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Full text of "Nouveaux essais de philologie française"

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NOUVEAUX  ESSAIS 


PHILOLOGIE   FRANÇAISE 


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Antoine  THOMAS 


NOUVEAUX  ESSAIS 


PHILOLOGIE 


FRANÇAISE 


PARIS  (2e) 

LIBRAIRIE  EMILE  BOUILLON,  ÉDITEUR 

67,    RUE   DE    RICHELIEU,   AU   PREMIER  ÉTAGE 


1904 

Tous  droits  réservés. 


1011 

Tsùz 


A  MONSIEUR  LE  DOCTEUR 

Paul  DORVEAUX 

Bibliothécaire  de  l'École  de  Pharmacie  de  Paris 


TEMOIGNAGE  DE  RECONNAISSANCE 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Pages 


Avant-propos. 


RF.MIEKt    PAF 


GHNLRAI.1THS  HT  MKMOIKHS  D'ENSEMBLE. 


I.  Coup  d'œil  sur  l'histoire  et  la  méthode  de  la  science  étymologique.    .     .  i 

II.  Notes  critiques  sur  la  toponymie  gauloise  et  gallo-romaine 34 

III.  Le  suffixe  -arjcius 62 

IV.  Les  substantifs  abstraits  en  -1er 110 

V.  L'évolution  phonétique  du  suffixe  -arius 119 


Deuxième  partie.  —  RECHERCHLS  ÎTYMOI.OGIQUKS. 


1. 

IL 

III. 

IV. 

V. 

VI. 

VII. 

VIII. 

IX. 

X. 

XL 

XII. 

XIII. 

XIV. 

XV. 

XVI. 

XVII. 

XVIII. 

XIX. 


Acmelle 149 

Agnous 151 

Alaquana 152 

Amarina,  amasina.    154,   362 
Ambro,  ambre.    .      156,   362 

Angelot 159 

Ansoulote,  soûlote.  .     .     léi 

Arbelha 162 

Armorijo. 164 

Arredogue 169 

Assanha 170 

Asse,  assa.     .     .       172,   362 
Aveneril.   .        173,   362,   363 

Babi 176 

Baien 177 

Bidelh.- 179 

Boudé 181,   363 

Bouillie 183 

Braiman,  berman.    .     .     184 


XX  Brena 187 

XXI.  Cade 188 

XXII.  Caforc 191 

XXIII.  Caillou 192 

XXIV.  Careillade.     1     .       199,  363 

XXV.  Cer 200 

XXVI.  Cerneau.   .     .  203,  3<<5 

XXVII.  Cibre,  tribe.  .     .       206,  363 

XXVIII.  Colcer 215 

XXIX.  Conobrage.    .     .      217,  364 

XXX.  Consier,  desier.  .      220,   364 

XXXI.  Cuiolar 228 

XXXII.  Daumaie,  daumaire.     .     239 

XXXIII.  Davais,  davaissa.     .     .     231 

XXXIV.  Degatier 232 

XXXV.  Deimai.      .     .     .      234,  364 

XXXVI.  Délavra 238 

XXXVII.  Desoussina 239 

XXXVIII.  Dessoubrcr 241 


TABLE   DES   MATIÈRES 


XXXIX. 

Desteilla,  destél 

242 

LXXI. 

XL. 

Dolsa.    .     .     . 

244 

,  164 

LXXII. 

XLI. 

Droueri. 

*47 

365 

LXXIII. 

XLII. 

Duraine.     .     . 

248 

XLI  II. 

Echamousta.    . 

2>° 

LXXIV. 

XLIV. 

Ecoisson.    . 

2,0 

>é> 

LXXV. 

XLV. 

Éculorger.  .      . 

252 

LXXVI. 

XLVI. 

253 

*%4 

LXXVII. 

XLVII. 

Eirancha.    . 

LXXVIII. 

XLVIII. 

Eissarrar,  esserrer.  2$ 

,16; 

LXXIX. 

XLIX. 

Entrenerge. 

m 

^ 

I.XXX. 

L. 

Equeroôdre. 

2,8 

LXXXI. 

I.I. 

Escalaoua.  . 

259 

LXXXII. 

LU. 

Escaupir .    . 

260 

?6> 

LXXXIII. 

LUI. 

Eschenye,  eschenya. . 

2(il 

LXXXIV. 

LIV. 

Esclavage.  . 

262 

LXXXV. 

LV. 

Esperbo. 

264 

3é> 

LXXXVI. 

LVI. 

Esterchir.    .     . 

2éS 

LXXXVII. 

LVII. 

Etis 

266 

LXXXVIII 

LVIII. 

Fàuterne.    . 

267 

LXXXIX. 

LIX. 

Feuiller,     feuilleret, 

XC. 

feuillure. 

27I 

XCI. 

LX. 

Garlimen.   .     . 

273 

XCII. 

LXI. 

Gierre.   .      .      . 

274 

XCIII. 

LXII. 

Haleine.      .     . 

276, 

3°> 

XCIV. 

LXIII. 

Hampe. .     . 

277 

xcv. 

LXIV. 

Histar.  .     . 

279 

XCVI. 

LXV. 

lorbe.     .     .     . 

283 

XCVII. 

LXVI. 

Ivière.   . 

284 

XCVIII. 

LXVII. 

Jainçon.      .     . 

28î 

XCIX. 

LXVIII. 

Joincle.  .     .     . 

286 

c. 

LXIX. 

Joindre,  jegnor. 

288 

CI. 

LXX. 

Laus.     .     .     . 

289 

l.edanjos 290 

Lioube 291 

Lovergier ,      lorgier , 

lurgier 292 

Marsia.  .      .      .       294,  365 

Meeril.  ...      295,  366 

Meiri.     .....  296 

Nar 298 

Nouei 299 

Nuitre.  .      .     .       500,  366 

Olegue 30; 

Olonier.      .     .       jio,  366 

Ostade 311 

Outjabo 314 

Panader 315 

Penesse 316 

Pion.      ...       317,  366 

Porchaille. .     .       318,  367 

Pouiller.     .     .       320,  367 

Pouir.    .....  322 

Progier 523 

Ravoir 524 

Résand 52; 

Resencier.  .     .       526,  567 

Revondre.  .     .       327,  367 

Rolh,  rèl 328 

Saupignago.     .           .  3>o 

Seyno.    .      .      .        351.  367 

Souille 532 

Torelière,  torière.     .  335 

Trouver 334 

Vérine,  varinas.   .     .  344 


APPENDICE 


L'Atlas  linguistique  de  la  France 346 

Additions  et  corrections 359 

INDEX    DBS   AUTEURS    ET    LES   TEXTES   CITÉS .  369 

INnEX  GRAMMATICAL 577 

INDEX    LEX1COGRAP1IIQUE 579 

Anglais,  579.  —  Arabe,  579.  —  Argot,  379.  —  Celtique,  579.  —  Cin- 
ghalais, 380.  —  Espagnol,  3S0.  —  Français,  580.  —  Germanique, 
392. —  Grec,  393.  —  Italien,  394.  —  Ijtin,  594.  —  Portugais,  401.  — 
Provençal  (catalan,  franco-provençal  et  gascon),  40t.  —  Rhéto-roman, 
410.  —  Roumain,  410.  —  Scandinave,  411.  —  Turc,  411. 
ndex  TOPONYMIQ.UE 412 


AVANT-PROPOS 


L'accueil  bienveillant  fait  par  la  critique  à  mes 
Essais  de  philologie  française,  parus  en  1898,  a  décidé 
mon  éditeur  à  risquer  ce  second  volume,  que  j'ai 
baptisé  Nouveaux  Essais. 

En  1902,  j'ai  publié  à  la  librairie  Félix  Alcan  un 
recueil  intitulé  Mélanges  d'élymologie  française1,  dont 
le  contenu  ne  diffère  pas  essentiellement  de  celui  des 
Essais  et  des  Nouveaux  Essais.  Les  Essais  ont  un 
«  avant-propos  »,  les  Mélanges  ont  une  «  préface  », 
où  j'ai  indiqué  les  principes  et  la  méthode  dont  je 
m'inspire  dans  mes  études  philologiques.  En  tête  de 
ces  Nouveaux  Essais,  on  trouvera  un  tableau  à  larges 
traits  des  conditions  où  s'est  développée  et  où  doit 
continuer  à  se  perfectionner  la  science  de  l'étymologie 


1.  Ce  recueil  forme  le  fascicule  XIV  de  la  Bibliothèque  de  la 
Faculté  des  Lettres  de.  l'Université  de  Paris. 


xii  AVANT-PROPOS 

française.  Au  pied  de  chaque  mémoire,  de  chaque 
notice,  on  pourra  se  renseigner  sur  le  point  de  savoir 
s'il  s'agit  d'une  réimpression,  d'un  remaniement  ou  de 
recherches  inédites.  Que  faut-il  de  plus  au  lecteur? 

Sans  doute,  il  reste  encore  à  dire.  Les  considérations 
générales  exposées  récemment,  avec  tant  de  brio,  par 
l'illustre  linguiste  Hugo  Schuchardt1  serviraient  faci- 
lement de  point  de  départ  à  un  nouveau  discours  pré- 
liminaire. Mais  j'ai  peu  de  goût  pour  ce  genre  d'exer- 
cice qui,  pareil  à  l'antique  déclamation,  me  paraît 
absolument  stérile.  Prêchons,  je  le  veux  bien,  mais 
prêchons  d'exemple,  en  songeant  au  vieil  adage  gas- 
con sur  la  «  chalemie  »  qui  plaisait  tant  à  Montaigne  : 
Bouha  prou  bou  ha,  mas  a  remuda  lous  dits  quem2. 

Donc,  que  ce  nouveau  volume  aille  silencieusement 
prendre  place  à  côté  de  ses  aînés,  et  qu'il  bénéficie,  si 
faire  se  peut,  de  la  même  indulgence  qu'eux. 

Saint-Yrieix-la-Montagne  (Creuse),  5  septembre  1904. 


1.  Zeitschr.fùr  rom.  Philoh,  XXVIII,  50  et  s. 

2.  Essais,  I,  24.  «  Soutfler,  c'est  chose  facile  ;  mais  il  s'agit  de 
remuer  les  doigts.  »  Pour  le  sens,  voir  une  note  définitive  de 
M.  F.  Arnaudin,  Annales  du  Midi,  XIV,  539  et  s. 


PREMIÈRE  PARTIE 

GÉNÉRALITÉS 
ET    MÉMOIRES    D'ENSEMBLE 


I.  —  coup  d'œilsur  l'histoire  et  la  méthode  de  la  science 

ÉTYMOLOGIQUE  ». 

L'enfant  aime  à  jouer,  mais  il  aime  aussi  à  casser 
ses  jouets  pour  voir  ce  qu'il  y  a  dedans.  L'homme 
fait  tient  beaucoup  de  l'enfant,  et  ce  qu'il  en  garde 
n'est  pas  ce  qu'il  a  de  pire.  Le  plaisir  de  jouir  ne  le 
satisfait  pas  s'il  ne  se  double  du  plaisir  de  savoir.  Le 
langage,  une  fois  constitué  dans  ses  éléments  essen- 
tiels, ne  pouvait  manquer  d'exciter  la  curiosité  de  ceux 
qui  le  possédaient  comme  un  patrimoine  héréditaire 
qu'ils  ne  se  faisaient  pas  faute  de  mettre  en  valeur, 
mais  qu'ils  n'avaient  pas  l'illusion  d'avoir  créé.  On  ne 
saura  jamais,  sans  doute,  si  l'homme  parlait  déjà  dans 
les  cavernes  de  la  période  quaternaire;  mais  tenez  pour 

i.  Reproduction,  avec  quelques  retouches,  d'un  article  paru  le 
I«  décembre  1902  dans  la  Revue  des  Deux  Mondes  sous  ce  titre  : 
La  Science  étymologique  et  la  langue  française. 

Thomas.  II.  —  i 


2  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

certain  qu'aussitôt  qu'il  parla,  il  se  demanda  ce  qu'il  y 
avait  dans  sa  parole.  Cela  dut  arriver  bien  avant  le 
temps  des  Sages  de  la  Grèce  ou  des  Brahmanes  de 
l'Inde,  et  peut-être  dès  la  génération,  d'auguste 
mémoire,  qui  creusa  le  fossé  entre  la  bête  et  l'homme 
en  assurant  à  ce  dernier  l'indestructible  privilège  du 
langage.  L'homme  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  que 
l'effort  de  la  pensée,  à  peine  échappée  de  ses  langes, 
faisait  parfois  craquer  le  vêtement  neuf,  si  chatoyant 
mais  si  étriqué,  dont  il  l'avait  revêtue.  La  linguistique 
naquit  d'un  regard  coulé  à  travers  les  déchirures. 

De  toutes  les  études  dont  le  langage  peut  être 
l'objet,  l'étymologie  est  celle  dont  le  nom  remonte 
le  plus  haut.  Ce  nom,  chacun  le  sait,  n'a  pas  été 
fabriqué  de  nos  jours,  comme  tant  d'autres  termes 
scientifiques  de  même  désinence  que  nous  voyons 
s'étaler  en  grosses  lettres,  plus  nombreux  d'année  en 
année,  sur  les  murs  de  nos  édifices  universitaires, 
lorsque  la  chute  des  feuilles  donne  le  signal  de  la 
reprise  des  cours  :  biologie,  bactériologie,  gynécologie,  his- 
tologie, parasitologie...,  J'en  passe,  et  des  pires.  Nous 
l'avons  trouvé  dans  l'héritage  des  Romains,  qui  le 
tenaient  des  Grecs.  Mais  nous  ne  l'entendons  pas  tout 
à  fait  de  la  même  façon. 

Pour  les  Anciens,  l'étymologie  était  essentiellement 
une  spéculation  a  priori  sur  le  sens  vrai  (Itu(asç)  des 
mots  :  en  les  décomposant  arbitrairement,  ils  se  figu- 
raient pouvoir  résoudre  le  problème  du  rapport  des 
noms  et  des  choses.  Pour  nous,  à  qui  tant  de  systèmes 
philosophiques  écroulés  ont  appris  la  modestie,  il  en 
va  autrement.  Quand  nous  recherchons  l'étymologie 


La  SCIENCE  ÉTYMOLOGIQUE  5 

d'un  mot,  nous  nous  contentons,  de  viser  le  sens  pri- 
mitif. En  revanche,  nous  assignons  à  notre  recherche 
une  carrière  beaucoup  plus  large.  Le  mot  n'est  pas  pour 
nous  une  sorte  d'entité  indépendante  du  temps  et  de 
l'espace  ;  nous  prétendons  embrasser  les  formes,  succes- 
sives ou  coexistantes,  sous  lesquelles  il  se  présente  à 
toutes  les  époques  et  dans  toutes  les  variétés  régionales 
de  la  langue  à  laquelle  il  appartient;  nous  nous  effor- 
çons en  outre  et  surtout  de  ramener  cette  diversité  à 
l'unité,  et  nous  n'avons  pas  de  cesse  que  nous  n'ayons 
retrouvé  dans  une  autre  langue,  antérieure  ou  voisine, 
le  point  d'attache  de  la  forme  primordiale.  Une  fois 
parvenus  à  ce  résultat,  nous  pouvons  faire  halte,  si  bon 
nous  semble;  mais  il  est  clair  que  la  recherche  doit  se 
poursuivre  sur  le  terrain  de  la  nouvelle  langue  qui  se 
trouve  mise  en  cause.  Le  repos  final  ne  sera  gagné  que 
quand  nous  aurons  remonté  de  proche  en  proche  jus- 
qu'aux dernières  limites  de  la  connaissance.  L'étymo- 
logie  est  comme  une  tranchée  large  et  profonde  que 
nous  creusons  dans  l'histoire  de  l'humanité  à  perte  de 
vue,  c'est-à-dire  tant  que  nous  trouvons  devant  nous 
des  hommes,  et  qui  ont  parlé. 

A  envisager  ainsi  les  choses,  on  peut  dire  que  les 
Grecs  et  les  Romains,  à  qui  nous  devons  tant  dans  le 
domaine  de  l'art,  de  la  philosophie  ou  même  des  sciences 
naturelles,  ne  nous  ont  rien  laissé  de  solide  sous  le  nom 
d'étymologie.  Leurs  travaux  ne  sont  que  jeux  d'enfants 
s'amusant  à  labourer  le  sable  de  la  grève  de  sillons 
capricieux  que  la  prochaine  marée  nivellera  impitoya- 
blement. Le  premier  venu  de  nos  lycéens,  qui  aurait 
absorbé  docilement  et  digéré  convenablement  les  quel- 


4  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

ques  notions  qui  émaillent  nos  programmes  d'enseigne- 
ment secondaire,  devrait  être  plus  fort  en  étymologie 
française  que  le  sage  Platon  ne  l'était  en  étymologie 
grecque  ou  le  docte  Varron  en  étymologie  latine. 


Ce  n'est  en  effet  qu'au  dix-neuvième  siècle  que 
l'étymologie  a  été  scientifiquement  constituée.  Pourtant 
il  ne  faut  pas  se  montrer  sévère  jusqu'à  l'injustice  pour 
ce  qui  a  été  tenté  auparavant.  Un  coup  d'œil  rétros- 
pectif n'est  ni  sans  intérêt,  ni  sans  profit. 

Le  moyen  âge  lui-même  a  droit  à  quelques  égards. 
On  n'apprendra  peut-être  pas  sans  un  certain  étonne- 
ment  que  le  mot  étymologie  est  familier  à  nos  trouvères 
du  douzième  siècle.  Ils  l'entendent  parfois  de  travers, 
j'en  demeure  d'accord;  mais  il  leur  arrive  aussi  de  voir 
juste  et  de  pratiquer  heureusement  la  chose,  ce  qui  est 
plus  méritoire  que  de  bien  entendre  le  mot.  Maître 
Wace,  chanoine  de  Bayeux,  protégé  et  pensionné  par 
le  roi  d'Angleterre,  Henri  II  (un  Plantcgenêt  d'Anjou, 
comme  on  sait),  a  célébré  les  exploits  des  Normands 
dans  un  long  poème  connu  sous  le  nom  de  Roman  de 
Ron.  Or,  maître  Wace  a  tenu  à  nous  expliquer  l'origine 
du  mot  Normand,  et  il  l'a  fait  en  philologue  consommé  : 

Justcz  ensemble  north  et  nnm 

Et  ensemble  dites  northman  : 

Ceo  est  «  huem  de  north  »  en  romanz  ; 

De  ceo  vint  li  nuns  as  Normanz. 

Il  continue  en  nous  apprenant  que  c'est  à  cause  des 


LA  SCIENCE  ÉTYMOLOGIQUE  5 

Normands  que  le  pays  appelé  autrefois.  Neustrie  a  pris 
le  nom  de  Normandie .  Personne  ne  songerait  aujour- 
d'hui à  lui  en  donner  le  démenti  ;  mais  le  bon  chanoine 
ne  nous  cache  pas  que  les  Français  —  un  Normand 
d'alors  ne  se  considérait  pas  comme  Français  —  ne 
voulaient  pas  accepter  cette  étymologie  : 

Franceis  dient  que  Nonncndie 
Ceo  est  la  gent  de  norlh  mendie  : 
Normant  —  ceo  dient  en  gabant  — 
Sunt  venu  del  north  mendiant 
Pur  ceo  qu'il  vindrent  d'altre  terre 
Pur  mielz  aveir  e  pur  mielz  querre. 

On  avait  déjà  de  l'esprit  en  France  au  douzième 
siècle.  Et  c'est  bien  là  le  malheur,  et  qui  explique 
peut-être  que  nous  ne  tenions  pas  le  premier  rang  en 
philologie  :  un  bon  étymologiste  ne  doit  pas  avoir 
d'esprit. 

La  Renaissance  a  fait  un  peu  de  bien  et  beaucoup  de 
mal  à  l'étude  de  notre  langue.  Il  faut  lui  savoir  gré 
d'avoir  secoué  la  torpeur  du  moyen  âge  et  éveillé, 
dans  ce  domaine  comme  dans  tant  d'autres,  l'activité 
de  l'esprit  humain.  En  restaurant  l'étude  du  grec,  négli- 
gée depuis  la  chute  de  l'Empire  romain,  elle  a  fait 
rentrer  dans  le  domaine  public  la  pleine  intelligence 
du  vocabulaire  savant  que  le  français  avait  emprunté  à 
la  scolastique  et  que  la  scolastique  avait  fini  par  ne  plus 
comprendre. 

C'est  déjà  l'aurore  de  la  Renaissance  qui  point  sous 
Charles  le  Sage  avec  Nicole  Oresme,  protégé  de  la  Cour 
et  traducteur  officiel  d'Aristote.  Le  bon  Oresme  met 
Aristote  en  français  d'après  des  traductions  latines  et 


6  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

non  d'après  le  texte  original,  mais  peu  nous  importe. 
Il  n'ignore  pas  que  les  termes  scientifiques  qu'il  francise 
viennent  du  grec;  il  a  même  pris  soin  de  rédiger  pour 
ses  lecteurs  deux  vocabulaires  spéciaux  où  ces  termes 
sont  expliqués,  généralement  assez  bien.  Et  le  voilà  qui 
s'engage  déjà  dans  la  voie  de  perdition  où  les  hellénistes 
du  seizième  siècle  rouleront  à  qui  mieux  mieux  :  il  croit 
découvrir,  une  fois  par  hasard,  quelque  conformité 
entre  le  vocabulaire  des  deux  langues.  Ayant  fabriqué 
le  mot  eutrapele  pour  rendre  le  grec  eùrpehceXoç,  «  celui 
qui  scet  bien  tourner  a  point  les  fais  et  les  paroles  a 
gieu  et  a  esbatement  »,  il  lui  monte  au  cerveau  une 
bouffée  étymologique,  dont  il  nous  fait  part  en  ces 
termes:  «  Par  aventure  de  ce  vint  ce  que  l'on  dit  en 
françois  d'un  homme  qu'il  est  bon  trupelin.  »  Nous  ne 
connaissons  ce  mot  trupelin  que  par  le  témoignage  de 
Nicole  Oresme  ;  nous  ne  savons  pas  d'où  il  vient,  mais 
nous  croyons  pouvoir  affirmer  qu'il  ne  vient  pas  du 
grec.  C'est  tout  le  progrès  que  nous  avons  fait  depuis 
le. quatorzième  siècle;  c'est;  peu,  hélas!  mais  ce  peu 
est  pourtant  quelque  chose. 

Ils  sont  légion  au  seizième  siècle  —  et,  malheureuse- 
ment, leur  lignée  n'est  pas  encore  éteinte1  —  ceux 
qui  veulent  expliquer  le  français  par  le  grec.  Leur  chef 
de  file  est  le  premier  professeur  royal  du  Collège  de- 
France,  le  célèbre  Guillaume  Budé,  qui  a,  heureuse- 
ment pour  sa  mémoire,  des  titres  plus  sérieux  auprès 
de  la  postérité.  Et  comme  l'erreur  engendre  l'erreur, 

i .  C'est  à  elle  qu'appartient,  par  exemple,  M.  l'abbé  J.  Espagnolle 
qui  a  publié,  de  1886  à  1889,  un  ouvrage  en  trois  volumes  inti- 
tulé :  l'Origine  du  jrunçais  (Paris,  Delagrave). 


LA  SCIENCE   ÉTYMOLOGIQUE  7 

on  voit  se  ranger  en  face  d'eux  les  partisans  systéma- 
tiques de  l'hébreu,  du  celtique,  du  germanique.  A  quoi 
bon  les  citer  nominativement  ? 

Non  ragûmiOm  di  tor,  ma  guarda  e  passa. 

Mieux  vaut  rappeler  les  noms  des  savants  qui,  malgré 
bien  des  erreurs  de  détail,  peuvent  passer  pour  ortho- 
doxes, puisqu'ils  croient  fermement  que  le  fond  essen- 
tiel de  notre  langue  est  d'origine  latine  :  Du  Bois, 
Bourgoing,  Nicot,  Fauchet,  J.-J.  Scaliger,  Pasquier, 
et,  au  siècle  suivant,  Caseneuve  et  Ménage. 

Ménage  a  éclipsé  tous  ses  émules  :  c'est  le  seul  éty- 
mologiste  des  siècles  passés  dont  le  grand  public  ait 
retenu  le  nom.  Malheureusement,  on  a  peine  à  prendre 
au  sérieux  celui  que  Molière  a  si  comiquement  mis  à 
la  scène,  et  ,1a  cause  de  l'étymologie  a  souffert  des  ridi- 
cules de  Vadius.  Il  faut  d'ailleurs  avouer  que  la  lecture 
du  Dictionnaire  étymologique  met  à  une  rude  épreuve 
la  patience  et  la.  crédulité  de  l'esprit  le  moins  prévenu. 
Ménage  jongle  non  seulement  avec  des  mots,  mais 
avec  des  ombres  de  mots  qu'il  évoque  au  gré  de  sa 
fantaisie.  Ses  tours  de  passe-passe  peuvent  amuser  un 
instant;  mais,  comment  ne  pas  crier  holà!  quand  on 
le  voit  se  persuader  que  le  public  est  toujours  sa  dupe 
et  prendre  les  épigrammes  pour  des  compliments  !  On 
a  cité  bien  souvent  le  quatrain  du  chevalier  d'Aceilly 
(Jacques  de  Cailly)  sur  l'étymologie  d'alfana,  mot 
italien  et  espagnol  qui  signifie  «  jument  »  : 

Atfana  vient  tfequus,  sans  doute, 
Mais  il  faut  avouer  aussi 
Qu'en  venant  de  là  jusqu'ici 
Il  a  bien  changé  sur  la  route. 


8  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

Le  piquant,  c'est  que  Ménage,  sans  y  entendre  malice, 
a  publié  lui-même,  à  la  fin  de  son  article  haqucnéc,  les 
vers  de  d'Aceilly  :  «  Il  me  reste,  dit-il,  à  faire  part  à 
mes  lecteurs  de  cette  belle  épigramme...  »  O  candeur 
de  la  vanité  ! 

Plus  charitable  pour  la  victime  de  Molière  que  ne  le 
furent  ses  belles  amies,  Mm£s  de  Sévigné  et  de  La 
Fayette,  une  jeune  Roumaine,  Mlle  Elvire  Samfiresco, 
vient  de  lui  élever  un  monument  de  respect  et  d'admi- 
ration1. Elle  y  déclare  tout  net  que  ceux  qui  médisent 
de  Ménage  étymologiste  ne  l'ont  pas  lu.  C'est  aller 
trop  loin.  J'accorde  qu'il  y  a  beaucoup  de  bonnes 
choses  dans  son  œuvre;  mais  il  est  notoire  qu'il  y 
en  a  de  moins  bonnes  et  même,  pour  trancher  le 
mot,  de  détestables  :  ceci  fait  tort  à  cela.  Où  il  est 
mauvais,  il  va  bien  au  delà  du  pire,  comme  quand 
il  veut  nous  persuader  que  blanc  et  blond  viennent 
tous  deux,  par  des  chemins  différents,  du  latin  albus. 
Le  moins  qu'on  puisse  faire  c'est  de  rire  :  tant  pis 
pour  Ménage. 

Je  ne  vois  guère  à  signaler,  au  dix-huitième  siècle, 
qu'un  long  article  de  l'Encyclopédie.  L'article  passe  pour 
être  de  Turgot,  et  fait  honneur  à  son  esprit  philosophi- 
que. Mais,  avec  son  caractère  purement  théorique,  l'as- 
pect scolastique  de  ses  nombreuses  divisions  et  subdivi- 
sions, le  souci  constant  qu'affecte  l'auteur  de  raisonner 
toujours  in  absiracto,  sans  jamais  se  résoudre  à  prendre 


i.  Ménage  polémiste,  philologue,  poète,  thèse  pour  le  doctorat 
d'Université  présentée  à  la  Faculté  des  lettres  de  l'Université  de 
Paris  (Paris,  1902). 


LA   SCIENCE  ÉTYMOLOGIQUE  9 

des  exemples  concrets,  cet  article  ne  pouvait  guère 
avoir  de  prise  sur  le  public.  D'ailleurs  les  préoccupa- 
tions du  siècle  sont  d'un  autre  ordre  et  Pétymologie 
n'y  trouve  pas  un  bon  terrain  :  Voltaire  a  trop  d'esprit 
et  Rousseau  est  trop  ignorant. 

Enfin  le  dix-neuvième  siècle  est  venu.  Si,  chez  nous, 
Raynouard  a  fait  fausse  route,  l'Allemagne  nous  a  donné 
Friedrich  Diez,  Diez  que  nos  maîtres  actuels  se  plaisent 
à  reconnaître  pour  leur  maître  et  qu'ils  nous  ont  appris 
à  révérer  comme  un  aïeul,  Diez  dont  le  génie,  fait 
surtout  de  patience  et  de  probité,  a  enfin  assis  l'éty- 
mologie  des  langues  romanes  sur  des  bases' solides. 
Sans  doute  il  a  largement  profité  de  ce  qui  avait  été 
tenté  avant  lui.  Un  de  ses  compatriotes,  M.  Grôber, 
professeur  à  l'Université  de  Strasbourg,  a  comparé  mot 
par  mot  l'œuvre  de  Diez  et  celle  de  Ménage  pour  les 
deux  premières  lettres  de  l'alphabet  et  il  a  constaté 
que  le  savant  allemand  avait  suivi  le  savant  français 
72  fois  sur  100.  Ce  témoignage  non  suspect  est  à 
l'honneur  de  notre  pays;  mais  il  ne  faut  pas  lui  attri- 
buer trop"  d'importance,  ni  être  dupe  de  la  statistique. 
La  gloire  de  Diez,  c'est  d'avoir  tué  le  dilettantisme  en 
formulant  un  corps  de  doctrine  et  en  en  poursuivant 
rigoureusement  l'application  :  or,  il  faut  plus  de  science 
pour  se  garder  d'une  mauvaise  étymologie  que  pour 
en  trouver  dix  bonnes.  S'il  a  laissé  beaucoup  à  foire  à 
ses  successeurs,  il  leur  a  montré  la  voie  à  suivre  et 
indiqué  les  moyens  d'y  marcher  d'un  pas  assuré.  On 
peut  dès  maintenant  entrevoir  le  jour  où  le  vocabu- 
laire français  aura  livré  tous  ses  secrets.  Ce  jour-là, 
la  science  aura  remporté  une  belle  victoire.  Je  ne  doute 


10  GÉNÉRALITÉS  ET   MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

pas  que  Diez  en  reste,  aux  yeux  de  la  postérité,  l'im- 
mortel organisateur1. 

Donc,  aujourd'hui,  l'étymologie  est  une  science,  et 
non  plus,  comme  autrefois,  une  manière  de  divination. 
Le  public  n'est  pas  surpris  que  deux  étymologistes 
puissent  se  regarder  sans  rire.  Mais  peut-être  lui  fait- 
on  trop  de  mystère  des  principes  qui  les  guident,  ce 
qui  mêle  quelque  défiance  au  respect  qu'il  consent  à 
leur  témoigner.  L'extraordinaire  fortune  qu'ont  eue  de 
nos  jours  les  sciences  de  la  nature,  les  découvertes  re- 
tentissantes qui  se  sont  produites  dans  leur  domaine 
et  qui  sont  entrées,  du  jour  au  lendemain,  dans  le  ré- 
seau de  notre  vie  sociale  pour  en  renouveler  toute 
l'économie,  ne  pouvaient  manquer  de  rejeter  dans 
l'ombre  les  autres  objets  auxquels  l'homme  s'était  plu 
dès  longtemps  à  appliquer  son  intelligence,  et  en  par- 
ticulier l'étude  du  langage.  Certains  philologues,  et 
non  des  moindres,  n'ont  pas  vu  sans  quelque  dépit 

i .  La  première  édition  du  Dictionnaire  étymologique  des  langues 
romanes  (en  allemand)  de  Diez  est  de  1853  '■>  ^a  cinquième  et  der- 
nière, publiée  onze  ans  après  la  mort  de  l'auteur  par  Auguste 
Scheler,  est  de  1887.  On  trouvera  dans  le  Dictionnaire  latin- 
roman  (en  allemand)  de  M.  G.  Kôrting  (2e  édition,  1901)  un 
résumé  commode  de  l'œuvre  de  Diez,  augmenté  des  nouvelles 
découvertes  faites  récemment  dans  ce  domaine.  Les  auteurs  qui, 
dans  la  seconde  moitié  du  dix-neuvième  siècle,  ont  écrit  des  livres 
qui  comptent  sur  l'étvmologie  relèvent  tous  de  Diez.  Il  suffit  de  citer 
Scheler,  Littré,  Brachet  et  Arsène  Darmesteter,  en  renvoyant  à  ce 
qu'en  a  dit  récemment  le  juge  le  plus  compétent  en  la  matière, 
Gaston  Paris  {Rame  des  Deux  Mondes,  15  octobre  1901).  Il  est  bon 
de  remarquer  que  le  Dictionnaire  étymologique  et  explicatif  de  la 
langue  française  de  M.  Charles  Toubin,  paru  en  1886,  est  une 
œuvre  de  protestation  qui,  heureusement,  n'a  pas  été  prise  au 
sérieux. 


LA  SCIENCE  ÉTYMOLOGIQUE  11 

la  faveur  publique  prendre  cette  direction,  et,  pour 
chercher  à  la  capter,  ils  ont  insisté  plus  que  de  raison 
sur  les  rapports  qui  unissent  le  langage  aux  phéno- 
mènes naturels.  L'illustre  Max  Mùller  a  écrit  :  «  Les 
rapports  intimes  qui  existent  entre  l'histoire  du  langage 
et  l'histoire  de  l'homme  ne  suffisent  pas  pour  exclure 
notre  science  du  cercle  des  sciences  naturelles.  Si  on 
la  définit  rigoureusement,  la  science  du  langage  peut 
se  proclamer  complètement  indépendante  de  l'histoire.  » 
Des  livres  ont  paru  depuis,  dont  les  titres,  entendus  à 
la  lettre,  pourraient  faire  croire  que  le  langage  a  une 
vie  propre,  analogue  à  celle  des  plantes,  et  tout  à  fait 
indépendante  des  facultés  intellectuelles  de  l'homme. 
Il  est  inutile  de  réfuter  ici  de  pareilles  idées,  contre 
lesquelles  se  sont  élevées  des  voix  autorisées,  notam- 
ment celles  de  MM.  Michel  Bréal  et  Gaston  Paris. 
Mais  il  faut  affirmer  bien  haut  que  l'étude  du  langage, 
si  on  la  considère  du  point  de  vue  étymologique,  ne 
peut  à  aucun  titre  être  rattachée  aux  sciences  de  la  na- 
ture. L'étymologie  n'est  qu'une  branche  de  la  philo- 
logie; c'est  une  science  essentiellement  historique,  et 
la  seule  méthode  qui  lui  convienne  est  la  méthode  his- 
torique. Quel  que  soit  le  domaine  linguistique  où  elle 
s'exerce,  elle  ne  pourra  arriver  à  se  constituer  qu'en 
étudiant  comparativement  et  contradictoirement  la 
succession  historique  des  faits,  des  sons,  des  idées. 
Toutes  ses  données  se  ramènent  facilement  et  claire- 
ment a  l'un  de  ces  trois  points.  Je  voudrais  mon- 
trer —  sans  sortir  du  cadre  du  vocabulaire  français  — 
comment  l'étymologiste  doit  se  comporter  vis-à-vis  de 
chacun  d'eux. 


GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 


II 


Par  les  faits  j'entends  l'histoire  proprement  dite  sous 
ses  multiples  aspects.  Max  Millier,  tout  porté  qu'il  était 
à  inscrire  l'étude  du  langage  dans  le  cercle  des  sciences 
naturelles,  est  bien  obligé  de  convenir  que  «  si  nous 
parlons  du  langage  de  l'Angleterre,  une  certaine  con- 
naissance de  l'histoire  politique  des  Iles  Britanniques 
nous  est  nécessaire  ».  Ce  n'est  pas  assez  dire.  L'his- 
toire de  France  doit  être  le  bréviaire  de  quiconque 
aborde  l'étude  étymologique  du  français.  C'est  elle  qui 
lui  apprendra  à  connaître  les  peuples  divers  qui  se  sont 
côtoyés,  fondus  ou  remplacés  sur  le  sol  de  notre  pa- 
trie :  les  Ligures,  qui  s'étendaient  à  l'origine  tout  le 
long  de  la  Méditerranée  ;  les  Aquitains  ou  Ibères,  can- 
tonnés du  temps  de  César  entre  l'Océan  et  la  Garonne  ; 
les  Grecs,  fondateurs  de  Marseille  et  d'autres  villes 
maritimes,  qui  rejetèrent  peu  à  peu  les  Ligures  loin  de 
la  côte  ;  les  Gaulois,  qui  ont  occupé  dès  l'origine  des 
temps  historiques  la  plus  grande  partie  du  territoire 
qui  a  porté  si  longtemps,  en  souvenir  d'eux,  le  nom 
de  Gaule  ;  les  Romains,  qui  conquirent  la  Gaule  et  en 
firent  pendant  des  siècles  une  chose  à  eux  ;  les  Ger- 
mains qui,  sous  différents  noms  (Francs,  Wisigoths, 
Burgundions),  s'y  établirent  à  jamais  et  transformèrent 
avec  le  temps  la  terre  des  Gaulois  (Gallia)  en  terre  des 
Francs  ou  France  (Francia)  ;  les  Bretons,  venus  d'outre- 
Manche  pour  coloniser  l'Armorique,  à  laquelle  ils 
finirent  par  imposer  le  nom  de  Bretagne  ;  les  Arabes, 


LA  SCIENCE  ÉTYMOLOGIQUE  1} 

que  le  marteau  de  Charles  brisa  à  Poitiers,  mais  qui 
entretinrent  assez  longtemps  des  garnisons  ou  des 
camps  volants  en  Provence  •  les  Scandinaves,  qui  se 
taillèrent  une  nouvelle  patrie  sur  les  côtes  de  la  Manche, 
la  «  terre  des  gens  du  Nord  »  ou  Normandie.  C'est 
elle  encore  qui  lui  fera  comprendre  comment,  de  ces 
éléments  si  divers  s'est  dégagée  peu  à  peu  la  nationa- 
lité française,  et  qui  lui  tracera  le  tableau  des  relations 
que  les  Français  ont  entretenues  soit  avec  leurs  voi- 
sins immédiats  (Anglais,  Allemands,  Italiens,  Espa- 
gnols, etc.),  soit  avec  d'autres  nations  européennes, 
soit,  à  l'époque  des  Croisades  et  surtout  depuis  la 
découverte  du  Nouveau  Monde,  avec  les  différents 
groupes  humains  répandus  sur  toute  l'étendue  du  globe 
terrestre.  C'est  à  elle  enfin  qu'il  ira-  demander  ces 
mille  détails,'  épars  dans  les  chroniques,  dans  les  mé- 
moires, dans  les  livres  de  raison,  dans  les  chartes, 
dans  les  inscriptions,  à  l'aide  desquels  il  pourra  se  re- 
présenter au  vif  les  mœurs  et,  pour  ainsi  dire,  la  phy- 
sionomie intime  des  sociétés  disparues. 

Ayant  le  vaste  champ  de  l'Histoire  de  France  de- 
vant elle,  l'étymologie  s'y  est  plus  d'une  fois  égarée, 
parce  qu'elle  n'a  pas  su  dégager  le  point  essentiel  des 
accidents  de  toute  sorte  qui  l'entourent.  Ce  point 
essentiel,  véritable  pivot  de  notre  histoire,  c'est  la 
conquête  de  la  Gaule  par  les  Romains,  et  par  suite 
l'identité  foncière  de  la  langue  des  Romains  et  de  la 
langue  des  Français.  Ceux  qui  prétendent,  au  nom  de 
l'histoire,  expliquer  le  tréfonds  de  notre  langue  par  le 
gaulois  ou  par  le  grec  ne  comprennent  pas  les  leçons 
de  l'histoire.  Ils  ferment  les  yeux  de  parti  pris  :  ce 


I4  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

sont  des  hallucinés  avec  lesquels  on  ne  saurait  dis- 
cuter. 

Il  faut  s'entendre,  cependant.  Nous  ne  prétendons 
pas  que  le  latin  implanté  en  Gaule  y  soit  demeuré 
absolument  intangible,  soit  de  la  part  des  idiomes 
préexistants,  soit  de  la  part  de  ceux  qui  vinrent  plus 
tard  le  battre  en  brèche.  Du  moment  qu'on  lui  recon- 
naîtra dans  la  formation  du  français  le  rôle  incontes- 
table d'élément  constitutif,  on  aura  ses  coudées  fran- 
ches pour  rechercher  la  part  qu'il  convient  de  faire  aux 
éléments  accessoires,  parmi  lesquels  le  gaulois  et  le 
germanique  occuperont  toujours  une  place  d'honneur. 
L'importance  de  l'élément  germanique  a  toujours  été 
reconnue  et  il  est  inutile  de  la  faire  ressortir  ici.  L'in- 
fluence du  gaulois  est  plus  difficile  à  mesurer  exacte- 
ment. A  ne  tenir  compte  que  du  vocabulaire  de  la 
langue  commune,  elle  paraît  se  réduire  à  bien  peu  de 
chose  :  c'est  à  peine  si  une  cinquantaine  de  mots  fran- 
çais peuvent  être  rattachés  directement  au  gaulois1. 
Mais  est-il  juste  de  faire  abstraction  de  notre  vocabu- 
laire géographique,  où,  malgré  les  alluvions,  il  émerge 
encore  tant  de  témoins  des  couches  linguistiques  pri- 
mitives ?  N'est-ce  pas  là  mutiler  de  nos  propres  mains 
notre  langue  et  notre  histoire  ?  Ou  voudrait-on  sou- 
tenir que  nous  ne  parlons  pas  français,  quand  nous 
avons  sur  les  lèvres  les  noms  de  nos  cours  d'eau,  de 


I.  On  en  trouvera  la  liste  dans  le  Traité  de  h  formation  de  la 
langue  française  qui  sert  d'introduction  au  Dictionnaire  gérerai 
d'Hatzfeld  et  Darmcsteter.  Ce  traité,  oeuvre  personnelle  de  Dar- 
mesteter,  a  été  revisé  et  publié  par  M.  Léopold  Sudre,  professeur 
au  collège  Stanislas. 


LA  SCIENCE  ÉTYMOLOGIQUE  1$ 

nos  montagnes,  de  nos  forêts,  de  nos  pays,  de  nos 
villes  et  de  nos  hameaux,  comme  Loire,  Couennes,  Ar- 
dennes,  Morvan,  Laon,  Condé  ou  Charenton,  et  tant 
d'autres  vocables  usuels,  sur  lesquels  deux  mille  ans 
ont  passé  sans  leur  apporter  d'autre  modification  qu'un 
allégement  phonétique  qui  est  moins  un  dommage 
qu'une  toilette  destinée  à  les  faire  paraître  toujours 
jeunes  ?  Les  études  de  toponymie,  malgré  les  beaux 
travaux  de  MM.  d'Arbois  de  Jubainville  et  Longnon, 
professeurs  au  Collège  de  France,  ne  jouissent  peut-être 
pas  encore  chez  nous  de  la  faveur  qu'elles  méritent, 
parce  qu'elles  ont  été  pendant  longtemps  livrées  à  la 
fantaisie:  Il  est  temps  de  proclamer  qu'elles  font  partie 
intégrante  de  la  philologie  française.  M.  Camille  Jullian, 
professeur  à  l'Université  de  Bordeaux,  après  avoir 
exposé  éloquemment  les  services  que  ces  études  peu- 
vent rendre,  vient  d'inviter  l'association  internationale 
des  Académies  à  s'occuper  sans  retard  de  la  publica- 
tion d'un  Corpus  toponymique  du  monde  ancien  l. 
Nous  faisons  des  vœux  pour  que  cette  excellente  idée 
soit  prochainement  réalisée. 

Mais  arrachons-nous  au  charme  que  présente  l'étude 
des  origines.  Quand  une  langue  a  duré  pendant  plus 
d'un  millier  d'années,  il  y  a  quelque  puérilité  à  demeurer 
toujours  penché  sur  son  berceau  pour  écouter  ses 
premiers  vagissements.  Il  faut  la  suivre  à  travers  les 
siècles  jusqu'à  nos  jours  et  s'efforcer  de  déchiffrer 
l'empreinte  que  chacun  d'eux  y  a  laissée.  La  tâche  est 
attrayante,  mais  difficile.  Le  plus  souvent, ce  n'est  qu'à 

i.  Beitrœge  ^ur  aîten  Geschichte,  t.  II,  ire  livraison. 


16  CÉNÉRAL1TÉS   ET  MÉMOIRES  D*ENSEMBLÊ 

l'aide  de  la  loupe  qu'on  arrive  à  discerner  dans  le  lan- 
gage le  contre-coup  des  événements  historiques  les 
plus  considérables.  Arrêtons-nous  à  examiner  attenti- 
vement notre  mot  empereur,  autrefois  emperedre  au  cas 
sujet,  emperedor  au  cas  régime.  Pourquoi  l'ancien  fran- 
çais, qui  a  laissé  tomber  Ye  protonique  du  verbe  latin 
Iemperare  et  en  a  fait  temprer  (aujourd'hui  tremper,  par 
suite  d'une  métathèse),  nous  a-t-il  transmis  religieu- 
sement Ye  du  substantif  impcrator  ?  C'est  que  Iemperare 
n'a  jamais  cessé  de  résonner  sur  les  lèvres  du  peuple 
depuis  que  les  Romains  ont  apporté  le  latin  en  Gaule, 
tandis  que  imperator  a  sombré  avec  l'Empire  romain 
lui-même  et  n'a  reparu  dans  l'usage  que  depuis  la 
restauration  mémorable  qui  a  marqué  la  dernière 
année  du  huitième  siècle.  Ainsi,  aux  yeux  de  l'étymo- 
logiste,  l'examen  d'un  seul  mot,  d'une  seule  lettre 
suffit  pour  évoquer  l'image  du  pape  Léon  III  plaçant  la 
couronne  impériale  sur  le  front  de  Charlemagne. 

Il  est  rare,  avouons-le,  que  le  langage  nous  offre 
sur  le  passé  des  échappées  aussi  grandioses.  La  langue 
de  l'homme  est  le  témoin  de  son  histoire,  mais,  si  ce 
témoin  a  tout  vu,  il  n'a  pas  tout  retenu.  Les  faits  qui 
y  laissent  des  traces  durables  ne  sont  pas  toujours 
ceux  qui  arrêtent  l'historien  et  qui  importent  à  la  des- 
tinée des  peuples.  Qui  oserait  mettre  sur  le  même 
plan  les  traités  de  Westphalie  et  les  amours  juvéniles 
de  Louis  XIV?  Et  pourtant,  depuis  1648,  Westphalie 
est  resté,  comme  auparavant,  un  simple  nom  propre, 
celui  d'une  province  d'Allemagne,  tandis  que  le  nom 
de  Mllc  de  Fontanges  a  fait  brèche  dans  notre  vocabu- 
laire courant  et  que  plusieurs  générations  ont  appelé 


La  science  étymologique  17 

fontange  une  parure  de  tête  que  la  favorite  avait  mise 
â  la  mode.  Si  l'étymologiste  doit  tout  connaître  de 
l'histoire,  il  n'en  utilise  souvent  que  la  menue  mon- 
naie. Mais  que  de  variété,  d'imprévu,  de  piquant  dans 
la  collection  de  ces  noms  propres  de  personnes,  de 
peuples  ou  de  pays,  qui  se  sont  successivement  incor- 
porés dans  le  langage  commun  !  Esclave  est  le  même 
mot  que  Slave,  et  il  nous  rappelle  les  expéditions  des 
Vénitiens  contre  les  Slaves  du  Sud  ou  Esclavons, 
dont  la  reine  de  l'Adriatique  faisait  ouvertement  la 
traite,  au  temps  des  Croisades.  Les  Hongrois  nous  ont 
appris  à  hongrer  les  chevaux  et  à  hongroyer  le  cuir  ; 
le  dix-septième  siècle  a  même  connu  la  mode  d'un  jus- 
taucorps à  grandes  basques  qu'il  appelait  une  hongrcline. 
Aux  Croates  nous  devons  la  cravate,  qui  apparaît  chez 
nous  à  l'époque  de  la  guerre  de  Trente  ans.  Des  subs- 
tantifs comme  baïonnette,  berline,  biscaïen,  calicot,  épa- 
g ne  1 il,  faïence,  maroquin,  persienne,  éveillent  facilement 
le  souvenir  des  villes  de  Bayonnc,  Berlin,  Calicut, 
Faen-a  et  des  pays  de  Biscaye,  d'Espagne,  de  Maroc, 
de  Perse.  Mais  souvent  l'altération  phonétique  nous 
dissimule  l'origine  du  terme  dont  nous  nous  ser- 
vons. Qui  pense  au  cuir  de  Cordoue  quand  il  pro- 
nonce le  nom  de  métier  cordonnier,  autrefois  çordoua- 
nier,  ou  les  noms  de  famille  Corvoisier  et  Corvisarl  ? 
Comment  se  douter  que  le  nom  d'une  ville  de  Syrie 
se  cache  dans  notre  mot  èchalolle,  autrefois  cschalogne, 
du  latin  Ascalonia,  herbe  d'Ascalon  ? 

Altérés  ou  non,  les  mots  de   la   langue  commune 
qui  sont  issus  de  noms  propres  demandent  toujours 
leur  passeport  à  l'histoire.  Tout  Français  qui  se  pique 
Thomas.  II.  —  2 


l3  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

d'avoir  du  monde  sait  aujourd'hui  ce  qu'on  désigne 
sous  le  nom  de  sandwich.  Je  rappelle  cependant  pour 
les  quelques  millions  de  nos  concitoyens  qui  l'ignorent 
—  et  dont  la  plupart  ne  me  liront  pas  —  qu'on 
nomme  ainsi  un  mets  composé  d'une  tranche  de 
viande  froide  placée  entre  deux  tranches  de  pain, 
ordinairement  beurrées.  En  dehors  de  la  cuisine,  quelle 
idée  éveille  ce  mot  dans  l'esprit  de  ceux  qui  l'em- 
ploient ?  Probablement  celle  d'un  archipel  situé  tout 
là-bas,  au  fond  de  la  Polynésie,  dont  la  capitale  est 
Honolulu,  et  qui  a  été  annexé  depuis  peu  aux  États- 
Unis  d'Amérique.  Les  répertoires  courants  d'histoire 
et  de  géographie  nous  apprendront  en  outre  que  San- 
dwich est  un  bourg  d'Angleterre  érigé  en  comté  par 
Charles  II,  en  faveur  d'Edward  Montague;  que  le 
quatrième  titulaire  de  ce  comté  fut  le  protecteur  du 
célèbre  navigateur  Cook;  et  que  si  un  archipel  de  la 
Polynésie  porte  ce  nom,  c'est  que  Cook  lui  a  donné 
celui  de  son  protecteur.  Mais  ils  s'en  tiennent  là, 
oubliant  ce  qui  est  pour  nous  l'essentiel,  à  savoir  que 
John  Montague,  quatrième  comte  de  Sandwich,  lord 
de  l'Amirauté  et  protecteur  de  Cook,  était  un  joueur 
effréné  :  comme  il  lui  était  fort  pénible  de  quitter  la 
table  de  jeu  pour  passer  à  la  salle  à  manger  aux  heures 
ordinaires  des  repas,  son  cuisinier  imagina,  pour  le 
soutenir  discrètement  sans  interrompre  sa  partie,  le 
genre  de  mets  auquel  s'est  attaché,  chez  nos  voisins 
d'outre-Manche  d'abord,  puis  chez  nous,  le  nom  du 
noble  lord. 

Faut-il  encore  un  exemple?  En  voici  un. 

Il  y  avait  une  fois  un  amiral  qui  fut  rayé  des  cadres 


La  science  étymologique  19 

pour  s'être  montré  trop  sévère  vis-à-vis  de  ses  subor- 
donnés et  pour  avoir  manqué  d'égards  vis-à-vis  de 
son  ministre  :  il  n'appartenait  pas  à  la  marine  fran- 
çaise, et  il  y  a  près  d'un  siècle  et  demi  qu'il  est  mort. 
Son  nom  était  Edward  Vernon  ;  mais  comme  il  por- 
tait ordinairement  des  culottes  faites  d'une  étoffe  que 
les  Anglais  appellent  grogram,  et  familièrement  grog, 
ses  matelots  l'avaient  surnommé  Old  Grog,  le  vieux 
Grog.  Si  j'ajoute  que  parmi  les  «  misères  »  que  le  ter- 
rible amiral  faisait  à  ses  équipages,  figurait  l'obliga- 
tion de  ne  plus  boire  le  rhum  tout  pur,  mais  d'y 
mettre  de  l'eau,  chacun  comprendra  pourquoi  nous 
appelons  grog  une  boisson  bien  connue,  dont  l'usage 
nous  est  venu  récemment  d'Angleterre.  Je  remar- 
querai en  passant  que  le  grogram  de  nos  voisins  n'est 
qu'une  altération  du  français  gros  grain,  qui  désignait 
autrefois  chez  nous  une  espèce  particulière  d'étoffe 
«  à  gros  grain  »  :  d'où  il  suit  qu'en  leur  empruntant 
grog  nous  n'avons  fait  que  reprendre  notre  bien  1. 

On  voit  que  c'est  toute  une  histoire  que  l'étymo- 
logie  de  sandwich  ou  de  grog  et  en  môme  temps  que 
c'est  tout  de  l'histoire.  Mais  ici  nous  touchons  à  un 
point  délicat.  De  même  que  les  guides  font  volontiers 
appel  à  leur  imagination  pour  expliquer  aux  voyageurs 
l'origine  des   monuments  qu'ils  leur  montrent,  cer- 


1.  A  côte  de  grogram,  l'anglais  offre  une  forme  plus  altérée 
encore:  grogoran.  Elle  nous  est  revenue  elle  aussi  et  nous  en 
avons  fait  gourgouran.  Nos  dictionnaires  définissent  gourgouran 
par  «  étoffe  de  soie,  originaire  de  l'Inde  »,  et  ils  déclarent  en 
ignorer  l'étymologie  :  il  est  heureux  qu'ils  n'aient  pas  été  la 
demander  au  sanscrit. 


20  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

tains  étymologistes  n'hésiteraient  pas  à  «  inventer  » 
pour  donner  du  crédit  à  des  étymologies  de  pure  fan- 
taisie. Qu'y  faire  ?  se  tenir  sur  ses  gardes  et  ne  jamais 
accepter  leurs  dires  qu'après  les  avoir  vérifiés  d'après 
les  règles  ordinaires  de  la  critique  historique.  D'ail- 
leurs il  y  a  toujours  profit  à  ne  pas  perdre  de  vue  les 
données  générales  de  l'histoire  quand  il  s'agit  d'éty- 
mologie.  Il  peut  même  arriver  que  l'histoire  nous 
sauve  des  illusions  de  la  phonétique:  j'en  veux  citer  un 
exemple  curieux,  où  le  flair  de  Ménage  a  été  plus 
heureux  que  la  science  de  Diez. 

Un  ancien  terme  militaire  assez  connu  est  chamade. 
Les  bateleurs  de  la  foire  battent  encore  la  chamade  sur 
leur  tambour  pour  rassembler  les  badauds  autour  de 
leurs  tréteaux.  Autrefois  la  chamade  était  le  signal  par 
lequel  une  place  assiégée  demandait  à  parlementer, 
et  Le  Sage  a  fait,  dans  Gil  Blas,  un  emploi  figuré  fort 
galant  de  cette  vieille  expression.  On  la  retrouve  dans 
les  autres  langues  romanes;  l'italien  dhchiamala,  l'espa- 
gnol llamada,  le  portugais  chamada.  Diez,  suivi  par 
Littré,  pense  que  le  français  chamade  vient  du  portu- 
gais chamada,  ce  dernier  se  rattachant  naturellement, 
comme  l'italien  et  l'espagnol,  au  participe  passé  du 
verbe  latin  clamare  «  appeler  ».  La  phonétique  semble 
donner  raison  à  Diez.  Le  portugais  n'est-il  pas  la 
seule  langue  romane  qui  rende  régulièrement  le  son 
latin  cl  en  position  initiale  par  le  son  ch,  prononcé 
comme  le  ch  français  ?  Mais  consultons  l'histoire.  Que 
nous  apprend-elle  ?  Que  notre  mot  chamade  date  du 
seizième  siècle,  car  d'Aubigné  l'emploie  et  Cotgrave  l'en- 
registre dans  son  dictionnaire,  paru  en  1 6 1 1 .  Or,  avons- 


LA  SCIENCE  ÉTYMOLOGIQUE  21 

nous  eu,  au  seizième  siècle,  des  relations  militaires  avec 
le  Portugal  assez  prolongées  pour  rendre  vraisemblable 
un  emprunt  à  la  langue  portugaise  ?  En  aucune  façon. 
Chamade  forme  bloc  avec  tant  d'autres  termes  mili- 
taires qui  nous  sont  venus  d'Italie  à  la  môme  époque, 
et  Ménage  a  raison  de  le  tirer  de  l'italien.  La  pre- 
mière génération  française  qui  a  employé  ce  mot  l'a 
écrit  d'abord  chiamade  et  l'a  prononcé  à  l'italienne  en 
faisant  sonner  chi  comme  le  français  qui;  puis  il  y  a 
eu  une  réaction  de  l'orthographe  sur  la  prononciation, 
et  nous  avons  dit  chamade,  comme  nous  disons 
niche,  nocher,  panache  et  supercherie,  bien  que  ces  quatre 
derniers  mots  aient  un  ch  en  italien:  nicchia,  nocchiere, 
pcnnacchio,  superchieria. 


111 


L'étude  des  sons  ou  phonétique  a  beaucoup  pré- 
occupé nos  premiers  étymologistes.  Du  Bois,  Meu- 
rier,  Nicot,  Ménage  nous  ont  laissé  des  ébauches  de 
traités  sur  la  matière  ;  mais  leurs  travaux  n'ont  plus 
pour  nous  qu'un  intérêt  de  curiosité.  Il  n'en  est  pas 
de  même  de  l'œuvre  de  Diez,  que  l'on  consultera 
toujours  avec  fruit.  Pourtant  il  faut  reconnaître  que 
des  progrès  considérables  ont  été  faits  dans  la  seconde 
moitié  du  dix-neuvième  siècle.  La  phonétique  historique 
a  été  renouvelée  par  l'enseignement  et  par  les  livres 
d'une  élite  de  maîtres  français  et  étrangers,  parmi  les- 
quels Karl  Bartsch,  Gaston  Paris  et  Arsène  Darmeste- 
ter —  pour  ne  parler  que  des  morts  —  ont  droit  à  une 


22  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

place  d'honneur.  La  phonétique  expérimentale,  pous- 
sée à  un  rare  degré  de  précision  par  M.  l'abbé  Rousselot 
et  ses  disciples,  est  venue  nous  faire  toucher  du  doigt, 
pour  ainsi  dire,  les  causes  de  la  plupart  des  phéno- 
mènes dont  l'observation  nous  avait  révélé  depuis 
longtemps  les  effets.  Ce  dernier  ordre  de  recherches, 
il  est  vrai,  ne  nous  intéresse  pas  directement.  Au 
point  de  vue  du  progrès  étymologique,  il  y  a  plus  à 
attendre  de  la  publication  des  anciens  textes,  de  la 
rédaction  de  bons  dictionnaires  patois,  locaux  ou 
provinciaux,  et  de  l'achèvement  du  monumental 
Atlas  linguistique  de  la  France  entrepris  si  vaillam- 
ment par  MM.  Gilliéron  et  Edmont1,  que  de  l'explora- 
tion des  palais,  des  larynx  et  des  fosses  nasales. 

La  phonétique  historique  est  peut-être  l'auxiliaire 
le  plus  précieux  de  l'étymologiste.  Elle  a  un  domaine 
nettement  limité  et  régi  par  des  lois  minutieusement 
élaborées.  Ces  lois  sont  fondées  sur  l'observation  des 
faits;  leur  ensemble  forme  comme  un  filet  dont  la 
science  a  su  tellement  resserrer  les  mailles  qu'aucun 
fait  ne  peut  passer  au  travers.  C'est  en  ce  sens  qu'il 
faut  entendre  le  «  principe  »  autour  duquel  il  s'est 
fait  beaucoup  de  bruit  dans  ces  dernières  années  ;  les 
lois  phonétiques  sont  sans  exceptions.  Il  n'y  a  pas 
d'exceptions,  parce  que  tous  les  faits  particuliers  ont 
leur  place  marquée  d'avance  dans  une  loi  phonétique 
bien  faite.  Si  l'on  vient  à  découvrir  un  fait  nouveau 
en   contradiction  avec  la  loi,  il  y  a  lieu  à  revision  : 

i.  Paris,  1902,  Champion  ;  les  six  premières  livraisons  ont  déjà 
paru,  soit  près  de  300  cartes. 


LA   SCIENCF.   ÉTYMOLOGIQUE  23 

démaillant  par  ici,  remmaillant  par  là,  nous  réparons 
notre  filet,  c'est-à-dire  que  nous  sacrifions  la  loi  pour 
la  remplacer  par  une  loi  nouvelle.  C'est  ainsi  qu'on 
sauve  les  principes. 

Sans  nous  attarder  plus  longtemps  à  discuter 
l'essence  des  lois  phonétiques,  montrons-en  l'appli- 
cation. L'application  des  lois  phonétiques  produit  juste 
l'effet  contraire  de  l'application  des  rayons  X  :  grâce 
à  ceux-ci,  nous  pouvons  dépouiller  le  corps  humain 
de  son  enveloppe  charnelle  et  le  contempler  dans  la 
nudité  intime  de  sa  charpente  squelettique;  grâce  à 
celles-là,  nous  pouvons  remettre,  pour  ainsi  dire,  de 
la  chair  et  des  muscles  sur  les  vocables  que  l'usage  a 
rongés  jusqu'aux  os  et  les  faire  réapparaître  dans  toute 
l'opulence  et  l'éclat  de  leurs  formes. 

Soit  le  mot  français  malade,  dont  on  demande  l'éty- 
mologie.  Au  seizième  siècle,  on  le  faisait  venir  du  grec 
\j.zLx/.i;  «  mou  »,  en  admettant  le  changement  de  k 
en  d.  La  phonétique  nous  apprend  que  le  passage  de 
k  à  d  est  sans  exemple  et  elle  nous  débarrasse  du 
premier  coup  de  cette  hypothèse,  que  l'on  ne  rendrait 
pas  meilleure  en  faisant  remarquer  que  les  Romains 
avaient  latinisé  [j.xhx/.iq  sous  la  forme  malacus,  fréquem- 
ment employée  par  Plaute.  Au  dix-septième,  Saumaise 
supposa  que  le  latin  populaire  avait  formé  un  adjectif 
malatus  «  qui  a  du  mal  »  sur  le  modèle  de  fortunatus 
«  qui  a  de  la  fortune  »  et  il  tira  le  français  malade  de 
ce  latin  hypothétique  malalits.  Ménage  se  tint  d'abord 
sur  la  réserve  en  faisant  remarquer  que  de  malatus  le 
français  aurait  fait  malé  comme  de  fortunatus  il  a  fait 
fortuné,  mais  il  finit  par  se  convertir  à  l'idée  de  Sau- 


24  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

maise.  Or  un  fait  ignoré  des  étymologistes  antérieurs 
au  dix-neuvième  siècle  nous  oblige  à  rejeter  maialus 
aussi  délibérément  que  malacus  :  en  effet,  dans  le 
célèbre  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Clermont- 
Ferrand  qui  nous  a  conservé  le  poème  de  la  Passion,  du 
dixième  siècle,  notre  mot  est  écrit  malabde,  et  l'étymo- 
logie  doit  rendre  compte  de  la  présence  de  ce  b,  qui  a 
disparu  dans  la  prononciation  des  siècles  postérieurs. 
Diez  a  cru  résoudre  le  problème  en  proposant  le  latin 
maie  aptus  «  mal  disposé  »,  et  Littré,  Scheler  et 
Brachet  se  sont  ralliés  à  sa  manière  de  voir.-  Mais 
cette  hypothèse  se  heurte  à  deux  lois  phonétiques 
solidement  établies  :  dans  le  groupe  latin  pt,  le  p  ne 
s'affaiblit  jamais  en  b  et  le  /  ne  s'affaiblit  jamais  en  d. 
De  même  que  septem  est  devenu  en  ancien  français  set 
(écrit  plus  récemment  sept  par  une  restauration  savante 
de  l'orthographe  latine),  aptus  aurait  donné  at  et  le 
composé  latin  maie  aptus  aurait  abouti  à  malat,  et  non 
à  malabde.  La  véritable  étymologie  n'a  été  trouvée 
qu'en  1874  par  M.  Cornu,  aujourd'hui  professeur  à 
l'université  de  Graz  :  c'est  maie  habitus.  Le  participe 
habitus  est  devenu  successivement  abde,  ade,  comme  le 
substantif  cubitus  est  devenu  cobdc,  code,  coude.  Nous 
sommes  enfin  arrivés  à  la  conquête  de  la  vérité  par 
une  connaissance  de  plus  en  pfus  exacte  des  lois  pho- 
nétiques. 

Mais  le  progrès  n'est  pas  toujours  l'œuvre  du  temps 
et  la  vérité  subit  parfois  des  éclipses  par  suite  de  l'in- 
firmité de  l'esprit  humain.  Dans  son  Traité  du  Franc- 
Alleu,  paru  en  1641,  Caseneuve  avait  rattaché  notre 
verbe  acheter  au  substantif   latin   caput    «  tête,  chef» 


LA   SCIENCE  ÉTYMOLOGIQUE    '  25 

par  l'intermédiaire  d'un  verbe  qui  aurait  été  en  latin 
vulgaire  accapitarc.  Diez  est  d'un  autre  avis  :  pour  lui, 
acheter  représente  un  type  latin  accaptare,  composé  de 
la  préposition  ad  et  du  latin  captare  «  chercher  à 
prendre  ».  La  phonétique  historique  et  comparée 
donne  raison,  il  me  semble,  à  Caseneuve.  L'ancien 
français  dit  ordinairement  achaler,  ce  qui  laisse  la 
question  indécise  ;  mais  le  provençal  emploie  la  forme 
acaptar,  ce  qui  montre  qu'une  voyelle  a  dû  disparaître 
entre  le  p  et  le  /,  comme  dans  reptar  «  accuser  »,  qui 
vient  de  reputare  ;  et  l'ancien  espagnol  acabdar,  où  le 
p  et  le  /  primitifs  n'ont  pu  s'affaiblir  en  b  et  en  d  que 
parce  qu'ils  étaient  originairement  séparés  par  une 
voyelle,  n'est  pas  moins  net  à  affirmer  l'existence  d'un 
type  primordial  accapitare.  Donc  la  question  est 
jugée  :  quand  nous  achetons  quelque  chose,  nous  ne 
voulons  pas,  étymologiquement  parlant,  chercher  à 
le  prendre  (caplaré),  mais  l'ajouter  à  ce  que  nous  avons 
déjà,  à  notre  capital  (caput)  :  c'est  beaucoup  plus 
moral. 

Il  serait  fastidieux  d'accumuler  les  exemples  des 
services  rendus  à  l'étymologie  par  la  phonétique. 
Personne,  d'ailleurs,  ne  songe  sérieusement  à  les 
méconnaître.  Max  Millier  a  écrit,  il  est  vrai  :  «  la 
vraie  étymologie  n'a  rien  à  faire  avec  le  son.  »  Mais  il 
voulait  simplement  nous  mettre  en  garde  contre  ces 
rapprochements  superficiels  qui  ne  reposent  que  sur 
des  apparences  phonétiques.  Perfide  comme  l'onde, 
dit  un  vieil  adage  :  l'onde  sonore  ne  l'est  pas  moins  que 
l'onde  liquide.  N'oublions  pas  le  quatrième  des  points 
fondamentaux  que  le  même  Max  Muller  a  assignés  à 


26  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

la  science  étymologique  :  «  Des  mots  différents  peuvent 
prendre  la  même  forme  dans  la  même  langue.  »  Le 
français  a  subi,  depuis  ses  origines,  une  dégradation 
phonétique  si  violente  que  les  mots  les  plus  divers 
s'y  sont  confondus  dans  le  même  son.  C'est  là  un 
terrible  écueil  pour  l'étymologiste,  et  aussi,  —  à 
quelque  chose  malheur  est  bon,  —  une  mine  inépui- 
sable pour  l'innocent  jeu  de  société  qui  s'appelle  le  jeu 
des  homonymes.  L'orthographe  maintient  par-ci  par-là 
quelques  étais  protecteurs  dans  l'édifice  vermoulu  de 
notre  phonétique  :  mais  bien  souvent  elle  est  impuis- 
sante elle-même.  Considérons  par  exemple  le  groupe 
de  lettres  somme.  Si  nous  laissons  de  côté  la  première 
personne  plurielle  du  présent  de  l'indicatif  du  verbe 
être,  qui  a  toujours  une  s  finale,  il  nous  reste  encore 
trois  substantifs,  de  sens  très  différents,  que  nous 
écrivons  et  que  nous  prononçons  de  la  même  manière. 
L'étymologiste  nous  dira  que  le  substantif  masculin 
somme  vient  du  latin  somnus  ;  que  le  substantif  féminin 
somme,  «  ensemble»,  vient  du  latin  summa ;  enfin 
que  quand  nous  disons  «  une  bête  de  somme  »,  nous 
avons  affaire  à  un  troisième  mot  qui  est  de  la  même 
famille  que  sommier.  En  ce  sens,  somme  signifie  pro- 
prement «  charge,  bât  »  ;  il  remonte,  par  l'intermé- 
diaire du  latin  de  la  décadence  sagma,  au  grec  zx;\).x. 
qui  était  neutre  et  se  déclinait  sây^x,  it;\j.xzzz.  Le 
genre  neutre  ayant  disparu,  le  latin  sagma  a  été  pris 
pour  un  féminin,  comme  beaucoup  de  mots  analogues. 
L'empereur  Sigismond,  prononçant  un  discours  Jatin 
devant  les  Pères  du  concile  de  Constance,  s'écriait  : 
Fidèle,  Patres,  ut  eradicetis  schismam  Hussitarum  !  — 


LA  SCIENCE  ÉTYMOLOGIQUE  27 

«  Pardon,  Sire,  »  interrompit  un  auditeur  peu  respec- 
tueux de  la  majesté  impériale,  «  schisma  est  du  neutre  ». 
—  «  Qui  dit  cela  ?  »  fit  l'empereur  très  mortifié.  — 
«  Un  Français  nommé  Alexandre,  »  répliqua  l'inter- 
rupteur, qui  voulait  parler  d'Alexandre  de  Villedieu, 
grammairien  célèbre,  depuis  plus  d'un  siècle,  dans  l'Uni- 
versité de  Paris.  —  «  Et  qui  est  cet  Alexandre  ?  —  Un 
moine,  Sire.  —  Eh  bien  !  conclut  Sigismond,  je  suis 
empereur  et  je  pense  que  ma  parole  vaut  celle  d'un 
moine.  »  Les  empereurs  d'Allemagne  tranchent  volon- 
tiers du  souverain  dans  les  questions  qui  n'ont  rien  à 
voir  avec  leur  couronne.  Mais  si  le  Père  du  concile  de 
Constance  avait  raison,  Sigismond  n'avait  pas  tout  à 
fait  tort.  Il  était  l'interprète  du  sentiment  instinctif 
qui  avait  depuis  des  siècles  transformé  les  neutres  en 
féminin,  et  la  grande  voix  du  peuple  parlait  par  la 
bouche  de  cet  empereur,  opposant  un  dogme  nouveau 
au  dogme  ancien,  c'est-à-dire  proclamant,  sans  en 
avoir  conscience,  le  principe  de  l'évolution  qui  domine 
l'histoire  de  l'homme. 


IV 


Le  langage  est  essentiellement  le  signe  de  Vidée.  En 
face  de  la  phonétique,  qui  étudie  le  son,  c'est-à-dire  le 
signe,  vient  se  placer  la  sémantique,  qui  étudie  le  sens, 
c'est-à-dire  Vidée.  C'est  à  M.  Michel  Bréal  que  nous 
devons  ce  terme  de  sémantique,  plus  court  et  plus  élé- 
gant que  celui  de  sémasiologie,  qui  a  d'abord  eu  cours 


28  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

en  Allemagne1.  La  sémantique  a  la  même  méthode 
que  la  phonétique  :  elle  s'appuie  sur  l'observation  et 
s'efforce  d'établir  une  classification.  Mais  l'objet  de  son 
étude  est  trop  différent  pour  qu'elle  puisse  se  flatter 
d'arriver  à  des  résultats  aussi  précis.  Si  vous  donnez  à 
un  phonétiste  un  mot  latin  et  si  vous  lui  demandez 
quelle  forme  le  mot  doit  revêtir  en  français,  il  vous  ré- 
pondra avec  autant  de  précision  que  pourra  en  apporter 
un  chimiste  à  vous  prédire  ce  que  deviendra  un  morceau 
de  papier  plongé  dans  un  acide  déterminé.  Ne  posez  pas 
une  question  de  ce  genre  au  sémantiste  ;  vous  le  mettriez 
dans  un  cruel  embarras.  Il  peut  vous  faire  comprendre, 
à  force  de  comparaisons,  comment  un  mot  arrive  à 
prendre  un  sens  fort  éloigné  de  celui  qu'il  avait  à  l'ori- 
gine, il  ne  peut  vous  marquer  d'avance  le  terme  néces- 
saire de  cette  évolution  ;  il  peut  expliquer,  il  ne  peut 
pas  prévoir.  Il  y  a  des  lois  en  phonétique,  et  c'est  pour 
cela  que  la  phonétique  doit  être  considérée  comme 
une  science,  au  sens  rigoureux  du  mot.  Il  n'y  a  pas 
de  lois  en  sémantique,  et  l'on  conçoit  difficilement  qu'il 
puisse  jamais  y  en  avoir.  Mais  si  la  sémantique  n'est 
pas,  à  proprement  parler,  une  science;  c'est  une  spé- 
culation sans  laquelle  la  science  demeurerait  incom- 
plète. Quelques  exemples  suffiront  à  faire  comprendre 
le  genre  de  services  que  l'étymologiste  doit  lui  deman- 
der. 

Nous  appelons  belette  l'animal  que  les  Romains  appe- 
laient mustela  et  que  beaucoup  de  nos  patois,  fidèles  à 

2.  Esgai  de  sémantique  (science  des  significations).  Paris,  Hachette, 
1897. 


LA   SCIENCE  ÉTYMOLOGIQUE  K) 

la  tradition  latine,  appellent  encore  aujourd'hui  mous- 
îèlo,  moutèk  ou  vioutoile.  D'où  vient  ce  nom  de  belette  ? 
On  a  supposé  que  belette  était  un  diminutif  de  notre 
adjectif  beau  et  que  le  nom  de  l'animal  signifiait  éty- 
mologiquement  «  la  petite  belle  ».  C'est  une  hypothèse 
que  suggère  la  phonétique;  mais  pour  que  cette  hypo- 
thèse devienne  une  certitude,  il  faut  que  la  sémantique 
nous  fournisse  des  indications  qui  soient  d'accord  avec 
cette  hypothèse.  Interrogeons-la.  Elle  nous  apprendra 
que  la  belette  s'appelle  poulido,  c'est-à-dire  «  jolie  »,  en 
Rouergue;  bellora,  où  il  est  facile  de  reconnaître  le 
diminutif  latin  bellula,  en  milanais  ;  kjœnne,  c'est-à-dire 
«  belle  »,  en  Danemark  ;  schœntierlein,  c'est-à-dire  «  jolie 
petite  bête  »,  en  Bavière;  coantig,  c'est-à-dire  «  jolie  », 
en  Bretagne,  etc.,  etc.  Grâce  à  la  sémantique,  nous 
avons  ville  gagnée,  et  l'étymologie  du  mot  français 
belette  ne  fait  plus  question  pour  nous. 

Nos  serruriers  appellent  penlure  une  bande  plate  de 
fer  fixée  transversalement  sur  une  fenêtre  ou  sur  une 
porte  et  dont  l'extrémité  est  formée  par  un  œil  ou 
anneau  qui  reçoit  le  mamelon  du  gond.  Littré  est  muet 
sur  l'étymologie  de  penlure  ;  Scheler  le  rattache  au  verbe 
latin  pandere  «  ouvrir  »,  parce  que,  dit-il,  «  la  penture 
sert  à  ouvrir  et  à  fermer  la  porte  ou  la  fenêtre  ».  Si 
nous  remarquons  que  l'anglais  binge,  qui  sert  à  dési- 
gner à  la  fois  le  gond  et  la  penture,  est  tiré  du  verbe 
te  hotlg  «  pendre  »,  nous  aurons  la  véritable  étymolo- 
gie,  et  nous  admettrons  sans  difficulté  que  penture  est 
au  verbe  pendre  dans  le  même  rapport  que  tenture  au 
verbe  tendre. 

D'où  vient    notre  substantif  boucher,   qui   désigne 


3ô  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

l'homme  qui  tue  les  animaux  destinés  à  la  consom 
mation  ou  qui  en  détaille  la  chair  ?  Bouvelles,  Turnèbe, 
Ménage  et  Caseneuve  le  rattachent  à  bouche.  Pour 
Henri  de  Valois,  au  contraire,  le  boucher  était  primi- 
tivement celui  qui  débitait  la  chair  du  bouc.  Tout 
récemment,  à  la  Société  de  linguistique,  un  assaut  a  été 
livré  à  l'étymologie  d'Henri  de  Valois,  aujourd'hui 
généralement  acceptée  :  on  a  cherché  à  en  déloger  le 
bouc  au  profit  de  la  génisse,  en  latin  bucula.  Mais  la 
place  est  inexpugnable,  et,  sans  faire  appel  à  la  pho- 
nétique, qui  ne  consentirait  pas  à  l'ouvrir  à  la  génisse, 
il  suffit  de  la  mettre  sous  la  sauvegarde  de  la  séman- 
tique. Ce  n'est  pas  par  hasard  que  boucher  et  bouc  ont 
un  air  de  famille,  puisque  l'italien,  qui  appelle  le  bouc 
becco,  appelle  le  boucher  beccajo. 

Dans  ces  exemples,  et  dans  beaucoup  d'autres  qu'on 
pourrait  citer,  la  sémantique  nous  apparaît  comme 
l'aide  de  la  phonétique.  Presque  toujours  il  convient 
que  la  phonétique  passe  devant  et  prépare  l'ouvrage 
auquel  la  sémantique  viendra,  pour  ainsi  dire,  donner 
le  dernier  coup  de  pouce.  Pourtant  celle-ci  est  autre 
•  chose  qu'une  finisseuse.  Il  y  a  en  particulier  un  vaste 
domaine  où  le  langage  semble  se  jouer  des  lois  de  la 
phonétique  ;  c'est  celui  de  l'analogie,  qu'on  peut  se 
représenter  comme  une  sorte  de  Cour  des  Miracles. 
C'est  là  qu'on  voit  des  mots  qui  ont  perdu  leur  tète  ou 
leur  queue  s'emparer  sans  vergogne  de  celle  du  voisin 
pour  faire  figure  dans  le  monde  et  se  livrer  à  quantité 
d'autres  tours  de  passe-passe  dont  le  spectacle  est  fait 
pour  déconcerter  notre  raison.  La  sémantique  a  l'œil 
ouvert  sur  eux  et,  mieux  que  la  phonétique,  elle  peut 


LA   SCIENCE  ÉTYMOLOGIQUE  }l 

nous  livrer  le  secret  de  leurs  faits  et  gestes  et  les  déférer 
aux  tribunaux  dont  ils  ressortissent. 

Instruisons  rapidement  trois  affaires  de  ce  genre. 

Les  Allemands  appellent  sauerkraut  un  mets  qui  se 
compose  essentiellement  de  choux  aigris  dans  la  sau- 
mure. Le  mot  est  très  clairement  formé  en  allemand, 
où  haut  veut  dire  «  chou  »  et  sauer  «  aigre  ».  Nous 
avons  emprunté  ce  mets  à  nos  voisins.  A  la  fin  du  dix- 
huitième  siècle  nous  l'appelions  sour croûte,  transcription 
assez  exacte  du  mot  allemand.  Une  loi  phonétique 
connue,  la  loi  de  dissimilation,  nous  explique  que  la 
première  r  soit  vite  tombée  et  que  sourcroute  ait  été  pro- 
noncé soucroute.  Mais  comment  sommes-nous  arrivés 
à  la  forme  aujourd'hui  universellement  employée,  chou- 
croute ?  La  phonétique  n'en  peut  mais.  C'est  Vidée, 
c'est-à-dire  l'esprit,  qui  a  fait  des  siennes:  comme  il  y 
avait  des  choux  dans  le  plat,  on  en  a  mis  ostensible- 
ment dans  le  mot  et  l'on  a  dit  choucroute  au  lieu  de 
soucroute.  Décidément  l'esprit  gâte  tout  en  France. 

Une  peuplade  gauloise,  fixée  sur  les  bords  de  la 
Sarthe,  portait  le  nom  de  Cenomanni;  le  nom  de  la 
peuplade,  employé  à  l'accusatif,  finit  par  s'appliquer  à 
sa  capitale;  la  géographie  historique  nous  apprend  que 
la  plupart  des  noms  de  peuplades  gauloises  ont  fait  la 
même  évolution.  Cenomannos  a  dû  devenir  régulière- 
ment, à  l'époque  où  le  français  s'est  dégagé  du  latin, 
Celmans.  Mais  voilà  qu'on  s'est  avisé  de  l'existence, 
dans  la  langue  commune,  d'un  adjectif  démonstratif 
cel,  qui,  ayant  une  parenté  étymologique  avec  l'article 
défini  le,  pouvait  facilement  en  remplir  le  rôle,  et  bientôt 
on  a  trouvé  «  spirituel  »  de  dire  Le  Mans,  remplaçant 


}2  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

ainsi  par  une  tète  postiche  le  premier  élément  du  nom 
des  Cenomanni,  de  respectable  mémoire. 

Nous  avons  dans  notre  nomenclature  géographique 
une  série  de  mots  composés  comme  Nagent -le-Rotrou 
ou  Villeneuve-la-Guiard.  Ce  sont  de  véritables  joyaux 
linguistiques,  où  se  trouvent  pour  ainsi  dire  incrustés 
deux  des  traits  les  plus  archaïques  de  notre  syntaxe 
médiévale,  l'emploi  de  l'article  avec  la  valeur  d'un 
démonstratif  et  celui  d'un  nom  de  personne  en  fonction 
de  génitif  sans  l'aide  d'aucune  préposition  :  ce  Nogent, 
c'est  celui  de  Roîrou,  cette  Villeneuve,  c'est  celle  de 
Guiard.  Il  y  a,  près  de  Pithiviers,  une  petite  ville  du 
nom  de  Beaune,  dont  le  seigneur  s'appelait  autrefois 
Roland:  c'est  là  que  s'est  livré,  le  28  novembre  1870, 
un  des  rares  combats  de  la  guerre  franco-allemande  où 
la  fortune  ne  nous  ait  pas  tout  à  fait  trahis.  Or  ce 
nom,  nous  n'avons  pas  su  le  conserver  intact  :  nous 
ne  disons  plus,  comme  nos  ancêtres,  Beaune-la-RolanJ, 
mais  Beaune-J a-Rolande,  tombant  naïvement  dans  les 
filets  du  féminisme  et  ravalant  ce  beau  vocable  au  niveau 
de  Brive-la-Gail  larde. 


Je  n'ai  pu  contenir,  en  terminant  ce  rapide  exposé 
des  conditions  dans  lesquelles  s'effectue  aujourd'hui  la 
recherche  scientifique  de  l'étymologie,  un  mouvement 
d'humeur  contre  les  ravages  de  l'analogie.  N'ai-je  pas 
eu  tort  ?  Le  savant  ne  dôit-il  pas  s'incliner  avec  le  même 
respect  devant  toutes  les  manifestations  de  la  vie  du 


La  science  étymologique:  $$ 

langage  ?  Grave  question,  qui  ne  se  peut  traiter  au  pied 
levé,  et  sur  laquelle  l'accord  se  fera  difficilement,  parce 
qu'elle  touche  plus  peut-être  au  sentiment  qu'à  la  rai- 
son. Dans  un  éloquent  article  sur  les  déformations  de 
la  langue  française,  publié  il  y  a  quelques  années  dans 
la  Revue  de  Paris,  M.  Emile  Deschanel  se  plaignait  amè- 
rement de  l'attitude  des  philologues  en  présence  de  la 
corruption  grandissante  de  la  langue.  «  Ils  acceptent 
tout  sans  protester,  disait-il.  Ils  sont  comme  les  natu- 
ralistes aux  yeux  de  qui  les  produits  hybrides  ont  leur 
intérêt  aussi  bien  que  les  formations  régulières.  Ou 
bien,  de  même  que  certaines  plaies,  atroces  pour  le 
patient,  ne  manquent  pas  d'attrait  pour  le  chirurgien, 
certains  cas  de  difformité  linguistique,  monstrueux  aux 
yeux  des  profanes,  n'émeuvent  pas  autrement  ces  savants 
maîtres.  »  Pour  un  peu,  comme  on  le  voit,  l'aimable 
professeur  du  Collège  de  France  nous  accuserait  d'ino- 
culer les  maladies  les  plus  honteuses  au  langage  de  nos 
contemporains,  à  seule  fin  de  pouvoir  faire  des  expé- 
riences in  anima  vili.  J'avoue  que,  pour  ma  part,  je  ne 
saurais  pousser  la  sérénité  scientifique  jusqu'à  un  pareil 
degré.  Bien  que  les  ressorts  de  mon  esprit  se  tendent 
comme  d'eux-mêmes  pour  chercher  à  saisir  les  causes 
multiples  qui  transforment  le  langage,  ce  n'est  pas  sans 
un  certain  sentiment  de  tristesse  que  j'assiste  à  l'évo- 
lution qui  se  poursuit  sous  nos  yeux.  Quelle  que  soit 
la  satisfaction  intellectuelle  que  nous  procure  l'étude 
«  désintéressée  »,  elle  n'empêche  pas  la  mélancolie  de 
nous  envahir  lorsque  nous  sentons  qu'un  peu  de  nous 
meurt  chaque  jour  et  que  ce  qui  vient  le  remplacer, 
même  sorti  de  nous  et  créé  selon  le  goût  de  notre 
Thomas.  II.  —  3 


34  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

fantaisie  momentanée,  ne  nous  rend  pas  le  charme 
intime  et  la  douce  accoutumance  de  ce  que  nous  per- 
dons. L'étymologie  est  une  science,  non  un  art  ;  nul 
ne  le  conteste.  Ce  n'est  pas  à  elle  qu'il  appartient  de 
régenter  la  langue.  Mais  si  l'on  a  le  droit  de  considérer 
la  langue  elle-même  comme  une  œuvre  d'art,  l'éty- 
mologie, qui  nous  fait  connaître  les  conditions  dans 
lesquelles  cette  œuvre  est  née  et  les  efforts  successifs 
au  prix  desquels  elle  s'est  plus  ou  moins  pleinement 
réalisée,  ne  peut-elle  nous  procurer  à  son  tour  de  déli- 
cates sensations  d'art  et  ne  doit-elle  pas  nous  préserver 
instinctivement  des  Qxcbs  de  tout  genre  qui  peuvent 
compromettre  l'harmonie  générale  de  l'œuvre  et  en 
précipiter  la  ruine  ? 


II.    —    NOTES  CRITIQUES    SUR    LA    TOPONYMIE    GAULOISE 
ET    GALLO-ROMAINE. 

Nous  ne  connaissons  directement  qu'un  petit  nombre 
des  noms  de  lieux  usités  dans  notre  pays  avant  l'an  500 
de  notre  ère.  M.  d'Arbois  de  Jubainville  a  montré,  dans 
ses  Recherches  sur  l'origine  de  la  propriété  foncière  en  Gaule1, 
qu'il  était  légitime  de  s'appuyer  sur  des  textes  posté- 
rieurs pour  augmenter  la  somme  de  nos  connaissances 
toponymiques,  à  condition  de  savoir  distinguer  dans  les 
noms  fournis  par  ces  textes  ceux  dont  les  caractères 
intrinsèques  attestent  l'antiquité  et  dont  nous  pouvons 
reconstituer  la  forme  primitive.  Sans  l'induction,  les 

I.  Paris,  Thorin,  1890. 


La  toponymie  gauloise  et  Gallo-romaine  $j 

bornes  de  la  science  seraient  singulièrement  étroites. 
Mais  il  faut  induire  sagement  et  en  tenant  le  plus  grand 
compte  de  la  phonétique  historique  et  de  ses  manifes- 
tations si  variées  selon  la  région  qu'on  étudie.  On  peut 
regretter  que  M.  Holder,  dans  le  monumental  Trésor 
celtique  qu'il  va  bientôt  avoir  la  joie  de  terminer1,  se 
soit  engagé  dans  cette  voie,  où  il  lui  était  difficile 
d'éviter  les  faux  pas  :  nous  attendions  de  lui  des  textes, 
rien  que  des  textes.  Voici  quelques  notes  qui  pourront 
servir  de  jalons  entre  la  toponymie  médiévale  et  celle 
des  anciens2. 

abeillan.  —  Abeillcin,  nom  d'une  commune  de 
l'Hérault,  n'est  pas  mentionné  avant  1059,  où  l'on 
trouve  castrum  deAbelino,  forme  manifestement  fautive 
pour  Abeliano.  Le  b  provençal  postule  un  p  primitif. 
Nous  sommes  donc  reportés  à  un  type  *Apïlianum,  du 
gentilice  Apïlius,  enregistré  par  Holder. 

achun.  —  Nous  ne  connaissons  pas  par  les  textes 
la  forme  du  nom  d' Achun  (Nièvre)  avant  1 130  :  à  cette 
date  on  trouve  Scadunum.  Cette  forme  est  assez  carac- 
téristique pour  être  placée  parmi  les  noms  gaulois 
composés  avec  le  terme  duniim  qui  doivent  figurer 
dans  le  Trésor  du  vieux  celtique.  La  forme  primitive 
peut  être  soit  Scadunum,  soit  Escadunum  (que  l'on 
trouve  en  1287),  soit  plutôt  *1 r scadunum,  qui  semble 
se  rattacher  à  l'article  Isca  de  Holder. 


1.  Ces  notes  ont  paru  en  1899  et  1901  dans  la  Revue  celtique, 
XX,  1-16,  438-444  et  XXII,  216-226. 

2.  Alt-celtischer  Spracbscbati,  publié  chez  l'éditeur  Teubner  de 
Leipzig  ;  le  dernier  fascicule  paru  va  de  Serina  à  Teloiiiiiiiu.  Nous 
citons  ce  recueil  par  le  simple  nom  de  Holder. 


}6  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

adissan.  —  H  y  a  dans  l'Hérault  une  commune 
appelée  Adissan,  dont  le  nom  n'apparaît  qu'en  1323, 
sous  la  forme  Deyssanum,  et  un  hameau  appelé  L'Adisse, 
souvent  écrit  La  Disse r,  qui  figure  dans  le  cartulaire  de 
Gellone,  depuis  le  commencement  du  ixe  siècle,  sous 
la  forme  Adicianum.  Ces  deux  vocables  actuels  ont  ma- 
nifestement la  même  étymologie.  Le  d  médial  remonte 
nécessairement  à  un  t,  ce  qui  nous  reporte  à  un  type 
latin  *Atîcianum  ou  *Atïttianum.  Je  ne  trouve  pas  de 
gentilice  exactement  correspondant  dans  Holder;  mais 
j'y  trouve  Atettius,  Atissias,  Atiita  et  Atitto. 

ajain.  —  Le  nom  &  Ajain,  chef-lieu  d'une  impor- 
tante commune  de  la  Creuse,  ne  pouvait  manquer  d'être 
rapproché  des  noms  de  lieux  gaulois  Agedincum  et 
Aginnum.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'arrêter  au  premier  de 
ces  rapprochements,  qui  ne  repose  sur  rien  de  sérieux; 
mais  le  second  doit  être  discuté.  Une  monnaie  méro- 
vingienne portant  la  légende  agenno  a  été  attribuée  à 
Ajain2.  Je  n'ai  pas  à  examiner  les  raisons  numisma- 
tiques  qui  ont  fait  écarter  l'identification  de  Agenno 
avec  Agen  (Lot-et-Garonne);  mais  je  puis  certifier  que 
l'identification  avec  Ajain  (Creuse)  est  fausse.  Les  textes 
du  moyen  âge  qui  mentionnent  cette  dernière  localité 
l'appellent  Agan,  Ajain,  au  xne  siècle,  Ajan,  Ajagn,  au 


1.  Le  déplacement  de  l'accent  tonique  qui  a  transformé  la  forme 
provençale  Adissa,  accentuée  sur  la  finale,  en  Adisse  est  très  récent  ; 
la  toponymie  méridionale  offre  beaucoup  d'exemples  analogues. 

2.  Cf.  Rev.  de  Numism.,  ann.  1862,  p.  259;  Deloche,  Monnaies 
mèrov.du  Limousin,  p.  80.  M.  Prou  n'hésite  pas  à  attribuer  cette 
pièce  à  Agen,  n°  2176  de  son  catalogue  des  monnaies  mérovin- 
giennes, p.  450. 


LA   TOPONYMIE  GAULOISE  ET  GALLO-ROMAINE  37 

XIIIe,  Ajainh,  Ajaing,  au  xive,  etc.  *.  Il  est  évident  que  le 
type  gallo-romain  doit  renfermer  un  a  tonique;  d'autre 
part,  pour  expliquer  la  terminaison  avec  n  mouillée, 
qui  est  clairement  indiquée  par  quelques-uns  des 
anciens  textes,  il  faut  faire  appel  à  la  désinence  -animii. 
Je  propose  de  foire  remonter  Ajain  à  Acanium,  c'est- 
à-dire  à  un  gentilice  employé  adjectivement  au  mas- 
culin singulier2.  Holder  a  relevé  Acania  dans  une 
inscription  de  Rome  (Corpus,  VI,  2201),  et  Akanhts 
dans  une  inscription  de  Narbonne  {lb.,  XII,   4378). 

J'ai  à  peine  besoin  d'ajouter  que  je  repousse  de  toutes 
mes  forces  l'explication  du  nom  &  Ajain  que  vient 
d'imaginer  M.  l'abbé  S.  Dardy,  auteur  d'un  ouvrage 
récent  sur  cette  localité  3  :  d'après  lui,  «  on  peut  affirmer 
sans  tétnérité  que  le  mot  latin  Joannes,  qui  en  français 
signifie  Jean,  est  la  racine  du  mot  d' Ajain 4  ». 

allassac.  —  Holder  donne  le  gentilice  Alacius  d'après 
une  inscription  trouvée  à  Oderzo,  près  de  Trévise 
(Italie),  et  publiée  dans  le  Corpus,  t.  V,  n°  1983. 
L'existence  de  ce  nom  dans  la  Gaule  proprement  dite 
est  assurée  par  Allassac  (Corrèze),  qui  représente  exac- 
tement Alaciacum. 


1.  J'emprunte  les  exemples  aux  Notes  pour  un  dictionnaire  topogr. 
de  la  Creuse,  p.  p.  l'abbé  Leclerc  dans  V Annuaire  de  la  Creuse 
de  1885:  Je  dois  dire  que  l'auteur  cite  parrochia  de  Ajen  en  1201, 
sans  référence  :  cette  graphie  est  tellement  isolée  que  je  la  consi- 
dère comme  suspecte. 

2.  Cf.  d'Arbois  de  Jubainville,  Rech.  sur  l'orig.  de  la  propr. 
Jonc,  p.  347. 

3.  Ajain  (Creuse).  Paroisse  et  séminaire,  de  l'an  1000  à 
l'an  1900.  Limoges,  Ducourtieux,  1902,  in-8°  de  xi-382  pages. 

4.  hoc.  laud.,  p.  7. 


38  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

amboise,  ambazac.  —  M.  d'Arbois  de  Jubainville 
considère  Amboise  comme  représentant  un  type  Am- 
bactia,  cognomen  féminin  employé  adjectivement, 
dérivé  du  gaulois  ambactos  «  vassal,  domestique,  ser- 
viteur1 ».  A  cela,  Gaston  Paris  objecte  que  Amboise, 
forme  relativement  récente  pour  Ambaise,  ne  peut 
remonter  qu\à  Ambatia  ou  Ambasia,  bien  que  «  les 
plus  anciens  documents  donnent  Ambacia  »  ;  il  pense 
en  outre  qu'il  est  difficile  de  regarder  Ambacia  comme 
une  altération  d'Ambactia,  car  «  la  brièveté  attribuée 
par  Fortunat  au  second  a  d'Ambaciensis  s'expliquerait 
bien  difficilement  dans  ce  cas  2  ». 

L'opinion  de  Gaston  Paris  est  inattaquable  au  point 
de  vue  phonétique,  et  des  faits  qui  lui  avaient  échappé 
confirment  absolument  sa  théorie.  J'emprunte  à  HoL 
der  les  citations  suivantes:  «  Sulp.  Sever.  dial.  2  (3), 
8,  4:  In  vico  Ambatiensi.  Paulin.  Pétrie,  v.  Mari.  5, 
553:  Ambâtïae  nomen  priscum  prior  incola  dixit.  555  : 
Ambâtïas  ad  vicum  properat  deducere  turmas.  »  La 
forme  Ambatia,  qui  se  trouve  dans  Sulpice  Sévère  (fin 
du  quatrième  siècle)  et  '  dans  Paulin  de  Périgueux 
(cinquième  siècle),  est  la  plus  ancienne,  car  Ambacia 
n'apparaît  qu'à  la  fin  du  sixième  siècle,  dans  Fortunat 
et  dans  Grégoire  de  Tours  ;  de  plus,  elle  rend  compte 
de  la  forme  française  Amboise.  Il  ne  faut  pas  hésiter 
à  accepter  Ambatia  comme  le  seul  type  légitime  de 
ce  nom  de  lieu  et  à  repousser  Ambactia,  forme  ima- 
ginaire, et  Ambacia,  forme  de  mauvais  aloi. 


1.  Rech.  sur  l'orig.  de  ta  propr.  foncière,  p.  443. 

2.  Romania,  XIX,  475. 


LA   TOPONYMIE  GAULOISE   ET  GALLO-ROMAINE  39 

Du  nom  de  la  petite  ville  d'Amboise,  M.  d'Arbois  de 
Jubainville  a  rapproché  celui  du  bourg  d'Amba^ac  dans 
la  Haute-Vienne  qui,  pour  lui,  est  un  ancien  *Ambac- 
tiacum.  La  phonétique  limousine  nous  apprend  que  le 
nom  vulgaire  Amba^ac,  que  nous  trouvons  tel  quel  dès 
le  xne  siècle1,  ne  peut  avoir  pour  type  ni  *Ambactia- 
cum,  qui  aurait  donné  *Ambaissac,  comme  factionetn  a 
donné  faisso,  ni  Ambaciacum  (forme  qui  se  trouve  sur 
une  monnaie  mérovingienne),  qui  aurait  donné  *Am- 
bassac,  comme glaciare  a  donné  gJassar,  ni  *Ambasiacum, 
qui  aurait  donné  *Ambaisac,  comme  basiare  a  donné 
haisar,  mais  seulement  et  exclusivement  * Ambatiaciim . 

Si  maintenant,  sortant  du  domaine  des  faits  positi- 
vement acquis,  nous  cherchons  dans  l'induction  une 
satisfaction  à  notre  désir  de  savoir,  nous  pouvons 
admettre  que  Ambatia  et  Ambaliacum  remontent  à  un 
gentilice  *Ambatius,  non  attesté,  mais  appuyé  par  le 
cognomen  Ambatus  dont  Holder  cite  beaucoup  d'exem- 
ples, tous  de  provenance  hispanique. 

Lorsque  cette  note  sur  Amboisett  Amba^ac  parut  dans 
la  Revue  celtique  (XX,  1-2),  la  Rédaction  crut  devoir  la 
faire  suivre  d'une  apostille  ainsi  conçue:  «  Ambatus  et 
Ambactus  sont  deux  notations  du  même  mot  celtique 
*Ambachtos  ou  *Ambaxtos  (x  pour  7  grec)  ;  elles  sont 
dues  à  des  populations  qui  ne  pouvaient  prononcer  le 
ch  ou  •/  celtique  et  qui  ou  le  supprimaient  ou  le  rem- 
plaçaient par  une  autre  lettre.  »  Je  ne  puis  me  ranger  à 
cette  manière  de  voir;  c'est  en  quelque  sorte  le  contre- 

1.  Leroux,  Molinier  et  Thomas,  Doc.  hist.  concernant  la  Marche 
et  le  Limousin,  II,  p.  4. 


40  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

pied  de  la  méthode  dont  je  m'inspire  dans  toutes  ces 
notices.  Quelles  seraient  donc  ces  populations  qui 
auraient  ainsi  supprimé  le  c  ou  ch  celtique  dans  ambac- 
tos  ?  Mystère.  En  fait,  le  gaulois  ambactos  a  été  incor- 
poré de  bonne  heure  dans  le  latin  vulgaire  de  la  Gaule, 
qui  en  a  tiré  le  verbe  ambactiare,  d'où  l'ancien  français 
ambacieret  ses  dérivés  (aujourd'hui  ambassade,  etc.,  par 
emprunt  aux  langues  méridionales)  ;  nous  constatons 
que  le  c  celtique  y  est  traité  absolument  comme  le  c 
latin  dans  factionem.  Donc,  il  ne  faut  pas  confondre  la 
désinence  çYAmbatus  (d'où  Amboise,  Amba^ac)  avec 
celle  à'ambactos  (d'où  ambassade).  Dire  que  Ambatus 
et  Ambactus  sont  deux  notations  du  même  mot  celtique 
me  paraît  aussi  erroné  que  de  voir  dans  fatus  et  foetus 
deux  notations  du  même  mot  latin. 

arcissas.  —  Arcisse  est  le  nom  d'une  commune  de 
l'Isère  et  d'un  hameau  de  l'Orne,  commune  de  Corbon. 
Il  y  a  dans  l'Eure-et-Loir  un  hameau  dit  Arcisses, 
commune  de  Brunelles.  Un  hameau  de  la  Creuse, 
commune  de  Bosmoreau,  s'appelle  Arcissas  et  cette 
forme  figure  dans  le  cartulaire  de  l'abbaye  du  Palais 
dès  le  xiie  siècle1.  On  a  identifié  Arcisse  de  l'Orne 
avec  la  villa  dite  Arsicius  dans  le  polyptique  de  l'abbé 
Irminon2.  La  constance  de  l'orthographe  du  cartulaire 
du  Palais  me  fait  croire  que  la  forme  primitive  de 
Arcissas  est  *  Arcicias  et  qu'il  a  existé  un  gentilice 
Arcïcius  à  côté  de  Arsicius. 

i.  Bibl.  nat.,  nouv.  acq.  lat.  225,  fol.  15  et  suiv.  Aujourd'hui 
l'orthographe  flotte  entre  Arcissas  et  Arcissat  ;  la  carte  du  Minis- 
tère de  l'Intérieur  porte  Archissas,  forme  fautive. 

2.  XII,  45,  éd.  Longnon,  p.  172. 


LA  TOPONYMIE  GAULOISE  ET  GALLO-ROMAINE  41 

arlempde,  arlende.  —  Arlempdes,  comme  écrit  le 
Dictionnaire  des  Postes,  ou  mieux,  comme  on  le  trouve 
dans  les  anciens  auteurs,  Arlempde,  est  une  commune 
de  la  Haute-Loire,  et  Arlende  (le  Dictionnaire  des  Postes 
écrit  à  la  française  Arlinde)  un  hameau  de  la  commune 
d'Allègre  dans  le  Gard.  Nous  avons  manifestement 
là  un  doublet,  dont  la  terminaison  en  e  (et  non  en  a 
ou  0  féminin1)  nous  reporte  à  un  type  primitif  qui 
devait  être  proparoxton,  comme  Mirnate  (d'où  Mendè). 
Une  inscription  trouvée  à  Jonquières  (Gard)  men- 
tionne les  Ameinetici,  c'est-à-dire  les  habitants  d'un 
lieu  dit  *  Arnenielum,  mot  dont  le  caractère  et  les  élé- 
ments gaulois  sont  bien  clairs2.  La  forme  romane 
primitive  prise  par  *  Arnenietum  doit  être  nécessaire- 
ment *  Amande.  Elle  se  trouve  effectivement,  appliquée 
à  une  locaHté  de  l'Hérault  voisine  d'Aniane  où  il  y  a 
eu  de  bonne  heure  une  chapelle  de  la  Vierge:  S.  Maria 
de  Amanpdis  (1146),  S.  Maria  de  Amendes  (1154), 
mais  là  elle  n'a  pas  vécu  jusqu'à  nos  jours  3.  Je  n'hé- 
site pas  à  reconnaître  dans  Y  Arlempde  de  la  Haute-Loire 
et  Y  Arlende  du  Gard  des  représentants  du  gaulois 
*  Arnemetum.  La  dissimilation  de  rn-m  (devenu  rn-n) 
en  rl-n  rentre  dans  la  loi  6  de  M.  Grammont  •*.  Cet 
auteur   déclare  que  la  loi  en    question  est  fort  peu 


1.  Pour  le  Gard  j'ai  le  témoignage  de  Mistral;  pour  la  Haute- 
Loire,  je  citerai  des  textes  de  121 5  et  1248  qui  écrivent  Arlemde 
(Chassaing,  Cari,  des  Templiers  du  Puv,  nos  15  et  27). 

2.  C.  I.  L.,  XII,  2820,  dans  Holder. 

3.  D'après  Eug.  Thomas,  Dict.  top.  de  l'Hérault,  cette  localité 
s'appelle  aujourd'hui  Saiiile-Marie  d' Ame-Vieille. 

4.  La  dissimilation  consonanlique,  p.  36. 


4?  GÉNÉRALITÉS  ET   MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

représentée,  et  il  ne  connaît  guère  que  Saint-Soriin, 
pour  Saint-Somin.  On  peut  mentionner  les  cas  sui- 
vants dans  la  nomenclature'géographique  :  Borlboiicle, 
qui  se  trouve  en  1337  pour  Boumonch  (Haute-Loire) J  ; 
Châieau-Chalon  (Jura),  de  Castellum  Carnonis;  Car- 
lencas  (Hérault),  autrefois  Carnencas  ;  Doit  liens,  pour 
Dourlens,  de  Dornincum2  ;  Eperlon,  forme  fréquente  au 
moyen  âge  de  Epernon  (Eure-et-Loir)  ;  Lorlanges  (Haute- 
Loire),  appelé  Lu^ernanjas  en  1267  3  ;  Pluberlin  (Mor- 
bihan), pour  Pluhemin,  au  ixe  siècle  Plebs  Hoiernin*. 

autoire,  le  toy.  —  Autoire  est  une  commune  du 
Lot  ;  Le  Toy  est  une  commune  de  la  Corrèze  limi- 
trophe de  la  commune  de  Viam  et  appelée  officielle- 
ment Le  Toy-Viam.  Au  point  de  vue  historique,  il  est 
certain  que  Le  Toy,  dit  Le  Thoueyre  en  1598,  est 
identique  à  Altoire,  église  donnée  à  l'abbaye  de 
Tulle  en  1085  par  un  vicomte  d'Aubusson  s  :  par 
conséquent,  au  point  de  vue  linguistique,  Autoire  et 
Le  Toy  forment  un  doublet.  Or  l'ancienne  forme 
romane  Altoire  ne  peut  remonter  qu'à  un  type  gaulois 
ou  gallo-roman  *  Altoàurum,  qui  manque  dans  Holder 
mais  qu'on  peut  y  inscrire  en  toute  confiance. 

auzances.  —  Alliances  est  le   nom  officiel  d'une 

1.  Chassaing,  Spicil.  Brivat.,  p.  322. 

2.  Cf.  ci-dessous  l'art.  Doullens. 

3.  Chassaing,  Spic.  Brivat.,  p.  119. 

4.  Cf.  Revue  Celtique,  XI,  144. 

5.  Voy.  Champeval,  Le  Bas-Limousin  seigneurial  et  religieux, 
p.  319.  L'auteur  explique  Altoire,  en  le  décomposant  en  Al  Toire, 
par  «  fontaine  ».  Je  ne  sais  pas  pourquoi  il  attribue  à  toire  le 
sens  de  «  fontaine  »,  à  moins  qu'il  n'y  voie  le  prov.  mod.  touire 
«  conduite  d'eau  ». 


LA  TOPONYMIE  GAULOISE   ET  GALLO-ROMAINE  45 

petite  ville  de  la  Creuse  qui  devrait  s'écrire  Ausancc, 
comme  en  témoignent  les  textes.  Le  plus  ancien 
exemple  connu  de  ce  mot  (1195)  se  présente  sous  la 
forme  Alsancia  ï  ;  mais  Y  s  ayant  un  son  doux  (noté 
aujourd'hui  par  ^),  il  est  matériellement  certain 
qu'une  voyelle  a  disparu  entre  /  et  s.  Le  type  primitif 
est  sûrement  *  Alcsantia  ou  *  Alisantia,  dont  le  thème 
et  la  désinence  portent  également  la  marque  gauloise. 
Le  même  nom  nous  est  offert  par  une  rivière  du  Poi- 
tou, Y  Alliance,  mentionnée  en  929  (fluvius  Alsancia), 
et  par  un  village  qu'elle  arrose,  Au^ance,  commune  de 
Aligné  (Vienne).  Il  y  a  dans  l'Aveyron  une  com- 
mune dite  Alrancc,  arrosée  par  une  rivière  épo- 
nyme,  affluent  du  Tarn  (rive  droite)  :  l'ancienne 
forme  Alsan^ca,  qui  figure,  appliquée  à  la  rivière,  dans 
le  cartulaire.de  Conques  (p.  16),  nous  ramène  tou- 
jours au  même  type.  Il  est  probable  que  le  ruisseau, 
affluent  du  Cher,  qui  arrose  Auzances  (Creuse)  et 
qu'on  appelle  aujourd'hui  le  ruisseau  de  l'Étang- 
Neuf,  portait  autrefois  ce  nom  de  *  Alcsantia  ou  "'Ali- 
santia, et  que  la  ville  le  lui  a  emprunté2. 

balledent.  —  Holder  enregistre  les  noms  de  lieux 
Balaicdo,  Balatonium  et  Balatonna.  Or,  il  y  a  dans  le 
département  de  la  Haute-Vienne  une  commune  qui 
s'appelle  Balledent  ;  son  nom  ancien  ne  nous  est  connu 


1.  Tardicu  et  Boyer,  Hist.  d'Alliances  et  de  Crocq,  p.  24.  Les 
auteurs  se  demandent  si  Alliances  doit  être  décomposé  en  aux 
Anses,  ou  s'il  vient  du  nom  d'un  capitaine  romain,  Auxentius. 

2.  Le  Rance,  affluent  du  Tarn  (rive  gauche),  est  appelé  aussi 
Alsanza  dans  le  cartulaire  de  Silvanès,  f°  171  (communiqué  par 
M-  Ch.  Poinssot). 


44  GÉNÉRALITÉS   ET   MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

que  par  des  documents  du  douzième  siècle  qui  l'écri- 
vent Balaâen1,  Balladen'1  ou  Baladent  3.  Personne 
n'aura  l'idée  que  Baladen  puisse  être  un  composé 
roman  de  balar  (danser)  et  de  den  ou  dent  (dent) 
comme  Bramajam,  Cantagrel,  etc.  Il  est  probable  que 
le  type  primitif  est  * Balatenno,  avec  la  désinence  que 
nous  retrouvons  dans  Serotenno,  aujourd'hui  Sardent 
(Creuse).  L'affaiblissement  de  /  médial  en  à  est  nor- 
mal dans  la  région  de  la  Haute-Vienne;  de  part  et 
d'autre  on  remarque  que  la  graphie  a  subi  l'influence 
analogique  du  nom  commun  dent  qui  n'a  certaine- 
ment rien   à  voir  avec  l'étymologie. 

bazelat.  —  Une  commune  de  la  Creuse,  qui  porte 
aujourd'hui  le  nom  de  Ba%e]at,  est  appelée  Bala~ac 
dans  un  texte  de  1257  conservé  en  original  aux 
Archives  départementales  de  la  Creuse*.  Bazelat  est 
sorti  par  métathèse  de  *  Bale^at,  forme  légèrement 
francisée  qui  correspond  à  l'ancien  vocable  Bala^ac. 
Cet  ancien  vocable  se  retrouve  dans  le  nom  d'une 
commune  du  département  d'Ille-et-Vilaine,  Bala~c, 
près  de  Vitré.  Le  type  commun  doit  être  *  Balatianini, 
dérivé  d'un  gentilice  *  Balatiits'>.  Ce  gentilice  n'a  rien 
en  soi  d'invraisemblable  :  on  trouve  Balatulla,  nom 
de  femme,   à  côté  de   Belatulla,    plus    fréquent.   De 

1.  Cartulaire  d'Aureil,  charte  n°  127. 

2.  Ibid.,  charte  n°  320;  Leroux,  Molinier  et  Thomas,  Doc. 
hist.  concernant  la  Marche  et  le  Limousin,  I,  137. 

3.  Cartulaire  d'Aureil,  charte  n°  124. 

4.  Sous  la  cote  H  258. 

5.  Le  nom  de  lieu  Baladitiago,  qui  figure  dans  la  charte  4  du 
cartulaire  de  Conques  et  que  l'éditeur  identifie  au  hasard  avec 
Barriac,  paraît  avoir  un  thème  différent,  soit* Baladit'ms. 


LA   TOPONYMIE  GAULOISE  ET  GALLO-ROMAINE  45 

même  que  Cintiillus  et  Cintius  coexistent,  il  est 
naturel  que  *  Balatius  ait  existé  à  côté  de  BaJatiilla. 

bexassay.  —  Le  nom  de  Benassay,  dans  la  Vienne, 
apparaît  dans  les  textes  en  889  sous  la  forme  Bena- 
ciacum.  Donc,  il  serait  imprudent  de  le  confondre 
avec  le  type  Bannaciacum,  qui  figure  sur  des  monnaies 
mérovingiennes  du  septième  siècle  et  qui  se  retrouve 
aujourd'hui  dans  Banassac  (Lozère  et  Creuse),  dans 
Banassat  (Creuse,  nom  de  deux  hameaux)  et  proba- 
blement ailleurs.  Un  a  entravé  ne  se  change  pas  ainsi 
en  e  au  neuvième  siècle.  Il  me  paraît  donc  légitime 
de  supposer  un  gentilice  gaulois  *  Bcnacius,  qui  fait 
songer  au  fameux  lac  Benacus  de  la  Cisalpine. 

billanges  (les).  —  Les  Billanges  est  le  nom  d'une 
commune  de  la  Haute-Vienne.  Dans  ce  mot  les  deux  / 
sont  une  superfétation  ;  on  prononce  sans  mouille- 
ment,  et  les  anciens  dictionnaires  géographiques,  par 
exemple  celui  de  Masselin  (1827),  écrivent  Les 
Bilanges.  L'article  les  s'est  introduit  dans  ce  nom, 
comme  dans  Ix  Blanc,  Le  Mans,  etc.,  par  étymologie 
populaire  :  la  forme  ancienne  est  Aubilanges,  au  com- 
mencement du  treizième  siècle  Albilanges1.  Le  type 
gallo-romain  est  probablement  *  Albillanicos,  formé  du 
cognomen  Albillus,  par  addition  du  suffixe  composé 
-anicus  (-anus  -f-  -icus)  2 .  M.  d'Arbois  de  Jubainville  a 

1.  Un  moine  de  Saint-Martial  nommé  A .  d' Albilanges  figure 
dans  une  liste  dressée  par  Bernard  hier  (Cbron.  de  Saint-Martial, 
p.  p.  Duplès-Agier,  p.  283). 

2.  On  pourrait  songer  aussi  à  *Albinanicos,  du  cognomen  Albi- 
nus,  d'où  Albilanges  serait  sorti  par  dissimilation;  mais  c'est 
moins  probable.  En  tout  cas  la  désinence  romane,  confirmée  par 


46  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

cité  une  série  d'exemples  de  formation  analogue,  mais 
offrant  tous  des  désinences  en  -ianiciis,  -ianicas  :  il  les 
considère  comme  dérivés  de  cognomina  en  -anus, 
dérivés  eux-mêmes  de  gentilices  en  -tus1.  Dans  *  Albil- 
lanicos  il  ne  peut  être  question  de  gentilice  en  -tus,  pas 
plus  que  dans  Gordanicos  (cognomen  Gordus),  d'où 
Goudargues  (Gard).  Je  remarque  d'ailleurs  que  Sauxil- 
langes  (Puy-de-Dôme)  n'a  pas  plus  d7  mouillée  que 
Les  Billanges  et  se  rattache  au  cognomen  Celsinus, 
et  non  au  gentilice  *  Celsinius,  comme  le  croit  M.  d'Ar- 
bois  de  Jubainville. 

blaudeix.  —  Holder  a  relevé  chez  Strabon  et 
chez  Etienne  de  Byzance  le  nom  d'une  ville  de  Phrygie 
dite  BXa05o;.  Le  caractère  gaulois  de  ce  nom  me  paraît 
confirmé  par  l'existence,  dans  le  département  de  la 
Creuse,  d'un  chef-lieu  de  commune  appelé  Blaudeix, 
autrefois  siège  d'une  commanderie  de  l'ordre  du 
Temple.  Pour  rendre  raison  du  nom  de  Blaudeix, 
écrit  Blaudeis  en  1282  2,  je  ne  vois  guère  d'autre  type 
possible  que  *  Blaudiscum  >.  Presque  tous  les  noms  de  la 
Creuse  qui  se  terminent  aujourd'hui  en  -eix  reposent 
sur  des  types  gallo-romains  munis  du  surfixe  -iscus. 
Par  exemple,  Le  Jourdaneix,  hameau  d'Arrènes, 
est  appelé  au  douzième  siècle  Jordaniscum  dans  les 

la  forme  actuelle  du  patois,  montre  qu'il  faut  partir  de  -anicos,  et 
non  de  -anicas. 

1.  Recherches,  p.  569  et  s. 

2.  Arch.  dép.  de  la  Haute-Vienne,  fonds  de  l'évêché,  car- 
tulaire  O  Domina,  f°  70  v°. 

3.  La  forme  romane  la  plus  ancienne  a  dû  être  * Blaudesc  ;  il 
n'est  pas  impossible  qu'elle  se  soit  réduite  à  Blaudeis  dès  la  fin  du 
treizième  siècle. 


LA  TOPONYMIE  GAULOISE  ET  GALLO-ROMAINE  47 

textes  latins  et  Jordanesc  dans  les  textes  romans  '.  Mais 
Blaudos  est-il  un  nom  d'homme  comme  Jordanes,  ou 
faut-il  attribuer  ici  au  suffixe  -iscus  la  même  valeur  que 
dans  Angcriscus  (Indivis),  qui  sera  étudié  plus  loin  ? 

chadreugnat.  —  Chadrcugnat  est  le  nom  officiel 
d'un  hameau  de  Lafat  (Creuse),  écrit  quelquefois  Cha- 
drugnat.  Jadis  on  écrivait  Chadonrgnal2,  pour  Cha- 
dourgnac,  forme  actuelle  du  nom  d'un  hameau  de 
Thiviers  (Dordogne),  représentant  normal  d'un  type 
gallo-romain  Caturniacum  :  on  sait  qu'il  y  avait  un 
vicus  Calurniacus  au  territoire  de  Veleia  dans  la  Gaule 
Cisalpine.  Ce  Calurniacus  suppose  un  gentiliee 
*Caturnius,  d'après  un  cognomen  *Caturnus.  Le  fémi- 
nin *Calurna  est  représenté  par  Chadourne,  communes 
de  Rilhac-Treignac  (Corrèze)  et  de  Lunas  (Dor- 
dorgne),  etc.,  et  par  Cadourne  (Gironde) î;  il  est  pos- 
sible que  le  masculin  *Calurnus  doive  être  reconnu 
dans  Cadour  (Aveyron)  et  Cadours  (Haute-Garonne). 

chambezon.  —  Chambe^pn  est  le  nom  d'une  commune 
de  la  Haute-Loire,  canton  de  Blesle,  arrondissement 
de  Brioude.  La  forme  la  plus  ancienne  de  ce  nom  est 
Chambedon,  qui  figure  au  douzième  siècle  dans  le  car- 
tulairc  de  Sauxillanges4.  Les  textes  postérieurs  donnent 
Cbambe^on  et  Chambexp,  avec  chute  de  Yn  finale.  Le  type 
peut  être  *Cambidonum,  *Cambedoniini,  *Cambidonem  ou 
*Cambedonem  5  ;  mais   la  saine  phonétique  interdit  d'y 

i.  Cartulaire  de  Bénévent,  Bibl.  nattât.  171 16,  fol.  95. 

2.  Répartition  de  la  taille  pour  1727  (Arch.  Creuse,  C  23). 

3.  Cf.  Revue  Celtique,  XX,  94. 

4.  Cf.  Romania,  VI,  263. 

5.  Cf.  la  forme  Cervedone  (à  l'ablatif)  employé  par  FortutKt 
;our  Cervon  (Nièvre). 


4S  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

voir  soit  Cambodunum,  soit  Cambidonnum.  Le  même 
nom  paraît  se  retrouver  dans  Chambéon  (Loire),  qui 
figure  plusieurs  fois  dans  le  cartulaire  de  Savigny  sous 
la  forme  adjective  Cambeldonensis ,  Cambedonensis. 

chambonchard.  —  Chambonchcird  est  le  nom  d'une 
commune  du  canton  d'Évaux  (Creuse),  située  sur  le 
Cher1.  Adémar  de  Chabannes  mentionne  le  château 
de  Chambonchard,  castellum  Camboncarem2.  Il  est  évi- 
dent que  c'est  un  mot  composé,  dont  le  dernier  élé- 
ment est  le  nom  de  la  rivière  du  Cher  sous  sa  forme 
indigène  Char,  conforme  à  l'appellation  gauloise  Caris  3 . 
Le  premier  élément  est  Cambon,  et  non  Cambo,  comme 
le  dit  Holder,  qui  a  un  article  Cambo-caris,  et  qui 
imprime  Chambouchard ,  au  lieu  de  Chambonchard.  Il 
ne  m'appartient  pas  de  décider  si  cambon  peut  être  un 
substantif  et  si  Camboncaris  peut  signifier  en  gaulois 
«  courbure  du  Cher  »  ;  toujours  est-il  qu'aux  environs 
de  Chambonchard  le  Cher  forme  effectivement  un 
coude  assez  prononcé  du  Sud-Est  au  Nord-Ouest. 

chantrezac,  chantrigné.  —  Chantre^ac,  nom  d'une 
commune  du  département  de  la  Charente,  figure  dans 

i.  On  trouve  la  forme  francisée  Chantboncher  dans  une  assiette 
d'impôts  de  1357  (Leroux,  Molinier  et  Thomas,  Doc.  hist.  concer- 
nant la  Marche  et  le  Limousin,  II,  31). 

2.  M.  Chavanon,  p.  150,  imprime  Canboncasem  d'après  le  ms. 
latin  5927,  mais  c'est  une  mauvaise  leçon.  Le  ms.  5926  porte 
correctement  Canboncarem.  Une  faute  typographique  a  trans- 
formé le  mot  en  Cambonéarem  dans  la  Chronique  de  Bernard  Itier, 
telle  que  Ta  publiée  Duplès-Agier,  p.  41. 

3.  Cette  rivière  prend  sa  source  dans  la  commune  de  Chard 
(Creuse)  et,  dans  les  premières  communes  qu'elle  arrose,  elle  s'ap- 
pelle le  Char.  Naturellement,  le  d  de  Chard  est  une  fantaisie  caco- 
graphique  moderne. 


La  Toponymie  Gauloise  et  gallo-romaine  49 

la  chronique  d'Adémar  de  Chabannes  sous  la  forme 
adjective  Cantreciacensis  eccksia  l.  Holder  enregistre 
*Cantriciacum  et  voit  là  une  contraction  pour  *Canta- 
riciacum  ou  *Cantericiacum,  dérivé  d'un  gentilice  *Can- 
kr ictus.  Ces  hypothèses  manquent  de  base  phonétique. 
La  forme  vulgaire  Chantre^ac,  avec  son  %  représentant 
s  sonore,  prouve  que  la  graphie  Cantreciacum  est  pour 
*Canlreliacum.  Il  faut  admettre  un  gem'ûïœ  *Cantretius, 
dérivé  de  Cantrius.  Ce  dernier  nous  est  conservé  par 
mainte  inscription  ;  quoique  aucune  n'appartienne  à  la 
Gaule,  M.  Holder  enregistre  Cantrius  et  Cantrus;  il 
doit  avoir  de  bonnes  raisons  pour  cela.  Un  autre  dérivé 
de  Cantrius  doit  être  *Cantrinius,  d'où  le  nom  de  lieu 
*Cantriniacum,  représenté  aujourd'hui  par  Chantrigné, 
commune  de  la  Mayenne. 

chassendei  —  Dans  la  commune  d'Ours-Mons 
(Haute-Loire)  existe  un  terroir  du  nom  de  Chassende. 
Il  est  mentionné  dans  une  charte  de  1254,  ou  Chassaing 
l'a  lu  Chasseinde2  :  j'étais  porté  à  priori  à  rectifier  la 
lecture  en  Chassemdei,  lorsque  ce  qui  n'était  qu'une 
hypothèse  est  devenu  une  certitude  pour  moi.  En  effet, 
je  m'avise  que  dans  une  charte  de  1294,  publiée  par  le 
même  éditeur,  on  lit  Cbassempdc^;  Chassaing  n'iden- 
tifie pas,  mais  il  est  hors  de  doute  qu'il  s'agit  du  même 
terroir.  La  forme  primitive  doit  être  *Cassimate  ou 


1.  J.  Lair,  Eludes  critiques,  II,  143. 

2.  Cari,  des  Templiers  du  Puy  (1882),  charte  n°  29. 

3.  Une  faute  de  lecture  analogue  se  trouve  dans  la  charte   i< 
où  le  mot  provençal  esems  (ensemble)  est  transformé  en  esenis, 

4.  Cari,  des  Hospitaliers  du  Vtlay  (1888),  ch.  n°  59. 

Thomas.  II.  —  4 


$0  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

*Cassemate,  analogue  à  Mimate,  Mende,  Brivate, 
Brioude,  etc.,  avec  l'accent  sur  l'antépénultième. 

cordes.  —  Il  ne  s'agit  ici  ni  de  Cordes  (Tarn),  ni 
de  CW«-Tolosane  (Tarn-et-Garonne),  dont  le  nom 
est  emprunté  à  Cordoue  d'Espagne,  mais  d'un  hameau 
de  la  commune  de  Bains  (Haute-Loire).  Dans  des 
chartes  du  commencement  du  xme  siècle  le  nom  de 
ce  hameau  oscille  entre  Cornde,  Corde  et  Conde1  ;  la 
forme  primitive  doit  être  Cornate.  Holder  a  inscrit  ce 
mot  comme  nom  ancien  de  Cornas  (Ardèche)  :  il  faut 
donc  qu'il  ait  existé  concurremment  un  Cornate  accentué 
sur  l'a  (d'où  Cornas)  et  un  Cornate  accentué  sur  l'o 
(d'où  Cordes). 

darnac.  —  La  forme  romane  la  plus  ancienne  du 
nom  de  la  commune  de  Darnac  (Haute- Vienne)  est 
Adernac2.  Cette  forme  nous  reporte  clairement  à  un 
type  * Aternacum  ;  l'affaiblissement  de  /  médial  en  d  est 
normal  dans  cette  région.  Or,  Holder  enregistre  Ater- 
nos,  mais  pour  faire  remarquer  que  c'est  un  nom  latin  3. 
A-t-il  raison  ?  En  tout  cas,  Aternus  a  été  en  usage  en 
Gaule  comme  nom  d'homme,  puisque  le  nom  de  lieu 
Aternacum  en  a  été  formé  4. 


i.  Chassaing,  Cart.  des  Templiers  du  Puy,  nos  13,  15,  17,  18,  19. 

2.  Un  Johannes  d' Adernac  figure  comme  témoin  dans  une  dona- 
tion faite  vers  11 20  à  la  Maison-Dieu  de  Montmorillon,  Bibl. 
nat.  lat.  18399,  ?•  402- 

3.  On  sait  qu'une  ville  du  Samnium  s'appelait  Aternum,  et 
qu'il  y  avait, en  Italie  un  fleuve  dit  Aternus. 

4.  La  charte  112  du  cartulaire  de  Brioude  mentionne  une  loca- 
lité du  nom  d'Adarnacum  qui  n'a  pas  été  identifiée.  Il  y  a  dans  la 
Creuse,  commune  de  Saint-Sylvain-Bas  le-Roc,  un  hameau  appelé 


LA  TOPONYMIE  GAULOISE  ET  GALLO-ROMAINE  $t 

doullens.  —  On  tire  ordinairement  Doullens  de 
Donincum,  qui  figure  au  dixième  siècle  dans  Flodoard. 
Mais  il  est  impossible  de  négliger  la  forme  concurrente 
Dourlens,  dont  Doullens  est  un  adoucissement  analogue 
à  celui  de  Charlon  en  Challon,  Chalon,  dans  Château- 
Chalon,  à  celui  d'Aumarle  en  Aumale,  etc.  Or,  le 
manuscrit  de  Montpellier  utilisé  par  Pertz  pour  éditer 
Flodoard  porte,  paraît-il,  Domincum  et  non  Donincum1. 
La  correction  de  Domincum  en  Domincum  arrangerait 
tout.  J'ai  réuni  plus  haut,  à  l'article  Arlempde,  des 
exemples  qui  mettent  en  lumière  la  filiation  de  Dour- 
lens par  rapport  à  Domincum. 

essouvert.  —  Une  forêt  de  la  commune  de  La 
Chapelle-Baton  (Charente-Inférieure)  s'appelle  Essou- 
vert. Elle  est  nommée,  dans  la  charte  313  du  cartulaire 
de  Saint-Cyprien  de  Poitiers,  Exolvemus  silva.  Il  est 
difficile  de  ne  pas  voir  dans  *Exolvemos  un  nom  gau- 
lois, dont  le  dernier  élément  serait  vemos,  aune. 

eymoutiers,  hains,  hem.  —  Le  nom  gaulois  Agent um 
se  retrouve  aujourd'hui  dans  trois  noms  de  lieux  d'as- 
pect très  différent:  Le  Bourg  à' Hem  (prononcé  LeBour- 
dari)  dans  la  Creuse,  Eymoutiers,  dans  la  Haute-Vienne 2, 
et  Hains,  dans  la  Vienne.  Holder  n'a  relevé  que  Agent i 
monaslerium,  d'où  Eymoutiers,  autrefois  Aenmostier. 
Adémar  de  Chabannes  veut  parler  d'Eymoutiers  quand 
il  dit  «  monasterium  Sancti  Stephani  Agentense  »  ou, 

Damât  ;  il  est  possible  que  ce  nom  ait  la  même  ctymologie  que  le 
Darnac  de  la  Haute- Vienne. 

1.  Cf.  Revue  Celtique,  XVIII,  246. 

2.  Il  y  a  aussi  un  Eymoutiers  dans  la  Charente,  mais  je  ne  sais 
quelle  en  est  Pétymologic. 


Si  GÉNÉRALITÉS   ET   MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

plus  simplement,  «  ecclesia  Agento  »  l.  C'est  aussi 
Eymoutiers  qui  est  appelé  Agetttum  dans  un  acte  du 
8  août  959,  publié  parle  Gallia  christiana1 .  Au  dixième 
siècle  également,  nous  "avons  la  forme  Agentum,  qui 
devient  plus  récemment  Haentum,  et,  en  langue  vul- 
gaire, Aent,  pour  désigner  Hainsî.  Enfin  Hem,  dans  la 
Creuse,  est  appelé,  depuis  le  treizième  siècle,  Ahentum*, 
en  latin,  et  Ahents,  en  langue  vulgaire.  On  trouve 
même  Aentensis  ecclesia  et  ecclesia  de  Aento  appliqués  à 
Ayen  (Corrèze),  mais  la  forme  ordinaire  est  ecclesia 
de  Aenno,  qui  remonte  à  Agennum6. 

gorce.  —  Le  nom  de  lieu  Gorce  est  extrêmement 
répandu  dans  le  massif  central  de  la  France  et  déborde 
même  un  peu  vers  le  Sud-Ouest.  Employé  au  singulier 
ou  au  pluriel,  avec  ou  sans  article,  écrit  par  c  ou  par 
s,  francisé  ou  resté  provençal  dans  sa  désinence  du 
pluriel  (Gorce,  Gorse,  Gorses,  Gorsas,  Les  Gorces,  Les 
Gorceix,  Lagorce,  etc.),  il  s'étend  sur  plus  d'une  quin- 
zaine  de  départements  :  Ardèche,  Aveyron,  Cantal, 


i.  Édit.  Chavanon,  p.  158  et  172.  L'éditeur  a  bien  reconnu 
qu'il  s'agissait  d'Eymoutiers  à  la  p.  158,  mais  à  la  p.  172  il  a  cru 
que  Agento  désignait  Ahun  (Agedunum).  Le  prepositus  Aintensis 
qui  figure  dans  une  charte  de  1 108  publiée  par  M.  Alfred  Leroux 
(Chartes,  clironiques  et  mémoriaux ,  p.  25)  est  un  prévôt  d'Eymou- 
tiers et  non  d'Ayen. 

2.  Tome  II,  instr.,  col.  168-169. 

3.  Redet,  Dict.  top.  de  la  Vienne. 

4.  Pouillé  du  diocèse  de  Limoges  conservé  aux  archives  de  la 
Creuse  ;  charte  de  1282  aux  archives  de  la  Haute-Vienne,  fonds 
de  l'évêché,  cartulaire  O  Domina,  f°  70,  v°. 

5.  Assiette  d'impôt  de  1477  aux  Arch.  nat.  P.  1363,  cote  1241. 

6.  Leroux,  Chartes,  chroniques- et  mémoriaux ,  p.  30,  31,  32,  34, 
35.  36>  57,  33,  39.  40,  41,  42,  43>  44,  45,  46  et  47. 


LA   TOPONYMIE  GAULOISE  ET  GALLO-POMAINE  5) 

Charente,  Charente-Inférieure,  Corrèze,  Creuse,  Dor- 
dogne,  Gironde,  Indre,  Haute-Loire,  Lot,  Lot-et- 
Garonne,  Puy-de-Dôme,  Vienne  et  Haute-Vienne.  Il  a 
à  côté  de  lui,  comme  diminutif,  Goursole,  qu'on  trouve 
dans  la  Charente,  la  Corrèze,  la  Creuse,  la  Dordo- 
gne,  etc.  Le  plus  anciennement  mentionné  de  tous 
ces  lieux  serait  Gorses,  chef-lieu  de  commune  du  Lot, 
qui  figure,  appelé  Gardas,  dans  une  charte  de  755,  si 
ce  document  était  authentique;  malheureusement  le 
document  a  été  fabriqué,  au  onzième  siècle  probable- 
ment, par  les  moines  de  Figeac,  qui  l'ont  mis  sous  le 
nom  de  Pépin  le  Bref.  Ce  faux  importe  peu,  à  notre 
point  de  vue.  Il  est  certain  que  Gorce  (avec  0  ouvert) 
ne  peut  venir  que  de  *Gorcia  ou  *Gortia1.  Or,  dans 
une  partie  de  la  région  sur  laquelle  s'étend  le  nom  pro- 
pre qui  nous  occupe  (Creuse,  Corrèze,  Haute-Vienne, 
Indre,  etc.),  on  emploie  aussi  le  nom  commun gorço, 
gorce,  avec  les  sens  de  «  haie  vive,  haie  sèche,  buisson, 
lieu  rempli  de  mauvaises  herbes  ou  de  décombres,  châ- 
taigneraie2 ».  Il  est  évident  que  les  deux  séries  n'en 
font  qu'une  et  il  est  probable  que  nous  devons  y 
reconnaître  le  celtique  *gorlo-,  allongé  à  l'aide  d'un 
suffixe  latin  en   *gortia.   Mistral    a   donc   raison,  en 


1.  C'est  ce  que  montre,  par  exemple,  le  1  de  lu  forme  Gor\a, 
qui  figure,  vers  la  fin  du  onzième  siècle,  dans  la  charte  239  du 
Cartulaire  de  Vigeois. 

2.  Cf.  mes  Mélanges  d'étym.  fr.,  p.  86,  art.  gource.  Le  sens  de 
«  châtaigneraie  »  existe  effectivement  dans  le  Nord  de  la  Creuse, 
spécialement  à  Crozant  (communication  de  M.  Blanchet,  institu- 
teur-adjoint). 


54  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

somme,  de  rapprocher  le  limousin  gorso  du  bas-breton 
gatx  «  haie  »  r. 

l'indre  et  l'indrois.  —  Ulndrois  est  une  rivière 
qui  se  jette  dans  l'Indre  à  Azay-sur-Indre  (Indre-et- 
Loire).  Quelques-uns  écrivent  Indroye,  au  lieu  de 
Indrois2;  mais  c'est  une  fantaisie  moderne.  Les  an- 
ciennes formes  du  nom  de  cette  rivière  sont  :  Andreis, 
Androsius,  Andriscus,  Anderiscus,  Angeriscus,  Angelis- 
cusi.  On  sait  que  le  nom  primitif  de  l'Indre  est  Anger  4: 
la  bonne  orthographe  du  mot  français  serait  Aindre, 
comme  ceindre,  de  cingere,  ou  l'ancien  verbe  fraindre, 
de  frangere.  Il  est  clair  que  le  nom  de  VIndrois  est 
dérivé  de  celui  de  YIndre  au  moyen  du  suffixe  -iscus, 
-iscos  s.  On  peut  inscrire  sûrement  Angeriscos  dans  le 
Trésor  du  vieux  gaulois.  Il  ne  faut  pas  hésiter  non 
plus,  il  me  semble,  à  voir  dans  ce  suffixe  -iscos  un  suffixe 
diminutif  identique  au  suffixe  grec  -(oxaç.  Le  rapport 
sémantique  de  Indrois  à  Indre  est  manifestement  le 
même  que  celui  de  Loiret  à  Loire  et  de  Petite-Creuse 
(au  moyen  cage  Crosetd)  à  Creuse,  etc.  Que  les  celtisants 
fassent  leur  profit  de  cette  très  simple  observation6. 


i.  Le  nom  de  la  célèbre  abbaye  de  Gorxe,  près  de  Metz,  énoncé 
Gortia  en  793,  doit  avoir  la  même  étymologie. 

2.  Notamment  La  Grande  Encyclopédie. 

3.  Mabille,  Notice  sur  les  divisions  territoriales  de  la  Tour  aine 
(Paris,  1866),  p.  162. 

4.  Super fliivium  Angerem,  Grégoire  de  Tours,  Vit.patrum,  18, 1. 

5.  La  désinence  -iscus  donne  régulièrement  en  français  -ois  et 
plus  récemment  -ais  Exemples  :  dais,  anciennement  dois,  de  disais. 

6.  Comparez  ce  que  dit  du  suffixe  -iscos  M.  d'Arbois  de  Jubain- 
ville,  p.  546  et  suiv.  de  ses  Recherches  sur  l'origine  de  la  propriété 
foncière. 


LA   TOPONYMIE  GAULOISE  ET  GALLO-ROMAINE  j{ 

leigne.  —  Une  commune  et  un  hameau  du  dépar- 
tement de  la  Vienne  portent  le  nom  de  Leigne,  au 
onzième  siècle  Lemnia.  Holder  a  relevé  le  cognomen 
Lcninus  dans  une  inscription  de  la  Grande-Bretagne, 
Corp.  inscr.  lai.,  VII,  41.  Lemnia  semble  attester  l'exis- 
tence d'un  gentilice  *Lemnius  qui,  employé  adjecti- 
vement au  féminin,  aurait  donné  naissance  au  nom  de 
lieu  Leigne. 

loin.  —  Loin,  nom  d'une  ferme,  commune  de 
Savigné  (Vienne),  se  présente  au  moyen  âge  sous  les 
formes  Leu  (1 172),  Leum  (1195),  Lehnn  (1395),  Lohun 
(1482),  etc.1.  Il  me  paraît  infiniment  probable  que  le 
nom  primitif  de  cette  localité  est  Lugudunum . 

loudun.  —  Holder  considère  le  nom  de  Loudun 
(Vienne),  qu'il  place,  par  un  fâcheux  lapsus,  en  Bour- 
gogne, comme  représentant  le  gaulois  Lugudiiniun,  et 
cette  opinion  a  dû  être  émise  plus  d'une  fois  avant  lui. 
L'examen  des  anciennes  formes  du  nom  de  Loudun  ne 
confirme  pas  cette  manière  de  voir2.  Je  ne  crois  pas 
qu'il  faille  faire  grand  fond  sur  le  Castro  Lauduno  d'un 
diplôme  de  Charlemagne  (800),  ni  sur  le  vicaria  Lau- 
domensis  d'un  diplôme  de  Charles  le  Chauve  (849),  ni 
sur  le  vicaria  Lugdunensis  de  la  pancarte  noire  de  Saint- 
Martin  de  Tours  (904).  Voici  les  formes  qui  me  pa- 
raissent décisives:  Laucidunensis  (895),  Laucednneiisis 
(970),  Laucidunensis  (976),  Lausdunensis  (977,  985), 
Lau^dunensis  (vers  1000),  Losdunum  (1059),  Lausdu- 
num   (ioéo),  Laitcidnnum   (1062).  Pourquoi  ne  pas 


1 .  Redet,  Dict.  top.  de  la  Vienne. 

2.  Je  les  étudie  exclusivement  dans  Redet,  op.  laud. 


56  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

admettre  que  Loudun  a  porté  à  l'époque  gallo-romaine 
le  nom  de  *Laucidunum  ?  Ce  nom  manque  dans  Holder  ; 
mais  on  y  trouve  le  cognomen  Laucus.  DeLauciduiiinu 
on  peut  rapprocher  Baridunum,  Congidunum,  Lugidu- 
num,  Muridunum,  Singidunum,  etc. 

luthenay,  lonnac,  LOUCÉ.  — Luthenay  dans  la  Nièvre 
ne  figure  pas  dans  les  textes  avant  le  xme  siècle  :  il  y  est 
appelé  Lothenayacum,  Lothenayum.  On  peut  sûrement 
restituer  la  forme  primitive  :  *Luttenacum  ou  *Lutten- 
nacum,  laquelle  est  aussi  postulée  par  Lonnac,  commune 
de  Sanssat-L'Eglise  (Haute-Loire),  au  moyen  âge  Lot- 
nac1.  Il  faut  donc  inscrire  le  gentilice  *Luttennus  à  côté 
de  Luttius,  dont  Holder  donne  deux  exemples2.  Les 
anciennes  formes,  qui  ont  un  o  à  la  syllabe  initiale ?, 
montrent  que  dans  *Luttennus  Vu  était  bref;  il  en  était 
nécessairement  de  même  dans  Luttius.  Or,  *Lùttiacum 
offre  une  base  excellente  pour  expliquer  Loucé,  dans 
l'Orne.  M.  d'Arbois  de  Jubainville  propose,  il  est  vrai, 
*Lûcciacus  4;  mais  en  présence  des  innombrables  repré- 
sentants de  Lûcciacus  ou  Lûciacus,  j'ai  bien  des  doutes 
sur  la  légitimité  de  cette  hypothèse. 

maine  (le),  mans  (le).  —  C'est  à  Jules  Quicherat 
que  revient  le  mérite  d'avoir  expliqué  pourquoi  nous 


i.  Chassaing,  Car  t.  des  Templiers  du  Puy,  ch.  nos  14  et  25. 

2.  Sur  le  suffixe -£««5  ou  -ennus,  voy.  d'Arbois  de  Jubainville, 
Rech.,  p.  449. 

3.  La  forme  moderne  Luthenay  offre  une  restauration  savante 
de  Vu  primitif;  même  phénomène  dans  Lubersac  (Corrèze,  Lot- 
et-Garonne)  et  Lupersat  (Creuse),  qui  s'écrivent  au  moyen  âge 
Lober^ac  et  viennent  de  Lfiperciacum. 

4.  Rech.,  p.  260, 


LA  TOPONYMIE  GAULOISE  ET  GALLO-ROMAINE  57 

disons  Le  Mans,  avec  l'article,  en  parlant  du  chef-lieu 
de  la  Sarthe l.  Le  nom  du  peuple  gaulois  des  Cenomanni 
est  devenu  Celomanni  par  dissimilation,  d'où  *Celmans, 
qui  a  dû  être  la  forme  romane  primitive.  Puis,  la  pre- 
mière syllabe  a  été  confondue  avec  le  démonstratif  cel 
et  remplacé  par  l'article  lo,  le.  Il  n'y  a  pas  à  revenir 
là-dessus.  Ce  que  je  veux  faire  remarquer,  c'est  que  Le 
Mans  remonte  à  Cenotnannis  avec  deux  n,  car  si  le  type 
étymologique  n'avait  eu  qu'un  seul  n,  il  aurait  abouti 
à  *Le  Mains.  Holder  a  donc  raison  d'instituer  deux 
articles  distincts,  l'un  pour  les  Cenomani  de  la  Cisalpine, 
l'autre  pour  les  Cenomanni  de  la  Transalpine. 

Dans  le  texte  de  son  Atlas  historique  de  la  France, 
p.  102,  M.  Longnon  écrit  :  «  Le  nom  vulgaire  Le  Maine 
ne  dérive  pas  du  vocable  latin  Cenomanicum,  mais  de 
la  variante  Cenomania  ».  Je  ne  comprends  pas  pourquoi 
M.  Longnon  excommunie  ainsi  le  suffixe  -ienm,  à  qui 
l'on  doit  la  formation  de  tant  de  noms  de  provinces  : 
A  uvergne,  Châlonge,  Comminge,  Médoc,  Périgord,  Rouer- 
gue,  Saintonge,  U^êge,  Velay,  de  Arvernicum,  Catalau- 
nicinn,  etc.  Tous  ces  noms  sont  masculins  à  l'origine, 
et  le  sont  restés,  sauf  Auvergne  et  Saintonge2.  Maine 
peut  remonter  à  \Ceno\mannicum,  au  même  titre  que 
domaine  a  dominicum.  M.  Longnon  admet  lui-même  que 
Langoine,  que  l'on  trouve  une  fois,  au  treizième  siècle, 
pour  désigner  la  province  de  Langres,  vient  de  Lingo- 


1.  Traité  de  la  formation  des  noms  de  lieux,  p.  24. 

2.  Saintonge,  écrit  Centonge,  est  masculin  dans  les  poésies  de 
Bertran  de  Born  ;  et  je  me  souviens  d'avoir  entendu  dire  le  Sain- 
tonge dans  la  Creuse.  Pour  l'Auvergne,  l'ancien  genre  semble 
avoir  disparu  complètement  de  nos  jours. 


Ç8  GÉNÉRALITÉS  ET   MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

nicum,  et  que  Touraine,  primitivement  Toroine,  Toroigne, 
représente  Turonicum*. 

meilhan.  —  Le  nom  celtique  Mediolanum  est  repré- 
senté aujourd'hui  en  Gaule  par  des  formes  multiples-. 
Comme  il  est  certain  historiquement  que  Château- 
Meillant  (Cher)  est  un  ancien  Mediolanum,  M.  Longnon 
admet  comme  probable  la  même  origine  pour  Meilhan 
(deux  dans  le  Gers,  un  dans  le  Lot-et-Garonne,  un 
dans  les  Landes)  et  Meillan  (Gironde  et  Haute-Ga- 
ronne) 3.  Mais  il  faut  remarquer  que  dans  le  Midi  de 
la  France  le  représentant  normal  de  Mediolanum  est 
Meylan  (Isère  et  Lot-et-Garonne),  comme  celui  de 
baiulare  est  bailar,  c'est-cà-dire  que  le  provençal  ne 
connaît  pas  le  mouillement  de  /  que  le  français  présente 
à  la  fois  dans  baillier  et  dans  Meillant  ou  Moilliens.  Il 
est  donc  plus  indiqué  de  considérer  Meilhan,  Meillan, 
comme  ayant  la  même  origine  que  Mcilhac  (Haute- 
Vienne),  Meillac  (Ille-et-Vilaine,  Basses-Pyrénées), 
Mg///)'(Côte-d'Or,  etc.),  c'est-à-dire  un  gentilice  Mf//«.r, 
Maelius  ou  Mellius,  peut-être  même  Almïlius,  suivi  du 
suffixe  -anus. 

monceaux,  mussidan.  —  Dans  son  Dictionnaire  topo- 
graphique de  la  Dordognc,  le  baron  de  Gourgues  a  eu  la 


i.  Atlas,  p.  9$  et  101.  L'emploi  de  Touraine  au  féminin  dans 
la  Vie  de  saint  Martin  de  Peain  Gastineau  (Tote  Toroinne,  6409) 
peut  faire  songer  à  Tnronia  ;  mais  l'hypothèse  d'un  changement 
de  genre,  dû  a  l'apparence  féminine  de  la  désinence  française, 
peut  se  défendre. 

2.  Cf.  Longnon,  dans  Revue  Celtique,  VIII,  375  et  s.  La  liste 
donnée  par  Holder  est  dressée  sans  critique. 

3.  hoc.  laud.  Mistral  a  aussi  la  même  manière  de  voir  dans  son 
Trésor,  art.  Meitan. 


LA  TOPONYMIE  GAULOISE  ET  GALLO-ROMAINE  yj 

fâcheuse  idée  de  supposer  que  le  lieu  appelé  Mulsédo- 
num dans  la  Vie  de  saint  Géraud  d'Aurillac  pourrait 
être  Mussidan.  Il  a  eu  beau  mettre  un  point  d'interro- 
gation ;  l'erreur  a  fait  son  chemin.  J.  Quicherat  a  trans- 
formé, par  amour  de  l'art,  Mulsédonum  en  *Mulsedu- 
iiitm1,  et  M.  Meyer-Lûbke  lui-même  ne  doute  pas2 
que  *Mulsediinum  ait  pu  aboutir  à  Mussidan.  Or,  Mus- 
sidan est  en  ancien  provençal  Moissida,  avec  l'accent 
tonique  sur  la  finale,  qui  est  devenu  aujourd'hui  dans 
le  patois  local,  avec  déplacement  d'accent,  Mouissido. 
M.  Meyer-Lûbke  est  aussi  convaincu  que  moi,  j'en 
suis  sûr,  qu'un  d  intervocalique,  dans  la  région  du 
Périgord,  provient  infailliblement  d'un  /  primitif  et 
que  Mussidan  ne  peut  que  s'être  appelé,  à  l'époque 
gallo-romaine,  *Moscïtanum,  *Moxîtanum,  *Muscitanum 
ou  *MuxitUnumi.  Comment  s'appelle  aujourd'hui  la 
localité  que  le  biographe  de  saint  Géraud  désigne  par 
le  nom  de  Mulsédonum  ?  Il  y  avait  en  Limousin,  au 
dixième  siècle,  un  Mulsédonum,  lequel  est  aujourd'hui 
Monceaux,  orthographe  barbare  qui  a  remplacé  le  Molseo 
du  moyen  âge.  Ce  Monceaux,  situé  près  d'Argentat 
(Corrèze),  n'est  pas  tellement  loin  d'Aurillac  qu'il  ne 
puisse  se  prêter  à  l'identification. 

nalèches.  —  Nalêches  est  un  hameau  de  la  commune 
de  Moutier-Rozeille  (Creuse),  dont  le  nom  n'est  pas 


i.  Giry  donne  aussi  «  Mulcedomim  pour  Mulccdiiiiuin  »  comme 
nom  ancien  de  Mussidan,  dans  son  Traité  de  diplom.,  p.  383, 
d'après  J.  Quicherat. 

2.  Die  Betonung  itn  Gallischen,  p.  33  et  34. 

3.  Adémar  de  Chabannes  tire  du  nom  de  Mussidan  l'adjectif 
Moxedancnsis, 


60  GÉNÉRALITÉS   ET   MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

mentionné  dans  les  documents  du  haut  moyen  âge. 
La  chute  d'un  a  initial  est  si  fréquente  dans  la  région, 
qu'il  est  très  vraisemblable  que  Nalèches,  en  patois 
Nalekhas,  autrefois  Nahschas,  remonte  à  un  type  *Ana- 
Uscas,  comme  Naillat  remonte  à  Analiacus,  qui  figure 
sur  une  monnaie  mérovingienne.  Le  suffixe  féminin  -isca 
n'est  pas  rare  dans  la  Creuse.  On  peut  citer  notamment 
Barbonéchas  (*Borboniscas),  La  Fanconèche  (*Falconisca), 
Fransèches  (* Francisais),  Goudenaiche  (*Gotoniscas),  Ja- 
lèches  ("Galliscas),  La  Martinèche  (*Martinisca)  T . 

nèoux.  —  Néoux  est  une  commune  voisine  d'Au- 
busson  (Creuse)  appelée  au  moyen  âge  en  latin  Neo- 
niinm,  en  roman  Neom,  Nehom.  Je  crois  qu'on  peut  y 
reconnaître  le  nom  gaulois  très  répandu  Noiùoinagus, 
Noiomagus.  La  dissimilation  de  no  en  ne  sous  l'influence 
de  la  tonique  est  un  fait  normal  :  cf.  Leroux  de  Lodo- 
suin.  Quant  à  la  disparition  de  Vi  semi-consonne,  on 
la  retrouve  dans  Nouan,  Nohant,  représentants  actuels 
de  Novientum,  comme  me  l'affirme  M.  Longnon. 

neufjours.  —  Neufjours  est  le  nom  officiel  d'un 
hameau  de  la  commune  de  Chaveroche  (Corrèze), 
autrefois  siège  d'un  prieuré.  M.  Champeval  nous 
apprend  que  ce  lieu  est  dit  au  xve  siècle  de  Novem 
diebus,  mais  il  ajoute  :  «  latinisation  dite  savante,  ayant 
amené  francisation  non  moins  sotte,  au  préjudice  de 
la  vraie  forme  originaire  Nueiols,  1 542 2  ».  M.  Cham- 
peval a  bien  raison  de  voir  dans  Nueiols,  c'est-à-dire 


1.  Cf.  d'Arbois  de  Jubainvillc,  Rech.,  p.  547  et  s. 

2.  Le    Bas- Limousin    seigneurial    et    religieux,   Limoges,    1897, 
P-  274- 


LA  TOPONYMIE  GAULOISE  ET  GALLO-ROMAINE  61 

Kuéjols,  la  forme  légitime;  mais  nous  ne  saurions  le 
suivre  quand  il  dit  un  peu  plus  loin  :  «  latinisation 
savante  de  quelque  nevejous,  nivosus1  ».  La  même  com- 
mune de  Chaveroche  a  un  village,,  autrefois  chef-lieu 
de  paroisse,  du  nom  de  Ventêjoux,  dont  M.  Champeval 
ne  donne  pas  de  forme  ancienne.  Le  dictionnaire  de 
Masselin  (1827)  écrit  Ventejols  :  c'est  le  même  nom  que 
Venteuge  (Haute-Loire),  Venteujol  (Cantal),  Venteuil 
(Marne),  etc.  Dans  Neujjours  et  dans  Ventêjoux  la  dési- 
nence primitive  est  identique  :  l'une  représente  Novioia- 
Itim2,  l'autre  Ventoialum  ou  Vintoialum. 

nexon.  —  La  forme  vulgaire,  au  moyen  âge,  du  nom 
de  Nexon  (Haute-Vienne)  est  Aneisso,  Aneycho  et  Neycho, 
que  l'on  latinise  en  Nexonium,  AnnexonhtmK  Si  l'on 
remarque  que  le  nom  de  la  petite  ville  d'Aixe,  près  de 
Limoges, ,  que  les  textes  latins  écrivent  Axia,  et  les 
textes  limousins  Aicha*,  correspond  à  Actia,  du  gen- 
tilice  Actius,  on  admettra  sans  hésiter  que  Nexon 
implique  l'existence  d'un  type  Aneciio,  onis,  tiré  du 
nom  gaulois  bien  connu  Anectius,  comme  Albucio 
(aujourd'hui  Aubussori)  est  tiré  à'Albucius. 

nézigxan.  —  Néiignan-YÈxùque  (Hérault)  est  appelé 
Nasinianum  en  848,  et  Na%inianum  en  11 73  et  1 175  : 

1.  lbid.,  p.  276. 

2.  Cf.  d'Arbois  de  Jub.,  Recb.,  p.  531.  Le  môme  nom  est 
représenté  ailleurs  par  Neuil,  Nieuil,  Xieul,  Nui,  Nueil,  Niièjouls, 
Nu^é jouis,  etc. 

3.  Deloche,  Etudes  sur  la  gèogr.  hist.  de  la  Gaule,  p.  321  ; 
Leroux,  Molinier  et  Thomas,  Doc.  hist.  concernant  la  Marche  et  le 
Limousin,  I,  13,  35,  51,  100,  232  ;  II,  236. 

4.  Duplès-Agier,  Citron,  de  Saint-Martial,  p.  115,  116,  où  G, 
Daicha  doit  être  lu  G.  d'Aicha. 


62  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

les  trois  exemples  proviennent  du  cartulaire  d'Agde, 
dont  on  n'a  qu'une  copie  du  dix-septième  siècle1. 
Le  %  de  1 173  et  1175  postule  un  c  primitif,  et  j'estime 
que  le  s  de  848  est  dû  à  une  distraction  de  copiste. 
Je  propose  donc  de  reconnaître  l'existence  d'un  nom 
de  lieu  gallo-romain  Nacinianum.  Holder  a  relevé  Naci- 
nus  dans  une  inscription  trouvée  à  Pettau  (Autriche) 
et  publiée  dans  le  Corpus,  III,  12012:  la  place  de 
Nacinianum  est  donc  toute  préparée. 

remeneuil.  —  Remeneuil  est  un  hameau  de  la  com- 
mune d'Usseau  (Vienne)  qui  n'est  pas  mentionné 
avant  1037.  A  cette  date,  il  est  appelé  Romanoculus. 
On  sait  que  les  noms  en  -euil  ont  été  souvent  défigurés 
au  moyen  âge  par  l'application  d'un  «  œil  »  postiche, 
à  savoir  le  latin  oculus.  Il  ne  faut  donc  pas  hésiter  à 
reconstituer  la  forme  gallo-romane  *Romanoialum.  Il 
y  a  là  un  exemple  intéressant  de  la  combinaison  du 
suffixe  -ialum  avec  le  nom  d'homme  Romanus.  L'affai- 
blissement de  Yo  primitif  en  e  dans  Remeneuil  se 
retrouve  dans  d'autres  noms  de  lieux  du  même  dépar- 
tement. Le  Relandais,  La  Relandiêre,  La  Remigère,  Le 
Remigeoux,  Rernilly  s'appelaient  autrefois  Le  Rolandeis, 
La  Rolandèrc,  Le  Romejos,  La  Romigêre,  Romillec. 


fil.  —  le  suffixe  -aricius. 

La  juxtaposition  de  deux  ou  même  de  plusieurs  suf- 
fixes est  un  fait  qui  n'est  ni  rare  ni  difficile  à  expliquer. 

1.  Thomas,  Dict.  topogr.  de  l'Hérault. 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS  63 

Du  participe  natus  le  latin  tire  l'adjectif  natalis,  puis  de 
l'adjectif  natalis,  employé  substantivement  au  sens  de 
«  jour  anniversaire  de  la  naissance  »,  il  tire  un  nouvel 
adjectif  natalicius,  qui  signifie  «  relatif  au  jour  anni- 
versaire de  la  naissance  »  :  le  procédé  est  très  simple. 
Mais  la  complication  se  produit  bientôt.  L'esprit  humain 
—  pauvre  boussole  que  le  moindre  courant  analogique 
suffit  à  affoler  —  saute  d'un  bond  du  mot  primitif  au 
second  dérivé  et,  ne  s'arrêtant  plus  à  considérer  la 
juxtaposition  des  suffixes  dans  l'ordre  où  elle  s'est 
formée,  il  ne  fait  pour  ainsi  dire  qu'un  bloc  de  la  déri- 
vation. 

Voici  un  exemple  frappant. 

Du  substantif  gens  le  latin  a  tiré  l'adjectif  gentilis, 
puis  de  l'adjectif  gentilis  un  nouvel  adjectif  gentiliciits. 
Les  textes  nous  montrent  que  gentilicius  s'emploie  cou- 
ramment au  sens  de  «  propre  à  une  famille,  à  une 
nation  »,  c'est-à-dire  qu'il  est  purement  et  simplement 
synonyme,  de  gentilis;  donc,  il  peut  être  considéré 
comme  dérivé  de  gens  avec  un  suffixe  -ilicius. 

Ce  point  de  vue  est  artificiel,  dira-t-on.  Sans  doute, 
mais  de  quoi  vit  le  langage,  sinon  d'artifices  ?  En  fait, 
on  ne  saurait  douter  de  l'existence  d'un  suffixe  composé 
-ilicius,  affranchi  de  toute  subordination  vis-à-vis  de 
-ilis  et  vis-à-vis  de  rictus,  dès  la  fin  du  premier  siècle 
après  Jésus-Christ.  Martial  qualifie  les  efféminés  qui 
passent  leur  vie  en  chaise  à  porteurs  (cathedra)  de 
l'épithète  pittoresque  de  catbedralicios1.  Le  mot  caihe- 
dralicius  a  dû  jaillir  de    son  cerveau  sans  l'aide  de 

1.  Epigr.  X,  13,  1. 


64  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

cathedralis,  qui  est  absolument  inconnu  au  latin  clas- 
sique. Après  tout,  cathedralicius  est  d'aussi  bonne 
venue  que  legatorius,  employé  par  Cicéron  et  pieuse- 
ment recueilli  par  nos  antiquaires  pour  qualifier  une 
province  administrée  par  un  légat1. 

Les  textes  latins  antérieurs  au  moyen  âge  ne  pré- 
sentent que  très  rarement  la  combinaison  de  -arts  ou 
-arius  avec  -icius.  Je  n'en  ai  relevé  que  trois  exemples  : 
capsaricius,  fabaricius  et  sigillaricius.  Le  premier  mot 
signifie  «  gardé  par  le  capsarius  ou  garçon  de  vestiaire  », 
ce  qui  est  tout  naturel  5  ;  le  second  n'est  pas  bon  à 
grand'chose,  car  il  ne  se  trouve  que  dans  l'expression 
fab[a]ricii  circenses  d'un  ancien  calendrier*,  et  le  sens 
n'est  pas  plus  sûr  que  la  forme  ;  le  troisième  vaut  à  lui 
seul  plus  que  les  deux  autres.  Spartien  dit  dans  la  vie  de 
l'empereur  Hadrien  :  «  Saturnalicia  et  Sigillaricia  fré- 
quenter amicis  inopinantibus  misit*.  »  Il  faut  sous- 
entendre  mimera  :  il  s'agit  de  cadeaux  faits  à  l'occasion 
des  fêtes  dites  Saturnales  et  Sigillaires.  Il  n'y  a  là  rien 
de  particulier  à  remarquer  :  le  rapport  entre  Sigillari- 
cius et  Sigillaria  est  exactement  le  même  qu'entre 
Saturnalicius  et  Saturnalia,  aussi  simple  pour  le  sens 
que  pour  la  forme.  Mais  d'autre  part,  on  lit  dans  la 

1.  Legatorius  est  fait  à  l'imitation  de  senatorius.  L'Académie 
française  a  accueilli  la  locution  province  légatoire;  comme  il  est 
fâcheux  qu'on  ne  dise  pas  aussi  province  sènatoire  ! 

2.  Schol.  de  Juvénal,  8,  168. 

3.  Corp.  inscr.  ht.,  I,  p.  344  et  345  ;  cf.  Olcott,  Studies  in  ihe 
uord  formation  of  the.  lat.  Inscr.,  p.  217.  L'autre  texte  donne  faba- 
rici,  que  De  Vit  considère  comme  le  nom.  plur.  d'un  fabaricus 
(d'ailleurs  inconnu)  mais  que  M.  Olcott  rattache  à  fabaricius. 

4.  Chap.  17. 


LE  SUFFIXE  -ARICIU  6j 

vie  d'Aurélien  par  Vopiscus  :  «  Uxori  et  filiae  annulum 
sigillaricium  quasi  privatus  instituit1.  »  Ici,  nous  avons 
affaire  à  un  sens  très  différent,  si  bien  qu'on  pourrait 
dire  qu'il  s'agit  réellement  d'un  autre  mot.  Un  annulas 
sigillaricius  est  un  anneau  qui  sert  de  cachet  :  sigillari- 
cius est  donc  tiré  directement  de  sigillum,  comme 
cathedralicius  est  tiré  de  cathedra.  Le  suffixe  -aricius 
est  né. 

Les  textes  du  haut  moyen  âge  nous  permettent  de 
suivre,  ou  du  moins  d'entrevoir  son  développement. 
Un  des  manuscrits  de  la  Loi  Salique  remplace  caballum 
qui  carrucam  trahit  par  caballum  carrucaricium,  38,  1. 
Le  plus  ancien  recueil  de  formules  que  nous  possédions, 
les  Formulae  Andecavenses  (vie  siècle),  parle  de  vignes 
affermées  à  moitié  fruits  sous  le  nom  de  vineas  ad  par- 
ciaricias  (form.  30);  l'évêque  saint  Pirmin,  fondateur 
de  Reichenàu,  mort  vers  758,  tire  de  mimus  le  sub- 
stantif mimaritiae;  une  charte  lombarde  de  765  appelle 
tectoras  pallearicias  des  toits  couverts  en  paille;  une 
autre,  du  roi  Didier  (mort  en  774),  mentionne  simul- 
tanément massaricias,  bovolcaricias,  aldiaricias.  Dans  la 
Lcx  Alamannorum,  le  chien  à  chasser  le  porc  sauvage 
est  appelé  canis  porcaritius,  le  chien  à  chasser  l'ours, 
ursaritius  ;  en  outre,  nous  y  voyons  le  suffixe,  sous  la 
forme  féminine,  servir  à  désigner  un  lieu,  un  établis- 
sement: une  vacherie  se  dit  vaccaritia,  terme  qui  est 
également  employé  dans  le  capitulaire  De  Villis  (à  côté 
deberbicarilia,  bergerie)  et  dans  le  polyptyque  d'Irminon. 
Dans  ce  dernier  texte,  -aricius,  substantivé  sous  la  forme 

1.  Chap.  50. 

Thomas.  II.  —  5 


66  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

féminine  (très  rarement,  neutre)  incline  vers  le  sens 
abstrait  :  le  service  de  l'ost  s'appelle  hostilaricium I  ;  la 
corvée  du  bois,  lignaricia2 ;  la  corvée  du  vin, vinericiai. 
Par  la  suite,  les  mots  de  ce  genre  deviennent  rares  dans 
les  textes  latins  :  pourtant,  on  relève  sella  sagmaricia  dans 
les  gloses  latino-germaniques  de  Salomon4;  vinericia 
est  encore  au  treizième  siècle  dans  le  pouillé  de  l'évêché 
de  Nevers,  et,  plus  tard  encore,  le  roi  d'Angleterre 
Edouard  III  appelle  canes  damaricios  ">  ses  chiens  à 
chasser  le  daim. 

Nous  n'avons  pas  de  témoignage  direct  sur  la  quan- 
tité de  Yi  dans  le  suffixe  -aricius.  Le  latin  classique 
distingue  -icius,  qui  s'ajoute  aux  thèmes  nominaux,  de 
-ïcius,  qui  s'ajoute  aux  thèmes  verbaux  en  prenant  pour 
point  d'attache  le  thème  du  participe  passé  :  il  dit  cae- 
meniïcius,  d'une  part,  etfacticius,  de  l'autre6.  La  forme 
la  plus  ancienne  de  notre  suffixe  est  probablement 
-aricius;  mais  comme,  dans  le  latin  populaire,  -icius  a 
beaucoup  empiété  sur  -ïcius,  il  n'est  pas  surprenant  que 
-aricius  se  soit  fait  une  place  à  côté  de  -aricius.  La 
péninsule  ibérique  ne  semble  connaître  que  -aricius: 
portugais  cavallariço,  porcariço  ;  espagnol  asneri^p,  cabre- 


i.  Ce  mot,  où  trois  suffixes  se  sont  agglutinés,  ne  se  trouve 
qu'une  Fois  ;  le  terme  ordinaire  est  hostiKHum. 

2.  Variante  lignericia,  où  l'on  voit  déjà  un  témoignage  de  l'af- 
faiblissement français  de  Va  protonique  en  e. 

3.  Cette  forme  est  constante;  il  est  curieux  que  l'on  ne  trouve 
jamais  vinaricia  comme  lignaricia. 

4.  Steinmeyer  et  Sievers,  tome  IV,  page  96,  ligne  39. 

5 .  Tous  les  exemples  pour  lesquels  je  ne  donne  pas  de  références 
particulières  se  retrouvent  facilement  à  l'aide  de  Du  Cange. 

6.  Novlcius,  de  noms,  constitue  une  exception  isolée. 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS  67 

ri^o,  vaquerizp  et  vaqueri^a,  etc. r.  L'italien  a  les  deux 
formes,  selon  les  régions  :  pagliericcio,  secchericcio,  Vac- 
cari-^o  (ville  de  la  Calabre),  à  côté  de  campereccio, 
caser eccio,jestereccio,  sccchereccio,  vaccareccia  (Oudin),  etc. 
Le  provençal  a  quelques  traces  de  -arlcius,  que  je  relè- 
verai chemin  faisant;  mais  il  donne  la  préférence  à 
-arlcius.  Cette  dernière  forme  est  la  seule  qui  paraisse 
avoir  des  représentants  dans  le  domaine  français2. 

C'est  à  M.  Homing  que  revient  le  mérite  d'avoir 
signalé  en  français,  sinon  comme  sûre,  au  moins  comme 
probable,  l'existence  de  représentants  du  suffixe  latin 
-teins  sous  la  forme  féminine  allongée  -erecei.  M.  Tobler 
a  précisé,  depuis,  les  données  un  peu  vagues  de  M.  Hor- 
ning,  en  citant  un  certain  nombre  de  mots  en  -ere^ 
aussi  bien  qu'en  -erece.*.  M.  Meyer-Lùbke,  se  référant 
à  ces  deux  auteurs,  a  écrit  :  «  Le  français  offre  peu 
d'exemples  :  le  français  moderne  banneret  représente 
l'ancienne  forme  banere^;  viennent  ensuite,  en  ancien 
français  jenere^  (juillet),  pasquere^  (semaine  de  Pâques), 
les  adjectifs  chevalere^,  jambere^  et  quelques  autres  5.  » 
J'ai  déjà  eu  l'occasion  de  dire  que  le  développement 
de  ce  suffixe  en  Gaule  était  beaucoup  plus  considérable 


i .  Les  formes  espagnoles  sont  influencées  par  asturo,  cabrero,  etc. 
Le  portugais  est  plus  fidèle  au  type  primitif. 

2.  Tonniel  brasserie!)  dans  un  texte  de  1456,  que  Godefroy  ne 
cite  que  de  seconde  main,  n'est  pas  assez  sûr  pour  qu'on  table  sur 
lui. 

3.  Literaturblatt,  année  1890,  p.  105. 

4.  A  proposdu  mot  banneret,  famSUfungsb.  der  Acad.  Wissensch. 
%u  Berlin,  philos. -hist.  Classe,  année  1893,  p.  23-24  (19  janvier). 

5.  Gramm.  des  lang.  rom.,  II,  §417. 


68  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

qu'on  ne  se  le  figurait  jusqu'ici1.  Je  voudrais  aujour- 
d'hui passer  en  revue  tous  les  mots  français  et  proven- 
çaux qui,  à  ma  connaissance,  sont  formés  à  l'aide  de 
ce  suffixe  et  fournir  ainsi  une  contribution  à  la  lexico- 
logie de  la  Gaule,  sans  distinction  entre  la  période 
ancienne  et  la  période  moderne,  entre  le  français  pro- 
prement dit  et  les  patois,  entre  la  langue  courante  et 
la  toponymie.  Mais  avant  de  passer  cette  revue,  il  me 
faut  examiner  trois  questions  préliminaires  :  i°  de 
l'existence  en  Gaule  de  représentants  du  suffixe  -îcius  ; 
2°  de  la  confusion  entre  le  suffixe  féminin  -arïcia  et 
le  suffixe  féminin  -ïssa;  30  de  la  confusion  entre  le 
suffixe  masculin  -aricius  et  le  suffixe  masculin  -ïttus. 

i°  Du  suffixe  -ictus.  M.  Tobler  a  montré  que  l'expres- 
sion chevalier  banneret  se  présentait  toujours  dans  les 
anciens  textes  sous  la  forme  chevalier  banere^;  il  en  a 
conclu  que  banere^  était  dérivé  de  baniere  à  l'aide  du 
suffixe  -e%  correspondant  au  latin  -ïcius.  Cette  explica- 
tion est  logique,  mais  elle  ne  me  paraît  pas  conforme 
à  la  réalité  des  faits.  Baver  e^  n'est  pas  très  ancien;  il 
se  trouve  pour  la  première  fois  dans  les  Coutumes  de 
Beauvaisis  de  Beaumanoir,  éd.  Salmon,  §  1242.  Le 
français  possédait-il  réellement  au  moyen  âge  un  suffixe 
-ex,  issu  du  latin  -ictus} C'est  difficile  à  croire2,  puisque 
nous  ne  voyons  pas  ce  suffixe  s'ajouter  à  d'autres  mots 
qu'à  ceux  qui  contiennent  déjà  le  suffixe  -ter  et  qui 

1.  Mélanges  d'êtym.  française,  p.  23,  29,  48,  49,  88,  98,  119, 
126,  136. 

2.  On  a  un  curieux  exemple  de  l'adj.  fém.  cendresse,  dans  Gode- 
froy  ;  mais  il  faut  y  voir  le  latin  cinerïcius  et  non  un  dérivé  fran- 
çais de  cendre. 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS  6q 

donnent  naissance  à  des  dérivés  en  -ere%,  comme  jas- 
chere^,  de  jaschiere,  pendant  exact  de  banere^.  A  vrai 
dire,  le  français  possède  seulement  le  suffixe  -ere%  ;  mais 
quand  ce  suffixe  s'ajoute  à  des  mots  en  -ier,  -iere,  il 
se  produit  une  sorte  de  superposition  syllabique,  et  l'on 
dit  banere^,  bruere^,  gotere^,  jaschere^,  voiere^  au  lieu  de 
*banererei,  *br itérerez,  *goterere%,  *jascherere%,  *voierere^. 
Quand  la  désinence  -re  appartient  au  thème  et  non  à 
un  premier  suffixe,  le  suffixe  -ere^  conserve,  à  l'origine, 
sa  forme  intégrale  :  les  formes  gauferais  (1334)  et 
waufferrais  (  1 3  60)  témoignent  clairement  que  *  gaufrerez 
a  existé  comme  dérivé  primitif  de  gaufre,  car  elles  ne 
peuvent  s'expliquer  que  par  un  phénomène  de  dissi- 
milation. 

2°  Confusion  entre  -arïcia  et  -usa.  Dès  le  douzième 
siècle  on  trouve  en  français  des  substantifs  féminins  en 
-tresse,  qui  reposent  sur  des  thèmes  verbaux  :  baleresse, 
lecheresse,  tomberesse,  de  baler,  lechier,  tomber,  etc.  Ils 
peuvent  s'employer  adjectivement  -.femme  lecheresse  dans 
Marie  de  France,  Fables,  1,  27  (édit.  Warnke).  Quelques 
manuscrits  ont  la  graphie  -eresce,  ce  qui  pourrait  nous 
porter  à  croire  que  les  mots  de  cette  catégorie  reposent 
sur  des  types  latins  en  -arïcia.  Il  n'en  est  rien  cepen- 
dant :  ces  mots  sont,  en  réalité,  formés  d'après  les 
masculins  correspondants  (balere,  lechere,  etc.)  à  l'aide  du 
suffixe  -esse  qui  est  le  latin  -ïssa,  grec  '.77a,  et  ils  doivent 
se   ramener   à  un   type,    peut-être    fictif,    -atorlssa1. 

1.  Il  n'est  pas  impossible  que  -alorïssa  ait  réellement  existé, 
dans  le  latin  vulgaire  de  la  Gaule  septentrionale,  à  côté  de  la 
forme  classique  -atricem,  étant  donné  le  peu  de  vitalité  de  -atrieem 
dans  le  domaine  de  la  langue  d'oïl. 


70  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

Les  preuves  ne  manquent  pas.  Au  point  de  vue  pho- 
nétique, la  graphie  fréquente  -erresse  et  la  rime  en  -esse 
et  non  en  -ece,  picard  -eche  Qecheresse  :  pramesse,  Marie 
de  France,  Fables,  l,  27  ;  felunesse  :  tenceresse,  Marie  de 
France,  Fables,  xcv,  3  ;  ostesse  :  maistresse  :  cochonesse  : 
venderesse:  espesse:  trekeresse,  Rendus  de  Moiliens,  Carité, 
clvi)  sont  des  faits  décisifs.  Au  point  de  vue  séman- 
tique, il  y  a  une  différence  sensible  entre  un  adjectif 
féminin  en  -crece  et  un  adjectif  féminin  en  -eresse:  une 
flèche  berserece  est  une  flèche  dont  on  se  sert  pour 
chasser  (berser),  tandis  qu'une  femme  tenceresse  est  une 
femme  qui  tance,  qui  aime  à  tancer.  M.  Meyer-Lùbke 
rattache  à  -ïssa  le  lorrain  kem'rosse  (écumoire)  et  le 
poitevin  vent'resse  (pelle  à  vanner  *).  Il  n'est  pas  douteux 
pour  nous  que  ces  deux  mots  contiennent  le  suffixe 
-aricia  :  cf.  l'expression  picarde  paiele  saimereche,  syno- 
nyme de  paiele  saimeoire,  poêle  à  écumer.  Il  faut  avouer 
cependant  que  lorsque  la  phonétique  nous  fait  défaut 
—  et  c'est  toujours  le  cas  lorsque  nous  quittons  la 
région  normanno-picarde  — -  nous  sommes  plus  d'une 
fois  incapables  de  nous  prononcer  entre  les  deux  forma- 
tions concurrentes.  Il  en  est  ainsi  notamment  lorsqu'il 
s'agit  d'animaux  de  sexe  ou  de  genre  féminins.  D'après 
l'expression  oiseau  chaceret,  et  substantivement  chaceret, 
qui  désigne  l'épervier  dans  l'Est,  et  où  il  faut  sûrement 
reconnaître  un  type  *captiar)cins,  on  peut  croire  que 
dans  jasse  bateresse,  nom  de  la  pie-grièche  en  Poitou z, 
nous  avons  affaire  au  type  *battaricia  ;  l'analogie  de 


1.  Gramm.  des  lang.  rom.,  II,  §  367. 

2.  Rolland,  Faun.  pop.,  II,  147. 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS  71 

geline  couveoire,  geline  couveresse,  d'une  part,  de  paieîe 
saimeoire,  paiele  saimereche,  de  l'autre,  semble  appuyer 
le  type  *cubarlcia,  de  préférence  à  *cubatorïssa.  Cependant 
la  sémantique  ne  conseillerait-elle  pas  plutôt  de  faire 
appel  à  *battatonssa ,  *cubatortssa  pour  rendre  compte 
des  mots  bateresse,  couveresse  ?  La  question  reste  pour 
moi  indécise,  et  c'est  pourquoi  je  ne  fais  pas  figurer 
les  mots  de  cette  catégorie  dans  les  listes  qui 
suivent. 

3°  Confusion  de  -arïcius  et  de  -ittus.  Le  suffixe  -tttus 
ajouté  à  un  mot  en  -ter,  -iere  produit  des  diminutifs 
en  -eret,  -erete,  dans  l'Est  -erot,  -erote,  -erat,  -erate.  Un 
mercerot  est  un  petit  mercier  et  une  banerete  est  une 
petite  bannière;  les  types  étymologiques  sont  clairement 
*merciarittus,  *bannarïtta.  Mais  que  faut-il  penser  de 
chardonneret  et  de  pâquerette  ?  Le  nom  de  l'oiseau  doit-il 
s'interpréter  par  le  «  petit  chardonnier  »  (cf.  le  wallon 
cherdonî,  chardonneret),  le  nom  de  la  fleur  par  «  la 
petite  fleur  de  Pâques  »  ?  Ou  bien  avons-nous  affaire 
à  des  formes  altérées  (seulement  depuis  une  époque 
récente)  dont  les  types  français  primitifs  étaient 
*chardonere%,  *pasquerece  ?  Je  ne  suis  pas  en  état  de 
me  prononcer1.  J'hésite  aussi  pour  l'explication  de 
noms  d'instrument  comme  coulerette  (couloire),  écu- 
merette (écumoire),  perccret te  (vrille);  aussi  ne  les  ai-je 
pas  admis  dans  mes  listes.  En  revanche,  j'ai  relevé 
quelques  mots  en  -eret,  même  quand  ils  ont  des  fémi- 


1.  M.  l'abbé  Devaux  m'apprend  que  parmi  les  noms  divers  que 
porte  le  chardonneret  dans  la  région  dauphinoise  le  type  *cardo- 
narcius  peut  être  sûrement  reconnu. 


72  GÉNÉRALITÉS   ET   MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

nins  en  -erette,  lorsqu'il  m'a  paru  que  la  sémantique 
appuyait  solidement  l'hypothèse  de  formes  primitives 
en  -ere%,  par  exemple  dameret,  dhnencheret,  filleret  et 
quelques  autres.  Des  recherches  ultérieures  dissiperont 
sans  doute  les  ténèbres  qui  obscurcissent  encore  une 
partie  du  domaine  où  je  me  suis  aventuré,  et  permet- 
tront d'en  mieux  fixer  les  limites. 

J'ai  divisé  les  mots  formés  à  l'aide  du  suffixe  -aricius 
en  deux  séries,  selon  qu'ils  ont  pour  base  un  thème 
nominal  ou  un  thème  verbal.  Chaque  série  se  subdivise 
en  trois  sections  :  adjectifs,  substantifs  masculins,  sub- 
stantifs féminins.  Les  formations  les  plus  anciennes 
sont  celles  qui  reposent  sur  des  thèmes  nominaux  :  cer- 
taines remontent  à  l'époque  impériale,  comme  le  prouve 
l'emploi  de  sigillaricius  par  Vopiscus,  et  les  textes  mé- 
rovingiens et  carolingiens  ne  semblent  pas  en  connaître 
d'autres.  Il  est  difficile  de  dire  à  quelle  époque  on  a 
commencé  à  employer  le  même  procédé  de  dérivation 
en  l'appliquant  à  des  thèmes  verbaux  :  le  jour  où  le 
verbe  sigillarc,  que  nous  ne  connaissons  que  par  les 
glossaires,  a  été  d'usage  courant,  sigillaricius  a  dû  faire 
l'effet  d'un  dérivé  de  thème  verbal.  La  coexistence  de 
sigillaricius  et  de  sigillare  contenait  en  germe  la  déri- 
vation de  thèmes  verbaux,  qui  est  l'extension  du  pro- 
cédé primitif.  Dans  la  période  française  elle-même,  il 
est  parfois  impossible  de  dire  si  tel  adjectif  en  -ere%  vient 
d'un  substantif  ou  d'un  verbe:  latere^,  palere-,  tinghrc-, 
par  exemple,  appartiennent  par  indivis  à  late,  pal,  tingle 
et  à  later,  palcr,  tingler. 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS 


THKMKS    NOMINAUX 


aiserez,  qui  aime  ses  aises  :  patois  de  Montbéliard, 
aiserot,  aiserotte  (Contejean). 

anguillerez,  destiné  à  prendre,  à  conserver  les  an- 
guilles: bacq  anwillerech  (1395,  dans  God.,  anwile- 
rech)  ;  sacque  anvillerech  (1534,  ibid.,  villerec,  lu 
sacqueau  vilhrecti)  ;  sacque  anvilleré  (16 19,  ibid.,  lu 
sacqueau  villere). 

ARDOiSEREZ,  propre  à  clouer  l'ardoise  :  clous  adoi^erés 
(deux  textes  sans  date  dans  God.,  adoiseret). 

asnerez,  relatif  aux  ânes  :  raisins  qu'on  appelle  asnerets 
(xvie  s.  Du  Pinet,  dans  God.,  asneret).  C'est  la  tra- 
duction du  latin  asinusca  vilis,  locution  où  le  sens  exact 
de  asinusca  est  incertain.  —  Existe  aussi  comme  sub- 
stantif masculin. 

auverez,  propre  à  faire  des  aubes  de  roue  de  moulin  : 
set  ais  auvereches  (13 14,  dans  God.,  auvereche,  sans 
définition). 

bancherez,  propre  à  travailler  sur  un  banc,  sur  un 
établi  (?)  :  coignee  bancheresse  (1448,  dans  God.,  banche- 
resse,  sans  définition  précise).  Bien  qu'il  soit  question 
ci-dessous  de  coignee  becheresse,  ce  qui  semble  la  même 
chose  au  point  de  vue  matériel,  l'étymologie  ne  peut 
être  la  même. 

banerez,  qui  a  le  droit  d'avoir  une  bannière,  aujour- 
d'hui banneret.  Voir  Tobler  dans  Sit^ungsb.  der  Akad. 
der  Wissensch.  %u  Berlin,  philos. -histor.  Classe,  19  jan- 


74  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

bastarez,  basterez,  propre  à  coudre  les  bâts  :  aguio 
bastaresso  (Mistral,  Trésor)  ;  aguille  basterece  (Sidrac,  dans 
God.,  basterece). 

bataillerez,  i .  Propre  à  la  bataille  (en  parlant  des 
choses);  ardent  à  la  bataille  (en  parlant  des  personnes). 
Exemples  dans  God.,  batailleur  et  batailleret  ; 
ajoutez  le  suivant,  tiré  des  appendices  du  Psautier 
lorrain,  éd.  Apfelstedt,  p.  i5o:  uns  homs  batilleras.  2. 
Garni  de  batailles  (sorte  de  fortification  :) portes  bateille- 
resses  (God.,  batailleur);  tour  bathelheresse  (J.  des 
Preis,  Geste  de  Liège,  1872). 

bêcherez,  recourbé  en  forme  de  bec  :  cognie  becheresse 
(1339,  dans  God.,  becheresse,  sans  définition  précise). 
Dans  ce  texte  unique,  la  cognée  becheresse  s'oppose  à  la 
cognée  plate  ;  il  s'agit  vraisemblablement  de  l'erminette. 

blaerez,  propre  à  moudre  le  blé  :  moulins  bleere^  et 
foulerez  (1327,  dans  God.,  blaieret,  où  on  lit  aussi 
un  exemple  anglo-normand  postérieur. 

boserez,  sali  de  bouse.  Deux  exemples  dans  Godef., 
bouseret;  dans  l'un  on  lit  bouseret,  dans  l'autre,  bou- 
sere^.  Comparez  le  nom  de  famille  Bousre^. 

braiserez,  propre  à  moudre  le  brais  :  mollin  brasererh 
(143 1,  dans  God.,  brasserech);  nwlin  braseret  (1448, 
Corbie,  dans  Du  Cange,  molendinum  brasarium).  Jl 
faut  distinguer  braserech  (qui  vient  de  brais)  de  brasse- 
rich  (qui  vient  de  brasser),  ce  que  ne  fait  pas  Godefroy. 

bruerez,  qui  vit  dans  les  bruyères  :  cocq  bruerece, 
kok  bruereche  (13 17,  dans  God.,  bruerece).  La  forme 
masculine  est  refaite  d'après  le  féminin. 

buglerez,  fait  d'une  corne  de  buffle  :  cor  buglereç 
(quatre  exemples  dans  God.,  bugleret). 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS  75 

cessarez,  payé  à  titre  de  cens  :  unutn  sextarium  fru- 
mcnii  cessarel\  {Obit.  de  Solignac,  dans  Arch.  histor.  du 
Limousin,  VI,  356;  il  y  a  cessant  à  la  p.  358). 

chalmerez,  qui  se  trouve  dans  les  chaumes  :  pierre 
chaumerette,  caillou  que  l'on  ramasse  à  la  surface  des 
chaumes  (Jaubert,  Gloss.  du  centre,  suppl.,  p.  36). 

chevalerez.  i.  Fait  pour  un  cheval:  sele  chevaleresse 
{Grandes  Chron.  de  France,  dans  God.).  2.  Qui  se  porte 
a  dos  de  cheval  :  bière  chevalerece  (Chrétien  de  Troyes, 
Erec,  4725). 

chevrerez,  qui  nourrit  des  chèvres  :  Haie  Quievreleche 
(1306),  aujourd'hui  Haie  Equiverlesse,  hameau  de  la 
commune  de  Fontenelle  (Aisne).  Cf.  mes  Essais,  p.  363 . 
—  Existe  aussi  comme  substantif  masculin  et  féminin  ; 
voyez  plus  loin  les  articles  cabrare^  et  cabrare^a. 

coldrerez,  qui  fréquente  les  coudres  :  wallon  raine 
côrece;  champenois  et  lorrain  raine  côrasse;  normand 
raine  coudrette,  etc.,  grenouille  verte,  rainette  (Rolland, 
Faune  pop.,  III,  74).  Cf.  mes  Mélanges,  p.  126,  n.  1. 

colerez,  qui  sert  à  couler:  paelle  colleresse  (xve  s., 
dans  God.,  coulleresse). 

costerez,  qui  est  de  côté.  Signalé  par  Tobler 
d'après  l'adverbe  costerecement,  employé  par  Baudoin  de 
Condé.  —  Existe  aussi  comme  substantif  masculin  et 
féminin. 

crocarez,  muni  d'un  croc  :  arbalestas  crocaressas 
(Carlid.  de  Montpellier,  dans  Raynouard,  Lexique  roman, 

II,  519). 

damerez,  propre  aux  dames.  Le  mot  n'apparaît  qu'à 
la  fin  du  xve  siècle,  et  il  a  dès  lors  la  forme  dameret, 
damerelte  (O.  de  Saint-Gelais  dans  God.,  compl.).  On 


76  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

donna  d'abord  le  nom  de  char  dameret  au  carrosse  sus- 
pendu (Littré).  —  Existe  aussi  comme  substantif  mas- 
culin. 

dimancherez,  habillé  comme  pour  un  dimanche. 
,,-Mot  qui  ne  se  trouve  que  dans  la  locution  varlet  diman- 
cheret,  au  xve  siècle  (God.). 

dosserez,  qui  forme  dos  (?)  :  une eschine  doceresse(i  386, 
dans  God.,  dosseresse).  Il  faut  certainement  lire  eschive, 
au  lieu  de  eschine;  c'est  une  variante  de  eschife,  non 
mentionnée  par  God.,  mais  qui  se  trouve  dans  Thèbes, 
4004.  —  Existe  aussi  comme  substantif  masculin  et 
féminin. 

draparez,  propre  à  fouler  le  drap  :  molis  drapare^ 
(xne  s.,  Cartul.  de  l'Artige,  charte  n°  53,  dans  Bull. 
soc.  arch.  du  Limousin,  XLVIII,  317). 

escorcerez,  propre  à  broyer  l'écorce,  le  tan  :  moulin 
escorceraiç  (1257,  Tournai,  dans  God.,  escor- 
ceraic). 

espinerez,  formé  par  des  épines  :  buisson  espincrech 
(Froissart,  dans  God.). 

eucerez,  de  la  dimension  d'une  cheville  (eiue)  :  tarere 
euchereç,  ouecereç,  heuceret  (Thomas,  Essais,  p.  293  et 
295  ;  cf.  Horning,  dans  Zeitschr.  fur  rom.  Phil.,  XXII, 
560  et  XXV,  614).  —  Existe  aujourd'hui  comme  sub- 
stantif masculin  sous  la  forme  esseret. 

everez,  mû  par  l'eau  :  molyn  eweret  (1 305 ,  dans  God., 
eweret);  ung  sou  eauweresse  (1585,  Liège,  dans  God., 
sou  2).  J'ignore  ce  que  c'est  qu'un  «  sou  eauweresse  ». 

femerez,  qui  sert  à  charrier  le  fumier  (fiens)  :fourke 
fumereche  (1415,  dans  God.,  fumereche). 

fenerez,  propre  à  couper  l'herbe  pour  faire  du  foin  : 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS  77 

fa%  fainerece  (Dial.  saint  Grégoire,  22,  20,  cité  par 
Horning,  Tobler  et  God.). 

FENEREZ,  FRENEREZ,  FLAVEREZ,  FLOEREZ  (?).  Ces  quatre 

adjectifs  se  trouvent  seulement  au  féminin  dans  la  locu- 
tion cendre  fenerece,  etc.,  enregistrée  par  God.  J'ignore 
de  quoi  il  s'agit;  mais  il  n'est  pas  douteux  que  nous 
soyons  en  présence  de  notre  suffixe  et  il  est  probable 
que  ce  sont  des  thèmes  nominaux  auxquels  il  s'ajoute. 

finerez,  qui  marque  les  limites  (fins).  Ne  se  trouve 
que  dans  la  locution  chemin  finero^,  fine  rot,  particulière 
à  la  Bourgogne  (God.,  finerot). 

foirerez,  qui  donne  la  foire  :  vosgien  herbe  foerosse, 
mercuriale  (Haillant).  —  Existe  aussi  comme  substantif 
féminin. 

fromenterez,  mélangé  de  froment.  Ce  mot  ne  se 
trouve  que  dans  la  locution  avoine  fromenterece ,  particu- 
lière à  la  région  du  Nord.  On  dit  par  extension  coupe 
fromenterece,  boistel  fromentere^,  coupe,  boisseau  d'avoine 
fromenterece  (God.,  fromenterece). 

fruiterez,  qui  sert  à  mettre  des  fruits  :  corbisons  fnii- 
terés  (1324,  Tournai,  dans  God.,  richart). 

gagerez,  qui  possède  à  titre  de  gage:  seigneur  gager  et 
(texte  lorrain,  dans  God.,  gageret). 

gaufrerez,  qui  sert  à  faire  les  gaufres:  uns  fiers  gau- 
ferais  (1334,  Tournai,  dans  God.,  waufret,  où  il  y  a 
six  autres  exemples,  tous  de  la  même  région). 

goterez,  qui  supporte  la  gouttière  :  mur  goutterot 
(1462,  Meuse,  dans  God.,  gouterot).  —  Existe  aussi 
comme  substantif  masculin. 

gresserez,  qui  sert  à  tailler  le  grès  :  martel  gresserech 
(1335,  Artois,  dans  God.,  gresserech). 


78  GÉNÉRALITÉS   ET   MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

jamberez,  qu'on  fixe  à  la  jambe  :  eschaces  jamberesccs 
(Renart,  vu,  582,  cité  par  Horning,  Tobler,  God.). 
—  Existe  aussi  comme  substantif  masculin  et  féminin. 

lampreierez,  qui  tient  de  la  lamproie  :  anguille  lani- 
presse,  locution  de  la  basse  Loire  (Rolland,  Faune  pop., 
III,  97  ;  cf.  mes  Mélanges,  p.  98). 

laterez,  qui  sert  à  clouer  les  lattes  :  cleu  laierech, 
cleus  laterés,  clo^  laterat,  claux  laterés  (xive-xve  s.  Artois 
et  Franche-Comté,  dans  God.,  lateret).  Ajoutez  clans 
latterés  en  13 19  (ibid.,  paler). 

locerez,  qui  est  en  forme  de  cuiller  (loce)  :tarrabrum 
quod  vulgo  dicitur  loceret,  de  quo  f adores  rotarum  perforant 
rotas  suas  (Du  Cange,  tarrabrum;  God.,  loceret). 
C'est  la  cuiller,  tarière  des  sabotiers  actuels,  que  beau- 
coup de  patois  appellent  encore  louce  (Labourasse),  losse 
(Haillant).  —  Existe  aussi  comme  substantif  masculin. 

malerez,  qui  fait  office  de  malle  :  sas  malerés  (1338, 
Nord,  dans  God.,  maleret)  ;  selle  malerece  (1393, 
Douai,  ibid.,  malerece). 

meiteerez,  affermé  à  moitié  fruits  :  vigne  moiterasse 
(xme  s.  Metz,  dans  God.,  moiterece).  —  Existe  aussi 
comme  substantif  féminin. 

oblierez,  qui  sert  à  payer  la  redevance  dite  oublie  : 
six  pains  oublierez  de  rente  (Cartul.  de  Chartres,  dans 
God.,  oublieret). 

paroisserez,  attaché  à  la  paroisse  :  prestres  paroissere^ 
(Guillaume  Le  Clerc,  Besant,  dans  God.,  paroisseret). 

pasquerez,  qui  se  mange  à  Pâques  :  choulx  pasquerês 
(Ménagier  de  Paris,  II,  143  ;  cité  par  Tobler).  God.  a 
un  exemple  de  temps  pasqueret;  mais  je  crains  qu'il  ne 
soit  pas  sûr  et  qu'il  faille  suppléer  de  entre  les  deux 


LE  SUFFIXE  -AR1C1US    ,  79 

mots  :  l'emploi  de  pasquere-  comme  substantif  masculin 
sera  noté  plus  loin. 

peagerez,  grevé  d'un  péage  :  chemins  peagereç,  paai- 
gere^  (1330  et  1338,  dans  God.,  PEAGERET). 

pilerez,  qui  forme  pilier:  troys  pie^  pillere-  (1380, 
dans  God.,  pileret  2). 

plomberez,  qui  sert  à  clouer  le  plomb  :  cleu  ploumerech 
(1304,  Artois,  dans  God.,  plommerech,  où  il  y  a  deux 
autres  exemples  auxquels  il  faut  ajouter  en  outre  ceux 
qui  se  trouvent  à  l'article  plommeret). 

porcherez,  destiné  à  contenir  des  porcs  :  fosse  por- 
cherece  (1303,  Fontevrault,  dans  God.,  porcherece). 
—  Existe  aussi  comme  substantif  masculin  et  féminin. 

poterez.  1 .  Qui  sert  à  faire  des  pots  :  terre  poteresse 
(Roman  de  J.  César,  dans  God.,  poteresse;  l'adjectif  est 
encore  vivant,  dans  le  même  sens,  à  Boulogne).  2.  Qui 
sert  à  puiser'dans  le  pot  :  louce poterece (Poésies du XIIIe s'., 
dans  God.,  ibid.). 

rocherez,  qui  vit  dans  les  roches  :  colombe  rocheraye 
(Cotgrave).  Le  féminin  rocheraye,  dû  a  une  méprise,  a 
fini  par  s'imposer  même  au  masculin.  C'est  ainsi  qu'on 
lit  dans  Mozin,  Nouv.  Dict.  complet  (1811-1812): 
«  Rocheraie  ou  pigeon  de  roche,  oiseau  de  passage  de 
la  grosseur  du  biset  à  le  rocheraie  blanc,  le  rocheraie  de 
la  Jamaïque.  » 

roserez  (?).  God.  ne  cite  qu'un  exemple:  «  Gar- 
belles  rosereches,  15  51,  compte,  Lille,  ap.  La  Fons, 
Gloss.  ms.,  Bibl.  Amiens.  »  Il  traduit  imperturba- 
blement par  «  de  roseau  ».  D'autre  part,  à  l'article 
GERBELE,  il  voit  dans  garbelle  une  sorte  d'épice. 

salmonerez,  qui  tient  du  saumon  :  truite  saumonne- 


8o  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

resse  (Taillevent,  Viandier,  éd.  Pichon  et  Vicaire,  p. 
190,  etc.).  Manque  dans  God. 

tablerez,  qui  sert  à  clouer  les  boiseries  (tables)  : 
claux  tablerez,  tavlerés,  etc.  (1397-1533,  Tournai,  dans 
God.,  tableret).  —  Existe  aussi  comme  substantif 
masculin  et  féminin. 

tanerez,  propre  à  broyer  l'écorce  pour  faire  du  tan  : 
moulin  tannere^  (1298,  dans  God.,  tanneret).  On 
trouve  dans  Du  Cange  molendinum  tannere^  et  molen- 
dinum  taneret. 

tavernerez,  qui  hante  la  taverne  :  fol  et  taverneret 
(Etabl.  de  saint  Louis,  dans  God.,  taverneret,  où  il  y 
a  trois  autres  exemples). 

tercerez,  affermé  au  tiers  des  fruits  :  vigne  que  Ste- 
venins  Marion  tenivet  tercerasse  (1338,  Metz,  dans  God., 
tierceresse).  —  Existe  aussi  comme  substantif  mas- 
culin et  féminin. 

terragerez,  qui  sert  à  recueillir  le  droit  de  terrage  : 
grange  terrageresse  (Coût,  de  Montargis,  dans  God.,  ter- 
rageor).  L'expression  a  été  enregistrée  par  Cotgrave, 
Furetière  et  le  Dictionnaire  de  Trévoux  :  ce  dernier 
fait  de  terrageresse  le  féminin  de  terrager. 

terrerez,  qui  sert  à  charrier  de  la  terre  :  brouette 
teresse,  Herreche,  teresche  (1406-1442,  Flandre  et  Artois, 
dans  God.,  terrace,  i). 

tinglerez,  qui  sert  à  clouer  les  tringles  (iingles)  : 
claux  tingkrés  (1432,  Tournai,  dans  God.,  tingleret). 
La  variante  iingnerés  (lire  tinguerés),  attestée  en  1342 
et  1492,  est  difficile  à  expliquer. 

torberez,  où  il  y  a  de  la  tourbe  ;fosse^  iourberés (1 304, 
Corbie,  dans  God.,  tourberet). 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS  81 

truanderez,  de  truand  :  miracles  truanderez  (Gautier 
de  Coinci,  dans  God.,  truanderet). 

vacarez,  vacherez,  où  passent  les  vaches:  Porte 
Vackerece,  nom  d'une  porte  de  Douai,  mentionnée  dès 
1255  sous  cette  forme  (God.,  vacheresse);  Via  Vaca- 
ressa,  nom  d'une  route  romaine  qui  se  détachait  de 
celle  de  Nimes  à  Montpellier  et  aboutissait  à  Aigues- 
Mortes  (Germer-Durand,  Dict.  du  Gard,  p.  57;  Mis- 
tral). —  Existe  aussi  comme  substantif  masculin  et 
féminin. 

veierez,  qui  appartient  à  la  voirie,  à  la  juridiction 
du  voyer:  chemins  reaux,  voiere^  et  paaigere^  (1330, 
Car  t.  de  Saint- Joseph  en  Val,  dans  God.,  voieret,  où 
il  n'y  a  que  cet  exemple  emprunté  à  Du  Cange  et  où 
l'auteur  traduit  par  «  frayé,  par  lequel  on  a  coutume 
de  passer  »). 

vendengerez,  qui  sert  à  recueillir,  à  emmagasiner 
la  vendange:  panier  vendanger  et  (Rabelais,  dans  God., 
vendangeret)  ;  granche  vendemaresse  (1397,  ibid.,  ven- 
demaresse). 

vignerez,  qui  sert  à  tailler  la  vigne  :  serpe  vigneresse 
(Cart.  de Saint-Maur ,  dans  God.,  vigneresse).  —  Existe 
aussi  comme  substantif  masculin. 

vinerez,  qui  sert  à  emmagasiner  le  vin  :  celle  vine- 
resse  {Sermons  de  saint  Bernard,  p.  130,  cité  par  Hor- 
ning  et  Tobler).  La  graphie  ss  dans  un  texte  aussi 
ancien,  qui  ne  confond  pas  ^  et  f  est  surprenante, 
comme  on  l'a  remarqué  ;  le  scribe  a  dû  penser  à  la  dési- 
nence des  noms  féminins  d'agents. 

voogerez,  qui  ressemble  à  un  vouge  :  serpe  vougeresse 
(1472,  Anjou,  dans  God.,  vougeresse).  Carpentier  a 
Thomas.  II.  —  6 


8*  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

relevé  dans  des  lettres  de  rémission  du  Trésor  des 
chartes,  JJ,  189,  n°  120,  année  1456,  bailliage  de  Mâcon, 
le  substantif  féminin  vougesse,  qui  désigne  un  instru- 
ment identique  à  la  serpe  vougeresse  de  l'Anjou1.  Mon 
confrère,  M.  Gerbaux,  qui  a  vu  le  registre  JJ  189, 
m'affirme  que  Carpentier  a  bien  lu  et  que  le  texte 
donne  à  trois  reprises  vougesse  et  non  vougeresse  :  il  est 
probable  que  l'original  de  la  requête  présentée  à 
la  chancellerie  royale  portait  vougeresse  avec  le  sigle 
abréviatif  de  er,  et  que  les  notaires  ne  l'ont  pas  remar- 
qué. 


SUBSTANTIFS    MASCULINS 


ablerez,  aujourd'hui  ableret,  filet  à  prendre  les 
ablettes  :  nous  deffendons  les  ablerês  essener  (corr.  essever) 
a  terre  (13 17,  dans  God.,  CompL).  La  forme  ung  abliere 
citée  par  Carpentier  dans  Du  Cange,  ableia,  d'après 
un  inventaire  de  15 II,  est  certainement  fautive;  mais 
faut-il  corriger  une  abliere,  ung  abl'ier,  ou  ung  ableret  ? 
On  ne  connaît  par  ailleurs  ni  abîier  ni  abliere. 

asnerez,  plante  recherchée  par  les  ânes  :  an'ro,  sorte 
de  gros  chardon  (Roussey,  Gloss.  de  Bournois'). 

bezarkz,  lieu  où  il  y  a  des  bouleaux  (be^)  :  Bessarés, 
commune  de  Saint-Étienne-de-Maurs  (Cantal). 

bocarez  :  «  boucarés,  boucharès,  variété  de  raisin  noir  » 
(Mistral).  L'étymologie  paraît  être  bouc:  cf.  bouchard, 
qui  a  le  museau  noir. 


1.  God.  a  omis  ce  mot  pour  lequel  il  faut  se  rapporter  à  Du 
Cange,  vougetus. 


LE  SUFFIXE  -AR1CIUS  8? 

cabrarez,  oiseau  qui  tête  (ou  qui  passe  pour  teter) 
les  chèvres  :  prov.  mod.  cabrant,  hulotte  ou  chat-huant. 

CHAPEREZ,  drap  à  faire  des  chapes  :  for~  chapere^  por 
faire  chape  a  eau  (1243,  Châlons,  dans  God.,  texte 
republié  récemment  par  M.  Fagniez,  Doc.  rel.  à  l'in- 
dustrie, I,  151). 

chalmerez,  oiseau  qui  vit  dans  les  chaumes:  chau- 
meret,  espèce  de  bruant  (Littré).  Cf.  paillerez 

chaserez,  éclisse,  moule  à  faire  les  fromages  :  hotte- 
reaulx,  chasere^  (1467,  dans  God.).  Jean  Thierry  a 
introduit  la  forme  picarde  caseret  dans  le  Dictionnaire 
Jrançois-latin  de  Robert  Estienne,  d'où  elle  a  passé  dans 
Nicot,  dans  Cotgrave  et  dans  Antoine  Oudin,  qui 
donnent  aussi  chaseret.  Richelet,  Furetière  et  l'Académie 
dédaignent  ces  termes  ruraux.  Trévoux  reprend  chaseret, 
qu'on  est  étonné  de  ne  pas  trouver  dans  Littré.  Ce 
dernier  donne  en  revanche  caser el,  qui  n'est  probable- 
ment qu'une  coquille  typographique  pour  caseret.  Peut- 
être  faut-il  considérer  notre  mot,  dont  la  forme  primitive 
est  douteuse,  comme  un  diminutif  de  chasier,  chasière; 
cependant  chasier  et  chasière  désignent  ordinairement 
un  ustensile  différent,  la  cage  où  l'on  fait  sécher  les 
fromages  sortis  du  chaseret,  ce  qui  me  fait  croire  à  un 
type  latin  *casearicium. 

COSTEREZ,  aujourd'hui  colrel.  La  dérivation  de  côte 
est  sensible  dans  les  deux  sens  techniques  de  ce  mot  : 
i°  pièce  de  bois  faisant  partie  d'une  aile  de  moulin  à 
vent  ;  2°  madrier  faisant  partie  d'un  métier  de  haute- 
lice.  D'après  Savary  des  Bruslons,  les  cotterets  ou 
colterelles  du  métier  «  servent  à  contenir  et  soutenir  à 
leurs  deux  extrémitez  les  deux  ensubles  sur  lesquels 


84  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

s'étendent  les  fils  de  la  chaîne  des  tapisseries  de 
haute-lisse.  »  Au  sens  courant  de  «  fagot  de  menu 
bois  »,  cotret  est  moins  facile  à  expliquer.  M.  Tobler 
suppose  que  le  mot  s'est  d'abord  appliqué  aux  rondins 
qui  soutiennent  les  côtés  des  voitures,  puis  aux  ron- 
dins d'un  fagot,  puis  au  fagot  lui-même  (Sit^ungsb., 
19  janv.  1903).  L'anc.  franc,  applique  souvent  costere^ 
à  une  mesure  en  usage  pour  les  matières  les  plus 
diverses  (vin,  huile,  miel,  poisson,  fer  à  cheval). 
Dans  ce  dernier  sens,  non  indiqué  par  Godefroy,  la 
forme  costere^  est  bien  attestée  :  unum  costere^  ferrorum 
equi  (L.  Delisle,  Classe  agricole  en  Norm.,  p.  567). 

damerez,  aujourd'hui  damer  et,  homme  dont  la  tenue, 
les  manières  rappellent  celles  d'une  dame.  Ce  mot 
n'apparaît  comme  substantif  qu'au  seizième  siècle  (1 5  64, 
J.  Thierry),  et  il  a  dès  lors  la  forme  actuelle  dameret 
(voyez  ci-dessus  l'article  damerez,  adjectif).  —  Un 
cépage  porte  en  limousin  le  nom  de  dameret  (Littré, 
suppl.). 

dosserez,  tapisserie  garnissant  le  dos  d'une  chaise, 
d'un  dais,  etc.  Quoique  Froissart  emploie  déjà  dosseret, 
la  forme  picarde  dosserech,  mentionnée  au  seizième 
siècle  par  Du  Tillet  (God.,  dosseret)  ne  laisse  aucun 
doute  sur  la  présence  de  notre  suffixe.  Les  sens  actuels 
du  mot  technique  dosseret  portent  à  le  considérer  comme 
un  diminutif  de  dossier;  cependant  dosserece,  dont  il  sera 
question  plus  loin,  montre  qu'il  n'est  pas  impossible 
que  dosseret  se  soit  substitué  à  dossere^. 

eucerez,  aujourd'hui  esseret,  sorte  de  tarière;  voyez 
ci-dessus  l'article  eucerez,  adjectif. 

paverez,  lieu  où  il  y  a  des  fèves  :  Faverois,  commune 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS  85 

du  territoire  de  Belfort,  Faverois  en  1295,  Vaveresch  en 
1303,  Faferas  en  1394. 

fenerez,  le  mois  où  l'on  fait  les  foins,  juillet.  Cité 
par  Tobler  d'après  God.,  qui  ne  donne  que  deux 
exemples  (fenerech,  fenereç),  de  la  Flandre  et  de  la 
Champagne1. 

figarez,  lieu  où  il  y  a  des  figuiers  :  Figarès,  ferme, 
commune  de  Bellegarde  (Gard). 

fillerez,  homme  dont  la  tenue,  les  manières  rap- 
pellent celles  d'une  fille.  Le  mot  n'est  employé  que 
par  G.  Bouchet,  cité  par  God.,  sous  la  forme  filleret; 
il  semble  fabriqué  sur  le  modèle  de  dament. 

genesterez,  oiseau  qui  fréquente  les  genêts  :  g'nétrot, 
fauvette,  sylvie  des  jardins  (Haillant,  Essai  sur  un  patois 
vosgien,  Dict.,  p.  289). 

goterez,  mur  qui  supporte  la  gouttière  (cf.  ci-dessus 
gotere^,  adjectif).  Le  mot  est  encore  vivant  dans  la 
Meuse  (goutterot,  mur  sur  lequel  s'appuient  les  che- 
vrons, les  gouttières,  Labourasse).  Il  y  a  un  autre  sub- 
stantif gotere%,  tiré  du  verbe  goter,  goutter. 

jamberez,  instrument  pour  suspendre  par  les  jambes  : 
rouchi  cambré,  bâton  courbe  auquel  on  attache  les 
porcs,  veaux,  moutons  pour  les  écorcher  ou  enlever 
les  entrailles  (Hécart)  ;  meusien  jambrot,  traverse  mo- 


1.  A  cause  même  de  sa  rareté  dans  les  textes,  fenereç  ne  figure 
pas  dans  le  Glossaire  des  dates  du  Manuel  de  diplomatique  de  Giry  ; 
on  n'y  trouve  que  son  synonyme  fenal.  D'après  Giry,  fenal  dési- 
gnerait «  fin  juin  et  juillet  dans  les  Flandres,  juillet  et  août  dans 
les  chartes  lorraines  »  ;  cette  distinction  n'est  pas  fondée.  Partout 
fenal  veut  dire  «  juillet  »  ;  la  saint  Pierre  fenal  entrant  n'est  pas, 
comme  le  croit  Giry,  le  Ier  août,  mais  le  29  juin. 


86  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  L'ENSEMBLE 

bile  retenue  par  un  crochet  de  fer  au  sommet  de  la 
potence  et  à  chaque  bout  de  laquelle  on  attache,  pour 
les  suspendre,  l'un  des  pieds  de  derrière  d'un  porc  tué 
pour  fendre  ce  porc  et  en  ôter  les  viscères  (Labou- 
rasse). Dans  un  autre  sens,  meusien  jambrot,  croc-en- 
jambe  (Labourasse). 

jascherez,  le  mois  où  l'on  laboure  les  jachères,  juin 
(Flandre  et  pays  wallons).  Cité  parTobler  qui  ajoute 
un  nouvel  exemple  à  ceux  de  Godefroy.  Ce  dernier  a 
relevé  gasker  dans  une  charte  de  1366,  mais  il  est  pro- 
bable qu'il  y  avait  un  signe  d'abréviation  qu'il  n'a  pas 
remarqué. 

lobarez,  lieu  où  il  y  a  des  loups  :  Loabarés,  quartier 
du  territoire  d'Arles  et  montagne  près  de  Saint-Jean 
du  Gard  (Mistral). 

locerez,  aujourd'hui  lacent,  lasseret,  tarière  en  forme 
de  cuiller.  Voir  ci-dessus  l'article  locerez  adjectif;  cf. 

Littré,    LACERET,    LASSERET. 

osserez,  aujourd'hui  osseret,  couteau  de  boucher  qui 
sert  à  trancher  les  os.  Le  mot  n'a  pas  d'historique  dans 
Littré  ni  dans  Godefroy;  il  apparaît  en  1752  dans 
Trévoux  (Hatzfeld-Darmesteter). 

paillerez,  oiseau  qui  se  plaît  dans  la  paille  (des 
chaumes)  :  pailler  et,  bruant  (Littré).  Cf.  ci-dessus  chal- 
merez. 

pasquerez.  1 .  La  semaine  de  Pcâques.  Cité  par  Tobler. 
God.  en  donne  de  nombreux  exemples,  mais  on  ne  voit 
pas  pourquoi  il  a  omis  celui-ci,  que  Carpentier  a  inséré 
dans  Du  Cange,  pascha  intrans  :  «  Pour  sis  vins  deus 
livres  dis  sous  tournois  febles  prestez  a  Monsr  en  Pas- 
querez entrant  cccxliij.   »  Dans  cet  exemple  il  ne  faut 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS  87 

pas  construire  entrant  avec  pasquere^,  comme  le  fait 
Carpentier,  mais  avec  cccxliij.  God.  admet  en  outre  un 
substantif  féminin  pasquerie,  avec  trois  exemples  pour 
l'appuyer  :  «  ung  messagier  envoyet  a  Paris  en  paske- 
ries  »  (1320);  «  le  vint  cinquiesme  jour  d'avril  en  pas- 
queries  »  (1492);  «  le  mardy  en  pasqueries  »  (1539). 
Peut-être  faut-il  lire  pasqueries  partout  et  fondre  ces 
exemples  dans  l'article  pasqueret  ;  toutefois  la  diph- 
tongue ie  ne  serait  pas  régulière  puisqu'elle  correspon- 
drait ici  à  un  ï  et  non  à  un  é  latin.  2.  Cadeaux,  con- 
sistant surtout  en  œufs,  faits  à  l'occasion  de  Pâques. 
God.  n'a  pas  d'exemples  pour  le  moyen  âge,  mais  il 
se  réfère  aux  patois  actuels  de  la  Beauce,  du  Perche  et 
de  la  Normandie.  On  peut  ajouter  le  Bas-Maine  : 
«  Pakrè,  œufs  que  les  fermiers  donnent  à  leurs  pro- 
priétaires vers  Pâques  ;  quête  que  font  à  domicile,  vers 
Pâques,  les  bedeaux  et  les  sacristains  »  (Dottin). 

porcherez,  porcherie  :  Porcherais-Casso,  hameau, 
commune  de  Pont-Château  (Loire-Inférieure). 

tercerez  :  «  tiercerets,  certaine  crosse  branches  on 
the  outside  of  a  vault  »  (Cotgrave,  traduit  dans 
God.). 

vacarez,  vacherez:  Vacarés,  étang' de  la  Camargue, 
ainsi  nommé  des  troupeaux  de  vaches  sauvages  qui 
habitent  sur  ses  rives  (Mistral)  ;  Vacheret,  hameau, 
commune  de  Demigny,  Saône-et-Loire. 

vignerez,  vinharez.  ï.  Serpette  pour  la  vigne  : 
«  vignerel,  serpette  d'une  forme  particulière  dont  se 
servent  les  vignerons  pour  tailler  la  vigne  »  (Jaubert, 
GIoss.  du  Centre).  2.  Vignoble:  prov.  vignares,  gasc. 
bignarés,  dauph.  vignerel  (Mistral). 


GENERALITES   ET   MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 


J.    SUBSTANTIFS    FÉMININS 

bergerece,  bergerie.  Nom  d'un  domaine  non  iden- 
tifié: La  Bergeresse  en  Brie  (1423,  Longnon,  Paris  sous 
la  domination  anglaise,  p.  100). 

bezareza,  lieu  où  il  y  a  des  bouleaux  :  Besseresse,  nom 
de  deux  hameaux,  communes  de  la  Courtine  et  de  Saint- 
Priest-la-Plaine  (Creuse). 

boscareza,  lieu  où  il  y  a  du  bois  :  Boucheresse,  hameau, 
ancienne  paroisse,  commune  de  Clairavaux  (Creuse), 
écrit  Bostchar esses  en  1484. 

bossareza,  lieu  où  il  y  a  du  buis  (?)  :  Bousseresse, 
hameau,  commune  de  La  Souterraine  (Creuse),  écrit 
Bossaressas  en  1427. 

bovareza,  chemin  des  bœufs:  via  de  la  bovareci ;  la 
bovareci  que  tendit  cil  Vern  ;  itinere  de  la  bovaressi  (Terrier 
du  Temple  de  Vaulx  de  1352,  fos  8,  16,  46  ;  communi- 
cation de  M.  l'abbé  Devaux). 

boverece,  bouverie  :  Bouresse,  hameau,  commune  de 
Lussac-le-Château  (Vienne),  écrit  Boerecia  en  904  ; 
Bouvresse  (Oise)  ;  La  Bouvresse  (Oise,  commune  de 
Beaulieu-les-Fontaines) . 

cabrareza,  lieu  où  il  y  a  des  chèvres  :  La  Calcu- 
lasse, hameau,  commune  de  la  Salvetat  (Hérault),  écrit 
Cabraresia  en  n 57;  Cabaresse  (pour  Cabraresse), 
hameau,  commune  de  Salazac  (Gard).  Dans  Saint- 
Laurent-de-Gï/;ra-m£  (Aude),  nous  voyons  le  suffixe 
-aricius. 

calmareza,  lieu  où  il  y  a  des  terrains  incultes  (calm)  : 
Chaumaresse,  hameau,  commune  de  Massiac  (Cantal). 


LE  SUFFIXE  -AR1CIUS  89 

costerece.  i.  Ce  qui  a  des  côtes:  wallon  coisteresse, 
sorte  de  pommes  à  côtes.  2.  Ce  qui  a  la  forme  d'une 
côte  :  anc.  wallon  coestresse,  angle  saillant  d'un  toit,  dit 
aujourd'hui  côte.  3.  Ce  qui  garnit  le  côté  :  wallon 
coisteresse,  rampe  à  jour  d'un  escalier  portatif  (Grand- 
gagnage,  I,  120;  II,  516  et  567). 

dosserece,  jambage  de  maçonnerie  :  jambes,  par- 
paignes  ou  dosseresses  (Coût,  de  Mont  fort  l'Amaury,  dans 
God.,  dosseresse).  La  variante  dosserasse  des  coutumes 
de  Paris  et  de  Dourdan  est  probablement  due  à  une 
substitution  de  suffixe  récente. 

fagnerece,  oiseau  qui  vit  dans  les  marais  (fagne)  : 
vsaïïonfagneresse,  litorne  (Rolland,  Faune  pop.,  II,  238). 

1  averece,  lieu  où  il  y  a  des  fèves  :  Favresse,  com- 
mune, et  Faveresse  ou  Favresse,  hameau,  commune  de 
Grauves  (Marne).  Je  suis  très  surpris  de  voir  que 
M.  Longnon  place  Favresse  dans  la  série  des  vocables 
géographiques  remontant  à  un  nom  de  propriétaire  pris 
adjectivement  et  employé  au  féminin  et  qu'il  suppose 
un  type  *Faberitiaï.  Non  seulement  le  nom  d'homme 
*Faberitius  est  invraisemblable 2,  mais  la  persistance 
d'un  e  devant  IV  jusqu'au  seizième  siècle  (Faveresces 
1 1 4  5 ,  Favereces  1163,  Favere^es  1223,  Faveresses  1268, 
Faveresse^  1459)  montre  clairement  que  le  type  éty- 
mologique est  *Fabaricias. 

FORTAREZA,  forterece,  français  moderne  forteresse, 
lieu  fortifié.  M.  Tobler  a  consacré  une  petite  dissertation 


1.  Dict.  top.  de  la  Marne,  introd.,  p.  vin. 

2.  On  a  effectivement  Faberius,  tiré  âefaber  ;  mais  avec  le  suffixe 
-ictus,  le  latin  dit  i'abikius,  d'après  la  déclinaison  jaber  bri. 


90  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

à  l'étymologie  du  mot  forteresse  ï:  il  y  voit  une  forme 
allongée  defortrece,  sorti  defortece  par  l'épenthèse  d'une 
r,  comme  le  normand  jardrin,  de  jardin.  Gaston  Paris 
accepte  en  grande  partie  la  manière  de  voir  de  M.  To- 
bler 2;  il  se  borne  à  rattacher  la  forme  fortelece,  où 
M.  Tobler  voit  une  dissimilation  de  forterece,  à  un 
type  *fortalicia  existant  déjà  en  latin  vulgaire.  Je  crois 
qu'il  faut  aller  plus  loin  et  admettre  en  latin  vulgaire 
l'existence  de  *fortaricia  à  côté  de  *fortalicia.  Quoique 
le  provençal  dise  ordinairement  fortale^a,  il  connaît 
aussi  fortare^a,  qui  figure  dans  une  charte  d'environ 
1 173  (Gall.  christ.,  III,  1074)  :  for  tarera  «  lieu  fortifié  » 
fait  pendant,  en  provençal,  à  secare^a  «  lieu  desséché  ». 
La  forme  française  fortrece  est  certainement  sortie  de 
forterece,  par  syncope,  et  non  de  fortece,  par  épenthèse. 

foirerece,  herbe  qui  donne  la  foire  :  messin  foerasse, 
mercuriale  (Chan  Heurlin,  chant  1). 

ivernareza,  lieu  où  l'hiver  est  rigoureux  (?)  :  Hyver- 
neresse,  nom  d'un  hameau  de  la  commune  de  Gioux 
(Creuse),  au  quinzième  siècle  ïvernaresses^,  prononcé 
aujourd'hui  en  patois  Ivarnansa. 

jamberece  ?  Cf.  wallon  jambresses  «  planches  mises  à 
plat  qui  forment  le  bord  supérieur  d'un  bateau  et  qui 
débordent  vers  l'intérieur;  on  dit  aussi  jondresses  » 
(Grandgagnage,  II,  531).  Jondresse  se  rattache  au  verbe 


1.  Sitqungb.  de  l'Académie  de  Berlin,  23  juillet  1896. 

2.  Remania,  XXV,  621. 

$.  Mon.  de  la  soc.  se.  nat.  et  arch.  de  la  Creuse,  X,  325.  —  Ce 
village  a  donné  son  nom  à  une  famille  à  laquelle  se  rattache  l'hel- 
léniste Courtaud-Diverneresse  (1794-1879)  dont  le  buste  a  été  érigé 
en  1882  sur  une  place  de  Felletin. 


LE  SUFFIXE  -ARIC1US  91 

jotide,  joindre  (voy.  ci-dessous).  Quant  à  jambresse,  il 
vient  certainement  de  jambe,  bien  que  le  rapport  exact, 
au  point  cfe  vue  sémantique,  ne  soit  pas  très  clair  :  com- 
parez l'emploi  de  genou  à  côté  de  jambresse  dans  cette 
définition  :  «  dône,  terme  de  l'atelier,  bois  servant  à 
revêtir  les  j'noz  et  à*soutenir  la  jambresse  »  (Grandga- 
gnage,  II,  522). 

lobareza,  lieu  où  il  y  a  des  loups  :  Loubaresse,  nom 
de  deux  communes  (Ardèche,  Cantal)  et  d'un  hameau 
(Cantal).  M.  l'abbé  Devaux  me  signale  les  mentions 
«  foresta  de  la  Lovareci,  serva  de  la  Lovareci  »  dans  un 
document  dauphinois  de  1343;  un  mas  du  canton  de 
Morestel  (Isère)  est  aussi  appelé  Lovarecia  en  1348;  il 
ne  paraît  pas  avoir  subsisté  avec  ce  nom.  (Ul.  Cheva- 
lier, Coll.  des  Cart.  dauph.,  VII,  88  et  89). 

longuerece,  écrit  Imigueresse,  prisme  rectangulaire 
très  allongé  qu'on  taille  dans  les  ardoisières  pour  enlever 
plus  facilement  l'ardoise  (Littré).  Longueresse  paraît 
s'être  substitué  à  longuesse.  Mozin  ne  connaît  que  ce 
dernier  (18 12)  et  le  définit  ainsi  :  «  partie  de  la  carrière 
d'ardoise  qu'un  ouvrier  travaille.  » 

malerece,  selle  faisant  office  de  malle  :  seoit  sur  une 
maillerace  (Perceforcst,  dans  God.,  malerece). 

meiteerece,  ferme  à  moitié  fruits  :  lorrain  et  romand 
moiteresse,  tnoitcrasse,  etc.,  dans  God.,  moiteresse, 
exemples  de  123 1  à  1491. 

I'.werece,  aujourd'hui panneresse,  pierre,  brique,  etc., 
employée  en  parement,  c'est-à-dire  de  façon  à  laisser 
voir  son  pan  le  plus  large.  Panneresse  s'oppose  à  bou- 
tisse.  Cf.  Littré,  Hatzfeld-Darmesteter,  etc. 

porcareza,  porcherece,  porcherie.  Godefroy  a  plu- 


92  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

sieurs  exemples  de  porcherece,  comme  nom  commun 
dans  des  textes  bourguignons.  Noms  de  lieux  :  Porche- 
resse  (Charente,  Charente-Inférieure,  commune  de 
Genouillé  ;  Loiret,  commune  de  Villamblain;  Luxem- 
bourg belge)  ;  Pourcharessas  (Corrèze,  commune  de 
Lestars);  Pourcharesse  (Ardèche,  commune  de  Domp- 
nac  ;  Pourcharesses  (Lozère)  ;  Pourcheresse,  commune 
de  Vabres,  Haute-Loire;  commune  de  Celles,  Puy-de- 
Dôme;  Pourcheresses,  commune  de  Pébrac,  Haute-Loire. 
La  Chanson  de  la  Croisade  contre  les  Albigeois  emploie 
l'expression  dart  porcarissal  pour  désigner  un  épieu 
(vers  6322)  :  faut-il  en  induire  l'existence  d'un  substantif 
porcariza  au  sens  de  «  troupe  de  sangliers  »  ?  Il  est  plus 
probable  que  porcarissal  est  une  forme  allongée  de 
*porcari^  représentant  porcarïcius,  c'est-à-dire  un  dérivé 
de  porcus  par  la  superposition  de  trois  suffixes  faisant 
bloc. 

rodareza,  lieu  où  l'on  fabrique  des  roues  :  Rudersas, 
hameau  de  la  commune  de  Royère  (Creuse),  dont  le 
nom  est  écrit  Roudaressas  dans  tous  les  anciens  docu- 
ments et  Rotaricias  dans  une  charte  de  626,  republiée 
par  Julien  Havet1  et  commentée  au  point  de  vue  topo- 
graphique par  M.  Zenon  Toumieux2.  La  forme  actuelle 
reproduit  approximativement  la  contraction  et  le  chan- 
gement de  ou  en  u  usuels  dans  le  patois  de  la  commune 
de  Royère;  on  écrit  aussi  Rondersas,  Rcdersas.  Dans 


1.  Mémoire  paru  dans  la  Bibl.  de  l'École  des  Chartes,  LI,  41, 
réimprimé  dans  Œuvres  de  Julien  Havet,  I,  232. 

2.  Mémoire  paru  à  la  fois  dans  les  Me'm.  de  la  Soc.  des  se.  nat. 
el  arch.  de  la  Creuse,  VII,  397,  et  dans  le  Bull,  de  la  Soc.  arch.  et 
bist.  du  Limousin,  XXXIX,  439. 


LE  SUFFIXE  -AR1CIUS  93 

l'usage  des  communes  limitrophes,  le  mot  se  réduit 
souvent  à  Dersas. 

secareza,  secherece,  français  moderne  sécheresse,  lieu 
desséché  (en  ancien  provençal),  état  de  ce  qui  est  sec. 
A  Bordeaux  on  dit  sequcrisso,  ce  qui  suppose  un  type 
* siccarïcia.  On  sait  que  l'italien  hésite  entre  secchereccio 
et  secchericcio  comme  adjectif;  comme  substantif,  avec 
signification  collective  (branches  sèches)  et  abstraite 
(sécheresse),  il  n'emploie  que  secchericcio. 

tercerece,  ferme  au  tiers  des  fruits  :  lorrain  terce- 
resse,  tercerasse,  etc.,  dans  God.,  tierceresse,  exemples 
de  1240  à  1388. 

vacareza,  vacherece,  vacherie.  Nous  avons  déjà 
signalé  vaccaritia  dans  les  textes  du  haut  moyen  âge. 
Le  mot  ne  paraît  pas  s'être  conservé  dans  la  langue 
commune1*  mais  il  est  très  fréquent  dans  la  topony- 
mie: Lavaqueresse  (Aisne);  Vacharesse,  commune  de 
Berzème  (Ardèche)  ;  Vacheresse  (Charente,  commune 
de  Touzac  ;  Doubs,  commune  de  Montandon  ;  Loire, 
commune  de  Saint-HilaireCusson  ;  Haute-Loire,  com- 
munes de  Les  Estables,  Félines,  Saint-Julien-d'Ance, 
Saint- Voy,  Siaugues-Saint-Romain,  Venteugcs  ;  Puy- 
de-Dôme,  commune  de  Saint-Alyre  ;  Haute-Saône, 
commune  de  Faymont  ;  Haute-Savoie);  La  Vacheresse 
(Creuse,  commune  de  Janaillat  ;  Nièvre,  commune 
d'Azy-le-Vif  ;  Seinc-et-Oise  ;  Vosges)  ;  Vachère  sse-les- 
Basses  (Eure-et-Loir);  Vacqueresse  (Somme,  commune 

1.  L'italien  connaît  l'adj.  vaccareccio  «  de  vache  »,  et  le  sub- 
stantif vaccareccia  «  chair  de  vache  »  (A.  Oudin);  l'espagnol  a 
vaqiieri^o  comme  adjectif  (de  vache)  et  comme  substantif  masculin 
(vacher)  et  vaquen\a  (vacherie)  comme  substantif  féminin. 


94  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

de  Quevauvillers).  Dans  la  région  gasconne  on  a  em- 
ployé *vaccarîcia,  comme  en  témoigne  le  nom  de  lieu 
Baccarisse,  près  de  Mirande  (Gers)  ;  cf.  le  nom  d'un 
archidiacre  d'Aire  en  1309:  Peregrinus  de  Vacarissa 
(Limborch,  Hist.  Inquisitionis ,  2e  partie,  p.  8). 


II.    —   THÈMES   VERBAUX 
I.    ADJECTIFS 

apoierez,  qui  sert  à  s'appuyer  :  caiere  appoiraice  (1427, 
Tournai,  dans  God.,  tablete;  le  mot  n'est  pas  relevé 
à  son  ordre  alphabétique).  Le  sens  n'est  pas  douteux: 
cf.  la  locution  synonyme  caiere  apoieoire  (écrit  quayere 
appoyoire),  dans  God.,  apoioir. 

baignerez,  qui  sert  à  se  baigner *  :  cuve  baignereche 
(1434,  Valenciennes,  dans  God.,  baignereche). 

barerez,  qui  sert  à  barrer  (les  tonneaux)  :  vrille  bar- 
reresse  (16 16,  dans  Thibault,  Gloss.  du  Blaisois). 

batelerez,  adjectif  de  sens  incertain,  que  l'on  trouve 
appliqué  aux  villes  qui  n'avaient  pas  de  commune,  dites 
villes  batelereces  ou  bateïces  (Beaumanoir,  Coût,  de  Beau- 
vaisis,  §  647,  éd.  Salmon,  variantes).  Batelerez  semble 
tiré  d'un  verbe  bateler,  comme  batei\  de  balre. 

bâterez,  qui  sert  à  battre,  à  fouler  le  drap:  molin 
batere^.  Bien  que  le  mot  manque  dans  Godefroy,  voici 


1.  Cf.  le  nom  de  lieu  Cahnis  Baniaritia,  mentionné,  dès  le 
milieu  du  vif  siècle,  dans  la  vie  de  saint  Colomban,  I,  1 5  (édition 
Krusch,  Scriptores  rcrum  Merovitigicarum,  IV,  80).  On  est  surpris 
de  voir  M.  Holder  relever  ce  mot  comme  celtique  dans  son  Altcelt. 
Sprachscbati. 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS  9$ 

un  exemple  qui  ne  laisse  aucun  doute  :  in  molendinis 
batere^de  Brana  (Matton,  Dict.  top.  de  l'Aisne,  Batrez). 

—  Existe  aussi  comme  substantif  masculin. 
berserez,   qui  sert  à   tirer,  à  chasser  (herser).  Voir 

God.,  berseret,  et  complétera  l'aide  des  observations 
de  Tobler.  —  Existe  aussi  comme  substantif  masculin. 

beverez,  qui  invite  à  boire  :  patois  de  Montbéliard 
in  temps  boyerot  (Contejean). 

boterez,  qui  sert  à  bouter,  i.  A  bouter,  à  appuyer 
une  construction  :  ars  boutere^,  piliers  boutere^.  2.  A 
bouter,  à  fouler  le  drap:  molins  boutere^  (God.,  bou- 
terez). —  Existe  aussi  comme  substantif  masculin  et 
féminin. 

brasserez,  qui  sert  à  brasser  la  bière  :  tonniel  brasserich 
[corr.  brasserech}']  (1456,  dans  God.,  brasserech). 

buerez,  qui  sert  à  faire  la  lessive  (buer)  :  selburesse, 
salburesse,  salburosse  [c'est-à-dire  sele  buerece],  «  trépied 
sur  lequel  on  place  le  cuveau  à  lessive  »  dans  la  Meuse 
(Labourasse).  Cf.  mes  Mélanges  d'étym.  franc.,  p.  136. 

—  Existe  aussi  comme  substantif  masculin. 
chacerez.  1 .  qui  sert  à  chasser  :  chiens  chaceroi^(God., 

chacerois)  ;  cordes  chasseresses,  Jean  d'Arras,  Mélusine, 
p.  5 1,  dans  God.,  Compl.,  chaceresse.  2.  Qui  chasse  : 
ojeau  tsots'ret,  nom  de  l'épervier  dans  le  Doubs  (Tissot, 
p.  315).  —  Existe  aussi  comme  substantif  masculin. 

chargerez,  qui  sert  à  charger,  à  garnir  le  métier  à 
tisser  :  traistne  carcheresse  (God.,  carcheresse,  sans  défi- 
nition). 

charierez,  qui  sert  à  charrier  :  selles  canereches  (lire 
carier eches),  carreches,  cariesches  (God.,  canereche, 
cariesche). 


96  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

chevaucherez,  i.  Dont  on  se  sert  pour  chevaucher  : 
mantelet  chevauchent,  cape  chevaucher  esse.  2.  Par  exten- 
sion, qui  est  porté  par  des  chevaux  :  lictiere  chevauche- 
resse  (God,,  chevaucheresse,  chevaucheret).  Ajouter 
la  variante  bière  chevaucherece  pour  bière  chevalerece,  dans 
Chrétien  de  Troyes,  Erec,  4725. 

chierez,  dans  quoi  on  chie:  patois  de  Montbéliard, 
poutot  tchierot,  vase  de  nuit  (Contejean). 

corerez,  qui  court:  vosgien  via  courô  [ver  coureur], 
orvet  (Haillant).  —  Existe  aussi  comme  substantif  fémi- 
nin. 

danserez,  où  l'on  va  danser.  «  A  Epinal,  il  y  a  la 
pierre  dans'rosse,  rocher  sur  lequel  on  allait  danser  à  la 
fête  des  Brandons  »  (Haillant,  D'ici.,  covrosse,  2). 

esposerez,  dont  on  se  sert  pour  épouser  :  annel  espou- 
serech  (God.,  esposeret). 

foerez,  dont  on  se  sert  pour  mesurer  les  terres 
fouies  (?)  :  vint  boniers  et  set  verges  fueresses  en  terre  a 
le  mesure  de  Liège  (1248,  Romania,  XIX,  86). 

folerez,  qui  sert  à  fouler  le  drap  :  molin  folere^.  God. 
a  plusieurs  exemples,  v°  fouJereis,  foulcret.  En  voici 
d'autres  encore:  le  molin  folere^  de  Saint-Boherc  (Arch. 
nat.  J J' ,  f°  135  v°)  :  les  molins  jolere\  de  Chartres  (ibid.)  ; 
molendinum  folere^  (Du  Cange,  gurgitum,  i).  —  Terre 
fouloreche  (1281,  Saint-Omer,  God.,  fouleresse,  sans 
définition  :  sur  l'emploi  de  terre  grasse  pour  fouler  le 
drap,  voir  l'article  foulon  du  Dict.  du  commerce  de 
Savary  des  Bruslons).  —  Existe  aussi  comme  substantif 
masculin. 

forserece,  adj.  fém.,  destinée  à  frayer  (forser)  :  wal- 
lon carpe  fousseresse  (Grandgagnage,  II,  526). 


LE  SUFFIXE  -ARIC1US 


fraserez,  qui  sert  à  «  fraser  »,  écosser  ou  briser?: 
une  paiele  fraseresche  (13  15,  Artois,  dans  Bibl.  de  l'Éc. 
des  Chartes,  LUI,  600;  manque  dans  God.). 

fringuerez,  qui  donne  un  air  fringant  :  cordons  frin- 
guerés  {Amant  rendu  cor  délier,  v.  1621). 

fumerez,  qui  peut  se  fumer:  bois fumerot ,  bô  femerot, 
nom  de  la  clématite  dans  le  Doubs  (Rolland,  Flore 
pop.,  I,  6  ;  Contejean,  Patois  de  MontbèliarS). 

graperez,  qui  grimpe  :  patois  de  Montbéliard,  pi 
graiperot,  nom  de  la  sitelle  (Contejean).  Cf.  ci-dessous 
les  substantifs  masculins  graverez,  grimperez 

guilerez,  aujourd'hui  guilleret.  M.  Tobler  rattache 
guilleret  à  guiller ,  guiler ,  tromper.  L'hypothèse  est  vrai- 
semblable, bien  que  le  rapport  sémantique  ne  soit  pas 
très  clair.  Guilleret,  sous  la  forme  fém.  guillerette,  se 
trouve  pour  la  première  fois  dans  le  Monologue  de  l'A- 
moureux, que  M.  E.  Picot  croit  être  des  environs  de 
1460  (Romania,  XVI,  481). 

joinderez,  qui  peut  se  joindre,  c'est-à-dire  s'accoupler, 
se  mettre  au  joug  :  vosgien  vaiche  jédrosse,  jédrasse 
(Haillant,  Dict.,  p.  340).  —  Existe  aussi  comme  sub- 
stantif féminin. 

mâcherez,  qui  sert  à  teindre  :  cuve  macheresse,  à 
Namur.  Grandgagnage  n'enregistre  pas  le  mot,  mais  il 
emploie  l'expression,  v°  faubite;  au  supplément,  il  a  : 
«  machè,  ouvrier  teinturier  ».  Je  suppose  un  verbe 
mâcher  «  teindre  »  sans  en  connaître  l'étymologie. 

malharez,  qui  sert  à  fouler  (malhar)  le  drap  :  molin 
mailharet  (147 1,  Felletin,  dans  Mém.  de  la  soc.  des  se. 
nat.  et  arch.  de  la  Creuse,  X,  361). 

nagerez,  sur  lequel  on  peut  naviguer.  1.  En  parlant 
Thomas.  II.  —  7 


98  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

de  l'eau  -.fossé  nagent  (1340,  Corbie,  dans  God.,  nage- 
ret).  2.  En  parlant  du  bateau:  navie  nageresse  (Gloss. 
lat.  fr.  dans  God.,  ibid.~).  —  Existe  aussi  comme  sub- 
stantif masculin. 

palerez,  qui  sert  à  paler  (garnir  de  pieux)  :  claux 
paierez,  palerês  (1397,  Picardie,  dans  God.,  paleret,  i). 

penderez,  qui  sert  à  pendre  :  gibets  ou  arbres  pende- 
ret%,  pendrets  (Coût,  de  Lorraine,  de  Gor%e,  dans  God., 
penderet). 

pescherez.  1.  Qui  sert  à  pêcher:  batel,  batelet,  clou 
pescheret;  barque,  ré  pescherece;  trêves  peschereces  (God., 
pescheresse,  pescheret).  2.  Qui  pêche  :  corbeau  pescheret 
[cormoran]  (God.,  ibid.~);  crot pescherot  [cormoran],  en 
Bourgogne  (Rolland,  Faune  pop.,  II,  382);  crau  pêche- 
rot,  cro  pescherot,  aigle  pescheresse  [balbuzard]  (id.,  ib., 
II,  8)  ;  vert-copéchera  [martin-pêcheur]  (Labourasse, 
p.  543,  v°  vart-pochaw)  ;  martin-pescheret  [martin-pê- 
cheur], à  Montpellier  (Bibl.  de  l'Êc.  des  chartes,  LV, 
240)  ;  merle  picheret  [martin-pêcheur],  en  Limousin 
(Rolland,  Faune  pop.,  II,  72).  —  Existe  aussi  comme 
substantif  masculin  et  féminin. 

petarez,  qui  pète  :  rei  petaret,  roi  pèteret,  troglodyte 
(roitelet)  en  Forez  (Rolland,  Faune  pop.,  II,  288)  et  en 
Lyonnais  (N.  de  Puitspelu).  En  Lyonnais,  rei  petaret 
désigne  et  le  roitelet  et  le  hanneton  a  corselet  plus 
soyeux,  que  les  enfants  considèrent  comme  le  mâle. 
N.  du  Puitspelu  se  refuse  à  voir  dans  petaret  l'idée  de 
«  péteur  »  ;  dans  ses  errata,  il  retire  l'étymologie 
absurde  qu'il  avait  donnée,  et  se  rallie  à  une  idée  de 
M.  Horning  (Zeitschr.  f.  r.  Ph.,  XIV,  223)  d'après 
laquelle  petaret  se  rattacherait  au  radical  de  petit.  Mais 


LE   SUFFIXE  -ARICIUS  99 

rei-petaret  veut  incontestablement  dire  «  roi-péteur  »  ; 
comparez  le  nom  de  vaco  petouso,  petouso  donné  au  roi- 
telet dans  le  Midi  de  la  France.  —  Cane-petrasse,  cane- 
pétrosse,  cane-pétrote,  nom  de  la  canepetière  dans  le  Berry, 
la  Beauce,  l'Anjou,  etc.  On  sait  que  cet  oiseau  fait 
entendre,  dans  la  saison  des  amours,  un  crépitement 
guttural  qui  lui  a  valu  son  nom  (Rolland,  Faune  pop., 

II,  345)- 

piquerez,  qui  pique:  claux  piquerés  (1441,  Béthune, 
dans  God.,  piqueret). 

pisserez.  1.  Dans  quoi  on  pisse  :  patois  de  Montbé- 
liard  poutot  picherot,  vase  de  nuit  (Contejean).  Existe 
aussi  comme  substantif  masculin.  2.  Qui  fait  pisser: 
patois  de  Montbéliard,  vin  picherot,  vin  vif  et  pétillant 
et  qui  fait  pisser  (Contejean). 

pleierez,  qui  se  plie  :  table  ployeresche  (1552,  Tournai 
dans  God.,  ploieresse).  —  Existe  aussi  comme  sub- 
stantif masculin. 

porterez,  qui  se  porte:  chaere porteresse  (God.,  por- 
teresse). 

ricanerez,  rieur  :  doux  yeux  blans  et  riquanerès  {Amant 
rendu  cor  délier,  v.  1618). 

rollerez,  roulant  :  civières  rouleresses,  etc.  (God., 
roleresse  2,  et  roleret).  Le  mot  est  particulièrement 
fréquent  dans  les  inventaires  angevins  du  roi  René  : 
char  lit  roulerez  sourlit  routière^,  couchette  rouler  esse,  etc. 
C'est  à  tort  que  God.  a  cru  y  voir  un  substantif  mas- 
culin :  roulerez  qualifie  toujours  charlit  qui  vient  d'être 
exprimé. 

saïmerez,  qui  sert  à  écrémer  (à  enlever  le  sain)  : 
payelles  saymereches  (1434,  Valenciennes,  dans  God., 


100  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES    D'ENSEMBLE 

saimereche).  Il  faut  reconnaître  le  même  mot,  mal  lu, 
dans  patelles  saumiereces  (i  363  ,Va\cntiennes,  dans  God., 
saumierece,  sans  définition).  —  Existe  aujourd'hui 
comme  substantif  féminin. 

seierez,  qui  sert  à  scier:  couttel soiret  (1459,  Reims, 
dans  God.,  soiret). 

sorderez  (?):  derlieres  sordreresses,  derlière  sordresse 
(1328,  Namur,  dans  God.,  sordreresse) ;  derle  sorde- 
resse  (1328,  Namur,  dans  God.,  derle).  La  derle  est 
de  la  terre  glaise  ;  faut-il  rattacher  l'adjectif  sordere^  à 
sourder,  souiller,  ou  à  sourdre,  ou  même  chercher  une 
autre  étymologie  ? 

taillerez,  qui  sert  à  tailler:  serpe  tallerotte  (1614, 
Nevers,  dans  God.,  taillerot). 

tecerez,  qui  tette  encore  :  patois  de  Bournois  vélo 
tos'ro  (Roussey);  patois  de  Montbéliard  tosserot,  qui 
tette  à  la  mamelle  (Contejean).  La  forme  iecier,  tocier, 
est  répandue  dans  l'Est  :  elle  repose  sur  un  type  *tittiare, 
tandis  que  le  français  propre  teter  repose  sur  *tittare. 

tirerez,  qui  sert  à  traire  (tirer)  les  vaches  :  sielle  tiresce 
(15  12,  Tournai,  dans  God.,  tiresce). 

torcherez,  qui  torche  :  patois  de  Montbéliard  pi 
tourtcherot,  nom  de  l'oiseau  dit  sitelle  ou  torchepot 
(Contejean). 

tornerez,  qui  tourne  :  wallon  _/>/>£  tourneresse,  meule 
à  aiguiser  (Grandgagnage,  II,  197). 

venderez,  qui  est  à  vendre:  pain  vendent  (133 1, 
Laon,  dans  God.,  venderet).  Cf.  l'ital.  vendereccio. 


2.    SUBSTANTIFS    MASCULINS 


bâterez,  ce  qui  sert  à  battre.  1.  Patois  des  Fourgs 


LE  SUFFIXE  -ARIC1US  loi 

(Doubs)  bott'ret,  batte  et  partie  de  la  baratte  (Tissot)  ; 
patois  de  Montbéliard  baitteré,  baratte  (Contejean)  ; 
patois  de  Saint-Pierrebrouck  (Nord)  baterè,  bâton  de 
forme  spéciale  qui  sert  à  remuer  la  crème  pour  faire 
le  beurre  (communication  de  M.  Henry  Cochin). 
2.  Moulin  à  battre,  à  fouler  le  drap  (voy.  ci-dessus 
batere^, ad).*):  molendinum  de  Bâter e^  (douzième  siècle), 
aujourd'hui,  par  changement  de  suffixe,  Le  Batreau, 
commune  d'Avenay  (Marne);  Batret,  moulin,  com- 
mune d'Yvoi-le-Pré  (Cher). 

berserez,  chien  de  chasse  (voy.  ci-dessus  berserez, 
adj.).  Le  sens  de  «  carquois  »,  donné  par  God.  et 
d'autres,  et  celui  de  «  javelot  »,  admis  par  M.  P.  Meyer 
(Girart  de  Roussillon,  p.  257),  ne  sont  pas  justifiés 
(voyez  à  ce  sujet  G.  Paris,  dans  Romania,  XIV,  602, 
et  XXI,  2*91), 

bosserez,  ce  qui  pousse,  sourd I.  1 .  Animal  qui  pousse 
la  terre  :  bousserot,  un  des  noms  de  la  taupe  dans  le 
Doubs  (Rolland,  Faune  pop.,  I,  9).  2.  Eau  qui  sourd  de 
terre  :  patois  de  Montbéliard  bousserot,  petite  source 
(Contejean). 

boterez.  1.  Moulin  à  foulon:  Boutrais,  hameau, 
commune  de  Saint-Pierre-des-Loges  (Orne).  2.  Arc- 
boutant.  3.  Boutoir,  outil  de  maréchal-ferrant.  Les  sens 
2  et  3  ne  sont  pas  attestes  directement,  mais  semblent 
résulter  de  l'existence  des  sens  correspondants  que  pos- 
sèdent les  mots  anglais  butteris  et  buttress,  d'origine 
française  (cf.  Romania,  XXIX,  164  et  165). 

1 .  De  bonsser,  «  pousser,  sourdre  »,  forme  des  Vosges,  du  Doubs, 
qu'on  explique  par  une  contamination  du  latin  pulsare  «  pousser  » 
et  du  germanique  botan  «  bouter  ». 


102  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

buerez,  ustensile  servant  à  faire  la  lessive  (buer)  : 
vosgien  bûra,  seau  auquel  on  adapte  un  long  manche 
droit  [pour  verser  l'eau  de  lessive  sur  le  linge]  (Adam x). 

chacerez,  oiseau  chasseur  :  vosgien  chaisserot,  chas- 
sera, épervier  (Haillant)  ;  vosgien  chasserot,  autour 
(Rolland,  Faune  pop.,  II,  38). 

chaverez,  outil  pour  creuser  (chaver)  la  terre  :  chavro, 
patois  de  Tannois,  près  de  Bar-le-Duc  (Meuse),  dans 
Zeitschr.  f.  rorn.  PhiL,  XVI,  475.  Labourasse  écrit 
chavrot  et  définit  :  «  houe  employée  pour  le  provi- 
gnage.  » 

chôterot,  chôterat,  sifflet,  de  chôtai,  siffler,  dont 
j'ignore  l'étymologie  (Contejean,  Patois  àeMontbèliard). 

coillerez,  registre  des  redevances  à  percevoir,  à 
cueillir.  Ce  substantif  s'est  conservé  jusqu'à  la  fin  de 
l'ancien  régime  sous  la  forme  cueilleret,  qui  est  dans 
Trévoux,  et  qu'on  s'étonne  de  ne  trouver  ni  dans  God., 
ni  dans  Littré. 

coperez,  aujourd'hui  couperet,  outil  pour  couper.  Le 
mot  ne  paraît  pas  attesté  avant  le  seizième  siècle. 

escuperez,  ce  que  l'on  crache  :  vosgien  tieupp'rot, 
patois  de  Montbéliard  cuperot,  queuperot,  crachat  (Hail- 
lant, Contejean). 


1 .  Adam  écrit  burd,  indique  comme  provenance  La  Bresse  et  ne 
donne  que  la  première  partie  de  la  définition.  Une  enquête  sur 
place  faite  par  M.  Oscar  Bloch  confirme  ce  qui  n'était  de  ma  part 
qu'une  conjecture  étymologique.  «  J'ai  pris  des  renseignements 
sur  le  mot  qui  vous  intéresse  et  j'ai  le  plaisir  de  vous  dire  qu'ils 
confirment  totalement  votre  façon  de  voir.  La  Bresse,  Saulxures 
et  Cornimont  emploient  bùra  exactement  pour  désigner  l'objet  en 
question.  »  (Lettre  du  20  août  1903). 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS  105 

fenderez,  outil  pour  fendre  :  fenderets,  coupoirs  (i  3  9 1 , 
Reims,  dans  God.,  fenderet).  Cf.  refendere^. 

foeillerez,  aujourd'hui  feuilleret,  outil  pour  feuiller, 
faire  des  feuillures.  Sur  l'étymologie  de  feuiller  dans  ce 
sens,  voyez  ci-dessous  notre  seconde  partie,  à  l'ordre 
alphabétique. 

folerez,  moulin  à  foulon  :  Les  Foulerets,  moulin, 

commune  de   Parigné-l'Evèque  (Sarthe)  ;  Foulleray, 

commune  de  Montigny-le-Chartif  (Eure-et-Loir),  en 

1477  Moulin-Foulleret  ;  Le  Foulleray,  moulin,  commune 

.de  Saint-Jean-sur-Mayenne  (Mayenne). 

formerez,  aujourd'hui/orw^W,  terme  d'architecture. 
La  définition  donnée  par  le  Dict.  gén.  est  la  suivante  : 
«  Arête  saillante  d'une  voûte  gothique.  »  Victor  Gay 
dit  plus  largement  :  «  Bandeau  en  saillie  sur  un  mur 
ou  au-dessus  d'une  fenêtre,  à  la  naissance  d'une  voûte 
d'arête  dont  il  épouse  la  forme  ogivale  »  (Gloss.  archéol., 
p.  733).  Il  a  un  exemple  de  1397,  plus  ancien  que  ceux 
des  autres  lexicographes,  où  l'on  lit  :  «  fenestres  four- 
mes (corr.  fourmees)  d'estanficques,  fourmoyrets  et 
remplages.  »  Le  voisinage  du  verbe  fourmer  précise 
l'étymologie  ;  la  graphie  fourmoyrets  semble  contaminée 
par  *fourmoir,  qui  a  pu  se  dire  dans  le  même  sens. 

goterez,  avant-toit  formant  gouttière  :  goutteret 
(141 5,  Meuse,  dans  God.,  goutteret);  vosgien  got- 
t'rot,  même  sens  (Haillant).  God.  a  plusieurs  exemples 
bourguignons  de  gocterot,  etc.,  mot  qu'il  ne  définit  pas, 
et  qui  s'applique  à  une  partie  d'un  parement  d'autel 
ou  d'un  dais  :  il  s'agit  vraisemblablement  de  la  partie 
antérieure,  comparée  à  la  gouttière  d'un  toit. 

graverez,  oiseau  qui  grimpe  (gravit),  grimpereau  : 


104  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

gravelet  (forme  dissi'milée),  nom  du  grimpereau  en 
Poitou  et  en  Saintonge  (Rolland,  Faune  pop.,  II,  78). 

grimperez,  oiseau  qui  grimpe,  grimpereau  -.grimperê, 
nom  du  grimpereau  en  Picardie;  grimpelet (forme  dissi- 
milée),  nom  du  même  oiseau  en  Normandie  et  en 
Savoie.  De  même  qu'on  a  la  forme  verbale  griper,  à 
côté  de  grimper,  on  trouve  gripelet  dans  le  Luxembourg 
et  gripelat  à  Metz  comme  noms  du  grimpereau 
(Rolland,  Faune  pop.,  II,  78). 

hucherez,  oiseau  qui  huche,  qui  hue:  patois  de 
Montbéliard  utcherot,  hibou1  (Contejean). 

jeterez,  instrument  qui  sert  à  jeter  :  meusien  jitrot, 
bâton  fendu  par  un  bout  et  que  l'on  tient  par  l'autre, 
au  moyen  duquel  on  lance  une  pierre  placée  dans  sa 
fente  (Labourasse). 

lancerez,  oiseau  qui  lance,  qui  poursuit  les  autres  : 
lorrain  lancerot,  rancerat,  épervier  (Rolland,  Faune  pop., 

n,  34). 

mucerez,  oiseau  qui  se  cache  (qui  se  musse)  :  vos- 
gien  meusserot,  troglodite  (Labourasse). 

nagerez,  bateau  pour  aller  à  la  rame  (pour  nager)  : 
nageret,  petit  bateau  pour  chasser  le  gibier  d'eau 
(Littré). 

neierez,  bateau  où  l'on  risque  de  se  noyer  :  lyonnais 
nayeret,  petit  bateau  fort  dangereux  dans  lequel  il  ne 
peut  tenir  qu'une  personne  (N.  du  Puitspelu). 


1.  M.  Rolland  rapproche  avec  raison  utcherot  (Montbéliard)  et 
l'ancien  français  lucheran  (Cotgrave),  auquel  correspond  aujourd'hui 
lutter  an,  lut\èron,  dans  la  Suisse  romande  (Faune  pop.,  II,  41)  ;  mais 
je  ne  puis  croire  avec  lui  qu'il  s'agisse  du  radical  lue-,  briller.  Je 
vois  dans  lucheran  une  forme  agglutinée  pour  Vucheran. 


LE  SUFFIXE  -ARICWS  10$ 

niquerez,  mouchoir  de  poche  (de  niquer,  moucher)  : 
parois  de  Montbéliard  niqueret  (Contejean). 

partarez,  parterez,  instrument  pour  partager,  cou- 
per :  lyonn.  partant,  parteret,  hache  de  boucher  (N.  du 
Puitspelu,  Littré,  suppl.);  dans  les  Terres  Froides  du 
Dauphiné  partarai  et  partelê  (communication  de 
M.  l'abbé  Devaux);  portrait,  marteau  de  paveur  ser- 
vant à  ébarber  et  à  tailler  (Littré);  manceau  partret, 
pallret,  couperet  (Montesson)  ;  blaisois  palletret,  paltret, 
paîtrait,  couperet  (Cotgrave,  Thibault).  Cf.  mes  Mé- 
langes, p.  119. 

percerez,  outil  qui  sert  à  percer  :  patois  des  Fourgs 
passeret,  vrille  (Tissot). 

pescherez,  oiseau  qui  pêche  :  lorrain  pancherot  et 
ponhhra,  martin-pêcheur  (Adam). 

pisserez,' vase  pour  pisser:  patois  des  Fourgs  pseuret, 
baquet  à  urine,  vase  de  nuit  (Tissot). 

ploierez,  ce  qui  sert  à  faire  ployer,  charnière,  pen- 
ture  :  deux  ployerés  employés  à  pendre  unefeniestre  (1443, 
Tournai,  dans  God.,  ploieret).  On  trouve  plus  sou- 
vent dans  le  même  sens  ploie ritel,  d'un  type  *plica- 
rioluni. 

ramènerez,  ce  qui  sert  à  ramener  :  ramènent,  trait  au 
cordeau  que  le  charpentier  fait  pour  prendre  la  lon- 
gueur des  arêtiers  d'un  toit  (Littré).  Le  mot  apparaît 
dans  la  première  édition  de  Furetière,  en  1690. 

rebaterez,  outil  pour  rebattre l  :  rebatteret,  outil  pour 


1 .  Rebatlre  doit  être  entendu  dans  le  sens  de  «  rabattre  »  et  non 
de  «  battre  de  nouveau  »  ;  le  rebatteret  sert  en  effet  à  équarrir  ou 
à  arrondir. 


106  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES   D'ENSENBLE 

façonner  l'ardoise  (Littré).  Le  mot  a  été  relevé  pour 
la  première  fois  dans  VEncycl.  méthod.,  Arts  et  métiers 
mécan.,  1. 1  (1782),  p.  55,  où  il  est  écrit  rebattret  (Mozin, 
Souviron  et  d'autres  conservent  cette  orthographe)  et 
donné  comme  usité  dans  les  ardoisières  de  Rimogne 
(Ardennes). 

refenderez,  outil  pour  refendre  :  refenderet,  coin  de 
fer  à  l'usage  des  ardoisiers  (Littré).  Même  provenance 
que  le  précédent  ;  d'abord  écrit  refendret. 

tomberez,  ce  sur  quoi  on  se  laisse  tomber;  teumrot, 
sorte  de  caisse  dans  laquelle  s'agenouillent  les  laveuses 
de  lessive. 

tracerez,  outil  pour  tracer:  tracent  (on  dit  aussi 
tracelet,  par  dissimulation,  et  traçoir),  poinçon  servant 
à  tracer  les  divisions  des  instruments  de  mathéma- 
tiques; outil  de  fer  pointu  dont  les  charpentiers  se 
servent  pour  piquer  et  ligner  le  bois  (Littré). 

verserez,  saison  propre  à  verser  (labourer)  les  terres, 
le  mois  de  juin  :  en  waim,  en  mars  et  en  verser  es  (1322, 
Rethel,  dans  God.,  verseret).  La  forme  verserot,  dont 
God.  fait  un  article  à  part,  n'est  qu'une  variante  phoné- 
tique dialectale.  Ce  terme  correspond  à  jaschere^  dans 
la  région  plus  septentrionale  ;  il.  est  omis  par  Giry  dans 
le  glossaire  des  dates  de  son  Manuel  de  diplomatique. 
Haillant,  Dict.,  p.  616,  woeyé,  indique  des  exemples 
inconnus  à  God. 

volerez,  objet  qui  vole  (en  l'air)  :  berrichon  voient, 
volant  rustique  (Jaubert,  suppl.). 

5.    SUBSTANTIFS    FÉMININS 

avalerece,  puits  de  mine  que  l'on  creuse  :  avaleresse, 


LE  SUFFIXE  -ARICIUS  107 

bure  que  l'on  avale,  c'est-à-dire  que  l'on  est  occupé  à 
creuser  (Grandgagnage  ;  cf.  Littré,  suppl.). 

baterece.  i.  Action  de  battre  :  saintong.  battresse  ou 
batteresse,  action  d'une  pluie  violente  et  surtout  de  la 
grêle  battant  le  sol  et  les  récoltes  (Jônain;  cf.  God., 
bateresse).  2.  Ce  qui  sert  à  battre:  meusien  bat  rosse, 
baratte  (Labourasse).  3.  Lieu  où  l'on  bat:  Batresse, 
étang,  commune  de  Mouline  (Vienne)  ;  Baptresse, 
hameau,  ci-devant  paroisse,  commune  de  Chateau- 
Larcher  (Vienne),  anciennement  Batri^ia,  Batre^ia, 
Bâter  et  tjcl,  etc.  * 

boterece,  lieu  où  l'on  boute,  où  il  y  a  un  moulin 
à  foulon  :  La  Bailleresse,  commune  de  Sainte-Agathe- 
la-Bouteresse  (Loire). 

bruierece,  bruit  :  «  Tel  tempeste  et  tel  bruerresse  » 
{Ovide  moralisé,  dans  God.,  bruierresse). 

chaplerece,  action  de  chaphr,  carnage.  Voir  les 
exemples  de  Troie  cités  par  Tobler. 

colerece,  ustensile  pour  couler  :  patois  de  Pont- 
Audemer  couleresse  ou  coulerette,  passoire  (Robin). 

corerece,  outil  qui  court:  wallon  coureresse,  riflard, 
demi- varlope  (Grandgagnage,  I,  342). 

cremerece,  outil  pour  écrémer,  écumer  :  meusien 
crameresse,  vosgien  kémrosse  (dissimilation  pour  krém- 
rosse),  écumoire  (Labourasse,  cramatte;  Haillant). 

crexerece,   outil    pour  crener  (entailler)  :    wallon 


1.  Certains  historiens,  notamment  l'abbé  Le  Beuf,  interprétant 
le  nom  de  ce  hameau  au  sens  de  «  action  de  se  battre  »,  y  ont  vu 
une  raison  de  placer  dans  le  voisinage  la  bataille  livrée  par  Clovis 
à  Alaric  (Longnon,  Gèogr.  de  la  Gaule  au  Vh  siècle,  p.  579).  Il  est 
probable  que  Baterece  indique  l'existence  d'un  moulin  à  foulon. 


108  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

krennress,  scie  à  refendre  (Grandgagnage,  ricranxer). 
Cf.  ci-dessous  recrenerece. 

crierece,  action  de  crier.  Voir  God.,  crierece,  et 
ajouter  un  exemple  qui  se  trouve  sous  bruierresse. 

croisserece,  action  de  grincer.  Voir  Tobler,  et  God., 

CROISSERECE. 

eschaverece,  outil  pour  excaver  ou  pour  râper  : 
wallon  haveresse,  écrit  xhavresse  en  1568  (God.),  pic  à 
l'usage  des  houilleurs  (Grandgagnage,  haver  3)  et  râpe 
à  sucre  (Forir). 

escumerece,  écumoire  :  wallon  houmeresse  (Grandga- 
gnage). 

estessinerece,  tessinerece,  cuiller  pour  arroser  (estes- 
siner,  tessiner')  le  rôti  (Grandgagnage). 

étoquerece.  i .  Carde  pour  étoquer  (briser)  la  laine 
(Duhamel  du  Monceau,  Art  de  la  Draperie,  1765, 
p.  27).  2.  Pièce  de  fer  employée  pour  arrêter  ou  main- 
tenir (étoquer)  d'autres  pièces  (Nouveau  Larousse).  Un 
lexicographe  distrait  ayant  écrit  corde  au  lieu  de 
carde,  le  sens  1  a  été  défiguré.  On  lit,  par  exemple, 
dans  Littré  :  «  Etoqueresses,  terme  de  marine,  cordes 
longues  de  huit  à  neuf  pouces  »  et  dans  le  Nouveau 
Larousse:  «  Etoqueresse  (Marine),  nom  donné  à  cer- 
taines petites  cordes.  »  Mozin  a  correctement:  «  Eto- 
queresse, f.  Card.  Espèce  de  cardes  de  8  pouces  et  demi 
de  long  sur  5  de  large.  »  Et  dire  que  5  pouces  de  large 
n'ont  pu  empêcher  de  confondre  une  carde  avec  une 
corde  ! 

guinderece,  outil  pour  guinder  :  «  guinderesse  :  de 
ce  nom  est  appelée  aux  navires  une  poulie  qui  sert  à 
guinder  la  voile  du  mast  où  elle  est  amarrée  »  (Nicot, 


LE  SUFFIXE  -AR1CIUS  109 

1606  ;  cf.  Littré,  Hatzfeld-Darmesteter,  etc.,  et  l'italien 
ghindereccia,  cité  Romania,  XXXI,  135). 

hacherece,  outil  pour  hacher.  1.  Wallon  de  Liège 
hacheresse,  couperet.  2.  Wallon  de  Namur  hacheresse, 
planche  épaisse  sur  laquelle  on  hache  la  viande  (Grand- 
gagnage,  hacher). 

joixderece,  ce  qui  joint,  ce  qui  sert  à  joindre. 
1 .  Wallon  jondresse,  bordage,  dit  aussi  jambresse  (Grand- 
gagnage,  II,  531,  janbrèsez).  2.  Wallon  jondresse,  var- 
lope (Grandgagnage,  I,  257). 

passerece,  outil  pour  passer  une  manœuvre  :  «  pas- 
seresse,  moyen  ou  petit  cordage...  pour  bien  serrer  la 
voile  contre  le  mât  »  (Villaumez,  Dict.  de  marine). 

pescherece,  barque  pour  pêcher  (God.,  pesche- 
resse). 

plaquerece,  outil  pour  plaquer  :  plaqueresse,  carde 
pour  plaquer  la  laine  (Duhamel  du  Moxceau,  Art  de 
la  Draperie,  p.  27).  Souvent  altéré,  par  la  suite,  en 
ploqueresse. 

receperece,  outil  pour  receper  (scier  transversale- 
ment) :  wallon  ricèperesse,  grande  scie  pour  ricèper 
(Grandgagnage,  risèper). 

recrenerece,  outil  pour  recrener  (entailler  en  suivant 
une  ligne  courbe)  :  wallon  ricranneresse,  espèce  de  scie 
servant  particulièrement  à  préparer  les  bois  de  fusil 
(Grandgagnage,  ricranxek).  Cf.  ci-dessus  crenerece. 

rejeterece,  outil  pour  rejeter  (gobeter,  crépir)  : 
wallon  r'gettress,  petite  truelle  (Grandgagnage,  rijet,  i). 

reparerece,  outil  pour  réparer  (recrépir)  :  wallon 
ripareresse,  répareresse,  outil  à  l'usage  des  ripareû^  ou 
recrépisseurs.   —  A  Namur,  répareresse,  partie  de  la 


1 10  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

machine  appelée  broie,  qui  sert  à  élever  les  bois  (Grand- 
gagnage,  riparer). 

repasserece,  carde  pour  repasser  la  laine  (Duhamel 
du  Monceau,  Art  de  la  Draperie,  p.  27). 

retenterece,  retentissement.  Voir  God.  et  Tobler. 

saimerece,  outil  pour  saimer  (aiguiser)  :  wallon  séme- 
resse,  pierre  à  aiguiser  (Grandgagnage,  semer  2). 

soperece  (?)  :  wallon  sopresse,  partie  d'un  chariot, 
pièce  de  bois  transversale  sur  laquelle  repose  et  pivote 
le  hamai.  —  A  Namur  sopresse,  levain,  probablement 
(Grandgagnage,  soprèse  i  et  2). 

traierece,  action  de  traire  (tirer).  Voir  God.  et 
Tobler. 

venterece,  outil  pour  venter  (vanner)  :  poitevin 
vent'resse,  pelle  à  vanner. 


IV.    —    LES    SUBSTANTIFS    ABSTRAITS    EN    -1er 

A  la  fin  du  paragraphe  qu'il  a  consacré  au  suffixe 
-arius,  Diez  se  contente  de  remarquer  que  l'ancien 
provençal  «  a  beaucoup  d'abstraits  tirés  de  verbes  », 
sans  chercher  à  préciser  l'origine  de  ces  abstraits,  sans 
même  mentionner  les  formations  analogues  que  possède 
aussi  l'ancien  français1.  Ce  n'est  pas  à  arium,  mais  à 
-crium,  que  M.  Meyer-Lûbke  rattache  cette  classe  de 
mots  à  laquelle  il  croit  devoir  joindre  les  dérivés  italiens 

1.  Grain,  des  1.  r.,  trad.  franc.,  II,  p.  326.  Diez  donne  la  liste 
suivante  :  acordier,  adobier,  alegrier,  alongnier,  caitivier,  castier,  con- 
sirier,  desirier,  destorbier,  encombrier,  espaventier,  milborier,  pauprier, 
pensier. 


LES  SUBSTANTIFS   ABSTRAITS  EN  -1ER  III 

en  -ïo,  dont  le  sens  se  rapproche  beaucoup  de  celui  de 
nos  mots  français  et  provençaux.  Mais  il  n'arrive  pas  à 
asseoir  solidement  sa  doctrine  au  sujet  de. cet  -ërimii. 
Voici  d'ailleurs  ses  propres  termes  : 

Pour  expliquer  ce  suffixe,  il  faut  peut-être  partir  de  reprobare, 
anc.  franc,  réprouver,  et  improperium  «  reproche  ».  Il  doit  y  avoir 
un  compromis  entre  reprobare  et  improperare  dans  l'ital.  rimproverare, 
et  ainsi  l'on  peut  croire  qu'à  côté  de  improperium,  à  l'époque  où  p 
et  b  intervocaliques  s'étaient  confondus  en  v,  on  forma  aussi,  en 
partant  de  *reprovare,  un  *reproverium,  lequel  servit  alors  d'abstrait 
à  *reprovare,  et. permit  de  créer  d'autres  formes  analogues.  Dans 
cette  hypothèse,  il  est  vrai,  on  doit  admettre  que  le  mot-type  s'est 
à  son  tour  perdu  en  Italie  et  qu'en  France  le  suffixe  -èrium,  qui 
autrement  serait  devenu  -ir,  a  été  influencé  dans  sa  forme  par 
-arium.  Une  autre  hypothèse  possible,  c'est  qu'on  aurait  cru  voir 
dans  -ier  de  conseillier  et  termes  semblables  employés  comme  sub- 
stantifs, non  une  finale  d'infinitif,  mais  un  suffixe,  qu'on  aurait 
alors  adapté  au  radical  *reprov-.  Alors,  choses  toutes  deux  peu 
admissibles,  il  faudrait  faire  venir  le  prov.  -ier  du  français  et  traiter 
à  part  l'italien  -io  ' . 

La  seconde  hypothèse,  que  M.  Meyer-Lùbke  n'ex- 
prime d'ailleurs  qu'en  petit  texte,  est  tellement  invrai- 
semblable que  je  ne  m'arrêterai  pas  à  la  discuter.  Du 
moment  que  l'on  considère  le  suffixe  italien  -ïo  comme 
identique  au  suffixe  gallo-roman  -ier,  on  est  forcé  de 
repousser  le  type  latin  -ariiwi,  accepté  sans  discussion 
par  Diez.  M.  Meyer-Lûbke  n'a  pas  pris  garde  qu'il 

i.  Grain,  des  1.  r.,  II,  §  471,  trad.  franc.,  p.  561.  M.  Meyer- 
Lûbke  cite,  en  provençal  :  alegrier,  caitivier,  consirier,  deliurier, 
destorbier,  encombrier,  espaventier,  pensier,  plaidier  ;  en  français  : 
chaitivier,  consirier,  demandier,  desirier,  destorbier,  encombrier,  encon- 
trier,  louier,  parlier,  pensier,  reprovier,  restorier.  Treize  ans  aupara- 
vant, M.  Fcerster  avait  déjà  groupé  les  mots  français  dans  sa  note 
au  v.  135  à'Aiol  et  Mirabel. 


112  GÉNÉRALITÉS  ET   MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

tirait  sur  ses  troupes  en  faisant  figurer  dans  sa  liste  de 
mots  abstraits  le  français  loyer.  Il  est  absolument  certain 
que  loyer,  comme  le  provençal  loguier  et  l'espagnol 
loguero,  vient  du  latin  locarium,  mot  déjà  employé  par 
Varron  ;  mais  il  faut  remarquer  que  loyer  n'est  pas  un 
terme  abstrait  et  qu'il  n'a  pas  le  droit  de  prendre  rang 
dans  la  série  qui  nous  occupe.  Donc,  malgré  les  appa- 
rences, la  coexistence  de  locare  locarium  en  latin1,  de 
loer  loyer  en  français,  de  logar  loguier  en  provençal,  etc., 
ne  saurait  être  le  point  de  départ  du  développement 
du  suffixe  abstrait  -ier  sur  le  sol  de  la  Gaule.  Je  n'hésite 
pas  à  repousser  le  type  -arium,  proposé  par  Diez,  pour 
me  rallier  à  la  manière  de  voir  de  M.  Meyer-Lûbke  ; 
je  voudrais  seulement  présenter  quelques  observations 
complémentaires  sur  l'origine  et  l'extension  de  la  dési- 
nence -ëriuiii. 

A  première  vue,  l'hypothèse  d'un  «  compromis  » 
entre  reprobare  et  impropérium  se  heurte  à  une  grave 
difficulté:  c'est  qu'en  provençal  p  et  b  intervocaliques 
n'aboutissent  pas  au  même  résultat.  La  précieuse  Caneton 
de  Sancta  Fides,  que  vient  de  nous  rendre  M.  Leite  de 
Vasconcellos,  nous  donne  le  pendant  provençal  du  mot 
français  reprovier,  «  reproche  »,  sous  la  forme  reprober2, 
qui  remonte  incontestablement  à  *repropèrium,  formé 
d'après  impropérium,  par  un  simple  changement  de 
préfixe  3.    Il    faut    donc    trouver    autre    chose  pour 


i.  Locarium  est  formé  sur  locus  (et  non  sur  locare),  comme 
solarium  sur  sal. 

2.  Vers  331  (Romania,  XXXI,  190). 

3 .  On  trouve  reprovier,  reproier  en  provençal  au  sens  de  «  pro- 
verbe »,  que  connaît  aussi  le  français,  et  repro\<ar,  reproar  au  sens 


LES  SUBSTANTIFS   ABSTRAITS  EN   -1ER  113 

expliquer  le  développement  du  suffixe  -ier  en  pro- 
vençal. 

La  Caneton  de  Sancta  Fides  nous  fournit  encore  un 
mot  fort  intéressant,  c'est  consider1,  que  les  textes  pro- 
vençaux postérieurs  ne  connaissent  plus  guère  que 
sous  la  forme  consirier.  L'étymologie  est  clairement  le 
latin  vulgaire  *considërium,  tiré  de  considerare  sur  le 
modèle  de  desidërium  desiderare.  La  forme  ordinaire 
consirier  est  plus  récente  ;  elle  est  sortie  d'un  «  compro- 
mis »  entre  le  substantif  primitif  considier  et  le  verbe 
*considrar,  consirar.  Si  l'auteur  de  Sancta  Fides  avait  eu 
à  exprimer  l'idée  de  «  désir  »,  il  se  serait  probablement 
servi  de  *desider,  qui  est  à  la  forme  postérieure  destrier 
comme  consider  à  consirier2. 

Les  mots  latins  en  -ërium,  correspondants  à  des  verbes 
en  -ërare,  nesont  pas  nombreux.  A  côté  de  impropërium 
et  de  desidërium,  dont  nous  venons  de  parler,  on  ne 
peut  guère  citer  que  adultëriumî,  impërium  et  refrigë- 
riuin,  pour  l'époque  classique,  delibërinm  et  vitupërium , 
pour  la  basse  époque.  Delibërinm  est  particulièrement 
intéressant:  il  figure  dans  une  glose,  où  il  est  rendu 
par  le  grec  ftupti  *  :  il  a  donc  le  sens  correspondant  à 

de  «  reprocher  »  ;  là  c'est  bien  d'un  b  latin  qu'il  faut  partir.  Le 
rapport  sémantique  de  «  reproche  »  et  de  «  proverbe  »  n'est 
pas  très  clair  :  y  a-t-il  eu  immixtion  de  proverbium,  d'une  part,  de 
probrum,  et  ses  dérivés,  de  l'autre  ?  La  dissimilation  de  prétram  en 
*probum  serait  conforme  à  la  loi  II  de  M.  Grammont. 

1.  Vers  340  (Romania,  XXXI,  191). 

2.  Je  renvoie  le  lecteur  pour  plus  de  détails  à  l'article  consider, 
qui  figure  plus  loin  dans  les  Recherches  étymologiques. 

3.  Peut-être  vaut-il  mieux  tirer  adultërium  de  adultér,  comme 
magistêrium  de  magistër  et  ministëriuvi  de  ministtr. 

4.  Corp.  gloss.  lai.,  II,  112,  39. 

Thomas.  II.  —  8 


114  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

celui  du  verbe  classique  delibèrare,  «  délibérer  ».  Mais 
le  latin  populaire  connaît  delibèrare,  «  délivrer  »,  em- 
ployé par  Tertullien  ;  il  est  donc  permis  de  supposer, 
parallèlement  à  delibërhim,  «  délibération  »,  un  *delï- 
bèrium,  «  délivrance  »,  qui  est  avec  le  provençal  deliu- 
rier  dans  le  même  rapport  que  desidërium  avec  destrier. 

Je  crois  également  légitime  de  faire  remonter  l'ancien 
provençal  recobrier  et  l'ancien  français  recovrier,  que  ne 
citent  ni  Diez  ni  M.  Meyer-Lûbke,  et  qui  sont  pour- 
tant des  mots  très  usuels,  à  un  type  primitif  *recupërium, 
de  recuperare. 

Il  convient  d'être  plus  réservé  vis-à-vis  de  encombrier. 
Toutefois,  si  l'on  remarque  que  le  mot  est  commun 
au  français  et  au  provençal  et  très  usité  de  part  et 
d'autre,  on  inclinera  à  penser  que  l'existence  d'un  type 
*incombërium  n'est  pas  invraisemblable.  La  belle  étymo- 
logie  de  M.  Meyer-Lûbke,  qui  suppose,  comme  on 
sait,  une  base  gauloise  *combero-1,  trouverait  là  une 
éclatante  confirmation2. 

Diez  a  admis  pauprier,  «  pauvreté  »,  dans  sa  liste; 

i.  Zeitscfo.  fur  rom.  Philol.,  XIX,  276. 

2.  On  pourrait  songer  à  reconstituer  un  type  *supcrium,  de  supc- 
rare,  à  cause  du  provençal  sobrier,  «  supériorité  »,  que  M.  P.  Meyer 
attribue  à  Peire  Vidal,  vers  38  de  la  pièce  Drogoman  (Romania,  II, 
426).  Mais  on  remarquera,  d'une  part,  que  les  formations  vraiment 
'anciennes  ne  se  trouvent  qu'avec  les  verbes  composés,  de  l'autre, 
que  la  leçon  sobrier,  adoptée  par  M.  P.  Meyer,  est  très  probable- 
ment fautive,  car  les  manuscrits  appuient  plus  solidement  sablier, 
de  *saporarium,  qui  est  donné  par  Raynouard  et  par  Bartsch.  En 
revanche,  le  prov.  anc.  sobriera  pourrait  être  un  ancien  *sobiera, 
d'après  un  type  *supëria  qui  serait  à  supërus  dans  le  même  rapport 
que  misiria  à  misons.  Quant  à  nessiera,  «  nécessité,  disette  »,  c'est 
certainement  le  lat.  necessaria  employé  substantivement. 


LES  SUBSTANTIFS  ABSTRAITS  EN  -1ER  115 

c'est  un  mot  rare,  employé  par  Raimon  de  Miraval; 
on  sait  que  la  forme  usuelle  est  paupriera,  paubriera. 
Dans  une  leçon  faite  à  l'École  des  Hautes  Études  le 
21  janvier  1897,  j'émettais  l'hypothèse  que  le  provençal 
paupriera  représentait  le  type  latin  *paupëria  modifié 
d'après  l'adjectif  paitpre,  de  paupër.  Le  poème  de  Sancta 
Fides  confirme  mon  hypothèse,  puisqu'il  emploie  la 
forme  paupeira l,  qui  est  à  paupriera  dans  le  même 
rapport  que  consider  à  consirier.  Il  est  bien  tentant  de 
voir  dans  pauprier  un  ancien  *paupier,  représentant  le 
latin  classique  paupëries.  M.  Meyer-Lûbke  tire  l'italien 
madiere  et  l'espagnol  madero  du  latin  matèries,  le  pro- 
vençal et  l'ancien  français  tempier  de  tempëries2;  mais 
l'espagnol  madero  vient  de  malhium,  qui  se  lit  en  toutes 
lettres  dans  les  gloses  de  Berne  3.  Enfin  l'espagnol  con- 
naît aussi  t&mpero,  qui  a  le  même  sens  que  le  provençal 
actuel  tempier,  et  qui  nous  reporte  à  *tempërium,  lequel 
se  rattache  peut-être  directement  à  temperare.  Mais  il 
est  possible  que  la  désinence  latine  -èries,  supplantée 
par  -ëria,  ait  fini  par  être  masculinisée  en  -ërius,  sans 
que  ce  phénomène  morphologique  se  lie  nécessairement 
au  procédé  de  dérivation  qui,  par  l'addition  du  suffixe 
-ium,  a  tiré  les  substantifs  abstraits  en  -ërium  de  verbes 
en  -ërare.  Il  est  donc  prudent  de  hisser  pauprier,  madier 
et  tempier  en  dehors  de  la  série  qui  nous  occupe,  d'au- 


1.  Vers  102  {Romania,  XXXI,  183). 

2.  Gramm.  des  tang.  rom.,  II,  §  372,  trad.  fr.,  p.  463. 

3.  Fcerster  et  Koschwitz,  Attfr.  Uebungsbuch,  2<*  éd.,  col.  35. 
Le  prov.  actuel  possède  aussi  madier,  «  varangue,  bau  »,  à  côté  de 
madrier  ;  cette  dernière  forme  paraît  influencée  par  le  français 
moderne. 


Il6  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

tant  plus  qu'on  peut  encore  avoir  formé,  en  latin  vul- 
gaire, *paupèrium  de  paupër,  comme  magislërium  de 
magistër  et  ministërium  de  ministër1.  Dans  ce  cas,  il 
faudrait  considérer  pauprier  comme  l'héritier  de  *pau- 
përium,  au  même  titre  que  paupriera  est  l'héritier  de 
*  paupër  ta. 

Voici  maintenant  un  inventaire,  plus  complet  que 
ceux  qu'on  a  tentés  jusqu'ici,  des  mots  abstraits  en  -ier, 
dérivés  de  verbes,  que  possèdent  le  français  et  le  pro- 
vençal. 

Le  français  n'est  pas  très  riche.  Les  anciens  textes 
connaissent  les  mots  suivants  :  chaitivier2,  consirier, 
desiier,  desirier,  destorbier,  encombrier,  encontrier > ,  frapîer ', 
mesalier*,  meserrier  5 ,  pensier6,  recovrier,  remembrkri ', 


1.  Arbiterium,  pour  arbitrium,  d'après  arbitlr,  se  trouve  plus 
d'une  fois. 

2.  Le  verbe  correspondant  est  rare,  quoique  captivare  existe  en 
latin  ;  je  ne  connais  que  le  gérondif  chaitivant  dans  le  Rendus  de 
Moiliens,  Caritè,  exix,  10.  Chaitivier  serait-il  dérivé  directement 
de  chaitifi  M.  Fcerster,  qui  est  de  cet  avis,  me  signale  l'ancien 
italien  cattiveria,  que  ne  mentionnent  ni  Diez  ni  M.  Meyer-Lùbke  ; 
cf.  l'espagnol  cantiverio,  calqué  sur  le  bas  latin. 

3.  Godefroy  n'a  que  enconlriere  ;  mais  encontrier  existe  aussi. 
M.  Runeberg  veut  bien  me  le  signaler  dans  la  Bataille  Loquifer, 
Bibl.  nat.  fr.  1449,  f°  144  v°  ;  il  est  fréquent  dans  Gaufrei,  écrit 
encontrer,  mais  rimant  en  ier,  1651,  4789,  5910,  5953,  etc.  ;  je  le 
relève  encore  dans  la  Mort  Aimeri,  3950,  dans  Huon  de  Bordeaux, 
557,  et  dans  Fietabras,  3859  et  3888. 

4.  Partenopcus,  Bibl.  nat.  191 52,  f°  168  r°,  dans  God.,  mestor. 

5.  Ibid. 

6.  Beneeit,  Ducs  de  Norm.,  II,  1970. 

7.  Gautier  d'Épinal,  II,  3,  7,  dans  Mém.  de  la  Société  néopbilol. 
de  Helsingfors,  III,  268  (communication  de  M.  Wallenskôld). 


LES  SUBSTANTIFS  ABSTRAITS   EN    -1ER  n7 

reprochier1,  reprovier,  restorier2.  De  ces  mots,  un  seul 
semble  avoir  survécu  :  c'est  destorbier,'  encore  usité  à 
Guernesey  et  dans  une  partie  de  la  Normandie  (Eure). 
Il  fout  bien  distinguer  des  substantifs  abstraits  en  -ier 
les  verbes  dont  l'infinitif  a  la  désinence -ier,  cette  forme 
d'infinitif  pouvant,  comme  toute  autre,  faire  acciden- 
tellement fonction  de  substantif;  on  y  arrive  par  une 
analyse  sémantique  délicate,  appuyée  sur  de  bons 
exemples,  comme  celui-ci  :  «  Corrons  par  desiers  et 
'par  esploiz  des  vertuz,  car  esploitiers  est  alers  »  (Ser- 
mons de  saint  Bernard,  éd.  Fœrster,  p.  32). 

Le  provençal  offre  une  moisson  plus  abondante.  Mes 
dépouillements,  combinés  avec  ceux  dont  a  bien  voulu 
me  faire  profiter  M.  Lévy,  établissent  la  liste  suivante 
pour  le  moyen  âge  :  acordier,  adobier,  alegrier,  alonguier, 
assegurier,  autorgnier,  autregier,  caitivier  (encore  vivant), 
castiier,  chantier  (?),  chaplier,  constater  (encore  vivant), 
consirier  (encore  vivant),  deliurier,  demorier,  desacordier, 
descordier,  desirier,  destorbier  (encore  vivant),  empachier, 
empaitrier,  encombrier  (encore  vivant),  enogier  (encore 
vivant),  espaventier,  gabier,  galier,  longuier  (?),  melhorier 
(encore  vivant),  panier  (?),  pensier  (encore  vivant), 
pertorbier,  plaidier,  podier,  recobrier,  reprobier,  reprochier, 
reprovier  (encore  vivant). 

J'ai  noté  chemin  faisant  les  cas  de  survivance,  d'après 


1 .  Godefroy  ne  donne  ce  mot  qu'au  sens  de  «  reproche  »  ;  on 
le  trouve  aussi  au  sens  de  «  proverbe  »,  notamment  Gaufrei,  8862. 

2.  Je  ne  connais  ni  demandier  ni  parlier,  mentionnés  par 
M.  Meyer-Lùbke.  Quant  à  remuier,  signalé  par  M.  Tobler  (Rom., 
II,  243),  je  crois  que  sa  désinence  correspond  à  -arium  et  non  à 
-crium. 


Il8  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

Mistral.  La  vitalité  de  ce  suffixe  n'a  été  nulle  part  aussi 
grande  qu'en  Gascogne,  particulièrement  en  Béarn,  où 
elle  s'affirme  encore  aujourd'hui  par  l'existence  d'un 
grand  nombre  de  mots  dont  certains  peuvent  remonter 
au  moyen  âge,  mais  dont  beaucoup  ont  dû  être  créés 
à  une  époque  relativement  récente.  Voici  ceux  que  je 
relève  dans  le  Dictionnaire  béarnais  de  Lespy  et  Ray- 
mond :  abeyè  (ennui),  acabè  (achèvement),  adiré  (cha- 
grin d'amour),  agané  (réconfort),  ahamiè  (gloutonnerie), 
ahanè  (avidité),  amourré  (engourdissement),  arrepoè, 
reproé  (proverbe),  counsoulé  (consolation),  debeyé  (en- 
nui), déisè  (conversation),  desabeyé  (désennui),  desa- 
coustumé  (désaccoutumance),  desbroumbè  (oubli),  descaré 
(effronterie),  descounsolé  (désolation),  desestimé  (méses- 
time), desfourtuné  (ruine),  desoundré  (souillure),  desoulè 
(désolation,  abandon),  dessenssé  (perte  du  sens),  embar- 
gué  (obstacle),  embarrè  (clôture),  embeyè  (envie),  estou- 
maquè  (dégoût),  gourriné  (fainéantise),  lâché  (relâche- 
ment), ligué  (travail  pour  lier  les  vignes),  pregandè 
(traitement  par  les  pratiques  superstitieuses),  queré 
(vermoulure,  dépérissement1). 

En  dehors  de  la  Gascogne  propre,  les  seuls  types 
anciens  encore  vivants  sont  caitivier,  consi(d)ier,  con- 
signer, destorbier,  encombrier,  enogier,  melhorier  et  pen- 
sier.  Le  patois  de  Saint- Yrieix-la-Montagne  (Creuse) 
connaît  le  substantif  paier  (prononcé  poye),  morceau  de 
pain,  de  crêpe,  etc.,  que  l'on  donne  au  chien  pour  le 


i.  Ils  sont  beaucoup  plus  rares  dans  le  Dictionnaire  gascon-fran- 
çais de  Cénac-Moncaut  ;  j'y  remarque  cependant  aouejè  (ennui), 
arrecatè  (cachette),  caytiouè  (misère)  et  perçasse  (picorée). 


L'ÉVOLUTION   PHONÉTIQUE  DU   SUFFIXE  -ARIUS  119 

«  payer  »  de  sa  peine  quand  il  a  ramené  un  animal 
écarté;  herbe,  fourrage,  etc.,  que  l'on  donne  à  la 
vache  pour  qu'elle  se  laisse  traire  :  comme  c'est  le 
seul  mot  de  ce  genre  que  possède  ce  patois,  il  est  pro- 
bable que  paier  est  une  création  du  moyen  âge. 

Après  avoir  précisé  la  filiation  morphologique  qui 
existe  entre  le  suffixe  abstrait  -ier  du  français  et  du  pro- 
vençal et  la  désinence  latine  ■criiim,  il  resterait  à  parler 
du  rapport  phonétique  du  roman  au  latin.  Comme  les 
formes  romanes  se  sont  absolument  confondues  dans 
les  deux  langues  avec  celles  qui  remontent  au  suffixe 
latin  -arius,  il  vaut  mieux  ne  pas  aborder  ici  cette 
question;  elle  sera  plus  utilement  traitée  dans  le  mé- 
moire consacré  à  ce  suffixe,  mémoire  que  le  lecteur 
trouvera  à  la  page  suivante. 


V.    —    L  ÉVOLUTION    PHONÉTIQUE    DU    SUFFIXE   -âTlUS  ■ . 

On  a  beaucoup  écrit  sur  le  suffixe  -arius.  Je  n'ai  pas 
la  prétention  d'avoir  lu  tout  ce  qu'on  a  écrit,  mais, 
grâce  au  très  consciencieux  mémoire  de  M.  Erik  StaafF2, 
je  crois  n'avoir  rien  laissé  échapper  d'important  et  je 
demande  la  permission  de  dire  mon  sentiment  sur  la 


1.  Ce  mémoire  annule  ce  que  j'ai  écrit  sur  le  même  sujet 
dans  Romania,  XXI,  491-498. 

2.  Le  suffixe  -arius  dans  les  langues  romanes,  Upsal,  1896.  —  Les 
intéressantes  observations  présentées  à  cette  occasion  par  M.  Meyer- 
Lùbke  (Kritischer  Jabresb.  IV1,  102  et  s.)  ne  m'ont  été  connues 
qu'au  dernier  moment,  grâce  à  une  indication  de  Gaston  Paris  ; 
mais  elles  ne  touchent  pas  au  fond  de  ma  thèse. 


120  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

question,  en  me  limitant  toutefois  au  territoire  de  la 
Gaule. 

Il  est  hors  de  doute  que,  dès  les  plus  anciens  textes 
français  et  provençaux,  la  désinence  des  mots  qui  corres- 
pondent à  des  mots  latins  finissant  en  -èrius,  -èrium  et 
-ëria  est  absolument  homophone  à  celle  des  mots  qui 
remontent  à  des  types  latins  pourvus  du  suffixe  -arius. 
Il  paraît  donc  logique  de  conclure  que,  dans  la  période 
préhistorique  du  français  et  du  provençal,  -arius  a  été 
remplacé  par  -ërius.  C'est  ce  qu'enseignait  déjà  M.  Paul 
Meyer  lorsque  j'étais  sur  les  bancs  de  l'École  des  Chartes, 
c'est-à-dire  en  1876. 

A  quelle  époque  a-t-on  dit  -ërius  au  lieu  de  -arius  ? 
L'étude  des  mots  où  -arius  est  précédé  d'une  explosive 
palatale  nous  fournit  un  point  de  repère.  Il  est  évident 
que  cette  substitution  doit  être  postérieure,  non  seu- 
lement à  l'assimilation  du  c  latin  devant  e,  i,  phéno- 
mène relativement  ancien,  commun  au  français  et  au 
provençal,  mais  à  l'altération  du  c  et  du  g  devant  a, 
phénomène  plus  récent,  propre  à  un  territoire  continu, 
qui  est  à  cheval  sur  les  domaines  respectifs  de  ce  qu'on 
est  convenu  d'appeler  la  langue  d'oc  et  la  langue  d'oïl. 
Dans  ce  territoire,  porcarius  est  devenu  porcharius,  puis 
porcherius,  et  finalement  porchier,  de  même  que  locarium 
a  parcouru  les  étapes  successives  logario,  loiario,  loierio, 
hier.  Du  moment  que  nous  supposons  l'évolution 
de  a  à  e  plus  récente  que  celle  de  c  à  ch  et  de  g  à  i, 
nous  sommes  à  couvert  du  côté  des  palatales.  Le 
changement  de  ^  en  e  dans  le  suffixe  -arius  nous 
apparaît  donc  comme  celui  de  au  en  0  que  nous 
offre  le  français,  et  le  rapport  de  porchier,  hier  à  leur 


L'ÉVOLUTION   PHONÉTIQUE  DU  SUFFIXE  -ARIUS  121 

type  latin  rappelle  celui  de  chose  à  causa  et  de  joie  à 
gaudia. 

Le  passage  de  -arius  à  -ërius  est-il  un  fait  phoné- 
tique, ou  sommes-nous  en  présence  d'une  substitution 
de  suffixe  ?  M.  Grôber  s'est  fait  le  champion  de  cette 
dernière  doctrine.  Je  ne  puis  être  prévenu  contre  la 
désinence  -èrium,  dont  j'ai  fait  voir  ci-dessus  la  vitalité 
et  la  propagation  ;  pourtant  il  ne  me  paraît  pas  vrai- 
semblable qu'elle  ait  pu  franchir  les  limites  que  lui 
assigne  son  origine  pour  prendre  la  place  de  -arius, 
suffixe  masculin,  de  -arium,  suffixe  neutre,  encore  moins 
de  -aria,  suffixe  féminin.  D'ailleurs  il  est  facile  de  véri- 
fier, à  l'aide  des  faits,  le  bien  ou  le  mal  fondé  de  cette 
hypothèse.  On  ne  peut  supposer  que  *denërius  prend 
la  place  de  denarius  par  substitution  de  suffixe,  sans 
être  forcé  de  convenir  que  Va  doit  être  du  même  coup 
expulsé  et  de  denarius  et  de  ses  dérivés;  or,  Va  ne 
bouge  pas  dans  les  dérivés.  C'est  ce  que  montre  clai- 
rement le  provençal  :  voyez  denairada,  denairal,  denairet, 
et  les  noms  abstraits  en  -aria,  comme  cavalaria,  leu- 
jaria,  etc.,  à  côté  de  denier,  cavalier,  leujier1.  La  cor- 
respondance de  -ier  tonique  et  de  -air-  protonique  est 
si  bien  établie  en  provençal  que  l'on  écrit  abusivement 
menestairal  pour  menesteiral,  du  latin  ministerialis2.  Le 
changement  de  -arius  en  -ërius  ne  provient  donc  pas 
d'une  substitution  de  suffixe. 

i .  L'affaiblissement  de  Va  protonique  en  e  qui  est  propre  au 
français  l'empêche  de  porter  témoignage  dans  la  cause.  On  remar- 
quera que  denerce,  de  bonne  heure  denrée,  repose,  non  comme  le 
provençal  denairada,  sur  le  type  latin  *denariala  qui  aurait  donné 
"denairiee,  *deneiriee,  mais  sur  *denarala. 

2.  Raynouard,  Lex.  roui.,  IV,  236. 


122  GÉNÉRALITÉS   ET   MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

La  forme  -ërius  peut-elle  être  une  étape  du  dévelop- 
pement régulier  de  -arius  d'après  les  lois  phonétiques 
connues  ?  En  aucune  façon,  si  l'on  s'en  rapporte  au 
témoignage  des  mots  latins  qui  présentent  le  même 
groupement  de  sons,  non  en  fonction  de  suffixe.  Area, 
latin  vulgaire  *aria,  donne  aira  en  provençal1,  aire  en 
français  ;  varius  donne  de  part  et  d'autre  vair.  On 
voit  clairement  que  Vi  postonique  en  hiatus  a  passé  dans 
la  syllabe  accentuée  pour  s'y  combiner  avec  Va  et  que 
la  diphtongue  ai  en  est  résultée.  La  même  chose  se 
produit  dans  la  francisation  des  mots  latins  empruntés 
(contraire,  de  contrarius)  ;  mais  ce  n'est  pas  une  raison 
suffisante  pour  contester  le  caractère  populaire  et  tra- 
ditionnel de  mots  comme  aire,  glaire,  paire,  vair. 

M.  Staaff  a  repris  k  son  compte  l'idée  de  Gaston 
Paris  d'après  laquelle  la  désinence  française  -ier  serait 
sortie  phonétiquement  de  -arius  latin  précédé  d'une 
palatale,  et  aurait  supplanté  la  désinence  normale  -air 
des  mots  sans  palatale.  Mais  le  maître  a  déclaré  depuis 
qu'il  était  convaincu  que,  d'après  les  lois  de  la  phonéti- 
que française,  -arius  précédé  d'une  palatale  aurait  abouti 
à  -ir  et  non  à  -ier2.  Sans  discuter  ici  ce  dernier  point, 
j'avoue  qu'une  explication  qui  laisse  en  dehors  le  pro- 
vençal, où  l'action  de  la  palatale  sur  Va  est  nulle,  me 
fait  l'effet  d'un  expédient. 

i.  Le  provençal  connaît  aussi  la  forme  iera,  surtout  dans  la 
région  orientale  (de  là  le  nom  de  la  ville  d'Hyères)  ;  mais  cette 
forme  ne  peut  suffire  à  établir  une  loi  phonétique,  même  si  l'on 
y  joint  quèiro,  quèro  «  artisan  »,  du  latin  *caria,  pour  caries,  à  ce 
qu'il  semble,  gliere  «  gravier  »  (forme  savoyarde),  de*gîaria,  pour 
glarea,  etglèiro,  glèro  «  glaire  »  (forme  languedocienne),  de  *claria. 

2.  Romania,  XXVI,  613  et  XXXI,  490,  n.  5. 


L'ÉVOLUTION   PHONÉTIQUE  DU   SUFFIXE  -ARIUS  123 

Dans  l'état  où  tant  de  travaux  accumulés  ont  porté  la 
question,  je  n'entrevois  qu'un  point  lumineux,  dégagé 
il  y  a  longtemps  par  Gaston  Paris:  c'est  que  le  sort 
de  -arins  en  français  et  en  provençal  est  lié  à  sa  fonc- 
tion. Convaincu,  d'autre  part,  qu'il  ne  s'agit  ni  d'une 
substitution  de  suffixe,  ni  d'un  développement  phoné- 
tique en  harmonie  avec  les  lois  reconnues  du  français 
et  du  provençal,  j'enseigne  depuis  plusieurs  années  que 
la  seule  hypothèse  qui  semble  permise,  pour  concilier 
des  faits  en  apparence  inconciliables,  consiste  à  sup- 
poser une  loi  phonétique  exotique  qui  serait  venue 
troubler  la  marche  naturelle  du  français  et  du  provençal. 
Je  considère  le  suffixe  germanique  qui  se  présente  en 
gothique  sous  la  forme  -areis  comme  l'auteur  respon- 
sable de  la  transformation  du  suffixe  latin  -arius  en 
-ërius,  transformation  irrégulière  et  a  jamais  inexpli- 
cable pour  qui  reste  sur  le  terrain  de  la  phonétique 
française  ou  provençale.  J'imagine  aussi  que  les  innom- 
brables noms  propres  germaniques  qui  se  sont  répandus 
depuis  le  cinquième  siècle  sur  la  Gaule  et  qui  y  ont  été 
latinisés  dès  la  première  heure  en  -charius  et  en  -garnis 
ont  dû  singulièrement  renforcer  l'action  du  suffixe 
■areis.  Que  ce  suffixe  germanique  provienne  lui-même 
d'un  emprunt  au  suffixe  latin  -arius,  comme  l'ensei- 
gnent aujourd'hui  les  germanistes,  ou  qu'il  ait  une 
autre  origine,  peu  nous  importe.  Il  a  évolué  de  -ari  à 
-er,  conformément  à  la  loi  de  l'umlaut,  en  germanique  : 
voilà  tout  ce  qu'il  nous  faut  retenir.  A  une  époque  où 
la  phonétique  romane  n'était  qu'à  ses  débuts  et  où 
l'on  croyait  que  le  latin  -arius  aboutissait  tout  de  go 
au  français  -ier,  Diez  pouvait  écrire  :  «  Les  noms  de 


124  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

l'ancien  haut-allemand  composés  avec  -hari,  comme 
Gundahari,  etc.,  changent  leur  a  en  ie,  non  point  par 
une  dérivation  immédiate  du  moyen  haut-allemand 
Gunthêr,  etc.,  mais  en  vertu  du  même  procédé  qui 
transforme  argentarius  en  argentiere1.  »  Aujourd'hui 
on  est  d'un  tout  autre  sentiment.  MIle  Cipriani,  qui  a 
fait  une  étude  spéciale  des  noms  de  cette  catégorie, 
est  arrivée  à  la  conclusion  que  le  suffixe  -hari  n'a  pénétré 
en  français  qu'après  avoir  subi  l'umlaut  germanique,  et 
elle  est  portée  à  croire  que  le  suffixe  des  noms  d'agents 
a  dû  suivre  le  même  chemin2.  On  peut  aller  plus  loin 
et  dire  :  le  suffixe  latin  -arius  est  devenu  -ërius  dans 
la  bouche  des  Francs  établis  en  Gaule,  parce  que, 
en  parlant  latin,  ils  ont  été  influencés  par  le  suffixe 
germanique  de  forme  et  de  signification  analogues  et 
par  la  désinence  homophone  de  nombreux  noms  pro- 
pres germaniques;  puis  la  prononciation  germanique 
-ërius  s'est  généralisée,  et  a  été  adoptée  par  les  popu- 
lations romanes  elles-mêmes,  comme  par  exemple,  celle 
de  *wastare,  au  lieu  de  vastare,  d'où  le  provençal  gastar 
et  le  français  gâtera. 


i.  Gramm.  des  langues  rom.,  trad.  franc.,  I,  p.  284. 

2.  Étude  sur  quelques  noms  propres,  p.  42. 

3 .  Il  n'est  peut-être  pas  inutile  de  bien  préciser  que  ma  manière 
de  voir,  tout  en  se  rapprochant  de  celle  qu'a  exposée,  il  y  a  quelque 
vingt  ans,  M.  W.  Foerster  (Zeitscbr.  fur  rom.  Phih,  III,  508  et  s.), 
s'en  distingue  en  ce  que  je  ne  crois  pas  qu'il  ait  pu  y  avoir  dans  le 
latin  abandonné  à  lui-même  un  phénomène  spontané  d'umlaut. 
Je  dois  ajouter  d'ailleurs  (et  c'est  Gaston  Paris  qui  m'en  avait  fait 
la  remarque)  que  M.  Marchot  a  eu  la  même  idée  que  moi  et  l'a 
exprimée  en  passant  dans  les  Rom.  Forsch.,  XII,  647,  où  on  lit: 
«  Une  transformation  en  francique  de  -art  en  -eri  pourrait  remonter 


L'ÉVOLUTION  PHONÉTIQUE  DU  SUFFIXE  -ARIUS  125 

Si  l'ancien  haut-allemand  offre  encore  assez  tardive- 
ment des  formes  en  -art,  sans  umlaut,  nous  sommes 
autorisés  à  dire  que  la  langue  des  Francs  a  altéré  l'a 
beaucoup  plus  tôt,  .puisque  nous  trouvons  la  forme 
Berbero,  pour  Berhario,  dans  une  charte  de  766 '.  Or, 
c'est  aussi  au  huitième  siècle  qu'apparaît  le  changement 
de  l'a  en  e  dans  le  suffixe  -arius:  les  plus  anciens 
exemples  sont  sorcerus  et  paner  dans  les  gloses  de  Rei- 
chenau,  Warencerie  dans  un  diplôme  de  Charlemagne 
daté  de  774 2  et  pomerius  dans  les  gloses  du  ms.  latin 
912  de  Saint-Gall,  écrit  au  huitième  siècle  3.  On 
a  cité,  il  est  vrai,  des  dates  antérieures  :  voyons 
ce  qu'elles  valent.  M.  Staaff  indique  Glanderiae  en 
5874;  mais  le  document  d'où  provient  cette  forme 
est  une  généalogie  de  saint  Arnoul,  évoque  de 
Metz,  fabriquée  au  plus  tôt  du  temps  de  Charles   le 


au  sixième  siècle  et  avoir  détermine,  d'abord  dans  les  bouches 
franques  s'essayant  à  parler  roman,  la  transformation  de  -arius  en 
-erius,  puis  chez  les  Romans.  »  Enfin,  je  me  suis  trouvé  aussi 
d'accord,  sans  le  savoir,  avec  M.  J.  Vising,  car  voici  ce  qu'il  m'a 
écrit,  à  la  date  du  27  novembre  1902:  «  Cela  m'a  fait  un  grand 
plaisir  de  lire  votre  article  sur  les  substantifs  abstraits  en  -ier, 
comme  aussi  la  thèse  de  MIlc  Cipriani  sur  -hari.  Je  retrouve  dans 
ces  deux  mémoires,  en  principe,  une  théorie  que  je  n'ai  cessé  de 
prêcher  depuis  1885,  savoir  que  le  français  -ier  est  dû  à  l'allemand 
-hari.  En  effet,  en  1885,  j'ai  envoyé  à  Gaston  Paris  un  mémoire 
dans  lequel  j'ai  essayé  de  développer  cette  théorie.  Il  me  l'a  ren- 
voyé avec  quelques  notes  de  M.  Paul  Meyer  et  cette  conclusion 
que  ni  lui  ni  M.  Paul  Meyer  n'y  croyaient.  » 

1 .  Comme  premier  élément  de  nom  propre,  Chari-  affaiblit  l'a 
en  e  dès  723  (Cipriani,  p.  39). 

2.  Staaff,  op.  laud.,  p.  96. 

3.  Gcetz,  Corp.  gl.  latin.,  IV,  2i9'9. 

4.  Staaff,  op.  laud.,  p.  125. 


126  GÉNÉRALITÉS   ET    MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

Chauve1.  On  a  fait  état  aussi  de  Redeverus,  nom  de 
Reviers  (Calvados)  dans  la  vie  de  saint  Vigor2.  Mais  si 
saint  Vigor,  évêque  de  Bayeux,  a  bien  vécu  au  sixième 
siècle,  son  biographe,  d'après  M.  l'abbé  Duchesne*, 
appartient  au  huitième  ;  d'ailleurs  que  savons-nous  des 
antécédents  de  Redeverus?  Enfin,  M.  l'abbé  Rousselot 
a  cité,  comme  une  preuve  certaine  de  l'emploi  de  -ërius 
pour  -arius  dès  le  sixième  siècle,  ce  passage  d'une 
homélie  du  pape  saint  Grégoire  :  «  Chrysaorius,  quem 
lingua  rustica  populus  Chryserium  vocabaf».  »  Il  s'agit 
de  la  langue  rustique  de  la  province  dite  Valeria,  partie 
de  la  Hongrie  actuelle  à  l'Ouest  du  Danube.  Mais 
Chrysaorius  n'est  pas  un  nom  en  -arius.  M.  l'abbé 
Rousselot  a  beau  dire  que  «  la  finale  grecque  -aorius 
ne  devait  guère  être  distincte  pour  le  peuple  de  la  forme 
classique  -arius  »,  il  ne  persuadera  personne.  Que  le 
peuple  de  la  Valeria  ait  dit  Chryserius  au  lieu  de  Chry- 
saorius, je  veux  bien  le  croire,  par  déférence  pour  le 
pape;  mais  il  est  clair  que  ce  n'est  pas  là  un  phéno- 
mène de  phonétique  pure  :  c'est  une  substitution  de 
désinence.  Or,  il  y  a  assez  de  noms  usuels  en  -erius  dans 
l'onomastique  courante  du  sixième  siècle  (Aetheriiis, 
Asterius,  Desiderius,  etc.)  pour  que  l'affaire  se  règle 
entre  -aorius  et  -erius  sans  faire  intervenir  -arius^. 
Un  a  germanique  devenu  e  en  francique  (ou  dans 

i.  Voir  Dom  Calmet,  Hist.  de  Lorraine,  preuves,  col.  79. 

2.  Grôber  dans  Zeilschr.fùr  rom.  Phil.,  XIX,  63,  note  1. 

3.  Fastes  e'piscopaux  de  la  Gaule,  II,  213. 

4.  Les  tiiodif.  pbone't.  du  langage...,  p.  254. 

5 .  A  noter  Potnerius,  nom  d'un  abbé  d'origine  africaine  mort  en 
Gaule  vers  498.  Je  ne  crois  pas  que  Poimiius  soit  pour  Pomaritts  ; 
mais  comment  est-il  formé  ? 


L'ÉVOLUTION  PHONÉTQUE  DU   SUFFIXE  -ARIUS  127 

tout  autre  dialecte  germanique  du  haut  moyen  âge)  a 
pu  passer  en  français  et  en  provençal  et  y  être  traité 
comme  Yë  latin  primitif,  puisque  le  mot  bief  correspond 
au  gothique  badi1.  M.  d'Arbois  de  Jubainville  a  montré 
que  le  premier  élément  des  mots  français  herban,  herberge 
provenait  du  mot  francique  heri,  gothique  harjis, 
armée2.  Il  est  vrai  que  le  provençal  semble  avoir  pour 
base,  non  pas  heri,  mais  hari,  car  il  dit  alberc  (dissimi- 
lation  pour  arberc),  et  cet  a  se  retrouve  dans  les  parties 
du  domaine  français  qui  confinent  au  provençal  (Sain- 
tonge,  Poitou,  Bourgogne)  5.  Mais  il  est  d'accord  avec 
le  français  en  ce  qui  concerne  le  traitement  de  l'a  de 
badi,  puisqu'il  a  tiré  de  ce  substantif  germanique  le 
dérivé  beçah,  dont  Ye  ne  peut  être  issu  de  Ya  primitif 
que  dans  les  bouches  germaniques. 

On  a  l'habitude  de  distinguer  deux  couches  dans  les 
mots  germaniques  qui  ont  passé  en  français  et  en  pro- 
vençal :  la  première  comprend  les  emprunts  faits  par 

i.  C'est  M.  Meyer-Lùbke  qui  a  attiré  mon  attention  sur  cet 
exemple  auquel  je  n'avais  pas  d'abord  songé  (Zeitschr.  fur  rotn. 
Phil.,  XXVII,  p.  506).  Voyez  Mackel,  Die  germ.  Elemente,  p.  89. 

2.  Romania,  I,  139. 

3.  Même  contraste  entre  le  provençal  et  le  français  pour  les 
noms  propres  dont  ce  mot  constitue  le  premier  élément  ;  au  fran- 
çais Herbaut,  Herbert,  Hersent  s'opposent  Arbaut,Arbert,  Arsen,  etc. 
On  pourrait  proposer  pour  l'a  provençal  une  autre  explication  et  y 
voir  la  transformation  d'un  ancien  e  due,  soit  à  la  présence  de  IV 
(cf.  Armengaut  à  côté  de  Erruengaut),  soit  à  une  autre  cause  (cf. 
Austorcs,  du  latin  Eustorgius,  Auduirt^  de  Hildegardis,  etc.)  ;  mais 
j'incline  à  admettre  que  l'a  provençal  est  l'a  germanique. 

4.  Le  simple  paraît  exister  dans  l'auvergnat  bèso  et  le  forésien 
bie,  enregistrés  par  Mistral;  mais  il  serait  bon  de  vérifier  la  forme 
et  la  provenance  exactes  de  ces  mots,  ce  que  je  n'ai  pas  le  moyen 
de  faire. 


128  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

les  Romans  aux  peuples  germaniques  qui  vivaient  au 
milieu  d'eux,  c'est-à-dire  pendant  la  période  qui  suit 
immédiatement  la  grande  invasion  du  commencement 
du  cinquième  siècle;  la  seconde,  les  emprunts  posté- 
rieurs1. On  serait  volontiers  porté  à  croire  que  le  pro- 
vençal a  reçu  son  premier  fonds  germanique  des  Bur- 
gundions  et  des  Wisigoths,  qui  ont  occupé  pendant 
environ  un  siècle  la  région  de  la  Gaule  qui  correspond 
à  son  domaine  linguistique,  et  que  ce  premier  fonds 
s'est  augmenté  par  un  nouvel  apport  dû  aux  Francs, 
qui  sont  définitivement  restés  maîtres  du  pays,  de  sorte 
que  le  provençal  aurait  deux  couches  successives  pour 
la  période  primitive  pendant  laquelle  le  français  n'en 
a  qu'une.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  hypothèse,  il  est 
certain  que  le  provençal  a  dans  son  fonds  germanique, 
à  côté  d'éléments  très  anciens  et  qui  dominent,  quelques 
traces  d'emprunts  faits  à  une  époque  plus  récente. 
Qu'il  y  ait  du  burgundion  et  du  wisigothique  en  pro- 
vençal, c'est  fort  naturel;  mais  il  y  a  aussi  autre  chose, 
comme  je  vais  le  faire  voir. 

Le  gothique  a  un  thème  mer-  qui  entre  fréquemment 
comme  second  élément  dans  la  composition  des  noms 
propres  de  personnes  ;  la  forme  mer-  est  devenue  mar- 
en  francique  et  a  passé  en  roman  du  Nord  avec  cet  a 
qui  a  été  assimilé  à  un  a  latin  primitif  et  traité  comme 
tel2.  Le  provençal  est  d'accord  avec  le  français;  il  ne 
connaît  pas  la  forme  gothique  qui  aurait  conservé  son 
e   si   elle  avait  été   romanisée  dans  le  Midi,  mais  la 


i.  Mackel,  loc.  cit.,  p.  il. 

2.  Cipriani,  Études  sur  quelques  noms  propies,  p.  22. 


L'ÉVOLUTION  PHONÉTIQUE  DU  SUFFIXE  -Akl US  I29 

forme  francique  :  il  dit  A^emar,  comme  le  français  dit 
Aimer  l. 

Le  poème  de  Sancta  Fides  contient  un  mot  inconnu 
jusqu'ici  dans  le  lexique  provençal  :  le  substantif 
esca^2.  Ce  mot  veut  incontestablement  dire  «  trésor  » 
et  il  vient  non  moins  incontestablement  du  germani- 
que. Or,  la  forme  gothique  skatt  ne  peut  expliquer  la 
forme  provençale,  dont  le  %  témoigne  d'un  état  linguis- 
tique postérieur,  état  analogue  à  celui  de  l'ancien  haut- 
allemand,  qui  dit  sca^. 

Il  arrive  même  que  les  formes  provençales  sont  plus 
néologiques  que  les  formes  françaises  correspondantes. 
L'ancien  français  dit  toujours  guarir,  garir,  d'après 
warjan;  au  contraire,  le  provençal  dit  ordinairement 
guérir,  et  Ye  de  ce  mot  ne  peut  s'expliquer  que  par  un 
emprunt  à  la  forme  germanique  postérieure  werjan, 
issue  de  la  forme   primitive  par  umlaut  3. 

i.  Il  est  vrai  que  le  nom  d'un  maire  de  Bordeaux  en  1243  se 
présente  sous  la  forme  Condamner  (Luchaire,  Recueil  de  textes  gascons, 
p.  128);  mais  il  est  possible  que  ce  norii  provienne  de  la  langue 
d'oïl.  La  conservation  de  Ye  gothique  n'a  rien  d'impossible,  mais 
elle  n'est  pas  encore  pleinement  établie.  De  même,  en  français,  il 
est  possible  que  les  formes  primitives  en  nier-  se  soient  maintenues 
accidentellement  ;  voyez  ce  que  j'ai  écrit  à  ce  sujet,  Romania,  XXXI, 
433-434- 

2.  Eli  prometrai  tan  gran  escaz 
Qe  tôt  lo  mal  telant  1'  esfatz. 

(Vers  176-7,  Romania,  XXXI,  186;  cf.  journal  des  Savants,  juin 
1903,  p.  343.) 

3.  L'e  peut  ensuite  devenir  i  par  un  phénomène  secondaire  qui 
se  produit  aussi  dans  les  mots  purement  latins  :  guiren,  de  guérir, 
comme  sirven.  de  servir.  —  Les  indications  données  par  M.  Mackel, 
p.  182  et  183,  présentent  mal  les  faits:  «  germ.  warjan  —  afrz. 
prov.  guarir  ;  anfrk.  *xvcrjan  —  frz.  guérir.  » 

Thomas.  IL  —  9 


130  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

L'ancien  français  a  toujours  un  /  initial  dans  treschier 
«  danser  »,  qui  correspond  au  gothique  thriskan,  et  le 
provençal  dit  aussi  trescar;  pourtant  il  y  a  une  trace, 
dans  cette  dernière  langue,  de  la  phonétique  germa- 
nique postérieure.  On  relève  en  effet  le  substantif dresca 
«  danse  »  dans  un  glossaire  du  quatorzième  siècle1: 
le  à  initial  correspond  à  celui  du  haut-allemand  drêskan. 

La  constatation  de  faits  de  ce  genre  me  porte  à  croire 
que  l'hypothèse  de  l'action  d'un  umlaut  germanique 
n'est  pas  plus  inadmissible  pour  le  provençal  que  pour 
le  français.  Il  est  vrai  que  Mlle  Cipriani  n'a  pas  trouvé 
dans  le  Midi  des  exemples  aussi  anciens  que  dans  le 
Nord  du  changement  de  Va  en  e  dans  les  noms  propres 
en  -harius;  le  plus  ancien  qu'elle  cite  est  Magnerio, 
en  825 .  Mais  on  peut  remonter  plus  haut.  Je  m'aperçois 
que  M1!e  Cipriani  a  négligé  une  source  importante,  le 
polyptyque  de  Saint-Victor  de  Marseille,  daté  très  exac- 
tement de  814,  qui  nous  est  parvenu  dans  le  manuscrit 
original2.  A  côté  de  nombreux  exemples  de  persistance 
de  la  désinence  latine  -aria  (Leboraria,  p.  641  ;  vercaria, 
p.  642  et  ailleurs  ;  Orsarias,  p.  642  ;  Frondarias,  p. 
643,  etc.),  j'y  relève  deux  exemples  de  substitution  de  e 
à  a  :  Tasseriolas,  pour   Taxariolas  ?,  et  vergeria  pour 

1.  Voyez  Levy,  Prov.  Suppl.-Wœrterbuch,  v° dresta  :  la  correction 
de  dresta  en  dresca  est  tout  à  fait  évidente,  bien  que  M.  Lévy  ne 
s'en  soit  pas  avisé. 

2.  Publié  en  appendice  du  Carttilaire  de  Saint-Victor  de  Marseille, 
dans  la  Collection  des  documents  inédits,  t.  II,  p.  634  et  s. 

3 .  Je  suppose  que  ce  nom  est  un  diminutif  de  *taxaria,  lieu  planté 
d'ifs  (taxus),  et  que  *taxaria  devenu  *taxeria  a  influencé  son  dimi- 
nutif, bien  que  le  changement  de  l'a  en  e  ne  se  propage  pas  en 
provençal  du  primitif  au  dérivé. 


L'ÉVOLUTION   PHONÉTIQUE  DU  SUFFIXE  -ARIUS  131 

vercaria1,  p.  634.  J'y  remarque  aussi  deux  cas  tout  à 
Eût  certains  où  la  désinence  germanique  a  subi  la 
même  transformation  :  ce  sont  les  noms  de  femmes 
Lauieria,  p.  640,  et  Auteria,  p.  642  et  649. 

Mais  je  prévois  une  grosse  objection  contre  l'hypo- 
thèse d'une  influence  germanique  sur  le  suffixe  -arius, 
soit  en  provençal,  soit  en  français.  Il  y  a  beaucoup  de 
mots  germaniques  susceptibles  d'être  altérés  par  l'um- 
laut-qui  ont  passé  dans  ces  deux  langues,  par  exemple 
la  série  des  Verbes  en  -jan,  comme  hardjan,  marrjan, 
tbarrjan,  wandjan,  warnjan,  etc.,  et  quelques  substantifs 
en  -ja  (*happja,  *harja)  et  en  -jo  (skankjo,  wranjo)  : 
comment  se  fait-il  que,  sauf  pour  badi  >  bief,  l'action 
de  l'umlaut  ne  se  répercute  pas  en  gallo-roman  et  que 
les  formes  romanes  soient  (h)ardir,  marrir,  tarir, 
g(u)andir,  g(u)amir,  apcha-hache,  esc(h)an^-esc(h)an- 
so(n),  g(u)aranho(n),  et  non  *(h)erdir,  *merrir,  etc.  ? 
Pourquoi  le  type  germanique  *harja  donne-t-il  en 
français  hairc,  comme  le  type  latin  *aria  donne  aire  ? 
A  cela  il  n'y  a  qu'une  réponse  :  les  types  germaniques 
ont  été  romanisés  avant  que  l'action  de  l'umlaut  se  fût 
manifestée.  Mais  on  conçoit  combien  il  serait  intéres- 
sant de  trouver  des  traces  manifestes  de  l'action  de 
l'umlaut  en  roman  dans  quelques  autres  mots  pure- 
ment germaniques.  Il  me  semble  qu'il  en  existe.  Si 
l'ancien  français  eschiere  (par  confusion  eschiele)  remonte 
régulièrement  au  type  germanique  shara,  il  n'en  est 

1.  J'ai  déjà  eu  l'occasion  de  citer  ce  mot  {Mélanges,  p.  48,  n.  1) 
et  de  dire  que  j'en  ignorais  l'étymologie.  Le^du  polyptyque  semble 
favoriser  l'opinion  de  ceux  qui  le  rattachent  à  *vcrvccaria,  mais  ce 
n'est  qu'une  apparence. 


!}2  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES   D'ENSEMBLE 

pas  de  même  pour  le  provençal  esqueira,  qui  paraît  bien 
reposer  sur  *skerja  pour  *skarja.  Enfin  et  surtout,  les 
représentants  provençaux  qui  correspondent  au  français 
haire  sont  particulièrement  intéressants.  Nous  trouvons 
en  effet  concurremment cara l,  quaira2,  queiraî,quieirai, 
cheira  5  et  chiera6.  Assurément,  il  y  a  de  quoi  être  surpris 
de  voir  un  q  ou  un  ch  (selon  les  régions)  correspondre 
à  Yh  germanique  initiale  7;  mais  est-il  possible,  en  pré- 
sence de  l'identité  sémantique,  de  douter  que  les  dif- 
férentes formes  provençales  reproduisent  un  type 
primitif  *harja} 

Si  la  fusion  de  -arius  et  de  -êrius  s'est  réalisée  dans 
les  conditions  que  je  viens  d'indiquer,  il  n'est  pas  extra- 


i.  Exemple  unique  cité  par  M.  E.  Levy,  Prov.  Suppl.-W.,  I, 
209,  d'après  le  Nouveau  Testament  de  Lyon  reproduit  en  fac- 
similé  par  M.  Clédat. 

2.  Nouveau  Testament  de  Lyon,  reproduit  par  M.  Clédat,  f°  125, 
ire  col. 

3.  Ibid.,  fa  277,  ire  col. 

4.  E.  Levy,  loc.  laud.,  d'après  Malin,  Ged.,  1241,  1. 

$.  Raynouard,  Lex.  rom.,  II,  392,  et  A.  Thomas,  Inv.  des  arch. 
comm.  de  Limoges,  série  AA,  p.  1,  2e  col. 

6.  Cette  forme  est  indiquée  par  M.  Emil  Levy  d'après  Malin, 
Ged.,  1242,  1,  et  Noulet  et  Chabaneau,  Deux  manuscrits  prov., 
XXXI,  31  ;  on  la  trouve  aussi  à  Limoges,  où  il  y  avait  une  con- 
frérie de  las  Chieras  (ou  Cheiras)  et  où  le  mot  était  devenu  syno- 
nyme de  «  suaire  ».  C'est  par  une  regrettable  étourderie  que  j'ai 
traduit  cheiras  par  «  chaises  »  dans  Y  Inventaire  cité  à  la  note  pré- 
cédente. M.  L.  Guibert  me  signale  ces  deux  passages  d'anciens 
inventaires,  tout  à  fait  décisifs  :  «  Enseguen  se  los  noms  deus 
cofrairs  deu[s]  paubres  vistir  e  de  la[s]  Chieras,  autramen  deus 
Suairs  —  la  una  cofreyria  se  appellava  deus  paubreys  vistir  e 
l'autra  de  las  Chieras  (sic),  soy  assabeyr  deu\s\  Suaris.  »  (Archives 
de  l'hôpital  de  Limoges). 

7.  Cf.  le  rapport  du  prov.  gequir  au  germanique  jehan. 


L'ÉVOLUTION  PHONÉTIQUE  DU  SUFFIXE  -ARIUS  133 

ordinaire  que  Va  des  mots  comme  *aria,  *claria,  pa- 
ria, etc.,  n'ait  pas  été  atteint.  On  conçoit  aussi,  il  est 
vrai,  que  cette  tendance  ait  pu,  danscertaines  régions, 
franchir  ses  limites  naturelles  et  se  propager  même  à 
quelques-uns  de  ces  mots;  j'expliquerais  volontiers 
les  formes  dialectales  du  provençal  (jeta,  *gliera  et 
*quiera)  par  l'influence  germanique1. 


Le  changement  de  Va  en  e  est  peut-être  le  point 
le  plus  important  que  présente  la  question  du  suffixe 
-ariits,  mais  ce  n'est  pas  toute  la  question.  Le  traitement 
de  17  en  hiatus, posttonique  et  sa  réaction  sur  la  voyelle 
accentuée  a  donné  lieu  aussi  à  une  longue  controverse, 
particulièrement  en  ce  qui  touche  le  français.  Pour  les 
uns,  les  mots  actuels  métier,  Méxiëres  sont  les  repré- 
sentants phonétiques  très  réguliers  des  mots  latins  cor- 
respondants ministërium,  Macërias;  pour  les  autres,  au 
contraire,  métier  et  Mégères  présentent  une  désinence 
postiche  empruntée  au  suffixe  -arius,  -aria  ;  il  est  même 
des  philologues  qui  accorderaient  volontiers  que  m'uiis- 
tërium  donne  régulièrement  mestier,  mais  que  Macërias 
doit  donner  *Maisires.  Pour  juger  de  la  valeur  de  ces 


1.  Je  me  suis  demandé  (Romania,  XXXI,  492,  n.  3)  si  iera  ne 
sortait  pas  d'une  forme  *aeria,  contamination  de  area  par  aer. 
M.  Schuchardt  a  relevé  dans  des  textes  du  sixième  siècle  les  formes 
abera,  haera,  aéra  et  même  aère,  au  lieu  de  area  (Vokalismus,  II, 
528),  qui  pourraient  à  la  rigueur  appuyer  cette  manière  de  voir  ; 
mais,  décidément,  il  me  paraît  plus  sage  d'y  voir  de  simples  étour- 
deries  de  scribes. 


I$4  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

différentes  doctrines,  nous  allons  passer  une  revue 
impartiale  des  faits  en  nous  efforçant,  chemin  faisant, 
d'en  tirer  quelque  lumière  sur  les  lois  qui  les  régissent. 

Commençons  par  le  provençal,  dont  la  phonétique 
est  plus  transparente  que  celle  du  français. 

Les  textes  provençaux  les  plus  anciens  écrivent  -er 
(oliver,  primer,  dans  la  Passion l  ;  consider,  reprober, 
cavalier,  etc.,  fans SanctaFides)  ou  -eir,  -eyr  (useire,  de 
ostiaria,  dans  la  Passion,  v.  190;  empeyr,  magesteyr, 
escueir,  etc.,  dans  Alexandre;  -eira  dans  toutes  les  dési- 
nences féminines  de  Sancta  Fides)  ;  plus  récemment  on 
trouve  -ier  et  -ieir.  Si  dans  la  région  franco-provençale 
la  présence  de  Yi  dans  -ier  est  due  à  l'influence  d'une 
palatale  précédente,  puisque  -er  domine  en  l'absence 
d'élément  palatal,  dans  d'autres  régions  où  il  est  impos- 
sible d'attribuer  une  pareille  influence  à  la  palatale  pré- 
cédente, on  trouve  aussi  -ier  et  -ieir.  Il  est  à  remarquer 
que  la  présence  de  la  diphtongue  ou  de  la  triphtongue 
est  particulièrement  fréquente  dans  la  désinence  fémi- 
nine. 

Tel  est  l'état  de  choses  que  nous  constatons,  par 
exemple,  dans  Sancta  Fides.  Normalement,  ce  texte 
écrit  -er  au  masculin  et  -eira  au  féminin.  Faut-il  faire 
remonter  la  désinence  masculine  à  un  type  spécial  du 
latin  vulgaire  en  acceptant  la  théorie  de  M.  Marchot, 


1.  M.  Waldner  pense  (Staaff,  p.  35)  que  la  forme  baisair,  qui 
se  trouve  au  vers  148  de  la  Passion,  remonte  à  un  type  latin  *basia- 
rintn  ;  je  crois  plutôt  que  nous  avons  affaire  à  l'infinitif  baisar,  du 
latin  basiare,  employé  substantivement,  et  que  la  graphie  du  scribe 
{-air  au  lieu  de  -ar)  est  due  à  la  présence  de  la  diphtongue  ai  dans 
la  première  syllabe  de  baisar. 


L'ÉVOLUTION  PHONÉTIQUE  DU  SUFFIXE  -ARWS  IJJ 

c'est-à-dire  en  admettant  que  les  formes  en  -er  repré- 
sentent des  nominatifs  accusatifs  *-èrus,  -èrum,  -èros 
sortis  des  formes  contractes  -èrl  pour  -ëril  ?  Faut-il,  au 
contraire,  admettre  une  loi  de  phonétique  romane  en 
vertu  de  laquelle  -crium  aboutit  à  -er  par  l'intermédiaire 
d'une  forme  -eir  qui  a  perdu  son  i,  tandis  que  les  formes 
féminines  en  -eira  l'ont  conservé? Il  n'est  pas  douteux 
que  cette  seconde  manière  de  voir  soit  la  bonne.  En 
effet,  le  copiste  de  Sancta  Fides  écrit  exceptionnellement 
obreir,  de  operarium,  au  vers  333,  bien  que  les  autres 
rimes  soient  en  -er1.  Dans  la  même  tirade  il  écrit  profer 
(il  s'agit  de  la  ire  pers.  sing.  ind.  prés,  du  verbe  proferre, 
qui  fait  au  subj.  près,  prof  eira,  vers  108)  et  enter:  or, 
si  on  peut  à  la  rigueur  supposer  une  substitution  de 
désinence  dans  enter,  il  est  impossible  de  ne  pas  consi- 
dérer profer' comme  une  simple  graphie  pour  *profeir, 
étant  donné  qu'à  la  même  personne  du  même  temps 
le  copiste  écrit  deux  fois  qneir  (vers  245  et  268),  qui 
est  à  son  type  latin  *qnaerio,  comme  *profeir  à  son  type 
*  profer  io. 

On  a  le  sentiment  bien  net  que  tous  les  mots  qui 
figurent  à  l'unique  tirade  en  -er  de  Sancta  Fides  ren- 
ferment implicitement  un  i  que  le  scribe  a  omis  (sauf 
une  fois,  dans  obreir  du  vers  333).  Cette  omission 
presque  normale  de  Yi  dans  la  désinence  masculine 
est  un  fait  dont  il  faut  tenir  compte  assurément,  mais 
je  ne  puis  l'interpréter  que  comme  l'indication  d'une 
tendance  qu'avait  la  langue  (celle  du  scribe,  et  non  celle 

1.  Telle  est  la  leçon  du  manuscrit,  bien  que  M.  Leite  de  Vas- 
concellos  ait  imprimé  obrer  (voy.  Journal  des  Savants,  juin  1903, 
p.  341,  note). 


136  GÉNÉRALITÉS   ET   MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

de  l'auteur)  à  laisser  tomber  Yi  dans  ce  cas,  tendance 
qui  ne  se  manifeste  pas  dans  la  désinence  féminine 
correspondante. 

Dans  d'autres  textes  nous  constatons  l'accord  du 
masculin  et  du  féminin,  soit  à  laisser  tomber,  soit  à 
conserver  Yi  issu  des  désinences  latines  -ërhis,  -ëria. 
C'est  le  cas,  par  exemple,  d'une  grande  partie  des  textes 
gascons  qui,  dès  l'origine,  écrivent  -er,  -era,  conformé- 
ment à  l'usage  actuel1.  Faut-il  supposer  que  là,  le  fémi- 
nin a  fini  par  se  modeler  sur  le  masculin  ?  C'est  fort 
possible;  mais  on  n'en  saurait  fournir  la  preuve  irré- 
futable. Pourquoi  ne  pas  admettre  que  la  forme  fémi- 
nine a  pu,  elle  aussi,  se  débarrasser  de  son  i  par  voie 
phonétique  ?  Ne  constatons-nous  pas  l'existence  de 
formes  provençales  telles  que  ceriesa,  gliesa,  du  lat. 
*cerësia,  ecclësia  ? 

Comment  expliquer  la  diphtongaison  de  Yë  en  te  ? 
On  sait  que  le  provençal  ne  diphtongue  pas  Yë  comme 
le  français,  c'est-à-dire  quand  aucune  influence  étran- 
gère n'intervient.  Mais  on  sait  aussi  qu'il  admet  la 
diphtongaison  lorsque  Yë  est  suivi  d'un  élément  palatal. 
Or,  c'est  le  cas  ici  :  même  absorbé  par  Yr,  l'élément 
palatal  agit,  et  c'est  sa  présence  implicite  qui  explique 
le  passage  de  -er  à  -ter,  aussi  bien  que  celle  de  -eir  à 
-ieir.  Il  suffit  de  rappeler  que  /  mouillée  produit  le 
même  résultat  et  que  velh  passe  à  vielh.  Mais,  dira-t-on, 
pourquoi  le  passage  de  -er  à  -ter  n'est-il  pas  aussi  général 
que  celui  de  velh  à  vielh  ou  celui  de  seis  (=  latin  sex) 


i .  M.  Bourciez  a  rappelé  que  dans  le  Nord-Ouest  de  la  Gascogne 
on  a  -eir,  -eira,  et  non  -er,  -era  (Rev.  critique,  1893,  p.  263). 


L'ÉVOLUTION   PHONÉTIQUE  DU  SUFFIXE  -ARIUS  I  37 

à  skis}.  Je  n'en  sais  rien,  et  je  tiens  qu'on  n'en  peut 
rien  savoir.  Contentons-nous  des  résultats  incontes- 
tables de  la  phonétique  descriptive,  sans  vouloir  tou- 
jours remonter  aux  causes  premières,  lesquelles  nous 
échapperont  peut-être  éternellement.  Quand  nous  au- 
rons un  tableau  complet,  village  par  village,  de  l'état 
phonétique  actuel  des  patois,  nous  pourrons  nous  ris- 
quer plus  loin  et  plus  haut1. 

Arrivons  au  français.  Les  dialectes  de  l'Est  (Lorraine 
et  Bourgogne)  ne  soulèvent  pas  de  difficulté.  Il  est 
reconnu  aujourd'hui  en  gros,  grâce  surtout  aux  recher- 
ches de  M.  Horning,  que  le  traitement  de  notre  suffixe 
y  .est  en  harmonie  avec  celui  de  Yè  suivi  d'un  élément 
palatal  et  de  l'a  précédé  et  suivi  d'un  élément  palatal. 
M.  Staaff  remarque  justement  que  «  ceux  qui  tiennent 
à  la  substitution  de  -èriutn  pourraient  y  voir  une  preuve 
en  faveur  de  cette  hypothèse2  ».  Il  en  est  de  même, 
il  me  semble,  à  l'Ouest  et  au  Sud-Ouest,  car  de  part 
et  d'autre  on  trouve  les  même  formes,  quoique  réparties 

1 .  Il  est  bon  de  rapprocher  la  disparition  de  17  dans  les  formes 
masculines  qui  correspondent  à  -êritis  de  sa  disparition  dans  celles 
qui  correspondent  à  -ôrius  :  orador,  du  lat.  oratorium,  tandis  qu'on 
a  toujours  -oira  dans  les  noms  féminins.  Mais  cette  disparition  dans 
la  désinence  -ôrius  est  beaucoup  plus  étendue  dans  le  domaine  de 
la  langue  d'oc  ;  ce  n'est  que  dans  le  Nord  de  la  Gascogne  (avcmduir, 
Luchaire,  Kecueil,  p.  79, 1.  2)  et  dans  le  Nord  de  la  Marche  (noms 
de  lieux  comme  Lourdouei x-Sàmt-P'\erre,  Lourdoueix-Saint-Mkhcl, 
L'Auradoueix,  commune  de  Gouzon,  représentant  Oratorium')  qu'on 
trouve  des  traces  de  17.  On  peut  aussi  comparer  la  diphtongaison 
de  l'ô  dans  côrium  à  celle  de  l'I  dans  miuistcrium  ;  si  Vô  se  diphtongue 
presque  toujours  et  partout  dans  ce  cas,  cela  tient  à  sa  nature  par- 
ticulière ;  comparez  fuec,  luec  (lat.  fôco,  luco)  en  opposition  avec 
dec,  pec  (lat.  *deco,  pour  dëcussis,  *pcco,  pour  pëcus). 

2.  Loc.  cit.,  p.  129. 


138  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

différemment  et  n'offrant  pas  toujours  de  correspon- 
dance exacte  entre  le  masculin  et  le  féminin.  Ces  formes 
sont  ordinairement:  -er,  ère;  -eir,  -eire.  On  trouve 
aussi  -1er,  -iere,  comme  en  français  propre,  sans  qu'il 
soit  possible  de  décider  s'il  s'agit  d'héritage  ou  d'acquêt. 
Un  cas  curieux  se  présente  dans  le  Turpin  saintongeois 
qui  a  ordinairement  au  masculin  -ter  (parfois  -er)  et 
toujours  -eire  au  féminin. 

Une  objection  se  présente  pourtant:  on  l'a  faite  à 
propos  des  dialectes  du  Sud-Ouest1,  mais  elle  a  une 
portée  plus  générale.  Dans  certains  textes  qui  ont  régu- 
lièrement ie  issu  d'un  ë  latin  libre  et  non  influencé,  on 
a  constamment  -er,  -ère  quand  il  s'agit  du  suffixe  -arius. 
«  Nous  pouvons  y  voir,  dit  M.  Staaff,  encore  une 
preuve  contre  toute  hypothèse  d'un  -crium  latin.  »  J'y 
verrais  au  contraire  l'indice  d'un  régime  phonétique 
spécial  où  la  présence  de  1'/  en  hiatus  du  type  étymo- 
logique entrave  la  diphtongaison  de  Yë  tonique.  Même 
sans  faire  appel  à  l'espagnol,  qui  diphtongue  Yë  de 
pëtra  (d'où  piedra)  ou  de  përdo  (d'où  pierdo),  mais  non 
celui  de  matèria  (d'où  maderci)  ou  de  pëctus  (d'où 
pecho),  on  peut  trouver  des  analogies  dans  la  phoné- 
tique française.  N'est-ce  pas  la  présence  de  1'/  en  hiatus 
qui  a  empêché  la  diphtongaison  de  Yô  en  eu  dans  la 
désinence  -ôrius  qui  aboutit  en  français  propre  à  -ôir, 
tandis  que  -ôrem  aboutit  à  -eur  ?  Le  fait  que  beaucoup 
de  dialectes  diphtonguent  même  Yô  de  -ôrius  et  laissent 
tomber  1'/  en  hiatus  n'infirme  pas  le  rapprochement, 
au  contraire. 

i.  Staaff,  p.  91  et  127. 


L'ÉVOLUTION   PHONÉTIQUE  DU  SUFFIXE  -A  RI  US  139 

En  français  propre  (et  l'on  peut,  semble-t-il,  rattacher 
le  picard  et  le  wallon  au  français  propre)  la  désinence 
qui  nous  occupe  se  présente  sous  la  forme  -ter.  Sainte 
Eulalie  nous  offre  menesiier  de  ministerium  et  conseilliers 
de  consiliarios.  Le  poème  de  Saint  Léger  fait  assoner 
biens,  de  bëne  -h  s,  avec  Lethgier,  de  Leodegarium  ; 
voluntiers,  de  voluntariis,  avec  morutier,  de  monastë- 
rium;  mislier,  de  ministerium,  avec  castier,  de  casti- 
gare,  etc.  Tout  se  ramène,  semble-t-il,  à  savoir  si,  dans 
le  français  propre,  mestier  et  maisiere  sont  les  repré- 
sentants phonétiques  traditionnels  des  types  latins 
ministerium  et   macëria. 

M.  Horning,  entre  autres,  pense  que  non.  A  l'ap- 
pui de  sa  manière  de  voir,  il  invoque1  les  substan- 
tifs avoltire  (lat.  adultëriunï),  empire  (lat.  impërium), 
ma  lire  (lat.  matëria),  et  les  formes  verbales  fife  et 
mire,  des  verbes  ferir  et  merir,  qui  correspondent 
aux  types  latins  fëriam  et  *mëriam  (pour  mëreatn). 
Il  est  à  peine  besoin  de  faire  remarquer  que  les  trois 
substantifs  cités  ne  prouvent  rien  :  Ye  final  de  avoltire, 
empire  et  le  /  médial  de  matire  proclament  assez  haut 
que  nous  ne  sommes  pas  en  présence  de  formes  remon- 
tant à  la  couche  primitive  de  la  langue  française. 
M.  Horning  ajoute  que  la  finale  de  monasterium  n'a 
pu  aboutir  régulièrement  en  français  à  -ier  car,  corres- 
pondant au  grec  -r,p'.sv,  elle  avait  en  latin  ê  et  non  ë. 
Mais  parler  ainsi,  c'est  perdre  de  vue  l'assimilation  du 
grec  y;  et  du  latin  ë  que  tout  le  monde  est  d'accord 


1.  Gramm.  de  l'anc.  franc.,  p.  12,  en  tété  de  La  langue  et  la  litt. 
franc.,  de  Bartsch  et  Horning  (Paris,  1887). 


140  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

pour  admettre  dans  ecclësia,  base  de  tous  les  mots 
romans,  en  face  du  grec  huXipix  :  le  latin  vulgaire  pro- 
nonçait certainement  monasiërium ,  comme  cantërius 
(•/.avOr(X'.:r)  et  psaltërium  (^sX-rijptcv)  :  probablement  aussi 
cœmetërium  (xoijAïjr^ptcv),  bien  que  nous  n'ayons  aucun 
témoignage  vivant  de  la  forme  populaire  de  ce  dernier 
mot. 

Réservons  pour  le  moment  les  subjonctifs  fire  et 
mire,  pour  ne  considérer  que  les  finales  latines  sans  a. 
A  côté  des  substantifs  abstraits  en  -ter,  nous  avons  une 
petite  série  de  mots  essentiellement  populaires  qui  nous 
offrent  uniformément  la  même  désinence  :  chantier  (lat. 
cantërhim),  métier  {ht.  ministërium),  mou  lier  (lat.  monas- 
tërittni),  psautier  (lat.  psaltërium),  tempier  (lat.  *lempë- 
rium).  Il  y  faut  joindre  les  noms"  propres  Chariicr 
(lat.  Cartërius,  grec  Kapréptsç),  conservé  dans  le  nom  de 
lieu  Saint-Chartier  (Indre),  Didier,  Disier  (lat.  Desidë- 
rius)  et  Va  lier  (lat.  Valërius)  conservés  dans  une  foule 
de  noms  de  lieux  et  de  personnes1. 

i .  Les  noms  de  saints  Eleulberius  et  Exsupêrius  sont  représentés 
par  saint  Lebire  (à  Tournav)  et  saint  Spire  (à  Corbeil)  ;  mais  il  est 
manifeste  que  Lebire  et  Spire  apartiennent  à  la 'même  couche  pos- 
térieure que  avollire  et  empire  mentionnés  plus  haut.  —  Je  laisse 
de  côté  quelques  mots  cités  par  M.  Staaff  (op.  lattd.,  p.  94),  notam- 
ment extérius,  parce  que  je  ne  suis  pas  sûr  que  estiers,  fréquent  en 
provençal,  existe  aussi  en  ancien  français,  primiccrius,  parce  qu'il 
aune  long  (de  primus  et  de  cera)  et  que  l'ancien  français  princier 
a  pu  permuter  sa  désinence  primitive  avec  celle  du  suffixe  -ariits, 
et  *macoius,  parce  que  la  forme  primitive  est  sûrement' *mercia- 
rius.  —  On  pourrait  aussi  faire  état  de  l'ancien  français  danaitiers, 
endementiers  (patois  du  Haut-Maine  dementier)  en  le  rattachant 
directement  à  un  type  du  latin  vulgaire  *dumintëriis,  mais  dementiers 
peut  aussi  bien  être  une  variante  romane  de  dementier  es,  lat.  vul- 
gaire *ditmiiitcrias,  classique  dum  intërea. 


L'ÉVOLUTION  PHONÉTIQUE  DU  SUFFIXE  -ARIUS  141 

Il  est  tentant,  en  présence  de  ces  faits,  de  considérer 
le  passage  de  -ërius  à  -ier  comme  un  phénomène  normal 
et  d'ériger  en  loi  la  diphtongaison  de  Yë  en  ie  et  la  dis- 
parition de  17.  Que  peut-on  objecter  à  l'encontre  ?  La 
loi  n'est-elle  pas  la  formule  qui  s'applique  à  l'ensemble 
des  faits  et  connaît-on  d'autres  exemples  où  -ërius 
n'aboutisse  pas  k-ierï  Mais  remarquez  combien  il  est 
étrange  que  varius,  rasôrium  et  côvium  conservent  leur 
i  et  deviennent  vair,  rasoir  et  cuir,  tandis  que  ministë- 
rium  perd  le  sien  et  devient  mestier,  métier  et  non 
*mestieir,  d'où  par  contraction  *mestir,  *mètir.  M.  Staaff 
a  pris  soin  de  formuler  une  «  loi  générale  »  pour  nous 
tranquilliser  et  il  dit  :  «  plus  la  voyelle  qui  précède  rj 
est  d'articulation  avancée,  plus  rj  a  de  chances  de  se 
changer  en  r1  ».  Mais,  si  je  ne  m'abuse,  Yô  est  aussi 
«  avancé  «'que  Yë;  n'empêche  que  rj  aboutit  à  ir,  et 
non  à  r,  dans  cuir.  Que  dis-je  ?  Pô  est  plus  «  avancé  » 
encore,  et  pourtant  17  tient  bon  dans  rasoir.  Passons, 
et  consentons  provisoirement  à  accepter  que  -ërium 
donne  -ier.  M.  Morf  a  éloquemment  protesté  contre  une 
certaine  façon  grossière  de  concevoir  les  phénomènes 
linguistiques2  et  il  est  possible  qu'en  voulant  conclure 
de  -arius,  -ôrius,  -ôrius  à  -ërius  nous  méconnaissions  la 
multiplicité  des  nuances  phonétiques. 

Examinons  maintenant  le  cas  de  macëria.  Nous  avons 
le  même  résultat  dans  dément ieres  (lat.  vulg.  *Jn»i'ui- 
tërias),  Lisière  (lat.  Glycëria,  grec  VkwUçiz,  nom  d'une 
vierge  honorée  à  Sens),  maure*  (lat.  matërid)  et  Volière 

i.  Op.  tattd.,  p.  89. 

2.  Archiv  fur  das  SluJimii  ier  neucrm  Sprachen,  XCIV,  348. 

3.  Godefroy  distingue  deux  mots  nudert  :  l'un  signifiant  «  menu 


142  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

(lat.  VaJêria,  martyre  honorée  particulièrement  à 
Limoges,  qui  a  donné  son  nom  à  Sainte-Valière,  fau- 
bourg de  Nevers)  ;  et  il  ne  faut  pas  oublier  que  macëria 
a  servi  à  désigner  un  grand  nombre  de  noms  de  lieux, 
dispersés  aux  quatre  coins  de  la  langue  d'oïl  (Aisne, 
Ardennes,  Aube,  Calvados,  Charente,  Deux-Sèvres, 
Doubs,  Eure,  Eure-et-Loir,  Ille-et-Vilaine,  Indre,  Indre- 
et-Loire,  Loiret,  Haute-Marne,  Meurthe-et-Moselle, 
Pas-de-Calais,  Haute-Saône,  Sarthe,  Seine-et-Oise, 
Somme)  et  qui  offrent  tous  la  désinence  -iêre  (Mai- 
bières,  Manières,  Mégères,  etc.).  En  présence  de  cette 
série  se  dressent  les  deux  subjonctifs  fire  et  mire,  dont 
j'ai  déjà  parlé,  qui  remontent  incontestablement  aux 
types  classiques  fëriam,  wëream  et  qu'il  est  impossible 
de  considérer  autrement  que  comme  offrant  dans  leur  i 
le  développement  phonétique  régulier  de  IV  latin  de  la 
désinence  -ëria.  Comment  expliquer  cette  antinomie? 
Je  me  suis  demandé x  s'il  ne  convenait  pas  d'admettre 
que  Yi  latin  en  hiatus  avait  été  plus  résistant  quand  il 
était  le  signe  du  subjonctif  que  quand  il  était  à  l'état 
inerte,  pour  ainsi  dire,  dans  la  désinence  substantive 
-ëria.  Cela  n'est  pas  aussi  absurde  qu'on  pourrait  croire, 
car  il  va  de  soi  qu'il  faut  entendre  par  résistance  du 
phonème  la  conscience  conservatrice  de  l'individu  qui 


bois  »  et  l'autre  «  levain  qui  sert  à  faire  fermenter  la  bière  et  droit 
qu'on  en  payait  au  seigneur  ».  Ce  sont  en  réalité  deux  sens  du 
même  mot,  le  premier  dans  la  région  lyonnaise,  le  second  dans  le 
comté  d'Eu  et  à  Tournai  ;  cf.  l'intéressant  article  mayiri  du  Dut. 
ètym.  lyonnais  de  Ni/.ier  du  Puitspelu  ;  ce  dernier  a  tort  de  révoquer 
en  doute  le  sens  de  «  levain  de  bière  ». 
i.  Romania,  XXXI,  490. 


L'ÉVOLUTION  PHONÉTIQUE  DU   SUFFIXE  -ARIUS  143 

le  prononce.  Mais  cette  idée  ne  me  satisfait  plus  depuis 
que  Gaston  Paris  en  a,  d'un  mot,  dévoilé  l'insuffisance l. 
Comment,  en  effet,  concilier  sur  le  terrain  phonétique 
cerise  (lat.  vulg.  *cerësia)  et  maisière  (lat.  macëria)  ?  On 
dira  peut-être,  en  songeant  aux  idées  de  M.  Morf:  il 
n'est  pas  légitime  de  conclure  de  -ësia  à  -ëria;  qui  sait 
si  la  présence  d'une  consonne  différente  n'entraîne  pas 
la  différence  de  traitement  dont  nous  sommes  surpris  ? 
Et  alors,  pour  être  tout  à  fait  édifié,  il  faudrait  trouver 
un  type  -ëria  qui  ne  fût  pas  une  forme  verbale  et  dont 
on  pût  constater  l'évolution  en  français.  Ce  type-étalon, 
si  je  puis  dire,  je  pense  qu'on  voudra  bien  le  reconnaître 
dans  le  germanique  *têri,  latinisé  en  *tcria.  La  corres- 
pondance du  germanique  ê  et  du  latin  ë  ne  fait  pas 
question2,  et  nous  voyons  que  le  provençal  assimile 
complètement  les  désinences  du  substantif  féminin  signi- 
fiant «  rang,  file  »  qui  correspond  au  germanique  *têri,  à 
celle  des  mots  latins  en  -ëria  et  en  -aria*.  Or,  le  français 
propre  dit  tire*.  Je  me  déclare  converti  et  obligé  en  con- 


i.  Ibid.,  note  j. 

2.  Mackel,  Die  germ.  Elément,  p.  77. 

3.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  dans  Sancta  Fides,  nous  voyons 
teira  rimer  avec paupeira  (lat.  vulg.  *paupèria),  avec  meira  (lat.  vulg. 
*mëriat  pour  tnëreat),  avec  obreira  (lat.  operarià),  etc.,  etc. 

4.  Voyez  Godefroy,  v°  tire  2,  où  il  n'y  a  que  deux  exemples 
isolés  de  Itère  (au  quinzième  siècle,  à  Tournai).  —  Il  faut  noter 
cependant  l'existence  de  tiere  dans  quelques  rares  textes  anciens 
dont  je  dois  l'indication  à  MM.  Tobler  et  P.  Meyer:  titres  rimant 
avec  genoillieres  dans  Enèas,  4426  ;  tiere  rimant  avec  manière  dans 
le  Poème  moral,  1 276  ;  tiere  rimant  avec  entière  dans  Guillaume  le 
Mareschal,  6852  ;  tiere  dans  la  partie  en  prose  de  Renaît  le  Nouvel 
(Méon,  IV,  304,  cité  par  Raynouard,  V,  365).  On  trouve  même 
tare  rimant  avec  ère  (latin  erat)  dans  le  Saint  Martin  de  Peain 


144  GÉNÉRALITÉS   ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

science  de  confesser  que  la  loi  phonétique  qui  régit  la 
désinence  -ëria  dans  son  évolution  française  est  celle  en 
vertu  de  laquelle  cette  désinence  aboutit  à  -ire,  comme 
j'ai  toujours  confessé  que  -aria  ne  peut  aboutir  qu'à 
-aire  quand  rien  ne  vient  à  la  traverse  de  la  phonétique 
romane.  Et  par  cela  même  je  me  trouve  amené  à  retirer 
l'adhésion  provisoire  que  j'ai  donnée  à  l'équation  pho- 
nétique ministerium  =  mestier,  et  à  faire  la  sourde 
oreille  aux  propositions  de  ceux  qui  veulent  voir  dans 
le  masculin  -ier  le  point  de  départ  analogique  du  féminin 
-iere.  En  effet,  ce  masculin  -ier  m'apparaît  lui-même 
comme  suspect  au  point  de  vue  phonétique.  Je  sais 
bien  que  M.  Marchot  a  proposé  une  explication  très 
séduisante  de  la  disparition  de  17  latin  :  d'après  lui  la 
forme  contractée  minisiërî  (génitif  singulier,  puis  nomi- 
natif pluriel  dans  le  latin  vulgaire  qui  transforme  les 
neutres  en  masculin)  aurait  engendré  *ministërus  au 
nominatif,  d'où  mestiers.  Il  n'est  pas  possible  d'accepter 
cette  théorie  parce  qu'on  ne  saurait  la  limiter  aux  mots 
en  -ërius  et  en  -arius.  Si  elle  était  vraie,  la  même 
réduction  se  serait  faite  dans  toutes  les  désinences  mas- 
culines où  il  y  a  un  i  en  hiatus  :  varï  aurait  engendré 
*varus  au  lieu  de  varias  (vair),  mallï,  *mallus  au  lieu 
de  maliens  (mail),  etc.,  etc.  Or,  on  sait  qu'il  n'y  a  pas 
trace  en  français  de  formes  de  ce  genre.  Nous  sommes 
fatalement  ramenés  aux  mots  latins  munis  du  suffixe 
-arius:  voyons  si  leur  évolution  première,  telle  que 


Gastineau,  3174,  et  iere  rimant  avec  père  (latin  patrem)  dans 
Romania,  VI,  497.  Le  caractère  dialectal  des  formes  titre,  tere  ne 
me  parait  pas  contestable. 


L'ÉVOLUTION   PHONÉTIQUE  DU  SUFFIXE  -ARIUS  14$ 

nous  l'avons  indiquée  en  gros,  ne  permet  pas  d'entrevoir 
une  autre  solution. 

M.  J.  Vising,  professeur  à  l'Université  de  Gôthe- 
borg,  m'a  écrit,  à  la  suite  de  mon  article  paru  dans 
la  Remania  d'octobre  1902,  une  lettre  dont  j'ai 
déjà  cité  un  passage.  Il  admet  comme  moi  l'action 
de  l'umlaut  germanique,  mais  voici  comment  il  la 
conçoit  : 

«  Selon  moi,  cet  umlaut  ne  fait  pas  de  -aria  -eriu,  mais 
-er,  comme  le  portent  les  noms  allégués  par  Staaff, 
p.  123 .  Cet  e  s'est  développé  comme  tout  è  libre  :  primer 
devient  primier,  comme  fer  devient  fier...  J'avoue  que 
pour  certains  dialectes  provençaux  et  français  cette  ana- 
logie n'est  pas  toujours  facile  à  démontrer.  Avec  cet 
-ariu  =  -er  on  échappe  à  la  remarque  de  Gaston  Paris 
selon  laquelle  -eriu  donnerait  -ir,  ce  dont  j'ai  été  d'ac- 
cord avec  lui,  Romania,  XIII,  472.  » 

Je  crois  que  l'idée  de  M.  Vising  a  une  grande  portée. 
Il  est  facile  de  concevoir  que  la  transformation  de  Va 
en  e,  transformation  due  à  1'/  de  la  syllabe  suivante, 
se  fasse  précisément  aux  dépens  de  cet  i.  Les  plus 
anciens  textes  anglo-saxons  nous  présentent  toujours 
le  suffixe  germanique  qui  est  -ari  en  haut  allemand 
sous  la  forme  -ère,  dans  laquelle  l'affaiblissement  de  1'/ 
en  e  et  le  changement  de  Va  en  e  paraissent  concomi- 
tants. Une  transformation  du  suffixe  latin  -anus,  -aria 
en  -ërus,  -ëra  sous  l'influence  germanique  est  d'autant 
plus  vraisemblable  que  nous  avons  précisément  au  hui- 
tième siècle,  comme  plus  anciens  exemples  à  citer  de  ce 
phénomène  en  territoire  roman,  le  nom  propre  germa- 
nique Berhero  (et  non  Berherio),  le  nom  commun  latin 
Thomas.  II.  —  10 


1 4^  GÉNÉRALITÉS  ET  MÉMOIRES  D'ENSEMBLE 

sorcerus  (et  non  sorcerius)  et  le  nom  roman  paner1.  S'il 
en  est  ainsi,  le  français  propre  Berier,  sorcier  (et  non 
*Berir,  *sorcir)  est  sorti  tout  naturellement  de  là,  et  les 
désinences  féminines  correspondantes  peuvent  être  con- 
sidérées comme  aussi  rigoureusement  phonétiques  que 
les  désinences  masculines. 

Mais,  dira-t-on,  M.  Vising  reconnaît  lui-même  qu'il 
y  a  une  objection  grave  contre  son  hypothèse  :  il  est 
en  effet  impossible  d'admettre  «  pour  certains  dialectes 
provençaux  et  français  »  l'identité  de  jërus  et  de  prî- 
marius  obtenue  par  la  transformation  germanique  de 
primarius  en  *primërus.  J'en  demeure  d'accord;  mais 
quelle  nécessité  de  vouloir  tout  expliquer  du  même 
coup  ?Là  où,  comme  en  français  propre,  y^/-  et  premier 
sont  absolument  homophones,  nous  sommes  bien 
obligés  d'admettre  que  primarius  est  devenu  *primërus. 
Mais  nous  est-il  interdit  par  cela  même  de  supposer 
qu'entre  primarius,  forme  primitive,  et  *primërus,  forme 
germanisée  à  fond,  il  y  a  eu  une  forme  de  compromis- 
sion *primèrius}  En  aucune  façon.  Pendant  longtemps 
il  a  dû  exister  côte  à  côte,  et  peut-être  dans  la  même 
bouche,  des  formes  en  -ërius  et  des  formes  en  -ërus: 
chacune  a  fait  son  chemin,  mais  elle  peut  avoir  traversé 
plus  d'une  fois  celui  de  sa  voisine.  Même  là  où  -ërus 
a  triomphé,  il  faut  supposer  l'existence  concurrente  de 
-ërius,  puisque  c'est  le  seul  moyen  d'expliquer  que  les 
mots  latins  où  -ërius  était  héréditaire  aient  fini  par 
être  aiguillés  eux  aussi  sur  la  ligne  -ërius  -arius. 

i .  La  statistique  des  noms  germaniques  du  Polyptyque  d'Irminon 
donne  ce  résultat  remarquable  :  désinences  en-arins,  -aria,  environ 
600  ;  désinences  en  -erus,  -era,  environ  3  5  ;  désinence  en  -ert'us,  1 . 


L'ÉVOLUTION  PHONÉTIQUE  DU  SUFFIXE  -ARIUS      .      1 47 

En  résumé,  le  suffixe  latin  -arhis  a  subi  partout  en 
Gaule  le  contre-coup  du  contact  avec  le  suffixe  germa- 
nique -ari  et  il  a  changé  son  a  en  e  parce  que  le  même 
changement  était  en  train  de  se  produire  dans  les  bouches 
germaniques;  mais,  selon  les  régions  ou  les  circon- 
stances, il  a  conservé  ou  perdu  son  i,  et  cette  perte 
de  17,  dont  l'explication  doit  aussi  être  demandée  à 
la  phonétique  germanique,  s'est  répercutée  sur  les 
mots  latins  en  -ërius  dont  la  désinence  a  été  confon- 
due avec  le  suffixe  -arius  et  a  suivi,  à  partir  de  cette 
époque,  la  même  évolution. 

Tels  sont  les  faits  initiaux  qui  m'apparaissent  dans 
la  question  du  suffixe  -arius.  Malgré  tout  ce  qu'on  a 
écrit  sur  ce  sujet,  il  faudra  encore  bien  des  recherches 
pour  l'épuiser,  et  pour  mettre  en  pleine  lumière  les 
conséquences  dévastatrices  de  ce  que  l'on  pourrait 
appeler  un  court-circuit  entre  la  phonétique  germanique 
et  la  phonétique  romane. 


DEUXIÈME  PARTIE 

RECHERCHES    ÉTYMOLOGIQUES 


I.  _  ACMELLE 

Ce  mot  est  un  échappé  des  traités  spéciaux  de  bota- 
nique qui  ne  jouit  pas  d'une  grande  notoriété  dans  la 
langue  française l.  Mon  attention  a  été  attirée  sur  lui  par 
le  Lat.-rom.  tVœrterbuch  de  Kôrting,  2e  édit.,  n°  426, 
art.  alchemilla,  lequel  renvoie  à  Cohn,  Suffixwandlungen, 
p.  49,  note  I,  où  on  lit  ce  qui  suit  : 

«  Acmclle  fait  l'impression  d'une  adaptation  popu- 
laire du  lat.  alchemilla,  dans  la  langue  savante  alchi- 
mille,  en  ital.  alchimilla,  en  esp.  alquimila;  pourtant 
il  est  hasardeux  de  la  considérer  comme  possible. 
D'ailleurs  ce  mot  n'est  relevé  que  par  Sachs.  » 

La  prudente  réserve  de  Cohn  n'a  pas  été  imitée  par 
Kôrting,  malheureusement;  il  faut  donc  couler  à  fond 
une  idée  fausse  qui  ne  repose  que  sur  une  étourderie 
de  Sachs. 

Il  n'y  a  aucun  rapport,  ni  botanique,  ni  linguistique, 

1.  Il  n'est  ni  dans  Hatzfcld-Darmesteter,  ni  dans  Littré. 


IJO  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

entre  acmelle  et  alchhnille.  Valchimille  tire  son  nom  de 
l'arabe  al-kemelieh  ;  c'est  une  plante  rosacée  de  nos 
climats,  dont  la  variété  la  plus  répandue  porte  les  noms 
vulgaires  de  pied-de-lion,  patte-de-lion,  etc.,  en  allemand 
lœwenfuss,  lœwenklau.  U  acmelle  est  une  radiée  de  l'Inde 
et  de  l'Amérique  méridionale,  que  les  botanistes  actuels 
rattachent  au  genre  Spilanthus  et  dont  les  variétés  s'ap- 
pellent abécédaire,  cresson  de  V Ile-de-France,  cresson  du 
Brésil,  cresson  de  Para,  etc. l.  C'est  donc  à  tort  que  Sachs 
traduit  acmelle  par  lœwenklau2. 

D'où  vient  ce  nom  à' acmelle,  qui  figure  dans  la  der- 
nière édition  de  Trévoux  (1771)  sous  la  forme  acmella  ? 
D'après  Larousse,  il  se  rattacherait  au  grec  àxp^  ;  mais 
il  n'en  est  rien.  Un  témoignage  très  précis,  dont  je 
dois  la  connaissance  à  mon  ami  M.  le  Dr  Dorveaux, 
va  nous  renseigner  à  ce  sujet.  Il  vient  du  célèbre  natu- 
raliste anglais  John  Ray  et  se  trouve  dans  le  tome  III, 
p.  228,  de  son  Historia  Plantarum  (Londres,  1704): 

«  Ahmella,  attcmella  et  hacmella,  istis  enim  nomi- 
nibus  missa  mihi  1691  semina  ex  insula  Ceylan,  ubi 
nascitur  et  familiaris  est...  Cum  barbarica  sint  hujus 
plantae  nomina,  de  eorum  originatione  nihil  habeo 
quod  asseram.  » 

Donc,  le  mot  acmelle  vient  de  Ceylan,  on  n'en  sau- 
rait douter  ;  c'est  d'ailleurs  ce  qui  se  trouve  confirmé 
par  le  récent  répertoire  des  produits  économiques  de 
l'Inde   publié  par  le  gouvernement   britannique,   où 

1.  Voyez  par  exemple  Duchesne,  Répertoire  des  plantes  utiles 
(Paris,  1836),  p.  143  et  245. 

2.  Mozin,  en  181 1,  donne  acèmclla,  acmella,  acmelle,  qu'il  ger- 
manise en  akmelle. 


ACMELLE,   AGNOUS  «ji 

l'on    donne  ahmalla  comme   le   nom   cinghalais   du 
Spilanthes  Acmella  L1. 

II.  —  AGNOUS 

Le  comte  Jaubert  a  relevé  dans  le  patois  du  Berry 
un  adjectif  agnous  (écrit  agnoux)  au  sens  de  «  doux, 
câlin,  dolent,  plaintif  »,  qu'il  dérive  sans  barguigner 
du  latin  agnus  «  agneau  ».  L'adjectif  a  donné  naissance 
au  substantif agnousetê,  qui  ne  s'emploie  qu'au  pluriel2. 
L'étymologie  du  comte  Jaubert  est  certainement  mau- 
vaise. J'estime  qu'il  faut  rapprocher  l'adjectif  berrichon 
de  l'adjectif  provençal  moderne  lagnous,  que  Mistral 
traduit  par  «  chagrin,  inquiet,  triste,  plaintif;  chagri- 
nant ».  Lagnous  vient  du  substantif  lagno  (ancienne- 
ment lanha),  sorti  lui-même  du  verbe  se  lagna  (ancien- 
nement se  lanhar),  qui  correspond  à  l'italien  lagnarsl 
et  à  l'espagnol  archaïque  lanarse  et  qui  représente  le 
latin  laniare  «  déchirer  »  pris  au  sens  figuré 3.  Dans 

i.  G.  Watt,  Dict.  of  the  économie  products  of  India,  tome  VI, 
3e  partie  (Londres  et  Calcutta,  1893),  p.  329-330. 

2.  «  Agnousetées,  agnoustèes,  s.  f.  pi.  Doléances,  plaintes,  câli- 
neries  enfantines.  —  Joyaux  d'une  mariée.  »  Le  dernier  sens  jure 
trop  avec  les  autres  pour  qu'on  puisse  le  rattacher  au  même  mot  ; 
j'ignore  d'où  il  vient. 

3.  Kôrting,  2e  éd.,  n°  5427.  A  la  suite  de  Diez,  Kôrting  cite 
aussi  Fane,  franc,  laigner.  Il  est  possible  qu'il  ait  existé  en  anc. 
franc,  un  verbe  correspondant  à  celui  du  provençal,  de  l'espagnol 
et  de  l'italien  ;  à  ce  point  de  vue  le  berrichon  agnous  peut  être 
considéré  comme  un  indice.  Mais  ce  verbe  n'a  pas  été  rencontré 
jusqu'ici.  Diez  a  emprunté  laigner  à  Carpentier  (et  Godefroy  en  a 
fait  autant)  ;  mais  dans  l'exemple  unique  cité  par  Carpentier  et 


152  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

mes  Mélanges  d'étymologie  française,  à  l'article  assure, 
j'ai  cité  beaucoup  d'exemples  de  la  disparition  d7  ini- 
tiale :  on  peut  y  ajouter  le  berrichon  agnous  (pour 
lagnous)  et  le  manceau  étanie  (pour  létanie,  c'est-à-dire 
litanie),  ce  dernier  relevé  par  M.  Dottin  dans  son  Glos- 
saire des  parler  s  du  Bas-Maine. 


III.  —  ALAQUANA 

Dans  un  curieux  recueil  de  recettes  médicales  rédigé 
en  provençal,  que  M.  Paul  Meyer  a  publié  récemment, 
on  trouve  la  formule  suivante  contre  la  rogne,  la  teigne 
et  les  écorchures: 

«  Pren  lo  graujol1  que  nais  sus  en  las  teulas  de  las 
maios  e  pisa  lo,  et  ab  aquel  suc,  cant  l'auras  calfat, 
que  sera  tebes,  destempra  alaquana  e  pausa  la  sus 
cant  sera  a  for  d'emplaust2.  » 

L'éditeur  ne  fait  aucune  remarque  sur  le  mot  ala- 
quana; comme  ce  mot  manque  dans  Raynouard  et 
dans  Lévy,  il  n'est  peut-être  pas  inutile  d'en  préci- 
piter le  sens  et  l'origine.  Alaquana  désigne  la  drogue 
qu'on  appelle  couramment  orcanette  (le  Dictionnaire 
de  l'Académie  écrit  orcanète),  autrefois  alcanetle,  orchanet 
(d'où  l'anglais  alkanet,  orkanet  dans  Cotgrave)  et  arque- 
net  (dans  le  Mesnagier  de  Paris,  II,  235,  qui  en  fait  une 


reproduit  par  Godcfroy,  iaignoit  doit  être  lu  l'aignoit  et  rattaché  à 
l'article  baigner  de  Godefroy. 

1 .  Forme  dissimilée  deglaujol,  glaïeul,  iris  (cf.  Romauia,  XXXII, 

473)- 

2.  Romania,  XXXII,  298,  §  51. 


ALAQUANA  153 

épice),  en  provençal  moderne  arcaneto,  aucaneto,  ourca- 
neto,  recaneto  (Mistral).  On  distingue  l'orcanette  de 
France,  qui  provient  de  la  plante  dite  aujourd'hui 
Alkanna  tinctoria,  jadis  Anchusa  tinctoria  ou  Lithosper- 
mum  tinctorium,  et  l'orcanette  du  Levant,  qui  pro- 
vient de  la  plante  appelée  Lawsonia  inermis.  Le  latin 
du  moyen  âge  dit  alchanna  (Gérard  de  Crémone), 
d'après  l'arabe  al-hinna  (d'où  l'espagnol  alhena,  le  por- 
tugais alfena,  le  français  henné,  etc.),  et  le  mot  provençal 
alaquana  n'est  qu'une  adaptation  de  la  forme  latine, 
d'où  l'ancien  français  avait  tiré  de  son  côté  alchane, 
alcanne1.  La  présence  de  cette  drogue  dans  notre  recette 
provençale  paraît  toute  naturelle  quand  on  a  présent  à 
l'esprit  ce  passage  de  YAlmansor  de  Razi  traduit  par 
Gérard  de  Crémone  :  «  Alchanna  pustulis  que  sunt  in 
ore  et  adustioni  ignis  remedium  affert2.  » 

L'emploi  de  l'orcanette  comme  teinture  rouge  a 
amené  un  curieux  développement  sémantique  dans 
différentes  langues  romanes  :  l'espagnol  alhena  s'ap- 
plique aussi  à  la  maladie  des  plantes  qu'on  appelle  la 
rouille  (en  espagnol  roya),  caractérisée  par  la  couleur 
rouge  sombre;  le  provençal  moderne  arcaneto  désigne 
la  coloration  rouge  que  prend  le  visage  sous  le  coup 
de  la  honte  ou  de  la  colère;  enfin  le  français  arcanne 
est  en  usage  parmi  les  scieurs  de  long  comme  nom  de 


1 .  A  l'exemple  cité  dans  le  Dict.  général,  au  mot  arcanne,  on 
peut  joindre  celui-ci,  qui  remonte  au  treizième  siècle:  «  Prenez 
alchane  et  la  destemprez  o  aisil  »,  Simples  médianes,  f°  8  (ms. 
de  la  Bibl.  Sainte-Geneviève). 

2.  Cité  par  Devic  à  l'article  henné  de  son  Dict.  èlym.  des  mots 
d'origine  orientale. 


154  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

la  craie  rouge  qu'ils  délaient  dans  de  l'eau  pour  y 
tremper  leur  cordeau  et  tracer  les  lignes  qu'ils  doivent 
suivre1. 


IV.  —  AMARINA,  AMASINA 

Raynouard  a  deux  exemples  du  substantif  féminin 
amarina2  ;  M.  Emil  Levy  n'en  a  pas  rencontré  d'autres 
dans  ses  dépouillements.  L'un  de  ces  exemples  vient 
du  cartulaire  de  Montpellier  et  est  très  explicite  : 

Amarinas  verdas  o  secas,  que  son  apeladas  brins. 

C'est  par  distraction  que  Raynouard  voit  là  des  jets 
de  «  jonc  ».  Le  mot  amarino  est  encore  très  vivant 
aujourd'hui  dans  notre  Midi  :  il  s'applique  à  l'osier, 
non  au  jonc,  et  il  est  manifeste  que  c'est  ce  dernier  sens 
qu'il  faut  adopter  pour  traduire  le  passage  cité  du  car- 
tulaire de  Montpellier.  Les  Bénédictins  ont  relevé  ama- 


i .  C'est  Devic,  il  me  semble,  à  qui  revient  le  mérite  d'avoir  vu 
le  rapport  de  henné  avec  orcanette;  le  rapprochement  de  arcanne  et 
de  alchanna  est  dû  à  M.  J.  Camus  (L'opéra  salernitam  «  Circa 
instans  »,  p.  32).  Il  est  bon  de  remarquer  que  arcanne  est  un  terme 
provincial  de  la  région  franco-provençale.  Godefroy  a  relevé  dans 
son  Complément  un  passage  des  archives  de  Fribourg  où  on  lit  : 
«  créa  roge  que  l'on  appalle  arcanne  »,  et  Du  Pinet,  dans  sa  traduc- 
tion de  Pline  l'Ancien  (Lyon,  1562,  tome  II,  p.  636),  fait  cette 
remarque  :  «  Rubrica  fabrilis.  En  lyonnais  on  l'appelle  arcanne. 
»  (Communication  de  M.  le  Dr  Dorveaux.)  N.  du  Puitspelu  n'a 
pas  d'article  pour  ce  mot;  mais  on  lit  dans  Gillérion,  Patois  de 
Vionnar,  p.  138:  «  Arkanna,  craie  rouge  dont  se  servent  les  char- 
pentiers. » 

2.  Lcx.  rom.f  II,  69. 


AMARINA,  AMASINA  155 

rina  dans  le  texte  latin  de  la  charte  de  commune  de 
Bagnols  (Gard),  datée  de  l'an  1300;  ils  ont  cru  qu'il 
s'agissait  de  cerises  amères  ou  griotes.  Carpentier  les 
en  a  repris  et,  citant  à  son  tour  le  même  mot  dans  les 
statuts  d'Avignon  et  de  Marseille,  également  en  latin, 
il  a  proposé  de  voir  partout  de  l'osier  ' .  Je  suis  tout 
à  fait  de  son  avis  ;  une  fois  n'est  pas  coutume. 

Le  second  exemple  produit  par  Raynouard  est  plus 
embarrassant  :  il  vient  de  la  Vie  de  saint  Honorât  de 
Raimon  Feraut,  où  on  lit  : 

La  grossa  lansa 
Que  es  de  fraysse  o  d'amarina. 

Cette  fois,  Raynouard  traduit  par  «  cerisier  sauvage  ». 
J'ai  de  la  peine  à  croire  que  le  bois  du  cerisier  sauvage 
ou  griotier  ait  jamais  servi  à  faire  des  lances;  mais  je 
ne  vois  pas  non  plus  des  lances  en  osier.  Je  suppose 
qu'il  s'agit  de  quelque  autre  variété  de  saule  :  par  exemple 
le  salix  alba  (dit  vulgairement  osier  blanc)  ou  le  salix 
caprea  (vulgairement  marsaut,  dans  le  Midi  amarinas 2), 
qui  est  employé  aujourd'hui  pour  faire  des  fourches, 
des  sabots,  etc.  5. 

Dans  le  Tarif  de  Nimes  du  quatorzième  siècle,  cité 
par  M.  Emil  Levy  (au  mot  girlon),  on  trouve,  à  côté 
du  girlon  de  sap  (petite  jatte  de  sapin),  le  girlon  d'ama- 
sina.  Il  n'est  pas  douteux  que  amasina  soit  pour  ama- 
rina,  la  confusion  entre  s  et  r  intervocaliques  étant  un 
phénomène  bien  connu,  et  le  salix  alba  ou  le  salix 

1.  Dans  Du  Cange,  s.  v°. 

2.  Mistral,  s.  v°. 

5.  Voy.  Duchesne,  Rép.  des  plantes,  p.  328  et  329. 


10  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

taprea  pouvant  aussi  bien  servir  à  faire  des  jattes  qu'à 
faire  des  sabots  ' . 


V.  —  AMBRO,  AMBRE 

Le  patois  lyonnais  possède  un  substantif  masculin 
ambro  ou  ambre2  (cette  dernière  forme  s'étend  aussi 
sur  le  Forez),  qui  désigne  l'osier  blanc  ;  oseraie  se  dit, 
en  conséquence,  ambriri.  N.  du  Puitspelu  tire  le  mot 
lyonnais  du  nom  même  d'une  ville  d'Ombrie,  célèbre 
dans  l'antiquité  par  ses  osiers,  Ameria,  et  il  cite  le 
vers  bien  connu  de  Virgile  (Georg.,  I,  265): 

Atque  Amerina  parant  lentae  retinacula  viti. 

A  cette  étymologie,  M.  Philipon  objecte  que  «  Ameria 
est  inacceptable  tant  au  point  de  vue  historique  qu'au 
point  de  vue  phonétique  :  il  eût  donné  un  féminin, 
ambri  »  ;  et  il  ajoute  que  le  provençal  amarino,  invoqué 
par  N.  du  Puitspelu,  est  le  salix  amara  de  Virgile  3. 
Je  suis  d'accord  avec  M.  Philipon  sur  l'impossibilité 
phonétique  d'identifier  Ameria  et  ambro,  ambre  :  ce 
n'est  même  pas  ambri,  c'est  amiri  qui  serait  le  repré- 
sentant phonétique  du  type  Ameria,  dont  aucune  raison 
ne  permet  de  révoquer  en  doute  l'accentuation  propa- 
roxytonique  régulière.  Quant  au  provençal  amarino, 

1.  Sur  le  thème  primitif  de  amarina,  cf.  ci-après  l'article  ambro, 

2.  N.  du  Puitspelu  a  tort  de  considérer  ambre  comme  un  mot 
féminin  et  de  révoquer  en  doute  l'existence  de  la  forme  ambro 
(voyez  Romania,  XX,  31 5-3 14). 

3.  Rom.,  XX,  313-314. 


AMBRO,  AMBRE  I57 

dont  j'ai  étudié  la  forme  médiévale  amarina1,  il  est 
bien  certain  qu'il  représente  un  type  *amarina,  qui  a 
pu  sortir  en  latin  vulgaire  de  l'adjectif  amarus.  Mais 
alors  il  faut  excommunier  le  lyonnais  et  le  forésien, 
car,  si  nous  partons  de  amarus,  il  n'y  a  pas  moyen  de 
les  prendre  en  route  avec  nous.  Il  semble  pourtant 
difficile  d'admettre  que  ambro  et  amarina,  signifiant 
«  osier  »  l'un  et  l'autre,  n'ont  rien  de  commun  entre 
eux  que  trois  phonèmes  réunis  au  hasard. 

Voici  comment  j'imagine  les  rapports  étymologiques 
de  ces  deux  mots.  Le  glossarium  Amplonianum  primum, 
qui  se  trouve  dans  un  manuscrit  d'Erfurth  remontant 
au  neuvième  siècle,  nous  donne  cette  glose  : 

Atnera,  genus  salicis2. 

M.  Goetz  propose  de  corriger  amera  enamerinaî  ;  la 
nécessité  de  cette  correction  ne  m'apparaît  pas.  En 
supposant  une  forme  masculine  *amerus,  nous  avons 
un  type  excellent  pour  expliquer  le  lyonnais  ambro; 
cela  vaut  mieux  qu'une  correction  brutale.  Comme  le 
provençal  actuel  possède  amarin  et  amarina,  il  n'est  pas 
surprenant  que  le  latin  vulgaire  ait  possédé  *amerus  et 
amera.  Or,  que  peut  être  *a?nerus?  J'y  vois  une  forme 
sortie,  par  formation  régressive,  de  l'adjectif  latin  ame- 
rinus.  Et  à  qui  me  taxerait  d'excès  d'imagination,  je 
soumettrais  les  deux  cas  suivants. 

Le  latin  possède  un  substantif  axilla,  bien  connu. 


1.  Ci-dessus,  p.  154. 

2.  Corp.  gloss.  lat.,  V,  342,  ligne  4. 

3.  Thésaurus  gloss.  emendatarum,  v°  amera. 


158  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

Modifié  en  *axella,  il  a  passé  dans  toutes  les  Ir.ngues 
romanes  :  il  suffit  de  citer  le  provençal  aissela  et  le 
français  aisselle.  A  côté  des  représentants  légitimes  de 
*axella,  nous  trouvons  aussi  en  provençal  moderne 
un  mot  aisso  qui,  selon  les  lieux,  signifie  «  aisselle  »  ou 
«  aine  »  :  il  est  clair  que  aisso  remonte  à  *axa,  forma- 
tion régressive  d'après  *axella. 

Le  latin  possède  un  substantif  maxilla,  non  moins 
connu  que  axilla.  Modifié  en  *maxella  comme  axilla 
l'a  été  en  *axella,  il  est  devenu  le  provençal  maissela 
et  le  français  archaïque  maissele,  très  vivants  tous  les 
deux  dans  maint  patois  du  Nord  et  du  Midi.  A  côté 
des  représentants  légitimes  de  *maxella,  nous  trouvons 
aussi  en  provençal  moderne  un  mot  maisso  «  mâchoire, 
ganache  »  et  en  comtois  un  mot  maîche  «  bajoue  '  », 
qui  remontent  clairement  à  *maxa,  formation  régres- 
sive d'après  *maxella. 

Naturellement,  il  est  difficile  d'affirmer  que  *axa  et 
*maxa  sont  autre  chose  que  des  schèmes  et  ont  réel- 
lement existé  en  latin  vulgaire  préroman,  car  on  peut 
aussi  supposer  que  la  formation  régressive  n'a  eu  lieu 
que  dans  la  période  romane.  C'est  cette  dernière  expli- 
cation qu'il  faut  adopter,  il  me  semble,  pour  le  provençal 
moderne  flage  flauge,  masculin,  flajo  flaujo,  féminin, 
tiré  de  flagel  flaugel,  représentant  le  latin  flagellum,  au 
sens  de  «  jet  d'arbre  ». 

En  tout  cas,  mon  hypothèse  pour  expliquer  ambro 
n'a  rien  de  subversif.  Je  vois  que,  sans  connaître  les 
trois  exemples  que  je  viens  de  produire,  M.  Meyer- 

1.  Contejean,  GIoss.  du  patois  de  Montbe'liard. 


ASGELOT  i  $9 

Lûbke  admet  que  le  latin  vulgaire  a  tiré  de  cophinus 
deux  nouvelles  formes  *cophus  et  *copha,  qui  sont  repré- 
sentées aujourd'hui  dans  plusieurs  dialectes  italiens1. 
Revenant  au  provençal  amarin,  amarina,  je  suis 
porté  à  le  considérer  comme  sorti  réellement  du  latin 
amerimis  par  une  contamination  très  ancienne  de  ama- 
rus,  à  laquelle  le  lyonnais  et  le  forésien  ont  échappé2. 
Dès  la  fin  du  septième  siècle  on  lit  dans  le  Liber  glos- 
sarum,  rédigé  en  Espagne  :  «  Amarina,  genus  virgulti 
amari  3 .  » 

VI.  —  ANGELOT 

Un  troubadour  anonyme,  qui  a  chaussé  les  bottes 
du  Moine  de  Montaudon  pour  écrire  quelques  strophes 
satiriques  contre  les  femmes  qui  se  fardent,  mentionne, 
parmi  les  ingrédients  dont  se  servent  ces  dernières, 
Y  angelot  : 

D'angelot,  de  borrais  an  pro 

E  d'argcntat 
De  que  se  peignon  a  bando 
Quan  l'an  mesclat. 

Le  mot  angelot,  que  ne  connaît  pas  Raynouard,  a 
fort  embarrassé  la  critique.  M.  Klein,  dernier  éditeur 

i.  Gramm.  des  langues  rom.,  II,  §  355. 

2.  Peut-être  amera,  "amerus  ont-ils  vécu  aussi  dans  la  région 
française  :  cf.  le  nom  de  lieu  Ambrières  (Marne,  Mayenne),  qui 
concorde  étonnamment  avec  le  lyonnais  ambriri  «  oseraie  ». 
M.  Longnon,  il  est  vrai,  est  porté  à  voir  à  la  base  de  Ambrières  le 
nom  germanique  Ambricns  ;  cette  hypothèse  me  paraît  très  peu  vrai- 
semblable et  je  croirais  plutôt  à  l'existence  d'un  type  *  A  mer  arias. 

3.  Angelo  Mai,  Class.  Auct.,  VII,  351. 


l6o  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

du  Moine  de  Montaudon  »,  s'est  borné  à  constater  que 
rien,  dans  les  différents  sens  du  français  angelot,  ne 
convenait  à  l'explication  de  ce  passage.  M.  Levy,  dans 
son  Prov.  Snppl  .-Wœrterb . ,  propose  dubitativement  de 
traduire  par  «  sarcocolle  »  en  raison  de  ce  fait  que  le 
catalan  moderne  angelot  signifie  effectivement  «  sarco- 
colle ».  Dans  la  version  provençale  du  traité  d'oculis- 
tique  de  Benvenuto  de  Salerne,  qu'a  republiée  récem- 
ment M.  Henri  Teulié 2,  on  lit  à  plusieurs  reprises  le 
même  mot:  une  fois  angelot  et  trois  fois  angelhot.  Dans 
deux  de  ces  passages,  le  contexte  ne  nous  apprend 
rien.  Dans  les  deux  autres,  il  semble  donner  tort  à 
M.  Levy,  car  il  est  ainsi  conçu: 

R?.  angelot  -  1.,  e  sia  blanc,  e  sarcocolli  —  1.,  e  fay  polvera4... 

La  polvera  nostra  alexandrina,  ques  fa  amb  angelhot  et  sarco- 
colli S... 

Le  traducteur  provençal  distingue  donc  Y  angelot  de 
la  sarcocolle.  Le  texte  latin  6  ne  nous  est  d'aucun  secours 
pour  le  dernier  passage  cité  ;  mais  pour  l'avant-dernier, 
il  nous  est  précieux.  Le  voici  : 

R.  azarum  album,  i.  e.  7  sarcocollam,  et  pulverizetur. 

i.  Klein,  Mônch  von  Montaudon,  p.  8o  (Unechte  Ged.   2,  17). 

2.  En  appendice  au  livre  de  MM.  Pansier  et  Laborde  intitulé  : 
Le  Compendil  pour  la  douleur  et  maladie  des  yeulx  qui  a  este  ordonné 
par  Bienvenu  Graffe  (Paris,  Maloine,  1901).  Il  existe  un  tirage  à 
part  (Paris,  Picard,  1900)  d'après  lequel  je  cite. 

3.  Abréviation  de  recipe  «  prends  ». 

4.  Teulié,  toc.  laud.,  p.  13. 

5.  Ibid.,  p.  21. 

6.  Édition  Berger  et  Auracher,  Munich,  1884- 1886. 

7.  Abréviation  de  id  est  «  c'est-à-dire  ». 


ANSOULOTE,  SOULOTE 

itifie  donc  Ya^arum 
Ce  mot  azarum  paraît  correspondre  à  l'espagnol 
archaïque  a^aro,  usité  concurremment  avec  a^arote 
pour  désigner  précisément  la  sarcocolle.  En  tout  cas, 
il  est  évident  que  le  traducteur  provençal  s'est  mépris 
sur  le  sens  de  l'abréviation  i.  e.  :  de  là  sa  distinction 
chimérique  de  l'angelot  et  de  la  sarcocolle.  En  fin  de 
compte,  M.  Levy  a  deviné  juste:  le  catalan  et  le  pro- 
vençal angelot  sont  une  déformation  de  l'arabe  an^arot, 
sarcocolle,  qui  est  aussi  la  source  du  mot  espagnol  ' . 

VII.  —  ANSOULOTE,  SOULOTE 

Je  relève  dans  le  Glossaire  du  patois  de  Montbéliard 
de  Contejean  cette  courte  mention  :  «  Soulotte,  s.  f. 
Erminette.  »'  L'auteur  ne  s'est  pas  aperçu  qu'il  avait 
déjà  enregistré  un  doublet  du  même  mot  :  «  Ansoulotte, 
s.  f.  Hcrminette  des  charpentiers.  »  J'en  trouve  une 
troisième  variante  dans  Le  patois  des  Fourgs  de  J.  Tissot  : 
«  Soul'tot,  s.  f.  Herminette,  petite  hache  recourbée 
d'avant  en  arrière,  dont  le  tranchant  même  décrit  une 
courbe.  »  Enfin,  je  lis,  dans  le  Patois  de  la  Franche- 
Montagne  de  M.  Grammont  :  «  Soûlote,  erminette  de 
charpentier  pour  creuser  les  chéneaux  :  origine  incon- 
nue. »  L'étymologie  reste  donc  à  dégager:  c'est 
chose  facile. 

La  désinence  est  diminutive  et  correspond  au  fran- 
çais commun  -elle-,  si  le  mot  se  trouve  un  jour  dans 
quelque  très  ancien  texte,  il  apparaîtra  sous  la  forme 

i.  Dozy  et  Engelmann,  p.  195. 

Thomas.  II.  —  11 


162  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

*aissolete:  le  simple  sera,  selon  la  région,  *aissole  ou 
*aissuele,  du  latin  asciola,  qui  figure  dans  Isidore  de 
Séville  et  qui  est  lui-même  un  diminutif  de  ascia,  en 
ancien  français  aisse.  J'ai  déjà  eu  l'occasion  de  parler 
de  ce  dernier  mot  et  d'en  signaler  les  diminutifs  ais- 
seau et  aissette  comme  encore  vivants  '  :  je  ne  m'étais 
pas  alors  avisé  de  l'existence  de  *aissolette. 

Il  est  intéressant  de  constater  que  l'ancien  français 
a  connu  un  représentant  de  asciola,  comme  le  provençal, 
qui  possède  aissola,  et  l'espagnol,  qui  possède  a%iiola 2  ; 
les  patois  actuels  n'ont  conservé  que  le  diminutif,  et  sous 
une  forme  si  obscure  au  premier  aspect  que  M.  Gram- 
mont  lui-même  n'a  pas  vu  que  dans  soûlote  il  y  a  ascia. 

VIII.  —  ARBELHA 

On  lit  dans  le  Dictionnaire  béarnais  de  Lespy  et 
Raymond  :  «  Arbelha-fave,  fève  avec  sa  cosse  :  Milb, 
arbelha-fave,  millet,  fève  avec  sa  cosse.  —  D.  C.  arbe- 
glus  :  faba  arbegla.  »  Le  Glossarium  meàix  et  infimx 
latinitatis  de  Du  Cange  rend  beaucoup  de  services,  mais 
il  est  parfois  dangereux,  surtout  —  et  c'est  ici  le  cas  — 
quand  ce  n'est  pas  à  Du  Cange  lui-même,  mais  à  son 
continuateur  Carpentier  qu'on  a  affaire.  Donc,  Car- 

i .  Mélanges,  p.  8,  art.  aissade.  J'aurais  dû  signaler  la  survivance 
de  ascia  dans  le  patois  du  Blaisois  sous  la  forme  dsse  (Thibault). 

2.  Kôrting  ne  mentionne  que  l'espagnol  annota,  qu'il  explique 
correctement  par  asciola,  mais  qu'il  place  bizarrement  à  l'article 
*ascicellus  (929)  au  lieu  de  le  ranger  sous  ascia  (928).  Au  dernier 
moment,  je  m'aperçois  que  Godefroy  a  relevé  essaie  et  essolate 
dans  un  texte  de  1 348  provenant  des  archives  du  Doubs  :  il  tra- 
duit par  «  sorte  d'outil  employé  par  les  charpentiers  »,  sans  plus. 


ARBELHA  i6j 

pentier,  ayant  dépouillé  les  statuts  de  Mondovi  (en 
latin  Mons  Regalis),  y  a  relevé  ce  membre  de  phrase  : 
«  Pro  quolibet  sextario  fabarurn  non  fractarum  et 
arbeglarum.  »  Il  a  cru  bonnement  que  le  dernier  mot, 
arbeglarum,  était,  tout  comme  fractarum,  un  quali- 
ficatif de  fabarum.  Mais  les  fèves  sont  une  chose  et 
les  arbegle  une  autre.  Il  ne  faut  pas  être  grand  clerc 
en  botanique  ni  en  philologie  romane  pour  recon- 
naître qu'il  s'agit  d'une  plante  légumineuse  analogue 
à  celle  qui  s'appelle  en  italien  rubiglia,  en  ladin 
arbeja,  en  espagnol  arveja,  en  portugais  ervilha,  etc., 
tous  mots  venus  du  latin  ervilial.l\  est  évident  que  le 
texte  cité  par  Lespy  et  Raymond  contient  trois  choses 
distinctes  :  milh  (millet),  arbelha,  fave  (fève). 

Le  mot  arbelha  est  encore  vivant  dans  la  région 
toulousaine 2;  dans  l'Armagnac,  notamment  à  Saramon 
et  à  Lanne-Soubiran  3,  et  dans  le  pays  d'Albret4  :  il 
désigne  la  jarosse?.  Il  est  à  croire  qu'il  s'agit  du 
même  légume  dans  l'ancien  texte  béarnais,  bien  que 
nos  dictionnaires  traduisent  ordinairement  le  latin 
ervïlia  et  l'italien  rubiglia  par  «  ers  ».  En  tout  cas, 
il  est  bon  de  prendre  note  que  le  mot  latin  n'a  pas 
disparu  sur  le  versant  nord  des  Pyrénées. 

(Mélanges  Léonce  Couture,  p.  257.) 


1.  Voyez  Kôrting,  n°  3285,  et  Romania,  XXVII,  237. 

2.  A.  Duboul,  Las  Plantos  as  camps,  2*  éd.,  p.  10,  art.  arbeillo; 
Rolland,  Flore  pop.,  IV,  215. 

3.  Communication  de  M.  Ducamin. 

4.  Rolland,  Flore  pop.,  IV,  225. 

5.  La  vcsce  cultivée,  dans  l'Albret,  d'après  Rolland,  loc.  lauà. 


164  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

IX.    —   ARMORIJO 

Quatre  noms  de  vents  se  trouvent  réunis  dans  ces 
vers  du  fabuliste  limousin  Foucaud  : 

Môgra  Y  auto,  môgra  lo  bi\o, 
Môgra  lou  pluyau,  Yarmorijo1. 

Un  seul  est  particulièrement  digne  d'intérêt,  c'est 
armorijo.  L'excellent  Emile  Ruben,  à  qui  l'on  doit  la 
seule  édition  annotée  de  Foucaud  qui  existe,  glose  ainsi 
ce  mot  : 

«  Vent  d'Armorique  ou  de  Bretagne,  c'est-à-dire 
du  N.-O.  » 

Puis  il  appuie  sa  glose  d'une  citation  de  Roquefort 
ainsi  conçue  : 

«  Dans  l'ancien  français,  armorique  signifiait  le  bord 
de  la  mer,  la  côte  maritime.  » 

Contrairement  à  ce  qu'on  aurait  pu  croire,  cette 
étymologie  n'a  pas  souri  à  Mistral.  Voici,  en  effet,  ce 
qu'on  lit  dans  le   Trésor  doit  Felibrige: 

«  Armorijo,  voyez  amarijo.  —  Amarijo,  armorijo, 
substantif  féminin.  Vent  qui  souffle  de  l'Ouest,  du 
côté  de  l'Océan,  en  Limousin.  Racine:  amarés.  » 

Ce  n'est  plus  de  l'Armorique  ni  de  la  mer  que  notre 
vent  tirerait  son  nom,  mais  de  son  amertume. 

Reprenons  la  question  et  tâchons  de  l'élucider. 


i.  Lou  Rouvei  et  l'Ossolei,  vers  io-i  i,  édit.  Ruben  (Paris,  Didot, 
1866),  p.  3 1 .  Il  va  sans  dire  que  je  reproduis  la  graphie  de  l'édition. 


ARMORI. 10  .  165 

La  rime  de  Foucaud  n'est  pas  riche  et  pourrait  ins- 
pirer des  doutes  sur  la  vraie  désinence  du  mot.  M.  Louis 
Guibert,  à  qui  rien  de  tout  ce  qui  touche  le  Limousin 
n'est  étranger,  m'écrit  qu'on  prononce  bien  nettement 
à  Limoges  armoridjo,  ce  qui  rimerait  parfaitement  avec 
midjo,  du  latin  mica.  Quant  à  Vo  de  la  syllabe  -mo-, 
Emile  Ruben  aurait  dû,  pour  être  conséquent  avec  son 
système  orthographique,  le  noter  par  ô,  car  il  est  issu 
d'un  ancien  a.  La  forme  médiévale  était,  sans  aucun 
doute,  armarija. 

Au  lieu  de  la  forme  féminine,  on  emploie,  du  côté 
de  Pierre-Buffière  et  de  Saint-Germain-les-Belles,  la 
forme  masculine  armori.  Dans  les  cantons  de  Saint- 
Léonard  et  de  Châteauneuf,  on  ne  prononce  pas  armori, 
mais  armouri.  Voilà  pour  la  Haute-Vienne. 

Dans  la  Creuse,  je  ne  connais  que  le  masculin  armouri 
(Iloyère,  Saint-Yrieix-la-Montagne,  etc.)  et  le  féminin 
armourijo  (Saint-Sulpice-le-Donzeil),  que  j'ai  entendus 
l'un  et  l'autre  de  mes  propres  oreilles.  Partout  ce  terme 
désigne  précisément  le  vent  du  Nord-Ouest  et  non  le 
vent  de  l'Ouest  :  ce  dernier  s'appelle  ordinairement 
irover,  troverso  ou  vent  de  ba  (vent  de  bas). 

La  coexistence  du  genre  masculin  et  du  genre  féminin 
s'explique  facilement  si  l'on  admet  que  le  type  étymo- 
logique était  un  adjectif  latin,  et  qu'on  l'a  employé 
tantôt  au  masculin,  en  sous-entendant  le  substantif  ven- 
lus,  tantôt  au  féminin,  en  sous-entendant  le  substantif 
aura. 

Le  rapport  historique  de  armouri  au  latin  gallo-romain 
armoriais  se  heurte  à  une  objection  :  la  quantité  de  17. 
Ausone  et  Sidoine  Apollinaire  scandent  ârèmôrïcus,  et 


166  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

le  breton  actuel  arvorek  indique  que  le  suffixe  -icus  avait 
un  i  bref1.  Or,  le  limousin  armouri,  antérieurement 
*armoric,  ne  pourrait  remonter  qu'à  un  type  *armorïcus, 
car  *armorïcus  aurait  abouti  nécessairement  à  *armorge. 
Avons-nous  le  droit  de  supposer  l'existence,  dans  le 
latin  des  Gaules,  d'un  type  *armorîcus  qui  aurait  été 
employé  concurremment  avec  armoricus  ?  Je  le  crois. 
Fortunat  a  écrit  cet  hexamètre  : 

Ultima  quamvis  sit  regio  Armoricus  in  orbe2. 

Il  scande  donc  armoricus.  Je  n'ignore  pas  que  la  pro- 
sodie de  Fortunat  est  très  artificielle  ;  mais  comme  il 
me  paraît  impossible,  en  me  plaçant  sur  le  terrain  pho- 
nétique, de  trouver  au  limousin  actuel  armouri  un 
autre  type  étymologique  que  *armorïcus,  je  n'hésite 
pas  à  affirmer  l'existence  réelle  de  *  armoricus,  à  côté 
de  armoricus.  Il  n'est  pas  douteux  que  le  gaulois  ait 
eu  côte  à  côte,  tout  comme  le  latin,  un  suffixe  -icos  et 
un  suffixe  -icosi.  Trois  mots  limousins,  dont  le  thème 
ne  paraît  pas  exister  en  latin,  nous  offrent  incontesta- 
blement la  désinence  féminine  -ica  :  ce  sont  boueijo 
(friche),  chambijo  (timon  d'araire)  et  le  nom  de  lieu 
fréquent  artijo  (artige),  qui  étaient  à  l'origine  *bodîca, 
*cambïca,  *ariica*.  La  désinence  masculine  -icos  apparaît, 

i.  Voir,  pour  le  détail,  l'article  aremoricos  de  X  All-ctltischer 
Sprachschati  de  M.  Alfred  Holder. 

2.  Holder,  loc.  laud. 

3.  Zeuss,  Gramm.  celtica,  2*  édition,  I,  850,  cite  même  comme 
exemple  le  breton  armorie,  mais 'je  n'ose  faire  fond  sur  cet  exemple, 
qui  doit  être  d'origine  savante. 

4.  Voyez  ce  que  j'ai  dit  de  ces  trois  mots  dans  le  Bulletin  de  la 
Société  des  Parler  s  de  France,  I,  133. 


ARMORUO  167 

elle  aussi,  dans  Glémc  (Corrèze  et  Creuse),  au  moyen 
âge  Glanigus1. 

Le  passage  de  *armorïcus,  *armortca  à  armouri,  armou- 
rijo  n'offre  pas  de  difficulté.  Si  l'on  s'étonnait  du 
maintien  de  la  protonique  non  initiale,  je  n'invoque- 
rais pas  seulement  l'existence  du  groupe  protecteur 
-rm-,  mais  je  rappellerais  que  dans  la  toponymie  de  la 
Gaule  il  y  a  plus  d'un  cas  où  la  loi  de  Darmesteter 
n'est  pas  appliquée,  même  en  l'absence  de  groupes  pro- 
tecteurs. Pourquoi  Angoulême  de  Iculisna,  pourquoi 
surtout  VeT^zpux  (Haute-Loire)  de  Vesedonum2} 

Il  me  reste  à  rendre  compte  de  la  forme  proprement 
limousine,  dans  laquelle  la  syllabe  médiale  -mon-  est 
remplacée  par  -mo-,  comme  si  le  type  étymologique 
était  *ar  marie  us,  armarica.  Ici  encore  je  fais  appel,  sinon 
à  Fortunat  lui-même,  du  moins  au  manuscrit  lat.  14 144 
de  la  Bibliothèque  nationale  (neuvième  siècle)  qui  con- 
tient ses  poésies  et  où  on  lit  armaricus,  au  lieu  de 
armoricusK  II  n'est  pas  invraisemblable  que  les  Gallo- 
Romains  aient  eu  conscience  que  le  gaulois  mon  et  le 
latin  marc  étaient  synonymes  ;  une  forme  hybride  *ar- 
marïcus  peut  être  née  de  ce  sentiment.  M.  d'Arbois  de 
Jubainville  veut  bien  me  faire  remarquer  que  la  peu- 
plade gauloise  qui  a  donné  son  nom  à  la  ville  de  Bayeux 
est  appelée  par  Pline  Bodiocasses  et  que  la  forme  pos- 

1.  Delochc,  Eludes  sur  la  géogr.  hist.  de  la  Gaule,  p.  356. 

2.  Sur  Veqapux,  voyez  Remania,  VII,  264.  En  Limousin  même, 
nous  avons  Chamborand  et  Cbamboul  ivc ,  le  premier  dans  la  Creuse, 
le  second  dans  la  Corrèze,  dont  les  types  étymologiques  sont  Cam- 
borentum  et  Camboliva. 

3.  Variante  indiquée  par  Holder  d'après  l'édition  récente  qui 
fait  partie  des  Mouiuiiciitu  Gtrmaniae. 


168  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

térieure  Badiocasses,  d'où  provient  directement  Bayeux, 
paraît  due  au  fait  que  le  latin  badins  était  synonyme 
du  gaulois  *bodios.  En  tout  cas,  les  formes  divergentes 
que  nous  trouvons  employées  aujourd'hui  dans  la  Haute- 
Vienne  ne  sauraient  être  appelées  en  conciliation  devant 
le  tribunal  de  la  phonétique  romane  :  le  latin  vulgaire 
seul  peut  les  mettre  d'accord. 

Cette  note  est  déjà  bien  longue  ;  il  faut  pourtant  que 
je  fasse  encore  une  remarque.  Autant  que  je  puis  savoir, 
le  Limousin  est  le  seul  pays  roman  de  France  où  le 
mot  armoriais  ait  survécu  dans  la  langue  courante  sous 
une  forme  populaire.  S'il  y  a  survécu,  c'est  qu'il  s'est, 
à  un  moment  donné,  appliqué  spécialement  à  un  vent 
qui  soufflait  de  l'Armorique.  Il  est  probable  que  les 
Lemovices  n'ont  pas  été  les  seuls,  à  l'époque  gallo- 
romaine,  à  se  servir  des  expressions  venins  armoriais 
et  aura  armorica:  leurs  voisins  les  Pictavi,  les  Bitu- 
riges  et  les  Arverni  n'étaient  pas  plus  qu'eux  à  l'abri 
du  vent  d'Armorique.  Ce  qui  est  sûr,  c'est  que  la  tra- 
dition s'est  faite,  sans  interruption,  des  Lemovices 
d'autrefois  aux  Limousins  d'aujourd'hui,  tandis  que  les 
Poitevins,  les  Berrichons  et  les  Auvergnats  n'ont  rien 
hérité  de  leurs  lointains  ancêtres.  Vraisemblablement, 
si  l'expression  de  venins  armoriais  s'est  conservée  en 
Limousin,  et  en  Limousin  seulement,  c'est  qu'elle  a 
été  plus  usuelle,  plus  populaire  là  qu'ailleurs  :  qui 
n'en  conviendra?  On  aimerait  à  savoir  pourquoi  il  en 
a  été  ainsi,  et  s'il  est  vrai  que  rien  n'arrive  sans  raison. 

Un  aimable  Limousin,  membre  de  l'Académie  des 
Inscriptions,  Maximin  Deloche,  a  écrit  une  longue 
dissertation  pour  prouver  que  les  Lemovices  du  Limou- 


ARREDOGUE  169 

sin  avaient  une  colonie  à  l'embouchure  de  la  Loire, 
et  que  c'est  précisément  cette  colonie  que  César  a  en 
vue  quand  il  mentionne  {De  bello  GalL,  VII,  lxxy,  3) 
les  Lemovices  parmi  les  peuples  de  l'Armorique1.  Si 
Deloche  ne  s'était  pas  trompé,  comme  on  comprendrait 
bien  que  le  Limousin  eût  été  le  pays  d'élection  de 
l'expression  ventus  armoricus  !  Malheureusement,  Delo- 
che n'a  rien  trouvé  qui  puisse  laver  le  texte  de  César 
du  reproche  de  suspicion  légitime  qu'on  lui  fait  depuis 
Scaliger,  et  la  preuve  palpable  de  l'existence  des  Lemo- 
vices d'Armorique  reste  encore  à  trouver.  Les  historiens 
n'ont  point  coutume  de  se  paître  de  vent  et  je  les  en 
loue  :  aussi  me  garderai-je  de  leur  présenter  mon  armouri 
comme  un  commencement  de  preuve  en  faveur  de 
l'opinion  de  Deloche2. 

(Revue  des  parler  s  popul.,  année  1903,  p.161-165.) 


X.  —  ARREDOGUE 

Le  mot  arredogue  figure  au  pluriel  dans  le  Diction- 
naire béarnais  de  Lespy  et  Raymond,  avec  cette  traduc- 
tion :  «  environs,  alentours  ».  Comme  ce  mot  semble 
avoir  disparu  du  patois  actuel,  les  auteurs  ne  fondent 
leur  traduction  que  sur  un  rapprochement  arbitraire 
avec  l'espagnol  alrededores.  Ce  rapprochement  n'est  cer- 

1.  Etudes  sur  lagèogr.  hist.  de  la  Gaule,  p.  438-487. 

2.  Je  m'étonne  que  cette  opinion  ait  paru  plausible  à  un  maître 
tel  que  M.  Longnon  (Atlas  historique  de  la  France,  texte,  p.  10). 
M.  J.  Loth  l'a  vigoureusement  combattue  dans  sa  thèse  latine,  De 
vocis  Aremoricae  forma  atque  significatione,  publiée  en  1883. 


170  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

tainement  pas  légitime.  Voici  les  deux  textes  que  cite 
le  Dictionnaire  béarnais;  ils  viennent  du  Livre  d'or  de 
Bayonne : 

«  Arrecurar  l'ester  dou  moulin  et  gitar  la  terre  eu 
brag  sa  e  la  per  les  ar redogues  de  l'ester.  —  Anaven 
perYarredogue  dou  barad  com  per  camin  comunau.  » 

Il  me  paraît  donc  que  arredogue  appartient  à  la 
même  famille  que  le  provençal  doga  et  le  français  douve 
et  qu'il  désigne  le  revers  de  la  douve,  c'est-à-dire  le 
côté  opposé  au  fossé  (barad)  ou  au  chenal  (ester).  Le 
mot  est  clairement  composé  avec  le  préfixe  re-,  sous  sa 
forme  gasconne  arre-,  et  le  substantif  dogue  «  douve  », 
comme  arredezyne  «  dîme  supplémentaire  »  (en  latin 
du  moyen  âge  redecima)  ou  arrepunt  «  arrière-point  ». 
On  trouve  dans  un  autre  texte  béarnais  la  forme  redo- 
gue, que  les  auteurs  du  Dictionnaire  ont  relevée  à  son 
ordre  alphabétique  sans  en  indiquer  le  rapport  avec  arre- 
entroo  a  la  redogue  deu  camp  deu  senhor  dejasses. 
{Mélanges  Léonce  Couture,  p.  2S7-258.) 


XL  —  ASSANHA 

Raynouard  a  enregistré  un  substantif  féminin  assana 
et  l'a  traduit  par  «  chiffon  »  '.  Il  n'a  qu'un  exemple,  de 
Daudé  de  Pradas.  Le  même  exemple  lui  a  servi,  sans 
qu'il  y  prît  garde,  à  constituer  un  article  sanha  «  gri- 
mace, moquerie2  ».  L'étude  attentive  de  la  chanson 


1.  Lex.  rom.,  II,  134. 

2.  lbid.,  V,  154. 


ASSANHA  171 

où  figure  ce  mot,  et  qui  a  été  publiée  depuis  par  M.  Cari 
Appel  ',  montre  que  la  rime  appelle  une  désinence  en 
-anhct,  et  non  en  -ana.  Le  contexte  demande  un  mot 
qui  désigne  un  objet  de  peu  de  valeur,  susceptible  de 
se  combiner  avec  le  verbe  pre^ar;  comme  le  scribe 
du  seul  manuscrit  qui  nous  ait  conservé  cette  chanson 
écrit  unassana,  on  est  fondé  à  penser  qu'il  faut  lire 
un  assanha.  M.  Emil  Levy  se  demande  s'il  ne  faudrait 
pas  corriger  en  un  aulanha  «  une  noisette  ».  Une  cor- 
rection aussi  violente  est  bien  dangereuse.  Je  crois  que 
assanha  doit  être  conservé  et  traduit  par  «  cenelle2  ». 
Parmi  les  formes  diverses  enregistrées  par  Mistral 
dans  ce  sens,  à  l'article  acino,  je  relève  arsano,  usité  dans 
l'Ariège;  je  puis  attester  personnellement  que  dans  le 
Gers  (Mauvezin)  on  dit  ansano,  ce  qui  n'a  rien  de  sur- 
prenant, puisque  Mistral  donne  le  dérivé  ansancllo,  et 
que  Duboul  a  relevé  aousano  dans  les  environs  de 
Toulouse?.  Si  l'on  remarque  que  le  provençal  possède 
concurremment  aulana  et  aulanha  (des  types  latins 
vulgaires  abellana  et  *abellama)  pour  désigner  la  noi- 
sette, on  admettra  facilement  qu'il  ait  oscillé  entre 
assanha  et  *assana  pour  désigner  la  cenelle.  Quant  au 
thème  du  mot,  qui  doit  être  le  même  que  celui  du 
français  cenelle,  j'ignore  d'où  il  vient  :  Pétymologie 
courante,  qui  le  tire  du  latin  acinus,  est  pure  fan- 
taisie. 


1.  Prùv.  Inedita  aus  Paris.  Handschr.,  p.  88. 

2.  Voir  dans  God.,  Compl.,  v°cenele,  trois  exemples  de  l'expres- 
sion ne  valoir  une  cenele,  ne  valoir  deux  ceneles  ;  il  serait  facile,  pro- 
bablement, d'en  trouver  d'autres  en  ancien  français. 

3.  Las  Plantas  as  Camps,  2  e  éd.,  p.  9. 


RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 


XII.  —  ASSE,  ASSA 

Le  patois  de  Limoges  possède  un  adjectif  asse  «  in- 
culte »  et  les  verbes  correspondants  assa  «  laisser  in- 
culte »  et  dcsassa  ou  délassa  «  remettre  en  culture  ». 
Asse.  est  employé  par  Foucaud  dans  sa  fable  de  Jupiter 
e  lou  Meitadier. 

L'un  di  que  qu'ei  tro  mau  blôda, 
L'autre  que  lou  pôi  ei  asse  ' . 

Ruben  traduit  ainsi  :  «  L'un  dit  que  c'est  trop  mal 
emblavé,  l'autre  que  le  pays  est  inculte.  »  Mais  dans 
une  note  il  déclare  que  le  sens  propre  de  asse  doit  être 
«  effrité  »,  et  il  ramène  asse,  assa  au  latin  assus,  assare. 
Mistral  suppose  au  contraire  que  le  limousin  asse  est  le 
même  mot  que  le  provençal  disse  «  aigre,  acide  »  et  il 
le  traduit  ingénieusement  par  «  rebelle  à  la  culture  ». 
La  forme  médiévale  de  asse  écarte  l'une  et  l'autre  éty- 
mologie.  Car  il  est  évident  qu'il  faut  reconnaître  l'ad- 
jectif asse  actuel  dans  ce  passage  d'une  charte  rédigée 
à  Limoges  en  1256  :  lot  as  las  aperlenensas  deu  dih  mas, 
absas  et  vistidas,  gaanhadas  e  no  gaanbadas'2.  M.  Emil 
Levy  n'a  pas  laissé  échapper  ce  passage  ;  il  l'a  relevé 
dans  son  Prov.  Suppl.-Wœrterbucb,  où  figure  l'adjectif 
abs,  d'après  le  seul  témoignage  de  la  charte  de  1256, 
avec  un  renvoi  clairvoyant  à  l'article  absus  de  Du 
Cange. 

1.  Ed.  Ruben,  p.  196. 

2.  Leroux,  Molinier  et  Thomas,  Doc.  hislor.,  I,  177. 


AVENERiL  173 

De  toutes  les  hypothèses  émises  sur  l'étymologie 
du  bas  latin  absus  «  inculte  »,  aucune  n'est  pleinement 
satisfaisante  :  le  lecteur  curieux  de  les  connaître  pourra 
voir  Du  Cange. 

Je  m'expliquerai  plus  loin  sur  un  autre  représentant 
limousin  du  même  thème  '■  ;  je  remarque  seulement  ici 
que  asse  est  refait  sur  le  féminin  asso,  et  que  assa  cor- 
respond au  bas  latin  absare,  dont  il  y  a  maint  exemple. 
(Reinie  des  parler  s  popiil.,  année  1903,  p.  165.) 


XIII.  —  AVENERIL 

Godefroy  a  institué  un  article  aveneris  «  champ  où 
l'on  a  semé  et  recueilli  de  l'avoine;  terre  qui  n'est 
bonne  qu'à  .produire  des  avoines  ».  Il  ne  cite  qu'un 
exemple,  emprunté  à  la  coutume  locale  de  Soesmes 
(aujourd'hui  Souesmcs,  dans  le  Loir-et-Cher),  et  ainsi 
conçu  :  «  chaumes,  millerines  et  aveneris.  »  Il  signale 
enfin  la  conservation  du  mot  au  sens  de  a  champ  d'a- 
voine »  dans  la  Haute-Normandie. 

Souesmes  est  dans  le  Blaisois  ;  aussi  n'est-on  pas 
surpris  de  retrouver  le  mot  dans  le  Glossaire  du  pays 
blaisois  de  M.  Thibault: 

«  Avenus  [prononcé  avanri],  champ  dans  lequel  on  a 
récolté  de  l'avoine  ou  de  l'orge  et  qu'on  laisse  en  chaume 
tout  l'hiver.  » 

La  précieuse  définition  de  M.  Thibault  nous  servira 


2.   Article  desoussina. 


174  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

de  pont  pour  passer  du  normand  au  manceau.  Nous 
lisons  dans  Dottin  : 

«  Avanri,  avanrie,  jachère.  —  Avèri,  jachère  ». 

Voilà  pour  le  Bas-Maine.  Pour  le  Haut-Maine,  nous 
avons  le  témoignage  plus  verbeux  du  comte  de  Mon- 
tesson  : 

«  Avairie,  s.  f.  Repos  d'un  champ  pendant  les  troi- 
sième et  quatrième  années.  Si  l'on  pouvait  avancer  que 
la  première  syllabe  de  ce  mot  est  privative,  il  serait, 
par  son  étymologie,  rigoureusement  la  traduction  de 
sans  labour.  » 

N'avançons  pas,  de  grâce,  et  tenons-nous  en  à 
avoine,  d'où  part  une  belle  échappée  de  sémantique. 

Ce  qui  m'intéresse  d'ailleurs  dans  la  structure  du 
mot  dont  je  viens  d'entretenir  le  lecteur,  c'est  moins 
sa  tète  que  sa  queue.  Bien  qu'on  le  fasse  féminin 
dans  le  Maine  et  qu'on  l'écrive  avanrie  (il  est  fré- 
quemment employé  comme  nom  de  ferme),  il  ne 
renferme  pas  originairement  le  suffixe  -crie,  non  plus 
d'ailleurs  qu'un  suffixe  -eris,  correspondant  à  un  type 
latin  -aricius,  dont  l'existence  n'est  pas  établie  en 
français1.  Sa  désinence  primitive  était  -eril,  comme  je 
vais  le  faire  voir. 

Godefroy  a  un  article  avainerieux  qui  aurait  gagné  à 
être  fondu  avec  l'article  aveneris  et  qui,  comme  ce  der- 
nier, ne  comprend  qu'un  seul  exemple.  Cet  exemple 
vient  du  célèbre  traité  de  chasse  dit  Le  livre  du  roi 
Modus,  f°  127  r°  de  l'édition  Blaze,  où  on  lit  : 

«  Ceste  roys...  doit  estre  tendue  en  ung  avainerieux 

1.  Voyez  ci-dessus  notre  étude  sur  le  suffixe  -aricius,  p.  67. 


AVENER1L  175 

pour  la  chaume  qui  y  est  courte.  »  On  sait  que  le  texte  de 
l'édition  Blaze  reproduit  d'anciens  imprimés  sans  valeur 
linguistique  et  qu'il  faut  s'adresser  aux  manuscrits  quand 
on  veut  avoir  de  bonnes  leçons.  Or,  j'ai  vu  neuf  manus- 
crits, et  tous  ont  uniformément  -il  comme  désinence 
(Bibl.  nat.  fr.  1297,  f°  87  v°  :  aueneril;  1298,  f°  84  r°: 
idem;  1299,  f°  122  r°:  auueneril  ;  1300,  f°  128  r°  : 
auenril ;  1 301,  f°  98  v°  :  aueneril;  1302,  f°  90  r°  :  auene- 
ril; 12399,  f°  89  v°  :  aueneril;  Arsenal,  3079,  f°  215 
v°  :  aueneril  ;  5197,  f°  58  r°  :  auenril). 

Les  choses  étant  ainsi,  il  est  manifeste  que  le  mot 
avencril  correspond  à  un  type  latin  vulgaire  *avenarïle, 
dérivé  de  avenu  à  l'aide  du  suffixe  composé  -arilis 
Ç-arius  +  -llis).  Ce  suffixe  n'est  pas  d'un  usage  fré- 
quent en  français.  Je  suppose  qu'il  faut  le  reconnaître 
dans  les  mots  suivants  : 

Chaumeril,  représenté  par  le  normand  caumeri,  cam- 
711er  i,  cambtri,  «  pièce  déterre  encore  garnie  de  chaume  » 
(Dict.  du  patois  normand  de  l'Eure,  p.  94). 

Femeril,  représenté  par  le  comtois  femri  «  tas  de 
fumier  »  (Mém.  de  la  Soc.  de  ling.,  XI,  205). 

Fronienteril ,  nom  porté  jadis  par  une  localité  men- 
tionnée sous  la  forme  Frumenterilis  dans  une  charte 
de  Charlemagne  en  faveur  de  Saint-Denis  ï; 

Meeril,  épis  restés  sous  la  meule  de  blé  (jnèta); 
voyez  ci-dessous  l'article  meeril. 

Orgeril,  représenté  parle  nom  d'un  homme  politiqueet 
littérateur  dequelque  notoriété,  le  vicomte  de  Lorgeril2. 


1.  Mabillon,  De  re  diph,  p.  645. 

2.  Né  et  mort  dans  les  Côtes-du-Nord  (181 1-1! 


176  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 


XIV.    -    BABI 


A  Oloron,  on  appelle  babi  la  mèche  de  la  chandelle 
de  résine  ;  à  Montaud,  dans  le  même  département,  on 
prononce  babit  ;  ailleurs,  dans  la  même  région,  on 
emploie  babialè  et  bibalè1  ;  ailleurs  encore,  mais  tou- 
jours en  Gascogne,  pabieu  et  pabiou2. 

Mistral  rattache  justement  la  forme  actuelle  pabieu 
ou  pabiou  à  l'ancien  provençal  pabil,  mais  il  a  tort 
de  suivre  Raynouard  et  Diez  pour  l'étymologie  et 
d'indiquer  le  latin  pabulum.  Il  faut  s'adresser  à  papyrus, 
comme  l'a  montré  M.  Ascoliî. 

Les  formes  béarnaises  citées  ci-dessus  (babi,  babit, 
babialè,  bibalè)  nous  offrent  toutes  l'assimilation  en 
b  du  p  latin  initial  sous  l'influence  du  b  qui  était 
normalement  sorti  en  roman  du  p  latin  médial 
intervocalique4.  Babialè  est  pour  *babilè,  Va  s'inter- 
calant  souvent  entre  *  long  et  /;  bibalè  nous  offre 
une  métathèse  pour  *babilè  :  l'un  et  l'autre  de  ces 
mots  remontent  à  un  type  médiéval  perdu  *babiler,  où 
le  suffixe  -er  est  venu  renforcer  le  substantif  pabil i, 

1.  Lespy  et  Raymond,  Die  t.  béarnais. 

2.  Mistral,  Trésor,  art.  pabieu. 

3.  Cf.  Kôrting,  6771  et  6852. 

4.  Même  assimilation  dans  le  patois  de  la  Creuse  où  le  typha 
latifolia  s'appelle  bobelho,  d'un  type  étymologique  *pjpïlia  (voyez 
mes  Essais,  p.  349). 

5.  Si  on  ne  trouve  pas  *pabiler  au  moyen  âge,  on  trouve,  avec 
le  suffixe  -um,  la  forme pabilum  à  Condom  (Ravnouard,  Lex.  rom., 
IV,  392). 


BAI  EN  177 

c'est-à-dire  qu'ils  témoignent,  comme  pabieu  et  pabiou. 
de  l'existence  d'une  forme  *papïlus,  au  lieu  de  papyrus 
dans  le  latin  vulgaire  de  cette  région.  Il  en  va  différem- 
ment de  la  forme  oloronaise  babi,  dont  babit  me  paraît 
être  une  altération  sans  conséquence1.  En  effet  on  ne 
peut  pas  admettre  la  chute  de  17  finale  de  pabil  et  il 
n'y  a  qu'une  r  finale  qui  puisse  ainsi  disparaître:  je 
crois  donc  que  babi  représente  une  forme  médiévale 
*pabir  qui  peut  se  réclamer  du  latin  classique  papyrus 
prononcé  *paplrus. 

Dans  l'île  de  Guernesey,  le  typha  latifolia  des  bota- 
nistes s'appelle  pavie.  J'ai  supposé  que  pavie  pouvait 
être  une  graphie  incorrecte  pour  *pavi,  c'est-à-dire 
remonter  à  une  forme  médiévale  *pavir2:  l'existence 
de  l'oloronais  babi  ne  peut  que  confirmer  ma  manière 
de  voir. 

(Mélanges  Léonce  Couture,  p.  258-259.) 


XV.  —  BAIEN 

L'ancien  français  possède  un  adjectif  baien,  baiene  qui 
qualifie  les  légumes  (particulièrement  les  pois  et  les 
fèves)  que  l'on  a  fait  tremper  dans  l'eau  chaude  jus- 
qu'à cuisson  ou  ramollissement  plus  ou  moins  com- 
plet.  Godefroy  en   donne  de   nombreux  exemples  ; 

1.  On  ne  peut  pas  supposer  que  ce  /  soit  issu,  comme  il  arrive 
souvent  en  gascon* d'un  groupe  latin  //,  car  après  /'  long,  /double 
se  simplifie  en  gascon  comme  ailleurs;  ci',  anyele,  de  angullla,  et 
biele,  de  villa. 

2.  Mélanges  d'èlymologie  franc.,  p.  114. 

Thomas.  II.  —  12 


178  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

l'expression  «  febves  baynes  »  figure  encore  dans  la 
Farce  du  Pont  aux  Asnes,  qui  n'est  sans  doute  pas  anté- 
rieure au  seizième  siècle  ;  mais  Cotgrave  ne  la  connaît 
pas. 

Godefroy  a  justement  rapproché  de  cet  ancien  adjectif 
le  verbe  bainer,  usité  en  Franche- Comté,  notamment 
à  Dôle,  avec  le  sens  de  «  mettre  des  légumes  secs  dans 
de  l'eau  chaude  pour  leur  faire  subir  une  première 
cuisson  ».  Un  autre  rapprochement  qui  s'impose  est 
celui  du  provençal  moderne  :  bajan,  bajano,  demi-cuit, 
en  parlant  des  légumes;  bajana,  cuire  des  légumes  à 
l'eau,  échauder  des  légumes  pour  les  faire  renfler; 
tremper,  en  parlant  des  légumes  qu'on  fait  ramollir 
dans  l'eau  avant  de  les  faire  cuire,  etc.  La  transition 
entre  le  comtois  et  le  provençal  nous  est  fournie  par 
le  lyonnais  baïno  et  le  forézien  beina  «  faire  macérer  des 
légumes  dans  l'eau  ».  Nizier  du  Puitspelu  se  figure  que 
baïno  a  été  tiré  du  substantif  bain  «  avec  conservation 
de  l'ancienne  diphtongue  ai  »  :  la  comparaison  avec  le 
provençal  aurait  pu  le  mettre  en  garde  contre  cette 
explication  spécieuse  ;  mais  il  ne  s'en  est  pas  avisé. 

L'adjectif  latin  baianus  «  de  Baies  en  Campanie  » 
est  une  base  phonétique  excellente  pour  le  français 
baien  et  le  provençal  bajan.  On  sait  que  le  féminin 
baiana  est  employé  substantivement  par  Apicius  Caelius, 
chez  qui  baianas  elixas  paraît  désigner  des  fèves  cuites 
à  l'eau  l.  On  peut  croire  que  baiana  est  pour  faba  baiana 

i.  V,  210;  édition  Schuch,  p.  113.  La  leçon  n'est  pas  tout  à  fait 
sûre;  deux  manuscrits  donnent  bagatias  et  l'éditeur  est  porté  à  y 
voir  un  dérivé  de  baca.  Mais  l'italien  dialectal  bagiana,  etc.,  appuie 
la  leçon  baianas. 


B1UELHE  179 

et  a  désigné  primitivement  une  variété  de  fève  origi- 
naire de  Baies:  de  là  l'italien  dialectal  bagiana,  etc., 
qui  n'est  en  usage  que  comme  substantif  et  désigne, 
selon  les  provinces,  la  fève  fraîche,  la  fève  ou  le  haricot 
en  cosse,  la  cosse  même  de  la  fève,  etc.  «.  Pour  rendre 
raison  du  provençal  et  du  français,  il  suffit  d'admettre 
que  l'on  a  employé  baianus  pour  signifier  tout  naturel- 
lement «  à  la  mode  de  Baies  »  :  faba  baiana  serait  une 
fève  qu'on  fait  «  baigner  ».  On  sait  la  vogue  des 
«  bains  »  de  Baies,  et  que  le  mot  de  Baiae  lui-même 
avait  fini  chez  les  Romains  par  désigner  des  eaux  ther- 
males quelconques. 

Le  hasard  a  fait  qu'aucun  exemple  ancien  du  pro- 
vençal bajan  «  cuit  à  l'eau  »  ne  nous  est  parvenu,  tandis 
que  le  français  baien  est  très  souvent  attesté.  En  revanche, 
nous  avons  en  ancien  provençal  bajan,  qui  est  traduit  par 
«  insipidus  »  dans  le  Donat2  et  qui  se  continue  aujour- 
d'hui par  bajan  «  nigaud  »  et  ses  dérivés,  que  Mistral 
sépare  complètement  de  bajan  «  cuit  à  l'eau  »  :  c'est 
pourtant  un  développement  sémantique  tout  naturel 
que  celui  qui  va  de  «  cuit  à  l'eau  »  à  «  nigaud  »  en  pas- 
sant par  «  insipide  »  ;  il  ne  s'agit  donc  que  d'un  seul 
et  même  mot. 


XVI.  —   BIDELHE 
Le  mot  français  vrille  désigne  proprement  les  fila- 


1.  Salvioni,  Nuove  Postille  ilaliane,  v°  bajana. 

2.  Cf.  Lcvv,  Prov.  Suppl.-IV.,  I,  119. 


180  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

ments  en  spirale  au  moyen  desquels  la  vigne  et  autres 
plantes  grimpantes  et  sarmenteuses  s'attachent  aux 
corps  voisins.  C'est  par  une  figure  hardie  qu'on  l'ap- 
plique communément  à  l'instrument  qui  sert  à  percer 
le  bois.  Dans  vrille,  IV  est  adventice,  comme  en  témoi- 
gnent les  anciennes  formes  veille,  viille.  La  compa- 
raison avec  le  provençal  vedilha1  ne  laisse  aucun  doute 
sur  Pétymologie  :  c'est  le  latin  viticula.  Les  textes 
anciens  montrent  que  les  Romains  se  servaient  à  la  fois 
de  viticula  et  de  son  primitif  vitis  pour  désigner  les 
vrilles  des  plantes  ;  on  trouve  môme  dans  un  glossaire 
latin-grec  une  forme  masculine  viticulus,  à  laquelle  cor- 
respond l'italien  actuel  viticchio. 

Le  latin  hésitait  sur  la  quantité  de  Yi  dans  le  suffixe 
diminutif.  Voici  en  effet  deux  exemples  contradictoires  : 

Dulci  namque  tumet  nondum  viticula  Baccho. 

(Valerius  Cato,  Diroe,  115.) 

Vitïcuhe  in  gracili  latet  ingens  corporc  botrys. 

{Carmen  adv.  Marcionem,  11,  230.) 

Parmi  les  formes  romanes,  les  unes  se  rattachent  à 
viticula,  les  autres  à  viticula.  Tandis  que  l'italien  litté- 
raire dit  viticchio,  le  patois  lombard  dit  vedech  et  le 
bolonais  vdec  (liseron)  ;  l'engadinois  a  vadeilla  (boucle) 
et  vdail  ;  l'espagnol  emploie  concurremment  vcdija 
(flocon  de  laine)  et  vedcja  ou  guedeja  (boucle  de  che- 

1 .  On  n'a  pas  d'exemple  remontant  au  moyen  âge,  mais  ce  n'est 
qu'un  hasard.  A  l'article  vediho,  Mistral  indique  les  sens  suivants: 
vrille  de  la  vigne  —  liseron  —  cordon  ombilical  —  nombril  — 
pénis  d'enfant  —  crotte,  saleté.  Le  dernier  sens  ne  se  rattache 
guère  aux  autres  ;  il  provient  peut-être  de  quelque  contamination. 


veux).  Sur  le  territoire  de  la  Gaule  on  ne  semble  avoir 
remarqué  jusqu'ici  que  des  représentants  de  vitîcula, 
notamment  le  provençal  vedilha  et  le  français  vrille. 
Pourtant  il  me  semble  que  vitîcula  est  la  base  de  plu- 
sieurs des  noms  que  portent  en  France  le  liseron,  la 
clématite  et  autres  plantes  analogues  :  vreille,  vieille, 
veillée,  veuillet,  etc.  Il  est  probable  qu'il  a  aussi  quelque 
chose  à  réclamer  dans  la  formation  du  mot  veillote, 
terme  agricole  qui  désigne  un  petit  tas  de  foin  enroulé  f. 
En  tout  cas,  il  est  sûr  qu'il  faut  reconnaître  vitîcula,  et 
non  vitîcula,  dans  un  mot  béarnais  qui  n'est  pas  moins 
intéressant  au  point  de  vue  sémantique  qu'au  point  de 
vue  phonétique.  Ce  mot  est  bidelhe,  que  Lespy  et 
Raymond  enregistrent,  sans  indication  étymologique, 
avec  les  deux  sens  suivants  : 

i°  Pas  de  vis  d'une  grosse  tarière; 

2°  (A  Orthez).  Boudin,  ressort  formé  d'une  spirale 
de  fil  de  fer. 

{Mélanges  Léonce  Couture,  p.  259-261.) 


XVII.   —  BOUDE 

Le  béarnais  moderne  possède  le  mot  boudé,  écrit 
autrefois  bodee,  qui  a  le  sens  de  «  beurre  »  ;  ce  mot 
offre  un  intérêt  particulier.  Le  grec  ftojrjpsv  a  été,  comme 

1.  Voyez  sur  ce  mot  mes  Mélanges,  p.  163,  où  j'ai  eu  le  tort  de 
ne  pas  signaler  l'existence  de  vitîcula  à  coté  de  vitîcula.  Tout 
récemment,  M.  Horning  a  proposé  de  reconnaître  vltulus  (veau) 
dans  veillote  (Zeitschr.  fur  ront.  Phil.,  XXVII,  149);  il  ne  m'a 
pas  convaincu. 


8j  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

on  sait,  latinisé  sous  la  forme  butyrum.  Mais  la  pronon- 
ciation de  butyrum  n'a  pas  été  uniforme  dans  toute 
l'étendue  de  l'empire  romain.  En  Gaule,  la  prononcia- 
tion dominante  plaçait  l'accent  tonique  sur  la  syllabe 
initiale,  dont  Vu  était  long:  c'était  une  imitation  de 
l'accentuation  grecque  qui  a  donné  naissance  à  l'ancien 
français  burre  —  la  forme  actuelle  beurre  est  une  alté- 
ration récente  de  burre  — ,  à  l'ancien  lyonnais  buyro  et 
au  provençal  buire  ou  burre.  A  côté  de  l'accentuation 
grecque,  on  pouvait  employer  l'accentuation  latine,  qui 
consistait  à  placer  le  ton  sur  la  syllabe  pénultième  quand 
cette  syllabe  était  longue1.  Il  est  clair  que  la  forme 
béarnaise  boudé  remonte  à  une  prononciation  de  butyrum 
où  l'accent  portait  sur  la  syllabe  -ty-  et  où  Vu  de  la  pre- 
mière syllabe  était  prononcé  bref.  Cette  forme  répond 
à  la  forme  médiévale  boder,  dont  Raynouard  a  relevé 
deux  exemples  (l'un  dans  YElucidari,  l'autre  dans  la 
traduction  de  la  chirurgie  d'Albucasis)  et  dont  mon 
ami  M.  Jeanroy  me  signale  la  présence  dans  le  Voyage 
au  Purgatoire  de  Saint-Patrice2.  Tous  ces  textes  appar- 
tiennent à  la  région  pyrénéenne.  A  côté  du  traitement 
de  l'accent  tonique  et  de  Vu,  il  faut  encore  remarquer 
la  représentation  de  l'y  long  par  un  e.  Il  y  a  là  une 
contradiction  avec  ce  que  nous  avons  remarqué  dans 
le  béarnais  babi,  où  l'y  long  de  papyrus  est  rendu  par 
i;  mais  on  sait  combien  la  prononciation  de  l'y  a  varié 
en  latin.  C'est  le  cas  de  rappeler  que,  d'après  Gaston 


i.  Sur  la  place  de  l'accent  dans  les  mots  empruntés  au  grec, 
voye?  ci-dessous  l'article  caillou. 

2.  Bibliothèque  méridionale,  ire  série,  t.  VIII,  p.  17,  ligne  344. 


BOUILLIE  183 

Paris,  même  lorsqu'il  était  long,  Yy  était  identique  à  Ve 
fermé  latin  dans  les  mots  vraiment  populaires1. 
(Mélanges  Léonce  Coulure,  p.  260.) 


XVIII.  —  BOUILLIE 

Contrairement  à  l'opinion  courante  qui  considère  le 
substantif  français  bouillie  comme  un  dérivé  du  verbe 
bouillir,  j'ai  proposé  de  voir  dans  la  forme  ancienne 
bolie  le  thème  bol-  et  le  suffixe  -te  et  j'ai  rappelé  que  le 
grammairien  Diomède  avait  latinisé  en  bolarium  le 
grec  (JwXaptov  «  grumeau  » 2.  J'ai  été  mal  inspiré.  Ce 
qui  me  donnait  des  doutes  sur  l'exactitude  de  l'étymo- 
logie  reçue,  c'est  que  je  ne  trouvais  pas  trace  en  pro- 
vençal d'un  substantif  participial  correspondant  au 
français  bouillie  avec  le  même  sens.  Depuis  que  l'inap- 
préciable Atlas  linguistique  de  MM.  Gilliéron  et  Edmont 
a  mis  à  la  portée  de  tous  les  richesses  insoupçonnées 
du  vocabulaire  gallo-roman,  chacun  pourra  constater, 
grâce  à  la  carte  156,  que  les  formes  telles  que  boulido, 
bulido,  bulide,  etc.,  se  présentent  en  des  régions  très 
diverses  du  Midi.  J'ai  moi-même  rencontré  fréquem- 
ment bulido  et  belido  dans  le  Sud-Est  de  la  Creuse 
(région  d'Auzances).  Je  tiens  donc  à  faire  amende 
honorable  et  à  déclarer  que  je  suis  tout  à  fait  revenu 
de  mes  préjugés  contre  l'opinion  courante.  Bouillie  est 
bel  et  bien  un  substantif  participial  tiré  de  bouillir. 

1 .  Ficatum  en  roman,  tirage  à  part  du  volume  intitulé  :  Miscel- 
lanea  linguistica  in  onore  ai  Gra\iadio  Ascoli,  p.  1 1  et  note  90. 

2.  Essais,  p.  257. 


1S4  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 


XIX.   —  BRA1MAN,  BERMAN 

Les  textes  gascons  relatifs  à  Bayonne  mentionnent 
souvent  les  braimans  comme  formant  une  corporation 
urbaine  importante.  Giry  a  traduit  braimans  par  «  rou- 
leurs  de  barriques  »  et  il  a  cité  la  mention  suivante  pour 
justifier  son  interprétation  :  «  Fo  ordenat  que  los  bray- 
mans  prenguon  per  portar  e  descargar  pipe  pleie,  etc.  » 
Puis  il  a  eu  des  doutes  sur  son  interprétation  et  il  a 
écrit  après  coup  la  note  suivante1  :  «  Braymans,  ce  mot 
signifie  plutôt  simplement  journaliers,  hommes  de  peine 
à  gages,  mercenaires;  ce  sont  les  brabançons;  voyez 
P.  Meyer,  Croisade  contre  les  Albigeois,  II,  69.  »  Cela, 
ce  n'est  plus  de  l'interprétation  ;  c'est  de  l'étymologie  ; 
je  n'hésite  pas  à  déclarer  que  Giry  a  fait  fausse  route. 

Les  mêmes  ouvriers  sont  fréquemment  mentionnés 
dans  les  comptes  latins  de  l'archevêché  de  Bordeaux 
publiés  par  Léo  Drouyn  dans  les  tomes  XXI  et  XXII 
des  Archives  historiques  de  la  Gironde;  l'éditeur  traduit 
sans  hésiter  par  «  rouleurs,  ouvriers  du  port  »  :  il  a  tout 
à  fait  raison. 

Giry  (ni  personne  depuis  lui,  à  ce  qu'il  semble)  n'a 
pas  pris  garde  à  un  fait  qu'il  était  mieux  que  personne 
à  même  de  remarquer  et  qui  est  en  relation  très  étroite 
avec  l'idée  maîtresse  de  son  beau  livre  sur  les  Établis- 
sements de  Rouen  :  c'est  que  le  mot  a  passé  des  rives  de 
la  basse  Seine  à  celles  de  la  Garonne  et  de  l'Adour. 

I.  Établissements  de  Rouen,  I,  p.  xix. 


BRAIMA.X,   BERUAX  1 8  s 

Nous  avons  dans  le  gascon  braiman  un  emprunt  au 
vocabulaire  technique  du  port  de  Rouen  et  de  quelques 
autres  ports  de  la  côte  normande  :  à  Rouen,  à 
Dieppe,  etc.,  il  y  avait  aussi  des  bermans,  dont  l'office 
était  analogue  à  celui  des  braimans  gascons.  L'article 
70  des  Coutumes  de  la  Vicomte  de  l'Eau  de  Rouen  est 
intitulé  :  De  l'office  as  bermans.  Il  y  est  dit  :  «  Les  ber- 
mans carchent  les  tonneaus,  etc.  »  En  1720  on  les 
appelait  brements  et  un  factum  définit  ainsi  leurs  fonc- 
tions :  «  Les  brements  sont  des  officiers  dont  il  est 
fait  mention  dans  le  Coutumier  et  leurs  fonctions  sont 
de  charger  et  décharger  les  vins,  cidres  et  autres 
liqueurs  de  terre  à  bord  ou  de  bord  en  bord  l  ». 

Il  y  en  avait  ailleurs  que  dans  les  ports  de  mer  et 
même  en  dehors  de  la  Normandie  :  Godefroy  a  relevé 
cette  mention  «  li  berman  et  li  broueteur  »  dans  le 
registre  aux  bans  de  Saint-Omer2  et  M.  de  Formeville 
a  écrit  tout  un  mémoire  intitulé:  Notice  sur  les  francs- 
brements-canonniers  de  la  ville  de  Caen7».  Pour  expliquer 
que  le  mot  berman  ait  été  transformé  en  braiman  à 
Bordeaux  et  à  Bayonne,  on  peut  admettre  que  les  popu- 
lations méridionales  y  ont  mêlé  le  vague  souvenir  des 
Braimansos  ou  Braimans,  c'est-à-dire  des  routiers  bra- 
bançons, dont  elles  avaient  tant  souffert  à  la  fin  du 
douzième  siècle  et  au  commencement  du  treizième, 


1.  Voyez  H.  de  Fréville,  Hist.  du  commerce  maritime  de  Rouen, 
t.  II,  p.  74  et  555. 

2.  En  réalité,  il  l'a  prise  dans  le  livre  de  Giry  intitulé  Histoire 
de  SùntOmer,  t.  H,  p.  535,  art.  447. 

5.  Mém.  de  la  Soc.  des  Antiq.  de  Normandie,  2e  série,  t.  I,  p.  283- 
328. 


186  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

mais  il  est  évident  que  ce  n'est  pas  dans  cette  direction 
qu'il  faut  chercher  la  véritable  étymologie  du  mot.  Il 
faut  partir,  pour  la  trouver,  de  la  forme  française  ber- 
man telle  qu'elle  nous  apparaît  au  treizième  siècle  en 
Artois  et  en  Normandie. 

M.  de  Formeville  a  cru  que  berman  était  le  néerlan- 
dais beuritnan  «  homme,  puis  bateau  qui  part  à  un 
temps  fixé  et  réglé  »  ;  il  est  inutile  de  discuter  cette 
opinion  qui  n'a  aucune  consistance  sémantique  et  qui 
cloche  aussi  du  côté  de  la  phonétique. 

Tout  récemment,  M.  de  la  Roncière,  l'érudit  his- 
torien de  notre  marine,  s'est  occupé  du  mot  qui  nous 
intéresse.  Je  lis  dans  son  tome  I,  p.  121  :  «  Reste  à  le 
lester  (le  bâtiment)  :  les  bruments l  s'en  chargent  ;  les 
bruments  sont  la  corporation  des  portefaix  qu'à  Rouen 
«  l'en  apelle  la  bergue  de  antiquité  ».  Et  l'auteur  pro- 
pose en  note  de  voir  dans  le  premier  élément  de  ber- 
man le  verbe  norois  bregtha  «  tirer,  mouvoir  ». 

J'avoue  que  je  suis  un  peu  embarrassé  par  ce  fait 
que  les  Coutumes  de  la  vicomte  de  l'Eau  appellent  bergue 
le  corps  des  bermans  et  que  je  ne  sais  comment  expli- 
quer ce  mot  bergue,  qu'il  serait  agréable  de  pouvoir 
placer  à  la  base  du  mot  berman.  N'était  cette  difficulté, 


1 .  La  forme  brunient  est  une  forme  labialisée  de  basse  époque, 
influencée  peut-être  par  un  autre  mot  normand  bniman,  bruinent, 
qui  signifie  «  fiancé,  gendre  »  et  qui  n'a  de  commun  avec  celui  qui 
nous  occupe  que  la  désinence.  Je  remarque  à  ce  propos  que  l'ar- 
ticle bruinent  i  de  Godefroy  «  espèce  de  galère,  allège,  bateau, 
barque  »  est  absolument  dénué  de  fondement,  car  dans  le  seul 
exemple  qu'il  cite  bruinent  est  bien  notre  mot  berman  ;  il  est  vrai 
que  Godefroy  a  chaussé  les  souliers  de  Carpentier  (voyez  Du  Cange, 
biunid  3)  et  qu'il  lui  était  difficile  de  marcher  droit. 


BRENA  1S7 

il  paraîtrait  tout  naturel  de  voir  dans  banian  le  même 
mot  que  dans  l'ancien  anglais  berman,  qui  signifie 
«  porteur  »  et  qui  s'explique  tout  naturellement  par 
le  thème  même  du  verbe  bear  «  porter  »,  autrefois  bere, 
beren.  Y  a-t-il  eu  emprunt  direct  du  normand  a  l'an- 
glais, le  mot  est-il  venu  par  le  Scandinave,  comme  le 
suppose  Moisy1,  ou  par  le  néerlandais  ?  Je  soumets  le 
cas  aux  savants  compétents,  ne  m'étant  proposé  ici  que 
de  tirer  au  clair  l'origine  immédiate  du  gascon  braiman. 


XX.   —  BRENA 

Le  Dictionnaire  béarnais  de  Lespy  et  Raymond  enre- 
gistre le  verbe  brena  comme  un  terme  particulier  au 
patois  d'Asson,  avec  le  sens  de  «  prendre  le  goûter  »  ; 
il  ne  donne  pas  d'étymologie,  mais  il  rapproche  ce  verbe 
du  catalan  brena,  qui  a  le  même  sens.  Il  ne  faut  pas 
hésiter  à  reconnaître  dans  brena  le  latin  vulgaire  meren- 
dare,  recueilli  par  Isidore  de  Séville,  et  dérivé  de 
merenda  «  collation  »  ;  la  plupart  des  langues  romanes 
ont  conservé  des  représentants  de  cette  famille.  La 
forme  gasconne  médiévale  a  dû  être  *merenar,  avec  la 
réduction  normale  du  groupe  latin  -nd-  à  -«-;  puis  la 
prononciation  rapide  de  la  syllabe  initiale  a  fait  dispa- 
raître IV  et  rapproché  Ym  de  IV2,  d'où  *mrenar  qui  a  dû 

1.  Dict.  du  patois  normand,  p.  118. 

2.  La  tendance  du  gascon  à  faire  disparaître  la  voyelle  de  la 
syllabe  initiale  devant  r  est  très  prononcée  :  bregno,  vendange  (pour 
beregno),  bien,  venin  (pour  beren),  biïmous,  venimeux  (pour  beri- 
iitons),  cranto,  quarante  (pour  caranto),  etc. 


IÔ3  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

aboutir  rapidement  à  brenar' .  Nous  avons  le  même  pro- 
cessus dans  l'évolution  du  latin  memorare  qui  est  suc- 
cessivement devenu  en  Gascogne  et  dans  la  région  limi- 
trophe: *mem'rar,  membrar,  *mrembar,  brembar,  bremba. 
{Mélanges  Léonce  Couture,  p.  260-261.) 

XXI.  —  CADE 

Cade  est  un  mot  essentiellement  provençal  que  l'Aca- 
démie française  n'a  pas  admis  dans  son  Dictionnaire, 
mais  que  bien  des  écrivains,  depuis  le  seizième  siècle, 
n'hésitent  pas  à  considérer  comme  français.  Tel  est  le 
cas,  par  exemple,  de  Pierre  Belon,  qui  n'était  pourtant 
pas  méridional,  et  qui  a  écrit  (f°  46  v°  de  ses  Remons- 
trances  sur  le  défaut  du  labour  et  culture  des  plantes, 
publiées  en  1558):  «  Serbin  est  comme  cade  ou  gené- 
vrier rouge,  tous  trois  noms  François;  ainsi  les  nom- 
ment en  Avignon  ».  De  même  Lemery,  dans  son  Dic- 
tionnaire des  drogues  simples,  dit  que  le  Juniperus  major 
Monspelensium  s'appelle  «  en  françois  Cade 2  » .  Dès  1 5 1 8, 
«  l'huile  de  cade  »  figure  dans  les  tarifs  officiels  5,  et  de 
nos  jours  encore  cette  drogue  n'a  pas  perdu  sa  vogue 
dans  la  médecine  humaine  et  vétérinaire. 

Donc  cade  est  synonyme  de  «  genévrier  »  dans  une 
partie  du  Midi  de  la  France.  Raynouard  a  cité  le  témoi- 


1 .  Il  est  curieux  de  trouver  en  catalan  berena  et  barena  à  côté  d  j 
brena.  Faut-il  supposer  l'existence  en  latin  vulgaire  de  *berendare 
au  lieu  de  merendare} 

2.  Page  398  de  l'édition  de  1760. 

3.  Godefroy,  CompL,  VIII,  404. 


gnage  très  précis  de  Daudé  de  Pradas,  auteur  des  Autels 
cassadors,  originaire  du  Rouergue  : 

Prendetz  la  goma  del  genebre, 
So  es  albre  ;  e  sembla  pebre 
Sa  fruita,  can  es  ben  madura  ; 
Et  en  la  nostra  parladura 
A  nom  cade  ' . 

Mistral  donne  comme  formes  actuellement  vivantes 
cade,  cadre,  cae,  chaîne  et  chai.  Si  l'on  remarque  que  la 
baie  de  cet  arbuste  s'appelle  cadenello  et  qu'un  lieu 
planté  de  «  cades  »  est  une  cadenedo  (en  limousin  cha- 
denedo),  une  cadenasso  ou  une  cadeniero,  on  n'aura  pas  de 
peine  à  remonter  au  type  primitif  du  nom  de  l'arbuste, 
lequel  ne  peut  être  que  *càtinus  (comme  frâxinus)  ou 
*càtanus  (comme  câssanus  ou  plâtanus). 

Je  crois  qu'il  faut  donner  la  préférence  à  *catanus, 
car  il  est  infiniment  probable  que  le  nom  de  lieu  Cadenet 
(Vaucluse),  qui  est  énoncé  sous  les  formes  CadaneUim 
et  Catanetum  dans  le  Cartidaire  de  Saint-Victor  de 
Marseille  (voyez  la  table  géographique),  signifie  «  ter- 
rain planté  en  cades2  ». 

Or,  dans  une  compilation  rédigée  en  Espagne  vers 
la  fin  du  septième  siècle,  on  lit  la  glose  suivante  :  «  Ci- 
tisum,  genus  arboris  quasi  catanum,  erba  odoribera*.  » 

i.  Lex.  rom.,  II,  285  ;  cf.  l'édition  donnée  par  M.  Monaci,  Sludj 
di  fûotogia  rom.,  t.  V,  p.  135,  vers  2095-99.  Les  Bénédictins  ont 
relevé  le  pluriel  cades  dans  un  acte  de  1461  relatif  à  Saint-Victor 
de  Marseille  et  le  singulier  cade  dans  les  statuts  de  Marseille  (voy. 
Du  Cange,  v°  cades). 

2.  La  forme  provençale  cade  se  trouve  déjà  dans  ce  cartulaire; 
j'y  vois  aussi  Cadaneira,  comme  nom  d'un  terroir,  ce  qui  corres- 
pond au  mot  actuel  cadeniero. 

3.  Corpus  glossarum  lat.,  V.  179,  6. 


190  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

Suit  une  citation  de  Virgile,  dont  on  ne  voit  pas  bien 
le  rapport  avec  la  glose:  «  vix  humiles  apibus  casias 
roremque  [ministrat].  »  Le  savant  latiniste  Buechner 
s'est  demandé  s'il  ne  fallait  pas  corriger  le  mystérieux 
quasi  catanum  en  casia  tantum1 .  Mais  je  ne  vois  pas  la 
clarté  qu'apporterait  dans  le  passage  cette  ingénieuse 
correction.  Les  cinq  premiers  mots  de  la  glose  consti- 
tuent un  tout  bien  cohérenteteonformeà  certaines  façons 
de  parler  du  compilateur  (cf.  V,  163,  43  :  aemulus,  ejus- 
dem  rei  studiosus,  quasi  imitalor  ;  V,  1 65 ,  1 5  :  aléa,  quasi 
bel  htm).  Il  me  paraît  évident  que  notre  Espagnol  a  assi- 
milé l'arbuste  appelé  en  latin  cytisum  à  celui  qu'il  con- 
naissait sous  le  nom  de  catanum.  11  a  eu  tort  au  point  de 
vue  de  la  botanique,  c'est  bien  certain,  et  le  cytise  n'est 
pas  un  genévrier;  mais  cette  confusion  même  explique 
qu'il  ait  qualifié  le  cytise,  dans  une  glose  immédiate- 
ment précédente,  genus  arbornm  pinguis,  car  le  cade, 
producteur  d'huile  ou  de  gomme,  mériterait  assez  bien 
le  qualificatif  de  pinguis  qu'on  serait  fort  embarrassé 
de  justifier  en  l'appliquant  au  cytise.  Si  l'on  remarque 
que  Raynouard  signale  cade  comme  existant  aussi  en 
catalan 2,  on  ne  sera  pas  surpris  qu'un  Espagnol  du 
septième  siècle  ait  connu  le  mot  catanum. 

Là  s'arrêtent  mes  informations  sur  l'étymologie 
de  cade.  Suppose  qui  voudra  que  catanum  est  celtique 
ou  ibérique:  je  n'ai  rien  à  dire  ni  pour  ni  contre 
cette  hypothèse. 

1.  Dans  Gœtz,  Thés,  gloss.  emendat.,  I,  502,  au  mot  cytisus. 

2.  Je  ne  le  vois  pourtant  pas  dans  le  dictionnaire  de  Labernia; 
mais  on  trouve  cada  dans  Colmeiro,  Dicc.  de  los  nombres  de  wichas 
plantas  (Madrid,  1 87 1). 


XXII.   —  CAFORC 

Mistral  enregistre  le  substantif  masculin  cafour, 
variante  escafour,  avec  deux  sens  distincts  :  i°  enfour- 
chure  d'un  arbre;  2°  carrefour.  Il  le  croit  composé  de 
cap  «  tête  »  et  defourco  «  fourche  ».  L'étymologie  paraît 
plausible  au  premier  abord;  je  ne  la  crois  cependant 
exacte  qu'à  moitié;  et  voici  mes  raisons. 

Dans  la  toponymie  de  la  Dordogne  on  trouve  des 
lieux  qui  s'appellent  Le  Cafour  et  La  Cafourche.  Ces 
derniers  appartiennent  à  la  région  où  le  c  latin  devant  a 
devient  ch;  si  le  premier  élément  était  caput,  on  aurait 
*Chafourche.  D'autre  part,  dans  le  même  département, 
on  trouve  La  Cofourche,  La  Coufourche,  noms  de  lieux 
écrits  au  moyen  cage  Cofforca,  Cofforchia,  et,  dans  le 
Cantal,  Le  Couffour,  au  moyen  âge  Coforc,  en  bas  latin 
Cujurcos,  Cufurcum. 

Il  faut  sûrement  partir  d'un  type  du  latin  vulgaire 
*Confurcus*.  Le  changement  de  coforc,  coforcha  en 
cafour,  cafourcho  est  dû  à  la  même  tendance  à  la 
dissimilation  que  l'on  constate  dans  cagoulo,  decucnlla, 
cagoulho,  de  *coculia,  etc. 2. 


1.  Dans  le  Nord  de  l'Italie  c'est  le  type  "conjurcium,  *confurcia 
qui  prévaut  ;  de  là  l'italien  archaïque  conforma,  conforma  «  carre- 
four »  (Du  Cangc,  aux  articles  avifurlutm  et  conforma).  En  Espagne, 
le  latin  vulgaire  a  dû  dire,  comme  en  Gaule,  "confurcus  :  cf.  le 
diminutif  conjorquellus  dans  une  charte  de  780  (Espana  sagrada, 
XXXVII,  306). 

2.  Ajoutez  le  béarnais  caidla  «  cabane  avec  un  parc  pour  faire 
gîter  les  troupeaux  »,  dont  la  forme  médiévale  est  cuiolar,  du 
latin  vulgaire  *cubio1aris  (ci-dessous,  article  cuiolar). 


Içm  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUL.S 

Une  formation  analogue  est  coumbranc,  synonyme 
de  cafour  au  sens  de  «  enfourchure  d'un  arbre  ». 


XXIII.  —  CAILLOU 

M.  Schuchardt  est  revenu  sur  l'étymologie  de  caillou. 
Il  lui  consacre  une  dizaine  de  pages1,  tandis  que  dans 
ses  Romanische  Etymologieen  il  n'avait  fait  que  la  men- 
tionner en  passant.  Il  se  défend  d'avoir  eu  le  premier 
l'idée  de  rapprocher  caillou  du  latin  coclaca2,  mais  il 
embrasse  cette  idée  avec  une  telle  ardeur  qu'on  ne  voit 
pas  ce  qu'il  pourrait  faire  de  plus  s'il  en  était  le  père. 

J'ai  dit  en  propres  termes  3:  «  S'il  n'est  pas  impos- 
sible que  le  latin  ait  eu  une  forme  *caclacu,  par  confusion 
entre  les  mots  grecs  /i/Xa;  et  xx/Xï}1;4,  et  si  l'on  peut 
admettre  à  la  rigueur  que  le  %  grec  ait  été  rendu  par 
g  latin,  d'où  *caclagu,  rien  ne  peut  légitimer  l'hypo- 
thèse d'un  déplacement  d'accent  nécessaire  pour  passer 
de  *caclagu  à  caillou.  »  Je  tiens  à  revenir  sur  cette  ques- 
tion du  «  déplacement  d'accent  »  ;  je  ne  l'avais  pas 
suffisamment  étudiée.  M.  Schuchardt  me  renvoie  à  ce 


i.  Zeitscbr.  filr  rom.  Phil.,  XXV,  244-253. 

2.  L'idée  est  de  Cascneuve,  mais  Caseneuve  déclare  qu'il  n'ose 
choisir  entre  calcuhis  et  le  grec  xd/XaÇ,  latinisé  en  coclaca.  R. 
Estienne  avait  depuis  longtemps  proposé  calcuhis,  que  Ménage 
a  renforcé  en  *calculluhts,  croyant  expliquer  ainsi  la  désinence  du 
mot  français. 

3.  Romania,  XXIX,  438. 

4.  M.  Sch.  me  fait  justement  remarquer  que  xo/XaÇ  et  xoc/XtjÇ 
ne  sont  pas  deux  mots,  mais  deux  variantes  dialectales  d'un  même 
mot. 


CAILLOU  193 

propos  le  reproche  de  «  foire  trop  bon  marché  de  la 
phonétique  »  ;  il  n'a  pas  tort,  mais  il  ne  sait  pas  où  le 
bât  me  blesse.  Il  y  a  bien,  quoi  qu'il  en  dise,  un  dépla- 
cement d'accent  en  jeu.  Il  n'importe  pas  de  savoir  si 
l'a  de  yiyXa;  était  long  ou  bref,  vu  que  l'accent  grec 
n'en  a  cure,  et  que  le  génitif  yiyÀay.o?  est  proparoxyton, 
tout  comme  y.âyAYjy.oç,  où  la  longueur  de  la  pénultième 
est  marquée  par  l'orthographe.  La  question  est  de  savoir 
si  le  latin  hypothétique  *caclacus  doit  suivre  l'accentua- 
tion grecque  ou  l'accentuation  latine.  Je  demande  à 
traiter  cette  question  ex  prof  es  so  (on  verra,  j'espère,  que 
cela  en  vaut  la  peine),  et  j'accepte  la  donnée  même  de 
M.  Schuchardt  d'après  laquelle  le  type  grec  -/.âyXx; 
avait  le  suffixe  à;  ây.o;  et  non  le  suffixe  aç  Ir/.o;. 

Nous  nous  heurtons  tout  d'abord  à  la  loi  générale 
formulée  par  M.  Meyer-Lûbke  :  «  Les  proparoxytons 
à  voyelle  grecque  pénultième  longue  conservent  leur 
accent:  éremus,  ïpr^j.z:,  ital.  ermo,  a. -franc,  erme,  esp. 
vermo  ;  blâsphemus,  rfhy.sori\j.oz,  ital.  biâsimo,  franc,  blâme  ; 
bùtyrum,  (JoJTypov,  ital.  burro,  prov.  buire,  franc,  beurre; 
sélinum,  ffsX-.vov,  ital.  sédano;  [thymallus],  QJ|j.aXX5;,  ital. 
témolo1.  »  Il  faut  rayer  biasimo,  blâme,  qui  sont  des  sub- 
stantifs verbaux  et  qui  ne  reposent  pas  directement  sur 
frJ.zvrl[j.o;;  mais  on  pourrait  allonger  la  liste2.  En 
revanche,  il  y  a  des  dissidences  dont  M.  Meyer-Lïibke 
ne  tient  pas  assez  de  compte.  Les  mots  grecs  latinisés 
où  la  pénultième  est  longue,  même  quand  cette  pénul- 
tième est  constituée  par  une  voyelle  libre,  n'ont  pas 

i.  Gratnm.  des  lang.  rom.,  I,  §  17. 

2.  Voyez  d'Ovidio  dans  Zeitschr.  f.  rom.  PMI.,  VIII,  95. 

Thomas.  II.  —  13 


194  RECHERCHES  lÎTYMOLOGlOjJES 

tous  un  traitement  uniforme.  Le  plus  souvent,  en  effet, 
ils  conservent  à  l'accent  tonique  la  place  qu'il  occupe 
en  grec,  mais  il  arrive  parfois  que  l'accent  glisse  sur 
la  pénultième.  Voici  quelques  exemples  destinés  à 
mettre  ce  fait  en  lumière  ;  je  néglige  de  parti  pris  les 
mots  où  la  pénultième  est  entravée,  parce  qu'ils  ne  sont 
pas  directement  en  cause. 

Bà^iâç1,  (3£sj.Sà£.  L'italien  bambace,  bombace  «  coton  » 
témoigne  clairement  de  l'accentuation  *bambâcem,  *bom- 
bâcem  ;  l'ancien  français  connaît  la  forme  correspondante 
bambais,  avec  le  même  sens2.  L'italien  baco  «  ver  à 
soie  »  remonte  à  *bombâcum,  qui  survit  tout  entier 
dans  le  roumain  bumbacî. 

BoÛTJpov.  Sans  parler  des  formes  dialectales  de  l'ita- 
lien, l'ancien  languedocien  et  gascon  boder,  aujourd'hui 
boudé,  témoigne  de  l'accent  butyrum  en  latin  vulgaire, 
concurremment  avec  bûtyrum*--. 

KâjAKjXoç.  A  côté  du  latin  classique camèlus,  on  trouve- 
la  graphie  camellus,  qui  peut  expliquer  l'italien  cammèllo 


i.  Bâji.6aÇ  est  dans  Suidas,  mais  il  est  beaucoup  plus  ancien, 
puisque  Dioscoride  emploie  le  mot  composé  J3a[x6ay.o£tor[ç  «  sem- 
blable à  du  coton  ».  *Bo';.«.6aj;  doit  être  un  croisement  de  pâ^aÇ 
et  de  Go'ijlêliÇ.  La  quantité  CajjLÉ/axoaôrJ;  donnée  par  le  dictionnaire 
grec-français  de  Bailly  est  arbitraire. 

2.  Le  mot  n'est  pas  dans  Godefroy;  voir  l'exemple  dans  Du 
Cange,  à  l'article  bambaxium  et  à  l'article  pannuleium  ;  c'est  une 
précieuse  addition  de  Carpentier. 

3.  Je  m'étonne  que  M.  Sainéan  considère  le  roumain  bumbac 
comme  un  emprunt  au  turc  osmanli  pambouk  (Remania,  XXXI, 
559).  L'ital.  méridional  vômbacu  est  dû  à  un  recul  de  l'accent  dont 
il  y  a  d'autres  exemples  et  ne  nécessite  pas  l'hypothèse  de  tom- 
bants en  latin  vulgaire. 

4.  Voyez  ci-dessus  l'article  boudé. 


CAILLOU  195 

et  le  français  chameau l  ;  mais  il  est  impossible  de  ne 
pas  voir  le  représentant  légitime  de  camelus  dans  l'an- 
cien français  chameil,  chamoil  —  Gaston  Paris  a  déjà 
protesté,  quoique  timidement,  contre  l'idée  qu'a  M.  H. 
Berger  de  voir  dans  chameil  un  mot  savant 2  —  et  dans 
l'ancien  provençal  camél.  Le  sicilien  gammiddu  suppose 
un  type  *camUlus. 

Kxy.îvsç.  Le  latin  camïtms  ne  semble  pas  avoir  eu 
d'autre  prononciation  que  la  paroxy tonique  :  ital.  cam- 
mino,  etc. 

Ilazjpo;.  Le  béarnais  moderne  babi  «  mèche  »  paraît 
bien  être  un  ancien  *pabir,  représentant  légitime  d'un 
type  latin  populaire  *papïrus  paroxytonique,  ce  qui 
confirmerait  l'hypothèse  que  j'ai  émise  d'après  laquelle 
le  guernesiais  pavie  «  typha  latifolia  »  remonterait  à 
*pavir.  D'autre  part,  j'ai  conjecturé  que  le  normand 
pave  pouvait  être  pour  *pavre  et  attester  la  prononcia- 
tion proparoxytonique  *pâpirus.  Les  nombreuses  formes 
romanes  qui  remontent  à  *papïlus  ou  *papêrus  offrent 
une  confirmation  indirecte  du  glissement  de  l'accent 
sur  la  pénultième?. 

E(vàm.  Les  formes  romanes  se  divisent  nettement  en 
deux  séries  :  la  première  remonte  à  un  type  latin  pro- 
paroxytonique sinapc,  où  l'accentuation  grecque  est 
conservée  (ital.  sénape,  ladin  sénep,  prov.  sénebe,  serbe, 

1 .  La  substitution  de  suffixe  peut  aussi  s'être  produite  à  une 
époque  relativement  récente  en  français,  et  cela  me  paraît  même 
plus  probable. 

2.  Journal  des  Savants,  1900,  p.  299.  Pour  le  maintien  de  Va, 
cf.  l'anc.  franc,  chaeine  de  catena  et  chaiere  de  cathedra. 

3.  Cf.  Romania,  XXVIII,  197,  mes  Mélanges  d'ètymol.  franc., 
p.  144,  et  ci-dessus  l'article  babi. 


196  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

gascon  siep1,  franc,  sanve);  la  seconde,  à  un  type  latin 
paroxyton ique  sinàpe  (ital.  dial.  senâpe,  sanâpu,  sanâ- 
vre,  etc.,  esp.  jenâbe,  franc,  dialectal  serti,  sné,  sney', 
sinef,  etc. 2). 

Je  n'ai  pas  voulu  charger  cette  liste  d'exemples  dont 
l'interprétation  puisse  faire  difficulté  ;  c'est  pourquoi 
j'ai  écarté  de  propos  délibéré  XefyutÇ,  xsirwv,  g^wv,  oirrr 
Xcz.  Le  cas  de  sivahct,  où  il  ne  peut  être  question  de 
substitution  d'un  suffixe  latin  à  un  suffixe  grec  plus  ou 
moins  voisin,  prouve  que  -/ÀyXxz,  a  pu  passer  en  latin 
sous  une  forme  paroxytonique  *caclâcu,  analogue  à 
*bombàcu  ;  il  est  possible  d'ailleurs,  mais  non  nécessaire, 
que  l'existence  en  latin  des  suffixes  -âcus £t  -âceusy  soit 
pour  quelque  chose.  Reste  la  difficulté  d'expliquer 
pourquoi  *caclacu  serait  ensuite  devenu  *cacJagu;  je  ne 
m'y  arrêterai  pas,  et  pour  cause 3. 

M.  Schuchardt  reproche  à  M.  Meyer-Lùbke  d'avoir 
écrit:  «  Le  prov.  -au  et  le  franc,  -ou,  -0,  -eu  ne  peu- 
vent s'expliquer  que  par  l'hypothèse  d'un  type  -avu, 
-au.  »  Il  fait  justement  remarquer  que  les  représentants 
àefagus  (fau,  fou,  jo,  jeu)  montrent  que  -agus  est  aussi 
satisfaisant  au  point  de  vue  phonétique  que  -avus.  La 

1.  Rolland,  Flore  pop.,  II,  75. 

2.  Ibid.,  II,  70,  71,  73. 

3.  M.  Schuchardt  ne  donne  pas  d'explication  exclusive  ;  on  peut 
y  voir,  dit-il,  soit  une  dissimilation,  soit  l'effet  de  la  même  cause 
(inconnue  d'ailleurs)  qui  a  changé  de  bonne  heure  le  c  de  lacus 
en  g  et  produit  l'italien  lago  et  le  franco-provençal  lau.  M.  Meyer- 
Lùbke  (Literaturblatt,  année  1901,  col.  116)  ne  croit  pas  à  une 
dissimilation  :  il  suppose  qu'il  a  pu  y  avoir  en  grec  même  une 
forme  *xâxXa£  ayo;  au  lieu  de  xocyXaÇ  a/.o;,  d'après  les  mots  en  Ç 
qui  fléchissent  en  yo;  (par  exemple  aâiTi^  --y0'-  ?^°'£  °'t0?'  ^,°"u> 
■j-;o;,  etc.). 


CAILLOU  197 

phonétique  semble  donc  incapable  de  trancher  cette 
question  étymologique  en  faveur  de  l'un  ou  de  l'autre 
des  types  en  concurrence,  *caclagus  ou  *caclavus,  et, 
comme  dirait  Montaigne,  où  la  phonétique  ne  peut 
aller,  il  faut  que  la  sémantique  y  aille.  Mais  est-il  bien 
sûr  que  la  phonétique  soit  réduite  à  l'impuissance  ?  Il 
ne  faut  s'en  remettre  à  la  sémantique  qu'après  avoir 
épuisé  tous  les  autres  moyens  de  recherche.  Il  est  rare 
qu'un  mot  soit  absolument  sans  famille.  Les  Gallo- 
Romains  n'auraient-ils  pas  éprouvé  le  besoin  de  faire 
un  dérivé  pour  désigner  un  endroit  où  il  y  a  beaucoup 
de  cailloux  ?  Ils  pouvaient  employer  le  suffixe  -aria 
(cf.  *petraria,  perriere)  ou  le  suffixe  -êtum  (cf.  saxetunt). 
S'il  en  a  été  ainsi,  nous  serons  tirés  d'embarras  sur  la 
nature  de  la  désinence  de  caillou,  car  *caclagaria  et 
*caclagêtum,  d'une  part,  *caclavaria  et  *caclavêtutn,  de 
l'autre,  doivent  aboutir,  en  français  et  en  provençal,  à 
des  résultats  très  distincts.  Or,  si  nous  parcourons  le 
vocabulaire  du  béarnais,  nous  y  trouverons  le  nom 
commun  calbabere  «  tas  de  cailloux,  quartiers  de  roche  », 
qui  ne  peut  être  *caclagaria,  lequel  aurait  donné  *calha- 
guere  (cf.  arragué,  de  *fragarium,  fraisier),  mais  qui 
est  visiblement  *caclavaria  ;  et  si  nous  parcourons  le 
vocabulaire  français,  nous  y  trouverons  le  nom  de  lieu 
Chaillevois  (Aisne),  autrefois  Chaillevoi,  qui  ne  peut 
venir  que  de  *Caclavctum' .  D'autres  formes   encore 


1.  Voici  les  formes  anciennes,  telles  que  les  donne  le  Diction- 
naire topographique  de  l'Aisne:  Chaillcvoy  (1174),  Caillovoi  (1183), 
Cbevoie  (?  1214),  Chaillevois  (1216),  Chalavoie  (1241),  Chalevoit 
(1243),  Chaillevoi  (1249),  Challivoi  (1258).  La  même  étymologie 
doit  être  vraisemblablement  attribuée  aux  deux  localités  de  Cha- 


h;S  recherches  étymologiques 

viendront  appuyer  très  solidement  le  type  *caclavus  :  le 
béarnais  a  les  diminutifs  calhabet  et  calhabot  «  petit 
caillou  »,  l'adjectif  calhabé  «  qui  est  plein  de  cailloux, 
qui  est  au  milieu  des  cailloux  »,  de*caclavarius,  le  nom 
de  lieu  (et  par  suite  de  famille)  Calhaba,  de  *caclabare, 
avec  le  suffixe  -aris,  si  fréquent  dans  le  Sud-Ouest  de 
la  France r  ;  la  toponymie  de  la  Dordogne  n'a  pas  moins 
de  sept  exemples  de  Caillavel,  nom  qui  se  retrouve  dans 
l'Aude,  et  la  toponymie  de  l'Aisne  nous  offre  Chailvel, 
autrefois  Chaillevel,  c'est-à-dire  *Caclavellum2. 

En  résumé,  la  concordance  phonétique  de  *caclagus 
et  de  caillou  n'est  qu'une  apparence  trompeuse,  et  il 
est  certain  qu'il  y  a  -avus  dans  caillou.  Toutefois  le 
dernier  mot  de  l'étymologie  reste  encore  à  dire.  Cet 
-avus  est-il  bien  le  suffixe  latin  que  nous  ne  connaissons 
que  dans  octavus?  Ne  pourrait-on  songer  au  gaulois 
-avos,  si  fréquent  dans  la  toponomastique  ?  Mais  com- 
ment rendre  compte  de  la  combinaison  du  latin  calculus 
avec  un  suffixe  gaulois  ?  Le  gaulois  n'aurait- il  pas  pos- 

livoy  qui  existent  dans  le  département  du  Cher,  notamment  à  l'ab- 
baye dont  fut  abbé  le  célèbre  Furetière  et  que  les  textes  du  dou- 
zième siècle  latinisent  indifféremment  en  Callovium  ou  en  Calliveluni 
(Gallia  Christiana,  II,  instr.  col.  61  et  62). 

1 .  Sur  l'extension  de  ce  suffixe,  voyez  ci-dessous  l'article  histar. 

2.  Mentionnons  aussi  Chaillevette  (Charente-Inf.).  Les  noms 
comme  Caillouël,  autrefois  Cailloel  (Aisne),  Caillouet,  autrefois 
Cailloel  (Eure),  Chaillot,  autrefois  Chailloel,  quartier  de  Paris  sur 
les  bords  de  la  Seine,  Cbaillouet,  autrefois  Chailloel  (Aube),  Cbail- 
loiiè  (Orne)  et  Cbaillouet  (Seine-et-Marne)  sont  des  dérivés  plus 
récents  qui  reposent  directement  sur  caillou,  cbaillou,  absolument 
comme  clouer  sur  clou  on  fouet  sur  fou  (defagus);  ils  ne  prouvent 
donc  rien.  Il  y  a  des  dérivés  plus  récents  encore,  dans  le  Nord  et 
dans  le  Midi,  avec  une  consonne  adventice  :  /,  d,  t  ou  g  ;  on  n'a 
pas  à  en  tenir  compte. 


CAREILLADE  199 

sédé  un  mot  simple  assez  voisin  du  latin  calculas  pour 
produire  les  mêmes  résultats  phonétiques?  M.  Schu- 
chardt  pourrait  mieux  que  personne  débrouiller  cet 
écheveau.  Il  a  clairement  montré  que  l'hypothèse  de 
M.  Meyer-Lûbke,  d'après  laquelle  caillou  se  rattacherait 
à  un  type  gaulois  kalljov-,  n'était  pas  admissible;  peut- 
être  qu'après  avoir  chassé  le  gaulois  par  une  porte,  il 
sera  conduit  à  le  faire  rentrer  triomphalement  par  une 
autre. 

(Romania,  XXXI,  1-6.) 


XXIV.  —  CAREILLADE 

Duchesne,  dans  son  Répertoire  des  plantes  utiles,  etc., 
p.  93,  enregistre  comme  premier  nom  vulgaire  de  la 
jusquiame  noire  le  terme  careillade,  dont  la  dési- 
nence proclame  assez  haut  l'origine  méridionale.  Effec- 
tivement, en  nous  reportant  à  Mistral,  nous  trouvons 
caleiado,  careiado,  caureiado,  calelhado  et  carelbado  groupés 
sous  le  sens  de  «  jusquiame  blanche,  plante  dont  les 
feuilles  semblent  criblées  de  petits  trous  ».  Je  ne  chi- 
canerai point  sur  le  blanc  et  sur  le  noir,  et  pour  cause. 
Mistral  rattache  ce  substantif  au  verbe  caleia,  carcia,  etc., 
qui  a,  entre  autres  sens,  celui  de  «  percer  de  trous  », 
et  qui  vient  lui-même  de  caleu,  calelh,  etc.  «  lampe, 
tache  brillante,  œil  du  fromage,  etc.  »,  lequel  représente 
le  latin  calïculus,  pour  calyculus.  Je  crois  que  le  sub- 
stantif caleiado,  etc.,  remonte  directement  au  latin  vul- 
gaire caliculata.  Le  pseudo-Apulée  désigne  la  jusquiame 
sous  le  nom  de  calicularis  et  le  médecin  Caelius  Aure- 


203  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

lianus  se  sert  de  la  forme  calicularia  ;  mais  on  trouve 
caligulata  dans  la  rédaction  remaniée  du  médecin 
Theodorus  Priscianus,  qui  remonte  peut-être  au 
sixième  siècle',  et  caliclata,  caliglata  dans  les  gloses 
botaniques  du  Corpus  de  Gœtz2,  qui  sont  du  dixième. 
On  voit  que  le  provençal  a  de  qui  tenir.  Quant  au 
français,  il  disait  jadis  chenillieel,  qui  répond  au  latin 
vulgaire  caniculata,  forme  dissimilée  (comme  *  conu- 
cula  pour  *colucula)  qui  est  plus  fréquente  encore  dans 
le  recueil  de  Gœtz. 


XXV.  —  CER 

Le  Dictionnaire  du  patois  normand  d'E.  et  A..  Duméril 
a  signalé  dans  l'arrondissement  de  Bayeux  le  substantif 
masculin  cher  «  paquet  de  chanvre  ou  de  lin  non  roui  » 
en  le  rapprochant  du  bas  latin  cherium,  dont  la  signi- 
fication est  la  même  4. 

Le  Dictionnaire  du  patois  normand  en  usage  dans  le 
département  de  l'Eure  donne  le  même  mot  avec  le  même 
sens,  en  faisant  remarquer  que,  selon  les  lieux,  IV 
finale  est  muette  ou  sonore  ;  il  ajoute  que  dans  l'ar- 
rondissement de  Falaise  on  dit  chère  et  sérotte  et  il  rap- 


i.  Ed.  V.  Rose,  p.  305  :  un  des  deux  manuscrits  a  caliglata. 

2.  Corp.gloss.  lat.,  III,  566,  44  et  625,  22. 

3.  Sur  ce  mot  voyez  Romania,  XXXII,  100,  note  $,  et  Dorveaux, 
U Antidotaire  Nicolas,  p.  xiv.  Godefroy  n'a  qu'un  exemple,  qu'il 
a  lu  cheinlee. 

4.  Dans  son  Essai  sur  le  patois  du  Bcssin,  M.  Joret  donne  chè  et 
indique  aussi  comme  étymologie  cherium  sans  commentaire. 


proche  le  patois  normand  du  picard  (cherion)  et  du 
berrichon  (serain).  Le  rapprochement  avec  le  picard 
est  bon,  car,  d'après  Corblet,  cherion  signifie  «  poignée 
de  lin  ou  de  chanvre  préparé  '  »  ;  mais  en  Berry  serain 
signifie  «  séran  »  et  a  une  tout  autre  étymologie. 
Toutefois,  je  remarque  dans  Jaubert  un  mot  seron, 
employé  dans  la  locution  figurée  teiller  son  seron  «  mou- 
rir »,  qui  ne  peut  guère  signifier  que  «  poignée  de 
chanvre  »,  bien  que  l'auteur  du  Glossaire  du  Centre 
glose  ainsi  cette  locution  :  «  effiler  sa  corde,  user  le  fil 
de  la  vie2.  » 

M.  Madeleine  a  relevé  récemment  dans  un  acte  de 
1781  relatif  à  Saint-Denis-le-Gast  (Calvados)  la  men- 
tion de  «  73  sairs  de  lin  »  et  il  marque  le  mot  sair 
d'un  astérisque  pour  indiquer  qu'il  est  encore  aujour- 
d'hui usité  .dans  le  patois  du  Bocage'. 

Dans  le  patois  de  La  Dorée  (Mayenne),  ser  de  chambre 
signifie  «  poignée  de  chanvre  vert 4  ». 

A  l'autre  bout  de  la  France,  au  pied  des  Pyrénées, 
nous  retrouvons  le  même  mot  avec  le  même  emploi. 
On  lit  en  effet  dans  Mistral  :  «  Sèr,  s.  m.  Paquet  (vieux), 
dans  l'Ariège  :  un  sèr  de  li,  un  paquet  de  lin  ».  Et  pour 
servir  de  trait  d'union  entre  la  Normandie  et  le  pays 
de  Foix,  nous  avons,  dans  Du  Cange,  un  texte  latin 
du  Rouergue,  extrait  du  cartulaire  de  Conques,  qui  est 
ainsi  conçu  :  «  Quatuor  cerros  de  canbe  ».  Canbe  veut 


1 .  Gloss.  élym.  du  patois  picard.  Corblet  rapproche  cherion  de  che- 
min qui  signifie  «  séran  »  et  qui  est  un  mot  tout  différent. 

2.  A  l'article  teiller,  p.  641. 

3.  Revue  des  parler  s  popul.,  année  1903,  p.  79. 

4.  Dottin,  Gloss.  du  patois  du  Bas-Maine,  p.  470. 


202  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

dire  «  chanvre  »,  comme  chacun  sait,  et,  en  face  de  la 
lecture  de  Du  Cange,  il  n'y  a  pas  à  se  préoccuper  sérieu- 
sement de  celle  de  Gustave  Desjardins  qui  a  imprimé 
cereos  au  lieu  de  cerros  '_,  sans  faire  d'observation  sur  ce 
singulier  accouplement. 

Nous  avons  maintenant  tous  les  éléments  de  la  cause 
et  nous  pouvons  nous  prononcer  sur  l'étymologie.  La 
coexistence  de  cer  et  de  cher  en  Normandie  et  l'exis- 
tence de  cherion  en  picard  montrent  clairement  que  le 
type  cherché  commençait  par  un  c  et  non  par  une  s; 
donc,  l'hypothèse  de  Mistral  qui  voit  dans  l'ariégeois 
ser  un  dérivé  du  verbe  serrar  est  à  rejeter,  tout  comme 
celle  des  auteurs  du  Dictionnaire  des  patois  de  l'Eure  qui 
voient  dans  le  mot  normand  un  dérivé  du  verbe  latin 
serere  «  enchaîner  ».  Le  bas  latin  cherium,  que  les  Béné- 
dictins ont  relevé  dans  un  acte  du  polyptyque  deFécamp 
daté  de  1235,  ne  constitue  pas  une  étymologie  :  c'est 
un  simple  témoignage  qu'on  disait  alors,  comme  aujour- 
d'hui, un  cher  de  Un  dans  cette  région;  c'est  entendu. 
Quant  à  l'idée  qu'ils  ont  émise  de  voir  dans  ce  cherium 
le  grec  yv.p,  n'insistons  pas. 

Je  propose  le  latin  cirrus,  avec  d'autant  plus  de  déci- 
sion qu'il  est  admis  par  tout  le  monde  que  cirrus  s'est 
conservé  dans  l'espagnol  cerro  et  que  l'espagnol  cerro 
s'applique  spécialement  au  lin  et  au  chanvre,  non  pas, 
il  est  vrai,  à  l'état  de  botte  et  avant  la  décortication, 
mais  à  l'état  de  filasse. 

L'étude  sémantique  du  mot  latin  cirrus  exigerait 
toute  une  monographie  que  je  ne  me  sens  pas  qualifié 

1.  Car  t.  de  Conques,  p.  163. 


pour  écrire;  je  renvoie  à  Forcellini,  en  attendant  que 
le  Thésaurus  des  Académies  germaniques  syndiquées 
pour  l'honneur  de  la  philologie  latine  nous  apporte  le 
résultat  de  leurs  doctes  élucubrations.  Le  sens  propre 
paraît  être  «  touffe  de  cheveux  »  ;  de  là  on  va  facile- 
ment, d'une  part,  à  «  filasse  »,  de  l'autre,  à  «  poignée 
de  tiges  de  chanvre  ou  de  lin  dont  les  sommités  for- 
ment une  touffe  '  ». 


XXVI.  —  CERNEAU 

Richelet  définit  cerneau  en  ces  termes  :  «  Ce  qu'on 
ôte  d'une  noix  verte  en  la  cernant  et  qu'on  mange 
avec  du  sel  et  de  l'eau  ».  Les  étymologistes  considè- 
rent généralement  cerneau  comme  un  diminutif  de  cerne, 
lequel  représente  le  latin  circinum.  Scheler  fait  remar- 
quer qu'il  n'est  pas  nécessaire  de  le  dériver  de  l'alle- 
mand kern  «  grain,  pépin,  noyau  ».  La  question  vaut 
la  peine  d'être  examinée  de  près. 

Le  rapport  sémantique  de  cerneau  et  de  cerne  n'est 
pas  très  satisfaisant;  pourquoi  cerneau  n'est-il  pas  adé- 
quat à  cerne,  comme,  par  exemple,  cerceau  à  cerce  ?  Cerne 
désigne  proprement  ce  qui  entoure  et  non  ce  qui  est 
entouré.  D'autre  part,  on  ne  semble  pas  s'être  avisé 


r.  Je  me  demande  s'il  ne  faut  pas  rattacher  à  la  même  étymo- 
logie  le  substantif  ser,  seur  que  M.  Thibault  a  signalé  dans  le  patois 
du  Blaisois,  où  il  s'applique  aux  ceps  de  vigne.  M.  Thibault  me 
paraît  avoir  raison  de  ne  pas  le  confondre  avec  cep  (qui  est  tou- 
jours prononcé  se  en  Blaisois),  mais  je  doute  qu'il  faille  y  voir, 
comme  il  le  pense,  le  même  thème  que  dans  saunent. 


204  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

jusqu'ici  Je  remonter  à  la  définition  la  plus  ancienne 
que  les  lexicographes  nous  ont  laissée  de  notre  mot  cer- 
neau1. Je  la  trouve  ainsi  formulée  dans  le  Dictionaire 
de  Robert  Estienne  en  1539:  «  Cerneau,  cela  qai  est 
bon  à  manger  d'une  noix,  amende  et  semblables,  nu- 
cleus.  »  Elle  a  passé,  d'édition  en  édition,  jusque  dans 
le  Thrcsor  de  Jean  Nicot,  publié  en  1606.  Il  faut  avouer 
que  cette  définition  rapproche  singulièrement  notre  mot 
cerneau  du  mot  allemand  kern  et  fait  soupçonner  qu'il 
a  pu  exister  en  ancien  français  un  mot  *cern,  d'ori- 
gine germanique,  dont  cerneau  serait  le  diminutif.  On 
sait  combien  sont  rares  les  mots  germaniques  commen- 
çant par  k  dont  on  peut  constater  le  passage  en  français 
et  quel  intérêt  phonétique  s'attache  au  traitement  du 
k  germanique  initial  suivi  d'un  e  ou  d'un  i;  j'ai  attiré 
naguère  l'attention  sur  scion  et  serine2.  Je  me  demande 
s'il  ne  faut  pas  joindre  cerneau  au  dossier.  Voici  quelques 
faits  qui  me  semblent  appuyer  cette  manière  de  voir. 

En  Champagne,  le  cerneau  s'appelle  ceriau  3  :  je 
ne  vois  pas  le  moyen  phonétique  de  passer  de  cerneau 
à  ceriau.  Si,  au  contraire,  on  suppose  un  type  français 
archaïque  *cern,  ce  type  sera  naturellement  devenu  de 
bonne  heure  *cer,  comme  forn,  jorn,  etc.,  sont  devenus 
jour,  jour,  etc.,  et  une  dérivation  récente  aura  tiré 
ceriau  de  la  forme  réduite  *cer. 


1.  Le  mot  lui-même  n'a  pas  été  signalé  avant  le  seizième  siècle. 
Godefroy,  dans  son  Complément,  n'est  même  pas  remonté  jus- 
qu'à 1539;  >1  s'est  contenté  d'emprunter  à  Littré  un  exemple  tiré 
du  Printemps  de  Jacques  Yver,  publié  en  1572.     . 

2.  Mélanges,  p.  137,  139  et  179. 

3.  Écrit  ccriot  par  Tarbé,  Rech.,  II,  28. 


CERNEAU  20 j 

Le  verbe  cerner  remonte  à  circinare,  c'est  certain  ; 
mais  ne  peut-on  croire  qu'il  y  a  eu  un  autre  verbe  cerner 
tiré  de  *cem  au  sens  spécial  de  «  dégager  le  noyau  de 
la  noix  »  ?  L'allemand  a,  dans  le  même  sens,  kemen  à 
côté  de  auskemen  et  il  est  remarquable  que  le  patois 
du  Berry  dit  écemer. 

Dans  le  patois  savoyard,  le  substantif  gremô  (fran- 
cisé en  grumeau)  désigne  non  seulement  le  noyau  de 
la  noix  et  de  la  noisette,  mais  le  cerneau  ;  il  a  donné 
naissance  au  verbe  gremalyi  «  casser  les  noix  et  en 
retirer  les  noyaux  ».  Ce  verbe  a  pour  synonyme 
nâlyi,  dont  Pétymologie  est  clairement  *nucaliare1 . 
Le  même  type  étymologique  est  à  la  base  du  pro- 
vençal moderne  nougalha  qui,  entre  autres  sens,  a 
celui  «  de  cerner  des  noix,  les  séparer  de  leur  coque  », 
tout  comme  desnougalha*.  On  a  relevé  à  Lavoux  près 
de  Poitiers  le  verbe  nigealé  «  enlever  les  noix  de  leur 
coquille'  »,  qui  représente  *nucalare,  à  côté  du  sainton- 
geais  enoughcler,  du  poitevin  enougeler,  du  tourangeau 
énouler*,  etc.,  qui  viennent  de  *exnucalare*> . 

Je  dois  ajouter  cependant,  pour  ne  pas  paraître  abon- 
der en  mon  sens,  qu'il  est  possible  que  circinare  ait 
spontanément  reçu  le  même  développement  séman- 
tique et  que  l'hypothèse  d'un  type  *excircinare,  pour 
rendre  raison   du  verbe  berrichon   écemer,    n'a    rien 

i.  Constantin  et  Desormaux,  Dict.  savoyard,  p.  215  et  282. 
Cf.  Rolland,  Flore  pop.,  IV,  44-47. 

2.  Mistral,  Trésor,  articles  nougaia  et  destiougaia. 

3.  Lalanne,  Dict.  du  patois  poitevin,  dans  Mém.  de  la  Société  des 
Anliq.  de  l'Ouest,  t.  XXXII,  2'  partie. 

4.  Cité  par  Hrachet  dans  Remania,  I,  91  ;  cf.  Godefroy,  s.  v°. 
3.  Cf.  le  grec  xoxxtÇttv,  de  K&xxoç. 


206  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

d'extraordinaire.  Dans  certains  patois  provençaux  mo- 
dernes, on  dit  estournica  et  le  substantif  estournic  cor- 
respond exactement  comme  sens  à  notre  mot  français 
cerneau. 


XXVII.  —  CIBRE,  TRIBE 
A  Saint- Yrieix-la-Montagne  (Creuse),  le  seau,  usten- 


si 


le  de  bois  cerclé  de  fer  et  muni  d'une  anse,  avec  lequel 
on  puise  l'eau  dans  le  puits,  s'appelle  set,  substantif 
masculin.  On  donne  le  nom  de  selho,  substantif  fémi- 
nin, à  une  sorte  de  cuvier,  plus  haut  et  moins  large 
que  le  sei,  qui  sert  ordinairement  à  délayer  la  pâte 
des  crêpes  de  sarrasin.  Il  est  clair  que  sei  et  selho,  au 
moyen  âge  selh  et  selha,  représentent  phonétiquement 
le  latin  sïtulus  et  sïlula,  prononcés  de  bonne  heure 
*seclus  et  *secla.  Dans  le  canton  de  Gentioux,  le  mas- 
culin selh  a  perdu  complètement  le  son  Ih  et  est  devenu 
se,  avec  une  prononciation  de  Y  s  très,  voisine  du  son 
français  ch.  Il  s'agit  toujours  du  latin  sïtulus. 

Si  l'on  quitte  Saint- Yrieix-la-Montagne  pour  se  diri- 
ger vers  l'Est,  on  se  trouve  bientôt  en  présence  d'un 
mot  différent  pour  désigner  le  seau,  à  savoir  cibre,  dont 
le  c,  étant  placé  devant  un  i,  prend  exactement  le  son 
du  français  ch  et  dont  17  a  une  tendance  plus  ou  moins 
marquée  à  s'affaiblir  en  e.  On  dit,  à  Aubusson  et  dans 
tout  l'Est  du  département,  en  cibre  (un  seau),  et  par 
suite  no  cibrado  d'aigo  (le  contenu  d'un  seau  d'eau), 
ce  qui  s'énonce  à  Saint- Yrieix  en  sei,  no  selhado 
d'aigo. 


CIBRE,   TRIBE  207 

Mon  collègue  et  ami,  M.  Gilliéron,  a  bien  voulu  me 
communiquer  les  résultats  de  son  enquête  sur  les  noms 
du  seau  dans  toute  la  France  :  il  a  constaté  l'existence 
de  cibre  (avec  des  variantes  phonétiques  négligeables) 
sur  les  points  qui  portent  dans  Y  Atlas  linguistique 
les  nos  601  (Lavaufranche),  602  (Cressat),  702  (Au- 
zances),  703  (Pontgibaud),  704  (Saint-Quentin),  706 
(Merlines),  800  (Désertines),  801  (Saint-Éloi-les- 
Mines)  et  804  (Ennezat),  c'est-à-dire  dans  l'Est  de  la 
Creuse,  dans  l'Ouest  de  l'Allier,  dans  le  Nord-Ouest 
du  Puy-de-Dôme  et  dans  la  .pointe  Nord-Est  de  la 
Corrèze.  Le  mot  est  inconnu  partout  ailleurs.  Dans 
l'Ouest  de  la  Creuse,  et  là  seulement,  on  rencontre 
tribe  (n°  504,  Dun-le-Palleteau)  et  trube  (n°  603,  Saint- 
Dizier). 

Les  mailles  du  réseau  tendu  par  MM.  Gilliéron  et 
Edmont  ont  été  trop  larges  pour  leur  permettre  de 
constater  dans  le  Sud  de  la  Creuse  l'existence  de  sei,  se, 
représentants  du  latin  sUulus  dont  j'ai  parlé  ci-dessus; 
ce  n'est  là  qu'un  détail  qui  nous  importe  peu'. 

Laissons  cela  et  étudions  successivement  cibre  et  tribe 
(trube)  dans  leurs  rapports  possibles  avec  d'autres  idio- 
mes romans. 

On  lit  l'article  suivant  dans  l'inappréciable  Trésor  de 
Mistral,  I,  555  et  II,  1 157  : 

«  cibri-,  ciMBRE(b.  lat.  cibrius ,  val.  ciuber,  ail.  %uber, 
cuveau  ;  lat.  cybea,  vaisseau  de  transport),  s.  m.  Vais- 
seau de  bois  dans  lequel  les  bergers  transportent  le 

1 .  Situhts  est  aussi  vivant  dans  le  canton  de  Royère,  arrondis- 
sement de  Bourganeuf,  sous  la  forme  sei,  notamment  à  Royère  et 
à  Saint-Pardoux-Lavaud. 


208  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

lait,  au  moyen  d'un  bâton  qu'ils  passent  dans  deux 
douves  percées;  petit  cuvier,  dans  les  Alpes;  fosse  de 
potier,  petit  réservoir  où  l'on  met  de  l'argile  et  de  l'eau. 

Lou  la  'spiravo 
A  long  raiôu  e  s'aubouravo 
Dins  li  bord  escumous  dôu  cibre, 
Mirèio.  » 

Il  n'y  a  pas  à  en  remontrer  à  l'illustre  auteur  de  Mirèio 
quand  il  s'agit  de  la  langue  qu'il  parle  et  qu'il  écrit  lui- 
même.  Est-il  possible  de  douter  de  l'identité  étymolo- 
gique de  notre  cibre  lijnousin,  bourbonnais  et  auver- 
gnat, et  du  cibre  provençal,  lorsqu'ils  sont  identiques 
au  point  de  vue  de  la  forme  et  qu'ils  ne  se  distinguent, 
au  point  de  vue  du  sens,  que  par  la  nuance  sémantique 
qui  sépare  un  seau  d'un  cuvier  ?  Je  ne  le  crois  pas. 

Franchissons  les  Alpes.  Les  continuateurs  de  Du 
Cange  (y  compris  le  dernier,  L.  Favre)  ont  réuni  plu- 
sieurs exemples  du  bas  latin  ceberus,  ceberum,  cebms, 
ceberus  ou  cibrius,  au  sens  de  «  vase  en  bois  »  :  tous  ces 
exemples  proviennent  de  statuts  municipaux  de  l'Italie 
du  Nord  (Casale,  Mondovi  et  Saluce  ').  Encore  aujour- 
d'hui le  mot  est  très  répandu  dans  cette  région  et  dans 
tout  le  domaine  rhétique :  Milan  <iber,  Pavie  seber, 
Piémont  seber,  Montferrat  sebi,  Gènes  sebru,  Canavais 
suber;  Frioul  seèvre,  cevre,  sevré;  Basse-Engadine  saiver, 
activer;  Sopraselva  \eiver.  Partout  il  désigne  une  cuve 
en  bois,  avec  une  ou  deux  anses,  qui  sert  ordinaire- 
ment pour  transporter  l'eau,  le  vin,  le  lait  ou  la  ven- 

i.  Cf.  lebarum  dans  un  texte  de  la  Ligurie  (G.  Rossi,  Glos- 
sario  meàioevale  ligure,  p.  106  ;  communication  de  M.  le  comte 
Nigra). 


CIBRE,   TRIBE  20C) 

dange,  sauf  dans  la  Basse-Engadine,  où  le  mot  s'applique 
au  pétrin  ' . 

Toutes  ces  formes  semblent  pouvoir  se  ramener  à  un 
mot  de  l'ancien  haut-allemand,  dont  l'exemple  le  plus 
ancien  nous  est  fourni  à  deux  reprises  par  les  gloses  de 
Cassel,  où  on  lit  :  gerala  (corrigez  gerula),  tina  :  %uui- 
par;  et  tinas  :  ^uuipar2.  Ce  çuuipar  ou  %u>ipar  est  bien 
clairement  composé  de  ^wei  (deux)  et  du  thème  de 
beran  (porter)  :  le  sens  propre  est  donc  vaisseau  de 
transport  à  deux. 

Mistral  n'a  pas  tort  de  rapprocher  de  son  provençal 
cibre  le  roumain  ciuber;  mais  il  faut  noter  que  le  rou- 
main ne  remonte  pas  directement  à  la  source  germa- 
nique. On  peut  voir  dans  De  Cihac,  article  cibâr,  ciubâr, 
l'indication  de  nombreuses  formes  slaves  et  magyares 
qui  ont  dû  servir  de  véhicule  entre  l'allemand  et  le 
roumain. 

Revenons  maintenant  en  Limousin  après  ce  long 
voyage  dans  l'Est  de  l'Europe.  Que  faut-il  penser  de 
tribe,  trubef  En  attendant  une  étude  définitive  sur  l'ha- 
bitat de  ces  deux  formes,  voici  quelques  notes  à  ce 
sujet  pour  compléter  les  maigres  indications  fournies 
par  MM.  Gilliéron  etEdmont.  Trube  déborde  à  l'Ouest 
sur  le  département  de  la  Haute-Vienne  :  j'ai  un  témoin 


i.  Communications  de  MM.  Nigra  et  Salvioni.  Cf.  Kôrting,  2e 
éd.,  n°  10464. 

2.  Nos  125  et  178  de  l'édition  donnée  par  MM.  Fccrster  et 
Koschwitz,  Altjran\.  Uebungsbucb,  2«  édit.,  col.  42  et  43.  Il  est 
surprenant  toutefois  que  le  w  germanique,  si  résistant  dans  l'anc. 
franc,  amanoïr  et  toaille  (où  il  est  représenté  par  0)  n'ait  laissé 
aucune  trace. 

Thomas.  II.  —  14 


2lo  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

très  sûr  de  l'existence  de  cette  forme  à  Châteauponsaç, 
arrondissement  de  Bellac.  De  son  côté,  tribe  déborde 
à  l'Est,  sur  la  rive  droite  de  la  Creuse  :  c'est  la  seule 
forme  usitée  à  Ajain,  à  Glénic  et  à  Pionnat.  Mais  il  ne 
va  guère  au  delà  :  à  Cressat,  dernière  commune  de 
l'arrondissement  de  Guéret  dans  cette  direction,  on  dit 
cibre,  comme  le  constatent  MM.  Gilliéron  et  Edmont. 
A  Saint-Laurent  (rive  gauche  de  la  Creuse)  on  pro- 
nonce plutôt  trible  que  tribe. 

Je  considère  trube  comme  une  forme  labialisée  de 
tribe,  bien  que  l'hypothèse  inverse  du  changement  d'un 
u  primitif  en  i,  par  dissimilation  entre  Vu  et  la  labiale, 
ne  soit  pas  inadmissible  à  priori1.  Pour  rendre  compte 
de  la  désinence  -be,  je  ne  vois  que  deux  moyens  :  ou 
supposer  un  type  primitif  *Irîpïnus  (peut-être  antérieu- 
rement *trîpanui),  qui  aurait  abouti  à  tribe  comme  fraxi- 
nus  a  abouti  dans  notre  patois  à  fraisse,  ou  considérer 
tribe  comme  issu  par  métathèse  de  *tibre.  Dans  le  pre- 
mier cas  nous  enfilons  un  cul-de-sac,  puisque  *trîp)- 
nus  reste  aussi  mystérieux  pour  nous  que  tribe  lui- 
même.   Dans  le  second,  nous  faisons  faire  un  pas  à 


i.  Je  pense  à  nible  (subst.  fém.),  nuage,  qui  est  dans  Bocce  et 
qui  subsiste  aujourd'hui  dans  la  Creuse  sous  la  même  forme  ;  il 
est  difficile  de  ne  pas  voir  dans  17  de  ce  mot  une  dissimilation  de 
l'fi  du  lat.  nttbes;  même  cas  pour  piu^e,  de  pilliceni.  Pour  la  labia- 
lisation  de  l'7,  comparez  le  dauph.  kublo  et  le  bas-limousin  aube], 
crible,  qui  ne  correspond  pas  au  lat.  crlbeUinn,  comme  on  pour- 
rait le  croire  (le  b  limousin  serait  inexplicable),  mais  qui  doit 
être  pour  *crublel,  diminutif  de  *cruble,  du  lat.  crlbrum  ;  joignez-y 
grupia,  variante  de  grepia,  crèche,  uvern,  variante  de  ivern,  hiver, 
costubar  (latin  constiparé),  supio,  variante  de  sepio,  seiche,  etc.  Cf. 
Schuchardt,  Vckàlismus,  II,  238  et  III,  243. 


CIBRE,  TRIBE  Ht 

tribe  pour  le  rapprocher  de  cibre,  qui  est  son  équi- 
valent sémantique  adéquat.  Faut-il  franchir  le  pas  ? 
Oui,  si  la  phonétique  nous  y  autorise  pleinement; 
non,  si  elle  nous  barre  la  route. 

Il  est  bien  certain  que  dans  toute  la  région  qui  pos- 
sède les  formes  tribe,  irube  on  ne  connaît  que  trenpa 
comme  représentant  du  latin  temperare,  et  que  paubre 
comme  représentant  du  latin  pauperum;  il  est  certain 
également  que,  selon  les  localités,  on  trouve  pêle-mêle 
doiibri  et  droubi,  drebi  comme  représentants  du  latin 
deoperire  ' .  J'en  conclus  qu'il  n'y  a  pas  de  loi  impéra- 
tive  en  la  matière  et  que,  par  conséquent,  nous  avons 
le  droit,  sans  nous  mettre  hors  la  loi,  de  supposer  que 
tribe  est  une  métathèse  pour  *tibre.  Peut-être  *  libre 
survit-il  quelque  part,  dans  quelque  canton  inexploré; 
mais  même  s'il  ne  survit  nulle  part,  nous  pouvons 
croire  qu'il  a  existé  jadis,  comme  nous  croyons  à  l'exis- 
tence de  *tenpra  dans  le  passé,  bien  qu'il  ait  totale- 
ment disparu  du  présent. 

Il  nous  faut  maintenant  affronter  cibre  et  *tibre  et 
nous  demander  si  nous  n'avons  pas  affaire  à  deux  formes 
divergentes  d'un  même  type  étymologique.  Je  crois 
qu'on  peut  hardiment  répondre  par  l'affirmative,  du 
moment  qu'il  s'agit  d'un  mot  germanique.  Le  haut- 
allemand  zwipar  a  certainement  succédé  à  une  forme 
antérieure  *twiber,  comme  %u>ei  a  succédé  à  twei:  on 
sait  que  le  /  a  persisté  jusqu'à  nos  jours  dans  les  idiomes 
bas-allemands.  Il  faut  admettre  bon  gré  mal  gré  — 
quelque  surprise  que  cela  puisse  nous  causer  au  premier 

i.  Comparez  la  coexistence  de  chirbe  et  de  chibre,  chanvre. 


2(2  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

abord  —  que  nous  trouvons  aujourd'hui  dans  le  patois 
de  la  Creuse,  avec  tribe  et  cibre,  la  représentation  de 
ces  deux  formes  germaniques  d'époques  ou  de  régions 
différentes. 

A  tout  prendre,  le  /  de  tribe  est  moins  surprenant 
que  le  c.  de  cibre,  car  Diez  a  remarqué  depuis  longtemps 
qu'il  n'y  a  pour  ainsi  dire  pas  un  seul  exemple  dans  le 
roman  de  la  Gaule  d'un  t  initial  germanique  qui  se 
soit  transformé  en  ^  avant  sa  romanisation1.  Le  silence 
de  M.  Mackel  sur  ce  point  de  phonétique  est  bien  signi- 
ficatif2. Et  pourtant  comment  douter  que  le  cibre  pro- 
vençal et  limousin  corresponde  réellement  au  germa- 
nique ^wipar} 

Le  doute  pourrait  venir  d'ailleurs.  On  a  sans  doute 
remarqué  que  toutes  les  formes  italiennes  et  rhétiques 
témoignent  que  dans  ^wipar  Yi  devait  être  bref,  puis- 
qu'elles le  rendent  par  c,  ei,  ail.  Pourquoi  avons-nous 
un  i  dans  nos  patois  méridionaux  de  la  Gaule  ?  Je  n'ai 
pas  assez  approfondi  les  mystères  de  la  phonétique 
germanique  pour  décider  si  l'on  peut  supposer  con- 

i.  Gramm.  des  langues  romanes ,  trad.  franc.,  I,  p.  289-290. 

2.  Die  germ.  Elemente  in  derfr.  und  pr.  Sprache,  p.  174.  Pour- 
tant, à  côté  de  atoivre,  animal  de  trait,  mot  fréquent  en  ancien 
français,  il  faut  signaler  la  forme  atoivre  dans  le  Roman  de  Thèbes, 
4775.  On  sait  que  le  mot  germanique  correspondant  est  en  anc. 
haut-allem.  ^ëbar.  D'autre  part,  il  est  légitime  d'assimiler  au  / 
germanique  initial  le  //  médial  ou  final  :  or,  à  l'allemand  schat^, 
gothique  skatt-s,  correspond  le  provençal  esca\,  cas  régime  singu- 
lier, qui  se  lit  dans  Sanda  Fides,  vers  176  {Romania,  XXXI,  186). 
M.  Leite  de  Vasconcellos  n'a  pas  été  bien  inspiré  de  voir  dans  ce 
passage  une  allusion  au  jeu  d'échecs. 

3.  Vi  du  milanais  %iber  peut  représenter  un  e  primitif:  comparez 
cira,  tihi,  du  latin  cera,  ida. 


CI BRK,   TRIBE  213 

curremment  en  haut-allemand  çwïpar  et  ^wlpar  :  mais 
je  ferai  remarquer  que,  sans  sortir  du  domaine  proven- 
çal, nous  trouvons  concurremment  e  et  /  en  face  d'un 
mot  germanique  ayant  un  i.  A  côté  du  provençal  ordi- 
naire melsa,  le  dauphinois  dit  missa,  le  savoyard  miofa 
et  le  bas  limousin  mialso,  toutes  formes  qui,  comme 
l'italien  mitya,  restent  fidèles  à  17  primitif1. 

Enfin,  et  c'est  par  là  que  je  finirai,  je  crois  pouvoir 
affirmer  que  le  français  a  possédé  un  mot  correspondant 
à  celui  qui  nous  occupe,  et  que  le  mot  français  remonte 
clairement  au  type  germanique  *twïber. 

On  lit  dans  le  Roman  de  Thèbes,  dans  l'épisode  du 
bain,  lorsque  Jocaste  remarque  les  plaies  qu'Œdipe 
porte  aux  pieds  : 

Les  pies  H  met  a  l'eur  du  toivre 
Por  les  plaies  mix  aperçoivre  2. 

L'éditeur  a  été  embarrassé,  non  sans  raison,  par  le 
mot  toivre,  qu'il  glose  ainsi  dans  son  Vocabulaire  : 
«  ouverture  de  la  fenêtre  ou  peut-être  bassin  ».  Le 
contexte  ne  permet  pas  d'hésitation  :  par  toivre  le  poète 
ne  peut  vouloir  désigner  que  la  baignoire  (la  cuve  bai- 
gneoire,  comme  on  disait  au  moyen  âge)  dans  laquelle 
se  trouve  Œdipe. 

De  cet  exemple,  où  toivre  signifie  «  cuve  »,  je  crois 
pouvoir  en  rapprocher  un  autre  où  le  sens  est  moins 
clair  au  premier  abord.  Je  l'emprunte  à  la  Vie  de  saint 

1.  La  désinence  en  a  du  savoyard  miofa  (Annecy)  prouve  que 
le  type  germanique  qui  a  pénétré  en  roman  était  mil\a  et  non 
*millia,  car  ce  dernier  aurait  donné  une  désinence  en  e. 

2.  Éd.  Constans,  app.  III,  829-30. 


214  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

Rémi,  récemment  signalée  par  M.  Paul  Meyer.  Voici 
ce  qu'on  lit  dans  le  prologue  : 

D'autre  part  il  a  teil  planté 

Des  biens  Dieu,  que  crestienté  (corrige^  qu'en  crestienté) 

N'a  une  toute  seule  terre 

Dont  on  ne  veingne  en  France  querre 

L'enseingnement  de  la  fontainne 

D'escripture  et  '  la  clef  certainne  : 

De  toutes  terres  vient  on  boire  (lise%  boivre) 

En  France  la  doussour  d'un  toivre 

Qui  plus  est  dous  que  cil  de  Romme  *. 

Il  est  clair  que  l'auteur  joue  sur  le  nom  commun  toivre 
et  sur  le  nom  propre  Toivre,  le  Tibre.  Dans  ce  passage, 
toivre  me  fait  l'effet  d'être  le  «  bassin  »  de  la  «  fon- 
taine »  qui  figure  trois  vers  plus  haut. 

L'ancien  français  toivre,  cuve,  bassin  de  fontaine,  est 
encore  vivant  aujourd'hui,  sous  la  forme  nasalisée 
timbre^,  dans  la  région  des  Charentes,  où  il  s'applique  à 
l'auge  en  pierre  dans  laquelle  on  abreuve  le  bétail  -*. 
M.  Léopold  Constans  me  signale  l'existence  à  Millau 
de  timbre  «  cuve  de  teinturier  ». 


i.  L'éditeur  corrige  et  en  est,  à  tort,  à  ce  qu'il  me  semble. 

2.  Not.  et  extr.  des  tnss.,  t.  XXXV,  fe  partie,  p.  124-5. 

3 .  Comparez  la  forme  provençale  timbre,  à  côté  de  cibre. 

4.  Voyez  Jônain,  Dict.  du  patois  saintongeais,  au  mot  timbre; 
Littré  au  mot  timbre  3  ;  Godefroy  au  mot  timbre  2  ;  Gilliéron  et 
Edmont,  Atlas  linguistique,  carte  n°  3  (abreuvoir),  point  529.  On 
peut  se  demander  si  Unie,  indiqué  par  Jaubert  (p.  649,  au  mot  Une) 
sans  renvoi  précis  comme  ayant  eu  en  Berry  le  sens  de  «  seau  » 
il  y  a  trois  siècles,  n'est  pas  une  faute  de  lecture  pour  *tivre  :  ce 
*tivre  berrichon  prouverait  que  le  tribe  marchois  et  limousin  est 
bien  sorti  par  métathèse  d'un  ancien  "libre.  Mon  confrère  M.  Soyer, 
archiviste  du  Cher,  m'écrit  qu'il  ne  connaît  pas  d'exemple  de  cette 
forme  suspecte  tinre,  non  plus  que  de  *tivre. 


COLCER  2  i  J 

On  a  proposé  de  rattacher  à  la  même  origine  le 
français  civière  (Kôrting,  2e  éd.,  10464)  :  c'est  une 
question  qui  reste  à  élucider,  mais  je  doute  beaucoup 
que  l'étymologie  soit  bonne. 

(Revue  des  parler  s  pop.,  année  1903,  p.  165-171  ;   cf.   Bull,  de 
la  Soc.  de  ling.  de  Paris,  séance  du  28  mai  1903.) 


XXVIII.   —  COLCER 

M.  Meyer-Lùbke  mentionne  le  provençal  coasser 
«  coite  »  à  côté  de  l'espagnol  colcedra,  comme  un 
représentant  du  type  latin  culcitra,  variante  de  culcita  ■  ; 
mais  coussér  n'existe  pas  et  s'il  existait,  il  ne  serait  pas 
le  représentant  phonétique  de  culcitra,  car  culcitra  ne 
peut  aboutir  qu'à  *colcéira.  Le  mot  que  les  anciens  textes 
provençaux  écrivent  colcer,  cosser,  couser,  et  même  colse, 
était  certainement  accentué  sur  la  syllabe  initiale, 
comme  le  montrent  les  formes  actuellement  vivantes  : 
couce,  coulce,  coutre,  cousso2.  On  trouve  d'autres  formes 
encore,  avec  la  même  signification  :  cossera,  cossena, 
co^na,  cosna,  coisna  3  ;  et  les  patois  actuels  disent,  d'après 
Mistral  :  coucedo,  coucedro,  coucero,  coulcedo,  coulcero,  cou- 
ceno,  coulceno,  courno,  coucèiro,  couino,  coustio,  coueto, 

1.  Gramm.  des  langues  romanes,  I,  §  594. 

2.  Levy,  Prov.  Suppl.-W.,  I,  288.  Le  genre  masculin  donné  par 
Raynouard  à  ce  mot  est  en  contradiction  avec  ce  vers  de  Folquet 
de  Lunel  : 

Jairetz  en  lensols  blezitz 
E  en  cosser  s  desonradas. 
Pourtant  Mistral  dit  que  le  provençal  actuel  a  les  deux  genres. 

3.  Levy,  Prov.  Suppl.-W.,  I,  386. 


2i6  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

cousto,  couste,  coueito,  coueitio.  Il  me  semble  reconnaître 
dans  le  tas  trois  types  étymologiques  différents  :  culcïta, 
*culdna  et  *culcère. 

i°  dilata.  La  forme  romane  la  plus  ancienne  a  dû 
être  *colceda,  mot  proparoxyton,  qui  a  ensuite  déplacé 
l'accent  et  a  ainsi  donné  naissance  aux  formes  modernes 
coidcedo,  coucedo  et,  avec  une  r  épenthétique,  coucedro. 
Dans  la  région  septentrionale  de  la  langue  d'oc,  la 
chute  de  la  posttonique  a  dû  suivre  de  près  l'affrica- 
tion  du  c  deyant  ï  prononcé  e  et  l'on  a  eu  *col%ta  ;  de 
là  cousto,  couste,  coueto,  coueito,  coustio,  coueitio.  Toutefois, 
je  ne  me  rends  pas  compte  de  la  raison  d'être  de  la 
désinence  -tio,   qui  appartient  surtout  au  Limousin. 

2°  *Culcina.  La  désinence  rare  -ïta  a  été  remplacée 
par  -ïna.  De  là,  d'une  part,  une  forme  proparoxytoni- 
que  cossena,  *colcena  qui  a  déplacé  l'accent  et  a  donné 
naissance  à  coulceno,  couceno;  de  l'autre,  une  forme  con- 
tracte attestée  par  l'ancien  provençal  co%na,  cosna,  coisna 
et  par  les  patois  actuels  qui  disent  couino  et  courno  ' . 

3°  *Culcëre.  De  même  que  le  provençal  a  tiré  carcer, 
aujourd'hui  carce,  substantif  féminin,  de  carcere,  cas 
oblique  de  carcer,  de  même  il  doit  avoir  emprunté  colser 
(pour  colcer),  coulce,  couce,  etc.,  à  un  type  *culcer,  ^ul- 
cère, dans  lequel  la  désinence  -er,  -ère  a  pris  la  place 
de  -ita  ou  de  -ïna.  A  son  tour,  *culcer,  *culcere  a  été 
supplanté,  à  cause  de  son  genre  féminin,  par  *culcera, 
d'où  l'ancien  cossera  (pour  *colcerà)  et  le  moderne  coul- 

i .  Même  substitution,  à  ce  qu'il  semble,  dans  l'anc.  gascon  leçta 
(Du  Cange  et  Lespy),  qui  correspond  au  provençal  hyla,  catalan 
leuda,  droit  d'entrée  sur  les  marchandises,  du  latin  licita;  cf. 
Romania,  XXVIII,  196  et  487. 


CONOBRAGE  217 

ccro,  coucero.  Le  déplacement  d'accent  s'est  produit  dans 
la  période  romane,  comme  pour  *colceda  et  *colcena  : 
ce  qui  le  montre  bien,  c'est  que  Ye  de  coulcero,  coucero 
est  un  e  fermé,  l'ancien  e  atone  du  proparoxyton  *col- 
cera.  La  langue  a  suivi  la  même  marche  pour  aboutir  à 
l'auvergnat  chancera,  dont  le  point  de  départ  est  le  latin 
cancer,  cancere1.  Mais  comme  l'on  peut  révoquer  en 
doute  l'exactitude  de  l'étymologie  que  j'ai  donnée  de 
chancera,  je  citerai  un  témoin  irrécusable  en  faisant  venir 
à  la  barre  le  provençal  moderne  pouvero,  poulbero 
«  poussière  »,  autrefois  polvera,  encore  employé  comme 
proparoxyton  dans  la  traduction  en  vers  de  la  chirurgie 
de  Roger  de  Salerne2,  de  *pulvera,  pour  pulvere.  Cette 
comparaison  sera  en  outre  utile  pour  l'explication  de 
la  seule  forme  moderne  que  j'aie  laissée  de  côté,  à  savoir 
coitcèiro,  car 'nous  trouvons  aussi  poulbèiro  dans  Mistral. 
Je  ne  vois  que  l'hypothèse  de  types  allongés  en  latin 
vulgaire  à  l'aide  du  suffixe  -\a  pour  rendre  raison  de 
coucèiro  et  de  poulbèiro,  à  savoir  *culcëria  et  *pulveria. 


XXIX.  —  CONOBRAGE 


On  lit  dans  Godefroy  l'article  suivant  : 

Conobrage,  s.  m.,  action  de  reconnaître: 

Des  couz  et  des  missions  que  il  a  fait  et  mis  ons  façons  et  on 
conobrage  des  chouses  et  héritages  dessus  diz.  (Janv.  1297,  S* 
Berthomé,  Bibl    de  La  Rochelle.) 

Por  les  cous  et  mises  que  il  a  fait  et  mis  on  conobrage  des  dites 
(livres)  qui  sont  amortiz  et  aneentez  de  tout  en  tout  (//>.). 

1.  Voyez  mes  Mélanges  d'élym.  franc.,  p.  47. 

2.  Romania,  XI,  205  et  209. 


2  18  CHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que  conobrage  a  attiré  mon 
attention.  Il  y  a  plus  de  vingt  ans,  dans  le  compte 
rendu  de  l'œuvre  de  Godefroy,  alors  à  ses  débuts,  que 
je  publiai  dans  la  Revue  critique,  je  signalais  le  mot  et 
j'ajoutais:  «  Il  est  assez  étrange;  mais  en  l'admettant 
pour  authentique,  il  faut  le  rattacher  pour  le  sens  à 
recouvrer  et  non  à  reconnaître  ' .  »  Évidemment,  la  tra- 
duction par  «  action  de  reconnaître  »  est  mauvaise  ; 
mais  si  je  traduis  par  «  action  de  recouvrer  »,  cela  ne 
vaudra  pas  mieux  ;  et  d'ailleurs,  comment  raccorder 
recouvrer  et  conobrage  ? 

Établissons  d'abord  le  sens  ;  l'étymologie  viendra 
ensuite  toute  seule.  Il  me  paraît  certain  qu'en  suppléant 
livre  dans  la  seconde  phrase,  Godefroy  a  fait  une  mé- 
prise. Les  façons  et  le  conobrage  s'appliquent  à  des  héri- 
tages, c'est-à-dire  à  des  terres  cultivées.  On  sait  que 
façon  désigne  le  labour  par  lequel  on  prépare  la  terre 
à  recevoir  les  semences  ;  il  serait  parfait  que  conobrage 
fût  apte  à  désigner  l'action  d'amender,  de  fumer  la 
terre.  Faut  de  l'engrais,  comme  dit  l'autre2.  Or,  en 
voici.  Ouvrez  le  Glossaire  du  Poitou,  de  la  Saintonge  et 
de  l'A  unis  (n'oublions  pas  que  La  Rochelle  est  la  capitale 
de  l'Aunis)  par  L.  Favre  et  vous  y  lirez  :  «  Couneuvre, 
s.  m.  Engrais.  B.  F.  »  Ces  initiales  indiquent  que  cou- 
neuvre est  emprunté  à  Beauchet-Filleau  ;  par  suite,  c'est 
un  mot  usité  à  Chef-Boutonne  (Deux-Sèvres).  Donc, 
comme  on  trouve  fréquemment  br  pour  vr  (de  pr  latin) 
dans  les  anciens  textes  aunisiens?,  j'ai  le  droit  d'affir- 

i.  Rev.  criL,  1882,  2<=  sem.,  p.  116. 

2.  Eugène  Labiche,  La  Cagnotte,  II,  7  {Théâtre  complet,  V,  70). 

5.  Gœrlich,  Die  Siidw.  Dialecte  der  Langue  d'oïl,  §  113. 


CONOBRAGE  219 

mer  qu'à  La  Rochelle,  à  la  fin  du  treizième  siècle, 
«  fumer  la  terre  »  se  disait  conobrer:  de  là  conobrage, 
et  sans  doute  aussi  le  substantif  verbal  conobre,  auquel 
correspond  aujourd'hui  le  conneuvre  de  Chef-Bou- 
tonne  ». 

Je  ne  vois  pas  d'autre  étymologie  possible  pour  cono- 
brer qu'un  type  latin  vulgaire  *conoperare,  c'est-à-dire 
un  verbe  fait  avec  le  préfixe  cum  et  operare,  mais  dis- 
tinct comme  forme  de  *cooperare.  Si  le  latin  laisse  presque 
toujours  tomber  la  nasale  en  composition  devant  une 
voyelle  ou  une  /;  et  dit  coaccedere,  coacere,  coacervare, 
cohabitare,  cohortari,  etc.  ;  il  admet  cependant  comedere 
(de  cum  et  edere)  :  c'est  vraisemblablement  le  point  de 
départ  de  la  formation  en  latin  vulgaire  de  *cominitiare, 
dont  il  est  inutile  de  dénombrer  la  postérité  romane. 
Mais  on  sait  que  cum  se  transforme  en  con  devant  c 
(concacare),  d  (condecere),  f  (confabricari),  g  (congelas- 
cere),  j  (conjacere),  n  (connasci),  q  (conquadrare) ,  s  (con- 
sacerdos),  t  (contabescere) ,  v  (convadari).  Il  est  établi  par 
quelques  témoignages  isolés  que  cette  forme  réduite 
con  a  fait  concurrence  à  co  devant  une  voyelle.  Voici 
les  exemples  que  j'en  trouve  et  qui  appartiennent  à  la 
période  archaïque  du  latin  (je  me  contente  de  les  énu- 
mérer)  :  conangu status,  conauditum,  contre,  conhibere. 

Personne  n'hésite  à  considérer  le  verbe  provençal 
conortar  comme   représentant   le   type    latin  vulgaire 


i.  Rien  dans  le  Glossaire  aunisien  qui  fait  partie  des  publications 
de  l'Académie  de  La  Rochelle,  section  de  littérature,  choix  des 
pièces  lues  aux  séances,  n°  16  (1870).  Beauchet-Filleau  et  Lalanne 
donnent  aussi  à  couneuvre  le  sens  de  «  second  blé,  par  opposition 
au  blé  de  guéret  ». 


220  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

*conhortare  '  :  je  demande  au  même  titre  la  reconnais- 
sance de  *conoperare  =  conobrer. 

Au  point  de  vue  sémantique,  tout  va  bien.  C'est  par 
l'action  combinée  des  labours  et  des  engrais  que 
l'homme  met  la  terre  en  valeur;  il  est  naturel  qu'on 
ait  dit  *conoperare  en  parlant  de  l'action  de  fumer, 
puisque  c'est  réellement  une  coopération2. 

XXX.  —  CONSŒR,  DESIER 

L'auteur  du  poème  provençal  de  Scinda  Fides,  récem- 
ment retrouvé  et  publié  par  un  savant  Portugais, 
M.  J.  Leite  de  Vasconcellos,  dit  en  parlant  de  son 
héroïne  livrée  au  martyre  : 

Czo  lie  non  prezed  un  diner, 
d'en  Deu  a  tôt  son  consider  J. 

C'est-à-dire  :  «  Cela  elle  ne  prisa  un  denier,  car  en 
Dieu  elle  a  toute  sa  pensée.  » 

Le  substantif  consider  qu'emploie  ici  le  poète  est  en 
rapport  avec  le  verbe  considrar  qu'on  lit  au  vers  325  : 
Aisim  considr'  o  facz'  a  mi  4. 

1 .  Diez  croit  que  conortar  peut  venir  de  confortare  par  chute  de 
F/,  comme  preon  de  profundtim;  mais  Vf  appuyée  n'est  pas  traitée 
comme  Vf  intervocalique. 

2.  On  pourrait  se  demander  si  l'on  n'a  pas  eu  d'abord  "conopera, 
comme  carropera  et  tnanopcra  si  fréquents  dans  les  textes  et  qui 
paraissent  antérieurs  aux  verbes  correspondants;  cela  me  paraît 
peu  probable.  En  tout  cas  le  genre  de  couneuvre  montre  que  c'est 
un  substantif  verbal  de  l'ancien  verbe  *conovrer. 

5.  Vers  339-340,  dans  Romania,  XXXI,  191. 

4.  Sur  la  leçon,  voyez  Journal  des  Savants,  1903,  p.  343. 


CÛNSIÈR,  DESIER  221 

Le  poème  de  Sancla  Fides  conserve  fidèlement  le  à 
latin  intervocalique  (ou  suivi  d'r)  et  il  est  naturel  que 
de  considerare  il  fasse  considrar  :  par  suite,  consider  nous 
mène  les  yeux  fermés  à  un  type  du  latin  vulgaire  *con- 
siderium,  modelé  sur  le  latin  classique  desiderium1. 

Le  sentiment  du  vrai  rapport  morphologique  de  con- 
sider et  de  considrar  s'est  bientôt  obscurci  et  l'on  a  été 
surpris  d'avoir  dans  le  verbe  une  r  qui  manquait  dans 
le  substantif:  par  suite,  le  langage  s'est  transformé,  et 
l'on  a  bientôt  dit  *considrer  au  lieu  de  consider.  De  là 
la  forme  ordinaire  consirier,  la  seule  que  connaisse 
Raynouard  :  elle  est  encore  vivante  en  Gascogne  où  l'on 
prononce  coussirè2. 

Mais  l'influence  du  verbe  ne  s'est  pas  exercée  dans 
toute  l'étendue  du  domaine  provençal  sur  le  substantif 
et  consider  n'a  pas  disparu  partout  de  l'usage.  Il  s'est 
conservé  notamment  dans  la  région  limitrophe  du  fran- 
çais où  le  d  intervocalique  tombe  et  il  s'est  réduit 

1 .  Cf.  ci-dessus,  p.  113.  Kôrting  admet  *considerium  dans  son 
Lat.-rom.  Wœrterb.,  mais  il  a  le  tort  d'en  tirer  le  prov.  consire  qui 
est,  en  réalité,  un  substantif  verbal  de  consirar. 

2.  Alcée  Durricux  donne  coussidé  «  souci,  inquiétude,  chagrin  » 
et  coussida  «  être  inquiet  »  (Dict.  ètym.  de  la  langue  gasconne,  II, 
159).  J'ai  eu  tort  d'identifier  ce  substantif  coussidé  avec  le  consider 
de  Sancla  Fides  {Mélanges  Léonce  Couture,  p.  261).  En  effet,  le  dia- 
lecte de  Lectoure,  qui  est  celui  de  Durrieux,  ne  conserve  pas  le  d 
latin  intervocalique,  mais  il  le  change  en  t\  D'autre  part,  M.  l'abbé 
Sarran,  professeur  au  petit  séminaire  d'Auch,  m'écrit  qu'il  a  inter- 
rogé des  jeunes  gens  et  des  vieillards  de  Lectoure  et  du  Lectourois 
et  que  personne  ne  paraît  connaître  ni  coussidé  ni  coussida.  Je  ne 
sais  que  penser  de  la  valeur  du  témoignage  de  Durrieux.  M.  l'abbé 
Sarran  me  signale  escoiqidè  «  chagrin  cuisant  »  dans  le  Bas-Arma- 
gnac; mais,  comme  il  le  dit  lui-même,  nous  avons  là  affaire  à  un 
dérivé  du  verbe  escou\i,  lat.  vulgaire  *excocire,  pour  cxcoquere. 


222  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

régulièrement  à  consier  ou,  avec  chute  de  Vn,  cosier.  Il 
est  bon  de  grouper  ici  les  textes  du  moyen  âge  qui 
emploient  cette  forme  dont  on  a  voulu,  bien  à  tort, 
contester  la  légitimité. 

En  premier  lieu,  il  faut  citer  Girarl  de  Roussillon,  où 
je  n'en  ai  pas  relevé  moins  de  huit  exemples  :  vers  334, 
2092,  2103,  2971,  5 191,  8123,  8676  et  9700  de  l'édi- 
tion Fœrster  (Romanische  Studien  de  Bohmer,  tome  V). 
Dans  tous  ces  passages,  la  version  provençalisée  (ma- 
nuscrit de  Paris)  est  d'accord  avec  le  texte  original: 
elle  donne  soit  cossier,  soit  cosier  '  ;  le  manuscrit  d'Ox- 
ford donne  tantôt  consier,  tantôt  cosier2. 

En  second  lieu  vient  Aigar  et  Maurin,  où  on  lit  à 
deux  reprises  consier  (y.  902  et  1102,  édit.  Brossner): 
Bartsch  a  proposé  de  lire  consirier,  mais  M.  Brossner 
maintient  avec  raison  la  leçon  du  manuscrit*. 

Enfin  le  fragment  çYAntioche,  vers  183,  nous  offre 
un  exemple  de  cosier. 

1.  Édition  F.  Michel,  p.  47,  73,  141,  226,  242,  272.  A  deux 
reprises  l'éditeur  a  corrigé  arbitrairement  cossier  en  cossirier. 

2.  Dans  ces  différents  passages  M.  P.  Meyer  traduit  consier,  cosier 
tantôt  par  «  dessein  »,  tantôt  par  «  sentiment  »,  tantôt  par  «  dis- 
position »,  tantôt  par  «  égard  ».  Les  vers  333-334  l'ont  embar- 
rassé, car  il  les  a  passés  sans  crier  gare.  Les  voici  textuellement  : 

Caries  per  gentes  daucnes  fu  galaubiers  : 
Ameilloret  la  molt  sos  cosiers. 

Je  crois  qu'il  faut  corriger  la  en  las  et  traduire  :  «  Charles  de 
belles  dames  fut  amateur  :  son  imagination  les  améliora  beaucoup 
(il  se  les  figurait  plus  belles  que  la  réalité)  ». 

3.  Roman.  Forschnngen,  XIV,  78  et  86.  M.  Brossner  ne  s'explique 
pas  sur  la  formation  du  mot  ;  mais  il  renvoie  à  Hentchke,  Die  Verbal- 
flexion  in  der  Oxf.  Hs.  des  Girart  de  Rossillon,  p.  18,  lequel  croit  que 
consier  est  sorti  par  dissimilation  de  consirier. 


CONSIER,  DESIER  22} 

Cet  ancien  mot  provençal  est  encore  vivant  aujour- 
d'hui. Le  patois  du  Bas-Limousin  possède  le  substantif 
cûiissier  «  souci,  chagrin  » '.  La  conservation  de  IV 
finale  n'est  pas  conforme  aux  lois  phonétiques  ;  il  faut 
y  voir  une  réaction  de  l'adjectif  coussirous,  qui  existe 
aussi  sous  la  forme  coussierous2. 

Si  le  latin  vulgaire  *considerium  a  abouti  à  consier, 
cossier,  il  est  tout  naturel  que  desiderium  ait  abouti  de 
son  côté  à  desier,  qu'il  faut  distinguer  de  la  forme  refaite 
destrier,  comme  consier  de  consirier. 

J'ai  écrit  naguère  :  «  Par  une  curieuse  compensa- 
tion, le  français,  qui  a  en  commun  avec  le  provençal 
les  formes  de  compromission  consirier  et  desirier,  nous 
a  conservé  quelques  exemples  de  la  forme  primitive 
desiier,  dont  les  traces  n'ont  pas  été  retrouvées  encore 
en  provençal*.  »  J'ai  le  plaisir  aujourd'hui  de  ramener 
à  la  lumière  le  provençal  desier,  comme  je  l'ai  fait  pour 
le  provençal  cossier.  Le  mot  figure  trois  fois  dans  Girart 
de  Roussillon  : 

Car  de  Folcon  socorre  ai  desier  (vers  8124,  Oxford). 
Li  dus  non  a  d'aver  tal  desier  (vers  8668,  Oxford). 
Mais  une  paubre  femme  n'a  desier  (vers  9686,  Oxford). 

1.  F.  Laborde,  Lex.  limousin  (Brive,  1895).  Le  Dictionnaire  du 
patois  du  Bas-Limousin  de  Béronie  et  Vialle  donne  couder,  sans 
définition,  avec  renvoi  à  coussier,  mais  l'article  colistiers  été  oublié. 

2.  J'ai  proposé  de  rattacher  aussi  à  l'ancien  mot  cossier  le  sub- 
stantif coussei  que  possède  le  patois  du  Haut-Limousin  (JRomania, 
XXXI,  483,  n.  2);  mais  la  forme  régulière  serait  "coussiei  et  il  est 
plus  prudent  de  rattacher  coussei  à  consilittm,  bien  que  le  sens  con- 
corde assez  bien  avec  celui  de  cossier.  Le  mot  actuel  coussei  est  sur- 
tout usité  dans  la  locution  se  boîha  coussei  «  ne  pas  rester  oisif, 
sans  souci  ». 

3.  Romania,  XXXI,  483. 


224  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

Le  manuscrit  de  Paris  est  d'accord  avec  celui  d'Ox- 
ford ;  quant  au  manuscrit  de  Londres,  il  donne  desirier 
(8124)  et  desirrier  (8668). 

On  peut  citer  encore  le  traité  des  Vices  et  des  Vertus, 
dont  M.  P.  Meyer  a  donné  un  long  extrait  :  «  En 
aischi  corn  lo  denier  de  l'arma  deu  esser  en  pessa- 
men,  etc.  '  ». 

Enfin  le  mot  est  fréquent  dans  la  traduction  du  Liber 
scintillarum  de  Defensor  que  renferme  le  manuscrit 
français  1747  de  la  Bibliothèque  nationale.  En  voici 
quelques  exemples: 

Lo  desiers  del  règne  de  Deu  (f°  26d)  —  Si  laissam  los  terrenals 
desiers  (f°  2c/1)  —  Los  charriais  desiers  (f°  30*)  —  L'esperit  de 
desieir,  so  es  de  desliuransa  (f°  30d)  —  Desiers  de  diable  (f°  36d) 
—  Los  chaînais  desiers  (f°  8ia)  — 

C'est  dans  ce  manuscrit  que  Raynouard  a  puisé  une 
citation  qu'il  fait  au  mot  defesi  (III,  22)  :  «  Sorja  d'a- 
quest  defeci  al  desieir  de  coral  e  vera  sabensa.  » 
M.  Emil  Levy  qui  la  reproduit  (Prov.  Suppl.-Wœrterb., 
II,  39)  propose  (toujours!)  de  corriger  desieir  en  desi- 
rier. 

Il  me  faut  maintenant  parler  du  rapport  de  nos  deux 
mots  avec  leurs  types  latins.  Ce  rapport  est  en  contra- 
diction avec  la  loi  de  Darmesteter  d'après  laquelle  nous 
devrions  avoir  *cosdier  et  *desdier.  Il  n'y  a  pas  là  de 
quoi  jeter  les  hauts  cris.  Comme  nom  de  personne 
Desiderius  donne  ordinairement  en  provençal  et  en 
français  Desdier,  Didier,    ce  qui  est    phonétiquement 


1 .  Doc.  mss.  de  Vanc.  litt.  de  la  France  conservés  dans  les  bibl.  de 
la  Grande-Bretagne,  Rapports,  etc.  (Paris,  1871),  p.  267,  1.  11. 


CONSIER,  DES1ER  225 

régulier  !  ;  de  là  les  nombreuses  localités  qui  se  nom- 
ment Saint-Didier,  à  côté  desquelles  il  faut  cependant 
reconnaître  l'existence  de  quelques  Saint-Didier,  tant 
au  Midi  qu'au  Nord.  Il  y  a  eu  conflit  entre  la  phoné- 
tique et  la  morphologie  et  la  victoire  a  été  indécise.  Là 
où  le  rapport  morphologique  de  desidero  et  de  desidé- 
rium  (ou  Desidérius)  s'est  maintenu  intact,  17  proto- 
nique a  tenu  bon,  comme  celui  de  maritâre;  quand  ce 
rapport  a  cessé  d'être  perçu,  la  tendance  phonétique 
l'a  emporté  et  1'/  a  disparu. 

L'histoire  de  *considerium  et  de  desiderium  renferme 
encore  un  autre  enseignement  :  on  ne  saurait  apporter 
trop  de  délicatesse  à  l'étude  du  langage.  Malheur  au 
philologue  brutal  dont  le  scalpel  fouille  sans  précaution 
ces  organismes  si  complexes  que  nous  appelons  des 
mots  et  où  la  pensée  de  l'homme  a  tracé  de  mystérieux 
sillons  !  A  la  base  de  considerare  et  de  desiderare  se 
trouve  le  substantif  sidus,  sideris  «  étoile  ».  Qui  pour- 
rait nous  apprendre  à  quel  moment  précis  l'étoile  a  cessé 
de  briller  dans  les  intelligences  des  populations  romanes 
qui  ont  continué  à  employer  les  verbes  considerare  et 
desiderare}  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  l'éclipsé  a  dû 
se  produire  de  très  bonne  heure  et  plus  tôt  encore  pour 
desiderare  que  pour  considerare,  sans  doute  bien  avant 
que  le  substantif  sidus  eût  disparu  de  l'usage  courant. 

En  comparant  deservire  et  desiderare,  nous  constatons 
que  le  français  et  le  provençal  sont  d'accord  pour  traiter 
Ys  du  premier  de  ces  verbes  comme  une  s  initiale, 
c'est-à-dire  qu'ils  lui  conservent  le  son  sourd,  et  pour 

i.  On  a  parfois  en  provençal  Lesdier,  Leidier,  par  dissimilation. 
Thomas.  II.  —  i  s 


226  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

traiter  Pi  du  second  comme  une  s  intervocalique, 
c'est-à-dire  qu'ils  la  font  passer  du  son  sourd  au  son 
sonore  :  à  desservir  s'oppose  desirar,  désirer  ■ . 

Pour  nous  éclairer  sur  l'histoire  de  considerare,  nous 
avons  un  autre  élément  d'une  grande  importance,  c'est 
le  préfixe  cum.  Lorsque  ce  préfixe  entre  en  composi- 
tion, il  prend,  comme  on  sait,  la  forme  con;  mais  c'est 
un  fait  bien  connu  que  devant  une  s  la  nasale  disparaît 
de  la  prononciation  du  latin  vulgaire.  De  cum  et  de 
stare  le  latin  forme  le  verbe  constare  :  toutes  les  langues 
romanes  sont  d'accord  pour  établir  l'universalité  de  la 
prononciation  *costare.  Si  Y  s  précédée  de  la  nasale  est 
suivie  d'une  voyelle,  elle  passe  du  son  sourd  au  son 
sonore  :  consuere  se  prononce  *cosere  dans  le  latin  vul- 
gaire et  donne  en  ancien  français  cosdre  (et  non  coslre), 
en  provençal  coser  ou  cosir  (avec  changement  dans  la 
désinence  de  l'infinitif).  Si  l'on  tient  compte  de  cette 
loi  phonétique,  on  sera  amené  à  considérer  l'ancien 
français  consirer,  non  pas  comme  le  représentant  du 
latin  vulgaire  considerare,  mais  comme  un  mot  em- 
prunté à  la  langue  littéraire.  M.  H.  Berger,  dans  son 
beau  livre  intitulé  Die  Lehnwôrier  in  der  fran^ôsischer 


i.  Un  nom  d'homme  singulier  est  Dessirier,  s'il  correspond 
réellement  au  latin  Desiderius,  contaminé  à  une  époque  récente 
par  le  verbe  désirer.  On  sait  qu'il  est  porté  à  l'heure  actuelle  par 
le  gouverneur  de  Paris,  lequel  veut  bien  m'informer  que  sa  famille 
est  originaire  de  Champlive  (Doubs).  D'autre  part,  je  constate 
l'existence  à  Lautrec,  en  1340,  d'une  famille  Dessirier  et,  dans  la 
même  région,  les  graphies  concurrentes  desirier  et  dessirier  pour 
le  nom  commun  qui  signifie  «  désir  ».  Faut-il  voir  là  une  survi- 
vance du  sentiment  de  la  composition  de-siderare  ?  C'est  bien  peu 
probable. 


CONSIER,  DESIER  227 

Sprache  cil  tester  Zeit1,  ne  s'en  est  point  avisé,  et  l'on 
chercherait  en  vain  consirer  parmi  les  mots  qu'il  a 
étudiés. 

Le  provençal  nous  offre  un  état  de  choses  plus  com- 
plexe :  les  anciens  textes  présentent  les  trois  graphies 
consirar,  cossirar,  cosirar.  Les  patois  actuels  n'ont  aucune 
trace  de  la  nasale,  mais  ils  sont  tous  d'accord  sur  la 
prononciation  de  Vs  comme  une  sourde.  Que  faut-il 
en  conclure  ?  Il  est  bien  certain  que  le  latin  vulgaire  a 
connu  pendant  longtemps  une  prononciation  dans 
laquelle  IV  disparaissait,  mais  où  Vs  conservait  le  son 
sourd.  Théoriquement,  on  pourrait  assimiler  *coside- 
rare  à  deservire  et  aboutir  à  cossirar  et  à  desservir.  Mais 
si  l'on  remarque  qu'il  n'y  a  pas  de  verbe  simple  *side- 
rare  qui  ait  pu  jouer  vis-à-vis  de  *cosiderare  le  rôle  qu'a 
joué  servir e  vis-à-vis  de  deservire,  d'une  part  ;  si,  de 
l'autre,  on  se  rappelle  que  partout  desiderare  a  changé 
son  s  sourde  en  s  sonore,  on  se  convaincra  facilement 
qu'en  raisonnant  ainsi  on  fait  fausse  route.  Il  faut 
admettre  qu'en  provençal  comme  en  français  conside- 
rart  a  sombré  sous  sa  forme  vraiment  populaire  pour 
reparaître  ensuite  comme  mot  d'emprunt  sous  la  forme 
*amsidrar,  réduite  bientôt  à  consirar.  La  chute  de  la 
nasale  ou,  pour  mieux  dire,  l'assimilation  de  ns  en  ss, 
est  un  phénomène  postérieur,  propre  à  la  phonétique 
provençale,  qui  se  retrouve  dans  pensar  pessar,  transir 
trassir,  etc.  Je  crois  qu'il  faut  interpréter  de  même  tous 
les  mots  provençaux  dont  l'initiale  oscille  entre  cons- 


1.  Leipzig,  Reisland,  1899.  Cf.  le  magistral  compte  rendu  de 
Gaston  Paris,  Journal  des  Savants,  mai  et  juin  1900. 


28  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

et  coss-,  par  exemple  cospirar,  cossegre,  cosselh  (et  ses 
dérivés),  cossentir,  cosciencia,  cossol,  cossolar.  Ce  qui  le 
prouve  bien,  c'est  que  le  groupe  ne  lui-même,  le  c 
ayant  fini  par  prendre  devant  e  ou  i  le  même  son  que 
Y  s,  donne  lieu  à  la  même  assimilation  et  que  l'on  trouve 
cossebre,  cossetar,  macip  au  lieu  de  concebre,  concetar,  man- 
cip,  du  latin  concipere,  concitare,  mancipium. 


XXXI.  —  CUIOLAR 

On  appelle  couramment  cayola,  coyala,  cuyala  ou 
cujala,  en  patois  béarnais',  une  cabane  sur  la  mon- 
tagne, avec  un  parc  pour  faire  gîter  le  troupeau  et  un 
pâturage  d'une  certaine  étendue  pour  le  nourrir2.  Le 
mot  se  trouve  dans  les  textes  du  moyen  âge;  le  plus 
ancien  qui  le  contienne  est  le  Livre  d'Or  de  Bayonne, 
qui  l'écrit  cuiolar.  Les  tentatives  étymologiques  faites 
pour  l'expliquer  sont  restées  infructueuses.  Je  crois  qu'il 
faut  partir  d'un  type  latin  *cubiolaris}  tiré  à  l'aide  du 
suffixe  -arisde  *cubiolum,  diminutif  normal  de  *eubinm, 
dérivé  lui-même  du  verbe  cubare  «  coucher  »  à  l'aide 
du  suffixe  -ium.  L'existence  de  *cubinm  en  latin  vul- 
gaire est  établie  depuis  longtemps  3.  Remarquez  que  le 
provençal  jat\  «  gîte  »  remonte  à  un  type  *jacium  qui 


i.  Inutile  de  reproduire  la  graphie  par  aa  qu'affectionne  le 
béarnais  :  coyalaa,  etc. 

2.  Voyez  Lespy  et  Raymond,  Dict.  béarnais,  articles  coyalar,  ctt- 
jalaa,  cujolar,  cuyalaa,  et  E.  Levy,  Prov.  Suppl.-W.,  article  cujolar. 

3.  Voyez  Korting,  n°  2641,  et  Mever-Lûbke,  Gramm.  des  hng. 
roni.,  II,  5  404. 


DAL'.VAIE,  DAUMAIRE  229 

est  à  jacere  «  gésir  »  dans  le  même  rapport  que  *cubium 
à  cubare.  L'emploi  du  suffixe  -aris  en  gascon  sera  étudié 
plus  loin  à  l'article  Instar. 

A  côté  des  formes  citées  plus  haut,  Lespy  et  Ray- 
mond signalent  dans  la  vallée  de  Barèges  une  forme 
particulière  couylaa.  Cette  forme  n'infirme  pas  l'étymo- 
logie  que  je  propose,  au  contraire  :  elle  vient  de  *cubio- 
laris  par  chute  de  Yo  protonique.  On  sait  que  d'un 
même  type,  *castellaris,  selon  que  la  prononciation  a 
obéi  aux  lois  purement  phonétiques  ou  qu'elle  s'est 
laissé  influencer  par  le  souvenir  du  mot  castellum, 
dont  *castellaris  était  le  dérivé,  nos  dialectes  méri- 
dionaux ont  fait  Caylar  ou  Castelar,  termes  très  fré- 
quents dans  la  toponymie. 

(Mélanges  Léonce  Couture,  p.  262.) 


XXXII.   -   D  AU  MAIE,   DAUMAIRE 

L'article  dalmatica  de  Kôrting  est  bien  court:  on 
n'y  trouve  cité  que  l'ancien  français  daumaire,  sans 
aucune  référence.  Il  n'est  pas  inutile  de  rappeler  que 
différents  patois  actuels  ont  conservé  dalmatica  sous  des 
formes  variées  dont  on  n'a  pas  toujours  vu  la  véritable 
étymologie. 

Dès  1650,  Ménage  a  signalé  l'angevin  daumoire  «  dal- 
matique  »  et  a  prétendu  l'expliquer  par  un  type  *dal- 
matarium  ' .  Quelques  trente  ans  plus  tard,  Furetière  fait 
la  remarque  suivante  :  «  Les  paysans  du  Berry  et  autres 

1.  Origines  de  la  langue  française,  art.  dalmatique. 


2^0  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

lieux  au  delà  de  la  Loire  ont  des  habits  faits  en  forme 
de  casaques  longues  qu'ils  appellent  damnais  :  ce  qui, 
apparemment,  est  un  mot  corrompu  de  dalma- 
tique  ' .  » 

Le  comte  Jaubert  a  recueilli  dômaie  et  dômaire,  sans 
savoir  qu'il  avait  été  devancé  par  Furetière  et  il  a  pro- 
posé dubitativement  comme  étymologie  dominica 2  ; 
puis,  sous  l'influence  de  Ménage,  il  semble  s'être  résigné 
à  rattacher  le  mot  berrichon  à  dalmaticaî.  E.  de  Cham- 
bure  a  voulu  innover  et  il  renvoie  au  bas  latin  dorna- 
derius  pour  hebdomadarius  ;  ce  n'est  pas  heureux,  mais 
il  faut  lui  savoir  gré  d'avoir  rapproché  des  patois  du 
Morvan  et  du  Berry  ceux  du  Poitou,  qui  emploient 
encore  aujourd'hui  daumaie  dans  le  sens  de  «  blouse  », 
de  «  veste  »,  et  en  général  de  «  vêtement  qui  enve- 
loppe 4  ».  Il  est  inutile  de  citer  les  différents  recueils 
lexicographiques  relatifs  à  cette  dernière  province,  qui 
ne  feraient  que  confirmer  ses  indications. 

Il  est  tout  à  fait  certain  que  daumaire,  daumoirc  et 
daumaie  remontent  au  latin  dalmatica  et  constituent 
des  doublets  vis-à-vis  du  français  littéraire  dalmatique. 
Depuis  longtemps  Gaston  Paris  a  signalé  le  parallellisme 
de  grammaire  "=  grammatica  et  de  daumaire  =  dalma- 
ticas.  L'angevin  daumoire  nous  offre  la  même  permu- 
tation de  ai  en  oi  que  nous  observons  dans  Amboise, 
armoire,  grimoire,  Sermoise,  etc.  Reste  daumaie  qui,  au 

i.  Dictionnaire  universel  (publié  en  1690),  art.  dahnatique. 

2.  Gloss.  du  centre,  2e  éd.,  p.  232. 

3.  Ibid.,  p.  720,  et  Suppl.,  p.  54. 

4.  Gloss.  du  Morvan,  p.  260. 

5.  Roinania,  VI,  130. 


D AVAIS,   DAVAISSA  2?i 

premier  abord,  est  surprenant.  Nous  le  trouvons,  dès 
le  douzième  siècle,  rimant  avec  plaie,  dans  le  Roman 
de  Thèbes,  texte  de  l'Ouest,  qui  offre  aussi,  mais  en 
dehors  de  la  rime,  la  forme  daumaire.  Sans  entrer  dans 
l'examen  approfondi  de  la  genèse  phonétique  de  dau- 
maie,  je  me  bornerai  à  rappeler  que  la  disparition  de 
la  dentale  est  un  fait  que  nous  constatons  aussi  dans 
joie,  de  *feticum  ou  *fedicum  ' ,  et  dans  les  anciennes 
formes  meie,  mie  «  médecin  »,  qui  remontent  à 
meàicum. 

Il  reste  à  savoir  si  les  formes  daumaire,  daumaie  doi- 
vent être  considérées  comme  une  preuve  de  la  persis- 
tance de  la  dalmatica  romaine  dans  le  costume  civil, 
ou  s'il  faut  voir  dans  leur  existence  un  témoignage  de 
l'extension  plus  récente  de  l'usage  de  la  dalmatica  ecclé- 
siastique à  la  population  laïque.  Si  l'on  remarque  que 
dalmatica  n'a  pas  abouti  à  *daumage  ou  *daumache2, 
comme  natica  à  nage  ou  nache,  mais  qu'il  n'a  donné 
naissance  qu'à  des  formes  demi-savantes,  on  se  ralliera 
sans  hésiter  à  la  deuxième  manière  de  voir. 


XXXIII.  —  D  AVAIS,  DAVAISSA 
Raynouard  a  rangé  sous  l'article  vayssa  (V,  471) 


1.  Gaston  Paris,  Ficatumêm  roman  (tirage  à  part  de  Miscellanea 
linguistica  in  onore  di  G.  Ascoli),  p.  4. 

2.  La  forme  domagne,  dont  Godcfroy  enregistre  un  exemple 
isolé  de  1424,  paraît  mériter  peu  de  confiance  ;  quant  à  amatick, 
amalique,  c'est  une  altération  curieuse,  mais  de  date  relativement 
récente. 


23J  RECHERCHES  ETYMOLOGIQUES 

«  vigne  sauvage,  lambrusque1  »,  les  deux  exemples  sui- 
vants : 

Ges  una  pruna  d'avays 

En  s'amor  non  daria. 
Raimbaut  de  Vaqueiras  :  S'una  dona  (lire  :  D'una  dona). 

Don  melhor  frug  que  d'avayssa 
N'aura. 

B.  Alahan  de  Narbonne:  No  puesc. 

Je  crois  qu'il  faut  lire  davais,  davaissa.  De  pruna 
davais  je  rapproche  le  rouerguat  lobais  qui  désigne  le 
prunier  sauvage  et  son  fruit;  et  l'emploi  du  féminin 
davaissa  pour  désigner  spécialement  la  prune  sauvage 
me  paraît  assez  naturel.  Quoi  que  l'on  pense  de  l'éty- 
mologie  du  français  davoine,  davaine,  que  l'on  a  voulu 
rattacher  au  latin  damascena2,  je  crois  que  le  provençal 
davais,  davaissa  doit  appartenir  à  la  même  famille. 


XXXIV.  —  DEGATIER 
Raynouard  a  relevé  le  mot  degatier  dans  la  charte 

i .  Cette  traduction  de  vayssa  par  «  vigne  sauvage  »  est  bien 
hasardée  ;  actuellement  vaisso,  prononcé  baisso,  désigne  dans  le 
Rouergue,  soit  le  coudrier,  soit  l'alisier  (baisso  blatico). 

2.  Voyez  sur  ce  mot  une  note  de  Gaston  Paris,  Roman  ta,  XXX, 
402,  et  les  observations  afférantes  de  M.  Meyer-Lùbke,  Z.  fur  roui. 
Phil.,  XXVI,  263.  L'idée  de  remonter  à  damascena  n'est  pas  neuve  ; 
cf.  Dartois  dans  Mém.  Acad.  Besançon,  18 50,  p.  213.  Je  saisis  cette 
occasion  pour  signaler  la  forme  curieuse  dagoine  (et  par  assimila- 
tion gagoine)  dans  le  patois  de  Saint-Pol,  l'argot  davonne  «  prune  » 
(Nouveau  Larousse  illustré)  et  le  savoyard  ameuta.  Les  auteurs  du 
Dictionnaire  du  patois  de  l'Eure  ont  relevé  depuis  longtemps  ce 
curieux  passage  de  Madame  Bovary  de  Flaubert  :  «  J'ai  planté  pour 
elle,  sous  sa  chambre,  un  prunier  de  prunes  d'avoine  (sic).  » 


DECATIE  R  2!? 

de  coutumes  de  Moncuq,  publiée  au  tome  XVI,  p.  132, 
des  Ordonnances.  Il  l'a  traduit  par  «  surveillant  des 
dégâts,  garde  champêtre  »  et  l'a  rattaché  à  la  même 
famille  que  gast,  gastar'.  M.  Levy  se  demande  si  la 
forme  et  le  sens  de  ce  mot  sont  bien  assurés2.  Il  est 
évident  que  Raynouard  a  fait  fausse  route  en  supposant 
que  degatier  était  apparenté  à  gastar  ;  mais  la  forme  est 
bonne  et  le  sens  de  «  garde  champêtre  »  est  certain. 
Degatier  vient  de  dec  «  borne,  limite  »  et  l'officier  qui 
porte  ce  nom  est  le  même  que  celui  que  d'autres  cou- 
tumes appellent  deguieri.  C'était  une  manière  de  garde 
champêtre,  chargé  de  réprimer  les  menus  délits 
commis  dans  la  banlieue,  dans  les  decs  de  la  ville. 
Le  suffixe  composé  -atier  Ç-at-h-ier)  a  un  rôle  assez 
considérable  dans  la  dérivation  provençale,  bien  que 
ni  Diez  ni  M.  Meyer-Lubke  n'en  fassent  de  mention 
spéciale  4;  on  le  retrouve  dans  boscatier,  bovatier,  caussa- 
tier,  cor  atier,  eg  atier  ">,  filatier,  granatier,  lobatier,  mnla- 
tier,  orsatier,  panalier,  pelatier,  porcatier,  telaiier,  vaca- 

1.  Lex.  rom.,  III,  439. 

2.  Prov.  Suppt.-W.,  II,  50. 

3.  Degaier  est  dans  Raynouard,  III,  19;  cf.  Du  Cange,  v° 
deguarius.  Raynouard  traduit  bizarrement  par  «  dégan  »  ;  mais 
deguier  se  rattache  à  dec  et  non  au  latin  classique  decanus.  Quant 
à  dec  «  limite  »,  qui  a  un  e  ouvert,  il  vient  du  latin  vulgaire  decus, 
pour  decussis,  et  est  sans  rapport  étymologique  avec  dec  «  tache, 
vice  »,  qui  a  un  e  fermé  et  est  d'origine  germanique. 

4.  M.  Horning  en  a  dit  quelques  mots  à  propos  du  fr.  courtier 
dans  Z.  fur  rom.  Phil.  XIII,  325. 

5.  M.  E.  Levy  a  bien  raison  de  repousser  les  attaques  dont  ce 
mot  a  été  l'objet  (Prov,  Sttppl.-lV.,  II,  323)  ;  mais  il  ne  faut  le  con- 
fondre ni  avec  egassier,  formé  avec  le  suffixe  composé  -aciarius, 
ni  avec  egue\ier,  qui  sera  étudié  plus  loin  à  son  ordre  alphabé- 
tique. 


234  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

lier,  etc.  Le  français  emploie  plutôt  -etier:  chaussetier, 
courtier  (autrefois  couretier),  grainetier,  louvetier,  etc.  Il 
y  a  pourtant  au  moins  un  exemple  de  -atier  en  français, 
c'est  puisatier. 

(Cf.  Bull,  de  la  Soc.  de  ling.  de  Paris,  séance  du  21  juin  1902.) 


XXXV.  —  DEM  Al 

Foucaud  a  répété  à  deux  reprises  les  deux  vers  sui- 
vants dans  la  fable  L'Ane  e  lou  Che  : 

Tu  ne  sirà  pâ  bien  deimai 
Pèr  un  piti  mouraen  de  mai  ' . 

Il  a  donné  lui-même  la  traduction  «  fatigué,  gêné  » 
pour  le  mot  deimai,  qui  a  fort  embarrassé  son  commen- 
tateur, Emile  Ruben.  Ce  dernier  constate  d'abord  que 
demai  se  trouve  comme  substantif  dans  Dom  Duclou 
au  sens  de  «  surplus,  excédent  »,  puis  il  ajoute  :  «  Peut- 
être  demai  est-il  devenu  adjectif  avec  la  signification 
d'excédé}  »  Mistral  s'est  rangé  à  cette  manière  de  voir3. 
Pourtant  il  saute  aux  yeux  que  demai,  composé  de  de 
et  de  mai,  n'est  pas  la  même  chose  que  deimai  et  ne 
peut  sans  danger  lui  être  assimilé.  J'ai  retrouvé  dans 
une  formulette  que  connaissent  encore  les  vieilles  gens 


1.  Éd.  Ruben,  p.  139. 

2.  Je  m'aperçois  au  dernier  moment  que  Ruben  s'est  ravisé  et 
a  reconnu  dans  deimai  le  substantif  eimai  (additions  de  l'édi- 
tion de  Foucaud,  p.  clxviii)  ;  mais  il  ne  se  rend  pas  bien 
compte  de  la  formation,  car  il  qualifie  deimai  d'adjectif  ou  de  par- 
ticipe. 


DEIMAI  2]  s 

de  Saint-Marc-à-Loubaud  (Creuse)  cet  énigmatique  dei- 


Kan  lo  mètugri  nai, 

Lo  berbi  di  :  «  Sai  pa  deimai.  » 

—  «  Sai  be,  me  »,  di  lo  tauro,  «  jusk'o  mie  mai, 
Mai  por  délai.  » 

Quand  le  pied-d'alouette  naît, 

La  brebis  dit  :  «  Je  ne  suis  pas  inquiète.  » 

—  «  Si  fait  moi  »,  dit  la  génisse,  «  jusqu'à  mi  mai 
Et  par  delà  '.  » 

Je  crois  qu'il  faut  voir  dans  deimai  une  locution 
composée  de  la  préposition  de  et  du  substantif  eimai, 
autrefois  esmai,  lequel  correspond  au  français  actuel 
émoi.  Cette  locution  signifie  proprement  «  en  émoi  »  : 
elle  gagnerait  certainement  à  être  écrite  d'eimai2. 

L'étymologie  des  mots  émoi,  esmai  est  bien  connue  i 
et  il  est  inutile  d'y  insister.  Mais  la  locution  d'eimai 
offre  matière  à  réflexions. 

L'emploi  de  de,  là  où  le  français  s'adresse  à  en,  peut 
surprendre  ;  on  le  retrouve  pourtant,  en  français  même, 
dnns  la  locution  être  de  loisir,  à  laquelle  le  provençal 
moderne  répond  par  estre  de  le%er,  de  lexpur  ou  de  legour. 
Le  limousin  connaît  la  locution  d'aise,  absolument 
similaire  à  la  locution  d'eimai,  témoin  cette  phrase  de 
Jean  Lalet  :  Sei  d'aise  que  ma  fenno  t'aio  choùsil  (je  suis 


i .  Communication  de  ma  cousine  Mmc  Leclère,  originaire  de 
Bouffanges,  commune  de  Saint-Marc-à-Loubaud. 

2.  C'est  d'ailleurs  la  graphie  que  je  trouve  dans  le  Virgilo  LimouTJ, 
de  l'abbé  Roby,  composé  en  1748  et  publié  récemment  par 
M.  Hubert  Texier  (Paris,  Bouillon,  1899),  p.  170  et  282. 

3.  Kôrting,  3420. 


236  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

aise  que  ma  femme  t'ait  choisi)1.  On  dit  en  Berry 
être  de  santé,  pour  «  être  en  bonne  santé  » 2,  et  dans 
l'arrondissement  d'Aubusson,  demoura  de  pacienso,  pour 
a  rester  tranquille  ».  Je  ne  parle  pas,  bien  entendu, 
des  locutions  courantes  comme  d'abord,  d'accord,  d'avan- 
tage, d'emblée,  etc.,  etc.,  dans  lesquelles  la  préposition 
de  a  une  valeur  différente. 

Une  autre  question  se  pose,  et  fort  délicate.  Si  l'on 
écrit  dcimai,  faut-il  considérer  qu'on  a  affaire  à  un 
adjectif,  comme  Ruben  et  Mistral  ne  semblent  pas  en 
douter  ?  C'est  un  point  sur  lequel  Arsène  Darmesteter 
nous  aurait  éclairés,  s'il  avait  songé  à  le  discuter  dans 
son  Traité  de  la  formation  des  noms  composés;  mais  il  a 
éludé  la  discussion.  Dans  le  chapitre  qu'il  consacre  aux 
«  adjectifs  issus  d'une  juxtaposition  »,  il  semble  ignorer 
l'existence  de  débonnaire;  puis  il  le  mentionne  à  con- 
tresens au  milieu  des  substantifs  composés  du  type 
aloi. 

Il  n'est  pas  douteux  que,  dès  le  moyen  âge,  les 
locutions  adverbiales  de  bon  aire,  de  mal  aire,  de  put  aire 
soient  devenues  de  véritables  adjectifs,  puisque  l'on 
trouve  au  cas  sujet  singulier  debonaires,  demalaires  3, 
deputaires,  et  des  dérivés  ou  composés  comme  debonai- 
remenl,  debonaircté,  adebonairir,  depulairement,  deputaireté 
(arrangé  pédantesquement  en  desputarité).  Je  ne  vois 
pas  que  pareil  phénomène  se  soit  produit  pour  d'autres 


1 .  Counteis  de  la  Queirio,  p.  53. 

2.  Jaubcrt,  Gloss.  du  Centre,  au  mot  saule. 

3.  A  l'exemple  unique  de  ce  mot  que  Godefroy  cite  à  l'article 
demalaire  on  doit  en  ajouter  plusieurs  qui  figurent  à  l'article  aire, 
t.  I,p.  194. 


•    DE!  M  Al  »}7 

locutions  jetées  dans  le  même  moule,  telles  que  de 
franche  orine,  de  put  lin,  etc.  ;  cela  tient  sans  doute  à 
ce  qu'elles  étaient  moins  fréquemment  employées.  Mais 
y  a-t-il  de  véritables  adjectifs  formés  par  la  juxtapo- 
sition d'une  préposition  et  d'un  substantif  (ou  d'un 
adjectif  employé  substantivement)  sans  plus  ?  Gaston 
Paris  considérait  l'adjectif  actuel  aise  et  l'ancien  adjectif 
ente  comme  des  contractions  des  locutions  adverbiales 
a  aise,  a  ente  et  il  avait  promis  d'étudier  de  plus  près 
cette  question  à  laquelle  il  rattachait  l'étymologie  de 
guet-apens1.  D'autre  part  M.  Tobler,  après  Diez,  a 
montré  que  l'ancien  français  ne  possède  pas  réellement 
d'adjectif  engrant,  mais  des  locutions  adverbiales  en 
grant,  en  grande,  en  gran^,  en  grandes2.  Il  faut  égale- 
ment décomposer  en  a  seiïr  l'adjectif  asseiir  admis  par 
Godefroy  dans  la  plupart  des  exemples  qu'il  cite  ; 
cependant  il  semble  bien  que  Froissart  et  Jean  d'Arras 
aient  employé  asseiir  comme  un  véritable  adjectif.  Le 
Dictionnaire  général  a  admis  sans  hésitation  l'existence 
d'un  adjectif  dehait,  dehaite,  que  quelques  archaïsants 
employaient  encore  au  dix-septième  siècle  ;  mais  il  faut 
avouer  que  le  féminin  dehaite  ne  se  rencontre  jamais. 
De  nos  jours  les  patois  méridionaux  connaissent  dele^er 
(limousin  dele^ef)  comme  adjectif  et  comme  substan- 
tif* ;  dans  le  Haut-Maine,  Montesson  enregistre  ade- 
laisi,   aderlaisi,   au   fém.    adelaisie,   aderlaisie,    qui    se 


i.  Romania,  XXIX,  262. 

2.  Li  Dis  dou  vrai  Aniel,  2e  éd.,  p.  21. 

3.  Mistral   considère  deped  (debout,   sur  pied)  comme   étant 
adverbe  et  adjectif. 


jj8  RECHERCHES  ÉI YMOLOGiQUES 

décompose  certainement  en  à  +  de  -+-  loisir;  mais 
la  forme  fém.  n'a*qu'une  valeur  théorique. 

Il  n'est  pas  douteux  que  se  tenir  droit  et  se  tenir  debout 
ne  soient  des  expressions  équivalentes;  mais  peut-on 
considérer  debout  comme  un  véritable  adjectif  au  même 
titre  que  droit  ?  Je  ne  crois  pas,  tant  que  nous  ne  nous 
serons  pas  décidés  à  dire  :  Cette  femme  se  tint  longtemps 
*deboute.  La  langue  finira  sans  doute  par  franchir 
l'étape  ',  mais  il  ne  faut  pas  la  devancer. 

C'est  pourquoi  je  conclus  qu'il  vaut  mieux  écrire 
encore  d'eimai  que  deimai.  On,  verra  plus  tard.  Comme 
dit  Foucaud  : 

Tu  ne  sirâ  pa  bien  d'eimai 
Pèr  un  piti  moumen  de  mai. 

(Cf.  Bull,  de  la  Soc.  de  linguistique  de  Paris,  séance  du  7  juin  1902  ; 
Revue  des  parler  s  popul.,  année  1903,  p.  171.) 


XXXVI.  —  DÊLAVRA 

Le  français  doloire,  le  provençal  doladoira,  le  dau- 
phinois dalouèri,  le  lyonnais  doliuri,  etc.,  remontent 
à  un  type  latin  vulgaire  dolatoria,  dont  l'existence  ne 
soulève  aucune  difficulté2.  Mais  le  latin  classique  do- 
labra  n'a-t-il  aucun   représentant  en   roman,  comme 


1 .  L'étape  est  franchie  pour  alerte  et  ingambe,  mais  ce  sont  des 
locutions  d'origine  italienne  où  le  français  n'est  pas  gêné  par  sa 
propre  tradition. 

2.  Le  gascon  doladera,  auj.  douladèro,  offre  une  substitution  du 
suffixe  habituelle  dans  les  désinences  analogues  :  -atarius,  au  lieu 
de  -atorius. 


DES0USS1NA 


porterait  à  le  croire  son  absence  du  Lat.-rom.  Wœrter- 
buch  de  Kôrting  et  des  différents  suppléments  qu'on  y 
a  ajoutés  ? 

Je  lis  dans  le  Patois  de  Vionna^  de  M.  Gilliércn, 
p.  144  :  «  Délavra,  pioche  à  un  tranchant.  »  Réguliè- 
rement, on  devrait  avoir  à  Vionnaz,  delavra,  non  déla- 
vra. Il  ne  me  semble  pas  que  ce  soit  une  raison  suffisante 
pour  repousser  l'étymologie  dolabra,  si  l'on  se  rappelle 
que  dans  l'antiquité  romaine  la  dolabra  n'était  pas  seu- 
lement un  instrument  de  charpentier,  mais  aussi  une 
pioche  de  pionnier. 


XXXVII.  —  DESOUSSINA 

Béronie,  dans  son  Dictionnaire  du  patois  du  Bas- 
Limousin,  a  enregistré  le  verbe  transitif  deso-oussina 
(c'est  ainsi  qu'il  écrit)  en  se  bornant  à  noter  qu'il  est 
synonyme  de  degôursa  ;  or  il  traduit  degôursa  par 
«  défricher  en  arrachant  les  bois  et  les  épines.  »  Voici 
ce  qu'est  devenue  dans  le  Trésor  dôu  Felibrige  la  courte 
indication  de  Béronie: 

Desèusina,  desôusina  (lim.).  v.  a.,  arracher  les  chènes-verts, 
défricher.  Racine  :  des,  êusino. 

Je  pense,  jusqu'à  preuve  du  contraire,  que  «  desèu- 
sina, arracher  les  chênes-verts  »  est  un  simple  schème. 
Mistral  a  considéré  que  le  bas-limousin  desoussina  était 
une  faute  pour  desôusina,  et  que  desôusina  pouvait  être 
composé  de  des  et  du  substantif  éusino,  ousino,  ausino 
(la  forme  varie  selon  les  lieux)  qui  désigne  soit  le  gland 


240  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

de  l'yeuse,  soit  l'yeuse  elle-même.  C'est  une  opinion. 
On  avouera  cependant  que  s'il  existait  ou  s'il  avait 
existé  un  substantif  oussino  «  terre  inculte,  friche  », 
le  verbe  desoussina  serait  bien  mieux  venu  à  signifier 
«  défricher  ».  Or,  j'ai  montré  plus  haut1  que  la  langue 
du  moyen  âge  connaissait  l'adjectif  abs,  absa  «  inculte  », 
représenté  aujourd'hui  parasse,  asso;  elle  a  connu  aussi 
le  substantif  *absina,  francisé  en  absine,  terre  inculte. 
Godefroy  n'en  cite  que  deux  exemples,  du  Sud  du 
Poitou  ;  j'en  connais  au  moins  un  dans  la  Marche. 
Dans  l'aveu  et  dénombrement  rendu  à  Anne  de  France, 
en  1502,  par  noble  Jehan  Taquenet,  élu  de  la  Marche, 
pour  sa  maison  noble  dite  La  Maison-du-Bost2,  il  est 
déclaré  que  cette  maison  noble  était  «  toute  demolye, 
destruyte  et  en  absine*  ».  Or,  à  côté  de  la  forme  abs, 
on  employait  aussi  la  forme  aus*:  que  cette  forme  ait 
du  exister  dans  le  dialecte  limousin,  il  n'en  faut  pas 
douter,  puisque  dans  ce  dialecte  même  nous  rencon- 
trons chaus  «  châs  d'une  aiguille  »  et  eslaus  «  lancière 
d'un  étang  »  comme  représentants  des  types  étymo- 
logiques capsus  et  *exlapsùsî.   L'existence  de   absine 

1 .  Article  asse. 

2.  Commune  d'Ajain,  arrondissement  de  Guéret.  Le. nom  est 
parfois  francisé  en  La  Maison- du-Bois,  plus  souvent  altéré  en  La 
Maison-dn-Beau  (!). 

3.  Arch.  nat.,  P  471. 

4.  Si  l'on  a  quelques  doutes  sur  la  synonymie  de  aitssa  terra  et 
de  absa  terra,  admise  dubitativement  par  les  Bénédictins  dans  leur 
supplément  à  Du  Cange,  on  peut  faire  fond  en  tout  cas  sur  l'exis- 
tence de  aussedat  à  Montpellier  au  sens  de  «  terre  en  friche  »  (Liber 
instr.  mentor.,  p.  647,  682,  729).  Aussedat,  signalé  par  M.  Chaba- 
neau  dans  la  préface,  a  échappé  à  M.  Emil  Levy. 

5.  Sur  eslaus,  voyez  mes  Essais,  p.  291. 


DESSOUBRER  24 1 

permet  donc  d'affirmer  celle  de  *aussina  en  ancien 
limousin  :  d'ailleurs  le  mot  est  encore  vivant  dans  la 
toponymie.  A  côté  de  Laussine,  hameau  de  Varennes 
(Dordogne),  nous  trouvons  dans  la  Corrèze  le  château 
des  Oussines,  autrefois  Aussines1,  qui  a  donné  son 
nom  à  la  commune  dite  officiellement  Saint-Merd-les- 
Oussines. 

Donc,  le  verbe  bas-limousin  actuel  desoussina  remonte 
incontestablement  à  un  verbe  médiéval  *desaussinar. 

(Revue  des  parler  s  pop.,  année  1903,  p.  174;  cf.  Bulletin  de  la  Soc. 
de  ling.  de  Paris,  séance  du  7  juin  1902.) 


XXXVIII.  —  DESSOUBRER 

George  Sand  fait  dire  à  un  de  ses  personnages  rus- 
tiques dans  le  roman  de  Jeanne:  «  Ne  me  violentez 
pas  et  ne  me  dessoubre^  pas  mes  vêtements,  mon  bon 
Monsieur.  »  Jaubert  a  recueilli  ce  mot  dans  son  sup- 
plément et  l'a  rapproché  de  son  article  dessombrer,  où 
on  lit  :  «  Dessombrer ,  v.  a.  Déchirer.  Se  dit  des  vête- 
ments. »  Mais  il  est  muet  sur  l'étymologie,  laquelle  n'est 
pas  transparente.  Dessombrer  est  une  altération  de  des- 
soubrer,  qui  est  lui-même  une  forme  labialisée  de*  des- 
sebrer.  D'après  Mistral,  le  limousin  a  le  verbe  dessibra 
«  déchirer2  ».  Le  berrichon  des  confins  de  la  Marche 
marche  ordinairement  avec  le  limousin  pour  la  phoné- 
tique des  consonnes  sourdes  c,  l,  p,  et  il  n'est  pas  éton- 


1.  J.-B.  Champeval,  Le  Bas-Limousin  seigneurial,  p.  325. 

2.  Article  eissebra. 

Thomas.  II.  —  16 


242  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

nant  qu'il  ait  eu  jadis  la  forme  dessebrer,  correspondant 
au  provençal  dessebrar  et  au  français  dessevrer,  du  latin 
\u\gaire  *disseperare  pour  disseparare  «  séparer  ».  Dans 
le  Bas-Poitou,  on  emploie  sebrer  et  sevrer  dans  le  sens  de 
«  déchirer I  »  et  eissebra  (du  latin  vulgaire  *exseperare) 
est  très  répandu  dans  le  Midi. 

XXXIX.  —  DESTEILLA,  DESTÊL 

J'emprunte  au  Dictionnaire  patois-français  de  l'Aveyron 
de  l'abbé  Vayssier  les  deux  articles  suivants  : 

Desteilla,  v.  n.  Tomber  en  parlant  des  fruits  avortés  ou  piqués 
qui  n'arrivent  pas  à  maturité.  Las  poumos  destèillou,  les  pommes 
avortées  ou  véreuses  tombent  (R.  destêl.)  —  Se  dit  aussi  d'une 
couvée,  d'une  bande  d'oies  dont  il  périt  quelques  têtes.  S[aint}- 
A[ffrique\. 

Destèl,  s.  m.  Fruits  avortés  ou  véreux  qui  n'arrivent  pas  à 
maturité  et  qui  tombent  des  arbres. 

J'ai  eu  occasion  de  signaler  ce  verbe  desteilla  et  ce 
substantif  destêl 2  et  je  les  ai  rattachés  à  l'ancien  pro- 
vençal destuelh  «  dérangement  »,  dont  le  radical  est  le 
latin  toi  1ère.  Cette  opinion  est  erronnée  :  si  j'avais 
remarqué  que  l'abbé  Vayssier  indiquait  nettement  que 
destêl  et  desteilla  avaient  un  é  fermé,  je  n'aurais  pas 
songé  à  cette  étymologie.  Je  propose  aujourd'hui  de 
reconnaître  à  la  base  de  destêl,  desteilla  le  substantif 
latin  stïlns  (slylus)  «  tige  »  et  de  leur  instituer  des 

i.  Beauchet-Filleau,  Essai  sur  le  patois  poitevin;  Simonneau, 
Gloss.  de  l'Iie  d'EUe  (Vendée),  dans  Rei:  de  phil.  franc.,  III, 
117,  etc. 

2.  Essais,  p.  87. 


DESTEILLA,  DESTEL  24} 

types  étymologiques  de  latin  vulgaire  *destilium,  *des- 
tiliare.  Je  rappelle  d'abord  que  stilus,  au  sens  de  «  tige  », 
appartenait  bien  au  latin  vulgaire,  puisque  l'italien  a 
stelo  dans  ce  sens.  La  naissance  d'un  verbe  *destilare  au 
sens  de  «  séparer  de  la  tige  »  n'a  rien  que  de  normal 
pour  qui  songe  aux  verbes  analogues  decarnare,  decer- 
vicare,  decollare,  decoriare,  decorticare,  etc.,  que  le  latin 
possédait  en  grand  nombre';  à  côté  de  *destilare  on  a 
pu  créer  *destilium,  d'après  le  modèle  de  suspirium 
répondant  à  suspirare  ;  puis  *destiliare,  tiré  de  *destilium, 
aura  pris  la  place  de  *destilare}  comme  *exsiliare  celle 
de  ex  sut  are. 

A  la  rigueur  même,  l'étape  *destilare  n'est  pas  néces- 
saire. M.  Meyer-Lùbke  se  demande  si  les  langues 
romanes  ont  ajouté  le  suffixe  -iare  à  des  substantifs 
pour  former  -des  verbes  et  il  ne  voit  guère  que  l'italien 
gocciare  et  l'ancien  français  trier  qui  remontent  à  gutta 
et  ira  -\-  iare1.  Mais,  sans  prétendre  que  cette  dériva- 
tion soit  fréquente,  je  ferai  remarquer  que  le  latin  clas- 
sique en  offre  le  type  dans  cruciare  dérivé  de  crucem  - 
et  que  de  frustum  le  latin  vulgaire  a  tiré  *frnstiare,  *de- 
frustiare,  d'où  l'ancien  français  froissier  (aujourd'hui 
froisser}  et  defroissier  3 . 

Donc,  *destiliare  peut  être  une  formation  parasyn- 
thétique  de  de  et  de  stilus  et  le  rouergat  desiêl  avoir  été 
tiré  à  une  époque  plus  récente  du  verbe  roman  *des- 

i.   Gramm.  des  1.  roui.,  II.  5  576. 

2.  En  très  ancien  français  on  a  formé  par  un  procédé  analogue 
auisier,  apaisier,  croisicr  de  aise,  pais,  crois. 

3.  M.  Meyer-Lùbke  cite  b\en  froissier ,  mais  pêle-mêle  avec  les 
dérivés  d'adjectifs  et  de  participes. 


244  RECHERCHES  ETYMOLOGIQUES 

telbar1.  Un  curieux  exemple  de  formation  en  -tare  nous 
est  fourni  par  le  mot  exmucciare,  relevé  sur  une  in- 
scription, Corpus,  IV,  1391,  et  qui  paraît  imité  du 
grec  âzoj/,ÛGoeiv. 


XL.  —  DOLSA 

Le  Dictionnaire  de  Trévoux  définit  gousse  par  «  enve- 
loppe qui  couvre  plusieurs  espèces  de  légumes,  comme 
pois,  fèves,  vesce,  etc.  ».  Puis  il  ajoute,  comme  par 
acquit  de  conscience  :  «  On  dit  fort  improprement  une 
gousse  d'ail  pour  signifier  les  cayeux  de  cette  plante.  » 
Malgré  qu'on  en  ait,  il  faut  bien  reconnaître  que  le 
français  confond  sous  un  même  vocable  deux  objets 
qui  sont,  en  effet,  même  à  d'autres  yeux  qu'à  ceux  des 
botanistes,  deux  objets  fort  différents.  Cette  confusion 
remonte  loin,  car  je  trouve  déjà  au  treizième  siècle 
«  une  gousse  d'ail  »  dans  le  Livre  des  simples  médecines 
de   la  Bibliothèque   Sainte-Geneviève2.   Mais  il   faut 

1.  Il  est  à  peine  besoin  de  faire  remarquer  que  *destillium,  du 
latin  classique  destillare,  conviendrait  aussi  bien  phonétiquement 
pour  expliquer  destèl,  desteilla,  mais  que  la  base  slilla  paraît  bien 
inférieure  sémantiquement  à  la  base  stilus.  Je  note  en  passant  que 
destillare  vit  sous  la  forme  populaire  détela  dans  le  Valais  où  il 
signifie  «  tomber  goutte  à  goutte  »  (Gilliéron,  Patois  de  Vionna\, 
p.  145). 

2.  Folio  3  v°.  C'est  une  traduction  du  traité  de  Platearius  connu 
sous  le  nom  de  Circa  instans.  Godefroy  et  Hatzfeld-Darmesteter 
ne  signalent  pas  d'exemple  aussi  ancien.  G.  Paris  a  cru  reconnaître 
le  mot  gousse  dans  la  gauce  ou  jauce  aillie,  espèce  de  sauce  souvent 
mentionnée  par  nos  trouvères,  à  commencer  par  Colin  Muset 
(Romania,  XVIII,  140  et  149);  je  ne  partage  pas  cette  manière  de 
voir. 


UULÏ>A  245 

reconnaître  que  le  bulbe  de  l'ail  a  porté  et  porte  encore 
dans  certains  patois  un  tout  autre  nom.  Olivier  de 
Serres  dit  dausse;  le  Mesnagier  de  Paris  emploie  la 
forme  doulce;  et  au  douzième  siècle  on  trouve  dosse 
dans  la  Vie  de  saint  Gilles  '.  En  revanche,  dans  le 
Lyonnais  et  dans  le  Forez  dausse,  dorse  ou  dorsi  s'ap- 
plique à  la  gousse  ou  cosse  des  légumes  ;  à  Vionnaz 
(Valais)  on  dit  doûfâ  (f  —  s),  mais  la  traduction  par 
«  gousse  »  que  donne  M.  Gilliéron  nous  laisse  incer- 
tains sur  le  vrai  sens2.  Les  patois  méridionaux  con- 
fondent également  les  deux  significations  ;  voyez  Mistral 
à  l'artitle  dôiisso. 

Je  n'ai  pas  la  prétention  de  débrouiller  les  rapports 
compliqués  des  trois  termes  dausse,  gousse  et  cosse  ;  mais 
je  puis  au  moins  apporter  quelques  précisions  sur  l'his- 
toire du  premier  de  ces  termes.  L'ancien  provençal  ne 
connaît  que  dolsa  et  il  est  d'accord  en  cela  avec  le 
français  du  douzième  siècle  où  dosse  peut  être  une 
graphie  défectueuse  pour  dolse.  Quelle  est  l'étymologie 
de  dolsa  ?  Je  ne  m'arrête  pas  au  grec  Zzij.y.z  «  long  », 
mis  en  avant  pas  Mistral;  mais  l'opinion  de  Nizier  du 
Puitspelu  pourrait  paraître  plus  fondée.  D'après  lui,  le 
lyonnais  dorsi  se  rattacherait  au  latin  dorsum,  lequel 
«  avait  pris  le  sens  de  pellis,  étendant  ainsi  la  signifi- 
cation de  la  partie  au  tout?  ».  Dans  cette  hypothèse, 

1 .  Voyez  Godefroy,  aux  articles  dausse  et  dolse  qu'il  a  oubliés 
de  fondre. 

2.  Patois  de  Vionna^,  p.  146.  Il  est  probable  que  le  mot  valaisan 
veut  dire  «  cosse  »  ;  en  tout  cas,  nous  voyons  qu'à  Metz,  au  sei- 
zième siècle,  J.  Aubrion  parle  de  la  dolse  des  pois  nouveaux  (Gode- 
froy, v°  dolse). 

3.  Dict.  ètym.  du  patois  lyonnais,  p.  131. 


246  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

il  serait  impossible  de  concilier  le  lyonnais  avec  le  pro- 
vençal; d'autre  part,  la  forme  doulce  du  Ménagier  de 
Paris  remonte  évidemment  à  une  ancienne. forme  dolse 
(par  vocalisation  de  17)  et  se  rattache  solidement  au 
provençal.  Si  l'on  tient  compte  d'un  fait  fréquent  en 
lyonnais,  à  savoir  le  changement  de  17  en  r  devant  une 
consonne,  on  sera  porté  à  supposer  que  le  lyonnais 
dorsi  est  pour  *dolsi  et  suppose  un  type  *dolsia,  distinct 
du  type  provençal,  mais  non  inconciliable  avec  lui1. 
Or,  le  hasard  de  mes  lectures  m'a  fait  rencontrer 
dans  un  texte  de  l'époque  carolingienne  (le  manuscrit 
est  du  neuvième  siècle)  la  recette  médicale  suivante, 
qui  pourra  peut-être  profiter  aux  sourds  de  notre  époque 
et  que  je  me  fais  un  plaisir  de  transcrire  en  entier  : 

Ad  eos  qui  non  audiunt,  de  nogario  scorcia  peciola  novem,  alii 
dohas  novem,  Jovebarba  dolsas  similes  insimul  tritas  et  aceto  cum 
jus  expressum  admittetur  et  in  aurem  distillabis  2. 

Il  est  manifeste  que  les  alii  dolsas  de  notre  recette 
sont  des  gousses  d'ail;  quant  aux  dolsas  de  joubarbe, 
ce  sont  vraisemblablement  les  fascicules  de  feuilles  en 

1.  N.  du  Puitspelu  admet  que  Y  s  dure  peut  changer  l'a  postto- 
nique en  i  ;  mais  M.  Philippon  a  justement  contesté  cette  assertion 
(Romania,  XX,  3 10)  ;  c'est  pourquoi  je  suppose  *Johiu.  Mais  comme 
nous  ne  connaissons  pas  d'exemple  ancien  pour  le  lyonnais,  il  se 
peut  que  17  soit  dû  à  une  altération  analogique  récente  et  que  le 
lyonnais  remonte  comme  le  provençal  au  type  dolsa. 

2.  W.  Schmitz,  Miscellatiea  Tironensia  (Leipzig,  1896),  p.  65. 
Les  mots  en  italique  sont  écrits  dans  le  manuscrit  (Vatican,  Reg. 
846)  en  caractères  ordinaires  et  non  en  notes  tironiennes.  Comme 
des  planches  accompagnent  cette  curieuse  publication,  il  est  facile 
de  se  rendre  compte  que  l'éditeur  a  eu  tort  de  lire  nogamo  au  lieu 
de  nogario.  Cf.  un  intéressant  article  de  M.  C.-H.  Moore  sur  ces 
recettes  médicales  dans  Arch.  fur  lat.  Lexicogr.,  X,  266. 


DROUERI  247 

rosette  de  cette  plante  qu'il  faut  entendre  sous  ce  nom. 
•D'où  vient  dolsa  ?  Je  l'ignore;  mais  c'est  déjà  quelque 
chose  que  d'avoir  une  forme  carolingienne  à  sa  dispo- 
sition pour  pousser  plus  avant  l'étymologie  '.  J'ajoute 
que  les  formes  romanes  indiquent  clairement  que  Yo 
de  dolsa  était  un  0  bref. 


XLI.   —  DROUERI 

Le  mot  lyonnais  drouérî  est  un  verbe  qui  signifie 
«  passer  une  règle  sur  un  boisseau  plein  pour  enlever 
l'excédent  ».  Nizier  du  Puitspelu  y  voit  un  dérivé  de 
l'adjectif  français  droit  prononcé  droué;  mais  ni  le  sens 
ni  la  phonétique  ne  s'accommodent  de  cette  étymolo- 
gie.  Le  verbe  qui  exprime  la  même  opération  en  pro- 
vençal moderne  est,  selon  les  régions,  rasouira,  radouira, 
redouira,  ravouira,  revouira  ;  il  dérive  du  substantif 
rasouiro,  radouiro,  etc.,  lequel  correspond  à  un  double 
type  latin  vulgaire  rasoria  et  *rasitoria,  représenté  en 
français  par  radoire,  nom  de  la  règle  qui  sert  à  «  ra- 
der2  ».  Le  mot  lyonnais  drouérî  me  paraît  être  une 
simple  altération  de  radouérî,  verbe  tiré  du  substantif 
radouéri.  Puitspelu  enregistre  effectivement  radouêri 
et  radouérî  ;  le  verbe  dérive  du  substantif,  lequel  est 
emprunté,  soit  au  provençal  radoira,  soit  au  français 
radoire.  Si  le  type  latin  *rasitoria  s'était  conservé  tra- 

1.  M.  Moore,  dans  le  travail  cité  à  la  note  précédente,  rapproche 
dolsa  de  l'allemand  dolde  «  ombelle  »  ;  mais  Y  s  roman  ne  peut  faire 
bon  ménage  avec  un  d  germanique. 

2.  Sur  la  formation  des  mots  français  rader,  radoire  et  leurs 
congénères,  voyez  mes  Essais,  p.  367. 


248  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

ditionnellement  en  lyonnais,  il  serait  aujourd'hui 
*roduri:  cf.  rodo,  de  *rasitarel,  et  coluri  de  *colatoria. 
Pour  expliquer  IV  épenthétique,  il  n'est  pas  besoin 
de  faire  appel  au  franc,  droit  :  cf.  lyonnais  droblo 
«  double  »,  étroblo  «  étable  »,  etc. 


XLII.  —  DURAINE 

A  côté  de  duracine  —  mot  calqué  sur  le  latin  dura- 
cina,  féminin  de  duracinus  —  que  nous  avons  gardé 
au  sens  de  «  pêche  dont  la  chair  est  plus  ferme  que  celle 
de  l'espèce  ordinaire  »,  Cotgrave  enregistre  une  forme 
plus  intéressante,  dur  aine  ou  dureine.  Je  ne  sais  où  il  a 
pris  dureine;  mais  duraine  est  vraisemblablement  em- 
prunté à  la  traduction  de  Pline  par  Antoine  Du  Pinet, 
publiée  en  1562,  où  on  lit,  non  à  propos  des  pêches, 
mais  à  propos  des  cerises  :  «  Les  durâmes  sont  les  meil- 
leures de  toutes...  En  Picardie  on  fait  grand  estât  des 
duraines  de  Portugal2.  »  Du  Pinet  emploie  le  même 
mot  dans  sa  traduction  de  Dioscoside  :  «  Les  meilleures 
de  toutes  les  cerises  sont  les  guynes  et  les  duraines  î.  » 
Il  est  difficile  de  ne  pas  reconnaître  dans  duraine  la 
forme  populaire  régulièrement  issue  du  latin  durâcina 
et  qui  a  dû  être,  à  l'origine  de  notre  langue,  *duraisne. 
On  sait  que  le  masculin  duracinus  a  donné  l'espagnol 
dura^no  «  variété  de  pêche  »  4  :  il  n'est  donc  pas  extra- 

1.  Sur  l'étymologie  de  ce  mot,  voyez  mes  Mélanges,  p.  132. 

2.  Édition  originale,  t.  I,  p.  571. 

3 .  Cité  par  Godefroy,  v°  duraine. 

4.  Kôrting,  3152. 


DU  RAINE  249 

ordinaire  que  le  français  ait,  lui  aussi,  conservé  le  mot 
latin,  mais  il  n'était  peut-être  pas  inutile  de  le  faire 
remarquer,  puisque  personne  ne  semble  s'en  être  aperçu. 
Le  patois  du  Rouergue  a  le  substantif  duraice  qui 
signifie,  selon  les  lieux,  «  pêche  »  ou  «  abricot  pré- 
coce, petit  et  de  mauvaise  qualité.  »  L'abbé  Vayssier 
le  décompose  en  dur  et  aice,  c'est-à-dire  «  dur  »  et 
«  acide  »  ;  Mistral  le  tire  directement  du  latin  dura- 
cinus '.  Cette  dernière  étymologie  soulève  une  difficulté 
phonétique,  car  dans  le  dialecte  du  Rouergue,  où  le 
mot  latin  acinus  donne  ase,  le  composé  duracinus  aurait 
dû  donner  *durase.  D'autre  part,  je  relève  dans  un  car- 
tulaire  d'Albi  une  énumération  d'arbres  fruitiers  ainsi 
conçue  :  «  noguiés,  pomiés,  periés,  pruniés,  durayquiés, 
preseguiés2.  »  Le  duraiquier  est  évidemment  un  arbre 
qui  donne  des  *duraics  ou  des  *duraicas:  là  encore  la 
désinence  de  duracinus  est  impuissante  à  nous  expliquer 
celle  de  *duraic  ou  de  *duraica.  Peut-être  faut-il  sup- 
poser une  double  déformation  :  d'une  part,  *durâscinus 
(sous  l'influence  de  damâscinus),  qui  donnerait  réguliè- 
ment  duraice  ;  de  l'autre,  *duraicus  (par  une  imitation 
des  mots  comme  hebraicus,  laicus  qui  a  abouti  à  la 
création  en  provençal  de  mots  comme  derraic,  ni^aic, 
primaic,  etc.),  d'où  *duraic  et  le  dérivé  duraiquier  (au 
lieu  de  *duraiguier). 


1.  On  sait  que  le  mot  latin  est  composé  de  l'adj.  durus  et  du 
subst.  acinus.  M.  Keller  croit  que  le  point  de  départ  de  ce  mot  est 
l'adj.  Dyrrachïnus  et  que  duracinus  est  due  à  une  étymologie  popu- 
laire (Lat.  Volksetym.,  p.  60  et  234):  c'est  une  idée  ingénieuse, 
mais  qui  ne  repose  sur  rien  de  solide. 

2.  Rev.  des  lang.  rom.,  1902,  p.  464  ;  cf.  Ami.  du  Midi,  XV,  541. 


250  RECHERCHES  ETYMOLOGIQUES 


XLIII.  —  ECHAMOUSTA 


Mistral  a  enregistré  le  verbe  gascon  echamousta  «  faire 
sécher  légèrement  »  et  l'a  rapproché  dubitativement  de 
escoumoussa,  qu'il  définit  lui-même  par  «  égrener  les 
gerbes,  en  secouer  ou  froisser  les  épis,  avant  de  les  sou- 
mettre au  battage  ou  foulage  définitif  ».  On  voit  faci- 
lement que  ni  la  forme  ni  le  sens  n'autorisent  un  pareil 
rapprochement. 

Alcée  Durrieux  définit  ainsi  echamousta  «  presser, 
tordre  le  linge  pour  en  faire  sortir  l'eau,  faire  sécher  un 
peu  ». 

J'ai  eu  occasion  d'établir  l'existence  du  latin  vulgaire 
*submustare  au  sens  de  «  fouler  le  raisin  pour  en  faire 
sortir  le  moût  '  ».  Peut-être  le  gascon  echamousta  est-il 
sorti  d'un  type  *exsubmustare,  qui  aurait  donné  primi- 
tivement *echemosta,  puis  echamousta  ? 


XLI.  —  ECOISSON 

Le  verbe  latin  excuiere,  en  ancien  provençal  escodre, 
en  ancien  français  eskeure,  escorre,  escourre,  a  encore  une 
grande  vitalité  sur  le  sol  de  la  Gaule,  soit  au  Nord,  soit 
au  Midi,  particulièrement  avec  le  sens  de  «  faire  sortir 


i.  Mélanges  J'itym.  franc.,  p.  158  ;  cf.  Z.  fur  vont.  Pbil.,  XXVI, 
131. 


ECOISSON  2  S  i 

le  grain  des  céréales  par  le  battage  '  ».  Donc,  ce  n'est 
pas  merveille  que  le  patois  lyonnais  dise  écourre  pour 
«  battre  »  et  écossou,  écossu  pour  «  fléau  »,  ce  dernier 
mot  représentant  à  vif  le  latin  excussorium2.  Mais  il 
mérite  vraiment  d'être  cité  à  l'ordre  du  jour,  comme 
disent  nos  gens  de  guerre,  pour  avoir  gardé  intrépide- 
ment un  substantif  abstrait  qui  paraît  avoir  succombé 
dans  tous  nos  autres  patois:  je  veux  dire  écoisson^.  Ce 
mot  ne  s'emploie  qu'au  pluriel  :  Nizier  du  Puitspelu  le 
définit  par  «  battage  des  grains  »  et  donne  comme 
exemple  la  locution  lo  tian  de  los  écoissons,  le  temps  du 
battage.  L'étymologie  est  clairement  le  lat.  excussio- 
fiem  :  il  est  inutile  de  la  défendre.  Si  N.  du  Puitspelu  y 
avait  songé,  il  n'aurait  certainement  pas  écrit  ce  qu'il 
a  écrit  :  «  d'excussum,  avec  suff.  onem  ;  on  devrait  avoir 
écosson,  comme  on  a  écossou  ;  écoisson  répondrait  à  *ex- 
ciiisoncm.  »  Sachons-lui  gré,  du  moins,  d'avoir  mis  le 
verbe  «  répondre  »  au  mode  conditionnel.  Je  vois  bien 
ce  qui  l'a  fourvoyé:  c'est  le  genre  masculin  du  mot 


i.  Pour  le  Midi,  voyez  l'article  escoudre  de  Mistral;  pour  le 
Nord,  l'article  escoudre  de  Godefroy,  où  se  trouvent  des  références 
aux  patois  actuels  qu'il  serait  facile  d'augmenter.  Sur  la  forme 
normale  que  doit  prendre  en  français  Vu  accentué,  cf.  G.  Paris 
dans  Romauia,  X,  43. 

2.  N.  du  Puitspelu  explique  le  mot  par  un  type  latin  excussus-\- 
orem  ;  mais  cela  tient  à  l'idée  qu'il  se  fait  du  développement  des 
mots  en  -oriiun,  où  il  croit  que  -oriiim  a  été  remplacé  par  -oreui, 
idée  que  je  ne  partage  pas.  Cf.  le  provençal  moderne  escoussou 
«  fléau  »  qui  a  à  côté  de  lui  le  dérivé  escoussouira  «  battre  avec  le 
fléau  ». 

3.  C'est  la  graphie  de  Cochard  que  je  garde  comme  plus  fidèle 
à  la  tradition.  N.  du  Puitspelu  écrit  koiiesson  et  écoesson  ;  peu 
importe. 


252  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

lyonnais.  Mais  le  mot  français  poison,  lui  aussi,  est 
masculin,  et  n'en  vient  pas  moins  de  potionem,  comme 
frisson  de  *frictionem,  et  soupçon  de  suspectionem. 

XLV.  —  ËCULORGER 

L'ancien  français  escolorgier  et  l'ancien  provençal 
escolorjar  «  glisser  »  ont  été  magistralement  expliqués 
par  M.  S.  Bugge,  qui  les  a  ramenés  à  un  type  latin 
vulgaire  *excollubricare  '..  Le  mot  provençal  ne  paraît 
pas  avoir  eu  grande  vitalité  :  on  n'en  possède  que  deux 
exemples  qui  appartiennent  tous  deux  au  traducteur 
anonyme  du  Liber  scintillarnm  de  Defensor,  et  il  n'y  en 
a  aucune  trace  dans  les  patois  méridionaux  actuels.  Au 
contraire,  le  français  escolorgier  est  très  fréquent  dans  les 
textes  du  moyen  âge  ;  les  exemples  réunis  par  Godefroy 
s'arrêtent  à  la  fin  du  quatorzième  siècle  avec  Christine 
de  Pisan,  mais  si  le  mot  a  bientôt  disparu  de  l'usage 
général,  il  s'est  conservé  dans  les  patois  des  confins 
bretons.  Il  est  remarquable,  en  effet,  que  Lagadeuc, 
dans  son  Catholicon  composé  en  1464,  emploie  concur- 
remment escolorgier  et  glincier  pour  traduire  le  breton 
risclaff.  Mais  ce  qui  est  plus  remarquable  encore  et  ce 
qui  fait  la  raison  d'être  de  cette  notule,  c'est  que  le 
mot  est  encore  vivant  aujourd'hui  dans  le  patois  du 
Bas-Maine.  Je  relève  en  effet  la  mention  suivante  dans 
le  Glossaire  de  M.  Dottin  :  «  Eculorger,  glisser  sur  le 
derrière  (Craonnais).  »  Je  veux  bien  faire  la  part  du... 

1.  Romania,  IV,  354.  Carpentier  et  Raynouard  rattachaient  ces 
mots  à  colare. 


EGVEZIER  is  % 

derrière;  mais  on  m'accordera  que  le  propriétaire  fon- 
cier est  sans  aucun  doute  *excollubricare  ' . 

XLVI.  —  EGUEZIER 

On  sait  que  le  latin  egnus  a  de  bonne  heure  disparu 
de  l'usage  populaire  et  que  sa  place  a  été  prise  par  cabal- 
lus;  au  contraire,  son  féminin  equa  est  encore  vivant 
dans  la  plus  grande  partie  du  domaine  roman2.  De 
equus,  equa,  le  latin  littéraire  avait  tiré  de  nombreux 
dérivés  :  quels  sont  ceux  qui  se  sont  maintenus  dans  le 
latin  vulgaire  ?  Kôrting  ne  cite  que  equaria,  que  M.  Baist 
considère  comme  l'étymologie  de  l'espagnol  enguera 
et  de  l'ancien  portugais  angueira7»;  je  tiens  pour  très 
certain  que  l'espagnol  et  le  portugais  représentent 
angaria,  ainsi  que  l'a  établi  M.  Tailhan4.  Mais  il  n'est 
pas  moins  certain  que  l'espagnol  yeguero  «  gardien  des 
cavales  »  remonte  à  equarius  et  que  son  synonyme 
archaïque  yegari^o,  yeguerixp  remonte  de  même  à  un 
très  ancien  type  latin  *equaricius  >  :  naturellement,  la 
diphtongue  initiale  est  due  à  l'influence  ultérieure  de 
yegua.  On  peut  admettre  aussi  *equaciarius,  qui  a  dû 
donner  *egacero,  d'où  yeguaceria  «  haras  ».  Quant  à 
l'adjectif  yegar,  il  peut  être  de  formation  plus  récente 

i .  On  verra  plus  loin,  article  lovergier,  que  le  simple  lubricare 
est  plus  vivant  encore  en  terre  de  France.  D'autre  part  Tarbé 
donne  l'adj.  coulourgeable  «  coulant,  liquide  »  comme  usité  dans 
la  Marne. 

2.  Voyez  Kôrting,  n°  3262,  et  Godefroy,  art.  ive  1. 

3.  Zeitscbr.f.rom.  Phil,  VII,  117. 

4.  Romania,  IX,  432. 

5.  Cf.  ci-dessus,  p.  66. 


2 î4  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

et  ne  correspondre  que  théoriquement  à  tin  type  latin 
*equaris,  variante  de  equarius. 

L'ancien  provençal  nous  offre  l'adjectif  egnin,  qui 
répond  à  equinus  et  qui  peut,  lui  aussi,  avoir  été  tiré 
postérieurement  de  ega  «  jument  »  ;  egassier  et  egatier, 
qui  supposent  des  dérivés  à  suffixes  doubles  :  *equacia- 
rius  (cf.  l'espagnol  *egacero)  et  *equattarius  '  ;  enfin,  et 
surtout,  egueçicr 2,  dans  lequel  il  ne  faut  pas  hésiter  à 
reconnaître  le  latin  classique  equitiarius,  dérivé  de  cqui- 
tium  «  haras  »,  écrit  equi^arius  dans  le  polyptyque  de 
Saint-Victor  de  Marseille  3.  Il  est  bien  probable  qu'il 
faut  aussi  ramener  à  equitiarius  Yegecer  â'Aigar  et  Mau- 
rin*.  Si  egue^ier  n'appartient  plus  aujourd'hui  à  la 
langue  vivante,  il  subsiste,  comme  l'a  remarqué  Mis- 
tral), dans  le  nom  de  famille  provençal  Eyguesier6  et 
dans  la  rue  des  Eyguesiers,  à  Aix. 


XLVII.  —  El  RANCH  A 


Dans  la  fable  Loti  Mouniei,  soun  fi  e  l'Ane,  Foucaud 

i.  Cf.  ci-dessus  l'article  degatier.  La  forme  eigaié  donnée  par 
Mistral  semble  postuler  *eqnatarius  ;  mais  le  valaisan  civatdi, 
berger  qui  garde  les  chevaux  (Gilliéron,  Patois  de  Jrionna~,  p. 
152),  remonte  à  *equattarius,  comme  le  provençal  égatiei-. 

2.  Si  egue^ier  n'est  pas  attesté  directement,  il  transparaît  sous 
les  formes  latinisées  egue^erius  et  egite^erius  dans  Du  Cange. 

3.  Tome  II,  p.  638  :  Aquilo  equizarius. 

4.  Cf.  Levy,  Prov.  Sitppl.-Wœrt.,  art.  egatier. 

5 .  Article  egatier. 

6.  Hugo  Egueserius  figure  dans  un  acte  de  13 10  que  vient  de 
publier  M.  Henry  Cochin,  un  peu  surpris  de  ce  nom  (Le  Frère  de 
Pétrarque,  p.  229  et  239). 


ÇlSSARRAR,  ESSERRER  2$$ 

emploie  l'adjectif  eirancha,  qu'il  traduit  lui-même  par 
«  boiteux  »  '  ;  le  mot  se  trouve,  avec  la  même  défini- 
tion, dans  le  Dictionnaire  de  la  langue  limousine  de  Dom 
L.  Duclou,  resté  manuscrit.  Emile  Ruben,  éditeur  et 
commentateur  de  Foucaud,  est  porté  à  voir  dans  eiran- 
cha le  mot  ancho  «  hanche  »,  et  il  suppose  que  IV  peut 
y  avoir  été  introduite  par  suite  de  quelque  confusion 
avec  le  mot  français  éreinté.  Mistral  est  d'un  autre  avis. 
Il  enregistre  eirancha  avec  ce  simple  renvoi  :  «  voyez 
escranca  ».  Mais  il  n'est  pas  plus  facile  d'expliquer  la 
disparition  du  c,  si  eirancha  est  identique  au  provençal 
escranca,  que  la  présence  de  IV,  s'il  contient  le  sub- 
stantif ancho,  hanche.  D'ailleurs  il  n'y  a  accord  séman- 
tique complet  ni  dans  un  cas  ni  dans  l'autre  :  un  «  boi- 
teux »  n'est  pas  nécessairement  un  «  éhanché  »,  ni  un 
homme  qui  .écarquille  les  jambes  comme  un  crabe 
(cranc). 

Eirancha  remonte  a  une  ancienne  forme  *esrancat, 
composée  avec  le  préfixe  es  et  l'adjectif  ranc  «  boi- 
teux »  ;  il  est  formé  absolument  comme  le  prov.  esclo- 
pat  et  le  franc,  éclopé,  dans  lesquels  il  y  a  le  même 
préfixe  et  l'adjectif  clop,  synonyme  de  ranc2. 

(Revue  des  parlers  popul.,  année  1903,  p.  175). 

XLVIII.  —  EISSARRAR,  ESSERRER 
M.  Emil  Levy  a  consacré  un  long  article  à  rectifier 

1.  J.  Foucaud,  Poésies  en  patois  limousin,  éd.  Rubcn  (Paris,  1866), 
p.  101. 

2.  Ranc  est,  comme  on  sait,  d'origine  germanique  ;  cf.  Kôrting, 
7748. 


2j6  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

les  erreurs  commises  par  ses  devanciers  dans  l'inter- 
prétation de  l'ancien  verbe  provençal  eissarrar,  icharrar, 
qui  paraît  avoir  complètement  disparu  des  patois  méri- 
dionaux actuels.  Il  a  établi  solidement  que  le  vrai  sens 
du  participe  passé  (car  l'on  ne  trouve  que  le  participe 
passé  dans  les  textes)  était  «  embarrassé,  perplexe, 
irrésolu  '  ».  Il  est  évident  qu'il  ne  faut  pas  le  confondre 
avec  ensarrar  «  enserrer  »  ;  mais  quelle  est  donc  l'éty- 
mologie  de  eissarrar}  M.  Levy  ne  s'explique  pas  à  ce 
sujet.  Il  me  paraît  utile  de  faire  remarquer  que  le  mot 
provençal  correspond  très  exactement  comme  forme 
à  l'ancien  français  esserrer,  dont  on  trouvera  des  exem- 
ples dans  Godefroy,  soit  au  sens  transitif  de  «  égarer  », 
soit  au  sens  intransitif  de  «  s'égarer  »  ;  l'étymologie 
est  manifestement  le  latin  exerrare,  que  l'on  cherche- 
rait en  vain  dans  Korting  et  auquel  il  faut  faire  une 
place  dans  la  lexicographie  de  la  Gaule. 

Godefroy  a  oublié  de  noter  que  le  mot  était  encore 
aujourd'hui  très  vivant  dans  les  patois  de  la  Franche- 
Comté  et  il  est  bon  de  combler  cette  lacune.  Voici 
mes  sources  : 

«  Essara,  einsarâ,  égaré,  Doubs,  Jura  »  (Dartois, 
dans  Mém.  de  l'Acad.  de  Besançon,  année  1850,  p.  214). 

«  Ensarrai  (s'),  s'égarer,  perdre  le  Nord,  surtout 
dans  les  bois,  dans  les  neiges  »  (Tissot,  Patois  des 
Fourgs,  dans  Mém.  de  la  Soc.  d'émul.  du  Doubs,  1865, 
p.  272). 

«  Echarrant,  écarté,  désert  »  (Poulet,  Essai  d'un  vocab. 
étym.  du  patois  de  Plancher-les-Mines,  1878,  p.  114). 

1.  Prov.  Supph-Wœrterb.,  II,  329. 


ENTRENERGE  257 

«  S  êsêrâ,  s'égarer  »  (Grammont,  Patois  de  la  Fran- 
che-Montagne, dans  Mém.  de  la  Soc.  de  ling.,  XI  (1900), 

143)- 

En  ce  qui  concerne  l'étymologie,  Dartois  a  tout  à 
fait  battu  la  campagne  (il  s'adresse  au  sanscrit)  ; 
M.  Grammont  a  rapproché  le  patois  de  la  Franche- 
Montagne  de  l'anc.  franc,  esserrer,  ce  qui  est  mieux  ; 
enfin  le  Dr  Poulet  (qui  l'eût  cru  ?)  a  deviné  l'étymo- 
logie et  indiqué  le  latin  exerrare. 

Il  reste  à  faire  une  remarque  de  sémantique  en  ce 
qui  concerne  l'ancien  participe  provençal  eissarrat.K  Le 
sens  figuré  avec  lequel  il  nous  apparaît  constamment 
dans  les  textes  appartient  aussi  au  participe  esmarrit. 
Or,  esmarrit  se  rattache  au  verbe  marrir,  dont  le  sens 
propre  est  «  perdre  son  chemin,  s'égarer  »,  absolu- 
ment comme  eissarrat  se  rattache  au  verbe  errar,  iden- 
tique sémantiquement  à  marrir1. 

XLIX.  —  ENTRENERGE 

Bien  que  Kôrting  ait  omis  le  latin  tenebricns  dans  son 
Lat.-rom.  Wœrterbuch,  on  n'ignore  pas  que  ce  mot  a 
survécu  dans  le  prov.  tenerc  et  dans  l'anc.  franc,  tenerge, 
tenierge2.  L'ancien  provençal  possède,  à  côté  de  tenerc, 

1 .  Se  rattachent  aussi  a  exerrare  le  messin  so  hbèrê  «  se  tromper  » 
(Romania,  V,  211)  et  le  lyonnais  ensarailli  «  égaré  »  (Romania, 
avril  1904). 

2.  Raynouard  classe  correctement  tenerc  sous  tenebra,  mais  il  ne 
connaît  pas  la  forme  correspondante  de  l'anc.  français.  De  l'ar- 
ticle tenegre  de  Godefroy  il  faut  rapprocher  le  participe  atenergé, 
qui  doitêtre  traduit  par  «  obscurci»  et  non  par  «  attendri,  affaibli  ». 

Thomas.  II.  —  17 


2  58  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

la  forme  entenerc,  qui  paraît  avoir  survécu  en  Gascogne 
et  en  Quercy  avec  le  sens  assez  éloigné  de  «  dur  d'o- 
reille »  '.  Dans  le  domaine  français,  on  n'a  pas  signalé 
jusqu'ici  de  survivance.  En  voici  une  bien  nette.  Le 
patois  de  Fontenay-le-Comte  (Vendée)  possède  encore 
aujourd'hui  le  substantif  entrenerge  «  couleur  bleuâtre 
que  causent  les  meurtrissures  » 2.  L'étymologie  de  ce 
mot  est  si  claire  qu'il  suffit  de  l'indiquer.  Mais  il  est 
intéressant  d'enregistrer  un  exemple  de  plus  de  la  for- 
mation adjective  par  in  H-  tenebricus  et  l'on  peut,  je 
crois,  faire  remonter  jusqu'au  latin  vulgaire  l'adjectif 
*intenebricus,  qui  s'appuie  en  outre  sur  les  verbes  inte- 
nebrare  et  intenebricare  qu'emploient  les  auteurs  ecclé- 
siastiques?. 


L.   —  ÊQUEMODRE 

«  Êquemôdre,  v.  a.  Absolument  intraduisible  en  fran- 
çais, comme  beaucoup  d'autres  expressions  concernant 
la  vie  rustique,  ce  mot  signifie  habituer  un  animal  qui 
va  aux  champs  pour  la  première  fois  à  suivre  le  trou- 
peau. » 

J'emprunte  cette  intéressante  définition  àContejean, 
Glossaire  du  patois  de  Montbéliard,  p.  106.  Voilà  un 
curieux  débris  de  l'ancien  français  qui  vaut  la  peine 

i.  Mistral,  art.  entenerc;  le  rapprochement  avec  le  bas  latin 
intemectus  me  paraît  sans  valeur. 

2.  Favre,  Gloss.  du  Poitou;  manque  dans  Lalanne. 

3.  Cf.  l'article  enrièvre  de  mes  Essais,  p.  289  ;  on  peut  mention- 
ner encore  dans  le  même  genre  incarna  et  innubilus. 


ESCALAOUA  259 

d'être  recueilli.  Êguemôdre  est  une  forme  refaite  du 
verbe  médiéval  escomovoir  ',  qui  correspond  à  un  type 
latin  vulgaire  *excommovere ,  attesté  aussi  parle  provençal 
escomaver  et  par  l'italien  scommuovere.  Kôrting  ne 
donne  ni  *excommovere  ni  même  commovere  :  c'est  une 
double  lacune  à  combler. 


LI.  —  ESCALAOUA 

Aicée  Durrieux  a  un  article  ainsi  conçu  :  «  Eska- 
laoua,  franchir  d'un  bond,  sauter  par-dessus  l'obstacle 
sans  le  toucher,  escalader.  Escalaouetos,  la  situation  du 
cavalier  à  cheval2.  »  Naturellement,  il  tire  ces  deux 
mots  du  grec  ;  on  pense  bien  que  je  ne  discuterai  pas 
son  étymologie  (e aâXXopat).  Mais  il  n'est  pas  inutile 
d'expliquer  la  formation  de  escalaoua,  qui  n'a  pas  de 
correspondant  rigoureusement  exact  dans  Mistral.  Nous 
sommes  en  présence  d'une  métathèsc,  comme  on  en 
rencontre  fréquemment  en  gascon  :  escalaoua  est  pour 
*escaouala  et  représente  un  type  latin  *excaballare,  com- 
posé avec  le  préfixe  ex  et  le  substantif  caballus,  cheval. 
Mistral  n'offre  que  des  composés  avec  les  préfixes  ad 
et  in  ;  les  formes  gasconnes  qu'il  enregistre  sont  assez 
déconcertantes  au  premier  abord  :  acaua,  acraua,  ni- 
er aua,  encrauera.  En  tout  cas,  la  présence  d'une  r  dans 
trois  de  ces  formes  est  conforme  à  la  phonétique  pure- 

1.  Cf.  cmôdre  dans  le  patois  de  la  Franche-Montagne,  de  l'an- 
cien verbe  esmovoir,  français  actuel  émouvoir  (Grammont,  dans 
Mini,  de  la  Soc.  de  ling.,  X,  322.) 

2.  Dict.  étym.  de  la  langue  gasconne,  II,  206. 


26o  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

ment  gasconne  :  des  types  *accaballare,  *excaballare  et 
*incaballare  on  a  dû  avoir  primitivement  *acauarar, 
*escauarar,  *encauarar,  puis,  par  métathèse,  *acarauar, 
*escarauar,  *encarauar.  La  forme  donnée  par  Durrieux, 
toute  intéressante  qu'elle  est,  offre  une  contamination, 
puisque  nous  y  trouvons  /  =  Il  latin  intervocalique  : 
au  fin  fond  de  la  Gascogne  existe  peut-être  la  forme 
normale,  qui  serait  (avec  la  graphie  de  Durrieux)  esha- 
raoua. 

LU.  —  ESC  AU  P 1R 

On  trouve  dans  Godefroy  les  substantifs  escaupine  ' 
et  escharpison  «  démangeaison  »  et  le  verbe  escopir 
«  démanger  ».  Aux  rapprochements  qu'il  indique  avec 
les  patois  actuels  on  peut  ajouter  le  rouchi  caupie  (que 
Hécart  écrit  aussi  caupi  et  copï),  substantif  féminin 
qui  ne  s'emploie  guère  qu'avec  le  verbe  avoir. 

Le  verbe  escopir,  dont  la  graphie  correcte  est  escaupir, 
c'est-à-dire  en  français  normal  *échaupir,  remonte  au  latin 
scalpere  «  gratter  »,  devenu,  dans  la  langue  populaire 
*scalpire.  Que  le  sens  ait  passé  de  «  gratter  »  à  «  causer 
une  démangeaison  »,  cela  n'a  rien  de  surprenant;  et  le 
fait  a  dû  se  produire  de  bonne  heure.  Peut-être  faut-il 
déjà  en  voir  la  preuve  dans  l'emploi  de  l'adjectif  scalticus 
(évidemment  pour  scalpticus),  par  le  médecin  Theo- 
dorus  Priscianus,  au  sens  de  «  dartreux  ».  Ce  qui  est 


I.  Aux  exemples  cités,  ajoutez  Camus,  Un  manuscrit  namurois 
du  quinzième  siècle,  dans  Revue  des  langues  romanes,  XXXVIII  (1895), 
p.  161. 


ESCHENYE,   ESCHENYA  261 

sûr,  c'est  que  scalpere,  *scalpire  était  devenu  synonyme 
de  prurire  avant  le  huitième  siècle,  puisque  le  célèbre 
manuscrit  de  Karlsruhe  (n°  86)  nous  offre  cette  glose  : 
pruriginem  scalpitttdinem  ' . 

(Cf.  Bail,  de  la  Soc.  de  ling.  de  Paris,  séance  du  7  juin  1902.) 

LUI.  —  ESCHENYE,  ESCHENYA 

Cénac-Moncaut  et  Lespy  enregistrent  en  termes 
identiques  l'adjectif  eschenye  «  dépourvu  »  et  le  verbe 
eschenya  «  dépourvoir  »,  dont  les  textes  du  moyen  âge 
n'ont  pas  encore  livré  d'exemples.  Cet  adjectif  et  ce 
verbe  sont  usités  dans  toute  la  Gascogne  et  débordent 
même  sur  le  haut  Languedoc  sous  les  formes  eissinje, 
assigne  et  eissinja,  assigna.  Le  verbe  signifie  plutôt 
«  débarrasser,  exempter  »  que  «  dépourvoir  »  et  l'ad- 
jectif a  le  sens  correspondant.  Comme  étymologie  on 
a  indiqué,  soit  excinctus  (Mistral),  soit  exire  (Visner, 
Dicliounari  moundi)  ;  mais  il  serait  superflu  de  montrer 
que  cela  ne  vaut  rien.  Je  propose  eximius  et  le  verbe 
dérivé  *eximiare.  On  sait  que  eximius  est  un  dérivé  du 
verbe  exitnere  et  que  son  sens  propre,  attesté  par  Térence, 
Cicéron  et  Tite-Live,  est  «  excepté,  exempté  ».  Le 
gascon  rend  régulièrement  par  e  Yi  bref  de  eximius  ; 
mais  il  y  a  quelque  difficulté  pour  le  traitement  du 
groupe  -mi-.  En  effet,  le  bordelais  prononce  escheini, 

1.  Fcerster  et  Koschwitz,  Altfr.  Uebungsb.,  2e  éd.,  col.  31,  n° 
89.  On  peut  encore  citer:  scalpitudo  id  est  prurigo,  dans  Mai, 
Opusc.  vet.  mss.  ad  Deuteronom.. .,  et  prurit,  scalpit,  idest  pruriginem 
créât  (Bibl.  nat.  lat.  13953,  f°  24e)- 


262  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

ce  qui  ne  s'accorde  pas  bien  avec  Pétymologie  eximius, 
puisque  de  slmius  le  bordelais  a  tiré  sinye.  Faut-il  rap- 
peler que  vindemia  paraît  être  devenu  de  très  bonne 
heure  dans  la  région  gasconne  *vindenia,  d'où,  dès  le 
moyen  âge,  vendenha,  venenha  et  plus  récemment  bere- 
nha,  aujourd'hui  bregno  ',  et  supposer  qu'à  un  moment 
donné  exïmius  serait  devenu  *exïnius  ? 

(Mélanges  Léonce  Couture,  p.  262.) 

LIV.  —  ESCLAVAGE 

Littré  distingue  six  sens  dans  son  article  esclavage.  Le 
sixième  n'a  aucun  rapport  avec  les  autres,  comme  toute 
personne  familière  avec  le  français  peut  s'en  apercevoir. 
Voici  comment  il  formule  sa  sixième  section  :  «  Terme 
de  négoce.  Le  droit  qu'une  compagnie  de  marchands 
avait  seule  de  vendre  et  d'acheter  certaines  marchan- 
dises. »  Le  Nouveau  Larousse  illustré  résume  élégam- 
ment la  chose  en  ces  termes  :  «  S'est  dit  autrefois  pour 
monopole.  »  On  trouvera  des  détails  plus  précis  dans 
les  dernières  éditions  du  Dictionnaire  de  Trévoux  ;  mais 
mieux  vaut  remonter  à  la  source,  qui  n'est  autre,  comme 
il  est  naturel,  que  le  Dictionnaire  du  Commerce  de  Savary 
des  Bruslons,  publié  en  1723.  Voici  ce  qu'on  y  lit: 

«  Esclavage.  On  appelle  ainsi  en  Angleterre  un  droit 
que  l'on  fait  payer  aux  François  pour  avoir  permission 
d'enlever  certaines  sortes  de  marchandises  dont  la  vente 


1.  Comparez  ce  qui  se  passe  en  provençal  où  -mnh-  peut  sortir 
du  latin  -mbi-  ou  -mi-  (Rotnania,  XXVI,  282). 


ESCLAVAGE  263 

appartient  par  privilège  à  quelques  compagnies  ou 
societez  de  marchands  anglois.  » 

On  attribue  à  Colbert  un  mémoire  sur  le  commerce 
delà  France,  rédigé  en  165 1,  où  il  est  question  des 
impositions  qui  frappent  nos  nationaux  en  Angleterre  : 
«  impositions  qu'ils  (les  Anglais)  appellent  ftEsdavache, 
de  Cajade,  du  Survoyeur  et  du  Coquet  '.  »  Il  me  paraît 
certain  que  Esdavache  est  une  faute  de  copiste  pour 
Esclavage2,  comme  Cajade  pour  Calage  (droit  de 
quai);  mais  je  n'insiste  pas. 

Ce  qui  est  vraiment  intéressant,  c'est  de  trouver  au 
seizième  siècle  une  forme  qui  fait  la  pleine  lumière  sur 
l'étymologie.  On  lit  en  effet  dans  une  requête  pré- 
sentée à  Charles  IX  en  1564  par  les  marchands  du 
royaume:  «  Les  François...  sont  tenuz  de  payer  un  tri- 
but qu'ils  (les  Anglais)  appellent  Scavalge,  qui  est  un 
profit  revenant  au  mayor  de  Londres,  lequel  il  taxe  à  son 
plaisir  3.  »  Il  est  clair  que  nous  avons  affaire  à  l'anglais 
archaïque  scavage,  terme  de  coutume  qui  désignait  primi- 
tivement la  taxe  payée  par  les  marchands  pour  pouvoir 
montrer  (en  moyen  anglais  schewen,  en  anglo-saxon 
sceawian)  leurs  marchandises,  puis  toute  espèce  de  taxe  4. 


1.  P.  Clément,  Lettres,  instructions  et  mémoires  de  Colbert,  I, 
487-491  et  II,  405-409. 

2.  La  confusion  graphique  de  cl  et  de  d  est  des  plus  faciles  et 
celle  de  g  et  de  ch  n'est  pas  impossible. 

3.  Pigeonneau,  Hist.  du  commerce  de  la  France,  II,  473. 

4.  Le  mot  scavage  a  disparu  depuis  longtemps  de  l'usage  com- 
mun de  la  langue  anglaise,  mais  on  se  sert  encore  du  dérivé  sca- 
venger  (primitivement  scavager)  qui,  par  une  curieuse  évolution 
sémantique  et  sociale,  ne  s'applique  plus  qu'aux  boueurs  publics. 
Voyez  Skeat,  Dict.  ofengl.  Etym.,  v°  scavenger. 


264  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

La  francisation  de  scavage  en  escavage  est  toute  natu- 
relle; la  contamination  de  escavage  par  esclavage  peut 
être  irraisonnée,  comme  tant  d'autres.  Mais  il  est  pos- 
sible aussi  que  nos  aïeux  aient  été  mus  par  la  vieille 
animosité  contre  l'Angleterre  et  que  nous  ayons  là  un 
trait  inoffensif  de  «  la  politique  des  coups  d'épingle1  ». 


LV.  —  ESPERBO 

Le  sorbier  ou  cormier  et  son  fruit,  la  sorbe  ou  corme, 
portent  dans  le  Midi  de  la  France  différents  noms 
qui  se  répartissent  clairement  en  deux  séries.  La  pre- 
mière remonte  au  latin  sorbus,  sorbum  par  les  formes 
populaires  *sorba  (pour  le  fruit)  et  *sorbaria,  *sorbariiun 
(pour  l'arbre);  elle  n'offre  pas  d'intérêt  particulier.  La 
seconde  s'éloigne  étrangement  du  type  latin  :  pour  le 
fruit,  on  dit  espèrbo,  aspèrbo,  espèro  ou  espèrouo,  pour 
l'arbre,  esperbié,  asperbié,  esparouvié ou,  au  genre  féminin, 
csperbiero,  asperbiero,  esparçuviero,  esperougueiro.  Mistral, 
ordinairement  si  fécond  en  suggestions  étymologiques, 
est  muet  sur  l'origine  de  ces  formes  divergentes  qui 
paraissent  propres  à  la  partie  orientale  du  domaine  de 
la  langue  d'oc2.  Il  me  paraît  impossible  de  les  séparer 
du  nom  germanique  du  sorbier  :  sperberbaum,  en  moyen 


1.  Nous  tenons  à  exprimer  nos  remerciements  à  M.  Lucien 
Schône  pour  l'obligeance  avec  laquelle  il  nous  a  signalé  les  textes 
de  165 1  et  de  1564  utilisés  dans  cette  notice. 

2.  Elles  régnent  aussi  sur  une  partie  du  domaine  franco-pro- 
vençal, car  à  Saint-Genis-les-Ollières  les  sorbes  s'appellent  anpère 
et  anpure  (Romania,  XX,  316). 


ESTERCHIR  265 

haut  allemand  spérboum.  Il  y  a  là  un  premier  élément 
spër  dont  l'origine  est  inconnue,  mais  qui  est  manifes- 
tement commun  au  germanique  et  au  provençal.  Je 
me  borne  à  en  signaler  l'existence,  n'ayant  pas  les 
moyens  de  décider  de  quel  côté  est  l'emprunt. 


LVI.  —  ESTERCHIR 

Godefroy  cite  trois  exemples  du  verbe  esterchir,  ester- 
kir  employé  pronominalement  au  sens  de  «  s'affermir  »  '  : 
deux  viennent  de  Wace,  le  troisième  du  poème  imité 
du  Cantique  des  cantiques  que  contient  un  manuscrit  du 
Mans  et  qu'on  attribue  à  Landri  de  Waben,  poète  de 
la  région  de  Montreuil-sur-Mer2.  Il  est  clair  qu'il  faut 
reconnaître  à  la  base  de  ce  verbe  l'adjectif  germanique 
stark,  que  possèdent  en  commun  l'anglais  et  l'allemand, 
sans  parler  des  autres  idiomes  congénères.  Mais  par 
quelle  voie  ce  verbe  a-t-il  pénétré  dans  le  vocabulaire 
roman  de  la  Normandie  et  de  la  Picardie  ?  La  présence 
d'un  e  dans  son  thème  favorise  l'hypothèse  d'un  em- 
prunt relativement  récent  aux  dialectes  bas-allemands, 
puisque  le  néerlandais  dit  sterk  et  le  norois  sterkr.  Comme 
on  n'a  pas  trace  en  français  de  l'adjectif  correspondant, 
on  peut  supposer  que  c'est  le  verbe  sterken  qui  est  direc- 
tement représenté  dans  esterkir,  esterchir. 


1.  Un    quatrième,     où     le    sens    est   différent,    est    sujet    à 
caution. 

2.  Voyez  sur  lui   Bonnard,  Trad.  de  la  Bible  en  vers  franc.,  p. 
153- 


266  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 


LVII.    —    ÊTIS 


Beauchet-Filleau  a  relevé  dans  le  patois  de  Chef- 
Boutonne  (Deux-Sèvres)  la  locution  sentir  l'éti  ou  Yaiti 
«  avoir  une  odeur  ou  une  saveur  aigre-douce  et  légè- 
rement nauséabonde  qui  indique  que  l'objet  qui  l'exhale 
commence  à  se  corrompre  et  à  aigrir  '  ». 

Le  Glossaire  aunisien  de  L.  E.  Meyer,  qui  repose 
essentiellement  sur  le  patois  de  La  Rochelle,  donne  de 
son  côté  :  «  goût  d'éti,  goût  particulier  des  viandes 
passées,  faisandées2  ».  Je  ne  crois  pas  que  cet  intéres- 
sant mot  éti.  figure  dans  d'autres  recueils  lexicogra- 
phiques.  Il  est  clairement  identique  au  provençal  esta- 
dis,  qui  a  le  même  sens  et  qui  est  encore  bien  vivant 
des  Alpes  à  la  Garonne  et  des  Pyrénées  aux  sources 
de  la  Vienne  3  :  il  vient,  comme  lui,  du  verbe  stare  par 
l'intermédiaire  d'un  type  latin  vulgaire  *statïcius  (qui 
manque  dans  Kôrting  et  qui  doit  y  être  inscrit  à  son 
rang  alphabétique4)  et  il  doit  s'écrire  normalement 
étis.  Godefroy  a  de  nombreux  exemples  de  estaïf  «  lent, 
paresseux  »  :  c'est  le  même  thème,  avec  un  suffixe  dif- 
férent; le  type  étymologique  est  le  latin  classique  sta- 

i.  Essai  sur  h  patois  poitevin,  p.  110. 

2.  Académie  de  la  Rochelle.  Section  de  littérature.  Choix  de  pièces 
lues  aux  séances.  N°  16,  p.  104. 

3.  Pour  les  formes  actuelles,  voir  l'art,  estadis  de  Mistral  ;  pour 
les  formes  médiévales,  le  Prov.-Suppl.  Wœrterb.  d'Emil  Levy,  v° 
estaditi. 

4.  Cf.  le  latin  médiéval  staditiiis  (à  Avignon),  qui  n'a  pas 
échappé  à  Mistral. 


FAUTERNE  267 

tïvus  (encore  une  addition  à  faire  à  Kôrting).  Enfin 
le  languedocien  emploie  aussi  une  autre  variante,  à 
savoir  estantis,  de  *stantïcius  (troisième  addition  à  Kôr- 
ting). Mistral  rappelle  justement  que  le  catalan  a  le 
même  mot  et  il  en  rapproche  l'italien  stantio  «  croupi, 
rance  »  ;  l'italien  nous  reporte  à  un  autre  type  du  latin 
vulgaire  :  *stantivus  (quatrième  addition  à  Kôrting  '). 


LVI1I,  —  FAUTERNE* 

On  lit  l'article  suivant  dans  le  Dictionnaire  de  l'an- 
cienne langue  française  de  F.  Godefroy  : 

Santeine,  s.  f.,  santonine  : 

Plus  fu  amere  l'iaue  que  H  roi  ot  beue 
Que  suie,  ne  santeine,  n'alogne  ne  ceue. 
(Roum.  d'Alixandre,f  44'1,  Michelant.)  Imprimé  santerne. 

Il  n'arrive  pas  souvent  à  F.  Godefroy  de  se  risquer  à 
faire  de  la  critique  verbale,  et  c'est  heureux;  pour  une 
fois  qu'il  l'a  tenté,  cela  ne  lui  a  pas  réussi.  Le  manus- 
crit suivi  par  Michelant,  Bibl.  nat.  franc.  786,  porte 
bien,  comme  il  l'a  imprimé,  santerne.  J'ai  collationné 
le  passage  sur  quatorze  autres  manuscrits  du  Roman 
d'Alexandre  qui  sont  à  Paris.  Voici  les  résultats  de  cette 
collation.  Huit  manuscrits  ont  remplacé  ce  mot  em- 


1.  Pour  le  thème  de  estantil\  et  de  stanlio,  cf.  le  latin  slantarius 
«  instantané  »,  employé  par  Julius  Valerius. 

2.  Je  tiens  à  îemercier  MM.  Kug.  Rolland  et  le  Dr  Dorveaux 
de  l'obligeance  avec  laquelle  ils  ont  mis  à  ma  disposition  leurs 
notes  et  leur  érudition  spéciale  ;  je  leur  dois  plusieurs  indications 
importantes  pour  la  rédaction  de  cette  notice. 


268  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

barrassant  par  un  équivalent  :  sept  donnent  suie  des- 
trempee  ou  destempree  (Bibl.  nat.  368,  f°  70*;  790, 
f°  57a;  1635,  f°  137*;  15094,  f°  127-  15095,  f°  147*; 
25517,  f°  I2ib);  le  huitième,  lescive  meslee  (Bibl.  nat. 
789,  f°  52e).  Sur  les  six  autres,  deux  donnent  fauterne 
(Bibl.  nat.  787,  f°  56*;  792,  f°  98d),  un,  fanterne  (Ar- 
senal 3472,  f°  30b);  un,  santerne  (Bibl.  nat.  375,  f° 
189*);  un,  /autre  (Bibl.  nat.  24366,  f°  ii4d);  un, 
siterne  (Bibl.  nat.  791,  f°  45a). 

Il  est  tout  à  fait  certain  que  la  bonne  leçon  est  fau- 
terne et  ce  mot  doit  prendre  place  dans  le  vocabulaire 
de  l'ancien  français;  c'est  le  nom  porté  dans  une  grande 
partie  de  la  France  par  une  variété  d'aristoloche.  Ce 
nom  est  particulièrement  vivant  dans  le  domaine  pro- 
vençal. Voici  l'article  que  lui  consacre  Mistral  : 

«  Fôuterlo,  fousterlo,  foustello  (Var),  fousterno,  fouttrno,  fon- 
temo,  Janterno,  finterno  (rouer g.),  foutèrio,  fauterbo,  pantertw  (1.) 
(v.  fr.  foterne,  du  lat.  fusterna,  nodosité),  s.  f .  Aristoloche  clé- 
matite, plante  qui  croît  abondamment  dans  certaines  vignes  et  qui 
communique  au  vin  une  saveur  et  une  odeur  désagréables  '.  » 

Ce  n'est  pas  sans  raison  que  Mistral  invoque  l'ancien 
français  foterne.  Voici,  en  effet,  ce  qu'on  lit  dans  Gode- 
froy  : 

Foter le, foterne,  s.  f.,  l'aristoloche  ronde: 
Malum  terne,  c'est  l'aristologie  ronde...  Le  François  dit  sarra- 
zine  et  folerle  ou  foterne  (Joub.  Interpr.  des  dict.  pharmac. ,  éd.  1 598). 

Le   mot,  sous  sa  double  forme,  a  été  recueilli  par 

1 .  Aux  formes  indiquées  dans  cet  article,  on  peut  ajouter  infau- 
temo,  usité  à  Montpellier,  que  le  D>"  Louis  Planchon  écrit  infaou- 
tema  (Voyez  Plantes  médicinales  de  l'Hérault,  Montpellier,  1899, 
p.  20). 


FAUTERNE  269 

Cotgrave,  et  de  là  il  a  passé  chez  Antoine  Oudin  et 
chez  Duez;  il  est  encore  dans  le  Trévoux  de  1771,  au 
moins  sous  la  forme  foteme.  Il  serait  facile,  mais  sans 
grand  profit,  d'en  trouver  d'autres  mentions,  notam- 
ment dans  les  ouvrages  spéciaux  de  botanique,  depuis 
le  seizième  siècle.  Je  relève  seulement,  comme  parti- 
culièrement intéressant,  un  passage  du  commentaire 
de  Hugues  Solier,  médecin  provençal,  sur  Aétius  : 

Aristolochia  in  tria  gênera  fastigiatur,  longa,  rotunda  et  cle- 
matitim.  Longa  officinis  nomen  retinet  ;  Arabibus  faufel,  nostra- 
tibus  Faiilerlo,  et  Delphinatibus  de  blousons  nominatur  ;  Gallis  iam 
aristolochiae  (sic)  dici  cœpit.  Rotunda  suam  quoque  nomencla- 
tionem    servat  ;   nostris  autem  fellayo  ',    ab   amaritudine,   quasi 


La  présence  de  fauternc  dans  la  partie  du  roman 
d'Alexandre  qui  a  pour  auteur  Lambert  le  Tort  suffirait 
à  elle  seule  pour  prouver  que  ce  nom  de  l'aristoloche 
était  commun  autrefois  au  Nord  et  au  Midi  de  la 
France;  mais  on  peut  invoquer  encore  le  témoignage 
d'un  manuscrit  namurois  du  quinzième  siècle  étudié 
par  M.  Camus.  On  lit  en  effet  dans  ce  recueil  médi- 
cal :  «  Et  se  faites  li  boire  du  jus  de  fruternel  ».  L'édi- 
teur a  fort  justement  conjecturé  qu'il  s'agissait  de  l'a- 


1.  Le  mot  fellayo  ne  figure  pas  dans  Mistral. 

2.  Aetii...  Tetrabiblos...,  accesserunt...  de  simplicibus  scholia 
per  Hugonem  Solerii,  p.  54  de  l'édition  de  1560.  Sur  l'auteur  du 
commentaire,  voyez  Legré,  La  Botanique  en  Provence  au  seizième 
siècle.  Hugues  de  Solier  (Marseille,  Aubertin,  1899),  p.  20.  L'éty- 
mologie  de  fellayo  donnée  par  Solier  a  du  bon  ;  on  ne  peut  en  dire 
autant  de  celle  de  fauterno  proposée  par  l'abbé  de  Sauvages  :  ftl 
terrae. 

3.  Revue  des  langues  romanes,  XXXVIII,  163. 


270  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

ristoloche  et  il  a  rapproché  fruterne  du  foterle  des  auteurs 
du  seizième  siècle  :  je  ne  doute  pas  qu'il  faille  corriger 
le  manuscrit  et  lire  fauterne  au  lieu  de  fruterne.  Enfin, 
il  est  intéressant  de  constater  que  le  mot  est  encore 
vivant  aujourd'hui  dans  le  parler  du  Poitou,  comme 
en  font  foi  ces  citations  : 

Fauterne,  s.  f.  Plante  qui  vient  dans  les  blés  et  le  long  des 
haies.  Sa  graine,  petite  noire  et  luisante,  communique  au  pain, 
quand  elle  s'y  trouve  en  certaine  quantité,  un  goût  d'amertume 
très  prononcé  et  la  plante  elle-même  donne  ce  goût  aux  mains 
qui  l'ont  pressée.  N'ayant  point  cette  plante  sous  les  yeux  en  ce 
moment,  nous  ne  pouvons  en  décrire  les  caractères  distinctifs  pour 
la  faire  reconnaître  des  botanistes  ;  tout  ce  que  nous  pouvons  dire, 
c'est  que  le  provençal  appelle  fauterno  l'aristoloche  '. 

Futerne,  s.  f.  Aigre  (sic).  Se  dit  d'une  barrique  qui  a  conservé 
un  goût  d'aigre.  Un  proverbe  poitevin  dit  :  «  Aigre  quame  /;/- 
terne  2.  » 

J'espère  qu'il  ne  subsiste  aucun  doute  maintenant 
sur  la  bonne  leçon  des  vers  de  Lambert  le  Tort,  et  que 
le  lecteur  est  convaincu  des  droits  de  l'aristoloche  à 
prendre  place  parmi  les  amers,  à  côté  de  la  suie,  de 
l'absinthe  et  de  la  ciguë  : 

Plus  fu  amere  l'iaue  que  li  rois  ot  beùe 
Que  suie  ne  fauterne  n'alogne  ne  ceùe. 

Je  n'ajoute  qu'un  jnot  sur  l'étymologie.  Fauterne 
est  le  latin  /alterna  qui  figure,  comme  nom  de 
l'aristoloche,  dans  les  Dynamidia,  recueil  de  matière 

1.  Beauchet-Filleau,  Essai  sur  te  patois  poitevin,  p.  112.  Cf.  L. 
Favre,  Gloss.  du  Poitou,  p.  1 50  et  Lacuve,  dans  Revue  des  irad. 
pop.,  1895,  p.  354.  A  Civray  on  prononce  fonteme  (Lalanne). 

2.  L.  Favre,  Gloss.  du  Poitou,  p.  164.  Un  vocabulaire  des 
environs  de  Fontenay-le-Comte  donne  futerne  comme  synonyme 
de  «  fumeterre  »  (Lalanne). 


FEU1LLER,  FEUILLERET,  FEUILLURE  271 

médicale  publié  par  Angelo  Mai  d'après  un  ma- 
nuscrit du  dixième  siècle'.  Mais  à  quelle  langue 
appartient  en    définitive  falterna,  je  l'ignore. 

(Romania,  XXXI,  390-392.) 


LIX.  —  FEUILLER,  FEUILLERET,   FEUILLURE 

Le  substantif  feuillure  est  un  terme  de  menuisier  qui 
n'est  pas  resté  confiné  dans  le  langage  technique  de 
la  corporation  :  Richelet,  Furetière  et  le  dictionnaire 
de  l'Académie  se  sont  empressés  de  lui  faire  bon  ac- 
cueil. «  Feuillure  de  porte,  feuillure  de  fenêtre,  ce  sont 
des  bords  de  porte  ou  de  fenêtre  qui  s'emboîtent  dans 
les  châssis  »,  dit  Richelet.  Furetière  est  plus  précis  : 
«  Feuillure,  s"e  dit  des  cannelures  à  angles  droits  qui  se 
font  aux  bords  des  portes,  des  fenestres,  volets  et  de 
toutes  les  choses  qu'on  veut  faire  fermer  juste,  qui 
entrent  les  unes  dans  les  autres.  »  Et  il  donne  aussi 
le  substantif  feuilleret  «  espèce  de  rabot,  outil  à  fust 
servant  aux  Menuisiers  à  pousser  des  feuillures  ».  L'exis- 

1.  Class.  auctorum...,  VII,  441  :  «  Aristolochiae,  id  est  falternae, 
hoc  est  raiae,  gênera  sunt  tria.  »  Falterna  a  été  relevé  par  M.  Wôlfflin 
dans  ses  Addenda  lexicis  latinis  (Archiv  fur  lat.  Lexicogr.,  III,  133)  ; 
le  rapprochement  qu'il  fait  avec  l'article  faltermim  de  Papias  (sneci- 
num  ad  similitudinem  vint  et  mellis  dictant)  ne  nous  avance  guère. 

2.  L'allemand  appelle  le  liseron  Faliblume  (fleur  pliante)  ;  mais 
il  n'y  a  aucune  vraisemblance,  au  point  de  vue  botanique,  à  voir 
dans  falterna  le  radical  germanique  falth-  «  plier  ».  D'autre  part, 
il  est  bon  de  noter  que  les  Dynamidia  sortent  de  l'école  de  Salerne 
(E.  Meyer,  Gesch.  der  Botanik,  III,  488),  de  sorte  que  falterna 
appartient  à  la  fois  à  l'Italie  et  à  la  Gaule. 


272  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

tence  de  feuillure  et  âefeuilleret  implique  celle  du  verbe 
feuiller,  bien  que  ce  verbe  n'ait  été  recueilli  que  par 
les  lexicographes  postérieurs. 

Les  étymologistes  n'ont  pas  accordé  à  cette  petite 
famille  de  mots  l'attention  qu'elle  mérite.  Le  Diction- 
naire de  Trévoux  traduit  en  latin  feuillure  pour  foliatio  ; 
Roquefort  place  feuillerel  et  feuillure  parmi  les  dérivés 
de  feuille;  les  autres  ont  suivi  moutonnièrement,  y  com- 
pris les  auteurs  du  Dictionnaire  général  au  nom  des- 
quels je  viens  faire  tardivement  un  mea  culpa. 

Pour  peu  qu'on  y  prenne  garde,  on  ne  peut  hésiter 
à  considérer  le  verbe  technique  feuiller  comme  un 
doublet  du  verbe  commun  fouiller,  dont  la  forme  pri- 
mitive est  foeillier,  du  latin  vulgaire  *fodiculare' .  Il  est 
inutile  d'insister:  je  ferai  seulement  remarquer  que  la 
langue  technique  emploie  dans  un  sens  analogue  le 
verbe  refouiller  et  le  substantif  refouillement. 

On  peut  se  demander  comment  il  se  fait  que  la 
forme  primitive  foeillier  ait  ainsi  bifurqué  pour  aboutir, 
d'une  part  à  fouiller,  d'autre  part  à  feuiller.  L'ancien 
français  a  une  tendance  marquée  à  réduire  -eil-  atone  à 
-il:  de  là  des  formes  qui  se  sont  souvent  perpétuées 
jusqu'à  nos  jours,  comme  Châtillon,  éparpiller,  essoriller 
(malgré  oreille),  papillon,  pavillon,  tilleul,  vermillon 
(malgré  vermeil,  etc.).  Il  est  donc  naturel  que  foeillier 
et  foeillier  (du  latin  vulgaire  *tudiculare a)  soient  deve- 
nus foïllier,  t oïl 'lier,  puis  fouiller  et  touiller,  comme 
roïllier  est  devenu  rouiller.  D'autre  part,  l'ancien  fran- 

i .  C'est  à  Ménage  que  revient  le  mérite  d'avoir  trouvé  l'éty- 
mologie  de  fouiller,  et  cela  dès  1650. 
1.  Cf.  mes  Essais,  p.  391. 


GARLIMEN  273 

çais  disait  foiller  et  faillir  au  sens  de  «  pousser  des 
feuilles  »  ;  de  bonne  heure,  sous  l'influence  de  fueille 
(feuille),  il  a  dit  fueillier ,  fueillir ;  plus  récemment  écrit 
f cuiller,  feuillir.  C'est  par  contamination  que  fouiller 
«  faire  une  entaille  »  est  devenu  feuiller  dans  la  langue 
des  artisans. 

Puisque  l'occasion  se  présente,  je  ferai  remarquer 
que  le  substantif  feuillure  est  employé  par  la  langue 
technique  dans  un  sens  que  les  dictionnaires  ont  géné- 
ralement oublié  d'enregistrer.  V Encyclopédie  Méthodique, 
à  l'article  Meunier  (paru  en  1788),  donne  la  définition 
suivante  :  «  Entrepied  d'une  meule,  c'est  la  partie  qui 
joint  la  feuillure  concentriquement  et  qui  se  termine 
au  cœur.  »  Tous  nos  grands  dictionnaires  contempo- 
rains ont  reproduit  cette  définition  ',  sans  songer  à  faire 
une  place,  a.  l'ordre  alphabétique,  à  ce  sens  du  mot 
feuillure.  Je  ne  saurais  en  expliquer  l'origine  :  je  me 
borne  à  remarquer,  d'après  la  Grande  Encyclopédie  (ar- 
ticle Moulin,  tome  XXIV,  p.  483),  que  cette  partie 
de  la  meule  des  meuniers  s'appelle  aujourd'hui  couronne 
ou  feuillard. 


XLVI.  —  GARLIMEN 

Le  mot  garlimen  manque  dans  le  Trésor  de  Mistral. 
Il  revient  à  plusieurs  reprises  dans  les  Counteis  de  la 
Queirio  de  Jean  Lalet,  recueil  dont  la  langue  est  celle 

1 .  Certains  ont  fait  un  quiproquo  sur  meule  et  ont  cru  qu'il  s'a- 
gissait d'une  meule  de  foin,  notamment  Beschcrelle  et  De  Chcsnel 
(Dict.  de  technologie,  Migne,   1857). 

Thomas.  II.  —  18 


274  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

des  environs  d'Excideuil  (Dordogne)  '  :  Fauve  et  Rouje, 
tachât  s  per  las  oùreillas,  tirent  lou  garlimen  (p.  7);  per 
tenei  lou  garlimen  (p.  17);  m  lou  garlimen  que  traino 
soun  manlie  (p.  32),  etc.  L'auteur  explique  en  note  que 
garlimen  désigne  la  charrue.  Il  est  clair  qu'il  faut  recon- 
naître dans  cet  office  le  provençal  commun  garnimen 
qui,  du  sens  général  de  «  ce  qui  garnit,  harnache- 
ment »,  a  passé  au  sens  spécial  de  «  harnais  servant  à 
labourer  ».  Pareille  aventure  sémantique  est  arrivée  au 
mot  arnes  «  harnais  »  qui,  non  seulement  en  Gascogne, 
comme  le  dit  Mistral,  mais  dans  la  Creuse  (et  ailleurs, 
bien  sûr)  est  devenu  synonyme,  lui  aussi,  de  «  char- 
rue ».  Ce  qui  est  surtout  remarquable  dans  la  forme 
périgourdine  garlimen,  c'est  la  dissimilation  de  n  en  /, 
dissimilation  due  manifestement  à  la  présence  d'une 
désinence  en  -mm  et  qui  témoigne  d'une  rupture  bien 
nette,  au  point  de  vue  sémantique,  entre  garnir  et  son 
dérivé.  J'imagine  que  M.  Grammont  formulerait  ainsi  ce 
phénomène  :  intervocalique  tonique  dissimile  appuyée 
atone.  Je  cherche  en  vain  la  place  de  cette  formule 
dans  les  vingt  lois  qu'il  a  promulguées  sur  la  dissimi- 
lation en  l'an  de  grâce  1895. 

(Revue  des  parlers  popul.,  année  1903,  p.  176  ;  cf.  Bull,  de  la  Soc. 
de  Ling.  de  Paris,  séance  du  28  mars  1903.) 

XLVII.  —  GlERRE 

Le  très  ancien  français  possède  une  conjonction  à 

1.  Sur  l'origine  dialectale  de  ces  contes,  vov.  Roniania,  XXIV, 
628. 


GIERRE  275 

peu  près  synonyme  de  «  donc  »  dont  la  forme  flotte 
entre  gierre,  gierres,  gieres,  giers,  gers l  et  dont  l'étymo- 
logie  n'est  pas  transparente.  Diez  hésitait  entre  igitur 
et  ergo,  mais  recommandait  plutôt  ce  dernier  type. 
M.  Suchier  a  proposé  de  *ha  re  (pour  de  bac  re)2; 
M.  Cornu  s'est  fait  le  champion  de  igitur 3;  M.  Schu- 
chardt  a  indiqué  en  passant  ea  hora*;  tout  récemment, 
enfin,  M.  Meyer-Lûbke  s'est  prononcé  en  faveur  de  de 
ea  reî.  Les  lois  phonétiques  écartent  absolument  ergo 
(qui  aurait  donné  *erc)  et  igitur  (qui  aurait  abouti  à 
*oirrè).  En  admettant  que  ea  hora  se  soit  contracté  en 
*eara,  il  aurait  effectivement  donné  giere;  mais  le  sens 
ne  convient  pas  très  bien.  Avec  de  *ha  re  et  de  ea  re  on 
obtient  également  gier  ;  mais  comment  expliquer  la 
présence  de  deux  r  dans  les  psautiers  d'Oxford  et  de 
Cambridge  ?  Je  ferai  remarquer  que  pour  obtenir  gier, 
il  suffit  de  partir  du  latin  classique  ea  re  et  que  pour 
expliquer  la  forme  concurrente  gierre  on  a  une  base 
excellente  en  partant  de  ea  de  re. 

On  n'a  pas  signalé  jusqu'ici  la  survivance  de  cette 
ancienne  conjonction  dans  les  patois  actuels;  pourtant 
il  est  impossible  de  la  méconnaître  dans  dçare  que  J. 


1.  Voyez  Godefroy,  à  l'article  gieres;  ajoutez  un  exemple  de 
gierre  dans  le  psautier  de  Cambridge,  p.  282,  et  comparez  l'article 
regieres.  Gers  apparaît  dès  le  dixième  siècle  chez  un  grammairien 

ano  nyme  qui  le  donne  omme  équivalent  du  latin  ergo,  itaqae, 
igitur  (Z.  f.  rom,  Pbil.,  XV,  241,  et  XXVII,  508  ;  Romania,  XXXI, 
593,  et  XXXIII,  91). 

2.  Z.  fur  rom.  Pbil.,  I,  .131. 

3.  Romania,  X,  399. 

4.  Z.  fur  rom.  Phi].,  XV,  24  1 . 

5.  Gramm.  des  l.  rom.,  III,  ^  259. 


276  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

Tissot  a  relevé,  il  y  a  quelques  quarante  ans,  dans  le 
patois  des  Fourgs  (Doubs)  et  qu'il  traduit  par  «  en  ce 
cas,  s'il  en  est  ainsi,  alors  ■  ». 


LXII.  -  HALEINE 

Nos  vieux  étymologistes  ne  paraissent  pas  s'être 
préoccupés  de  l'étymologie  du  mot  haleine  ;  du  moins, 
ils  n'ont  pas  pris  soin  de  nous  dire  ce  qu'ils  en  pen- 
saient. Diez  admet  que  le  verbe  latin  anhelare,  prononcé 
anelare,  est  devenu  par  métathèse  *alenare,  d'où  l'on 
a  tiré  ensuite  un  substantif  verbal  *alena,  représenté  en 
italien,  en  provençal  et  en  français  ;  il  écarte  l'hypo- 
thèse que  halare  ait  pu  produire  un  substantif  *halena, 
le  suffixe  -ena  étant  pour  ainsi  dire  inconnu  au  latin. 
Littré  a  pris  le  contrepied  de  l'opinion  de  Diez;  con- 
sidérant que  la  métathèse  est  insolite  et  que  le  suffixe 
-ena  n'est  pas  aussi  rare  que  le  croit  Diez,  il  se  pro- 
nonce pour  un  type  étymologique  *halena.  Le  Diction- 
naire général  accepte  *halena,  en  faisant  remarquer  que 
anhelare  a  pu  influer  sur  cette  formation  exceptionnelle. 
C'est  à  peu  près  l'opinion  de  M.  Meyer-Lûbke,  qui  a 
écrit:  «  Le  latin  vulgaire  anelare  de  anhelare  doit  sa 
modification  à  l'influence  de  halare2.  » 

Or,  un  texte  carolingien,  publié  il  y  a  quelques 
années  et  auquel  les  romanistes  n'ont  peut-être  pas 
prêté  assez  d'attention,  nous  apporte  des  lumières  nou- 


1 .  Mèm.  de  la  Soc.  d'émul.  du  Doubs,  3e  série,  IX  (1864),  p.  261 . 

2.  Gramm.  des  l.  rom.,  I,  §  581. 


HAMPE  277 

velles  sur  cette  délicate  question.  Dans  les  Miscellanea 
Tironensia  que  M.  W.  Schmitz  a  tirées  du  ms.  Vatic- 
Reg.  846,  on  lit,  en  caractères  ordinaires,,  anela,  avec 
son  synonyme  en  latin  littéraire  flatiis,  et  quelques 
lignes  plus  loin  anela  calida  ' . 

Ainsi,  au  huitième  siècle,  au  plus  tard,  on  avait  tiré 
du  verbe  anelare  un  substantif  verbal  féminin  anela 
qu'on  employait  exactement  dans  le  sens  où  nous  em- 
ployons aujourd'hui  haleine.  Il  faut  bien  admettre  que 
la  métathèse  de  anela  en  *alena  est  postérieure;  par 
conséquent,  toute  influence  du  verbe  halare,  que  rien 
ne  nous  autorise  à  considérer  comme  populaire,  paraît 
devoir  être  écartée2. 


LXIII.  —  HAMPE 

Le  français  hésitait,  au  dix-septième  siècle,  entre 
hampe  et  hante  :  Vaugelas  déclare  que  si  l'on  dit  l'un 
et  l'autre,  «  hampe  est  incomparablement  meilleur  et 
plus  usité.  »  Aujourd'hui  la  question  ne  se  pose  plus: 
hampe  seul  est  «  français  »  et  hante  cache  sa  défaite  au 
fond  des  campagnes  de  la  Normandie  et  du  Maine.  Ce 
dernier  mot  apparaît,  sous  la  forme  hanste,  dans  nos 

1.  Mise.  Tironiana  (Lepzig,  Teubner,  1896),  p.  35. 

2.  Cf.  anhella  dans  le  glossaire  latin-anglo  saxon  publié  par 
Hessels(note  de  M.  Meyer-Liibke,  Krit.  Jabresb.,  II,  70)  et  hanela 
dans  le  ms.  337  de  Berne.  Mon  collègue,  M.  Mario  Roques,  me 
signale,  en  même  temps  que  cette  dernière  forme,  un  exemple 
très  précieux  de  la  métathèse,  remontant  au  moins  au  dixième 
siècle,  dans  la  glose  :  anhelitum  qui  de  aliéna  (pour  alerta)  laborant 
(Gcetz,  Corp.  Gloss.,  III.  597,  38). 


278  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

plus  anciens  textes;  au  contraire,  hampe  est  relative- 
ment récent  et,  bien  qu'employé  par  Amyot  et  par  Ron- 
sard, il  ne  figure  pas  dans  le  Thresor  de  Nicot.  D'où 
vient-il  ?  Diez  le  rattache  à  l'allemand  handhabe,  mais 
sans  aucune  vraisemblance.  Le  Dictionnaire  général 
admet  que  hampe  est  une  altération  de  hante;  encore 
faudrait-il  trouver  quelque  raison  d'être  à  cette  alté- 
ration. Voici  une  hypothèse. 

Nos  patois  de  l'Est  possèdent  le  substantif  ampe  et 
le  verbe  amper,  écrits  à  l'origine  empe  et  emper.  Comme 
l'a  montré  M.  Horning,  ce  sont  des  doublets  des  mots 
français  ente  et  enter  '  :  empe  est  sorti  du  latin  vulgaire 
*empotum,  grec  Ijaçutov,  par  conservation  de  la  syllabe 
pénultième  et  chute  de  la  finale2.  M.  Horning  ne  cite 
que  deux  exemples  de  la  forme  verbale,  tous  deux  du 
douzième.  En  voici  un  de  la  fin  du  quatorzième.  On 
lit  dans  Le  saint  Voyage  de  Jherusalem  du  seigneur  d'An- 
glure,  édition  Bonnardot  et  Longnon,  §  297  :  «  Emmy 
icelle  croix  a  une  petite  croix  empée,  de  la  vraye  croix 
Nostre  Seigneur.  »  Dans  le  glossaire  afférant  à  l'édi- 
tion, empée  est  traduit  par  «  hampée  »,  sans  commen- 
taire, et  ce  passage  est  reproduit  dans  le  Complément  de 
Godefroy  comme  contenant  le  plus  ancien  exemple 
connu  de  l'adjectif  actuel  hampe  «  muni  d'une  hampe  ». 
C'est  un  faux  sens:  empée  veut  dire  «  entée  »,  c'est-à- 
dire  «  insérée  en  prolongement  ».  Mais  il  est  facile  de 
concevoir  le  rapport  sémantique  de  «  ente  »  et  de 


1.  Zeitschr.  f.  rom.  Ph.,  XV,  496,  et  XVI,  242. 

2.  Horning,    Die    Behandluw   der    lateinischen    Proparoxytona, 
Strassburg,  1902  (Beilage  zum  Programm  des  Lyceums,  no  578). 


HISTAR  279 

«  hampe  ».  Comme  d'autre  part  ente  et  empe  étaient 
synonymes,  s'il  a  existé  une  région  mixte  où  l'usage 
flottait  entre  empe  et  ente,  c'est  là  qu'a  pu  se  produire  la 
substitution  de  hampe  à  hante  dans  le  sens  de  «  long 
manche,  tige  ». 


XLVIII.  —  HISTAR 

Carpentier  a  relevé  le  substantif  masculin  histar  dans 
une  lettre  de  remission  de  1416,  où  le  sens  de  ce  mot 
est  précisé  par  un  commentaire  explicatif'.  On  lit  en 
effet  dans  ce  document  :  «  histar  ou  friche  plain  de 
genestes.  »  Godefroy  s'est  approprié,  comme  d'habi- 
tude, l'extrait  fait  par  Carpentier  et  il  traduit  histar  par 
«  friche,  terrain  couvert  de  halliers  ».  Pourquoi  «  hal- 
liers  »  et  non  «  genêts  »  ?  Parce  qu'il  n'a  pas  vu  que 
dans  histar  il  y  avait  le  latin  genesta 2,  plus  un  suffixe, 
comme  cela  saute  aux  yeux  de  tout  bon  philologue.  La 
disparition  de  Yn  de  genesta  sent  son  gascon  d'une  lieue. 
Effectivement,  le  texte  qui  appelle  histar  un  champ  de 
genêts  a  été  rédigé  dans  le  pays  de  Bigorre,  puisque 
c'est  ce  pays  qui  est  le  théâtre  du  drame  qui  a  motivé 
la  lettre  de  rémission.  Voici  le  document  lui-même 
dans  toute  sa  teneur,  sauf  toutefois  les  dernières  lignes 
par  lesquelles  le  roi  déclare  dans  les  formes,  mais  non 
compendieusement,  qu'il  accorde  la  grâce  qu'on  a  sol- 
licitée de  lui.  C'est  un  «  fait  divers  »  de  chasse  qui 


i.  Insertion  dans  Du  Cange,  article  hirstis. 
2.  Forme  plus  usuelle  que  genista. 


280  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

rompra  agréablement,  pour  certains  de  nos  lecteurs, 
la  monotonie  des  spéculations  philologiques. 

Charles,  etc.  Savoir  faisons  a  tous  presens  et  a  venir  Nous  avoir 
oy  la  supplicacion  des  amis  de  Domenge  de  Baylat,  autrement  dit 
de  Soussenez,  du  lieu  de  Ader>,  en  nostre  pais  de  Bigorre,  con- 
tenant que,  ou  mois  de  décembre  derrenierement  passé  ou  envi- 
ron, nostre  amé Pierre  d'Antin2,escuier,  seigneur  des  lieux  d'Ours  ? 
et  de  Puiferrier,  pria  aucun  de  ses  amis  dudit  pais  de  Bigorre  qu'ilz 
lui  feissent  compaignie  en  un  certain  voyage  ou  il  vouloit  aler,  et 
de  fait  alerent  avecques  lui  plusieurs  compaignons  dudit  lieu  de 
Ader  et  de  certains  autres  lieux  d'ilec  environ,  garnis  les  aucuns 
d'arbalestes  et  les  autres  d'autres  abillemens  ;  et  après  que  ilz  l'eu- 
rent acompaignié  et  s'en  retournoyent  et  furent  en  un  lieu  dit 
Lanne  Morime  (sic),  ilz  virent  en  un  histar  ou  friche  plain  de 
genestes,  assez  près  de  leur  chemin,  un  cerf,  lequel  cerf,  quand 
les  vit,  se  coucha  entre  les  dites  genestes  et  ilz  tous  le  environnè- 
rent pour  lui  traire  des  arbalestres,  et  leur  trayrent  les  ungs  d'un 
costé  et  les  autres  d'autre  costé,  et,  en  trayant  audit  serf,  Jehan 
de  Sossenetz,  du  lieu  de  Bertrachees,  cousin  bien  prouchain  dudit 
Dommenge  suppliant,  fu  féru  parmi  le  front  d'un  vireton  ou 
reillon,  dont  il  cheut  a  terre  et  assez  tost  après  morut,  et,  pour 
savoir  de  quel  arbaleste  ledit  cop  estoit  venu,  se  assemblèrent  tous 
ceulx  qui  audit  cerf  avoient  tiré,  et  par  les  enseignes  de  leurs 
viretons  ou  reillons  trouvèrent  que  ledit  vireton  estoit  dudit 
Domenge  suppliant,  et  qu'il  l'avoit  tiré,  dont  il  fut  moult  dolant 
et  courroucié... 

Donné  a  Paris  au  mois  d'aoust  l'an  de  grâce  mil  cccc  et  seze, 
de  nostre  règne  le  xxxvje. 

Par  le  Roy  a  la  relacion  du  Conseil, 

J.  Charenton. 
(Arch.  nat.,  JJ  169,  n°  347.) 

Je  reviens  à  histar.  Le  type  latin  correspondant  est 
*genestaris,  qui  a  donné  l'ancien  provençal  genestar  et 


1.  Adé,  canton  de  Lourdes. 

2.  Antin,  canton  de  Trie-sur-Baïse. 

3.  Ours-Belille,  canton  de  Tarbes. 


HISTAR  281 

le  catalan  ginestar.  On  trouve  dans  le  cartulaire  de  la 
Sauve-Majeure  giestar1  :  c'est  une  forme  gasconne.  Pri- 
mitivement, le  gascon  devait  dire  *geestar  :  de  *geestar 
on  a  fait  d'une  part  giestar,  par  changement  en  i  de 
IV  en  hiatus,  et  de  l'autre  *gestar,  par  contraction  de 
ee  en  e  :  cet  ancien  *gestar  est  représenté  par  le  béarnais 
moderne  gesta2.  En  Bigorre,  le^  latin  initial  devant  e, 
i  est  traité  comme  le  /,  c'est-à-dire  prononcé  y:  il  est 
curieux  de  voir  ce  son  initial  représenté  par  /;  dans  notre 
forme  médiévale  histar,  contraction  de  *hiestar  ;  cela 
rappelle  la  phonétique  espagnole  qui  nous  offre  hiniesta 
«  genêt  »  de  genesta,  hermano  «  frère  »  degermanus,  etc. 
L'emploi  du  suffixe  -aris  ajouté  à  un  nom  de  végétal 
pour  désigner  un  lieu  où  abonde  ce  végétal  a  depuis 
longtemps  été  signalé  en  espagnol  :  avellanar  «  cou- 
draie  »,  alisar  «  aunaie  »,  etc.,  etc.  î.  On  n'a  pas  jus- 
qu'ici accordé  la  même  attention  aux  dialectes  du  Midi 
de  la  France.  A  vrai  dire,  en  dehors  de  la  Gascogne, 
l'emploi  de  ce  suffixe  avec  cette  fonction  spéciale  est 
assez  rare  :  je  ne  le  trouve  guère  que  dans  genestar,  fel- 
gar  et  segalar.  Mais  en  Gascogne,  particulièrement  dans 
la  région  pyrénéenne,  le  suffixe  -aris  a  autant  de  vita- 
lité qu'en  Espagne  même.  La  liste  suivante,  rédigée 
surtout  d'après  le  Dictionnaire  béarnais  de  Lespy  et 

1.  Luchaire,  Recueil,  au  glossaire. 

2.  On  trouve  aussi  dans  les  Basses-Pyrénées  et  dans  le  Gers  une 
forme  gnesta  «  champ  de  genêts  »  et  le  simple  correspondant 
gnesto  et  même  agnesto  «  genêt  »  :  l'origine  du  son  initial  g n  n'est 
pas  très  claire.  Ce  même  son  initial  existe  dans  gnèbre,  pour  *giebre 
«  genévrier  ». 

1.  Voyez  Diez,  Gramm.  des  lang.  rom.,  trad.  franc.,  II,  p.  322, 
et  Meyer-Lùbke,  Gramm.  des  lang.  rom.,  II,  §  464. 


282  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

Raymond,  en  fournira  abondamment  la  preuve.  En 
cela,  comme  en  maint  autre  point,  le  gascon  tient  de 
plus  près  à  la  langue  d'outre  Pyrénées  qu'à  celle  d'outre 
Garonne  ' . 


sapinière.  caneba,  chêne vière  (Alcée  Dur- 

agreula,  houssaie.  rieux). 

arraba,  ravière.  caular  (ancien  béarnais),  terrain 

arraga,  fraisière.  planté  de  choux. 

auga,  terrain  couvert  d'algues,      cassourra,  terrain  couvert  de  chê- 
bedoura,  boulaie.  nés  de  haute  futaie  dits  cassour- 

bernata  i,  aunaie.  res. 

bouscarrd4,  taillis,  fourré.  ceba,  oignonière. 

brana,  abrana,  terrain  couvert  de  cibada,  ciouasa,  aveinière. 

bruyère.  gabarra,   terrain   couvert  de   la 

brouca  S,  épinaie.  variété  d'ajoncs  dite  gabarre. 

bruchaga  &,    terrain    couvert    de  garrabonsla,  taillis  de  chênes  ra- 

broussailles.  bougris. 

bruchoa  1,    terrain    couvert     de  garrigata  8,  taillis  de  petits  chê- 

buissons.  nés. 

bruga,  terrain  couvert  de  bruyè-  gesta,  gnesta,  genêtière. 

res.  haba,  champ  de  fèves. 


i .  Voyez  les  intéressantes  remarques  présentées  à  ce  sujet  par 
M.  Bourciez  dans  le  Bulletin  hispanique,  avril  1901,  p.  159.  Le 
suffixe  -aris  a  déjà  été  signalé  ci-dessus  dans  le  mot  gascon  cuioîar. 
En  dehors  du  règne  végétal  on  le  trouve  encore  en  gascon  dans 
hanga  «  bourbier  »  et  dans  cabilha  (Landes)  ou  calhioua  (Gers)  «  che- 
ville du  pied  ». 

2.  Nous  ne  suivons  pas  la  graphie  béarnaise  :  abedaa,  agreu- 
laa,  etc. 

3.  Suffixes  -ail-  -+-  -aris-, 

4.  Suffixes  -arr-  -f-  -aris. 

5.  De  là  le  nom  du  célèbre  médecin  et  anthropologiste  Broca, 
lequel  était  d'origine  béarnaise. 

6.  Suffixes  -ac — h  -aris. 

7.  Lespy  et  Raymond  écrivent  bruhoaa,  mais  renvoient  à  bruchoc 
et  à  bruchoo  «  buisson  ». 

8.  Suffixes  -ait-  -f-  -aris. 


IORBE  383 

hea,  hia,  pré  (terrain  couvert  de  poumera,  pommeraie. 

foin).  prada,  prairie. 

heuga,  hottga,  fougeraie.  rastoura,  champ  couvert  d'éteule. 

hougara  ',  fougeraie.  roumenta,  champ  de  froment. 

terrain  couvert  d'ajoncs,  saliga,  saussiga,   saussilha,  saus- 


junca,  younca,  jonchaie.  saie. 

milhassa-,  champ  de  mais.  segassai,  ronceraie. 

milhouca,  champ  de  maïs.  sesca,  lieu  couvert  de  glaïeuls. 

nouguera,     terrain    couvert  de  soustra 6 (ancien  béarnais),  terrain 

noyers.  couvert  d'ajoncs  et  de  genêts. 
ourtiga,  terrain  couvert  d'orties,  tausia,  taillis  de  chênes  tauzins. 

pignada  5,  forêt  de  pins.  touja,  touya,  tuya,  terrain  couvert 

poumata*,  pommeraie.  d'ajoncs. 

(Mélanges  Léonce  Couture,  p.  263-265.) 


LXV.  —  IORBE 

Je  relève  dans  le  Glossaire  du  patois  de  Montbéliard  de 
Contejean,  p.  127,  un  mot  bien  intéressant  et  que  voici 
avec  son  contexte  : 

«  Iôrbe,  s.  f.  Escalier  en  vis  ;  tour  dans  laquelle  se 
trouve  un  pareil  escalier.  —  Du  latin  orbis,  cercle, 
circuit;  d'où  orbe,  orbite.  » 

Je  crois  que  Contejean  s'est  tout  à  fait  trompé  en 


1.  Suffixe  -aris  redoublé. 

2.  Lespy  et  Raymond  écrivent  milhasa. 

3.  Littré  enregistre,  dans  le  même  sens,  un  substantif  féminin 
pignade,  qui  est  une  francisation  maladroite  du  gascon.  Dans 
pignada,  nous  avons  un  type  étymologique  "pinea  -+-  aris.  Beaucoup 
d'écrivains  emploient  aujourd'hui  pignada  comme  mot  français. 

4.  Suffixes  -att-  -+-  -aris. 

5.  Suffixes  -aci-  -+-  -aris. 

6.  Ces  plantes  sont  appelées  souslre  parce  qu'elles  servent  à  taire 
la  litière  (soustrar). 


284  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

faisant  appel  au  substantif  orbis  :  c'est  à  l'adjectif  orbus 
qu'il  faut  s'adresser.  On  sait  que  l'ancien  français  orbe 
«  aveugle  »,  comme  son  synonyme  actuel,  s'applique 
fréquemment  à  un  lieu  obscur. 

Reste  à  identifier  le  premier  élément  du  substantif 
comtois  iôrbe.  Il  faut,  sauf  erreur,  y  reconnaître  tout 
simplement  vis,  c'est-à-dire  «  escalier  à  vis  » .  La  for- 
mation du  mot  composé,  c'est-à-dire  la  soudure  intime 
des  deux  éléments  composants,  ne  s'est  produite  qu'a- 
près la  réduction  de  vis  à  vi.  Quant  à  la  chute  du  v 
initial,  on  peut  citer  d'autres  exemples  où,  comme  ici, 
le  v  a  été  absorbé  par  le  son  d'un  i  en  hiatus,  c'est-à- 
dire  devenu  v:  normand yorne,  pour viorne,  de*viburna  '  ; 
patois  des  Fourgs  arieutan,  du  français  orviétan1  ; 
savoyard  yable,  clématite,  pour  viable,  de  vitem 
albami;  valaisan  ya,  pour  via,  de  vita;  yad%e,  pour 
viad^e,  de  viaticum;  yéda,  pour  viéda,  de  vivenda,  etc.  4. 


XLIX.  —  IVIERE 

Grandgagnage  a  enregistré  dans  son  Dictionnaire  éty- 
mologique de  la  langue  wallonne  un  substantif  féminin 
ivière,  au  sens  de  «  neige  »,  qu'il  tire  du  latin  hiberna. 
J'ai  proposé,  au  contraire,  de  rattacher  le  mot  wallon 
à  nivaria,  qui  survit  dans  presque  toutes  les  langues 


1.  Rolland,  FI.  pop.,  I,  4. 

2.  Tissot,  à  l'article. 

3.  Rolland,  FI.  pop.,  I,  2. 

4.  Gilliéron,  Pat.  de  Vionna\,  p.  182. 


JA1NÇ0N  285 

romanes  *.  Ce  faisant,  j'oubliais  que  le  suffixe  -aria 
aboutit  en  wallon  à  -ire  et  non  à  -ière,  ce  qui  est  une 
grosse  étourderie.  M.  Horning  me  l'a  fait  judicieuse- 
ment observer.  Reprenant  à  son  tour  la  question,  il 
établit  que  la  forme  wallonne,  mal  connue  de  Grand- 
gagnage  parce  que  ce  mot  n'est  pas  usité  à  Liège  où 
l'on  dit  nivâie,  mais  à  Malmédy  et  dans  la  région  des 
Ardennes,  n'a  aucun  droit  sérieux  à  un  e  final,  mais 
doit  s'écrire  ivier  (avec  un  r  sonore,  comme  dans  le 
français  hiver)  ;  que  les  auteurs  qui  signalent  le  mot 
n'en  indiquent  pas  le  genre;  que  dans  les  Ardennes  il 
cumule  les  sens  de  «  hiver  »  et  de  «  neige  »,  ce  qui 
appuie  l'étymologie  hibernum2.  Je  suis  tout  à  fait  con- 
vaincu et  j'abjure  publiquement  nivaria. 


LXVII.  —  JAINÇON 

L'abbé  Lalanne  a  relevé  dans  le  patois  de  Châtelle- 
rault  l'expression  les  jainçons  des  doigts  pour  dire  les 
«  jointures  »  et  il  a  invoqué  le  latin  junctura  pour 
l'expliquer  3.  Ce  n'est  pas  junctura,  mais  junctio  qui  est 
en  cause  et  cela  même  est  intéressant,  car  l'on  n'a  pas 
signalé  jusqu'ici  de  trace  de  junctio  dans  la  couche 
populaire  des  langues  romanes.  D'après  le  modèle  de 
punctione,  qui  aboutit  à  poinçon,  on  a  dû  avoir  *joinçon 
de  junctione.  Le  changement  de  la  diphtongue  nasale 

1.  Mélanges,  p.  93. 

2.  Z.  fur  rom.  Phil.,  XXVII,  147. 

3.  Dans  le  tome  XXXII,  2e  partie,  des  Mém.  Soc.  Antiq.  de 
l'Ouest,  paru  en  1868. 


286  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

oin  en  ain  ne  fait  pas  difficulté:  on  trouve  dans  le 
recueil  de  l'abbé  Lalanne  aijtse  «  peau  qui  recouvre  les 
jointures  des  phalanges  sur  le  dessus  des  mains  »,  qui 
correspond  à  la  forme  ancienne  oince  ■  et,  en  français 
même,  l'ancien  comparatif  joindre  (de  junior)  est  devenu 
finalement  gindre,  nom  du  premier  ouvrier  d'une  bou- 
langerie2. 


LXVIII.  —  JOINCLE 

L'article  jùvencus  de  Kôrting  fait  au  latin  de  la  Gaule 
une  part  à  la  fois  insuffisante  et  mal  distribuée  '  :  on 
y  trouve  indiqués  le  provençal  junega  et  le  diminutif 
français  jouvenceau  ;  rien  de  plus.  Or,  le  provençal 
junega  ne  se  rattache  pas  directement  à  jùvencus  :  il 
vient  d'un  type  *jûnïca,  refait  sur  le  nominatif  jûnix, 
tandis  que  le  français  génisse  représente  *jûnïcia4.  Quant 
au  français  jouvenceau,  personne  ne  doute  qu'il  vienne 
d'un  diminutif  latin  vulgaire  *juvencellus,  mais  pour- 
quoi ne  pas  mentionner  sur  la  même  ligne  le  provençal 
jovencelî  ?  D'autre  part,  avant  de  pousser  la  lignée  de 
*juvencellus,  il  eût  été  bon  de  s'assurer  si  jùvencus  lui- 
même  n'avait  pas.  de  représentants  sur  le  soi  de  la 


i.  Cf.  mes  Mélanges,  p.  133,  art.  roinse. 

2.  Cf.  ci-dessous  l'art,  joindre. 

3.  2c  éd.,  n°  5236. 

4.  Essais,  p.  85.  Malgré  les  apparences,  le  patois  des  Fourgs 
d^eunseu  se  rattache  au  français  et  non  au  provençal. 

5.  Kôrting  mentionne  le  provençal  jovencel  à  l'article  juvenis, 
n°  5237,  en  lui  assignant  à  tort  un  type  latin  vulgaire  *juvencillus. 


JOINCLE  287 

Gaule.  En  ouvrant  Mistral  à  l'article  jouvencèu,  M.  Kôr- 
ting  aurait  appris  que  «  jouvenceau,  jouvencelle  »  sont 
rendus  en  béarnais  moderne  par  youenc,  youenco,  et 
j'espère  qu'il  n'aurait  pas  hésité  à  brûler  le  junego  pro- 
vençal pour  adorer  le  youenco  gascon  comme  incarna- 
tion de  juvenca. 

En  français  propre,  jouvenceau  nous  apparaît  dès 
l'origine  (sous  la  forme  jovenceï)  avec  le  sens  exclusif  de 
«  jeune  homme  »  ;  mais  on  sait  que  le  latin  juvencus 
signifie  à  la  fois  «  jeune  homme  »  et  «  jeune  taureau  ». 
Il  est  intéressant  de  constater  que  ce  dernier  sens  a 
survécu  dans  la  région  de  la  Franche-Comté  et  qu'il 
s'est  attaché  au  dérivé  *juvencellus  :  de  là  jouvence  (Dar- 
tois,  Mém.  de  l'Acad.  de  Besançon,  1850,  p.  15e)  ou 
djevencé  (Contejean,  Patois  de  Montbéliard ,  p.  93) 
«  bouvillon  ». 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  *juvencellus  qui  vit  encore 
avec  le  sens  de  «  jeune  taureau  »  au  fond  de  nos  cam- 
pagnes. On  y  trouve  môme  juvenculus  tout  craché  '  et 
dans  une  région  bien  éloignée  de  la  Franche-Comté, 
à  savoir  dans  le  Poitou,  où  l'abbé  Lalanne  a  signalé 
(mais  en  invoquant  à  tort  juvencus  au  lieu  de  juvenculus) 
les  différentes  formes  joincle,  jouincle,  joncle  (avec  cl 
mouillé)  et  junque  (avec  chute  de  17)  qui  s'appliquent 
dans  toute  l'étendue  des  trois  départements  de  la  Vienne, 
des  Deux-Sèvres  et  de  la  Vendée  à  un  «  veau  de  deux 
ans  que  l'on  commence  à  mettre  au  joug2  ». 


1.  C'est  le  cas  de  rappeler  cette  remarque  de  YAppendix  Probi 
(P.  Meyer,  Rec,  p.  1,  1.  30):  juvencus,  non  juvenclm. 

1.  Gîoss.  du  ùatois  poitevin,  dans  le  t.  XXXII,  2e  partie,  des 


288  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 


LXIX.  —  JOINDRE,  JEGNOR 

Littré  attribue  à  Du  Cange  le  mérite  d'avoir  reconnu 
comme  représentant  légitime  en  français  du  latin  junior 
le  substantif  gindre,  que  Ménage  croyait  être  originai- 
rement identique  à  gendre  (je  me  hcâte  d'ajouter  qu'on 
appelle  gindre  le  premier  ouvrier  d'une  boulangerie, 
car  ces  lignes  tomberont  peut-être  sous  les  yeux  d'un 
lecteur  qui  ne  sera  ni  philologue  ni  boulanger  et  je 
tiens  à  m'assurer  sa  reconnaissance).  La  vérité  m'oblige 
à  déclarer  que  Littré  s'est  trompé,  et  je  le  regrette 
pour  Du  Cange,  qui  était  très  fier,  dit-on,  de  ses 
étymologies  françaises  et  qui  n'a  pas  eu  souvent  la 
main  heureuse.  C'est  Nicolas  de  la  Mare  qui  a  rap- 
proché gindre  de  junior1,  et  tout  le  monde  doit  l'en 
féliciter. 

Donc  gindre,  autrefois  joindre,  représente  le  nomi- 
natif junior,  prononcé  en  latin  vulgaire  avec  un  u  bref 
(d'après  jùvenis)  et  non  avec  un  u  long  comme  en 
latin  classique 2.  L'accusatif  *jùniorem  a  dû  devenir  de 
bonne  heure  *jeniorem  par  dissimilation,  d'où,  en  lan- 
gue vulgaire  jegnar.  Cette  dernière  forme  manque  dans 


Mem.  de  la  Soc.  des  Antiq.  de  l'Ouest  (1868).  Cf.  l'article  jouencle 
«  bœuf  de  deux  ans  »  dans  le  Gloss.  du  Poitou  de  L.  Favre. 

1.  Traité  de  la  police,  t.  II,  livre  5,  titre  12,  chap.  3,  p.  188. 

2.  Le  nominatif  s'est  conservé  dans  la  Suisse  romande;  cf. 
Gilliéron,  Patois  de  Vionna\,  p.  147  :  «  D^egne,  garçon  vacher.  » 
Les  nombreux  exemples  de  genvre  que  Godefrov  a  enregistrés  à 
l'article  jovenor  remontent  à  juvenis  et  non  à  junior. 


LAUS  289 

Godefroy  '  ;  mais  il  n'est  pas  douteux  qu'elle  ait  réel- 
lement existé  en  ancien  français.  Faute  de  textes  écrits, 
j'en  appelle  au  patois  des  Fourgs  (Doubs)  qui  possède 
encore  aujourd'hui  le  mot  d^gnou,  et  j'emprunte  à 
Tissot  la  définition  de  ce  mot  :  «  Domestique  de  chalet, 
employé  au  soin  des  vaches,  de  l'étable  et  de  la  froma- 
gerie2. » 

On  voit  que  l'accusatif  juniorem  a  eu  en  Gaule  un 
développement  sémantique  analogue  à  celui  du  nomi- 
nmi junior.  En  Italie,  l'accusatif  a  seul  survécu  ;  Canello 
l'a  depuis  longtemps  reconnu  dans  l'italien  dialectal 
gignore  «  apprenti  3  » . 


L.  —  LAUS 

Raynouard  et  Mistral  ne  connaissent  qu'un  mot  laus, 
lequel  est  substantif  et  veut  dire  «  louange  ».  Mais  il  y 
en  a  un  autre,  particulièrement  fréquent  dans  les  textes 
béarnais,  lequel  est  adjectif  et  signifie,  d'après  Lespy  et 
Raymond,  «  abandonné,  vacant  ».  Il  se  dit  des  maisons 
et  des  terres.  On  en  a  tiré  laussedat  et  laussetat  «  mai- 
son abandonnée,  domaine  abandonné  »  et  alaussat, 
alaussit  qui  s'emploie  à  peu  près  au  sens  même  du 
simple  laus.  Je  me  figure  que  l'étymologie  doit  être  le 
latin  lapsus,  participe  de  labi,  et  que  le  sens  propre 

1.  Il  ne  faut  pas  la  confondre  avec  jovegnor  qui  remonte  au 
latin  juveniorem. 

2.  Mèm.  de  l'Acad.  d'cmul.  du  Doubs,  ^  série,  t.  IX  (1864), 
p.  262. 

3.  Arch.  glottol.,  III,  341. 

Thomas.  II.  —  19 


290  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

doit  être  «  tombé  en  ruine  » .  J'ai  signalé  ailleurs *  l'an- 
cien limousin  eslaus,  aujourd'hui  eilau  ou  orlau  «  lan- 
cière  d'un  étang  »,  qui  vient  du  latin  vulgaire  *exlapsus. 
Le  changement  du  groupe  ps  en  us  se  retrouve  non  seu- 
lement dans  aus  «  toison  »  (de  hapsus)  et  dans  eus 
«  même  »  (de  ipsè)  que  j'ai  cités  à  ce  propos,  mais 
dans  caus,  limousin  chaus  «  chas  d'aiguille  »  (de  cap- 
sus). 

(Mélanges  Léonce  Couture,  p.  266.) 


LI.  —  LEDANJOS 

Mistral  embrigade  le  gascon  hdanjo  «  louange  »  parmi 
les  représentants  actuels  de  l'ancien  provençal  lau^enga. 
Il  y  a  cependant  à  cela  une  grosse  objection  linguisti- 
que :  rien  n'explique  le  changement  de  la  syllabe  initiale 
lau-  en  le-.  La  source  de  Mistral  est  vraisemblablement 
le  Dictionnaire  gascon-français  de  Cénac-Moncaut.  Or, 
ce  dernier  ne  donne  que  la  forme  plurielle  ledanjos. 
Je  ne  puis  m'empêcher  de  croire  que  ledanjos  vient  du 
latin  hellénique  litanias  «  litanies  »,  dont  il  représen- 
terait très  exactement  la  forme  populaire,  puisque  17  de 
la  syllabe  initiale,  étant  bref,  doit  se  changer  en  e  et  le  / 
médial  intervocalique  s'affaiblir  en  d.  A  côté  de  ledanjos 
«  louanges»,  Cénac-Moncaut  enregistre  ledanios  «  lita- 
nies, catalogue,  énumération  »  :  ce  ledanios  est  une 
forme  demi-savante. 

{Mélanges  Léonce  Coulure,  p.  266.) 
1.  Essais,  p.  291. 


LU.   —   LIOUBE 

Tous  les  grands  dictionnaires  français  enregistrent 
le  terme  de  marine  lioube  «  entaille  angulaire  qu'on  fait 
dans  toute  l'épaisseur  d'une  pièce  de  bois  pour  recevoir 
l'extrémité  d'une  seconde  pièce  qui  doit  lui  être  liée  » 
(Willaumez)  et  le  verbe  correspondant  enliouber.  J'ai 
montré  que  lioube  venait  des  patois  du  Poitou  et  de  la 
Saintonge  et  j'en  ai  rapproché  le  verbe  berrichon  égliober 
«  déchirer  longitudinalement  les  fibres  ligneuses  d'un 
arbuste  »  (Jaubert)  ;  puis,  cherchant  l'étymologie,  j'ai 
proposé  le  grec  ykwft  «  entaille  »  par  l'intermédiaire 
d'une  forme  *glùpa  qui  aurait  pu  en  être  tirée  dans  le 
latin  vulgaire1. 

Sans  connaître  mon  article,  M.  Behrens  a  étudié  de 
son  côté  le  mot  lioube2:  il  le  rattache  à  un  substantif 
tiré  du  verbe  allemand  klieben  «  fendre  »  qui  a  dû  exister 
très  anciennement  sous  la  forme  *hlùba  ou  peut-être 
*klùbba  et  dont  M.  Meyer-Lûbke  a  montré  la  survivance 
dans  de  nombreux  mots  dialectaux  de  l'Italie  septen- 
trionale?. Je  n'hésite  pas  à  donner  aujourd'hui  la  pré- 
férence à  la  manière  de  voir  de  M.  Behrens;  il  ne  faut 
pas  abuser  du  grec.  Je  ferai  seulement  remarquer  que, 
comme  l'a  dit  M.  Kluge,  dans  son  Etym.  Wœrterb.  der 
dtutschen  Spracbc,  le  grec  et  le  germanique  ont  proba- 


i.  Mélanges,  p.  99-100. 

2.  Z.fiïrrom.  PMI.,  XXVI,  245. 

3.  Z.fùr  rom.  Pbil.,  XX,  333. 


292  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

blement  la  même  racine  indo-européenne  qui  se  retrouve 
aussi  dans  le  latin  glubere  «  écorcer  ».  Le  changement 
du  son  germanique  kl  en  gl  n'est  pas  absolument  sans 
exemple,  puisque  le  français  gleton,  gleteron  (aujour- 
d'hui glouteron)  remonte  à  un  type  kletto;  mais  l'hy- 
pothèse d'une  contamination  entre  le  germanique  *kluba 
et  le  latin  glubere  n'est  pas  dénuée  de  vraisemblance 
dans  ce  cas  particulier. 


LXXIII.  —  LOVERGIER,  LORGIER,  LURGIER 

J'ai  signalé  ci-dessus  ■  la  survivance  de  l'ancien  fran- 
çais escolorgier  dans  le  patois  du  Bas-Maine  et  j'ai  rap- 
pelé que  escolorgier  vient  du  latin  vulgaire  *excollubri- 
care.  Le  simple  lubricare  a-t-il  disparu  du  latin  de 
la  Gaule  ?  Le  silence  de  Kôrting  pourrait  le  faire  croire, 
car  à  l'article  lubrico  (n°  5699),  il  n'indique  que  le 
roumain  luneca,  l'italien  lubricare,  l'espagnol  et  le  por- 
tugais lubricar.  Il  n'en  est  rien  pourtant.  Godefroy  a 
relevé  dans  la  traduction  lorraine  des  Dialogues  et  des 
Moralités  sur  Job  de  Grégoire  le  Grand  trois  exemples 
de  participe  lovergeant,  loverjant,  qui  suppose  l'exis- 
tence, à  la  fin  du  douzième  siècle,  du  verbe  français 
lovergier,  correspondant  à  lubricare,  comme  favergier 
(variante  de  forger)  correspond  afabricarc2:  on  remar- 
quera que  dans  le  simple  comme  dans  le  composé  Vu 

1.  Page  252,  art.  éculorger. 

2.  Cf.  le  nom  de  lieu  Pontfaveiger  (Marne),  primitivement  Pont- 
favergié,  en  latin  Pontein  Fabricatum,  et  la  note  de  M.  Fœrster  sur 
Chrétien  de  Troyes,  Cligèsj  4079. 


L0VERG1ER,   LORGIER,   LURGIER  295 

latin  est  rendu  par  o,  ce  qui  nous  force  à  admettre  la 
prononciation  vulgaire  *liïbricare  à  côté  de  la  pronon- 
ciation classique  hïbricare. 

Depuis  longtemps  les  lexicographes  comtois  ont 
signalé  dans  les  patois  actuels  de  la  Franche-Comté  un 
verbe  dont  la  prononciation  flotte  entre  lourgier,  leur- 
gier,  lergier,  lucher,  et  ils  y  ont  presque  tous  reconnu 
le  latin  lubricare  ' .  Je  n'ai  pas  assez  de  matériaux  pour 
faire  la  critique  des  formes  comtoises  et  les  répartir 
entre  hïbricare  et  *lûbricare.  Ce  que  je  tiens  surtout  à 
signaler  ici,  c'est  que  le  même  verbe  se  retrouve  dans 
une  région  très  éloignée  de  la  Franche-Comté,  à  savoir 
en  Saintonge,  où  Jônain  l'a  recueilli,  ainsi  qu'un  de 
ses  dérivés,  en  ces  termes  textuels: 

Lhurgheoas ,  glissant  :  lubricus. 

Lleurgber,  glisser,  malgré  soi  :  0  lleurdge  à  matin,  le  sol  est  glis- 
sant, par  suite  de  dégel  ou  de  pluie2. 

Jônain  a  le  mérite  d'avoir  reconnu  lubricus  comme 
base  de  lleurgher  :  la  présence  du  son  //,  c'est-à-dire  d7 
mouillée,  à  l'initiale  implique  une  forme  antérieure 
lurger  qui  ne  peut  s'expliquer  que  par  la  prononciation 
classique  de  Vu  comme  voyelle  longue  dans  lubricare. 
D'après  lui,  nous  aurions  encore  d'autres  représentants 
saintongeais  du  même  type  étymologique  dans  llugrer 


1.  Dartois,  dans  Mém.  de   l'Acad.   de  Besançon,  année   1850 
Poulet,  Vocab.  du  patois  de  Plancher -les-Mines  ;  Roussey,  Patois  de 
Bournois,  p.  192  et  389,  etc.  M.  Grammont  n'a  trouvé  à  Dampri- 
chard  que  le  dérivé  lergè  «  petit  traîneau  »  ;  Roussey  signale  plu- 
sieurs autres  dérivés. 

2.  Dict.  du  patois  saintong.,  p.  244. 


294  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

«  enduire  d'un  corps  gluant,  lubricus  »  et  dans  l'adjectif 
correspondant  llugrcu.  Le  même  couple  existe  dans  les 
Deux-Sèvres  et  dans  la  Vendée,  d'après  l'abbé  Lalanne  ; 
j'en  ignore  l'origine,  mais  je  crois  que  la  phonétique 
s'oppose  absolument  à  ce  qu'on  songe  à  le  rattacher 
à  lubricus. 


LXXIV.  —  MARSIA 

Nizier  du  Puitspelu  enregistre  le  subst.  fém.  marsia 
«  averse,  ondée  de  courte  durée  ■  ».  Cochard  écrit  niercia 
et  donne  cette  forme  comme  usitée  à  Condrieu  :  sur 
quoi  N.  du  P.  déclare  que  la  forme  de  Condrieu  «  met 
à  néant  toute  étymologie  qui  serait  tirée  de  mars,  averse 
du  mois  de  mars,  a  ne  passant  pas  à  e  ».  Pour  lui,  il 
estime  que  mercia  ou  marsia  vient  du  participe  mersus 
avec  un  suffixe  -ta  «  par  analogie  avec  les  mots  en  -ata 
précédés  de  yotte:  cruèzja,  pissia,  viria  ».  Voila  qui 
est  bien  compliqué.  Le  type  lat.  vulgaire  *martiata, 
dérivé  de  martius  «  mars  »  est  pourtant  attesté  par  le 
prov.  mod.  marsado  et  le  dauph.  marsa,  que  Mistral 
enregistre  au  double  sens  de  «  durée  de  mars  »  et  de 
«  giboulée  ».  Je  crois  qu'il  faut  aussi  accepter  cette 
étymologie  pour  le  lyonnais.  La  substitution  de  cr  à  ar 
ne  me  paraît  pas  inadmissible  dans  la  phonétique  lyon- 
naise, au  moins  comme  phénomène  sporadique.  On 
trouve  en  effet  dans  les  textes  anciens  cher,  pour  char, 


i.  Dict.  ètym.  du  patois  lyonnais,  p.  249  et  461. 


MEERIL  29$ 

de  carnem\  erbros,  pour  arbros2,  servage,  servasina, 
pour  sarvage,  sarvasineî,  et  dans  le  patois  actuel  cherri 
à  côté  de  charri  (drap  dit  charrier),  cermilli  à  côté  de 
çarmilli,  pertuis  à  côté  de  partus,  persayi  à  côté  de  par- 
sayi,  etc. 


LXXV.  —  MEERIL 

Les  textes  en  langue  vulgaire  écrits  en  Normandie 
au  treizième  siècle  offrent  fréquemment  le  terme  rural 
meeril,  mer  il,  aujourd'hui  disparu  comme  nom  com- 
mun, mais  encore  représenté  par  le  nom  de  famille 
fréquent  Duméril.  Le  mot  s'applique  aux  «  épis  de  blé 
restés  dans  le  champ  sur  la  place  où  l'on  avait  réuni 
les  gerbes  »  4  :  un  texte  latin  d'environ  1240  dit  textuel- 
lement: «  de  unoquoque  muslone,  le  meeril.  »  Ce 
muslo  bas  latin,  c'est  le  meulon  actuel,  la  petite  meule 
de  gerbes.  On  est  donc  naturellement  porté  à  chercher 
dans  le  nom  de  la  meule  l'origine  de  meeril.  Je  propose 
d'y  voir  un  dérivé  de  meta  «  meule  »,  formé  à  l'aide 
du  suffixe  double  -arllis  :  *metarîle  donne  aussi  réguliè- 
rement meeril  que  meta  lui-même  donne  meie,  moie  en 
français  provincial.  J'ai  groupé  ci-dessus*  les  quelques 
mots  qui  témoignent  de  la  même  formation  :  aveneril, 

1.  Voy.  Rom.,  XIII,  542,  et  Mussafia  et  Gartner,  Altfr.  Prosale- 
genden,  p.  88,  §  24. 

2.  Rom.,  XIII,  579,  1.  5  d'en  bas. 
5.  Rom.,  XIII,  577,  §  49,  50  et  51. 

4.  Godefroy,  s.  v°. 

5.  Page  173. 


296  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

chaumeril,  femeril,  fromenteril,  orgeril.    Ils    sont  tous 
rustiques,  et  meeril  ne  sera  pas  déplacé  parmi  eux. 


LUI.  —  MEIRI 

On  lit  dans  le  Trésor  dôu  felibrige,  à  l'ordre  alphabé- 
tique, ces  deux  notes  faites  pour  surprendre  les  con- 
naisseurs du  dialecte  limousin  : 

Màiri,  plur.  lim.  de  maire; 
Mèiri,  plur.  lira,  de  maire. 

Maire,  ordinairement  abrégé  en  mai,  correspond  au 
français  mère  et  vient  comme  lui  du  latin  mater.  Sous 
la  forme  mai,  il  reste  invariable,  et  sous  la  forme  maire, 
il  doit  faire  mairei  dans  toutes  les  variétés  linguistiques 
des  trois  départements  de  la  Haute-Vienne,  de  la  Cor- 
rèze  et  de  la  Creuse,  départements  qui  correspondent 
à  l'ancien  terme  géographique  de  Limousin  entendu 
au  sens  large.  Les  prétendus  pluriels  enregistrés  par 
Mistral  n'existent  pas,  je  crois  pouvoir  m'en  porter 
garant  '  ;  mais  d'où  l'illustre  auteur  du  Trésor  peut-il 
les  avoir  tirés  ?  Voici  la  source  de  son  erreur,  si  je  ne 
m'abuse  moi-même. 

Dans  le  Dictionnaire  du  patois  du  Bas-Limousin,  paru 
à  Tulle  en  1823,  se  trouve  l'article  suivant,  dû  à  l'avocat 
Vialle,  éditeur  et  continuateur  de  Béronie  : 

Me-ïri,  s.  f.  C'est  le  nom  qu'on  donne  aux  brebis  qui  ont  déjà 

1.  Il  se  peut  que  dans  certaines  régions  la  désinence  -ei  du 
pluriel  mairei  se  rapproche  tellement  d'un  son  simple  qu'elle  donne 
l'illusion  phonétique  d'un  i  ;  en  tout  cas,  mèiri  n'existe  nulle  part 
comme  pluriel  de  maire. 


porté:  A-i  vin  mei-ri  et  quatre  onïelas,  de    mes  brebis,  vingt  ont 
porté  et  les  autres  quatre  n'ont  pas  porté  encore. 


Mistral  a  cru  que  me-iri  était  accentué  sur  la  diph- 
tongue mei  et  qu'il  pouvait  s'écrire  aussi  bien,  sinon 
mieux,  par  un  a  que  par  un  e;  mais  la  graphie  de 
Béronie,  suivie  par  Vialle,  proteste  contre  cette  manière 
de  voir.  Le  signe  de  la  brièveté  placé  sur  Yi  de  la 
diphtongue  a  précisément  pour  but  d'indiquer  qu'elle  ■ 
ne  porte  pas  l'accent  tonique  et  que  me-ïri  est  oxyton, 
tout  comme  fle-ïra  (flairer),  me-ita  (moitié),  pe-ïri 
(parrain),  etc. 

Les  choses  étant  ainsi  remises  au  point,  il  est  facile 
de  trouver  Pétymologie  de  ce  substantif  nie-ïri:  ce  n'est 
pas  mater,  mais  c'est  matrix  (sous  la  forme  de  l'accu- 
satif matrîcetn,  cela  va  sans  dire),  que  Varron  et  Colu- 
melle  employaient  exactement  dans  le  même  sens  où 
les  paysans  des  environs  de  Tulle  emploient  aujour- 
d'hui la  forme  me-ïri. 

L'occasion  me  paraît  bonne  de  faire  remarquer  que 
l'article  matrix  du  Lat.-rom.  Wœrterbuch  de  Kôrting 
est  incomplet,  car  il  ne  cite  aucune  forme  romane 
populaire  autre  que  le  sarde  madrighe.  Il  est  notoire 
cependant  que,  dans  le  sens  de  «  matrice,  organe  géni- 
tal »,  le  provençal  ancien  dit  mairit^  (encore  usité  en 
Gascogne)  et  le  français  ancien  marri?.  Ce  dernier  n'a 
disparu  qu'à  une  époque  relativement  récente  de  la 
langue  commune,  où  il  avait  fini  par  prendre  la  forme 
amarri,  qu'on  trouve  dans  Robert  Estienne  (dès  la 
première  édition,  1539),  dans  Nicot,  dans  Cotgrave, 
dans  Oudin  et  jusque  dans  Ménage,  qui  en  a  parfai- 


298  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

tement  vu  l'étymologie  '  :  Va  initial  n'est  autre  que  Va 
final  de  l'article  féminin  la,  et  amarri  doit  être  joint 
aux  nombreux  exemples  d'agglutination  analogue  que 
j'ai  eu  occasion  de  citer  ailleurs2. 

(Revue  des  parler  s  pop.,  année  1903,  p.  176;  cf.  Bull,  de  la  Soc.  de 
ling.  de  Paris,  séance  du  22  nov.  1902.) 


LXXVII.   —  NAR 

Les  auteurs  du  Dictionnaire  du  patois  normand  en  usage 
dans  le  département  de  l'Eure  ont  recueilli  la  locution 
adverbiale  «  monter  à  cheval  à  nar  »  qui  signifie 
«  monter  à  poil  ou  à  nu,  c'est-à-dire  sans  selle  ni  cou- 
verture ».  Voici  comment  ils  prétendent  en  rendre 
raison  :  «  Cette  expression  est  d'origine  germanique  ; 
nous  la  devons  à  l'invasion  Scandinave.  On  peut  l'ex- 
pliquer en  effet  en  la  rapprochant  du  mot  allemand 
nahe  et  du  mot  anglais  near,  qui  signifient  tous  deux 
près,  de  près.  Monter  un  cheval  à  poil,  c'est  s'en  tenir 
le  plus  près  possible,  c'est  le  serrer  de  près.  » 

Je  vois  les  choses  d'un  tout  autre  point  de  vue. 
L'ancien  français  possède  un  substantif  qu'on  ne  trouve 
employé  qu'au  cas  régime  pluriel,  sous  la  forme  ars, 
laquelle  correspond  phonétiquement  au  latin  armos>: 

1.  P.  Borel  écrit,  avec  plus  de  raison,  amarris. 

2.  Mélanges  d'étym.  franc.,  p.  9,  article  ajoux. 

3.  L'étymologie  est  de  Nicot  et  a  été  adoptée  par  Diez.  Littré 
a  proposé  de  voir  dans  ars  le  pluriel  de  arc,  quelques  auteurs  écri- 
vant effectivement  arcs  :  mais  son  idée  ne  vaut  rien,  et  ce  qui  le 
prouve  clairement,  c'est  que  le  patois  messin  possède  le  substantif 
armon  «  poitrail  du  cheval  ».  Cf.  mes  Mélanges,  p.  19. 


NOUEI  299 

ce  substantif  désigne  la  partie  supérieure  des  membres 
de  devant  de  quelques  animaux  et  en  particulier  du 
cheval.  La  langue  technique  actuelle  l'a  conservé  dans 
deux  emplois  spéciaux  :  les  vétérinaires  disent  «  saigner 
un  cheval  aux  ars  »  et  même  «  aux  quatre  ars  »,  éten- 
dant le  sens  aux  membres  de  derrière;  les  chasseurs 
appellent  ers  (ils  écrivent  souvent,  à  tort,  erres)  les 
pieds  de  devant  et  les  épaules  de  toute  bête  à  quatre 
pieds  ' . 

Or,  l'ancienne  langue  employait  la  locution  adver- 
biale a  ars  pour  signifier  «  à  poil  »  :  Godefroy  en  cite 
deux  exemples  : 

Tout  a  ars  en  monta,  tant  fu  de  cuer  ardans, 
Sour  un  fauve  ronci. 

(Mainet,  v.  129-130,  dans  Romania,  IV,  323.) 
Tut  a  ars  li  unt  fet  dous  liues  chevauchier 
Ne  mes  ke  d'une  chape,  k'unt  fet  suz  lui  pleier. 

(Garnier,  Saint-Thomas,  2046-7,  éd.  Hippeau2.) 

Il  me  paraît  évident  que  la  locution  normande  actuelle 
«  monter  à  nar  »  est  sortie  de  «  monter  en  ars  »  dont 
on  trouvera  probablement  un  jour  des  exemples  dans 
l'ancienne  langue  à  côté  de  «  monter  a  ars  ». 


LXIII.  —  NOUEI 

M.  Chabaneau  voit  dans  le  limousin  nouei  «  nœud  » 
le  représentant  du  type  latin  nodulus  «  moyennant  une 

1 .  Voyez  le  Dict.  gênerai  aux  articles  ars,  erre  et  ers. 

2.  J'emprunte  à  l'édition  Hippeau  le  vers  2047  que  ne  donne 
pas  Godefroy  et  qui  est  utile  pour  préciser  le  sens  de  a  ars. 


300  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

forme  *noclus,  prouvée  d'ailleurs  par  l'italien  nocchio  '  ». 
Laissons  de  côté  l'italien  nocchio,  dont  l'origine  n'est 
pas  sûre  et  ne  peut  en  tout  cas  s'expliquer  par  l'éty- 
mologie  nodulus2.  Si  le  groupe  latin  -dul-  s'est  com- 
porté dans  la  prononciation  vulgaire  comme  le  groupe 
-lui-,  il  a  dû  aboutir  à  -gl-  comme  ce  dernier  a  abouti 
à  -cl-.  Par  suite,  il  n'y  a  rien  à  objecter  à  M.  Chaba- 
neau  s'il  suppose  une  série  phonétique  nôdulus,  *nôglus, 
*nôlh,  nouei.  Mais  il  faudrait  savoir  si  la  forme  actuelle 
nouei  est  pour  *nôlh  ou  pour  *nôi,  ce  que  l'état  phoné- 
tique du  limousin  actuel  ne  permet  pas  de  dire  en 
l'absence  de  textes  médiévaux.  J'avoue  que  la  considé- 
ration du  bordelais  noi  «  nœud  »  me  porte  à  croire 
que  le  nouei  limousin  de  nos  jours  n'a  jamais  eu  de  //; 
et  s'écrivait  au  moyen  âge  *noi  (avec  un  o  fermé),  soit 
un  type  *nôdium  du  latin  vulgaire  dont  il  faut  proba- 
blement chercher  le  point  de  départ  dans  centinodium 
et  internodiumi .  Vo  du  bordelais  semble  postuler  un 
ô  latin  ;  mais  le  limousin  reproduit  fidèlement  Va  du 
latin  classique. 

(Revue  des  parler  s  pop.,  année  1903,  p.  177.) 

LXIV.  —  NUITRE 

Parmi  les  animaux  monstrueux  contre  lesquels  a  à 
lutter  l'armée  d'Alexandre  le  Grand,  dans  un  épisode 

1.  Granwi.  limousine,  p.  76;  cf.  les  additions,  p.  3 56,  où  le 
saintongeais  nouclu  «  noueux  »  est  invoqué  à  l'appui  de  l'existence 
du  type  latin  *noclus. 

2.  Voyez  Kôrting,  n°s  5300  et  6600. 

3.  Sur  l'extension  du  suffixe  -ium,  voyez  mes  Essais,  p.  85  et  s. 


NUIT  RE  301 

curieux  du  roman  français  de  Lambert  le  Tort,  il  y  en 
a  deux  dont  les  noms  se  trouvent  réunis  dans  le  pre- 
mier hémistiche  d'un  vers  alexandrin  (c'est  le  cas,  ou 
jamais,  d'employer  l'expression  de  vers  alexandrin)  qui 
se  lit  ainsi  dans  l'édition  publiée  en  1846  par  Miche- 
lant,  p.  286  : 

Li  caon  et  les  mates,  qui  iscent  dou  costal. 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  s'appesantir  sur  le  premier  de 
ces  noms.  Je  ne  sais  d'où  est  venue  à  Michelant  l'idée 
étrange  de  traduire  caon  par  «  cancre  ».  J'ai  comparé 
les  leçons  des  15  manuscrits  de  la  Bibliothèque  natio- 
nale et  de  la  Bibliothèque  de  l'Asenal  :  5  donnent  coan, 
3,  cboan,  1,  chouan,  1,  choant,  i,couant,  1,  caon,  1,  canor, 
1,  thoon,  1,  hua.  Il  s'agit  sûrement  de  l'oiseau  de  nuit 
qu'on  appelle  encore  chouan,  chavan,  chavon,  chaon,  etc., 
dans  nos  provinces  de  l'Ouest,  c'est-à-dire  du  hibou. 
Ce  nom,  quelle  que  soit  son  origine  antérieure,  figure 
déjà  sous  la  forme  latinisée  cavannus  dans  les  Inslruc- 
tiones  de  Pévêque  de  Lyon  Eucherius  (saint  Eucher), 
mort  en  450,  et  dans  des  textes  un  peu  postérieurs1. 

1.  Les  textes  sont  groupés  dans  Holder,  Altceltiscber  Sprach- 
sebat-,  s.  v°.  C'est  par  distraction  que  cavannus  est  marqué  d'un 
astérisque,  comme  si  c'était  une  forme  hypothétique,  dans  le  Lalein- 
rom.  U'orterbuch  de  M.  Kôrting,  2e  édit.,  n°  2039.  —  On  considère 
ordinairement  le  français  chat-buant  comme  une  altération  de  chouan 
due  à  une  étvmologie  populaire,  mais  sans  grande  raison.  Dans 
chat-buant  il  y  a  huant,  participe  pris  adjectivement  du  verbe  huer, 
par  lequel  on  exprime  le  cri  du  hibou,  et  chat,  désignation  appli- 
quée au  hibou,  non  seulement  parce  que  cet  oiseau  fait  la  chasse 
aux  souris,  mais  parce  que  sa  tète,  surmontée  d'aigrettes  qui 
simulent  des  oreilles,  rappelle  celle  du  chat  (Rolland,  Faune  popu- 
laire, II,  51). 


302  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

Michelant  n'a  guère  été  plus  heureux  avec  le  second 
des  animaux  mentionnés  par  Lambert  le  Tort  ;  mais  il 
faut  avouer  qu'ici  l'identification  offrait  de  plus  sérieuses 
difficultés.  Voici  les  leçons,  extraordinairement  diver- 
gentes, des  15  manuscrits  visés  plus  haut: 

les  guivres  (franc.  368,  790,  24365); 

les  grues  (franc.  1635,  15094,  25517); 

li  vautor  (franc.  789)  ; 

les  mutes  (franc.  786)  ; 

les  mitres  (franc.  791); 

les  nutres,  peut-être  mitres  (Arsenal,  3472); 

les  muystres  (franc.  787); 

li  murdre  (franc.  792)  ; 

li  mutre  (franc.  375); 

li  mitres  (franc.  1375); 

limmitre  (franc.  24366); 

li  mis  très  (franc.  15095). 

Michelant  a  traduit  par  «  gros  rats,  surmulots  »  ; 
cette  traduction  est  reproduite  par  Godefroy,  qui  se 
contente  de  donner  la  leçon  les  mutes  de  l'édition  Miche- 
lant ;  elle  est  certainement  erronée.  L'auteur  du  roman 
d'Alexandre  a  bien  entendu  désigner  par  ce  mot  énig- 
matique  des  oiseaux  analogues  aux  hiboux,  car  dans  le 
développement  qui  suit,  li  choan  sont  seuls  expressé- 
ment nommés,  ce  qui  porte  à  croire  que  ce  qui  est  dit 
des  uns  doit  valoir  pour  les  autres.  A  priori,  il  est 
vraisemblable  que  si  le  poète  a  employé  deux  mots, 
c'est  qu'il  voulait  embrasser  les  deux  variétés  d'oiseaux 
de  nuit  que  le  peuple  distingue  ordinairement,  encore 
aujourd'hui:  d'une  part,  les  oiseaux  à  aigrettes;  de 


NUITRE  303 

l'autre,  les  oiseaux  sans  aigrettes.  Nous  traduirons  exac- 
tement sa  pensée  en  disant  :  les  hiboux  et  les  chouettes. 

En  présence  d'un  mot  qui  leur  était  inconnu,  beau- 
coup de  scribes  ont  altéré  arbitrairement  le  texte  qu'ils 
avaient  sous  les  yeux  et  y  ont  introduit,  qui  des  guivres 
(vipères),  qui  des  grues,  qui  des  vautours.  Rien  de  tout 
cela  ne  saurait  convenir.  La  vraie  leçon  se  cache  sous 
les  autres  graphies,  en  apparence  inintelligibles,  que 
nous  avons  énumérées  plus  haut.  Je  crois  qu'il  faut  lire  : 
les  nuitres. 

C'est  en  vain  qu'on  chercherait  le  substantif  féminin 
nuitre  dans  l'énorme  dictionnaire  de  l'ancienne  langue 
française  que  nous  devons  à  la  patience  admirable  de 
Frédéric  Godefroy,  dictionnaire  dans  lequel  il  y  a 
cependant  moins  de  lacunes  que  de  définitions  défec- 
tueuses. Si  je  n'avais  pour  y  réclamer  l'inscription  du 
mot  nuitre  que  ce  passage  du  roman  d'Alexandre,  on 
pourrait  trouver  ma  requête  téméraire  et  m'objecter 
que  les  dictionnaires  ne  doivent  pas  se  fonder  sur  les 
conjectures  de  la  critique  verbale.  Mais  j'ai  mieux  que 
cela.  Le  hasard  m'a  fait  rencontrer  la  phrase  suivante 
dans  le  dictionnaire  de  Littré,  à  l'historique  du  mot 
auvent  :  «  Faiz  sui  ansint  comme  la  nuitre  en  l'auvent 
de  la  meson  ».  Littré  a  tiré  ce  passage  d'un  manuscrit 
de  la  Bibliothèque  Mazarine,  n°  528,  f°  120;  ce  ma- 
nuscrit est  un  psautier  de  la  fin  du  treizième  siècle, 
et  le  texte  français  est  la  traduction  du  verset  7  du 
psaume  10 1  :  «  Factus  sum  sicut  nycticorax  in  domi- 
cilio  '.  » 

1 .  Voir  sur  ce  manuscrit  Samuel  Berger,  La  Bible  française  au 


304  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

Il  est  clair  que  nuitre  se  rattache  au  latin  noctua 
«  chouette  »  ;  mais  de  quelle  façon  ?  Phonétiquement, 
noctua  a  pu  se  réduire  à  *nocta,  comme  fatua  à  *fata  : 
de  *nocta,  le  français  aurait  fait  nuite,  et  il  est  possible 
que  cette  forme  ait  réellement  existé  et  soit  représentée 
par  la  leçon  mutes  de  notre  manuscrit  786.  En  tout  cas. 
noctua,  *nocta  survit  aujourd'hui  dans  le  provençal 
nuecho  «  engoulevent  »,  mot  enregistré  par  Mistral  et 
que  M.  Rolland  signale  comme  particulièrement  usité 
dans  la  région  de  Toulon  ' .  A  côté  de  noctua,  le  latin 
vulgaire  a  créé  un  nouveau  mot  avec  le  suffixe  -ulits, 
à  savoir  *noctula.  Bien  que  ce  mot  n'ait  pas  été  relevé 
dans  les  textes  antiques,  il  est  trop  clairement  attesté 
par  l'italien  nottola  et  par  des  formes  variées  de  nos 
patois  méridionaux,  dont  on  trouvera  la  liste  soit  dans 
Mistral  à  l'article  nichoulo,  soit  dans  Rolland,  Faune 
pop.,  II,  41,  pour  qu'on  puisse  douter  de  son  existence. 
L'ancien  français  nuitre  représente  régulièrement  *noc- 
tula,  comme  chartre,  forme  secondaire  de  charte,  repré- 
sente cbartula2. 

(Me'm.  de  la  Soc.  de  ling.  de  Paris,  t.  XII,  p.  249-251.) 


moyen  âge,  p.  71  ;  on  y  trouve  précisément  la  phrase  citée  par 
Littré,  mais  sans  aucune  remarque. 

1.  Faune popul.,  II,  328. 

2.  A  l'article  noctua,  Kôrting  ne  mentionne  que  l'italien  nottola. 
M.  Meyer-Lùbke  suppose  que  17  de  l'italien  et  du  provençal  est 
due  à  une  épenthèse  (firatnm.  des  lang.  rorn.,  trad.  franc.,  I,  p.  45 1). 
M.  l'abbé  Devaux  a  fort  bien  expliqué,  à  mon  sens,  le  dauphinois 
nyètola  en  le  rapportant  au  type  latin  "noctula  {Langue  vulg.  du 
Dauphiné  sept.,  p.  218)  ;  il  n'y  a  aucune  raison  sérieuse  pour  ne  pas 
tirer  également  de  *twctula  l'italien  nottota  et  l'ancien  français 
nuitre. 


OLEGUÊ  30$ 


LXXX.  —  OLEGUE 

J'ai  signalé,  il  y  a  une  dizaine  d'années',  le  sub- 
stantif provençal  olegue,  qui  se  lit  dans  la  traduction 
versifiée  de  la  Chirurgie  de  Roger  de  Salerne,  dont  l'u- 
nique manuscrit  est  conservé  à  la  bibliothèque  de 
l'Université  de  Bologne.  Je  demande  la  permission  de 
citer  au  long  tout  le  chapitre  du  manuscrit,  lequel  a 
pour  rubrique,  sauf  votre  respect,  de  difficultate  mingenài, 
et  va  du  vers  1508  au  vers  15 15  : 

Vist  ai  naffrat  tormen  et  pena  gran  soffrir 
Q.uar  non  podia  leu  pissar  a  son  désir  : 
Dels  olegues  razis  e  foilles  fai  collir, 
E  prin  de  cenres,  et  ensems  fai  o  bolir  ; 
Et  en  un  lare  saquet  l'em  fai  emplastre  bon 
E  sus  su  penchenil  lo  mit  tota  sazon. 
Bons  es  l'emplastres  e  ben  faitz  segon  razon, 
Sitôt  si  bast  de  causes  vils  et  si  compon. 

Ni  le  Parnasse  occitanien  ni  le  Lexique  roman  ne  con- 
naissent ce  mot  olegue.  Je  l'ai  traduit  par  «  ièble  », 
non  seulement  parce  que  Mistral  signale  ôulegue  e* 
oulegue  comme  ayant  actuellement  ce  sens  dans  cer- 
taines parties  du  Midi,  mais  parce  que  le  texte  latin  de 
Roger  m'indiquait  cette  traduction.  Voici  la  formule 
latine  de  la  récepte  :  «  Recipe  cinerem  foliorum  et 
radices  ebuli,  et  ipsum  cinerem  et  ebulum  diu  bullire 
facias2  ». 

1.  Annales  du  Midi,  V,  114  (année  1893). 

2.  Édition  de  1546  dans  De  Renzi,  Colleclio  Salernitana,  II,  487. 
Les  manuscrits  que  j'ai  vus  (Florence,  Bibl.  naz.,  J.  10.  16  ;  Paris 

Thomas.  II.  —  20 


J06  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

Mistral  a  réuni  à  l'article  èule  les  nombreuses  variantes 
du  nom  de  Pièble  dans  le  Midi  de  la  France,  dont  un 
simple  détachement  se  trouve  à  l'article  ôukgue.  Les 
voici  dans  l'ordre  où  il  les  donne  et  avec  les  indications 
de  provenance  qu'il  fournit  :  i  èule,  2  ôukgue  (dauph.), 
3  êugue,  4  ègo,  5  ugle,  6  ugues  (rh.),  7  ôugue,  8  orgue, 
9  ogue  (alp.,  mars.),  10  èble,  1 1  èbo,  12  èbouls,  13  èbous, 
14  èvous,  15  eusses,  16  èufe,  17  èufo  (langued.),  18  gèule, 
19  gèu  (gasc),  20  TJou  (lim.).  A  l'article  ôulegue,  la 
forme  indiquée  pour  le  dauphinois  est  oulegue  et  non 
ôulegue,  de  sorte  que  cela  fait  21  variantes  distinctes. 
On  pourrait  facilement  augmenter  ce  chiffre  en  s'a- 
dressant  à  M.  E.  Rolland,  le  vaillant  et  obligeant  auteur 
de  la  Flore  populaire,  qui  communique  volontiers  ses 
matériaux  manuscrits;  j'ai  vu  ces  matériaux,  ce  dont 
je  le  remercie,  mais  je  n'en  veux  point  encombrer  le 
lecteur.  J'en  retiens  seulement  que  la  forme  même  que 
j'ai  trouvée  au  commencement  du  treizième  siècle,  à 
savoir  olegue,  est  exactement  celle  que  signale  l'abbé 
Moutier',  comme  usuelle  encore  aujourd'hui  dans  le 
moyen  Dauphiné. 

Le  rapport  des  formes  qui  portent  les  numéros  1, 
10,  11,  12,  13,  18,  19  et  20  avec  ebulus  (ou  ebulum) 
saute  aux  veux  et  n'est  pas  discutable  ;  la  forme  4  (ègo) 
répond  à  èbo,  comme  ègou,  que  ne  donne  pas  Mistral, 
mais  qui  est  dans  l'abbé  de  Sauvages  et  ailleurs,  répond 

Bibl.  nat.,  lat.  7035  et  7040)  ont  des  variantes  sans  importance 
pour  le  but  que  je  me  propose;  dans  les  gloses  des  quatre  maîtres 
(De  Renzi,  II,  569)  on  lit  radicis,  qui  paraît  préférable  à  radiées. 
1 .  Petit  glossaire  patois  des  végétaux  du  Dauplrinê  dans  le  Bull,  de 
la  Soc.  dép.  d'archéologie  de  la  Drame,  année  1889. 


OLEGUE  307 

à  èbous  et  évous  :  son  g  peut  légitimement  remonter 
au  b  de  ebidum  ' .  Je  veux  bien  accorder  encore  que  les 
formes  3,  15,  16  et  17,  malgré  l'étrangeté  de  leurs 
désinences  qui  sont  sans  rapports  visibles  avec  celle  de 
ebulum,  puissent  représenter,  dans  leur  première  syllabe, 
le  thème  ebu-  affublé,  à  une  date  récente,  d'une  queue 
postiche  ;  mais  que  penser  des  autres,  à  savoir  olegue, 
oulegue,  ôulegue,  bugne,  orgue,  ogue,  ugue,  ugle  ? 

Je  crois  que  la  forme  dauphinoise  olegue  représente 
le  type  le  plus  rapproché  de  la  forme  primitive  du  mot 
en  provençal  et  que  cette  forme  primitive  devait  être 
proparoxytonique  :  le  dauphinois  a  conservé  les  trois 
syllabes  en  déplaçant  l'accent  tonique,  tandis  que  les 
autres  dialectes  ont  laissé  tomber  la  syllabe  placée 
immédiatement  après  la  syllabe  primitivement  accen- 
tuée pour  ne  conserver  que  la  finale. 

Parmi  les  formes  actuelles  apparentées  étroitement 
à  olegue,  il  faut  faire  une  place  au  lyonnais  ugo,  sur 
lequel  Nizier  de  Puitspelu  s'est  longuement  appesanti 
et  qu'il  s'est  efforcé  d'expliquer  par  le  latin  ebulum2. 
Cette  laborieuse  explication  (icbol,  ievol,  iegwol,  iegol, 
ugo)  me  paraît  difficilement  inacceptable.  Au  contraire, 
en  partant  d'une  forme  *ol(e)go,  analogue  à  celle  du 
dauphinois,  avec  Vo  final  caractéristique  du  lyonnais, 
on  arrive  naturellement  à  *ougo,  dont  la  transformation 


1 .  Cf.  la  transformation  du  nom  de  lieu  médiéval  Vinovol  (que 
j'explique  par  un  type  latin  *Vineobu\um)  en  Vignognoul,  nom 
actuel  d'un  hameau  de  l'Hérault  (Essais,  p.  397),  et  la  coexistence 
de  massibk,  massigoul  comme  nom  vulgaire  de  l'ellébore. 

2.  Dict.  étym.  du  patois  lyonnais,  p.  458,  article  Huguo  ;  cf.  ibid., 
p.  467. 


}08  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

en  ugo,  quoique  surprenante,  n'est  pas  invraisem- 
blable'. 

En  résumé,  pour  trouver  l'étymologie,  il  faut  partir 
de  olegue  et  ne  pas  oublier  que  cette  forme  olegue  figure 
dans  un  texte  du  commencement  du  treizième  siècle 
écrit  sur  les  rives  du  Rhône  inférieur.  Dans  ces  con- 
ditions, je  défie  le  phonétiste  le  plus  subtil  de  persuader 
un  homme  raisonnable  que  ebulum  a  pu  se  transformer 
en  olegue.  Il  faut  chercher  autre  chose. 

On  sait  que  le  médecin  Marcellus  (alias  Marcellus 
Empiricus),  qui  écrivait  à  Bordeaux  au  commencement 
du  cinquième  siècle,  nous  a  conservé  treize  noms  gau- 
lois de  plantes  qui  ont  souvent  exercé  la  sagacité  des 
linguistes2.  L'ièble  a  la  bonne  fortune  de  figurer 
dans  le  nombre  :  «  Herba  quae  graece  acte,  latine  ebu- 
lum, gallice  odocos  dicitur*.  » 

Ce  n'est  pas  là  un  témoignage  isolé.  Les  glossaires 
de  botanique  qui  ont  été  laborieusement  colligés  par 
M.  Gœtz  dans  le  tome  III  de  son  inappréciable  Corpus 
glossarum  latinarum,  nous  offrent  à  satiété  un  mot 
étrange  qui  glose  toujours  le  latin  ebulum  et  qui  affecte 
des  formes  assez  diverses.  Voici  les  gloses  qui  nous 
intéressent,  dans  l'ordre  même  où  elles  figurent  dans 
ce  tome  III  : 

i .  Cf.  des  formes  lyonnaises  comme  tira,  vent,  du  latin  aura. 

2.  Ils  ont  été  groupés  en  dernier  lieu,  mais  non  étudiés,  par 
M.  Chabert  dans  sa  thèse  de  doctorat  De  latinilate  Marcelli  in  Ubro 
de  medicamentis  (Paris,  1897),  p.  24-25.  Il  faut  toujours  s'en  référer 
A  un  mémoire  de  J.  Grimm  (Kleiue  Schriften,  II,  114  et  s.),  qui 
rapproche  odocos  de  l'allemand  atticb,  lequel  a  exactemennt  le 
même  sens. 

3.  Liber  de  Medicamentis,  IV,  13,  éd.  Helmreich,  p.  54. 


OLEGUE  509 

acte,  id  est  ebuli,  id  est  educu  (III,  536,  1); 
odico,  ebolo  vel  camoacris  [=  chamaeacte]  (III,  548,  31); 
ebucone,  id  est  ebolus  (III,  561,  29)  ; 
ebulus,  id  est  odicus  (III,  562,  67)  ; 
■    odicos,  id  est  ebulos  (III,  571,  46); 

odicus,  id  est  ebolus  vel  camoactus  (III,  585,  11); 

ebulus,  id  est  odecus  (III,  590,  30)  ; 

odecus,  id  est  ebulus  (III,  593,  42); 

ebolus,  id  est  odecus  (III,  611,  54); 

odecus,  id  est  euolus  (III,  615,  27)  ; 

ebolus,  id  est  odicus  (III,  623,  69)  ; 

odicus,  id  est  euolus  (III,  627,  29)  ; 

odico,  euolo  (III,  632,  40). 

On  ne  saurait  douter  que  odecus,  odicus  ne  soit  l'an- 
cien gaulois  odocos;  ne  faut-il  pas  voir  dans  educu  et 
dans  ebucone  des  formes  hybrides  nées  du  mélange  du 
latin  ebulum  et  du  gaulois  odocos  ?  La  forme  educu  est 
particulièrement  précieuse  en  ce  qu'elle  permet  enfin 
de  rendre  raison  de  l'espagnol  yedgo  ou  yeçgo  et  du 
portugais  engo.  A  côté  de  ebucone,  on  peut  légitimement 
supposer  *ebucus,  qui  explique  bien  le  provençal  moderne 
èugue.  Quant  à  l'ancien  olegue  et  aux  formes  modernes 
qui  en  sont  issues,  je  ne  leur  vois  guère  d'autre  ancêtre 
possible  que  *olicus  ou  *olecus.  Il  ne  me  paraît  pas  pro- 
bable que  ce  soit  17  du  latin  ebulum  qui  se  soit  intro- 
duite à  la  place  du  d  de  odicus  ;  j'attribuerai  plutôt  la 
naissance  de  *olicus  à  une  contamination  du  verbe  latin 
okre,  que  sa  position  vis-à-vis  du  substantif  odor  semble 
prédestiner  à  un  pareil  rôle'. 

1.  M.  l'abbé  Devaux  a  réuni,  à  ma  demande,  les  éléments  d'un 
petit  mémoire  sur  les  noms  de  l'ièble  dans  la  région  dauphinoise  ; 
j'espère  que  ce  travail  sera  prochainement  publié.  Je  note  en  pas- 
sant que  la  plante  appelée  eboric  par  Daudé  de  Pradas  n'est  cer- 
tainement pas  l'ièble,  comme  l'a  cru  Raynouard  ;  d'après  la  des- 


JIO  RECHERCHES  ETYMOLOGIQUES 


LXXXI.  —  OLONIER 


Littré  enregistre  olonier  comme  signifiant  «  espèce 
d'arbousier  »,  sans  aucune  remarque".  Les  ouvrages 
de  botanique  et  les  grandes  encyclopédies  donnent 
généralement  olonier  comme  synonyme  de  arbousier. 
Le  mot  est  dans  Cotgrave,  avec  la  graphie  aulonnier  et 
un  commentaire  qui  vient  sûrement  d'Olivier  de  Serres  : 
on  peut  voir  le  texte  de  ce  dernier  dans  Godefroy.  Où 
a  puisé  Olivier  de  Serres  ?  Je  l'ignore.  Grâce  à  M.  le 
Dr  Dorveaux,  j'ai  eu  sous  les  yeux  un  livre  rare,  publié 
à  Poitiers  en  1628  et  intitulé  :  Les  Œuvres  de  laques  et 
Paul  Contant  père  et  fils  maistres  apoticaires  de  la  ville 
de  Poictiers.  A  la  fin  de  ce  recueil  se  trouve  une  Synopsis 
Plantarum  du  fils  Contant,  où  on  lit,  à  la  page  16: 
«  Arbutus  Comarum,  gall.  Arbousier.  Epimelis  Galeno 
perperam.  Olonnois.  »  Olonnois  est  une  variante  inté- 
ressante de  aulonier,  olonier.  Le  mot  ne  paraît  se  trouver 
aujourd'hui  qu'en  Saintonge  et  plus  particulièrement 
dans  la  région  de  Royan,  où  Jônain  a  relevé  olone, 
arbouse,  et  olonier,  arbousier. 

En  pénétrant  dans  le  domaine  de  la  langue  d'oc  on 
trouve  ledouney,  arbousier,  à  Arcachon,  et  auledoun  ou 
auleroun  à  Labouheyre  (Landes2).  Mistral  enregistre, 

cription,  mon  collègue  M.  Matruchot,  professeur  de  botanique, 
conjecture  qu'il  s'agit  de  la  Scrophularia  aquatica. 

1.  Une  faute  d'impression  le  fait  qualifier  ce  mot  de  s.  f.  au 
lieu  de  s.  m. 

2.  Communications  de  M.  E.  Rolland,  qui  me  signale  aussi 
ledonnier  dans  le  commentaire  de  Duchesne  (L.  à  Ouercu)  sur  le 
traité  DeStirpibus  de  Ruellius  (1544). 


OSTADE  }  1 1 

comme  particulier  à  la  Guienne  :  ledounat,  boisson 
d'arbouse  ;  ledounei,  ledonnès,  arbousier,  et  ledouno, 
arbouse. 

Tous  ces  mots  doivent  remonter,  malgré  leur  dis- 
semblance, au  latin  unedo,  synonyme  de  arbutus,  arbou- 
sier ' .  Forcellini  indique  la  quantité  ûnèdônis  ;  mais 
comme  le  mot  ne  figure  que  dans  des  textes  en  prose 
(Pline  et  glossaires),  cela  ne  tire  pas  à  conséquence, 
pas  plus  que  l'étymologie  donnée  par  Pline,  qui  décom- 
pose le  mot  en  ilnus  -\-  edere.  En  supposant  ùnedônis, 
nous  expliquons  facilement  le  landais  auledoun  ;  le  ren- 
forcement de  la  voyelle  initiale  en  au  se  produit  sou- 
vent et  la  dissimilation  de  n-n  en  l-n  est  normale.  Que 
de  ùnedône  on  ait  tiré  une  forme  féminine  ûnedôna, 
cela  ne  peut  surprendre  si  l'on  songe  aux  formes  pro- 
vençales Carcassona  et  Narbona  tirées  du  latin  Carcas- 
sone  et  Narbone.  L'aphérèse  de  l'initiale  dans  ledouno 
n'est  pas  non  plus  sans  exemple.  Enfin,  pour  arriver  à 
olone,  je  crois  qu'il  faut  supposer  une  métathèse  et  partir 
de  *ùdenôna,  d'où  *odlone2. 

LXXXII.  —  OSTADE  i 
Vostade  est  une  étoffe  de  laine  que  l'on  trouve  fré- 

i.  Mistral  a  rapproché  ledounei  du  catalan  lladoner,  micocoulier  ; 
mais  je  ne  considère  pas  ce  rapprochement  comme  fondé. 

2.  Il  y  a  lieu  d'instituer  un  article  unedo  dans  Kôrting,  non  seu- 
lement à  cause  des  mots  que  je  viens  d'étudier,  mais  à  cause  du 
sarde  qui  dit  olidone,  olidoni,  olioni,  ulioni  et  lidone  (communication 
de  M.  E.  Rolland). 

3.  Édition  remaniée  et  complétée  d'un  article  paru  dans  mes 
Essais,  p.  342. 


JI2  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

quemment  mentionnée  dans  les  textes  depuis  la  fin  du 
quatorzième  jusqu'à  la  fin  du  seizième  siècle;  elle 
figure  même  encore  dans  les  statuts  des  Merciers  de 
Paris  de  janvier  1613  'et  dans  le  Tarif  général  de  1664 2. 
Je  ne  sais  pourquoi  Littré,  si  hospitalier  d'ordinaire, 
a  omis  ce  vieux  mot  qui  figure  encore  dans  la  dernière 
édition  de  Trévoux'. 

Godefroy  a  un  article  ostade  assez  bien  fourni  ;  tou- 
tefois il  est  fâcheux  qu'il  n'ait  pas  incorporé  dans  ses 
citations  quelques  exemples  insérés  par  Carpentier  dans 
le  Glossarium  de  Du  Cange,  car  son  plus  ancien  texte 
ne  date  que  de  1469,  tandis  que  Carpentier  en  a  pro- 
duit de  1395,  1425,  1457,  etc4. 

Une  étymologie  a  été  avancée,  avec  beaucoup  d'assu- 
rance, par  Hécart  dans  son  Vocabulaire  rouchi-français , 
où  on  lit  (3e  éd.,  1834):  «  Ce  nom  lui  venait  d'un 
habitant  d'Anvers,  son  inventeur,  nommé  Van  Ostade, 
nom  rendu  fameux  par  un  peintre  de  la  même  ville, 
dans  le  genre  des  bambochades.  »  Cette  étymologie 
est  de  pure  fantaisie.  Ce  n'est  pas  dans  les  Pays-Bas, 
mais  en   Angleterre  qu'il  faut  chercher  l'origine  de 


1.  R.  de  Lespinasse,  Métiers  et  corporations  de  la  ville  de  Paris, 
II,  272. 

2.  Cité  par  Godefroy  et  par  Savary  des  Bruslons. 

3.  Furetière  a  admis  le  mot  avec  une  citation  d'Henri  Estienne 
et  cette  définition  vague  :  «  espèce  d'étoffe  ancienne.  »  Savary  des 
Bruslons,  dans  son  Dict.  du  Commerce  (1723),  dit  avec  plus  de  pré- 
cision :  «  étoffe  toute  de  laine  dont  l'usage  s'est  entièrement 
perdu.  » 

4.  Articles  meia-hosteda  et  ostade.  Les  Bénédictins  ont  aussi  relevé 
un  exemple  de  hostade  çn  141 2  ;  mais  il  n'est  pas  sûr  qu'il  s'agisse 
du  même  mot, 


OSTADE  313 

Yostade.  Carpentier  l'a  entrevu  quand  il  a  rapproché  le 
mot  français  de  l'anglais  voosted  (sic)  ;  mais  il  a  pris 
le  contrepied  de  la  vérité  en  supposant  que  l'anglais 
venait  du  français.  Il  était  probablement  guidé  par 
Cotgrave  qui  traduit  effectivement  ostade  par  «  The 
Stuffe  Worsted  or  Woosted.  »  Nous  sommes  bien  fixés 
sur  l'origine  du  mot  anglais,  qui  est  déjà  employé  par 
Chaucer  :  c'est  le  nom  même  d'un  gros  bourg  du  comté 
de  Norfolk,  écrit  autrefois  Wcrsted,  aujourd'hui  Wors- 
tead'.  Les  étoffes  de  Worsted  pénétraient  en  France, 
dès  le  quatorzième  siècle,  soit  par  Calais,  soit  par  Bor- 
deaux :  en  1364  les  marchands  de  Lyon  obtinrent  l'au- 
torisation d'en  introduire  par  Calais2;  en  1377,  les 
Bordelais,  qui  amenaient  du  vin  en  Angleterre,  furent 
autorisés  à  charger  au  retour  différentes  sortes  de  mar- 
chandises parmi  lesquelles  figurent  des  lits  d'étoffe  dite 
worsted  1.  Le  mot  a  dû  être  d'abord  francisé  et  gasco- 
nisé  en  ostede:  je  trouve  précisément  dans  le  Diction- 
naire béarnais  de  Lespy  et  Raymond  l'exemple  suivant, 
malheureusement  non  daté:  «  Ung  jupon  de  miey  os- 
tede »  ;  la  forme  primitive  surnage  encore  dans  un  texte 
latin  méridional  de  15  16  cité  par  Carpentier:  «  una 
pecia  de  meia  hosteda.  » 

Il  est  curieux  que  ostede  ait  été  transformé  en  ostade  : 
la  cause  en  est  évidemment  dans  l'abondance  des  mots 


1.  Voyez  Skeat,  Etym.  Dict.  of  the  Englisb  Language,  s.  v°  ; 
l'auteur  ne  semble  pas  connaître  le  français  ostade. 

2.  F.  Michel,  Hist.  du  commerce  de  Bordeaux,  I,  288. 

3.  Ib.,  p.  253.  Ni  ici,  ni  dans  le  passage  visé  par  la  note  pré- 
cédente, F.  Michel  n'a  songé  à  rapprocher  l'anglais  ivorsled  du 
français  ostade. 


}  14  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

en  -ade  que  possède  le  gascon  comme  les  autres  variétés 
du  provençal.  L'assimilation  a  paru  si  complète  que 
nos  voisins  d'outre  les  Alpes  s'y  sont  trompés  et  que 
pour  bien  montrer  qu'ils  parlaient  mieux  que  nous,  ils 
ont  latinisé  à  fond  le  nom  de  cette  étoffe  et  l'ont  appelée 
ostata  ' .  Nous  voilà  loin  de  Worsted  ;  mais  il  n'y  a  pas 
d'erreur  possible  sur  la  route. 

LXXXIII.   —  OUTJABO 

L'abbé  Vayssier  enregistre,  dans  son  Dictionnaire 
patois-français  de  l'Aveyron,  un  substantif  féminin  oût- 
jabo,  qui  désigne,  paraît-il,  «  le  milieu  du  jour  en  été, 
temps  pendant  lequel  les  troupeaux  restent  enfermés 2.  » 
Il  en  donne  même  l'étymologie  :  «  latin  adjutabile, 
secourable,  parce  que  les  bergers  aident  les  autres 
domestiques  ».  Cette  étymologie  n'est  pas  de  lui,  mais 
de  l'abbé  Jonquet  :  on  sent  que  l'auteur  du  Dictionnaire 
de  l'Aveyron  a  mieux  aimé  compromettre  un  ami  que 
de  se  compromettre  lui-même. 

Mistral  a  rapproché  dubitativement  oûtjabo  de  auiago, 
mot  qui,  à  Azilhanet,  signifie  «  halle  couverte,  auvent  »  : 
les  deux  mots  n'ont  aucun  rapport  ni  pour  le  sens  ni 
pour  la  forme. 

Je  crois  que  nous  avons  affaire  dans  le  mot  rouergat 
au  latin  octava  qui  s'employait  substantivement  pour 

i.  Cf.  Antoine  Oudin,  Rcch.  ilal.  et  franc.  (2e  éd.,  1653): 
«  Ostata,  ostade,  sorte  d'estoffe.  » 

2.  Le  mot  a  passé  de  là  dans  le  Trésor  de  Mistral,  où  il  est 
écrit  outjabo  ;  il  faudrait  ôuljabo,  car  l'orthographe  des  félibres  rend 
par  au  la  diphtongue  où  de  l'abbé  Vayssier. 


PAHADER  (SE)  J*j 

désigner  la  huitième  heure  du  jour,  c'est-à-dire,  d'après 
la  correspondance  du  système  romain  et  du  nôtre,  deux 
heures  de  l'après-midi  '..  Le  groupe  latin  et  donne  nais- 
sance au  son  eh,  prononcé  tch,  dans  une  partie  du 
Rouergue  :  l'abbé  Vayssier  donne  uech  et  yoch,  de  oeto; 
nuech,  nech,  nioch,  de  noctem,  etc.  S'il  écrit  tj  dans  le 
mot  oûtjabo,  c'est  probablement  pour  faire  plaisir  à 
l'abbé  Jonquet. 

Le  renforcement  en  diphtongue  de  Vo  latin  est  cu- 
rieux. On  le  trouve  surtout  dans  les  mots  de  formation 
savante  ou  qui  n'appartiennent  pas  à  la  couche  la  plus 
ancienne  de  la  langue  :  oftbelou  «  houblon  »,  oùdou 
«  odeur  »,  oiïfenso  «  offense  »,  oùmeleto  «  omelette  »,  etc. 
Mais  il  n'est  pas  sans  exemples  dans  le  vocabulaire 
populaire  :  oùgôn,  anc.  prov.  ogan,  anc.  franc,  oan  «  cette 
année  »,  oùbc,  anc.  prov.  obe  «  oui  bien  »,  oûralho, 
ouriexro,  anc.  franc,  oraille,  oriere  «  bord  ».  Je  puise 
uniquement  dans  le  Dictionnaire  de  l'abbé  Vayssier; 
en  s'adressant  à  Mistral,  on  n'aurait  pas  de  peine  à 
trouver  d'autres  exemples. 

(Cf.  Annales  du  Midi,  XV,  69.) 

LXXXIV.  —  PANADER  (SE) 
Le  verbe  se  panader,   employé   par  La  Fontaine, 

1 .  Nona  s'est  conserve  dans  le  gascon  auranoa,  auranoar  «  goû- 
ter »  (voyez  mes  Essais,  p.  65).  On  remarquera  que  l'anc.  franc. 
none  signifie  «  midi  »,  sens  conservé  dans  différents  patois  et  dans 
l'anglais  noon  ;  pour  les  Romains,  nona  était  la  division  du  jour  qui 
commençait  à  trois  heures.  Les  patois  méridionaux  sont  restés  plus 
fidèles  à  la  tradition  romaine  que  ceux  du  Nord. 


}l6  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

Mme  de  Sévigné  et  Saint-Simon  au  sens  de  «  se  pava- 
ner »,  n'est  plus  guère  usité  aujourd'hui,  bien  que  le 
dictionnaire  de  l'Académie  le  conserve  encore.  A  l'o- 
rigine, il  ne  prenait  pas  le  pronom  personnel  et  il  s'é- 
crivait pennader.  Il  est  bien  certain  que  ce  verbe  n'a 
rien  à  voir  avec  le  mot  paon,  quoi  qu'en  pense  Scheler. 
Littré  a  raison  de  tirer  panader  de  l'ancien  substantif 
pennade  ;  mais  faut-il  croire  avec  lui  que  pennade  signifie 
proprement  «  un  coup  d'aile  »  et  vient  du  latin  penna  ? 
Les  nombreux  exemples  réunis  par  Godefroy  à  l'ar- 
ùdepenade  mettent  hors  de  doute  sa  définition  :  «  saut, 
ruade,  cabriole  d'un  cheval,  voltige.  »  Je  crois  que  le 
mot  pennade,  qui  n'apparaît  en  français  que  sous  le  règne 
de  Charles  VII,  est  un  substantif  participial  d'un  verbe 
provençal,  que  nous  ne  connaissons  pas  sous  sa  forme 
médiévale,  mais  dont  l'existence  est  cautionnée  par 
celle  du  composé  repetnar  '  et  par  le  témoignage  de  dif- 
férents patois  actuels  qui  emploient  penna  au  sens  de 
«  regimber,  ruer2  »,  sans  parler  du  dérivé  penneja, 
peneja  «  piétiner,  piaffer  ».  Penna  vient  du  latin  vul- 
gaire *pedinare,  tiré  de  pes,  pedis. 

LXXXV.   -  PENESSE 
Contejean  a  relevé  dans  le  patois  de  Montbéliard  le 

i.  Cf.  la  notice  que  j'ai  consacrée  à  repetnar  et  à  l'anc.  franc. 
repenner  dans  mes  Mélanges,  p.  127;  je  ne  songeais  pas  alors  au 
verbe  français  se  panader. 

2.  Mistral  n'indique  que  le  gascon  penna,  avec  la  variante  bor- 
delaise pinna  ;  mais  penna  figure  dans  le  Dictionnaire  patois-français 
de  l'Aveyron  de  l'abbé  Vayssier  et  j'ai  constaté  moi-même  son  exis- 
tence dans  le  patois  de  Gentioux  (Creuse). 


PLON  317 

substantif  féminin  penesse  «  excrément  de  poule  »  :  il 
rapproche  dubitativement  ce  mot  de  «  l'ancien  français 
pênes,  plumes  ».  On  ne  comprend  vraiment  pas  ce  que 
les  plumes  viennent  faire  ici  ;  les  poules  feraient  mieux 
l'affaire.  Il  ne  me  paraît  pas  trop  téméraire  de  supposer 
que  la  forme  archaïque  de  penesse  a  dû  être  *polinasse, 
et  correspondre  au  provençal  moderne  poulinasso,  qui 
a  précisément  le  même  sens1.  La  désinence  ne  fait  pas 
difficulté  :  -esse  du  patois  de  Montbéliard  est  équivalent 
à  -asso  du  provençal.  Quant  au  thème,  l'affaiblissement 
de  0  protpnique  en  e  n'est  pas  rare  (Contejean  enre- 
gistre denaiyour  donner,  enquemencie  pour  commencer,  etc.) 
et  le  changement  de  Yi  long  en  e  se  produit  même  à 
la  tonique  (galïna  est  rendu  par  dgelene,  et  *junïcia  par 
dgenessè).  Le  type  *pullînacia  serait  représenté  réguliè- 
rement par  *pelenesse  ou  même  (en  le  supposant  soumis 
à  la  loi  de  Darmesteter)  par  *pelnesse  ;  la  disparition  de 
VI  n'est  pas  assez  extraordinaire  pour  infirmer  l'éty- 
mologie  :  comparez  le  forézien  punassi  «  excrément  des 
poules,  des  dindons,  etc.  ». 


LXXXVI.  —  PLON 

Les  ouvrages  qui  traitent  spécialement  de  la  flore 
française  et  les  grandes  encyclopédies  enregistrent  le 

1 .  Mistral  mentionne  dans  le  même  sens  l'ancien  français  poul- 
née,  que  je  n'ai  pas  rencontré  ;  en  tout  cas  le  patois  picard  possède 
actuellement  poulenèe  (Corblet)  qui  remonte  à  un  type  latin  *pnl- 
linata.  Le  wallon  dit  polène,  de  pullina  (Grandgagnage).  Littré 
enregistre  dans  son  supplément  poulne'e  «  fiente  de  volailles  servant 
d'engrais  dans  l'Oise  ». 


3 18  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

mot  pion  comme  nom  vulgaire  de  l'osier.  M.  Thibault 
l'a  recueilli  dans  le  Blaisois,  ainsi  que  son  dérivé  plo- 
niêre  «  oseraie  »  et  «  pied  d'osier  ».  Il  écrit  inten- 
tionnellement pelon,  pelonnière  pour  justifier  une  éty- 
mologie  préconçue;  pour  lui,  ces  mots  viennent  du 
verbe  peler  «  parce  que  les  brins  se  pèlent  facilement 
et  sont  employés  pelés  par  la  vannerie  '  » .  Mais  il  suffit 
de  remarquer  que  les  anciens  textes  qu'il  cite  lui-même 
écrivent  plaon,  pion,  pionnière  et  plonnoye  pour  douter 
du  bien  fondé  de  cette  opinion.  Ce  n'est  pas  à  peler,. 
mais  à  plier  que  se  rattachent  ces  mots  ;  on  en  sera 
tout  à  fait  convaincu  si  l'on  veut  bien  jeter  un  coup 
d'œil  sur  l'article  ploion  de  Godefroy.  On  y  constatera 
que  dès  le  douzième  siècle  ploion  s'applique  aux  pousses 
flexibles  de  la  vigne  et  on  y  remarquera  un  exemple 
de  piton  en  1328  qui  s'applique  certainement  à  l'osier. 
La  majorité  des  patois  actuels  emploie  les  formes  ploion, 
pleion,  plion  influencées  par  le  verbe  ployer,  plier.  Il  est 
remarquable  de  trouver  en  Blaisois  une  forme  non  con- 
taminée, contraction  de  l'ancienne  forme  piton  qui  paraît 
remonter  directement  à  un  type  du  latin  vulgaire  *pli- 
contm,  type  dans  lequel  le  c  suivi  d'un  0  devait  dispa- 
raître sans  dégager  d'i. 


LXXXVII.  —  PORCHA1LLE 

Le  pourpier,  que  les  botanistes  nomment  Portulaca 
oleracea  L.,  s'appelle  porchailli  dans  le  lyonnais  etpour- 


Closs.  du  patois  Blaisois,  p.  154. 


PORCHAILLE  319 

cholho  dans  le  Dauphiné  ;  c'est  de  cette  région  du  Sud- 
Est  que  proviennent  la  plupart  des  exemples  de  la 
forme  francisée  porchaille,  pourchaille  qu'on  peut  lire 
dans  Godefroy  ' . 

Nizierdu  Puitspelu  ne  distingue  pas  au  point  de  vue 
étymologique  porchailli  «  pourpier  »  de porchailli  «  char- 
cuterie »  ;  pour  lui,  c'est  toujours  porc  combiné  avec 
le  suffixe  collectif  -ailli.  Sans  doute,  il  y  a  du  porc  de 
part  et  d'autre,  et  c'est  parce  que  les  porcs  sont  friands 
de  pourpier  (ou  passent  pour  l'être)  que  les  Romains 
ont  appelé  cette  plante  porcilaca  (au  lieu  de  portulaca)  ; 
mais  si  -ailli  est  collectif  dans  porchailli  «  charcute- 
rie »,  qui  correspond  à  un  type  latin  *porcalia,  il  n'a 
ni  la  môme  valeur,  ni  la  même  origine  dans  porchailli 
«  pourpier  ».  Le  lyonnais  et  le  dauphinois  correspon- 
dent très  exactement  à  l'italien  porcacchia2,  qui  a  le 
même  sens,  et  ils  viennent  comme  lui  du  latin  vulgaire 
porcacla,  que  nous  trouvons  à  maintes  reprises  dans  les 
vieilles  gloses  botaniques  3.  Porcacla  est  sorti  par  une 
curieuse  métathèse  de  *porclaca,  forme  qui  ne  se  ren- 
contre pas  dans  les  textes  4,  mais   qu'il  faut  de  toute 

1.  Le  premier  est  tiré  de  la  traduction  du  De  honesla  Voluptate 
de  Platina  par  Desdier  Cristol,  dont  l'édition  princeps  est  de  1505. 
Cristol  était  probablement  languedocien,  mais  il  se  borne  à  dire  : 
«  aucuns  l'appellent  porchaille.  »  J.  Thierry  a  inséré  pourchaille  dans 
l'édition  de  1564  du  Dictionnaire  françois-latin  de  Robert  Estienne 
et  le  mot  a  passé  de  là  dans  Nicot  et  dans  Cotgrave. 

2.  Kôrting  7328  donne  par  erreur  porchiacca. 

3.  Voyez  l'art,  portulaca  du  Thésaurus  gloss.  entend,  de  Gcetz. 

4.  M.  Meyer-Lùbke  a  signalé  porclaca  dans  le  médecin  Theo- 
dorus  Priscianus  (Krit.  Jahresb.,  II,  71);  mais  il  y  a  en  réalité 
porcacla,  leçon  que  l'éditeur,  M.  V.  Rose,  rejette  d'ailleurs  dans 
les  notes  et  qu'il  rapproche,  dans  son  index,  de  la  même  leçon 


320  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

nécessité  supposer  entre  le  latin  classique  porcilaca  ou 
portulaca  et  le  latin  vulgaire  porcacla.  Que  l'on  parte 
de  porcilaca  ou  de  portulaca,  on  arrive  également  à 
*porclaca  après  la  chute  de  la  voyelle  atone  antétonique, 
puisque  t'I  s'assimile  en  cl  en  latin  vulgaire  :  veclus, 
viclus,  etc.,  pour  vetulus,  vitulus,  sont  dans  YAppendix 
Probi  '.Je  ne  vois  pas  de  raison  pour  choisir.  Les  deux 
formes  classiques  ont  survécu  dans  la  langue  demi- 
savante  :  à  porcilaca  se  rattache,  par  changement  de  suf- 
fixe, l'ancien  français  pour cel  aine2,  et  à  portulaca,  les 
formes  provençales  pourtoulago,  pourtoulaigo,  bourtou- 
laigo,  etc.  3. 


LXXXVIII.  —  POUILLER 

Plusieurs  patois  français  du  Centre  et  de  l'Ouest  pos- 
sèdent le  verbe  pouiller  au  sens  de  «  revêtir  ».  Voici 
l'indication  de  quelques-uns  d'entre  eux  : 

Brachet,  Vocabulaire  tourangeau,  dans  Romania,  I,  90  :  «  Pouiller, 
se  vêtir.  »  . 

Dottin,  Gloss.  des  parler  s  du  Bas-Maine,  p.  418  :  «  Pouyer,  revêtir  ; 
se  pouyer,  se  vêtir  ;  se  pouyer  dans  la  piau  d'eun  aut'.  —  Pouyement, 
vêtement  complet.  » 

Dottin  et  Langouët,  Gloss.  du  parler  de  Pléchdtel  (Ille-et- Vilaine), 

chez  Marcellus,  XII,  44,  et  XX,  39.  Le  Lexicon  de  Forcellini-De 
Vit  a  relevé  porcla  et  portacla  dans  la  Mulomedicina  de  Végèce  ; 
ce  sont  vraisemblablement  deux  fautes  différentes  pour  porcacla. 

1.  P.  Meyer,  Rec,  p.  1,  1.  5  et  6. 

2.  D'où  l'anc.  haut  allem.  pur^ela  et  l'angl.  purslatie. 

3.  La  substitution  du  suffixe  -aica  au  suffixe  -aca,  ordinaire  dans 
les  formes  provençales,  est  déjà  attestée  par  la  glose  suivante: 
porlolaica  agnasfagne  (Gcetz,  Corp.  gloss.,  III,  542,  17). 


POUILLÉR  )ij 

p.  141  :  «  Pouyer,  vêtir,  mettre  un  vêtement  ;  se  poayer,  s'habiller. 
—  Pouyement,  habillement.  » 

E.  et  A.  Duméril,  Dict.  du  patois  normand,  p.  180:  «  Pouiller, 
passer  une  manche,  mettre  un  habit.  » 

Favre,  Gloss.  du  Poitou,  de  la  Sainlonge  et  de  VAunis,  p.  274  : 
«  Pouiller,  mettre  un  vêlement,  vêtir.  Onge\  quiare  la  promère 
camisole  et  l'en  pouille^,  parabole  de  l'Enfant  prodigue  en  patois 
saint-maixentais.  » 

C,e  de  Montesson,  Voc.  du  Haut-Maine,  3e  éd.,  p.  432  :  «  Pouil- 
ler, habiller.  » 

Thibault,  Gloss.  du  pays  blaisois,  p.  273  :  «  Pouiller,  vêtir,  mettre 
sur  soi  :  pouiller  sa  blouse,  pouiller  ses  sabots  ». 

Les  auteurs  qui  ont  recueilli  le  verbe  pouiller  n'ont 
pas  vu  nettement  quelle  en  était  l'étymologie.  Les  frères 
Duméril  disent:  «  Ce  mot  n'est  peut-être  pas  sans  rap- 
port avec  le  français  dépouiller,  que  l'on  fait  cependant 
venir  généralement  du  latin  spoliari.  »  Le  comte  de 
Montesson  considère  le  verbe  français  dépouiller  comme 
un  composé  de  pouiller.  M.  Thibault  voit  dans  pouiller 
un  dérivé  du  substantif  peau  «  le  vêtement  étant  com- 
paré à  la  peau  ». 

Pour  curieuse  que  soit  la  formation  de  pouiller,  elle 
se  laisse  pourtant  expliquer  assez  facilement.  Il  ne  faut 
pas  songer  à  le  tirer  du  latin  spoliare,  qui  aurait  donné 
tspouillier,  épouiller  ',  car  la  disparition  de  17  initial  est 
sans  exemple  dans  cette  région.  Pouiller  est  sorti,  à 
une  époque  relativement  récente,  par  formation  régres- 
sive, de  dépouiller.  Puisque  l'on  avait  brider  à  côté  de 
débrider,  garnir  à  côté  de  dégarnir,  et  cent  autres  couples 
du  même  genre,  on  a  créé  pouiller  à  côté  de  dépouiller 
en  lui  donnant  le  sens  opposé.  Notre  ancienne  langue 

1 .  Voyez  quelques  rares  exemples  de  espoillier  dans  Godefroy  et 
retranchez-en  celui  où  il  s'agit  de  «  chercher  les  poux  » ,  espooillier . 
Thomas.  II.  —  21 


Î22  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

elle-même  a  obéi  à  la  force  créatrice  de  l'analogie,  car 
sur  le  modèle  de  dépouille,  dépouiller,  elle  a  formé  em- 
pouille,  empouiller,  qui  ont  été  longtemps  usités  comme 
termes  de  coutume  et  qui  figurent  dans  tous  nos  grands 
dictionnaires.  Déjà,  dans  le  latin  vulgaire,  on  constate 
des  phénomènes  de  même  nature  :  les  lettrés  ne  con- 
naissent que  recuperare,  mais  le  peuple  en  tire  de  bonne 
heure  *cuperare,  d'où  le  provençal,  l'espagnol  et  le  por- 
tugais cobra*  «  recouvrer  ». 


LXXXIX.  —  POUIR 

On  lit  dans  Cotgrave  :  «  Pouyr.  Tout  n'y  sçauroit 
pouyr.  AU  cannot  goe  into,  ail  cannot  be  held  or  cotitained 
in  il.  Parisien.  » 

Antoine  Oudin  a  enregistré  à  son  tour  ce  verbe  pouir, 
que  Cotgrave  donne  ainsi  pour  un  parisianisme  : 
«  Pouir,  capire.  —  Pouyr,  capire,  esser  contenuto  ' .  » 

Les  lexicographes  postérieurs  à  Oudin  ignorent  pouir  ; 
je  ne  saurais  dire,  d'autre  part,  quelle  est  la  source  de 
Cotgrave.  Le  mot  manque  dans  le  Dictionnaire  de 
F.  Godefroy2.  Il  est  bien  tentant  de  supposer  pouir 
<  *potire,  encore  que  l'on  n'ait  pas  signalé  jusqu'ici 
de  survivance  populaire  du  latin  classique  potiri.  On 
sait  que  dans  la  plupart  des  langues  romanes  c'est  le 

i.  Seconde  partie  des  recherches  ital.  et  franc.  (Paris,  1642). 

2.  M.  Godefroy  signale  un  seul  exemple  d'un  verbe  pouir,  qu'il 
ne  traduit  pas,  dans  la  Geste  des  ducs  de  Bourgogne  ;  j'ignore  le  sens 
exact  du  mot  dans  ce  passage,  mais  ce  pouir  n'a  probablement  rien 
à  faire  avec  celui  qui  nous  occupe. 


PROGIER  3*3 

verbe  capere  qui  a  servi  à  rendre  l'idée  verbale  neutre 
«  être  contenu  dans  »,  bien  qu'en  latin  classique  il  n'ait 
que  le  sens  actif  de  «  contenir  ».  Or,  potiri  oppidum  et 
capere  oppidum  étant  deux  locutions  synonymes,  il  n'y 
a  rien  d'invraisemblable  à  supposer  —  pour  rendre 
raison  de  pouir  —  que  le  latin  populaire  a  dit  vinum 
*  polit  in  amphora  comme  il  disait  indubitablement 
vinum  capit  in  amphora. 


XC.  —  PROGIER 

Les  patois  de  la  Franche-Comté  possèdent  un  verbe 
neutre  que  le  chanoine  Danois  enregistre  sous  les 
formes  prôger  et  prôgie  et  qu'il  définit  ainsi,  après  l'avoir 
déclaré  intraduisible  en  français  :  «  profiter,  être  ou 
paraître  plus  copieux,  en  parlant  d'un  ragoût  accru  par 
des  accessoires,  etc.  '.  »  Tissot  donne:  «  Prôd^i,  faire 
bon  usage;  faire  effet,  paraître;  qui  rassasie,  quoique 
en  petite  quantité,  en  parlant  des  aliments1  ».  Dans 
Monnier,  on  lit  pranjeri,  dans  F.  V.  Poulet,  preudgî*, 
avec  des  définitions  analogues. 

Dartois  a  indiqué  comme  étymologie  le  latin  profi- 
cere  ;  Poulet,  le  latin  prodigare.  Il  est  bien  certain  que, 
si  proficere  ne  vaut  rien,  prodigare  aurait  abouti  phoné- 
tiquement aux  différentes  formes  patoises  relevées  en 
Franche- Comté;  mais  le  rapport  sémantique  entre pro- 

i.  Mèm.  de  l'Ac.  de  Besançon,  1850,  p.  167. 

2.  Mèm.  de  la  Soc.  d'èmul.  du  Doubs,  1864,  p.  331. 

3.  Ann.  du  dêp.  du  Jura,  1859,  au  mot  prançer  (cité  par  Tissot). 

4.  Patois  de  Plancher -les -Mines  (Paris,  1878),  à  l'article. 


3 24  Recherchés  ètVmoloôiQues 

digare,  verbe  transitif,  et  progier,  verbe  intransitif,  n'est 
pas  satisfaisant.  Je  crois  légitime  de  supposer  que  le 
latin  vulgaire  a  tiré  un  verbe  du  nom  prode  (d'où  le 
français  preu,  prou,  profit)  à  l'aide  du  suffixe  -icare  et 
j'explique  le  verbe  franc-comtois  par  un  type  *prodicare, 
synonyme  du  latin  vulgaire  prode  esse. 


XCI.  —  RAVOIR 

Littré  a  enregistré,  sans  en  chercher  l'étymologie, 
le  terme  de  pêche  ravoir,  qui  manque  dans  le  Diction- 
naire général.  Voici  comment  il  le  définit  :  «  Nom  que 
l'on  donne,  sur  quelques  côtes,  à  un  parc  de  filets  que 
la  mer  couvre  et  découvre.  »  C'est  Furetière,  si  je  ne 
me  trompe,  qui  a  le  premier  accordé  l'hospitalité  à 
ravoir,  et,  de  dictionnaire  en  dictionnaire,  sa  définition, 
ou  peu  s'en  faut,  est  arrivée  jusqu'à  Littré.  Il  dit  en 
effet:  «  Ravoir,  s.  m.,  en  termes  de  marine,  est  un 
parc  de  rets  ou  filets  qui  est  tendu  sur  les  grèves  que 
la  mer  couvre  et  découvre.  »  Savary  des  Bruslons  dit 
à  son  tour:  «  Ravoir,  terme  de  pêche  de  poisson  de 
mer,  est  une  espèce  de  parc,  partie  de  claye  et  partie 
de  filets,  qu'on  tend  sur  la  grève  pour  y  prendre  du 
poisson,  au  monter  et  à  la  descente  des  marées.  »  Il 
est  inutile  de  citer  Trévoux  qui  s'exprime  en  termes 
analogues.  Ces  définitions  ne  sont  qu'empiriques.  Voici 
qui  vaut  mieux  :  «  Ravoirs.  Ce  sont  des  filets  tendus 
par  le  travers  des  ravins  ou  courans  d'eau.  On  tend 
en  ravoir  toutes  sortes  de  filets  suivant  l'espèce  de  pois- 
son qu'on  se  propose  de  prendre...  On  les  établit  dans 


RÊSAND  525 

les  endroits  où  il  se  forme  des  courants  ou  ravins,  qu'on 
nomme  sur  quelques  côtes  ravoirs,  ainsi  que  les  filets 
qu'on  y  tend  '.  »  Ici  nous  saisissons  l'étymologie.  L'an- 
cien français  ravoi,  écrit  parfois  abusivement  ravoir, 
signifie  effectivement  «  courant  »  ;  il  correspond  au 
provençal  rabei  et  vient  comme  lui  d'un  type  latin 
vulgaire  *rapidhun2.  Godefroy,  qui  a  un  article  ravoi 
et  un  article  ravoir,  ne  fait  aucune  allusion  au  terme 
de  pêche,  ni  les  auteurs  qui  ont  écrit  sur  la  pêche  à 
l'ancien  français  :  le  rapprochement  m'a  paru  utile 
et  intéressant. 


XCII.  —  RESAND 

Le  comte  Jaubert  a  relevé  dans  le  supplément  de  son 
Glossaire  du  Centre  le  substantif  masculin  résand,  par- 
ticulier à  la  Sologne,  qu'il  définit  ainsi  :  «  Infiltration, 
filet  d'eau  qui  circule  entre  le  sol  et  le  sous-sol.  »  Il 
est  bien  tentant  de  voir  dans  résand  une  forme  berri- 
chonne correspondante  au  français  normal  archaïque 
roisent,  lequel  représente  le  latin  recens  et  signifie  «  frais  », 
quand  il  est  employé  comme  adjectif,  et  «  fraîcheur  », 
quand  il  est  substantivé.  On  comprend  facilement  que 
le  terrain  arrosé  par  un  filet  d'eau  souterrain  ait  été 
qualifié  de  roisent  et  que  la  qualification  ait  fini  par  être 
appliquée  à  l'infiltration  elle-même.  Godefroy  signale 
le  maintien  de  l'ancien  français  roisent  dans  l'Orne,  où 

1.  Baudrillart,  Dict.  des  pêches  (1827),  p.  468. 

2.  Cf.  mes  Essais,  p.  79.  *Rapidiitm  manque  dans  Kôrting,  qui 
rattache  le  prov.  rabeg  (graphie  équivalente  à  rabet)  à  rapidus, 


326  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

le  mot  est  aujourd'hui  synonyme  de  serein  (humidité 
qui  tombe  après  le  coucher  du  soleil). 

XCIII.  —  RESENCIER 

Dans  le  vocabulaire  qui  termine  sa  magistrale  étude 
sur  le  patois  de  la  Franche-Montagne,  M.  Maurice 
Grammont  a  un  article  ainsi  conçu  : 

«  Mzpnsï,  mouillé,  trempé  ;  origine  inconnue  ' .  » 

Ce  participe  suppose  nécessairement  un  verbe  et  ce 
verbe  a  été  depuis  longtemps  signalé  dans  différents 
patois  de  la  Franche-Comté.  Le  chanoine  Dartois  donne 
résincie,  résencie,  resancie  comme  synonymes  du  français 
rincer  dans  les  trois  départements  de  la  province 2.  Tissot 
a  relevé  dans  le  patois  des  Fourgs  (Doubs)  r'senci  (avec 
s  sonore),  dans  le  même  sens  3.  Il  est  tout  à  fait  sûr 
que  nous  avons  là  une  forme  comtoise  correspondant 
exactement,  et  comme  sens  et  comme  forme,  au  pro- 
vençal ancien  reyensar,  dont  Diez  a  depuis  longtemps 
indiqué  Tétymologie  :  c'est  le  latin  vulgaire  *recentiare, 
dérivé  de  l'adjectif  recens.  Flechia  a  signalé  des  repré- 
sentants de  ce  type  latin  dans  différents  patois  du  Nord 
de  l'Italie  4;  il  ne  s'est  pas  avisé  d'aller  en  chercher  en 
Franche-Comté. 

J'ai  exprimé  naguère  mon  sentiment  sur  l'origine 

i.  Mèm.  de  la  Soc.  de  linguistique,  XI,  412. 

2.  Mèm.  de  l'Acad.  de  Besançon,  année  1850,  p.  246. 

3.  Mèm.  de  la  Soc.  d'êmul.  du  Doubs,   3e  série,  t.  IX  (1864), 

P-  539- 

4.  Archivio  glotlologico,  II,  29. 


REVONDRE  327 

de  l'ancien  français  recincier  (en  picard  rechinchier)  et 
du  français  rincer  (autrefois  reïncier) I  :  je  reste  convaincu 
que  la  présence  constante  dans  ces  formes  d'un  i  (et 
non  d'un  e)  nous  oblige  à  les  rattacher  à  un  type 
*recinciare,  très  distinct  de  *recentiare.  Dans  le  patois 
de  la  Franche-Montagne,  à  côté  de  rezpnsï,  M.  Gram- 
mont  a  relevé  rinsi  «  rincer  »  ;  même  si  l'on  suppose 
(contrairement  à  sa  manière  de  voir)  que  le  patois  est 
emprunté  du  français,  il  n'en  témoigne  pas  moins  soli- 
dement que  le  type  étymologique  de  rinsî  avait  un  i 
long,  tandis  que  celui  de  rèxpnsl  avait  un  e. 


XCIV.   —  REVONDRE 

Le  patois  lyonnais  possède  un  verbe  revondre  «  enfouir, 
enterrer,  recouvrir  »  que  Nizier  du  Puitspelu  tire  du  latin 
rejundcre.  Et  pourtant  Puitspelu  n'ignore  pas  l'existence 
en  ancien  français  d'un  verbe  synonyme,  à  savoir  rebon- 
dre,  que  Diez  a  très  justement  ramené  au  latin  reponere; 
mais  il  abonde  en  son  sens  au  point  de  déclarer  que 
«  refundere  se  prête  beaucoup  mieux  au  sens  que  repo- 
nere »  et  que  l'ancien  français  refondre  «  est  une  forme 
dialectale  de  revondre  dans  laquelle  v  a  pris  la  pronon- 
ciation gasconne  ».  Il  y  a  quelque  chose  de  vrai  dans 
cette  dernière  remarque  :  de  reponere  considéré  comme 
un  mot  simple  le  français  devrait  avoir  revondre,  et  de 
reponere  considéré  comme  un  mot  composé  il  devrait 
avoir  et  il  a  effectivement,  et  à  satiété,  repondre  :  la 

1.  Mélanges,  p.  121, 


528  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

forme  refondre  est  particulière  aux  textes  dialectaux  de 
l'Ouest,  où  le  p  intervocalique  est  souvent  rendu  par 
b  comme  en  gascon  et  en  provençal. 

Que  faut-il  penser  du  lyonnais  revendre  ?  Sans  doute, 
si  refundere  avait  été  pris  pour  un  mot  simple,  il  aurait 
d'abord  changé  son/médiale  eni/;  de  profundum  l'an- 
cien lyonnais  a  fait  prevond  qui  est  dans  Marguerite 
d'Oingt.  Mais  le  médiéval  prevond  a  perdu  depuis  long- 
temps son  v  et  les  patois  actuels  ne  connaissent  plus 
que  priond,  prond  ou  prand  ;  comment  se  fait-il  donc 
qu'on  dise  aujourd'hui  exclusivement  revondre  ?  C'est 
qu'il  faut  absolument  repousser  l'étymologie  par  refun- 
dere, qui  ne  convient  pas  du  tout  au  sens  (quoi  qu'en 
dise  Puitspelu)  et  ramener  revondre  à  reponere. 


XCV.  —  ROLH,  REL 

Béronie  définit  très  précisément  l'outil  qu'on  appelle 
rèl  en  Bas-Limousin.  Il  est  «  composé  d'une  planche 
de  forme  à  peu  près  circulaire,  percée  au  milieu  d'un 
trou  de  tarière,  pour  y  attacher  la  perche  qui  lui  sert 
de  manche  ».  C'est  le  râble  ou  rabot  dont  se  servent 
les  boueurs  pour  ramasser  les  boues,  les  jardiniers  pour 
unir  les  allées,  les  maçons  pour  remuer  la  chaux  et  le 
mortier,  les  boulangers  pour  nettoyer  le  four  ou  y 
étendre  la  braise,  les  agriculteurs  pour  remuer  le  fond 
des  réservoirs  et  mêler  le  limon  avec  l'eau.  Mistral  donne 
rèl,  avec  la  variante  rèlh,  comme  particulier  au  Bas- 
Limousin,  et  il  résume  la  définition  de  Béronie;  il 
rapproche  le  mot  du  latin  rullum  (?)  et  rutellum.  Comme 


ROLH,   RÈL  329 

rèl  a  pour  dérivé  roulia  «  remuer  les  engrais  que  les 
pluies  ont  portés  dans  un  réservoir  et  les  faire  couler 
avec  l'eau  »  (Vialle,  dans  Béronie),  il  est  certain  que 
rèl  remonte  a  une  forme  médiévale  *ruèlh,  comme  èl  à 
uèlh,  œil,  et  qu'il  a  un  0  latin  à  sa  base.  Il  n'est  pas 
moins  certain  qu'il  faut  identifier  le  rèl  actuel  avec  le 
rolh  en  0  ouvert  qui  figure  dans  le  Donat  proensal  et  qui 
est  traduit  par  «  lignum  cum  quo  furnus  tergitur'  ». 
M.  Stengcl  a  raison  de  rattacher  rolh  au  latin  rôtulus, 
au  même  degré  que  l'italien  rocchio  «  billot,  rondelle  ». 
J'ajoute  que  le  râble  s'appelle  dans  les  environs  immé- 
diats d'Aubusson  reû2  et  à  Montmorillon  reuiU,  ce 
qui  confirme  tout  à  fait  l'étymologie  par  rôtulus. 

D'autre  part,  à  Saint-Yrieix-la-Montagne  (Creuse) 
et  dans  quelques  communes  voisines,  on  ne  dit  pas 
reû,  mais  rouei,  forme  qui  semble  correspondre  à  un 
type  médiéval  rolh  avec  0  fermé  4.  De  ce  rouei  il 
me  paraît  impossible  de  séparer  le  gascon  arroulh 
«  instrument  pour  ramasser  le  blé  sur  l'aire s  ».  Par 
suite,   il   faut    supposer   * rutulus   à  côté  de   rôtulus. 

1.  Voyez  Stengel,  Die  beiden  œil.  prov.  Grammatiken,  p.  54  et 
124.  Naturellement,  les  conjectures  édifiées  par  MM.  Tobler  et 
P.  Meyer  sur  la  leçon  fautive  de  Guessard  (jingitur  au  lieu  de  ter- 
gitur) tombent  d'elles-mêmes  en  présence  du  texte  correct. 

2.  Reil  rime  exactement  avec  eu  (œil),  du  latin  ôculus,  notam- 
ment dans  les  communes  de  Saint-Michel-de-Vesse,  Issoudun, 
Chénéraillcs. 

3.  Lalanne,  Gloss.  du  patois  poitevin,  au  mot  reuil. 

4.  Ailleurs  on  dit  ro  (Saint-Médard,  Dontreix),  forme  difficile 
â  expliquer. 

5.  Le  mot  est  dans  Mistral  et  dans  Lespy  et  Raymond  ;  d'autre 
part,  M.  Ducamin  veut  bien  m'en  certifier  l'existence  à  Lanne- 
Soubiran  (Gers). 


330  RECHERCHES  ÉTYY0L0GIQUES 

Remarquons  qu'il  n'est  pas  très  naturel  que  le  latin  ait 
appelé  rotulus  le  râble  ou  rabot,  dont  le  vrai  nom,  dans 
cette  langue,  est  rûtrutn  ou  rûtabulum.  Je  me  demande 
s'il  ne  faut  pas  admettre  que  rùtrum  a  donné  d'abord 
naissance  à  *rùtulum,  sous  l'influence  de  rotulus,  et  si  ce 
*rùtulum,  conservé  en  Gascogne  et  dans  la  Marche 
limousine,  n'a  pas  fini  par  être  supplanté  ailleurs  par 
rotulus. 

(Revue  des  parlers  pop.,  année  1903,  p.  178.) 


XCVI.  —  SAUPIGNAGO 

A  l'article  jusquiam,  à  côté  de  jusquiamo  et  de  jus- 
clano,  Mistral  enregistre  cinq  formes  que  l'on  ne  peut, 
avec  la  plus  large  tolérance  phonétique,  considérer 
comme  appartenant  au  même  mot  et  rattacher  au  latin 
vulgaire  jusquiamus,  accommodation  du  grec  •JcTy.ûa'j.cç. 
Ce  sont,  par  ordre  alphabétique  :  saupignaco,  saupignago, 
saupignastro,  sauprignaco  et  sôupinago.  J'ignore  la  pro- 
venance locale  exacte  de  chacune  d'elles,  sauf  pour  la 
seconde,  qui  se  trouve  écrite  saoupignago  dans  la 
deuxième  édition  du  Dictionnaire  languedocien-français 
de  l'abbé  de  Sauvages  (Alais,  1820)  et  qui  provient 
vraisemblablement  du  Gard.  Ces  cinq  appellations 
remontent  manifestement  à  symphoniaca,  un  des  noms 
latins  de  la  jusquiame  qui  nous  ont  été  transmis  par  le 
pseudo-Apulée1.  Il  a  dû  exister  en  provençal  ancien 

1 .  Édition  Ackermann,  p.  155  :  «  Nomina  atque  virtutes  herbae 
symphoniacae.  hyoscyamive...  Latini  insanam  vocant,  alii  sympho- 
niacam,  » 


SE  Y NO  33! 

une  forme  type  *semponhaga,  peut-être  *  somponhaga ,  qui 
répondait  exactement  à  la  prononciation  de  symphoniaca 
en  latin  vulgaire1. 


XCVII.  —  SEYNO 

Le  mot  seyno  se  trouve  dans  la  leide  de  l'archevêché 
de  Lyon,  texte  du  treizième  siècle  publié  dans  la 
Romania,  XIII,  568,  art.  20:  «  li  mercer  deyvont  pusa 
fort,  et  aus  seyno  et  a  les  feres  II  d.  fors2.  »  M.  Phi- 
lippon  le  traduit  dubitativement  par  «  marché  »  sans 
s'expliquer  sur  son  origine.  Nizier  du  Puitspelu  accepte 
cette  traduction  et  pense  que  seyno  correspond  au  latin 
signum.  Mais  si  signum  appartenait  à  la  langue  popu- 
laire, il  aurait  donné  seyn,  sans  voyelle  posttonique 
d'aucune  sorte  ;  quand  les  clercs  ont  voulu  l'introduire 
dans  le  dialecte  lyonnais,  ils  en  ont  fait  signo7». 

Je  crois  qu'il  faut  voir  dans  le  lyonnais  seyno  le  même 
mot  que  dans  l'ancien  français  senne,  sene,  etc.  4,  qui 

1.  M.  le  Dr  Dorveaux  me  signale  dans  YAlphita  (éd.  Mowat, 
p.  30)  la  forme  française  sinphonic,  également  appliquée  à  la  jus- 
quiame;  plus  fréquemment,  cifoine,  sephoine,  simphonie,  etc.,  dé- 
signe l'hellébore,  comme  par  exemple  dans  le  Livre  des  simples 
médecines  de  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève.  Cf.  Godefroy, 
v° cifoine;  Rolland,  Flore  pop.,  I,  81. 

2.  Rom.,  XIII,  590.  Il  vaudrait  mieux  imprimer  au  sseyno  que 
aus  seyno. 

3.  Signo  est  fréquent  dans  le  ms.  franc.  818  de  la  Bibl.  nat.  : 
los  signos  des  prophètes,  f°  154e;  lo  signo  de  la  crois,  f°  171e,  etc. 
(Mussafia  et  Gartner,  Altjr.  Prosalegenden,  Vienne,  1895,  p.  2, 
56,  etc.). 

4.  Cf.  Godefroy,  v°  sene. 


1)1  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

signifie  «  synode,  réunion  ecclésiastique  »  et  qui  vient 
clairement  du  latin  synodus1. 

(Cf.  Romania,  XXXIII,  228.) 


XCVIII.  —  SOUILLE 

Littré  a  cru  devoir  enregistrer  le  terme  dialectal  souille, 
substantif  féminin,  «  taie  d'oreiller  en  quelques  pro- 
vinces ».  Le  mot  est  usité  dans  le  Centre  et  dans 
l'Ouest2.  Littré  en  a  relevé  l'emploi  dans  les  Singula- 
rité^ de  Pierre  Belon  ;  c'est  tout  naturel,  puisque  Pierre 
Belon  était  natif  des  environs  du  Mans.  Voici  ce  qu'il 
pense  de  l'étymologie  :  «  M.  Jaubert  dit  qu'il  vient  de 
souiller,  cette  taie  étant  destinée  à  empêcher  l'oreiller 
lui-même  de  se  graisser  au  contact  de  la  tête;  cela  est 
probable.  M.  Roulin  le  tire  du  latin  sudarium;  mais 
sudarium  ne  peut  faire  souille  ou  souie.  »  Je  ne  viens 
pas  réhabiliter  sudarium,  bien  entendu  ;  mais  j'avoue 
que  j'ai  peu  d'inclination  à  considérer  souille  comme 
un  substantif  verbal  de  souiller.  Le  sens  de  notre  mot 
est  plus  étendu  que  ne  le  donne  à  entendre  Littré. 
Dans  le  Blaisois,  Thibault  le  traduit  par  «  étoffe  d'une 
couette,  d'un  matelas,  d'une  paillasse,  d'un  oreiller, 
d'un  traversin  ».  Dans  le  Bas-Maine,  Dottin  indique 


1 .  Le  redoublement  de  l'w,  fréquent  en  ancien  français,  semble 
indiquer  que  synodus  a  été  prononcé  par  métathèse  *sydonus  (cf. 
Romania,  XXX,  423).  Au  contraire,  la  diphtongue  ey  rattache  le 
lyonnais  à  la  forme  correcte  synodus. 

2.  Il  est  dans  Jaubert  (Centre),  Thibault  (Blaisois),  Montesson 
(Sarthe),  Dottin  (Mayenne),  Dottin  et  Langouét  (Ille-et-Vilaine). 


TORELIÈRE,  TÙRIÈRE  3$) 

«  petit  sac,  sorte  de  bissac,  taie  d'oreiller,  torchon  ». 
Au  sens  de  «  torchon  »,  il  est  bien  probable  que  souille 
vient  effectivement  de  souiller.  Mais  ce  qui  me  porte 
à  proposer  une  autre  étymologie  pour  les  autres  sens, 
c'est  l'existence  de  formes  qui  indiquent  manifestement 
une  contraction.  A  Landivy  on  prononce  swiy;  à  Plé- 
châtel,  swiy  et  sewiy  (forme  vieillie)  :  cela  nous  reporte 
à  une  forme  médiévale  *soïlle,  dont  le  type  latin  me 
paraît  être  subicula,  variante  de  subûcula  «  vêtement 
de  dessous,  chemise  ».  Le  développement  sémantique 
du  mot  français  chemise  qui,  dans  la  langue  courante, 
désigne  l'enveloppe  dans  laquelle  on  enferme  certains 
objets,  me  paraît  appuyer  l'étymologie  que  je  soumets 
au  lecteur.  Au  point  de  vue  de  la  forme,  on  pour- 
rait admettre  l'existence  simultanée  de  *subùcula  (d'où 
*sooille,  souille)  et  de  *subïcula  (d'où  soûle,  souille). 


XCIX.  —   TORELIÈRE,   TORIÈRE 

M.  Grammont  a  relevé,  dans  le  Patois  de  la  Franche- 
Monlagne',  le  substantif  féminin  touorlire  «  vache  qui 
ne  peut  plus  faire  de  veau  »,  dont  il  déclare  l'origine 
inconnue.  Ce  mot  se  trouve  dans  Godefroy,  article  tau- 
reliere,  d'après  des  lexicographes  de  la  fin  du  seizième 
siècle  et  du  commencement  du  dix-septième,  lesquels 
l'écrivent  par  au,  et  il  est  encore  vivant  en  Normandie. 
On  lit,  par  exemple,  dans  le  Glossaire  du  patois  normand 
de  Louis  Dubois  :  «    Taurelière  (vache),  attaquée  de 


1.  Ment,  de  la  Soc.  de  lin«.,  XI,  430. 


334  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

fureur  utérine  et  qui  est  inféconde.  »  Nous  avons  clai- 
rement affaire  à  un  dérivé  de  iorel  (aujourd'hui  tau- 
reau) dont  le  type  latin  vulgaire  serait  *taurellaria. 

Roussey,  Patois  de  Bournois,  p.  318,  donne  touerîr, 
qu'il  définit  «  génisse  qui  a  manqué  son  veau  ».  Ici 
nous  remontons  directement  à  taurus  combiné  avec  le 
même  suffixe:  le  type  étymologique  est  *tauraria. 

Dans  un  cas  comme  dans  l'autre,  les  vocables  romans 
s'appliquent  proprement  à  la  femelle  qui,  n'arrivant 
pas  à  concevoir,  demande  et  redemande  le  taureau. 
Pour  qualifier  une  femelle  en  appétit  de  mâle,  le  lan- 
gage populaire  forme  volontiers  des  adjectifs  tirés  du 
nom  même  du  mâle  et  qui  ne  connaissent  que  le  genre 
féminin.  Mistral  donne  boucan,  pourchau,  taurau  comme 
adjectifs  limousins  qualifiant  la  chèvre,  la  truie  et  la 
vache  en  chaleur;  le  patois  de  l'Ile  d'Elle  (Vendée) 
connaît  le  dernier  de  ces  adjectifs  sous  la  forme  tarait1, 
et  le  patois  de  la  Gâtine  (Deux-Sèvres),  sous  la  forme 
plus  régulière  taurau 2. 


C.  —  TROUVER 

Trouver  vient-il  de  turbare  ?  Diez  en  était  convaincu 
et  il  faut  lui  savoir  gré  d'avoir  proposé  cette  étymo- 
logie  à  une  époque  où  le  marché  était  encombré  des 
hypothèses  de  Ferrari,  de  Ménage,  de  Du  Cange  et 


1.  Simonneau,  Gloss.,  dans  Rev.  de  phitot.  franc.,  III,  119. 

2.  Écrit  abusivement  taureau,  Puichaud  dans  Rev.  de  phit.  franc. 
VI,  132. 


TROUVER  335 

autres,  lesquelles  flottaient  entre  le  grec  ljptr/.w,  le  latin 
reperire  ou  recuperare,  l'allemand  treffen  et  l'ancien  fran- 
çais ireii  «  tribut  »  —  et  j'en  oublie.  Je  me  figurais 
que  Gaston  Paris,  aidé  de  M.  Paul  Meyer,  avait  porté 
un  coup  mortel  à  l'étymologie  de  Diez  et  montré 
péremptoirement,  il  y  a  un  quart  de  siècle,  que  trouver 
postule  un  type  latin  *trôpare  ' .  Je  me  trompais,  paraît-il, 
puisque  M.  Schuchardt  a  repris  à  son  compte  l'étymo- 
logie de  Diez  et  qu'il  n'en  veut  pas  démordre.  J'ai  cru 
ensuite  que  cette  manifestation  rétrograde  serait  isolée 
et  inoffensive  :  je  me  trompais  encore.  Voici  que 
M.  Kôrting,  dans  la  nouvelle  édition  de  son  Lateinisch- 
romanisches  Wœrterbuch,  cancelle,  pour  ainsi  dire,  son 
article  *tropare  (9763)  en  écrivant  à  la  suite  :  «  Tout 
récemment,  Schuchardt  a  montré  d'une  façon  convain- 
cante que  trovare  est  sorti  de  turbare  et  que  turbare  était 
un  terme  technique  de  pêche  et,  comme  tel,  popu- 
laire. »  Cela  n'engage  que  M.  Kôrting,  dira-t-on,  et  le 
mal  n'est  pas  grand.  Sans  doute,  mais  je  suis  vraiment 
consterné  de  voir  M.  Meyer-Lubke  faire  chorus,  lui 
aussi.  Dans  le  compte  rendu  qu'il  vient  de  consacrer 
au  2e  fascicule  des  Romaniscbe  Etymologieen ,  il  proclame 
que  si  *lropare  a  «  dû  »,  turbare  a  «  pu  »  donner  trouver 2, 
et  dans  son  Einfiihrung  in  das  Studium  der  Romanischen 
Spracbwissenschaft,  il  écrit,  p.  71  :  «  Schuchardt  a  montré 
avec  vraisemblance  que  l'italien  trovare,  français  trou- 
ver, etc.,  est  proprement  un  terme  de  la  langue  des 
pécheurs,  venant  du  latin  turbare...  »  Je  ne  cite  pas  la 


1.  Dans  la  Romania,  VII,  418. 

2.  Literaturblatt,  année  1901,  col.  118. 


336  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

suite,  pour  faire  court;  il  y  a  pourtant  de  fort  belles 
choses  sur  la  philosophie  du  langage. 

Ce  serait  peut-être  mal  servir  la  vérité  que  de  con- 
tinuer à  me  tenir  sur  la  réserve,  comme  j'ai  cru  devoir 
le  faire  jusqu'ici,  non  sans  avoir  dit  cependant  que 
j'adhérais  aux  conclusions  formulées  en  1 878  par  Gaston 
Paris  '.  M.  Schuchardt  me  reproche  amèrement  ce  qu'il 
appelle  mon  dogmatisme2.  M.  Meyer-Lùbke  déclare 
qu'il  ne  comprend  pas  ce  que  j'ai  voulu  dire  quand  j'ai 
écrit:  «  *Tropare  est  le  seul  type  que  la  phonétique 
puisse  avouer  3.  »  Je  vais  tâcher  de  m'expliquer  plus 
clairement  et  de  ne  pas  trop  dogmatiser.  On  parle  beau- 
coup des  progrès  qu'a  faits  la  phonétique  historique 
depuis  Diez  :  si  elle  ne  nous  fournit  pas  le  moyen  de 
nous  prononcer  entre  deux  types  aussi  différents  que 
tùrbare  et  *trôpare,  ce  n'est  pas  de  progrès,  mais  de 
faillite  qu'il  faut  parler. 

M.  Schuchardt  reconnaît  que  *trôpare  est  inattaquable 
au  point  de  vue  phonétique.  Peut-on  en  dire  autant 
de  tùrbare,  ou  du  moins  peut-on  accorder  à  M.  Schu- 
chardt qu'il  ait  repoussé  victorieusement  les  attaques 
dont  cette  étymologie  a  été  l'objet  de  la  part  de  Gaston 
Paris  ?  Il  faut  voir  cela  avant  tout.  Si  tùrbare  ne  peut 
pas  supporter  l'examen  phonétique,  il  ne  compte  plus, 
il  est  mort.  Il  peut  avoir  beaucoup  de  qualités  par 
ailleurs,  comme  la  jument  de  Roland;  rien  ne  pourra 
compenser  ce  terrible  défaut.  Quant  à  *trôpare,  avant 


1.  Cf.  Romania,  XXIX,  438,  et  XXX,  154. 

2.  Zeitscto.  f.  roui.  Phil.,  XXV,  256. 

3.  Literalurblatt,  loc.  laud.,  col.  119. 


TROUVER  337 

de  le  proclamer  vainqueur,  il  faudra  s'assurer  qu'il 
satisfait  à  toutes  les  autres  conditions  requises:  on  ne 
peut  rien  prétendre  en  étymologie  sans  l'aveu  de  la 
phonétique,  mais  la  phonétique  ne  suffit  pns  à  tout. 

Il  y  a  trois  points  sur  lesquels  tùrbare  est  vulnérable  : 
la  métathèse  de  IV,  le  changement  de  Vu  en  ô,  le  trai- 
tement du  b.  Nous  allons  les  examiner  l'un  après 
l'autre.  Comme,  dans  le  système  de  M.  Schuchardt, 
*trôbare  issu  de  tùrbare  serait  propre  à  la  Gaule  et  à  ses 
annexes,  il  suffit  d'employer  le  français  et  le  provençal 
pour  mettre  son  étymologie  à  l'épreuve. 

i°  Métathèse.  A  priori,  on  ne  voit  pas  pourquoi  tùr- 
bare aurait  subi  une  métathèse  et  serait  devenu  *trùbare. 
Le  groupe  rb  est  des  plus  fréquents  en  latin  :  barba, 
herba,  corbis,  etc.  Son  domaine  s'est  même  augmenté 
aux  dépens  de  rv  :  berbix  (pour  vervex),  corbus  (pour 
corvus),  curbus  (pour  curvus),  etc.  Il  y  a  bien  une 
métathèse  dans  brebis,  de  berbicem,  mais  elle  est  relati- 
vement récente,  comme  le  montre  la  conservation  du  b  : 
si  tùrbare  avait  eu  le  même  sort,  il  aurait  abouti  k*trouber 
en  français.  M.  Schuchardt  suppose  que  c'est  dans  le 
dérivé  tùrbidare,  où  la  contraction  en  tûrblare  amenait 
un  groupe  de  trois  consonnes  difficile  à  prononcer, 
que  la  métathèse  a  pris  naissance,  et  que  *trùblare  a 
entraîné  *trùbare.  Mais  il  ne  s'agit  pas  d'expliquer  la 
métathèse  :  il  s'agit  de  l'établir,  de  la  rendre  manifeste 
à  nos  yeux.  M.  Schuchardt  ne  fait  rien  pour  cela  et  il 
ne  peut  rien  faire,  car  on  lui  objectera  toujours  que  si 
tùrbare  avait  été  altéré  par  la  contamination  de  *trùblare, 
ou  par  suite  d'une  cause  que  nous  nous  résoudrions, 
s'il  le  fallait,  à  ignorer,  distùrbare  s'en  serait  ressenti. 
Thomas.  II.  —  22 


338  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

Or,  distûrbare  n'a  pas  bronché:  chacun  le  reconnaît 
dans  le  provençal  destwbar  et  dans  l'ancien  français  des- 
torber1,  tandis  qu'il  faut  une  grâce  d'état  pour  recon- 
naître tûrbare  dans  le  provençal  trobar  et  dans  le  français 
trouver2. 

2°  Changement  d'û  en  à.  M.  Schuchardt  ne  se  préoc- 
cupe guère  de  cet  «  accident  »  ;  il  se  contente  de  ren- 
voyer à  Diez  3  et  de  faire  appel  à  l'influence  de  la  labiale 
pouvant,  par  dissimilation,  changer  un  ù  en  ô.  Au  con- 
traire, M.  Meyer-Lûbke  déclare  que  ce  changement  d'/i 
en  ô  constitue  la  plus  forte  objection  qu'on  puisse  faire 
à  l'étymologie  de  M.  Schuchardt  et  que,  pour  sa  part, 
il  ne  croit  pas  à  l'influence  de  la  labiale.  Comment 
peut-il  donc  expliquer  que  *trùbare  soit  devenu  *trô- 
bare  ?  Par  l'analogie  de  la  conjugaison.  D'après  lui,  les 
verbes  du  type  prôbare  prôbat,  rôgare  rôgat,  étant  en 
majorité,  ont  opprimé  les  verbes  du  type  plôrare  plôrat, 
cubare  cubât  :  comme  ô,  ô  et  û  primitifs  avaient  la  même 

i .  M.  Schuchardt  renonce  sagement  à  s'appuyer  sur  un  exemple 
isolé  de  torver  pour  traver  en  ancien  français,  et  sur  la  forme  lourba 
pour  trouba,  usitée  actuellement  dans  quelques  cantons  de  l'Au- 
vergne; ce  sont  là  des  métathèses  récentes.  Un  exemple  de  destio- 
bier  pour  destorbier,  substantif  abstrait  de  destorber,  qui  se  trouve 
dans  Godefroy,  est  également  insignifiant. 

2.  *Trûblare,  pour  *tiïrblare,  est  une  métathèse  relativement 
ancienne,  mais  qui  n'a  jamais  supplanté  complètement  la  forme 
primitive  ;  les  très  anciens  textes  français  oscillent  entre  trobler  et 
torbler,  entre  controbhr  et  contorbkr.  Un  témoignage  curieux  de  la 
vitalité  du  latin  *contrtïblare  nous  est  fourni  par  le  gallois  cythrwfl 
«  trouble,  tumulte  »,  d'où  a  été  tiré  le  verbe  cythryfi.il.  Mais  le 
gallois  possède  aussi  le  verbe  cynhyrfu,  emprunté  du  latin  contûr- 
bare,  et  non  *contrûbarc  :  c'est  une  preuve  que  *trùblare  n'a  pas  agi 
nécessairement  sur  *tûrbare. 

3.  Gramm.  des  lang.  rom  ,  II,  §  190. 


TROUVER  339 

prononciation  avant  l'accent,  que,  par  exemple  proruer 
et  trover  étaient  identiques  (à  la  consonne  initiale  près), 
la  forme  accentuée  prueve,  qui  est  étymologique,  aurait 
intronisé  une  forme  accentuée  trueve,  au  détriment  de 
la  forme  étymologique  *trove,  *trouve.  Je  crois  que 
M.  Meyer-Lûbke  se  fait  illusion  sur  la  force  de  l'ana- 
logie à  l'époque  ancienne  des  langues  romanes.  L'ana- 
logie trouble  de  ci,  de  là  le  développement  naturel  des 
sons;  mais  elle  n'agit  pas  à  la  manière  d'un  torrent 
dévastateur  qui  entraîne  tout  sur  son  passage  et  rend 
absolument  méconnaissables  les  lieux  qu'il  a  ravagés. 
Pour  s'en  rendre  compte,  il  faut  examiner  les  faits 
d'analogie  qui  sont  dûment  établis  en  français  et  en 
provençal.  Je  me  bornerai  au  provençal,  pour  abréger. 
M.  Meyer-Lûbke  a  cité  lui-même  trois  verbes  aux- 
quels l'analogie  s'est  attaquée:  cobrar,  sobrar  et  costar.  Il 
est  possible  que,  dès  la  période  latine,  *cûperat,  récupérât 
aient  été  contaminés  par  côperit  et  soient  devenus  *côpe- 
ral,  *recôperat\  cf.  l'anc.  franc,  recuevre;  mais  l'ital.  ricôvera 
atteste  récupérât.  Sobrar  s'est  modelé  sur  cobrar  ' .  Quant  à 
costar,  les  auteurs  des  Leys  d'amors  constatent  que  l'usage 
est  hésitant  et,  tout  en  recommandant  la  prononciation 
ouverte  de  Yo  (plenissonan),  ils  avouent  que  certains 
préfèrent  la  prononciation  fermée  (semissonan)2.  Effec- 
tivement, l'auteur  de  Flamenca  fait  rimer  l'indicatif 
costa  avec  Pentccosta,  qui  a  un  o  fermé  (2577  et  5083), 
et  le  subjonctif  coste  avec  oste,  qui  a  un  0  ouvert  (201 5)  : 

1 .  Dans  les  patois  actuels  on  trouve,  selon  les  régions,  soubro 
et  sàbro  comme  substantif  verbal. 

2.  Tome  I,  p.  52  ;  le  passage  n'a  pas  échappé  à  M.  Mcyer-Lùbke, 
qui  y  renvoie. 


340  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 

on  trouve  également,  dans  la  pièce  Truan  mala  guerra 
de  Raimbaud  de  Vaqueiras,  costa  avec  o  fermé  et  cost 
avec  o  ouvert.  On  peut  croire  que  c'est  acostar  qui  a 
agi  sur  costar.  Il  y  a  quelques  traces  de  l'analogie 
inverse,  dont  M.  Meyer-Lubke  ne  parle  pas  :  bien  que 
le  Donat  indique  pour  demorar  un  o  ouvert,  ce  qui  est 
conforme  à  la  quantité  latine  et  à  l'usage  de  la  plupart 
des  troubadours,  l'auteur  de  Flamenca  fait  rimer  demora 
avec  adora  (867),  c'est-à-dire  en  0  fermé  '  ;  dans  le  Bre- 
viari  d'Amors  (30989),  troba,  du  verbe  trobar  lui-même, 
rime  avec  loba  (latin  lûpa).  Il  faut  savoir  gré  à  M.  Schu- 
chardt,  qui  a  indiqué  cette  curieuse  rime,  de  n'en  avoir 
pas  exagéré  l'importance  :  elle  est  due  sans  doute  à  la 
fois  à  l'absence  de  rime  correspondante  en  0  ouvert, 
et  à  l'analogie  de  adobar  et  de  escobar,  qui  ont  réguliè- 
rement un  0  fermé,  comme  demora  avec  un  0  fermé  est 
dû  aux  nombreux  verbes  en  orar  où  Yo  remonte  à  un 
ô  latin  (adora,  assabora,  enamora,  laora,  plora,  etc.). 
Voilà  à  quoi  se  réduit,  en  provençal  ancien2,  l'in- 
fluence analogique  sur  la  voyelle  radicale  des  verbes  : 
quelques  cas  isolés  dont  chacun  a  une  explication  par- 
ticulière î.  Si  le  provençal  avait  eu  primitivement  troba 


1 .  Demora  rime  aussi  en  0  fermé  dans  les  Strophes  au  Saint-Esprit 
publiées  par  Cohendy  et  par  moi,  Romania,  VIII,  p.  21s,  str.  xiv. 

2.  Naturellement  cette  influence  a  grandi  dans  les  patois  actuels  ; 
voyez,  par  exemple,  ce  que  dit  M.  Chabaneau  à  ce  sujet,  Gramm. 
iimous.,  p.  285  et  s. 

3.  Ajoutons  encore,  par  acquit  de  conscience,  la  rime  de  proa 
(latin  probà)  avec  soa  (latin  sua)  dans  Bartsch,  Denhn.  203  et  264. 
Quant  à  cossola  (latin  consolât,  qui  rime  en  0  ouvert  dans  les  Strophes 
au  Saint-Esprit  {Romania,  VIII,  216,  str.  xxi),  c'est  un  mot  demi- 
savant  qui  ne  tire  pas  à  conséquence. 


TROUVER  341 

avec  un  0  fermé,  il  l'aurait  gardé  sans  aucun  doute, 
car  nous  ne  voyons  aucun  verbe  qui  ait  pu  le  contami- 
ner, et  nous  constatons  que  adoba  et  escoba  n'ont  pas 
varié.  N'est-il  pas  permis  de  dire  que  M.  Meyer-Lûbke 
a  échoué,  tout  comme  M.  Schuchardt,  dans  son  des- 
sein de  ramener  trbba  à  tùrbat  ? 

30  Traitement  du  b  latin.  M.  Schuchardt  se  figure 
que  c'est  sur  le  troisième  point  qu'il  a  à  livrer  la  bataille 
décisive  et  il  accumule  les  arguments  pour  écraser  ses 
adversaires.  Il  se  fait  tort  à  lui-même  :  il  n'avait  qu'un 
mot  à  dire  pour  vaincre,  et  il  le  dit,  en  somme. 
M.  Paul  Meyer  a  objecté  que  si  *trubare  avait  existé 
en  latin,  il  aurait  été  traité  comme  probare  et  serait 
devenu  en  provençal  *trovar  ou  *troar,  mais  non  pas 
trobar.  «  Pardon,  répond  M.  Schuchardt.  Il  s'agit  d'un 
b  secondaire  dans  *trubare,  et  non  d'un  b  primaire 
comme  dans  probare.  Si  j'admets  que  la  métathèse  a 
eu  lieu  au  moment  précis  où  le  p  latin  intervocalique 
était  devenu  b  en  Gaule,  *trubare  marche,  non  avec 
probare,  qui  depuis  longtemps  était  prononcé  *provare, 
mais  avec  *scobare,  tout  fraîchement  sorti  de  scopare, 
c'est-à-dire  qu'il  devient  légitimement  trobar  dans  le 
Midi  de  la  France,  trovar  dans  la  région  franco-pro- 
vençale et  trover  dans  le  Nord.  »  M.  Schuchardt  a 
raison  :  si  on  lui  passe  la  métathèse,  il  faut  bien  lui 
laisser  le  droit  de  s'en  servir  comme  d'un  deus  ex 
machina. 

Donc,  c'est  sur  les  deux  premiers  points  seulement 
que  l'on  peut  arrêter  M.  Schuchardt  et  discuter  avec 
lui.  Il  me  peine  vraiment  de  ne  pouvoir  lui  donner 
raison  ni  sur  l'un  ni  sur  l'autre;  mais  ma  conscience 


342  RECHERCHES   ÉTYMOLOGIQUES 

scientifique  s'y  refuse.  Si  je  sautais  le  pas,  rien  ne  me 
retiendrait  d'en  prendre  à  mon  aise  avec  la  phonétique 
et  de  démontrer  au  lecteur,  par  exemple,  que  prouver 
vient  de  purgare.  Comme  ce  serait  vite  fait  !  Nous  pas- 
serions ensemble  de  pûrgare  \*pnlgare,  puis  de *prïigare 
à  *prûgare,  enfin  de  *prûgare  à  *prôgare  ;  après  quoi,  je 
lui  mettrais  rôgare  devant  les  yeux  et  je  suis  sûr  qu'il 
irait  tout  seul  de  *prôgare  à  prouver.  M.  Meyer-Lûbke 
certifierait  que  si  probare  «  doit  »,  purgare  «  peut  » 
donner  prouver,  et  quelque  sémantiste  se  trouverait  bien 
pour  faire  remarquer  que  «  prouver  »  une  chose,  c'est 
la  débarrasser,  la  «  purger  »  de  ce  qui  empêche  d'en 
voir  la  vérité... 

On  sait  l'histoire  qui  advint  à  un  célèbre  voyageur 
au  milieu  d'une  grande  forêt  :  un  loup  affamé  se  pré- 
cipita sur  la  croupe  du  cheval  qui  tirait  son  traîneau, 
s'y  enfonça  et  se  reput  si  complètement  des  entrailles 
de  la  pauvre  bête  qu'il  entra  dans  sa  peau  et  prit  sa 
place  dans  les  harnais.  Parti  d'Allemagne  avec  un  che- 
val, le  baron  de  Mùnchhausen  arriva  à  Saint-Pétersbourg 
attelé  d'un  loup.  On  peut  de  même  partir  du  latin  avec 
purgare  et  arriver  en  français  avec  prouver.  C'est  un 
genre  de  sport  fort  amusant,  mais  ce  n'est  qu'un 
sport. 

Revenons  à  *trôpare.  Depuis  que  Gaston  Paris  l'a 
«  postulé  »,  on  n'a  pas  réussi  à  le  rencontrer  dans  les 
textes  latins  ;  mais  on  y  a  signalé  contropare  '  et  attro- 

i .  Baist,  dans  Zeitschr .  ftir  rom.  Phii,  XII,  265  ;  cf.  Rom.,  XVII, 
625.  M.  Schuchardt  ajoute  encore  quelques  exemples  nouveaux, 
Rom.  Etymol.,  II,  p.  186-7. 

2.  Baist,  dans  Zeitschr.,  XXIV,  410;  cf.  Rom.,  XXIX,  614. 


TROUVER  343 

pare2,  qui  ont  bien  Pair  d'être  de  la  même  famille. 
Contropare  est  assez  fréquent  dans  les  lois  des  Wisigoths 
d'Espagne  au  sens  de  «  comparer  »  ;  attropare  est  un  àra- 
zlzr^j.v/zv  d'Arnohe  le  jeune,  chez  qui  il  signifie,  à  ce 
qu'il  semble,  «  interpréter  au  sens  figuré,  tropifier  ». 
Comment  ne  pas  reconnaître,  avec  M.  Schuchardt, 
qu'il  y  a  de  terribles  hiatus  sémantiques  entre  contro- 
pare, attropare  et  trouver}  Je  me  déclare  humblement 
incapable  de  les  combler;  mais  cela  n'affaiblit  en  rien 
ma  conviction  que  trouver  vient  de  *trôpare.  L'aveu  de 
ce  qu'on  ignore  est  souvent  la  sauvegarde  de  ce  qu'on 
sait.  La  peur  de  l'inconnu  ne  saurait  me  décider  à 
donner  tête  baissée  dans  turbare.  Ne  serait-ce  pas  faire 
comme  Gribouille,  qui  de  crainte  de  la  pluie  se  jetait 
à  l'eau,  et  ne  dirait-on  pas  de  moi  :  turbavit  aquam, 
non  *lropavit  piscem  ?  L'abbé  Chastelain,  chanoine  de 
Paris  du  temps  de  Ménage,  tenait  l'origine  de  trouver 
pour  introuvable.  La  science  ne  peut  pas  encore  lui 
donner  hautement  le  démenti '.    . 

(Romania,  XXXI,  6-12.) 


1 .  Cet  article  a  été  écrit  il  y  a  trois  ans.  Depuis  lors  M.  Schu- 
chardt est  revenu  à  quatre  reprises  sur  la  question  dans  la  Zeit- 
scbriftfiir  rom.  Philot.,  XXVI,  387-390,  XXVII,  97-101,  XXVII, 
101-105  (zweites  Stûck)  et  XXVIII,  36-55  (drittes  Stùck):  il  a 
cherché  à  répondre  —  et  il  l'a  fait  d'une  façon  très  intéressante, 
sinon  très  convaincante  —  à  mes  observations  et  à  celles  de  Gaston 
Paris,  ces  dernières  limitées  au  côté  sémantique  du  problème 
(Romania,  XXXI,  12-13  et  625-630).  Je  renvoie  le  lecteur  à  ces 
différents  articles  et  je  souhaite  qu'après  les  avoir  lus  il  réussisse 
à  se  faire  une  opinion  arrêtée. 


344  RECHERCHES  ÉTYMOLOGIQUES 


CI.  —  VERIN E,  VARINAS 

On  lit  dans  Littré  :  «  Vérine,  s.  f.  Nom  de  la  meil- 
leure espèce  de  tabac  cultivée  en  Amérique.  »  Un  point, 
c'est  tout.  Pour  en  savoir  davantage,  ouvrons  le  Dic- 
tionnaire du  Commerce  de  Savary  des  Bruslons  (1723), 
à  l'article  Tabac.  Nous  y  trouverons  ce  qui  suit  : 

«  Le  tabac  de  Verine  est  le  meilleur  de  tous  les  tabacs 
en  corde,  du  moins  il  en  a  la  réputation  quoique  d'ha- 
biles Artistes  le  croient  moins  bon  pour  l'usage  qu'on 
en  fait  quelquefois  en  médecine.  Il  est  appelé  de  Verine 
du  nom  d'un  village  situé  sur  la  Côte  de  Terre-ferme 
de  l'Amérique  espagnole,  auprès  de  la  ville  de  Comana, 
à  l'entrée  d'un  lac  ou  bras  de  mer  qu'on  nomme  la 
Laguna  de  Venezuela.  » 

Malgré  la  précision  des  détails  géographiques  que 
donne  Savary  des  Bruslons,  ce  village  de  Verine  est 
resté  introuvable  pour  moi  et  pour  d'autres.  M.  Paul 
Tannery  m'a  écrit  à  ce  sujet,  le  20  février  1900  :  «  J'ai 
pu  constater  que  le  tabac  de  Varina  (sic)  est  mentionné 
par  un  auteur  anglais  dès  la  première  moitié  du  dix- 
septième  siècle,  et  la  série  des  témoignages  entraîne 
que  c'est  bien  le  tabac  provenant  de  la  province  actuelle 
de  Varinas  (Colombie);  cette  province  est  toujours  un 
centre  de  production  important...  Je  suis  absolument 
convaincu  que  le  tabac  de  Vérine  était  du  tabac  pro- 
venant de  la  ville  actuelle  de  Varinas,  comme  vous 
l'aviez  supposé  tout  d'abord.  » 

L'identification  proposée  ne  m'est  pas  personnelle  : 


VÉRINE,  VARINAS  34$ 

en  1812,  Mozin  traduit  en  allemand  Vérine  par  Van- 
nas ' .  Sous  ce  nom  même  de  Farinas  la  régie  française 
a  longtemps  débité  une  variété  de  tabac  dont  la  fabri- 
cation a  cessé,  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  comme 
me  l'apprend  encore  M.  Paul  Tannery.  Littré,  dans 
son  supplément,  a  relevé  au  Journal  officiel  du  6  dé- 
cembre 1875  la  mention  de  «  scaferlaty  varnias  »:  il 
faut  lire  varinas. 

1 .   Varinas  est  aussi  connu  en  néerlandais. 


APPENDICE 


L'ATLAS  LINGUISTIQUE  DE  LA  FRANCE  ' 

L'œuvre  gigantesque  entreprise  courageusement  par 
MM.  Gilliéron  et  Edmont2  est  une  réponse  à  l'appel 
lancé  par  Gaston  Paris  dans  le  discours  qu'il  prononça, 
e  26  mai  1888,  à  l'assemblée  générale  de  clôture  du 
Congrès  des  sociétés  savantes  ;  aussi  les  auteurs  ont-ils 
tenu  à  dédier  l'Atlas  linguistique  de  la  France  au  maître 
dont  la  brusque  disparition  a  récemment  plongé  la 
science  française  dans  le  deuil. 


1 .  Cet  article  a  déjà  eu  deux  éditions  :  il  a  paru  dans  le  Journal 
des  Savants,  février  1904,  p.  89-96,  puis  il  a  été  réimprimé,  à  mon 
insu,  dans  une  brochure  —  d'aucuns  diraient  un  pamphlet  — 
signée  J.  Gilliéron  et  intitulée:  Atlas  linguistique  de  la  France. 
Compte  rendu  de  M.  Tbotruis  (Paris,  Champion,  1904,  in-8,  24 
pages).  Je  regrette  que  les  auteurs  de  l'Atlas  linguistique  se  soient 
mépris  sur  les  sentiments  auxquels  j'ai  obéi  en  écrivant  cet  article, 
mais  il  n'est  pas  en  mon  pouvoir  de  les  détromper.  Il  faut  laisser 
au  temps  le  soin  de  faire  l'apaisement  dans  leur  âme  et  la  lumière 
dans  leur  esprit. 

2.  J.  Gilliéron  et  E.  Edmont,  Atlas  linguistique  de  la  France, 
Paris,  Champion,  1902-1904.  Douze  livraisons,  contenant  561 
cartes,  ont  déjà  paru:  la  carte  561  est  celle  de  fève. 


L'ATLAS  LINGUISTIQUE  DE  LA   FRANCE  347 

«  Il  faudrait,  disait  Gaston  Paris,  que  chaque  com- 
mune, d'un  côté,  chaque  forme,  chaque  mot,  de  l'au- 
tre, eût  sa  monographie,  purement  descriptive,  faite 
de  première  main,  et  traitée  avec  toute  la  rigueur 
d'observation  qu'exigent  les  sciences  naturelles...  » 
V Atlas  nous  offrira,  quand  il  sera  terminé,  le  résultat 
de  quatre  années  de  voyages  consécutifs  à  travers  la 
France,  la  Belgique  wallonne  et  la  Suisse  romande, 
de  1897  à  1901,  résultat  strictement  limité  aux  formes 
recueillies  pendant  ce  laps  de  temps,  et  recueillies  par 
M.  Edmont  seul. 

M.  Edmont  s'est  fait  connaître  récemment  par  un 
Lexique  du  patois  de  Saint-Pol  (Pas-de-Calais),  qui  révèle 
chez  lui  de  remarquables  qualités  d'observateur.  Quant 
à  M.  Gilliéron,  il  y  a  longtemps  qu'il  a  orienté  ses 
études  de  philologie  vers  la  dialectologie  romane.  Son 
livre  intitulé  Le  Patois  de  Vionna^  (Valais),  paru  en 
1880,  et  son  Petit  Atlas  phonétique  du  Valais,  publié 
l'année  suivante,  sont  d'excellents  exemples  de  ce  qu'on 
pouvait  faire  dès  lors  pour  appliquer  les  méthodes  pré- 
conisées en  France  par  Gaston  Paris  et  par  M.  Paul 
Meyer,  méthodes  qu'on  pouvait  craindre  de  voir  se 
confiner  longtemps  encore  dans  le  domaine  de  la  théorie 
pure.  Entré  dans  le  personnel  enseignant  de  l'École  des 
Hautes  Études  en  1883,  M.  Gilliéron  y  fut  dès  l'origine 
charge  du  cours  de  dialectologie  romane  de  la  Gaule, 
qu'il  professe  encore  aujourd'hui,  et  dont  l'influence 
s'est  fait  heureusement  sentir  dans  les  meilleures  pu- 
blications sur  nos  patois  qui  ont  marqué  ces  vingt  der- 
nières années. 

Une  œuvre  exécutée  en  collaboration  par  MM.  Gil- 


Héron  et  Edmont  se  recommande  donc  d'elle-même  à 
l'attention.  Voyons  quelle  en  est  l'économie  générale. 
L'Atlas  linguistique  laisse  de  côté  les  parlers  non 
romans,  c'est-à-dire  le  flamand,  le  breton  et  le  basque  ; 
mais  il  déborde  les  frontières  politiques  de  la  France 
pour  englober  non  seulement  la  Belgique  wallonne  et 
la  Suisse  romande,  mais  quelques  vallées  du  Piémont 
(notamment  Aoste  et  Oulx),  dont  la  langue  est  plus 
rapprochée  du  franco-provençal  que  du  piémontais,  et 
les  îles  anglo-normandes  de  la  Manche.  Dans  cette 
immense  étendue  de  territoire,  six  cent  trente-neuf 
stations  ont  été  établies,  à  une  distance  à  peu  près  égale 
les  unes  des  autres,  et  la  tâche  de  M.  Edmont  a  con- 
sisté à  relever  dans  chacune  d'elles  les  équivalents  patois 
des  phrases  ou  des  mots  portés  sur  un  questionnaire 
uniforme  préparé  par  M.  Gilliéron.  Ces  équivalents  ont 
été  notés  d'une  manière  rigoureusement  phonétique  et 
transcrits  dans  un  alphabet  spécial  auquel  la  Revue  des 
patois  gallo-romans  a  depuis  longtemps  habitué  les  lin- 
guistes, et  qui  est  si  peu  différent  de  l'alphabet  français 
courant  que  les  amateurs  peuvent  se  l'assimiler  très 
rapidement.  Chaque  carte  comprend  l'ensemble  du  ter- 
ritoire ',  mais  elle  est  toujours  limitée  à  un  mot,  à  une 
locution  ou  à  une  courte  phrase  :  abeille,  aller  chercher, 
moi  je  ne  les  aide  pas,  etc.  Les  cartes  se  suivent  dans 
l'ordre  alphabétique  du  mot,  de  la  locution  ou  de  l'élé- 
ment principal  de  la  phrase.  L'ordonnance  est  parfaite, 
et,  dans  l'exécution  définitive,  rien  de  grave  ne  transpa- 


i.  Des  nécessités  matérielles  ont  parfois  obligé  les  auteurs  à 
scinder  une  carte  en  deux  feuilles  distinctes. 


L'ATLAS  LINGUISTIQUE  DE  LA  FRANCE  349 

raît  des  tâtonnements  inséparables  de  la  première  heure, 
tâtonnements  dont  les  auteurs  ont  tenu  à  faire  part  au 
public  en  lui  soumettant  une  notice  préliminaire1. 

En  voilà  assez  sur  les  conditions  matérielles  dans 
lesquelles  Y  Atlas  a  été  conçu  et  réalisé.  Passons  aux 
services  qu'il  est  appelé  à  rendre  aux  études  linguis- 
tiques. Tout  d'abord,  il  en  est  un,  intimement  lié  à 
l'idée  même  de  la  publication,  pour  lequel  on  ne  saurait 
avoir  trop  de  reconnaissance,  encore  qu'il  puisse  sem- 
bler inutile  d'y  insister  longuement  :  Y  Atlas  économise 
le  temps  du  savant  en  lui  apportant  à  pied  d'œuvre  les 
matériaux  dont  il  a  besoin  pour  ses  spéculations.  N'est- 
ce  rien  que  de  pouvoir  instantanément,  grâce  à  une 
carte  qu'on  embrasse  d'un  coup  d'œil,  trouver  et  grou- 
per sous  la  même  idée  un  millier  de  formes  dont  la 
recherche  dans  les  lexiques  spéciaux  de  chaque  région 
demanderait  un  loisir  énorme  ?  Mais  ce  n'est  là  que 
son  moindre  avantage.  Le  butin  scientifique  n'y  est  pas 
seulement  plus  facile  à  recueillir,  il  y  est  infiniment 
plus  riche  que  partout  ailleurs,  car  beaucoup  de  faits 
intéressants  y  sont,  si  je  ne  me  trompe,  relevés  pour 
la  première  fois.  A  l'heure  actuelle  douze  livraisons  ont 
paru,  contenant  561  cartes,  depuis  le  mot  abeille  jus- 
qu'au mot  fève;  on  nous  annonce  pour  l'ensemble  de 
l'œuvre  un  total  d'environ  1  800  cartes.  Souhaitons 
que  l'accueil  du  public  studieux  soutienne  le  zèle  des 
auteurs  et  hâte  l'achèvement  de  ce  monument  gran- 
diose, qui  sera  vraiment  le  trésor  linguistique  de  la 


1.  Atlas  linguistique  de  la  France.  Notice  servant  à  l'intelligence 
des  cartes.  Paris,  Champion,  1902,  in-4  de  56  pages. 


3Ç0  APPENDICE 

France  et  peut-être  aussi,  il  faut  le  prévoir,  hélas  !  le 
testament  de  ses  patois. 

Si  ce  vœu  ne  devait  pas  être  exaucé  et  si  Y  Atlas  était 
condamné  à  rester  inachevé,  il  est  consolant  de  penser 
que  la  partie  publiée  n'y  perdrait  rien  de  sa  valeur.  En 
effet,  chaque  carte  forme  un  tout  qui  peut  facilement 
s'abstraire  de  l'ensemble,  et  il  n'importe  pas  outre 
mesure  d'avoir  précisément  i  800  cartes  plutôt  que 
500,  plutôt  que  3  000.  Il  faut  bien  se  rendre  compte, 
surtout,  qu'une  carte  est  à  elle  seule  une  mine  féconde, 
dont  l'exploitation  scientifique  demanderait  presque  un 
volume  de  commentaires.  Qu'on  me  permette  de 
prendre,  à  titre  d'exemple,  la  carte  n°  r,  consacrée  au 
mot  abeille,  pour  faire  entrevoir  quel  riche  aliment  elle 
fournit  aux  parties  les  plus  diverses  de  la  science  lin- 
guistique. 

Les  Romains  appelaient  l'abeille  apis  (ou  apes),  et 
ils  avaient  tiré  de  ce  mot  le  diminutif  apicula.  L'idée 
diminutive  attachée  étymologiquement  à  ce  dernier 
terme  se  perdit  peu  à  peu,  et  apicula  finit  par  devenir 
dans  le  langage  vulgaire  un  simple  synonyme  d'apis, 
à  qui  il  fit  une  concurrence  meurtrière.  Toutefois, 
malgré  cette  concurrence,  apis  ne  disparut  pas  com- 
plètement du  vocabulaire  populaire  :  il  a  donné  l'ancien 
français  ef,  au  pluriel  es,  mot  dont  Y  Atlas  nous  montre 
la  conservation  dans  l'île  de  Guernesey  et  sur  dix  points 
du  Nord,  du  Pas-de-Calais  et  de  la  Somme  ;  il  a  dû 
donner  en  ancien  provençal  ap,  bien  qu'aucun  texte 
ne  nous  ait  transmis  ce  mot,  conservé  aujourd'hui  intact 
sur  trois  points  de  la  Gironde  et  réduit  à  a  sur  quatre 
points  de  la  Suisse  romande.  Cette  présence  du  type 


V ATLAS  LINGUISTIQUE  DE  LA  FRANCE  35! 

apis  dans  un  coin  du  Médoc  est  une  révélation  que 
nous  devons  à  Y  Atlas;  pour  curieuse  qu'elle  soit,  elle 
ne  relève  pas  beaucoup  la  destinée  misérable  du  vocable 
primitif  en  présence  du  triomphe  de  la  forme  dérivée 
apicula,  représentée  aujourd'hui,  sur  environ  355  points 
du  territoire  gallo-roman,  par  les  formes  abeille,  aveille, 
avilie,  avilit,  abeilla,  abeillo,  beillo,  etc. 

L'étude  de  ces  différentes  formes  et  de  leur  réparti- 
tion territoriale  offre  un  grand  intérêt  pour  la  phoné- 
tique descriptive  et  historique.  On  a  remarqué  depuis 
longtemps  que  le  mot  abeille  qu'emploie  le  français 
littéraire  ne  peut  pas  remonter  directement  au  type 
latin  apicula;  nous  dirions  encore  aveille  si  rien  n'était 
venu  rompre  notre  tradition  séculaire  et  implanter  dans 
la  langue  commune  une  forme  dont  le  b  décèle  un 
emprunt  fait,  à  une  époque  relativement  récente,  aux 
parlers  méridionaux.  Pourquoi  cet  emprunt  et  de  quelle 
partie  du  Midi  nous  vient-il  ?  Est-il  d'origine  industrielle 
et  correspond-il  à  une  supériorité  reconnue  de  l'api- 
culture méridionale,  à  une  capitulation  du  miel  du 
Gâtinais  devant  le  miel  de  Narbonne  ?  Est-il  au  con- 
traire d'origine  littéraire  et  quel  est  l'écrivain  assez 
puissant  pour  avoir  assuré  le  triomphe  de  l'intrus  ?  Le 
jour  où  nous  posséderons  le  dictionnaire  idéal  de  notre 
langue  que  rêvait  Gaston  Paris1,  nous  y  trouverons 
sans  doute  de  quoi  satisfaire  notre  curiosité  sur  tous 
ces  points.  V Atlas  ne  nous  permet  pas  de  résoudre  la 
question  ;  mais  les  matériaux  qu'il  nous  fournit  nous 
font  mieux  voir  comment  elle  se  pose. 

1.  Voir  h  Revue  des  Deux  Mondes  du  15  octobre  1901,  p.  826-828. 


3J2  APPENDICE 

Apis  et  apicula  ne  se  sont  pas  maintenus  partout. 
Dans  l'Ouest  on  a  eu  recours  au  joli  diminutif  avette 
(Mayenne,  Sarthe,  Maine-et-Loire,  Ille-et- Vilaine  et 
Loire-Inférieure),  qui  remonte  très  haut  et  représente 
probablement  une  forme  *apitta,  qu'on  peut  supposer 
en  latin  vulgaire'.  Un  peu  partout,  surtout  dans  le 
Nord  et  dans  l'Est,  on  a  eu  recours  de  préférence  à  une 
périphrase,  et  mouche  à  miel,  différemment  prononcé, 
est  devenu  le  terme  usuel  et  exclusif  pour  désigner  l'a- 
beille ;  parfois  même  (dans  l'Est),  on  s'est  contenté  du 
terme  vague  de  «  petite  mouche  »  (tnouchette,  mou- 
chate,  mouchotè),  sans  éprouver  le  besoin  de  préciser 
davantage.  V Atlas  nous  fournit  encore  quelques  rares 
exemples  d'individualisation  des  termes  collectifs  «  es- 
saim »  et  «  ruche  »  pour  désigner  l'abeille:  mais  sur 
ce  point,  malgré  Y  Atlas,  je  conserve  quelques  doutes 
et  je  me  demande  si  M.  Edmont  a  bien  saisi  la  pensée 
des  gens  qu'il  interrogeait,  et  si  essaim  et  ruche  ont 
réellement  évolué  jusqu'à  devenir  adéquats  à  abeille. 
Je  trouve  aussi  dans  la  carte  malot  (Nord),  qui  signifie 
proprement  «  bourdon  »,  ouesse  (Haute-Alsace,  Vosges) 
et  bèco  (Creuse),  qui  signifient  proprement  «  guêpe  »  ; 
n'avons-nous  pas  affaire  ici  à  quelques  impropriétés 
individuelles  plutôt  qu'à  une  perversion  de  sens  enra- 
cinée dans  un  groupe  humain  de  quelque  importance  ? 
Il  est  tout  naturel  qu'une  œuvre  aussi  vaste  que  celle 
de  MM.  Gilliéron  et  Edmont  provoque  la  surprise  et 


i.  Dans  le  Lyonnais  on  a  signalé  avi,  qui  représente  *apia\  mais 
cette  forme  n'a  pas  été  rencontrée  par  M.  Edmont,  et  elle  est  peut- 
être  éteinte  depuis  une  ou  deux  générations. 


V ATLAS  LINGUISTIQUE  DE  LA  FRANCE  553 

le  doute  sur  quelques  points  de  détails,  et  il  est  à 
souhaiter  qu'elle  inspire  aux  hommes  d'étude  le  désir 
de  la  contrôler,  de  la  compléter,  de  la  corriger,  s'il  y 
a  lieu. 

Je  touche  ici  à  un  point  délicat  sur  lequel  je  dois 
m'expliquer  en  toute  franchise  :  quelle  autorité  con- 
vient-il d'accorder  à  Y  Atlas  linguistique  ?  Lorsque  Gaston 
Paris  adressait  son  appel  éloquent  aux  hommes  de 
bonne  volonté  pour  les  presser  d'établir  l'inventaire  de 
nos  richesses  linguistiques,  il  évoquait  le  tableau  d'une 
légion  de  travailleurs  et  il  s'écriait  :  «  Que  chacun  se 
fasse  un  devoir  et  un  honneur  d'apporter  au  grenier 
commun,  bien  drue  et  bien  bottelée,  la  gerbe  qu'a 
produite  son  petit  champ  !  »  C'est  dire  clairement  qu'il 
aurait  voulu  voir  surgir  dans  chaque  commune  de 
France  un  ouvrier  indigène,  autochtone,  connaissant 
de  longue  main  le  champ  dont  il  devait  récolter  et 
engranger  la  moisson.  L'Atlas  s'est  exécuté  dans  de 
tout  autres  conditions.  Deux  hommes  se  portent  cau- 
tion pour  toute  la  France  romane  et  ses  annexes.  Que 
dis-je,  deux  hommes  ?  Je  me  trompe  de  moitié.  Par 
un  scrupule  scientifique  poussé  à  l'extrême,  M.  Gillié- 
ron,  organisateur  de  l'enquête,  s'est  rigoureusement 
interdit  de  changer  un  iota  aux  notes  prises  sur  les 
lieux  par  son  collaborateur.  Il  a  impitoyablement 
proscrit  les  retouches,  ces  retouches  qui  paraissent 
inoffensives  et  qui  pourtant  effacent  des  nuances  pré- 
cieuses et,  comme  dit  énergiquement  M.  Gilliéron, 
«  outrent  souvent  les  vérités  au  détriment  des  doutes.  » 
Donc,  à  vrai  dire,  Y  Atlas  est  l'œuvre  d'un  seul  homme, 
de  M.  Edmont,  dont  le  témoignage  unique  en  constitue 
Thomas.  II.  —  23 


J54  APPENDICE 

l'âme.  Or,  à  qui  connaît  par  expérience  toute  la  diffi- 
culté des  explorations  linguistiques,  à  qui  sait  combien 
le  paysan,  seul  dépositaire  authentique  du  trésor  qu'il 
s'agit  de  mettre  en  lumière,  est  défiant,  malveillant  et 
rusé,  on  aura  de  la  peine  à  faire  croire  qu'un  étranger, 
si  fin  diplomate  qu'on  le  suppose,  si  bon  entendeur 
qu'on  puisse  se  le  figurer,  n'ait  pas  été  fréquemment 
mis  en  défaut.  Certains  se  demanderont,  non  sans 
angoisse,  si  cette  œuvre  préparée  avec  tant  de  soin, 
poursuivie  avec  tant  d'énergie,  exécutée  avec  tant  de 
conscience,  ne  porte  pas  en  elle  un  principe  d'erreur 
et  comme  un  péché  originel  qui  doive  la  faire  tenir  en 
légitime  suspicion.  Je  crois  qu'il  serait  injuste  de  se 
laisser  dominer  par  de  telles  préventions;  mais  je  crois 
aussi  que  dans  beaucoup  de  cas  le  témoignage  de  l'Atlas 
n'a  qu'une  valeur  relative. 

S'agit-il  de  lexicographie  ?  Il  ne  faut  pas  oublier  que 
le  paysan  interrogé  tend  toujours  à  se  rapprocher  du 
français,  et  si  M.  Edmont  ne  nous  donne  que  la  tran- 
scription phonétique  d'un  mot  français,  il  n'en  résulte 
pas  nécessairement  qu'il  n'y  a  pas  de  mot  patois  cor- 
respondant, mais  qu'on  n'a  pas  su,  ou  qu'on  n'a  pas 
voulu  le  dire  à  M.  Edmont.  Je  prends  deux  exemples 
seulement.  Dans  la  carte  3  (à  l'abreuvoir),  on  n'indique, 
au  point  704  (Saint-Quentin,  prèsdeFelletin,  Creuse), 
qu'une  forme  calquée  sur  le  français  :  je  puis  certifier 
pourtant  que  dans  toute  cette  région  abreuvoir  se  dit 
abiouradou,  conformément  à  la  phonétique  régulière  du 
patois  local.  Dans  la  carte  n°  5  (absinthe),  on  aura  beau 
parcourir  attentivement  le  Gers,  les  Hautes-Pyrénées, 
la  Haute-Garonne,  l'Ariège,  leTarn-et-Garonne,  l'Aude 


L'ATLAS  LINGUISTIQUE  DE  LA  FRANCE  $SS 

et  l'Hérault,  nulle  part  on  ne  verra  affleurer  autre  chose 
que  le  français  absinthe  affublé  d'une  désinence  patoise. 
Et  pourtant,  il  y  a  un  substantif  masculin  bien  connu, 
qui  se  rattache  directement  au  latin  absinthium,  qui 
n'est  certainement  pas  mort  dans  cette  région,  car  je 
lis  dans  Las  Plantos  as  camps  de  feu  Axel  Duboul', 
ancien  député,  brochure  dont  le  vocabulaire  est  em- 
prunté exclusivement  à  «  l'idiome  patois  parlé  sur  les 
confins  de  la  Gascogne,  de  la  Guyenne,  du  Languedoc 
et  du  comté  de  Foix  »,  ces  formes  diverses  du  nom 
traditionnel  de  l'absinthe  :  aoussenc,  duchen,  dussen, 
lichen,  ussen  et  uychent. 

S'agit-il  de  morphologie  ?  Un  malentendu  se  produit 
presque  fatalement  quand  la  forme  est  un  tant  soit 
peu  compliquée.  La  carte  10  est  consacrée  à  la  locution 
conditionnelle  ils  s'agenouilleraient  :  à  ne  tenir  compte 
que  du  patois  que  je  connais  d'enfance,  celui  de  la 
Creuse,  je  constate  que,  sur  les  six  témoins  interrogés 
par  M.  Edmont,  deux  ont  répondu  par  le  futur  et 
non  par  le  conditionnel;  ce  sont  les  nos  602  et  603. 

S'agit-il  de  phonétique  ?  Là  encore  il  est  à  craindre 
que  nous  ne  puissions  être  tranquilles  et  dormir  sur 
nos  deux  oreilles,  ou  plutôt  sur  celles  de  M.  Edmont. 
On  sait  la  vogue  donnée  à  la  phonétique  expérimen- 
tale par  les  travaux  de  M.  l'abbé  Rousselot  et  de  ses 
élèves,  travaux  qui  se  font  à  l'aide  d'instruments  des- 
tinés à  suppléer  à  l'insuffisance  de  nos  organes  naturels. 
On  ne  peut  raisonnablement  reprocher  aux  auteurs  de 
Y  Atlas  de  ne  pas  s'être  munis  d'instruments  de  ce  genre 

I.  2e  éd.,  Toulouse,  1890. 


3$6  APPENDICE 

qui  auraient  singulièrement  compliqué  leur  lourde  tâche. 
Mais  on  peut  trouver  qu'ils  ont  été  imprudents  en  pré- 
tendant nous  donner,  avec  le  seul  concours  de  l'oreille, 
des  distinctions  phonétiques  raffinées.  Un  exemple  fera 
comprendre  ce  que  je  veux  dire.  Dans  le  département 
de  la  Creuse  les  infinitifs  de  la  première  conjugaison 
se  terminent  en  a.  L'Atlas  distingue  a  long  et  a  bref. 
Si  l'on  consulte  la  carte  2  (aboyer),  on  voit  que,  sur 
les  six  stations  de  ce  département,  deux  ont  Va  bref 
et  quatre  ont  Va  long;  si  au  contraire  on  étudie  la 
carte  6  (acheter),  on  trouve  partout  un  a  bref;  et  si 
enfin  on  pousse  jusqu'à  la  carte  16  (aiguiser),  on  con- 
state avec  un  étonnement  grandissant  la  proportion  de 
cinq  a  longs  contre  un  seul  a  bref.  On  n'a  pas  besoin 
d'aller  plus  loin  pour  rester  persuadé  que  la  distinction 
entre  Va  long  et  Va  bref,  établie  par  l'oreille  de 
M.  Edmont,  manque  absolument  de  sûreté1. 


1.  Dans  la  brochure  signalée  en  tête  de  cet  article,  M.  Gilliéron 
fait  remarquer  que  si  tous  les  infinitifs  de  la  carte  6  (acheter)  ont 
un  a  bref,  c'est  que  ces  infinitifs  sont  extraits  de  la  phrase  «  je  vais 
acheter  deux  chevaux  à  la  foire  »  et  que  la  forme  «  syntactiquement 
suivie  »  a  sa  désinence  prononcée  plus  brièvement  que  la  forme  à 
l'état  d'isolement.  Cette  remarque  est  très  juste  et  je  me  reproche 
de  ne  l'avoir  pas  faite.  Il  ajoute  que  le  flottement  entre  a  long 
et  a  bref  des  cartes  2  (aboyer)  et  16  (aiguiser)  provient  de  ce  que 
«  la  production  du  mot  à  l'état  isolé  implique,  de  la  part  du  sujet, 
un  choix  entre  les  multiples  formes  du  mot  en  travail  dans  la 
phrase,  c'est-à-dire  dans  son  seul  état  de  véritable  vie.  »  C'est 
parfait,  en  théorie  ;  en  fait,  j'ai  de  la  peine  à  imaginer  le  sujet 
extrayant  ainsi  le  mot  «  en  travail  »  d'une  phrase  idéale  pour  le 
servir  à  son  questionneur.  Mais  mettons  que  je  n'ai  rien  dit  qui 
vaille.  Voici  un  autre  exemple.  Au  point  704  (Saint-Quentin, 
Creuse),  l'a  latin  protonique  non  suivi  de  consonnes  capables  de 
l'influencer  s'est  changé  en  un  son  bref  intermédiaire  entre  a  et  0, 


V ATLAS  LINGUISTIQUE  DE  LA  FRANCE  3(7 

Il  est  un  autre  point  sur  lequel  les  résultats  consignés 
dans  l'Atlas  causeront,  je  crois,  une  certaine  surprise 
dans  le  monde  des  romanistes,  c'est  l'indication  de 
l'accent  tonique.  On  sait  quelle  est  li'mportance  du 
rôle  de  cet  accent  dans  la  formation  des  langues  romanes 
en  général  et  dans  la  formation  du  français  et  du  pro- 
vençal en  particulier.  Sauf  quelques  cas  spéciaux,  l'ac- 
cent est  resté  sur  la  syllabe  qu'il  frappait  déjà  en  latin  : 
telle  est  la  loi,  vaguement  entrevue  par  Jean  Nicot,  que 
Frédéric  Diez  nous  a  révélée  et  que  Gaston  Paris  a 
définitivement  mise  en  pleine  lumière.  A  en  croire  les 
indications  de  M.  Edmont,  une  véritable  révolution  se 
serait  accomplie  dans  quelques-uns  de  nos  patois  actuels, 
spécialement  dans  le  domaine  septentrional  de  la  langue 
d'oc.  Le  nombre  des  mots  de  trois  et  de  quatre  syllabes 
qui  sont  indiqués  comme  ayant  l'accent  tonique  sur  la 
première  est  très  considérable,  et  l'on  se  demande  si 
réellement  l'accent  tonique  s'est  déplacé,  ou  si  M.  Ed- 
mont a  confondu  l'effort  musculaire  initial  (accent 
d'intensité)  avec  l'élévation  de  la  voix  (accent  de  hau- 
teur). Il  ne  faut  pas  se  hâter  de  crier  à  la  confusion, 
malgré  les  apparences.  Cette  question  de  l'accent,  ou 
plutôt  des  accents,  pour  qui  ne  se  contente  pas  de 
l'envisager  au  point  de  vue  purement  historique,  est 


son  partout  identique  à  lui-même  :  or  Y  Atlas  linguistique  note  ce 
son  de  cinq  manières  différentes  :  i"  par  un  a  bref  surmonté  d'un 
accent  grave  (cartes  6,  u,  37,  43,  44,49,  5°>  92>  etc0  '■>  2°  par  un 
a  bref  surmonté  d'un  accent  aigu  (92)  ;  30  par  un  a  surmonté  d'un  0 
bref  (carte  10)  ;  40  par  un  0  bref  surmonté  d'un  accent  grave  (cartes 
19,  11,  33,  35,  38,  etc.);  50  par  un  0  long  surmonté  d'un  accent 
grave  (carte  116). 


358  APPENDICE 

l'une  des  plus  ardues  de  la  linguistique.  Gaston  Paris 
lui-même  avait  fini  par  s'interdire  toute  spéculation  sur 
ce  sujet,  attendant  avec  quelque  scepticisme  que  la 
phonétique  expérimentale  eût  prononcé  en  dernier  res- 
sort. Nous  attendons  toujours  et  nous  prenons  note  des 
impressions  de  M.  Edmont  sans  préjuger  de  leur  valeur 
objective. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 


P.  62  et  suiv.  Aux  trois  exemples  du  suffixe  -aricius  que  j'ai  cités  pour  la 
période  antérieure  au  moyen  âge,  on  peut  ajouter  l'expression  mola  asi- 
naricia,  qui  se  lit  dans  le  codex  Rehdigeranus  (Breslau)  de  la  version  itala 
des  Évangiles,  Marc,  9,  42  ;  cet  adjectif  asinaricius,  synonyme  de  asi- 
narius,  déjà  relevé  dans  le  Dict.  lat.-français  de  L.  Quicherat,  revu  par 
Châtelain,  figure  comme  un  '"■ko.ç,  dans  le  Thésaurus  linguae  latinae  en 
cours  de  publication.  M.  Wôlfflin  a  publié  en  1888  dans  l'Arch.  f.  lat. 
Lexicog.,  V,  415-437,  un  article  sur  les  adjectifs  en  -icius  qui  se  termine 
par  une  liste  alphabétique  :  on  y  trouve  consularicius  (d'après  les  Novelks 
de  Justinien  ;  mais  c'est  un  dérivé  de  consularis  et  non  de  consul),  mi- 
maricius,  partiaricius,  porcaricius,  ursaricius  et  vaccaricius.  A  l'époque 
carolingienne  appartient  partis  provendaricius,  relevé  par  Du  Cange  dans 
les  statuts  de  Corbie  attribués  à  Adalard. 

P.  75  et  suiv.  J'enregistre  ici,  en  suivant  la  division  indiquée,  quelques 
nouveaux  exemples  de  formation  à  l'aide  du  double  suffixe  ou  quelques 
remarques  complémentaires. 


I.  THEMES  NOMINAUX 
I.  Adjectifs. 
Asnerez  (p.  73).  Cf.  asinaricius  cité  ci-dessus. 

Champarterez,  qui  sert  à  recueillir  le  produit  du  droit  de  champart. 
L'expression  grange  champarteresse  m'est  signalée  par  M.  Delboulle  dans 
Guenoys,  Confer.  des  coustumes,  éd.  1596,  f°  351  r°,  et  dans  l'édit.  de 
1629  de  la  Coustume  de  Lorris,  p.  231.  L'adj.  fém.  champarteresse  n'est 
pas  seulement  enregistré  par  les  recueils  de  droit  féodal,  mais  par  Cotgrave, 
Furetière,  le  Dictionnaire  de  Trévoux,  le  Nouveau  Larousse  illustré,  etc.,  etc. 
(cf.  grange  terrageresse,  p.  80). 


360  ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 

Costerez  (p.  75).  M.  Delboulle  me  signale  ce  passage  de  Du  Fouilloux, 
Vénerie,  édition  Favre,  f°  86  v°  :  «  Trois  laisses  de  chascun  costé  du 
cours,  qui  seront  nommées  costeresses  ».  L'adjectif  est-il  déjà  substantivé  ? 
En  tout  cas,  costeresse  a  échappé  à  Cotgrave. 

Fenerez  (p.  76).  Frère  Angier  paraît  faire  le  subst.  français  qui  correspond 
au  latin  faix  du  masculin  et  il  traduit  falcem  fenariam  par  fauz  fenerez 
(voyez  M.  K.  Pope,  Étude  sur  la  langue  de  frère  Angier,  p.  103). 

Gerberez,  qui  sert  à  porter  les  gerbes.  Je  crois  pouvoir  résoudre  en  pau 
gerbera  l'expression  bourguignonne,  extraite  d'une  lettre  de  rémission  de 
1425,  que  Carpentier  a  lue  en  un  seul  mot  prangerbero  et  qu'il  a  insérée 
dans  Du  Cange,  à  l'article  garba.  En  français  primitif,  ce  serait  pel  jar- 
berez  «  pieu  à  gerbes  ».  J'ai  vu  le  manuscrit;  le  trait  que  Carpentier  a 
pris  pour  une  r  est  placé  au-dessus  du  p  et  me  paraît  sans  valeur. 

Lobakez,  de  loup.  Le  même  lieu  dit  qui  est  appelé  Cros  Lobaresc  dans  l'acte 
83  du  Cartulaire  des  Templiers  de  Vaour  (1184)  est  appelé  Cros  lobarez 
dans  l'acte  89,  postérieur  de  quelques  années;  les  éditeurs,  MM.  Portai 
et  Cabié,  n'ont  pas  pu  l'identifier. 

Rocherez  (p.  79).  M.  Delboulle  me  cite  poissons  rocherets  dans  la  traduction 
de  Pline  par  Antoine  Du  Pinet,  XXX,  11,  et  pigeon  rocheret  dans  le 
Thresor  des  trois  langues  de  161 7. 

II.  Substantifs  masculins. 

Muterez,  lieu  où  l'eau  a  formé  de  petits  monticules  ou  mottes  (terme  de 
l'Orléanais).  «  Pré  assis  aux  motterets  de  la  rivière  »,  texte  de  1404  cité 
par  Godefroy,  art.  moteret. 

'somarterez,  somartraz,  nom  messin  du  mois  de  juin,  dérivé  de  somart, 
jachère  (Cl.  Merlo,  /  nomi  romanzi  délie  stagioni  e  dei  mesi,  p.  136).  La 
représentation  par  -azàt  la  désinence  francienne-ezest  normale  à  Metz, 
et  il  n'y  a  pas  à  songer  à  une  formation  analogue  à  celle  du  français 
fatras. 


III.  Substantifs  féminins. 

Corterece,  dimension  trop  courte,  et,  au  figuré,  insuffisance.  Terme  du 
patois  wallon  (voy.  l'art,  courteresse  de  Godefroy  ;  cf.  notre  article  lon- 
guerece,  p.  91). 

Lobareza,  loverece  (p.  91).  Aux  noms  de  lieux  indiqués  on  peut  ajouter 
les  suivants  :  P.  de  Lobaressas,  témoin  dans  un  acte  de  1253  du  Cartu- 
laire des  Alamans,  p.  p.  Cabié  et  Mazens.  p.  48  ;  Louresse,  commune  de 
Rocheménier  (Maine-et-Loire),  appelé  Loerece  en  1239  et  Luparicia  en 
1224  (C.  Port,  Dict.  de  Maine-et-Loire,  II,  $51);  La  Loubresse,  hameau 
de  Magnac-Laval  (Haute-Vienne). 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS  361 

Meiteerece  (p.  91).  Cf.  le  bas-latin  metaritia,  qui  revient  à  plusieurs 
reprises  dans  un  diplôme  de  Charles,  roi  de  Provence,  daté  de  861  (D'A- 
cheri,  SpiciL,  XII,  122;  D.  Bouquet,  VIII,  398). 

Orsareza,  lieu  fréquenté  par  les  ours.  Amant  d'Orsaressas,  de  Réalmont 
(Tarn),  est  témoin  dans  un  acte  de  1340  du  livre  des  lausimes  de  la 
Salvetat-lez-Mondragon  (communication  de  M.  A.  Vidal). 

Vinhareza,  lieu  où  il  y  a  des  vignes.  Vigneresse  est  un  nom  de  famille  usité 
dans  l'est  de  la  Creuse  (Écho  de  la  Creuse  du  26  décembre  1903). 


II.   THÈMES  VERBAUX 


I.   Adjectifs. 

Bâterez,  où  l'on  bat  les  gerbes  (cf.  p.  94).  0  Grange  bateresse  »  dans 
Beauchet-Filleau,  Essai  sur  le  patois  poitevin. 

Bracerez  (mieux  que  brasserez,  p.  95).  «  Caudiere  brasserete  (corr.  brasse- 
rtce'î)  »  dans  le  Péage  de  Bapaume  (vers  1250),  p.  p.  Finot,  p.  159 
(communication  de  M.  Delboulle). 

Lanerez,  qui  sert  à  lainer.  «  Cardons  lanerès,  peignes  lanerès  »,  dans  Gode- 
froy,  article  laneret  1. 

Navierez,  qui  sert  à  naviguer.  «  Bach  navirech  servant  sur  les  yaues  », 
texte  de  1448  dans  H.  Loriquet,  Arch.  du  Pas-de- Calais,  p.  108  (com- 
munication de  M.  Delboulle). 

Saimerez  (p.  100-1).  Supprimer  la  dernière  phrase,  lesubst.  fém.  saimerece 
cité  plus  loin  (p.  1 10)  se  rattachant  à  une  tout  autre  base  étymologique. 


II.  Substantifs  masculins. 

Chaplerez.  M.  Désormaux  croit  pouvoir  rattacher  à  ce  type  le  français  pro- 
vincial de  Savoie  chapleret,  nom  du  couteau  dont  on  se  sert  pour  hacher 
les  fines  herbes,  la  chapelure  (Revue  Savoisienne,  1903,  p.  287). 

Claquerez.  Le  fromage  mou,  dans  le  patois  lyonnais,  s'appelle  claqueret 
(N.  du  Puitspelu). 

Coperez  (p.  102).  M.  Delboulle  me  communique  deux  exemples  du  xive 
siècle  antérieurs  à  celui  de  1 390  cité  dans  le  Complément  de  Godefroy  : 
«  Coperès,  espees,  fers  a  royer  torches  »  (1328),  dans  Varin,  Arch.  de 
Reims,  II,  486;  «  un  coupperet  »  (1347),  dans  Depoin,  Livre  de  raison 
de  l'abbaye  Saint- Martin  de  Pontoise,  p.  109. 

Genesterez  (p.  85).  M.  Désormaux  croit  que  notre  suffixe  se  trouve  dans  le 
nom  que  porte  le  geai  dans  la  région  savoyarde  :  jeneré,  etc.  (Rev.  savoi- 


362  ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 

sienne,  1903,  p.  287).  C'est  possible  ;  mais  il  ne  faut  pas  rapprocher  jenerè 
de genesterez  sans  dire  nettement  que  ces  deux  mots  ne  peuvent  pas  remon- 
ter au  même  type  étymologique. 


III.  Substantifs  féminins. 

Chemineresse,  chanson  qu'on  chante  en  cheminant  (Favre,  Gloss.  du 
Poitou). 

Colerece  (p.  107).  M.  Delboulle  me  signale  le  mot  sous  la  forme  coule- 
resse  dans  l'Esdaircissement  de  Palsgrave. 

P.  117.  A  la  liste  des  mots  en  -ier  de  l'ancien  provençal,  on  peut  joindre 
prolonguier  «  prolongation,  délai  »,  qui  se  trouve  dans  un  acte  de  1333- 
1351  du  livre  des  lausimes  de  la  Salvetat-lez-Mondragon  (Tarn)  dont  je 
dois  la  connaissance  à  M.  A.  Vidal. 

P.  122,  n.  1,  1.  4:  au  lieu  de  artisan,  lire  artison. 

P.  130.  Aux  exemples  cités  pour  montrer  l'existence  en  provençal  de  mots 
germaniques  relativement  récents,  on  peut  ajouter  l'adjectif-participe  «c^f 
(beaucoup  plus  fréquent  que  escabit,  lequel  n'est  attesté  qu'une  fois,  dans 
Aigar  et  Maurin),  qui  remonte  au  type  verbal  'skapfjan  (cf.  allem.  schapfen 
et  schaffen).  tandis  que  l'anc.  français  eschevi  remonte  à  'skapjan  (cf. 
gothique  gaskapjan,  néerl.  scheppen,  etc.). 

P.  132.  Voyez  un  exemple  de  la  forme  chieira,  que  j'ai  oublié  de  signaler, 
dans  le  Carlulaire  du  consulat  de  Limoges,  édition  Chabaneau,  p.  3.  ligne 
23.  Dans  les  Rentes  de  la  confrérie  des  Suaires  (ibid.,  p.  247-258),  on 
trouve  exclusivement  cheira  (13  fois). 

P.  154,  art.  amarina.  Jean  des  Moulins  a  francisé  à  la  fois  l'adjectif  latin 
amerinus  et  le  substantif  provençal  amarina  en  écrivant  :  «  A  Lyon  et  en 
Dauphiné  ils  appellent  les  saules  amerins  des  amarines  »  (Hist.  des  plantes, 
II,  73,  édit.  1653  ;  communication  de  M.  Delboulle). 

P.  154,  notes,  ligne  4  d'en  bas:  au  lieu  de  Gillérion,  lire  Gilliéron. 

P.  156,  art.  ambro.  Cf.  l'art,  ambre  de  mes  Étymologies  lyonnaises,  parues 
dans  la  Romania,  XXXIII,  211.  On  y  trouve  cette  intéressante  citation 
de  Du  Pinet  (un  Lyonnais,  comme  on  sait)  :  «  Amarines,  ambres  :  ce  sont 
les  frans  oziers  »  (Hist.  nat.  de  Pline,  éd.  1 562,  t.  I,  p.  612).  Deux  obli- 
geantes communications  me  permettent  d'ajouter  ici  quelques  renseigne- 
ments complémentaires.  M.  l'abbé  Devaux  m'apprend  que  ambro,  subst. 
masc,  est  usité  dans  la  partie  du  Dauphiné  qui  rayonne  à  30  ou  40  kilo- 
mètres de  Lyon  (par  exemple,  à  Crémieu,  à  Saint-Jean-de-Bournay,  etc.), 
mais  que  dans  les  Terres-Froides  on  dit  amarena,  armarena,  armarina. 
M.  Delboulle,  de  son  côté,  me  fait  part  de  cette  citation  de  Jean  des 
Moulins,  Hist.  des  plantes,  éd.  1653,  II,  73  :  «  Les  Normands  et  Bressans 
les  appellent  (les  saules  amerins)  ambres.  »  Enfin  je  relève  dans  Vlsagoge 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS  363 

de  J.  Dubois  (Sylvius\   parmi  les  exemples  d'épenthèse  de  b  dans  le 
groupe  m'r,  à  la  p.  $9:  «  Amerina  salix  ambré.  Lugdunenses.  » 

P.  172-5,  art.  asse,  assa.  Le  verbe  apsar  se  trouve  dans  le  Cartulaire  du 
consulat  de  Limogts,  éd.  Chabaneau,  p.  86  :  «  cumaqueu  troilhs  eaquela 
vinha  se  sien  apsat.  » 

P.  173,  art.  aveneril.  M.  Delboulle  m'apprend  que  le  texte  des  Coustumes  de 
Soesmes  publié  par  L'Angelier  en  1 5 46  est  ainsi  conçu:  «  Es  quelles 
autres  années  les  chaumes  millerins  et  aveneriz  ne  sont  aucunement  de 
garde,  sinon  tant  que  le  fruict  est  dedans  les  dictes  terres.  »  Il  estime  que 

*    millerins  et  aveneriz  sont  des  adjectifs  qualifiant  chaumes. 

P.  175.  Aux  exemples  cités,  il  faut  vraisemblablement  ajouter  faveril,  de 
faba  «  fève  »  :  cf.  les  noms  de  lieux  comme  Le  F  avril  (Eure,  Eure-et- 
Loir,  Nord),  Les  Faverils  (Eure),  Favrieux  ou  Faverieux  (Seine-et-Oise)  ; 
les  formes  latinisées  Fravilliacum  (1500),  Faveriliacum  (1239),  Faveria- 
cum  (1222)  indiquées  par  le  Dictionnaire  topographique  d'Eure-et-Loir 
sont  sans  grande  importance.  Peut-être  aussi  le  nom  du  prieuré  de  Notre- 
Dame  des  Pezeris,  autrefois  Pezerils,  près  de  Chartres  (voyez  Montai- 
glon,  Rec.  de  poésies  franc.,  VIII,  210),  remonte-t-il  à  pisum  «  pois  ». 

P.  182,  art.  boudé.  Le  mot  provençal  boder  figure  aussi  dans  l'ancien  tarif 
de  Gaillac  dressé  en  1527  (Rossignol,  Monogr.  communales  du  Tarn,  II, 
372). 

P.  198,  1. 5  :  au  lieu  de  *caclabare,  lire  *caclavare. 

P.  200,  art.  careillade.  L'ancien  provençal  connaît  aussi  la  forme  dissimilée 
qui  correspond  à  l'ancien  français  chenilliee  ;  elle  est  citée  par  Raynouard, 
Lex.  rom.,  II,  310,  d'après  YElucidari,  où  on  lit:  «  jusquiam,  herba 
autrament  dita  canelhada.  »  La  traduction  «  française  »  donnée  par  Ray- 
nouard n'est  rien  moins  que  française,  car  cannellce  n'a  aucune  réalite. 
Pour  un  autre  nom  de  la  jusquiame,  voir  notre  article  saupignago. 

P.  203,  art.  cerneau  :  cf.  Romania,  XXXIII,  264. 

P.  209,  art.  cibre,  tribe.  Je  ne  me  suis  avisé  que  depuis  l'impression  de  cet 
article  de  l'existence  en  bas-latin  d'un  substantif  tiprus,  qui  figure  dans 
la  Vie  de  saint  Colomban  par  Jonas  (septième  siècle)  et  qui  a  passé  de  là 
dans  celle  (très  postérieure)  de  saint  Magne,  apôtre  de  l'Algau  (cf.  l'art. 
typrus  de  Du  Cange).  L'œuvre  de  Jonas  a  été  rééditée  tout  récemment 
par  M.  Krusch  dans  la  collection  des  Monumenta  Germaniae  historica,  au 
tome  IV  des  Scriptores  rerum  Merovingicarum,  et  M.  Krusch  imprime 
quatre  fois  tiprus  (ou  tiprum),  sans  variantes,  dans  les  quatre  phrases 
voisines  l'une  de  l'autre  où  Jonas  emploie  ce  mot  :  «  vas  quod  tiprum 
nuncupant  ad  cellarium  déportât...  »  [loc.  laud.,  p.  82,  lignes  9,  10,  16 
et  18).  On  sait  que  Jonas  est  né  à  Suse,  c'est-à-dire  dans  cette  région 
alpestre  où  cibre,  ceber,  etc.,  est  encore  aujourd'hui  très  vivant.  Il  me 
paraît  difficile  de  ne  pas  voir  dans  le  tiprus  de  Jonas  le  représentant  le 
plus  ancien  de  la  famille  de  mots  dont  je  me  suis  occupé.  D'autre  part, 


}64  ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 

le  rapport  de  ce  tiprus  du  septième  siècle  avec  le  zuuipar  des  gloses  de 
Cassel  n'est  pas  clair  :  il  semble  que  le  thème  fipr-  ait  été  contaminé  en 
haut  allemand  par  le  thème  propre  de  zwei  «  deux  »  et  que  les  langues 
romanes  soient  sorties  du  thème  Ûpr-  avant  la  contamination.  Mais  quelle 
est  exactement  l'origine  de  ce  thème  tïpr-,  je  l'ignore. 

P.  2ii,  art.  cibre,  tribe.  De  la  métathèse  hypothétique  de  'tibre  en  tribe, 
on  peut  rapprocher  celle  qui  s'est  incontestablement  produite  dans  la 
descendance  du  mot  tubrucus,  enregistré  par  Isidore  de  Séville  et  duquel 
sont  sortis  l'ancien  provençal  trebuc  (encore  vivant,  en  particulier  dans 
la  Creuse)  et  l'ancien  français  trebu,  qui  désignent  une  sorte  de  jambière. 
Je  consacrerai  peut-être  quelque  jour  une  étude  spéciale  à  ce  mot  qui 
figure  dans  les  gloses  de  Cassel  (n°  \\4deurus:  deohproh)  et  que  Diez 
a  commenté  sans  connaître  les  formes  romanes  que  je  viens  de  rappe- 
ler, mais  en  dégageant  bien  son  origine  germanique. 

P.  217,  art.  conobrage.  Grâce  à  l'obligeance  de  M.  P.  Meyer,  j'ai  pu  avoir 
communication  du  texte  complet  de  la  charte  rochelloise  de  1297  d'où 
Godefroy  a  tiré  les  deux  exemples  du  mot  conobrage  qui  figurent  dans  le 
Dictionnaire  de  l'anc.  langue  française.  J'ai  le  plaisir  de  constater  que  le 
verbe  conobrer,  dont  l'existence  était  nécessaire  pour  justifier  celle  du  sub- 
stantif conobrage,  s'y  trouve  en  toutes  lettres.  Voici  des  extraits  suffisants 
pour  le  but  que  je  me  propose  : 

Et  d'autre  part  nous  requeïst  ledit  maistre  Pierres  de  Condac  que  nous  les  chouse 
e  les  héritages  dessus  diz,  qui  tenuz  e  obligez  li  esteient  a  li  rendre  e  payer  e  censer 
les  trente  1b.  de  cens  dessus  dites,  tenissom  e  conobressom  de  façons  deues  einsi 
que  les  diz  héritages  e  choses  ne  se  peûssent  dépérir  pour  faute  de  laborage... 
les  quaus  héritages  et  chouses  esteient  moust  decheuz  et  en  moust  mauvais  point 
par  deffaute  de  laborage  e  lonc  temps  a  que  il  fussent  deperiz  et  cheuz  en  main  de 
seignor,  se  ne  fust  l'ayde  e  le  laborage  que  le  dit  maistre  Pierres  y  fait  et  fait  faire 
par  lonc  temps,  en  quei  il  a  mis  e  despenduz  granz  deners... 

La  lecture  de  tout  le  document  laisse  l'impression  que  le  verbe  conobrer 
et  le  substantif  conobrage  sont  à  peu  près  synonymes  de  laborer  et  de 
laborage.  Le  substantif  verbal  actuel  couneuvre  n'a  dû  se  spécialiser  qu'à 
une  époque  récente  pour  désigner  soit  l'engrais,  soit  les  façons  des  seconds 
blés.  —  Sur  l'existence  et  le  sens,  en  ancien  provençal,  d'un  substantif 
conobre,  correspondant  au  poitevin  couneuvre,  voir  Romania,  XXXIII,  262. 

P.  222,  art.  consier,  desier.  Aux  textes  provençaux  où  figure  consier,  il  faut 
ajouter  la  Règle  de  saint  Benoît,  Bibl.  nat.  franc.  2428,  f°"  7*  (los  malvatz 
cossiers),  9b  (en  cossier  et  en  paraula)  et  16*  (Dieu  ve  e  sap  los  cossiers). 
Chose  singulière,  ce  texte  emploie  exclusivement  dcsirier  (f°*  8*  et  9")  ou 
destrier  (f°  31*). 

P.  235,  art.  deimai.  Mcn  identification  de  la  plante  appelée  dans  le  patois 
de  Bouffanges  mènogri  avec  le  pied-d'alouette  (Lotus  corniculatus  L.)  ne 
repose  pas  sur  une  étude  botanique  directe,  mais  sur  la  constatation  du 
fait  que  dans  le  patois  de  Saint-Georges-de-Mons  (Puy-de-Dôme),  d'après 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS  36$ 

le  témoignage  de  Rolland,  Flor.  pop.,  IV,  156,  le  pied-d'alouette  porte 
le  nom  pittoresque  d'herbe  «  sauve-le-mouton  ». 

P.  244,  art.  dolsa.  Cf.  Romania,  XXXIII,  219.  Le  piémontais  emploie  dossa 
dans  le  sens  de  «  cosse  »  :  cf.  un  article  de  M.  le  comte  Nigra,  qui,  sans 
connaître  N.  du  Puitspelu,  propose  de  voir  dans  le  piémontais  le  pluriel 
neutre  dossa  pour  dorsa  (Arch.  glottol.,  XV,  28}).  —  M.  Dauzat  me 
signale  dans  le  patois  de  Vinzelles  le  sens  spécial  de  «  quartier  de  noix  » 
pris  par  l'ancien  mot  dolsa  :  la  prononciation  actuelle  (ajoute-t-il)  semble 
postuler  un  0  fermé,  à  moins  qu'il  n'y  ait  une  contamination  de  la 
forme  féminine  de  l'adjectif  qui  correspond  au  latin  dulcis.  On  ne 
trouve  pas  d'exemple  de  ce  sens  spécial  dans  Rolland,  Flore  pop.,  IV, 
48-49. 

P.  24$,  1.  20:  au  lieu  de  3ôXî;/o;,  lire  S6li/_oi. 

P.  246,  note  l,  au  lieu  de  Philippon,  lire  Philipon. 

P.  247,  art.  droueri.  Cf.  Romania,  XXXIII,  220. 

P.  250,  art.  écoisson,  titre  :  au  lieu  de  XLI,  lire  XLIV.  Cf.  Romania,  XXXIII, 

220. 
P.  2  s  5,  art.  eissarrar,  esserrtr.  Cf.  Romania,  XXXIII,  art.  ensarailli. 

P.  257,  art.  entrenerge.  Le  simple  tenerge  s'est  conservé  dans  la  Basse- 
Gâtine  de  Poitou,  au  prix  d'une  métathèse  qui  ne  le  rend  pas  mécon- 
naissable pour  le  linguiste  ;  cf.  cet  article  du  Dictionnaire  du  patois  bas- 
gdtinais  de  M.  C.  Puichaud,  Revue  de  philologie  française,  VI,  134: 
«  Trenège,  adj.  des  deux  genres:  sale,  sans  éclat.  Vous  avez  la  peau 
trenège  (imprimé  renège),  lavez-vous.  » 

P.  260,  art.  escaupir.  Un  exemple  plus  ancien  encore  de  scalpere  au  sens  de 
0  démanger  »  est  fourni  par  l'expression  scalpentes  aures,  qui  se  lit  dans 
une  citation  de  la  Bible  (2  Thimoth.,  4,  3)  faite  par  saint  Hilaire  dans 
son  traité  contre  Constance  (voyez  Forcellini-De  Vit). 

P.  264,  art.  esperbo.  Le  mot  provençal  a  été  introduit  par  Desdier  Cristol 
dans  sa  traduction  du  De  honesta  Voluptate  de  Platina,  imprimée  pour  la 
première  fois  en  1 505,  P  XIII*  de  l'édition  primitive  :  «  Des  cormes,  sorbes 
ou  esperues  (lire  esperves).  »  Godefroy  s'est  contenté  de  mettre  un  point 
d'interrogation  à  la  place  de  la  définition. 

P.  273,  art.  garlimen,  titre:  au  lieu  de  XLVI,  lire  LX. 

P.  274,  art.  gierre,  titre  :  au  lieu  de  XLVII,  lire  LX1. 

P.  276,  art.  haleine.  Un  exemple  antérieur  de  anhela  (ou  anhelus)  au  sens  de 

anhelitus  se  trouve  dans  la  vie  de  saint  Colomban  par  Jonas  (Mon.  Cerm. 

hist.,  Script,  rer.  mcrov.,  IV,   120,   1.   ij):   «  hanc  in  extremis  anhelis 

positam.  » 
P.  279,  art.  histar,  titre:  au  lieu  de  XLVIII,  lire  LX1V. 
P.  283,  n.  3:  au  lieu  de  *pinea-\-aris,  lire  pinea-h-at--*--aris. 


366  ADDITIONS  ET  CORRECTIONS 

P.  284,  art.  ivière,  titre:  au  lieu  de  XLIX,  lire  LXVI. 

P.  289,  art.  laus,  titre  :  au  lieu  de  L,  lire  LXX. 

P.  290,  art.  ledanjos,  titre:  au  lieu  de  LI,  lire  LXXI. 

P.  291,  art.  lioube,  titre:  au  lieu  de  LU,  lire  LXXII. 

P.  294,  art.  marsia.  Cf.  Romania,  XXXIII,  225.  Dans  son  beau  travail 
intitulé  /  nomi  romanzi  délie  stagioni  e  deï  mesi  (Torino,  1904),  M.  Clé- 
mente Merlo  a  cité  le  provençal  marsado  «  giboulée  de  mars  »  en  le  rap- 
prochant du  frioulan  marzade,  qui  a  le  même  sens  (p.  272  ;  cf.  p.  236 
pour  le  sens  de  «  durée  de  mars  »)  ;  mais  il  ne  parle  pas  du  lyonnais 
marsia. 

P.  295,  art.  meeril.  La  lecture  meeritz  (au  lieu  de  meerilz),  le  rapproche- 
ment avec  l'anglais  meer  «  limite  »  et  la  définition  par  «  praestatio  quas 
ballivo  pro  limitibus  ponendis  exsolvebatur  »,  que  les  Bénédictins  ont 
introduits  dans  Du  Cange,  sont  à  canceller. 

P.  296,  art.  meiri,  titre:  au  lieu  de  LUI,  lire  LXXVI.  —  L'ancien  fran- 
çais marriz  n'est  pas  éteint.  A  Boulogne-sur-Mer  on  prononce  merri  et 
l'on  fait  le  mot  du  masculin.  (Abbé  Haiguené,  Patois  boulonnais,  Vocabu- 
laire, p.  389,  v°  merri.) 

P.  298,  art.  nar.  H.  Moisy,  dans  son  Dict.  de  patois  normand,  que  je 
n'avais  pas  sous  les  yeux  en  rédigeant  cet  article,  donne  concurremment 
à  ar  et  à  nar;  il  rattache  justement  le  patois  à  l'ancienne  langue,  mais  il 
croit  que  à  nar  est  sorti  de  à  ar  par  intercalation  d'une  n  euphonique. 

P.  299,  art.  nouei,  titre:  au  lieu  de  LXIII,  lire  LXXVIII. 

P.  300,  art.  nuitre:  au  lieu  de-LXIV,  lire  LXXIX.  M.  Désormaux  a  eu 
l'amabilité  de  signaler  ma  notice  sur  nuitre  aux  lecteurs  de  la  Revue 
savoisienne  et  il  l'a  fait  en  ces  termes  (année  1903,  p.  287):  «  Nuitre  n'a 
pas  de  correspondant  qui  ait  été  relevé  dans  nos  régions.  A  propos  de 
ce  mot,  l'auteur  donne  d'intéressantes  explications  sur  les  variantes  du 
vx  fr.  caon,  représenté  en  Savoie  yarçhavan,  çhëvan,  français  local  chavan, 
hibou  (voyez  ces  mots  in  D.  S.  »  J'ai  obéi  docilement  et  je  suis  allé  lire 
l'article  çhëvan  in  D.  S.,  c'est-à-dire  en  bon  et  clair  français,  dans  le 
Dictionnaire  savoyard  publié  sous  les  auspices  de  la  Société  Florimontane 
par  MM.  A.  Constantin  et  J.  Désormaux  (Paris  et  Annecy,  1902).  J'ai  eu 
la  surprise  d'y  faire  une  trouvaille.  Tout  au  bout,  après  lucheran,  j'ai 
remarqué  un  itoulâ  solitaire,  flanqué  du  sigle  7J,  qui  indique  Saint-Jean- 
de-Maurienne.  M.  Désormaux  ne  me  contredira  pas  si  j'affirme  que  itoulà 
est  un  correspondant  savoyard  du  français  nuitre,  du  dauphinois  niétola, 
de  l'italien  nottola,  etc.,  etc.  Les  mots  (et  les  philologues)  perdent  facile- 
ment la  tête.  Comme  il  est  heureux  que  nuitre  soit  mort  à  la  fleur  de 
l'âge  et  n'ait  pas  subi  pareil  outrage  !  La  chouette  courait  grand  risque 
de  descendre  dans  l'échelle  animale,  car  dans  nuitre,  il  y  a  uitre. 

P.  307,  1.  4  d'en  bas  du  texte  :  au  lieu  de  inacceptable,  lire  acceptable. 


ADDITIONS  ET  CORRECTIONS  367 

P.  310,  art.  olonier.  Cf.  un  article  de  M.  Schuchardt  (Z.  /.  rom.  Phil., 
XXVIII,  192)  où  l'on  trouvera  mentionné  le  prov.  Udouno,  mais  non  le 
français  olone. 

P.  3 10,  n.  2.  Vérification  faite,  ce  n'est  pas  l'arbousier  que  Léger  du  Chesne 
appelle  «  alisier  ou  ledonnier  »  (p.  47),  mais  le  a  Lotus  arbor  »  des 
Anciens,  qu'on  identifiait  alors  ordinairement  avec  le  micocoulier  (Celtis 
australis  L.).  Aussi  Cotgrave  traduit-il  Udomier  (faute  probable  pour 
ledonnier)  par  «  The  Lote,  or  Nettle  tree  ». 

P.  314,  art.  outjabo.  Le  mot  latin  octava  vit  encore,  avec  un  sens  ana- 
logue, dans  la  Suisse  romande,  comme  l'a  montré  récemment  M.  Jean- 
jaquet  (Bull,  du  Glossaire  de  la  Suisse  rom  ,  1,  43). 

P.  317,  art.  pion.  Godefroy  a  fait  les  deux  extraits  suivants  des  Comptes 
de  Diane  de  Poitiers  (articles  plom  et  plonnoye)  :  «  Quatre  gerbes  de 
plombs,  néant,  pour  ce  qu'ils  ont  esté  prins  a  la  plonnaye  ;  deux  fagoiz 
de  ploms  cuilliz  en  la  plonnoye  de  la  fontaine.  »  Il  cite  encore  un  acte 
de  vente  de  Chenonceau,  de  1496,  où  il  y  a  côte  à  côte  «  plonnoye»  et 
«  touche  de  bois  ».  Et  pourtant,  il  déclare  ignorer  le  sens  de  plom  ou 
plomb  et  de  plonnoye  !  Mettons  «  osier  »  et  «  oseraie  »  à  la  place  de  ses 
points  d'interrogation,  et  passons. 

P.  ?i8,  art.  porchaille.  Cf.  Romania,  XXXIII,  226.  La  forme  porclaca  a 
ètt  signalée  par  M.  Densusianu  (Romania,  XXIX,  330)  dans  Y  Art  vétéri- 
naire de  Pelagonius,  371  et  374,  éd.  Ihm. 

P.  320,  art.  pouiller.  M.  Dauzat  me  fait  remarquer  que  le  verbe  pouiller 
figure  dans  une  chanson  à  la  mode  de  Théodore  Botrel,  Le  Couteau  : 

Pouille-moi  ce  tricot  de  laine, 
Chausse-moi  ces  sabots. 

Les  artistes  qui  interprètent  le  répertoire  du  poète  sont  parfois  singulière- 
ment interloqués  par  ce  provincialisme. 

P.  326,  art.  resencier.  aux  exemples  que  j'ai  indiqués  ailleurs  comme  pou- 
vant justifier  le  passage  de  recincier  à  reïncicr,  on  peut  ajouter  le  nom  de 
lieu  Créancey  (Côte-d'Or)  et  Crancey  (Aube),  dont  le  type  primitif  paraît 
être  Crescentiacus.  Voyez,  sur  ce  point,  Berthoud  et  Matruchot,  Étude 
hist.  et  étym.  des  noms  de  lieux  habités  de  la  Côte-d'Or,  II,  $9. 

P.  327,  art.  revondre.  Cf.  Romania,  XXXIII,  227. 

P.  331,  art.  seyno.  Cf.  Romania,  XXXIII,  228. 

P.  333,  art.  souille,  1.  9  :  au  lieu  de  subîcula,  lire  *  subîcula. 


INDEX  DES  AUTEURS 

ET  DES  TEXTES  CITÉS 


Académie  française  (Dict.  de  1'), 

152,  188,  271,  316. 
Aceilly  (le  chevalier  d'),  7,  8. 
Acheri  (D'),  361. 
Ackermann,  330  n; 
Adalard  de  Corbie,  359. 
Adam  (L.),  102,  105. 
Adémar  de  Chabannes,  48,  49, 

51,  59  n. 
Aetius,  269. 

Aigar  et  Maurin,  222,  254,  362. 
A  toi  et  Mirabel,  m  n. 
Alahan  (B.)  de  Narbonne,  232. 
Albucasis,  182. 
Alexandre  (prov.),  134. 
Alexandre  (fr.),  267,  269,  301. 
Alexandre  de  Villedieu,  27. 
Alphita,  331  n. 

Amant  rendu  cor  délier,  97,  99. 
Amyot,  278. 
Angier  (frère),  360. 
Antioche,  222. 
Apfelstedt,  74. 
Apicius  Caelius,  178. 
Appel  (C),  171. 
Appendix  Probi,  320. 
Apulée,  199,  330. 
Arbois  de  Jubainville  (H.  d'), 

15,  34,  37  n-,  38,45,  46,  54 

n.,  56,  60  n.,61  n.,  127,  167. 

Thomas. 


Aristote,  5. 
Arnaudin  (F.),  xn. 
Arnobe  le  jeune,  343. 
Ascoli,  176,  183  n.,  231  n. 
Aubigné  (Agrippa  d  ),  20. 
Aubrion  (].),  245  n. 
Auracher.  Voir  Berger. 
Ausone,  165. 
Bailly,  194  n. 
Baist,  253,  342  n. 
Bartsch(K.),  21,  ii4n.,  139  n., 

340  n. 
Bataille  Loquifer,  116  n. 
Baudoin  de  Condé,  75. 
Baudrillart,  325  n. 
Beauchet-Filleau,  218,  219  n., 

242  n.,  266,  270,  361. 
Beaumanoir  (Ph.  de),  68,  94. 
Behrens,  291. 
Belon  (Pierre),  188,  332. 
Beneeit,  116  n. 
Benvenuto  de  Salerne,  160-1. 
Berger  (H.),  195,  226. 
Berger  (S.),  303  n. 
Berger  et  Auracher,  160  n. 
Bernard  (saint).  Voir  Sermons. 
Bernard  hier.  Voir  hier. 
Béronie  et  Vialle,  223  n.,  239, 

296,  297,  328,  329. 
Berthoud  et  Matruchot.  367. 
IL  — 24 


37° 


INDEX  DES  AUTEURS  ET  DES  TEXTES  CITÉS 


Bertran  de  Born,  57  n. 

Bescherelle,  273  n. 

Blanchet,  53  n. 

Blaze,  175. 

Bloch  (Oscar),  102  n. 

Boèce,  210  n. 

Bcehmer,  222. 

Bois  (Du).  V.  Dubois. 

Bonnard  (J.),  265  n. 

Bonnardot,  278. 

Borel  (P.),  298  n. 

Botrel  (Th.),  367. 

Bouchet  (Guill.),  8s . 

Bouquet  (Dom),  361. 

Bourciez,  136  n.,  282  n. 

Bourgoing,  7. 

Bouvelles,  30. 

Boyer,  43  n. 

Brachet,  10  11.,  24,  205  n.,  320. 

Bréal  (M.),  II,  27. 

Breviari-d'Amors,  340. 

Brossner,  222. 

Budé  (G.),  6. 

Buechner,  190. 

Bugge  (S.),  252. 

Cabié  (E.),  360. 

Caelius  Aurelianus,  200. 

Cailly  (J.  de),  7. 

Calmet  (Dom),  126  n. 

Camus  (J.),  15411.,  26011.,  269. 

Canello,  289. 

Cange  (Du),  passim. 

Capitulaire  de  Villis,  65. 

Carmen  adv.  Marcionetn,  180. 

Carpentier,  82,  87,  151  n.,  155, 

162,    186   n.,    194,    252   n., 

279,  312,  313,  360. 
Caseneuve,  7,  24,  30,  192  n. 
Cénac-Moncaut,  1 1 8  n .  ,26 1 ,290. 
César,  169. 
Chabaneau,  13211  ,240 n.,  299, 

300,  340  n.,  362. 
Chabert,  308  n. 
Chambure  (De),  230. 
Champeval  (J.-B.),  42  n.,  60 n., 

241  n. 


Chan  Heurlin,  90. 

Chanson  de  la  croisade  contre  les 

Albigeois,  92,  184. 
Chassaing  (A.),  41   n.,  42  n., 

49,  so  n.,  56  n. 
Chastelain  (Abbé),  343. 
Châtelain  (É.),  359. 
Chaucer,  313. 
Chavanon,  48  n.,  52  n. 
Chesnel  (De),  273  n. 
Chevalier  (U.),  91. 
Chrétien    de    Troyes,   75,    96, 

292  n. 
Christine  de  Pisan,  252.  , 

Cicéron,  64,  261. 
Cihac  (De),  209. 
Cipriani   (M"e),    124,    125    n., 

128  n.,  130. 
Clédat(L.),  132  n. 
Clément  (P.),  263  n. 
Cochard,  251  n. 
Cochin  (H.),  101,  254  n. 
Cohendy,  340  n. 
Cohn  (G.),  149. 
Colin  Muset,  244  n. 
Colmeiro,  190  n. 
Columelle,  297. 
Constans  (L.),  213  n.,  214. 
Constantin  et  Désormaux,  205 

n.,  366. 
Contant  (J.  et  P.),  510. 
Contejean,  73,  95,  96,  97,  99, 

100,  101,  102,  104,  105,  158 

n.,  161,  253,  283,  287,  316, 


317- 

:irblet 


Corblet  (Abbé),  201,  317  n. 

Cornu  (J.),  24,  275. 

Coipusgloss.  lat.,  1 13  n.,  125  n., 
157  n.,  189  n.,  190  n  ,  200, 
277  n.,  308,  309,  320  n. 

Corpus  inscr.  lat.,  244. 

Cotgrave,  20,  79,  80,  85,  87, 
105, 152,  178,  248,  269, 297, 
310,  313,  319  n.,  322,  359, 
360,  367. 

Cristol  (Desdier),  319  n.,  365. 


INDEX  DES  AUTEURS  ET  DES  TEXTES   CITÉS 


Dardy  (Abbé),  37. 
Darmesteter (Arsène),  ion.,  21, 

224,  236,  317  (cf.  Hatzfeld). 
Danois,  233  n.,  256,  287,  293 

n.,  323,  326. 
Daudé   de   Pradas,    170,    189, 

309  n. 

Dauzat  (A.),  365,  367. 
Defensor  de  Ligugé,  224,  252. 
Delboulle  (A.),  359,  360,  361, 

362,  363. 
Delisle  (L.),  84. 
Deloche   (M.),    36   n.,  61    n., 

167  n.,  168,  169. 
Densusianu  (O.),  367. 
Depoin,  361. 
Deschanel  (E.),  33. 
Desjardins  (G.),  202. 
Desmoulins  (J.),  362. 
Désormaux,  205  n.,  361,  366. 
Devaux  (Abbé),  71  n.,  88,  91, 

105,  304  n.,  309  n.,  362. 
Devic  (M.),  153  n.,  154  n. 
De  Vit.  Voir  Forcellini. 
Dict.  général.  Voir  Hatzfeld. 
Diez  (Fr.),  9,   10,  20,  21,  24, 

25,   110,    114,    116  n.,   123, 

151    n.,    176,    212,  220  n., 

233,    237,    275,    276,    278, 

281    n.,   298   n.,    326,   327, 

334,  335- 
Diomède,  183. 
Dioscoride,  194  n.,  248. 
Donat  proensal,  179,  340. 
Dorveaux  (Dr  P.),  150,  154  n., 

200  n.,  267  n.,  310,  331  n. 
Dottin,  87,   152,  174,  201  n., 

252,  320,  332. 
Dozy  et  Engelmann,  161  n. 
Drouyn  (L.),  184. 
Dubois  (J.),  Sylvius,  7,  21,  362. 
Dubois  (L.),  333. 
Duboul  (A.),  163  n.,  171,  355. 
Ducamin,  163  n.,  329  n. 
Duchesne  (Léger),  L.  à  Quercu, 

310  n.,  367. 


Duchesne  (E.-A.),  150  n,  155 

n.,  199. 
Duchesne  (Abbé  Louis),    126. 
Duclou  (Dom),  234,  255. 
Du  Fouilloux,  360. 
Duhamel    du    Monceau,    108, 

109,  1 10. 
Du    Méril   (E.     et    A.),    200, 

321. 
Dupinet  (A.),  73,  154  n.,  248, 

360,  362. 
Duplès-Agier,    45    n.,    48    n., 

61  n. 
Durrieux  (Alcée),  221  n.,  230, 

259,  260. 
Dynamidia,  270. 
Edmont,    22,    183,    207,    209, 
210,  214  n.,  346-358  passim. 
Elucidari,  363. 
Encyclopédie  méthodique,  273. 
Enèas  (Roman  d'),  143  n. 
Engelmann.  Voir  Dozy. 
Espagnolle  (Abbé),  6. 
Espana  sagrada,  191  n. 
Estienne  (Henri),  312  n. 
Estienne  (Robert),  83,  204,  297, 
.  319  n. 

Etablissements  de  saint  Louis,  80. 
Etienne  de  Byzance,  46. 
Eucher  (saint),  301. 
Fagniez  (G.),  83. 
Fauchet,  7. 

Favre  (L.),  208,  218,  258  n., 
270  n.,  288  n.,  321,  360,  362. 
Feraud  (Raimon),  155. 
Ferrari,  334. 

Fides  (Caneton  de  Sancta),  112, 
113,  115,  129,  134,  135,  143 
n.,  212  n.,  220,  221  n. 
Flamenca,  339,  340. 
Flaubert  (G.),  232  n. 
Flechia,  326. 
Flodoard,  si. 

Fcerster  (W.),  m  n.,  115  11., 
116  n.,  117,  124  n.,  209  n., 
222,  261  n.,  292  n. 


37-1 


INDEX  DES  AUTEURS  ET  DES  TEXTES  CITÉS 


Folquet  de  Lunel,  215  n. 
Forcellini  et  De  Vit,  64  n.,  203, 

311,  320  n.,  365. 
Formeville(De),  185,  186. 
Formulae  Andecavenses,  65. 
Fortunat,  38,  47  n.,  166,  167. 
Foucaud,   164,  165,  172,  234, 

238,  254. 
Fouilloux  (Du),  360. 
Fréville(H.  de),  185. 
Froissart,  76,  237. 
Furetière,  80,  83,  105,  198  n., 

229,  230,  271,  324,  359. 
Gallia  christiana,  52,  90,  198  n. 
Garnier  de  Pont-Sainte-Maxen- 

ce,  299,  366. 
Gartner,  295  n.,  331  n. 
Gastineau  (Peain),  58  n.,  143- 

4  n. 
Gaufrei,  116  n.,  117  n. 
Gautier  de  Coinci,  81. 
Gautier  d'Épinal,  116  n. 
Gay  (V.),  103. 
Gérard  de  Crémone,  153. 
Gerbaux,  82. 
Germer-Durand,  81. 
Gilliéron  (J.),  22,  154  n.,  183, 

207.  209,  210,  214  n.,  239, 

244  n.,  245,  254  n.,  284  n., 

288  n.,  346-358  passim. 
Girart  de  Rous sillon,  101,222,223. 
Giry  (A.),  59  n.,  85  n.,  106, 

184,  183  n. 
Gloses  de  Cas  sel,  363-4. 
Godefroy  (Fr.),  passim. 
Goerlich,  218  n. 
Gœtz.  Voir  Corpus  gloss.  lat. 
Gourgues  (De),  38  n. 
Grammont  (M.),  41,    113    n., 

161,    162,  257,  259  n.,  274, 

293  n.,  326,  327,  333. 
Grande    Encyclopédie   (La),    54, 

275. 
Grandgagnage,  89,  90,  91,  96, 

97,  100,  107,  108,  109,  110, 

282,  283,  317  n. 


Grégoire  de  Tours,  38,  54  n. 
Grégoire  le  Grand,  292. 
Grimm  (J.),  308  n. 
Grœber  (G.),  9,  121,  126  n. 
Guenoys,  359. 
Guessard,  329  n. 
Guibert  (L.),  132  n.,  165. 
Guillaume  le  Clerc,  78. 
Guillaume  le  Mareschal,  143  n. 
Haigneré  (Abbé),  366. 
Haillant,  77,  78,   85,  96,   97, 

102,  105,  106,  107. 
Hatzfeld  et  Darmesteter  (Dict. 

gèn.),   14  n.,    91,  109,   149 

n.,  153  n.,  244  n.,  272,  278, 

299  n. 
Havet  (Julien),  92. 
Hécart,  85,  260,  312. 
Helmreich,  308  n. 
Hentschke,  222  n. 
Hessels,  277  n. 
Hilaire  (saint),  365. 
Hippeau,  299. 
Holder,   35-62  passim,  94  n., 

166  n.,  167  n.,  301  n. 
Horning,  67,   76,   77,   78,   81, 

98,  137,  139,  181  n.,  233  n., 

278,  283. 
Huon  de  Bordeaux,  116  n. 
Irminon  (abbé),  65,  146  n. 
Isidore  de  Séville,  162,  187. 
Itier  (Bernard),  45  n.,  48  n. 
Jaubert  (Comte),  75,  87,   106, 

151,  201,  214  n.,  236  n.,241. 

291,  325,  332. 
Jean  d'Arras,  95,  237. 
Jeanjaquet,  367. 
Jeanroy  (A.),  182. 
Jonain,  107,  214  n.,  293,  310. 
Jonas,  biographe,  363,  365. 
Jonquet  (Abbé),  314. 
Joret  (Ch.),  200  n. 
Joubert  (L.),  268. 
Jules  César,  79. 
Julius  Valerius,  267  n. 
Jullian  (C),  15. 


INDEX   DES   AUTEURS  ET   DES  TEXTES  CITES 


Juvénal  (Scholie  de),  64  n. 

Keller,  249  n. 

Kluge,  291. 

Kôrting  (G.),  10  n.,  149,  151 
n.,  163  n.,  168  n.,  170  n., 
209  n.,  215,  221  n.,  228  n., 
229,  23s  n.,  239,  248  n., 
253,  255  n.,  256,  257,  259, 
2b6,  267, 286,  287, 292, 297, 
300  n.,  301  n.,  304  n.,  311 
n.,  319  n.,  325  n.,  335. 

Koschwitz  (E.),  115  n.,  209  n., 
261  n. 

Krusch,  94  n.,  363. 

Labernia,  190  n. 

Labiche  (E.),  218  n. 

Laborde  (F.),  213  n. 

Laborde.  Voir  Pansier. 

Labourasse,  78,  85,  86,  95,  98, 
102,  104,  107. 

Lacuve,  270  n. 

La  Fons,  79. 

La  Fontaine,  315. 

Lagadeuc,  252. 

Lair(J.),  49- 

Lalanne  (Abbé),  205  n.,  219  n., 

258  n.,  270  n.,  285,  286,  287, 

294,  329  n. 
Lalet  (J.),  235,  273. 
Lambert  le  Tort,  369,  270,  301, 

302. 
Landri  de  Waben,  265. 
Langouët,  320,  332  n. 
La  Roncière  (De),  186. 
Larousse,  1 50. 
Larousse  illustré  (Nouveau),  108, 

232  n.,  262,  359. 
Le  Beuf  (Abbé),  107  n. 
Leclerc  (Abbé),  37  n. 
Leclère  (Mm«=),  235  n. 
Legré  (L.),  269  n. 
Leite  de  Vasconcellos,- 1 12,  13$ 

n.,  212  n.,  220. 
Lemery,  188. 
Leroux  (A.),  39  n.,  44  n.,  48  n., 

52  n.,  61  n. 


Le  Sage,  20. 

Lespinasse  (R.  de),  312  n. 

Lespy  et  Raymond,  118,  162-3, 
169,  176  n.,  181, 187,  216  n., 
229,  261,  281-2,  283  n.,  289, 
313,  329  m 

Levy  (E.),  117,  130  n.,  132  n., 
152,  155,  160-1,  171,  172, 
179  n.,  215  n.,  224,  228  n., 
233,  240  n.,  255,  256,  266  n. 

Liber  gïossar uni,  159. 

Limborch,  94. 

Littré,  10  n.,  20,  24,  29,  y6, 
83,  84,  86, 91, 104, 105,  106, 
107,  108,  109,  149,  204  n., 
214  n.,  262,  276,  288,  298  n., 
303,  304m,  310,  312,  31711., 
324,  332,  344. 

Loi  des  Alauians,  65. 

Loi  Sahque,  65. 

Longnon  (A.),  15,  40  n.,  57, 
58,  60,  88,  89,  107  n.,  159 
n.,  169  n.,  278. 

Loriquet  (H.),  361. 

Loth  (J.),  169  n. 

Luchaire  (A.),  129  n.,  137  n., 
281  n. 

Mabille,  54  n. 

Mabillon  (Dom),  17  s  n. 

Mackel  (E.),  127  n.,  128  n., 
129  n.,  143  n.,  212. 

Mahn,  132  n. 

Mai  (Angelo),  159  n.,  261  n., 
271. 

Maiuet,  299. 

MarcellusEmpiricus,  309, 32011. 

Marchot  (P.),  124  n.,  134,  144. 

Mare  (N.  de  la),  288. 

Marguerite  d'Oingt,  328. 

Marie  de  France,  69,  70. 

Martial,  63. 

Masselin,  45. 

Matruchot,  310  n.,  367. 

Matton,  95,  197  n. 

Mazens,  360. 

Ménage,  7,  8,  9,  20,  21,  23,  30, 


374 


INDEX  DES  AUTEURS  ET  DES  TEXTES  CITÉS 


192  n.,  229,   250,   272   n., 

288,  297,  354,  343- 
Merlo  (Cl.),  360,  366. 
Mesnagier  de  Paris,  78,  152,  245, 

246. 

Meurier,  21. 

Meyer  (E.),  271  n. 

Meyer  (L.  E.),  266. 

Meyer  (Paul),  101,  1 14  n.,  120, 
125  n.,  143  n.,  1 52,  214, 
222  n.,  224,  287  n.,  320  n., 
329  n.,  335,  341,  347, 
364. 

Meyer-Lûbke,  59,  67,  70,  110, 
m,  112,  114,  us,  116  n-> 
117  n.,  158-9,  184,  193,  196, 
199,  215,  228  n.,  232  n.,  233, 
243,  275,  276,  277  n.,  281  n., 
291,  30411.,  31911.,  335,  336, 
338,  339,  340,  542. 

Michel  (Fr.),  222  n.,  313  n. 

Michelant  (H.),  267,  301,  302. 

Mistral,  41  n.,  53,  58  n.,  74, 
82,  86,  87,  118,  127  n.,  151, 
153,  iss  n.,  164,  171,  176, 
179,  180  n.,  189,  191,  199, 
201,  202,  20s  n.,  207,  209, 
215,  217,  234,  236,  237  n., 
239,  245,  249,  250,  2SI  n., 
2S4  n.,  254,  2S9,  261,  264, 
266  n.,  268,  273,  274,  287, 

289,  290,  294,  296, 304,  305; , 
306,  314,  31s,  316  n.,  317, 
328,  329  n.,  330,  334. 

Modus  (Livre  du  roi),  187. 

Moisy,  187,  366. 

Molière,  7. 

Molinier  (E.),  39  n.,  44  n.,  48 

n.,  61  n. 
Monaci  (E.),  189  n. 
Monnier,  323. 

Monologue  de  l'Amoureux,  97. 
Montaiglon  (A.  de),  363. 
Montaigne,  xn. 
Montaudon  (Moine   de),    159, 

160. 


Montesson  (Comte  de),  105, 
174,  237,  321,  332  n. 

Moore  (C.  H.),  246  n.,  447  n. 

Morf  (H.),  141,  143. 

Mort  Aimer i  (La),  1 16  n. 

Moutier  (Abbé),  306. 

Mowat,  331  n. 

Mozin(Abbé),  79,91,  106,  108, 
150  n.,  345. 

Mùller  (Max),  11,  12,  25. 

Mussafia,  29s  n.,  331  n. 

Nicot  (J.),  7,  21,  83,  204,  278, 
297,  298  n.,  319  n. 

Nigra  (Comte),  208  n.,  209  n., 
36s. 

Noulet,  132  n. 

Olcott,  64  n. 

Oresme,  s,  6. 

Oudin  (A.),  67,  83,  93  n.,  269, 
297,  314,  322. 

Ovidio  (D'),  193  n. 

Palsgrave,  362. 

Pansier  et  Laborde  (D""*),  160  n. 

Paris  (G.),  10  n.,  11,  21,  38, 
90,  101,  119  n.,  122,  123, 
124  n.,  143,  14s,  183,  195, 
227,  230,  231  n.,  232  n., 
244  n.,  251  n.,  535,  336, 
343  n.,  346,  347,  351,  353- 

Parnasse  occitanien,  305. 

Partenopeus  de  Blois,  116  n. 

Pasquier  (E.),  7. 

Passion  (de  Clermont),  24,  1 34. 

Paulin  de  Périgueux,  38. 

Peain  Gastineau,  s8n.,  143-4  n. 

Peire  Vidal,  114  n. 

Pelagonius,  367. 

Perceforest,  91. 

Pertz,  51. 

Philipon  (E.),  156,  246  n.,  331. 

Pichon  (Baron),  80. 

Picot  (É.),  97. 

Pigeonneau,  263  n. 

Pinet  (Du).  Voir  Dupinet. 

Pirmin  (saint),  65. 

Planchon  (L.),  268  n. 


INDEX  DES  AUTEURS  ET  DES  TEXTES  CITES 


»7i 


Platearius,  244  ri. 

Platina,  519  n.,  365. 

Platon,  4. 

Plaute,  22. 

Pline  l'Ancien,  154  n.,  248, 
JII,  360. 

Poème  moral.  143  n. 

Poinssot  (Ch.),  43  n. 

Pope  (M.  K.),  360. 

Port  (C),  360. 

Portai,  360. 

Poulet  (Dr),  256,  257,  293,  323. 

Prou  (M.),  36  n. 

Psautier  lorrain,  74. 

Puichaud,  334  n.,  365. 

Puitspelu  (N.  du),  98,  104,  105, 
142  n.,  143  n.,  156,  178, 
245,  246  n.,  247,  251,  294, 
307,  319,327,328,361,  365. 

Quicherat  (J.),  56,  59. 

Quicherat  (L.),  359. 

Rabelais,  81. 

Raimbaut  de  Vaqueiras,  232, 
340. 

Raimon  de  Miraval,  115. 

Raymond.  Voir  Lespy. 

Raynouard,  9,  75,  114  n.,  121 
n.,  132  n.,  143  n.,  152,  155, 
159,  170,  176, 182, 188, 190, 
215  n.,  221,  224,  231,  232, 
233,  2S2  n.,  257  n.,  289, 
305,  309  n.,  363. 

Razi,  153. 

Rédet,  55  n. 

Règle  de  saint  Benoit  (pr.),  364. 

Renart  le  Nouvel,  143  n. 

Rendus  de  Moiliens  (Le),  70, 
116  n. 

Renzi  (De),  305  n. 

Richelet,  83,  203,  271. 

Roby  (Abbé),  235  n. 

Rochegude  (Parnasse  occitanien), 
305. 

Roger  de  Salerne,  217,  305. 

Rolland  (E.),  70  n.,  75,  78,  89, 
97,  98,  99,   101,  102,   104, 


163  n.,  196  n.,  205  n.,  267 

n.,  284  n.,  301  n.,  304,  306, 

310  n.,  311  n.,  331  n.,  364, 

365. 
Ronsard,  278. 
Roquefort,  272. 
Roques  (M.),  277  n. 
Rose  (V.),  200  n.,  319  n. 
Rossi  (G.),  208  n. 
Rossignol  (É.),  363. 
Rousselot  (Abbé),  22,  126,  355. 
Roussey  (Ch.),  82,  100,  293  n., 

334-'  . 
Ruben  (E.),  164, 165,  172,  234, 

236,  255. 
Ruellius,  310  n. 
Runeberg,  1 16  n. 
Sachs,  149. 
Sainéan,  194  n. 
Saint-Gelais  (O.  de),  75. 
Saint-Léger,  139. 
Saint-Simon,  316. 
Salmon  (A.),  68,  94. 
Salomon,  glossateur,  66 
Salvioni  (C),  179  n.,  209  n. 
Samfiresco  (M»e),  8. 
Sand  (George),  241, 
Sarran  (Abbé),  221  n. 
Saumaise,  22. 
Sauvages  (Abbé   de),  269    n., 

306,  330. 
Savary  des  Bruslons,  83,  262, 

312  n.,  324,  344. 
Scaliger,  7,  169. 
Scheler  (A.),  ion.,  24,  29,  203. 
Schmitz  (W.),  246  n.,  277. 
Schône  (L.),  264  n. 
Schuch,  178  n. 
Schuchardt  (H.),  xii,    153  n., 

1 92-99  'passirn,   210  n.,   275, 

335-343 /""«'w'  366. 
Sermons  de  saint   Bernard,    81, 

117. 
Serres  (Olivier  de),  245,  310. 
Sévigné  (M™  de),  316. 
Sidoine  Apollinaire,  165. 


I7« 


INDEX   DES   AUTEURS   ET  DES   TEXTES  CITES 


Sidrac,  74. 

Simonneau,  242  n.,  334  n. 

Skeat,  263  n.,  313  n. 

Solier  (Hugues),  269. 

Souviron,  106. 

Soyer,  214  n. 

Spartien,  64. 

Staaf  (E.),  119,  122,  125,  134 

n.,  137,  138,  140  n.,  141. 
Stengel  (E.),  329. 
Strabon,  46. 

Strophes  au  Saint-Esprit,  340  n. 
Suchier(H.),  27s. 
Sudre  (L.),  14  n. 
Suidas,  194  n. 
Sulpice  Sévère,  38. 
Tailhan,  253. 
Taillevent,  80. 
Tannery  (Paul),  344,  345. 
Tarbé  (P.),  204  n.,  253  n. 
Térence,  261. 
Tertullien,  114. 
Teulié  (H.),  160. 
Texier  (H.),  235. 
Thèbes  (Roman  de),  76,  212  n., 

213,231. 
Theodorus  Priscianus,  200, 260, 

31911. 
Thibault,  94,  105,  162  n.,  173, 

203  n.,  318,  321,  332. 
Thierry  (J.),  83,  84,  319  n. 
Thomas  (Eug.),  41  n.,  62  n. 
Tillet  (Du),  84. 
Tissot,  95,  101,  105,  161,  256, 

276,  284  n.,  289,  323,  326. 
Tite-Live,  261. 
Tobler(A.),  67,68,  73,75,  77, 

78,  81,  84,  85,  86,  89,  90, 

95,  97.  107,  108,  110, 117  n., 

237,  329  n. 
Toubin  (Ch.),  10  n. 


Toumieux  (Z.),  92. 
Trévoux  (Dict.  de),  80,  83,  86, 
150,  262,  269,  272,  312,  324, 

359- 

Troie  (Roman  de),  107. 

Turgot,  8. 

Turnèbe,  30. 

Turpin  saintongeais ,  138. 

Valerius  Cato,  180. 

Valois  (H.  de),  30. 

Varin,  361. 

Varron,  4,  112,  297. 

Vaugelas,  277. 

Vayssier  (Abbé),  242,  249,  314, 

315,  316  n. 
Vialle.  Voir  Béronie. 
Vicaire,  80. 
Vidal  (A.),  301,  362. 
Vidal  (Peire).  Voir  Peire. 
Vie  de  saint  Colotnban,  94  n., 

363,  365. 
Vie  de  saint  Gilles ,  245. 
Vie  de  saint  Rémi,  214. 
Vising  (J.),  125  n.,   145,  146. 
Visner,  261. 
Virgile,  156,  190. 
Voltaire,  9. 
Vopiscus,  65,  72. 
Voyage   au  Purgatoire   de  saint 

Patrice,  182. 
Voyage  de  Jérusalem  du  seigneur 

d'Anglure,  278. 
Wace,  4,  265. 
Waldner,  134  n. 
Wallenskôld,  116  n. 
Warnke,  69. 
Watt  (G.),  151. 
Willaumez,  109,  291. 
Wœlfflin,  271  n. 
Yver  (J.),  204  n. 
Zeuss,  166  n. 


INDEX  GRAMMATICAL 


Accent  tonique  déplacé,    36  n.   (Adisse),    161   (souVtot),  286  n. 

(dxeunseu)  ;  —  dans  les  proparoxytons  grecs  à  voyelle  paroxyto- 

nique  longue,  193. 
Adverbe,  274  (pierre). 
Agglutination  d'à,  298  (amarri);  d7,  104  n.  (lu  cher  an);  d'«,  298 

(nar  ;  cf.  366);  de  l'article  arabe,  152  (alaquana). 
Analogie,  30  et  s.  (cf.  Contamination). 
Aphérèse,  50  (Darnac),  ^(Meillac,  etc.),  6o(Nalèches),  61  (Nexon), 

151  (agtwits),  161  (soûlote),  311  (ledouno),  366  (itoula). 
Article  substitué  à  la  syllabe  initiale,  3 1  (Te  Mans),  42  (Le  Toy^), 

43  n.  (Le  Rance),  45  "(Le*  Billanges).  —  Article  agglutiné,  104  n. 

(lucheran),  298  (amarri).  —  Article  arabe,   153  (alaquana). 
Assimilation,  176  (babi),  227-8  («5  =«  en  provençal). 
Composition  des  mots,  219  (conobrer),  225  (consirer),  236  (éM>o- 

«aiVe,  etc.),  258  (entrenerge),  283  (iorbe). 
Conjugaison,  259  (infinitif  refait),  260  (-m:  remplacé  par  -7re). 
Contamination,  113  n.  (proverbium, probrum,  inipropcrium),  133  n. 

(aer,  area),  159  (amerinus,  amants),  252  (escolorgier,  cul),  264 

(escavage,  esclavage),  278  (hanste,  empe),   309  (ebulutn,  odocos), 

330  (rutrum,  rotulus). 
Dérivation.  FoîV  Suffixes. 
Dissimilation  consonantique,  31  (soucroute),  41  (Arlempde,  etc.), 

45  n.  (Albilanges),  152  n.  (graujol),  199  (carcillade) ,  200  (i*WM- 

culata),  274  (garlimen),  363  (canelhuda). 
Dissimilation  vocalique,  191  (cafoic). 
Epenthèse  dV,  115  n.  (madrier),  180  (vrille). 
Formation  régressive,  157  (ambro,  aisso,  niaisso,  etc.),  321  et  367 

(/>OMi7/er). 
Genre  féminin  remplacé  par  le  masculin,  252  (ècoisson,  poison,  etc.). 
Genre  masculin  remplacé  par  le  féminin,  57  (Auvergne,  etc.). 
Hybrides  (mots),  167  (armaricus),  168  (Badiocasses),  309  (educu, 

ebucone,  etc.). 


378 


INDEX  GRAMMATICAL 


Labialisation  de  Ye  en  ou,  241  (dessoubrer),  de  17  en  m,  210  (trube). 

Lois  phonétiques,  22  et  s.,  224  et  s..  229. 

Métathèse  consonantique,  211  (tribe,  etc.),  259  (escalaoua),  319 
(porcacla),  332  (senne) ,  337-8  Çtrubare  ?,  Hrublare  ?),  363  (trehic). 

Noms  propres  source  de  noms  communs,  17  (Hongrois,  Croa- 
tes, etc.),  178  (Baies),  232  n.  (Damas),  249  n.  (Dyrrachium?), 
3 1 3  (Worstead),  344  (Varinas). 

Prosthèse.  Fi»V  Agglutination. 

Sémantique,  27  et  s.,  179,  180. 

Substantifs  verbaux,  277  et  365  (anhela). 

Suffixes  nominaux  :  acia,  317;  aciarius,  2  5  3  ;  acti»,  1 96  ;  acî/5, 
196  ;  alicia,  90;  alicius,  63  ;  aricius,  62  et  s.,  359  ;  an'/ij,  173  ; 
dm,  254,  281  ;  arius,  119  et  s.;  a/or,  atorissa,  atrix,  69;  a/tf- 
rtkf,  254  n.  ;  attarius,  233,  254  n.  ;  at>«5,  198;  etum,  197; 
ram  (=  ter  abstrait),  1 10  et  s.  ;  ïcius  et  ïcius,  63,  64,  66,  68  n.  ; 
icus,  57  ;  ïcos  et  ïcoî  (celtique),  166  ;  ïculus  et  ïcmZî/5,  180,  333  ; 
ilicius,  63  ;  Sur,  62,  173  ;  -iolaris,  228  ;  «ca  (celtique),  60  ;  m«w 
(celtique),  50;  issa,  69;  ittarius,  234;  i7/h.î,  71  ;  0,  onis,  318; 
orà«,  64  n. 

Suffixe  verbal  icare,  324. 


INDEX  LEXICOGRAPHIQUE 


ANGLAIS 


alkanet,  152. 
bear,  187. 
berman,  187. 
butteris,  10 1. 
buttress,  101. 
grog,  19. 
grogoran,  19  n. 
grogram,  19. 
hang,  29. 
hinge,  29. 


meer,  366. 
near,  298. 
noon.  315  n. 
orkanet,  152. 
purslane,  320  n. 
sandwich,  18. 
scavage,  263. 
scavenger,  263  n. 
sceawian,  schewen,  263. 
worsted,  313. 


ALLEMAND.    Voir   GERMANIQUE 


al-hinna,  153. 
al-kemelieh,  150. 


ARABE 

I  anzarot,  161 


ARGOT 

davone,  232  n. 


ambactos,  38,  40. 
armorie,  166  n. 
*artica,  166. 
arvorek,  166. 


CELTIQUE 

"bodica,  166. 
bodios,  168. 
"cambica,  166. 
cambon,  48. 


580 


INDEX    LEXICOGRAPHIQUE 


cavannus(?),  301. 

coantig,  29. 

cynhyrfu,  338  n. 

cythrwfl,  cythryflu,  338  n. 

dunum,  35,  48,  52  n.,  55,  59. 

durum,  42. 

.ïcos,  -ïcos,  suff.,  166. 

-isca,  suff.,  60. 


-iscos,  suff.,  54. 
kalljov-,  199. 
magus,  60. 
odocos,  odicus,  etc. 
-oialum,  61. 
risclaff,  252. 
vernos,  51. 


508,  309. 


acabdar,  25. 
alfana,  7. 
alhefia,  153. 
alisar,  281. 
alquimila,  149. 
alrededores,  169. 
arveja,  163. 
asnerizo,  66. 
asnero,  67  n. 
avellanar,  281. 
azaro,  azarote,  16 
azuola,  162  n. 
cabrerizo,  66. 
cabrero,  67  n. 
cada,  190  n. 
cautiverio,  116  n. 
cerro,  202. 
cobrar,  322. 
colcedra,  215. 
enguera,  255. 
guedeja,  180. 
hermano,  281. 


CINGHALAIS 

akmalla,  151. 

ESPAGNOL 


hiniesta,  281. 

jenabe,  196. 

lanar,  151. 

loguero,  112. 

lubricar,  292. 

llamada,  20. 

madera,  138. 

madero,  115. 

pecho,  138. 

piedra,  138. 

pierdo,  138. 

roya,  153. 

tempero,  115. 

vaquerizo,  -a,  67,  93  n. 

vedeja,  vedija,  180. 

yedgo,  309. 

yegar,  yegarizo,  yeguerizo,  253. 

yegua,  253. 

yeguaceria,  253. 

yeguero,  253. 

yermo,  193. 

yezgo,  309. 


FRANÇAIS 


aaisier,  245  n. 

abécédaire,  150. 

abeille,  348,  349,  350,  351 


ablerez  (ableret),  82. 
abord  (d'),  236. 
aboyer,  356. 


FRANÇAIS 


)8i 


abreuvoir,  354. 

absine,  240. 

absinthe,  354. 

accord  (d  ),  236. 

acheter,  24,  356. 

acmelle,  149. 

adebonairir,  236. 

adelaisi,  237. 

agnous,  agnouseté,  151. 

aider,  348. 

aiguiser,  356. 

ainse,  286. 

aire,  122,  131. 

aire  (de  bon,  de  mal,  de  put),  236. 

aise,  237,  243  n. 

aiserez,  73. 

aissade,  162  n. 

aisseau,  162. 

aisselle,  158. 

aissette,  162. 

aissole,  aissolette,  162. 

aiti  =  étis,  266. 

alcanette,  152. 

alcanne,  alchane,  153. 

alchimille,  149. 

alerte,  236  n. 

aller  chercher,  348. 

amanoïr,  209" n. 

amarine,  362. 

amarri,  297. 

amaticle,  -tique,  231  n. 

ambassade,  40. 

amerin,  362. 

ampe,  amper,  278. 

angelot,  160. 

anguillerez,  73. 

ansoulote,  161. 

anwillerech,  73. 

apaiser  (-ier),  243  n. 

apoieoir,  94. 

apoierez,  94. 

arbousier,  310. 

arc,  298  n. 

arcanne,  153  et  154  n. 

ardoiserez,  73. 

arieutan,  284. 


armoire,  230. 
armon,  298  n. 
arquenet,  152. 
ars,  298,  366. 
asnerez,  73,  82,  359. 
âsse,  162  n. 
asseûr,  237. 
assure,  152. 
atenergé,  257  n. 
atoivre,  212  n. 
aulonnier,  310. 
auverez,  73. 
avairie,  174. 
avainerieus,  174. 
avalerece  (-esse),  106. 
avanri,  avanrie,  174. 
avantage  (d'),  236. 
aveille,  351. 
aveneril,  173,  295. 
aveneris,  173. 
avette,  352. 
avilie,  351. 

avoine  (prune  d'),  232  n. 
avoltire,  139,  140  n. 
azoivre,  212  n. 
baien,  177. 
baignerez,  -eche,  94. 
baignoire,  213. 
baillier,  58. 
bainer,  178. 
baïonnette,  17. 
baiteré,  10 1. 
baler,  baleresse,  69. 
bambais,  194. 
bancherez,  -ece.  (-esse),  73. 
banerete,  71. 

banerez  (-et),  67,  68,  69,  73. 
banière,  68,  71. 
barerez,  -ece  (-esse),  94. 
basterez,  74. 
bataillerez,  74. 
bateïce,  94. 
batelerez,  -ece,  94. 
bateresse,  70,  71. 
bâterez,   -ece  (-esse),   70,   94, 
100,  101,  107,  361. 


382 


INDEX  LEXICOGRAPHIQUE 


batilleras,  74. 

batresse,  107. 

batrosse,  107. 

bêcherez,  -ece  (-esse),  74. 

belette,  28,  29. 

bergerece,  88. 

bergue,  186. 

berline,  17. 

berman,  185. 

berserez, -ece  (-esse),  70,95, 101. 

beurre,  182,  193. 

beverez,  95. 

bief,  127,  131. 

bien,  139. 

biscaïen,  17. 

blaerez,  74. 

blâme,  193. 

blanc,  8. 

bleerez,  74. 

blond,  8. 

bolie,  183. 

boserez,  74. 

bosserez,  10 1. 

boterece,  107. 

boterez,  95. 

bott'ret,  101. 

bouc,  20. 

boucher  (subst.),  29. 

bouillie,  183. 

bouseret,  74. 

bousser,  10 1  n. 

bousserot,  101. 

bouteret,  -ez,  95,  101. 

boutice,  91. 

boverece,  88. 

boyerot,  95. 

bracerez,  361. 

braiserez,  74. 

braserech,  -et,  74. 

brasserich,  67  n.,  95,  361. 

brebis,  337. 

brider,  321. 

broie,  110. 

bruereche,  74. 

bruerez,  69,  74. 

bruierece,  107. 


bruman,  186  n. 

brument,  186. 

buerez,  -ece,  95,  102. 

buglerez,  -et,  74. 

burâ,  102. 

burre,  182. 

cade,  188. 

caiage,  263. 

caillou,  192. 

calicot,  17. 

camberi,  175. 

cambré,  85. 

cammeri,  175. 

canepetière,  99. 

+  cannellée,  363. 

■f  canor,  301. 

caon,  301. 

careillade,  199,  363. 

caserel,  83. 

caseret,  83. 

caumeri,  175. 

caupie,  260. 

ceindre,  54. 

cel  (pron.),  31. 

cendresse,  68  n. 

cenelle,  171. 

cer,  200. 

cerce,  203. 

cerceau,  203. 

ceriau,  ceriot,  204. 

cerise,  143. 

cerne,  203. 

cerneau,  203,  363. 

cerner,  205. 

chacerez  (-at,  -et,  -ot),  70,  102. 

chaeine,  195  n. 

chaiere,  195  n. 

chaillou;  198  n. 

chaitivant,  116  n. 

chaitivier,  m  n,  116. 

chalmerez,  75,  83. 

chambre  (chanvre),  201. 

chameau  (-eil,  -oil),  195. 

champarterez,  -ece  (-esse),  359. 

chantier,  140. 

chaon,  501. 


FRANÇAIS 


|*1 


chaperez,  83. 

chaplerece,  107. 

chaplerez  (-et),  361. 

chardonneret,  71. 

charrier,  s.  m.,  295. 

charte,  chartre,  304. 

chaseret  (-ez),  83. 

chasier,  -ière,  83. 

chat-huant,  301  n. 

châtier  (castier),  1 39. 

chaumeret,  -ette,  75,  83. 

chaumeril,  175,  296. 

chaussetier,  234. 

chavan,  chavon,  301,  366. 

chaverez  (-ot),  102. 

ché  (==  cher),  200  n. 

chemineresse,  362. 

chemise,  333. 

chenilliee,  200,  363. 

cher  (poignée),  200,  202. 

cherain,  201  n. 

cherdonî,  71. 

chère  (=  cher),  200. 

cherion,  201,  202. 

chevalerez,  -ece  (-esse),  69,  75, 

96. 
chevaucherez,  -ece  (esse),  96. 
chevrerez,  -ece  (-esse),  75. 
chierez  (-ot),  96. 
choan,  301,  302. 
chose,  121. 

chôtai,  chôterat  (-ot),  102. 
chouan,  301. 
choucroute,  3  1 . 
cifoine,  331  n. 
civière,  215. 
claqueret,  361. 
clou,  clouer,  198  n. 
coan,  301. 
cochonesse,  70. 
coestrcsse,  89. 
coillerez,  102. 
coisteresse,  89. 
coldrercz,  -ece,  75. 
colerez,    -ece  (-esse),   75,  107, 

362. 


conobrage,  217,  364. 
conobrer,  219,  220,  364. 
conovrer,  220  n. 
conseillier  (verbe),  1 1 1. 
conseillier  (subst.),  m,  139. 
consirer,  226,  227. 
consirier,  m,  116  n.,  223. 
contorbler,  338  n. 
contraire,  122. 
controbler,  338  n. 
copécherat  (=  corp  pescherat), 

98. 
coperez,  102,  361. 
copi,  260. 
côrasse,  75. 
cordonnier,  17. 
corerez,  -ece  (-esse),  96,  107. 
côresse,  75. 
corterece,  360. 
cofvisart,  17. 
corvoisier,  17. 
cosdre  (coudre),  226. 
cosse,  245. 
costerez,  -ece  (-esse),  75,  83,  84, 

89,  360. 
cotret,  83,  84. 
cotterelle,  83. 
cotteret,  83. 
couant,  301. 
coude,  24. 
coudrette,  75. 

couleresse  (-ette),  71,  107,  362 
coulourgeable,  255  n. 
couneuvre,   218,  219,   220  n., 

364. 
couperet,  102,  361. 
coudre  (cosdre),  226. 
coureresse,  107. 
courô,  96. 
couronne,  273. 
courteresse,  360. 
courtier,  233,  234. 
couveoire,  71. 
couveresse,  71. 
crameresse,  107. 
cravate,  17. 


3  84 

cremerece  (-osse),  107. 

crenerece  (-esse),  107-8. 

cresson,  150. 

crierece,  108. 

croiser  (croisier),  243  n. 

croisserece,  108. 

croix  (crois),  243  n. 

cueilleret,  102. 

cuir,  141. 

cuperot,  102. 

dagoine,  232  n. 

dais,  54  n. 

dalmatique,  230. 

damerez    (-et),     72,    75,    76, 

84. 
danserez,  -ece  (-osse),  96. 
dans'rosse,  96. 
daumaie,  229. 
daumaire,  229. 
daumoire,  229. 
daumais,  230. 
dausse,  245. 
davaine,  davoine,  232. 
débonaire,  etc.,  236. 
debout,  238. 
débrider,  321. 
defroissier,  243. 
dégarnir,  321. 
dehait,  237. 
demalaire,  236. 
demandier,  11 1  n.,  117  n. 
dementieres,    dementiers,     140 

n.,  141. 
denai  (donner),  317. 
deneree,  denrée,  121  n. 
dépouille,  dépouiller,  321,  322. 
deputaire,  etc.,  236. 
desiier,  116,  223. 
désirer,  226. 

desirier,  .111  n.,  116,  223. 
desputarité,  236. 
desservir,  226. 
dessevrer,  242. 
dessombrer,  241 . 
dessoubrer,  241. 
destorber,  338. 


INDEX   LEXICOGRAPHIQUE 


destorbier,    ni   n.,    116,   117, 

338  n. 
dimancherez  (-et),  72,  76. 
dgelene,  317. 
dgenesse,  317. 
djevencé,  287. 
dois  (dais),  54  n. 
doloire,  238. 
dolse,  245  n. 
domagne,  231  n. 
domaine,  57. 
dosse,  245. 
dosserasse,  89. 
dosserez  (-et),  -ece  (-esse),  76, 

84,  89. 
doulce,  245,  246. 
douve,  170. 
droit,  247,  248. 
duraine,  248. 
dzare,  275. 
dzeunseu,  286  n. 
dzgnou,  289. 
eauweresse,  76. 
écerner,  205. 
échalotte,  17. 
échançon,  131. 
écharrant,  256. 
*échaupir,  260. 
éclopé,  255. 
éculorger,  252,  292  n. 
écumerette,  71. 
ef,  350. 
égliober,  291. 
éhanché,  255. 
einsarâ,  256. 
emblée  (d'),  236. 
émôdre,  259  n. 
émoi,  235. 
émouvoir,  259  n. 
empe,  empé,  emper,  278. 
emperere,  16. 
empire,  139,  140  n. 
empouille,  empouiller,  522. 
encombrier,  111  n.,   114,  116. 
encontrier,  11 1  n.,  116. 
encontriere,  116  n. 


FRANÇAIS 


endementiers,  140  n. 
engrant,  237. 
enliouber,  291. 
énougeler,  205. 
énouler,  205. 
enquemencie,  317. 
enrièvre,  258  n. 
ensarrai  (s'),  256. 
ente  (adj),  237. 
entier,  143  n. 
entrenerge,  257,  365. 
entrepied,  273. 
épagneul,  17. 
éparpiller,  272. 
épouiller,  321. 
équemôdre,  258. 
ère  (du  verbe  être),  143  n. 
ereinté,  255. 
erme,  193. 
es,  350. 
escaupine,  260. 
escaupir,  260,  365. 
escavage,  264. 
eschalogne,  117. 
eschançon,  131. 
escharpison,  260. 
eschevi,  362. 
eschiele  (-ese),  131. 
eschive,  76. 
esclavage,  262. 
esclave,  17. 
escolorgier,  252,  292. 
escomovoir,  259. 
escorcerez  (-aie),'' 76. 
escorre,  escourre,  250. 
escumerece,  108. 
escuperez  (-ot),  102. 
eskeure,  250. 
esmovoir,  259  n. 
esperve,  365. 
espesse,  70. 
espinerech  (-ez),  76. 
espoillier,  321. 
espooillier,  321  n. 
esposerez  (-ech),  96. 
essaim,  352. 

Thomas. 


esserrer,  255,  365. 

esseret,  76,  84. 

essolate,  162  n. 

essole,  162  n. 

essoriller,  272. 

estaïf,  266. 

esterchir  (-kir),  265. 

estessinerece  (-esse),  108. 

étanie,  152. 

éti,  étis,  266. 

étoquerece  (-esse),  108. 

euce,  eucerez,  euchereç,  76,  84. 

eutrapele,  6. 

everez,  eweret,  76. 

fagnerece  (-esse),  89. 

faïence,  17. 

fanterne,  268. 

fatras,  360. 

fau  (hêtre),  196. 

fauterne,  267. 

fautre,  268. 

faverez,  -ece  (-esse),  82-3,  89. 

favergier,  294. 

faveril,  363. 

felunesse,  70. 

femerez,  76. 

femeril,  175,  296. 

femerot,  97. 

fenal,  85  n. 

fenderez,  103. 

fenerez  (-ech,  -eç),  -ece,  67,  77, 

78,  85,  360. 
feu  (hêtre),  196. 
feuillard,  273. 
feuiller,     feuilleret,     feuillure, 

103,  271. 
feuillir,  273. 
fève,  346  n.,  349,  363. 
fier,  145,  146. 
hllerez  (-et),  72,  85. 
finerez  (-oz,  -ot),  77. 
fire  (de  ferif),   139,  140,   142. 
flaverez,  -ece,  77. 
floerez,  -ece,  77. 
fo  (hêtre),  196. 
foeiller,  272. 

IL  —  25 


3  86 


INDEX  LEXICOGRAPHIQUE 


foeillerez,  103. 

foerasse,  90. 

foerez,  -ece  (-esse),  96. 

foerosse,  77. 

foiller,  faillir,  273. 

foirerez,  77. 

folerez,  96,  103. 

fonterne,  270  n. 

forger,  294. 

formerez  (-et),  103. 

forserece,  96. 

forterece  (-esse),  S9-90. 

fortuné,  22. 

foterle,  268. 

foterne,  268,  269. 

fou  (hêtre),  196,  198  n. 

fouet,  198  n. 

fouiller,  272. 

foulereis  (-et),  96. 

fouloreche,  96. 

fourmoyrets,  103. 

fousseresse,  96. 

fraindre,  54. 

frapier,  116  n. 

fraserez,  -ece  (-esche),  97. 

frenerez,  -ece,  77. 

fringuerez  (-et),  97. 

frisson,  252. 

froisser  (-ier),  243. 

fromenterez,  -ece,  77. 

fromenteril,  175,  296. 

fruiterez,  77. 

f  fruterne,  269. 

fueiller,  fueillir,  273. 

fumereche,  76. 

fumerez  (-ot),  97. 

futerne,  270. 

gagerez  (-et),  77. 

gagoine,  232  n. 

garir,  129. 

garnir,  131. 

gâter,  124. 

gauce,  244  n. 

gauferais,  69. 

gaufre,  *gaufrerez,  69,  77. 

gendre,  288. 


genestrerez,  85,  361. 

génisse,  286. 

genoilliere,  143  n. 

genvre,  28  n. 

gerberez,  gerbero,  360. 

gierre,  gierres,  etc.,  274. 

gindre,  286,  288. 

glaire,  122. 

gleteron,  292. 

gleton,  292. 

glincier,  252. 

glouteron,  292. 

g'nétrot,  85. 

gorce,  s 3. 

goterez  (-et,   -ot),  69,  77,  8$, 
103. 

gource,  53  n. 

gourgouran,  19  n. 

gousse,  244,  245. 

gouterot,  77,  103. 

grainetier,  234. 

graiperot,  97. 

grammaire,  230. 

graperez  (-ot),  97. 

gravelez  (-ret),  103-4. 

gravir,  103. 

gresserez  (-ech),  77. 

grimoire,  230. 

grimpelet  (-ret),  104. 

gripelat  (-let),  104. 

griper,  104. 

grog,  19. 

gros-grain,  19  n. 

grue,  302,  303. 

grumeau,  205. 

guandir,  131. 

guarir,  129. 

guarnir,  131. 

guérir,  129  n. 

guilerez,  97. 

guilleret,  ette,  97. 

guinderece  (-esse),  108-9. 

guivre,  302,  303. 

hacherece  (-esse),  109. 
.  baigner,  152  n. 
I  haire,  131,  132. 


FRANÇAIS 


387 


haleine,  276,  365. 

hamai,  110. 

hampe,  277. 

hampe,  278. 

hante  (hanste),  277. 

haquenée,  8. 

hardir,  131. 

haveresse,  108. 

henné,  153. 

herban,  herberge,  127. 

herminette,  161. 

heuceret,  76. 

hhèrë  (so),  257  n. 

hiver,  285. 

hongreline,  17. 

hongrer,  17. 

hongroyer,  17. 

hostade,  312  n. 

houmeresse  (écumeresse),  108. 

hua,  301. 

huant,  301  n. 

hucherez  (utcherot),  104. 

huer,  301  n. 

ingambe,  238  n. 

iôrbe,  283. 

irier,  243. 

ivier,  285. 

ivière,  284. 

jainçon,  285. 

jamberez,   -esce,   67,    78,    85, 

90-1. 
jambresse,  90. 
jambrot,  85-6. 
jardrin,  90. 

jaschere,  jascherez,  69,  86,  106. 
jauce,  244  n. 
jédrasse  (-osse),  97. 
jegnor,  288. 
jeneré,  361. 
jeterez  (-ot),  104. 
jitrot,  104. 
joie,  121. 
joincle,  286. 
*joinçon,  285. 
joinderez,   -ece  (-osse,   -asse), 

97,  109. 


joindre,  286,  288. 

joncle,  287. 

jondresse,  90-1. 

jouvenceau,  286,  287. 

jovegnor,  289  n. 

junque,  297. 

kem'rosse,  70,  107. 

krennress,  107-8. 

la  (article),  31,  32. 

labourage,  labourer,  364. 

laceret,  86. 

lagnous,  151,  152. 

laigner,  151  n. 

lampreierez,  78. 

lampresse,  78. 

lancerez  (-at,  -ot),  104. 

lanerez  (-et),  361. 

lasseret,  86. 

laterez  (-ech,  -at),  72,  78. 

le  (article),  31,  32,  45. 

lechier,  lecheresse,  69,  70. 

ledomier,  367. 

ledonnier,  310  n.,  367. 

légatoire,  64  n. 

lergé,  293  n. 

lergier,  293. 

létanie  (litanie),  152. 

leurgier,  293. 

lin  (de  put),  237. 

lioube,  291. 

lleurgheous,  293. 

lleurgher,  295. 

llugrer,  293. 

llugrou,  294. 

loce,  locerez  (-et),  78,  86. 

loier.  Voy.  loyer. 

loisir  (être  de),  235. 

longuerece  (-esse),  91,  360. 

longuesse,  91. 

losse,  78. 

louce,  78,  79. 

louier.  Voy.  loyer. 

lourgier,  293. 

louvetier,  234. 

lovergier,  253  n.,  294. 

loyer,   111   n.,   112,   116,  120. 


388 


INDEX   LEXICOGRAPHIQUE 


lucher,  293. 

lucheran,  104  n. 

machè,  97. 

mâcherez,  -ece  (-esse),  97. 

madrier,  115  n. 

maîche,  158. 

maiere,  141. 

mail,  144. 

maillerace,  91. 

maisière,  139,  142,  143. 

maistresse,  70. 

malade,  22. 

malerez,  -ece,  78,  91. 

malot,  352. 

manière,  143  n. 

maroquin,  17. 

marrir,  131. 

marriz,  297,  366. 

matire,  139. 

meeril,  175,  295-6,  366. 

meie  (médecin),  231. 

meiteerez,    -ece  (-asse,   -esse), 

78,  91,  361. 
menestier,  139.  ' 
mercerot,  71. 
méril,  295. 
merri,  366. 
mesalier,  216. 
meserrier,  216. 
métier  (mestier),  133,  139,  140, 

141,  144. 
meule,  273  n. 
meulon,  295. 
meusserot,  104. 
mie  (médecin),  231. 
millerin,  363. 
mire   (de    merir),     139,     140, 

142. 
mistre,  mitre,  302. 
moiterace,  -rece,  78,  91. 
moterez  (-et),  360. 
mouchate,  352. 
mouche  à  miel,  352. 
mouchette,  352. 
mouchote,  352. 
moutèle,  moutoile,  29. 


moutier  (moustier),  139,  140. 

mucerez  (-ot),  104. 

f  murdre,  302. 

-j-  mute,  302,  304. 

f  mutre,  302. 

nache,  nage,  231. 

nagerez  (-et),  ece  (-esse),  97-8, 

104. 
nar  (à),  298,366. 
navierez,  navirech,  361. 
nicher,  21. 
nigealer,  205. 
niquerez  (-et),  105. 
nivâie,  285. 
nocher,  21. 
none,  315  n. 
nouclu,  300  n. 
nuite,  nuitre,  300,  366. 
oan,  315. 
oblierez,  78. 
oince,  286. 
olone,  olonier,  olonnois,  310, 

366. 
oraille,  31s. 
orbe,  283,  284. 
orcanète  (-ette),  152,  154  n. 
oreille,  272. 
orgeril,  175,  296. 
orière,  315. 

orine  (de  franche),  237. 
orviétan,  234. 
osserez  (-et),  86. 
ostade,  311. 
ostede,  313. 
ostesse,  70. 
oublierez,  78. 
ouecereç,  76. 
ouesse,  352. 
paaigerez,  79. 
paillerez  (-et),  86. 
paire,  122. 
pais  (paix),  243  n. 
pakrè,  87. 
paierez,  72,  98. 
paletret,  paltret,  105. 
panache,  21. 


FRANÇAIS 


panader,  315. 

paner  (panier),  125,  146. 

panerece  (-esse),  91. 

paon,  316. 

papillon,  272. 

pâqueret,  ette,  71,  87. 

parlier,  ni  n.,  117  n. 

paroisserez,  79. 

panerez  (-et),  105. 

pasquerez  (-et),  67,  78-79,  86, 

87. 
passerece  (-esse),  109. 
passeret,  105. 
pate-de-lion,  150. 
pave,  195. 
pavie,  177,  195. 
pavillon,  272. 
peagerez,  79. 
peau,  321. 
pécherez    (-et,    -at,    -ot),    ece 

(-esse),  98,  109. 
*pelenesse,  'pelnesse,  317. 
peler,  318. 
pelon,  318. 
penade,  316. 
penderez  (-et),  98. 
pendre,  29. 
pendret,  98. 
pêne,  317. 
penesse,  316. 
pennade,  -er,  316. 
pensier,  ni  n.,  116. 
penture,  29. 
percerette,  71. 
percerez  (-et),  105. 
père,  144  n. 
perrière,  197. 
persienne,  17. 
pescherez  (-et),  -ece  (-esse),  98, 

109. 
peseril  (?),  363. 
petière.  Voyez  canepetière. 
petrasse,  -osse,  -ote,  99. 
picheret,  98. 
picherot,  99. 
pied-de-lion,  150. 


pignada,  283  n. 

pilerez,  79. 

piquerez,  99. 

pisserez,  -rot,  99,  105. 

plaie,  231. 

plaon,  318. 

plaquerece  (-esse),  109. 

pleierez,  -ece  (-esche),  99,  105. 

pleion,  pleon,  318. 

plier,  318. 

ploierez,  -ece  (-esche),  99,  105. 

ploieruel,  105. 

ploion,  318. 

plom,  plomb  =  pion,  367. 

plomberez,  79. 

plommerech,  79. 

pion,  pionnière,  plonnoye,  317, 

367. 
ploqueresse,  109. 
ploumerech,  79. 
ployon,  318. 
poinçon,  285. 
pois,  363. 
poison,  252. 
polène,  317,  n. 
polinasse,  317. 
poltrait,  105. 
porcelaine,  320. 
porchaille,  318,  367. 
porcherez,  -ece  (-esse),  79,  87, 

91-2. 
porchier,  120. 
porterez,  -ece  (-esse),  99. 
portrait,  105. 
poterez,  -ece  (-esse),  79. 
pouiller,  320,  367. 
pouir,  322. 

poulenée,  poulnée,  317  n. 
pourcelaine,  320. 
pourchaille,  319. 
pouyement,  320,  321. 
pouyer,  320,  321. 
pramessc,  70. 
f  prangerbero,  360. 
pranjer,  323. 
premier,  145,  146. 


390 


INDEX  LEXICOGRAPHIQJJE 


prendgî,  323. 

preu,  324. 

princier,  140  n. 

progier,  323. 

prou,  324. 

prover  (prouver),  339,  342. 

psautier,  140. 

pseuret  (pisserez),  105. 

puisatier,  234. 

put,  236,  257. 

queuperot,  102. 

rader,  247  n. 

radoire,  247. 

ramènerez  (-et),  105. 

rancerat,  104. 

rasoir,  141. 

ravoi,  ravoir,  324,  325. 

rebaterez  (-et),  105-6. 

rebattre,  105  n. 

rebattret,  106. 

rebondre,  327,  328. 

receperece  (-esse),  109. 

recincier,  327,  367. 

reconnaître,  218. 

recovrier,  114,  116. 

recouvrer,  218. 

recrenerece  (-esse),  109. 

refenderez  (-et),  106. 

refendret,  106. 

refouillement,  272. 

refouiller,  272. 

regieres,  275  n. 

reïncier,  327,  367. 

rejeterece  (-esse),  109. 

remembrier,  116. 

remuier,  117  n. 

reparerece  (-esse),  109. 

repasserece  (-esse),  110. 

repenner,  316  n. 

repondre,  327. 

reprochier,  117. 

reprovier,  11 1  n.,  112,  117. 

reprouver,  m. 

résand,  325. 

resencier,  326,  367. 

restorier,  111  n.,  117. 


retenterece,  1 10. 

reuil,  329. 

revondre,  327,  367. 

rézonsî,  327. 

r'gettress,  109. 

ricanerez  (-et),  99. 

ricèperesse,  109. 

ricranneresse,  109. 

rincer  (rinsî,  reïncier),  326,  327, 

367. 
ripareresse,  109. 
rocheraie  (-aye),  79. 
rocherez,  79,  360. 
roïllier,  272. 
roinse,  286  n. 
roisent,  325. 

rollerez,  -ece  (-esse),  99. 
roserez,  -ece  (-eche),  79. 
rouiller,  272. 
roulerez,  -esse,  99. 
ruche,  352. 
saimeoire,  70,  71. 
saimerece,  110. 
saimerez,  ece  (-eche),  70,  71, 

361. 
sair,  201. 

salmonerez,  -ece  (-esse),  79-80. 
sandwich,  18. 
santé  (de),  236. 
-j-santeine,  fsanterne,  267,268. 
sanve,  196. 
sarment,  203  n. 
saumiereche,  100. 
saumonneresse,  79-80. 
scion,  204. 
sebrer,  242. 
secherece  (-esse),  93. 
seierez  (-et),  100. 
sene,  331. 
séné  (sanve),  196. 
senne,  331. 
sephoine,  331  11. 
sept,  24. 
ser,  201,  203  n. 
serain,  201. 
serein,  326. 


FRANÇAIS 


*9> 


serene,  204. 

seron,  201. 

serotte,  200. 

seur,  203  n. 

seùr  (sûr),  237. 

sevrer,  242. 

sewiy',  333. 

simphonie,  331  n. 

sinef  (sanve),  196. 

sinphonie,  331  n. 

sné,  sney'  (sanve),  196. 

soi  lie,  333. 

soirct,   100. 

somart,  somarterez,  somartraz, 

360. 
somme,  26. 
sommier,  26. 
sooille,  333. 
soperece  (-esse),  1 10. 
sopresse,  1 10. 
sorderez,  -ece  (-esse),  100. 
sordreresse  (-dresse),  100. 
souille,  332. 
souiller,  332,  333. 
soûlote,  161-2. 
soul'tot,  161. 
soupçon,  252. 
sourcroute,  31. 
sourdcr,  100. 
sourdre,  100. 
supercherie,  21. 
swiy',  333. 
tablerez,  -ece,  80. 
taillerez,  100. 
tallerotte,  100. 
tanerez  (-et),  80. 
tarau,  334. 
tarir,  131. 
taurau  (adj.),  334. 
taureau  (subst.),  334. 
taureau  (adj.),  334  n. 
taurelière,  333. 
tavernerez  (-et),  80. 
tecerez  (-ot),  100. 
tecier,  100. 
tempier,  115,  140. 


tenceresse,  70. 

tendre  (verbe),  29. 

tenegre,  257  n. 

tenerge  (-ierge),  257,  365. 

tenture,  29. 

tercerez,  -ece  (-asse),  80,  87,  93. 

tere  (tire),  143  n. 

teresse,  80. 

terragerez,  -ece  (-esse),  80,  359. 

terrerez,  -ece  (-eche),  80. 

tessinerece  (-esse),  108. 

teum'rot,  106. 

fthoon,  301. 

tiercerets,  87. 

tiere  (tire),  143  n. 

tierreche,  80. 

tieupp'rot,  102. 

tilleul,  272. 

timbre  (auge),  214. 

tine,  214  n. 

tinglerez,  72,  79. 

tinre,  214  n. 

tire  (tiere),  143. 

tirerez,  -ece  (-esce),  100. 

tiresce,  100. 

toaille,  209  n. 

tocier,  100. 

toeillier,  272. 

toivre,  213,  214. 

tomber,  tomberesse,  69. 

tomberez  (-ot),  106. 

torberez,  80. 

torbler,  338  n. 

torcherez  (-ot),  100. 

tord,  334. 

torelière,  333. 

torière,  333. 

tornerez,  100. 

torver,  338  n. 

tos'ro  (*toceroz),  100. 

touerîr,  334. 

touiller,  272. 

touorlire,  333. 

tourberés,  80 

tourneresse,  100. 

tracelet  (-ret),  106. 


INDEX  LEXICOGRAPHIQUE 


traierece  (-esse),  no. 

trebu,  364. 

trekeresse,  70. 

trenège,  365. 

treschier,  130. 

treù,  335. 

trobler  (troubler),  338  n. 

trouver,  334. 

truanderez,  81. 

trupelin,  6. 

tumerez  (teum'rot),  106. 

ucheran  (lucheran),  104  n. 

utcherot,  104. 

vacherez,  -ece  (-esse),  81,  87, 

93-4- 
vackerece,  vacqueresse,  81,  93. 
vair,  122,  141,  144. 
varinas,  344. 
-J- varnias,  345. 
vautour,  302,  303. 
veierez,  69,  81. 
veille  (vrille),  180. 
veillée  (liseron),  181. 
veillote,  181  n. 
vendemaresse,  81. 
vendengerez,  81. 


venderesse,  70. 
venderez  (-et),  joo. 
venterece(-esse),  vent'resse,  70, 

110. 
vérine,  344. 

vermeil,  vermillon,  272. 
verserez  (-ot),  106. 
veuillet  (liseron),  181. 
vieille  (liseron),  181. 
vignerez  (-et),  -ece  (-esse),  81, 

87. 
viille,  180. 

vinerez,  -ece  (-esse),  81. 
viorne,  284. 
vis,  vi,  284. 
voierez,  69. 
volerez  (-et),  106. 
volontiers,  139. 
voogerez,  81. 
vougeresse,  81-2. 
vougesse,  82. 
vreille  (liseron),  181. 
vrille,  179-181. 
waufferrais,  waufret,  69. 
xhavresse,  108. 
yorne,  284. 


GERMANIQUE 


akmelle,  150  n. 

-areis,  -ari,  -eri,  suff.,  123, 125. 

14S,  147. 
attich,  308  n. 
auskernen,  205. 
badi,  127,  131. 
beran,  209. 
beurtman,  186. 
botan,  101  n. 
deohproh,  364. 
drëskan,  130. 

-ère,  -eri,  suff.,  voye\  -areis. 
faltblume,  271  n. 

faskapjan,  362. 
ardjan,  131. 
hari,  124,  125  n.,  127. 


*harja,  131,  152. 

harjis,  127. 

heri,  127. 

jehan,  132  n. 

kern,  203. 

kernen,  205. 

kletto,  292. 

klieben,  *klubba,  291. 

kraut,  31. 

lœwenfuss,  lœwenklau,  150. 

marrjan,  131. 

mêr-,  128. 

milza,  213  n. 

nahe,  298. 

puzzela,  320  n. 

sauer,  sauerkraut,  31. 


scaz,  129. 
schaffen,  362. 
schatz,  212  n. 
scheppen,  362. 
schœntierlein,  29. 
schœpfen,  361. 
skankjo,  131. 
*skapfjan,  *skapjan,  362. 
skara,  131. 
skatts,  129,  212  n. 
*skerja,  132. 
sperberbaum,  264. 
spërboum,  265. 
stark,  sterk,  sterken,  265. 
*têri,  143. 


:c  393 

tharrjan,  131. 
thriskan,  130. 
tipr-  ?,  364. 
treffen,  335. 
* twiber,  213. 
varinas,  345. 
wandjan,  131. 
warjan,  werjan,  129. 
warnjan,  131. 
wranjo,  131. 
zèbar,  212  n. 
zuber,  207. 
zwei,  209,  364. 

zwipar,   209,    211,    212,    213, 
364. 


ay.;j.r(,   150. 

à'zxT]  (acte),  308,  309. 

-aç,  a/.oç,  193. 

ixoftâaawv,  244. 
,ja[i.6a/.Oc'.or;;,  194  n. 
Vi;j.ox;,   194,   196. 
[iXâaçrjjLO;,  193. 
(JoiaSk:;,  194. 
ryWr'/j\,  194  n. 

M&EUpOV,   l8l,    193,  194. 

BwXiptov,  183. 
rXuMOta,  141. 
yXuyr},  291. 
Yvrôju),  113. 
oo'À'./o?,  245. 
iy.y.ÀT)T:'a,   140. 
ejaçutov,  278. 
ïpijaoç,  193. 
EaacXXoaa:,  259. 
i-jpiiy.oj,  335. 
lUTpcËxeAof,  6. 
-rfpiov,  139. 
OjuaXÀo;,   193. 
-it/.oç,  54. 
-î?aa,  69. 


y.otfxrjXoç,   194. 

y.â|i.tvo;,  195. 

zavOr^Xio;,  140. 

xayXaÇ,   193. 

zâ-/_Xr(£,  192,  193. 

xO'.|.i7]7rjp'.ov,  140. 

xoxxîÇstv,  205  n. 

•/.o'/Xaç,  192,  193. 

XcrjxaÇ,   196. 

paXaxoc,  23. 

aàaTi;,    196  n. 

opxuÇ,  196  n. 

-âj:'jpoî,  195. 

xe'tcwv,  196, 

<jiy[/.a,  26. 

asXivov,  193. 

(rivant,  195,  196. 

at'&'Dv,  196. 

uo>jy.:a[xo;,  330. 

çâarjXo;,  196. 

çXoç,  196  n. 

/a;xa'.â/.tr)  (chamaeacte),  309. 

V«Jp,  202. 
■{-aÀTTJp'.ov,  140. 


394 


INDEX  LEXICOGRAPHIQUE 


ITALIEN 


alchimilla,  149. 
alfana,  7. 
argentiere,  124. 
baco,  194. 

baggiana,  178  n.,  179. 
bambace,  194. 
beccajo,  30. 
becco,  30. 
bellora,  29. 
biasimo,  193. 
burro,  193. 
cammello,  194. 
cammino,  195. 
campereccio,  67. 
cascreccio,  67. 
cattiveria,  116  n. 
chiamata,  20,  ai. 
cira,  212  n. 
conforza,  -zo,  191  n. 
dossa,  364. 
ermo,  193. 
erta  (ail'),  238  n. 
festereccio,  67. 
gamba  (in),  238  n. 
gamiddu,  195. 
gignore,  289. 
lagnare,  151. 
lidone,  311  n. 
lubricare,  292. 
madiere,  115. 
madrighe,  297. 
milza,  213. 
nicchia,  ai. 


nocchiere,  ai. 

nocchio,  300. 

nottola,  304,  366. 

olidone,  olione,  etc.,  311  n. 

ostata,  314. 

pagliericcio,  67. 

porcacchia,  319. 

ricoverare,  339. 

rimproverare,  1 1 1 . 

rocchio,  329. 

rubiglia,  163. 

sanapu,  sanavre,  196. 

scommuovere,  259. 

secchereccio,  -ericcio,  67. 

seber,  208. 

sebi,  208. 

sebru,  208. 

sedano,  193. 

senape,  195,  196. 

stantio,  267. 

stelo,  243. 

suber,  208. 

superchieria,  ai. 

temolo,  195. 

tila,  212  n. 

trovare,  335. 

ulioni,  311  n. 

vaccareccio,  -ia,  67,  93  n. 

vdec,  180. 

vedech,  180. 

viticchio,  180. 

vombacu,  194  n. 

ziber,  208. 


LATIN 


abellana,  *abellania,  171. 
absare,  absus,  172,  173. 
absinthium,  355. 
*accaballare,  260. 
*accapitare,  25. 


|  acinus,  171,  249. 
adulter,  adulterium,    113,  139. 
aer,  133  n. 
*aeria,  133  n. 
ahera, 


albus,  8. 

aldiaricia,  65. 

aliéna  (=  alena).  277  n. 

amarina,  157,  159. 

amarus,  157. 

ambactiare,  40. 

amera,  157. 

amerinus,  -a,  156,  562. 

*amerus,  157. 

anguilla,  177  n. 

anhela,  anela,  277,  365. 

anhelare,  276. 

anhella,  277  n. 

apes(apis),  350,351,  352. 

apicula,  350,  351,  352. 

*ap:tta,  352. 

aptus,  24. 

arbiter,  arbiterium,  116  n. 

area,  122,  133  n. 

aremoricus,  165,  166  n. 

argentarius,  124. 

armaricus,  167. 

armoricus,  165  à  169. 

armus,  298. 

ascia,  -iola,  162. 

asinaricius,  359. 

asinusca,  73. 

assare,  assus,  172. 

attropare,  343. 

*avenarilis,  175. 

*axa,  158. 

*axella  (=  axilla),  157,  158. 

azarum,  160,  161. 

baca,  178  n. 

baianus,  178,  179. 

bambax,  194. 

baniaricia,  94. 

*bannaritta,  71. 

barba,  337. 

basiare,  29,  134  n. 

*basiarium,  134  n. 

*battaricia,  70. 

"battatorissa,  71. 

bellula,  29. 

bene,  13Q. 

berbicaritia,  65. 


IN  59$ 

berbix,  337. 

*berendare  (?),  188  n. 

blasphemus,  193. 

bolarium,  183. 

*bombacus,  194,  196. 

bovolcaricia,  65. 

bucula,  30. 

butyrum,  182,  193,  194. 

caballus,  259. 

*caclacus,  *caclagus,  192,  193, 

196,  198. 
"caclagaria,  -getum,  197. 
*caclavaria,  -vetum,  197. 
*caclavarius,  198. 
'caclavellum,  198. 
*caclavus,  197. 
caementicius,  66. 
calculus,  192  n.,  198. 
calicularis,  -lata,  199,  200. 
camellus,  194. 
camelus,  194. 
*camillus,  195. 
caminus,  195. 
cancer,  217. 
caniculata,  200. 
canterius,  140. 
capsaricius,  64. 
capsus,  240,  290. 
captare,  25. 
"captiaricius,  70. 
caput,  24,  25. 
*cardonaricius,  71. 
*caria,  122  n. 
carropera,  220  n. 
carrucaricius,  65. 
casearicius,  83. 
cassanus,  189. 
castellaris,  229. 
castigare,  139. 
catanus,  189. 
catena,  195  n. 
cathedra,  195  n. 
cathedralicius,  63,  65. 
causa,  121. 
cavannus,  301. 
ceberus,  cebrus,  etc.,  208. 


?96 


INDEX  LEXICOGRAPHIQUE 


centinodium,  300. 

cera,  140  n.,  212  n. 

*cçresia,  136,  143. 

chartula,  304. 

cibrius,  208. 

cinericius,  68  n. 

cingere,  54. 

circinare,  205. 

circinus,  203. 

cirrus,  202. 

*claria,  122  n. 

coaccedere,  219. 

coacere,  219. 

coacervare,  219. 

coclaca,  192. 

coculia,  191. 

coemeterium,  140. 

cohabitare,  219. 

cohortari,  219. 

colatoria,  248. 

comedere,  219. 

*cominitiare,  219. 

commovere,  259. 

conangustatus,  219. 

conauditum,  219. 

concacare,  219. 

concipere,  228. 

concitare,  228. 

condecere,  219. 

confabricari,  219. 

confortare,  220  n. 

*confurcia,  -cium,  191  n. 

*confurcus,   191. 

congelascere,  219. 

conhibere,  219. 

*conhortare,  220. 

conire,  219. 

conjacere,  219. 

connasci,  219. 

*conoperare,  219. 

conquadrare,  219. 

consacerdos,  219. 

considcrare,  *considerium,  113, 

221,  223,  22$,  226,  227. 
consiliarius,  139. 
consilium,  223  n. 


consola re,  340  n. 

constare,  226. 

constipare,  210  n. 

consuere,  226. 

consularicius,  350. 

contabescere,  219. 

contrarius,  122. 

contropare,  343. 

*contrublare,  339  n. 

conturbare,  339  n. 

*conucula,  200. 

convadari,  219. 

cooperare,  219. 

coperire,  339. 

*cophus  (=  cophinus),  159. 

corbis,  337. 

corbus  (=  corvus),  337. 

corium,  137  n.,  141. 

corvus,  337. 

cribellum,  cribrum,  210  n. 

cruciare,  243. 

*cubaricia,  *cubatorissa,  71. 

*cubium,     -biolum,     -biolaris, 

191  n.,  228. 
cuculla,  191. 

*culcere,  -ra,  -ria,  216,  217. 
*culcina,  216. 
culcita,  -tra,  215. 
-J-*dalmatarium,  229. 
dalmatica,  229,  230. 
damaricius,  66. 
damascena,  232,  249. 
decanus,  233  n. 
decarnare,  243. 
decervicare,  243. 
decollare,  243. 
decoriare,  243. 
decorticare,  243. 
decus    (=  decussis),     137    n., 

233  n. 
deliberare,  deliberium,  113,114. 
*denarata,  *denariata,  121  n. 
denarius,  121. 
deservire,  225,  227. 
desiderare,    desiderium,    113, 

114,  225,  226  n.,  227. 


*destilare,  -lium,  243. 

*destiliare,  -lium,  243. 

destillare,  *destillium,  244  n. 

discus,  54  n. 

*disseperare,  242. 

disturbare,  337,  338. 

dolabra,  236,  237. 

dolatoria,  236. 

dolsa,  246. 

dominicum,  57. 

dorsum,  365. 

dulcis,  365. 

*duminterias,  -iis,  140  n.,  141. 

duracinus,  248,  249. 

durus,  249  n. 

ea  hora,  275. 

ea    re,   de   ea    re,   ea    de    re, 

275. 
ebolus,  ebulus,  -lum,  305,  306, 

307,  308,  309. 
ebucone,  309. 
ecclesia,  136,  140. 
edere,  311. 
educu,  309. 
*empotus,  278. 
equa,  253. 

*equaciarius,  253,  254. 
equaria,  253. 
equaricius,  253. 
*equaris,  254. 
equarius,  253,  254. 
*equatarius,  *equattarius,  254. 
equitiarius,  equitium,  254. 
equus,  7,  253. 
erat,  143  n. 
eremus,  193. 
ergo,  275. 
ervilia,  163. 
euolus,  309. 
*excaballare,  259. 
excinctus,  261. 
*excircinare,  205. 
*excocire  (=  excoquere),  221  n. 
*excollubricare,  252,  253. 
*excommovere,  159. 
excussio,  251. 


IN  397 

excussorius,  251. 

excutere,  250. 

exerrare,  256,  257. 

eximius,  *exinius(?),  261,  262. 

exire,  261. 

*exlapsus,  240,  290. 

exmucciare,  244. 

*exnucalare,  205. 

*exseperare,  242. 

*exsiliare,  exsulare,  243. 

*exsubmustare,  250. 

faba,  363. 

fabaricius,  64. 

fabricare,  292. 

facticius,  66. 

factio,  39,  40. 

factus,  40. 

fagus,  196,  198  n. 

falterna,  270,  271. 

fata  (=  fatua),  304. 

fatua,  304. 

fatus,  40. 

*fedicum,  231. 

fenarius,  360. 

feriam,  139,  142. 

férus,  146. 

*feticum,  231. 

ficatum,  183  n. 

focus,  137  n. 

*fodiculare,  272. 

*fortalicia,  *fortaricia,  90. 

fortunatus,  22. 

frangere,  54. 

fraxinus,  189. 

*frictio,  252. 

*frumentarilis,  175. 

*frustiare,  243. 

gaudium,  121. 

genesta,  genista,  279,  281. 

*genestaris,  280. 

gentilicius,  63. 

germanus,  281. 

gerula,  209. 

glaciare,  39. 

glarea,  122  n. 

glubere,  292. 


398 


INDEX  LEXICOGRAPHIQJJE 


+  *glupa,  291. 

grammatica,  230. 

*guttiare,  243. 

*ha  re  (de),  27  5. 

habitus,  24. 

halare,  *halena,  276. 

hanela  (=  anhela),  277  n. 

hebraicus,  249. 

herba,  337. 

hibernus,  -na,  284,  285. 

hora  (ea),  275. 

hostilaricium,  66. 

igitur,  275. 

imperator,  16. 

imperium,  113,  1  39. 

improperare,  improperium,  1 1 1 , 

112. 
*incaballare,  260. 
incanus,  258  n. 
*incomberium,  114. 
innubilus,  258  n. 
intenebrare,  intenebricare,  *in- 

tenebricus,  258. 
interea,  140  n. 
internodium,  300. 
ipse,  290. 
*iriare,  243. 
itaque,  275  n. 
jacere,  *jaciura,  228,  229. 
junctio,  285. 
junctura,  285. 
•junicia,  286. 
junior,  286,  288,  289. 
jusquiamus,  330. 
juvenca,  287. 
juvencus,  -culus,   -cellus,  286, 

287. 
juvenis,  288. 
labi,  289. 
lacus,  196  n. 
laicus,  249. 
laniare,  151. 
lapsus,  289. 
legatorius,  64. 
licita,  216  n. 
lignaricia,  66. 


litaniae,  290. 
locare,  112. 
locarium,  112,  121. 
locus,  137  n. 
lotus  (arbor),  367. 
lubricare,  253  n.,  292,  293. 
maceria,  133,  139,  141,  143. 
magister,  magisterium,  113  n., 

116. 
malacus,  22. 
maie  aptus,  24. 
maie  habitus,  24. 
malleus,  144. 
mancipium,  228. 
manopera,  220  n. 
maritare,  225. 
*martiata,  294. 
massaricia,  65. 
mater,  296. 

materia,  138,  139,  141. 
materium,  115. 
matrix,  297. 
*maxa,  158. 

*maxella  (=  maxilla),  158. 
medicus,  231. 
memorare,  188. 
*merciarittus,  71. 
merenda,  -are,  187. 
*meriam(=meream),  139,  142, 

143  n. 
*metarile,  295. 
metaritia,  361. 
mimaritia,  65,  359. 
minister,  ministerium,  113  n., 

116,  133,   137  n.,  139,  140, 

141,  144. 
miseria,  114  n. 
monasterium,  139,  140. 
mustela,  28. 
natalicius,  63. 
natica,  231. 
necessaria,  114  n. 
nivaria,  284,  285. 
nivosus,  61. 
noctua,  *noctula,  304. 
*nodium,  300. 


nodulus,  299,  300. 

-i-nogamus,  246  n. 

nogarius,  246  n. 

nona,  315  n. 

novicius,  66  n. 

nox,  315. 

nubes,  210  n. 

"nucalare,  -iiare,  205. 

nvcticorax,  303. 

octava,  314,  367. 

octo,  315. 

oculus,  62. 

odecus,  odicus,  309. 

odor,  olere,  309. 

*olicus,  309. 

operaria,  143  n. 

operarius,  135. 

oratorium,  137  n. 

orbis,  283,  284. 

orbus,  284. 

ostiaria,  134. 

pabulum,  176. 

palearicius,  65. 

pandere,  29. 

papilia,  176  n. 

papyrus     (*papilus,      *paperus, 

etc.),  176,  177,  182,  195. 
partiaricius,  65,  359. 
pater,  144. 
pauper,  -ries,  *-ria,  '-rium,  115, 

116,  143  n.,  211. 
peciola,  246. 
pectus,  138. 
pecus,  137  n. 
*pedinare,  316. 
penna,  316. 
perdere,  138. 
petra,  138. 
petraria,  197. 
*pinea,-r-  -at-  -f-  -aris,  283  n., 

36S. 
pisum,  303. 
platanus,  189. 
*plico,  -onis,  318. 
plorare,  338. 
pomerius,  125. 


jin  599 

porcacla,  319. 

*porcalia,  319. 

porcaricius,  65,  92,  359. 

porcarius,  120. 

porcilaca,  319,  320. 

porclaca,  319,  320,  367. 

portolaica,  320  n. 

portulaca,  319,  320. 

potio,  252. 

potiri,  322. 

primarius,  146. 

primicerius,  140  n. 

primus,  140  n. 

proba,  340  n. 

probare,  339,  341. 

probrum,  113  n. 

prode  esse,  324. 

*prodicare,  324. 

prodigare,  323. 

*proferio  (=  profero),  1.35. 

proficere,  323. 

profundus,  220  n.,  328. 

provendaricius,  359. 

proverbium,  113  n: 

psalterium,  140. 

pulex,  210  n. 

pullina,  317  n. 

*pullinacia.  317. 

pulsare,  101  n. 

pulver,  *-ra,  *-ria,  217. 

punctio,  285. 

purgare,  342. 

quaerio  (=  quxro),  135. 

"rapidium,  325. 

"rasitare,  248. 

*rasitoria,  247. 

rasoria,  247. 

rasorium,  141. 

recens,  325,  326. 

*recentiare,  326,  327. 

*recinciare,  327. 

recuperare,  114,  322,  335,339. 

*recuperium,  1 14. 

redecima,  170. 

refrigerium,  113. 

refundere,  327,  328. 


400 


INDEX  LEXICOGRAPHIQUE 


repenre,  335. 

reponere,  327,  328. 

rcprobare,  III,  112. 

*reproperium,  112. 

reputare,  25. 

rogare,  338,  342. 

rotaricia,  92. 

rotulus,  329. 

-j-rullum,  328. 

rutabulum,  330. 

rutellum,  328. 

rutrum,  330. 

*rutulus,  329,  330. 

sagma,  26. 

sagmaricius,  66. 

salarium,  112  n. 

samia,  361. 

*saporarium,  114  n. 

saturnalicius,  64. 

saxetum,  197. 

scalpere,    *scalpire,    260,    261 

365. 
scalpitudo,  261. 
scalticus,  260. 
scopare,  341. 
scorcia,  246. 
selinum,  193. 
senatorius,  64  n. 
septem,  24. 
sex,  136. 
*siccaricia,  93. 
sidus,  225. 
sigillare,  72. 
sigillaricius,  64,  65,  72. 
signum,  331. 
simius,  262. 
sinapi,  195,  196. 
situla,  situlus,  206,  207. 
somnus,  26. 
sorcerus,  125,  146. 
spoliare,  321. 
stantarius,  267  n. 
*stanticius,  -tivus,  267. 
stare,  266. 
*staticius,  266. 
stylus,  stilus,  242,  243. 


sua,  340  n. 

*subicula,  333. 

*submustare,  250. 

subucula,  333. 

sudarium,  332. 

summa,  76. 

superare,  *superium,  114  n. 

*superia,  superus,  114  n. 

suspectio,  252. 

suspirare,  -rium,  243. 

'sydonus  (=  synodus),  332  n. 

symphoniaca,  330,  331. 

synodus,  332. 

"tauraria,  "taurellaria,  334. 

taxus,  *taxaria,  130  n. 

tela,  212  n. 

temperare,  16,  115,  211. 

"temperium,  115,  140. 

tenebricus,  257. 

thymallus,  193. 

tina,  209. 

tiprus,  363. 

tollere,  242. 

*tropare,  335,  336,  etc. 

tubrucus,  364. 

*tudiculare,  272. 

turbare,  334,  335,  336,  etc. 

*turbulare,  *turblare,  *trublare, 

337>  33gn- 
typrus,  563. 
unedo,  311. 
*unedona,  311. 
ursaricius,  65,  359. 
vaccaritia,  65,  359. 
varius,  122,  141,  144. 
vastare,  124. 
veclus  (=  vetulus),  320. 
vercaria,  vergeria,  130,  131. 
"vervecaria,  131  n. 
vervex,  337. 
vetulus,  320. 
viaticum,  284. 
viburna,  284. 
viclus  (=  vitulus),  320. 
villa,  177  n. 
vindemia,  *vindenia(?),  262. 


PORTUGAIS,   PROVENÇAL 


vinericia,  66. 

vita,  284. 

vitkula,  viticula,  180,  181  n. 

viticulus,   180. 

vitis  alba,  284. 


vitulus,  320. 
vituperium,  113. 
vivenda,  284. 
voluntarius,  139. 


401 


alfena,  153. 
angueira,  253. 
cavallariço,  66. 
chamada,  20. 
cobrar,  322. 


PORTUGAIS 


engo,  309. 
ervilha,  163. 
lubricar,  292. 
porcariço,  66. 


PROVENÇAL 


a  =  abeille  (fp.),  350. 
abeda  (g.),  282. 
abeilla,  -o,  351. 
abeyè  (g.),  118. 
abiouradou,  354. 
abrana  (g.),  282. 
abs,  absa,   172-3,  240. 
*absina,  240. 
acabè(g.),  118. 
acaptar,  25. 
acaua  (g.),  259. 
acino,  171. 
acordier,  117. 
acostar,  340. 
acraua  (g.),  259. 
adiré  (g.),  118. 
adobar,  340. 
adobier,  117. 
adorar,  340. 
aganè(g.),  118. 
agnesto  (g.),  281  ri. 
agreula  (g.),  282. 
ahamiè  (g.),  118. 
ahanè  (g.),  118. 

1.  Y  compris  le  catalan  (c), 
vençal  (fp.). 

Thomas. 


aice,  249. 

aira,  122. 

aise,  235. 

aissela,  158. 

aisso,  158. 

aissola,  162. 

alaquana,  152. 

alaussat,  -ssit,  289. 

alberc,  127. 

alegrier,  m  n.,  117. 

alonguier,  117. 

amarijo,  164. 

amarina,  -o,  154,  362. 

amarinas,  155. 

amasina,  155. 

ambra,   ambriri,    ambro   (fp.), 

156,  362. 
amezna  (fp.),  232  n. 
amourrè  (g.),  118. 
ancho,  255. 
angelot,  159. 
anpere  (fp.),  264  n. 
ansanello,  ansano,  171. 
anyele  (g.)»  J77  n- 

le  gascon  (g.)  et  le  franco-pro- 

II.  —  26 


402 


INDEX  LEXICOGRAPHIQUE 


aouejè  (g.),  1 18  n. 

aousano,  171. 

aoussenc,  355. 

ap,  350. 

apcha,  131. 

apsar,  362. 

arbelha,  arbeillo  (g.),  162. 

arcaneto,  etc.,  153. 

arcanna  (arkanna),  154  n. 

ardir,  131. 

arnés,  274. 

armarena,  -ina  (fp.)>  362. 

armori,  armouri,  armorijo,  ar- 

mourijo,  etc.,  164. 
arraba  (g.),  282. 
arraga  (g.),  282. 
arrague  (g.),  197. 
arre-(g.),  170. 
arrecatè  (g.),  118. 
arredezme  (g.),  170. 
arredogue,  169. 
arrepoè  (g.),  118. 
arrepunt  (g.),  170. 
arroulh  (g.),  329. 
arsano,  171. 
artijo,  166. 
ase,  249. 

asperbo,  etc.,  264. 
assaborar,  340. 
assana,  assanha,  170. 
asse,  assa,  172,  362. 
assegurier,  117. 
auga  (g.),  282. 
aulanha,  171. 
auledoun,  auleroun,  310. 
auranoa,  -oar  (g.),  315  n. 
aus,  s.  m.,  290. 
aus,  adj.,  240. 
ausino,  239. 
ausseda,  240. 
*aussina,  241. 
autorguier,  1 17. 
autregier,  117. 
avays,  -ssa,  232. 
aveneduir  (g.),  137  n. 
avi(fp.),  352. 


avilli  (fp.),  351. 

babelha  (bobelho),  176  n. 

babi(g.),  176,  195. 

babialè  (g.),  176. 

babit  (g.),  176. 

bailar,  58. 

baïno  (fp.),  178. 

baisar,  29,  132  n. 

baisso,  232  n. 

bajan,  bajana,  178. 

balar,  44. 

barat  (g),  170. 

barena  (c),  188  n. 

bastarez,  esso,  74. 

béco,  352. 

bedoura  (g.),  282. 

beillo,  351. 

belido,  183. 

beregne  (g.),  187  n.,  262. 

beren  (g.),  187  n. 

berena  (c),  188  n. 

berimous  (g.),  187  n. 

bernata  (g.),  282. 

bèso,  127  n. 

bezal,  127. 

bezarez,  -eza,  82,  88. 

bibalè  (g.),  176. 

bidelhe  (g.),  179. 

bie  (fp.),  127. 

biele(g.),  177  n. 

bignarés  (g.),  87. 

blouson,  269. 

bobelho,  176  n. 

bocarez,  82. 

bodee  (g.),  181. 

boder,  182,  194,  363. 

boscareza,  88. 

boscatier,  233. 

bossareza,  88. 

bouc,  82. 

boucarés,  -charés,  82. 

boucau,  334. 

bouchard,  82. 

boudé  (g.),  181,  194. 

boueijo,  166. 

boulido,  183. 


PROVENÇAL 


403 


bourtoulaigo,  320. 

bouscarra  (g.),  282. 

bovareza,  88. 

bovatier,  233. 

braiman,  brayman  (g.),  184. 

brama  (g.),  282. 

bregno  (g.),  187  n.,  262. 

brembar  (g.),  188. 

bren  (g.),  187  n. 

brena  (g.),  187. 

brimous  (g.),  187  n. 

brouca  (g.),  282. 

bruchaga  (g.),  282. 

bruchoa  (g.),  282. 

bruga  (g),  282. 

buire,  182,  193. 

buiro  (fp.),  182. 

bulide,  -do,  183. 

burre,  182. 

cabilha  (g.),  282  n. 

cabraret,  -ez,  -eza,  75,  83,  8 

cada  (c),  190  n. 

cade,  188. 

cadenasso,  189. 

cadenedo,  189. 

cadenello,  189. 

cadeniero,  189. 

cadre,  189. 

cae,  189. 

caforc,  cafour,  191. 

cagoulho,  191. 

cagoulo,  191. 

cailar,  229. 

caiola,  191  n. 

caitivier,   11 1  n.,  117. 

caleiado,  -lhado,  199. 

calelh,  199. 

caleu,  199. 

calhabé  (g.),  198. 

calhabere  (g.),  197. 

calhabet,  -bot  (g.),  198. 

calhîoua  (g.),  282  n. 

calmareza,  88. 

camel,  195. 

caneba  (g.),  282. 

canelhada,  363. 


cara,  132. 

carante,  187  n. 

carce,  carcer,  216. 

careiado,   carelhado,   199,  363. 

cassourra  (g.),  282. 

castelar,  229. 

castiier,  117. 

caular  (g.),  282. 

caureiado,  199. 

caus,  290. 

caussatier,  233. 

cavalaria,  121. 

cavalier,  121. 

cavalier,  134. 

cayola  (g.),  228. 

caytiouè  (g.),  118  n. 

ceba  (g.),  282. 

cer  (sèr),  201. 

ceriesa,  136. 

cessarez,  75. 

chadenedo,  189. 

chai,  189. 

chaine,  189. 

chambijo,  166. 

chancera,  217. 

chantier  (?),  117. 

chaplier,  117. 

charri  (fp.),  295. 

chaus,  240,  290. 

çhavan  (fp.),  366. 

cheira,  132. 

cher  =  char  (fp.),  294. 

cherri  (fp.),  29 j. 

çhevan  (fp.),  366. 

chibre,  211  n. 

chieira,  362. 

chiera,  132. 

chirbe,  211  n. 

cibada  (g.),  282. 

cibrado,  206. 

cibre,  206,  363. 

cimbre,  207. 

ciouasa  (g.),  282. 

claqueret  (fp.),  361. 

cobde,  24. 

cobrar,  322,  339. 


INDEX  LEXICOGRAPHIQJJE 


coforc,  coforcha,  191. 

coisna,  215,  216. 

colcer,  215. 

colse,  215. 

coluri  (fp.),  248. 

concebre,  228. 

concetar,  228. 

conobre,  364. 

conortar,  219. 

consider  (-ier),  113,   115,  117, 

118,    132,    134,    220,    221, 

221  n. 
considrar,  220,  221. 
*considrer,  221. 
consier,  220-8. 
consirar,  227. 
consire,  221  n. 
consirier,  m  n.,  113,  117, 118, 

221,  222,  223. 
coratier,  233. 
cosciencia,  228. 
coser,  226. 
cosier,  222. 
cosir,  226. 
cosirar,  227. 
cosna,  215,  216. 
cospirar,  228. 
cossebre,  228. 
cossegre,  228. 
cosselh,  228. 
cossena,  215. 
cossentir,  228. 
cosser,  -era,  215,  216. 
cossetar,  228. 
cossier,  222,  364. 
cossirar,  227. 
cossol,  228. 
cossolar,  228,  340  n. 
costar,  339. 
costubar,  210  n. 
couce,  215,  216. 
coucedo,  -edro,  215,  216. 
coucèiro,  215,  217. 
couceno,  215. 
coucero,  215,  217. 
couder,  223  n. 


coueitio,  coueito,  coueto,  215, 

216. 
couino,  215,  216. 
coulce,  215. 
coulcedo,  215,  216. 
coulceno,  215,  216. 
coulcero,  215,  217. 
coumbranc,  192. 
counsoulè  (g.),  118. 
courno,  215,  216. 
couser,  215. 
coussei,  223  n. 
cousser,  215. 
coussida  (g.), 
coussidè  (g.),  221  n. 
coussier,  223. 
coussierous,  223. 
coussirè  (g.),  221. 
coussirous,  223. 
cousso,  215. 
couste,  216. 
coustio,  215,  216. 
cousto,  216. 
coutre,  213. 
couylaa  (g.),  229. 
coyala  (g.),  228. 
cozna,  215,  216. 
cranto  (g.),  187  n. 
crocarez,  -eza,  75. 
crubel,  210. 
cruézia  (fp.),  294. 
cuiolar,    191  n.,  228-9,  282  n. 
cujala,  228. 
cuyala,  228. 
dalouéri  (fp.),  238. 
davais,  -aissa,  231. 
debeyè(g.),  118. 
debisè  (g.),  118. 
déc,  233  n. 
dèc,  137  n.,  233. 
degatier,  232. 
degoursa,  239. 
deguier,  233. 
deimai,  234,  364. 
delavra  (fp.),  238. 
delezer,  237. 


PROVENÇAL 


deliurier,  ni  n.,  114,  117. 

demai,  134. 

demorar,  340. 

demorier,  117. 

den,  dent,  44. 

denairada,  etc.,  121. 

denier,  121. 

deped,  237  n. 

desabeyè  (g.),  118. 

desacordier,  117. 

desacoustumè  (g.),  118. 

*desaussinar,  241. 

desbroumbè  (g.),  118. 

descarè  (g.),  118. 

descordier,  117. 

descounsoulè  (g.),  118. 

desestimè  (g.),  118. 

deseusina,  239. 

desfourtunè  (g.),  118. 

*desider,  113. 

desier,  223,  224. 

desirar,  226. 

desirier,  non.,  113,  114,223, 

224,  364. 
desnougalha,  205. 
desoulè  (g.),  118. 
desoundrè  (g.),  118. 
desousina,  239. 
desoussina,  239. 
dessebrar,  242. 
dessensè  (g.),  118. 
dessibra,  241. 
dessirier,  226  n. 
desteilla,  242. 
destorbier,  non.,  m  n,,  1 17, 

118. 
destuelh,  242. 
destél,  242. 
détela  (fp.),  244  n. 
doga,  dogue  (g.),  170. 
doladera  (g.),  238  n. 
doladoira,  238. 
doliuri  (fp.),  238. 
dolsa,  244,  364. 
dorsi  (fp.),  245,  246. 
doubri,  21 1. 


doûfa  (fp.),  245. 
douladère  (g.),  238  n. 
dôusso,  245. 
draparez  (-et),  76. 
dresca,  130. 
dresta,  130  n. 
droblo  (fp.),  248. 
droubi,  211. 
drouérî  (fp.),  247,  365. 
duchen,  355. 
dur,  249. 
duraice,  249. 
duraiquier,  249. 
dussen,  355. 
dzegne  (fp.),  288  n. 
eble,  ebo,  ebou,eboul,  306,  307. 
eboric,  309  n. 
echamousta  (g.),  250. 
écoisson,  250,  365. 
écoussou,  251. 
écourre,  251. 
ega,  254. 

egassier,  233  n.,  254. 
egatier,  233,  254. 
egecer,  254. 
ego,  egou,  306. 
eguezier,  233  n.,  253. 
eguin,  254. 
eigaié,  254  n. 
eilau,  290. 
eimai,  234  n.,  235. 
eirancha,  254. 
eissarrar,  25  s,  365. 
eisscbra,  241  n.,  242. 
eissigna,  eissigne,  261. 
eissinja,  eissinje,  261. 
èl,  329. 

embarguè  (g.),  118. 
embarrc  (g.).  118. 
embeyè  (g.),  118. 
empachier,  117. 
empaitrier,  117. 
empeyr,  134. 
enamorar,  340. 

encombrier,  non.,  ni  n.,  114, 
117,  118. 


406 


INDEX   LEXIC0GRAPH1QUE 


encraua,  259. 

encrauera,  259. 

enogier,  117,  118. 

ensarailli  (fp.),  257. 

ensarrar,  256. 

entenerc,  258. 

enter,  135. 

erbro  (fp.),  295. 

escabit,  escafit,  362. 

escalaoua  (g.),  259. 

escalaouetos  (g.),  259. 

escançon,  131. 

*escaouala,  259.     . 

escaz,  129,  212  n. 

escheini  (g.),  261. 

eschenya,  eschenye  (g.),  261. 

escobar,  340,  341. 

escomover,  259. 

escoudre,  251. 

escoumoussa,  250. 

escoussou.  251  n. 

escoussouira,  251  n. 

escouzi,  -zidè,  221  n. 

escranca,  255. 

esems,  49  n. 

eslaus,  240,  290. 

esmarrit,  257. 

espaventier,   non.,   ni,  117. 

esperbo,   esperbié,    etc.,    264, 

365. 
esqueira,  132. 
*esrancat,  255. 
estadis,  266. 
estantis,  267. 
ester  (g.),  170. 
estiers,  140  n. 
estoumaquè  (g.),  118. 
estournic,  -ica,  206. 
étrobla  (fp.),  248. 
eu,  329  n. 
eufe,  eufo,  306. 
eugue,  306,  309. 
eule,  306. 
eus,  290. 
eusino,  239. 
eusse,  306. 


evou,  306,  307. 
ewatai  (fp.),  254. 
eyguesier,  254. 
faisso,  39. 
fanterne,  268. 
fauterbo,  268. 
fauterlo,  269. 
felgar,  281. 
fellayo,  269. 
figarez,  85. 
filatier,  233. 
finterno,  268. 
flage,  flagel,  158. 
flajo,  158. 
flauge,  flaugel,  158. 
fiaujo,  158. 
fleira,  297. 
fonterno,  268. 
fortaleza,  90. 
fortareza,  89,  90. 
foustello,  -erlo,  etc.,  268. 
fôuterlo,  -no,  268. 
fraisse,  210. 
fuec,  135  n. 
gabarra,  282. 
gabier,  117. 
galier,  117. 
gandir,  131. 
garanhon,  131. 
garlimen,  273. 
garnimen,  274. 
garnir,  131,  274. 
garrabousta  (g.),  282. 
garrigata  (g.),  282. 
gastar,  124,  233. 
genestar,  280. 
gequir,  132  n. 
gesta  (g.),  282. 
geu  (g.),  geule,  306. 
giestar  (g.)>  281. 
ginestar  (c),  281. 
glassar,  39. 
glaujol,  152  n. 
gleiro,  glèro,  122  n. 
*gliera,  133. 
gliere(fp.),  122  n. 


PROVENÇAL 


407 


gliesa,  136. 
gnebre  (g.),  281  n. 
gnesta,gnesto(g.),  281  n. 
g«rço,  5?- 
gourrinè  (g.),  118. 
granatier,  233. 
graujol,  152. 
gremalyi  (fp.),  2°5- 
gremô  (fp.),  205. 
grepia,  210  n. 
grupia,  210  n. 
guérir,  1  29. 
guireri,  129  n. 
haba  (g.),  287. 
hanga  (g.),  282  n. 
hea,  hia  (g.),  283. 
heuga(g.),  283. 
histar  (g.),  279. 
houga  (g.),  283. 
hougara  (g.),  283. 
huguo  (fp.)>  3°7n- 
icharrar,  256. 
iera,  122,  133. 
infaouterna,  268  n. 
itoula  (fp.),  366. 
ivern,  210  n. 
ivernareza,  90. 
jatz,  228. 
jauga(g.),  283. 
jeneré  (fp.),  361. 
jovencel,  286. 
jouvenceu,  287. 
junca(g.),  283. 
junega,  286. 
jusclano,  330. 
jusquiam,  -mo,  330. 
kublo  (fp.),  210  n. 
lâche  (g.),  118. 
lagna,  lagnous,  151. 
lanhar,  151. 
laorar,  346. 
lau  (fp.),  196  n. 
laus,  s.  f.,  289. 
laus,  adj.,  289. 
laussedat,  -tat,  289. 
lauzenga,  290. 


ledanio,  ledanjo,  290. 
ledouno  (g.),   etc.,    310,    311, 

366. 
legour  (de),  235. 
leuda  (c),  216  n. 
leugier,  121. 
leujario,  121. 
lezda,  216  n. 
lezer,  235. 
lezour,  235. 

NguèCg-).  Il8- 

lladoner  (c),  311  n. 

loba,  340. 

lobais,  232. 

lobaresc,  360. 

lobarez,  -eza,  86,  91,  360. 

lobatier,  233. 

logar,  112. 

loguier,  1 12. 

longuier  (?),  117. 

lovareci  (fp.),  91. 

lucheran,  104  n,  366. 

luec,  137  n. 

lutzéran,  -on  (fp.),  104  n. 

macip,  228. 

madicr,  madrier,  115  n. 

magesteyr,  134. 

mai,  296. 

maire,  296. 

mairitz,  297. 

maissela,  158. 

maisso,  158. 

malabde,  24. 

malharez  (-et),  97. 

mancip,  228. 

marrir,  131,  257. 

marsa  (fp.),  marsado,  294,  366. 

marsia  (fp.),  294,  366. 

massible,  massigoul,  307  n. 

mayiri  (fp.),  142  n. 

meira,  143  n. 

meiri,  296. 

meita,  297. 

melhorier,  116,  118. 

melsa,  213. 

membrar,  188. 


408 


INDEX   LEXICOGRAPHIQUE 


menesteiral,  121. 
mènogri,  235,  364. 
mercia  (fp.),  294. 
*merenar  (g.),  188. 
milhassa  (g.),  283. 
milhorier,  110  n. 
milhouca  (g.),  283. 
miofa  (fp.),  212. 
missa  (fp.),  212. 
moustélo,  29. 
mulatier,  233. 
nâlyi  (fp.),  205. 
nayeret  (fp.),  104. 
nech,  315. 
nessiera,  114  n. 
nible,  210  n. 
nichoulo,  304. 
niétola  (fp.),  304,  566. 

nioch,  315. 

noi  (g.),  300. 

nouei,  299. 

nougalha,  205. 

nouguera  (g.),  283. 

nuech,  315. 
écho,  304. 

obe,  315. 

obreir,  135. 

obreira,  143  n. 

ogan,  315. 

ogue,  306,  307. 

olegue,  305. 

oliver,  134. 

orador,  137  n. 

orgue,  306,  307. 

orlau,  290. 

orsareza,  361. 

orsatier,  233. 

oste,  339. 

ostede  (g.),  315. 

oube,  315. 

oubelon,  315. 

oudou,  315. 

oufenso,  315. 

ougon,  315. 

ougue,  306,  307. 

oulegue,  305,  306,  307. 


oumeleto,  315. 

ouralho,  315. 

ourcaneto,  155. 

ouriero,  315. 

ourtiga(g.),  283. 

ousino,  239. 

oussino,  240. 

outjabo,  314,  366. 

pabieu,  pabiou  (g.),  176. 

pabil,  176,  177. 

pabilum,  176  n. 

paier,  118. 

panatier,  233. 

panier  (?),  117. 

panterno,  268. 

parsayi  (fp.),  295. 

partarez  (-et),  105. 

parteret  (fp.),  105. 

partus  (fp.),  295. 

paubre,  211. 

paubriera,  115. 

paupeira,  115,  143  n. 

pauprier,  110  n.,  114,  115,  116. 

paupriera,  115,  1 16. 

pec,  137  n. 

peiri,  297. 

pelatier,  233. 

penna,  penneja,  516. 

pensar,  227. 

pensier,   110  n.,   111   n.,   117, 

118. 
pentecosta,  339. 
perçasse  (g.),  118  n. 
persayi  (fp.),  295. 
pertorbier,  117. 
pertuis  (fp.),  295. 
pessar,  227. 
petarez  (-et),  98. 
petouso,  99. 
pignada  (g.),  283. 
pinna  (g.),  316  n. 
pissia  (fp.),  294. 
piuze,  210  n. 
plaidier,  11 1  n.,  117. 
plorar,  540. 
podier,  117. 


PROVENÇAL 


polvera,  217. 

porcareza,  91. 

porcarissal,  92. 

porcatier,  233. 

porchailli  (fp.),  318,  319. 

poulbèiro,  217. 

poulbero,  217. 

poulido,  29. 

poulinasso,  317. 

poumata  (g.),  283. 

poumera  (g.),  283. 

pourchalho,  318-9. 

pourchau,  334. 

pourtoulago,  -aigo,  320. 

pouvero,  217. 

prada(g.),  283. 

prand  (fp.),  328. 

pregandè  (g.),  1 18. 

preon,  220  n. 

prevond  (fp.),  328. 

primer,  134. 

priond  (fp  ),  328. 

proa,  340  n. 

profeira,  135. 

profer,  13  s. 

prolonguier,  362. 

prond  (fp.),  328. 

punassi  (fp.),  317. 

quaira,  132. 

queir,  135. 

queira,  132. 

queiro,  122  n. 

quère  (g.),  118. 

quèro,  122  n. 

quieira,  132. 

*quiera,  133. 

rabeg,  325  n. 

radoira,  247. 

radouéri,  radouéri  (fp.)>  247. 

radouira,  247. 

radouiro,  247. 

rasouira,  247. 

rasouiro,  247. 

rastoura  (g.),  283. 

ravouira,  247. 

recaneto,  153. 


recobrier,  114,  117. 

redogue  (g.),  170. 

redouira,  247. 

rel,  relh,  328. 

repetnar,  316. 

reproar,  112  n. 

reprober  (-bier),  112,  117,  134. 

reprochier,  117. 

reproier,  reprovier,  112  n.,  117. 

reprovar,  112  n. 

reptar,  25. 

reû,  329. 

revouira,  247. 

rezensar,  326. 

ro,  329  n. 

rodareza,  92. 

rodo  (fp.),  248. 

"roduri  (fp.),  248. 

rolh,  329. 

roulia,  329. 

roumenta  (g.;,  283. 

sabrier,  114  n. 

saliga  (g.),  283. 

sanha,  170. 

saupignaco,  -go,  etc.,  330. 

saussiga  (g.),  283. 

saussilha  (g.),  283. 

se  =  selh,  206. 

secareza,  93. 

segalar,  281. 

segassa(g.),  283. 

sei  =  selh,  206,  207  n. 

seis,  135. 

selh,  selha,  206. 

selhado,  206. 

senebe,  195. 

sepio,  210  n. 

sequerisso  (g.),  93. 

ser,  201. 

serbe,  195. 

servage,  servasina,  295. 

servir,  129  n. 

sesca(g.),  283. 

seyno  (fp.),  331. 

sieis,  135. 

siep  (g.),  196. 


INDEX   LEXICOGRAPHIQUE 


signo(fp.),  331  n- 
sinye  (g.),  262. 
sirven,  129  n. 
soa,  340  n. 
sobrar,  339. 
sobrier,  114  n. 
sobriera,  114  n. 
sobro,  339  n. 
soubro,  339  n. 
soupinago,  330. 
soustra  (g.),  283. 
supio,  210  n. 
tarir,  131. 
taurau,  334. 
tausia  (g.),  283. 
teira,  143  n. 
telatier,  233. 
tempier,  115. 
tenebra,  257  n. 
tenerc,  257. 
timbre,  214. 
touire,  42  n.  . 
touja,  touya  (g.),  283. 
tourba,  338  n. 
transir,  227. 
trassir,  227. 
trempa,  211. 
tribe,  206,  363. 
trible,  210. 

trobar,  338,  340,  341. 
trovar,  341. 
trover,  troverso,  165. 


trube,  207,  209. 

tuya  (g.),  283. 

uchen,  355. 

uelh,  329. 

ugle,  306,  307. 

ug°  (fp-)»  307,  308. 

ugue,  306,  307. 

ura  (fp.),  308  n. 

useire,  134. 

ussen,  355. 

uvern,  210  n. 

uychent,  355. 

vacarez,  eza  (-essa),  81,  87,  93 

vacatier,  233. 

vayssa  (vaisso),  231,  232  n. 

vedilha  (vediho),  180. 

velh,  135. 

vendenha,  262. 

venenha  (g.),  262. 

vielh,  135. 

vignarés,  87. 

vigneret  (fp.),  87. 

vinharez,  -eza,  87,  361. 

viria  (fp.),  294. 

ya  (fp.),  284. 

yable  (fp.),  284. 

yadze  (fp.),  284. 

yéda  (fp.),  284. 

yoch,  315. 

youenc,  -nco  (g.),  287. 

younca  (g.),  283. 

ziou,  306. 


RHÉTO-ROMAN 


arbeja,  163. 
cevre,  208. 
marzade,  366. 
saiver,  208. 
seèvre,  208. 


senep,  195. 
sevré,  208. 
vadeilla,  180. 
vdail,  180. 
zeiver,  208. 


ROUMAIN 


bumbac,  194. 

cibâr,  ciubâr,  207,  209. 


luneca,  292. 


SCANDINAVE,    TURC 


bregtha,  186. 
kjœnne,  29. 
man,  4. 


SCANDINAVE 


north,  4. 
sterkr,  265. 


TURC 

pambouk,  194  n. 


INDEX  TOPONYMIQUE 


Abeillan,  Abeli[a]num,  35. 

Acanium,  36. 

Achun,  35. 

Actia,  61. 

Adarnacum,  50  n. 

Adernac,  50. 

Adissan,  36. 

Aenmostier,  51. 

Aenno,  Aent,  Aento,  52. 

Agan,  36. 

Agedincum,  36. 

Agen,  36. 

Agenno,  36. 

Agentum,  51-52. 

Aginnum,  36. 

Ahent,  Ahentum,  52. 

Aicha,  61. 

Aindre,  54. 

Aissa,  61. 

Aixe,  61. 

Ajain,  36,  37. 

Alaciacum,  37. 

Albilanges,  45. 

*Albillanicos,  45-46. 

*Albinanicos,  45  n. 

Albutio,  61. 

*Alesantia,  *Alisancia,  43. 

Allassac,  37. 

Alrance,  43. 


Alsancia,  45. 

*Altodurum,  42. 

Altoire,  42. 

Ambatia,  38. 

Ambatiacum,  39. 

Ambazac,  39. 

Amboise,  38  et  s. 

Ambrières,  1 59  n. 

Analiacus,  60. 

*Analiscas,  60. 

Andreis,  etc.,  54. 

Anectio,  Aneisso,  etc.,  61. 

Anger,  Angeriscus,  47,  54. 

Angoulême,  167. 

Annexonium,  61. 

*Apilianum,  35. 

*Arcicias,  Arcissas,  Arcisse,  etc. , 

40. 
Ardennes,  15. 
Aremoricus,  165-9. 
Arlempde,    Arlende,    Arlinde, 

41,  51. 
Armoricus,  etc.,  165-169. 
Armorique,  12,  164-9. 
Arnemetici,  41. 
*Arnemetum,  41. 
*Arnemde,  41. 
Arsicius,  40. 
Artige,  76. 


1.  On  n'a  admis  que  les  noms  qui  ont  été  l'objet  d'études  ou 
de  remarques  particulières. 


INDEX  TOPONYMIQUE 


Artois,  77,  78,  79,  80. 
Arvernicum,  57. 
Ascalon,  17. 
*Aternacum,  50. 
Aternum,  Aternus,  50  n. 
*Aticianum,  36. 
Aubilanges,  45. 
Aubusson,  42,  61. 
Aumale,  -arle,  51. 
Auradoueix  (L'),  137. 
Autoire,  42. 
Auvergne,  57. 
Auzance,  Auzances,  42,  43. 
Ayen,  52. 
Baccarisse,  94. 
Baies,  178. 
Baladen,  -dent,  44. 
Baladitiago,  44  n. 
Balatedo,  43. 
*BaIatiacum,  44. 
Balatonium,  43. 
Balatonna,  43. 
Balazac,  44. 
Balazé,  44. 
Balledent,  43. 
Banassac,  Banassat,  45. 
Baniaritia,  94. 
Bannaciacum,  45. 
Baptresse,  103. 
Barbonéchas,  60. 
Baridunum,  56. 
Barriac,  44  n. 
Bateretzia,  Batresse,  107. 
Bayonne,  17. 
Bazelat,  44. 

Beaune-la- Rolande,  32. 
Beauvaisis,  68. 
Benaciacum,  45. 
Benassay,  45. 

Bergeresse-en-Brie  (La),  88 
Berlin,  17. 
Bessarés,  82. 
Besseresse,  88. 
Billanges  (Les),  45. 
Biscaye,  17. 
Blanc  (Le),  45. 


Blaudeix,  46. 

*Blaudiscum,  46. 

lUxjîo;,  46. 

Boerecia,  88. 

*Borboniscas,  60. 

Boucheresse,  88. 

Bouresse,  88. 

Bourg-d'Hem  (Le),  51. 

Bournoncle,  42. 

Bousseresse,  88. 

Bouteresse  (La),  107. 

Boutrais,  101. 

Bouvresse,  La  Bouvresse,  88. 

Brabançons,  184. 

Bramafam,  44. 

Bretagne,  12. 

Brioude,  50. 

Brivate,  50. 

Brive-la-Gaillarde,  32. 

Cabraresza,  88. 

Cabrerisse  (Saint-Laurent-de-), 

88. 
Cabroulasse  (La),  88. 
Cadaneira,  189  n. 
Cadanetum,  Cadenet,  189. 
Cadourne,  47. 
Cafour  (Le),  Cafourche  (Li), 

191. 
Caillavel,  198. 
Caillouël,  Caillouet,  198  n. 
Calhaba,  198. 
Calicut,  17. 
Calmis  Baniaritia,  94. 
*Cambidonum,  etc.,  47,  48. 
Camboncaris,  48. 
Cantagrel,  44. 
*Cantretiacum,  49. 
"Cantriniacum,  49. 
Caris,  48. 

Carlencas,  -nencas,  42. 
*Cassemate,  -ssimate,  49,  50. 
Castellum  Carnonis,  42. 
Catalaunicum,  57.  " 
Catanetum,  189. 
Caturniacum,  47. 
*Celmans,  57. 


4M 


INDEX  TOPONYMIQUE 


Cenomani,  57. 
Cenomanni,  31,  57. 
Cenomannicum,  57. 
Cervedone,  Cervon,  47  n. 
Cévennes,  15. 
Chadourgnat,        Chadreugnat, 

etc.,  47. 
Chadourne,  47. 
Chaillevel,  Chailvel,  198. 
Chaillevette,  198  n. 
Chaillevois,  197. 
Chaillot,  198  n. 
Chalivoy,  197-8  n. 
Châlonge,  57. 
Chambedon,  97. 
Chambéon,  48. 
Chambezon,  47. 
Chambonchard,  48. 
Chantrezac,  48,  49. 
Chantrigné,  48,  49. 
Chard,  48  n. 
Charenton,  5. 
Chassende,  49. 
Château-Châlon,  42,  51. 
Châleaumeillant,  58. 
Chaumeresse,  88. 
Cher,  48. 
Coforc,    Cofforca,    Cofforchia, 

191. 
Cofourche  (La),  191. 
Condé,  15. 
*Confurcus,  -ca,  191. 
Comminge,  57. 
Congidunum,  56. 
Corbie,  80. 
Corbon,  40. 
Cordes,  50. 
Cordoue,  17,  50. 
Cornas,  50. 
Cornate,  50. 
Cornde,  50. 
Corrèze,  37,42,  47,  52,  53,  56 

n.,  59,  60. 
Couffour(Le),  Coufourche(La), 

191. 
Creuse  (Petite),  54. 


Croates,  17. 

Crocq,  43  n. 

Croseta  (Petite  Creuse),  54. 

Damascena,  232  n. 

Darnac,  50. 

Disse  (La),  36. 

Domincum,  51. 

Donincum,  51. 

*Dornincum,  61. 

Doullens,  Dourlens,  51. 

Dyrrachinus,  249  n. 

Éperlon,  -non,  42. 

Equiverlesse  (Haie),  75. 

Escadunum,  35. 

Esclavons,  17. 

Exolvernus,  51. 

Eymoutiers,  51,  52. 

*Fabaricia,  89. 

*Faberitia,  89. 

Faenza,  17. 

Faferas,  85. 

*Falconisca,  60. 

Fauconèche  (La),  60. 

Faveresse,  Favresse,  89. 

Faverils  (Les),  363. 

Faverieux,  Favrieux,  363. 

Faverois,  85. 

Figarés,  85. 

Foulerets  (Les),  103. 

Foulleray,  103. 

Francia,  12. 

*Franciscas,  60. 

Fransèches,  60. 

Frondarias,  130. 

Frumenterilis,  175. 

Gallia,  12. 

*Galliscas,  60. 

Glanderiae,  125. 

Gordanicos,  46. 

Gorce,  Gorcia,   Gorse,   Gorze, 

etc.,  52,  53,  54  n. 
*Gotoniscas,  60. 
Goudargues,  46. 
Goudenaiche,  60. 
Goursole,  53. 
Haentum,  52. 


INDEX  TOPONYMIQUE 


Haie  Équiverlesse,  75. 

Hains,  51,  52. 

Hem,  51,  52. 

Hongrois,  17. 

Hyverneresses,  90. 

Indre,  Indrois,  47. 

Iscadunum,  35. 

Ivernaresses,  90. 

Jalèches,  60. 

Jordanisc,  Jordaniscum,  Le  Jour- 

daneix,  46,  47.- 
Langoine,  57. 
Laon,  15. 
Laudunum,  Laucedunum,  Lau- 

cidunum,  Lauzidunum,  etc., 

55,  56. 
Lavaqueresse,  93. 
Leboraria,  130. 
Lehun,  55. 
Leigne,  55. 
Lemnia,  55. 
Leu,  Leum,  55. 
Lezoux,  60. 
Lingonicum,  57-8. 
Loberzac,  56  n. 
Lodosum,  60. 
Loerece,  360. 
Lohun,  55. 
Loin,  55. 
Loire,  Loiret,  54. 
Lonnac,  56. 
Lorlanges,  42. 
Losdunum,  55. 
Loubarés,  86. 
Loubaresse,  91,  360. 
Loubresse  (La),  360. 
Loucé,  s 6. 
Loudun,  55,  56. 
Lourdoueix,  137  n. 
Louresse,  360. 
Lubersac,  56  n. 
Lucciacus,  Luciacus,  56. 
Lugidunum,  56. 
Lugudunum,  55. 
Luparicia,  366. 
Luperciacum,  Lupersat,  56  n. 


Luthenay,  Luttennacum,  56. 

*Luttiacum,  56. 

Maceria,  133,  142. 

Maine  (Le),  57. 

Maizières,  142. 

Mans  (Le),  51,45,  57. 

Maroc,  17. 

Martinisca,  La  Martinèche,  60. 

Mazières,  142. 

Mediolanum,  58. 

Médoc,  57. 

Meilhac,  -illac,  58. 

Meilhau,  -illau,  58. 

Meilly,  58. 

Mende,  41,  50. 

Meylan,  58. 

Mézières,  133,  142. 

Mimate,  41,  50. 

Moilliens,  58. 

Moissida,  59. 

Molseo,  59. 

Monceaux,  58,  59. 

Morvan,  15. 

Mouissido,  59. 

Moxedanum,  *Moxitanum,  etc., 

59- 

Mulsedonum,  59. 
Muridunum,  56. 
Mussidan,  58,  59. 
Nacinianum,  62. 
Naillat,  60. 
Nalèches,  59,  60. 
Nehom,  Neom,  Néoux,  61. 
Neuf  jours,  60,  61. 
Neuil,  61  n. 
Neustrie,  5. 
Nexon,  61. 
Nezignan,  61,  62. 
Nieuil,  Nieul,  61  n. 
Nogent-le-Rotrou,  32. 
Nohant,  60. 
Noiomagus,  60. 
Normandie,  5,  13. 
Nouan,  60.    . 
Novemdies,  60. 
Novientum,  60. 


4 1 6 


INDEX   TOPONYMIQUE 


Noviomagus,  6o. 

Nué,  Nueil,  6i  n. 

Nueiols,  Nuejols,  6o,  6i. 

Nuéjouls,  6i  n. 

Nuzéjouls,  6i. 

Oratorium,  137  n. 

Orgeril,  175. 

Orsarias,  130. 

Périgord,  57. 

Perse,  17. 

Plebs  Hoiernin,  42. 

Pluherlin,  42. 

Porcherais-Casso,  87. 

Porcheresse,  92. 

Pourcharessas,  -resses,  92. 

Pourcheresse,  -esses,  92. 

Rance  (Le),  43  n. 

Redeverus,  126. 

Relandais  (Le),  Relandière  (La), 

62. 
Remeneuil,  62. 
Remigeous  (Le),  62. 
Remigère  (La),  62. 
Remilly,  62. 
Reviers,  126. 
Rolandeis  (Le),  Rolandère  (La), 

62. 
*Romanoialum.  62. 
Romejos  (Le),  62. 
Romijère  (La),  62. 
Romillec,  62. 
Rotaricias,  92. 
Roudaressas,  Roudersas,  92. 
Rouergue,  57. 
Rudersas,  92. 
Saint-Chartier,  140. 
Saint-Didier,  Saint-Dizier,  225. 


Saint-Sorlin,  Saint-Sornin,  42. 

Saint-Valier,  140. 

Sainte- Valière,  142. 

Saintonge,  57. 

Sandwich,  18. 

Sardent,  44. 

Sauxillanges,  46. 

Scadunum,  35. 

Serotenno,  44. 

Silvanès,  43  n. 

Singidunum,  56. 

Slaves,  17. 

Tasseriolas,  130. 

Toivre  (Tibre),  214. 

Toroine,  Toroigne,  58. 

Touraine,  54  n.,  58. 

Toy  (Le),  42. 

Turonia,  58  n. 

Turonicum,  58. 

Uzège,  57. 

Vacarés,  87. 

Vacarissa,  94. 

Vaccarizzo,  67. 

Vacheresse,  La  Vacheresse,  93. 

Vacheret,  87. 

Vacqueresse,  Vaqueresse  (La), 

93- 
Vaveresch,  85. 
Velay,  57. 

Ventéjols,  Ventéjoux,  61. 
Venteuge,  Venteujol,  61. 
Venteuil,  61. 
Ventoialum,  61. 
Villeneuve-la-Guiard,  32. 
Vintoialum,  61. 
Warencerie,  125. 
Worstead,  313. 


CHARTRES.    —    IMPRIMERIE    DURAND,    RUE    FULBERT. 


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■        PC         Thomas,  Antoine 

2071         Nouveaux  essais  de  philologie 
T562     française.     1904 . 


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