  de  20  mètres.  Deux  cônes  tron- 
qués, attachés  par  leurs  bases,  à  un  cylindre  de  8  mètres, 
produisaient  la  forme  ovale.  Son  contenu  était  de  2201  mètres 
cubes.  Son  poids  total  était  d'environ  35o  kilogrammes.  (23o 
kil.  de  toile,  20  kil.  cordages,  100  kil.  bateau,  poêle,  agrès, 
combustibles  :  et  le  poids  des  voyageurs  en  sus).    « 

Par  qui  ce  navire  aérien  avait-il  été  dessiné,  taillé,  dirigé  ? 

—  Par  Madier,  Gensoul,  Blanchard,  Teste,  Roussel  et  autres 
hardis  novateurs. 

M.  Jean-Baptiste  Madier  était  un  médecin  habile  etchercheur. 
C'était  le  temps  des  importantes  découvertes  :  Lavoisier, 
Vicq-d'Azir  et  peu  après  Chaptal,  de  Montpellier,  devenaient 


(1)  II  est  probable  que  les  organisateurs  de  la  fête  étaient  en  correspondance 
avec  Uivarol,  (jui  à  Paris^  après  avoir  assisté  aux  expériences  de  ITiSo  })ul)lia 
une  lettre  à  M.  le  Président  de  ***  sur  le  globe  aérostatique...  (X'tte  lettre  donne 
de  longs  détails  scientiliques  sur  Tapplication  de  la  découverte  de  Monlgollier, 
d'Annonay.  —  V.  Œuvres  complètes  de  Rivarol.  T.  II,  p.  207. 


JEAN-BAPTISTE    MADIER  49 

les  amis  de  notre  savant  compatriote,  (i)  Celui-ci  possédait 
comme  eux,  fourneaux,  cornues,  gaz  et  acides  de  toutes  sortes  : 
le  peuple  l'accusait  de  chercher  la  pierre  philosophale  et  de 
compter  comme  certaine  la  découverte  de  la  fabrication  de  l'or. 
C'est  donc  Madier  que  l'on  mit  à  la  tète  de  l'entreprise,  d'ail- 
leurs, la  chanson  du  temps  le  dit  : 

Non^  tu  n'as  pas^  cher  Madier 

Trompé  notre  attente 

En  faisant  de  Montgolfier^ 

Eépreuve  étonnante  : 

Pour  toi  quel  jour  glorieux  ! 

Tes  trop  faibles  envieux 

Ont  vu^  de  leurs  propres  jeux ^ 

Ce  qui  les  tourmente. 

Les  essais  de  gontlement  du  ballon  se  faisaient  dans  un 
cliamp,  au  sud  de  la  ville,  dans  la  Terre  des  Darnes^  (2)  là  se 
réunissaient  toute  la  population  de  la  contrée,  tous  les  villageois 
des  environs  et  les  curieux  des  villes  voisines.  Les  tâtonnements, 
les  tentatives  durèrent  plusieurs  mois  :  rien  ne  ralenti-ssait  la 
curiosité  persévérante  des  étrangers.  On  accusait  cependant 
Bagnols  de  spéculer  au  profit  des  hôUelleries  du  temps,  de  là 
des  couplets  satiriques  échangés  et  la  fameuse  tirade  en  Lan- 
gue d'oc  : 

Lou  globo  vai  parti 

Moiigra  lou  Saint-Esprit 

et  cette  chanson  provençale  qui  rappelle  les  acteurs  empressés  : 

Moussu  de  La  Martino 
N'enfasié  tristo  mino. 
Moussu  Madier^  peccaire^ 
Semblavo'un  amoulaire !... 

(1)  Chaptal  acceptait  ses  communications  scientifiques,  il  en  parlait  dans  ses 
ouvrages^  mais  ne  citait  jamais  le  nom  de  l'auteur.  Madier  était  en  correspon- 
dance suivie  avec  Vicq-d'Azir,  il  recevait  des  lettres  flatteuses  de  ce  secrétaire 
perpétuel  de  la  société  royale  de  médecine. 

(2)  De  l'abbaye  de  Valsauve  de  Bagnols  et  des  dames  Ursulines.  Ces  deux 
couvents  possédaient  des  terres  dans  ce  quartier. 

T.   II  4 


.10  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Enfin,  le  i8  avril  lySS  (i),  devant  plus  de  dix  mille  specta- 
teurs, tout  est  terminé.  Darroussin  est  prêt  à  monter  dans  la 
nacelle,  avec  Ballet  (2i  dont  le  fils,  de  dix  ans,  battait  la  caisse 
par  la  ville  et  appelait  le  public  au  champ,  où  l'ascension 
devait  avoir  lieu.  —  Sonné  li  clas  de  moiin  paire^  disait  le 
jeune  gamin  en  tapant  plus  fort.  La  foule  s'empresse,  se  rue 
vers  l'enceinte.  Alexis  Gensoul  tenait  la  clavctto,  c'est-à-dire, 
avait  la  direction  des  cordages  et  commandait,  mais  sous  les 
ordres  de  Madier,  le  grand  chef.  Enfin  on  lâche  tout  :  le  ballon 
s'élève  majestueusement,  il  monte,  il  monte  sans  secousses  et 
plane  dans  les  airs  aux  applaudissemeats  frénétiques  de  la  foule 
émue...  peu  à  peu  un  vent  léger  le  pousse  vers  le  nord,  et  on 
le  perd  sur  les  hauteurs  de  Roquebrune,  il  allait  échouer  vers 
St-Alexandre.  Les  intrépides  navigateurs  tinrent  bon  jusqu'au 
dernier  moment,  mais,  à  quelques  mètres  du  sol,  Darroussin 
voulut  sauter  de  la  nacelle,  il  se  cassa  la  jambe. 

Les  épaves  furent  ramassées:  le  Globo  fui  transporté  avec 
pompe  à  Bagnols  ;  là,  les  débris  restèrent  comme  un  trophée  à 
l'Hôtel-de-Ville,  mais  on  songea  à  en  utiliser  la  toile  pour 
servir,  en  17Q2,  à  l'habillement  des  volontaires  de  la  Républi- 
que :  avec  l'étoffe,  on  leur  fit  des  sarreaux,  espèce  de  blouse, 
ample  et  commode  (3). 

Après  cette  fête  mémorable  Bagnols,  reprit  bientôt  sa  vie 
calme  et  monotone,  seulement  il  avait  inscrit  dans  ses  annales 
une  page  relatant  la  réussite  d'une  tentative  périlleuse  qui 
affirmait  une  fois  de  plus  l'esprit  enthousiaste  de  ses  enfants. 

Quant  à  Madier  et  à  ses  amis,  leur  souvenir  vivait  dans  le 


(1)  Les  consuls  étaient  MM.  Pugiiières,  Henri  Briiguier,  Malignon  et  Martin: 
dans  la  commission  on  comptait  :  de  Sibert,  Charmasson,  Couderc,  Blanchard, 
Massonnet_,  Dumazer,  Baylesse,  Auzières. 

(2)  Compagnon,  dit  la  Tranquillité;  il  avait  fait  le  tour  de  France,  menant  une 
vie  aventureuse,  il  était  venu  s'établir  et  se  marier  à  Bagnols. 

(3)  V.  Annales  historiques  de  Bagnols  de  1788  à  1805. 


JEAN-BAPTISTE    MADIER  5[ 

récit  que  nos  grands   pères  faisaient  de  la  fcsto  d'où  globo. 
Nous  devions  rappeler  ici  cette  audacieuse  fantaisie. 

Les  chroniqueurs  ou  les  savants  qui  ont  écrit  l'histoire  de  la 
navigation  aérienne  ne  citent  point  Bagnols  ;  il  nous  semble 
bon  de  rendre  à  notre  pays  Thonneur  qui  lui  revient,  et  pour 
renouveler  la  mémoire  de  ce  que  firent  nos  devanciers,  nous 
voudrions  voir  organiser /'o//r /c^  nS  avril  i885  une  grande 
fcte  aérostatique.  Nous  proposons  dores  et  déjà  d'appeler  ici 
le  Duruof  ou  la  Poitevin  de  l'époque  et  d'avoir  aussi  un 
Centenaire  à  la  mémoire  de  Darroussin,  de  Ballet,  de  Madier 
et  autres.  Il  se  trouvera  assez  de  descendants  de  ces  familles 
anciennes  et  honorables  pour  aider  et  encourager  la  municipa- 
lité à  prendre  l'initiative  d'une  fête  qui  fera  honneur  et  profit 
à  notre  chère  ville  de  Bagnols. 

La  famille  Madier  habitait  en  1740  la  maison  n"  12,  rue  de 
la  Pâtisserie. 

Notre  savant  compatriote,  filsdeRoch  Hyacinthe  et  d'Elisa- 
beth Bruguier  avait  fait  ses  études  — rhétorique  et  philosophie, 
—  au  collège  Louis-le-Grand,  à  Paris.  Comnie  son  père,  il 
tint  à  prendre  ses  grades  à  l'école  de  médecine  de  Montpellier, 
où  il  fut  reçu  docteur  en  1762  (i). 


(I)  Madame  veuve  Rocli  Hyacinthe  Madier  avait  acheté  en  1760  hi  helle maison 
(lui  a  été  hahitée  par  sa  famille  et  ses  descendants  jusqu'en  1807,  époque  où 
elle  a  été  vendue  pour  y  établir  rHôlel-deVille.  Ce  fut  messire  Paul- Antoine 
Magnin  de  Gaste,  chevalier,  seigneur  de  la  Ramière  qui  la  céda  à  M"  Madier. 
L'immeuble  confrontait  alors  du  levant  les  dames  de  St-Bernard,  du  midi  les 
maisons  de  M.  Charrier  de  Moissard  et  celle  de  M.  Marmier  (aujourd'hui  maison 
Sartre,  orfèvre). 

L'hôtel  appartenait  en  1605  à  Simon  Fabre  (dont  la  tille  unique  épousa  Magnin 
de  Gaste).  En  15i3  à  x\ntoine  Servier,  et  avant  lui  à  Jean  Pelet. 

La  construction  actuelle  date  de  1675,  ce  serait  donc  M.  de  Gaste  seigneur 
de  la  Ramière,  qui  fit  bâtir  l'hôtel  dans  le  style  Louis  XIV.  On  y  remar(iue 
outre  un  escalier  monumental  et  grandiose,,  —  eu  égard  aux  habitations  de  notre 
petite  ville  de  Bagnols^  —  une  pièce  au  premier  étage,  ornée  d'une  boiserie 
sculptée  et  dorée,  mais  d'un  goût  moins  pur  que  l'alcôve  artistique  de  l'hôtel  de 
lord  Melford  (maison  Astier,  rue  l'oulagière). 


D2  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

En  1775,  Jean-Baptiste  épousait  en  seconde  noces  Jeanne 
Marsial,  protestante  ;  mais  la  cérémonie  ayant  eu  lieu  à 
l'église  paroissiale,  les  enfants  furent  élevés  dans  la  religion 
catholique. 

Passionné  pour  toutes  les  théories  nouvelles,  écloses  de  son 
temps,  Madier  embrassa  avec  ardeur  les  idées  de  89,  mais  les 
excès  qui  faussèrent  le  but  de  cette  révolution  «  salutaire, 
nécessaire,  légitime  et  bienfaisante,  »  (i>  arrêtèrent  son  élan 
patriotique.  Avec  plusieurs  de  ses  honorables  amis,  il  eut  le 
courage  de  signer  une  adresse  aux  citoyens  de  Bagnols,  re- 
commandant la  sagesse  et  la  concorde  ;  2!  mais  la  feuille 
imprimée  fut  le  prétexte  dont  on  se  servit  pour  le  déclarer 
fédéraliste.  Un  ami  dévoué  l'avisa  à  temps,  il  put  se  sauver 
dans  les  bois,  vers  Saint-Laurent-les-Bains  i^Ardèche',  d"où  il 
sortit,  non  pas  après  la  chute  de  Robespierre  comme  on  Ta 
dit,  mais  dès  que  les  jours  furent  moins  orageux  à  Bagnols. 
En  eilet,  nous  le  retrouvons  à  sa  maison  de  la  Place  le  12  ger- 
minal an  II  (17Q4'. 

La  société  populaire  de  Lapalud  vint  à  cette  époque  l'inviter, 
comme  chimiste  renommé,  à  fonder  à  Lapalud  même,  une 
fabrique  de  salpêtre  et  «  à  instruire  les  citoyens  des  connais- 
sances nécessaires  à  cette  fabrication.  » 

«  Madier,  disent  les  archives  de  Bagnols,  (3)  afin  de  se  rendre 
utile  à  la  République,  accepte  et  se  transporte  dans  cette 
commune  où  il  a  d'ailleurs  des  propriétés  ;  il  fait  connaître 
officiellement  à  la  municipalité  de  Bagnols  son  changement  de 
domicile...  » 


,   (1)  St-René  Taillaiidiei', 

(2)  Voir  le  texte  au  volume  Annales  historiques  de  Bagnols,. cannée  1790. 
Celte  pièce  a  été  imprimée  à  Orange  en  juillet  1790,  nous  en  av^us  conservé 
un  exemplaire  aux  aichives  de  la  Bibliothèque-Musée. 

(3)  V.  A)inal('S  historiques  de  Bagnols  179 i...  certains  actes  de  la  vie  du 
docteur  iMadier  sont  liés  à  l'histoire  locale. 


JEAN-BAPTISTE    MADIER 


53 


Jean-Baptiste  Madier  quoique  assombri  par  les  événements 
qui  ensanglantèrent  la  Révolution,  est  demeuré  Jusqu'à  sa 
dernière  heure,  fidèle  à  son  culte  pour  une  sage  liberté.  Il 
s'éteignit  le    12    août    1824    à    l'âge    de    quatre-vingt-quatre 

ans  (i). 


(1)  Il  a  laissé  un  lils  et  trois  lilles  dont  iiii«  mariée  à  M.  Gensoul,  de  Collorgues, 
et  Tanlre  à  M.  Privât,  de  Forlunié,  magistrat  sous  la  Piestauratioii. 


MADIER     ifeAN-BAPTISTE-SIMPLICE) 

DOCTEUR-MÉDECIN,    MAIRE 

iVé  à  Bagnols  le  2  mars  i  jSo 
Mort    à    Bagiiols    le    _/    décembre    US64 


OMME  son  père  et  son  aïeul  Madier,  Simplice,  était 
docteur  en  médecine.  Son  père,  ami  du  célèbre 
chimiste  Chaptal,  lui  fit  commencer  ses  études  à 
Montpellier,  et  en  iSo5  l'envoya  à  Paris,  où  notre 
élégantet  beau  compatriote  obtint  de  grands  succès.  Vers  1810, 
le  docteur  Madier  rentrait  à  Bagnols.  Il  se  maria  en  181 2  avec 
Mademoiselle  Marie-Faine  Martin,  d'Orange.  Nous  le  trou- 
vons en  février  1826,  goûtant  la  vie  paisible  d'un  riche 
bourgeois,  ami  de  l'étude  et  du  repos,  quand  le  choix  du 
Gouvernement  en  fit  le  maire  de  Bagnols.  On  se  souvient  du 
distique,  élogieux  et  vrai,  de  l'arc  de  triomphe  dressé  devant 
la  porte  de  son  hôtel  sur  la  Place  (  i). 

Le  nouvel  administrateur  se  mit  à  l'œuvre  :  il  commença  le 
premier,  cette  transformation  de  la  Citadelle^  devenue  depuis 
le  Mont-Cotton^  parce  que  M.  Cotton,  maire,  en  a  planté 
d'arbres  la  partie  déclive.  Mais  c'est  à  M.  Madier  que  l'on  doit 
ces  preniiers  murs  de  soutènement  qui  retiennent  la  terre  du 

(1)  Disti(ine  naïf,  commis  par  le  docteur  Silliol  : 

—  Bagnols!  quel  est  ton  maire?  —  Eh!  Madier,  me  dis-tu. 
Tant  mieux;  il  réunit  droiture,  esprit,  vertu. 


56  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

monticule,  et  peu  après,  la  régularisation  du  plateau  afin  d'y 
établir  un  marché...  Ciiique  simm. 

Dès  le  mois  de  septembre,  le  Maire,  sur  les  plans  et  devis  de 
l'architecte  Degan,  construisit,  à  la  fontaine,  le  monument 
élevé  sur  l'ancien  abreuvoir.  Plus  d'un  ignore  aujourd'hui 
ce  qu'on  voyait  en  1826  à  la.  grand' font .  —  C'était  toujours  le 
vaste  bassin  tapissé  de  verdure  et  de  plantes  aquatiques,  au 
milieu  des  quelles  apparaissaient  de  belles  carpes  et  des  anguil- 
les, énormes  et  respectées  :  attenant  à  l'escalier  que  l'on  voit 
encore  de  nos  jours,  se  trouvait  l'abéiiradou  :  l'abreuvoir,  où 
les  bêtes  descendaient  par  une  rampe  douce,  mal  pavée  et 
allaient  se  désaltérer  à  l'orifice  même  du  Goulet.  C'est  cette 
rampe  que  fit  enlever  le  Maire,  c'est  ce  creux  embarrassant  et 
dangereux  pour  la  circulation  qu'il  fit  combler  :  sur  le  terre- 
plein  il  établit  le  carré  de  maçonnerie  ouvragée,  muni  de  trois 
canons  destinés  à  donner  de  l'eau  à  volonté  :  ces  tuyaux  étaient 
alors  alimentés  par  une  roue  hydraulique  en  fer  et  à  godets. 
—  Le  travail  coûta  2,042  fr.  67  c.  Il  fut  terminé  en  1827. 

Cette  même  année,  sur  les  plans  et  devis  du  sieur  Bourguete, 
nous  voyons  l'administration  occupée  à  construire  le  Prétoire^ 
dans  la  rue  de  la  citerne,  (aujourd'hui  rue  Bompard).  Encore 
une  amélioration  excellente  et  pour  laquelle  la  caisse  munici- 
pale déboursa  (3,927  francs. 

La  population  était  loin  de  se  plaindre  des  dépenses  aussi 
bien  entendues.  Cependant  une  partie  des  bagnolais  trouva 
bientôt  l'occasion  de  blâmer  le  Conseil  municipal  d'une  autre 
mesure  qui  venait  d'être  prise  et  qui  semblait  peu  libérale. 

Le  Maire  avait  exposé  que  Mgr  l'Évêque  de  Nîmes  songeait 
à  convertir  le  Collège  de  Bagnols  en  Petit-Séminaire...  «  Son 
discours  respirait  la  plus  profonde  et  la  plus  honorable  convic- 
tion du  bien  qu'il  croyait  faire  par  cette  transformation 
inespérée.  »  Il  raconta  longuement  l'histoire  du  Collège  (i)  et 
les  différentes  phases  de  l'enseignement. 

(1)  V.  Not.  biog.  de  l'abbé  Gentil,  T.  I,  p.  i>'Jl. 


SIMPLICE    MAI)  1ER  ^7 

—  Nous  devons  nous  souvenir  que  le  gouvernement  de  la 
Restauration  luttait  alors,  avec  quelques  hommes  du  parti 
avancé  qui  voyaient  à  regret  ce  qu'ils  appelaient  Tempiètement 
progressif  du  clergé.  — 

Pour  le  succès  du  plan  de  l'Évèquc  et  du  Maire  le  Conseil 
municipal  se  montra  favorable.  11  accepta,  il  condescendit  aux 
intentions  bienfaisantes  de  Monseigneur^  il  oifrit  l'usufruit  des 
bâtiments  tant  que  durerait  le  Petit-Sérainaire...  Cependant 
l'affaire  n'eut  pas  de  suite,  mais  une  attaque  aussi  directe 
contre  l'établissement  universitaire  devait  aboutir  à  la  chute 
du  Collège,  à  la  dispersion  des  enfants  de  Bagnols,  qui  entrè- 
rent dans  les  lycées  ou  établissements  voisins.  Les  élèves  dont 
les  parents  n'avaient  pas  la  ressource  de  les  placer  au  dehors, 
se  virent  forcés  à  aller  chez  ce  bon  M.  Martin,  où  on  leur 
apprenait  la  grammaire  latine  de  Port  Rojal  et  le  calcul  par 
livres,  sols  Qi  deniers  en  1828  et  i83o  ! 

Ce  qui  va  suivre  est  encore  peu  flatteur  pour  Bagnols,  mais 
il  faut  bien  l'avouer,  puisque  nous  écrivons  l'histoire  vraie  : 
continuons. 

Un  jour,  le  Conseil  refusa  l'achat  d'une  pompe  à  incendie 
alléguant  que  malgré  les  tentatives  faites,  il  y  avait  impossibi- 
lité d'organiser  ici  une  compagnie  de  pompiers.  M.  le  Maire 
perdit  patience  et  cessa  d'en  parler  à  ses  conseillers  obstinés. 

C'est  le  27  avril  1828  que  M.  Madier  proposa  d'acheter  des 
héritiers  de  M.  François  Gentil,  une  maison  qui  faisait  le 
prolongement  de  la  rue  des  Prisons  à  celle  de  la  Citerne.  Cette 
maison  venait  d'être  entièrement  détruite  par  un  incendie.  Le 
Conseil  en  fit  l'acquisition  et,  par  là,  une  voie  fut  ouverte 
allant  de  la  rue  de  l'Horloge  jusqu'à  la  place  du  Château 
même,  en  face  du  Portail-neuf. 

Administrateur  actif  et  intelligent.  M.  Madier  tient  à  achever 
l'œuvre  de  son  devancier  et  achète  les  maisons  de  la  rue  des 
Pénitents,  afin  de  régulariser  l'accès  de  la  Grande  place. 

On  se  préoccupait,  dès  cette  époque,  de  l'instruction  des 
adultes  \  mais  l'initiative  venait  de  l'administration  supérieure  : 


58  NO'iM(:i:s  1!io(;raphiques 

heureux  encore  de  trouver  de  l'écho  dans  les  conseils  munici- 
paux invites  à  améliorer  l'enseignement  local.  Ainsi  le  8  mai 
1828,  M.  le  Sous-Préfet  d'Uzès,  engageait  le  Conseil  à  ouvrir 
une  classe  de  dessin  linéaire  dont  rittilité  est  généralement 
sentie  par  l'influence  heureuse  qu\'lle  exerce  sur  le  développe- 
ment de  l'industrie.  » 

Le  Conseil  accepte  et  vote  :  il  choisit  M.  Romain,  instituteur 
primaire,  dessinateur  habile  et  mathématicien  distingué  (1). 
L'assemblée  tient  à  consigner  sur  le  registre  des  délibérations 
un  témoignage  de  parfaite  satisfaction,  —  »  sur  le  choix  de 
cet  honorable  et  savant  professeur,  »  il  offrit  trois  cents  francs 
par  an,  à  la  condition  que  M.  Romain  donnera,  en  outre, 
l'instruction  primaire  gratuite  à  20  élèves  des  familles  indigen- 
tes de  Bagnols. 

Il  3^  eut,  à  cette  époque,  de  longues  et  profondes  dissensions 
entre  l'autorité  supérieure  et  quelques  membres  du  Conseil 
municipal,  au  sujet  de  la  question  de  propriété  du  Collège  : 
l'Université  prétendait  avoir  un  droit  exclusif  sur  le  monument, 
comme  représentant  l'État.  De  son  côté,  la  ville  faisait  valoir 
le  concordat  de  1781,  alors  qu'elle  avait  opté  pour  le  fait  de 
reprendre  le  Collège  en  renonçant  aux  25, 000  francs  fournis 
par  elle  pour  sa  construction.  Le  Conseil,  par  sa  délibération 
du  20  août  1828,  voulutdonc,  malgré  le  ministre  de  l'instruction 
publique  maintenir  ce  qu'il  appelait  ses  droits  de  propriété. 

Le  9  octobre,  on  vota  la  réparation  à  l'horloge,  blanchiment 
du  cadran  et  réfection  des  pièces  diverses. 

Depuis  l'an  1828,  les  déblais  de  la  place  St-Victor  avaient  été 
enlevés  :  c'est-à-dire  que  les  murs  de  soutènement  restant  à 
découvert,  la  route  de  descente  était  parfaitement  établie. 

(1)  Le  fils  de  M.  Romain,  né  à  Dagnols,  ayant  obtenu,  au  concours,  l'emploi 
d'agent-voyer  en  chef  de  rAveyron,  a  fait  à  Rhodez  des  travaux  hydrauliques 
qui  lui  valurent  la  croix  de  la  Légion  d'honneur  et,  peu  après,  sa  nomination, 
au  même  litre,  à  Lille  (Nord).  M.  Rernard  Romain,  aujourd'hui  à  la  retraite, 
habile  Pont-Sainl-Esprit.  Il  est  inscrit  au  nombre  des  bienfaiteurs  de  la  Biblio- 
thèque et  du  Musée  de  Bagnols. 


SIMPLIGE    MADIER  5() 

Un  des  derniers  actes  administratifs  de  M.  Madier  fat 
celui-ci.  —  En  182c),  le  Conseil  vote  et  dépense  généreu- 
sement 3oo  francs  appliqués  en  réjouissances  et  en  fêtes  à 
l'occasion  du  passage  du  roi  et  de  la  reine  de  Sicile,  et  de 
Màrie-Christine,  future  reine  d'Espagne  :  tout  Bagnols  fut 
fleurdelisé. 

L'an  d'après,  le  drapeau  tricolore  avait  remplacé  le  drapeau 
blanc  et  M.  Madier  dut  céder  la  charge  à  M.  Ladroit,  à  qui  il 
avait  succédé  quatre  ans  auparavant  ;  l'installation  du  nouveau 
Maire  eut  lieu  avec  des  transports  de  joie  indescriptibles,  après 
les  fameuses  ordonnances  de  juillet  i83o  et  les  ivoh  g-lorieiiscs 
journées^  comme  on  les  appela  longtemps. 

Toutefois, M.  Madier  laissait  des  souvenirs  d'honnête  homme 
et  d'habile  administrateur;  mais  ses  tendances  politiques  n'é- 
tant point  partagées  par  la  masse  de  la  population,  son  règne 
ne  fut  regretté  que  par  ceux  qui,  comme  lui,  étaient  attachés  à 
la  branche  aînée  des  Bourbons. 

M.  Madier  entretenait  des  relations  suivies  avec  les  sommi- 
tés du  parti  légitimiste,  Berr3^er,  le  duc  de  -Valmy  et  surtout 
avec  Ferdinand  Boyer,  de  Nîmes. 

Ses  concitoyens  l'avaient  honoré  de  leurs  suffrages  ;  ils  le 
nommèrent  conseiller  d'arrondissement,  mais  pour  le  Conseil 
général  du  Gard,  la  lutte  électorale  qu'il  entreprit  ne  fut  pas 
heureuse,  M.  de  Buros,  son  antagoniste,  fut  le  préféré.  A  part 
cette  velléité  d'ambition  «  dans  l'intérêt  de  son  pays,  »  M.  Ma- 
dier, de  i83o  à  1864  coula  sa  vie  dans  la  retraite.  Ses  amis 
auraient  voulu  le  porter  à  la  députation,  il  préféra  la  douce 
quiétude  que  recherchent  les  vieillards  désillusionnés...  Une 
longue  et  cruelle  maladie  se  termina  par  un  accident  où  il 
trouva  la  mort.  La  perte  de  cet  homme  de  bien  fut  vivement  res- 
sentie par  la  population  toute  entière  ;  car  le  temps  efface  les 
nuances  politiques  et,  en  présence  des  exemples  d'édification 
donnés  par  un  vénérable  père  de  famille,  les  nouvelles  généra- 
tions, qui  n'ont  pas  été  témoins  des  antagonismes   locaux,  ne 


6o 


NOTICES    BIOGRAPHIQUES 


Jugent  les  hommes  que  par  leurs  actes:  M.  Madier  devait  donc 
emporter  à  bon  droit  l'estime  de  tous  ses  concitoyens. 

J.  B.  S.  Madier  a  laissé  deux  fils  et  deux  filles  : 

MM.  Eugène  Madier,  décédé  et  H3^acinthe  M...,  à  Lapalud; 

Mademoiselle  Clémence  M...,  mariée  au  capitaine  Victor 
Madier  de  Lamartine  ; 

Mademoiselle  Emma  M...,  qui  épousa  M.  Valat,  employé 
supérieur  des  douanes. 


MADIER   DE   LAMARTINE 

(  AIMÉ-ALEXIS-VICTOR  ) 

GÉNKRAL    DE    BRIGADE 

N'a   à   Baguais  le   21    avril    IJ74 
Mort  à   Pont-Saiiit-Ksprit    le    i3  octobre  uS34 


u  commencement  de  la  Révolution  Victor- Henri 
)Madier  et  Marie-Thérèse  Reynaud  Saurin ,  son 
|épouse,  avaient  trois  lils  sous  les  drapeaux.  ([)  Celui 
qui  devait  devenir  général  était  déjà  sous-lieutenant 
au  7"^'-'  d'infanterie,  le  12  mai  17^)2,  et  capitaine  le  5  octobre 
1796.  Il  lit  ses  premières  campagnes  dans  l'armée  des  Pyré- 
nées-Orientales, dont  les  différents  corps  de  troupe  station- 
naient sur  la  frontière  et  dans  les  places  fortes  ou  ports,  depuis 
l'embouchure  du  Rhône  jusqu'à  la  rive  droite  de  la  Garonne. 
Le  général  Sauret  le  choisit  pour  son  aide  de  camp. 

De  1795  à  1801,  Madier  fit  les  campagnes  d'Italie.  Nous  le 

(W  Le  23  septembre  1793  cinquante  hommes  investissent  sa  maison  et  veulent 
rarrèter  comme  suspect.  Antoine  Teste  écrit  pour  le  défendre  : 

<(  — Il  n'est  pas  suspect,  celui-là,  dit-il,  et  on  peut  le  croire  surjjarole.  » 

Le  fds  aîné  mort  colonel  à  la  Guadeloupe,  s'était  occupé  d'un  système  télé- 
graplii([ue  à  l'usage  de  l'armée.  Il  a  laissé  un  fds,  M.  Victor  Madier,  capitaine, 
qui  épousa  Mademoiselle  Clémence  Madier,  fille  de  son  cousin  de  Bagnols. 

Le  général  Madier  de  Lamartine. 

Et  Valère  Madier,  d'abord  tonsuré  à  l'âge  de  12  ans,  et  parti  plus  tard  comme 
volontaire;  il  se  retira  capilaine. 


62  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

voyons  adjoint  à  rétat-major  de  la  division  d'Ancône  le  27  dé- 
cembre 1798. 

Nommé  clief  de  bataillon  par  le  général  Monnier  le  25 
septembre  1799,11  fut  fait  prisonnier  à  Ancône,  le  i3  novembre 
de  la  même  année. 

Ses  aptitudes  spéciales  lui  valurent,  pour  la  troisième  fois, 
d'être  adjoint  à  Tétat-major  :  il  mérita  d'être  désigné  pour  la 
]''''  division  de  l'aile  droite  de  l'armée  d'Italie,  le  2G  août  1800  ; 
et  le  i5  mai  1801  il  passa  adjoint  à  l'état-major  de  la  i''-'  di- 
vision de  l'armée  d'observation  du  Midi.  Le  20  janvier  1802, 
Madier  était  chef  de  bataillon  à  la  suite  de  la  48™'^  demi-brigade 
de  ligne. 

Notre  compatriote  avait  fait  déjà  onze  ans  de  campagnes  sur 
le  continent  lorsqu'il  dut  partir  pour  une  expédition  lointaine. 
Le  général  Richepanse  venait  de  réprimer,  à  la  Guadeloupe, 
la  révolte  des  hommes  de  couleur,  Madier  fut  désigné  pour 
se  rendre  en  ce  pa^'s,  où  il  resta  attaché  à  l'état-major  du 
capitaine  gouverneur  de  l'ile.  Sa  bravoure  et  ses  talents, 
affirmés  maintes  fois,  depuis  son  entrée  au  service,  lui  valurent 
d'être  successivement  commandant  d'armes  à  la  Basse-Terre, 
et  commandant  cà  l'ile  de  Saintes  ,1).  Pendant  le  cours  de  cette 
expédition  aux  Petites  Antilles  il  fut  nommé  colonel,  le  3o 
août  1808. 

Le  17  avril  180Q  Madier  est  prisonnier  de  guerre  lors  de  la 
reddition  de  notre  colonie  aux  Anglais.  Cependant  il  s'évade 
et  rentre  le  3  février  181  o.  Le  i5  juillet  de  la  même  année  il 
commande  le  l'i'"*-'  régiment  de  ligne;  le  18  décembre  nous  le 
trouvons  à  la  tête  du  bataillon  des  gardes  nationales  des 
Pyrénées-Orientales  et  le  25  novembre  181  i,  il  est  colonel  du 
régiment  de  Belle-Ile. 

Peu  après  la  rentrée  de  Louis  XVIII,  Madier  fut  nommé 
colonel  du  33'"''  d'infanterie  de  ligne,  —  4  oct.  18 14.  —  Cet 
olficier  de  mérite  était  un  partisan  dévoué  aux  Bourbons  que 

(1)  1  ne  des  peliles  Anlilles. 


madii:r  DI-:  Lamartine  63 

les  armées  alliées  venaient  de  replacer  sur  le  trône  de  France  : 
ses  paroles  et  ses  actes  le  signalèrent  bientôt  aux  meneurs, 
alors  en  évidences  et  tout  puissants.  Madier  avait  tout  lieu 
d'attendre  un  grade  supérieur,  mais  son  rêve  d'ambition  ne 
put  se  réaliser,  car  Napoléon,  quittant  Tile  d'Elbe,  marchait 
sur  Paris  et  le  colonel  royaliste,  mis  en  non  activité  dès  le 
i()  avril  iSi5,  dut  se  décider  à  retourner  à  Bagnols,  où  il  vint 
habiter  sa  maison,  plîlce  de  la  Poulagière  (i).  On  assure  qu'il 
s'y  trouva,  au  milieu  de  notre  population  mobile  et  passionnée, 
pendant  les  tristes  journées  qui  ont  laissé  d'amers  souve- 
nirs (2). 

Avec  les  désastres  de  Waterloo  qui  avaient  englouti  la  for- 
tune de  l'Empereur,  Madier  voyait  renaître  une  lueur  d'es- 
poir. L,^.  Sainte  Alliance  ramena  pour  la  seconde  fois  Louis-le- 
Désiré  (3).  Le  colonel  Madier  reprenant  son  grade,  obtint  le 
commandement  de  la  légion  de  l'Aveyron,  le  16  août  i(Sr5  : 
ce  fut  le  2  mars  1816  qu'en  récompense  de  sa  fidélité  le 
roi  le  créa  baron  (4). 

Notre  compatriote   avait  une   existence   très  active  :   ^e   la 
légion  Aveyronnaise  en  181 5,  nous   le  vovons   passer,  le   3i 
mars  1819,   à   la  tête   de  la  légion   du    Tarn.    Ces    mutations 
presque    annuelles,    qu'il    subissait    ou    sollicitait  peut-être, 

(1)  Maison  Victor  Gensoul,    n»   20. 

(2)  V.  Not.  biog,  de  Bompard^  T.  I,  p.  97. 

(3)  Nous  avons  souvent  répété  cette  appellation  qui  n'a  été  conservée  que  dans 
le  récit  des  historiens  royalistes. 

(i)  [1  est  à  remarquer  que  sur  le  tableau  des  registres  du  sceau  on  trouve  la 
mention  suivante  :  Madier,  col.  lég.  de  l'Aveiiron,  Baron  ord'^<^  du  2  mars  ISKi.  » 
Mais  Fordonnance  royale,  comme  précédemment  le  décret  impérial,  n'étant 
qu'une  simple  manifestation  de  l'intention  du  chef  de  l'Étal,  les  lettres-patentes, 
seules,  constituaient  d'une  manière  complète  la  décision  du  souverain.  Le  texte 

même  de  ces  lettres  le  porte  :   <(  le  dit désirant  profiter  de  la  faveur  que 

nous  lui  avons  accordée  s'est  retiré  par  devant  notre  garde  des  sceaux. . .  à  l'etTet 
d'obtenir  nos  lettres-patentes  nécessaires  pour  jouir  du  dit  titre...  » 

Le  titre  de  baron  (qu'un  majorât  pouvait  seul  rendre  héréditaire)  donnait 
ouverture^  à  un  droit  de  sceau  assez  important  :  3,150  fr.  M.  3Iadier  ne  s'est 
jamais  pourvu  pour  obtenir  des  lettres-patentes,  et  son  titre  n'a  donc  jamais  été 
réiïulièrement  constitué.  —  Note  de  la  Chancellerie. 


<)4  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

semblent  faciles  à  légitimer,  car  il  est  à  croire  que  le  gouver- 
nement de  la  Restauration  choisissait,  pour  diriger  le  mouve- 
ment monarcliique  dans  la  contrée,  un  officier  supérieur 
méridional  et  sincèrement  attaché  au  roi  léo-itimc. 

En  1820  (17  novembre)  Madier  était  colonel  du  57™*"  de 
ligne,  et  le  i3  décembre  de  l'année  suivante  Louis  XVIII  le 
nommait  maréchal  de  camp. 

Aucun  document  officiel  ne  nous  fait  connaître  le  motif  de  sa 
mise  en  disponibilité  à  la  date  que  les  états  de  service  de  notre 
compatriote  précisent,  au  7  janvier  1822.  Rien,  encore,  ne  nous 
dit  pourquoi  le  12  février  1823  il  commandait  la  4"^'=  subdivi- 
sion delà  10"^^ division  militaire  et, le  7  décembre  1826,  il  avait 
le  même  commandement  à  la  3"^*^  subdivision  de  la  8"""^.  Nous 
aurions  besoin  de  pièces  qui  peuvent  se  trouver  aujourd'hui 
dans  la  famille,  ou  bien  il  nous' faudrait  faire  de  longues  et 
patientes  recherches  dans  des  archives  qui  ne  sont  certainement 
pas  à  notre  portée  en  ce  moment. 

La  liniite  d'âge  allait  atteindre  notre  éminent  compatriote, 
et  de  plus  la  cocarde  blanche,  qu'il  chérissait,  en  royaliste 
fervent,  venant  de  céder  la  place  aux  couleurs  nationales, 
le  général  Madier  fut  mis  en  disponibilité  le  16  août  i83o. 
L'heure  du  repos  avait  sonné  pour  lui.  Au  mois  de  mai  i83i 
il  fut  placé  dans  la  2"-'  section  (réserve)  du  cadre  de  l'état-major 
général. 

Le  i3  octobre  1834  le  vieux  soldat,  fidèle  à  la  foi  de  ses 
pères,  mourait  en  chrétien  dans  son  château  de  Lamartine,  sur 
l'Ardèche,  à  5  kilomètres  de  Pont-Saint-Esprit...  Du  canon  de 
la  citadelle  lui  arrivèrent  les  dernières  détonations  qu'il  put  en- 
tendre. Ce  n'était  plus  les  foudres  de  la  guerre,  mais  des  salves 
pacifiques  annonçant  l'arrivée  d'un  prince  qui  n'était  pas  celui 
qu'il  préférait.  Le  duc  d'Orléans  faisait  son  entrée  dans  la  ville 
voisine.  Le  malade  entrevoyait,  disait-il,  un  sombre  avenir.- 
Malgré  la  tendresse  alfectueuse  de  sa  compagne  sympathique, 
malgré  les  soins  touchants  que  lui  prodiguaient  les  membres 
de  sa  famille  résidant  dans  le  voisinage,  les  derniers  jours  du 


MADIER    DE    LAMARTINE 


65 


général  furent  remplis  d'amertume  :  il  avait  épuisé   la  coupe 
de  l'espérance. 

Le  général  Madier  de  Lamartine  (  i  )   a  été  membre  de  la 
Légion  d'honneur  —  le    9  novembre  1806; 

Officier  —  le  24  août  18 14; 

Commandeur  —  le  i"^'"  août  1821; 

Chevalier  de  St-Louis   —  le  24  septembre  1814; 

Chevalier  avec  plaque  de  l'ordre  de  Charles  III  d'Espagne  ; 
Baron  le  2  mars  1816. 


(1)  Lamartine  vient  d'un  lief  de  ce  nom  acquis  par  une  branche  de  la  famille 
Madier.  —  Voir  le  procès  soutenu  contre  le  cardinal  de  Soubise. 


T.    II 


MAGALON    (JOSEPH-DOMINIQUE 

JOURNALISTE 

Né  â  Bagiiols  le  23  juillet  ijg4 
Mort    à    Bagnols    le    /'-'''    ////;/    nSO'j 


AGALON  était  fils  d'un  artisan  qui  jouissait  d'une  mo- 
deste aisance  :  ses  premiers  succès  classiques  enga- 
gèrent son  père  à  lui  laisser  suivre  la  voie  des  études 
latines.  Après  un  séjour  au  Collège  de  Bagnols  sous 
l'abbé  Dumas,  le  jeune  Dominique,  qui  à  treize  ans  venait 
de  terminer  sa  rhétorique,  se  rendit  à  Nîmes  pour  faire  ses 
mathématiques  au  lycée.  Vers  iSii,  envoyé  successivement 
aux  écoles  de  droit  de  Grenoble,  de  Toulouse  et  d'Aix,  il  se 
lia  d'amitié,  dans  cette  dernière  ville,  avec  de  jeunes  compa- 
triotes dont  les  noms  ont,  depuis,  retenti  à  des  degrés  ditfé- 
rents,  dans  la  presse  et  dans  la  politique,  MM.  Mignet,  Thiers, 
Victor  Augier,  Emile  Teulon,  Barginet,  Barbaroux. 

En  1814,  il  vint  à  Paris  achever  ses  études  de  droit.  L'an 
d'après,  lors  du  débarquement  de  l'Empereur  Napoléon,  il  se 
trouvait  à  Bagnols  :  il  prit  parti  sous  les  drapeaux  du  duc 
d'Angoulême  ;  mais  il  a  écrit,  depuis,  que  l'exagération  des 
?///r<i-royalistes  du  Midi  le  jeta  dans  l'opposition. 

Désormais,  Magalon  ne  devait  plus  avoir  à  Bagnols  ni  un 
emploi,  ni  une  carrière  à  suivre  :  il  aspirait  au  séjour  de  la 
capitale,  c'est  à  Paris  qu'il  croyait  trouver  un  théâtre  plus  vaste 
et  plus  en  rapport  avec  ses  goûts  littéraires  ,    Le  journalisme 


68  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

lui  souriait  de  loin.  Sourires  perfides  !  En  effet  le  jeune  et 
ardent  méridional  à  peine  arrivé,  se  lançait,  en  imprudent,  dans 
la  rédaction  de  quelques  feuilles  passionnées,  qui  avaient 
toujours  un  lazzi,  une  pointe  acérée  contre  le  ministère 
chatouilleux  de  la  Restauration,  Avertissements,  amendes, 
prison,  rien  ne  fut  épargné  :  Magalon  luttait  toujours.  Les 
jeunes  amis  qu'il  avait  su  gagner  à  son  projet,  écrivirent  avec 
lui  dans  l'Album  (i)  des  articles  pleins  de  verve  et  d'esprit  : 
nous  citerons  MM.  Alph.  Rabbe,  Loëve-Veimar,  Béranger, 
Delavigne  et  surtout  Alexis  Duménil  qui,  par  une  collabora- 
tion plus  assidue,  imprimait  au  journal  le  caractère  de  son 
talent  personnel  dans  les  matières  politiques  et  religieuses. 
Mais  à  cette  époque  la  censure  ne  tolérait  pas  longtemps  de 
telles  hardiesses  -,  aussi  une  ordonnance  du  ministre  comte  de 
Corbière,  vint-elle  supprimer  dictatorialement  le  journal  in- 
criminé qui  avait  subi  déjà  neuf  condamnations,  —  i823. 

Les  journaux  de  Tépoque  étaient  moins  répandus  que 
ceux  d'aujourd'hui,  et  si  les  lecteurs  se  comptaient  en  plus 
petit  nombre,  les  attaques  directes,  frappant  juste,  n'en  pas- 
sionnaient pas  moins  les  intéressés.  Magalon  se  ruina,  il 
compromit  même  la  fortune  de  sa  femme,  et  nous  le  voyons 
cependant  toujours  sur  la  brèche  défendant  les  principes  du 
libéralisme  auxquels  il  est  resté  constamment  fidèle. 

Notre  compatriote  publia  vers  cette  époque  :  le  Portefeuille 
des  Troubadours^  recueil  de  poésies  fugitives  et  quelques 
romans  qui  eurent  du  succès;  il  les  écrivait  sous  les  verroux. 

C'est  à  l'occasion  de  l'une  des  condamnations  encourues  par 
Magalon  que  fut  commis  à  son  égard,  l'insigne  abus  de  pouvoir 
dont  l'histoire  a  conservé  le  souvenir  et  qui  montre  le  danger 
d'abandonner  à  des  subalternes  inintelligents  les  détails  des 
mesures  intéressant  la  liberté  des  prisonniers. 

Un  matin  Magalon  fut  saisi,   chez  lui,  séparé  brutalement 

(i)  Les  artistes  en  renom  de  l'époque  concoururent  à  illustrer  l'Album. 
Nous  voyons  dans  ce  recueil  des  lithographies  de  Carie  Vernet,  Charlet,  Prud'hon, 
Lescat,  Wattier,  Laurent,  Thomas,  etc.,  etc. 


MAGALON  69 

de  sa  Jeune  femme,  amené  à  la  prison  de  la  Force,  de  là  à 
Sainte-Pélagie  et  à  Poissy  :  des  agents  de  la  police  avaient  pé- 
nétré dans  le  bureau  du  journal,  afin  de  s'emparer  des  papiers 
et  des  registres.  Lire  sa  brochure  :  ma  Translation^  c'est 
assister  à  un  spectacle  de  violence  et  de  cruauté.  Cet  écrivain 
n'avait  pourtant  commis  qu'un  simple  délit  de  presse,  et  les 
ordres  sévères  venus  de  haut  lieu  le  signalèrent  comme  devant 
être  traité  avec  rigueur.  Il  le  fut  avec  la  plus  révoltante  dureté. 
Toute  la  presse  libérale  protesta.  — On  venait  de  conduire  un 
Journaliste  dans  les  cachots  de  Poissy  :  il  avait  traversé  Paris, 
en  plein  Jour,  enchaîné  avec  des  voleurs  et  des  galériens  ivres, 
et  lié,  par  une  menotte  de  fer,  à  la  main  d'un  forçat  dévoré 
d'une  gale  hideuse.  Mais  laissons  le  prisonnier  raconter  lui- 
même  sa  Translation  l'il 

«•  J'étais  arrivé  au  mur  de  ronde,  où    Je   me   trouvais 

entoure  de  gendarmes  et  de  onze  malfaiteurs...  c'étaient  d'af- 
freux bandits.  Lorsque  le  chef  des  gendarmes  les  eut  attachés 
deux  à  deux,  il  s'approcha  de  moi  avec  un  air  d'indifférence 
dédaigneuse  et  il  me  présenta  la  chaîne...  Je  sentis  mes  genoux 
ployer...  il  me  fallut  rappeler  tout  mon  courage  pour  regarder 
cet  homme  en  face.  Je  lui  dis  :  Monsieur^  vous  connaissez  la 
nature  de  mon  délit,  J'espère  donc  que  vous  me  permettrez  de 
prendre  une  voiture  à  mes  frais...  —  «  Eh  !  que  m'importe 
votre  délit  ?  me  répondit-il  en  montrant  ses  ordres.  —  Mais 
il  y  a  erreur,  lui  dis-Je,  — •  êtes  vous  Magalon  ?  —  oui,  Monsieur, 
—  c'est  bien,  voyons...  »  Il  me  présenta  de  nouveau  la  chaîne. 
Cependant,  Je  lui  dis  encore  :  au  nom  de  la  morale,  de 
l'humanité,  faites-moi  donner  une  voiture  ;  Je  la  paierai  :  Je 
paierai  les  gendarmes  qui  m'accompagneront...  c'est  m'assas- 
siner  que  de  me  conduire  ainsi...  Je  ne  pourrai  Jamais,  avec 
ma  faible  santé,  faire,  à  pied,  un  voyage  de  sept  lieues...  » 

«  Enfin  Je  m'offris  en  holocauste...    le  gendarme  me   serra 

(1)  MM.  Jay  et  .Jouy  élaiciit  ;i  Sainte-Pélagie  avec  Magalon  lorsijue  l'ordre 
arriva  de  conduire  ce  dernier  à  Poissy.  —  Lire  les  Ermites  en  prison,  T,  I, 
p.  19  et  suiv.,  par  MM.  Jay  el  Jouy.  —  Voir  ci-après  la  note  A. 


yO  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

fortement  à  la  chaîne  commune  par  une  corde  qui  me  prenait 
au  bras;  ma  main  fut  liée  par  des  menottes  à  celle  du  plus 
hideux  de  ces  misérables. 

«  Nous  sortîmes  de  Sainte-Pélagie...  Au  carrefour  Bussy,  un 
bruit  tumultueux  se  lit  entendre  tout  à  coup.  La  foule  se  pré- 
cipita vers  nous...  Les  parisiens  sont  avides  de  ces  spectacles 
affreux  et  stupides  !...  je  m'affaiblis  de  nouveau;  la  honte 
d'être  confondu  avec  ces  misérables...  enfin  accablé  de  ma 
position,  je  parlais  avec  feu,  je  dis  que  je  n'étais  point  crimi- 
nel ;  mais  la  faible  victime  de  puissantes  vengeances.  La  foule 
parut  se  presser  autour  de  moi  pour  m'entendre  :  mes  compa- 
gnons étaient  stupides  d'étonnement  :  je  vis  plusieurs  hommes 
pâlir;   je  vis  des  signes  de  vif  intérêt  sur  quelques  figures  !... 

«  Arrivés  aux  Champs  Elysées  les  voleurs  demandèrent 

du  vin  qu'on  leur  apporta...  le  vin  mit  en  gaieté  mes  compa- 
gnons ;  ils  entonnèrent  des  chants  obscènes...  à  Boulogne  on 
leur  servit  encore  quelques  brocs,  au  point  qu'en  entrant  dans 
Nanterre,  ils  étaient  complètement  ivres.  Ils  vociféraient  après 
chaque  refrain  :  vivent  les  voleurs  !  vivent  les  galériens  ! 
honneurs  aux  i^-alériens  !  nous  sommes  des  galériens  ! 

«  Mon  voisin  raconta  son  histoire,  il  déclara  que  le  délit 
pour  lequel  il  était  condamné  ne  l'eut  point  ramené  aux 
bagnes.  Les  bagnes^  disait-il,  sont  le  Paradis  des  Prisons. 

«  En  traversant  Saint-Germain  mes  compagnons  signalèrent 
leurs  passages  par  de  nouvelles  vociférations.  Ils  hurlaient,  ils 
injuriaient  tout  le  nionde,  ils  renversaient  les  étalages...  la 
population  indignée,  se  sauvait  à  l'approche  de  ces  bandits... 
Nous  arrivâmes  à  trois  heures  de  l'après-midi,  j'étais  brisé.  « 

Assurément  de  tels  actes  sont  incompréhensibles  aujourd'hui, 
et  il  faut  remonter  aux  époques  de  passions  politiques  et 
d'absolutisme  pour  les  juger. 

A  Poissy  l'avocat  stagiaire  condamné,  assimilé  aux  autres 
détenus,  revêtit  l'habit  des  voleurs  et  dut  se  livrer  à  un  travail 
quotidien  en  rapport  avec  ses  forces  épuisées  :  on  l'utilisa  à 
l'atelier  de  chapellerie,  où  il  tressait  de  la  paille.  Nous  venons 


MAGALOX  71 

de  parler  des  protestations  et  de  marques  de  S3^nipathies  favo- 
rables au  Jeune  détenu,  les  noms  suivants  nous  viennent  sous 
la  plume  :  M.  le  comte  Alexandre  de  Laborde,  députe  de  la 
Seine,  à  qui  l'écrivain  dédia  ses  Veillées  de  Ste-Pélagie^ 
M.  Kœchlin,  de  TAlsace,  Chateaubriand,  Victor  Hugo,  l'ho- 
norable et  pieux  duc  de  Larochefoucault-Liancour  et  bien 
d'autres  littérateurs  qui  écrivirent,  à  son  sujet,  dans  les  jour- 
naux du  temps. 

Pendant  son  séjour  à  Poissy,  Magalon  a  tenu  note  jour  par 
jour  de  tout  ce  qui  lui  arriva  dans  cette  prison.  Ainsi  nous 
savons  que  le  i"-'""  mai  1823  le  comte  Alexandre  de  Laborde 
lui  olTrir  son  concours  i  ;  que  la  famille  de  Saint-Aignant  vint 
le  visiter  et  le  consoler  \  que  M.  de  Chateaubriand  demanda 
et  obtint  son  extradition  de  Poiss\^  à  Sainte-Pélagie  :  et  à  cette 
occasion,  Magalon  ajoute  : 

«  5  juin  —  je  dois  donc  à  M.  de  Chateaubriand  la  cessation 
de  mon  infâme  persécution  ;  que  dis-je  !  je  lui  dois  la  vie, 
j'allais  périr...  » 

Magalon  arriva  à  Paris  le  q  juin.  Ses  amis  lui  offrirent  un 
banquet  dans  la  prison  même  ;  la  police  avait  accordé  à 
Madame  Magalon  l'autorisation  d'assister  à  cette  fête  :  deux 
mois  après  un  ami  généreux  se  rendant  caution  de  la  somme 
de  3,5oo  francs  montant  des  frais  et  amendes  dont  était  frappé 
le  prisonnier,  celui-ci  recouvra  sa  liberté. 

Cependant  le  vaillant  champion  continuait  la  bataille  litté- 
raire. Dès  le  mois  d'août,  il  venait  de  publier  un  recueil  de 
poésies  et  avait  trouvé  moven  de  payer  envers  M.  Victor  Hugo 
une  dette  de  reconnaissance.  Le  poète  qui  fut,  peu  après, 
l'auteur  admiré  de  Notre-Dame  de  Paris^  adressa  à  Magalon 
une  lettre  qui  honore  et  celui  qui  l'écrivit  et  celui  qui  la  reçut  : 
nous  tenons  à  en  reproduire  le  texte  : 

«  Monsieur,    on    vient  de    me   faire    lire  la   note    qui   me 

(1)  Lire  les  trois  remarqualiles  nrticles  de  cet  écrivain  patriote  imprimés  et 
reproduits  dans  le  Courrier  Français,  le  Journal  du  Commerce  ou  le  Constitu- 
tionnel (1823). 


72  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

concerne  dans  votre  recueil  de  poésie.  Vous  vous  exagérez 
beaucoup  l'importance  des  très  légers  services  que  j'ai  été  assez 
heureux  pour  vous  rendre,  mais  cette  exagération  me  prouve 
la  noblesse  de  votre  àme.  Permettez-moi  de  vous  remercier  de 
m' avoir  fait  connaître  un  cœur  généreux  de  plus. 

«  J'avais  exprimé  mon  opinion  en  trouvant  vos  vers  bons, 
vous  avez  émis  la  vôtre  en  trouvant  les  miens  mauvais  :  nous 
ne  nous  devons  rien  l'un  à  l'autre.  Depuis,  vous  avez  été 
malheureux  ;  le  hasard  de  ma  position  m'a  mis  à  même  de 
contribuer  peut-être  au  soulagement  de  ce  malheur  ;  j'ai  fait 
ce  que  tout  autre  eût  fait  à  ma  place.  J'aurais  manqué  à  mon 
devoir  en  ne  consacrant  pas  mes  faibles  eftbrts  à  épargner  une 
injustice  au  pouvoir  et  des  souffrances  à  un  homme  de  lettres 
prisonnier. 

«  L'action  dont  vous  voulez  bien  me  remercier  et  dont,  il 
parait,  on  a  pris  la  peine  de  vous  informer,  n'est  donc  que 
simple  et  naturelle,  la  vôtre  est  honorable  et  rare,  permettez- 
moi  donc  de  refuser  des  remercîments  que  je  regrette  de  ne 
pas  mériter  et  de  vous  prier  d'accepter  tous  les  miens. 

«  Votre  gratitude  s'adresse  légitimement  à  des  hommes  tels 
que  M.  de  Chateaubriand  et,  à  ce  qu'il  a  fait  pour  vous,  on 
reconnaît  aisément  cet  illustre  soutien  des  lettres  qui  leur 
révèle  son  amour  par  ces  bienfaits  depuis  qu'il  ne  peut  plus  le 
leur  prouver  par  ses  ouvrages. 

«  Adieu,  Monsieur,  la  note  que  vous  m'avez  consacrée  est 
certes  un  souvenir  de  poète ^  puissent  ces  soin'enirs  poétiques 
n'être  bientôt  plus  ceux  d'un  prisonnier  (i'. 

«  Yoivc  bien  dévoué  serviteur, 

«  Victor  Hugo,  n 
Le  30  août  1823. 

Magalon  continua  sa   vie    littéraire  et  accentua  de  plus  en 

(1)  Le  livre  aïKjuel  Victor  Hugo  fait  allusion,  compose  par  deux  détenus, 
Magalon  et  Barginet,  avait  pour  titi'e  :  Souvenirs  poétiques  de  deux  prison- 
niers. 


MAGALON  73 

plus  ses  tendances  politiques  :  les  persc'cutions  multipliées 
n'avaient  pu  attiédir  son  ardeur  méridionale  :  il  était  encore  à 
Sainte-Pélagie  lorsque  la  Révolution  de  Juillet  i83o  éclata.  Le 
bruit  du  canon  des  trois  journées  tonnait  sous  les  voûtes  de  la 
prison,  et  ce  fut  seulement  le  29  que  les  portes  s'ouvrirent 
pour  les  détenus  politiques.  La  garde  nationale  pénétra  dans 
l'enceinte  et  Magalon,  un  des  défenseurs  de  la  liberté,  sortit 
porté  sur  une  sorte  de  brancard  formé  par  un  faisceau  de  fusils, 
aux  cris  joyeux  des  patriotes  commandés  par  le  capitaine 
Duruy  (i). 

De  i83o  à  i835  Magalon  séjourna  à  Paris  :  sa  mission  comme 
écrivain  était  finie  puisqu''il  assistait  au  triomphe  de  ses  idées 
politiques.  Le  journalisme  n'était  plus  une  ressource  pour  lui, 
il  dut  solliciter  une  position  qui  ne  fut  pas  seulement  honori- 
fique :  il  ne  put  l'obtenir.  «  Le  roi  Louis-Philippe  »  fit  alors 
sur  sa  cassette  personnelle  une  pension  à  l'écrivain  libéral.  En 
i83i  M.  de  Montalivet,  ministre  de  l'intérieur,  lui  accordait 
une  pension  annuelle  de  1,200  francs  ;  pareille  somme  lui  était 
servie  par  le  ministère  des  Beaux-Arts. 

Vers  la  fin  de  l'année  i835,  Magalon  se  décida  à  revoir 
Bagnols,  de  nombreux  amis  l'y  attendaient.  Là,  son  temps  fut 
partagé  entre  la  littérature  et  le  calme  de  la  vie  à  la  campagne. 
Il  fut  un  de  ceux  qui  encouragèrent  l'imprimerie  ;  il  contribua 
à  la  rédaction  des Joiiniaiix  de  la  localité;  il  fonda  rAlbwn^ 
journal  de  Bagnols;  il  publia  avec  Léon  Alègre  l'Album 
pittoresque  du  Gard.  Comme  feuille  hebdomadaire,  après 
V  Album  vint  Y  Hirondelle  du  Gard^  puis  les  Petites  Affiches. 
Mais  bientôt,  sans  y  prendre  garde,  la  presse  tombait  dans  le 
mercantilisme  ;  on  regrettait  fort  de  telles  tendances  car  ces 
différentes  feuilles  entretenaient  la  vie  au  sein  de  nos  popula- 
tions rurales.  Sans  avoir  la  prétention  de  viser  à  de  hautes 
portées  les  journaux  bagnolais,  écrits  avec  entrain,  traitaient  de 
littérature,  de  poésie,  de  commerce,  d'industrie  locale  et  osaient 

(1)  V.  ci-après  la  note  B. 


y4  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

aborder  qL]cle|ucs  fois  l'histoire  et  la  critique  :  hélas  !  ces  feuilles 
sont  tombées,  et  leurs  fruits  n'ont  pu  venir  à  maturité.  Il  est 
toujours  difficile,  dans  un  pays  industriel  qui  ne  compte  que 
six  mille  âmes,  de  trouver  assez  de  dévouement  et  de  loisir 
pour  alimenter  un  journal  :  les  grands  centres  absorbent  tout. 
Cependant  Magalon  cherchait  à  utiliser  les  heures  de 
ses  longues  journées.  Il  publia  une  ceuvre  qui  malheu- 
reureusement  est  restée  inachevée  :  Nous  voulons  parler  de 
V Histoire  du  Languedoc.  Cette  œuvre  suspendue  à  cause  des 
infirmités  précoces  de  son  auteur,  a  été  diversement  jugée.  Ce 
n'est  point  un  résumé  de  la  grande  publication  des  Bénédictins, 
c'est  une  course  rapide,  attachante,  émue,  au  travers  de  nos 
annales  Languedociennes.  Si  l'auteur  n'a  pas  su  pardonner 
aux  exagérations  des  hommes  dans  les  siècles  qu'il  a  voulu 
flétrir  par  ses  attaques  mordantes,  n'en  accusons  qu'un  reste 
de  cette  humeur  irascible  de  la  jeunesse  du  bagnolais.  Quoi- 
qu'il en  soit,  les  deux  premiers  volumes  de  cette  histoire,  font 
regretter  le  dernier,  dont  les  notes  insuffisantes  ne  permettent 
plus  d'espérer  le  complément.  IS Histoire  du  Languedoc  favo- 
rablement accueillie  par  l'Académie  du  Gard,  a  valu  à  notre 
compatriote  l'honneur  d'être  nommé  membre  correspondant 
de  cette  savante  compagnie. 

En  1807,  Magalon  écrivait  encore  :  il  envo3'ait  de  Bagnols, 
des  articles  aux  journaux  de  Paris.  Le  Commerce^  le  Siècle^ 
l'accueillaient  dans  leurs  colonnes.  Louis  Desnoyers  un  des 
rédacteurs  de  cette  dernière  feuille,  le  félicite  sur  ses  articles 
littéraires,  —  bien  écrits,  bien  pensés,  —  mais  il  a  le  regret  de 
ne  pouvoir  les  accepter  tous.  —  «  Journaliste,  vous-même,  lui 
disait-il,  vous  savez  que  la  qualité  n'est  pas  la  seule  règle  en 
matière  de  presse  et  que  chaque  journal  a  ses  convenances  et 
ses  nécessités  qui  tiennent  aux  habitudes  et  à  la  nature  de  sa 
publicité...  V intéressant  bien  plus  encore  que  r/z/^/rz/c///" voilà 
ce  que  le  grand  nombre  cherche  dans  un  feuilleton...  » 

Nous  avons  dit  que   Magalon  rédigeait  le  journal  YHiron- 


MA GALON  75 

ddlc.  C'était  en  184.0  ;  la  petite  feuille  bagnolaise  quoique 
alimentée  par  des  écrivains  de  mérite  ne  pouvait  pas  vivre  ;  si 
elle  ne  partageait  pas  le  bénéfice  des  annonces  judiciaires  avec 
le  journal  du  chef-lieu  de  l'arrondissement  au  profit  de  l'im- 
primeur autant  que  dans  l'intérêt  des  abonnés.  Le  rédacteur 
en  chcf^  écrivit  à  Paris,  il  s'adressa  au  ministre  de  l'époque, 
dont  il  était  l'ami  dévoué. 

Voici  ce  que  lui  répondit  le  fils  du  ministre  : 

«  Monsieur,  je  viens  d'écrire  à  M.  S...  au  nom  du  Père  et 
du  Fils,  en  faveur  du  Saint-Esprit  qui  est  {'Hirondelle. 

((  Puisque  les  temps  sont  ainsi  faits  que  V Esprit  a  besoin 
pour  vivre  et  pour  briller  d'un  réquisitoire  du  Procureur  du 
Roi  et  d'une  ordonnance  du  Tribunal,  il  faut,  en  gémissant,  en 
prendre  son  parti  et  supposer  que  le  tribunal  et  procureur 
auront  ïesprit  voulu  pour  comprendre  notre  prière  et  y  faire 
droit. 

«  J'ai  prié  avec  toute  l'ardeur  et  tout  l'élan  d'une  àme  sincè- 
rement dévote. 

«  La  chose  n'entrant  pas  dans  mes  habitudes,  je  m'en  éton- 
nerais si  je  ne  savais  que  la  reconnaissance  est  un  culte,  et  si  la 
piété  filiale,  qui  n'est  pas  une  vertu,  parce  qu'elle  est  un 
devoir,  ne  m'inspirait  pour  V Hirondelle  une  gratitude,  pour 
vous  une  alïection  qui  expliquent  la  componction  de  mes 
or  émus. 

<(  Espérons  que  la  grâce  invoquée  descendra  d'Uzès  sur  l'oi- 
seau Bagnolais  et  qu'il  pourra  bientôt  déployer,  avec  toute 
l'ampleur  nécessaire  à  son  vol,  les  ailes  déjà  si  vigoureuses  sous 
lesquelles  je  lui  demande  la  permission  de  me  placer. 

«  Mille  amitiés.  Gh.  Teste.   » 

Magalon  ne  se  contentait  pas  de  cultiver  les  lettres  et  la 
poésie,  homme  d'érudition  et  de  bons  conseils  il  s'occupait  de 
la  chose  publique.  Notre  ami  avait  conquis  dans  le  pays  d'ho- 


7<^  NOTICES    15I0GRAPHIQUES 

norablcs  sympathies.  Il  fut  toujours  le  premier  à  ouvrir  sa 
bourse  aux  journalistes  malheureux,  aux  patriotes  persécutés, 
aux  nationalités  opprimées.  Magalon  signait  en  1847  1^^  pétition 
en  faveur  de  la  réforme  électorale,  réforme  qui,  à  ses  yeux, 
comportait  des  limites,  car,  il  le  disait  souvent  :  «  on  ne  doit 
voter  que  si  on  sait  lire  et  écrire.  » 

Pendant  plusieurs  années  Tancien  journaliste  lit  partie  du 
Conseil  municipal^  où  il  apportait  une  exactitude  parfaite  et 
où  il  savait  faire  prévaloir  les  avis  les  plus  sages  et  les  plus 
utiles  au  pays. 

Le  choix  de  Tadministration  supérieure  tomba  sur  lui  pour 
les  fonctions  d'administrateur  à  la  commission  des  hospices 
de  la  ville  de  Bagnols.  Magalon,  demandant  toujours  des 
améliorations,  a  rempli  pendant  plus  de  dix  ans  ce  mandat 
gratuit.  Mais  la  fonction  dans  laquelle  il  semblait  le  plus  à 
Taise,  c'est  celle  de  membre  du  bureau  d'administration  du 
Collège.  Là,  le  lauréat  de  iSoq,  le  contemporain  ou  l'ami 
de  tant  d'élèves  distingués*  ou  déjà  célèbres,  aimait  à  s'occuper 
avec  bienveillance  de  ses  jeunes  successeurs,  qu'il  ne  manquait 
jamais  de  venir  couronner  aux  jours  de  distribution  des  prix. 

Les  années  tempéraient  son  ardeur  juvénile  ;  mais  il  restait 
le  même  homme.  Aussi  en  1848  fut-il  désigné  comme  maire 
de  Bagnols.  La  haute  fonction  de  magistrat  était  plus  lourde 
à  sa  santé  délabrée  qu'elle  ne  l'était  à  la  verdeur  de  son  pa- 
triotisme. Magalon  fut  homme  de  conciliation  et  d'indulgence, 
il  déposa  son  écharpe  et  se  retira  après  avoir  administré  la  ville 
pendant  six  mois. 

Nous  l'avons  connu  depuis  i835  cet  homme  de  bien  et  cet 
ami  tout  à  la  fois  bon  et  sévère,  que  l'on  trouvait  toujours 
affectueux  et  serviable,  malgré  certaines  formes  de  bourru 
bienfaisant.  Avec  quelle  modestie  touchante  ne  parlait-il  pas 
de  ses  anciens  succès  !  avec  quelle  simplicité  sa  nature  délicate 
et  légèrement  sensuelle  ne  s'accomodait-ellc  pas  d'une  vie 
calme  et  retirée. 


MA GALON  yy 

Il  traduisait  en  vers  français  les  Odes  d'Horace  et  ce  poète  de 
prédilection  le  charmait  par  sa  douce  philosophie  i^i  , 

Une  maladie  longue  et  cruelle  vint  dompter  ce  fier  athlète 
des  idées  progressistes  :  il  lutta  pendant  huit  ans  contre  ses 
infirmités.  Une  cécité  complète  semblait  devoir  l'assombrir  ; 
mais  entouré  de  soins  incessants,  objet  des  plus  tendres  solli- 
citudes, il  put  dans  l'affaiblissement  graduel  de  sa  constitution, 
répondre  jusqu'au  bout,  avec  une  douceur  résignée  à  la  pieuse 
affection  de  sa  famille  et  de  ses  amis.  Il  mourut  le  i*^'"  juin 
18(37. 

Magalon  rappelait  Rivarol  par  la  tournure  de  son  esprit 
railleur,  et  par  son  insouciance  native  des  choses  de  la  vie  : 
c'est  lui  qui  disait  de  Bagnols  avec  quelque  amertume  : 

«  Ici  comme  dans  toutes  les  petites  villes  de  province  il  n'y 
a  qu'une  émulation,  un  vœu,  un  but.  Ce  n'est  pas  d'être 
savant,  ce  n'est  pas  d'être  considéré,  et  bien  moins  encore 
d'être  aimable,  c'est  d'être  riche  :  qui  dit  riche,  dit  tout... 

c(  Ici  on  a  d'insipides  loisirs  dont  on  ne  sait  comment  user. 
Les  eaux  du  tieuve  de  la  vie  y  coulent  avec  pesanteur  :  nul 
événement  ne  marque  les  journées,  tout  s'embarrasse,  tout  se 
mêle  :  on  entreprend  avec  mollesse,  on  exécute  avec  tiédeur, 
on  sème  sur  un  sol  inculte  des  graines  qu'on  a  mal  choisies, 
et  la  conséquence  est  de  recueillir  des  fruits  sans  suc  et  sans 
saveur... 

«  Il  y  a  bien,  d'espace  en  espace,  quelques  esprits  plus  re- 
muants qui  tendent  à  monter  et  à  croître,  mais  dégrossis 
seulement  à  moitié,  et  encore  un  peu  couverts  de  rouille,  ils 
sont  comme  les  vieilles  épées  qui,  rarement  tirées  du  fourreau, 
percent  et  blessent  sans  briller  (2).  » 

Ce  tableau  de  Bagnols,  que  nous  avons  beaucoup  écourté, 

(1)  Magalon  a  laissé  un  manuscrit  précieux  que  possède  aujourd'hui  la  Biblio- 
thèque-Musée ;  ce  sont  ses  Poésies.  L'épigraphe  porte  une  partie  d'un  vers  de 
Virgile  :  Meminisse  Juvabit.  Ces  pièces  fugitives  ont  été  composées  depuis 
181 4  jusqu'à  1850. 

(2)  Album  pittoresque  du  Gard,  p.  29. 


78  NOriCI-S    BIOGRAPFilQUES 

est  loin  d'être  liatteur,  même  pour  Tépoque  où  il  a  été  tracé, 
—  1842,  —  Le  critique  aurait  pu  envisager  sous  un  autre 
aspect  le  calme  salutaire  de  la  vie  des  petites  villes,  où  il  n'est 
défendu  à  personne  de  savoir  se  suffire  à  soi-même,  par  des 
travaux  préférés,  dans  les  moments  qu'il  appelle  des  loisirs 
insipides. 

Si  le  journaliste  de  i83o  vivait  actuellement  au  milieu  de 
nous,  aurait-il  lieu  d'être  rassuré  sur  ses  compatriotes  ?  les 
jeunes  gens  surtout  donnent-ils  à  leurs  loisirs  un  meilleur 
emploi  ?  ont-ils  déserté  les  cafés  ?  boivent-ils  ,  fument-ils 
moins  ?  hélas  !  non,  même  on  les  entend  soutenir  que  cette 
existence  mollement  tramée  sans  profit  pour  eux,  ni  pour  le 
public  est  exemplaire...  grand  bien  leur  fasse  ! 


NOTES 

(A,  p.  (j9).  —  Dans  la  prison,  son  ami  Barginet,  de  Grenol)!o,  lui  écrit  pour 
l'assurer  qu'il  accélère  ses  démarches  en  sa  faveur.  Il  raconte  que  MM.  Jay  et 
Jouy  (auteurs  de  VErmite  en  province)  vont  pul)lier  un  ouvi'age  intitulé  :  Conso- 
lations de  Sainte-Pélagie,  a  Votre  affaire,  dit-il,  y  est  racontée  avec  soin.  Je  n'ai 
pas  besoin  de  vous  dire  que  la  plume  de  Jouy  peut  produire  quelque  chose  de 
parfait.  J'ai  fourni  sur  vous  une  note  biographique...  vous  êtes  le  sujet  de  la 
o-ravure.  Vous  devez  sentir  que  cet  ouvrage  fera  du  ])ruit  et  qu'on  ne  pourra 
résister  à  cette  accumulation  de  plaintes.  » 

Barginet  finit  ses  jours  k  Lyon,  où  il  dirigeait  encore,  en  1835,  le  Journal  du 
Commerce. 

(B,  p.  73).  —  Dès  1833,  Magalon  s'était  lié  d'amitié  avec  M.  Victor  Duruy,  alors 
ao'régé  de  l'Université  et  professeur  au  Collège  royal  de  Reims.  11  le  revit  à 
Paris  lorsqu'il  devint  professeur  d'histoire  des  enfants  du  roi.  L'on  a  trouvé  dans 
la  volumineuse  correspondance  du  journaliste  des  lettres  fort  intéressantes  : 
celui  qui  est  devenu  plus  tard  ministre  de  l'instruction  publique^  écrit  la  relation 
d'un  voyage  fait  avec  Michelet  à  La  Rochelle,  à  Blois,  à  Tours,  à  Poitiers,  à 
(Jahors,  à  Pau  et  dans  les  Pyrénées. 


MALLET   (AUGUSTE-GÉDÉON) 

MÉDECIN    ET    DÉPUTÉ 

Né  à  Bagnols  le  2^  novembre  i8i5 
Mort    à    Bagnols    le    8    décembre     iS-jS 


,E  23  novembre  1876  nous  assistions,  à  Versailles,  à 
^me  séance  de  la  Chambre.  Notre  ami  Mallet,  député 
jdu  Gard,  se  disposait  à  prendre  sa  place  au  centre 
'gauche.  —  «  Qui  pouvait  prédire,  lui  disions-nous, 
que  tu  aurais  un  jour  l'honneur  insigne  d'être  compté  parmi 
les  représentants  de  la  Nation  !  —  Le  croirais-tu,  répondit-il, 
je  l'avais  pressenti,  il  y  a  bien  des  années,  la  première  fois 
que  j'entrai,  à  Paris,  au  palais  du  Corps  législatif.  y>  Cette 
révélation  spontanée  nous  frappa,  mais  nous  ne  vîmes  point 
là  l'expression  d'une  outrecuidance  prétentieuse  :  nous  crûmes 
plutôt  à  un  vague  souvenir  de  Mallet,  voyageur  en  Orient,  et 
rapportant  du  pays  de  Mahomet  le  dogme  du  Fatalisme. 

Il  est  de  fait  que  le  vote  populaire  obligea  Auguste  Mallet  à 
sortir  de  sa  modeste  et  laborieuse  existence  comme  médecin 
des  pauvres  de  la  ville  et  du  canton  de  Bagnols.  La  vie  poli- 
tique était  loin  d'être  dans  les  aptitudes  et  dans  les  goûts  de 
cet  ami  de  la  science,  de  ce  chercheur  fantaisiste,  sans  cesse 
en  quête  du  nouveau  et  de  l'inconnu.  La  famille  de  cet  enfant 
gâté  du  suffrage  universel  a-t-elle  de  profondes  racines  dans  le 
pays  ?  —  Non. 


8o  NOTICES     BIOGRAPHIQUES 

En  1810,  un  honorable  employé  des  contributions  indirectes, 
né  à  Voiron  (Isère),  exerçant  à  Bagnols,  épousa  Mademoi- 
selle Marie  Graffand  (i).  De  cette  union  naquit  Pierre-Au- 
guste-Gédéon  Mallet,  le  27  novembre  181 5.  Le  jeune  enfant 
avait  à  peine  treize  ans  lorsqu'il  perdit  son  père.  Madame 
Mallet  vint  habiter  Bagnols  et  plaça  pendant  deux  ans  son  fils 
au  collège  de  Montélimar,  en  iS2().  Auguste  continua  ses 
classes  au  collège  royal  d'Avignon  et,  de  là,  se  vouant  à  l'étude 
de  la  médecine,  il  alla  à  Montpellier  prendre  ses  grades.  C'était 
un  étudiant  laborieux  :  son  goût  précoce  pour  les  sciences 
naturelles  se  révélait  sur  les  bancs  de  l'école;  il  était  docteur 
en  i83c). 

Les  aspirations  du  jeune  médecin  ne  pouvaient  le  prédis- 
poser au  choix  d'un  établissement  dans  une  petite  ville  :  il 
songea  à  prendre  du  service  comme  chirurgien  auxiliaire  de 
la  marine  et  nous  le  voyons,  sur  les  navires  de  l'État,  faire  de 
fréquentes  traversées  de  Toulon  à  Alger,  où  il  s'était  fixé 
pendant  quelque  temps. 

On  assure  que  son  goût  des  voyages  et  le  besoin  du  service 
amenèrent  l'aide-chirurgien  à  franchir  la  grande  mer. 

Mallet  abandonna  la  marine  en  1842,  il  vint  se  fixer  dans  sa 
ville  natale.  Sa  mère  venait  de  se  remarier  avec  M.  Gentil  (2) 
et  ce  dernier,  qui  avait,  pour  son  fils  adoptif,  une  touchante 
affection,  l'appelait  auprès  de  lui.  Auguste  exerça  la  médecine. 
Sa  nouvelle  position  de  fortune  lui  permettait  de  nombreuses 
libéralités  :  il  se  voua  au  soulagement  des  indigents  et  des 
malheureux.  Sa  renommée  s'accrut  en  proportion  de  sa  géné- 
rosité manifeste  et  incessante.  Ses  années  s'écoulèrent  ainsi 
dans  le  travail  utile,  dans  l'étude  des  sciences  et  dans  le  culte 
des  arts,  car  Mallet  était  dessinateur  selon  son  caprice.  Il 
a  laissé  des  marines  estimées,  surtout  par  l'à-propos  des 
sujets    qu'il  copiait,  tantôt    le   Hoche  monté    par    Bompard, 

(1)  Mademoiselle  Graffand  était  née  dans  un  hameau  de  la  commune  de  Mont- 
clus  à  Monleil. 

(2)  En  \U\. 


MALLET  Ol 

tantôt  l'Embuscade  que  le  vaillant  contre-amiral  lançait  à  la 
poursuite  des  Anglais  dans  les  eaux  de  New- York  (i). 

Ses  études  des  sciences  naturelles  étaient  activées  au  con- 
tact d'un  savant  géologue  du  Gard,  Émilien  Dumas,  qui  est 
venu  maintes  fois  nous  visiter,  et  que  Mallet  se  plaisait  à 
accompagner  dans  ses  courses  sur  les  montagnes  voisines  (2). 
D'autres  fois,  il  servait  de  cicérone  au  naturaliste  de  l'Ar- 
dèche,  Jules  de  Malbosc,  quand  celui-ci  explorait  la  contrée. 
De  ces  excursions  scientifiques  Mallet  sut  profiter  et  trouva  le 
mo3^en  de  former,  chez  lui,  un  embryon  de  collections  variées 
qu'il  réservait  à  notre  Musée,  dont  il  était  un  administrateur 
des  plus  zélés. 

Le  docteur  Mallet  jouissait  de  la  réputation  de  médecin 
habile  :  il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  s'étonner  si,  lorsqu'en  1846, 
un  congrès  des  médecins  de  France  ayant  lieu  à  Paris,  ses 
collègues  de  la  contrée  le  choisirent  comme  délégué  de  la 
région  :  on  a  dit  qu'il  sut  tenir  dans  l'assemblée  une  place 
honorable. 

En  dehors  de  ses  études  médicales,  Mallet,  l'un  des  grands 
propriétaires  du  pays,  s'occupait  à  l'élève  des  vers  à  soie.  Or, 
en  mai  iSSy,  les  ^rj/zze^  françaises  ou  milanaises  ne  donnant 
que  des  produits  désastreux,  quelques  spéculateurs  se  tour- 
nèrent vers  l'Orient  et  se  hasardèrent  jusqu'à  Andrinople. 
Mallet,  groupé  avec  des  amis  intéressés,  comme  lui,  à  la  régé- 
nération des  races,  entreprit  le  voyage  de  l'Asie  mineure  :  il 
alla  à  Brousse  veiller  au  grainage  des  papillons  et  apporta, 
espérait-il,  des  œufs  de  qualité  supérieure.  Hélas  !  le  résultat 
ne  répondit  qu'incomplètement  à  ses  espérances,  luo.'à  graines 
se  sont  de  plus  en  plus  empestées  :  il  a  fallu  pénétrer  dans 
la  Chine  et  au  Japon  pour  trouver  des  races  parfaitement 
saines;   il  a  fallu  attendre  que  la  science  nous  révélât,  par  la 

(1)  V.  Not.  biog.  de  Bompard,  T.  1,  p.  97. 

(2)  Emilien  Dumas  a  donné  le  nom  de  Mallet  à  une  espèce  nouvelle  A'ostrea 
qu'il  découvrit  aux  environs  de  DagnoLs  :  Grès  vert,  Ter.  Ucetien.  —  Ostrea 
malletiana.  —V.  Statist.  (jéolorj.  du  Gard,  2me  partie,  p.  475. 

T.    II  6 


82  N  O  T  [  C  i:  s    lu  O  C.  R  A  P  H  I  Q  U  E  s 

voix  de  Pasteur,  un  remède  efficace,  un  moN'cn  certain  de 
reconnaître  la  maladie,  si  préjudiciable  aux  intérêts  de  l'agri- 
culture "et  à  l'industrie  méridionales.  Mallet  n'avait  été  qu'un 
propagateur  désintéressé  et  non  un  spéculateur  avide.  Voilà 
pourquoi,  malgré  son  insuccès,  les  éducateurs  lui  surent  gré 
de  sa  louable  tentative. 

A  la  mort  de  sa  mère,  deux  fois  veuve,  Mallet  devint  pro- 
priétaire des  domaines  de  la  famille  Gentil.  L'exploitation  des 
terres  de  Derbèze  et  de  Paniscoule  absorbait  presque  tout  son 
temps.  Il  abandonnait  ses  goûts  favoris  et  ne  conservait  que 
son  dévouement  aux  intérêts  de  la  cité.  Le  vote  de  nos  conci- 
toyens l'appela  au  Conseil  municipal,  dont  il  fut  un  membre 
remarquable  par  son  exactitude  et  son  activité.  Il  ne  recher- 
chait point  la  faveur  populaire,  mais  le  peuple  lui  impo- 
sait des  devoirs  :  «  l'obligation  de  s'occuper  de  la  chose 
publique.  »  En  effet,  doit-on  exiger  des  actes  de  dévouement 
absolu  et  la  perte  d'un  temps  précieux,  de  la  part  de  l'ouvrier, 
de  l'industriel  qui  a  besoin  de  toutes  les  heures  de  sa  journée 
pour  gagner  le  pain  de  sa  famille  :  —  non.  On  doit  demander 
ce  sacritice  à  l'homme  riche,  à  l'homme  instruit  :  et  si  cet 
homme  ne  se  dévoue  pas  pour  son  pays,  il  mérite  d'être 
flétri  du  nom  d\>go'ïsfe  ;  nom  qui,  selon  nous,  devrait  équi- 
valoir à  la  plus  humiliante  des  appellations. 

Mallet,  indépendant  par  position,  était  faible  et  timide  par 
caractère  :  c'est  ce  qui  l'a  empêché  de  prendre,  dans  les  cir- 
constances capitales  de  la  vie,  un  parti  décisif,  une  résolution... 
il  préféra  vivre  libre,  plutôt  que  de  se  donner  un  but  et  de 
stabiliser  sa  vie  dans  les  liens  du  mariage. 

Pendant  plusieurs  années  le  docteur,  pris  d'une  belle  passion 
pour  l'apostolat  scientifique,  s'était  lié  avec  quelques  amis  et 
avait  donné  des  conférences  populaires  :  il  aimait  ces  sortes 
d'exhibitions  d'appareils,  d'échantillons,  de  tj'pes,  de  dessins 
graphiques  :  son  goût  et  son  amour-propre  d'initiateur  étaient 
satisfaits  (i). 

(1)  V.  Not.  biog.  de  lî.  de  Saint-Auban,  T.  1,  }).  mi. 


MALLET  83 

Mais  des  préoccupations  plus  sérieuses  coupèrent  court  au 
zèle  du  conférencier.  La  fatale  guerre  de  1870-71,  mit  la  patrie 
en  danger.  Nos  soldats  blessés  réclamaient  d'abondants  secours. 
Un  comité  venait  d'être  organisé  à  Bagnols  par  un  homme 
d'initiative.  Mallet  fut  choisi  pour  vice-président,  il  se  mit  à 
l'œuvre.  On  le  vit,  alors  qu'il  y  avait  affluence  sur  la  place, 
les  Jours  de  marché,  tendre  la  main  aux  campagnards,  aux 
forains,  et  demander  l'oflrande  patriotique  pour  soulager  nos 
malheureux  soldats.  —  Dans  cette  œuvre  pie,  —  qui  s'est 
conservée  jusqu'ici,  disons-le  à  l'honneur  de  la  cité  (i), 
Mallet  a  prêché  d'exemple  et  fait  plus  que  son  devoir. 

Ici  nous  entrons  dans  une  nouvelle  phase. 

La  République  venait  d'être  proclamée,  on  demandait  des 
citoyens  dévoués,  libres,  indépendants  ;  la  personnalité  du 
docteur  Mallet  était  en  vue  :  le  canton  de  Bagnols  le  choisit 
pour  membre  du  Conseil  général  :  bientôt,  la  députation  lui 
fut  offerte  et  le  modeste  docteur  sortit  de  son  obscurité 
relative. 

Notre  mission  n'est  point  d'analyser  la  vie  publique  du 
député  de  l'arrondissement  d'Uzès  ;  de  parler  de  ses  votes, 
sages,  modérés,  selon  les  uns,  imprudents,  irréfléchis  selon  les 
autres  :  nous  ne  dirons  pas  quelle  fut  la  somme  d'influence 
que  son  titre  pouvait  lui  attirer  au  profit  de  ses  commettants  : 
non,  tel  n'est  pas  notre  but.  Crayonnons  seulement  l'ensemble 
de  cette  figure  de  l'homme  politique.  —  Il  appartenait  au  parti 
modéré  de  la  Chambre  et  faisait,  nous  assurait-il,  tous  ses 
efforts  pour  se  maintenir  dans  cette  fraction  de  nos  représen- 
tants :  il  votait,  mais  ne  parlait  pas. 

Dans  les  diverses  élections  et  réélections,  il  s'est  produit  des 
incidents  regrettables,  notre  devoir  n'est  point  de  les  juger  : 
qu'il  nous  suffise  de  dire  que  nous  avons  toujours  compté  sur 

(1)  Le  Comité  de  secours  aux  blessés  militaires  existe  à  Bagnols  depuis  1871. 
Il  rend  service  aux  anciens  soldats  nécessiteux  de  la  contrée,  et  c'est  par  l'in- 
termédiaire du  président  de  ce  Comité  (jue  la  Société,  dont  le  siège  est  à  Paris, 
fait  distribuer  les  secours  alloués  chaque  année. 


84  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Mallet,  comme  sur  un  homme  de  bonne  foi,  de  loyauté  et 
aimant  la  justice  par  dessus  tout. 

Un  jour  de  décembre  187S,  le  député  d'Uzès  quittait  la 
Chambre  et  prenait  la  route  du  Midi  :  il  était  déjà  gravement 
malade,  et  paraissait  ne  pas  se  préoccuper  de  sa  santé  sensi- 
blement altérée...  il  arrive  à  Bagnols  dans  la  soirée  du  8,  et 
en  regagnant  sa  demeure,  il  s'aiTaisse  sur  la  route  de  Nimeset 
meurt,  d'une  attaque  d'apoplexie  foudroyante. 

La  triste  nouvelle  se  répandit  dans  la  cité  et  jeta  la  cons- 
ternation parmi  tous  les  amis  du  docteur  et  du  député.  Deux 
jours  après,  par  un  temps  de  neige  et  un  froid  rigoureux,  la 
population  bagnolaise  et  les  nombreux  amis  des  alentours  ac- 
compagnaient à  sa  dernière  demeure  le  citoyen  Auguste  Mallet. 
Des  paroles  synipathiques  furent  prononcées  sur  sa  tombe  par 
M.  T.  Lacombe,  maire,  et  par  son  collègue  au  Conseil  général, 
M.  Gazagne,  aujourd'hui  sénateur.  Les  deux  orateurs  célébrè- 
rent les  qualités  sérieuses,  incontestées  de  notre  ami  et  la  foule 
se  retira  en  commentant  les  dernières  dispositions  testamen- 
taires du  défunt  regretté. 

Mallet  qui  n'a  point  oublié  certains  de  ses  amis  ni  ses 
serviteurs  dévoués,  a  fait  des  libéralités  insignes  à  la  ville  de 
Bagnols.  Nous  mentionnerons  d'abord  5, 000  francs  pour  les 
orphelins  pauvres,  5, 000  francs  pour  le  Collège  communal. 
La  maison  Gentil,  sur  la  Place,  a  été  donnée  à  la  Ville,  à 
condition  d'y  établir  la  Bibliothèque  ou  un  Musée,  des  salles 
de  conférences  ou  une  école  laïque...  10,000  francs  à  la  com- 
mune pour  faire  face  au  traitement  du  concierge  ou  aide-con- 
servateur. Il  a  fait,  en  outre,  des  legs  à  ses  parents —  ligne  ma- 
ternelle ;  —  il  a  désigné,  comme  légataire  universel,  un  cousin, 
de  la  branche  paternelle,  et  il  a  donné  toutes  ses  collections, 
tableaux,  œuvres  d'arts,  antiquités,  à  son  ami  Léon  Alègre 
fondateur  de  la  Bibliothèque  et  du  Musée  de  Bagnols. 

Telles  sont  les  principales  dispositions  de  l'acte  suprême  du 
docteur  Mallet. 

La  ville   hérite  de   la  maison   Gentil,   qui    n'est   autre    que 


MALLET  85 

l'hôtel  d'Augier,  où  Louis  XIII  et  Montmorency  ont  logé 
plusieurs  fois  pendant  le  xvii'^  siècle.  Cet  hôtel  historique  est 
déjà  aménagé  selon  l'intention  du  généreux  donateur. 

Le  Conseil  municipal  a  tenu  à  associer  la  ^'ille  à  l'érection 
du  monument  funéraire  consacré  à  la  mémoire  de  M.  le  député 
Mallet  par  son  héritier  universel,  M.  Lalande.  Le  tombeau 
se  trouve  dans  la  travée  méridionale  des  concessions  perpé- 
tuelles   r. 

Nous  devions  à  notre  ami  Mallet  un  témoignage  de  gratitude 
pour  la  part  qu'il  a  voulu  prendre  à  l'extension  de  notre  œuvre 
du  Musée.  Nous  nous  faisons  l'écho  des  paroles  sympathiques 
de  la  population  reconnaissante,  qui  regrettant  le  docteur 
Mallet  se  souvient  de  ses  belles  qualités  de  cœur  et  de  son 
empressement  à  soulager  toutes  les  infortunes. 

Si  cet  homnie  de  bien  a  rencontré  quelques  antagonistes, 
quelques  inimitiés,  il  croyait  ne  les  avoir  po'nt  provoquées  : 
les  circonstances  lui  créèrent  une  position  délicate  dont  il  n'au- 
rait pu  sortir  qu'à  la  condition  d'être  d'une  essence  supérieure 
à  l'espèce  humaine...  Mais  ici-bas,  trouve-t-on  des  êtres  surna- 
turels ? 


(1)  Le  plan  du  monument,  lout  ;ï  la  fois  élégant  et    sévère  e^t  dû  à  l'habile 
crayon  de  ,M.  Félix  Degan,  architecte,  à  Hagnols. 


MARRON    (JEANNE) 

RELIGIEUSE    INSTITUTRICE 

iVc'c  à    Bagnols  le    ig   avril    ij6o 
Morte   à   Baguais   le    2    novembre     i(S34 


ERS  17S5.  une  jeune  lille  de  Bagnols,  Mademoiselle 
Jeanne  Marron,  édifiait  la  ville  entière  par  son  an- 
gélique  piété.  Sa  fortune,  ses  qualités  éminentes 
auraient  pu  lui  procurer,  dans  le  monde,  un  établis- 
sement avantageux.  Tel  n'était  point  le  but  de  cette  pieuse 
enfant  :  elle  aspirait  à  la  retraite  ;  elle  demanda  à  ses  parents 
la  permission  d'embrasser  la  vie  religieuse.  En  eflet,  peu 
après,  un  allié,  Tabbé  de  Villard^  supérieur  des  missions 
étrangères,  l'appelait  à  Paris  et  lui  facilitait  l'entrée  dans  la 
communauté  des  sœurs  des  écoles  chrétiennes. 

Le  couvent  fondé  par  le  vénérable  Père  Barrié  (i)  était  où 
il  est  encore  aujourd'hui,  dans  le  faubourg  Saint-Germain  et 
dans  la  rue  Saint-Maiir.  Mademoiselle  Jeanne  Marron  vint 
déposer  là  ses  plus  chers  souvenirs  de  famille  et  prit  l'habit 
de  novice. 

Après  qu'elle  eut  prononcé  ses  vœux,  on  confia  à  la  sœur 
Marron  la  direction  de  la  maison  d'Agde.  Ce  fut  avec  bonheur 

(1)  Le  Père  Barrié  ot  quelques  bénédictins  de  Vannes  fondèrent  la  congréga- 
tion de  Saint-JVIaur  en  1613. 


85  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

que  la  jeune  supérieure  revit  le  beau  ciel  du  Midi  et  que,  sur 
sa  route,  elle  foula  le  sol  de  sa  ville  natale  où  elle  devait,  plus 
tard,  faire  tant  de  bien  et  mourir  entourée  delà  vénération  de 
tout  le  monde.  Son  installation  en  Languedoc  date  de  peu 
avant  i  789. 

Bientôt  la  Révolution  éclate.  Mais,  entraînés  par  les  pas- 
sions perverses,  quelques  hommes  ardents  dépassent  le  but 
désiré  par  tant  d'honnêtes  et  paisibles  citoyens.  De  part  et 
d'autre  des  misérables,  des  fous  furieux  se  portent  à  tous  les 
excès  :  Agde  fut  le  théâtre  de  désordres  inouïs  et  l'on  raconte 
que  dans  une  des  journées  les  plus  néfastes,  une  bande  d'éner- 
gumènes  se  rua  sur  la  sainte  maison  et  même  dans  l'évêché, 
et  que  la  Mère  Marron,  par  sa  conduite  ferme  et  énergique, 
arrêta  leur  fureur. 

Il  fallut  cependant  quitter  Agde,  déposer  l'habit  reli- 
gieux, revêtir  la  carmagnole,  à  la  mode  du  jour  et  s'é- 
chapper nuitamment  pour  chercher  asile  au  pays  natal. 
A  Agde,  la  Mère  Marron  avait  pris  en  grande  atlection  une 
de  ses  compagnes,  la  sœur  Faudet,  de  Marvejols  (i),  jeune 
personne  d'une  distinction  parfaite.  Les  deux  humbles  institu- 
trices qui  n'avaient  d'autre  tort,  aux  yeux  des  exaltés,  que  de 
donner  l'exemple  de  toutes  les  vertus  chrétiennes,  de  se 
dévouer  pour  leur  prochain  et  de  n'agir  qu'en  vue  de  Dieu, 
ces  deux  saintes  filles,  disons-nous,  après  un  voyage  que  faci- 
litait leur  déguisement  forcé,  arrivèrent  dans  la  maison  hospi- 
talière (2)  et  eurent  soin  de  se  cacher  à  tous  les  yeux,  sauf  à 
ceux  de  quelques  amis  intimes.  Cependant  leur  réclusion  vo- 
lontaire ne  fut  pas  de  longue  durée,  car  dès  le  28  février  1794 
—  10  ventôse  an  II  —  nous  voyons  la  sœur  Marron  présente 
à  la  maison  commune  prendre  part  à  la  réunion   des  ex-reli- 


(1)  Madame  Faudet  qui,  jusqu'à  son  décès  a  été  uue  des  directrices  de  la 
maison  de  Saint-Maur,  avait  un  neveu  ecclésiastique  éminemment  distingué  qui 
est  deveim  curé  de  Saint -Ilocli,  à  Paris,  et  a,  dans  maintes  occasions,  refusé  la 
mitre  épiscopale. 

(2)  Le  famille  Marron  liahitait  alors,  à  la  Grande  rue,   la  maison  Paillion,  n»  G. 


MARRON  89 

gieuses  mandées  pour  venir  prononcer  le  sernient  civique  (i). 
La  Journée  fut  employée  à  l'exécution  de  cette  formalité  obli- 
gatoire :  nos  Archîj'cs  donnent  le  nom  des  Ursulines,  des 
sœurs  des  écoles  chrétiennes  et  des  religieuses  employées  au 
service'  des  maisons  charitables.  Comme  ses  compagnes, 
Jeanne  Marron  s'exprime  en  ces  termes  :  «  Je  jure  d'être  fidèle 
«  à  la  République,  de  maintenir  la  liberté,  l'égalité  et  de 
«  mourir  en  les  défendant.  »  Puis  elle  signe  au  registre. 

Dix  jours  après,  les  églises  de  Bagnols  étaient  fermées  et  le 
sanctuaire  de  la  paroiss^  '^ransformé  en  Temple  de  la  Raison. 
Cependant,  au  niilieu  de  ces  temps  calamiteux,  les  écoles  ne 
cessèrent  pas  d'être  ouvertes.  Les  meneurs  les  plus  violents 
reconnaissaient  la  nécessité  de  l'instruction  :  ainsi,  même  après 
la  dispersion  des  Ursulines,  soumises  à  la  Constitution,  nous 
voyons  les  cito^^ennes  Sophie  Flour  et  Claire  Douce,  deux 
d'entre  elles,  ouvrir  une  école  de  filles.  Même  à  cetre  époque 
Bagnols  osait  accentuer  ses  S3'mpathies  pour  renseignement  et 
pour  les  professeurs  dévoués. 

Peu  après  le  9  thermidor,  le  25  frimaire  an  III,  disent  nos 
Annales.,  on  songea  sérieusement  à  organiser  les  écoles  pri- 
maires, ajin  de  régénérer  les  mœurs  et  les  idées.,  et  le  (5  ven- 
tôse le  jury  de  l'instruction  publique  du  district  nomme  pour 
institutrices  les  citoyennes  Marron,  Clavel,  Douce  et  Faudet. 
On  leur  alloua  une  subvention  communale  fort  minime, 
200  francs.  Le  dévouement  sans  bornes  et  la  générosité  dont 
les  filles  pieuses  avaient  déjà  donné  des  preuves  leur  avait 
conquis  l'estime  publique.  Elle  eut  donc  une  origine  bien 
modeste  cette  maison  qui  devait  plus  tard  obtenir,  dans  toute 
la  contrée,  un  succès  justement  mérité. 

L'école  avait  été  ouverte  à  l'angle  de  la  rue  du  Rémouleur, 
non  loin  de  la  grande  fontaine,  dans  la  maison  n°  2  :  mais 
peu  après,  le  nombre  des  élèves  augmentant,  les  institutrices 

(1)  Voir  pour  les  détails  :  Annales  historiques  de  Bagnols  ;i  la  date  citée. 


()0  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

allèrent  s'établir  à  la  Grande  rue,  dans  la  demeure  des  de 
Vogue  ([). 

Les  dames  Marron,  —  car  dès  cette  époque  on  les  nommait 
ainsi,  —  rendaient  des  services  signalés  à  la  ville  de  Bagnols. 
La  génération  d'alors  éprouvait  déjà  les  bienfaits  d'une  éduca- 
tion foncièrement  morale  parce  qu'elle  était  chrétienne.  La 
preuve  de  la  continuation  de  cette  œuvre,  à  la  fin  du  siècle 
dernier,  est  arrivée  jusqu'à  nous,  non  seulement  par  la  tradi- 
tion mais  par  les  registres  mêmes  des  délibérations  de  1795 
à  1800  qui  portent  la  trace  de  son  existence  non  interrompue 
puisqu'ils  attestent  que  les  institutrices  Marron  et  Faudet  furent 
soumises  à  l'obligation  de  prêter  serment  de  fidélité  à  la  Consti- 
tution modifiée  et  par  le  Directoire  et  par  le  Consulat.  A  la 
date  du  10  fructidor  an  X,  nous  relevons  dans  nos  archives 
municipales  une  délibération  élogieuse  pour  l'école  primaire 
et  le  pensionnat  pour  les  filles.  Le  rapporteur  s'exprime  en  ces 
termes  : 

«  La  bonne  éducation  des  garçons  n'a  pas  seule  fixé  l'atten- 
tion de  la  ville  de  Bagnols  :  celle  des  personnes  du  sexe  a 
obtenu  mêmes  soins,  mêmes  sacrifices;  aussi  pendant  qu'un 
Collège  renommé  portait  les  Jeunes  gens  au  plus  haut  degré 
des  sciences  et  des  arts,  les  filles,  élevées  dans  la  pratique  des 
vertus,  recevaient  les  instructions  qui  devaient  un  Jour  les 
rendre  estimables,  intéressantes,  utiles  à  leurs  familles  et  à 
elles-mêmes  quelque  fut  l'état  qu'elles  dussent  embrasser. 

«  Il  n'entre  pas  dans  le  plan  de  travail  dont  le  Conseil  mu- 
nicipal est  chargé  de  s'appesantir  sur  les  circonstances  qui 
nuisirent  pendant  plusieurs  années  à  ces  deux  établissements; 
il  suffit  d'observer  que  du  moment  que  des  temps  moins 
fâcheux  succédèrent,  les  dames  Marron  et  Faudet,  ci-devant 
sœurs  des   écoles  chrétiennes  de  Paris,  distinguées  par  leurs 


(1)  Maison  Dupin,  n"  -47.  Madame  de  Cadollo,  belle-mère  du  comle  de  Vogue 
de  Tresques,  habitait  alors  les  deux  maisons  Ladroit-Dupin  et  Cassan-Pen- 
chenier. 


MARRON  01 

bonnes  mœurs,  leur  esprit,  leurs  talents,  furent  invitées  et 
pressées  de  se  charger  à  Bagnols  de  l'enseignement  qu'elles 
avaient  professé  avec  tant  de  succès.  C'est  à  leur  dévouement 
au  bien  public  qu'est  due  la  restauration  de  l'institution  la 
plus  complète  qu'il  soit  possible  pour  les  personnes  de  leur 
sexe. 

«  Connaissance  approfondie  de  la  religion  -,  —  langue  fran- 
çaise par  principes,  histoire,  géographie,  tous  les  genres  de 
travaux  manuels  pour  ce  qui  est  de  la  simple  école;  et  pour  le 
pensionnat,  addition  de  tous  les  arts,  de  tous  les  talents 
agréables  ou  qui  peuvent  devenir  utiles  aux  personnes  dont  les 
familles  éprouveraient  des  revers  de  fortune. 

«  Le  sous-préfet,  dans  sa  tournée  de  cette  année  a  été  à 
portée  ds  se  convaincre  par  lui-même,  de  toutes  ces  vérités  et 
sans  doute,  il  se  rappellera  l'approbation  qu^il  a  bien  voulu 
donner  aux  dames  institutrices. 

«  Lorsque  ces  écoles,  tout  à  la  fois  pensionnat  pour  les  filles 
n'étaient  tenues  que  par  les  Ursulines  de  Bagnols,  elles  rece- 
vaient de  la  ville  une  gratification  annuelle  de  200  francs  ;  mais 
ces  religieuses  avaient  une  maison  vaste  (i;  et  des  emplacements 
commodes  qui  ne  coûtaient  rien  -,  des  propriétés  et  un  assez 
fort  revenu,  tandis  que  les  dames  Marron  et  Faudet  qui  ont 
encore  plus  de  droit  aux  encouragements,  sont  obligées  de 
supporter  de  très  gros  loyers,  ne  possédant  absolument  rien 
dans  la  commune.  » 

Pendant  cette  séance  plusieurs  membres  parlèrent  sur  le 
même  objet  et  l'on  conclut  à  allouer  aux  dames  Marron  la 
somme  annuelle  de  quatre  ceuls  francs^  à  la  condition  «  d'ins- 
truire gratuitement  dix  enfants  du  sexe,  de  pauvres  familles  de 
la  commune,  à  la  désignation  du  maire,  de  leur  apprendre  les 
travaux  manuels  et  de  faire  chaque  dimanche  le  catéchisme  et 
des  instructions  sur  la  religion  à  ces  mêmes  enfants.  » 

Pendant  toute  la  durée  du  premier  Empire  la  maison  pros- 

(1)  Rue  du  Ruisseau,  au  Couvent,  no  ti. 


92  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

pcra.  Le  gouvernement  devait  avoir  de  la  sollicitude  pour  les 
écoles  qui  formaient  des  filles  et  des  sœurs  résignées,  alors  que 
dans  les  prytanées  et  les  lycées  de  ce  temps  là  on  enseignait  le 
métier  des  armes  aux  jeunes  recrues,  appelées  non  sans  une 
émotion  profonde  du  nom  de  «  chair  à  canon.  » 

Les  générations  se  succédèrent  et  les  locaux  devenus  insuf- 
fisants, l'école  fut  installée  Place  de  Saint-Jean,  à  côté  de 
l'église  (i)lcs  institutrices  s'efforçaient  à  répondre  à  la  confiance 
des  familles  :  un  personnel  intelligent  secondait  à  souhait  les 
deux  zélées  directrices.  De  toute  part,  de  l'Hérault,  de  \'au- 
cluse,  de  TArdèche,  les  élèves  arrivaient  pour  suivre  les  cours 
supérieurs;  des  jeunes  personnes  appartenant  aux  familles  les 
plus  distinguées  se  groupaient  à  Bagnols;  tant  notre  ville,  par 
ses  écoles  bien  dirigées,  avaient  étendu  au  loin  la  réputation 
des  enseignants. 

A  la  Restauration  (i8i5),  des  établissements  destinés  à 
l'éducation  des  jeunes  filles  s'élevèrent  dans  tous  les  centres 
populeux  du  Midi  :  la  multiplicité  des  écoles  éloigna  nos  pen- 
sionnaires et  la  maison  des  dames  Marron  allait  se  voir  réduite 
aux  seules  élèves  de  la  ville.  Si  nous  avons  la  preuve  de  cette 
diminution  dans  le  nombre  de  jeunes  filles  de  l'école,  nous 
trouvons  dans  une  délibération  du  Conseil  municipal,  à  la 
date  du  20  décembre  i(Si6,  l'éclatant  témoignage  d'estime  et 
de  sympathie  respectueuse  pour  les  chères  institutrices,  sœur 
Marron  et  sœur  Faudet.  Ces  dames  obtinrent  un  supplément 
de  270  francs. 

Il  fut  convenu  qu'avec  le  chiffre  total  de  670  francs  elles 
recevraient  gratuitement  2  5  élèves  auxquelles  on  enseignerait 
à  lire,  à  écrire,  les  travaux  manuels  analogues  à  leur  sexe, 
et  on  leur  donnerait  l'instruction  que  reçoivent  les  élèves 
payantes  de  la  seconde  classe. 

Le  Conseil  demande  en  outre  que  les  institutrices  accueillent 
toutes  les  filles  de  la  ville  de  quelque  condition  qu'elles  soient 

(f)  1821. 


MARRON  qS 

qui  se  disposeraient  à  faire  leur  première  communion  ;  et  veut 
qu'on  leur  donne  l'instruction  que  comporte  cet  acte  religieux. 
Pendant  trente  années  le  pensionnat  Saint-Maur  accrut  le 
nombre  de  ses  élèves,  et  s'il  prit  encore  une  plus  grande  exten- 
sion, ce  fut  à  l'arrivée  de  jeunes  et  intelligentes  sœurs  lesquelles 
augmentèrent  la  somme  de  connaissances  spéciales  du  per- 
sonnel enseignant.  Les  vénérables  directrices  allaient  bientôt 
se  séparer  ici-bas.  La  mort  enleva  la  Mère  Marron  le  2  novem- 
bre 1S34  et  le  3  novembre  1840  Madame  Faudet  rendit  son 
âme  à  Dieu.  Ces  deux  bienfaitrices  insignes  emportaient  les 
regrets  de  la  population  entière  :  trois  générations  de  mères 
et  de  filles  reconnaissantes  pleurèrent  sur  leur  tombe. 

Pourquoi  n'ajouterions-nous  pas  ici  qu'en  1841,  le  pension- 
nat Saint-Maur  fut  dirigé  par  Madame  Bichat,  religieuse  d'une 
rare  distinction  (i  .  La  nouvelle  supérieure  trouvant  les  locaux 
insuffisants  jeta  les  yeux  sur  l'ancien  couvent  des  Ghanoinesses 
de  Saint-Bernard  de  Valsauve,  rue  Poulagière  n°  12;  là,  les 
élèves  auraient  de  l'espace,  de  l'air,  du  soleil,  une  vaste  maison 
et  une  chapelle  -,  l'acquisition  eut  lieu  en  février  i84[. 

La  Communauté  installée  continue  son  œuvre  méritoire  et 
de  plus  en  plus  appréciée.  Madame  Bichat  mourut  le  23  mai 
1874.  A  la  date  de  ce  jour,  depuis  six  ans,  le  Pensionnat  est 
dirigé  par  Madame  Sainte-Julie  :  c'est  le  nom  intime  que 
donnent  encore,  malgré  son  nouveau  titre,  à  la  digne  sœur 
qui,  arrivée  depuis  1827,  est  chérie  et  vénérée  par  toutes  les 
personnes  qui  la  connaissent. 

Les  soins  assidus  et  les  travaux  persévérants  du  groupe 
d'institutrices  dont  nous  avons  parlé  à  propos  de  Madame 
Marron  n'ont  point  été  infructueux  :  de  nombreuses  familles 
où  se  trouvent  des  mères  chrétiennes  et  des  filles  pieuses, 
instruites,  distinguées,  le  témoignent  suffisamment.  Parmi  les 


(I)  La  sœur  Bichat  était  coiisiae  germaine  du  célèbre  médecin   de  ce  nom, 
mort  à  Paris  en  1802. 


94 


NOTICES     BIOGRAPHIQUES 


élèves  des  Dames  Marron  nous  citons  avec  quelque  licrté  des 
jeunes  bagnolaises  qui  leur  font  honneur  : 

Dans  i ordre  de  Saint-AIaur, 

Madame  Alexandrine  Lacroix,  supérieure  à  Toulon  ; 

—  Joséphine  Baille,  —        à  Nîmes  ; 

—  Sophie  Barque,  —         à  la  Canourgue 

(Lozère)  ; 
A  la  Msitation^  sœur  Joséphine  Vernet,  supérieure  à  Avignon  ; 
A  la  Trappe^         —   Pauline  Degan,  révérende  mère  de  Bon- 

neval  (Aveyron)  ; 
Aux  Missions  étrangères^  Élisa  Bousquet,  à  Singapour  (Inde); 

—  —  Fanny  Baldy,  à  Ping-Ling  (Chine)  \ 

—  —  Marie  Borelly,  à  Yokohama  (Japon). 

Les  familles  Boyer  et  Lignon-Roux  comptent  les  derniers 
parents  survivants  à  la  sœur  Marron. 


MARTIN    ;JEAN-BAPTISTE) 

CURK 

A'é  à  Bagnols  le  3  août  i  jS'j 
Mort    à    Bagiiols    le     i5    août     1842 


jpNVERS  certains  hommes  d'élite,  le  ciel  est  parfois 
prodigue  des  faveurs  refusées  à  tant  de  personnalités 
banales,  médiocres,  incomplètes.  Ses  privilégiés, 
qu'ils  sortent  des  rangs  obscurs  des  travailleurs,  ou 
qu'ils  appartiennent  à  la  classe  opulente  et  parfois  titrée, 
semblent  ne  former,  tous,  qu'une  même  famille.  Selon  nous, 
ces  privilégiés  seraient  ceux  qui,  l'esprit  subtil  et  ouvert, 
regardent  et  qui  voient  ;  ceux  qui,  prudents  et  discrets,  parlent 
après  réflexion  -,  ceux  qui  savent  être  toujours  dignes,  aimables 
et  affectueux  sans  calcul  intéressé. 

L'abbé  Martin  dont  nous  allons  raconter  la  vie,  était  du 
nombre  de  ces  derniers.  Issu  d'une  famille  d'honnêtes  artisans, 
il  avait  su  développer  si  bien  ses  qualités  innées  qu'en  le  voyant 
on  l'aurait  cru  sorti  d'une  lignée  de  nobles  aïeux... 

Mais  n'avaient-ils  pas,  eux  aussi,  leur  noblesse,  ces  humbles 
travailleurs,  jaloux  de  l'honorabilité  de  leur  nom  ?...  et,  rece- 
vant les  bienfaits  d'une  éducation  chrétienne  n'y  avait-il  pas 
lieu  d'attendre  le  développement  du  germe  des  qualités,  des 
vertus  natives  dans  le  cœur  des  enfants  de  ces  ouvriers  selon 


9*5  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Dieu  !  c'est  ce  qu'il  advint  à  Jean-Baptiste  Martin.  La  nature 
lui  avait  donne  une  haute  taille,  élégante  et  gracieuse,  une 
phj'sionomie  ouverte,  fine  et  délicate,  en  un  mot  les  allures 
d'un  gentilhomme  :  il  était  prédestiné  à  tenir  un  jour  une 
place  distinguée  dans  la  plus  haute  société  de  son  époque. 

Son  père,  François-Jean  et  sa  mère  Françoise  Souchon, 
habitaient  la  rue  du  Terrail,  (aujourd'hui  rue  général  Teste, 
n°  4).  Ils  avaient  cinq  enfants,  quelques  terres,  moins  pro- 
ductives que  de  nos  jours  et  le  modeste  établi  de  patinier  (i), 
suffisaient  amplement  aux  besoins  restreints  d'une  famille 
économe  et  laborieuse.  Tandis  qu'un  des  fils  de  la  maison  se 
vouait  à  continuer  les  traditions  industrielles,  et  que  les  filles 
s'adonnaient  aux  soins  intérieurs  du  ménage,  deux  des  jeunes 
garçons,  Jean-Baptiste  et  Gabriel,  commençaient  leurs  études 
chez  les  Joséphites. 

L'on  sait  déjà  que  cette  corporation  de  prêtres  enseignants 
avait  à  Bagnols  un  Collège  en  renom.  Jean-Baptiste  en  suivit 
les  cours  et  se  fit  particulièrement  remarquer  entre  tous  ses 
condisciples.  Sa  piété,  sa  douceur  et  la  distinction  de  ses  ma- 
nières le  posèrent  auprès  des  maîtres,  toujours  heureux  de 
grouper  autour  d'eux  l'élite  de  la  jeunesse  studieuse  du  pays. 

Les  seigneurs  de  ce  temps  là  distribuaient  les  faveurs  et  les 
grâces  :  ils  aidaient  de  leur  puissante  protection  les  sujets 
recommandés  à  eux  par  leurs  représentants  locaux,  quand  ils 
ne  les  connaissaient  point  déjà  personnellement.  Jean-Baptiste 
aspirant  à  la  prêtrise  donnait  de  belles  espérances  :  sa  vocation 
ne  surprit  personne  à  Bagnols.  On  résolut  de  l'envoyer  au 
collège  de  Bellay,  où  il  continua  ses  études  classiques.  Peu  à 
après,  à  cause  même  des  liens  qui,  par  l'agent  du  seigneur, 
unissaient  le  jeune  bagnolais  au  prince  de  Conty,  l'abbé  Martin 
se  rendit  au  collège  de  l'Isle-Adam. 

(1)  Les  industriels  exerçant  ce  métier  étaient  autrefois  plus  nombreux  dans 
notre  ville  ;  les  chaussures  fourrées,  fabriquées  à  la  mécaniinie  cl  les  sabots 
élégants  sont  venus  détrôner  les  patins. 


JEAN-BAPTISl  E    MARTIN  gy 

L'Islc-Adam,  alors  petite  ville  de  l'Isle  de  France,  est  actuel- 
lement un  canton  de  l'arrondissement  de  Pontoise  (Seine-et- 
Oise'.  Là,  depuis  i(36o,  S.  A.S.Armand  de  Bourbon  châtelain 
du  lieu  (i),  avait  attiré  l'ordre  des  Joséphites  de  Lyon  et  cette 
fondation  pieuse,  de  la  part  d'un  prince  du  sang  lequel  était 
en  même  temps  seigneur  de  Bagnols,  dotait  en  la  même  année, 
ces  deux  villes  de  son  domaine.  Les  collèges  avaient  entr'eux 
un  lien  commun  ;  c'étaient  deux  anneaux  de  cette  chaîne  for- 
mée, en  France,  par  les  établissements  d'instruction  publique 
et  d'apostolat. 

Selon  leurs  règles,  les  missionnaires  devaient  être  au  fnoins 
trois  attachés  à  une  localité  :  dans  l'Isle  de  France  comme  en 
Languedoc  ils  desservaient  la  paroisse,  tenaient  un  pensionnat 
déjeunes  garçons  dont  le  nombre  des  élèves  dépassait  rarement 
le  chiffre  de  vingt. 

Lorsqu'il  abandonna  son  beau  soleil  du  Midi,  Jean-Baptiste 
n'avait  que  vingt  ans.  Les  documents  biographiques  recueillis 
à  l'Lsle-Adam  même,  nous  disent  qu'il  continua,  au  collège 
de  cette  ville,  ses  études  classiques,  mais  que  bientôt  menacé 
d'une  maladie  de  poitrine,  il  se  vit  forcé  de  venir  dans  son 
pays  natal.  L'air  de  Bagnols  le  rétablit  entièrement.  L'abbé 
retourna  à  l'Isle-Adam,  il  y  fit  ses  études  et  il  demeura  peu 
après  chargé  d'une  classe  comme  professeur  de   belles-lettres. 

C'est  à  la  date  du  21  septembre  1783  que  les  registres  des 
actes  religieux  sont  signés  par  lui  ;  mais  ce  ne  fut  Jamais  à 
titre  de  vicaire.  Assurément  l'abbé  Martin  n'était  alors  exclu- 
sivement voué  qu'à  ses  fonctions  de  professeur. 

Vers  1789  l'abbé  Auzias  (2),  curé  de  l'Isle-Adam  donna  sa 
démission.  La  congrégation  des  Joséphites  présente  M.  J.  A. 
Martin,  ecclésiastique  pieux,  instruit  et  d'une  douceur  prover- 

(1)  Les  princes  de  Bourbon-Conty  ont  possédé  jusqu'à  la  Révolution  le  châ- 
teau de  risle-Adam  et  le  château  de  Stroz^  situé  à  5  kilom.  de  cette  ville. 

(2)  Sans  doute  encore  un  nom  méridional.  —  Ce  ne  serait  point  étonnnant, 
car  la  communauté  qui  desservait  l'Isle-Adam,  dépendant  des  Joséphites  de 
Lyon,  se  l'ecrutait  dans  le  Midi. 

T.   II  7 


q8  xoT[r.F.s  iuocraph  iquf.s 

bialc.  Mgr  TÉvcque  de  Beauvais,  agréa  notre  compatriote  et 
le  nomma  curé  le  8  octobre:  le  25  du  môme  mois,  Tabbé 
Martin,  qui  avait  à  peine  vingt-neuf  ans,  était  installé.  Ses 
condisciples  applaudirent  à  cette  nomination  laquelle  semblait 
moins  une  faveur  qu'un  acte  de  justice.  C'est  alors  que  parurent 
ces  rimes  élogieuses  adressées  aux  prêtres  établis  à  TIsle-Adam  : 

Quant  au  Doucet  Monsieur  Martin^ 
Nous  tenons  ici  pour  certain 
(2u'il  sera  curé  de  votre  isle  : 
NommCy-Ia  :  bourgs  l'illag^e  ou  ville 
Nous  ne  ferons  pas  de  procès. 
Mais  nous  répondrons  du  succès  (i).  » 

Pendant  quatre  ans,  le  vertueux  curé  remplit  les  fonctions  de 
son  saint  ministère  avec  un  zèle,  un  dévouement  et  une  piété 
remarquables  :  il  sut  conquérir  l'estime  et  raiVcction  de  tous 
ses  paroissiens  :  ceux-ci  lui  en  donnèrent  maintes  ibis  la 
preuve. 

Le  20  novembre  1793  l'abbé  Martin  cessa  de  signer  les  actes 
religieux  dans  les  registres  de  la  Paroisse  :  nous  approchions 
des  plus  mauvais  jours  et  le  vénérable  pasteur,  en  se  séparant 
de  son  troupeau  bien  aimé,  allait  subir  une  rude  épreuve  ; 
mais  son  courage  et  sa  résignation  devaient  triompher  de  tous 
les  obstacles. 

Au  moment  où  les  églises  étaient  fermées  et  les  prêtres 
forcés  de  fuir  la  tourmente  révolutionnaire,  le  curé  fut  dé- 
noncé au  comité  de  salut  public  par  le  citoyen  Emmanuel 
Gohier,  d'Armenon,  juge  de  paix  de  l'Isle-Adam  et  l'un  des 
administrateurs  du  district  de  Pontoise.  Des  ordres  furent 
donnés  pour  saisir  ce  bon  pasteur,  présenté  aux  juges 
comme  un  criminel  et  les  agents  aveugles  du  pouvoir  se  por- 
taient déjà  autour  de  la  maison  curiale,  lorsque  la  population 

(1)  Ces  vers  semblent  écrits  par  un  po(Mo  de  l'école  do  l'abbé  Alary.  — 
V.  sa  biograpliie,  T.  I.  p.  7. 


.1  EAN-I5APTISTI-:    MARTLN  99 

entière  accourt  en  foule  et  se  prépare  à  délivrer  le  pasteur 
chéri.  Des  huées  menaçantes  accueillirent  la  maréchaussée.  — 
«  Nous  défendons  notre  père,  nous  ne  le  laisserons  pas  emme- 
ner» criait  de  toute  part  lafoule  s^anpathique.  Letumulte  était 
à  son  comble.  La  force  armée  envahit  le  presbytère  et  l'abbé 
Martin,  afin  de  se  dérober  à  ses  perquisitions  n'eut  que  le 
temps  de  se  blottir  dans  un  placard  de  la  salle  à  manger,  en 
ayant  toutefois  la  présence  d'esprit  d'en  enlever  la  clef.  Les 
soldats  parcoururent  toutes  les  pièces  du  logis,  pendant  que 
leur  chef  courroucé  stationnait  dans  la  pièce  ou  s'était  caché 
le  prêtre  incriminé.  Il  s'appu^'a  même,  dit-on,  machinalement 
contre  la  porte  du  placard... 

Les  cris,  les  menaces,  le  tumulte,  durèrent  encore  pendant 
quelques  heures,  cependant  les  gens  d'armes,  après  des  recher- 
ches infructueuses,  durent  se  retirer.  La  foule,  réunie  pour 
défendre  son  bon  curé,  comme  on  appelait  déjà  l'abbé  Martin, 
poursuivit  les  soldats  jusqu'à  Mériel.  Son  exaspération  était 
menaçante  et  sinistre.  Aux  nombreux  paroissiens  de  l'Isle- 
Adam  s'étaient  groupés  des  villageois,  des  campagnards  armés 
de  leurs  instruments  de  travail  :  ensemble  ils  pourchassèrent 
vigoureusement  la  maréchaussée. 

Délivré  de  la  présence  des  perquisiteurs  acharnés,  l'abbé 
Martin  sortit  de  sa  cachette,  quitta  la  maison  curiale  sous  les 
habits  d'un  ouvrier  maçon  et  alla  demander  une  retraite  hos- 
pitalière c\iQZ  un  ami.  Le  bon  curé  en  comptait  beaucoup  à 
risle-Adam,  car,  dans  ce  pays  peuplé  de  gens  paisibles,  il 
n'aurait  pu  désigner  qu'un  très  petit  nombre  d'adversaires. 

Malgré  les  dangers  qui  le  menaçaient  à  toute  heure,  la  vie 
du  bon  prêtre  était  active  et  dévouée.  En  prévision  des  graves 
événements  auxquels  on  semblait  s'attendre,  l'abbé  Martin 
venait  de  confier  en  des  mains  sûres,  ses  objets  les  plus  pré- 
cieux et  ne  conservait  sur  lui  que  le  strict  nécessaire.  Il  advint 
qu'une  humble  femme  compatissante,  osa  mettre  à  la  dis- 
position de  son  vénéré  pasteur  une  petite  chambre  dans  une 
maison    isolée.    C'est  là,    lorsqu'il    n'était  pas   appelé    au   lit 


100  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

d'un  malade  ou  dans  la  demeure  d'un  nécessiteux  auquel  il 
apportait  des  secours  de  toute  nature,  c'est  là,  disons-nous, 
qu'il  rentrait  le  soir  et  qu'il  prenait  son  modeste  repas.  Le 
soin  de  préparer  sa  nourriture  lui  était  dévolu;  il  fallait,  de  la 
part  de  la  personne  charitable  qui  l'avait  reçu,  ne  point  donner 
l'éveil  au  dehors,  par  des  achats  surabondants  de  vivres  :  aussi 
la  frugalité  la  plus  complète  était-elle  de  rigueur  :  il  devint 
urgent  de  s'imposer  de  cruelles  privations. 

On  parlait  à  cette  époque  de  tant  de  malheurs  inouïs,  de 
tant  de  débordements  et  de  crimes  que  l'imagination  en  restait 
frappée  de  terreur.  En  nous  racontant  les  émotions  de  ces 
longues  journées  d'angoisses,  le  bon  curé  souriait  cependant  au 
souvenir  d'un  épisode  de  nature  à  dérider  le  front  à  bon  droit 
assombri. 

«  Un  soir,  disait-il,  à  la  nuit  close,  je  rentrai  dans  ma 
chambrette,  j'obtins  du  feu  en  battant  du  briquet  sur  la  boîte 
à  amadou  et  j'allais  allumer  la  chandelle  de  suif,  lorsque  un 
spectacle  étrange  se  présente  à  mes  regards.  Au  foyer,  à  l'àtre 
même,  j'aperçois  une  tète  à  laquelle  adhérait  encore  une  longue 
chevelure  ;  elle  m'apparut  sanglante,  horrible  ;  l'allumette 
enflammée  me  tomba  des  mains.  J'étais  mourant  de  stupeur  ! 
évidemment  un  crime  avait  été  commis.  A  genoux,  je  prie 
Dieu  pour  la  victime  et  pour  ses  bourreaux:  un  silence  lugubre 
me  glace  d'elïroi.  Mais  bientôt  je  reprends  courage,  et  je  répète 
l'opération,  longue  alors,  afin  d'obtenir  du  feu  et  un  mode 
d'éclairage...  Qu'avais-je  vu  ?  —  une  tête  en  bois,  coloriée, 
servant  à  monter  les  perruques  de  l'époque...  la  bonne  femme 
hospitalière,  faisant  feu  de  tout  bois,  avait  découvert  et  sacrifié 
cette  tête  peinte.  »  Cet  épisode  nous  égayait  par  son  contraste 
avec  les  récits  navrants  de  ces  temps  orageux  ;  car  ils  étaient 
rares,  hélas  !  les  éclaircis  de  franche  gaieté. 

Cependant,  l'abbé  Martin  chercha  à  mettre  fin  aune  existence 
aussi  pénible,  aussi  périlleuse,  même  pour  ses  bienfaiteurs. 
Entouré  de  gens  malheureux  et  ne  pouvant  faire  tout  le  bien 
que  son  cœur  désirait,  il  résolut  de  sortir  de  sa  retraite  et  de 


JEAN-BAPTISTE    MARTIY  lOI 

se  constituer  prisonnier.  Sous  ses  habits  de  maçon,  il  revêt  sa 
robe  de  prêtre,  se  fait  raser  les  cheveux  à  la  tonsure  et  se  dirige 
sur  Pontoise...  là,  se  présentant  au  Procureur  de  la  commune, 
il  enlève  sa  blouse  et  l'on  peut  le  reconnaître  comme  prêtre  : 
peu  d'instants  après  le  ci-devant  curé  de  l'Isle-Adam  était  in- 
carcéré. Il  resta  en  prison  pendant  quatorze  mois,  ainsi  que  le 
confirme  un  acte  du  temps. 

Durant  sa  longue  captivité,  le  digne  pasteur  montra  une 
grande  fermeté  de  caractère  :  on  l'entendit  un  jour  adresser 
avec  mépris  ces  paroles  à  son  dénonciateur  :  «  Tu  as  beau  faire, 
misérable,  quand  bien  même  tu  me  ferais  couper  la  tête,  je 
serais  encore  plus  grand  que  toi  !  »  il  faisait  allusion  à  la 
différence  de  leur  taille  réciproque. 

L'abbé  Martin  dut  sortir  de  prison  vers  le  commencement 
de  l'année  ij^S,  puisque  sa  signature  reparait  au  registre  à 
la  date  du  i5  avril.  Nous  ne  pouvons  préciser  l'époque  exacte 
de  la  réouverture  de  l'église  de  l'Isle-Adam,  mais  ce  qu'il  nous 
est  permis  d'affirmer,  c'est  que,  depuis  sa  rentrée  dans  le  pres- 
bytère, le  curé  ne  cessa  de  travailler  efficacement  au  bonheur 
de  ses  paroissiens  ;  qu'il  releva  le  Collège,  où  il  forma  des 
élèves  distingués  et  qu'il  déploya  le  plus  grand  zèle  pour  ré- 
parer les  désastres  causés  à  son  église  complètement  dévastée 
dans  les  mauvais  jours  de  la  Révolution. 

Pendant  toute  la  durée  de  l'Empire  l'abbé  Martin,  bien  que 
profondément  attaché  à  ses  opinions  royalistes,  se  montra  très- 
révérencieux  pour  le  pouvoir  ci'alors.  Une  grande  famille,  les 
Regnault  de  Saint-Jean-d'Angely    (i),   était  à    cette    époque, 

(1)  Né  à  Saint-Fargeau  en  1700,  liegnaiill  de  Saiiit-Jcan-d'Angely,  fils  d'un 
sub-délégué  de  l'intendance  l'esla,  sous  la  Uépuhlique,  incarcéré  comme  appar- 
tenant au  parti  monarchique  constitutionnel.  Employé  plus  tard  à  l'armée 
d'Italie,  il  se  lia  avec  Bonaparte,  contribua  à  la  révolution  du  18  brumaire, 
devint  conseiller  d'État,  comte  de  l'Empire,  procureur  général  de  la  haute-cour. 

Regnault  prévoyait  la  chute  de  Napoléon^  mais  n'en  fut  pas  moins  fidèle  à 
l'empereur.  Sous  la  Restauration^  il  se  relira  de  la  scène  politique,  et  partit 
Pour  l'Amérique  d'où  il  revint  le  10  mars,  eu  181!),  pour  mourir  peu  de  jours 
après.  Il  était  membre  de  l'Institut  depuis  1801, 


102  NOriCF.S    lUOC,  RAFMl  I  (^UF.  s 

à  cinq  kilomètres  de  l'Isle-Adam,  dans  Tancienne  abbaN^e  du 
Val.  La  demeure  des  amis  de  Bonaparte  était  ouverte  au 
vénérable  pasteur,  qui  prenait  part  aux  joies  intimes  de  la 
famille  et  à  toutes  les  réunions  d'apparat.  Le  comte  Regnault 
témoignait  un  profond  respect  pour  son  cher  curé  :  nous 
rappelerons  plus  bas  une  preuve  touchante  de  Tintérèt  qu'il 
portait  au  frère  de   notre  compatriote. 

L'abbé  Martin  avait  à  cœur  de  remplir  un  devoir  sacré  : 
prouver  sa  reconnaissance  et  celle  de  ses  paroissiens  envers  la 
race  illustre  des  Conty.  Ce  fut  à  l'époque  même  de  la  toute 
puissance  de  Napoléon  P''  qu'il  conçut  le  projet  de  reconstruire 
le  mausolée  du  prince  Louis-François  de  Bourbon.  Il  lui  fallut 
du  courage  et  de  l'énergie  -,  mais  il  se  sentait  soutenu  par 
l'opinion  publique.  La  chapelle  sépulcrale  fut  donc  restaurée 
aux  frais  de  ses  paroissiens  fidèles  :  et  à  la  satisfaction  générale 
on  vit,  aux  parois  de  l'église,  l'ancienne  litre  funèbre,  repré- 
sentant les  armes  d'un  prince  du  sang  royal  resplendir  d'un 
nouvel  éclat  (i). 

Malgré  ce  témoignage  non  équivoque  des  opinions  politiques 
manifestées  par  le  bon  curé,  celui-ci,  sous  la  Restauration  et  à 
cause,  sans  doute,  de  ses  relations  avec  les  hauts  titulaires  de 
l'Empire  fut  dénoncé  comme  impérialiste.  Le  sous-préfet  de 
Pontoise  le  manda  auprès  de  lui,  mais  le  curé,  se  sentant  au 
dessus  de  toute  calomnie  trouva  un  prétexte  suffisant  pour 
sauvegarder  sa  dignité.  Il  proposa  d'inaugurer  solennellement 
le  buste  de  Louis  X\"III,  dit  le  Désiré.  La  cérémonie  eut  lieu, 
avec  pompe,  dans  l'église,  le  3o  juin  icSiG,  en  présence  du 
même  sous-préfet  de  Pontoise  auprès  duquel  le  curé  venait 
d'être  dénoncé. 

Nous  avons  sous  les  yeux  l'allocution  remarquable  pronon- 
cée à  cette  occasion  par  l'abbé  Martin  :   cette  pièce  présente  le 


(1)  Louis-Fi'ançois  de  Conti,  né  en  1717  et.  morl  en  I77G.  fut  transféré  à 
l'Isle-Adam.  Le  médaillon  en  marbre  qui  ornait  jadis  le  tombeau  a  été  retrouvé 
depuis  )ieu  d'années  et  leplacé  par  les  soins  de  l'abbé  Grimol,  curé. 


JEA\-)5APTIS  1  1-:    MARTIN  lO.") 

véritable  cachet  de  son  époque  :  elle  rappelle  :  «  La  fidélité  des 
habitants  de  l'Isle-Adam,  d'une  ville  unique  entre  toutes  les 
villes  de  France  disait-il,  où,  pendant  que  la  Convention  se 
disant  nationale,  par  un  trait  de  barbarie  et  de  terreur  inouï 
jusqu'alors  faisait  jeter  aux  vents  les  restes  de  nos  rois,  Tlsle- 
Adam  seul,  eut  le  courage,  au  milieu  du  vertige  général,  de 
défendre  et  de  conserver,  sans  profanation,  les  cendres  pré- 
cieuses d'un  prince  issu  du  sang  des  Bourbons.  » 

«  Pendant  la  plus  grande  prospérité  de  l'usurpateur,  ajoute, 
le  curé,  quel  motif,  je  vous  le  demande,  pou\ait  alors  exciter 
le  conseil  de  fabrique,  la  commune  entière  au  rétablissement 
de  ce  mausolée  ?  ce  n'était  pas  assurément  le  désir  de  gagner 
les  bonnes  grâces  du  plus  soupçonneux  des  tyrans  :  nous  ne 
pouvions  par  ce  moyen,  nous  attirer  que  sa  haine  et  sa  ven- 
geance. » 

L'éloge  du  roi  retentit  en  termes  pompeux,  et  la  fidélité  du 
pasteur,  autant  que  celle  du  troupeau,  furent  exaltées  au  point 
d'effacer  entièrement  chez  l'autorité  civile  tout  soupçon  de 
tiédeur.  Le  curé  termina  sa  péroraison  par  un  parallèle  sai- 
sissant, mais  peu  prophétique  entre  «  le  règne  de  la  révolution 
terminée,  c'est-à-dire  le  temps  des  séditions,  des  crimes  et  des 
noirceurs  ;  et  la  Restauration  commencée,  c'est-à-dire  le  règne 
de  la  paix,  de  la  bonne  foi,  des  bienfaits  :  la  Révolution,  temps 
de  dénonciations,  de  haines  et  d'injustices  et  la  Restauration, 
règne  de  Tamitié,  de  la  concorde  et  de  l'équité...  « 

Le  bon  curé  de  l'Lsle-Adam  sentait  approcher  la  vieillesse, 
le  besoin  de  repos  et  les  sentiments  de  tendre  affection  f,our 
sa  famille  (i;,  le  rapprochèrent  de  son  pays  natal.  Il  donna  sa 
démission  le  20  août  1827,  et  vint  se  fixer  à  Bagnols  où  il  tut 
nommé  aumônier  de  la  Maison  de  charité,  et  directeur  de  tous 
les  ordres  religieux  de  la  ville  et  des  prêtres  du  canton. 


(I)  Le  curé  de  l'Isle-Adam  avait  encore  à  Hagiiols  une  six'iu-,  le  lils  de  son 
frère  cadet  et  ses  deux  lilles,  Mesdemoiselles  Félicie  et  Maria  Martin,  pour 
lesquels  il  avait  conservé  le  plus  profond  attachement. 


104  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Nous  nous  rappelons  encore  ce  digne  et  vénérable  vieillard  : 
malgré  la  lourde  charge  de  son  ministère,  malgré  les  phases 
pénibles  qu'il  avait  su  traverser,  sa  haute  taille  ne  fut  courbée 
ni  par  Tàge  ni  par  les  intirmités;  il  était  doux  et  affectueux, 
bienveillant  pour  les  enfants  comme  pour  les  hommes  mûris 
par  les  années.  Son  costume,  moitié  religieux,  moitié  civil, 
semblait  traduire  et  résumer  toute  sa  personne  :  un  mélange 
de  piété  qui  n'avait  rien  d'austère  et  de  courtoisie,  d'urbanité 
répandant  autour  de  lui  un  parfum  exquis  de  bonne  compa- 
gnie. 

L'abbé  Martin  s'éteignit  à  Bagnols  le  i5  août  1S42,  il  avait 
86  ans,  son  éloge  funèbre  est  dans  ces  quelques  mots  :  «  Sa 
vie  ne  fut  qu'une  chaîne  non  interrompue  de  bonnes  œuvres  ; 
il  a  laissé  de  précieux  souvenirs  à  l'Isle-Adam,  paroisse  qu'il 
a  dirigée  et  édifiée  pendant  de  longues  années  ;  son  nom  y  est 
encore  prononcé  avec  respect  et  amour.  » 

Un  de  ses  successeurs  a  bien  voulu  nous  fournir  quelques 
détails  biographiques  sur  notre  vénérable  compatriote,  voici  ce 
qu'ajoute  M.  le  curé  actuel  de  l'Isle-Adam  (i)  : 

«  ...  M.  Martin  s'est  toujours  fait  remarquer  par  sa  ^'ie 
sacerdotale,  la  fermeté  de  son  caractère,  la  sagesse  de  son 
administration  et  son  grand  savoir  qui  rendait  son  commerce 
très-agréable  (2). 

«  ...  Ce  bon  pasteur  a  déployé  un  grand  zèle  et  a  laissé 
partout  les  traces  d'une  bonne  et  sévère  administration. 

<f  Je  ne  puis  donc  qu'applaudir  à  la  bonne  pensée  que  vous 
avez  de  perpétuer  le  souvenir  de  votre  éminent  compatriote, 
qui  a  passé  au  milieu  de  nous  en  faisant  le  bien  ;  et  comment 
laisser  dans  l'oubli  son  nom  lorsque,  après  un  demi  siècle,  tous 
ceux  qui  l'ont  connu  en  parlent  encore  avec  vénération... 


(1)  M.  J.-B.  Grimot,  curé,  correspondant  du  Ministère  poui'  les  Iruvaux  liis- 
loriques  et  meml)re  de  plusieurs  sociétés  savantes. 

(2)  Nous  savons  qu'en  dehors  de  ses  travaux   théoloiiiqucs,    Fabbé  Marliu 
donnait  la  préférence  à  l'élude  des  sciences  naturelles. 


JEAN-BAPTISTE    MARTIN  I05 

((  Les  belles  qualités  qui  distinguaient  le  bon  pasteur  de 
rislc-Adam  le  faisaient  rechercher  de  nos  illustres  châtelains; 
du  reste,  ses  relations  étaient  aussi  nombreuses  qu'honorables. 

«  Je  suis  curé  de  TIsle-Adam  depuis  trente  ans,  et  le  troisième 
successeur  de  M.  Martin,  je  ne  l'ai  pas  connu  personnellement, 
mais  il  m'a  été  facile  d'entendre  et  de  recueillir  les  mille  échos 
du  nom,  des  vertus  et  des  œuvres  de  mon  vénéré  prédéces- 
seur :   je  puis  bien  répéter  de  lui  :  defunctiis  adhiic  loquiliir. 

«  Il  est  mort,  et  l'on  en  parle  encore  1  » 


MARTIN    (GABRIEL-LOUIS) 

PRÉSIDENT  DU  TRIBUNAL   d'oRANGE 

AV    à   Bagnols    le   22  février   ijôo 
]\Ior!    à    Oraii'^d   le     /'-'''    octobre     i83'j 


,E  3o  septembre  1790,  Louis-Gabriel  Martin,  de 
(Bagnols,  était  reçu  licencié  en  droit  de  l'Université 
)d' Avignon  à  la  suite  d'un  examen  passé  devant  les 
'docteurs  Antoine  de  Teste,  Levieux  de  Laverne  et 
Dubois  de  Cochet.  Son  diplôme  sur  parchemin  lui  fut  délivré 
au  nom  du  pape  Pie  VI,  alors  souverain  du  Comtat.  Honoré 
de  ce  titre,  que  devint  notre  compatriote  ?...  Il  avait  com- 
mencé à  étudier  la  procédure  et  la  législation  dans  l'étude 
de  M'=  Antoine  Teste,  notaire  ;  ce  dernier  dut  le  recom- 
mander à  ses  collègues  et  amis  d'Uzès  et  le  jeune  avocat 
entra  au  barreau  de  cette  ville.  Il  y  débuta,  nous  a-t-on  assuré, 
d'une   manière  brillante. 

Gabriel  Martin  était  déjà  en  renom  dans  la  contrée  :  il 
acheta  une  étude  d'avoué  et  se  préoccupa  avec  une  nouvelle 
ardeur  des  intérêts  de  ses  nombreux  clients. 

Pendant  ce  temps  là,  l'abbé  Martin,  son  frère,  avait  repris 
ses  honorables  fonctions  de  curé  à  l'Isle-Adam  :  Gabriel  voulut 
venir  le  visiter.  Peut-être  avait-il  rêvé  quelque  bonne  fortune 
à  la  faveur  des  belles  connaissances  de   son  frère.  Le  voilà  à 


108  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Paris,  au  conimenccment  de  1808.  Un  accident  grave  le  força 
à  se  faire  admettre  à  Thôpital  Beaujon  :  il  s'était  cassé  la 
jambe.  Peu  de  temps  après  nous  le  trouvons  chez  son  frère  à 
risle-Adam,  et  assez  ingambe  pour  hasarder  une  visite  aux 
châtelains  de  l'abbaye  du  Val. 

Gabriel  Martin  était  un  homme  lettré,  instruit,  causeur  spi- 
rituel et  élégant;  dans  sa  première  visite  sa  conversation  variée 
effleura  l'histoire,  les  sciences  et  la  politique,  celle-ci  surtout 
au  point  de  vue  de  l'importance  comparée  des  différents  partis 
de  l'arrondissement,  chose  que  Martin  connaissait  en  détail. 
Le  brillant  narrateur  plut  au  comte  Regnault  et  à  tel  point  qu'à 
peu  de  jours  de  là  le  Procureur  général  de  la  haute  cour 
proposa  au  bon  curé  de  l'Isle-Adam  un  poste  au  tribunal 
d'Uzès  pour  son  frère  l'avoué. 

M.  le  Président  Gide  venait  d'être  nommé  juge  à  la  cour 
d'appel  de  Nimes  :  il  y  avait  une  vacance  à  combler.  L'avoué 
Martin,  après  avoir  édifié  le  ministre  sur  sa  position  person- 
nelle dans  le  pays,  retourna  à  Uzès,  où  il  ne  tarda  pas  à 
recevoir  sa  nomination. 

Un  décret  impérial  du  12  juillet  1808,  nomme  M.  Gabriel, 
Louis,  Martin,  juge  suppléant  au  tribunal  de  première  ins- 
tance séant  à  Uzès  (i)  à  la  place  de  juge  et  président  du 
mênie  tribunal.  Il  prêta  serment  le  27  août  et  fut  installé  le 
3o  du  même  mois. 

Nous  n'avons  point  à  rapporter  ici  les  différentes  phases  de 
sa  vie  de  magistrat.  Martin  sut  tenir  la  balance  d'une  main 
ferme  :  cependant  Thémis  n'eut  point  toutes  ses  aspirations 
intimes  :  qu'il  nous  soit  permis  de  soulever  le  pan  de  la  robe 
de  l'homme  de  loi,  nous  découvrons  son  frac  de  touriste,  ses 
souliers  ferrés  et  nous  savons  qu'à  la  suite  d'une  audience 
solennelle,  il  est  prêt  à  se  dérider  par  des  occupations  moins 
abstraites. 


(1)  Sa  nominalioii   comme   juge    siipjilr;mt    dalc  du  T)  prairiiil    an  Mil.  L( 
(iéci'ol,  iii(li(|iie  qu'il  éliiil  (iroué  h  eeito  épixjue. 


G  VBRlliL-r.OUIS    MARTIN  I  OQ 

Gabriel  Martin  se  plaisait  à  visiter  les  bords  du  Gardon  et 
les  vertes  prairies  de  Fontaine  d'Eure;  il  étudiait,  dit-on,  les 
restes  informes  du  temple  druidique  lorsqu'un  décret  du  lo 
juin  1811  le  nomma  président  du  tribunal  d'Orange.  Le  ma- 
gistrat vint  se  tixer  dans  cette  ville  antique  et  s'y  accommoda 
bientôt  une  existence  entièrement  conforme  à  ses  goûts  pré- 
férés. 

Célibataire  obstiné,  les  soins  de  sa  famille  ne  lui  laissèrent 
nullepréoccupation  gênante,  mais  aussi,  il  n'en  ressentit  aucune 
joie  secrète.  Entaché  d'inditférence  et  d'égoïsme  sous  ce  rapport, 
il  pouvait  dire  ironiquement  avec  le  poète  : 

Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  tirent  vanité 
Des  embarras  chaivjiants  de  la  paternité. 

à  d'autres  les  soucis  et  parfois  les  angoisses  :  la  vie  n'a  qu'un 
temps  !     ^) 

Cependant,  quand  l'heure  dernière  approcha,  Gabriel  Martin 
fit  de  salutaires  réflexions  ;  il  articula  même  des  regrets  su- 
perflus... on  le  vit  seul,  livré  à  des  mains  mercenaires...  ses 
amis,  ses  connaissances  du  monde  regrettèrent  son  conimerce 
aimable  et  loyal,  mais  nous  ignorons  si  quelque  cœur  dévoué 
a  battu  plus  vivement  pour  lui  quand,  repentant  et  résigné,  il 
a  rendu  son  àme  à  Dieu. 

Le  Président  Martin,  chevalier  de  la  Légion  d'honneur, 
mourut  le  20  juin  iS'iy. 


MARTIN    (VALÉRIEN) 

ARCHÉOLOGUE 

iVé  â  Saint- Victor-Lacoste  le  2j  novembre  l'j'jS. 
Mort  à   U'ès  le  20  avril   1(^24. 


X  homme  intelligent,  actif,  laborieux,  d'humeur 
inégale  et  mobile,  vint  habiter  Bagnols  vers  l'époque 
où  finissaient  les  temps  désastreux  de  la  Terreur  : 
c'était  Valérien  Martin,  né  à  Saint-Victor- Lacoste.  Il 
avait  été  succesivement  officier  de  santé,  puis  instituteur  à 
Uzcs.  La  municipalité  bagnolaise  venait  de  le  mettre  à  la  tête 
d'une  école  primaire.  Il  resta  en  fonctions  pendant  quelques 
années,  bien  qu'il  semble  n'avoir  pas  eu,  pour  l'enseignement, 
toute  l'aptitude  désirable.  C'est  sans  doute  son  insuffisance 
révélée  par  son  peu  de  succès  qui  le  décida  à  quitter  Bagnols. 
Il  se  rendit  à  Nîmes  et  se  mit  à  la  recherche  d'un  emploi  dans 
l'administration  des  contributions  directes:  disons,  tout  de  suite, 
qu'en  18 14  on  lui  confia  le  secrétariat  de  la  sous-préfecture 
d'Uzès,  et  que,  quelque  temps  après,  il  acheta  une  étude 
d'avoué  :  il  mourut  dans  cette  charge  le  20  avril  1824  (i). 

Valérien,   si  changeant  dans  ses  entreprises,  était  membre 
correspondant  de  l'académie    de    Nîmes.   Les    mémoires    de 


(1)  Uni.  lut.  de  Nîmes,  par  Michel  Nicolas,  T.  III,  p.  257. 


il-1  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

cette  compagnie  contiennent  plusieurs  articles  signés  :  Martin 
de  Bagnols.  E\idemment,  nous  devions  adopter  comme 
compatriote,  l'érudit  qui,  ajoutant  à  son  nom  celui  de  notre 
ville,  publiait  un  travail  considérable  sur  l'état  de  l'agricul- 
ture dans  le  deuxième  arrondissement  du  Gard  (i),  — •  une 
dissertation  tendant  à  déterminer  le  point  précis  où  l'ar- 
mée d'Annibal  passa  le  Rhône  {2),  —  une  analyse  des 
articles  entomologiques  de  Valmont  de  Bomare  et,  enlin  une 
brochure  :  l'Ami  des  cJiamps^  traitant  particulièrement  de  la 
culture  du  mûrier. 

Les  sciences  et,  entr'autres,  l'agriculture  ontprogressé  depuis 
le  commencement  du  siècle  ;  attachons-nous  de  préférence  à 
celui  des  travaux  de  Martin  qui  traite  d'un  point  archéologique 
si  souvent  discuté ,  puisque  on  connaît  plus  de  quarante 
mémoires  sur  le  passage  d'Annibal.  Il  semble  que  notre 
compatriote,  né  sur  le  sol  foulé  par  les  Carthaginois,  il  y  a 
près  de  2000  ans,  a  eu  comme  une  sorte  de  vue  rétrospective 
des  événements  de  cette  époque  reculée,  et  que  ses  patientes 
recherches  dans  les  livres  anciens  lui  ont  fait  découvrir  la 
vérité  cherchée  par  tant  de  commentateurs. 

La  pensée  du  lecteur  suit  avec  intérêt  les  investigations  de 
l'historien  au  bord  du  Rhône,  vers  la  cité  de  Roquemaure  : 
il  est  là,  étudiant,  compulsant,  mesurant  les  journées  de  mar- 
che d'Annibal  :  il  interprète  à  sa  manière  le  texte  de  Polybe 
et  de  Tite-Live. 

On  n'attend  pas  de  nous  un  long  résumé  sur  le  travail  de  celui 
qui  s'était  fait  notre  concitoyen  :  il  nous  suffira  de  dire  que  son 
érudition  est  aussi  manifeste  que  sa  sagacité,  dans  les  preuves 
qu'il  échafaude  pour  arriver  à  conclure.  La  question  du  pas- 
sage du  général  Carthaginois  avait  été  traitée  si  souvent  et  l'a 
été,  depuis,  tant  de  fois  encore,  qu'il  est  juste  de  revendiquer 


(if  Kolicp  (lff<  iravmix  de  'CAnuUmio  du  Gard,  1^1 1,  If-^  pari.,  ]>.  Gli-lOO. 
(2)  Id.  ^nK-itail.,  p.  li?.-l(JO. 


\-  A  [.  l':  R  I  R  N    M  A  R  T I  N  I  I  3 

l'honneur  que  peut  avoir  eu    l'un  des  enfants   de  la  contrée, 
en  précisant  le  point   où  le  fleuve  a  été  franchi. 

Selon  Valérien  Martin,  au  sortir  d'Ucetia,  Annibal  dirigea 
son  armée  vers  Connaux  et,  en  laissant  à  sa  gauche  les  marais 
des  bords  de  Tave,  il  alla,  avec  une  partie  de  ses  troupes, 
s'emparer  du  plateau,  (oppidum  ou  refuge  des  populations 
arécomiques),  appelé  vulgairement  :  le  camp  de  César.  ((  De  là, 
dit-il,  il  était  facile  à  Annibal  d'apercevoir  le  camp  des  Volces, 
placé  sur  les  bords  opposés  du  Rhône,  et,  embrassant  alors 
dans  la  vaste  plaine  toutes  les  positions  d'un  seul  regard,  il 
résolut  d'opérer  le  passage  de  ses  éléphants  et  de  ses  troupes  à 
l'Ardoise  même,  dont  l'accès  était  plus  facile  et  moins  dange- 
reux. En  ellet,  au  dessous  de  ce  point  le  général  trouvait  les 
plaines  marécageuses  de  Roquemaure,  au  dessus,  vers  Chus- 
clan,  il  avait  à  traverser  la  Cèze  et  le  fleuve...  Autre  preuve 
enfin,  l'Ardoise  est  le  point  précis  qui  divise  en  deux  parties 
égales  la  distance  de  la  mer  à  l'embouchure  de  l'Isère  dans  le 
Rhône.  » 

L'archéologue  cherche  de  nouvelles  lumières  à  l'appui  de 
son  hypothèse  dans  les  circonstances  du  passage  d'Hannon,le 
lieutenant  d' Annibal.  Selon  lui,  ce  général  aurait  remonté  vers 
le  nord  et,  par  la  route  de  Carsan^  serait  allé  traverser  le 
Rhône  à  Pont-Saint-Esprit,  pour  venir  se  Joindre  à  Annibal 
sur  l'autre  rive. 

Tel  est  le  résumé  de  ce  mémoire  qui  valut  h  son  auteur 
l'approbation  de  l'académie  du  Gard  ii). 

Martin   a  laissé  deux  filles,    l'une   mariée  à  M.    Balmelle, 


(1)  Valérien  Martin  a  tort  de  supposer  le  passage  des  Carthaginois  par  la  route 
de  Carsan,  dont  il  traduit,  à  tort  encore,  l'étimologie  par  Castra-Stativa,  au  lieu 
de  tirer  ce  nom  du  celtique  Carn,  Cairn,  montagne^  lieu  élevé  (le  Garn,  Car- 
noulés,  etc.,  etc.).  Selon  l'itinéraire  de  Martin^  Hannon  aurait  dû  aller  prendre 
l'ancienne  voie  vers  l'oppidum  de  la  Roque  ou  à  Saint-Michel^  dans  la  région 
de  VIeuze  (d'Euzet).  Il  est  plus  admissible  que  les  troupes  suivirent  le  tracé  fort 
ancien,  utilisé  plus  tard  par  les  Romains  et  aujourd'hui  par  nous,  tracé  qui, 
T.    II  8 


r  r4  NOTICES    biographiques 

chirurgien,  l'autre  à  un  instituteur,  aujourd'hui  directeur  des 
postes  à  Saint-Martin-de-Crau  ,Bouches-du-Rhône}. 

venant  de  fîemoulins,  traversait  les  bourgades  de  Cavillargues,  Tre^ques, 
Bagnoîs  et  se  dirigeait  vers  le  Rhône,  à  Pont-Saint-Esprit. 

A  propos  du  passage  d'Annihal,  nous  sommes  jaloux  de  mentionner  le  savant 
mémoire  de  M.  Quarré  de  Verneuil,  capitaine  d'état-major,  que  son  alliance 
avec  la  famille  d'Alayrac  de  Chazelles-Gliusclan,  nous  a  donné  pour  compatriote. 
L'officier  archéologue  dont  les  études  portent  plus  spécialement  sur  le  passage 
des  Alpes,  pense  qu'Annibal  traversa  le  Rhône  à  la  hauteur  de  l'Ardoise  (1). 

Pour  nous,  désireux  de  perpétuer  le  souvenir  des  événements  mémorables, 
nous  avons  déjà  émis  le  vœu  d'élever  un  monument  commémoratif  du  passage 
(le  l'illustre  carthaginois.  Et  lorsque  les  tiavaux  des  chemins  de  fer,  entre 
Roquemaure  et  Bagnols  seront  achevés,  nous  proposerons  à  la  Société  française 
d'Archéologie,  à  l'Académie  de  Nîmes,  à  la  Société  littéraire  d'Alais  et  à  tous 
ceux  (jui  s'intéressent  à  notre  histoire  locale,  d'entreprendre  cette  œuvre.  Le 
monument,  posé  au  carrefour  des  chemins,  serait  visible  par  les  voies  ferrées  et 
par  les  routes  qui  l'avoisinent.  Donc,  à  bientôt  la  réalisation  de  ce  projet...  et 
l'inauguration  du  monument  :  les  descendants  de  Valérien  Martin  et  M.  de  Ver- 
neuil, lui-même,  assisteront  assurément  à  cette  fêle  commémorative. 


(1)  Kluilcs   hisl.  et   viilit.   xur    h   pitssage  du  Rhône    et   des  Mpes  jiar   Annibal.    —  Paris, 
Diiniaiiie,  1S7:! 


MATHON      JOSEPH-ALEXIS-ADOLPHE 

HOMME    DE    LETTRES 

Né  à  Bagnols  le  3  juin   1814 
Mort    à    Paris    le    20   juin    icS-j^S 


D'oii  peirin  o  de  la  meirino^ 
S'en  tiro  sempre  une  racino. 

E  proverbe  Languedocien  nous  revient  à  la  mémoire 
en  prenant  la  plume  pour  esquisser  la  figure  sympa- 
thique de  notre  compatriote  et  ami  que  la  mort  nous 
a  subitement  enlevé.  Cet  ami  avait  été  tenu  en  bap- 
tême par  Joseph-Alexis  Courbassier,  un  officier  de  santé  trans- 
planté du  Dauphiné  en  Languedoc,  où  il  exerçait  la  médecine 
avec  une  sagacité  égale  au  bonheur  qui  l'a  suivi  longtemps  (i). 
Adolphe  Mathon  naquit  le  3  juin  1814:  il  était  fils  de 
Joseph-Alexis,  de  Connaux  et  de  Louise,  Rose,  Gense,  de 
Bagnols  (2),  Alexis  vint  se  fixer  dans  le  pays  de  sa  compagne 
afin  de  se  livrer,  sur  un  marché  plus  fréquenté,  au  commerce 
de   la  laine.   C'était  un   homme   probe,    réservé,   prudent  en 


(1)  Sa  marraine  était  Catherine  Villard.  veuve  Alexis  Brun. 

(2)  Les  Gensoul,  dits  Gense,  en  Languedoc,  descendaient  tous   de  la  l)ranche 
venue  des  Alpes. 

La  maison  Gen,se,  Grande  rue,  no  23. 


Il6  NOTICES    lUOCiRAP  HIQUE  S 

allaircs,  ponctuel,  serviable  et  pieux.  Rose  Gensoul,  douée 
d'une  voix  angélique,  avait  une  belle  et  noble  intelligence  ;  ce 
l'ut,  en  un  mot,  le  type  de  la  mère  chrétienne. 

Adolphe  fut  mis  au  collège,  il  y  figurait  comme  un  élève 
studieux.  Mais  ce  qui  le  distinguait  parmi  ses  condisciples 
c'était  un  remarquable  talent  de  raconter  certaines  histoires 
dramatiques,  émouvantes.  Ses  jeunes  amis  le  trouvaient  d'une 
faconde  intarissable,  aussi  était-il  recherché  parmi  les  groupes 
isolés  dont  il  se  faisait  le  narrateur  fécond.  Maintes  fois,  depuis 
ces  temps  heureux  de  notre  enfance,  nous  nous  sommes  dit  : 
«  l'épine  piquait  déjà  sous  la  jeune  tige.  »  Mathon  était  prédes- 
tiné pour  le  théâtre,  pour  nouer  et  dénouer  les  intrigues  de 
comédie,  pour  faire  mouvoir  à  propos  et  mettre  en  relief  les 
acteurs  de  ses  drames  sanglants...  Heureusement  (et  l'art  n'y  a 
rien  perdu),  celui  qui  au  milieu  de  nous  jetait  l'épouvante  par 
ses  récits  lugubres,  s'est  borné,  plus  tard,  à  écrire  des  com- 
positions théâtrales  plus  en  harmonie  avec  son  tempérament 
et  avec  son  esprit  d'imitation  :  il  écrivit  des  vaudevilles  : 
mais,  n'anticipons  pas. 

Lorsque  Mathon  dut  se  décider  à  entrer  dans  une  carrière, 
il  demanda  conseil  aux  parents  de  sa  mère.  Son  parrain  facilita 
ses  rapports  avec  M.  Joseph  Gensoul,  de  Lyon,  qui  était  alors 
dans  tout  l'éclat  de  sa  prospérité.  Sa  réputation  de  médecin 
célèbre  s'étendait  au  loin.  Cousin  de  l'opérateur  lyonnais, 
Adolphe  opta  pour  la  médecine  ;  il  alla  suivre  les  cours  de  la 
faculté  et  fut  bientôt  admis,  comme  élève,  à  assister  aux  leçons 
pratiques  del'HÔtel-Dieu  ;  peu  après,  le  jeune  étudiant,  encou- 
rageant son  ami  Victor  Gensoul,  à  venir  le  joindre,  détermina 
la  vocation  de  cet  autre  parent  du  major  des  hôpitaux. 

Ses  études  médicales  durèrent  près  de  trois  ans  :  sa  famille 
aurait  voulu  le  fixer  à  Lyon;  mais  comment  attacher  pendant 
longtemps,  un  jeune  homme  ami  des  plaisirs  et  des  distractions  ; 
comment  fixer  quelqu'un  qui  est  partout  excepté  chez  lui  ?... 
Adolphe  faisait,  il  est  vrai,  des  apparitions  fréquentes  aux 
cours  de   médecine,  à    l'amphithéâtre,   mais  il  pénétrait  plus 


MA THON  117 

volontiers  dans  les  coulisses  des  Celestins.  Ne  trouverions-nous 
pas  des  circonstances  atténuantes  pour  excuser  cette  préférence  ? 
il  aimait  passionnément  le  théâtre  et  il  avait  à  peine  vingt  ans. 
Son  démon  favori  l'étreignait  de  plus  près  :  il  rêvait  les  succès 
de  la  scène,  de  la  rampe  et  du  foyer  des  artistes. 

C'est  que,  derrière  le  rideau,  Mathon  appercevait  son  parent 
Justin  Gensoul  dont  les  myrtes  et  les  lauriers  lui  paraissaient 
plus  dignes  d'envie  que  la  couronne  civique  du  chirurgien- 
major.  Justin  avait  écrit  des  comédies,  des  vaudevilles  qui  lui 
valurent  une  réputation  dans  le  monde  littéraire.  Certaines 
pièces  de  Gensoul  étaient  encore  au  répertoire,  le  petit  cousin 
ébloui  se  sentait  entraîné  vers  la  trace  lumineuse  du  poète  :  le 
voilà,  échafaudant  dans  sa  tète  méridionale,  intrigue  sur  in- 
trigue, ruse  contre  ruse,  caractères  opposés ,  types  divers , 
dialogues  piquants  ;  le  tout  accentué  de  romantisme  pur.  Ce 
style  à  eflet  était  alors  à  la  mode.  Quoique  entraîné  par  une 
exhubérence  d'imagination  Adolphe  avait  le  germe  d'un  goût 
fin  et  délicat:  les  exemples  des  maîtres  devaient  finir  par  dé- 
velopper en  lui  la  simplicité,  et  le  fond  de  bonhomie  de  son 
caractère  :  il  ne  sacrifiait  donc  qu'à  regret  à  l'engouement  de 
l'époque. 

Mathon  était  impitoyable,  on  le  voyait  poursuivant  ses  ca- 
marades à  table,  au  café,  à  la  promenade,  et,  sans  pitié  pour 
leur  repos,  il  les  forçait  à  écouter  jusqu'à  la  fin  ses  essais 
dramatiques. 

Cependant,  à  notre  compositeur  enthousiaste,  Lyon  finit  par 
devenir  un  champ,  j'allais  dire  :  un  théâtre  trop  restreint  :  il 
alla  à  Paris;  c'était  dans  les  premiers  mois  de  i835.  Nous 
l'avons  vu  à  cette  époque,  logé  dans  la  rue  du  Paon,  tout  près 
de  l'école  de  médecine,  mais  hélas  !  loin  des  salles  de  spectacles  ; 
car  il  fallait  traverser  la  Seine  et  payer  le  péage  au  pont  quand 
on  voulait  aller  au  ^"audeville. 

Mathon  quoique  inscrit  au  tableau  des  étudiants,  ne  parais- 
sait que  rarement  aux  leçons  des  professeurs  :  rarement  encore 
le  voyait-on  à  la  7 are r;ze,  alors  en  face  de  l'école  de  médecine. 


Il8  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

mêlé  aux  groupes  des  élèves  barbus,  aux  cheveux  longs, 
bouclés  à  la  Perinet-Leclerc.  Il  ne  trouvait  point  de  charmes 
dans  les  réunions  de  la  Chaumicrc^  où  les  étudiants  ses  collè- 
gues se  rendaient  assidûment  les  jours  de  bal  ou  de  fêtes 
nocturnes.  Que  préférait-il  donc  à  tout  cela  r  —  sa  chambre 
solitaire,  modeste,  et  sa  table  de  travail  où,  à  côté  des  œuvres 
de  Bichat  ou  de  Roche  et  Samson  relégués  dans  l'angle,  s'éta- 
laient les  feuilles  griftbnnées  de  rimes  et  de  prose  dialoguée. 

Enfin  un  Jour  notre  jeune  et  infatigable  écrivain  se  hasarda 
à  faire  aux  auteurs  le  plus  en  vogue  de  l'époque  des  confidences 
sérieuses  :  il  eut  la  bonne  fortune  d'être  accueilli  favorablement 
par  Scribe  qui  l'adressa  à  Bayard  son  gendre,  dont  on  applau- 
dissait alors  le  Gamin  de  Paris.  Bayard  lut  avec  intérêt  la 
pièce  qui  lui  était  présentée  ;  il  la  trouva  bonne  et  offrit  au 
débutant  sa  collaboration.  Le  17  décembre  i(S36,  \c  Gymnase 
dramaliqitc  donna  la  première  représentation  de  Les  deux 
manières,  comédie-vaudeville  en  deux  actes,  qui  obtint  un 
franc  et  honorable  succès. 

Peu  après,  sous  les  deux  mêmes  signatures  :  Bayard  et 
Mathon,  fut  jouée  au  Palais-Royal  la  Tante  mal  gardée,  in- 
trigue nouée  avec  beaucoup  d'art  et  dialoguée  d'une  façon 
charmante. 

Pendant  que  la  Tante  faisait  quarantaine  chez  le  directeur, 
Adolphe  eut  assez  de  loisir  pour  écrire  des  pièces  destinées  au 
Théâtre  Beaumarchais,  à  Y  Ambigu  et  à  la  Gaité.  Il  était  alors 
seul  auteur  des  vaudevilles  présentés  à  Vimpressario.  Malheu- 
reusement, pour  l'auteur  impatient,  des  embarras  financiers 
forcèrent  le  directeur  à  se  retirer,  et  MM.  Montigny  et 
Meyer,  qui  avaient  déjà  des  engagements  pris  avec  d'autres 
compositeurs,  s'obstinèrent  à  ne  point  tenir  la  promesse  faite 
par  celui  qui  les  avait  précédés  en  charge  :  de  là,  procès.  Mathon 
eut  un  triomphe  complet  ;  mais,  comme  il  le  disait  spirituel- 
lement lui-même  :  s'il  avait  gagné  son  procès,  il  avait  perdu 
sa  cause.  Son  amour  propre  était  satisfait  ;  et,  mieux  encore, 
lui  jeune  homme  inconsistant,  venait,  par  sa  seule  énergie,  de 


MATHOX  lig 

faire  décider  un  point  de  Jurisprudence  Jusque  là  fort  conteste'. 
L'arrêt  de  la  Cour  reçut  dans  tous  les  Journaux  une  grande 
publicité.  On  sut  que  désormais  :  «  tout  directeur  devait  des 
indemnités  proportionnées  aux  auteurs  dont  il  s'était  chargé  de 
faire  jouer  les  pièces  (i).  » 

Fatigué  des  lenteurs  interminables  du  procès  qui  attiédit  mo- 
nientanément  son  enthousiasme  dramatique,  Mathon  chercha 
à  participer  à  la  rédaction  d'un  journal  :  il  fut  chargé  d'écrire 
pour  la  Pairie  les  comptes-rendus  des  pièces  de  théâtre. 
Malheureusement  encore  la  feuille,  vendue  aux  enchères  pu- 
bliques, reçut  de  ses  nouveaux  propriétaires  une  transformation 
qui  obligea  ses  rédacteurs  à  se  retirer  :  ceci  se  passait  en 
1845. 

Adolphe  songea  alors  à  retourner  à  Bagnols  :  sa  famille  le 
reçut  avec  Joie,  il  était  lui-même  ravi.  Dans  quelques  feuilles 
intimes  qu'il  nous  a  été  donné  de  lire,  ses  sentiments  de  piété 
filiale  sont  exprimés  avec  une  émotion  attendrissante.  Sa  bonne 
mère  tomba  malade  :  il  lui  était  réservé  de  lui  fermer  les  yeux. 
C'est  avec  son  cœur  d'élite  qu'il  trace  ses  impressions,  ses 
regrets  et  ses  douleurs  à  ce  moment  suprême,  où,  oubliant 
tout  à  la  fois  ses  déceptions  et  ses  succès  à  Paris,  il  se  console 
au  lit  de  mort  de  celle  qui  l'avait  tant  aimé. 

...  «  Et  quand  Je  pense,  dit-il,  que  ce  rôle  pieux,  consola- 
teur et  consolant  à  la  fois,  il  eut  suffit  d'un  rien  pour  me  le 
ravir  \  qu'une  réussite  moins  négative  à  Paris,  des  succès  de 
théâtre  ou  de  presse,  pouvaient  me  retenir  éloigné  des  lieux  où 
se  mourait  ma  mère,  ah  !  j'aurais  volontiers  baisé  la  rude  main 
qui  m'avait  si  impitoyablement  ramené  auprès  de  ce  lit,  où 
j'avais  mieux  à  faire  que  de  courir  au  loin  la  vogue  et  la 
fortune. 

«   Rendu  à  moi-même  j'étais  tout   à  ma  pauvre  mère.   Pro- 


(1)  Ad.  Matlinn  él;iil,  iTic)nl)re  sdciélnii'c  de  l'Associalion  des  ailleurs  et  com- 
positeurs dramatiques. 


120  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

longer  sa  précieuse  existence,  c'était  désormais  mon  unique 
désir,  mon  rêve.  De  dévouement,  d'abnégation,  de  cœur,  j'en 
mis  à  cette  pénible   tâche   autant  qu'il  y  en  avait  en  moi...  « 

Adolphe  Mathon  mûri  par  l'âge  et  laissé  presque  seul  au 
monde,  accomplit  respectueusement  les  dernières  volontés  de 
sa  tendre  mère  :  il  se  maria.  Sa  compagne,  Mademoiselle 
Fortunée  Raymond,  était  de  Saint-Geniés  de  Comolas.  Consen- 
tant à  prolonger  son  séjour  à  Bagnols,  Mathon  occupa  ses 
loisirs  à  la  rédaction  des  Petites  Affiches^  journal  hebdomadaire 
de  l'arrondissement  d'Uzès,  alors  imprimé  à  Bagnols.  Le 
littérateur  exercé  soutint  cette  feuille  jusqu'en  i852,  année  où, 
par  l'intervention  de  M.  Cotton,  alors  inspecteur  général  du 
ministère  de  la  police  à  Lyon,  il  put  obtenir  un  poste  de 
commissaire  de  police. 

Le  caractère  de  littérateur  dramatique  était  diamétralement 
opposé  à  celui  que  l'on  prête  assez  communément  aux  fonc- 
tionnaires de  cet  ordre,  aussi  est-ce  à  grand  regret  que,  vaincu 
par  la  nécessité  du  moment,  Mathon  se  décida  à  entrer  dan  s 
une  carrière  qui  lui  paraissait  antipathique.  Il  avait  le  courage 
d'accomplir  un  devoir  et  il  préférait  sa  propre  estime  aux 
préjugés  du  monde. 

Ce  fut  en  décembre  i852  qu'il  débuta  dans  la  carrière  ad- 
ministrative à  Marcign}'  iSaône-et-Loire)  ;  deux  mois  après  il 
était  à  Privas  (Ardèche;. 

Là,  Mathon  eut  l'occasion  de  se  livrer  à  ses  goûts  littéraires  : 
ne  négligeant  rien  de  ses  fonctions  de  magistrat,  il  occupait 
ses  loisirs  et  même  de  longues  heures  de  la  nuit  à  écrire  pour 
le  journal  de  la  localité,  des  articles  qui  lui  valurent  un  succès 
réel.  L'Eelio  de  VArdèche  qu'il  dirigea  pendant  six  ans,  fit 
apprécier  les  tendances  du  rédacteur  en  chef  :  —  livrer  aux 
lecteurs  une  publication  utile,  intéressante,  instructive  ;  — 
visant  à  moraliser  les  masses  en  vulgarisant  les  simples  notions 
du  juste,  du  vrai,  du  beau  ;  —  écho  de  tout  ce  qui  se  fait  de 
bien  et  de   bon  ;    restant    muet   pour  toute  chronique  ou  fait 


MATHOX  121 

scandaleux,   à   moins   qu'il   n'y  eût  nécessité    absolue  de  les 
dévoiler... 

De  1859  à  18(37,  Mathon  nommé  commissaire  central  de 
police,  passa  successivement  à  Alais,  à  Limoges,  à  Bordeaux 
et  à  Marseille.  Dans  ces  villes  importantes,  il  avait  sous  ses 
ordres  un  personnel  nombreux  d'agents  et  de  commissaires  de 
1'""-'  classe.  A  tous  ces  postes  éminents,  il  se  fit  remarquer  par 
son  tact,  sa  réserve  et  son  aménité.  Un  zèle  sans  exagération 
et  un  esprit  de  justice  bien  entendu  le  distinguaient  aux  yeux 
des  administrations  départementales.  Aussi,  en  18(59,  pi^t-il 
obtenir  le  titre  de  commissaire  spécial  sur  le  chemin  de  fer  de 
Paris-Lyon-Méditerranée.  Il  remplit  ces  fonctions  honorables 
jusqu'au  i*-''"  décembre  1874,  où,  par  limite  d'âge,  après  vingt- 
deux  ans  de  services,  il  fut  admis  à  faire  valoir  ses  droits  à  la 
retraite. 

Pendant  son  séjour  à  Bordeaux  Mathon  fut  fait  chevalier 
de  l'ordre  du  Christ,  par  S.  M.  très  catholique  le  roi  du 
Portugal,  de  passage  en  cette  ville.  Le  prince  avait  été  profon- 
dément touché  de  la  brillante  réception  qui  lui  fut  faite. 

Mathon  a,  dans  toutes  circonstances,  donné  des  preuves  de 
son  dévouement  et  d'une  rare  énergie.  Rappelons  un  épi- 
sode douloureux  qui  ne  s'eflaçait  point  de  son  souvenir. 
Pendant  les  jours  néfastes  de  la  Commune,  Adolphe  faillit 
périr  dans  l'incendie  de  sa  demeure,  n°  10,  rue  de  Lyon.  La 
maison  avait  été  désignée  pour  devenir  la  proie  des  flammes. 
Déjà,  dans  la  nuit  du  24  au  25  mai,  trois  incendiaires  venaient 
de  pénétrer  dans  l'intérieur  afin  d'exécuter  l'horrible  décision 
du  comité  ;  tous  les  locataires  étaient  dans  les  caves,  dans  les 
escaliers  ou  les  vestibules,  moins  exposés,  là,  aux  projectiles, 
l'énergie  de  notre  compatriote,  auquel  surent  se  joindre  les 
autres  locataires,  eut  raison  des  trois  délégués  :  il  venait  de 
sauver  la  vie  à  sa  famille  et  à  ses  voisins. 

Depuis  1874,  Adolphe  Mathon  vivait  modestement  entouré 
des  soins  affectueux  de  sa  compagne  et  de  son  fils,  employé, 
lui  aussi,  dans   l'administration    des  chemins  de  fer.   Rentré 


Ï22  NOTICES   t3lOGRAPHIQUES 

'dans  la  vie  pdvée,  il  se  plaisait  à  revenir  de  temps  à  autre,  à 
Bagnob;;  il  3^  coulait  ses  jours  dans  la  retraite;  n'entretenant 
guc  des  relations  peu  suivies,  même  avec  ses  amis  d'enfance. 
Son  caractère,  jovial  pendant  les  belles  années  de  sa  jeunesse, 
semblait  être  sensiblement  assombri.  La  perte  d'un  fils  chéri 
modifia  beaucoup  ses  allures  d'autrefois  :  ce  n'était  plus 
le  littérateur  aflblé  de  ses  succès  dramatiques  ;  Mathon  était 
devenu  silencieux,  réservé.  Son  éducation  première,  la  vie 
intime  et  calme  dont  sa  famille  lui  avait  donné  l'exemple, 
réapparaissait  pleine  de  charmes  et  de  consolations.  On  le 
retrouvait  sincèrement  pieux,  homme  de  foi  inébranlable.  A 
Bagnols,  il  dirigeait  ses  pronienades  préférées  vers  le  champ 
des  morts  :  il  se  complaisait  avec  sa  compagne  à  s'entretenir 
de  leurs  regrets  amers,  à  côté  de  la  tombe  de  leur  enfant 
bicn-aimé.  —  Plut  à  Dieu,  disait-il,  que  j'eusse  pu  recueillir 
les  restes  de  mon  pauvre  père  :  il  fit  la  mort  d'un  saint.  » 

En  eflet  le  père  d'Adolphe  Mathon,  qui,  dans  les  dernières 
années  de  sa  vie  s'était  voué  aux  pratiques  religieuses,  assis- 
tait un  jour  à  la  messe.  Comme  membre  du  Conseil  de  fabri- 
que il  était  agenouillé  au  banc  de  l'ceuvre.  Les  personnes,  à 
ses  côtés,  l'entendaient  prier  avec  ferveur.  Profondément 
recueilli,  il  se  tenait  la  tête  entre  les  mains  et  récitait  ses 
oraisons  ..  bientôt  ses  lèvres  ne  laissèrent  entendre  qu'un  mur- 
mure, puis  le  silence  succéda,  M.  Mathon  était  mort. 

Sa  fille  se  voua  à  la  vie  monastique,  ses  fils,  vivement  im- 
pressionnés par  ce  malheur  inattendu,  en  conservèrent  un 
souvenir  qui  ne  s'est  jamais  effacé. 

Adolphe  Mathon  résumait  à  lui  seul  les  qualités  et  les  vertus 
de  ses  grands  parents  :  il  devait,  comme  eux,  terminer  une 
vie  dont  les  dernières  années  étaient  marquées  au  sceau  du 
bonheur  intime  et  de  l'édification.  A  la  veille  d'un  voyage 
dans  le  Midi,  il  sortit  le  20  janvier  [878,  pour  faire  une  visite 
d'amitié.  Arrivé  dans  le  salon,  il  causa  comme  d'habitude  et 
se  mêla  à  la  conversation  générale  avec  le  même  entrain  et  la 
même  amabilité  que  la  veille.  Il  achevait  une  phrase  qui  avait 


MATHON  123 

pour  sujet  son  cher  Bagnols,  quand  tout  à  coup  sa  voix 
s'éteignit,  il  poussa  un  léger  soupir,  il  avait  cessé  de  vivre. 
Les  soins  les  plus  empressés  furent  inutiles,  on  ne  ramena 
à  son  logement  qu'un  cadavre. 

Le  surlendemain,  les  restes  mortels  étaient  dirigés  vers  sa 
ville  natale.  Accompagné  de  ses  nombreux  amis  Adolphe 
Mathon  a  été  déposé  à  côté  de  son  enfant  qu'il  avait  tant 
pleuré. 

Son  fils  Gustave-Marie-François,  né  à  Bagnols  le  19  mai 
i85o  conserve  pour  son  pays  une  affection  qui  n'a  d'égale  que 
l'estime  dont  il  est  personnellement  entouré. 

Un  nouveau  deuil  —  deuil  cruel  —  est  venu  attrister  les 
amis  de  ce  jeune  homnie  si  rudement  éprouvé.  Madame  veuve 
Mathon  a  rejoint  son  mari.  Le  fils,  désormais  orphelin,  a  dû 
faire  une  fois  encore  ce  douloureux  voyage  de  Paris  à  Bagnols, 
à  côté  d'un  cercueil... 


Q     -ÎOjâ^f     5 


Monseigneur  MENJAUD  (alexis-basile 

ARCHEVÊQUE    DE    BOURGES 

Né  â  Chiisdan  le  2  juin  l'jgi 
Mort  à  Bourges  le  10  décembre  186 1 


ANS  un  modeste  village  situé  au  bord  de  la  Cèze,  à 
Chusclan,  qui  avait  donné  le  jour  au  Père  Brydayne, 
naquit,  le  2  juin  1791,  Alexis-Basile  Menjaud  :  son 
père  Joseph-Antoine,  était  cultivateur.  Homme  sim- 
ple, laborieux  et  estimé  dans  le  pays,  il  possédait  un  certain 
degré  d'instruction,  si  rare  à  cette  époque.  Ses  compatriotes 
avaient  recours  à  ses  conseils,  à  son  expérience  et  à  son  bon 
sens  reconnu.  La  mère  d'Alexis,  Marie-Anne  Roustan,  unis- 
sait à  une  piété  peu  commune  un  esprit  d'ordre  et  d'économie 
et  une  parfaite  administration  de  son  modeste  intérieur  de 
famille.  Elle  se  préoccupait,  avant  tout,  de  former  le  cœur  de 
ses  enfants. 

Alexis  était  le  troisième  fils  de  cette  famille  de  bons  et 
honnêtes  campagnards.  Quelques  jours  après  sa  naissance,  il 
fut  baptisé  par  le  vénérable  M.  Roubaud,  curé  de  Chusclan, 
à  qui  le  ciel  réservait  la  consolation  de  revoir  un  jour,  dans  sa 
vieillesse  avancée,  son  jeune  néophyte  revêtu  des  insignes  de 
l'épiscopat. 

L'enfont  grandissait    sous  les   yeux   de  sa  tendre  mère  à 


126  NOTICES    FilOClRAPHIQUES 

laquelle  sa  santé  délicate  inspira  maintes  fois  de  vives  inquié- 
tudes :  de  bonne  heure  on  l'envoya  à  l'école  d'Orsan,  village 
voisin,  Chusclan  étant  dépourvu  d'instituteur. 

Le  petit  Alexis  dut,  dès  son  enfance,  prendre  part  aux 
travaux  de  l'agriculture  et  aux  soins  de  la  maison  ;  il  aidait 
son  père  à  planter  la  vigne,  il  gardait  les  brebis,  il  cueillait  la 
feuille  pour  l'éducation  des  vers  cà  soie.  On  ne  savait  pas  encore 
quelle  carrièrç  serait  ouverte  à  ce  jeune  enfant  intelligent  et 
pieux.  La  Providence  vint  en  aide  à  sa  famille. 

Un  soir,  un  cousin  éloigné  de  son  père,  M.  Menjaud,  curé 
de  Cornillon  (Gard),  revenant  d'Avignon  pour  se  rendre  dans 
sa  paroisse  fut  surpris  par  un  violent  orage  :  il  était  alors,  sur 
la  route,  en  face  de  Chusclan.  L'obscurité  de  la  nuit  lui  barrait 
le  chemin,  qu'il  entrevoyait  par  intervalle  à  la  lueur  des  éclairs 
multipliés.  Le  vo3^ageur  prit  le  parti  de  se  diriger  vers  le  vil- 
lage et  d'aller  frapper  à  la  porte  de  son  parent  ;  il  fut  reçu 
avec  la  plus  cordiale  hospitalité.  L'intelligence  précoce  et  la 
physionomie  heureuse  du  jeune  Alexis  tirent  impression  sur 
l'abbé  Menjaud  :  on  décida  que  l'enfant  irait  à  Cornillon  com- 
mencer ses  études  de  latinité.  C'était  en  iSo5  (i).  Quatre  ans 
plus  tard,  il  venait  à  peine  de  terminer  sa  rhétorique,  qu'on 
lui  oflrit  le  professorat  de  la  classe  de  septième  au  collège 
d'Uzès  (i8o8j.  Ce  fut  là  son  début  dans  la  carrière  de  l'ensei- 
gnement. Menjaud  comprit  de  bonne  heure  tous  les  devoirs 
qui  incombent  à  un  professeur  consciencieux. 

C'est  aussi  à  Uzès  qu'Alexis  Menjaud  fit  ses  premiers  essais 
de  musique  et  de  peinture,  car  le  jeune  professeur  était  doué 
d'un  grand  goût  artistique.  Son  biographe,  M.  l'abbé  Blanc  (2), 
à  qui  nous  faisons  dans  cette  notice  de  fréquents  emprunts, 

(1)  Ses  trois  condisciples  étaient  Roux,  Mathieu  et  Juslamond  :  le  premier  a 
été  curé  de  Vénéjan  pendant  plus  de  cinquante  ans,  Mathieu  est  mort  chanoine 
de  la  cathédrale  de  Nîmes  et  Justamond  a  été  supérieur  du  grand  séminaire 
d'Avignon. 

(2)  31.  l'abbé  Blanc,  de  Bagnols^  que  des  liens  de  parenté  unissaient  à 
Monseigneur  Menjaud  a  écrit  la  vie  du  prélat.  —  1  vol.  in-8.  Nancy,  iiHii. 


.MEN.IACD  127 

dit  qu'à  cette  époque  il  peignit  en  miniature  sur  ivoire  et  de 
souvenir,  le  portrait  de  son  père  et  qu'il  composa  un  O  Sahi- 
taris^  motet  à  trois  voix  qu'Aubert,  chef  d'orchestre  aux  Tui- 
leries, a  jugé  digne  d'être  exécuté  à  la  chapelle  impériale  ;  les 
amateurs  avaient  déjà  entendu  avec  intérêt  cette  œuvre  à  la 
cathédrale  de  Nancy. 

En  i8 12,  Alexis  Menjaud  entra  au  grand  séminaire  d'Avi- 
gnon; mais  à  peine  eut-il  passé  une  année  dans  cet  établisse- 
ment, qu'une  simple  femme  de  Chusclan,  Madame  Ycard, 
cousine  de  sa  mère,  obtenait  du  cardinal  Maury  une  bourse  à 
Saint-Sulpice  pour  le  jeune  séminariste. 

Alexis  arriva  à  Paris  en  juin  iSiS  et  descendit  chez  le  car- 
dinal [v..  Il  fut,  le  lendemain,  installé  à  Saint-Sulpice  pour 
entrer  en  théologie.  L'abbé  Menjaud  eut,  à  cette  époque,  l'oc- 
casion d'assister,  comme  clerc,  dans  la  chapelle  des  Tuileries, 
à  la  messe  impériale.  La  curiosité  du  jeune  acolyte  était 
éveillée,  il  portait  souvent  ses  regards  vers  les  tribunes  où  se 
trouvaient  Napoléon  L'"  et  les  personnages  de  la  cour.  Le  vain- 
queur de  Marengo  et  d'Austerlitz  qu'il  était  avide  de  contem- 
pler, remarquant  la  préoccupation  de  l'abbé,  fit  charger  le 
directeur  de  Saint-Sulpice  de  réprimander  celui  des  clercs 
dont  les  distractions  étaient  peu  conformes  à  la  piété  d'un 
fervent  séminariste.  L'abbé  Blanc  ajoute  :  «  C'est  ce  même 
abbé  qui,  à  quarante-quatre  ans  de  distance,  devait  négocier 
à  Rome,  auprès  de  Pie  IX,  le  rétablissement  de  la  grande 
aumônerie  de  l'empereur  Napoléon  III  et  recevoir  de  ce  mo- 
narque les  marques  non  équivoques  de  son  estime  et  de  sa 
tendre  amitié.   » 

Les  qualités   précieuses   de  l'abbé    Menjaud    lui    valurent 


(1)  Ses  amis  lui  onl  unlendu  raconter  la  déception  de  sa  première  soirée.  En 
l'absence  de  l'illustre  Éminence,  le  jeune  abbé  fut  reçu  par  la  concierge  qui  l'ac- 
cueillit comme  un  compatriote  du  Cardinal,  et  qui,  faute  de  lit  à  offrir,  lui  céda  le 
fauteuil  de  sa  loge,  dans  lequel  l'abbé  s'étala  et  ne  tarda  pas  à  s'endormir  pro- 
fondément. Monseigneur  Menjaud  faisait  ce  récit  à  l'un  de  ses  hôtes  bagnolais, 
aux  Tuileries, 


12  8  N  O  T I C  E  s    B I O  G  R  A  P  H  I Q  U  E  s 

rhonneur  de  diriger  un  des  catécliismes  de  persévérance  de  la 
paroisse  Saint-Sulpice  ;  là,  il  était  aimé  des  enfants  qu'il  ins- 
truisait avec  une  douceur,  une  amabilité  et  une  simplicité 
parfaites.  Parmi  ces  Jeunes  gens  pieux,  Menjaud  en  avait  dis- 
tingué un  qui  devait  être,  plus  tard,  une  des  gloires  de  l'épis- 
copat  français  :  Monseigneur  Dupanloup.  Laissons  l'évèque 
d'Orléans  dépeindre  lui-même  ce  souvenir  d'enfance  :  «  Je  le 
vois,  j'entends  encore  avec  éclat,  avec  quel  épanouissement  de 
joie  il  nous  parlait...  Aussi  tous,  enfants  heureux,  nous  l'ai- 
mions, nous  le  bénissions  :  il  était  si  véritablement  bon  et 
aimable!  Et  lui  aussi,  je  le  sais,  il  m'a  aimé...  et  par  une 
clairvoyance  de  son  affection,  me  devinant  avant  moi-même, 
conjecturant  ma  vocation  et  mon  avenir,  c'est  lui  qui,  le  pre- 
mier, murmura  aux  oreilles  de  mon  cœur  les  premiers  mots 
du  sacerdoce  (i).   » 

La  piété,  la  modestie  du  jeune  abbé  Menjaud  ne  tardèrent 
pas  à  le  signaler  à  l'attention  du  cardinal  Maury  (2)  qui  désira 
en  faire  son  secrétaire.  L'élève  en  théologie  autorisé  par  ses 
supérieurs,  —  et  sans  aucune  interruption  dans  ses  études,  — 
allait  travailler  de  longues  heures,  parfois  assez  avant  dans  la 
nuit,  dans  le  cabinet  de  son  Eminence.  C'est  là  qu'il  écrivait, 
sous  sa  dictée,  lettres,  mandements  et  circulaires  administra- 
tives (3). 

L'abbé  Menjaud  fut  ordonné  prêtre  le  21  décembre  181G, 
par  Monseigneur  de  Latil,  évêque  d'Amyclée  :  peu  après  son 
ordination,  il  entra  dans  la  société  des  prêtres  des  missions  de 
France.    L'ombre    du   Père   Brydaync  lui   avait  départi   son 

(1)  Éloge  funèbre  de  Monseigneur  Menjaud  par  Monseigneur  d'Orléans. 

(2)  Le  cardinal  Maury,  archevêque,  nommé  à  Paris  à  la  place  du  cardinal 
Fesclî,  continuait,  sans  bulle,  Tadministration  du  diocèse,  que  le  chapitre  métro- 
politain lui  avait  déférée. 

(3)  Monseigneur  Menjaud  racontait,  plus  tard,  avec  quelle  véhémence  et, 
parfois_,  avec  quelle  sainte  colère,  le  fougueux  méridional  s'exprimait,  lorsque 
parcourant  à  grand  pas  l'espace  de  son  cabinet  d'études,  il  dictait  en  accentuant 
('neryiqacment  chaque  phrase. 


MEXJAUD  I2y 

laborieux  héritage.  Mallieureusement,  le  Jeune  ecclésiastique 
ayant  plus  de  zèle  que  de  forces,  plus  de  bonne  volonté  que  de 
santé,  ne  put  apporter  à  la  chaire  chrétienne  la  puissance  de 
talent  de  son  illustre  compatriote. 

Notre  jeune  abbé  prit  part  aux  missions  de  Tours,  Cler- 
mont,  Grenoble,  Arles,  Bordeaux  :  là,  il  confessait  beaucoup 
et  dirigeait  spécialement  le  chant  et  les  chœurs.  Toujours 
plein  de  zèle,  infatigable  et  dévoué,  on  le  vit  pendant  trois 
années  lutter  contre  les  fatigues  de  toute  nature.  Aussi  sa 
santé,  frêle  déjà,  ne  tarda-t-elle  pas  à  s'altérer.  On  dut  songer 
à  lui  donner  une  position  plus  conforme  à  la  débilité  de  sa 
nature.  Madame  de  Lezeau  avait  formé  à  Paris  une  congréga- 
tion dont  le  but  était  l'instruction  et  l'éducation  chrétienne 
des  jeunes  filles  des  officiers  de  la  Légion  d'honneur.  La 
maison  des  Loges,  dans  la  forêt  de  Saint-Germain  en  était 
la  succursale.  C'est  là  que,  par  les  soins  de  M.  de  Quélen, 
vicaire-général  de  la  grande  aumônerie,  M.  l'abbé  Menjaud 
entra  en  qualité  d'aumônier.  «  C'est  un  crucifix  qu'on  nous 
envoie,  s'écrie  la  supérieure  générale.  Madame  de  Lezeau,  en 
voyant  le  jeune    missionnaire  aussi   exténué  (i).  » 

Le  nouvel  aumônier  des  Loges  ne  tarda  pas  à  s'attirer 
toutes  les  sympathies  d'ès  jeunes  élèves  :  il  avait  tant  d'art 
et  de  bonne  grâce  en  leur  donnant  de  sages  conseils  et  de 
tendres  encouragements  (2), 

Trois  ans  plus  tard,  l'abbé  Menjaud,  dont  la  santé  s'était 
fortifiée,  entra  comme  chapelain  de  la  chapelle  royale  des 
Quinze- Vingt  (3) —  1822.  Il  ne  devait  pas  séjourner  long- 
temps dans  cette  maison,  car  en  1824,  Monseigneur  de  Forbin- 
Janson,    alors  évêque  de   Nancy,  se  souvenant  de    ses  an- 

(1)  Vie  de  Monseigneur  Menjaud,  l'abbé  Blanc,  p.  43. 

(2)  Dans  les  dernières  années  de  sa  vie,  Monseigneur  Menjaud  rappelait  les 
galeries  naïves  dont  le  comblaient  ses  jeunes  pénitentes  :  a  C'était  quelque 
chose  qui  fait  songer  aux  Visitandines  de  Nevers,  disait-il  en  souriant  à  ces 
vieux  souvenirs.  »   . 

(3)  Hospice  fondé  par  saint  Louis  en  1260. 11  y  avait  300  pauvres,  aveugles. 

T.  n  9 


K->0  XOTlCi:S    iilOd  R  A  l'UK^l  ES 

cienncs  relations  avec  l'abbé  Menjaud,  obtint  du  roi  la  nomi- 
nation de  son  collègue  aux  missions,  au  siège  de  chanoine  titu- 
laire de  Nancy.  Menjaud  ne  tarda  pas  à  être  associé  à  l'admi- 
nistration du  nouvel  cvêque  en  qualité  de  vicaire  général 
honoraire.  Son  zèle  redoubla  au  moment  de  la  mission  donnée 
dans  cette  ville,  capitale  de  la  Lorraine.  Un  des  résultats 
heureux  des  exercices  de  piété  de  cette  époque  mémorable 
fut  la  fondation  de  Y  œuvre  de  Saiiit-Jlnccnt^  destinée  à  re- 
cueillir les  jeunes  filles  de  la  ville  et  de  la  campagne.  L'éta- 
blissement dont  il  était  le  promoteur  prospéra,  sous  sa  direc- 
tion, pendant  plus  de  trente  années. 

L'abbé  Menjaud  qui  dans  chacun  des  postes  qu'il  occupait 
savait  s'attirer  l'estime  générale,  fut  appelé  en  iS25  nu  prori- 
sorat  du  collège  roj'al  de  Nancy  :  il  resta  pendant  cinq  ans 
administrateur  de  cet  établissement  renommé. 

L'année  i83o  a  été  mémorable  pour  lui,  prêtre  universi- 
taire. Après  la  révolution  de  Juillet,  Monseigneur  de  Forbin- 
Janson  fuyant  devant  l'orage  qui  grondait  autour  de  son  siège 
épiscopal  de  Nancy  se  dirige  précipitamment  vers  l'Alle- 
magne. Bientôt  le  proviseur-chanoine  est  changé,  il  remet  les 
registres  administratifs  à  son  successeur  et  en  compagnie  d'un 
autre  ami  dévoué  à  l'évêque  fugitif,  ils  se  déguisent  tous 
deux,  sortent  de  Nancy  et  vont  à  la  recherche  de  leur  évèque. 
Mille  dangers  les  menacent  dans  cette  expédition  de  dévoue- 
ment. 

La  vacance  du  siège  dura  encore  plus  de  trois  ans.  En  i835 
le  retour  de  Monseigneur  de  Forbin  étant  devenu  impossible, 
l'évêque  écrivit  au  pape  et  demanda  un  coadjuteur.  François- 
Auguste  Donnet,  sacré  évêque  /;/  partibus  de  Roses  et  nommé 
coadjuteur  de  Nancy,  vint  prendre  les  rênes  de  l'administra- 
tion diocésaine. 

Le  chanoine  Menjaud,  déjà  nommé  supérieur  général  des 
communautés  religieuses,  prêta  au  coadjuteur  un  concours 
intelligent,  actif  et  dévoué.   Cependant,  le  futur  évêque  trou- 


vait  assez  de  forces  pour  prêcher  la  station  du  carême  à  Mar- 
seille et  aller  évangéliser  les  villes  d'Aîx  et  de  Verdun. 

Une  plus  haute  dignité  était  réservée  à  Monseigneur 
Donnet  :  le  coadjuteur  de  Nancy  venait  d'être  appelé  à  l'ar- 
chevêché de  Bordeaux  ii836'.  Un  an  après  Monseigneur 
de  Forbin-Janson,  qui  veillait  paternellement  sur  son  diocèse, 
désigna  le  chanoine  Menjaud  pour  nouveau  coadjuteur  :  sa 
nomination  avec  future  succession  datait  du  iq  juillet  i838, 
quand  une  vive  opposition  se  manifesta  contre  lui  dans  la 
ville  de  Nancy  même.  On  établit  un  registre  dans  la  mairie 
et  ce  registre  fut  couvert  de  nombreuses  signatures. 

En  présence  d'une  telle  opposition,  l'abbé  Menjaud  s'em- 
pressa d'écrire  et  d'envoyer  sa  démission  au  ministre  Barthe 
qui  ne  voulut  point  l'accepter.  Au  milieu  de  ce  regrettable 
conflit,  Monseigneur  Menjaud  fut  sacré  à  Paris  (i)  le  2  juin 
1839.  Malgré  les  témoignages  d'improbation  d'une  fraction 
politique  opposée,  le  chapitre  et  la  ville  de  Nancy  étaient 
représentés  à  cette  cérémonie.  Il  semblait  ne  pas  y  avoir  bon 
accord  entre  l'autorité  ecclésiastique  et  le  pouvoir  civil.  Mon- 
seigneur Menjaud  trouva  heureusement  au  sein  du  Conseil 
du  roi  un  ami  qui  lui  fut  favorable  dans  cette  occasion  :  c'était 
M.  Teste,  ministre  des  Travaux  publics. 

«  De  que  farés  de  ieîi?  (que  ferez-vous  de  moi  ?)  lui  dit 
Monseigneur  Menjaud,  en  Langue  d'oc,  sa  langue  favorite, 
dans  une  visite  au  ministre. 

—  Monseigneur,  reprit  le  ministre,  vous  irez  à  Nancy. 

—  Mais  le  roi  ne  le  veut  pas,  ajouta  le  coadjuteur. 

—  Eh  bien  !  continua  M.  Teste  :  son  ministre  V ordonne.  » 
et  aussitôt  un  ordre  formel  arrive  du  ministère,  avisant  les 
autorités  départementales  de  la  Meurthe  de  la  prochaine  arri- 
vée de  Monseigneur  le  coadjuteur  dans  sa  ville  épiscopale  et 

(1)  Évêque  de  Joppé,  inpartibus,  coadjuteur  de  Nancy.  —  Le  nouvel  évêque 
choisit  pour  armes  :  D'azur  à  la  colombe  d'argent  apportant  un  rameau  d'oli- 
vier de  sinople,  avec  cet  exergue  :  Spes  mea  Deus.  » 


IJ2  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

ajoutant  qu'elles  avaient  à  répondre  de  la  tranquillité  et  de 
l'ordre  public. 

Le  14  juin,  Monseigneur  arrivait  à  Nancy,  non  sans  quelques 
préoccupations,  dit  son  biographe.  Dans  la  même  journée,  le 
coadJLjteur  reçut  toutes  les  visites  officielles  et  la  paix  publique 
ne  fut  pas  un  seul  instant  troublée.  Son  installation  eut  lieu 
avec  pompe  le  dimanche  suivant.  Les  préventions  hostiles 
contre  le  coadjuteur  furent  bientôt  dissipées.  L'air  de  dignité 
et  de  bonté  souriante,  les  manières  aisées  et  affectueuses  du 
prélat  avaient  conquis  la  population  entière.  D'ailleurs,  à  peine 
installé,  son  premier  soin  et  sa  sollicitude  furent  données  à 
Tapaisement  des  esprits  et  à  sa  mission  conciliatrice. 

Monseigneur  Menjaud  fonda  la  Collégiale  de  Bon  Secouî^s, 
1841,  qui  devint  une  maison  de  retraite  pour  les  prêtres  vieux 
et  infirmes. 

Cependant,  l'obligation  de  songer  à  sa  santé  affaiblie  et  le 
besoin  de  repos  après  tant  d'épreuves,  forcèrent  Monseigneur 
Menjaud  à  venir  dans  son  pays  natal.  Son  arrivée  à  Chusclan 
eut  lieu  le  25  septembre  1841.  Le  souvenir  en  est  conservé 
vivant  dans  la  mémoire  des  bons  habitants  de  cette  com- 
mune (i).  Tout  le  village  était  en  fête.  La  population  attendrie 
jusqu'aux  larmes  recevait  avec  un  orgueil  bien  légitime  ce 
glorieux  enfant  du  pays,  qui  avait  déjà  donné  des  preuves  évi- 
dentes de  son  affection  pour  ses  compatriotes  et  pour  ses 
nombreux  obligés.  L'évèque  fut  profondément  touché  des 
témoignages  sympathiques  qui  lui  furent  alors  prodigués.  Il 
était  si  bon,  il  savait  si  bien  dire  à  tous  un  mot  heureux  et 
plein  d'à  propos,  que  la  présence  de  Monseigneur  Alexis  les 
comblait  de  joie. 

Ce  fut  pendant  son  séjour  à  Chusclan  qu'il  reçut  la  visite  du 
vieux  prieur  Roubaud,  retiré  à  Orsan  à  cause  de   son  grand 


(1)  Relation  de  V arrivée  et  du  séjour  de  Monseigneur  Menjaud  à  Chusclan, 
par  M.  Bauquier,  d'Uzès.  —  1841. 


MENJAUn  l33 

âge  (i\  L'entrevue  du  prélat  et  de  l'ancien  pasteur  de 
Chusclan  fut  expansive  et  touchante.  En  effet,  un  brillant  avenir 
semblait  dévolu  au  plus  jeune,  tandis  que  le  digne  vieillard, 
ravi  de  la  dernière  consolation  qui  lui  était  réservée,  pouvait 
songer  au  repos  éternel  et  à  la  récompense  due  à  sa  vie  labo- 
rieuse et  dévouée. 

Monseigneur  Menjaud  visita  Saint-Michel-d'Euzet  où  il  fut 
reçu  par  le  curé,  l'abbé  Blanc,  depuis  chanoine  et  aumônier  au 
lycée  de  Nancy  et  plus  tard  son  biographe  véridique  et  précis. 
Il  voulut  revoir  la  Chartreuse  de  Valbonne  et,  enfin  retourner 
à  Cornillon  dont  le  souvenir  était  cher  à  son  cœur. 

Un  bagnolais,  l'abbé  Mazelier,  en  était  alors  curé.  Monsei- 
gneur Menjaud  passa  une  journée  entière  dans  ce  village  où 
nous  l'avons  vu  à  l'âge  de  douze  ans  commencer  ses  études  de 
latinité.  Il  laissa  d'abondantes  aumônes  pour  les  pauvres  et 
fonda  à  perpétuité  un  service  annuel  à  la  mémoire  du  bienfai- 
teur de  ses  premières  années  (2). 

Monseigneur  Menjaud  voulut  aller  prendre  un  repos  de 
quelques  jours  au  sein  de  sa  famille  d'Aramon,  auprès  de  son 
frère  Jean-Baptiste.  Il  visita  à  Nîmes  Monseigneur  Cart  qui  le 
pria  d'ouvrir  la  retraite  pastorale  au  grand  séminaire...  peu  de 
jours  après  le  coadjuteur  reprenait  la  route  de  Nanc\\ 

A  sa  rentrée  dans  sa  ville  lorraine,  nous  le  vo3^ons  empressé 
à  la  fondation  d'une  œuvre  qui  fut  accueillie  avec  l'assentiment 
général  :  Le  saint  cœur  de  Marie  ;  maison  religieuse  ouverte 
aux  jeunes  filles  pauvres.  Le  P.  Lacordaire  prêta  à  cette 
œuvre  pie  le  concours  de  son  éloquence...  La  maison  a  pros- 
péré :  des  religieuses  de  cet  ordre,  établies  à  Chusclan,  dans 
l'ancienne  maison  de  Monseigneur  Menjaud  y  ont  ouvert  une 
école  et  un  ouvroir  de  jeunes  filles. 

(1)  J/ul)bé  Roubaïul  était  d'Orsaii.  En  IG!)!,  un  Francis  Roubautl,  qui  était 
maire  il'(Jrsan,  portait  :  ]f  urgent  à  un  chevron  lozangé  d'aryent  et  d'azur. 

(2)  Plus  tard,  Monseigneur  Menjaud  orna  l'église  de  Cornillon  de  ses  dons 
particuliers  :  il  fit  obtenir  de  la  Grande  Aumônerie  de  France  un  tableau  pour  le 
maître-autel  :  une  copie  de  Saint  Pierre,  du  Guide,  par  Léon  Alègre. 


I.-)4  NOTICES    l!iO GRAPHIQUES 

Nous  pourrions  encore  citer  plusieurs  autres  fondations  qui 
honorent  la  mémoire  de  Monseigneur  Menjaud  :  l'une  d'elle 
mérite  une  mention  particulière,  c'est  l'œuvre  des  enfants  de 
la  Chine  :  une  association  établie  dans  les  écoles  :  une  cotisa- 
sation  de  cinq  centimes  par  mois,  payée  par  chaque  enfant, 
produisit  des  sommes  considérables  ,  lesquelles  furent  expé- 
diées aux  missionnaires  de  l'extrême  Orient. 

Monseigneur  Menjaud  ouvrit  les  portes  de  son  diocèse  à 
l'ordre  des  Frères  Prêcheurs  de  Saint-Duminique  :  il  était  le 
premier  évêque  de  France  qui  entreprit  cette  œuvre  de  res- 
tauration, Nanc}^  devint  leur  premier  berceau. 

Cependant,  après  quatorze  années  passées  dans  l'exil,  et  des 
vo3^ages  fructueux  pour  la  religion,  en  Amérique,  Monseigneur 
de  Forbin-Janson,  qui  se  préoccupait  activement  de  l'œuvre 
de  la  Sainle  Enfance,  vint  mourir  à  Marseille  le  i  i  juillet 
iX|4.  Monseigneur  Menjaud  alla  présider  aux  funérailles  du 
prélat.  Le  28  août  suivant,  il  faisait  célébrer,  à  Nanc}^,  un 
service  funèbre  en  mémoire  de  son  illustre  prédécesseur. 
Pendant  la  cérémonie,  le  R.  P.  Lacordaire  prit  la  parole  et 
prononça  avec  un  éclatant  succès,  une  de  ces  oraisons  funèbres 
qui  font  époque  parce  qu'elles  sont  un  modèle  de  talent  ora- 
toire. 

Ajoutons  à  rénumération  des  œuvres  pies  que  la  ville  de 
Nancy  doit  à  Monseigneur  Menjaud,  comme  fondateur  ou 
restaurateur,  la  Congrégation  des  Sœurs  de  la  doctrine  chré- 
tienne, qui  sous  le  pieux  évêque,  prit  le  caractère  d'un  institut 
religieux,  la  congrégation  de  Saint-Charles  dont  les  sœurs 
desservent  les  hôpitaux. 

L'évêque  portait  un  véritable  intérêt  à  toutes  les  commu- 
nautés de  son  diocèse:  La  Msitation,  les  dames  du  Bon 
Pasteur,  les  Dominicaines,  les  Bénédictines,  les  Réj'é}\'fids 
Pères  Chartreux,  de  Bosserville,  les  sœurs  de  Charité,  de 
l'Espérance^  des  Abandonnées,  de  Niederbronn  ;  les  Liguo- 
riens,  \csOblats  de  Marie,  les  Jésuites,  VŒurre des  Allemands, 
YŒiivre  du  Patronage,  les  E)'è)-es  de  la  doctrine  cJirétienne, 


«  En  un  mot,  dit  l'abbé  Blanc,  il  y  avait  lieu  d'être  cditié  de 
tout  le  zèle  déployé  par  le  vénérable  pontife  qui  siégeait  à 
Nancy  :  il  exerçait  dans  son  diocèse  une  puissante  influence.  » 

Dans  les  premiers  Jours  qui  suivirent  le  24  février  1848, 
l'évêque  adressa  au  clergé  et  aux:  fidèles  des  conseils  salutaires, 
inspirés  par  sa  prudence  et  sa  modération  :  il  rappela  qu'au 
milieu  de  toutes  les  révolutions  qui  agitent  le  monde,  l'église 
doit  continuer  son  œuvre  qui  est  la  sanctification  des  âmes,  et 
que  sans  faire  dépendre  ses  destinées  de  telle  ou  telle  forme  de 
gouvernement,  elle  les  a  toutes  adoptées  et  bénies,  lorsqu'elles 
ont  réalisé  les  principes  immortels  de  justice  et  de  liberté  qui 
sont  la  base  de  tout  ordre  social... 

Sous  une  sage  administration  municipale  et  diocésaine, 
la  ville  de  Nancy  traversa  les  jours  de  perturbation,  pure  de 
tout  excès  :  partout  le  bon  ordre  fut  maintenu.  Malgré  les 
intentions  peu  bienveillantes  de  certains  groupes  contre  quel- 
ques communautés  religieuses,  l'évêque  fut  respecté  :  il  y  eut 
toujours  bon  accord  avec  les  deux  pouvoirs  :  le  Maire  de 
Nancy  avait  écrit  à  Monseigneur  Menjaud  :  «  Quant  à  vous, 
Monseigneur,  vous  êtes  sous  la  sauvegarde  de  l'estime  publique 
et  de  la  considération  des  citoyens.  » 

Le  3i  décembre  1848  eut  lieu,  sur  la  place  du  Peuple, 
ici-devant  Place  Stanislas',  la  bénédiction  des  drapeaux  de  la 
République  destinés  aux  bataillons  de  la  garde  nationale. 
Monseigneur  l'évêque  revêtu  de  ses  habits  pontificaux  prési- 
dait :  il  prononça  à  cette  occasion  un  discours  dont  nous 
reproduisons  ici  un  passage  saillant:  «  Le  drapeau.  Messieurs, 
est  chez  tous  les  peuples  l'étendard  de  la  patrie  et  l'emblème 
de  la  nationalité,  le  point  de  ralliement  des  nobles  cœurs,  et 
le  mémorial  des  gloires  du  pays  auquel  il  appartient.  Aussi, 
chez  un  grand  nombre  de  nations  on  l'a  orné  des  emblèmes 
religieux,  pour  rappeler  aux  guerriers  qu'ils  doivent  défendre 
les  deux  choses  les  plus  précieuses  qui  soient  au  monde  :  les 
foyers  domestiques,  sans  lesquels  il  n'y  a  pas  de  vraie  patrie, 
et  les  autels  sans  lesquels  i!   n'y  a  pas  de  nation  :   pro  aris  et 


ï'}>6  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

focis.  On  a  aussi  toujours  invité  la  religion  à  bénir  les  éten- 
dards, parce  qu'on  pensait,  avec  raison,  qu'elle  bénissait,  en 
même  temps,  les  peuples  dont  ils  sont  les  signes  distinctifs 
dans  la  paix  comme  dans  la  guerre  (i).  » 

L'évêque  de  Nancy  fonda  des  comités  cantonaux  chargés 
des  soins  de  Tadministration.  Cette  institution  rendit  des 
services  réels  au  clergé  du  diocèse.  Alors  furent  simultanément 
établies  les  conférences  ecclésiastiques  et  des  examens  annuels 
pour  les  jeunes  prêtres. 

Lorsque  le  prince  Louis-Napoléon,  président  de  la  Républi- 
que fit  son  premier  voyage  à  Nanc}^,  Tévêque  entouré  de  ses 
vicaires  généraux  et  de  son  chapitre  le  harangua.  Sa  parole  émue 
laissa  au  nouvel  élu  une  impression  favorable.  Le  prince  se 
souvint  du  prélat  lorrain  après  le  coup  d'État  du  2  décembre 
i85i.  Quelques  habitants  de  Nancy  ou  du  département  furent 
compromis,  Tévêque  Menjaud  voulut  se  rendre  à  l'Elysée  pour 
implorer  la  clémence  du  chef  de  l'État.  Il  reçut  l'accueil  le 
plus  cordial.  Le  prince  promit  de  consulter  les  dossiers  des 
accusés...  peu  après,  les  prévenus  étaient  rendus  à  leurs  famil- 
les. 

Malgré  les  commotions  politiques  de  cette  époque,  nous 
retrouvons  Monseigneur  Menjaud  encourageant  la  fondation 
de  nouvelles  œuvres  :  la  maison  des  Petites  sœurs  des 
Paumes  et  l'Œuvre  des  Tabernacles,  pour  venir  en  aide  à  la 
pauvreté  des  églises  de  campagne. 

Le  17  juin  i852,  jour  de  l'inauguration  du  chemin  de  fer  de 
Paris  à  Nancy  et  de  l'écluse  de  jonction  du  canal  de  la  Marne 
au  Rhin  avec  la  Moselle  à  Frouard,  Monseigneur  Menjaud 
prononça  devant  le  ministre  de  l'instruction  publique  et  l'in- 
génieur en  chef,  un  discours  sur  Yalliance  indissoluble  de  la 
science  et  de  la  religion.  Des  réjouissances  publiques  curent 
lieu   et  le   soir   un   banquet   réunit   les   autorités  à   l'hôtel  de 

(1)  AI)1)(';  lîlanc.  Loc.  cil.,  p.lTi. 


MENJAUD  i:)7 

ville,  Tévêque  porta  un  toast  au  progrès  moral  sous  l'inJUience 
de  la  Religion. 

Au  mois  de  juillet,  le  prince  Louis-Napole'on  revintà  Nancy  : 
nouvelle  harangue  de  Monseigneur  Menjaud  accentuant  ses 
préférences  et  l'espoir  qu'il  met  dans  le  prince  qui  tient  en 
main  les  destinées  de  la  France.  Louis-Napoléon  pendant  son 
séjour  dans  le  département  de  la  Meurthe  entoura  constam- 
ment l'évêque  des  marques  les  plus  touchantes  de  sympathie  ; 
comme  dernière  preuve  de  distinction,  il  voulut  lui  offrir  la 
croix  de  la  Légion  d'honneur. 

Nous  reconnaissons  la  sollicitude  de  Monseigneur  Menjaud 
dans  l'organisation  des  Bibliothèques  cantonales.  Sa  lettre 
pastorale  du  i8  septembre  i852  contient  ces  paroles  remar- 
quables :  «  Il  faut  le  rcconnaitre,  dit  le  prélat,  c'est  une 
nécessité  de  notre  époque,  la  classe  ouvrière  a  généralement 
plus  d'instruction  qu'autrefois,  et  elle  est  tourmentée  d'un 
immense  besoin  de  lire  :  ce  sont  des  âmes  affamées  qui  nous 
demandent  du  pain,  et  nous  devons,  à  tout  prix,  leur  en 
procurer;  la  justice  et  la  charité  nous  en  font  une  obligation 
rigoureuse.  Que  feront,  au  reste,  tant  de  jeunes  gens,  tant  de 
domestiques  et  d'ouvriers  désœuvrés,  durant  les  longues  soi- 
rées d'hiver,  ou  pendant  les  jours  de  chômage  et  de  repos  ?  ils 
rempliront  les  cabarets  et  s  y  démoraliseront:  les  jeunes  filles, 
de  leur  côté,  se  livreront  à  des  divertissements  dangereux  ou 
criminels,  ou  liront  des  romans  qui  les  pervertiront...  Heureux 
celui  entre  les  mains  duquel  tombe  un  bon  livre,  car  c'est  pour 
lui  un  ami  sincère  et  dévoué,  qui  lui  donne  des  avis  salutaires, 
réveille  le  remords  endormi  au  fond  de  sa  conscience,  lui  indique 
les  moyens  à  prendre  pour  recouvrer  la  paix  de  l'âme,  lui  trace 
la  route  à  suivre  pour  arriver  au  vrai  bonheur,  lui  signale  les 
écueils  où  sa  vertu  ferait  naufrage,  et  le  porte,  par  de  puissants 
motifs,  à  embrasser  courageusement  le  parti  de  la  vertu.  » 

La  Providence,  dit  l'abbé  Blanc,  réservait  à  l'humble  enfant 
de  Chusclan,  après  les  honneurs  de  l'épiscopat  dans  l'église  de 
Dieu,  une    autre  distinction  :  une  position   élevée  auprès  des 


^-■•S  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

puissants  de  la  terre...  le  prince  président  songeait  à  rétablir 
la  grande  auniônerie  de  France  et  voulait  appeler  à  la  dignité 
de  premier  aumônier  de  sa  maison,  Monseigneur  Menjaud  : 
Téveque  déclina  modestement  cet  honneur  qu'il  n'accepta  qu'à 
Ia  condition  de  ne  point  quitter  son  diocèse  lorrain.  La  no- 
mination fut  signée  le  3i  décembre  i852. 

Dans  cette  haute  position  de  confiance,  Monseigneur  Menjaud 
pouvait  rendre  et  rendait  en  effet  des  services  signalés.  On 
ignore  que  Taumônerie  recevait,  par  an,  plus  de  vingt  mille 
pétitions  de  toute  nature  et  que  l'évèque  de  Nancy,  (pendant 
les  six  années  de  son  administration),  a  fait  obtenir  au  dépar- 
tement de  la  Meurthe,  seul,  plus  de  100,000  francs. 

Les  relations  de  Monseigneur  Menjaud  avec  la  Cour  furent 
honorables  et  bienveillantes.  Il  se  pliait  péniblement  aux  exi- 
gences de  sa  position,  mais  ses  goûts  particuliers  le  portaient 
de  préférence  à  la  vie  simple  et  laborieuse  au  sein  de  ses  dio- 
césains chéris. 

Il  assiste,  à  Nancy,  à  l'inauguration  de  la  statue  du  général 
Drouot  :  Drouot  surnommé  le  sa^e  de  l'armée  :  il  signale  au 
ministre  des  cultes  son  vicaire  général,  Monsieur  l'abbé  Delalle, 
bientôt  nommé  à  l'évèché  de  Rhodez. 

Pourquoi  ne  mentionnons-nous  pas  une  ceuvre  modeste  en 
apparence,  l'œuvre  des  soldats,  fondée  en  1849  par  l'abbé 
Charlet,  chanoine  de  la  cathédrale.  Plus  de  cent  trente  Jeunes 
militaires  recevaient  avec  la  coopération  des  frères  des  écoles 
chrétiennes,  les  éléments  de  lecture,  d'écriture  et  de  calcul.  De 
charitables  membres  de  la  Faculté  des  lettres  leur  faisaient  des 
conférences  sur  la  morale  et  sur  l'histoire. 

Monseigneur  Menjaud  participa,  comme  premier  aumônier, 
à  plus  d'une  solennité  mémorable  :  il  assista  au  mariage  de 
l'empereur  et  à  la  bénédiction  nuptiale  :  il  prit  part  au  Concile  ; 
il  rétablit  la  liturgie  romaine  dans  le  diocèse  de  Nancy  et  de 
Toul.  Il  se  rendit  à  Rome  alin  de  solliciter  la  bulle  apostolique 
pour  consacrer  la  nouvelle  grande  aumônerie  de  Napoléon  III 
(1857).  La  réception  que  lui  fit  la  cour  pontificale  était  due  à 


sa  personne  et  à  sa  mission.  L'évêque  retourna  en  France 
comblé  d'égards  et  de  faveurs  :  le  pape  l'avait  nommé  comte 
Romain,  prélat  assistant  au  trône  pontifical,  et  avait  rétabli  en 
faveur  des  chanoines  de  la  cathédrale  de  Nancy,  une  décora- 
tion particulière  portée  avant  1789   dans  l'église  primatiale  ii). 

L'abbé  Blanc  raconte  dans  son  excellent  livre  plusieurs 
traits  peu  connus  de  la  vie  intime  du  prélat.  Il  rappelle  ce  que 
disait  Monseigneur  d'Orléans  dans  l'oraison  funèbre  du  samt 
évèque  :  «  Ame  aflcctueuse  et  bonne,  cœur  sjmipathique  et 
dévoué.  Monseigneur  Menjaud  ne  savait  pas  haif,  il  ne  sut 
jamais  qu'aimer,  n  L'appréciation  de  l'homme  et  du  prêtre  est 
toute  dans  cette  phrase. 

Pendant  que  le  choléra  faisait  de  nombreuses  victimes  dailt? 
plusieurs  localités  de  son  diocèse,  l'évèque  de  Nancy  déploya 
un  courage  et  un  dévouement  admirables.  On  le  vit,  malgré 
une  forte  répugnance  instinctive,  malgré  le  délabrement  de  sa 
santé,  accompagné  de  l'abbé  Delalle,  parcourir  les  salles  de 
l'hôpital  Saint-Charles  et  adresser  aux  malades  réunis  des 
paroles  de  consolation  et  d'encouragement. 

Nous  ne  pouvons  rapporter  le  nombre  considérable  des 
églises  bâties  ou  restaurées  pendant  l'épiscopat  de  Monsei- 
gneur Menjaud.  L'évèque  avait  voulu  même,  pour  donner 
une  direction  harmonique  et  un  caractère  d'uniformité  à  toutes 
ces  constructions  nouvelles,  établir  une  commission  spéciale 
d'hommes  compétents,  atin  d'en  diriger  les  travaux  d'après  les 
règles  de  l'art  catholique. 

Ce  ne  fut  pas  seulement  dans  le  département  de  la  Meurthe 
que  Monseigneur  Menjaud  répandit  ses  bienfaits,  il  songea  à 
l'église  de  son  village  :  il  oflVit  lui-même  10,000  francs. 
Bientôt,  sous  le  patronage  du  Père  Brydayne,  il  sollicita  des 
dons  et  des  offrandes  du  Gouvernement    et  de    quelques   uns 


(1)  Le  chapitre  de  Nancy  était  chapitre  noble  cl  le  roi  de  Franco    en  était 
chanoine  d'honneur. 


140  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

de  ses  pieux  diocésains  (i).  Monseigneur  Sibour,  admirateur 
de  Brydayne,  s'associa  à  l'œuvre  et  à  la  suite  d'un  discours 
prêché  à  Notre-Dame-de-Paris  par  le  P.  Lacordaire,  l'arche- 
vêque écrivit  à  Monseigneur  Menjaud  une  lettre  sympa- 
thique. 

Nous  rappellerons  encore  les  encouragements  qu'il  donna 
au  Corps  enseignant  de  sa  ville  épiscopale,  lorsqu'en  1859,  on 
posa  la  première  pierre  du  nouveau  palais.  L'évêque  prononça 
une  allocution  de  laquelle  nous  voulons  citer  seulement  la 
première  phrase,  quoique  ce  ne  soit  là  qu'une  pensée  bien 
connue  :  «  On  l'a  dit  :  Messieurs,  il  y  a  deux  siècles  et  demi  : 
peu  de  science  conduit  à  l'athéisme,  beaucoup  de  science  rap- 
proche de  Dieu  ...» 

Pendant  la  dernière  année  de  son  épiscopat  en  Lorraine, 
après  avoir  élevé  sur  la  montagne  de  Sion-Vaudemont  un 
monument  à  la  Vierge  Immaculée,  Monseigneur  Menjaud 
éprouva  une  déception  bien  cruelle  :  le  palais  épiscopal, 
propriété  de  l'État,  fut  converti  en  hôtel  de  préfecture  et 
l'évêque  de  Nanc}^  se  vit  obligé  de  se  retirer  dans  un  autre 
local  moins  digne  de  la  haute  position  qu'il  occupait.  L'em- 
pereur ayant  connaissance  des  mécomptes  du  premier  aumô- 
nier voulut  lui  offrir  (afin  d'adoucir  l'amertume  dont  il  venait 
d'être  abreuvé:,  le  titre  d'Archerêquc  de  Bourges  :  3o  juillet 
i85().  Alors  Monseigneur  Menjaud  quitta  la  ville  de  Nancy 
qu'il  avait  habitée  pendant  vingt-cinq  ans  et  adressa  à  ses 
diocésains  les  adieux  les  plus  touchants. 

Avant  d'abandonner  sa  chère  Lorraine,  il  voulut  distribuer 
d'abondantes  aumônes  aux  pauvres  et  aux  établissements  cha- 
ritables   de  Nancy.    Le  secrétaire   de   l'évêché    fut  chargé   de 


(1)  l  ne  belle  église  roniane  s'élev;ià  Cliiischm  sur  l'emiilacement.  de  l'ancien 
cimetière  ;  l'archilecle  fut  M.  Laval.  —  1851-1855. 

On  y  remarque  de  belles  orgues  sortant  de  la  maison  Cuvilliei-  à  Nancy;  les 
vitraux  sont  également  d'un  artiste  lorrain  ;  les  ))eintures  de  l'abside,  de  l'abbé 
Sublet,  peintre  lyonnais. 


M  E  N  J  A  U  D  141 

remettre,  de  sa  part,  mille  francs  à  chacune   des  maisons  qu'il 
n'avait  cessé  de  patronner. 

Archevêque  de  Bourges,  il  arriva  à  Paris  vers  la  tin  octobre 
1859  :  Le  cardinal  Morlot  lui  remit  le  Palliiim  de  la  part  du 
Pape  (r),  comme  une  marque  de  distinction  bien  méritée.  Le 
17  novembre,  il  faisait  son  entrée  solennelle  dans  sa  nouvelle 
ville  épiscopale,  au  milieu  d'une  multitude  empressée  et  déjà 
sympathique.  Le  prélat  ne  tarda  pas  à  entreprendre  des 
travaux  d'administration.  Une  des  œuvres  auxquelles  il  voulut 
d'abord  attacher  son  nom  fut  la  restauration  de  l'ancienne 
abbaye  de  Cheial-Benoit,  devenu  depuis  un  collège  libre  dirigé 
par  des  prêtres  choisis  dans  les  rangs  du  clergé  du  Berry. 

Mais  la  santé  de  Monseigneur  Menjaud  allait  s'alïaiblissant 
de  jour  en  jour  :  il  se  vit  forcé  de  suspendre  ses  visites  pasto- 
rales dans  le  département  du  Cher  et  de  l'Indre  qui  composaient 
son  diocèse,  et  d'aller  demander  l'hospitalité  du  repos,  au 
couvent  des  dames  du  Sacré-Cœur,  à  Chatellerault  (Vienne),  à 
peu  de  distance,  et  dont  Madame  Félicie  Menjaud  sa  nièce,  était 
supérieure  :  «  je  viens  mourir  chez  toi  »,  lui  dit  Monseigneur 
en  entrant  dans  la  communauté.  Les  soins  affectueux  de  sa 
nièce  pendant  son  séjour  dans  cette  pieuse  maison,  rendirent 
un  peu  de  calme  à  ses  souffrances. 

La  maladie  de  l'archevêque  empirait  ;  les  médecins  lui 
conseillèrent  les  eaux  de  Vichy,  où  il  trouva  l'empereur. 
Pendant  vingt  jours,  malgré  les  soins  les  plus  attentifs  de  son 
médecin,  il  n'obtint  aucun  soulagement  à  ses  maux.  Monsei- 
gneur Menjaud  dut  demander  un  coadjuteur  ;  il  obtint  M.  l'abbé 
de  Latour-d'Auvergne-Lauraguais.  Ce  fut  là  un  événement 
heureux  qui  vint  apporter  un  adoucissement  momentané  à 
toutes  ses  douleurs  ph3^siques.   Bientôt  ses  nombreux   amis 


(1)  Le  Pallium  est  une  pièce  d'étolfe  blanche  entourant  les  épaules,  avec  des 
pendants  tombant  devant  et  derrière  et  couverte  de  soie  noire  et  de  4  croix 
rouges.  Le  pape  envoie  le  pallium  aux  prélats  comme  marque  de  leur  dignité. 
L'usage  commença  au  ive  siècle. 


14^  XOriCKS    (5  1  oc.  K-VIMl  K^LES 

jugèrent  la  situation   désespérée  :    M.   l'abbé  Lamblin    eut   le 
courage  de  l'avouer  à  Tilkistre  malade. 

L'archevêque  revêtu  de  ses  ornements  pontificaux,  reçut  les 
derniers  sacrements  des  mains  de  son  coadjuteur  :  il  adressa 
des  adieux  touchants  aux  membres  du  clergé  qui  l'assistaient 
à  son  heure  suprême.  Mais  la  maladie  empirait  et  la  crise  était 
imminente.  On  approcha  du  saint  prêtre  son  crucifix,  sa  reli- 
que de  la  vraie  croix  et  son  scapulaire  ;  il  les  baisa  avec  respect 
et  amour;  il  sembla  se  recueillir  sous  la  dernière  absolution. 
Le  coadjuteur  qui  avait  sollicité  auparavant  pour  l'archevêque 
la  bénédiction  apostolique  du  saint  père,  demande  à  son  tour 
au  prélat  mourant  ses  dernières  bénédictions  et  par  un  mou- 
vement de  sa  main  défaillante,  Monseigneur  Menjaud  bénit  en 
ce  moment,  son  clergé,  ses  séminaires,  son  diocèse  de  Bourges, 
son  ancien  clergé  de  Nanc}^  et  sa  famille  absente  (i).  Enfin, 
après  une  courte  et  douce  agonie,  il  s'endormit  paisiblement  le 
mardi  lo  décembre  i8'5i,  à  deux  heures  du  matin,  dans  la 
soixante-et-onzièmc  année  de  son  âge  et  la  vingt-troisième  de 
sa  prélature. 

Les  obsèques  furent  un  vrai  triomphe  :  cette  éclatante 
manifestation  glorifia  le  saint  prêtre  et  l'homme  de  cœur. 
Monseigneur  le  cardinal  Donnet,  archevêque  de  Bordeaux 
présida  la  cérémonie  ;  plusieurs  évêques,  chanoines  et  chape- 
lains suivaient  le  corps  ;  les  coins  du  poêle  étaient  tenus  par 
le  général,  le  président  de  la  cour  et  les  préfets  du  Cher  et  de 
l'Indre..,  Dans  la  métropole,  le  corps  descendu  du  char  fut 
déposé  sur  le  catafalque  dressé  à  l'entrée  du  chœur.  Ce  cata- 
falque, envoyé  de  Paris,  par  le  garde-meuble  de  la  couronne, 
était  celui  qui  avait  servi  aux  obsèques  du  roi  Jérôme. 

Après  la  messe,  Monseigneur  Dupanloup,  évêque  d'Orléans, 
qui  prononça  l'oraison  funèbre,  se  laissant  aller  à  son  émotion 
et  aux  élans  de  son  cœur,  remua  tout  son  auditoire  et  s'éleva 


(1)  Il  n'y  avait  en  ce  moment  à  Kourges  que  M.  Pierre  Menjaud,  sous-lieule- 
nanl  au  -ie  régiment  des  voltigeurs  de  la  garde. 


.\ir:x,i.\rn  14.-) 

jusqu'à  la  plus  haute  éloquence.  Le  corps  fut  descendu  dans 
le  caveau  des  archevêques  de  Bourges  et  déposé  dans  cette 
crypte  antique. 

Le  19  décembre  suivant, MonseigneurDarboy  faisait  célébrer 
à  Notre-Dame-de-Paris  un  service  funèbre  pour  l'illustre 
prélat  du  Berry. 

Tel  est  le  récit  de  la  vie  de  ce  pontife  aimé,  estimé,  vénéré 
de  tous  ceux  qui  ont  eu  le  bonheur  de  le  connaître.  Quoique 
sorti  des  rangs  des  travailleurs  modestes,  il  ne  fut  Jamais 
enorgueilli  par  les  honneurs  et  les  grandeurs  du  monde.  C'est 
donc  à  bon  droit  qu'on  peut  adresser  à  Fabbé  Menjaud  ce  que 
disait  Massillon  :  «  les  plus  hautes  places  sont  toujours  au 
dessous  des  grandes  âmes,  rien  ne  les  enfle  ni  les  éblouit, 
parce  que  rien  n'est  plus  haut  qu'elles.  » 

Monseigneur  Menjaud  a  laissé  par  testament  des  legs  aux 
églises  et  communautés  de  Bourges  :  il  n'a  point  oublié  Chus- 
clan,  Cornillon  et  Aramon  ;  il  a,  de  plus,  assigné  la  somme 
de  5,000  fr,  pour  les  pauvres  de  Nancy  (i). 

Anues  de  V archevêque  de  Bourp^es  : 

D'azur  au  Jehovah  d'argent,  au  chef  de  gueules  chargé  de 
trois  étoiles  d'argent.  — •  Devise  :  Beatiis  quem  elegisti  et 
assiimpsisti. 


{{)  Les  portraits  de  Monseigneur  Menjaud,  peints   par  Léon  Alégré,  figurent 
nu  Musée  de  Bagnols  et  dans  la  sacristie  de  réalise  de  Ghusclan. 


r44 


NOTICES    BIOGRAPHIQUES 


Inscription  sur  le  tombeau  de  Monseigneur  Menjaud 

A  la  mémoire 

de 

Monseigneur  illustrissime  et  révérendissime 

Alexis-Basile  MENJAUD, 

Patriarche,  archevêque  de  Bourges, 

Primat  des    Aquitains,    comte    romain. 

Prélat  assistant  au  Trône  pontifical. 

Premier  aumônier  de  l'empereur  Napoléon  111, 

Chanoine  honoraire 

du  premier  ordre  du  chapitre  impérial  de  Saint-Denis, 

Chevalier  du  Saint  Sépulcre 

et  de   Saint-Jean-de-Jérusalem, 

Commandeur 

de  l'ordre  impérial  de  la  Légion  d'honneur,  etc.,  etc. 


Miséricordieux  pour   tous,    Il  se  repose  de   ses   travaux. 
Ses  œuvres  lui  survlrent. 


MICHEL    (CLAUDE) 

INSTITUTEUR 

Né  a  Bagnols  le  3'^'^^  jour  complémentaire  du  moisdefructido7^ 
an  17  (ig  septembre  l'jgS) 

Mort  à  Bagnols  le  z'^''  aj'ril  1880 


Il  y  a  dans  le  monde  certaines  individualités  humbles,  mo- 
destes, nous  dirons  mêmes  microscopiques  dont  l'influence 
réelle  n'est  remarquée  que  par  un  petit  nombre  d'observateurs. 
Puisqu'il  se  présente  ici  une  de  ces  rares  personnalités, 
pourquoi  n'en  parlerions-nous  pas  et  n'en  ferions-nous  point 
ressortir  toute  la  valeur  ':  voudrions-nous  encourir  le  reproche 
d'oublier  notre  épigraphe  :  cuique  siinm^  à  chacun  le  sien  ! 
Dans  la  couronne  tressée  en  l'honneur  de  Bagnols  faut-il  ne 
choisir  que  les  fleurs  d'apparat  et  dédaigner  les  violettes,  les 
myosotis  et  le  réséda  s3'mbolique  r  —  non. 

Michel  était  le  fils  d'un  honnête  courtier  appartenant, 
lui-même,  à  une  famille  fort  honorablement  apparentée  : 
seulement,  faute  de  fonds  nécessaires  au  commerce,  il  servait 
d'intermédiaire  aux  négociants  en  vin  de  la  contrée,  et  il  en- 
treprenait ces  interminables  voyages  par  eau,  qui  consistaient 
à  faire  voiturer  de  l'Ardoise  à  la  Râpée  de  Paris,  les  fûts 
entassés  sur  de  grandes  barques   du  Rhône,  et  les  passer  par 

T.    II  10 


146  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

les  canaux  de  la  Bourgogne,  la  Marne  et  la  Seine.  Le  voyage 
durait  alors  trois  mois  ;  aujourd'hui,  il  dure  trois  jours. 

Le  jeune  Michel,  avec  ses  allures  candides,  fut  la  perle  des 
enfants  de  chœur.  Il  y  avait  peu  à  faire,  pour  lui,  à  la  maison, 
aussi  passait-il  son  temps  à  l'église  :  cela  dura  des  années  et 
des  années  ;  près  de  soixante-et-dix  ans  !  bien  entendu  que 
pendant  cette  période  presque  séculaire,  ses  fonctions  ont 
maintes  fois  varié. 

Michel  a  été,  disions-nous,  c<7/7é/(7/zé,  à  l'imitation  des  jeunes 
clercs  (de  l'école  fondée  ici  en  lyiS^  qui  se  destinaient  à  l'état 
ecclésiastique.  Il  fallait  lui  entendre  raconter  et  décrire  les 
usages  de  l'église  pendant  son  jeune  temps.  Ces  belles  proces- 
sions matinîiles  des  rogations,  délices  des  enfants,  pour  les 
quels  on  préparait  ce  jour  là,  un  déjeuner  copieux  composé 
d'œufs  durs,  colorés  au  campèche  et  de  quelques  friandises, 
selon  la  gâterie  ou  la  vanité  des  parents. 

Une  des  processions  les  plus  singulières  :  (mais  celle-là, 
disait  M.  Michel,  n'a  été  faite  que  deux  fois  depuis  le  retour 
de  l'abbé  Berthoud  à  Bagnols),  c'est  celle  dont  le  souvenir 
datait  d'avant  la  Révolution. 

Il  existait  ici  une  fondation  de  dix  écus  par  an,  au  profit  des 
capélané,  lesquels  étaient  tenus  d'aller  processionnellement  et 
tous  en  corps,  à  la  chapelle  des  ladres  entendre  la  messe  le 
lundi  de  Pâques  et  d'y  chanter  :  O  Jilii  et  Jiliœ.  Mais  les 
malins  et  il  y  en  a  toujours  eu  quelques-uns  dans  les  Barri 
de  la  ville),  avaient  composé  la  parodie  de  ce  chant  joyeux. 
Ainsi,  lorsque  tous  les  jeunes  clercs  ne  s'étaient  pas  rendus  à 
l'office,  les  gamins,  c'est-à-dire  les  manœiij^res  de  ce  temps  là, 
chantaient  à  cœur  joie  : 

Li  des  e»cus_, 
Saran  perdu, 
Se  vénoun  pas, 
Alléluia. 


MICHEL  147 

et    lorsque   le    nombre    était   au    complet ,    on    leur    disait  : 

Li  des  escu 
Soun  léù  gagna 
Alléluia. 

Mais,  vont  nous  demander  nos  jeunes  compatriotes  :  qu'était 
jadis  la  chapelle  des  ladres  ?  —  le  voici  :  «  C'était  le  lieu  où 
les  lépreux  venaient  entendre  la  messe  :  et  savez-vous  bien 
ce  que  l'on  nommait  la  lèpre  ?  un  mal  que  l'on  appelait  poéti- 
quement le  Jils  aillé  de  la  mort,  et  qui,  depuis  le  moyen-âge, 
époque  où  il  ravageait  certains  pays  de  l'Europe,  a  disparu 
devant  les  progrès  de  la  civilisation.  Cette  allection  cutanée 
rendait  le  malade  un  objet  d'horreur.  Le  malheureux  qui  en 
était  atteint  se  trouvait  condamné  au  séquestre  par  les  juges  et 
livré  aux  prêtres.  Ceux-ci  venaient  s'en  emparer,  revêtus  de 
surplis,  d'étoles  et  précédés  de  la  croix.  Ils  l'emmenaient  à 
l'église  en  chantant  les  versets  destinés  aux  enterrements. 
Arrivés  devant  l'autel,  on  lui  ôtait  ses  habits  pour  le  recouvrir 
d'une  robe  noire,  et  il  entendait  la  messe  des  morts  entre 
deux  tréteaux  ;  enfin,  sous  les  aspersions  d'eau  bénite,  on  le 
conduisait  au  lazaret,  ou,  à  défaut  de  cet  établissement,  on  lui 
assignait  pour  demeure  une  cabane  dans  un  lieu  isolé,  avec 
défense  d'entrer  dans  une  église,  dans  un  moulin,  dans  les 
lieux  où  on  cuisait  le  pain,  de  se  laver  les  mains  dans  les 
fontaines  et  les  ruisseaux,  il  ne  pouvait  toucher  aux  denrées  ou 
aux  objets  qui  lui  étaient  nécessaires  qu'avec  une  baguette.  Il 
ne  devait  jamais  quitter  la  robe  qui  servait  à  le  désigner  de 
loin  et,  dans  sa  marche  on  l'obligeait  d'avoir  à  la  main  une 
crécelle  i)  dont  le  bruit  révélait  sa  présence  et  mettait  en  fuite 
ceux  qui  auraient  pu  l'approcher...  Il  est  difficile  d'imaginer 
un  sort  plus  affreux  ! 

Non  loin  de  la  ville,  nous  avons,  vers  l'Ancise  et  la  Garaud, 

(1)  L'instrument  de  bois  appelé  crécelle  se  nomme  à  Ragnols  une  Ténébro, 
parce  qu'il  sert  aux  jeunes  clercs  pour  avertir  les  fidèles  que  les  offices  du 
Vendredi-saint  vont  commencer  :  la  ténébro,  remplace  la  campano. 


148  NOTICES     lUOGRA  PH  IQUE.S 

le  quavùev  di Malaii/io^o,  de  la  Maladrerie:  là,  se  trouve  encore 
la  chapelle  citée  plus  haut.  Il  est  certain  que  le  logis  des 
lépreux  a  été  démoli  et  que  la  chapelle  des  ladres,  seule,  est 
restée. 

A  une  époque  plus  rapprochée  de  nous,  en  1 525,  nous  trou- 
vons un  document  intéressant  :  c'est  une  vente  à  Antoine 
Chambonet  et  Adrienne  Chaussine,  mariés, /é/7rt'/LV,  originaires 
du  diocèse  de  Viviers,  de  la  permission  d'habiter,  pendant 
toute  leur  vie  dans  la  maison  de  la  Lèpre  delà  ville  de  Bagnols, 
et  d'y  vivre  avec  les  autres  lépreux  des  quêtes  et  revenus  de 
la  dite  Maladrerie.  Cette  vente  fut  faite  aux  susnommés  par 
les  syndics  de  la  ville,  moyennant  la  somme  de  vingt  livres,  à 
condition  de  ne  point  entrer  dans  d'autres  possessions  que  dans 
celles  de  la  dite  maison  et  de  donner  à  la  fin  de  leurs  jours  tous 
leurs  biens  meubles. 

Cinq  ans  plus  tard,  en  i53o,  on  relate  la  fondation  d'une 
messe  à  perpétuité  en  faveur  des  Carmes  de  Bagnols,  par 
Pierre  Duc  et  Adrienne  Mathon,  sa  femme,  lépreux,  de  la 
léproserie  de  la  ville  de  Bagnols,  pour  être  dite  le  samedi  de 
chaque  semaine  dans  la  chapelle  de  la  léproserie.  Pierre 
Barruel,  hôte  (i),  était  dans  cet  acte  un  des  témoins. 

Et  enfin  en  1541,  sans  doute  à  l'extinction  du  dernier  des 
lépreux,  il  fut  fait  un  inventaire  des  meubles  trouvés  dans  la 
maladrerie  des  ladres  à  la  requête  des  consuls  de  Bagnols. 
Vous  le  voyez  :  ces  titres  et  la  tradition  rappellent  et  la  terrible 
maladie  des  temps  anciens  et  la  pieuse  fondation  de  nos  aïeux. 

Mais  revenons  à  notre  compatriote. 

Le  jeune  Michel,  cité  partout  comme  le  modèle  des  braves 
enfants,  était  recherché  dans  les  fomilles  de  la  bourgeoisie,  où 
il  devenait  le  compagnon  de  jeux  des  petits  garçons  de  son 
âge.  Pendant  qu'à  l'imitation  de  nos  armées  victorieuses  qui 
alors  parcouraient  l'Europe,  la  troupe  bruyante  des  gamins 
des    Peyrières   et   du    Roc,     livrait  bataille   aux   enfants    de 

(1)  Remar(|uons  un  Ijarruel,  tenant  à  Bagnols  une  hôtellerie. 


MICHEL  I4() 

la  Poulagière  et  du  Ruisseau  ;  lorsque  les  frondes  faisaient  le 
moulinet  sur  la  tête  de  nos  guerriers  imberbes,  Michclé  et 
ses  amis,  Jouaient  aux  chapelles.  Ils  n'étaient  point  éloignés 
ces  jours  sinistres  pendant  lesquels  les  cérémonies  du  culte 
catholique  prohibées  par  la  loi,  le  prêtre,  recueilli  dans  les 
maisons  hospitalières,  était  caché  dans  un  coin  inaccessible  du 
logis,  car  il  }'  allait  de  la  vie  des  fidèles  trop  fervents.  On  se 
souvenait  de  ces  temps  malheureux,  on  en  parlait  souvent,  on 
en  racontait  les  émouvantes  péripéties  :  les  enfants  mêmes  en 
avaient  été  les  témoins  dangereux.  Mais  le  culte  étant  rétabli, 
les  petits  garçons  plus  que  tous  autres  étaient  frappés  de  la 
splendeur  des  cérémonies  religieuses  :  aussi  sous  la  direction 
du  ieune  préi'ôt  voulaient-ils  se  livrera  la  pratique  de  tous  les 
exercices  réguliers,  comme  dans  l'église  même.  Michclé  a 
passé  là,  disait-il,  les  plus  délicieuses  Journées  de  sa  vie  : 
il  y  trouvait  un  confortable  inusité  chez  lui  et  des  frian- 
dises fort  goûtées. 

Michel  était  déjà  i^Taiidct  :  il  dut  abandonner  son  poste 
d'honneur,  envié  par  ses  collègues  au  canonicat. 

En  sortant  de  sa  stalle  de  prévôt  de  chanoines,  Michel  trouva 
place  au  lutrin  :  il  était  habile  plaiiichanislc  et  sa  mémoire 
prodigieuse  lui  rappelait  et  les  antiennes  et  les  versets  et  les 
hymnes  de  chaque  fête  de  l'année.  Notre  chantre  amateur 
obtint  bientôt  un  grade  de  plus,  il  fut  nommé  serpent  de  la 
paroisse  :  l'instrument,  seul,  était  une  curiosité  ;  mais  depuis 
que  le  révolutionnaire  Sax  a  introduit  les  monstrueux  ophi- 
clcïdcs  (i\  le  serpent  i.sans  clefs';  du  lutrin  s'est  glissé  dans 
l'ombre  :  il  a  disparu.  Il  est  certain  que  le  son  grave,  éclatant 
et  métallique  du  cuivre,  ou  bien  l'harmonie  ample  et  savante 
d'un  orgue  dechceur,  sont  préférables,  pour  l'accompagnement 
des  chants  d'église,  à  ce  bruit  sourd  et  monotone  que  rendait  la 
trompe   recourbée   en    cuir  bouilli. 

Cela    dura  ainsi  pendant  plusieurs  années. 

(1)  0]ihicleide,  dn  groc  Ophis,  serpent  et  Cleidos,  clef. 


l5o  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Mais  le  brave  Michèle,  chantant  et  soufflant  pour  la  plus 
grande  gloire  de  Dieu,  n'avait  la  perspective  que  de  gagner  le 
ciel,  après  sa  mort...  et  il  fallait  vivre.  On  lui  conseilla  de 
devenir  instituteur.  En  effet,  son  brevet  arriva  et  il  se  mit  à 
l'œuvre.  Naturellement,  sa  classe  devait  se  peupler  d'enfants, 
jeunes  et  recommandés.  Alors  les  salles  d'asile  n'étaient  pas 
instituées,  et  les  autres  écoles  privées  ne  voulaient  pas  admet- 
tre les  enfants  embrayés  de  la  veille.  Voilà  donc  encore  ce  bon 
M.  Michel  au  service  des  petits  et  se  faisant  petit  avec  eux... 
toujours  simple  et  toujours  modeste. 

Michel  n'avait  qu'une  passion  :  l'église;  il  s'y  dévouait  en- 
tièrement et  y  faisait  tout  ce  qu'un  laïque  peut  faire  pour  le 
service  de  Dieu  et  de  ses  ministres  :  aussi,  la  plupart  des  curés 
de  Bagnols  furent-ils  reconnaissants  :  c'était  trop  juste. 

Parlons  d'une  œuvre  dont  l'origine  est  peu  connue.  C'est 
Michel  qui,  avec  un  autre  saint  homme  de  Tresques,  établi,  ici, 
comme  instituteur  (i),  et  avec  l'agrément  du  curé,  réunit 
quelques  lidèles  à  l'église  et  posa  les  fondements  de  cette 
confrérie  de  Saint -Josepli  qui  est,  à  Bagnols,  l'émule  de  celle 
des  Pénitents.  Il  proposa  de  porter  les  morts  au  cimetière, 
plutôt  que  de  confier  ce  soin  à  des  salariés,  et  donna  l'exemple 
lui-même...  La  confrérie  a  prospéré  et  peu  de  ses  membres 
savent  aujourd'hui,  ce  qu'il  a  fallu  à  ces  braves  initiateurs, 
de  persévérance,  de  dévouement  et  de  mépris  du  respect 
humain  pour  arriver  à  ce  but. 

C'est  encore  Michel  qui  dirigeait  les  exercices  aux  proces- 
sions de  laféfe  de  Dieu...  Elles  étaient  pompeuses  et  recueillies, 
alors,  ces  solennités  religieuses.  Pendant  plus  de  quarante  ans, 
il  exerça  les  thuriféraires  à  marcher  au  pas,  à  projeter  adroite- 
ment vers  le  ciel  la  fumée  odorante  de  l'encensoir,  à  exécuter 
ces  mouvements  pittoresques  qu'a  traduit,  en  vers  provençaux 
un  félibre  du  pa3^s  (2). 

(11  M.  Lacroix. 

(2)  V.  Garidf't...  {la  fi'sfo  de  Diev),  recueil  de  poésies  en  langue  d'oc,  par 
Léon  AlèoTo. 


M  1 C  H  E  r.  I  5 1 


Mai  n'en  veici'n  redoù,  que  balin,  que  balun 
Balancejoun  lou  fum  daù  pople  i  capelan, 

Quand  latecan, 
S'aùsis  :  pan,  pan, 
Alors  d'encensaire  li  tiero. 
r)ins  lou  milan  de  la  carriero 
Se  reunisson  touti  dos 
Au  signau  dôu  libre  de  bos. 
Touti,  —  pan,  pan,  —  baisson  la  testo 
Per  saluda,  —  pan,  pan,  —  soun  dre. 
—  Pan  —  reston  très  au  même  endre 
E  de  chasque  constat  s'en  quiho  dous  ;  lou  reste 
Soulennamen  marco  lou  pas 
Barra,  dubert,  fasént  coumo  s'èro  un  colLunjjas. 
Pièi,  —  pan,  pan,  —  li  rinq  turifero  , 
Davans  lou  très  Sant-Sacramen, 
Bandisson  au  même  moumen 
L'encens  au  cèu,  l'encens  en  terro. 
Pièi  lou  libre  pico  encaro  un 
E  fraire  tournamai  ari-(mguieira,  coussejo 
Coume  cadeno  de  prefum. 
La  tubèio  que  guirlande jo. 
E  vague  !  sempre  Znu  !  e  balin  e  balaii 
L'encensié  balança  daù  pople  i  capelan. 


Enfin,  c'est  toujours  Michel  qui  assignait  la  place  des  petits 
clercs  portant  les  bastoun  Jloiiris,  les  bastoun  doura,  comme 
des  tyrses  antiques,  les  canastcro  remplies  de  fleurs,  sous 
les  quelles  les  mamans  avaient  caché  un  pastissoiin  ou  une 
roustido  boudenjlo.  C'est  lui  qui  classait  à  son  rang,  saint 
Jcan-Baptistc  et  son  agneau  enrubanné,  la  Madeleine  aux 
longs  cheveux,  le  petit  évèque,  le  petit  abbé,  le  berger  et  sa 
bergère...  et  toutes  les  représentations  naïves  qui  nous  venaient, 
comme  la  fête,  elle-même,  de  la  poétique  Provence. 

Mais  la  vieillesse  marche  ;  elle  avance  peu  à  peu  et  quelque- 
fois sans  qu'on  sans  doute  :  Michel  dut  abandonner  le  lutrin, 
le  chœur,  le  serpent  et  l'orgue  :  car  ce  bon  Michèle,  avait  encore 


1  ?  2  N  O  T I C  K  S    R I  O  G  R  A  P  H  I  (J  U  T^-  S 

un  faible  dont  il  ne  se  doutait  pas  :  —  se  croire  musicien,  par 
cela  seul  qu'il  savait  plaquer  un  accord  sur  la  dominante  et  un 
autre  sur  la  quinte  de  chaque  chant  religieux  qu'il  accompa- 
gnait. Le  maestro  ne  connaissait  que  de  nom  la  science  de 
l'harmonie,  le  faux-bourdon,  le  canon,  la  fugue  :  mais  il  se 
délectait  sur  son  épinette  !...  dirions-nous,  ici,  Tinstrument 
c'est  l'homme!...  peut-être,  oui,  Michel,  en  effet,  n'avait  aucune 
affinité  avec  ces  puissants  engins  d'où  s'échappent  des  sons 
vibrants,  retentissants  ou  mystérieux  comme  Torgue.. .  Michdé 
était  naïf-,  il  chantait  comme  chante  un  oiseau  de  l'air,  et  plus 
tard,  il  le  disait  en  souriant  de  regret  :  «  mi  niiraii  souu  creba.  » 
Faisant  ainsi  allusion  à  ce  qu'on  dirait  d'une  cigale  à  laquelle 
ou  aurait  crevé  l'élytre  intérieur  dont  le  frottement  produit  son 
chant  strident  du  mois  d'août. 

Il  fallut  fermer  l'école,  parce  que  d'autres  établisssments 
sérieux  s'organisaient.  Il  fallut  songer  aux  vieux  jours,  aux 
infirmités,  aux  dernières  années  d'une  existence  improductive. 
Malgré  les  bons  soins  que  lui  prodiguait  sa  compagne,  (car,  entre 
matines  et  laudes,  il  avait  eu  le  temps  de  se  marier,  le  chantre 
instituteur-faïencier,  était  loin  d'être  heureux  en  raison  de 
l'exéguité  de  ses  ressources.  Un  petit  négoce  apporte  à  peine 
le  nécessaire,  et  encore  faut-il  se  loger  et  tenir  un  rang  hono- 
Irable.  Ce  pauvre  Michèle  a  résolu  le  problème  :  grâce  aux 
amis  qui  l'ont  aidé  ;  d'abord  ceux  de  la  maison  qu'il  habi- 
tait, puis  les  administrations  diverses  qui  toutes  l'ont  recom- 
mandé à  la  sollicitude  du  ministère,  comme  ancien  institu- 
teur zélé  et  malheureux. 

Depuis  la  fondation  delà  Bibliothèque-Musée,  M.  Michel  a 
été  nommé  conservateur-adjoint  :  fonctions  peu  rétribuées, 
c'est  vrai,  mais  qu'il  a  remplies  avec  un  scrupule  dépassant 
souvent  ses  forces  qui  finirent  par  l'abandonner. 

Michel  s'est  éteint  le  i'''"  avril  i8So...  Il  a  éprouvé  des  décep- 
tions commerciales  avec  certains  hommes  à  la  probité  desquels 
il  se  fiait  entièrement,   et  cependant  il  n'emporte  pas  dans  la 


MICHEL 


l53 


tombe  sa  rancune  bien  légitime!...  Michel  a  tout  pardonné,  car 
il  a  toujours  été  un  enfant  du  Christ.  Avant  qu'il  eut  rendu  son 
dernier  souflle,  son  éloge  était  dans  la  bouche  de  tous  ceux 
qui  l'ont  connu  :  la  voix  du  peuple  a  dit  vrai  quand  elle  a 
appelé  M.  Michel  «  un  brave  homme.  » 


MONTCOCOL    (LAURENT) 

CASSEUR   DE    PIERRES 

A^c'    à    Saint-Na^aire     le ^794 

Mort  à 


^u.E  serait  aussi  curieuse  qu'instructive  l'histoire  des 
modifications  advenues  dans  certaines  familles,  tantôt 
au  haut  de  l'échelle  sociale,  tantôt  dans  les  rangs  des 
travailleurs  obscurs...  Mais  ce  qui  console  ces  der- 
niers, c'est  que  très  rarement  un  ouvrier  honnête,  assidu, 
probe,  économe  et  prudent  reste  ignoré  et  éprouve  des  malheurs 
irréparables. 

Nous  l'avons  déjà  dit  ailleurs  (i  :  :  si  vous  traversez  le  petit 
village  de  Saint-Nazaire,  vous  pouvez  rencontrer  un  bon 
homme,  petit,  vieux  et  vêtu  comme  les  paysans  ses  voisins  : 
on  l'appelle  Coco!,  son  nom  est  Montcocol  ;  celui  de  ses 
ancêtres  était  Moiitccuculli...  Je  veux  vous  apprendre,  jeune 
ami  lecteur,  ce  qu'était  en  i536  un  des  devanciers  de  ce  vieil- 
lard notre  compatriote,  mort  il  y  a  peu  d'années. 

«•  Sébastien  de  Montecuculli,  gentilhomme  de  Ferrare,  vint 
d'Italie  en  France  à  la  suite  de   Catherine  de  Médicis    et  fut 


L.  A. 


1)  V.  l'Album  pittoresque  dn  Gard,  arrondissement  tVUzès,  par  Magalon   H 


l5()  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

attache  au  dauphin  en  qualité  d'cchanson.  Il  accompagnait 
ce  prince  dans  un  voyage  qu'il  fit  sur  le  Rhône,  au  milieu  de 
l'été  i5'3(k  Arrivé  à  Tournon,  le  dauphin  s'étant  échauffé  en 
jouant  à  la  paume,  demanda  de  Teau  fraîche  que  Montecuculli 
lui  présenta  dans  une  tasse  de  terre  rouge.  Il  en  but  avec 
beaucoup  d'avidité,  tomba  malade  et  mourut  au  bout  de 
quatre  jours.  On  ne  voulut  pas  voir  un  événement  naturel  dans 
la  mort  prématurée  d'un  prince  que  ses  belles  qualités  ren- 
daient déjà  l'idole  de  la  France  et  Montecuculli  fut  soupçonné 
de  lui  avoir  donné  du  poison.  Quelques  connaissances  qu'il 
avait  en  médecine  et  un  Traité  des  poisons  qu'on  trouva  dans 
ses  papiers  parurent  des  preuves  suffisantes.  Conduit  à  Lyon 
pour  y  être  jugé,  il  fut  appliqué  à  la  question  et  fit,  au  milieu 
des  tortures,  les  plus  étranges  aveux.  Il  déclara  qu'en  effet  il 
avait  empoisonné  le  dauphin,  mais  qu'il  avait  été  poussé  à  ce 
crime  par  les  amis  de  Charles-Quint  :  que  son  intention  était 
d'empoisonner  François  P'' et  ses  deux  fils.   » 

Après  une  instruction  solennelle  qui  eut  lieu  en  présence  du 
roi,  des  princes,  des  cardinaux  et  des  ambassadeurs  étrangers 
invités  à  y  assister,  Montecuculli  fut  condamné  à  être  traîné 
sur  la  claie,  puis  écartclé.  Cet  arrêt  fut  exécuté  à  Lyon  le 
7  octobre  i53().  Le  peuple  exerça  sur  le  cadavre  déchiré  les 
plus  grandes  horreurs  et  en  jeta  les  lambeaux  dans  le  Rhône. 

L'histoire  a  absous  Charles-Quint  d'un  crime  aussi  odieux 
qu'inutile.  Les  inipériaux  avaient  cherché  à  le  rejeter  sur 
Catherine  de  Médicis  qui,  en  faisant  périr  le  dauphin,  rappro- 
chait du  trône  son  mari  Henri  II  \  mais  cette  princesse  a  été 
reconnue  également  innocente  à  cet  égard.  En  effet,  les  histo- 
riens les  plus  sages  et  les  plus  impartiaux,  déclarent  que  le 
dauphin  mourut  d'une  pleurésie  déterminée  par  la  quantité 
d'eau  fraîche  qu'il  avait  bue. 

La  tradition  rapporte  que  cette  malheureuse  victime  de  l'in- 
certitude des  jugements  humains  avait  un  fils  qui,  afin  de  fuir 
l'éclat  du  grand  monde  et  le  bruit  fait  autour  de  son  nom,  se 
réfugia  dans   un   village   du   Vivarais,    à   Vinezac,  près  Lar- 


MONTCOCOL  ir»y 

gentière,  et  qu'il  y  exerça  les  modestes  fonctions  de  maître 
d'école.  Il  est  à  remarquer  que  dans  cette  commune  de  l'Ar- 
dèche  un  quartier  du  territoire  porte  encore  le  nom  de  Moimt- 
coucuieù.  De  la  souche  vivaraise  serait  sortie  la  branche  |qui 
plus  tard  a  pris  racine  à  Saint-Nazaire  (i). 

Cette  famille  était,  vers  1824,  connue  du  cardinal  de 
La  Fare,  alors  propriétaire  de  la  terre  de  Saint-Georges  et  du 
château  de  Vénéjan.  C'est  à  cette  époque  que  Son  Éminence 
parla  des  Montcocol  à  l'ambassadeur  allemand  qu'il  eut  occa- 
sion de  rencontrer  à  Reims  lors  du  sacre  de  Charles  X.  Sans 
doute  le  prince  tudesque  qui  portait  ce  nom  illustre  s'est  peu 
soucié  de  ses  parents  obscurs  et  peut-être  dégénérés  à  ses 
yeux  ! 

Les  Montcocol  ont  vécu  comme  de  bons  paysans  occupés  à 
travailler  les  maigres  terrains  de  la  montagne...  Puis,  en 
hiver,  que  faire  dans  un  village  sans  ressources  agricoles  et 
sans  industrie  ?  Tout  le  monde  ne  peut  pas  y  être  charretier  et, 
en  renfort^  voiiurer  au  haut  de  la  montagne  de  Roquebrune 
les  carrioles  pesamment  chargées.  Cocol  songea  donc  à  faire 
quelque  chose.  Vers  181 3,  il  devint  casseur  de  pierres  ;  non 
pas  comme  ce  pauvre  hère  du  tableau  d'un  maître  fameux  (2), 
mais  en  industriel  intelligent. 

Nos  routes  sont  aujourd'hui  admirablement  entretenues  et 
nous  sommes  loin  de  l'époque  où,  dans  nos  promenades  du 
jeudi,  nous  remarquions  les  ornières  profondes  et  des  char- 
rettes abandonnées  là,  faute  de  bêtes  de  traits  et  dans  l'im- 
puissance de  briser  les  mottes  durcies  du  chemin.  Le  pauvre 
charretier  d'alors  restait  littéralement  dans  l'ornière. 

«  Cependant,  se  disait  Montcocol,  la  montagne  est  formée 
d'un  calcaire  excellent  dont  on  fait  de  la  bonne  chaux.  La 
main-d'œuvre  n'est  pas  chère^  ne  serait-il  pas  possible  lors- 

(1)  La  généalogie  des  Montcocol  a  été  dressée  en  1825  pour  Jean,  un  Mont- 
cocol, de  la  Capelle,  remplaçant  au  service  son  frère  qui  signait  MontecucuUi. 

(2)  Le  peintre  Courbet. 


l58  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

qu'ont  lieu  les  adjudications  publiques,  de  prendre  la  fourni- 
ture de  pierrailles  cassées,  destinées  au  macadam  ?  »  Cocol 
qui  raisonnait  sensément  persévéra  :  il  eut  un  et  bientôt 
plusieurs  tombereaux  à  son  service.  Bientôt  aussi  quelques- 
uns  de  ses  compatriotes  firent  comme  lui,  et  l'industrie  nou- 
velle acquit  de  l'importance  (i).  Aujourd'hui,  les  travaux  entre- 
pris par  la  population  active  de  Saint-Nazaire  se  chiffrent  par 
vingt  à  vingt-cinq  mille  francs  chaque  année  !  c'est  donc  à 
Cocol  que  le  pa3^s  doit  ce  progrès  réel  et  le  bien-être  dont  ce 
genre  de  travail  fait  bénéficier  tous  ses  compatriotes. 

Selon  nous,  l'on  peut  dire  qu'à  sa  manière,  le  vieux  Cocol  a 
bien  mérité  de  son  pays.  Dans  le  village,  sa  mémoire  n'est 
point  oubliée.  On  l'estimait,  on  le  vénérait  comme  un  des 
sages  de  la  commune.  Il  y  a  loin  de  son  succès  modeste  et  de 
sa  gloire  sans  bruit,  sans  fracas,  à  l'éclat  des  grands  faits 
d'armes  de  cet  autre  MontecucuUi  qui,  en  1675,  disputait  à 
Turenne  le  titre  de  général  le  plus  habile  de  son  siècle  !  notre 
Montcocol  repose  en  paix  au  cimetière  de  Saint-Nazaire; 
aucune  inscription  pompeuse  ne  parle  des  services  rendus, 
tandis  que  pour  l'illustre  Raymond  de  MontecucuUi  on  a  écrit 
sur  le  marbre  : 

Sta  viator,  herocm  calcas  ! 

«  Arrête-toi,  ô  voyageur,  tu  foules  aux  pieds  la  cendre  d'un 
héros  !   » 

A  nos  yeux,  mieux  vaut  la  croix  de  bois  pour  le  travailleur 
modeste,  que  les  splendides  mausolées  à  l'honneur  des  con- 
quérants renommés.  Il  nous  souvient  d'avoir  vu,  à  Rome,  le 
tombeau  d'un  personnage  illustre,  de  la  Suède,  qui  ne  demanda 
pour  toute  épitaphc  que  ce  mot  :  nihil,  —  rien,  —  et  qui  fit 
mettre  sur  la  tombe  de  sa  compagne  bien  aimée  :  ombra,  — 
une  ombre....  Mais,  que  nous  sommes  loin  de  ce  brave 
casseur  de  pierres  qui  fut  plus  heureux  que  bien  des  grands 
de  ce  monde  ! 

(,1)  Ouitard,  son  gendre,  les  Jouviu  et  autres... 


MONTCOCOI. 


K-)9 


Cocol  épousa  en  i8i3  Marianne  Imbert,  de  Saint-Gervais. 

Les  fils  et  les  petits-fils  de  Laurent  continuent  les  bonnes 
traditions  de  leur  père  :  ils  travaillent  et  vivent  honorable- 
ment, entourés  de  l'estime  publique  (i). 


(1)  La  mort  du  vieux  Cocol  est  ici  une  liction,  (jue  le  lecteur  voudni  bien 
nous  pardonner.  Ce  l)iave  homme  qui  compte  aujourd'hui  86  ans,  a  le  Ijonheur 
de  voir  prospérer  sa  famille  et  le  pays  qu'il  a  su  enrichir  en  donnant  l'exemple 
du  travail  et  de  la  probité. 


LE  BARON    PAGES    (JOSEPH) 

GÉNÉRAL 

Né  à  C annaux  le  /'■''"  jnai's  lyS^ 
Mort    à    Lille    le  /^'''    septembre    1814 


ERS  le  1 8  novembre  i  780,  un  jeune  pâtre  de  Connaux, 
ramenait  le  soir  ses  brebis  au  village  :  il  allait  à  la 
bergerie,  chantonnant  un  air  de  Réi'ié  alors  fort 
connu.  Près  de  la  route,  l'écho  des  rochers  des  Gajan 
répondait  à  la  voix  sonore  du  berger.  A  cette  même  heure, 
une  bande  de  Caraques  se  rendant  à  la  foire  de  Bagnols  dut 
s'arrêter  pour  laisser  passage  au  troupeau  dout  le  conducteur 
enhardi  agaçait  deux  filles  de  bohème,  suivies  de  leur  vieille 
mère.  Celle-ci  frappée  de  l'allure  ouverte  du  pâtre,  lui  jeta  à  la 
face,  sous  forme  de  bonne  fortune,  ces  mots  prophétiques  : 
«  Saras  soudar,  e  heu  coumo  un  prince.  » 

Le  berger  regagnant  la  bourgade  resta  frappé  de  l'étrange 
prédiction  :  il  en  riait,  à  la  vesprée,  pendant  le  souper  de 
famille...  La  farinetto  lui  paraissait,  en  ce  moment,  plus 
succulente  et  la  trempo  moins  fade...  que  de  beaux  rêves  et  la 
nuit  et  le  jour!  notre  jeune  héros  en  perdit  la  tète;  il  résolut 
de  fuir  \i\  jasso  hospitalière  et  la  maison  paternelle  :  rien  ne 
put  le  retenir,  pas  même  le  plus  doux  des  serments,  prêté  tant 
de  fois  à  sa  fiancée  trop  crédule. 

T.   n  1 1 


l62  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Ce  berger,  de  Connaux,  se  nommait  Joseph  Pages  :  son 
père,  Antoine,  et  sa  mère,  Louise  Dauran,  étant  sans  fortune, 
avaient  loué  leur  fils  chez  un  ami  du  voisinage.  L'enfant  était 
intelligent,  actif,  intrépide  et  probe  :  nous  allions  ajouter  fidèle, 
niais  il  ne  le  fut  point,  le  jeune  aventureux  :  certaines  décep- 
tions et  une  vague  espérance  de  voir  réaliser  sa  bonne  for  lune 
l'entraînèrent  loin  de  ceux  qui  l'aimaient. 

Le  4  mars  1781  Joseph  Pages  s'engageait  dans  le  régiment 
d'Artois  (i)  :  oi^i  alla-t-il  tenir  garnison,  nous  l'ignorons  encore. 
Le  volontaire  avait  préféré  un  régiment  de  cavalerie  légère. 
Deux  ans  après,  le  2  février  1783,  Pages  fut  nommé  brigadier; 
il  était  maréchal-des-logis  en  mars  1783  et  maréchal-des-logis 
chef  le  i'^''  avril  i7()i . 

Celui  qui  abandonnait,  à  Connaux,  sa  houlette  de  berger, 
maniait  vaillamment  le  sabre  de  dragon,  car  depuis  le  i*^'" 
janvier  i7i.)i,  le  régiment  d'Artois,  était  devenu  le  12"""-'  régi- 
ment de  ce  corps  de  cavalerie  (2). 

Pages,  doué  d'une  intelligence  remarquable,  songeaità  déve- 
lopper chez  lui  les  premiers  éléments  d'instruction  classique  : 
il  apprit  à  lire  et  à  écrire.  C'était  chose  peu  aisée  à  cette  époque 
tourmentée  où  les  catastrophes  et  les  événements  imprévus  se 
succédaient  avec  un  elfro^^able  rapidité.  Mais  d'ailleurs  la  Patrie 
en  danger  ne  demandait  que  des  soldats  pour  la  défendre  et 
non  des  académiciens  pour  haranguer.  Notre  compatriote  devint 
officier.  C'est  comme  tel  qu'il  fit  la  campagne  dans  l'armée  de 
la  Moselle,  parcourant  la  contrée  depuis  Longwy  jusqu'à  Bitche, 
et  dans  l'armée  du  Nord,  allant  de  Dunkerque  à  Maubeuge. 
En  septembre   17Q2  il  est  sous-lieutenant  :  on  le  nomme  lieu- 


(1)  Créé  en  1G35  par  Louis  XIII. 

(2)  Dragons.  —  Régiment  fondé  en  1558  par  le  maréchal  Ch.  de  Cossé- 
lirissac.  C'étaient  des  arijuelnisiers  à  cheval  qui  devaient  se  transporter  le  plus 
rapidement  possible  d'un  point  à  un  autre  et  mettre  pied  à  terre  pour  com- 
battre. 

En  vertu  de  la  loi  du  i^r  janvier  1791  les  régiments  (pillèrent  leurs  noms 
particuliers  pour  prendre  le  numéro  de  leui'  rang  d'ancienneté  de  création. 


LE    BARON    PAGKS  1  (53 

tenant  un  an  après  et  deux  mois  plus  tard  il  est  promu  au 
grade  de  capitaine,  —  lo  octobre  lyqS. 

Connaux  pouvait  déjà  être  fier  de  l'héroisnie  d'un  de  ses 
enfants  :  l'avancenient  de  Pages  était  rapide,  aussi  le  voyons- 
nous,  le  8  avril  i704-)  chef  d'escadron  et  chef  de  brigade  le 
i'3  juin  de  la  m^me  année  ;  mais  ses  exploits  de  l'année 
précédente  doivent  être  énumérés  ici. 

Quoique  grièvement  blessé  le  6  septembre  1793  à  l'affaire  de 
la  forêt  de  Mormal  (i),  le  vaillant  officier,  à  la  tête  de  ses 
compagnons  d'armes,  continua  de  charger  avec  tant  de  vigueur 
et  d'audace  qu'il  parvint  non  seulement  à  se  dégager,  mais 
encore  à  faire  plusieurs  prisonniers  à  l'ennemi. 

A  cette  époque,  d'après  les  plans  du  général  Dumouriez,  la 
Convention  avait  adopté  un  vaste  système  pour  la  défense  du 
territoire  ;  les  armées  de  la  République  occupaient  les  fron- 
tières et  le  littoral. 

Nommé  capitaine  le  20  vendémiaire  an  II,  il  fut  choisi,  le 
27  du  même  mois,  pour  commander  un  détachement  composé 
des  plus  braves  soldats  de  tous  les  corps  de  cavalerie  bloqués 
dans  Maubeuge  ;  il  avait  ordre  de  traverser  le  camp  ennemi 
accompagnant  le  représentant  du  peuple  Drouet  ^  il  remplit 
avec  succès  cette  honorable  et  périlleuse  mission. 

Pages  fit  partie  de  l'armée  de  Sambre-et-Meuse,  en  ijqo  et 
1796.  Le  métier  de  soldat  était  rude,  alors  qu'en  guerre  avec 
l'Europe  coalisée,  les  armées  françaises  avaient  à  lutter  contre 
les  ennemis  du  dehors,  lutter  avec  la  trahison  des  émigrés, 
avec  les  patriotes  turbulents  de  l'intérieur. 

En  1797  le  12"""-' dragon  fut  incorporé  dans  l'armée  du  Rhin  ; 
en  1798  il  est  dans  les  armées  d'Angleterre  et  d'Allemagne; 
en  1799,  1800,  1801,  dans  les  armées  d'Italie  et  d'observation 
du  Midi,  En  1S04  ce  régiment  alla  à  l'armée  des  côtes  de 
l'Océan.  A  toute  occasion  Pages  se  faisait  remarquer  par  sa 
bravoure  éclatante.  Ses  glorieux  états  de  services  mentionnent 

(1)  Où  il  reçut  un  coup  de  feu  au  pied. 


164  NOTICl:;S    BIOGRAPHIQUES 

qu'à  la  tète  de  son  régiment  il  se  distingua,  le  ro  juillet  1796, 
au  passage  de  la  Lahn,  où,  comme  chef  d'escadron,  il  était 
sous  les  yeux  de  l'adjudant  général  Ney,  de  Kléber  et  du 
général  en  chef  Jourdan  (i). 

Le  i5  août  170Q,  jour  de  la  fatale  bataille  de  Novi,  Pages 
reçut  un  coup  de  feu  au  menton  et  un  autre  à  l'épaule.  Son 
régiment,  sous  les  ordres  du  général  Richepanse,  se  trouva 
dans  la  mêlée  déployant  un  courage  héroïque  contre  les 
Austro-Russes,  de  beaucoup  supérieurs  en  nombre. 

Au  2  juin  1800,  le  12'"^  dragons  avait  quitté  l'armée  d'Italie  ; 
nous  le  retrouvons  aux  frontières  de  l'Allemagne  à  Kiersberg  : 
là,  Richepanse  tenait  tête  à  l'archiduc  Ferdinand.  Sa  division 
réunie  à  celle  de  Moreau  ne  comptait  que  2,000  hommes  alors 
que  les  impériaux,  au  nombre  de  2 5, 000  débouchant  par 
Gutzell  abordèrent  les  troupes  françaises.  Nos  soldats  surent 
opposer  une  résistance  assez  vigoureuse,  mais  ils  n'obtinrent 
la  victoire  que  grâce  à  l'arrivée  du  général  Ne}^  qui  franchit 
ri  lier,  et  prit,  par  la  gauche,  la  première  ligne  des  assaillants 
de  Kiersberg.  Le  brave  adjudant  général,  avec  un  sang-froid  et 
une  sûreté  de  coup-d'œil  admirables  fournit  à  Richepanse  le 
moyen  de  reprendre  l'oftensive  et  de  rentrer,  l'épéc  à  la  main, 
dans  le  village  abandonné  par  l'ennemi.  Ce  fut  dans  ce  combat 
mémorable  que  Pages  se  tit  remarquer  à  la  tête  de  son  esca- 
dron. 

Une  distinction  insigne  devait,  le  i  i  décembre  iSo3,  récom- 


(1)  V.  le  Panthéon  de  la  Légion  iVhonneur,  T.  IV.  (Pages)...  «  Chef  d'esca- 
dron le  20  germinal  snivant  (an  II),  il  fut  fait  chef  de  brigade  le  25  prairial  dans 
le  même  corps  où  il  était  entré  comme  soldat  treize  ans  auparavant.  Le  8  mes- 
sidor, à  Fleurus,  il  exécuta  une  charge  brillante  qui  contribua  puissamment  au 
succès  de  celte  bataille  et  qui  fonda  la  belle  réputation  du  12nie  dragons.  Le  18 
du  même  mois,  aux  Quatre  bras,  il  enleva  quehiues  pièces  de  canon  à  Tennemi 
et  lui  fit  un  grand  nombre  de  prisonniers,  parmi  lesquels  se  trouvait  un  général 
autrichien.  Le  18  vendémiaire  an  111,  à  Julien,  avec  deux  escadrons  de  son 
régiment,  tomba  de  nouveau  sur  les  Autrichiens,  en  avant  de  la  ville,  leur 
reprit  la  position  et  plusieurs  pièces  que  notre  infanterie  avait  élé  obligée 
d'abandonner  et  tua  de  sa  main  un  de  leurs  généraux...  » 


LE    BAROX    PAGES  l65 

penser  tant  de  bravoure  et  d'actions  d'éclat  :  Pages  fut  nommé 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur  ;  le  i3  juin  1804  il  reçoit  le 
titre  d'officier  du  même  ordre  (i). 

Jour  par  jour,  un  an  après,  le  i3  juin  i8o5,  notre  héros  se 
maria,  à  l'âge  de  quarante-un  ans,  il  épousa  une  jeune  personne 
distinguée  et  de  famille  noble,  Mademoiselle  Marguerite-Octa- 
vie  Cot  d'Ordan,  de  Hesdin  (2). 

En  récompense  de  sa  belle  conduite  à  Austerlitz,  le  24  dé- 
cembre de  la  même  année,  l'empereur  Napoléon  le  nomma 
général  de  brigade.  Pages  remplit  successivement  plusieurs 
fonctions  militaires  qui  prouvent  surabondamment  la  valeur 
de  l'homme  et  du  soldat. 

Nous  le  voyons  emplo3^é  au  quartier  général  de  l'armée  de 
Naples  le  14  janvier  180G  ; 

—  Commandant  une  brigade  de  dragons  à  l'armée  d'Italie 
le  5  janvier  1807  ; 

—  Emplo^'é  au  dépôt  général  de  cavalerie  à  l'armée  d^'Alle- 
magne  à  Passau  —  le  i5  septembre  1809  — et  commandant 
le  dépôt  de  cavalerie  de  l'armée  d'Espagne,  à  Tours,  le  19 
novembre  de  la  même  année. 

Sorti  des  rangs  obscurs  des  humbles  travailleurs,  notre  com- 
patriote avait  fourni  une  brillante  carrière,  il  s'était  élevé  aux 
plus  hauts  grades  dans  l'armée,  nous  ne  sonmies  donc  point 
surpris  que  Napoléon  ait  tenu  à  combler  d'honneurs  ce  vaillant 
soldat.  Il  entrait  dans  les  vues  de  l'empereur  de  récompenser 
les  grands  services  rendus,  d'exciter  une  louable  émulation, 
d'augmenter  l'éclat  du  trône.  A  peine  proclamé  chef  suprême, 
il  rétablit  les  titres  de  l'ancienne  noblesse  et  en  crée  une 
nouvelle.  Les  titulaires  des  grandes  dignités  de  l'empire  por- 
taient le  titre  de  prince  ;   leur  fils  aîné  celui  de  duc,  les   fils 

(1)  Ce  dernier  tilre  lui  donne  le  droit  d'être  électeur  dans  le  département 
du  Gard. 

(2)  Nos  recherches  auprès  des  notahles  de  Ilesdin  ont  abouti  à  ceci  :  il  y  a 
hien  longtemps  un  commandant  de  place  du  nom  de  Col  d'Ordan,  vint  à  Hesdin, 
où  il  resta  à  peine  un  an  :  il  avait  une  tille... 


I()l)  NOriCHS    BIOGRAPHIQUES 

puinés  prenaient  le  titre  de  comte  ou  de  baron  (i\  Ce  dernier 
titre  était  également  réservé  aux  personnages  distingués  soit 
dans  Tarmée,  soit  dans  la  magistrature. 

Joseph  Pages  obtenait  le  titre  de  baron  de  Tempire  le  17 
mars  180S  (2);  par  décret  du  même  jour,  il  obtenait  en  outre 
une  dotation  de  4,000  francs  sur  les  biens  réservés  en  West- 
phalie  (3). 

Le  8  mars  18 10,  par  un  décret  impérial,  il  fut  mis  à  la  re- 
traite. 

Si,  dans  la  splendeur  de  son  existence,  l'ancien  pâtre  de 
Connaux  rappelait  ses  souvenirs  de  jeunesse  il  pouvait  ne  plus 
douter  des  prophéties  de  la  caraquc. 

Pages  avait  été  un  soldat  d'élite  et  de  plus,  il  marchait  à 
régal  des  princes  de  son  époque. 

Bonne  fortune  lancée  au  hasard  par  une  pauvresse  famélique, 
voilà  pour  le  domaine  de  la  poésie  ;  d'autre  part,  désirs  et 
souhaits,  réalisés  par  la  volonté  ferme  d'un  homme  sérieux, 
par  son  énergie  puissante,  par  sa  conduite  honorable,  par  sa 
valeur  égale  à  sa  probité. 

Joseph  Pages,  avons  nous  dit,  s'était  marié  dans  le  nord  de 

(!)  Baron,  du  mot  Bitr  qui,  en  langue  germainque,  signifie  Homme.   . 

Sous  la  Féodalité,  les  propriétaires  des  grands  domaines  reçurent  générale- 
ment le  nom  honorifique  de  Baron  :  hommes  tenant  un  rang  illustre  par  leur 
mérite  ou  par  l'étendue  de  leurs  l)iens. 

(2)  Les  renseignements  puisés  à  la  Chancellerie  nous  précisent  le  10  mars 
1810.  Les  lettres  patentes  ont  régie  ainsi  les  armes  du  baron  Pages  :  Coupé,  le 
premier  :  parti  de  sinopie  au  casque  d'urgent  et  de  gueules,  au  signe  des 
barons  tirés  de  C armée  ;  le  deuxième  :  d'azur  à  la  tour  d'argent,  sommé  d'un 
cheval  issant  d'or  et  adexlrés  et  senestrés  d'une  branche  d'olirier  au  pal  d'argent. 

{?>)  Ces  biens  réservés  provenaient  de  la  cession  de  terres  situées  en  pays 
étrangers  et  dont  les  revenus  appartenaient  à  la  France.  C'est  à  la  suite  du 
traité  de  Vienne  (14  octobre  180Î!)  que  l'Empire  posséda  des  biens  immenses. 

En  1810,  Napoléon  institua  le  Dumnine  extraordinaire  :  «  ...  Composé  de 
biens  mobiliers  et  immobiliers  que  l'empereur,  exerçant  le  droit  de  paix  et  de 
guerre,  acquiert  par  des  conquêtes  ou  des  traités,  soit  patents,  soit  secrets. 
L'empereur  dispose  du  Domaine  extraordinaire  :  lo  pour  subvenir  aux  dépenses 
de  ses  armées  ;  2»  pour  récompenser  ses  soldats  et  les  grands  services  civils  ou 
militaires  rendus  à  l'État...  » 


LE    BARON    PAGES 


167 


la  France  ;  on  ne  l'a  plus  revu  àConnaux.  Encore  un  expatrie 
volontaire  que  nous  sommes  tenté  d'appeler  :  un  ingrat.  On  dit 
qu'il  eut  des  enfants  ayant  suivi  la  carrière  des  armes  ;  on 
ajoute  que  vers  1800,  imitant  l'exemple  de  son  empereur,  il 
divorça  i ...  Ce  que  nous  pouvons  affirmer  c'est  que  le  1'^''" 
septembre  18 14  il  mourut  à  Lille. 

Dans  le  département  du  Nord,  vaines  et  infructueuses  ont  été 
nos  recherches  pour  découvrir  un  article  nécrologique  sur  le 
général  Pages.  Les  écrivains  des  journaux  de  l'époque,  embou- 
chaient plus  volontiers  la  trompette  pour  exalter,  en  vers  et  en 
prose,  les  louanges  du  roi  Louis  XVIII,  cf/7  le  Désire.  Le 
moment  était  donc  peu  propice  à  glorifier  un  baron  de  l'empire 
ou  un  soldat  de  la  République...  le  silence  se  fit  autour  de  sa 
tombe.  Nous  serions  heureux  :  «  de  l'avoir  vengé  de  ce  dédain 
ou  de  cet  oubli  (2}.  » 

(1)  Loi  tlu  "20  septembre  I79!Î,  abrogée  le  18  mai  1810. 

(2)  M.  l'abbé  Fuzet  nous  félicitait  en  ces  termes  d'avoir  éci'il  l'iiiston-e  d'un 
enfant  de  Connaux,  commune  où  il  est  né  lui-même  et  qu'il  honore  déjà  par 
son  érudition  incontestée. 


DE  PINIÈRE   DE  CLAVIN  (MARC-antoine) 

BÉNÉDICTIN 

Né    à     Bagnols     le    3o     décembre     ijSS 
Mort  à  Bagnols  le  3o    octobre   iSii 


E  10  décembre  1861  dans  la  modeste  mansarde  d'une 
(maison  de  peu  d'apparence  s'éteignait  à  Uzès  (i),  le 
)dernier  rejeton  d'une  des  familles  les  plus  distinguées 
'de  Bagnols  M.  Côme  de  Pinière  de  Clavin,  âgé  de 
63  ans.  Nous  étions  venu,  peu  de  mois  auparavant,  le  visiter; 
et  si  nous  voulions  connaître  ce  bagnolais  de  noble  race  c'était 
afin  d'obtenir  de  lui  quelques  détails  sur  sa  famille  et,  parti- 
culièrement, sur  le  blason  qu'elle  avait  dû  lui  léguer...  hélas  ! 
le  pauvre  homme  se  confondit  en  excuses,  il  ne  connaissait  ni 
ses  ancêtres  ni  leurs  armes  distinctives.  —  «  Mon  père  m'a  ra- 
conté, nous  dit-il,  qu'un  jour  les  nobles  de  Bagnols  durent 
apporter  sur  la  place  leurs  vieux  parchemins  et  que  Ton  brûla 
tous  les  titres  féodaux  (2;.  »  L'auto-da-fé  eut  lieu,  il  est  vrai,  au 
mois  de  brumaire  de  l'an  II  :  ainsi  le  jeune  Clavin,  (qui  n'en 
était  pas  plus  malheureux  pour  cela;,  grandit  dans  l'ignorance 


(1)  Rue  Entre-ies-Tours,  no  227. 

(2)  V.  Annales  Jmf,  de Bar/nols,  il^R  à  1805.  Art.  Acies^  féodmix. 


lyO  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

de  l'art  héraldique  et  de  son  application  à  l'histoire  de  ses 
aïeux  (i). 

C'était  cependant  une  ancienne  et  grande  famille  que  celle 
des  Pinière  de  Clavin...  il  nous  serait  difficile  d'en  chercher 
l'origine:  les  Pinière  ou  Pugnières  figurent  déjà  en  i63o  '2', 
mais  ce  n'a  été  que  plus  tard  que  le  nom  de  Clavin  est  joint 
au  nom  patron3miquc   3;. 

Les  vieux  registres  de  la  mairie  de  Bagnols  mentionnent 
vers  1787  :  —  Ch.  Ant.  Pinière  de  Clavin  aine,  ancien  capi- 
taine de  cavalerie  ;  —  J.-Bapt.  Pinière,  sieur  de  Clavin,  ancien 
capitaine  de  chasseurs  à  cheval  au  régiment  des  A'osges  ;  — 
Louis-Joseph  de  Pinière,  ancien  capitaine  de  cavalerie  ;  et 
Marc-Antoine  Pinière  de  Clai'in,  dont  nous  parlerons  plus 
longuement. 

Dans  nos  Annales  historiques,  figurent  ces  différents  person- 
nages que  leur  haute  position  mettait  en  relief.  Comme  plusieurs 
de  leur  caste,  ils  adoptèrent  franchement  les  principes  de  la 
Révolution  de  1780.  En  voici  la  preuve  :  une  lettre  adressée  au 
cit03'en  Ant.  Teste,  commissaire  national,  l'an  II  de  la  Répu- 
blique. Cette  missive  de  Jean-Baptiste,  dit  Sept-Pons^  avait 
évidemment  pour  but  de  sauver  sa  tête,  et  nous  savons,  à  n'en 
point  douter,  que  grâce  à  Bertrand,  l'accusateur  public,  alors 
tout  puissant,  il  évita  l'elfet  d'une  condamnation  prononcée  à 
cause  des  troubles  de  juillet  i7q3.  Pour  nous,  la  lettre  de 
Pinière  a  de  plus  tout  l'intérêt  d'une  page  d'histoire  (4^ 

«  —  Lisez-moi,  je  vous  prie,  mon  cher  concitoyen,  puisque 
je  ne  puis  vous  parler,  il  est  sage  d'étayer  l'estime  de  nos  amis 
par  la  connaissance  de  nos   vertus  ;  le  moyen  que  j'emploie, 

(1)  Côme  de  Clavin  avail  été  garde-général  des  fnrr-is.  Il  était  lils  de  Anloine- 
Côme-Bernard  Pinière  de  Clavin  et  de  Marie-Rosalie  de  Belgaric. 

(2)  Époque  où  leur  maison  fut  incendiée.  —  V.  Bagnols  en  1787,  L.  A. 

(3)  Une  terre  avec  grange  au  S.-E.  de  Bagnols  porte  le  nom  de  la  Clarine 
(M.  Cavène). 

(4)  Jean-Baptiste  Pinière  de  Clavin  mourut  à  Bagnols  le  15  frimaire  an  VIII 
(5  décembre  1799), 


DE    PINIKRE    DE    CLAVIN  IJl 

mon  cher  Teste,  est  sans  préjudice  au  plaisir  de  vous  embrasser 
ou  chez  vous  ou  chez  moi  ;  j'ose  dire  que  je  mérite  cette 
marque  de  votre  amitié  par  les  sentiments  avec  lesquels  je  vous 
embrasse  fraternellement  :   —  Pinière-Clavin. 

«  —  J'ai  prêché  la  Constitution  dès  "son  principe  et  j'ai 
prouvé  ma  foi  par  des  œuvres. 

«  —  En  payant  mes  impositions  des  premiers,  en  faisant  un 
don  patriotique  de  i5oo  francs  sans  consulter  mon  revenu; 
en  contribuant  aux  prix  de  iioo  francs  aux  divers  recrute- 
ments qui  se  sont  faits  ;  en  donnant  une  haute  paye  à  un 
volontaire  destiné  à  défendre  les  frontières  de  la  République  ; 
en  prêtant  tous  les  serments  exigés  par  la  loi  pour  être  réputé 
bon  citoyen  ;  en  obéissant  à  tous  les  décrets  concernant  toutes 
déclarations  demandées  par  iceux,  concernant  grains,  foins, 
fer,  étain,  plomb  et  fournitures  de  sacs,  etc.,  etc.  ;  en  faisant 
don  à  la  société  populaire  de  deux  peupliers  d'Italie  choisis 
dans  une  allée  d'agrément  pour  décorer  les  deux  pilastres  delà 
porte  du  club  ;  en  faisant  monter  la  garde  à  prix  d'argent 
quoique  la  loi  m'en  dispensât  par  mon  âge  et  mes  infirmités  •, 
j'ai  même,  pour  l'exemple,  essayé  de  la  monter  en  personne  ; 
mon  état  y  mit  des  obstacles  invincibles. 

«  —  Le  premier  mobile  qui  gouverne  les  hommes,  l'intérêt, 
n'a  pas  été  le  mien.  Envers  la  Constitution,  j'accepte  cependant 
avec  plaisir  le  don  qu'elle  m'a  fait  de  800  francs  de  rente  par 
la  suppression  de  la  dime,  gabel'e  et  autres  charges. 

«  —  Sans  renoncer  aux  récompenses  de  l'éternité,  j'expose 
le  tableau  de  mon  civisme  envers  la  classe  indigente  de  mes 
concit03'ens,  et  je  dis  que  j'ai  secouru  des  pauvres  par  le  pain 
que  je  les  ai  autorisés  à  prendre  chez  les  boulangers,  en  une 
quantité  déterminée  par  jour;  que  j'en  ai  vêtu  plusieurs  au- 
tres, que  j'ai  fourni  paille,  paillasse,  couvertures,  chemises  et 
autres  nipes  aux  nécessiteux  ;  que  les  directrices  de  la  maison 
de  charité,  miséricorde  et  le  cit03'en  curé  ne  m'ont  jamais 
réclamé  en  vain  ;  que  les  pauvres  honteux  m'ont  vu  aller  à 
leurs  secours  et   que  j'ai   donné  à  ceux  qui    m'ont  croisé,  en 


172  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

ville,  me  demandant  pour  les  pauvres  honteux  et  cela,  sans 
traiter  avec  mes  moyens  ;  enfin  ceux  composantma  maison,  avec 
moi,  ne  refusons  jamais  aux  mendiants  qui  vont  dans  les  rues. 
Celui  là  serait  vraiment  républicain,  qui  montrerait  son  civisme, 
en  désignant  ce  qu^il  faut  faire  de  plus  pour  acquérir  cette 
inappréciable  qualité,  j'irai  au  devant  de  C2  grand  homme.  » 
Ce  noble  vieillard  dut  s'éteindre  en  paix  avec  sa  conscience, 
laissant  ses  compatriotes  dans  les  transes  et  l'anxiété  la  plus 
cruelle  :  il  mourut  le  i3  frimaire  an  VIII. 

Né  le  3o  décembre  lySo,  Marc- Antoine,  frère  du  précédent, 
était  moine  bénédictin  (de  Cluny)  ;  il  habita  pendant  de  longues 
années  Pont-Saint-Esprit,  où  il  a  laissé  une  œuvre  digne  d'être 
mentionnée  :  un  manuscrit  (i)  dont  le  titre  fera  comprendre 
l'importance. 

—  Mémoire  historique  et  chronologique  du  prieuré  et  de  la 
ville  de  Saint-Saturnin-du-Port,  à  présent  du  Pont-Saint-Es- 
prit —  1780  jusqu'en  1784,  et  puis  1790. 

Il  a  pour  épigraphe  ces  deux  vers  : 

—  Qiie  si  la  vérité  nous  déplaît  ou  nous  pique, 
C'est  quand  de  nos  travers  elle  fait  la  critique. 

Dans  la  préface  (plan  de  cet  ouvrage)  l'auteur  rappelle  le 
mémoire  de  dom  Jean-Baptiste  Lanteaume,  écrit  en  i7'3i  (2): 
il  ajoute,  avec  beaucoup  de  modestie  que  «  religieux  prêtre  et 
chantre  (3)  de  ce  monastère,  il  se  contentera  de  faire,  pour 
ainsi  dire,  une  simple  relation  des  faits  les  plus  intéressants, 
comme  par  exemple  la  fondation  du  prieuré  et  de  son  accrois- 

(1)  Le  précieux  volume,  relié,  in- i"  de  400  pages,  appartient  à  M.  Prosper 
Deleuze,  de  Ponl-Saint-Espril,  qui,  comme  les  curieux  auxquels  il  consent  à  le 
communiquer,  le  tient  pour  une  œuvre  de  mérite.  Nous  désirerions  (|ue  ce  tra- 
vail d'histoire  locale  fut  livré  à  l'impression. 

(2)  Ce  mémoire  n'a  qu'environ  4.0  pages;  il  en  existe  une  copie  à  la  Biblioth. 
de  Dagnols  (Fond.,  L.  A.). 

(o)  Le  chantre  du  monastère  de  Saint-Pierre  était  un  religieux  chargé  de 
diriger  les  chœur.s. 


DE    PIXIERE    DE    CEAVIX  lyj 

sèment,  de  celle  du  Pont  et  de  ses  dépendances,  de  l'établisse- 
ment des  autres  corps  séculiers  et  réguliers  de  la  ville,  des 
actes  passés  par  le  prieuré  avec  nos  rois  et  les  comtes  de 
Toulouse  nos  anciens  souverains,  ainsi  qu'avec  les  seigneurs 
voisins  et  les  habitants  du  Saint-Esprit  réunis  en  corps  de 
communauté...  » 

Son  mémoire  est  donc  «  un  inventaire  raisonné  et  chronolo- 
gique des  principaux  titres  du  prieuré  avec  un  précis  de  certains 
faits  qui,  quoique  étrangers,  intéressent  le  monastère  de  Saint 
Pierre.  » 

Pendant  les  guerres  de  religion  du  xv!*^  siècle  les  archives 
ont  été  dispersées  ou  en  partie  brûlées  ;  mais  depuis,  les  prieurs 
ont  racheté,  à  grands  frais,  les  titres  épars  et  c'est  d'après  ces 
documents  précieux  que  dom  Pinière  écrivit. 

Le  volume  a  plus  de  400  pages  in-4°  -,  il  est  accompagné 
du  plan  de  l'église  de  Saint-Saturnin  en  iSo/,  et  de  celle  de 
Saint-Pierre  en  1784. 

Dans  son  mémoire,  l'auteur  cite  chacun  des  prieurs  réguliers, 
il  entre  dans  des  détails  intéressants  sur  les  abus  de  la  co?7î- 
mande  et  sur  les  convoitises,  les  dilapidations  et  le  relâchement 
des  prieurs  commandataires,  lesquels,  n'étaient  point  religieux. 
Il  signale  ceux  qui  se  sont  rendus  recommandables  dans 
l'église  en  y  occupant  des  sièges  considérables,  l'un  entr'autres 
(Julien  de  la  Rovère),  étant  même  monté  sur  la  chaire  de  Saint- 
Pierre  (i). 

Le  manuscrit  de  D.  P.  de  Glavin  fournit  des  renseignements 
précieux  sur  les  premières  franchises  communales,  sur  les 
mœurs  du  temps,  sur  l'influence  des  religieux  bénédictins  de  la 
région  :  le  récit  de  la  construction  entreprise  par  les  habitants 
avec  l'appui  de  Jean  de  Thyanges  y  trouvait  naturellement 
sa  place.  Mais  les  annales  mêmes  de  l'œuvre  collective  des 
maisons,  église,  pont  et  hôpitaux  du  Saint-Esprit  y  sont 
comme  jalonnés  ainsi  que  l'histoire  de  la   paroisse,  laquelle  a 

(1)  Le  pape  Juies  II. 


174  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

bien  son  intérêt  dans  les  siècles  passés.  Tout  y  est  relaté  dans 
un  style  simple,  sobre  et  précis.  En  toute  occasion  sa  parole 
est  énergique,  franche  et  correcte  ;  la  vérité,  il  ne  saurait  la 
dissimuler  sans  mentir  à  l'épigraphe  de  son  livre.  On  a  donc 
sous  les  yeux  l'exposé  des  événements  des  temps  reculés,  présen- 
tés en  vive  lumière(i}.  Voici  du  reste  ce  que  nous  écrit  au  sujet 
de  dom  Pinière,  notre  ami,  M.  Louis  Bruguier-Roure,  que 
ses  études  archéologiques  placent  déjà  au  nombre  des  érudits 
de  la  contrée. 

—  ...  «  S'il  est  vrai  que  la  grande  école  historique  du  siècle 
dernier,  devant  laquelle  s'inclinent  les  historiens  niodernes  a 
laissé  parmi  les  ruines  du  célèbre  monastère  de  Pont-Saint- 
Esprit  un  monument  qui  honore  un  enfant  de  Bagnols,  il  est 
juste  aussi  de  dire  que  l'auteur  du  Mémoire  historique  et 
chronologique  du  prieuré  et  de  la  ville  de  Saint-Saturnin-du- 
Port,  avait  profité  des  précédentes  recherches  faites  sur  le 
même  objet  par  un  collaborateur  des  D.  D.  Vie.  et  ^'aissette. 
D.  Pinière  de  Clavin  fut  le  continuateur  de  D.  de  Lanteaume, 
il  fit  plus  toutefois,  car  il  a  jeté  dans  le  même  moule  des  faits 
dont  n'avait  pas  parlé  le  précédent  historiographe.  lia  présenté 
les  événements  dans  des  récits  moins  dictatiques  peut-être,  qui 
sentent  souvent  l'écrivain  aux  idées  préconçues,  le  pamphlé- 
taire môme;  en  même  temps,  disons-le,  il  a  pris  grand  soin 
de  ne  laisser  rien  perdre,  dans  le  souvenir  du  passé,  de  ce  qui 
pouvait  intéresser  l'avenir.  A  ce  titre,  il  mérite  notre  recon- 
naissance. Son  manuscrit  est  très  précieux  en  raison  de  la 
destruction  des  archives  du  monastère  de  Saint-Pierre,  dont 
tous  les  documents   sont  analysés  et    rappelés  en  marge    du 


(I)  Nous  avons  remarque  dans  ce  manuscrit  quelques  pages  consacrées  à 
élucider  la  manière  dont  les  anciens  comptaient  les  jours  de  l'année  :  kalendes, 
ide  et  none,  etc.,  etc.,  etc.  Par  les  explications  données  il  est  très  facile  de 
••eporter  au  calendrier  actuel  (depuis  1582)  le  texte  latin  qui  souvent  embarrasse 
le  lecteur.  —  Lorsque  dom  Pinière  s'appuie  sur  l'histoire  afin  de  rattacher  les 
faits  locaux  aux  grands  événements  du  royaume,  il  cite  souvent  VHist.  de  France, 
de  Valli. 


DE    PINIERE    DE    CLAVIN  lyD 

volume  sous  le  numéro  et  le  titre  de  la  liasse  qui  les  renfer- 
fermait. 

i<  Le  stvlc  est  généralement  conforme  aux  traditions  de  l'école 
bénédictine  ;  mais  on  y  rencontre  parfois,  trop  souvent  même, 
des  incorrections  de  langage  qui  déparent  un  ensemble  très 
satisfaisant,  en  dehors  des  réserves  faites  plus  haut...  « 

Il  est  en  effet  regrettable  qu'un  pareil  document  historique 
reste  ignoré  du  public  et  que  les  budgets  municipaux  ne  puis- 
sent venir  en  aide  aux  lettrés  jaloux  de  donner  de  la  publicité 
à  des  travaux  reconnus  sérieux. 

Après  la  fermeture  des  couvents  et  la  dispersion  des  reli- 
gieux, il  nous  est  difficile  de  suivre  le  bénédictin  pendant  la 
Révolution  et  le  temps  de  la  Terreur.  Nous  savons  seulement 
que  le  4  septembre  17Q2,  voulant  se  conformer  à  la  loi  du  26 
août,  relative  à  la  déportation  des  ecclésiastiques  non  asser- 
mentés, il  se  présenta  devant  la  municipalité  de  Bagnols,  afin 
de  déclarer  qu'il  entendait  se  rendre  à  Aigues-Mortes  et  s'y 
embarquer  pour  Barcelone  :  il  déposa  alors  un  passeport  en 
signant  sa  demande. 

Le  voyage  s'effectua,  puisque  le  5  messidor  an  A'I,  l'ex- 
bénédictin  rentrait  dans  son  pa3's  natal,  en  vertu  de  la  loi  du 
7  fructidor  :  et  se  résignait  à  rester  sous  la  surveillance  de 
l'administration  locale. 

On  dit  que  dom  Pinière  vécut  dans  la  retraite  à  Bagnols, 
jusqu'au  jour  où  la  mort  vint  le  surprendre.  Il  avait,  pendant 
les  dernières  années  de  sa  vie,  habité  rue  Poulagière  ([),  une 
maison  visitée  chaque  jour  par  son  vieux  compagnon  d'exil,  le 
vénérable  père  Borrelly,  jésuite  de  Lyon.  Les  deux  amis 
charmaient  leur  solitude  sous  les  ombrages  des  acacias  sécu- 
laires d'un  jardin  clos  et  silencieux.  Si,  près  d'un  siècle  s'est 
écoulé  sans  qu'aucun  bruit  se  soit  fait  autour  de  l'historien 
du  Pont-Saint-Esprit,   s'il  a  fallu  qu'un   jeune  chercheur  en- 

(I)  La  maison  CoUoii,  n'^  20. 


r7() 


NOTICES     BIOGRAPHIQUES 

thousiaste  (i),  révélât  aux  bagnolais  l'œuvre  d'un  de  leur 
compatriotes,  c'est  parce  que  le  nom  de  Pinière  de  Glavin  ne 
devait  point  rester  dans  l'oubli  ;  car  le  chroniqueur  pieux 
n'avait  pas  écrit  seulement  pour  la  gloire  de  ce  bas  monde. 


(1)  M.  Louis  r>ruguier-Roure. 


RACLET    jean-baptiste; 

ARCHITECTE 

]\viu  de  Lvon  l'crs  l'j'jS 
Mort  à... 


fut  très  probablement  sous  les  auspices  des  prêtres 
de  Saint-Joseph  de  Lvon  que  Jean-Baptiste  Raclet, 
architecte,  vint  à  Bagnols.  Quels  sont  les  antécédents 
de  cet  entrepreneur  :  —  il  ne  nous  est  pas  possible 
de  le  raconter,  puisque  Raclet  n'est  point  notre  compatriote. 
Si  nous  lui  consacrons  ici  quelques  lignes,  c'est  parce  qu'il  a 
habité  le  pays  pendant  plusieurs  années  et  qu'ayant  acquis  la 
confiance  des  dignitaires  de  cette  époque,  on  le  chargea  de 
travaux  importants. 

La  première  fois  que  son  nom  paraît  dans  l'histoire  de  notre 
petite  ville,  c'est  en  l'année  ijyS.  On  lui  donne  le  titre 
d'entrepreneur  du  nouveau  compois  (i).  Les  consuls  le  char- 
gèrent en  outre  de  vérifier  si  la  ligne  des  maisons  construites  à 
la  Poulagière  était  régulière  et  bien  établie  ;  si  les  propriétaires 
ne  faisaient  point  d'ouvertures  au  nord,  sur  le  cimetière  et  de 
déterminer  le  chiffre  exact  de  la  mensuration  des  maisons.  Le 


(1)  Dans  certaines  provinces  on  appelait  compois  le  cadastre,  la  répartition  et 
le  rôle  de  répartition  de  l'impôt.  —  V.  art.  Cadastre  (T.  IV,  Encijdopédie  du 
XI Xe  siècle,  p.  208. 

T.    II  12 


lyo  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

comptable  précisa  la  construction  du  sieur  Chaîne,  entr'au- 
tres  ;  laquelle  est  portée  à  92  cannes  quarrécs,  deux,  pans  trois 
quarts,  un  huitième  et  un  trente-deuxième  de  pan...  Le  prix 
de  l'impôt  était  alors,  —  hors  de  la  ville,  —  de  i  sol  8  deniers 
par  canne  (i), 

Raclet  n'était  pas  seulement  un  architecte,  un  géomètre 
habile,  mais  il  maniait  aussi  avec  un  rare  bonheur  la  plume  de 
l'écrivain  et  du  poète, —  à  la  mode  du  temps.  Nous  possédons 
un  imprimé  qui  date  du  iq  août  lyyô,  dont  voici  le  titre  : 
«  Lettre  sur  les  fêtes  de  la  ville  de  Bagnols,  à  l'occasion  du 
sacre  de  Sa  Majesté  Louis  XVI,  écrite  par  un  spectateur 
étranger  et  impartial.  » 

L'auteur  raconte  ce  dont  il  a  été  émerveillé  dans  la  petite 
ville  de  Bagnols.  «  Ce  sont  les  jeunes  gens  de  distinction  qui 
ont  fait  les  frais  de  la  fête  :  le  reste  de  la  jeunesse  a  payé  de  sa 
personne.  —  On  éleva,  dit-il,  dans  un  vaste  champ  qui  n'est 
séparé  des  murs  de  la  ville  que  par  le  grand  chemin  (2^  un 
pavillon  d'une  architecture  champêtre.  Le  plan  du  principal 
salon  étaitun  hexagone  régulier....  »  Ici  l'auteur,  parlant  com- 
plaisamment  sa  langue  favorite,  entre  dans  des  détails  sur  le 
triangle  équilatéral,  les  parallèles  et  les  côtés  adjacents  du 
quadrilatère  régulier,  servant  de  vaste  salle,  où  l'on  avait 
dressé,   pour  les  dames,  une  table  de  cinquante  couverts. 

«  Toute  cette  construction  n'était  qu'en  charpente,  mais 
l'édifice  était  recouvert  de  guirlandes  de  buis  et  de  lauriers, 
entrelacés  avec  les  portraits  du  roi  et  de  la  reine,  les  fleurs  de 
lys,  les  inscriptions,  les  lustres,  les  plaques,  de  manière  que  cet 
ensemble  formait,  en  même  temps,  le  coup-d'œil  le  plus  re- 
cherché et  le  plus  champêtre. 


(1)  Voir  page  185  la  note  A,  que  nous  ilevons  à  l'obligeance  de  M.  F.  Degan, 
géomètre,  notre  compatriote  et  ami. 

(2)  Nous  avons  entendu  dire  aux  anciens  que  la  fête  eut  lieu  dans  la  terre  qui 
avoisino  riiùlel  du  Louvi-e.  En  face  on  voyait  encore,  en  177."),  les  remparts  et 
les  fossés  où  l'on  bâtit  peu  après  des  maisons. 


RACLET  [y() 

Cet  assemblage 
D'un  goût  nouveau, 
Formait  l'image 
D'un  paysage 
Peint  par  Watteau. 
C'est  un  treillage. 
Puis  un  feuillage, 
Puis  un  arceau. 
Là,  colonnade, 
Là,  palissade, 
Ici,  berceau. 
Là,  bagatelles 
Riches  et  belles. 
Enfants  de  l'art. 
Là,  la  parure 
De  la  nature 
Simple  et  sans  fard. 

«  Pendant  que  la  jeune  noblesse,  qui  s'était  chargée  de  cette 
construction,  en  dirigeait  les  travaux,  deux  jeunes  militaires  (i), 
s'occupaient,  d'un  autre  côté,  à  former,  l'un  une  compagnie  de 
grenadiers  et  l'autre  une  compagnie  de  hussards  :  la  jeunesse  qui 
s'était  présentée  en  foule  pour  être  admise  dans  l'un  ou  l'autre 
de  ces  corps,  répondit  si  bien  à  leurs  soins  et  à  leurs  instructions, 
que  tout  le  monde  fut  étonné  de  voir  ces  troupes  manœuvrer 
avec  toute  la  précision  des  corps  les  mieux  disciplinés. 

«  Ces  préparatifs  finis,  la  fête  commença  le  dimanche,  i3 
août.  Elle  fut  annoncée,  dès  la  pointe  du  Jour,  par  le  son  de 
toutes  les  cloches,  et  par  la  réunion  de  tous  les  instruments 
militaires.  —  Les  deux  compagnies,  au  nombre  de  80  hommes, 
se  mirent  sous  les  armes,  et  parurent  devant  l'Hôtel-de-Ville. 
L'uniforme  des  grenadiei's  était  gris,  parements,  revers  et  col- 
lets rouges,  avec  la  grenade  sur  la  plaque  du  bonnet.  Les 
hussards  avaient  veste  et  culottes  blanches,  manteau  rouge, 
bordé  de  fourrure  et  galons  blancs  sur  le  manteau  et  sur  le 
bonnet.   Pendant  que  ces  compagnies  faisaient  quelques  évo- 

(1)  Sans  doute  les  chevaliers  de  Vaulx  et  Pinière  de  Clavin? 


l8o  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

lutions  militaires,  tout  le  corps  de  ville  se  rendit  à  la  salle  du 
conseil  où  chacun  se  revêtit  des  marques  de  sa  dignité.  On 
partit  de  là,  en  ordre,  pour  aller  à  l'église  de  la  paroisse^  les 
grenadiers  précédés  de  leur  corps  de  musique  ouvraient  la 
marche,  et  les  hussards  la  fermaient  ;  le  corps  de  ville  accom- 
pagné de  toute  la  noblesse  était  au  centre,  et  un  peuple 
immense,  qui  s'était  rendu  à  Bagnols,  de  la  campagne  et  de 
tous  les  environs,  accompagnait  ce  cortège  avec  des  acclama- 
tions réitérées  de  vive  le  Roi  !  tous  les  amateurs  se  réunirent 
en  corps  de  musique  pour  la  s34iiphonie  qui  fut  exécutée 
pendant  la  messe...  Un  Te  Deum  fut  chanté  après  les  vêpres, 
au  son  des  cloches,  des  instruments  et  de  trois  décharges  de 
mousqueterie...  Une  illumination  générale  qui  précéda  un  feu 
de  joie  allumé  par  M.  André-Antoine  Reynaud  accompagné 
de  tout  le  corps  de  ville,  de  toutes  les  troupes  et  de  soixante 
personnes  qui  portaient  des  flambeaux,  remplaça  le  jour  qui 
finissait  :  l'inscription  de  l'Hôtel-de-Ville,  optimo  Regiim  en 
désignait  le  motif. 

«  Ce  fut  dans  ce  moment  que  les  dames  de  Bagnols  et  celles 
d'Uzès,  d'Orange,  de  BoUène,  du  Saint-Esprit  et  des  châteaux 
voisins  que  l'objet  de  cette  fête  y  avait  attirés,  se  rendirent  au 
pavillon,  accompagnées  de  toute  la  noblesse  et  des  principaux 
citoyens  de  la  ville  ;  elles  trouvèrent  une  table  servie  avec 
toute  l'élégance  et  la  délicatesse  possibles.  Elles  prirent  séance 
et  les  cavaliers  debout  les  servirent.  Je  n'ai  jamais  vu  de  coup 
d'œil  plus  séduisant  ;  et  les  autres  étrangers  présents  à  cette 
fête,  n'en  furent  pas  moins  frappés  que  moi. 

On  se  disait  : 

Est-ce  un  enchantement? 
Est-ce  ici  Tîle  de  Cytlière? 
Voilà  Vénus,  assurément, 
Et  voici,  très  certainement, 
Les  Grâces  auprès  de  leur  mère. 
Cet  enfant  beau  comme  le  jour 
Ne  peut  être  autre  que  l'Amour. 


RACLET  l8l 

Mais  ces  divinités  au  port  majestueux, 
Ces  nymphes  aux  beaux  yeux,  à  la  taille  légère  ! 
Ce  sont  Pallas,  Diane  alla  Fîeine  des  cieux. 
Pour  rendre  son  hommage  au  petit-fils  des  dieux. 
Tout  l'Olympe,  en  ce  jour,  est  descendu  sur  terre. 

«  La  gaité  et  rcngouement  furent  l"àme  de  ce  repas.  On  y 
porta  la  santé  du  roi  et  de  la  reine...  un  peuple  immense  fai- 
sait écho.  On  passa  de  la  salle  à  manger  dans  le  grand  salon, 
où  l'on  ouvrit  par  trois  contre-danses  le  bal  qui  dura  jusqu'au 
jour  et  pendant  lequel  on  servit  des  glaces  et  des  rafraîchisse- 
ments —  une  partie  des  citoyens  donnait  en  même  temps,  un 
autre  bal  dans  la  salle  de  l'Hôtel-dc-Ville...  Le  peuple  dansait 
sous  des  salles  de  verdure  préparées  et  où  on  lui  fournit  des 
instruments. 

«  Le  lundi  14,  ne  présente  djautre  spectacle  public  que  la 
marche  et  l'exercice  des  deux  compagnies.  Les  jeunes  gens  qui 
les  composaient  manœuvrèrent  si  bien  et  avec  un  air  si  mar- 
tial que  : 

Vous  eussiez  ci"u  voir  des  héros 

Accoutumés  à  la  victoire, 

S'arracher  des  bras  du  repos 

Pour  voler  au  sein  de  la  gloire. 

Leurs  chefs  monti'aient  dans  leurs  regai'ds 

Leur  àme,  leur  cœur  intrépide, 

L'un  avait  la  mine  d'Alcide 

Et  l'autre  ressemblait  à  Mars  (f  ). 

«  Il  ne  lui  ressembla  pas  moins  par  la  galanterie,  ajoute 
Raclet,  car  il  donna  ce  jour  là,  aux  dames,  un  concert  dans 
son  hôtel,  dont  plusieurs  d'entr'elles  firent  en  partie  les  hon- 
neurs par  la  beauté  de  leur  voix  et  par  le  goût  de  leur  chant. 

«  Le  mardi  1 5,  jour  de  l'Assomption,  il  y  eut  offices  religieux 
et  procession  solennelle...  Après,  tous  les  cœurs  sensibles  joui- 
rent d'un  spectacle  le  plus  attendrissant...  On  avait  dressé  dans 

{l)  Pignière  de  Clavin,  maison  Colin^  rue  llivarol. 


l82  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

la  place  qui  est  fort  vaste,  une  table  d'un  nombre  indéfini  de 
couverts,  pour  tous  les  pauvres,  tant  de  la  ville,  que  des  envi- 
rons qui  voudraient  participer  à  la  joie  commune,  il  s'y  en 
trouva  environ  deux  cent.  Ils  furent  servis  par  le  maire  et 
par  les  échevins  en  chaperon  (i),  ainsi  que  partout  le  corps  de 
la  ville.  Indistinctement,  le  clergé,  la  noblesse,  les  officiers 
retirés  avec  la  marque,  de  distinction  due  à  leurs  services,  la 
robe,  la  bourgeoisie,  tous  s'empressèrent  de  partager  cette 
uoble  gloire.  La  table  était  placée  au  milieu  d'un  cordon  formé 
par  les  troupes  pour  laisser  l'espace  nécessaire  au  service...  le 
cercle  des  dames  qui  occupaient  toutes  les  fenêtres  de  la  place, 
et  que  la  Joie  qui  éclatait  dans  leurs  regards  rendait  encore  plus 
belles  que  leur  parure,  formaient  un  coup-d'œil  ravissant. 

((  La  générosité  des  citoyens,  dont  les  abondantes  aumônes 
avaientfourni  aux  frais  de  cebanquet  (2)  se  ralluma  lorsque  les 
convives  curent  chanté,  les  trois  couplets  suivants  que  j'avais 
faits  la  veille  pour  contribuer,  en  quelque  chose,  à  la  fête  et 
que  toute  l'assemblée  répéta  avec  enthousiasme  au  son  des 
instruments  sur  l'air  de  Joconde  : 

lîannissons  d'ici  les  soupirs, 

Les  chagrins,  la  tristesse. 
Ne  respirons  que  les  plaisirs 

La  joie  et  l'allégresse, 
Chantons  en  chœur  :  Vive  le  Roi, 

Vive  notre  père  ; 
Nous  verrons  enfin,  sous  sa  loi, 

Finir  notre  misère. 


(1)  M.  André-Antoine  Reynaud^  premier  consul  ;  Louis  lioux,  .Iules  Ode,  Fran- 
çois r»ey  (installés  le  ?>  avril).  Jules  l'ugiiière,  avocat  au  l'ailenienl,  juge  de  la 
ville  et  viguerie  de  llagnols  ;  Séhasîien  Jean,  Hipp.  Guynel,  avocat  procureur 
fiscal  en  la  viguerie;  noble  François-Joseph  Fourchent,  Jean-liaplisle  iMadier, 
Louis  lioyer,  Jules  ftrun,  Jose|>li  Coudeii,  J.-I!.-lIenri  iMartial,  Andi'é  Lalont, 
Simon  Martin,  Flour,  Ladroit,  Aymé  Genlil,  docteur-médecin,  J.  de  tluny, 
Ch.-Joseph  de  Rarruel,  Jean-Louis  Ili'unet  de  Leuzières,  .  Barry,  Thibaud, 
Malignon,  Alary,  Peyret,  Benoît,  Simon  (lombin,  Charrier,  Massonnet, 

(2)  0  tempora,  0  mores  ! 


R A CL ET  l83 

«  On  ramassa  dans  un  clin-dVcil  de  quoi  leur  donner  à 
chacun  une  petite  somme  et  de  quoi  fournir  aux  besoins  des 
pauvres  honteux,  à  qui  on  avait  déjà  fait,  le  matin,  une  distri- 
bution de  pain,  ainsi  qu'à  tous  les  mendiants  qui  s'étaient 
présente's.  » 

Raclet  est  impitoyable  avec  ses  vers  !  ici,  nous  les  suppri- 
mons, mais  nous  écoutons  encore,  pendant  quelques  instants 
sa  narration  intéressante. 

«  Après  le  souper,  on  tira  un  feu  d'artifice  qui  reçut  les 
applaudissements.  Les  dames  voulurent  combler  la  joie  du 
peuple  en  lui  abandonnant  le  Pavillon  ;  elles  allèrent  danser 
à  l'Hôtel-de-Ville.  «Ce  trait,  ajoute  Raclet,  ne  me  surprit  pas, 
parce  que  je  sais  que  :    «  Les  divinités  sont  si  bonnes  !  » 

((  Ce  bal  termina  la  fête,  pendant  laquelle  il  n'est  pas  arrivé 
le  moindre  désordre  :  grâce  aux  sages  mesures  prises  par  M.  le 
Maire  et  par  les  deux  commandants  des  compagnies...  Le 
respect  du  peuple  fut  son  véritable  frein...  Les  troupes  licen- 
ciées eurent,  le  mercredi  au  soir,  leur  part  des  réjouissances 
dans  un  souper  où  les  deux  compagnies  étaient  à  une  même 
table.  «  On  banqueta  longuement  aux  cris  répétés  de  l'ire  le 
Roi,  et  après  le  souper,  ils  donnèrent  un  bal  général  où  régna 
la  plus  grande  gaieté  et  après  ce  bal,  un  feu  d'artifice  à  leurs 
dépens...  » 

Les  réjouissances  du  l'i  août  coûtèrent  à  la  ville  loo  livres. 
Les  consuls  empruntèrent  cette  somme  aux  recteurs  et  admi- 
nistrateurs de  l'hôpital,  par  acte  M''  Constant,  notaire,  le  27 
août.  Cet  emprunt  fut  insuffisant  puisque  le  feu  d'artifice  en 
absorba  la  plus  grande  partie. 

Comme  le  lecteur  a  pu  s'en  convaincre,  l'aimable  architecte 
eut  un  beau  début  à  Bagnols  :  les  dames  durent  raffoler  de 
lui  ;  la  noblesse,  l'administration  locale  eussent  été  ingrates, 
si  elles  n'avaient  tout  d'abord  accordé  leur  sympathie  au  galant 
homme  qui,  venu  parmi  elles,  chargé  du    travail  ingrat  d'ar- 


184  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

pcnter  et  de  chiffrer  la  valeur  des  terres,  se  révé.lait  comme  un 
narrateur  fidèle  doublé  d'un  versificateur  parfumé. 

Raclet  en  1776  était  déjà  chargé  de  faire  le  plan  et  le  devis 
du  Collège  :  il  s'en  acquitta  à  la  satisfaction  générale.  On  fixa 
ses  honoraires  à  r2o  livres,  et  ce  furent  Mesdemoiselles  Jeanne 
d'Isnard  et  Marguerite  Roux,  dames  directrices  de  la  confrérie 
de  la  Miséricorde  établie  à   Bagnols,  qui  prêtèrent  la  somme. 

C'est  encore  Raclet  qui  surveilla  les  travaux  du  pont  de 
Pijaudon  et  ceux  de  la  rue  du  Ruisseau,  car  en  cette  année 
1778,  les  parapets  étaient  abattus,  au  point  que  la  voie  publi- 
que se  trouvait  encombrée. 

L'artiste  lyonnais,  logé  à  l'Hotel-de-Villc,  devait  se  plaire  à 
Bagnols  :  il  était  sympathique  à  la  population  et  les  consuls 
reconnaissants  ont  ,  maintes  fois  ,  sollicité  la  bienveillance 
du  conseil  pour  faire  accorder  à  Raclet  des  indemnités  par 
suite  d'un  surcroît  de  travail  et  à  cause  même  d'une  maladie 
dangereuse  qu'il  contracta  en  s'occupant  des  intérêts  de  la 
communauté. 

Mais  vinrent  plus  tard  des  démêlés  avec  le  conseil  de  ville. 
La  communauté  était  en  souffrance  du  long  retard  appor-té  par 
le  géomètre  à  livrer  son  compois,  pour  la  confection  duquel  il 
avait  un  bail  de  quatre  ans.  Une  délibération  du  26  décembre 
1777  fait  ressortir  l'état  des  esprits,  à  cette  époque.  On  accu- 
sait Raclet  de  négligence  :  il  s'absentait  souvent,  et  pendant 
longtemps ,  il  s'occupait  d'autre  chose  que  de  son  travail  pro- 
mis ;  —  peut-être  était-il  trop  poète  pour  faire  des  chiffres  ? 
—  En  un  mot  la  ville  s'adressa  à  l'intendant  du  Languedoc  et 
intenta  un  procès  pour  obtenir  de  Raclet  des  dommages  et 
intérêts. 

Le  public  pensait  Juste  :  soyez  d'abord  sérieux,  exact  et 
ponctuel,  puis  vous  ferez  des  petits  vers  à  vos  loisirs. 

Le  compois  fut  payé  2,400  livres,  qu'il  fallut  emprunter  aux 
Récollets,  mais  la  somme  étant  insuffisante,  on  obtint  du  sieur 
Louis  Passe  un  prêt  de  800  livres  qu'on  donna  au  géomètre  à 
titre  d'indemnité. 


RACLET  l85 

Ce  travail  ne  fut  pas  cependant  achevé  par  Raclet  lui-même, 
puisque  nous  trouvons  que  le  (3  mars  1785,  le  conseil  alloua 
une  gratification  de  2,000  livres  aux  sieurs  Astier  et  Ve3Tenc, 
substitués  au  sieur  Raclet,  comme  bailliste  pour  le  nouveau 
compois.  Le  lyonnais  avait  fait  attendre  la  ville  pendant  treize 
ans  ! 

La  Bibliothèque-Musée  possède  de  Raclet  un  grand  et  beau 
travail,  c'est  le  cadastre  qu'il  fit  en  1784  pour  le  prince  de 
Conty.  Ces  deux  énormes  volumes  in-folios,  solidement  reliés 
et  ornés  d'agrafes  et  de  c\  j.is  de  cuivre,  sont  dûs  à  la  libéralité 
de  M.  Félix  Saurin,  maire  de  Bagnols  en  1868,  qui  les  tenait 
de  son  grand  oncle,  M.  de  Roussel,  intendant  du  prince  (i). 

Que  devint  notre  géomètre  ?  Où  donc  le  gracieux  poète  de 
1773  est-il  allé,  depuis,  roucouler  ses  petits  vers  aux  divinités 
m3^thologiques  ?  Il  dut  vivre  assez,  croyons-nous,  pour  voir 
révolutionner  sa  littérature,  et  pour  se  résigner  à  abandonner 
tant  de  mignardises  surannées,  quand  la  grande  voix  de  la 
patrie  entonnait  l'hymne  de  la  délivrance. 

(1)  V.  Annales  hist.  de  Bagnols. 


NOTE 

(A)  Les  mesures  usuelles    -  à  cette  époque  —  oflVaient  uue  diversité    aussi 
bizarre  (ju'iiicommode. 

Elles  variaient  d'un  lieu  à  un  autre,    quelquefois  dans   la  même   ville  ou  sur 
le  territoire  d'une  même  commune. 

Ainsi,  dans  le  Gard,  il  y  avait  plusieurs   unités  de  surface  :   la   canne  carrée 
de  Nîmes,  celle  de  Montpellier,  celle  tV Arles:  sans  compter  la  toise  carrée. 

A  liagnols  c'était  la  canne  cari'ée  do    Montpellier  qui   formait    la   base    des 
mesures  de  suiface  ;  elle  valait  omq.949.701 .884.U31  et  se  subdivisait  en  huit 

cannes-pans,  valant  chacune 0'"'l.4!)3.712.735 

et  en  soixante-quatre  cannes-menus  valant  chacune 0""l.OGI  ,71  i.091 

La  maison  Chaîne  représentait  donc  une 

superlicie  bâtie  de 92  cannes  carrées  =  363m34 

2  cannes-pans      —       OmQS 

de  cannes-pans,  soit  29  =      O^IS 
32 


/il         U   de 
\  4       8     '   32  / 


Ensemble  364'"80 


86 


NOTICES     BIOGRAPHIQUES 


Elle  ét;iit  imposée  à  raison  de  1  sois  deniers  par  canne  carrée,  (soil  0'.0823"') 
pour  une  somme  de  7  fr.  47  c. 

Aujourd'hui,  cette  même  surface  bâtie  est  imposée  sur  le  pied  de  0"'059.1)"2 
par  mètre  carré,  soit  pour  les  364™. 80  une  somme  de  21  fr.  45  c,  à  laquelle 
s'ajoute  la  contribution  sur  les  portes  et  fenêtres,  non  encore  inventée  du  temps 
du  bon  Raclet. 


REY  (JEAN-BAPTISTE-FRANCOIS-VALÉRIEN 


COMMANDANT 


N'a  à  Co'.inaiix  le  12  avril  ijSS 
Mort    à    Connaiix    le    6    août    1840 


AXS  le  petit  village  de  Connaux  qui  nous  a  fourni 
déjà  plusieurs  hommes  distingués,  vivait  encore  en 
1S40  un  vieillard  de  85  ans  nommé  le  commandant 
Rey.  La  génération  d'alors  savait  qu'il  avait  fait  les 
guerres  de  la  République  et  de  l'Empire  et  connaissait  sa  vie 
aventureuse  et  tourmentée,  mais  ce  dont  on  parlait  surtout 
c'était  de  ses  occupations  favorites  :  le  commandant  était, 
comme  tourneur  sur  bois  ou  métaux,  un  artiste  hors  ligne.  Il 
produisait  de  véritables  chefs-d'œuvre  :  son  atelier,  remar- 
quablement installé  et  fourni  d'un  outillage  aussi  complet  que 
précieux,  faisait  l'admiration  des  visiteurs. 

L'estime  publique  entourait  ce  vieux  soldat  qui,  après  une 
Jeunesse  quelque  peu  vagabonde  à  travers  les  mers  lointaines, 
avait  versé  généreusement  son  sang  pour  la  France,  et  se 
rendait  encore  utile  au  pays,  à  l'administration  duquel  il  prê- 
tait son  concours  soit  comme  maire,  soit  comme  conseil  de  la 
commune.   ^L  Rey  coulait  des  jours  paisibles  avec  son   vieil 


l88  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

ami  Basile  Gcnsoul  i""-  :  Celui-ci,  empruntant  les  ciseaux,  les 
gouges  et  le  maillet  du  commandant,  exécutait  ces  bas-reliefs, 
plus  que  naïfs,  qui  se  voient  encore  à  la  porte  de  l'église  parois- 
siale ou  sur  la  vasque  de  la  fontaine  à  l'entrée  méridionale  du 
village. 

En  bon  campagnard,  François  Rey  avait  passé  les  premiers 
vingt  ans  de  sa  vie  à  Connaux.  Sa  famille  y  vivait  dans  un 
bien  de  cent  mille  livres  2'. 

Le  futur  commandant  s'était  lié  avec  la  jeunesse  de  Bagnols 
et  des  environs.  Il  avait  l'esprit  vif,  exalté,  romanesque,  origi- 
nal. On  parlait  beaucoup  autour  de  lui  des  Gensoul,  des 
Bompard,  des  Charrier-Moissard,  des  Gentil  -,  il  n'en  fallait 
pas  davantage  pour  enflammer  son  imagination.  François  avait 
deux  passions  dominantes  :  la  musique  et  la  niécanique.  Son 
cher  violon  le  captivait  pendant  une  partie  de  la  journée  ;  le 
reste  était  employé  à  manier  le  rabot,  la  gouge,  l'équerre  et  la 
lime;  il  partageait  l'engouement  de  son  époque.  M.  de  Vogue, 
le  châtelain  de  Tresques,  ouvrait  au  jeune  Rey  son  atelier  de 
menuiserie  et  lui  offrait  son  bel  outillage  de  tourneur.  On  sait 
qu'à  l'imitation  de  l'infortuné  Louis  XVI,  les  nobles  et  quelques 
bourgeois  de  province  utilisaient  leur  loisir  en  cultivant  un 
état  manuel.  Le  roi  avait  mis  cet  usage  à  la  mode  alors  que 
Jean-Jacques  Rousseau  faisait  apprendre  un  métier  à  son 
Emile.  Toujours  est-il  que,  l'esprit  d'imitation  gagnant  de 
proche  en  proche,  notre  villageois  de  Connaux  installa  chez 
lui  un  atelier  pour  son  usage  personnel. 

Cependant  rien  ne  devait  fixer  François  Rey  dans  son  village. 
Un  jour  il  se  mit  en  tête  de  partir  pour  l'Amérique  :  il  avait 
alors  vingt-cinq  ans.  Du  projet  à  l'exécution,  il  ne  prit  pas  le 
temps  de  réfléchir  aux  chances  de  cette  expédition  lointaine.  Il 
vendit   une  partie  de  ses   propriétés,  il  en    employa   le  prix  à 

(1)  On  se  souvient  que  Basile  Gensoul  était  peintre  de  mérite...  et  qu"il  mourut 
maire  de  Connaux. 

(2)  Valérien  Rey  était  fils  de  Jean  Rey  et  de  Marie-Magdeleine  Granet. 


REY  189 

acheter  des  bijoux  et  une  pacotille  d'objets  de  menu  commerce 
et  se  mit  en  route.  La  mer  ne  lui  fut  point  favorable.  Après 
avoir  essuyé  une  tempête  qui  mit  l'équipage  et  la  cargaison  en 
danger,  le  vaisseau  qui  portait  notre  intrépide  fantaisiste  fut 
attaqué  par  des  corsaires  ;  combat  acharné,  vaisseau  capturé, 
marchandise  pillée  :  Rey  abandonné  avec  bon  nombre  de 
matelots  ou  de  passagers  resta  sur  le  navire  :  on  le  crut  mort... 
Après  cette  catastrophe,  comment  parvint-il  à  Saint-Domin- 
gue ?  nous  l'ignorons.  Seulement,  en  nous  contant  ses  aventures 
et  ses  exploits,  le  vieux  Rey  souriait  au  souvenir  de  ces  belles 
années.  Le  voyageur  fut  accueilli  par  ^L  le  comte  de  la 
Luzerne,  alors  gouverneur  de  Tile  :  son  caractère  heureux,  gai, 
liant,  l'avait  bientôt  fait  prendre  en  affection.  Déplus,  le  jeune 
négociant  possédait,  comme  musicien,  un  talent  remarquable, 
et  la  famille  du  gouverneur  s'était  émue  en  le  voyant  un  jour 
s'emparer  avec  enthousiasme  d'un  violon  qui  était  à  sa  portée 
et  s'empresser  d'exécuter  brillamment  un  grand  air  de  Gluck. 

Dès  lors,  Rey  fut  invité  k  donner  des  leçons  au  jeune  fils  du 
comte  de  la  Luzerne.  Des  familles  françaises  se  disputaient  la 
faveur  de  l'intimité  du  virtuose  :  et  parmi  les  maisons  qu'il 
fréquenta  le  plus  assidûment,  il  citait  celle  de  Madame  veuve 
Nougaret,  dont  la  jeune  fille,  aussi  vertueuse  que  belle,  devait, 
espérait-il,  devenir  sa  compagne. 

Les  années  s'écoulèrent  pour  lui  avec  une  rapidité  désespé- 
rante, tant  il  était  heureux  et  ravi  d'un  bonheur  qui  lui  sembla  it 
devoir  s'éterniser  !  un  concours  de  circonstances  força  notre 
compatriote  à  retourner  en  France  ;  la  vie  d'artiste  n'était  point 
assez  lucrative  pour  ses  beaux  projets  d'établissement.  Il  fit 
voile  vers  l'Europe  :  Madame  Nougaret  lui  avait  confié  un 
trésor  :  son  jeune  fils,  que  M.  Rey  devait  placer  dans  une 
maison  d'éducation.  L'ami  dévoué  remplit  religieusement  son 
mandat  et  veilla  comme  un  père  sur  Tenfant  chéri. 

Tout  semblait  sourire  à  François  Rey,  et  il  caressait  les 
plus  douces  espérances,  lorsque  arriva  d'Amérique  une  nou- 
velle qui    faillit    lui  faire    perdre   la   raison  :    l'ile  de   Saint- 


iqo  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Dominguc  était  en  feu,  les  hommes  de  couleur  révoltés 
proclamaient  leur  indépendance  ;  on  pillait  les  maisons  des 
planteurs,  les  nègres  massacraient  les  colons  français.  Madame 
Nougaret  et  sa  fille  avaient  été  égorgées  (1791).  Comment  Rey 
put-il  supporter  ce  coup  fatal  ! 

Les  temps  étaient  orageux  et  la  tourmente  révolutionnaire 
venait  de  se  déchaîner  sur  la  France  ;  Rey  se  fit  soldat.  Nous 
trouvons  que  dès  le  i3  avril  lyg'i  il  était  nommé  capitaine  au 
S™''  bataillon  des  volontaires  du  Gard  et  que  le  2S  juillet 
suivant  il  obtenait  le  grade  de  chef  de  bataillon.  Le  comman- 
dant fit  la  campagne  des  Pyrénées-Orientales  :  dans  la  plaine 
de  Perpignan,  il  fut  blessé  à  la  jambe  gauche  le  22  septembre 
de  la  même  année  1793. 

Le  17  octobre  1795,  Rey  passe  à  la  7'"'-^  demi-brigade  pro- 
visoire d'infanterie  de  ligne  (i).  Il  allait  quitter  les  côtes 
d'Espagne  pour  se  rendre  à  l'armée  des  Alpes  et  d'Italie.  La 
vie  des  camps,  les  événements  imprévus,  les  périls  de  sa  nou- 
velle existence  ne  lui  faisaient  point  oublier  tout  ce  qu'il  avait 
perdu  à  Saint-Domingue.  L'image  de  sa  fiancée  rayonnait 
maintes  fois  dans  ses  souvenirs. 

Un  jour,  à  Cette,  abandonné  à  toute  l'amertume  de  ses 
regrets,  il  suivait  tristement  les  côtes  de  la  mer,  lorsque  une 
jeune  fille  lui  apparut.  Rey  fut  frappé  de  la  ressemblance  de 
cette  belle  inconnue  avec  Mademoiselle  Nougaret,  et  dès  cet 
instant  il  résolut  de  demander  sa  main.  Peu  de  jours  après,  le 
commandant  se  présenta  à  la  famille  d'un  officier  de  marine, 
très  honorable  d'ailleurs,  mais  dont  la  fortune  n'était  point  en 
rapport  avec  la  sienne.  Rien  n'arrêta  un  enthousiasme  qui  chez 
lui  augmentait  à  la  découverte  de  chacune  des  perfections  chez 
celle  dont  il  sollicitait  le  bonheur  de  devenir  l'époux.  Le 
commandant  fut  agréé,  et  le  9  septembre    1796,    il  épousait, 


(1)  Par  décret  de  janvier  1 79i,  rinfanterie  fui  formée  en  demi-brigade.  Chaque 
demi-brigade  était  composée  d'un  liataiilon  des  anciens  l'égiments  debgneel  de 
deux  bataillons  de  volontaires. 


REY  igr 

lui  officier  supérieur  plein  d'avenir.  Mademoiselle  Hélène- 
Suzanne  Herpin,  jeune  personne  aussi  pieuse  que  distin- 
guée, mais  sans  fortune  (i). 

Suivons  le  commandant  Rey  dans  sa  vie  militaire.  Du  lo 
novembre  1796  jusqu'au  24  Janvier  lyqS,  il  fait  les  campagnes 
des  bords  du  Riiin  ;  il  suit  le  général  Bonaparte  en  Italie. 
Depuis  le  20  janvier  17Q7,  il  venait  de  passer  à  la  23""'^  demi- 
brigade  légère  rz\ 

On  raconte  qu'en  1800,  lors  de  l'entrevue  à  Milan  du 
premier  consul  et  du  pape  Pie  VII,  il  y  eut  un  jour  une  grande 
revue  de  troupes.  Bonaparte  remarquant  le  bataillon  du 
commandant  Rey  dont  les  manœuvres  étaient  irréprochables 
de  précision  et  les  soldats,  d'une  tenue  parfaite,  fit  publique- 
ment Téloge  du  chef  de  cebataillon.  Rey  fut, lelendemain, invité 
à  diner  chez  le  général  ;  il  pénétrait  déjà  dans  la  salle  d'ap- 
parat :  parmi  les  couverts  et  les  places  modestes  il  cherchait 
vainement  son  nom  inscrit.  Désappointé  de  ce  qu'il  croyait 
n'être  qu'un  oubli  ;  le  commandant  s'apprêtait  à  sortir  lorsque 
un  officier  d'ordonnance  l'engagea  à  poursuivre  ses  recherches 
et  à  remonter  vers  le  centre  de  la  table.  En  effet,  sa  place  était 
au  milieu  des  généraux  et  en  face  même  de  celle  de  Joséphine. 
L'épouse  du  général  Bonaparte  lui  fit  bon  accueil  :  elle  prenait 
soin  de  recommander  l'heureux  convive  cà  ses  illustres  voisins  : 
«  Soignez  le  Commandant,  disait-elle,  le  Premier  Consul  a 
été  très  content  de  lui  :  il  en  a  parlé  avec  éloge  au  salon.  » 

Rey  était  un  homme  aimable,  très  heureusement  doué  : 
l'originalité  de  son  caractère,  sa  franche  gaité,  son  instruction 
quelque  peu  encyclopédique  faisaient  rechercher  l'intimité  de 


(1)  La  conduite  du  commandant  Rey  est  digne  d'éloges.  On  dit  que  jusqu'à 
son  dernier  jour  il  ne  cessa  d'enloui-er  les  parents  de  sa  femme  :  Guillaume 
Herpin  et  lîose  Villaret,  de  soins  touchants  et  d'une  déférence  profonde  à  l'égal 
d'un  Jils  pieux  et  dévoué. 

(2)  Devenue  23"'e  régiment  d'infanterie  légère. 


igl  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

ses  relations  ;  à  son  tour,  il  s'attachait,  lui,  profondément  à 
ses  amis.  Il  était  dans  le  23™"  de  ligne  tellement  aimé  de  ses 
collègues  qu'il  préféra  conserver  son  grade  de  commandant 
plutôt  que  d'accepter  le  poste  éminent  de  colonel  dans  un 
nouveau  corps.  Il  n'y  avait  pas  lieu  de  s'étonner  de  ses  succès; 
c'était  une  époque  où  tant  d'officiers  même  illétrés,  atteignaient 
au  grade  de  général  :  le  ministre  de  la  guerre  facilitait  l'avan- 
cement des  sujets  instruits   et  d'une  bravoure  éprouvée. 

En  i8o5  et  1806,  Rey  fit  partie  de  la  Grande-Armée  :  on 
connaît  les  exploits  de  ces  troupes  jusqu'alors  invincibles,  leurs 
victoires  mémorables  à  Austerlitz,  à  léna,  et  les  noms  illustres 
de  cette  époque  glorieuse  :  Ney,  Bernadotte,  Soult,  Lannes, 
Augereau,  Murât...  (i). 

En  1807,  le  commandant  était  en  Allemagne,  à  Eylau,  à 
Friedland,  et  le  18  août  1808  ne  pouvant  continuer  son  service 
à  cause  des  blessures  qu'il  avait  reçues  pendant  de  longues 
années  de  combats,  il  dut  prendre  sa  retraite.  C'est  à  cette 
époque  qu'il  revint  dans  son  pays  natal,  et  qu'il  commença  le 
cours  de  cette  existence  douce  et  enviée  qui  n'a  du  prix  qu'aux 
yeux  des  sages  ou  des  hommes  désillusionnés  de  toutes  les 
séductions  d'un  monde  futile.   Il  vécut  paisiblement  jusqu'en 

1814.  Les  splendeurs  de  Tempire  ne  le  séduisirent  point  : 
partisan  enthousiaste  des  principes  de  8q,  Rey  avait  pris  goût 
à  la  République,  depuis  qu'il  avait  vu  tant  de  rois,  répétait-il 
gaiement  avec  le  poète  chansonnier.  Mais   après  le    i*^""  mars 

181 5,  au  retour  de  l'ile  d'Elbe,  le  général  Gilly  se  souvenant 
de  l'ancien  patriote  de  Connaux,  nomma  François  Rey,  com- 
mandant de  place  à  Aiguesmortes. 

A  la  seconde  Restauration  Rey  jugea  prudent  de  se  cacher  : 


(1)  Nous  ne  pouvons  rappeler  froidement  cette  grande  épopée  de  l'Empire, 
bien  (jue  la  guerre  de  conquête  (trop  souvent  injuste)  nous  soit  antipathique.  Il  y 
a  toujours  un  côté  séduisant  dans  ce  que  l'on  appelle  la  gloii'e  militaire. 
Cependant  nous  préférerions  mille  fois  voir  les  sommes  considérables  destinées 
à  entretenir  nos  armées,  employées  à  des  fondalionsplus  utiles  au  bien-être  des 
masses. 


la  réaction  ro^yaliste  était  toute  puissante  en  P'rance  et  parti- 
lièrenient  dans  nos  contrées.  Les  bonapartistes  (i)  eurent  à 
souftrir  et  expièrent  leur  attachement  aux  idées  libérales  et  à 
l'empereur  déchu. 

Au  village,  le  calme  semblait  se  rétablir  pendant  cette 
période  de  quinze  années  de  Tère  bourbonnienne.  Re}^  était 
revenu  à  ses  travaux  préférés,  lorsque  l'orage  éclata  de  nou- 
veau en  i83o.  Le  commandant  Rey  arbora,  le  premier,  le 
drapeau  cher  à  ses  souvenirs.  On  le  nomma  maire  de  Connaux, 
il  déploya  dans  l'exercice  de  ces  fonctions  honorables  toute 
l'activité  dont  il  était  capable.  Connaux  lui  est  redevable  de 
nombreuses  et  importantes  améliorations  :  nous  ne  citerons 
que  le  partage  des  Côtes  :  morcellement  d'un  terrain  com- 
munal, alors  en  friche  et  rendu  aujourd'hui  à  la  culture.  Afin 
d'arriver  à  ce  but,  rien  ne  fut  négligé,  Rey  entreprit  à  ses  frais, 
un  voyage  à  Paris  pour  plaider,  lui-même,  au  ministère,  la 
cause  de  ses  administrés  ;  ses  efforts  furent  couronnés  d'un 
plein  succès. 

Peu  d'années  après,  son  vieil  ami  Bazile  Gensoul  lui  succéda 
à  la  mairie.  Le  libéral  de  iS3o  dût  céder  la  place  au  chef  du 
parti  légitimiste  :  les  deux  compatriotes  n'avaient  plus  entr'eux 
d'autre  trait  d'union  qu'une  conformité  d'âge  et  de  goûts 
artistiques,  Rey  était  populaire  ;  son  intarissable  générosité  en 
faisait  un  tj^pe  distinct.  Les  pauvres  avaient  la  plus  large  part 
de  son  revenu.  A  sa  mort,  le  (3  août  1840,  il  ne  possédait  que 
sa  maison  et  son  atelier  (2).  Le  commandant  Rey  conserva 
jusqu'à  son  dernier  jour  cette  sérénité  d'humeur  si  précieuse 
dans  le  commerce  habituel  de  la  vie  et  si  rare  chez  les  hommes 
qui  ont  contracté  de  longue  date  l'habitude  du  commandement. 
Aussi  la  mémoire  de  cet  homme  de  bien,  serviable  et  affectueux, 

(1)  On  confondait  sous  ce  nom  tous  ceux  ((ui  n'élaient  pas  ardemment  atta- 
chés au  parti  de  Louis  XVIII. 

(2)  L'atelier  de  M.  Rey  fut  acheté  à  vil  prix.  Albau  Broche  qui  l'obtint  pour  la 
somme  de  800  francs,  le  revendit  à  des  amateurs  étrangers. 

T.    II  lo 


1 94 


NOTICES    BIOGRAPHIQUES 


a-t-elle  été  bénie  par  ses  compatriotes  et  surtout  par  tous  les 
nécessiteux  de  la  commune  qu'il  se  plaisait  à  soulager  assi- 
dûment. 

Rey  perdit  ses  enfants  en  bas-âge  \    sa  compagne,  de  vingt 
ans  moins  âgée  que  lui  ,   mourut    à   Connaux  le    3o   octobre 

i855. 


RIVAROL  (ANTOINE) 

LITTÉRATEUR 

Né  à  Bagnols  le  26  juin  ij53 
Mort  à  Berlin  (Prusse)  le  11  avril  1801 


I  dans  le  monde  les  hommes  brillants  obtiennent  plus 
de  succès  que  les  hommes  utiles,  c'est  qu'on  se  laisse 
trop  souvent  séduire  par  la  forme  et  que  l'on  re- 
cherche très  peu  le  fond.  Le  plus  grand  nombre 
s'incline,  comme  ébloui,  devant  la  trace  lumineuse  d'un  rayon 
de  gloire  et  peu  de  gens  se  soucient  de  mesurer  la  profondeur 
d'une  source  de  bienfaisance  et  de  charité.  Osons  le  dire,  ici, 
hautement  :  nous  préférons  le  travailleur  humble  et  modeste 
aux  héros  des  batailles,  aux  illustrations  de  la  science  et  des 
arts...  et  pourtant,  ces  différentes  natures  d'hommes  sont  né- 
cessaires pour  former  une  société  parfaite.  Rendons  loyalement 
justice  à  chacun  d'eux. 

L'homme  dont  nous  allons  essayer  d'esquisser  la  vie  mon- 
daine ou  recueillie,  passe  aux  yeux  de  tous,  pour  la  première 
célébrité  bagnolaise.  En  effet,  il  n'y  a  pas  de  dictionnaire 
géographique  qui,  en  citant  Bagnols,  n'ajoute  :  «  Patrie  de 
Rivarol,  »  Quel  était  donc  ce  personnage  si  renommé  à  la  fin 
du  siècle  dernier  ? 

Ce  fat  un  beau  parleur,  un  causeur  spirituel,  un  épigramma- 


IC)6  NOTfCES    r.IOGRAPHIQUES 

tiste  éblouissant,  comme  l'a  appelé  Lamartine  ;  ce  fut,  au  dire 
de  Voltaire,  lui-même  :  «  le  Français  par  excellence.  « 

On  a  beaucoup  écrit  sur  cet  homme  aimable,  tout  à  la  fois 
philosophe,  littérateur,  poète  et  écrivain  distingué.  Il  a  laissé 
de  nombreux  ouvrages,  (des  opuscules  plutôt^  traitant  différents 
sujets,  tantôt  sérieux,  tantôt  futiles  ;  plus  satiriques  qu'élogieux 
mais  toujours  étincelants  d'esprit.  Rivarol,  nous  le  savons,  n'est 
point  un  écrivain  de  premier  ordre  ;  toutefois,  son  œuvre  reflète 
d'une  façon  précise  son  époque,  son  siècle  et  le  milieu  où  il  a 
vécu.  A  cause  de  son  esprit  plus  sarcastique  que  méchant, 
Rivarol  eut  peu  d'amis  sincères,  mais  il  comptait,  parmi  les 
envieux  et  les  jaloux,  de  nombreux  ennemis  acharnés.  Son  exis- 
tence s'est  écoulée  au  milieu  des  délices  de  certaines  intimités 
et  dans  les  angoisses  de  l'imprévu.  Il  a  goûté  des  jouissances 
sans  nombre  mais  incomplètes  :  il  a  subi  des  châtiments 
cruels  infligés  à  son  amour  propre  froissé  et  à  sa  vanité  exces- 
sive. 

D'où  venait  ce  beau  jeune  homme,  plein  d'enthousiasme  et 
de  distinction,  dont  la  figure  gracieuse  et  le  charme  de  toute 
sa  personne  provoquaient  la  plus  vive  sympathie  ? 

—  Il  se  nommait  :  comte  de  Rivarol.  A  peine  sorti  de  sa  pro- 
vince, en  1774  (i),  on  le  voyait  à  Paris,  vivant  déjà  au  milieu  de 
gentilshommes,  d'artistes,  de  philosophes  et  d'érudits.  Son  en- 
trée dans  le  monde  fut  presque  un  événement.  «  Présente  dans 
un  salon,  il  y  est  remarqué  le  premier  jour,  admiré  le  second  et 
célèbre  le  troisième,  disait-onde  cette  étonnante  personnalité.  » 

Rivarol,  Antoine,  naquit  à  Bagnols  (en  Languedoc),  le  2(5 
juin  1753,  de  Jean-Baptiste,  fabricant  de  soie  et  de  Catherine 
Avon,  de  Laudun  (2). 

(1)  A  la  lin  de  1774,  il  descendit  à  l'iiôtel  d'Espagne,  où  il  se  lit  appeler  le 
chevalier  Déparcieux,  se  disant  de  la  famille  du  savant  mathématicien  ;  un 
neveu  de  son  compatriote  le  força  à  reprendre  son  nom  de  Rivnrol. 

(2)  Marié  le  2()  septemhie  1752^  son  père  était  fils  d'Antoine,  inibcrgisie,  et 
de  Jeanne  lîonnet  (Arcli.  de  Dagnols).  11  y  a  lieu  de  douter  qu'ils  aient  pu  faire 
élever  leur  lils,  Jean-Daptiste,  à  Paris,  mais  hien  plutôt  à  Bngnols,  chez  les  pères 
Josépliites. 


ANTOINE    RIVA  ROI.  I97 

On  citait  Jean-Baptiste,  son  père,  comme  un  liomme  instruit  : 
il  avait,  disait-on,  étudie'  les  belles  lettres  à  Paris.  Après  avoir 
lui-même,  tenu,  rue  des  Peyrières  (i),  une  auberge,  qu'il  se 
vit  forcé  de  fermer,  parce  qu'il  lit  payer  soixante  livres,  un 
bouillon,  à  un  voyageur  inconnu  (2).  Il  dut  utiliser  ses  talents 
littéraires  et  réunir  autour  de  lui,  quelques  élèves  auxquels  il 
enseigna  la  langue  latine  (3). 

Comme  le  prétendait  son  fils  Antoine,  Jean  Rivarol  était-il 
noble  :  descendait-il  de  la  Casa  Rivarola,  maison  illustre  ori- 
ginaire de  Parme  (4'  ?  Nous  ne  saurions  l'affirmer  :  les  titres 
de  noblesse  ont  été  tant  de   fois    malicieusement  contestés  à 


(1)  Aujourd'hui  rue  Rivarol,  Uo  25. 

(2)  On  raconte  qu'un  voyageur  lit  arrêter  sa  chaise  à  l'auberge  des  Trois 
Pigeons,  et  qu'il  demanda  un  potage  :  l'hôtelier  rançonna  l'inconnu  et  lui  fit 
payer  soixante  livres.  Arrivé  à  Nîmes,  le  personnage  qui  n'était  autre  que  le 
sous-intendant  de  la  Province,  donna  des  ordres  pour  faire  fermer  l'auberge  de 
Rivarol. 

(3)  L'auteur  de  ces  notices  conserve  encore  les  cahiers  d'éludé  de  son  père 
Pierre  Alègre.  Ce  sont  des  versions  tirées  des  Odes  d'Horace  et  de  l'Enéide  de 
Virgile. . .  le  dernier  des  élèves  de  Rivarol  vivait  encore  en  1871. 

Rivarol  avait  maiié  une  de  ses  filles  avec  M.  Faguet,  professeur  au  collège  de 
Bagnols. 

Aux  ar!;hives  de  Bagnols^  nous  lisons  qu'en  1773  Jean  Rivarol  fut  nommé 
inspecteur  des  travaux  du  pont  de  Pigeaudon  ;  que  le  2  messidor  an  11,  il  était 
chargé  de  recevoir  les  déclarations  dos  propriétaires  pour  las  fourrages,  destinés  à 
l'approvisionnoment  de  l'armée  des  Pyrénées-Orientales,  et  que  le  1  Thermidor 
suivant,  par  arrêté  du  Salul  public,  il  est  chargé  de  l'assainissement,  embellisse- 
ment et  amélioration  des  communes  du  canton. 

[I)  Et  dont  les  descendants^  alliés  aux  plus  grandes  familles  d'Italie,  de  Sicile, 
de  Corse  et  d'Espagne,  ont  vécu  soit  à  Gênes,  à  Chiavari  ou  à  Madrid. 

Les  armes  des  Rivai'o!  étaient  un  leone  d'oro  in  campo  verniglio.  Lorsque  en 
lit)!)  l'empereur  Maximilien  1,  logea  à  Chiavari  chez  Gr.  Rivarol,  le  prince 
octroya  le  titre  de  comte  Palatin  et  l'aigle  impérial  couronné. 

Des  recherches  furent  faites  par  André  Justet,  employé  à  l'intendance^  alors  à 
Vintimille. 

Rivarol  a  toujours  prétendu  que  son  père,  après  les  guerres  de  la  succession 
s'établit  à  Nîmes  vei's  1720,  qu'il  y  épousa  une  cousine  de  Déparcieux,  et  (pi'il 
vint  à  IJagnols  acheter  l'aulierge  des  Trois  Pigeons.  —  Il  est  à  remanpicr  que  le 
nom  de  Rivarol  et  Rouvetjroii,  forme  de  l'idiome  populaire,  apparaît  sur  les 
registres  de  l'état  civil  jusqu'à  la  date  do  1(130  où  un  Rivarol  est  dénommé  voi- 
turier. 


198  NOTICES     BIOGRAPHIQUES 

Tccrivain.  Tout  le  monde  sait  que  ce  fut  en  en  faisant  un  éta- 
lage immodéré  qu'il  s'attira  beaucoup  d'ennemis  (i). 

Le  jeune  Antoine  montrait  les  plus  heureuses  dispositions 
pour  l'étude.  Son  père,  après  l'avoir  confié  momentanément 
aux  Joséphites,  de  Bagnols,  qui  en  firent  un  capélané,  le  plaça 
au  séminaire  de  Sainte-Garde,  à  Avignon  :  c'est  là  qu'il  prit  le 
petit  collet.  Mais  la  fortune  de  Jean  Rivarol,  peu  en  rapport 
avec  l'espérance  qu'il  avait  en  l'avenir  de  son  fils  était  telle- 
ment modeste  que  l'aubergiste  se  vit  dans  la  nécessité  de 
suspendre  l'envoi,  jusqu'alors  régulier,  de  sa  pension  alimen- 
taire. L'élève  allait,  à  regret,  quitter  l'établissement  lorsqu'il 
se  hasarda  à  confier  ses  peines  à  l'évêque  de  Cavaillon.  Mgr 
des  Achards  de  la  Baume  touché  de  sa  candeur  et  de  sa 
franchise  rassura  l'enfant,  et  lui  promit  de  se  charger  du  soin 
de  pourvoir  à  ses  besoins,  l'évêque   charitable  tint  parole  (2). 

L'abbé  Rivarol  avait  résolu  de  se  rendre  à  Paris.  Quelques 
biographes  ont  avancé  qu'à  sa  sortie  du  séminaire,  il  désirait 
se  faire  soldat;  qu'après  avoir  bientôt  abandonné  la  carrière 
des  armes,  il  s'était  arrêté  à  Lyon,  où  il  entra,  comme  clerc, 
chez  un  procureur.  Ces  deux  professions  n'étaient  point  dans 
les  gOLits  du  futur  littérateur  :  un  instinct  secret  le  poussait 
vers  la  capitale. 

(1)  Voir  les  ôcrits  de  Cliampfort,  de  Chénier,  de  Cliampcenetz. ..  Rivarol  par- 
lant un  jour  de  la  Révolution,  s'écriait  dans  un  salon  :  «  nous  avons  perdu  nos 
droits  !»  M.  de  Créqni  disait  à  voix  basse  :  «  nous  avons  !  . .  Eli  Ijien  !  reprit 
Rivarol,  qu'est  ce  que  vous  trouvez  de  singulier  dans  ce  mot  ?  —  C'est  votre  plu- 
riel que  je  trouve  singulier,  répondit  M.  de  Créqui.  » 

(2)  Mgr  Louis-Joseph  Crispin  des  Achards  de  Lahaunie,  d'Avignon,  était  un 
prélat  cité  comme  un  luodHe  de  honte  et  de  douceur  apostolique,  il  donnait  tout 
aux  pauvres.  Ce  saint  évècjue  mourut  à  Lyon  en  1793.  Après  avoir  été  prévôt 
du  chapitre  méiropolitain  d'Avignon,  il  fut  nommé  par  le  pape  Clément  XIII  au 
siège  de  Cavaillon,  et  sacré  à  Rome  le  21  février  1761 .  L'œuvre  de  Sainte-Garde, 
dont  le  premier  .supérieur  généi-al  fut  M.  de  Salvador  qui  fonda  à  Avignon  le 
séminairede  la  congrégation,  était  un  élahlissemenl  dans  lequel,  comme  à  Saint- 
Charles,  on  enseignait  la  philosophie  et  la  théologie.  Ces  séminaires  furent  admis 
comme  académiques  par  l'Université  d'Avignon  :  leurs  auditeurs  pouvaient  y 
prendre  leurs  grades,  A  répoijue  où  liivai'ol  était  élève,  le  supérieur  était 
M.  Lamherlin.  —  Nous  devons  ces  détails  à  l'ohligeani^e  d'un  érudit  Avignonais  : 
M.  lahhé  Correnson. 


ANTOINE    RIVAROL  I99 

On  raconte  que  peu  après  son  arrivée,  se  promenant  au 
jardin  du  Luxembourg  il  fut  attire  par  un  groupe  de  curieux 
qui  regardaient  une  méridienne  nouvellement  tracée  sur  la 
façade  du  palais.  Chacun  hasardait  son  opinion  et  faisait  parade 
de  science.  Surpris  d'entendre  tant  d'erreurs  émises,  souvent 
avec  outrecuidance  ou  fatuité,  le  jeune  méridional  prit  la 
parole  et  développa  la  théorie  du  gnomon.  Ses  explications 
sur  les  lignes  droites  et  les  courbes,  sur  le  retour  périodique 
du  soleil  à  tel  point  précis,  sur  l'heure  sidérale  et  le  temps 
mo3'en,  tout  était  dit  avec  une  clarté  et  une  facilité  telles 
qu'après  la  démonstration  la  foule  battit  des  mains  et  remercia 
le  savant  inconnu. 

En  ce  moment  Rivarol  se  sentit  frappé  légèrement  sur 
l'épaule,  il  se  retourna  et  vit  un  vieillard  de  petite  taille,  à  l'œil 
vif  et  pénétrant,  à  la  physionomie  intelligente  qui  lui  dit  :  — • 
C'est  très-bien.  Monsieur  l'abbé,  je  vous  félicite  sur  la  manière 
dont  vous  avez  traité  une  c^uestion  à  laquelle  vous  n'étiez  pro- 
bablement pas  préparé  :  vous  destinez-vous  à  la  science  ?  — ■ 
Monsieur,  permettez-moi  de  vous  remercier  d'abord  de  votre 
bienveillance  ;  quant  à  mes  projets  à  venir,  vous  me  voyez 
encore  incertain  ;  je  suis  venu  à  Paris,  espérant  me  faire  une 
place  dans  le  monde.  J'avoue  cependant  que  mon  esprit  penche 
plutôt  vers  la  littérature  que  vers  les  sciences  exactes. 

—  Mais,  répond  le  petit  vieux,  j'aime  aussi  beaucoup  les 
lettres  :  venez  me  voir  ajouta-t-il  en  lui  présentant  son  adresse, 
je  serai  enchanté  de  vous  donner  des  marques  de  l'intérêt  que 
vous  m'inspirez  :  c'est  moi  qui  ai  fait  construire  ce  cadran 
solaire,  je  suis  d'Alembert  (i).  » 

Dans  les  salons  du  savant  encyclopédiste,  Rivarol  fit  connais- 
sance avec  plusieurs  célébrités  contemporaines.  Ses  admirateurs 
ont  recueilli  les  bons  mots,  les  traits  piquants  dont  il  était 
prodigue   et  qu'il    répandait  avec    une    sorte   de  fatuité  trop 


(1)  Extrait,  des  Mémoires  de   M.  Victor  de  liaunieforl,  qui  a  raconté  le  même 
fait  en  vers  éléiïants. 


200  NOriClCS    ISlOCiR  A  PHIQUES 

rarement  dissimulée  (i)  :  nous   en  donnons  ici  un  choix  varie 
parmi  tant  d'autres  : 

—  C'est  à  Paris  que  la  providence  est   plus  grande  qu'ail- 
leurs. 

—  Un  livre  qu'on  soutient  est  un  livre  qui  tombe. 

—  Delille  est  Tabbé  Virgile. 

—  Il  n'}'  a  rien  de  si  absent  que  la  présence  d'esprit. 

—  Le  mépris  doit  être  le  plus  mystérieux  de  nos  sentiments. 

—  Les  nobles  d'aujourd'hui  ne  sont  que  les  mânes  de  leurs 
ancêtres. 

—  C'est  un  terrible  avantage  que  de  n'avoir  rien  fait,  mais 
il  ne  faut  pas  en  abuser. 

— ■  Voltaire  a  employé  la   mine  de  plomb  pour  Tépopée,  le 
crayon  pour  l'histoire  et  le  pinceau  pour  la  poésie. 

—  J'aime   mieux  Racine   que   Voltaire,   par   la   raison  que 
j'aime  mieux  le  jour  et  les  ombres  que  l'éclat  et  les  taches. 

—  Lire  Barème,  écouter  Arnaud  et  mal  dîner,  voilà  ce  que 
je  léguerai  à  mes  ennemis. 

— •  M"'''  de  Staël  est  la  bacchante  de  la  Révolution. 

—  Mirabeau  est  capable  de  tout  pour  de  l'argent,  même 
d'une  bonne  action. 

—  Le  chat  ne  nous  caresse  pas,  il  se  caresse  à  nous. 

—  L'imprimerie  est  l'artillerie  de  la  pensée. 

—  Champcenetz  :  c'est  mon  clair  de  lune. 

—  L'avare  est  le  pauvre  par  excellence  ;  c'est  l'homme  le 
plus  sur  de  ne  pas  être  aimé  pour  lui-même. 

—  L'envie  qui  parle  et  qui  crie  est  toujours  maladroite,  c'est 
l'envie  qui  se  tait  qu'on  doit  craindre. 

— ■  L'or,  semblable  au  soleil  qui  fond  la  cire  et  durcit  la  boue, 
développe  les  grandes  âmes  et  rétrécit  les  mauvais  cœurs. 

—  Les  proverbes  sont   le  fruit    de   l'expérience  de  tous  les 

(1)  Il  a  (''(é  publié  une  biochure,  Rlvaroliami,  (jui  eu  coulieul  un  très  gi'and 
nombre.  Voir  le  volume  qui  parut  sous  le  litre  :  Œuvres  de  Rivnrol,  études 
sur  sa  vie  et  son  esprit,  par  Sainle-Deuve,  Arsène  Houssaye,  Aimand  Mali- 
tourne,  —  Maximes  e(  pensées,  p.  41.  Édit.  P.  Didier^  \H52, 


ANTOINE    RIVAROL  201 

peuples,  et  comme  le  bon  sens  de   tous  les  siècles   réduit  en 
formules. 

—  L'homme  passe  sa  vie  à  raisonner  sur  le  passé,  à  se 
plaindre  du  présent,  à  trembler  pour  l'avenir. 

—  Ceux  qui  empruntent  les  tournures  des  anciens  auteurs 
pour  être  naïfs,  sont  des  vieillards,  qui,  ne  pouvant  parler  en 
hommes,  bégaient  pour  paraître  enfants. 

Rivarol  disait  des  vers  de  François  de  Neufchàteau  :  c'est 
de  la  prose  à  laquelle  les  vers  se  sont  mis. 

—  Sur  Brigand-Baumier  qui  avait  écrit  contre  lui  :  —  il 
m'a  donné  uu  coup  de  pied  de  la  main  dont  il  écrit. 

—  Il  disait  du  Chevalier  de  P.  d'une  malpropreté  remar- 
quable :   «  Il  fait  tache  dans  la  boue. 

Et  dans  un  autre  ordre  d'idées  : 

—  Quand  le  peuple  est  plus  éclairé  que  le  trône,  il  est  bien 
près  d'une  révolution.  »  C'est  ce  qui  arriva  en  1789,  où  le 
trône  se  trouva  éclipsé  au  milieu  des  lumières. 

—  Les  vices  de  la  cour  ont  commencé  la  Révolution,  les 
vices  du  peuple  l'achèveront. 

—  Le  corps  politique  est  comme  un  arbre  :  à  mesure  qu'il 
s'élève  il  a  autant  besoin  du  ciel  que  de  la  terre. 

—  Tout  état,  si  j'ose  le  dire,  est  un  vaisseau  mystérieux, 
qui  a  ses  ancres  dans  le  ciel. 

— •  Il  faut  au  peuple  des  vérités  usuelles  et  non  des  abstrac- 
tions. 

—  Voltaire  a  dit  :  plus  les  hommes  seront  éclairés,  et  plus 
ils  seront  libres  ;  ses  successeurs  ont  dit  au  peuple  que  «  plus 
il  serait  libre,  plus  il  serait  éclairé  -,  »  ce  qui  a  tout  perdu. 

—  Les  peuples  les  plus  civilisés  sont  aussi  voisins  de  la 
barbarie  que  le  fer  le  plus  poli  l'est  de  la  rouille.  Les  peuples, 
comme  les  métaux  n'ont  de  brillant  que  les  surfaces. 

— ■  Pour  empêcher  les  horreurs  d'une  révolution  inévitable, 
il  eut  fallu  la  faire  soi-même. 

—  La  sottise  mérite  toujours  ses  malheurs, 


202  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Nous  nous  sommes  souvent  demandé  comment  Riv^arol, 
dans  sa  jeunesse,  avait  su  développer  les  facultés  de  son  esprit 
naturel  :  un  esprit  allié  à  une  érudition  profonde  et  à  l'art 
de  bien  dire  ?  —  Voici,  selon  nous,  la  réponse. 

Cette  partie  de  la  nation  française,  au  cœur  de  laquelle  le 
sang  des  vieux  gaulois  bouillonne  encore,  les  méridionaux  enfin, 
sont  renommés  comme  un  type  accentué. 

L'instruction  aidant,  la  culture  de  leur  belle  intelligence  se 
développe  et  certains  hommes  du  midi  se  sont  distingués 
à  Paris  même,  à  ce  foyer  de  la  science,  de  l'art,  de  la  pu- 
reté de  goût  et  du  charme  de  la  sociabilité.  Il  nous  serait 
facile  de  citer  plus  d'un  nom  célèbre.  Pour  Rivarol,  nous 
croyons  avoir  trouvé  l'origine  de  ce  développement  simultané 
du  g'oût  et  de  l'esprit,  du  tour  piquant  de  ses  pensées  pro- 
fondes, toujours  imagées,  toujours  incisives.  A  ceux  qui  ne 
connaissent  que  son  œuvre,  Rivarol  semble  avoir  dû  passer  de 
longues  journées  à  lire  les  classiques  anciens  et  modernes,  à 
se  nourrir  de  leurs  écrits  substantiels,  à  butiner  le  miel  exquis 
des  uns,  à  s'assimiler  la  forme  épigrammatique  des  autres  ; 
pour  nous,  il  nous  est  difficile  de  croire  que  notre  compatriote 
ait  été  assez  travailleur  pour  avoir  mené  cette  tâche  à  bonne 
fin  \  Antoine  était  aimable  et  léger  tout  à  la  fois,  même  dans 
sa  ville  natale  il  recherchait  passionnément  les  plaisirs  et  les 
joies  frivoles. 

A  quelle  source  a-t-il  donc  puisé,  sans  etlbrts  ?  nous  étions 
jaloux  de  l'apprendre,  quand  un  heureux  hasard  nous  a  mis 
sur  la  voie. 

En  1834,  Madame  François  de  Rivarol,  vint  à  Bagnols  et 
procéda  à  la  vente  de  son  domaine  de  Fontbelle  (i).  Là  se 
trouvait  encore  la  bibliothèque  de  la  famille.  Les  livres  furent 
dispersés  :  nous  en  achetâmes  une  grande  partie.  Parmi  ceux 
de  notre  choix  se  trouvait  un  petit  volume  in-32,  imprimé  à 
Paris  en  1689.    Il  portait,  au   premier  feuillet /'t'.v-//i^r/5  delà 

(I)  Dont  nous  parlerons  })lus  lard.  V.  .\ot.  hiog-.  de  François  de  r.ivarol. 


ANTOINE    RIVAROL 


2o3 


maison  ;  et  le  mot  Rivarol,  trace  par  une  plume  Juvénile,  se 
trouvait  écrit  sur  la  tranche  médiane  des  feuillets.  Le  volume 
portait  quelques  annotations  et  témoignait  qu'il  avait  été  lu  et 
relu  assidûment. 

Ce  livre,  sans  nom  d'auteur,  avait  pour  titre  :  Pensées  ingé- 
nieuses des  anciens  et  des  modernes.  Ce  sont  des  citations  d'un 
choix  parfait  des  textes  d'Ovide,  de  Sénèque,  de  Martial,  des 
Grecs  et  des  Latins  du  règne  d'Auguste  ;  il  y  a  des  mots 
spirituels  tirés  de  Bussy-Rabutin,  de  Madame  Dacier ,  de 
Marot,  Lafontaine,  Despréaux,  des  auteurs  italiens  et  espa- 
gnols, suivis  de  pensées  détachées  de  tous  les  philosophes,  les 
rhéteurs,  les  orateurs  chrétiens  célèbres  sous  le  grand  roi  Louis 
XIV.  Il  est  incontestable  que  la  lecture  Journalière  d'un  tel 
recueil,  a  dû  exercer  une  certaine  impression  sur  le  génie  de 
Rivarol  ;  il  nous  paraît  avéré  que  ce  dernier  a  comme  moulé 
son  esprit  dans  le  creuset  qu'il  pouvait  avoir  facilement  et  à 
toute  heure  sous  la  main. 

Quelques  recherches  bibliographiques  confirmèrent  bientôt 
notre  opinion  :  elles  nous  apprirent  que  le  vieux  bouquin  était 
l'œuvre  du  père  Bouhours  (i  i  \  que  ce  savant  et  spirituel  auteur 
avait  publié  un  grand  nombre  d'ouvrages,  entr'autres  la  Manière 
de  bien  penser  ;  que  Basnage  disait  du  livre  favori  de  Rivarol  : 
«  les  pensées  des  anciens  sont  cousues  avec  du  fil  d'or  et  de 
soie  \  ))  que  Madame  de  Sévigné  Jugeait  ce  Jésuite  érudit  par  ce 
mot  :  «  l'esprit  lui  sort  par  tous  les  pores.  »  De  Rivarol,  ses 
contemporains  n'ont-ils  pas  porté  le   même  Jugement  ?    Nous 


(1)  Dominique  Bouhours,  né  à  Paris  en  1638,  entra,  à  seize  ans,  dans  la 
Compagnie  de  Jésus  ;  d  professa  les  luimanilés,  la  rhétorique  et  se  lança  dans 
la  tarrière  des  lettres.  —  Ses  œuvres  :  Doutes  sur  la  Langue  française,  Nom- 
velles  remarques  sur  la  Langue  française,  Traduction  du  Nouveau  Testament, 
etc.,  etc. 

Ce  jésuite  hel  esprit,  précurseur  de  Rivarol,  s'était  attiré  beaucoup  d'en- 
nemis à  cause  des  critiques  amères  dont  il  accablait  les  littérateurs  de  son 
temps.  C'est  au  Père  Bouhours  qu'on  prête  ce  mot  original  et  sans  doute  apo- 
cryphe, d'un  agonisant  qui  veut  mourir  en  grammairien  :  «  Je  m'en  vas  ou  je 
m'en  vais,  car  l'un  et  l'autre  se  disent,  o  Bouhours  mourut   à  Paris   en  1702, 


204  NOTICES    lîIOGRAPHIQUES 

pourrions  donc,  sans  crainte,  affirmer  que  l'élève  avait  été,  un 
siècle  plus  tard,  digne  d'un  tel  maître. 

Avec  le  père  Bouhours,  Rivarol  avait  plusieurs  points  de 
ressemblance  sur  lesquels  il  n'y  a  pas  lieu  d'insister  ici.  Mais 
suivons  notre  compatriote  dans  le  cours  de  ses  travaux  litté- 
raires, tout  en  rappelant  sa  vie  scandaleuse  de  sybarite.  C'est 
en  écoutant  la  paresse,  cette  mauvaise  conseillère,  que  Rivarol, 
si  bien  doué,  finit  ses  jours  sans  avoir  rien  produit  de  réel- 
lement sérieux  et  di^ne  de  sa  brillante  oro:anisation.  Il 
courait  les  salons  et  savourait  les  plaisirs  dont  il  était 
insatiable.  Il  ne  se  levait  que  dans  l'après-midi,  perdait 
encore  de  longues  heures  à  sa  toilette  et  reprenait  le  cours 
de  sa  vie  mondaine.  Cette  façon  de  vivre  était  devenue 
proverbiale.  «  Rivarol,  disait-on,  vivait  aux  dépens  de  ses 
amis  que  séduisait  le  charme  de  sa  parole  et  de  ses  ennemis 
qui  craignaient  sa  verve  sarcastique.  C'était  une  sorte  d'Ado- 
nis, style  du  temps,  ou  de  Lovelace-bohème,  comme  on  dirait 
aujourd'hui. 

Enfin,  à  la  date  de  1782  le  littérateur  trouva  sa  voie  :  la 
critique.  Il  essaya  de  pourvoir  à  l'exiguité  de  ses  ressources 
par  le  produit  de  ses  œuvres  écrites.  C'est  d'abord  sous  le  voile 
de  l'anonyme  qu'il  débuta.  Il  attaqua  l'abbé  Dclille,  alors  à 
l'apogée  de  sa  gloire.  Le  poème  des  Jardins  devint  l'objet  de 
ses  critiques  acerbes.  Le  chantre  de  V Imagination  et  de  la 
Pitié  ne  peut  trouver  grâce  devant  la  verve  caustique  et  in- 
tarissable du  pamphlétaire.  Bientôt  après,  son  cousin  de  Bar- 
rucl-Bcauvcrt,  —  un  autre  confite  bagnolais,  —  signa  le 
dialogue  entre  le  chou  et  le  navet,  pitoyable  plaisanterie  (i) 
dont  les  vers  étaient  certainement  bien  inférieurs  à  ceux  du 
poète  des  Jardins. 

En    1783    parut,    encore    anonyme,     la     lettre    à    M.    le 
Président    *  *  *    sur    le    globe    aérostatique     et    sur   les   têtes 

(I)  IJ'aiilres  ToiU  aiipelé  un  chef-d'œuvre  de  pure  plaisanterie  :  Lu  Plutrièrc 
dit  que  c'est  une  débauche  d'esprit. 


A  N  y  O  I  X  I-:    R  I  VA  R  O  L  2  O  ?i 

parlantes  (i),  etc.,  etc.  C'est  un  pur  bavardage,  un  étalage  scienti- 
fique plein  de  prétention  à  propos  de  la  première  ascension  d'une 
Montgolfière.  —  27  août.  —  L'écrivain  méridional,  presque  le 
compatriote  de  l'inventeur  des  ballons,  adressa  son  écrit  à  ses 
jeunes  amis  de  Bagnols,  lesquels  réussirent,  un  an  plus  tard,  à 
réaliser  dans  le  pa\^s,  une  entreprise  alors  si  périlleuse  (2). 

Cependant  Rivarol  se  hasarda  à  écrire  sur  un  sujet  plus 
sérieux.  L'académie  de  Berlin  venait  de  mettre  au  concours  : 
l'Universalité  de  la  langue  française  :  c'était  en  1784.  Par  ce 
programme  une  société  savante  étrangère  semblait  glorifier  le 
génie  delà  France  dont  l'ascendant  moral  n'avait  été  amoindri 
ni  par  les  hontes  de  la  régence,  ni  par  les  humiliations  du 
règne  de  Louis  XV.  Rivarol  écrivit  son  discours  célèbre. 
Lorsque  cette  œuvre  fut  rendue  publique,  le  roi  Frédéric 
honora  l'auteur  d'une  lettre  flatteuse  :  il  n'y  eut  qu'un  cri 
d'admiration.  On  ne  connaissait  Rivarol  que  comme  le  plus 
fin,  le  plus  aimable  et  le  plus  enjoué  des  causeurs  ;  «  il  venait 
de  se  révéler  un  penseur  sérieux...  »  Telle  est,  du  moins, 
l'opinion  exprimée  par  un  biographe  moderne...  (3).  Toute- 
fois, l'auteur,  M.  Curnier  est  loin  d'approuver  sans  réserve  le 
discours  qui  fut  cause  de  l'entrée  de  Rivarol  à  l'Académie  de 
Berlin,  il  blâme  le  défaut  complet  de  méthode,  citons  le  texte  : 

(1)  Les  tètes  parlantes  de  J'abbé  Mical  étaient  en  airain,  munies  de  claviers 
qui  permettaient  à  l'habile  mécanicien  de  produire  tous  les  sons  et  les  intona- 
tions de  la  langue  française.  Il  était  possible  de  répéter,  à  volonté,  une  phrase, 

un  discours «  Les  langues  mortes,  le  grec,  le  latin,  ne  nous  offrent  que  des 

signes  morts  auxquels  on  ne  pourrait  redonner  la  vie  qu'en  y  attachant  la  pro- 
nonciation qui  les  animait  autrefois Nous  ignorons  la  valeur  que  ces  peuples 

donnaient  à  leurs  lettres  et  à  leurs  syllabes. . .  Si  l'antiquité  eut  construit  des 
tètes  d'airain  et  qu'on  nous  les  eût  conservées,  nous  n'aurions  pas  cette  incerti- 
titude  et  nous  serions  charmés  des  périodes  de  Cicéron  et  des  beaux  vers  de 
Virgile  que  les  peuples  d'Europe  estropient  chacun  à  sa  manière...  Le  chef- 
d'œuvre  de  l'abbé  Mical  (dont  nous  n'avons  plus  entendu  parler  depuis)  nous 
fait,  songer  au  phonographe,  cette  merveille  du  siècle  et  que  vient  d'inventer 
l'Américain  Edisson . 

(2)  Y.  la  Not.  biog.  de  J.-l>.  Madier,  T.  II,  p.  47. 

(3)  Bivarol,  sa  vie  et  ses  œuvres,  par  M.  Léonce  Curnier  ;  Nîmes,  I(S58,  p.  40, 
Ouvrage  couronné  par  l'Académie  de  Nîmes. 


2oG  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

«  l'ccrivain  ne  suit  à  vrai  dire  aucun  plan...  les  pensées  ne 
sont  point  liées  entre  elles...  Il  répond  à  toutes  les  questions 
de  l'Académie,  mais  sans  ordre,  sans  division.  Il  semble  ne 
s'être  pas  préoccupé  le  moins  du  monde  des  règles  de  la 
composition.  Dans  ce  discours,  on  reconnaît  la  touche  d'un 
homme  de  talent,  à  qui  il  ne  manque,  pour  devenir  un  écrivain 
de  premier  ordre,  que  de  demander  davantage  à  la  méditation 
et  au  travail.  » 

D'autre  part,  un  compilateur  de  nos  jours  (i),  juge  le  discours 
avec  encore  plus  de  sévérité  :  c'est,  dit-il,  l'œuvre  d'un  spirituel 
ignorant,  un  recueil  ingénieux  de  traits  fins,  entremêlés  de 
fautes  de  goût  et  d'effroyables  bévues.  » 

Quoiqu'il  en  soit,  le  succès  obtenu  par  le  discours  couronné 
à  Berlin  encouragea  le  lauréat  à  persévérer.  Plein  de  confiance 
en  son  propre  mérite,  Rivarol  ne  doutait  de  rien  et  traitait,  en 
maître,  les  questions  les  plus  ardues.  Ainsi  qu'il  le  disait  lui- 
même  :  «  il  se  sentait  armé  de  toutes  pièces  comme  Minerve 
sortant  de  la  tête  de  Jupiter.  »  Rivarol  osa  donc  se  mesurer 
avec  le  grand  poète  Florentin,  il  traduisit  le  Dante.  Se  vantant 
d'être  issu  d'une  famille  italienne,  il  trouvait  ainsi  le  moyen 
de  courtiser  les  Riraroli  ou  Rivarola,  et  payait,  à  sa  manière, 
sa  dette  à  la  patrie.  La  traduction  fut  bien  accueillie.  Ses  ad- 
mirateurs affirmaient  qu'il  avait  ajouté  des  beautés  à  l'original 
par  la  chaleur  et  l'harmonie  de  son  style.  Les  critiques  et  ses 
ennemis,  dont  le  succès  venait  de  reveiller  la  jalousie,  criaient 
qu'il  n'avait  fait  que  paraphraser  le  Dante  et  l'avait  rendu 
méconnaissable.  Il  est  certain  que  le  style  inégal  de  Rivarol 
n'a  pas  toujours  exprimé  les  formes  énergiques  et  magistrales 
de  l'inimitable  poète  (2). 

Rivarol  s'était  trop  abandonné  à  son  génie  personnel.  On 
dit  qu'à   l'apparition  de    son  livre,    Bulïon    lui  écrivit  :    «  Ce 

(1)  Picri-e  Larousse,  Grand  Dictionnaire  universel  du  XIX^ siècle,  art.  lîivarol, 
T.  XIII,  p.  1237). 

(2)  Voltaire  avait  mis  Rivarol  au  défi,  en  lui  disant  :  «  Vous  ne  traduirez 
jamais  le  Dante  en  style  soutenu .  » 


AN'TOFNE    RIVAROL  207 

n'est  point  une  traduction,  c'est  une  suite  de  créations.  »  N'y 
aurait-il  pas  là  un  blâme  déguisé  sous  cette  forme,  qu'on  a  cru, 
tout  d'abord  élogieuse  ?  Involontairement,  se  présente  à  notre 
esprit  ce  jeu  de  mots  italien  :  traduttore,  traditorc,  un  traduc- 
teur est  un  traître  :  Rivarol  resta  bien  inférieur  à  Dante 
Alighieri.  Champfort  disait  de  l'écrivain  qu'il  n'avait  traduit 
l'Enfer  que  dans  l'espoir  d'y  retrouver  ses  ancêtres,  » 

L'Enfer  !  au  milieu  de  sa  vie  frivole  et  dissipée,  Rivarol  était 
prédestiné  à  y  occuper  une  place  dès  ce  bas  monde...  il  se 
maria.  Un  jour,  disait-il,  je  m'amusais  à  médire  de  l'amour, 
il  m'envoya  l'Hymen  pour  se  venger;  depuis,  je  n'ai  vécu  que 
de  regrets.  Je  ne  suis  ni  Jupiter,  ni  Socrate,  j'ai  trouvé  dans 
ma  maison  Xantippe  et  Junon.  » 

En  effet,  peu  après  la  traduction  du  Dante,  et  pour  satis- 
faire autant  sa  fantaisie  du  moment  dans  le  choix  d'une  nou- 
velle  compagne,  que  pour  augmenter  ses  modestes  ressources, 
insuffisantes  à  ses  goûts  de  grand  seigneur,  Rivarol  s'était 
marié.  Une  belle  personne,  riche,  instruite,  distinguée  autant 
que  romanesque,  malheureusement,  s'éprit  de  l'aimable  comte. 

Mademoiselle  Louise  Mather  Flint  (i),  alors  âgée  de  trente- 
six  ans  était  la  fille  d'un  professeur  de  langue  anglaise.  On  a 
recueilli  le  nom  de  ses  quelques  ouvrages  qu'on  ne  lit  plus, 
car,  elle  aussi,  se  piquait  de  littérature.  Malgré  le  dire  de 
Madame  de  Rivarol  (2),  le  ménage  ne  fut  point  heureux.  Un 
fils  naquit  de  cette  union   (3);   mais  le    comte  toujours  insou- 

(1)  Née  à  Remiremont  vers  1750,  morte  à  Paris  en  1821 .  Elle  avuit  uu  carac- 
tère bizarre,  inquiet^  acariâtre.  Ses  œuvres,  traduites  de  l'anglais  Edme  Burke  : 
Ap])el  des  Whigs  anciens  aux  Whigs  modernes,  1791  ;  Effets  du  Gouvernement 
snr  ragricnlture  en  Italie,  1799;  Encyclopédie  morale,  1801;  le  Couvent  de 
Saint-Domingue,  roman,  1802,  3  vol.  ;  Notice  sur  la  vie  et  la  mort  de  Rivarol, 
1802. 

(2)  Le  petit  Almanach  de  nos  grands  hommes,  1808,  chez  Léopold  Colin.  — 
Lettre  sur  M.  de  Rivarol,  par  Madame  de  Rivarol,  sa  veuve,  p.  ij  et  suiv. 

(3)  Mort  en  1810  :  «  Il  a  élé  pendant  longtemps  au  service  du  Danemark  et  a 
passé,  dit  sa  mère,  au  service  de  la  Russie,  au  moment  où  il  se  présentait  quelque 
chose  pour  lui  en  France.  Lettre  de  1808. 


20(S  N'OTICKS    lilOGRA  PHf  QUES 

ciant  et  léger,   dissipa  la    fortune  de   sa  femme  et  les   époux, 
réduits  aux  expédients,  finirent  par  se  séparer. 

En  1787,  sous  le  noni  de  Grimod  de  la  Reynière,  parut  un 
libelle  très  violent  contre  Madame  de  Genlis  :  —  Parodie  du 
songe  d'Athalie.  Rivarol,  s'adressant  à  la  protégée  du  duc 
d'Orléans,  commence  ainsi  : 

Savante  Gouverneur,  est-ce  ici  votre  place  (i;  ? 

L'an  d'après,  17S8,  Rivarol  publia  un  ouvrage  qui  fit  grand 
bruit  et  consolida  sa  réputation  :  Le  petit  Almanach  des 
Grands  Hommes,  avec  cette  épigraphe  :  Diis  ignotis,  aux 
Dieux  inconnus.  Il  avait  pour  collaborateur  dans  cette  œuvre 
délicate  Champcenetz,  alors  son  ami. 

Le  pamphlétaire,  enhardi  par  le  succès  et  irrité  contre  tant 
de  réputations  usurpées  dans  le  monde  littéraire,  entreprit  une 
campagne  autant  pour  ridiculiser  que  pour  amoindrir  cette 
tourbe  de  petits  écrivains,  véritables  fléaux  de  la  saine  littéra- 
ture. Quelques  articles  de  ce  catalogue  sont  des  modèles  du 
genre,  cependant  on  a  fait,  de  l'ensemble,  une  critique  qui  ne 
manque  pas  d'à-propos.  Rivarol  y  a  été  injuste  quelque  fois, 
contre  certains  hommes  de  mérite,  parce  qu'ils  étaient  ses 
ennemis  personnels.  D'autre  part,  son  persiflage  est  souvent 
monotone,  il  roule  presque  exclusivement  sur  la  même  plai- 
santerie. En  avouant  que  ces  petites  notices  ne  se  distinguaient 
que  par  la  plus  complète  insignifiance,  il  ajoutait  :  Ce  sont  là 
les  portraits  les  plus  ressemblants  (2).  » 

Necker  venait  de  faire  paraître  son  livre  de  l'Importance  des 
opinions  religieuses.  L'ancien  ministre  de  Louis  XVI  luttait 
contre  les  tendances  de  l'époque  et  démontrait  victorieusement 
l'utilité  temporelle  de  la  religion.  Il  avait  écrit  sous  une  inspi- 
ration d'homme  d'État  plus  encore  que  sous  celle  du  philosophe 

(1)  Elle  était  gouvernanle  des  enfants  du  duc  d'Orléans. 

(2)  Arsène  Houssaye  dit  que  Rivarol  était  avant  tout  poète  et  philosophe  et 
qu'il  parlait  politique  en  grand  homme  d'Etat.  On  demandait  un  jour  au  duc  de 
Brancas  de  souscrire  à  une  nouvelle  édition  de  l'Encyclopédie.  —  «  L'Encyclo- 
pédie! à  quoi  l)on,  (jiiand  Rivarol  vient  chez  moi.  » 


ANTOINE    RIVAROL  20g 

chrétien  :  n'affirmant  point  les  dogmes  et  demeurant  dans  le 
vague  d'une  religiosité  qui  tient  le  milieu  entre  le  déisme  et 
la  religion  révélée. 

Rivarol  répondit  par  ses  lettres  :  il  battit  en  brèche  le  déisme 
théologien  de  Necker  et  imbu,  lui-même,  de  l'esprit  philoso- 
phique de  son  siècle,  il  établit  un  parallèle  entre  la  religion  et 
la  77îorale  qu'il  déclare  «  irréconciliables  par  essence.  »  D'ail- 
leurs, l'opinion  émise  parle  critique  en  style  vif  et  coloré  était 
celle  des  hautes  classes  de  la  société  d'alors (i).  L'écrivain  n'en 
était  que  l'écho.  «  Lui  qui  bientôt  proclamera  que  la  religion 
est  la  base  éternelle  des  états,  en  demande  ici  la  suppression, 
et  ne  sait  pas  la  distinguer  de  la  superstition  et  de  la  fraude  ; 
cet  homme  qui  passe  toute  sa  vie  au  milieu  des  roués  se  fait 
l'apologiste  de  la  morale  et  la  propose  pour  l'unique  et  infaillj 
ble  direction  des  peuples  (2).  » 

A  cette  époque,  tout  faisait  pressentir  qu'en  France  une  crise 
suprême  devenait  imminente.  Déjà,  depuis  1783,  Rivarol 
écrivant  au  président  **%  à  propos  de  l'opinion  publique  à 
Paris,  avait  rappelé  que  :  «  la  province  était  dans  l'attente  de 
quelque  révolution...  «  il  ajoutait  :  «  mais  comment  pourrais- 
je,  Monsieur,  vous  expliquer  avec  clarté  ce  qui  est  en  confusion 
ici  ?  Comment  fixer  un  tableau  si  mobile  ?  C'est  entreprendre 
l'image  du  chaos  !...  »  l'ardent  méridional  prit  parti  pour  la 
cour  et  se  déclara  tout  d'abord  hostile  aux  idées  nouvelles  ;  il 
aborda  donc  courageusement  la  carrière  politique. 

Rivarol  était  très  connu  par  ses  scandales  littéraires  ;  la  scène 
devenait  plus  vaste,  il  essaya  de  s'y  produire.  Ce  fut  d'abord 
timidement  et,  selon  ce  qui  semblait  être  en  lui  une  habitude, 
sous  un  nom  d'emprunt.  Le  champion  étudiait  le  terrain  et, 
de  ses  méditations  prolongées,  il  se  hâta  de  conclure  que  tout 
ce  grand  bouillonnement  d'idées  n'était  qu'à  la  surface.  La 
suite  n'a  point  réalisé  ses  prévisions  optimistes. 

(1)  Curnier,  p.  88-89.  Un  grand  nombre  de  pensées  émises,  en  1788,  par 
Rivarol,  semblent  malheureusement  s'accréditer  de  jour  en  jour  en  France. 

(2)  Histoire  littér.    de  Nîmes,  par  Michel  Nicolas,  T.  III,    p.    75  (Rivarol). 

T.    II  14 


2IO  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

En  ce  moment,  l'abbé  Sabatier  venait  de  fonder  le  Journal 
politique  et  national  (i)  ;  Rivarol  devint  un  de  ses  collabora- 
teurs, il  y  écrivit  des  articles  très  remarquables  et  qui  mirent 
le  sceau  à  sa  réputation.  La  large  part  qu'il  a  prise  à  cette 
publication  périodique  témoigne  de  sa  supériorité  à  traiter  les 
hautes  questions  administratives,  économiques,  historiques  et 
sociales.  Un  publiciste  anglais,  Burke,  est  allé  jusqu'à  comparer 
les  pages  de  Rivarol  aux  annales  de  Tacite  (2)  ;  et  quelque 
exagéré  que  puisse  être  cet  éloge,  il  n'en  fait  pas  moins 
honneur  à  l'écrivain  français,  au  polémiste  inimitable. 

Cependant  Rivarol  se  montrait  là  toujours  le  même  homme, 
sacrifiant  à  un  bon  mot,  même  ses  amis.  Ainsi  quoique  ardent 
royaliste,  c'est  lui  qui,  poussant  Louis  XVI  vers  les  mesures 
violentes,  le  gourmandait  en  termes  peu  respectueux...  «  En 
montant  sur  le  trône,  le  premier  travail  de  ce  monarque  fut 
avec  son  maître  serrurier  (3),  et  sa  première  ordonnance  fut 
une  ordonnance  sur  les  lapins...  Un  roi  chasseur  ne  convient 
qu'à  des  peuples  nomades.  » 

Il  est  vrai  que,  d'autre  part,  Rivarol  a  la  hardiesse  louable 
de  faire  entendre  à  la  cour,  à  la  noblesse  et  au  clergé  de  dures 
vérités.  Il  légitime  la  Révolution  :  elle  était  nécessaire  ;  car 
selon  lui,  dans  l'ancien  ordre  des  choses  personne  n'était  à  sa 
place  (4).  Ailleurs  il  ajoute  cet  aveu  :  «  La  populace  de  Paris 
et  celle  même  de  toutes  les  villes  du  royaume,  ont  encore  bien 
à  faire  avant  d'égaler  les  sottises  de  la  cour  [b).  » 


{[)  Le  premier  numéro  est  du  12  juillet  1789.  —  Voir  les  articles  recueillis 
et  réimprimés  depuis  sous  le  titre  de  :  Tableau  historique  et  politique  de  l'As- 
semblée constituante  ou  Mémoires  de  Eivarol.  —  Voir  l'analyse  développée  que 
donne  Gurnier,  p.  115  et  suivantes. 

(2)  Rivarol  est  plutôt  un  homme  de  parti,  de  coterie,  ardent,  exagéré 
qu'un  histoiien  sérieux  et  précis. 

(3)  On  sait  que  Louis  XVI  se  plaisait  aux  travaux  de  serrurerie  :  c'était  l'é- 
poque où  le  philosophe  J.-J.  Rousseau  conseillait  à  son  jenne  élève,  Emile, 
d'apprendre  un  élat  manuel. 

(i)  Tableau  historique,  p.  133. 
(5)        Id.  P-  86. 


ANTOINE    RI  VA ROL  211 

Ces  citations  honorent  la  franchise  et  la  fermeté  de  l'écrivain  : 
quoique  peu  nombreuses,  elles  sont  assez  significatives  pour  le 
défendre  contre  l'accusation  d'avoir  vendu  sa  plume  et  d'être 
pensionné  de  la  cour.  Rivarol  n'a  jamais  prêté  l'oreille  à  ce 
genre  de  séduction.  Faible,  sensuel  et  relâché  dans  ses  mœurs, 
ont  l'eût  trouvé  incorruptible  et  fier,  s'il  lui  avait  fallu  trahir  sa 
fidélité  envers  son  roi  légitime.  Ainsi,  lorsque  le  duc  de  Biron 
vint,  en  1789,  lui  proposer,  au  nom  du  duc  d'Orléans,  d'écrire 
un  pamphlet  sur  ce  qu'on  appelait  les  dilapidations  de  la  Cour, 
Rivarol  parcourut  d'un  air  dédaigneux  le  canevas  qu'on  lui 
présenta.  Après  un  moment  de  silence,  il  dit  au  plénipoten- 
tiaire :  M.  le  duc,  envoyez  votre  laquais  chez  Mirabeau,  joignez- 
y  quelques  centaines  de  louis,  votre  commission  est  faite  (i).  » 

Rivarol  quitta  le  Joinvial  politique  après  les  journées  du  5  et 
6  octobre  1789,  pour  passer  aux  Actes  des  Apôtres  créés  par 
Peletier  et  Champcenetz.  Ce  journal  de  gentilshommes,  rempli 
de  satires  et  de  personnalités  outrageantes,  frondait  la  révolu- 
tion et  les  hommes  qui  s'étaient  dévoués  à  sa  cause.  Le  texte, 
tantôt  en  prose,  tantôt  en  vers,  nous  rappelle  certaines  feuilles 
du  Figaro,  du  Corsaire  et  du  Charii'ari  dont  il  est  le  pré- 
curseur. Mais  ce  qui  est  écœurant  pour  nous  qui  vivons  dans 
des  temps  moins  tourmentés,  ce  sont  toutes  les  puérilités  de 
mauvais  goût  qui  égayaient  nos  pères  aux  heures  les  plus 
lugubres  de  la  tempête  révolutionnaire.  Au  milieu  d'excellentes 
pages  d'histoire  ou  de  dissertations  philosophiques,  le  lecteur 
de  ces  écrits  royalistes  remarque  le  peu  de  respect  pour  les 
choses  saintes  et  l'irrévérence  scandaleuse  des  publicistes  envers 
leurs  propres  amis.  C'était  un  dévergondage  de  presse  qui  ne 
pouvait  s'assimiler  qu'à  celui  du  père  Duchêneetde  ses  pareils. 
Voici  un  échantillon  de  la  verve  et  de  la  franchise  brutale  de 
Rivarol. 

«  Autrefois  les  rois  portaient  le  diadème  sur  le  front,  ils  l'ont 
maintenant  sur  les  yeux. 

(1)  Comte  de  la  Platière,  T.  I,  p.  31. 


212  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

«  Le  peuple  est  un  souverain  qui  ne  demande  qu'à  manger, 
sa  majesté  est  tranquille  quand  elle  digère.  » 

Le  Petit  Almanach  des  grands  hoinmes  .  n'avait  visé  que 
les  auteurs  plus  ou  moins  connus  ou  méritant  d'être  critiqués, 
mais  en  1790,  avec  son  ami  Champcenetz,  Rivarol  crut  devoir 
s'attaquer  aux  hommes  politiques  :  il  publia  son  Dictionnai7~e 
des  grands  liouinies  de  la  Révolution,  par  un  citoyen  actif,  ci- 
devant  rien.  Grimm  rappelle  l'épitre  dédicatoire  à  Madame  de 
Staël  (i).  Cette  épître  est  un  modèle  de  persiflage  et  d'imper- 
tinence, mais  l'objet  d'une  satire  si  cruellement  injuste  avait 
déjà  su  se  placer  à  une  hauteur  où  de  pareils  traits  ne  pou- 
vaient l'atteindre. 

Larousse  affirme  (2),  que  Rivarol,  par  l'intermédiaire  de 
M.  de  Laporte,  fit  parvenir  au  roi  un  plan  de  corruption 
universelle.  Ce  plan  consistait  à  salarier,  moyennant  164,000 
francs  par  mois,  des  pamphlétaires,  des  journalistes,  des  chan- 
teurs de  rues,  des  applaudisseurs  dans  TAssemblée  et  les  clubs, 
des  claqueurs  aux  spectacles,  des  propagandistes  dans  les  cafés, 
les  guinguettes,  les  ateliers...  Il  ajoute  :  «  le  plan  de  Rivarol, 
bien  accueilli  à  la  cour,  fut  mis  à  exécution,  mais  ne  produisit 
pas  le  résultat  qu'en  attendait  l'inventeur  :  il  fut  modifié  vers 
la  fin  du  règne  de  Louis  XVL  » 

Selon  l'auteur  du  Dictionnaire  cette  pièce  compromettante 
aurait  été  trouvée  aux  Tuileries,  dans  l'armoire  de  fer  (3). 
ouverte  en  1793.  Un  tel  document  jetant  sur  notre  compatriote 

(1)  Des  rancunes  dont  nous  ne  rechercherons  point  la  cause,  provoquent  de 
la  pari  de  Rivarol  une  lettre  pleine  de  sarcasmes  sur  le  dernier  ouvrage  de  la 
fdle  de  Necker  :  L'influence  des  passions.  On  sait  que  Madame  de  Staël  avait 
salué  avec  enthousiasme  la  Révolution  de  1789. 

(2)  Dictionnaire.  ï.  XIII,  p.  1237. 

(3)  Dans  un  des  corridors  des  Tuileries,  un  ouvrier  mécanicien  nommé  Gamin 
avait  fait,  sous  les  yeux  de  Louis  XVI  qui  était  lui-même  serrurier  fort  habile, 
une  armoire  de  fer.  C'était  une  sorte  de  placard  iirati(iué  dans  l'épaisseur  du  mur, 
garni  d'une  solide  porte  en  fer  et  caché  par  la  tapisserie.  Lorque  l'Assemblée 
législative!  ordonna  une  visite  dans  la  demeure  royale,  Gamin  l'évéla  l'existance 
de  cette  armoire  :  on  y  trouva  un  grand  nombre  de  pièces  secrètes,  lesquelles 
furent  imprimées  en  trois  volumes. 


ANTOINE    R[VAROL  2l3 

une  défaveur  équivalant  à  une  flétrissure,  nous  avons  tenté  de 
remonter  à  la  source. 

En  effet,  ce  plan  existe  ([):  le  texte  imprimé,  portant  le 
numéro  III  se  trouve  à  la  page  G  et  suivante  du  Troisième 
recueil,  pièces  imprimées...  déposées  à  la  commission  extraor- 
dinaire des  doiiyC,  établie  pour  le  dépouillement  des  papiers 
trompés  dans  l'armoire  de  fer,  (Paris  lyqS,  in-8°)  ;  mais  en 
tête  de  cette  pièce  on  lit  : 

«  Au  haut  est  écrit  au  crayon  de  la  main  du  roi  :  Talon  et 
Sainte  Foy.  » 

Comment  Larousse  a-t-il  pris  le  change,  en  face  d'un  e 
pareille  affirmation  ?...  mais  poursuivons  nos  recherches. 

Sous  le  numéro  VI  (page  14),  nous  trouvons  une  lettre  signée 
Laporte,  datée  du  23  février  qui  peut  se  rapporter  au  projet 
numéro  III,  il  y  est  dit  :  «  L'homme  qui  m'a  remis  ce  plan  et 
dont  j'ai  trahi  le  secret  en  le  nommant  à  votre  majesté,  est  un 
homnie  d'esprit  et  de  tête,  j'ai  beaucoup  vécu  avec  lui,  depuis 
plus  de  vingt  ans  ;  je  ne  l'ai  pas  quitté  un  jour  de  cet  été 
pendant  trois  mois,  tant  à  Barèges,  qu'à  Bayonne,  et  je  puis 
répondre  à  votre  majesté  qu'elle  n'a  pas  de  sujet  plus  fidèle  -, 
du  moins  c'est  le  jugement  que  je  crois  en  pouvoir  former. 
J'avouerai  cependant  qu'il  a  la  tête  chaude.  « 

Si  cette  silhouette,  à  la  plume,  dirons-nous,  rappelle  Rivarol, 
qui  n'était  à  Paris  que  depuis  ^7v/:;'c'  ans^  il  est  plus  que  douteux 
que  Laporte  ai  voulu  désigner  ce  rédacteur  du  journal  politi- 
que, car  les  détails  sur  la  vie  de  l'écrivain  ne  laissent  aucune 
trace  de  séjour  soit  à  Barège  soit  à  Bayonne.  Depuis  son  départ 
de  Bagnols,  Rivarol  n'y  est  plus  retourné  et  n'a  vécu  qu'à  Paris 
ou  dans  les  pays  du  Nord.  Nous  pouvons  donc  conclure  que 
Larousse  a  avancé  là  une  opinion  qui  n'est  point  justifiée  (2).  » 

(1)  Nous  devons  à  robligeance  de  M.  L.  Delisle,  directeur  de  la  Rihliotluîque 
Nationale,  à  Paris,  des  notes  précises  (jui  nous  ont  permis  d'établir  la  vérité. 

(2)  Il  existe  une  notice  sur  Rivarol,  Paris,  imp.  de  H.  Fournier  1821),  in-(S, 
2  feuilles  de  titre,  52  pages  et  signées  H.  L.  Cette  signature  d'après  la  nouvelle 
édition  du  Dictionnaire  des  Anonymes  est  interprétée  par  Hippol.  de  la  Porte. 


214  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Étranger  au  plan  dont  nous  venons  de  parler,  Rivarol  n'en 
était  pas  moins  énergiquement  favorable  à  la  famille  royale. 
Louis  XVI  demanda  à  voir  l'écrivain  dévoué  à  sa  cause.  M.  de 
Malesherbes  fut  chargé  de  préparer  l'entrevue.  Cette  démarche 
du  souverain  était  de  nature  à  flatter  la  vanité  de  Rivarol. 
«  Je  n'ai  qu'un  conseil  à  donner,  dit-il  au  vieux  ministre  :  s'il 
veut  régner,  il  est  temps  qu'il  fasse  le  roi,  sans  cela  plus  de 
roi  !   » 

Rivarol  parla  très  franchement  à  Louis  XVI,  qui  l'écouta 
attentivement  et  se  borna  à  cette  seule  réponse  :  «  J'aviserai...  » 
Il  était  déjà  trop  tard.  Quant  à  Marie-Antoinette,  elle  comprit 
mieux  ce  langage  :  en  présence  de  la  reine,  Rivarol  devint  plus 
précis,  son  noble  cœur  lui  inspirait  des  paroles  enthousiastes. 

Mais  l'orage  gronde.  Dans  les  clubs,  les  partis  républicains 
menacent  de  mort  l'écrivain  royaliste.  Parmi  les  hommes, 
alors  en  relief,  se  trouvaient  des  victimes  persiflées,  sacrifiées 
dans  \q.  Petit  Almanach  :  Rivarol  redouta  la  vengeance  de  ceux 
qu'il  avait  attaqués  :  il  se  cacha,  d'abord,  dans  un  village  près 
de  Noyon,  et  finit  par  aller  grossir  les  rangs  des  émigrés  en  se 
réfugiant  à  Bruxelles,  1792.  Le  roi  était  alors  à  la  prison  du 
Temple. 

Il  publia  dans  cette  ville  une  Lettre  à  la  noblesse  française 
au  moment  de  rentrer  en  France  sous  les  ordres  de  M.  le  duc 
de  Brunswick.  Par  sa  lettre  il  faisait  un  appel  chaleureux  à 
cette  noblesse  dont  l'émigration,  en  masse,  fut  si  funeste  à  la 
royauté,  en  la  rendant,  d'ailleurs,  solidaire  de  l'alliance  ouverte 
de  ses  plus  chauds  partisans  avec  l'étranger  et  en  achevant 
par  là  de  la  dépopulariser  (i  s. 

Ayant  appris  l'arrestation  de  Lafayette  et  son  emprisonne- 
ment, à  OlmiJtz,  Rivarol  fit  paraître  la  même  année  un 
pamphlet  intitulé  :  —  La  rie  politique  et  privée  de  Lafayette, 
qu'il  appelait  le  général  Morphée.  Cet  écrit  est  tout  simplement 


(1)  Curnler,  p.  180.  Voyez  la  note  ;    Louis  XVI  repoussait,  lui-même,  Tinter- 
veiitiou  armée  de  l'étranger,  \\.  318. 


ANTOINE    RIVAROL  2l5 

une  injustice,  une  mauvaise  action  ;  l'histoire  a  vengé  le  loyal 
patriote  d'avoir  commis  une  faute  et  non  un  crime,  comme 
l'avait  fait  entrevoir  le  trop  virulent  satirique. 

C'est  en  1796  que  Rivarol  quitta  la  Belgique  pour  passer  en 
Angleterre.  Allait-il  à  Londres,  ainsi  qu'on  l'a  assuré  depuis, 
avec  mission  du  comte  de  Provence  pour  stimuler  le  zèle  des 
tories  contre  la  République  ?  il  est  certain  qu'il  fut  accueilli  par 
Pitt  et  par  Burke,  avec  tous  les  honneurs  que  ces  deux  per- 
sonnages prodiguaient  aux  contre-révolutionnaires  français  (i). 

De  Londres,  Rivarol  vint  se  fixer  à  Hambourg,  il  y  trouva 
l'abbé  Delille  qu'il  avait,  à  Paris,  accablé  de  ses  critiques 
exagérées.  Le  malheur  rapprochant  les  deux  exilés,  ils  se 
réconcilièrent  sincèrement.  Il  nous  serait  difficile  d'assurer  si 
Rivarol  vivait,  là,  du  produit  de  son  travail,  qu'il  partageait 
noblement  avec  plusieurs  de  ses  compatriotes  proscrits  comme 
lui  (2),  ou  bien,  comme  certains  biographes  l'ont  avancé,  si, 
pour  payer  les  écrits  destinés  à  être  introduits  en  France,  il 
recevait  5oo  francs  par  mois  sur  les  subsides  que  l'Angleterre 
faisait  au  prétendant  (3).  Du  reste,  Rivarol,  malgré  sa  prodi- 
galité manifeste,  devait  n'être  point  dans  la  gêne,  puisqu'il 
touchait  encore  1,000  francs  par  mois  de  l'éditeur  de  son 
Nouveau  dictionnaire  de  la  langue  française.  Mais  à  ce  propos, 
citons  une  anedocte  qui  a  beaucoup  égayé  ses  contemporains. 

La  paresse  de  l'écrivain  était  telle  qu'il  ne  pouvait  fournir  à 
l'imprimerie  la  copie  nécessaire  au  travail  de  la  journée.  Il  le 
dit  lui-même  :  «  une  tarentule,  qu'on  nomme  Fauch,  aussi 
avide  d'une  page  de  texte  qu'un  chien  de  chasse  l'est  de  la 
curée,  est  continuellement  à  ma  piste...  »  On  raconte  que  cet 
éditeur  impitoyable  ne  trouva  pas  de  meilleur  moyen  pour 
forcer    Rivarol   à  travailler  que   de   l'enfermer  sous   clef,   de 


(1)  Larousse,  T.  XIII,  p.  1237.  Burke  avait  déjà  fait  Téloge  de  Rivarol  dans  sa 
lettre  sur  les  aflaires  de  {''rance  et  des  Pays-Bas.  17*J1. 

(2)  Curnier,  loc.  cil.  p.  193. 

(3)  Larousse,  Rivarol,  {).  1237,  i^ie  col. 


2l6  NOTICES    BIOGR.'VPHIQUES 

mettre  des  gardiens  en  sentinelle  et  d'exiger  de  lui  trois  pages 
de  matière  pour  ses  compositeurs  typographes. 

Le  dictionnaire  n'a  jamais  été  achevé  :  Rivarol  n'en  a  laissé 
que  le  prospectus,  lequel  fait  vivement  regretter  l'ouvrage, 
d'autant  plus  que  le  dictionnaire  devait  être  précédé  par  le 
Discoiu^s  préliminaire  sur  l'homme  intellectuel  et  moral  dont 
on  n'a  que  la  première  partie,  intitulée  :  de  la  nature  du 
langage  en  général.  Cette  partie,  a,  il  est  vrai,  un  grand 
développement,  l'auteur  y  traite  de  l'origine  et  du  mécanisme 
de  la  parole  en  s'élevanî  jusqu'aux  plus  hautes  considérations 
métaphysiques ,  politiques  et  religieuses.  Cette  magnifique 
préface,  dit  un  auteur  (i),  est  ce  qui  le  recommande  le  plus  à 
l'estime  du  monde  lettré.  Malgré  des  défauts  de  plan,  que 
n'ont  pas  manqué  de  signaler  ses  ennemis,  Marie  Chénier 
entr'autres,  il  y  aurait  encore  à  glaner  une  gerbe  de  pensées 
remarquables  et  dignes  de  Vauvenargues  ou  de  Larochefou- 
cault,  au  milieu  des  éblouissantes  images  que  l'auteur,  mûri 
par  l'expérience,  étale  à  nos  yeux  dans  un  st3de  recherché. 

Dans  la  partie  du  discours  qui  traite  du  fanatisme  de  la 
philosophie  (2),  Rivarol,  imbu  lui-même  de  certains  principes 
voltairiens,  flagelle  les  hommes  qui  sont  la  cause  des  malheurs 
de  la  France.  En  faisant  remarquer  la  modifiation  de  ses  ten- 
dances politico-religieuses,  nous  voudrions  pouvoir  citer  ici, 
tombées  de  sa  plume,  quelques  unes  des  pages  admirables  dans 
lesquelles  il  apparaît  désormais  comme  un  chrétien  convaincu. 
—  «  Le  vice  radical  de  la  philosophie  dit-il,  est  de  ne  pouvoir 
parler  au  cœur.  Or,  l'esprit  est  le  côté  partiel  de  l'homme,  le 
cœur  est  tout...  Aussi  la  religion,  même  la  plus  mal  conçue,  est 
infiniment  plus  favorable  à  l'ordre  politique  et  plus  conforme  à 
la  nature  humaine  en  général  que  la  philosophie,  parce  qu'elle 
ne  dit  pas  à  l'homme  d'aimer  Dieu  de  tout  son  esprit  mais 
de  tout  son  cœur...  Il  y  a  dans  le  cœur  de  l'homme  une  fibre 


(I)  Curmcr,  p.  200  et  siiiv. 

{li)  Il  déliiiil  la  )iIiilosoj)hi('  moilciiic  :  Irs  passions  armées  de  principes. 


ANTOINE    RIVAROL  217 

religieuse  que  rien  ne  peut  extirper...  l'histoire  nous  montre 
que  partout  où  il  y  a  mélange  de  religion  et  de  barbarie,  c'est 
toujours  la  religion  qui  l'emporte,  mais  que  partout  où  il  y  a 
mélange  de  barbarie  et  de  philosophie  c'est  la  barbarie  qui 
l'emporte...  —  La  religion  seule  persuade,  récompense,  punit 
et  pardonne  ;  elle  suppose  l'homme  fragile,  le  conserve  bon  ou 
le  rachète  coupable  en  le  réconciliant  avec  un  Dieu  miséricor- 
dieux... —  Si  l'on  ne  consulte  que  la  philosophie,  les  misères 
de  la  vie  sont  des  maux  sans  remède  et  la  mort  est  le  néant,  mais 
la  religion  échange  ccs'n^sères  contre  des  félicités  sans  fin,  eti 
avec  elle,  le  soir  de  la  vie  touche   à  l'aurore  du  jour  éternel.  » 

Il  est  regrettable,  avouons-le,  de  reconnaître  qu'ici,  comme 
chez  Necker  qu'il  avait  critiqué,  c'est  encore  l'homme  politique 
qui  parle  et  non  le  chrétien.  La  religion  n'est  considérée  par 
Rivarol,  que  comme  un  instrument.  Aussi  avons  nous  soin  de 
ne  point  prolonger  les  citations  :  il  y  en  aurait  certaines  de 
nature  à  contredire  les  premières.  N'ayant  que  peu  de  goût 
pour  les  théories  nouvelles,  nous  tenons  à  nos  vieilles  croyan- 
ces, nous  demandons  à  être  consolés  et  à  ne  jamais  laisser 
germer  dans  notre  cœur  l'ivraie  du  doute. 

Enfin,  toujours  dans  le  même  discours,  Rivarol  s'adresse  au 
peuple...  «  Quand  la  prospérité  les  aveugle...  la  maladie  du 
bonheur^  les  gagne,  leurs  forces  leur  font  illusion  :  ils  ne  sen- 
tent plus  que  l'autorité  publique  pèse  comme  un  bouclier  et 
non  comme  joug...  »  et  il  termine  par  le  tableau  émouvant  du 
règne  de  la  Terreur  dont  nous  donnons  les  dernières  phrases... 

«  Sombre  nuit,  descendue  au  nom  de  la  lumière  !  vaste 
tyrannie,  au  nom  de  la  liberté  !  profond  délire  au  nom  de  la 
raison  !  on  ne  saurait  vous  peindre  trop  fidèlement  pour  être 
utile,  ni  trop  vous  atténuer  pour  être  cru  (i)  !   » 

(1)  Pendant  que  récrivain  royaliste  convaincu,  flétrissait  en  termes  énergiques 
les  horreurs  de  cette  période  néfaste  de  notre  histoire,  son  père  suppliait  un  des 
révolutionnaires  les  plus  ardents  de  Bagnols^  dans  des  termes  affectueux,  en 
faveur  de  la  comtesse  de  Barruel,  sa  sœur  et  signait  sa  lettre  :  — Je  suis  bien 
civi(juement  et,  en  bon  réjjidjlicain,  ennemi  de  tous  fédéralisme,  royalisme,  etc. 
Signé  :  Rivarol.  —  20  septembre  17'J3,  Tan  11,  de  la  République  Française. 


2l8  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Le  Directoire  refusa  de  laisser  imprimer  en  France,  ce 
Discours  préliminaire.  On  n'aurait  pas  toléré  des  attaques 
aussi  hardies  contre  les  hommes  de  la  Révolution.  Rivarol 
n'en  fut  point  surpris,  il  dit  à  ses  amis:  —  Lorsque  V  ignorance 
règne,  il  est  de  droit  que  les  sots  seuls  aient  le  privilège  de 
pouvoir  écrire  ;  il  ajoutait  :  Je  tiens  à  honneur  d'être  mis  à 
l'index  par  les  sultans  du  palais  du  Luxembourg.  » 

Avec  ses  dehorsdeparesse  invétérée,  Rivarol  était  un  écrivain 
fécond,  par  cela  seul  qu'il  avait  le  travail  facile.  ChénedoUé 
nous  a  conservé  quelques  détails  sur  la  Théorie  du  Corps  po- 
litique que  Rivarol  n'a  pu  achever.  C'était  encore  là  une 
oeuvre  magistrale  etqui  l'aurait  placé  à  côté  de  nos  plus  grands 
publicistes. 

La  ville  de  Hambourg  avec  sa  monotonie  désespérante,  avait 
cessé  de  plaire  à  Rivarol  :  il  s'y  était  créé  déjà  quelques  ini- 
mitiés nouvelles  à  cause  de  sa  causticité  incurable  et  de  son 
impitoyable  malice  contre  les  sots...  Les  sots!  il  savait  si  vite 
découvrir  les  infirmités  morales  de  ces  malheureux  !  —  «  Les 
allemands  se  cotisent  pour  comprendre  un  bon  mot,  »  disait- 
il  un  jour,  dans  un  diner  où  il  venait  de  lancer  un  trait  d'esprit. 
«  A  Hambourg,  ajoutait-il,  tout  y  est  commerçant  et  spécula- 
teur. L'homme  qui  a  le  plus  de  ce  qu'on  appelle  des  inarcs 
est  l'homme  par  excellence...  la  lourde  politesse  des  négociants 
tue  le  goût  français.  Quant  aux  femmes  :  ce  sont  des  espèces 
de  momies  imparlantes  dont  la  robuste  enveloppe  interdit 
jusqu'aux  désirs...  Les  libraires  meurent  de  faim,  mais  en 
revanche  les  marchands  de  vin  sont  millionnaires...  » 

Transcrivons  ici  quelques  lettres  que  Rivarol  écrivait  de 
Hambourg  même  à  son  ami,  le  marquis  de  Gaste,  à  la  Ra- 
mière  (i).  Ces  lettres  nous  apprendront  d'ailleurs  des  détails 
sur  les  dernières  années  de  sa  vie. 

(I)  Nous  en  devons  la  communication  à  l'obligeance  de  M.  le  marquis  Hum- 
bert  de  Gasle.  Ces  lettres  avaient  été  adressées  à  son  grand-iièi'e. 

Les  lettres  de  Rivarol  sont  très  rares,  Manette,  sa  gouvernante,  ne  les  a  point 
recueillies. 


ANTOINE    RIVAROL  219 

Rivarol,  au  milieu  de  son  existence  agitée  par  les  passions 
de  toute  nature  avait  un  excellent  cœur  ;  il  n'oubliait  ni  sa 
ville  natale,  ni  les  amis  qu'il  y  avait  laissés,  ni  sa  propre 
famille.  Son  vieux  père  recevait  de  temps  à  autre  des  secours 
qu'Antoine  envoyait  de  l'étranger.  Ce  sont  25  louis  qui  en 
mars  1796  lui  arrivaient  par  une  maison  de  banque  de  Lj^on, 
sous  le  couvert  de  Justet,  fabricant  de  bas  (i).  C'étaient  des 
cadeaux,  des  souvenirs,  des  bijoux  à  l'adresse  de  ses  anciens 
camarades. 

A  M.  de  Gaste,  maire  à  Bollène  (comtat  Venaissin)  (2). 

«  Je  suis  loin  de  voils  blâmer,  mon  cher  de  Gaste  d'avoir 
accepté  la  place  de  maire  de  Bollène.  Si  les  aristocrates  avaient 
tous  eu  le  même  esprit,  ils  auraient  rempli  les  municipalités, 
les  directoires  et  même  les  clubs  :  ce  qui  les  eut  rendus  maîtres 
de  la  révolution  ;  ils  ont  mieux  aimé  en  être  les  victimes. 

«  Il  y  a  un  mois  que  je  v^ous  dois  une  réponse,  mais  vous 
savez  que  c'est  ici  le  palais  d'Atalante,  on  3^  passe  la  vie  à  la 
fenêtre,  ou  à  courir  de  chambre  en  chambre.  Nous  avons 
encore  plus  besoin  de  pitié  que  d'excuse.  Barruel  est  venu 
depuis  quelque  temps  y  augmenter  le  nombre  des  paladins  et 
des  fous.  Je  ne  sais  si  quelque  Astolphe  montera  dans  la  lune 
pour  ces  pauvres  gens  là.  En  attendant  les  jacobins  prétendent 
que  le  père  éternel  est  des  leurs,  le  royaume  est  à  leurs  pieds, 
les  empereurs  meurent  à  point  nommé  etc.,  etc.  Il  n'y  a  que 
les  assignats  qui  tout  patriotes  qu'ils  sont,  périssent  de  jour 
en  jour  sous  l'aristocratie  des  métaux. 

«  Vous  me  demandez  quels  papiers  conviennent  à  un  homme 

(1)  Joseph  Justet  était  son  frère  de  lait.  Lors  de  sou  tour  de  France,  comme 
ouvrier  débassaïre,  il  fit,  vers  1785  le  voyage  de   Paiis.  Il  y  fut  reçu  par  son 

compatriote Nous  lui  avons  entendu  raconter  les  détails  de  certain  diner, 

au  Palais-Royal^  où  Rivarol,  assistant  avec  Deparcieux,  Greuze  et  autres  artistes 
ou  littérateurs,  avait  ameué  Justet.  —  «  Lorsipie  l'on  te  parlera,  avait-il  recom- 
mandé à  son  invité,  tu  ne  répondras  que  oui  ou  non.  »  Le  frère  de  lait  tint 
parole  :  il  écouta.  —  V.  Bagnols  en  1787,  p.  L.  A. 

(2)  Nous  avons  scrupuleusement  copié  le  texte  des  lettres. 


220  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

qui  vit  en  province  ?  Il  faut  je  pense  avoir  deux  feuilles  oppo- 
sées, afin  de  juger  l'opinion  et  de  mieux  sentir  l'état  des  choses. 
Je  vous  conseille  donc  la  partie  politique  du  Mercure^  appelé 
Journal  de  Genève^  et  celui  de  Lebrun  ou  \iz  Moniteur.  Mais  ce 
que  je  vous  conseille  par  dessus  tout,  c'est  de  venir  faire  un 
tour  ici  :  cette  révolution  vaut  la  peine  qu'on  l'observe  à  sa 
source.  Je  vous  dirais  dans  quelques  conversations  la  valeur 
de  plus  d'un  volume,  et  d'un  volume  qui  n'existe  pas.  Il  va 
d'ailleurs  se  faire  un  grand  revirement  dans  les  ambassades, 
et  si  vous  avez  quelque  envie  de  changer  de  place  et  de  ma- 
nœuvrer un  peu  sur  l'étrange  vaisseau  qu'on  nous  bâtit  depuis 
3  ans,  je  ne  crois  pas  qu'il  vous  fut  impossible  d'être  employé, 
d'autant  que  vous  vous  êtes  comporté  avec  prudence,  et  que 
je  ne  pense  pas  que  les  jacobins  envoyassent  des  notes  contre 
vous.  Adieu,  tous  mes  hommages  à  Madame  de  Gaste.  » 

«  14  Juillet  à  Hambourg  1796. 

«  Il  est  bien  doux  pour  moi,  mon  cher  et  ancien  ami,  de  voir 
que  je  ne  suis  pas  mort  dans  votre  souvenir.  Je  vois  par  votre 
aimable  lettre  que  vous  avez  sauvé  votre  esprit  et  votre  cœur 
de  cette  affreuse  révolution  ;  si  la  santé  est  de  la  partie,  tout 
va  bien,  les  malheurs  ne  sont  bons  qu'à  oublier. 

«  Je  ne  vous  ferai  pas  ici  le  roman  de  nos  longues  courses, 
malgré  deux  naufrages  de  ma  personne  et  un  de  mes  effets, 
malgré  toutes  mes  pertes,  je  suis  peut-être  de  tant  de  fugitifs 
celui  que  la  fortune  a  le  moins  maltraité  :  ce  qui  le  prouve, 
c'est  que  j'ai  pu  prêter  plus  de  dix  mille  francs  depuis  ma 
sortie  de  France.  Me  voici  maintenant  occupé  à  vous  donner 
le  dictionnaire  de  la  langue,  sur  un  plan  nouveau  :  il  faut  que 
je  vous  délivre  des  exigences  du  sphinx,  dussé-je,  comme  Œdipe, 
y  perdre  les  yeux.  Au  reste,  je  me  suis  donné  deux  secrétaires 
pour  alléger  le  fardeau. 

«  Vous  avez  bien  raison  de  me  dire  que  vous  avez  fait  et 
que  vous  croyez  faire  encore  un  rêve  délectable  ;  c'est  la  fai- 
blesse d'un  homme  qui  nous  a  tous  plongés  dans  cet  océan  de 


ANTOINE    RIVAROL  221 

malheur  et  son  infortune  n'a  pas  amendé  le  sort  de  la  France. 
Un  corps  politique  est  bien  malade  quand  la  population  crie, 
je  suis  république  et  le  territoire,  je  suis  monarchie.  Vous 
savez,  si  vous  avez  lu  le  Journal  politique^  de  quel  œil  j'ai  vu 
cette  Révolution,  et  cela,  dès  le  mois  de  juin  1 789,  quand  la  tête 
tournait  à  tout  le  monde.  J'écrivais  alors  :  Malheur  à  qui 
remue  le  fond  d'une  nation  !  Mais  j'étais  la  voix  qui  crie  dans 
le  désert.  Mon  frère  vient  de  faire  réimprimer  la  suite  de  ces 
numéros  si  cette  collection  vous  tombe  entre  les  mains,  relisez- 
là.  Je  cessai  d'écrire  en  1790  :  tout  était  perdu  :  l'assignat  était 
là  pour  payer  tous  les  excès  et  tous  les  bandits  de  la  Révolu- 
tion :  je  vis  le  mal  sans  remède.  C'est  à  cette  époque  que 
j'écrivis  que  les  français  finiraient  par  s'intituler  eux-mêmes 
Brigands  et  Sans-Culottes,  et  qu'ils  porteront  une  galère  en 
triomphe.  La  chose  s'est  vérifiée  à  la  lettre. 

«  Quoique  j'aie  les  matériaux  de  l'histoire  de  cette  Révolu- 
tion et  une  théorie  du  corps  politique  dans  mon  portefeuille, 
je  crois  cependant  le  temps  et  les  conjonctures  si  peu  favorables 
que  j'aime  mieux,  en  ce  moment,  travailler  pour  la  langue  que 
pour  la  nation.  La  i'"^  partie  du  discours  préliminaire,  concer- 
nant l'entendement  humain  va  paraître  vers  la  fin  du  mois. 

((  Si  vous  avez  un  fils  de  i3  ans,  j'en  ai  un  de  16:  nous 
nous  faisons  vieux  :  et  voilà  8  ans  que  la  Révolution  nous 
force  à  rayer  de  notre  bonheur.  Ma  fortune  a  été  renversée 
au  moment  où  je  mettais  la  dernière  main  à  l'édifice  \  mais 
vos  terres  vous  restent  et  vous  serez  encore  heureux,  si  les 
levains  qui  sont  toujours  en  France  ne  fermentent  plus.  Vous 
me  parlez  d'un  voyage  en  Languedoc,  je  ne  le  crois  possible 
que  Tannée  prochaine.  J'espère  aller  philosopher  quelques 
jours  avec  vous,  à  la  Ramière,  contre  la  philosophie  du  siècle, 
cette  funeste  chimère  qui  s'est  armée  des  passions  du  peuple, 
quand  le  peuple  s'est  armé  de  ses  phrases.  Je  vous  expli- 
querai notre  Révolution  et  la  conduite  des  puissances,  de 
manière  à  vous  confondre  d'étonnement.  Vous  verrez  que  nos 


222  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

destinées  ont  été  ballotées  entre  les  jacobins  sans-culottes  et 
les  jacobins  couronnés. 

«  Adieu,  mon  cher  ami,  écrivez-moi  et  dites-moi  qu'elles 
sont  les  personnes  de  ma  connaissance  qui  ont  été  victimes  de 
la  Révolution  ;  car  depuis  1792  je  n^ai  pas  la  moindre  nou- 
velle de  Bagnols.  Tout  à  vous,  R.  » 

Rivarol  quitta  la  ville  d'Hambourg  et  se  rendit  à  Berlin,  où 
sa  réputation  l'avait  devancé.  Si  nous  en  croyons  Dampmartin 
ce  compatriote  dont  il  parlait  dans  ses  lettres  au  marquis  de 
Gaste  :  «  Les  princes  français  lui  envoyèrent  à  Hambourg,  mille 
écus  avec  l'ordre  de  se  rendre  en  Prusse.  »  Un  n\émoire  (i), 
de  ce  compagnon  d'exil  ajoute  ce  qui  suit  :  «  La  demande  d^une 
pension  que  le  départ  de  Monsieur  de  Boufflers  laissait  vacante 
à  l'Académie,  colora  ce  voyage  dont  le  but  secret  n'était  rien 
moins  que  d'influencer  et  de  changer  l'opinion  publique  de  la 
Capitale  et  de  la  cour  de  Prusse. 

«  Quelques  gens  de  lettres,  les  étrangers,  les  envoyés  de 
plusieurs  souverains  et  une  partie  des  grands  seigneurs  de 
Berlin  s'entendirent  pour  que  l'arrivée  de  Rivarol  fut  transfor- 
mée en  une  espèce  de  triomphe.  Les  partisans  des  français, 
les  vrais  amis  de  leur  Patrie  s'alarmèrent  de  ses  intentions.  .  .  . 
le  monarque  résista  et  ne  voulut  point  consentir  à  se  détacher 

du  gouvernement  français Rivarol  reconnut  bientôt  la 

vanité  des  espérances  qu'un  brillant  début  lui  avait  fait  conce- 
voir. ...  ses  tentatives  sur  l'esprit  du  roi  furent  infructueuses, 
et  la  reine  n'accorda  que  des  sourires  agréables  à  diverses 
pièces   de   poésie  qui  rendaient  hommage   à  sa  beauté,  à  ses 

grâces  et  à  sa  bienfaisance le  prince  Henri  se  garda  bien 

d'accueillir  Rivarol;  le  frère,  le  compagnon  d'armes  du  grand 
Frédéric,  remplissait  le  vague  de  son  imagination  de  rêveries 
républicaines.  Né  sur  les  marches  du  trône,  et  fier  de  sa  haute 
noblesse,  il  repoussait  cependant  les  défenseurs  de  la  royauté, 
de  ce  château  de  Reimberg  que  les  poètes  et  les  philosophes 

(1)  V.  notice  des  travaux  de  l'Académie  du  Gard,  année  1808,  p.  376. 


ANTOINE     RIVAROL  223 

avaient  célébré  comme  la  demeure  d'un  héros  et  la  retraite 
d'un  sage.  » 

L'aimable  français  fut  pourtant  recherché  par  une  partie  de 
la  plus  haute  société  Prussienne.  On  cite  une  princesse  russe, 
éclairée,  amie  des  sciences  et  qui  les  cultivait  elle-même  avec 
fruit,  la  princesse  d'Olgorouska,  que  Rivarol  avait  su  charmer. 
Cette  femme  devint  sa  protectrice,  son  ange  gardien  (i), 

A  Berlin,  le  Bagnolais  n'oubliait  pas  les  bords  de  la  Cèze, 
De  chez  Monsieur  Delke,  où  il  était  logé,  sous  les  Tilleuls. 
N°  55,   il   écrivait  au  citoyen  de   Gaste.  le    14  mars  1800   : 

«  Vous  êtes  une  véritable  coquette,  mon  cher  ami,  la  des- 
cription de  votre  hermitage  est  faite  pour  me  racrocher.  Dès 
que  je  serai  à  Paris,  je  vous  ferai  une  pacotille  de  graine  et 
d'arbustes  rares.  En  attendant  je  vais  prier  la  mer  Baltique  de 
me  céder  un  peu  de  son  ambre  jaune  pour  assortir  Madame 
de  Gaste,  en  reine  du  nord;  elle  aura  le  collier,  les  pendants 
d'oreilles,  la  plaque  de  ceinture  et  la  bague,  c'est  ici  la  grande 

mode,  et  il  faut  convenir  que  c'est  d'un  bel  effet Vous 

aurez  mon  portrait  dès  que  celui  que  j'ai  laissé  à  Londres 
sera  de  retour.  On  en  fera  deux  copies,  une  pour  vous,  une 
pour  mon  père 

«  Dampmartin  a  grande  envie  de  revoir  sa  patrie  ;  je  ne  sais 
même  si  nous  ne  partirons  pas  ensemble,  mais  je  ne  suis 
pas  si  facile  à  remuer  que  lui  :  j'ai  des  livres,  des  tableaux,  etc., 
dont  je  veux  me  défaire  avantageusement  avec  les  polonais  et 
les  russes.  Traîner  ce  bagage  à  Paris,  ce  serait  s'écraser  en 
frais   de  transport  et  porter  de  l'eau  à  la  fontaine. 

«  Je  viens  d'écrire  à  mon  père  pour  lui  annoncer  une  petite 
somme 

«  Je  dîne  aujourd'hui  chez  Monsieur  d'Engestron  'prononcez 


(1)  Après  la  mort  de  Rivarol,  la  princesse  d'Olgorouska  lit  imprimer  dans  les 
jom-naux  et  afficher  dans  les  rues  de  Berlin,  que  toutes  les  dettes  de  Rivarol 

seraient  payées,  et  que  les  créanciers  n'avaient  qu'à  se  présenter L'émigré 

français  ne  devait  rien  :  personne  ne  se  présenta.  (La  Platièie,  loc.  cit.) 


224  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

d'Enguestrum),  il  y  sera  fort  question  de  Leusière  (i).  Ma 
liaison  avec  ce  ministre  date  de  Londres  où  il  était  ambassa. 
deur  en  04.  Je  suis  d'abord  fort  proté^^é  par  son  roi  qui  m'a 
honoré  de  plusieurs  lettres  et  de  son  portrait. 

«  Si  Marmier  (2)  a  la  goutte,  il  l'aura  bien  méritée;  c'était 
la  consolation  de  Montagne  :  faites  lui  bien  mes  compliments. 

«  Je  partirai  d'ici  en  avril  ou  en  may.  J'irai  à  Dresde  voir 
sa  belle  galerie,  de  là  je  descendrai  sur  le  Rhin,  pour  faire  un 
peu  ma  cour  au  margrave  de  Bade,  et  c'est  de  là  que  j'entre- 
rai en  France.  Ce  prince  est  fort  bien  avec  le  gouvernement 
français,  c'est  un  vieillard  plein  d'esprit  et  de  connaissances. 
La  princesse  héréditaire  m'a  écrit  une  lettre  digne  de  Madame 
de  Sévigné.  Elle  a  deux  filles  fort  belles  dont  l'une  est  reine 
de  Suède,  et  l'autre  grande  duchesse  de  Russie.  Vous  ne 
sauriez  vous  faire  une  idée  des  bontés  et  des  grâces  de  cette 
charmante  famille  pour  tous  les  Français  en  général,  et  pour 
votre  serviteur  en  particulier.  Je  vous  ferai  un  jour  l'histoire 
de  l'émigration  et  je  vous  étonnerai. 

«  Voilà  bien  du  bavardage,  cher  ami,  si  l'amitié  allonge  d'un 
côté,  elle  excuse  de  l'autre Tout  à  vous,  Rivarol.  » 

Nous  venons  de  voir  dans  quel  milieu  vivait  notre  com- 
patriote, en  se  berçant  de  l'espoir  d'un  retour  prochain 

C'est  le  24  janvier  1801  qu'il  écrivit  une  dernière  lettre  en 
plein  hiver. 

«  Votre  souvenir,  mon  aimable  de  Gaste,  est  toujours  une 
bonne  fortune  pour  moi  et  les  belles  exemples  de  Rossignol  (3) 
ne  m'ont  jamais  fait  autant  de  plaisir  que  les  zigs-zags  de  votre 
écriture.  Oui,  j'accepte  votre  rendez-vous  à  la  Ramière,  Quatre 
choses  sont  également  nécessaires  à  mon  imagination  malade, 
votre  air,  votre  eau,  vos  fruits  et  votre  conversation.  Je  péris 

(1)  Camboii  P.runet  de  Leuzière,  chevalier  de  Saint-Louis,  demeurait  rue  Pou- 
lagière,  n»  3,  maison  Siran. 

(2)  Monsieur  de  Marmier,  propriétaire  de  la  maison  Sartre,  sur  la  place,  n»  26. 

(3)  Rossignol  Louis,  né  à  Paris  en  1696.  Glachard,  son  élève,  édita,  en  1712, 
les  exemples  autographiés  de  ce  grand  calligraphe,  surnommé  le  Raphaël 
des  écritures  françaises. 


ANTOINE    RI  VAROL  22  5 

moralement  et  physiquement  dans  ces  pays  du  Nord.  Je  suis 
las  de  ces  gens  que  le  soleil  regarde  de  travers.  Que  faire  d'un 
climat  où  les  élémens  mêmes  ont  tort  ?  Ici  l'air,  la  terre  et 
l'eau  sont  vraiment  pervers  et  le  feu,  le  seul  qui  soit  innocent 
et  pur,  et  en  état  de  corriger  les  trois  autres,  ces  misérables 
l'emprisonnent  dans  des  poêles,  de  peur  de  le  voir.  Je  sors 
d'une  maladie  qui  a  mis  le  comble  à  mes  dégoûts  :  toutes  les 
voix  de  la  renommée  et  toutes  les  caresses  des  princes  ne 
valent  pas  un  tour  de  promenade  dans  vos  vergers.  Sylvas 
amem  ingloriiis  ? 

«  C'est  Dammartin  lui-même  qui  m'a  remis  votre  lettre:  nous 
sommes  liés  depuis  longtemps.  Faites  mes  compliments  à 
Marmier  et  dites  à  Combout  que  Monsieur  d'Engestrom  qu'il 
a  connu  à  Stokolm  et  qui  est  actuellement  ambassadeur  de 
Suède  à  Berlin  a  conservé  de  lui  le  souvenir  le  plus  agréa- 
ble     Madame   de   Gaste  ne  m'a    donc  point  oublié  !   Elle 

est  bien  digne  d'avoir  des  amis,  et  j'ose  dire  que  je  ne  suis  point 
indigne  de  son  amitié. 

«  Adieu  mon  cher  ami,  faites,  je  vous  prie,  passer  le  paquet 

ci-joint  à  mon   père j'évite   autant  que  je  peux  de  mettre 

mon  nom  sur  les    lettres Vous  dites   que  vous  n'avez  pas 

tous  mes  ouvrages  ;  mais  si  vous  les  aviez,  vous  seriez  plus 
avancé  que  moi  :  ce  sont  vraiment  des  feuilles  des  sybilles, 
autant  en  emporte  le  vent R.  (i)  « 

Cette  dernière  page  exhale  un  parfum  de  nostalgie  qui  im- 
pressionne  Rivarol  songe  à  sa  patrie,  il  a  hâte  de  revoir 

le  soleil  du  Midi,  d'embrasser  son  vieux  père  et  de  retrouver 
ses  amis  d'autrefois.  Mais,  hélas  !  alors  qu'il  savourait  la 
volupté  du  far  m'ente,  au  milieu  de  l'éclat  de  son  triomphe, 
dans  une  ville  où  on  l'admirait,  le  spirituel  publiciste  devait 
bientôt  trouver  la  mort. 

(1)  La  dernière  lettre  écrite  par  Rivarol  est  du  21  février  1801  ;  elle  est 
adressée  à  Paris,  à  sa  chère  Manette  :  «  Mon  projet  est  d'aller  en  France. ...» 
V.  Sulp.  de  laplatière,  T.   I,  p.  228. 

T.   II  i5 


2  26  NOTICES    I5IOGRAPHIQUES 

«  Après  avoir  passé  une  journée  délicieuse  avec  ceux  qui 
Tain^iaient  (i),  il  se  sentit  attaqué  subitement  d'une  fluxion  de 
poitrine.  Pendant  les  sept  jours  de  sa  maladie,  qui  alla  toujours 
en  empirant,  tous  les  Français  résidants  à  Berlin,  à  Tenvi  les 
uns  des  autres,  lui  prodiguèrent  les  attentions  les  plus  délicates. 
Le  docteur  Formay,  un  des  médecins  les  plus  célèbres  de 
l'Allemagne,  épuisa,  sans  aucun  succès,  toutes  les  ressources 
de  l'art.  L'amitié  constante  de  M.  d'Engestrom  ne  se 
démentit  pas  un  seul  instant.  Le  roi,  la  reine  envoyaient 
régulièrenient  savoir  de  ses  nouvelles,  quelques  princesses 
vinrent  le  visiter;  enfin,  tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus  illustre  à 
la  cour  de  Berlin  lui  témoigna  constamment  l'intérêt  le  plus 
affectueux.  » 

L'illustre  malade  était  résigné  et  s'accoutumait  à  mourir  : 
il  tempéra  ses  souffrances  par  l'aspect  enchanteur  d'un  jardin 

riant   qu'il  voyait  en  perspective On  l'entendit  quelques 

instants  avant  de  rendre  le  dernier  soupir,  prononcer  ces 
paroles  :  «  Mes  amis,  voilà  la  grande  ombre  qui  s'avance,  ces 
roses  vont  se  changer  en  pavots,  il  est  temps  de  fixer  l'éter- 
nité. »  Puis,  il  eut  un  court  instant  de  délire,  et  il  demanda 
«  des  figues  de  l'Attique  et  du  nectar  «  rappelant  encore  ses  sou- 
venirs de  l'antiquité  qu'il  avait  aimée  avec  passion. 

Rivarol  mourut  le  21  germial  an  IX,  —  le  1 1  avril  1801,  — 
à  l'âge  de  quarante-sept  ans,  alors  qu'après  le  18  brumaire,  il 
lui  était  permis  de  rentrer  en  France  (2). 

Quant  aux  derniers  moments  de  notre  illustre  compatriote, 
il  est  consolant,  pour  nous,  de  croire  au  récit  d'un  de  ses  con- 
temporains, le  colonel  Sulpice  de  La  Platière,  honoré,  lui 
aussi,  de  l'estime  du  roi  de  Prusse  (3).  Madame  de  Rivarol  a, 
il  est  vrai,   protesté   contre  cette  version  d'une  manière  éner- 


(1)  Le  15  germial  an  IX.  —  5  avril  1801. 

(2)  18  brumaire  an  Vlil.  —  9  novembre  1799. 

(3)  Voir  les  leKres  de  Frédéric  de  Prusse.  (Sulp.  de  La  Platière,  T.  I  ,p.  113). 


ANTOINE    RIVAROL  227 

gique  mais  peu  sincère  ([\  p]lle  traite  dépure  gasconnade,  de 
fable  et  de  contes  bleus  le  récit  du  colonel.  Sa  lettre  est  une 
sorte  de  réhabilitation  du  noble  comte,  de  l'époux  et  de  Tami; 
elle  le  signale  comme  modèle  de  fidélité  et  de  dévouement 
conjugal.  Selon  Madame  de  Rivarol,  son  mari  n'est  pas  mort 
chez  son  amie,  à  la  campagne,  mais  bien  à  Berlin,  à  la  suite 
d'un  érésypèle.  Il  a  succombé  après  six  jours  de  douleurs, 
«  faisant,  pendant  trois  jours,  des  cris  qu'on  aurait  entendus  de 

la  moitié  de  Berlin »  elle  ajoute  que  l'Académie  a  voulu 

avoir  son  buste  en  marbre. 

S'il  nous  convient  d'adopter  l'un  ou  l'autre  de  ces  deux  récits, 
la  version  réaliste  ou  la  version  poétique,  nous  sommes  pour 
cette  dernière.  Rivarol,  qui  croyait  à  l'immortalité  de  l'àme, 
mourut  en  paix,  entouré  de  soins  affectueux.  C'était  une  nature 
d'élite,  et,  croyons-le,  la  Providence  lui  fit  grâce  à  la  dernière 
heure  :  il  lui  fut  beaucoup  pardonné 

Sa  gloire  a  failli  avoir  le  même  sort  que  les  feuilles  des 
livres  sybillins  dont  il  parlait  en  poète  inspiré.  Nous  possé- 
dons de  lui  des  œuvres  remarquables,  mais  ne  seraient-elles 
pas  moins  imparfaites,  s'il  les  avait  parachevées  avant  que 
la  mort  ne  l'eût  arrêté  à  la  maturité  de  l'âge,  au  moment  où 
les  folles  passions  de  la  jeunesse  commençaient  à  se  calmer,  et 
alors  qu'il  aurait  pu  laisser  un  nom  immortel  à  plus  d'un  titre. 

Sa  place  est  au  second  rang. 

Ne  le  verrions-nous  pas  briller  en  première  ligne,  jeter  sur 
Bagnols,  sa  ville  natale,  un  éclat  sans  nuage  et  attirer  tous 
les  suffrages  sur  son  illustration  incontestée  si,  au  lieu  de 
s'abandonner  à  l'attrait  d'une  voluptueuse  indolence,  il  avait 
eu  la  persévérante  fermeté  du  caractère  et  du  travail  ?  (2). 

(1)  Le  Petit  Almanach  denosgrands  hommes.  Édit.  LéopoldCollin. Paris  1808. 
p.  ij  et  suiv. 

(2)  A  Londres  un  habile  peintre  anglais  fit  de  Rivarol  un  beau  portrait  que 
possède,  à  Paris,  son  petit  neveu,  Monsieur  Tollin^  agent  de  change.  Cette  toile 
à  figuré  à  l'Exposition  de  1878,  dans  la  galerie  des  portraits  historiques, 

Carmontelle  nous  a  laissé  un  dessin  représentant  Rivarol.  Ce  portrait  gravé, 
orne  les  œuvres  du  publiscite. 


RIVAROL    (CLAUDE-FRANÇOIS  DE) 

GÉNÉRAL 

Né  à  Bafçnols  le  6  juin  i  j5 g 
Mort    à    Brie-Co77ite-Robert   le   6  juin    1848 


ANS  une  allée  ombreuse  du  jardin  des  Tuileries  se 
réunissaient,  encore  peu  après  la  Révolution  de  iS3o, 
quelques  chevaliers  de  Saint-Louis  et  les  derniers 
voltigeurs  de  Louis  XVI,  qui  habitaient  la  Capitale. 
Nous  les  avons  vus  maintes  fois  groupés  sur  les  bancs  de 
pierre  ;  ils  étaient  là  s'entretenant  de  leur  bon  vieux  temps  et 
donnant  un  souvenir  de  regret  au  drapeau  blanc  que  venait 
de  remplacer,  une  seconde  fois,  l'étendard  tricolore. 

L'un  de  ces  anciens  serviteurs,  fidèle  à  la  branche  aînée  des 
Bourbons,  se  distinguait  par  son  allure  noble  et  fière.  Debout 
et  vert  encore  malgré  ses  soixante-treize  ans,  il  prenait  souvent 
la  parole  et  semblait  se  faire  écouter  complaisamment  par  ses 
vieux  compagnons  d'armes.  De  loin,  nous  étions  frappés  de 
sa  belle  chevelure  blanche  et  de  son  profil  bourbonnien.  C'était 
le  général  comte  François  de  Rivarol. 

Comme  compatriote,  il  nous  avait  accueilli  dans  sa  demeure, 
rue  Saint-Hyacinthe-Saint-Honoré  et  nous  avions  pu,  là,  nous 
édifier  sur  les  habitudes  et  la  vie  intime  du  frère  du  littéra- 
teur célèbre. 

Rivarol,  comte  depuis  la  mort  d'Antoine,   avait  conservé 


23o  NOTICES    LSIOGRAPHIQUES 

toute  sa  bonhomie  méridionale.  Il  parlait  volontiers  la  langue 
d'oc.  La  correction  de  sa  tenue  révélait  son  premier  état  : 
ancien  militaire.  Comme  ci-devant  noble,  il  lui  restait  une 
politesse  exquise,  raffinée,  dont  l'usage,  persistant  encore  à 
Paris  avait,  à  de  rares  exceptions  près,  disparu  de  la  Province 
depuis  Tère  démocratique. 

Le  général  conservait  un  reflet  de  la  faconde  de  son  frère 
aîné.  Sa  conversation  roulait  de  préférence  sur  les  temps 
passés  à  l'étranger.  Nous  lui  avons  entendu  raconter,  de  cette 
époque,  plus  d'un  épisode  curieux,  presque  légendaire.  Un 
entr'autres  :  Témigré  royaliste  avait  eu  l'occasion,  nous  disait- 
il,  d'obliger  de  sa  bourse  Louis-Philippe  d'Orléans,  alors  que 
celui-ci  était  en  Suisse,  à  la  recherche  d'un  poste  de  professeur 
dans  un  collège.  Notez  qu'à  l'époque  où  nous  écoutions  ce 
récit,  le  prince  était  roi  des  Français. 

Rivarol  restait  fidèle  à  son  culte  monarchique  ;  lorsque  nous 
osions  faire  usage  de  la  faveur  d'être  reçu,  il  se  plaisait  à 
engager  Mademoiselle  Delphine,  sa  tille,  à  chanter  une  romance 
dont  il  avait  composé  et  les  paroles  et  la  musique;  motif  : 
I.c  jeune  Duc  de  Bordeaux. 

Madame  de  Rivarol  faisait  le  charme  de  cet  intérieur  intime. 
C'était,   elle   aussi,    une   bagnolaise,   fille   de  i\L  le  baron  de 

Sibert  de  Cornillon leur  fils,  Edouard,  alors  éloigné  de 

Paris,     exerçait    l'emploi    de    contrôleur    des    Contributions 
indirectes. 

Tel  était  cet  intérieur  charmant,  hospitalier;  on  y  causait 
littérature  et  vo3^ages,  on  3^  cultivait  les  beaux-arts,  la  musique, 
la  peinture  ou  la  poésie.  Les  hôtes  accueillants  rajeunissaient 
aux  souvenirs  de  Fontbelle  et  des  hovàs  fleuris  de  la  Cèze. 

Claude-François  sortant  à  peine  de  l'école  des  Joséphites, 
alla  rejoindre  son  frère  à  Paris,  vers  1781.  Il  prit  le  nom  de 
vicomte  de  Rivarol  et  entra  au  service  dans  la  maison  militaire 
du  roi,  il  devint  capitaine  en  1788.  Les  loisirs  que  lui  donnait 
la  profession  des  armes,  il  les  employait  à  cultiver  les  lettres. 


CLAUDE-FRANÇOIS    RIVAROL  23 I 

C'était,  d'ailleurs,  une  recommandation  expresse  de  son  père, 
alors  que  le  collégien  quittait  Bagnols  à  l'âge  de  vingt  ans. 
«  L'état  militaire  auquel  tu  te  destines,  lui  disait-il,  a  des  vides 
cruels  à  remplir.  Occupe-toi  de  ton  métier,  mais  ne  négliges 
pas  les  belles-lettres.  Je  t'ai  fait  remarquer  à  ce  sujet  la  belle 
phrase  où  Cicéron  en  peint  si  bien  les  avantages.  Dans  quel- 
que situation  où  tu  puisses  te  trouver,  elles  feront  le  charme 
et  la  consolation  de  ta  vie.  D'ailleurs,  combien  de  jeunes  offi- 
ciers se  perdent  par  la  dissipation  et  faute  d'étude  !  Lis  beau- 
coup, écris  beaucoup  et  n'oublie  jamais  que  c'est  Fignoraiice 
qui  rend  les  jeunes  gens  si  insupportables,  les  hommes  faits  si 
ridicules  et  les  vieillards  si  inutiles  (i).  » 

Donc, pour  charmer  les  heures  où  le  service  militaire  lui  ren- 
dait la  liberté,  François  suivait  son  penchant  naturel  ou  son 
instinct  d'imitation,  composait  des  petits  vers,  des  idylles  à 
la  mode  du  temps,  des  traductions  d'Horace  et  des  apologues. 

Bientôt  le  jeune  auteur  se  hasarda  à  entreprendre  un  poëme  : 
Les  Chartreux  (2),  en  vers  français  et  italiens.  Disons  tout 
d'abord  que  Rivarol  a  eu  des  remords  et  des  regrets  d'avoir 
traité  un  tel  sujet,  puisqu'il  écrivait  à  son  père  de  lui  pardonner 
«  cet  ouvrage  fait  selon  l'esprit  du  temps  (3).  »  Le  poëme  avait 
été  adressé  à  l'empereur  Joseph  II  qui,  à  cette  époque,  opérait 
des  réformes  philosophiques  dans  les  couvents  et  les  monas- 
tères de  ses  États  d'Allemagne. 

Il  est  certain  que  François  Rivarol  écrivait  sous  l'inspira- 
tion des  idées  nouvelles.  Le  drame  qui  fait  l'objet  de  son 
poëme  n'est  point  une  fiction,  c'est  le  récit  d'un  fait  arrivé 
dans  une  chartreuse  de  la  Flandre  espagnole,  sous  le  règne 
de  Charles-Quint,  époque  où  le  fanatisme  religieux  était  encore 
profondément  enraciné.  La  poésie  française  compte  quelques 


(1)  Œuvres  littéraires  de  François  Rivarol.  (Laurens,  Paris.  1799.  T.  I.,  p.  ij). 

(2)  Le  petit  poëme  n'a  que  208  vers. 

(3)  Le  temps  où  on  se  plaisait  à  mettre  au  grand  jour  les  turpitudes  mille  fois 
regrettables  dont  le  clergé  pouvait  être  la  cause , 


2:)2  NOTICES    BIOGRAPHIQUE 

bons  vers,  qui  lui  coûtèrent  moins  de  peine,  disait-il  que  la 
traduction  en  vers  italiens.  Les  deux  frères  paraissent  s'être 
engoués  en  même  temps  de  la  langue  de  leur  aïeux. 

En  1785,  François  de  Rivarol  écnvh  IsniiVi  ouïe  fatalisme^ 
histoire  persane.  L'auteur  y  met  en  scène  un  vieux  chrétien 
fataliste,  malgré  sa  religion,  et  un  jeune  musulman  qui  ne 
l'est  pas,  malgré  la  sienne.  Le  sujet  est  original.  Rivarol 
éMoui  du  succès  de  Voltaire  combattant  l'optimisme,  s'était 
donné  pour  thèse,  plus  difficile  encore,  dit-il,  de  ridiculiser 
le  fatalisme,  s^^stème  qui  durera  autant  que  le  monde,  malgré 
le  christianisme  qui  ne  l'a  point  admis  et  malgré  la  raison  qui 

le  repousse  (i) » 

Nous  ignorons  à  quelle  occasion  François  de  Rivarol  alla 
en  1786.  en  Prusse,  passer  six  mois  à  la  cour.  Il  nous  apprend 
lui-même,  qu'il  a  été  très  bien  reçu  par  le  prince  Henri,  oncle 
du  roi.  Si  le  monde  aristocratique  accueillit  avec  distinction 
autant  le  frère  du  lauréat  de  l'Académie  de  Berlin,  que  l'aima- 
ble poète,  officier  attaché  à  la  maison  de  France,  il  n'y  a  pas  lieu 
de  s'en  étonner.  Avec  moins  d'esprit  qu'Antoine,  François 
possédait  l'art  précieux  de  se  faire  bien  valpir.. 

A  son  retour,  le  jeune  poète  enhardi,  chaussa  le  cothurne,  il 
mit  au  jour  une  tragédie  en  vers  :  Guillaume-le-Conquérant 
(1787).  Cette  pièce  fut  reçue  au  Théâtre -Français  en  1790, 
mais  elle  n'a  jamais  été  jouée.  «  D'ailleurs,  disait  Rivarol,  pour 
se  consoler  de  son  échec,  ce  serait,  ma  foi,  une  sorte  d'ana- 
chronisme. Les  principes  sur  la  liberté  sont  absolument  con- 
traires à  ceux  qu'on  a  établis  depuis  la  Révolution.  » 

A  la  date  de  1799,  Rivarol  imprimait,  sous  forme  de  préface 
à  sa  tragédie,  ces  paroles  :  «  Ceci  est  une  œuvre  de  jeunesse...  » 
Mais  ce  qu'il  a  écrit  de  sa  main,  vingt  ans  après, est  plus  signi- 
ficatif, car  il  nous  facilite  l'appréciation  de  la  pièce. 


(1)  L'analyse  de  ce  petit  ouvrage  parut,  dans  le  Mercure  du  6  janvier  1787.  Le 
criliijue  avance  (jue  ce  roman  soutient  quelques  fuis  le  parallèle  avec  le  Candide 
de  Voltaire, 


CLAUDE-FRANÇOIS     RIVAROL  233 

Un  exemplaire  de  ses  œuvres,  sorti  de  sa  bibliothèque  de 
Fontbelle  porte  les  traces  de  nombreux  repentirs  de  l'auteur 
—  expérimenté  depuislors.  Achaque  feuillet  de  sa  tragédie,  en 
cinq  actes,  il  a,  de  sa  main,  souligné  humblement  les  pas- 
sages à  corriger.  Ainsi  le  poète,  devenu  son  propre  critique, 
a  patiemment  recherché  les  répétitions  des  mêmes  termes,  les 
assemblages  bizarres,  les  vers  incompréhensibles.  Nous  avons 
compté  dans  ce  travail  :  mon  cœur,  ton  cœur,  son  cœur  répété 
soixante-trois  fois!  Edithe,  un  des  personnages,  s'exprime  en 
ces  termes  : 

Oh,  je  ne  vois  que  trop  que  votre  cœur  soupire  ; 
Ce  cœur,  ce  faible  cœur  ne  peut  se  détacher.  .  .  . 

Rivarol  a  bâtonné  encore  ces  membres  de  phrases  :  sévères, 
rigueurs,  plutôt  avant.,  flambeaux  ténébreux.,  etc.,  ces  vers  : 

Des  flambeaux,  loin  de  nous,  brillent  à  nos  regards; 
Le  Ciel  punira-t-il  un  feu  qu'il  a  vu  naître? 
Au  sein  des  tristes  nuits  oit  j'ai  vécu  dix  ans. 
Prince,  pour  son  bonheur  faites  If  cotisent ir. 
Des  morts  et  des  mourants  la  plaine  était  semée.. . .  etc. 

Après  l'œuvre  tragique,  François  Rivarol  donna  sous  le 
nom  de  Monsieur  de  Saint-Martin,  sa  comédie  en  un  acte, 
le  Poète  Emprunteur.,  l'an  VII,  Son  type  était  un  rimeur 
boursouflé  et  ténébreux  qui  ne  faisait  rien  imprimer  et  se  con- 
tentait des  applaudissements  de   ses  coteries,  où  il  ne  cessait 

de  faire  des  dupes C'est  encore  sous   les  indications  de 

l'auteur  que   nous   citons  le  vers   suivant,  lequel   ne   formule 
certainement  pas  une  leçon  de  morale  et  d'humilité  : 

Qui  ne  se  vante  pas.,  ne  fait  jamais  fortune. 

A  la  veille  de  la  Révolution,  le  vicomte  de  Rivarol,  comme 
toute  la  noblesse  française,  menait  une  existence  frivole  et 
mondaine.  Cependant  les  castes  privilégiées  sentaient  appro- 


2.-)4  NOTICES     BIOGRAPHIQUES 

cher  l'heure  du  sacrifice.  La  nation  osait  faire  entendre  sa' 
grande  voix  :  elle  allait  affirmer  sa  volonté  virile  et  commander 
à  son  tour.  Une  lettre  de  François  à  son  père,  va  nous  appren- 
dre quelle  ligne  de  conduite  suivait  l'officier  bagnolais  qui  avait 
alors  trente  ans  :  «  J'abandonnai  dès  178S  cette  philosophie 
aventurière  dont  Je  fus  entiché,  conime  tant  d'autres,  pour 
me  livrer  à  l'étude  de  la  politique,  science  aussi  utile  à  l'homme 
que  la  philosophie  lui  est  pernicieuse J'ai  publié  plu- 
sieurs opuscules  de  poésies  fugitives,  mais  il  pourrait  se  faire 
qu'un  jour  j'écrivisse  des  choses  plus  sérieuses.  Depuis  la 
Révolution  les  historiens  de  tous  les  peuples.  Tacite,  Machiavel, 
Montesquieu  et  tous  les  publicistes  modernes,  ont  fait  ma 
constante  occupation.  » 

Fidèle  à  ses  devoirs  et  à  ses  principes  monarchiques,  le 
capitaine  montra  beaucoup  de  zèle  pour  la  défense  de  la 
royauté.  Ses  écrits  dans  les  Actes  des  Apôtres  le  prouvent.  On 
assure  qu'il  organisa  une  association  destinée  à  empêcher  les 
progrès  de  la  Révolution  qui  venait  d'éclater.  La  conspiration 
'  devint  impuissante.  Elle  dut  se  dissoudre  après  la  prise  de 
la  Bastille,  mais  Tardent  royaliste  en  réunit  bientôt  quelques 
débris  épars  et  en  forma  une  nouvelle  société  connue  sous  le 
nom  de  Salon  Français. 

En  1790,  Rivarol  écrivit  pour  le  Journal  de  la  Ville  et  de 
la  Cour;  sa  collaboration  ne  fut  pas  de  longue  durée,  puisque 
abandonnant  le  style  du  pamphlétaire  pour  la  plume  du  diplo- 
mate, il  alla  à  Coblcntz  d'où  les  chefs  de  l'émigration  l'envo- 
yèrent à  Londres  en  mission  auprès  de  Pitt. 

Nous  signalerons  son  passage  à  Bruxelles  en  1791.  Là  il 
eut,  avec  un  grand  seigneur  étranger,  partisan  delà  Révolution 
française,  un  duel  qui  eut  beaucoup  de  retentissement. 

Rivarol,  chargé  d'une  mission  de  Monsieur^  pour  Marie- 
Antoinette  était  revenu  à  Paris.  Il  assista  à  la  journée  du 
10  août  1792  qui  fut  la  dernière  du  règne  de  Louis  XVI. 
Lorsque,  peu  après,  la  loi  ordonna  la  vente  des  biens  des 
émigrés  et  peu  avant  les  massacres  de  septembre,  il  partit  de 


CLAUDE-FÉANÇOIS    RIVAROL  235 

nouveau  pour  l'étranger,  et  continua  son  service  dans  les  armées 
des  princes  coalisés  avec  les  prussiens. 

Au  milieu  même  de  l'agitation  permanente,  en  France  et 
dans  la  capitale  surtout,  Rivarol  trouvait  le  moyen  de  revenir 
à  Paris  de  temps  à  autres.  Il  échappait  chaque  fois  aux  recher- 
ches des  agents  secrets.  Cependant  un  jour  la  police  l'ayant 
découvert,  il  fut  incarcéré  et  il  demeura  vingt-deux  mois  en 
prison.  A  sa  sortie,  nous  lui  voyons  reprendre  la  route  d'Alle- 
magne, se  dirigeant  vers  Blankembourg,  où  le  prétendant  le 
nomma  colonel  et  chevalier  de  Saint-Louis.  (1797). 

Il  se  trouvait  de  nouveau  à  Paris  le  18  brumaire,  pendant 
cette  journée  mémorable  où  le  général  Bonaparte  expulsa,  par 
la  force,  le  conseil  des  Cinq-Cents  du  lieu  de  leur  séance. 
Les  investigations  minutieuses  de  la  police  aboutirent  à  la 
découverte  d'agents  voués  aux  intérêts  des  princes  émigrés. 
Rivarol  qui  était  de  ce  nombre,  fut  jeté  en  prison.  Il  y  resta 
pendant  deux  ans. 

A  sa  sortie,  il  fit  de  vains  ellorts  pour  obtenir  du  ministre 
la  levée  de  l'interdit  qui  frappait  son  frère  exilé.  Les  omnipo- 
tents demeurèrent  inflexibles  et  Antoine  mourait  à  Berlin  en 
iSoi,  alors  qu'il  disait  à  ses  amis  :  «  J'ai  empêché  François 
de  venir  me  joindre  pour  avoir  à  Paris  un  patron  qui  tâchât 
de  me  faire  sortir  de  l'enfer.   « 

Peu  après  la  date  du  21  germinal  an  ÎX,  Rivarol  fut  interné 
dans  le  département  du  Gard  :  on  lui  assigna,  comme  on 
disait  alors,  Bagnols  pour  prison  fi;.  Cette  mesure  de  sur- 
veillance émanant  de  la  police  impériale  dura  jusqu'à  la  chute 
de  Napoléon.  En  181 2  il  se  rend  à  Paris,  il  y  est  découvert 
et  retenu  en  prison  pendant  quelques  mois.  En  i8i3,il  quitte 
de  nouveau  la  France  et  n'y  revient  que  sous  la  Restauration. 
Enfin  sa  fidélité  mise  à  tant  d'épreuves  fut  récompensée  ;  le 
10  mai  18 16  le  roi  Louis  XVIII  le  nommait  maréchal  de 
camp. 

(1)  Où,  le  9  mai  1808,  il  se  maria,  en  secondes  noces,  avec  Mademoiselle  Camille 
de  Sibert  de  Cornilloii. 


236  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Avant  d'être  promu  à  ce  nouveau  grade,  il  eut,  dans  le 
département  du  Gard,  à  s'entendre  avec  les  hauts  fonction- 
naires civils  et  militaires,  afin  de  recruter  des  volontaires  zélés 
pour  suivre  le  duc  d'Angoulème  qui  soulevait  les  ardentes 
populations  de  la  contrée.  Que  de  brevets  d'officiers  ou  de 
chevaliers  du  Lys  n'a-t-il  pas  signés  et  fait  accepter  alors  par 
les  royalistes  enthousiastes  ? 

Rivarol  habitait  en  1814  la  ville  de  Nîmes.  On  sait  que  le 
gouvernement  avait  créé,  sous  le  nom  de  cours  prévôtales,  une 
justice  politique  exceptionnelle,  ayant  mission  de  juger,  dans 
les  départements,  les  crimes  et  délits  portant  atteinte  à  la 
la  sûreté  publique.  Le  général  François  de  Rivarol  fut  nommé 
prévôt,  c'est-à-dire  président  de  la  cour.  Ses  assesseurs,  dési- 
gnés par  le  ministre  de  la  justice,  étaient  pris  parmi  les  juges 
des  tribunaux  de  première  instance.  La  cour  pouvait  se  porter 
d'un  endroit  à  l'autre  du  département.  Elle  jugeait  en  dernier 
ressort  et  sans  recours  en  cassation,  sur  une  instruction  à 
peine  ébauchée  ?  Nous  comprendrions  difficilement  qu'avec 
sa  nature  ouverte  et  loyale,  Rivarol  eut  accepté  des  fonctions 
aussi  délicates,  si  nous  ne  l'avions  vu,  en  méridional  pas- 
sionné, sacrifier  au  fanatisme  politique  ou  religieux  les  plus 
nobles  sentiments  de  son  excellent  cœur(i). 

C'est  à  Nîmes  que  Rivarol  eut  un  duel  avec  M.  d'x\rgout, 
préfet  du  Gard.  On  raconte  qu'au  théâtre,  à  la  suite  d'une 
discussion  qu'il  mena  fort  loin  avec  ce  haut  fonctionnaire,  les 
deux  contradicteurs  sortirent  et  allèrent  dans  une  rue  écartée, 
à  la  lueur  d'un  réverbère,  échanger  une  passe  à  l'épée.  Le 
préfet  fut  légèrement  blessé  à  l'épaule  \  Rivarol  quitta 
Nîmes  (2). 

De  1817  à  1822,  libre  et  désabusé    de  toutes   les  intrigues 

(1)  Les  Cours  prévôtales,  comme  toutes  lesjuridictions  passagères,  et  souvent, 
locales,  ne  durèrent  pas  deux  ans  ;  la  loi  cessa  d'être  exécutoire  après  la  session 
de  1817. 

(2)  Les  feuilles  officielles  du  département  n'ont  rien  dit  de  cette  aventure  : 
nous  ne  connaissons  ce  fait  que  par  la  tradition  :  un  vieux  souvenir  d'enfance. 


CLAUDE-FRANÇOIS    RIVAROL  237 

politiques,  Rivarol  vécut  dans  son  domaine  de  Fontbelle, 
écrivant  des  idylles,  comme  en  ses  beaux  jours  de  poète, 
chantant  la  belle  nymphe  du  Tuël  (i)  dont  sa  seconde  épouse 
était,  disait-il,  l'image  fidèle...  Mais  bientôt,  dans  l'intérêt  de 
l'éducation  de  leurs  enfants,  M.  et  Madame  de  Rivarol  quit- 
tèrent le  pays  pour  aller  s'établir  à  Paris. 

La  révolution  de  Juillet  supprima  au  maréchal  de  camp  sa 
pension  de  chevalier  de  Saint-Louis  ;  malgré  la  bienveillante 
intervention  d'un  patron  aussi  puissant  que  généreux  (2).  Les 
ressources  devenant  moins  abondantes,  le  domaine  de  Font- 
belle  fut  vendu  en  1834...  Bientôt  après  le  mariage  de  sa  fille, 
le  ro^^aliste  fidèle  à  son  drapeau,  se  retira  à  la  campagne, 
dans  les  environs  de  Paris,  où  il  s'éteignit,  entouré  des  siens, 
le  6  juin  1848,  à  l'âge  de  8(5  ans. 

On  dit  qu'en  1862  un  bagnolais,  heureux  de  rendre  hom- 
mage à  l'un  de  ses  compatriotes  de  distinction,  arrivait  un 
jour  de  mai  à  Brie-Comte-Robert.  Il  se  dirigeait,  silencieux  et 
ému,  vers  le  champ  de  repos  de  ce  petit  bourg  de  Seine-et- 
Oise.  La  tombe  des  Rivarol  paraissait  avoir  été  naguère 
entr'ouverte.  On  venait,  en  eiïet,  d'y  déposer,  huit  jours 
auparavant,  les  restes  mortels  de  Madame  Camille  de  Sibert, 
veuve  du  général...  Le  bagnolais  sortit  tristement  du  cinie- 
tière  et,  en  regagnant  la  voie  ferrée  qui  conduit  à  Paris,  il 
stationna  encore  pendant  quelques  instants  devant  la  demeure 
habitée  peu  auparavant  par  ses  anciens  amis.  Au  milieu  des 
massifs  d'un  jardin  fleuri  se  dressait,  au-dessus  d'un  perron 
élégant,  un  chàtelet,  surmonté  d'un  fronton  de  pierre,  au 
centre  duquel  était  cette  touchante  inscription  : 

Utinam  péris  impleam  ami  ci  s  ! 

C'était  là  le  vœu  du  philosophe  désillusionné,  mais  pour 

(1)  A  côté  du  domaine  de  Fontbelle  se  trouve  une  fontaine  auprès  de  laquelle 
était  planté  jadis  un  tilleul,  un{tuél)  d'où  lui  vient  son  nom.  Rivarol  composa 
une  charmante  pièce  de  veis  que  nous  avons  trouvée  dans  ses  papiers  de  famille. 

(2)  M.  J.-B.  Teste,  alors  député. 


238  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

lui,   ce  mot  de  Socrate   confirmait  excellemment  le  prix  que 
doit  attacher  le  sage  à  la  douce  aifection  des  vrais  amis. 

De  son  premier  mariage,  le  lieutenant  général  de  Rivarol 
eut  un  fils,  qui  né  à  Paris  en  1786,  est  mort  à  la  lieur  de  l'âge, 
le  14  novembre  1827.  Le  vicomte  Jean-Baptiste-Auguste  de 
Rivarol,  sortant  de  l'École  polytechnique,  fut  nommé  officier 
dans  le  régiment  d'Issembourg,  avec  lequel  il  fit  la  campagne 
de  la  Calabre.  Sous  la  Restauration,  il  devint  capitaine  adju- 
dant-major dans  la  garde  ro3^ale. 

Le  culte  des  lettres  charmait  ses  plus  doux  loisirs.  On  a  de 
lui  un  Discours  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  Rollin  (Paris, 
i8ig,  in-8°  de  86  pages)  et  une  Notice  historique  sur  la 
Calabre  pendant  les  deruières  révolutions  de  Naples  (Paris, 
1817,  in-8^).  Il  travaillait  à  une  Histoire  de  Saint-Louis. 
lorsque  la  mort  vint  briser  et  sa  plume  et  son  épée. 

En  1808,  Claude-François  de  Rivarol  épousa  à  Bagnols 
Mademoiselle  Camille  de  Sibert  de  Cornillon  ;  de  ce  mariage 
naquit  un  fils,  Edouard,  Quoique  élevé  à  La  Flèche,  le  jeune 
de  Rivarol  ne  manifesta  point  le  désir  de  suivre  la  carrière 
des  armes  :  il  entra  dans  l'administration  des  contributions 
indirectes.  Ayant  atteint  sa  retraite  avec  un  poste  éminent,  il 
se  fixa  à  Paris  où  les  dernières  années  de  sa  vie  furent  em- 
ployées aux  bonnes  œuvres.  Le  comte  E.  de  Rivarol  était  un 
des  patrons  empressés  de  la  Société  des  amis  de  l Enfance. 

Marié  en  1844  à  Mademoiselle  Marie  Dumont,  de  Carcas- 
sonne,  il  est  mort,  sans  postérité,  à  Vichy,  en  octobre  1870. 

Sa  sœur.  Mademoiselle  Delphine  de  Rivarol,  épousa 
M.  Charrier,  de  Brie-Comte-Robert,  Elle  mourut  en  1867, 
ne  laissant  qu'une  fille,  mariée  à  M.  Tollin,  agent  de  change 
à  Paris  (1). 

(1)  Nous  sommes  hem'eux  de  remercier  ici  les  descendants  de  Rivarol  de 
rinlérc'l  qu'ils  porlenl  à  l'œuvre  de  la  Bibliothèque  et  du  Musée.  L.  A. 


ROUSSEL    (JOSEPH -JEAN-BAPT.-HERCULE  (DE) 

CONSUL  GÉNÉRAL  A  SMYRNE 

Né   à   Bagnols   le    ig   septembre    l'jSS 
Mort  à  Bagnols  le  14  mai  i835 


Armes  :  D'azur  au  soleil  iVor  en  chef  :  à  la  rose  tùjée  en  abhnr 


NE  récompense  mémorable  qu'accorda  à  ses  élèves 
favoris  notre  premier  maître  de  dessin,  M.  Lacroix, 
fut  la  visite  au  cabinet  de  M.  de  Roussel  (i)  La  salle 
était  un  véritable  musée  et  nous  avons  conservé  le 
souvenir  des  objets  qui  frappèrent  alors  nos  regards  :  quel- 
ques belles  marines  de  Joseph  Vernet  ;  deux  tableaux  de 
Greuze  :  l'Enfant  an  tonton  et  une  Jeune  fille  Jouant  avec 
un  e/iien  (2),  puis  des  miroirs  métalliques  ovales,  puis  des 
vitrines  renfermant  des  objets  grecs  et  égyptiens;  fines  pote- 
.ries  de  Samos,  Scarabées,  Stelles,  vases  et  médailles  et  enfin 
un  magnifique  torse  de  femme  en  marbre  blanc,  mutilé  mal- 
heureusement, mais  d'une  beauté  parfaite  (3). 

Un  jeune  homme,  —  on  l'appelait  le  bel  Athénien,  — nous 

(1)  Alors  rue  Dauphine,  aujourd'hui  rue  Montmorency,  maison  Ode,  n»  2. 

(2)  Nous  avons  depuis  lors  vu  des  copies  de  ces  mêmes  tableaux  au  musée 
de  Dijon. 

(3)  V.  ci-après  la  note  A. 


240  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

fit  les  honneurs  de  la  collection.  Artiste  lui-même,  M.  Tony, 
qui  alors  étudiait  le  droit  à  Aix,  était  élève  de  Constantin  (i). 
Il  cherchait  à  nous  initier  à  la  connaissance  des  objets  pré- 
cieux qu'il  nous  montrait  et  dont  il  nous  faisait,  en  très  bons 
termes,  comprendre  et  apprécier  toute  la  valeur. 

Cette  station,  en  face  de  raretés  telles  que  nous  n'en  avions 
encore  point  vu  d'analogues,  ouvrait,  pour  nous  tous,  de 
vastes  horizons...    Nous  en  parlâmes  pendant  de  longs  jours. 

En  ce  temps  là,  nous  suivions  avec  empressement  les  trois 
frères  Flandrin  (2)  que  M.  Tony  de  Roussel  guidait  aux  bords 
de  la  Cèze,  sur  les  crêtes  de  l'Encise  ou  de  Jicon.  Ces 
artistes  copiaient  les  sites  les  plus  pittoresques  des  alentours 
et  nous  n'avions  pas  perdu  notre  journée  lorsqu'ils  voulaient 
bien  nous  permettre  de  les  approcher  afin  de  voir  leurs 
esquisses. 

La  bienveillance  de  M.  Tony  et  une  similitude  de  goûts, 
nous  valurent  la  faveur  personnelle  d'aller  maintes  fois, 
depuis,  dans  la  famille  de  M.  de  Roussel.  Là,  nous  entendions 
parler  des  temps  anciens,  du  prince  de  Conti,  de  Monsieur^ 
des  vers  satiriques  de  l'oncle  Barnabe  (3j,  des  voyages  en 
Orient,  d'Athènes,  de  Smyrne,  des  Pyramides...  C'est  donc 
avec  un  sentiment  de  profonde  gratitude  que  nous  allons 
raconter  ici  ce  que  fut  ce  noble  vieillard  nommé  le  consul  de 
Smyrne. 

Fils  d'Alexis-Gabriel  de  Roussel  et  de  Rose  Magne,  Joseph- 
Jean-Baptiste-Hercule  naquit  à  Bagnols  le  19  septembre 
1758.  A  dix-sept  ans  il  entra  dans  les  gardes  du  corps  de 
Louis  XVI,  compagnie  de  Luxembourg.  Il  servit  quinze 
mois  et  passa  de  là  dans  le   régiment  mestre  de  camp-général 

(1)  Constantin  était  un  peintre  d'Aix  qui  a  joui  d'une  certaine  réputation;  il  a 
été  le  maître  de  Granet.  M.  de  Roussel  copiait  merveilleusement  les  encres  de 
Chine  du  professeur. 

(2)  V.  la  Not.  biogr.  de  Ladroit,  page  H. 

(3)  M.  Barnabe  de  Roussel  était  juge  de  paix  à  Bagnols  en  1789. 


JOSEPH    DE    ROUSSEL  24I 

« 

dragons,  en  qualité  de  lieutenant  (1778)  (1),  C'est  à  cette  époque 
qu'il  fut  attaché  à  l'ambassade  de  Constantinople  et  nommé 
vice-consul  aux  Dardanelles.  Mais  toutefois,  conservé  au 
cadre  de  son  régiment,  il  eut  en  1785  une  lettre  de  passe  à 
la  suite  de  M.  le  duc  de  Luynes, 

Le  jeune  bagnolais  obtint  un  congé  pendant  lequel  il  se 
rendit  à  Paris.  Là,  distingué  par  ses  talents,  dont  il  avait  eu 
déjà  l'occasion  de  révéler  le  côté  spécial,  Roussel  fut  envoyé 
en  mission  diplomatique  en  Angleterre,  d'où  il  fut  rappelé 
pour  accompagner  le  comte  de  Saint-Priest,  ambassadeur 
à  La  Haye. 

Bientôt  les  Prussiens  envahirent  la  Hollande  (2), 

Roussel  dut  revenir  à  Paris  et,  en  récompense  de  ses  services 
signalés,  il  fut  nommé  vice-consul  à  Nauplie  de  Romanie  (3), 

Le  diplomate  se  trouvait  à  la  cour  lors  des  premiers  évé- 
nements sanglants  de  la  Révolution.  Il  eut  hâte  de  quitter  la 
capitale  et  de  retourner  à  Bagnols  où  les  électeurs  en  firent 
un  capitaine  de  la  garde  nationale.  La  ville  était  alors,  comme 
tous  les  centres  populeux  de  la  France,  divisée  en  deux  camps; 
les  partisans  de  l'ancien  régime  et  ceux  qui,  de  bonne  foi, 
croyaient  à  l'avenir  promis  par  les  hommes  de  1789.  Ces  der- 
niers poussant  dès  lors  leurs  exagérations  à  des  limites  fort 
avancées,  sinon  extrêmes,  copiaient  trop  fidèlement  les  meneurs 
parisiens.  Les  sans-culottes  bagnolais  avaient,  disait-on,  le 
projet  de  piller  la  maison  de  Joseph   Roussel.   Celui-ci   plaça 

(l).Ce  régiment,  créé  en  1674.,  était  le  deuxième  avant  1789;  il  devint  le 
]Qme  dragons  en  1791. 

(2)  Grâce  aux  armes  prussienues,  le  Stathouder,  prince  héréditaire,  fut 
rétabli  et  la  concorde  régna  dans  la  république  batave.  En  1788,  les  Etats-Géné- 
raux conclurent  une  alliance  plus  intime  avec  la  Prusse  et  l'Angleterre.  —  Bel- 
gique et  Hollande,  par  Van  Hesselt,  p.  461  et  suiv.  (Didot,  1860), 

(3)  Nauplie  de  Romanie,  très  forte  ville  de  Grèce,  très  beau  port,  résidence 
d'un  archevêque  grec  et  d'un  vice-consul  de  France,  est  à  80  kilom.  d'Athènes 
et  à  16  kilom.  de  Wycènes.  C'est  le  port  de  l'ancien  Argos.  Roussel  s'y  trou- 
vait pendant  la  guerre  de  la  Russie  et  de  la  Turquie.  —  V.  La  Grèce,  de 
Brunet  de  Presle  et  Alexandre  Blanchet  (Didot,  1860),  p.  393. 

T.   II  16 


242  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

un  baril  de  poudre  à  l'intérieur,  près  de  la  porte  et  fit  dire  à 
ses  adversaires  politiques  qu'il  les  attendait  ;  personne  ne 
parut. 

M.  Alexis  de  Roussel  était  dans  notre  ville  l'agent  du  sei- 
gneur,  alors  Monsieur,  frère  du  roifi).  Cette  charge  honorable 
et  lucrative  semblait  héréditaire  dans  sa  famille,  car  son  père 
en  avait  été  investi  par  le  baron  précédent  :  le  prince  de 
Conti.  Il  parait  que  les  lettres  de  noblesse  de  la  famille 
Roussel  datent  clc  cette  époque,  car  en  1750,  nous  voyons 
comme  notaire  à  Bagnols  un  Roussel  dont  le  fils  devint  avocat 
au  Parlement  de  Toulouse,  Donc,  en  sa  qualité  de  noble,  le 
père  de  Joseph  de  Roussel,  consul,  fit  partie  de  l'assemblée 
de  la  noblesse,  à  Nimes,  en  1788,  pour  la  vérification  des 
titres.  C'était  là  un  motif  pour  désigner,  peu  d'années  après, 
l'aristocrate  à  la  proscription.  Cependant,  par  sa  fermeté 
autant  que  par  une  bienveillance  soutenue  envers  tous  ses 
compatriotes,  Joseph  put  rester  à  Bagnols  à  la  tête  de  sa  com- 
pagnie pendant  un  an.  Le  torrent  révolutionnaire  allait  tout 
anéantir  de  ce  qui  se  rattachait  à  la  vieille  institution  monar- 
chique, Joseph  de  Roussel  dut,  rejoignant  son  poste  en  Roma- 
nie,  aller  chercher  une  sécurité  que  sa  patrie  ne  lui  offrait 
plus. 

Un  mandat  d'arrêt  fut  lancé  contre  lui  -,  un  autre  contre 
M.  Saurin,  chevalier  de  Saint-Louis,  son  beau-frère  ;  un  autre 
contre  son  parent,  M.  de  Gonet  et  un  dernier  contre  son 
père,  vieillard  de  84  ans  que  Ton  entraîna  à  Montélimar, 
inculpé  comme  émigré,  alors  qu'il  n'avait  pas,  pendant  un 
seul  jour,  quitté  la  ville  de  Bagnols.  Joseph  de  Roussel  ne  dut 
son  salut  qu'à  son  éloignement  de  la  France  (2), 

Si  Joseph  de  Roussel  avait  pu  échapper  aux  malheurs  qui 
s'appesantirent  sur  la  France  pendant  le  règne  de  la  Terreur, 
il  ne  fut  pas  si  heureux  en  Turquie.   Notre  armée  venait  d'en- 

(1)  V.  ci-après  la  note  B. 

(2)  M.  de  Gonet  émigra  en  Russie  et  M.  Saurin  fut  enfermé  dans  les  prisons 
de  Montpellier. 


JOSEPH    DE    ROUSSEL  2^.3 

vahir  l'Egypte  par  des  prodiges  de  valeur  qui  n'étaient  égalés 
que  par  les  exploits  de  nos  troupes  d'Europe  en  Allemagne  et 
en  Italie  ;  les  Français  disputaient  aux  mameluks  le  sol 
antique  des  pharaons.  Nos  établissements  nationaux  éloignés 
du  théâtre  de  la  guerre  furent  menacés  et  envahis  par  les 
Turcs.  Le  consulat  de  Nauplie,  à  la  tête  duquel  se  trouvait 
notre  compatriote  cessa  d'exister.  La  demeure  de  Roussel  fut 
dévastée  de  fond  en  comble  et  le  diplomate,  séparé  brutale- 
ment de  sa  femme  et  de  ses  enfants,  resta  incarcéré  aux  Sept 
Tours  pendant  près  de  quatre  ans. 

La  paix  avec  l'Egypte  le  rendit  à  sa  patrie  et,  comme  adou- 
cissement aux  revers  qu'il  avait  essuyés,  le  prince  de  Talley- 
rand,  alors  ministre  des  relations  extérieures,  le  nomma  au 
consulat  de  la  Canée,  dans  l'île  de  Crète  (i),  alors  que  cette 
île  célèbre  était  sous  la  domination  des  Turcs.  Un  corsaire 
français  s'étant  permis  de  prendre  un  bâtiment  crétois,  une 
insurrection  éclata  et  Joseph  de  Roussel  enlevé  nuitamment 
de  sa  maison  qu'on  pilla,  fut  enfermé  pendant  quarante-sept 
jours.  Après  ce  temps  de  révolution  et  de  violence,  il  lui  fut 
enjoint  d'aller  attendre  aux  îles  Ioniennes  les  ordres  de  son 
gouvernement.   Il   ariva    à   Zante    le   3o  septembre  1S04  (2). 

Le  poste  diplomatique  qu'occupait  notre  compatriote  était 
loin  d'être  une  sinécure.  De  l'Archipel  à  l'Adriatique  on  était 
en  insurrection.  Depuis  le  traité  de  Campo-Formio  (17  oct. 
1797)  les  sept  îles  appartenaient  à  la  France.  En  1800,  la 
Porte  et  la  Russie  les  constituent  en  république  vassale  et  tri- 
butaire de  l'empire  ottoman  (3).  Peu  après,  la  guerre  éclate, 
elle  n'est  apaisée  que  par  un  plénipotentiaire  russe.  Le  pro- 
tectorat  d'Alexandre  avait    aux  yeux  de  la   France  les  appa- 

(1)  Crête,  aujourd'lmi  Candie  ;  la  plus  grande  des  îles  ioniennes.  Une  des 
villes  principales,  l'antique  Cydoniu,  fondée  par  Minos,  porte  le  nom  de  La 
Canée:  c'est  une  ville  forte  où  réside  un  pacha  :  G;, 000  lia))itants.  —  Iles  de 
la  Grèce,  par  L.  Lacroix  (Didot^  1853,  p.  535). 

(2)  Zante,  l'ancienne  Zacynthie.  —  V.  Iles  de  la  Grèce.  Didot,  p.  028. 

(3)  V.  Benie  orienlale  algérienne,  par  Breulier. 


244  NOTICES    niOGRAPHIQUES 

rcnccs  d'une  souveraineté  absolue.  La  place  de  Corfoii  était 
occupée  depuis  1804  par  une  forte  garnison  russe;  Cattaro 
fut  prise  par  cette  garnison,  en  mars  1S06,  et  Napoléon, 
voyant  avec  inquiétude  l'influence  manifeste  du  czar,  exigea 
que  la  République  septinsi^laire  fut  restituée  à  la  France  (Traité 
de  Tilsitt,  7  juillet  1807). 

A  la  chute  du  premier  Empire,  nous  dûmes  évacuer  les  îles 
Ioniennes  (Traité  de  Paris,  3o  mai  18 14).  Au  mois  de  juin  le 
général  Donzelot  évacua  Corfou  et  ses  dépendances  (i). 

Pendant  cette  période  de  dix  ans,  Roussel  avait  pris  une 
part  active  aux  négociations  entre  les  puissances  rivales,  se 
disputant  l'influence  sur  la  Méditerranée.  Nous  savons  qu'à 
peine  arrivé  à  Zante  une  escadre  anglaise  attaqua  la  ville  et 
s'en  empara,  que  le  consul  de  France  se  trouva  de  nouveau  pri- 
sonnier, qu'après  quelque  temps  de  détention,  un  sauf-con- 
duit lui  fut  accordé  pour  se  rendre  à  Corfou,  d'où  il  fut 
appelé  à  Paris  et  nommé  au  consulat  de  Morée.  Nous  savons 
aussi  que  les  services  qu'il  fut  en  état  de  rendre  à  la  colonie 
de  Corfou  (2)  lui  valurent  la  haute  estime  du  gouverneur 
général  Donzelot  qui  demanda,  mais  inutilement,  la  croix 
de   la   Légion   d'honneur  pour   le   diplomate  bagnolais  (3). 

En  18 14,  Louis  XVIII  nomma  Roussel  consul  général  en 
Egypte.  L'éminent  fonctionnaire  allait  atteindre  le  but  de  son 
voyage  quand  il  s'arrêta  à  Smyrne,  où  le  courrier  annonçant 
la  nouvelle  des  Cent-Jours,  lui  enjoignit  d'attendre  de  nou- 
veaux ordres.  Après  avoir  séjourné  près  d'un  an  dans  ce 
grand  centre  commercial  du  Levant,  administrant,  comme 
consul  général,  cette  région  de  la  Turquie  d'Asie,  Roussel  se 
rendit  à  son  poste.  Sa  nomination  venait  de  lui  être  confirmée. 
Il  occupa  le  consulat  général  d'Egypte  jusqu'en  1820.  Ilavait 

(1)  Depuis  1815,  la  République  des  îles  Ioniennes  passa  sous  le  protectorat  de 
rAngleterre. 

(2)  Corfou,  l'ancienne  Corcyre  :  les  corcyriens  ont  joué  un  grand  rôle  dans 
l'histoire  ancienne.  —  V.  Iles  de  la  Grèce,  p.  615  et  suiv. 

(3)  Ce  ne  fut  qu'après  43  ans  de  services  qu'il  reçut  la  décoration. 


JOSEPH    DE    ROUSSEL  245 

atteint  ses  63  ans  (dont  il  pouvait  compter  45  remplis  par 
ses  loyaux  services),  lorsqu'il  se  retira  à  Bagnols  auprès  des 
membres  de  sa  famille. 

Nous  l'avons  dit  en  commençant  cette  notice  :  Joseph 
Roussel  avait  su  rapporter  de  ses  lointains  voyages  des  trésors 
d'antiquité  grecques  et  égyptiennes.  Son  goût  délicat  pour  les 
œuvres  d'art  lui  faisait  rechercher  tous  les  objets  précieux 
qu'il  pouvait  connaître  autour  de  lui.  Sa  vie  s'écoulait,  pai- 
sible, à  sa  maison  de  campagne  de  l'Encise  dont  il  se  plaisait 
à  parcourir  les  montagnes  sablonneuses,  alors  dénudées.  — 
«  Après  avoir,  disait-il,  traversé  le  désert,  je  reviens  sous  les 
ombrages  frais,  c'est  là  mon  oasis.  »  —  «  En  attendant  le 
paradis,  lui  répondait  pieusement  sa  vieille  sœur  (i).  » 

Joseph  de  Roussel  est  mort  le  11  mai  i835,  à  l'âge  de 
78  ans. 

Hyppolite  Flandrin,  encore  jeune,  a  laissé  de  lui  un  beau 
portrait.  Sa  figure  osseuse,  expressive  et  profondément  ridée, 
son  teint  bruni,  sa  perruque  d'un  noir  intense  tout  est 
accentué  avec  une  touche  qui  révélait  déjà  le  grand  maître-; 
le  consul  est  en  uniforme  (2). 

Notre  compatriote  n'a  laissé  qu'un  fils,  M.  Tony  de  Rous- 
sel, mort  à  Nîmes  en  1877  (3).  Marié  à  Mademoiselle  Julie- 
Joséphine  de  Correnson-David,  de  Saint-Geniès,  la  famille  s'est 

(1)  Mademoiselle  Rose  Roussel  qui  acheta  à  l'abbé  Berthoud,  curé,  un  magni- 
fique sarcophage  chrétien,  trouvé  sous  un  autel  de  l'église  paroissiale.  Cette 
relique  des  premiers  âges  appartient  à  M.  Louis  Astier  et  se  trouve  encore  dans 
•sa  campagne  de  l'Encise.  Le  célèbre  archéologue  italien,  le  Père  Garrucci,  est 
venu  le  visiter  et  l'a  reproduit  dans  son  grand  ouvrage  des  Monuments  chré- 
tiens. M.  Edmond  Leblant,  de  l'instilut,  en  a  publié,  sous  le  patronage  du 
ministre  une  description  enrichie  d'une  photographie  très  exacte. 

(2)  Une  copie  de  cette  œuvre  remarquable  est  placée  au  Musée  de  Bagnols. 

(3)  En  visitant  l'église  de  Saint-Paul  à  Nîmes,  monument  romano-byzanlin, 
orné  de  belles  fresques  d'IIippolyte  Flandrin,  on  remarque  dans  la  chapelle  de 
Saint-Joseph,  uac-prûcession  A'Orante  tenant  des  palmes  à  la  main.  La  seconde 
figure  de  droite  est  le  portrait  de  M.  Tony  de  Roussel,  drapé  d'un  manteau 
écarlate.  Les  autres  figures  rappellent  les  traits  de  personnages  connus  à  Nîmes, 
artistes,  architectes,  etc. 


24<J  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

perpétuée  dans  la  personne  de  M.  Arthur  de  Roussel  et  dans 
Mademoiselle  de  Roussel,  mariée  à  M.  de  Gonet,  conseiller 
à  la  Cour  de  Montpellier. 


NOTES 

(A^  p.  23'J).  —  La  statuette  ea  marl)re  blanc  de  Paros  a  0,70  centimètres  de 
liauleur.  La  tète,  les  bras  et  une  jambe  n'ont  point  été  retrouvés.  Le  torse 
rappelle  les  cbefs-d'œuvre  de  l'école  athénienne.  Si  Bagnols  possédait  encore 
cette  œuvre  magistrale,  les  artistes  n'auraient  pas  lieu  de  regretter  de  s'ar- 
rêter dans  notre^ville.  Malheureusement,  le  torse,  acheté  par  un  amateur  dis- 
tingué, M.  le  duc  d'Aremberg^  (jui  la  jiaya  30,000  francs,  orne  aujourd'hui  son 
palaiSj  à  Bruxelles. 

Le  marbre  a  été  moulé  et  surmoulé  assurément  :  nous  en  possédons  une 
belle  épreuve  au  Musée  de  Eagnols  et  nous  en  avons  vu  des  copies  chez  les 
mouleurs  de  Paris  qui  le  désignent  (nous  ignorons  pourquoi)  sous  le  nom  de 
Torse  dé  Ninive. 

(C,  p.  2ï2).  —  Comme  ses  frères  Joseph  et  Barnabe  il  s'occupait  d'œuvres 
littéraires  et  historiques , 

Vers  1751),  alors  (pie  les  Bénédictins  recueillirent  des  documents  pour  écrire 
ï Histoire  du  Languedoc,  dom  Vie  et  dom  Vaisselle  s'adressèrent  aux  savants  et 
aux  érudils  de  la  contrée,  Tii  Mémoire  sur  la  ville  et  la  viguerie  de  Bagnols  leur 
fui  envoyé.  Le  manuscrit  se  trouve  à  Paris^  à  la  Bibliothèque  nationale.  ,— 
Mss  Languedoc,  vol.  t"!,  fol.  o75-o71). 

L'auteur  était  «  M.  le  chevalier  Boussel,  subdélcguéde  l'intendance  à  Bagnols 
cl  conseiller-garde  des  archives  du  domaine  du  roi  près  la  Cour  des  comptes, 
aides  etiinances  de  Montpellier,  chevalier  de  l'ordre  du  roi.  » 

Ce  Mémoire  est  le  narré  succinct  de  l'histoire  de  la  ville  et  delà  baronnie  de 
Bagnols  ;  il  donne  en  outre  quiîlques  détails  sur  chaipie  communauté  faisant 
partie  de  la  viguerie.  Nous  devons  la  copie  de  cet  intéressant  manuscrit  à  l'obli- 
geance de  M.  de  Boislisle,  membre  du  Comité  des  ti'avaux  histori(iues.  iNous  lui 
offrons  ici  re.\pression  de  notre  profonde  gratitude. 


ROUSSEL  (JOSEPH; 

A\-OCAT 

Né  à  Bai^'uoh..  .. 
Morl  à  Bag'uo!s  le  2  janvier  ijjS 


osEPH  Rousse],  fils  du  notaire  agent  du  prince,  était 
Toncle  et  le  parrain  de  Joseph  (le  consul j  dont  nous 
venons  de  raconter  la  vie  accidentée.  Nous  n'avons 
pas,  sur  ce  bagnolais  notable,  de  longs  détails  bio- 
graphiques :  il  était  avocat  au  Parlement  de  Paris.  Il  mourut 
à  Bagnols  le  2  janvier  177S  et  «  fut  enterré  en  grande 
pompe  ))  dit  son  acte  de  décès. 

Cet  honneur  rendu  par  ses  concitoyens  prouve  tout  à  la  fois 
quelle  était  la  haute  intiuence  de  sa  famille  et  quel  pouvait 
être  le  mérite  personnel  du  défunt.  Un  chroniqueur  futur 
saura,  espérons-le,  découvrir  et  grouper  les  faits  se  rattachant 
à  ce  légiste  en  renom. 

Nous  ne  pouvons  que  mentionner  ici  trois  ouvrages  spé- 
ciaux qu'il  a  laissé  et  dont  nous  trouvons  le  titre  dans  la 
Franee  litîévaire  (i)  .• 

«  Ai^enda  (V)  ou  Manuel  des  gens  d'affaires,  ouvrage  très 
intéressant  et  très  utile  au  public,  à  tous  les  marchands,  ban- 


(1)  Tome  VIII,  ikhJ.  .M.  (Jiiéiard. 


248  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

quicrs,  négociants,  praticiens  et  généralement  aux  personnes 
de  tous  les  états,  etc.,  etc.  Paris,  Langlois,  1772,  in-8°. 

«  Instructions  pour  les  seigneurs  et  leurs  gens  d'affaires, 
par  M.  R....  Paris.  Lottin  aîné,  1770,  in- 12. 

«  Mémoire  et  consultations  pour  la  dame  comtesse  de 
Lannion.  i7..,in-4°.  La  date  est  suspendue.  » 

Quelle  était  la  cliente  de  Roussel  ? 

Le  Tome  II  du  Dictionnaire  de  la  noblesse  nous  le  dit  : 

«  C'était  Marie-Charlotte-Félicité  de  Clermont-Tonnerre, 
née  en  1721  et  morte  en  1774.  Elle  avait  épousé,  en  1738 
H3^acinthe  de  Lannion,  issu  d'une  maison  de  Bretagne,  dési- 
gné comme  un  des  plus  distingués  de  cette  province.  Le 
comte,  chevalier  des  'ordres  du  roi,  colonel  du].régiment  de 
Maroc,  devint  maréchal  de  camp  en  1748,  lieutenant  général 
en  1750  et  mourut  gouverneur  de  Mahon  en  1762  )>  Ce  fut 
donc  pour  plaider  les  droits  de  l'épouse  héritière  que  Roussel 
publia  son  mémoire. 

M.  de  Lannion,  du  reste,  n'était  point  un  étranger  pour  le 
bagnolais.  Depuis  1761,  H3^acinthe-Gaëtan  était  seigneur  de 
Vénéjan.  Sa  tante,  Elisabeth  de  Lannion,  marquise  de  la 
Rozère,  avait  reçu  en  héritage  du  marquis  de  Fogasse  cette 
terre  que  ce  dernier  tenait  des  Cadard  d'Ancézune.  Vendue 
en  1754  au  marquis  de  La  Pare,  la  seigneurie  de  Vénéjan 
a  pu  être  la  cause  des  contestations  qui  motivèrent  le 
mémoire  du  jurisconsulte. 

Les  deux  premiers  volumes  cités  plus  haut,  prouvent  suffi- 
samment que,  fils  d'un  agent  d'affaires  de  seigneur,  il  devait 
posséder  à  fond  son  sujet  et  écrire  ex professo.  La  fastidieuse 
nomenclature  des  arrêts,  des  lois,  des  ordonnances,  n'offre 
plus  aujourd'hui  d'autre  intérêt  que  pour  le  jurisconsulte 
éruditqui  tient  à  connaître  l'histoire  d'une  législation  surannée. 


SABATON  (JEAN) 

TANNEUR 

Né  à    U-ès  î^ers    ij4g 
Mort  à  Bagnols  le  20  avril  1842 


,.v  tannerie,  industrie  jadis  prospère,  n'existe  plus 
\?i  Bagnols.  Cependant  autrefois,  le  long  du  Ruis- 
jseau,  étaient  groupés  de  nombreux  ateliers  dont  le 
«dernier  cessa  de  fonctionner  il  y  a  près  de  cinquante 
ans.  La  mégisserie  seule  a  survécu.  Cette  cause  de  décadence 
viendrait,  a-t-on  dit,  de  l'influence  des  eaux,  lesquelles  ne 
contiennent  pas  les  s  .ibstances  chimiques  nécessaires  à  la  par- 
faite confection  des  cuirs. 

En  donnant  un  souvenir  aux  derniers  des  tanneurs  bagno- 
lais  (i)  nous  avons  voulu  rappeler  qu'au  commencement  du 
xix^  siècle,  une  ruche  de  travailleurs  bruyants  animait  encore 
le  quartier  du  Posterlon. 

On  pourra  tout  d'abord  trouver  inopportun  de  parler  ici 
d'un  homme  qui  ne  fut  ni  célèbre  ni  distingué  et  cependant 
outre  l'intérêt  qu'il  y  a  à  mentionner  une  industrie  locale,  il 
nous  a  semblé  piquant  de  parler  de  cette  personnalité  bagno- 


(1)  Les  maisons  Lassagne  et  Chay  ont  fait  fonctionner  les  dernières  tanneries 
du  pays. 


25o  NOTICES    BIOGRAPHIQUr:S 

laise  (i)  afin  de  faire  ressortir  le  degré  d'infériorité  dans  lequel 
rii>-iu)rancc  a  laissé  un  de  nos  compatriotes  et  de  tirer  de  notre 
récit  un  utile  enseignement. 

Combien  de  personnes  à  Bagnols  se  souviennent  aujour- 
d'hui du  vieux  tanneur  Sabaton,  mort  dar.s  l'indigence  il  y  a 
près  de  quarante  ans?...  un  type  de  grenadier  de  la  Répu- 
blique, lier,  sévère,  solennel  dans  son  allure.  Nous  l'avons 
connu  parce  qu'il  habitait  notre  voisinage  et  que,  plus  d'une 
fois,  nous  lui  avons  entendu  raconter  l'histoire  de  sa  jeuneese, 
alors  qu'il  était  soldiit  dans  le  Royal-marine. 

Sabaton  avait  dans  ce  régiment,  pour  camarade  de  lit,  Ber- 
nadotte.  Ces  deux  troupiers  de  la  première  étape  eurent, 
depuis,  une  destinée  bien  opposée.  Ce  qui  nous  frappait, 
c'était  le  contraste  entre  notre  compatriote,  resté  soldat  de  Mars 
et  de  Bacchus,  et  son  ancien  ami,  soldat  couronné  parle  vœu 
libre  de  tout  un  peuple  et  devenu  roi  de  Suède  (2). 

Le  récit  des  scènes  de  chambrée  amusait  notre  enfance  : 
Sabaton  était  intarissable  sur  son  illustre  camarade,  en^a^é 
volontaire  en  1780,  grenadier  en  82,  caporal  en  85,  sergent 
en  89....  Mais  depuis,  Bernadotte,  qui  avait  reçu  à  Pau  une 
éducation  soignée,  puisque  sa  famille  le  destinait  au  barreau, 
fit  son  chemin,  et  quel  cheniin  !  Après  la  Révolution,  dès  que 
les  barrières  élevées  par  le  privilège  eurent  été  renversées, 
son  avancement  fut  rapide  :  en  trois  ans  il  franchit  les  grades 
de  sergent  à  colonel.  En  lyq'i,  il  était  général  de  division, 
ambassadeur  à  Vienne  en  1798  3  ;  ministre  de  la  guerre  en 
1799,  maréchal   en    1804,  gouverneur  du  Hanovre  en    i8o5, 

(1)  Jean  Sahatoii  naquit  à  l'zès.  Dans  sa  jeuness«;  il  vint  se  lixer  à  Bagnols 
où  il  est  mort  à  93  ans. 

(2)  Après  1830,  Sabaton  écrivit  à  Stockolm,  d'où  son  ancien  ami  répondit  par 
une  invitation  de  se  rendre  auprès  de  lui.  L'ouvrier,  bien  qu'dleltré,  savait  ({ue 
la  vigne  ne  mûrissait  pas  au-deKà  de  Paris.  Il  préféra  donc  rester  dans  son 
Midi  vinicole,  loin  de  toute  étiquette  et  se  passant  volontiers  d'un  secours 
d'argent  ({u'U  espérait  obtenir. 

(3)  Hernadotte  épousa  Mademoiselle  Clary,  sœur  de  la  femme  de  Joseph  Bona- 
parte. 


SABATON 


25[ 


nommé  prince  de  Ponte-Corvo  en  [8o(')-,  élu  prince  hérédi- 
taire par  les  Etats-Généraux  de  Suède  en  1810  et  adopté  pour 
fils  par  le  roi  Charles  XIII  ;  et  enfin  proclamé  roi  de  Suède 
et  de  Norwège  en  181 8. 

Certes,  le  parallèle  devait  nous  impressionner,  nous,  jeunes 
auditeurs  du  narré  de  ces  glorieux  états  de  service.  Aussi  pre- 
nions-nous un  vif  intérêt  à  notre  vieux  compatriote,  infirme, 
malheureux,  intempérant,  hélas!  privé  des  bienfaits  de  l'ins- 
truction, impuissant  pour  sa  famille  et  pour  son  pays,  en  le 
comparant  au  Français  patriote  qui  était  alors  dans  les  splen- 
deurs de  sa  cour,  à  Stockholm  et  faisait,  comme  roi,  le  bon- 
heur de  son  peuple. 


.?MC^.. 


^ 


SAURIN   (ANDRÉ-FÉLIX) 

MAIRE 

Né  à    Bagnols    le  24  floréal   an  X 
Mort    à    Bagnols    le   3i    décembre    iSjS 


N  ancien  remarquait  que  «  c'était  un  précepte  des 
rhéteurs,  lorsque  l'on  commençait  un  éloge  solen- 
nel, d'énumérer  d'abord  les  ancêtres  de  celui  qu'il 
fallait  louer,  afin  de  raconter  rapidement  leurs 
actions,  afin  de  montrer  comment  leur  descendant  avait  su  ne 
pas  dégénérer,  s'il  était  d'illustre  race  ;  et  comment,  s'il  était 
d'une  condition  modeste,  il  avait  rehaussé  l'humilité  de  sa 
naissance  (i).  » 

Nous  ne  devons  point  ici  nous  écarter  des  traditions  litté- 
raires ;  ainsi,  restant  dans  la  fidélité  historique,  nous  men- 
tionnerons brièvement  ce  que  firent  pour  notre  ville  les 
membres  influents  de  la  famille  Reynaud,  dont  l'un  échangea 
son  nom  contre  celui  de  Saurin. 

Remontons  seulement  à  l'année   lyyS. 
Dans  la  séance  du  i5  avril  lyyô;  Antoine-André  Reynaud, 
avocat  au  Parlement,  premier  consul,  maire,  accueille   favo- 
rablement le  mémoire   des   administrateurs  de  l'hôpital   ten- 


(1)  Hiei-on,  Epist.  3.  Ad  Heliodor. 


2.'^4  NOTICES     BIOGRAPHIQUES 

dant  à  bâtir  une  nouvelle  maison  hors  de  la  ville.  Le  (3 
décembre  1778  les  quatre  années  de  mairie  (f  allaient  prendre 
tin.  J.-B.  Thibaud,  second  consul,  proposa  de  demander  au 
prince  de  Conti  la  réélection  de  Reynaud.  «  Ce  magistrat, 
((  dit-il,  par  son  intelligence,  son  zèle  et  son  exactitude  à  rem- 
«  plir  ses  fonctions,   a  prouvé  aux  habitants  tout  le  bien  qui 

K  pouvait   résulter   d'une   administration  sage   et  éclairée 

«  D'ailleurs,  il  est  question  de  transférer  le  collège  de 
«  Teyrargues  et  de  le  réunir  à  celui  de  notre  ville  •,  ce  projet 
«  et  tant  d'autres  encore  ont  été  conçus  et  élaborés  sous  son 
«  consulat;  il  est  donc  de  toute  justice  de  demander,  sous  le 
«  bon  plaisir  de  S.  A.  S.  la  continuation  du  consulat  de 
«  M.  Reynaud.  w 

Le  prince  de  Conti  exauça  les  vœux  de  la  population  bagno- 
laise  :  André-Antoine  était  maire  en  1780  et  signait  le  con- 
cordat avec  les  Joséphites  qui  bâtirent  le  Collège  (2'. 

En  1787,  le  14  janvier,  le  frère  d'André-Antoine,  JNL  André- 
Toussaint  Reynaud,  lieutenant  des  grenadiers  ro3'aux,  beau- 
frère  de  M.  de  Roussel  est  premier  consul.  Il  prend,  peu 
après  le  nom  de  Saurin,  parce  qu'un  bagnolais  de  ses  parents, 
habitant  Paris,  lui  légua  sa  fortune  et  l'obligea  de  porter  son 
nom.  Les  ancêtres  de  son  bienfaiteur  ^^3)  figuraient  sur  la  liste 
des  notables  anoblis  en  i6q5  et  le  manuscrit  d'Adrien  Vanier 
détermine  pour  eux  les  armes  suivantes  :  U argent  à  la  barre 
lo^ang-ée  d'or  et  de  sinople  (4I 

Nous  ne  suivrons  pas  ce  compatriote  dans  tous  les  actes 
importants   de  sa  vie  administrative.  Le  récit  en  sera  publié 


(1)  Les  fonctions  de  maire  duraient  quatre  ans,  celles  de  2^  consul  lieutenant 
duraient  trois  ans  et  les  autres  —  3e  et  4c  _  étaient,  par  moitié,  renouvelables 
chaque  année,   ainsi  que  le  conseil  politique. 

(2)  Archives  de  Bagnols,  vol.  39.  —  V.  Not.  biogr.  de  l'abbé  Gentil,  T.  I, 
p.  291. 

(3)  L'alliance  des  deux  noms  ;  Reynaud-Saurin,  se  trouve  déjà  sur  un  acte 
de  baptême  du  31  août  1728  à  Louise-Justine. 

(4)  Voir  ci-après  la  note  A. 


SAL:RIN  255 

dans  nos  Annales  historiques  de  Bagiiols  [y.  Les  motions 
qu'il  présente,  les  arrêtés  qu'il  obtient  de  la  part  des  conseil- 
lers, la  délibération  qu'il  adresse  à  rAsscrnblée  nationale 
témoignent  et  de  la  haute  'influence  qu'il  exerçait  dans  son 
pays  et  de  l'ardent  patriotisme  de  ses  concitoyens. 

Le  2  avril  1789,  à  la  suite  d'une  émeute  mémorable  et 
lorsque  les  insurgés  se  dirigeaient  vers  la  Chartreuse  de  Val- 
bonne,  le  maire,  par  ses  paroles  persuasives  autant  que  par 
son  énergique  initiative,  domine  l'effervescence  et  ramène  à 
la  ville  la  bande  des  séditieux. 

Le  2  décembre,  au  sein  du  Conseil,  Saurin  propose  :  «  Vu 
sa  position  topographique  comme  centre  d'une  nombreuse 
population  agglomérée,  de  demander  à  Bagnols  le  district  ; 
c'est  moins,  pour  nous,  ajoute-t-il,  que  pour  la  population 
qui  nous  avoisine  et  pour  le  plus  grand  bien  de  la  chose 
publique  que  nous  devons  réclamer  (2).   » 

Quelques  jours  après  —  le  12  décembre  —  Saurin  prend 
une  initiative  qui  l'honore  :  après  avoir  rappelé  la  mortalité 
des  oliviers  et  l'inactivité  du  commerce,  il  demande  un  sacri- 
fice à  la  patrie  sous  forme  de  don  patriotique.  Il  dit  que  les 
biens  des  nobles  et  du  clergé  vont  être  soumis  à  l'impôt  et 
que  l'on  va  exiger  le  paiement  des  six  derniers  mois,  v  La  ville 
de  Bagnols,  ajoute-t-il,  en  acceptant  ma  proposition,  pourrait 
peut-être  se  glorifier  d'avoir  servi  d'exemple  à  la  France  en 
abandonnant  cette  somme  au  trésor,  au  profit  de  la  patrie',  au 
lieu  de  la  faire  porter  au  moins  imposé  pour  l'an  prochain.  » 
Le  Conseil  adopta  la  motion  patriotique  du  maire. 

Parmi  les  hommes  les  plus  marquants  du  pays,  il  y  a  lieu 
de  signaler  Saurin  comme  profondément  dévoué  aux  prin- 
cipes de  1789.  D'ailleurs,  ses  actes,  en  rapport  avec  ses 
paroles,  le  prouvent.  Pourtant,  la  tourmente  révolutionnaire 
redoubla,    menaçant    d'engloutir    les    privilèges    de    l'ancien 

(1)  Nous  renvojons  le  lecteur  à  cet  ouvrage  actuellement  sous  presse. 

(2)  V.  Archives  de  la  mairie  de  Bagnols. 


2  56  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

régime;,  Saurin,  homme  de  bien  et  de  conciliation  se  vit  com- 
pris, pendant  la  Terreur,  sur  la  liste  de  proscription  comme 
fédéré.  Traîné  d'abord  dans  la  forteresse  de  Pont-Saint- 
Esprit,  il  resta  incarcéré,  plus  tard,  à  Montpellier  et  vint 
mourir  à  Bagnols,  le  12  frimaire  an  II  (2  nov.   1794). 

André-Toussaint  laissait  un  fils  :  André-Laurent  Reynaud- 
Saurin;  il  fit  ses  premières  armes  dans  un  régiment  de  cava- 
lerie légère,  à  la  campagne  dTtalie.  Rentré  dans  ses  fo3œrs, 
vers  1778,  il  se  maria  à  Mondragon  avec  Mademoiselle  Marie- 
Thérèse  Reboul. 

Ce  ne  fut  qu'après  les  événements  de  la  période  révolu- 
tionnaire que  Laurent  Saurin  parut  sur  la  scène  administra- 
tive. Son  ambition  visait  le  mo3^en  d'accomplir  les  œuvres  de 
bienfaisance.  Sa  maison  était  comme  un  foyer  de  charité. 
Chaque  membre  de  la  famille  luttait  de  générosité  et  de 
dévouement.  La  pratique  des  bonnes  œuvres  dont  la  tradi- 
tion subsiste  encore  dans  la  famille,  dura  plus  d'un  demi 
siècle.  Bagnols  a  pu  reconnaître  tout  le  bien,  fait  aux  hos- 
pices, par  le  vénérable  M.  Saurin,  comme  administrateur 
d'un  établissement  que  son  père  avait  contribué  à  fonder. 
M.  Saurin  était,  littéralement,  le  père  des  pauvres.  Tous  les 
loisirs  que  lui  réservaient  les  soins  à  donner  à  son  domaine 
d'Aubagnac  où,  infirme  et  goutteux,  il  se  rendait,  modeste- 
ment hissé  sur  la  plus  humble  des  montures,  ces  loisirs  étaient 
consacrés  aux  œuvres  hospitalières. 

Notons  ici  que  André-Laurent  Saurin,  érudit,  ne  passait 
pas  une  journée  sans  donner  quelques  heures  à  la  lecture  de 
ses  auteurs  favoris  :  les  philosophes,  les  historiens,  les  mora- 
listes italiens.  C'était  un  conteur  aimable  et  spirituel  :  sa 
mémoire  prodigieuse  lui  fournissait  des  détails  précieux  sur 
l'histoire  du  passé  et  c'est  de  sa  bouche  que  nous  avons 
recueilli  bien  des  anecdotes  ou  des  faits  locaux  se  rattachant 
aux  traditions  et  aux  souvenirs  des  temps  anciens. 

Il  s'éteignit,  ce  vénérable  compatriote,  avec  calme  et  rési- 
gnation. Il  était  consolé.  Une  voix  intime  lui  disait  :  «   Tu  as 


SAURIN  257 

accompli    ta   tâche,   tu    as    passé    sur  la  terre    en  faisant    le 
bien  i  i).  » 

Noblesse  oblige!  —  André-Félix  Saurin,  fils  unique  de 
André-Laurent,  devait  marcher  sur  les  traces  de  son  père 
dans  les  fonctions  administratives:  nous  l'avons  vu  successi- 
vement conseiller  municipal,  maire,  administrateur  des  hos- 
pices, membre  du  Conseil  d'arrondissement,  président  de  la 
délégation  cantonale  et  ordonnateur  du  Bureau  de  bienfai- 
sance. Partout  il  a  apporté,  lui  aussi,  son  esprit  de  concilia- 
tion et  tout  le  bon  vouloir  dont  il  était  capable. 

Né  le  24  floréal  an  X,  au  milieu  d'une  famille  pieuse  et 
charitable,  Félix  Saurin  modela  sa  vie  sur  son  entourage. 
Encore  enfant,  il  avait  pris  part  aux  fêtes  religieuses  clandes- 
tines, car  un  vieux  prêtre  recevait  l'hospitalité  dans  sa  maison. 
Félix  avait  assisté  à  l'ouverture  des  églises  et,  comme  la 
masse  catholique,  il  était  émerveillé  des  splendeurs  du  culte. 
Peu  après,  le  Jeune  élève  alla  à  Forcalquier  étudier  dans  une 
maison  en  renom  :  celle  des  Jésuites. 

De  retour  à  Bagnols ,  Félix  Saurin  occupa  ses  loisirs 
comme  savaient  le  faire  les  jeunes  bourgeois  ses  contempo- 
rains :  le  culte  de  l'art  musical,  peu  de  travaux  sérieux  et  les 
excursions  cynégétiques  modérées  ;  vie  honnête,  mais,  disons- 
le,  hélas  !  vie  stérile.  Il  est  vrai  que  son  digne  père,  le  chef  de  la 
famille,  fournissait  la  somme  de  travail  de  plusieurs  bagnolais. 

Lorsque  l'heure  de  l'âge  mûr  eut  sonné,  Félix  Saurin 
appliqua  résolument  les  théories  paternelles,  il  imita,  il  rem- 
plaça son  père  et  la  cité  compta  un  cit03^en  dévoué  de  plus. 
Saurin  était  d'une  nature  essentiellement  pacifique,  il  cares- 
sait naïvement  l'espoir  d'être  agréable  à  tout  le  monde,  en 
agissant  selon  ses  convictions  et  en  toute  franchise.  Oui  ! 
c'est  là  un  noble  but,  mais  il  est  aussi  louable  qu'impossible 
à  atteindre.  En  avançant  en  âge,  on  finit  par  se  convaincre 
que  cet  espoir  n'est  qu'une  chimérique  illusion. 

(1)  Le  19  juillet  1 846. 

T.    Il  17 


258  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

En  icSSG,  M.  Saurin  était  maire.  Un  des  premiers  actes  de 
son  administration  fut  la  régularisation  et  le  nivellement  de 
la  place  du  Collège,  devant  sa  maison  même.  Cette  entreprise 
lui  valut  l'approbation  des  gens  de  bien  et  de  goût,  mais  elle 
provoqua  la  critique  amère  des  jaloux  à  courte  vue.  Serait-il 
donc  interdit  à  un  maire  d'améliorer  un  coin  de  ville  dans 
l'intérêt  de  tous,  alors  que  cette  amélioration  semble  lui  être 
directement  profitable  ?  Poser  la  question,  c'est  la  résoudre. 

De  iSSy  à  i85g  le  maire  provoque  une  délibération  tendant  à 
obtenir  du  Gouvernement  une  somme  destinée  aux  ateliers  de 
charité.  —  Il  demande  l'achat  du  jardin  Alary  (aux  fossés), 
pour  ouvrir  une  brèche  aux  remparts  et  prolonger  la  rue  Saint 
Bernard.  —  Il  fait  l'acquisition  de  la  maison  Fabre,  afin  d'é- 
largir la  rue  Général  Teste,  alors  rue  du  Terrail. 

On  sait  déjà  que  la  fondation  de  la  Salle  d'asile  avait  été 
résolue  en  iS-j.*),  sous  la  mairie  de  M.  Cotton.  L'établissement 
ne  fut  ouvert  que  peu  d'années  après,  dans  des  salles  provi- 
soires. M.  Saurin  obtint  un  vote  qui  lui  permit  d'agrandir 
considérablement  les  locaux.  Une  fois  maire,  il  prit  à  cœur  un 
projet  dont  il  avait  été,  comme  conseiller  municipal,  un  des 
promoteurs  les  plus  zélés.  L'entreprise  fut  donc  menée  à 
bonne  fin.  Les  salles  et  le  préau,  parfaitement  aménagés, 
venaient  d'être  construites  sur  un  plan  assez  vaste,  à  grand 
frais  pour  le  budget,  il  est  vrai,  mais  l'établissement  fait 
honneur  à  l'administration  qui  en  a  pris  l'initiative,  à  celle 
qui  a  contribué  à  son  exécution  et  à  l'architecte  qui  a  conduit 
les  travaux  (i).  Plus  d'un  ménage  nécessiteux,  obligé  de 
gagner  le  pain  de  la  journée,  a  du  bénir  les  administrateurs 
qui  ont  établi  une  telle  fondation. 

En  i858,  M.  Félix  Saurin  accepta  la  proposition  qui  lui  fut 
faite  par  M.  Léon  Alègre  de  fonder  une  Bibliothèque  et  un 
Miiscc.  Le  maire  mit  une  des  salles  de  l'Hôtel-de-Ville  à  la 
disposition   de   celui   qui  olïrait  généreusement  et  ses  collec- 

(1)  M   Joseph  Degan,  aulcur  des  plans  ci  devis  (18(53). 


SAURIN  269 

tions  et  ses  livres  ;  il  fit  tous  ses  efforts  pour  seconder  l'initia- 
tive de  son  compatriote...  11". 

Le  2  août  1864,  le  Conseil  demande  un  poste  télégraphique 
et  dans  la  même  séance  il  émet  le  vœu  d'établir  à  Bagnols  un 
tribunal  de  commerce. 

Les  hommes  d'initiative  sont  de  puissants  auxiliaires  aux 
maires  jaloux  du  bien-être  de  leurs  administrés.  Une  propo- 
sition intéressante  fut  faite  au  Conseil  :  il  s'agissait  d'une  de 
nos  industries  agricoles ,  celle  des  arbres  fruitiers  déjà  en 
honneur  à  Bagnols. 

L'assemblée  délibéra  le  12  février  i865  que  le  professeur 
Brémon,  de  ^'aucluse,  serait  invité  à  venir  faire  un  cours 
public  et  gratuit  à\irboriciiltiire  et  spécialement  de  la  taille 
des  arbres.  L'habile  praticien  développa  devant  nos  pépinié- 
ristes et  dans  des  réunions  de  propriétaires  intelligents  sa 
théorie  et  ses  méthodes  ingénieuses  ;  le  résultat  de  ces  cours 
fut  une  recrudescence  de  culture  favorable  à  la  vente  des  pro- 
duits locaux  et  la  vulgarisation  de  procédés  peu  connus  du 
plus  grand  nombre  des  propriétaires  intéressés  (2. 

En  i865  (2(5  mars},  le  maire  proposa  l'acquisition  de  la 
maison  Madier,  pour  être  affectée  à  l'Hôtel-de-A'ille.  L'aspect 
monumental  de  cet  hôtel,  bâti  en  i6q5,  séduisit  nos  édiles  et 
les  négociations  ne  tardèrent  pas  à  aboutir. 

Au  mois  de  juin  de  la  même  année,  Saurin  déposait  l'écharpe 
de  maire,  après  avoir  donné  des  preuves  manifestes  dedé\oue- 
ment  à  ses  concitoyens.  Son  passage  à  l'administration  est 
loin  d'avoir  été  infructueux;  quand  un  homme  a  donné  toute 
la  mesure  de  ses  forces,  cet  homme  a  fait  son  devoir;  que 
pouvons-nous  lui  demander  de  plus  :  Comme  maire,  AL  Sau- 
rin a  été  actif,  dévoué,  intègre,  digne,  économe,  bienveillant 
et  avisé.    L'approbation   générale   lui  était  acquise  quand  on 

(1)  Voir  ci-après  la  noie  B. 

(2)  La  ville  vota  !00  fr.,  et  100  fr,  fureiil  payés  parles  souscripleurs. 


2(5o  NO  ricins    iMOGRAPHIQUES 

le  voyait,  revendiquant  ses  droits  de  premier  magistrat, 
jaloux  de  conserver  son  indépendance  et  ses  prérogatives,  soit 
auprès  de  ses  supérieurs  hiérarchiques  comme  envers  ses 
électeurs.  M.  Saurin  est  mort  pour  ainsi  dire  sur  la  brèche 
(3i  décembre  iSyS);  jusqu'à  son  dernier  jour,  il  a  voulu 
défendre  ses  principes  et  affirmer  énergiquement  ses  convic- 
tions. Le  public  serait  donc  ingrat  envers  lui  s'il  ne  tenait  nul 
compte  des  efforts  d'un  homme  de  bien,  obéissant  à  son 
excellente  nature,  à  ses  traditions  de  famille  et,  quelquefois, 
aux  influences  intimes  et  salutaires  de  son  entourage. 

Marié  en  i83o  à  Mademoiselle  Clara  Pontal,  du  Bourg-Saint- 
Andéol,  M.  Saurin  a  laissé  deux  fils  dontl'amé,  imitant  ses  de- 
vanciers, consacre  une  partie  de  ses  loisirs  à  l'administration  des 
hospices  ;   le  plus  jeune  est  mort  à  l'âge  de  trente-cinq  ans. 


NOTES 

(A,  p.  25i).  —  V.  Not.  biogr.  de  Brydayne, T.  I,  p.  142.  Le  manuscrit  de  la 

Bibliothè(jue  nationale  à  Paris,  porte  :  André  Saurin,  marchand.  —  Nous  avons 

recueilli  sur  le  registre  de  Vanier  (16y5)  le  nom  de  quelques  autres  lamilles  du 

canton,  dont  les  chefs  obtinrent,  à  Bagnoîs,  moyennant  finance  (10  livres)  l'au- 
torisation d'avoir  des  armoiries. 

Fr.  Calvin bourgeois,      d'hermine  à  une  bande  lozangée  d'or  et  de  sinople. 

Cl    Boyer id.  de  vair  id.  argent  et  gueules. 

Jeau  Uumas id.  de  gueules  à  un  masage  ou  maison  cliampêlre  mou- 

vant du  flanc  dextre  d'argent  à  laquelle  vole  un 
duc  de  même  et  un  chef  cousu  d'azur  chargé 
de  3  étoiles  d'or. 

Ant.  Beraud. ...  id.  d'argent  à  une  barre  lozangée  argent  et  azur. 

And.  Montanier.  id.  d'argent  id.  argent  et  sinople. 

Jean  Cassan.. ..  apothicaire,  d'argent  id.  argent  et  sable. 

Mich.  Tiiibaud..  bourgeois,     d'azur  id.  or  et  gueules. 

Jean  Fabre id.  d'argent  à  une  croix  lozangée  argent  et  gueules. 

Guill.  Constant,  notaire,  d'azur  id.  or  et  azur. 

Mich.  Silhot....  m'' apolhic.    d'azur  id.  argent  et  gueules. 

Ant.  Voland Codolet,        d'or        à  un  chevron  lozangé  d'or  et  d'azur. 

Etienne Tailiand  id.  d'or  id.  or  et  gueules. 

—      Ghabert.  id.  d'or  id.  ai'geal  et  azur. 

Jacq.  Juslamond  Chiisclan      d'azur  id.  argent  et  gueules. 


SAURIN  261 

(P>,  p.  259).  —  Drjà,  on  1854,  M.  Alègre  avait  tonte  (rohteiiir  Je  l'Adminis- 
Iralioii  miniicipale  une  salle  pour  sa  fomlatinn. 

Il  essuya  un  refus. 

Mais  l'idée  était  patriotirpie  et  le  germe  prospéra. 

En  1858,  M.  Saurin  agréa  la  proposition  qui  lui  fut  renouvelée  par  M.  Alègre 
et  la  fit  sanctionner  avec  éclat  par  M.  le  généra!  Teste  dont  il  obtint  la  haute 
approbation  et  le  concours  effectif. 

Cette  adhésion  ne  manqua  pas  d'en  entraîne!'  d'auires  et  les  dons  se  multi- 
plièrent. 

Aussi,  le  10  Août  1858,  le  Conseil  municipal  de  la  ville  de  Bagnols,  s'associant 
ouvertement  à  l'initiative  de  M.  Alègre,  prenait  la  délibération  suivante  : 

«  Considérant  que  plusienrs  personnes  de  la  ville,  notamment  M.  le  général 
«  baron  Teste  et  autres  {sic)  ont  fait  don  à  la  commune  de  boa  nombre  de 
«  volumes  pour  l'établissement  d'une  Bibliothèque  communale,  utile   pour  l'ins- 

«  truction  de  la  jeunesse délibère  à  l'unanimité  que  la  fosidation  projetée 

«  sera  faite  et  vote  une  somme  de  200  francs  pour  l'achat  de  livres.  » 

On  remarquera^que  cette  rédactioh  semble  grouper  autour  du  général  baron 
Teste  une  collectivité  d'iiùtiatives  concurrentes. 

La  vérité  est  que  par  excès  de  .déférence  pour  notre  éminent  compatriote,  il 
fut  admis  que  son  nom  serait  le  pavillon  abritant  l'idée  à  mettre  à  exécution. 

Personne  n'ignorait  que,  dès  [le  Ic"  janvier  1854.,  le  journal  «  les  Petites 
Affiches  »  imprimé  à  lîagnols,  avait  inséré  un  article  de  M.  Léon  Alègre  sous  ce 
titre  :  «  Bibliothèijue,  Musée  et  Salle  d'exposition^à  Bagnols.   » 

Cette  longue  note  n'est 'donnée  ici  qu'afi.T  de  rétablir  l'ordi'e  chronologique 
des  faits  relatifs  à  la  fondation  de  la  Bibliothèque-Musée. 

M.  L.  Alègre  n'a  jamais  'eu  à  redouter  l'odieux  «  sic  vos...  »  et  naguère 
encore,  M.  Groult,  le  propagateur  accepté  des  jmusées  cantonaux  a  reconnu 
avec  une  loyauté  qui  l'honore,  (ju'il  avait  eu  un  précurseur  à  Bagnols  et  que  le 
Musée  de  cette  ville  était  le  premier  «  des  musées  cantonaux  et  probablement 
«  le  plus  complet    de  tous  {Annuaire  de  1880.  Lisieux,  page  01).  » 


Celte  note,  écrite  depuis  longtemps,'^ était  ^déjà  à  l'impression  loi  squ'est  (sur- 
venue une  délibération  du  Conseil  municipal  en  date  du  il)  mai  1880. 

Nous  en  reproduisons  (1)  le  considérant  et  le  dispositif,  qui  confirment  d'une 
manière  éclatante  ce  que  nous  avons  simplement  indiqué  plus  haut  en  ce  qui 
touche  les  circonstances  qui  ont  précédé  et 'accompagné  la  réalisation  de  l'idée 
si  personnelle  et  si  patriotique  de  M.  Léon  Alègre. 

(1)  Voir  aux  justifications.  —  Infra. 


DE  SIBERT 

(Gharles-Louis-Adolphe,  baron  DE  GORNILLON'; 

MAGISTRAT 

A^e  en  Amérique  le  25  avril  1800 
Mort  à  Maisoii-sur-Seine  le  22  octobre  1S64 


An.MES  :  Écartelé  ;i  1  et  4  de  gueules,  au  lion  d'argent  ;  au  2  et  3  d'or  en  Ijélier 
de  sable  rampant  :  sur  le  tout  d'azur  à  deux  bandes  d'or  et  une  rose 
d'argent  tigée   et  feuillée  de   même,    [)Obée  entre  les  deux  bandes. 

Devise  :  Semper  fïoreo  nunquam  facescu. 


,A  famille  de  Sibcrt  de  Cornillon,  qui  s'est  éteinte  en 
i856,  ainsi  que  nous  le  dirons  plus  bas,  est  origi- 
[naire  de  Bagnols  (i).  Nous  ti^ouvons  dans  les  arcliives 
'de  la  cite  le  iiom  de  plusieurs  de  sesmenibi'es  accom- 
pagné de  titres  et  de  distinctions  honorifiques,  qui  prouvent  la 
haute  position  qu'ils  ont  occupée  jadis.  Leur  noblesse  fut 
maintenue  par  jugement  de  M.  de  Lamoignon  en  1703. 
Les  de  Sibert  assistèrent  aux  assemblées  de  la  sénéchaussée 
de  Nîmes  en  1780  et  1790.  Cette  famille  a  contracté  des 
alliances  avec  les  plus  grandes  maisons  de  la  contrée  :  avec 
les  de  Nicolaï  au  .wif-'  siècle  ;  avec  les  de  Langes  au  xvi"-'  ;  avec 

(1)  Voir  ci-a|très  la  note  A, 


264  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

les  de  Gabriac  à  la  fin  de  l'an  iGSg.  Ce  dernier  mariage  lui  a 
valu  labaroniede  Cornillon  (i). 

Charles  de  Sibert,  baron  de  Cornillon,  seigneur  de  Mon- 
tière,  de  Vallerargues,  etc.,  etc.,  était  conseiller- viguier  pour 
le  roi,  bailli  et  maire  perpétuel  de  Bagnols  (2),  lorsque  les 
camisards  menacèrent  d'envahir  le  pays.  Notre  ville  s'émut 
à.Q  l'ardeur  de  ces  phanatiques  ti  s'empressa  de  rebâtir  ses  mu- 
railles démolies  depuis  i633.  Une  inscription  commémorative 
affirme  la  prudence  de  nos  pères  (3). 

Avant  de  parler  de  celui  des  de  Cornillon  qui,  né  en  Amé- 
rique, fait  l'objet  de  cette  notice,  disons  que  la  branche  bagno- 
laise  a  pris  fin  déjà  depuis  longtemps  (4). 

Charles-Joseph  de  Sibert,  l'arrière-petit-fils  de  Magdeleine 
de  Barjac  était  officier  au  régiment  de  la  Sarre,  inspecteur  au 
rang  de  colonel  dans  l'armée  royale  de  Saint-Domingue,  che- 
valier de  Saint-Louis  et  de  Saint-Lazare.  Il  avait  épousé  en 
17Q6  Louise  de  Dion,  comtesse,  chanoinesse  du  chapitre 
noble  de  la  reine,  à  BourbourJ.  Nos  comoatriotes  étaient  en 
Amérique  lorsque  le  25  avril  iSoo,  à  Wethersfield,  comté  de 
Hastford  i^État  de  Connccticut),  naquit  leur  fils  Charles-Louis- 
Adolphe.  C'est  de  ce  jeune  enfant,  devenu  plus  tard  un  per- 
sonnage éminent,  que  nous  allons  raconter  la  vie  honorable 
et  laborieuse. 

Charles,  sous  les  yeux  de  sa  tendre  mère,  vécut  pendant 
huit  ans  sur  le  sol  américain.  Il  ne  revint  en  France  qu'après 


(1)  Il  épousa,  en  1G73,  Magdeleine  de  nai'ja(;  do  Rochegude. 

(2)  Cornillon  apparlenail  on  1637  à  Simon  Martin  de  Rodolphe  qui  laissa  cette 
terre  à  sa  sœur  mariée  à  Olivier-Josepli  de  Saint-Ferriol  de  Cariât.  Ceux-ci 
n'eurent  qu'une  fille,  .leanne-.Marie,  (jui  épousa,  en  1659,  François  de  Gahriac, 
seigneur  de  Saint-Pauiet  (manuscrits  de  lîarchy,  marquis  d'Aubais). 

(3)  Cette  pierre,  qu'on  trouva  encastrée  dans  la  muraille,  à  la  porte  de  Bourg- 
neuf,  est  conservée  au  Musée  de  Bagnols  :  elle  rappelle  que  les  murs  ont  été 
l'écdilîés  par  le  maire  et  les  consuls  à  l'approche  dos  phanatiques  —  vers  1704. 

( i)  L'abhé  de  Sibert,  vicaire  général  àAlby et  trois  filles,  dontdeux  mariées  aux 
MM.  de  Fabry  et  l'autre  à  François  de  Bivarol.  —  V.  Notice  biogr.  de  F.  Rivarol, 
T.  II,  p.  229. 


DE    SIBERT  265 

la  mort  de  celle  qui  lui  avait  donné  le  jour.  Ayant  perdu  son 
père  peu  d'années  après,  les  soins  de  son  éducation  incom- 
bèrent à  son  oncle,  l'abbé  de  Sibert,  vicaire  général  d'Alby, 
lecteur  du  comte  d'Artois  (Charles  X)  et  prédicateur  de  la 
reine. 

Le  Jeune  de  Sibert  fit  ses  études  à  Paris  et  son  droit  à  Aix. 
Le  retour  de  son  oncle  dans  sa  ville  natale,  explique  pourquoi 
le  lycéen  devint  étudiant  dans  une  des  facultés  du  Midi.  Après 
des  études  brillantes  qui  révélaient  son  aptitude  et  ses  émi- 
nentes  qualités,  Charles,  avocat,  fut  nommé  substitut  à  Avi- 
gnon (i8i3;.  Bientôt  après  il  occupa  le  siège  de  procureur  du 
roi  à  Carpentras,  chef-lieu  de  la  Cour  d'assises  de  Vaucluse. 
Lorsque  en  i83o  la  Révolution  de  Juillet  éclata  il  donna  sa 
démission  et  alla  s'installer  au  barreau  de  Nîmes.  M.  de 
Sibert  3'  figura  au  premier  rang  pendant  de  longues  années  (i). 
Ses  talents  et  ses  profondes  connaissances  comme  légiste  lui 
ouvrirent  de  nouveau  l'accès  dans  la  magistrature.  Sur  la  pro- 
position de  M.  Teste,  alors  ministre  de  la  Justice,  le  roi  le 
nomma  avocat  général  à  Nîmes  en  1843.  Cinq  ans  plus  tard, 
après  la  Révolution  de  1848,  il  fut  destitué. 

Une  personnalité  aussi  distinguée  ne  pouvait  ni  ne  devait 
rester  dans  l'ombre.  Dès  le  mois  d'août  1849,  Charles  de 
Sibert  était  nommé  procureur  général  à  Limoges.  Il  ne  quitta 
cette  charge  qu'en  mars  [85:  pour  remplir,  au  ministère  de  la 
Justice,  les  fonctions  de  directeur  des  affaires  criminelles  et 
des  grâces. 

Vers  la  fin  de  i852  il  est  promu  au  secrétariat  général  du 
même  ministère  et  conserve  son  poste  pendant  tout  le  temps 
que  Yi.  Abbattuci  demeura  garde  des  sceaux.  Mais  peu  après 
la  mort  de  ce  ministre  il  quitta  la  chancellerie  et  fut  nommé 
conseiller  d'État  au  service  ordinaire  (iSSg).  C'est  alors  qu'il 
remplissait  Tune  ou  l'autre   de  ces  hautes  fonctions  que  tous 


(1)  Il  fut  deux  fois  bâtonnier  et  fit  pendant  treize  ans  partie  du  Conseil   de 
l'ordre. 


266  NOTICES     BIOGRAPHIQUES 

les  projets  de  loi  émanes  du  ministère  de  la  Justice  étaient 
soutenus  par  lui  au  Conseil  d'État,  soit  au  Sénat  ou  au  Corps 
Législatif.  En  toute  occasion  il  se  fit  remarquer  dans  ces 
assemblées  par  la  facilité  ou  l'éclat  de  sa  parole,  par  son  expé- 
rience des  affaires  et  ses  connaissances  juridiques. 

La  mort  vint  le  surprendre  au  milieu  de  ses  plus  beaux 
succès.  Le  conseiller  d'Etat  mourut  à  Maison-sur-Seine,  le 
2  1  octobre  1862. 

Charles  de  Sibert  avait  été  nommé  chevalier  de  la  Légion 
d'honneur  en  1846,  officier  en  i832  et  commandeur  le  i5 
octobre  1854. 

En  dehors  de  ses  fonctions  de  magistrat,  le  baron  de  Cor- 
nillon  avait  obtenu  le  suffrage  de  ses  concitoyens  :  il  fut  porté 
au  Conseil  général  et  présida  pendant  plus  de  douze  ans  cette 
assemblée. 

Charles  de  Sibert,  mort  à  soixante-quatre  ans,  a  laissé  un 
grand  vide  autour  de  lui  :  sa  famille  et  ses  nombreux  amis 
ressentirent  vivement  cette  perte  cruelle.  C'était  une  nature 
d'élite  ;  il  avait  reçu,  dès  son  jeune  âge,  dans  le  milieu  où  il  a 
passé  ses  premières  années,  les  germes  précieux  que  le  temps 
a  développés  et  qui  ont  fait  le  charme  de  son  affabilité  parfaite 
et  de  sa  haute  distinction.  Le  baron  de  Cornillon  était  un 
homme  aimable  et  S3anpathique,  d'un  caractère  doux  et  affec- 
tueux, d'un  esprit  fin  et  ouvert,  d'une  imagination  vive, 
ardente,  mais  s'alliant  au  bon  sens  le  plus  rare  et  le  plus 
délicat. 

En  i865  un  hommage  public  a  été  rendu  à  sa  mémoire  par 
le  secrétaire  du  Conseil  général  du  Gard  dans  la  séance  du 
22  août.  M.  Valz  disait,  en  s'excusant  de  remplacer  M.  Tala- 
bot  :  «  Notre  honorable  président  vous  aurait  parlé  mieux 
que  moi  de  l'homme  que  le  Gard  a  perdu.  Il  vous  aurait  dit 
sa  fidélité  à  la  parole  donnée,  son  courage  dans  la  défense  de 
ses  amis,  l'empressement  qu'il  mettait  à  servir  tous  ceux  dont 
les  droits  étaient  méconnus  et  la  position  injustement  atta- 
quée... Il  vous  aurait  dit  que  dévoué   au  départen"ient  et  à  la 


DE    SIBERT  267 

cite  il  n^a  cessé  de  mettre  au  service  des  causes  qui  lui  étaient 
tout  naturellement  confiées,  les  avantages  et  Tinfluence  pré- 
pondérante de  la  position  élevée  que  son  seul  mérite  lui  avait 
conquise.   » 

Et  l'orateur  ajoutait  ces  paroles  qui  complètent  le  portrait  de 
notre  compatriote  :  «  Homme  du  monde  du  meilleur  ton  par- 
tout et  jusque  dans  les  fonctions  les  plus  austères,  d'une 
urbanité  et  d'une  politesse  exquises,  M.  de  Sibert  subjugait 
sans  effort  tous  ceux  qui  l'approchaient  ;  aussi,  messieurs,  je 
ne  crois  pas  qu'il  ait  été  donné  à  beaucoup  de  fonctionnaires 
placés  dans  des  positions  si  diverses,  de  se  créer  plus  d'amis.  « 

Le  baron  de  Cornillon,  marié  le  20  juillet  1825  à  Éléonore 
de  Gauthier  de  Saint-Paulet  avait  eu  quatre  enfants  (i);  son 
fils,  officier  de  dragons,  mourut  glorieusement.  Donnons  un 
souvenir  au  dernier  rejeton  de  l'ancienne  famille  de  Sibert. 

—  Charles  de  Sibert  était  sous-lieutenant  de  dragons, 
officier  d'ordonnance  du  général  Walsin  d'Estherazy.  «  Lors- 
que le  général  d'AUonville,  chargé  du  dégagement  des  environs 
d'Eupatoria,  exécuta  l'expédition  du  29  septembre,  une  ren- 
contre eut  lieu  à  Kanghil.  Ce  fut  le  premier  combat  de  la 
cavalerie  française  en  Crimée.  Sa  perte  ne  fut  que  de  quel- 
ques hommes.  La  noblesse  trouva  encore  là,  néanmoins, 
l'occasion  de  payer  son  tribut...  Charles  de  Sibert  est  atteint 
au  premier  choc  de  cette  charge  impétueuse.  On  croit  d'abord 
que  sa  blessure  est  légère  :,  il  écrit  lui-même  à  son  père  pour 
lui  annoncer  sa  prochaine  guérison  et  la  récompense  qui 
brille  sur  sa  poitrine,  mais  le  fer  a  frappé  trop  profondément 
—  la  lance  d'un  ulhan  —  et  le  jeune  officier  emporte  avec  lui 
espérance  et  gloire  dans  la  tombe  (2).  » 

A  la  mort  du  vaillant  officier  semblait  devoir  s'éteindre  le 

(1)  Me  Ardent,  M=  Scliaw  de  Ayala,  M<^ et  un  fils. 

(2)  Extrait  de  ï Annuaire  de  la  noblesse  de  France,  par  Dore!  d'ifaulerive.  — 
Ann.  1876,  p.  377-378. 


268 


NOTICES    BIOGRAPHIQUES 


nom  de  la  famille  de  Sihert;  nous  sommes  heureux  d'ap- 
prendre qu'il  n'en  est  pas  ainsi.  Le  fils  aîné  de  Mademoi- 
selle Antoinette  de  Sibert,  M.  Joachim  Courcelle,  lieutenant 
de  vaisseau,  vient  d'être  autorisé,  par  le  président  de  la  Répu- 
blique, à  prendre  le  nom  de  son  grand-pcre  (i).  Ce  jeune 
officier  d'avenir  paraît  déjà  attaché  au  berceau  de  ses  ancêtres 
maternels.  Nous  ne  seriojis  donc  point  surpris  de  voir,  un 
jour,  disparaître  les  ruines  pittoresques  du  vieux  castel  de 
Cornillon  et,  sur  le  roc  escarpé,  se  dresser  l'élégante  cons- 
truction dont  l'habile  architecte  Révoil  avait  tracé  le  plan  pour 
le  jeune  héros  de  Kanghil. 

(1)  Par  décret  du  23  avril  1875.  Y.  Bull,  des  lois,  10  mai  suivant. 


NOTE 

(A,  p.  203).  —  Des  documents  découverts  depuis  peu  sur  la  noblesse  de  la 
famille  de  Sibert,  il  résulte  que  cette  maison  illustre  qui  comptait  deux  cardi- 
naux et  un  connétable  de  iNaples  est  sortie  de  cette  ville  d'Italie.  Noble  Hector 
de  Sibert  vint  en  France  en  1460,  il  s'y  maria  et  eut  un  fils,  Antiibal,  seigneur 
de  St-Alban.  Du  mariage  de  celui-ci  avec  Françoise  d'Alençon,  naquit  Jean. 
époux  de  Catherine  de  Pascal.  C'est  à  ce  dernier  que  commence  l'élude  généa- 
logique de  La  Roque  {Nobiliaire  du  Languedoc,  T.  II). 


SOLIMANI  (LAURENT) 

MÉDECIN 

Né  à  Savone  (Italie)   vers  l'an  ij56 
Mort   à    Bagnols    le    21    décembre    1882 


quelques  centaines  de  mètres  de  Bagnols,  sur  la 
jroute  d'Avignon  et  du  côté  de  la  Cèze,  on  remar- 
jquait,  dès^  i83o,  une  villa  peinte  dans  le  goût  ita- 
lien, avec  balustres,  tourelles  et  fenêtres  imitées  en 
trompe-l'œil.  A  l'abri  de  ces  murailles  badigeonnées,  vivait 
un  vieux  docteur,  M,  Solimani,  marié  à  Madame  veuve  de 
Voile,  née  de  Charrier-Moissard. 

Le  médecin  jouissait  d'un  grand  renom  dans  toute  la  con- 
trée :  on  venait  de  très  loin  pour  le  consulter...  Ses  conseils 
n'étaient  refusés  à  personne,  mais  la  réception  était  rude  pour 
les  malades  in  extremis.  «  Vous  êtes  mort,  leur  disait  Toracle 
de  Paniscoule.  )>  Le  malheureux,  atterré,  s'en  retournait,  en 
effet,  plus  mort  que  vif,  et  la  prédiction  ne  tardait  pas  à  se 
réaliser. 

Cette  sorte  de  bourru  bienfaisant  avait  ses  lunes,  comme  on 
dit  :  parfois  on  le  vo3'ait  se  confondre  en  politesse,  en  obli- 
geance méticuleuse  ;  c'est  qu'alors  sa  passion  pour  l'art  médi- 
cal semblait  essa3'er  une  lutte  corps  à  corps  avec  la  maladie 
dont  elle  finissait  d'ordinaire  par  triompher. 

En  dehors  de  ses  heures  de  consultations  ou  plutôt  de  ses 


270  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

causeries  rarement  aimables  et  le  plus  souvent  crispées, 
M.  Solimani,  par  tradition  de  famille,  se  plaisait  à  s'occuper 
cie  sciences  et  de  beaux-arts.  Sa  villa  était  entourée  de  vergers 
et  de  jardins  fleuris  :  un  vivier  profond  renfermait  les  plus 
belles  carpes  des  alentours;  on  y  trouvait  un  billard  pour 
délasser  les  visiteurs;  des  instruments  de  musique  délec- 
taient les  virtuoses,  et  les  peintres  trouvaient  dans  la  galerie 
vitrée  une  belle  collection  de  toiles  ou  de  copies  de  maîtres; 
enfin  un  laboratoire  de  chimie  et  un  cabinet  d'étude  faisaient 
les  délices  de  ceux  qui  s'adonnaient  aux  sciences  physiques 
ou  naturelles. 

Le  personnel  de  la  maison  se  composait  du  père  et  du  fils 
de  Solimani  qui  avaient  épousé  la  mère  et  la_  fille  t/e  Voile; 
d'une  cuisinière,  cordon  bleu,  et  du  vieux  Jacques,  cocher 
savoisien.  Les  contemporains,  les  alliés  des  grands  parents  et 
quelques  jeunes  amis  formaient  une  société  variée  qui  ne 
manquait  pas  d'un  certain  charme.  On  }'  chantait  les  ariettes 
du  temps  avec  accompagnement  de  harpe  et  de  guitare  : 
instrument  aujourd'hui  démodé  dont  le  déclin  commençait 
dès  lors  :  on  y  jouait,  on  y  riait  comme  on  joue  et  comme  on 
rit  à  vingt  ans. 

D'oià  nous  était  venu  ce  docteur  renommé?  L'épithcte  est 
flatteuse.  Peut-être  en  la  décernant  faisons-nous  trop  abstrac- 
tion de  l'opinion  des  hommes  compétents  et  sérieux  de  l'époque 
et  du  pays.  Mais  d'autre  part  aussi,  qui  sait,  si  quelque  grain 
de  jalousie  ne  dictait  pas  leur  jugement  sévère  à  l'égard  d'un 
concurrent  redoutable:  toujours  est-il  que  le  docteur  Solimani 
passait  aux  3'eux  de  ses  détracteurs,  pour  une  sorte  de  Chiariniy 
charlatan-type,  si  connu  à  la  même  époque  par  son-  vermi- 
fuge ;  l'un  et  l'autre,  en  effet,  sortaient  de  cette  côte  d'Italie 
que  les  conquêtes  impériales  nous  avaient  gagnée...  l'un  et 
l'autre  étaient  venus  en  France  chercher  la  fortune  et  la  renom- 
mée. La  désinence  des  noms  propres  prêtait  à  l'injustice. 

Le  médecin  Solimani  ne  manquait  pas  de  mérite. 

Parti  de  Savone  où  sa  lîimille  était  en  renom  depuis  le  xvi*^ 


SOLIMANI  271 

siècle,  il  se  fixa  à  Nîmes  et  nous  le  trouvons  en  1808  membr  e 
du  jury  médical  du  département;  il  faisait  partie  de  l'Académie 
du  Gard.  Ses  relations  avec  ses  savants  confrères  furent  pro- 
fitables à  la  région.  A  cette  époque  vivaient  le  docteur  Phelip, 
Vincens  Saint-Laurent,  Granjent  l'ingénieur,  les  mathémati- 
ciens Gergonne  et  ThomasLavernède,  Guizot ,  d'Hombre- 
Firmas,  Chaptal  et  autres  érudits  de  la  contrée.  Solimani 
était  un  des  académiciens  les  plus  actifs.  Par  ses  études  spé- 
ciales, il  rendit  de  véritables  services  à  l'industrie  agricole.  Il 
prit  une  part  notable  à  la  découverte  et  au  perfectionnement 
des  instruments  de  distillation  qui,  en  rendant  plus  rapide  la 
transformation  du  vin  en  eau-de-vie  et  en  alcool,  ont  contribué 
à  la  richesse  du  pa3^s  (i). 

En  1809,  M.  Fournier,  de  Nîmes,  présenta  à  l'Académie 
du  Gard  un  mémoire  sur  la  culture  du  ricin  et  la  préparation 
de  son  huile.  Le  Palma  christi  commençait  alors  à  être  cul- 
tivé dans  le  Midi  et  déjà  les  pharmaciens  en  préparaient  une 
huile  supérieure  à  celle  tirée  d'Amérique,  pays  d'origine  de  la 
plante  Euphorbiacée.  On  connaît  la  facilité  prodigieuse  avec 
laquelle  le  ricin  se  multiplie  :  plusieurs  cultivateurs  cherchaient 
à  le  naturaliser  dans  le  Gard,  dont  il  fécondait  les  terres 
stériles,  la  plage  et  le  sable  des  torrents  très-appropriés  à  sa 
culture.  L'Académie  proposa  de  seconder  les  tentatives  du 
chimiste  qui  s'occupait  de  cette  importante  question. 

Jusqu'alors  les  savants  n'avaient  considéré  l'huile  de  ricin 
que  dans  ses  usages  médicaux.  Solimani  l'examina  sous  un 
aspect  plus  étendu  et  fit  connaître  quels  avantages  on  pouvait 

(1)  Ehi.  lut.  de  Nhnes  par  Michel  Nicolas,  T.  III,  p.  180. 

Ajoulons  que  le  docteur  partageait  l'opinion  du  célèbre  docteur  Edouard 
Adam  (dont  on  a  depuis  peu  d'années  élevé  la  statue  à  Montpellier).  On  sait  que 
l'appareil  de  ce  chimiste  permettait  d'obtenir  par  une  seule  distillation  un 
esprit  à  tous  les  degrés  demandés  par  le  commerce.  Le  système  d'Adam  était 
fort  ingénieux,  puisque  au  moyen  des  anciens  alambics  il  fallait  distdler 
plusieurs  fois  le  liquide.  Cependant  il  y  a  eu  progrès  ;  Adam  a  été  détrôné 
par  Gellier-Dlumenthal  et  ce  dernier  a  vu  son  appared  perfectionné  par  le  chi- 
miste Derosne. 


272  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

en  tirer,  soit  pour  les  arts,  soit  dans  l'économie  domestique, 
soit  dans  son  rapport  avec  l'agriculture.  Son  mémoire,  lu- en 
1810,  enchérit  sur  le  rapport  du  pharmacien  Nimois.  Il  cher- 
cha à  démontrer  :  que  l'huile  de  ricin  peut  entrer  dans  la 
composition  du  vernis  de  la  plus  belle  transparence  ;  —  que 
la  savonnerie  doit  l'utiliser  avec  avantage  pour  le  décreusage 
de  la  soie;  —  que  mêlée  à  l'alcool  elle  produira  "çouv  V éclair ag-e 
un  combustible  auquel  aucun  autre  de  ceux  que  l'on  emploie 
ne  peut  être  comparé  pour  l'intensité  de  la  lumière.  Enfin 
Solimani  ne  doute  pas  que  l'on  puisse  aisément  rendre  l'huile 
de  ricin  propre  aux  usages  alimentaires...  Au  prix  de  5o  à  60 
francs  les  5o  kilogrammes  ajoute-il,  le  produit  d'une  salmée 
de  contenance  (un  hectare  et  demi),  par  une  récolte  ordinaire, 
pourrait  s'élever  à  2,400  francs  (i). 

En  entrant  ici  dans  quelques  détails  sur  les  travaux  du  doc- 
teur, nous  avons  voulu  rappeler  le  progrès  opéré  depuis  cette 
époque  sur  des  sujets  qui  n'offraient  encore  que  de  brillantes 
espérances  :  sur  l'éclairage  entr'autres  dont  la  chimie  a  triom- 
phé, par  la  distillation  de  la  houille  et  la  production  du  gaz 
hydrogène  (2). 

A  la  chute  de  l'Empire  le  docteur  Solimani  était  déjà  fixé  à 
Bagnols  :  il  fait  partie  du  conseil  municipal  et  prend  une 
part  active  aux  travaux  des  commissions  diverses.  Cependant 
ses  préférences  étaient  pour  le  calme  et  le  repos  dans  Panis- 
coule  ;  tout  y  était  disposé  du  reste  pour  charmer  ses  loisirs  et 
ses  goûts  délicats. 

Son  cabinet  renfermait  des  raretés  d'un  grand  prix.  Nous  y 
avons  vu   un    petit  meuble  Florentin,   en  ébène   incrusté  d'i- 


(1)  Notice  sur  les  travaux  de  l'Académie  du  Gard  (1810),  p.  50. 

(2)  1738.  Le  docteur  Claiton  fait  les  premières   expériences  sur  le  gaz  (de  la 

houille  distillée).  —  Angleterre. 

1786.  Lebon  applique  le  gaz  aux  usages  domestiques  :  —  Ses  appareils.  — 
France . 

1802.  Murdoch  en  fait,  en  grand,  l'application.  —  1812,  première  compa- 
gnie d'éclairage  au  gaz,  à  Londres, 


SOLIMANI  273 

voire,  divisé  en  plusieurs  rangées  de  tiroirs  lesquels  contenaient 
une  fort  belle  collection  d'entailles  et  de  camées.  Ces  objets 
antiques  ont  été  vendus,  nous  assure-t-on,  en  Angleterre,  à 
un  riche  amateur. 

Aux  murs  de  la  galerie  appendaient  des  toiles  de  maître; 
du  moins  c'était  là  Topinion  du  propriétaire  enthousiaste  et 
fantaisiste.  Le  docteur  faisait  remarquer  deux  Grenue,  un 
Carie  Vauloo,  un  Simon  Voiiet,  un  Teniers  et  surtout  un 
Rnbcns.  L'école  vénitienne  y  était  même  représentée  avec 
quelque  éclat.  Ce  qui  piquait  alors  notre  curiosité  Juvénile, 
c'étaient  de  grandes  études  en  camaïeu  d'un  très-bel  eiïet.  Le 
collectionneur  appelait  cela  :  «  de  magnifiques  toiles  italiennes 
fort  estimées,  w  Hélas  !  toutes  ces  richesses  artistiques  n'exis- 
tent plus  ;  le  besoin,  le  caprice  ou  la  cupidité  les  ont  disper- 
sées. Notre  ami  le  docteur  Mallet  a  pu  sauver  du  naufrage 
quelques  rares  épaves  qui  ne  sont  point  sans  valeur,  et  nous 
avons  eu  la  bonne  fortune  de  doter  le  musée  de  Bagnols  du 
portrait  du  docteur  Solimani,  peint  de  main  de  maître , 
assurément.  Nous  ne  craignons  pas  de  l'attribuer  à  Sigalon  (i). 

Sujet  aux  boutades  les  plus  bizarres.  M,  Solimani  était  loin 
de  briller  par  l'égalité  du  caractère.  Cependant,  il  ne  refusait 
jamais  son  concours  aux  intérêts  du  pa3's.  En  i8ig,  sous  la 
mairie  Ladroit,  nous  le  voyons  siéger  au  conseil  municipal  ;  il 
fit  longtemps,  comme  médecin,  partie  du  conseil  de  révision, 
en  un  mot,  les  autorités  de  l'époque,  purent  toujours  utiliser 
ses  talents  et  son  bon  vouloir. 

Vers  i832,  sa  santé  s'altéra  sensiblement;  il  s'éteignit  le 
21  décembre  à  l'âge  de  76  ans.  Son  fils,  Casimir,  l'avait  pré- 
cédé dans  la  tombe.  Bientôt  son  habitation  passa  en  d'autres 


(1)  L'artiste  uzétien  peignait  alors,  dans  le  même  style ^  l'avocat  J.-B.  Teste, 
et  son  propre  élève  Numa  Boucoiran. 

Quant  aux  tableaux  acquis  par  M.  Mallet,  ils  font  aujourd'hui  partie  du  musée 
de  Bagnols  :  on  remarque  un  jeune  seigneur  (époque  Louis  XIII),  deux  portraits 
d'homme  et  de  femme,  richement  vêtus,  de  l'époque  de  Louis  XIV. 

T.   H  18 


274  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

mains  (i)  ;  elle  fut  vendue  en  i8G3  à  un  de  nos  compatriotes 
résidant  à  Paris.  M.  Thome  fit  raser  de  fond  en  comble  les 
bâtiments  et  remplaça  les  anciens  vergers  ou  les  terres  labou- 
rables par  un  parc  à  l'anglaise,  un  lac,  des  cascades,  des 
massifs  de  verdure,  des  terrains  vallonnés,  et  un  château  dans 
le  style  Louis  XIII  ;  plus  ne  reste  à  ce  coin  de  terre  que  son 
ancien  nom  :  Paniscoule. 

Il  est  naturel  que  la  pensée  de  chercher  Torigine  de  ce  nom 
soit  venue  à  bien  des  curieux  :  nous  n'avons  jusqu'ici  rien 
trouvé  de  précis  ;  des  investigateurs,  plus  heureux  que  nous 
réussiront  mieux  certainement. 

Toutefois,  nous  savons  que  Paniscoule  (ou  Peniscoule), 
est  le  nom  d'un  château  situé  en  Espagne,  sur  le  bord  de  la 
mer,  château  ayant  appartenu  à  la  famille  de  Luna.  —  Pierre 
de  Luna  devint  pape,  à  Avignon  en  1894,  sous  le  nom  de 
Benoît  XIII.  Le  fief  seigneurial  des  bords  de  Cèze  aurait-il  été 
acheté  par  ce  personnage  célèbre,  alors,  qu'après  avoir  été 
professeur  à  Montpellier,  il  fut  nommé  cardinal  ?...  Comme 
plusieurs  de  ses  collègues  d'outre-Rhône,  n'aurait-il  pas  pos- 
sédé, en  Languedoc,  —  à  Villeneuve,  à  Roquemaure  ou  à 
Bagnols,  un  palais,  un  château,  une  villa  à  laquelle  il  aurait 
donné  le  nom  d'une  de  ses  terres  d'Aragon  ? 

Nous  inclinerions  pour  l'affirmative,  puisque  l'histoire  nous 
apprend  que  vers  i352  Clément  VI  appréciait  les  produits 
viticoles  du  domaine  de  Castel,  —  près  Saint-Gervais,  —  et 
qu'en  i36o  Innocent  VI  possédait  le  château  de  Bagnols.  Les 
papes  d'Avignon  avaient  donc  des  rapports  fréquents  avec 
notre  'pays.  Qu'y  aurait-il  d'étonnant  que  le  cardinal  Pierre 
de  Luna  eut  lui  aussi,  une  terre  à  Bagnols  et  que  cette  terre 
fut  le  domaine  de  Paniscoule  ainsi  dénommé  en  souvenir  de 
son  pays  d'origine  ?...  Nous  livrons  humblement  cette  hypo- 
thèse aux  érudits...,  aux  chercheurs. 

(1)  A  M.  Gicle,  ancien  maire  d'Alais^  dont  la  famille  a  laissé  d'excellents 
souvenirs  et  s'est  fait  regretter.  M.  Troupel  gendre  de  M.  Gide,  vendit  le 
domaine  à  M.  Joseph  Thome  :  le  21  octobre  1863. 


SOLIMAXI  27D 

Le  médecin  italien  se  flattait  de  montrer  l'albero  genealogico 
délia  famig'lia  dei  Solimani,  Nous  possédons,  au  musée  de 
Bagnols,  ce  curieux  document.  L'artiste  y  a  inscrit  la  longue 
liste  des  Sormani  et  plus  tard  Solimani^  plus  euphonique. 
Malheureusement,  le  tronc  de  l'arbre  ne  porte,  au  premier 
cartouche,  que  le  nom  de  Battista.  Ce  fut  Pace  Antonio,  fils 
de  ce  dernier  qui,  vers  i58o,  sculpteur  et  architecte  renommé, 
construisit,  à  Savone,  la  façade  de  la  cathédrale,  —  insigne 
basilica,  — N.-D.  de  la  Miséricorde  et  varie  sublimi  eccelente 
statue. 

La  famille  Sormani  ou  Solmani  et,  au  xvni*^  siècle  Solimani, 
est  originaire  d'Ostena,  sur  le  lac  Lugano  :  elle  était  de  la 
première  noblesse  d'Italie;  ses  alliances  avec  les  Abattis  les 
Monleoni  et  autres  le  prouvent.  —  Une  religieuse,  G.  Battista 
Solimani  fut  la  fondatrice  délie  monache  romite  e  de  niissio- 
7zar?' de  la  Congrégation  de  Saint-Jean. 

—  R.  Mario  Solimani  avait  en  lôSg,  la  réputation  d'un 
célèbre  violoniste  :  sonatore  di  violino. 

Dressé  en  1822  à  Savone  par  l'archiviste  Francesco  Giuria, 
l'arbre  généalogique  nous  apprend  que  notre  docteur  Laurent 
Solimani  était  fils  de  François,  capitaine  d'infanterie  au  service 
de  la  République  de  Gênes,  et  d'Angèle  Rapin,  fille  du  colonel 
Julien  ;  tous  deux  inscrits  à  la  noblesse  de  Savone  le  (5  mai 
1754,  ainsi  que  leurs  enfants  :  le  document  nous  permet  de 
blasonner  ainsi  les  armes  du  docteur  :  —  d'or  an  chef  d'argent 
coticé  de  trois  barres  de  gueules,  brochant  sur  le  tout  un  lion 
d'argent  ( Monleo7ii)  de  face,  présentant  un  fort  d'argent 
crénelé  sommé  d'une  tour  crénelée  de  même.,  (qui  est  de  Char- 
rier). 


%^ 


SOUCHON  (JOSEPH) 

GUIDE 

Né  à  Bagnols  le  i5  août  ij'j4 
Mort  à  Paris  le  5  avril  i852 


EUX  mois  après  le  14  juillet,  date  me'morable,  (d'oiî, 
par  la  prise  de  la  Bastille,  les  historiens  semblent 
compter  la  première  journée  de  la  Révolution)  un 
jeune  bagnolais  s'engageait  comme  volontaire  au 
régiment  de  Soissonnais  (i),  infanterie  :  il  avait  à  peine  seize 
ans.    «  La  valeur  n'attend  pas  le  nombre  des  années.  » 

Joseph  Souchon,  fils  de  Martin  et  de  Suzanne  Violotte  (2), 
né  le  i5  août  1774,  quittait  Bagnols  le  i5  septembre  1789. 

Le  24  décembre  1793  il  passait  au  régiment  de  Penthièvre, 
devenu  depuis  1791,  le  S''"^  régiment  de  dragons.  Pendant 
quatre  ans  Souchon  parcourut  les  bords  du  Rhin,  de  Mayence 
à  Francfort,  de  Worms  à  Manheim. 

En  1796  nous  le  voyons  dès  le  22  septembre  (i^'"  vendé- 
miaire   an    V),    compris    parmi   les    Guides  (3),    du  général 

(1)  Voir  ci-après  la  note  A. 

(2)  Suzanne  Violotte  était  la  sœur  de  Violot,  un  maçon  et  sculpteur  habile 
pour  le  pays,  à  qui  l'on  doit  deux  groupes  en  pierre  (sujets  religieux),  qui  sont 
placés  l'un  sur  la  porte  intérieure  de  la  maison  de  Charité,  et  l'autre  à  la 
maison  Aslier,  rue  Poulagière,  à  l'angle  de  la  rue  du  Remouleur. 

(3)  Voir  ci-aprés  la  note  B . 


278  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Bonaparte.  Il  était  de  ce  groupe  d'élite,  remarquable  autant 
par  sa  fidélité  que  par  sa  bravoure  prudente.  Il  se  trouva  à  la 
troisième  journée  d'Arcole,  le  17  novembre.  Les  historiens  du 
temps,  Napoléon  lui-même  (i),  racontent  ce  qui  suit  : 

«  ...  Vers  les  trois  heures,  au  moment  où  le  détachement 
de  la  garnison  deLegnanose,  commandé  par  l'adjudant  Lorcet 
se  portait  sur  Tennemi,  alors  que  la  canonnade  était  vive  sur 
toute  la  ligne  et  que  les  tirailleurs  en  étaient  aux  mains,  le 
général  français  ordonna  au  chef-d'escadrons  Hercule  (2),  de 
se  porter  avec  cinquante  guides  et  quatre  ou  cinq  trompettes, 
au  travers  des  roseaux  et  de  charger  sur  l'extrémité  de  la 
gauche  l'ennemi,  au  moment  que  la  garnison  de  Legnanose 
commençait  à  la  canonner  par  derrière  :  ce  qu'il  exécuta  avec 
intelligence  et  contribua  beaucoup  au  succès  de  la  journée... 
Alvinzi  mené  battant  tout  le  reste  de  la  soirée,  continua  sa 
retraite  sur  Vicence.  Notre  cavalerie  le  poursuivit  au-delà  de 
Montebello.   » 

Le  jeune  bagnolais  était  un  des  guides  qui  exécutèrent  cette 
charge  héroïque.  Il  y  reçut  une  blessure  grave  et  sa  bravoure 
éclatante  lui  valut  un  sabix'  d'howieur. 

Souchon  se  distingua  plus  d'une  fois  encore  pendant  la 
campagne  d'Italie.  Il  obtint  deux  récompenses  pécuniaires  sur 
le  champ  de  bataille,  et  fut  fait  brigadier.  Nous  pouvons  le 
dire  avec  fierté,  nous,  enfants  de  Bagnols  :  sa  carrière  mili- 
taire n'a  été  qu'une  suite  d'actes  de  courage  et  de  dévouement; 
et  bien  que  confondu  dans  les  rangs  inférieurs  de  l'armée,  ses 
actions  d'éclat  n'en  firent  pas  moins  briller  son  nom  glorieux. 

Souchon  était  à  l'armée  d'Ég3^pte  ;  il  s'y  distingua  en  brave. 
Citons  du  Mémoiial  de  Sainte-Hélène  (3),  quelques  lignes  que 


(1)  V.  Victoires  et  Conquêtes. . .  V.  Campagnes  d'Italie  par  Napoléon,  p.  515, 
Tome  I. 

(2)  C'est  par  erreur  (|ue  Napoléon   donne   à  Nègre  Hercule  le  litre  de  chef 
d'escadrons  :  ce  lieutenant  des  guides  ne  fut  nommé  capitaine  que  peu  de  jours 
après  Arcole. 

(3)  Tome  I,  page  122  et  123,  Édit.  Ernest  Bourdin,  Illustrations  de  Charlet. 


SOUCHON  279 

tous    les   Jeunes    élèves   de    nos  écoles  devraient    savoir  par 
cœur. 

«  Napoléon  reçut  durant  le  siège  de  Saint-Jean-d'Acre,  une 
preuve  de  dévouement  héroïque  et  bien  touchante.  Étant  dans 
la  tranchée,  une  bombe  tombe  à  ses  pieds  :  deux  grenadiers  se 
jetèrent  aussitôt  sur  lui,  le  placèrent  entre  eux  deux,  et  le 
couvrirent  de  toutes  parts  ;  par  bonheur  la  bombe  respecta 
tout  le  groupe  ;  nul  ne  fut  touché. 

«  Un  de  ces  braves  grenadiers  a  été  depuis  le  général 
Daumesîfil,  l'autre  était  Souchon,  qui  trois  fois  reçut  des 
armes  d'honneur.  » 

Cette  mention  glorieuse  pour  notre  compatriote,  n'était  pas, 
il  est  vrai,  dans  la  première  édition  du  livre  écrit  par  le  comte 
de  Las  Cases  :  le  nom  de  Souchon  ne  figurait  point.  Napoléon, 
en  dictant  ses  mémoires  avait  dit  :  «  Je  ne  me  rappelle  pas  le 
nom  du  dernier  soldat.  «  Mais  les  éditeurs  postérieurs  du 
Mémorial  citent  Souchon.  Le  témoin  de  cet  acte,  son  compa- 
gnon même  fut  le  premier  à  le  signaler  avec  orgueil  ;  car  les 
deux  héros  ne  s'étaient  jamais  perdus  de  vue.  Depuis  la 
campagne  d'Egypte,  le  brave  grenadier  notre  compatriote 
n'avait  cessé  de  conserver  d'excellentes  relations  avec  son 
heureux  camarade. 

On  sait  que  Daumesnil,  surnommé  la  Jambe  de  Bois  (i), 
devint  général  et  gouverneur  de  Vincennes  ;  qu'il  conserva 
cette  forteresse  même  après  que  les  alliés  se  furent  emparés  de 
Paris,  en  18 14  ;  qu'aux  sommations  russes,  il  répondait  : 
Quand  vous  me  rendrez  ma  jambe,  je  vous  rendrai  ma  place  ;  » 
qu'il  refusa  un  million  que  lui  offrait  un  général  ennemi,  en 
répondant  fièrement  :  Vous  ne  serez  pas  plus  heureux  contre 
ma  pauvreté  ;  je  ne  veux  rien,  et  mon  refus  sera  la  richesse 
de  mes  enfants.  »  Tous  ces  détails  sont  aujourd'hui  du  domaine 
de  l'histoire. 

Souchon  vivait  dans  une  situation  modeste,   cependant  sa 

(1)  Il  était  né  en  1776  et  mourut  en  1832. 


28o  NOTICES^ BIOGRAPHIQUES 

famille  et  celle  de  Daumesnil  sont  toujours  restées  liées, 
malgré  la  différence  de  position.  Ainsi,  en  souvenir  de  leurs 
relations  intimes.  Madame  veuve  Daumesnil  oifrit  ci  Madame 
Souchon  un  exemplaire  du  Mémorial  de  Sainte-Hélène  avec 
cette  dédicace  :  Au  brave  camarade  de  Daumesnil  à  Saint-Jean - 
d'Acre,  au  guide  Souchon.  » 

Mais  suivons  notre  compatriote  dans  la  campagne  d'Orient. 
C'est  à  l'affaire  d'Héliopolis,  le  22  août  1800,  c'est-à-dire,  un 
an  après  l'épisode  de  Saint-Jean-d'Acre  —  avril,  mai  1799  — 
que  Souchon  fut  blessé.  Il  reçut  pour  sa  belle  conduite,  dans 
cette  journée  sanglante,  un  mousqueton  d'honneur,  avec 
plaques  d'argent.  Le  brevet  est  signé  du  28  vendémiaire  an 
XI  :  il  porte  ces  mots  :  «  Bonaparte,  premier  consul  de  la 
«  République,  d'après  le  compte  qui  lui  a  été  rendu  de  la 
«  conduite  distinguée  et  de  la  bravoure  éclatante  du  citoyen 
«  Souchon,  chasseur  à  cheval  dans  la  Garde,  à  l'affaire  du 
«  4  fructidor  an  IX  (i),  à  l'armée  d'Orient,  lui  décerne  à  titre 
«  de  récompense  nationale  une  carabine  d'honneur.  Il  jouira 
«  des  prérogatives  attachées  à  la  dite  récompense  par  l'arrêté 
«  du  4  nivôse  an  VIII.  » 

Par  la  pièce  dont  nous  venons  de  parler  il  est  prouvé  que 
Souchon  avait  été  incorporé  successivement  dans  deux  régi- 
ments de  la  garde  des  consuls.  Les  états  de  service  précisent  que 
le  7  ventôse  an  X  (26  février  1802),  il  était  aux  grenadiers  à 
pied  et  le  brevet  le  désigne  comme  faisant  partie  du  régiment 
de  chasseurs  à  cheval,  le  19  octobre  de  la  même  année. 

Lors  du  licenciement  des  guides  de  l'ex-armée  d'Orient,  le 
8  décembre  1802,  —  18  frimaire  an  XI,  —  Souchon  reçut  un 


(1)  11  est  question  ici  de  l'affaire  dite  de  V Embarcadère,  qui  eut  lieu  à 
l'ouest  d'Alexandrie  sur  le  canal.  Après  un  combat  qui  dura  une  heure  et  demie, 
nos  troupes  durent  se  replier  :  elles  étaient  commandées  par  le  général  de 
division  Zayoncliek,  L'ordre  du  jour  signé  Menou,  (7  fructidor  an  IX),  mentionne 
plusieurs  soldats  qui  se  sont  distingués.  Ce  ne  fut  qu'en  vendémiaire  (30  octobre 
1803),  lors  de  la  rentrée  des  troupes  que,  sur  un  rapport  supplémentaire^  en 
proposition  spéciale,  la  récompense  a  été  décernée  à  Souchon. 


SOUCHON  201 

certificat  de  libération ,  où  nous  remarquons  ces  lignes  : 
«  Certifions  en  outre,  que  le  susnommé  s'est  conduit  pendant 
«  tout  le  temps  qu'il  a  servi  au  dit  corps  une  conduite  irrépro- 
«  chable  à  tous  égards.  »  (Extrait  textuel). 

Après  sa  nomination  aux  chasseurs  de  la  garde,  Souchon  ne 
peut  continuer  longtemps  son  service  actif;  à  cause  des  six 
blessures  qu'il  avait  reçues,  et  particulièrement  de  celle  qui  le 
frappa  en  pleine  poitrine  ;  il  dut  prendre  sa  retraite.  Depuis  le 
1 1  février  i8o3,  —  22  pluviôse  an  XI,  —  notre  brave  compa- 
triote avait  été  admis  au::  vétérans.  Le  gouvernement  d'alors 
tenait  à  rendre  une  éclatante  justice  à  l'un  des  plus  braves 
soldats  de  l'armée,  honoré  déjà  des  témoignages  flatteurs  si 
justement  mérités.  Dès  le  i^""  vendémiaire  an  XII,  —  24  sep- 
tembre i8o3,  —  inscrit  sur  la  liste  des  légionnaires  de  droit, 
Souchon  fut  fait  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 

Le  16  mai  i8o5,  il  prenait  sa  retraite  et  quittait  à  regret  le 
général  illustre  qu'il  avait  servi  pendant  plus  de  dix  années 
avec  un  dévouement  absolu  ;  Napoléon  venait  alors  d'être  élu 
Empereur. 

Si  Souchon  n'a  point  gagné  de  grades  pendant  sa  brillante 
carrière  militaire,  c'est  qu'il  fut  forcé  de  s'arrêter  avant  le 
temps.  D'ailleurs  cet  enfant  du  peuple  ne  savait  ni  lire  ni 
écrire;  à  peine,  à  la  fin  de  sa  vie,  pouvait-il,  difficilement 
même  signer  son  nom.  Notre  héros  se  résigna  donc  à  vivre 
toujours  humble  et  modeste.  Son  camarade  de  lit  avait  pu 
recevoir  les  bienfaits  d'une  instruction  plus  qu'élémentaire. 
L'instruction,  la  bonne  conduite  et  la  bravoure  de  Daumesnil 
nous  expliquent  les  légitimes  succès  du  général. 

Le  vétéran  d'Arcole  et  de  Saint-Jean-d'Acre  se  maria,  après 
avoir  quitté  le  service  militaire  (i),  et  entra,  comme  contre- 
maître, dans  la  filature  Richard-Lenoir.  Il  ne  tarda  pas  à 
perdre  sa  place  ;  car  l'usine  de  cet  industriel  célèbre  dut  cesser 
de  fonctionner  en  i8i5,  lorsque  les  produits  anglais,  prohibés 

(1)  Il  eut  six  filles  et  trois  garçons  ;  sa  veuve  mourut  à  88  ans. 


2(82  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

par  le  blocLis  continental,  firent  invasion  en  même  temps  que 
les  armées  alliées  ennemies  de  la  France, 

En  1823  Souchon  fut  nommé  surveillant  au  Palais-Royal  : 
c'est  Là  que  nous  l'avons  connu  et  c'est  grâce  à  son  obligeante 
intervention  qu'il  nous  a  été  permis  de  visiter,  en  i835,  les 
galeries  de  tableaux  appartenant  à  la  famille  d'Orléans. 

Souchon  était  à  cette  époque  un  beau  vieillard,  accueillant, 
affectueux  pour  ses  compatriotes.  Il  parlait  volontiers  de  son 
cher  Bagnols  et  de  sa  famille  parisienne  qu'il  aurait  voulu 
rattacher  par  des  liens  intimes  à  sa  ville  natale.  Ses  souhaits 
se  sont  en  partie  réalisés  ;  l'une  de  ses  filles  se  maria  à  un 
bagnolais,  M.  Frédéric  Canonge,  alors  entrepreneur  de  ma- 
çonnerie à  Paris,  qu'une  mort  prématurée  a  ravi  à  sa  famille 
et  à  ses  nombreux  amis. 

Notre  compatriote,  entouré  des  siens,  vivait  heureux  :  ses 
fils  et  ses  petits-fils  se  faisaient  déjà  distinguer  dans  l'armée. 
Comme  médaillé  de  Sainte-Hélène  il  comptait  à  titre  bienveil- 
lant à  l'Elysée,  lorsque  le  5  avril  i852,  une  cruelle  maladie 
chronique  le  fit  succomber.  Sa  veuve  qui  lui  survécut  Jusqu'en 
187:,  a  pu,  seule,  jouir  des  brillants  succès  de  ses  enfants. 

Bien  que  ceux-ci,  officiers  supérieurs  distingués,  et  encore 
aujourd'hui  pleins  de  vie,  n'aient  point  leur  place  dans  cette 
publication  nécrologique,  nous  ne  pouvons  passer  sous  silence 
la  personnalité  saillante  de  M.  Charles-Frédéric  Souchon,  né 
en  18 17,  engagé  en  1834,  commandant  d'artillerie  de  la 
citadelle  d'Arras  jusqu'à  l'époque  de  sa  retraite  en  1868, 
reprenant  du  service  en  1870,  nommé  lieutenant-colonel  et 
ayant  .coopéré  activement  à  la  réorganisation  de  l'artillerie 
destinée  à  l'armée  du  Nord. 

M.  Souchon,  officier  de  la  Légion  d'honneur,  habite  actuel- 
lement Wambrechies  près  Lille  (Nord),  beaucoup  trop  loin  de 
Bagnols,  dont  une  rue  porte  aujourd'hui  le  nom  de  son  père. 

Un  des  petits-fils  du  hérosde  Saint-Jean-d'Acre,  M.  Frédéric 
Canonge,  chef  de  bataillon,  est  professeur  d'histoire  militaire 
stratégique  à  l'école  de  guerre  à  Paris,  et  le  second,  M.  Henri 


SOUCHON  283 

Canonge  est  chef  d'escadrons  de  chasseurs.  Un  chroniqueur 
futur  intéressera  ses  lecteurs  en  racontant  la  vie  de  ces  trois 
officiers  de  mérite  :  nous  les  comptons  au  nombre  des  bagno- 


iais. 


NOTES 

(A,  p.' 277).  —  Ce  fut  Hen;-i  îî  qui,  en  1558,  institua  les  quatre  premiers 
régiments  d'infanterie.  Les  rois  ses  successeurs  en  augmentèrent  le  nombre.  De 
1G43  à  1709  Louis  XIV  créa  94  nouveaux  régiments  d'infanterie  et  assigna  à 
chacun  d'eux  un  numéro,  Soissonnais,  créé  en  1684,  portait  le  Uq  87.  Mais  à 
dater  du  1er  janvier  1791  les  régiments  reçurent  un  numéro  d'ordre  et  la  milice 
du  Soissonnais  devint  le  40'»e  de  ligne.  Il  y  avait  alors  105  régiments. 

En  1793  l'infanterie  fut  organisée  en  198  demi-brigades  portées  plus  tard  à 
209.  Celles-ci  étaient  formées  d'nn  bataillon  des  anciens  régiments  et  de  2 
bataillons  de  volontaires  Cette  organisation  dura  jusqu'en  l'an  XII. 

(B,  p.  277).  —  L'origine  des  guides  est  racontée  tout  au  long  dans  le 
Mémorial  de  Sainte-Hélène  ^  (T.  I,  p.  212).  —  «Napoléon,  après  le  passage 
du  Mincio,  toutes  les  mesures  ordonnées  et  l'ennemi  poursuivi  dans  toutes  les 
directions,  s'arrêta  dans  un  château  sur  la  rive  gauche.  Il  souffrait  de  la  tête  et 
prit  un  bain  de  pied.  Un  gros  détachement  ennemi,  égaré  et  perdu,  arrive,  en 
remontant  le  fleuve  jusqu'au  château.  Napoléon  y  était  presque  seul  ;  la  senti- 
nelle en  faction  à  la  porte,  n'a  que  le  temps  de  la  pousser  en  criant  aux  armes, 
et  le  général  de  l'armée  d'Italie,  au  sein  de  la  victoire,  est  réduit  à  s'évader 
par  les  derrières  du  jardin  avec  une  seule  botte_,  l'autre  jambe  nue. . . 

«  Le  danger  auquel  venait  d'échapper  le  général  français,  circonstance  qui 
dans  sa  manière  d'opérer  pouvait  se  renouveler  souvent,  devint  l'origine  des 
guides  chargés  de  garder  sa  personne ...» 


TESTE  (ANTOINE) 

NOTAIRE 

Né  à  Bagnols  le  2j  août  i'/43 
Mort    à  Bagnols   h   26  juin   iSoj 


rNTOiNE  Teste,  né  à  Bagnols  le  27  août  1748,  fut, 
jdans  le  Midi,  un  des  plus  ardents  patriotes  de  178g. 
jPendant  toute  la  période  révolutionnaire  son  carac- 
■tère  méridional,  énergique  et  bouillant  s'accentua  par 
les  aspirations  audacieuses  d'un  adepte  des  plus  fervents  de  la 
réforme  politique.  Hàtons-nousde  le  dire  cependant,  au  milieu 
de  ses  actes  autoritaires,  il  ne  nous  a  pas  été  possible  de 
découvrir  trace  d'aucun  fait  incriminant  notre  compatriote. 
Que  d'autres,  comme  lui,  ont  salué  avec  le  même  enthou- 
siasme l'aurore  de  cette  Révolution  qui  promettait  au  pa3^s 
le  bonheur  dans  la  liberté  !  leur  ferveur  s'attiédit,  celle  de 
Teste  persista  dans  la  tourmente. 

On  dit  que  dès  l'année  1783  le  jeune  notaire  avait,  dans  des 
libelles  chaleureux,  attaqué  l'intendant  de  la  province  du  Lan- 
guedoc. Une  lettre  de  cachet  fut  lancée  contre  lui  :  il  ne  parvint 
à  se  dérober  aux  poursuites  qu'en  franchissant  le  Rhône,  et 
qu'en  se  réfugiant  à  Avignon  sous  la  protection  du  pape,  alors 
souverain  du  Comtat. 

Rendu  à  la  liberté  aux  approches  des  crises  révolution- 
naires, Teste  parut  dans  les  assemblées  électorales  et  y  obtint 


286  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

maintes  fois  les  suffrages  de  ses  concitoyens  (i).  Il  assista, 
comme  député  de  Bagnols,  à  l'assemblée  de  la  sénéchaussée 
de  Nîmes  qui  nomma  en  mars  1789,  des  députés  aux  États- 
généraux. 

Nommé  membre  de  la  commission  de  cette  assemblée  il 
prit  une  part  active  à  la  rédaction  des  cahiers  des  doléances  : 
sa  réputation  de  légiste  le  posa  au  premier  rang. 

En  1790,  Teste  fut  électeur,  nommé  par  la  commune,  lors 
de  la  formation  des  assemblées  administratives  :  en  cette 
qualité  il  assista  à  l'élection  de  l'évêque  du  département  ,  en 
mars  1791.  Et  pour  dérouler  ici,  dès  le  début,  la  série  des 
emplois  qu'il  a  occupés,  nous  ajouterons  qu'il  fut  élu  admi- 
nistrateur du  district  du  Pont-Saint-Esprit  en  juin  et  maire 
de  Bagnols  en  décembre  ;  qu'il  remplit  ces  dernières  fonctions 
jusqu'au  i3  novembre  1792,  époque  à  laquelle  l'Assemblée 
électorale,  tenue  à  Uzès  et  dont  il  était  membre,  le  nomma 
procureur  général  syndic  du  département;  qu'il  prit  possession 
de  cette  magistrature  le  28  novembre  et  la  quitta  le  6  nivôse 
an  II  (2):  Telles  ont  été  les  principales  missions  remplies  par 
notre  actif  compatriote.- 

Nous  l'avons  dit  :  après  le  i3  décembre  1791,  Teste,  étant 
maire,  exerça  une  grande  influence  dans  la  cité.  Il  s'adressa  à 
l'assemblée  nationale  afin  de  fixer  à  Bagnols,  le  chef-lieu  du 
district.  En  maintes  occasions  le  Conseil  vota  des  remercie- 
ments :  «  Au  patriote  éprouvé  qui  ne  cesse  de  s'occuper  du 
bien  public  et  le  prie  de  continuer  ses  bons  offices  au  profit  de 
la  commune.  »  Nommé  procureur  général  syndic  du  départe- 


(1)  V.  Annales  historiques  de  Bagnols  de  1788  à  1805,  par  Léon  Alègre. 

(2)  C'est  à  cette  époque  que  fut  enregistrée  au  département  la  loi  du  14-  fri- 
maire qui  établit  le  gouvernement  révolutionnaire  et  qui  supprima  les  fonctions 
de  procureur  général  syndic.  Depuis  le  6  nivôse  jusqu'au  28  pluviôse  an  II_, 
Teste  fut  provisoirement  administrateur  membre  du  directoire  du  département, 
nommé  par  arrêté  du  représentant  du  peuple  Boisset.  (Man.  Bibliothèque- 
Musée  de  Bagnols).  —  Extrait  de  l'attestation  du  citoyen  Clat,  archiviste  du 
département  du  Gard  —  26  vendémiaire  an  V. 


ANTOINE     TESTE  287 

ment  du  Gard  en  novembre  1792,  Antoine  Teste  occupait 
cette  place  à  l'époque  de  la  Révolution  du  3i  mai,  qui,  à 
Paris,  et  dans  plusieurs  départements,  assura  le  triomphe  de 
Robespierre,  tandis  que  dans  le  Gard,  le  parti  des  Girondins, 
occupé  de  fédéralisme,  conserve  quelque  temps  la  prépondé- 
rance. 

Teste,  resté  ferme  dans  le  camp  des  montagnards,  fut  alors 
l'objet  d'une  courte  disgrâce,  mais  le  triomphe  des  monta- 
gnards ne  tarda  pas  à  lui  rendre  l'influence  qui  résultait  de 
ses  relations  et  de  ses  précédents. 

Toutefois  un  trait  qui  honore  ce  républicain  austère,  c'est 
son  refus  obstiné  de  rentrer  alors  dans  les  fonctions  publiques  ; 
iUne  voulut  pas  devenir  l'instrument  aveugle  de  toutes  les 
proscriptions,  de  tout  le  régime  de  sang  qui  fut  la  consé- 
quence de  la  chute  des  girondins.  Dénoncé  pour  cette 
résistance,  au  terrible  Comité  de  sûreté  générale,  il  fut  frappé 
d'une  révocation  officielle  et  se  réfugia  dans  Tétat-major  de 
l'armée  des  Alpes,  d'où  il  ne  revint  qu'après  le  9  thermidor 
(27  juillet  1794.) 

En  1793,  malgré  tous  les  services  rendus,  malgré  tout  le 
bien  qu'il  faisait  autour  de  lui,  peut-être  même  à  cause  de  ce 
bien.  Teste  se  vit  à  Bagnols,  (i),  en  butte  aux  attaques  de 
certains  de  ses  adversaires  politiques.  Signalé  à  Nîmes  comme 
excitant  des  troubles  dans  son  pays,  pendant  un  séjour  de 
courte  durée  qu'il  y  fit.  Teste  se  défendit  devant  l'administra- 
tion départementale  par  une  lettre  — 6  juillet,  —  dans  laquelle 
on  remarque  les  passages  suivants  : 

«...  Depuis  mon  arrivée  je  ne  me  suis  mêlé  ni  d'affaires 
publiques  ni  d'affaires  particulières  ;  j'ai  été  deux  seules  fois 
à  la  maison  commune,  le  jour  de  mon  arrivée  pour  dire  aux 
officiers  municipaux  comment  et  pourquoi  avaient  cessé  mes 

(1)  Nous  avons  en  main  plusieurs  lettres  signées  par  les  plus  grands  noms 
aristocratiques  de  la  ville  de  Bagnols.  On  écrivait  à  Teste  comme  à  un  ami  dont 
entêtait  habitué  à  recevoir  des  témoignages  de  bienveillance  et  de  dévouement. 


288  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

fonctions  de  procureur  général  syndic,  (je  le  devais),  et  le 
dimanche  suivant  pour  afficher  les  comptes  de  la  municipalité 
de  l'année  1792,  pendant  laquelle  je  fus  maire... 

«  Je  suis  bien  loin,  je  l'avoue,  d'approuver  les  mesures  qui 
ont  été  prises  dans  le  département  du  Gard  ;  je  les  regarde 
comme  extrêmes,  mais  c'est  mon  opinion  personnelle,  et  le 
principe  de  cette  opinion  est  l'amour  de  la  paix. 

«  C'est  par  le  même  principe  que  je  vais  au  club,  quand  je 
soupçonne  qu'il  peut  y  être  fait  quelque  motion  vive.  J'y  ai 
d'ailleurs  deux  de  mes  enfants,  dont  l'un  âgé  de  17  ans  est 
président  de  la  société,  et  l'autre  âgé  de  i3  ans  est  un  des 
secrétaires  ;  je  dois  les  surveiller  et  je  le  fais  :  je  ne  porte 
dans  ces  assemblées  que  des  paroles  de  paix  et  elles  font  un 
grand  bien... 

«  Le  seul  mot  de  complot  me  fait  fuir  à  cent  lieues,  tant 
j'abhorre  les  complots  et  tant  je  suis  convaincu  que  c'est  à  des 
complots  que  sont  dûs  tous  les  malheurs  de  la  patrie...  » 

Cependant  les  fédérés  de  passage  le  10  juillet  1793  avaient 
pillé  et  saccagé  sa  maison  (i).  Victime  d'un  audacieux  attentat, 
il  a  vainement,  pendant  longues  années,  demandé  des  indemnités 
à  la  commune  et  porté  plainte  en  haut  lieu.  La  réaction,  om- 
nipotente dans  le  Midi,  faisait,  à  cette  époque,  échouer  toutes 
ses  légitimes  réclamations  (2). 

Teste  nommé  commissaire  par  les  représentants  du  peuple 
près  de  l'armée  des  Pyrénées-Orientales,  organise  les  4  et  5 
septembre  1793  le  i'^'"  bataillon  de  la  i'"^  classe  du  district  de 
Pont-Saint-Esprit.  Les  chefs  de  chaque  compagnie  procédèrent 
à  la  nomination  des  officiers  de  l'état-major.  Pour  le  grade  de 
lieutenant-colonel  commandant,  le  choix  tomba  sur  son  fils 
François-Antoine  qui  n'avait  alors  que  18  ans.  A  la  suite  de 
cette  nomination  flatteuse  pour  la  famille  du  jeune  bagnolais, 
s'élevèrent  des   querelles  intestines,    au   sein  même  du  batail- 

(1)  Annales  histor.  Loc.  cil. 

(2)  V.  ci-après  la  note  A. 


ANTOINE     TESTE  289 

Ion.  La  correspondance  échangée  entre  Antoine  Teste  et 
François  jette  un  jour  intéressant  sur  la  situation  complexe  des 
divers  éléments  dont  se  composaient  alors  les  armées  de  la 
République.  C'est,  d'ailleurs,  dans  l'intimité  de  ces  lettres 
qu'on  peut  apprécier  les  qualités  de  l'excellent  père  et  l'hono- 
rabilité du  cito3^en.  L'épisode  se  rattache  à  la  vie  du  futur 
général,  et  vaut,  par  là,  qu'on  s'y  arrête. 

Le  bataillon  commandé  par  François  Teste  s'était  très-hono- 
rablement conduit  dans  les  combats  multipliés  livrés  aux 
armées  espagnoles.  On  n'en  pouvait  douter  puisque,  le  21 
germinal  an  II,  le  maire  de  Bagnols, —  L.  Marsial,  —  écrivait 
aux  citoyens  composant  ce  4"'"=  bataillon,  alors  à  Puycerda, 
une  lettre  élogieuse  dans  laquelle  il  signalait,  comme  s'étant 
distingués  dans  l'allaire  du  28,  les  trois  compagnies  n°*  i,  2,  3, 
et  particulièrement  Gensoul,  Auzières ,  Lacroix,  Rolland, 
Servol  et  les  deux  Tastevin.  «  Transportés  de  joie,  dit-il,  dans 
sa  missive  officielle,  les  sans-culottes  de  la  commune  m'ont 
chargé,  dans  la  dernière  décade,  de  transmettre  à  ces  trois 
braves  compagnies,  le  tribut  de  l'estime  et  de  la  reconnaissance 
qu'elles  se  sont  acquises...  » 

Cependant  soit  que  le  bataillon  eut  emporté  quelque  chose 
des  divisions  locales,  soit  qu'y  eussent  germé  dans  la  campagne 
des  sentiments  de  basse  jalousie,  on  ourdit  une  cabale  contre 
Teste.  Le  commandant  en  second,  Piollenc,  plus  âgé  que 
François  et  qui  avait  promis  d'être  son  mentor,  aspirait  à 
devenir  chef  de  brigade,  il  gagna  quelques  amis  intimes  de 
Teste  et  obtint  le  renvoi  de  son  jeune  chef. 

Lorsqu'il  apprit  la  destitution  de  son  fils,  Antoine  ressentit 
une  douleur  profonde  de  ce  qu'il  appelait  :  une  grande  injus- 
tice. Ses  lettres  renferment  des  conseils  dictés  par  une 
sagesse  prudente  et  par  le  patriotisme  le  plus  éclairé.  —  «  Mon 
ami,  lui  écrit-il  le  20  prairial  an  II,  sois  toujours  soumis  aux 
lois,  et  cela  se  peut  sans  perdre  l'honneur  de  vue.  » 

Le  lendemain  Teste  s'adresse  au    général   Doppet  (i)  il  se 

(1)  Commandant  la  division  de  l'armée  des  Pyrénées-Orientales. 

T.  II  19 


290  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

plaint  de  la  mesure  rigoureuse  qui  frappe  son  fils:  non  pour 
cause  dCiiicij'isjJic  ;  il  tlagelle  celui  qui  Ta  supplanté,  il  rap- 
pelle les  nombreuses  désertions  qui  ont  eu  lieu  dans  le  4"^^^ 
bataillon  qu'il  commandaitet  que  ses  amis,  malgré  ses  instances, 
préfèrent  s'engager  dans  la  marine,  plutôt  que  de  servir  sous 
le  commandement  d'un  nouveau  chef,  traître  à  la  patrie.  Teste 
raconte  les  persécutions  auxquelles  il  a  été  en  butte  de  la  part 
des  fédéralistes  et,  revenant  à  son  fils  François  il  ajoute  : 

«  Sa  destitution  lui  a  percé  Tàme  et  si,  républicain  comme 
tu  l'es,  tu  es  en  même  temps  père,  tu  sentiras  jusqu'à  quel 
point  mon  cœur  en  est  alfecté. 

«  Veuille  donc  l'entendre  et  l'examiner  toi-même,  et  si  tu 
crois  que  sa  destitution  soit  conforme  aux  lois,  si  tu  ne  le 
trouves  pas  en  état  de  reprendre  le  poste  auquel  le  vœu  de  ses 
frères  d'armes  l'avait  placé  rends  le  moi  arec  son  honneur,  il 
servira  utilement  la  République  en  m'aidant  dans  les  travaux 
dont  elle  m'a  chargé.  » 

Teste  écrivit  au  Comité  de  salut  public  :  la  réponse  se  fit 
longtemps  attendre.  Pendant  une  série  de  décades  anxieuses 
il  console  son  fils  accablé  de  tristesse,  parce  qu'il  se  regardait 
comme  inactif;  car  le  nouvel  emploi  d'adjoint  provisoire 
attaché  à  l'état-major,  ne  suffisait  pas  à  son  ardente  et  vigou- 
reuse organisation...  «  Mon  ami,  ajoute-t-il  à  ses  condoléances 
paternelles,  un  républicain  est  de  tous  les  temps  et  de  tous  les 
pays.  Il  est  prêt  à  tous  les  événements  ;  il  ne  languit  jamais, 
quelles  que  soient  les  circonstances.  Il  n'est  triste  que  quand  les 
allaires  de  la  République  vont  mal,  et  encore  ce  sentiment  de 
tristesse  ne  fait  qu'accroître  son  courage.  Il  faut  qu'il  soit  fort 
et  contre  les  ennemis  du  dehors  et  contre  ceux  du  dedans. 
Pars  de  là,  va  ton  train,  égaye-toi  même  dans  l'oppression 
que  tu  soulTres;  si  tu  as  besoin  d'assignats,  mande-le  moi,  je 
vendrai  s'il  le  faut  mes  meubles  pour  t'en  procurer.  Les 
sans-culottes  sont  toujours  riches  ;  ne  te  mets  en  peine  que  du 
salut  de  la  patrie.  Vois  le  général,  montre-lui  ma  lettre  et 
reviens  avec  ton  congé  auprès  de   moi  ;    il    n'est  pas  besoin 


ANTOINE     TESTE  29 1 

d'autre  réquisition,  toutes  les  fois  que  tu  n'es  que  surnumé- 
raire, sans  grade  et  sans  appointements...  » 

Le  père  était  inconsolable  :  il  écrivait  lettres  sur  lettres  ; 
enfin  il  reçut  de  Cambacérès  la  réponse  suivante  :  —  «  5  messi- 
dor an  II.  Je  lis  l'année  dernière,  citoyen,  un  acte  de  justice 
en  provoquant  ton  retour  à  des  fonctions  dont  les  fédéralistes 
t'avaient  éloigné.  Aujourd'hui  tu  demandes  d'appuyer  auprès 
de  Carnot  une  réclamation  en  faveur  de  ton  fils  :  la  fin  de  ta 
lettre  sera  ma  réponse  :  ni  tort,  ni  grâce  ;  c'est  la  devise  d'un 
républicain  et  la  loi  dont  les  représentants  du  peuple  ne 
s'écartent  pas. 

«  Lorsque  je  verrai  Carnot,  je  l'engagerai  à  s'occuper  le 
plus  promptement  possible  de  l'alTaire  qui  te  concerne.  Salut 
et  fraternité.  »  «  Cambacérès.  » 

Neuf  jours  plus  tard,  en  transmettant  de  Nice,  cette  lettre  à 
son  fils,  Teste,  alors  attaché  aux  fournitures  de  Tarmée  d'Italie, 
lui  donnait  avis  qu'il  allait  prochainement  obtenir  à  Grenoble 
une  agence  qui  devait  le  fixer  dans  cette  ville. 

Antoine  Teste  pressait  de  son  mieux  la  solution  de  l'affaire 
de  l'ex-commandant  :  sous  forme  d'observations,  il  adressa 
au  représentant  du  Comité  de  salut  public  un  nouveau  mé- 
moire, il  se  demandait  :  —  si  cette  mesure  inique  n'était  pas 
due  au  S3^stème   du  Cromwel  Robespierre  et  de  ses  complices, 

—  La  loi  veut  que  les  volontaires  nomment  leurs  officiers... 
Nul  ne  peut  les  changer  arbitrairement,  même  sous  prétexte 
d'incapacité  :  il  n'y  a  que  la  forfaiture,  prouvée  et  jugée,  ou  le 
défaut  de  certificat  de  civisme  qui  puisse  opérer  la  destitution 
d'un  chef. 

—  Les  pouvoirs  de  l'adjudant  général  Quenin  portaient 
sur  Y  épuration  du  bataillon...  il  a  violé  la  loi  en  agissant 
comme  il  l'a  fait... 

—  Le  civisme,  la  bravoure,  la  prudence  et  la  force  de  corps 
et  d'âme  constituent  aujourd'hui  la  première  capacité  d'un 
militaire  républicain. 


2q2  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

—  Le  jeune  Teste  a  ces  qualités  ;  il  y  ajoute  l'aptitude  pour 
acquérir  toutes  les  autres... 

—  A  l'époque  du  lo  prairial  jour  de  l'examen,  il  y  avait  à 
peine  deux  mois  que  le  bataillon  avait  reçu  des  armes,  et 
depuis  qu'il  était  armé,  il  n'avait  été  réuni  qu'en  marche  et  il 
était  resté  presque  toujours  épars  dans  divers  cantonnements. 

—  Enfin  la  réponse  de  François  Teste,  si  elle  ne  montre 
pas  un  chef  de  toute  capacité,  montre  du  moins  un  homme 
qui  peut  le  devenir  ;  elle  montre  un  citoyen  de  bonne  foi,  sans 
prévention  et  sans  prétention  autre  que  celle  de  dire  la  vérité. 

«  Le  réclamant  répétera  sans  cesse  que  ce  n'est  pas  l'ambi- 
tion ni  le  désir  de  commander  qui  l'animent,  mais  bien  le 
respect  dû  aux  lois,  l'attachement  aux  intérêts  de  la  patrie  et 
l'envie  de  la  servir  et  de  la  voir  servir  par  des  hommes  qui  en 
soient  dignes...  » 

Le  Comité  de  salut  public  tenait  à  avoir  des  renseignements 
plus  précis  sur  les  faits  qui  précédèrent  et  suivirent  la  destitu- 
tion de  François  Teste  ;  celui-ci  adressa  un  mémoire  détaillé  : 
voici  le  résumé  de  cette  pièce  authentique  ;  elle  est  du  20 
thermidor. 

—  Pendant  une  absence  d'un  mois  (i),  motivée  par  une 
mission  du  conseil  d'administration,  la  caisse  avait  été  dilapidée 
et  l'adjudant-major  G...  un  des  chefs  royalistes  du  Comtat, 
était  allé  dénoncer  Teste  à  l'adjudant  général  Quenin  alors  à 
Toulouse.  Ce  fonctionnaire  sollicita  du  représentant  du  peuple 
d'Artigeote,  un  arrêté  pour  être  chargé  de  l'examen  des  officiers 
de  la  Montagne  :  l'examen  oral  que  le  jeune  commandant 
subit  le  premier  l'étonna  et  parut  le  satisfaire.  Quenin  circon- 
venu par  les  fédéralistes,  et  ne  pouvant  obtenir  la  démission 
de  Teste,  de  bon  gré,  voulut  passer  une  grande  revue.  Sur  le 
terrain,   il   commanda   des   manœuvres   nouvelles,  inconnues 


(1)  Le  conseil  d'administration  du  bataillon  de  la  Montagne,  département  du 
Gard,  par  délibération  du  8  ventôse  an  II,  envoie  Teste  à  Bagnols  et  le  charge 
d'acheter  des  cuirs  et  de  faire  confectionner  des  souliers,  attendu  que  les  sol- 
dats vont  presque  tous  nu-pieds. 


ANTOINE    TESTE  2()3 

jusqu'alors  et  qu'il  avait  composées  de  sa  tête  ;  il  embrouilla 
tellement  Tofficier  supérieur  que  celui-ci  avoua  que  son  batail- 
lon n'avait  jamais  exécuté  de  tels  ordres...  Quenin  se  retira 
sans  examiner  aucun  officier  et  cependant  son  fameux  rapport 
en  signalait  neuf  comme  incapables...  » 

Teste  François  qu'un  supérieur  sévère  et  malveillant  venait 
d'intimider  ainsi,  avait  alors  dix-huit  ans  :  il  était  commandant 
du  bataillon  depuis  huit  mois.  Ses  camarades,  à  la  tête  desquels 
figuraient'  Arvieux,  Begrand  et  Dejoux,  protestèrent  contre 
l'injustice  de  la  destitution  de  leur  intrépide  commandant  si 
brave,  si  généreux...  Ils  quittèrent  le  bataillon  pour  aller 
s'embarquer  i'i\ 

Nous  avons  sous  les  yeux  une  lettre  du  2  thermidor  an  II, 
de  la  République  une  et  indivisible,  lettre  écrite  par  Antoine 
Teste  à  son  fils  :  elle  porte  en  tète  ces  mots  :  Paix  aux  Peuples, 
Guerre  aux  Tyrans. 

...  «  Il  ne  faut  pas  que  les  ennemis  de  la  patrie  et  des 
patriotes  l'emportent  sur  nous  en  courage,  en  santé,  ni  en 
aucun  autre  mo3^en.  Notre  courage  les  tue^  notre  santé  fait 
dessécher  la  leur,  notre  patience  les  désole  ;  ils  calculent  cri- 
minellement sur  de  vils  intérêts,  et  nous,  quand  il  est  question 
de  servir  la  patrie  et  de  nous  soumettre  aux  lois,  nous  sacrifions 
corps  et  biens  et  nous  sommes  toujours  contents,  toujours 
joyeux.  Parle  courrier  de  demain,  sans  faute,  ta  mère  t'enverra 
un  assignat  de  400  francs  pour  t'aider  à  faire  ton  nouvel  uni- 
forme. Nous  ne  te  laisserons  manquer  de  rien.  Après  tout,  ce 
que  nous  avons  est  à  la  patrie  et  à  toi...  » 

François  ne  fut  point  réintégré  dans  son  grade  de  comman- 
dant, mais  demeura  attaché  à  l'état-major. 

Après  le  i3  vendémiaire  an  IV  —  3  octobre  1795  —  Antoine 
quitta  l'armée  d'Italie.  A  cet  agent  de  la  commission  de  com- 
merce et  d'approvisionnement  on  allait  oifrir  un  poste  mieux 
en  rapport  avec  ses  aptitudes  d'homme  de  loi  ;  il  fut  question 

(1)  Nous  possédons  tous  les  litres,  letlres  et  rapports  cités  ici. 


294  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

de  le  nommer  accusateur  public  dans  le  département  de 
Vaucluse  :  Teste  refusa. 

Le  i3  nivôse  an  IV  (2  janvier  1796),  le  ministre  Merlin  lui 
écrivait  : 

—  Vous  dites,  citoyen,  que  vous  ne  pouvez  remplir  les 
fonctions  d'accusateur  public  que  le  président  du  tribunal 
criminel  du  département  de  Vaucluse  a  demandées  pour  vous. 
Cette  place  exige  un  patriote  énergique  et  courageux  -,  vos 
sacrifices  à  la  patrie  pouvaient  attirer  les  regards  de  vos  con- 
cit03^ens.  Mais  chaque  état  exige  des  connaissances  particulières 
et  chaque  individu  est  libre  de  choisir  la  carrière  dans  laquelle 
il  veut  marcher.  Salut  et  fraternité.  «  Merlin.   » 

Sur  son  refus  catégorique,  Testefut  nommé  commissaire  du 
pouvoir  exécutif  près  les  tribunaux  criminels  et  civils  du 
département  de  A'aucluse  à  Garpentras.  C'est  à  la  date  du  17 
nivôse  an  IV  (5  janvier  179(3  ,  qu'il  reçut  du  ministère  la  lettre 
suivante  : 

«  En  acceptant  la  place  à  laquelle  vous  avez  été  nommé, 
citoyen,  vous  avez  donné  une  nouvelle  preuve  de  votre  dé- 
vouement à  la  chose  publique.  Lorsque  dans  le  département 
du  Gard  toutes  les  lois  protectrices  des  personnes  et  des  pro- 
priétés so-nt  violées  envers  vous,  il  est  beau  de  vous  voir 
remplir  l'honorable  mais  pénible  emploi  de  suivre  et  de 
surveiller  leur  exécution  dans  celui  de  Vaucluse  :  Croyez  que 
la  patrie  saura  vous  en  tenir  compte  et  que  les  attentats  que 
vous  me  dénoncez  ne  resteront  point  impunis  ;  vous  en  avez 
déjà  de  surs  garants  dans  le  zèle  et  l'activité  du  commissaire 
du  gouvernement  qui  est  sur  les  lieux.  Je  ne  négligerai  de  mon 
côté,  aucune  des  mesures  que  la  loi  met  à  ma  disposition  et 
vous  devez  tout  espérer  de  ce  concours  de  volonté  et  d'action. 
Salut  et  fraternité.  «  Géninieu.  » 

La  vie  d'Antoine  Teste,  incessamment  enfiévrée  par  les 
passions  politiques,  anxieuses  au  milieu  des  mécomptes,  nous 
dit  ce  que  fut  l'existence  de  bien  des  malheureux,  qui,   moins 


ANTOINE    TESTE  296 

prudents  et  moins  sages  que  lui,  s'aventuraient  follement  dans 
les  manifestations  des  partis  extrêmes.  Les  temps  dans  lesquels 
s'agitait  notre  compatriote  n'offraient  aucune  garantie  de  sta- 
bilité :  aussi  Teste  ne  demeura-t-il  que  peu  de  mois  à  ce 
nouveau  poste  sans  subir  de  nouvelles  persécutions.  Il  fut 
dénoncé  et  poursuivi  comme  dHentcur  de  papiers  qui  inté- 
ressaient la  sûreté  publique,  et  il  n'échappa  à  cette  calomnie 
qu'en  pro.uvant  qu'il  n'avait  retenu  que  la  copie  de  ses  propres 
lettres  (i). 

Abandonnant  alors  Vaucluse  et  Carpentras,  il  fut  élu  membre 
de  l'administration  centrale  du  département  du  Gard.  Il  était 
question  même  de  le  porter  à  Tun  des  deux  conseils  législatifs, 
lorsque  le  directoire,  qui  le  redoutait,  parvint  à  l'en  écarter 
par  la  découverte  d'un  complot  vrai  ou  supposé  dans  lequel 
Teste  se  trouvait  compromis. 

Un  mandat  d'arrêt  fut  lancé  contre  lui,  l'administration 
présidée  par  Cazalis  délibéra  et  arrêta  que  le  cit03^en  Teste 
serait  gardé  à  vue  dans  le  département  et  au  lieu  où  il  habite, 
par  un  ou  plusieurs  gendarmes  à  ce  commis  par  le  juge  de 
paix.  Une  affiche  contenant  l'extrait  du  procès-verbal  de  la 
séance  du  2()  ventôse  an  VI,  —  rS  mars  1798,  —  fut  apposée  : 
l'administration  prolestait  à  sa  manière  et  montrait  combien 
elle  tenait  à  être  assurée  de  la  pureté  de  tous  ses  membres. 

Teste  étant  reconnu  innocent,  on  lui  offrit,  par  une  sorte  de 
compensation,  l'emploi  de  commissaire  cà  Malte  :  il  refusa. 

Lors  de  la  Révolution  du  18  brumaire  an  VHI  —  q  novem- 
bre 1700  —  au  moment  où  le  général  Bonaparte  dispersait  le 
conseil  des  Cinq  cents^  Teste,  président  de  l'administration 
cantonale  de  Bagnols,  manifestait  ouvertement  son  opposition  : 
un  tel  acte  d'indépendance  lui  valut   uue  nouvelle  destitution, 


(1)  V.  Nouvelle  Biographie  rjénérule  publiée  par  Firniiu  Didot  frères  sous  la 
direction  de  M.  le  docl.  Hoelfer,  T.  XXXXV,  article  signé  M.  l).  j.,  Madier  de 
Montjau.  Ce  sont  ces  liasses  de  papiers  laissés  à  llagnols  clicz  un  parent  éloigné 
de  la  famille  Teste  et  (jue  nous  avons  eu  la  bonne  fortune  d'acheter  chez 
Rasarie,  buraliste^  Grande  lue. 


296  NOTICES    lUOGRAPHlQUES 

qui  fut  la  dernière.  Le  patriote   militant  allait   dctinitivement 
renoncer  à  toute  espèce  d'emploi  :    son  étude  fut  rouverte  et, 
en  homme  de  loi  consommé,  il  y  exerça  le  notariat  jusqu'en 
1807,  année  où  il  mourut  à  Tàge  de  63  ans. 
Antoine  Teste,  marié  à  Elisabeth  Boyer,  laissait  trois  fils. 


NOTE 

(A,  p.  288).  —  Teste  a  écrit  maintes  fois  aux  ministres  de  l'Iiitériem'  et  de 
la  Justice.  Ayant  reçu  ordre  de  s'éloigner  de  Bagnols,  il  partit  le  26  pluviôse 
an  m  — li  février  1795  —  el  alla  demeurer  à  Avignon.  De  là  il  adressa  le 
28  fructidor  an  IV  —  13  septembre  1796  —  une  lettre  au  ministre  de  la  Jus- 
tice, soit  au  sujet  du  pillage  de  sa  maison,  soit  pour  se  réhabiliter  dans  l'esprit 
de  ce  haut  fonctionnaire . 

...  «  Je  puis  prouver,  pièces  en  mains,  que  je  n'ai  jamais  fait  le  mal  ni  omis 
de  faire  le  bien.  Je  suis  droit,  calme,  franc  et  plulût  rude  que  flagorneur.  Ma 
franchise  peut  paraître  un  défaut  aux  yeux  de  certaines  gens,  aux  miens  c'est 
une  vertu. 

«  Ne  croyez  pas  du  reste,  citoyen  min.islre,  (jue  j'aye  mis  de  l'entêtement  à 
rester  à  Avignon,  il  y  allait  de  ma  vie  si  je  me  fusse  rendu  dans  la  commune  de 
l5agnols.  C'est  bien  là  le  cas  de  force  majeure  qui  excuse  celui  qu'elle  con- 
traint. . . 

«  Pour  la  sûreté  publique^  il  n'y  a  rien  que  je  ne  sacrifie,  mais  que  la  pro- 
tection des  lois  ne  me  soit  pas  refusée  et  que  justice  me  soit  faite...  Privé  de 
mes  biens,  réduit  d'une  aisance  très  honnête  à  la  nécessité  de  travailler  pour 
vivre  et  de  travailler  plus  que  mes  forces  me  le  permettent,  que  le  gouverne- 
ment m'indiijue  où  il  veut  que  je  réside  et  je  m'y  traînerai.  L'ostracisme  est 
glorieux  ipiand  on  souffre  pour  avoir  bien  servi  sa  patrie. 
«  Salut  et  fraternité. 

«  TESTE,  Place  du  Palais,  14.   » 


TESTE  (FRANÇOIS-ANTOINE,    LE  BARON 

GÉNÉRAL    DE    DIVISION 

Né  à  Bagnols  le  ig  novembre  ^77^ 
Mort   à   Angoulême   le    8   décembre    1862 


,AissoNS  à  l'histoire  impartiale  le  soin  de  résoudre  cette 
[question  brûlante  :  les  grandes  guerres  de  l'Empire 
|ont-elles  été  préjudiciables  aux  intérêts  de  la  France  ? 
«  Nos  armées  victorieuses  auraient-elles,  à  tort, 
répandu  dans  l'Europe  entière  les  principes  du  droit  moderne 
et  reculé  les  limites  du  progrès  de  Thumanité  ?  » 

Notre  humble  voix  ose  se  prononcer  :  elle  approuve  le  pro- 
sélytisme, mais  non  pas  celui  qui  se  pratique  à  main  armée  : 
«  l'on  ne  tire  pas  des  coups  de  fusils  aux  idées,  a-t-on  dit,  » 
donc,  plus  de  guerre  de  conquête  et  de  dynastie. 

Cependant  lorsque  une  rupture  est  imminente  et  nécessaire, 
il  y  a  lieu  d'exalter  les  exploits  des  héros,  qui  s'y  trouvent 
engagés.  Le  soldat  défend  le  sol,  protège  la  famille  ;  le  chef 
couvre  le  citoyen,  et,  par  sa  tactique  prudente,  atténue  les 
horreurs  d'une  guerre  fatale. 

Nous  songions  à  l'épopée  Napoléonienne,  un  jour,  en  ad- 
mirant à  Paris,  l'Arc-de-Triomphe  de  l'Étoile  et  en  lisant, 
inscrit  sur  un  cartouche  de  marbre,  le  nom  du  général  Teste, 
notre  compatriote. 

Le  gigantesque  monument  nous  apparaissait  rayonnant  de 


298  NOTICES     BIOGRz\PHIQUES 

gloire,  éblouissant,  mais  il  nous  semblait  aussi,  voir,  à  la 
base,  jonchés  sur  le  sol,  des  monceaux  de  vaillants  soldats, 
morts  pour  la  patrie...  Tristes  conséquences  de  ces  éternelles 
collisions  de  peuple  à  peuple,  lorsque  l'ambition  et  la  volonté 
d'un  seul  homme  les  poussent  à  se  mettre  en  marche. 

Teste,  François,  fils  d'Antoine,  le  notaire  dont  nous  venons 
de  parler,  naquit  à  Bagnols  le  iq  novembre  1776.  Il  fit  ses 
études  au  collège  des  Joséphites  et  prit  goût  à  l'enseignement 
puisque  nous  le  trouvons  déjà,  en  1792,  professeur  de  6^^  au 
Collège  d'où  les  congréganistes  avaient  été  expulsés  (i). 

Le  jeune  patriote  de  dix-sept  ans  n'exerça  pas  longtemps 
ses  fonctions  pédagogiques,  car  au  mois  d'août  de  cette  même 
année  il  était  enrôlé  dans  la  garde  nationale  soldée  du  district 
de  Pont-Saint-Esprit.  Il  fit  partie  de  l'expédition  contre  le 
camp  de  Jalès,  où  il  gagna  ses  galons  de  sergent,  le  i""  avril 
1793(2). 

Sa  bravoure  venait  de  se  manifester  d'une  façon  éclatante 
dans  une  attaque  contre  les  rebelles  :  François  Teste  qui 
n'avait  pas  atteint  sa  dix-huitième  année  inspirait  déjà  à  ses 
compatriotes  une  confiance  telle  que  ceux-ci  le  nommèrent 
lieutenant-colonel,  commandant  le  i""  bataillon  de  réquisition 
du  district,  devenu  le  4'""^  bataillon  de  la  Montagne.  Teste 
partit  avec  ses  réquisitionnaires  pour  l'armée  des  Pyrénées- 
Orientales,  et  alla  faire  les  campagnes  de  171)3  et  1704. 

En  racontant  la  vie  de  son  père  Antoine,  nous  avons  narré 
les  différents  incidents  qui  se  rattachent  au  bataillon  de  nos 
compatriotes  -,  nous  avons  parlé  des  tracasseries  suscitées 
au  commandant  par  des  compétiteurs  jaloux,  injustes,  exas- 
pérés. François  Teste  était  rentré  dans  son  pays,  vers   le  3o 

(1)  Ce  n'était  là  qu'une  organisation  provisoire.  Chaque  professeur  avait 
OOOnivres^rle  traitement  :  c'étaient  les  citoyens  Jean-Charles  Faguel  (gendre  de 
Rivarol),  rhétorique  el''seconde  ;  François-Joseph  Cochet,  3"ic  et  in^^  ;  Louis 
Millet,  5"ic  ;  Fi'ançois  Teste,  (jme  et  Louis  Cliabei-|,  7"ie.  —V.  Annales  histo- 
riques (le  Bagnols,  par  L.  A. 

(2)  Camp  de  royalistes  fédérés,  dans  TArdéche.    —y.Ânn.   hist.    Loc.  cit. 


LE     GENERAL     TESTE  2C)q 

thermidor  an  II,  et  avait  été  autorisé  à  résider  chez  son 
père. 

Suspendu  de  ses  fonctions  le  3o  mai  1704  par  le  représen- 
tant du  peuple  Artigeote,  Teste  ne  vit  lever  cette  suspension 
que  deux  ans  après,  (17  mars  1706),  et  attendit  encore  pendant 
plus  de  deux  années  sa  réintégration.  (11  septembre  1798). 
Placé  enfin  comme  chef  de  bataillon  à  la  suite  de  la  40'"'^ 
demi-brigade  de  ligne,  il  occupa  titulairement  un  emploi  de 
son  grade  à  la  87"'"-%  le  23  novembre  1798,  et  suivit  ce  corps 
aux  armées  du  Rhin  et  d'IIelvétie. 

Aide  de  camp  du  général  de  division  Chabran  (i)  comman- 
dant une  division  de  l'armée  de  réserve,  le  22  novembre  1799, 
il  remplit  pendant  deux  mois  les  fonctions  de  chef  d'état-major 
de  cette  division  qui  s'empara  par  surprise  du  fort  de  Bard,  et 
fit  la  campagne  de  Marengo. 

«  Les  qualités  militaires  déployées  par  le  commandant  Teste 
dans  cette  mémorable  campagne  lui  méritèrent  le  grade  de 
chef  de  brigade  et  le  commandement  de  la  ô'"*^  demi-brigade 
de  ligne,  (9  août  1800),  l'une  de  celles  qui  avaient  fondé  leur 
glorieuse  renommée,  sous  les  yeux  du  général  Bonaparte  dans 
les  plaines  de  la  Lombardie  et  dans  les  gorges  du  Tyrol.  Il 
rejoignit  ce  corps  à  l'armée  d'observation  du  Midi  de  l'Italie, 
et  fit  avec  lui  les  campagnes  de  1801  et  1802  en  Toscane.  (2)  » 

La  campagne  de  i8o5,  qui  ouvrit  la  guerre  de  la  troisième 
coalition,  amena  le  colonel  Teste  sur  les  rives  de  l'Adige,  à 
la  tête  du  5"^^  régiment  d'infanterie  de  ligne.  Il  se  distingua  au 
passage  de  ce  fleuve  et  à  la  prise  des  lignes  de  Caldiéro 
(29  et  3o  octobre).  Au  combat  de  San-Pietro-in-Gin  (4  novem- 
bre), il  culbuta  dans  la  Brenta  l'arrière-garde  de  l'archiduc 
Charles,  et  ce  brillant  fait,  d'armes  lui  valut  l'honneur  d'être 
nommé   général  de   brigade,  sur  le  champ  de  bataille  même, 

(1)  Le  général  Chabran,  Joseph,  né  à  Cavaillon  (Vaucluse)',  le  22  juillet 
1763,  était  capitaine  en  1792. 

(2)  Extrait  d'un  article  nécrologique  signé  H.  llennet.  —V  la  Moniteur  de 
l'armée  du  10  février  1863,  n"  9. 


300  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

par  le  maréchal  Masséna.  Sa  nomination  fut  confirmée  par 
Tempereur  le  2(S  juillet  iSo6. 

Le  i*''"  octobre  suivant  le  général  Teste  commanda  l'avant- 
garde  de  l'armée  de  Dalmatie.  Il  revint  à  Tarmée  d'Italie  au 
mois  de  juillet  1807  et  le  prince  Eugène  lui  confia  successive- 
ment divers  commandements  à  Brescia,  à  Vérone  et  à  Trévise. 

Teste  fit  la  campagne  de  i8oc)  avec  une  brigade  de  la 
division  Grenier.  Blessé  grièvement  au  pied  gauche  par  la 
mitraille  au  combat  de  Sacile  (16  avril)  il  n'attendit  pas  sa 
complète  guérison  pour  rejoindre  l'armée  d'Italie  sous  les 
murs  de  Raab,  en  Hongrie,  et  il  eut  la  fortune  d'arriver  à 
temps  pour  prendre  une  part  glorieuse  à  la  bataille  du  14  juin 
qui  prépara  l'éclatante  victoire  de  Wagram.  Il  contribua  d'une 
manière  décisive  au  succès  de  nos  armes  dans  cette  bataille 
en  s'emparant  ,  à  la  tète  du  112"'"-'  de  ligne,  du  plateau  de 
Szabadheg}^  L'empereur  l'en  récompensa  par  le  titre  de  baron 
et  une  dotation  de  4,000  francs  sur  les  biens  du  domaine 
extraordinaire  à  Rome. 

En  18 10,  notre  compatriote  commanda  le  département  de 
l'Orne.  Le  5  avril  181  i,  il  était  investi  du  commandement 
supérieur  de  Custrin,  à  l'armée  d'Allemagne  et  c'est  le  21 
novembre  de  cette  même  année  qu'il  fut  créé  baron  de  l'em- 
pire ;  les  lettres-patentes  précisent  ainsi  les  armoiries  qui  lui 
furent  octro3'ées  :  —  Parti  d'a~nr  et  d'or  :  —  Vaiur  à  la  tctc 
de  lion  d'or  ;  l'or  en  dextrochère  brassardé  ;  mouvant  du 
flanc  senestre^  de  sable  rehaussé  darg-ent,  tenant  une  épée 
haute,  en  barre  de  gueules  ;  franc-quartier  des  barons  tirés 
de  l'armée...  (i)  » 

Au  mois  de  janvier  181 2,  Teste  eut  le  commandement  d'une 
brigade  de  la  division  Compans,  qui,  au  printemps  suivant, 
devait  faire  partie  du  i'^''  corps  de  la  Grande-Armée  et  aller 
combattre  sur  les  rives  de  la  Bérézina. 


(1)  Archives  de  la  Chancellerie  :    communication  de  M.  le   minisire  de  la 
Justice,  garde  des  sceaux. 


LE    GENERAL    TESTE  Soi 

Le  général  Teste  déploya  une  grande  bravoure  à  Mojaïsk 
(5  septembre),  où  la  division  Compans  s'empara  de  vive  force 
de  la  redoute  de  Schwardino.  Il  se  signala  de  nouveau  le 
lendemain  à  la  bataille  de  la  Moskowa.  Dans  cette  sanglante 
journée,  il  pénétra  avec  une  poignée  de  braves  du  57"^'-^  de 
ligne  dans  un  des  premiers  redans  de  la  grande  redoute,  vit 
son  aide  de  camp  tomber  mort  à  ses  côtés,  eut  son  cheval  tué 
sous  lui,  et  se  maintint  dans  la  position  qu'il  avait  conquise 
jusqu'au  moment  où  un  coup  de  feu,  lui  fracassant  le  bras 
droit,  le  mit  hors  de  combat  (i).  Transporté  à  l'ambulance 
auprès  du  général  Compans,  qui  avait  été  frappé  aussi  dans 
cette  lutte  acharnée,  il  fut  dirigé  sur  Moscou.  Il  n'était  pas 
encore  guéri  de  sa  blessure,  lorsqu'il  reçut  l'ordre  d'aller 
remplacer  le  général  Baraguey-d'Hilliers  dans  le  commande- 
ment de  Viasma. 

Le  mouvement  de  retraite  de  l'armée  ramena  le  général 
Teste  à  Berlin.  Le  14  février  i8i3  l'empereur  le  nomma 
général  de  division  et  commandant  de  la  4"^^^  division  du 
2me  corps  d'observatiou  du  Rhin,  devenu  G"^*^  corps  de  la 
Grande-Armée.  Il  délivra  Cassel  des  incursions  des  cosaques 
de  Czernicheff,  parvint  à  forcer  le  blocus  de  Magdebourg,  et 
prit  le  gouvernement  de  cette  place  en  remplacement  du 
général  Haxo. 

«  A  la  bataille  de  Dresde  (27  août  181 3),  le  général  Teste 
attaqua  avec  sa  vigueur  accoutumée  le  faubourg  de  Plauen  et 
fit  mettre  bas  les  armes  à  i,5oo  Autrichiens.  Par  un  retour  de 
fortune,  il  subit  bientôt  le  même  destin.  Le  11  novembre,  il 
était  prisonnier  de  guerre,  par  suite  de  la  violation  de  la  capi- 
tulation de  Dresde,  et  conduit  en  Hongrie.  Il  ne  rentra  en 
France  qu'après  la  conclusion  de  la  paix.  Chevalier  de  Saint- 
Louis  le  8  juillet  1814  il  reçut  le  commandement  du  départe- 
ment du  Pas-de-Calais  le  Si  août  suivant  (2).  » 

(1)  Victoires  et  conquêtes  des  Français,  T.  XXI,  p.  208  —  V.  la  note  rectifi- 
cative, T.  25;  appendices  et  en-ata,  p.  81. 

(2)  \ .  Moniteur  de  l'armée.  Loc.  cit. 


•502  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Pendant  les  Gent-Jours,  l'empereur  appela  le  général  Teste 
à  Paris  (i5  avril  i8[5),  et  lui  donna  le  commandement  de  la 
2  1"^^^  division  d'infanterie  (22  avril),  faisant  partie  du  6"^*=  corps 
d'observation  devenu  6"^^  corps  de  l'armée  du  Nord,  et  que  le 
général  comte  de  Lobau  conduisit,  au  mois  de  juin,  dans  les 
champs  de  la  Belgique. 

Dans  cette  campagne,  où  les  derniers  soldats  de  la  Grande- 
Armée  succombèrent,  le  général  Teste ,  par  un  admirable 
exploit,  inscrivit  son  nom  dans  les  fastes  militaires  de  la 
France.  Le  lendemain  de  la  victoire  de  Ligny,  sa  division  fut 
détachée  du  6"''-^  corps  et  placée  sous  les  ordres  du  maréchal 
de  Grouchy  (ij.  Le  19  juin,  au  moment  oia  ayant  emporté  les 
hauteurs  et  le  moulin  de  la  Bierge,  il  voyait  fuir  devant  lui  les 
avant-postes  prussiens,  il  apprit  la  fatale  nouvelle  du  désastre 
de  Waterloo  et  reçut  l'ordre  de  battre  en  retraite.  Il  exécuta 
ce  mouvement  avec  la  plus  grande  habileté,  manœuvrant 
devant  un  ennemi  fort  supérieur  en  nombre,  et  regagna  Na- 
mur.  C'est  là  que  les  2,3oo  braves  qu'il  commandait  arrêtèrent 
durant  une  journée  entière  un  corps  de  20,000  Prussiens,  et, 
d'après  le  témoignage  du  maréchal  de  Grouchy,  «  donnèrent 
à  l'armée,  par  cette  héroïque  résistance,  le  temps  nécessaire 
pour  diriger  sur  Givet  son  matériel,  ses  équiqages,  ses  blessés 
et  l'artillerie  enlevée  la  veille  à  l'ennemi.  »  Glorieux  fait  d'ar- 
mes que  Napoléon  plaçait  au  même  rang  que  «  l'extraordinaire 
défense  de  Huningue  par  l'intrépide  Barbanègre,  et  l'expédi- 
tion brillante  du  brave  Exelmans  devant  Versailles,  »  et  duquel 
il  a  dit  que  «  dans  la  foule  des  hauts  faits  et  des  traits  histo- 
riques qui  ont  été  se  perdre  dans  la  confusion  de  nos  désastres 
et  le  gouflre  de  nos  malheurs,  il  faut  citer...  la  belle  résistance 
du  général  Teste  à  Namur,  où,  dans  une  ville  ouverte,  avec 
une  poignée  de  braves,  il  arrêta  court  l'élan  des  Prussiens  et 
favorisa  la  rentrée  de  Grouchy  sans  être  entamé  (2).  « 


(1)  Vid.  etconq.,  T.  XXIV,  p.   192,  197,  233,  23-i,  235. 

(2)  Vict.  et  conq.,  T.  XXIV,  p.  3G5  et  note  2.  —  Même  vol.,  p.  373-974-375. 


LE    GÉNÉRAL    TESTE  3o3 

La  division  Teste  continua  de  former  l'arrière -garde  du 
corps  de  Grouchy  dans  sa  marche  surLaon,  puis  sur  Paris  et 
la  Loire.  Elle  fut  licenciée  le  ['-''"  septembre,  et  son  commandant 
après  avoir  concouru,  sous  les  ordres  du  maréchal  Macdonald, 
duc  de  Tarente,  au  licenciement  de  l'infanterie  de  l'armée  de 
la  Loire,  se  retira  dans  ses  foyers  avec  le  traitement  de  non 
activité  (i^""  Janvier  i8i(3). 

Nos  compatriotes  accueillirent  avec  enthousiasme  le  brave 
général  qui  avait  défendu  vaillamment  le  drapeau  de  la  France 
et  s'était  attiré  l'estime  de  tous,  chefs  et  soldats. 

Lorsque  la  Restauration  organisa  le  cadre  de  l'état-major 
(3o  décembre  1818).  Teste  fut  compris  dans  ce  groupe  d'offi- 
ciers supérieurs  :  cependant  ce  ne  fut  qu'qn  1828  qu'il  devint 
inspecteur  général  dans  la  iS"^*-'  division  militaire. 

Teste  ne  répudiait  point  son  origine  et  ses  convictions  de 
vieille  date  ;  aussi  en  i83o  le  voyons-nous  accueillir  avec 
enthousiasme  le  rétablissement  du  drapeau  tricolore.  Dès  le 
3  août  il  était  envoyé  à  Rouen  pour  prendre  le  commandement 
de  la  14™*^  division.  Un  an  plus  tard  (4  août  i83i),  il  recevait 
le  commandement  de  la  2"^"^  division  d'infanterie  de  l'armée  du 
Nord.  Rappelé  à  Rouen  le  3  janvier  i832,  il  y  commanda 
pendant  douze  années  consécutives. 

L'heure  du  repos  sonna  pour  lui  le  20  novembre  1843.  Ses 
services  exceptionnels  lui  avaient  mérité  d'être  élu  à  la  dignité 
de  pair  de  France  (7  novembre  1839)  ;  ils  lui  avaient  mérité 
aussi  d'être  maintenu  en  activité  jusqu'à  l'âge  de  soixante-huit 
ans  (i5  novembre  1840),  par  application  de  la  loi  du  4  août 
1839.  Les  habitants  de  Rouen,  de  leur  côté,  voulurent  lui 
donner,  avant  son  départ,  un  éclatant  témoignage  de  recon- 
naissance pour  les  services  qu'il  leur  avait  rendus  :  ils  lui 
offrirent  une  épée  d'honneur,  qu'une  ordonnance  du  23  octobre 
1843  l'autorisa  à  accepter.  Il  avait  déjà  reçu  une  semblable 
preuve  d'estime  de  la  part  des  habitants  d'Arras  en  i8i5. 

Dans    la    notice  biographique    de    M.   Cotton ,    maire    de 


304  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

Bagnols,  (i),  nous  avons  parlé  plus  longuement  de  cette  dis- 
tinction lionorifique  offerte  par  les  rouennais.  Nous  avons  dit 
avec  quel  enthousiasme  la  nouvelle  fut  accueillie  à  Bagnols 
puisque  le  Conseil  municipal  d'alors  tint  à  honneur  d'adresser 
à  l'illustre  général  l'expression  de  sa  plus  vive  sympathie. 

Après  la  Révolution  du  24  février,  legouvernement  provisoire 
ayant  supprimé  la  section  de  réserve,  l'honorable  général  fut 
admis  à  la  retraite  le  12  avril  1848  \  mais  il  se  trouva  replacé 
dans  cette  section  le  i"'  janvier  i853,  lorsque  l'empereur  l'eut 
rétablie. 

En  i852  le  général  baron  Teste  se  trouvait  sur  les  rangs 
pour  la  députation.  C'était  l'époque  des  candidatures  officielles, 
le  Prince-président  par  l'organe  du  préfet  du  Gard  présentait 
aux  électeurs  un  honorable  candidat  qui  se  recommandait  d'ail- 
leurs de  lui-même  à  leurs  confiance  et  à  leurs  suffrages.  . 

La  proclamation  du  maire  de  Bagnols  portait  textuellement 
ces  mots  :  «:  A  ses  longs  et  glorieux  services  militaires,  le  général 
Teste,  notre  illustre  compatriote,  réunit  les  plus  hautes  qualités 
morales.  Aucun  des  enfants  du  pa3'S  voués  à  sa  noble  carrière 
ne  s'est  en  vain  recommandé  à  son  bienveillant  patronage. 
Une  immense  dette  de  reconnaissance  est  pour  nous  depuis 
longtemps  contractée.  Partout  se  retrouvent  les  traces  du  bien 
qu'il  fut  donné  à  sa  famille  de  faire  dans  toute  la  contrée.  Il 
y  aurait  donc  ingratitude  et  défaut  de  patriotisme  à  repousser 
un  honorable  concit03^en,  qui,  après  avoir  versé  son  sang  pour 
la  France  sur  le  champ  de  bataille,  met  encore  à  son  service 
cet  esprit  distingué,  apanage  commun  des  siens,  ces  talents 
administratifs  qu'il  a  déployés  comme  gouverneur  de  diverses 
places  importantes,  cette  expérience  consommée  et  ce  caractère 
à  la  fois  énergique  et  conciliant  qui  lui  valurent  les  plus 
précieux  témoignage  d'estime  et  les  plus  hautes  distinctions 
dans  toutes  les  divisions  militaires  soumises  à  son  commande- 


Ci)  T.  I,  p.  195. 


LE    GÉNÉRAL    TESTE  3o5 

ment...  »  Ce  noble  langage,  expression  de  la  vérité,  résumait 
r  opinion  de  tous  ses  concitoyens. 

Le  général  Teste  avait  été  nommé  membre  de  la  Légion 
d'honneur  à  la  création  de  l'ordre  le  19  mai  1802;  officier  le 
14  juin  1804  ;  commandeur  le  8  octobre  18 12,  en  considération 
de  sa  bravoure  à  la  bataille  de  la  Moscowa;  grand-officier  le 
21  mars  i83i.  Enfin  la  dignité  de  grand-croix  (14  décembre 
1849),  ^^^^^  venu  couronner  cette  carrière  bien  remplie  et  qui, 
après  avoir  été  entourée  d'un  certain  éclat,  s'est  terminée 
modestement  au  foyer  de  la  famille. 

En  effet,  notre  compatriote  s'éteignit  à  Angoulême  dans  la 
nuit  du  7  au  8  décembre  1862  à  l'âge  de  87  ans,  entre  les 
bras  de  Madame  Vallier  sa  fille.  A  ses  funérailles  ses  trois 
gendres  conduisaient  le  deuil  :  la  foule  était  immense,  mais 
elle  eut  été  inombrable  si  tous  les  obligés  reconnaissants  que 
le  général  avait  accueilli  eussent  été  là  pour  témoigner  par 
l'expression  de  leur  gratitude  les  regrets  d'avoir  perdu  un  ami, 
un  patron,  un  bienfaiteur. 

Dans  ses  dispositions  testamentaires  le  général  n'a  point 
oublié  sa  ville  natale  :  il  a  légué  mille  francs  aux  pauvres  de 
Bagnols  et  mille  francs  pour  contribuer  à  la  fondation  de  la 
bibliothèque  communale  qu'il  a  enrichie,  depuis,  par  Tenvoi 
d'environ  cent  beaux  et  bons  volumes  de  statistique,  de  voyages 
et  d'histoire. 

Lorsque  M.  Saurin,  alors  maire,  lui  annonça  le  projet  de 
cette  fondation,  le  général  adressa  une  lettre  fiattause  et  son 
portrait  à  celui  de  ses  compatriotes  qui  en  avait  pris  l'initiative. 
Le  général  Teste  avait  un  grand  cœur,  il  comprenait  noble- 
ment l'usage  de  la  fortune  :  «  donner,  à  ceux  qui  en  manquent, 
et  du  pain  et  de  \ instruction.  » 

Le  général  baron  Teste  n'a  point  laissé  de  fils  ;  ses  trois 
filles  ont  épousés  M.  le  baron  Thiry,  receveur  particulier 
des  finances,  M.  Fraissynaud,  conseiller  à  la  cour  d'appel, 
T.  II  '  20 


3o6  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

M.  le  chef  d'escadrons  d'artillerie,  Vallier,   inspecteur   de  la 
poudrerie  d'Angoulême. 

Sigalon  peignit  le  portrait  du  général  Teste,  une  copie  en 
a  été  offerte  au  Musée  de  Bagnols  par  le  fondateur  de  l'établis- 
sement. 


VERNET  (JOSÉPHINE)   Sœur  MARIE-ALEXIS 

VISITANDINE 

Née  à  Bagnols  le  ig  mai  1810 
Morte  à  Avignon  le  i3  novembre  i85g 


N  écrivant  ces  notices  biographiques  dont  la  série  va 
prendre  fin,  nous  avons  déroulé  sous  les  yeux  du 
lecteur  la  vie  d'institutrices  vénérables,  de  servantes 
au  cœur  débordant  de  charité,  nous  ne  saurions  donc, 
ici,  passer  sous  silence  le  nom  d'une  religieuse,  d'une  sainte 
fille  que  ses  vertus  et  sa  haute  intelligence  portèrent  au  sommet 
de  la  hiérarchie  de  son  ordre. 

Que  l'on  n'attende  pas  de  nous  le  récit  des  phases  de  sa 
vie  mystique  ;  c'est  la  sœur,  c'est  la  mère,  —  la  supérieure 
administrant  la  communauté,  —  c'est  l'institutrice  qui  nous 
apparaîtra  avec  sa  candeur  adorable,  avec  sa  sollicitude  in- 
cesante,  avec  ses  talents  variés  et  son  tact  exquis.  La  vie 
contemplative  ne  nous  est  que  médiocrement  sympathique, 
nous  lui  préférons  la  vie  réelle,  quand  son  but  pratique  est 
dirigé  vers  la  charité,  vers  la  morale  en  action. 

«  Bienheureux  ceux  qui  sont  doux  parce  qu'ils  posséderont 
la  terre.  »  Telle  est  l'épigraphe  d'une  notice  sur  la  sœur  Vernet, 
étude  à  laquelle  nous  ferons  de  fréquents  emprunts.  Cette 
parole  du  Christ  résume,  selon  nous,  la  vie  de  notre  digne 
compatriote. 


3o8  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

A  Bagnols,  le  19  mai  18 10  une  famille  pieuse  et  recomman- 
dable  se  réjouissait  de  la  naissance  d'une  fille  à  laquelle  on 
donna  le  nom  de  Joséphine.  M.  et  Madame  Vernet,  née 
Flaugère,  avaient  consacre  à  Dieu  leur  enfant  même  avant  sa 
naissance.  On  raconte  qu'étant  à  Tarascon  à  l'époque  des  jeux 
de  laTarasque  (i),  lanière  éprouva  un  tel  sentiment  de  frayeur 
qu'elle  se  réfugia,  toute  tremblante,  dans  l'église  souterraine 
de  Sainte-Marthe  et  ce  fut  là  qu'elle  voua  à  Dieu  l'enfant 
qu'elle  portait  dans  son  sein.  La  jeune  fille  devint  un  modèle 
de  piété,  elle  édifiait  ses  compagnes  et  les  sœurs  de  Saint- 
Maur,  ses  maîtresses.  En  sortant  du  pensionnat  ses  parents 
lui  donnèrent  la  direction  de  la  maison  ;  pratique  excellente  et 
trop  souvent  dédaignée,  l'expérience  prouve  que  les  mères  de 
famille  prudentes  doivent  parachever  l'éducation  de  leur  fille 
en  les  chargeant  des   soins  matériels   du  ménage. 

A  seize  ans,  Joséphine  fut  mise  à  la  tête  des  ateliers  de  fila- 
ture de  soie  de  son  père.  Ayant  sous  sa  direction  un  grand 
nombre  d'ouvrières,  elle  introduisit  dans  ces  établissements 
une  discipline  presque  monacale.  En  s'occupant  des  soins 
matériels  et  intellectuels  de  ses  dociles  travailleuses,  la  pieuse 
directrice  confectionnait  des  layettes  pour  les  enfants  des 
mères  pauvres  et  enseignait  le  catéchisme  aux  jeunes  filles, 
alors  encore  presque  toutes  illettrées. 

Mademoiselle  Joséphine  était  d'une  modestie  et  d'une  sim- 
plicité extrêmes  :  la  toilette  n'avait  pour  elle  nul  attrait.  C'est 
que  de  son  temps,  et  dans  sa  famille  surtout,  la  vanité  ne  mar- 
chait point  la  tête  haute,  c'est  que  le  vêtement,  le  costume, 
comme  on  dit  aujourd'hui,  n'était   pas  l'unique  préoccupation 

(1)  LaTarasque  est  la  représentalion  d'un  animal  monstrueux  que  l'on  pro- 
mène solennellement  à  Tarascon,  à  certains  jours  de  l'année  et  qui  rappelle 
selon  la  légende,  une  sorte  de  dragon  ou  de  crocodile  dont  le  pays  fut  délivré 
par  sainte  Marthe. 

11  est  facile  de  reconnaître  là  un  symbolisme  naif  :  ((Marthe),  une  sœur  de 
Lazare),  qui  débarqua  sur  les  côtes  méridionales  de  la  Provence,  prêchait  la 
parole  de  Jésus-Christ  :  la  sainte,  vénérée  à  Tarascon,  triomphe  d'un  monstre 
hideux  :  le  paganisme. 


SŒUR    VERNET  Sog 

dont  on  nourrissait  les  pensées  de  la  Jeune  fille  :  aussi  chacun, 
en  la  voyant  passer,  pouvait-il  se  dire:  «  Voilà  une  jeune  per- 
sonne qui  sera  religieuse.  »  En  elTet,  sa  vocation  sembla  se 
révéler  un  Jour,  au  monastère  de  Valbonne,  qu'elle  visitait  au 
moment  où  il  allait  être  restauré.  Bien  que  Joséphine  eut 
conservé  avec  les  dames  de  Saint-Maur  les  plus  allectueuses 
relations,  elle  donna  la  préférence  à  un  ordre  cloitré  :  elle 
choisit  les  Visitandines  (i). 

Des  voyages  fréquents  qu'elle  faisait  à  Avignon  sous  prétexte 
d'y  revoir  une  compatriote,  la  sœur  Mathon,  développèrent  à 
tel  point  son  grand  goût  de  la  vie  religieuse  que  Joséphine 
résolut  de  déclarer  ses  intentions  à  sa  famille.  Un  refus  formel 
vint  s'opposer  à  ce  pieux  entraînement.  Sa  bonne  mère  était 
inflexible,  M.  Vernet  ne  consentit  qu'à  demi  :  «  Pars,  mais 
que  je  n'en  sache  rien...  »  dit-il  à  cette  chère  enfant. 

Le  projet  était  sérieusement  mûri  :  ce  n'était  point  une 
désertion  égoïste  qu'allait  accomplir  Mademoiselle  Vernet  : 
si  elle  abandonnait  son  père  et  sa  mère,  elle  avait  la  consola- 
tion que  ses  bons  parents  seraient  soignés  dans  leur  vieillesse, 
par  ses  deux  sœurs  Mesdemoiselles  Agathe  et  Euphémie. 

Mademoiselle  Joséphine  Vernet  quitta  sa  maison  au 
milieu  de  la  nuit,  ce  fut  en  octobre  i832  qu'elle  franchit  les 
portes  du  couvent,  où  elle  ne  tarda  pas  à  faire  l'admiration  de 
toutes  les  sœurs.  Un  an  après,  son  père  lui  permettait  de 
prononcer  ses  vœux.  Ce  jour  là  assistèrent  à  la  prise  d'habit, 
les  deux  sœurs  de  la  jeune  novice,  et  le  curé  de  Bagnols  qui 
prononça  le  discours  de  vèture  :  un  vrai  panégyrique,  à  l'au- 
dition duquel  la  fervente  et  modeste  sœur  ne  put  résister  :  elle 
sortit  du  chœur  avec  le  germe  d'une  maladie  nerveuse  qui  la 
tourmenta  pendant    de    longues  années  et  qu'on  attribua  aux 


(1)  L'ordre  de  la  Visitation  fut  instiUié  en  1520  par  Saint  François  de  Sales, 
dans  le  but  de  soulager  et  de  consoler  les  pauvres  malades...  A  Avignon  le 
couvent  des  Visitandines  a  été  fondé  —  place  Pignolte  —  par  iMadame  Jeanne 
de  Faucher.  En  1632,  Marius  Plulonardi,  archevêque  et  vice-légat  fit  bâtir  la 
belle  façade  de  l'église,  l'église  et  le  dôme. 


J  I  O  N  O  T  1  C  P:  s     H  I O  G  R  A  P  H  I  Q  U  E  s 

émotions  profondes  ressenties  à  cause  des  obstacles  opposés  à 
sa  vocation. 

La  sœur  Marie-Alexis  prononça  ses  vœux  le  2  5  novembre 
1834;  peu  après,  la  Rév.  Mère.  M.  E.  de  Chazeaux  lui  confia 
une  classe  de  jeunes  élèves.  Elle  montra,  pour  l'enseignement, 
une  aptitude  telle  que  bientôt  elle  fut  chargée  de  remplir  les 
fonctions  de  première  maîtresse.  Tant  que  la  sœur  Alexis  s'est 
acquittée  de  sa  tâche  d'institutrice,  le  pensionnat,  qui  était  la 
seule  ressource  de  la  maison,  devint  de  jour  en  jour  plus 
florissant.  La  méthode  pédagogique  était  parfaite  et  les  leçons 
de  morale,  les  vertus  mises  en  pratique  par  la  sœur  enseignante, 
ne  pouvaient  que  s'enraciner  profondément  dans  le  cœur  de 
ses  élèves  chéries. 

Nous  ne  pourrions  relater  ici  les  traits  touchants  racontés 
par  le  biographe  de  notre  pieuse  compatriote  ;  qu'il  nous  suffise 
de  dire  que  le  récit  de  ces  détails  variés  est  aussi  suave  qu'édi- 
fiant, le  lecteur  3^  verra  toute  sa  sollicitude  pour  réconcilier, 
avant  la  nuit,  deux  élèves  qui  s'étaient  mortifiées  mutuelle- 
ment ;  il  remarquera  son  tact  parfait  consistant  à  prévenir  les 
fautes  pour  n'avoir  pas  à  les  punir  ;  le  soin  qu'elle  apportait 
à  maintenir  le  silence  dans  les  classes  et  la  nomenclature  des 
ouvrages  de  goût  pour  lesquels  elle  excellait,  tant  étaient 
remarquables  et  son  adresse  et  son  habileté. 

Un  trait  caractéristique  nous  frappe  :  qu'on  nous  permette 
d'y  insister  en  quelques  mots  :  la  sœur  Alexis  recommandait 
le  silence,  non  seulement  pour  le  calme  et  la  régularité  des 
exercices,  mais  afin  que  les  jeunes  filles  prissent  de  bonne 
heure ,  et  au  pensionnat  même ,  une  habitude  salutaire  : 
modérer  l'intempérance  du  langage...  haïr  les  conversations 
oiseuses,  inopportunes,  superflues,  et  réserver  ses  lèvres  pour 
n'accentuer  que  des  paroles  qu'on  n'ait  jamais  à  regretter. 

En  iS38  la  sœur  entra  au  conseil  :  elle  s'y  fit  distinguer 
par  la  droiture  et  la  solidité  de  son  jugement.  Ses  compagnes 
voulurent  l'inscrire  sur  le  catalogue  et  la  proposer  pour  supé- 
rieure du  couvent.  Une  profonde  humilité  faisait  craindre  à  la 


SŒURVERXET  3ri 

sœur  Alexis  de  n'avoir  pas  les  qualités  requises  pour  remplir 
cette  charge  si  redoutable.  D'autre  part,  ses  élèves,  capables  de 
Tapprécier,  craignaient  qu'on  enlevât  à  leur  affection  la  bonne 
Tante  Alexis.  Le  jour  de  l'élection  de  la  jeune  supérieure  il 
faillit  y  avoir,  dans  le  pensionnat,  une  espèce  de  révolte  :  les 
élèves  ne  pouvaient  se  consoler  et  disaient  en  pleurant  :  «  on 
nous  a  pris  notre  bonne  Mère  !  » 

La  nouvelle  dignitaire  exerça  dans  la  communauté  une 
influence  en  rapport  avec  la  supériorité  de  son  mérite.  Sa 
tendresse  maternelle  accueillait  avec  une  bonté  touchante  les 
confidences  de  ses  compagnes  qui  souffraient,  qui  chancelaient 
parfois,  qui  étaient  tourmentées  par  des  peines  intérieures. 
Elle  avait  le  don  précieux  de  persuader,  de  consoler,  de  rendre 
le  calme  autour  d'elle. 

Le  jour  et  la  nuit  la  sollicitude  de  cette  bonne  Mère  était 
incessante,  car  les  belles  qualités.de  son  coeur,  son  zèle  ardent 
pour  la  pratique  des  règles  monastiques  la  faisaient  aimer  et 
vénérer  par  tout  le  personnel  de  sa  maison.  Au  physique  la 
Mère  Alexis  avait  dans  son  attitude  quelque  chose  d'imposant 
et  de  religieux  qui  commandait  le  respect,  en  même  temps 
que  l'expression  de  bonté  et  de  douceur  répandue  sur  toute  sa 
personne  inspirait  la  confiance  et  l'affection,  elle  ne  pouvait 
donc  manquer  d'acquérir  le  plus  grand  ascendant  sur  l'esprit 
de  ses  sœurs  :  c'est  surtout,  dans  les  occasions  graves,  qu'elle 
savait  faire  prévaloir  son  opinion,  mûrie  par  la  sagesse  et 
entraîner  ses  compagnes  vers  les  œuvres  marquées  au  sceau  du 
bon  sens  et  de  l'équité. 

L'auteur  de  la  notice  sur  la  Mère  Alexis  raconte  comment  la 
supérieure  fut  appelée,  par  les  dames  Ursulines  de  Tarascon 
afin  d'aller  transformer  leur  couvent  en  monastère  de  Visitan- 
dines  -,  delà,  un  rapprochement  touchant  :  celle  qui  avait  été 
consacrée  à  Dieu  devant  le  tombeau  de  Sainte-Marthe,  allait 
relever  l'unique  maison  cloîtrée  de  cette  ville...  Cette  particu- 
larité fut  habilement  mentionnée  dans  le  discours  que  prononça 
le  prêtre  le  jour  de  l'installation. 


3l2  NOTICES     BIOGRAPHIQUES 

Durant  six  années  consécutives  la  Mère  Alexis  avait  dirigé  le 
couvent  d'Avignon  :  elle  redevint  simple  sœur  avec  un  senti- 
ment qui  honore  sa  mémoire.  Mais  en  i853  la  communauté  la 
remit  en  charge  et  c'est  pendant  les  dernières  années  de  sa  vie 
qu'il  faudrait  la  suivre  pas  à  pas.  Ses  précieuses  qualités 
eurent  maintes  occasions  de  se  montrer  au  grand  jour  ;  le 
suffrage  significatif  de  ses  compagnes  lui  fut  acquis  de 
nouveau  en  i856:  «  Ah!  quelle  croix!  »  s'écria-t-elle,  sou- 
mise et  résignée  après  cette  réélection. 

Elle  semblait  vaincue  parla  maladie  et  cependant  ses  forces 
lui  revinrent  au  milieu  du  danger.  L'inondation  du  Rhône  lui 
réservait  une  rude  épreuve.  Les  murs  d'enceinte  du  couvent 
s'écroulèrent,  les  bâtiments  envahis  par  les  eaux  menaçaient 
de  s'engloutir  ;  le  péril  imminent  ne  put  arrêter  la  Mère 
Alexis,  elle  veillait  sur  son  pieux  troupeau,  elle  rassurait  ses 
compagnes  et  ses  élèves  épouvantées. 

En  février  1848  la  communauté  avait  eu  à  traverser  des 
heures  d'angoisses.  La  Révolution  venait  d'éclater  à  Paris  : 
on  répandait  des  bruits  sinistres  :  Avignon  semblait  ne  devoir 
plus  être  une  ville  sûre  ;  chacune  parlait  de  fuir.  La  supérieure 
soutenait  le  moral  de  son  personnel  abattu.  On  prit  le  parti 
de  sauver  les  reliques  de  la  maison.  La  tourière,  déguisée, 
sortit  à  une  heure  avancée,  par  une  nuit  sombre,  chargée  des 
vases  sacrés  et  de  tout  ce  qu'il  y  avait  de  précieux  dans  le 
couvent  ;  elle  se  dirigea  vers  Bagnols,  où  le  dépôt  fut  confié  à 
la  famille  Vernet.  Ce  ne  fut  qu'une  panique  de  courte  durée, 
le  couvent  et  les  sœurs  n'eurent  aucun  accident  à  regretter. 

Jusqu'au  mois  de  janvier  i858  la  santé  de  la  Mère  Alexis 
demeura  chancelante,  cependant  les  ressentiments  de  sa  ma- 
ladie reparurent  avec  intensité  :  c'est  avec  une  grande  force 
d'âme  et  une  admirable  résignation  qu'elle  voyait  arriver  la 
mort.  La  communauté  restait  en  prières.  Au  mois  d'août  Ta- 
névrisme  se  déclara  par  des  étoulfements  douloureux.  Aucun 
remède  énergique  ne  put  calmer  ses  souffrances.  Pour  la 
Mère   Alexis  l'heure   de   la   retraite  venait    de  sonner  :  elle 


SŒUR    VERNET  3l3 

rentra  dans  les  rangs  inférieurs.  L'état  de  sa  santé  ne  lui 
permettant  plus  d'occuper  aucun  emploi,  elle  s'éteignit  dans 
les  pratiques  de  la  règle  et  dans  l'accomplissement  des  œuvres 
de  piété.  Pendant  la  nuit  du  i3  novembre  1859  elle  rendit 
son  âme  à  Dien. 

La  Rév.  Mère  Marie-Alexis  Vernet  nous  a  inspiré  de  la 
sympathie  parce  que,  comme  institutrice,  elle  a  su  former  le 
cœur  des  jeunes  personnes  qui  lui  étaient  confiées,  et  parce 
qu'elle  a  pu,  bien  que  cloîtrée,  répandre  dans  le  monde  le 
germe  des  vertus  qui  ont  lait,  peu  après,  des  épouses  dévouées 
et  d'excellentes  mères  de  famille. 

Elle  a  laissé  à  Bagnols  deux  sœurs  :  Mademoiselle  Agathe 
qui  a  recueilli,  dans  notre  église  paroissiale,  son  héritage  de 
jeune  fille,  en  acceptant  de  Mademoiselle  Joséphine,  le  soin 
et  l'ornementation  des  chapelles  consacrées  à  la  Vierge,  et 
Mademoiselle  Euphémie,  aujourd'hui  Madame  veuve  Brahin. 


YCARD  (ETIENNE) 

MÉDECIN 

Ax'  à  Laiidiin   le    7  juin   ij58 
Mort  à 


ANS  son  Histoire  littéraire  de  Nîmes  et  des  localités 
voisines  (i),  Michel  Nicolas  cite  Ycard  (2),  docteur 
en  médecine  de  Bagnols,  connu  par  un  mémoire  sur 
V Histoire  des  lieux  de  Laudun,  Orsan  et  Coudoulet. 
«  Ce  mémoire,  dit-il,  a  été  couronné  par  la  Société  royale  de 
médecine  de  Paris  le  27  février  1787,  comme  un  des  meilleurs 
écrits  sur  la  topographie  médicale.  » 

L'auteur  borne  là  ses  citations  :  mais  elles  suffisaient  pour 
provoquer  nos  recherches  aux  archives. 

Les  actes  de  l'état  civil  de  Bagnols  ne  mentionnent  point  de 
famille  du  nom  d'Ycard  :  seulement  nous  avons  lu,  au  registre 
des  délibérations  ce  qui  suit  : 

«  Le  29  août  1784,  le  premier  consul,  maire,  fait  connaître 
que  M.  Ycard,  docteur  en  médecine  de  la  faculté  de  Montpel- 
lier, lui  expose  que  plusieurs  personnes  distinguées  de  cette 
ville  l'invitaient  à  venir  habiter  Bagnols  pour  y  exercer  sa 
profession,  et  qu'on  le  sollicitait  par  toute  sortes  de  moyens  ; 

(1)  Tome  II,  p.  3r)5. 

(2)  Fils  de  Franrois-Simon-Aiidré  Ycard,  docteur  en  médecine  et  de  Hen- 
riette Gontard. 


3lG  NOTICES    BIOGRAPHIQUES 

qu'il  n'avait  pas  cru  devoir  condescendre  à  leurs  vœux  et  à 
leur  empressement,  sans  en  avoir  fait  part  à  la  communauté, 
et  avoir  eu  sa  sanction  ;  le  sieur  Ycard  est  un  médecin  dont 
les  talents  et  le  mérite  particuliers  sont  connus,  et  M.  le 
premier  consul,  maire,  pense  que  la  communauté  doit,  non 
seulem.ent  approuver  son  projet  de  venir  s'établir  dans  le  pays, 
mais  elle  doit  l'inviter,  persuadé  qu'il  sera  de  la  plus  grande 
utilité  au  public. 

Une  délibération  approbative  fut  prise  à  l'unanimité.  Le 
docteur  dut  venir  résider  à  Bagnols  et  se  fit  connaître  par  ses 
publications  scientifiques. 

Ycard  avait  été  reçu  bachelier  le  2(3  janvier  1781  par 
l'Université  médicale  de  Montpellier;  sa  thèse  traita  delà 
dii^estion  (i). 

Nous  n'avons  nulle  trace  de  la  mort  du  docteur  Ycard,  dans 
les  registres  de  l'état  civil  de  Bagnols.  Si  le  médecin  de  Lau- 
dun  n'eut  pas  la  velléité  de  porter  ailleurs  son  bagage  scienti- 
fique et  médical,  il  se  sera  éteint  en  paix,  au  milieu  de  nos 
compatriotes,  et  son  nom  aura  été  de  ceux  inscrits  sur  le  livre 
de  l'an  IX  qui  n'existe  plus  aux  Archives  (2). 

(1)  Nos  recherches  à  Montpellier  ont  abouti  à  nous  procurer  le  titre  de  la 
dissertation . 

—  Stephani,  Laudunensis,  diocesis  ucetiensis,  apud  occitanos  articum  libe- 
ralium  magistri,  nec  non  almœ  wiiversitatis  medicœ  Monspdlensis  alumni, 
disserlatio  medica  de  Digestione,  quam  deo  favente  et  auspice  Dei  para  in 
aiigustissimo  Ludovico  medico  MonspeUensi,  piiblicis  subjicichat  disputationibus, 
die  20  mensis  junuarii  anni  1781. 

Pro  bacculaureatus  grada  conseguendo. 

—  Thèse  médicale  sur  la  digestion,  soutenue  publi({uement  avec  l'aide  de 
Dieu  et  la  protection  de  la  Vierge  mère,  par  devant  Taugustissime  Louis,  méde- 
cin à  Montpellier,  le  26  du  mois  de  janvier  1781  à  l'effet  de  conquérir  le  grade 
de  bachelier,  par  Etienne...  de  Laudun,  du  diocèse  d'Uzès,  en  Languedoc, 
maître-ès-arts  libéraux  et  élève  de  la  vénérable  université  de  médecine  de 
Montpellier. 

(2)  Nous  avons  vu,  page  127,  que  Madame  Ycard  (peut-être  la  veuve  du 
docteui')  obtenait,  en  1812,  {)our  l'abbé  Menjaud,  dont  elle  était  la  parente, 
une  bourse  à  Saint-Suljiice.  Madame  Ycard  mourut,  à  Chusclan,  en  1815. 


EXTRAIT 

DU    REGISTRE    DES    DÉLIBÉRATIONS   DU    CONSEIL    MUNICIPAL 
DE    LA  COMMUNE   DE   BAGNOLS 


Séance    die     i6    Mai     1880 


I/an  mil  huit  cent  quatre-vingt  et  le  16  Mai,  le  Conseil  municipal  de  cette 
commune  s'est  réuni  au  nombre  prescrit  par  la  loi,  dans  le  lieu  habituel  de 
ses  séances,  en  session  extraordinaire  du  mois  de  Mai,  sous  la  présidence  de 
M.  Félix  Constant,  adjoint;,  faisant  fonctions  de  Maire  et  suivant  autorisation  de 
M.  le  Sous-Préfet  d'Uzès. 

Etaient  présents  : 

MM.  Mayet,  adjoint:  Marseille,  Thibaud,  Teissier,  Bastide,  Bonnard,  Borie, 
Croze,  Lacombe,  Lassagne. 

M.  Marseille  est  élu  secrétaire. 

Après  lecture  faite  du  rapport  de  la  Commission  des  finances  au  sujet  de  la 
nouvelle  et  prochaine  installation  de  la  Bibliothèque-Musée,  dans  les  locaux 
légués  à  la  ville  par  M.  Mallet  et  sur  la  proposition  d'un  membre,  en  son  nom 
et  au  nom  de  plusieurs  de  ses  collègues,  tendant  à  ce  que  le  Conseil  municipal, 
fidèle  interprète  des  vœux  de  la  population  reconnaisse  et  consacre  par  une 
délibération  l'œuvre  de  M.  Léon  Alègre,  Fondateur  et  Conservateur  de  la 
Bibliothèqiie-Mnsée  de  Bagnols. 

Le  Conseil, 

Considérant  que  M.  Léon  Alègre,  fondateur  de  la  Bibliothèque-Musée  de 
Bagnols  a  rendu  des  services  exceptionnels  ;  qu'il  a  su  créer  avec  une  grande 
intelligence,  avec  un  dévouement  et  un  désintéressement  que  l'on  ne  saurait  trop 
reconnaître,  un  Établissement  communal  d'une  grande  importance,  que  c'est  grâce 
à  ses  persévérants  efforts  que  la  ville  et  le  canton  de  Bagnols  lui  sont  rede- 
vables de  cette  création  si  précieuse  et  si  utile;  qu'en  effet,  M.  Léon  Alègre, 
devançant  de  vingt  ans  la  première  idée  émise  relative  à  la  création  des  Musées 
cantonaux,  doit  sans  conteste  être  reconnu  comme  le  véritable  créateur  du 
premier  Musée  cantonal  ; 

Qu'en  conséquence,  il  n'est  que  de  toute  justice  que  les  titres  de  M.  Léon 
Alègre  à  la  reconnaissance  publique  soient  reconnus  et  sanctionnés  ; 

Délibère  :  La  Bibliothèque-Musée  créée  par  M.  Léon  Alègre  portera  son  nom 
et  sera  désignée  sous  l'appellation  suivante  : 

BIBLIOTHÈQUE-MUSÉE  LÉON  ALÈGRE 


ERRATA   ET  ADDITIONS 


TOME  I 


Page      8,   13c  ligne  :  Louis  XIII,  —  lisez  :  Louis  XIV. 

—  37,  Barruel,  né  à  Bagnols,  —  lisez:  né  à  Connaux. 

—  73,  Note,  Maison  de  charité,  3^6  ligne,  1863,  —  lisez  ;  1843. 

—  93,  à  la  dernière  ligne,  1839,  —  lisez  :  1859. 

—  97,  Bompard,  né  à  Lorient  le  12  janvier,  —  lisez  :  le  12  juillet. 

—  259,  Gensoul  de  Mouchy,  —  lisez  ;  de  Monchy. 

TOME  II 

Page    35,  ligne  12,  Hysopo,  —  lisez  :  Hysope. 

—  61,  ligne  3,  trois  fils,  —  lisez  :  (piatre  fils  ; 

et  ajoutez,  après  la  dernière  ligne  :  Jean-Baptiste  Madier,  le  père 
de  M.  Henri  Madier  de  Lamartine  et  Gratien  Victor  Madier,  mort 
capitaine  et  chevalier  de  Saint-Louis  et  de  la  Légion  d'honneur, 

—  77,  Après  la  lO''  ligne,  ajoutez:  (1)  et  en  note  (1)  :   Veuf  de  Mademoi- 

selle Marie  Clémens,    de  Valréas,  il  avait   épousé   Mademoiselle 
•    Christine  Roux,  de  Bagnols.   Les  derniers  parents  de  Dominique 
Magalon  sont  M.  Martin  Dominique  et  sa  famille. 

—  115,  D'où  pétrin,  —  lisez  :  Daùpeirin. 

—  172,  Note  (1)  fond,  —  lisez  :  fonds. 

—  205,  au  dernier  mot  de  la  note  (1),  —  lisez  :  Edison. 

—  267,  Note  (1),    —   lisez  :   Ln  fils  et  trois  filles  mariées  à  M.  Charles 

Ardant,  président  à  la  cour  de  Limoges  ;  M.  Shaw  de  Ayala  ;  M.  Lévé- 
rieu  Dumas,  premier  président  à  la  cour  d'Orléans. 


TABLE    DES    MATIÈRES 


DU    DEUXIEME   VOLUME 


Pages 

Lacroix 5 

Ladroit , 11 

Lèbre 23 

Levi-ben-Gerson 29 

iMadier  (J-B.) il 

Madier  (Simplice) 55 

Madier  de  Lamartine 61 

Magalon 67 

Mallet 79 

Marron  (Jeanne) 87 

Martin  (J.-B.) 95 

Martin  (Gabriel) 107 

Martin  (Valérien) 111- 

Mathon 115 

Menjal'D. 125 

Michel  .   115 

iMONTCOCOL 155 

Pages 161 

PiNIÈRE   DE   ClAVIN 169 

Raclet  ...   177 

r.EY 187 

lîiVAROL  (Ant.) '. 195 

RiVAROL  (G.-F.) 229 

Roussel  (J.-J.  S.  de) , . . . 239 

Roussel  (J.  de) 247 


320  TABLE     DES     MATIERES 

Pages 

Sabaton 249 

Saurin  (F.) 253 

SiBERT   (de) 263 

SOLiMANi  (de) 269 

SoucHON 277 

Teste  (A.) 285 

Teste  (P.) 299 

Vernet  (Sœur) 307 

YCARD 313 

Errata  et  Additions 319 


BAGNOLS.     IMPRIMERIE     V^     ALBAN    BROCHE,     RUE    CANILLAC,     10. 


H), 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY 


^  Alegre,  Léon 
^01  Notices  biographiques  du 

B14i»64  Gard  (Canton  de  Bagnols) 
t  «2